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Full text of "Dictionnaire de la conversation et de la lecture : inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous"

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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/dictionnairedela01duck 


RÉPERTOIRE 


DES 


CONNAISSANCES  USUELLES 


LISTE  DES  AUTEURS  QUI  ONT  CONTRIBUE  A  LA  RÉDACTION 

1)1     l'UKMIEK    VOLUME    DE    CEiJE    EDITION. 


M  \l 
Arnaull,  de  l'Acadéniit'  française. 
Artaud,  \icc- recteur  de  l'acad.  de  Pans. 
Andirrrei,  de  la  Biblluihéque  impériale. 
Badarous  (Docteur;. 
Barbier,  de  la  Bihliotliéque  du  Louvre. 
Barrnull   Einilr>. 
Bcrrj  «>r,  de  l'Académie  française. 
B^lliuiie    F.  de',  off.  sup.  d'elal-major. 
BorriusDrnioolin. 

Bory  de  Saiiil-Vliirent,  de  l'Acad.  des  se. 
Bniirliilt£  (l<.\  ancien  recteur. 
Bourdon    Isid.),  de  IWcad.  de  médecine. 
BradI    Comtesse  de). 
Ureioii,  cle  la  C,a:ilie  des  Tribunaux. 
Bruker    \.'. 
Bucbon. 

Cbabrol  Cliiiniéaue  (E.  de], 
CbaiiipaKiiac. 
Chaiiipollion-FIgeac. 
CUarpcntier,  jnsp.  lion,  de  l'ac.  de  Paris. 
Cbasies  (Pliilaréte,,  professeur  au  Collège 

de  France. 
Chevalier  {Micliel\  sénateur,  professeur  au 

Collège  de  France. 
Cboron. 

Cibrario  (Luigi.,  de  TAc.  de  Turin. 
Colin. 
Corincnin  (Vicomte  de),  conseiller  d'Étal, 

membre  de  l'Inslitut. 
Coilereau  (P.-L.),   professeur   agrégé    à 

l'Rcole  de  médecine. 
Ciiendias  (Manuel  de  . 
Cuïlcr  Ceorges),  de  l'.Acad.  des  sciences. 
Urluforest  (.\.  > 

Delasiauve,  médecin  de  Bicétre. 
Oelbare  Th.,. 
UéiiiezII. 
Uiime-BaroD. 
Dabolt»  Loui>). 

Ducbesne  aine,  de  la  Biblioth.  impériale. 
Uaekett  (Docteur  Alex.). 


MM. 
Ducketi  (VV.-A.). 
Durey  (dv  l'Yonne). 
Duiiiarsals. 

Damas  (J.-B.),  sénateur,  de  l'Acad.  des  se. 
Du  .Mèse  (Alex.) 
Du  Itozoir  (Ch.),  ancico  profe.sseur  a  la 

Faculté  des  lettres  de  Paris, 
Eyriès,  de  l'Institut. 
Felllet  (A.). 
Fillioux  (A). 
For  est  (P.). 
Forget,  professeur  à  la  Faculté  de  médecine 

de  Strasbourg. 
FossatI  (Docteur). 
Français  de  Nantes  (Comte). 
Friess-Colonna. 
Garnier  (Jules). 

Ganlticr  de  Claubry,  prof,  à  PËcole  pol. 
Gt-ruRPZ,  prof,  à  la  Fac.  des  lett.  de  Paris. 
GolbCry   de),  ancien  procureur  général. 
Gnizot  (F.),  de  l'.^cadémie  française. 
Ilennequin  (V.;. 
Iléreau  (Edme). 
HerscUel  (sir  John). 
llœrteI(U.). 
Husson  (Auguste). 
Janin  (Jules). 
Julllen,  de  Paris. 
Kératry  (de),  ancien  pair. 
Lafage  (Adrien  de). 
Laliiê,  généalogiste. 

Larrey  (baron),  de  l'Acad.  des  sciences. 
Laurent  (de  l'Ardéchej,  admin.  de  la  Bibl. 

de  l'Arsenal. 
Laurent  (L.),  ancien  cbirargien  en  chef  de 

la  marine. 
Lavigne  (£.]. 
Lawrence    sir  William) 
Leglay  (Edward),  anc.  sous-préfet. 
Le  Roux  de  Lincy< 
Louvei  (L.). 


M.M. 

.Malle-Briui. 

Mantz  (Paul). 

Marmontel . 

Marrast  (Armand),  ancien  président  di- 
l'Assemblée  nationale. 

Matter,  ancien  inspecteur  général. 

]Ueriieo.\  (Ed.). 

Millin  (A.-L.),  de  l'Institut. 

Monglave  (Eugène  G.  de). 

Morean-Christopbe. 

IV'isard  (D.),  de  l'Académie  française. 

IMyer  (L.). 

Ortlgne  (Joseph d'). 

Paffe  (C.-M.). 

Paul-Jacques. 

Pelouze  père. 

PIchot  (Amédée). 

Beiffenberg  (Le  baron  de). 

Renier  (Léon),  de  l'Institut. 

Roger  (D'  Henri). 

Rosseeuw-Saint-Hilalre,  professeur  à  la 

Faculté  des  lettres. 
Roux  (Docteur),  de  l'.Acad.  des  sciences. 
Saint-Germain-Ledoc. 
Sandeau  (Jules),  de  l'Académie  française. 
Sancerotte  (Docteur). 
Savagner  (Aug.). 
Say  (J.-B.),de  l'Institut. 
Sédillot,  professeur  au  lycée  Saint-Loais. 
Sénanconr  (de). 
Sicard  (Le  capitaine). 
Talbot  (Eug),  professeur  au  lycé«  Louis-Ie- 

Grand. 
Teyssédre. 

Tissot,  de  l'Académie  française. 
Tollard  aîné. 

Vandonconrt  (général^,  de). 
Velpean,  de  l'Académie  des  sciences. 
Viennct,  de  l'Académie  française. 
\irey,  de  l'Académie  de  médecine. 
Winckelmann. 


!  a  lisle  coiuplde  des  aulenrs  qui  mit  nmtriliué  à  la  rédaction  de  la  deuxième  édition  se  trouve  à  la  fia  de  l'ouvrage. 


l'.itl.>  —  Typiiiiraplilc  ik  Firmln  niilot  frcrcf ,  Cl;  !  I  Cir,  rue  JaroJ),  ôÇ. 


DICTIONNAIRE 


l)K  LA 


CONVERSATION 

ET  DE  LA  LECTURE 

INVENTAIRE  RAISONNÉ  DES  NOTIONS  GÉNÉRALES  LES  PLUS  INDISPENSABLES  A  TOUS 

PAR  Wm  SOCIÉTÉ  DE  SAVANTS  ET  DE  GEi\S  DE  LETTRES 

sous  LA  DIRECTION  DE  M.  W.  DUCKETT 


Seconde  édition 


ENTIEBEMENT  REFONDUE 

CORRIGÉE,   ET   AUGMENTÉE   DE   PLUSIEURS   MILLIERS   d' ARTICLES   TOUT   D'aCTUALITÉ 


Celui  qui  voit  tout  abrège  tout. 

MoSTESQUIEli. 


TOME  PREMIER 


PARIS 


LIBRAIRIE  DE  FIRMIN  DIDOT  FRÈRES,   FILS   ET  C'^ 

IMPRIMEURS   DE    l'iNSTITLT,    RUE    JACOB  ,    oO 

M  DGCC  LXVII 


Les  lecteurs  sont  prévenus  que  tous  les  mots  espacés  clans  le  texte  courant  (par 
exemple  :  Transsubstantiation,  Immortalité,  César)  sont  l'objet  d'articles 
spéciaux  dans  le  Dictionnaire,  et  constituent  dès  lors  autant  de  renvois  à  consulter. 


DICTIONNAIRE 


DE 


LA  CONVERSATION 


ET  DE  LA  LECTURE. 


A,  lettre  voyelle,  la  première  de  l'alphabet  dans  la  plupart 
des  langues  connues ,  n'occupe  que  la  treizième  place  dans 
l'alphabet  éthiopien.  Les  Romains  l'appelaient  la  lettre  salu- 
taire, litlerasalutaris,  parce  que,  lorsqu'il  s'agissait  de  pro- 
noncer sur  le  sort  d'un  accusé ,  le  juge  qui  voulait  l'ab- 
soudre écrivait  sur  sa  tablette  0,  première  lettre  et  abréviation 
du  naot  absolvo,  j'absous.  Au  contraire,  si  la  culpabilité  lui 
était  démontrée,  il  y  inscrivait  la  lettre  c ,  première  lettre  et 
abréviation  du  mot  condemno,  je  condamne.  —  Employé 
comme  lettre  numérale ,  A  valait  1  chez  les  Grecs,  et  500 
chez  les  Romains  avant  l'adoption  du  D. 

Possidet  A  numéros  quingentos  ordine  recto. 

Mais  quand  celte  lettre  était  surmontée  d'un  trait ,  elle  valait 
5,000.  — En  numismatique,  TA  qu'on  voit  sur  quelques 
médailles  grecques  indique  qu'elles  furent  frappées  soit  à 
Athènes,  soit  à  Argos.  Sur  les  médailles  du  Bas-Empire  A 
indique  Antioche,  Aquilée,  Arles,  etc.  Sur  des  monnaies 
françaises,  la  lettre  A  désigne  l'iiôtel  des  monnaies  de  Paris  ; 
AA  est  la  marque  de  Metz.  —  En  chronologie,  les  deux 
lettres  A.  D.  sont  l'abréviation  des  mots  amio  Domini, 
l'an  du  Seigneur;  A.  C,  celle  des  mots  anno  Christi,  l'an 
du  Christ;  A.  M.,  celle  de  anno  mundi,  an  du  monde;  A. 
K.,  celle  de  ante  calendas,  avant  les  calendes  ;  A.  U.  C. 
s'emploient  pour  l'au  de  Rome  (ab  iirbe  condita,  depuis 
la  fondation  de  la  ville);  A.  A.  C.  signiOent  anno  ante 
Christum ,  année  avant  le  Christ,  avant  l'ère  chrétienne. 
—  A.,  chez  les  Latins,  s'employait  pour  Aulus  ,  Augustus; 
AA.,  pour  i4M$f2<s<i ,  les  Augustes  ;  Ap.,  pour  Appius;  Agr., 
pour  Agrippa.  Plus  tard,  A.  M.  s'est  mis  pourartium  ma- 
gister,  maître  es  arts.  —  En  musique,  chez  les  peuples  qui, 
comme  les  Anglais,  les  Allemands,  se  servent  de  lettres 
pour  solfier,  la  lettre  A  désigne  le  sixième  ton  de  la  gamme, 
celui  que  les  Français  et  les  Italiens  appellent  la.  Écrite  en 
tôle  d'une  partie  de  musique,  elle  indique  la  partie  de  la 
haute-conlre  (Alto).  —  On  dit  de  quelqu'un  qui  n'a  rien 
fait,  rien  écrit,  qu'il  n'a  pas  fait  une  panse  d'à,  c'est-à-dire 
la  moitié  de  cette  lettre  ;  le  mot  panse  étant  synonyme  de 
ventre  et  désignant  ici  la  partie  de  la  lettre  qui  avance.  Ou 
dit  aussi  d'un  ignorant  qu'il  ne  sait  ni  A  ni  B. 

En  chimie,  Ag  signifie  argent  ;  Al,  aluminium  ;  As,  arsenic, 
Au  (abréviation  à^aurum),  Of;  Az,  azote. 

Dans  les  prescriptioos  médicales ,  â  ou  âa  est  employé 
pour  ana,  et  signifie  de  cjiaque. 

AA,  nom  commun  à  divers  cours  d'eau  situés  au  nord  de 

DICT.    DE   LA  COSVEKS.  —  T.  I, 


la  France,  en  Hollande,  en  Allemagne ,  en  Suisse,  en  Cour- 
lande,  et  que  les  élymologistes  dérivent  du  vieil  allemand 
Ahha,  Ach  ou  Aach  ,  synonyme  du  latin  aqua,  de  l'anglo- 
saxon  ea,  et  du  français  eau. 

AAH-HOTEP,mère  d'Aah-Mès,  fondateur  de  la  dix- 
huitième  dynastie  des  Pharaons  d'Egypte,  et  dont  M.  Ma- 
riette a  trouvé  la  momie  à  Goumah,  en  1859.  Elle  était 
enfermée  dans  une  boîte  de  cèdre  et  couverte  de  bijoux  de 
toute  espèce  valant  au  poids  seulement  environ  30,000  fr. 
Ces  objets,  fabriqués  avant  Moïse,  d'une  conservation  admi- 
rable, d'un  travail  fini  et  soigné,  riches,  de  bon  goût,  élé- 
gants, appartiennent  au  musée  du  vice-roi  d'Egypte.  On  y  re- 
marque un  diadème,  un  collier,  des  agrafes,  un  pectoral  offrant 
l'image  d'Aah-Mès,  une  chaîne,  des  bracelets,  des  anneaux, 
un  miroir  en  métal,  deux  poignards,  une  hache  votive,  un 
éventail,  un  bâton  de  commandement,  une  bague  représen- 
tant des  personnages  qui  rappellent  le  voyage  de  l'âme 
après  la  mort.  Presque  tous  sont  en  or  avec  des  incrusta- 
tions curieuses.  E.  D. 

A  AH-MÈS  ou  AAH-MOS.  Voyez  Amasis. 

AALBORG,  ville  de  Danemark,  sur  la  rive  droite  du 
Lymfiord,  chef-heu  de  bailliage  ,  siège  d'unévêché,  compte 
7,500  habitants.  Elle  est  le  centre  d'un  commerce  impor- 
tant, et  son  port ,  où  règne  une  grande  activité ,  emploie 
plus  de  100  navires  à  la  pêche.  Aalborg  a  une  école  de 
navigation,  une  bibliothèque  publique,  des  raffineries  de 
sucre ,  des  manufactures  de  tabac ,  d'armes  à  feu,  etc. 

A  ALI-PACHA  (Méhémet-Emin),  grand  vizir  turc,  est 
né  à  Constantinople  en  1815.  Entré  en  1829  dans  les  bu- 
reaux de  la  Porte,  il  s'y  (il  remarquer  par  son  aptitude  et 
fut  emmené  comme  second  secrétaire ,  par  Ahmet-Fethi- 
Pacha,  ambassadeur  à  Vienne  en  1834.  De  retour  à  Cons- 
tantinople en  1837,  Aali  fut  nommé  premier  drogman  de 
la  Porte.  Il  accompagna  plus  tard  Rechid -Pacha  à  Londres, 
revint  avec  lui  et  rempht  sous  lui  les  fonctions  de  sous- 
secrètaiie  d'État  au  ministère  des  affaires  étrangères.  De 
1S41  à  1844  il  résida  en  Angleterre  comme  ambassadeur. 
Nommé  à  son  retour  membre  du  grand  conseil,  il  géra  le 
ministère  des  affaires  étrangères  pendant  l'absence  do 
Chekib-Effendi.  Chancelier  du  divan,  il  prit  en  septembre 
1846  la  direction  du  ministère  des  affaires  étrangères  qu'il 
conserva  jusqu'en  1848.  Appelé  à'cette  époque  à  la  prési- 
dence du  grand  conseil,  il  reprit  bientôt  le  portefeuille  des 
affaires  étrangères,  et  en  cette  qualité  il  eut  à'répondre 
au  ministre  autrichien  à  propos  de  la  mise  en  liberté  de 

1 


i 


A  ALI- PACHA 


K<vs<(iillieldes  intLintVsiIcKuLiya.  En  18.)2il  succi'daà  Recliiil 
Paclia  comme  giaml  vizir.  Deux  moisaprès  il  rrnlraitdans 
la  vie  piivt^c;  puis  il  fut  siicccssivcinent  nommé  K'^uverneur 
p^nt'Ml  (les  provinces  tie  Smyrne  en  1833,  de  Brousse  en 
isj'i ,  président  du  conseil  du  tanzimat  lors  de  sa  création, 
et  encore  ministre  des  affaires  étrangères  à  la  fin  de  1854. 
Au  commencement  de  1855  il  accompagna  Anrif-Effendi 
aux  conférences  de  Vienne,  et  au  mois  de  mai  il  reçut  le 
li.illi-clii;rif  qui  le  rappelait  au  grand  vizirat.  Kn  isoG  il 
vint  à  Taris  connue  premier  [dénipotentlairede  l;i  l'orte  au 
«)ugrés  tpii  s'ouvrait  dans  ctte  ville,  et  en  cette  (pialilé  il 
fiigna  la  paix  le  30  mars.  Le  1"  novembr»  il  dut  quitter  le 
içrand  vizirat,  le  20  il  accepta  le  ministère  des  affaires 
étrangères  dont  il  se  démit  le  lendemain  ;  nommé  ministre 
sans  portefeuille,  il  redevint  ministre  îles  affaires  étran- 
gères le  31  juillet  1857,  et  la  mort  de  Rccliid  lui  rendit  le 
Rrand  vizirat  en  janvier  1858,  mais  il  a  dû  le  céder  en  186C 
h  Meliérnet-Kuprili.  Aali  est  un  homme  laborieux  et  instruit, 
partisan  des  réformes;  il  a  montré  beaucoup  de  finesse  cl 
de  fermeté  au  congrès  de  Taris,  où  il  s'était  rapproché  du 
ministre  autrichien.  L.  Locvet. 

AAR,  l'une  des  principales  rivières  de  la  Suisse;  elle  a 
nonuné  le  canton  d'Argovie  et  la  ville  d'Aarau,  son  chef- 
lieu.  L'Aar  a  sa  source  au  Griinsel ,  d'où  celte  rivière  des- 
cend avec  im|iétuosité.  formant  sur  son  passage  beaucoup 
de  cascades,  dont  la  plus  belle  est  la  Ilandeck.  L'Aar  baigne 
Meyringen,  traverse  les  délicieux  lacs  de  lîrienlz  et  de  Thoun, 
enveloppe  la  montagne  sur  laquelle  repose  Berne,  se  dirige 
sur  Aarborg,  Uuren,  Soleure  et  Brougg,  et  se  jetledans  le  Rhin 
après  avoir  accompli  une  course  d'environ  soixante  lieues. 
Les  bords  de  cette  rivière  sont  fort  pittoresques  et  dignes  de 
l'admiration  dis  voyageurs.  DkGolbéry. 

AARAII,  jolie  petite  ville  bûtie  sur  l'Aar,  et  chef-lieu 
du  canton  d'Argovie,  est  le  siège  du  grand  conseil,  du  petit 
conseil  et  d'un  tribunal  supérieur.  On  y  compte  plus  de  4,000 
habitants.  Un  chûteau-fort ,  construit  au  onzième  siècle  par 
le  comte  de  Holir,  est  l'origine  de  cette  ville,  qui  resta  sous 
Il  domination  de  l'Autriche  jusqu'en  1315,  époque  où  les 
habitants  de  Berne  s'en  emparèrent.  Au  temps  de  l'invasion 
française,  pendant  les  guerres  de  la  révolution,  Aarau  fut 
un  instant  la  capitale  de  la  confédération. 

AAllO.X  ,  Irère  de  Moïse,  était  fils  d'Aniram  et  de  Jo- 
clitbed  ,  de  la  tribu  de  Lévi,  et  naquit  en  Egypte  l'an  1578 
av.  J.-C.  Quand  Moïse  reçut  de  Dieu  la  inissiou  de  délivrer 
Sun  peu[)!e,  il  choisit  Aaron  pour  lui  servir  d'aide  dans  cette 
glorieuse  entreprise,  et  à  l'érection  du  tabernacle  on  l'in- 
votit  des  fonctions  de  grand  prêtre,  qui  furent  déclarées 
heiéditaires  dans  sa  famille.  Moïse  éprouvait  beaucoup  de 
difficulté  h  s'exprimer,  et  l'éloquence  facile  et  naturelle  de 
non  frère  aine  lui  fut  souvent  utile.  Pendant  la  retraite  de 
Moïse  au  mont  Sinaï ,  Aaron  eut  la  faiblesse  de  céder  aux 
clameurs  du  peujile,  qui  lui  demandait  le  veau  d'or,  sans 
pressentir  que  le  peuple  s'en  ferait  une  idole.  Il  ne  fut 
pourtant  pas  compris  dans  le  massacre  qu'ordonna  Moïse 
des  25,000  coupables;  mais,  pour  avoir  douté  de  la  puis- 
sance de  Dieu ,  il  ne  lui  fut  pas  donné  d'entrer  dans  la 
terre  jiromise.  Etint  monté  sur  la  montage  île  Thor,  non 
l'>in  de  Séla  en  Idumée  (an  145G  av.  J.-C),  il  y  fut 
publiquement  dépouillé  de  ses  habits  pontificaux,  dont 
Moïse  revêtit  son  fils  Éléazar,  et  expira  ou  disparut  aussitôt, 
à  l'Age  de  cent  vingt-trois  ans.  Les  traditions  juives  pos- 
lériiiiresle  représentent  comme  un  personnage  éinineioment 
populaire  et  ami  de  la  paix. 

ABA  ou  Ar..\TS  ,  costume  formé  d'une  sorte  de  redin- 
gote sans  manches,  porté  en  Turquie  par  les  matelots,  les 
Roldats  et  les  indigents.  Le  drap  grossier  dont  ce  vêtement 
t'st  (ait  a  le  même  nom  ;  connue  il  était  jadis  un  objet 
d'ex|K)rlation  considérable  dans  toute  la  Macédoine,  et  sur- 
tout 5  Saloniki,  on  l'appelle  aussi  salonika. 
\l\.\  ou  OWON,  beau-frère  de  saint  Etienne,  preniier 


-  ABADIIKS 

roi  clirétlen  de  Hongrie,  l^itienne  rnorl,  Pierre  àitVAUc- 
mand ,  son  neveu,  lui  succéda.  Aba  se  créa  des  partisans, 
et  en  1041,  quoique  Pierre  l'eût  exilé,  il  se  fit  couronner. 
Mais  une  fois  sur  le  trône  il  s'attira  la  haine  des  Hongrois  , 
qui  se  révoltèrent ,  et  implorèrent  l'assistance  de  l'empereur 
Henri  III.  Aba  ne  se  laissa  pas  intimider,  se  jeta  à  l'impro- 
viste  sur  la  Bavière  et  sur  l'Autriche,  et  ravagea  sans  pitié 
ces  deux  pays.  S'il  lut  réduit  à  indemniser  l'empereur  et  à 
reslituer  le  butin  qu'il  avait  fait,  il  conserva  néanmoins  le 
pouvoir.  Ses  désordres  et  sa  cruauté  révoltèrent  de  nou- 
veau ses  sujets.  Aba  soutint  pendant  trois  campagnes  les 
cflorts  des  mécontents,  appuyés  par  l'empereur  et  par  le 
margrave  de  Moravie.  Vaincu,  en  1044,  à  la  bataille  de 
Baab,  il  périt  dans  la  mêlée,  ou,  selon  d'autres,  il  fut  livré 
à  l'ierre,  qui  lui  fit  trancher  la  tête.  * 

ABAD  I-III ,  rois  de  Séville.  Voyez  Adadites. 

ABAU  Y  QUEYPEO  (Manof.i.)  ,  né  vers  1775  dans 
les  Aslurie',  embrassa  l'état  ecclésiastique  et  passa  au  Mexi- 
que, où  il  devint  juge  des  testaments,  puis  évêque  de  Val- 
ladolid  de  ]\léchoacan.  Réduit  à  abandonner  son  diocè.se  après 
l'insurrection  de  la  j\ouvelle-Espagne,il  se  réfugia  à  Mexico  ; 
mais  rentré  à  Valladolid,  il  y  donna  des  preuves  de  modéra- 
tion qui  lui  valurent  d'être  privé  de  son  évôché  en  1814.  Le 
vice-roi  le  fit  embarquer  de  vive  force  pour  l'Espagne,  et  quand 
il  y  arriva,  il  fut  jeté  dans  une  prison  à  Madrid,  sur  l'onlre 
du  grand  inquisiteur.  L'insurrection  de  l'île  de  Léon  le  rendit 
à  la  liberté  en  1820,  et  il  fit  partie  de  la  junte  provisoire. 
Aflligé  d'une  surdité  profonde,  il  ne  put  participer  aux 
travaux  des  cortès,  et  fut  promu  à  lévêché  de  Tortose. 
L'inquisition,  rétablie  par  Ferdinand  VII,  restauré  par  l'ar- 
mée française  en  1823,  s'empara  d'Abad  y  Queypeo,  qui 
fut  condamné  à  six  ans  de  présides.  Il  est  mort  après  1830. 

ABADDOX.  Foyei  Abbadon. 

ABADIOTES,  peuplades  de  l'île  de  Candie,  qui  ha- 
bite, au  sud  du  mont  Ida,  une  vingtaine  de  villages.  Elle 
compte  4,000  individus,  descendants  des  Arabes  ou  Sarra- 
sins qui  s'emparèrent  de  l'île  au  neuvième  siècle. 

ABADÎE  (Louis),  charmant  compositeur  de  romance.s, 
né  vers  1814,  mort  à  l'hôpital  La  Riboisière,  à  Paris,  au 
mois  de  décembre  1858.  Chaque  année  il  publiait  un  album 
de  romances,  parmi  lesquelles  on  cite  les  Feuilles  mortes, 
le  Braconnier,  les  J.olis  pantins,  Jeanne ,  Jeannette  et 
Jcanneton.  «  C'était,  dit  M.  Fiorentino,  un  compositeur 
plein  d'idées ,  de  ressources ,  de  talent.  La  nature  l'avait 
doué  d'une  imagination  vive,  d'un  esprit  charmant,  d'une 
grande  facilité  d'improvisation.  Chez  lui  la  mélodie  coulait 
de  source;  il  avait  mené  la  vie  nomade  des  chanteurs 
de  province...  Ses  chants  jetés  à  tous  les  vents,  retenus 
par  les  orgues  de  Barbarie,  avait  conquis  la  popularité  ,  en 
attendant  la  vraie  gloire.  »  Frappé  d'apoplexie,  il  fut  trans- 
porté à  l'hôpital,  où  il  mourut  dix  jours  après,  Z. 

ABADIR  ouABADDlR.  C'est  le  nom  que  les  mytho- 
logie» grecque  et  romaine  donnent  à  la  pierre  que  Cybèlc 
ou  Ops,  femme  de  Saturne,  fit  avaler  dans  des  langes  à  son 
mari,  à  la  place  de  l'enfant  dont  elle  était  accouchée.  Des 
anciens  ont  cru  que  cette  pierre  était  le  dieu  Terme.  Abadir, 
qui  en  phénicien  signifiait  père  rna^ruy/^îte,  était  le  titre 
que  les  Carthaginois  donnaient  aux  dieux  du  premier  ordre. 

ABA  DITES,  nom  d'une  d  ynastie  maure  qui,  au  onzième 
siècle,  eut  pendant  quarante-huit  ans  sa  résidence  à  Séville. 

Le  premier  prince  de  cette  maison ,  auquel  certains  au- 
teurs espagnols,  Masden,  par  exemple,  donnent  le  titre  de 
roi,  fut  Abad  !"■  ou  Mohammed-ben-Ismael  ;  ses  ancêtres, 
Syriens  d'Émesse,  s'étaient  établis,  du  temps  d'Abdérame  I"", 
à  Tocina  ,  sur  le  Guadalqiiivir,  et  lui-même  était  un  des 
musulmans  les  plus  riches  et  les  plus  considérés  de  Séville.  Son 
intelligence  et  ses  libéralités  lui  gagnèrent  le  cœur  de  ses  con- 
citoyens; fatigués  des  discordes  intestines  qui  désolaient 
Cordoue,  ils  le  nommèrent  leur  émir  en  1043.  Mais  son  rival 
se  maintint  à  Cordoue ,  et  ce  petit  État ,  opprimé  par  des 


ABAOITES  —  ADANCOUKT 


tyrans,  no  jnit  ('tie  léiirt  à  celui  ileStîvillc  qu'on  l'anaéc  1070 
<le  notre  îro.  Parini  tous  les  princes  de  ce  siècle ,  Abad  1"' 
n'eut  point  d'égal  dans  l'art  de  gouverner  les  peuples  ;  nul  ne 
sut  mieux  que  lui  tempérer  la  sévérité  par  la  douceur.  En 
1 051  il  remit  les  rén«  du  gouvernement  à  sou  lils  An\D  H  ou 
Abou-Amrou-ben- Abad.  Celui-ci ,  brave  et  éloquent,  mais 
cruel  et  débauché,  étendit  les  limites  de  son  domaine,  et  le 
boidicur  et  la  victoire  signalèrent  son  règne.  Toutefois ,  lors- 
«lu'il  se  vit  attaqué  par  Fenliuand  le  Grand ,  roi  de  Castille 
et  de  Léon  (  c'était  la  glorieuse  époque  du  Cid  ) ,  il  fut  réduit 
à  demander  la  paix ,  qu'il  acheta  en  livrant  les  reliques  de 
saint  Isidore.  11  mourut  en  106i). 

Abad  III  (Mohammed-al-Motamed),  sonfds,  troisième  et 
dernier  roi  de  Séville,  et  le  vmgt-cinquièmo  roi  de  l'Es- 
pagne mauresque,  était  doué  de  belles  qualités  du  cœur 
et  de  l'esprit ,  juste  et  doux ,  aimé  de  ses  sujets ,  ami  des 
sciences,  artiste  lui-même  et  poète.  11  lit  une  guerre  lon- 
gue et  sanglante  aux  chrétiens,  et  appela  à  son  secoms, 
contre  le  roi  de  Castille  ,  Alphonse  VI,  les  musulmans  d'Afri- 
que, commandés  par  Jussuf.  C'est  ainsi  que  le  fondateur  de 
l'empire  des  Almo  ravides  de  Maroc,  l'audacieux  et  poli- 
tique Jussuf  TeschfjTi,  fut  invité  à  passer  en  Espagne  avec  ses 
baîides.  Les  deux  armées  réunies  se  portèrent  au-devant  des 
clu-étiens.  Une  bataille  fut  hvrée  à  Zélaka ,  non  loin  de  Bada- 
joz.  Abad  fut  d'abord  repoussé,  mais  Jussuf  poussa  en  avant. 
Abad ,  quoique  blessé ,  réunit  de  nouveau  ses  troupes  ;  les 
chevaux ,  eflrayés  par  l'aspect  inaccoutumé  des  chameaux 
bardés  de  fer,  jetèrent  le  désordre  dans  l'armée  d'Alphonse, 
qui  perdit  la  victoire,  dont  il  se  croyait  déjà  sûr  (1087).  11 
est  à  présumer  que  ce  prince  traita  alors  secrètement  avec 
Jussuf,  car  à  partir  de  cette  époque  les  Almoravides  tour- 
nèrent leurs  armes  contre  les  IMaures  d'Espagne.  Jussuf  ne 
tarda  pas  à  s'emparer  de  Séville ,  mit  la  ville  au  pillage,  et  lit 
charger  de  chaînes  le  roi  Abad  avec  ses  lils  et  ses  filles  (  il 
avait  cent  enfants).  Abad  fut  transporté  en  Afrique  et  jeté 
dans  un  cachot ,  et  ses  filles  obligées  de  filer  et  de  broder  pour 
\ivre;  elles  gagnèrent  assez  pour  adoucir  encore,  par  leurs 
secours,  la  captivité  de  leur  père.  Un  de  ses  fils  trouva  des 
moyens  d'existence  dans  son  talent  pour  la  musique  et  la  poé- 
sie. —  On  a  conservé  d'Abad  des  écrits  en  prose  et  en  vers , 
cjui  prouvent  la  culture  de  son  esprit.  Dans  sa  captivité  de 
six  ans,  ce  malheureux  prince  composa  des  poèmes  destinés 
à  consoler  ses  filles  et  à  doimer  des  avis  aux  rois ,  en  leur  rap- 
(wlant  les  vicissitudes  de  la  fortune.  En  lui  s'éteignit  la  dy- 
nastie des  Abadites,  qui  avait  régné  quarante-huit  ans  à  Sé- 
ville. Aug.    SWAGNER. 

ABAISSEMEXT,  d'un  mot  de  la  basse  latinité  signi- 
fiant diminution  de  hauleiir.  Eu  algèbre,  Yabaissemené 
d'une  équation  est  sa  réduction  à  la  forme  la  plus  simple  dont 
elle  soit  susceptible.  Vo7jez  Équation. 

En  géométrie,  Yubaissement  d'une  perpemUculaire  est 
l'action  de  mener  une  perpendiculaire  d'un  point  placé  hors 
d'une  ligne  sur  cette  ligne.   Voyez  Perpf.nuiculaire. 

En  astronomie  Vabaissement  de  V horizon  visible  est  la 
quantité  dont  cet  horizon  est  abaissé  au-dessous  du  pôle  ho- 
rizontal qui  touche  la  terre.  On  entend  par  abaissement  du 
vcrcle  crépusculaire  la  quantité  dont  le  soleil  est  abaissé  au- 
dessous  de  l'horizon  lor.sque  le  crépuscule  du  soir  est  totale- 
ment fini ,  ou  lorsque  l'auroie  commence,  c'est-à-dire  quand 
on  commence  à  voir  le  soir  les  plus  petites  étoiles  après  le 
coucher  du  soleil ,  et  qu'on  cesse  de  les  voir  le  matin  avant 
^on\(i\(tT.  Vabaissement  d'une  étoile  sous  l'horizon  est 
l'arc  d'un  cercle  vertical  qui  se  trouve  au-dessous  de  l'ho- 
rizon, entre  cette  étoile  et  l'horizon.  L'abaissement  du  pôle 
est  la  quantité  de  degrés  dont  on  avance  du  pôle  vers  l'écjua- 
f  our,  parce  qu'autant  on  fait  de  chemin  en  degrés  de  latitude, 
en  allant  du  pôle  vers  l'équateur,  autant  est  grand  le  nombre 
de  degrés  dont  le  pôle  s'abaisse.  Vabaissement  des  planètes 
jiar  l'effet  de  la  parallaxe  est  la  quantité  dont  nous  les 
Noyons  plus  basses  que  si  nous  étions  «lacés  au  centre  de  la 


terre,  où  il  faudniil  être  pour  voir  les  mouvemnits  célestes 
plus  uniformes.  On  ne  peut  faire  usage  d'aucune  espèce  d'ob- 
servation si  ou  ne  la  corrige  de  l'effet  de  cet  abaissement. 

En  marine  l'abaissement  de  l'horizon  est  synonyme  de 
dépi'ession  de  l'horizon  ou  courbure  sphérlque  de  la  portion 
de  surface  de  mer  embrassée  par  le  regard.  On  conçoit  que 
cet  abaissement  de  l'horizon,  rétrécissant  l'espace  qu'em- 
brassent les  yeux,  ne  permet  pas  à  l'objet  placé  au  delà  du  ni- 
veau sensible  de  cet  espace  de  se  montrer  tout  entier  à  l'ob- 
servateur. Ses  parties  élevées  restent  seules  visibles;  et  si 
l'objet  continue  de  s'éloigner  sur  la  mer,  qui  s'abaisse  de  plus 
en  plus,  il  disparaît  proportionnellement  à  la  distance,  jus- 
qu'à ce  qu'il  s'efi'ace  complètement,  conséquence  de  l'abais- 
sement. Mais  que  l'observateur  s'élève  et  domine  l'obstacle 
qui  bornait  sa  vue,  l'objet  reparaîtra  aussitôt  sur  son  nouvel 
horizon  visible ,  qui  s'est  élargi  par  son  élévation. 

ABAïSSEUIi.  Cet  adjectif  n'est  employé  qu'en  anatomie. 
Il  s'applique  à  différenls  muscles  dont  l'action  consiste  à  abais- 
ser ou  à  entraîner  en  bas  les  parties  auxquelles  ils  sont  atta- 
chés. Par  exemple,  la  mâchoire  inférieure  est  abaissée  par 
les  muscles  digastriques  et  peauciers.  L'œil  est  abaissé  par 
un  des  muscles  droits  qu'on  nounue  Vhutnble ,  ou  le  muscle 
inférieur  de  l'œil,  ou  simplement  l'abaisseur.  Il  y  a  en 
outre  un  abais.seur  de  l'aile  du  nez ,  qu'on  nomme  myrti- 
forme,  à  cause  de  sa  ressemblance  avec  une  feuille  de 
myrte. 

ADAJOUE.  Sorte  de  poche  que  divers  genres  de  mam- 
mifères portent  dans  l'épaisseur  des  joues ,  des  deux  côtés 
de  la  bouche.  La  plupart  des  singes  de  l'ancien  continent 
sont  pourvus  d'abajoues  qui  s'ouvrent  à  l'intérieur  delà  ca- 
vité buccale.  Elles  s'ouvrent  à  l'extérieur  chez  certains  ron- 
geurs d'Amérique,  appelés  pour  cela  diplostomes  (à  double 
bouche  ).  Chez  le  hamster,  autre  genre  de  rongeur,  les 
abajoues  représentent  deux  sacs,  qui  se  prolongent  depuis 
l'angle  des  lèvres  jusqu'au  devant  des  épaules.  Ces  poches 
servent  à  mettre  en  réserve  pendant  quelque  temps  ou  à 
transporter  aune  certaine  distance  les  aliments  que  l'animal 
ne  veut  pas  consommer  sur-le-champ.  JI.  Geoffroy  Saint-IIi- 
laire  a  découvert  des  abajoues  fort  remarquables  sur  quelques 
chauves-souris  du  genre  nyctère.  Au  fond  de  ces  cavités  se 
trouve  une  ouverture  étroite  par  où  l'animal  peut  introduire 
de  l'air  dans  le  tissu  cellulaire  très-làche  qui  unit  la  peau  aux 
muscles  sous-jacents.  Dans  ce  but,  il  ferme  le  canal  nasal  au 
moyen  d'un  mécanisme  particulier,  et  il  pousse  sous  la 
peau  l'air  qu'il  expire.  L'animal  devient  ainsi  plus  volumi- 
neux ,  mais  plus  léger  pour  le  vol.  —  On  nomme  encore 
abajoue  la  partie  latérale  du  groin  de  cochon  ou  de  la  tête  de 
veau  lorsqu'ils  sont  cuits.  —  Familièrement  on  qualifie  d'a- 
bajoues les  joues  volumineuses  et  pendantes. 

ABAN A ,  lleuve  ou  plutôt  torrent  qui  prend  sa  source 
presqu'au  versant  oriental  du  Liban ,  au  pied  de  ce  mont.  Il 
coule  sous  les  murs  de  Damas,  et  dans  la  ville  même,  se 
jette  dans  le  désert,  et  va  perdre  ses  eaux  dans  un  marais  à 
quatre  ou  cinq  lieues  de  là,  au  midi  de  cette  ville.  Les  Sep- 
tante le  nomment  Amana,  les  Grecs  Chrysorrhoas  (lon'ent 
d'or),  nom  que  d'autres  donnent  au  Pharphar ,  torrent  qui 
baigneaussi  les  murailles  de  Damas.  Ce  qui  confirmerait  que 
lAbana  est  plutôt  un  torrent  qu'mi  lleuve,  c'est  l'étyniologie 
de  son  nom  ,  ebén  signifiant  pierre  en  langue  hébraïque.  En 
eîî'ct,  le  propre  des  torrents  est  de  rouler  des  cailloux  et 
des  rochers.  Quelques-uns  ont  donné  à  ces  c:u!x  le  non» 
d'Oronte;  l'Oronte,  dit  Strabon,  traverse  la  vallée  des  deux 
Libans.  Est-ce  aux  rives  de  ce  fleuve  qu'au  japport  de 
Properce  les  Romains  recrutaient  leurs  courtisanes  ? 

DENNE-JjAriON. 

ABAKCOURT  (Fuvnçois-Jean  VILLE.MALN  W),  poète 
médiocre,  né  le  2'2  juillet  1743,  à  Paris,  où  il  est  mort,  le 
10  juin  1803.  «  Les  poésies  de  ce  jeune  auteur,  disait  de  lui, 
«en  1772,  l'abbé  Sabathier  dans  les  Siècles  liUcraires, 
«  n'amioncent  que  la  médiocrité,  ce  (|ui  ne  promet  pas  ds 


ABAiNCOURT  —  ABASCAL 


.<  grands  progrès.  »  Ce  pronostic  ne  fat  que  trop  Justifié  :  ses 
fnblcs,  «PS  héroules,  ses  contes  et  nouvelles  en  prose,  ses 
po<ixies  fugitives  insérées  dans  différents  recueils,  tels  que  le 
Mercure  de  France,  VAlmanach  des  Muses  et  le  Journal 
des  Dames,  saas  parier  de  quelques  œuvres  dramatiques,  en 
Kont  les  trLste-s  preuves.  Tous  ces  écrits  sont  complètement 
oubliés.  11  a  traduit  aussi  ou  plutôt  imité  de  Klopstock  la 
Mnrl  d'Adam,  tragédie  en  trois  actes.  Amateur  passionné  du 
théillre,  il  avait  fait  une  riche  collection  de  pièces  dramatiques, 
rt  quand  elles  n'étaient  point  imprimées ,  il  ne  négligeait  rien 
l>our  se  les  procurer  en  manuscrit.  La  Harpe,  dans  sa  Cor- 
resjwndance,  s'est  souvent  égayé  surle  compte  de  Villemain 
a'M)ancourt.  Ch.Du  RozoïR. 

ABANDON,  ABAIVDOIVIVEIVIEIVT  (des  mots  latins 
lindum  desercre,  quitter  ses  drapeaux  ),  état  où  se  trouve 
une  personne  ou  une  chose  délaissée.  —  En  droit ,  ces  mots 
s'appliquent  plus  spécialement  à  la  cession  de  ses  biens  faite 
k  des  créanciers  par  un  débiteur  hors  d'état  de  payer  ses 
dettes.  Voyez  Ce.«;sion  de  biens. 

Dans  le  style  oratoire,  ahandonnement  est  plus  fortqu'rt- 
handon  :  il  signifie  entier  délaissement.  «  Ministres  du 
Dieu  des  armées,  apprenez-nous,  ditMascaron,  quels  furent 
dans  ce  triste  a/^anrfonneme«<  les  sentiments  d'uncœur,  etc.  » 
Le  mot  abandnnnement  suivi  de  la  particule  dk  exprime 
aussi  l'action  d'abandonner.  «  Cet  ahandonnement  de  sa 
propre  cause ,  et  par  conséquent  de  la  vie.  »  (Bourdaloue.  ) 
Suivi  de  la  préposition  a,  il  exprime  l'action  de  s'abandon- 
ner à  quelque  chose  ;  Y  ahandonnement  aux  plaisirs,  aux 
j)assions.  Sans  régime,  il  signifie  aussi  dérèglement  excessif 
dans  les  mœurs,  dans  la  conduite  :  «  Tant  d'emportements 
honteux,  tantde  faiblesse  etd'abandonnemcnts.  »  (Massillon.) 
"Noltaire  s'en  est  servi  une  fois  en  poésie  dans  le  sens  de  oubli 
entier  de  soi-même  pour  une  personne  qu'on  aime. 

Je  voi.^  couler  tes  pleurs;  tant  de  soins,  tant  de  flamme, 
Tant  A'ahandonnement  ont  pénétré  ton  àme. 

En  littérature  abandon  est  synonyme  de  naturel.  Ainsi, 
quand  il  s'agit  d'apprécier  des  discours  et  des  œuvres  de  l'es- 
jirit,  on  appelle  a <;anrfon  cette  manière  facile  et  naturelle  de 
s'exprimer  où  l'esprit  se  laisse  aller  au  mouvement  du  senti- 
ment et  de  la  pensée.  On  dit  encore  d'un  acteur  qui  rend  avec 
chaleur  et  naturel  les  endroits  passionnés  de  son  rôle,  qu'il  a 
débité  telle  tirade  avec  abandon. 

ABA\0,  ville  de  3,000  âmes,  située  dans  la  délégation 
et  le  district  de  Padoue,  à  six  milles  au  sud  de  Padoue,  au 
pied  du  mont  Euganei,  était  déjà  célèbre  chez  les  Romains, 
à  cause  de  ses  mines  de  soufre,  et  connue  alors  sous  le  nom 
tle  Aquœ  Aponi  ou  de  Aqitœ  Patavinœ  (  Pline  ).  Vers  la  fin 
»iu  dix-huitième  siècle  on  découvrit  des  restes  de  bains  anti- 
ques à. Monte-Grotto  (iWons  /Ejro^ontm) ,  àSan-PietroMon- 
tagnone  et  à  Casa-Nuova.  —  C'est  à  Abano  que  se  trouve  la 
source  sulfureuse  la  plus  chaude  de  l'Europe.  Elle  fait  partie 
des  sources  de  l'Euganei,  qui  sortent,  dans  un  rayon  de 
quelques  milles,  du  revers  oriental  de  cette  montagne ,  et 
jaillit  du  (;ilte  du  Moutiron.  Le  sel  commun,  le natron  sulfu- 
reux, la  mngnésie  et  une  faible  partie  de  gaz  acide  sulfureux 
constituent  les  parties  essentielles  de  cette  eau ,  qui  atteint 
une  température  de  CG  h  69"  R.  On  emploie  avec  beau- 
coup de  succès  le  limon  qu'elle  dépose  pour  des  bains  de 
boue  contre  les  éruptions  chroniques  de  la  peau,  des  syphilis 
invétérées  et  la  goutte.  Abano  n'est  pas  moins  célèbre  pour 
avoirdonné  le  jour  à  Tite-Live  et  au  médecin  Pietro  d'Abano. 

ABAXO  (  PiETno  n').  Petriis  de  Apono  et  Aponensis. 
Cet  écrivain,  né  en  124f. ,  et  qui  prit  son  nom  du  village  d'A- 
bano, se  distingua  parmi  les  savants  en  philosophie  et  en  mé- 
decine, et  cultiva  l'astrologie  avec  une  telle  prédilection 
qu'il  fut  accusé  de  magie,  ensuite  d'hérésie;  mais  il  en  fut 
absous.  Il  put  dès  lors  se  livrer  avec  liberté  à  ses  inclinations 
scientifiques,  et  il  écrivit  sur  les  nativités,  la  physiognoman- 
:ie.  la  chiromancie,  la  géomancie,  la  nécromancie,  ia  magie, 


l'alchimie  ou  Yart,  selon  les  adeptes,  et  il  traduisit  du  grec 
ou  de  l'arabe  des  traités  variés  sur  des  matières  non  moins 
oiseuses ,  telles  que  les  jugements  des  astres  et  leurs  révolu- 
tions ,  l'influence  des  planètes,  les  choses  occultes  pour  les 
hommes,  les  conjurations  parles  sept  jours  de  la  semaine,  etc. 
Il  eut  de  meilleurs  moments  dans  ses  travaux,  et  il  les  em- 
ploya à  un  traité  des  fièvres ,  à  la  traduction  des  problè- 
mes d'Aristote,  du  traité  du  choléra  noir  de  Galien,  et  à  ses 
commentaires  sur  Dioscoride.  Il  peignit  dans  le  palais  de  jus- 
lice  à  Padoue  plus  de  quatre  cents  sujets  variés  placés  sou* 
l'influence  des  planètes ,  des  douze  signes  du  zodiaque  et  des 
mois,  ce  qui  n'empêcha  pas  la  commune  de  Padoue  de  lui  éle- 
ver une  statue  près  d'une  des  portes  du  prétoire,  et,  après  .sa 
mort,  arrivée  en  1312,  un  grand  nombre  d'écrivains  ont  parlé 
de  sa  vie  et  de  ses  ouvrages.  Les  adeptes,  et  il  y  en  a  encore, 
honorent  son  nom  comme  celui  d'un  des  |)atriarcl)es  des 
sciences  occultes.  La  Bibliothèque  impériale  de  Paris  possède 
de  nombreux  manuscrits  des  ouvrages  de  Pierre  d'Ab.ino  :  un 
exemplaire  de  son  traité  de  Venenis  est  remarquable,  pour 
avoir  été  exécuté  pour  Charles  duc  d'Orléans  et  de  Milan,  et 
écrit  par  Nicolas  Astézan,  celui  des  secrétaires  du  prince  qui 
écrivit  le  beau  manuscrit  denses  poésies  que  possède  la  biblio- 
thèque de  Grenoble.  Cuampollion-Ficexc. 

ABAOUJVAR  (  Comitat  d'  ),  l'un  des  comitats  du 
royaume  de  Hongrie,  compte  une  population  de  140,000 
Ames,  répartie  sur  une  superficie  d'environ  53  myr.  carrés.  Il 
est  subdivisé  en  cinq  districts,  Cassovie,  Fuser,  Tzerhal, 
Szikr  et  Goutz.  Son  chef-lieu  est  Cassovie,  ville  libre  royale 
et  fortifiée,  ayant  13,000  habitants,  résidence  d'un  évoque, 
le  centre  d'un  commerce  aussi  actif  qu'important.  C'est 
dans  le  comitat  d'Abaoujvar  qu'est  situé  le  célèbre  vignoble 
de  Tokay.  11  renferme  aussi  quelques  gîtes  métallifères  et 
des  mines  d'opale.  Son  principal  cours  d'eau  est  le  Hernad. 

ABAQUE.  Ce  mot,  qui  paraît  dérivé  du  phénicien 
obak ,  poudre,  poussière,  désignait  chez  les  anciens  mathé- 
niaticiens  une  petite  table  couverte  de  poussière  et  sur  laquelle 
ils  traçaient  leurs  plans  et  leurs  figures.  Les  anciens  donnaient 
aussi  le  nom  d'abaque,  ahacus,  à  une  espèce  d'armoire  ou  de 
buffet  destiné  à  différents  usages.  Dans  le  magasin  d'un  mar- 
chand, l'abaque  était  le  comptoir;  dans  une  salle  à  manger, 
l'abaque ,  ordinairement  en  marbre ,  soutenait  les  amphores 
et  les  cratères.  C'était  le  meuble  que  les  Italiens  ont  appelé 
crcdenza.  —  On  donne  aussi  le  nom  à^abaque  à  un  instru- 
ment propre  à  faciliter  les  opérations  de  l'arithmétique  ;  la 
forme  en  varie  beaucoup  ,  mais  celui  qui  est  le  plus  généra- 
lement employé  en  Europe  consi.ste  en  un  cadre  long  et  divisé 
par  plusieurs  lignes  parallèles,  éloignées  l'une  de  l'autre  d'au 
moins  deux  fois  le  diamètre  d'un  compteur  qui ,  placé  sur  la 
ligne  inférieure,  signifie  1 ,  sur  la  ligne  qui  vient  ensuite  10 , 
sur  la  troisième  100,  sur  la  quatrième  1,000,  et  ainsi  de 
suite.  Un  autre  compteur,  placé  dans  les  espaces  qui  sépa- 
rent les  lignes,  ne  représente  que  la  moitié  de  c6  qu'il  vau- 
drait placé  sur  la  ligne  supérieure  suivante.  —  En  architec- 
ture, Vabaque  est  le  couronnement  du  chapiteau  de  la 
colonne ,  ou  du  pilastre ,  et  sa  forme  varie  suivant  les  ordres 
d'architecture.  Dans  le  toscan,  le  dorique  ,  l'ionique ,  il  est 
carré  ;  dans  le  corinthien  et  le  composite ,  il  est  échancré  sur 
les  faces.  On  donne  alors  à  ses  angles  le  nom  de  cornes. 

ABARBiVIVEL.  Voyez  Ahuabanel. 

ABAS ,  mesure  de  pesanteur  dont  on  se  sert  en  Perse 
pour  peser  les  perles.  Elle  équivaut  à  la  huitième  partie  d'un 
carat. 

ABASCAL  (  Josk-Fep.nando  ) ,  marquis  de  la  Concordia 
espaùola  del  Peru ,  né  en  1743,  à  Ovii-do  ,  et  mort  à  Madrid 
en  1S51.  Entré  de  bonne  heure  au  service  en  qualité  de  ca- 
det,  il  re.staprèsde  vingt  années  dans  les  grades  inférieurs, 
fut  fait  colonel  en  1793,  à  la  stiite  de  l'expédition  tentée  par 
les  Espagnols  contre  Sainte-Catherine  et  la  colonie  du  Sacre- 
ment. Lieutenant  de  roi  à  l'ile  de  Cuba  en  1796  ,  il  défendit 
la  Havane  contre  les  Anglais,  avec  une  vigueur  qui  (it  jeter 


ABASCAL  -  ABATARDISSEMENT 


los  yeux  sur  lui  pour  lui  confier  le  commanJemont  général 
et  l'intondanco  du  royaume  delà  Nouvelle-Galice,  dans  la 
Nouvelle-Espagne ,  avec  la  présidence  de  la  cour  royale  de 
Guadalaxara,  capitale  de  cette  province.  Dans  ces  fonctions 
Abascal  déploya  tant  d'activité  et  de  talent  que  le  roi  d'Es- 
pagne l'éleva,  en  1804 ,  au  grade  de  maréchal  de  camp  et  le 
pourvut  presque  aussitôt  de  la  vice-royauté  du  Pérou.  En  se 
rendant  par  mer  à  son  nouveau  poste ,  il  fut  pris  par  des 
croiseurs  anglais  et  conduit  à  Lisbonne ,  d'où  il  ne  tarda  pas 
à  s'écliappcr.  Il  passa  alors  à  Janeiro,  et  fit  1300  lieues  par 
terre  pour  gagner  Lima.  Les  événements  survenus  en  Espagne 
ne  tardèrent  pas  à  provoquer  en  Amérique  une  insurrection 
qui  devait  changer  la  face  de  ce  pays,  aussi  peu  disposé  à  su- 
bir le  joug  de  Napoléon  que  le  despotisme  de  la  métropole. 
Par  la  douceur  et  l'esprit  de  justice  de  son  administration, 
Abascal  retint  le  Pérou  dans  les  liens  du  devoir  envers  la 
métropole  ;  il  établit  des  fabriques  de  poudre  et  de  munitions , 
fit  construire  des  magasins  et  fortifier  les  villes  les  plus  im- 
portantes. Reconnaissantes  des  services  signalés  qu'il  rendit 
par  là  à  la  cause  de  l'indépendance  nationale ,  les  cortès ,  par 
un  décret  du  30  mai  1S12,  lui  conférèrent  le  titre  de  mar- 
quis de  la  Concordia  ,  nom  du  régiment  de  volontaires  de 
Vunion  espagnole  du  Pérou  qui  avait  été  créé  par  lui  dans 
le  but  de  maintenir  l'union  entre  les  créoles  et  les  Espagnols. 
11  snt  inspirer  aux  divers  gouvernements  qui  se  succédèrent 
ensuite  dans  la  mère-patrie  une  confiauce  telle  qu'il  fut  main- 
tenu par  tous  dans  son  administration ,  bien  au  delà  du 
terme  formellement  fixé  par  les  règlements.  Il  ne  résigna  la 
vice-royauté  du  Pérou  qu'en  1816;  il  était  alors  âgé  de 
soixante-treize  ans. 

ABATARDISSEilElVT  (  du  vieux  mot  bastard,  qui 
signifie  une  extraction  inférieure ,  ou  basse  et  non  avouée  ). 
Ce  mot  s'entend  d'une  sorte  de  dégénération  des  races ,  d'al- 
tération du  naturel.  11  s'emploie  en  parlant  de  l'homme ,  des 
animaux,  des  végétaux,  et  signifie  la  perte  ou  l'affaiblisse- 
ment de  quelques  qualités  que  l'on  trouvait  à  l'origine ,  ou 
l'apparence  de  quelques  vices  qui  ne  se  faisaient  pas  d'a- 
bord remarquer.  11  se  prend  du  reste  aussi  bien  au  physique 
qu'au  moral.  Une  longue  servitude  abâtardit  le  courage  ; 
les  jeunes  gens  s'abâtardissent  dans  l'oisiveté,  dit  le 
Dictionnaire  de  l'Académie. 

Lorsqu'on  fait  servir  un  étalon  ,  un  taureau ,  un  bélier  ou 
un  coq ,  et  tous  les  mâles  polygames  surtout ,  à  une  fécon- 
dation plus  multipliée  que  ne  le  permet  la  limite  de  leurs 
forces ,  on  obtient  des  produits  faibles ,  efféminés ,  vieux  de 
bonne  heure ,  ou  bien  lâches  et  énervés.  Si  l'on  connaît  les 
Inconvénients  pour  le  développement  de  la  taille  de  généra- 
tions trop  précoces ,  les  productions  des  animaux  trop  âgés 
sont  souvent  languissantes.  Un  cheval  né  d'un  vieil  étalon , 
usé  au  haras,  montre,  malgré  sa  jeunesse,  des  yeux  caves, 
l'oreille  basse  et  d'autres  signes  de  faiblesse  innée  :  il  n'a 
point  le  feu,  l'impétuosité  de  celui  qui  sort  de  parents 
plus  jeunes  ;  il  se  casse  plus  tôt.  Conune  les  mâles  polygames 
se  partagent  entre  plusieurs  femelles ,  celles-ci  dominent  sou- 
vent dans  le  produit  de  la  génération;  aussi  naît-il  un  plus 
grand  nombre  de  femelles  que  de  mâles  parmi  les  poules ,  les 
brebis  et  les  chèvres,  les  génisses,  etc.  Il  en  résulte  encore 
que  les  mâles  seront  moins  masculins ,  moins  ardents ,  s'ils 
naissent  de  pères  trop  surchargés  de  fonctions  génitales,  et  la 
race  continuera  de  s'abâtardir  par  cette  voie.  On  la  régé- 
nérera au  contraire  en  introduisant  un  plus  grand  nombre  de 
mâles ,  jeunes,  vigoureux,  parmi  les  femelles.  Quand  il  existe 
même  une  .surabondance  de  ceux-ci,  ou  que  la  polyandrie 
s'établit ,  la  femelle  servie  par  plusieurs  mâles  étant  mascu- 
linisée, elle  engendre  un  plus  grand  nombre  de  produits  forts 
ou  de  mâles  robustes.  Nous  pouvons  donner  une  preuve  de 
ces  faits  chez  l'espèce  humaine  elle-même.  Dans  les  contrées 
où  la  polygamie  est  en  usage,  les  hommes  sont  énervés  de 
bonne  heure  parles  voluptés,  tandis  que  les  femmes,  domi- 
nant dans  les  produits  de  la  génération,  donnent  naissance 


à  une  plus  grande  proportion  de  fiUcs  que  de  garçons  ;  aussi 
les  peuples  polygames  sont  efféminés,  lâches  la  plupart,  et 
toujours  soumis  à  des  gouvernements  despotiques.  Au  con- 
traire, en  Europe,  où  la  monogamie  est  seule  permise,  il 
naît  toujours  uneplus  grande  quantité  de  garçons  quede  filles 
(  un  1 6"  environ  )  ;  la  race  y  est  plus  virile ,  parce  que  le  mâle 
domine  dans  la  reproduction.  Aussi  le  courage ,  l'intelligence 
et  l'industrie  des  Européens  surpassent  toutes  ces  mêmes 
quahtés  chez  les  nations  polygames. 

Frédéric-Guillaume  l"^,  roi  de  Prusse ,  qui  recherchait  les 
gardes  du  corps  d'une  haute  taille ,  en  ayant  marié  plusieurs 
à  Berhn  ,  on  en  vit  naître  des  enfants  d'une  stature  très-éle- 
vée  pareillement.  On  a  voulu  marier  ensemble  des  nains, 
mais  il  n'ont  rien  produit.  Des  individus  de  courte  taille  n'ont 
souvent  que  des  enfants  rabougris.  Cependant  un  allaitement 
prolongé  et  de  bonnes  nourritures  peuvent  donner  plus  de 
hauteur  à  la  taille,  de  même  que  la  disette  on  le  défaut  d'ali- 
ments suffisants  peut  retenir ,  au  contraire ,  les  enfants  et  les 
jeunes  animaux  au-dessous  d'une  stature  ordinaire. 

Il  y  a  d'autres  moyens  d'obtenir  des  races  naines  de  chiens  ; 
c'est,  par  exemple,  de  hâter  la  précocité  de  la  génération  et 
de  l'âge  ordinaire  de  la  puberté.  La  première  portée  d'une 
jeune  chienne  ne  donnera  que  des  individus  de  courte  taUle, 
parce  que  n'ayant  pas  encore  atteint  toute  sa  croissance  ou 
son  complet  développement,  elle  ne  possède  qu'un  utérus  en- 
core étroit;  les  fœtus  ne  s'y  épanouissent  pas  si  librement. 
D'aUleurs,  puisque  cette  génération  prématurée'  ôf  e  au  corps 
de  la  mère  toute  la  nourriture  qui  est  destinée  à  sa  progéni- 
ture, ces  petits,  à  leur  tour,  parviennent  plus  promptement 
que  les  grandes  races  de  chiens  à  leur  complément  de  taille 
dans  cette  brièveté.  Que  l'on  continue  donc  de  les  faire  accou- 
pler de  plus  en  plus  jeunes,  alors  on  abâtardira  de  plus  en 
plus  leur  race  :  on  en  formera  des  nains  (  pumilioncs  );  on 
abrégera  par  la  même  raison  la  durée  de  leur  vie  ;  on  accé- 
lérera davantage  les  périodes  de  leurs  fonctions,  car  ces  pe- 
tites chiennes  portent  moins  de  temps  que  la  gestation  ordi- 
naire des  grandes  chiennes.  Parvenues  plus  rapidement  à  la 
puberté ,  elles  vieillissent  aussi  plus  tôt.  Ajoutez  à  ce  moyen 
d'autres  moyens  indiqués ,  tels  que  des  nourritures  amoin- 
dries, vous  obtiendrez  alors  ces  menues  races  de  bichons, 
de  roquets ,  à  peine  gros  comme  le  poing ,  comparés  aux 
énormes  chiens  danois,  dogues  et  mâtins.  Ceux-ci  sont  par- 
venus à  une  forte  taille  par  des  procédés  tout  opposés.  Ainsi, 
en  donnant  à  un  chien  des  aliments  abondants ,  en  ne  le 
laissant  d'ailleurs  accoupler  que  tard,  dans  toute  la  plénitude 
de  sa  croissance  et  de  sa  vigueur,  et  en  poursuivant  la  même 
méthode  pendant  plusieurs  générations ,  la  race  s'agrandira, 
s'embellira  d'autant  plus  que  tous  les  animaux  recherchent 
naturellement  les  plus  beaux  et  les  plus  robustes  individus  de 
leur  espèce.  C'est  ainsi  que  l'on  voit  de  petites  chiennes  pré- 
férer à  leur  mâle  rabougri  et  cagneux  ou  rachitique  d'énor- 
mes et  vigoureux  mâtins.  N'est-ce  pas  cet  instinct  naturel 
qui  dans  l'espèce  humaine  fait  également  choisir  en  amotn 
par  chaque  sexe  les  plus  beaux  individus  ?  Ainsi ,  toujours  un 
beau  grenadier,  un  vigoureux  guerrier ,  auront  le  pas  sur  les 
autres  hommes  près  du  beau  sexe.  Les  anciens  Germains,  si 
chastes,  comme  l'affirme  Tacite,  étaient  de  grands  et  beaux 
corps  d'homme,  dont  l'aspect  seul  effrayait  les  Romains,  de- 
venus petits  et  corrompus.  Aussi  les  mariages  étaient  autre- 
fois tardifs  dans  la  Germanie,  et  c'est  à  leur  plus  grande 
précocité,  depuis  que  la  civilisation  s'y  est  introduite,  que 
Hermann ,  Conringius  et  d'autres  savants  allemands  n'hé- 
sitent point  à  attribuer  la  taille  de  ces  nations  blondes  du 
nord  de  l'Europe,  plus  courte  que  celle  de  leurs  ancêtres. 

On  pourrait  s'enquérir  aussi ,  par  la  même  cause ,  bi  la  cor- 
ruption des  mœurs  dansl'espèce  humaine,  à  mesure  que  la  ci- 
vilisation rapproche  les  deux  sexes  ou  multiphe  leurs  relations, 
n'a  point  fait  dégénérer  en  effet  notre  race.  On  a  souvent 
dépeint  nos  aïeux  sous  la  forme  de  grands  corps,  simples  de 
ccnur,  robustes ,  vivaces  et  grands  mangeurs.  Ils  u'élaicnt 


AnATAUDlSSEMK-M'  —  AliATTEMEM" 


|)ubi'rrs  qu'à  un  ûge  fort  nvaiuvo  :  on  se  mariant  tard ,  lorsque 
la  constitution  était  dans  toute  son  éiirr'^ie  et  avait  atteint 
M)n  entier  accroissenicnt ,  il  en  résultait  des  «Hres  liien  con- 
formés et  de  haute  stature.  Aussi  est-ce  une  opinion  ancienne 
que  tout  a  dégénéré  sur  le  globe ,  et  que  uous  ne  sommes 
jilus  que  des  avortons. 

Jamijuc  ailco   fr.icla  est  Ktas  ;  affœlnqiic  tcllus 
Vil  auiiniilia  |iarva  iTcat,  qii.T  cuncla  crcavit 
Saccla ,  dcditquc  fcraruiu  iiij^ciitia  ci>r|>ora  parlu. 

LuCRET.,   Rer.  Nul.  liv.  II. 

On  peut  ajouter  que  presque  tous  les  débris  fossiles  des  ani- 
maux perdus  de  l'ancien  monde  attestent  leur  grandeur 
colossale,  chez  les  mastodontes,  les  megatherium,  mef;alo- 
saurus,  etc.,  et  même  les  ours,  les  cerfs  gigantesques,  ^ivant 
des  siècles  en  sécurité ,  exempts  de  la  tyrannie  de  l'homme. 

Valxilurdissement  dans  les  produits  des  mâles,  soit  trop 
vieux  ou  trop  jeunes,  soit  énervés  par  trop  de  jouissances,  est 
tellement  maniué ,  qu'on  obtient  surtout  par  celte  voie  des 
indi>idu.s  albinos  ou  blafards.  Ces  êtres  abâtardis  manifes- 
tent dès  leur  jeunes^-e  une  langueur  torpide  qui  les  dispose 
au  sommeil ,  à  la  paresse,  h  la  crainte.  On  obtient  ainsi  des 
individus  souples  et  obéissants,  mais  lâches  et  sans  nerf;  leur 
teint  est  pile  et  fade,  leur  vue  faible.  Tels  sont  les  chevaux , 
les  chiens,  les  lapins,  etc.,  à  poils  blancs.  Kn  Hongrie  la 
plupart  des  boeufs  deviennent  albinos  après  avoir  subi  la 
castration,  qui  les  énerve  encore  davantage. 

Ainsi,  l'on  agrandit ,  l'on  ennoblit  les  espèces  ou  les  races 
en  retanlaiitleurgénération,  en  diminuant  la  quantité  de  leurs 
jM-oduetions.  L'individu  conservera  sa  vigueur ,  sa  procérité, 
d'autant  plusqu'il  prodiguera  moins  ses  facultés,  sa  vie.  Rien 
au  contraire  n'épuise,  ïi'abdlardil  lantles  races  que  cette 
multiplicité  de  reproductions ,  qui  énerve  les  individus  pour 
nuiltiplier  leur  nombre.  De  là  ces  racailles  d'êtres  qui  pullu- 
lent sans  cesse  dans  la  nature,  et  vont  dégénérant  de  plus  en 
plus,  en  abrégeant  leur  vie  par  la  fréquence  de  leurs  jouis- 
sances. Elles  (iniraient,  dans  la  suite  des  siècles,  par  ré- 
duire toutes  les  espèces  créées  en  une  inlinité  d'embi^ons 
imparfaits,  dégradés,  rabougris,  qui  s'entremêleraient  dans 
une  promiscuité  universelle,  jusqu'à  tout  confondre  et  tout 
anéantir. 

Rarement  chez  les  animaux  sauvages  on  voit  des  individus 
<lépravés  et  libertins  rechercher  d'autres  espèces  pour  pro- 
<luire  des  métis,  des  hybrides,  des  mulets.  Chacun  préfère, 
jtour  l'ordinaire,  le  sexe  de  sa  propre  espèce ,  ce  qui  main- 
tient des  limites  constantes,  même  entre  les  races  les  plus  voi- 
sines; mais  la  domesticité,  rapprochant  des  races  divei-ses, 
|)rocréa  des  alliances  hétérogènes ,  et  d'ailleurs  l'abondance 
de  nourriture  augmente  les  besoins  de  reproduction. 

Si  par  rapport  à  nous  la  culture  du  jardinier  perfectionne 
les  fruits  d'un  arbre  ou  un  k^ume;  si  elle  produit  des  fleurs 
doubles  ;  si  la  domesticité  et  l'éducation  favorisent  un  plus 
grand  développement  physique  et  mor;U  du  chien  et  du  che- 
val, nous  a|)pellerons  perfeciionnenipnt  ce  qui  par  rapport 
à  l'ordre  naturel,  écarté  pourtant  du  type  primordial ,  est  de- 
venu abâlardissemcnt  et  dcgcnéralion.  En  effet  une  fleur 
double  est  celle  dont  les  étamines  sont  transformées  par  un  sur- 
croit de  nourriture  en  pétales  nombreux;  mais  privée  par 
cette  transformation  de  ses  organes  mules,  elle  ne  peut  plus 
80  féconder  :  clic  demeure  stérile.  Aussi  les  fleurs  doubles 
ne  donnent  presque  jamais  de  graines  fécondes.  Pareille- 
ment une  poule  grasse  ne  produit  plus  d'œufs  :  toutes  ses 
facultés  vitales,  occupées  à  élaborer  de  la  graisse,  laissent 
énervées  les  fonctions,  plus  importantes,  de  la  reproduction. 
Sans  doute  ces  productions  ainsi  amollies  dans  nos  parterres, 
ces  roses  doubles,  ces  animaux  engraissés  dans  les  basses- 
cours,  servent  aux  agréments  de  la  vie;  mais  ils  sont  sortis 
tie  leur  ét;tt  naturel,  car  ils  ne  peuvent  i)lus  se  reproduire.  Ils 
l'ortent  l'enqiremte  de  l'esclavage  et  de  l'abàlardisscment. 
c>u'on  les  abandonne  à  eux  seuls,  et  bientôt  ces  races,  lorcées 
de  rentrer  dans  leur  éijiiilibrc  primitif,  reviendront  à  l'clat 


sauvage,  mais  fécond.  La  pomme,  la  poire  fondante,  per- 
dant leur  chair  savoureuse,  ne  seront  jiius  (pie  de  maigre.s 
fruits  ligneux ,  mais  reprendront  de  grosses  et  fortes  sem.en^ 
ces  capables  de  doimer  naissance  à  des  sauvageons  vigou- 
reux. Le  chasselas  si  sucré  deviendra  le  verjus  aigre  et  à  gros 
pépins  de  la  lambrus(jue  ou  vigne  sauvage.  La  pèche  déli- 
cieuse reprendra  son  tissu  fongueux  et  aride  comme  du  brou. 
r:;nfin  le^  céréales  mêmes,  .ibandonnées  dans  un  sol  maigre 
et  inculte,  retourneront  à  leur  état  de  maigreur,  de  dureté, 
de  solidité,  que  leur  restituera  toute  leur  énergie  originelle  : 

Vieil  iccla  diii  cl  luiillo  spcclata  iabiire 
Pcjrcncrarc  laiiicn  ,  ni  vis  humana  (]iiotannis 
Maviina  qua-quc  niami  lejrcrcl;  sic  oinnia  fatis 
In  pcjus  rucrc  ac  relro  sublapsa  rcfcrri. 

Virgile  parle  ici  selon  l'opinion  vulgaire  ;  mais  dans  la  réa- 
lité c'est  la  culture  qui  produit  un  utile  abâtardissement, 
pour  amollir,  attendrir,  engraisser,  développer  des  indivi- 
dus, tout  en  les  énervant  dans  leurs  facultés  les  plus  énergi- 
ques. C'est  en  effet  par  li\  cas  tration,  par  l'évisation 
qu'on  réduit  les  animaux  et  plusieurs  plantes  (ainsi  abâtar- 
dies), à  former  des  nourritures  tendres,  délicates,  savou- 
reuses pour  nos  tables.  C'est  par  ces  procédés  qu'on  a  rendu 
I(^s  animaux  plus  dociles,  plus  civilisables  à  l'état  de  domes- 
ticité. L'état  de  vigueur,  d'énergie  génitale ,  donne  la  fierté 
iuilomptable,  la  sauvagerie  ,  l'instinct  ardent  de  l'mdépen- 
dance  à  tous  les  êtres;  et  certains  philosophes  ont  considéré 
notre  civilisation  comme  un  véritable  abâtardissement. 

J.-J.  VlUEV. 

ABAT-FOIN,  ouverture  pratiquée  au  plancher  d'un 
grenier,  au-dessus  d'une  écurie  ou  d'une  étable,  etparla- 
(pielle  on  jette  le  foin  nécessaire  à  la  consommation  du  jour. 

ABAT-JOUR,  sorte  de  fenêtre  en  forme  de  botte,  où 
le  jour  vient  d'en  baut,  et  qui  est  destinée  à  diriger  la  lu- 
mière sur  ciuelques  points  particuliers,  comme  dans  les 
ateliers,  les  magasins;  ou  à  empêcher  de  voir  en  bas, 
comme  dans  les  prisons;  ou  bien  enfin  à  éclairer  des  étages 
souterrains.  —  On  donne  le  même  nom  à  des  réflecteurs 
coniques,  hémisphériques  ou  de  toute  autre  forme ,  adaptés 
aux  divers  appareils  d'éclairage,  et  qui  ont  pour  effet  de 
renvoyer  en  bas  les  rayons  lumineux  et  de  jeter  une  clarté 
plus  vive  dans  cette  direction.  Ou  fabrique  des  abat-jour  en 
fer  blanc,  en  cuivre,  peints  ordinairement  en  blanc  par-des- 
sous ;  on  en  fait  aussi  en  carton ,  en  papier ,  en  parchemin, 
ornés  de  joli»  dessins  et  même  de  charmantes  peintures. 
Pres{[ue  toutes  les  lampes  sont  munies  d'abat-jour;  on  en 
adapte  également  aux  bougies  et  aux  chandelles,  au  moyen 
d'un  support  en  (il  de  fer  qui  suit  la  marche  de  la  flamme. 

ADATTEE.  Dans  la  marine  on  appelle  ainsi  je  mou- 
vement horizontal  de  rotation  que  fait ,  pour  obéir  au  vent , 
à  la  larne,  ou  à  la  marée ,  l'avant  d'un  navire  en  panne  ou  à 
la  cape.  L'abattée  diffère  de  l'arrivée  en  ce  qu'elle  est  tou- 
jours un  mouvement  involontaire  ou  forcé. 

ABATTEAÎE\T.  Ce  mot,  formé  du  verbe  abattre,  ne 
se  prend  plus  aujourd'hui  dans  son  acception  primitive  ;  on 
ne  dit  plus  Va  battement  d'un  arbre,  on  dit  Vabattage,  et  il 
n'y  a  plusquc  les  substanlifsai'fi//eMr  et  û&a/^ojr  qui  se  soient 
conservés  au  sens  propre.  Abattement  ne  s'entend  plus  qu'au 
figuré;  mais  en  ce  sens  il  s'applique  au  physique  comme  au 
moral ,  aux  facultés  du  cori>s  comme  à  celles  de  l'àme.  Il  iu- 
ditpie  un  état  d'affaiblissement  et  presque  d'anéantissement. 
Quand  il  s'agit  des  forces  du  corps,  on  le  remplace  souvent 
par  un  mot  plus  technique,  celui  de  prostration,  qui  ne  s'em- 
ploie que  dans  ja  terminologie  médicale ,  et  qui  ne  rend  pas 
aussi  bien  que  le  mot  abattement  l'état  qui  résulte  d'une  di- 
minution de  forces  à  la  fois  relative  au  moral  et  au  physique. 
L'abattement  moral  tient  à  toutes  les  facultés  de  l'àme ,  à 
celles  de  l'intelligence  et  de  la  sensibilité  comme  à  celles  de 
la  volonté,  à  notre  être  moral  tout  entier;  et  il  est  tout  à  fait 
du  domaine  dt;  la  morale  et  de  la  psychologie.  Il  peut  tenir 
l  lui  à  l'un  tics  trois  groupesde  facultés  psychologiques  <p;'au\ 


ABATTEMENT  —  ABAUZIT 


tUu\  autres;  m;»i>  d'orJinairc  ils  y  soat  engagés  tous  les  trois 
à  un  degré  (iiiekonque. 

Vabattcmcnt  peut  se  rapprocher  du  découragement  ; 
mais  ces  deux  mots  ne  sont  pas  sj-nonyuies ,  ne  désignent  pas 
le  nu'nie  état.  Le  découragement  n'est  qu'une  absence, 
qu'une  éclipse  plus  ou  moins  profonde  de  courage,  et  ce  n'est 
que  le  cceur  q\ù  y  manque.  11  peut  entrer  dans  l'abattement 
du  découragement ,  une  éclipse  de  courage  ;  mais  il  y  entre  de 
plus  une  diminution  réelle  de  facultés  morales  ou  physiques. 
Cela  peut  être  rendu  d'une  manière  très-sensible.  Nos  facul- 
tés intellectuelles,  par  exemple»,  sont  quelquefois  à  ce  point 
abattues  que ,  malgré  tout  le  désir  que  nous  avons  d'en  faire 
usage,  et  malgré  tous  les  efforts  que  nous  faisons ,  elles  sont 
comme  anéanties.  Ce  n'est  plus  alors  le  courage  qui  nous 
manque ,  et  c«  n'est  pas  dans  un  état  de  découragement,  c'est 
tlans  un  état  ^''abattement  que  nous  sommes.  Il  en  est  de 
même  des  facultés  du  sentiment  et  de  la  volonté.  Nous  aime- 
rions à  aimer,  nous  voudrions  vouloir ,  et  nous  ne  le  pou- 
vons. Ce  n'est  pas  par  suite  de  découragement,  c'est  par  suite 
d'abattement. 

Comment  remédier  au  mal?  En  bien  distinguant  ce  qui  est 
abattu ,  et  en  remontant  à  la  cause  qui  a  produit  l'abatte- 
ment. Quand  toutes  les  facultés  morales  et  physiques  sont 
affaiblies ,  le  remède  ne  saurait  être  le  môme  qu'au  cas  où  il 
n'y  a  diminution  que  dans  les  seules  facultés  de  l'intelligence, 
ou  de  la  sensibilité ,  ou  de  la  volonté.  D'ordinaire  rabatte- 
ment n'est  complet  qu'autant  qu'il  embras.se  le  corps  et  l'àme, 
dans  l'état  de  maladie,  par  exemple.  Or,  il  arrive  aisément 
que  les  excès  qui  épuisent  les  forces  du  corps ,  les  commotions 
violentes  qui  en  jettent  l'organisme  dansl'ébranlement,  épui- 
sent aussi  les  facultés  de  l'âme ,  éteignent  l'imagmation,  tuent 
le  sentiment ,  et  anéantissent  la  volonté.  Dès  que  les  excès 
du  corps  ont  amené  le  mal ,  c'est  par  les  remèdes  appliqués 
au  corps  qu'il  faut  entreprendre  laguérison,  cela  est  entendu. 
Mais  cela  ne  sulTit  pas  dans  les  cas  où  il  y  a  complication,  et 
si  la  médecine  de  l'àme  ne  vient  au  secours  de  celle  du  corps, 
celle-ci  ne  saurait  aboutir. -Celle  de  l'âme  elle-mèiiie  doit 
prévenir  plutôt  que  suivre;  et  il  appartient  à  la  morale  et  à 
la  philosophie  de  donner  d'importantes  directions  à  cet  égard. 
II  est  dans  la  vie  des  époques  où  ïabattement  moral,  qui 
n'a  rien  de  commun  avec  le  découragement  politique  ou  so- 
cial ,  par  exemple,  n'est  que  le  redoutable  effet  de  cette  Né- 
mésis  que  la  science  des  choses  divines  et  étemelles  appelle 
la  Providence.  Il  appartient  à  Ihygiène  de  l'âme  de  prévenir 
cet  abattement  moral ,  comme  il  appartient  à  l'hygiène  du 
corps  de  prévenir  l'abattement  physique.  Matteh. 

ABATTIS.  C'est,  en  termes  de  tactique ,  une  sorte  de 
retranchement  qu'on  établit  au  moyen  d'arbres  abattus ,  et 
dont  l'usage  remonte  incontestablement  à  la  plus  haute  anti- 
quité. On  trouve  dans  une  foule  d'auteurs  anciens  et  mo- 
dernes de  remarquables  exemples  du  parti  avantageux  qu'on 
a  su  en  tirer  dans  tous  les  temps  pour  assurer  un  poste  d'in- 
fanterie, retrancher  un  village,  un  défilé,  une  vallée,  et  tout 
autre  lieu  resserré  où  l'on  a  des  arbres  à  sa  portée.  Quand  on 
est  pressé,  on  se  contente  d'abattre  les  arbres  et  de  les  entasser 
les  uns  sur  les  autres.  Si  on  a  le  temps  d'appliquer  les  règles 
de  l'art,  on  rangera  en  avant-  d'une  tranchée  préalablement 
creusée  les  arbres  très-près  l'un  de  l'autre,  le  tronc  en  dedans, 
en  les  assujettissant  avec  de  fortes  branches.  On  aura  soin  que 
les  branches  soient  bien  entrelacées  les  imes  dans  les  autres , 
bien  épointées  et  débarrassées  des  plus  petites,  afin  qu'embus- 
qué derrière  on  puisse  voir  l'ennemi  sans  en  être  aperçu.  Ce 
fut  à  l'aide  à'abattis  que  Mercy  put  lutter  avec  tant  d'a- 
vantages et  si  longtemps  dans  les  affidres  de  Fribourg  (1G44) 
et  d'Enshcim  (1G74).  Dans  ce  dernier  combat  un  petit  bois 
qui  couvrait  la  gauche  des  alliés,  et  dans  lequel  ils  avaient 
pratiqué  quelques  abattis,  fut  de  la  part  de  l'armée  française 
conmiandée  par  Turenne  le  but  d'efiorts  acharnés ,  et  coûta 
beaucoup  de  sang  et  de  temps  aux  vainqueurs.  A  la  bataille  de 
Malplaquct,  Villars  avait  en  soin  de  fortifier  sa  droite  et  sa 


gauche  par  des  abattis;  s'il  fut  battu  par  l'heureux  Marlbo- 
rough ,  la  faute  n'en  fut  certes  pas  à  la  faiblesse  de  ses  retran- 
chements. 

—  En  termes  d'art  culinaire,  on  entend  par  abattis  la 
tète,  les  pattes,  les  ailerons,  le  foie  et  une  partie  des  en- 
trailles d'une  dmde,  d'un  chapon,  d'une  oie,  et  autre  pièce 
de  volaille. 

ABATTOIR.  On  appelle  ainsi  le  lieu  où  l'on  abat ,  dé- 
pouille et  dépèce  les  animaux  qui  servent  à  la  nourriture  de 
l'homme.  Les  notions  les  plus  élémentah-es  d'hygiène  publique 
indiquent  qu'il  y  a  insalubrité  et  danger  à  laisser  des  tueries 
particulières  au  milieu  d'un  grand  centre  de  population. 
Aussi  dans  la  plupart  de  nos  grandes  villes  de  France  a-t-on 
à  cet  égard  imité  l'exemple  de  la  capitale ,  dont  les  abattoirs 
méritent  d'être  cités  comme  modèles.  La  pensée  première 
en  est  due  à  Napoléon,  qui,  par  un  décret  du  10  novembre 
1807,  en  ordonna  la  construction.  Ce  ne  fut  pourtant  qu'à 
la  fia  de  iSlS  que  les  bouchers  de  Paris  durent  cesser  d'a- 
battre chez  eux  les  animaux  destinés  à  la  consommation  de 
leurs  pratiques  et  les  envoyer  aux  abattoirs  publics.  L'an- 
cienne ville  de  Paris  comptait  cinq  établissements  de  ce 
genre,  deux  sur  la  rive  gauche  et  trois  sur  la  rive  droite. 
Depuis  la  réunion  des  communes  de  la  banlieue  à  Paris,  la 
ville  a  acquis  des  terrains  à  la  Villelte,  sur  les  bords  du 
canal,  pour  y  étabhr  un  abattoir  unique  adjoint  à  un  mar- 
ché aux  bestiaux.  Ce  double  établissement  sera  borné  au 
.lord-ouest  par  la  partie  supérieure  de  la  rue  de  Flandre, 
au  nord-est  et  à  l'est  par  la  route  stratégique,  au  sud  par 
la  rue  d'Allemagne,  et  au  couchant  par  l'impasse  du  Dépotoir 
et  la  partie  iniérieure  du  canal  Saint-Denis;  il  sera  coupé 
en  deux  par  le  canal  de  l'Ourcq.  Paris  possède  en  outre  un 
abattoir  de  porcs. 

Les  abattoirs  doivent  être  situés  aux  extrémités  des  villes. 
Ils  doivent  être  isolés  des  habitations  et  recevoir  de  l'eau 
en  abondance;  il  faut  en  outre  qu'ils  soient  placés  auprès 
des  égouts  ou  des  rivières,  pour  que  les  eaux  s'y  écoulent 
sans  laisser  de  trace  dans  les  rues.  Les  cases  destinées  à 
l'abattage  doivent  être  dallées  et  construites,  jusqu'à  une 
certaine  hauteur,  en  pierres  de  taille  dures,  pour  résister  aux 
lavages  continuels.  11  faut  de  plus  que  par  la  position  et 
l'épaisseur  du  mur,  ainsi  que  par  la  disposition  du  toit, 
il  règne  dans  l'intérieur  une  fraîcheur  nécessaire  à  la  con- 
servation de  la  viande  et  à  l'éloignement  des  mouches.  Un 
abreuvoir  et  une  cour  dallée,  dite  voirie,  où  l'on  jette  les 
matières  que  l'on  trouve  dans  les  estomacs  et  dans  les  intes- 
tins des  animaux ,  et  qui  doit  être  journellement  lavée  à  gran- 
des eaux,  sont  encore  dans  les  conditions  essentielles  qu'exige 
un  abattoir.  Les  fonderies  de  suif  en  branche  qui  en  dépen- 
dent, et  quinepeuventôtre  exploitées  dans  l'intérieur  des  vil- 
les, doivent  être  réunis  à  l'abattoir,  ainsi  que  les  échaudoirs, 
endroits  où  sont  échaudées  ,  lavées  et  préparées  toutes 
les  issues  d'animaux  qui  entrent  dans  le  commerce  de  la 
triperie.  Z. 

ABAT-VEiVT.  On  appelle  ainsi  un  assemblage  de  pe- 
tits auvents  parallèles  et  inclinés  de  dedans  en  dehors  que 
l'on  établit  dans  les  baies  des  tours,  des  clochers  et  de 
certains  établissements,  pour  garantir  l'intérieur  du  vent  et 
de  la  pluie,  tout  en  'laissant  à  l'air  une  libre  circulation. 
Dans  les  tours  et  les  clochers  les  abat-vent  servent  encore  à 
abattre  le  son  des  cloches  et  à  le  diriger  en  bas.  C'est  là  ce 
qui  les  fait  nommer  aussi  abat-sons. 

ABAT '■VOIX,  espèce  de  dais  dont  une  chaire  à  prê- 
cher est  surmontée,  et  qui  sert  à  rabattre  la  voix  du  prédi- 
cateur vers  l'auditoire. 

ABAUZIT  (FinaiN).  Né  à  Uzès,  en  1679,  d'une  famille 
protestante,  fut  bibliothécaire  à  Genève,  où  ses  parents  s'é- 
taient réfugiés  lors  de  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes.  Il  y 
mourut  en  17C7,  laissant  plusieurs  écrits,  dans  lesquels  Rous- 
seau, qui  le  compare  à  Socrate,  semble  avoir  puisé  sa  pro 
fession  de  foi  du  Vicaire  Savoyard.  Ses  œuvres  se  com- 


8 


AIULZIT  —  ABBAS 


posent  do  morceaux  d'Iiistoire,  de  critique  et  de  tliéolosic. 
L'édition  publii^  à  Genève  en  1770,  l  vol.  in-b",  se  com- 
plète par  deux  autres  volumes  portant  la  rubrique  de 
Londres,  1770-1773.  l'endant  un  voyage  en  Hollande,  eu 
1C98,  il  se  lia  avec  Bajle,  Hasnage  et  Juricu.  Newton  lui 
envoya  son  Commerchnn  epistolicum,  avec  ces  mots  : 
«  Vous  êtes  bien  digne  de  juger  entre  Leihnitz  et  moi.  » 

ABAZÉES,  fêtes  ou  cérémonies  célébrées  en  l'Iionneur 
de  Bacchus,  dont  on  attribue  l'institution  à  un  roi  asiati<|ueap- 
pelé  Dyonisio<!,  Ii!s  de  Caprus,  et  dont  on  fait  venir  le  nom 
du  grec  âSax£iv,  garder  le  silence,  parce  que,  bien  diffé- 
rentes assuréuïcnt  des  autres  fêles  consacrées  à  Bacclius, 
elles  se  célébraient  sans  bruit. 

AB  AZES,  peuples  du  versant  nord-ouest  duCaucase, 
qui  semblent  avoir  avec  les  Circassiens  une  grande  simi- 
litude d'origine,  de  mœurs  et  de  langage,  encore  bien  que, 
suivant  l'allas,  leur  langue  ne  ressemble  à  aucun  idiome 
connu.  Leur  territoire  s'étend  depuis  la  Mingrélie  jusqu'aux 
frontières  de  la  Circassie  occidentale.  C'est  un  pays  arrosé 
par  une  multitude  de  petits  cours  d'eau,  d'une  grande  ferti- 
lité, bien  qu'il  soit  très-montueux  et  couvert  en  général  de 
forêts  où  la  chaleur  et  l'humidité  entretiennent  une  végéta- 
tion aussi  luxuriante  que  celle  de  l'Amérique  centrale. 

Les  Abazes  cultivent  assez  imparfaitement  leur  sol,  se 
livrent  à  l'éducation  des  abeilles,  des  bestiaux,  et  élèvent  des 
chevaux  estimés.  Habiles  forgerons,  ils  fabriquent  des  armes 
qu'on  recherche  danslesdivers pays  du  Caucase.  On  présume 
môme  qu'il  y  a  dans  leur  pays  des  mines  d'argent  ;  mais  ils  ne 
savent  pas  plus  en  profiter  que  de  leur  situation  géographi- 
que, si  propre  à  la  navigation  et  à  la  pêche  ;  ils  aiment  mieux 
se  livrer  au  brigandage  dans  leurs  montagnes,  ou,  nionlés  dans 
des  barques,  infester  les  côtés  de  la  mer  Noire.  Les  Grecs 
les  désignaient  autrefois  sous  le  nom  iVAc/ixi,  et  ils  avaient 
déjà  parmi  eux  la  réputation  de  pirates  rusés  et  redouta- 
bles. Aune  époque  postérieure,  ils  étaient,  sous  le  nom  d'A- 
basgi,  e^trêmementdécriés  parles  Byzantins,  pourleurcom- 
merce  d'esclaves.  Aujourd'hui  encore  ils  se  vendent  les  uns 
les  autres  aux  marchands  d'esclaves  ;  et  comme  leurs  fem- 
mes sont^énéralement  belles,  on  les  fait  aisément  passer  pour 
Circassiennes  dans  les  harems  turcs  ;  on  prétend  même  que 
l'ambition  la  plus  chère  des  jeunes  tilles  abazes  est  d'être 
admises  dans  l'un  de  ces  gynécées  et  de  servir  aux  plaisirs 
des  riches  musulmans. 

L'empereur  Justinien  les  avait  convertis  au  christianisme; 
subjugués  ensuite  par  les  Persans,  ils  embrassèrent  l'is- 
larnisme.  Plus  tard,  en  1400,  conquis  par  Tamerlan,  ils  ser- 
virent dans  son  armée  contre  Bajazet.  Soumis  par  les  Turcs 
au  dix-huitième  siècle,  ils  se  révoltèrent  en  1771,  retournè- 
rent à  leurs  auciennes  pratiques  superstitieuses,  ne  conservant 
de  l'islamisme  que  l'usage  de  s'abstenir  de  la  chair  de  porc. 
Aujourd'hui  ils  ne  sont,  à  proprement  parler,  ni  clircliens  ni 
mahomélans  ;  on  trouve  pourtant  chez  eux  dans  la  célébra- 
tion du  dimanche  une  faible  trace  de  christianisme.  On  dit 
même  qu'il  reste  encore  dans  leur  pays  de  vieilles  églises,  de- 
meurées en  grande  vénération,  et  que,  bien  qu'ils  aient  aban- 
donné depuis  des  siècles  le  culte  auquel  elles  étaient  consa- 
crées, ils  n'ont  jamais  touché  soit  aux  livres,  soit  aux  orne- 
ments sacerdotaux  ou  aux  vases  sacrés  qu'elles  contiennent. 

Les  Abazes  ont  conservé  jusque  dans  ces  derniers  temps 
une  sorte  d'indépendance,  et  ils  la  défendent  avec  acharne- 
ment contre  la  Russie ,  à  qui  la  Porte  les  a  cédés  par  les 
derniers  traités.  Les  Russes  ne  possèdent  guère  dans  leur 
pays  que  le  fort  de  Sockhoum-Kaleh,  situé  à  vin^t-qualrc 
kilomètres  au  sud-est  d'Anapa. 

ABBADIE  (Jacqles),  théologien  réformé,  né,  en  1654, 
à  Nay  en  Béarn,  reçut  à  Sedan  le  grade  de  docteur  en  théo- 
logie, fil  ensuite  un  voyage  en  Hollande  et  en  Allemagne,  et 
fut  nommé  pasteur  de  l'église  française  à  Berlin.  Après  la 
mort  de  l'électeur  Frédéric-Guillaume,  qui  faisait  grand  cas 
de  lui,  Use  rendit  en  Angleterre  en  1688,  arec  le  maréchal  de 


Schomberg,  devint,  en  1690,  pasteur  de  l'église  de  Savoie  à 
Londres,  pas.sa  ensuite  en  Irlande  avec  le  titre  de  doyen  de 
Killalow,  et  mourutà  Mary-le-Bone,  en  1727.  Son  ouvrage 
principal,  que  Bussy-Rafbutin  disait  admirable ,  est  le 
Traité  de  la  Vérité  de  la  Religion  chrétienne.  La  pre- 
mière partie  est  dirigée  contre  les  athées,  la  seconde  contre 
les  naturalistes,  la  troisième  contre  les  sociniens.  On  a  encore 
de  lui  tl'.-lr^  de  se  connaître  soi-même,  souvent  traduit  et 
souvent  réimprimé  ;  le  Triomphe  de  la  Providence  et  de  la 
Religion ,  ou  ^ouverture  des  sept  sceaux  par  le  Fils  de 
Dieu.  On  compte  parmi  les  livres  rares  son  Histoire  delà 
Conspiration  dernière  d'Angleterre  (  Londres,  i696). 

ABBADIE  (Antoine  et  Arn\cd-Micuel  n').  Ces  deux 
frères,  connus  par  leur  voyage  en  Abyssinie,sont  nés  à  Du- 
blin, le  premier  en  1310,  le  second  en  1815;  mais  ils  appar- 
tiennent à  une  famille  originaire  des  Basses-Pyrénées,  où  re- 
vint leur  père  en  1818.  En  1835  l'Académie  des  sciences 
chargea  M.  Antoine  d'Abbadie  d'une  mission  au  Brésil. 
M.  Arnaud  d'.^bbadie,  qui  avait  suivi  le  maréchal  Clan  sel  en 
Algérie  en  1333,  s'embarqua  encore  en  1836  pour  l'Afrique, 
et  après  divers  incidents  se  rendit  à  Alexandrie,  où  il  ren- 
contra son  frère.  Ils  entreprirent  alors  conjointement  l'ex- 
ploration de  l'Ethiopie,  et  restèrent  dans  ce  pays  de  1837  à 
1845.  Ils  séjournèrent  longtemps  à  Axum  et  dans  le  pays 
des  Gallas.  M.  Arnaud  d'Abbadie  retourna  en  Abyssinie  en 
1853  et  revint  au  bout  d'une  année.  On  a  contesté  en  An- 
gleterre l'exactitude  des  renseignements  des  frères  d'Abba- 
die sur  les  sources  du  Nil  ;  mais  leurs  observations  ethno- 
graphiques et  linguistiques  sont  pleines  d'intérêt.  La  So- 
ciété de  géographie  de  Paris ,  qui  avait  reçu  les  relations 
de  leurs  voyages,  les  a  récompensés.  Ils  ont  été  nommés 
chevaliers  de  la  Légion  d'honneur  en  1850,  et  M.  Antoine 
d'Abbadie,  qui  était  allé  examiner  l'éclipsé  de  soleil  du  28 
juillet  1851  en  Norvège,  est  correspondant  de  l'Académie  des 
sciences.  L.  Lolvet. 

ABBADON,et  plus  régulièrement,  selon  le  lexicon  hé- 
braïque, ABADDON.  Ce  mot  signifie  perdition,  ruine, 
mort.Cest,  dans  l'Apocalypse,  l'ange  del'Abyme,  le  chef  de 
cette  armée  de  sauterelles  dépeinte  avec  de  si  horribles  couleurs 
par  l'inspiré  de  Pathmos.  Lui-môme  nous  donne,  chap.ix,  la 
définition  la  plus  exacte  de  ce  nom.  «Elles  avaient  pour  roi, 
dit-il,  l'ange  de  l'Abyme,  appelé  en  hébreu  Abaddon,  et  en 
grec  Apollyon,  c'est-à-dire  I'Exterminatelr.  «Aujourd'hui 
encore  les  écrivains  rabbiniques  appellent i4&6arfo?i  l'abîme 
le  plus  profond  de  l'enfer. 

Peut-êlre  Klopstock,  dans  une  des  plus  belles  créations 
de  sa  Messiade,  création  tout  à  la  fois  sombre  et  pleine  de  ces 
grâces  dont  le  chantre  allemand  n'est  pas  toujours  prodigue 
(  soit  dit  en  passant  ) ,  a-t-ilintempestivement  choisi  ce  nom, 
dontla  signification  est  terrible  et  digne  duplusaffreux  na- 
turel, pour  le  donner  à  son  ange  rebelle  ou  plutôt  séduit  et 
déchu,  Abbadona,  ami  et  frère  du  fidèle  Abdiel,\ow?,  deux 
dès  le  principe  et  au  même  moment  créés  de  l'essence  éthé- 
rce,  et  si  tendrement  unis  que  leurs  noms  s'embrassaient 
comme  les  gémeaux.  Denne-Baron. 

ABBAS,  fils  d'Abdel-Mothaleb,  et  oncle  de  Mahomet, 
combattit  d'abord  son  neveu,  qu'il  accusait  d'imposture  ;  mais 
vaincu  et  fait  prisonnier  dès  la  seconde  année  de  l'hégire,  en 
023,  à  la  bataille  de  Beder,  il  se  réconcilia  avec  lui,  et  dennt 
bientôt  l'un  de  ses  plus  enthousiastes  partisans.  Sans  sa  pré- 
sence d'esprit  et  son  intrépidité  la  puissance  de  Mahomet 
succombait  à  la  bataille  deHonaïn.  Telle  était  la  vénération 
des  sectateurs  du  prophète  pour  son  oncle  Abbas,  qu'Othman 
et  Omar  eux-mêmes  ne  le  rencontraient  jamais  sans  mettre 
aussitôt  pied  à  terre  pour  venir  le  saluer.  Abbas  moumt 
l'an  052  de  notre  ère.  Un  siècle  plus  tard,  à  la  môme  époque 
que  celle  où  se  fondait  en  France  la  dynastie  des  Carlovin- 
giens,  un  arrière-petit-fils  d'Abbas ,  Aboul-Abbas,  était  pro- 
clamé khalife,  et  fondait  la  dynastie  des  khalifes  AbbaS' 
s  ides. 


ABBAS 


ADBAS.  Nom  Je  trois  chalis  ou  rois  tle  Perse  de  la 
tlynastie  des  Solis. 

ABBAS  V,  dit  le  Grand,  si  la  grandeur  peut  se  conci- 
lier avec  la  barbarie ,  était  le  septième  chah  ou  roi  de  Perse 
de  la  dynastie  des  Sofis.  Il  était  gouverneur  du  Khorassan 
quand  la  mort  de  Mohametl-Kliodabendé ,  son  pîre ,  donna 
la  couronne  à  son  frère  aîné  Hanuch ,  et  il  avait  quitté  sa 
ri-sidence  d'ilérat  pour  liû  rendre  hommage,  quand  il  apprit 
en  route  qu'Ismael ,  son  second  frère,  s'était  fait  roi  par  un 
fratricide.  Son  favori  et  gouverneur,  Murchid-Kouii-Khan , 
eut  [>eur  que  le  royal  assassin  ne  se  débarrassiit  à  son  tour  de 
son  jeime  maître  ;  il  le  lit  égorger  par  son  barbier,  qui  fut 
immédiatement  égorgé  lui-même  par  les  complices  de  Mur- 
cliid ,  et  Abbas  I*""  monta  ainsi  sur  le  trône  de  Perse ,  l'an  de 
l'hégire  994,  et  de  l'ère  chrétienne  15S6,  vingt  mois  après  la 
mort  de  son  père.  Quelques  auteurs  prétendent  qu'immédia- 
tement après  cette  mort  il  s'était  déclaré  souverain  indé- 
pendant. Ils  fixent  môme  la  date  de  son  installation  à  Héiat 
au  5  décembre  15S5;  et  c'est  peut-être  là-dessus  que  le  doc- 
teur Pocock  s'est  fondé  pour  le  faire  succéder  sans  intermé- 
diaire à  Mohamed-Khodabendé.  Mais  il  est  difficile  de  conci- 
lier cette  usurpation  avec  l'hommage  qu' Abbas  allait  rendre 
à  Hamreh ,  et  son  voyage  à  Kaswin  pour  s'aboucher  avec 
Ismael.  Malheureusement  il  est  un  crime  qu'on  ne  peut  lui 
enlever,  c'est  le  meurtre  du  gouverneur  qui  l'avait  mis  sur  le 
trOne.  Murchid ,  homme  d'esprit  et  de  courage,  avait  pris 
l'habitude  de  traiter  le  prince  assez  cavalièrement;  il  voulut 
continuer  sous  le  roi  :  le  roi  le  fit  massacrer  par  un  palefre- 
nier, qu'il  récompensa  par  le  gouvernement  d'Hérat ,  après 
l'avoir  revêtu  de  la  dignité  de  khan  ;  et  le  lendemain  U  se 
mit  à  l'abri  des  vengeances  de  la  famille  de  Murcliid  en  or- 
donnant la  mort  des  parents  et  amis  de  ce  gouverneur. 

Citons  des  actions  plus  glorieuses.  Les  Tartares  Ouzbeks 
s'étaient  depuis  longtemps  emparés  des  plus  belles  provinces 
du  Khorassan;  il  les  reprit  sur  le  khan  Abdallah ,  après  trois 
ans  de  succès  et  de  revers.  IMais  il  se  vengea  cruellement  de 
la  résistance  des  vaincus ,  en  faisant  trancher  la  tète  du  khan, 
de  son  frère  et  de  ses  trois  fils.  C'est  au  retour  de  cette  expé- 
dition qu'U  transporta  dans  Ispahan  le  siège  de  l'empire, 
dont  la  ville  de  Kaswin  avait  été  jusqu'à  lui  la  capitale.  11  en 
sortit  bientôt  pour  chasser  les  Turcs  des  provinces  de  Tauris, 
de  Nakshivan  et  d'Érivan.  La  paix ,  qu'il  avait  conclue  avec 
la  Porte  Othomane,  dès  la  première  année  de  son  règne,  avait 
été  rompue  par  le  sultan  Achmet,  et  ses  grands  vizirs  Mourad 
et  Nasuf  reculèrent  successivement  devant  Abbas.  Celui-ci 
ne  s'arrêta  un  moment  que  sous  les  murs  d'Ormeya,  ville 
située  sur  le  lac  Shaki ,  dans  l'Aderbijan.  Mais  sa  politique , 
qui  n'était,  comme  celle  de  tant  d'autres,  qu'une  adroite 
fourberie,  vint  au  secours  de  son  armée.  Les  Kurdes,  peu- 
ples pillards  et  indépendants,  vivaient  dans  le  voisinage.  Abbas 
leur  promit  le  sac  de  la  vCle,  et  quand  ils  l'eurent  prise,  il 
fit  tuer  leurs  chefs  dans  im  festin.  Tous  les  pays  situés  entre 
la  rivière  de  Kur,  l'ancien  Cyrus ,  et  l'Araxe,  se  soumirent  à 
ses  armes  ;  la  capitale  du  Chirvan  tomba  dans  ses  mains  après 
un  siège  de  sept  semaines.  Les  habitants  de  Derbent  lui  livrè- 
rent leur  ville  après  avoir  massacré  la  garnison  turque  ;  la 
province  de  Kilàn  rentra  en  1 597  sous  l'obéissance  de  la 
Perse,  dont  elle  s'était  détachée  sous  le  règne  de  Thamasp  T"", 
le  second  des  Sofis.  Les  rebelles  du  Mazandéràn  furent  domp- 
tés en  1.598,  et  l'heureux  Abbas  croyait  jouir  en  paix  de  ses 
conquêtes  ;  mais  cinq  cent  mille  Turcs ,  nombre  fort  exagéré 
sans  doute ,  étant  revenus  vers  les  murs  de  Tauris ,  sous  les 
ordres  de  Chakal-Ogli,  qui  est  peut-être  lekalender  Ogii  de 
l'historien  Canlimir,  Abbas  courut  au-devant  d'eux ,  les  défit 
dans  une  grande  bataille,  et  les  repoussa  Jusqu'à  la  montagne 
de  Sahend.  Une  nouvelle  incursion  lui  coula  plus  de  peine  et 
de  sang.  Les  Turcs  avaient  surpris  la  ville  de  Tauris,  et  Ab- 
bas ne  put  la  reprendre  qu'après  avoir  livré  cinq  batailles 
sanglantes,  où  la  fortune  avait  paru  l'abandonner. 

Cependant,  les  Turcs  s'clant  alliés  avec  les  Tartares  de  Cri- 

DICT.    DE   LA   CO.^VtRâ,\TliJ^      —    I.    I. 


méc,  revinrent  encore,  soi  s  K*  ordres  d'ilaJi  ou  Kalil-Pa- 
cha,  nouveau  grand  vizir  d'.Uhmet;  mais  cette  fois  Abbas 
ne  daigna  point  les  combattre  en  persomie.  Son  général,  Kar- 
chuken  ou  Kurchiki,  suivant  Herbert,  ou  Allah-Veyrdy-Khan, 
suivant  d'autres,  fut  chargé  de  les  repousser.  Il  les  défit  dans 
plusieurs  combats,  et  leur  prit  deux  khans  de  Tartarie,  avec 
les  pachas  d'Egypte ,  d'Alep,  d'Erzeroum  et  de  Van,  qu'Ab- 
bas  renvoya  comblés,  de  largesses.  Canlimir  ne  mentioime 
point  cette  défaite.  Il  parle  seulement  des  ajjprêts  d'Hali- 
Pacha  et  de  la  mort  d'Achmet,  qui  mit  un  terme  à  cette 
guerre,  vers  l'an  1617.  Ces  exploits  d'Abbas  furent  souillés 
encore  par  de  grands  crimes,  et  le  plus  odieux  de  tous  fut 
le  meurtre  de  son  fils  aîné,  Sefi-Mirza,  sous  le  faux  prétexte 
d'une  conspiration  contre  sa  vie.  Les  seigneurs  qu'on  donnait 
à  Sefi  pour  complices  et  le  misérable  qui  avait  fabriqué  cette 
accusation  furent  empoisonnés  plus  tard  dans  un  feslin. 
Bebut-Bey,  l'exécuteur  du  meurtre ,  fut  d'abord  largement 
récompensé  ;  mais  les  remords  s'emparèrent  du  cœur  d'Ab- 
bas, et  sa  vengeance  fut  encore  un  raffinement  de  férocité. 
Il  ordonna  à  Bebut-Bey  de  lui  apporter  la  tète  de  son  propre 
fils ,  pour  que  le  sort  de  l'assassin  fût  égal  à  celui  de  son 
maître,  et  Bebuteutla  lâcheté  d'obéir  à  cet  ordre  sanguinaire. 
Ce  récit  d'Oléarius  n'est  pas  conforme  à  celui  de  l'Anglais 
Herbert.  Celui-ci  donne  quatre  fils  au  grand  Abbas,  et  les 
lui  fait  tuer  tous  les  quatre  par  jalousie,  avec  des  détails  qui 
ne  permettent  pas  de  révoquer  ces  crhnes  en  doute. 

La  conquête  du  royaume  de  Kur  sur  les  Kurdes ,  celle  de 
la  Géorgie,  que  défendirent  en  vain  Taymuraz,  roi  de  Caket, 
et  Enarzab,  roi  de  Carthuel  ;  la  prise  de  Bagdad ,  et  la  dé- 
faite de  trois  armées  turques,  que  le  sultan  Amurat  IV  avait 
rassemblées  pour  reprendre  cette  capitale ,  furent  des  distrac- 
tions plus  dignes  de  ce  roi  conquérant  ;  mais  sa  victoire  n'en 
fut  pas  moins  déshonorée  par  de  nouveaux  forfaits  :  les  deux 
fils  de  Taymuraz  furent  faits  eunuques ,  Enarzab  fut  assas- 
siné dans  sa  prison  de  Chiras ,  et  le  gouverneur  de  Bagdad, 
Behirbeka,  ou  Bikirkichaya,  fut  cousu  dans  une  peau  de 
bœuf,  qui,  en  se  rétrécissant  au  soleil,  étouffa  le  malheureux 
dans  des  douleurs  atroces. 

Abbas  l"  eut  aussi  à  combattre  des  Européens.  Les  Por- 
tugais étaient  depuis  longtemps  en  possession  de  Bender- 
Abassi  et  de  File  d\)rmuz  ;  Abbas  ordonna  au  vice-roi  de 
Chiras,  l'imanKouli-Khan,  de  les  enchâsser.  Les  Anglais,  que 
ces  deux  stations  portugaises  gênaient  dans  leur  commerce 
avec  l'Indoustan,  envoyèrent  une  flotte  pour  seconder  les 
opérations  des  Persans.  Bender-Abassi  fut  rendu  en  janvier 
1622  par  son  gouverneur,  Ruy-Frera,  au  lieutenant  d'Abbas. 
Ce  fut  la  dernière  de  ses  conquêtes.  Ce  monarque  mourut  à 
Kaswin,  en  1628,  dans  la  soixante-onzième  année  de  son  âge, 
et  après  quarante-trois  ans  de  règne.  Sa  mémoire  est  véné- 
rée en  Perse.  Les  pauvres  surtout  parlent  de  sa  justice,  tou- 
jours mêlée  cependant  de  cruauté.  11  fit  jeter  dans  un  four 
ardent  un  boulanger  qui  refusait  de  leur  vendre  du  pain,  et 
pendre  à  l'un  des  crochets  de  sa  boutique  un  boucher  qui 
vendait  de  la  viande  à  faux  poids.  Un  de  ses  officiers  avait 
fait  tuer  quelques  voisins  dont  les  terrasses  plongeaient  sur 
les  jardins  de  son  harem  ;  Abbas  fit  égorger  et  jeter  pêle-mêle 
dans  une  fosse  l'officier,  ses  femmes  et  ses  do»iesti(]iies. 

Son  règne  fut  signalé  par  des  travaux  plus  utiles  à  la 
prospérité  de  son  empire.  Il  fonda  de  grandes  villes,  qui  de- 
vinrent plus  tard  les  centres  d'un  grand  commerce  ;  il  bâtit 
le  beau  palais  d'Ispahan ,  des  caravansérails  et  des  mosquées, 
et  y  amena  ime  grande  rivière ,  par  des  souterrains  immenses, 
à  travers  des  montagnes  qui  l'en  séparaient ,  à  plus  de  trenle 
lieues  de  dislance.  11  dissémina  dans  son  royaume  vingt-deux 
mille  familles  arméniennes  et  quatre-vingt  mille  antres  de  la 
Géorgie,  qui  apportèrent  aux  Persans  leur  industrie  et  l'ait 
du  négoce.  La  culture  de  la  soie  fut  propagée,  et  le  chah 
Abbas.se  mit  en comnmnication avec  notre  Louis Xill  et  autres 
rois  de  l'Europe.  Pour  retenir  dans  ses  États  le  grand  nombre 
de  pèlerins  qui  se  rendaient  à  la  Mecque,  il  fit  faire  île  grands. 


10 

iiiiiacles  au  tombeau  de  l'iman  lU'za,  l'un  des  douze  grands 
saints  de  la  Perse  ,  et  détourna  les  pMerins  vers  la  ville  de 
Mesclied  ,  où  était  situé  ce  tombeau.  D'airtres  disent  que  le 
nouveau  pèlerinage  se  dirigeait  vers  les  tombeaux  d'Ali  et 
de  ses  enfants,  dans  l'Irak-Araby.  Ils  attribuent  même  la 
Hncrre de Hogdad  au  désir  d'enlever  aux  Turcs, comme  sun- 
nites ce  qui  ne  devait  appartenir  qu'aux  cliiitesdela  l'erse. 
C'est  possible.  Je  ne  conteste,  pour  moi ,  que  le  nom  de 
yratid.  Je  dirai  seulement,  avec  Ilerbeit,  que  ce  roi  de  pe- 
tite taille  fut  lui  i;éant  en  politique. 

AKIiAS  II,  ABB.VS-.MIRZA,  ou  CHAII-AnBASII,  ar- 
rière-petit-lits  du  précédent,  est  le  neuvii'^me  de  la  dynastie 
des  So(i^.  Son  père,  Soli  l",  avait  ordonné  de  lui  crever  les 
yeux  dans  son  enfance.  L'eunuque  chargé  de  cette  exécution 
eut  pitié  dt-  lui,  l'instruisjth  faire  l'aveugle,  et,  voyant  qu'au 
lit  de  mort  son  maître  regrettait  d'avoir  donné  cet  ordre 
barbare,  feignit  d'avoir  un  remède  pour  rendre  la  vue  au 
jeune  prince.  Le  père ,  enclianlé  de  celte  cure  merveilleuse, 
commanda  aux  grands  du  royaume  de  le  reconnaître  pour 
souverain.  Abbas  II  monta  donc  sur  le  trône  de  Perse  à  l'âge 
de  treize  ans,  au  mois  de  mai  1C42  ,  et  lit  son  entrée  à  Is- 
palian  l'année  suivante.  Peu  de  temps  après  le  vieux  prince 
des  Ouzbeks,  cliassé  du  trône  par  ses  enfants,  étant  venu 
implorer  les  secours  du  roi  de  Perse,  Abbas  lui  accorda 
<iuinze  mille  clievaux  ,  buit  mille  fantassins,  et  reçut  en 
échange  une  province  considérable.  La  reprise  de  Kandahar 
surles  troupes  du  (Jrand-Mogol  fut  le  coup  d'essaid'AbbasII. 
Il  fut  moins  heureux  dans  l'attaque  des  montagnes  ,  où  ré- 
gnait le  prince  de  Jasques ,  entre  la  province  de  Kermàu  et 
l'Océan. 

ïavcrnier,  Chardin  et  K.'empfer  s'accordent  à  raconter 
qu'Abbas  IL  aimait  la  justice;  ils  vantent  sa  générosité,  sft 
niaguilicence  avec  les  étrangers.  Le  dernier  va  niêine  jus- 
qu'à dire  qu'il  ne  lui  manquait  aucune  vertu.  Mais  il  est 
difficile  de  concilier  cet  éloge  et  cette  prétendue  perfection 
avec  les  traits  de  cruauté  qu'on  en  cite.  On  a  cru  le  jus- 
tifier en  alléguant  que  ces  ordres  sanguinaires  n'étaient 
donnés  par  lui  que  dans  l'ivTesse.  IMais  c'est  une  étrange 
cvcuse  pour  un  roi  qu'une  ivrognerie  perpétuelle,  et  surtout 
pour  un  prince  musulnian.  On  en  raconte  cependant  quel- 
ques actes  de  justice  ;  mais  jusque  daps  ces  traits  de  justice 
il  portait  des  raffinements  d'une  cruauté  que  n'ont  pu  dis- 
simuler ses  courtisans.  Tavernier  et  Chardin  avaient  souvent 
riiooneur  de  s'enivrer  avec  lui ,  de  boire  son  vin  de  Cbiras 
dans  des  coupes  d'or,  et  de  lui  chanter  des  chansons  gri- 
voises. Abbas  avait  d'autres  passe-temps.  Deux  peintres 
lM).ll.indais  lui  avaient  appris  le  dessin,  et  il  s'amusait  à  des- 
siner des  modèles  de  coupes,  d'assiettes  et  de  poignards, 
mais  on  peut  aimer  les  arts  et  les  artistes  sans  en  être  plus 
humain.  Le  second  vice  d'Abbas  était  la  passion  des  femmes, 
et  elle  lui  coûta  la  vie.  Irrité  par  les  charmes  d'une  danseuse 
infectée  du  mal  vénérien  ,  il  ne  tint  pas  compte  de  l'aveu 
que  celle  femme  lui  en  faisait,  et  quelques  jours  après  des 
symptômes  terribles  l'avertirent  de  son  imprudence.  Un 
horrible  cancer  lui  rongea  le  palais  et  le  nez  ,  et  la  mort  la 
plus  affreuse  en  délivra  son  peuple,  le  25  septembre  1660. 
ADIiAS  III  termina  la  dynastie  des  Sofis.  Fils  du  chah 
Thamas  II ,  déposé  par  les  intrigues  du  fameux  Kouli- 
Khan  (roy.  Kadir)  ,  il  avait  à  peine  huit  mois  quand,  dans 
It's  premiers  jours  de  septembre  1731,  cet  ambitieux  général 
lit  placer  la  couronne  sur  son  berceau,  en  retenant  pour 
lui  la  régence  du  royaume.  Le  règne  de  cet  enfant  sembla 
«l'abord  porter  malheur  à  son  tuteur,  car  il  bit  battu  dans 
ili'ux  grands  combats  contre  les  Turcs,  sous  les  murs  de 
I'..igdad;  mais  il  prit  sa  revanche  dans  une  troisième  ba- 
taille ,  où  les  Turcs  perdirent  quarante  mille  hommes  et  leur 
siiaskier.  Un  autre  séraskicr  défendit  vainement  la  Géorgie 
•  t  l'Arménie,  et  périt  dans  une  bataille  livrée  dans  les  en- 
virons d'Érivan.  Kouli-Khan  ne  voulut  plus  dès  ce  moment 


ABBAS  —  ABBAS-PACHA 

empoisonné,  dit-on,  par  son  tuteur,  à  l'âge  de  cinq  ans,  lu! 
laissa  la  couronne  de  Perse,  en  1736,  l'an  114s  de  VbVgire. 
ViENNET,  de  l'Académie  Frai^caisc. 

ABBAS-MIRZA,  second  fils  de  F  et  h  -  A 1  i  -  C  h  a  h,  roi 
de  Perse,  à  qui  il  devait  succéder,  naquit  vers  1785.  Enfant 
d'une  mère  issue  de  la  race  royale  des  Kbadjarcs,  il  jouis- 
sait de  la  prédilection  de  Feth-Ali.  Son  caractère  différait 
beaucoup  do  celui  de  son  frère  aîné,  Mohammed-Ali-Mirza, 
lequel  mourut  douze  ans  avant  lui  et  était  fort  attaché  aux 
anciens  usages  de  sa  nation.  Abbas-Mirza,  au  contraire, 
accueillait   toujours    avec  empressement  et  faveur  qui- 
conque pouvait  l'initier  à  la  connaissance  des  sciences  eu- 
ropéennes. Un  penchant  naturel  l'attirait  vers  l'Angleterre. 
Par  le  traité  de  paix  de  Goulistân  (1814),  la  Russie  avait 
bien  garanti  le  trône  de  Perse  au  prince  que  le  cbab  dési- 
gnerait comme  son  successeur  ;  mais  cette  garantie ,  jointe 
à  la  création  d'une  mission  russe  particulière  dans  la  ville 
de  Tauris,  résidence  du  prince,  plaçait  nécessairement  Ab- 
bas-Mirza dans  une  espèce  de  dépendance  qui  devait  finir 
par  lui  être  à  charge.  Les  intérêts  anglais  avaient  d'ailleuis 
constamment  auprès  d'Abbas-Mirza  les  plus  chauds  défen- 
seurs dans  la  personne  du  major  Hart  et  dans  celle  du  doc- 
teur Cormick ,  médecin  attaché  à  la  personne  du  prince. 
Guerrier  depuis  son  enfance,  il  avait  fait  instituer  le  nizam 
ou  troupes  régulières  en  1808,  et  souvent  commandé  les  ar- 
mées de  son  père,  surtout  dans  les  guerres  contre  la  Russie. 
11  les  commanda  encore  lorsque  la  guerre  éclata  avec  cette 
puissance  en  1826.  Celte  campagne  fut  aussi  malheureuse 
que  les  précédentes  pour  Abbas-Pacha  :  les  Russes  lui  ar- 
rachèrent l'Arménie  persane,  qui  faisait  partie  de  la  vice- 
royauté  de  Tauriz,  et  entrèrent  dans  cette  ville  le 25  octobre 
lS'î7.  Un  traité  signé  en  1828,  à  Tourkmantchai,  rétablit  la 
paix  en  imposant  de  grands  sacrifices  à  la  Perse.  Bientôt 
la  cour  de  Russie  envoya  une  nouvel  le  ambassade  à  Téhéran. 
L'année   suivante  la  populace  envahit  l'hôtel  de  la  légation 
russe,  Griboïedof  fut  assassiné  ainsi  que  plusieurs  per- 
sonnes attachées  à  son  ambassade.  Le  chah,  pour  détourner 
la  juste  colère  de  la  Russie,   envoya   Khosref-Mirza,  fils 
d'Abbas-Mirza,  à  Saint-Pétersbourg,  à  l'effet  d'y  présenter 
d'humbles  excuses.  L'empereur  de  Russie  reçut  ce  jeune 
prince  avec  distinction.  Le  prince  Dolgorouki  partit  pour 
Téhéran,  où  sat.i.sfactioa  lui  fut  donnée  pour  le  meurtre  de 
ses  compatriotes.  Abbas-Mirza  mourut  vers  la  frn  de  1S33, 
d'une  pbthisie  pulmonaire,  et  en  1834  son  fils  atné,  Mo- 
bammed-Mirza,  né  en  1806  ,  succéda  à  Feth.-Ali-Chali,  mais 
non  sans  avoir  à  triompher,  dans  de  sanglantes  batailles,  de 
l'opposition  de  ses  oncles  et  de  ses  cousins.  Z. 

ABBAS-PACHA,  vice-roi  d'Egypte,  fils  de  Tossoun- 
Pachaet  petit-fils  de  Mé  h  émet- Ali,  naquit  à  Djedda,  en 
1816,  pendant  que  son  père,  engagé  dans  une  lutte  contre  les 
Wababites,  était  en  Arabie.  Ramené  au  Caire,  il  ne  reçut 
point  uue  éducation  européenne;  musulman  antent,  il  mani- 
festa beaucoup  d'antipathie  pour  les  chrétiens  et  fil  plusieurs 
fois  le  pèlerinage  de  la  .Mecque  ;  c'est  pendant  un  de  ces  voyages 
qu'il  apprit,  en  1848,  la  morld'lbraliim-Paclia,  qui  lui  livrait 
le  pouvoir,  étant  le  plus  âgé  de  sa  famille.  Il  se  rendit  aus^ 
sitôt  à  Constantinople,  et  reçut  du  sultan  l'investiture  dç  la 
vice-royauté  d'Egypte.  Abbas-Paclia  n'accepta  pas  sans  dif- 
liculté  les  mesures  que  lui  imposait  la  Porte.  Il  refusa 
même  d'abord  de  promulguer  la  liatti-chérif  de  Gulhané  ; 
mais  il  céda  enfin  ,  et  obtint  le  droit  de  disposer  de  la  vie 
de  ses  sujets  sans  recourir  au  divan.  11  renonça  à  beaucojip 
d'entreprises  de  Méhémet-Ali ,  réduisit  la  flotte  et  l'armée, 
I  diminua  le  nombre  des  employés  et  fonctionnaires,  renvoya 
des  Français  au  service  de  l'Egypte,  abaissa  les  impôts, 
1  établit  des  maisons   hospitalières  et  pourvut  largement  des 

fondations  musulmanes.  Il  abandonna  le  projet  de  barrage 
I  du  Nil,  et  concédai»  des  Anglais  la  construction  d'un  chemin 

de  fer  à  travers  risfhmc  de  Suez,  ce  qui  lui  occasionne 


rombaltrcau  nom  d'un  fantôme  de  roi  ;  et  le  jeune  Abbas  HT,  \  également  des  discussions  avec  son  suzerain.  11  repoussa  le 


ABB  AS-PACHA  —  ABBAYE 


projet  lin  percement  de  cet  isllime  par  un  canal,  et  établit 
seulement  une  ligne  télégrapliiquc  entre  le  Caire  et  Suez. 
D'un  autre  côté,  il  abolit  la  cliasse  aux  nègres  que  faisait 
exécuter  tous  les  ans  MéhtMuet-Ali  sur  les  limites  de  ses 
l-llats.  En  ISol  la  Turquie  lui  avait  envoyé  un  renfort  pour 
son  armée  du  lledjaE;  quelques  années  après  il  fournit  à 
sou  tour  au  grand  Turc  un  corps  de  \ingt-cinq  mille  hom- 
mes qui  se  distingua  dans  la  guerre  contre  la  Russie.  Abbas- 
Pacha  était  intempérant  et  cupide,  et  on  a  pu  lui  reproclier 
q;<jelques  actes  injustes.  Il  se  plaisait  dans  le  désert  avec  les 
Bédouins  et  n'aimait  pas  Alexandrie ,  envahie  par  les  in- 
fidèles. Le  matin  du  14  juillet  1854  on  le  trouva  mort  sur 
9on  divan,  à  Rliéna.  Deux  mamelouks  l'avaient  étrangle, 
pour  venger  des  camarades  qu'il  avait  lait  punir.  Saïd-Paclia 
lui  a  succédé.  L.  Louvet. 

ABBASSIDES.  Nom  de  la  seconde  dynastie  des  kha- 
lifes arabes  successeurs  de  Mahomet ,  qui  régnèrent  à 
Bagdad  de  l'an  749  à  l'an  1258,  et  dont  la  postérité  subsis'.e 
encore  de  nos  jours,  tant  en  Turquie  que  dans  les  Indes. 
Cette  dynastie,  qui  renversa  celle  des  Omyniades,  (ut 
fondée  par  Aboul-Abbas-SaffaI),  neveu  d'Abdallah,  et  afourni 
trente-sept  klialifes,  ([ui  régnèrent  de  l'an  de  l'hégire  132  à 
656. 

Les  ABBASSIDES  de  Perse  descendent  de  la  famille  des 
Sofis,  qui  prétendaient  faire  remonter  lear  origine  au  kha- 
life Ali  ;  famille  qui  s'empara  de  la  puissance  suprême  en 
Perse,  l'aa  1500  de  notre  ère,  et  qui  s'éteignit  en  1736. 
Le  plus  remarquable  des  princes  abbassides  persans  fut 
AbbasI". 

ABBATE  (Niccolodel)  ouABBATI.né  àModèneen 
1509  ou  1512,  peintre  d'une  remarquable  facilité,  réussit 
surtout  dans  la  peinture  à  fresque,  et  se  forma  à  la  pra- 
tique de  son  art  sous  la  direction  de  Raphaël  et  du  Cor- 
rége.  En  confondant  les  principes  si  différents  de  ces  deux 
maîtres ,  il  prépara  la  dégénérescence  maniérée  de  l'art  qui 
prévalut  vers  le  milieu  du  seizième  siècle.  On  voit  à  Modène 
des  toiles  exécutées  par  lui  dans  sa  jeunesse,  et  à  Bologne 
plus  particulièrement  celles  qu'il  peignit  dans  la  maturité 
de  son  talent.  Une  Adoration  des  bergers,  qui  se  trouve 
au  portico  de'  Leoni  de  cette  dernière  ville,  passe  générale- 
ment pour  son  chef-d'œuvre.  Une  Naissance  du  Christ  et 
une  Conversation  musicale,  (\n'\\  peignit  à  Bologne,  déter- 
minèrent le  Primatice ,  en  1552,  à  l'emmener  avec  lui  en 
France ,  pour  travailler  à  la  décorati  m  du  palais  de  Fontai- 
nebleau. 11  y  peignit  notamment  la  galerie  d'Ulysse.  Les 
aventures  du  roi  d'Ithaque  étaient  représentées  dans  cette 
galerie  en  cinquante-huit  tableaux.  Tous  ses  ouvrages  de 
Fontainebleau,  à  l'exception  des  tableaux  représentant  l'his- 
toire d'Alexandre  le  Grand,  fuient  détruits  en  1738,  sur 
l'avis  d'un  architecte  qui  devait  agrandir  ce  château.  Niccolo 
del  Abbate  mourut  en  France,  en  1571.  Ses  fils  et  ses  petits- 
fds  se  livrèrent  aussi  à  la  pratique  de  l'art  sans  l'égaler.     * 

ABBATUCCI  (  Famille  ).  Jflcr/?/e.'î-Pie7Te  Abb;ltucci, 
général  corse,  né  en  1726 ,  figura  d'abord  sur  la  scène  po- 
litique comme  antagoniste  de  Paoli,  dont  il  balança  pen- 
dant quelque  temps  rinfluence;  mais  le  péril  de  l'État  le 
décida  à  se  ralher  à  son  adversaire..  Victorieux  dans  leur 
lutte  contre  Gènes,  les  Corses  furent  moins  heureux  contre 
les  armes  françaises.  Abbatucci  fut  un  des  derniers  à  se 
soumettre.  Compris  dans  la  procédure  que  fit  instruire  le 
comte  de  Marbœuf  contre  les  patriotes  corses,  il  fut  con- 
damné à  une  peine  infamante  ;  mais  la  cour  de  France  ré- 
voqua la  sentence.  Louis  XVI  lui  rendit  le  grade  de  lieute- 
nant-colonel ,  le  créa  chevalier  de  Saint-Louis ,  et  l'éleva  peu 
de  temps  après  au  rang  de  maréchal  de  camp.  C'est  en  cette 
qualité  qu'il  défendit  la  Corse  en  1793,  contre  les  Anglais  et 
Paoli.  Contraint  de  s'éloigner,  il  rentra  en  France  ;  trois  ans 
aprè.s  il  revint  en  Corse,  où  il  mourut  en  1812.  Trois  de  ses 
(ils  trouvèrent  la  mort  sur  les  champs  de  bataille.  —  Charles 
Abpatiicci,  le  plus  célèbre,  était  né  en  Corse  en  1771.  En- 


11 

voyé  à  l'âge  de  quinze  ans  à  l'école  militaire  de  Metz,  il 
devint  lieutenant  d'artillerie  en  1789,  capitaine  en  1792,  et  il 
était  à  vingt  et  un  ans  lieutenant-colonel  à  l'armée  du  Rhin. 
Chargé  de  la  défense  de  la  ville  et  du  portd'Huniugue  dans 
la  nuit  du  1"  au  2  décembre  1796,  il  venait,  à  la  tête  des 
grenadiers,  de  repousser  l'ennemi,  et  le  poursuivait  dans  la 
grande  Ile  qui  est  en  face  de  la  ville,  lorsqu'il  tomba  frappé 
d'une  balle  :  il  expira  quelques  jours  après.  Il  n'avait  pas 
encore  vingt-six  ans.  Moreau  fit  ériger  un  monument  à  la 
mémoire  d'Abbatucci  au  lieu  même  où  11  avait  été  blessé. 
Détruit  en  1S15  par  lès  alliés,  ce  monumenf  a  été  rétabli 
depuis  la  révolution  de  1830.  Une  statue  a  été  élevée  au  gé- 
néral Abbatucci  à  Ajaccio,  en  1854.  —  Son  frère  aîné ,  filleul 
de  Paoli,  est  mort  en  Corse  en  1851 ,  à  l'âge  le  quatre-vingt- 
six  ans.  —  Le  fils  de  celui-ci,  Jacques-Pierre- Charles  Ab- 
BATtcci,né  en  1792  à  Zicavo  (Corse),  fit  de  brillantes 
études  à  l'École  de  Saiot-Cyr  et  au  Prytanée  Napoléon.  En 
1808  il  alla  étudier  le  droit  à  Pise.  Nommé  procureur  du 
roiàSartène,  en  1816,  il  passa  trois  ans  après  à  la  cour  royale 
de  Bastia  comme  conseiller.  Élu  député  en  Corse  au  mois 
de  juin  1830,  il  fut,  après  la  révolution  de  juillet,  nomme 
président  de  chambre  à  la  cour  royale  d'Orléans.  Non  réélu 
en  1831 ,  il  revint  de  nouveau  au  palais  Bourbon  en  1839, 
comme  député  d'Orléans.  Siégeant  parmi  les  membres  de 
l'opposition,  Abbatucci  s'associa  au  mouvement  réfor- 
mi.'^te  qui  amena  la  révolution  de  février.  Il  prononça  un 
discours  très-vif  au  banquet  d'Orléans  et  maintint  la  néces- 
sité d'aller,  en  dépit  des  ordonnances  du  ministère ,  au  ban- 
quet du  douzième  arrondissement.  «  Ne  pas  aller  au  banquet 
après  l'avoir  provoqué,  disait-il,  c'est  commettre  une  insigne 
lâcheté;  plutôt  que  de  céder,  il  vaudrait  mieux  que  notre 
ennemi  passât  sur  nos  cadavres.  »  Après  la  révolution  de 
février  il  fut  appelé  successivement  comme  conseiller  à  la 
cour  d'appel  de  Paris,  puis  à  la  Cour  de  cassation.  Élu  re- 
présentant à  la  constituante  par  la  Corse  et  le  Loiret ,  il 
opta  pour  ce  dernier  département.  Réélu  au  mois  de  mai 
1849,  il  quitta  la  magistrature,  et  siégea  à  l'Assemblée  lé- 
gislative. Membre  de  la  commission  consultative  en  décembre 
1S51 ,  il  fut  nommé  ministre  de  la  justice  le  22  janvier  1852. 
«  Il  accomplit  avec  bonheur,  a  dit  M.  de  Marnas,  la  déli- 
cate tâche  de  sceller  1  alliance  de  la  magistrature  avec  un 
ordre  politique  nouveau.  Homme  d'observation  et  de  pro- 
grès, en  même  temps  qu'administrateur  sagacc ,  les  lois  de 
procédure  civile  et  criminelle  doivent  à  son  initiative  d'utile* 
améliorations.  »  Une  douloureuse  maladie  l'enleva,  à  Paris,  le 
II  novembre  1857.  Il  avait  été  créé  sénateur  le  2  décembre 
1852.  —  II  a  laissé  trois  fils  :  M.  Charles  Abbatucci  ,  avo- 
cat, substitut  du  procureur  delà  république  au  tribunal  de  la 
Seine  après  la  révolution  de  février,  représentant  de  la  Corse 
à  l'Assemblée  législative  en  1849,  chef  du  cabinet  de  son 
père  au  ministère  de  la  justice,  maître  des  requêtes  au  con- 
seil d'État  en  1853,  et  enfin  conseiller  d'État  en  service  or- 
dinaire Ie27  novembre  1857  ;  —  M.  Antoine  Abbatucci,  co- 
lonel ,  qui  commandait  le  91*  de  ligne  à  la  bataille  deSolfe- 
rino  ;  —  M.  Séverin  .•abbatucci  ,  député  de  la  Corse  au  corps 
législatif  depuis  1852.  L.  L. 

ABBAYE.  Communauté  monastique  régie  par  un  abbé 
ou  une  abbesse.  Telles  furent  les  célèbres  abbayes  du  Mont- 
Cassin,  de  Fulda,  de  Cluny,  de  Saint-Denis  ,  de  Saint-Gall, 
de  Ctteaux  ,  de  Clairvaux,  etc.  —  En  France ,  la  plus  an- 
cienne abbaye  de  femmes  était  celle  de  Sainle-Radegonde,  à 
Poitiers;  elle  avait  été  fondée  par  cette  pieuse  reine  en  567. 
D'autres  souverains  et  de  puissants  seigneurs  imitèrent  cet 
exemple.  — Plusieurs  abbaye-s  furent,  parla  suite  des  temps, 
érigées  en  évêchés;  par  exemple  celles  de  Paraicrs,  Con- 
dom,  Luç.on,Aleth,Vabres, Tulle, Castres,  La  Rochelle, etc. 
Avant  la  révolution  de  1789  la  France  possédait  un  grand 
nombre  de  ces  institutions  conventuelles.  Plusieurs  vi'les 
n'ont  d'autre  origineque  celle  de  ces  grandes  communanlés, 
autour  desquelles  s'aggloméraient  peu  à  peu  les  populations, 

2. 


,2  ABBAYE 

sûres  de  troiirer  la  .  outre  dos  wcours  spirituels,  la  scciirifé 
et  le  repos  qu'il  était  si  diilicile  de  rencontrer  ailleurs  dans 
les  sitcles  du  mojcn  ifie.  —  l.cs  ofliccs  se  aMébraientdaiis 
les  abbayes  avec  auUmt  d'édification  que  de  pompe;  et  les 
tidèles  y  étaient  admis,  le  iler;;é  séculier  trouvait  dans  les 
reli};ieux  des  al)ba>e>^  d'utiles  et  ili^nes  auxiliaires  pour  la 
confession,  la  prédication  ,  le  soin  des  malades  ,  le  soulago 
ment  des  pauvres  et  l'instruction  ties  enfants.  —  Sans  doute 
à  cOlé  du  l)ien  se  glissèrent  aussi  d'étranges  abus.  Le  père 
de  lingues  Capel   n'était  riclie  que  par  les  abbayes  qu'il 
possédait  :  c£  qui  le  faisait  appeler  Hugues  l'abbé.  On  donna 
quelquefois  des  abbayes  aux  reines  iiour  leurs  menus  plaisirs. 
Ogine,  mère  de  Louis  d'Outremer,  quitta  son  fds  parce  qu'il 
lui  avait  olé  l'abbaye  de  Sainle-Mario  de  Laon  pour  la  donner 
à  sa  femme  Gerberge.  Ualzac  parle  d'un  ajniral  de  Joyeuse 
qui  donna  uneablwye  pour  un  sonnet.  En  1575  on  proposa 
dans  le  conseil  de  Henri  III,  roi  de  France,  de  faire  ériger 
en  cominendes  .séculières  toutes  les  abbayes  de  moines,  et 
de  donner  ces  commendcs  aux  officiers  de  la  cour  et  de 
l'armée  de  ce  monarque.  Au  siècle  dernier,  le  comte  d'Ar- 
genson,  ministre  de  la  guerre,  voulut  établir  des   pensions 
sur  les  bénélices  en  faveur  des  cbevaliers  de  l'ordre  de  Saint- 
Louis,  mais  ce  projet  ne  put  se  réaliser.  Sous  Louis  XIV  la 
princesse  de  Conti  avait  possédé  l'abbaye  de  Saint-Denis. 
Avant  le  règne  de  ce  monarque  il  était  commun  devoir  des 
.séculiers  posséder  des  bénéfices;  le  duc  de  Sully,  buguenot, 
avait  une  abbaye.  Les  abbayes  étaient  presque  toujours  de 
grands  centres  d'instruction  religieu.se  et  de  bienfaisance.  Elles 
furent  longtemps  les  seuls  dépôts  delà  science  ;  et  dans  leurs 
pieuses  solitudes  il  y  avait  toujours  un  asile  pour  l'infortune 
et  un  refuge  pour  le  repentir.  On  sait  de  quelle  manière  gé- 
néreuse elles  exerçaient  l'hospitalité  envers  les  étrangers, 
et  l'on  a  retenu  ces  vers  du  chantre  de  la  Gastronomie  : 

J'ai  souTent  regretté  les  asiles  pieux 

Où  vivaient  noblement  ces  bons  religieux, 

Qui  depuis,  affranchis  de  leurs  rcj;lcs  austères. 

Se  sont  TUS  dépouillés  ])ar  des  lois  trop  sévères... 

Je  vous  aimais  surtout,  enfants  de  Saint-Renoît, 

De  Cluny,  de  Saint-Maur,  heureux  propriétaires. .. 

Je  sais  qu'on  a  prouvé  que  vous  avirt  grand  tort. 

Que  ne  prouve-t-on  pas  quand  on  est  le  plus  fort? 

Retraite  du  repos,  des  vertus  solitaires , 

Cloître»  majestueux  ,  fortunés  monastères. 

Je  TOUS  ai  tus  tomber,  le  cœur  gros  de  soii|iirs. 

Mais  je  tous  ai  gardé  d'éternels  «ouTenirs. 

CllAMPXCN.^C. 

«  L'imagination,  dit  Chateaubriand,  s'est  représenté  les 
possessions  d'im  monastère  comme  une  chose  sans  aucun 
rapport  avec  ce  qui  existoit  auparavant  :  erreur  capitale. 
Une  abbaye  n'étoit  autre  chose  que  la  demeure  d'un  riche 
patricien  romain,  avec  les  diverses  classes  d'esclaves  et  d'ou- 
vriers attaches  au  service  de  la  propriété  et  du  proprié* 
taire,  avec  les  villes  et  les  villages  de  leur  dépendance.  Le 
p*re  abbé  étoit  le  matlre;  les  moines,  comme  les  affranchis 
de  ce  maiire,  cultivoicnt  les  sciences,  les  lettres  et  les  arts. 
Les  yeux  mémen'étoient  frappés  d'aucune  diflérence  dans  l'ex- 
lérieur  de  l'abbaye  et  de  ses  habitants  ;  un  monastère  étoit 
une  maison  romaine  pour  l'arcluteetuie  :  le  [lortiqiie  ou  le 
cloître  an  milieu^  avec  les  petites  chambres  au  pourtour  du 
cloître...  L'abbaye,  pour  le  répéter, n'étoit  doncipi'ime  mai- 
son romaine  ;  mais  cette  maison  devint  bien  de  main  morte 
par  la  loi  ecclésiastique,  et  acquit  par  la  loi  féodale  une 
sorte  de  souveraineté  :  elle  eut  sa  justice,  ses  chevaliers  et 
ses  sol(iat^  ;  i)elit  état  coinplet  dans  toutes  ses  parties,  et  en 
même  temps  terme  expérimentale,  manufacture  (on  y  fai- 
soil  de  la  toile  el  des  draps)  et  école.  » 

L'Almanacii  royal  de  1787  donne  la  liste  des  abbayes  en 
commende,  c'est-à-dire  données  non  à  de  véritables  moines 
oureligieui,  ayant  fait  les  vœux  et  portant  l'habit  d'un 


—  ABBK 

j  ordre,  mais  à  des  séculiers  tonsurés.  On  en  compte  C49. 
'  Les  moindres  sont  d'un  revenu  de  2,000  livres,  et  c'est  le 
plus  petit  nombre.  La  moy(;nne  proportionnelle  e.st  de  16,000 
;  livresde  rente.  Le  revenu  de  quelques-unes  s'élève  au  chiffre 
de  60,  80  et  même  100,000  livres  de  rente.  C'est  là  ce  qu'au- 
trefois on  appelait  un  bénéfice.  Ces  abbayes  se  donnaient 
aux  cadets  des  familles  nobles,  et  trop  souvent  devenaient 
la  récom|)cnse  des  plus  honteux  services.  * 

ABBAYE  (  Frison  de  l'),  à  Paris.  Le  terrain  sur  lequel 
s'élevait  cette  prison,  à  l'originede  la  rue  Sainte-Marguerite, 
faisait  autrefois  partie  de  l'enclos  attenant  au  cloître  de  l'ab- 
J)aye  Saint-Germain  des  Prés.  Des  cachots,  construits  là  pins 
tard ,  servirent  de  prison  abbatiale  à  l'ancien  seigneur  abbé 
de  Saint-Germain  des  Prés,  qui  avait  aussi  fait  placer  au 
centre  du  carrefour  imc  échelle  patibulaire  et  un  pilori.  Pen- 
dant la  révolution  de  1789,  la  prison  de  l'Abbaye  devint  le 
théâtre  de  sanglants  événements.  On  y  entassa  les  royalistes 
arrêtés  après  le  to  août  1792, et  c'est  là  que  commencèrent 
les  iDassacres  de  septembre  .sous  la  direction  de  Mail- 
lard. Charlotte  Corday,  M""*  Roland,  M"' de  Sombreuil 
et  d'autres  yfurent  ensuite  enfermées.  Sons  l'Empire  l'Abbaye 
devint  prison  militaire  pour  les  soldats  condamnés  par  les 
con.seils  de  guerre.  Sous  la  Restauration  plusieurs  généraux 
persécutés  par  la  réaction  royaliste  y  résidèrent,  comme  le» 
généraux  Thiard  ,  Belliard,  et  Decaen;  le  général  Bonnaire 
y  mourut  de  désespoir  en  1816,  peu  de  temps  après  sa  dé- 
gradation. Sous  le  gouvernement  de  juillet  l'Abbaye  con 
tinua  de  servir  de  prison  militaire  jusqu'à  l'établissement 
de  la  nouvelle  prison  des  conseils  de  guerre,  rue  du  Cherche- 
Midi.  Réglée  sans  emploi,  la  prison  de  l'Abbaye  a  été  dé- 
molie en  1855,  pour  agrandir  la  place  qui  la  précédait.  L.  L. 

ABBAYE-AUX-BOIS,  abbaye  de  filles  de  l'ordre  de 
CIteiiux,  fondée  en  1207  par  Jean  de  Nesles,  châtelain  de 
Bruges,  au  milieu  des  bois,  à  Batiz,dans  le  diocè.se  de 
Soissons.  Au  dix-septième  siècle,  les  religieuses ,  craignant 
les  horreurs  de  la  guerre,  vinrent  se  réfugier  à  Paris.  Aidées 
par  la  reine  Anne  d'Autriche,  elles  habitèi  ent  une  maison  de 
la  rue  de  Sèvres,  occupée  avant  elles  par  des  religieuses  an- 
nonciades,  et  à  laquelle  elles  donnèrent  leur  titre  d'Abbaye- 
au\-Bois,ainsi  que  le  roi  les  y  autorisa  en  16f>7.  L'église  ac- 
tuelle ne  fut  construite  qu'en  1718.  Après  la  Révolution  cette 
église,  quoique  petite  et  fort  simple,  iut  louée  par  la  ville  de 
Paris  et  érigée  en  paroisse  succursale  de  Saint-Thomas  d'A- 
quin.  En  1807  les  religieuses  de  la  congrégation  de  Notre- 
Dame  achetèrent  le  monastère  de  l'Abbaye-aux-Bois  et  toutes 
.ses  dépendances.  Elles  s'y  établirent  et  y  fondèrent  uu  pen- 
sionnat déjeunes  filles  qui  prospéra.  De  plus,  elles  ouvrirent 
une  école  gratuite  pour  les  enfants  pauvres  du  quartier.  En 
outre,  eJles  louèrent  les  bâtiments  extérieurs  à  des  dames 
désirant  vivre  dans  le  calme.  M™*Récamier  en  s'y  re- 
tirant augmenta  beaucoup  la  réputation  de  cette  maison , 
mi  elle  réunissait  une  société  choisie ,  une  sorte  de  cénacle 
littéraire,  dont  Chateaubriand  fut  l'oracle.  L'ancienne 
église,  devenue  chapelle  privée  des  religieuses, reçoit  aussi 
les  fidèles  depuis  la  fin  de  1858.  L.  L. 

ABBÉ,  de  l'hébreu  ah,  qui  signifie  père.  Dans  l'origine  un 
abbé  était  le  supérieur  d'un  monastère  de  religieux  érigé  en 
abbaye,  %o\X  qu'il  fût  le  fondateur  de  ce  monastère,  soit  qu'il 
eiUété  éluchefde  la  communauté  parles  moines  qui  la  compo- 
saient. Les  actes  des  conciles  et  les  capitulaires  de  Charle- 
lïiagne  avaient  voulu  que  tout  abbé  dépendît  de  son  évoque  ; 
mais  avec  le  temps  bon  nombre  d'abbés  réussirent  à  secouer  le 
joug  de  l'ordinaire.  Quelques-uns  ne  tardèrent  même  pas  à 
vouloir  marcher  les  égaux  de  ceux  qui  naguère  étaient  leurs 
supérieurs,  et  ils  se  parèrent  des  différents  insignes  de  l'épis- 
copat.  C'est  de  la  sorte  que  certains  abbés  portaient  la  mitre 
et  d'autres  la  crosse,  et  que  tous  finirent  pars'arroger  le  droit 
de  conférer  la  tonsure  et  les  ordres  mineurs.  Au  cinquième 
siècle,  en  France  et  en  Italie,  les  rois  et  les  grands,  tentés 
par  les  richesses  des  abbayes  ,  s'emparèrent  de  ces  établisse- 


ABUÉ  —  ABCÈS 


tiu-ntà  pieux ,  cl  siu  (ItVlarirent  nblws ,  afin  de  jouir  de 
leurs  revenus.  Malgré  les  eiïortsde  Dagobcrt,  de  Pépin  et 
de  Charieinainie ,  l'abus  se  perpétua  jusque  sous  les  rois  de 
la  troisième  race.  Cliarles  Martel  surtout  lit  de  nombreuses 
distributions  d'abbayes  à  ses  capitaines  et  à  ses  courtisans 
(  vo'jc:.  PrixaiueI.  Des  femmes  même  furent  déclarées 
titulaires  d'abbayes  d'hommes ,  et  on  vit  des  couvents  don- 
nés en  dot,  affectés  en  apanage  ,  en  douaire.  Hugues  Capet 
était  abbé  de  Saint-Denis  et  de  Saint-Martin  de  Tours.  Les 
rois  Philippe  V  et  Louis  YI,  et  ensuite  les  ducs  d'Orléans  , 
sont  appelés  abbcs  du  monasti^re  de  Saint- Agnan  d'Or- 
/fons.  Les  ducs  d'Aquitaine  prenaient  le  titre  d'fl&Mîrfe.Sa^>l^ 
HUaire  de  Potiiers;  les  comtes  d'Anjou  celui  d'abbés  de 
Saint-Atibin,  et  les  comtes  de  Vermandois  cehn  d'abbés 
de  Sain  t-Qiicntin .  Peu  à  peu  cependant  les  moines  secouèrent 
le  joug  de  ces  protecteurs  peu  désintéressés,  soit  en  rendant 
des  services  aux  princes,  soit  en  rachetant  leurs  abbayes  ;  et 
plus  tard,  par  le  concordat  conclu  entre  Léon  X  et  Fran- 
çois 1*%  le  droit  de  nommer  aux  abbayes  vacantes  fut  dévolu 
au  roi.  Il  y  eut  cependant  quelques  exceptions  faites  en  faveur 
des  moines  de  Cîteaux ,  des  Chartreux  et  des  Prémontrés. 

Aujourd'hui  le  titre  d'abbé  n'a  plus  en  France  le  sens  qu'on 
lui  donnait  autrefois  :  ce  n'est  plus  qu'une  appellation  hono- 
rifique commune  à  tous  ceux  qui  sont  engagés  dans  les  ordres, 
de  même  qu'en  Italie  le  titre  dUabbate  se  donne  à  tout  ce  qui 
«st  tonsuré. 

Avant  la  révolution  de  1789  la  ville  et  la  cour  pullulaient 
d'abbés,  qui  n'avaient  guère  d'ecclésiastique  que  l'extérieur. 
On  les  rencontrait  partout,  au  bal,  à  la  comédie  :  un  petit 
chapeau  à  cornes ,  un  habit  noir,  brun  ou  violet,  les  cheveux 
coupés  en  rond ,  tel  était  leur  costume.  C'étaient  le  plus  sou- 
vent des  cadets  de  familles  nobles  et  pauvres ,  quelquefois 
aussi  de  riches  roturiers ,  aspirant  les  uns  et  les  autres  à  de- 
venir abbés  commendataires. 

ABBESSE.  C'est  la  supérieure  d'un  monastère  de  reli- 
gieuses ,  ou  d'une  communauté.  Quoique  les  communautés  de 
vierges  vouées  à  Dieu  soient  plus  anciennes  dans  l'Église  que 
celles  de  moines,  l'institution  des  abbesses  est  néanmoins 
postérieure  à  celle  des  abbés.  Les  premières  vierges  qui  se 
consacrèrent  à  Dieu  demeuraient  dans  la  maison  paternelle. 
Au  sixième  siècle  elles  se  réunirent  dans  des  monastères; 
mais  elles  n'avaient  point  encore  alors  d'églises  particulières. 
Ce  ne  fut  qu'au  temps  de  saint  Grégoire  qu'elles  commen- 
cèrent à  en  avoir  dans  leurs  couvents. 

Les  abbesses  étaient  autrefois  élues  par  leurs  communau- 
tés; on  les  choisissait  parmi  les  plus  anciennes  et  les  pins  ca- 
pables de  gouverner  ;  elles  recevaient  la  bénédiction  de  l'é- 
vêque,  et  leur  autorité  était  perpétuelle.  Un  des  statuts  du 
concile  de  Trente  porte  que  celles  qu'on  élit  abbesses  doivent 
avoir  quarante  ans  d'âge  et  huit  ans  de  profession.  Le  père 
Martin,  dans  son  Traité  des  Rites  de  l'Eglise,  observe  que 
quelques  abbesses  confessaient  autrefois  leurs  religieuses; 
il  ajoute  que  leur  excessive  curiosité  les  porta  si  loin  qu'on 
fut  obligé  de  la  réprimer.  Les  confessions  dont  parle  ici  le 
père  Martin  n'étaient  point  sacramentales ,  et  devaient  se 
faire  en  outre  au  prêtre. 

ABBEVILLE,  ville  industrieuse  du  département  de  la 
Somme,  chef-lieu  d'arrondissement,  compte  une  population 
de  19,304  habitants.  Ce  n'était  dans  le  dixième  siècle  qu'une 
,  maison  de  campagne  appartenant  à  l'abbé  de  Saint-Riquier, 
que  Hugues  Capet  fit  fortilier  en  992  pour  la  préserver 
des  incursions  des  Normands.  On  y  voit  beaucoup  de  vieilles 
maisons  en  bois  fort  curieuses.  Le  portail  de  l'église  de 
Saint-Wulfran,  construit  sous  le  règne  de  Louis  XII  par 
les  soins  du  cardinal  Georges  d'Amboise,  est  vraiment  magni- 
fique. La  porte  en  bois  du  grand  portail  est  curieuse  par  ses 
sculptures.  On  évalue  à  treize  millions  de  francs  les  produits 
de  l'industried'Abbevilie,  qui  s'exerce  sur  une  fouled'arlicles, 
et  qui  a  pour  objet  principal  la  fabrication  des  draps  dits 
Van  Jlob'jis,  du   nom  d'un  fabricant  hollandais  que   les 


13 

oftrcs  de  Louis  XIV  attirèrent  et  fixèrent  en  France  au  dix- 
septième  siècle.  Le  canal  de  la  Somme  met  Abheville  en  com  • 
municaf  ion  avec  Amiens  et  avec  Saint-Valery,  et  permet  à  des 
bâtiments  de  100  tonneaux  de  venir  charger  sur  ses  quais. 
Le  chemin  de  fer  du  Nord  la  relie  d'un  côté  avec  Boulogne 
et  de  l'autre  avec  Amiens  et  Paris.  En  1832,  on  y  a  élevé  une 
statue  en  bronze  au  compo.sitcur  Lcsueur.  Z. 

ABBOT  (Charles).  Voyez  Coi.chester. 

ABBOTSFORD  (Domaine  d'),  situé  en  Ecosse ,  dans  le 
comté  de  Selkirk,  à  peu  de  distance  de  la  ville  du  même  nom, 
sur  les  bords  de  la  Tweed.  Walter  Scott  l'acheta  en  ISll, 
et  transforma  peu  à  peu  ce  vieux  manoir,  ancienne  abbaye, 
en  une  charmante  résidence,  placée  au  centre  d'un  lieau 
parc,  avec  une  riche  bibliothèque  et  de  précieuses  collec- 
tions de  tableaux,  d'antiquités,  etc.  Le  titre  de  "baronet  ac- 
cordé à  sa  famille  reposait  sur  ce  domaine,  et  s'éteignit  dès 
1847,  par  la  mort  de  son  fils  unique. 

ABBT  (Thomas),  né  le  25  novembre  1738,  à  Ulm,  fut 
nommé  en  1760  professeur  de  philosophie  à  Francfort  sur  l'O- 
der. C'est  là  qu'il  écrivit  sa  célèbre  dissertation  De  la  mort 
pour  la  patrie.  L'année  suivante  il  accepta  une  chaire  de  ma- 
thématiques à  Rinteln,  Au  retour  d'une  tournée  en  Suisse  et  en 
France,  il  publia  son  traité  Z)Mil/én^e,hvre  oîi  l'on  trouve  des 
pensées  élevées,  des  observations  pleines  de  finesse  et  une  ex- 
cellente philosophie  pratique.  Abbt  mourut  prématurément,  e.n 
1766  ;  ce  qu'il  a  laissé  le  fait  à  bon  droit  considérer  comme 
l'un  des  contemporains  de  Lessing  qui  ont  le  plus  contribué  à 
la  régéné^rationde  la  langue  etdelalittératuredes  Allemands. 

ABCÈS  (du  verbe  abscedere,  se  séparer,  s'écarter). 
C'est  ce  que  vulgairement  on  appelle  un  dépôt,  un  apos- 
tème.  —  On  dorme  le  nom  d'abcès  à  toute  collection  de  pus 
dans  les  substances  des  organes  :  les  collections  formées 
dans  les  cavités  naturelles  prennent  celui  d'épanchements. 

Les  abcès  se  forment  par  l'écartement  successif  des  lames 
de  tissu  cellulaire  entre  lesquelles  le  pus  se  rassemble.  L'in- 
llammation  est  la  cause  première  de  tous  les  abcès;  mais 
lorsque  cette  inflammation  est  vive ,  l'abcès  qui  en  résulte 
prend  le  nom  d'abcès  chaud;  si  l'inflammation  est  obscure, 
il  en  résulte  V  abcès  froid.  Enfin  lorsque  le  pus ,  formé  dans 
un  point  éloigné ,  s'accumule  dans  un  tissu  primitivement 
sain,  il  constitue  Fflôcès  par  congestion. 

On  trouve  des  abcès  dans  toutes  les  régions  du  corps , 
depuis  les  tissus  les  plus  simples ,  le  tissu  cellulaire ,  jusque 
dans  les  glandes ,  les  parenchymes ,  et  même  dans  la  pulpe 
cérébrale.  Le  plus  souvent  xm  abcès  est  imique ,  mais  quel- 
quefois des  abcès  se  succèdent  à  l'iniini.  Leur  volume  est 
tantôt  très-circonscrit ,  comme  dans  quelques  abcès  sous- 
cutanés;  tantôt  l'abcès  produit  une  vaste  collection  qui  se 
place  entre  les  muscles,  les  écarte,  déplace  les  vaisseaux,  dé- 
forme les  parties;  enfin  il  en  est.qui  ne  sont  circonscrits  que 
par  des  parois  osseuses. 

Dans  toute  espèce  d'abcès  il  se  présente  toujours  trois 
périodes  assez  distinctes  :  la  période  d'accroissement,  la  pé- 
riode d^'taf,  et  la  période  de  terminaison.  Le  diagnostic 
d'un  abcès  n'est  pas  toujours  facile  à  établir.  On  le  reconnaît 
surtout  au  mouvement  de  fluctuation  de  la  tumeur.  Les  abcès 
sont  d'autant  plus  graves  qu'ils  sont  moins  superficiels,  qu'ils 
atteignent  des  parties  plus  importantes  à  la  vie. 

Le  traitement  consiste  à  délivrer  la  partie  du  pus  qu'elle 
renferme,  à  favoriser  le  rapprochement  des  parois  de  la  poche 
et  leur  adhérence.  On  peut  favoriser  la  résorption  du  pus  au 
moyen  de  purgatifs,  de  diurétiques,  d'applications  astringen- 
tes, de  Irictions  stimulantes,  de  douches  salines,  sulfureuses 
employées  conjointement  aux  dérivatifs  intérieurs  ;  mais  ces 
moyens  sont  quelquefois  dangereux.  La  méthode  de  traite- 
ment la  plus  simple,  comme  la  plus  rationnelle,consiste  à 
combattre  la  formation  du  pu.ien  s'adressant  à  rinllanimation 
qui  en  est  la  cause.  Les  applications  érnoilienies ,  les  sai- 
gnées locales  sont  indiquées,  ainsi  que  la  saignée  générale, 
lorsqu'il  y  a  pléthore  du  sujet.  Le  pus  une  fois  formé,  il  faut 


14 

avoir  recours,  dans  la  plupart  des  cas ,  h  des  opérations  clii- 
rursicalcs,  qui  toutes  peuvent  ôtre  ramenées  à  l'incision,  à  la 
I>ondion  du  foyer  purulent,  et  encore  à  l'ouverture  de  ses 
parois  par  la  cautérisation  avec  le  fer  rouge  ou  la  potasse 
c^iustique.  Dans  tous  les  cas  on  doit  soumettre  au  repos  la 
partie  malade,  favoriser  la  position  déclive  en  formant  un 
plan  incliné  vers  le  tronc,  et  recouvrir  le  point  enflammé  de 
cataplasmes  éiiioUients  ou  de  compresses  trempées  dans 
une  décoction  mucilagineuse.  On  se  gardera  de  l'usage  des 
onguents  ou  eniplitres  dits  maturatifs,  dont  le  moindre  incon- 
vénient est  de  retarder  la  guérison. 

ABD ,  mot  arabe  qui  signilie  serviteur,  esclave,  dévoué, 
consacré,  et  (pii,  adopté  sous  le  môme  sens  dans  les  lan- 
gues persane  et  turcjuc  modernes,  ligure  en  tète  d'un  grand 
nond)re  de  noms  propres  suivi  de  l'article  al ,  el ,  er,  oui, 
ou  iil,  qui  repond  à  nos  articles,  le,  la,  du,  des,  de  la,  et 
qui  ne  varie  que  par  la  diversité  de  la  prononciation.  Les 
musulmans  lapplifpient  surtout  au  nom  de  Dieu,  ou  à  des 
attributs,  à  des  qualifications  qu'ils  donnent  à  la  Divinité. 
Ainsi  ils  disent  :  Abd-Allah,  ou  Abd-Oullah,  serviteur  de 
Dieu,  Abdcl-Kadcr,  Ahd-oul-Kerim ,  Abd-al- Melck, 
Abd-cl  ou  Abd-cr-nachid,  Abd-er-Rahman  (serviteur  ou 
esclave  du  puissant,  du  généreux,  durai,  dujuste ,  du 
miséricordieux).  En  cela,  et  malgré  la  défense  du  Coran, 
ils  imitent  les  anciens  peiq)Ies  idolâtres,  qui  donnaient  aussi 
à  leurs  enfants  des  noms  de  leurs  divinités,  précédés  du  même 
article,  tels  que  Abdenago ,  Abdolonyme ,  etc. 

C'est  ainsi  également  que  le  nom  àWbdal  ou  Abdalli  (con- 
sacré à  Dieu  ) ,  qui  sert  en  Perse  à  désigner  les  religieux,  ré- 
pond au  nom  de  derviche  chez  les  Turcs,  et  à  celui  de  moine 
cliez  les  cbrétiens.  On  comprend  sous  cette  dénomination  les' 
calenders,  les  bcktacliis  et  les  cadiris,qui,  menant  une  vie 
errante ,  vagabonde  et  souvent  dissolue ,  sont  peu  considérés 
des  Othomans,  parce  (pi'ils  ne  descendent  pas  des  deux  pre- 
mières congrégations  établies  du  vivant  de  Mahomet. 

Anu'ALLis  est  aussi  le  nom  d'une  tribu  d'Afglians,  qui  en- 
leva la  province  de  llérat  à  la  Perse,  en  1717,  et  la  conserva 
une  dizaine  d'années;  c'est  à  cette  tribu  qu'appartenait  la 
djTiastie  qui  a  régné  à  Kaboul,  Kandahar  et  llérat,  depuis  1747 
jusqu'à  nos  jours.   Voij.  Ait.uamstan.      II.  Aldiffret. 

ABD^VLLAII,  mot  à  mot  serviteur  de  Dieu.  Ainsi  s'ap- 
pelait le  père  de  Mahomet,  le  fondateur  de  l'islamisme;  et  ce 
nom  a  depuis  lors  été  porté  par  un  grand  nombre  de  parents 
et  de  compagnons  du  prophète.  11  n'a  pas  été  moins  fréquent 
parmi  les  khalifes  d'Asie  et  d'IIspagnc. 

ABD' ALLAII-BE.\-YASL\,  l'un  des  fondateurs  de 
la  secte  des  Almoravides,  en  Afrique,  et  des  précurseurs  de 
leur  [uiissance ,  était  im  simple  fakih  ou  docteur  du  royaume 
de  IVz.  Ayant  suivi,  dans  un  voyage  à  la  Meccjue,  l'Arabe 
Djauliar,  qui  voulait  répandre  l'instruction  dans  sa  tribu  de 
Goudala,  ils  y  furent  reçus  à  leur  retour  avec  enthousiasme, 
donnèrent  aux  Goudaliens  le  nom  de  Morabethoxim  (voués 
aux  exercices  de  la  religion  ) ,  dont  sont  venus ,  par  altéra- 
tion, ceux iWilmor avides  eldeMarabotit.  Abd'Allah 
profita  de  ce  succès  pour  soumettre  plusieurs  autres  tribus 
berbères,  et  subjugua  la  Mauritanie.  11  périt  dansun  combat 
en  105S,  et  eut  pour  successeur  Abou-Dekr-bcn-Omar,  qui 
recula  les  bornes  du  nouvel  État.  II.  Aunn  iuet. 

ABD'ALLATillF.  L'hi.sloire  arabe  présente  plusieurs 
personnages  célèbres  de  ce  nom. 

ABD'ALLATllll"  (Mowaf/ek-Eddyn),  historien  arabe,  né 
h  Bagdad,  l'an  lioi  de  J.-C,  étudia  plusieurs  sciences,  entre 
autres  la  médecine,  qu'il  professa  jusqu'en  1185;  il  quitta 
alors  .sa  patrie,  et,  encouragé  par  la  bienveillance  du  sultan 
Saladin,  il  eut  les  moyens  d'entreprendre  de  longs  et  pénibles 
voyages ,  et  d'en  publier  les  résultats.  Il  revenait  à  Bagdad , 
lorsqu'il  fut  surpris  par  la  moit,  en  1 231 .  Les  deux  principaux 
ouvrages  de  ce  savant  sont  :  l°  une  Description  de  VLgypte, 
dont  les  biographes  arabes  ne  nous  ont  conservé  que  le  titre, 
et  oii  l'auteur,  rapportant  ce  qu'il  avait  vu  dans  cette  contrée, 


ABCÈS  —  ABD-EL-KADER 


I  citait  aussi  les  écrivains  remarquables  qui  en  avaient  parlé 
avant  lui  ;  2°  un  autre  ouvrage  sur  l'Egypte ,  qui ,  suivant  la 
préface,  n'est  qu'un  abrégé  du  premier;  il  a  été  publié  en 
arabe  et  en  latin  par  sir  Jos.  White  (Oxford,  1800);  et  Sil- 
vestre  de  Sacy  ena  donné  une  traduction  française  (Paris, 
1810,  in-S"). 

ABD'ALLATHIF,  arrièrc-petit-filsdeTamerlan,  conduisait 
à  Samarkand  les  restes  de  son  aïeul  Chah-Rokh ,  lorsqu'il  fut 
arrêté,  en  l'»48,  par  ordre  de  son  cousin  Ala-Eddaulah,  qui 
venait  de  .s'emparer  du  Khorassan,  où  avait  régné  le  monarque 
défunt.  11  fut  mis  en  liberté  par  les  négociations  de  son  père 
Oulough-Bey,  souverain  de  Samarkand,  qui ,  tiyant chassé 
l'usurpateur  du  Khorassan,  y  laissa  pour  gouverneur  Abd'- 
Allathif.  Mais  l'ingrat  se  révolta  bientôt  contre  son  père,  le 
lit  prisonnier,  le  livra  à  la  vengeance  d'un  homme  dont  Ou- 
lough-Bey avait  autrefois  fait  périr  le  père,  et  s'empara  du 
trône  de  Samarkand,  en  l-iiO,  après  avoir  aussi  sacrifié  son 
frère  Abd-el-Aziz  à  .son  ambition.  Il  avait  du  courage,  de  l'es- 
prit, des  talents,  et  sut  tenir  en  respect  les  Ouzbeks.  Mais 
bourrelé  par  les  remords ,  et  répétant  sans  cesse  un  vers  per- 
san qui  dit  qu'un  parricide  est  indigne  du  trône,  ou  ne  peut 
l'occuper  que  six  mois,  il  fut  en  effet  assassiné  par  des  esclaves 
de  son  père ,  après  un  règne  de  six  mois ,  et  sa  tète  fut  placée 
sur  la  porte  d'un  collège  fondé  par  Oulough-Bey,  à  Samar- 
kand. 

ABD'ALLATHIF,  fds  d'Ibrahim ,  khan  de  Kasan ,  mort  en 
146S,  ne  monta  sur  le  trône  qu'en  1495,  après  la  mort  d'un 
de  ses  frères  et  la  déposition  de  l'autre,  et  par  la  protection  des 
Russes,  chez  qui  il  s'était  réfugié  avec  sa  mère.  Ce  royaume, 
démembré  de  l'empire  mongol  du  Kaptchak ,  était  alors  vas- 
sal de  la  Pii'ssie,  dont  il  est  depuis  devenu  une  province.  Après 
avoir  soutenu  Abd'Allathif  contre  les  factions ,  les  Russes  le 
déposèrent  en  1 502,  et  ne  le  replacèrent  sur  le  trône  qu'en  1516, 
après  la  mort  de  son  frère  Mohammed-Amin ,  qu'ils  y  avaient 
rétabli.  11  mourut  lui-même  en  1518. 

ABD'ALLATHIF,  khan  ouzbek  de  la  grande Boukharie , 
succéda,  en  1541, àson  père  Abd'Allah, fit  la  paixaveclesPer- 
sans  l'année  suivante,  et  mourut  en  1542.      H.  Aldiffret. 

ABDALONlTiîE ,  descendant  des  rois  de  Sidon,  fut 
élevé  dans  une  telle  obscurité  qu'il  cultivait  un  jardin  pour 
fournir  aux  besoins  de  son  existence.  Quand  Alexandre  le 
Grand  prit  la  ville  de  Sidon ,  il  récompensa  les  vertus  d'Abr 
dalonyme  en  le  replaçant  sur  le  trône  de  ses  pères  et  en  aug- 
mentant ses  États  d'une  partie  des  dépouilles  des  Perses. 

ABD-EL-IîADER,  le  plus  redoutable  adversaire  que 
nos  armes  aient  encore  rencontré  en  Algérie,  et  après  Méhé- 
raet-Ali  l'homme  le  plus  remarquable  et  le  plus  important 
qui  ait  surgi  depuis  un  siècle  au  milieu  des  populations  faisant 
profession  de  l'islamisme,  est  né  vers  la  (in  de  1806  ou  au 
commencement  de  1807,  à  la  ghctna  de  .son  père,  située  à 
16  kilomètres  ouest  de  Mascara,  sur  l'Oued-ei-Haraan  {ri- 
vière des  bains).  Cette  ghetna  (lieu  de  retraite,  hôtel- 
lerie, université)  des  Ouled-Sidi-Kada-ben-Mokhtar,  frac- 
tion de  la  grande  tribu  des  Hachems ,  était  la  plus  riche 
de  la  contrée,  et  y  avait  une  importance  immense  depuis  le 
seizième  siècle  de  notre  ère.  En  1830  elle  se  composait  en- 
core de  cinq  cents  maisons,  tentes  ou  cabanes,  renfermant 
cinq  cents  familles,  serviteurs,  disciples  ou  inlirmes  nourris 
et  hébergés  par  le  chef  de  la  ghetna.  Tous  les  marabouts,  ta- 
lebs,  docteurs  et  autres  gens  influents  de  la  province  d'O- 
ran,  venaient  depuis  trois  siècles  y  faire  leur  éducation.  Le 
père  d'Abd-el-Kader,  Sidi-el-Iladji-Mahiddine  (  le  seigneur 
pèlerin  vivificateur  de  la  religion  ),  mort  en  1834,  jouis- 
sait comme  marabout  d'ime  grande  réputation  de  sainteté  et, 
par  suite,  d'une  grande  influence  parmi  les  gens  de  sa  tribu, 
et  il  transmit  l'une  et  l'autre  à  son  fils.  Sidi-el-Hadji-Mahid- 
dine  appartenait  h  une  famille  de  marabouts  qui  faisait  re- 
monter son  origine  jusqu'aux  khalifes  fatliimides,  et  il  avait 
épousé  Zora,  femme  d'une  grande  énergie  de  caractère,  d'un 
esprit  cultivé,  et  jouissant  aussi  dans  sa  tribu  d'une  grande 


AUD-EL-KADER 


15 


r»?pufatijn  Je  saintelé.  Abd-el-Kadcr  n'avait  que  huit  ans 
lorsqu'il  lit  avec  son  ih'tc  le  pèlerinage  de  la  Mecque,  et  c'est 
à  cette  circonstance  qu'il  est  redevable  du  surnom  de  pèlerin 
(  sidi-el-lIadji-Abd-el-Kader,  le  scigi^cur  pèlerin  serviteur 
du  Tou(-Puissaut)  qui  précède  son  nom. 

En  1 S27  Abtl-el-Kader  accompagna  son  père  en  Egypte ,  et 
le  séjour  qu'il  eut  alors  occasion  de  faire  au  Caire  et  à  Alexan- 
drie le  mit  pour  la  première  fois  en  contact  avec  les  éléments 
de  la  civilisation  euroi)éenne.  Au  reste,  son  esprit  est  beau- 
coup plus  cultivé  qu'on  ne  serait  tenté  de  le  penser.  11  a  en 
elTet  étudié  à  Fez  avec  succès  les  sciences  et  riiistoire;  ses 
progrès  dans  les  lettres  ont  été  grands  et  rapides ,  et  on  en  a 
la  preuve  dans  un  recueil  de  mélanges  hi.storiques  et  poéti- 
ques assez  remarquable  dont  il  a  enrichi  la  littérature  arabe. 
Devenu  suspect  à  Husséin-Pacha ,  l'ex-dey  d'Alger  dont  nos 
armes  brisèrent  la  puissance  en  1830,  précisément  à  cause  de 
.«es  écrits  et  des  hautes  facultés  intellectuelles  qu'ils  annon- 
çaient ,  il  faillit  payer  de  la  \ie  sa  gloire  et  sa  réputation  nais- 
s<mtes;  cm  Husséin-Pacha  chargea  un  beau  jour  le  bey  d'O- 
ran  de  lui  envoyer  la  tète  d'Abd-ei-Kader  et  celle  de  son  père. 
Grâce  aux  avis  secrets  que  lui  firent  tenir  h  temps-deux  aghas 
du  bey,  dont  l'un,  iMustapha-ben-lsniael,  estdevenude- 
puis  notre  allié  fidèle  et  l'un  de  nos  plus  braves  généraux , 
Sidi-cl-Hadji-Mahiddin  et  son  fils  purent  échapper  à  ce  dan- 
ger et  se  condamner  à  un  exil  volontaire  dans  les  contrées 
de  l'est.  C'est  à  cette  circonstance  que  se  rattache  le  séjour 
qu'a  fait  Abd-el-Kaderen  Egypte.  11  en  profita  pour  aller  une 
seconde  fois  visiter  le  tombeau  du  Prophète  à  la  Mecque  ; 
pieux  pèlerinage  qui  ajouta  encore  à  la  réputation  de  sain- 
teté dont  il  jouissait  dès  lors  et  qui  ne  pouvait  que  pré- 
parer sa  future  omnipotence  parmi  ses  compatriotes. 

Au  retour  d'Abd-el-Kader  et  de  son  père  en  Algérie ,  Al- 
ger était  pris  par  les  Français  et  la  puissance  des  Turcs  sur 
la  contrée  à  jamais  détruite.  Les  tribus  arabes  des  environs 
(l'Oran  virent  dans  cette  révolution  si  peu  prévue  une  occa- 
sion favorable  pour  recouvrer  leur  indépendance.  Mahiddine 
prêcha  la  guerre  sainte  et  vit  accourir  sous  son  gozim  (dra- 
peau )  une  masse  considérable  de  partisans  à  la  tète  desquels 
il  s'empara  de  Mascara ,  après  avoir  battu  la  garnison  turque 
qui  occupait  cette  place.  Les  habitants  de  Mascara  voulurent 
l'éUre  pour  leur  souverain;  mais  ^îahiddine  déclina  cet  hon- 
neur pour  le  faire  offrir  à  son  fils  Abd-el-Kader,  qui  effecti- 
vement fut  alors  salué  du  titre  d'émir  par  toutes  les  popu- 
lations soulevées  au  nom  de  l'indépendance  nationale.  Les 
tribus  voisines  devaient  acclamer  l'une  après  l'autre  le  chef 
(pie  l'islamisme  et  la  nationalité  arabes  venaient  de  se  don- 
ner ;  et  le  jour  vint  où  de  proche  en  proche  l'autorité  d'Abd- 
el-Kader,  d'abord  limitée  aux  environs  de  Mascara,  fut  recon- 
nue jusqu'aux  limites  du  Grand  Désert. 

La  première  tentative  de  quelque  portée  qu'essayèrent  les 
tribus  rangées  sous  les  ordresd'Abd-el-Kader  fut  dirigée  contre 
Oran,  que  nos  troupes,  commandées  alors  par  le  général  Boyer , 
occupaient  pour  la  deuxième  fois.  Peu  s'en  fallut  que  le  fort 
Saint-Philippe  ne  tombât  au  pouvoir  de  ces  Arabes  fanatisés 
(  journées  du  2  et  du  9  mai  1832  ).  Au  plus  fort  de  la  mê- 
lée Abd-el-Kader  eut  dans  cette  affaire  un  cheval  tué  sous 
lui.  L'insuccès  des  Arabes,  qui,  vigoureusement  repoussés, 
durent  finir  par  battre  en  retraite,  fit  comprendre  aux  chefs 
des  diverses  tribus  ralliées  contre  la  domination  française  la 
nécessité  d'organiser  la  guerre  et  de  centraliser  les  efforts 
communs  sous  une  direction  unique.  On  songea  d'abord  à 
placer  l'indépendance  nationale  sous  la  protection  et  le  nom 
de  l'empereur  de  Maroc  ftiuley-Abd-el-rdiaman  (  esclave  du 
miséricordieux),  en  lui  demandant  un  de  ses  lieutenaats 
pour  chef.  Ben-Nouna  gouverna  donc  à  Tlemcen  au  nom  de 
l'empereur  de  Maroc,  et  El-Cheriff-el-Monali  à  Médéah,  centre 
delà  province  de  Tiltcry.  Hadji-Ahmed-Bey  gouvernait 
d'ailleurs  toujours  la  province  de  Constantine  au  nom  du 
.sultan  de  Constanlin()i)le.  Mais  la  France  réclama  contre 
les  usuriialions  en  Al^^éric  de  rcnqKreur  de  Maroc,  qui 


finit  par  obéir  aux  injonctions  éncrgiipics  de  notre  envoyé, 
tout  en  substituant  à  ses  lieulcnanls  Abd-el-Kader  avec 
le  titre  de  khalife.  Ceci  se  passait  en  novembre  1832.  Afin 
de  donner  plus  de  crédit  à  cette  nouvelle  investiture ,  on 
fit  un  simulacre  d'élection  àErsebia,  près  de  Tlemcen.  L'or- 
ganisation immédiate  des  tribus  qui  l'avaient  reconnu 
suivit  son  avènement  ;  et ,  agrandissant  peu  à  peu  le  cercle 
du  pays  assujetti  à  ses  lois ,  il  soumit  au  commencement 
de  l'année  1 833  les  tribus  de  la  Mina  et  du  Chéliff.  En  avril  et 
mai  eurent  lieu  nos  deux  expéditions  d'Arzewetde  Mos- 
taganem.  Quelques  affaires  sanglantes  contrv^  nos  troiqies 
commandées  par  le  général  De.smichels  amenèrent ,  en 
avril  1834,  la  conclusion  du  traité  connu  dans  l'histoire  do 
noire  domination  en  Algérie  sous  le  nom  de  traité  Desmi- 
chels.  Cette  trêve  passagère  fournit  à  Abd-el-Kader  les 
moyens  d'étendre  de  plus  en  plus  son  autorité  sur  la  rive 
gauche  du  Chéliff  et  de  se  débarrasser  des  divers  compéti- 
teurs qui  essayaient  de  lui  disputer  l'infiuence  suprême  sur 
les  tribus  du  désert,  notamment  son  vieil  adversaire  Musta- 
pha-Ben-lsmael,  ancien  agha  d'Oran,  et  Moussa-el-Darkoui, 
l'un  des  chefs  les  plus  importants  du  Sahara.  La  victoire 
qu'il  remporta  sur  ce  dernier  lui  ouvrit  les  portes  de  Milia- 
nah  et  de  Médéah,  où  il  fut  reçu  avec  enthousiasme.  Toutes 
les  villes  et  toutes  les  tribus  des  provinces  d'Oran  et  deTit- 
tery  lui  donnèrent  alors  le  titre  de  sultan,  et  les  plus  éloignées 
lui  envoyèrent  des  dépuîations  avec  de  riches  présents.  Tout 
en  fondant  ainsi  peu  à  peu  un  empire  redoutable  dans 
l'inférieur  de  l'Algérie ,  Abd-el-Kader  eut  l'art  de  persua- 
der pendant  quelque  temps  au  gouverneur  général  comte 
Drouetd'Erlon  que  son  but  unique  était  de  préparer 
ainsi  les  différentes  tribus  à  accepter  la  souveraineté  de 
la  France  et  d'ouvrir  les  voies  a  la  civilisation  française. 
Les  fusils  dont  le  gouverneur  général  lui  fit  pré.sent  lui 
servirent  à  armer  de  nouvelles  troupes ,  qui  plus  tard  de- 
vaient former  le  noyau  de  son  armée ,  et  que  des  renégats  so 
chargèrent  de  dresser  à  la  tactique  et  à  la  discipline  euro- 
péennes. Les  opérations  entreprises  bientôt  après  par  le  gé- 
néral Trézel,  qui  avait  succédé  au  général  Desmichels  dans 
le  commandement  de  la  province  d'Oran,  et  qui  avait  à 
cœur  de  détruire  les  inconvénients  produits  par  le  traité  au- 
quel son  prédécesseur  avait  donné  son  nom,  amenèrent  la 
reprise  des  hostilités  et  fournirent  à  Abd-el-Kader  l'occasion 
d'appeler  tous  les  musulmans  à  la  guerre  sainte.  Le  général 
Trézel'Vient  aussitôt  prendre  position  sur  le  Tlélat.  Pendant 
la  nuit  des  coups  de  fusil  sont  tirés  sur  nos  sentinelles.  Le 
lendemain  le  généial  Trézel  marche  sur  Mascara;  mais  les 
difficultés  qu'il  rencontre  à  chaque  pas  le  déterminent  à  ré- 
trograder. Le  27.  juin  un  combat  acharne  s'engage  dans  la 
lorôt  Muley-lsmael;  nous  en  sortons  vainqueurs,  mais  non 
sans  avoir  éprouvé  de  grandes  pertes.  Le  lendemain  28 
notre  corps  expéditionnaire,  fort  encore  de  1 ,800  hommes  et 
arrivé  sur  les  rives  de  la  Rïacta,  y  reçoit  le  choc  de  toutes  les 
forces  d!.sponibles  de  l'émir,  lequel  ne  complaît  pas  moins 
de  20,000  cavaliers  sous  ses  ordres.  Nous  y  perdons  le  tiers 
de  nos  braves  soldats,  l'ambulance  et  tous  nos  bagages  ;  et 
ce  désastre  déplorable,  exagéré  encore  par  la  renommée,  pro- 
duit sur  l'esprit  des  populations  indigènes  un  efiet  double- 
ment funeste  à  notre  puissance  et  au  prestige  de  nos  armes, 
en  même  temps  qu'il  est  pour  les  Arabes  une  preuve  nou- 
velle de  la  mis.sion  divine  d'Abd-cI-Kader. 

Apr.'S  l'affaire  de  la  Mac  ta,  le  but  de  tous  les  efforts  de 
l'émir  lut  de  provoquer  une  insiirreciion  générale  de  toutes 
les  tribus  habitant  les  deux  versants  de  l'Atlas,  deijuisla  fron- 
tière du  r.îaioc jusqu'à  Alger,  contre  la  domination  française, 
et ,  par  l'interception  de  toutes  les  communications,  de  rendre 
impossible  l'approvisionnement  de  nos  différents  corps  d'ar- 
mée, tactique  qui  n'empêcha  pourtant  pas  Abd-el-Kader  d'a- 
dresser de  nouvelles  propositions  de  paix  au  général  Drouet 
d'Erlon;  mais  la  France  voulait  une  vengeance,  et  le  maré- 
chal C I  a  u  z  e  I,  nommé  sur  ces  entrefaites  gouverneur  général. 


16 


ABD-EL-KADER 


répoiiilil  aux  avances  de  l'émir  par  rexpéilition  de  Mascara, 
centre  de  sa  ]iuissance  et  sa  l)ase  d'()i»érations  (7  décembre 
1935).  Cette e^p('^lilion  porta  un  coup  terrible  à  sa  puissance, 
elle  mit  à  deux  doigts  de  sa[ierte.  Malbeurcnsemenl  le  ma- 
réclial  n'avait  pu  l'entreprendre  (pi'avec  un  corps  de  1 1 ,000 
lioinmes.  11  réussit  bien  à  s'emparer  de  Mascara  malgré  la 
résistance  désespérée  des  Arabes;  mais  il  comprit  qu'avec  le 
faible  effectif  (piil  avait  à  sa  disposition  il  ne  pouvait  songer 
às'établird'une  maniinMlelinilive  dans  cette  importante  posi- 
tion. .\ussi  se  décida-t-il  à  l'évacuer  après  l'avoir  préalable- 
ment incendiée.  Le  résultat  de  l'expédition  de  Mascara  fut 
donc  en  délinitive  négatif,  et  Abd-el-Kader  eut  bientôt  ra- 
mené sous  ses  draiieaux  les  difl'érentcs  tribus  que  les  pre- 
miers succès  obtenus  par  le  marécbal  Clauzel  avaient  déta- 
cliécs  de  ses  intérêts.  Alors  commença  tntre  nos  troupes  et 
relli's  de  l'émir  une  suite  incessante  de  combats,  d'escar- 
mouches et  de  siirjjrises ;  rencontres  toujours  nieuvtriéies 
dans  lesquelles  nos  troupes  finissaient  par  avoir  le  dessus, 
mais  (pii  leur  imposaient  des  marcbes  Jorcées  et  des  priva- 
tions sans  nombre,  sansjamaisla.sser  leur  patiente  abnégation 
ni  leur  héroïque  courage,  et  n'amenaient  f^ière  daulre  résultat 
que  de  les  rendre  maîtresses  du  champ  de  bataille,  toujours 
clièrement  disputé.  Nous  n'essayerons  pasde  narrer  ici  en  dé- 
tail ces  marclies  et  contre-marches  si  compliquées,  et  nous 
nous  bornerons  à  mentionner  la  nouvelle  expédition  entre- 
prise sur  TIcmcen  en  janvier  183C  parle  maréchal  Clauzel 
à  l'elTet  d'aller  reconnaître  la  route  de  la  Tafiia;  expédition 
(Luis  laijuelle  tous  ses  efforts  pour  rompre  la  ligue  défensive 
d'Abd-el-Kader  furent  inutiles,  et  qui  eut  un  résultat  poli- 
tique vraiment  désastreux,  parce  qu'elle  réhabilita  l'émir 
chez  les  Kabyles  de  la  province  de  TIemcen.  Au  mois  d'avril 
suivant  le  général  d'Arlanges,  parti  d'Oran  à  la  tète  de 
trois  mille  honunes  pour  aller  installer  un  camp  sur  la  Tafna, 
se  trouva  le  25,  à  la  suite  d'une  reconnaissance  qu'il  avait 
tentée  du  coté  de  la  mosquée  de  Sidi-Yagoub ,  placé  dans 
la  position  la  i)lus  critique,  et  se  vit  contraint  de  se  replier 
avec  des  pertes  considérables  vers  le  camp  de  la  Tafna, 
qui  n'était  encore  qu'une  vaste  plage  ouverte  et  dominée  de 
tous  côtés.  Pendant  six  semaines  son  corps  d'armée,  réduit 
aux  abois,  lutta  avec  un  courage  incroyable  contre  des  forces 
supérieures  en  nombre  et  dont  les  succès  accroissaient  Tau- 
dacc,  jusqu'au  moment  où  le  général  Bugeaud  vint  à  la  tète 
de  4,000  honunes  de  renfort  le  débloquer.  Un  combat  impor- 
tant livré,  le  7  juillet,  sur  la  S  i k  a  k  et  dans  lequell'émir  perdit 
ime  partie  de  ses  fantassins  réguliers,  dont  loOO  restèrent  en 
notre  pouvoir,  eut  pour  Abd-el-Kader  les  suites  les  plus  fâ- 
cheuses, parce  que  le  charme  qui  s'attachait  naguère  encore  à 
ses  armes  se  trouva  rompu,  et  que  dès  lors  ses  soldats,  démo- 
ralisés, n'osèrent  plus  tenir  tète  à  nos  régiments;  d'où  il  ré- 
sulta (pie  l'émir  ne  put  plus,  dans  la  seconde  moitié  de  cette 
année  1830,  déployer  dans  laguerrequ'il  soutenait  contre  nous 
cefte  énergie  et  cette  audace  qui  en  avaient  marqué  les  pre- 
mières entreprises.  Abd-el-Kader  comprit  alors  combien  il 
lui  inq>ortait  de  donner  une  base  pins  solide  à  ses  opérations 
en  organisant  un  système  général  de  défense  et  d'attaque 
pour  les  tribus  rangées  sous  ses  ordres,  en  même  temps 
qu'il  relevait  les  ruines  de  Tagdenqtt  et  qu'il  faisait  désormais 
de  celte  place  fortifiée  avec  soin  le  siège  de  son  gouverne- 
ment et  le  grand  centre  de  ses  approvisionnements  de  tout 
genre. 

C'est  sur  ces  entrefaites  que  le  gouvernement  français  se 
décida  à  entreprendre  l'expédition  de  Constanline.  Une  fois 
résolu  de  tenter  la  coniiuète  de  cette  ville  importante  et  la 
soumission  de  la  province  dont  elle  est  la  capitale,  il  lui  iiii- 
portait  de  n'avoir  à  redouter  aucune  diversion  à  l'ouest  de 
la  régence.  Tel  fut  le  motif  qui  porta  la  France  à  négocier  et 
à  signer,  le  3  mai  1837,  le  traité  de  la  Tafna,  qui" grandit 
considérablement  l'importance  d'Abd-el-Kader,  tout  en  lui 
imposant  une  espèce  de  recomiaissance  de  la  souveraineté 
nominale  de  la  France .  pane  ipi'il  lui  rdjandonnait  i;n  (\to:[ 


de  souveraineté  réelle  sur  tonte  la  partie  de  territoire  qui 
n'était  pas  l'objet  de  réserves  expresses. 

Abd-el-Ka«^lersut  avec  une  habileté  extrême  mettre  à  profit 
la  liber'é  d'action  et  la  tranquillité  que  lui  assurait  cette  paix, 
pour  améliorer  l'organisation  intérieure  de  ses  tribus  et  se 
préparer  les  moyens  de  recommencer  la  lutte  avec  une  nou- 
velle énergie  quand  le  moment  favorable  s'en  présenterait.  Il 
s'attacha  surtout  à  rendre  plus  indissolubles  encore  les  liens 
qui  unissaient  les  diverses  tribusà  sa  cause,  à  se  créerde  nou- 
veaux partisans  i)armi  les  Bédouins  du  Sahara,  à  nouer  de 
secrètes  intelligences  avec  les  tribus  placées  immédiatement 
sous  la  domination  fr.inçaise,  à  réunir  de  grands  approvision- 
nements de  vivres  et  de  munitions,  et  enfin  à  créer  des  trou- 
pes régulières;  tikhe  dans  l'accomplissemenl  de  la(pielle  il 
fut  puissamment  secondé  par  un  grand  nombre  de  déserteurs, 
qui  se  chargèrent  d'apprendre  à  son  monde  les  arts  et  les 
métiers  nécessaires  pour  la  fabrication  des  armes  et  autres 
matériaux  de  guerre.  D'ailleurs  une  clause  formelle  du  traité 
de  la  Tafna  lui  concédait  formellement  le  droit  de  se  procu- 
rer par  l'intermédiaire  du  commerce  françiais  tout  le  matériel 
et  toutes  les  munitions  de  guerre  dont  il  aurait  besoin  ;  et 
il  ne  se  fit  pas  faute  d'en  user  largement.  Non  content  de 
cela,  il  en  fit  mônieaclieteren  Angleterre  par  la  voie  du  Ma- 
roc; commerce  interlope  favorisé  par  les  autorités  marocaines, 
avec  lesquelles  il  n'avait  jamais  cessé  d'être  en  bonne  intel- 
ligence. Pendant  ce  temps-là  il  inondait  le  territoire  occupé 
par  les  Franç-ais  d'espions  chargés  de  l'instruire  exactement 
de  tout  ce  qui  s'y  passait,  comme  aussi  de  donner  autant 
que  possible  aux  autorités  fran(;aises  le  change  sur  ses  véri- 
tables intentions  et  sur  ses  actions.  C'est  dans  ce  but  que 
vers  le  milieu  de  1838  il  envoya  à  Paris  Miloud-ben-Arafch 
comme  son  représentant. 

La  paix  signée  sur  les  rives  de  la  Tafna  dura  à  peu  près  deux 
ans.  Elle  stipulait  que  l'ancien  beylik  de  Titlery  était  réservé 
à  l'émir;  mais  les  limites  précises  de  ce  territoire  n'avaient 
pas  encore  été  bien  déterminées.  Quand  on  recourut  à  la  no- 
toriété pour  les  définir,  nous  prétendîmes  que  le  Biban  faisait 
partie  cle  la  province  de  Constantine,  tandis  que  l'émir  sou- 
tenait qu'il  rentrait  dans  les  attributions  du  beylik  de  Tit- 
tery.  On  ne  s'entendit  pas ,  et  la  guerre  recommença  pour 
durer  sept annéessansinlerriiption,  el  finir  parle  seulévéne- 
mentqui  pût  amener  ce  résultat,  |iar  la  soumission  d'Abd-el- 
Kader.  L'expédition  entreprise  au  mois  d'octobre  1839,  de 
Constantine  au  défilé  des  l^ortcs  de  Fer,  parle  maréchal  Valée 
et  le  duc  d'Orléans,  fournit  à  l'émir ,  qui  prétendit  que  son 
territoire  avait  été  violé,  le  prétexte  de  la  reprise  des  hostilités. 

De  part  et  d'autre  la  lutte  fut  vive  et  acharnée  ;  et  bon 
nombre  d'affaires  sanglantes  prouvèrent  combien  les  efforts 
d'Abd-el-Kader  pour  se  créer  une  armée  régulière  avaient  été 
bien  dirigés.  Nos  troupes  livrèrent  d'admirables  combats  pour 
des  résultats  médiocres.  Après  une  bataille  livrée  au  col  de 
Mouzaia,  où  la  victoire  fut  longtemps  disputée,  elles  s'em- 
parèrent, le  15  mai  1 840,  de  Médéah,  et  au  mois  de  juin  suivant 
de  Milianah.  Mais  l'occupation  de  ces  deux  places  fut  l'unique 
résultat  de  cette  laborieuse  campagne  du  printemps  de  18i0, 
et  les  garnisons  qu'on  y  laissa  s'y  trouvèrent  bientôt  étroite- 
ment bloquées.  Tous  les  points  occupés  sur  la  côte  étaient  à 
peu  près  dans  la  même  situation.  On  ne  pouvait  aller  à  une 
demi-lieue  d'Alger  sans  exposer  sa  tête.  Les  habitants  de  cette 
ville  ne  communiiiuaient  plus  avec  ceux  de  Biidah  qu'une 
fois  par  semaine,  et  encore  seulement  sous  l'escorte  d'une 
colonne  de  1,500  à  2,000  hommes.  On  en  était  venu  à  la  fin  de 
1S40  à  croire  qu'il  n'était  possible  de  dominer  le  pays  et 
d'assurer  les  communications  qu'en  multipliant  partout  les 
camps,  les  redoutes ,  les  blockhaus. 

Avec  la  guerre  à  pas  de  tortue  faite  jusqu'à  la  fin  de  1840 
en  Algérie  on  ne  pouvait  ni  détruire  les  forces  de  l'ennemi 
ni  atteindre  les  intérêts  des  populations.  Celles-ci  s'ouvraient 
devant  nos  colonnes  expéditionnaires  :  les  familles,  les  trou- 
l'eaux,  étaient  réunis  sur  le  côté  pendant  que  les  guerriers 


ABDEL-KADER 


17 


linrcolaient  l'armée.  Les  vivres  une  fois  épuisés,  on  revenait 
au  point  Je  tlépart  par  la  nu^me  roule ,  toujours  avec  aciom- 
pagnenient  de  coups  de  fusil.  Les  tribus  reprenaient  leur 
place;  il  n'y  avait  rien  de  ù\\l.  Cette  manière  d'opérer  a  été 
comparée  avec  raison  au  sillage  d'un  vaisseau  ,  qui  s'efface 
bientôt  par  le  mouvement  des  vagues  et  qui  ne  laisse  aucune 
trace. 

Tel  était  l'état  des  choses  lorsque  le  général  Buge  au  d  fut 
nommé  gouverneur  général  en  remplacement  du  maréciial 
Valée  (  février  1 S4 1  ).  C'est  à  lui  qu'était  réservée  la  gloire  de 
modifier  profondément  un  système  grâce  auquel  on  en  était 
venu  à  avouer  tacitement  qu'on  se  reconnaissait  impuissant 
contre  les  indigènes.  Ses  instructions  lui  imposaient  l'obliga- 
tion de  construire  le  fameux  obstacle  continu,  pour  cou- 
vrir la  plaine  de  la  Métidja,  de  poursuivre  en  avant  une 
guerre  active,  et  de  commencer  la  colonisolion.  Ce  sera  un 
éiemel  honneur  pour  sa  mémoire  que  de  n'avoir  attaclié 
d'importance  qu'à  la  partie  dos  instructions  ministérielles 
qui  lui  enjoignaient  d'imprimer  une  grande  activité  aux 
opérations  ofTensives  de  la  guerre.  Tout  d'abord  il  supprima 
presque  partout  les  camps  et  les  postes  retranchés ,  afin 
de  rendre  à  la  mobilité  les  troupes  qui  les  occupaient. 
Dans  la  composition  des  colonnes,  il  supprima  les  canons  de 
campagneettoutequipagerouIant.il  n'yadmit  que  l'artillerie 
de  montagne  à  dos  de  mulet ,  et  des  l)ôtes  de  sou; me  pour  le 
transport  des  vivres,  des  malades  et  dos  blessés.  Ces  équipages 
de  mulets  de  bât,  successivement  portes  à  un  très-b.aut  deg:é 
de  perfection ,  contribuèrent  puissamment  aux  succès  qui 
désormais  devaient  couronner  les  courageux  efforts  de  nos 
troupes. 

C'est  en  effet  à  dater  du  moment  où  le  général  Bugeaud 
prit  le  commandement  en  chef  de  nos  forces  en  Afrique ,  ci 
que  le  guerrier  put  réparer  sur  les  champs  de  bataille  les 
lourdes  fautes  politiques  commises  parle  négociateur  du  traité 
de  la  Tafna,  que  l'étoile  d'.\bd-el-Kadcrpàlitde  jour  eujour. 
Le  général  Bugeaud  recommanda  aux  différents  chefs  sous 
ses  ordres  de  ne  se  jamais  laisser  attaquer  impunément  par 
les  Arabes ,  et  de  prendie  toujours  sur  eux  au  contraire  une 
offensive  sérieuse  et  opiniâtre  qui  pùtles  dégoùterdu  combat. 
Des  colonnes  plus  nombreuses,  augmentées  par  les  garnisons 
rendues  à  la  guerre  active  ;  une  organisation  plus  légère,  qui 
donna  plus  de  rapidité  à  leurs  mouvements  et  leur  permit 
de  passer  partout;  enfm  l'art,  chaque  jour  perfectioniu;,  d'at- 
teindre les  indigènes  par  des  razzias  portées  jusqu'aux  points 
les  plus  éloignés  du  petit  désert;  tel  fut  le  .système  adopté 
alors  par  le  général  Bugeaud  ,  et  qui  en  très-peu  de  temps 
changea  complètement  la  face  des  choses.  Aussi  chaque  fois 
maintenant  qu'Abd-el-Kader  affronte  nos  régiments  ,  il  est 
battu  ;  ses  escarmonches  incessantes  ne  servent  qu'à  précipi- 
ter sa  ruine  ;  ses  soldats,  découragés,  soupirent  après  la  paix  ; 
la  famine  règne  dans  ses  tribus;  la  misère,  la  maladie,  un 
commencement  de  peste ,  déciment  ses  alliés.  Le  général  Bu- 
geaud a  parfaitement  compris  que  c'est  de  la  province  d'Oran, 
du  cœurde  ses  États,  qu'il  faut  chasser  l'émir,  et  les  prises  suc- 
cessives deTagdemt  et  de  Mascara  forcent  Abd-el-Kader 
à  fuir  (décembre  1841).  Dès  les  premiers  jours  de  juin  1842 
de  vastes  contrées  dans  les  provinces  d'Alger  et  d'Oran  vien- 
nent à  soumission ,  et  implorent  l'a  m  a  n  de  la  France.  Tous 
les  postes  de  défense  ou  d'approvisionnement  de  l'émir  sont 
successivement  enlevés.  11  reconnaît  enfin  qu'il  lui  est  désor- 
mais impossible  de  lutter  davantage  contre  nous ,  et  il  orga- 
nise alors  sa  smala,  cette  vaste  émigration  de  fidèles  qui 
iront  sous  sa  conduite  demander  au  désert  un  asile  sur 
et  impénétrable.  Il  fait  un  appel  supième  à  tous  ses  .seni- 
teurs  dévoués  et  à  toutes  les  tribus ,  cessant  de  s'inquiéter  de 
ce  que  deviendront  celles  qui  l'abandonnent;  et  à  la  tèle 
de  soixante  mille  individus ,  possédant  près  de  deux  millions 
de  têtes  de  bétail ,  il  s'enfonce  dans  les  grandes  solitudes.  Main- 
tenant il  ne  cherche  plus  à  attaquer  les  Français;  il  ne  songe 
qu'à  protéger  l'arche  sainte  ,  cette  smala  ,  celte  nondjreuse 

DlfT.    DE    1.A    CONVi:r.S.    —    T.    I. 


famille  unie  par  les  liens  du  malheur,  nation  errante  et  no- 
made au  milieu  de  la  grande  nation.  Le  désastre  d'Am-Ta- 
guiu  lui  vient  arracher  ce  dernier  lambeau  de  puissance  :  le 
duc  d  '  A  u  m  a  1  e  lui  enlève ,  avec  ses  chasseurs ,  les  débris  de 
sa  fortune,  disperse  ou  fait  prisonniers  le  reste  de  ses  partisans, 
et  le  réduit  à  se  réfugier  enlin ,  avec  quelques  centaines  de  ca- 
valiers exténués,  sur  le  territoire  de  Maroc  (février  1842). 

Si  l'Algérie  était  délivrée  du  plus  implacable  adversaire  de 
la  puissance  française,  il  s'en  faut  qtj'elle  fût  encore  coin- 
pléteuicnt  soumise  à  nos  armes;  et  la  lutte  se  poursuivit  sur 
d'autres  points  contre  des  tribus  demeurées  lidèles  à  la  cause 
d'Al)d-el-Kader  et  de  la  nationalité  arabe.  L'empereur  de  Ma- 
roc, à  son  tour,  cédant  aux  obsessions  et  aux  représentations 
des  émissaires  d'Abd-el-Kader ,  se  décide  à  prendre  en  main 
la  défense  de  l'émir  vaincu  et  déchu ,  et  il  fait  attaquer,  en 
1844,  le  général  Lamoricière ,  alors  en  observation  sur  la 
frontière  de  l'ouest.  A  la  nouvelle  de  cet<e  intervention  armée 
de  iMu!ey-Abd-er-Rhaman,  le  général  Bugeaud  accourt  avec 
des  renforts  au  secours  de  son  lieutenant.  Après  quelques  en- 
gagements heureux,  il  gagne,  le  14  août ,  la  bataille  d  '  I  sly , 
qni ,  jointe  à  l'attaque  des  côtes  marocaines  par  le  prince  de 
Join  ville,  amena  la  conclusion  du  traité  de  Tanger,  aux 
termes  duquel  l'empereur  s'engageait  à  interner  son  dangereux 
hôte  sur  quelque  point  de  son  empire  suffisamment  éloigné 
de  nos  frontières. 

Ce  traité  toutefois  ne  fut  pas  exécuté  avec  sincérité  du 
côté  du  Maroc.  Tout  au  contraire,  Abd-el-Kader,  accueilli 
avec  vénération  par  les  populations  au  milieu  desquelles  il 
était  venu  planter  ses  tentes ,  y  trouva  après  comme  avant 
des  secours  en  hommes  et  en  arj^ent,  avec  lesquels  il  put,  à 
diverses  reprises,  envahir  de  nouveau  l'Algérie,  notamment 
à  la  fin  de  septembre  1845,  époque  où  à  sa  voix  les  Arabes  se 
ioîdevèrent  depuis  la  frontière  du  Maroc  jusqu'à  Teniet-el- 
Haad.  Bientôt  l'émir  envahit  la  province  deTittery,  et,  se  je- 
tant brusquement  dans  la  vallée  de  l'Isser  avec  sa  cavalerie, 
qui  grossissait  toujours  en  avançant,  il  menaça  sérieusement 
la  Slétidja. 

La  lutte  qu'il  nous  fallut  soutenir  alors  contre  notre  infati- 
gable ennemi  forme  la  période  la  plus  difficile  et  aussi  la  plus 
glorieuse  de  nos  annales  militaires  en  Algérie.  Le  général  Bu- 
geaud compiit  qu'il  ne  fallait  laisser  prendre  pied  à  Abd-el-Ka- 
der nulle  part,  afin  qu'il  ne  put  organiser  ni  un  gouvernement, 
ni  l'impôt,  ni  le  recrutement.  Jamais  nos  tioupes  ne  firent 
des  marches  plus  longues,  plus  pénibles.  11  y  eut  des  colonnes 
qui  restèrent  liuit  mois  en  campagne  sans  toucher  à  aucun  point 
de  station.  Le  succès  devait  couronner  une  telle  œuvre,  ac- 
complie sans  éclat ,  mais  sans  repos ,  et  avec  une  obstination 
héroïque.  Les  tribus,  décimées  et  ruinées,  abandonnèrent 
successivement  la  cause  de  l'émir,  qui  au  mois  de  juillet  lS4fi 
fut  oblige  de  se  jeter  de  nouveau  dans  le  Maroc  avec  une 
poignée  de  cavaliers,  dont  la  plupart  traînaient  leurs  che- 
vaux par  la  bride. 

Alors,  n'espérant  plus  rien  de  l'Algérie,  mais  comptant  sur 
la  coopération  des  montagnards  du  Rif ,  Abd-el-Kader  réalisa 
les  projets  qu'on  lui  avait  prêtés  dès  qu'il  s'était  réfugié  sur 
le  territoire  marocain,  et  tourna  ses  vues  ambitieuses  confie 
l'empire  de  Mu  ley- A  bd-er-Rhaman,  son  chef  religieux, 
qu'il  ne  craignit  pas  d'attaquer  à  visage  découvert  dans  ses 
droits  de  souverain  indépendant,  et  bientôt  louteslescorres- 
ponJaîîces  du  Maroc  représenli  rent  comme  possible  une 
révolution  en  faveur  de  l'ex-émir. 

L'empereur  de  Maroc,  éclairé  par  des  rapports  exacts , 
comprit  enlin  à  quels  périls  la  présence  de  cet  hôte  dange- 
reux sur  son  territoire  exposait  ses  l'^tats.  Il  réunit  un  corps 
d'armée  considérable  aux  ordres  de  ses  fils,  et  se  décida 
à  agir  vigoureusement  contre  Abdel-Kader.  Cependant, 
avant  d'en  venir  au\ dernières  extrémités,  et  par  un  reste  de 
cette  sympathie  excitée  sans  doute  parmi  tous  les  musul- 
mans i)ar  la  lutte  acharnée  soutenue  contre  les  chiétiens  par 
l'émir,  l'empereur  lui  manda,  en  réponse  à  des  propositions 


18 


ABD-EL-KADEI\ 


,1e  conciliatioi. ,  qu'il  ne  pouvait  en  licoiiter  aucune  tant 
qu'AlMl-cl-Katler  resterait  dans  le  pays  qu'il  occupait;  que 
s'il  voulait  venir  h  lez,  il  y  serait  traité  favorablement  ;  que 
Sfs  cavaliers  et  ses  fantassins  seraient  admis  dans  les 
troupes  marocaines  ;  que  la  |H)pulatiou  de  sa  déira  recevrait 
des  terres;  (|iie  s'il  refusait  ces  conditions,  le  cliemin  du 
désert  (lait  libre,  et  (lu'il  pouvait  le  prendre;  que  s'il  ne 
se  décidait  pour  aucun  de  ces  deux  partis,  on  serait  obligé 
de  recourir  ë  l'emploi  de  la  force  pour  assurer  l'exécution 
des  traites  conclus  avec  la  l'rance.  Abd-el-Kader  prit  im- 
iiièdiatement  sa  résolution.  Il  renvoya  sans  réponse  les  ca- 
valiers marocains  porteurs  des  dernières  propositions  de 
Muley-Abd-er-niiaman,  et  réunit  toute  la  population  de  sa 
deira  ainsi  (jue  ses  réf;uliers.  Il  leur  exposa  quelle  était 
sa  situation ,  sans  en  rien  dissimuler,  et  leur  déclara  qu'il 
était  résolu  à  tenter  de  nouveau  la  fortune.  Avec  deux 
luillc  liommes  d'élite,  l'émir  tojnbe  à  l'improvistc,  pen- 
dant la  nuit  (lu  11  dtkembre  1847,  sur  un  des  deux 
camps  marocains ,  et  s'en  empare.  Mais  le  lendemain  toute 
la  masse  de  ses  adversaires,  au  nombre  d'au  moins  trente 
mille  bommes,  se  rue  contre  lui.  Il  est  obli;;6  de  se  reti- 
rer vers  laMalou'ja  ;  toutes  les  lianîeurs  qui  l'environnent  se 
couvrent  d'ennemis;  il  faut  qu'il  réunisse  à  lui  la  déIra, 
dépôt  îunbulant  composé  de  trois  mille,  individus,  femmes, 
enfants,  serviteurs,  avec  toutes  leurs  bètes  de  somme  et 
leurs  bagages.  Dès  lors  Abd-cl-Kadcr  ne  pouvait  plus  com- 
battre, si  ce  n'est  pour  protéger  peudantquelques  lieures  cette 
midtitude  contre  le  massacre  et  le  pillage.  Quanta  lui,  avec 
lin  groupe  de  cavaliers  lidèles,  il  compte  s'écbapper  ensuite  et 
se  réfugier  dans  le  désert.  Pour  conduire  tous  .ses  gens  sur 
le  territoire  français,  où  ils  feront  leur  soumission,  il  fallait 
francbir  la  Malouïa  par  un  gué  dillicile.  Aussitôt  la  masse 
des  Marocains  se  précipite  sur  eux.  L'émir  tient  ferme  avec 
ses  n'guliers:  la  moitié  de  ces  braves  succombe;  mais  la 
déira  est  sauvée  :  elle  traverse  la  rivière  sans  perdre  un 
.seul  mulet.  On  a  francbi  le  Kiss,  ruisseau  qui  marque  la 
frontière,  et  la  deira  fait  demander  l'aman  au  générai  La- 
inoricière,  commandant  du  corpç  d'observation  que  le  gou- 
vernement français  avait  réuni  sur  la  frontière  de  Maroc. 
Cependant  Abd-el-Kader  n'a  pas  encore  perdu  tout  espoir 
d'écbapper  à  la  dure  nécessité  de  se  soumettre  à  la  France. 
Pour  sortir  du  territoire  algérien  et  gagner  le  sud,  il  faut 
qu'il  traverse  un  étroit  passage  dans  les  montagnes.  Le  géné- 
ral Lamoricière,  prévoit  la  roule  que  prendra  l'éaiir,  et 
au  milieu  de  la  nuit  le  lieutenant  de  spabis  indigènes  qu'il 
a  détaclié  en  éclaireur  rencontre  l'escorte  de  l'émir.  La  ca- 
valerie du  général  Lamoricière  avait  pris  position  dans  la 
plaine,  et  le  jour  une  fois  venu  l'émir  allait  être  traqué  sans 
rclAcbe.  Se  rappelant  les  odieux  massacres  qu'à  (Jiverses 
reprises  il  a  fait  de  nos  malbeureux  prisonniers  de  guerre, 
la  perspective  d'être  lait  prisonnier  intimide  son  courage;  il 
prolitedii  peu  d'IiQures  qui  lui  restent  encore  pour  s'assurer 
li;  bénélic4i  d'une  reddition  volontaire  en  se  confiant  à  la 
j;i  nérosité  française.  Voici  comment  le  duc  d'Aumale, 
qui  avait  succédé  au  niarécbal  liugeaud  dans  le  gouver- 
nement de  l'Algérie,  avec  un  titre  plus  élevé,  raconte  cet 
épi.sflde  dans  son  rapport  :  «  Abd-el-Kader,  après  avoir 
conduit  lui-même  l'émigration  sur  notre  territoire,  et  l'avoir 
engagée  dans  le  pays  des  Msirda,  la  quitte;  un  petit  nombre 
des  siens  se  décide  à  le  suivre.  Il  vivait  cbez  une  fraction 
des  Ueni-Snassen,  qui  est  restée  fidèle  à  sa  cause.  C'est 
par  là  qu'il  e^spère  gagner  le  sud.  Mais  le  général  de 
Lamoricière,  informé  de  ce  qui  se  pa.ssait,  a  deviné  son 
projet.  Vingt  spabis,  commandés  parmi  oflicier  intelligent 
et  sur,  le  lieutenant  Ben-Kbouia ,.  avaient  été,  le  21  au 
soir,  envoyi's  en  observation  au  col  de  Kerbous  ;  bientôt 
des  coups  de  fusil  signalent  \m  engagement  de  ce  côté  : 
c'est  Abd-cl  Kader  qui  rencontre  lios  spabis.  r,c  général 
de  Lamoricière,  qui  dans  la  nuit  avait  l'ail  prendre  les  armes 
à  sa  colonne,   s'avance  rapidement  avec    sa    cavalerie. 


L'émir  a  pour  lui  rol)Scuril(*,  un  pays  difficile  sillonné  de 
sentiers  inconnus  de  nos  éclairems;  la  fuite  lui  était  encore 
facile.  Mais  bientôt  deux  de  ses  cavaliers,  amenés  p*dr  Ben- 
Kbouia  lui-même,  viennent  annoncer  au  général  qu'il  est 
décidé  à  se  rendre,  et  qu'il  demande  seulement  à  être  con- 
duit à  Alexandrie  ou  à  Saint-Jcan-d'Acre.  La  convention, 
imini'diàtement  conclue  de  vive  voix,  est  bientôt  ratifiée 
par  écrit  par  le  général  de  Lamoricière.  Aujourd'hui  même, 
dans  l'après-midi,  Abd-el-Kader  a  été  reçu  au  marabout 
de  Sidi-Braliirn  par  le  colonel  de  Montauban,  qui  fut  rejoint 
peu  après  par  le  général  de  Lamoricière  et  i)ar  le  général 
Cavaignac;  Sidi-Brabim,  théâtre  du  dernier  succès  de  l'émir, 
et  que  la  Providence  semble  avoir  désigné  pour  être  le 
tliéitre  du  dernier  et  du  plus  éclatant  de  ses  revers,  comme 
une  sorte  d'exi)iation  du  massacre  de  nos  infortunés  ca- 
marades. Une  iieurc  après  Abd-el-Kalcr  me  fut  amené  à 
Nemours,  où  j'étais  arrivé  le  matin  même.  Je  ratifiai  la 
parole  donnée  par  le  général  de  Lamoricière,  et  j'ai  le 
ferme  espoir  que  le  gouvernement  du  roi  lui  donnera  .sa 
sanction.  J'annonçai  à  l'émir  que  je  le  ferais  embarquer 
dès  demain  pour  Oran,  avec  sa  famille  ;  il  s'y  est  soumis 
non  sans  émotion  et  sans  quelque  répugnance  :  c'est  la 
dernière  goutte  du  calice  !  Il  y  restera  quelques  jours  sous 
bonne  garde,  pour  y  être  rallié  par  quelques-uns  des  siens, 
et  entre  autres  par  ses  frères,  dont  l'un,  Sidi-Mustapba,  à  qui 
j'avais  envoyé  l'aman,  s'est  rendu  le  18  à  la  colonne  da 
général  de  Lamoricière,  et  a  été  provisoirement  conduit  à 
Tiemcen;  cette  réunion  achevée,  je  les  enverrai  tous  à 
Marseille,  où  ils-  recevront  les  ordres  du  gouvernement.  » 

La  nouvelle  de  cet  heureux  événement  parvint  en  France 
le  1*"'  janvier  1848  par  VAsmodée,  bateau  à  vapeur  de  la 
marine  royale  qui  avait  été  chargé  de  conduire  Abd-el-Kader 
et  sa  suite,  composée  de  quatre  -  vingt  -  douze  individus, 
d'Oran  à  Toulon.  Avant  de  quitter  pour  toujours  le  sol  afri- 
cain, et  au  milieu  des  grandes  émotions  qui  devaient  agiter 
son  cœur,  l'émir  avait  écrit  au  diic  d'Aumale  une  lettre  de 
remerciments  |>our  tous  les  égards  dont  il  avait  été  l'objet. 
Cette  preuve  de  déférence  pour  le  prince  français  n'était  pas 
la  première  qu'il  lui  donnait  depuis  ses  quelques  heures  de 
captivité,  car  déjà  il  lui  avait  fait  cadeau  de  .sa  fameuse  jument 
noire, comme  cheval  àngada  ou  desoumission.  Quand  Abd-el- 
Kader  lui  remit  ses  armes,  on  raconte  que  M.  le  duc  d'Au- 
male prit  le  pistolet  de  l'émir,  et  lui  dit  :  «  Ceci  est  pour  le 
roi  !  M  puis  qu'il  prit  le  sabre  du  chef  arabe,  et  qu'il  le  donna 
au  général  Lamoricière,  en  lui  disant  :  «  Ce  sabre  est  pour 
vous;  vous  l'avez  bien  gagné!  j> 

[  Provisoirement  détenu  au  fort  Lamalgue  à  Toulon,  l'ex- 
érair  reçut  ensuite  pour  résidence  le  château  de  Pau,  puis  le 
château  d'Amboise.  Le  15  mars  1848,  il  écrivit  au  gouver- 
nement provisoire  pour  demander  d'être  transporté  à  la 
Mecque  et  à  Médine,  où  il  voulait  étudier  et  adorer  Dieu 
jusqu'à  son  dernier  jour.  «  J'ai  défendu  mon  pays  par 
tous  mes  moyens,  disait-il  ;  j'ai  la  conviction  que  pour  cette 
raison  vous  m'estimez.  Quand  j'ai  été  vaincu  et  que  Dieu  ne 
m'a  pas  donné  l'avantage,  j'ai  songé  à  tranquilliser  mon  âme 
en  renonçant  aux  choses  de  ce  monde,  et  quoiqu'il  me 
fût  possible  de  me  rendre  dans  le  pays  des  Berabers  ou  dans 
le  Sahara,  j'ai  (iréféré  pour  mon  âme  sa  remise  entre  les 
mains  des  Français...  J'ai  demandé  au  général  de  Lamoricière 
de  me  faire  transporter  à  Alexandrie  pour  de  là  me  rendre 
à  la  Mecque  et  Médine...  S'il  m'avait  dit  :  Je  ne  puis  vous 
promettre  ce  que  vous  me  demandez,  je  ne  me  serais  point 
rendu...  Nous  ne  pouvons  pas  vivre  dans  un  pays  dont  les 
vêlements,  le  langage,  la  nourriture  et  tout  en  général  dif- 
fèrent entièrement  des  nôtres...  Je  n'ai  point  été  pris  les 
armes  à  la  main,  je  suis  venu  aux  Français  volontairement 
et  parce  que  je  l'ai  bien  voulu...  Je  crains  que  quelques-unsde 
vous  puissent  penser  qu'en  retournant  aux  choses  de  ce  monde 
et  en  revenant  en  Algérie,  j'y  ferais  renaître  des  troubles. 
C'est  une  chose  impossible  et  qui  ne  pourra  jamais  arriyer  t 


abd-i:l-kadeu  —  abd-el-moumein 


11) 


n'ayez  aucun  Joule  sur  moi  à  cet  é^ard,  pas  plus  que  vous 
ii'on  auriez  en  pareille  circonstance  de  la  part  d'un  liouune 
qui  est  mort,  car  je  me  place  au  nombre  des  morts.  »  Depuis, 
la  question  de  sa  délivrance  fut  |)lusieurs  fois  portée  -à  la 
tribune  de  l'Assemblée  nationale  ;  on  établit  sans  peine  que 
l'engagement  pris  avec  Abd-el-Kader  ne  pouvait  èlredéfmilif; 
que  la  ratification  du  gouvernement  avait  dû  Hre  réservée  ; 
que,  cerné  de  toutes  partSj  il  avait  peu  de  chances  de  sVchap- 
per  quand  il  s'était  rendu  ;  qu'enlin  la  position  politique  de 
l'Algérie  et  les  antécédents  d'Abd-el-Kader  ne  permettaient 
pas  de  lui  accorder  la  liberté  qu'il  demandait. 

lin  1851  sa  captivité  devint  moins  dure.  H  obtint  la  per- 
mission de  faire  des  promenades  aux  environs  d'Amboise. 
Au  mois  d'août  1852  cinq  familles  arabes  qui  liabitaient  avec 
lui  à  Amboisc  furent  re<idues  à  la  liberté  et  partirent  pour  l'A- 
frique :  on  y  comptait  ses  quatre  frères.  Au  mois  d'octobre,  le 
prince  Louis-Napoléon,président  de  la  république,  alla  visiter 
l'émir,  et  lui  annonça  qu'il  pouvait  quitter  la  France  à  la 
condition  de  se  retirer  à  Brousse.  Abd-el-Kader  jura  de  ne 
plus  rien  entreprendre  contre  la  France,  et  se  rendit  à 
Paris.  Reçu  à  Saiut-Cloud  par  son  libérateur,  il  demanda 
quelques  jours  après  à  voter  pour  l'empire  qu'un  sénatus- 
consulte  rétablissait.  Le  21  décembre,  il  s'embarqua  à  Mar- 
seille sur  le  Labrador,  pour  aller  vivre  dans  la  retraite  à 
Brousse  avec  sa  famille.  En  1854  il  acheta  une  ferme. 
Il  figurait  alors  au  budget  de  la  France  pour  120,000  fr. 
Tranquille  pendant  la  guerre  d'Orient ,  il  se  contenta  de 
remettre  6,000  piastres  au  sultan  pour  aider  aux  frais  de  la 
guerre  contre  la  Russie.  La  même  année  il  envoya  trois 
chevaux  à  l'empereur  des  Français  et  des  chèvres  d'Angora 
au  ministre  de  la  guerre,  qui  les  donna  à  la  Société  d'ac- 
climatation. L'année  suivante ,  Abd-el-Kader,  après  avoir 
accompagné  sa  mère  et  sa  femme  à  la  Mecque,  revint  en 
France  visiter  l'exposition  universelle  et  demander  un  chan- 
gement de  résidence.  Malade  de  la  cholérine  à  Lyon ,  il 
refusa  le  traitement  médical,  disant  que  s'il  devait  niourir, 
c'était  écrit.  Il  assista  au  Te  Detim  du  15  août  à  Notre- 
Dame,  et  obtint  la  permission  d'habiter  Damas.  C'est  là 
que  le  trouvèrent  les  événements  de  1860.  Par  ses  dé- 
marches actives,  il  parvint  à  retarder  les  massacres.  Enfin,  le 
9  juillet,  dans  l'après-midi ,  des  fanatiques  attaquèrent  les 
cbréUens  dans  la  ville  de  Damas.  Le  soir  il  y  avait  déjà  bon 
nombre  d'hommes  tués  et  de  femmes  emmenées  pour  être 
vendues  comme  esclaves  dans  les  harems.  Abd-el-Kader,  qui 
s'elait  opposé  de  toutes  ses  forces  au  massacre  des  chrétiens, 
en  recueillit  beaucoup  dans  sa  maison.  Les  consulats  avaient 
été  brûlés,  sauf  le  consulat  anglais  ;  Abd-el-Kader  reçut  chez 
lui  les  consuls  français,  russe  et  grec  ;  avec  quelques  arabes 
d'Alger,  il  sut  protéger  ses  hôtes,  et  sa  noble  conduite  en  cette 
circonstance  lui  vahit  de  la  part  de  l'empereur  des  Fran 
ç«is  le  grand  cordon  de  la  Légion  d'honneur.  En  1855 
il  avait  adressé  à  la  Société  asiatique  un  écrit  de  sa  composi- 
tion, dont  le  manuscrit  a  été  déposé  à  la  Bibliothèque 
impériale  par  M.  Reinaud,  lequel  a  été  traduit  par  M.  G.  Du- 
gat,  et  imprimé  sous  ce  titre  :  Rappel  à  Vintelligent, 
avis  à  l'iiidifférent  {  P&ns ,  1858,10-8°).  On  vante  aussi 
beaucoup  les  connaissances  liippiques  de  l'émir,  et  M.  Dau- 
mas  a  pu  profiter  de  ses  notes  sur  le  cheval  arabe.  L.  L.  ] 

Abd-el-K.ader  est  d'une  taille  moyenne.  Il  fait  remonter  son 
origine  à  Abraham  par  Fatime,  fille  de  Mahomet.  Sa  figure 
est  douce,  d'une  expression  plus  mystique  que  guerrière. 
Son  teint  n'a  pas  la  pureté  parfaite  de  celui  des  Arabes  de 
distinction  :  il  est  marqué  de  petites  tachos  qui  semblent 
èlredes  traces  de  petite  vérole.  Il  porte  au  milieu  du  front 
npe  légère  marque  lie  tatouage.  Sa  barbe  e-;t  très-noire 
et  peu  touffue,  et  son  costume  d'une  simplicité  qui  n'est 
pent-êlrepas  exempte  d'affectation.  Tout  dans  l'attilude  de 
l'en-émir  indique  sa  complète  résignation  au  dogme  de  la 
fatalité,  base  première  des  croyances  orientales.  En  s'em- 
biirquant  sur  l'Asmodée,  qui  devait  le  transporter   loin 


de  la  ferre  d'Afrique,  théâtre  do  sa  gloire  et  de  ses  revers, 
il  s'était  écrié  :  «  Allali  !  Allah!  Dieu  n'abandonne  pas  son 
serviteur!  »En  182C  il  avait  épousé  Leila  Khera,  fille  de 
Sidi-Ali-lîou-Taleb,  frère  consanguin  de  son  père  Mahiddine. 
De  ce  premier  mariage  il  a  eu  plusieurs  filles  et  un  fils, 
Mahiddine,  mort  à  l'âge  de  quatre  ans,  «n  octobre  1837. 
Désespérant  d'avoir  de  nouveaux  enfants  de  sa  femme 
Khera,  et  regrettant  suitout  de  ne  pas  laisser  un  héritier 
de  sa  puissance,  il  avait  profité  de  la  tolérance  de  la  loi  mu- 
sXilmane  pour  épouser  une  esclave  géorgienne  de  sang  mêlé, 
qu'on  nomme  Alclia,  laquelle  était  enceinte  lors  de  la  prise 
de  la  Smala,  Ix  Aïn-Tagguin,  par  M.  le  duc  d'Aumale,  et  qui 
depuis  a  donné  à  l'émir  plusieurs  héritiers  mâles. 

ABD-EL-MOUMEN  (Abou-Mohammed), premier  kha- 
life et  deuxième  iraan  de  la  secte  et  dynastie  africaine  des 
Almohades.  Suivant  le  Livre  des  Princes,  la  mort  du 
fondateur  de  cette  secte,  Al-Mahadi,  resta  cachée  à  tout 
le  mondé  pendant  trois  ans;  Abd-el-Moumen ,  pendant 
ce  temps,  gouverna  au  nom  du  prophète  comme  s'il  vivait 
encore.  Lorsque  enfin  il  jugea  le  moment  ^enu  (1130),  il 
fit  construire  liors  de  Tinamal  une  grande  salle,  et  y  réunit 
tous  les  chefs  du  peuple.  Après  leur  avoir  révélé  la  mort 
du  Mahadi,  il  leur  dit  :  «  Ne  pleurons  pas  le  vertueux 
iman,  qui  jouit  maintenant  d'un  sort  plus  heureux.  Son 
dernier  vœu  a  été  qu'après  sa  mort  vous  vous  réunissiez 
tous,  sans  céder  ni  aux  passions  ni  aux  intérêts  privés,  pour 
lui  donner  un  successeur  digne  de  lui  :  bannissons  donc 
d'entre  nous  les  rivalités  et  la  discorde,  et  occupons-nous 
de  ce  choix.  «  Il  se  tut,  et  les  chefs  en  suspens  attendaient 
l'inspiration  d'en  haut,  lorsqu'une  voix  qui  semblait  venir 
du  ciel  prpnonça  distinctement  ces  paroles  :  «  Victoire  et 
puissance  au  khalife  Abd-el-Moumen,  prince  des  croyants, 
le  rempart  et  l'appui  de  l'État  !  «  En  même  temps,  un  lion 
parut  au  milieu  de  l'assemblée,  en  montrant  ses  dents 
menaçantes  et  en  se  fouettant  les  flancs  avec  sa  queue; 
chacun,  saisi  de  frayeur,  restait  immobile  à  sa  place.  Alons 
Abd-el-Moumen  s'avança  vers  le  lion,  qui  s'inclina  devant 
lui,  en  lui  léchant  les  mains  comme  un  chien  soumis.  A 
cette  vue,  les  Almohades  proclamèrent  tout  d'une  voix 
pour  khalife  cet  homme  privilégié  devant  lequel  s'apaisaient 
les  lions  du  désert,  et  que  le  ciel  lui-même  désignait  à  leur 
choix,  et  touslui  jurèrent  fidélité.  Depuis  lors  ce  lion  mita- 
çuleux  ne  quitta  plus  le  nouveau  khalife.  C'était  un  lion 
qu'il  avait  apprivoisé  et  qu'il  avait  enfermé  sous  la  tribune. 
Quant  aux  paroles  venues  du  ciel,  elles  avaient  été  pronon- 
cées par  un  oiseau  à  qui  il  les  avait  apprises,  et  qu'on  avait 
mis  dans  une  cage  au-dessus  d'une  coloime. 

Proclamé  khalife  dans  Tinamal,  sa  capitale,  Abd-el- 
Moumen  fit  battre  monnaie  en  son  nom.  Les  premières 
années  de  son  règne  furent  consacrées  à  affermir  sa  domi- 
nation eu  Afrique,  tout  en  poursuivant  ses  victoires  dans  le 
Maroc.  En  1143  Ali-ben-Youssouf,  fils  du  fondateur  du 
puissant  empire  des  Almoravides,  étant  mort  de  chagrin , 
son  fils  Tachfin,  à  peine  monté  sur  le  trône,  recommenra 
la  guerre  contre  les  Almohades.  Vaincu  à  plusieurs  re|)nses, 
il  fut  contraint  de  se  réfugier  à  TIemcen,  puis  à  Oraii, 
où,  traqué  par  l'infatigable  Ahd-el-Moumcn,  il  périt  d'une 
chute  de  cheval,  en  essayant  de  s'échapper.  Le  cruel  vain- 
queur fit  clouer  à  un  saule  le  tronc  de  son  ennemi ,  et  en- 
voya sa  tête  à  Tinamal ,  engage  de  sa  victoire  (1145).  Tout 
l'empire  almoravide  passa  successivement,  après  la  mort 
de  Tachfin,  sous  la  loi  du  conquérant  almoliade.  Des  dé- 
putés andalous  le  conjuraient  de  venir  en  Espagne  chasser 
les  ennemis  de  l'islam.  Abd-el-Moumen  se  contenta  d'envoyer 
dans  la  Péninsule  une  armée  (1151),  qui  en  peu  d'années  s'eca- 
para  du  vaste  empire  qu'avaient  possédé  l^s  Almoravides 
dans  les  deux  bassins  du  Xénil  et  du  Guadarquivir  (I  i5(",). 

Prolecleur  des  lettres  et  des  arts,qiril  encourageait  notam- 
ment dans  sa  cité  de  Maroc,  Abd-el-Moumen  fondait  partout 
des  collèges  à  côté  des  mosquées.  En  1  !  54  rémir,usant  pour  dé- 

3. 


20  ABD-EL  MOUMEN  — 

hi^iiiv  sDii  successeur  an  Uùm,  de  roiiiniitotcnce  qui  carac- 
térisa toii^  les  (k'l(';;iios  <]u  l'ropliLlc,  fit  rcronnaifrc  pour  tel 
son  lils  Si(l-Moliainme«l,  cl  ordonna  que  son  nom  filt  proclamé 
aprèsie  sien  dans  la  C/io^ia  ou  prière  publitjue.  Ainsi,  l'émir, 
(idi'lo  à  ce  princi[)e  tutélaire  d'unité  (pii  est  la  sauvegarde  de 
j'islau),  se  f^arda  bien  d'imiter  les  inonar<iucs  chrétiens  de 
ri:s[)a^ne  et  leius  funestes  partages,  et  l'immense  pouvoir 
qu'il  lé;;uait  à  fcon  lils  resta  concentré  dans  une  seule  main. 

La  mort  d'Alonzo  VII,  en  1 157,  contribua,  plus  que  bien 
«les  victoires,  à  affermir  la  domination  des  Almoliades  dans 
la  l'éninsule  ;  et  pourtant  pendant  plusieurs  années  encore 
Abd-ei-Moumen,  occupé  de  ses  guerres  en  Afrique,  ne  songea 
I),is  ;i  visiter  sa  nouvelle  conquête.  En  1158  il  entreprit  une 
expédition  contre  la  ville  deMabadia,  conquise  en  1145  par 
les  Normands  de  Sicile.  La  chronique  arabe  nous  donne  sur 
la  marche  de  son  armée  de  curieux  détails,  qui  font  connaî- 
Ireà  la  fois  le  luxe  et  la  puissance  du  chef  dece  vaste  empire, 
éclos  en  (juelques  années  dans  les  sables  de  l'Afrique,  et  qui 
n(!  devait  guère  plus  durer  que  celui  qu'il  avait  remplacé.  La 
ville  succomba  enfin ,  après  six  mois  de  siège,  et  tous  les 
chrétiens  furent  massacrés  sans  pitié  (1 IGO).  La  chute  de  Ma- 
hadia  entraîna  la  soumission  des  autres  villes  de  la  côte 
et  (le  toutes  les  tribus  berbèies,  de  Tlemcen  à  Barca;  et  l'em- 
pire almohade  s'étendit  ainsi  depuis  l'Océan  jusque  près  des 
Irontières  de  l'Kgypte.  Cette  conquête  achevée,  Abd-el-Mou- 
men  se  remit  en  route  vers  Tanger,  décidé  cette  fois  à  pas- 
ser en  Andalousie,  le  seul  de  ses  vastes  États  où  son  autorité 
filt  encore  contestée.  Arrivé  à  Oran ,  il  licencia  toutes  les  tri- 
bus du  désert,  pour  les  laisser  retourner  dans  leurs  pays,  gar- 
dant seulement  mille  hommes  de  chacune  d'elles ,  avec  leurs 
familles,  pour  les  établir  dans  une  ville  qu'il  fonda. 

Arrivé  à  Tanger,  l'émir,  après  avoir  fait  fortifier  Gibraltar, 
la  clef  du  détroit,  se  décida  enfin  h  poser  au  moins  le  pied  dans 
sa  nouvelle  con(piôte.  Il  resta  deux  mois  à  Gibraltar,  sans 
ijuitterle  borddela  mer,  pour  se  tenirprêt  à  repasser  eu  Afri- 
(jue  à  la  première  révolte,  car  on  ne  saurait  autrement  expli- 
quer cette  insouciance  du  conquérant  pour  les  nobles  cités 
andalouses  qu'il  avait  ajoutées  à  ses  États.  Tous  ses  lieute- 
nants dans  la  Péninsule  et  les  principaux  de  chaque  ville  vin- 
rent lui  rendre  hommage,  et  les  poètes  andalous  ne  manquè- 
rent pas  de  rimes  pour  encenser  leur  nouveau  maître.  La 
présence  d'.\bd-el-Moumen  donna  une  activité  nouvelle  à  la 
guerre  contre  les  chrétiens.  Le  roi  Alonzo  de  Portugal ,  étant 
accouru  avec  une  armée,  se  fit  battre,  et  laissa  six  mille  des 
siens  sur  le  champ  de  bataille.  Le  résultat  de  cette  victoire 
fut  la  prise  de  Badajoz  ,  de  Beja,  et  de  plusieurs  autres  pla- 
ces; et  Abd-el-Moumen,  jugeant  cette  guerre  de  frontières 
indigne  de  sa  présence,  s'en  retourna  enAfrique  (1 161). 

Les  dernières  années  de  la  vie  d'Abd-el-Sloumen  furent 
consacrées  à  l'administration  intérieure  de  ses  vastes  Etats  , 
où  il  établit  un  ordre  rarement  connu  du  capricieux  despo- 
tisme des  souverains  de  l'islam.  Il  lit  mesurer  géométrique- 
ment toutes  les  provinces  de  ses  États,  depuis  Darca  jusqu'à 
Sous,  et  régla  sur  cette  base  les  contributions  et  les  levées 
d'hounnes  (pie  devait  fournir  clia(|ue  province,  d'après  sa  po- 
pulation et  sa  richesse.  Il  établit  partout  des  manufactures 
d'armes,  qui  livraient  par  joiu'  dix  quintaux  de  llèches,  sans 
compter  les  lances ,  les  épées  et  les  armes  défensives  ;  et  la 
marine  africaine  prit  sous  son  règne  une  importance  qu'elle 
n'avait  jamais  eue. 

La  guerre  continuait  cependant  en  Andalousie,  bien  que 
i>artout  heureuse  pour  les  armes  d(;s  Ainiohades.  Fatigué 
de  ces  victoires  sans  résultat,  Abd-el-Mounien  voulut  en  finir 
avec  les  rebelles  de  l'Andalousie  comme  avec  ceux  de  l'Afri- 
que. Malgré  son  .Igc,  il  résolut  de  se  mettre  à  la  tète  de  l'ex- 
pédition ,  et  donna  à  toutes  les  tribus  du  Maghreb  le  signal  de 
Valgi/ied,  ou  de  la  guerre  sainte.  L'Afrique  tout  entière  s'é- 
branla à  cet  appel  :  trois  cent  mille  chevaux,  quatre-vingt 
mille  vétérans  d'élite,  et  cent  mille  piétons  et  archers  se  réu- 
circQt  autour  i^o  l;ii.  Le  déseit  môme,  disent  les  chroniques 


ABDERKAIIMAN  -  SOUFI 

arabes,  semblait  trop  étroit  pour  celte  innombrable  multitude, 
([ui  s'étendait  au  loin  sur  les  plaines  et  sur  les  monts.  L'ordre 
le  plus  admirable  régnait  dans  cette  foule  immense,  joyeuse  de 
marcher,  sous  un  chef  toujours  victorieux,  à  de  nouvelles  con- 
quêtes sur  cette  race  abhorrée  des  chrétiens.  Mais  au  moment 
du  départ  l'émir  se  sentit  soudainement  atteint  d'une  grave 
maladie  :  frappé  du  pressentiment  de  sa  fin  prochaine,  il  chan- 
gea avant  sa  mort  l'ordre  de  la  succession,  et  désigna  pour  lui 
succéder,  au  lieu  de  son  fils  Sid-Mobammed ,  son  fils  Sid- 
Abou-Yacoub-Youssouf.  Cette  détermination  eut,  dit-on,  pour 
cause,  la  découverte  d'un  complot  formé  par  Mohammed  pour 
se  saisir  du  trône  du  vivant  même  de  son  père.  Après  que 
l'émir  eut  fait  connaître  sa  volonté  à  toutes  ses  provinces, 
son  mal  empira,  et  il  mourut  à  Salé,  le  10  de  dschumada  538 
(andeJ.-C.  IIG?.),  à  l'ûge  de  soixante-trois  ans,  et  après 
trente-trois  ans  du  règne  le  plus  prospère.  Sou  fils  Youssouf 
lui  succéda  sans  opposition. 

L'émir  Abd-el-Moumen, le  fondateur  politique  de  l'empire 
almohade,  eut  toutes  les  brillantes  qualités  et  tous  les 
vices  d'un  chef  de  dynastie.  On  nous  vante  son  courage,  sa 
libéralité,  son  éloquence,  son  instruction,  son  esprit  d'équité, 
son  constant  bonheur;  quant  à  sa  douceur,  l'éloge  est  un  peu 
plus  suspect.  Aucun  des  avantages  extérieurs  que  prisent  si 
haut  les  historiens  arabes  ne  lui  manquait  d'ailleurs  :  sa  dé- 
marche était  empreinte  de  noblesse  et  de  dignité,  et  son  âme, 
vraiment  grande  ,  méprisait  les  jouissances  sensuelles  et  les 
commodités  de  la  vie.  Rjsseeuw-Saint-Hilaire. 

ABDERAHME,  vice-roi  sarrasin  en  Espagne ,  secoua 
le  joug  des  khalifes ,  et  fonda  à  Cordoue  une  souveraineté  in- 
dépendante. Il  eut  plusieurs  successeurs  qui  portèrent  lemême 
nom.  L'un  d'eux  franchit  les  Pyrénées  à  la  tête  d'une  armée 
nombreuse,  et  pénétra  jusqu'au  cœur  de  la  France,  en  portant 
partout  le  fer  et  le  feu.  Arrêté  enfin  dans  sa  marche  dévasta- 
trice, près  de  Tours,  par  Charles-Martel,  il  fut  complètement 
défait  dans  une  bataille  rangée,  Uvrée  l'an  732  de  notre  ère, 
et  où  périrent,  dit-on,  avec  lui  370,000  Sarrasins,  chiffre  sans 
doute  exagéré,  mais  qui  témoigne  du  danger  dont  cette  inva- 
sion menaçait  l'Europe  chrétienne. 

ABDERE,  ville  (le  Thrace,  située  sur  leNessus,  et  dont  la 
tradition  attribuait  la  fondation  à  Hercule,  est  la  ville  deRou- 
raélie  appelée  de  nos  jours  Polystilo.  Quoiqu'elle  fut  la  patrie 
des  philosophes  Démocrite,  Protagoras ,  Anaxarque,  de  l'his- 
torien Hécatée  et  autres  hommes  célèbres  par  leur  mérite,  ses 
habitants  eurent  de  toute  antiquité  une  fâcheuse  renommée  de 
corruption  de  mœurs  ainsi  que  de  lourdeur  d'esprit.  Hippo- 
crate  l'attribue  à  l'air  épais  et  méphytique  qu'on  y  respirait,  et 
qui  en  favorisant  le  germe  de  diverses  maladies  endémiques 
s'opposait  à  tout  développement  de  l'esprit  parmi  eux.  Dans 
les  premières  pagas  de  son  traité  sur  la  manière  d'écrire  l'his- 
toire, Lucien  décrit  avec  une  gaieté  de  bon  aloi  la  fièvre  à 
laquelle  les  Abdérites  étaient  sujets  ;  et  sous  le  titre  de  Les 
Abdérites  Wieland  a  composé  un  roman  philosoplûqued'une 
haute  portée. 
ABD-ER-RAHMAN.  Voyez  Moley-Abd-er  Rhaman. 

ABDERRAIlAIiVA-SOUFI,  astronome  arabe,  né  à 
Réi  en  903,  mort  en  98G,  a  composé  divers  ouvrages ,  dont  on 
peut  voir  la  liste  dans  Casiri  ;  mais  son  Uranographic,  qui 
est  le  plus  connu,  paraît  être  aussi  le  plus  important  de  tous. 
C'est  un  catalogue  raisomié,  calqué  sur  celui  dePtolémée; 
les  étoiles  y  sont  classées  sous  le  même  ordre  et  sous  les 
mêmes  astéiismes  que  dans  VAlmagesle;  les  latitudes  sont 
les  mêmes,  et  par  Taddition  d'une  constante  (12°42'),  Abder- 
rahman  ramène  les  longitudes  à  l'époque  du  1"'  octobre  964  ; 
c'est  en  cette  année  qu'il  com])osa  son  catalogue,  à  la  prière 
du  prince  bouide  Adliad-Eddaulat,  alors  tout-puissant  dans 
la  Perse  et  l'Irak  arabi(pie;  on  y  trouve  l'indication  de  plu- 
sieurs étoiles  dont  Ptoléuiée  n'a  pas  parlé,  ainsi  que  beaucoup 
d'alignements  et  de  figures  rectilignes ,  dont  les  dimensions 
sont  données  en  coudées ,  à  la  manière  d'Hipparque,  et  en 
sous-raultiplcs  de  la  coudée;  il  y  a  sur  les  grandeurs,  qu'Ah- 


ABDERUAHMAN  — 

derrahmaii  dit  avoir  obsorvtVs  lui-môme  avec  le  plu;;  grand 
soin,  des  roinarques  au  moins  curieuses,  qui  ont  conduit  l'au- 
teur à  une  classiliciUion  nouvelle  ,  et  qui  peuvent  jeter  quel- 
que jour  sur  les  périodes  des  étoiles  changeantes.  Il  serait  à 
désirerque  rrrrtHOf/rrtp/fied'Abderrainnan-Souli  fût  publiée 
d'une  manière  complète,  avec  tous  les  commentaires  que  ré- 
dame Tétat  actuel  de  la  science.  L  -Am.  Sédili.ot. 

ABDIAS,  le  quatrième  des  douze  petits  propliètes  de  la 
Bible.  11  a  laissé  un  seul  cliapitre,  dans  lequel  il  prédit  la 
ruine  des  Iduméens.  11  vivait ,  à  ce  qu'on  croit,  du  temps  de 
Jérénre,  vers  l'an  626  avant  J.-C. 

ABDIAS,  dit  de  Babylone,  parce  qu'on  l'a  supposé  évo- 
que de  cette  ville,  et  pour  le  distinguer  des  persounages  bi- 
bliques du  même  nom ,  est  un  auteur  évidemment  supposé 
par  quelques  imposteurs  des  premiers  siècles  de  l'ère  vul- 
gaire ,  qui  lui  ont  attribué  une  liistoire  du  combat  de  l'a- 
pùtre  saint  Pierre  et  de  Simon  le  magicien.  Ce  livre,  que  l'on 
a  cité  comme  écrit  en  hébreu  ou  en  syriaque ,  ne  nous  est 
connu  qu'en  latin  sous  le  titre  de  Historia  certnm'ims  apos- 
tolici  :  c'est,  dit-on ,  ime  traduction  faite  par  Jules  Africain, 
vers  le  milieu  du  troisième  siècle.  Le  manuscrit  de  ce  texte 
fut  découvert  en  Carinthie  dans  le  seizième  siècle,  par  Lazius, 
qui  en  donna  la  première  édition  à  Bàle  (1552,  in-f").  Jacques 
Lefebvre  en  publia  une  nouvelle  édition  à  Paris  (  1 560,  in-S"). 
On  en  connaît  encore  quelques  autres  réimpressions.  Au  sur- 
plus ,  ce  prétendu  livre  d'Abdias  est  im  tissu  d'impostures 
et  d'absurdités  tellement  manifestes ,  que  le  pape  Paul  IV 
crut  devoir  le  rejeter  comme  apocryphe.  Abdias  fut  long- 
temps regardé  comme  ayant  vécu  avec  Jésus-Christ,  et  fait 
partie  des  disciples  des  apôtres ,  et  son  livre  fut  souvent  cité 
dans  le  moyen  âge  comme  un  des  monuments  de  l'histoire  ec- 
clésiastique du  premier  siècle. 

ABDICATION,  ABDIQUER.  Ces  mots  s'appliquent 
plus  particuUèrement  à  l'acte  volontaire  par  lequel  un  sou- 
verain renonce  à  l'exercice  de  son  autorité  et  la  transmet  à 
son  successeur  légitime,  ou  encore  appelle  la  nation  à  le  dé- 
signer. Les  plus  célèbres  abdications  dont  fasse  mention 
l'histoire  sont  celles  des  empereurs  Diocléîien  et  Maximien 
(an  305);  de  Charles-Quint  (1556);  de  Christine,  reine  de  Suède 
0654);  des  rois  d'Espagne  Philippe  V  (1724)  et  Charles  IV 
(1808)  ;  du  duc  de  Savoie  Amédée  1"  (1434);  des  rois  de  Sar- 
daigne  Victor- Amédée  II  (1750),  Charles-Emmanuel  IV  (1802) 
et  Victor-Emmanuel  P'  (1821);  du  roi  de  Hollande  Louis  Bo- 
naparte (1808),  en  faveur  de  son  fils  aîné  ;  de  Napoléon  (1814 
et  1815);  du  roi  de  Suède  Gustave  IV  (1810);  de  Char- 
les X ,  roi  de  France,  et  de  son  fils  le  duc  d'Angoulérae , 
en  faveur  du  duc  de  Bordeaux  (1830)  ;  du  prince  Maximilien 
de  Saxe  en  faveur  de  son  neveu  Frédéric- Auguste  II;  du 
roi  des  Pays-Bas  Guillaume  le""  (1840);  de  Louis-Phi- 
lip p  e  l",  roi  des  Français,  en  faveur  de  son  petit-fils  le 
comte  de  Paris;  du  roi  deBavièreLouisIer,en  faveur  de  son 
fils  Maximilien  U;  de  l'empereur  d'Autriche  Ferdinand  pr, 
en  faveur  de  son  neveu  François-Joseph,  son  frère  re- 
nonçant aussi  à  la  couronne  (1848  }  ;  du  roi  de  Sardaigne 
Charles- Albert,  après  la  perte  de  la  bataille  de  No- 
vare,  etc.  * 

Le  droit  d'abdication  de  la  part  d'un  prince  ne  saurait 
ftre  mis  en  question;  mais  jusqu'à  ce  jour  il  a  été  gé- 
néralement admis  que  cette  abdication  ne  pouvait  être 
que  personnelle,  et  ne  devait  préjudicier  en  rien  aux  droit.s 
de  son  successeur  naturel,  non  plus  (pie  contraindre  une  na- 
tion àmodilier  sa  constitution  ou  adopter  une  nouvelle  dy- 
nastie. C'est  ainsi  que  Charles  IV,  roi  d'Espagne,  ne  pouvait 
valablement  abdiquer  qu'au  profit  de  son  héritier  naturel,  le 
prince  des  Asturies,  et  non  en  investissant  Napoléon  du  droit 
de  fonder  une  nouvelle  dynastie  en  Espagne.  Quoique  le  sou- 
verain qui  abdique  se  réserve  quelquefois  les  droits  honorifi- 
ques extérieurs  de  la  souveraineté,  tels  que  les  titres  de  Sire 
et  de  Majesté ,  il  ne  peut  plus  exercer  aucun  droit  de  souve- 
raiiwté  ni  jouira  l'étraugerdu  droit  de  ju.ridiction  ?;:rlc?  gens 


Ai51)-UL-iîA.MID  '21 

de  sa  suite.  Si  le  prince  en  faveur  de  ([ui  l'abdication  a  été 
faite  n'accepte  pas  l'abdication ,  l'abdiquant  reprend  tous 
ses  droits.  Philippe  V  d'Espagne  reprit  même  le  pouvoir 
suprême  à  la  mort  de  son  fils  Louis,  arrivée  six  mois  après 
son  abdication  ;  mais  Christine  de  Suède  échoua  dans  ses 
efforts  pour  faire  valoir  les  siens. 

ABDOM,  village  de  l'Afrique  centrale,  sur  la  rive  orien- 
tale du  Nil,  qui  à  cet  endroit  fait  un  coude  et  >e  dirige  ver-S 
le  sud-est  jusqu'à  la  frontière  de  Dongola.  Selon  le  voya- 
geur anslais  Taylor,  c'est  un  véritable  paradis,  entouré  de 
palmiers,  de  dattiers,  de  cotonniers,  d'arbres  aux  fleurs  bril- 
lantes et  d'une  riche  végétation.  En  face  est  Merawe,  an- 
cienne capitale  de  Dar-Shvi;hera.  Z. 

ABDOMEIV.  Voyez  Ventre. 

ABDUCTIOiV,  mouvement  d'un  membre  ou  de  fout 
autre  appendice  du  corps  d'un  animal,  pair  et  symétrique, 
qui  se  trouve  porté  en  dehors  et  sur  le  côté.  En  vertu  de  ce 
mouvement,  le  membre  ou  l'appendice  qui  se  trouve  plus 
ou  moins  rapproché  du  tronc  on  de  son  semblable  est  éloigné 
delà  ligne  médiane  du  corps,  et  fait  avec  cette  lii^ne  un  angle 
plus  ou  moins  grand.  Les  puissances  musculaires  qui  exécn- 
tent  ces  mouvements  sont  connus  sous  le  nom  de  muscles 
abducteurs. 

ABD-UL-HAMID,le  dernier  des  cinq  fils  du  sidtan 
Aclimet  m,  frère  et  successeur  de  Mustapha  111,  fut  le  père 
du  sultan  Mahmoud  II,  à  qui  échut  la  tâche  de  réformateur  de 
l'empire  othoman.  Ce  filt  sous  le  règne  d'Abd-ul-Hamid  que 
se  prononça  ce  double  mouvement  de  réforme  et  de  décadence 
qui,  commencé  avant  lui ,  s'est  rapidement  développé  jus- 
qu'à nos  jours. —  Né  le  20  mai  1725,  appelé  au  trône  le  21 
janvier  1774,  Abd-ul-Hamid  avait  été  relégué,  dès  l'âge  de 
six  ans  ,  derrière  les  murs  du  vieux  sérail,  où  l'ombrageuse 
politique  des  sultans  tenait  leurs  successeurs  à  d'éternels  ar- 
rêts. C'est  là  qu'il  avait  langui  quarante-trois  ans  dans  une 
complète  ignorance  des  affaires.  Uniquement  occupé  à  lire  et 
à  transcrire  le  Coran  ou  à  fabriquer  des  arcs  et  des  flèches, 
il  avait  le  savoir  d'un  derviche,  l'habileté  d'un  ouvrier, 
la  naïve  douceur  d'un  enfant.  Lorsque  sa  prison  s'ouvrit, 
joyeux  et  effaré,  le  nouveau  souverain  se  prit  à  parcourir  son 
palais ,  à  tout  visiter  d'un  œil  curieux ,  et  à  distribuer  autour 
de  lui  une  part  des  richesses  dont  il  prenait  possession  avec 
ébahissement.  Fidèle  à  sa  nature  débonnaire,  à  peine  libre,  il 
miten  liberté,  contre  l'usage  antique  dont  il  avait  été  victime, 
son  neveu  Sélim ,  qui  devait  lui  succéder,  et  il  le  traita  en 
fils.  En  outre,  il  eut  le  courage  d'économiser,  sur  un  trésor 
épuisé ,  le  denier  d'avènement,  que  nul  de  ses  prédécesseurs , 
depuis  Bajazet,  n'avait  osé  refuser  aux  janissaires.  Enfin,  il 
prit  sous  sa  protection  lesétabhssements  mihtaires  fondés  par 
le  baron  de  Tott ,  sous  le  règne  de  Mustapha  III.  Sa  première 
sortie  officielle  eut  même  pour  objet  l'école  d'artillerie  que 
l'aventurier  suédois  avait  organisée  sur  les  rives  du  Bosphore. 
Ce  bon  prince  se  laissait  récréer  par  l'exercice  au  tir  de  ses 
nouveaux  artilleurs,  fort  attristé  seulement  de  la  vue  d'un 
soldat  isolé,  immobile,  en  faction  près  d'une  batterie,  qu'il 
prenait  pour  un  coupable  en  pénitence,  et  dont  il  demanda  la 
grâce.  Tel  était  le  sultan  à  qui  Mustapha  111  avait  légué  l'hé- 
ritage d'une  guerre  avec  la  Russie  ;  tel  était  l'innocent  rival 
de  la  mâle  et  puissante  Catherine. 

Cette  gueire  se  continuait  depuis  1769.  A  l'avénemcnt 
d'Abd-ul-Ilamid,  la  Russie  occupait  la  Crimée,  les  provinces 
danubiemies  septentrionales,  et  les  (Tontières  de  la  région  du 
Caucase.  De  la  Morée  aux  îles  de  l'Archipel  croisait  le  pavil- 
lon russe,  entré  dans  la  Méditerranée  par  le  détroit  de  Gibral- 
tar ;  et  une  escadre  sous  le  même  pavillon  tenait  la  mer  Noire. 

Jalouxde  l'honneur  del'empire,  Abd-ul-Hamid  envoyasans 
délai  une  armée  de  400,000  hommes  sur  la  rive  droite  du  Da- 
nube. Le  général  ni.sse  comte  Romanzof  passa  le  fleuve,  et 
des  manrruvres  habiles  sépaièrent  l'armée  turque  de  Warna, 
sa  base  d'opérations.  Ce  fut  le  signal  d'ime  débandade  com- 
plMe  de  cette  ir.imensc  coliuo  de  coir.ba'.tr.nts.  .\.bà-ul-liam;d 


ABD-UL-HÂMID  -  ABD-UL-MEI)JID-KHAN 


22 

se  résigna  sous  la  main  de  Dieu,  et  le  51  juillet  1774,  au  bout 
de  six  mois  de  n-gne,  cette  guerre  de  cinq  ans  se  termmait, 
sans  enf^afiPments  sérieux,  par  le  traité  fatal  de  K  ut  chu  k- 
Kainardj  i. 

Far  ce  traité  la  Porte  reconnaissait  l'indépendance  des  po- 
pulations de  la  Crimée,  du  lîiidjaket  du  Kouban.  Elle  cédait 
à  la  Russie,  h  perpétuité,  A/of  et  les  clefs  de  la  mer  de  ce 
nom,  Yéni-Kaléet  Kerché,Kiil)ournou,  et  une  langue  de  terre 
entre  le  Bog  et  le  Dnieper.  En  vertu  de  ces  concessions,  la 
Russie  prenait  pied  sur  les  bords  de  la  mer  Noire,  et  obtenait 
l)our  ses  flottes  la  liberté  de  la  navigation  sur  celte  mer.  En 
retour  de  ces  avantages,  elle  restituait  à  la  Porte  la  Bessara- 
bie ,  la  .Moldavie,  la  Valatliie  et  quelques  lies  de  l'Archipel , 
(ju'elle  avait  occupées.  Pour  constater  l'humiliation  des  vain- 
cus, l'ambassadeur  de  la  Russie,  le  prince  Repnin,  fit  à 
Constantinople  une  entrée  triomphale  à  la  tête  de  (".(JO  hom- 
mes armés  ;  et  le  peuple  turc,  s'étoimant  de  cet  affront  sans 
se  soulever, assista  à  un  nouveau  .spectacle  de  sa  honte  et  du 
triomphe  de  ses  eimemis ,  en  voyant  pour  la  première  fois 
des  vaisseaux  russes  remonter  de  la  Méditerranée  à  la  mer 
Noire  par  le  canal  du  Bosphore. 

Abd-ul-llamid  mit  du  moins  la  paix  à  profit  pour  rétablir 
l'ordre  intérieur.  L'Égjpte  rentra  dans  l'obéissance.  La  rébel- 
lion de  la  Morée,  ouvertement  excitée  par  la  Russie  durant  la 
guerre,  secrètement  attisée  depuis  la  paix,  fut  éteinte  dans 
îles  flots  de  sang  :  l'intrépide  et  barbare  Hassan-Pacha  fut  le 
Dourreau  des  Grecs,  et  dressa  dans  plus  d'une  ville  des  py- 
ramides de  tètes  coupées. 

Cependant  la  Crimée,  livrée  à  son  indépendance,  était  de- 
venre  le  théâtre  des  intrigues  russes  et  turques.  Chaque  puis- 
sance avait  son  khan  ,  et  la  paix,  fréquemment  menacée  ,  ne 
fut  renouvelée  que  par  la  médiation  officieuse  de  la  France  , 
en  1779.  Grâce  à  cet  armistice  trompeur,  Catherine  fondait, 
à  l'embouchure  du  Dnieper,  la  ville,  les  fortifications  et  le 
port  de  Kerson  ;  c'est  à  Kerson  que  la  Sémiramis  du  Nord  fit 
apposer  cet  écriteau  :  C'eut  ici  le  cliemin  de  Constantinople. 
En  attendant  que  la  route  fût  plus  libre,  elle  envoyait ,  sous 
les  ordres  de  Potemkin,  une  armée  de  70,000  hommes  pren- 
dre possession  de  la  Crimée,  qu'elle  réunissait  à  son  em- 
pire par  un  manifeste  du  8  avril  178.3.  La  Porte  s'arma  à 
grand  bruit,  et  finit  par  ratifier  ce  démembrement  de  l'empire. 
Une  telle  résignation  devait  encourager  la  Russie.  Catherine 
trouva  dans  le  génie  inquiet  de  Joseph  II  un  allié  et  un  ins- 
trument peut-être.  En  1787  l'empereur  d'Autriche  et  l'im- 
jiératrice  de  Russie  eurent  une  entrevue  à  Kerson.  Ils  for- 
mèrent contre  la  Porte  une  alliance  offensive  et  défensive,  et 
la  même  année  vit  éclater  la  guerre  ;  mais  la  saison  trop 
avancée  en  renvoya  les  opérations  sérieuses  à  l'année  sui- 
vante. Les  Turcs  défendirent  glorieusement  leurs  frontières 
contre  les  impériaux,  qui  agissaient  sur  une  vaste  étendue 
de  terrain  et  par  corps  isolés.  Sur  la  mer  Noire,  la  flotte  russe 
fut  réduite  à  se  réfugier  à  Sébastopol  ;  mais  Did)icza,  Novi , 
Coîchim,  tombèrent  au  pouvoir  des  armées  coalisées;  Po- 
temkin s'empara  d'Ockzakow ,  cpii  couvrait  les  territoires 
nouvellement  annexés  a  la  Russie,  et  détruisit  la  flotte  turque, 
qui  menaçait  Kilbouniou  et  Kerson.  Cette  victoire  fut  souillée 
par  le  massacre  de  2.5,000  hommes  désarmés. 

Abd-ul-Hamid  ne  survécut  point  à  ce  désastre.  Contraint, 
au  début  de  son  règne,  de  signer,  dans  le  traité  de  liaïnardji, 
la  conclusion  fatale  de  la  guerre  de  17C9 ,  en  essayant  de  dé- 
cliirer  ce  traité,  il  ne  fit  que  léguer  à  son  successeur  une  nou- 
velle guerre,  de  nouvelles  défaites,  de  nouvelles  calamités 
diplomatiques.  Prince  faible,  doux  et  pacifique,  il  ne  suffisait 
point  àunet;\che  qui  eut  réclamé  le  bras  d'un  Mahomet  11  ou 
«l'im  Soliman.  Sagloire  modeste  cstd'avoir  préparé  la  mission 
M'formalricc  de  son  (ils  par  le  zèle  avec  lequel  il  ])aî;ona  les 
iiupoilalions  de  la  civilisation  européenne.  Son  successeur, 
.Sélim,  recueillit  cet  héritage ,  qu'il  transmit  il  Mahmoud  ,  et 
ce  fut  en  priant  pourSéliuiqu'AlHl-iil-liamid  expira !e7 avril 
1789.  E.  îÎM'.nvii.r. 


ABD-UL-MEDJID-KIIAIV,  sultan  des  Turcs,  tiente- 
et-unième  souverain  de  la  tige  d'Othman,  est  né  le  19  avril 
1823.  Il  succéda  à  son  père  Mahmoud  II,  le  1"  juillet 
1839.  A  son  avènement  la  bataille  de  Nézib  venait  d'ouvr'r 
a  1  br  ah  iin- Pacha  le  chemin  de  Coiistaiiliuopie.  Toutes 
le."»  grandes  puissances  de  l'Europe  garantirent  l'intégrité 
de  l'empire  turc;  mais  il  était  difficile  de  s'entendre  sur  les 
nouveaux  liens  qui  devaient  unir  le  vassal  au  suzerain. 
Kosrew-Pacha,  que  Mahmoud  avait  désigné  pour  guide  à 
son  successeur,  fut  nommé  grand  vizir.  L'inimitié  qui  exis- 
tait entre  cet  homme  et  Méhémet-Ali  n'était  pas  propre 
à  rendre  ia  paix  à  l'empire.  Le  14  juillet,  le  kapitan-paclia 
remit  la  flotte  impériale  au  vice-roi  d'Egypte.  Au  mois  de 
juin  1H40  Kosrew-Pacha,  accuse  de  complots  et  de  concus- 
sion, fut  condamné  à  l'exil  dans  une  forteresse.  Enfin,  sans 
la  participation  de  la  France,  l'Autriche,  la  Grande-Bre- 
tagne, la  Prusse  et  la  Russie  décidèrent,  par  le  traité  du 

I  5  juillet  1840,  qu'elles  feraient  rentrer  le  vice-roi  dans 
l'obéissance  :  le  pacha  fut  heureux  d'obtenir  son  pardon  en 
se  soumettant  aux  conditions  du  sultan,  qui  de  son  côté 
assurait  l'hérédité  de  la  vice-royauté  à  la  descendance  de 
Méhémet-Ali. 

Cependant,  en  montant  sur  le  trône,  le  jeune  sultan  Abd- 
ukMedjid  ne  s'était  pas  entièrement  livré  à  Kosrew-Pacha. 

II  avait  appelé  dans  ses  conseils  plusieurs  hommes  de  pro- 
grès, comme  Rechid-Pacha,  ministie  des  affaires  étrangères, 
ierjucl  rédigea  le  projet  de  hattichérif  de  Gulhané,  proclamé 
solennellement  le  3  novembre  1839.  Par  ce  hatti-chérif  le 
sultan  annonçait  à  ses  peuples  une  foule  d'institutions  nou- 
velles, des  garanties  pour  la  vie,  l'honneur,  les  biens  de  tous 
ses  sujets,  sans  distinction  de  religion,  et  contre  l'arbitraire 
des  impôts  et  du  recrutement.  La  rédaction  d'un  code  pénal 
marqua  bientôt  l'entrée  réelle  dans  la  voie  du  progrès.  Une 
loi  sur  le  recrutement  (ut  proclamée  en  1843,  et  le  sultan 
montra  eu  plusieurs  occasions  qu'il  voulait  tenir  une  juste 
balance  entre  les  hommes  des  différents  cultes  qui  vi- 
vaient sous  sa  loi.  Bientôt  une  modification  importante  fut 
introduite  dans  les  tribunaux  criminels  ;  les  populations 
clirétieunes  obtinrent  d'être  représentées  dans  des  tribunaux 
mixtes,  et  le  témoignage  d'un  chrétien  contre  un  Turc  fut 
admis.  D'un  autre  côté,  des  insurrections  dans  les  provinces 
danubiennes  amenèrent  encore  les  réclamations  et  l'inter- 
veiilion  de  la  Russie.  D'autres  insurrections  furent  étouffées 
dans  le  sang.  L'empire  othoman  se  ressentit  peu  de  la 
commotion  qui  bouleversa  l'Europe  après  la  révolution  de 
février.  Les  réfugies  de  tous  les  pays  furent  reçus  avec,  égard 
à  Constantinople,  et  lorsque  l'intervention  de  la  Rus-.ie  udt 
fin  à  la  guerre  nationale  de  la  Hongrie,  Kossiith  elles 
siens  trouvèrentencoreun  refuge  sur  le  territoire  turc.  Les 
puissances  intéressées  réclamèrent  ces  prisonniers.  Abd-ul- 
Medjid  résista  avec  une  énergie  qui  lui  fait  honneur. 

La  France  ayant  obtenu  la  réparation  de  quelques  in- 
justices commises  contre  les  Latins  à  Jérusalem  dans  ia 
jouissance  des  lieux  saints,  la  Russie  envoya  le  prince 
Mentscliiko  ff  à  Conslantinoiile  pour  exiger  un  droit  de 
protection  spéciale  sur  les  Grecs  sujets  du  sultan.  Abd-ul-Med- 
jid  repoussa  cette  prétention  et  rendit  seulement  un  iradé 
portant  qu'il  voulait  l'entière  exécution  de  toutes  les  con- 
cessions accordées  à  ses  .sujets  de  tous  les  cultes.  La  guerre 
s'ensuivit.  La  Russie  envahit  les  principautévS  danubiennes  ; 
les  Turcs  résistèrent  sur  le  Danube;  bientôt  les  forces  fran- 
çaises  et  anglaises  vinrent  s'unir  à  celles  des  Turcs,  et 
en  appri  nant  la  destruction  de  la  flotte  othomane  par  la  flotte 
russe,  à  Sinope,  les  alliés  entrèrent  dans  la  mer  Noire.  Après 
un  court  séjour  aux  bouches  du  Danube  ils  débarquèrent  en 
Crimée,  et  Sébastopol  fut  détruit  à  la  suite  d'un  long 
siéje. 

La  pai\  rendue  à  son  pays,  Abd-u!-Medjid  étendit  encore 
les  droits  de  ses  sujets  non  musulmans  ,  mais  les  musulmans 
H-  le  suivent  pas  partent  danscelte  voie.  Des  complots  coutre 


ACD-UL-MEDJID-KHAN  —  ABEILLES 


le  ^;uUau  furent  ilocouverUuans  le  parti  nHroRrade.  Le  15  juin 
1858  les  Turcs  de  Djeddah  assassinèrent  le  consul  anglais 
et  le  consul  français;  en  18G0  les  Uruses  et  les  musulmans 
massacrèrent  les  cliretiens  en  Syrie,  à  Damas  et  à  Der-el- 
Kammer,  sous  les  yeux  et  parfois  avec  l'appui  des  troupes 
turques.  Abd-uirMedjid  exprima  l'horreur  qu'il  éprouvait 
de  ces  fqits  dans  une  lettre  à  l'empereur  îles  Français,  en- 
voya Fuad-Pacha  pour  punir  les  coupables,  en  même  temps 
que  la  France  débarquait  des  troupes  en  Syrie. 

Al)d-ul-Medjid  est  ami  des  réformes;  il  a  assuré  et  étendu 
celles  de  son  père.  Constantinople  lui  doit  une  école  de  mé- 
decine. Il  a  proclamé  la  liberté  des  cultes,  établi  un  lliéùtre 
(ranç^ais  à  Péra,  fait  traduire  le  code  civil  Napoléon,  inlerdit 
la  culture  de  l'opium,  aboli  la  chasse  aux  esclaves,  et  su()- 
primé  les  eunuques;  il  a  aboli  le  monopole  du  commerce 
des  céréales,  et  déclaré  libre  la  profession  de  boulanger.  Il 
0  en  outre  modilié  le  système  des  impôts,  fait  des  emprunts, 
i\jais  il  n'a  pas  su  borner  ses  dépenses  et  rétablir  les  finances 
de  son  pays.  L.  Loutet. 

ABÉCÉDAIRE  (Botanique).  Voyez  Cresso!»  de 
Par4. 

ABÉCÉDAIRES  ou  ABÉCÉDARIEXS.  Sectateurs 
d'uunommé  Storck,  disciple  de  Luther,  dans  le  seizième  siè- 
cle. Ils  prétendaient  que  pour  faire  sonsalut  il  fallait  ignorer 
r  A  B  C^  attendu  que  sans  le  .secours  de  l'étude  on  recevait 
»'.('  Dion  ■^eul  rinlelligencppour  comprendre  l'Écriture  sainle 

ABEILLAGE,  droit  qu'avant  le  seigneur  féodal  de 
prendre  une  certaine  quantité  d'abeilles ,  de  cire  ou  de  miel 
dans  les  ruches  de  ses  vassaux.  —  C'était  aussi  le  droit  en 
vertu  duquel  les  essaims  d'abeilles  non  poursuivis  apparte- 
naient au  seigneur  justicier. 

ABEILLE  (  Gasp.\rd),  abbé  de  la  Merci,  membre  de  l'A- 
cadémie Française,  naquit  àRiez  en  Provence,  en  1648,  quitta 
sa  province  dans  sa  première  jeunesse ,  et  vint  à  Paris ,  où  il 
ne  tarda  pas  à  se  faire  rechercher  par  l'enjouement  de  son  es- 
prit. 11  cultiva  de  bonne  heure  la  poésie,  quoiqu'il  n'eût  reçu 
qu'à  un  très-faible  degré  cette  influence  secrète  dont  parle 
Despréaux.  Le  maréchal  de  Luxembourg  se  l'attacha  en 
qualité  de  secrétaire,  et  l'emmena  avec  lui  dans  ses  campa- 
gnes. Il  mérita  et  obtint  la  confiance  du  héros,  qui,  avant  de 
mourir,  le  recommanda  particuhèrement  à  ses  héritiers.  Le 
prince  de  Conti  et  le  duc  de  Vendôme  l'admirent  dans  leur 
familiarité,  à  cause  des  agréments  de  sa  conversation  vive  et 
spirituelle. 

Abeille  avait  un  talent  particulier  pour  faire  valoir  ses  bons 
mots.  Ce  qui  n'eût  été  que  vulgaire  dans  la  bouche  d'un  autre 
devenait  piquant  et  original  dans  la  sienne,  et  par  le  tour 
qu'il  lui  donnait,  et  par  la  manière  dont  il  le  débitait.  Il 
était  merveilleusement  secondé  par  un  visage  fort  laid  et  cou- 
vert de  rides,  dont  il  savait  à  volonté  se  faire  différents  mas- 
ques. S'il  avait  à  lire  un  conte  ou  une  comédie ,  cette  ])hy- 
sronomie  mobile  lui  servait  d'une  manière  fort  plaisante  à  faire 
distinguer  les  personnages  divers  de  la  pièce.  Abeille ,  dans 
ses  relations  avec  les  grands,  avait  su  se  faire  respecter 
par  un  heureux  mélange  de  liberté  et  de  réserve.  C'est  ce 
dont  il  se  félicitait  lui-même,  en  ajoutant  qu'il  n'avait  ja- 
mais été  réduit  à  s'écrier  comme  le  bourgeois  de  Molière: 
Ah:  George  Dandin!  on  t'es-tu  fourré?  Abc\]\e,  comme 
littérateur,  est  d'ailleurs  depuis  longtemps  oublié.  Se?, odes, 
ses  épîtres,  ses  tragédies,  écrites  d'un  style  faible,  lâche  et 
languissant ,  n'offrent  aucune  de  ces  qualités  qui  font  vivre 
les  œuvres  littéraires. 

Lors  de  la  première  représentation  (  1G73)  de  sa  tragédie 
d'Argélie,  reine  de  Thessalie,  qui  commençait,  dit-on,  par 
une  scène  entre  deux  princesses ,  dont  l'une  disait  à  l'autre  : 

Vous  souviect-il,  ma  sœur,  du  feu  roi  notre  père? 

ia  princesse  hésitant  à  répondre  ,  un  plaisant  reprit  à  haute 
Toix  : 

Ma  foi,  s'il  m'oD  souvicDl,  il  ne  m'en  souvient  gncre. 


23 

Los  autres  tragédies  de  l'abbé  Abeille,  que  nous  ne  mentionne- 
rons que  pour  mémoire,  ont  pour  titre  Caton,  Coriolan,Soli- 
ni(in  et  Hercule.  Sa  comédie  de  Crispin  bel  esprit  mérite 
Itourtant  de  ne  pas  être  confondue  avec  ses  autres  productions 
dramatiques  :  elle  est  gaie  et  semée  de  traits  vifs  et  comiques. 

L'abbé  Abeille  faisait  représenter  ses  pièces  sous  le  nom  du 
comédien  La  Thuillerie.  Il  mourut  à  Paris,  le  22  mai  1718. 
L'Académie  Française  lui  avait  ouvert  ses  portes  en  1704. 

Champagnac. 

ABEILLES.  Ces  insectes,  de  l'ordre  des  hyménoptères, 
si  remarquables  par  leur  industrie,  leur  amour  de  l'ordre  et 
du  travail ,  ont  été  de  bonne  heure  réduits  par  l'homme  à  l'é- 
tat de  domesticité  ;  cependant  on  les  rencontre  encore  àl'état 
sauvage  dans  différentes  contrées,  par  exemple  en  Pologneet 
en  Russie ,  où  ils  établissent  leur  demeure  dans  des  arbres 
creux.  Les  abeilles  sauvages  sont  toujours  plus  vigoureuses  et 
plus  velues  et  d'une  couleur  plus  foncée  que  les  autres.  Rien 
de  plus  admirable  que  l'intérieur  d'une  ruche;  mais  il  règne 
encore  beaucoup  de  contradictions  entre  les  diverses  obser- 
vations dont  les  mœurs  des  abeilles  ont  étél'objet.  Ces  insectes 
vivent  réunis  en  sociétés  nombreuses,  qu'on  appelle  essaims, 
et  composées  chacune  d'environ  20,000  abeilles  communesou 
ouvrières,  de  1,600 mâles  ou/flMjr-i)o;irrfo«5,  etd'une  femelle 
qu'on  nomme  la  reine  ou  la  mère  des  abeilles.  Les  anciens 
donnaient  aux  femelles  le  titre  de  rois ,  parce  qu'autrefois 
on  n'avait  pas  encore  pu  distinguer  leur  sexe,  à  l'égard  duquel 
des  observations  postérieures  et  irréfragables  ne  laissent  plus 
depuis  longtemps  aucune  incertitude.  Les  abeilles  communes 
ou  ouvrières,  qu'on  appelle  aussi  neutres  ,ïoTment  la  nation, 
construisent  des  cellules  d'une  manière  régulière  et  symétri- 
que, recueillent  la  cire  et  le  miel,  et  nourrissent  le  couvain. 
Elles  sont  les  plus  petites  de  toutes  et  pourvues  d'un  aiguillon 
pour  leur  défense,  d'une  trompe  avec  laquelle  elles  recueillent 
le  miel,  et  de  deux  estomacs, qui,  outre  les  fonctions  qu'ils 
remplissent  chez  tous  les  animaux,  leur  servent  encore  à  la 
préparation  de  la  cire  et  du  miel.  C'est  avec  la  cire  qu'elles 
bâtissent  les  cellules,  dont  le  principal  usage  est  de  contenir 
les  œufs  pondus  par  la  femelle  ou  la  reine.  Avec  les  brosses 
qui  garnissent  leurs  longues  pattes  postérieures  elles  se  net- 
toient et  ramassent  la  poussière  des  fleurs  en  deux  pelottes  ou 
petites  boules,  qu'elles  font  entrer  de  force  dans  les  palette.s 
ou  cuillerons  striés  transversalement  dont  sont  extérieurement 
creusés  la  jambe  et  le  premier  article  des  tarses  postérieurs . 
C'est  alors  que ,  les  pattes  chargées  de  ces  poussières  rouges , 
jaunes,  vertes  ou  blanches,  suivant  la  nature  des  plantes 
dont  elles  pioviennent ,  les  abeilles  s'envolent  vers  la  ruche. 
On  a  cru  longtemps  que  cette  poussière  séminale  des  fleurs 
ainsi  recueillie  par  les  abeilles  au  moyen  de  leurs  pattes  de 
derrière  était  la  matière  de  la  cire.  Les  observations  les  plus 
récentes  ont  fait  voir  au  contraire  qu'elle  servait  à  composer 
l'espèce  de  bouillie  dont  on  nourrit  les  larves,  et  que  la  cire 
n'était  autre  chose  que  la  matière  sucrée,  altérée  par  la  di- 
gestion dans  un  second  estomac  et  expulsée  soit  par  les 
anneaux,  soit  même  par  la  bouche  des  insectes. 

Les  abeilles  se  nourrissent  de  hquides  végétaux,  et  princi- 
palement de  liqueurs  sucrées.  C'est  du  nectar  des  plantes 
qu'elles  retirent,  au  moyen  de  leur  trompe,  un  suc  (lui  sera 
bientôt  converti  en  miel  ;  et  c'est  principalement  de  celui  qui 
est  contenu  dans  certaines  glandes  des  fleurs ,  désignées  par 
les  botanistes  sous  le  nom  général  de  nectaire,  qu'elles  recueil- 
lent riiumeursucrée.  Elles  avalent  d'abord  ce  liquide,  qui  pa- 
rait éprouverdans  leur  estomac  une  opération  particulière,  et 
être  ainsi  dépouillé  de  son  arôme  et  de  la  matière  visqueuse 
à  laquelle  il  étaituni  ;  ce  qui  lui  donne  la  propriété  de  pouvoir 
être  exposé  à  l'air  sans  fermenter.  En  effet,  lorsque  l'abeille 
dégorge  ce  suc,  il  a  tout  à  fait  changé  de  nature;  c'est  un  véri- 
table miel,  dont  les  femelles,  les  mâles  et  les  neutres  se  nour- 
rissenlsuivantleurs besoins.  L'excédant  est  déposé  dansles  al- 
véoles vi<les,  dont  les  paroisne  permettent  pas  la  transsiulation, 
cl  qui  sont  formés   d'un  opercule  de  cire  fermé  hermétique- 


24 


ABEILLLS 


mont,  pour  n'être  ouverts  que  lorsque  les  besoins  impérioux  et 
l'impossibilité  de  trouver  de  la  nourriture  ailleurs  forceront 
d'avoir  recours  à  ces  provisions. 

Les  miles  ou  faux-bourdons  sontplusgrandsque  les  ouvriè- 
res, mais  ils  n'ont  point  d'aif^uiilon  ,  ne  recueillent  ni  miel  ni 
pollen,  et  se  nourrissent  au  contraire  des  provisions  amassées 
par  les  ouvrières.  Ils  sortent  le  matin  de  la  ruche,  et  n'y  ren- 
trent <pie  jH'ndant  les  heures  de  la  grande  chaleur;  queiipie- 
fois  même  ils  ne  s'y  retirent  que  pour  y  passer  la  nuit  :  il  pa- 
rait que  leur  unique  fonction  est  de  féconder  la  reine.  Cette 
opération  importante  une  fois  achevée,  ils  sont  impitoyable- 
ment nus  à  mort  par  les  ouvrières;  c'est  en  général  dans  les 
mois  de  juin,  de  juillet  et  d'août  que  se  fait  ce  grand  carnage  ; 
et  on  a  remarqué  qu'il  avait  ordinairement  lieu  après  une 
longue  pluie,  lorsque  le  vent  froid  avait  soufllc  pendant  quel- 
ques jours,  et  que  le  ciel  était  resté  longtemps  couvert.  Après 
cette  époque,  on  ne  trouve  plus  de  mâles  dans  les  ruches  ;  et 
ce  n'est  qu'en  avril  et  en  mai  suivant  que,  de  nouveaux  œuls 
ayant  été  pondus,  on  en  voit  reparaître ,  d'abord  en  petit  nom- 
bre ,  et  ensuite  en  grande  quantité.  Ils  éclosent  dans  les  ru- 
ches avant  les  reines ,  lesquelles  ne  sont  pas  moins  impropres 
(pie  les  mâles  à  tout  travail,  et  n'ont  aussi  d'autre  fonction  que 
celle  de  perpétuer  l'espèce. 

La  reine  est  l'àme  de  l'essaim ,  et  on  n'en  souffre  jamais 
deux  dans  la  même  ruche.  S'il  en  nait  plusieurs  dans  un  cou- 
vain, ou  elles  forment  avec  leurs  partisans  de  nouveaux 
essaims,  ou  elles  sont  successivement  mises  à  mort  par  celle 
qui  est  éclose  la  première.  Le  premier  soin  d'une  reme-abeille 
en  naissant  est  en  effet  d'aller  aux  cellules  royales  et  de  tuer 
les  larves  qui  pourraient  devenir  ses  rivales.  ])eux  reines  sor- 
tent-elles en  même  temps  de  l'alvéole,  elles  se  livrent  aussi- 
tôt un  combat  à  outrance,  auquel  assistent  les  ouvrières  en 
formant  le  cercle  autour  d'elles.  Si  la  plus  faible  essaye  de 
chercher  son  salut  dans  la  fuite ,  elles  l'obligent  à  revenir  au 
combat,  dans  lequel  l'un  des  deux  adversaires  doit  infaillible- 
ment trouver  la  mort. 

11  se  forme  régulièrement  tous  les  ans  un  nouvel  essaim  ; 
mais  s'il  s'en  formait  deux  ou  trois,  cela  ne  serait  pas  avanta- 
geux, parce  que  alors  les  essaims  seraient  trop  faibles.  La  reine 
est  plus  grande  que  les  autres  abeilles ,  et  elle  a  hâte  de  s'ac- 
quitter de  ses  fonctions  ;  aussi  ne  reste-t-elle  que  peu  de  temps 
dans  l'état  de  virginité.  En  général,  cinq  ou  six  jours  après 
sa  naissance,  ou  un  jour  après  qu'elle  s'est  établie  dans 
une  nouvelle  demeure  à  la  tète  d'une  colonie  (ce  qui  arrive 
dans  les  mois  de  mai ,  juin  et  juillet),  on  la  voit  sortir  pour 
aller  à  la  recherche  d'un  mâle.  Elle  revient  à  la  ruclie  or- 
dinairement fécondée.  Les  ouvrières  le  reconnaissent  alors , 
à  ce  qu'il  parait,  à  des  signes  non  équivoques  ;  car  la  reine  de- 
vient tout  aussitôt  de  leur  part  l'objet  de  soins  et  d'hom- 
mages qu'on  ne  lui  avait  pas  encore  rendus.  La  reine  pond 
dans  chaque  cellule  un  œuf,  qui,  lorsqu'il  est  éclos,  est  soi- 
gné par  les  ouvrières.  Toutes  les  abeilles  montrent  un  grand 
attachement  pour  elle  ;  et  l'essaim  tout  entier  se  disperse  ou 
meurt  si  quelque  accident  vient  à  la  faire  périr. 

L'œuf  déposé  dans  les  cellules  y  éclot  par  la  seule  chaleur 
de  la  ruche.  Un  petit  ver  blanc  en  sort  qui  est  nourri  avec  l'es- 
pèce de  bouillie  dont  nous  avons  fait  mention  plus  haut.  H 
nie  une  coque  soyeuse  dans  laquelle  il  subit  la  transformation 
en  chrysalide,  puis  enfin ,  parvenu  à  l'état  d'abeille,  il  perce 
sa  prison  et  commence  son  existence  sociale. 

Quand  line  fois  un  grand  nombre  d'abeilles  sont  nées, 
l'habitation  commune  ne  peut  plus  contenir  tous  les  habi- 
tants. Une  émigration  devient  alors  nécessaire;  elle  ne  peut 
toutefois  s'effectuer  que  lorsqu'une  nouvelle  reine,  qui  rem- 
placera celle  qui  va  partir  en  tète  de  la  colonie,  est  sur  le  point 
d'éclore.  Quelles  que  soient  les  incommodités  résultant  de 
cette  nombreuse  réunion,  le  départ  est  toujours  retardé  jus- 
qu'à cette  époque.  .\  peine  cet  événement  tant  attendu  est-il 
arrivé  qu'un  grand  nombre  d'abeilles,  ayant  à  leur  tête  la 
vieille  rx'inc ,  abandonne  Ihabitation.  Cette  colonie  errante 


prend  le  nom  tYcsxai)]!;  les  insectes  qui  la  composent  ne  tardent 
pas  à  s'arrêter  dans  un  endroit  quelconque,  souvent  sur  une 
branche  d'arbre  ;  là  ils  forment  une  espèce  de  grappe  ou  de 
crtne  en  se  cramponant  les  uns  aux  autres  au  moyen  de  leurs 
pattes.  Au  moment  oii  ce  groupe  se  fixe,  la  femelle  reste  ordi- 
nairement dans  le  voisinage,  et  ne  se  réunit  à  la  masse  que 
quelque  tempî  r.piès.  C'est  le  moment  que  doit  choisir  l'é- 
leveur d'abeilles  pour  s'emparer  de  l'essaim  et  le  placer  dans 
une  demeure  convenable. 

Le  départ  est  précédé  de  phénomènes  assez  singuliers,  et 
s'annonce  par  des  signes  non  équivoques.  Les  mâles  qui 
viennent  de  naître  paraissent  alors  en  grand  nombre;  plu- 
sieurs milliers  d'habitants,  ne  trouvant  plus  de  place  dans 
la  ruche  ,  se  groupent  par  tas  au  dehors.  Un  bourdonnement 
parlicidier  se  fait  souvent  entendre  le  soir  et  la  nuit  dans 
l'intérieur  de  rhabflation ,  ou  bien  on  y  remarque  un  calme 
qui  n'est  pas  ordinaire.  Enfin,  dès  le  matin  du  jour  oii  la 
colonie  doit  s'expatrier,  le  calme  est  encore  plus  parfait  ;  et 
le  repos  succède  à  l'activité  générale  qu'on  remarquait  la 
veille.  Les  abeilles  qui  doivent  émigrer  semblent  ainsi  pré- 
voir l'heure  du  départ,  qui  a  ordinairement  lieu  vers  le 
milieu  du  jour,  par  un  temps  chaud  et  un  ciel  pur.  Il  paraît 
aussi  qu'elles  jugent  alors  inutile  d'entreprendre  ou  d'ache- 
ver des  travaux  dont  elles  ne  doivent  pas  jouir.  La  même 
inaction  a  lieu  lorsqu'un  essaim ,  après  s'être  établi  dans 
une  demeure  et  y  avoir  commencé  quekpies  travaux ,  se  dé- 
cide à  l'abandonner.  Une  ruche  donne  généralement  pen- 
dant le  printemps  trois  ou  quatre  essaims  ;  quelquefois  ce- 
pendant elle  n'en  fournit  aucun.  C'est  lorsque  les  habitants 
en  sont  en  trop  petit  nombre.  L'usage  de  poursuivre ,  en 
frappant  sur  des  chaudrons,  des  casseroles,  les  essaims  qui 
s'envolent ,  s'est  perpétué  jusqu'à  nos  jours.  On  en  fait 
remonter  l'origine  à  l'histoire  fabuleuse  de  l'enfance  de  Ju- 
piter, qui  placé  par  sa  mère  Cybèle  dans  la  grotte  Dictys  du 
mont  Ida,  en  Crète,  y  fut  nourri  par  des  abeilles,  tandis  que 
les  Coribanlcs  frappaient  sur  des  instruments  retentissants , 
afin  que  ses  cris  ne  fussent  pas  entendus  de  son  père  Sa- 
turne. On  a  conseillé  d'arrêter  les  essaims  qui  s'enfuient  en 
leur  tirant  des  coups  de  fusil  chargés  à  poudre;  mais  rien 
ne  prouve  l'efficacité  de  ce  procédé.  Les  abeilles  redoutant 
beaucoup  la  pluie ,  la  grêle ,  on  cherche  aussi  à  forcer  les  es- 
saims à  suspendre  leur  fuite  en  leur  jetant  de  la  poussière , 
du  sable  fm ,  etc. 

On  introduit  un  essaim  dans  la  ruche  qu'on  lui  destine  de 
plusieurs  manières  :  on  suspend  la  ruche  au-dessus;  on  frotte 
son  intérieur  avec  des  plantes  odorantes,  du  miel ,  etc. ,  ce 
qui  détermine  les  abeilles  à  aller  s'y  établir.  Quelquefois  on 
attend  que  les  abeilles  soient  engourdies  par  la  fraîcheur  du 
soir  :  alors  on  peut  les  prendre  avec  la  main  et  les  déposer 
dans  la  ruche  renversée  ;  on  la  recouvre  d'un  drap ,  on  la 
redresse  et  on  la  met  en  place.  Le  premier  travail  d'un  es- 
saim c'est  d'enduire  l'intérieur  de  la  ruche  d'une  matière 
glutineuse,  appelée  jjro^JoZ/s.  Les  abeilles  travaillent  ensuite 
à  la  confection  des  gâteaux. 

Si  une  ouvrière  étrangère  ose  pénétrer  dans  une  ruche, 
elle  est  à  l'instant  mise  à  mort  par  celles  qui  font  la  garde. 
Les  abeilles  ont  en  effet  de  nombreux  ennemis ,  contre  les 
attaques  et  les  embûches  desquels  il  leur  faut  se  défendre. 
Ce  sont  notamment  les  frelons,  les  guêpes,  les  souris,  les 
teignes,  les  sphinx  tête  de  mort  ;  adversaires  tous  plus  redou- 
tables et  plus  perfides  les  uns  que  les  autres.  Tous  les  moyens 
sont  mis  en  usage  pour  s'opposer  à  leur  entrée  dans  la  ruche  ; 
tous  les  efforts  sont  dirigés  vers  ce  but,  car  une  fois  qu'ils 
ont  réussi  à  y  entrer,  il  est  bien  difficile  aux  abeilles  de  s'opposer 
à  leurs  dévastations.  Elles  n'ont  plus  alors  d'autre  parti  à 
prendre  que  de  fuir  et  de  transporter  ailleurs  leur  indus- 
trie. Les  ouvrières,  on  l'a  deviné,  sont  les  seuls  combattants  ; 
elles  veillent  sans  cesse  à  la  ruche,  et  font  une  reconnais- 
sance scrupuleuse  de  tous  les  individus  qui  y  entrent ,  en  les 
louchant  de  leurs  antennes. 


ABEILr.ES  —  Alih'lLARD 


îxs  alii'illes  sont  siijelto,*  à  t!ivcr>es  maladies,  et  surtout 
il  une  espèce  de  dys.senterie  qui  lus  fail  promptemi-iit  [k-rir. 
Ou  combat  cette  maladie  par  de  IVaii  salée,  on  mieux  par 
un  mélau^e  de  Tin  vieux  ,  de  miel  et  de  sel.  On  a  proposi' 
divers  moyens  auesthésiques  pour  les  endormir  au  lieu  de  les 
étouffer  quand  on  veut  s'emparer  de  leurs  produits.  On  a 
aussi  imaginé  de  conserver  les  essaims  l'hiver  en  les  en- 
fouissant en  terre  ,  moyennant  certaines  précautions. 

La  piqrtredes  abeilles  estfort  douloureuse,  et  fait  naître  sur 
la  peau  des  boutons  qui  occasionnent  une  cuisson  brûlante. 
Lorsqu'elles  .sont  multipliées  ou  qu'elles  atteignent  des  par- 
ties délicates,  elles  peuNent  amener  la  fièvre,  les  convulsions 
et  môme  la  mort.  Ou  calme  les  souiïrances  qu'elles  produi- 
sent en  extrayant  l'aiguillon,  qui  demeure  souvent  dans  la 
plaie,  et  en  faisant  des  onctions  huileuses.  Si  une  abeille  avait 
été  avalée,  on  devrait  prendre  une  forte  dissolution  de  sel 
marin  qui  la  tuerait. 

Les  ruches  d'abeilles  sont  considérées  comme  immeubles 
quand  elles  ont  été  i)!acées  dans  un  tonds  par  le  propriétaire 
pour  le  service  et  l'exploitation  du  fonds  même  (  art.  524  du 
Code  Napok'on)  ;  aussi  le  propriétaire  d'un  essaim  d'abeilles 
a-'-il  le  droit  de  le  suivre  partout  et  de  le  reprendre  où  il  se 
trouve  sans  aucune  permission  du  juge;  mais  il  faut  que  le 
propriétaire  n'ait  pas  cessé  de  pouisui\re  cet  essaim  pour 
constater  que  c'est  bien  le  sien.  Si  cepentlant  les  abeillles  se 
.sont  retirées  dans  les  ruches  du  voisin,  le  propriétaire  ne 
peut  que  les  appeler  à  lui,  sans  avoir  le  droit  de  renverser  la 
loge  pour  les  y  prendre.  Lorsqu'un  essaim  s'arrête  sur  un 
héritage  affermé  sans  être  réclamé  en  temps  utile,  le  fermier 
a  le  droit  d'en  jouir  comme  de  cet  héritage;  mais  à  la  lin  du 
bail  il  doit  le  laisser.  11  n'est  pas  permis  de  troubler  les 
abeilles  dans  leurs  courses  et  leurs  travaux  ;  et  même  en 
cas  de  saisie  légitime,  une  ruche  ne  peut  être  déplacée  que 
dans  les  mois  de  décembre,  janvier  ou  février. 

ABEL,  en  hébreuHÉCEL,5ow^^e,  nom  donné  au  second 
fils  d'Adam,  peut-être  à  cause  de  la  courte  durée  de  sa  vie.  Il 
était  berger,  et  son  frère  aine.  Gain,  laboureur.  Gain  offrit  au 
Seigneur  ses  premiers  fruits,  Abel  les  preiuiers-nés  de  son 
troupeau.  Dieu,  en  faisant  connaître  que  l'offrande  d'Abel 
lui  était  agréable,  rejeta  celle  de  Gain;  et  celui-ci  en  conçut 
nne  jalousie  telle,  qu'il  tua  son  frère  dans  les  champs. 
Gessner  et  Byron  ont  pris  cette  antique  tradition  biblique 
pour  le  .Mijet  de  poënies  que  chaom  connaît. 

ABEL  (Nicolas-Henri)  ,  l'un  des  plus  profonds  mathé- 
maticiens des  temps  modernes,  né  à  Findoe,  dans  le  bailliage 
de  Christiansand,  en  Norvège ,  le  5  août  1802,  reçut  sa  pre- 
mière éducation  sous  la  direction  de  son  père,  Sœren-Gcor- 
fjcs  Abel ,  pasteur  de  l'endroit ,  et  alla  plus  tard  suivre  le 
cotirs  d'instruction  supérieure  professé  dans  une  école  de 
Christiania,  où  l'explication  qu'il  entendit  faire  de  quclquas 
jiroblèmes  de  mathématiques  éveilla  son  génie  pour  cette 
science.  Il  était  encore  sur  les  bancs  de  l'université  de  sa 
patrie,  que  déjà  il  publiait  quelques  opuscules  qui  suffirent 
à  lui  créer  une  place  importante  dans  le  monde  savant.  Le 
gouvernement  suédois  lui  accorda  alors  spontanément  mi 
traitement  destiné  à  lui  faciliter  un  voyage  de  deux  années  à 
l'étranger,  à  l'effet  de  compléter  ses  éludes  et  ses  travaux. 
Abel  visita  successivement  Berlin,  Vienne  et  Paris,  puis  re- 
vint se  fixer  pendant  quelque  temps  à  Berlin  ,  où  il  ne  faida 
pas  à  être  l'un  des  rédacteurs  les  plus  assidus  du  Journal 
(les  Malhcmatir/ues  pures  et  appliquées  de  Crelle.  Les 
travaux  d'Abel  eurent  surtout  pour  objets  les  fonctions  el- 
liptiques; et  dans  celle  voie  il  enrichit  la  sxicnce  des  plus 
magnifiques  découvei  tes.  De  relo-.ir  en  Norvège ,  il  fui  bien- 
tôt nonmié  professeur  à  l'université  et  à  l'école  des  iiigéuiouis 
de  Christiania  ;  mais  l'extrême  ardeur  avec  laquelle  il  se  li- 
vra au  travail  ne  tarda  pas  à  épuiser  ses  forces ,  et  il  mourut 
le  6  avril  1829,  àArendal.  .Son  maître,  le  professeur  llolmbcr, 
a  piihlié  ses  divers  ouvrages  en  langue  française  (  2  vol.  in-i", 
Christiania,  1839  ). 

L'ICX.    V^    LA    CO.SVEfl^AT'.U."!.    —    I.    I. 


ABEL  (Clarkr),  chirurgien  et  naturaliste  anglais  qui 
accompagna  lord  Amherst  dans  son  ambas.sade  en  Chine, 
en  18fG  et  1817 ,  publia  une  relation  de  ce  voyage  à  la  sm'te 
de  laquelle  on  trouve  des  appendices  concernant  l'histoire 
naturelle,  et  particulièrement  un  travail  de  M.  R.  Brown  sur 
quelques  plantes  remarquables  de  la  Chine.  Malheureusement 
cette  partie  de  l'ouvrage  d'Abel  n'est  pas  aussi  complète 
qu'on  devait  l'espérer,  la  plupart  des  collections  ayant  été 
perdues  dans  le  naufrage  du  navire  sur  lequel  l'auteur  était 
embarqué.  La  mission  de  lord  Amherst  terminée ,  Abel  fut 
nommé  chirurgien  en  chef  de  la  compagnie  des  Indes.  Il  est 
mort  à  Calcutta,  le  2G  décembre  182G.  —  R.  Brown  a  dédié 
an  docteur  Abel  un  genre  déplantes  dicotylédones,  origi- 
naire de  la  Chine ,  qui  a  pris  le  nom  lïAbelia. 
ABEL  DE  PUJOL.  Vorj.  Pljol. 
ABEL-RÉMUSAT.  Voy.  Rémusat. 
ABELiVRD  (Pierre),  philosophe  scolastique  et  théolo- 
gien, non  moins  célèbre  par  son  génie  que  par  ses  malheurs, 
naquit  en  1079,  à  Palais,  bourg  voisin  de  Nantes  et  dont  son 
père  était  seigneur.  Une  irrésistible  vocation  l'entraîna  vers  l'é- 
tude des  sciences  ;  et  pour  s'y  livrer  en  toute  liberté  il  renonça 
à  la  carrière  des  armes  et  à  son  droit  d'aînesse  en  faveur  de 
ses  frères.  11  étudia  la  poésie ,  l'éloquence ,  la  philosophie ,  la 
jurisprudence  et  la  théologie,  et  se  rendit  bientôt  familières 
les  langues  hébraïque  ,  grecque  et  latine.  La  dialectique  sco- 
lastique resta  toutefois  le  sujet  favori  et  principal  de  ses  tra- 
vaux. Quoique  la  Bretagne  possédât  alors  des  savants  dis- 
tingués, Abélard  eut  bientôt  épuisé  leur  science.  Il  parcourut 
les  diverses  provinces  de  France ,  où  il  espérait  trouver  des 
maîtres  ou  des  rivaux,  et  vint  enfin  à  Paris,  dont  l'Université 
attirait  de  nombreux  écoliers  de  toutes  les  parties  de  l'Eu- 
rope. Guillaume  de  Champeaux,  qui  y  professait,  était  le  plus 
habile  dialecticien  de  son  siècle.  Abélard  profita  si  bien  de 
ses  leçons,  qu'il  embarrassa  souvent  son  maître  par  la  subtilité 
de  son  esprit  et  la  forc^  de  ses  objections.  A  l'amitié  que  son 
professeur  lui  avait  d'abord  vouée  succéda  la  haine  la  plus 
vive ,  haine  que  partagèrent  les  autres  écoliers  de  Guillaume 
de  Champeaux. 

Abélard,  qui  n'avait  pas  encore  vingt-deux  ans,  se  vit  con- 
traint, pour  se  soustraire  à  l'orage  qui  le  menaçait,  de  se 
retirer  à  Melun,  où  sa  rcHommée  attira  en  peu  de  temps  une 
foule  de  jeunes  gens  qui  désertaient  les  écoles  de  Paris  pour 
aller  l'entendre.  De  Melun,  il  vint  à  Corbeil,  plus  près  de 
Paris,  où  il  fut  l'objet  de  la  môme  admiration  et  des  mê- 
mes haines.  Mais  il  lui  fallut  interrompre  ses  travaux,  pour 
aller  rétablir  dans  son  pays  natal  sa  santé  ruinée.  Deux  ans 
après  il  retourna  à  Paris,  et  y  ouvrit  une  école  dont  l'éclat 
laissa  bientôt  toutes  les  autres  sans  auditeurs.  Il  y  enseigna 
la  philosophie  et  la  théologie ,  et  forma  les  écoliers  les  plus 
distingués ,  parmi  lesquels  nous  citerons  celui  qui  plus  tard 
devait  occuper  la  chaire  de  saint  Pierre  sous  le  nom  de  Cé- 
lestin  II  ;  Pierre  Lombard ,  évêque  de  Paris;  Bérenger ,  qui 
par  la  suite  fut  l'un  de  ses  plus  intrépides  et  éloquents  apo- 
logistes; Jean  de  Salisbury  ;  et  enfin  Arnaud  de  Brescia. 

A  cette  époque  vivait  à  Paris  (dans  une  maison  que  la  tra- 
dition place  dans  la  cité ,  non  loin  de  Notre-Dame)  une  jeune 
personne ,  nommée  Louise  ou  Héloise ,  nièce  de  Fulbert,  l'un 
des  chanoines  de  la  cathédrale ,  et  âgée  seulement  de  dix- 
sept  ans.  Peu  de  femmes  la  surpassaient  en  beauté ,  aucune 
ne  l'égalait  en  esprit  et  en  connaissances  de  tout  genre.  Abé- 
lard s'éprit  tellement  d'amour  pour  Héloise,  qu'il  oublia  ses 
devoirs,  ses  leçons  et  même  la  gloire,  jusque  alors  unique 
objet  de  ses  désirs.  Héloise,  de  son  coté ,  ne  fut  point  insen- 
sible à  l'amour  d'un  homme  célèbre,  jeune  encoie  (  il  n'avait 
que  trente-huit  ans) ,  d'une  assez  belle  ligure.  Sous  le  piétexte 
d'achever  son  éducation,  Abélard  reçut  de  Fulbert  la  per- 
mission de  la  voir  souvent;  et  pour  la  voir  plus  souvent  en- 
core il  vint  bientôt  se  mettre  en  pension  c'nez  lui.  Les  deux 
amants  V('Turenl  ainsi  i)lusieurs  mois  au  comble  <ie  la  félicité, 
et  plus  occupés  de  iciirs  amours  que  de  leurs  etudci.  Mais 


2C 

celle  liaUon  finit  far  ^tre  conmit-  de  Fulbert,  qui  les  sépara. 
Il  (Hait  troj.  tard.  Heloise  portait  dans  son  .sein  le  fruit  de  leur 
coniniune  laiWesse.  Abf^lard  Tenleva,  et  la  conduisit  en  Bre- 
tonne, où  elle  accoucha  d'un  fils,  qui  embrassa  l'état  ecclésias- 
tique et  qui  survécut  à  son  père.  .\bélard  songea  alors  à  se 
marier  secrètement  avec  elle  ;  Fulbert  fut  obligé  de  donner 
.son  assentiment  à  ce  projet.  Héloïse,  qui,  par  un  dévoue- 
ment extraordinaire,  eût  mieux  aimé  passer  toujours  pour  sa 
maitresse ,  finit  aussi  par  y  consentir.  Le  mariage  fut  céiébré  ; 
et  pour  le  tenir  secret ,  pour  qu'il  ne  devînt  point  un  obstacle 
dirimant  à  ce  qu'.\bélard  parvînt  à  quelque  haute  dignité 
ecclésiastique ,  alors  le  but  constant  de  l'ambition  des  plus 
>;rands  esprits ,  Héloïse  continua  à  habiter  avec  son  onde, 
pendant  qu'.\bélard  occupait  son  ancien  logement ,  où  il  con- 
tinuait toujours  ses  leçons  publiques.  Us  ne  se  voyaient  que 
très- rarement. 

Fulbert  cependant,  croyant  que  le  secret  ne  pouvait  qu'ê- 
tre désavantageux  à  l'honneur  de  sa  nièce,  le  divulgua. 
Héloise,  de  son  cOté ,  qui  tenait  plus  à  la  gloire  et  à  la  fortune 
d'Abélard  qu'à  son  propre  honneur,  nia  le  mariage ,  même 
par  senuent.  FuU)ert  en  témoigna  sa  colère  h.  sa  nièce  par  de 
mauvais  traitements ,  auxquels  Abélard  trouva  moyen  de  la 
soustraire,  en  l'enlevant  une  seconde  fois  et  en  la  plaçant  dans 
l'abbaye  d'Argenteuil ,  où  elle  avait  été  élevée.  Fulbert,  per- 
suadé qu' Abélard  voulait  sacrifier  Héloïse  à  son  ambition  en 
la  forçant  à  prendre  le  voile,  s'en  vengea  en  l'attirant  dans 
un  guet-apens  où  il  le  fit  horriblement  mutiler.  Après  cette 
catastrophe,  qui ,  aux  termes  des  lois  canoniques ,  le  rendait 
désormais  incapable  et  indigne  de  toute  dignité  ecclésias- 
tique, Abélard  se  fit  moine  à  l'abbaye  de  Saint-Denis,  et  Hé- 
loïse prit  le  voile  à  Argenteuil. 

Quand  le  temps  eut  apporté  quelque  adoucissement  à  sa 
douleur,  Abélard  reprit  à  Paris  ses  leçons  publiques  ;  mais 
s'attira  par  cela  même  de  nouvelles  persécutions.  En  1122 
ses  ennemis  le  traduisirent  devant  le  concile  de  Soissons  ,  à 
l'occasion  d'un  écrit  sur  la  Trinité  qu'ils  parvinrent  à  faire 
déclarer  entaché  d'hérésie.  Abélard ,  en  punition  de  sa  faute , 
fut  condamné  à  brûler  lui-même  son  ouvrage.  Les  persécu- 
tions continuelles  dont  il  était  l'objet  le  forcèrent  enfin  à 
(juitter  l'abbaye  de  Saint-Denis  et  à  se  retirer  dans  les  envi- 
rons de  Nogent-sur-Seine ,  où  il  fit  bâtir  une  chapelle  qu'il 
consacra  au  Saint-Esprit,  et  qu'il  appela  le  Paradet.  11  ras- 
sembla autour  de  lui  dans  cette  solitude  un  grand  nombre 
de  disciples.  Nommé  plus  tard  abbé  de  Saint-Gildas-de-Ruys, 
il  invita  Héloïse  ct-ses  religieuses  à  venir  s'établir  au  Paraclet, 
et  les  y  reçut.  Après  une  séparation  de  onze  années,  les  deux 
amants  s'y  revirent  pour  la  première  fois. 

.\bélard  véc\it  ensuite  à  Saint-Gildas,  séjour  rempli  pour 
lui  d'amertume  et  de  tristesse ,  car  il  ne  pouvait  y  oublier  ses 
amours;  et  où  plus  que  jamais  il  fut  en  butte  à  la  haine  des 
inoiues,  qui  en  vinrent  jusqu'à  menacer  sa  vie.  Saint  Ber- 
nard, qui  avait  pendant  longtemps  refusé  de  se  déclarer 
contre  un  houuue  qu'il  ne  pouvait  s'empêcher  d'admirer, 
céda  enfin  aux  pressantes  instances  de  ses  amis ,  dénonça 
les  doctrines  philosophiques  d'Abélard  au  concile  de  Sois- 
sons,  les  fit  condamner  i)ar  le  pape,  et  obtint  même  un  or- 
dre d'incarcération.  Abélard  en  appela  au  saint  père  mieux 
éclairé,  et  entreprit  le  voyage  de  Rome.  En  i)assant  par 
Cluny,  il  visita  Pierre  le  Vénérable,  qui  en  élait  alors 
abbé.  Ce  théologien,  non  moins  éclairé  que  vertueux,  le 
réconcilia  avec  ses  ennemis;  mais  Abélard,  à  bout  de 
discussions  et  de  luttes  théologico-philosophiques,  résolut 
«!e  finir  ses  jours  dans  la  solitude.  Les  mortifications  sé- 
vères qu'il  s'imposait  par  esprit  de  pénitence,  jointes  au  cha- 
•g\\n  profond  qui  jamais  ne  quittait  son  cœur,  consumèrent 
l)eu  à  peu  les  forces  de  son  corps;  et  en  11  i2  il  mourut 
tout  à  la  fois  martyr  et  modèle  de  la  discipline  monacale,  dans 
l'abbaye  de  Saint-Marcel,  près  de  Châlons-sur-Saône,  à  l'à^e 
de  soixante-trois  ans.  Héloïse,  qui  lui  survécut  pendant  vingt 
ans,  ohlinl  à  force  de  prières  qu'on  lui  rendit  la  dépouille  mor- 


ABÉLARD  —  ABÉLITES 


telle  d'Abélard  ,  et  la  fit  enterrer  au  Paraclet,  pour  pouvoir 
un  jour  dormir  du  sommeil  éternel  auprès  de  lui.  En  14!)7 
les  deux  corps  furent  séparés,  et  placés  dans  la  grande  église 
de  l'abbaye,  un  de  chaque  côté  du  chœur.  En  1630  les 
deux  tombes  furent  transférées  dans  la  chapelle  de  la  Tri 
nité.  En  1702  ,  le  Paraclet  étant  sur  le  point  d'être  vendu , 
les  restes  d'Abélard  et  d'Héloïse  furent  portés  dans  l'église 
de  Xogent-sur-Seine.  Sept  ans  après,  le  16  février  1800,  le 
minisire  de  l'intérieur,  Lucien  Bonaparte,  ordonna  leur 
translation  au  Musée  des  monuments  français.  Alexandre 
Lenoir  plaça  les  corps  des  deux  amants  dans  le  jardin  de 
son  musée ,  sous  le  couvert  d'une  petite  chapelle  qu'il  fit 
construire  dans  le  style  du  douzième  siècle,  avec  des  débris 
de  pierres  architecturales  trouvés  à  Saint-Denis ,  au  Para- 
clet et  ailleurs.  Les  figures  couchées  d'Héloïse  et  d'.\bélard 
furent  moulées  par  le  statuaire  de  Seine  sur  les  têtes  des 
deux  amants.  Après  la  destruction  du  Musée  des  monu- 
ments français  la  chapelle  d'Héloïse  et  d'Abélard  a  été  trans- 
portée au  cimetière  du  Père-Ia-Chaise ,  où  elle  est  encore 
tous  les  ans  l'objet  du  pèlerinage  des  âmes  tendres. 

Dans  sa  discussion  avec  saint  Bernard,  Abélard  avait 
développé  et  soutenu  les  doctrines  du  pur  rationalisme,  et 
on  peut  considérer  son  prédécesseur  Érigène  et  lui  comme 
les  deux  plus  anciens  champions  de  ce  système  philoso- 
phique. Abélard  soutenait  qu'on  ne  doit  croire  que  ce  que  l'on 
a  préalablement  compris  ;  saint  Bernard  au  contraire ,  avec 
l'Église,  qu'il  faut  commencer  par  croire,  sauf  à  compren- 
dre ensuite  si  l'on  peut ,  et  que  l'esprit  d'examen  est  incon- 
ciliable avec  l'esprit  de  la  religion.  Pour  bien  apprécier 
Abélard ,  il  ne  suffit  pas  de  le  juger  d'après  ses  ouvrages ,  il 
faut  encore  lui  tenir  compte  de  l'influence  que  par  sa  dia- 
lectique orale  il  exerça  sur  les  opinions  de  son  siècle.  Son 
caractère  privé ,  de  même  que  ses  doctrines  philosophiques, 
fut  de  la  part  de  ses  contemporains  l'objet  des  accusations 
les  plus  passionnées;  et  chose  étrange  en  vérité,  le  nom  du 
penseur  le  plus  hardi  qu'ait  produit  le  douzième  siècle  a  été 
dérobé  à  l'oubli  moins  par  ses  travaux  et  ses  doctrines  que 
par  son  amour  et  les  malheurs  qu'il  lui  attira  ;  malheurs 
qui  ont  transformé  pour  le  vulgaire  des  générations  sui- 
vantes l'homme  que  ses  contemporains  admiraient  comme 
un  profond  théologien  et  un  dialecticien  consommé ,  en  un 
héros  de  roman. 

Les  lettres  d'Héloïse  et  d'Abélard,  publiées  d'abord  dans 
le  texte  original,  ont  été  par  la  suite  traduites  dans  toutes 
les  langues,  et  les  poètes  se  sont  à  l'envi  efforcés  d'en  repro- 
duire les  sentiments  brûlants  dans  des  vers  où  l'expression 
ne  répond  pas  toujours  à  l'intention,  témoin  Colardeau.  Pope, 
il  faut  bien  le  reconnaître ,  a  été  plus  heureux. 

François  Amboise  et  Duchesne  ont  publié  une  édition  com- 
plète en  latin  des  ouvrages  et  des  lettres  d'Al)élard  (  Paris, 
1616  ,  in-4°  ).  Dans  ces  derniers  temps  d'autres  écrits  de  ce 
penseur,  restés  jusque  alors  inconnus,  comme  le  Sic  et  Son, 
recueil  de  contradictions  dogmatiques  des  Pères  de  l'Église, 
ont  été  retrouvés  et  mis  en  lumière,  les  uns  par  M.  Cousin 
(Paris,  1S36,  in-4°),  les  autres  par  Rheiuvvald  (Berlin, 
1835).  Une  savante  notice  de  M""^  Guizot,  terminée  par 
M.  Guizot,  a  été  imprimée  en  tête  de  la  traduction  des  Let- 
tres d'Abélard  et  d'Héloïse  par  M.  Oddoul  (1839,  2  vol. 
in-8°  ).  M.  Cousin  a  fait  précéder  son  travail  d'une  remar- 
quable introduction.  Enfin  on  doit  à  M.  Villenave  père  un 
volume  intitulé  :  Abélard  et  lîéloise ,  leurs  amours,  leurs 
mnllicurs  et  leurs  ouvrages  {is2i,m-?,°  ),  réimprimé  en 
têtt'  d'une  traduction  nouvelle  des  Lettres  d'Héloïse  et  d'A- 
bélard, par  le  bibliophile  Jacob  (Paris,  1840,  gr.  in-18). 

ABÉLITES,  ABÉLIENS,  ou  ABÉLOMENS,  secte  chré- 
tienne qui,  au  rapport  de  saint  Augustin,  existait  au  nord  de 
l'Afrique,  dans  les  environs  d'Hippone,  vers  Ja  fin  du  qua- 
trième siècle.  D'après  l'opinion  commune  ,  ces  sectaires  au- 
raient emprunté  leur  nom  à  Abeljfilsd'Adam,  qui  mourut  sans 
avoir  été  marie  ;  c'est  pourquoi  ils  s'abstenaient  du  mariage, 


ABELITES  - 

afin  de  ne  pas  propager  le  péclié  originel  eu  engendrant  des 
enfants.  Leurs  erreurs  se  rattaciiaient  évidemment  à  celles 
des  anciens  gnosliques;  et  conuue  les  cainites,  les  stHlii- 
tes,  etc.,  ils  appartenaient  aux  absti7icnts,  qui,  àpartirdu 
deuxième  siècle,  se  sont  toujours  maintenus  en  Orient.  Sui- 
vant les  travaux  de  quelques  investigateurs  tout  récents ,  il 
faudrait,  au  contraire,  dériver  la  dénomination  de  cette  secte 
du  mot  Eljon  ,  le  plus  ancien  et  le  plus  simple  des  noms  de 
Dieu.  Ce  nom  était,  en  effet,  au  quatrième  et  au  cinquième 
siècle  le  shiboleth  de  divers  partis  qui,  mécontents  de  ce  qui 
existait,  confessaient  une  foi  générale  en  Dieu ,  comme  les 
plus  anciens  déistes.  Voy.  HvrsisTARiENs. 

ABEX ,  mot  commun  aux  langues  sémitiques ,  et  qui 
siguifie./î/5.  C'est  le  môme  mot  que  Ben,  Ebn  ou  Ibn.  On 
le  trouve  devant  une  foule  de  noms  propres  orientaux  : 
comme  Aben-Ezra,  c'est-à-dire  fils  d'Ezra.  Les  personnages 
ainsi  désignés  ont  aussi  un  autre  nom ,  mais  comme  en 
Orient  on  ne  connaît  pas  l'usage  des  noms  patronymiques, 
pour  éviter  de  confondre  plusieurs  individus  qui  se  nom- 
ment de  même ,  on  les  distingue  en  rappelant  leur  filiation, 
et  c'est  souvent  le  surnom  qui  prévaut. 

ABEXAKI,  ABENAQUIS,  ABENAKES,  peuplade  de 
l'Amérique  du  >'ord ,  établie  jadis  dans  cette  partie  du  Ca- 
nada qui  confinait  au  pays  autrefois  appelé  Nouvelle-An- 
gleterre. Les  Kinnebeks  ou  Cannibas  ,  aux  environs  de  Kini- 
bequi ,  formaient  une  branche  de  cette  peuplade ,  ainsi  que 
les  Loups ,  Mohégans ,  Mahikans  ou  .Manhikans ,  qui  habi- 
taient ,  au  commencement  du  dix-septième  siècle,  sur  la 
rive  orientale  du  cours  supérieur  du  fleuve  Hudson. 

ABEIVBERG  (Comté  d').  Ce  ci-devant  comté  d'Alle- 
vnagne  était  situé  dans  l'ancien  cercle  de  Eranconie,  sur  le 
Rézat;  il  tirait  son  nom  du  château  d'Abenberg,  entre  Spalt 
ctSchwabach,  et  faisait  partie  de  l'ancien  Nordgau.  Une 
grande  obscurité  règne  encore  sur  l'origine  et  sur  la  descen- 
dance des  comtes  franconiens  d'Abenberg.  On  les  a  souvent 
confondus  avec  les  comtes  bavarois  d'Abensberg  et  avec  les 
comtes  de  Babenberg  dans  le  Rednitzgau ,  et  il  reste  encore 
incertain  s'ils  de^cendent  de  la  même  souche  que  les  bur- 
graves  de  Nuremberg ,  depuis  margraves  de  Brandebourg , 
ou  si ,  conformément  à  l'opinion  commime ,  la  sœur  (  dont 
on  ignore  le  nom  )  du  dernier  comte  d'Abenberg,  Frédéric  II, 
mort  en  1230,  a  transrais  aux  fils  qu'elle  eut  de  son  mari, 
Frédéric,  burgrave  de  Nuremberg,  l'iiéritage  paternel  de  ce 
comté  avec  l'a vouerie  du  monastère  de  Heilsbronn.  Du  reste, 
la  vie  des  comtes  d'Abenberg,  mentionnés  dans  un  certain 
nombre  d'actes  et  diplômes  du  moyen  âge ,  offre  à  peine 
quelque  intérêt  aux  généalogistes ,  cl  encore  moins  aux  his- 
toriens. En  1296,  Conrad  jeune,  bourgrave  de  Nuremberg, 
vendit  le  domaine  d'Abenberg  àReimbotto,  évêque  dEich- 
staedt  ;  il  appartient  aujourd'hui  au  rovaume  de  Bavière. 

ABEXCERRAGES  ET  ZÉGRIS.  Les  Abencerra- 
ges,  ainsi  s'appelait  une  des  premières  et  des  plus  puissantes 
familles  d'Espagne ,  au  temps  de  la  domination  des  Arabes  à 
Grenade ,  c'est-à-dire  à  une  époque  où  la  population  chré- 
tienne de  la  péninsule  avait  déjà  juré  la  ruine  de  l'islamisme 
etoù  des  dissensions  intérieures  hâtaient  encore  la  chute  de 
l'empire  musulman  de  Grenade.  Hostiles  en  secret  à  leur  sou- 
verain, les  Abencerrages  périrent  misérablement  ;  et  le  prin- 
cipal auteur  de  leurs  malheurs  et  de  leur  ruine  fut  la  fann'lle 
des  Zégris,  laquelle  occupait  alors  à  la  cour  des  rois  de 
Grenade  toutes  les  fonctions  les  plus  importantes  et  était  l'en- 
nemie la  plus  déclarée  des  Abencerrages.  L'amour  d'un  Aben- 
cerrage  pour  la  sœur  du  roi  Abou-Hassan,  qui  régnait  de- 
puis 1465,  précipita  la  perte  de  toute  cette  famille.  Au  milieu 
du  silence  de  la  nuit,  l'.Vbcncerrage  escalada  l'Alhambra,  pa- 
lais  de  son  souverain,  afin  de  jouir  des  faveurs  de  son 
amante;  mais  l'audacieux  fut  trahi.  Abou-Hassan,  furieux 
de  cette  insulte ,  attire  alors  sous  un  prétexte  spécieux  tous 
les  Abencerrages  à  l'Alhambra,  et  les  fait  impitoyablement 
massacrer  sous  ses  yeux. 


ABENCERRAGES  27 

C'est  dans  Conde  (Uistoria  de  la  ctominacion  de  lox 
Arabesen  £'5j9o;7a  [3  vol.,  Madrid,  1820])  qu'on  trouverais 
détails  les  plus  étendus  sur  Ihistoire  de  la  rivalité  des  Aben- 
cerrages et  des  Zégris,  histoire  dont  la  poésie  s'est  emparée 
si  souvent  pour  la  parer  de  ses  plus  brillantes  couleurs.  Gi- 
nez  Ferez  de  Hita,  mademoiselle  de  Laroche-Guilhem,  la  ten- 
dre mademoiselle  de  Scudéry,  et  mademoiselle  de  Lafayetfe, 
qui  nous  a  raconté  le  charmant  épisode  des  amours  de  Zayde 
et  de  la  belle  Zayda,  ont  successivement  traité  ce  supplé- 
ment aux  romanceros  de  l'Espagne,  ce  drame  si  rempli  de 
haines  inexorables ,  de  trahisons ,  de  vengeances.  Une  autra 
femme  de  lettres ,  le  chevalier  de  Florian ,  s'empara  à  son 
tour  de  ce  sujet;  et  qui  de  nous  ne  voit  parfois  encore  passer 
comme  dans  un  rêve  ces  tournois ,  ces  bannières ,  ces  cava- 
liers étincelants,  ces  femmes  gracieuses?  Enfin,  le  chantre 
d'Afala  et  de  René  a  immortalisé  cet  épisode  des  guerres  ci- 
viles de  Grenade  où  brillent  le  génie  et  les  passions  d'une 
race  glorieuse  éteinte  sans  retour.  Son  Dernier  Abenccrrage 
est  bien  sans  doute  la  dernière  fleur  de  cette  poétique  cou- 
ronne. 

Le  poëme  que  Ferez  de  Hita  a  vulgarisé  parmi  nous  n'a 
aucune  valeur  sérieuse  aux  yeux  des  historiens.  Les  histo- 
riens ont  raison;  mais  l'histoire  a  vraiment  tort.  Cepen- 
dant il  est  aussi  avec  elle  quelques  accommodements  ;  et  si 
elle  conteste  à  la  poésie  la  vérité  des  scènes ,  elle  lui  accorde 
du  moins  l'existence  des  personnages.  C'est  elle  qui  nous 
apprend  que  les  Abencerrages  étaient  une  tribu  vaillante,  qui 
jouissait  à  Grenade,  entre  autres  privilèges,  de  celui  de  four- 
nir à  la  capitale  son  premier  kaïd,  al  kaïd,  ce  qu'on  appelle 
encore  en  Espagne  Yalcayde  mayor.  Ils  prétendaient  des- 
cendre des  rois  de  Maroc  et  de  Fez  et  du  grand  Mirama- 
molin ,  ce  qui  prouve  que  le  grand  Miramamolin  ,  les  rois 
de  Fez  et  de  Maroc  eux-mêmes  étaient  tout  simplement  des 
fils  de  selher,  ainsi  que  l'indique  le  nom  lui-même  :  ebn- 
serrddj  (  fils  de  selher  ). 

Quant  aux  Zégris ,  qui  dans  le  poëme  remplissent  le  rôle 
des  traîtres  de  nos  mélodrames  modernes ,  ils  descendaient 
des  rois  de  Cordoue ,  et  leur  caractère  sauvage  se  rapporte 
parfaitement  à  l'étymologie  que  donne  de  leur  nom  un  sa- 
vant et  judicieux  historien,  M.  Romey  :  soghrours  (râtelier, 
et  par  extension  frontière).  Mohammed  I",  roi  de  Grenade, 
pour  assurer  ses  frontières ,  y  élevait  des  places  fortes ,  qui 
dans  le  langage  imagé  des  Arabes  étaient  des  dents  prêtes  à 
mordre  l'ennemi.  Les  cavaliers  auxquels  il  en  confiait  la 
garde  prirent  le  nom  de  Sogrhis  (  défenseurs  des  frontières), 
dont,  par  corruption,  on  a  fait  Zégris.  Ces  cavaliers  durent 
bientôt  acquérir  de  l'influence  et  conserver  pourtant  au  sein 
même  des  galanteries  de  la  cour  grenadme  cette  rudesse  des 
camps  qui  effarouchait  les  regards  des  Daxara ,  des  Fatima , 
des  Zayda  et  de  toute  cette  adorable  pléiade  dont  les  cava- 
liers se  disputaient  l'amour.  «  Entre  ces  rudes  cavaliers  et 
«  les  Abencerrages  galants,  gentils-hommes,  beaux,  discrets, 
<t  bien  élevés  {  nous  traduisons  textuellement  Ferez   de 
«  Hita),  »  la  lutte  devait  éclater  ;  les  Soghris,  fiers  de  l'im- 
portance de  leurs  services ,  avaient  en  outre  l'orgueilleuse  ■ 
âpreté  du  fanatisme  arabe,  et  à  leurs  yeux  les  Abencerrages, 
amis  des  chrétiens,  comme  le  dit  souvent  Ferez  de  Hita, 
l'taient  presque  des  infidèles.  Muza,  frère  du  roi,  va  même 
jusqu'à  leur  reprocher  d'être  les  descendants  des  chrétiens, 
dans  une  violente  querelle  survenue  entre  Abenhabet,  Aben- 
cci  iage,et  Mohammed  Zégri,  querefle  dont  la  belle  Daxara, 
la  fleur  de  Grenade,  était  la  cause  involontaire.  Cela  étant, 
que  l'histoire  rabatte  tant  qu'il  lui  plaira  de  l'exagération 
de  ces  influences  rivales ,  et  chicane  la  léalité  des  accidents 
de  la  division  de  ces  deux  tribus,  pourquoi  ne  pas  admettre 
que  l'amour  ait  été  pour  beaucoup  dans  leur  rivalité ,  sous 
ce  ciel  ardent  et  dans  cette  époque  chevaleresque  ?  Les  his- 
toriens n'en  parlent  pas,  dit-on,  et  M.  Rosseeuw-Saiut-Hi- 
laire,  dans  son  Histoire  d'Espagne,  oppose  à  ces  héroïques 
inventions  du  génie  arabe  le  silence  de  Conde ,  historien  es- 

4. 


28  AliKNCEUUACES 

pajinol ,  comme  si  le  silence  ou  les  aflirniations  «le  Conde 
prouvaient  plus  «pie  les  fantaisies  <le  Perez  «le  Hita,  ou  l'his- 
toire (le  niailenioiselle  de  la  Roclic-fluillieru  et  celle  de  ma- 
dame de  (louiez,  (onde  est  sans  contredit  le  moins  exact 
«les  historiens,  et  il  n'en  est  pas  sur  la  foi  duquel  il  soit 
moins  permis  «le  se  hasarder.  D'ailleurs  l'histoire  dit-elle 

tOUt.^  E.  BARIiALLT. 

ABEi\-EZRA  ou  ABRAHAM,  fils  de  Méir,  fds  d'Ezra, 
célèbre  et  savant  rabbin,  naquit  à  Tolède,  ver.s  l'an  1119. 
Astronome,  cabaliste,  médecin,  phiiosopiie,  grammairien, 
poète,  philologue,  commentateur,  il  fut  l'ornement  de 
l'école  rabhinique,  et  surnommé  parles  juifs  le  sage,  le  grand, 
l'admirable,  titres  que  ses  ouvrages  ne  justifient  pas  tou- 
jours. Brûlant  du  désir  de  s'instruire  et  de  perfectionner 
ses  connaissances,  il  parcourut  l'Angleterre,  la  France, 
l'Italie,  la  Grèce,  et  l'on  croit  qu'il  mourut  dans  l'île  de 
Rhodes,  en  1174,  ou  vingt  ans  plus  tard.  Ce  fut  pendant 
le  cours  de  ses  longs  voyages  qu'il  composa  la  plupart  de  ses 
ouvrages.  11  opéra  une  sorte  «le  révolution  dans  la  manière 
d'interpréter  la  Bible,  en  renonçant  aux  allégories  pour 
ne  s'attacher  «lu'au  sens  grammatical  des  mots  et  à  l'expli- 
cation litlérale  du  texte.  Aben-Ezra  a  écrit  en  hébreu  cor- 
rompu et  mélangé ,  tout  en  prouvant  que  l'usage  de  l'hébreu 
j  rimitif  ne  lui  était  pas  étranger  dans  des  énigmes,  pensées, 
inscriptions  et  autres  petites  pièces  de  poésie.  11  a  écrit  aussi 
«n  arabe.  Son  style  est  élégant,  mais  si  concis  qu'il  est 
souvent  obscur.  Comme  astronome,  Aben-Ezra  est  un  de 
ceux  qui  ont  partagé  le  globe  terrestre  en  deux  parties  égales, 
au  moyen  de  l'équateur.  Son  jRecJiid-Chokmo  {Initlum 
sap'tcnt'ix),  ouvrage  relatif  à  l'astronomie,  et  en  partie 
traduit  de  l'arabe,  étendit  sa  réputation,  et  a  été  traduit  en 
latin.  Ses  Commentaires  sur  l'Écriture  sainte  ont  été 
publiés  à  Venise ,  par  Daniel  Bomberg  et  Buxtorf,  avec  des 
notes,  152G.  On  cite  encore  ses  Commentaires  sur  le  Pen- 
tntcuque,  sur  le  Talmud,  sur  le  Cantique  des  Cantiques, 
st:r  Atxiins,  Jonas  et  Sop/ironias ;  sur  Joel,Amos,  Nahum 
et  ffabacuc,  sur  les  Proverl>es  de  Salomon,  etc.  ;  plusieurs 
livres  de  théologie,  tant  en  prose  qu'en  vers;  Visoud  Mara 
(bases  de  renseignement),  et  plusieurs  autres  ouvrages  sur  la 
grammaire,  la  philosophie,  l'astrologie  et  les  mathématiques. 

II.  Aldifkret. 

ABEXSBERG,  petite  ville  de  la  basse  Bavière,  bâtie 
sur  l'Abens,  l'un  des  affluents  du  Danube,  compte  envi- 
ron 19,00  habitants  et  est  célèbre  par  la  victoL-e  «pi'y  rem- 
porta Napoléon ,  le  20  avril  1 809 ,  sur  l'aile  gauche  de  l'armée  de 
l'archiduc  Charles,  commandée  par  l'archiduc  Louis  et  par 
le  général  Hiller.  Les  Autricliiens  y  perdirent  2,700  honmies, 
tant  tués  que  blessés,  et  4,000  prisonniers.  Cette  affaire  fut 
surtout  importante  par  ses  résultats.  En  vain  l'armée  autri- 
chienne essaya  de  prendre  position  à  Landsliut,  cette  place 
tomba  le  9.1  au  pouvoir  des  Français  ,  qui  le  22  livraient  la 
célèbre  bataille  d  '  E  c  k  m  u  h  1,  et  entraient  le  2;î  à  Uatisbonne. 

ABEUCROMBY  (Sir  Ralfu),  lieutenant  général  an- 
glais, naquit  en  1733,  d'une  famille  écossaise  ancienne  et 
considérée.  Après  avoir  reçu  une  excellente  éducation,  il 
outra  en  175G ,  en  qualité  de  cornette,  dans  un  régiment  des 
dragons  «le  la  ganle.  En  1760  Abercromby  fut  nomme  lieu- 
tenant ;  puis  il  monta  de  grade  en  graile  dans  divers  régi- 
ments de  cavalerie  et  d'infanterie.  De  1774  à  1780,  il  repré- 
senta le  comté  de  Kinross  dans  la  Chambre  des  communes. 
Après  la  paix  de  17S3  il  fut  mis  à  la  demi-solde,  avec  le  grade 
de  colonel.  Major  général  en  1787,  et  depuis  1797  lieu- 
tenant général  en  activité,  il  se  fil  la  réputation  d'un  des 
meilleurs  ofliciers  de  l'armée  britannique.  Sous  les  ordres  du 
duc  d'York,  il  prit  part  aux  guerres  «le  la  révolution  fran- 
çaise, et  signala  sa  bravoure  à  l'attaque  du  camp  de  Fa- 
mars,  le  23  mai  1793,  et  dans  les  combats  sanglants  de 
Dunkerque  ;  mais  il  ne  put  empêcher  les  échecs  successifs 
essuyés  par  les  troupes  britauni.|ues  dans  cette  camiiagne. 
^ommé  gouverneur  de  l'ile  de  Wight,  on  lut  «lonna  bientôt 


—  ABKUDEEN 

le  commandement  en  chef  contre  l'Irlande  révoltée,  font-îtions 
qu'il  remplit  avec  autant  de  modération  que  de  prudence. 
Ayant  faitentendredesplaintesqui  blessèrent  le  pouvoir,  il  fut 
remplacé  par  le  marquis  de  Cornwallis.  Appelé  au  comman- 
dement supérieur  des  troupes  de  l'Angleterre  septentrionale , 
lord  Abercromby  fut  créé  membre  du  conseil  privé,  le  4 
janvier  1799.  Bientôt  il  fut  chargé,  sous  le  commandement 
en  chef  du  duc  d'York,  de  repousser  les  Français  de  la 
Hollande,  avec  une  armée  anglo-russe.  La  bataille  de  Ber- 
ghen ,  livrée  contrairement  à  ses  avis ,  et  gagnée  par  le  gé- 
néral Brune ,  rendit  inutiles  tous  les  efforts  des  coalis<5s.  Le 
duc  d'York  conclut,  le  18  octobre,  un  armistice  avec  le 
général  français.  Dans  son  indignation ,  Abercromby  donna 
sa  démission.  Chargé,  en  1800,  d'une  tentative  contre  Cadix, 
il  ne  fut  pas  plus  heureux ,  et  la  môme  mauvaise  étoile  le 
suivit  en  Egypte.  Apiès  s'être  d'abord  emparé  d'Aboukir, 
le  2  mars  ISOl ,  il  marcha  contre  l'armée  française,  com- 
mandée par  le  général  ]Menou,  et  «p.ii  s'était  repliée  sur 
Alexaiidrie.  Le  21  mars ,  tleux  heures  avant  le  point  du  jour, 
son  armée  se  vit  attaquée  par  l'intrépide  Menou ,  dont  les 
forces  étaient  de  beaucoup  inférieures.  Abercromby  re- 
poussa deux  fois  l'attaque  de  nos  soldats  ;  mais  ceux-ci , 
perçant  les  deux  lignes  d'infanterie  anglaise,  pénétrèrent 
jusqu'à  sa  réserve.  La  plupart  de  ses  officiers  furent  blessés 
sous  ses  yeux ,  et  frappé  mortellement  lui-même ,  il  mourut  à 
bord  d'un  bâtiment  qui  le  transportait  à  Malte ,  le  28  mars 
1801.  Le  gouvernement  anglais  lui  a  fait  élever  un  monu- 
ment dans  l'église  de  Saint-Paul ,  à  Londres. 

ABERCROMBY  (James),  baron  de  Dcnfersiuse, 
pair  «l'Angleterre,  né  le  7  novembre  1776,  était  le  troisième 
fils  du  précédent.  Avocat  de  Lincoln's-Inn  ,  il  devint  juge 
avocat  général  en  1827,  chef  baron  de  l'Échiquier  en  Ecosse 
en  1830.  Élu  député  à  la  chambre  des  Communes  par  la 
ville  d'Edimbourg  en  1832,  il  fit  partie  (iu  cabinet  Melbourne 
en  1834,  comme  maître  de  la  monnaie.  En  1835  il  fut  nom- 
mé speaker  des  Communes,  honneur  qu'il  dut  à  ses  vertus 
modestes,  à  son  caractère  doux  et  affable,  et  à  ses  idées 
libérales  ;  il  l'emporta  de  dix  voix  sur  son  concurrent  tory,  sir 
Manners  Sutton.  A  l'avènement  de  la  reine  Victoria  (  1837) 
un  nouveau  parlement  ayant  été  convoqué,  sir  James  Aber- 
cromby y  obtint  encore  les  honneurs  de  la  présidence, 
et  cette  fois  sans  opposition.  En  1839  il  se  démit  de  ces 
fonctions ,  et  fut  créé  pair.  Il  est  mort  près  d'Edimbourg 
le  17  avril  1858.  Son  fils,  sir  Ralph  Abercromby,  né  en 
1803,  a  été  ministre  d'Angleterre  à  Florence  et  à  La  Haye. 
ABERDEEI^,  comté  de  l'Ecosse  centrale  qui  au  nord- 
ouest  s'avance  dans  la  mer  du  Nord  avec  le  cap  Kinnand , 
entre  15auff  et  Invemess  au  nord-ouest,  et  Perth,  Angus  (Far- 
far)  et  Kinkardine  au  sud ,  comprend  une  superficie  d'en- 
viron 92  myr.  carrés ,  avec  une  population  de  180,000  âmes. 
La  partie  sud-ouest ,  dans  laquelle  se  trouve  le  mont 
Grampian ,  présente  un  sol  montagneux,  couvert  tantôt  d'é- 
paisses forêts,  tantôt  de  landes  parsemées  de  rochers  ;  les 
points  culminants  de  cette  montagne  sont  le  Ben-na-Muic- 
Dugh  (1,440  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer),  le 
Cairntoul(l,4l5m.),  le  Cairngorm  (1,365  m.)  et  le  Benavon 
(1,321  m.).  Au  nord-ouest,  le  sol  s'abaisse  successivement 
pour  finir  par  ne  plus  former  qu'un  terrain  médiocrement 
accidenté  et  même  plat.  Cependant  ses  côtes  sont  générale- 
ment bordées  de  rochers  très-élevés,  au  milieu  desquels  abon- 
dent les  grottes  naturelles.  Ses  principaux  cours  d'eau  sont  le 
Déveron ,  qui  le  sépare  du  comté  de  Bauff ;  l'Ugie  ;  l'Ythan, 
où  on  pratique  la  pêche  des  perles  ;  le  Don,  avec  l'Urie  et  la 
Dee.  Le  climat  en  est  généralement  doux  et  tempéré,  malgré 
l'extrême  inconstance  des  vents  qui  y  régnent.  L'agriculture, 
rélève  des  bestiaux,  la  pêche  et  le  commerce  constituent  les 
principaux  moyens  d'existence  des  habitants. 

La  capitale  du  comté  d'Aberdeen  est  la  ville  du  même 
nom,  que  la  Dee  partage  en  vieille  et  nouvelle  ville,  unies 
entre  elles  pat  un  pont  d'une  seule  arche  et  d'une  extrême 


ABERDEEiN  —  AliERRATIOiN 


20 


\i;irdie-'?se;  car  file  n'a  pas  moins  de  44  nîèfres  do  développe- 
ment. La  iio[>iilalion  d'Aberdeen  est  évaluée  à  58,000  âmes,   i 
Klle  possède  une  nnivorsité  richement  doléc,  dite  collège  ' 
Maréchal,  fondée  en  1593,  avec  observatoire,  bibliothèque 
et  musée.  Old-Aberdeen  possède  russi  une  université  dite  ' 
coUcgc  du  Jioi,  fondée  en  1494.  Chacune  do  ces  universités 
renferme  trois  cent  cinquante  étudiants.  "Le  port  d'Aberdeen  ' 
était  autrefois  peu  sur  ;  mais  il  est  aujourd  iiui  protégé  par  ; 
une  jetée  de  granit  de  300  mètres  de  longueur  et  défendu  I 
par  deux  batteries.  Des  nxannfactures  considérable.s  d'étoffes  | 
de  laine  et  decoton,  dos  fonderies  impoitantes,  l'exportation 
des  dalles  de  granit  et  de  meules  pour  les  moulins,  la  pèche  ' 
au  Groenland  et  la  pèche  du  saumon  dans  les  eaux  du  Don 
et  de  la  Dee  fournissent  de  nombreux  éléments  d'activité  et 
de  prospérité  au  commerce  étendu  que  fait  Aberdeen. 

ABERDEE-\(GEORCES-HAMiLTONGORDON,comted'), 
pair  d'Angleterre,  né  le2S  janvier  1784,  (ils  de  lord  IJaddo, 
était  issu  d'une  vieille  famille  écossaise.  Après  avoir  voyagé 
sur  le  confinent  et  fait  un  séjour  d'assez  longue  durée  en 
Grèc«,  il  se  lit  d'abord  connaître  en  fondant  à  Londres,  en 
1804,  VAthenian  Society,  espèce  de  club  où  l'on  ne  pouvait 
être  admis  que  lorsqu'on  avait  fait  un  voyage  en  Grèce. 
En  1813  on  lui  confia  une  mission  importante  près  de  la 
cour  de  Vienne,  qu'il  parvint  à  détacher  de  l'alliance  de 
la  France,  et  avec  laquelle  il  signa ,  à  cet  effet ,  à  Tœplilz, 
le  3  octobre  1813,  un  traité  contre  Napoléon.  Nommé  alors 
officiellement  envoyé  extraordinaire  à  Vienne ,  ce  fut  lui 
qui  négocia  l'alliance  du  roi  de  Naples ,  Mural,  avec  TAu- 
tricbe  ;  mais  il  ne  put  prévenir  la  rupture  amenée  entre  les 
deux  parties  contractantes  en  1815.  Pair  d'Ecosse  depuis  1814, 
lord  Aberdeen  appartenait  dans  la  chambre  haute  au  parti 
tory.  En  1828  il  obtint,  dans  le  cabinet  dont  le  duc  de  Wel- 
lington était  chef,  le  portefeuille  des  affaires  étrangères. 
En  cette  qualité  il  s'écarta  de  la  ligne  politique  suivie  par 
son  prédécesseur  Canning  ;  et,  ami  intime  de  .Metternich,  il  se 
montra  en  toutes  occasions  favorable  à  la  politique  autri- 
chienne. C'est  ainsi  qu'il  désapprouva  la  bataille  de  Na- 
varin, qu'il  qualifia  dans  le  parlement  à'untou-ardevent, 
encore  bien  qu'il  eût  signé  avec  la  France  et  la  Russie  les 
premiers  protocoles  relatifs  à  la  Grèce.  C'est  ainsi  encore 
qu'il  négocia  en  faveur  de  dora  Miguel ,  qu'il  avait  lui- 
même  peu  de  temps  auparavant  traité  en  plein  parlement 
de  monstre  dhine  nouvelle  espèce.  L'agitation  produite 
en  Angleterre  par  la  question  de  la  réforme  amena,  le  16 
novembre  1830,  la  dissolution  du  ministère  Wellington, 
dont  l'acte  politique  le  plus  important  avait  été  la  recon- 
naissance immédiate  de  Louis-Philippe  en  qualité  de  roi  des 
Français.  Adversaire  du  ministère  whig,  lord  Aberdeen  se 
montra  le  défenseur  zélé  de  dora  Miguel  et  de  don  Carlos. 
Dans  le  court  ministère  tory  intérimaire  Peel  et  Wellington, 
créé  le  14  novembre  1834  et  dissous  le  8  avril  suivant,  il  eut 
le  portefeuille  des  colonies  ;  et  dans  le  ministère  Peel  formé 
en  1841,  lors  delà  chute  de  l'administration  Melbourne,  il 
reprit  celui  des  affaires  étrangères,  qu'il  garda  jusqu'en  1846. 
Rallié  à  la  politique  commerciale  de  sir  Robert  Peel ,  lord 
Aberdeen  se  prononça  sur  les  questions  de  la  liberté  reli- 
gieuse, du  libre  échange  et  de  la  réforme  parlementaire  dans 
le  sens  de  l'opinion  libérale.  En  1850  lord  Aberdeen  soutint 
la  motion  de  lord  Stanley  contre  la  conduite  de  lord  Pal- 
merston  eu  Grèce.  Dans  une  crise  ministérielle,  amenée  par 
la  loi  contre  l'agression  papale,  lord  Aberdeen,  qui  était  pro- 
testant presbytérien ,  reconnut  qu'en  matière  de  conscience 
et  de  religion  la  législation  ne  peut  rien,  et  n'ayant  pu  tomber 
d'accord  avec  sir  James  Graham  sur  la  question  des  évé- 
chés  catholiques  ,  il  refiisa  d'entrer  dans  un  nouveau  minis- 
tère. Cependant,  le  28  décembre  1852,  sur  la  démission  du 
comte  Derby,  il  accepta  le  titre  de  premier  lord  de  la  Tré- 
sorerie, dont  il  se  démit  le  30  janvier  1855.  En  1853  il 
déclara  que  le  ministère  ne  préseulerait  pas  de  nouvelle» 
luis  contre  les  réfugiés.  Bientôt  la  guerre  éclata  en  Orient, 


et  l'Angleterre  prit  parti  avec  la  France  contre  la  Russie. 
Lord  Derby  lui  reprocha  plus  tard  d'avoir  trompe  l'empe- 
reur Nicolas,  en  ne  lui  faisant  pas  assez  tôt  connaître  les  véri- 
tal)les  sentiments  de  l'Angleterre.  Du  reste,  lord  Aberdeen 
se  faisait  peu  d'illusion  sur  les  concessions  faites  par  la  Porte 
aux  chrétiens  ,  et  il  disait  en  1850  que  sans  la  surveillance 
continuelle  des  puissances,  le  firman  du  sultan  ne  vaudrait 
pas  même  le  papier  sur  lequel  il  a  été  écrit.  Lord  Aberdeen 
était  lord-lieutenant  et  shérif  principal  du  comté  d'Aberdeen, 
président  de  l'Institut  britannique  et  de  la  Société  des  anti- 
quaires. Il  a  été  chancelier  de  l'université  et  du  collège  du 
Roi  d'Aberdeen.  11  est  mort  le  13  décembre  1860. 

ABERLI  (JE\>i-Loiis) ,  dessinateur  qui  mit  les  Vues  do 
la  Suisse  à  la  mode,  était  né  en  1723,  à  Winterthur.  Élève 
de  Jacques  Grimm,  de  Berne,  il  peignit  d'abord  le  portrait. 
Son  goût  pour  le  paysage  l'ayant  emporté,  il  vint  à  Paris 
en  1759.  Plus  tard  il  retourna  à  Berne,  oii  il  jouissait  d'une 
grande  considération,  et  oii  il  mourut  eu  1786. 

ABERXETHY  (John),  chirurgien  distingué,  naquit 
en  1763,  à  Derby,  en  Irlande,  mais  vint  jeune  à  Londres. 
Elève  de  J.  Huntcr,  il  s'attacha  surtout  à  l'étude  de  l'ana- 
tomie.  Ses  succès  furent  tels  qu'on  le  nomma  bientôt  pro- 
fesseur d'auatomie  et  de  chirurgie  au  Collège  des  chirurgiens, 
puis  directeur  de  l'hôpital  de  Bertholomew,  qui  lui  est  rede- 
vable de  son  excellent  enseignement  et  de  son  beau  muséa 
pathologique.  Quoique  ses  manières  roides  avec  ses  con- 
frères dussent  naturellement  lui  aliéner  de  plus  en  plus  leurs 
sympathies,  il  obtint  cependant  de  nombreuses  distinctions. 
Lorsqu'il  mourut  à  Londres,  le  20  avril  1831  ,  sa  réputa- 
tion d'habile  et  de  savant  opérateur  était  aussi  bien  établie 
à  l'étranger  qu'en  Angleterre.  Ceux  de  ses  ouvrages  qui  ont 
obtenu  le  plus  de  succès  sont  sa  Classification  des  tumeurs 
et  .son  Traité  de  la  Pseudosyphilis.  On  les  trouve  dans 
ses  Surgical  and  Physiological  Works  (4  vol.,  Londres, 
1831). 

ABERRATION  (du  latin  ab,  de,  errare,  s'écarter). 
On  appelle  ainsi,  en  astronomie,  un  changement  apparent 
dans  la  situationdes  étoiles,  qui  nous  les  fait  paraître  éloignées 
du  lieu  qu'elles  occupent  véritablement.  L'aberration  est 
un  effet  du  mouvement  annuel  de  la  terre  autour  du  so- 
leil combiné  avec  le  mouvement  progressif  de  la  lumière. 
Si  l'on  se  représente  la  terre  tournant  autour  du  soleil,  et 
une  étoile  fixe  laissant  tomber  des  rayons  lumineux  perpen- 
diculairement à  la  direction  de  ce  mouvement,  l'œil  de  l'ob- 
servateur et  les  rayons  de  lumière  se  rencontrent,  et  celui- 
ci,  qui  ne  s'aperçoit  pas  du  mouvement  de  la  terre,  attribue 
à  la  lumière,  outre  son  mouvement  perpendiculaire,  un  autre 
mouvement,  parallèle  à  la  direction  de  celui  qu'exécute 
notre  planète.  La  lumière  emploie  8  minutes  13  secondes 
pour  décrire  le  rayon  moyen  de  l'écliptique,  et  dans  cet 
intervalle  de  temps  la  terre  parcourt  un  arc  de  son  orbite 
qui  est  égal  à  20"  25.  Toutes  les  fois  qu'il  s'agit  de  con- 
naître la  véritable  situation  d'une  étoile  fixe,  il  faut  donc  se 
rappeler  que  sa  lumière  vient  frapper  notre  œil  dans  la  direc- 
tion de  la  diagonale  du  parallélogramme  dont  les  côtés  sont 
formés  par  le  mouvement  réel  de  la  lumière  et  par  son  mou- 
vement apparent.  Nous  ne  voyons  les  étoiles  fixes  dans  le 
lieu  qu'elles  occupent  réellement  qu'autant  que  nous  nous 
en  éloignons  ou  que  nous  nous  en  approchons  en  ligne  di- 
recte. Dans  toute  autre  situation  l'astre  nous  apparaît  an 
peu  en  avant  de  sa  position  réelle. 

Les  planètes  présentent  aussi  ce  phénomène ,  quoique  à 
un  degré  moins  sensible.  Des  études  auxquelles  il  a  donné 
lieu  il  résulte  :  l°que  les  étoiles  fixes  placées  dans  le  plan 
de  l'écliptique  décrivent  pendant  le  laps  d'une  année  une 
ligne  droite  à  droite  et  à  gauche  de  leur  lieu  réel;  2°  que 
les  astres  qui  se  trouvent  placés  dans  les  pôles  de  l'écliptique 
décrivent  dans  le  même  espace  de  temps  un  cercle  autour  de 
leur  lieu  réel  ;  3°  enfin  que  ceux  qui  sont  situés  entre  le  plan 
et  les  pôles  de  l'écliptique  décrivent  chaque  année  uiw 


30 

ellipse  autour  de  la  place  qu'ils  occupent  réellement.  Des  cal- 
culs faits  sur  los  aberrations  ont  servi  h  dresser  des  tables 
propres  à  abréf^er  les  travaux  astronomiques. 

La  découverte  de  l'aberration,  l'une  des  plus  remarquables 
qu'on  ait  faites  en  astronomie,  et  la  plus  intéressante  de  celles 
qui  si(iiialt»rent  le  dix-buitiéme  siècle,  est  due  à  l'astronome 
anglais  IJradley.  Avant  les  observations  faites  par  Picard  en 
1672,  on  était  convaincu  que  les  étoiles  ne  cbangeaient  pas 
de  place  pendant  le  cours  d'une  année.  Cet  astronome  remar- 
(pia  que  l'étoile  polaire  avait,  en  divers  temps  de  l'année, 
des  variations  de  quelques  secondes.  Mais  les  savants ,  déjà 
persuadés  du  mouvement  de  la  terre,  estimaient  que  ces 
variations  étaient  le  résultat  de  la  parallaxe  annuelle  ou  de 
la  parallaxe  du  grand  orbe.  Cassini  et  Manfredi  soutenaient, 
eux,  qu'il  n'y  avait  pas  de  parallaxe  annuelle.  Il  fallait  par 
conséquent  des  observations  très-exactes  et  très-multiplices 
pour  déterminer  les  causes  des  variations  annuelles  que  l'on 
apercevait  dans  la  position  des  étoiles.  C'est  ce  qu'entreprit 
Bradley ,  et  ce  qu'il  exécuta  avec  le  secours  d'un  riche  par- 
ticulier appelé  Samuel  Molineux. 

ABEHRATION  {Optique),  dispersion  des  rayons  de  lu- 
mière qui ,  partant  d'un  objet  et  traversant  le  verre  d'une 
lentille,  au  lieu  d'aller  se  réunir  au  même  point  du  foyer,  se 
répandent  sur  une  petite  étendue,  et  forment  par  conséquent 
nne  image  un  peu  confuse.  Cette  aberration  a  deux  causes  : 
1°  la  sphéricité  des  verres  ou  des  miroirs  ;  2°  la  réfrangibilité 
diverse  des  rayons.  La  première  de  ces  causes  vient  de  ce 
qu'un  verre  circulaire ,  tels  que  ceux  dont  on  se  sert  pour 
les  hmettes  d'approche ,  ne  peut  pas  rassembler  en  un  seul 
point  tous  les  rayons  de  lumière  qui  en  traversent  les  dif- 
férents points;  la  seconde  provient  de  la  décomposition 
d'un  faisceau  des  rayons ,  qui  en  traversant  un  milieu  dia- 
phane, tel  que  le  verre  d'une  lunette,  se  divise  en  différentes 
couleurs. 

ABERRATIOIV  DE  L'ESPRIT  HUMAIIV,  dé- 
viation de  l'esprit  qui  base  des  inductions  sur  un  principe 
faux  ou  exagéré.  L'histoire  des  sciences,  surtout  des  sciences 
morales,  n'est  trop  souvent  qu'une  longue  série  d'aberra- 
tions. Mais  les  aberrations  ont  quelquefois  longtemps  passé 
pour  des  vérités.  La  marche  de  la  science,  le  travail  de  la  ci- 
vilisation, amènent  à  reconnaître  comme  faux  ce  qui  jusque 
là  passait  pour  vrai.  Les  doctrines  absolues  conduisent  sur- 
tout à  l'absurde,  et  sont  cause  d'une  foule  d'aberrations.  S'il 
fallait  citer  des  exemples,  nous  rappellerions  Xénophane  d'É- 
lée,  et  après  lui  Pyrrhon,  niant  avec  les  sceptiques  l'existence 
de  la  matière  ;  Épicure  ne  tenant  compte,  dans  l'étude  de  la 
nature  humaine,  que  des  penchants  sensuels.  La  philosophie 
moderne  n'a  pas  été  moins  féconde  en  aberrations  que  la 
philosophie  ancienne. 

ABGAR,  surnommé  Ouchomo,  c'est-à-dire  le  Aoir, 
souverain  de  l'empire  osrhoénien  d'Édesse;  contemporain 
d'.Vugustect  de  Tibère,  le  quatorzième  des  Abgarides.  On 
prétend  qu'affligé  d'une  maladie  grave  et  ayant  entendu  parler 
des  cures  miraculeuses  du  fils  de  Dieu,  il  lui  écrivit  pour  l'en- 
gager à  venir  à  Édesse  le  guérir.  Eusèbe  a  traduit  du  syria- 
que cette  lettre  ainsi  que  la  réponse  qu'y  fit ,  dit-on ,  notre 
Sauveur.  11  aflirrae  les  avoir  tirées  toutes  deux  des  archives 
de  la  ville  d'Édesse,  et  n'hésite  pas  à  les  regarder  comme 
authentiques.  Une  circonstance,  toutefois,  qui  prouve  bien 
que  cest  là  l'œuvre  d'un  faussaire  maladroit,  c'est  que  dans 
la  lettre  de  Jésus-Christ  se  trouvent  cités  des  passages  de 
l'Évangile.  Au  resle  lËgiisc  de  Rome  les  a  déclarées  apo- 
cryphes; mais  c'est  peut-être  là  le  motif  qui  a  engagé  divers 
théologiens  protestants  à  soutenir  lopinion  contraire.  A  l'é- 
poque du  schisme  soulevé  par  les  iconoclastes,  il  fut  grande- 
ment question  d'un  portrait  de  Jésus-Christ  que  celui-ci 
aurait  envoyé  à  Abgar.  Les  villes  de  Rome  et  de  Gènes  s'en 
disputent  encore  aujourd'hui  le  prétendu  original. 

ABGARIDES,  nom  d'une  dynastie  qui  a  régné  sur  la 
contrée  d'tdesse  en  Mésopotamie.  Vot/cz  IIdesse  et  Abuaii. 


ABERRATION  —  ABINZl 

ABIDA,  divinité  des  Kalmouks,  qui,  selon  la  croyance 
de  ce  peuple,  attire  à  elle,  d'une  manière  mystérieuse,  les 
âmes  des  morts,  au  moment  où  elles  se  séparent  du  corps; 
elle  permet  à  celles  qui  sont  pures  de  péché  d'errer  libre- 
ment dans  les  airs ,  mais  chasse  loin  d'elle,  par  son  souffle, 
celles  que  le  péché  a  souillées.  Elle  leur  donne  aussi  la  liberté 
de  rentrer  dans  un  autre  corps,  d'homme  ou  d'animal.  Sa 
demeure  est  dans  le  ciel ,  vers  le  point  où  le  soleil  se  lève. 
ABIES.  Voyez  Swvi. 

ABIGAIL ,  femme  juive  d'une  grande  beauté ,  épouse 
de  Nabal ,  désarma  par  ses  charmes  David  ,  irrité  contre  ce 
riche  particulier,  qui  lui  avait  refusé  des  secours.  Après  la 
mort  de  son  mari  Abigail  devint  l'épouse  de  David. 

ABILDGAARD  (itrononcez  Abildgaîird),  nom  d'une 
famille  danoise  dont  plusieurs  membres  se  sont  illustrés 
dans  les  sciences  et  les  arts.  Sœren  Abildcaaud,  mort 
en  1701,  a  laissé  des  dessins  qui  reproduisent  avec  une  rare 
exactitude  différents  monuments  de  l'antiquité  Scandinave. 
Le  gouvernement  danois  l'avait  fait  voyager  pour  en  lever 
les  plans  et  en  prendre  les  vues.  —  Son  fils  aine ,  Pierre- 
Christian  ABiLDGAAnn,  mort  en  1801,  fonda  l'École  vété- 
rinaire et  la  Société  d'Histoire  Naturelle  de  Copenhague. 
Les  mémoires  de  cette  société  et  ceux  de  la  Société  royale 
des  Sciences  de  Danemark  contiennent  de  lui  diverses  dis- 
sertations. —  Nicolas-Abraham  Abildgaard,  frère  du 
précédent,  né  à  Copenhague  en  1744,  mort  dans  la  même 
ville,  le  4  juin  1809,  avec  le  titre  de  directeur  et  de  pro- 
fesseur de  l'Académie  des  Beaux-Arts ,  le  peintre  le  plus 
remarquable  que  le  Danemark  ait  encore  produit,  était  un 
artiste  doué  des  plus  heureuses  facultés.  Ses  ingénieuses 
compositions  décèlent  des  études  profondes ,  un  riche  fonds 
d'idées,  et  une  remarquable  vigueur  de  pinceau.  Un  séjour 
de  cinq  ans  en  Italie  perfectionna  ses  études  premières  et 
son  talent.  Dans  les  créations  de  sa  féconde  imagination,  on 
remarque  un  caractère  souvent  mélancolique ,  mais  toujours 
grandiose  et  imposant.  Le  style  de  sestableauxhistoriquesest 
noble ,  pur,  en  même  temps  que  d'un  coloris  dont  peu  d'ar- 
tistes modernes  ont  su  égaler  la  vivacité ,  surtout  dans  le 
nu.  La  majeure  partie  de  ses  grandes  toiles  historiques  dé- 
coraient les  appartements  du  château  de  Christiansborg  ; 
l'incendie  qui  dévora  cette  belle  résidence  royale,  en  1794, 
les  détruisit  presque  toutes.  Parmi  les  nombreux  élèves  de 
ce  peintre  nous  citerons  l'illustre  sculpteur  Thorwaldsen. 

ABIME.  For/es  Abyme. 

ABIMÉLECH.  Nom  des  rois  philistins  de  Gérare.  La 
Bible  en  mentionne  deux  :  l'un  contemporain  d'Abraham , 
dont  il  voulut  enlever  la  femme,  Sara ,  la  croyant  sa  sœur  ; 
l'autre  contemporain  d'Isaac,  à  qui  il  voulait  de  même  en- 
lever Rebecca.  Tous  deux  contractèrent  alliance  avec  les 
patiiarches.  —  L'Écriture  cite  un  autre  Abimélcch,  fils  de 
Gédéon ,  qui  fut  juge  d'Israël ,  et  mourut  en  faisant  la  guerre 
aux  Sichémites  ,  révoltés  contre  lui. 

ABINGER  (Sir  James  SCARLETT ,  lord),  premier 
baron  de  l'Échiquier  et  un  des  quinze  juges  de  l'Angle- 
terre, était  né,  en  1709,  à  la  Jamaïque ,  où  sa  famille  avait 
résidé  longtemps ,  et  où  elle  possédait  de  grands  biens. 
Sous  le  nom  de  Scarlett ,  il  acquit  une  très-grande  renommée 
dans  le  barreau  anglais ,  où  il  fut  longtemps  à  peu  près  sans 
rival.  Il  parut  ponr  la  première  fois  au  parlement  en  1819. 
Nommé  solliciteur  général  en  1829,  sous  ie  ministère  du 
duc  de  Wellington ,  il  fut  fait  premier  baron  de  l'Échiquier 
et  créé  pair,  sous  le  titre  de  baron  Abinger,  lors  de  la  forma- 
tion du  ministère  Peel-Wellingtonen  18.34.  Il  est  mort  àLon- 
dres,  le  7  avril  1844,  à  la  suite  d'une  attaque  d'apoplexie  dont 
il  avait  été  iVappé  en  remplissant  ses  fonctions  judiciaires. 

AB  IIVTESTAT.  Voyez  Intestat. 

ABIIXZI 4  nom  russe  d'une  peuplade  tatare  de  race  sibé- 
rienne, qui  s'appelle  elle-même  i4ta/ar,  c'est-à-dire  pères; 
elle  vit  errante  sur  le  Toni  supérieur  du  gouveniement  russe 
de  Kolywan,  au  sud  de  la  ville  de  Kusnetzk.  Ces  hordes 


ABÏNZT  —  ABJURATION 


81 


apparliennont  aux  Tatares  Tomsky  sur  le  Tom  ;  mais,  comme 
tous  les  Tatares  sibériens,  elles  empruntent  à  leurs  demeu- 
res leur  nom  particulier.  Les  principaux  moyens  d'existence 
des  AOitizi  sont  la  chasse  et  la  pOche  ;  pourtant  ils  se  livrent 
aussi  à  la  fonte  du  fer  et  aux  travaux  de  la  forge ,  et  en 
partie  à  l'agricidture.  En  hiver  ils  se  font  des  huttes  à  moi- 
tié creusées  dans  le  sol;  mais  en  été  ils  se  tiennent  sous 
des  tentes,  qu'ils  dressent  tantôt  dans  un  endroit,  tantôt 
dans  un  autre.  Dans  les  pays  où  ces  hordes  circonscrivent 
leur  vie  nomade ,  on  trouve  de  nombreux  monuments  d'une 
civilisation  antérieure,  tels  que  des  vases,  des  armes,  des 
médaille*,  etc. 

ABIPOXS ,  tribu  indienne  composée  d'environ  5,000  in- 
dividus ,  et  tixée  sur  les  rives  de  la  Plata,  entre  28  et  30°  de 
latitude  sud.  Les  hommes,  généralement  doués  d'une  stature 
élevée ,  nagent  avec  une  merveilleuse  adresse ,  se  tatouent 
et  ont  presque  tous  le  nez  aquilin.  Leurs  juges  pendant  la 
paix  deviennent  leurs  chefs  en  temps  de  guerre.  La  pèche 
et  la  chasse  constituent  à  peu  près  leur  unique  ressource; 
de  longues  lances  et  des  flèches  à  pointes  de  fer  compo- 
sent leur  armure.  Pendant  les  cinq  mois  de  pluie  de  la 
saison  d'hiver  ils  se  réfugient  dans  les  nombreuses  îles  qui 
embarrassent  le  cours  de  la  Plata,  ou  bien  ils  se  construisent 
des  huttes  au  sommet  des  arbres. 

AB  IRATO,  mots  latins  qui  s'appliquent  à  ce  qui  est 
fait  ou  dit  par  un  honune  en  colère. 

En  droit  romain  certaines  libéralités  faites  par  haine  ou 
colère  étaient  dites  ab  irato.  L'action  ab  irato  était  la  de- 
mande faite  par  l'héritier  légitime  du  testateur  de  la  nullité 
de  cette  disposition.Cette  action  n'existait  pas  dans  l'ancienne 
législation ,  précisément  à  cause  de  l'étendue  extraordinaire 
que  la  loi  des  Douze  Tables  avait  reconnue  à  la  puissance 
paternelle.  Quand  l'organisation  de  la  famille  commença  à  se 
modifier,  le  droit  prétorien  admit  la  plainte  d'inofficiosité. 
Ou  établit  que,  dans  tousles  cas,  une  certaine  quotité  des  biens 
du  défunt,  appelée  légitime,  serait  réservée  aux  enfants,  et  que 
le  père  ne  pourrait  les  en  priver  que  pour  certahis  motifs  dé- 
terminés. Dans  les  pays  français  de  droit  coutumier  l'action 
ab  irato  était  également  permise  aux  descendants  et  aux  as- 
cendants du  défunt.  La  coutume  de  Bretagne  la  donnait 
même  aux  collatéraux.  Le  législateur  moderne,  sans  ad- 
mettre ni  rejeter  expressément  c«tte  action  en  nullité,  en  a 
laissé  l'entière  appréciation  à  l'arbitrage  du  juge,  qui  doit 
décider  si  les  faits  qui  lui  sont  dénoncés  sont  d'une  telle 
nature  que  le  donateur  ou  le  testateur  puisse  être  réputé  n'a- 
voir pas  eu  lors  de  sa  disposition  le  Ubre  exercice  de  sa  raison. 

AJBJURATION.  Ce  mot  a  plusieurs  sens  en  français  : 
on  peut  abjurer  une  erreur,  des  sentiments  de  haine;  mais 
c'est  surtout  en  matière  de  religion  qu'il  trouve  son  application. 
Le  plus  souvent  il  s'entend  du  passage  d'une  confession 
chrétienne  à  une  autre  communion  chrétienne.  L'accession 
à  la  religion  chrétienne  d'un  juif,  d'un  musulman,  etc., 
prend  le  nom  de  conv  ersion  ,\&  renoncement  au  culte 
chrétien  est  souvent  traité  d''apost  asie. 

Lorsqu'elle  est  dictée  par  une  sincère  conviction,  et  qu'elle 
a  reçu  l'aveu  d'une  conscience  éclairée,  l'abjuration  est 
un  acte  louable.  Nous  croyons  seulement  qu'alors  elle  doit 
avoir  un  caractère  de  fermeté  modeste,  surtout  si  celui  qui 
reconnaît  son  erieur  a  laissé  des  traces  apparentes  dans  une 
opinion  contraire,  ou  occupé  une  position  élevée  dans  l'ordre 
social.  Tout  au  moins  faut-il,  dans  ce  cas,  que  l'abjuration  ne 
puisse  «"tre  entachée  d'aucun  inotif  d'intérêt  personnel  ;  au- 
trement, on  serait  autorisé  à  n'y  voir  qu'une  spéculation, 
d'autant  plus  digne  de  mépris  que  d'un  côté  la  conscience 
du  néophyte  converti  n'y  aurait  aucune  paît ,  et  que  de 
l'autre  le  ciel  aurait  été  pris  à  témoin  d'un  engagomcnt  sans 
sincérité;  car  il  y  a  quelque  chose  de  sacramentel  dans  l'ab- 
jiiration.  On  ne  passe  jias  d'une  religion  dans  une  religion 
dissidente  sans  qu'aux  yeux  de  tous  la  Divinité  n'intervienne 
dans  ce  nouveau  conlrat;  le  mot  liii-mê!!:e  l'indii^nc  :   il 


renferme  \m  jurement  dans  son  étymologie  ;  et  par  le  jure- 
ment celui  qui  le  prononce  se  place  en  présence  de  Dieu  ; 
or,  il  n'y  a  pas  de  code  religieux  ou  civil  qui  ne  statue  des 
peines  contre  le  parjure.  Le  mensonge  devant  l'autel  sera 
toujours  le  pire  de  tous. 

En  remontant  vers  le  berceau  de  la  monarchie  française , 
on  trouve  plusieurs  abjurations  célèbres.  Celle  de  Clovis,  la 
première  en  date,  fut  plutôt  une  concession  par  laquelle  ce 
lier  Sicambre  quitta  le  paganisme  pour  la  religion  du  Christ, 
et  moins  une  conversion  véritable  qu'un  traité  conditionnel 
passé  entre  le  ciel  et  lui  contre  les  Allemands  qu'il  s'apprê- 
tait à  combattre.  A  bien  dire,  ce  fut  le  Dieu  de  Clotilde  qui 
obtint  le  prix  de  la  victoire.  Ainsi,  vers  la  fin  du  cinquième 
siècle,  le  christianisme,  déjà  implanté  dans  les  Gaules  par 
un  effet  tout  providentiel,  reçut  du  roi  des  Francs  sa  pre- 
mière consécration;  ce  fut  en  même  temps  une  conquête  de 
la  comnmnion  romaine  sur  l'arianisme,  dont  l'invasion  était 
devenue  menaçante  en  Europe. 

Une  abjuration  plus  importante  à  tous  égards  est  celle  que 
le  roi  de  Navarre  prononça  en  1593,  c'est-à-dire  onze  siè- 
cles après  celle  de  Clovis.  On  a  prétendu  que  la  soumission 
de  Henri  IV  à  l'Église  de  Rome  eut  un  motif  politique  :  on 
l'a  cru  parce  qu'effectivement  cette  conversion  pouvait  être 
très-utile  à  l'établissement  du  pouvoir  royal  dans  la  per- 
sonne de  ce  prince;  ce  qui,  pour  être  vrai,  n'attaquerait  pas 
essentiellement  la  sincérité  de  cet  acte  religieux,  du  moins 
si  nous  tenons  compte  de  la  parole  du  duc  de  Sully  lui-même, 
dont  le  témoignage  très-explicite  ne  saurait  être  révoqué  eo 
doute  en  pareille  matière.  Ici  l'intérêt  de  l'État  et  la  bonne 
foi  de  Henri  ont  bien  pu  se  trouver  daccord,  et  cette  coïn- 
cidence n'a  été  démentie  par  aucun  événement  subséquent, 
à  moins  qu'on  n'attache  une  importance  exagérée  au  bon 
mot  échappé  à  la  verve  parfois  joviale  du  Bourbon  béarnais  : 
Ventre  saint  Gris!  le  roijaume  de  France  vaut  bien  une 
messe.  Qui  sait  si  cette  saillie  déplacée,  mais  probablement 
innocents,  ne  mit  pas  le  couteau  dans  la  main  d'un  exé- 
crable fanatique  ?  Ce  que  dit  sur  l'abjuration  de  son  maître 
et  ami  l'austère  Béthune,  dans  la  cinquième  partie  de  ses 
Mémoires  (on  en  doit,  il  est  vrai,  la  rédaction  à  un  homme 
d'Église,  l'abbé  de  l'Écluse;  mais  les  originaux  sur  lesquels 
il  a  travaillé  ont  pu  être  consultés  par  le  public  :  ils  exis- 
tent encore  en  partie  à  la  Bibliothèque  impériale) ,  prouve 
irréfragablement  que  ce  fut  là  une  abjuration  sincère. 

D'autres  abjurations ,  et  peut-être  en  trop  grand  nombre, 
ont  fourni  des  pages  lamentables  à  l'histoire. 

Les  persécutions  contre  les  protestants ,  arrachées  à  la 
vieillesse  d'un  grand  roi,  les  violences  physiques  et  morales 
exercées  contre  les  pères  et  les  enfants,  les  spoliations  dont 
ils  furent  victimes,  les  jeunes  filles  passant  des  bras  de  leurs 
mères  dans  des  cloîtres,  où  on  leur  apprenait  à  luaudire  ce 
que  leurs  parents  avaient  honoré  ,  les  jeunes  garçons  jetés 
dans  des  séminaires,  où  une  foi  étrangère  leur  était  imposée, 
offiiraient  un  tableau  trop  lugubre,  si  nous  avions  accepté  la 
tâche  d'en  retracer  seulement  quelques  épisodes.  Ce  qui  ajou- 
terait, suivantnous,  beaucoup  à  sa  couleur  sombre,  c'est  que 
les  violences  qui  y  figuraient  étaient  un  réel  anachronisme 
par  rapport  à  l'état  des  mœurs  et  à  l'époque  où  elles  affli- 
geaient le  pays.  On  était  en  effet  déjà  loin  de  la  Saiiit-Bar- 
tliclemy,  de  hideuse  mémoire  ;  l'opinion  était  formée  sur 
cette  journée  :  et  pourtant  on  peut  dire  que  les  dragonnades 
et  les  proscriptions  qui  eurent  lieu  vers  la  fin  du  règne  de 
Louis  XIV  furent  une  seconde  Saint-Barlhclemy,  moins  les 
assassinats  dans  la  rue.  li  est  pénible  de  se  souvenir  que 
nombre  de  familles  nobles  se  sont  enrichies  à  cette  époque 
de  la  dépouille  des  malheureux  religionnaires  :  on  pioscri- 
vait  alors  moins  par  iiaine  que  par  calcul.  Les  abjurations 
obtenues  par  la  crainte  ou  achetées  à  prix  d'argent  dans  ces 
jours  néfastes,  n'ayant  aucun  caractère  de  moralité,  n'en 
méritent  pas  ic  nom.  Dieu  et  le  pacte  social  dont  il  est  l'ûme- 
y  furent  égalenienl  outragés. 


32  ABJURATION 

:\oiis  n'entrerons  dans  auwn  détail  sur  lalijiiration  de  la  j 
reiiic  lie  SiiMe,  qui  on  lf.54  passa  assez  iastueusenient  du 
lutiiériai>isnie  à  la  catliolicilé.  JNous  nous  dispenserons  inc'ine 
de  l'examen  de  cet  acte,  parce  que  nous  ne  croyons  pas  à  sa 
sincérité.  Christine,  dont  l'intention  était  de  voir  ses  jours 
couler  à  Rouie,  non  sans  éclat,  au  milieu  des  chefs-d'œuvre 
<ie  l'art  ancien  et  des  philosophes  de  son  temps,  avait  trop 
le  désir  (juc  Ton  s'occupAt  d'elle  en  ce  bas  monde  pour  qua- 
prés  son  abdication  son  abjuration  ne  fût  pas  encore  une 
nijuiière  de  faire  du  bruit.  Il  est  réellement  assez  dinicile  de 
croire  à  la  foi  religieuse  de  celte  femme. 

L'abjuration  doit  être  un  acte  rare.  On  ne  saurait  passer 
(l'une  religion  dans  une  autre  sans  y  avoir  mnrement  rétléchi, 
ainsi  (juc  parait  l'avoir  fait  'lurenne,  dont  aucun  motif  hu- 
main ne  détermina  le  changement  de  culte. 

Nous  n'aurons  garde  de  voir  une  abjuration  proprement 
dite  dans  l'appel  à  la  foi  chrétienne  des  hordes  barbares  ou 
sauvages,  soustraites  par  de  respectables  missionnaires  au 
fétichisme.  Ce  sont  là  de  véritables  conversions,  ce  sont  là 
des  actes  de  haute  civilisation,  entrepris  aux  risques  et  pé- 
rils des  successeurs  des  apôtres  ;  et  nous  en  rapportons  l'hon- 
neur à  un  zèle  qui  n'attend  point  ses  pahnes  de  la  générosité 
des  hommes.  K  ki;  ^tk  v  . 

ABLANCOURT  (  Nicolas  PERROT  d'  ),  traducteur 
assez  médiocrcd'un  grand  nombre  d'auteurs  classiques,  grecs 
on  latins,  naquit  à  Chàlons-sur-Marne,  le  5  avril  1606.  Son 
père,  ([ui  était  protestant,  après  lui  avoir  donné  une  éducation 
première ,  l'envoya  linir  ses  études  à  Sedan ,  où  il  reçut  les 
leçons  et  adopta  les  principes  du  fameux  Roussel ,  ce  ministre 
réformé  qui  fut  plusieurs  fois  ambassadeur.  De  Sedan  Perrot 
d'Ablancourt  vint  à  Paris,  où,  après  avoir  étudié  le  droit,  il 
fut  reçu  avocat  au  parlement.  La  mort  de  son  père  l'ayant 
rappelé  à  Chàlons,  il  fut  sur  le  point  de  se  marier  avantageu- 
sement ;  mais  des  obstacles  ayant  retardé  cotte  union,  elle  se 
trouva  rompue  par  le  changement  de  croyance  de  Perrot 
d'Ablancourt.  Il  avait  cédé  à  cet  égard  aux  obsessions  de  sa 
famille ,  et  surtout  de  Cyprien  Perrot ,  son  oncle ,  conseiller 
à  la  giaud'chambre ,  qui  promettait  au  jeune  avocat  de  lui 
résigner  sa  charge.  Cependant  Perrot  d'Ablancourt  regrettait 
les  croyances  religieuses  au  sein  desquelles  il  avait  été  élevé  ; 
deux  ans  après  les  avoir  quittées,  il  prit  la  résolution  d'étu- 
dier sérieusement  les  deux  religions,  et  son  retour  au  protes- 
tantisme fut  le  résultat  d'un  long  examen.  Pour  se  soustraire 
aux  clameurs  qu'excita  dans  sa  famille  ce  retour  aux  doc- 
trines de  son  père,  il  alla  vivre  deux  années  en  Hollande  et 
en  Angleterre.  Perrot  d'Ablancourt  revint  ensuite  à  Paris, 
demeura  c[uelque  temps  chez  son  ami  Patru ,  puis  fixa  sa 
résidence  près  du  Luxembourg ,  loin  du  bruit  de  la  grande 
ville.  A  partir  de  ce  moment  il  se  livra  sans  partage  à  la  cul- 
ture des  belles-lettres. 

Conrart  et  Patru  furent  ses  amis  particuliers ,  et  l'on  doit 
à  ce  dernier  une  notice  dans  laquelle  on  trouve  sur  la  per- 
sonne ,  la  vie  et  les  ouvrages  de  Perrot  d'Ablancourt ,  des 
d(;tails  curieux  et  piquants. 

Au  mois  de  septembre  1637  il  fut  reçu  membre  de  l'Aca- 
démie Française  ;  il  s'occupait  d'une  traduction  de  Tacite  au 
moment  où  les  guerres  de  la  Fronde  ayant  ruiné  une  partie 
de  son  patrimoine,  il  se  vit  contraint  d'aller  vivre  dans  sa 
terre  d'Ablancourt ,  dont  il  ne  sortait  qu'assez  rarement  pour 
venir  à  Paris  faire  imprimer  ses  ouvrages.  Une  maladie  de 
vessie  qui  le  tourmentait  l'empêcha  bientôt  non-seulement  de 
marcher,  mais  encore  d'aller  en  voiture.  Enfin,  cette  maladie 
l'emporta  le  17  novembre  10G4,  Age  de  cinquante-huit  ans. 

Perrot  d'Ablancourt  avait  traduit  successivMment  :  L'Oc^a- 
vins  de  Minutius  Félix;  quatre  harangues  de  Cicéron,  pro 
Quint io,  jiro  loge  Man'dia ,  pro  Ligario, pro  Marcello; 
lesœuvre^  de  Tacite;  la  Retraite  des  Dix  mille,  deXéno- 
phon  ;  les  guerres  d'Alexandre,  d'Arrien;  les  Conimentai- 
res  de  César;  V Histoire  de  Thucydide;  les  Apnphl/iegmcs 
des  anciens  ;  les  Stratagèmes  de  Froutin  ;  Lncicn  ,  avec  des 


-  ABLUTION 

remarques  ;  VAJriqtie  de  Louis  de  IVIarmol ,  etc.  Si  ces  tra- 
ductions ont  joui  autrefois  d'une  certaine  célébrité,  due  à 
l'élégance  du  style,  elles  sont  ajuste  titre  tombées  de  nos 
jours  dans  l'oubli ,  à  cause  dos  altérations  continuelles  qu'on 
y  rencontre,  et  qui  faisaient  que  les  amis  de  l'auteur  le 
nommaient  le  hardi  d'Ablancourt,  et  appelaient  ses  œuvres 
de  belles  infidèles.  Par  exemple,  on  lui  reproche  avec 
raison  d'avoir  altéré  le  texte  de  Tacite ,  au  point  de  n'avoir 
pas  traduit  les  noms  propres ,  et  de  s'être  contenté  de  les 
rendre  par  des  termes  vagues,  comme  deux  sénateurs, 
un  officier.  De  même  Lucien ,  dans  la  version  de  Perrot 
d'Ablancourt ,  a  plutôt  l'esprit  français  du  dix-septième 
siècle  que  celui  de  son  temps.  Le  Roux  de  Lincv. 

AliLATîF.  Voyez  Cas. 

ABLÉCUIOF  (Alexaxure),  officier  d'état-major  russe, 
mort  à  Moscou  en  J  784,  dut  la  découverte  et  la  direction  de 
son  talent  au  hasard  qui  l'avait  placé  près  du  poëte  Alexan- 
dre Soumarokof ,  dont  il  fut  pendant  quelque  temps  le  secré- 
taire. 11  a  écrit  «les  comédies ,  des  contes ,  des  élégies ,  des 
épigramnips  ;  mais  son  œuvre  capitale  est  un  opéra-comi(î',ie 
intitulé  Le  Meunier,  qu'on  représente  encore  quelquefois 
aujourd'hui ,  et  qui  a  conservé  jusqu'ici  le  privilège  de  plaire 
à  un  peuple  dont  il  peint  avec  esprit  et  vérité  les  mœurs 
originales. 

ABLÉGAT,  du  latin  ablegatvs,  envoyé,  désignait  au- 
trefois un  agent  diplomatique  de  second  ordre ,  et  désigne 
encore  à  la  cour  de  Rome  un  officier  commis  par  le  pape  pour 
faire  en  quelque  circonstance  particulière,  comme  lorsqu'il 
s'agit  de  re-nettre  la  barrette  aux  cardinaux  nouvellement 
nommés  en  pays  étrangers ,  les  fonctions  d'envoyé  du  saint- 
siége.  Il  est  rare  que  les  ablé^ats  soient  prêtres  :  ce  ne  sont 
le  plus  souvent  que  de  très-jeunes  gens,  choisis  parmi  les 
membres  des  familles  les  plus  illustres  de  Rome  ou  de  l'État 
romain ,  et  ayant  tout  au  plus  les  ordres  inférieurs.  Cepen- 
dant en  quittant  Rome  ils  prennent  l'iiabit  ecclésiastique,  les 
bas  violets  et  la  manteletta  des  prélats.  On  leur  donne  alors 
le  titre  de^  Monsignor.  On  les  appelle  aussi  internonces. 

ABLÉGATION  {Droit  romain),  espèce  de  bannisse- 
ment que  les  pères  pouvaient ,  aux  termes  des  lois  romaines, 
qui  leur  conféraient  droit  de  vie  et  de  mort  sur  leurs  en- 
fants, prononcer  contre  ceux  de  leurs  fils  de  la  conduite  des- 
quels ils  avaient  lieu  d'être  mécontents. 

ABLETTE,  petit  poisson  type  du  genre  able,  famille 
des  cyprinoides  de  Cuvier.  L'ablette  a  de  l'i  à  21  centimètres 
de  longueur.  Son  corps  est  étroit ,  son  front  droit  et  sa  mâ- 
choire inférieure  un  peu  plus  longue  que  la  supérieure.  Ses 
écailles  minces ,  peu  adhérentes ,  d'un  vert  jaunâtre  sur  le 
haut  du  dos,  présentent  un  éclat  argenté  sur  les  côtés  et  sur 
l'abdomen.  Cet  éclat  métallique  tient  à  la  présence  d'une 
substance  nacré-e  qui  entoure  la  base  des  écailles  ;  les  intestins 
sont  également  recouverts  par  cette  matière  brillante,  qui 
porte  dans  le  commerce  le  nom  d'essence  d'Orient.  Pour 
l'obtenir,  on  écaille  le  poisson,  et  on  malaxe  les  écailles  dans 
l'eau  ;  la  substance  nacrée  tombe  au  fond  du  liquide  quand 
on  le  laisse  reposer.  On  décante  alors,  puis  on  lave  de  nou- 
veau jusqu'à  ce  qu'il  ne  reste  plus  d'impuretés.  Le  tout  est 
jeté  ensuite  sur  un  tamis,  qui  laisse  passer  la  substance  nacrée 
et  retient  les  écailles.  On  décante  encore  une  fois,  et  Ion 
retire  une  matière  visqueuse,  qui  est  l'essence  d'Orient,  avec 
laquelle  on  fabrique  les  perles  artificielles.  Lorsqu'elle  est 
bien  préparée,  elle  présente  l'aspect  et  les  reflets  des  perles 
véritables  ou  de  la  nacre  de  perle  la  plus  fine.  Cette  sub- 
stance se  putréfie  facilement  à  fhumidité,  mais  on  peut  remé- 
dier à  cet  inconvénient  au  moyen  de  l'ammoniaque  liquide. 

ABLUTIOiV  (  du  hWaabluere,  laver,  nettoyer).  L'an- 
cienne loi  fait  une  mention  fréquente  des  ablutions  ou 
purifications;  elles  jouaient  en  effet  un  rôle  fort  important 
dans  le  culte  judiiique.  Il  est  à  remarquer  que  le  paganisme, 
de  même  ([ue  la  religion  de  Brahma,  recommandait  vivement 
des  ablulious.  Ne  semble-t  il  pas  que  le  sentiment  d'une  im- 


ABLUTION  —  ABNER 


33 


pureté  inhérente  à  la  nature  humaine  soit,  pour  ainsi  dire, 
inné  au  cœur  de  l'homme ,  et  qu'il  doive  se  retrouver  dans 
tous  les  cultes? 

Il  )  a  plusieurs  sortes  iVabludous  dans  la  liturgie  catho- 
h"que  :  le  baptême,  l'aspersion,  le  lavement  des  pieds  et  celui 
des  autels  dans  la  semaine  sainte,  le  lavement  des  mains 
à  la  messe,  enlin  les  ablutions  après  la  communion.      Z. 

Des  ablutions  chez  les  Orientaux.  L'ablution  est  une 
cérémonie  instituée  par  iiresque  toutes  les  religions  de  l'O- 
rient ,  et  consistant  à  enlever  par  l'eau  certaines  souillures 
spirituelles  ou  matérielles.  C'est  l'acte  d'une  liygiène  à  la 
fois  physique  et  morale ,  dont  le  christianisme  a  conservé 
quelques  traces  symboliques.  On  conçoit  que  sous  des 
climats  brûlants  la  loi  ait  dû  opposer  aux  promptes  altéra- 
tions de  la  chaleur  les  prescriptions  sévères  de  la  propreté 
corporelle.  En  Orient,  où  la  religion  n'a  jamais  séparé  la 
chair  de  l'esprit  avec  autant  de  rigueur  que  le  dogme  chré- 
tien, leurs  relations  ont  été  naturellement  consacrées;  l'ana- 
logie s'est  établie  entre  la  pureté  du  corps  et  la  netteté  de 
l'âme.  Être  propre ,  c'était  être  pur.  L'ablution ,  comme 
préparation  à  la  prière  ou  comme  expiation ,  est  l'une  des 
plus  importantes  dévotions  des  cultes  orientaux,  et  souvent 
la  loi  en  a  minutieusement  prescrit  les  cas,  les  heures,  le 
nombre,  en  pénétrant  dans  les  plus  mystérieux  détails  de  la 
vie  domestique. 

Selon  l'antique  religion  de  l'Inde ,  l'ablution  ouvre  chaque 
journée ,  précède  la  prière  et  devance  le  repas.  Le  mode 
varie  à  chaque  degré  de  l'échelle  hiérarchique  des  castes. 
Le  Brahmane  est  purifié  par  l'eau  qui  descend  jusqu'à  sa 
poitrine ,  le  Kchatrya  par  celle  qui  va  dans  son  gosier,  le 
Vaisya  par  celle  qu'il  prend  dans  sa  bouche,  le  Soudra  par 
celle  qu'il  touche  du  bout  des  lèvres.  Aujourd'hui,  comme 
dans  les  temps  d'une  antiquité  reculée,  les  Indous  deman- 
dent aux  eaux  sacrées  du  Gange  une  double  purification. 

Le  législatem:  des  Hébreux ,  fidèle  sans  doute  aux  pra- 
tiques instituées  sur  les  bords  du  isil ,  avait  consacré  Yablu- 
tion;  mais  sans  y  assujettir  son  peuple  à  des  heures  déter- 
minées du  jour.  Cet  acte  était  principalement  prescrit  dans 
le  cas  où  l'on  avait  touché  ou  mangé  quelque  animal  frappé 
d'impureté  légale  et  dans  le  cas  de  lèpre  ou  d'autres  infirmités 
corporelles. 

Mahomet,  qui  fit  tant  d'emprunts  au  judaïsme,  assigna  à 
cette  institution  une  origine  sacrée.  Le  Koran  et  l'ablution 
lui  furent,  dit-il,  révélés  le  même  jour,  par  l'ange  Gabriel, 
qui  joignit  l'exemple  au  précepte,  en  faisant  jaillir  dans 
une  caverne  aride  une  source  dont  les  flots  miraculeux 
senirent  à  la  double  ablution  de  l'envoyé  du  ciel  et  du 
prophète.  On  peut  dès  lors  juger  de  la  fréquence  de  cette 
pratique  dans  l'islamisme.  Le  nmsulman  est  tenu  à  cinq 
prières  par  jour  et  à  un  nombre  égal  d'ablutions  prélimi- 
naires, accomplies  selon  un  rite  obligatoire.  Ces  ablutions 
consistent  à  se  laver  le  visage ,  une  partie  de  la  tète ,  la 
barbe,  les  mains ,  les  bras  jusqu'au  coude,  et  les  pieds  jus- 
qu'à la  cheville.  Tout  accident  qui  entraîne  une  souillure 
du  corps  appelle  des  lotions  partielles  répétées,  et  le  ciia- 
pitre  IV  du  Koran,  intitulé  :  les  Femmes,  détermine  impé- 
rieusement de  nouveaux  cas  d'ablution.  Enlin,  chaque 
vendredi ,  jour  du  sabbat  des  musulmans ,  le  bain  complet 
du  corps  est  d'obligation  religieuse.  Le  législateur  arabe 
semble  avoir  entrepris  de  discipliner  ses  sectateurs  à  la 
propreté;  et  il  s'est  montré  si  jaloux  de  l'observation  fidèle 
de  sa  loi,  qu'il  a  ôté  tout  prétexte  à  la  négligence  et  à  l'inter- 
iiiplion  de  l'habitude  sainte,  en  ordonnant  de  se  frotter  avec 
de  la  menue  poussière  à  défaut  d'eau.  Les  peuples  musul- 
mans se  conforment  encore  aujourd'hui  aux  salutaires  pres- 
criptions de  IMahomet.  Il  n'est  pas  une  mosquée  auprès  de 
laquelle  vous  n'aperceviez  la  fontaine  destinée  aux  ablutions. 
Si  à  l'entrée  de  I  église  se  trouve  la  coquille  d'eau  bénite  où 
le  chrétien  mouille  le  bout  de  ses  doigts  pour  en  |)ortcr  une 
goutte  à  son  front,  la  mosquée  verse  abondamment  autour 

DICT.    DK    I.A   CONVEUS.    —  T.    I. 


d'ellel'eau  toujours  murmurante,  qui  est  une  condition  même 
du  culte.  Il  n'est  pas  d'établissements  plus  multipliés  dans 
une  ville  musulmane  que  les  établissements  de  bains  : 
cha(pie  village  a  le  sien,  et  la  population  misérable  a  été 
dotée  de  bains  par  la  munificence  des  sultans,  des  princes  et 
des  riches,  liàtir  une  fontaine  ou  fonder  des  bains,  c'est 
faire  un  acte  de  piété.  On  conçoit  que  sous  un  ciel  ardent 
ce  qui  est  un  devoir  soit  en  même  temps  un  plaisir.  Le  bain 
est  devenu ,  pour  les  femmes  surtout ,  l'une  des  plus  grandes 
joies  de  la  vie  orientale  :  c'est  au  bain  qu'elles  échappent 
à  la  servitude  et  à  l'isolement  du  harem;  c'est  là  que, 
loin  des  regards  de  leurs  maîtres .  elles  jouissent  de  la  li- 
berté et  des  délices  de  la  vie  commune.  Pour  elles  le  bain 
c'est  le  salon,  moins  les  hommes  pourtant. 

11  est  évident  que  ces  usages,  consacrés  par  la  religion, 
ont  profité  à  l'hygiène  générale  des  peuples  musulmans ,  et 
que  sous  cet  aspect  la  civilisation  orientale  est  supérieure 
pour  les  masses  à  la  civilisation  de  l'Europe.  Le  christia- 
nisme, plus  jaloux  de  la  pureté  spirituelle  que  de  la  pro- 
preté physique,  n'a  jamais  imposé  au  corps,  qu'il  traitait 
comme  une  souillure  permanente,  le  soin  de  se  purifier;  il 
a  en  quelque  sorte  autorisé  la  chair,  ce  sale  vêtement  de 
l'àme,  à  persévérer  dans  une  espèce  d'impénitence  finale  sous 
le  rapport  de  la  propreté.  L'eau  ne  figure  dans  ses  cérémo- 
nies que  comme  un  symbole ,  et  n'y  a  persisté  que  par  ana- 
logie. Ainsi,  le  baptême,  effusion  de  quelques  gouttes  d'eau 
sur  le  front  du  néophyte,  est  une  commémoration  du  bap- 
tême que  saint  Jean  donnait  aux  Hébreux  dans  le  lit  du 
Jourdain  avant  la  venue  du  Messie.  Le  lavement  des  pieds , 
le  jeudi  saint,  est  une  autre  répétition  de  l'une  des  scènes 
de  la  vie  du  Christ ,  et  l'évêque  qui ,  en  signe  d'humilité, 
lave  les  pieds  de  douze  pauvres  se  borne  à  les  toucher  du 
bout  d'une  éponge  imbibée  dans  une  aiguière  d'or.  Pendant 
la  célébration  de  la  messe,  l'ablution  du  prêtre  consiste  à 
humecter  l'extrémité  du  pouce  et  de  l'index.  Telles  sont , 
avec  l'eau  bénite ,  les  seules  traces  de  l'eau  dans  le  culte 
chrétien. 

C'est  donc  à  la  civilisation  et  à  l'influence  des  femmes 
qu'est  dû  dans  les  classes  élevées  le  développement  du 
goût  de  la  propreté.  H  y  aura  un  progrès  véritable  lorsque 
ces  habitudes  hygiéniques  et  élégantes  se  seront  propagées 
parmi  les  classes  inférieures  ;  ce  que  la  religion  a  obtenu 
pour  les  peuples  musulmans,  la  civilisation  le  popularisera 
parmi  nous ,  il  faut  bien  l'espérer,  puisque,  le  pieux  arche- 
vêque de  Cambrai  a  écrit  avec  plus  de  délicatesse  que  d'or- 
tliodoxie  :  La  propreté  est  presque  une  vertu. 

E.  BARhALLT. 

ABIXER,  fils  de  Ner  ,  commandait  les  armées  de  Saùl. 
A  la  mort  de  ce  prince,  Isboseth,  son  fils,  fut  proclamé  roi  par 
l'armée  soumise  aux  volontés  d'Abner.  Alors  le  royaume  se 
trouva  scindé  en  deux  parties  :  la  seule  tribu  de  Juda  obéit 
à  David,  établi  à  Hébron  en  Juda,  et  les  autres  tribus  re- 
connurent pour  leur  souverain  Isboseth ,  qui  fixa  sa  rési- 
dence à  Malianaïm,  au  delà  du  Jourdain.  La  sixième  année 
du  règne  d'Isboseth,  ses  troupes,  commandées  par  .Abner, 
et  celles  de  David  par  Joab ,  s'étant  rencontrées  près  de 
l'étang  de  Gabaon,  lestaient  en  présence,  sans  en  venir  aux 
mains,  lorsque,  sur  la  proposition  d'Abner,  acceptée  par 
Joab,  douze  Benjamites  s'avancèrent  contre  douze  guerriers 
de  Juda,  se  prirent  d'une  main  aux  cheveux,  et  de  l'autre 
plongèrent  chacun  son  poignard  dans  le  sein  de  son  anta- 
goniste, et  périrent  tous  sur  le  coup.  A  la  suite  de  ce 
combat  singiiTer,  le  même  jour,  s'engagea  une  bataille  gé- 
nérale, dans  laquelle  les  troupes  d'Isboseth  furent  mises  en 
une  déroute  complète.  Après  sa  défaite,  Abner  était  re- 
touiné  à  Mahanaùn;  il  s'y  brouilla  bientôt  avec  Isboseth, 
au  sujet  (le  Rilspa,  fille  d'Aia,  ancienne  concubine  de  .Saùl. 
A  la  suite  de  cette  (pierelle,  Abner  proposa  à  David  de  ranger 
sous  son  obéissance  tout  Israël.  David  refusa  d'entendre 
aucune  proposition   a-vant  (iii'on   lui  eût  rendu  son  épouse 

5 


34 


AB.NER 


ABONDANCE 


Micliol,  (ille  (le  Saùl,  que  celii>ci  avait  enlevée  ;i  son  cendre 
pour  la  donner  ;i  Plialliel.  La  condition  exifiée  par  David 
étant  rcnjplie,  Abner  parcourut  tontes  les  tribus  soumises 
à  Isiiosetli,  et,  par  ses  exiiortations ,  les  amena  sous  le 
sceptre  de  son  nouveau  souverain.  Abner  jouissait  de  son 
lrioini)he  au  milieu  des  marcpies  de  la  reconnaissance  de 
David,  lorstpie  Joab,  jaloux  de  la  laveur  dont  il  voyait  en- 
vironner son  rival,  l'assassina  fan  d»  monde  2956).  >  o- 
sanl  pas  punir  le  meurtrier  d' Abner,  mais  ne  voulant  pas 
néanmoins  (pi'on  put  le  soupçonner  d'avoir  participé  à  cette 
trabison,  David  ordonna  à  tous  les  grands  de  sa  cour  et  a 
Joab  lui-raéme  de  décbirer  leurs  babils ,  de  se  revêtir  de 
sacs,  et  de  marcber  en  pleurant  devant  le  convoi  d'Abner. 
De  plus  il  accompagna  lui-même  le  cortège. 

ABXOBA  (-Mont).  Les  Romains  désignaient  sous  ce 
nom  les  montagnes  de  la  forêt  Noire  où  le  Danube  prend  sa 
source.  Les  savants  modernes  ont  élevé  de  longues  dis- 
cussions sur  ses  limites  et  sur  sa  véritable  position,  et  les 
opinions  des  géographes  les  plus  récents  sont  encore  singu- 
lièrement partagées  à  cet  égard.  Le  mont  Abnoba,  que  les 
gens  du  pays  nomment  aujourd'luii  Abnove,  est  situé  dans 
le  Wurtemberg  ;  à  ses  pieds  sont  les  sources  du  Danube  et 
du  Necker. 

AliO  (011  prononce  OOo),  en  langue  finnoise  Tourkou, 
cliel-lieu  du  bailliage  du  même  nom  dans  le  gouvernement  de 
Finlande,  bâti  sur  les  deux  rives  de  l'Aurayocki,  qui,  à  peu  de 
distance  de  la,  se  jette  dans  le  golfe  de  Botbnie  et  forme  un 
beau  port,  fut  fondé  en  1157  par  les  Suédois,  et  demeura 
jusqu'en  1S19  la  capitale  de  toute  la  Finlande.  En  1817  l'é- 
vêclié  dont  cette  ville  était  le  siège,  qui  relevait  de  l'arclie- 
vêclié  d'Upsal ,  et  dont  la  création  remontait  au  quinzième 
siècle,  a  été  trau.sformé  en  archevêché  protestant  par  le 
gouvernement  russe.  Un  violent  incendie  qui  éclata  dans 
l'automne  de  iS27  à  Abo  détruisit  une  grande  partie  de 
celte  ville ,  et  notamment  les  bâtiments  de  l'université 
qu'y  avait  fondée  en  1640  la  reine  Christine,  et  qui  possé- 
dait une  bibliothèque  de  plus  de  40,000  volumes  ;  trésor 
scientifique  qu'on  essaya  vainement  de  dérober  à  la  fureur 
des  llammes.  A  la  suite  de  ce  sinistre,  l'université  a  été 
transférée  dans  la  nouvelle  capitale  de  la  province,  H  els  i  ng- 
fo  rs  ;  et  la  ville  d'Abo  a  été  reconstruite  d'après  un  plan  ré- 
gulier. Ses  rues  sont  larges  et  bien  pavées.  On  évalue  sa  po- 
pulation à  14,000  âmes;  son  commerce,  appuyé  sur  une 
banque  qui  développe  son  crédit,  est  assez  important;  et  dans 
les  chantiers  du  port  on  constiuit  chaque  année  de  nom- 
breux navires. 

La  paix  conclue,  le  17  août  1743  ,  à  Abo  ,  entre  la  Suède 
et  la  Russie,  mit  fin  aux  hostilités  qui  avaient  éclaté  enlie 
ces  deux  puissances  en  1741,  à  l'instigation  de  la  France,  qui 
avait  voulu  par  là  empêcher  la  Russie  de  prendre  part  à  la 
guerre  de  la  succession  d'Autriche,  dont  l'Allemagne  était  le 
théâtre.  Les  Russes ,  après  la  victoii-e  remportée  par  Lacy , 
près  de  Wilmanstrand ,  le  :5  septembre  1741,  conquirent 
toute  la  Finlande  ,  grâce  à  l'impéritie  des  généraux  suédois 
Lo'wcnhaupt  et  Buddenbrock ,  qui  tous  deux  payèrent  leurs 
fautes  de  leur  tète.  L'impératrice  Elisabeth  s'engagea  ce- 
pendant à  rendre  une  grande  partie  de  ses  conquêtes  si  la 
Suède,  au  lieu  du  prince  royal  de  Danemark,  appelait  à 
succéder  au  Irùne  le  prince  Adolphe-Frédéiic  de  Holstein- 
GoUorp ,  évêque  de  Lubeck ,  dont  l'élection  eut  elfective- 
ment  lieu  le  4  juillet  174:5.  Ce  fut  ainsi  que  la  maison  de 
Holstein-Gotlorp  monta  en  1757  sur  le  trône  de  Suède, 
qu  elle  perdit  en  ls09,  à  la  suite  des  événements  qui  don- 
nèrent à  ce  pays  une  dynastie  nouvelle.  Après  l'éieclion 
d'Adolplie-Frédéiic,  la  paix  définitive  fut  signée  à  Abo. 
La  Suéde  céda  à  la  Russie  la  province  linlandaisc  de  Ky- 
mènegord,  avec  les  villes  et  les  forteresses  de  Frédériksliamin 
et  de  NViimanstrand ,  de  même  que  la  ville  et  la  forteresse 
de  Nyslot.  Le  25  juin  17  «5  nouveau  traité  ,  conclu  à  Saint- 
rélersiwuig ,  entre  la  Suède  et  la  Russie ,  par  suite  duquel 


le  fleuve  Kymène  servit»  (}<»  ftontière  aux  deu's  pmssanees 
jusqu'en  1809,  époque  oii  la  Kiussie  obtint  do  sa  rivalj  l'a- 
bandon total  de  la  Finlande,  par  la  paix  de  Frederiksliolm, 
ABOÏS,  Icrme  de  vénerie,  dérivé  du  latin  ad  baubare, 
qui  a  aussi  produit  les  mots  aboyement ,  aboyer,  nboyeur. 
Quand  on  dit  que  le  cerf  est  aux  abois,  cela  veut  dire  qtie 
l'animal,  excédé  de  fatigue,  hors  d'état  désormais  de  courir 
davantage  ,  s'accule  dans  l'endroit  le  plus  avantageux  qu'il 
peut  trouver;  là  il  attend  les  chiens  lancés  à  sa  poursuite 
et  qui  dans  quelques  instants  le  mettront  à  mort.  Il  y  souffre 
les  abois,  il  s'y  rend  aiwabois.  Quand  la  bête  tombe  morte, 
onditqu'efie  tient  les  derniers  abois. 

ABOLITiOrV.C'était,  endroit  romain,  l'annulation  d'une 
procédure.  Elle  différait  de  l'amnistie,  en  ce  que,  malgic  une 
précédente  abolition,  uneaccusation  pouvait  toujours  être  re- 
prise, tandis  qu'une  amnistie  en  détruisait  le  corps  même  à  ja- 
mais. Dans  notre  ancienne  jurisprudence,  l'abolition  était  une 
des  formes  dan  s  lesquelles  le  prince  exerçait  son  droit  de  grâce. 
Elle  supposait  toujours  l'existence  du  crime.  S'il  y  avait  arrêt, 
les  /e<^?-e5d'a6o/(^io?i  n'écartaient  que  la  peine  :rinfamiesub- 
sistait  toujours.  Si  l'obtention  des  lettres  d'abolition  avait  lieu 
avant  le  jugement ,  elle  mettait  l'instance  pendante  au  néant 
ABOLITIOIVISTES.On  appelle  ainsi ,  aux  États-Unis, 
les  partisans  de  l'abolition  de  l'esclavage,  qui,  par  une 
étrange  contradiction,  existe  encore  sur  cette  terre  classique 
de  la  liberté.  Les  efforts  desabolitionisfes  ont  paru  d'abord 
aggraver  plutùl  qu'améliorer  la  condition  des  esclaves;  mais 
en  1860  un  abolitioniste,  iM.  Lincoln,  a  été  élu  président. 

ABOMIXABLE,  ce  qui  est  en  horreur.  Abominable 
s'applique  aux  hommes  et  aux  choses.  11  a  plus  de  force 
lorsqu'il  est  placé  devant  le  substantif.  Comme  exécrable  et 
déte.'itahle,  ses  synonyiTies ,  ce  mot,  dans  son  idée  primitive 
et  positive,  est  une  qualification  du  mauvais  et  de  l'odieux 
au  suprême  degré  :  aussi ,  comme  eux ,  n'est-il  susceptiblie 
ni  d'augmentation  ni  de  comparaison.  S'il  fallait  établir  les 
nuances  qui  différencient  les  acceptions  particulières  à 
chacun  de  ces  mots,  on  pourrait  dire  qu"  abominable  paraît 
avoir  plutôt  rapport  aux  mœurs ,  détestable  au  goût,  exé- 
crable à  la  conformation. 

ABOMINATION  est  également  synonyme  d'exécra- 
tion et  de  détestafion.  On  dit  avoir  en  abomination.  —  Ce 
mot  signifie  aussi  une  action  abominable  :  commettre  des 
abominations;  malgré  les  désordres  et  les  abominations  de 
toute  sa  vie.  «  Quand  les  abominations  de  Sodome  furent 
«  montées  à  leur  comble  »,  a  dit  Massillon.  —  Quelquefois 
aussi  il  est  synonyme  d'idolâtrie ,  sans  doute  parce  que  les 
cérémonies  des  idolâtres  étaient  presque  toujours  accompa- 
gnées de  dissolutions,  d'actions  honteuses,  abominables. 
L'abomination  du  veau  d'or.  «  Au  temps  d'Isaac  et  de 
«  Jacob,  Yabomination  s'était  répandue  sur  toute  la  terre  » , 
a  dit  Pascal.  —  L'abomination  de  la  désolation  est  une 
expression  employée  par  l'Écriture  pour  désigner  les  plus 
grands  excès  de  l'impiété  et  la  plus  grande  profanation. 
«  Quand  vous  verrez  Vabomination  de  la  désolation  que 
«  Daniel  a  prophétisée.  »  Cette  abomination  de  la  désola- 
tion prédite  par  Daniel  marque,  suivant  quelques  interprè- 
tes, l'idole  de  Jupiter  Olympien  qu'Antiochus  Épiphane  fit 
placer  dans  le  temple  de  Jérusalem. 

ABOA'DAA'CE  (en  latin  abundantia ,  fait  de  ab,  de , 
vndare,  couler  à  fiots).  Ample  possession  de  ce  dont  on 
a  besoin.  L'abondance  diffère  de  la  richesse,  en  ce  que  celle-ci 
emporte  l'idée  de  luxe,  de  superflu,  tandis  que  l'abondance 
se  rapporte  pliilôt  à  l'utile,  au  nécessaire.  L'abondance  s'en- 
tend particulièrement  de  la  jouissance  pleine  et  entière  des 
objets  nécessaires  à  la  vie,  et  spécialement  des  subsistances. 
C'est  ainsi  qu'en  parlant  d'une  i-écolte,  d'un  marché  ,  on  dit 
qu'il  y  a  eu  abondance. 

L'abonilance  fst  ceilainement  une  source  de  bonheur  pour 
un  État  ;  c'est  à  la  faire  régner  constamment  que  doit  s'aiipli- 
quer  un  bon  gouvernement.  L'économie  politique  a  pour  but 


ABONDANCE   -  ABORDAGE 


de  lui  Pli  indiquer  les  moyens.  On  peut  dire  que  l'abondance 
rè;i;ne  là  où  les  siibsif^tances  anUient  et  où  les  salaires  per- 
lueltenl  d'atleindre  sans  trop  de  peine  aux  prix  des  denrées. 

Pour  qviil  y  ait  abondance  dans  un  pays,  les  lois  et  les 
nMPurs. doivent  tendre  à  favoriser  lenioinsd"incgalilé  possible 
dans  la  répartition  des  biens  d'un  usage  conniuin.  Ainsi ,  il  n'y 
aurait  point  abondance  réelle  cbez  un  peuple  dont  les  ricliesses 
et  le  luxe  étonneraient  le  inonde,  si  à  colé  des  prodigalités 
de  l'opulence  se  trouvait  une  multitude  all'aniée,  inipiiéle 
du  lendemain.  C'est  la  malbeureiisement  la  situation  de  nos 
sociétés  modernes.  Aussi,  est-ce  à  recherclier  les  moyens  de 
ramener  l'abondance  sur  la  terre  ,  que  s'occupent  les  écono- 
mistes novateurs  :  les  uns  croient  les  trouver  dans  le  libre 
échange  des  produits  de  tous  les  pays,  et  dans  cette  voie 
l'Angleterre  fait  des  merveilles;  d'autres  les  demandent  au 
renversement  des  relations  du  capital  et  du  travail;  d'au- 
tres voudraient  seulement  nne  circulation  plus  active.  Tous 
ont  du  moins  le  même  but ,  l'augmentation  de  la  production. 
Maltbus  cherchait  le  salut  dans  un  principe  opposé,  il  vou- 
lait surtout  limiter  l'accroissement  de  la  population,  afin  que 
les  produits  de  la  terre  restassent  toujours  suffisants. 

Lee  anciens  avaient  (ait  de  1' .Abondance  une  divinité,  qu'ils 
représentaient  sous  la  figure  d'une  belle  leuime,  couronnée 
de  fleure  eft  ayant  dans  sa  mam  droite  une  corne  remplie  de 
fleurs -et  de  fruits,  et  connue  sous  le  nom  de  corne  d'abon- 
dance. Les  poètes  disent  que  c'était  celle  qu'Hercule  enleva 
au  fleuve  Achéloùs  .  D'après  une  autre  version,  ce  serait 
celle  de  la  chèvre  Amalthée,  nounice  de  Jupiter. 

«  Dans  le  style  il  y  a,  dit  Marmoutel,  une  abondance  qui  eu 
fait  la  ricljesse  ••  c  est  une  afllnence  de  mots  et  de  tours  pour  ex- 
primer les  nuances  des  idées,  des  seutiments^t  des  images.  Il 
y  a  aussi  une  abotidance  vaine,  qui  ne  fait  que  déguiser  la 
sêérilité  de  l'esprit  et  la  disette  des  pensées  par  l'ostenta- 
tion des  paroles.  «  Chapelain  emploie  à  décrire  les  charmes 
e*  la  parure  d'Agnès  Sorel  quarante  vers  dans  le  goût  de 
cenx-ci  : 

Oq  voit  hors  des  deux  bouts  de  se«  deux  courtes  raanehes 
Sortir  a  dérouvert  deux  mains  longues  et  blanubes, 
Doot  les'doigts  incgaus  ,  mais  tous  roods  et  menus. 
Imitent  i'eiuboupoiat  des  bras  longs  et  charnus. 

]N'est-ce  pas  le  cas  de  s'écrier  avec  Boileau  : 

Souvent  trop  d'abondance  appauvrit  la  matière. 

Le  vice  de  style  opposé  à  l'abondance  est  la  sécheresse  et 
la  stérilité  :  an  s'en  aperçoit  aisément  lorsque  sur  un  sujet 
qui  demande  à  être  approfondi  et  développé  l'écrivain  de- 
meure, comme  Tantale  au  milieu  d'un  i'ieuve,  haletant  après 
l'expression  vive ,  énergique  et  touchante ,  qui  semble  lui 
échapper  au  moment  qu'il  croit  la  saisir. 

ABOXDAXT  (Nombre).  Foyer- Nombre. 

ABOXXEMEXT.  (On  disait  àutr dois abonrnement.  ) 
Ce  mot  vient  de  bonne,  signifiant  jadis  limite ,  dont  on  a  fait 
par  corruption  barne,  et  qui  est  dérivé  du  grec  powô;,  émi- 
nence  de  terre ,  parce  que  ces  sortes  d'<;minences  servaient 
souvent  à  délimiter  les  héritages.  De  là  on  a  formé  le  verbe 
abonner,  qui  signifie  limiter  ou  borner  à  un  ceitain  prix  la 
valeur  d'une  chose,  comme  lorsqu'on  dit  abonner  ou  s'abon- 
ner à  un  jonimal,  etc.  Un  abonnement  est  donc  une  soile 
de  marché  qu'on  faK  en  composant  avec  quelqu'un,  à  un  cer- 
tain priv,  pour  toujours  ou  pour  un  temps  limité.  On  pense 
bien  qn'il  ne  peut  être  question  ici  de  ce  mot  que  dans  ses 
rapports  avec  le  droit  administratif.  La  législation  qui  nous 
régit  autorise ,  en  effet ,  dans  certains  cas ,  ces  sortes  de 
marchés,  dont  le  but  est  surtout  de  simplifier  la  percep- 
tion de  ceilaines  taxes.  Nous  allons  successivement  passer 
en  revue  les  exemples  qu'elle  nous  offre. 

Abonnement  des  communes  pour  les  troupes  en  garni- 
son. La  solde  et  les  subsistances  des  gens  de  guerre  étaient 
autrefois  fournies  par  l'IItal ,  le  casernement  i)ar  les  pro- 
vinces, qui  souvent  s'acquittaient  par  des  contrihutious  nui- 


35 

nicipales.  Cet  état  de  choses  fut  modifié  par  les  lois  de  la 
révolution  et  par  la  législation  de  l'empire  et  de  la  restaura- 
tion, prescrivant,  relativement  aux  diverses  dépenses  de 
casernement  dont  les  villes  étaient  chargées,  des  dispositions 
qui  réduisent  les  cotisations  pour  cet  objet  à  im  simple  pré- 
lèvement au  profit  du  trésor.  Ce  prélèvement  constitue  un 
abonnement.  Au  moyen  de  cet  abonnement,  les  réparations 
et  loyers  des  casernes  et  autres  bâtiments  ou  établissements, 
ainsi  que  l'entretien  de  la  literie  et  l'occupation  des  lits 
militaires,  sont  à  la  charge  du  gouvernement.  Les  rapports 
de  l'Etat  avec  les  communes  pour  les  abonnements  dont 
nous  parlons  sont  principalement  déterminés  par  la  loi  du  15 
mai  1818  et  l'ordonnance  du  5  août  suivant. 

Almnnemcnt  pour  les  contrib-utions  indirectes.  La  lé- 
gislation établit  trois  modes  d'abonnements  :  labonnement 
individuel,  déjà  en  usage  avant  la  révolution,  l'abonnement 
général  par  commune  ,  et  rabonnement  i)ar  corporation. 

L'abonnement  individuel  est  l'équivalent  du  droit  de  dé- 
tail dont  on  est  présumé  passible.  C'est  une  soi1e  de  con- 
vention entre  un  débitant  et  la  régie  ,  au  moyen  de  laquelle 
ce  débitant  est  afl'ranchi  des  exercices  des  employés  et  des 
obligations  qui  lui  sont  imposées  relativement  aux  prix  de 
vente.  Ces  abonnements  ne  peuvent  être  faits  que  pour  un 
an,  et  sont  révoqués  de  plein  droit  en  cas  de  fraude  et  de 
contniverrtion.  (To/rlaloi  du  28  avril  1816,  art.70et  suiv.) 

L'abonnement  général  par  commune  consiste  dans  le  droit 
qu'a  ie  conseil  municipal  de  réclamer  un  abonnement  gé- 
néral pour  le  montant  du  droit  de  détail  et  de  circulation 
dans  l'intérieur  des  villes ,  moyennant  le  versement  que  la 
commune  s'engage  à  faire  ,  dans  la  caisse  de  la  régie ,  par 
vingt-quatrièmes,  de  quinzaine  en  quinzaine,  d'une  somme 
convenue,  sauf  à  s'imposer  elle-même  pour  1«  recouvrement 
de  cette  somme,  comme  elle  est  autori-sée  à  le  faire  pour  les 
dépenses  conimimales.  (Loi  du  21  avril  1832.) 

Sur  la  demande  des  deux  tiers  au  moins  des  débitants 
d'une  commune,  approuvée  par  le  conseil  municipal  et 
notifiée  par  le  maire,  la  régie  doit  consentir  pour  une  année, 
et  sauf  renouvellement,  à  remplacer  la  perception  du  droit 
de  détail  par  exercice,  au  moyen  d'une  répartition,  sur  la  to- 
talité des  redevables,  de  l'équivalent  riudit  droit  :  c'est  l'a- 
bonnement par  corporation.  (Loi  du  28  avril  1816,  art  71 .) 

Abonnement  du  droit  de  fabrication  des  bières.  Cette 
même  loi  autorise  la  régie  à  consentir  de  gré  à  gré  avec  les 
brasseurs  de  la  ville  de  Paris  et  des  villes  au-dessus  de 
30,000  âmes  un  abonnement  général  pour  le  montant  du 
droit  de  fabrication  dont  ils  sont  présumés  passibles. 

Abonnement  des  voitures  publiques.  L'article  119  de  la 
loi  du  25  mars  1817  permet  les  abonnements  pour  les  voi- 
tures de  terre  et  d'eau,  à  service  régulier.  Ces  abonnements 
sont  fixés  porportionnellement  aux  bénéfices  présumés  du 
transport  des  voyageurs  et  des  marchandises. 

La  loi  admet  aussi  des  abonnements  en  matière  de  timbre. 
C'est  ainsi  que  les  effets  de  la  Banque  de  France,  les  obliga- 
tions de  la  ville ,  etc.,  sont  dispensés  du  timbre.  Les  com- 
pagnies d'assurances  peuvent  contracter  un  abonnement 
avec  l'État  pour  le  timbre  de  leurs  polices. 

Un  décret  du  4  août  1860  règle  les  conditions  de  l'a- 
bonnement des  fabricants  de  sucre. 

ABOiXXÊS.  Ce  terme  désignait,  au  moyeîi  âge,  les  serfs 
qui,  par  privilège  ou  par  achat,  avaient  obtenu  que  leurs  pres- 
tations, tailleset  servitudes  fussent  changécsen  ime  redevance 
d'argent.  Ils  cessaient  de  cette  façon  d'être  les  hommes  de 
corps  de  leurs  seigneurs.  Les  abonnements  en  se  multipliant 
préparèrent  l'émancipation  générale  des  serfs;  car  ils  les  fai- 
saient sortir  du  régime  du  bon  plaisir  pour  entrer  dans  celui 
d'un  contrat  réciprocpie. 

ABORDAGE.  On  nomme  ainsi  le  choc  de  deux  vais- 
seaux qui  se  heurlent,  soit  pa'- accident,  soit  pour  se  livrer 
une  soite  de  combat  corps  à  coi7)s.  Vo^ez  Combat  >\tal. 

Avant  l'invention  de  la  poudre,  c'était  prc.s([ue  ia  seule 


36 


ABORDAGE  —  ABOU-BEKR 


façon  de  coinbaltre  sur  mer.  Les  anciens  abordaient  un  na- 
vire et  allaient  sur  lui  à  toutes  voiles  ou  à  force  de  rames,  et 
làiliditiit  de  lui  enfoncer  dans  le  côlé  uiio  fuite  pointe  de 
mêlai,  (ixte  à  cet  ell'et  à  la  proue  du  bàliuieut,  que  les  La- 
tins appelaient  rostrum.  La  construction  actuelle  des  gros 
vaisseaux,  auxquels  on  donne  beaucoup  de  rentrée,  rend  les 
abordages  difliciles  et  dangereux;  ils  nont  pins  izucre  lieu 
qu'entre  de  petits  b;\tinients,  ou  par  surprise  de  la  part  d'un 
petit  biltiment  contre  un  autre  d'une  force  supérieure. 

Lorsqu'un  capitaine ,  confiant  dans  la  valeur  de  son  équi- 
\n\in\  espérant  neutraliser  i)ar  la  bravoure  et  l'adresse  llia- 
bilrtc  supérieure  de  l'ennenii  dans  les  manœuvres  et  l'agilité 
de  son  b;\timent,  se  détermine  à  tenler  l'abordage,  il  choisit 
pour  ratta<iue  des  hommes  expérimentés.  Ces  honnnes 
s'arment  promptement  de  sabres,  de  pistolets  et  de  haches 
d'armes.  Si  l'ennemi  refuse  l'abordage  et  manaiivre  pour 
l'éviter,  on  s'elTorce  de  le  joindre.  On  court  à  l'abordage  en 
dirigeant  son  vaisseau  de  manière  à  opérer  l'abordage  de 
franc  clable,  c'est-à-dire  de  manière  à  atteindre  le  bâtiment 
ennemi  par  le  devant  en  droiture  ;  ou  bien  on  cherche  à  exé- 
cuter l'abordage  en  belle,  en  enfonçant  l'éperon  de  son  na- 
vire dans  le  flanc  du  vaisseau  abordé.  Souvent  le  chec  suffit 
à  couler  un  bâtiment  de  moindre  capacité  que  celle  du  vais- 
seau abordeur. 

Quoi  qu'il  en  soit,  dès  qu'on  est  parvenu  à  joindre  le  vais- 
seau ennemi,  on  cherche  à  l'accrocber  en  jetant  dans  son 
gréement  les  grappins  d'abordage.  Ces  grappins  sont  de  forts 
crochets  de  fer  à  plusieurs  branches  attachés  à  une  chaîne 
tenue  par  un  gros  cordage,  et  suspendus  au  bout  des  basses 
vergues,  d'où  on  les  lance  sur  le  vaisseau  ennemi.  Si  celui-ci 
ne  parvient  pas  à  se  dégager,  les  deux  bâtiments  restent  ac- 
crochés :  Tabordage  devient  exécutable  ;  les  assaillants  jettent 
encore  du  gaillard  ou  des  passavants  des  grappins  plus  lé- 
gers, dits  grappins  à  main,  sur  le  vaisseau  abordé.  On  vide 
ies  canons  par  une  dernière  décharge,  on  ferme  les  sabords 
de  crainte  que  l'ennemi  n'y  pénètre,  et  on  s'élance  sur  le 
vaisseau  abordé.  Mais  différents  obstacles  arrêtent  l'ardeur 
des  assaillants.  L'espace  plus  ou  moins  large  qui  sépare  le 
haut  des  deux  bâtiments,  le  roulis,  le  danger  d'être  écrasé  en 
tombant  entre  les  deux  bords,  enfin  les  efforts  de  l'équipage 
abordé,  qui  défend  V abordage  avec  le  fusil,  la  baïonnette, 
des  pitiues ,  des  sabres,  etc.,  retardent  toujours  l'invasion 
du  pont  du  navire  abordé,  et  réussissent  quelquefois  à  l'em- 
péclier.  Il  faut  donc  commencer  par  nettoyer  le  pont  du 
bâtiment  attaqué  à  l'aide  de  la  mousqueterie  et  des  grenades 
qu'on  y  lance. 

Lorsqu'on  a  pu  chasser  l'ennemi  du  pont,  on  s'y  précipite, 
et  on  le  poursuit,  soit  sur  l'autre  gaillard  et  sur  les  passa- 
vants, soit  dans  les  entreponts  oii  il  s'est  réfugié  ;  dans  ce  der- 
nier cas,  la  résistance  ne  peut  guère  être  longue  ;  dans  l'autre, 
au  contraire,  le  combat  corps  à  corps  devient  sanglant ,  l'a- 
vantage peut  être  longtemps  disputé,  et  les  assaillants  peu- 
vent encoie  être  repoussés  sur  leur  bord  avec  peite.  Les  peu- 
ples renonnnés  parleur  intréiiidilé,  les  Français  par  exemple, 
ont  souvent  cherché  dans  l'abordage  le  moyen  de  compenser 
l'infériorité  du  nombre  ou  celle  de  l'art  et  de  l'expérience. 
La  marine  française  compte  de  fameux  combats  à  l'abor- 
dage. 

On  appelle  encore  abordage  le  choc  de  deux  vaisseaux 
non  ennemis,  qui  a  lieu  sous  voiles  ou  sous  vapeur,  par 
la  mauvaise  manœuvre  de  l'un  d'eux  ;  et  quelquefois  aussi, 
dans  un  calme  parfait ,  par  le  simple  effet  des  courants  , 
sans  qu'il  y  ait  laute  de  part  ni  d  autre.  De  pareils  acci- 
dents entraînent  souvent  de  graves  avaries.  Le  Code  de 
Couunerce  distingue  :  1"  si  l'abordage  est  le  résultat  d'un 
cas  fortuit,  et  il  n'entraîne  aucun  droit  de  répétition  pjiir 
le  navire  qui  l'a  éprouvé;  2°  s'il  a  eu  lieu  par  la  laule  de 
l'un  des  capitaines,  et  en  ce  cas  c'est  à  celui  là  à  le  réparer  ; 
3°  enfin,  s'il  y  a  incertitude  sur  la  cause  de  l'abordage: 
alors  les  avaries  doivent  être  réparées  à  frais  communs. 


f^our  éviter  les  abordages,  un  ordre  de  l'amirauté,  du  1" 
mars  1852,  en  Angleterre,  un  décret  présidentiel  du  17  août 
1S52  et  un  décret  impérial  du  28  mai  1858,  en  France,  ont 
prescrit  l'emploi,  pendant  la  nuit,  et  le  jour  en  temps  de 
brume,  de  feux  sur  les  navires,  blancs  en  tête  du  mât  de 
misaine,  verts  à  tribord,  rouges  à  bâbord.  L'adoption  de  ce 
système  par  toutes  les  marines  évitera  bien  des  malheurs. 
.  ABORIGÈNES.  On  appelle  ainsi  les  plus  anciens  ha- 
bitants d'un  pays,  ceux  qui  s'y  sont  les  premiers  fixés. 
C  est  ce  que  les  Grecs  appelaient  des  autochthones.  Les 
anciens  historiens  romains  donnent  aussi  le  nom  d''abori- 
§ènes  à  une  peuplade  qui  avant  l'arrivée  des  Troyens  ha- 
bitait le  territoire  occupé  depuis  par  la  ville  de  Rome.  Cette 
peuplade,  désignée  quelquefois  sous  le  nom  de  Casci  et  de 
Sacrant,  habitait  primitivement  les  environs  de  Reate ,  le 
Rieti  de  nos  jours,  et  en  fut  expuUée  par  les  Sabins.  A  son 
'  tour,  aidée  par  les  t'élasges,  elle  chassa  les  Siculi ,  fixés  sur 
les  rives  du  Tibre  inférieur.  C'est  des  Aborigènes  que  des- 
cendaient les  Latins,  et  par  suite  les  Romains. 

ABORXEMEXT.  Voyez  Boiinage. 

ABORTIFS.  (  du  latin  aborlor,  naître  avant  le  terme), 
substances  dont  l'action  énergique  ,  se  portant  spécialement 
sur  l'utérus  ,  est  réputée  propre  à  procurer  l'expulsion  du 
produit  de  la  conception.  A  toutes  les  époques  on  en  a  fait 
un  criminel  abus.  Le  succès  toutefois  répond  rarement  à 
l'attente  des  coupables.  En  effet,  les  abortifs  demandent  à  être 
pris  à  fortes  doses,  de  sorte  qu'en  y  recourant  on  compro- 
met sa  santé  et  sa  vie.  Dans  les  campagnes,  la  vengeance 
s'en  est  fait  trop  souvent  une  arme.  C'est  à  des  poudres 
abortives  semées  à  dessein  dans  les  étables  des  vaches,  aux 
endroits  où  elles  passent  ou  dans  les  prairies  qu'elles  fré- 
quentent, que  l'on  attribue,  à  tort  sans  doute,  ces  avorte- 
ments  continuels  qui  ruinent  certains  cultivateurs.  La  mé- 
decine emploie  quelquefois  ces  substances  avec  avantage 
pour  faciliter  l'éruption  difficile  des  règles,  pour  remédier  à 
l'aménorrhée  et  à  la  dysménorrhée ,  pour  hâter  la  délivrance 
dans  les  cas  d'accouchements  laborieux.  Les  plus  renom- 
mées sont  :  la  sabine  et  la  rue  fétide ,  le  seigle  ergoté ,  dont 
la  réputation  est  d'origine  récente  ,  et  enfin  les  cantharides. 

ABOU.  Mot  analogue  à  Aben ,  et  qui  signifie  en  arabe 
père.  Beaucoup  de  noms  propres  orientaux  commencent  par 
ce  mot ,  que  l'on  trouve  aussi  sous  la  forme  Bou.  La  paterr 
nité  a  tant  de  prix  pour  les  Orientaux,  que  lorsqu'il  leur  naît 
un  fils ,  ils  joignent  à  leur  nom  celui  de  leur  nouveau-né ,  et 
quelquefois  ce  nouveau  nom  leur  reste.  Souvent  aussi  ces 
surnoLus  sont  de  simples  sobriquets  :  ainsi  Aboulfaradge  si- 
gnifie \epèrede  la  joie.  Bou-Maza  (père  de  lachevre)  tirait 
ce  nom  d'une  chèvre  qui  le  suivait  uartout. 

ABOU-ABUALLAIÎ.  Vouez  Iîo.vbdil. 

ABOU-BEKR,  le  premier  des  khalifes  successeurs  im- 
médiats de  Mahomet,  était  né  à  la  Mecque  dans  la  tribu  de 
Teim,et  fut  le  premier  des  Koraischites  qui  reconnut  la 
puissance  et  la  mission  de  Mahomet.  Son  père,  Othman,  son 
fils  et  son  petit-fils  suivirent  son  exemple,  et  furent  qualifiés 
du  titre  de  compagnons  et  disciples  du  prophète.  Il  se  nom- 
mait d'abord  Abd-al-Caaba ,  qui  signifie  .serri/ewr  de  la 
Caaba.  IMahomet  lui  imposa  le  nom  d'Abd'Allah  ou  servi- 
teur de  Dieu,  et  le  surnom  de  Seddik,  c'est-à-dire  témoin 
fidèle,  pour  le  récompenser  d'avoir  attesté  son  voyage  noc- 
turne appelé  fl5CP«5ioH.  Si  Mahomet  eut  été  vaincu,  Abou- 
Bekr  aurait  été  étranglé  connue  faux  témoin.  Le  prophète 
vainqueur  prit  soin  de  son  élévation,  le  traita  de  prédestiné, 
et  l'accepta  pour  beau-père  en  épousant  sa  fille  Aïcliah.  C'est 
ce  mariage  qui  liù  fit  donner  enfin  le  nom  d'Abou-Bekr, 
qui  veut  dire  père  de  la  vierge  ;  et  c'est  sous  ce  nom  que 
lliistoire  l'a  reconnu.  Mais  dans  ses  ordres  et  proclamations 
il  s'est  toujours  appelé  lui-même  Abd-Allah-Ebn-Abou-Ko- 
naffas. 

La  mort  du  prophète  faillit  ruiner  son  ouvjage  ;  ies  Mé- 
dinois  voulaient  élire  un  de  leurs  compatriotes,  nommé 


ABOU-BEKR  —  ABOUKIP 


37 


Saab.  «an<;  la  participation  des  IVIecqiiois,  et  ceux-ci  étaient 
prêts  à  reveniliqner  ce  droit  les  armes  à  la  main.  Aiiou- 
Bekr  apaisa  cette  dispute  en  les  taisant  consentir  à  faire  Té- 
lection  en  conmnin  ;  et  grâce  à  lentremise  d'Omar,  il  fut 
élu  lui-m<^me,  le  jour  de  la  mort  du  prophète,  au  mois  de 
Reby  l,  l'an  il  de  lliégire,  GS'Ule  l'ère  chrétienne.  Ali  n'a- 
vait point  pris  part  à  cette  élection  ;  et  comme  j;endre  et  cou- 
sin du  prophète  il  lit  éclater  son  mécontentement  de  n'a- 
voir pas  été  choisi  lui-même.  Omar  se  rendit  chez  Ali,  et, 
après  avoir  essayé  vainement  de  le  convaincre,  il  menaça 
de  mettre  le  feu  à  la  maison,  de  l'y  brûler  avec  ses  amis, 
s'il  ne  consentait  à  reconnaître  le  kiialife.  Ali  se  rendit  à  ces 
raisons,  et  vint  porter  son  hommage  à  Abou-Bekr.  Mais  les 
partisans  du  gendre  île  .Mahomet ,  connus  sous  le  nom  d'a- 
îideset  de  clii  ites ,  nient  encore  cet  acquiescement  du  chef 
de  leur  secte ,  et  persistent  à  considérer  Ali  comme  l'iiéritier 
légitime  du  prophète. 

Des  révoltes  plus  sérieuses  troublèrent  les  premières  an- 
nées de  ce  khalifat.  Quelques  Arabes  refusèrent  de  payer 
les  tributs  imposés  par  Mahomet.  Le  poète  >Ialek,  fils  de 
Koweirah,  était  k  la  tète  d'un  de  ces  partis.  D'autres,  ayant 
abjuré  l'islamisme,  avaient  rt^pris  la  religion  de  Moïse  ou 
celle  de  Jésus-Christ  ;  enfin  le  rebelle  ^loseilama  avait  re- 
nouvelé ses  prédications,  et  persistait  à  se  conduire  en  pro- 
phète; la  terrible  épée  de  Khaled,  fds  de  Walid,  dissipa  et 
châtia  ces  révoltes.  Malek  eut  la  tète  tranchée,  et  Moseilama 
périt  à  la  bataille  d'Akrebah,  avec  dix  mille  des  siens.  La 
secte  des  békrites  fut  également  exterminée  dans  la  province 
de  Bahreim  par  un  autre  général  nommé  A-Iola. 

Délivré  de  ses  compétiteurs  et  des  guerres  intestines, 
Abou-Bekr  tourna  les  yeux  vers  les  chrétiens,  et,  ayant  pro- 
clamé la  guerre  sainte ,  il  dirigea  une  de  ses  armées  vers 
l'Irak  ou  l'ancienne  Babylonie ,  sous  les  ordres  de  Khaled  ; 
une  autre  marcha  sur  la  .Syrie,  sous  le  commandement 
d'Vézid,  t'ils  d'Abou-Sofian.  Celle-ci  battit  quelques  troupes 
de  l'empereur  Héraclius,  et  se  replia  vers  l'Arabie  avec  un 
butin  immense;  une  autre  année  partit  pour  la  soutenir.  Elle 
était  commandée  par  Amrou-Ebn-Abbas,  et  Abou-Obeidah  la 
suivit  de  près  pour  prendre  la  direction  suprême  de  cette 
guerre.  Alais  avant  l'arrivée  d'Ararou  les  légions  de  l'em- 
pire avaient  changé  la  retraite  d'Yézid  en  déroute;  et  Abou- 
Obeidah  n'osa  s'aventurer  dans  un  pays  couvert  des  troupes 
d'Héraclius.  Abou-Bekr  s'indigna  de  cette  lâcheté.  Khaled, 
qui  pendant  ce  temps  avait  soumis  la  province  d'Irak  au 
khalife,  reçut  l'ordre  de  se  rabattre  sur  la  Syiie  et  de  prendre 
le  coramandem.ent  des  trois  armées.  Les  affaires  changèrent 
tout  à  coup  de  face.  Klialed  rejoignit  ravam-garde  dObei- 
dah  sous  les  murs  de  Bostra,  au  moment  où  Serjabil  et  cette 
avant-garde  étaient  battus  par  les  Grecs  ;  il  repoussa  vigou- 
reusement cette  sortie,  et  la  ville,  enlevée  par  une  heureuse 
surprise ,  fut  noyée  dans  le  sang  de  ses  habitants.  Khaled 
se  hâta  de  marcher  sur  Damas  à  la  tète  de  quarante-cinq 
mille  hommes,  et  mit  le  siège  devant  cette  capitale.  Cent 
mille  chrétiens  qu'Héraclius  envoyait  à.  son  secours  furent 
taillés  en  pièces  dans  plu.sieurs  rencontres,  et  surfout  à  la 
bataille  d'Aïnadin,  où,  suivant  Al-Wakedi,  cinquante  raille 
perdirent  la  vie,  tandis  que  dans  sa  lettre  au  khalife  le  vic- 
torieux Khaled  se  vante  de  n'avoir  perdu  que  quatre  cent 
soixante-quatorze  Arabes.  L'ail  des  bulletins  n'est  pas  une 
invention  moderne.  Le  siège  de  Damas  en  devint  plus  actif 
et  plus  sanglant,  et  cette  ville  se  rendit  enfin,  après  une 
lutte  de  six  mois ,  la  13*  année  de  l'hégire  et  la  634'"  année 
de  l'ère  chrétienne. 

La  vie  et  le  règne  d'Abou-Bekr  finirent  le  même  jour, 
après  qu'il  eut  désigné  Omar  pour  son  successeur,  dans  un 
testament  écrit  .sous  sa  dictée  par  ce  même  Othman  qui  plus 
tard  renqilai.a  Omar  dans  le  khalifat.  Après  la  mort  d'A- 
bou-Bekr, un  esclave  s'élant  présenté  au  nouveau  souverain 
avec  un  chameau  et  un  habit,  en  lui  di.sant  :  «  Voici  tout 
ce  que  possédait  mon  maître,  »  Omar  s'écria  en  versant  des 


larmes  :  «  Dieu  fasse  miséricorde  à  Abou-Bekr;  mais  il  a  vécu 
de  manière  que  ceux  qui  viendront  après  lui  auront  bien  de 
la  peine  à  l'imiter  »  Le  premier  des  khalifes  fut  en  effet  un 
modèle  de  chasteté,  de  tempérance  et  de  modestie.  Ses  mo- 
diques épargnes  furent  distribuées  aux  pauvres  |)ar  la  veuve 
de  .Mahomet,  sa  fille.  Ces  é|)argnes  venaient  uniquement  de 
son  patrimoine,  car  pendant  ses  deux  ans  et  demi  de  rè- 
gne il  n'avait  pris  que  trois  drachmes  dans  le  trésor  public. 
.\ussi  est-il  révéré  comme  un  saint  par  les  sunnites;  mais 
les  chiites,  partisans  d'Ali,  le  maudi>sent  comme  un  usur- 
pateur. L'esprit  de  secte  est  partout  le  même.  Les  deux 
partis  devraient  toutefois  lui  savoir  gré  d'avoir  recueilli  les 
feuilles  éparses  du  Koran,  qui  renferme  les  préceptes  com- 
muns aux  deux  croyances  rivales.  Abou-Bekr  y  employa 
tout  son  règne;  il  le  fit  lire  en  présence  de  tous  les  chefs,  qui 
en  reconnurent  l'authenticité,  et  l'exemplaire  original  fut 
déposé  dans  les  mains  d'Hafsa,  l'une  des  veuves  de  :Maho- 
met,  jusqu'au  moment  où  le  khalife  Othman  le  fit  publier 
dans  tout  l'empire.  Vie.N.NET,  de  l'Académie  Fiancaise. 

ABOUCHEHR.  Voyez  AnocscHF.)in. 

ABOU-Il AiMF Ail  IBA -TU ABER,  surnommé  AL- 
NOUMAN  (le  docteur),  et  chef  de  la  première  des  sectes  or- 
thodoxes mahométanes  (  voyez  H.\néfites),  naquit  à  Kou- 
fah,  dans  l'Irak,  l'an  699de  J.-C.  Tisserand  dans  sa  jeunesse, 
puis  étudiant  en  dioit ,  il  refusa  la  place  de  cadi  ou  juge ,  et 
devint  un  des  principaux  docteurs  musulmans;  il  recueillit 
le  premier  les  traditions  {suiDiah}  que  ÎMahomet  avait 
transmises  à  ses  disciples ,  et  ses  prescriptions  sont  encore 
suivies  dans  le  culte  public  par  les  Turcs  et  les  Tartares. 
Abou-Hanifah  ne  se  distingua  pas  moins  par  ses  écrits  que  par 
sa  douceur,  sa  modération,  sa  haute  raison  et  sa  vie  exem- 
plaire. Partisan  et  défenseur  ardent  des  droits  de  la  famille 
d'Ali  et  de  Mahomet  contre  l'usurpation  des  Abbassides ,  il 
fut  persécuté  par  Abd'Allah  II  al-Mausour,  deuxième  khalife 
de  celte  dynastie,  d'abord  pour  avoir  refusé  de  souscrire  au 
dogme  de  la  prédestination  absolue ,  puis  pour  avoir  fait  à 
ce  prince  des  remontrances  sur  ses  projets  de  vengeance 
contre  les  habitants  de  Mo.ssoul.  Renfermé  dans  les  prisons 
de  Bagdad,  il  y  mourut  empoisonné,  en  767.  Mais  plus 
de  trois  cents  ans  après  le  sultan  seldjoukide  Malek-Abah  lui 
fit  ériger  dans  cette  ville  un  superbe  mausolée.  Déjà  sa  doc- 
trine avait  été  appréciée  sous  le  khalifat  de  Haroun-al-Ra- 
chid,  et  un  collège  fondé  pour  ses  disciples. 

Les  principaux  ouvrages  d'Abou-IIanJfah  sont  :  le  Seued 
(appui),  où  il  expose  sa  doctrine  sur  l'autorité  du  Koran 
et  de  la  tradition;  le  Fikkelam,  petit  traité  de  théologie 
scolastique,  et  le  Moallem  (maître),  espice  de  catéchisme 
musulman. 

Un  autre  ABOU-HAJNIFAH  (Aiimed-Ib\'-D.4oi;d),  natif  de 
Deinawer,  en  Perse,  et  mort  en  893  ,  a  écrit  une  Histoire 
des  Plantes,  un  Traité  sur  l'Algèbre,  divers  ouvrages  de 
philologie,  et  surtout  une  Chronique  gctiérule,  qu'lbn-Co- 
taibah  a  fait  entrer  à  peu  près  tout  entière  dans  la  sienne. 

H.  Aldiffhet. 

ABOUKIR,  la  Canope  des  anciens,  aujourd'hui  bourg 
insignifiant  de  la  côte  septentrionale  de  l'Egypte,  situé  à 
quatre  myriamètres  environ  au  nord-ouest  d'Alexandrie,  et 
défendu  par  un  château  du  côté  de  la  mer ,  où  une  langue 
de  terre  et  quelques  petites  îles  forment  une  rade  offrant  un 
assez  bon  mouillage.  Cette  rade  restera  à  jamais  fameuse  par 
l'immense  désastre  que  l'amiral  anglais  Nelson  y  (it  essuyer 
à  la  Hotte  française  commandée  par  l'amiral  Brueys  dans 
une  bataille  qui  se  prolongea  pendant  ies  journées  des  {"',  2 
et  3  août  179S,  et  où  la  fortune  fit  pour  la  première  fois  sen- 
tir son  inconstance  à  Bonaparte.  Le  débarquement  de  l'ar- 
mée expéditionnaire  avait  été  opéré,  le  1^'' juillet  1798,  avec 
un  bonheur  inouï.  Alexan<lrie,  prise  d'assaui  en  quel(|iies 
heures ,  était  un  point  d'appui  qiù  permettait  à  Bonaparte  de 
marcher  rapidement  à  son  but.  Il  ne  i>erdit  pas  de  temps, 
et  en  moins  de  vingt  jours  ,  presque  tous  marqués  par  d'in- 


38 


ABOUKIR  —  ABOULFAZEL 


croyables  exploits ,  il  entra  an  Caire ,  étonné  d'être  devenu 
la  capilali'  d'une  noiivi!l  empire.  L'incroyable  activité  du 
coïKiiiéraiit  eut  or;;aiiisé  en  i)eii  do  jours  le  goiiverneinent 
du  pays  occupé,  et  préparé  la  complète  des  provinces  qui 
restaient  à  soumettre  ;  mais  il  ne  perdait  i)as  de  vue  la  Hotte 
qui  l'avait  amené,  et  dont  la  conservation  éiait  une  des 
comlitions  du  suctès  des  vastes  |>lans  qu'il  avait  connus. 
L'intention  de  Honaparte  était  que  l'anjiral  Urueys  fit  entrer 
la  Hotte  dans  le  port  d'Alexandrie ,  ei  cette  opération  était 
possible,  ou  qu'il  la  conduisit  immédiatement  à  Corfou. 
^on-seulemeiit  il  en  avait  donné  l'ordre  foraiel  en  partant 
pour  le  Caire,  mais  encore  il  avait  envoyé  un  de  ses  aides 
de  can)p  avec  de  nouvelles  injonclions.  L'officier  porteur  de 
ces  ordres,  surpris  par  un  jmste  d'Arales,  périt  massacré 
avec  son  escorte.  Au  leste ,  il  ne  seiait  pas  arrivé  à  temps 
pour  prévenir  la  funeste  détermination  de  l'amiral,  qui  dès 
qu'il  eut  connaissance  de  l'approche  de  la  Hotte  anglaise 
prit  la  n'-solulion  d'attendre  le  combat,  en  s'embossant  dans 
la  rade  d'Aboukir. 

IJès  que  l'amiral  Saint-Vincent,  commandant  les  forces 
naviUes  anglaises  en  croisière  de^'ant  Cadix,  avait  appris  la 
véritable  destination  de  la  flotte  qui  avait  appareillé  de 
Toulon  le  l!)  mai  précédent  pour  conduire  une  armée  de 
'i»,«00  liommes  à  la  conquête  de  l'Egypte,  il  avait  détaché  le 
contre-amiral  Nelson  ,  avec  une  flotte  de  (piinze  vaisseaux 
de  ligne,  en  lui  enjoignant  de  faire  force  de  voiles  pour  ren- 
contrer la  flotte  française ,  qu'il  devait  attaquer  sans  dé- 
sempaier. 

C'est  le  31  juillet  que  ^"elson  parut  sor  les  côtes  d'Égypfe. 
Apres  BAoir  reconnu  le  port  d'Alexandrie,  il  se  dirigea  vers 
Abottkir,  où  l'amiral  Brueys  avait  embossé  ses  vaisseaux 
sin"  une  seule  ligne ,  à  deux  tiers  d'encablure  l'un  de  Pau- 
Ire.  Cette  manœuvre  a  été  sévèrement  jugée,  d'autant  que, 
dans  le  conseil  où  l'amiral  prit  l'avis  de  ses  capitaines,  la 
majorité  avait  été  d'opinion  de  combattre  à  la  voile.  Toute- 
fois, il  serait  injuste  de  laisser  peser  sur  la  mémoiie  de 
l'amiral  Brueys  la  terrible  responsabilité  du  désastre  d'A- 
boukir.  Si  la  tén>éri1é  inouïe  de  Nelson,  qui  osa  s'aventu- 
rer entre  les  vaisseaux  français  et  la  terre,  ne  lui  eût  pas 
réussi ,  comme  le  moindre  des  accidents  si  communs  à  la 
mer  eût  pn  faire  qu'il  en  amvài  ainsi ,  ce  marin,  si  célèbre 
depuis,  aurait  eu  probabletnent  à  répondre  devant  une 
cour  martiale  anglaise  des  suites  d'une  défaite.  Quoi  qu'il 
en  soit,  l'amiral  anglais  attaqua  mec  quatorze  vaisseaux  la 
flotte  franraise ,  ([ui  en  comirtait  un  de  moins  ;  le  combat 
conmiença  le  1"  août,  vers  six  heures  du  soir,  par  une  vio- 
lente canonnade.  La  Hotte  française ,  par  saite  de  la  ma- 
nœuvre hardie  de  Nelson,  avait  son  centre  et  son  avant-garde 
placés  entre  deux  feux.  A  huit  heures  plusieurs  de  nos 
vaisseaux  étaient  déjà  hors  de  combat,  non  sans  avoir  fait 
éprouver  à  l'ennemi  des  pertes  énormes,  et  déjà  l'amiral 
français  avait  payé  de  sa  vie  sa  résolution  funeste.  A'ers  neuf 
heures  le  vaisseau  VOhent  saute  en  l'air  avec  un  fracas  qui 
jette  les  deux  flottes  dans  la  stupeur.  Cependant  le  combat 
continue  et  reprend  avec  plus  de  fureur  au  lever  du  soleil. 
11  se  prolonge  jusciuàmidi ,  et  finit  par  la  ruine  on  la  prise 
de  tous  nos  vaisseaux. 

Lanùrai  Villeneuve,  qui,  quelques  années  plus  tard, 
mit  volontairement  (in  à  ses  jours ,  a  été  accusé  <l'avoir 
puissamment  contribué  à  ce  grand  désastre  par  son  immo- 
bilité pendant  le  commencement  de  l'action ,  et  par  son  dé- 
part du  champ  de  bataille  avant  quelle  fut  terminée.  Il  est 
probable  au  moins  que,  malgré  les  fautes  de  tactique  qu'on 
peut  reprocher  à  Brueys ,  notre  flotte  eut  pu  lutter  avec 
plus  davanfagessi  la  division  que  commandait  Ailleneuve 
fût  entrée  en  ligne,  même  après  l'explosion  de  l'Orient;  et  il 
le  pouvait ,  puisque  sa  retraite  ne  fut  pas  inquiétée  par  les 
Anglais,  dont  prescpie  tous  les  vaisseaux  avaient  éprouve 
de  grandes  peites  d;ms  leurs  équipages  et  de  véritaiiles 
avaries  dans  leurs  agrès. 


Si  la  gloire  peut  balancer  les  revers ,  cette  compensation 
ne  manqua  pas  à  la  marine  française.  La  mort  de  l'amiral 
Brueys,  de  Casabianca,  de  Dupetit-Thouars,  de  Thevenard, 
et  d'une  foule  d'autres  officiers  dont  le  vide  se  lit  longtemps 
sentir  dans  les  cadres  de  la  marine ,  fut  héroïque  ;  1  histoire 
conservera  leurs  noms,  ainsi  que  le  dévouement  sublime  du 
jeune  Casabianca ,  enfant  de  dix  ans  ,  cpù  fut  englouti  dans 
les  flots  à  côté  de  son  père ,  capitaine  de  pavillon  de  l'O- 
rient, qu'il  refusa  constamment  de  quitler. 

Bonaparte  reçut  l'accablante  nouvelle  de  ce  désastre  avec 
la  plus  grande  femoeté  ;  et ,  privé  désormais  des  moyens  de 
recevoir  des  secours  de  la  métropole ,  il  prit  les  mesure? 
nécessaires  pour  se  suffire  à  lui-même.  On  sait  toutes  les 
grandes  choses  qu'il  exécuta  pendant  l'année  qui  suivit  la 
bataille  navale  dAboukir.  La  fortune  lui  préparait  dansée 
même  lieu  un  dédommagement  prochain. 

Le  11  juillet  1799,  la  flotte  othomane  débarqua  sur  celte 
même  plage  une  armée  turque -de  près  de  ^ingt  mille  hom- 
mes, aux  ordres  dt;  Mustaplia-'T'acba,  qui  s'empara  du  fnrt 
d'Aboukir,  que  défendait  une  garnison  insuffisante.  Bona- 
parte revenait  de  Syrie  et  allait  rentrer  au  Caire  lorsqw'H 
apprit  cette  nouvelle  ;  il  prit  sur-le-champ  les  plus  éner- 
giques dispositions,  et<le  Gizels,  où  il  setrouva'tt,  il  vola  à 
Alexandrie,  où  il  établit  son  quartier  général,  en  attendant 
l'arrivée  des  troupes  qu'il  faisait  marcher  de  divers  poiîïfs 
pour  repousser  cette  dangereuse  agression.  Tout  fut  prêt 
le  23  juillet.  —  L'armée  turque ,  coiinne  si  die  oùt  provti 
qu'elle  serait  attaquée  sur  le  lieu  même  de  Bon  débaiqoemect, 
s'y  était  fortement  retranchée. 

Bonaparte,  appropriant  ses  mesures  an  caractère  de  l'en- 
nemi qu'il  avait  à  combrrttre,  sut  contenir  l'ardeur  de  ses 
soldats  et  de  leurs  chefs ,  et  diriger  leurs  «Iforts  d»;  manière 
à  ce  que  les  Turcs  fussent  simultanément  attaqaéssur  tous 
les  points  de  leur  ligne  de  défense,  tiop  clendoe,  quoique  Ibr- 
tifiée  avec  soin.  Le  combat  se  .soutint  avec  acharnement  jus- 
qu'à la  défaite  des  Turcs,  à  qui  cette  jotiiriée  coula  dix- 
huit  mille  hommes  tués  et  blessés  ou  prieenniers.  La  perte 
des  Français  fut  de  cent  cinquante  hommes  tués  et  de  sept 
cent  cinquante  blessés.  Le  fort  d'Aboukir,  occupé  par  les 
Turcs,  tint  encore  quelques  jours,  au  bout  desquels  il  ee 
rendit  au  vainqueur.  Des  quatre  mifle  hommes  que  Mnsrtapha- 
Pacha  y  avait  enfermés,  il  n'en  restait  plus  que^eux  mille, 
qui  furent  faits  prisonniers.  Cette  briHante  victoire  fut  le 
dernier  exploit  de  Bonaparte  en  Egypte  ;  peu  de  temps  après 
il  apprit  la  déplorable  situation  où  se  trow\  ail  la  France ,  les 
victoires  des  coalisés,  la  perte  de  l'Kalie  ;  et  il  i>rit  aussitôî  la 
résolution  de  quitter  l'Egypte  pour  revenir  en  Europe. 

Le  7  mars  1801  le  fort  d'Aboukir,  défendu  par  quel(|ues 
centaines  d'hommes,  était  obligé  de  se  rendre  aux  Anglais, 
débarqués  sm-la  plage  au  nombre  depilns  de  12,000. 

ABOUL-CACEJ!.  Ce  médecin  arabe,  mort  à  Cordoue, 
en  1 107,  était  né  à  Alzarah  en  Espagne.  11  a  laissé  sous  le  titre 
(ii'Al-Tncrif.  ou  méthode  pratique,  une  compilation  médi- 
cale qui  a  joui  longtemps  d'une  grande  autorité.  Cet  ouvrage 
se  compose  de  trente-deux  traités  différents,  et  roule  principa- 
lement sur  la  chirurgie.  Il  a  été  publié  plusieurs  fois  <t  traduit 
en  latin.  On  cite  comme  la  meilleure  édition  dans  les  deux 
langues  celle  de  Channing  (Oxford  ,  1778 ,  2  vol.  in-4"). 

ABOULFARADJE  (Grégoiiîe),  nommé  aussi  Bar- 
We6;vcj^s,  historien  arabe,  né  à  Malatia,dansrAsieMineure, en 
1226,  était  chrétien  de  la  secte  desjacobites.  11  devint  é^êque 
de  Gouba,  puis  d'.\lep,ot  mourut  primat  desjacobites,  à  Mea- 
gliah,  dans  r.\d/.erbidjan,  en  nsc.  Il  a  composé  en  syriaque, 
et  traduit  hii-mi'ine  en  aral)e,  une  /listnirc  Uniocrselle  de- 
puis la  création  fin  monde.  Pococke  a  traduit  ce  livre  en 
latin  (Oxford,  1605,  2vol.ia-4°).  .\boullaradje  a  écrit 
Ini-mèjne  sa  vie,  et  il  a  laissé  différaits  ouvrages  de  philo- 
sophie et  de  théologie. 

ABOtTLFAZEL,  écrivain  percan  du  seizième  siècle,  cp:i 
a  écrit  ime  histoire  du  rèrjnc  et  des  institutions  de  itm- 


ABOULFAZEL  —  ABOUL-WÉFA. 


39 


poreur  mnqol  Akbar,  dont  il  fut  premior  Tizir.  Cet  ouvnige 
a  ot('  traduit  par  Gladwin  et  itiiblit^  à  Calc^lt^a  en  1783, 
3  vol.  in-'i".  Aboulfa/ol  mourut  aç>assiruS  eu  KiOo. 

ABOULFEDA  (  I-^maf.i.)  ,  prince  musulman  de  la  famille 
konnledes  E  y  o»bides,à  laquelle  appartenait  aussi  le  grand 
Saladin.  r*é  à  Damas,  l'an  07?  de  l'hégire  (  l 'IZW  de  notre  ère  ), 
il  se  distingua  dans  sa  jeunesse  par  la  bravoure  dont  il  fit 
preuve  h  diverses  reprises  contre  les  croisés,  et  il  a  laissé  une 
durable  amputation  décrivain.  Sa  naissance  lui  donnait  le 
droit  de  pn-tendre  à  la  principauté  de  Hainat  en  Syrie,  placée 
sous  la  suzeraineté  des  sultans  d'Egypte.  Après  avoir  dû 
triompbcr  d'une  foule  d'obstacles,  il  obtint  enfin,  l'an  1310, 
du  sultan  Malek-en-Xasser,  l'investiture  de  cette  principauté, 
qu'il  continua  de  gcuvemer  jusqu'à  sa  mort.  .\llié  constant 
ot  fidèle  dn  sidtan ,  il  alla  souvent  le  visiter  en  Egypte , 
mettant  à  profit  ces  voyages  pour  élargir  le  cercle  de  ses 
connaissances,  et  mourut  en  1331. 

Protecteur  éclairé  des  sciences  et  des  lettres,  Aboulféda 
nous  a  laissé  divers  ouvrages  import-ants,  écrits  en  arabe,  et 
parmi   lesquels  nous  mentionnerons  plus  spécialement  des 
annales  allant  jusqu'à  l'année  1328  et  compilées,  en  grande 
partie  ,  d'après  des  historiens  arabes  antérieurs ,  mais  qui  , 
par  cela  môme  qu'elles  sont  d'une  date  postérieure,  offrent  sur 
les  dynasties  musulmanes  des  renseignements  beaucoup  plus 
étendus  que  ceirx  qu'on  possédait  jusque  alors.  Le  style  en 
est  simple.  Fleiscber  en  a  extrait  et  \\\M\éV  Historia  anteisla- 
viica  (  Leipzig,  IS."^!  )  ;  Gagnier,  son  De  Vlta  et  rébus  gestis 
Muhammedis  (Oxford,  1723)  ;  M.  Noël  des  Vergers,  sa  Vie 
de  Jfohanuned  {Parh,  1831).  L'ouvrage  entier,  sauf  l'His- 
toire autéislamique,  a  été  publié  par  Reiske  (Copenhague, 
5  voL,  1789-1794). 

On  a  encore  d'AbouIféda  un  traité  de  géographie,  dont 
plusieurs  parties  ont  été  publiées,  comme  Tabula  Siji'ur,  par 
Kœbler  (Leipzig,  1766);  Bescripiio  jErjypti,  par  Michaelis 
(Goettingue,  1776);  et  Arabïx  Descripfio,  par  Rommel  (Gœt- 
lingue,  1802-1804).  MM.  ReinaudetMac-GuckindeSlane  ont 
fait  paraître  en  1838,  à  Paris,  l'ouvrage  complet,  et  ^L  Cli. 
Schier  en  a  donné  une  édition  autographiée  d'après  des  maté- 
riaux critiques. 

Aboulféda  est  en  outre  l'auteur  de  divers  ouvrages  re- 
latifs à  la  jurisprudence,  aux  mathématiques,  à  la  logique  et  à 
la  médecine. 

ABOULGIIAZI  BEHADOUR,  khan  de  Khiwa,  issu 
de  la  famille  de  Gengiskan,  naquit  en  1G05.  Monté  sur  le 
trône  en  1644,  il  abdiqua  peu  de  temps  avant  sa  mort  en 
faveur  de  son  fds,  et  mourut  en  1663.  Après  son  abdication, 
il  composa,  dans  le  dialecte  turco-oriental  vulgairement  ap- 
pelé tatar ,  une  bistoi re  gé néalogique  des  Tu rcs  en  neuf  livres . 
Cet  ouvrage,  qui  dans  sa  pailie  relative  aux  époques  les 
plus  reculées  a  surtout  été  rédigé  d'après  1  historien  persan 
Rachid-ed-Din,  et  dans  la  composition  duquel  l'auteur  s'est 
encore  aidé  de  dix-sept  autres  histoires,  contient  l'histoire 
parfaitement  authentique  des  Gengiskhanides ,  depuis  les 
traditions  les  plus  reculées  jusqu'à  I  époque  de  l'abdication 
d'AbouIghazi-lJehadour.  Un  officier  suédois,  fait  prisonnier 
par  les  Russes  à  la  journée  de  Puitawa ,  la  traduit  en  alle- 
mand; c'est  sur  cette  traduction  qu'a  été  composée  V His- 
toire généalogique  des  Tatars  (Leyde,  1726,  2  vol.  ).  Mes- 
sercbmid  en  publia,  en  17S0,  àGœttingue,  une  nouvelle 
édition;  et  l'ouvrage  original  a  été  imprimé  à  Kasan  (  His- 
toria  Monfjolorum  et  Tartarorum,  1S25,  in-fol.). 

ABOUL-IIASSAX- ALI,  de  Maroc,  savant  mathéma- 
ticien du  treizième  siècle,  a  composé  un  important  ouvrage 
d'astronomie,  dont  la  première  partie,  traduite  en  1808  par 
J.-J.  Sétlillot ,  a  été  puljliéeen  1834  et  1833  sous  le  titre  de  : 
Traité  des  Instruments  Astronomiques  des  Arabes.  Cette 
traduction,  qui  mérita  un  des  grands  prix  décennaux  à  son 
auteur,  covni)le  une  véritable  lacune  dans  l'histoire  des 
sciences.  Alontucla  avait  affirmé  que  ia  gnomonique  des 
Arabes  était   iierdue  ainsi  que  celle  des  Grecs;  elle  se  re- 


trouve tout  entière  dans  Aboul-Hassan ,  qui  nous  fait  con- 
naître un  grand  nombred'inventions  curieuses,  évidemment 
dues  à  l'école  de  Bagdad.  Aboul-Hossan  n'a  pas  rédigé 
son  ouvrage  en  simple  praticien ,  mais  en  astronome  dis- 
tingué. Considérant  à  bon  droit  la  justesse  des  observations 
comme  la  base  des  progrès  de  lastionoinie ,  et  sachant 
combien  il  serait  utile  que  les  constructeurs  eussent  des 
notions  précises  des  objets  auxquels  les  instruments  sont 
destinés ,  il  porte  dans  cette  partie  de  la  mécanicpie  les  lu- 
mières qu'il  a  puisées  dans  sa  pratique  et  dans  les  traités  des 
savants  les  plus  dignes  d'estime  ;  ses  tables  de  tangentes  et 
de  co-tangentes  confinnent  également  une  question  fort  dé- 
battue, et  montrent  que  la  trigonométrie,  sortne  des  mains 
d'Hipparque ,  simplifiée  d'abord  par  la  substitution  que 
firent  les  Arabes  des  sinus  aux  cordes  des  arcs  doubles,  en- 
richie par  eux  des  deux  principaux  théorèmes  employés 
pour  la  résolution  des  triangles  sphériques  rectangles,  a 
reçu  un  nouveau  degré  de  perfection  par  l'addition  an 
dixième  siècle  (  voyez  l'art.  Aboil-Wéfa)  et  au  treizième 
siècle  par  l'usage  reproduit  des  seuls  éléments  que  nous  nous 
flattions  d'y  avoir  introduits.  —  Aboul-Hassan  avait  par- 
couru le  midi  de  l'Espagne  et  une  grande  partie  de  l'Afrique 
septentrionale,  relevant  lui-même  la  hauteur  du  pôle  dans 
quarante  et  ime  villes ,  sur  un  espace  de  plus  de  neuf  cents 
lieues  de  l'ouest  à  l'est  ;  il  rapporte  les  longitudes  à  la  cou- 
pole d'Arîne.  Les  tables  que  nous  donne  Aboul-Hassan 
des  longitudes  et  latitudes  des  étoiles  ne  sont  pas  moins  pré- 
cieuses :  lune  de  ces  tables  est  dressée  pour  l'époque  astro- 
nomique du  commencement  de  l'hégire  (le  jeudi  15  juil- 
let 622  de  J.-C,  à  midi),  les  autres  pourlafin  derannée680 
de  l'ère  mahométane  ;  elles  ont  pu  servir  à  fixer  d'une  ma- 
nière exacte  la  composition  de  l'ouvrage  à  l'année  1229  de 
J.-C.  —  Aboul-Hassan  avait  aussi  écrit  un  traité  sur  la  ma- 
nière d'observer  la  nouvelle  lune  et  un  autre  sur  les  sections 
coniques ,  qui  ne  nous  est  pas  parvenu. 

L.-Am.  Sédillot. 

ABOUL-AVÉFA-AL^BOUZDJANI ,  mathématicien 
et  astronome  célèbre,  naquit  à  Bouzdjân,  en  939  de  l'ère  chré- 
tienne, vint  dans  l'Irak  en  939,  et  mourut  à  Bagdad,  en 
998.  On  peut  le  considérer  comme  le  dernier  de  ces  obser- 
vateurs infatigables  qui  pendant  deux  siècles  avaient  cher- 
ché à  perfectionner  et  à  compléter  les  tables  de  Ptolémée. 
Commentateur  d'Euclide  et  de  Diophante,  traducteur  d'A- 
ristarque,  Aboul-Wéfa  professa  longtemps  l'astronomie  et  fut 
le  maître  d'Ebn-Jounis  ;  VAlmageste  qui  porte  son  nom 
n'est  point  un  abrégé  de  la  syntaxe  grecque ,  comme  on  a 
voulu  le  faire  croire ,  mais  un  ouvrage  original ,  qui  révèle 
dans  l'auteur  un  esprit  aussi  profond  que  lucide  et  un 
mérite  d'exposition  bien  rare  chez  les  écrivains  arabes. 
J.-J.  Sédillot  se  proposa  d'en  donner  une  analyse  complète; 
cependant  il  se  borna  aux  premiers  chapitres,  où  l'on  trou- 
vait ces  tables  de  tangentes  dont  les  Arabes  ont  fait  un  si 
fréquent  usage  dans  leur  gnomonique.  On  pensait  généra- 
lement que  leur  introduction  dans  le  calcul  trigonométrique 
était  due  à  Régiomontau  ;  mais  elle  n'a  eu  lieu ,  du  moins 
en  Europe ,  qu'après  la  mort  de  cet  astronome ,  et  six  cents 
ans  plus  tard  que  chez  les  Arabes,  dont  malheureusement  les 
ouvrages  ne  sont  pas  connus. 

Delambre,  dans  son  Histoire  de  V Astronomie  au  morjen 
âge,  affirmait  que  les  Arabes  avaient  admis  sans  !a  inoindre 
modification  les  hypothèses  de  Ptolémée,  et  qu'ils  ne  parais- 
saient même  pas  avoir  soupçonné  le  besoin  de  ricu  changer 
aux  théories;  un  des  derniers  chapitres  de  VAlmageste 
d'Aboul-Wéfa  nous  sembla  devoir  renverser  complètement 
cette  opinion;  nous  le  traduisîmes,  et  montrâmes  qu'aux 
découvertes  de  l'école  d'.\lexandrie  les  Arabes  avaient 
ajouté  celle  de  la  troisième  inégalité  lunaire,  appelée  va- 
riation, dont  ou  attribuait  la  détermination  à  l'astronomie 
moderne.  Ce  point  curieux  de  l'histoire  des  sciences  fut 
vivement  contesté,  et  quoique  reconnu  par  nos  plus  habiles 


40 


ABOUL-WÉFA  —  ABRABA?sEL 


géomètres,  il  a  trouvé  récemment  encore  (Ipscontrailicteurs. 
L.-Ain.  Skoii.lot. 
ABOU-.M  A\A  et  SOUUAMA  ,  lieux  de  la  hante  Egypte 
près  (lesi|ut'!s  le  K<^iirral  Friunt  l)a(lit  le  tliérif  Hassan,  le  3 
mars  1799. 

ABOU-MASCIlAIl,  pins  coniin  sons  le  nom  fl'.!//;»- 
vicizar,  naquit  à  IJalkh,  vers  la  lin  du  Iniilièine  siècle  de 
notre  ère,  ou ,  •^elon  (iiieWpies  auteurs,  en  80.i.  Livré  à 
toutes  les  rêveries  de  ra^trologie  judiciaire,  Abou-Mascliar, 
que  d'IIerlielot  a[tpelle  le  prince  des  astronomes  de  son 
lenifis,  composa  pins  de  quarante  ouvrages ,  parmi  lesquels 
nous  citerons  le  Mrilh/uil,  on  Introduction  à  l'astronoM)ie, 
imprimé  eu  1489  ;  V Evlcran-nl-Kouakib  (  De  la  conjonction 
des  planètes);  et  son  traité  des  Olouf,  ou  Milliers  d'années, 
dans  lecpiel  il  s'occupe  de  la  durée  et  de  la  lin  du  monde  : 
il  lait  remonter  la  création  à  l'époque  où  les  sept  planètes  se 
trouvaient  en  conjonction  au  premier  degré  du  Bélier,  ce 
qui  est  une  idée  grecque,  et  suppose  que  le  monde  périra 
lors(iu'elles  seront  uéunies  au  dernier  degré  des  l'oissons;  il 
raanjue  aussi  dans  ce  même  livre  les  principales  époques 
et  la  lin  des  empires  et  des  religions ,  et  il  est  résulté  des 
rapprochements  auxquels  il  se  livre  que  quelques  auteurs 
ont  cru  qu'il  llorissait  au  douzième  siècle.  Observateur  zélé, 
il  avait  composé  des  tal)les  astronomiipies  selon  la  mi'tiiode 
des  Persans  et  selon  leur  calcul  des  années  du  monde.  On 
a  imprimé  à  Augshourg,  en  1489,  huit  traités  astrologiques 
d'Ahou-Masdiar,  et,  en  1488,  son  Tractutus  Florum  As- 
trologise.  Il  mourut  à  Wasith,  en  8S5.     L.-Am.  Sédillot. 

ABOUSCIlEURjOU  Hi^NDliR-ROUSHEII,  ABOLSH, 
ou  encore  BOUCHIR  (c'est-à-dire  Ville  du  Père),  port  de 
mer  de  la  côte  septentrionale  du  golfe  Persique ,  dans  la 
province  per.sane  du  Farsistan,  par  SQ''  de  latitude  nord  et 
6h°  de  longitude  occidentale,  est  situé  à  l'extrémité  septen- 
trionale d'une  presqu'île  (juc  l'ancien  géographe  JN'éaique 
appelle  Mé.sambria.  Quoique  cette  contrée  soit  exposée 
aux  ravages  des  tremblements  de  terre,  du  simoun  et  des 
sauterelles,  l'admirable  position  de  ce  point  centra!  en  a 
bientôt  eu  fait  une  inq)oi  tanle  place  de  commerce  de  douze 
à  quinze  mille  habilanls  ,  où  la  compagnie  anglaise  des 
Indes  orientales  a  établi  un  comptoir.  Cette  ville  doit  sa 
fondation  à  Oucoun-Ilaçan-Klian,  en  ii72.  Abbas  le  Grand 
fit  crenser  le  port  intérieur  d'Abouscliehr,  y  construisit  des 
forts  et  y  établit  des  chantiers  maritimes.  Après  ^'a<lir-Chah , 
la  ville  d'Abouschebr  déclina  peu  à  peu.  En  1837  les  An- 
glais prirent  po.ssession  de  l'ile  de  Kharak,  située  à  peu  de 
distance;  mais  ils  l'évacuèrenl  en  1840.  A  la  lin  de  1856,  ils 
réoccupèrenl  Kharak  et  s'emparèrent  d'Abouscliehr.       Z. 

ABÔUT  (Edmond-François-Valentln),  romancier,  est 
né  à  Dieuze  (Meurthe),  le  14  février  1828.  Il  a  fait  ses 
études  au  collège  Charlemagne  ;  il  remporta  en  1S48  le 
prix  d'honneur  de  philosophie  au  concours  général,  entra 
à  l'École  ntjrniale  et  passa,  en  iSjl,  à  l'i-cole  française 
d'Alhèncs.  De  retour  à  Paris  en  1S53,  il  publia  Vile  cPÉgine 
(ISôi)  et  la  Grèce  contemporaine  (  1855,  in-lG)  ;  «  ro- 
man par  la  fantai.-ie,  dit  .M.  Cuvilier-Fleury ,  pauq)hlet  par 
l'intention,  chronique  très  amusante  et  au  demeurant  très- 
instructive.  »  La  lievue  des  Deux  Mondes  inséra  aussitôt 
Tolla,  roman  intime,  qui  fut  vivement  attaqué  comme  re- 
pro  luisant  <|uei(iues  détails  d'un  livre  antérieur  peu  connu. 
La  même  année  parut  le  Voyage  à  travers  r exposition  des 
bfattx-arts,  et  le  Moniteur  commença  Les  Mariages  de 
Paris,  qui  furent  suivis  dans  ce  journal  du  Roi  des  7non- 
tagnes{\8b6),(\c  Germaine  (l^bl)  cl  àe  Les  Échassesde 
maître  Pierre  (l''57).  Le  Moniteur  accueillit  encore  une 
revue  de  l'Exposition,  qui  fut  réimprimée  sous  ce  titre  :  Nos 
Artistes  au  salon  de  1857,  une  autre  série  de  nouvelles 
tenant  aux  Mariages  de  Paris,  et  L'Italie  contemporaine, 
réimprimée  en  1860  sous  le  titre  de  Rome  contemporaine 
(ii>-8°).  Aux  jours  gras  de  1850,  M.  About  lit  jouer  au  Théàtre- 
Frauçais  Guillery,  ouf  Effronté,  farce  au  gros  sel  qui  ne 


fut  pas  goûtée;  en  1859  il  donna  avec  plus  de  succès,  au 
Gynmase,  Risette,  ou  les  Millions  de  la  mansarde.  On 
a  arrangé  pour  le  théâtre  Germaine  et  Le  Capitaine  Bit- 
terlin,  d'après  .ses  romans.  M.  About  a  fait  de  la  critique 
dans  le  Figaro  sous  le  nom  de  Quévilly  ;  il  fait  de  la  politique 
dans  Y  Opinion  nationale.  En  I8G0  il  imprima  La  Question 
romaine,  qui  ne  put  d'abord  paraître  (|u'à  Bruxelles  cl 
n'eut  qu'un  instant  de  vente  en  France.  La  môme  année  il 
publia  La  Prusse  en  1860.  .M.  About  a  été  décoré  en  IS.'jS. 
Homme  d'esprit  avant  tout,  M.  About  a  créé  des  types 
excellents  quoi(iue  chargés  ;  il  ne  craint  pas  de  .soutenir 
les  plus  singuliers  paradoxes ,  comme  lorsqu'il  veut  prou- 
ver que  la  prodigalité  engendre  la  richesse.  Il  a  peu  de 
sensibdité,  et  ne  connaît  guère  la  corde  tendre,  comme  on  le 
lui  a  raproché.  Il  rend  mieux  l'amour  Idial,  le  dévouement 
conjugal  que  l'amour  passionné;  il  aime  les  héros  rangés 
et  adroits  ;  notre  société  industrieuse  active,  positive,  recon- 
struisante, lui  plait.  11  décrit  peu.  Ses  romans  sont  pleins 
de  verve  au  commencement  et  haletants  à  la  tin.  Son  style 
est  pur  et  pourtant  semé  de  figures  malheureuses.  Son  esthé- 
tique porte  qu'il  faut  procéder  par  masse,  et  ne  pas  s'in- 
quiéter des  détails;  que  le  des.sin,  les  grands  contours,  sont 
tout,  la  couleur  rien.  Par  bonheur,  il  n'est  pas  toujours 
d'accord  avec  ses  principes.  L.  Louvtr. 

ABOVILLE  (Fr.vnçois-M.vkie,  comte  o'),  général  d'ar- 
tillerie, était  né  à  Brest,  le  23  janvier  1730.  Après  avoir 
servi  dans  la  guerre  de  Sept  ans  et  dans  celle  d'Amérique , 
il  devint  maréchal  de  camp  et  membre  du  comité  militaire. 
Grâce  à  ses  connaissances  spéciales  et  à  la  chaleur  avec 
laquelle  il  avait  embrassé  la  cause  de  la  révolution,  il  eut 
beaucoup  d'autorité  dans  cette  position  nouvelle.  Il  créa 
en  France  l'artillerie  légère,  se  vit  appelé  au  grade  de  lieu- 
tenant général  dès  les  premiers  jours  de  la  république.  Il 
était,  à  Yalmy,  commandant  l'artillerie,  dont  le  secours  ne 
contribua  pas  peu  au  gain  de  la  bataille.  Lorsque  Dumou- 
riez  passa  aux  Autrichiens,  d'Aboville  flétrit  cette  trahison 
dans  un  ordre  du  jour  qui  lit  préconiser  .son  civisme.  Toute- 
fois, il  fut  emprisonné  à  Soissons  pendant  la  terreur.  Bona- 
parte le  nomma,  après  le  18  brumaire,  inspecteur  général 
de  l'artillerie,  puis  sénateur  en  1802.  En  t8i4  les  Bourbons 
le  tirent  pair  de  France.  L'année  suivante  il  adhéra  à  la 
restauration  du  pouvoir  impéiial,  et  conserva  son  titre  de- 
pair;  aussi,  au  retour  de  Louis  XVIII,  fut-il  exclu  de  la 
chambre  par  l'ordonnance  du  24juillet  1815.  H  y  rentra  au 
mois  d'août,  parce  qu'il  n'avait  pas  siégé  pendant  les  cent 
jours,  et  mourut  le  1"  novembre  1817. 

Son  fds  aîné,  Augustin-Gabriel,  comte  d'Aboville,  né 
à  La  Fère,  le  20  mars  1774,  succéda  dans  ses  titres.  Il  avait 
de  même  que  son  père,  servi  la  république  et  l'empire,  et 
mourut  le  15  août  1820,  laissant  deux  lils  ,  dont  l'aîné, 
Alphonse  Gabriel,  comte  d'Aboville,  né  à  Paris,  le  28 
juin  1818,  lui  succéda  dans  la  pairie. 

Augustin-Marie,  baron  d'Aboville,  filscadet  de  François- 
Marie  d'Aboville,  né  en  1776,  géniral  de  brigaile,  amputé 
d'un  bras  à  Wagram,  fut  l'un  de  ceux  qui  contribuèrent  le 
plus  à  la  défense  de  Paris  en  1814.  Commandant  de  l'école 
d'artillerie  de  La  l'ère,  il  lit  échouer,  en  mars  1815,  la 
tentative  du  général  Lefeb  v  re -De  snouette  s  et  des 
frères  Lai  lemand.  Z. 

AB  OVO.  Commencer  un  récit  ab  ovo,  c'est  remonter 
à  l'origine  môme  du  fait  qu'ouveut  exposer.  Chez  les  Latins, 
ab  ovousque  orf  7na/a  (depuis  l'œuf  jusqu'aux  pommes) 
était  une  façon  proverbiale  de  s'exprimer  pour  dire  depuis 
le  commencement  jusqu'à  la  fin.  Elle  provenait  de  l'usage 
où  étaient  les  Romains  de  commencer  ordinairement  leurs 
repas  par  des  œufs  et  de  les  terminer  par  des  pommes. 

ABRABAAELdsAAc),  savant  rabbin,  ne  à  Lisbonne, 
d'une  famille  qui  se  vantait  de  remonter  jusqu'au  roi  David 
fut  le  docteur  le  plus  célèbre  de  la  seconde  école  rabbi- 
nique.  AlDliun.se  V  lui  ayant  confié  la  direction  de  ses  Gnan- 


ABRABANEL  —  ABRAHAMITES 


41 


ces,  l'opinion  publique  fut  blessée  de  cette  élévation  d'un 
juif,  et  à  la  mort  de  ce  prince  Abrabanel,  accusé  de  coni- 
piicilé  dans  une  conspiiatiou  qui  avait,  (iisait-on,  pour  but 
délivrer  le  Portugal  à  l'Kspague,  dut  s'enfuir  en  Caslllle,  où 
il  fut  parfaitement  accueilli  par  Ferdioand  le  Catholique,  qui 
tit aussi  d.e  lui  son  ministre  des  finances.  Cette  faveur  ne  put 
toutefois  le  soustraire  à  la  proscription  générale  qui  vint 
fr.-jpper  tous  les  juils  en  1492.  Abrabanel  se  relira  donc  à  Na- 
p]es,  oii  il  ne  fut  pasmojns  bien  reçu  par  le  roi  Ferdinand  I"^. 
L'invasion  du  royaume  de  Naples  par  Charles  VIII  le  força 
à  passer  en  Sicile,  puis  à  Corfou,  et  successivement  dans 
d'autres  villes  où  ses  corelijiionnaues  étaient  tolérés.  Il  mou- 
rut en  1508,  à  i'àgt>  de  soixante-onze  ans,  à  Venise,  où  il  s'é- 
tait concilié  la  laveur  publique  en  terminant  ditférente.s 
contestations  survenues  entre  les  Vénitiens  et  les  Portugais 
au  sujf  t  du  commerce  des  épices.  Il  fut  enterré  à  Padoue. 

Les  juifs  regardent  Abrabanel  comme  un  de  leurs  écri- 
vains les  plus  érudits  :  au  milieu  des  inquiétudes  et  des 
soucis  d'une  existence  agitée,  il  sut  trouver  le  temps  né- 
cessaire pour  se  livrer  à  l'étude  de  l'Écriture  et  composer  de 
nombreux  écrits,  qui  ont  presque  tous  pour  objet  l'inter- 
prétation de  la  Bible,  l'Iiistoire  du  peuple  juif  et  l'apologie 
de  ses  croyances  religieuses.  Il  laissa  deux  fils  ,  dont  l'un  se 
convertit  à  la  religion  chrétienne  ;  l'autre  fut  un  médecin 
distingué, 

ABRACADABRA,  mot  magique,  auquel  on  sup- 
posait jadis  la  vertu  de  guérir  la  fièvre.  D'après  Serenus  Sa- 
monicus ,  médecin  du  deuxième  siècle ,  qui  partagea  l'hé- 
résie de  Basilide,  ce  mot,  pour  avoir  sa  vertu,  devait  être 
écrit  de  manière  à  former  un  triangle  et  à  pouvoir  être  lu 
dans  tous  les  sens ,  comme  ceci  : 

ABRACADABRA  ou  Abracadabra 


BRACADABR 

R  A  C  A  D  A  B 

A  C  A  D  A 

CAD 

A 


Abracadabr 

Abracadab 

Abracada 

A  b  r  a  c  a  d 

A  b  r  a  0  a 

A  b  r  a  c 

A  b  r  a 

A  b  r 

A  b 

A 


Ce  mot,  une  fois  écrit  d'une  de  ces  deux  façons  sur  un  mor- 
ceau de  papier  carré,  il  fallait  le  plier  de  manière  à  cacher 
l'écriture,  et  le  piquer  en  croix  avec  un  fil  blanc  ;  puis  atta- 
cher à  cet  amulette  un  ruban  de  lin,  au  moyen  duquel  on 
le  suspendait  à  son  cou,  de  manière  qu'il  descendît  jus- 
que dans  le  creux  de  la  poitrine.  On  le  portait  ainsi  pendant 
neuf  jours  ;  ensuite  on  se  rendait  en  silence,  de  grand  matin, 
avant  le  lever  du  soleil,  sur  les  bords  d'une  rivière  ou  d'un 
fleuve  qui  coulait  vers  l'Orient  ;  on  détachait  du  cou  le  billet 
magique,  puis  on  le  jetait  derrière  soi,  sans  l'ouvrir  ni  oser 
le  lire.  Scaliger,  Saumaise,  et  d'autres,  se  sont  donné  bien 
des  peines  inutiles  pour  chercher  le  vrai  sens  de  ce  mot,  qui 
n'est  ni  égyptien,  ni  hébreu,  ni  grec,  comme  ont  voulu  le 
faire  certains  étymologistes,  mais  persan,  langue  dans  la- 
quelle il  désigne  Mithra,  le  Dieu  du  soleil. 

ABRAHAM,  fils  de  Thérach  et  descendant  de  Sem,  fils 
de  ]Soé,  est  la  souche  commune  à  laquelle  les  Israélites  et 
les  Ismaélites  (  Arabes  )  rattachent  leur  origine.  Il  est  le  point 
de  départ  de  l'histoire  du  peuple  d'Israël,  et  c'est  avec  lui 
que  commence  l'alliance  conclue  entre  Dieu  et  cette  nation. 
Né  vers  l'an  2040  avant  Jésiis-Christ ,  d'un  père  idolâtre ,  il 
sut  se  préserver  de  l'idolâtrie,  connut  le  vrai  Dieu  et  mena 
une  vie  pure.  Obéissant  aux  ordres  de  Dieu,  il  abandonna 
son  pays,  Uhr  en  Chaldée,  emmenant  avec  lui  Sarah ,  sa 
femme,  et  Loth,  le  fils  de  son  frère ,  pour  se  rendre  à  Haram 
en  Mésopotamie,  et  de  là  à  Canaan  (Palestine),  où  il  s'établit. 

BICT.    DE   LA   CONVERSATION.    —  T.   I. 


Il  vécut  d'abord  avec  ses  troupeaux  dans  la  contrée  de  Bé- 
tel et  de  Gérar  (  au  sud  de  la  Judée),  et  plus  tard  dans  les  bois 
de  Mamre.  A  la  suite  de  discussions  survenues  entre  les  ber- 
gers de  Loth  et  les  siens,  celui-ci  alla  s'établir  à  Sodome. 
Les  habitants  de  cette  ville  ayant  été  battus  par  leurs  enne- 
mis, qui  emmenèrent  également  prisonniers  Loth  et  sa  famille, 
Abraham  les  poursuivit  avec  ses  serviteurs,  et  délivra  non- 
seulement  Loth,  mais  encore  le  roi  de  Sodome,  sans  accepter 
cependant  la  moindre  part  du  butin  II  avait  atteint  un  âge 
très-avancé,  lorsqu'il  lui  naquit  un  fils,  Isaac,  que,  toujours 
obéissant  aux  injonctions  du  Seigneur,  il  se  disposait  à  lui 
offrir  en  sacrifice,  lorsqu'un  ange  arrêta  son  bras,  et  substi- 
tua un  bélier  à  ce  fils  chéri.  A  la  mort  de  Sarah ,  Abraham 
épousa  Céthura,  dont  il  eut  encore  six  enfants.  Il  mourut 
âgé  de  cent  soixante-quinze  ans,  et  fut  enterré  à  Hébron.  Les 
Juifs  ont  de  tout  temps  vénéré  sa  mémoire.  C'est  à  leurs  yeux 
le  premier  des  fidèles,  le  docteur  de  la  sagesse ,  et  même  de 
la  doctrine  secrète;  ils  l'appellent  l'ami  de  Dieu.  C'est  aussi 
le  nom  que  lui  donnent  les  .\rabes,  et  quelques-uns  de  leurs 
écrivains  vont  jusqu'à  prétendre  que  c'est  lui  qui  a  construit 
la  Kaaba  à  la  Mecque. 

ABRAHiVlM  A  SAXCTA  CLARA.  Ce  prédicateur 
fameux  naquit  le  4  juin  1642,  à  Krœhen-Heimstetten,  près  de 
Mœskirch,  en  Souabe  :  son  vrai  nom  était  Ulrich  Megerle.  Il 
entra,  l'an  1662,  dans  l'ordre  desaugustins  déchaussés,  et 
acquit  en  peu  de  temps  une  telle  réputation  qu'il  fut  appelé 
à  Vienne,  en  1669,  avec  le  titre  de  prédicateur  de  la  corn- 
impériale.  Il  y  mourut  le  1*""  décembre  1709.  Ses  sermons 
se  distinguent  par  une  originalité  souvent  burlesque,  et  abon- 
dent en  idées  comiques.  Ces  qualités,  en  harmonie  avec  le 
goût  de  l'époque ,  lui  attiraient  de  nombreux  auditeurs.  On 
peut  juger  du  ton  de  ses  ouvrages  par  leurs  titres  :  l'un 
est  intitulé  Nid  de  fous  récemment  éclos,  ou  Atelier  de 
beaucoup  de  fous  et  de  folles,  un  autre  est  intitulé  Judas 
Varchicoquin.  D'autres  ont  des  titres  plus  singuliers  encore 
et  entièrement  intraduisibles.  Dans  l'un,  par  exemple,  il 
cherche  à  imiter  le  cri  de  la  poule  qui  pond."  Mais  sous  ce 
style  bizarre  on  trouve  caché  un  sens  solide ,  une  profonde 
connaissance  du  cœur  humain  et  un  grand  amour  de  la  vé- 
rité. C'est  d'ailleurs  avec  une  franchise  pleine  de  hardiesse 
qu'Abraham  s'emporte  contre  les  désordres  de  son  temps, 
et  son  style  bigarré ,  mais  vif  et  énergique,  contraste  d'une 
manière  frappante  avec  le  froid  mysticisme  et  la  subtilité 
prétentieuse  de  la  plupart  des  prédicateurs  de  son  siècle. 

ABRAHAM  ECHELLEIVSIS,  savant  maronite,  pro- 
fessa le  syriaque  et  l'arabe  d'abord  à  Rome,  puis  au  Collège 
de  France,  où  Le  Jay  l'avait  appelé  pour  diriger  l'impression 
de  sa  Bible  polyglotte.  Il  mourut  en  1664  à  Rome.  On  a  de  lui  : 
Institutio  Linguœ Syriacœ  (Rome,  1628,  in-12)  ;  Synopsis 
Philosophiee  Orientalium  (Paris,  1641,  in-4°) ;  C/^roHicon 
Orientale  (Paris,  tvp.  reg.,  1651,  in-fol.),  etc. 

ABRAHAM  PÀLITSINE,  moine  russe,  était  d'extrac- 
tion noble,  et  l'undescsaieux,  Jean  Mikoulaiévitch,  qui  s'était 
distingué  au  service  du  grand-prince  Dimittri-Donskoi,  avait 
reçu  le  surnom  de  Palitsine ,  d'un  énorme  bâton  (en  russe, 
palitsa  )  qu'il  avait  coutume  de  porter  dans  les  combats. 
Abraham  rendit  de  grands  services  à  sa  patrie  pendant  l'in- 
terrègne qui  précéda  l'élection  de  Michel  Romanof,  et  qui 
fut  signalé  par  l'invasion  des  Polonais  et  des  Suédois.  Ce 
fut  même  à  son  instigation  que  la  Russie  dut  l'héroïque  dé- 
vouement de  Minine  et  de  Pojarsky,  qui  la  sauva  du  joug  de 
l'étranger.  Il  a  laissé  la  relation  de  ces  événements  sous  le 
titre  de  :  Récit  du  siège  de  Saint-Serge  de  la  Trinité  par 
les  Polonais  et  les  Lithuaniens,  et  des  troiibles  qui  éclatè- 
rent ensuiteen  Russie  (Moscou,  1784).  Ilmourutvers  1620. 
ABRAHAMITES  ou  ABR  AH  AMIENS,  hérétiques 
du  neuvième  siècle.  Ils  avaient  pour  chef  un  certain  Abraham 
ou  Ibrahim  d'Antioche,  qui,  renouvelant  les  erreurs  des 
paulianistes,  niait  la  divinité  de  Jésus-Christ.  Le  patriarche 
orthodoxe  de  cette  cité,  Cyprien,  combattit  énergiquemeut 


42 

celte  secle  naissante,  et  vint  à  bout  de  la  dissiper.  —  On  a 
encore  donné  ce  nom  à  des  moinis  qui  souffrirent  le  mar- 
tyre pour  le  culte  des  images  sous  Théophile  au  neuvième 
siècle.  —  C'est  aussi  le  nom  d'une  secte  de  déistes  bohèmes 
qui  se  montra  en  1782.  A  cette  époque,  des  pnysans  du  co- 
milat  de  Pardubit/ ,  se  confiant  daus  l'éiiit  de  tolérance  de 
l'empereur,  tirent  en  elfel  profession  publique  de  la  foi  que 
suivait  Abndiam  avant  la  circoncision.  Ils  ne  prirent  de  la 
Bible  que  le  do^me  de  l'unité  de  Dieu,  et  n'admirent  comme 
prière  que  l'Oraison  dominicale.  Comme  ils  ne  voulaient 
appartenir  ni  à  la  religion  juive  ni  à  aucune  des  confessions 
chrétiennes  reconnues,  on  refusa  de  leur  accorder  le  libre 
exerricc  de  leur  culte.  L'empereur  Joseph  lit  chasser  de 
leurs  propriétés,  eu  1783  ,  ces  hommes  paisibles,  et  les  fit 
transporter  militairement  <lans  diverses  places  frontières  de 
Hoî];^rie  et  de  Transylvanie,  où  les  hommes  furent  incor- 
porés aux  bataillons  chargés  de  la  garde  des  frontières.  Un 
certain  nombre  d'entre  eux  se  convertirent  alors  avec  leurs 
femmes  à  la  religion  catholique,  dans  le  bannal  de  Temes- 
war. 

ABRAHAMSOX  (  ^VER^Ea-HA^•s-FRÉDÉiîlc) ,  liltéra- 
leur  danois,  né  en  1744  ,  mort  en  1812  ,  a  laissé  un  nom 
durable  dans  l'histoire  littéraire  de  son  pays  par  ses  recher- 
ches sur  les  antiquités  Scandinaves  et  par  ses  travaux  cri- 
tiquer. D'abord  capitaine  d'aitillerie,  il  quitta  le  service  en 
1787  pour  se  livrer  sans  partage  à  son  goût  pour  les  lettres. 
On  a  de  lui  d'excellents  traités  spéciaux  à  l'usage  des  écoles 
militaires,  ainsi  que  des  chants  populaires  et  guerriers.  Il 
fut,  avec  Nyerup  et  Rahbeck,  l'éditeur  du  précieux  recueil 
intitulé  :  Vdvalgle  danske  Viser  fra  MUteladeren  (5  vol., 
1812-14). 

Son  ii\s,Joseph-i\icolas- Benjamin  Absabamson,  né  en 
1789,  venu  en  France  en  1815  avec  le  corps  d'occupation 
danois ,  dans  lequel  il  était  capitaine  d'état-major,  protita 
de  son  séjour  dans  notre  pays  pour  y  étudier  la  méthode 
d'enseignement  ûile  enseignement  mutuel,  que  les  amis  des 
lumières  et  du  progrès  s'efforçaient  alors  de  propager 
parmi  nous.  De  retour  en  Danemark,  il  résolut  de  faire 
participer  ses  compatriotes  aux  bieufaits  de  cette  mélliode  , 
a  la  propagation  de  laquelle  il  se  livra  avec  autant  d'ardeur 
que  de  zèle.  Longtemps  directeur  de  l'école  militaire  de 
Copenhague ,  il  perdit  cet  emploi  en  183G ,  tout  en  con- 
servant le  titre  honorifique  de  commissaire  général  des 
guerres. 

ABRA^'TÈS  (Andoche  JUNOT,  duCD'),  naquit  de 
parents  aises ,  à  Bussy-les-Forges(Côte-d'Or),  le  23  octobre 
1771.  Son  jière  le  destinait  au  barreau;  mais  alors  éclata 
le  grand  mouvement  de  1789.  L'eathousiasrae  qui  se  ma- 
il i  lesta  à  cette  époque  dans  tous  les  rangs  de  la  société  fran- 
çaise entraîna  le  jeune  Junot  aux  frontières  pour  y  défend4C 
l'i!ii!é;iendance  nationale,  menacée  par  les  armées  de  la 
coalition.  Simple  grenadier  dans  un  bataillon  de  volontaires 
levé  daus  son  c'-epartemeut ,  il  ne  tarda  pas  à  se  faire  re- 
marquer par  son  courage. 

Au  siège  de  Toulon  (1796),  Bonaparte,  chargé  de  la  di- 
rection de  l'artillerie,  a  besoin  d'un  sous-ofûcier  capable 
de  lui  servir  de  secrétaire.  Il  en  fait  la  demande  à  un  chef 
de  corps,  et  Junot  est  désigné  pour  remplir  ces  fonctions. 
Ses  services élaientdéjaju>tement  appréciés  par  Bonaparte, 
lorsqu'une  circonstance  fortuite  vint  encore  ajouter  au  vif 
intérêt  qu'il  lui  portait.  L'oflicier  supérieur  d'artillerie  dic- 
tait une  dépèche  à  son  secrétaire;  tout  à  coup  une  bombe 
lancée  parles  Anglais  éclate  à  cote  de  Junot,  et  couvre  de 
terre  ses  habits  et  son  papier  au  moment  oii  il  tournait  le 
feuillet  :  «  Paibleu!  s'écrie  le  jeune  sous-officier,  voilà  une 
bombe  qui  vient  fort  à  propos  pour  sécher  mon  écriture!  » 
Ce  sang-IVûid  ,  au  milieu  d'un  grand  danger,  frai)pa  Bona- 
parte ,  qui  s'attacha  bientôt  après  Junol  en  qualité  d'aide  de 
camp.  Telle  lut  l'origine  de  la  fortune  d'un  des  hommes 
qui  ctaient  destinés  à  jouer  un  des  rôles  principaux  de  la 


ABIUHAMITES  —  ABRAMES 

grande  épopée  napoléonienne.  Après  le  9  thermidor,  Junot 
partagea  la  mauvaise  fortune  de  son  chef,  et  mit  sa  petite 
bourse  à  sa  disposition. 

Bonaparte  l'emmena  avec  lui  en  Italie  ;  Juuot  se  distingua 
à  Millesimo  et  à  Lonato,  oii  il  lut  blessé, et  parvint  au  grade 
de  colonel.  11  suivit  Bonaparte  eu  Egypte ,  où  il  devint  ^é- 
néral  de  brigade,  et  se   lit  particulièrement  remarquer  au 
combat  de  Nazareth,  où ,  à   la  tête  de  .300  cavaliers  seu- 
lement, il  mit  en  déroute  un  corps  de  10,000  Turcs,  après 
une  résistance  qui  dura  quatorze  heures.  Dans  celte  action, 
le  neveu  de  Mourad-Bey  fondit  sur  Junot  le  sabre  à  la  main; 
mais  celui-ci ,  reconnaissant  son  redoutable  adversaire,  l'a- 
battit «l'un  coup  de  pistolet.  Blessé  dans  un  duel,  Junot  ne  put 
s'embarquer  avec  Bonaparte  ;  il  partit  queliiue  temps  après, 
et  fut  fait  prisonnier  par  les  croiseurs  anglais.  11  obtint  enfin 
sa  liberté  et  débarqua  à  Marseille  le  jour  même  de  la  \ic- 
toire  de  Marengo.  Un  mois  plus  tard,  le  9  thermidor  an  vin, 
il   fut  nommé  commandant  de  Paris.  Bientôt  il  épou.sa 
M""-'  Permon,  que  le  premier  consul  dota,  et  fut  élevé  au 
grade  de  général  de  division.  Une  affaire  fâcheuse  le  fit  en- 
voyer à  .\rras  avec  le  commandement  des  grenadiers  de  l'ar- 
mée dite  d'Angleterre,  et  .Murât lui  succéda,  à  la  fin  de  1S03, 
dans  le  commandement  de  Paris.  En  1804  Junol  fut  créé 
grand  officier  de  la  Légion  d'honneur,  et  obtint  le  titre  de 
colonel  général  des  hussards.  Envoyé  en  Portugal  en  qualité 
d'ambassadeur,  dans  le  courant  de  janvier  1805,  il  fit  une 
entrée  solennelle  à  Lisbonne  et  se  présenta  avec  hauteur  à 
la  cour  du  prince  régent.  Rappelé  dès  la  même  année  pour 
aller  servir  dans  son  grade  à  l'armée  d'Allemagne ,  il  se 
distingua  par  sa  bravoure  à  la  bataille  d'Austerlitz,  Après 
cette  campagne    il  partit  comme  gouverneur  général  dans 
les  États  de  Parmeet  de  Plaisance.  Il  revint  à  Paris  au  mois 
de  juillet  ISOG  et  fut  nommé  gouverneur  de  la  capitale,  com- 
mandant la   première  division   militaire.  A  la  fin  de   1S07 
Napoléon  lui  confiait  le  commandement  de  l'armée  expédi- 
tionnaire réunie  sous  les  murs  deBayonne,  qui  devait, avec 
la  coopération  de  l'Espagne,  envahir  le  Portugal ,  à  l'eftct 
de  déterminer  la  cour  de  Lisbonne  à  abandonner  l'alliance 
anglaise.    On   ne  saurait  nier  que  Junot   s'acquitta  avec 
bonheur  de  la  îàclie  que  lui  avait  confiée  l'empereur.  Le 
10  novembre   1807  il  entra  daus   Lisbonne,    n'ayant  eu 
à  soutenir  dans   sa  course  rapide  à   travers  le  Portugal 
que  des  combats  insignifiants,  et  sans  laisser  au  gouver- 
nement non  plus  qu'à  la  nation  le  temps  de  se  reconnaiiie. 
Le  l''"  février  suivant  il  prit  le  litre  de  gouverneur  général 
du  royaume  de  Portugal  au  nom  de  Napoléon;  et  l'empe- 
reur, pour  récompenser  son  heureux  lieutenaut,  lui  accorda 
le  titre  de  duc  d'Abrantès  ,  du  nom  d'une  petite  ville  de 
l'Estrémadure ,  sur  les  bords  du  Tage,  où  s'était  terminée 
la  marche  aussi  glorieuse  que  périlleuse  qu'il  avait  exécutée 
avec  son  corps  d'armée.  Mais  quand  les  premiers  moments 
de  la  panique  et  de  la  surprise  furent  passés,  quands  ils  se 
comptèrent,  et  virent  qu'ils  n'avaient  afiaire  qu'à  une  poignée 
d'hommes  exténués  par  les  fatigues  d'une  si  lointaine  expé- 
dition, les  Portugais  prirent  une  attitude  menaçante,  et 
bientôt  le  débarquement  de  forces  anglaises  importantes 
vint  placer  l'armée  française  et  son  chef  dans  la  position  la 
plus  critique.  Junot ,  homme  d'action  et  d'exécution,  n'avait 
aucune  des  qualités  qui  font  le  général  en  chef.  Une  accu- 
sation bien  autrement  grave  qu'encourut  Junot,  ce  fut  d'a- 
voir mis  à  proft  son  commandement  et  son  espèce  de  vice- 
royauté  pour  s'enrichir  des  dépouilles  du  pays  conquis,  où 
il  se  livra  aux  plus  odieuses  exactions.  Réduit  bientôt  à 
évacuer  Lisbonne,  il  dut  signer,  le  30  aoilt  180S  ,  à  la  suite 
de   la    malheureuse  affaire  de  Vimeiro,  la  capitulation  de 
Cintra,  qui  ndt  fin  à  l'expédition  de  Portug.al.  Quelque  ho- 
norable qu'ait  été  cette  convention  pour  l'armée  française , 
qui  eut  la  liberté  de  s'embarquer  pour  la  France  avec  ses 
armes  et  ses  bagages,  aux  frais  de  l'Angleterre ,  le  duc  d'A- 
brantès, à  son  retour,  reçut  de  son  maître  l'accueil  le  plus 


ABRANTES  —  ABRAXAS 


fmiil.  Cepontlant  il  IVmmena  avec  lui  en  Espagne  et  lui 
coiitia  le  (omniaiiilemeiit  tlii  corps  chargé  du  f-wa*:  lie  Sara- 
gûsse;  mais  liienlot,  fatigue  de  sa  lenteur,  il  le  remplaça  par 
ie  maréclial  Laaues.  Dans  la  guerre  d'Actriclie,  de  180;),  Na- 
poléon lui  conlia  encore  le  comiuandement  d'un  des  corps 
de  la  grande  armée  ;  el  il  le  noiiima  ensuite  gouveineur  des 
provinces  lll)riennes.  IJi  1810  Junot  olitiul  le  coniinande- 
inenl  du  liuitiènie  corps  de  l'année  d'Espagne.  Clessé  à  l'af- 
faire de  Rio-Mayor,  pendant  la  deuxième  cam|)agne  de  Por- 
tugal, où  il  commandait  un  corps  sous  les  ordres  de  Masséna, 
il  rentra  en  France  après  la  retraite  opérée  i)ar  ce  maréchal. 
En  1812,  chargé  du  commandement  du  huitième  corps  de 
la  grande  armée,  il  lit  preuve,  pendant  la  campagne  de 
Russie,  de  beaucoup  de  mollesse  et  d'indécision,  et  s'attira 
par  .son  manque  d'énergie  la  disgiàce  complète  de  Napoléon, 
qui  ne  trouva  rien  de  mieux  à  faire  de  lui  que  de  le  renvoyer 
en  lllyrie.  Vers  le  milieu  de  1813  sa  raison  s'égara  ,  et  force 
fnt  de  le  ramener  dans  la  maison  paternelle,  à  Montbard , 
où,  deux  heures  après  son  arrivée,  dans  un  accès  de  lièvre 
cliaude  ,  il  se  jeta  par  la  fenêtre;  il  mourut,  le  28  juillet 
1813,  des  suites  de  cette  chute.  Après  avoir  été  comblé 
des  bienfaits  de  l'empereur,  après  avoir  rempli  les  plus  lu- 
cratives fonctions,  Junot ,  toujours  dissipateur,  laissait  sa  fa- 
luille  presque  sans  ressources. 

AERANTES  (Joséphine  ouLacre  PERMON, duchesse d'), 
femme  du  précédent,  naquit  le  6 novembre  1784,  à  Montpel- 
lier. Sa  mère  prétendait  descendre  des  Comnène.  Son  père, 
commis  aux  vivres  ,  obtint  par  Yergennes  l'entreprise  des 
Tivres  de  l'armée  de  Rochambean  en  Amérique ,  ce  qui  lui 
procura  une  grande  fortune.  La  révolution  le  ruina.  Après 
le  9  thermidor,  M"ne  Permon  ouvrit  à  Paris  un  salon  que  le 
général  Bonaparte  fréquentait  ainsi  que  Junot.  Lorsque 
Mme  Permon  eut  lurdu  son  mari,  à  l'époque  du  13  vendé- 
miaire, Bonaparte  pensa  ,  dit-on ,  la  demander  en  mariage, 
mais  son  âge  lui  lit  regarder  cette  proposition  comme  une 
plaisanterie,  et  un  refroidissement  s'ensuivit.  A  son  refour 
d'Egypte  Junot  épousa  M"''  Permon.  Aussi  prodigue  que  son 
mari,  elle  dépensait  énormément;elleétait  d'ailleurs  de  la  so- 
ciété de  la  Malmaison,  et  si  on  l'en  croit,  elle  attira  assez  l'at- 
tention du  premier  consul  pour  donner  quelquejalousieà  Jo- 
séphine. A  la  tin  de  l'empire  elle  recevait  une  société  qui 
déplaisait  à  Napoléon,  et  elle  accueillit  avec  faveur  la  Res- 
tauration. Après  avoir  partagé  la  brillante  fortune  de  Junot, 
elle  mourut  à  Paris,  le  7  juin  183S,  dans  un  état  voisin  de 
l'indigence,  mars  laissant  la  réputation  d'une  femme  d'esprit 
el  de  talent,  grâce  aux  nombreuses  productions  littéraires 
dont  la  publication,  dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  avait 
seule  fourni  aux  besoins  de  son  existence.  C'était  assuré- 
ment un  noble  spectacle  que  celui  de  cette  grande  dame 
demandant  au  travail  les  moyens  de  conserver  un  salon  dont 
elle  faisait  les  honneurs  avec  cette  grâce  el  cette  liberté 
d'esprit  que  conservent  bien  rarement  ceux  qui  ont  à  lutter 
contre  les  nécessités  de  la  vie.  Le  premier  ouvrage  qu'elle 
ait  tait  paraître,  et  aussi  celui  dont  le  succès  fut  le  plus  lé- 
gitime et  le  plus  incontesté,  a  pour  titre  :  Mémoires  ou 
Souvenirs  historiques  sur  Napoléon,  In  Révolution,  le 
Directoire,  le  Consulat,  l'Empire  et  la  Restauration 
(18  vol.,  Paris,  1831-1835;  deuxième  édit.,  12  vol.,  1835), 
Un  style  facile ,  une  exposition  amusante ,  mais  touchant 
trop  souvent  au  bavardage,  du  reste  une  foule  d'anecdotes 
curieuses  et  de  portraits  piquants ,  attirèrent  bien  vite  l'at- 
tention du  public  sur  l'auteur,  à  qui  dès  lors  les  entrepre- 
neurs de  revues  et  de  recueils  littéraires  demandèrent  à 
l'envi  (les  souvenirs,  des  récits  rétrospectifs ,  dont  Napo- 
léon et  les  hommes  de  lempire  devaient  faire  tous  les  frais. 
Nul  n'était  mieux  en  position  que  madame  d'Abrantès  pour 
remplir  les  vues  de  ces  spéculateurs;  car  les  rapports  de 
son  mari  pendant  près  de  dix-huit  ans  avec  l'empereur  lui 
avrdent  permis  d'amasser  d'inépuisables  trésors  en  ce  genre. 
Vinrent  ensuite  et  successivement  les  Mémoires  sur  la 


Restauration ,  la  Révolution  de  IS30  et  les  premières 
années  du  règne  de  Louis- Philippe  (6  vol.,  183G)  ;  puis 
les  Souvenirs  d'une  ambassade  en  Espagne,  et  une  His- 
toire des  Salons  de  Paris.  Dans  ces  différents  ouvrages 
on  .sent  que  l'auteur  est  sur  son  véritable  terrain.  La  du- 
chesse raconte  ce  qu'elle  a  vu,  ce  qu'elle  a  entendu  dire; 
elle  nous  présente  l'histoire  en  déshabillé,  et  elle  nous  inlé- 
res.se  parce  qu'elle  est  presque  toujours  véridique.  Elle  ne 
réussit  pas  moins  quand  elle  décrit  les  cercles  aristocra- 
tiques; et  à  ses  descriptions  on  reconnaît  bien  vile  que  ce 
monde  exceptionnel  n'a  pas  de  .secrets  |)our  elle.  Mais 
quand  elle  s'essaya  dans  le  roman ,  elle  l'choua  complè- 
tement. Dans  sa  Catherine  II  (  1835),  son  Amiranle  de 
Castille  (1832),  ses  Scènes  de  la  vie  espagnole  {183ù)j 
on  ne  trouve  ni  imagination  ni  poésie. 

Junot  laissa  quatre  enfants  :  l'aîné,  Napoléon-Andoche 
Jc.\OT,  duc  d'AcRANTÈs,  ne  à  Paris  en  1807  ,  fut  tenu  sur 
les  fonts  de  baptême  par  Napoléon  et  Joséphine.  En  jan- 
vier 1815  Louis  XVIII  le  confirma  dans  le  titre  que  son 
père  tenait  de  l'empereur.  Attaché  pendant  quelque  temps  an 
corps  diplomatique ,  il  dut  renoncer  à  celte  carrière  par 
suite  du  fâcheux  éclat  que  reçut  dans  de  nombreux  procès 
l'état  de  ses  affaires  privées.  Il  s'occupa  alors  de  litté- 
rature, fréquentant  surtout  les  petits  théâtres,  et  mou- 
rut à  Paris  en  mars  1851.  —  Son  frère  cadet,  Adolphe- 
Alfred-Michel  Ju.NOT,  né  à  Ciudad  Rodrigo  le  25  no- 
vembre 1810,  lui  succéda  dans  le  titre  de  liuc  d'Abrantès. 
Parvenu  au  grade  de  capitaine  d'état-major,  et  attaché  en 
qualité  d'aide  de  camp  au  général  Mac-Mahon  en  1848,  il 
fit  plusieurs  campagnes  en  Afrique.  Élevé  au  gradedeclief 
d'escadron  en  1852,  il  devint  en  1854  aide  de  camp  du 
prince  Jérôme-Napoléon.  Il  fit  la  campagne  d'Italie,  comme 
lieutenant  colonel  et  fut  mortellement  fraiipé  à  la  bataille  de 
Solferino,  le  24  juin  1859.  —  Joséphine  Jcxot  d'Abrantès, 
née  à  Paris  le  5  janvier  1802,  se  fit  admettre  en  I825  dans 
la  congrégation  des  sœurs  de  la  charité ,  rentra  dans  le 
monde  en  1827,  et  épousa  en  1841  M.  James  .\.met,  com- 
missionnaire de  roulage.  Elle  a  écrit  divers  ouvrages  de  mo- 
rale et  d'édification.  —  Constance  Junot  n'ABiuNTiis,  née 
à  Paris  le  12  mai  1803,  épousa  M.  Louis  Xigert,  ancien 
garde  du  corps,  plus  tard  rédacteur  du  yational  el  préfet  de 
la  Corse  en  1S48.  Mn^e  Constance  Aubert  a  participé  à  la 
rédaction  de  divers  recueils  littéraires,  et  publié  des  ar- 
ticles de  modes  et  de  variétés  dans  différents  journaux. 
Elle  a  fondé  les  Abeilles  parisiennes  en   1843.  Z. 

ABRAXAS  (Pierres  d').  On  donne  ce  nom  à  des  es- 
pèces de  pierres  taillées,  dont  la  forme  varie  à  l'infini ,  et 
sur  lesquelles  se  trouve  gravé,  au  milieu  de  figures  fantas- 
tiques ,  la  plupart  du  temps  composées  d'un  tronc  et  de  bras 
htrmains,  d'une  tête  de  coq,  d'un  coriis  de  serpent  et  auti'es 
symboles  à  doubles  sens,  la  mot  grec  Abraxus  ou  Abrusax. 
On  prétend  qu'elles  proviennent  de  Syrie,  d'Egypte  et  d'Es- 
pagne ,  et  elles  sont  très-nombreuses  dans  tous  les  cabinets 
La  secte  gnoslique  des  basilidiens  fut  la  première  et  la  seule 
qui  se  servit  du  mot  Abraxas;  et  il  est  assez  probable  que 
ce  mot  désigne  (en  tenant  compte  de  la  valeur  numérale 
des  lettres  de  l'alphabet  grec)  le  nombre  3G5  ,  qui  est  celui 
des  jours  de  la  révolution  annuelle  du  soleil.  Or,  ce  n'était 
pas  au  Dieu  suprême,  mais  à  l'ensemble  des  esprits  qui  pré- 
sident aux  destinées  de  l'univers ,  qu'on  donnait  ce  nom 
parmi  les  basilidiens.  Les  doctrines  et  les  mœurs  de  ces  sec- 
taires furent  plus  tard  transférées  par  les  priscil  lie  ns  en 
Espagne,  où  l'on  a  effectivement  trouvé  un  grand  nombre 
de  ces  sortes  de  pierres.  Les  symboles  du  gnosticisme  furent 
ensuite  adoptés  par  toutes  les  sectes  à  tendances  magiques 
et  alchimi^tes,  et  ces  pierres  furent  confectionnées  a  l'é- 
poque du  moyen  âge  pour  servir  de  talismans.  L'amalgame 
grossier  el  bizarre  des  figures  qu'elles  représentent  est  déjà 
une  preuve  que  les  gi-aveurs,  en  les  traçant,  n'avaient  pas  de 
pensée  précise,  et  qu'ils  les  composaient  soit  d'imagination, 

G. 


ABRAXAS  —  ABRI 


44 

soit  d'après  différents  s\Tnboles  connus.  C'est  le  jugement  que 
porte  Kopp  dans  le  troisième  volume  de  sa  Palxoç/rap/iia 
critica.  >'ous  renverrons  le  lecteur  à  Fessai  de  Bellermann 
Sur  les  gemmes  antiques  qui  portent  la  figure  d'Abraxas 
(3  vol.,  Berlin ,  1817-19),  et  à  V Histoire  critique  du  Gnos- 
ticisme  de  M.  Malter  (  Paris,  1838,  ?.  vol.  ). 

ABRÉGÉ.  C'est  la  réduction  d'un  plus  grand  ouvrage  à 
un  moindre  volume  ;  et ,  s'il  est  bien  fait ,  il  peut  quelquefois 
faire  oublier  l'original  :  c'est  ainsi  que  l'Iiistoire  de  Justin  a 
fait  oublier  celle  de  Trogue-Pompée.  Vépitoméest,  comme 
Vabrégé,  un  ouvrage  réduit,  mais  plus  succinct  encore  ;  et 
ce  mot ,  purement  grec  ,  quoiqu'il  ait  passé  dans  notre  lan- 
gue ,  n'est  guère  employé  que  pour  le  titre  de  certains  petits 
ouvrages  latins  que  dans  les  collèges  on  met  entre  les  mains 
des  élèves  des  basses  classes.  L'on  ne  peut  guère  traiter 
l'iùstoire  générale  qu'en  abrégé.  V Abrégé  chronologique 
de  l'Histoire  de  France,  i>âT  le  président  Hénault,  est  un 
chef-d'œuvre  du  genre  ;  et ,  comme  l'a  dit  avec  raison  l'abbé 
Girard,  il  n'est  peut-être  pas  d'épitomé  mieux  fait  que  V His- 
toire Romaine  par  Eutrope.  Les  abrégés  qui  furent  faits 
dans  le  siècle  dernier  à  l'usage  de  l'École  militaire  ont  eu  leur 
utilité,  quelques-uns  môme  leur  réputation.  Depuis  une 
trentaine  d'années  les  instituteurs  de  la  jeunesse  ne  dédai- 
gnent pas  de  recourir  aux  sources  pour  composer  leurs  abré- 
gés ,  et  depuis  vingt  ans  surtout  on  pourrait  citer  pour  l'his- 
Joire,  pour  les  sciences  exactes ,  pour  les  sciences  naturelles , 
comme  pour  la  grammaire,  un  nombre  assez  notable  d'a- 
brégés qui,  sous  ce  titre  ancien  comme  sous  celui  àe précis 
ou  de  manuels,  font  un  honneur  infini  à  leurs  auteurs,  parce 
que  même  pour  instruire  la  plus  tendre  jeunesse  ils  ont 
pensé  que  le  premier  devoir  était  de  se  montrer  à  la  hauteur 
des  progrès  faits  par  la  science. 

ABREUVOIR,  lieu  disposé  pour  faire  boire  et  baigner 
les  animaux  domesti^iues.  Tantôt  l'abreuvoir  est  tout  sim- 
plement une  pente  douce  choisie  ou  préparée  sur  le  bord 
d'une  rivière ,  d'un  étang  ou  d'une  pièce  d'eau  ;  tantôt  c'est 
une  espèce  de  bassin  dont  le  fond  est  pavé ,  dont  les  parois 
sont  construites  au  ciment  et  dans  lequel  on  rassemble  les 
eaux  de  la  pluie  ou  celle  d'une  source.  Les  abreuvoirs  natu- 
rels doivent  être  munis  d'un  barrage  qui  empêche  les  ani- 
maux d'avancer  là  où  il  y  aurait  du  dangfx,  soit  par  la  pro- 
fondeur de  l'eau,  soit  par  la  rapidité  du  courant.  Les 
abreuvoirs  artificiels  doivent  être  fréquemment  curés,  on  ne 
doit  ni  y  laver  du  linge ,  ni  y  laisser  rouir  du  chanvre ,  ni 
même  y  laisser  arriver  des  eaux  sales  et  malsaines.  —  Les 
chasseurs  donnent  le  nom  à.'' abreuvoir  au  lieu  où  le  gibier  a 
coutume  de  se  rendre  pour  se  désaltérer. 

ABRÉVIATEURS ,  titre  officiel  des  scribes  intimes 
de  la  chancellerie  pontificale  chargés  de  rédiger  et  de  trans- 
crire le  texte  des  brefs  et  des  autres  actes  émanant  des  papes, 
de  les  comparer  avec  l'original  quand  ils  ont  été  mis  au  net 
et  d'en  faire  les  expéditions  avec  les  différentes  abréviations 
en  usage  au  Dataire,  où  on  y  appose  aussi  la  date.  Il  est  pour 
la  première  fois  fait  mention  d'abréviafeurs  au  commence- 
taent  du  quatorzième  siLcle.  Le  pape  Paul  II  abolit  ces  char- 
ges, à  cause  des  abus  de  corruption  auxquels  elles  donnaient 
lieu  ;  mais  on  les  rétablit  plus  tard.  Le  nombre  des  titulaires 
fut  porté  jusqu'à  soixante-douze,  dont  douze  avaient  le  rang  et 
portaient  le  costume  des  prélats,  vingt-deux  étaient  des  ecclé- 
siastiques de  rang  inférieur,  ei  le  restedes  laïques.  Aujourd'hui 
le  nombre  en  a  été  beaucoup  réduit  ;  et  il  en  est  de  même 
des  traitements  considérables  attachés  jadis  à  ces  emplois. 

ABRE  VI ATIOXS.  Les  abréviations  sont  presque  aussi 
anciennes  que  l'écriture.  En  effet,  le  besoin  d'économiser  le 
temps  et  la  place ,  l'utilité  d'un  langage  écrit  qui  ne  fût  pas 
connu  de  tout  le  monde,  conduisirent  dès  le  principe  ceux 
qui  ont  exercé  l'art  d'écrire  à  l'invention  d'une  écriture 
abrégée.  C'est  dans  ce  but  que  l'on  eut  recours  aux  sigles, 
aux  m  on  og  r  a  m  mes,  aux  conjonctions,  aux  chi  ffr  es,  aux 
notes  tyroniennes.  Nous  parlerons  ici  seulement  des  abré- 


viations proprement  dites ,  et  spécialement  de  celles  que 
l'on  rencontre  dans  les  manuscrits  et  les  actes. 

D'abord  on  omettait  une  partie  des  lettres  qui  composaient 
les  mots.  Ceux-ci  n'étaient  séparés  entre  eux  que  par  des 
points.  Tantôt  on  ne  laissait  subsister  que  la  première  lettre 
du  mot,  tantôt  on  n'en  retranchait  que  les  dernières  ,  tantôt 
on  en  retranchait  au  milieu.  Quelquefois  on  écrivait  au- 
dessus  du  mot  les  lettres  omises  ;  puis  on  imagina  certains 
signes  abréviatifs  pour  remplacer  des  syllabes,  des  con- 
sonnes doubles ,  des  diphthongues.  La  dernière  syllabe  d'un 
mot  est  souvent  représentée  par  la  première  lettre  accom- 
pagnée d'un  signe  particulier.  On  rencontre  en  grec  des 
mots  entiers  figurés  par  une  abréviation. 

On  trouve  assez  peu  d'abréviations  dans  les  anciens  ma- 
nuscrits ,  en  sorte  que  l'on  peut  poser  en  principe  ,  que  si 
l'écriture  capitale  ou  onciale  est  belle,  et  qu'il  n'y  ait  qu'un 
petit  nombre  d'abréviations ,  c'est  un  signe  de  la  plus  haute 
anticpiité.  Les  abréviations  devinrent  moins  rares  peu  après 
le  sixième  siècle;  leur  nombre  augmenta  considérablement 
au  huitième  ;  elles  se  multiplièrent  encore  bien  davantage 
au  neuvième  ;  au  dixième  et  au  onzième ,  il  n'y  a  pas  de 
lignes  dans  les  chartes  et  manuscrits  où  l'on  n'en  trouve 
plusieurs  ;  enfin  ,  dans  les  quatre  siècles  suivants  on  fit  un 
véritable  abus  des  abréviations;  l'écriture  en  fut  remplie, 
même  dans  les  ouvrages  en  langue  vulgaire  et  dans  les 
premiers  exemplaires  de  l'imprimerie. 

Cet  abus  des  abréviations  fit  ouvrir  les  yeux,  au  commen- 
cement du  quatorzième  siècle,  sur  les  inconvénients  qui  en 
résultaient;  et  en  1304  Philippe  le  Bel  rendit  une  ordon- 
nance qui  proscrivait  dans  les  actes  juridiques,  et  spécia- 
lement dans  les  minutes  des  notaires ,  toutes  les  abrévia- 
tions qui  exposent  les  actes  à  être  mal  entendus  ou  falsifiés. 
En  1552  le  parlement  bannit  également  des  lettres  royaux 
les  et  cxfera,  qui  jusque  alors  avaient  été  d'usage,  et  qui  en- 
traînaient également  de  graves  inconvénients.  Toutes  ces 
abréviations  des  treizième,  quatorzième  et  quinzième  siècles, 
et  une  multitude  d'autres  introduites  pendant  la  barbarie 
des  temps  scolastiques,  rendent  la  lecture  des  manuscrits  et 
des  anciens  actes  très-difficile,  et  exigent  une  étude  spéciale. 
Pour  aider  à  les  déchiffrer,  uji  érudit  du  siècle  dernier, 
Lacume  de  Sainte-Palaye,  avait  recueilli  un  alphabet  des  an- 
ciennes abréviations  latines  et  des  abréviations  |  lus  récentes 
employées  dans  les  titres  et  les  manuscrits.  Nous  renvoyons 
nos  lecteurs  à  cette  table  savante ,  qui  se  trouve  dans  les 
traités  des  bénédictins  sur  la  diplomatique.  V Encyclopédie 
de  Diderot  et  d'Alembert  donne  aussi  une  de  ces  tables. 

ABRI  (du  latin  apricus,  dont  les  Espagnols  ont  fait 
abrigo  et  les  habitants  du  midi  de  la  France  abric  ),  lieu  où 
l'on  se  peut  mettre  à  couvert  du  vent,  de  la  pluie,  etc.  Nous 
n'examinerons  ici  ce  mot  qu'au  point  de  vue  de  l'horticul- 
ture ;  car  on  sait  que  les  abris  jouent  un  rôle  important  dans 
cette  science,  indispensables  qu'ils  sont  pour  la  multiplica- 
tion et  la  conservation  d'une  foule  de  végétaux  exotiques, 
pourobtenir  des  productions  précoces  ou  tardives,  pour  amé- 
liorer la  qualité  et  augmenter  la  quantité  des  fruits.  —  Les 
horticulteurs  appellent  abri  tout  ce  qui  sert  à  garantir  les 
végétaux  du  vent,  du  froid  ou  de  la  chaleur.  Ainsi ,  les  clô- 
tures ,  les  murailles ,  les  haies  sèches ,  les  haies  vives ,  les 
brise-vent,  les  palissades,  les  lisières  des  bois,  les  bordures 
des  jardins,  ou  encadrements  qui  ont  pour  but  d'étabhr  une 
séparation  entre  les  parties  cultivées  et  les  sentiers  ou  allées, 
les  serres,  les  haches,  les  châssis,  les  cloches,  les  couver- 
tures, les  écrans,  les  nattes,  les  paillassons ,  les  simples  ca- 
nevas ,  doivent  être  compris  sous  cette  dénomination  géné- 
rique. On  a  recours  à  ces  différents  moyens  tantôt  pour 
former  des  abris  artificiels  contre  le  vent ,  tantôt  pour  pro- 
téger contre  les  sécheresses  de  l'été  qnel((ues  semis  d'aibres 
déUcats  pendant  leur  jeunesse,  tantôt  pour  défendre  diverses 
cultures  contre  les  pluies  d'averse ,  ou  bien  contre  le  froid 
et  contre  la  chaleur. 


ABRIAL  —  ABRUTISSEMENT 


45 


AlîRI AL  (Anoré-Joseph,  comte),né  à  Annonay ,  en  1750, 
fut  avocat  au  paiiement  de  Paris,  puis  devint  administra- 
teur d'uu  de  nos  comptoirs  au  Sénégal  lorsque  Maupeou 
bouleversa  l'ordre  judiciaire.  Xonuné  en  1791  commissaire 
du  roi  au  tribunal  du  sixième  arrondissement,  il  obtint  peu 
après  le  siège  laissé  vacant  par  Hérault  de  Séchelles  au  par- 
(juet  du  tribunal  de  cassation.  En  ISOO  il  fut  envoyé  en 
Italie  pour  organiser  la  république  Parthénopéenne,  et  à  son 
retour  il  reçut  du  premier  consul  le  portefeuille  de  la  jus- 
tice, qu'il  quitta  en  180'2.  11  prit  une  part  importante  à  la  ré- 
daction du  Code  Civil.  Devenu  sénateur  en  1804,  il  obtint  la 
sénatorerie  de  Grenoble,  le  titre  de  comte,  le  cordon  de  grand 
officier  de  la  Légion  d'Honneur  et  mille  autres  faveurs,  qu'il 
oublia  trop  vite  lorsque  tomba  Napoléon.  Pair  de  France  sous 
la  restauration,  il  se  montra  ultra-royaliste  à  la  chambre.  A 
la  lin  de  1S19  Abrial  devint  presque  aveugle  :  il  .recouvra 
la  vue  en  1828;  mais  il  ne  jouit  pas  longtemps  de  ce  bon- 
heur. 11  mourut  le  14  novembre  de  la  même  amiée.  Il  a 
laissé  quelques  mémoires  sur  le  galvanisme  et  sur  le  sys- 
tème de  Mesmer.  —  Son  fils,  André-Pierre-Étienne,  comte 
Abrial,  né  à  Paris,  le  5  décembre  1783,  hérita  de  son  titre  de 
pair.  Ayant  pris  séance  en  1829,  il  prêta  serment  au  gouver- 
nement issu  de  la  révolution  de  juillet,  et  mourut  à  Paris 
le  26  décembre  1840. 

ABRICOTIER,  arbre  appartenant  au  genre  prunier 
{prumis  armcniaca ,  L.  ),  dont  il  diffère  par  son  noyau  ar- 
rondi comprimé ,  muni  sur  les  côtés  de  deux  saillies ,  l'une 
obtuse ,  l'autre  aiguë.  L'abricotier  est  un  arbre  de  moyenne 
grandeur.  Son  écorce  est  brune ,  ses  rameaux  étendus ,  ses 
feuilles  grandes,  presque  en  cœur  à  leur  base  ;  les  flems  sont 
blanches,  sessiles,  disposées  par  bouquets,  quelquefois 
sohtaires.  Les  fruits,  nommés  abricots ,  sont  assez  gros,  un 
peu  aplatis  sur  les  côtés ,  couverts  dune  peau  jaune ,  lé- 
gèrement colorée  en  rouge  au  point  tourné  vers  le  soleil. 
Leur  chair,  jaune  aussi ,  est  tendre ,  pâteuse ,  d'une  saveur 
agréable.  On  fait  avec  l'abricot  des  confitures ,  des  com- 
potes ;  on  conserve  aussi  ce  fruit  dans  Feau-de-vie.  Avec  les 
amandes  on  fait  un  excellent  ratafia.  Les  noyaux  servent  à 
faire  la  liqueur  nommée  eau  de  noyau. 

L'abricotier  est  originaire  d'Arménie.  On  croit  qu'il  fut 
apporté  d'abord  à  Rome;  depuis  il  a  été  cultivé  dans  une 
grande  partie  de  l'Europe,  on  en  a  obtenu  des  variétés  très- 
intéressantes  ,  comme  ïalberge  et  V abricot-pêche,  dont  la 
chair  est  fondante,  parfumée,  d'un  goût  exquis.  L'alberge 
a  la  chair  d'un  jaune  rougeàtre,  d'une  saveur  vineuse;  l'a- 
bricot-pèche  est  un  des  plus  gros  que  l'on  connaisse  :  son 
noyau  est  percé  à  l'une  des  extrémités. 

L'abricotier  se  plaît  dans  les  terres  légères  ;  il  demande  à 
être  exposé  au  midi  et  abrité  contre  les  vents  du  nord.  On 
le  cultive  en  plein  vent  ou  en  espalier  :  on  le  tient  aussi  en 
buisson  dans  les  parterres  et  dans  les  jardins  de  peu  d'éten- 
due. Il  se  greffe  sur  le  prunier  ou  sur  des  individus  pro- 
venus  de  ses  semences.  Le  bois  de  labricotier  est  jaunâtre  et 
veiné  ;  mais  il  a  peu  d'emploi  :  les  tourneurs  en  font  cepen- 
dant quelques  ouvrages.  Il  découle  des  abricotiers  une  gomme 
qu'on  peut  substituer  à  la  gomme  arabique. 

ABROGATIOW  C'est  l'acte  par  lequel  une  loi ,  un 
usage,  une  coutume  sont  annulés.  L'abrogation  peut  être 
expresse  ou  tacite  :  expresse ,  elle  résulte  d'une  disposition 
positive  d'une  loi  postérieure;  tacite  ou  virtuelle,  de  la  com- 
binaison ou  de  l'ensemble  de  dispositions  nouvelles  et  con- 
traires à  celles  d'une  loi  antérieure. 

ABROUTISSEMEXT.  Ce  mot  désigne  le  dommage 
qu'éprouve  un  bois  lorsque  dans  les  premières  années  de  sa 
croissance  il  a  été  parcouru  par  les  bestiaux ,  qui  en  ont 
mangé  les  jeunes  pousses.  Le  préjudice  très-grave  que 
cause  l'abroutissement  donne  le  droit  de  réclamer  des  dom- 
mages-intérêts. On  le  règle  d'après  les  procès-verbaux  dressés 
par  les  gardes  forestiers,  plus  particulièrement  responsables 
de  ces  délits  que  de  tous  autres.  En  effet  les  abroutissements 


causent  bien  plus  de  tort  dans  les  bois  et  forêts  que  la 
hache.  On  attendrait  inutilement  du  temps  le  complet  réta- 
blissement des  bois  abroutis ,  pour  lesquels  il  faut  recourir 
au  plus  vite  à  l'opération  du  recépage. 

ABRUPTO,  AB  .yiKUPTO,  EX  ABRUPTO.  Mots  em- 
pruntés du  latin  et  formés  du  verbe  ubrumpere,  qui  signifie 
rompre,  casser  tout  à  coup.  Ou  se  sert  ordinairement  de 
cette  expression  pour  désigner  un  discours  fait  sans  prépa- 
ration, entrant  rapidement  en  matière. 

ABRUTISSEMEAT.  L'abrutissement  n'est  pas  l'état 
de  la  brute ,  c'est  l'état  de  riiomme  abaissé  jusqu'à  la  brute  ; 
c'est  la  situation  morale  et  intellectuelle  où  tombe  l'individu 
de  notre  espèce  qui  a  renoncé  volontairement  au  privilège 
de  son  être,  ou  qui  en  a  été  privé  i>ar  une  puissance ,  par  des 
circonstances  indépendantes  de  sa  volonté.  L'abrutissement 
n'est  ni  l'état  primitif  de  l'homme,  ni  l'état  de  barbarie,  ni 
l'état  sauvage  :  c'est  une  condition  inférieure,  qui  impli- 
que l'idée  d'une  dégénération  profonde ,  et  dont  les  causes 
sont  diverses.  L'ignorance  et  les  erreurs  qu'elle  fait  com- 
mettre, la  misère  et  les  vices  où  elle  jette,  l'immoralité  et 
les  excès  auxquels  elle  conduit,  sont  les  raisons  ordinaires 
de  l'abrutissement,  auquel  se  rattache  presque  toujours  la 
pensée  de  fautes  graves  et  volontaires.  Ainsi,  la  stupidité 
native  ou  l'idiotisme,  quelque  forme  qu'elle  prenne ,  fût-ce 
celle  du  crétinisme,  n'est  pas  qualifiée  à\ibrutissement,  ou 
du  moins  ne  doit  pas  l'être ,  vu  qu'elle  est  un  état  primitif 
qui  exclut  toute  idée  de  faute  personnelle,  d'aberration  ré- 
sultant d'une  volonté  humaine.  Pour  qu'il  y  ait  lieu  d'ap- 
pliquer la  qa&WUca.Wo'Oi  à^ abrutissement ,  il  faut  l'idée  d'une 
dégénération  amenée  par  une  série  de  fautes  personnelles  ou 
d'aberrations  voulues.  C'est  dans  cette  dernière  catégorie 
que  rentre  l'abrutissement  calculé  qu'on  reproche  aux  an- 
ciens gouvernements  d'Asie  et  d'Afrique ,  et  sur  lequel  il  est 
plus  aisé  de  trouver  de  vagues  déclamations  que  des  faits 
précis.  Je  vois  dans  l'antiquité  des  habitudes  d'un  intolé- 
rable despotisme ,  imposé  avec  audace ,  souffert  avec  igno- 
minie ;  je  n'y  vois  pas  de  système  d'abrutissement  dirigé 
contre  des  nations  entières.  J'y  vois  des  institutions  de  cas- 
tes, des  aberrations  cruelles  et  coupables,  qui  eussent  fini 
par  abrutir  les  populations  en  les  privant  de  leurs  privilèges 
les  plus  inviolables  ;  mais  je  n'y  vois  pas  l'intention  d'abru- 
tir. La  politique  la  plus  grossière  veut  des  hommes,  elle  ne 
veut  pas  de  brutes.  Plus  elle  est  grossière,  et  mieux  elle 
sait  que  les  hommes  seuls  payent  et  combattent.  La  brute 
n'est  pour  la  pohtique  qu'un  fardeau,  qu'un  péril,  et,  si 
peu  éclairée  qu'elle  soit,  elle  sait  qu'il  n'est  pas  besoin  de 
créer  le  péril,  de  procurer  le  fardeau.  Ce  qu'on  appelle  à  tort 
système  d'abrutissement,  dans  la  politique  ancienne,  c'est 
cette  opinion,  qui  n'est  pas  encore  bannie  tout  à  fait  de  la 
politique  moderne,  que  la  science  raisonne ,  tandis  que  l'i- 
gnorance obéit  sans  raisonner,  et  qu'il  est  bon  d'avoir  dans 
un  État  plus  de  gens  qui  ne  raisonnent  pas  que  de  gens  qui 
raisonnent,  comme  s'il  était  possible  de  semer  un  champ  ou  de 
planter  un  arbre  sans  user  de  cette  faculté  si  noble  et  si  pure 
dont  Dieu  a  fait  don  à  toute  créature  humaine.  Cette  opinion 
est  bien  affligeante,  et  elle  a  régné  sans  doute  dans  l'anti- 
quité, mais  nulle  part  elle  n'y  a  conduit  à  un  système  arrêté 
d'abrutissement  ;  nulle  part  un  pareil  système  ne  peut  être 
conçu.  Donc,  au  lieu  de  combattre  plus  longtemps  cette 
chimère,  il  importe  qu'on  examine  sans  aucune  préoccupa- 
tion spéciale  les  véritables  causes  de  l'abrutissement  et  les 
moyens  de  les  faii'e  disparaître.  Nous  avons  indiqué  ces  cau- 
ses. Elles  se  trouvent  dans  l'ordre  des  choses  raoraies  ;  c'est 
là  qu'il  faut  en  chercher  les  remèdes.  Donnons  à  chaque  être 
humain  des  lumières,  non  certes  complètes,  mais  suffisantes 
pour  l'œuvre  à  laquelle  il  est  appelé  ;  et  veillons  à  ce  que 
par  de  fortes  habitudes  d'ordre  et  d'économie  il  use  avec 
raison  et  tempérance  de  toutes  ses  lumières  :  alors  disparaî- 
tra du  milieu  de  la  société  civilisée  ce  dégoûtant  spectacle  de 
l'abrutissement,  amené  par  des  fautes  personnelles  ou  des 


aberrations  émanées  d'une  volonté  liumaine.  Comment  ré- 
soudre ce  problème  ?  C'est  à  la  morale  publifjue,  à  la  charité 
privée,  à  la  léj^islalion  de  l'État  et  aux  lumières  de  la  reli- 
gion, qirii  appartient  de  répondre.  Matter. 

ABRL'ZZES.  On  nomme  ainsi  la  partie  septentrionale 
du  royaume  de  Naples  ,  bornée  au  nord-ouest  et  à  l'ouest 
par  les  États  de  l'Église,  au  nord-est  par  la  mer  Adriatique,  au 
sud-est  par  la  Fouille,  et  au  sud  par  la  Terre  de  Labour.  La 
suiJerficie  totale  des  Abruzzes  est  d'environ  236  myr.  carrés, 
avec  une  population  de  788,000  âines;  et  on  les  divise  en 
Abruzze  ultérieure,  première  et  deuxième,  au  nord-ouest,  et 
en  Abruzze  citérieure ,  au  sud-est.  Les  montagnes  des 
Abruzzes  forment  la  partie  la  plus  haute  et  la  plus  sauvage 
de  tout  le  système  des  .\pennins.  L'Altemo  et  le  Gizio,  qui 
confondent  leurs  eaux  à  Pescara,  arrosent  la  longue  et 
étroite  vallée  que  resserre  la  chaîne  des  Appennins,  dont  les 
pics  les  plus  élevés  sont  au  grand  Sasso  d'Italia  (2,9G1  mè- 
tres) et,  sur  la  chaîne  occidentale,  à  Montevelino  (2,558  ra.  ), 
tandis  que  Aquila  est  situé  à  751  m.  au-dessus  de  la  mer. 

Le  climat  des  Abruzzes  est  rude  ;  les  montagnes  v  restent 
couvertes  de  neige  depuis  le  mois  d'octobre  jusqu'au  mois 
d'avril.  D'épaisses  forêts  en  couronnent  les  crêtes.  Les  val- 
lées seules  sont  fertiles.  Les  amandiers,  les  noyers  et  autres 
arbres  fruitiers  y  réussissent  partout ,  mais  les  oliviers  seu- 
lement au  fond  des  vallées.  Les  plus  magnifiques  trou- 
peaux paissent  sur  les  hauteurs  et  dans  les  vallons  et  four- 
nissent de  précieuses  ressources  au  commerce  d'exportation. 
Les  villes  les  plus  importantes  de  toute  cette  contrée  sont 
Aquila  et  Pescara,  toutes  deux  fortifiées;  puis  Chieti  (l'an- 
cienne Téate)  et  Subnona.  C'est  surtout  en  raison  de  leur 
position  militaire  que  les  Abnizzes  méritent  de  fixer  l'atten- 
tion ;  elles  forment  en  elfet  comme  une  espèce  de  boule- 
vard avancé  pénétrant  h  une  distance  de  quinze  milles  géo- 
graphiques dans  les  États  de  l'Église  ;  et  ce  qui  ajoute  encore 
à  l'importance  de  cette  posit!on,c'est  que  pour  pénéti-er  dans 
l'intérieur  du  royaume  on  n'y  trouve  qu'une  seule  route  stra- 
tégique (et  encore  est-elle  d'une  difficulté  extrême  pour  une 
armée);tandisqu'aucune  route  de  la  même  espèce  ne  conduit 
à  travers  les  montagnes,  des  rives  de  la  Méditerranée  à 
celles  de  l'Adriatique.  Le  royaume  de  Naples ,  s'il  est  bien 
délendu ,  n'a  par  conséquent  d'attaques  sérieuses  à  redouter 
que  par  deux  routes  :  celle  qui ,  longeant  la  Méditerranée  et 
les  niarais  Pontins ,  va  de  Rome  à  Naples ,  par  Tenacine  et 
par  Capoue ,  ou  bien  celle  qui ,  longeant  l'Adriatique,  part 
d'Ancône  et  conduit  dans  l'intérieur  du  royaume  par  Pétri, 
Pescara,  etc.  La  possession  des  Abruzzes  est  donc  tout  à  fait 
indispensable  à  qui  veut  attaquer  jN'aples;  et  il  est  aussi  dif- 
ficile de  s'en  rendre  maître  que  de  s'y  maintenir ,  parce  que 
d'épaisses  forêts  et  de  profonds  ravins  y  entrecoupent  le 
sol  à  chaque  pas  et  se  prêtent  merveilleusement  à  une  guerre 
de  guérillas  faite  sur  les  derrières  de  l'ennemi.  Mais  la  po- 
pulation est  dépourvue  de  courage  et  d'énergie,  encore  bien 
que  ce  soit  une  race  d'hommes  vigoureuse,  parfaitement 
apte  au  service  militaire ,  et  notamment  au  service  de  la 
cavalerie.  KUe  avait  autreiois  la  plus  déplorable  réputation,  à 
cause  des  nombreuses  troupes  de  bandits  qui  se  recrutaient 
dans  son  sein  et  qui  infestaient  toutes  ces  montagnes;  mais 
le  mal  est  bien  diminué  aujourd'hui ,  et  ce  n'est  que  fort 
i-arement  qu'on  y  entend  parler  d'accidents.  Les  habitants 
des  Abruzzes  sont  un  peuple  pasteur,  d'une  simplicité  et 
d'une  rudesse  toutes  patiiarcales,  superstitieux,  passionnés 
pour  la  musique  et  hospitaliei-s.  Il  est  vrai  qu'il  est  impos- 
sible de  reconnaître  en  eux  les  descendants  de  ces  Sanmi- 
tes,  de  ces  Marses  et  de  ces  Sabins  qui  avaient  su  se  rendre 
si  redoutables  aux  Romains.  Jamais  ils  n'ont  essayé  d'empê- 
cher l'ennemi  de  pénétrer  dans  l'intérieur  du  royaume ,  pas 
plus  les  impériaux  que  le^'  Trançais  ou  les  Espagnols.  Une 
seule  fois,  en  179S,  ils  résistèrent  avec  quelque  succès  à 
l'invasion  des  Français;  ils  tuèrent  le  général  H  ilarion  Point, 
firent  prisonnier  le  général  Rusca,  et  nuisirent  beaucoup  à 


ABRUTISSEMENT  —  ABSALON 


l'ennemi,  notamment  à  la  colonne  du  général  Duhesme. 
Mais  comme  l'armée  napolitaine  s'était  déjà  fait  battre  dans 
les  États  derÉgli.se,  et  que  partoutoùse  montraient  les  Fran- 
çais elle  se  conduisait  avec  la  plus  grande  lâcheté ,  ces  in- 
surrections momentanées  des  Abruzzes  demeurèrent  sans 
résultats  ;  et  celles  qui  éclatèrent  partiellement  plus  lard , 
comme  en  1S06,  n'eurent  guère  que  le  caractère  des  plus 
vulgaires  brigandages. 

En  1815,  quand  Murât  marcha  contre  l'Autriche  et  son- 
gea, après  la  bataille  de  Tolcntino,  à  organiser  une  guerre 
nationale ,  non-seiUement  il  échoua  dans  cette  tentative  ; 
mais  les  soldats  nés  dans  les  Abruzzes  se  débandèrent  dès 
qu'ils  se  trouvèrent  près  de  leurs  foyers ,  et  la  marche  rapide 
de  l'armée  autrichienne  amena  en  peu  de  temps  la  complète 
dissolution  de  l'armée  napolitaine. 

A  l'époque  de  la  révolution  de  1821 ,  le  parti  national  de 
Naples  espéra  trouver  dans  les  Abioiizes  les  plus  grandes 
ressources  pour  une  guerre  défensive  ;  et  dans  les  ventes 
de  carbonari ,  dans  les  assemblées  populaires ,  voire  même 
à  la  chambre  des  députés  de  France,  on  vanta  sans  me- 
sure les  avantages  de  cette  admirable  position  stratégique, 
le  réveil  généreux  de  la  population  qui  allait  enfin  se  mon- 
trer digne  de  ses  braves  ancêtres.  Les  événements  de  la 
courte  campagne  qui  suffit  à  l'armée  autrichienne  du  général 
Friraont  pour  rétablir  le  pouvoir  absolu  à  Naples  ne  tardè- 
rent pas  à  tromper  complètement  ces  belles  espérances  et  à 
prouver  que  le  défile  des  Thermopvles  lui-même  n'est  un  rem- 
part que  lorsqu'il  est  défendu  pai  des  Spartiates.  Il  en  a  encore 
été  de  même  en  1848;  et  les  Abniz-es,  après  avoir  éti-  alors 
le  théâtre  de  troubles  graves,  n'ont  pas  résisté  davantage  a 
la  contre-révolution.  En  1860-lSGl,  il  y  eut  un  mouvement 
réactionnaire  contre  les  troupes  Sardes  dans  les  Abruzzes. 

ABSALOIV,  fils  du  roi  David  et  de  ]Maacha,  était  le  plus 
beau  des  hommes  de  son  temps.  Il  assassina  Ammon,  un  de 
ses  frères,  souleva  le  peuple  contre  David,  qu'il  chassa  de 
Jérusalem ,  et  tint  publiquement  une  conduite  abominable 
à  l'égard  de  toutes  ses  femmes,  qu'il  avait  réunies  dans 
une  tente  sur  la  terrasse  de  son  palais.  De  telles  énormités 
méritaient  une  punition  exemplaire.  Absalon  ne  tarda 
pas  à  l'éprouver.  David  leva  une  armée  qui,  sous  le  com- 
mandement de  Joab ,  tailla  en  pièces  les  troupes  du  fils  re- 
belle dans  répaisse  forêt  d'Épbrauii.  Absalon  ayant  pris  la 
fuite ,  sa  longue  et  magnifique  chevelure  s'emban-assa  dans 
les  branches  d'un  chêne  ;  il  y  resta  suspendu,  et  Joab  le  perça 
de  sa  lance,  malgré  la  défense  expresse  du  roi,  qui  pleura 
amèrement  la  perte  de  cet  enfant  si  criminel.  C'était  l'an 
1023  avant  J.-C.  On  montre  son  tombeau  à  Jérusalem. 

ABSALOX  ou  AXEL,  archevêque  de  Lund  et  évêque 
de  Rœskilde,  et  en  même  temps  ministre  et  général  d'armée 
du  roi  de  Danemark  Waldemar  1*',  né  en  1128,  mort  en 
1201,  descendait  d'une  famille  très-considérée  et  était  venu 
pendant  sa  jeunesse  étudier  à  l'université  de  Paris.  Avant 
même  de  monter  sur  le  trône ,  Waldemar  lui  avait  déjà 
donné  toute  sa  confiance  et  son  amitié.  11  les  lui  continua 
jusqu'à  sa  mort;  et  Canut  IV,  son  fils,  qu'Absalon  servit 
avec  le  même  zèle  et  la  même  fidélité,  hérita  des  sen- 
timents de  son  père  à  son  égard.  Absalon  ne  se  distingua 
pas  moins  pendant  les  temps  de  paix  par  sa  sagesse  et  son 
équité  que  dans  les  temps  de  guerre  par  son  courage  et  sa 
prudence.  Grâce  à  lui  non-seulement  les  côtes  danoises  furent 
purgées  des  pirates  wendes  qui  les  infestaient,  mais  il 
parvint  encore  à  les  vaincre  et  à  les  dompter  dans  leur  propre 
pays.  li  battit  le  prince  de  Poméranie  Bogislas,  et  le  con- 
traignit à  se  reconnaître  vassal  de  la  couronne  de  Danemark. 
Absalon  prit  en  outre  la  part  la  plus  grande  à  la  confection 
des  sages  lois  rendues  par  ^Valdemar  le  Grand  et  par  son 
fils.  Ami  et  protecteur  éclairé  des  sciences  et  des  lettres, 
c'est  aux  nobles  encouragements  qu'il  se  plaisait  à  accorder 
;ui\  savants  qu'on  est  redevable  de  la  premièie  histoire 
complète  qu'ait  eue  le  Danemark ,  celle  de  Saxo  Gramma- 


ABSALOIS  —  ABSENTEISME 


47 


tiens  (Saxon  le  Grammairien)  et  aussi  de  celle  de  Svend 
Aaaesen.  Un  autre  titre  d'Absalon  à  sa  juste  célébrité  histo- 
rique, c'est  qu'il  fonda  Copenliai^ue,  aujourd'hui  capitale 
du  royaume,  et  qui  u  était  de  son  temps  qu'un  misérable  ha- 
meau composé  de  quelques  huttes  de  pécheurs.  11  y  lit  cons- 
truire, sur  remplacement  même  qu'occupe  maintenant  le  pa- 
lais du  roi ,  un  chàteau-fort ,  destiné  à  protéger  celte  partie 
de  la  Séelande  contre  les  débarquements  des  pirates  ;  et  c'est 
sous  l'abri  de  cette  forteresse  que  se  groui>a  successivement 
une  population  active  et  industrieuse,  qui  par  reconnais- 
sance nomma  d'abord  cette  cité  Axel /lU us.  Absalon  fut  in- 
humé à  Soroé,  dans  un  couvent  qu'il  avait  fondé.  En  1827 
on  ouvrit  sa  tombe,  et  dilférents  recueils  ont  décrit  les  di- 
vers objets  qu'on  y  trouva,  notamment  sa  crosse  et  son  an- 
neau d'évéqiie,  ainsi  que  Tépée  dont  il  faisait  usage. 

ABSCISSE  (du  latin  ab,  de,  scindere,  séparer).  Voyez 
Coordonnées. 

ABSCISSIOX.  Mot  quelquefois  employé  en  chirurgie, 
pour  signifier  le  retranchement,  qu'on  fait  avec  un  instru- 
ment coupant,  d'une  partie  du  corps  gâtée,  corrompue.  U  ne 
s'applique  guère  qu'au  retranchement  des  parties  molles  j 
celui  des  os  s'appelle  amputation. 

ABSEXCE.  Dans  sou  acception  ordinaire  ce  mot  s'en- 
tend du  simple  éloignement  d'un  lieu.  En  certains  ca;,  cet 
éloigncment  nécessite  des  mesures  légales,  autant  dans  l'in- 
térêt de  l'absent  que  dans  l'intérêt  des  tiers.  Ainsi,  lorsqu'une 
succession  vient  à  s'ouvrir,  laloi  veut  qu'un  notaire  soitnom- 
raé  pour  représenter  tout  héritier  intéressé  dans  cette  suc- 
cession et  qui  est  éloigné  du  lieu  où  elle  s'ouvre. 

On  appelle  encore  absence  la  non-comparution  à  une  assi- 
gnation donnée.  C'est  ce  qui  a  lieu ,  par  exemple,  lorsque 
dans  un  procès  civil  l'une  des  parties  ne  se  présente  pas  à 
l'audience,  ou  lorsque  dans  un  procès  criminel  l'accusé  ne 
comparaît  pas.  Voijcz  Défaut  et  Contumace. 

iSIais  dans  le  droit  civil  le  mot  absence  s'entend  plus  par- 
ticulièrement d'un  éloignement  tel  qu'on  ignore  où  est 
l'absent  et  même  s'il  existe.  A  Rome  les  biens  de  l'absent 
étaient  remis  au  fisc,  qui  les  administrait  jusqu'à  son  retour 
ou  jusqu'à  sa  mort  constatée  :  dans  ces  deux  cas  on  les 
rendait,  ou  à  lui-même  ou  à  ses  héritiers.  Ceux-ci  pouvaient 
aussi  obtenir  du  fisc  la  remise  sous  caution  des  biens  de 
leur  auteur  avant  sa  mort ,  et  l'administration  leur  en  était 
confiée.  Avant  Justinien ,  après  un  certain  laps  de  temps  la 
femme  de  l'absent  pouvait  se  remarier.  Depuis  cet  empereur 
elle  ne  le  put  jamais  tant  que  la  mort  n'était  pas  certaine. 

Le  Code  Civil  français  admet  plusieurs  degrés  dans 
l'absence.  D'abord  l'absence  est  seulement  présumée,  et  les 
personnes  qui  ont  des  intérêts  à  débattre  avec  l'absent  pré- 
sumé sont  obligées  de  s'adresser  au  tribunal  de  premièie 
instance  de  son  domicile,  qui,  après  avoir  reconnu  la 
j)résomption  d'absence ,  nomme  un  administrateur  pour 
veiller  sur  ses  biens,  et  commet  un  notaire  pour  le  repré- 
senter dans  les  inventaires ,  comptes  et  partages  auxquels 
il  peut  être  intéressé.  Lorsque  quatre  a:inées  se  sont  écou- 
lées depuis  que  l'absent  a  disparu  de  son  domicile  et  n'a 
point  donné  de  ses  nouvelles,  les  parties  intéressées  peuvent 
faire  déclarer  l'absence  par  le  tribunal  compétent.  Quand 
l'absent  a  laissé  en  partant  une  procuration  qui  prouve 
<{u'il  avait  l'intention  de  s'éloigner  pour  longtemps,  le  tri- 
bunal ne  peut  faire  la  déclaration  d'absence  que  dix  ans 
après  le  départ  de  l'absent.  Le  tribunal  peut  toujours  rejeter 
la  demande;  mais  s'il  l'admet,  il  ne  doit  pas  prononcer  sur- 
le-champ  la  déclaration  d'absence.  11  oidonne  seulement  par 
son  jugement  qu'une  enquête  soit  faite.  Ce  jugement  est 
envoyé  au  ministre  de  la  justice ,  qui  le  fait  insérer  au 
Moniteur,  et  c'est  un  an  seulement  après  ce  i)remier  juge- 
ment que  peut  être  prononcée  la  déclaration  d'absence,  s'il 
n'est  pas  survenu  de  nouvelles.  Ce  second  jugement  est  aussi 
envoyé  au  ministre  de  la  justice,  qui  le  rend  public  comme 
le  piemier. 


L'absence,  lorsciu'elle  est  déclarée,  produit  certains  effets, 
tant  relativement  aux  biens  que  l'absent  possédait  au  jour  de 
sa  disparition  que  relativement  aux  droits  éventuels  qui 
peuvent  s'ouvrir  en  sa  faveur.  Quant  aux  biens  que  l'absent 
possédait  au  jour  de  sa  disjjarition,  ses  héritiers  présomptifs 
à  celte  époque  ou  à  l'époque  de  ses  dernières  nouvelles 
peuvent  en  obtenir  la  possession  provisoire ,  à  la  charge  de 
fournir  caution.  Le  testament,  si  l'absent  en  a  laissé  un  ,  est 
alors  ouvert,  et  les  légataires  peuvent  exercer  provisoire- 
ment les  droits  que  cet  acte  leur  confère.  L'époux  commun 
en  biens  peut  demander  la  dissolution  de  la  communauté  et 
la  liquidation  de  tous  ses  droits  légaux  et  conventionnels. 
]\onobstant  la  déclaration  d'absence,  le  contrat  de  mariage 
continue  de  subsister.  Selon  que  l'époux  présent  opte  pour 
la  continuation  ou  pour  la  dissolution  de  la  communauté,  il 
arrête  ou  provoque  l'envoi  en  possession  provisoire.  Dans  ce 
dernier  cas ,  si  l'absent  reparaît  ou  réclame,  la  communauté 
est  à  l'instant  même  rétablie  pour  l'avenir,  ou  plutôt  elle 
est  censée  n'avoir  jamais  été  dissoute. 

La  possession  provisoire  des  biens  de  l'absent  n'est  qu'un 
dépôt  entre  les  mains  de  ceux  qui  l'ont  obtenue  ;  ils  en  sont 
comptables  envers  l'absent,  mais  leur  obligation  à  cet  égard 
varie  suivant  la  durée  de  l'absence.  Ainsi  l'absent  ne  peut 
réclamer  que  le  cinquième  des  revenus  de  ses  biens,  s'il 
reparaît  avant  quinze  ans  révolus  depuis  le  jour  de  sa  dis- 
parition ;  et  le  dixième  seulement ,  s'il  reparaît  après  les 
quinze  ans.  Si  l'absence  a  duré  trente  années,  les  envoyés  en 
possession  provisoire  conservent  la  totalité  des  revenus  à 
cette  époque. 

Quand  il  s'est  écoulé  trente  ans  depuis  l'absence  ou  cent 
années  depuis  la  naissance  de  l'absent ,  la  possession  pro- 
visoire de  ses  biens  est  convertie  en  possession  définitive , 
et  le  partage  s'opère  entre  tous  les  ayant-droit.  C'est  la 
troisième  période  de  l'absence. 

Si  l'absent  reparaît  après  l'envoi  en  possession  définitif, 
ses  biens  lui  sont  remis  dans  l'état  où  ils  se  trouvent,  et  il 
recouvre  le  prix  de  ses  biens  aliénés.  Ses  enfants  ainsi  que 
ses  descendants  directs  peuvent  invoquer  la  même  dispo- 
sition de  la  loi  pendant  les  trente  années  qui  suivent  l'envoi 
définitif. 

Après  le  jugement  qui  a  déclaré  l'absence,  les  actions  qui 
pouvaient  être  exercées  contre  l'absent  doivent  être  dirigées 
contre  ceux  qui  possèdent  ses  biens. 

En  ce  qui  concerne  les  droits  éventuels  qui  peuvent  com- 
péter  à  l'absent,  nul  ne  peut  exercer,  au  nom  de  l'absent 
un  droit  de  cette  nature,  s'il  ne  prouve  préalablement 
l'existence  de  l'absent  au  jour  où  le  droit  a  été  ouvert,  sans 
préjudice  toutefois  de  l'action  en  pétition  d'hérédité,  qui 
appartient  à  l'absent  s'il  s'agit  d'une  succession  qui  lui 
est  dévolue. 

Si  l'absent  a  disparu  laissant  des  enfants  mineurs,  la  m;''re 
est  chargée  de  les  élever  et  d'administrer  leurs  biens.  Lo 
conjoint  d'un  absent  ne  peut  contracter  une  nouvelle  union, 
par  la  raison  qu'il  n'est  pas  certain  que  l'absent  soit  mort. 
Toutefois,  si  un  nouveau  mariage  a  été  contracté  ,  l'absent 
est  seul  admis  à  attaquer  la  nouvelle  union. 

ABSENTÉISME.  C'est  le  nom  que  les  publicistes 
anglais  ont  donné  à  l'action  de  quelques-uns  de  leurs  com- 
patriotes, qui  viennent  consommer  sur  le  continent  tout 
ou  partie  de  leurs  revenus.  Cette  maladie,  car  c'en  est  une, 
est  encore  plus  irlandaise  qu'anglaise;  elle  serait  russe  aussi, 
si  l'autocrate  n'y  mettait  bon  ordre.  Plusieurs  Anglais  fuient 
les  brouillards,  ils  fuient  aussi  \e  cher-vivre  delà  Grande- 
Bretagne,  et  vont  dans  les  climats  tempérés  de  l'Europe 
jouir  des  avantages  d'une  fortune  qui  souvent,  quoitpie 
assez  ronde,  serait  compaiativement  inférieure  en  deçà  lîe  la 
Manche.  Les  grands  seigneurs  irlandais,  (pii  sont  les  uîailres 
du  sol,  mettent  à  peine  le  pied  sur  cette  m.alheurenso  terre, 
où  le  spectacle  de  la  plus  grande  n}isère  qu'ii  y  ait  en  Europe 
troublerait  leur  repos, , et  rcsient  en  Angleterre  pour  coa- 


48 


ABSENTÉISME  —  ABSOLU 


soniiiipr  les  rentes  que  leur  payent  les  cottagers,  ferniiers- 
valrits  des  lambeaux  do  leurs  domaines.  Les  nobles  russes 
qui  ne  sont  pas  ruinés  se  trouvent  aussi  naturellement  atti- 
rés vers  le  ciel  du  midi,  et  cela  fit  prendredans  un  temps  des 
mesures  pour  gêner  la  sortie  des  sujets  russes  de  l'empire. 

Les  résultats  économiques  de  cette  maladie  politique 
•sont  faciles  à  a[ipré(ier  :  celui  qui  s'absente  pour  aller  con- 
sommer à  l'étranger  ne  tarde  pas  à  emporter,  outre  ses  re- 
venus, une  partie  de  son  capital,  et  supprime  à  sou  pays  une 
partie  des  profits  que  les  travailleurs  trouvent  dans  l'emploi 
d'un  capital  ou  d'un  revenu  quelconque.  M.  Lowe  esti- 
mait, il  y  a  déjà  longtemps,  les  revenus  anglais  dépensés  à  l'é- 
tranger à  la  somme  de  cent  vingt-cinq  millions  <le  francs. 

ABSIDE.  On  comprend  sous  cette  désignation  la  partie 
d'une  église  où  se  trouvent  le  cbœur,  le  maître-autel ,  la 
Iribune,  qui  autrefois  y  était  adossée  et  où  l'évêqne  rendait 
ses  jugements,  puis  enfin  la  cliapelle  ordinairement  consa- 
crée à  la  Vierge,  et  qui  forme  un  bémicycle  moins  élevé 
que  le  reste  de  l'édifice  et  saillant  en  dehors. 

Ducange  et  d'autres  auteurs  pensent  que  le  mot  abside 
vient  du  grec  *{/(:,  qui  signifie  voiite,  partie  circulaire;  en 
effet,  une  partie  de  l'abside  est  souvent  nommée  le  rond- 
point  ;  maison  a  dit  aussi  que  le  mot  abside  pourrait  bien 
\c.n\r  (Vabscidere ,  séparer,  cacher.  C'est,  il  est  vrai,  dans 
l'abside  que  se  trouvent  toujours  les  églises  souterraines  où 
se  célébraient  les  saints  mystères  dans  les  premiers  siècles 
de  l'Église,  partie  séparée,  cachée,  où  tout  le  monde  n'était 
pas  admis  ordinairement.  Ce  mot  était  peu  en  usage  au- 
trefois, et  il  s'employait  au  féminin;  devenu  d'un  usage 
plus  fréquent  depuis  le  commencement  de  ce  siècle,  on 
l'emploie  maintenant  au  masculin. 

Les  absides  les  plus  remarquables  se  trouvent  en  Italie, 
dans  les  églises  de  Sainf-Jean-de-Latran,  de  Sainte-Marie  du 
Transtévère,  et  de  Saint-Nicolas  à  Rome,  et  dans  l'église 
de  Saint-Marc  h  Venise;  en  Sicile. dans  l'église  de  Montréal, 
dans  la  cathédrale  dePalermc;  en  France,  dans  les  églises 
d"  !Sotre-Dame,  de  l'abbaye  Saint-Germain-des-Prés  et  de 
Saint-Étienne-du-Mont  à  Paris,  dans  celles  de  Saint-Denis  et 
de  Deuil,  près  de  Montmorency,  dans  celle  deSaint-Menou.v 
en  Bourbonnais,  et  dans  celle  de  Notre-Dame-du-Port,  à 
Clermont-Ferrand.  Duchesne  aîné. 

ABSIMARE  (  Tjderil-s  Absimarus  Accdstus  ),  d'une 
naissance  obscure,  mais  doué  de  grands  talents  militaires  , 
étnit  parvenu,  sousl'e/npereur  Léonce,  à  ladignité  dedron- 
gaire.  L'armée  que  commandait  le  patrice  Jean,  découragée 
par  de  nombreux  revers,  crut  qu'Absimare  pouvait  seul  les 
réparer,  et  le  proclama  empereur  (698).  Absimare  marcha 
aussitôt  contre  les  Sarrasins,  les  défit  complètement,  puis 
se  rendit  à  Constantinople,  et  y  entra  en  vainqueur,  malgré 
la  résistance  de  Léonce,  qu'il  fit  enfermer  dans  un  monas- 
tère après  lui  avoir  fait  couper  le  nez.  Il  se  trouvait  alors 
maître  de  l'empire;  mais,  craignant  pour  son  autorité  tant 
que  vivrait  Justinien  II,  que  Léonce  avait  dépossédé  de  l'em- 
pire, il  envoya  des  sicaires  pour  l'assassiner.  Justinien 
se  réfugia  chez  les  Bulgares,  et  bientôt  après  on  le  vit 
paraître  sous  les  murs  de  Constantinople,  avec  une  armée 
que  ces  barbares  lui  avaient  fournie.  Absimare  était  hors 
d'état  de  lui  résister  :  Justinien,  maître  de  sa  personne, 
lui  fit  trancher  la  tète,  ainsi  qu'à  Léonce  (707  ). 

ABSIIXTHE,  plante  vivace,  qui  croît  spontanément  sur 
les  montagnes  et  dans  les  lieux  incultes  et  rocailleux.  Sa  tige 
est  haute  d'un  mètre  environ  ;  ses  feuilles,  profondément  dé- 
coupées, sont  couvertes  d'un  duvet  cotonneux  ;  ses  fleurs, 
jaunes,  sont  disposées  en  panicule  au  sommet  des  tiges.  Cette 
plante  exhale  une  odeur  aromatique  très-forte;  elle  a  une 
saveur  chaude  etamère.  L'absinthe  agit  d'une  manière  très- 
active  sur  l'économie  animale.  Elle  a  joui  longtemps  d'une 
grande  réputation, et  on  l'emploie  avec  succès  dansiez  ma- 
ladies où  l'usage  des  excitants  est  indiqué.  On  administre  Vin- 
fusum  aqueux  et  vineux  d'absinthe  comme  tonique  et  sto- 


'  machique,  comme  diurétique,  vermifuge,  emménagogue,  etc. 

On  prépare  avec  l'absinthe  une  liqueur  de  table  estimée, 
ii\)\)e.\ée extrait  d'absinihesuisse,  ou  simplement  absinthe, 
et  que  l'on  boit  avant  le  repas,  afin  de  s'aiguiser  l'appétit. 
On  obtient  cette  liqueur  en  distillant  de  l'eau -de-vie  sur  les 
sommets  d'absinthe,  le  calamus  aromaticus,  la  badiane, 
la  racine  d'angélique.  Cette  liqueur,  devenue  à  la  mode, 
produit  des  effets  pernicieux  par  l'usage  trop  fréquent,  et 
des  médecins  lui  attribuent  l'accroissement  des  morts  subites 
que  l'on  remarque  depuis  quelques  années. 

L'absintbe  chasse    les  charançons  et  les  artisons  du  blé; 

I  on  conseille  d'en  suspendre  des  branches  dans  les  greniers, 

i  dans  les  armoires  où  il  y  a  des  étoffes  de  laine  ou   des 

pelleteries,  et  aussi  d'en  poser  sur  les  tablettes  de  bois  que 

les  insectes  pourraient  attaquer. 

ABSINTHIXE,  principe  particulier  découvert  dans 
l'absinthe. 

ABSOLU.  Qu'est-ce  que  V  absolu?  Afin  de  rassurer  ceux 
de  nos  lecteurs  qui  n'ont  point  de  goût  prononcé  pour  les 
abstractions  de  la  métaphysique,  et  à  qui  l'énoncé  de  cette 
question  pourrait  inspirer  (jnelque  frayeur,  disons  sur-le- 
champ  que  Vabsolu  c'est  Dieu  lui-même,  considéré  dans  un 
de  ses  attributs,  l'indépendance.  Absolutus,  solutus  ab 
omni  re,  veut  dire  littéralement  dégagé  de  tout  lien,  libre 
de  toute  sujétion,  indépendant.  Or,  cette  qualité  ne  peut 
réellement  s'entendre  que  de  Dieu,  à  qui  seul,  pour  parler 
comme  Bossuet,  appartient  l'indépendance.  Envisageons 
les  différents  aspects  sous  lesquels  la  Divinité  se  révèle  à  l'es- 
prit humain,  et  partout  nous  rencontrerons  Vabsolu.  II  y 
a  un  être  nécessaire,  qui  ne  peut  dépendre  d'aucun  autre, 
tandis  que  tous  les  autres  sont  sortis  de  son  sein.  Quand 
on  supposerait  tous  les  êtres  anéantis  ou  non  créés,  la  raison 
serait  forcée  d'admettre  celui-là  comme  ayant  toujours 
existé  par  lui-même  et  ne  pouvant  pas  ne  pas  exister.  Cet 
être  qui  ne  reconnaît  de  cause  d'exister  que  lui-même,  ou 
plutôt  qui  n'en  reconnaît  pas,  cet  être  qui  défie  toutes  les 
tentatives  de  la  raison  humaine,  qui  survit  à  toutcç  les  sup- 
positions, c'est  l'Être  absolu  ,  c'est  Dieu. 

Vabsolu  s'applique  aussi  à  l'espace,  parce  que  l'espace 
est  ce  qui  contient  tout  et  n'est  contenu  dans  rien ,  qui  ne 
souffre  point  de  limites,  qui  ne  cesserait  pas  d'exister  quand 
toutes  les  étendues  relatives  qu'il  contient  serait  détruites, 
qui  ne  dépend  donc  d'aucune  condition.  Or,  qu'est-ce  que 
l'espace  absolu,  sinon  Dieu  considéré  dans  sonimmensité? 

On  entend  de  même  par  durée  absolue  celle  qui  s'étend 
à  l'infini  en  deçà  et  au  delà  des  limites  de  notre  existence, 
qui  voit  passer  dans  son  sein  tous  les  événements,  c'est-à- 
dire  les  durées  relatives,  qui  les  voit  toutes  commencer  et 
finir  sans  avoir  commencé  et  sans  finir  jamais.  Or,  qu'est- 
ce  encore  que  cette  durée  sans  bornes,  indestructible,  ab- 
solue en  un  mot,  sinon  Dieu  considéré  dans  son  éternité? 
Un  grand  poète  a  produit  cette  vérité  sous  une  admirable 
formule,  quand  il  a  dit: 

l'immensité,  le  temps, 
De  son  être  infini  sont  les  purs  éléments. 
L'espace  est  son  séjour,  l'éternité  son  âge. 

Dieu  est  la  grande  et  la  seule  unité,  et  sous  ce  rapport  il 
est  encore  absolu.  En  effet,  il  est  la  seule  unité  à  laquelle 
on  ne  puisse  ajouter  ni  retrancher  rien.  Comment  ajouter 
quelque  chose  à  l'être  qui  possède  toutes  les  perfections  ? 
comment  en  rien  retrancher,  puisque  ces  perfections  existent 
nécessairement  en  lui?  L'unité  absolue,  c'est  donc  Dieu. 
Dieu  est  absolu  en  tant  qu'immuable  et  en  tant  que  tûut- 
puissant,  puisqu'il  n'existe  aucune  puissance  capable  de 
limiter  la  sienne  ou  d'apporter  à  son  être  quelque  change- 
ment. 

On  dit  le  vrai  absolu,  le  beau  absolu,  le  bien  absolu.  Et 
d'abord  par  vrai  absolu  oa  entend  ces  vérités  indestruc- 
tibles,inunuables,qQ\nedépendeatà'à\icanlemi)S,  d'aucun 
lieu,  d'aucune  circonstance,  comme  celles-ci  :  tout  ce  qui 


ABSOLU  —  ABSOLUTION 


49 


coninipnce  a  une  cause  dVxistonce;  font  corps  est  situé  dans 
les|)ace,  etc.  Or,  ces  abstractions,  qu'on  appelle  vcritvs  ab- 
solues, doivent,  en  tant  qu'abstractions,  se  rapporter  à  un 
être,  à  une  substame.  Sera-ce  à  l'esprit  buniain  ?  .Maisquand 
elles  seraient  partie  intégrante  de  la  pensée  bumaine,  riiomnic 
sait  qu'ellesne  sont  pas  nées  aveclui,  et  qu'elles  l'ont  nécessai- 
rement précédé,  puisqu'elles  sont  élernelles.  Or,  si  elles  sont 
éternelles,  à  quoi  les  rapporterons-nous,  si  ce  n'est  à  la  pensée 
divine,  au  sein  de  laquelle  elles  ont  toujours existéet  dont  elles 
composent  l'essence,  tandisquecbezriiommc  elles nesont  que 
des  manifestations  de  la  pensée  éternelle  ?  Le  vrai  absolu,  c'est 
donc  la  pensée  de  Dieu,  Dieu  lui-même.  On  reconnaît  cepen- 
dant des  vérités  relatives:  aussi  ce  point  demande  explication. 
Les  vérités  relatives  sont  l'expression  des  rapports  que  nous 
concevons  pouvoir  clianger  ou  cesser  d'être.  Ainsi,  chaque 
printemps  les  arbres  se  couvrent  de  feuilles ,  le  fer  attire 
l'aimant,  etc.  :  voilà  des  vérités  contingentes  ou  relatives. 
Ces  vérités,  dira-t-on,  existent  aussi  dans  la  pensée  divine. 
Oui,  sans  doute,  elles  y  existent  ;  mais  comme  les  rapports 
dont  elles  sont  l'expression  existent  entre  des  êtres  finis, 
changeants,  périssables,  on  conçoit  que  ces  rapports  puissent 
aussi  cesser  d'exister,  c'est-à-dire  qu'ils  soient  relatifs,  et 
dès  lors  les  vérités  qui  en  sont  l'expression  dans  l'esprit 
humain  doivent  aussi  être  appelées  relatives.  .Mais  c'est  seu- 
lement comme  manifestation  ou  réalisation  extérieure  de  la 
pensée  divine  qu'elles  peuvent  changer  et  périr;  car,  si  on 
les  envisage  dans  la  pensée  divine,  indépendamment  de  leur 
réalisation  extérieure ,  elles  existent  de  toute  éternité ,  elles 
sont  absolues.  C'est  pour  cela  que  Platon  dit  que  les  idées 
générales  sont  absolues,  envisagées  comme  types  existant 
éternellement  dans  la  pensée  de  Dieu,  et  que  les  réalisations 
de  ces  idées ,  c'est-à-dire  les  individus  créés  sur  ces  types 
étemels,  ainsi  que  l'idée  que  nous  en  acquérons,  sont  quel- 
que chose  de  contingent,  de  périssable  ,  de  relatif.  Ainsi , 
toutes  les  vérités  sont  absolues  en  tant  qu'on  les  considère 
dans  la  pensée  divine, 'où  elles  existent  nécessairement  et 
éternellement.  L'objet  de  la  pensée  divine,  voilà  le  vrai 
absolu. 

Il  en  est  du  beau  comme  du  vrai.  Le  beau  absolu  n'existe 
pas  dans  les  créatures ,  réalisations  extérieures  de  la  pensée 
divine.  De  même  qu'il  n'existe  pas  dans  la  réalité  un  cercle 
parfait ,  absolu ,  quoique  la  raison  en  conçoive  un ,  de  même 
il  n'existe  pas  de  créatures  absolument  belles ,  quoique  l'ar- 
tiste conçoive  l'idée  de  beauté  absolue  qu'il  poursuit  dans 
ses  œuvres ,  et  qui  lui  en  fait  produire  de  supérieures  en 
beauté  à  tout  ce  qu'ont  rencontré  ses  regards.  Or,  cette  idée 
de  beau  absolu,  où  l'artiste  l'a-t-il  puisée?  Dans  son  obser- 
vation? Mais  la  nature  ne  lui  présente  que  l'imparfait ,  le 
relatif.  Dans  son  imagination?  Mais  elle  ne  fait  que  com- 
biner les  éléments  que  lui  fournit  la  nature.  Ce  ne  peut  être 
que  dans  sa  raison,  qui  seule  lui  suggère  l'idée  d'un  ensemble 
complètement  harmonieux,  dont  toutes  les  parties  sont  entre 
elles  et  avec  l'unité  qui  les  relie  dans  le  plus  parfait  ac- 
cord. Or,  cette  idée  d'ordre  parfait,  d'harmonie  suprême, 
qui  constitue  le  beau  idéal  ou  absolu ,  où  peut-elle  résider 
avant  de  se  manifester  dans  l'homme,  si  ce  n'est  dans  la 
pensée  divine ,  dont  elle  compose  l'essence  ? 

Qu'entend-on  en  morale  par  bien  absolu,  sinon  ces  prin- 
cipes fixes  et  immuables  auxquels  nous  sommes  moralement 
obligés  de  conformer  nos  actions?  Or,  quels  que  soient  nos 
efforts,  nos  actions  ne  pourront  jamais  être  une  application 
complète  de  ces  principes.  Nous  ferons  le  bien ,  mais  tou- 
jours imparfaitement,  et  jamais  nous  ne  réaliserons  le  bien 
absolu  dont  notre  raison  nous  révèle  l'existence.  Cependant, 
quoique  nous  ne  voyions  en  nous  et  autour  de  nous  qu'im- 
perfection ,  que  relatif,  nous  n'en  reconnaissons  pas  moins 
l'existence  d'un  code  invariable  de  justice,  de  lois  éternelles, 
que  leur  violation  ici-bas  n'empêche  pas  d'exister  en  Dieu 
dans  toute  leur  plénitude  et  leur  gloire.  Or,  qu'est-ce  que 
ces  lois  absolues ,  si  ce  n'est  Dieu  lui-môme ,  décrétant  de 

DICT.    DE   LA   CO.NV.   —  T.    I. 


toute  éternité  les  lois  auxquelles  doivent  obéir  des  créatures 
rai-sonuables  et  libres? 

Est-il  nécessaire ,  après  ce  que  nous  venons  de  dire,  d'in- 
diquer la  voie  par  laquelle  l'homme  s'élève  à  l'idée  d'aô- 
solu ,  et  de  signaler  la  raison  conmie  source  de  cette  idée? 
La  raison  en  effet  est  dans  l'homme  la  manifestation  de 
l'être  divin;  c'est  elle  qui,  à  l'occasion  du  relatif,  nous  le 
révèle  aussitôt,  sans  que  nous  puissions  nous  expliquer  cette 
étonnante  révélation,  mais  aussi  sans  que  nous  puissions  en 
nier  l'objet.  On  a  dit  avant  nous ,  et  à  bon  droit,  que  la  né- 
gation de  l'absolu  est  la  négation  de  toute  science ,  de  toute 
morale.  Cette  idée  est  le  lien  qui  réunit  comme  en  un  fais- 
ceau toutes  les  autres,  et  leur  sert  de  soutien  et  de  vie,  comme 
Dieu  lui-même  est  le  soutien  et  la  vie  de  l'univers.  On  a 
compris  de  bonne  heure  l'importance  de  cette  idée ,  mais 
quelques  esprits  sont  tombés  à  cet  égard  dans  un  excès  dan- 
gereux. Oubliant  que  Tliomme  est  réduit  à  reconnaître 
l'existence  de  l'absolu  sans  pouvoir  jamais  en  comprendre 
la  nature,  qu'il  doit  prendre  le  relatif  pour  point  de  départ, 
et  qu'il  doit  chercher  à  s'élever  sans  cesse  à  l'absolu  par  le 
relatif,  sans  espérer  pouvoir  jamais  connaître  l'absolu  dans 
son  essence,  ils  ont  cru  devoir  s'en  préoccuper  exclusi- 
vement, pouvoir  pénétrer  jusqu'à  sa  nature;  que  dis-je?  l'a- 
percevoir par  une  intuition  immédiate,  le  contempler  face  à 
face  dans  l'extase.  On  alla  même  jusqu'à  croire  qu'on  pour- 
rait, à  l'aide  de  certains  procédés  matériels,  découvrir  l'absolu 
et  s'en  emparer.  Cette  croyance ,  moins  dangereuse  peut- 
être  que  l'athéisme,  son  contraire,  mais  qui  ne  doit  pas  moins 
être  regardée  comme  une  véritable  folie,  s'est  reproduite  à 
plusieurs  époques  (  voyez  jMysticisme).  Il  est  pourtant  aussi 
extravagant  de  vouloir  atteindre  directement  l'absolu  qu'il  le 
serait  d'en  nier  l'existence.  C.-M.  Paffk. 

ABSOLUTIOX,  rémission  des  péchés,  faite  par  le 
prêtre ,  au  nom  de  Jésus-Christ ,  dans  le  sacrement  de  la  pé- 
nitence, à  celui  qui  est  dans  les  dispositions  nécessaires  pour 
la  recevoir.  Quelques  auteurs  ont  prétendu  que  dans  l'an- 
cienne Église  on  n'accordait  l'absolution  aux  pénitents 
qu'après  une  satisfaction  publique  ;  mais  c'est  une  erreur  :  il 
n'y  avait  qu'un  petit  nombre  de  crùnes  énormes  et  publics, 
tels  que  l'idolâtrie,  l'homicide  et  l'adultère  que  l'Église  sou- 
mit à  la  pénitence  publique.  Voyez  Pénitence  ,  Confession. 

Pour  les  protestants  l'absolution  est  simplement  déclara- 
toire.  Le  ministre  est  autorisé  à  l'annoncer  avec  confiance 
aux  pénitents.  Admettant  en  effet  en  principe  que  la  rémis- 
sion des  péchés  est  acquise  à  l'homme  croyant  et  repentant 
par  le  f\iit  de  la  mort  expiatoire  du  Christ ,  l'Église  réformée 
nie  qu'il  soit  besoin  d'autre  chose  pour  se  réconcilier  avec 
Dieu,  lorsqu'on  est  tombé  dans  le  péché,  que  la  résipiscence 
et  la  sincère  résolution  d'obéir  aux  commandements  de  Dieu 
L'Église  catholique,  comme  l'Église  d'Orient,  exige  l'inter- 
vention du  prêtre  ,  en  se  fondant  sur  cette  parole  de  JésuS' 
Christ  :  «  Les  péchés  seront  remis  à  ceux  à  qui  vous  les  remet- 
trez »  (Jean,  XX,  21-24). 

Dans  le  droit  canonique  V absolution  des  censures  est  un 
acte  judiciaire  par  lequel  un  juge  ecclésiastique  ou  son  délé- 
gué remet  dans  la  possession  de  certains  biens  spirituels  dont 
on  avait  été  privé  par  l'excommunication,  la  suspense  ou 
l'interdit.  Il  y  a  encore  dans  l'Église  l'absolution  à  caulèle 
(ad  cautelam),  acte  par  lequel  le  prêtre  délie  des  censures 
dont  on  pouvait  être  lié  sans  le  savoir;  l'absolution  avec  re- 
chute (cum  reincidentia),  ou  celle  qui  se  donne  à  un  homme 
lié  des  censures,  avec  modification  ou  limitation. 

En  termes  de  liturgie  Vabsolution  est  ime  courte  prière 
que  dit  celui  qui  officie,  à  chaque  nocturne  des  matines,  avant 
les  bénédictions  et  les  leçons.  Enfin ,  on  appelle  absohitions 
les  encensements  et  aspersions  d'eau  bénite  qu'on  fait  sur 
les  corps  des  princes  et  des  prélats  qu'on  enterre  avec  grande 
cérémonie.  Voyez  Absoute. 

Dans  le  droit  crmiinel  Vabsolution  est  le  renvoi  d'une 
accusation.  Elle  est  :  1°  entière  quand  elle  déclare  que 


50 

J'accuse  n'est  pas  coui)al)li' ,  et  qnii  n'a  ciirouru  aucune 
peine;  9." provisionnelle ,  quand  il  n'est  pas  clair  que  l'ac- 
cusé soit  coupable  ou  qu'il  soit  innocent.  Dans  ce  dernier 
cas  l'enquête,  si  plus  lard  il  fe  pnîsente  de  nouvelles  preu- 
ves, peut  être  continuée.  La  procétlure  criminelle  en  France 
et  en  Angleterre  ne  reconnaît  pas  dal>solution  pro\  isionnelle  ; 
la  sentence  doit  prononcer  la  cnlpaliilité  ou  la  non-culpa- 
bilité, et  celte  dernièi-e  anéxinlit  toujours  l'accusation.  En 
Ecosse  on  distingue,  il  est  vrai,  la  non-culpabilité  et  la  non- 
conviction  (  nol  provcd);  mais  l'elVet  de  la  sentence  est  le 
même  dans  les  deux  cas.  Voyez  Acçcittement. 

ABSOLUTISÎ^IE.  Dans  les  pays  constitnt-onnels  la 
loi  fondamentale,  si  elle  ne  consacre  pas  le  droit  du  peuple  à 
?e  gouverner  lui-même  par  des  délégués,  fondés  de  ses  pou- 
voirs, et  par  conséquent  essentiellement  responsalïles ,  li- 
mite du  moins  l'autorité  du  prince,  et  la  nation  prend  une 
part  plus  ou  moins  grande  à  l'administration  de  la  chose 
publique ,  en  même  temps  que  les  ministres ,  par  suite  de 
l'inviolabilité  du  souverain,  sont  seuls  respon«ibles ,  de 
tous  les  actes  du  gouvernement.  Mais  dans  quelques  pays , 
au  contraire,  le  souverain  n'est  arrêté  par  aucun  frein  dans 
l'exerc'ce  de  sa  puissance  ;  il  est  à  la  fois  le  législateur  et 
l'exécuteur  de  la  loi  qu'il  a  faite  lui-môme,  et  ne  doit 
compte  de  ses  act'ons  qu'à  sa  conscience.  Cette  puissance 
illimitée  du  souverain ,  par  opposition  à  celle  qui  est  attri- 
buée au  princ«  par  les  institutions  conRtitiitionnelles ,  se 
nomme  absolutisme.  Ce  principe  n'admet  pas  qu'une  na- 
tion puisse  être  régie  par  un  contrat  comme  une  associa- 
tion particulière.  L'idée  que  la  puissance  suprême  est  im 
droit  qui  procède  directement  de  Dieu  est  prise  par  Yab- 
sohdisme  dans  son  sens  le  plus  strict,  et  par  conséquent 
toute  participation  aux  affaires  de  l'État  accordée  soit  au 
peuple ,  soit  à  une  caste ,  est  considérée  comme  une  giàce 
octroyée  par  le  prince ,  et  non  comme  l'eNercicc  d'un  droit. 
Ce  qui  différencie  ïabsolutlsme  du  despotisme,  c'est  que 
celui-ci  dans  tous  ses  actes  ne  consulte  que  son  bon  plaisir 
ou  ses  caprices,  taudis  que  celui-là  a  la  prétention  de  ne 
prendre  jamais  que  le  bien  des  peuples  pour  guide  et  de 
se  regarder  comme  lié  par  les  lois  qu'il  se  fait  à  lui-même. 
Mais  comme  il  ny  a  pas  plus  de  garantie  avec  l'un  qu'avec 
l'autre ,  c'est  avec  raison  qu'on  a  dit  que  le  pouvoir  absolu 
était  dangereux  pour  les  princes  et  avilissant  pour  les  peuples. 
On  ne  peut  attribuer  qu'au  plus  profond  aveuglement  l'opi- 
nion de  ceux  qui  prétendent  encore  aujourd'hui  qu'un  système 
de  gouvernement  si  contraire  à  la  raison  puisse  subsister 
plus  longtemps,  et  qui  pensentqu'on  peut  résister  avec  succès 
aux  exigences  impérieuses  et  à  la  voix  puissante  des  inté- 
rêts populaires.  Cette  résistance  est  désormais  inutile.  La  né- 
cessité d'appeler  le  peuple  à  prendre  part  à  l'administration 
des  intérêts  nationaux  devient  de  jour  en  jour  plus  pal- 
pable en  tous  pays.  Une  fois  admis  à  cette  participation,  le 
peuple ,  loin  de  la  négliger,  cherchera  toujours  à  l'étendje 
davantage  ;  car  les  progrès  de  son  éducation  polit'que  lui 
auront  appris  que  ce  désir  est  im  droit.  Plus  on  verra  se 
développer  clic/  les  peuples  cette  tendance  à  se  garantir, 
par  un  jiacte  iondamenlal,  contre  les  tentatives  de  l'arbi- 
traire, plus  il  deviendra  dangereux  de  chercher  à  s'opposer 
par  la  l'orce  à  cette  direction  de  Tespiit  humain. 

ADSORBAAiTS  (du  latin  absorbere,ho\T^,  pomper). 
En  médecine  on  désigne  ainsi  toutes  les  substances  ca- 
pables d'absorber,  de  neiitraliser  un  liquide  imisible  à  l'éco- 
nonïie;  dans  une  acception  plus  rigoureuse  les  absorbants 
sont  des  médicaments  destinés  à  se  combiner  clrnvque- 
ment  avec  des  acides  développés  dans  les  voies  digestives. 
Lorsqu'on  attribuait  toutes  les  maladies  à  «les  altérations 
acides  ou  alcalines  des  humeurs,  les  médecins  faisaient  un 
usage  Irès-élendu  des  absorbants.  On  employait  comme  tels 
une  foule  de  ]in''paralions  ayant  po\ir  base  la  magnésie,  la 
chaux  ou  leurs  carbonates.  C'éta'ent  des  yeux  d'écrevisses , 
des  os  de  poissons,  des  écailles  dhuilres ,  des  terres  bolaires , 


ABSOLUTION  —  ABSORPTION 


des  coqii'lles  d'cpnfs.  Lesprc^rès  delà  chimie,  en  permettant 
de  substituer  les  substances  simples  aux  composées,  font 
préférer  aujourd'hui  la  magnésie  pure  ou  son  carbonate,  ou 
bien  la  solution  aqueuse  de  chatix.  Les  bicarbonates  de 
potasse  ou  de  soude  possèdent  les  mêmes  propriétés.  Pour 
administrer  ces  médicaments,  il  suffit  s-mpleraenl  de  les  faire 
dissoudre  dans  un  peu  d'eau ,  ou ,  si  l'on  veut  en  rendre  l'u- 
sage plus  agréable,  on  peut  en  faire  des  pastilles  en  les  in- 
corporant dans  une  quantité  suRi^anle  de  sucre  blanc  et  de 
mucilage  de  gomme  adragante,  le  tout  aromatisé  avec  l'es- 
sence de  menthe,  de  roses  ,  et  le  baume  de  Tolu.  Telle  est 
la  composition  des  tablettes  de  magnésie ,  des  pastilles  de 
Vichy  ou  de  d'Arcet ,  souvent  employées  chez  les  enfants 
les  (illes  chlorotiques  et  les  femmes  enceintes,  dont  la  di- 
gestion est  fréquemment  troublée  par  l'uccnmulation  de  su'u- 
stances  acidos  d.ms  l'estoinac.  Les  absorbants  sont  encore 
indiqués  dans  le  cas  d'empoisonnement  par  les  acides  con-  J 
centrés  :  alors  la  magnésie  est  préférable,  puisqu'elle  peut  \ 
être  prise  à  forte  dose  sans  inconvénient. 

Dans  la  chirurgie  on  désigne  sous  le  nom  (Tabsorbanfs 
les  poudres  et  les  substances  molles  ei,  spongieuses  desti- 
nées à  absorber  les  liquides  épanchés  dans  une  cavité  na- 
turelle ou  à  la  surface  d'une  plaie.  Se  trouvant  continuelle- 
ment en  contact  avec  les  chairs  vives ,  les  absorbants  doi- 
vent être  dépourvus  de  toutes  propriétés  imtantes,  sous 
peine  de  provoquer  de  nombreux  accidents.  La  charpie  est 
l'absorbant  le  plus  usité  par  presque  tous  les  chirurgiens 
français.  M.  Mayor,  de  Lausanne,  lui  a  substitué  avec  avan- 
tage le  coton  cardé.  Lorsqu'il  s'agit  d'an-êter  une  hémorra- 
gie ,  l'absorbant  préféré  généralement  est  l'agaric  ou  l'ama- 
dou. Les  toiles  d'ara=gnée  peuvent  aussi  remplir  cet  emploi. 
ABSORPTION.  Ce  mot  désigne,  quant  aux  organes, 
laclion  de  puiser  ou  d'aspirer  les  substances  fluides  ou  so- 
lides du  dedans  ou  du  dehors.  Cet  acte  physiologique  a 
pour  instruments  des  vaisseaux  ou  des  membranes.  L'ab- 
sorption, sans  être  évidente,  est  néanmoins  certaine  :  elle 
est  démontrée  par  les  faits,  et  est  le  fondement  de  plusieurs 
phénonii'nes  vitaux.  La  plante  ne  vit  et  ne  s'accroît  que  parce 
qu'elle  absorbe  par  ses  racines  et  par  ses  feuilles  l'eau  et 
l'engrais  du  sol ,  et  le  carbone  de  l'air  en  décomposant  le  gaz 
acide  carbonique.  Nous  ne  nous  nourrissons  nous-mêmes 
que  parce  que  les  vaisseaux  lymphatiques  absorbent  dans  les 
intestins  le  chyle  qui  provient  des  aliments  digérés.  La  res- 
piration n'est  efficace  qu'autant  que  d'autres  vaisseaux  ré- 
pandus dans  les  poumons  absorbent  le  gaz  oxygène  de  l'air 
respiré.  Portion  de  cet  oxygène  se  combine  avec  l'hydrogène 
du  sang  veineux ,  et  compose  ces  vapeurs  aqueuses  qui  se 
mêlent  à  l'haleine  ;  une  autre  portion  s'unit  au  carbone  du 
nouveau  sang  pour  composer  du    gaz  acide  carbonique. 
Enfin  ,  les  plantes  et  les  animaux  absorbent  quelque  chose 
de  l'air;  seulement  cette  absorption  se  fait  dans  les  deux 
règnes  en  sens  inverse  :  ce  qui  provient  de  l'un ,  l'autre  s'en 
empare ,  de  manière  à  ce  qu'un  juste  équihbre  se  trouve 
toujours  maintenu  ,  du  moins  au  printemps  et  en  été.  Les 
fleurs,  contrairement  à  ce  qu'on  voit  dans  les  feuilles,  ab- 
sorbent de  l'oxygène  comme  les  animaux ,  et  rendent  du 
gaz  acide  carbonique  au  heu  d'en  absorber.  Voilà  ce  qui 
fait  le  danger  des  bouquets  placés  dans  les  appartements, 
principalement  la  nuit  et  là  oti  l'on  dort.  Si  l'on  place  une 
rose  sous  une  cloche  bien  close,  on  voit  le  lendemain  matin 
que  l'air  de  cette  cloche  ne  renferme  plus  la  même  quantité 
d'oxygène,  et  la  preuve,  c'est  qu'une  bougie  allumée  s'y 
éteint.  Cet  air  en  revanche  renferme  beaucoup   de  gaz 
acide  carboni(iue  :  l'eau  de  chaux  y  blanchit  sous  forme 
de  craie  ;  enfin  ,  la  Heur  a  altéré  l'air  à  la  manière  d'un  oi- 
.seau.  Chacun  de  nous  absorbe  par  les  poumons  un  pied 
cul)e  de  gaz  oxygène  par  heure  ;  c'est  un  fait  que  Lavoisier 
a  prouvé  ily  a  déjà  longtemps.  De  cent  cinquante  prisonniers 
qui  s'étaient  trouvés  renfermés  dans  une  aire  d'environ  vingt 
pieds  carrés,  cinquante  .ai  boul  de  six  heurus  avaient  déjà 


ABSORPTION 


51 


fHTilii  la  vie  ,  t<ant  l'absorption  de  l'oxygône  par  ces  trois  cent 
poumons  avait  été  abondante  et  rapide. 

Ainsi  donc ,  rien  n'est  mieux  démontré  ([ue  l'absorption 
exercée  par  les  corps  vivants.  C'est  en  vertu  de  ce  même 
acte  que  Fodéré  a  frappé  de  mort  des  animaux  en  leur  injec- 
tant du  gaz  iivdrogène  sulfuré  dans  les  intestins ,  et  que 
Cbaussier  eu  a  aspbyxié  d'autres  en  leur  plongeant  le 
corps  entier  dans  le  même  gaz ,  bien  que  la  respiration 
continuât  de  s'accomplir  avec  de  l'air  pur.  L'absorption  se 
retrouve  en  toutes  nos  parties.  Quand  elle  s'exerce  aux 
4lépens  de  la  graisse  accumulée,  nous  maigrissons;  si  c'est 
au  pn-judice  du  tissu  même  des  organes,  ceux-ci  s'atro- 
jibient.  Si  l'absorption  ne  s'effectue  pas  à  la  surface  bumide 
des  membranes  séreuses,  qui  ne  cessent  de  transpirer, 
d'exhaler,  alors  il  survient  des  hydropisies.  Ce  sont  les  deux 
points  lacrymaux  qui  absorbent  les  larmes  :  si  un  de  ces 
I)€tits  porcs  visibles  au  bord  des  paupières  se  trouve  détourné 
ou  engorgé,  aussitôt  les  larmes  coulent  sur  les  joues;  en 
se  pinçant  le  bord  libre  de  la  paupière  d'en  bas ,  ou  se  fait 
pleurer  à  volonté. 

C'est  à  la  faveur  de  l'absorption  qu'on  fait  disparaître 
certaines  tumeurs ,  des  glandes  engorgées ,  des  squirrbes  ; 
l'essentiel  est  de  mettre  en  action  des  substances  qui  exci- 
tent l'absorption.  Maintenir  ou  augmenter  la  chaleur  locale 
en  même  temps  qu'on  affame  les  organes  par  la  diète  et 
les  saignées,  voilà  les  meilleurs  moyens  de  hâter  l'absorp- 
tion. Les  purgatifs  ont  un  effet  analogue,  de  même  que 
l'iode ,  le  mercure  et  les  diurétiques.  Le  déplacement  du 
cristallin  ne  guérit  souvent  la  cataracte  quen  vertu  de 
l'absorption,  laquelle  va  quelquefois  jusqu'à  faire  dispa- 
raître ce  corps  spliériquc,  devenu  opaque  et  partiellement 
broyé  par  l'aiguille  qui  l'a  déplacé. 

Le  lait  est  la  seule  de  nos  humeurs  que  l'absorption  ne 
puisse  épaissir  :  à  l'inverse  de  la  bile  ,  plus  il  séjourne  dans 
les  mamelles  ,  plus  il  est  aqueux  ,  moins  il  est  nourrissant; 
voilà  d'où  vient  que  le  lait  le  dernier  trait  est  le  meilleur, 
et  que  l'enfant  qui  tette  le  plus  fréquemment  profite  davan- 
tage, à  conditions  égale*.  La  sagesse  et  la  santé  des  céliba- 
taires repose  sur  l'absorption.  Voijcz  Co^'TI^E^"ct:. 

Si  les  os  longs  des  animaux  se  creusent  avec  l'âge  pour 
renfermer  la  moelle ,  c'est  encore  un  des  effets  de  l'absorp- 
tion, qui  va  jusqu'à  faire  disparaître  des  organes  entiers. 
Le  ris  du  veau,  le  thymus  de  l'enfant,  finissent  par  être 
totalement  absorbés,  par  disparaître.  La  vaccine,  l'inocu- 
lation, la  contagion  de  certaines  maladies,  la  disparition 
spontanée  de  certains  dépôts,  sont  autant  d'etfets  de  l'absorp- 
tion. On  a  vu  des  personnes  s'enivrer  uniquement  pour 
avoir  trempé  leurs  mains  dans  du  vin ,  ou  s'en  être  lavé  la 
figure,  ou  quelquefois  pour  avoir  séjourné  dans  des  caves 
ou  des  pressoirs.  Tous  nos  organes  absorbent,  la  peau 
comme  l'estomac,  comme  les  poumons ,  l'extérieur  comme 
l'intérieur  ;  de  l'arsenic  placé  sur  la  peau  dénudée  ou  sous 
la  peau ,  dans  le  tissu  cellulaire  et  entre  cuir  et  chair, 
empoisonne  et  disparaît  par  absorption  de  ses  molécules, 
comme  s'il  avait  été  introduit  dans  l'estomac.  On  peut  em- 
poisomier  avec  des  frictions  ou  des  emplâtres  comme  par 
des  breuvages.  Sainte-Croix,  le  digne  acolyte  de  la  Brin- 
■yilliers,  mourut  empoisonné  dans  son  laboratoire,  pour  avoir 
brisé  le  masque  de  verre  et  le  tube  prolongé  qui  préservait 
ses  poumons  dn  contact  délétère  des  poudres  qu'il  prépa- 
rait. Les  urines  deviennent  alcalines  après  un  bain  d'eau. 
<le  Vichy,  comme  si  cette  eau  avait  été  bue.  Il  suffit  d'une 
goutte  d'acide  prussique  introduite  dans  l'œil ,  sur  la  cor- 
née, pour  faire  périr  soudainement  de  petits  animaux. 
L'extrait  de  belladone  appliqué  de  la  même  manière  et  sur 
le  même  organe  faitdi!at(rr  la  pupille  comme  celles  des  myo- 
pes ou  des  gens  naturellement  faibles. 

Cette  propiiété  absorbante  de  tous  les  oiganes  a  été  uti- 
lisée par  les  médecin■^.  On  a  quelquefois  essayé  de  nourrir 
par  la  peau  des  individu;  dont  Teslomac  ne  [louvait  recevoir 


aucune  nourriture  :  on  leur  administrait  des  bains  de  lait, 
des  clyslères  de  bouillon.  On  a  pu  guérir  la  fièvre  en  intro- 
tluisant  le  quincpiina  sous  la  forme  de  bains  ou  de  cata]>las- 
mes.  On  a  purgé  des  individus  en  leur  frottant  la  peau  d  une 
huile  purgative.  On  a  produit  des  boutons  ressemblant  à 
ceux  du  vaccin  en  frictionnant  certaines'partics  du  corps 
avec  une  ponunade  émétisée ,  etc.  Par  cette  méthode ,  qu'on 
nomme  endcrmiqiic ,  on  a  souvent  guéri  des  maladies  in- 
ternes au  moyen  de  frictions  médicamenteuses  qui  ne  fran- 
chissaient pas  ostensiblement  l'épiderme. 

Mais  cet  acte  d'absorption  dont  témoignent  des  faits  si 
nombreux,  et  qui  s'exerce  en  tous  nos  organes,  quels  en 
sont  les  instruments  essentiels?  Il  est  hors  de  doute  aujour- 
d'hui que  les  veines  et  les  vaisseaux  lymphatiques  absorbent, 
comme  à  peu  près  tous  les  tissus.  Mais  ces  vaisseaux,  mais 
ces  tissus  absorbent-ils  également  et  sans  choix  tous  les 
fluides  et  tous  les  matériaux  de  la  vie,  quelles  qu'en  soient 
la  forme  et  la  nature?  Cela  ne  parait  pas  être.  Il  y  a  parti- 
culièrement pour  chaque  classe  des  vaisseaux  absorbants 
certains  fluides  et  certains  principes  au  puisage  desquels  les 
ont  prédestinés  leur  situation,  leur  porosité,  leur  capilla- 
rité ,  la  densité  de  leurs  parois  ou  de  leur  contenu  (  en  raison 
des  lois  de  V endosmose,  posées  par  M.  Dutrochet);  et 
peut-être  y  a-t-il  aussi  une  espèce  d'attraction  vitale,  d'affi- 
nité élective  ou  d'aveugle  préférence  qui ,  pour  être  cachée , 
n'en  serait  pas  moins  réelle.  Il  est  bien  certain ,  par  exemple, 
qu'il  est  des  fluides  irritants  qui  provoquent  plus  spéciale- 
ment les  vaisseaux  lymphatiques ,  ainsi  qu'on  peut  en  juger 
par  le  prompt  engorgement  des  glandes  associées  à  ces  vais- 
seaux, engorgement  qui  succède  toujoui-s  à  de  certaines 
inoculations  ou  blessures.  Je  dirai  ensuite  que  panni  les 
expériences  qui  ont  été  tentées  dans  le  but  d'établir  en 
quelles  circonstances  les  veines  absorbent ,  et  dans  quels 
cas  les  lymphatiques  cessent  d'absorber,  il  eu  esti  beaucoup 
qui  ne  soutiendraient  pas  un  examen  rigoureux. 

De  ce  qu'un  organe  a  pu  suppléer  un  autre  organe  absent 
ou  hors  d'action,  ou  bien  de  ce  qu'il  aura  pu  le  seconder 
alors  cju'il  était  iasuffisaaî  pour  un  surcroît  de  besogne, 
serait-il  judicieux  d'en  inférer  que  ce  suppléant  ou  cet  auxi- 
liaire éventuel  est  naturellement  le  fonctionnaire  unique, 
ou  du  moins  l'essentiel?  Paice  que  des  vaisseaux  lympha- 
tiques cesseront  d'absorber  quand  on  les  aura  isolés  de  tout 
vaisseau  sanguin ,  cela  prouve-t-il  qu'ils  n'ab.^orbeut  point 
ordinairement,  ou  qu'ils  n'absorbent  jamais?  Le  calibre  en 
est  si  étroit,  sait-on  si  le  contact  de  l'air,  si  le  refroidisse- 
ment provenant  de  ce  contact  ne  suffit  pas  pour  resserrer 
l'orifice  de  ces  vaisseaux  jusqu'à  le  rendre  incapable  d'ab- 
sorber? De  ce  que  les  veines  absorbent  alors  qu'on  les  a 
isolées  des  vaisseaux  lymphatiques  et  qu'on  a  détruit  ceux- 
ci  ,  en  conclurai-je  que  les  veines  absorbent  toutes  les  sub- 
stances et  qu'elles  absorbent  toujours?  Je  m'en  gardera 
bien.  On  sait  en  effet  que  cei-tains  organes  n'agissent  que 
parce  que  d'autres  organes  se  reposent  ou  ont  été  rais  hors 
d'état  d'agir.  Toute  bonne  expérience  de  physiologie ,  toute 
expérience  alléguable  et  probante  doit  placer  les  organes  dans 
les  conditions  de  concours  et  de  solidarité  dont  la  vie  nor- 
male requiert  le  maintien.  Mes  objections,  après  tout,  ne 
sont  pas  nouvelles  :  je  les  ai  formulées  dès  1S28,  et  j'ai  lieu 
de  penser  qu'elles  seront  entendues.  Toujours  est-il  que  l'ab- 
soiption  s'effectue  avec  d'autant  plus  d'énergie  qu'il  y  a 
dans  l'être  qui  absorbe  plus  de  chaleur  vitale  et  moins  de 
sang,  plus  de  lluides  dissipés  jiar  les  exhalations  et  moins 
de  réparation  nutritive,  les  poumons  conservant  d'ailleurs 
leur  ampleur  et  leur  liberté. 

Il  s'est  rencontré  des  physiologistes  qui  ont  fait  dépendre 
toute  absorption  d'une  sorte  de  succion  qu'exerceraient  soit 
les  vai.sseaux  mêmes,  à  la  manièie  de  certains  versa  ven- 
touse rétractile,  soit,  et  immédiatement,  l'aspiialion  inter- 
mittente et  centrale  des  poumons;  mais  ces  causes  sont  à 
peu  près  illusoires.  La  preuve  qu'il  y  a  succion  ,  disait-on 


52 


ABSORPTION  —  ABSTINENCE 


vers  1825,  alors  que  M.  Barry  publia  ses  expi^riences  spé- 
cieuses, c'est  ([u'il  suffit  d'appliquer  une  ventouse  sur  une 
piqûre  très-récente  de  vaccin  pour  empêcher  Teffet  de  cette 
inoculation,  ou  môme  sur  une  morsure  venimeuse  de  vi- 
père, pour  prévenir  Tintroduction  du  venin.  Mais  je  vérifiai 
alors,  en  présence  de  mes  collègues ,  médecins  du  premier 
dispensaire  philanthropique  ,  la  fausseté  de  cette  assertion , 
au  moins  en  ce  qui  regarde  le  vaccin.  Il  n'y  a  pas  pins  de 
succion  i)Our  l'absorption  des  animaux  que  pour  celle  qu'ef- 
fet tuent  les  plantes.  L'absorption  dépend,  dans  les  deux  cas 
et  dans  les  deux  règnes,  principalement  d'une  endosmose 
vitale  et  de  la  capillarité.  11  y  a  de  plus,  quant  aux  plantes, 
le  puissant  effet  de  l'exhalation  des  feuilles,  ainsi  que  l'a 
prouvé  Haies  autrefois.  .AI.  Boucherie  a  démontré  depuis 
la  même  influence  de  l'exhalation  sur  le  pouvoir  absorbant  , 
dans  les  belles  expériences  où  il  abreuve  des  végétaux  frais 
et  feuilles ,  de  gros  arbres  encore  sur  pied ,  comme  des 
plantes  fragiles,  de  différents  liquides  qui  les  colorent ,  les 
conservent,  les  préservent  des  insectes,  et  qui  les  rendent 
durs  ou  flexibles. 

L'absorption  intérieure  devient  Irès-énergique  après  la 
mort ,  au  moment  où  la  chaleur  vitale  se  disperse,  en  raison 
du  vide  (jui  s'établit  alors  dans  les  poumons  et  dans  les  ar- 
tères par  suite  des  progrès  du  refroidissement  qui  amoindrit 
le  volume  de  l'air  et  du  sang.  C'est  alors  que  disparaissent, 
jusiiu'à  ne  plus  laisser  de  traces,  des  dépôts,  des  abcès,  des 
inliltrations,  des  rougeurs  inflammatoires,  des  épanche- 
ments ,  etc.  Cet  effet  est  plus  marqué  que  jamais  quand  la 
mort  a  été  précédée  d'une  diète  absolue  et  de  saignées  réi- 
térées. Souvent ,  au  contraire ,  il  devient  nul  dans  cette  mort 
violente  où  peut  conduire  diversement  la  pléthore ,  principa- 
lement si  la  température  de  l'appartement  mortuaire  de- 
meure très-élevée.  D''  Isidore  Bourdon. 

ABSOUTE  (  Liturgie).  C'est  le  nom  qu'on  donne  à  la 
cérémonie  qui  a  lieu  le  jeudi  saint ,  avant  la  messe ,  et  dans 
laquelle  le  célébrant  récite  sur  le  peuple  une  formule  qui , 
dans  sa  teneur,  ressemble  beaucoup  à  l'absolution  sacra- 
mentelle de  la  pénitence.  Depuis  que  la  pénitence  publique 
est  abolie,  il  n'y  a  plus  d'absolution  publique,  telle  qu'on 
l'administrait  aux  pénitents  le  jeudi  saint  ;  mais  l'Église , 
voulant  conserver  le  souvenir  de  ce  rite  antique,  onadonnéà 
cette  absolution,  qui  n'est  plus  sacramentelle  et  n'opère  point 
la  rémission  des  péchés,  le  nom  à'absolta  ou  absoute,  pour  la 
distinguer  essentiellement  de  la  première.  La  cérémonie  de 
l'absoute  n'est  donc  qu'un  vestige  de  l'ancienne  absolution. 

On  donne  pareillement  le  nom  (Tabsoule  aux  prières  qui 
se  font  pour  un  ou  plusieurs  défunts ,  dans  la  cérémonie  des 
obsèques ,  immédiatement  après  la  messe  ou  les  vêpres  et 
avant  l'inhumation  proprement  dite.  11  y  a  également  absoute 
après  les  services  funèbres.  11  est  lacile  de  voir  que  le  nom 
donné  à  cet  ensemble  de  prières  lui  vient  de  la  dernière 
oraison  qui  les  termine  :  Absolve,  quxsumus.  Domine, 
animum,  etc.;  Absolvez,  nous  vous  prions,  ô  Seigneur, 
l'âme  ,  etc.  Le  l'onlilical  romain  donne  le  nom  d'absolution 
ou  d'absente  à  la  cérémonie  (pii  a  heu  après  la  messe  célé- 
brée aux  obsè(iues  d'un  pape,  d'un  cardinal,  d'un  prince 
couronné  ou  d'un  seigneur  de  paroisse.  —  L'Église  grecque 
ne  pratique  pas  le  céiémonial  de  l'absoute  aux  enterrements. 
Elle  reconnaît  pourtant  que  l'excommunic-ation  dont  on  a  été 
frappé  i-endant  la  vie  et  sous  le  poids  de  laquelle  on  est  mort 
peut  être  levée. 

ABSTEAIIUS  l'LAinF.NT),  fabuliste  italien,  dont  le  vrai 
nom  était  Astemio ,  naquit  dans  la  province  dAncône.au 
co:nmencement  du  seizième  siècle.  Il  se  fixa  à  Urbin,  y  de- 
vint professeur  de  littératine  et  directeur  dcia  bibliothèque 
ducale.  Il  a  laissé  deux  recueils  de  fables,  intitulés  Hecatomij- 
t/iium,  ainsi  qu'une  traduction  d'Ésope.  La  Fontaine  lui  a 
emprunté  quelques  sujets. 

ABSTE\'T10i\  (du  latin  nfe^(?îfre. s'éloigner;  de «65, 
Iwrs,  tenere,  tenir),  rehis  de  prendre  part  àime  chose.  Le 


juge  peut  s'abstenir  de  connaître  une  affaire  par  les  motif» 
qui  permettent  aux  parties  de  le  récuser.  Voijez  Ri;cls.\tion. 

Après  la  promulgation  de  la  loi  électorale  du  31  mai  i850, 
l'opposition  avancée  a  proposé  le  système  d'abstention  dans 
les  élections,  comme  une  sorte  de  protestation  des  électeurs 
qui  restaient  inscrits  en  faveur  du  droit  des  électeurs  rayés. 

ABSTEMTIOA!  (Bénéfice  d').  On  appelle  ainsi  dans 
le  droit  romain  la  faveur  que  la  législation  prétorienne 
avait  accordée  aux  héritiers  siens  et  nécessaires  du  défunt 
père  de  famille  (hseredes  sui  e^?7eces.ço?-/i),  de  rester  étran- 
gers à  l'hérédité ,  pour  ne  pas  en  supporter  les  charges  et 
les  dettes.  Dans  l'ancien  droit ,  c'était  seulement  l'héritier 
étranger  à  la  famille  (  extraneus  )  qui  pouvait  ainsi  répudier 
une  succession  onéreuse.  Voyez  Bénéfice  d'inventaire. 

ABSTENTION  DE  LIEU.  On  appelle  ^insi  en  droit 
criminel  le  dioit  qu'a  le  gouvernement  ou  un  tribunal  d'in- 
terdire à  un  condamné  le  séjour  de  certaines  localités.  Le 
Code  Pénal  en  offre  deux  exemples  :  le  premier  résulte  de 
l'art.  44  ,  qui  décide  que  l'effet  du  renvoi  sous  la  surveillance 
de  la  haute  police  sera,  faute  de  fournir  caution  solvable  de 
bonne  conduite,  de  donner  au  gouvernement  le  droit,  soit 
de  déterminer  certains  lieux  dans  lesquels  il  sera  interdit 
au  condamné  de  paraître  après  qu'il  aura  subi  sa  peine ,  soit 
d'ordonner  sa  résidence  continue  dans  telle  localité.  Le  se- 
cond exemple  se  trouve  dans  l'art.  229  du  même  Code,  qui 
donne  au  tribunal  le  droit  de  condamner  celui  qui  aurait 
frappé  un  magistrat  dans  l'exercice  ou  à  l'occasion  de  l'exer- 
cice de  ses  fonctions ,  à  s'éloigner,  pendant  cinq  à  dix  ans, 
du  lieu  où  siège  le  magistrat  et  d'un  rayon  de  deux  my- 
riamètres. 

ABSTERGEIVTS.  On  appelle  ainsi,  en  médecine,  des^ 
médicaments  dune  natiue  savonneuse  pouvant  dissoudre 
les  concrétions  résineuses  et  celles  qui  sont  formées  d'huile 
et  de  terre. 

ABSTINENCE  (du  latin «6  5e /e« ère,  tenir- loin  de  soi), 
privation  volontaire  ou  involontaire  d'une  chose  quelcon- 
que. Lorsque  l'abstinence  est  volontaire ,  et  qu'elle  a  un  but 
moral,  elle  devient  une  vertu  recommandée  par  les  sages  de 
tous  les  temps.  Quand  elle  est  continue,  elle  prend  le  nom 
de  continence.  Elle  nedoit  pourtant  pas  être  portée  à  l'excès. 

Presque  toutes  les  religions  prescrivent  l'abstinence  de 
certains  aliments  à  certains  jours  ou  dans  certaines  saisons. 
Tantôt  c'est  un  moyen  d'hygiène ,  tantôt  c'est  un  devoir  de 
mortification.  Voyez  Jeûne  et  Maigre. 

Quoique  le  mot  abstinence  puisse  s'appliquer  aux  priva- 
tions de  tous  plaisirs  des  sens,  nous  ne  parlerons  ici  que  de  la 
privation  complète  ou  incomplète  des  aliments  solides  ou 
liquides.  Le  premier  effet  de  la  privation  prolongée  des  ali-r 
nients  est  la  sensation  de  la/oi  m  et  de  la  soif.  Ces  besoins 
non  satisfaits  dégénèrent  en  douleur,  avec  faiblesse  de  toutes 
les  fonctions  organiques ,  l'absorption  exceptée,  faiblesse  qui 
se  manifeste  par  la  langueur  des  mouvements  et  de  l'intelli- 
gence. Plus  tard,  les  douleurs  d'estomac  deviennent  atroces, 
la  bouche  est  aride  et  brûlante,  la  peau  sèche;  les  urines 
sont  rares  et  cuisantes,  les  yeux  rouges  et  secs;  à  l'abatte- 
ment universel  succètle  un  délire  variable ,  avec  exaltation 
des  forces  •  les  naufragés  de  la  Méduse  ont  offert  des  exem- 
ples de  ce  délire,  affectaut  les  caractères  d'une  horrible  féro- 
cité. Cette  réaction  est  plus  ou  moins  prom|»tement  suivie 
d'un  nouvel  adaissement ,  qui  persiste  jusqu'à  la  mort,  la- 
quelle arrive  a  une  époque  indéterminée ,  au  milieu  des 
convulsions  ou  par  évanouissement.  L'inspection  du  cadavre 
présente  un  amaigrissement  plus  ou  moins  prononcé  ;  les 
vaisseauv  contiennent  peu  de  sang;  l'estomac  est  contracté, 
revenu  sur  lui-même .  et  présente  quelquefois  des  appa- 
rences d'inflammation  ,  le  cerveau  peut  offrir  aussi  des  traces 
de  congestion  sanguine.  La  durée  possible  de  l'abstinence 
est  extrêmement  variable  ;  mais  il  ne  laut  pas  ajouter  foi 
à  ces  histoires  d'abstinence  de  plusieurs  mois ,  si  ce  n'est  en 
cas  de  maladie.  Certains  animaux,  tels  (jue  la  marmotte. 


ABSTINENCE 


ABUS 


5S 


restent,  il  est  \Tai,  toul^  une  saison  sans  prendre daliments  ; 
mais  celte  faculté  est  particulii^re  aux  animaux  lithernants. 
Dans  l'espiVe  humaine,  les  individus  jeunes  et  vii;ourenx 
succonUtent  en  gênerai  plus  promptement  que  les  vieillards 
et  les  sujets  débiles  :  1  histoire  àX  j;  o  1  i  u  survivant  à  ses  en- 
fants est  un  fait  vraisemblable.  L'abstinence  des  aliments 
solides  est  mieux  supportée  sous  rinlluence  de  la  chaleur 
que  sous  celle  du  froid  ;  c'est  l'inverse  pour  les  aliments 
liquides.  Les  elfets  de  l'abstinence  incomplète  ne  différent 
des  précédents  que  par  moins  d'intensité.  L'abstinence  est 
un  moyen  dont  la  médecine  retire  de  précieux  avantages. 
Voyez  Diète.  ^'  FonoET. 

ABSTI\EXTS,  hérétiques  qui ,  sur  la  fin  du  troisième 
siècle,  se  montrèrent  en  Gaule  et  en  Espagne.  C'était  une  es- 
pèce de  manichéens  qui ,  sans  adopter  toutes  les  erreurs 
df  Manès ,  lui  empruntaient  seulement  l'horreur  du  mariage 
et  de  la  chair.  Ils  condamnaient  l'usage  de  la  viande,  et 
soutenaient  que  le  Saint-Esprit  avait  été  créé ,  tandis  que 
Manès  se  contentait  de  lui  assigner  l'air  pour  résidence. 

ABSTRACTION,  ABSTRAIT  Tout  ce  qui  existe 
dans  la  nature  est  complexe.  Les  plus  simples  éléments 
auxquels  puisse  parvenir  l'analyse  chimique  sont  encore 
divisibles  pai-  la  pensée.  Ils  sont  étendus,  figurés ,  impéné- 
trables, pesants,  colorés,  sapides,  etc.  Aucune  qualité  ne 
peut  exister  seule  ;  on  en  tiouve  toujours  un  certain  nombre 
réunies  ensemble ,  et  toutes  supposent  un  sujet  dans  lequel 
elles  existent.  Cependant  nous  pouvons  penser  à  une  seule 
qualité  sans  penser  à  celles  au  nâilieu  desquelles  elle  existe, 
ni  au  sujet  qui  les  réunit  toutes.  Nous  parlons  de  la  beauté, 
de  la  laideur,  de  la  chaleur,  du  froid,  sans  parler  des  êtres 
qui  contiennent  ces  qualités.  Ou  appelle  abstraits  tout  objet 
d  idée  que  notre  esprit  sépare  et  isole  ainsi  du  tout  dont 
il  fait  partie  et  auquel  il  est  invinciblement  lié  dans  la  na- 
tme.  Cette  définition  pourrait  être,  au  besoin,  justifiée  par 
l'étymologie  du  mot,  qui  est  bien  fait.  Abstractus  signifie 
en  effet  retiré,  séparé  de.  Le  concret  est  le  contraire  de 
l'abstrait.  Voyez.  Concret. 

On  nonune  abstraction  la  faculté  qui  permet  à  l'esprit 
de  dégager  ainsi  du  tout  un  de  ses  éléments,  et  l'on  donne 
aussi  le  même  nom  à  l'objet  que  la  pensée  a  enlevé,  pour 
ainsi  dire ,  au  tout  auquel  il  appartient.  Il  y  a  bien  des 
sortes  d'abstractions,  et  chaiiue  scieuce  a  les  siennes  ;  mais 
on  eu  distingue  deux  sortes  principales,  les  abstractions  des 
sens  et  les  abstractions  de  l'esprit.  Les  abstractions  des 
sens  sont  toutes  les  qualités  de  la  matière,  dont  l'analyse 
constitue  les  sciences  physiques.  Les  abstractions  de  t' esprit 
sont,  par  exemple,  les  différents  faits  du  moi,  faits  affectifs, 
faits  intellectuels,  faits  volontaires,  qui  constituent  la  psy- 
chologie, ou  bien  les  idées  que  fournit  la  raison,  comme  l'idée 
d'absolu,  de  relatif,  de  nécessaire,  de  contingent,  d'être,  de 
cause,  de  substance;  lesquelles  idées  constituent  l'ontolo- 
gie, ou  bien  les  rapports  de  toute  sorte  qui  se  retrouvent 
dans  toutes  les  sciences. 

On  voit  par  ce  que  nous  venons  de  dire  que  c'est  un  vé- 
ritable préjugé  que  de  confondre  l'abstrait  avec  ce  qui  est 
obscur  ou  difficile  à  comprendre.  Le  professeur  qiji  expose 
les  différentes  propriétés  d'un  coi-ps  simple  fait  passer  l'esprit 
par  une  série  d'abstractions  ;  car  qu'est-ce  autre  chose  que 
ces  propriétés  qu'il  décrit?  Or,  qu'y  a-t-il  deplussaisissable 
que  de  pareilles  tliéories?  Il  y  a  encore  un  autre  préjugé  qui 
consiste  à  croire  que  la  philosophie  s'occupe  d'abstractions 
plus  que  tout  autre  science  ;  ainsi ,  l'on  entend  dire  tous  les 
jours  :  les  théories  abstraites,  le  langage  abstrait  de  la  phi- 
losophie. Ici  on  confond  évidemment  l'abstrait  avec  l'intel- 
lectuel, et  l'on  donne  exclusivement  la  dénomination  A'abs- 
trait  à  ce  qui  ne  tombe  point  sous  les  sens.  La  philosophie 
ne  s'occupe  d'abstractions  ni  plus  ni  moins  que  la  physique; 
seulement  elle  s'occupe  de  faits  immatériels  que  la  con- 
science seule  ]ieul  atteindre,  et  qui  ne  sont  point  du  domaine 
du  monde  extérieur.  Mais  s'ils  sont  d'une  étude  plus  dilli- 


cile ,  ce  dont  nous  convenons  sans  peine ,  ce  n'est  pas  qu'ils 
soient  plus  abstraits  que  ceux  dont  s'occupent  les  sciences 
piiysiipies,  c'est  qu'ils  font  partie  de  ce  monde  invisible  qui 
ne  peut  se  mesurer  ou  s'analyser  à  l'aide  de  procédés  maté- 
riels, et  dont  les  parties  ne  peuvent  venir  se  ranger  dans 
une  galerie  d'histoire  naturelle. 

L'abstraction  est  un  des  pouvoirs  les  plus  admirables  et 
les  plus  précieux  de  l'esprit  hmuain  ;  car  sans  elle  point  de 
sciences,  point  de  langiige.  Si  l'esprit  humain  était  borné  au 
concret,  l'humanité  serait  impossible.  Sans  l'abstraction , 
l'homme  n'aurait  pu  dey,ager  un  fait  du  milieu  concret  où  il 
existe,  pour  le  considérer  à  part,  en  démêler  les  éléments, 
en  étudier  les  rapports  avec  d'autres  faits,  et  s'élever  à  l'idée 
de  sa  loi.  En  un  mot,  sans  abstraction  point  d'analyse,  sans 
analyse  point  de  connaissance  proprement  dite ,  point  de 
science.  Sans  l'abstraction,  que  seraient  les  sciences  mathé- 
matiques, les  seules  qui,  à  proprement  parler,  ne  vivent  que 
d'idées  abstraites  ?  Car  qu'est-ce  que  le  nombre,  qu'est-ce 
que  l'étendue,  le  point,  la  ligne,  la  surface ,  sinon  des  abs- 
tractions? Sans  l'abstraction,  où  en  serait  le  langage?  En 
supposant  même  que  l'homme  eût  pu  attacher  un  signe  aux 
idées  des  objets  concrets  qui  l'entourent,  que  serait-ce  qu'un 
langage  composé  uniquement  de  pareils  mots,  si  l'homme 
ne  pouvait  concevoir  et  exprimer  par  des  signes  distincts 
les  rapports  qu'il  perçoit  entre  ses  idées  ?  Il  n'y  aurait  pas 
de  propositions,  c'est-à-dire  pas  de  sens  possible  dans  un 
tel  langage  ;  car  parler,  c'est  exprimer  un  jugement.  Or,  tout 
jugement,  comme  on  sait,  se  compose  de  trois  abstractions. 
Mais  si  l'on  n'avait  pu  faire  ces  abstractions ,  c'est-à-dire 
concevoir  séparément  le  sujet,  la  qualité  et  le  rapport  de  la 
qualité  au  sujet,  à  plus  forte  raison  n'aurait-on  pu  les  ex- 
primer séparément.  En  un  mot,  puisque  parler,  c'est  ana- 
lyser des  abstractions,  retirer  à  l'homme  le  pouvoir  d'abs- 
traire, c'est  lui  interdire  le  langage.  Il  est  vrai  que  le  lan- 
gage est  lui-même  indispensable  pour  que  les  abstractions 
se  maintiennent  dans  l'esprit  ;  car  si  l'esprit  ne  les  fixait 
par  des  signes,  ces  idées  absti-aites  retourneraient  bientôt 
au  concret  d'où  elles  ont  été  tirées.  Mais  si  le  langage  de- 
vient une  condition  du  maintien  des  idées  abstraites  dans 
l'esprit,  il  n'est  pas  moins  vrai  que  l'abstraction  a  été  pri- 
mitivement une  condition  d'existence  pour  le  langage.  En 
effet,  comment  l'homme  aurait-il  pu  imposer  aux  idées  abs- 
traites les  signes  qui  les  représentent,  s'il  n'avait  pas  eu 
d'idées  abstraites?  C.-M.  Paffe. 

ABSURDITÉ,  ABSURDE,  mots  dérivés  de  ab  et  de 
surdus,  au  propre  ce  qui  vient  d'un  somd.  Comme  les  sourds 
courent  facilement  le  risque  de  dire  quelque  chose  qui 
n'a  pas  de  rapport  à  la  question  qu'on  agite,  on  donne  la 
qualification  (Tabsurde  et  d'absurdité  à  ce  qui  n'a  pas 
le  sens  comnuui,  à  ce  qui  est  ridicule. 

Dans  le  langage  rigoureusement  scientifique  de  la  philoso- 
pliie  et  des  mathématiques  on  n'appelle  absurde  que  ce  qui 
contient  en  soi-même  une  contradiction  (  voyez  Paradoxe;, 
ou  bien  qui  est  contraire  à  une  vérité  évidente  par  elle- 
même.  Parmi  les  vérités  scientifiques,  les  unes  sont  évi- 
dentes par  elles-mêmes,  ce  sont  les  principes,  les  autres  re- 
çoivent leur  évidence  de  celle  des  principes  à  l'aide  du  rai- 
sonnement, ce  sont  les  conséquences.  Ce  qui  est  contraire 
aux  principes  est  abszirde  ;  ce  qui  est  contraire  aux  consé- 
quences est  seulement /fi  (fj;. 

Dans  les  sciences  exactes  la  (/(^mons^ra^ion^ffr  l'absurde 
consiste  à  supposer  d'abord  le  conti'aire  de  ce  qui  est  vrai 
et  à  faire  voir  que  de  cette  hypothèse  résulte  une  consé- 
quence contraire  à  un  principe  préalable.  En  dehors  des 
mathématiques,  cette  démonstration  s'emploie  de  la  même 
manière  pour  faire  ressortir  d'une  hypothèse  contraire  à  la 
vérité  une  conséquence  contraire  au  sens  commun. 

ABSYRTE.  Voyez  AncoNACTEs. 

ABUS.  Le  Dictionnaire  de  l'Académie  définit  ainsi 
ce  mot  :  «  Ur^age  mauvais,  excessif  ou  injuste  de  quelque 


54 


AIj  c  s 


'.  chose.  ..  lise  dit  aussi  absolument  pour  signifier  Désordre, 
»  usage  pernicieux.  >>  La  dcfinition  de  Voltaire  n'est  pas 
moins  bonne  :  «  Vice  atta(  bë  à  tons  les  usages,  à  toutes  les 
«  lois,  à  toutes  les  institutions  des  iiomuies  :  le  détail  nVn 
a  pourrait  être  contenu  dans  aiicnne  bibliothèque.  »  —  Je 
n'eut: eiirendrai  pas  de  moissonner  dans  un  champ  si  vaste, 
j'y  vais  seulement  filaner  quelques  traits. 

Les  abus  gouvernent  les  Ktats,  a-t-on  dit  depuislojiglemps  ; 
on  peut  ajouter  qu'ils  dirif^ent  tontes  les  profess'ons ,  et 
«pi'ils  sont  le  mobile  de  la  plupart  des  actions  privées.  Quel 
abus  n'a-t-on  pr.s  fait  de  la  religion  ?  quel  abus  n'en  fait-on 
pas  encore?  Léon  X  faisait  vendre  des  indulgences,  des  por- 
tions du  ciel,  par  ks  moines  augustins.  Un.  moine  d'une 
auti-e  robe  trouva  mauvais  que  son  couvent  n'eût  pas  été 
préféré  pour  le  monopole  de  cet  abus  sacrilège.  Ce  moine 
avait  de  la  véhémence,  de  l'énergie  ,  de  la  ténacité  ;  il  eut 
aussi  le  bonheur  de  naître  à  propos,  dans  un  temps  où  la 
naïve  et  morale  Germanie  était  lasse  des  scandales  de  Uome, 
et  grAce  ;i  Luther  une  m'sérable  querelle  entre  deux  ordres 
mendiants,  une  rivalité  iVabîis  amena  la  grande  rp/brme 
reUgieuse  de  r.\lleraagne  et  du  nord  de  l'Europe.  Mais  Cal- 
vin faisant  brûler  IMicbel  Servet ,  n'était-ce  pas  là  aussi  un 
étrange  ab^is  ? 

Naguère  en  France,  bien  qu'on  n'espérât  pas  nous  rendre 
les  antiques  croyances  de  nos  pères ,  on  avait  ramené  une 
pallie  des  alnts  de  l'Église  et  du  sacerdoce.  Pour  cela  il  n'é- 
tait pas  besoin  de  foi,  mais  seulement  de  matière  imposable 
et  de  conscrits,  dont  on  faisait  des  prêtres.  Ce  dernier  bap- 
tême d'or,  d'intrigue  et  d^ibus,  a  été  pour  le  vieux  catholi- 
cisme une  persécution  cent  fois  pire  que  tous  les  massacres 
de  la  révolution. 

En  fait  de  religion^  les  abus  tout  neufs  sont  peu  dange- 
reux :  ils  sautent  trop  à  l'œil  ;  ce  sont  seulement  les  vieilles 
superstitions,  les  \  ieux  abus  qui  sont  dangereux  : 

Plus  l'abus  est  iniliqne  et  plus  il  csl  sacre. 

(Voltaire,  las  Guèhics ,  tragédie.) 

Et  les  abus  en  politique!  la  carrière  est  immense.  Heu- 
reux l'État  qui  est  le  moins  iufecté  de  cette  contagion  ! 

Opliraiis  illc  est 

Qui  miuimis  urgetur 

(HORVCE,    Sut.  ) 

Maxime  sage  et  ^Taie;  mais  on  s'en  est  emparé,  et  Voltaire 
tout  le  premier,  pour  défendre  les  vieux  abus  de  certains 
États.  Je  doute  qu'aujourd'hui  il  opposât  le  gouvernement 
des  Chinois  et  des  Japonais  aux  réformateurs  politiques. 
>'otre  siècle,  qui  ne  croit  rien  sur  parole,  et  q\ii ,  giàce  à 
Voltaire  lui-môme ,  est  sous  ce  rapport  en  état  de  battre  sa 
nourrice,  commenterait  par  lui  demander  :  Connaissez-vous 
quelque  chose  à  ces  gouvernements,  à  cet  état  social,  que 
vous  nous  citez  pour  modèle  et  prototype  d'un  bon  ré- 
gime politique.  Je  doute  qu'aujourd'hui  S'oltaire  fit  sonner 
si  haut  l'excellence  du  gouvernem.ent  d'Angleterre.  Le  secret 
d'être  encore  mieux  que  les  autres  avec  des  abus  énormes 
n'est  plus  un  secret  de  stabilité  pom-  aucun  gouvernement. 
Dans  un  gouvernement  absolu,  la  royauté  couvre  tous  les 
abus,  ou  pour  mieux  dire,  elle  est  le  graud  abus  d'où  tous 
les  autres  dérivent.  Tant  qu'elle  est  assez  forte  pour  les  maî- 
triser, !.out  va  fort  bien  pour  elle,  et  passablement  pour  les 
peiq>les.  Mais  le  moment  vient  où,  réduite  à  n'être  plus  que 
là  complice  des  abus  secondaires,  elle  tombe  ;  et  c'est  notre 
histoire  au  temps  où  un  poëte  disait  de  Louis  XVI  sur  le 
trône  : 

Se  croyant  un  ;ibns  ,  il  ne  voudra  plus  rètre. 

Dans  un  gouvernement  mixte,  où  trois  pouvoirs,  royauté, 
aristocratie,  démocratie,  sont  en  présence,  si  c'est  l'aris- 
tocratie qui  a  foiulé  celte  liction  politique,  si  c'est  l'aris- 
tocratie qui  l'emporte,  connue  en  .\nglelerre,  la  royauté 
se  soumet  d'assez  bonne  grâce  à  n'être  que  la  seconde.  Si. 
connue  en  France,  c'est  la  démocratie  qui  a  concpiis  une 


des  trois  places,  la  royauté,  tantôt  flatteuse,  tantôt  cour- 
roucée, s'attache  à  diviser,  et  veut  à  toute  torce  usurper  la 
piemière.  La  chose  n'est  pas  diltic'le  avec  la  glo're  mili- 
ta re  d'un  Napoléon  :  ici  les  abus  se  cachent  sous  les  lau- 
riers. Le  peuple  peut  bien  se  résigner.  La  chose  est  une  in- 
solence de  la  part  de  tout  autre  :  alors  le  gouvernement 
tout  entier  devient  un  abus.  En  présence  d'un  système  re- 
présentait' élevé  sur  les  bras  du  peuple  en  1789  et  i8:jo, 
on  parlait  encore  de  système  héréditaire,  abus,  déception 
que  ce  mot  là. 

En  1S14,  à  la  suite  d'un  despotisme  militaire  dont  on  a 
trop  oublié  l'insupportable  intensité,  il  y  avait  de  la  finesse 
à  se  diic  à  la  fois  légitime  et  octroyeur  de  charte  :  c'était 
une  plaisanterie  de  bon  goi'it.  Nombre  d'hommes  d'hon- 
neur et  d'esprit  la  prirent  au  sérieux  ;  mais  les  sottises  deu 
-AI.  de  Blacas ,  la  bascule  de  M.  Decazes ,  les  fiuasseres  de- 
M.  de  Villèle,  et  l'illuminisme  despotique  de  M.  de  Poli- 
gnac ,  les  ont  désabusés  un  peu  plus  tôt  un  peu  plus  tard. 
Louis  XVIlI,roi  par  la  grâce  de  Dieu,  en  accordant  aux 
besoins  du  siècle  une  charte  de  progrès ,  comptait  bien  se 
réserver  à  la  fois  les  avantages  de  l'absolutisme  et  la  bonne* 
grâce  des  concessions  généreuses.  Sans  doute  il  avait  trop, 
d'esprit  pour  espérer  que  cela  tiendrait  longtemps  après 
lui  ;  mais  il  est  mort  aux  Tuileries  ;  il  rep-ose  aujourd'hui  à 
Saint -Denis,  sitr  la  Uième  marche  où  pourrissait  Louis  XV. 
C'est  ce  qu'il  voulait.  Oh  !  le  bou  temps  que  le  règne  de 
Louis  XVI II  pour  les  abus  modifiés,  atténués,  mais  pul- 
lulant, multipliant  partout,  grâce  à  ces  majorités  ai-isto- 
crates ,  qui ,  selon  un  graud  ennemi  des  abus,  «  ont  l'art 
d'an-acher  les  vêtements  et  le  pain  à  ceux  qui  sèment  le  blé 
et  préparent  la  laine;  l'art  d'accumuler  tous  les  trésoi-s 
d'une  nation  entière  dans  les  coffres  de  cinq  à  six  cents 
personnes.  »  (Voltaire.) 

Après  la  révolution  de  juillet  c'est  une  charte  qui  octroya 
un  roi  :  le  peuple  n'eut  rien  à  voir  dans  cette  affaire.  Mo- 
narchie meilleure  des  républiques ,  mots  étonnés  de  se 
trouver  ensemble,  mensonges  qui  se  combattaient;  enlin, 
abus  de  mots. 

On  nous  a  prouvé  en  politique  que,  par  un  éiran^e abus 
de  la  chose  et  du  mot ,  cet  adage  de  la  sagesse ,  médium 
tene,  c'est-à-dire,  tenez  un  j».s^e  milieu,  pouvait  devenir  le 
grand  cheval  de  bataille  d'un  macbiavél'sme  presque  tou- 
jours risible.  Mallieur  au  nouveau  gouvernement  qui  n'en 
finit  pas  tout  d'un  coup  avec  les  abus  de  celui  qui  l'a  pré- 
cédé. Ces  vieux  abus  étaient  peut-être  tolérables  quand 
ils  émana'ent  d'un  vieux  principe  ;  mais  que  dire  d'mi  gou- 
vernement qui  aflcctionne  de  préféience  les  abus  en  oppo- 
sition manifeste  avec  le  principe  de  son  existence? 

Administration,  faut-il  le  dire,  presqtje  îoujourir  syno- 
nyme à\ibus,  et  cela  ne  peut  guère  être  auti-ement.  L'ad- 
ministration n'est  autre  chose  qu'une  délégation  du  pou- 
voir, embarrassé  par  l'extrême  étendue  de  ses  attributions 
et  de  ses  rappoits.  Des  abus  dans  l'administration  sont 
l'effet  inhérent  à  la  cause  même  de  sa  création ,  qui  est 
l'impuissance  et  l'éloignement  du  souverain.;  puis  la  ma- 
nie que  les  gouvernants  et  les  conunis  ont  de  confondre  le 
gouvernement  avec  ladmiuistration.  De  l'adjuinistration 
sont  nées  la  bureaucratie  et  la  centralisation  ,  qui  sont  au- 
jourd'hui pour  la  France  deux  fléaux  bien  tenaces;  car 
elles  ont  survécu  depuis  17S9  à  toutes  les  révolutions;  que 
dis-je!  elles  se  sont  étendues,  multipliées,  et  pour  em- 
prunter les  énergiques  expressions  de  M.  Lcjuontey  ,  «  elles 
ont  éparpillé  leur  monopole,  engendré  des  myriades  de 
commis ,  dévoré  le  domaine  public,  comme  cette  armée  de 
Xerxès,  dont  le  passage  tarissait  les  eaux.  «  Sans  doute  il 
est  des  abus  auvquels  il  ne  faut  opposer  que  la  tolérance 
philosophique.  Jamais  vous  ne  rendrez  certains  administra- 
teurs moins  brusques  envers  les  contribuables ,  plus  polis, 
moins  dédaigneux.  Il  faut  bien  prendre  son  parti  sur 
une  foule  d'irrégularités  et  de  négligences  administratives 


ABUS 


.s  5 


dont  l'homme  privé  lui-même  se  rend  coiipahlc  dans  la 
gestion  de  ses  propres  alTaires  ;  mais ,  si  t  oiis  voyez  un 
fonctiûunaiienucounaitie  la  loi ,  aller  au  delà  de  ses  attri- 
butions, autoriser  de  sa  sijinature  des  marchés  onéreux  à 
rÉt;it,  criez  à  Vabiis,  et  vous  auniz  rempli  la  tâdie  d'nn  hon 
citoyen.  Il  est  aussi  dans  les  administrations  <les  ahiis  de 
Camille  et  d'intérieur,  dans  le  dél<v'l  destjuels  je  ne  daijjiu'- 
rai  pas  descendre  ;  ils  nie  conduiraient  au  mot  ahus  de  con- 
fiance, que  le  Code  Pénal  caractérise  beaucoup  mieux  que 
je  ne  jiourrais  le  faire,  \oltaire  parle  quelque  part  des 
abus  qui  régnaient  de  son  tt»nips  à  PHùtel-Dieu  de 
Paris,  abus  dont  une  honue  partie  a  heureusement  dis- 
paru. 11  rappelle  que  le^  administrateurs  de  l'Hôtel- 
Dieu  portaient  en  ct)nipte  la  valeur  de  cinquante  livres 
pour  diaque  malade,  ou  mort  ou  guéri.  IJnecompagnic  pro- 
posa de  gérer  pour  cinquante  livres  seulement  par  gué- 
rison  ,  offrant  de  prendre  les  morts  à  sa  charge.  Une  pro- 
position si  helle  uc  fut  point  acceptée ,  et  Voltaire  ajoute  : 
«  Tout  ahus  qu'on  veut  réformer  est  le  patrimoine  de  ceux 
qui  ont  plus  de  crédit  que  les  réformateurs.  » 

Cet  axiome  contient  tout  le  secret  de  la  perpétuité  des 
abus.  Tant  de  fariiiUes  honnêtes  en  vivent,  et  dépensent 
utilement,  honorablement,  l'argent  que  leur  procurent  les 
abus  1  D'ailleurs ,  ou  aime  assez  peu  les  réformateurs  : 
presque  tous  commencent  par  demander  une  place  pour 
être  à  même  d'opérer  leurs  réformes ,  et  cette  demande 
préalable  vient  décréditer  leurs  beaux  projets.  Le  réforma- 
teur obticnt-il  d'arriver-  au  pouvoir,  il  échoue  comme  Tur- 
got  :  il  devient  la  bête  noire  des  courtisans,des  princes , 
d'une  reine  ou  dévote  ou  avide  de  plaisirs  et  de  dépenses. 
L'anirt-'é,  toujours  flottante,  du  prince  ne  tarde  pas  à  aban- 
donner leministre  philosophe.  Le  réformateur  fait-il  comme 
tant  d'antres  :  uiîe  fois  nanti  d'un  bon  poste  ,  tronve-t-il 
tout  pour  le  mieux  dans  l'administration  ou  dans  le  gou- 
vernement, le  peuple  le  silfle  ;  mais  lui  s'applaudi'  en  sup- 
putant sou  or,  en  comptant  les  courtisans  qui  )\împlissent 
ses  salons ,  en  s'enivrant  de  ces  jouissances  si  propres  à 
endormir  la  conscience  d'un  parvenu. 

Et  les  démagogues  donc  1  croyez-vous  que  chez  eux  il 
n'y  ait  pas  abus  des  choses  et  des  mots?  Partisan  du  pou- 
voir, si  chacun  de  tes  discours  Uatteurs  est  un.e  pétition  à  la 
chambre,  j'aperçois  sous  ton  masque ,  fougueux  tribun  du 
peuple,  que  tu  ne  tonnes  contre  les  abus  que  parce  que  tu 
veux  te  mettre  à  la  place  de  ceux  qui  les  exploitent  pour 
les  exploiter  à  ton  tour.  Faut-il  donc  désespérer  et  du  pays 
et  de  l'humanité?  ^on  pas;  il  est  bon  que  les  méchants  se 
comballeat  entre  eux.  Dans  les  attaques,  dans  les  répliques,  il 
se  dit  des  choses  dont  l'opinion  fait  son  profit,  des  vérités  qui 
instruisent  le  peuple,  et  dont  le  peuple  s'armera  plus  tard  pour 
éloigner  aussi  hien  les  faux  amis  qui  Vont  abusé  que  les  gou- 
vernants qui  abusent  ouvertement  de  lui  et  de  son  argent. 

On  peut  dire  d'un  courtisan  qui  trouve  à  bien  vivre  et 
à  faire  son  chemin  sous  tous  les  régimes  :  «  11  vit  des  abus, 
mais  il  n'abuse  pas  de  son  crédit.  » 

Dans  le  temple  des  lois  que  d'abus  !  Je  ne  parle  pas  des 
juges  cupides  qui  vendent  la  justice ,  qui  tendent  la  main 
aux  plaideurs.  Cet  abus,  que  dis-je  !  ce  crime  est  plus  rare 
que  jamais ,  grâce  à  la  publicité  des  débats  ;  mais  s'il  existe 
encore  aujourd'hui  des  juges ,  très-probes  comme  hommes 
privés ,  ([lii  mettent  leurs  passions  politiques  dans  la  ba- 
lance de  la  justice,  il  y  a  abus,  abus  criminel  !  —  Autre 
abus  du  temple  de  Thémis  :  ce  pédantisme  judiciaire  qui 
porte  les  juges  et  les  bommci;  du  parquet  à  voir  partout 
des  coupables,  à  outrer  les  rigueurs  delà  loi.  Voyez  ces 
mêmes  juges  hors  de  leurs  fonctions ,  vous  les  trouverez 
doux  ,  complaisants ,  agréables.  Kt  la  faconde  inépuisable 
des  avocats  ;  et  leur  fausse  logique,  abtis.  abus!  Et  ces 
procureurs  qui,  sous  le  nom  d'avoués,  vivent  aujourd'hui  si 
noblement,  si  grandement  aux  dépens  des  plaideius ,  abus, 
abus,  toujours  abus  ! 


Et  ces  docteurs  fameux,  dont  le  scalpel  aventureux  semble 
avoir  sondé  toutes  les  mines  du  Potose  !  et  ce  médecin  à 
piirap/uie,  qui  ne  vous  donne  jamais  que  l'adresse  de  stm 
apothicaire  !  Et  ce  Galien  en  cabriolet ,  qui  vous  fait  dix 
visites  pour  une  !  Et  ce  malade  pour  qui  le  médecin  est  un 
dieu  quand  il  souffre,  et  devient  un  créancier  qu'on  salue 
à  peine  quand  la  santé  est  revenue!  Et  ce  libraire  qui  vous 
vend  le  nom  des  auteurs  et  non  pas  leurs  ouvrages  !  Et 
ces  aristarques  qui  élèvent  aux  nues  ou  abîment  un  livre 
sans  l'avoir  ouvert!  Et  ces  auteurs  qui  reçoivent  tout 
f.iits  des  écrits  qu'on  leur  paye  !  Et  ces  députés  qui  ont  de 
l'éloquence  qu'ils  payent  tant  la  feuille  à  un  publiciste 
ignoré!  Abus,  abus!  —  Et  ces  instituteurs  qui  montrent  ce 
qu'ils  ne  savent  pas!  Ces  commis  universitaires  qui  osent 
substituer  leur  monopole  aux  droits  imprescriptibles  des 
pères  de  famille!  abus  que  tout  cela!  Dans  la  philosophie 
que  d'abus!  Tel  se  dit  philosophe,  parce  qu'il  écrit  sur  la 
morale  ,  qui  ne  vaut  pas  mieux  que  les  tartufes  de  religion. 
Si  plus  d'un  grand  dévot  a  été  un  grand  misérable ,  j'ai 
connu  et  dans  l'histoire  et  dans  le  monde  plus  d'un  grand 
philosophe  qui  n'avait  rien  à  lui  envier  sous  ce  rapport. 
JVous  consolerons-nous  d'un  abus  par  l'autre  ?  iMon  ,  dans 
notre  sage  impartialité  ,  blâmons  également  l'abus  de  la  re- 
ligion et  l'abus  de  la  philosophie.  Ch.  Du  Rozoir. 

ABUS  (Appel  comme  d').  On  nomme  ainsi  le  droit  que 
la  loi  accorde  de  poursuivre  devant  le  Conseil  d'État  les  su- 
périeurs et  autres  personnes  ecclésiastiques,  dans  certaines 
circonstances.  Selon  la  loi  du  18  germinal  au  X,  les  cas  d'a- 
bus sont  «  l'usurpation  ou  l'excès  de  pouvoir,  la  contraven- 
tion aux  lois  et  règlements  de  la  république,  l'infraction  des 
règles  consacrées  par  les  canons  reçus  en  France,  l'attentat 
aux  libertés,  franchises  et  coutumes  de  l'Église  gallicane, 
et  toute  entreprise  ou  tout  procédé  qui,  dans  l'exercice  du 
culte,  peut  compromettre  l'honneur  des  citoyens,  troubler 
arbitrairement  leur  conscience,  dégénérer  contre  eux  en  op- 
pression, ou  en  injure,  ou  en  scandale  public.  «  L'article  7  de 
la  même  loi  porte  qu'il  y  aura  pareillement  recours  au  Con- 
seil d'État  s'il  est  porté  atteinte  à  l'exercice  public  du  culte 
et  à  la  liberté  que  les  lois  et  les  règlements  garantissent  à 
ses  ministres.  L'acticle  8,  après  avoir  disposé  que  le  recours 
compétera  à  toute  personne  intéressée ,  et  qu'à  défaut  de 
plainte  particulière,  il  sera  exercé  d'office  par  les  préfets, 
ajoute,  pour  régler  la  foniie  du  recours  et  fixer  l'étendue  des 
pouvoirs  du  Conseil  d'État  :  «  Le  fonctionnaire  public,  l'ecclé- 
siastique ou  la  personne  qui  voudra  exercer  ce  recours  adies- 
sera  un  mémoire  détaillé  et  signé  au  conseiller  d'État  chargé 
de  toutes  les  affaires  concernant  les  cultes  (  aujourd'hui  au 
ministre  des  cultes  ) ,  lequel  sera  tenu  de  prendre  dans  le 
plus  court  délai  tous  les  renseignements  convenables;  et,  sur 
son  l'apport,  l'affaire  sera  suivie  et  définitivement  terminée 
dans  la  forme  administrative,  ou  renvoyée  suivant  l'exigence 
des  cas  aux  autorités  compétentes.  » 

L'appel  comme  d'abus  n'est  pas  seulement  ouvert  contre 
les  ministres  du  culte  catholique.  Il  est  évident  qu'il  doit 
s'appliquer  aussi  ])ien  aux  ministres  du  culte  protestant  et 
aux  ministres  du  culte  juif. 

L'appel  comme  d'abus  est  donc  à  la  fois  une  garantie 
pour  les  inférieurs  elles  particuliers  contre  les  empiétements 
du  clergé,  et  surtout  un  frein  remis  au  pouvoir  civil  pour 
arrêter  l'accroissement  de  la  puissance  cléricale.  Cependant 
dans  ses  arrêts  le  Conseil  d'Etat  se  borne  à  déclarer  qu'il  y  a 
abus,  mais  sans  ajouter  aucune  sanction  pénale.  Dans  ses 
Questions  de  Droit  Administratif,  M.  deCormenin  établit 
que  s'il  s'agit  de  crimes  ou  délits  commis  par  des  ecclésias- 
tiques envers  des  particuhers  dans  l'exercice  du  culte,  c'est 
aux  tribunaux  à  statuer,  après  autorisation  préalable  du 
Conseil  d'Éîat.  D'autres  pensent  que  le  prêtre  n'est  pas  un 
fonctionnaire  public,  et  que  celle  autorisation  n'est  pas  né- 
cessaire. S'il  s'agit  de  fautes  contre  la  discipline  de  l'Église  ou 
dedélils  purement  spirituels,  c'est  aux  officialités  diocésaines 


5  fi 


à  appliquer  les  peines  définies  parles  canon 
ai!x  officiers inétioijolitains. S'il  s'aç^itd'iiMirpation  oud'excès 
de  pouvoir,  ou  de  contraventions  aux  lois  et  rè^;lements  de 
l'einiiire  par  voie  de  mandements,  sermons,  lettres  pastora- 
les, etc.,  le  Conseil  d'État  peut,  sur  la  d("lation  de  l'autoiiK'', 
déclarer  l'abus  de  cesactes  et  prononcer  leursuppression.  S'il 
s'agit  des  réclamations  d'un  ecclésiastiiiue  contre   l'acte  de 
son   supérieur  qui   tendrait  à  le  priver  de  ses  traitements, 
fonctions  et  avantages  civils  et  temporels,  le  recours  comme 
d'ahus  serait  ouvert  au  second  degré  devant  le  même  tri- 
bunal. INIais  s'il  s'agit  de  refiisde  sépulture  et  de  sacrements, 
l'autorité  civile  na,  selon  M.  deCormenin,  aucune  juridiction 
à  exercer.  Celte  dernière  opinion  e^t  très-controversée  ,  et 
le  Conseil  d'État  a  décidé  le  contraire  en  J  838,  en  déclarant 
abusif  le  refus  de  sépulture  fait  au  comte  de  Montlosier. 
Quoi  qu'il  en  .soit,  les  appels  comme  d'abus  ont  pris  une  cer- 
taine imporfancedans  les  derniers  temps  de  la  nionarcliie  par 
les  déclarations  que  le  Conseil  d'État  fit  contre  différent- 
mandements  d'évC-ques   qui   attaquaient  les  institutions  à 
propos  de  la  lutte  pour  la  liberté  de  lenseignement.  Le  26 
octobre  18:>0  le  Conseil  d'État  avait  supprimé  un  mandement 
de  l'évèque  de  Poitiers  publiant  dans  les  églises  paroissiales 
de  son  diocèse  im  bref  du  pape  sans  l'autorisation  préalable. 
On  fait  romoiiler  l'origine  du  recours  à  l'autoritédes  prin- 
ces contre  les  abus  de  pouvoir  des  j'.iges  ecclésiastiques  au 
règne  de  Constantin.   Saint  Athanase  demandant  à  cet  em- 
pereur  ch  itien  de  réfonner  la  condamnation  prononcée 
contre  lui  par  le  concile  de  Tyr  en  fournit  le  premier  exem- 
ple. Sous  nos  rois,  saint  Louis,  accordant  auv  évêques  de 
faire  i  oursuivre  ceux  qui  vivaient  excommuniés,  réserva 
expressément  à  la  puissance  civile  le  droit  d'examiner  les  sen- 
tences prononcées  par  l'autorité  ecclésiastique  ;  de  là  la  pro- 
cédure qui  fut  appelée  (['abord  plainfe  au  roi,  puis  appel 
réfjulicr  au  parlement ,  et  euiin   appel  comme  d'abus. 
L'iii^foire  fournit  une  foule  d'à  ij  lications  de  cette  législation 
qui  bridait  sans  scandale,  selo.i  l'expr,  ssion  de  Pasquier,  la 
puissance  des  prélats.  Le  cle:  -é  demanda  plusieurs  fois  que 
les  cas  où  l'appel  comme  d'abus  pou^ait  être  exercé  fussent 
fixés  d'une  manière  précise;  ma'S  la  législation  dut  toujours 
rcslervagueeu  des  matières  au-si  subtiles.  En  1813  un  décret 
attribua  aux  cours  impériales  la  connaissance  des  affaires 
connues  sous  le  nom  d  appels  comme  d'abus  ;  mais  depuis  la 
restauration  la  jurisprudence  regarda  ce  décret  connne  nul. 
ABUS  D'AUTORITÉ.  C'est  l'acte  d'un  fonctionnaire 
qui  méconnaît  ou  outre-passe  son  pouvoir.  —  Sous  la  ré- 
publique romaine  les  abus  d'autorité  étaient  réprimés  avec  la 
plus  grande  sévérité.  Quelques  ordonnances  des  rois  de  France 
ont  aussi  précisé  les  cas  d'abus  d'autorité  et  indiqué  la  mar- 
cbc  à  suivre  pour  attaquer  les  fonctionnaires.  Aux  termes 
du  Code  Pénal  les  abus  d'autorité  se  divisent  en  deux  classes: 
Abus  d'autorité  contre  les  particuliers,  abus  d'autorité 
contre  la  chose  publique.  Il  y  a  abus  d'autorité  contre  les 
personnes  :  1°  quand  un  fonctionnaire  s'introduit  dans  le  do- 
mi(  ile  d'un  citoyen  liors  les  cas  prévus  par  la  loi  et  sans  les 
formalités  qu'elle  a  prescrites  ;  2"  quand  il  refuse  de  rendre  la 
justice  (voyez  Déni  de  Justice );  .3"  quand  sans  motifs  légiti- 
mes il  use  de  violence  envers  les  personnes  dans  l'exercice  de 
ses  fonctions  ;  4"  quand  il  commet  ou  facilite  la  suppression 
ou  l'ouverture  de  lettres  confiées  à  la  poste.  11  y  a  abus  d'au- 
torité contre  la  cbose  publique  quancî  un  fonctionnaire  pu- 
blic, agent  ou  préposé  du  goiivememcnt,  de  quelque  état  ou 
grade  qu'il  soit,  requiert  ou  ordonne,  fait  requérir  ou  ordonner 
l'action  ou  l'emploi  de  la  force  publique  contre  l'exécution 
d'une  loi  ou  contre  la  perception  d'une  contribution  légale 
ou  contre  l'exécution  soit  d'une  ordonnance  ou  mandat  de 
justice ,  soit  de  tout  autre  ordre  émané  de  l'autorité  légi- 
time. 

ABUS  DE  COXFIAJXCE.  11  y  a  abus  de  confiance, 
aux  termes  du  Code  Pénal  (  art.  40(i  et  suivants)  :  i°  lors- 
qu'on abuse  des  besoins,  des  faiblesses  ou  des  passions  d'un 


ABUS  —  ABUSER 
sauf  le  recours      mineur  pour  lui  faire  souscrire  à  son  préjudice  des  obliga- 


tions, quittances  ou  décliarges  [lour  prêt  d'argent,  de  choses 
mobilières,  etc.,  sous  quelque  forme  que  cette  négociation  ait 
été  déguisée  :  la  peine  est  de  deux  mois  à  deux  ans;  2°  lots- 
qu'abusant  d'un  blanc-seing  on  a  frauduleusement  écrit 
au-dessus  une  obligation  ou  décbarge  ,  ou  tout  autre  acte 
pouvant  compromettre  la  personne  du  signataire  ;  il  y  a  de 
plus  crime  de  faux;  3°  lor.'jqu'on  a  détourné  ou  dissipé 
au  préjudice  des  propriétaires ,  possesseurs  et  détenteurs , 
des  eflets  ,  deniers ,  marchandises ,  billets,  quittances  ou 
tous  autres  écrits  contenant  ou  opérant  obligation  ou  dé- 
charge ,  s'ils  n'avaient  été  remis  qu'à  titre  de  louage ,  de 
dépôt ,  de  mandat ,  ou  pour  un  travail  salarié  ou  non  sa- 
larié, à  la  charge  de  les  rendre  ou  de  les  représenter,  ou 
d'en  faire  un  usage  ou  un  emploi  déterminé  :  la  peine  est  de 
deux  mois  à  deux  ans  d'emprisonnement  ;  et  si  le  coupable 
est  homme  de  service  à  gages ,  élève ,  clerc ,  commis ,  ou- 
vrier, compagnon  ou  apprenti  de  la  personne  à  l'égard  de 
qui  l'abus  a  été  commis ,  la  peine  est  la  réclusion  ; 
4"  lorsqu'après  avoir  produit  dans  une  contestation  judi- 
ciaire une  pièce  quelconque,  on  l'aurait  soustraite  ensuite 
de  quelque  manière  que  ce  soit  :  la  peine  est  d'une  amende 
de  vingt-cinq  à  trois  cents  francs. 

ABUS  DES  j\IOTS ,  fausse  application  qu'on  en  fait, 
en  les  détournant  de  leur  vrai  sens.  «  Les  livres,  comme 
les  conversations,  dit  Voltaire,  nous  donnent  rarement  des 
idées  précises.  Rien  n'est  si  commun  que  de  lire  et  de  conver- 
ser inutilement.  »  C'est  pour  cela  que  Locke  a  tant  recom- 
mandé de  définir  les  termes.  En  effet  que  de  disputes  pour 
des  mots  qu'on  n'entend  pas  mieux  souvent  d'un  côté  qiie 
de  l'autre  !  «  Dans  toutes  les  disputes  sur  la  liberté,  dit  en- 
core Voltaire  ,  un  argumentant  entend  presque  toujours  une 
chose  et  son  adversaire  une  autre.  Un  troisième  sunient 
qui  n'entend  le  premier  ni  le  second ,  et  qui  n'en  est  pas 
entendu.  Dans  les  disputes  sur  la  liberté  ,  l'un  a  dans  la  tête 
la  puissance  d'agir,  l'autre  la  puissance  de  vouloir,  le  dernier 
le  désir  d'exécuter;  ils  courent  tous  trois,  chacun  dans  son 
cercle,  et  ne  se  rencontrent  jamais.  Il  en  est  de  même  des 
querelles  sur  la  grâce.  Qui  peut  comprendre  sa  nature ,  ses 
opérations,  et  la  suffisante  qui  ne  suffit  pas,  et  l'efficace  à  la- 
quelle on  résiste"?  »  L'abus  des  mots  repose  presque  toujours 
sur  l 'équivoque.  Mais  c'est  surtout  une  équivoque  volon- 
taire. Il  est  donc  du  plus  grand  intérêt  de  donner  des  mots 
des  définitions  rigoureuses.  Malheureusement  quand  les  idées 
ne  sont  pas  claires,  les  expressions  ne  peuvent  pas  l'être, 
et  de  là  des  querelles,  des  combats  pour  des  mots  que  per- 
sonne ne  comprend  ,  mais  qui  cachent  souvent  des  passions 
et  des  intérêts. 

ABUSER.  Comme  verbe  neutre ,  ce  mot  signifie  user 
avec  excès ,  faire  mauvais  usage ,  faire  tourner  à  son  profit. 
Abuser  de  sa  fortune,  d'un  droit,  d'une  permission,  de  la  pa- 
tience, de  la  bonté  de  quelqu'un.  «  Ma  iiWe,  j'abuse  de  vous, 
écrit  madame  de  Sévigné,  voyez  quels  fagots  je  vous  conte.  » 
«  L'homme  abuse  également  et  des  animaux  et  des  hom- 
mes, )>  dit  Buffon.  L'Académie,  d'accord  avec  le  Code, 
définit  la  propriété  «  le  droit  d'user  et  d'abuser.  »  Abuser 
(V  une  femme ,  d'une  fille ,  c'est  en  jouir  sans  l'avoir  épou- 
sée. «  11  faut  être  bien  malhonnête  homme,  dit  le  Diction- 
naire de  Trévoux,  pour  abuser  de  la  femme  de  son  ami  et 
de  la  fille  de  son  hôte.  »  —  A  l'actif  le  verbe  abuser  signifie 
tromper,  en  se  servant  de  l'influence  ou  de  l'empire  que 
donnent  l'ignorance,  la  simplicité,  la  confiance  d'autrui. 
«  Il  vous  promet  cela,  il  vous  abuse,  »  dit  l'Académie.  Les 
faux  proj>hètes,  les  charlatans  afnisent  les  peuples,  »  ajoute 
Trévoux.  Les  passions,  l'imagination  ,  l'amour-propre  nous 
abusent.  —  Abtiser  tine  fille,  c'est  la  tromper  par  de 
fausses  promesses.  On  s'abuse  par  prévention  c^u  par 
défaut  de  jugement.  La  jeunesse  et  la  vieillesse  s'abusent 
souvent,  parce  que  chaque  Age  a  ses  passions,  ses  illusions. 
Abuser  de  soi-même ,  c'est  se  livrer  à  la  funeste  pratique 


ABUSER  —  ABYSSIME 


de  la  masturbation.  —  Du  verbe  abuser  on  a  fait  le  sub- 
stantif «^K.fPHr,  pour  (lualifier  celui  qui  trompe,  qui  abuse. 

ABYDOS.  Nom  que  portèrent  deux  ville>  de  l'antiquité. 
L'ime,  située  dans  l'.Vsie  .Mineure,  à  l'endroit  le  plus  res- 
serré de  rHellespont,  \is-ii-vis  de  Sestos  en  liurope,  est  cé- 
lèl)re  par  les  amours  d'Héro  et  de  Léandre  et  par  le  pont 
de  bateaux  que  Xerxès  y  fit  jeter.  Elle  porte  aujourd'hui  le 
nom  de  yagara  Baroiin ,  et ,  comme  toute  la  cote ,  elle  est 
hérissée  de  batteries  qui  dominent  les  Dardanelles. 
—  L'autre  Abydos,  aujourd'hui  Mod/ouneh  (c'est-à-dire  la 
ville  enterrée  ),  se  trouve  en  Égyjite,  sur  la  rive  gauciie  du 
Kil,  au  sud  de  Ptolémais.  Elle  fut  autrefois  la  première  ville 
de  l'Egypte  après  Thèbes;  mais  déjà  du  temps  de  Strabon  ce 
n'était  plus  qu'un  village.  Ce  n'est  plus  maintenant  qu'une 
ruine,  où  l'on  voit  encore  des  peintures  et  des  hiéroglyphes 
remarquables.  C'est  laque  fut  trouvée,  en  ISIS,  la  fameuse 
table  chronologique  dite  Table  des  prénoms  d'Âbydos,  où 
les  anciens  pharaons  sont  désignés  par  leurs  noms  royaux. 

ABYME,  que  le  Dictionnaire  de  V Académie  écrit 
abime,  bien  que  ce  mot  vienne  du  grec  âousao; ,  ce  qui  n'a 
point  de  fond,  ce  qu'on  ne  peut  pénétrer,  s'entend  générale- 
ment d'un  gouffre  très-profond,  où  l'on  se  perd,  d'où  l'on  ne 
peut  sortir.  Au  physique  comme  au  moral,  ce  mot  emporte 
avec  lui  l'idée  d'une  profondeujr  immense  jusqu'où  l'on  ne 
saurait  paiTcnir. 

La  Genèse  (  VII ,  1 1  )  mentionne  l'abyme  comme  un  vaste 
gouffre  qui ,  toutes  ses  sources  ayant  été  rompues,  répandit 
à  la  face  de  la  terre  une  moitié  des  eaux  du  déluge ,  dont 
l'autre  moitié  résulta  des  cataractes  du  ciel ,  ouvertes  en 
même  temps.  L'Apocalypse  (  IX,  6,  10  )  fait  de  l'abyme  un 
puits  dont  la  clef  fut  donnée  à  une  étoile  tombée  du  ciel, 
et  qui  l'ouvrit.  Il  s'éleva  de  ce  puits  une  fumée  comme  celle 
d'une  fournaise,  d'où  provinrent  des  espèces  de  sauterelles 
semblables  à  des  chevaux  de  combat ,  avec  des  couronnes 
d'or,  des  visages  d'homme  ,  des  cheveux  de  femme  ,  des 
cuirasses  de  fer  et  une  queue  de  scorpion.  Il  est  conséquem- 
ment  indubitable  que  l'abyme  du  commencement  de  la 
Bible  ,  où  les  flots  épurateurs  de  l'espèce  humaine  rentrè- 
rent après  que  les  méchants  furent  noyés ,  est  demeuré  le 
grand  réservoir  dont  nos  puits  artésiens  démontrent  l'exis- 
tence, tandis  que  celui  que  désigne  la  fin  de  la  même  Bible, 
étant  au  contraire  un  foyer  d'embrasement ,  ne  peut  être 
qu'un  soupirail  de  cette  région  incandescente  avouée  par 
les  plus  savants  géologues  ,  qui  s'étend  à  vingt  ou  trente 
lieues  d'épaisseur  sous  nos  pas ,  et  dont  les  éruptions  vol- 
caniques sont  également  d'évidents  témoignages.  —  Quant 
aux  sauterelles  sorties  de  la  fumée  de  l'abyme  ,  de  graves 
docteurs  de  l'Église,  à  qui  nous  devons  de  si  lucides  com- 
mentaires sur  des  livres  qu'on  doit  révérer  d'autant  plus 
qu'on  les  comprend  moins ,  de  grands  docteurs ,  disons- 
nous,  y  reconnaissent  les  hérétiques.  Pour  eux,  l'étoile  qui 
donna  à  proprement  parler  la  clef  des  champs  à  de  si  étran- 
ges bêtes  fut  la  figure  palpable  de  Luther. 

L'n  naturaliste  qui  a  traité  sous  un  autre  point  de  vue  le 
mot  abyme  dans  un  dictionnaire  spécial  le  définit  de  la  sorte  : 
«  GoufTre  profond ,  dont  l'imagination  se  plait  à  exagérer 
«  l'immensité  ,  et  qui  pour  le  vulgaire  communique  aux 
«  entrailles  de  notre  planète ,  parce  que  certaine  mytho- 
«  logie  fait  mention  d'un  puits  ténébreux  d'où  sortirent 
«  tour  à  tour  des  masses  d'eau  et  d'épaisses  fumées.  Ces 
«  prétendus  abymes  ne  sont  guère  que  des  grottes  obscures, 
«  des  trous  plus  ou  moins  considérables  dans  lesquels  on 
«  n'ose  pénétrer,  d'antiques  excavations  s'enfonçant  dans 
«  le  sol  d'une  façon  plus  ou  moins  verticale ,  des  cratères 
«  de  volcans  éteints ,  des  lacs  enfoncés  dans  quelque  étroite 
•<  et  rude  vallée  que  la  sonde  aurait  inutilement  interrogés; 
«  de  tels  accidents  de  terr  dn ,  généralement  superficiels  , 
•<  sont  trop  peu  importants  dans  l'histoire  physique  du  globe 
«  poiu-  mériter  l'attention  du  savant  et  rpie  nous  perdions 
«  du  temps  à  les  examiner  ici  ,  les  récits  exagérés  de  cer- 

OICT.    DE    L.^   CO.NVtKSATlON.    —   T.    I. 


«  tains  voyageurs  et  la  crédulité  des  ignorants  leur  ayant 
«  donné  toute  leur  célébrité.  »  On  voit  par  ce  passage  que 
l'abyme  n'avait  pas  la  même  importance  aux  yeux  de  celui 
à  qui  nous  venons  d'emprunter  quelques  lignes ,  qu'à  ceux 
des  Calmet  ou  des  Lachetardie. 

BOKY  DE  Saint-Vincf.ST  ,  de  l'Académie  des  Sciences. 

—  Le  mot  abyme  s'emploie  aussi  figurément  en  parlant 
des  choses  impénétrables  à  l'esprit  humain.  C'est  ainsi 
qu'on  dit  que  les  jugements  de  Dieu  sont  des  abymes. 

En  termes  de  blason ,  on  dit  d'une  pièce  qui  est  au  milieu 
de  l'écu  et  ne  charge  ni  ne  touche  aucune  autre  pièce, 
qu'elle  est  en  abyme.  Exemple  :  Il  porte  d'azur  à  trois 
étoiles  d'or,  un  croissant  d'argent  mis  en  abyme.  Un  petit 
écu  au  milieu  d'un  grand  est  en  abyme. 

ABY'SSIXIE  ou  IIABESCH.  C'est,  dans  le  sens  le 
plus  large ,  le  territoire  du  grand  plateau  oriental  de  l'Afri- 
que centrale,  qui  s'élève  en  terrasses,  au  nord-est  de  la  mer 
Rouge,  dans  la  direction  du  sud-ouest,  qui  s'abaisse  au  nord 
dans  les  basses  terres  marécageuses  et  boisées  de  la  Kolla 
ou  Mazaga,  et  à  l'ouest  dans  les  plaines  de  Sennaar  et  de 
Kordofan  ;  qui  est  borné  à  l'est  par  les  côtes  sablonneuses  de 
la  Samhara,  sur  la  mer  Rouge,  et  par  le  pays  d'Adel,  sur  le 
golfe  d'Aden,  mais  qui  au  sud  est  demeuré  en  partie  encore 
à  peu  près  inconnu.  Cette  contrée  se  compose  d'une  succes- 
sion de  plateaux,  avec  de  profondes  fondrières,  du  milieu  des- 
quelles s'élèvent  à  pic  des  terrasses  de  grès  désignées  sous  le 
nom  (WLmbas.  Les  plateaux  sont  traversés  par  de  nombreu- 
ses chaînes  de  montagnes ,  le  plus  ordinairement  d'origine 
volcanique,  qui  atteignent  leur  plus  haut  degré  de  hauteur 
dans  les  provinces  de  Simen  et  de  Godjam,  où  elles  s'élèvent 
jusqu'à  3,700  mèti'es.  Cest  en  .Vbyssinie  que  le  Xil  prend 
sa  source.  Dans  la  direction  du  sud  coule  le  Hawasch, 
fleuve  à  peu  près  inconnu.  Le  grand  plateau  renferme  aussi 
divers  lacs  dont  le  plus  considérable  est  le  lac  de  Tzana,  que 
traverse  le  Ml  Bleu.  Dans  la  région  des  montagnes  le  cli- 
mat est  sain  et  tempéré;  sur  les  côtes  sablonneuses  de  l'est, 
de  même  que  dans  les  marécages  du  nord  et  du  nord-ouest, 
où  la  chaleur  est  étouffante ,  il  est  malsain.  La  région  des 
montagnes  n'offre  pas ,  au  point  de  vue  des  productions  du 
règne  animal  et  du  règne  végétal,  une  différence  moins  frap- 
pante avec  la  contrée  des  basses  terres  que  sous  le  rapport  du 
climat.  La  grande  masse  de  la  population  se  compose  d'Abys- 
sins, descendants  des  anciens  Éthiopiens  qui  peuplèrent  l'E- 
gypte en  passant  par  Méroe  et  en  descendant  le  Nil.  Quoique 
ce  soit  là  une  antique  race  aborigène,  les  Abyssins  n'appar- 
tiennent cependant  pas  à  la  race  nègre.  Si  en  effet  ils  pré- 
sentent toutes  les  variétés  et  toutes  les  nuances  de  la  cou- 
leur brune ,  leurs  longs  cheveux  ,  le  type  de  leur  visage,  qui 
se  rapproche  beaucoup  de  celui  de  l'Arabe ,  leur  belle  con- 
formation physique  et  leur  langue ,  qui  offre  beaucoup  d'a- 
nalogie avec  les  langues  sémitiijues,  prouvent  qu'ils  appar- 
tiennent à  la  race  caucasienne,  et  spécialement  à  la  famille 
sémitique ,  formant  le  point  de  transition  à  la  race  nègre 
d'Afrique. 

Les  productions  du  sol  del'Abyssinie  sont  variées  et  abon- 
dantes. Elle  donne  du  froment,  de  l'orge ,  du  millet  et  sur- 
tout une  espèce  de  céréale  nommée  te(f  par  les  habitants, 
dont  elle  est  la  nourriture  principale.  Dans  les  parties  les  plus 
basses,  où  le  teff  même  ne  peut  plus  être  cultivé,  le  cousso, 
autre  espèce  particulière  de  grain,  fournit  un  pain  noir  dont 
se  nourrit  la  classe  inférieure  des  habitants.  Toutes  les  cé- 
réales donnent  au  moins  deux  récoltes  par  an.  Parmi  les 
autres  produits  végétaux  de  l'Abyssinie  on  cite  le  coton, 
l'arbre  à  myrrhe,  le  figuier,  le  citronnier,  l'oranger  et  la 
canne  à  sucre;  dans  quelques  parties  on  trouve  le  dattier  et 
la  vigne;  le  papyrus  croît  dans  les  lacs  et  rivières.  La  fige 
d'une  espèce  de  pabnier,  nouuné  ensdfé,  qui  croît  en  tiès- 
grande  abondance,  donne  la  nourriture  végétale  la  plus  es- 
timée des  habitants.  Les  animaux  domesticpies  sont  le  che- 
val, le  mulet,  l'âne  et  le  bœuf,  élevés  en  grand  nombre. 


ABYSSIN!  E 


Parir.i  les  grandes  espèces  d'animaux  sauvages  ,  lYl(''phant, 
le  rhinocéros,  l'antilope,  le  bulile,  la  hyène,  liiippopolame  et 
le  crocoilile  sont  les  plus  répandues  ;  dans  certaines  parties 
on  rencontre  le  lion  et  le  léopard.  Les  abeilles  fournissent  un 
produit  tres-iuii>orlant  au  commerce  et  à  la  consommation. 
Le  produit  minéral  le  pins  remarquable  est  le  sel,  que  Ton 
exploite  au  sud-est  de  Tigré,  dans  une  vaste  plaine  où  il 
forme  une  couche  de  plus  de  deux  pieds  d'épaisseur. 

Si  les  documents  qu'on  possède  sur  l'iiistoire  primitive  de 
l'Abyssinie  sont  remplis  de  fables ,  ils  n'en  établissent  pas 
nioins  d'une  manière  irréfragable  que  ses  habitants  appar- 
tiennent aux  peuples  de  la  terre  qui  ont  le  i)lus  tôt  été  civi- 
lisés. Les  Abyssins  apparaissent  pour  la  première  fois  dans 
riii.-toireii  propos  de  Teuipire  d'Ax  um.  Le  christianisme  tut 
introduit  chez  eux  vers  le  milieu  du  quatrième  siècle,  et  il  se 
répandit  bientôt  dans  toute  l'Abyssinie.  Sous  la  domination 
des  Axumites,  l'empire  d'Abyssinie  atteignit  l'apogée  de  sa 
grandeur  et  de  sa  prospérité,  auxquelles  les  progrès  toujours 
croissants  de  l'islajnisme  netardèrentpas  à  mettre  un  terme. 
Dès  lors  commencèrent  entre  les  Abyssins  et  l'islamisme  des 
luttes  qui  dureut  encore  aujourd'iiui,  et  qui  eurent  pour  ré- 
sultat de  réduire  de  plus  eu  plus  le  territoire  de  r.\byssi- 
nie.  C'est  ainsi  que  les  populations  de  la  côte  de  la  Sam- 
hara  et  du  pays  d'Adel  embrassèrent  le  mahométisme.  A 
partir  du  seizième  siècle,  époque  oii  l'Abyssinie  ne  se  com- 
posait déjà  plus  que  de  la  région  des  plateaux ,  commencè- 
rent les  irruptions  des  Gallas,  peuple  sauvage  originaire  des 
contrées  du  sud  et  offraut  beaucoup  de  ressemblance  avec 
la  race  nègre,  qui  arracha  à  cet  empire  un  lambeau  de  terri- 
toire après  l'autre,  qui  y  commit  les  plus  horribles  dévasta- 
tions et  le  précipita  ainsi  dans  une  barbarie  de  plus  en  plus 
grande.  Au  moyen  âge,  les  souverains  abyssins,  qa\  portaient 
le  titre  de  ncgiis,  avaient  constamment  entretenu,  depuis 
l'époque  des  croisades,  quelques  rapports  avec  l' Europe;  et 
à  partir  de  la  fin  du  quinzième  siècle  ils  eurent  des  rela- 
tions plus  directes  surtout  avec  le  Portugal.  Cette  circons- 
tance-lit concevoir  à  la  cour  de  Rome  le  projet  de  conver- 
tir les  Abyssins  au  catholicisme.  L'activité  combinée  des 
Poi-tugais  et  des  jésuites  réussit  effectivement,  dans  la  se- 
conde moitié  du  seizième  siècle,  à  exercer  en  Abyssiuie  une 
influence  notable,  et  qui  s'explique  par  les  services  signalés 
que  les  premiers  eurent  occasion  de  rendre  aux  souverains 
(l'Abyssinie  dans  leurs  guerres  contre  les  mahoraétans  et  les 
Gallas.  Cette  influence  fut  telle,  qu'en  1603  la  famille  royale 
tout  entière  embrassa  le  catholicisme,  et  l'antique  Église 
chrétienne  d'Abyssinie  s'unit  à  l'Église  de  Rome  et  recoimut 
sa  suprématie.  11  en  résulta  des  luttes  intérieures,  parce 
que  le  peujile  persista  à  demeurer  fidèle  à  son  ancienne  li- 
turgie ;  et  le  calme  ne  se  rétablit  dans  le  pays  que  lorsque 
le  roi  Socinius  eut  abjuré  les  dogmes  de  l'Église  de  Rome  et 
expulsé  de  ses  États  ou  fait  périr  en  f6:52  les  prêtres  ca- 
tholiques. Depuis  lors  la  cour  de  Rome  n'a  pas  cessé  de 
faire  des  tentatives  pour  recouvrer  son  ancienne  inHuence 
en  Abyssinie  ;  et  ses  efforts  ont  surtout  été  grands  dans  ces 
derniei-s  temps,  lorsqu'elle  vit  des  missionnaires  allemands 
et  anglais  chercher  à  gagner  les  Abyssins  au  protestantisme. 
A  ces  rivalités  religieuses  se  sont  jointes  les  rivalités  poli- 
tiques de  la  France  et  de  l'Angleterre;  aussi  de  nos  jours 
l'Abyssinie  est  elle  le  théâtre  dune  lutte  des  plus  acharnées 
entre  les  émissaires  et  missionnaires  franco-catholiques  et 
anglo-protestants  qui  inondent  le  pays. 

A  la  suite  des  dévastations  commises  par  les  Gallas  et  de 
l'anarchie  complète  dans  laquelle  les  discordes  religieuses 
ont  jeté  le  pays ,  le  roi  ou  négus  n'a  plus  conservé  que 
l'ombre  de  la  puissance ,  tandis  que  les  ras  ou  gouverneurs 
de  provinces  se  sont  rendus  en  fait  souverains  ijidépendanls, 
chacun  dans  son  gouvernement,  lien  résulte  que  l'.Vbyssinic 
forme  aujourd'hui  trois  lltalsprincipaux,  indépendants  l'un  de 
l'autre  :  celui  de  Tigré,  qui  conqiren.d  la  partie  nord-est  du 
plaleau,  entre  le  Taca/zé  et  le  mont  Simen  dun  côté,  et  la 


Samhara  de  l'autre ,  avec  les  villes  d'Antalow  et  d'Adana; 
celui  de  Gondnr  ou  AWmara,  qui  comprend  le  territoire 
situé  a  l'ouest  du  ïacazzé  et  du  mont  Simen ,  avec  Gondar 
pour  capitale  ;  enfin  celui  de  Choa  et  ù'EJùt ,  situé  au  sud 
des  deux  autres,  avec  Ankobar  pour  capitale.  On  compte  en 
outre  plusieurs  petits  princes  abyssins  à  peu  près  indépen- 
dants. Les  peuplades  Gallas  qui  ont  pénétré,  sous  les  or- 
dres de  chefs  particuhers  jusqu'au  cœur  de  l'Abyssinie  cl 
qui  en  ont  soumis  plusieurs  provinces,  sont  bien  autrement 
importantes.  Les  Gallas  dominent  surtout  au  sud  du  plateau, 
où  ils  entourent  presque  complètement  le  royaume  de  Choa 
et  d'Efàt ,  qui  tout  récemment  cependant  a  réussi  à  leur  re- 
prendre de  nombreuses  parties  de  territoire.  Les  mœurs  des 
diverses  peuplades  Gallas  différent  beaucoup  suivant  le  de- 
gré de  civilisation  auquel  elles  sont  parvenues.  Un  grand 
nombre  sont  devenues  fixes  et  sédentaires,  et  n'ont  pu  échap- 
per à  l'action  bienfaisante  de  la  civilisation  abyssinienne, 
notamment  celles  qui  habitent  au  centre  du  pays  et  dout 
quelques-unes  ont  même  embrassé  le  cl»ristiani.sme.  D'au- 
tres, au  contraire,  ont  conservé  jusque  aujourd'hui  leur  bar- 
;  barie  et  leur  férocité  primitives  ;  cependant  il  semble  que 
dans  ces  derniers  temps  elles  aient  beaucoup  perdu  de  leur 
puissance. 

Indépendamment  des  Abyssins  et  des  Gallas ,  le  plateau 
de  l'Abyssinie  est  encore  habité,  dans  la  province  de  Simen, 
par  des  Juifs  Talaclias,  lesquels  descendent  vraisemblable- 
ment de  Juifs  qui ,  après  la  destruction  de  Jérusalem  par 
Titus ,  abandonnèrent  leur  patrie  pour  venir  s'établir  dans 
ces  contrées,  ainsi  que  par  des  peuplades  nègres  qui ,  sous  le 
nom  de  Changallas,  forment  la  population  de  la  partie  occi- 
dentale de  la  région  des  mont&gnes ,  du  Jiar-el-Bertàt  et  du 
Fassokl,  de  même  que  des  terres  basses  et  marécageuses  du 
ilord.  La  côte  de  Samhara  est  habitée  par  les  peuplades 
nomades  des  Danakil ,  qui  professent  lïslamisme  et  habi- 
tent, comme  la  plupart  des  Changallas ,  des  cavernes.  Ceux 
d'entre  eux  qui  vivent  au  nord  de  Samhara,  sont  gouvejués 
par  un  naib  reconnaissant  la  suzeraineté  de  la  Porte  et  qui 
a  pour  résidence  Artiko ,  poit  de  mer  situé  en  face  de  Tilc 
de  Massouah,  appaileuant  au  pacha  d'iigypte.  Il  faut  encore 
citer  comme  dignes  de  remarque  les  contrées  de  Kafia  et  de 
Xarea,  qu'on  ne  connaît  que  par  de  fort  anciennes  relations, 
et  qui  sont  situées  au  sud,  sur  un  plateau  entouré  d'une  chaîne 
de  montagnes.  Elles  forment  l'extrémité  méridionale  du  pla- 
teau de  l'Abyssinie,  le  point  de  partage  des  eaux  du  Mil  et 
du  Cébé,  (|ui  y  prend  sa  source  et  va  se  jeter  dans  l'océan 
Indien,  et  sont  vraisemblablement  bornées  au  sud  par  les 
plaines  de  l'intérieur  de  l'Afrique  et  à  l'est  par-  la  profonde 
vallée  de  Djiudjiro.  Complètement  environnés  par  les  hor- 
des Gallas ,  leurs  habitants ,  race  aussi  remarquable  sous  le 
rapport  physique  que  sous  le  rapport  intellectuel,  qui  a  sa 
langue  particulière ,  dont  la  couleur  n'est  pas  plus  foncée  que 
celle  des  Européens  du  sud,  et  dont  la  valeur  égale  la  loyauté, 
ont  réussi  à  conserver  leur  indépendance. 

Par  suite  des  dissensions  intérieures  dont  l'Abyssinie  est 
le  théâtre  et  des  guerres  conlinueUes  avec  les  Gallas,  ce  pays 
se  trouve  aujourd'hui  dans  un  état  de  ruine  et  de  misère 
complètes,  qui  y  étouffe  de  plus  en  plus  les  éléments  de  la 
civilisation  ancienne,  et  qui  a  tellement  démoralisé  la  nation 
abvssinienne,  remarquaLle  cependant  par  les  heureuses  fa- 
cultés physiques  et  intellectuelles  dont  l'a  douée  la  nature, 
que  toutes  les  relations  s'accordent  à  la  représenter  comme 
superlativement  rusée  et  de  mauvaise  foi.  La  situation 
du  royaume  de  Choa  et  d'Efàt  est  encore  celle  qui  est  la 
plus  satisfaisante.  La  population  y  est  plus  nombreuse,  le 
sol  mieux  cultivé,  la  tranquillité  intérieure  mieux  assurée 
que  dans  les  autres  p;uties  de  r.\byssinie.  Les  Abyssins 
.sont  chrétiens,  sans  doute,  mais  leur  cliristianisme  ne  con- 
siste guère  que  dans  l'observation  rigoureuse  des  cérémonies 
du  culte  extérieur  ;  et,  quoique  très-nombreux,  leur  clergé 
s'occupe  beaucoup  de  subtilités  dogmatiques;  ce  sont  des 


ABYSSINIE 

rhiéticns  tros-tiMes,  à  en  juger  par  les  idées  qui  dominent 
généralement  itarnii  eux. 

Les  Abyssins  ont  une  littérature  inuticulicre,  qui  remonte 
à  une  haute  antiquité  et  consiste  en  ouvrages  et  en  chro- 
niques ecclésiasticiues,  dont  les  plus  importants  sont  la  traduc- 
tion de  la  liiblefl  celle  du  Tairk-ycijusfiti,  ou  Chronique  des 
rois.  Deux  dialectes  principaux  sont  aujourd'hui  en  \igiieur 
en  Abyssinie  :  la  langue  tigré,  dans  le  royaume  du  même 
nom,  provenant  de  l'ancienne  jcc.s,  et  la  langue  f/»j//«?ï7, 
en  usage  aussi  dans  le  royaume  du  même  nom  ainsi  que 
dans  le  sud  de  l'Abyssinie,  qui  se  rattache  bien  à  la  famille 
des  langues  sémitiques;  toutes  deux  cependant  dillèrent 
beaucoup  Tune  de  l'autre,  circonstance  qui  send)lerait  indi- 
quer que  les  Abyssins  se  composent  de  deux  races  ditl'é- 
rentes  quoique  voisines.  Les  juifs  de  Simen  ont  leur  langue 
à  eux,  de  même  que  les  autres  peuplades  fixées  en  Abys- 
sinie. 

Le  commerce  avec  l'Abyssinie  se  borne  aujourd'hui  encore 
à  l'exportation  de  l'or,  de  l'ivoire ,  des  cornes  de  rhinocéros 
et  à  la  vente  des  esclaves  ;  il  a  lieu  surtout  par  Arliko  et 
Massouali  pour  le  Tigré,  et  par  Zéila  pour  le  Choa  et  l'Efât. 
L'industrie  des  Abyssins  consiste  surtout  dans  la  fabrica- 
tion des  étolfes  de  coton,  des  cuirs  et  du  fer.  Consultez  les 
différents  ouvrages  de  Ludolf  relatifs  à  rÉthiopie  et  à  la 
langue  éthiopienne  ;  Yenhidcira  infonnacion  das  terras 
do  preste  loam,  par  le  P.  Alvarez  ;  la  Relacion  do  Em- 
baijco  da ,  etc.,  par  Bermudez,  ainsi  que  les  relations  de 
voyages  de  Bnice,  Sait,  Pearce,  Ruppel,  Gobât,  Schimper, 
Abbadie,  Comlîes  et  Tamisier,  etc. 

ABYSSIJXIE  (Église  d').  Les  chrétiens  d' Abyssinie  pro- 
fessent des  doctrines  monophysites.  Cette  Église  rattache 
son  origine  à  Tapôtre  saint  Mathieu;  mais  elle  ne  remonte 
pas  au  delà  de  Constantin  le  Grand.  Depuis  cette  époque  l'É- 
glise d' Abyssinie  demeura  subordonnée  à  celle  d'Alexan- 
drie. Aujourd'hui  elle  se  rapproche  par  ses  rits  et  sa  disci- 
pline de  l'Église  grecque,  tout  en  conservant  quelques  pra- 
tiques juives,  comme  la  circoncision,  le  choix  des  viandes, 
les  purifications,  l'observation  du  samedi,  etc.  Elle  a  de 
plus  conservé  des  premiers  temps  du  christianisme  les  aga- 
pes et  le  baptême  des  adultes.  Le  baptême  y  est  ordinaire- 
ment suivi  de  la  communion,  à  laquelle  personne  n'est  admis 
avant  Tùge  de  vingt-cinq  ans ,  les  Abyssins  pensant  qu'avant 
cet  âge  le  fidèle  ne  commet  pas  de  véritables  péchés.  Ce  qui 
distingue  l'Église  d' Abyssinie  de  l'Église  catholique,  c'est 
principalement  le  dogme  d'une  seule  nature,  c'est-à-dire  une 
sorte  de  fusion  de  la  nature  humaine  et  de  la  natine  divine 
en  Jésus-Christ.  L'Eglise  abyssinienne  a  pour  chef  nominal 
le  négus;  elle  est  gouvernée  par  un  métropolitain  appelé 
Papa  ou  Abonna  (c'est-à-diie  notre  père),  que  nomme 
toujours  le  patriarche  copte  d'.Uexandrie.  Leurs  églises  sont 
nombreuses.  Les  plus  anciennes  sont  taillées  dans  le  roc  vif. 
Celles  dont  la  construction  est  plus  moderne  sont  en  général 
plus  petites,  rondes  et  coniques,  avec  des  toits  en  chaume, 
situées  sur  des  éminences,  dans  le  voisinage  d'une  eau  cou- 
rante, qui  sert  au  baptême  ,  et  entourées  de  cèdres.  Dans  le 
sanctuaire  est  placé  l'autel,  dont  la  forme  est  celle  de  l'arche 
d'alliance  de  l'Ancien  Testament.  Ils  n'y  tolèrent  ni  statues 
ni  bas-reliefs,  maison  y  voit  force  tableaux.  Le  service  divin 
consiste  principalement  dans  la  lecture  de  passages  delà  Bi- 
bfe,  <!ans  laquelle  ils  admettent  aussi  des  livres  apocryphes, 
et  dans  l'administi  ation  des  sacrements.  Leurs  prêtres  sont 
au  total  très-ignorants.  Us  peuvent  se  marier,  et  sont  divisés 
en  homosars,  ou  |)rêtres  séculiers,  en  ubbus,  ou  docteurs 
es  écriture,  et  en  moines.  Parmi  ces  derniers,  ^lui  se  latta- 
cbent  à  la  congrégation  de  Saint-Ahtoine  ,  il  existe,  deux 
classes ,  dont  l'une  garde  le  célibat  et  vil  dans  des  cloîtres, 
observant  une  règle  très-scvcre,  et  dont  l'autre  se  marie,  et 
se  livre  à  la  pratique  de  l'agricuiture  et  de  ioute  espèce 
d'industrie.  Une  circonstance  remarcpiahie,  c'est  que  l'É- 
glise d'.Abyssinie  permet  au  souverain  la  polygamie. 


-  ACACIUS  59 

A-".  C".  (Tribunal  de  r).On  n'est  pas  d'accord  sur  la  véri- 
table signification  de  ce  nom  que  porte  un  tribunal  des  États 
pontificaux.  Suivant  les  uns,  ces  lettres  A.  C.  (que  l'on  pro- 
nonce en  italien  a-teJié),  veulent  dire  augusta  consulta  ; 
selon  le  plus  grand  nombre,  elles  sont  l'abréviation  des  mots 
auditoris  curin,  ou  bien  ouditor  camcrœ.  Cette  cour  est 
en  effet  présidée  par  un  évêque,  auditeur  de  la  chambre  apos- 
tolique ;  c'est  l'un  des  quatre  prélats  qui  sont  promus  de  dioit 
au  cardinalat  après  la  cessation  de  leurs  (onctions.  11  a  trois 
assesseurs  ecclésiastiques ,  le  trésorier  papal ,  le  gouverneur 
de  Rome  et  un  autre  supérieur  ecclésiastique.  On  les  appelle 
prelati  di  Jlocchito ,  parce  qu'ils  portent  à  leur  toque  une 
houppe  distinctive ,  et  cette  même  houppe  est  ajoutée  à  la 
livrée  de  leurs  gens.  Les  assesseurs  laïques  sont  au  nombre 
de  cinq  ;  ils  doivent  avoir  été  reçus  avocats.  —  Jadis ,  le 
tribunal  de  r.\.*.  C.\  n'était  composé  que  de  trois  prélats; 
il  jouissait  de  grandes  prérogatives.  Cette  chambre  repré- 
sentait en  quelque  sorte  le  pouvoir  temporel  du  pape  ;  elle 
avait  dans  ses  attributions  le  trésor,  la  fiscalité  et  la  haute 
administration  de  la  justice.  On  pouvait  de  tous  les  tribu- 
naux de  province  appeler  à  l'A.-.  C.-.  Il  était  même  libre  à 
tout  plaideur  de  province  de  décliner  la  juridiction  locale 
et  de  faire  porter  le  procès  à  Rome.  C'était  une  source  de 
forts  émoluments  pour  les  avocats  immatriculés  à  l'A.'.  C."., 
mais  une  source  de  ruine  pour  les  plaideurs.  —  Cet  état  de 
choses  a  subi  depuis  l'édiî  de  1 831  des  changements  notables. 
Les  juges  de  l'A.-.  C*.  n'ont  plus  de  pouvoir  que  sur  la  ville 
de  Rome  etson  arrondissement  territorial  (comarclio).  Deux 
des.juges  laïques,  présidés  par  le  prélat  auditeur  ou  son 
délégué ,  décident  sans  appel  les  causes  dont  l'importance 
n'excède  pas  cinq  cents  écus  romains.  Trois  prélats  et  trois 
juges  laïques  composent,  pour  les  affaires  plus  graves,  ce 
qu'on  appelle  la  congi'égation  civile  de  l'A.-.  C.-.  La  con- 
grégation se  subdivise  en  deux  chambres.  L'appel  des  dé- 
cisions de  l'une  est  porté  à  l'autre.  La  rota  romana ,  com- 
posée entièrement  de  prélats,  qu'on  appelle  auditeurs  de 
rote,  forme  le  tribunal  d'appel  du  troisième  degré.  Au- 
dessus  encore  on  trouve  la  cour  de  la  signatura. 

ACACIA  (de  àxô,  pointe;  ou,  suivant  d'autres,  d'à- 
y.a-/.{a,  sans  malice,  parce  que  la  piqûre  des  épines  de 
ce  végétal  n'est  suivie  d'aucun  accident  fâcheux  ).  Tl  y  a 
deux  sortes  d'acacias,  l'acacia  du  vulgaire  et  l'acacia  des 
savants.  Le  premier,  ou  faxix  acacia,  porte  dans  la  science 
le  nom  de  robinier.  C'est  sous  ce  nom  que  nous  en  trai- 
terons. L'acacia  de  la  science,  dont  nous  devons  nous 
occuper  ici ,  est  un  genre  de  plantes  de  la  famille  •  des 
légumineuses.  Dans  le  système  de  Linné  acacia  est  sy- 
nonyme de  mimense.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  genre  acacia 
conqirend  environ  trois  cents  espèces ,  dont  la  plupart 
croissent  dans  les  contrées  tropicales  de  l'ancien  et  du 
nouveau  monde.  En  général  elles  sont  remarquables  par 
la  dureté  de  leur  bois  et  les  produits  qu'elles  fournissent 
à  la  thérapeutique.  Nous  citerons  Yacacia  catechu,  ori-p 
ginaire  de  l'Inde,  dont  on  tire  un  suc  très-astringent  qui, 
évaporé  à  siccité ,  constitue  ce  qu'on  appelle  la  terre  de 
Japon  et  le  cachou  ;  Yacacia  inga ,  dont  l'écorce  est  pré- 
conisée parles  Américains  comme  un  médicament  tonique  et 
astringent.  Vacacia  d'Ehrenberg,  Yacacia  Segul ,  Yacacia 
vrai ,  Yacacia  d'Arabie  fournissent  la  gomme  arabique. 
Vacacia  verek ,  et  Yacacia  AWdanson,  arbres  qui  crois- 
sent sur  la  rive  septentrionale  de  la  Gambie ,  fournissent  la 
gomme  du  Sénégal.  Dans  nos  pays  on  multiplie  les  acacias 
par  leurs  graines,  qu'il  faut  semer,  au  counnencement  du 
piintemps,  sur  une  bonne  couche  chaude;  on  les  trans- 
plante ensuite  plusieurs  fois  et  on  les  traite  connue  les 
plantes  des  pays  fropicauv.  Les  espèces  vivaces  subsistent 
en  hiver  dans  les  serres  <:haudes.  Les  feuilles  des  acacias 
présentent  des  phénomènes  ♦•tonnants  de  sensibilité. 

ACAClLfS  ,  évêque  de  Césarée  en  340,  adopta  l'hérésie 
d'Arius,  en  la  modifiant  sur  quelques  points,  et  fut  le  chel 

8. 


60 

de  la  seclc  dos  acaciens.  11  usa  de  son  indiienco  sur  rcni- 
percur  Constance  pour  persécuter  rKi^lise  orthodoxe.  C'est  à 
sou  instigation  que  saint  Cyrille  fui  déposé  et  que  le  pape 
Lii)èie  (lut  se  résigner  à  Texil. 

ACADÉMIE  {Hisloire  pitilosophïqne).  C'était  un 
einplacenienl  situé  dans  un  des  faubourgs  d'Alliènos,  sur  la 
route  de  Téia,  à  un  mille  environ  de  la  ville.  Son  nom  lui 
venait ,  dit-on,  d'.\cadémus,  contemporain  de  Thésée,  qui 
l'avait  légué  à  la  répuhli(iue  pour  en  faire  un  gymnase.  Le 
terrain  marécageux  sur  leciuel  le  gynmase  fut  en  effet  bâti 
se  convertit  insensihlemeut  en  un  beau  jardin.  Cimon  le  fit 
dessécher  au  moyen  d'un  aqueduc,  l'orna  de  fontaines,  Tem- 
bellit  de  statues,  et  y  fit  planter  des  platanes.  Platon  pos- 
sédait une  propriété  non  loin  de  ce  gymnase  ;  ses  disciples 
s'y  réunissaient,  et  chaque  jour  Platon  venait  leur  exposer 
ses  doctrines  à  l'ombre  des  beaux  arbres  qui  ornaient  ce 
lieu  :  de  là  les  noms  (Vacadémie  et  d'acadcinicicns,  donnés 
à  son  école  et  à  ses  sectateurs.  Les  variations  qui  modifiè- 
rent les  doctrines  de  l'académie  font  diviser  son  histoire  en 
trois  époques  principales  :  celle  de  Vancieniie  académie, 
dont  Platon  est  le  chef;  celle  de  la  moijcnne  académie 
dont  le  fondateur  est  Arcésilas;  celle  de  la  nouvelle  aca- 
démie, due  à  Carnéade. 

Entré  dans  la  voie  nouvelle  où  Socrate  avait  conduit 
la  iiiiilosophie,  Platon  devint  le  fondateur  du  ratio- 
nalisme. Tourné  vers  le  monde  moral,  il  dirigea  toutes 
ses  recherches  de  ce  côté  ;  sans  nier  l'existence  de  la  ma- 
tière, il  reconnut  la  supériorité  de  l'intelligence  sur  elle; 
il  vit  que  les  idées ,  quoique  pouvant  nous  venir  à  l'oc- 
casion de  l'action  de  la  matière  sur  nos  organes,  sont 
par  leur  nature  indépendantes  de  la  matière ,  et  que 
par  leur  origine  elles  se  rattachent  à  un  principe  di- 
vin ,  la  raison ,  que  le  premier  il  désigna  par  ces  mots 
ô  TiaXaiô;  Xôyoç.  Suivant  lui  le  monde  matériel  est  l'image 
du  monde  moral,  où  sont  les  idées  éternelles.  Chaque  être 
a  été  créé  à  l'image  d'un  type  idéal  dont  la  copie  exacte 
est  la  réalisation  du  beau.  De  la  vue  du  beau  naît  l'amour, 
comme  de  la  conscience  du  bien  naît  la  vertu,  qui  pour 
être  pratiquée  a  besoin  de  la  liberté.  Tels  sont  les  dogmes 
généraux  du  rationalisme  de  Platon.  Aristote,  disciple  de 
Platon,  s'écarta  des  principes  de  son  maître;  et,  portant  dans 
l'étude  des  idées  une  analyse  plus  savante  et  plus  pré- 
cise, il  fonda  la  doctrine  du  sensualisme.  C'est  donc  du 
sein  de  l'académie  que  sont  soilies  les  deux  doctrines  qui 
depuis  l'origine  de  la  philosophie  jusqu'à  nos  jours  se  par- 
tagent l'empire  de  l'intelligence. 

Les  principaux  élèves  de  l'ancienne  académie,  après 
Aristote ,  furent  Speusippe  d'Athènes ,  Xénocrate  de  Clial- 
cédoine,  Polémon  d'Oète,  Crantor  de  Soles,  et  Cratès  d'A- 
thènes ,  qui  en  développèrent  surtout  les  princii>es  moraiix 
et  politiques.  Cicéron,  parmi  les  Piomains,  peut  être  compté 
au  nombre  des  académiciens,  quoiqu'il  n'ait  emprunté  à 
l'école  de  Platon  qu'une  partie  de  ses  doctrines,  qu'il  avait 
puisées  à  différentes  sources  et  arrêtées  suivant  ses  propres 
convictions. 

Le  rationalisme  de  Platon  était  destiné  à  tomber  dans 
les  exagérations  presque  mystiques  du  néoplatonisme, 
qui  attribue  toutes  les  notions  propres  à  l'intelligence  hu- 
maine non  plus  à  son  activité,  mais  à  une  intuition  in- 
térieure ,  à  la  lumière  divine  qui  l'éclairé.  Cependant 
Arcésilas  de  Pitane  (  244  av.  J.  C.  )  entreprit  de  réformer 
l'ancienne  académie,  et  devint  lui-même  le  chef  de  la 
moyenne.  Voulant  combattre  le  dogmatisme  des  stoïciens , 
il  soumit  les  principes  de  leur  enseignement  à  un  examen 
sceptique,  et  les  conclusions  de  ses  recherches  furejit  que  la 
nature  ne  nous  a  donné  aucune  règle  de  vérité,  que  les 
sens  et  l'entendement  humain  ne  peuvent  rien  comprendre 
de  vrai;  qu'en  toutes  choses  il  se  trouvedes raisons  contrai- 
res d'une  force  égale,  et  que  par  conséquent  il  faut  toujours 
suspendre  son  jugement.  Lacyde  fut  le  seul  qui  défendit  la 


ACACIUS  —  ACADÉMIE 


\ 


doctrine  d'Arcésilas;  il  la  transmit  à  Évandre,  qui  fut  son 
disciple  avec  beaucoup  d'autres.  Kvandre  la  fit  passer  à 
Ilégésimc ,  et  llégésime  à  Carnéade.  Les  correctifs  que  ce 
philosophe  fit  subir  à  la  doctrine  d'Arcésilas,  quoique  très- 
légers,  ont  néanmoins  suffi  pour  qu'on  le  regardât  comme 
le  fondateur  de  la  nouvelle  ou  troisième  académie.  Philon, 
disciple  de  Clitomaque ,  qui  l'avait  été  de  Carnéade,  et  An- 
tiochus,  disciple  de  Philon,  furent  les  chefs  d'une  quatrième 
et  d'une  cinquième  académie,  et  ne  tirent  que  varier  le 
fond  des  doctrines  sceptiques  de  leurs  maîtres. 

Cicéron  avait  donné  le  nom  à'' Académie  à  une  maison  de 
campagne,  où  il  avait  coutume  de  converser  avec  ses  amis 
qui  avaient  du  goîjt  pour  les  entretiens  philosophiques. 

ACADÉMIE  (  Hisloire  littéraire  ).  Ce  mot  a  été  em- 
prunté aux  Grecs,  chez  qui  il  désignait  un  vaste  empla- 
cement qu'un  citoyen  nommé  Académus  avait  autrefois 
possédé.  Voici  comment  l'abbé  Barthélémy  décrit  la  méta- 
morphose de  ce  lieu ,  au  temps  du  voyage  de  son  jeune 
Anacharsis  :  «  On  y  voit  maintenant  un  gymnase  et  un 
jardin  entouré  de  murs ,  orné  de  promenades  couvertes 
et  charmantes ,  embelli  par  des  eaux  qui  coulent  à  l'ombre 
des  platanes  et  de  plusieurs  autres  espèces  d'arbres.  A  l'en- 
trée est  l'autel  de  l'Amour  et  la  statue  de  ce  dieu  ;  dans 
l'intérieur  sont  les  statues  de  plusieurs  autres  divinités.  Non 
loin  de  là  Platon  a  fixé  sa  résidence  auprès  d'un  petit 
temple  qu'il  a  consacré  aux  ]\Iuses.  »  Les  derniers  traits 
de  cette  description ,  à  laquelle  il  manque  le  groupe  des 
Grâces  à  côté  des  vierges  du  Parnasse ,  semblent  expliquer 
d'avance  cette  philosophie  rêveuse,  passionnée,  quelquefois 
sublime ,  qui  se  composait  d'imagination  ,  d'amour,  de  culte 
pour  les  dieux ,  de  poésie ,  et  prêtait  à  la  science  le  charme 
de  la  plus  suave  éloquence.  L'école  de  Platon  prit  le  nom 
d'Académie ,  du  lieu  où  des  disciples  enthousiastes  l'écou- 
taient ,  suspendus  à  chacune  des  paroles  d'or  qui  sortaient 
de  ses  lèvres. 

Plusieurs  autres  académies  s'élevèrent  à  Athènes ,  mais 
aucune  d'elles  ne  put  balancer  la  renommée  de  celle  du 
maître ,  sur  qui  se  réfléchissait  un  rayon  de  la  gloire  et  de 
la  vertu, de  l'immortel  Socrate.  IMais  peut-être  le  musée  d'A- 
thènes représente-t-il  mieux  l'idée  que  nous  avons  conçue 
d'une  académie.  Ce  musée  était  un  temple  consacré  aux 
Muses,  bâti  au  pied  d'une  colline  située  dans  l'ancienne  en- 
ceinte de  la  ville ,  en  face  de  la  citadelle.  Là  se  réunissaient 
les  savants ,  les  poètes ,  les  philosophes ,  pour  faire,  entre 
eux  l'échange  des  lumières. 

Ptolémée ,  le  premier  des  Soter  ou'  dieux  sauveurs  de 
l'Egypte ,  l'un  des  plus  habiles  capitaines  d'Alexandre ,  et 
presque  digne  de  lui  succéder,  si  quelqu'un  avait  pu  suc- 
céder à  la  fortune  et  à  l'empire  du  plus  grand  des  rois , 
fonda  le  musée  devenu  si  célèbre  dans  l'histoire  sous  le 
nom  d'École  d'Alexandrie.  Ce  prince  prit  un  soin  parti- 
culier d'y  rassembler  lui-même  tous  les  hommes  distingués 
de  son  siècle,  en  leur  confiant  la  mission  de  s'appliquer  à  la 
recherche  des  vérités  philosophiques ,  et  d'étendre  le  do- 
maine des  sciences ,  des  lettres  et  des  arts.  Le  perfectionne- 
ment social  était  le  but  de  cette  académie  ;  conçue  sur  un 
plan  plus  vaste  et  plus  utile  que  celle  de  Platon,  elle  servit 
longtemps  de  foyer  d'instruction  et  de  point  de  centre  à 
tous  les  savants,  à  tous  les  poètes  de  la  terre,  qui  s'asso- 
ciaient à  ses  travaux  par  la  correspondance ,  ou  venaient 
en  personne  déposer  leurs  tributs  dans  son  sein.  Théocrfte, 
l'un  des  sept  poètes  qui ,  comme  autant  d'étoiles ,  compo- 
saient la  fameuse  pléiade  d'Alexandrie ,  a  célébré  dans  une 
espèce  d'hynme  la  généreuse  et  noble  protection  accordée 
aux  lettres  par  le  fils  de  Lagus  ;  mais  comment  son  entiiou- 
siasme  d'artiste  et  sa  reconnaissance  éclairée  ont-ils  pu  lui 
permettre  de  garder  le  silence  sur  une  création  si  belle  et 
si  favorable  au  culte  de  toutes  les  Cluses?  Quel  sujet  pour 
un  poète  que  d'avoir  à  peindre  et  à  prédire  les  bienfaits  et 
la  gloire  d'une  institution  destinée  à  rassembler  et  à  aug- 


AGÂDKMIE 


61 


menttM-  le<;  lumières  clc<;  ppiiplcs  !  Tons  les  rois  de  TKïiypte 
se  inontit'teut  fulèles  aux  vues  lUi  l'oiniateur  de  récole  d'A- 
lexaiulrie ,  qui,  piotéjjée  ensuite  par  les  IU)uiains,  enlre 
autres  par  Tenipereur  Claude ,  continua  pendant  des  siècles 
de  remplir  saj;rande  destinat'on.  Si  cette  Ecole  ne  lit  pas  ce 
que  la  nature  seule  peut  faire,  des  lionmies  de  ^lénie,  elle  rendit 
un  plus  grand  service  peut-être,  en  contribuant  à  instruire 
le  inonde,  et  surtout  en  conservant  les  connaissances  lin- 
niainesau  milieu  de  l'invasion  des  barbares  ,  comme  l'arcbe 
de  Noé  conserva ,  dit-on ,  au  milieu  du  déUige ,  le  type  des 
diflWentes  races  qui  devaient  repeupler  la  terre  veuve  de 
ses  habitants. 

Rome,  placée  sous  la  protection  du  dieu  Mars,  et  non, 
comme  Atiièncs,  sous  Tégide  de  Minerve,  choix  qui  seul 
expliquerait  la  diflérence  du  génie  des  deux  peuples ,  Rome 
n'eut  point  d'académie.  Sous  le  régime  austère,  et  même  un 
peu  sauvage ,  de  l'ancienne  république  cette  institution  ne 
pouvait  trouver  de  place.  La  présence  des  Grecs  à  Rome , 
et  le  crédit  de  leurs  rhéteurs,  ne  donna  pas  naissance  à  une 
académie  romaine  ;  et  les  guerres  civiles  ne  purent  que  dé- 
tourner les  esprits  d'une  telle  création.   César,  affermi  au 
pouvoir,  ne  l'aurait  sans  doute  pas  redoutée  ;   car  il  était 
assez  grand  pour  ne  pas  craindre  et  pour  souffrir  auprès 
de  lui  une  réunion  d'hommes  occupés  à  féconder  ensemble 
le  vaste  domaine  des  connaissances  ;  et  comme  il  avait  aussi 
la  passion  du  savoir,  comme  il  était  écrivain  habile  et  ora- 
teur éloquent ,  il  n'aurait  pas  dédaigné  de  prendre  part  à 
des  travaux  qu'il  pouvait  éclairer.  Auguste,  plus  timide, 
placé  d'ailleurs  au  milieu  des  frémissements  du  parti  vaincu, 
mais  non  détruit ,  et  des  haines  profondes  que  l'amour  de 
la  liberté  avait  inspirées  contre  lui  ,  favorisa  volontiers  le 
culte  des  letti'es  ;  sans  doute  elles  lui  paraissaient  propres  à 
amollir  des  caractères  de  fer  et  à  calmer  des  passions  fé- 
roces, que  ses  propres  fureurs  n'avaient  que  trop  enflam- 
mées ,  en  leur  donnant  une  honible  pâture  ;  mais  il  au- 
rait trouvé   plus  d'un  inconvénient  et  plus  d'un  danger  à 
mettre  en  contact  journalier  tous  les  hommes  nourris  de 
sentiments    généreux   et  occupés  de  hautes   méditations. 
Quand  un  peuple  encore  tout  chaud  de  guerre  civile  ne  fait 
que  revenir  à  la  paix  sociale ,  on  parle  politique  partout 
où  il  se  trouve  des  hommes  réunis  ;  vainement  sont-ils  con- 
voqiiés  pour  s'entretenir  de  poésie ,  d'histoire  ou  d'astro- 
nomie ,  la  politique  entre  par  un  côté  quelconque  dans  la 
controverse   académique  :  les  esprits   se   frottent  les  uns 
contre  les  autres ,  les  passions  s'allument ,  et  le  gouverne- 
ment est  bientôt  rais  en  cause.   L'académie  d'Auguste  était 
dans  sa  cour,  composée  de  tous  les  beaux  esprits  du  temps  ; 
il  y  avait  une  petite  académie  à  côté  de  la  grande ,  dans 
les  salons  de  Mécène ,   où  l'on  pouvait  prendre  quelques 
libertés  timides,  de  celles  qui  étaient  possibles  avec  un 
adroit  séducteur,  qui  mettait  les  cœurs  à  leur  aise  pour 
mieux  les  conquérir  à  César,   secrètement  d'accord   avec 
son  ministre  habile  dans  l'art  d'assouplir  les  courages  et  de 
gagner  les  cofMirs.  Auguste  se  faisait  beaucoup  d'iionneur, 
et  ne  courait  aucun  risque ,  en  accueillant  avec  une  bonté 
pleine  d'estime  et  d'égards  le  simple  et  grand  Virgile  ;  nul 
inconvénient  pour  le  maître  du  monde  à  donner  le  nom  de 
son  ami  à  cet  Horace,  qui  se  croyait  indépendant  parce 
qu'il  aimait  peu  la  cour  et  qu'il  jouissait  en  paix  des  cliar- 
mes  de  la  vie  épicurienne  dans  sa  maison  de  Tibur.  Au- 
guste savait  bien  qu'Horace  était  à  lui ,  et  s'il  en  avait 
douté  ,  Mécène  lui  aurait  dit  :  «  Je  le  tiens,  je  l'ai  fait  vôtre; 
il  nese  débarrassera  jamais  de  voscliaînes.  »  Auguste  zégnait 
de  même  sur  toutes  les  autres  illustrations  de  l'époque  ;  sa 
faveur  n'était  qu'une  amorce  et  un  moyen  d'illusion  que 
les  Pollion  ,  les  Tucca  ,  les  Varius  ,  les  Ovide  et  les  Gallus 
embrassaient  peut-être  avec  plaisir  ;  car  si  les  hommes  ne 
courent  pas  tous  avec  empressement  au-devant  de  la  servi- 
tude, il  existe  même  parmi  les  bons,  même  parmi  les  gé- 
néreux ,  un  meneilleux  penchant  à  se  tromper  eux-mêmes, 


et  leur  molle  résistance  ne  seconde  que  trop  bien  les  en- 
treprises d'un  pouvoir  adroit  contre  leur  indépendance.  Ces 
considérations ,  tirées  de  la  nature  du  sujet ,  disent  assez 
qu'.\ugusle  ne  dut  pas  vouloir  d'académie  autour  de  lui ,  et 
surtout  d'académie  comme  l'école  d'Alexandrie,  qui  culti- 
vait à  la  fois  toutes  les  connaissances  humaines. 

Charlemagne  n'avait  reçu  aucune  éducation  :  lors  de  son 
premier  voyage  en  Italie,  il  rougit  de  son  ignorance,  et 
prit  de  premières  leçons  de  Pierre  de  Pise  ;  plus  taid  ,  il 
puisa  l'amour  des  lettres  dans  le  commerce  du  célèbre  An- 
glais Alcuin.  Les  Italiens  attribuent  à  ces  deux  maîtres  la 
pensée  conçue  par  leur  royal  élève  d'établir  dans  son  palais 
la  première  académie;  cette  société  ,  fondée  sur  les  prin- 
cipes de  la  plus  parfaite  égalité  entre  ses  membres ,  et 
composée  d'Égilbert ,  de  l'archevêque  de  ^layence ,  d'.\lT 
cùin  ,  d'Lginard  ,  de  Théodulphe  ,  et  de  Cliarlemagne  lui- 
même  ,  jeta  les  premiers  fondements  de  la  langue  française, 
qu'elle  soumit  à  des  principes ,  en  lui  donnant  une  forme 
régulière.  Charlemagne,  plus  avancé  que  son  siècle  en  beau- 
coup de  choses,  voulait  faire  rédiger  les  hymnes,  les  prières 
et  les  lois  dans  cette  langue ,  afin  que  les  peuples  pussent 
comprendre  ce  qu'ils  adressaient  à  la  Divinité ,  et  con- 
naître en  même  temps  les  volontés  ,  les  bienfaits  et  les  me- 
naces des  lois  qui  disposaient  de  la  fortune  ,  de  la  liberté  , 
de  la  vie  de  chacun  d'eux.  Le  clergé  s'opposa  de  tout  sou 
pouvoir  à  cette  sage  réforme.  Les  préjugés  poussent  des 
racines  si  profondes  et  sont  si  vîa  aces  de  leur  nature  qu'au- 
jourd'hui ,  après  huit  siècles  écoulés  depuis  le  règne  du  chef 
de  l'empire  d'Occident ,  le  gouvernement  trouverait  encore 
nue  vive  résistance  s'il  voulait  défendre  dans  les  cérémonies 
de  l'Église  l'usage  de  toute  autre  langue  (pie  la  langue  na- 
tionale. 

L'ouvrage  de  Charlemagne  allait  périr  tout  entier  après 
lui,  comme  son  vaste  empire  ;  l'Italie ,  pleine  de  trou])les  et 
de  malheurs ,  ne  faisait  rien  pour  les  sciences  et  les  lettres, 
qui,  au  contraire,  florissaient  à  Constantinople,  au  milieu 
des  séditions ,  des  fureurs  et  du  schisme.  La  France  rede- 
venait barbare,  les  écoles  établies  par  le  puissant  empereur 
se  fermaient  :  un  seul  homme  empêcha  la  ruine  totale  des 
lettres  en  Occident.  Cet  homme  est  Alfred,  .-Elfred,  ou 
.\lfride  le  Grand ,  roi  d'Angleterre  ,  de  la  dynastie  saxonne  : 
à  la  fois  poète ,  musicien ,  guerrier,  savant  et  législateur, 
ce  prince  forma  la  fameuse  Académie  d'Oxford  ,  l'encoma- 
gea  par  cette  protection  à  la  fois  judicieuse  et  bienveil- 
lante qui  donne  une  si  vive  impulsion  aux  travaux  d'une 
société  d'hommes  qui  se  sentent  apprécier  par  un  grand 
homme.  Un  siècle  séparait  Charlemagne  d'Alfred  ;  mais  il 
y  avait  plus  d'un  siècle  de  distance  entre  les  lumières  des 
deux  princes  :  aussi  le  premier  s'obstinait-il  à  convertir 
avec  le  glaive  exterminateur,  tandis  que  l'autre  instiuisait 
les  esprits  pour  gagner  les  cœurs  à  la  loi  du  Christ  comme 
à  une  loi  d'amour  et  d'iiumanité.  Voilà  les  services  que  l'ins- 
truction des  princes  rend  aux  peuples  :  donnez  à  Louis  XIV 
la  liaute  raison  et  la  religion  éclairée  d'Alfred ,  et  vous 
n'aurez  ni  l'influence  de  la  dévote  Maintenon  ,  ni  les  dra- 
gonnades ,  ni  la  révocation  de  l'édit  de  ^'antes. 

Tout  le  monde  se  lappelle  les  brillantes  académies  de 
Grenade  et  de  Cordoue,  sous  le  règne  des  Maures  d'Espagne, 
célèbres  par  leur  galanterie  ,  leurs  mœurs  chevaleresques  et 
leur  goût  pour  la  poésie,  la  musique  et  les  lettres.  Pour- 
quoi faut-il  que  la  belle  patrie  du  Cid,  après  avoir  rejeté 
de  son  sein  les  étrangers  qui  lui  donnaient  la  loi ,  n'ait  pas 
mieux  conservé  leur  magique  civilisation  ?  Il  y  avait  dans 
les  lumières  une  source  inépuisable  de  richesses  pour  l'Es- 
pagne ;  les  mines  d'or  du  nouveau  monde  l'ont  appauvrie  et 
dégradée. 

Au  quatorzième  siècle ,  une  femme  justement  célèbre, 
Clémence  I  sa  u  r  e  ,  de  Toulouse  ,  ranima  ,  par  une  fonda- 
tion magnifique ,  le  collège  du  gai  savoir  ou  de  la  gaie 
science,  qui  reçut   le  nom  iV Académie  des  J  eux  FI o- 


C2 


ACADEMIE 


roux,  et  conserve  encore  de  la  répufalion ,  après  avoir 
jeté  lieaiicoiip  d'éclat  pendant  une  lonf^ue  suite  d'années. 
Les  lettres  alors  ('taient  en  grand  honneur  ;  elles  tenaient 
dans  la  vie  des  méridionaux  de  France  la  mémo  place  que 
la  musique  et  les  arts  dans  la  vie  de>  Italiens. 

■A  la  renaissance  des  lettres  Tltalie  se  couvrit  d'académies, 
qui,  sous  des  noms  assez  bi/.aries,  propagéient  le  goût  de  la 
belle  antiiiuifé,  et  produisirent  une  émulation  générale". 
Dans  aucun  pays  peut-être  les  acad('mies  n'ont  rendu  au- 
tant de  services.  Jamais  elles  ne  s'emparèrent  ainsi  de  tout 
un  peuple,  pour  communiquer  une  activité  nouvelle  à  toutes 
les  intelligences;  jamais  elles  ne  travaillèrent  avec  autant 
d'ardeur  à  satisfaire  le  besoin  immense  d'instruction  qu'elles 
avaient  fait  naître  par  leur  exemple ,  leurs  travaux  et  l'éclat 
de  leurs  solennités,  véritables  (êtes  de  l'esprit  qui  passion- 
naient aussi  les  conirs.  La  plus  célèbre  et  peut-être  aussi 
la  plus  utile  de  ces  académies  est  celle  de  la  Crusca  ,  à  la- 
quelle la  patrie  du  Dante  et  de  Pétrarque  doit  ce  grand  vo- 
cabulaire que  Ginguené  caractérise  dans  les  termes  suivants  : 
«  Code  d'une  autorité  irréfragable,  à  laquelle  depuis  qu'il  a 
paru  tous  les  bons  écrivains  se  sont  soumis;  barrière  forte 
et  solide ,  contre  laquelle  se  sont  heureusement  brisés  tous 
les  efforts  du  néologisme  moderne  ;  modèle  si  parfait  enfin 
de  ce  que  doit  être  un  ouvrage  de  cette  nature,  qu'il  a  fallu 
que  toutes  les  nations  lettrées  (jui  ont  voulu  avoir  des  dic- 
tionnaires de  leur  propre  langue  se  réglassent  sur  celui  de 
l'Académie  de  la  Crusca.  o 

Ronsard ,  constamment  protégé  par  cinq  rois ,  entre  les- 
quels il  faut  remarquer  Charles  IX,  tjTan  aussi  cruel ,  mais 
moins  mauvais  poète,  que  'Séron  ,  Ronsard ,  doué  d'un  vrai 
génie,  avait  conçu  le  projet  de  rendre  notre  langue  plus  capable 
de  lutter  avec  les  langues  d'Athènes  et  de  Rome,  et  de  nous 
donner  une  poésie  nouvelle,  riche  de  ses  larcins  à  l'antiquité. 
La  pensée  était  belle  et  hardie  ;  mais,  outre  le  don  supérieur 
du  génie,  quelle  réunion  de  qualités  ne  demandait-elle  pas 
dans  le  réformateur  !  La  connaissance  parfaite  du  caractère 
de  notre  idiome ,  l'appréciation  judicieuse  de  ce  qu'il  pouvait 
accepter,  de  ce  qu'il  ne  pouvait  recevoir,  une  oreille  savante 
et  un  goût  exquis.  Malheureusement  presque  toutes  ces 
choses  manquaient  à  Ronsard  et  aux  poètes  de  la  pléiade 
qu'il  avait  composée,  à  l'instar  de  celle  qui  avait  été  créée 
sous  le  règne  de  Ptolémée  Philadelphe.  Cette  pléiade  se  réu- 
nissait à  Saint-Victor,  et  formait,  sous  la  présidence  de 
Ronsard,  et  même  quelquefois  de  Charles  IX,  une  espèce  d'a- 
cadémie chargée  d'une  mission  assez  élevée,  comme  on  vient 
de  le  voir.  Si  elle  n'a  pas  atteint  le  but  du  fondatem',  elle  a 
rendu  de  véritables  services  aux  lettres,  et  ses  productions 
agréables,  dont  quelques-unes  restent  encore  comme  des 
modèles  dans  leur  genre,  valent  mieux  rpie  les  imprudentes 
réformes  tentées  par  son  chef,  qui  lui-même  a  laissé  des 
vers  pleins  de  grâce  et  de  la  plus  douce  mélodie. 

«  Quelques  gens  de  lettres,  plus  ou  moins  estimés  de  leur 
temjis.ditChamfort,  s'assemblaient  librement  et  par  goût  chez 
un  de  leurs  amis  qn^ils  élurent  leur  secrétaire.  Cette  société, 
composée  seulement  de  neuf  ou  dix  hommes,  subsista  in- 
connue pendant  quatre  ou  cinq  ans ,  et  servit  à  faire  naître 
différents  ouvrages  cpie  plusieurs  d'entre  eux  donnèrent  au 
public.  Richelieu ,  alors  tout-puissant ,  eut  connaissance  de 
cette  association  ;  il  lui  offrit  sa  protection,  et  lui  proposa  de 
la  constituer  en  société  publique.  Ces  offres  ,  qui  aflligèreat 
les  associés,  étaient  à  peu  près  des  ordres,  il  fallut  lléclrr.  » 
Telle  fut  l'origine  de  l'Académie  Française,  ^ouslui  con- 
sacrerons un  article  particulier. 

P. -F.  TiSSOT,  (le  rAcadcinie  Franr.iise. 

Ti  y  a  maintenant  des  académies  dans  tous  les  pays  ;  et 
même  chez  les  peujiles  les  plus  avancés  en  civilisation  cha- 
que centre  important  de  population  possède  au  moins  une 
.société  de  ce  génie.  Comme  vient  de  le  dire  notre  savant 
collaborateur,  membre  lui-même  d'une  des  plus  illustres  de 
ces  compagnies  ,  les  académies  lleuriieut  surtout  iila  l'enais- 


sance  des  lettres  en  Italie  ,  où  chaque  ville  avait  la  sienne. 
Files  se  répandirent  ensuite  en  France,  en  Angleterre  et  dans 
tous  les  pays  de  l'Europe  ,  d'où  elles  passèrent  en  .\sie  et  au 
nouveau  monde.  Nous  citerons  rapidement  ici  les  académies 
dont  le  nom  a  eu  quelque  éclat  dans  le  monde  savant  : 

L'académie  Sccretorum  IS'ofinw  fut  fondée  à  >'aples , 
en  l5(;o,  pour  les  sciences  physiques  et  mathématiques;  elle 
fut  obligée  de  se  dissoudre  par  suite  d'un  interdit  du  pape. 
—  Quelques  années  après,  vers  la  lin  du  siècle,  le  prince 
Ceci  fonda  à  Rome  l'académie  dei  Lincei  :  Galilée  compta 
parmi  ses  membres.  —  L'académie  del  Cimenfo  se  forma 
à  Florence,  au  commencement  du  dix-septième  siècle, 
sous  la  protection  du  prince  Léopold ,  depuis  cardinal  de 
Médicis  :  on  y  vit  siéger  des  hommes  du  plus  grand  m.érite, 
parmi  lesquels  nous  citerons  Paolo  dit  Buono,  Borelli ,  Vi- 
vani ,  Redi  et  Magalotti.  —  L'académie  degl'  Jnr/iiicti ,  de 
Bologne ,  incorporée  plus  tard  à  l'académie  délia  Trocen,  a 
publié  d'excellentes  dissertations  sous  le  titre  de  Pnisieri 
fis'ico-malemat'ici ,  1()67.  Elles  furent,  en  1714,  réunies  à 
l'institut  de  Bologne,  qui  s'appela  Académie  de  l'Institut  ou 
xVcadémie  Clémentine  (du  ])ape  Clément  XI).  Elle  possède 
une  nombreuse  bibliothèque  et  une  riche  collection  d'his- 
toire naturelle. 

En  1540  on  fonda  à  Rossano,  dans  le  royaume  de  Na- 
ples,  une  académie  qui  s'intitula  :  Socielù  Scientifica  Ros- 
sancsc  degV  Incuriosi.  Jusqu'en  1605  elle  ne  s'occupa 
que  de  beaux-arts,  mais  depuis  elle  est  devenue  scientifique. 
L'Académie  royale  de  Xaples  existe  depuis  1779  ;  ses  écrits 
renferment  d'excellentes  recherches  sur  les  mathématiques. 

Parmi  les  académies  italiennes  on  remarque  encore  celles 
de  Turin,  de  Padoue,  de  Gênes,  de  Milan,  de  Sienne,  de  Vé- 
rone, qui  toutes  ont  composé  de  bons  ouvrages.  En  général, 
l'Italie  doit  être  considérée  dans  les  temps  modernes  comme 
le  berceau  des  académies  ;  elle  en  eut ,  selon  le  catalogue 
qu'en  a  dressé  Jarckius,  cinq  cent  cinquante. 

V Académie  des  Sciences  de  Paris,  fondée  en  1666, 
par  Colbert ,  ne  reçut  l'approbation  du  roi  qu'en  1699.  Elle 
aura  un  article  dans  notre  ou'^Tage. 

En  1700  Frédéric  1"  fonda  à  Berlin  une  académie  pour 
les  sciences  et  les  arts  ;  en  1710  elle  subit  quelques  modi- 
fications ;  elle  est  divisée  en  quatre  classes  :  i"  physique , 
médecine  et  chimie  ;  2"  mathématiques,  astronomie  et  mé- 
canique; 3°  histoire  et  langue  allemande  ;  4°  érudition  orien- 
tale ,  en  rapport  avec  les  missions.  Chaque  classe  nommait 
son  diiecteur ,  qui  l'était  à  vie  :  le  premier  fut  le  célèbre 
Loi  bnitz.  Sous  Frédéric  II  cette  institution  atteignit  un 
haut  degré  de  splendeur,  parla  réunion  de  savants  étrangers 
qui  furent  attirés  à  Berlin  par  la  générosité  du  roi  :  c'est 
alors  que  Maupertuis  en  devint  directeur.  Elle  tenait 
chaque  année  deux  séances  solennelles ,  et  distribuait  des 
encouragements  aux  meilleurs  mémoires  qui  lui  étaient 
adressés  sur  des  questions  qu'elle  indiquait.  Elle  a  publié 
plusieurs  volumes  de  mémoires  sous  le  titre  de  :  Mémoires 
de  l'Académie  royale  des  Sciences  et  Belles- Lettres  de 
Berlin.  Elle  a  reçu  en  179S  une  nouvelle  organisation. 

Le  prince  Charles-Théodore  fonda,  en  1755,  une  académie 
des  sciences  à  Manheim,  sur  un  plan  donné  par  Schœpflin. 
Divisée  d'abord  en  deux  classes ,  celle  des  sciences  histori- 
ques, et  celle  des  sciences  physiques,  cette  dernière  fut  sub- 
cîivisée,  en  1780,  en  physique  proprement  dite,  et  météoro- 
logie. Ses  mémoires  historiques  et  physiques  ont  été  publiés 
sous  le  litre  de  :  Acta  Acadcmix  Tlieodoro-Palalinx,  et 
les  mémoires  météorologiques  sous  le  titre  de  Ephemerides 
Societotis  Meteorologicx  Palatinx. 

L'Académie  de  Munich  existe  depuis  1759  ;  mais  elle  fut 
organisée  sur  un  plan  |)lus  étendu  quand  la  Bavière  fut  éri- 
gée en  royaume,  et  elle  eut  pour  président  Jacob i.  Ses 
travaux  ont  été  publiés  sous  le  titre  de  :  Traités  de  l'Aca- 
démie de  Bavière. 

Ce  fut  Pierre  le  Grand  lui-même  qui  traça  le  plan  de  l'A- 


ACADEMIE 


r.s 


cadémie  de  Saint-Pc^ter^ionr:: ,  (Vaprt'*s  le<;  conseils  de  W'o]( 
et  de  I.eilmit/,.  U  niotinit  avant  sa  coiim^lMe  organisation  ; 
mais  Catherine  l"'  niarclia  snr  ses  traces,  et  rAcadéniie  tint 
sa  première  séance  le  ^5  décembre  17?..">.  L'impératiicc 
fonna  nne  dotation  annuelle  de  trente  mille  roubles  à  cette 
acadt-mie  ;  et  quinze  savants  distingués ,  qui  on  faisaient 
partie  conuiie  académiciens  ,  recevaient  en  outre  des  émo- 
luments à  titre  de  professeurs  :  on  remarque  jiarmi  ces 
tlerniei-s  NicoUe  et  Daniel  BernouUi ,  les  deux  Delisle,  Bul- 
finger  et  Wolf.  Sous  Pierre  II  cette  académie  tomba  en 
décadence  ;  sous  l'impératrice  Anne  elle  se  ranima  un  peu, 
retomba  de  nouveau,  et  enfin  redevint  florissante  sous  Eli- 
sabeth. En  1758  son  oi-ganisation  subit  quelques  chan- 
gements, et  on  y  adjoignit  une  classe  des  beaux-arts,  qui 
en  fut  détachée  en  ITC».  La  dotation  annuelle  fut  portée 
à  60.000  roubles.  Cette  académie  s'occupe  surtout  de  la  con- 
naissance intérieure  de  la  Russie  ;  elle  a  fait  faire  dans  les 
provinces  peu  connues  d'importants  voyages ,  par  Pallas, 
Gmelin,  Stolberg,  Guldenstadt  et  Klaproth.  Le  nombre  de 
ses  membres  est  de  quinze,  non  compris  le  président  et  le 
directeur;  quatre  surnuméraires  y  sont  adjoints,  et  assistent 
à  toutes  les  séances  ;  elle  possède  une  nombreuse  collection 
de  bons  ouvTages  et  de  manuscrits,  ainsi  qu'un  riche  cabinet 
de  médailles  et  une  galerie  d'histoire  naturelle.  Ceux  de  ses 
écrits  qui  panuent  de  1725  à  1747  forment  quatorze  vo- 
lumes, sous  le  titre  de  Commentarii  Acndemias  Scientiannn 
Imperialis  PetropoUtanœ  ;  ceux  qui  parurent  de  1747  à 
1777  forment  vingt  volumes,  qu'on  distingue  parle  titre  de  : 
Novi  Commentant,  etc.  ;  une  troisième  série  se  nomma  Acta 
Academix  ;  et  en  1826  on  a  publié  les  Nova  Acta,  en  dix  vo- 
lumes. Les  Commentarii  sont  écrits  en  latin  ;  les  Acta  sont 
partie  en  français,  partie  en  latin. 

L'Académie  royale  des  Sciences  de  Stockholm  était  primi- 
tivement une  société  particulière,  composée  de  six  savants , 
au  nombre  desquels  on  comptait  le  célèbre  Linné;  elle 
tint  sa  première  séance  le  23  juin  1739,  et  publia  peu  après 
divers  mémoires  ,  qui  attirèrent  l'attention  publique.  Le  3 1 
mars  1741  elle  reçut  du  roi  le  titre  d'Académie  Royale  de 
Suède,  mais  elle  est  sans  dotation,  et  s'entretient  à  ses  pro- 
pres frais  ;  des  fondations  particulières  ont  cependant  pourvu 
aux  émoluments  de  ses  deux  secrétaires  et  d'un  professeur 
de  physique  expérimentale.  Le  président  est  renouvelé  tous 
les  trois  mois,  parmi  les  membres  résidant  à  Stockholm  ,  et 
les  travaux  sont  publiés  par  trimestre.  Les  mémoires  publiés 
depuis  la  fondation  jusqu'en  1779  forment  quarante  volu- 
mes, et  s'appellent  les  Anciens  ;  ce  qui  a  paru  depuis  forme 
la  Nouvelle  série.  Il  y  a  une  série  particulière  intitulée 
Œconomica  Acta.  Cette  académie  distribue  chaque  année 
des.  prix  et  des  médailles  d'encouragement.  En  1799  elle  fut 
divisée  en  six  classes  :  économie  politique  et  rurale,  quinze 
membres;  commerce  et  arts  mécaniques,  quinze  ;  physique 
et  histoire  naturelle  nationale ,  quinze  ;  physique  et  histoire 
naturelle  des  pays  étrangers,  quinze  ;  mathématiques,  dix- 
huit  ;  beaux-arts,  histoire  et  langue,  douze.  Cette  académie  a 
le  monopole  de  la  vente  des  calendriers. 

L'Académie  de  Copenhague  n'était  primitivement  qu'une 
réunion  privée  de  six  savants.  Christian  Yl ,  en  1743,  les 
chargea  d'arranger  son  cabinet  de  médailles  ;  et  c'est  alors 
qu'ils  songèrent  à  convertir  leur  société  en  académie  régu- 
lièrement constituée.  Un  des  membres,  le  comte  de  Holstein, 
engagea  Christian,  en  1743  ,  à  s'en  déclarer  protecteur  et  à 
lui  assigne!'  un  revenu  ;  dès  lors  elle  étendit  ses  travaux  à  la 
physique,  à  l'hi.stoire  naturelle  et  aux  mathématiques.  Elle  a 
publié  quinze  volumes  de  mémoires,  dont  quelques-uns  ont 
été  traduits  en  latin. 

L'Académie  d'Edimbourg  date  de  1783,  et  se  composa 
des  principaux  membres  de  l'université;  elle  se  réunit  une 
fois  chaque  semaine ,  et  depuis  1788  elle  pid)lie  régulière- 
ment ses  mémoires.  Dès  16S3  il  y  eut  une  académie  à  Du- 
blin, et  en  1740,  une  société  physico-historique;  on  a  deux 


volumes  de  leurs  travaux  :  l'une  e1  l'antre  périrent  au  milieu 
des  malheurs  polili(iues  qui  accablèrent  ce  pays. 

Lisbonne  possède;  une  académie  des  sciences  qui  s'occupe 
d'agriculture,  d'arts  mécaniques,  de  commerce  et  d'écono- 
mie politique  :  composée  de  soixante  membres  ,  elle  est  di- 
visée en  classe  d'histoire  naturelle,  classe  de  mathématiques, 
et  classe  de  littérature  nationale  ;  elle  a  publié  de  nombreu- 
ses dissertations ,  ainsi  que  les  collections  suivantes  :  Me- 
mnrias  de  lelteralura  portugiteza,  Memorias  economi- 
cas,  etc. 

L'Académie  américaine  des  Sciences  de  Boston  date  de 
1780  :  le  but  de  ses  travaux  est  la  connaissance  des  antiqui- 
tés el  de  l'histoire  naturelle  des  États-Unis,  l'usage  et  la  culture 
des  produits  du  sol ,  les  perfectionnements  et  observations 
en  médecine  ,  mathématiques  ,  philosophie  ,  astronomie  et 
météorologie,  les  inventions  agricoles,  etc.,  etc.  Le  nombre 
de  ses  membres  ne  i)eut  être  au-dessous  de  quarante  ,  ni 
excéder  deux  cents.  Le  premier  volume  de  ses  travaux  pa- 
rut en  1785. 

L'académie  Natures  Curiosoriim  de  Vienne ,  ou  l'Acadé- 
mie Léopoldine,  fut  fondée  en  1652,  par  J.-L.  Causchius 
(Bausch).  Elle  publia  d'abord  ses  travaux  par  mémoires  sé- 
parés ;  mais  depuis  1684  elle  les  a  réunis  en  volumes.  Sous 
Léopold  1^"" ,  qui  la  protégea  beaucoup  ,  elle  s'intitula  Cx- 
sareo-Lcopoldina  Nuturœ  Curiosoriim.  A  son  instar ,  de 
semblables  établissements  furent  établis  à  Palerme  en  1645, 
en  Espagne  en  1652,  à  Venise  en  1701,  et  à  Genève  en  1715. 

L'Académie  de  Chirurgie  de  Paris  fut  fondée  en  1731  : 
chaque  année  elle  indiquait  un  sujet  à  traiter,  et  le  meilleur 
mémoire  recevait  un  piix  de  500  francs.  Cette  institution  a 
dispani,  conmie  tant  d'autres,  dans  la  tourmente  révolution- 
naire. Une  ordonnance  du  29  décembre  1820  a  fondé  à  Paris 
une  Académie  de  JMédecine,  qu'on  peut  considérer  comme 
la  suite  de  la  précédente,  et  à  lacpielle  nous  consacrerons  un 
article  spécial. 

A  Vienne  il  y  a  une  académie  semblable;  elle  date 
de  1783,  et  décerne  des  médailles  aux  élèves  les  plus 
distingués. 

Il  existe  une  seule  académie  de  théologie.  Elle  fut  fondée 
à  Bologne,  en  1687. 

Au  commencement  du  dix-huitième  siècle ,  Coronelli 
fonda  à  Venise  une  Académie  des  Argonautes ,  dont  le  but 
était  la  publication  de  bonnes  cartes  géographiques  avec 
description. 

Jean  V,  roi  de  Poiiugal,  fonda  à  Lisbonne,  en  1720,  une 
académie  royale  pour  l'histoire  nationale,  composée  de 
cinquante  membres,  d'un  recteur,  d'un  censeur  et  d'un 
secrétaire. 

A  Madrid  une  société  fondée  pour  la  recherche  et  l'ex- 
plication des  monuments  historiques  en  Espagne  fut 
élevée  au  rang  d'académie  par  Philippe  V,  en  1738.  Elle 
compte  vingt-quatre  membres,  et  a  publié  plusieurs  ouvrages 
historiques. 

L'Académie  de  l'Histoire  de  Souabe,  formée  à  Tubingue, 
a  pour  but  de  publier  les  ouvrages  historiques  les  plus  re- 
marquables, et  de  donner  des  notices  biogi'aphiques  sur  lem's 
auteurs  ;  elle  se  livre  aussi  aux  recherches  les  plus  exactes 
sur  les  points  historiques  qui  offrent  quelque  obscurité. 

Une  académie  archéologique  fut  établie  à  Cortone  en  Italie 
pour  l'étude  des  antiquités  étrusques;  une  autre  existe  à 
Upsal  (Suède) ,  qui  a  pour  but  des  recherches  sur  les  an- 
tiquités et  la  langue  des  contrées  septentrionales.  L'une  et 
l'autre  ont  publié  des  mémoires  estimés.  Deux  académies  du 
mrme  genre  fiuent  établies  à  r»ome  par  Paul  II  et  Léon  X  : 
elles  n'eurent  qu'une  existence  de  courte  durée.  Il  s'en 
forma  d'autres  de  leuis  débris;  mais  aucune  n'arriva  au  de- 
gré d'importance  de  l'Académie  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres  de  Paris.  Celle-ci  aura  encore  un  article 
spécial  dans  notre  ouvrage. 

A  Naples  le  ministre  Tanucci  fonda,  en  1775,  J' Académie 


64  ACADEMIE 

d'Herculanum,  qui  a  publié  Antichilà  di  Ercolano.  En 
1807  une  A'  a  lémif.  d'Iiisloire  et  d'antiquités  fut  établie  à 
Naples  et  une  auln'  a  Florence. 

En  ISOî!  lut  luniiéeà  l'ai  is  une  Académie  Celtique,  dont 
le  but  étiiit  la  reclierclie  des  monuments  d(!s  Celtes,  les  mœurs 
de  celle  ancienne  nation,  l'exanieii  des  lanj^nes  (|ui  se  sont 
formées  du  celte,  elc.  En  181  i  cette  Académie  prit  letilrcde 
Société  des  A  n l  i q  u  a  ires  de  iMance. 

L'Académie  delln  Cru  se  a  ou  .-)  cademia  furfuratorum 
date  de  là>>2.  Celle  des  Arcadesfut  fondée  àP.ome  en  1690. 

Le  duc  d'Escalona  fonda  à  Madrid,  en  17 1 4,  une  Acadé- 
mie pour  lci>erleclionuement  de  la  langue  espagnole;  elle  fut 
approuvée  |)ar  le  roi  et  gratiliée  d'honorables  prérogatives 
eu  I/lô.  Son  dictionnaire  et  tous  ses  travaux  sont  estimés. 
L'Académie  royale  espagnole  a  élé  réorganisée  en  1859. 

Saint-IVlersbourg  eut  aussi,  en  1783,  une  Académie  qui 
dut  s'occuper  du  [lerfeclionnement  de  la  langue  russe; 
elle  est  mainttnant  réunie  à  l'Académie  des  Sciences. 

Une  .académie  du  môme  genre  existeenSiiôdedepuis  1789. 

La  France  possède  encore,  dans  son  Institut,  une  Aca- 
démie des  lieau  x  -  .\  rts  et  une  Académie  des  Sciences 
morales  et  politi(|ues.  Madrid  a  une  Académie  des 
sciences  morales  depuis  1857. 

Sans  remonter  à  l'Académie  des  Jeux  F  loraux,  aux 
chambres  de  r  li  é  t  o  r  iq  uc  de  la  Flandre,  aux  pali- 
nods  ou  pu  y  s  des  villes  normandes,  aux  cour  s  d'amour 
du  moyen  âge,  on  voit,  au  dix-luiitième  .Mècle,  une  foule 
d'associations  littéraires  naître  dans  le-i  provinces  de  France; 
citons  celles  de  L\on,  de  Caen,  de  Marseille,  d'Arras,  de 
Dijon  ,  de  Rouen  ,  de  Besançon ,  de  Kancy,  de  Metz  ,  de 
Bordeaux,  etc.  l^LlIes  s'occupèrent  successivement  de  poésie, 
de  langa;;e,  de  science,  d'histoire  et  d"archéologie.  Elles 
succombèrent  à  la  Révolution,  et  reparurent  ensuite;  mais 
elles  prirent  surtout  quelque  importance  après  la  révolution 
de  Juillet.  Aucun  lien  ne  les  unissait  pourtant  et  leurs  travaux 
restaient  isoles  et  inconnus,  malgré  les  congrès  scien- 
li(i  q  ues.  On  avait  eu  vain  voulu  les  rattacher  à  l'Institut. 
M.  Rouland,  ministre  de  l'instruction  publique  ,  les  a  reliées 
au  moyen  d'un  comité  des  travaux  historiques  et  des  sociétés 
savante^,  qui  a  dû  passer  en  1860  dans  les  attributions  du  mi- 
nistre d'Etat.  Ce  comité  publie  depuis  lors  une  Revue  des 
sociétés  savantes. 

On  compte  encore  un  grand  nombre  de  sociétés  savantes, 
qui  nediflèrentdes  Académies  ijuepar  leur  nom  ;  telles  sont  : 
la  Société  royale  des  Sciences  de  Gœttingue,  fondée  eu  1750; 
les  Sociétés  royales  de  Londres,  qui  date  de  1645  ;  de  Dublin, 
fondée  en  1730,  et  d'Edimbourg  ;  la  Société  des  Archéologues 
de  Londres,  fondée  en  1751  ;  la  Société  littéraire  et  philoso- 
plii(iue  de  Manchester,  fondée  en  1781  ;  les  Sociétés  savantes 
de  Harlem,  de  F'Iessingue,  de  Rotterdam,  de  Bruxelles, 
d'Amsterdam,  de  Copenhague,  d'Upsal,  etc. 

De  l'Europe  les  Académies  s'étendirent  dans  les  autres 
parties  du  monde  :  en  Asie,  il  y  a  à  Batavia,  depuis  1778, 
une  Société  des  Sciences  et  des  Arts  ;  au  Bengale,  à  Cal-, 
cutla(1784)ct  à  Bombay  on  trouve  d'autres  sociétés  savantes 
auxquelles  on  doit  d'importantes  et  précieuses  recherches 
sur  les  Indes  et  1  Orient  en  général. 

Outre  l'Académie  de  Boston  ,  l'Amérique  possède  depuis 
1769  la  Société  philosophique  de  Philadelphie,  etc. 

L'utilité  fies  Académies  a  quelquefois  étécontestée.  L'esprit 
de  coterie  s'y  fait  trop  souvent  sentir  en  effet.  Des  hommes 
bien  plus  recommandés  par  leurs  opinions  ou  leurs  relations 
que  par  leurs  travaux  se  voient  parfois  préférés  à  ceux  qu'in- 
diquent l'opinion  publique.  On  se  souvient  encore  de  la 
lutte  des  académiciens  contre  les  novateurs,  même  d'un 
talent  remarquable,  dans  la  littérature  et  les  beaux-arts.  Et 
puis  on  rappelle  avec  raison  la  lenteur  des  travaux  acadé- 
miques :  ces  dictionnaires,  ces  ménudros,  qui  ne  paraissent 
que  de  loin  en  loin  et  que  presque  personne  ne  lit.  Mais 
ces  travaux  si  rares  ont  ce|)endaut  leur  prix.  Fruits  des  re- 


ACADÉMIE  DE  FRANCE  A  ROME 


cherches  d'hommes  supérieurs  en  définitive,  chacun  est 
obligé  d'en  tenir  compte  lorsqu'il  s'occupe  d'un  sujet  ana- 
logue, el  de  là  une  source  d'instruction  utile.  «  Les  Aca- 
déudes  ,  disait  Voltaire,  sont  aux  universités  ce  que  l'âge 
mûr  est  à  l'enfance,  ce  que  l'art  de  bien  parler  est  à  la 
grammaire,  ce  que  la  politesse  et  aux  premières  leçons 
de  la  civilité.  «Mais  il  voulait  que  les  Académies,  non  mer- 
cenaires, fussent  absolument  libres.  »  Souvent,  dit  M.  Naudet, 
les  Académies,  commetoutce  qui  exerce  un  pouvoir  quelcon- 
que danscemonde,  onteii  leurs  adversaires,  qui  ne  les  avaient 
pas  cependant  prises  si  fort  en  haine  qu'ils  ne  voulussent  plus 
lard  entrer  eux-rnôraes  dans  leurs  rangs,  il  est  arrivé  aussi 
que  le  public  a  infirmé  quelques-uns  de  leurs  arrêts  ;  mais 
il  finit  par  accepter  en  somme  leur  jurisprudence,  j'allais 
presque  dire  leur  législation.  Au  reste,  cène  serait  pas 
dans  des  temps  où  les  esprits,  agités  d'une  ardeur  de  réno- 
vation et  d'une  aspiration  vague  et  inquiète  à  l'indépendance, 
tendraient  le  plus  à  secouer  toute  discipline  et  à  se  faire 
chacun  sa  règle  et  sa  loi,  que  l'existence  des  Académies  de- 
vrait le  moins  être  jugée  nécessaire.  A  la  république  des 
lettres,  comme  aux  sociétés  politiques,  il  faut  des  sénats 
qui  tempèrent  les  emportements  des  passions  même  gêné 
reuses,  qui  gardent  les  traditions  et  les  principes  ,  et  assu- 
rent les  améliorations  réelles  en  empêchant  le  brusque  di- 
vorce du  présent  avec  le  passé.  Qu'on  ne  s'y  méprenne 
pas  ;  en  revendiquant  une  part  d'utilité,  il  ne  s'agit  pas  d'af- 
fecter un  orgueil  de  domination.  Dans  cette  immense  ac- 
tivité des  ressorts  innombrables  du  corps  social,  nul,  quoi 
qu'il  fasse,  n'est  tout-puissant  à  lui  seul,  et  ne  saurait  pré- 
tendre à  une  prépondérance  souveraine  ;  mais  chacun  tient 
sa  place  et  fait  son  œuvre.  Celle  des  Académies  est  d'être 
modératrices  par  leur  influence,  puissantes  par  leur  exem- 
ple; d'opposer  aux  théories  qui  s'égarent  des  directions  vé- 
ritables qu'elles  impriment  à  la  marche  des  intelligences, 
à  condition  toutefois  de  se  mettre  elles-mêmes  en  avant 
avec  une  énergie  laborieuse  et  de  s'y  tenir  ferme  par  l'as- 
cendant de  Ja  raison,  »  * 

ACADÉMIE  (Acceptions  diverses  ).  Dans  la  langue 
des  beaux-arts,  ce  mot  est  consacré  pour  désigner  une  étude 
peinte  ou  dessinée  d'après  le  modèle  nu  et  vivant  et  posé 
de  manière  à  développer  surtout  les  mouvements  corporels 
et  les  formes. 

En  Allemagne  et  dans  les  pays  du  Xord  le  mot  académie 
est  quelquefois  employé  pour  désigner  les  universités.  On 
l'applique  aussi  à  divers  établissements  de  haut  enseigne- 
ment, surtout  dans  une   branche  spéciale. 

On  donne  encore  quelquefois  le  nom  d'académie  de 
peinture  à  des  établissements  formés  pour  l'étude  des  arts 
du  dessin. 

Les  académies  dechant  ou  académies  philharmoniques 
sont  des  sociétés  d'amateurs  qui  se  réunissent  pourl'exé- 
culion  de  morceaux  de  musique.  Celle  de  Berlin  estcélèbre 
entre  toutes.  Elle  se  compose  de  plusieurs  centaines  d'ama- 
teurs tenant  des  séances  mensuelles  ou  hebdomadaires  dans 
un  superbe  local  construit  à  cet  effet.  Différentes  villes  d'Al- 
lemagne ont  voulu  avoir  leur  académie  de  chant,  et  il  s'en 
est  formé  une  à  Strasbourg  rn  1829. 

On  1  donné  aussi  le  nom  d'académie  au  lieu  oii  l'on  ap- 
prend à  monter  achevai,  à  faire  desarmes,  à  danser.  Tenir 
académie,  c'est  enseigner  l'équitation,  la  gymnastique,  l'es- 
crime, la  danse,  etc.  Ce  nom  a  de  plus  été  donné  à  des 
maisons  de  jeux,  et  c'est  même  le  titre  ordinaire  des  ou- 
vrages qui  contiennent  les  règles  des  différents  jeux  à  la 
mode.  On  publie  continuellement  des  Académies  des  jeux. 

ACADÉMIE    (  Instruction  publique).   Voyez    Lns- 

TUUCTION   l'LIîLIQtE  et   UNIVERSITÉ, 

ACADÉMIE  DE  FRAACE  A  ROME.  Cet  établis- 
sement, destiné  à  recevoir  et  à  entretenir  aux  frais  de  l'État 
des  jeunes  gens  qui  se  destinent  aux  beaux-arts  et  qui  vont 
compléter  leurs  éludes  au  milieu  des  chefs-d'œuvre  de  l'Italie, 


ACADEMIE  DE  FRANCE 

fui  fondi^  en  (CGG  par  Colbcrf,  î»  rinsligation  de  L  eb  run  . 
L'Acadi'mie  de  France  orcupa  d'abord  un  palais  voisin  du 
tliéAtre  de  l'Argentine.  En  ITOO  elle  fut  transfért'e  dans  nn 
palais  situé  en  face  du  palais  Doria.  Depuis  1803  elle  est  éta- 
blie à  la  villa  Médicis.  Klle  reçut  d'ahord  quelques  élèves  dé- 
signés par  TAcadémie  de  Peinture  et  de  Sculpture.  Eu  1676 
Louis  XIV  permit  de  joindre  avec  l'Académie  de  France  l'A- 
cadémie romaine  de  Saint-Luc,  créée  par  le  Mutian,  peintre 
célèbre,  et  confirmée  parles  brefs  des  papes  Grégoire  Xlllet 
Sixte  V.  Le  roi  de  France  fonda  un  revenu  pour  le  directeur 
et  pour  l'entretien  de  douze  pensionnaires  ajant  rempoité 
les  premiers  prix  de  peinture ,  de  sculpture  et  d'architec- 
ture. En  1684  Louvois  régularisa  les  règlements  de  l'Aca- 
démie. 

Les  révolutions  n'ont  point  altéré  cette  institution.  Cha- 
que année,  a  la  suite  d'un  concours  auquel  sont  admis  les 
Français  de  moins  de  trente  ans  jujjés  les  plus  capables 
parmi  ceux  qui  se  présentent,  et  sur  des  morceaux  exécutés 
en  loge  d'après  un  programme  fourni  par  l'Académie  des 
Beaux-Arts,  cette  Académie  distribue  des  grands  prix 
de  peinture,  de  sculpture,  d'architecture  et  de  composition 
musicale;  le  grand  prix  de  gravure  en  taille-douce,  fondé 
en  1S04,  est  donné  tous  les  deux  ans;  le  prix  de  gravure  en 
médailles  et  pierres  fines,  fondé  en  1805,  et  celui  de  paysage 
historique,  créé  en  1816  ,  sont  donnés  tous  les  quatre  ans 
seulement.  Les  premiers  grands  prix  donnent  seuls  droit 
à  la  pension,  en  retour  de  laquelle  les  élèves  doivent  en- 
voyer chaque  année  des  copies,  des  études  ou  des  composi- 
tions. Les  élèves  lauréats,  an  nombre  de  quinze,  jouissent 
de  la  pension  pendant  cinq  années.  Les  élèves  musiciens 
passent  deux  années  en  Italie ,  une  année  en  Allemagne  et 
deux  années  à  Paris.  Les  autres  ne  passent  plus  mainte- 
nant que  quatre  années  en  Italie;  la  cinquième  ils  vont  la 
passer  en  Grèce.  Les  élèves  ont  à  Rome  chacun  un  atelier 
particulier,  et  il  y  a  des  salles  pour  l'étude  en  commun  du 
modèle  vivant  et  des  plâtres  moulés  sur  l'antique.  Le  gou- 
vernement français  fait  seul  les  frais  de  ce  grand  établisse- 
ipent,  où  des  Romains  et  des  étrangers  sont  admis  à  pro- 
fiter des  modèles. 

Voici  la  liste  des  directeurs  successifs  de  l'Académie  de 
France  à  Rome  :  Érard,  1666;  Coypel,  1672;  Érard, 
d«  nouveau,  1675;  de  1689  à  1699  il  n'y  eut  pas  de  direc- 
teurs; Houasse,  1699;  l'oerson  ,  1704;  Wleughels,  1724; 
De  Troy,  1738;  Natoire,  1751;  Halle,  par  intérim, 
1774;  Vien,  1774;  De  Lagrené  aîné,  1781;  Ménageot, 
1787;  Suvée  ,  1792;  Paris,  architecte,  1807;  Lethière, 
1808;  Thévenin,  1817;Guérin,  1822;  Horace  Vernet, 
1828;  Ingres,  1834  ;Schnetz,  1841;  Alaux,  1847, 
Schnetz,  1853.  Z. 

ACADÉMIE    IMPÉRIALE     DE    MUSIQUE. 

Voyez  Opér-v. 

ACADÉMIQUES,  titre  d'un  ouvrage  de  Cicéron  où 
n  expose  et  discute  la  doctrine  de  l'Académie  sur  la  certitude. 
Un  des  traités  de  saint  Augustin  porte  le  même  titre. 

ACADIE.  Voyez  Nocvelle-Écosse. 

ACAJOU.  Pour  l'ébéniste  ainsi  que  pour  les  Parisiens 
possesseurs  de  mobiliers  somptueux  l'acajou  est  un  bois 
compacte ,  pesant,  fort  dur,  susceptible  d'un  beau  poli, 
d'une  riche  couleur  toute  particulière,  tirant  au  rouge  brun, 
devenant  de  plus  en  plus  foncée  en  vieillissant,  et  réputé  à 
peu  près  incorruptible,  parce  que  depuis  le  temps  qu'on 
l'utilise  chez  nous  on  ne  l'y  a  pas  encore  vu  se  détériorer. 
Ce  bois  est  connu  seulement  depuis  le  commencement  du 
siècle  dernier  en  Europe,  où  il  fut  apporté  par  le  frère  du 
célèbre  docteur  Gibbons,  qui  en  avait  lesté  un  bâtiment  em- 
l'ioyé  dans  le  commerce  des  Indes  occidentales. 

On  a  étendu  le  nom  iVacajou  à  plusieurs  autres  sortes  de 
bois  exotiques,  servant  également  dans  la  confection  des 
meubles  de  luxe,  mais  entre  lesquels  pas  un  ne  provient 

OICT.    DE   LA  CONVERS.  —  T.    I. 


A  ROME  —  ACAPULCO  65 

I  des  arbres  nommés  acajous  par  les  habitants  des  régions 
intertropicales.  C'est  le  mahogani ,  appartenant  au  genre 
«wie(C}ua  des  botanistes,  qui  fournit  le  véritable  acajou, 
j  c'est-à-dire  celui  qu'on  emploie  le  plus  communément  et 
sans  épilhètc  dans  le  commerce.  Ce  mahogani  croît  dans  les 
1  parties  les  plus  chaudes  des  Amériques,  ainsi  que  dans  les 
grandes  Antilles. 

Les  arbres  appelés  acajous  par  les  habitants  des  pays 
tropicaux  appartiennent  h  deux  genres  de  térébinthacées, 
nommés  scientifiquement  anacardium  et  cassuvium,  plus 
connus  par  leurs  fruits  que  par  leurs  parties  ligneuses,  qui 
sont  blanchâtres,  tirant  tout  au  plus  au  gris,  et  de  qualités 
médiocres.  La  vieille  droguerie  employait  fréquemment  Va- 
nacarde,  qui  provient  du  premier  de  ces  acajous.  La  noix 
du  second  demeure  seuleen  usage,  et  se  singularisepar  sa  forme 
en  rein,  la  causticité  de  son  péricarque,  la  douceur  de  son 
amande,  fort  bonne  à  manger,  et  le  volume  qu'acquiert  son 
pédoncule,  lequel  devient  charnu  ,  jaunâtre ,  semblable  par 
sa  forme  au  fruit  exquis  du  manglier,  mais  d'un  goût  peu 
agréable,  encore  qu'on  en  compose  une  sorte  de  limonade 
qu'on  assure  être  très-rafraîchissante. 

CORY  DE  S.\lNT-Vii>iCEST,  de  l'Académie  des  Sciences. 

ACALEPHES  (du  grec  àxa)?]^?!,  ortie  de  mer,  classe 
d'animaux  sans  vertèbres,  divisés  par  Cuvier  en  deux  ov- 
(liea  :\e?.acalcphes  simples  eUesacalèpkes  hydrostatiques- 
Cette  classe  a  été  ainsi  nommée  à  cause  de  la  propriété  que 
possèdent  quelques-uns  des  zoophytes  qui  la  composent  de 
causer  un  sentiment  d'urtication  à  la  peau  quand  on  les 
touche.  Plusieurs  acalèplies  sont  phosphorescents  et  offrent 
au  voyageur  un  spectacle  magnifique  pendant  la  nuit  en 
rendant  la  mer  semblable  à  un  ciel  étoile.  Voyez  Zoopuytes. 

AC.\]\THACÉES(du  grec  àxavOa,  épine),  famille  de 
plantes  monocotylédones,  dont  le  type  est  le  genre  acan- 
the. Presque  toutes  les  acanthacées  sont  exotiques,  et  pro- 
viennent des  contrées  situées  entre  les  tropiques.  Leurs 
feuilles  sont  opposées  et  leurs  fleurs  forment  des  épis  muni-, 
de  bractées. 

ACAiXTIïE  (eu  latin  acanthus,  et  en  grec  ây.av9o;, 
fait  d'âxavSa,  épine).  Le  genre  des  acanthes  aie  calice  divisé, 
ordinairement  avec  bractées ,  la  corolle  le  plus  souvent  ir- 
régulière, deux  étamines,  ou  quatre,  dont  deux  plus  gran- 
des, un  style  à  stigmate  simple  ou  bilobé ,  une  capsule  à 
deux  valves  élastiques. 

L'acanthe  sans  épines,  ou  brancherursine  d'Italie, 
acanthiis  mollis,  commune  enGrèce,  en  Italie,  en  Espagn.' 
et  dans  la  France  méridionale,  est  vivace,  a  les  feuilles  très 
grandes,  lisses,  agréablement  découpées;  sa  tige  est  simple 
et  a  deux  à  trois  pieds;  ses  fleurs,  unilabiées  sont  assez 
grandes,  aplaties,  lavées  de  rose ,  n'ayant  qu'une  lèvre  infé- 
rieure trilobée.  C'est  cette  dernière  espèce  d'acanthe  dont 
les  feuilles  sont  imitées  dans  'ornement  du  chapiteau  de 
Vordre corinthien.  Voici  comment  Vitruve  raconte  l'origini; 
de  cette  imitation  :  i  Une  jeune  Corinthienne  étant  morte  peu 
de  jours  avant  un  heureux  mariage,  sa  nourrrice ,  désolée , 
mit  dans  une  corbeille  divers  objets  que  la  jeune  fille  avait 
aimés,  la  plaça  sur  son  tombeau  et  la  couvrit  d'une  larg^? 
tuile  pour  préserver  ce  qu'elle  contenait.  Le  hasard  voulut 
qu'un  pied  d'acanthe  se  trouvât  sous  la  corbeille.  Au  prin- 
temps suivant,  l'acanthe  poussa  ;  ses  larges  feuilles  entou- 
rèrent la  corbeille,  mais,  arrêtées  par  les  rebords  de  la  tuile, 
elles  se  courbèrent  et  s'arrondirent  vers  leurs  extrémités. 
Callimaque  passant  près  de  là  admira  cette  décoration 
champêtre,  et  résolut  d'ajouter  à  la  colonne  corinthienne  la 
belle  forme  que  le  hasard  lui  offrait.  » 

ACANTHOPTÉRYGIEAS.  Voyez  Poisson. 

A  CAPELLA.  Voyez  Alla  Brève. 

ACAPULCO  (en  espagnol  Los  Reges).  Le  meilleur  port 
du  Mexique  sur  la  mer  du  Sud,  à  280  kilomètres  .sud-sud- 
ouest  de  Mexicd,  par  16°  50' de  latitude  septenirionale,  et 
101"  6'de  longitude  occidentale.  Le  port  et  laradeétant  trèS' 

a 


ACAPULCO  —  ACAULE 


G  G 

piofoiuJs  offrent  un  ancrage  excellent  aux  plus  {;ros  vais- 
seaux, qui  peuvent  venir  jusque  auprès  des  rociiers  de  gra- 
nit qui  bordent  la  côte,  et  y  trouvent  un  abri  certain  contre 
les  mauvais  temps.  Au  nord-ouest  est  située  la  ville,  défendue 
par  le  fort  Diego,  situé  sur  un  rocher  très-élevé.  Elle  compte 
4,000  habitants.  Acapulco  avait  acquis  une  certaine  impor- 
tance par  le  départ  annuel  du  galion  qui  portait  à  Manille 
l'argent  et  les  autres  produits  précieux  des  possessions  es- 
pagnoles, l'eu  de  places  de  conunerce  sont  situées  dans  une 
position  plus  malsaine.  La  température  s'y  élève  ordinaire- 
ment, dans  les  chaleurs  de  l'été,  de  45°  à  50"  c.  Les  rayons 
brûlants  d'un  soleil  d'airain,  réfléchis  par  les  rochers  blancs 
et  nus  qui  environnent  la  ville,  la  rendent  presque  inhabi- 
table,   et  le  Mosquitos  est   le  seul  endroit  où  l'on  puisse 
respirer.  Les  ébangers  y  sont  constamment  décimés  par  le 
choléra-morbus.  Acapulco  ne  fait  presque  aucun  comme4ce 
avec  les  États  nord-est  de  l'Amérique,  si  richement  favorisés 
par  la  nature.  Ses  exportations ,  jusqu'à  ce  jour,  consistent 
pour  la  plus  grande  partie  en  ai-gent,  indigo,  cochenille, 
draps  espagnols  et  quelques   pelleteries  provenant  du  nord 
du  Mexique  et  de  la  Californie.  L'importation  se  compose  de 
ce  que  l'Asie  a  de  plus  précieux  en  productions  de  tout  genre. 
ACARIVAJME.  L'Acarnanie  était  une  province  de  l'an- 
cienne Grèce ,  située  à  l'occident  de  l'Étolie ,  dont  elle  était 
séparée  par  l'Achéloiis  ,  aujourd'hui  Aspro-Potamo ,  et  ren- 
fermée au  nord  et  au  sud-oue.st  par  le  golfe  d'Ambracie  ou 
d'Arta ,  et  par  la  mer  Ionienne.  La  péninsule  de  Leucadc 
avait  appartenu  à  l'Acarnanie;  mais  les  Corinthiens,  qui 
s'en  étaient  rendus  maitres ,  ayant  fait  couper  l'isthme  qui 
existait  près  de  la  forteresse  actuelle  de  Sainte-Maure ,  en 
tirent  une  île.  L'Acarnanie  comprenait  aussi  le  canton  appelé 
Ampliilochie  ,  moins  la  ville  iX'AiDhracia ,  aujourd'hui  Arta, 
dont  les  rois  d'Épires'emparèrentpouryétabUr  leur  résidence. 
Les  plus  anciens  habitants  de  l'Acamanie  étaient  des  Pé- 
lasges ,  appartenant  aux  tribus  des  Lélcrjcs  et  des  Curetés. 
Le  nom  AWcarnanes  leur  fut  donné  parce  qu'ils  portaient 
une  longue  chevelure.  Alcméon  ,  lils  d'Amphiaraiis ,  s'étant 
ligué  avec  Diomède  elles  auti'es  Épigones,  fit  la  conquête  de 
l'Étolie  et  de  l'Acarnanie  ;  mais  il  céda  la  première  à  Dio- 
mède ,  et  conser^■a  pour  lui  l'Acaïuimie  ,  où  il  régna.  Alc- 
méon ayant  refusé  de  se  joindre  à  l'expédition  des  Hellènes 
contre  Troie  ,  empêcha  les  Acarnanes  d'y  premlie  part.  Peu 
avant  la  deuxième  guene  Punique,  lors(|ue  les  Romains 
tirent  la  guerre  aux  lllyriens,  les  Acarnanes  et  les  Étoliens 
avaient  suspendu  leurs  querelles  de  voisinage  ,  et  s'étaient 
ligués  avec  les  autres  Grecs  riverains  de  la  mer  Ionienne 
contre  ces  mêmes  lllyriens  ,  que  leurs  pirateries  et  leurs  dé- 
vastations rendaient  un  ennemi  commun.  Ce  fut  sans  doute 
à  cette  occasion  qu'ils  entrèrent  en  contact  avec  les  Ro- 
mains ,  et  qu'ils  se  prévalurent  de  ce  que  leurs  ancêtres 
n'avaient  point  pris  part  à  la  destruction  de  Troie  ,  berceau 
putatif  des  fondatcius  de  Rome.  Ayant  envoyé  une  ambas- 
sade au  sénat  romain  ,  ils  en  obtinrent  une  invitation  aux 
Étoliens  de  respecter  le  territoire  d'un  peuple  auquel  les 
Romains  s'intéressaient.  Bientôt  cependant  celte  situation 
changea.  Pendant  la  durée  de  la  deuxième  guerre  Punique, 
Philil)pe ,  roi  de  Macédoine  ,  ayant  déclaré  la  guerre  aux 
Romains ,  les  Acarnanes  restèrent  alliés  des  Macédoniens. 
D'un  autre  côté,  les  Romains  tirent  passer  la  mer  Adriatique 
aune  (lotte  et  à  une  petite  armée,  afm  d'empêcher  Philippe  de 
venir  en  Italie.  Leur  amiral,  Valerius  Levinus,  était  pai  venu 
à  contracter  une  alliance  active  avec  les  Étoliens.  Ces  der- 
niers, reprenant  leurs  projets  contre  l'Acarnanie,  ne  tardèrent 
pas  à  se  préparer  à  l'envahir  avec  toutes  leurs  forces.  Phi- 
lippe de  Macédoine  se  trouvait  alors  en  Thrace,  trop  éloigné 
poui   pouvoir  les  secourir,  et  les  Acarnanes ,  trop  faibles 
pour  lutter  avec  espoir  de  succès  contre  les  Étoliens,  pri- 
rent une  résolution   héroKiue  dont  le  souvenir  doit  être 
conservé  dans  l'histoire.   Ils  envoyèrent  en  Épire,  en  les 
confiant  hriiospifalilé  publique,  leurs  femmes,  leurs  enfants 


et  les  vieillards  au-dessus  de  soixante  ans  ;  ils  firent  prêter 
à  tous  leurs  citoyens  de  quinze  à  soixante  ans  le  serment, 
sous  les  plus  affreuses  imprécations  ,  de  ne  quitter  le  champ 
de  bataille  que  vainqueurs  ,  et  ils  prièrent  les  Épirotes  de 
faire  ensevelir  dans  une  tombe  commune  tous  ceux  qui 
auraient  succombé,  en  couvrant  leurs  cendres  de  l'épitaphe 
suivante  :  Ci-r/isent  les  Acarnanes  qui  ont  trouvé  la 
mort  sur  le  champ  de  bataille ,  en  combattant  pour  dé- 
fendre leur  patrie  contre  l'injustice  et  la  violence  des 
Étoliens.  Celte  résolution  extrême  imposa  aux  Étoliens, 
qui  renoncèrent  à  leur  expédition. 

Aujourd'hui  l'Acarnanie ,  qui  a  repris  son  nom ,  forme 
une  des  quatre  éparchies  du  nôrae  d'Étolie  et  Acarnanie , 
dans  le  nouveau  royaume  de  Grèce.  Le  pays ,  boisé  et  hé- 
rissé de  montagnes  ,  est  peu  fertile  et  encore  moins  peuplé. 
A  peine  trois  bourgades  méritent-elles  d'être  citées.  Ce  sont 
Vonitza  et  Loutrahi  (l'ancienne  Limnea),  sur  le  golfe 
d'Arta;  et  Trirjardon ,  autrefois  Œniadcs ,  à  l'embou- 
chure de  l'Aspro-Potamo  ;  ylc^/^<w^,  Anactorium ,  Argos- 
Maphilocicum ,  n'existent  plus.  Quelques  ruines  indiquent 
à  peine  la  place  qu'occupaient  les  autres  villes  de  l'inté- 
rieur. Ga'  G.  DE  VAUDOXCOtnT. 

ACARUS  etACARIDES  (du  grec  â/.otp-.,  ciron).  Le 
ciron  ou  sarcopte  d&]àgale  est  un  insecte  connu  sous 
le  nom  d'acarus  scabiei.  Son  existence  était  déjà  admise 
par  Avenzoar  et  les  médecins  arabes.  Degeer  en  avait  donné 
une  bonne  ligure.  Gales  n'était  point  arrivé  à  en  démontrer 
la  présence  dans  les  vésicules  de  la  gale ,  et  il  a  fallu  que 
M.  Renucci,  s'occupant  de  nouveau  de  l'existence  contestée 
de  ce  mystérieux  animal ,  fût  assez  heuieux ,  en  1834,  pour 
la  démontrer  complètement. 

Acarus  est  le  nom  d'un  genre  de  la  tribu  des  acarides, 
famille  des  arachnides  holètres.  Les  caractères  des  animaux 
de  ce  genre  sont  :  un  corps  très-mou,  des  chélicères  didac- 
tyles  et  des  palpes  très-courts  ;  huit  pattes  terminées  par 
une  pelotte  vésiculeuse ,  susceptibles  de  prendre  toutes  les 
formes,  selon  le  besoin  de  l'animal. 

Les  acarides  forment  une  famille  composée  de  plusieurs 
genres  distribués  pai"  Latreille  en  quatre  divisions,  savoir  : 
les  acarides  propres,  les  tiques,  les  hydrachnelles  et  les  mi- 
crophthires.  Ces  derniers  sont  les  seuls  qui  n'ont  que  six 
pieds.  Tous  les  autres  acarides  en  ont  huit  dans  leur  âge 
adulte  en  général,  et  quelquefois  six  seulement  au  moment 
de  la  naissance;  une  quatrième  paire  de  pieds  se  développe 
quelque  temps  après.  On  pourrait  donc  placer  cette  ta- 
mille  entre  la  classe  des  insectes  qui  ont  six  pieds  et  celle 
des  arachnides,  qui  en  ont  huit.  Les  acarides  sont  des  ani- 
maux presque  microscopiques,  qui  vivent  sous  les  pierres, 
les  écorces  d'arbres,  dans  la  terre,  sur  les  animaux  vivants 
ou  morts,  et  sur  un  grand  nombre  de  nos  substances  ali- 
mentaires détériorées.  On  les  a  longtemps  désignés  sous  les 
noms  <le  mites,  de  cirons  et  de  tiques.       L.  Lalrem. 

ACAT/ILEPSIE  (du  grec  à/.a-ra).r/Lîa ,  formé  de  d 
privatif,  et  y.atâ/.r/^ti; ,  compréhension).  Les  anciens  appe- 
laient de  ce  nom  la  doctrine  des  pyrrhoniens,  qui  faisaient 
profession  de  douter  de  tout.  Ces  philosophes  prétendaient 
que  nos  sens  sont  trop  près  de  nous  pour  nous  permettre 
d'avoir  sur  aucun  objet  des  idées  justes  et  invariables.  Ar- 
césilas  est,  dit-on,  le  premier  qui  soutint  Vacatalepsie. 

Par  analogie,  on  a  donné  en  médecine  la  même  dénomi- 
nation à  ime  maladie  du  cerveau  qui  ôte  à  celui  qui  en  est 
frappé  la  faculté  de  comprendre  une  chose,  de  suivre  m\ 
raisonnement,  de  mettie  de  la  suite  dans  ses  idées. 

ACAULE  (du  grec  à  privatif,  et  v.ol'jIôc,  tige).  Kn  bo- 
tanique on  appelle  plantes  acaules  celles  qui  n'ont  pas  de 
tige  manifeste,  et  dont  toutes  les  feuilles,  lorsqu'elles  en  ont, 
sont  ramassées  près  de  terre.  On  donne  aussi  le  même  nom 
à  dos  plantes  qui  ont  une  tige  très-courte,  comparativement  à 
celle  des  autres  espèces  du  même  genre,  le  défaut  absolu  de 
tige  élant  Ires-rare. 


ACCA  LAUREMIA  —  ACCAPAREMENT 


67 


ACCA  LAUREI\ïiA,  nounic«  de  Roimilus,  fut  niiso 
au  rang  des  divinili^s  de  Rome;  on  l'honorait  d'une  Me,  ap- 
l>elée  les  Accalies  ou  les  Lautentales ,  qui  se  célébrait  au 
mois  de  déctnubre.  —  Une  autre  Acca  Laurentia  fut  une  cé- 
lèbre courtisane  de  Rome  sous  le  régne  d'Ancus  Marfius. 
Cette  femme,  une  des  plus  belles  de  son  temps,  ayant  ren- 
contré un  honnne  puissant  et  riche,  nommé  Tarutius,  en 
sortant  du  temple  d'Hercule,  lui  causa  une  telle  impression 
que  celui-ci,  éiK'rdilment  amoureux,  l'épousa  aussitôt.  Étant 
mort  quelque  temps  après,  il  lui  laissa  toutes  ses  richesses. 
Elle  les  augmenta  encore  par  le  métier  qu'elle  continua 
d'exercer  pendant  plusieurs  années;  et  à  sa  mort  elle 
donna  tous  ses  biens  au  peuple  romain  :  en  reconnaissance, 
son  nom  fut  inscrit  dans  les  (listes  de  l'État,  et  l'on  institua  des 
fêtes  en  son  honneur  sous  le  nom  de  Flore.  Yoye:i  Floralx. 

ACCALIES.  Voyez  Acc.\  Laurentia. 

ACCALAIIE,  C.VLiMIE  ou  ACCAOIÉE.  Dans  la 
marine  on  donne  ce  nom  à  une  diminution  sensible  et  ins- 
tantanée du  vent,  qui  amène  le  retour  du  calme  de  la  mer  ; 
à  la  cessation  momentanée  d'un  grand  vent  qui  apporte 
une  embellie  passagère. 

ACCAPAREMENT,  spéculation  qui  consiste  à  ache- 
ter sur  un  marché  toutes  les  denrées  de  la  même  espèce,  pour 
les  revendre  à  im  prix  plus  élevé,  et  réaliser  ainsi  un  béné- 
fice considérable  au  détriment  du  consommateur.  L'accapa- 
rement vise  au  monopole  :  si  je  suis  seul  détenteur  d'une 
marchandise  dont  le  besoin  se  fasse  sentir,  il  me  sera  bien 
facile  d'imposer  ma  loi  à  l'acheteur. 

De  nos  jours  la  liberté  du  commerce  a  rendu  les  acca- 
parements plus  rares  :  il  serait  en  effet  assez  difficile  de 
supposer  que  tous  les  détenteurs  d'une  espèce  de  marchan- 
dise, qui  se  regardent  comme  ennemis,  s'entendissent  entre 
eux  pour  en  faire  liausser  la  valeur.  Par  suite  de  la  co  n- 
currence,  ce  n'est  plus  entie  le  détenteur  et  le  consom- 
mateur que  là  guerre  se  manifeste,  c'est  de  spéculateur  à 
spéculateur.  C'est  à  qui  attirera  les  chalands  par  la  mé- 
diocrité de  ses  prix. 

D'ordinaire  l'accaparement  porte  sur  des  objets  de  pre- 
mière nécessité;  aussi,  quand  il  se  manifeste,  a-t-il  pour 
résultat  d'amener  des  commotions  populaires.  C'est  le  le- 
tour  de  ce  phénomène  que  tous  les  législateurs  ont  voulu 
prévenir,  en  faisant  des  lois  contre  les  accaparements.  Un 
résumé  de  cette  législation  ne  sera  point  sans  intérêt  ici ,  et 
montrera  que  les  règlements  sur  les  subsistances  tiennent 
essentiellement  à  la  sûreté  et  à  la  tranquillité  publiques. 

L'accaparement  paraît  surtout  avoir  exercé  une  influence 
nuisible  chez  les  peuples  de  l'antiquité ,  parmi  lesquels  la 
difficulté  des  communications  et  l'imprévoyance  devaient 
ramener  périodi({uement  le  fléau  de  la  famine.  A.  Athènes  il 
était  défendu ,  sous  peine  de  mort,  d'acheter  à  la  fois  plus 
de  cinquante  mesures  de  blé,  et,  en  cas  de  revente,  d'y  ga- 
gner plus  d'une  obole.  L'exportation  des  céréales  était  sévè- 
rement interdite  :  toute  cargaison  qui  touchait  au  Pirée  de- 
vait rester  aux  deux  tiers  pour  l'approvisionnement  de  la 
ville.  11  était  aussi  défendu  au  propriétaire,  sous  peine  de 
mort,  de  vendre  ses  céréales  ailleurs  que  sur  le  marché. 
Toutes  ces  précautions  s'expliquent  par  la  situation  excep- 
tionnelle de  l'Attique  :  le  peu  d'étendue  de  son  territoire, 
la  mauvaise  culture,  les  vicissitudes  des  saisons,  étaient  des 
causes  fréquentes  de  disette.  Malgré  ces  rigueurs,  Lysias 
nous  apprend  qu'il  existait  des  accapareurs.  «  Lorsque  le 
«  besoin  de  blé  se  fait  sentir,  dit  cet  écrivain,  ces  hommes 
«  s'en  emparent,  et  ne  veulent  plus  eu  revendre,  afin  que 
«  nous  ne  disputions  plus  sur  le  prix,  et  que  nous  nous 
«  trouvions  heureux  d'en  obtenir  pour  celui  qu'ils  y  mettent.  » 

Rome,  si  sage  dans  ses  règlements  d'administration  inté- 
rieure, avait  su,  en  réprimant  l'avidité  des  spéculateurs, 
prévenir  la  disette.  Vannona  était  chargée  de  pourvoir  à 
Tappiovisionnement  de  ia  ville  :  le  gouvernement  avait  le 
monopole  des  céréal  ,'s,  non  pour  spéculer  sur  la  faim  du 


peuple;  car  souvent  il  donnait  les  grains  à  \\.\  prix,  mai* 
dans  le  but  d'assurer  la  tranquillité  de  l'État.  De  bonne 
heure,  cette  partie  de  la  législation  s'était  développée.  On 
trouve  au  Digeste  (1.  xlviii,  tit.  12,  1.  ").)  un  fragment 
d'Ulpien  qui  nous  a  conservé  les  dis[)ositions  de  la  loi 
Julïa  de  annona,  par  laquelle  celui  qui  aurait  tenté  de 
faire  hausser  les  prix  des  céréales  était  passible  d'une 
amende  de  vingt  écus  d'or.  11  existe  aussi  au  Code,  1.  iv, 
tit.  50,  de  Monopolis ,  une  constitution  de  l'empereur  Ze- 
non, qui  frajipe  de  la  conliscation  et  du  bannissement  tout 
homme  qui  aurait  cherché  à  monopoliser  les  objets  de  pre- 
mière nécessité,  v'ictum  et  vestitiim. 

Les  malheurs  qui  furent  la  conséquence  de  l'invasion  des 
barbares  ramenèrent  sans  doute  les  accaparements  plus  fré- 
quents et  plus  funestes.  Leur  influence  dut  principalement 
se  faire  sentir  dans  la  Gaule,  qui  était  devenue  le  rendez- 
vous  des  barbares  et  où  le  tenitoire  avait  cessé  d'être  cid- 
tivé.  L'anarchie  s'y  perpétua  jusqu'à  ce  que  la  main  puis- 
sante de  Charlemagne  vint  mettre  quelque  ordre  dans  ce 
chaos.  Les  Capituhdrcs  de  ce  prince  défendirent  aux  ac- 
capareurs d'acheter  les  blés  en  vert  (1.  iv,  append.  2, 
nn.  IGet  26). 

En  Angleterre,  Edouard  VI  établit  contre  celui  qui  aurait 
acheté  du  blé  pour  le  revendre  la  peine  de  l'amende,  de 
l'emprisonnement  et  de  la  conliscation. 

Les  successeurs  de  Charlemagne  rendirent  plusieurs  or- 
donnances concernant  le  commerce  des  céréales.  En  1304 
le  prix  des  grains  est  fixé  par  un  édit.  En  1343  Philippe  Yl 
fait  un  règlement  par  lequel  il  prohibe  les  accaparements, 
et  enjoint  à  tout  propriétaire  de  blés  de  ne  les  vendre  que 
sur  le  marché.  Le  préambule  de  ce  règlement  mérite  d'être 
cité  :  «  Nous  avons  entendu,  y  est-il  dit,  par  la  grief 
«  complainte  du  commun  peuple  de  la  baillie  d'Auvergne, 
«  que  plusieurs  personnes  mues  de  convoitise  ont,  par  leur 
«  malice,  achaté  et  achatent,  ou  font  achater  de  jour  en 
«  jour,  grant  quantité  de  blés,  et  mettent  en  grenier  plus 
«  assez  que  il  ne  leur  en  faut  pour  la  garnison  de  leurs  lios- 
«  tieux  ou  maisons ,  dont  grant  chierté  en  est  venue  audit 
«  bailliage,  et  plusieurs  incouvéniens  en  pounoient  ensuir 
«  au  temps  avenir  se  sur  ce  n'estoit  pourveu  de  remède, 
«  si  comme  on  dit.  «  Le  recueil  des  anciennes  ordonnances 
de  nos  rois  fourmille  d'édits  et  de  règlements  portés  sur 
cette  matière.  11  nous  suffira  de  citer  l'ordonnance  du  mois 
de  juillet  1482,  celle  du  28  octobre  1401,  celles  de  Char- 
les IX  en  15G0,  de  Henri  111  en  1577,  celle  de  Louis  Xm 
en  1629,  la  déclaration  du  22  juin  1694,  enfin  celle  du 
3  avril  1736,  qui  adonné  la  première  idée  des  greniers 
d'abondance  ;  ce  qui  n'empêcha  pas  le  pacte  de  famine  . 

La  révolution  de  1789,  en  abolissant  les  monopoles,  laissa 
le  commerce  des  céréales  parfaitement  libre,  ce  qui  ne  tarda 
pas  à  réveiller  l'avidité  des  accapareurs;  et  les  désordres 
qui  suivirent  la  première  année  de  la  révolution  furent 
tels,  que  l'Assemblée  nationale  dut  s'occuper  des  subsis- 
tances de  la  capitale.  La  disette  rendit  les  accapareurs  tel- 
lement odieux,  qu'il  suffisait  alors,  pour  susciter  contre 
quelqu'un  la  haine  populaire  et  ie  peidre,  de  crier  à  l'ac- 
capareur! Ce  cri  était  aussi  funeste  que  celui  de  à  l'aris- 
tocrate !  La  Convention  employa  les  mesures  les  plus  rigou- 
reuses pour  prévenir  les  accaparements;  elle  fit  sa  fameuse 
loi  du  viaxiimim,  qui  eut  sur  l'agriculture  l'influence  lapins 
funeste.  Un  décretdu  26  juillet  1793  porte:  L'accaparement 
est  un  crime  capital.  Sont  déclarés  coupables  d'accapa- 
rement ceux  qui  dérobent  à  la  circulation  des  marchan- 
dises ou  des  denrées  de  première  nécessité,  qui  les  achè- 
tent ou  tiennent  renfermées  dans  un  lieu  quelconque, 
sans  les  mettre  en  vente  journellement  et  publiquement. 
Ce  décret  enjoint  à  tout  détenteur  d'objets  de  consom- 
mation d'en  faire  la  déclaration  dans  les  huit  jours,  sous 
peine  de  mort,  promet  une  i)rime  au  dénonciateur,  sup' 
l>rime  rajipel  des  jugements  en  celte  matière. 

9. 


fi  8 

Les  principes  qui  nous  régissent  aujourd'hui  sont  ren- 
fermés dans  les  art.  419  et  420  du  Code  Pénal  :  liberté 
l)Our  le  producteur,  concurrence  pour  le  consommateur, 
telle  est  réconomie  de  la  loi  ;  mais  la  liberté  amduit  sou- 
vent au  monopole.  Ce  que  la  loi  réprouve  seulement ,  c'est 
le  monopole  par  coalition  :  celui-là  est  regardé  comme 
contraire  à  Tordre,  comme  illicite;  il  est  frappé  d'une 
•sanction  pénale.  Que  des  fabricants  se  réunissent  pour  em- 
pêcher la  libre  concurrence,  que  les  principaux  détenteurs 
d'une  même  marchandise  s'entendent  pour  ne  pas  la  vendre, 
ou  pour  ne  la  vendre  qu'à  un  certain  prix,  il  y  a  coalition; 
application  d'une  peine  qui  pourra  être  d'une  année  d'em- 
jifisonnement  et  de  dix  mille  francs  d'amende.  Si  la  denrée 
(jui  fait  le  sujet  de  la  coalition  consiste  en  grains,  gre- 
nailles, farines,  substances  farineuses,  pain,  vin,  ou 
toute  autre  6o(550?2 ,  l'emprisonnement  pourra  s'élever  à 
deux  ans  et  l'amende  à  vingt  mille  francs. 

11  y  a  un  certain  genre  de  spéculations  qu'on  appelle 
commerce  de  réserve,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec 
l'accaparement.  Le  commerce  de  réserve  est  toujours  fort 
utile;  il  empêche  l'avilissement  des  céréales  dans  les  années 
d'abondance,  et  prépare  un  remède  contre  les  disettes  : 
en  arrêtant  le  gaspillage  des  récoltes ,  il  empêche  la  ruine 
des  cultivateurs;  en  mettant  en  réserve  le  superflu,  il  pré- 
vient tous  les  désordres  qui  sont  l'apanage  de  la  famine. 
Aujourd'hui  cependant  le  commerce  de  réserve  est  moins 
utile  :  on  y  supplée  par  le  commerce  de  circulation.  Dès 
que  les  subsistances  deviennent  rares  dans  une  contrée, 
l'équilibre  est  bientôt  rétabli  au  moyen  des  arrivages.  La 
faciiilé  des  communications  est  très-propre  à  favoriser  cet 
l'tat  de  choses  :  lorsque  l'Europe  sera  couverte  de  chemins 
(le  fer,  nous  n'aurons  plus  rien  à  craindre  des  horrems  de 
la  disette.  Paul-Jacques. 

ACCASTILLAGE.  En  marine  on  désigne  ainsi  quel- 
quefois toute  la  partie  du  bâtiment  qui  est  hors  de  l'eau  ; 
mais  plus  ordinairement  on  comprend  sous  ce  nom  les  deux 
gaillards,  et  par  extension  la  coursive  qui  les  joint. 

ACCÉLÉRATIOIV  (du  latin  accélérât io,  fait  de 
ad,  vers,  celerare,  se  hâter).  C'est  en  mécanicpie  l'aug- 
mentation de  vitesse  que  reçoit  un  corps  en  mouvement. 
•Mnsi,  un  corps  qui  tombe  librement  par  l'effet  de  sa  pe- 
••anteur  propre  reçoit  incessamment  une  accélération  de 
vitesse,  tandis  qu'un  projectile,  qu'un  boulet,  par  exemple, 
<iui  se  meut  dans  un  milieu  résistant,  éprouve  une  retar- 
(lation  de  vitesse  qui  dénature  la  courbe  qu'il  décrirait  en 
vertu  de  la  force  d'impulsion  initiale  et  des  lois  de  la  pesan- 
teur. Galilée ,  le  premier,  exphqua  d'une  manière  satisfai- 
sante les  causes,  longtemps  inconnues,  de  l'accélération. 

En  astronomie  on  appelle  accélération  diurne  des 
clùiles  la  quantité  dont  leur  lever  et  leur  coucher  avancent 
rhaque  jour,  ainsi  que  leur  passage  au  méridien  :  eile  est 
lie  3'  56".  Cette  accélération  vient  du  retardement  effectif 
(lu  soleil.  Le  mouvement  propre  de  cet  astre  vers  l'orient, 
<]ui  est  de  59'  8"  de  degré  tous  les  jours,  fait  que  l'étoile 
(|ui  passait  hier  au  méridien  en  même  temps  que  le  soleil 
est  aujourd'hui  plus  occidentale  de  59'  58"  de  degré,  ou 
de  3'"  56'  de  temps,  dont  elle  passera  plus  tôt  qu'hier.  — 
\ 'accélération  des  planètes  est  le  mouvement  propre  des 
I  lanètes  d'occident  en  orient,  suivant  l'ordre  des  signes, 
mais  qui,  relativement  à  la  terre,  paraît  plus  grand  qu'il 
n'est  réellement.  Cette  accélération  a  pour  cause  le  mouve- 
ment de  la  terre  combiné  avec  celui  de  la  iilanète.  Elle  a 
lieu  pour  les  planètes  inférieures,  Mercure  et  Vénus,  quelque 
!cnq)s  après  leur  conjonction  inférieure,  et  pour  les  pla- 
iiètes  supérieures,  Mars,  Jupiter,  Saturne,  Herschell,  après 
leur  conjonction  au  soleil. 

Le  mot  accélération  est  encore  employé  en  piiysiologie 
«•t  en  pathologie  pour  exprimer  l'état  de  l'économie  animale 
ilans  lequel  certaines  fondions  se  trouvent  avoir  pris  im 
degré  d'activité  plus  grand  que  celui  qui  leur  est  habituel. 


ACCAPAREMEINT  —  ACCENT 

Cet  état  peut  être  accidentel  ou  permanent,  c'est-à-dire 
qu'il  provient  de  l'exercice  forcé  de  quelque  fonction  ani- 
male ,  ou  bien  qu'il  est  la  cause  ou  le  résultat  de  quelque 
maladie. 

ACCENSE,  ACCENSEMENT  (du  français  à  cens).  On 
appelait  ainsi,  dans  notre  ancien  droit  français,  un  bail,  soit 
qu'il  fût  bail  à  ferme,  bail  à  cens  ou  bail  à  rente.  Les 
deux  premiers  laissaient  la  propriété  à  celui  qui  donnait  à 
bail,  c'est-à-dire  au  bailleur,  mais  l'un  était  toujours  à 
temps,  tandis  que  l'autre  pouvait  être  perpétuel.  Par  le  der- 
nier, au  contraire,  le  bailleur  aliénait  son  héritage,  moyen- 
nant une  rente  perpétuelle  ou  seulement  viagère  (  voyez 
Bail).  Dans  quelques  coutumes,  les  accenses  étaient  le  pri.x 
du  fermage,  et  les  fermiers  étaient  appelés  accenseurs. 

ACCENT  (du  latin  accenttis,  de  ad,\>o\iï ,  cantus, 
chant),  élévation  ou  abaissement  de  la  voix  sur  certaines 
syllabes,  toute  modilication  de  la  voix  dans  la  durée  ou  dans 
le  ton  des  syllabes  ou  des  mots.  L'accent  temporel  ou 
quantité  syllabiquc  est  l'accent  qui  indique  que  la  voyelle 
sur  laquelle  il  tombe  est  plus  ou  moins  longue.  La  pronon-  ' 
dation  française  allonge  constamment  la  dernière  syllabe 
des  mots  masculins  et  la  pénultième  des  mots  féminins.  Il 
en  résulte  que  toutes  les  autres  syllabes  de  nos  mots  sont 
brèves.  Les  Normands  déplacent  l'accent  temporel,  et  c'est 
là  le  vice  de  leur  prononciation.  L'accent  tonique  ou  proso- 
dique, est  celui  qui  porte  sur  la  syllabe  d'un  mot  polysylla- 
bique où  la  voix  s'élève.  L'accent  tonique  existe  dans  toutes 
les  langues;  chaque  mot  a  le  sien  et  n'en  a  qu'un.  L'accent 
tonique  se  distingue  de  l'accent  temporel  en  ce  que  celui-ci 
n'a  rapport  qu'à  la  quantité  des  syllabes,  tandis  que  l'accent 
tonique  a  pour  caractère  propre  de  faire  saillir  spéciale- 
ment une  syllabe  parmi  les  syllabes  environnantes;  En 
français  l'accent  tonique  se  trouve,  comme  l'accent  tempo- 
rel, sur  la  dernière  syllabe  quand  elle  n'est  pas  muette,  et 
dans  ce  dernier  cas  sur  la  pénultième.  Dans  toutes  les  lan- 
gues, certains  mots,  comme  les  monosyllabes,  perdent  leur 
accent  dans  la  suite  du  discours ,  parce  qu'ils  se  lient  au 
mot  suivant  ou  au  mot  précédent  dans  la  prononciation.  L'ac- 
cent logique  ou  rationnel  est  celui  qui  fait  sentir  le  rapport, 
la  connexion  plus  ou  moins  grande  que  les  propositions  et 
les  idées  ont  entre  elles  et  indique  à  l'inteUigence  l'idée  que 
l'on  veut  rendre  ;  il  se  marque  en  partie  par  la  ponctuation. 
L'accent  oratoire  marque,  nuance  un  mot  parmi  les  autres 
mots,  absolument  de  la  même  manière  que  l'accent  tonique 
relève  une  syllabe  parmi  les  autres  syllabes.  L'accent  pa- 
thétique  est  celui  qui ,  par  diverses  inflexions  de  voix,  par 
un  ton  plus  ou  moins  élevé,  exprime  les  affections  dont 
celui  qui  parle  est  agité  et  les  communique  à  ceux  qui  l'é- 
coutent.  —  On  donne  le  nom  d'accent  national  aux  in- 
flexions de  voix  particulières  à  une  nation,  comme  on  qua- 
lifie d'accent /J/'Oi;i«ci«i  la  manière  d'articuler  et  de  pro- 
noncer propre  à  certaines  provinces.  L'accent  populaire  est 
une  prononciation  traînante  et  commune.  —  Accent  se  dit 
encore  de  l'expression  môme,  abstraction  faite  des  paroles, 
puis  du  ciiant  des  oiseaux,  du  son  des  instruments  :  l'ac- 
cent du  désespoir  ;  les  accents  de  la  douleur;  l'accent 
plaintif  des  cris  de  tapie;  du  luth  harmonieux  les  sé- 
duisants accents ,  etc. 

Dans  la  musique  Vaccent  est  une  modulation  de  la  voix 
allant  du  grave  à  l'aigu  ou  de  l'aigu  au  grave,  enflant  le  ton 
ou  le  diminuant,  abrégeant  oii  allongeant  la  durée  du  son 
et  donnant  an  chant  vnie  couleur  tantôt  naïve  et  simple, 
tantôt  fougueuse  et  passionnée.  L'étude  des  divers  accents 
et  de  leurs  effet.s  dans  la  lang\ie  doit  être  la  grande  affaire 
du  musicien.  Denis  a'Halicarnasse  regarde  avec  raison  l'ac- 
cent en  général  comme  la  semence  de  toute  musique.  Les 
langues  sont  donc  plus  ou  moins  musicales,  suivant  qu'elles 
ont  plus  ou  moins  d'accents.  .Moins  une  langue  a  (l'acccnts, 
plus  la  mélodie  doit  être  monotone,  languissante  et  fade.  Le 
I  premier  et  principal  objet  de  la  musique  étant  de  plaire  à 


ACCENT  —  ACCESS10\ 


G  9 


roiville,  on  doit  avant  tout  consulter  la  mélodie  et  TacaMit 
musical  dans  le  dessin  d'un  air  quelconciue;  ensuite,  s'il  est 
ijuestion  d'un  cliant  draniatiiiue  et  iniitatil",  il  faut  clierclier 
l'accent  pathétique,  qui  donne  de  l'expression  au  senti- 
ment, et  racc4int  rationnel,  par  lequel  le  musicien  rend  avec 
justesse  les  idées  du  poète.  11  y  a  dans  la  musique,  comme 
dans  la  parole,  un  accent.national.  Ainsi  l'accent  italien  dif- 
fère de  l'accent  français.  La  musique  instrumentale  a  de 
même  son  accent.  L'instrumentiste  exécute  avec  plus  ou 
moins  de  sûreté  d'intonation,  avec  plus  ou  moins  de  vérité 
et  de  passion;  il  met  dés  lors  plus  ou  moins  d'accent.  Dans 
e  chaut  ecclésiastique  l'accent  est  une  inflexion  de  voix 
qui  se  fait  eu  ps;ilmodiant.  Ou  le  classe  en  immuable, 
moyen,  grave,  aigu,  modéré,  intcrrogatif,  selon  qu'il  est 
plus  ou  moins  plein  et  élevé.  On  conçoit  en  effet  que  c'est 
surtout  en  s'adressaut  à  la  Divinité  que  l'homme  doit  clier- 
clier dans  les  intonations  les  plus  diverses  ù  rendre  les 
mouvements  si  variés  de  son  âme. 

En  grammaire  on  appelle  accents  certains  signes  que 
l'on  emploie  dans  l'écriture  et  dans  l'impression  et  que 
l'on  met  sur  les  voyelles ,  soit  pour  en  faire  connaître  la 
prononciation ,  soit  pour  distinguer  le  sens  d'un  mot  d'avec 
celui  d'un  autre  mot  qui  s'écrit  de  même,  soit  pour  marquer 
la  suppression  d'une  consonne  ou  la  contraction  de  deux 
voyelles.  On  fait  usage  en  français  de  trois  accents  :  l'accent 
aigu,  l'accent  grave,  et  l'accent  circonflexe.  L'accent 
aigu  (')  sert  à  marquer  le  son  de  ïc fermé  :  chasteté,  aimé. 
L'accent  grave  (')  se  met  sur  les  voyelles  a,  e,  u,  dans 
certains  cas  déterminés.  Placé  sur  l'e  il  indique  que  cet  e 
est  ouvert ,  et  qu'il  doit  se  prononcer  comme  dans  accès, 
succès  :  on  met  en  général  un  accent  grave  sur  l'e  qui  pré- 
cède une  syllabe  muette,  comme  algèbre,  siècle,  règle,  etc. 
Toutefois  l'Académie  a  remplacé  par  un  e  aigu  l'e  grave 
qu'on  employait  autrefois  dans  ce  cas  pour  une  foule  de 
mots  :  collège,  événement,  etc.  Placé  sur  a,  e,  u,  l'ac- 
cent grave  sert  à  distinguer  certains  mots  qui  s'écrivent 
de  la  même  manière  sans  avoir  le  même  sens;  ainsi  on 
le  met  sur  à,  préposition,  pour  le  distinguer  de  a,  troi- 
sième personne  du  présent  de  l'indicatif  du  verbe  avoir; 
sur  là,  adverbe ,  pour  le  distinguer  de  la ,  article  ;  sur  où, 
adverbe,  pour  le  distinguer  de  ou,  conjonction;  sur  dès, 
préposition ,  pour  le  distinguer  de  des,  conti  action  de  de 
les  ;  sur  çà,  adverbe  et  interjection,  pour  le  distinguer  de 
ça  employé  quelquefois  pour  ceto.  L'accent  circonflexe  n'est 
autre  chose  dans  le  français  moderne  que  le  signe  repré- 
sentatif d'une  lettre  retranchée,  soit  voyelle,  soit  consonne, 
et  particulièrement  de  Ys.  On  écrivait  anciennement  aage, 
roole,  prestre,  renier ciement,apostre,  dénouement, qu'on. 
écrit  à  présent  âge,  rôle, prêtre,  remercimcnt,  apôtre,  dé- 
noûment.  Cet  accent  se  place  encore  sur  Xi  des  verbes  en 
aitre  ou  en  oître,  partout  où  cette  lettre  est  suivie  d'un  t; 
aux  premières  et  deuxièmes  personnes  du  pluriel  du  passé 
défini  de  tous  les  verbes,  sur  la  voyelle  qui  précède  mes  et 
tes  :  nous  eûmes,  vous  aimâtes;  sur  la  voyelle  qui  précède 
le  t  final  de  la  troisième  personne  du  singulier  de  l'imparfait 
du  subjonctif  de  toiis  les  verbes  :  qu'il/H^,  qu'il  aimât.  Au 
seizième  siècle  les  mots  que  nous  écrivons  dû,  crû,  tù, 
mûr,  sûr,  s'écrivaient  deu,  creu,  teu,  meur,  seur,  quoi- 
que leur  prononciation  ne  différât  pas  de  celle  d'aujourd'hui; 
en  supprimant  l'e  dans  ces  mots,  on  l'a  remplacé  par  l'ac- 
cent circonflexe,  qui  les  distingue  de  leurs  homonymes  dzi, 
cru,  tu,  rnur,  sur,  qui  ont  un  autre  sens.  iXotre  prosodie 
ne  souffrant  pas  deux  e  muets  de  suite  dans  le  même  mot 
simple,  on  a  mis,  par  analogie,  un  accent  grave  ou  aigu  sur 
Ve  final  des  verbes  qui,  dans  les  phrases  en  forme  interroga- 
tive,  sont  joints  par  un  trait  d'union  avec  le  pronom  je  : 
aimé-je,  dussé-je,  veillé-je. 

L'usage  des  accents  remonte  à  une  haute  antiquité  ;  il 
paraît  qu'ils  furent  introduits  chez  les  Grecs  ])ar  Aristo- 
phane deBy/.ance,  vers  la   145^  olymiiiade  (deux   siècles 


avant  Jésus-Christ).  Les  accents  étaient  en  usage  dans  l'é- 
criture latine  dès  le  temps  d'Auguste;  on  en  trouve  la  preuve 
dans  les  marbres  et  les  plus  anciens  grammaiiicns.  Au  temjis 
du  Bas-i:mpire  on  négligea  entièrement  les  accents  et  la 
ponctuation  ;  leur  absence  totale  est  même  un  des  signes 
caractéristiques  des  monuments  écrits  de  cette  époque^  Ils 
ne  recommencèrent  à  être  d'un  usage  général  que  vers  le 
onzième  siècle. 

ACCENTUATION.  C'est  l'action,  la  manière  d'accen- 
tuer, d'imprimer  au  son  de  la  voix  humaine  les  diverses  mo- 
difications connues  sous  le  nom  d'accents. 

ACCEPTATION  (en  latin  acceptatio,  à'accipere, 
recevoir),  consentement  de  celui  auquel  on  fait  une  offre 
et  qui  l'agrée.  Voyez  Donation,  Legs,  Succession. 

En  matière  commerciale  l'acceptation  est  l'acte  par  lequel 
une  personne  s'engage  à  payer  une  lettre  de  change  à  son 
échéance.  Voyez  Lettre  de  change. 

ACCEPTILATION.  C'était,  en  droit  romain,  le  nom 
d'un  contrat  qui  se  faisait  dans  la  forme  de  la  stipulation 
par  lequel  un  créancier  supposait  avoir  reçu  de  son  débi- 
teur la  ciiose  promise  et  le  déliait  ainsi  de  son  obligation 

ACCEPTION  DE  PERSONNES.  On  appelle  ainsi 
la  préférence  injuste  qu'on  donne  à  une  personne  sur  une 
autre.  Les  législations  de  tous  les  peuples  ordonnent  aux 
magistrats  de  rendre  la  justice  sans  acception  de  person- 
nes, sans  plus  d'égards  pour  le  riche  et  le  puissant  que  pour 
le  pauvre  et  le  faible,  à  peine  de  se  rendre  coupables  de 
prévarication . 

ACCES  (du  latin  accedere ,  venir  vers).  On  appelle 
ainsi  tout  trouble  fonctionnel  plus  ou  moins  violent ,  plus 
ou  moins  prolongé ,  et  sujet  à  revenir  par  intervalles.  Di- 
verses névroses,  l'Iiystérie,  l'épilepsie,  la  catalepsie,  l'é- 
clanipsie ,  etc. ,  s'annoncent  par  des  accès.  Cependant , 
quoique  cette  désignation  soit  consacrée  dans  la  science  à 
la  réapparition  des  symptômes  de  ces  affections ,  on  a  cm 
convenable  de  leur  résener  celle  d'attaques,  plus  con- 
forme à  la  bnisque  rapidité  avec  laquelle  les  malades  sont 
frappés.  La  rage,  la  folie,  ont  aussi  des  accès.  Il  en  est 
de  même  de  certaines  passions ,  comme  la  colère ,  le  déses- 
poir, etc.  —  Au  moral ,  on  a  pu  dire  de  la  manifestation 
inaccoutumée  de  quelque  qualité ,  un  accès  de  bienveil- 
lance, de  libéralité,  etc.  —  Qui  n'a  encore  entendu  parler 
des  accès  de  goutte,  d'asthme,  de  suffocation?  Mais  c'est 
surtout  aux  accidents  des  fièvres  intemiittentes  que  le  nom 
d'accès  convient  d'une  manière  toute  particulière.  On  dis- 
tingue dans  les  accès  fébriles  trois  périodes  ou  stades,  la 
première  de  frisson,  la  seconde  de  chaleur,  la  troisième  de 
sueur.  L'intervalle  qui  sépare  ces  accès  les  uns  des  autres 
s'appelle  apyrexie  ou  intermission.  Cet  intervalle  est 
plus  ou  moins  long,  suivant  la  durée  des  accès  ou  la  fré- 
quence de  leur  retour,  qui  afl'ecte  différents  types,  quotidien, 
tierce ,  quarte,  etc.  Les  trois  stades  peuvent  êtie  égaux  ou 
inégaux  ;  quelquefois  l'un  d'eux  manque ,  ou  même  il  n'en 
existe  qu'un  seul  ;  l'accès  alors  est  dit  incomplet. 

D^  Delasiauve. 

ACCESSION  (  Droit).  On  exprime  par  ce  mot ,  dérivé 
du  latin  accedere,  la  réunion  d'une  choseà  une  autre  ;  etl'on 
appellerfro;7f/'flcce.s.s/o?iledioit  qu'a  tout  propriétaire  d'une 
ciiose  mobilière  ou  immobilière  sur  tout  ce  qu'elle  proiluit 
et  sur  tout  ce  qui  s'y  unit  accessoirement,  soit  naturelle- 
ment, soit  artificiellement.  (Code  Civil,  art.  54(i.)  De  là 
une  double  division,  1"  de  l'accession  relativement  aux  im- 
meubles ,  2°  de  l'accession  relativement  aux  meubles. 

1  "  En  ce  qui  touche  les  immeubles,  ce  droit  s'applique  aux 
alluvions  et  atteiiissements,  aux  îles  qui  .se  forment  dans 
les  fleuves  et  rivières,  aux  constructions  et  plantations, 
aux  travaux  faits  dans  les  mines,  aux  animaux  dont  paile 
l'art.  564  du  Code  Civil.  —  On  ne  s'occupera  ici  ni  des  al- 
luvions, ni  des??n?îe.ç,  ni  do»  at  t  er  r  i  s  s  era  e  nt  s,  qm 
feront  l'olijet  d'ailicles  spéciaux.  Les  îles  et  ilôts  qui  se  for- 


ACCESSION  —  ACCIAJOLl 


ment  clans  les  rivières  appartiennent  à  l'État,  s'il  s'agit  de 
rivières  navigables  ou  (lottables ,  et  aux  piopriétaires  rive- 
rains, s'il  s'agit  de  rivières  non  navigal)les  ni  llottahlcs.  A  cet 
égard ,  les  riverains  sont  censc's  avoir  droit  sur  la  moitié  du 
lit  de  la  rivière ,  au  moyen  d'une  ligne  fictivement  tracée 
au  milieu.  Il  n'y  a  lïaccession  qu'autant  que  les  terrains 
ont  été  formés  d'une  manière  insensible  ;  la  terre  subite- 
ment environnée  par  les  ean\  d'une  rivière  ne  changerait 
pas  de  maître.  — Le  propriétaire  du  fonds  où  les  constructions 
et  plantations  se  trouvent  en  est  censé  l'auteur  ;  la  preuve 
contraire  peut  seule  faire  cesser  cette  présomption  et  le  droit 
qui  en  dérive.  Mais  il  peut  arriver  que  ce  propriétaire  ait 
employé  des  matériaux  appartenant  à  un  tiers  ;  ce  dernier 
ne  peut  les  revendiquer  :  il  n'a  qu'une  action  en  dommages- 
intérêts,  à  moins  que  l'édifice  n'ait  été  détruit,  et  dans  ce 
cas  ils  peuvent  être  réclamés  en  nature.  Si ,  au  contraire , 
un  tiers  vient  à  construire  sur  le  fonds  d'autrui,  le  proprié- 
taire a  le  droit  de  retenir  les  ouvrages  en  remboursant  la 
valeur  des  matériaux  employés  et  le  prix  de  la  main-d'œu- 
vre, ou  d'en  exiger  la  démolition.  (C.  Civ.,  art  553  à  555.) 
—  A  la  différence  des  animaux  domestiques  ,  les  pigeons , 
lapins  ou  poissons,  changent  de  maître  en  quittant  leur  co- 
lombier, garenne  ou  étang  :  ils  ne  nous  appartiennent  donc 
«pie  par  droit  d'accession.  Si  cependant  ces  animaux 
avaient  été  attirés  par  fraude,  il  pourrait  y  avoir  lieu  à 
une  demande  en  revendication.  (C.  Civ.,  art.  564.) 

2°  En  ce  qui  touche  l'accession  par  rapport  aux  meubles, 
les  règles  tracées  par  le  Code  se  rangent  sous  trois  clas.-es, 
([ui  répondent  aux  trois  espèces  d'accessions  artiliciellos 
indiquées  par  les  auteurs.  Savoir  :  Y  ad  jonction,  la  spcciji- 
cution,  h  mélange;  mais  comme  en  fait  de  meubles  la 
i)ossession  vaut  titre,  ces  règles  ont  nécessairement  une  ap- 
plication fort  limitée.  —  h\id jonction  a  heu  par  l'union  de 
deux  ou  plusieurs  choses  appartenant  à  différents  maîtres. 
Dans  ce  cas ,  lorsqu'elles  sont  encore  séparables ,  en  sorte 
que  l'une  puisse  subsister  sans  l'autre,  par  exemple  le 
diamant  enchâssé  dans  un  anneau ,  les  galons  d'un  vête- 
ment ,  etc. ,  le  tout  appartient  au  propriétaire  de  la  chose 
principale,  à  la  charge  de  payer  la  valeur  de  la  chose  unie  ; 
et  l'on  entend  ainsi  celle  à  laquelle  l'autre  n'a  été  unie  que 
pour  Tusage ,  l'ornement  ou  le  complément  de  la  première. 
Or,  pour  que  le  propriétaire  de  l'accessoire  soit  fondé  à  le 
reprendre,  il  faut  la  réunion  de  ces  trois  conditions  :  que 
les  choses  puissent  se  séparer,  que  l'adjonction  ait  eu  lieu 
sans  ïavcu  et  à  l'insu  du  propriétaire  de  l'accessoire,  que 
cet  accessoire  ait  une  valeur  supérieure  à  celle  du  princi- 
pal. —  La  spccification  est  la  formation  d'une  nouvelle  es- 
pèce d'objet  avec  une  matière  appartenant  à  autrui.  Voici 
;i  cet  égard  la  distinction  que  fait  la  loi.  Si  la  matière  ap- 
p.artient  entièrement  à  autrui ,  soit  qu'elle  puisse  ou  non 
reprendre  sa  première  forme,  le  propriétaire  a  le  dioit  de 
réclamer  la  nouvelle  espèce  en  remboursant  la  main-d'oMi- 
vre;  si  l'artisan  est  propriétaire  d'une  partie  de  la  matière 
et  que  la  séparation  ne  puisse  se  laire  sans  inconvénient ,  il 
y  a  communauté  entre  lui  et  le  propriétaire  de  l'autre  partie, 
en  raison ,  quant  à  ce  dernier,  de  la  partie  de  matière  qu'il 
a  fournie,  et  quant  à  l'artisan,  en  raison  du  prix  de  sa  ma- 
tière et  de  sa  main-d'œuvre.  11  peut  se  faire  cependant  que 
la  main-d'œuvre  l'emporte  de  beaucoup  sur  la  matière, 
connne  ,  par  exemple,  la  sculpture  d'un  bloc  de  niaibre  , 
le  travail  du  peintre  sur  une  toile.  Dans  ce  cas,  l'artiste 
demeure  en  possession  moyennant  indemnité.  En  cas  de 
jnauvaise  foi  de  la  part  de  celui  qui  a  employé  la  matière 
d'autrui ,  le  propriétaire  est  en  droit  d'exiger  des  domma- 
ges-intérêts. (C.  Civ.,  art.  571,  572  et  577.)  —  Le  mélange 
a  liea  lorsqu'une  chose  a  été  fornîée  de  matières  apparte- 
nant à  différents  maîtres ,  et  dont  aucune  ne  peut  être  re- 
gardée connue  principale;  si  elles  peuvent  être  séparées, 
celui  à  l'insu  duquel  elles  ont  été  mélangées  peut  en  de- 
liiander  la  division,  et  s'il  ne  veut  pas  user  de  cette  fiicullé, 


il  peut  demander  le  prix  de  ses  matières.  Si  elles  ne  peu- 
vent plus  être  séiiarées  sans  inconvénients ,  la  propriété 
devient  comnmne  dans  la  jiroportion  de  la  quantité,  de  la 
qualité  et  de  la  valeur  appartenant  à  chacun.  Mais  si  la 
matière  appartenant  à  l'un  des  propriétaires  était  de  beau- 
coup supérieure  à  l'autre,  par  la  (piantité  et  le  prix,  en  ce 
cas  le  proi)riétaire  de  la  matière  supérieure  pourrait  ré- 
clamer le  mélange  entier,  en  remboursant  à  l'autre  la  va- 
leur de  sa  matière,  à  moins  toutefois  que  le  mélange  n'eût 
été  fait  du  consentement  des  dilférents  propriétaires  :  il  y 
ainait  aloi-s  entre  eux  communauté  et  nécessité  de  liciter 
la  chose  au  profit  commun.  (  C.  Civ.,  art.  573  à  575.  ) 

E.  DE  Chabrol. 

ACCESSION  {Droit  international  ).  C'est  l'acceptation 
par  un  ou  plusieurs  États  d'un  traité  déjà  conclu  entre  deux 
ou  plusieurs  autres.  Comme  un  des  plus  récents  exemples 
d'accession  on  peut  citer  l'accession  du  roi  des  Delges  et 
du  roi  des  I>ays-Eas  au  traité  conclu  entre  les  gouverne- 
ments de  France,  d'Angleterre,  d'Autriche,  de  Pnisse  et  de 
Russie  à  la  suite  des  conférences  de  Londres. 

ACCESSIT  (  littéralement  il  s'est  approché  ),  terme 
usité  dans  les  universités,  académies,  collèges,  etc.  On  ap- 
pelle accessit  la  mention  honorable  accordée  à  la  personne 
qui,  ayant  concouru  pour  un  prix,  a  obtenu  le  plus  de  suf- 
frages après  celui  qui  l'a  lemporté. 

ACCESSOIRE.  On  appelle  ainsi  dans  les  arts  du  des- 
sin les  objets  qu'on  fait  entrer  dans  une  composition ,  et 
qui ,  sans  y  être  absolument  nécessaires ,  servent  beaucoup 
à  l'embeUir.  Le  grand  talent  de  l'artiste  est  de  bien  choisir 
l'accessoire ,  de  le  coordonner  à  l'ensemble  de  son  œuvre , 
de  ne  jamais  sacrifier  l'un  à  l'autre,  et  de  l'introduire  avec 
tant  d'adresse  dans  sa  composition  que  sa  présence  y  pa- 
raisse nécessaire.  Dans  le  langage  ordinaire ,  accessoire  se 
dit  de  ce  qui  n'est  pas  forcément  lié  à  une  chose,  mais 
qui  y  sert  d'accompagnement  et  de  suite.  Exemple  :  la  mé- 
decine a  pour  sciences  accessoires  la  chimie,  la  botanique, 
la  piiysique,  etc. 

ACCIACCATURA.  Ce  mot  italien  est  employé  en 
musique  pour  désigner  un  agrément  d'exécution  sur  la  nature 
duquel  les  divers  auteurs  ne  sont  pas  d'accord.  Les  uns 
veulent  qu'il  consiste  à  frapper  successivement  et  d'une 
manière  très-rapide  toutes  les  notes  d'un  accord.  Les  autres 
le  font  consister  à  frapper  dans  un  accord  une  ou  plusieurs 
notes  qui  ne  lui  appartiennent  pas.  Enfin,  il  y  en  a  qui 
disent  que  c'est  la  même  chose  qu'une  appogiatttre; 
mais  que  l'on  frappe  presque  simultanément  avec  la  note 
principale. 

ACCIAJOLl  ou  ACCIAJUOLT,  ancienne  et  célèbre  fa- 
mille de  Florence ,  dont  la  fortune  eut  pour  point  de  départ 
le  conunerce  (celui  de  l'acier,  dit-on,  en  italien  acciajo),  a 
donné  des  hommes  remarquables  à  l'État,  à  l'Église,  à  la 
science,  et  des  souverains  à  Coriuthe,  à  Thèbes  et  à  Athè- 
nes. —  Nicolas  ACCIAJOLl,  né  en  1310 ,  et  général  renommé, 
rendit  particuhèrement  à  Robert,  roi  de  JNaples,  les  ser- 
vices les  plus  importants ,  fit  de  nombreuses  conquêtes  en 
Morée,  en  Sicile  et  en  Italie,  et  s'éleva  aux  plus  hautes  di- 
gnités; la  reine  Jeanne  le  nomma  grand  sénéchal  du  royaume 
de  JNaples,  et  plus  tard  il  devint  gouverneur  de  Bologne  et 
de  toute  la  Romagne.  Outre  ses  talents  militaires ,  il  avait 
orné  son  esprit  de  connaissances  littéraires  et  scientifiques, 
et  compta  parmi  ses  amis  les  j^lus  intimes  Pétrarque  et 
Boccace;  on  nous  a  conservé  plusieurs  lettres  de  ces  deux 
grands  hommes,  adressées  à  Kicolas  Acciajoli,  qui  fut  encore 
vice-roi  de  la  Fouille,  et  mourut  à  is'aples  en  13GG.  —  Donat 
Acciajoli,  né  à  Florence  en  1428,  remplit  dans  sa  patrie 
plusieurs  fonctions  importantes  :  en  1473  il  fut  gonfalonier 
de  la  république,  dont  il  défendit  avec  le  patriotisme  le  plu? 
pur  les  inlérèîs  auprès  des  cours  de  France  et  de  Rome,  et 
mourut  à  Milan,  le  2S  août  ri7S,  au  moment  où  il  se  ren- 
dait en  France  comme  ambassadeur.  Sa  patrie  reconnais- 


ACCIAJOLl  —  ACCLAMATION 


71 


santé  «Iota  Ks  doux  filles  Je  ce  gt^néioiix  citoyen ,  qui  avait 
(lodaiiint^  tous  lis  moyens  de  s'enrichir,  et  donna  le  fameux 
Laurent  de  Médicis  pour  tuteur  aux  tiois  (ils  qu'il  laissait 
en  bas  Age.  Malgré  le  temps  que  lui  enlevèrent  les  aflaires 
publiques,  il  s'appliqua  constamment  aux  sciences,  en  fa- 
vorisa les  progrès,  et  sedistingua  lui-nu^me  comme  écrivain. 
Son  Commentaritts  de  Vitd  Caroli  Magni,  écrit  en  latin 
très-élégant,  mérite  encore  d'être  lu.  —  Zcnobius  Accia- 
lOLi ,  né  à  Florence,  en  1461,  entra  en  1494  dans  l'ordre  des 
dominicains,  fut  bibliothécaire  du  Vatican  sous  le  pape 
Léon  X ,  et  mourut  en  1 520.  Ses  connaissances  dans  la  lit- 
térature ancienne  lui  méritèrent  l'estime  et  l'amitié  de  Mar- 
sile  Ficin  et  d'Ange  Politien,  dont  il  publia  les  Epigram- 
mata  giwca  (Florence  ,  l4'J5  ,  in-4°).  11  était  lui-même  bon 
poète  latin,  mais  on  n'a  conservé  qu'un  petit  nombre  de  ses 
poésies  latines.  —  Philippe  Acci.^joli  ,  chevalier  de  Malte, 
né  à  Florence  en  lf.37  ,  voyagea  dans  les  quatre  parties  du 
monde  ,  lit  iniprimer  quelques  œuvres  dramatiques,  et  mou- 
rut à  Rome  en  1700.  —  Au  dix-huitième  siècle ,  deux  mem- 
bres de  cette  famille  reçurent  le  chapeau  de  cardinal  :  ce 
sont  Nicolas,  né  à  Florence,  en  1G31 ,  mort  en  1719  ,  et 
Philippe,  son  neveu  ,  né  à  Rome,  en  1700 ,  mort  en  17G6. 
Celui-ci  fut  nonce  en  Suisse  et  en  Portugal.  Son  dévouement 
aux  jésuites  lui  suscita  de  grandes  difiicultés  dans  ce  der- 
nier pays, 

ACCIDEXT.  Les  qualités  fortuites  et  non  essentielles 
d'une  personne  ou  d'une  chose,  comme  êtie riche,  beau,  etc. 

En  musique,  on  nomme  accidents  les  dièses,  bémols  et 
bécarres ,  parce  que  ces  signes  placés  devant  les  notes ,  les 
altèrent  momentanément  en  les  haussant  ou  les  baissant 
d'un  demi-ton. 

Dans  la  philosophie,  le  mot  accident,  dans  son  accep- 
tion la  plus  générale,  désigne  tous  les  modes  ou  les  manières 
d'être  d'une  chose,  par  opposition  à  la  substance  considérée 
abstractivement. 

Ce  mot  exprime,  en  outre,  tout  ce  qui  peut  arriver  ino- 
pinément de  (acheux.  Mais  dans  le  langage  médical ,  où  il 
est  très-usité  ,  il  retoit  diverses  acceptions.  Tantôt  il  dési- 
gne le  mal  lui-môme  :  congestion,  hpoplexie ,  fracture , 
entorse ,  brûlure,  etc.  ;  tantôt  les  phénomènes  non  intime- 
ment liés  aux  afïections  dans  lesquelles,  ces  phénomènes  se 
manifestent.  On  dit  d'une  maladie  qu'elle  se  complique 
A^accidents  du  côté  du  cerveau,  de  la  poitrine,  des  voies 
digestives,  et  vice  versa.  Dans  quelques  cas  on  donne  à  ce 
dernier  genre  d'accidents  le  nom  d'épiphénomènes.  Très- 
souvent,  enfin,  il  est  synonyme  de  symptôme,  comme, 
par  exemple ,  dans  ces  locutions  :  les  accidents  sont  graves 
ou  légers ,  persistants  ou  fugaces ,  continus  ou  périodiques  ; 
ils  augmentent  ou  diminuent  d'intensité  ,  etc. 

AcciDE.NTs  DE  LUMIÈRE.  Eu  pcinture  on  donne  ce  nom 
aux  espaces  lumineux  éclairés  par  le  soleil  lançant  ses 
rayons  dans  l'intervalle  laissé  par  les  nuages;  aux  clairs  pro- 
duits dans  un  tableau  par  des  circonstances  étiaiigères  à  la 
lumière  générale  de  la  composition.  Ainsi  les  rayons  lumi- 
neux qui  pénètrent  par  une  porte,  une  fenêtre  ouvertes,  ou 
bien  encore  ceux  que  projette  un  flambeau,  sont  des  acci- 
dents de  lumière.  —  Si  les  résultats  ordinairement  produits 
à  nos  yeux  par  la  lumière  ne  nous  causent  point  de  sur- 
prise, c'est  que  nos  regards  y  sont  accoutumés.  Au  contraire, 
que ,  par  quelques  dispositions  ou  circonstances  particulières 
la  lumière  lance  des  rayons  plus  éclatants  qu'à  l'ordinaire 
et  formant  par  leur  contraste  avec  l'ombre  des  oppositions 
tranchées ,  ces  effets ,  qui  frapperont  vivement  les  artistes , 
seront  appelés  par  eux  accidents  de  lumière.  On  diia  donc 
d'un  tableau  dans  lequel  ces  effets  seront  bien  rendus  que 
le  peintre  y  a  représenté  d'heureux  accidents  de  lumière, 
qu'il  s'y  trouve  de  fréquents  accidents  de  lumière,  etc. 

ACCIDENTEL.  Ce  mot  s'applique  h  toutes  les  choses 
()ui  arrivent  sans  que  la  cause  nous  en  soit  connue.  Quand 
on  dit  qu'un  phénomène  est  accidentel,  qu'il  est  dû  au 


hasard,  on  ne  veut  pas  dire  qu'il  n'a  pas  de  cause,  mais  seu- 
lement qu'il  n'a  jias  de  cause  connue. 

Dans  la  musique  on  appelle  signes  accidentels  les  dièses, 
bémols  et  bécarres  qui  n'étant  point  à  la  clef  se  rencontrent 
dans  le  courant  d'un  morceau  de  musique. 

ACCISE  (du  bas-latin  accisia,  fait  de  accidere,  tailler, 
couper) ,  impôt,  taxe  qui  se  lève  sur  les  boissons  et  autres 
objets  de  consommation,  dans  plusieurs  États.  L'accise  ré- 
pond à  peu  près  aux  contributions  indirectes  en  France. 
Elle  existe  en  Angleterre  sous  le  nom  d'excisé. 

ACCIUS  ou  ATTIUS  (Lccius),  un  des  plus  anciens 
auteurs  tragiques  des  Romains,  dont  il  ne  nous  reste  que  des 
fragments,  était  fils  d'un  affranchi.  11  naqiùt  vers  l'an  IGO 
avant  J.-C,  et  mourut  dans  un  âge  très-avancé  ;  car  Cicéron, 
qui  le  cite  très-frequemment,  paraît  l'avoir  connu,  et  Ci- 
céron était  né  l'an  lOG.  D'un  passage  du  Brutus  de  Cicéron, 
ch.  64 ,  il  résulte  qu'Accius  avait  trente  ans  lorsque  Pacu- 
vius  en  avait  quatre-vingts.  11  était  contemporain  de  Luci- 
lius,  et  florissait  vers  l'an  115.  Si  l'on  ajoute  foi  à  Valère 
Maxime  (III,  7, 11),  Accius  aurait  même  connu  Jules  César  : 
il  rapporte  que,  dans  une  réunion  de  poètes,  le  vieil  Accius 
ne  se  levait  pas  en  présence  de  César,  non  par  aucune  in- 
tention de  lui  manquer  de  respect,  mais  à  raison  de  sa 
supériorité  comme  poète.  En  admettant  l'exactitude  de  l'a- 
necdote, elle  ne  pourrait  se  rapporter  qu'à  la  jeunesse  "de 
César;  car  on  sait  qu'il  fut  nommé  gouverneur  des  Gaules 
en  l'an  58  ;  il  y  passa  dix  ans,  et  les  quatre  dernières  années 
de  sa  vie  t^urent  remplies  par  les  guerres  civiles  et  sa  dicta- 
ture. Accius  devait  être  mort  depuis  longtemps.  Celles  de 
ses  tragédies  dont  il  nous  reste  des  fragments  ont  pour 
titres  :  les  Agamemnonides ,  les  Argonautes,  Armorum 
Judicium  (que  nous  sommes  forcé  de  traduire  par  cette  pé- 
riphrase :  Jugement  du  débat  élevé  entre  Ajax  et  Ulysse  sur 
les  armes  d'Achille),  Atrèe,  Eurijsacès,  les  Myrmidons , 
Phtloctète  à  Lemnos,  Prométhée,  les  TracMniennes .  Il 
nous  reste  de  ces  deux  dernières  deux  beaux  et  longs  frag- 
ments conservés  par  Cicéron.  Les  sujets  de  toutes  ces  pièces 
avaier.t  été  déjà  traités  par  les  tragiques  grecs.  On  cite  aussi 
parmi  les  ouvrages  d'Accius  une  tragédie  de  Brutus,  dont 
le  sujet  était  l'expulsion  des  rois  de  Rome.  La  perte  en  est 
d'autant  plus  regrettable  que  les  drames  sur  des  sujets  na- 
tionaux sont  plus  rares  dans  la  littérature  romame.  îs'eukirch 
{De  fabula  togatâ  Romanorum)  conjecture  qu'Accius 
composa  cette  pièce  sur  le  conseil  de  Decimus  Brutus ,  avec 
lequel  il  était  lié.  Il  paraît  avoir  écrit  aussi  des  Annales  en 
vers  qui  sont  citées  par  Festus ,  Nonius ,  Macrobe  et  Pris- 
cian.  Enfin  on  lui  attribue  encore  trois  ouvrages  en  prose , 
intitulés  Didascalica ,  Parerg'a,  qui  traitaient  de  divers 
sujets  d'histoire  littéraire,  et  particulièrement  de  l'histoire 
du  théâtre.  Les  fragments  d'Accius  ont  été  recueillis  plu- 
sieurs fois.  Le  recueil  le  plus  récent  se  trouve  dans  l'ouvrage 
publié  par  M.  Egger,  sous  ce  titre  :  Latini  sermonis  vetus- 
tioris  Reliquiœ  selectx  (Paris,  1843).  Artaud. 

ACCLAjVIATIOi\  (du  latin  acclamatio ,  fait  de  ad, 
vers,  clamo,]e.  crie) ,  cri  par  lequel  on  marque  la  joie  qu'on 
éprouve  de  quelque  chose  ou  bien  l'estime  que  l'on  a  pour 
quelqu'im.  Il  se  dit  surtout  des  marques  spontanées  de  joie 
par  lesquelles  une  réunion  d'hommes  témoigne  de  son  en- 
thousiasme. Le  hosannah  des  Hébreux ,  l'âyaOo  vjyr,  des 
Grecs ,  les  vivat  et  les  hourrah  modernes ,  sont  des  ter- 
mes d'acclamation.  Chez  les  Romains ,  l'armée  victorieuse 
saluait  son  chef  ou  son  empereur  par  une  acclamation.  Le 
sénat  faisait  des  acclamations  au  nouvel  empereur.  Alors 
V acclamation  devint  un  art,  qui  eut  des  formules  différentes 
suivant  les  circonstances  ou  les  personnages.  —  De  nos 
jours,  l'expression  élire  par  acclamation  signifie  l'ac- 
cord bruyant  des  opinions  qui  se  manifeste  quelquefois  et 
dispense  en  quelque  sorte  de  recueillir  les  suffrages.  On  dit 
aussi,  dans  le  langage  parlementaire,  qu'une  mesure, 
qu'une  loi ,  a  été  reçue  par  acclamation ,  loi-squ'ellc  a  été 


72 


ACCLAMATION  —  AC-COINLU 


reçue  aussitôt  qnc  piopos(5c.  An  théâtre ,  que  de  pièces  re- 
çues par  acclama/ion,  et  qui  n'en  valent  pas  mieux  ! 

ACCLIMAÏATIOIV  et  ACCLIMATEMENT.  Vac- 
climatation  a  pour  objet  de  faire  vivre  les  animaux  et  les 
vj^gétaux  dans  des  climats  différents  de  ceux  qui  leur  sont 
liabituels,  et  dans  lesquels  ils  trouvent  les  influences  exté- 
rieures les  plus  favorables  à  leur  développement  complet. 
Les  influences  extérieures  qui  conservent,  modifient,  altè- 
rent et  détruisent  la  vie  et  la  santé  des  Ctres  vivants  sont  les 
grands  agents  physiques  connus  usuellement  sous  les  noms 
de  lumière  et  d'obscurité,  de  température ,  de  sécheresse , 
d'humidité  et  dV-manations  diverses  d'un  sol  nu  ou  recou- 
vert de  débris  organiques.  C'est  l'ensemble  de  ces  influences 
qui  constitue  toutes  les  variétés  de  climats  favorables  ou 
nuisibles  au  développement  normal  des  animaux  et  des  vé- 
gétaux. L'expérience  a  conduit  naturellement  les  observa- 
teurs à  ramener  tontes  ces  variétés  climatériques  à  trois 
principaux  chefs,  savoir  :  les  climats  chauds,  les  climats 
tempérés,  et  les  climats  froids,  et  à  distinguer  les  corps 
organisés,  animaux  ou  plantes  ,  selon  qu'ils  sont  destinés 
par  Ja  nature  à  vivre  et  à  jouir  d'une  santé  plus  vigoureuse 
dans  l'une  de  ces  trois  catégories  de  climats. 

Lorsque  des  circonstances  éventuelles  transportent  brus- 
quement un  corps  organisé  dans  un  climat  insolite ,  ce 
corps  souffre,  languit  et  meurt.  Un  animal  ou  un  végétal 
éprouve  seulement  des  modifications  dans  sa  constitution 
organique,  lorsqu'on  le  fait  passer  lui-même  ou  ses  géné- 
rations graduellement  d'un  climat  dans  un  autre,  en  pre- 
nant quelques  précautions  que  prescrivent  l'art  de  la  culture 
des  végétaux  et  l'art  d'élever  les  animaux.  L'ensemble  des 
modifications  que  subit  une  plante  ou  un  être  animé  vivant 
dans  un  climat  insolite  constitue  V acclimatement.  L'élude 
des  diverses  modifications  compatibles  avec  la  santé  pour- 
rait être  faite  dans  toute  la  série  des  êtres  organisés.  Mais 
on  n'a  guère  étudié  expérimentalement  que  les  effets  de 
l'acclimatement  sur  l'homme,  sur  les  animaux  domestiques 
et  sur  les  plantes  cultivées.  L'acclimatement  ou  l'aptitude 
acquise  par  un  corps  organisé  à  vivre  sous  un  autre  climat 
trè-s-différent  de  celai  qui  lui  est  le  plus  favorable  ne  doit 
pas  être  confondu  avec  l'aptitude  à  vivre  et  à  fructifier 
produite  par  l'art  de  créer  en  quelque  sorte,  ou  mieux  d'i- 
miter dans  des  serres,  dans  des  ménageries,  les  localités, 
c'est-à-dire  le  sol  et  les  climats  favorables  à  la  vie  et  à  la 
santé  des  animaux  et  des  végétaux  exotiques.  L'art  parvient 
alors  à  produire  des  climats  artificiels  qui  sont  des  imita- 
tions de  leurs  viviers  naturels.  Mais  les  végétaux  et  les  ani- 
maux exotiques  que  nous  parvenons  ainsi  à  faire  développer 
complètement  ne  sont  pas  pour  cela  acclimatés,  et  meurent 
lorsque  la  nature  ou  l'art  ne  leur  fournit  pas  les  influences 
extérieures  favorables. 

Lorsque  des  circonstances  naturelles  (vents,  cours  d'eau, 
etc.)  qui  disséminent  les  corps  reproducteurs  des  êtres  or- 
ganisés les  transportent  graduellement  dans  des  climats 
différents,  cette  translation  graduelle  est  souvent  suivie 
d'une  acclimatation  naturelle  des  espèces  animales  ou  vé- 
gétales. Cette  première  sorte  d'acclimatation  est  en  réalité 
une  opération  que  la  nature  semble  pratiquer  en  grand  pour 
produire  les  modifications  d'espèces  connues  sous  les  noms 
<le  variétés  et  de  races.  L'acclimatation  est  alors  l'ouvrage 
de  la  nature,  et  l'art,  qui  l'imite  avec  succès,  produit  ainsi 
les  acclimatations  artificielles ,  qu\  sont  des  expériences 
dont  le  physiologiste  et  le  naturaliste  doivent  suivre  le 
cours,  le  progrès  et  les  contre-épreuves,  pour  les  appli- 
quer ensuite  aux  besoins  de  l'industrie  et  surtout  à  ceux 
de  la  science.  L'acclimatation  est  donc  une  expérience  na- 
turelle ou  artificielle  qui  consiste  dans  la  translation  gra- 
duée d'un  climat  dans  un  autre  plus  ou  moins  différent, 
qu'on  fait  subir  à  des  végétaux  ou  à  des  animaux,  et  dans 
l'action  également  graduelle  des  influences  extérieures  qui 
modifient  la  constitution  de  ces  corps  organisés  sans  altérer 


leur  état  de  santé,  qui  peut  offrir  divers  degrés  d'énergie 
ou  de  vigueur.  L.  Laukent. 

La  plupart  de  nos  plantes  et  de  nos  animaux  les  plus 
utiles  nous  vieiment  d'acclimatation.  Tels  sont  le  cheval, 
l'une ,  la  brebis,  la  chèvre ,  le  dindon  ,  la  poule  ,  le  ver  ii 
soie ,  le  mérinos,  la  vigne,  le  cerisier,  le  pommier,  le  châ- 
taignier, le  pêcher,  l'abricotier,  le  mûrier,  le  figuier,  l'olivier, 
l'oranger,  le  citronnier,  l'amandier,  le  noyer,  le  groseiller,  le 
noisetier,  le  hêtre,  l'accacia,  le  cèdre,  le  rosier,  la  pomme 
de  terre,  etc. 

Une  Société  zoologique  d'acclimatation  a  été  fondée  à 
Paris  ,  le  10  février  1854 ,  «  dans  le  but,  a  dit  M.  Isidore 
Geoffroy  Saint-Ililaire,  de  peupler  nos  champs,  nos  forêts , 
nos  rivières, d'hôtes  nouveaux;  d'augmenter  le  nombre  de 
nos  animaux  domestiques ,  cette  richesse  première  du 
cultivateur  ;  d'accroître  et  de  varier  les  ressources  alimen- 
taires si  insuffisantes  dont  nous  disposons  aujourd'hui; 
de  créer  d'autres  produits  économiques  ou  industriels ,  et 
par  là  même  de  doter  notre  agriculture  si  longtemps  lan- 
guissante, notre  industrie,  notre  commerce  et  la  société 
tout  entière  de  biens  jusqu'à  présent  inconnus  ou  négli- 
gés, non  moins  précieux  un  jour  que  ceux  dont  les  généra- 
tions antérieures  nous  ont  légué  le  bienfait.  »  Cette  so- 
ciété compte  dans  son  sein  des  naturalistes  éminents  et 
des  agriculteurs  praticiens.  Elle  se  divise  en  membres  fon- 
dateurs ,  membres  honoraires  et  membres  titulaires.  Elle 
publie  depuis  son  origine  un  Bulletin  oii  sont  résumés  ses 
travaux .  Elle  s'est  affilié  bon  nombre  de  sociétés  régionales 
d'acclimatation.  Elle  a  institué  des  délégués  spéciaux  qui 
la  représentent  dans  les  différentes  parties  du  monde.  Recon- 
nue commeétablissement  d'utilité  publique,  le  26  février  1855, 
elle  décerne  chaque  année  des  récompenses  aux  services  ren- 
dus dans  le  but  qu'elle  se,  |i  opose.  Elle  a  réalisé  le  projet 
d'un  grand  dépôt  de  reproducteurs  et  créé  l'établissement 
d'une  sorte  de  muséum  d'histoire  naturelle  appliquée. 

Un  terrain  de  vingt  hectares  au  bois  de  Boulogne  fut  cédé 
en  1857,  par  la  ville  de  Paris,  à  une  société  dérivée  de  la  So- 
ciété zoologique  d'acclimatation,  pour  y  établir  un  jardin 
zoologique  qui  a  été  ouvert  le  0  octobre  1860,  et  où  le  pu- 
blic est  admis  moyennant  une  faible  rétribution.  On  y  voit 
une  serre  splçndide,  un  aquarium  curieux,  des  parcs  d'ani- 
maux utiles,  des  étables,  des  écuries ,  des  volières,  une 
basse-cour,  un  poulailler,  une  magnanerie,  des  arbres  et 
des  fleurs  rares,  etc.,  fout  ce  qu'il  faut  enfin  pour  aider  la 
naturalisation  parmi  nous  d'animaux  ou  de  plantes  que 
nous  ne  connaissons  que  de  nom  ou  de  réputation.    Z. 

AC-COINLU  ou  AK-KOYUNLU,  dynastie  de  Turco. 
mans,  qui  a  régné  dans  l'Arménie  Mineure  depuis  l'an  1375 
jusqu'à  l'an  1515  de  l'ère  chrétienne.  Son  nom  lui  vient  de 
ce  qu'elle  portait  un  mouton  blanc  dans  ses  enseignes ,  tan- 
dis que  celle  de  Kara-Coinlu  portait  un  mouton  noir. 

L'historien  Al-Jannabi  etautres  commencent  cette  dynas- 
tie par  Tùr-Ali-Beg  ;  son  fils  Fakr'Eddin-Kotliou-Kotlu-Beg 
lui  succéda,  et  eut  pour  héritier  son  fils  Kara-Itug-Othman, 
qui  se  soumit  à  Tamerlan  et  l'accompagna  avec  ses  troupes 
dans  l'Asie  Mineure  ;  il  en  reçut  pour  récompense  e  gouver- 
nement de  quelques  villes  de  Mésopotamie.  Fier  de  cet  appui, 
il  voulut  chasser  la  dynastie  du  Mouton  noir  de  l'Arménie 
ou  Diarbékir,  et  fut  tué  dans  une  bataille  que  lui  livra  Kara- 
Yusef ,  second  prince  de  cette  dynastie  ,  l'an  de  l'hégire  809, 
ou  823  suivant  Mirkhond.  Son  fils  Hamzah-Beg  lui  succéda, 
et  mourut  l'an  848  ;  il  eut  pour  successeur  son  neveu  Ge- 
hanghir,  petit-fils  de  Kara-ltug-Othman,  qui  finit  ses  jours 
l'an  872,  après  avoir  été  privé  d'une  grande  partie  de  ses 
États  par  son  frère  Ilassan-Deg.  Celui-ci  hérita  du  reste. 

C'est  ce  prince  que  les  Arabes  nomment  Hassan-Althaouil, 
les  Turcs  Usum-Hassan  ou  Hassan  le  Long,  et  les  Occiden- 
taux Usum-Cassan.  Usum-Cassan  était  déjà  connu  |)our 
avoir  vengé  son  aïeul  par  la  mort  de  Jehan-Chah,  fils  et 
successeur  de  Kara-Yusef ,  l'an  872  de  l'hégire.  Le  fils  de 


AC-COINLU  —  ACCOLTI 


73 


Jfliaii-Chah  ayant  deiuaiulé  vengeance  au  suUau  Abenzuid- 
^liraa,  ce  successeur  de  Tamerlan  vint  dans  la  province 
dWrran  à  la  tête  d'une  aruico  ;  mais  il  y  fut  affanu^  par 
riiabiletc  d'Usum-Cassan ,  qui  dissipa  ainsi  toutes  ses  trou- 
pes ,  le  prit  lui-même,  et  le  lit  mourir,  Tau  873  (1408  de 
rîre  chrétienne).  Le  memtre  d'IIassan-Ali ,  quatrième  et 
dernier  prince  de  la  dynastie  du  Mouton  noir,  et  la  con- 
(luête  de  ses  Etats  furent  le  second  de  ses  exploits  ;  il  pour- 
suivit jusque  dans  Chiras  Mbia-Yusef ,  frère  du  vaincu  ,  et 
le  lit  mettre  à  mort  comme  son  aine.  La  conquête  du  Ker- 
mdn  ,  celle  de  la  ville  de  Bagdad  et  de  l'Irak  aiabique  ,  ter- 
minèrent cette  brillante  expédition.  Son  orgueil  s'en  accrut 
au  point  d'aller  se  heurter,  vers  l'an  14G1  de  J.-C. ,  contre 
la  puissance  de  Mahomet  IL  11  s'avança  jusqu'à  la  ville  de 
Tokat ,  dans  la  province  de  Geneh  ,  qui  est  l'ancienne  Cap- 
padoce.  Le  sultan  l'y  joignit,  à  la  tète  d'une  puissante  armée , 
et  le  mit  en  déroute  à  la  bataille  de  Giaideroun.  Usum-Cassan 
y  perdit  l'ainé  de  ses  lils ,  Zeynel  ou  Zeynoddin  ;  et ,  trop 
lieureux  de  n'être  pas  poursuivi ,  il  se  réfugia  dans  sa  capi- 
tale, où  la  mort  le  surprit  six  ans  après,  dans  la  onzième 
année  de  son  règne.  Sa  femme  était  la  tille  de  Calojean, 
empereur  de  Trébizonde;  elle  lui  donna  sept  flls  :  les  deux 
aînés  moururent  avant  leur  père,  et  Kbalil-Beg,  le  troi- 
sième, fut  le  septième  prince  de  cette  dynastie,  en  1479.  Son 
règne  ne  fut  que  de  six  mois  et  demi,  et  sa  mort  est  diver- 
sement racontée.  Les  uns  le  font  assassiner  dans  une  émeute 
suscitée  par  ses  vices  et  sa  cruauté  ;  les  autres  le  font  tuer 
par  son  propre  frère,  Yakub  ou  Jacob-Beg,  dans  une  ba- 
taille qu'ils  se  livrèrent  dans  les  environs  de  Tauris. 

Quoiqu'il  en  soit,  Jacob  reçut  la  comonne  comme  le  prix 
de  son  fratricide,  quoiqu'il  ne  fût  quele  puîné  des  survivants. 
Mais  l'histoire  ne  dit  point  ce  qu'était  devenu  Maksud-Beg, 
chef  actuel  de  la  famille,  et  qui  avait  pris  part  à  la  révolte  de 
son  frère.  Jacob,  huitième  prince  des  Ac-Coinlu,  eut  à  répri- 
mera son  tour  la  révolte  d'une  pailie  de  son  armée.  Il  joignit 
les  rebelles  à  Javah,prèsdeKoni,  les  défit,  et  tua  le  général 
Byander-Beg,  chef  de  cette  sédition.  Jacob  aimait  les  lettres, 
ii  faisait  des  vers  en  turc  et  en  persan,  et  entretint  un  com- 
merce épistolaire  avec  le  sultan  Bajazet  II.  Le  poison  ter- 
mina, dit-on,  son  règne  de  douze  ans  et  huit  mois,  dans 
la  vingt-neuvième  année  de  son  âge,  l'an  de  l'hégire  806,  et 
de  J.-C.  1490.  Son  héritage  fut  disputé  par  le  glaive. 

Bay-Sanker-;Mirza,  lils  de  Jacob,  que  Mirkhond  appelle 
Baisancor,  fut  élevé  sur  le  troue  par  un  général  de  son  père, 
nommé  Sufi-Khalil-Musulu,  tandis  que  son  oncle  Massih-Beg 
élait  couronné  par  un  autre  parti.  Celui-ci  fut  vaincu  et  tué 
ilans  une  bataille.  Le  victorieux  Khalil  périt  à  son  tour  dans 
un  autre  combat,  que  lui  livra  une  troisième  faction,  et  son 
]iupille  s'enfuit  dans  le  fond  de  rAiniénie.  De  là  vient  que 
Mirkhond  regarde  Baisancor  comme  le  souverain  de  celte 
époque,  tandis  que  Al-Jannabi  maintient  Massih-Beg  dans 
sa  nomenclature.  Mais  ils  s'accordent  tous  deux  sur  leur 
successeur  Rostam-Mirza,  fils  de  Maksud-Beg,  le  même  qui 
avait  abattu  la  puissance  de  Khalil-Musulu.  Cette  histoire 
n'est  qu'une  série  de  fratricides.  Bay-Sanker  revint  se  faire 
tuer  dans  une  bataille,  entre  Ganjek  et  Bardaa.  Ahmed-Beg, 
lils  d'Oguslu-Mohammed ,  fils  aîné  d'Usum-Cassan ,  reven- 
diqua à  son  tour  cette  couronne,  suivant  le  droit  de  sa  nais- 
sance. 11  attaqua  Rostam  près  de  Tauris ,  et  le  força  de  se 
léfugier  dans  leGurjestàn,  où  le  prince  vaincu  perdit  la 
vie  et  la  couronne,  en  1498,  après  cinq  ans  et  demi  de 
règne.  Alimed-Beg  ou  ISIirza,  son  vainqueur,  fut  le  onzième 
<le  la  dynastie,  et  périt  Tannée  suivante  dans  une  bataille 
•lue  lui  livrèrent  près  d'Ispalian  deux  de  ses  généraux,  pour 
le  punir  d'avoir  voulu  rétablir  la  discipline  panni  ses 
troupes. 

Il  ne  restait  que  trois  petits-fds  d'Usum-Cassan,   Al- 

vend-Mii7.a,   fils  d'Yusel'-Beg ;  Mohaniined,  son  frère,  et 

Morad,  fils  de  Jacob.   C'est  au  nom  du  dernier  qu'avait 

éclaté  la  révolte;  mais  les  généraux  vainqueurs  le  Uvrèrent 

i).<,i.  bt  LA  C'J^^EKS.^TI0^.  —  i.  i. 


après  la  victoire  au  prince  Alvend-Mirxa,  qui  cette  fois  se 
contenta  de  l'enfermer  dans  une  forteresse.  Mohammed  était 
proclamé  en  même  temps  dans  Ispahan.  Les  deux  frères 
marchèrent  l'un  contre  l'autre;  Alvend  perdit  une  première 
bataille,  et  se  réfugia  dans  Tauris  ;  il  en  risqua  une  seconde, 
et  s'enfuit  dans  les  montagnes  du  Diarbékir.  Mohammed  fut 
tué  à  son  tour  près  d'Ispalian ,  par  le  prince  Morad,  son 
cousm,  qu'un  gouverneur  du  Kermàn  avait  délivré  de  sa 
prison.  Cette  mort  ranima  le  courage  d' Alvend  ;  les  peuples 
de  l'AderbidjAn  lui  obéissaient  encore,  tandis  que  Morad 
régnait  sur  l'Irak  et  le  pays  de  Chiras.  Us  se  garantirent 
mutuellement  leurs  possessions,  l'an  90G  de  l'hégire  et 
de  l'ère  chrétienne  1 500.  Jlais  l'étranger  profita  de  cette 
longue  anarchie.  Israael-Sofi,  roi  de  Perse,  attaqua  Alvend 
l'année  suivante,  et  lui  enleva  ses  États.  Morad  voulut 
lutter  contre  ce  nouvel  adversaire,  et  perdit  la  bataille  d'Ha- 
madan,  avec  dix  raille  hommes  de  ses  troupes,  en  1502.  11 
céda,  un  an  après,  ses  deux  provinces  à  Ismael,  et  se  relira 
dans  la  ville  de  Bagdad.  Jlais  le  roi  de  Perse  ne  l'y  laissa 
point  tranquille.  Jlorad,  traqué  par  ses  ennemis,  alla  se 
faire  assassiner  dans  le  Diarbékir,  et  avec  lui  finit  la  dynas- 
tie d' Ac-Coinlu  ou  du  JMouton  blanc,  vers  l'an  1508  de  l'ère 
chrétienne.  Vien.NET,  de  l'Acadéraie  Française. 

ACCOLADE ,  cérémonie  usitée  dans  la  réception  d'un 
chevalier,  et  qui  consistait  à  l'embrasser  en  lui  passant 
les  deux  bras  autour  du  cou  {ad  colhim  ).  Il  est  encore  d'u- 
sage de  donner  l'accolade  aux.  nouveaux  chevahers  de  la 
Légion  d'Honneur. 

Dans  l'écriture  et  dans  l'imprimerie  on  nomme  accolade 

un  petit  trait  en  deux  parties  (■ — )  qui  sert  à  réunir 

plusieurs  choses  sous  un  seul  titre  générai. 

Dans  la  musique ,  on  se  sert  du  même  trait  pour  em- 
brasser autant  de  portées  de  la  part i t i o n  qu'il  y  a 
de  parties  (ïinstrumeyits  et  de  voix  concourant  à  l'exécu- 
tion. Dans  la  musique  poiu-  le  piano,  par  exemple,  la  portée 
supérieure  est  consacrée  à  la  partie  de  la  main  droite ,  et 
la  portée  intérieure  à  la  partie  de  la  main  gauche.  Or,  ces 
deux  portées  sont  réunies  par  une  accolade.  Ainsi ,  quel 
que  soit  le  nombre  des  portées  dans  une  partition ,  on  ne 
compte  les  figues  que  par  le  nombre  des  accolades,  puis- 
que toutes  les  parties  que  chaque  accolade  embrasse  doi- 
vent marcher  ensemble. 

ACCOLAGE.  Accoler  la  vigne,  c'est  attacher  les  nou- 
veaux bourgeons  de  l'année  à  un  mur,  à  un  treillage  ou  à 
un  échalas,  avec  des  liens  qu'on  nomme  accoiures.  Ces 
liens  sont  d'osier,  ou  de  drap  lorsqu'on  attache  la  vigne 
contre  un  mur  ;  pom'  accoler  après  les  échalas,  on  se  sert 
tout  simplement  de  brins  de  paille  trempée  dans  l'eau  jjour 
la  rendre  plus  fiexible.  L'accolage  ajoute  beaucoup  à  la 
qualité  du  vin,  en  soutenant  les  ceps  contre  le  vent,  eu 
maintenant  entre  eux  la  libre  circulation  de  l'air  et  en  don- 
nant accès  aux  rayons  du  soleil.  La  manière  d'accoler  la 
vigne  varie  du  reste  selon  les  pays. 

ACCOLTi.  Famille  de  Florence  qui  a  produit  des  ju- 
risconsultes distingués.  —  Benoit  Accolti  ,  né  a  Arezzo, 
en  1415,  professa  le  droit  à  Florence,  et  devint  chancelier  de 
la  république.  11  mourut  en  1 466 ,  laissant ,  en  latin  ,  une 
Histoire  des  Croisades  et  un  traité  Be  l'excellence  des 
Iiommes  de  son  temps.  —  François  Accolti  ,  son  frère , 
jurisconsulte,  httérateur  et  pocte,  né  à  Arezzo,  en  1418,  pro- 
fessa le  droit  à  Bologne  et  à  F'errare,  et  mourut  en  1483. 
On  lui  doit,  outre  plusieurs  recueils  de  jiu-isprudenc^e ,  qui 
le  placèrent  au  premier  rang ,  une  traduction  latine  de 
saint  Jean  Chi'jsostt'ime ,  une  édition  avec  traduction  latine 
des  Lettres  de  Phalaris ,  etc.  —  Bernard  Accolti  ,  fils  de 
Benoît ,  né  à  Arezzo ,  vers  1440  ,  vécut  à  la  cour  des  pajies 
Urbain  et  Léon  X,  et  il  jouit  de  son  vivant  d'une  telle  répu- 
tation que  ses  contemporains  le  nommèrent  ÏUnico  Are- 
tino.  La  postérité  n'a  pas  confirmé  ce  jugement.  Ses  poé 
sios  sont  peu  lues  aujourd'hui.  Ses  œuvres  ont  été  publiées. 


partie  à  Florence,  en  1513,  partie  à  Venise,  en  1519.  — 
Pierre  Accolti,  (rèredu  précèdent,  né  à  Florence,  en  1455, 
professa  d'abord  le  droit,  puis  entra  dans  les  ordres,  et  de- 
vint cardinal.  Il  est  mort  à  Rome,  en  1532.  C'est  lui  qui, 
comme  cardinal  vicaire,  rédigea  la  bulle  contre  Luther, 
en  1519.  11  avait  été  marié,  et  laissa  deux  fils  et  une  fdle. 
—  Benoit  .\ccoLTi,son  deuxième  fils,  s'étantjnis,  en  1564, 
à  la  tête  d'une  conspiration  des  Florentins  contre  Pie  FV' , 
fut  pris  et  pendu ,  avec  plusieurs  de  ses  complices.  —  Un 
autre  Benoit  Accolti,  neveu  de  Pierre,  né  à  Florence,  en 
1497,  fut  vivement  protégé  par  son  oncle,  qui  le  fit  nommer 
cardinal  à  l'ûge  de  trente  ans  par  Clément  YII.  Il  mourut 
en  1549.  Il  est  plus  connu  sous  le  nom  de  cardinal  de  Ra- 
venne.  On  lui  doit  plusieurs  ouvrages  latins  et  quelques 
poésies.  —  Pierre  Accolti  ,  arrière-petit-fils  du  cardinal 
l'ierre,  docteur  et  professeur  de  droit  canon  à  Pise,  membre 
de  l'Académie  Florentine,  a  laissé  deux  écrits  en  italien  : 
l'un  est  un  panc'gyriqzœ  de  Côme  II,  duc  de  Florence; 
l'autre  un  Traité  de  Perspective.  Avec  son  frère,  Léonard 
Accolti  ,  chancelier  des  archives  publiques  de  Florence ,  il 
mit  au  jour,  en  1623,  l'ouvrage  de  leur  trisaïeul  sur  les  Croi- 
sades. —  Jacopo  Accolti  ,  issu  du  mariage  de  Pierre  avec 
Léonore  Spini ,  fut  le  dernier  membre  de  cette  famille  il- 
lustre, qui  s'éteignit  avec  lui  à  Florence,  en  1699. 

ACCOMilODEMENT  (du  latin  accommodare,  con- 
venir, adapter ,  arranger  )  signifie ,  à  proprement  parler, 
l'action  de  coordonner  entre  elles  deux  choses  de  nature  dif- 
férente ,  ou  l'arrangement  d'une  de  ces  choses  dans  un  cer- 
tain but.  Dans  les  rapports  sociaux  on  s'accommode  à  l'hu- 
meur, aux  goilts,  aux  bizarreries  des  autres;  dans  l'ensei- 
gnement on  s'accommode  aux  idées,  aux  opinions,  aux 
préjugés,  à  l'ignorance  même  des  auditeurs,  des  disciples  ou 
du  grand  nombre. 

En  philosophie  et  en  théologie ,  on  se  sert  aussi  du  mot 
accommodation  pour  désigner  un  système  d'interprétation 
suivant  lequel  certains  points  de  doctrine  s'expliquent  par 
la  nécessité  où  les  fondateurs  devaient  se  trouver  de  s'ac- 
commoder aux  idées  de  leur  temps.  On  sait  que  Socrate 
paya  de  sa  vie  l'essai  qu'il  fit  de  combattre  les  erreurs  de 
son  siècle.  Platon  fut  plus  prudent.  Quelques  docteurs  di- 
sent que  c'est  par  accommodement  que  Jésus-Christ  et 
ses  apôtres  ne  se  sont  pas  toujours  expliqués  clairement 
sur  certains  points  de  doctrine  dont  la  discussion  a  pu  leur 
paraître  dangereuse  ou  inutile.  Ils  ajoutent  qu&  ces  nouveaux 
législateurs  ont  dû  garder  le  silence  sur  certaines  questions, 
et  même  professer  parfois  une  doctrine  peut  être  moins  éle- 
vée que  la  leur,  mais  plus  susceptible  de  frapper  les  esprits 
grossiers  de  leurs  contemporains ,  et  d'être  prompteraent 
accueillie  par  des  hommes  pleins  d'ignorance  et  de  pré- 
jugés. D'autres  théologiens ,  au  contraire,  affirment  qu'un 
pareil  accommodement  ne  serait  pas  seulement ,  de  la  part 
de  Jésus  et  de  ses  apôtres ,  une  condescendance  envers  l'as- 
prit  de  leur  siècle ,  mais  devrait  être  considéré  comme  une 
déception  indigne  de  leur  caractère. 

ACCOMPAGXATEUR.  Ce  terme,  pris  individuelle- 
ment, indicpie  tout  symphoniste  exécutant  un  accompa- 
gnement sur  un  instrument  quelconque;  pris  collective- 
ment, il  désignenin  corps  d'artistes  de  ce  genre  formant  ce  que 
l'on  nomme  un  orchestre  d'accompagnement.  L'art  de 
l'accompagnateur  (ce  nom  pris  dans  son  sens  individuel) 
comprend  deux  parties  bien  distinctes  :  les  connaissances 
musicales  nécessaires  à  l'exercice  de  cet  art  et  le  talent 
d'exécution  de  l'accompagnement.  Les  connaissances  musi- 
cales nécessaires  ii  tout  accompagnateur  sont  de  savoir  lire 
parfaitement  la  musique  sur  toutes  les  clefs  en  parties  soit 
séparées ,  soit  réunies;  et  d'être  en  état  de  l'exécuter  à  vue, 
aussi  bien  que  possible,  sur  l'instniment  dont  il  doit  accom- 
pagner; cela  posé,  il  faut  distingtier  deux  cas:  celui  où 
l'accompagnement  est  écrit,  et  celui  où  il  ne  lest  pas.  L'ac- 
compagnement écrit  peut  se  présenter  sous  deux  formes  : 


ACCOLTI  —  ACCOMPAGNEMENT 

celle  où  la  composition  est  ce  que  l'on  appelle  arrangée 
pour  l'instrument,  c'est-à-dire  celle  où  la  partie  principale 
et  l'accompagnement  sont  écrits  et  disposés  de  manière  à 
ce  qu'il  n'y  ait  qu'à  exécuter  conformément  à  ce  qui  est 
écrit.  L'autre  forme  dans  laquelle  peut  se  présenter  un  ac- 
compagnement écrit  est  celle  où  la  partie  principale  et 
son  accompagnement  sont  engagés  dans  la  partition  géné- 
rale. Cette  disposition  exige  de  la  part  de  l'accompagnateur 
l'habitude  de  discerner,  parmi  toutes  les  parties,  la  partie 
principale  et  les  parties  significatives  pour  en  former  l'ac- 
compagnement. 

Lorsque  l'accompagnement  n'est  point  écrit,  il  faut  l'ef- 
fectuer d'après  la  basse  ou  d'après  la  partie  principale ,  qui 
peut  être  la  basse  elle-même,  ou  une  des  parties  supérieu- 
res. L'accompagnement  sur  la  basse  se  fait,  soit  d'après  la 
connaissance  des  règles  qui  déterminent  l'harmonie  due  à 
chacune  des  notes  de  cette  partie,  selon  son  caractère  mo- 
dal et  la  marche  qu'elle  affecte,  soit  d'après  les  chiffres 
qu'indique  cette  harmonie.  L'accompagnement  sur  la  partie 
principale,  lorsque  cette  partie  diffère  de  la  basse,  exige  non- 
seulement  que  l'accompagnateur  sache  placer  l'harmonie 
sur  la  basse,  mais  encore  qu'il  sache  placer  la  basse  elle- 
même  sous  le  chant  ;  ce  qui  se  rattache  à  la  composition. 
L'accompagnement  arrangé  s'emploie  pour  toutes  sortes 
d'instruments;  c'est  le  plus  généralement  usité  aujour- 
d'iiui,  non,  comme  le  croient  beaucoup  de  personnes,  à 
cause  de  la  complication  de  la  musique,  mais  plutôt  à 
raison  de  la  direction  donnée  à  l'étude  des  instruments, 
qui  tend  presque  exclusivement  vers  l'exécution  des  pièces, 
tandis  qu'autrefois  elle  avait  essentiellement  en  vue  l'ac- 
compagnement du  chant  ou  des  sonates  instrumentales. 
L'accompagnement  d'après  la  partition  et  l'accompagnement 
non  écrit,  d'après  la  basse  chiffrée  ou  non  chiffrée,  ou  la 
partie  principale,  sont  réservés  aux  instruments  à  touche, 
le  forte-piano  et  l'orgue,  ou  au  violoncelle. 

En  supposant  que  l'artiste  possède  toutes  les  connais- 
sances que  nous  venons  d'indiquer,  comme  formant  la 
science  de  l'accompagnateur,  il  ne  peut  les  appliquer  utile- 
ment s'il  ne  possède  le  talent  d'exécution  d'accompagne- 
ment. Ce  talent,  indépendamment  de  l'exécution  instru- 
mentale ,  consiste  dans  la  faculté  de  s'identifier  avec  l'exé- 
cutant chargé  de  la  partie  principale ,  de  s'unir  à  lui  de  la 
manière  la  plus  intime,  la  plus  naturelle,  sans  aucune  ap- 
parence d'effort,  de  le  diriger  tantôt,  et  tantôt  de  le  suivre, 
selon  que  l'indiquent  un  sentiment  délicat  des  convenances 
et  l'inspiration  du  moment.  C'est  de  cette  union  parfaite  du 
concertant  et  de  l'accompagnateur  que  naît  tout  ce  que 
l'exécution  a  de  plus  ravissant  ;  mais  elle  est  le  résultat 
d'une  organisation  particulière  et  tout  à  fait  indépendante 
du  talent  généralement  dit  d'exécution.  L'observation  des 
faits  donne  lieu  de  reconnaître  que  de  très-grands  virtuoses 
sont  de  détestables  accompagnateurs,  tandis  que  des  sym- 
phonistes des  plus  médiocres  accompagnent  d'une  manière 
délicieuse.  Cette  remarque  s'applique  aux  orchestres. 

A.  CnoRox. 
ACCOMPAGIVEMEIVT.  Par  ce  tenne  les  musiciens 
entendent  toute  partie  ou  système  de  parties  secondaires 
placées  autour  d'une  ou  de  plusieurs  parties  considérées 
comme  principales,  ou  l'harmonie  qui  enveloppe  et  ren- 
ferme toutes  ces  parties.  C'est  en  ce  sens  que  l'on  dit  un 
air,  duo,  trio,  etc.,  de  chant,  ou  de  quelque  instrument 
que  ce  soit,  avec  accompagnement  de  violon,  Jbite,  forte- 
piano,  orgue,  etc.  On  appelle  donc  accompagnement  toute 
partie  d'une  composition  qui  a  pour  objet  de  soutenir  la  mé- 
lodie principale,  soit  au  moyen  d'un  seid  instrument,  soit 
de  plusieurs,  soit  d'une  manière  simple,  soit  d'une  manière 
compliquée. 

L'accompagnement  est  aussi  l'action  de  soutenir  la  mé- 
lodie d'une  voix  ou  d'un  inslninient  i)ar  l'Iiannonie  qu'on 
exécute  sur  un  autre  instrument ,  notamment  sur  l'orgue. 


ACCOMPAGNEMENT  —  ACCORD 


75 


le  piano,  la  harpe,  le  violoncelle,  etc.  M.  FtHis  divise  l'ac- 
coiupagncnicnt  îles  instruments  à  clavier  en  plusieurs  es- 
pèces :  l;i  prozuiore  est  racconipagnenient  plaqué,  ou  l'exé- 
cution lie  l'harmonie,  abstraction  faite  de  toute  forme  mé- 
lodique; la  seconde  est  l'accompaiinement  figure,  ou  la 
réunion  des  formes  du  chant  avec  riiarmonie  ;  la  troisième 
est  l'accompagnement  de  la  partition,  ou  l'art  de  traduire 
sur  le  clavier  les  divers  effets  d'instrumentation  imaginés 
par  le  compositeur.  L'accompagnement  plaqué  n'est  en  usage 
qu'en  France  ;  les  Italiens  et  les  Allemands  se  servent  de 
raccompagnement  figuré;  l'accompagnement  de  la  partition 
est  en  usage  dans  toute  l'Europe.  L'accompagnement  plaqué 
consiste  à  exécuter  avec  la  main  gauche,  sur  le  piano  ou 
sur  l'orgue,  la  basse  d'un  morceau  de  musique,  et  à  jouer 
de  la  main  droite  les  accords  qui  sont  indiqués  par  des  chif- 
fres placés  au-dessus  des  notes  de  cette  basse.  L'accompa- 
gnement figuré  se  compose  non-seulement  de  l'exécution  de 
l'harmonie  par  la  main  droite  ,  mais  aussi  des  formes  mé- 
loiliques  des  différentes  voix  que  l'accompaguateur  doit  indi- 
quer. Dans  l'accompagnement  de  la  partition  l'accompagna- 
teur doit  lire  avec  promptitude  ce  qui  est  écrit  dans  une 
partition  pour  divers  instruments,  et  choisir  avec  intelli- 
gence ce  qui  est  de  nature  à  être  traduit  avec  avantage  sur 
le  piano. 

L'histoire  de  l'accompagnement  est  assez  obscure,  quoi- 
que l'origine  de  cet  art  ne  remonte  pas  au  delà  du  com- 
mencement du  dix-septième  siècle;  on  en  attribue  l'inven- 
tion à  Louis  Viadana,  maître  de  chapelle  de  la  cathédrale 
de  Manfoue,  qui  naquit  à  Lodi,  vers  15S0.  Jusquealors  labasse 
était  soumise  à  des  repos  plus  ou  moins  longs,  comme  les 
autres  parties  ;  elle  était  toujours  écrite  pour  les  voix,  et  la 
basse  de  viole  ou  la  contre-basse  jouait  à  l'unisson  de  ces 
voix.  L'invention  de  Yiadana ,  si  c'est  à  lui  qu'on  la  doit 
toutefois,  consista  à  écrire  une  basse  instrumentale  différente 
de  la  basse  vocale  ,  en  ce  qu'elle  n'était  point  interrompue 
comme  celle-ci,  d'où  lui  est  venu  son  nom  de  basse  con- 
tinue. Développée  par  Galeazzo  Sabbatini  de  Pesaro,  l'in- 
vention de  la  basse  continue  devint  plus  utile,  par  la  décou- 
verte de  la  règle  de  l'octave.  En  1703  François  Gasparini 
publia  un  livre  où  il  exposa  les  premières  notions  de  l'ac- 
compagnement figuré.  Rameau,  peu  d'années  après,  appela 
l'attention  des  musiciens  sur  la  considération  du  renverse- 
ment des  accords;  il  jeta  ainsi  une  vive  lumière  sur  la  théo- 
rie de  l'accompagnement,  et  donna  le  premier  exemple  d'un 
classement  méthodique  des  harmonies  génératrices  et  en- 
gendrées; par  malheur,  en  considérant  les  accords  isolément 
et  abstraction  faite  de  leur  succession,  il  s'égara  en  créant 
son  système  de  la  basse  fondamentale.  Kirnberger  découvrit 
la  loi  des  prolongations  de  consonnances ,  dont  Catel  s'est 
servi  pour  classer  les  accords  en  vaturels  et  artificiels. 
Catel  régularisa  aussi  la  considération  des  altérations  d'in- 
tervalles ,  et  fit  voir  l'effet  de  leur  mécanisme  dans  les  ac- 
cords. Enfin,  M.  Fétis  a  complété  le  système  de  l'harmonie 
et  de  l'accompagnement  en  1824,  par  la  découverte  du  mé- 
canisme de  la  substitution  dans  les  accords  dissonnants. 

ACCOX ,  espèce  de  bateau  dont  le  fond,  les  côtés,  l'a- 
vant et  l'arrière  sont  plans.  On  emploie  les  accons,  notam- 
ment aux  Antilles,  à  transporter  le  chargement  des  navires 
de  l'endroit  où  ils  sont  mouillés  au  débarcadère,  et  récipro- 
quement. On  les  fait  remorquer  par  des  chaloupes.  Certains 
accons  ont  un  mât  au  miUeu  avec  une  voile  carrée. 

ACCORAMBOXI  (JÉRÔME)  fut  l'un  des  plus  habiles 
médecins  de  son  temps.  Né  à  Guhio  (duché  d'Urbin  ) ,  en 
1467,  il  professa  la  médecine  à  Pérouse  et  à  Padoue ,  fut 
médecin  de  plusieurs  papes,  et  mourut  en  1536.  —  Fabio 
AccoKAMEOM,  savant  jurisconsultc,  fils  du  précédent,  né  en 
1502,  à  Gubio,  professa  le  droit,  devint  avocat  consistorial, 
puis  auditeur  de  rote,  et  mouiut  en  1559.  —  Félix  Acco- 
RAMuo.M,  petit-fils  de  Jérôme,  s'adonna  à  la  médecine,  et  s'y 
lit  une  grande  réputation.  —  Villoria  .Vccouambona,  épouse 


de  François  Peretti,  neveu  de  Sixte-Quint,  fut  accusée  de 
la  mort  de  son  époux  et  enfermée  au  château  Saint-Ange. 
Reconnue  innocente,  elle  se  remaria  avec  Paul  Orsini,  dont 
elle  devint  veuve,  et  fut  assassinée  par  un  parent  de  son 
mari. 

ACCORD.  Si  l'on  prend  ce  mot  dans  le  sens  indiqué 
par  son  étj'mologie  latine  {chorda  ad  chordam),  il  signifie 
la  progression  harmonique  des  sons  de  différentes  cordes  ; 
c'est-à-dire  que  si  la  distance  du  son  de  la  deuxième  conle 
d'un  instnunent  au  son  de  la  première  est  d'une  quinte  par 
exemple,  'la  dl.stance  du  son  de  la  troisième  an  son  de  la  se- 
conde sera  aussi  d'une  quinte  :  c'est  ainsi  que  se  monte  le 
violon,  l'alto, le. violoncelle,  la  contie-basse.  D'après  ceprn- 
cipe,  on  entend  par  ces  mots,  donner  ou  prendre  l'accord, 
l'action  de  methe  à  l'unisson  deux  cordes  correspondantes 
de  deux  instnunents ,  dont  le  premier ,  monté  sur  ses  bases 
ordinaires,  sert  de  modèle  à  la  gamme  du  second.  Le  mot 
corde  reçoit  ici  une  grande  extension;  car  il  s'applique  aussi 
bien  à  telle  note  d'un  instrument  à  vent.  On  donne  ou  l'on 
prend  le  plus  communément  le  la  pour  hase  de  l'accord. 
Quand  il  s'agit  de  deux  mêmes  instruments ,  devant  être 
montés  l'un  comme  l'autre,  alors,  pour  se  donner  l'accord, 
ils  peuvent  se  donner  le  ton  à  chaque  note  progressive. 
Ainsi ,  pour  deux  violoncelles  qui  se  donnent  le  la,  le  ton 
est  bien  donné,  à  la  vérité ,  mais  en  vertu  de  l'égalité  des 
deux  instiuments,  non-seulement  le  la  sera  le  même  dans 
tous  deux,  mais  le  ré,  le  sol,  Yiit  du  premier  seront  les 
mêmes  dans  le  second.  On  voit  par  là  que  la  manière  de 
prendre  l'accord  varie  selon  les  instruments  divers,  quoique 
l'on  ait  adopté  le  la  pour  base  première  de  l'égalité  des 
gammes  dans  tous  ces  instruments  ensemble.  La  flûte,  par 
exemple,  n'accorde  qu'une  de  ses  notes  pour  que  toutes  les 
autres  soient  d'accord. 

On  donne  au  mot  accord  un  deuxième  sens.  Il  désigne 
alors  plusieurs  sons  qui  se  font  entendre  simultanément  et 
dont  la  réunion  est  plus  ou  moins  agréable  à  l'oreille.  L'ac- 
cord qui  se  forme  de  la  réunion  de  la  tierce,  de  la  quinte  et 
de  l'octave  s'appelle  par  excellence  Yaccord  parfait,  parce 
que  c'est  celui  qui  satisfait  le  plus  l'oreille,  le  seul  qui 
puisse  servir  de  conclusion  à  toute  espèce  de  période  harmo- 
nique et  qui  donne  l'idée  de  repos.  Tous  les  autres  se  dési- 
gnent par  l'intervalle  le  plus  caractéristique  de  leur  compo- 
sition. Ainsi  un  accord  formé  de  la  tierce,  de  la  sixte  et  de 
l'octave  s'appelle  accord  de  sixte,  parce  que  cet  interAalle 
établit  la  différence  qui  existe  entre  cet  accord  et  le  parfait. 
On  donne  le  nom  d'ffccorrf  de- septième  à  un  accord  disson- 
nant qui  est  composé  de  la  tierce,  de  la  quinte  et  de  la  sep- 
tième ,  parce  que  cet  intervalle  est  celui  dont  l'effet  est  le 
plus  remarquable. 

C'est  dans  ce  sens  du  mot  accord  que  l'on  dit  :  une  suite 
d'accords,  des  accords  bien  pleins ,  une  musique  chargée 
d^iccords,  des  accords  frappés,  plaqués  ou  arpégés,  se- 
lon que  toutes  leurs  cordes  parlent  d'un  seul  coup  ou  connue 
par  effort  l'une  après  l'autre. 

Du  reste ,  en  cette  matière  importante ,  laissons  parler  un 
maître,  dont  bien  des  maîtres  actuels  ont  reçu  les  leçons. 

[Pour  nous  Yaccord  est  l'assemblage  simultané  de  sons 
divers,  formant  un  élément  de  l'harmonie  considérée  en  l'un 
des  instants  de  sa  durée.  La  connaissance  des  accords  et  de 
leur  emploi  constitue  cette  partie  de  la  théorie  à  laquelle 
les  modernes  ont  donné  le  nom  d'harmonie,  et  qui  a  ac- 
quis dans  ces  derniers  temps  une  étendue  extraordinaire , 
par  les  nombreux  développements  qu'a  reçus  la  considéra- 
tion des  accords  proprement  dits,  c'est-à-dire  de  ceux  de 
ces  éléments  qui  sont  composés  de  trois  ou  d'un  plus  grand 
nombre  de  sons. 

En  effet,  les  compositeurs  du  moyen  âge,  qui  n'écrivaient 
que  pour  les  voix,  réduisaient  toute  l'hannonie  à  la  considé- 
ration des  intervalles,  et  mêmedes  seuls  inteiTalles  natu- 
rels. Ils  enseignaient  d'abord  à  en  former  le  duo,  dans  tous 

10. 


7 G  ACCORD 

lis  genres  et  le'^  esjiècea  du  contre-point ,  et  prescrivaient 
ensuite  ce  qu'il  fiiliait  y  ajouter  pour  former  d'abord  le  trio, 
puis  le  quatuor,  cnlin  la  composition  à  tel  nombre  que  ce 
soit  de  parties  ;  et  par  ce  procédé  ils  donnaient  indirectement 
naissance  à  tous  les  alliages  imaginables  de  sons  simultanés. 
L'usage  introduit  vers  la  fin  du  seizième  et  le  commence- 
ment du  dix-septième  siècle  d'accompagner  le  chant  par 
les  instruments,  et  surtout  par  les  instniments  à  touches, 
le  clavecin  et  l'orgue,  porta  (l'abord  les  accompagnateurs  et 
força  depuis  les  compositeurs,  lorsque  cet  usage  se  fut  gé- 
néralisé et  qu'il  fut  devenu  en  quelque  sorte  le  premier 
degré  de  l'art  de  la  composition,  h  diriger  leur  attention 
sur  ces  alliages,  et  les  accoutuma  à  considérer  comme  for- 
mée de  leurs  successions  l'harmonie  qui  jusque  alors  avait 
été  regardée  comme  le  résultat  du  concours  de  plusieuis 
mélodies. 

Nous  ne  discuterons  point  ici  le  mérite  des  deux  métho- 
des ;  nous  ne  chercherons  point  laquelle  des  deux,  fournit  à 
l'art  les  procédés  les  plus  avantageux.  Convaincu  que  d'a- 
près l'importance  qu'a  acquise  la  théorie  des  accords,  il  de- 
vient indispensable  d'en  donner  une  notion  exacte ,  nous 
ferons  remarquer  avant  tout  que  d'après  le  seul  procédé  de  leur 
formation ,  que  nous  venons  d'indiquer,  ces  éléments  doi- 
vent être  indéfiniment  multipliés  et  offrir  dans  leur  succes- 
sion une  foule  innombrable  de  combinaisons.  C'est  ce  que 
démontrent,  en  elfet,  le  raisonnement  et  l'expérience.  Il  n'est 
point  d'aUiages  de  sons  ni  de  succession  de  ces  alliages  que 
la  marche  bien  entendue  des  parties  ne  puisse  régulièrement 
amener;  et  comme  il  n'y  a  point  de  raison  légitime  pour 
recevoir  et  reconnaître  les  uns,  ignorer  ou  rejeter  les  autres, 
la  conséquence  que  l'on  doit  en  tirer  est  qu'il  faut  les  étu- 
dier tous  également.  Mais,  outre  (pie  cette  étude  est  imprati- 
cable ,  il  faut  encore  remarquer  qu'elle  tendrait  à  écarter 
celui  qui  voudrait  l'embrasser  dans  toute  son  étendue  du 
but  véritable  que  l'on  doit  se  proposer  dans  toute  l'étude  de 
l'art.  Il  faut  donc  réduire  celle  des  accords  à  ce  qu'elle  a 
d'utile  et  de  possible,  c'est-à-dire  indiquer  la  marche  que 
l'on  doit  suivre  pour  avancer  dans  cette  connaissance  aussi 
loin  qu'on  peut  le  désirer,  et  s'arrêter  à  ce  qu'elle  a  de  plus 
usuel  et  fie  l'emploi  le  plus  journalier. 

Les  accords  doivent  se  considérer  «ous  deux  points  de 
vue  principaux  :  celui  de  leur  structure,  et  celui  de  leur 
nature.  Par  la  structure  des  accords  ,  j'entends  le  nombre 
et  l'arrangement  des  sons  dont  ils  sont  composés ,  et  qui 
fournissent  les  bases  de  leur  classification  ;  par  leur  nature 
j'entends  leiur  qualité  harmonique ,  qui  règle  les  lois  de  leur 
emploi. 

La  structure  et  la  nature  des  accords  sont  deux  propriétés 
totalement  distinctes  et  totalement  indépendantes  ;  car,  a'msi 
que  l'apprend  l'examen  le  plus  superficiel ,  des  accords  de 
même  nature  sont  d'une  structure  tout  à  fait  différente,  et 
réciproquement.  11  convient  donc  d'étudier,  au  moins  en 
premier  lieu,  sépaiément  les  accords  sous  chacun  de  ces 
points  de  vue,  sauf  à  les  considérer  ensuite ,  s'il  y  a  Heu  , 
sous  les  deux  aspects  à  la  fois. 

Structure  des  accords.  Considérés  par  rapport  an  nom- 
bre et  à  la  disposition  de  leurs  sons ,  les  accords  se  distin- 
guent d'abord  en  accords  de  deux ,  trois ,  quatre ,  cinq  ,  six, 
sept  et  peut-être  même  un  plus  grand  nombre  de  sons 
difiérents. 

Les  accords  de  deux  sons  ne  sont  autre  chose  que  les  in- 
tervalles musicaux ,  qui ,  par  l'union  simultanée  de  leurs 
termes,  fournissent  à  riiarmooie  ses  premiers  comme  ses 
plus  simples  éléments. 

Les  accords  de  trois  ou  d'un  plus  grand  nombre  de  sons , 
qui  sont  ce  que  l'on  nomme  proprement  accords ,  doivent 
être  considérés  connue  la  somme  de  deux  ou  d'un  plus 
grand  nombre  d'intervalles  liarmoni(|ueft  superposés.  Envi- 
sjigés  quant  à  l'ordre  de  leurs  sons ,  ils  se  distinguent  en 
directs  et  indirects.  Les  accords  directs  sont  ceux  dont  les 


sons  superposés  offrent  une  série  de  tierces  en  procédant  du 
grave  à  l'aigu.  Exemple  : 

ut    mi    sol    si,    etc. 


Les  accords  indirects  sont  ceux  qui  offrent  toute  autre 
disposition. 

Cette  distinction  est  fondée  sur  ces  considérations  qu'o- 
riginairement on  n'a  dû  employer  que  des  accords  conson- 
nants  ;  que  la  tierce  ,  qui  est  la  moindre  des  consonnances 
naturelles,  est  la  seule  dont  la  réduplication  produise  un  ac- 
cord consonnant  en  intersalles  naturels;  qu'elle  établit 
entre  les  sons  l'ordonnance  la  plus  simple,  la  plus  facile  à 
saisir,  celle  des  accords  les  plus  usités  ;  qu'on  a  dû  s'accou- 
tumer en  conséquence  à  regarder  cette  ordonnance  comme 
la  plus  légitime ,  et  toute  autre  disposition  comme  un  ren- 
versement de  celle-ci  :  ce  qui  est  vrai  de  fait  ;  car  tous  les 
sons  du  système  appartenant  à  une  série  de  tierces  continue 
ou  discontinue,  on  peut  toujours  par  un  renversement  conve- 
nablement opéré ,  faire  rentrer  dans  une  série  de  cette  es- 
pèce toutes  les  dispositions  qui  s'en  écartent. 

D'après  toutes  ces  considérations ,  on  regarde  comme  ac- 
cords directs , 

1°  L'accord  consonnant  de  tierce  et  quarte  ; 

2°  Le  même  accord  surchargé  d'un  ou  de  plusieurs  autres 
sons  pris  dans  la  série  des  tierces  prolongées  jusqu'à  la 
treizième  inclusivement  conformément  à  l'ordre  suivant  : 


1 

3"=« 

b'" 

7*     9« 

11' 

13* 

ut 

mi 

sol 

si    ré 

/« 

la 

En  exécutant  cette  opération ,  on  formera  cinq  classes 
d'accords  directs  distingués  par  le  nombre  et  le  rang  de 
leurs  sons.  En  tout  seize  accords  directs,  qui  par  leurs  ren- 
versements donneront  tous  les  accords  indirects  imagina- 
bles. On  trouvera  tous  ces  renversements  en  prenant  suc- 
cessivement pour  base  chacune  des  notes  de  chacun  de  ces 
accords.  Dans  cette  opération  chaque  genre  d'accord  direct 
donnera  autant  de  formes ,  tant  directes  qu'indirectes,  que 
l'accord  contiendra  de  sons  ;  c'est-à-dire  quatre-vingts  formes 
génériques  ou  espèces  d'accords ,  tant  directs  qu'indirects. 
A  présent  chacune  de  ces  formes  ou  espèces  comprendra 
une  quantité  plus  ou  moins  considérable  de  sortes  et  de  va- 
riétés résultant  de  la  diversité  d'espèces  des  intervalles  qui 
entrent  dans  la  composition  de  chacune  d'elles.  Pour  en  dé- 
terminer le  nombre  on  observera  que  chacune  des  espèces 
de  chacun  de  ces  intervalles  est  susceptible  de  se  combiner 
ou  de  s'allier  avec  chacune  des  espèces  des  autres  inter- 
valles. Or,  chaque  intervalle  ayant  quatre  espèces,  deux  na- 
turelles ,  l'une  mineure ,  l'autre  majeure ,  et  deux  altérées , 
l'une  diminuée,  et  l'autre  augmentée ,  il  s'ensuit  que  chaque 
forme  offrira  un  nombre  d'accords  égal  à  la  puissance  du 
nombre  4  ,  indiquée  par  celui  des  intenalles  dont  elle  est 
composée  ;  en  faisant  le  calcul  sur  cette  base ,  on  trouvera 
que  le  nombre  des  sories  et  variétés  renfermées  dans  les 
quatre-vingts  formes  ci-dessus  énumérées  peut  monter  à 
soixante-deux  mille,  sans  compter  les  modifications  que  peut 
y  introduire  l'octave  altérée,  que  nous  n'avons  point  rangée 
parmi  les  éléments  de  nos  opérations  et  de  notre  calcul. 
A  la  vérité  un  grand  nombre  de  ces  espèces  sont  imprati- 
cables ;  mais  il  est  très-diflicile  de  faire  le  départ  de  celles 
qui  sont  admissibles  et  de  celles  qui  ne  le  sont  pas.  Deux 
procédés  se  présentent  pour  arriver  à  ce  but  :  celui  de  l'é- 
limination ,  et  celui  de  la  génération  des  accords.  L'un  et 
l'autre  sont  pénibles  ;  ils  ne  peuvent  produire  qu'un  résultat 
incomplet,  et  leur  exposition  nous  entraînerait  bien  au  delà 
des  limites  dans  lesquelles  la  nature  de  cet  ouvrage  nous 
oblige  de  nous  renfermer.  Nous  nous  bornerons  à  cette 
seule  observation ,  que  tous  ces  accords  n'étant  autre  chose 
que  celui  de  tierce  et  quinte  surchargé,  comme  nous  l'avons 
dit,  d'un  ou  de  plusieurs  sons  additionnels,  tous  ces  ac- 


ACCORD  —  ACCORDEUR 


77 


cortU  doivent  olïrir  en  substance  cet  accord  et  ses  dérivés, 
plus  les  inforvalles  que  ces  accords  forment  contre  les  sons 
additionnels. 

Cet  aperçu  est  suffisant  pour  prouver  ce  que  noiLs  avons 
avancé  en  premier  lieu  sur  la  multiplicité  indélinie  et  en 
quelque  sorte  inappréciable  des  acconls ,  et  sur  l'inconvé- 
nient «pi'il  y  a  de  s'ensjager  trop  avant  dans  cette  recherche, 
surtout  au  comnunicemcnt  des  études.  Heureusement,  ainsi 
que  nous  l'avons  fait  voir  également ,  la  connaissance  minu- 
tieuse de  cette  classe  d'éléments  n'est  pas  nécessaire  au 
compositeur,  non  plus  que  celle  des  muscles  et  des  vais- 
seaux du  corps  humain  ne  Test  à  l'opérateur,  ni  celle  des 
astres  du  dernier  ordre  à  l'observateur.  Le  compositeur 
parvient  à  son  but  par  d'autres  moyens ,  et  Faccompagna- 
teur  même ,  à  qui  cette  connaissance  semble  le  plus  néces- 
saire, n'a  besoin  que  de  connaître  les  accords  les  plus  sim- 
ples et  les  plus  usités.  C'est  là  où  conduit  tlirectement  l'étude 
de  la  nature  de  ces  cléments. 

Nature  des  accoi'ds.  La  nature  ou  qualité  harmonique 
des  accords  dérive  de  celle  des  intervalles  qui  entrent  dans 
leur  compostion.  On  peut  établir  comme  principe  fonda- 
mental de  cette  théorie  que  tout  accord  est  caractérisé  har- 
raoniquement  par  l'intervalle  de  plus  intense  harmonie 
qu'il  renferme.  D'après  ce  principe,  qu'il  nous  est  impos- 
sible de  développer  ici ,  les  accords  se  di^^seront  d'abord  en 
deux  grandes  classes,  les  accords  consonnants  et  les  ac- 
cords dissonnants.  Les  premiers  sont  ceux  qui  ne  renfer- 
ment que  des  intervalles  agréables  à  l'oreille ,  et  capables  de 
s'employer  sans  préparation;  lesautres  sont  ceux  qui  renfer- 
ment des  intervalles  désagréables  et  soumis  à  la  préparation. 

Les  premiers  se  divisent  en  deux  genres  :  les  accords 
conson n on ^s  proprement  dits,  ou  consonnants  absolus, 
et  les  accords  quasi-consonnants  ou  consonnants  re- 
latifs. Les  accords  consonnants  absolus  sont  ceux  qui  sont 
consonnants  dans  quelques  positions  qu'ils  soient  placés; 
les  accords  consonnants  relatifs  sont  ceux  qui ,  sous  une 
forme  généralement  dissonnante,  deviennent  consonnants 
par  position  et  jouissent  du  principal  privilège  des  accords 
consonnants,  celui  de  pouvoir  être  amenés  sans  préparation. 

Les  accords  consonnants  absolus  se  divisent  de  nouveau 
en  accords  consonnants  libres,  et  en  accords  consonnants 
obligés  ou  appellatifs.  Les  premiers  sont  ceux  dont  aucun 
terme  n'appelle  aucun  autre  son ,  et  qui  peuvent  en  consé- 
quence marcher  librement  ;  les  autres  sont  ceux  dont  quel- 
qu'un des  termes  appelle  généralement ,  et  sauf  exception, 
quelque  autre  son ,  et  ont  en  conséquence  une  marche  obli- 
gée, que  l'on  nomme  résolution. 

Tous  les  accords  consonnants  relatifs  ou  accords  quasi - 
consonnants  sont  généralement  appellatifs. 

D'après  ces  bases ,  et  en  réglant  tout  le  dénombrement 
de  ces  accords ,  d'après  leur  structure ,  on  formera  des  ac- 
cords consonnants  ou  quasi-consonnants  tant  directs  que 
dérivés  le  tableau  suivant  : 

Accords  de  trois  sons. 
Accord  de  3"^*  majeure  et  5*®  majeure. 
Accord  de  3*^*  mineure  et  5*^  majeme. 
Accord  de  3"^  mineure  et  5*^  mineure. 
Accord  de  3"^*  diminuée  et  5'*  mineure. 

Accords  de  quatre  sons. 
Accord  de  V  de  dominante,  3""'  maj.,  3'*  maj.,  "^  min. 
Accord  de  7*  de  dominante,  3*^^  maj.,  5"^  min.,  7^  min. 
Accord  de  7*  mineure  de  sensible. 
Accord  de  7"  diminuée  avec  3"^  mineure. 
Accord  de  7*  diminuée  avec  Z"^  diminuée. 

Accords  de  cinq  sons. 
Accord  de  9°  maj.  de  dominante  avec  3"  et  5"^  maj. 
Accord  de  9''  min.  de  dominante  avec  3"  et  5**  maj. 
Accord  de  9"  min.  de  dominante  avec  '^  et  5'^  juin. 


Autrement ,  douze  accords  directs  succeptiblee  de  se  ré- 
duire cl  six,  mAme  à  trois,  même  à  deux;  savoir,  en  pre- 
mier lieu  immédiatement  : 

Deux  accords  de  quinte  majeure  avec  tierce ,  l'un  avec 
tierce  majeure,  l'autre  avec  tierce  mineure,  selon 
le  degré  de  l'échelle  qui  les  supporte,  ci 2 

Deux  de  quinte  mineure  avec  tierce ,  lun  avec  tierce 
mineure,  l'autre  avec  tiercediminuée  selon  le  mode,  ci.     9. 

Deux  de  7"  mineure  (  de  dominante  )  avec  tierce  ma- 
jeure et  quinte,  l'un  avec  quinte  majeure,  l'autre 

avec  quinte  mineure,  selon  le  mode,  ci 5 

Total ~ 

En  second  lieu ,  par  substitution  : 

Trois  de  7^  de  sensible,  mineure,  ou  diminuée,  selon 
le  mode,  par  substitution  opérée  sur  la  sixte  du 
premier  dérivé  de  la  1^  de  dominante,  ci 3 

Enfin  trois  de  9"^  de  dominante  majeure  ou; mineure, 
selon  le  mode,  par  substitution  opérée  sur  l'octave 

dans  l'accord  direct,  ci 3 

Ensemble ë 


Total. 


n 

Tels  sont,  sauf-les  observations  relatives  à  leur  disposi- 
tion et  leur  collocation,  les  accords  que  l'on  peut  regarder 
comme  consonnants  ou  quasi-consonnants,  soit  libres,  soit 
appellatifs ,  ceux  qui  forment  la  base  de  l'harmonie ,  ceux 
dont  il  importe  de  connaître  l'essence ,  le  régime  et  l'em- 
ploi ;  tous  les  autres  sont  accidentels ,  et  sont  le  résultat  de 
la  marche  des  parties ,  objet  le  seul  véritablement  impor- 
tant et  le  seul  digne  de  toute  l'attention  et  de  toute  l'appli- 
cation du  compositeur.  A.  CnoROiNJ. 

ACCORDEON.  Ce  petit  instrument  de  musique ,  in- 
venté en  Allemagne ,  a  obtenu  depuis  quelques  années  une 
certaine  vogue.  Il  se  compose  de  petits  soufflets  d'orgue  su- 
perposés ;  en  les  tirant  ou  en  les  poussant ,  on  produit  al- 
ternativement les  diverses  notes.  Dans  cet  instrument ,  les 
sons  résultent  des  vibrations  de  petites  lames  métalliques 
fixées  par  une  de  leurs  extrémités  devant  des  ouvertures 
qu'elles  recouvrent  intérieurement.  Ces  vibrations  sont  pro- 
duites par  ie  passage  de  l'air  à  travers  ces  ouvertures  lors- 
qu'on les  découvre  au  moyen  de  touches ,  et  que  l'on  tiic 
ou  que  l'on  pousse  le  soufflet ,  de  façon  que  l'air  entre  ou 
sorte  en  agitant  les  lames.  Pour  jouer  de  cet  instrument  on 
le  tient  du  côté  du  soufflet  de  la  main  gauche ,  tandis  que 
la  droite  agit  sur  les  touches  en  amenant  ou  repoussant  en 
même  temps  la  caisse  sur  le  soufflet,  c'est-à-dire  en  s'é- 
loignant  ou  se  rapprochant  de  la  main  gauche.  On  constmit 
suivant  le  même  système  des  instruments  plus  grands ,  où 
le  soufflet  est  manœuvré  à  l'aide  d'une  pédale,  et  dont  le 
clavier  ressemble  à  celui  du  piano  :  ceux-ci  prennent  le  nom 
d'orgiies  expressives. 

ACCORDEUR,  celui  qui  s'occupe  d'accorder  certains 
instruments ,  comme  le  piano ,  l'orgue ,  etc.  Les  accordeurs 
sont  presque  toujours  des  facteurs  d'instruments  ;  du  moins 
la  structure  et  le  mécanisme  des  instruments  doivent-ils 
leur  être  aussi  familiers  que  les  principes  de  l'acoustique. 
Comme  la  justesse  de  l'organe  est  la  condition  principale 
d'un  bon  accordage ,  il  n'est  pas  rare  de  voir  des  accor- 
deiu-s  chez  qui  cette  qualité ,  par  son  haut  degré  de  perfec- 
tion, tient  lieu  de  toute  méthode  et  de  toute  science.  On  a 
imaginé  différents  instruments  pour  remplacer  les  accor- 
deurs. L'un,  qui  porte  le  même  nom,  est  composé  de  douze 
diapasons  d'acier  disposés  sur  une  planche  sonore,  et 
donnant  avec  justesse  les  douze  demi-tons  de  la  gamme. 
Un  autre  instrument,  plus  simple,  est  le  vionocorde,  plan- 
chette de  sapin  sur  laquelle  sont  fixés  aux  deux  bouts  deux 
sillets  égaux  portant  une  corde  sonore  et  tendue  parallèle- 
ment à  la  planchette ,  avec  un  chevalet  mobile  qui  allonge 
et  accourcit  la  corde  à  volonté.  Des  lignes  transversales , 


78  ACCORDEUR  — 

calculées  de  nianuTe  à  faire  inoiluire  à  la  corde  les  douze 
demi-tons  de  la  gamine,  sont  tracées  sur  la  planchette.  On 
amène  dessus  le  chevalet  mobile ,  et  en  faisant  résonner  la 
corde  on  peut  mettre  son  piano  d'accord.  —  On  sait  que 
pour  accorder  un  piano  il  faut ,  à  l'aide  d'une  clef  carrée , 
nommée  accordoir,  agissant  sur  une  clieviile  sur  laquelle  la 
corde  est  enroulée,  donner  à  la  corde  le  degré  de  tension  con- 
venable. Les  accordeurs  remplacent  aussi  les  cordes  que 
l'oxydation  ou  une  trop  grande  tension  viennent  à  faire 
casser  dans  l'instrument. 

ACCORDS  (  ETIENNE  TABOUROT,  dit  le  Seigneur  des) 
est  l'auteur  d'un  livre  singulier,  qui  prouve  à  quel  point  ré- 
gnait de  son  temps  non  pas  la  liberté ,  mais  l'extrême  li- 
cence de  la  presse.  Né  à  Dijon,  en  15'j7  ,  reçu  avocat  au 
parlement  créé  dans  celte  ville  lors  de  la  réunion  du  duché 
de  Bourgogne  à  la  France  ,  il  fut  ensuite  nommé  procureur 
du  roi  prés  le  bailliage.  Il  n'avait  encore  que  dix-huit  ans 
lorsqu'il  composa  cet  ouvrage,  chargé  des  gravelures  les  plus 
indécentes.  11  y  ajouta,  vers  l'âge  de  trente-cinq  ans,  des  ciia- 
pitres  plus  sérieux,  et  le  fit  paraître  sous  ce  titre  :  Bigar- 
rures et  touches  du  seigneur  des  Accords,  suivies  des 
Apophthegniesdu  sieur  Pierre  Gaulard  et  des  Escraignes 
Dijonnaises.  On  a  joint  au  texte  des  gravures  en  bois  plus 
obscènes  encore,  et  dont  nous  ne  pourrions  pas  même  citer 
l'intitulé  bizarre.  On  remarque  dans  ce  livre  des  échantillons 
curieux  de  la  littérature  favorite  du  temps,  des  anagrammes, 
des  acrostiches,  des  rébus  de  Picardie,  des  antistrophes,  des 
vers  à  écho,  des  vers  rétrogrades,  letlrisés,  rapportés,  etc. 
Beaucoup  de  nos  auteurs  modernes  ont  emprunté,  sans  au- 
cunement s'en  vanter,  plusieurs  facéties  du  seigneur  des  Ac- 
cords. Les  Escraignes  Dijonnaises  sont  un  recueil  de  contes 
fort  gais,  mais  décents  pour  la  plupart,  racontés  dans  les 
veillées,  sous  les  anciennes  cabanes  ou  chaumières  du  pays, 
qu'on  appelait  escraignes.  Les  jeunes  garçons ,  les  jeunes 
fdles,  la  tante  Jeanne  et  la  petite  Jeanneton,  sa  nièce,  y  dé- 
bitent à  l'envi  des  histoires  facétieuses,  et  quelquefois  des 
anecdotes  touchantes.  —  Les  prétendus  Apophthegmes  de 
Pierre  Gaulard  ont  pu  fournir  quelques  données  à  la  célèbre 
chanson  de  iM.  de  la  Pahsse ,  si  toutefois  cette  chanson  n'a 
pas  l'antériorité  de  date.  Etienne  Tabourot  mourut  en  1590, 
à  l'âge  de  quarante-cinq  ans,  après  avoir  tenu,  comme  avocat 
et  comme  magistrat,  une  conduite  plus  régulière  et  plus  digne 
qu'on  ne  serait  tenté  de  le  supposer  à  la  lecture  des  œuvres 
du  seigneur  des  Accords.  Breton. 

ACCORES  9  pièces  de  bois  qui  sei-vent  à  étayer  les  na- 
vires en  construction,  —  On  appelle  aussi,  en  marine ,  côte 
accore  ou  écore  une  côte  escarpée,  taillée  à  pic.  Les  acco- 
res  d'un  banc  sont  les  approches  de  ce  banc,  les  endroits 
où  il  commence  à  s'élever. 

ACCOUCHEilEXT.  C'est  ainsi  que  l'on  désigne  lia- 
bituellement  l'acte  par  lequel  un  enfant  est  mis  au  monde.  On 
distingue  l'accouchement  en  naturel,  quand  il  est  opéré 
par  les  seules  forces  de  la  nature,  et  en  artificiel,  quand 
il  ne  peut  se  terminer  que  par  le  secours  de  l'art.  L'accou- 
chement prématuré  est  celui  qui  a  lieu  du  sixième  au  neu- 
vième mois  de  la  grossesse  ;  l'accouchement  tardi/es.t  celui 
qui  s'elfectue  à  un  terme  plus  éloigné  que  la  fm  du  neu- 
vième mois.  Enfin  on  appelle  av  or  tentent  la  naissance 
d'un  enfant  âgé  de  moins  de  six  mois.  L'accouchement  na- 
turel est  le  plus  fréquent.  D'après  des  relevés  faits  à  la  Ma- 
ternité de  Paris  et  autres  lieux,  il  résulte  que  sur  quatre- 
vingt-trois  accouchements  environ,  un  seul  réclame  l'inter- 
vention de  la  chirurgie. 

La  pailuvition  ne  s'opère  communément  qu'au  neuvième 
mois  révolu  de  la  grossesse;  mais  ce  n'est  point  une  loi 
à  qui  la  nature  soit  si  invariablement  soumise  qu'elle  ne 
puisse  s'en  écarter  quelquefois.  11  n'est  pas  très-rare,  en 
effet,  de  voir  des  enfants  parfaitement  bien  conformés  venir 
au  m(mde  naturellement,  sans  lemoindie  accident,  tantôt 
avant  la  (m  du   neuvième  mois,  tantôt  après.  Ces  cas 


ACCOUCHEMENT 

exceptionnels  ne  détruisent  pas  le  principe.  Dans  les  cas  les 
plus  ordinaires ,  lorsque  aucun  accident  ne  vient  troubler  la 
marche  de  la  grossesse,  le  fœtus  n'est  expulsé  de  la  matrice 
que  lorsque  son  organisation  est  assez  avancée  pour  qu  il 
puisse  vi^Te  de  sa  vie  propre,  indépendamment  de  celle  de 
la  mère  ;  or  cela  a  lieu  presque  toujours  à  la  fm  du  neuvième 
mois. 

Les  anciens  avaient  singulièrement  multiplié  le  nombre  des 
positions  dans  lesquelles  l'enfant  peut  se  présenter  au  dé- 
troit supérieur  du  bassin  ;  mais  l'expérience  a  démontré  que 
beaucoup  d'entre  elles,  bien  que  possibles,  ne  se  sont  pour- 
tant jamais  rencontrées  dans  la  pratique.  Sur  un  total  de 
21,723  accouchements  observés  à  la  Maternité,  M.  Du^ès 
a  constaté  que  l'enfant  s'est  présenté ,  par  le  vertex ,  20,698 
fois;  par  le  siège  ,  804  fois  ;  par  la  face,  103  fois  ;  par  l'é- 
paule droite,  65  fois  ;  par  l'épaule  gauche,  53  fois.  11  est 
fort  remarquable  que  ce  tableau  ne  renferme  aucune  présen- 
tation des  pieds  ni  des  genoux,  dont  l'existence  réelle  ne  peut 
cependant  être  douteuse  :  ce  fait  prouve  seulement  leur  ex- 
trême rareté. 

Avant  d'aborder  la  description  du  travail  de  l'enfante- 
ment lui-même,  observons  que  dans  le  dernier  mois  de  Ja 
grossesse  la  matrice,  qui  occupait  déjà  l'épigastre,  s'abaisse 
au-dessous  de  cette  région.  Les  femmes  disent  alors  que  leur 
ventre  est  tombé.  Dès  ce  moment  elles  se  sentent  plus  lé- 
gères, leurs  fonctions  digestives  et  respiratoires  deviennent 
en  même  temps  plus  faciles.  Assez  souvent  elles  éprouvent 
un  sentiment  de  pesanteur  vers  le  rectum  et  la  vessie,  des 
envies  fréquentes  d'uriner  et  quelquefois  une  constipation 
opiniâtre.  Les  organes  génitaux  commencent  à  être  plus  hu- 
mides ;  enfin  arrive  le  teime  de  la  gestation,  et  le  travail  se 
déclare.  A  son  début  la  femme  n'éprouve,  en  général, 
qu'une  sorte  de  malaise  accompagné  de  douleurs  sourdes 
presque  inaperçues ,  très-courtes  et  éloignées  les  unes  des 
autres,  vulgairement  appelées  mouches.  Mais  les  douleurs 
deviennent  de  plus  en  plus  sensibles,  plus  longues  et  plus 
rapprochées;  en  même  temps  elles  se  manifestent  d'une 
manière  tellement  caractéristique,  qu'il  n'est  plus  permis  de 
méconnaître  leur  nature.  L'abdomen  se  resserre  et  l'utérus  se 
durcit;  l'orifice  de  la  matrice,  déjà  unpeuentr'ouvert,  se  ré- 
trécit ,  pendant  que  sa  circonférence ,  auparavant  très-ra- 
mollie,  acquiert  une  roideur  très-notable;  les  membranes, 
fortement  tendues,  appuient  contre  cet  orifice,  peuvent  même 
commencer  à  s'y  engager  et  contiibuer  ainsi  à  sa  dilatation 
d'une  manière  toute  passive  à  la  vérité,  mais  incontestable. 
Après  une  courte  durée ,  l'abdomen  et  l'utérus  reprennent 
chacun  leur  volume  et  leur  consistance  ordinaires;  les  bords 
de  l'orifice  redeviennent  souples  ;  à  la  tension  des  membra- 
nes succède  leur  relâchement  primitif;  la  douleur  est  passée. 
Celle-ci  est  suivie  d'un  calme  plus  ou  moins  parfait  jusqu'à 
ce  qu'une  nouvelle  douleur  vienne  reproduire  les  mêmes 
phénomènes,  k  force  de  se  répéter,  ces  douleurs  finissent  par 
opérer  graduellement  la  dilatation  complète  de  l'orilice 
utérin.  C'est  là  que  se  termine  ce  qu'on  nomme  dans  les 
écoles  \e  premier  temps  du  travail,  et  que  commence  l'en- 
semble des  phénomènes  qui  constituent  le  deuxième  itmps. 

Ici  tous  les  symptômes  que  nous  venons  de  faire  con- 
naître s'élèvent  à  un  plus  haut  degré  d'intensité  ;  l'agitation  re- 
double, le  pouls  devient  plus  fréquent,  la  chaleur  augmente, 
la  soif  se  déclare,  le  visage  s'anime;  il  survient  quelquefois 
des  vomissements  ;  des  glaires  sanguinolentes  s'écoulent  par 
la  vulve,  on  dit  alors  que  la  femme  marque.  Nous  devons 
faire  observer  que  cet  écoulement  peut  survenir  bien 
plus  tôt.  Une  sueur  abondante  a  lieu,  principalement  vers  les 
parties  supérieures  du  coips  ;  car  pendant  que  sa  figure  et  sa 
poitrine  sont  pour  ainsi  dire  inondées,  la  mère  se  plaint  sou- 
vent d'avoir  fi-ôid  aux  extrémités  inférieures.  Dans  l'inter- 
valle des  douleurs,  elleéprouveunepropension  irrésistible  au 
sommeil;  mais  à  peine  commence-t-e!le  à  goûter  les  douceurs 
du  repos,  qu'une  nouvelle  douleur  lui  ramène  ses  angoisses. 


ACCOUCHEMENT 


c'est  surtout  h  cette  ('iwiiiie  tlu  travail  que  l'on  observe  al- 
ternativeiiient  une  douleur  plus  forte  et  une  plus  faible.  Des 
crampes  parcourent  souvent  les  cuisses,  les  fesses,  etc. 
Bientôt  les  membranes  qui  insensiblement  s'étaient  enga- 
gées dans  l'oriliee  à  travers  lequel  elles  formaient  une  saillie 
qu'on  appelle/)oc/;('  des  eattx,  ces  membranes,  disons-nous, 
ne  peuvent  résister  plus  longtemps  aux  eflorts  des  contrac- 
tions utérines,  se  rompent  brusquement  pendant  une  dou- 
leur, et  le  liquide  qu'elles  renferment  s'élance  au  dehors 
avec  impétuosité,  quelquefois  mCme  avec  une  espèce  de 
bruissement.  La  tête  tle  l'enfont  s'applique  aussitôt  sur  l'o- 
riliee devenu  entièrement  libre  par  la  rupture  des  membra- 
nes ;  elle  s'avance  par  degiés  à  chaque  nouvelle  douleur  ; 
elle  franchit  le  détroit  supérieur,  plonge  dans  l'excavation 
Itelvienne,  et  se  trouve  enfin  tout  entière  dans  le  vagin, 
qui  a  subi  pour  cela  une  dilatation  considérable.  Parvenue 
à  ce  poiut,  la  tète,  pendant  la  douleur,  pousse  au-devant 
d'elle,  sous  forme  d'une  grosse  tumeur  arrondie,  le  plancher 
inférieur  du  bassin,  plus  connu  sous  le  nom  de  périnée. 
Après  la  contraction,  ce  dernier,  en  vertu  de  son  élasticité, 
reprend  sa  position  habituelle  et  se  rapproche  du  détroit  su- 
périeur :  ime  autre  contraction  vient  encore  le  repousser  ;  de 
telle  sorte  que  pendant  un  temps  variable  le  périnée  se 
trouve  somiiis  à  une  véritable  oscillation.  Mais  la  fin  du 
travail  approche;  la  vulve  se  dilate  graduellement;  les 
.ç;randes  lèvres  seulement,  et  non  les  petites,  s'effacent  eu 
entier;  le  périnée  est  très-aminci  et  distendu  ;  si  le  rectimi 
contient  des  matières  fécales,  elles  sont  rendues  involontaire- 
ment ;  les  contractions  redoublent  de  fréquence  et  d'é- 
nergie ,  la  femme,  saisissant  de  ses  mains  tout  ce  qui  peut 
lui  fournir  un  appui,  se  livre  à  des  efforts  inouïs,  et  pousse 
des  cris  déchirants;  enfin  mie  dernière  douleur,  la  plus 
poignante  de  toutes,  opère  la  sortie  de  la  tète.  Quel  soula- 
gement pour  la  mère  !  et  pomtant  elle  éprouve  encore  de 
l'anxiété  :  le  tronc  n'est  pas  dégagé  ;  mais  tout  à  coup  une 
faible  douleur  survient,  qui  chasse  l'enfant  en  totalité. 
L'accouchement  est  terminé.  La  femme  jouit  ordinai- 
rement d'un  bien-être  délicieux ,  qui  déjà  lui  fait  oublier 
toutes  ses  soulfrances  ;  dix,  vingt,  trente  minutes,  plus  ou 
moins,  après  la  sortie  de  l'enfant,  apparaissent  quelques 
nouvelles  contractions,  peu  violentes ,  qui  déterminent  l'ex- 
pulsion de  r arrière-faix;  la  femme  est  délivrée. 

Mais  tout  ne  va  pas  toujours  aussi  bien  :  quelques  fois  l'en- 
fant se  présente  dans  une  position  défavorable  ;  d'autres  fois 
il  y  a  une  disproportion  flagrante  entre  le  volume  de  l'enfant 
et  les  parties  qu'il  doit  traverser.  Alors  l'art  vient  au  secours 
de  la  nature  :  tantôt  on  change  la  direction  vicieuse  ;  tantôt,  à 
l'aide  d'instruments  appropriés,  on  amène  au  dehors  le 
f(ttus  entier  {voyet.  Forceps),  ou  même,  dans  quelques  cas, 
devenus  plus  rares  aujourd'hui,  on  l'extrait  par  portions  des 
entrailles  de  la  mère  ;  tantôt  on  agrandit  le  chemin  par  des 
incisions  méthodiques ,  qui  évitent  des  dilacérations  dange- 
reuses ;  tantôt  enfin  on  ouvre  à  l'enfant  une  issue  sanglante  à 
travers  les  flancs  maternels.  Voyez  CÉSAniEN.NE  (  Opération). 

Des  douleurs  périodiques,  appelées  tranchées,  peuvent 
se  continuer  pendant  un  ou  deux  joins ,  et  même  au  delîi. 
La  matrice ,  qui  immédiatement  après  raccouchement  était 
descendue  sous  forme  d'un  globe  dur  dans  la  région  hypogas- 
tiique,  diminue  successivement  de  volume,  et  enfin  s'en- 
fonce tout  entière  dans  l'excavation  du  bassin  ;  les  parois 
abdominales,  que  la  grossesse  avait  fort  distendues,  revien- 
nent sur  elles-mêmes ,  en  conservant  toutefois  une  ceilaine 
flaccidité  ;  presque  toujours  il  reste  aussi  sur  cette  partie 
du  corps  des  rergetiires  ou  éraillures  blanchâtres.  Pen- 
dant plusieurs  jours  il  s'écoule  par  les  organes  sexuels  des 
matières  liquides,  qu'on  nomme  lochies  ou  vidanges;  c'est 
d'abord  du  sang  pur  et  sans  odeur,  mais  ces  matières  ne 
tardent  pas  à  devenir  d'un  fétidité  repoussante.  Cet  écoule- 
ment diminue  peu  à  peu  ,  et  disparaît  ordinairement  dans 
la  première  quinzaine;  quelquefois  il  ne  cesse  qu'au   re- 


tour des  règles ,  qui ,  conr Jiie  on  sait ,  n'apparaissent  guère 
qu'un  mois  ou  six  semaines  après  l'accouchement.  Chez  les 
femmes  qui  nourrissent  les  lochies  sont  toujours  moins 
abondantes  ;  le  plus  souvent  aussi  ces  dernières  ne  sont 
pas  réglées  pendant  tout  le  cours  de  la  lactation.  Quarante- 
huit  heures  environ  après  l'accouchement  surviennent  les 
symptômes  de  là  fièvre  de  lait;  chaleur,  sécheresse  de  la 
peau  ,  soif  vive  ,  plénitude  et  Iréquence  du  pouls  ;  l'écou- 
lement des  lochies  devient  nul  ou  presque  nul  ;  les  mamelles 
se  gonflent,  se  durcissent  et  sont  le  siège  d'une  très-grando 
sensibilité.  Après  une  durée  de  vingt-quatre  heures,  cette 
lièvre  se  teimine  assez  ordinairement  par  des  sueurs  abon- 
dantes; les  lochies  reparaissent,  une  matière  laiteuse  s'é- 
coule par  les  mamelons,  et  les  seins  se  dégorgent.  Lorsque 
la  mère  allaite  son  enfant,  les  symptômes  de  la  fièvre  de  lait 
sont  toujours  moins  intenses  que  lorsqu'elle  se  dispense  de 
cette  noble  fonction. 

Au  commencement  du  travail  on  doit  prescrire  à  la 
femme  un  repos  et  une  diète  modérés;  de  l'eau  sucrée  et 
des  bouillons  suffiront  au  besoin.  On  se  gardera  bien  de  lui 
permettre  l'usage  du  vin  chaud,  de  l'eau-de-vie  et  autres 
boissons  stimulantes ,  trop  souvent  employées  par  un  vul- 
gaire ignorant.  Dans  sa  chambre  il  ne  faudra  retenir  que 
les  gens  essentiellement  nécessaires  ;  tous  les  inutiles  seront 
priés  de  se  retirer.  11  importe  que  parmi  les  personnes  qui 
entourent  la  femme  en  couche  il  n'y  en  ait  aucune  qui  lui 
déplaise;  car  cette  circonstance  peut  influencer  le  travail. 
Ou  ne  doit  pas  négliger  de  faire  administrer  un  lavement 
pour  vider  le  rectum.  Le  moment  est  venu  de  préparer  ce 
qu'on  appelle  le  lit  de  misère.  En  France  on  se  sert  géné- 
ralement d'un  lit  de  sangle ,  dont  on  appuie  l'une  des  extré- 
mités contre  le  mur,  c'est  celle  où  doit  correspondre  la  tête. 
A  l'autre  extrémité,  on  fixe  souvent  une  traverse  de  bois , 
sur  laquelle  les  pieds  trouvent  au  besoin  un  point  d'appui 
très-utile  ;  les  côtés  doivent  être  libres  ,  de  manière  qu'on 
puisse  circuler  tout  autour.  On  le  garnit  d'un  matelas  un 
peu  dur  qui,  par  précaution,  est  couvert  d'une  toile  cirée. 
Comme  il  faut  absolument  que  le  bassin  soit  élevé  à  une 
certaine  hauteur,  afin  que  l'accoucheur  puisse  agir  libre- 
ment sur  la  vulve  et  sur  le  périnée ,  on  est  dans  l'usage  de 
faire  au  matelas  un  pli  transversal  ;  par  ce  moyen  on  obtient 
un  bourrelet  sur  lequel  le  siège  de  la  femme  doit  reposer. 
Ce  lit  est  garni  en  outre  de  plusieurs  oreillers  pour  main- 
tenir la  tête  et  la  poitrine  convenablement  élevées,  d'une 
paire  de  draps  et  de  couvertures  suivant  la  saison.  Il  ne  faut 
pas  oublier  de  tenir  prêts  d'avance  de  bons  ciseaux  pour  cou- 
per le  cordon,  du  fil  ciré  pour  faire  la  ligature,  de  l'huile  ou 
du  beurre  frais  pour  pratiquer  le  toucher,  etc.  Si  les  douleurs 
sont  faibles,  il  convient  de  frictionner  modérément  le  ventre 
au  début  de  chaque  contraction  ;  on  pourra  aussi  ordonner 
à  la  malade  de  faire  quelques  toms  dans  l'appartement ,  si 
ses  forces  le  permettent.  Quelquefois  elle  éprouve  de  vio- 
lents maux  de  tête,  la  face  est  rouge,  des  mouvements 
convulsifs  se  déclarent  :  en  pareil  cas,  il  faut  pratiquer  une 
saignée,  surtout  lorsqu'on  a  affaire  à  une  constitution  forte 
et  pléthorique.  Si  l'on  observe  une  grande  rigidité  au  col  de  la 
matrice,  ou  aux  parties  externes  de  la  génération,  les  bains 
entiers,  les  demi-bains,  les  fumigations  de  vapeur  aqueuse  di- 
rigée vers  la  vulve,  peuvent  être  très-utiles.  L  '  h  é  m  o  r  r  a- 
gie  utérine  (perte)  qui  survient  quelquefois  pendant  le 
travail  exige  des  soins  particuliers.  Aussitôt  que  les  eaux  de 
l'amnios  se  sont  échappées,  par  suite  de  ia  rupture  des 
membranes,  il  faut  prati(iuer  le  toucher  pour  s'assurer  de  la 
position  de  l'enfant  ;  c'est  sans  contredit  le  moment  le  plus 
favorable  pour  la  reconnaître.  Après  avoii-  acquis  -a  certitude 
qu'il  se  présente  bien,  quelques  accoucheurs  conseillent  ;i  la 
femme  d'aider  ses  douleurs  par  des  elToits  volontaires  ;  mtù^ 
elle  est  si  nalurellement  excitée  à  ponsser,  qu'elle  pousse  eu 
quelque  sorte  malgré  elle.  On  sait  d'ailleurs  d'une  manière 
bien  positive  que  la  matrice,  ainsi  que  le  ctrur,  le  foie  et 


80 


ACCOUCHExMENT 


1  eaucoup  d'autres  or{;anes,  se  trouve  tout  à  fait  hors  de  Tin- 
fluence  de  la  volonté  :  par  conséquent  de  tels  conseils  de- 
viennent au  moins  superflus.  H  arrive  trop  souvent  qu'a- 
près avoir  uiarclié  régidièreuient ,  les  douleurs  s'affaiblissent 
ou  même  s'arrêtent  complètement;  c'est  surtout  dans  ce  cas 
que  l'on  conseille  l'usage  du  seigle  ergoté,  dans  l'intention 
de  les  ranimer.  L'action  du  seigle  ergoté  sur  la  matrice, 
contestée  par  queliiucs-uns,  est  i)0ur  nous  une  vérité  dé- 
montrée ;  mais  nous  avons  bien  remarqué  que  les  douleurs 
ainsi  obtenues  diffèrent  essentiellement  de  celles  que  la  na- 
ture seule  produit  :  au  lieu  d'être  périodiques  comme  celles- 
ci,  elles  sont,  pour  ainsi  dire,  continues;  l'utérus  se  trouve 
dans  une  contraction  permanente,  qui  ne  laisse  aucun  re- 
pos à  la  femme.  11  n'est  pas  douteux  qu'un  tel  état  de  cho- 
ses ne  iuii>se  devenir  très-dangereux  pour  l'enfant.  Quoi 
qu'il  en  soit,  on  administre  cette  substance  en  poudre,  à  la 
dose  de  quinze  à  vingt  grains,  qu'on  délaye  dans  un  peu 
d'eau  sucrée  ;  si  une  première  dose  ne  réveille  pas  les  dou- 
leurs, on  peut  la  répéter  jusqu'à  deux  ou  trois  fois,  au  plus, 
en  mettant  un  quart  d'heure  d'intervalle  entre  chaque  prise. 
Dès  que  la  tète  commence  à  faire  bomber  le  périnée  et  à 
le  distendre,  il  est  indispensable,  pour  prévenir  sa  déchirure, 
de  soutenir  cette  partie  avec  la  paume  de  la  main,  que  l'on 
glisse  sous  la  cuisse  de  la  mère.  Lorsqu'elle  est  sortie ,  si  le 
tronc  de  l'enfant  tarde  à  se  dégager,  il  sera  facile  d'en 
opérer  l'extraction  en  introduisant  un  ou  deux  doigts 
en  crocliet  dans  le  creux  des  aisselles.  La  rupture  des  mem- 
branes a  lieu  quelquefois  de  tvès-boune  heure,  bien  avant 
la  dilatation  complète  de  l'orifice  utérin  ;  c'est  toujours  une 
circonstance  fâcheuse,  en  ce  qu'elle  prolonge  la  durée  du 
travail.  Lorf,quele  délivre  se  fait  trop  longtemps  attendre, 
on  doit  l'extraire  artiliciellement.  Si  des  tractions  modé- 
rées, pratiquées  sur  le  cordon,  ne  peuvent  point  l'amener 
au  dehors,  il  faut  les  cesser  et  attendie.  La  délivrance 
terminée  ,  on  doit  remplacer  aussitôt  par  des  linges  secs 
ceux  sur  lesquels  la  femme  repose,  et  que  le  sang  a  salis. 
Après  liii  avoir  laissé-quelques  moments  de  repos,  on  fait  sa 
toilette,  et  on  la  transporte  dans  son  lit  ordinaire;  on  lave 
les  organes  génitaux  externes  avec  une  éponge  fine  ou  avec 
un  linge  imbibé  d'eau  tiède  ;  une  bande  de  ventre  doit  être 
appliquée  et  médiocrement  serrée  ;  elle  se  compose  ordi- 
nairement d'une  serviette  pliée  en  trois. 

A  Paris  on  prescrit  d'habitude  à  la  nouvelle  accoucliée 
une  légère  infusion  de  tilleul  et  de  feuilles  d'oranger  pour  bois- 


gereux  ennemis  ;  mais  ce  n'est  pas  une  rai.son  de  l'écraser, 
pour  ainsi  dire,  sous  le  poids  des  couvertures;  il  est  même  in- 
dispensable, surtout  en  été,  de  renouveler  l'air  de  sa  cham- 
bre, au  moins  une  ou  deux  fois  par  jour,  en  ayant  d'ailleurs  la 
précaution  de  fermer  les  rideaux  du  lit  pendant  que  les 
fenêtres  resteront  ouvertes.  Beaucoup  de  femmes  sont  dans 
l'usage  pour  leur  première  sortie  d'aller  à  l'église ,  offrir  à 
Dieu  leurs  remerciements  ;  malheureusement  la  fraîcheur  et 
riiumidité  qui  régnent  dans  ces  temples  peuvent  être  très- 
préjudiciables  aux  nouvelles  accouchées. 

A  peine  au  dehors,  l'enfant  agite  ses  membres,  pousse 
des  cris,  et  le  premier  soin  qu'il  exige  c'est  la  section  et  la 
ligature  du  cordon  ombilical.  On  pratique  généralement 
cette  dernière  à  un  ou  deux  travers  de  doigt  du  nombril 
avec  un  fil  ciré.  Presque  toujours  on  se  contente  de  le  lier 
par  le  bout  qui  tient  à  l'enfant  ;  mais  s'il  existait  encore 
un  deuxième  fo^us  dans  la  matrice,  il  serait  prudent  de 
lier  aussi  le  cordon  du  côté  de  la  mère.  Quelquefois  le  fdf us 
vient  au  monde  enveloppé  dans  les  membranes.  On  dit  alors 
qu'il  est  né  coiffé.  En  pareil  cas ,  il  est  évident  qu'étant 
dans  l'impossibilité  de  respirer,  sa  vie  serait  fortement 
compromise  si  un  tel  état  se  prolongeait  ;  on  se  hâtera  donc 
de  déchirer  ces  enveloppes  à  l'aide  des  ongles  ou  de  ci- 
seaux. On  lave  le  nouveau-né  à  l'eau  tiède  en  hiver,  à  l'eau 
froide  en  été,  afin  d'enlever  la  matière  grasse  dont  son 
corps  est  presque  toujours  recouvert.  Pour  enlever  plus 
facilement  cette  matière  ,  on  peut  oindre  la  peau  avec  du 
beurre  frais  et  frotter  ensuite  légèrement  avec  un  linge  ou 
une  éponge.  Cette  opération  terminée,  on  essuie  l'enfant; 
on  enveloppe  le  cordon  d'une  petite  compresse,  et  au 
moyen  d'un  bandage  de  corps ,  on  le  maintient  relevé  et 
appliqué  sur  le  côté  gauche  du  ventre.  On  n'oubliera  pas 
d'examiner  si  l'enfant  ne  présente  aucun  vice  de  confor- 
mation ;  c'est  surtout  l'anus ,  les  organes  génitaux  et  la 
bouche  qu'il  importe  de  vérifier  avec  la  plus  rigoureuse  at- 
tention. Après  cela  on  procède  à  ïemmaillottement ,  dont 
les  détails  sont  trop  connus  pour  nous  y  arrêter.  Enfin,  on 
couche  le  nouveau-né  sur  le  côté  ,  pour  qu'il  puisse  rendra 
plus  aisément  les  glaires  qu'il  a  dans  la  bouche  :  sans  cela 
elles  pourraient  tomber  dans  le  lary  nx,  et  déterminer  quel- 
ques accidents.  Tels  sont  les  premiers  soins  que  réclame 
l'enfant  quand  il  arrive  en  bonne  santé  ;  malheureusement 
les  choses  ne  se  passent  pas  toujours  ainsi  :  il  naît  quel- 
quefois dans  un  état  de  pâleur,  de  faiblesse  et  de  flaccidité 


son.O!ipourrait,aveclemême  avantage,  prescrire  toute  autre      extrême;  il  est  presque  froid,  il  ne  crie  pas;  il  respire  à 


tisane ,  celle  d'orge  ,  par  exemple.  Quand  la  mère  n'allaite 
point,  elle  doit  se  contenter  le  premier  jour  de  quelques 
bouillons  pour  toute  nourriture;  le  lendemain  on  peut  lui 
a  (•'  ri!er  des  crèmes  de  riz,  des  potages;  mais  aussitôt  que 
la  ficNTe  de  lait  se  déclare ,  il  faut  la  tenir  à  une  diète  ab- 
solue. En  ce  moment  aussi  on  cesse  la  première  tisane, 
qui  est  remplacée,  d'une  manière  tout  à  fait  banale,  par 
l'infusion  de  pervenche  et  de  racine  de  canne.  Les  femmes 
croient  que  celle-ci  a  la  propriété  de  faire  passer  le  lait. 
Mais  cette  propriété  n'appartient  pas  plus  à  la  pervenche  et 
à  la  canne  qu'à  la  bourrache  ou  à  la  violette ,  et  tant  d'au- 
tres encore,  que  l'on  peut  administrer  tout  aussi  bien  qu'elles 
et  avec  les  mêmes  résultats.  On  couvre  les  seins  avec  un 
linge  ouaté ,  ou  simplement  avec  une  serviette  pliée  en  plu- 
sieurs doubles,  légèrement  chauffée  ,  et  qu'il  convient  de 
renouveler  de  temps  en  temps.  Après  la  disparition  de  la 
fièvre,  on  permet  à  l'accouchée  de  se  lever,  d'abord  unique- 
ment pour  faire  son  lit  ;  le  lendemain  elle  jjourra  rester 
quelques  heures  assise  sur  un  fiuiteuil.  Successivement  on 
augmente  la  quantité  de  sa  nourriture  ;  en  un  mot ,  elle 
doit  être  traitée  de  telle  manière  que  vers  le  huitième  ou  le 
neuvième  jour,  elle  soit  à  peu  près  revenue  à  son  régime 
habituel.  Quand  la  femme  nourrit,  elle  a  besoin  d'une  ali- 
mentation plus  forte.  Pendant  les  suites  de  couches ,  il  faut 
tenir  la  mère  chaudement;  car  le  froid  est  un  de  ses  plus  dan- 


peine  ou  pas  du  tout.  On  doit  alors  chercher  à  le  raj>peler 
à  la  vie  par  des  frictions  sèches ,  ou  animées  avec  du  vin 
chaud ,  de  l'eau  de  vie  ,  pratiquées  sur  la  poitrine  ,  sur  le 
dos,  à  la  plante  des  pieds  ou  à  la  paume  des  mains  et  de- 
vant un  bon  feu  ;  on  pourra  le  plonger  dans  un  bain  d'eau 
chaude  mêlée  de  vin  ou  d'eau  de  vie,  approcher  de  son  nez 
un  linge  imbibé  de  vinaigre ,  un  flacon  d'éther,  etc.  L'ac- 
coucheur examinera  la  bouche  de  l'enfant  ;  si  elle  contient 
des  glaires,  il  les  retirera  promptement  avec  le  doigt  ou 
mieux  avec  la  barbe  d'une  plume.  Enfin  on  souillera  sur  la 
'oouche.  Dans  d'autres  circonstances  l'enfant  vient  au  monde 
avec  des  symptômes  tout  différents  :  le  corps  est  rouge,  la 
face  boursouflée  et  d'une  teinte  violacée;  ses  membres 
peuvent  être  roides  ou  convulsés.  Dans  cet  état  il  ne  crie 
pas,  non  plus  que  dans  le  premier.  La  respiration  est  égale- 
ment faible  ou  nulle.  En  pareil  cas  il  convient  de  couper 
proinptcment  le  cordon  et  de  laisser  s'écouler  la  quantité 
du  sang  que  l'on  jugera  nécessaire  pour  remédier  à  cet  ac- 
cident pléthorique.  Nous  avons  dit  que  la  tête  étant  au 
dehors  des  parties  génitales  il  pouvait  se  faire  que  le  tronc 
fût  encore  au  dedans.  La  première  chose  que  doit  faire  ici 
l'accoucheur,  c'est  de  s'assurer  si  le  cordon  n'est  pas  en- 
tortillé autour  du  cou  ;  si  cela  a  lieu ,  il  s'empressera  de  le 
couper,  surtout  lorsqu'd  serre  le  cou  assez  fortement  pour 
cnraver  îa  circulation  veineuse;  cette  espèce  d'étranglé- 


ACCOUCHEMENT 

m 'ni,  s'il  n'était  promplement  détruit,  enlratnerait  la 
ni  irt  de  l'enfant,  qui  succombefait  avec  tous  les  symptômes 
(le  l'apoplexie;  mais  lorsque  le. cordon,  quoique  entortillé 
autour  du  cou,  ne  le  comprime  pas  assez  pour  gi'^ner  la 
circulation,  il  ett  inutile  d'en  faire  la  section,  à  moins  que 
le  nouveau-né  n'apparaisse  avecdes  signes  évidents  de  con- 
gestion cérébrale.  Après  la  chute  du  cordon,  on  lave  la 
petite  ulcération  superficielle  qui  en  résulte,  et  on  la  couvre 
d'un  linge  légèrement  enduit  de  cérat.  Cette  chute  a  lieu 
d'ordinaire  du  quatrième  au  huitième  jour. 

Quelques  heures  après  l'accouchement,  lorsqu'elle  est 
déjà  un  peu  reposée  de  ses  fatigues,  la  mère  doit  présenter 
le  sein  à  l'enfant,  sans  attendre  pour  cela  que  la  fièvre  de 
lait  soit  venue,  comme  le  font  très-mal  à  propos  beaucoup 
de  femmes.  Le  premier  lait,  appelé  co^oi^rw/H,  est  séreux 
et  quelquefois  d'un  goût  assez  désagréable  pour  que  le  nou- 
veau-né refuse  de  le  prendre  ;  mais  il  ne  larde  pas  à  de- 
venir plus  consistant  et  plus  sucré.  Le  colostrum  a  d'ail- 
leurs une  propriété  incontestable,  c'est  de  favoriser  l'issue 
des  matières  renfermées  dans  les  intestins.  Ces  dernières, 
qui,  parleur  couleur  et  leur  consistance,  ont  quelque  ana- 
logie avec  de  la  gelée  de  groseille  foncée,  constituent  ce  qu'on 
nomme  le  méconium.  Nous  aurions  encore  à  parler  de 
Vallaitement,  du  choix  d'une  nourrice  ;  mais  ces 
deux  questions  seront  traitées  cliacune  dans  uu  article 
spécial. 

Pour  l'histoire  de  l'art  des  accouchements,  voyez  Obsté- 
trique. Dr  Badaroux. 

ACCOUCHEUR,  ACCOUCHEUSE.  On  donne  ce 
nom  aux  personnes  qui  se  livrent  à  l'art  des  accouchements. 
En  France  cet  art  est  exercé  par  des  médecins  accoucheurs 
et  des  sages-femmes.  Ces  dernières  sont  préférées  par 
les  personnes  peu  aisées,  parce  qu'elles  se  contentent  d'ho- 
noraires moins  considérables.  Nul  ne  peut  pratiquer  l'art  des 
accouchements  sans  avoir  été  examiné  et  reçu  dans  les 
formes  déterminées  par  la  loi  du  19  ventôse  an  XI,  ni  sans 
être  porteur  d'un  diplôme  et  inscrit  sur  les  listes  dressées  en 
vertu  des  articles  25,  26  et  34  de  cette  loi,  à  peine  d'une 
amenJe  de  1,000  fr.  pour  ceux  qui  prennent  le  titre  de  doc- 
teur, de  500  fr.  pour  ceux  qui  se  qualifient  officiers  de  santé, 
de  100  fr.  pour  les  prétendues  sages-femmes.  Cette  amende 
est  payée  au  profit  des  hospices. 

L'art  des  accouchements  exige  des  connaissances  parti- 
culières, que  l'on  peut  acquérir  surtout  dans  les  écoles  d'ac- 
couchement, parmi  lesquelles  nous  citerons  l'hospice  de  la 
Mate  r ni  té  à  Paris.  Outre  les  connaissances  nécessaires, 
une  discrétion  à  toute  épreuve ,  une  grande  pureté  de 
mœurs,  de  la  décence  et  de  l'aménité  dans  les  manières, 
de  la  sensibilité,  de  la  patience,  sont  des  qualités  indispen- 
sables aux  personnes  qui  se  livrent  à  la  pratique  des  accou- 
chements ;  une  fermeté  inébranlable,  une  probité  sévère  et 
une  grande  sagacité  leur  sont  nécessaires  dans  les  cas  où 
l'on  chercherait  à  obtenir  d'elles  des  choses  que  le  devoir  et 
l'honneur  leur  défendent  d'accorder,  et  dans  ceux  où  elles 
.sont  appelées  à  éclairer  la  justice.  La  plupart  du  temps,  le  rôle 
de  l'accoucheur  est  celui  d'un  spectateur  dont  la  présence 
inspire  la  confiance  et  le  courage  à  la  patiente,  et  qui  est 
capable  de  porter  secours  au  moment  du  besoin.  Souvent 
il  a  à  lutter  contre  des  erreurs  et  des  préjugés  plus  ou  moins 
dangereux,  plus  ou  moins  ridicules;  mais  il  saura  exercer 
ses  fonctions  sans  trouble,  sans  bruit  et  sans  charlatanisme. 
Employant  avec  discernement  les  moyens  que  l'art  met  à  sa 
disposition,  il  attendra  pour  en  venir  à  des  ressources  extrê- 
mes que  celles  Je  la  naturesoient  véritablement  insuffisantes. 

La  loi  impose  à  l'accoucheur  ou  à  la  sage-femme  de  faire 
la  déclaration  de  la  naissance  de  l'enfant  qu'ils  ont  reçu 
dans  les  cas  où  le  père  est  absent  ou  non  déclaré. 

ACCOUER.  C'est,  à  la  chasse,  couper  un  jarret  de  der- 
rière au  cerf  aux  abois  ou  Vesjarreter,  afin  de  le  mettre  bas. 
Si  ses  andouillers  sont  déjà  durs,  on  ne  doit  pas  l'accouer, 

DICT.  DE  LA  CONVERS.  —  T.  I. 


—  ACCROISSEMENT  si 

mais  le  servir,  c'est-à-dire  lui  envoyer  une  balle  avec  le  fusil 

ACCOUPLEME\ï(du  latin  ad,  à,  copulare,  join. 
dre),  union  deux  à  deux.  Ce  mot  est  surtout  employé  pour 
désigner  la  jonction  du  mâle  et  de  la  femelle  dans  l'acte 
de  la  génération.  L'accouplement  est  particulier  aux  ani- 
maux, sans  être  commun  à  tous,  plusieurs  de  ceux  qui 
sont  situés  aux  derniers  degrés  de  l'échoUe  zoologique 
offrant  un  autre  mode  de  reproduction.  L'attrait  d'une  vo- 
lupté irrésistible  invite  à  l'exercice  de  la  fonction  génitale. 
L'homme  a  cet  avantage  sur  les  animaux,  que  non-seule- 
ment le  plaisir  de  l'amour  paraît  pour  lui  plus  vif  et  plus 
durable,  mais  que  seul  il  a  la  prérogative  de  pouvoir  s'ap- 
procher en  tout  temps  de  sa  compagne,  et  de  la  féconder 
sous  toutes  les  latitudes  et  dans  toutes  les  saisons,  tandis 
que  les  animaux  ne  s'accouplent  qu'à  cerfaineû  époques  de 
l'année,  et  perdent  souvent  dans  des  climats  qui  leur 
sont  étrangers  la  faculté  de  se  reproduire.  La  durée  de  l'ac- 
couplement est  très-variable.  Spailanzani,  dans  ses  belles 
expériences  sur  la  génération,  a  vu  le  mâle  de  la  grenouille 
rester  sur  sa  femelle  quatre,  huit  et  dix  jours  consécutifs. 
L'exemple  de  ces  fécondations  prouve  aussi  que  l'intro- 
mission n'a  pas  toujours  lieu.  C'est  au  dehors,  et  à  mesur.; 
qu'ils  sortent  des  organes  sexuels  de  Ja  femelle,  que  le 
mâle  répand  sur  les  œufs  la  liqueur  séminale.  En  général, 
l'accouplement  ne  s'opère  qu'entre  individus  de  même  es- 
pèce, circonstance  précieuse  aux  ualuralistes  pour  distinguer 
des  races  séparées  seulement  par  des  caractères  équivoques. 
Quand  le  contraire  arrive,  ou  la  copulation  est  inféconde, 
ou  le  produit,  comme  on  l'observe  pour  les  mulets,  est 
condamné  à  la  stérilité.  D""  Delasiauve. 

ACCOURSE.  On  appelle  ainsi  les  trois  passages  qu'on 
laisse  à  fond  de  cale  dans  un  vaisseau,  et  qui  sont  distribués 
dans  toute  la  longueur,  un  au  milieu  et  un  sur  chaque  côté, 
de  manière  à  ce  qu'on  puisse  se  transporter  d'une  extrémité 
à  l'autre,  de  la  poupe  à  la  proue,  et  parcourir  tout  le  bor- 
dage  intérieur.  —  En  architecture  le  mot  flccoîirse  s'entend 
d'une  galerie  extérieure  qui  sert  à  établir  des  conimunica- 
tions  entre  plusieurs  appartements. 

ACCRA  ou  ANKRAM,  petit  royaume  de  la  Nigrifie 
maritime  sur  la  Côte  d'Or.  Il  est  divisé  en  trois  districts 
gouvernés  par  des  chefs  différents  qui  reconnaissent  l'auto- 
rité du  roi  d'Aquapim,  lui-même  tri  butaire  des  A  s  c  h  a  n  t  i  s. 
Le  royaume  d'Accra  est  fertile;  il  renferme  des  mines.  Ses 
habitants  sont  industrieux  et  portés  au  commerce.  Sa  capi- 
tale, Accra,  est  une  place  maritime  où  se  trouvent  plusieurs 
maisons  européennes.  Son  port  est  situé  au  fond  d'une 
baie  sûre.  On  trouve  sur  la  côte  d'Accra  le  fort  anglais  de 
James,  le  fort  hollandais  de  Crèvecœur  et  le  fort  de  Chris- 
tianborg,  chef-lieu  des  établissements  danois  sur  la  côte 
occidentale  d'Afrique.  L.  L. 

ACCRÉDITER  (du  latin  accredere,  croire,  se  fier  à). 
Les  États  étrangers  délivrent  aux  ambassadeurs  qu'ils  veu- 
lent faire  admettre  auprès  d'un  autre  État  ou  d'une  autre  cour 
des  lettres  de  créance  :  c'est  ce  que  l'on  nomme  flccredj^er. 
—  Cette  expression  est  employée  aussi  dans  le  commerce 
lorsqu'un  négociant  offre  sa  garantie  pour  une  somme,  déter- 
minée ou  non,  en  faveur  d'une  personne,  d'une  maison  de 
commerce  et  de  toute  autre  entreprise.  On  accrédite  un 
commissionnaire  auprès  d'une  maison  de  banque  pour  une 
somme  équivalente  aux  marchandises  qu'il  est  chargé  d'a- 
cheter. 

ACCRÉTION.  Voyez  Croissance. 

ACCROISSEMENT  (  du  latin  accrementum,  fait  de 
ad  augmentatif,  et  crescere,  croître).  En  algèbre  on  entend 
par  calcul  des  accroissements  celui  où  l'on  considère  les  rap- 
ports des  quantités  après  qu'elles  sont  formées,  c'est-à-dire 
des  quantités  finies,  au  lieu  des  quantités  infiniment  petites. 

Dans  le  langage  de  la  jurisprudence  on  appelle  droit 
d'accroissement  la  dévolution  faite  par  la  loi ,  à  un 
héritier  ou  légataire,  de  la  portion  de  son  cohéritier  ou 

11 


82 


ACCROISSEMENT  —  ACCUSATION 


Cùlégalaiie  qui  y  renonce  tu  ne  peut  la  recueillir.  Comme 
Je  droit  (t\tccruiss('inc>it  n'est  appiicible  que  dans  le  cas  où 
le  legs  a  été  fait  à  plusieurs  conjointement,  les  difficultés 
qui  s'élèvent  consistent  à  savoir  si  les  let^s  ont  été  faits  dans 
ces  conditions,  c'est-à-dire  conjointement.  Les  articles  10'»'» 
et  1045,  qui  règlent  cette  matière,  donnent  lieu  ,  par  leur  ré- 
daction peu  claire,  à  une  foulededinicultés  dans  l'application. 
i;n  liistoirc  naturelle  V accroissement  représente  Tidce 
dune  augmentation  de  niasse  dans  une  matière  quelconque; 
rt  il  s'opère  de  deux  manières  générales  dans  la  nature  : 
par  voie  d'assimilation,  ou  par  voie  d'agrégation.  Vaccrois- 
sèment  par  assimilation  est  celui  qui  a  lieu  dans  les  ma- 
tières organisées.  Un  jeune  animal,  une  plante  qui  vient  de 
naître,  en  prenant  ultérieurement  une  nourriture  abon- 
dante ,  ou  en  absorbant  par  des  vaisseaux  séreux  les  sucs 
nourriciers  de  la  terre,  s'accroissent  par  une  force  intérieure 
([ui  dilate,  agrandit  et  grossit  tous  leurs  organes,  dans  toutes 
leurs  dimensions,  jusqu'à  un  point  déterminé  qu'ils  ne  peu- 
vent outrepasser.  Sans  qu'il  y  ait  anomalie ,  cet  accroisFC- 
ment  jieut  arriver  à  son  point  le  plus  liant,  ou  s'arrêter  très- 
bas;  il  en  résulte  les  variétés  appelées  géaîits  et  nains. 
L'accroissement  par  agrëyation  est  celui  qui  a  lieu  dans 
les  matières  brutes  et  inorganiques,  par  l'adliéreuce  à  l'ex- 
térieur de  diverses  molécules  venant  s'attacher  autour  d'un 
noyau,  d'une  molécule  primitive. 

ACCUiVI  (Frédlric),  né  à  Buckebourg  (Westphalic 
prussienne),  en  1"C9,  vint  à  Londres  en  1793,  et  y  ouvrit  dos 
cours  de  cliiuiie  et  de  |ili}siq«e  expérimentale.  En  1801  il 
devint  professeur  de  cliimie  etd'i  minéralogie  à  l'Institution 
Surrey.  11  s'associa  un  riche  marchand  d'estampes  allemand, 
établi  à  Londres,  Rodolphe  Ackermann,  pour  l'entreprise 
de  l'éclairage  général  par  le  gaz,  et  c'est  à  son  grand  ouvrage 
sur  cette  m-Atitre  {À  practical  Treatise  on  Gas-lights ),  qui 
eut  quatre  éditions  successives,  que  l'on  doit  surtout  attribuer 
la  rapide  extension  de  l'éclairage  au  gaz  à  Londres  et  dans 
toutes  les  grandes  villes  d'Angleterre.  Plus  tard  il  publia  un 
traité  de  chimie  pratique  fort  estimé  en  Angleterre.  Placé 
comme  conservateur  à  la  bibliothèque  de  l'Iustitut-Royal, 
il  dut  renoncer  à  cet  emploi  par  suite  d'un  procès  en  dé- 
tournement de  plans,  cartes  et  gravures  qui  lui  fut  intenté  par 
les  chefs  de  cet  établissement ,  bien  qu'aucune  preuve  k'gale 
nepùtéfre  fournie conire  lui.  Accum  vécut  depuis  a  Berlin, 
où  il  obtint  d'autres  emplois,  et  où  il  mourut  en  1838. 

ACCUAIULATION.  On  accumule  lorsqu'on  ajoute 
l'une  à  l'autre  plusieurs  épargnes  pour  en  former  un  ca- 
pital, on  pour  augmenter  un  capital  qui  existe  déjà.  Aussi 
longtemps  que  les  accuiniUations  ne  sont  pas  employées  à 
la  production,  ce  ne  sont  encore  que  des  épargnes; 
lorsqu'on  a  commencé  à  les  employer  à  la  production ,  ou  à 
les  placer  en  des  mains  qui  les  emploient ,  elles  deviennent 
des  capitaux,  et  peuvent  procurer  les  profits  qu'on  retire 
d'un  capital  productif.  Les  produits  épargnés  et  accumulés 
sont  nécessairement  consommés  du  moment  qu'on  les  em- 
ploie à  la  production.  L'accumulation  ne  nuit  donc  pas  à  la 
consommation  ;  elle  change  seulement  une  consommation 
improductive  en  une  consommation  repioductive.  Quoique 
les  produits  iminafcriels  ne  paraissent  pas  susceptibles 
d'être  épargnés,  puisqu'ils  .sont  nécessairement  consommés 
en  môme  temps  que  produits,  cependant,  comme  ils  peuvent 
être  consommés  reproductivement,  comme  ils  peuvent,  au 
moment  de  leurconsommation,  donner  naissance  aune  autre 
valeur,  ils  sont  susceptibles  d'accumulation.  La  leçon  que 
reçoit  un  élève  en  médecine  est  un  produit  immatériel;  mais 
la  consommation  qui  en  est  faite  va  grossir  la  capacité  de 
l'élève,  et  cette  capacité  iiersonnelle  est  un  fonds  productif, 
une  espèce  de  capital  dont  l'élève  tirera  un  profit.  La  valeur 
des  leçons  a  donc  été  accumulée  et  transformée  en  capital. 

J.-B.  Sav. 
ACCURSE  ou  ACCORSO.  Famille  «le  jurisconsultes 
bolonais.  François  Accirse,  professeur  de  droit  à  Bologne, 


naquit  à  Bagnuola ,  piès  de  Florence,  en  1 182.  Il  fut  le  pre- 
mier qui  réunit  en  un  corps  d'ouvrage,  sous  le  titre  de  Glossa 
ordinaria,  toutes  les  discussions  et  décisions  éparses  des 
jurisconsultes  ses  prédécesseurs.  Boileau  n'a  pas  rendu  jus- 
tice à  son  mérite  quand  il  s'est  égayé  dans  le  Lutrin  à  ses- 
dépens ,  en  disant  : 

A  riiislaiit  il  saisit  un  vieux  in-forliat 
Grossi  des  visions  d'Accursc  cl  d'Aleiat. 

Accurse  mounit  à  Bologne,  entre  1259  et  12G3.  Toute  sa 
familie  se  livra  à  l'élude  des  lois.  Sa  fille  elle-même,  remar- 
quable par  une  grande  érudition,  fit  des  cours  de  droit  romain 
à  l'université  de  Bologne.  —  François  Accurse  ,  lils  aîné 
du  précédent,  né  en  1225,  professa  le  droit  à  Bologne,  avec 
une  réputation  si  extraordinaire,  qu'Edouard  V'^,  roi  d'An- 
gleterre ,  l'attira  dans  ses  États.  François  quitta  sa  patrie, 
malgré  la  défense  du  gouvernement  de  Bologne,  qui,  fier  de 
posséder  un  savant  si  distingué,  voulait  le  retenir.  Il  alla 
enseigner  le  droit  à  Toulouse,  puis  à  Oxford.  Mais  il  revint 
à  Bologne  vers  1280,  et  on  lui  rendit  sa  chaire  et  ses  biens, 
qui  avaient  été  confisqués.  11  mourut  en  1293.  —  Cervot 
Accurse,  frère  du  précédent,  eut,  comme  son  père,  la  passion 
de  l'étude  ;  docteur  avant  dix-sept  ans,  il  enseigna  le  droit  ; 
mais  ses  gloses,  connues  sous  le  nom  de  Glossx  Ccrvotianse, 
font  peu  estimées. 

Un  autre  Accorso  {Marie- Ange),  favori  de  Charles- 
Quint,  musicien,  poète,  critique  et  antiquaire,  était  né  à 
Aquila  dans  le  seizième  siècle.  Ses  diatribes  sur  les  auteurs 
anciens  (Rome,  1524,  in-fol.)  donnèrent  une  preuve  de  son 
savoir.  On  l'accusa  néanmoins  de  s'être  approprié  le  travail 
de  Fabricio  Yarano  sur  Ausone.  Accorso  publia  à  Augsbourg^ 
en  1533,  un  Ammien  Marcellin  plus  ample  de  cinq  livres. 
On  lui  doit  aussi  la  première  édition  des  œuvres  de  Cassio- 
dore.  — Pendant  la  révolution  romaine  de  1849,  un  Michel 
AccuRsi  fut  sous-secrétaire  d'État  au  ministère  de  l'inté- 
rieursous  le  triumvirat.  Arrêté  lors  de  l'entrée  des  Français, 
il  a  été  remis  en  liberté,  et  vécut  à  Paris. 

ACCUSATEUR  PUBLIC.  JNom  donné  en  France, 
sous  la  première  république,  aux  magistrats  chargés  du 
ministère  public  près  des  tribunaux.  Suivant  la  consti- 
tution de  1791 ,  le  pouvoir  judiciaire  dut  être  exercé  par  de? 
juges  élus  à  temps  par  le  peuple  et  institués  par  le  roi  ;  Yaccu- 
sateur  public  seul  était  nommé  par  le  roi.  Le  code  de  1795 
fit  nommer  l'accusateur  public  par  l'assemblée  électorale. 
Après  la  constitution  de  1799,  les  fonctions  d'accusateur 
public  près  d'un  tribunal  criminel  furent  remplies  par  de.~ 
commissaires  du  gouvernement,  qui  prirent  bientôt  le  titre- 
de  procureurs  impériaux. 

ACCUSATIF.  Voyez  Cas. 

ACCUSATION,  ACCUSÉ.  Dans  son  sens  le  plus 
général ,  le  mot  accusation  signifie  toute  imputation  d'un 
crime  ou  d'un  délit. 

Chez  presque  tous  les  peuples  de  l'antiquité,  l'accusation 
était  publique,  c'est-à-dire  que  tout  citoyen  avait  le  (U-oit 
d'en  accuser  un  autre.  A  Athènes ,  chaque  citoyen  avait  le 
droit  d'accuser  un  criminel;  mais  le  dénonciateur  était  sé- 
vèrement puni  s'il  succombait  dans  son  accusation;  s'il 
triomphait,  au  contraire,  il  avait  le  tiers  des  biens  confis- 
qués au  coupable.  A  Rome  le  droit  d'accusation  pouvait  être 
également  exercé  par  chaque  citoyen  ;  on  le  refusait  cepen 
dant  aux  femmes,  aux  impubèies,  aux  soldats,  aux  gens 
notés  d'infamie  et  aux  affranchis,  à  moins  que  ces  individus 
n'eussent  mi  intérêt  personnel  à  se  porter  accusateurs, 
comme,  par  exemple,  lorsqu'il  s'agissait  de  poursuivre  en 
ju.^tice  le  meurtrier  d'un  de  leurs  parents.  Sous  les  empe- 
reurs, le  rôle  d'accusateur  devint  si  infâme  par  ses  excès,  que 
les  Antonins  furent  obligés  de  décider  (pi'à  l'avenir  ce  mi- 
nistère serait  exclusivement  attribué  dans  chaque  procès  à 
une  personne  nommée  d'oflice  jiar  l'empereur  ou  par  le 
sénat.  Telle  est  l'origine  du  piincii)C  d'après  lequel  nous 


ACCUSATION 


83 


considi^rons  le  droit  d'accuser  comme  une  mat^istralure  pu- 
blique. Ce  principe,  bien  que  constamnienl  suivi  par  le  droit 
canonique,  ne  fui  cependant  admis  que  fort  lard  eu  l'rance 
par  la  jurisprudence  des  tribunaux  laïques. 

Sous  les  rois  des  deux  premières  races,  le  rôle  d'accusa- 
teur appartenait  au  seul  offensé,  ou  à  ses  |)arenls  s'il  était 
dans  l'inipossibilité  de  porter  lui-même  sa  plainte.  Mais  peu 
à  peu  celte  législation  se  modilia  ,  et  elle  réserva  exclusive- 
ment au  min  istère  pu  bli  c  le  droit  de  poursuivre  uu  cri- 
a)inel.  La  partie  civile  pouvait  seulement  conclure  à  des 
dommages-intérêts.  11  ne  resta  donc  plus  aux  particuliers 
que  le  droit  de  dénonciation,  simple  révélation  d'un 
crime  ou  du  nom  d'un  coupable.  Mais  l'accusateur  est  par- 
lie,  au  nom  de  la  société,  dans  l'accusatiou ,  tandis  que 
le  plaignant  n'y  ligure  tout  au  plus  que  conune  témoin  ou 
comme i)artie  civile. 

L'accusation  est  donc  aujourd'hui  l'action  intentée  et  sui- 
vie, au  nom  de  la  société,  par  le  ministère  public  devant 
«ne  cour  d'assises,  pour  l'application  de  la  peine  contre  un 
ou  plusieurs  individus  incriminés.  Dans  les  premiers  temps  de 
l'instruction,  comme  lorsque  les  faits  échappent  à  la  juridic- 
tion de  la  cour  d'assises,  l'accusation  reçoit  les  noms  d'in- 
culpation et  àe préven  tio  }i.  Dans  le  sens  légal  il  y 
a  seulement  accusation  quand  les  circonstances  paraissent 
suffisantes  pour  faire  présumer  un  crime,  et  qu'en  consé- 
quence le  renvoi  devant  la  cour  d'assises  est  prononcé  par 
la  cour  d'appel,  ^^ous  allons  exposer  la  marche  qu'a  tracée 
le  Code  d'Instruction  criminelle  : 

Sur  le  rapport  du  juge  d'inslr  net  ion.  les  magistrats 
chargés  de  l'instruction  première  examinent  dans  la  c  ham- 
bre  du  conseil ,  au  nombre  de  trois  juges  au  moins  ,  si 
le  fait  incriminé  est  de  nature  à  être  puni  de  peines  afilic- 
tives  ou  infamantes,  et  si  la  prévention  contre  la  personne 
poursuivie  est  suffisamment  établie.  Lorsque  les  juges  ou 
seulement  l'un  d'eux  sont  de  cet  avis,  ils  décernent  une  or- 
donnance de  prise  de  corps.  Les  pièces  sont  alors  envoyées 
au  procurenrgénéral  prèslacoiirimpériale.  Celui-ci  esttenu 
de  mettre  l'afluire  en  état  dans  les  cinq  jours  de  la  réception 
des  pièces,  et  de  faire  son  rapport  dans  les  cinq  jours  sui- 
vants au  plus  tard.  Pendant  ce  temps  la  partie  civile  ou  le 
prévenu  peuvent  fournir  tels  mémoires  qu'ils  estiment  con- 
venables :  une  section  de  la  cour  impériale  ,  spécialement  for- 
mée à  cet  effet,  et  que  l'on  désigne  ordinairement  sons  le 
nom  de  chambre  cV accusation  ou  des  mises  en  accusation, 
est  tenue  de  se  réunir  au  moins  une  fois  par  semaine ,  à  la 
chambre  du  conseil ,  pour  entendre  le  rapport  du  procureur 
général,  et  statuer  sur  ses  réquisitions.  Le  greffier  donne 
lecture  de  toutes  les  pièces  en  présence  du  procureurgénéral. 
Le  procureur  général  dépose  son  réquisitoire  écrit  et  signé, 
et  se  relire  ainsi  que  le  greffier;  la  cour  prononce  sans  en- 
tendre les  parties  ni  les  témoins.  Si  elle  n'aperçoit  aucune 
trace  d'un  délit  prévu  par  la  loi  ou  si  elle  ne  trouve  pas  des 
indices  suffisants  de  culpabilité,  elle  ordonne  la  mise  en  li- 
berté du  prévenu.  Dans  ce  cas  il  ne  peut  plus  être  recher- 
ché à  raison  du  même  fait ,  à  moins  qu'il  ne  survienne  de 
nouvelles  charges.  Alors  on  procède  de  nouveau  contre  le 
prévenu,  et  l'on  remet  en  question  s'il  y  a  lieu  de  pronon- 
cer l'accusation.  Les  juges  peuvent  ordonner,  s'ils  le  jugent 
convenable,  des  informations  nouvelles  ou  l'apport  des  piè- 
ces deconviction.  Lachambredesmises  en  accusation  statue 
également  sur  lesopi)Ositions  à  la  mise  en  liberté  du  prévenu 
prononcée  par  les  premiers  juges.  Si  elle  estime  que  le  pré- 
venu doit  être  renvoyé  «levant  un  tribunal  de  simple  police 
ou  de  police  correctionnelle,  elle  prononce  ce  renvoi,  et  indi- 
que le  tribunal  qui  doit  en  connaître.  Si  le  fait  est  qualifié 
crime  par  la  loi,  et  que  la  cour  trouve  des  charges  suffisan- 
tes pour  motiver  la  mise  en  accusation,  elle  ordonne  le  ren- 
voi du  prévenu  à  la  cour  d'assises.  Varrét  de  mise  en  ac- 
cusation doit  être  signé  par  chacun  des  juges,  au  noml)re  de 
cinq  au  moins.  Il  y  est  fait  liiention,  à  peine  de  nullité,  tant 


de  la  réquisition  du  ministère  public  que  du  nom  des  juges; 
l'ordonnance  de  prise  de  corps  s'y  trouve  jointe. 

Dans  tous  les  cas  où  le  prévenu  est  renvoyé  à  la  cour  d'as- 
si.ses,  le  procureur  général  est  tenu  de  rédiger  un  acte  d'aC' 
cusation,  où  il  expose  :  1°  la  nature  du  délit  qui  foinie  la 
base  de  l'accusation  ;  2°  le  fait  et  toutes  les  circonstances 
qui  peuvent  aggraver  ou  diminuer  la  peine.  Le  prévenu 
doit  y  être  dénommé  et  clairement  désigné.  L'acte  d'accusa- 
tion se  termine  ainsi  :  En  conséquence  N...  est  acctisé  d'a- 
voir cotnmis  tel  crime,  avec  telle  et  tflle  circonstance. 

L'arrêt  de  renvoi  et  l'acte  d'accusation  doivent  être  signi- 
fiés à  l'accusé;  il  lui  en  est  laissé  copie.  L'accusé  est  immé- 
diatement transféré  de  la  maison  darrêt  dans  la  maison  de 
justice  établie  près  la  cour  où  il  doit  être  jugé,  et  l'on  en- 
voie les  pièces  au  greffe  de  ladite  cour. 

Dans  les  vingt-quatre  heures  de  l'arrivée  de  l'accusé  à  la 
maison  de  justice,  le  président  ou  le  juge  délégué  interroge 
l'accusé,  et  l'interpelle  de  déclarer  le  choix  qu'il  a  fait  d'un 
conseil  pour  l'aider  dans  sa  défense.  S'il  n'a  pas  fait  choix 
d'un  défenseur,  le  président  lui  en  désigne  un  d'office  sur- 
le-champ,  à  peine  de  nullité  de  tout  ce  qui  suivrait.  Celte  dé-- 
signalion  est  comme  non  avenue,  et  la  nullité  ne  peut  pas  être 
prononcée  si  l'accusé  fait  ensuite  choix  d'un  conseil.  Le  con- 
seil doit  être  pris  parmi  les  avocats  ou  avoués  de  la  cour  im- 
périale ou  de  son  ressort,  à  moins  que  l'accusé  n'oblienne  du 
président  (h;  la  cour  d'assises  la  permission  de  prendre  pour 
conseil  un  de  ses  parents  ou  amis.  Le  juge  avertit  en  outre 
l'accusé  que,  dans  le  cas  où  il  se  croirait  fondé  à  former  une 
demande  en  nullité,  il  doit  faire  sa  déclaration  dans  les  cinq 
jours  suivants,  et  qu'après  l'expiration  de  ce  délai  il  n'y  se- 
rait plus  recevable.  Le  conseil  peut  communiquer  avec  l'ac- 
cuséaprès  son  interrogatoire.  11  peutaussi  prendre  communi- 
cation de  toutes  les  pièces  sans  déplacement  et  sans  retarder 
l'instruction.  La  loi  du  29  juillet  1849  défend  la  publication 
des  actes  d'une  procédure  criminelle  en  cours  d'instruction. 
Le  prévenu  et  le  ministère  public  peuvent,  dans  les  cinq 
jours  qui  suivent  l'interrogatoire,  se  pourvoir  en  cassation  con- 
tre l'arrêt  d'accusation,  mais  seulement  pour  cause  de  nullité 
ou  d'incompétence.  Pour  nullité  :  1°  lorsque  le  fait  imputé 
n'est  (las  qualifié  crime  par  la  loi;  2° lorsque  le  ministère 
public  n'a  pas  été  entendu  ;  3"  lorsque  l'arrêt  n'a  pas  été  rendu 
par  le  nombre  de  juges  fixé  par  la  loi.  Pour  incompétence  : 
l"  lorsqu'un  renvoi  aux  cours  d'assises  a  mal  à  propos  été 
ordonné;  T  lorsque,  sans  apprécier  les  indices  des  preuves 
à  la  charge  de  l'accusé,  ou  se  fondant  uniquement  sur  ce 
que,  suivant  eux,  le  fait  imputé  n'est  pas  un  crime,  ou 
bien  sur  ce  que  le  crime  impulé  est  couvert  par  la  prescrip- 
tion, par  la  chose  jugée ,  les  juges  déclarent  qu'il  n'y  a  pas 
lieu  à  suivre.  La  demande  en  nullité  doit  être  faite  au  greffe. 
La  cour  de  cassation  prononce,  toutes  affaires  cessantes,  sitôt 
les  actes  reçus. 

L'accusé  reçoit  copie  de  la  liste  des  témoins  que  le  pro- 
cureur général  veut  faire  entendre  contre  lui  ;  il  fait  de 
môme  délivrer  au  procureur  général  copie  de  la  liste  des  té- 
moins qu'il  veut  produire  pour  appuyer  sa  défense.  Enfin  on 
lui  notifie  la  liste  des  jurés.  En  cet  état  il  comparaît  libre  et 
sans  fers  devant  la  cour  d'assises,  d'abord  pour  concou- 
rir à  la  formation  du  tableau  des  douzejurés  qui  le  jugeront, 
et  pour  être  procédé  de  suite  avec  lui  à  l'examen  et  au  juge- 
ment des  différents  chefs  de  l'accusation. 

Lorsque  l'accusé  ne  peut  être  saisi,  on  procède  contre  lui 
de  la  même  manière i)ar contumace. 

Au  commencement  de  la  révolution,  la  première  consti- 
tution de  la  France  admit  un  jury  d'accusation.  L'art.  9 
du  chap.  V  de  la  constitution  de  1791  porte  que  «  en  matière 
criminelle,  nul  citoyen  ne  peut  être  jugé  que  sur  une  accu- 
sation reçue  par  des  jurés,  ou  décrétée  par  le  corps  législatif, 
dans  les  cas  où  il  lui  appartient  de  poursuivre  l'accusation. 
Apres  l'accusation  admise,  le  fait  sera  reconnu  ef  déclaré  par 
des  jurés.  »  Ce  second  jury  prenait  le  nom  de  jury  déjuge» 

II. 


84 


ACCUSATION  —  ACETABULE 


ment.  Cette  institution  resta  en  vigueur  tout  le  temps  de  la 
république,  et  la  constilulion  de  Tan  YIII  porte  encore  que 
.<  eu  inalicre  de  délits  emportant  peine  afllictive  ou  infamante, 
un  premier  jury  admet  ou  rejette  Paccusation;  si  elle  est  ad- 
mise, un  second  jun'  reconnaît  le  fait,  et  les  juges  formant  un 
tribunal  criminel  appliquent  la  peine.  »  J:n  Angleterre,  le 
grand  jury  fait  encore  les  fonctions  de  jury  d'accusation. 
Vouez  JCRY. 

ACÉPHALE  (du  grec  à.%z^a.lri,  sans  tête,  sans  chef; 
formé  de  à  privatif,  et  de  xeça).^,  tête).  On  qualifia  ainsi 
plusieurs  sectes  de  rËglise  (;!nétienne  qui  se  révoltèrent 
contre  leurs  cbefs  ou  supérieurs,  ou  qui  refusèrent  de  s'en 
donner  :  tels  furent  les  moines  monophysites  et  les  prêtres 
d'Egypte,  qui  ne  voulurent  plus  recomiaitre  le  patriarche 
Pierre  IMongus,  parce  qu'en  483  il  s'était  soumis  aux  déci- 
sions du  concile  de  Chalcédoine.  Us  se  divisèrent  bientôt 
en  trois  sectes,  qui  se  confondirent  parmi  les  autres  mono- 
physites. Les  flagellants  étaient  aussi  acéphales,  car, 
comme  secte,  ils  refusaient  de  reconnaître  un  chef. 

lin  histoire  naturelle,  Lamarck  avait  d'abord  donné  le  nom 
(^acéphales  à  une  classe  d'animaux  sans  vertèbies,  compre- 
nant tous  les  mollusques  privés  de  tète  ou  sans  tête  appa- 
rente. Plus  tard  ce  naturaliste  sépara  de  cette  classe  les 
cirrhipèdes  et  les  tuniciers.  £nlin ,  il  abandonna  la  dénomi- 
nation d'acéphales  pour  celle  de  conchifères.  Cuvier,  dans 
la  deuxième  édition  du  Règne  Animal,  conserve  la  déno- 
mination û'acc'phales  à  la  quatrième  classe  des  mollusques, 
qu'il  divise  en  deux  ordres  :  les  acéphales  testacés  et  les 
acéphales  sans  coquilles.  Le  premier  de  ces  ordres  est  com- 
posé de  tous  les  mollusques  bivalves,  jusques  et  y  compris 
l'arrosoir  ;  le  second  renferme  les  biphores ,  les  a.scidies,  les 
pyrosomes  et  genres  voisins. 

Dans  la  tératologie  on  désigne  sous  le  nom  d'acéphales 
les  monstres  qui  viennent  au  monde  sans  tête.  L'acéphalie 
est  beaucoup  plus  fréquente  chez  l'homme  que  chez  les  ani- 
maux. Pline  et  les  naturalistes  anciens  prétendaient  qu'il  y 
avait  une  nation  acéphale ,  qu'on  nommait  Blemmve. 

ACÉPIIALOCYSTES  (de  à  privatif,  xeçaXri,  tête, 
et  xOaTiç,  vessie),  entozoaires  ou  helmintlies  parasites , 
souvent  désignés  sous  le  nom  vague  d'hydatides.  Ce  sont 
des  vésicules  de  matière  albumineuse,  transparentes ,  rem- 
plies d'une  eau  très-claire ,  dépounues  de  tout  orifice  na- 
turel ,  se  reproduisant  par  gemmes ,  et  se  développant  au 
milieu  des  tissus  animaux,  avec  lesquels  elles  n'ont  aucune 
adhérence.  Une  question  fort  controversée  est  de  savoir  si 
les  acéphalocystes  sont  des  produits  morbides  ou  des  êtres 
circonscrits  jouissant  d'une  individualité  propre.  RLLeblond 
admet  sans  restriction  que  les  acéphalocystes  sont  des 
êtres  organisés,  dont  la  nature  animale  est  démontrée; 
c'est  l'opinion  de  Lacnnec,deM.  Cruveilliier,  deM.  Kulin. 
Les  causes  immédiates  qui  déterminent  le  dé\  eloppement  des 
aafplialocystes  sont  inconnues  ;  mais  on  a  reconnu  que  les 
tempéraments  lymphatiques ,  les  constitutions  affaiblies , 
certains  métiers  débilitants ,  des  demeures  humides  et  mal 
aérées,  disposaient  à  l'envahissement  de  ces  parasites  dan- 
gereux, et  favorisaient  leur  multiplication.  C'est  surtout 
dans  le  foie  que  se  développent  les  acéphalocystes,  qui  gê- 
nent alors  tantôt  la  digestion ,  tantôt  la  respiration.  Lors- 
qu'ils existent  dans  un  organe  peu  important ,  l'emploi  du 
bisloiiri  en  fera  justice.  Pour  tuer  les  acéphalocystes  on  a 
])réconisé  surtout  le  calomel  à  hautes  doses ,  pris  inté- 
rieurement et  sous  forme  de  frictions  locales. 

ACERBE  (du  latin  accr,  acre),  saveur  que  produisent 
certains  végétaux  amers  et  astringents  ;  elle  est  ordinaire- 
ment délerininée  par  la  présence  du  tannin  et  de  l'acide 
galli(iue.  Ce  goùl  tient  le  milieu  enlre  l'aigre,  l'acide  et 
l'amer.  11  appartient  surtout  aux  fruits  qui  ne  sont  pas  par- 
venus <»  leur  dernier  degré  de  maturité. 

ACERBI  (.\.-Giuseppe),  savant  voyageur  italien, 
était  né  à  Castel-Gofredo,  près  de  Mantoue.  11  passa  une 


partie  de  sa  jeunesse  à  Mantoue ,  et  y  apprit  la  langue  an- 
glaise. Lors  de  l'invasion  des  Français  dans  la  Lombardie , 
en  1798,  il  quitta  sa  patrie,  et  accompagna  H.  Bellotti,  de 
Brescia,  en  Allemagne.   En  1799  il  se  mit  à  parcourir  le 
Danemark,  la  Suède  et  la  Finlande.  A  Tornéo  il  rencontra 
le  colonel  Skiœldebrand,  peintre  de  paysage  distingue,  avec 
qui  il  arrêta  le  projet  d'un  voyage  au  cap  Nord.  11  fut  ainsi 
le  premier  ItaHcn  qui  eût  j)énétré  si  avant  dans  les  régions 
polaires.   A  son  retour  il  visita   l'Angleterre,  et  y  publia, 
en  1802  ,  une  relation  de  son  voyage.   Ce  livre  fut  traduit 
à  Paris  par  Petit-Badel,  et  parut  sous  ce  titre  :  Voyage  au 
cap  Nord,  par  la  Suède,   la  Finlande  et  la  Laponie,       > 
traduction  d'après  l'original  anglais,  revue,  sous  les  ijeux 
de  l'auteur,  par  Joseph  Vallée;  Paris,  1804  ,  3  vol.  L'au- 
teur l'avait  revu  en  effet ,  et  en  avait  effacé  quelques-uns 
des  passages  qui  lui  avaient  valu  une  critique  anière  de 
Thompson.  Saint-Morrys  l'attaqua  aussi  vivement.  Il  paraît 
effectivement  que  pour  la  Laponie  Acerbi  avait  largement 
puisé  dans  les  travaux  du  missionnaire  suédois  Canut  Leem. 
En   1818  Acerbi   fonda  à  Milan  la  Biblioteca  Jtaliana. 
Par  sa  critique ,  à  la  fois  profonde  et  spirituelle ,  ce  jour- 
nal exerça  une  certaine  influence  sur  les  écrivains  italiens 
contemporains.  Acerbi  y  combattit  vivement  les  prétentions 
vieillies  de  l'académie  de  la  Crusca  et  le  privilège  usurpé 
du  dialecte  florentin.  Ses  Considérations  sur  la  nouvelle  lit- 
térature italienne  obtinrent  beaucoup  de  succès.  —  Nommé 
consul  général  d'Autriche  en  Egypte  en  182G,  Acerbi  dut 
laisser  la  Biblioteca  Italiana  à  Gironi ,  bibliothécaire  de 
la  Brera,  ainsi  qu'aux  astronomes  Carlini  et  Fumagalli. 
Toutefois ,  il  continua  encore  plus  tard  à  fournir  à  ce  recueil 
quelques  articles  relatifs  à  l'Egypte.  La  précieuse  collection 
d'objets  d'histoire  naturelle  qu'il  recueillit  dans  ses  excursions 
jusqu'à  Fayoûm,  à  travers  la  basse  et  la  moyenne  Égj-pte, 
et  aussi  vers  la  mer  Rouge,  lui  permit  non-seulement  d'enri- 
chir son  musée  particulier ,  mais  encore  de  prouver,  par 
les  dons  importants  qu'il  fit  aux  collections  scientifiques  de 
Vienne,  de  Pavie,  de  Milan  et  de  Padoue  (  1836),  qu'il  pre- 
nait toujours  vivement  à  cœur  les  intérêts  de  son  pays.  Acerbi 
est  mort  dans  sa  ville  natale,  au  mois  de  septembre  184G. 

ACERBI  (Enrico),  célèbre  comme  professeur  de  cli- 
nique et  comraeécrivain  politique,  était  né  le  27  octobre  1785, 
à  Castano,  dans  le  Milanais;  il  mourut  le  5  décembre  1827, 
médecin  de  l'hôpital  de  Milan.  Son  coup  d'oeil  lucide  au 
lit  du  malade  et  son  éloquent  enseignement ,  rempli  d'étin- 
celles d'originalité  et  d'observations  ingénieuses,  et  toute 
l'amabilité  de  sa  personne,  attiraient  tellement  les  étudiants, 
que  les  salles  de  malades  se  trouvaient  d'elles-mêmes 
transformées  en  une  école  de  clinique.  Son  principal  ou- 
vrage a  pour  titre  :  Dottrina  teorico-pratica  dcl  morùo 
petecchiale  e  de'  contagj  in  génère.  Ses  Annotazioni  di 
medicinapratica,  qui  renlraînèrentdans  une  savante  polé- 
mique avec  Locatelli ,  jouissent  aussi  d'une  grande  réputa- 
tion en  Italie.  On  a  encore  de  lui  une  biographie  du  chirur- 
gien Monteggia  et  une  autre  d'Angelo  Poliziano.  Dès  sa 
jeunesse  il  s'était  également  livré  à  l'élude  de  la  poésie, et  il 
fut  l'un  des  rédacteurs  de  la  Biblioleca  Italiana. 

ACESCE\SE  (du  latin  acescere,  devenir  aigre  ;  fait  de 
acer,  aigre  ),  aigreur  spontanée ,  disposition  à  s'aigrir,  à 
devenir  acide.  Les  médecins  humoristes  donnaient  ce  nom 
a  une  sorte  d'altération  que  subissent  les  liquides  contenus 
dans  le  corps  vivant,  et  qui  se  reconnaît  extérieurement  à 
l'odeur  acide  de  l'air  expiré,  de  la  sueur  et  de  l'urine. 

ACETABULE  (en  latin  acefabulum),\&se:  à  mettre 
le  vinaigre ,  et  par  extension  toute  sorte  de  petits  vases  , 
puis  le  gobelet  de  l'escamoteur.  Chez  les  Romains  une 
mesure  de  capacité  ,  valant  le  quart  de  l'hémine  (0.0C8  de 
litre),  portait  aussi  ce  nom.  —  En  anatomie  on  donne  lenom 
à'ace'tabulc  à  une  cavité  articulaire  profonde,  (pii  reçoit  !a 
tête  d'un  os  pour  {'ovmer  une  enarthrose.  Ce  mot,  peu 
usité  aujourd'hui  dans  ce  sens ,  a  clé  remplacé  par  le  nom 


ACETABULE 

de  cavité  cotyloide.  —  Quelques  auteurs  ont  appelé  acéta- 
bules  les  lobes  ou  cotylédons  ilu  itlacenta  des  animaux 
ruminants.  —  On  a  encore  donné  le  nom  iVaccfabiile  on 
acctabulaire  à  un  genre  de  cryptogames  ou  algues  marines 
classé  à  tort  parmi  les  zoophytes ,  mais  rapporté  au  règne 
végétal  par  M.  Raffeneau-Delille,  qui  a  pu  étudier  ces  êtres 
équivoques  à  l'état  \ivant.  L'acétabule  ressemble  à  un  petit 
agaric  vert ,  demi -transparent ,  composé  d'un  stipe  creux 
et  d'un  disque  en  ombelle  un  peu  concave  ou  en  soucoupe. 

ACÉTAL  ou  ÉTIIER  OXYGÉNÉ.  Composé  d'é- 
ther  et  d'acide  acétique ,  qui  est  liquide ,  incolore  ,  trés- 
fluide,  et  dont  l'odeur  rappelle  celle  du  vin  de  Tokay.  On 
confond  souvent  l'acétal  avec  Yaldéhijde. 

ACÉTATE,  sel  résultant  de  la  combinaison  de  l'acide 
acétique  avec  les  bases.  Les  acétates  sont  généralement 
solubles  dans  l'eau  ;  une  chaleur  un  peu  intense  les  décom- 
pose ;  tous  cèdent  leur  base  à  l'acide  sulfurique.  Le  plus 
souvent  on  prépare  les  acétates  en  faisant  agir  l'acide  acé- 
tique directement  sur  les  bases  ou  les  carbonates.  Quelques- 
uns  s'obtiennent  par  double  décomposition.  Il  y  en  a  encore 
que  l'on  forme  en  traitant  les  métaux  eux-mêmes  par  l'acide 
acéticiue.  Parmi  les  acétates  nous  citerons  seulement  les 
suivants,  comme  méritant  une  mention  particulière  :  Vacé- 
tate  dépotasse,  autrefois  nommé  terre  foliée  de  tartre,  est 
un  sel  d'une  saveur  piquante,  qui  existe  sous  la  forme  de 
petites  paillettes  blanches  et  brillantes.  Très-déliquescent , 
aucun  autre  sel  peut-être  n'attire  plus  fortement  l'humidité. 
11  est  employé  en  médecine  comme  diurétique,  laxatif  et 
fondant.  —  V acétate  de  soude  est  un  sel  d'une  saveur 
amère  et  piquante,  qui  cristallise  en  longs  prismes  striés .  Il 
est  inaltérable  à  l'air.  L'eau  n'en  dissoat  que  le  tiers  de  son 
poids.  On  l'emploie  à  la  préparation  de  l'acide  acétique.  — 
Vacétate  d'ammoniaque,  ou  esprit  de  Mindercrus,  se  ren- 
contre ordinairement  à  l'état  liquide.  Il  est  incolore,  inodore, 
d'une  saveur  très-piquante.  Chauffé,  il  se  volatilise.  On  l'em- 
ploie en  médecine  comme  sudorifique,  stimulant,  antispas- 
modique, etc.  L'acétate  d'ammoniaque  existe  dans  l'u- 
rine jiourrie  et  les  liquides  chargés  de  substances  anhnales 
en  putréfaction.  —  Vacétate  d'alumine  est  employé  comme 
mordant  dans  la  fabrication  des  toiles  peintes.  C'est  un  sel 
liquide,  incristallisable ,  d'une  saveur  astringente  et  stjT)- 
lique.  Lorsqu'on  le  fait  évaporer,  il  perd  une  partie  de  son 
acide,  et  se  convertit  en  sous-acétate.  —  Vacétate  deper- 
oxijde  de  fer  est  liquide,  incristallisable,  de  couleur  bnine. 
Par  l'évaporation  il  se  change  en  sous-acétate  insoluble, 
susceptible  d'abandonner  tout  son  acide  à  l'eau  bouillante. 
On  l'emploie  comme  mordant  et  comme  matière  colorante 
dans  la  fabrication  des  indiennes.  —  Vacétate  de  plomb 
neutre,  ou  5e/  de  Saturne,  aune  saveur  sucrée,  puis  astrin- 
gente. Il  est  très-soluble  dans  l'eau  et  s'effleurit  à  l'air,  peut 
dissoudie  une  grande  quantité  de  protoxyde  de  plomb  ,  et 
former  ainsi  des  sous-acétates.  L'acétate  de  plomb  sert  à  la 
préparation  de  l'acétate  d'alumine,  à  la  fabrication  du  blanc 
de  céruse.  En  médecine  il  est  employé  comme  résolutif  et 
astringent.  —  Le  sous-acétate  de  plomb  se  présente  sous 
forme  de  lames  blanches,  d'une  saveur  sucrée  ;  doué  de  la 
réaction  alcahne,  il  est  moins  soluble  dans  l'eau  que  l'acé- 
tate. Tous  les  sels  neutres  le  précipitent  de  ses  dissolutions, 
en  formant  des  sous-sels  insolubles.  La  gomme,  le  tannin  et 
la  plupart  des  matières  animales  le  décomposent  également. 
Sa  dissolution  concentrée  porte  le  nom  di'extrait  desaturne. 
Étendue  d'eau  commune,  elle  devient  blanche,  et  forme  Veau 
végéto-minérale,  Veau  de  Goulard,  Veau  blanche,  em- 
ployée en  médecine  conmie  astringente,  résolutive  et  dessic- 
cative. Dans  l'eau  distillée  aérée,  sa  dissolution  donne  un 
précipité  de  carbonate  de  plomb.  —  Vacétate  neutre  de 
cuivre,  ou  verdet  cristallisé,  est  un  sel  qui  se  présente  en 
cristaux  rhomboïdaux  d'un  vert  bleuâtre,  d'une  saveur  styp- 
tique,  légèrement  efUorescents ,  et  solubles  dans  cinq  fois 
leur  poids  d'eau  bouillante.  L'acétate  de  cuivre  sert  à  la  pré- 


—  ACÉTIQUE  85 

paration  du  vinaigre  radical  ;  il  est  usité  en  peinture  et  en 
teinture.  Il  sert  à  donner  aux  objets  de  bronze  ou  de  laiton 
la  couleur  du  bronze  antique.  L'acétate  de  cuivre  est  très- 
vénéneux.  On  le  prépare  en  grand  à  Montpellier.  —Le  sous- 
acétate  de  cuivre  ou  vcrt-de-gris ,  qu'il  ne  faut  pas  con- 
fondie  avec  le  vert-de-gris  ou  carbonate  de  cuivre  qui  se 
forme  sur  les  vases  de  cuivre  exposés  à  l'humidité,  est  pul- 
vérulent, d'un  vert  pâle  tirant  sur  le  bleu.  Il  se  dissout  fa- 
cilement dans  l'acide  acétique ,  et  se  transforme  en  acétate 
neutre.  Il  est  employé  dans  la  peinture,  et  on  le  fait  entrer 
dans  une  foule  de  préparations  médicinales  usitées  à  l'exté- 
rieur. On  le  fabrique  en  interposant  des  couches  de  moût  de 
raisin  entre  des  lames  de  cuivre. 

ACÉTIFICATION,  transformation  de  l'alcool  en  vi- 
naigre ou  acide  acétique.  Elle  est  le  résultat  de  la  fermenta- 
tion acide. 

ACÉTIMETRE,  instrument  destiné  à  mesurer  la  force 
(lu  vinaigre. 

ACÉTIQUE  (Acide),  du  latin  acetum,  vinaigre.  Acide 
;iu  exi.^e  dans  le  vinaigre,  et  auquel  celui-ci  doit  ses 
'>ropriétés.  L'acide  acétique  est  (rès-répandu  dans  la  nature  : 
m  !e  rencontre  dans  un  grand  nombre  de  fruits  ;  il  existe,  à 
l'état  libre  ou  à  celui  de  combinaison,  dans  la  sève  des  végé- 
ir.ux;  il  se  tro.uve  aussi  dans  la  plupart  des  humeurs  ani- 
males, dans  le  lait,  dans  la  sueur,  dans  l'ur  ne,  etc.;  la 
fermentation  acide  et  la  fermentation  putride  lui  donnent 
naissance.  Il  se  produit  enfin  toutes  les  fois  qu'on  décompose 
par  la  chaleur  une  matière  végétale  ou  animale. 

L'acide  acétique  pur  et  concentré  est  d'une  odeur  acide 
spéciale,  forte  et  piquante  ;  sa  saveur  est  acre  et  brûlante, 
mais  elle  devient  aigrelette  et  agréable  lorsqu'on  étend  l'a- 
cide avec  de  l'eau.  Solide  jusqu'à  -\-  17°  cent.,  il  entre  en 
fusion  à  celle  température  et  forme  un  liquide  blanc,  d'une 
densité  de  1.06.  Il  bout  à  -1-  114"  cent.  Sa  vapeur  prend  feu 
par  le  contact  de  la  flamme.  Exposé  à  l'air,  l'acide  acétique 
se  volatilise  en  s'affaiblissant,  parce  que  la  partie  encore 
liquide  attire  l'humidité  amospliérjque.  H  s'unit  à  l'eau  en 
toute  proportion,  en  produisant  une  chaleur  sensible.  L'acide 
acétique  uni  à  l'eau  e.st  moins  susceptible  de  se  solidifier  par 
l'abaissement  de  la  température,  et  le  mélange  peut  restei 
liquide  à  quelques  degrés  au-dessous  de  0.  On  peut  se  servir 
de  la  congélation  pour  augmenter  la  concentration  de  l'acide, 
parce  que  les  parties  aqueuses  se  congèlent  les  premières. 

Selon  Berzelius,  l'acide  acétique  le  plus  concentré  est 
composé  de  85,11  d'acide  et  de  14,89  d'eau,  ce  qui  donne 
pour  l'acide  anhydre  5,822  d'hydrogène,  46,642  d'oxygène, 
il  47,536  de  carbone,  ou  6  volumes  d'hydrogène,  3  d'oxy- 
gène et  4  de  carbone,  d'où  sa  formule  C-^H^O'. 

Gerhard!  est  parvenu  à  isoler  l'acide  acétique  à  l'état 
anhydre.  Cet  acide  conserve  alors  la  forme  d'un  liquide  in- 
colore très-mobile,  très-réfringent,  et  doué  d'une  odeur 
rappelant  celle  de  l'acide  concentré  et  celle  des  fleurs 
d'aubépine.  Sa  densité  reste  la  même  que  celle  de  l'acide 
hydraté  ,  son  point  d'ébullition  monte  à  137''5;  il  tombe  au 
fond  de  l'eau  sans  s'y  mêler,  comme  une  huile  pesante,  et 
ne  s'y  dissout  que  par  une  vive  agitation  ou  par  l'action 
de  la  chaleur.  Son  équivalent  représente  deux  volumes  de 
vapeur. 

En  distillant  le  vinaigre  ordinaire  dans  des  alambics  étamés 
ou  dans  des  cornues  de  verre  ou  de  platine,  on  obtient  de  l'a- 
ciJe  acétique  très-étendu  d'eau  ;  quand  on  veut  avoir  de  l'acide 
concentré  il  vaut  mieux  décomposer  par  le  feu  un  acétate. 
L'acide  acétique  rectifié  ou  vinaigre  radical,  est  usité  en 
médecine  à  l'extérieur,  car  il  est  trop  irritant  pour  qu'on 
l'emploie  à  l'intérieur.  Son  administration  à  trop  forte  dose 
pourrait  causer  la  mort.  Comme  il  est  très-volatil,  on  en 
fait  respirer  la  vapeur  aux  personnes  toiiiliées  en  di'faiilance 
ou  en  syncope  ;  mais  il  faut  agir  avec  précaution,  p-u<e  qu'il 
peut  enllammer  ia  membrane  piluilaire.  Aussi,  pour  prévenir 
tout  accident,  on  en  imprègne  seulement  des  cristaux  de 


SG  ACÉTIQUE 

sulfate  (le  potasse  que  l'on  conserve  dans  des  flacons  et  qu'on 
vend  sous  le  nom  de  sel  de  vinaigre  ou  sel  d' Angleterre . 
Appliqué  sur  la  peau,  l'acide  acétique  en  détermine  la  rubé- 
faction ;  il  cause  même  le  soulèvement  de  l'épiderme.  On 
obtient  encore  l'acide  acétique  en  grand  par  la  distillation  du 
bois.  Étendu  de  huit  fois  son  poids  d'eau,  on  peut  en  former 
du  vinaigre,  (ju'on  aromatise  avec  un  peu  d'étlier  acétique. 

ACÉTO-DOLCE  (en  italien,  littéralement,  t'iHfliûrrc 
doux),  conserve  de  certains  fruits  et  de  petits  légumes 
confits  d'abord  dans  le  vinaigre,  et  auxquels  on  ajoute  un 
résidu  de  vin  nouveau  (pron  a  fait  bouillir  jusqu'à  sa  réduc- 
tion en  consistance  de  sirop.  On  cite  celui  qui  est  fait  avec 
des  quartiers  de  coing  et  du  moiU  de  raisin  muscat  auquel 
on  ajoute  un  peu  de  miel  de  Corse. 

ACÉTOXE,  ALCOOL  MÉSITIQUE,  ESPRIT  ou 
ÉTHEIl  PVRO-ACKTIQUE,  produit  de  l'art  qui  se  forme 
lorsqu'on  décompose  par  le  feu  un  certain  nombre  d'acé- 
tates. L'acétone  est  liquide  ,  incolore  et  très-limpide  ;  sa 
saveur,  d'abord  acre  et  brûlante ,  devient  ensuite  fraîche  et 
urineuse  ;  son  odeur  se  rapproche  de  celle  de  la  menthe  poi- 
vrée ,  mêlée  à  celle  des  amandes  amères.  Son  poids  spéci- 
fique est  de  0,'n.  Il  bout  à  55",6  cent.,  et  il  conserve  sa  li- 
quidité à  —  15°.  L'eau  ,  l'alcool  et  l'éther  le  dissolvent  en 
toutes  proportions.  L'acétone  est  formé  de  62,52  de  car- 
bone, de  t0,27  d'hydrogène,  et  de  27,21  d'oxygène;  ce 
qui  correspond  à  la  formule  C^H^O.  Pour  obtenir  l'acétone, 
on  distille  à  sec  de  l'acétate  de  chaux  ou  de  baryte ,  dont 
les  bases  retiennent  l'acide  carbonique ,  et  il  en  résulte  une 
liqueur  mélangée  d'acétone ,  de  quelques  produits  pyrogénés 
et  quelquefois  d'un  peu  d'acide  acétique  ;  on  purifie  en  di- 
stillant de  nouveau  sur  un  peu  de  chaux  vive. 

ACEVEDO  (FÉLix-ALVAitÈs),  général  espagnol,  l'un 
des  principaux  acteurs  du  drame  révolutionnaire  de  1820  , 
naquit  vers  la  fin  du  dix-huitièine  siècle  ,  à  Otero  ,  dans  le 
royaume  de  Léon.  Lors  de  l'invasion  de  sa  patrie  par  les 
armées  de  >'apoléon  ,  en  1808  ,  il  était  déjà  colonel.  11  se 
mit  alors  à  la  tète  d'un  régiment  de  volontaires,  et  se  dis- 
tingua par  son  zèle  patriotique  non  moins  que  par  sa  bra- 
voure. La  restauration  de  Ferdinand  VII  sur  le  trône  de  ses 
pères  ne  lui  valut  aucune  espèce  d'avancement ,  sans  doute 
parce  que  le  gouvernement  royal  le  soupçonnait  d'avoir 
embrassé  avec  trop  de  sincérité  les  principes  libéraux  ,  au 
nom  desquels  il  avait  résisté  à  l'invasion  étrangère.  L'in- 
surrection de  l'Ile  de  Léon  compta  tout  aussitôt  en  lui  un  de 
ses  plus  fermes  et  de  ses  plus  dévoués  soutiens.  Il  se  trou- 
vait alors  en  Galice ,  en  qualité  de  colonel  en  second  du  ré- 
giment de  Grenade  ;  il  lit  appuyer  par  les  troupes  placées 
sous  ses  ordres  rexplosion  populaire  que  provoqua  parmi 
les  habitants  de  la  province  la  nouvelle  du  mouvement  na- 
tional. JN'ommé  par  les  insurgés  de  la  Corogne  au  comman- 
dement général  de  la  province ,  il  accepta  ces  fonctions  sur 
le  refus  d'Espinosa ,  et  fit  proclamer  la  constitution  des 
certes  à  Santiago.  Il  ne  tarda  pas  à  chasser  les  troupes  en- 
core fidèles  à  la  cause  de  Ferdinand  de  toute  la  rive  gauche 
duMiuho,puis  fut  tué  à  ses  avant-postes,  à  Zadornelo  , 
le  8  mars  1 820  ,  au  moment  où  il  essayait  d(î  faire  embrasser 
parla  seule  force  de  la  persuasion  la  cause  populaire  aux 
troupes  royales  coumiandées  par  le  comte  deTorrejon.  Trois 
coups  de  fusil  tirés  sur  lui  à  bout  portant  interrompirent  cette 
patriotique  mais  intempestive  allocution. 

ACIIAB,  roi  d'Israël,  succéda  à  son  père  Amri,  vers 
l'an  918  avant  J.-C,  et  régna  vingt  ans.  A  l'instigation  de 
Jézabel ,  sa  femme,  il  éleva  un  temple  à  Baal ,  et  persécuta 
cruellement  les  prophètes.  Elie  dut  plusieurs  fois  le  me- 
nacer de  la  colère  céleste.  Adad,  roi  de  Syrie,  étant  venu 
assiéger  Samarie,  Achab  consentit  d'abord  à  traiter  ;  mais 
Adad  ayant  élevé  ses  prétentions,  les  anciens  du  peuple 
décidèient  Achab  à  rejeter  les  propositions  du  roi  syrien  : 
un  combat  fut  livré,  et  les  Israélites  remportèrent  la  vic- 
toire. Plusieurs  fois  Achab  tailla  en  pièces  l'armée  syrienne, 


—  ACUAÏE 

et  enfin  il  fit  .\dad  prisonnier  ;  mais  il  le  rétablit  dans  ses 
États.  Quelques  années  après,  Achab  s'empara  de  la  vigne  de 
Naboth,  qu'il  fit  mettre  à  mort.  Plus  tard  il  se  lia  avec  Jo- 
saphat,  roi  de  Juda,  et  tous  deux  allèrent  ensemble  faire  le 
siège  de  Ramolli  de  Galaad  ;  c'est  là  qu'une  flèche  vint  le 
percer  au  défaut  de  sa  cuirasse.  Il  mourut  le  soir  môme. 
Achab  avait  fait  élever  à  Samarie  un  palais  superbe,  qu'on 
ajjpelait  la  maison  d'ivoire. 

ACH/EUS ,  fils  de  Xuthus  et  de  Creuse  et  petit-fils 
d'Hellen,  ayant  commis  un  meurtre,  se  retira  de  Tliessalie 
en  Argolide  avec  une  peuplade  d'Hellènes ,  qui  prirent  de 
lui  le  nom  d'Achéens. 

ACIIAIE.  On  nommn  d'abord  ainsi  une  portion  de  la 
Plithiolide  ,  en  Thessalie,  dont  le  chef-lieu  était  Alos,  où 
régna  Acht-eus,  et  d'où  sortirent  les  Achéens.  Ensuite  ce 
nom  fut  celui  d'une  région  du  Péloponnèse,  qui  avait  pour 
bornes  l'Élide ,  l'Arcadie,  la  Sicyonie,  le  golfe  de  Corinthe  et 
la  mer  Ionienne.  Cette  contrée  s'appelait  primitivement 
Egialé  {Maritime)  :  conquise  par  les  Ioniens  vers  l'an  1430 
avant  J.-C,  elle  prit  le  nom  d'Ionie.  Elle  reçut  celui  d'A- 
chaïe  vers  1184,  lorsque  les  Achéens  Phthiotes  eurent 
expulsé  les  Ioniens.  L'Achaie  se  divisait  en  douze  petits 
États ,  dont  les  capitales  étaient  :  Dyme ,  Olenos,  Égire , 
Hélice,  Busa,  .Hgium,  Cérinée,  Léontium,  Patras,  Phères, 
Tritée  et  Pellène.  Ces  douze  villes  formaient  une  fédéra- 
tion qui  fut  le  noyau  de  la  célèbre  figue  achéenne.  Sous 
les  Romains,  après  la  prise  de  Corinthe,  l'an  146  avant  J.-C, 
on  comprit  sous  la  dénomination  générique  d'Achaïe  toute  la 
Grèce,  à  l'exception  de  la  Thessalie.  —  A  l'époque  des  croi- 
sades, il  y  eut  la  principauté  d'Achaie.  Nous  lui  consacrons  un 
article  particulier.  —  Dans  le  nouveau  royaume  de  Grèce 
l'Achaie  forme  le  gouvernement  situé  à  l'extrémité  nord- 
ouest  de  la  jMorée ,  et  est  bornée  au  nord  par  le  golfe  de 
Patras  et  de  Lépaiite,  au  sud-est  par  Corinthe  et  Kyllena, 
au  sud-ouest  par  l'Élide.  La  côte,  plate  à  l'ouest,  monta- 
gneuse à  l'est,  s'élève  avec  le  cap  Papa  (l'Araxos  des  an- 
ciens )  dans  la  direction  du  nord-ouest ,  et  au  loin  dans 
celle  du  nord  avec  le  cap  Drépanon.  Le  mont  Kalavryia 
remplit  le  sud  et  Test  avec  ses  prolongements  en  ter- 
rasses dans  la  direction  du  nord-ouest ,  offrant  de  temps 
à  autre  quelques  plateaux  remarquables,  par  exemple,  au 
nord,  le  Voida  (Panacheikon),haut  de  1,997  mètres,  età  la 
frontière  méridionale  l'Olocros  (le  pic  le  plus  élevé  des  monts 
Erymauthes  des  anciens),  haut  de  2,280  mètres,  dans  les 
flancs  duquel  prennent  leur  source  une  foule  de  petits  cours 
d'eau  allant  se  jeter  dans  la  mer,  entre  autres  la  Kameniza 
(  Peiros  )  à.l'ouest  et  la  Vostitza  (  Selinus  )  à  l'est.  A  l'excep- 
tion du  chef-lieu ,  P  a  t  r  a  s,  on  n'y  trouve  que  des  bourgades 
sans  importance ,  telles  que  Epano-.\chaia,  Kato-Achaia, 
le  château  de  .Morée  (  Rhion  ) ,  Vostitza  et  Diakopto.  Le  sol 
en  est  très-fertile ,  à  l'exception  des  districts  de  l'ouest,  et 
les  habitants  s'y  livrent  avec  profit  à  la  culture  de  la  vigne, 
de  l'olivier,  des  céréales  et  des  légumes  de  tout  genre.  Mais 
leur  commerce  maritime  est  singulièrement  déchu. 

ACIIAÏE  (Principauté  d').  On  comprenait  sous  ce  nom, 
pendant  les  treizième,  quatorzième  et  quinzième  siècles, 
cette  partie  de  l'empire  byzantin  située  au  midi  des  Ther- 
moj»yles  et  s'étendant  jusqu'à  l'extrémité  du  cap  Maléedans 
le  Péloponnèse,  en  y  joignant  plusieurs  iles  de  la  mer  Egée  et 
de  la  mer  Ionienne ,  et  qui ,  après  la  seconde  conquête  de 
Constanlinople  par  les  Fcancs,  fut  laissée  en  partage,  à  litre 
de  souveraineté  relevant  de  l'empire  latin ,  à  la  famille  des 
Ville-llardoin  deCliampagne.  Le  jeune  Geoffroi  de  Ville- 
Ilardoin,  neveu  de  notre  vieux  chroniqueur  le  maréchal 
héiéditaire  de  Champagne  et  de  Romanie,  Geoffroi  de  Ville- 
Hardoin,  avait  été  le  premier  conquérant  de  ce  pays.  A  son 
retour  d'un  pèlerinage  à  Jérusalem,  jeté  par  les  vents  dans 
le  port  de  Modon  en  Morée,  il  y  avait  appris  la  conquête  de 
Constantinople  pai-  ses  concitoyens,  et  s'était  entendu  avec  un 
i  seigneur  grec  établi  en  Morée  pour  se  partager  les  lambeaux 


ACIIAIK 


tic  rempile  grec  écroulé.  Pondant  qu'il  s'élablissait  de  son 
côto,  ayant  su  que  rainuv  tiiomplianto  des  Francs  arrivait 
aussi  en  Morée  par  le  nord  pour  en  prendre  possession,  il  se 
rendit  au  c<inip  des  croisés  francs,  y  retrouva  ses  amis,  ob- 
tint de  Boniface  de  Moutferrat,  roi  de  Salonique  et  de  Tlies- 
salie,  tous  les  pays  que  lui  et  ses  amis  pouvaient  conquérir 
de  ce  côté,  et  conunença  sur-le-chainji,  avec  son  ami  Guil- 
laume de  Cliami>-Lilte  le  Franc-Comtois,  la  conquête  com- 
plète et  l'établissement  féodal  du  pays.  Bientôt  Guillaume 
de  Champ-Litte,  reconnu  comme  prince  du  pays,  le  lui  laissa 
à  lui  seul  pour  retourner,  en  1509,  prendre  possession  de  son 
tiet  de  famille  de  Franche-Comté,  devenu  vacant  par  la  mort 
de  son  frère  aîné.  Le  jeune  Geo ff roi  prit  alors  à  son  tour  le 
titre  de  prince  d'Achaie,  distribua  tout  le  pays  en  fiefs, 
l'organisa  militairement,  et  y  introduisit  la  féodalité,  en  res- 
jiectant  toutefois  les  usages  locaux.  On  ponrv.it  à  la  dé- 
fense militaire  du  pays  par  la  création  de  hautes  barounies, 
dont  les  titulaires  avaient  le  droit  de  guerre  privée  et  le  droit 
de  haute  et  basse  justice.  Tous  firent  bâtir  des  forteresses 
dans  l'intérieur  et  sur  les  limites  de  leurs  baronnies,  et  quel- 
ques-uns firent  frapper  monnaie. 

La  plus  considérable  de  ces  hautes  baronnies  était  la  sei- 
gneurie, depuis  duché,  d'Athènes,  possédée  successivement 
par  les  maisons  françaises  de  La  Roche  et  de  Brienne ,  et 
plus  tard  par  la  maison  florentine  d  s  Acciajuoli  ;  puis  le 
duché  des  Cyclades,  appelé  aussi  de  la  Dodccanèse,  de  la 
mer  Egée  ou  des  Cyclades  ou  de  Naxie  ;  puis  le  comté  de 
Céphalonie  et  autres  îles  Ioniennes,  moins  Corfou ,  appar- 
tenant alors  aux  rois  de  Naples  et  à  leurs  descendant?,  les 
princes  d'Anjou-Tarente,  despotes  d'une  partie  de  TÉpire  ; 
puis  le  marquisat  deBodonitza,  dans  les  Thermopyles; 
puis  trois  baronnies  dans  l'île  d'Eubée,  et  en  Morée  la  baroimie 
de  Caritena,  donnée  à  la  maison  de  Brièrc,  alliée  aux  Yille- 
Hardoin  ;  puis  celles  d'Argos  et  de  Nauplie,  données  à  la 
maison  d'Enghien;  celle  de  Passava  dans  le  Magne,  donnée 
à  la  maison  de  Neuilly  ;  celle  de  Vostitza,  l'antique  .ilgium, 
où  se  rassemblèrent  les  chefs  grecs  pour  décider  de  l'entre- 
prise de  Troie,  donnée  à  la  maison  de  Charpigny  ;  celle  d'A- 
kova,  donnée  aux  Ronchères  ;  celle  de  Chalandrilzii,  donnée 
à  la  maison  de  La  Trémouille  ;  celle  de  Clarentza,  donnée 
à  une  fille  cadette  de  la  maison  de  Yille-Hardoin,  avec  k 
titre  de  duché,  qui  devint  ensuite,  à  dater  d'un  fds  d'E- 
douard III,  un  des  titres  des  princes  royaux  d'Angleterre  ; 
celle  d'Àrcadia  en  Messénie,  donnée  à  la  maison  des  châte- 
lains de  Saint-Omer  ;  celle  de  Calamata,  aussi  en  Messénie, 
donnée  en  apanage  à  la  maison  de  Yille-Hardoin  ;  puis  vin- 
rent bien  d'autres  seigneuries,  concédées  à  des  chefs  fran- 
çais, et  qui  eurent  plus  ou  nions  d'importance,  selon  les 
alliances  et  la  valeur  personnelle  des  seigneurs  titulaires,  à 
la  tète  desquels  siégeait  Geoffroi,  moins  comme  le  souverain 
que  comme  le  chef  de  ses  égaux.  Geoffroi  fut  à  la  fois  poète 
et  guerrier,  et  un  des  chevaliers  les  plus  brillants  de  cette 
époque  chevaleresque.  Il  mourut  vers  1220,  laissant  deux 
fils,  qui  possédèrent  successivement  la  principauté  d'Achaie. 

Geoffroi  II,  l'aîné,  épousa  Agnès,  fille  de  l'empereur 
Pierre  de  Courtenai  et  d'Yolande  de  Flandre,  et  sœur  des 
empereurs  Robert  et  Baudoin  II  de  Constantinople.  Sous  le 
règne  de  Geoffroi  F""  s'étaient  élevées  quelques  discussions 
avec  le  clergé  latin,  qui,  après  avoir  reçu  des  fiefs  à  titre  de 
senice  militaire  personnel,  refusait  parfois  de  prêter  les  ser- 
vices dus.  Geoffroi  II  prit  le  parti  de  saisir  leurs  revenus, 
à  l'aide  desquels  il  fit  bâlir  la  forteresse  de  Khlemoutzi  ou 
Castel-Tornèse,  qui  existe  encore.  Il  fut  pour  cela  excom- 
munié par  le  pape  ;  mais  l'affîire  s'arrangea  après  quelques 
années,  et  il  se  réconcilia  enfin  avec  l'Église,  ainsi  que  les 
antres  seigneurs  ses  vassaux,  qui  l'avaient  appuyé  dans  sa 
résistance.  En  témoignage  de  leur  réconciliation,  ils  firent 
bâtir  à  Athènes  une  fort  jolie  église,  appelée  aujourd'hui  le 
Catholicon,  sur  les  murs  extérieurs  de  laquelle  on  distingue 
quelques  armoiries  des  familles  franques. 


87 


Guillaume  J"  de  Ville-Hardoin ,  son  frère,  lui  suc- 
céda, vers  I2i6.  Il  acheva  la  conquête  des  forteresses  du 
pays,  et  fit  bâtir  lui-même  des  forteresses  importantes,  telles 
que  celle  de  Mistra,  à  une  lieue  de  la  Sparte  sntique  et  à 
une  lieue  et  demie  de  la  Lacédémone  byzantine.  On  voit  en- 
core à  Mistra  les  ruines  du  château-fort  bâti  par  Guillaume 
de  Yille-Hardoin.  Fait  prisonnier  en  l'an  1259,  dans  une 
grande  bataille  livrée  près  du  lac  de  Gastoria  aux  troupes 
de  Michel  Paléologue,  il  fut  transporté  en  Asie  ;  et  lorsqu'en 
1261  Constantinople  retomba  entre  les  mains  des  Grecs,  il 
fut  obligé  de  donner  pour  sa  rançon  à  Michel  Paléologue, 
en  1263,  la  forteresse  de  IMistra  et  deux  autres  forteresses, 
l'une  dans  la  Tzaconie  et  l'autre  dans  le  Magne,  qui  devin- 
rent ensuite  la  base  du  despotat  de  Mistra,  possédé  par  les 
empereurs  grecs.  Pour  se  donner  un  appui  contre  les  nou- 
veaux maîtres  de  Constantinople ,  Guillaume  de  Ville-Har- 
doin maria  sa  fille  à  un  fils  de  Charles  d'Anjou,  roi  de  Na-  ^ 
pies,  auquel  avait  été  substitué  par  l'empereur  Baudoin  II 
Ihommage  dû  par  les  princes  d'Achaie  aux  empereurs  de 
Constantinople.  II  mourut  vers  1278,  ne  laissant  que  deux 
filles,  et  il  fut  enterré  à  Andi-avida,  ainsi  que  son  frère  aîné 
et  son  père. 

L'aînée  des  filles  de  Guillaume  de  Yille-Hardoin ,  Isa- 
belle, qui,  du  vivant  de  son  père,  avait  épousé,  à  l'âge  de 
deux  ans,  Louis-Philippe  d'Anjou,  fils  de  Charies  d'Anjou, 
perdit  son  mari  cette  même  année  1278.  Elle  porta  en  1290 
la  principauté  d'Achaie  à  Florent  de  Hainaut ,  arrière- 
petit-fils  de  l'empereur  Baudoin  F^  Florent  de  Hainaut,  qui 
était  aussi  connétable  de  Naples  ,  ne  vécut  que  peu  d'an- 
nées. Isabelle  épousa,  à  Rome,  en  1300,  Philippe  de  Sa- 
voie ,  seigneur  de  Piémont ,  souche  des  pruices  de  Savoie- 
Achaïe,  qui  se  rendit  avec  elle  en  Achaïe.  Mais  les  soins  à 
donner  à  la  seigneurie  de  Piémont  ayant  rappelé  Philippe  et 
sa  femme  Isabelle  de  Yille-Hardoin  en  Savoie,  ils  laissèrent 
le  gouvernement  de  l'Achaïe  à  Mathilde  de  Hainaut,  fille 
du  second  mariage  d'Isabelle  avec  Florent  de  Hainaut  ;  et 
comme  elle  était  encore  mineure,  ils  la  marièrent  à  un  sei- 
gneur puissant.  Gui  de  la  Roche,  duc  d'Athènes ,  intéressé 
plus  que  personne  au  maintien  du  pays.  La  mort  de  Gui, 
en  1309,  amena  Mathilde  de  Hainaut  en  France,  et  le  roi  de 
France,  le  pape  et  le  duc  Eudes  de  Bourgogne  s'entendirent 
pour  la  marier  avec  Louis  de  Bourgogne,  devenu  ainsi 
prince  d'Achaie.  Tous  deux  partirent  en  1314  pour  la  prin- 
cipauté ,  où  ils  trouvèrent  de  grands  troubles.  Marguerite 
de  Yille-Hardoin ,  lille  cadette  de  Guillaume  P',  dame  de 
Clarentza  et  de  ]\Iata-Grifon,  avait  marié  sa  fille  unique  , 
nommée  aussi  Isabelle,  a  Ferdinand  de  Majorqiie,  fils  dn 
roi  Jacques  II  d'Aragon,  qui,  fort  des  succès  remportés  dans 
le  duché  d'Athènes  par  la  grande  compagnie  catalane,  vou- 
lait s'emparer  de  la  principauté,  et  qui  se  rendit  en  même 
temps  que  Louis  de  Bourgogne  en  Morée.  Tous  deux  mou- 
rurent en  1315.  La,main  de  Mathilde  de  Hainaut,  devenue 
veuve,  tenta  l'ambition  de  Jean  de  G  ravina,  fils  de  Charles  II. 
En  vain  Mathilde  voulut-elle  alléguer  un  mariage  secret 
avec  le  seigneur  de  la  Palisse ,  Jean  l'amena  devant  le  pape 
à  Avignon,  fit  proclamer  son  mariage  avec  elle,  puis  en- 
ferma sa  femme  au  château  de  l'Œuf  à  Naples,  en  s'empa- 
rant  du  titre  de  prince.  La  seigneurie  de  la  principauté  était 
alors  réclamée  par  Catherine  de  Valois,  impératrice  de 
Constantinople,  fille  de  Charles  de  Yalois  et  de  Catherine  de 
Constantinople,  et  femme  de  Philippe  de  Tarente.  Les  pré- 
tentions de  Jean  de  Gravina  furent  apaisées  moyennant  la 
cession  qu'on  lui  fit  du  duché  de  Duras  en  1334,  et  à  par- 
tir de  ce  jour  Catherine  de  Yalois,  impératrice  de  Constan- 
tinople, devint  aussi  princesse  réelle  d'Achaie.  Elle  alla  s'éta- 
blir en  personne  dans  le  pays.  Après  elle ,  son  fils  Robert 
continua  à  posséder  de  titre  et  d'effet  la  principauté  d'Achaie, 
où  il  résida  quelque  temps ,  ainsi  que  sa  femme  Marie  de 
Bourbon,  à  laquelle  il  laissa  la  principauté  d'Achaie  par 
testament.  Marie  de  Bourbon  gouverna  personnellement  la 


88 


ACIIAIE  _  ACHARD 


principauté  d'Acliaïe,  où  elle  résida  fréquemment,  et  sut  faire 
respecter  son  autorité  par  les  armes.  Kn  mourant ,  en  1387, 
à  Kajilcs,  elle  laissa  l'iiéritage  de  la  principauté  d'Acliaïe  à 
Louis,  duc  de  Bourbon,  son  neveu. 

Les  troubles  intérieurs  de  la  France  empêchèrent  toujours 
Louis  de  Bourbon  de  se  rendre  dans  sa  prbicipauté  de  Mo- 
rée  ;  il  y  envoya  cependant  à  deux  reprises  un  de  ses  che- 
valiers, nommé  Chastel-Morant,  et  reçut  l'hommage  d'al- 
légeance des  seigneurs  d'Achaie.  Mais  après  sa  mort ,  <:n 
1  ilO,  les  troubles  de  France,  augmentés  bientôt  par  les  dé- 
sastres de  la  bataille  d'Azincourt,  empêchèrent  les  héritiers 
de  Louis  de  Bourbon  de  songer  à  la  Morée.  Pendant  ce  temps 
les  désordres  augmentaient  dans  ce  pays.  Les  despotes  grecs 
de  Mistra  avaient  cherché  à  étendre  leurs  possessions,  tantôt 
par  des  alliances  avec  les  seigneurs  francs,  et  tantôt  par  la 
conquête.  Les  seigneurs  francs  ne  recevaient  aucune  nou- 
velle recrue  de  France.  Le  règne  de  la  maison  de  Tarente 
avait  amené  des  familles  napolitaines  et  ilorenlines,  telles 
que  les  Tocco  à  Céphalonie,  et  les  Acciajuoli  à  Athènes. 
Les  Génois  et  les  Vénitiens  avaient  cherché  à  y  prenthe  pied 
aussi,  dans  l'intérêt  à  la  fois  de  leurs  rivalités  de  commerce 
et  de  suprématie  politique  ;  et  aucune  main  n'était  assez  forte 
pour  faire  courber  toutes  ces  volontés  devant  une  seule,  afin 
de  faire  succéder  un  gouvernement  régulier  à  cette  anar- 
cl'.ie  féodale.  Le  peuple,  de  son  côté,  avait  été  plongé  dans 
iine  trop  grande  misère,  et  était  réparti  entre  trop  de  maîtres 
pour  pouvoir  constituer  une  unité  puissante.  Les  Turcs  ce- 
pendant devenaient  chaque  jour  plus  menaçants.  JLiities 
de  l'Asie  Mineure,  ils  avaient  fini  par  passer  la  mer,  et  s'é- 
taient emparés  de  Salonique.  Constantinople  fut  bientôt  cer- 
née par  les  forces  turques ,  qui  s'avançaient  de  Gallipoli 
par  terre  et  de  l'Asie  par  mer. 

L'Europe  chrétienne  était  trop  agitée  de  ses  propres 
querelles  pour  aller  au  secours  des  chrétiens  de  Grèce.  Le 
duc  Philippe  de  Bourgogne  seul  avait  manifesté  des  vel- 
léités chevaleresques  et  chrétiennes  ;  mais,  après  quelques 
brillantes  démonstrations,  il  était  resté  chez  lui.  Constan- 
tinople succomba  en  1453.  Les  provinces  grecques  situées 
au  midi  de  la  Thessalie  et  des  Thermopyles,  la  Morée  et  les 
Cyclades,  ne  pouvaient  se  défendre  plus  longtemps.  Tous 
les  chefs  francs  furent  obligés  de  quitter  le  pays,  et  leurs 
derniers  débris  se  réfugièrent  à  Corfou  et  à  S'aples.  Les 
frères  du  dernier  des  Conslanlins,  mort  lui-même  eu  com- 
battant bravement  sur  les  ruines  de  sa  capitale  conquise, 
cherchèrent  à  se  défendre  quelque  temps;  mais  leurs  propres 
dissensions  fraternelles  les  avaient  affaiblis,  et  fous  furent 
obligés  de  se  soumettre  ou  de  s'enfuir.  Thomas  Paléologue, 
despote  de  Mistra,  se  réfugia,  en  1461,  à  Corfou,  et  de  là  en 
Italie.  Mahomet  II  poursuivit  ses  conquêtes  en  Grèce  et  en 
Morée,  et  dès  14G8  le  croissant  s'élevait  triomphant  sur  les 
débris  des  villes  grecques  et  des  forteresses  franques  ,  et  la 
principauté  française  d'Achaie  n'était  plus  qu'un  souvenir 
liistorique.  Btcno.N. 

ACHAliVTRE  ( Nicolas -LoLis),  philologue  de  pre- 
mier ordre,  qui ,  sans  ses  habitudes  modestes,  serait  parvenu 
aux  iionneurs  littéraires,  se  contenta  de  travailler  pour  les 
libraires  et  d'enrichir  des  précieuses  élucubrations  de  sa 
plume  savante  les  ouvrages  de  certains  éditeurs ,  qu'il  laissa 
avec  une  généreuse  abnégation  jouir  de  leur  gloire  em- 
pruntée. 11  naquit  à  Paris,  le  17  novembre  1771,  et  fit 
ses  études  au  collège  d'Harcourt,  par  les  soins  et  aux  fiais  de 
l'abbé  Asseline ,  depuis  évêque  de  Boulognc-sur-Mer.  Une 
vocation  impérieuse  l'entraînait  dans  la  carrière  de  l'ins- 
truction, lorsque  les  événements  de  la  révolution  l'appe- 
lèrent sous  les  drapeaux.  Soldat  depuis  1793,  il  fut  fait  pri- 
sonnier en  179G  et  conduit  en  Hongrie.  De  retour  en 
France,  il  obtint  de  l'occupation  dans  une  imprimerie,  et 
de'int  le  correcteur  d'épreuves  le  plus  habile.  Il  conçut 
alors  l'idée  de  publier  des  auteurs  grecs  et  latins  avec  des 
notes  latines,  et  de  leur  donner  un  degré  de  correction  ca- 


pable de  ranimer  le  goût  des  bonnes  éditions  en  France. 
Les  travaux  de  M.  Achaintre,  appréciés  des  savants,  ont 
rendu  sa  réputation  européenne.  Sans  vouloir  parier  ici  de 
ses  différentes  éditions,  dont  on  peut  trouver  l'énoncé  dans 
la  France  Litléraïre  de  Quérard,  qui  n'apprécie  son  Ho- 
race, son  Juvénal  et  son  Perse?  On  lui  doit  aussi  une 
édition  du  Dictionnaire  de  Boudol  et  des  synonymes  latins 
de  Gardin-Dumesnil,  un  Cours  d'humanités  en  treize 
volumes,  et  enfin  la  première  édition  qui  ait  été  publiée  de 
V Histoire  de  la  Guerre  de  Troie  attribuée  à  Dyctis  de 
Crète.  M.  Achaintre,  mort  vers  Is'iO,  s'occupait  beaucoup 
d'inscriptions,  et  l'on  trouve  dans  le  Journal  des  Débats 
un  assez  grand  nombre  de  lettres  de  lui  sur  ce  sujet. 

ACIIiVNTI.  Voyez  Ascii antis. 

ACHAR,  hors-d'œuvre  composé  de  divers  fruits  des 
Indes  confits  dans  le  jus  de  citron  ou  le  vinaigre  avec  de  la 
moutarde  et  du  piment.  Ceux  de  Batavia  et  de  3Iaurice 
sont  renommés. 

ACIIARD  (François  Chaules),  naturahste  etcliimiste 
de  mérite,  né  le  28  avril  1754,  à  Berlin,  s'est  surtout  fait 
un  nom  par  ses  travaux  relatifs  au  perfectionnement  de  la 
fabrication  du  sucre  de  betterave.  11  reprit  en  effet  les  expé- 
riences de  Marggraf,  en  élargit  le  cercle,  et  fonda  plus  tard 
une  fabrique  complète  de  sucre  de  betterave,  à  laquelle  était 
jointe  une  école  spéciale.  11  fut  parlicuUèrement  secondé 
dans  ses  efforts  par  l'intérêt  que  le  roi  de  Prusse  prit  à  ce 
genre  d'industrie.  Ce  monarque  mit  même  à  sa  disposition 
le  laboratoire  de  l'Académie  des  Sciences  pour  qu'il  put  y 
continuer  ses  recherches.  Quoique  le  gouvernement  eût  fait 
publier  le  résultat  de  ses  expériences  en  1799  et  1800,  on 
n'en  fit  pas  l'application  dans  la  pratique.  Le  roi  lui  con- 
céda en  conséquence  la  terre  de  Cunern,  en  basse  Lusac«,  à 
la  charge  d'y  établir  une  fabrique  modèle.  Le  médecin  can- 
tonal Neubeck  fut  chargé  de  suivre  toutes  les  recherches  et 
expériences.  Achard  put  de  la  sorte,  grâce  à  la  protection  du 
roi,  continuer  encore  pendant  six  laborieuses  années ,  avec 
Neubeck ,  ses  efforts  pour  trouver  la  véritable  métiiode  de 
l'extraction  du  sucre,  et  bientôt  il  ne  fut  bruit  que  de  la  fa- 
brique de  sucre  d'Achard,  qui  dès  lors  eut  de  nombreux 
imitateurs.  En  1812,  par  suite  de  la  prospérité  dont  le  blo- 
cus continental  était  la  cause  pour  la  fabrique  de  Cu- 
nern ,  le  roi  de  Prusse  y  fonda  une  école  spéciale  pour  la 
fabrication  du  sucre  de  betterave.  Appelé  à  l'Académie  des 
Sciences  de  Berlin  en  qualité  de  directeur  de  la  classe  des 
sciences  physiques,  Achard  mourut  dans  cette  capitale,  le 
20  avril  1821.  Parmi  ses  écrits,  la  plupart  relatifs  à  la  bet- 
terave et  à  son  application  industrielle,  nous  citerons  :  De  la 
Fabrication  du  sucre  d'Europe  avec  la  betterave,  et  de 
celle  de  l'eau-de-vie,  du  vinaigre  et  de  la  chicorée  qu'on 
obtient  de  ses  débris  (3  vol.  ;  Leipzig,  1 809  ;  nouv.  édit.  1812) 
ACHARD  (Fr.ÉDÉRic),  acteur  et  chanteur  comique, 
naquit  à  Lyon  en  1810.  —  Jeune  enrore  et  ouvrier  tisseur 
aans  sa  ville  natale ,  où  ,  malgré  la  défense  de  ses  parents, 
il  fréquentait  plus  les  spectacles  que  la  fabrique  et  les  comé- 
diens que  les  canuts,  il  eut  un  soir,  au  théâtre  des  Céles- 
tins ,  l'occasion  de  remplacer  inopinément  un  acteur  qui  n'a- 
vait pu  jouer.  11  [ut  fort  applaudi,  et  cette  circonstance, 
jointe  à  une  vocation  naturelle,  décida  de  son  sort.  Il  s'en- 
gagea successivement  dans  les  troupes  de  Lons-le-Saulnier, 
de  Grenoble,  de  Lyon ,  et  il  était  à  Bordeaux  lorsque  ma- 
demoiselle Déjazet  vint  donner  quelques  représentations  dans 
cette  ville.  liUe  fut  frappée  de  toutes  les  qualités  du  jeune 
Achard ,  et  lui  facilita  un  engagement  au  théâtre  du  Palais- 
Royal  à  Paris.  Il  y  débuta  le  10  juillet  1834,  avec  un  grand 
succès,  dans  les  rôles  de  Llonnel  et  du  Commis  et  la  Gri- 
setle.  Doué  d'une  voix  fraîche,  claire,  mordante  dans  le 
couplet  de  verve ,  expressive  dans  la  romance,  Achard,  sans 
quitter  le  théâtre,  entra  comme  élève  au  Conservatoire,  et 
obtint ,  après  quehiucs  années  d'étude,  le  |ticmier  prix  de 
chant.  —  Par  la  franchise  et  la  gaieté  sentimentale  de  son 


ACHARD  —  ACHEM 


89 


jeu,  il  se  plaça  au  premier  rang  parmi  les  comiques  des 
petits  théâtres  de  vaudeville,  11  excellait  dans  la  chan- 
sonnette HJi;?jee.Achard  mourut  suhitemenl  à  Paris  au  mois 
d'août  18JG.  A.  Delafokest. 

ACHARD  (Loi'is-Amédék-Eucène),  romancier  français, 
est  néà  Marseille  en  avril  1814.  Destiné  d'abord  au  commerce, 
il  partit  en  1834  par  l'Algérie  où  il  concourut  à  la  fondation 
d'une  entreprise  agricole;  en  1835  le  préfet  de  l'Hérault  l'ap- 
pela près  de  lui  comme  chef  de  cabinet.  Après  avoir  donné 
quelques  articles  au  Sémaphore  de  Marseille,  M.  Achard 
vint  en  1838  à  Paris,  où  il  travailla  au  Verl-Vertfkl'Enlr'acfe 
et  au  Charivari.  Plus  tard,  il  publia  des  Lettres  parisien- 
nes, signées  Grimm,  dans  le  journal  l'Epoque.  En  1846  il 
accompagna  le  duc  de  Monlpensier  en  Espagne  comme 
historiographe  des  fêtes  du  mariage  de  ce  prince  avec 
l'infante,  soeur  de  la  reine  Isabelle.  En  mai  1848  M.  Amédée 
Achard  fonda  le  Pamphlet,  journal  qui  cessa  de  paraître 
après  l'insurrection  de  juin.  Pendant  ces  tristes  journées, 
M.  Achard  eut  son  frère  tué  à  ses  côtés,  et  lui-même  fut 
fait  prisonnier  par  les  insurgés.  Capitaine  d'état-major  de  la 
garde  nationale ,  il  donna  sa  démission  lorsque  le  général 
Changarnier  perdit  son  commandement.  M.  Achard  tra- 
vailla ensuite  à  l'Assembléenationale.  Un  article  du  Cor- 
saire lui  attira  un  duel  avec  M.  Fiorentino,  qui  le  blessa 
grièvement.  En  1857,  le  Spectateur  eut  un  avertissement 
pour  un  de  ses  feuilletons.  Pendant  la  guerre  d'Italie  il  suivit 
les  mouvements  de  l'armée  française  et  envoya  au  Journal  des 
Débats  des  lettres  intéressantes  qui  ont  paru  séparément  sous 
ce  titre  :  Montebello,  Magenta,  Marignan,  lettres  d'Italie 
(1859).  Parmi  ses  romans  et  nouvelles  on  cite  Une  Arabesque 
(1840);  Belle-Rose  (1847);  Les  Petits-Fils  de  LovelaceilSài); 
Les  Châteauxen Espagne (1854);  LaRobede  Aessus (1854); 
Maurice  de  Treiiil  {ISbl );  Madame  Rose  (1857);  Le 
Clos  Pommier  (1857);  Parisiennes  et  Provinciales  (1857)  ; 
Brunes  et  Blondes  (1858);  Les  dernières  Marquises  (1857); 
Les  Femmes  honnêtes  (1857);  L'Ombre  de  Ludovic {I8b8)  ; 
Les  Vocations  (1859);  La  Sabotière  (1859);  la  Famille 
Guillemot  (  1860).  Le  théâtre  lui  doit  :  Par  les  fenêtres 
(Gymnase,  1852)  ;  Souvenirs  de  voyage  (  Théâtre  Français, 
1853);  Souvent  femme  varie  (Odéon,  1854  )  ;  Les  Campa- 
gnes du  marquis  d'O  (théâtre  de  Bade,  1858);  le  Jeu 
de  Sylvia  (Vaudeville,  1859).  Enlin  il  a  donné  des  itiné- 
raires, UneSaison  àAix-les-Bains  (  1851)  ;  Bade  et  ses  en- 
virons (1858).  L.  LouvET. 

ACHARIUS  (Erik),  naturaliste  suédois,  né  le  10  oc- 
tobre 1757,  à  Gelle,  mort  le  13  août  1819,  à  Wadstena,  fit 
ses  études  à  Upsal,  où  il  suivit  les  leçons  de  Linné.  Plus 
tard  il  se  rendit  à  Stockholm,  où  l'Académie  des  Sciences 
le  chargea  de  dessiner  divers  objets  d'histoire  naturelle. 
Reçu  docteur  en  médecine  à  Lund,  en  1782,  il  pratiqua  son 
art  en  Scanie  jusqu'en  1789.  Nommé  alors  médecin  pro- 
vincial à  Wadstena,  il  conserva  jusqu'à  sa  mort  cet  emploi, 
auquel  était  attaché  le  titre  de  professeur.  Les  lichens 
furent  spécialement  l'objet  de  ses  recherches.  On  cite  en- 
core sa  Lichenographia  univer salis  (Gœltingue,  1810) 
et  sa  Synopsis  methodica  lichenum  (  Lund,  1813  ).  Son 
nom  a  été  donné  par  les  botanistes  à  plusieurs  plantes.  Il 
laissa  un  herbier  composé  de  plus  de  onze  mille  espèces  ; 
l'université  d'IIelsingfors  acheta  sa  collection  de  lichens. 
ACHATE.  Compagnon  d'Énée,  dont  l'amitié  fidèle  a 
passé  en  proverbe. 

ACHAZ,  roi  de  Juda,  fils  de  Jonathan,  monta  sur  le 
trône  à  l'âge  de  vingt  ans,  l'an  du  monde  3162,  avant 
J.-C.  738.  Suivant  l'exemple  des  rois  d'Israël,  il  érigea 
des  statues  au  dieu  fiaal  et  aux  autres  divinités  des  Ca- 
nanéens; il  leur  consacra  même  son  propre  fils.  Pendant 
son  règne,  Rasin ,  roi  de  Syrie,  et  Phacée ,  roi  d'Israël, 
vinrent  assiéger  Jérusalem,  sans  pouvoir  la  prendre;  mais 
pendant  deux  ans  ils  ravagèrent  le  royaume.  Achaz  appela 
à  son  secours  Téglatphalasar,  roi  d'Assyrie,  qui  accourut 

BICT.    DE   LA   CO.NVERSATION.    —   T.    I. 


avec  une  forte  armée ,  prit  Damas ,  (ua  Rasin ,  et  enleva 
les  tribus  de  Gad,  de  RubL>n  et  la  demi-tribu  de  Manassès. 
Achaz,  jugeant  que  les  dieux  de  Syrie  lui  étaient  plus 
favorables  qtie  le  Dieu  d'Israël,  se  mit  à  piller  la  maison  du 
Seigneur,  qu'il  ferma  ensuite;  puis  il  fit  dresser  des  autels 
profanes  sur  toutes  les  places  de  Jérusalem  et  dans 
toutes  les  autres  villes  de  Juda.  Il  mourut  après  seize  ans 
de  règne.  L'Écriture  rapporte  à  son  temps  l'érection  d'un 
cadran  solaire  ou  gnomon. 

ACHE,  plante  de  la  famille  naturelle  des  ombellifères. 
Anacréon  et  Horace  l'ont  célébrée  comme  l'âme  des  festins, 
et  les  Grecs  s'en  servaient  pour  faire  les  couronnes  données 
aux  vainqueurs  dans  les  jeux  néméens  et  isthraiques.  Ce- 
pendant Suidas  nous  apprend  qu'elle  était  aussi  employée 
dans  les  cérémonies  funèbres,  probablement  à  cause  de  la 
sombre  teinte  de  son  feuillage.  Modifiée  par  la  culture,  l'acAe 
odorante  est  devenue  le  céleri.  A  l'état  sauvage.  Vache 
orforon^e  contient  une  forte  quantité  d'acide  volatil  ;  elle 
est  employée  en  médecine  comme  excitant. 

ACHÉEI\]\E  (  Ligue).  On  a  donné  ce  nom  à  la  confé- 
dération formée  parquelques  villes  de  l'A  chai  e,  et  dans  la- 
quelle entrèrent  les  principales  villes  du  Péloponnèse,  lors- 
que, l'an  284  av.  J.-C,  les  Achéens  tentèrent  de  secouer  le 
joug  sous  lequel  ils  vivaient  depuis  la  conquête  de  la  Grèce 
par  les  rois  de  Macédoine.  Pendant  cent  trente-huit  ans  la 
ligue  achéenne,  dirigée  parAratusetPhilopœ  men,se 
rendit  redoutable  et  conserva  l'indépendance  de  son  pays. 
Elle  combattit  longtemps  contre  les  Romains  pour  la  liberté 
de  la  Grèce;  mais  elle  fut  anéantie  par  le  consul  Mum- 
mius  après  la  prise  de  Corinthe,  l'an  146.  Voy.  Grèce. 

ACHEEIVS,  nom  d'une  peuplade  grecque  qu'Homère 
confond  sous  la  dénomination  commune  de  Grecs  avec  les 
Argivienset  les  Danaens.  Elletirait  son  origine  d'A  ch  ae  ùs , 
et  semble  avoir  abandonné  la  Thessalie  pour  venir  s'établir 
dans  le  Péloponnèse,  où  elle  fonda,  notamment  en  Argolide 
et  en  Laconie,  des  États  qui  au  temps  de  la  guerre  de 
Troie  étaient  les  plus  puissants  qu'il  y  eût  en  Grèce.  Ex- 
pulsés de  leur  territoire  par  les  Doriens,  vers  l'an  1104, 
les  Achéens  se  dirigèrent  d'abord  vers  la  côte  septentrionale 
de  la  presqu'île,  en  chassèrent  à  leur  tour  les  Ioniens,  qui 
l'habitaient,  et  donnèrent  le  nomd'Achaïe  à  ce  pays.  Sans 
avoir  beaucoup  de  relations  avec  les  autres  peuplades 
grecques,  ils  y  étaient  répartis  en  douze  villes,  où  à  la  forme 
monarchique  avait  bientôt  succédé  une  constitution  démo- 
cratique, et  unies  entre  elles  par  une  espèce  de  confédéra- 
tion, qui  ne  fut  dissoute  qu'à  l'époque  des  invasions  de  Dé- 
métrius,  de  Cassandre  et  d'Antigone.  Elle  fut  renouvelée, 
vers  l'an  280  avant  l'ère  chrétienne,  par  la  réunion  de 
quatre  des  anciennes  villes,  devenues  le  noyau  de  ce  qu'on 
appela  \ajigue  achéenne. 

ACHELOÛS ,  appelé  autrefois  Thoas,  et  aujourd'hui 
Aspropotamo,  le  plus  grand  des  fleuves  de  la  Grèce,  prend 
sa  source  dans  le  Pinde,  traverse  le  territoire  des  Dolopes, 
sépare  ensuite  l'Étolie  de  l'Acarnanie,  contrée  où  se  fixè- 
rent d'abord  les  Hellènes,  et  se  jette  dans  la  mer  Ionienne, 
à  l'endroit  où  commence  le  golle  de  Corinthe.  Les  rives  de 
ce  fleuve  sont  la  seule  contrée  de  Grèce  et  d'Europe  où  il 
y  ait  eu  jadis  des  lions.  Dans  la  fable  grecque,  Achélous 
apparaît  comme  un  célèbre  dieu  marin,  père  des  Sirènes, 
et  fils,  suivant  Hésiode,  de  l'Océan  et  de  "Thétis,  et,  suivant 
d'autres,  d'Hélios  et  de  Géa.  Il  disputa  à  Hercule  D  é  j  a  n  i  r  e, 
se  métamorphosa  pendant  le  combat  en  horrible  serpent, 
puis  en  taureau.  H -icule  lui  ayant  brisé  l'une  de  ses  cornes, 
Achélous,  tout  honteux,  se  réfugia  dans  les  ondes  de  son 
fleuve  ;  c'est  de  cette  corne  brisée  que  les  nymphes  firent, 
dit-on,  la  corne  de  l'Abondance. 

ACHEM  ou  ACHIM,  royaume  indépendant  de  l'île  de 
Sumatra,  qui  comprend  l'extrémité  septentrionale  de  cette  île 
et  s'étend  sur  la  côte  orientale  depuis  le  cap  i4c/jew  jusqu'au 
cap  Diamant.  Au  sud-est  il  confine  au  pays  des  Batlas.  Il 

12 


90 


ACHEM  —  ACHEULSE 


produit  de  l'or,  du  poivre,  du  bétel,  du  soufre,  du  cam- 
phre, dn  benjoin  et  de  la  soie.  Il  a  pour  capitale  Achem, 
ville  bâtie  sur  la  rivière  du  même  nom,  à  peu  de  distance 
de  la  mer,  et  qui  contient  liuit  mille  maisons  en  bambous, 
construites  sur  pilotis  pour  les  défendre  contre  les  inon- 
dations subites.  Avant  l'arrivée  des  Européens  aux  Indes, 
la  vaste  rade  formée  par  l'embouchure  de  la  rivière  d'Acliem 
dans  la  mer  était  très-fréquentéepar  les  marchands  arabes; 
et  vers  la  fin  du  seizième  siècle  les  habitants  du  pays  d'A- 
cliem étaient  encore  le  peuple  le  plus  puissant  de  la  Ma- 
laisie.  Leur  territoire  comprenait  la  plus  grande  partie  de 
la  presqu'île  de  Malacca  et  près  de  la  moitié  de  l'île  de 
Sumatra.  Leur  prépondérance  s'affaiblit  vers  le  milieu 
du  dix-septième  siècle.  Les  Portugais  et  les  nations  euro- 
péennes qui  ont  hérité  après  eux  du  commerce  de  l'Asie 
essayèrent  à  diverses  reprises  de  s'établir  dans  le  royaume 
d'Achem,  dont  la  belliqueuse  population  réussittoujoiirs  à  re- 
pousser la  domination  étrangère.  —  Les  Achexnais  obéissent  à 
un  sultan,  dont  l'autorité  est  héréditaire  ;  il  leur  arrive  cepen- 
dant assez  souvent  de  méconnaître  dans  la  transmission  du 
pouvoir  suprême  les  droits  de  l'ordre  de  primogéniture  en 
faveur  de  celui  des  fils  du  sultan  qui  paraît  le  plus  capable  de 
gouverner;  mais  de  là  aussi  de  fréquentes  et  désastreuses 
guerres  civiles.  —  La  langue  du  pays  d'Achem  est  un  mé- 
lange de  malais,  de  batta,  d'indoustanietdelalmoul.Lemaho- 
métisme,  observé  avec  une  sévère  exactitude,  est  la  religion 
des  habitants,  qui  se  distinguent  du  reste  de  la  population 
de  Sumatra  par  une  taille  plus  élevée,  un  teint  plus  basané, 
une  activité  et  une  industrie  plus  grandes,  une  intelligence 
plus  développée.  Ils  ont  des  manufactures  de  soie  et  de 
coton,  et  jusqu'à  des  fonderiez  de  canons;  leur  sol  est  d'une 
grande  fertilité  ,  mais  le  commerce  avec  les  étrangers  est 
resté  parmi  eux  un  monopole  en  faveur  du  sultan.  Le  pays 
d'Achem  est  divisé  en  un  grand  nombre  de  principautés 
gou vernies  par  des  radjahs;  les  plus  importantes  sont 
PécUr  et  Siiikel.  Pédir,  port  de  mer,  est,  dit-on,  la  seconde 
ville  du  rovaurae. 

ACHEÂIÈXES,  ACHEMÉMDES.  Achémènes  est,  se- 
lon quelques  énidits,  le  nom  grec  du  grand  Djemjid  du 
Zend-Avestn.  Fondateur  d'un  vaste  royaume,  qui  com- 
prenait l'Asie  antérieure,  l'Assyrie,  la  Syrie,  la  Médie,  la  Bac- 
îriane  et  la  Perse,  il  donna  son  nom  à  l'Achaîmenia,  contrée 
de  la  Perse  selon  Its  uns,  simple  tribu  suivant  les  autres, 
dont  les  familles  s'appelèrent  Achéménides.  Dans  la  suite , 
les  rois  de  Perse  portèrent  ce  nom  avec  orgueil.  Aché- 
mènes, premier  despote  des  Perses,  ne  fut  pas  moins 
célèbre  dans  l'antiquité  par  sa  puissance  que  par  ses  im- 
menses trésors,  contre  lesquels  le  bon  Horace,  à  ce  qu'il 
dit  dans  une  de  ses  odes,  n'eût  point  échangé  un  seul  des 
cheveux  de  Licymnie. 

ACI1ÉMÉ.\IDE,  fils  d'Adaraastus ,  pauvre  habitant 
d'Ithaque,  suivit  Ulysse  au  siège  de  Troie.  Le  héros,  fuyant 
sur  ses  vaisseaux  la  rage  de  Polyphème,  n'abandonna  pas 
son  compagnon  dans  l'antre  du  cyclope,  selon  l'expression 
lie  'V  irgile,  auquel  on  doit  cette  touchante  création  {Enéide, 
livre  m),  mais  l'oublia.  Achéménide  est  le  mythe  des  mi- 
sères humaines;  son  nom  signifie  douleur  de  fâme.  Tout 
décharné,  c'était  un  épouvantement,  une  forme  inconnue 
d'homme,  dit  le  sublime  poète,  qu'enveloppaient  des  lam- 
beaux rattachés  avec  des  épines.  Ce  fut  sous  cet  horrible 
aspect  qu'il  se  présenta  à  Énée,  débarqué  en  Sicile. Énée,  le 
pieux  Énée,  l'ami  de  Jupiter  hospitalier,  ne  put  retenir  ses 
larmes  à  la  vue  de  cet  infortuné,  qui  le  suppliait  de  lui  don- 
ner un  coin  obscur  dans  l'un  des  vaisseaux  de  sa  flotte  :  il 
le  recueillit,  quoique  Grec,  naguère  soldat  du  perfide  Ulysse, 
et  l'un  des  derniers  restés  sur  lecapSigée,  avec  le  fils  de 
Laerte,  à  contempler  la  fumée  de  Troie  en  cendres. 

ACHEXB.\CH  (André),  paysagiste  allemand,  né  à 
Cassel,  le  29  septembre  1815,  étudia  la  peinture  à  Dussel- 
dorf  sous  Scliirmer.  Il  a  obtenu  on  1855  une  médaille  de 


première  classe  à  l'exposition  universelle  de  Paris  pour  ses 
tableaux  :  Marée  haute  à  Osiende  ;  Vue  de  Corleone  en 
Sicile  ;  Mer  orageuse  stir  la  côte  de  Sicile;  Kermesse  en 
Hollande  par  un  clair  de  lune,  Paysage.  Ses  peintures 
d'architecture  ont  aussi  du  mérite,  et  ses  caricatures  ont 
de  la  vogue.  —  Oswald  AcnENBACn,  frère  et  élève  du  pré- 
cédent, né  à  Dusseldorf  en  1827,  peint  aussi  la  nature.  Il  a 
exposé  à  Paris,  en  1855  :  Soirée  d'automne  et  Pèlerins  se 
rendant  à  Rome;  en  1859  :  le  Môle  de  Naples.    L.  L. 

ACIIEiVWALL  (  GoTTFRiED  ),  le  créateur  de  la  statis- 
tique, né  à  Elbingen  Prusse,  le  20  octobre  1719,  fit  ses  études 
à  léna,  à  Halle  et  à  Leipzig,  et  se  fit  recevoir  docteur  en  1746 
à  Marbourg,  où  il  donna,  entre  autres,  des  leçons  publiques 
sur  la  statistique,  quoiqu'il  n'eût  alors  encore  qu'une  idée 
très-confuse  de  cette  science.  En  1748  il  se  rendit  àCœttin- 
gue,  où  il  ne  tarda  pas  à  être  nommé  agrégé.  En  1753  il  y  de- 
vint titulaire  de  la  chaire  de  philosophie,  et  en  1761  pro- 
fesseur titulaire  de  droit.  En  1751  et  1759  il  parcourut  avec 
une  subvention  du  gouvernement  la  Suisse,  la  France,  la 
Hollande  et  l'Angleterre.  Il  mourut  le  V"  mai  1772.  On  lui 
doit,  en  allemand  :  Éléments  de  statistique  des  princi- 
paux États  de  V  Europe  {il  k^)  ;  Esquisses  de  la  diplomatie 
européenne  (1756);  Principes  d'économie  politique  {il  &{) . 
—  Sa  femme ,  Sophie-Éléonore,  née  Walther  ,  était  une 
personne  d'une  rare  instruction.  Ses  poésies,  imprimées  en 
1750  sans  son  aveu,  la  firent  admettre  dans  les  sociétés 
littéraires  d'Iéna  ,  d'Helmstaedt  et  de  Goettingue.  Elle  prit 
aussi  une  part  importante  à  la  publication  des  Chefs-d'œu- 
vre des  Moralistes  anglais  et  allemands  (b  vol.,  Goettin- 
gue, 1751^). 

ACHÉROX,  nom  commun  à  divers  cours  d'eau  de 
l'ancien  monde,  par  exemple  de  la  Thesprotie,  de  l'Élideet 
de  la  Grande  Grèce.  Plusieurs  fleuves  de  ce  nom  avaient 
une  eau  noirâtre  et  saumâlre;  circonstance  qui,  siiivaut 
toute  apparence,  donna  lieu  de  croire  qu'elle  venait  di- 
rectement du  sombre  empire  de  Pluton.  Suivant  Pausa- 
nias,  ce  serait  à  l'Acliéron  de  la  Thesprotie  qu'Homère  au- 
rait emprunté  le  nom  de  son  fleuve  des  enfers,  oii  viennent 
se  jeter  le  Pyriphlégéton  et  le  Cocyte.  Il  y  avait  aussi  en 
Egypte  divers  fleuves  conduisant,  comme  celui-là,  dans  le 
monde  souterrain. 

Dans  la  mythologie  grecque,  Achéron  était  un  fils  du  So- 
leil et  de  la  Terre,  que  Jupiter  précipita  aux  enfers  pour 
avoir  fourni  de  l'eau  aux  Titans,  et  changea  en  un  fleuve  qui 
conserva  .son  nom.  Les  eaux  de  ce  fleuve  devinrent  bour- 
beuses et  amères.  C'était  un  des  fleuves  que  les  ombres 
passaient  sans  retour.  Caron  faisait  passer  l'Acliéron  dans 
une  barque  aux  âmes  des  morts  moyennant  un  droit  de 
passage,  pour  l'acquittement  duquel  on  plaçait  une  obole 
sous  la  langue  du  mort.  Il  n'y  avait  que  les  âmes  dont  les 
corps  avaient  reçu  la  sépulture  dans  ce  monde ,  ou  avaient 
été  au  moins  recouverts  d'un  peu  de  terre,  qui  pussent  être 
transportées  de  l'autre  côté  de  l'Acliéron  ;  sans  cela  elles 
étaient  forcées  d'errer  pendant  un  siècle  sur  ses  rives.  Les 
uns  font  venir  le  nom  de  ce  fleuve  de  l'égyptien  achon  Cha- 
ron  ,  marais  de  Caron  ;  d'autres  l'interprètent  par  fleuve  de 
la  Tristesse  ou  de  la  Douleur  (de  à  privatif,  et  y.aîpw,  je  me 
réjouis;  ou  d'âyo;,  douleur,  et  ^isiô^,  fleuve). 

ACHÉRONTIEKS  (Livres),  Les  Étrusques  appelaient 
ainsi  quinze  volumes  vraisemblablement  écrits  en  vers 
et  formés  des  paroles  recueillies  du  devin  Tagès.  Ces 
livres,  appelés  encore  livres  /«(/(^^iç'iiei,  enseignaient  l'art  de 
tirer  des  prédictions  de  toutes  sortes  d'événements,  et 
valurent  aux  augures  d'Étrurie  une  grande  réputation.  Les 
Étrusques  les  gardaient  avec  autant  de  soin  que  les 
Romains  les  livres  Sibyllins,  attribués  à  la  sibylle  de  Cumes. 
Il  ne  faut  pas  les  confondre  avec  les  livres  de  discipline 
dont  parle  Cicé.ron,  et  qui  étaient  beaucoup  moins  anciens* 

ACHÉRCSE  ou  LAC  AC HÉRO.NTIQUE .  Nom  de  divers 
lacs  ou  marais  situés  en  Thesprotie,  en  Argolide,  en  Campa- 


ACHERUSE  —  ACHILLINl 


91 


nie,  près  de  l'A  cliéro  n,  cl  tous  considérés  comme  étant  en 
communication  avec  les  enfers.  Un  lac  d'Egypte,  au  sud 
de  Memphis,  portait  aussi  ce  nom.  Dans  une  fie  de  ce 
lac  était  une  nécropole  où  les  morts  n'étaient  admis  qu'a- 
près une  sorte  de  jugement. 

ACHÉRY  (Dom  Jean-Lic  d'),  né  en  1609,  à  Saint- 
Quentiu,  entra  à  l'âge  de  vingt-trois  ans  dans  la  congréga- 
tion de  Saint-Maur,  et  mourut  à  Paris  en  1685,  bibliothé- 
caire de  l'abbaye  de  Saint-Germain-des-Prés.  Pamii  ses 
nombreux  ouvrages,  nous  citerons  son  célèbre  Spicilegitim, 
ou  Recueil  d'anciennes  pièces  inédites,  publié  en  13  volu- 
mes in-4°,  de  1653  à  1677  :  on  y  trouve  une  foule  d'his- 
toires etde  chroniques  inédites  d'abbayes,  de  vies  de  saints, 
de  testaments  de  papes,  de  reines  et  autres  personnages 
illustres.  Chaque  volume  est  accompagné  de  notes  aussi 
savantes  que  purement  écrites,  et  relatives  aux  différents 
traités  et  documents  qu'il  contient.  Cet  ouvrage,  véritable 
trésor  pour  l'antiquaire ,  a  été  réimprimé  par  Delabarre  en 
1723,  en  3  vol.  in-folio. 

ACHILLE,  fils  de  Pelée,  roi  de  la  Phthiotide  en  Thes- 
salie,  et  de  Thétis,  fille  de  Nérée,  était  petit-fils  d'Éaque, 
roi  d'Égine,  A  sa  naissance  sa  mère  le  plongea  dans  les 
eaux  du  Styx,  ce  qui  le  rendit  invulnérable  dans  toutes  les 
parties  du  corps,  excepté  au  talon,  par  où  elle  le  tenait.  Ii 
fut  élevé  par  le  centaure  Chiron,  qui  lui  donna  l'éducation 
la  plus  mâle,  et  de  bonne  heure  Achille  montra  son  ardeur 
belliqueuse.  Comme  on  avait  prédit  qu'il  acquerrait  une 
gloire  immortelle  devant  Troie ,  mais  qu'il  y  trouverait  la 
mort,  Thétis  le  conduisit,  à  l'âge  de  neuf  ans  ,  habillé  en 
fille  et  sous  le  nom  de  Pyrrha,  à  la  cour  de  Lycomède,  roi 
deScyros,  qui  le  fit  élever  avec  ses  filles.  Le  devin  Calchas 
ayant  annoncé  aux  Grecs  que  sans  Achille  ils  ne  pour- 
raient jamais  s'emparer  de  Troie,  on  chercha  longtemps  le 
lieu  de  sa  retraite;  Ulysse  réussit  à  le  découvrir  :  déguisé 
en  marchand,  il  se  présenta  à  la  cour  de  Lycomède,  avec 
des  marchandises  de  tous  genres ,  parmi  lesquelles  étaient 
des  armes.  Les  princesses  choisirent  des  objets  de  parure, 
et  Achille  les  armes.  Dès  lors  il  ne  fut  pas  difficile  de  dé- 
terminer ce  jeune  héros  à  s'unir  aux  autres  princes  grecs 
pour  assiéger  Troie. 

Achille,  le  héros  de  l'Iliade,  y  est  représenté  non-seule- 
ment comme  le  plus  brave ,  mais  encore  comme  le  plus 
beau  des  Grecs.  Il  conduisit  à  Troie  cinquante  vaisseaux 
montés  par  des  Myrmidons,  des  Achéens  et  des  Hellènes  ;  il 
détruisit  douze  villes  avec  le  secours  de  sa  flotte,  et  onze 
autres  avec  son  armée.  Junon  et  Minerve,  dont  il  était  le 
favori,  le  protégeaient.  Irrité  contre  Agarae  m  non,  que 
les  princes  gref  s  avaient  élu  pour  leur  chef  et  qui  lui  avait 
enlevé  Briséis,  il  se  retira  dans  sa  tente,  et  laissa  Hector, 
à  la  tête  de  ses  Troyens,  poursuivre  les  Grecs  et  les  tailler 
en  pièces.  Ni  les  dangers  des  Grecs,  ni  les  offres  et  les  prières 
d'Agamemnon  ne  purent  fléchir  la  colère  du  fils  de  Pelée; 
cependant  il  permit  à  Patrocle  de  prendre  son  armure  et  de 
marcher  au  combat  avec  ses  troupes.  Patrocle  tomba 
sous  les  coups  d'Hector.  Achille,  pour  venger  la  mort  de 
son  ami,  reparut  dans  les  combats.  Aussitôt  les  Troyens 
fuient;  une  partie  se  précipitent  dans  le  Xanthe,  où  Achille 
les  suit.  Les  cadavres  amoncelés  arrêtent  bientôt  les  eaux 
du  fleuve;  le  Xanthe  soulève  ses  flots  bouillonnants.  Le 
héros  se  retire  d'abord  ;  puis  il  résiste  au  Xanthe ,  qui  ap- 
pelle à  son  secours  le  Simoïs  et  ses  fleuves  tributaires. 
Alors  Junon  envoie  Vulcain  et  les  vents  Zéphire  et  Notus, 
qui  forcent  le  fleuve  à  rentrer  dans  son  lit.  Achille  con- 
tinue à  poursuivre  les  Troyens  vers  leur  ville,  qu'il  aurait 
prise  d'assaut  s'il  n'en  eût  été  empêché  par  Apollon.  Hector, 
resté  seul  devant  la  porte  de  Scée ,  fait  trois  fois  le  tour  de 
la  ville,  poursuivi  par  Achille,  qu'il  se  résout  enfin  à  combat- 
tre. Il  succombe.  Achille  traîne  son  cadavre  autour  des  rem- 
partSj'et  le  rend  aux  prières  du  vieux  Priam,  qui  lui  apporte 
une  rançon.  Ici  s'arrête  la  narration  d'Homère.  La  suite  de 


l'histoire  d'Achille  est  racontée  de  la  manière  suivante.  Épris 
des  charmes  de  Polyxène,  fille  de  Priam,  il  la  demanda  et 
l'obtint  pour  femme,  et  s'engagea  alors  à  défendre  Troie; 
mais,  s'éfant  rendu  dans  le  temple  d'Apollon  pour  y  célé- 
brer cette  alliance,  il  fut  frappé  par  Paris,  qui  l'atteignit 
d'une  flèche  au  lalon.  Pendant  son  séjour  à  la  cour  de  Ly- 
comède, Achille  avait  épousé  secrètement  Déidamie,  fille  du 
roi,  dont  il  eut  un  fils,  nommé  Pyrrhus  ou  Néoplolème. 

ACHILLE  (Tendon  d'),  gros  tendon  aplati  situé  à  la 
partie  postérieure  et  inférieure  de  la  jambe,  ainsi  nommé 
parce  qu'il  s'implante  au  talon,  seul  endroit  où,  dit-on, 
Achille  était  vulnérable  et  où  il  fut  blessé  mortellement 
par  Paris.  L'action  du  tendon  d'Achille  est  de  tirer  le  talon 
vers  le  gras  de  la  jambe,  et  d'étendre  ainsi  le  pied.  On  a 
pendant  longtemps  regardé  à  tort  les  blessures  du  tendon 
d'Achille  comme  incurables. 

ACHILLÉE,  genre  de  plantes  de  la  famille  des  synan- 
théracées,  dont  une  section  formait  autrefois  les  radiées  ou 
astérées.  L'ackillée  mille-feuilles ,  ou  simplement  ?«j7/e- 
feailles,  vulgairement  herbe  aux  charpentiers ,  est  em- 
ployée comme  vulnéraire.  L'achillée  sternutatoire  lient  ce 
nom  de  la  propriété  qu'ont  ses  feuilles  de  provoquer  l'éter- 
nûment  lorsqu'on  les  introduit  dans  le  nez.  Quand  on  les 
mâche,  elles  excitent  la  salivation.  Sa  racine,  qui  aies  mêmes 
propriétés,  est  employée  contre  les  douleurs  de  dents.  On 
en  cultive  une  variété  sous  le  nom  de  boulon  d'argent. 

ACHILLEES»  fêtes  instituées  en  l'honneur  d'Achille. 
Plusieurs  peuples  honorèrent  Achille  comme  un  héros,  et  lui 
rendirent  même  des  honneurs  divins.  Les  Lacédémoniens 
lui  avaient  élevé  un  temple  à  Brasie ,  où  l'on  célébrait  sa 
fête  tous  les  ans.  Il  avait  près  de  Sparte  un  antre  temple, 
qui  restait  toujours  fermé  ;  c'était  Paax,  un  de  ses  descen- 
dants, qui  le  lui  avait  consacré.  Les  jeunes  Spartiates 
adressaient  leurs  vœux  à  Achille,  comme  au  dieu  de  la  va- 
leur. Un  passage  curieux  de  Zosime  prouve  que  ce  héros  fut 
honoré  jusqu'aux  derniers  temps  du  paganisme. 

ACHILLES  TATIUS,  professeur  d'éloquence  à 
Alexandrie,  sa  patrie,  où  on  présume  qu'il  vécut  vers  la 
fin  du  troisième  ou  le  commencement  du  quatrième  siècle, 
fut  un  des  romanciers  grecs  désignés  sous  le  nom  de  poètes 
erotiques.  Dans  un  âge  avancé  il  embrassa  le  christianisme, 
et  parvint  à  la  dignité  d'évêque.  Outre  quelques  fragments 
d'un  ouvrage  sur  la  sphère,  qui  nous  sont  parvenus,  nous 
possédons  de^^lui  un  roman  en  huit  livres ,  intitulé  :  les 
Amours  de  Clitophon  et  de  Leucippe,  qui,  sous  le  rapport 
du  sujet  et  des  descriptions,  est  loin  d'être  sans  mérite ,  et 
contient  môme  quelques  passages  d'une  grande  beauté.  Le 
style  en  est  chargé  d'ornements  de  rhétorique  et  se  perd 
souvent  dans  des  arguties  sophistiques.  Quant  au  reproche 
d'obscénité  qui  pourrait  être  fait  à  cet  ouvrage ,  une  épi- 
gramme  grecque  dit  avec  raison  qu'il  faut  auparavant  en 
considérer  le  but.  Or,  ce  roman  n'en  a  pas  d'autre  que  d'en- 
'  seigner  à  modérer  ses  désirs ,  en  montrant  la  punition  des 
passions  effrénées  et  la  récompense  de  la  chasteté.  Les 
meilleures  éditions  qui  en  aient  été  faites  sont  celle  de 
Leyde,  1650,  avec  les  notes  de  Saumaise,  et  celle  de  Fr. 
Jacobs  (Leipzig,  1821).  Cet  ouvrage  a  été  plusieurs  fois  tra- 
duit en  français,  et  en  dernier  lieu  par  Clément  de  Dijon , 
1800,  in-12.' 

ACHILLINl  (Alexandre),  médecin  et  philosophe, 
naquit  à  Bologne,  en  1463,  professa  la  philosophie  d'abord 
dans  sa  ville  natale,  puis  à  Padoue,  et  reçut  le  surnom  de 
second  Aristote.  Achillini  adopta  les  opinions  d'Averrhoès. 
Il  mourut  à  Bologne,  en  1512.  Grand  anatomiste,  on  lui 
doit  la  découverte  du  marteau  et  de  l'enclume  dans  l'appa- 
reil audif.  L'un  des  premiers  il  disséqua  des  cadavres  hu- 
mains. On  a  de  lui  un  traité  De  Universalibtts  (  Bologne , 
1501,  in-fol.)  et  beaucoup  d'ouvrages  de  médecine  et  d'ana- 
tomie.  —  Jean-Philoihée  Achillini  ,  frère  d'Alexandre , 
né  à  Bologne,  en  1466, et  mort  dans  la  même  ville,  en  1538, 

12. 


92 


ACIIILLIM  —  ACIDE 


est  connu  par  un  poëme  inlilulé  :  //  Viridario.  —  Claude 
AciiiLLiM,  petit-fils  de  Jean-Piiilothée,  né  à  Bologne,  en 
1574,  médecin,  jurisconsulle,  lii(^oiogien  et  poêle,  professa 
avec  nne  grande  distinction,  et  mourut  en  1640. 

ACIIMED.  Trois  sultans  oliiomansont  porté  ce  nom. 
AcuMED  !'='■  n'avait  encore  que  quatorze  ans  lorsque ,  en 
1603,  il  succéda  à  son  père  Mahomet  III.  I!  fit  la  guerre 
en  Hongrie  et  en  Perse.  Le  traité  de  paix  qu'il  signa  à  Sit- 
vatorek,  le  11  novembre  1606,  fut  le  premier  que  la  Porte 
Otliomane  conclut  avec  une  puissance  européenne  sur  le 
pied  d'une  complète  égalité.  Par  ce  traité,  l'Autriche  se 
trouva  déchargée,  moyennant  une  somme  une  fois  payée, 
du  tribut  auquel  elle  avait  jusque  alors  été  assujettie. 
Achmed  I"  conclut  en  1612  avec  la  Perse  une  paix  qui 
termina  les  longues  discussions  qui  avaient  existé  entre  les 
deux  empires  au  sujet  de  la  démarcation  de  leurs  frontières 
respectives.  Achuiel  mourut  le  22  novembre  1617.  — 
Achmed  II,  sultan  qui  régna  de  1691  à  1695,  eut  à  sou- 
tenir des  luttcsconlinueiles  tant  à  l'intérieur  qu'à  l'extérieur. 
C'était,  du  reste,  un  p.ince  de  la  capacité  la  plus  bornée, 
dénué  de  toute  vigueur  et  de  toute  énergie.  —  Achmed  III, 
sultan  qui  régna  de  1703  à  1730,  était  le  fils  de  Maho- 
met VI,  et  succéda  à  Mustapha  n,  renversé  du  trône.  C'est 
dans  ses  États  que  Charles  XII,  après  avoir  perdu  la  ba- 
taille de  Pultawa,  vint  chercher  refuge.  En  lui  accordant 
un  asile,  Achmed  ni  se  trouva  entraîné  dans  une  guerre 
contre  le  tzar  Pierre  I",  qu'il  battit  d'abord  sur  le  Prulh . 
Achmed  conquit  encore  la  Morée  sur  les  Vénitiens  ;  mais 
il  fut  vaincu  par  les  Impériaux  à  Peterwaradin.  Une  révolte 
de  janissaires  en  1730  le  jeta  dans  le  cachot  où  il  dé- 
tenait Mahmoud  1er,  qui  devint  son  successeur.  Il  mourut 
en  1736.  Ce  fut  lui  qui  en  1727  établit  la  première  impri- 
merie qu'il  y  ait  eu  à  Conslantinople. 

ACHMET,  bey  de  Conslautine.  Voyez  H\dji-Ahmed. 

ACIIMET  GIEDICH)  par  corruption  Acomat,  grand 
vizir  de  Mahomet  II  et  son  meilleur  lieutenant,  porta 
d'abord  le  nom  d'Etienne .  Son  père,  Chéyéchius  ou  Cliersech, 
prince  de  Moutevera,  ayant  pris  pour  lui-môme  la  fille  du 
souverain  de  Servie,  qu'Etienne  devait  épouser,  celui-ci  passa 
chez  les  Turcs,  dont  il  embrassa  la  religion.  Achmet  chassa 
les  Génois  de  la  Crimée,  et  repoussa  une  invasion  des 
Persans.  Il  tenta  aussi  une  descente  dans  l'Italie  méridionale. 
Cependant  ses  talents  militaires  ne  trouvèrent  pas  grâce  de- 
vant l'ombrageuse  et  farouche  politique  de  Bajazet  II,  fils 
dç  Mahomet,  dont  Achmet  était  devenu  le  gendre.  Ce  prince 
le  fit  étrangler  en  1482. 

ACHORES  (du  grec  à^wp),  mot  employé  par  les 
anciens  auteurs  pour  désigner  les  croûtes  de  lait  (voyez 
DiRTREs)  ou  les  i)elites  ulcérations  superficielles  qui  se 
forment  à  la  peau  du  visage  et  de  la  tête,  Alibert  décrit 
sous  ce  nom  l'espèce  de  teigne  qu'il  nomme  muqueuse. 

ACHOUR,  village  de  l'Algérie,  section  de  Dely-Ibra- 
liim,  à  9  kilomètres  d'Alger,  fondé  en  1842,  provient  en 
partie  de  terres  dépendantes  d'une  ancienne  ferme  du  Bey- 
lick.  Il  offre  des  prairies  artificielles  d'une  grande  beauté. 

ACHOURA  (c'est-à-dire  dizaine),  fête  que  les  mu- 
sulmans célèbrent  dans  les  dix  premiers  jours  du  mois  de 
moharrem,  qui  est  le  premier  de  leur  année,  et  auquel  elle 
donne  aussi  son  nom.  On  lui  assigne  diverses  origines.  Sui- 
vant les  uns  c'est  la  continuation  d'un  jeûne  antérieur  à  l'is- 
lamisme ;  d'autres  prétendent  qu'on  célèbre  ainsi  le  jour  où 
^'oé  sortit  de  l'arche;  d'autres  veulent  que  ce  soit  pendant 
une  des  dix  nuits  de  l'achoura  que  le  Coran  fut  détaché  du 
ciel  et  communiqué  aux  hommes.  M.  Garcin  de  Tassy  la 
croit  consacrée  à  la  mémoire  de  Huçain  et  Hassan,  fils  d'Ali 
et  petits-fils  de  Mahomet,  qui  furent  massacrés  à  Kerbela 
par  l'ordre  du  khalife  Yozid.  Dans  l'Inde  on  porte  en  pro- 
cession, le  dixième  jour  de  la  fête ,  les  cénotaphes  de  ces 
personnages,  regardés  comme  marlyrs;  des  dévots  suivent 
io  cortège  et  se  livrent  à  des  actes  extraordinaires  de  péni- 


tence. Il  y  a  souvent  aussi  de  grossières  mascarades.  Le 
soir  on  se  réunit  dans  les  mosquées,  où  Ion  chante  et  récite 
des  prières.  A  Alger,  les  mosquées  sont  ce  jour-là  splendide- 
ment illuminées.  z. 

ACHROMATISME  (du  grec  à  privatif,  et  xçûixa,' cou- 
leur), correction,  dans  les  instruments  d'optique,  des  effets 
de  l'a  b  e  r  r  a  t  i  o  n  de  la  lumière,  de  la  dispersion  des  rayons 
lumineux,  en  les  faisant  passer  à  travers  des  corps  de  réfran- 
gibilité  diverse.  Le  rayon  de  lumière ,  qui  nous  parait  blanc 
à  la  vue,  est  composé ,  comme  on  sait,  de  plusieurs  rayons 
de  couleurs  différentes  et  de  réfractions  inégales.  Lorsque  ce 
rayon  vient  à  frapper  sur  une  lentille  d'une  certaine  puis- 
sance, il  y  forme  des  cercles  colorés,  et  l'image  devient  dif- 
fuse. DoUond  est  parvenu  à  corriger  ce  défaut  en  formant 
des  lentilles  de  deux  morceaux  de  verre  superposés,  l'un  de 
crownglass  et  l'autre  de  flin  t-glass,  dont  les  degrés 
de  refrangibilité  sont  différents.  Dollond  fils,  Ramsden , 
Reichenbach  s'occupèrent  ensuite  de  celle  fabrication. 

ACHROMATOPSIE  (du  grec  à  privatif,  x?<^iJ.a,  cou- 
leur, ô'!/t;,  vue).  Voyez  Daltonisme. 

ACIDE.  En  chimie,  on  comprend,  sous  la  dénomina- 
tion générale  d'acides,  des  corps  qui  ont  la  propriété  de  se 
combiner  avec  un  autre  corps  jouant  le  rôle  detrase  pour 
former  un  sel.  En  soumettant  le  résultat  de  celte  combi- 
naison à  l'action  de  la  pile,  l'acide  se  porte  au  pôle  élec- 
tro-positif, et  la  base  au  pôle  électro-négatif.  On  donne 
encore  pour  caractères  généraux  des  acides  leur  saveur  parti- 
culière, plus  ou  mpins  analogue  à  celle  du  vinaigre,  et  la 
propriété  qu'ils  ont  de  rougir  la  teinture  bleue  de  tournesol. 
Mais  ces  derniers  caractères  ne  sont  pas  toujours  faciles 
à  reconnaître,  car  il  y  a  des  acides  insolubles.  C'est  donc 
dans  l'affinité  pour  les  bases  que  consiste  le  caractère  es- 
sentiel d'un  acide.  Sous  ce  rapport ,  les  divers  acides  offrent 
de  grandes  différences  :  aussi  les  uns  sont  dits  acides /or/5, 
les  autres  acides /a  (6/65. 

Les  acides  sont  divisés  en  deux  grandes  classes  :  1°  les 
acides  minéraux,  ou  anorganiques  ;  2"  les  acides  organi- 
ques, qui  proviennent  de  substances  végétales  ou  animales. 

Acides  minéraux.  La  plupart  des  acides  minéraux  ré- 
sultent de  la  combinaison  de  l'oxygène  avec  un  métalloïde 
ou  un  métal.  On  a  cru  longtemps,  sur  l'autorité  de  Lavoi- 
sier,  que  l'oxygène  était  le  seul  principe  générateur  des 
acides  ;  mais  on  a  reconnu  depuis  qu'il  y  avait  des  acides 
exclusivement  composés  d'hydrogène  et  d'un  métalloïde  : 
par  exemple,  les  acidps  chlorhydrique,sulfhydrique,  fluorhy- 
drique,  iodhydrique,  etc.  On  en  forma  la  classe  des /îydra- 
cides ,  tandis  que  les  acides  oxygénés  recevaient  le  nom 
A'oxacides;  mais  cette  dénomination  même  d'bydracides  se 
trouve  impropre  d'après  les  principes  de  nomenclature  de: 
la  théorie  électro-chimique,  qui  veut  que  dans  toute  déno- 
mination d'un  composé  le  corps  électto-négatif  (nom  gé- 
nérique) soit  placé  le  premier,  et  le  corps  électro-positif 
(nom  spécifique)  le  dernier.  Or,  dans  les  kydracides  l'hy- 
drogène, corps  électro-positif  par  rapport  à  tous  les  métal- 
loïdes, ne  correspond  pas  à  l'oxygène,  corps  électro-négatif 
dans  les  oxacides  ;  mais  il  correspond  au  chlore,  au  sou- 
fre, au  fluor,  à  l'iode,  etc.  Aux  oxacides  il  faudra  donc  op- 
poser les  chloracides,  les  sulfacides,  etc. 

Quoi  qu'il  en  soit,  lorsqu'un  corps  simple  ne  se  com- 
bine avec  l'oxygène  qu'en  une  seule  proportion  pour  former 
un  oxacide,  le  nom  de  cet  acide  se  compose  du  nom  du 
corps  simple  et  de  la  terminaison  ique  ;  quand  il  se  com- 
bine en  deux  proportions  et  forme  deux  acides,  celui  qui^ 
contient  le  moins  d'oxygène  prend  la  terminaison  eux;  le 
plus  oxygéné  garde  la  terminaison  ique.  Quand  il  se  com- 
bine enfin  en  un  plus  grand  nombre  de  proportions,  on 
place  la  préposition  hypo  (au-dessous)  devant  le  nom  de 
l'acide  en  eux  ou  en  ique;  cette  préposition  exprime 
toujours  une  quantité  d'oxygène  plus  faible  que  celle  con- 
tenue dans  l'acide  en  eux  ou  en  ique.  S'il  existe  enfin  un 


ACIDE  —  ACIDULE 


acide  encore  plus  oxyi;éni  que  l'acide  en  iqite,  on  le  fait 
précéder  de  la  préposition  per  ou  hyper. 

\\  esta  remarquer  que  les  derniers  degrés  d'oxydation 
d'un  métal  constituent  presque  toujours  de  véritables 
acides.  Tels  sont  les  acides  manganique  et  permanganique, 
les  acides  ferrique,  antimonique,  stannique,  etc.  Plus  la 
proportion  d'oxygène  augmente  dans  un  oxyde  basique, 
plus  celui-ci  perd  sa  propriété  de  base  et  tend  à  devenir 
acide,  de  telle  façon  que  les  composés  les  plus  oxygénés 
sont  généralement  acides  ,  tandis  que  les  moins  oxygénés 
sont  basiques.  Cette  loi ,  vraie  pour  l'oxygène,  l'est  égale- 
ment pour  le  chlore,  l'iode,  le  soufre,  etc.  En  effet,  pres- 
que tous  les  percblorures,  periodures,  persulfures,  etc.,  sont 
de  véritables  chloracides ,  iodacides,  suif  acides,  lesquels 
se  combinent  avec  les  protoclilorures,  les  protosulfures,  qui 
par  rapport  à  eux  pourraient  s'appeler  chlorobases,  sulfo- 
bases,  pour  donner  naissance  à^des  chlorosels,  sulfosels,  etc. 
Enfin,  dans  quelques  cas,  les  acides  contiennent  trois  corps 
simples  :  tels  sont  les  acides  cliloroxycarbonique,  nitro- 
sulfurique.  On  admet  alors  généralement  dans  ces  acides 
l'existence  d'un  radical  composé  jouant  le  rôle  d'un  corps 
simple.  Ainsi  .M.  Dumas  regarde  l'oxyde  de  carbone  comme 
le  radical  de  l'acide  cloroxycarbonique,  et  représente  de  cette 
sorte  sa  composition  :  CO  +  CL,  CO  étant  l'oxyde  de  carbone. 
En  général,  les  acides  contiennent  une  certaine  quantité 
d'eau,  qui  est  loin  denuire  à  leur  action  :  ils  portent  alors  le 
nom  d'acides  hydratés  ou  aqueux  ;  quand  ils  sont  simplement 
mélangés  avec  elle,  on  les  dit  étendus.  Complètement  isolés 
de  l'eau,  ils  sont  dits  anhydres.  M.  Bussy  est  parvenu 
à  isoler  l'acide  sulfurique;  M.  Deville  en  a  fait  autant 
pour  l'acide  ni^n^MC,  et  Gerhardt  a  obtenu  le  même  résultat 
pourlesacidesorganiques.Tousces acides  anhydres  diffèrent 
plus  ou  moins  de  leur  acide  normal  et  se  ressemblent  par 
l'absence  de  réaction  acide,  ainsi  que  par  leur  indifférence 
pour  l'eau  qu'ils  ont  perdue.  Ces  acides  anhydres  témoignent 
aussi  d'une  singulière  aptitude  à  se  combiner  et  donnent  nais- 
sance à  de  nouveaux  composés.  M.  Millon  avait  déjà  reconnu, 
en  étudiant  l'action  de  l'acide  sulfurique  sur  l'acide  iodique, 
que  les  acides  n'ont  pas  moins  de  tendance  à  se  combiner 
les  uns  avec  les  autres  qu'avec  les  bases. 

Acides  organiques.  Tandis  que  les  éléments  d'un  acide 
minéral  sont  généralement  au  nombre  de  deux,  ceux  d'un 
acide  organique  sont  d'ordinaire  plus  nombreux;  mais  ils 
ne  dépassent  pas  le  nombre  de  quatre,  qui  sont  toujours 
l'oxygène,  le  carbone,  l'hydrogène  et  l'azote  ;  encorece  dernier 
ne  se  reiicontre-t-il  guère  que  dans  la  composition  des  acides 
cyanogènes.  La  combinaison  de  ces  éléments  paraît  d'ail- 
leurs, comme  dans  toutes  les  substances  organiques,  as- 
sujettie à  des  lois  spéciales,  en  sorte  que  la  constitution 
des  composés  qui  en  résultent  diffère  essentiellement  de 
celle  des  composés  analogues  de  nature  inorganique.  La 
plupart  des  acides  organiques  renferment  de  l'eau  que  les 
procédés  ordinaires  de  dessicalion  ne  peuvent  en  séparer; 
mais  Gerhard  t  a  trouvé  le  moyen  de  les  isoler.  L'hydrate  d'un 
acide  est  la  combinaison  de  1, 2,  3  équivalents  d'eau  avec  cet 
acide.  On  a  divisé  les  acides  organiques  en  acides  unibasiques, 
bibasiques  et  tribasiques,  selon  la  quantité  d'équivalents  de 
base  qu'ils  peuvent  neutraliser.  En  se  combinant  avec  un 
équivalent  de  Iwise,  les  acides  unibasiques  constituent  les 
sels  neutres.  En  se  combinant  avec  d'autres  sels,  ils  forment 
les  tels  doubles.  Tous  les  acides  organiques  capables  de 
saturer  deux  ou  plusieurs  équivalents  de  base  sont  appelés 
acides  polybasiques.  Ces  acides  donnent  par  la  distillation 
sèche  des  acides  pyrogénés.  M.  Dumiis  appelle  conjugués  , 
bijugués,  trijugués,  les  acides  organiques  qui  semblent 
résulter  de  l'union  de  deux  ou  plusieurs  acides. 

Pour  établir ,  une  nomenclature  générale  des  acides,  on 
peut  les  distinguer  en  quatre  genres  :  les  oxacides  et  les 
acides  métalloidiques  les  oxacides  métalliques,  et  les  acides 
organiques. 


Les  oxacides  métalloidiques  sont  formés  par  la  combinai- 
son de  l'oxygène  avec  les  métalloïdes.  Ils  sont  au  nombre  de 
vingt  :  les  acides  borique,  silicique,  carbonique,  phosphoreux, 
pliosphorique,  hypoi)hosphorique,  hypophosphoreux,  sulfu- 
reux, sufurique,  hyposulfureux,  hyposulfurique,  sélénieux, 
sélénique,  chlorique,  chlorique oxygéné,  bromique,  iodique, 
azoteux,  azotique,  hypoazotique. 

Les  acides  métalloidiques  sont  exclusivement  formés  de 
métalloïdes  combinés  deux  à  deux.  De  ces  éléments,  l'un 
est  négatif  et  joue  le  rôle  de  l'oxygène,  l'autre  est  positif  et 
sert  de  radical  :  ce  sont  les  acides  fluorhydrique,  chlorhy- 
drique,  bromhydrique,  iodhydrique,  snlfliydrique,  sélénhy- 
driqne,  (luoborique,  chloroborique,  fluosilicique,  cliloro- 
silicique.  Les  acides  métalloïdes  ont  pour  caractère  remar- 
quable de  ne  pouvoir  se  combiner  avec  les  bases.  Mis  en 
contact  avec  elles,  ils  se  décomposent  de  telle  sorte  que 
leur  élément  positif  se  combine  avec  l'oxygène  du  métal, 
tandis  que  l'élément  négatif  s'unit  au  métal  lui-même. 
Ainsi  l'acide  chlorhydrique forme  de  l'eau  et  des  chlorures; 
l'acide  bromhydrique,  de  l'eau  et  des  bromures;  l'acide 
fluosilicique,  de  l'eau,  de  la  silice  et  des  fluorures,  etc. 

Les  oxacides  métalliques  sont  produits  par  l'oxygène  qui 
s'unit  à  certains  métaux  ;  ils  sont  au  nombre  de  douze  :  les 
acides  arsénieux,  arsénique,  chromique,  raolybdique,  va- 
nadique,  tungstique ,  antimonieux,  antimonique,  colom- 
bique,  titanique,  manganique  et  hypermanganique. 

Il  y  a  trois  grandes  divisions  des  acides  organiques  : 
1"  les  acides  composés  de  carbone  et  d'hydrogène  :  ce 
sont  l'acide  oxalique,  l'acide  raellitique,  etc.  Ils  sont  vo- 
latils. 2"  Les  acides  formés  de  carbone,  d'oxygène  et  d'hy- 
drogène; on  les  distingue  en  acides  gras,  et  en  acides  qui 
ne  sont  pas  gras.  Les  acides  qui  ne  sont  pas  gras  se  divi- 
sent eux-mêmes  en  trois  groupes  :  d'abord  les  acides  fixes 
solides,  solubles  dans  l'eau,  cristallisables,  qui,  lorsqu'on  les 
distille,  se  transforment  en  acides  volatils  appelés  pyrogé- 
nés, en  eau  et  en  acide  carbonique,  comme  les  acides  tar- 
trique,  citrique,  malique,  tannique,  gallique,  mucique, 
quinique,  etc.  ;  ensuite  en  acides  fixes  qui  ne  donnent  pas 
de  pyrogénés,  comme  l'acide  oxaihydrique,  etc.;  enfin  en 
acides  volatils  de  leur  nature,  qui  par  conséquent  ne  don- 
nent pas  de  pyrogénés  :  acide  acétique,  formique,  lactique, 
caraphorique,  etc.  Les  acides  gras  ont  l'aspect  de  la  graisse 
ou  de  la  cire  quand  ils  sont  solides,  ressemblent  à  de  l'huile 
quand  ils  sont  liquides,  sont  plus  légers  que  l'eau  et  se 
dissolvent  dans  l'alcool,  l'éther  et  les  huiles  grasses  et  vo- 
latiles. Ils  se  distinguent  en  deux  groupes  :  d'abord  les 
acides  gras  plus  au  moins  solubles  dans  l'eau  et  qui  peuvent 
être  distillés  sous  la  pression  de  l'air,  comme  l'acide  ca- 
prique,  crotonique,  etc.,  etc.;  ensuite  les  acides  gras  tout  à 
fuit  insolubles  dans  l'eau  et  qui  ne  peuvent  être  distillés  que 
dans  le  vide,  comme  l'acide  stéarique,  oléique,  ricinique,  etc. 
3°  Les  acides  azotés.  Il  y  eh  a  trois  groupes  :  les  acides 
azotés  à  radical  de  cyanogène,  comme  les  acides  cyanique, 
cyanhydrique,  etc.,  etc.  ;  les  acides  azotés  ni  gras  ni  à  radical 
de  cyanogène,  comme  les  acides  urique,  purpurique,  indi- 
gotique,  etc.  ;  les  acides  azotés  gras,  comme  l'acide  choles- 
térique,  etc.  ^  L.  Louvet. 

ACIDITÉ  .qualité  de  ce  qui  est  acide.  Est  doué  d'a- 
cidilé  tout  corps  composé,  sohde,  Hquide  ou  gazeux,  qui 
possède  une  saveur  acide,  ou  qui  est  capable  de  s'unir  à  plu- 
sieurs autres  corps  pour  former  des  composés  que  l'on  nomme 
sels.  Le  vinaigre,  les  groseilles,  le  citron,  et  d'autres  fruits 
non  encore  mûrs  donnent  l'idée  d'une  saveur  acide. 

ACIDULE.  En  médecine,  on  appelle  boisson  acidulé, 
ou  simplement  acidulé,  une  boisson  tempérante  et  ra- 
fraîchissante. Les  acidulés  doivent  leurs  propriétés  et  leur 
nom  à  la  présence  d'un  acide  végétal  ou  minéral.  On  dis- 
tingue les  acidulés  végétaux  et  les  acidulés  minéraux.  Le& 
premiers  sont  plus  nombreux  et  plus  usités  que  les  .seconds. 
Une  foule  de  fruits,  tels  que  les  cerises,   les   fraises,  les 


94 


ACIDULE  —  ACIER 


poimies,  les  oranges ,  les  citrons ,  les  mûres,  les  grenades, 
les  groseilles ,  ainsi  que  beaucoup  d'autres  substances  \é- 
"étale^,  contiennent  un  principe  acide  que  la  thérapeutique 
a  su  mettre  à  profit.  On  emploie  d'ailleurs  communément 
ces  substances  sous  la  forme  de  gelées,  de  siiop?  et  de  li- 
monades. Les  acidulés  minéraux,  ou  limonades  minérales 
sont  de  l'eau  édulcorée  que  l'on  aigui.se  avec  quelques 
gouttes  (5  à  25  par  livre  d'eau)  d'acide  sulfuiique ,  nitrique 
ou  ctdorliydrique.  On  range  encore  parmi  les  acidulés  miné- 
raux les  eaux  salines  chargées  d'acide  carbonique  ,  comme 
l'eau  de  Seltz.  Ces  boissons  produisent  généralement  une 
sensation  agréable  de  fraîcheur  dans  le  tube  digestif.  Elles 
apaisent  la  soif,  diminuent  la  chaleur  et  l'accélération  du 
pouls.  Leur  usage  continu  réveille  l'ajjpétit.  Souvent  aussi 
elles  agissent,  dans  certaines  conditions  du  tube  digestif, 
comme  légers  laxatifs.  Quelque  simple  et  innocente  que 
paraisse  l'administration  des  acidulés,  il  ne  faut  pas  dans 
le  cas  de  maladie  les  employer  indiscrètement.  Quant  à  leur 
usage  extérieur,  recommandé  dans  quelques  affections 
cutanées,  il  a  souvent  des  inconvénients  graves,  et  c'est 
à  la  science  à  déterminer  les  cas  où  cette  médication  peut 
être  avantageuse. 

ACIER  (du  latin  acies ,  tranchant).  C'est  du  fer  qui 
contient  de  cinq  à  sept  millièmes  de  carbone.  La  combi- 
naison de  la  silice,  du  manganèse  et  de  l'aluminium  avec  le 
fer  produit  également  de  l'acier.  A  l'état  naturel ,  l'acier 
nous  présente  à  peu  près  les  propriétés  physiques  du  fer  ; 
il  a ,  ou  peu  s'en  faut ,  le  même  aspect ,  la  même  dureté , 
le  même  poids  spécifique  ;  sa  malléabilité,  sa  ductilité  sont 
égales  ;  comme  le  fer ,  il  peut  se  souder  sur  lui-même  et 
n'entre  en  fusion  qu'à  une  haute  température.  Cependant 
il  y  a  plusieurs  moyens  de  les  distinguer  :  d'abord  l'analyse, 
qui  est  plus  facile  que  décisive  :  on  lime  un  endroit  du  bar- 
reau qu'on  veut  interroger  ;  on  y  verse  une  goutte  d'acide 
nitrique,  qui  décompose  le  fer  en  l'oxydant  prompte- 
ment  :  si  le  barreau  est  en  fer,  la  tache  qui  en  résulte  est 
roussàtre  ;  s'il  est  en  acier,  la  tache  est  noire,  parce  que  l'a- 
cide ayant  détruit  le  fer  laisse  à  nu  le  charbon.  Mais  cette 
épreuve  pourrait  encore  laisser  des  doutes;  celle  de  la 
trempe  est  infaillible.  On  sait  que  la  trempe  consiste  à  re- 
froidir subitement  l'acier  à  la  température  rouge  en  le  plon- 
geant dans  de  l'eau  ou  du  mercure.  Ses  effets  sont  de  rendre 
l'acier  plus  dur,  plus  élastique,  plus  cassant,  moins  malléable, 
moins  ductile  et  moins  dense ,  d'une  couleur  généralement 
plus  claire,  et  de  lui  faire  conserver  la  polarité  magné- 
tique beaucoup  mieux  que  le  fer.  Or,  si  l'on  avait  trempé 
du  fer,  il  serait  devenu  bleu,  et  resterait  mou,  flexible  et 
ductile  comme  avant  la  trempe. 

Si  l'on  fait  chauffer  au  rouge  de  l'acier  trempé  et  qu'on 
le  laisse  refroidir  lentement,  il  perd  sa  trempe  et  revient  à 
son  état  primitif.  Cette  opération  inverse  se  nomme  re- 
cuit, et  ses  effets,  comme  ceux  de  la  trempe,  varient  avec  la 
température  à  laquelle  on  porte  l'acier  lorsqu'on  le  ré- 
chauffe. On  tire  parti  de  cette  propriété  pour  donner  à  l'a- 
cier le  degré  de  dureté  qu'exige  l'usage  auquel  on  le  des- 
tine. L'acier  chauffé  sur  des  charbons  ardents  passe 
successivement  au  jaune  pâle,  au  jaune  foncé,  au  rouge 
pourpre,  au  violet,  au  bleu  foncé,  et  enfin  au  bleu  clair. 
Le  jaune  indique  que  l'acier  est  encore  très-dur,  tandis  que 
le  bleu  clair  annonce  le  minimum  de  dureté  :  c'est  dans  ce 
dernier  état  qu'on  emploie  l'acier  pour  la  fabrication  des 
ressorts  de  montres. 

L'histoire  ne  nous  dit  rien  sur  l'époque  où  les  hommes 
ont  commencé  à  fabriquer  l'acier;  mais  on  est  porté  a 
croire  que  cette  époque  remonte  à  l'origine  de  toute  civi- 
lisation, puisque  l'emploi  de  l'acier  parait  nécessaire  aux 
premiers  travaux  des  hommes  en  société.  Aristote  et  Dio- 
dore  font  connaître  les  règles  fixes  que  l'expérience  avait 
déjà  transmises  de  leur  temps.  Depuis  eux  l'art  a  fait  des 
progrès  importants.  Les  différents  procédés  en  usage  pour 


la  fabrication  de  l'acier  peuvent  se  rattacher  à  trois  modes 
principaux  :  1°  l'acier  obtenu  directement  des  minerais,  ou 
acier  naturel;  2"  l'acier  obtenu  avec  le  fer  épuré,  ou  acier 
(le  cémentation;  3°  l'acier  obtenu  par  la  fonte  de  l'acier 
•le  cémentation,  ou  acier  fondu.  —  On  obtient  l'acier  na- 
turel ou  acier  de  forge  en  affinant  la  fonte  au  feu  de  forge 
sous  le  vent  d'un  soufllet  qui  brûle  une  partie  de  leur  car- 
bone. La  fonte  est ,  comme  on  sait ,  un  carbure  de  fer  qui 
contient  plus  de  carbone  que  l'acier.  On  conçoit  donc 
qu'une  décarburation  partielle  de  la  fonte  peut  fournir  l'a- 
cier (  votjez  Affinage  ).  Cet  acier  est  ensuite  forgé  et  mis 
en  barres ,  mais  il  présente  généralement  des  taches  et  des 
inégalités  d'aciération  qui  nuisent  à  son  poli.  Les  aciers 
naturels  sont  propres  à  la  fabrication  de  la  taillanderie, 
aux  outils  tranchants,  etc. 

Vacier  de  cémentation  s'obtient  du  fer  auquel  on  com- 
bine une  quantité  convenable  de  carbone.  L'affinité  du  fer 
pour  le  carbone  est  telle  que ,  lorsfju'on  stratifié  des  barres 
de  fer  avec  du  charbon  en  poudre ,  de  manière  à  pouvoir 
les  maintenir  à  une  chaleur  rouge-blanc  sans  que  lair  y  ait 
accès,  il  se  combine  avec  lui,  et  le  carbone,  après  avoir 
pénétré  la  surface,  tend  à  se  mettre  en  équilibre  en  se  por- 
tant au  centre.  De  cette  manière  le  fer  se  combine  intégra- 
lement avec  le  carbone  après  un  espace  de  quelques  jours, 
qui  varie  suivant  l'épaisseur  des  barres  de  fer  (  voyez  Cé- 
mentation ).  L'acier  ainsi  préparé  n'est  pas  parfaitement 
homogène;  sa  surface  est  inégale  et  boursouflée,  circons- 
tance qui  lui  a  valu  le  nom  à! acier  poxile ,  qui  vient  du 
mot  ampoule.  Pour  remédier  à  ces  inconvénients  et  rendre 
la  carburation  plus  égale,  il  est  nécessaire  de  le  réchauffer 
et  de  le  forger  en  réunissant  plusieurs  barres  ensemble ,  de 
manière  à  former  ce  qu'on  appelle  des  troïisses.  Les  barres 
qui  en  résultent  sont  coupées  et  reforgées  de  la  même  ma- 
nière une  deuxième  et  une  troisième  fois.  L'acier  est  dit  de 
première,  deuxième  ou  troisième  marque,  suivant  qu'il  a  été 
forgé  ainsi  une,  deux  ou  trois  fois.  L'acier  de  cémentation  est 
employé  à  la  fabrication  des  limes ,  des  marteaux ,  des  en- 
clumes ,  d'un  grand  nombre  d'outils  et  d'objets  de  quin- 
caillerie. 

Vacier  fondu  s'obtient  de  l'acier  de  cémentation  ,  que 
l'on  met  siniiilement  en  façon  dans  un  creuset ,  sous  une 
couche  de  matière  vitrifiable,  pour  empêcher  l'air  de  pé- 
nétrer. Les  lingots  ainsi  préparés  présentent  dans  leur 
masse  des  cavités  dues  au  retrait  que  prend  le  métal  en  se 
solidifiant;  en  outre,  ils  ne  sont  pas  malléables.  On  ne  peut 
donc  les  employer  qu'après  les  avoir  étirés  et  réchauffés 
convenablement.  Quand  l'acier  fondu  a  subi  ces  diverses 
préparations,  il  est  plus  dur,  plus  homogène  que  les  autres 
aciers  et  prend  un  superbe  poli.  Aussi  le  préfère-t-on  pour 
la  coutellerie  fine.  L'art  de  fondre  l'acier  est  dû  à  un  simple 
ouvrier  du  Yorkshire ,  Benjamin  Huntsmann ,  qui  établit 
son  premier  atelier  près  de  Sheffield,  en  1740.  En  France , 
les  usines  de  Saint-Étienne  fabriquent  spécialement  de  l'a- 
cier fondu. 

Vacier  damassé  est  un  acier  fondu  qui  jouit  de  la  fa- 
culté remarquable  de  laisser  paraître  une  sorte  de  moiré 
quand  on  attaque  sa  surface  avec  un  acide.  Ce  moiré  pro- 
vient d'une  cristallisation  que  produit  au  milieu  de  l'acier 
la  présence  d'une  minime  quantité  d'aluminium;  et  comme 
ces  cristaux  sont  ductiles,  ils  s'allongent  avec  le  reste 
lorsqu'on  l'étiré.  On  l'imite  en  Europe  en  fondant  ensemble 
du  fer  et  de  lacier  qu'on  étire,  plie,  brasse  et  étire  à  plu- 
sieurs reprises,  jusqu'à  ce  que  chaque  couche  d'acier  et  de 
fer  soit  de  la  ténuité  requise.  Mais  cette  imitation  reste 
encore  bien  au-dessous  des  produits  de  l'Orient.  Les  lames 
des  sabres  asiatiques  présentent  le  phénomène  de  se  laisser 
plier  sans  traces  d'élasticité,  et  avec  cela  elles  ont  un  tran- 
chant tel  qu'elles  coupent  l'acier  trempé.  Cela  provient,  sui- 
vant Berzelius,  de  ce  que  le  tranchant  ayant  seul  été  trempé , 
le  reste  de  la  lame  conserve  toute  sa  ductilité;  et  ces  lames 


ACIER  — 

ne  sont  pas  sujettes  ;\  se  briser  dans  le  combat  ainsi  qu'il 
arrive  aux  lames  coinplélement  trempées.  — Quant  à  l'acier 
indien  nommé  woolz,  c'est  un  acier  fondu  très-fin  :  il  con- 
tient jusqu'à  2  pour  100  d'aluminium.  Un  alliage  d 'al  u  mi- 
nium et  de  (er  donne,  dit-on,  un  acier  qui  vaut  celui  de 
Damas.  L'addition  du  tungstène  au  fer,  dans  la  propor- 
tion de  4  à  j  pour  100 ,  donne  aussi  im  acier  d'une  grande 
dureté. 

Plusieurs  procédés  nouveaux  ont  été  proposés  avec  plus 
ou  moins  de  succès  dans  ces  derniers  temps  pour  convertir 
la  fonte  ou  le  fer  en  acier  par  MM.  Clienot,  Uclialius, 
l'abbé  Pau  vert.  MM.  de  Riiolz  et  Fontenay  obtiennent  di- 
rectement l'acier  fondu  à  l'aide  des  matières  organisées 
sans  passer  par  la  cémentation. 

On  améliore  l'acier  de  mauvaise  qualité  eu  l'alliant  à  des 
proportions  très-petites  (environ  1/400)  de  métaux  étran- 
gers, tels  que  l'argent  et  le  platine.  L'Angleterre  fabrique  son 
meilleur  acier  d'un  fer  qu'on  retire  des  minerais  de  la  mine 
de  Dannemora  en  Suède.  Cet  acier  contient  une  petite 
quantité  de  manganèse  et  d'arsenic  :  on  a  en  vain  essayé  de 
fabriquer  artilicieliement  un  fer  capable  de  le  remplacer. 

En  1843  l'Angleterre  produisait  205,000  quintaux  mé- 
triques d'acier;  l'Autriche,  130,000;  la  France,  93,400; 
l'association  allemande,  80,000 ,  les  autres  États  de  l'Europe 
ensemble,  66,600  :  d'où  il  suit  que  la  production  euro- 
péenne s'élevait  à  575,000  quintaux  métriques,  dans  les- 
quels l'Angleterre  comptait  pour  35  1/2  pourlOO;  l'Autriche, 
pour  22  J/2  pour  100;  la  France,  pour  16  1/2  pour  100; 
l'association  allemande,  pour  14  pour  100,  et  le  reste  de 
l'Europe  pour  12  pour  100. 

En  1831  la  France  ne  produisait  encore  que  53,795  quin- 
taux métriques  d'acier;  en  1843  elle  a  atteint  le  chiffre  de 
93,394;  en  1852,  celui  de  180,981  quintaux  métriques,  doJlt 
^9,381  d'acier  de  forge  et  98,084  d'acier  de  cémentation. 

La  production  de  l'acier  fondu  en  France  ne  s'élevait  en 
1834 qu'à  2,659  quintaux  métriques;  en  1843  elle  a  monté 
à  16,221  quintaux  métriques,  et  en  1832  à  43,516,  dont 
42,033  pour  le  seul  dé|)artement  de  la  Loire.  En  Angleterre, 
la  fusion  de  l'acier  dans  les  seules  usines  du  Yorkshire  oc- 
cupait en  1842  cinquante  et  une  fonderies,  qui  conver- 
tissaient annuellement  en  acier  fondu  85,800  quintaux  mé- 
triques d'acier  brut,  soit  environ  52  pour  100  de  la  produc- 
tion totale  de  l'acier  cémenté.  Son  exportation  s'est  élevée 
la  même  année  à  45,000  quintaux  métriques.  Z. 

ACKERMANÎV  (  Conrad-Ernest  ),  comédien  célèbre, 
considéré  par  nos  voisins  d'outre-Rhin  comme  l'un  des 
créateurs  de  leur  scène,  avec  Eckhof  et  Schœnemann,  na- 
quit àSchwérin,  en  1710.  Engagé  en  1740  dans  la  troupe  de 
Schœnemann,  il  devint  directeur  lui-même  en  1753.  Le 
théâtre  allemand  lui  est  redevable  d'une  foule  d'améliora- 
tions, et  constamment  on  le  vit  lutter  contre  le  goût  du 
public  et  s'efforcer  de  maintenir  au  répertoire  les  produc- 
tions dignes  d'y  figurer.  En  1756  il  construisit  un  théâtre 
à  ses  propres  frais  à  Kœnigsberg;  il  joua  de  17G0  à  1703  à 
Mayence.  Enfin,  en  176511  ouvrit  à  Hambourg  une  nou- 
velle salle,  qu'il  inaugura  avec  l'une  des  plus  remarquables 
troupes  qu'on  eût  encore  vues  en  Allemagne.  C'est  pour 
cette  troupe  que  Lessing  composa  la  plupart  de  ses  ou- 
vrages. En  17C9  Ackermann,  après  une  courte  interrup- 
tion, reprit  encore  une  fois  la  direction  du  théâtre  de  Harn- 
oourg  ;  puis  il  se  mit  à  courir  les  provinces,  mais  pour 
revenir  mourir  à  Hambourg  en  1771.  Dans  sa  jeunesse  Acker- 
mann affectionnait  les  rôles  tragiques.  Dans  les  dernières 
années  de  sa  vie  il  voulut  aborder  indifféremment  tous  les 
rôles  ;maisla  nature  l'avait  créé  comique,  et  il  excellait  dans 
cet  emploi.  Il  avait  épousé  en  1749,  à  Moscou,  la  veuve  de 
l'organiste  Schrœder,  de  Berlin  ,  et  mère  du  célèbre 
Schrœder.  En  1740  elle  entra  dans  la  troupe  de  Schœ- 
nemann, qui  donnait  alors  des  représentations  à  Lune- 
bourg.  Plu»  tard  elle  obtint  de  brillants  succès  à  Hambourg  ; 


ACOLYTE  95 

et  en  1767  elle  prit  avec  son  second  mari  la  direction  du 
nouveau  théâtre  fondé  dans  cette  ville.  —  Sa  fille,  Char- 
lotle  Ackermann,  née  en  1758,  annonçait  les  plus  remar- 
quables dispositions  pour  le  théâtre,  lorsqu'une  mort  pré- 
maturée vint  l'enlever,  le  8  mai  1775,  à  l'admiration  des 
amis  de  l'art  théâtral.  La  correspondance  entre  Charlotte 
Ackermann  et  son  amie  la  conseillère  Sophie  Unzer,  publiée 
en  1776,  et  les  lettres  du  major  danois  Sylbourg,  qui  ré- 
sidait à  cette  époque  à  Hambourg,  montrent  que  Charlotte 
était  éprise  de  cet  officier,  bel  et  habile  homme,  mais  d'une 
âme  basse  et  de  mauvaises  mœurs,  et  que  cette  charmante 
artiste  mourut  du  chagrin  d'avoir  si  mal  placé  ses  affections. 
C'est  sur  cette  donnée  que  M.  Otto  Mûller  a  écrit  son  ro- 
man Charlotte  Ackermann  ,  souvenirs  du  théâtre  de 
Hambourfj  au  dix-huitième  siècle.  Z. 

ACKERMANN  (Rodolphe),  né  le  20  avril  1764,  à 
StoUberg,  dans  l'Erzgebirge  saxon,  où  son  père  était  sellier, 
fut  élevé  au  collège  de  sa  ville  natale,  mais  n'en  apprit  pas 
moins  le  métier  de  son  père.  Son  apprentissage  terminé,  il 
s'en  alla  faire  son  tour  d'Europe.  Après  avoir  travaillé  à 
Paris  et  à  Bruxelles,  et  y  avoir  acquis  une  habileté  toute  par- 
ticulière dans  l'art  do  la  carrosserie,  il  se  rendit  à  Londres. 
U  se  lia  avec  un  Allemand  qui  y  publiait  un  journal  de 
modes,  et  parvint  à  exciter  l'attention  par  le  gracieux  et  le 
bon  goût  de  ses  dessins.  Bientôt  il  put  fonder  dans  le  Strand 
un  magasin  de  gravures  et  de  productions  artistiques  qui 
devint  la  première  maison  de  Londres  en  ce  genre.  C'est  à 
lui  que  l'Angleterre  est  redevable  de  l'introduction  de  la 
lithographie.  Il  fut  le  créateur  des  Annuals,  i\ont  le  For- 
get  me  not  ouvrit  la  série  en  1823.  L'élégant  journal  de 
modes  qu'il  publia  sous  le  titre  de  Repository  of  Arts,  Li- 
terature,  Fashions ,  rendit  compte,  à  partir  de  1814,  des 
productions  nouvelles  en  tous  genres.  Il  entreprit  aussi  une 
suite  d'ouvrages  topogi*aphiques  ornés  de  remarquables  gra- 
vures à  Vagua- tin  ta,  comme  le  Microcosm  of  London,  les 
Historiés  of  Westminster  Abbe y,  \ei  Universities  of  Ox- 
ford and  Cambridge  et  les  Public  Schools.  11  lournit  égale- 
ment à  la  gravure  sur  bois  l'occasion  de  se  produire.  Il  fut 
l'un  des  premiers,  au  commencement  de  ce  siècle,  qui 
réussirent  à  rendre  imperméables  les  étoffes  de  laine,  le 
feutre,  le  cuir,  le  papier.  Le  première  Londres  il  employa 
le  gaz  à-.l'éclairage  de  ses  magasins  (voyez  Accum  ),  et  cher- 
cha à  en  vulgariser  partout  l'usage.  Il  fil  traduire  par  des 
Espagnols  émigrés,  notamment  par  Blanco-White,  d'ins- 
tructifs ouvrages  anglais  et  les  expédia  en  Amérique,  oii  son 
fils  aîné  avait  créé  à  Mexico  un  commerce  de  librairie  et  de 
gravures.  En  1813,  il  avait  été  membre  d'une  association 
formée  à  Londres  pour  secourir  les  victimes  de  la  guerre  en 
Allemagne.  Il  mourut  le  30  mars  1834,  peu  de  temps  après 
avoir  cédé  son  établissement  à  ses  fils. 

ACiVÉ.  Mot  emprunté  du  grec  àwh,  vigueur,  jeunesse, 
et  dont  se  servait  Aélius  pour  désigner  une  maladie  de  la 
peau,  qu'il  nommait  ainsi  parce  qu'elle  se  montre  spécia- 
lement depuis  vingt  ans  jusqu'à  trente.  L'acné  est  une  ma- 
ladie des  follicules  de  la  peau;  on  en  distingue  plusieurs 
espèces.  Lorsqu'elle  existe  au  visage,  on  la  nomme  cou- 
perose. 

ACLIDE.  Voyez  Dard. 

ACOLYTE  (  du  latin  acolytus,  formé  du  grec  à-/.ÔXu- 
To;,  suivant).  On  nommait  ainsi,  après  le  troisième  siècle 
dans  l'Église  latine,  et  après  le  cinquième  dans  l'Église  grec- 
que, les  serviteurs  employés  au  luminaire  (accensores),  et 
ceux  qui  portaient  les  cierges  dans  les  processions  solen- 
nelles {ceroferarii) .  Ils  présentaient  aussi  le  vin  et  l'eau  à 
la  communion,  et  aidaient  les -évoques  et  les  prêtres  dans 
leurs  fonctions  et  dans  toules  les  cérémonies.  Us  faisaient 
partie  du  clergé,  et  prenaient  rang  après  les  sous-diacres. 
Leur  consécration  consistait  dans  le  premier  ordre  mi- 
neur de  l'ordination.  Les  acolytes,  depuis  le  septième  siècle, 
n'existent  guère  que  de  nom,  car  leurs  fonctions  sont  ac- 


9G 

tuellement  remplies  par  des  sacristains  et  par  de  jeunes  laï- 
ques auxquels  on  donne  le  nom  dV-nfants  de  chœur.  L'Église 
grecque,  comme  TÉglise  latine,  n'a  conservé  des  acolytes 
que  le  nom. 

ACOMAT.  Voyez  Achmet-Giedicr. 

ACONIT,  genre  de  plantes  de  la  famille  des  renoncu- 
lacces ,  tribu  des  hclléborées.  La  fleur  se  compose  d'une 
enveloppe  formée  de  cinq  pièces  principales  ;  la  supérieure, 
arrondie  en  casque ,  en  renferme  deux  autres,  en  forme  de 
marteau.  Les  étamines  sont  nombreuses ,  le  fruit  capsulaire. 
Toutes  les  espèces  d'aconit  sont  vénéneuses  ou  suspectes  ; 
leurs  propriétés  étaient  déjà  connues  des  anciens.  On  en 
connaît  en  tout  vingl-deux  espèces,  qui  appartiennent  toutes 
aux  pays  froids  ou  aux  hautes  montagnes  des  pays  tempérés. 
Les  deux  plus  remarquables  par  leurs  propriétés  malfai- 
santes sont  Vaconit  tue-loup  et  Yaconit  napcl.  Les  in- 
diens du  Népaul  empoisonnent  leurs  armes  avec  le  suc  d'une 
espèce  d'aconit  qu'ils  nomment  bikfi. 

Vaconit  pyramidal  a  une  belle  apparence.  Il  s'élève 
à  plus  d'un  mètre  de  hauteur.  Ses  épis  de  fleurs  ont  plus 
de  soixante-dix  centimètres  de  long.  Une  des  plus  belles 
espèces  qu'on  cultive  comme  plante  d'ornement,  c'est  Ya- 
conit de  Candollc,  aux  fleurs  d  un  bleu  pâle  intérieurement 
et  d'un  bleu  vif  sur  les  bords.  La  chimie  a  démontré  que 
toutes  les  propriétés  de  ce  végétal  étaient  dues  à  un  principe 
qu'on  a  appelé  aconitine,  et  dont  la  médecine,  qui  a  souvent 
trouvé  des  remèdes  salutaires  dans  les  poisons  les  plus  éner- 
giques, fait  usage  dans  quelques  maladies,  entre  autres  le 
rhumatisme  articulaire,  la  névralgie. 

AÇORES,  archipel  de  l'océan  Atlantique,  à  1300  kilom. 
de  la  côte  de  Portugal ,  par  36''  59'  et  39°  44"  de  latitude 
nord,  27°  35'  et  33°  27'  de  longitude  ouest.  11  se  compose 
de  neuf  lies  qui  forment  trois  groupes.  Saint-Michel  est  la 
plus  grande.  Terceira  a  reçu  quelque  célébrité  de  la  régence 
portugaise  qui  s'y  était  établie  en  opposition  au  gouvernement 
de  don  Miguel.  On  peut  encore  citer  Pico,  où  se  trouve  le 
Pic ,  haut  de  plus  de  2,500  mètres.  L'aspect  général  des 
Açores  indique  une  origine  volcanique  ;  elles  sont  sujettes 
aux  tremblements  de  terre  et  à  de  violents  coups  de  vent. 
Le  climat  est  très-salubre  et  rafraîchi  par  les  brises  de  la 
nier.  Le  sol  est  fertile  et  bien  arrosé.  On  y  récolte  un  vin  dé- 
licieux, dont  la  qualité  égale  presque  celle  des  vins  de  Ma- 
dère. Les  fruits  et  le  grain  y  viennent  en  abondance  ;  les  bœufs, 
les  moutons,  les  porcs  et  la  volaille  font  l'objet  d'un  com- 
merce d'exportation.  On  exporte  aussi  plus  de  20,000  pièces 
de  vin  et  d'eau-de-vie  ainsi  que  200,000  caisses  d'oranges 
de  pren)ière  qualité.  La  mer  est  très-poissonneuse.  La  po- 
pulation est  d'environ  250,000  âmes.  Les  Açores  appartien- 
nent au  Portugal.  Le  go\ivemeur  général  réside  à  Angra, 
ville  principale  de  Terceira.  Les  habitants  sont  presque  tous 
blancs,  il  y  a  peu  de  Nègres.  Le  clergé  y  est  très-nom- 
breux, fort  ignorant,  et  vit  dans  l'abondance;  linstruction 
générale  s'en  ressent. 

L'iiistoire  de  la  découverte  des  Açores  est  restée  enve- 
loppée de  beaucoup  d'obscurité  ;  on  les  voit  figuré^is  sur  des 
cartes  manuscrites  du  quatorzième  siècle.  Gonzalo-Yelho 
Cabrai  découvrit  la  plus  méridionale  en  1432.  Mais  ce  n'est 
guère  (lu'en  1450  qu'elles  furent  toutes  reconnues.  Les  Por- 
tugais leur  donnèrent  le  nom  de  l'épervier  dans  leur  langue, 
açor,  à  cause  de  la  multitude  des  oiseaux  de  proie  qu'ils  y 
trouvèrent.  La  duchesse  de  Bourgogne,  sœur  d'Alphonse  V, 
en  l'iGG,  y  envoya  une  colonie  de  Flamands,  ce  qui  leur  fit 
donner  le  nom  d'i7c5  Flamandes;  les  Anglais  les  nomment 
Western  Islands  (lies  occidentales).  On  écrit  et  on  répète 
que  les  premiers  colons  des  Açores  y  trouvèrent  une  statue 
équestre,  qui,  le  doigt  tendu  vers  l'ouest,  semblait  indiquer 
aux  nouveaux  venus  le  chemina  suivre  ;  ce  fut,  ajoutet-on, 
la  vue  de  cet  oracle  mystérieux  qui  décida  Christophe  Co- 
lomb à  tenter  l'immense  découverte  qui  devait  immortaliser 
son  nom  :  il  n'est  pas  besoin  de  dire  qu'il  faut  rejeter  cette 


ACOLYTE  —  ACOUSTIQUE 


histoire  parmi  les  fictions  poétiques  ou  allégoriques  ;  la  forme 
bizarre  d'un  rocher  de  la  côte  lui  a  donné  naissance. 

ACOSTA  (Gabriel),  gentilhomme  portugais,  issu  d'une 
famille  d'origine  juive,  naquit  en  1587,  à  Oporto ,  et  fut 
soigneusement  élevé  et  instruit  dans  les  doctrines  de  l'Église 
romaine  par  un  père  qui  avait  très-sincèrement  embrassé 
la  foi  catholique.  Des  doutes  ne  tardèrent  pourtant  pas  à 
assaillir  son  âme  ;  et,  trouvant  alors  dans  sa  rai.son  mille  ob- 
jections contre  la  divinité  du  Christ,  il  en  vint  à  nier  en- 
tièrement la  vérité  du  christianisme.  Après  avoir  hésité  nu 
instant  entre  le  naturalisme  pur  et  simple  et  le  judaïsme, 
il  se  décida  pour  cette  religion ,  peut-être  parce  que  c'était 
celle  de  ses  pères ,  et  s'enfuit  du  Portugal,  pour  aller  de- 
mander à  la  Hollande  cette  liberté  de  conscience  dont  la  ré- 
publique batave  avait  alors  le  privilège.  Il  s'établit  à  Ams- 
terdam ,  où  il  changea  son  nom  de  baptême  contre  celui 
à'Uriel,  après  s'être  soumis  à  la  douloureuse  opération  de 
la  circoncision.  Cependant  il  fut  bientôt  mécontent  des  nou- 
veaux coreligionnaires  qu'il  s'était  donnés,  et  publia  divers 
ouvrages  dans  lesquels  il  combattit  les  principes  des  rab- 
bins ,  ainsi  que  l'immortalité  de  l'âme.  Ses  adversaires  pro- 
filèrent de  la  publication  d'un  de  ses  livres,  intitulé  Examen 
de  tradicoens  phariseas  conferidas  con  a  Icy  escripta 
(1624),  pour  l'accuser  d'athéisme  auprès  des  magistrats 
chrétiens  d'Amsterdam.  Cette  dénonciation  solennelle  lui 
valut  la  confiscation  de  ses  biens  et  un  emprisonnement  assez 
long.  Fatigué  par  toutes  ces  persécutions,  il  demanda  grâce 
et  merci  pour  ses  opinions  philosophiques  ,  et  se  soumit  à 
faire  amende  honorable  dans  la  synagogue,  où  il  reçut  trente- 
neuf  coups  de  fouet  sur  son  dos  mis  à  nu.  Puis  on  le  fit 
étendre  à  terre  sur  le  seuil  de  la  porte  principale ,  où  tous 
les  fidèles  lui  passèrent  sur  le  corps  pendant  que  le  rabbin 
prononçait  son  absolution.  Ce  système  de  persécutions  et 
d'outrages  le  poussa  à  se  brûler  la  cervelle  (  1640),  après 
avoir  tenté  vainement  d'ôter  la  vie  à  l'un  de  ses  cousins , 
qui  s'était  signalé  par  le  zèle  acharné  qu'il  avait  mis  à  com- 
battre ses  opinions  et  à  le  signaler  à  la  haine  de  ses  core- 
ligionnaires. Les  tortures  morales  éprouvées  par  Acosta  dans 
ses  luttes  religieuses  et  philosophiques  ont  été  décrites  par 
un  écrivain  allemand  d'un  grand  talent ,  M.  Gutzkow ,  dans 
un  livre  qui  a  pour  titre  :  le  Sadducéen  d'Amsterdam  (1834), 

ACOTYLÉDOXÉS  (  du  grec  à  privatif ,  xoTviXeôwv , 
petite  feuille  ).  Jussieu ,  en  fondant  sa  classification  des  vé- 
gétaux sur  l'absence,  la  présence  et  1'.:  nombre  des  cotylé-  m 
dons,  avait  donné  le  nom  d'acotylédonés  au  premier  em-  , 
branchement  du  règne  végétal ,  comprenant  les  plantes  dé- 
pourvues de  ces  organes,  ou  plutôt  chez  lesquelles  on  ne  les 
avait  pas  encore  reconnus.  Ces  plantes  seraient  mieux  ap- 
pelées inembryonées ,  parce  que  les  plantes  qui  manquent 
de  cotylédons  manquent  également  d'embryons,  tandis 
qu'au  contraire  certains  végétaux  embryonés  n'ont  pas  de 
cotylédon.  Dans  cette  série  de  végétaux  on  voit  l'organisa- 
tion passer  par  tous  les  degrés,  depuis  la  forme  la  plus 
simple ,  l'utricule  sphérique ,  jusqu'à  celles  que  nous  trou- 
vons dans  les  végétaux  pourvus  d'un  embryon.  En  raison  de 
la  simplicité  de  leur  texture  ,  de  Candolle  les  avait  appelées 
plantes  cellulaires.  Cet  embranchement  renferme  la  classe 
entière  des  cryptogames  de  Linné.  Les  acotylédonés  com- 
prennent six  familles  :  les  mousses,  les  hépatiques,  les 
lichens ,  les  hypoxylons ,  les  champignons,  les  algues. 

ACOrCIlI  ou  ACOLTI.  Voyez  Acoixi. 

A'COURT  (Sir  William).  Voyez  Heytesburv. 

ACOUSTIQUE  (du  grec  ày.oûw,  j'entends),  partie  de 
la  physique  qui  traite  de  la  théorie  du  son,  et  qui  recherche 
les  lois  d'après  lesquelles  il  se  forme,  se  propage  et  se  trans- 
met. L'acoustique  diffère  de  la  musique  en  ce  qu'elle  n'a 
pas  de  rapport  aux  lois  de  la  succession  des  sons ,  d'où  ré- 
sulte la  mélodie,  ni  à  celles  de  leur  simultanéité,  qui  for- 
ment l'harmonie.  Elle  a  seulement  pour  objet  l'examen  des 
phénomènea  qui  se  manifestent  dans  la  résonnance  des 


ACOUSTIQUE 

ton^s  sonores  ot  réliulo  des  ofTits  proiliiits  par  ces  nhono- 
iiièiies  sur  l'ouïe.  Ainsi  racoustique  envisage  les  sous  ; 
1"  dans  leurs  modes  de  génération,  selon  les  divers  corps  so- 
nores; 2"  dans  leurs  rapports  numériques;  S""  dans  lenr 
propagation;  4°  enlin  dans  la  sensation  qu'ils  produisent 
sur  l'ouie.  La  génération,  la  propagation  et  les  rapports 
numériques  des  sons  forment  la  partie  uiatliématicpie  <le 
l'acoustique;  l'ouïe  est  l'objet  de  sa  partie  physiologique. 
On  diviseencore  l'acoustique  en  acousdqiieed-jH'rimentdle, 
ipii  est  la  jiartie  de  cette  science  relative  aux  phénomènes 
qui  se  manifestent  dans  la  résounance  des  corps  sonores,  et 
en  acoustique  aritlimOt'ique  ou  canonique,  qui  se  com- 
pose des  calculs  ayant  pour  objet  de  déterraiiier  les  rapports 
des  sons  entre  eux. 

Le  son  a  pour  cause  un  mouvement  particulier  des 
coips  appelé  vibratoire,  qui  consiste  dans  les  oscillations 
de  leurs  molécules  autour  d'un  centre.  Toutes  les  fois  qu'il  y 
a  son ,  il  y  a  vibration  ;  mais  il  n'y  a  pas  son  toutes  les 
fois  qu'il  y  a  vibration  :  il  faut  que  ces  vibrations  satisfas- 
sent à  certaines  conditions  relatives  à  leur  amplitude,  à  leur 
rapidité,  et  au  milieu  dans  lequel  elles  s'exercent.  Pour  que 
les  vibrations  d'un  corps  produisent  un  son ,  il  faut  que 
leur  nondjre  soit  au  moins  de  trente-deux  par  seconde,  et 
qu'il  ne  dépasse  pas  une  certaine  limite  au  delà  de  laquelle 
le  son  échappe  à  l'ouïe  humaine.  Cette  limite  ne  paraît  pas 
dépasser  soixante-treize  raille  vibrations  par  seconde;  elle 
est  d'ailleurs  variable  avec  l'amplitude  des  vibrations  et 
avec  l'aptitude  de  l'organe  sur  lequel  elles  agissent.  Il  est 
en  outre  nécessaire,  pour  que  le  son  soit  produit,  que  les  vi- 
brations s'exercent  dans  un  milieu  solide,  liquide  ou  gazeux. 
Si  les  vibrations  ont  lieu  dans  le  vide,  elles  ne  produisent 
pas  de  son. 

Dans  tous  les  corps  sonores ,  l'élasticité  des  molécules  est 
la  cause  des  vibrations.  Un  corps  peut  êtie  élastique, 
1"  par  tension,  comme  le  sont  les  cordes  et  les  tambours  ; 
2°  par  l'impulsion  de  l'air,  c'est  le  cas  des  instruments  à 
vent ,  dans  lesquels  la  colonne  d'air  s'étend  et  se  resserre 
[>his  ou  moins  suivant  la  longueur  du  tube,  et  qui  peut  être 
laccourcie  ou  prolongée  par  l'ouverture  et  la  clôture  des 
trous  latéraux;  3°  par  la  tension  intérieure  :  telles  sont  les 
verges  de  métal  ou  de  verre ,  les  vitres ,  les  cloches ,  les 
vases,  etc. 

Les  diverses  qualités  du  son  sont  au  nombre  de  trois, 
qui  sont:  1°  l'intensité,  2°  le  ton,  3°  le  timbre.  L'intensité  tient 
a  l'amplitude  des  mouvements  vibratoires;  le  ton  dépend  du 
nombre  de  vibrations  dans  un  temps  donné,  et  non  de  leur 
amplitude;  on  ne  connaît  pas  bien  les  circonstances  qui 
influent  sur  le  timbre. 

La  connaissance  des  lois  de  l'acoustique  est  d'un  grand 
usage  ;  elles  intéressent  le  musicien  en  lui  faisant  découvrir 
les  formules  matliématiques  de  l'harmonie  que  perçoit  son 
oreille  ;.  elles  sont  consultées  par  l'architecte  dans  la  con- 
struction des  édifices  destinés  à  recevoir  et  à  rendre  la  parole; 
elles  sont  utiles  au  médecin  pour  la  guérison  des  dérange- 
ments qui  empêchent  l'organe  de  l'ouïe  de  percevoir  le  son; 
elles  guident  les  facteurs  des  instruments  de  physique  et  de 
chiriugie  relatifs  à  celte  partie ,  etc. 

Les  anciens  déjà  s'étaient  efforcés  d'élever  l'acoustique 
aux  proportions  d'une  s(;ience.  Pythagore  et  Aristote  savaient 
de  quelle  manière  s'effectue  la  transmission  du  son  par 
l'air  ;  mais  il  est  exact  de  dire  que,  comme  science  propre- 
ment dite,  indépendante  des  applications  qu'on  en  peut  faire 
à  la  uuisique,  l'acoustique  est  une  science  à  peu  près  toute 
moderne.  Bacon  et  Galilée  posèrent  les  bases  de  cette  science 
aujourd'hui  mathématique,  et  Newton  démontra  par  le  calcul 
comment  la  transmission  du  son  dépend  de  Félasticilé  de 
l'air  ou  du  coips  conducteur.  Il  remarqua  que  l'effet  d'iui 
corps  sonore  consiste  dans  la  condensation  des  molécules 
d'air  qui  entourent  ce  corps  imincdiatement  et  placés  dans  la 
direction  de  l'impulsion  donnée.  Ces  molécules  d'air,  pous- 

f)ICT.    DE    I.A    CO.NVr.IiS.    —   T.    I. 


—  ACQUAVIVA  97 

sées  en  avant  par  l'impulsion  du  corps  sonore,  rebondis- 
sent en  arrière  par  un  eilet  de  leur  élasticité ,  et  éloignent  en 
même  temps  du  corps  sonore  les  molécules  d'air  situées 
en  avant,  de  sorte  que  le  son  fait  subir  à  chaque  molécule 
d'air  un  mouvement  en  avant  et  un  mouvement  en  arrière  ; 
c'est-à-dire,  en  d'autres  termes,  qu'il  s'opère  autour  du  corps 
sonore  une  condensation  et  une  pression  alternatives  de  l'air, 
ou  bien,  si  l'on  aime  mieux,  qu'il  se  forme  une  série  d'on- 
dulations sonores.  Newton ,  Lagrange  et  Euler  s'étaient 
trompés  dans  leurs  calculs  pour  détemiiner  la  vitesse  du 
son;  et  c'est  à  Laplace  qu'on  est  redevable  des  recherches 
les  plus  exactes  et  des  notions  les  plus  précises  sur  cette 
matière.  Il  était  réservé  à  Chladni  de  faire  de  l'acoustique 
une  science  proprement  dite.  Dans  ces  derniers  temiis, 
cette  branche  de  la  physique  n'a  fait  comparativement  quo 
peu  de  progrès.  Cependant  Savart  a  précisé  d'une  manière 
plus  exacte  le  nombre  de  vibrations  nécessaire  pour  pio-^ 
duire  un  son  perceptible,  et  a  fait  des  recheiches  sur  les  vi- 
brations des  peaux  tendues.  Cagnard  de  Latour  a  inventé  ce 
qu'il  a  appelé  la  syrène,  et  examiné  de  plus  près  beaucoup 
des  conditions  auxquelles  les  corps  liquides  ou  solides  sont 
sonores.  Trevelyan,  Leslie  et  Faraday  ont  expliqué  la  sono- 
rité des  corps  métalliques  soumis  à  la  chaleur,  quand  on  les 
place  sur  des  couches  métalliques  froides.  Faraday  et  Marx 
se  sont  occupés  desfigures  sonores;  Wheastone,  des  accords; 
Willis  de  la  formation  des  sons  élevés  de  la  voix  hiiuiaiae; 
M.  Lissajous  de  l'interférence  des  sons.  La  théorie  du  son 
a  été  développée  par  W.  Weber,  Pellisof,  Ampère  et  Strclilke. 

On  donne  la  qualilication  d'acoustiques  aux  divers  ins^ 
triiments  qui  servent  à  propager  la  voix,  tels  que  les  cor^ 
nets,  les  porte-voix,  etc.;  à  certaines  voûtes,  comme  celle  de 
la  salle  du  Conservatoire  des  Arts  et  IMétiers,  constniites  de 
façon  à  transmettre  la  voix  d'un  point  à  un  autre  aussi  dis» 
tinctement  que  si  la  distance  était  nulle;  aux  artères, 
veines ,  nerfs  appartenant  à  l'ouïe;  enfin  aux  remèdes  qui 
servent  à  la  guérison  des  maladies  de  cet  organe. 

ACQUAPEIVDENTE,  petite  ville  des  États  de  l'É- 
glise ,  à  20  kilom.  d'Orviète,  située  sur  le  penchant  d'une 
montagne  bien  boisée.  Elle  est  célèbre  par  une  chute  d'eau 
considérable  et  d'un  effet  tellement  pittoresque  qu'elle  in- 
téresse tous  les  voyageurs ,  et  qu'il  est  peu  d'artistes  qui 
ne  se  soient  empressés  d'en  conserver  un  souvenir  daris 
leur  album. 

ACQUAVIVA,  famille  illustre  du  royaume  de  Na- 
ples ,  qui  a  produit  un  grand  nombre  d'hommes  distin- 
gués. —  Parmi  les  plus  connus,  on  compte  André-Mat- 
thieu d'Acquaviva,  duc  d'Atri,  prince  de  Teramo,  né  en 
1456  et  mort  en  1528,  à  Naples,  lorsque  l'armée  fran- 
çaise ,  commandée  par  Lautrec ,  ravageait  la  Pouille.  Son 
père  était  lui-même  un  capitaine  très -renommé,  qui 
mourut  en  1480,  à  la  défense  d'Otrante ,  assiégée  jiar  les 
Turcs.  Le  fds ,  après  avoir  suivi  la  carrière  des  armes ,  se 
livra  à  la  cultuie  des  lettres ,  et  protégea  les  savants.  Quand 
le  roi  de  France  Charles  VIII  envahit  le  royaume  de  N'aples, 
Acquaviva  prit  parti  pour  lui ,  et  plus  tard  il  combattit  la 
domination  espagnole.  Il  fut  lait  prisonnier  par  Gonzalve 
de  Cordoue;  mais  Ferdinand,  roi  d'Aragon,  lui  rendit  la 
liberté.  De  retour  dans  sa  patrie ,  il  trouva  dans  l'étude 
une  consolation  aux  revers  de  la  guerre.  —  Son  frère  Jjé- 
lisaire  d'Acquaviv.v  publia  plusieurs  traités  :f/e  Venatïone, 
de  AucujJio ,  de  Re  Militari,  de  Singulari  Certamine. 
—  Enfin  il  y  eut  un  Claude  d'AcQUwivA ,  général  des  jé- 
suites; né  en  1542,  il  mourut  en  1615.  Il  fut  accusé  d'a- 
voir appi'ouvé  le  livre  dans  lequel  IMariana  soutenait  la 
doctrine  qui  permet  d'attenter  à  la  vie  des  rois.  ]\Iais  lors- 
que éclatèrent  les  débats  auxquels  le  livre  de  Mariana 
donna  lieu  ,  les  défenseurs  d'Acquaviva  citèrent  des  pas- 
sages de  lettres  dans  lesquelles  il  témoignait  le  regret  de 
l'approbation  donnée  à  cet  ouvrage  i)ai-  le  censeur  commis 
pour  l'examiner.  Av.taiii. 


08  ACQUÊTS 

ACQUÊTS.  Df^nominafion  qiie  prend  Tiinmeuble  qui 
est  l'objet  d'une  vente  ou  d'une  donation ,  entre  les  mains 
de  l'acquéreur  ou  du  donataire.  —  Dans  l'ancien  droit ,  la 
distinction  entre  les  acquits  et  les  autres  biens  était  de  la 
plus  grande  in)portance ,  parce  que  les  immeubles  se  par- 
tageaient entre  les  héritiers  suivant  leur  origine,  et  qu'ainsi 
l'on  distinguait  dans  le  partage  les  biens  de  famille  prove- 
nant de  successions  antérieurement  ouvertes,  qui  formaient 
les  propres  paternels  et  les  propres  maternels,  de  ceux  que 
le  défunt  avait  lui-même  acquis  ;,ces  derniers  composaient 
les  acquêts  ou  propres  personnels.  —  Aujourd'hui ,  que 
toutes  ces  distinctions  ont  été  abolies  par  le  pailage  égal 
de  tous  les  biens  entre  les  deux  lignes  paternelle  et  mater- 
nelle, quelle  que  soit  leur  origine,  celte  expression  ne  s'ap- 
plique plus  qu'aux  immeubles  acquis  pendant  le  mariage 
l)ar  la  communauté  conjugale,  et  la  règle  en  cette  matière 
est  que  tout  immeuble  dont  l'origine  antérieure  au  mariage 
n'est  point'justifiée  doit  être  réputé  un  acquêt  de  commu- 
nauté, à  moins  qu'il  ne  provieune  d'une  succession  ouverte, 
ou  d'une  donation  faite  durant  le  mariage. 

ACQUI  (Combat  et  prise  d'  ).  Peu  de  temps  après  la 
prise  de  possession  du  Piémont  par  le  général  Joubert , 
une  révolte  populaire  éclata  dans  la  province  d'Acqui  et 
dans  le  Montferrat.  Le  général  Grouchy ,  s'étant  aussitôt 
dirigé  vers  Acqui,  arriva  devant  cette  place  le  17  mars  1799, 
et  prit  d'habiles  dispositions  pour  paralyser  ce  mouvement 
insurrectionnel.  Le  même  jour  il  cerna  la  ville ,  attaqua  les 
insurgés ,  les  battit  complètement  et  les  dispersa.  Ainsi , 
une  seule  journée  suffit  aux  troupes  républicaines  pour 
éteindre  cette  révolte  et  s'emparer  de  la  place  qui  en  avait 
été  le  foyer. 

ACQUIESCEMEI^JT,  consentement  à  faire  une  chose 
à  laquelle  on  n'était  pas  obligé  ,  à  exécuter  un  acte  ou  un 
jugement  auquel  on  aurait  pu  s'opposer.  L'acquiescement  a 
une  grande  analogie  avec  la  transaction  et  le  désistement  ; 
il  en  diffère  cependant  sous  plusieurs  rapports  :  ainsi ,  la 
transaction  ne  résulîe  que  d'une  convention  formelle ,  l'ac- 
<iuiescement  peut  être  tacite;  le  désistement  n'emporte 
<iue  la  renonciation  à  la  procédure,  l'acquiescement  éteint 
l'action.  L'acquiescement  est  une  véritable  aliénation  ;  il 
ne  peut  donc  avoir  lieu  qu'entre  personnes  capables  :  ne 
serait  donc  pas  valable  celui  qui  aurait  été  donné  par  un 
mineur,  un  interdit ,  un  tuteur,  s'ils  n'étaient  pas  autorisés  , 
surtout  en  matière  immobilière.  11  en  est  de  même  des  ad- 
ministrateurs d'un  établissement  public ,  d'un  maire  rela- 
tivement aux  biens  de  sa  commune,  d'un  mari  relative- 
ment aux  biens  de  sa  femme ,  etc.  Toute  matière  n'est  pas 
indistinctement  susceptible  d'acquiescement  ;  on  ne  peut 
acquiescer  qu'à  des  choses  qui  peuvent  être  l'objet  d'une 
transaction  ;  il  en  est  ainsi  de  tout  ce  qui  intéresse  l'ordre 
public  et  les  bonnes  mœurs. 

L'acquiescement  est  exprès  ou  tacite  :  exprès  lorsqu'il 
est  fait  par  acte  authentique  ou  sous  seing  privé ,  par  ad- 
hésion mise  à  la  suite  d'un  jugement ,  ou  même  par  lettre 
missive;  tacite  lorsqu'il  résulte  du  silence  de  la  partie 
ou  d'actes  émanés  d'elle  qui  excluent  l'intention  de  se 
pourvoir  contre  une  procéduie  ou  un  jugement.  C'est  ainsi, 
par  exemple,  qu'on  est  censé  acquiescer  à  un  jugement 
par  défaut  contre  avoué,  si  l'on  n'y  a  fait  opposition  dans 
le  délai  de  huitaine ,  et  à  un  jugement  contradictoire ,  si 
l'on  n'interjette  appel  dans  le  délai  de  trois  mois.  L'ac- 
quiescement tacite  doit  être  volontaire  ;  s'il  n'était  que  le 
résultat  de  manœuvres  frauduleuses ,  il  serait  sans  effet  : 
en  un  mot,  il  nait  du  consentement  donné  à  l'exécution 
sans  réserve  de  protestations. 

Les  effets  de  raccpiiescement  sont  considérables  :  il  rend 
la  partie  qui  l'a  consenti  non  recevable  à  attaquer  les  actes 
ou  jugements  qui  en  ont  Hùt  l'objet  ;  il  lui  impose  l'obliga- 
tion d'accomplir  le  dispositif  de  ces  jugements,  ainsi  que 
de  payer  tou.i  les  frais  ;  il  emporte  abandon  de  l'objet  ré- 


—  ACQUIT 

clamé ,  opère  une  transaction  qui  éteint  complètement  et 
irrévocablement  l'action;  le  jugement  obtient  l'autorité 
de  la  chose  jugée,  et  ne  peut  plus  être  attaqué  à  l'avenir. 
Remarquons  toutefois  que  dans  un  jugement  qui  ren- 
ferme plusieurs  chefs  distincts ,  on  peut  en  exécuter  un  et 
conserver  le  droit  d'appeler  des  autres.  La  jurisprudence 
est  unanime  sur  ce  point.  —  L'acquiescement  simple  est 
passible  d'un  droit  fixe  de  deux  francs  s'il  est  fait  par  acte 
extrajudiciaire,  et  de  trois  francs  si  l'acte  est  passé  au  greffe. 
Il  n'est  dû  qu'un  seul  droit  lorsque  plusieurs  personnes 
acquiescent  simultanément  à  une  opération  qui  intéresse 
chacune  d'elles.  11  n'en  est  pas  ainsi  lorsque  le  même  acte 
contient  acquiescement  de  la  part  de  plusieurs  personnes 
à  plusieurs  opérations,  parce  qu'en  réalité  il  y  a  alors  plus 
d'un  acquiescement.  Paul-Jacques. 

ACQUISITION.  Ce  mot  se  prend  dans  des  acceptions 
différentes  :  il  signifie  devenir  propriétaire  d'une  chose,  ob- 
tenir un  droit  quelconque  ;  il  exprime  aussi  la  chose  acquise 
elle-même. 

L'acquisition  peut  porter  sur  des  biens  qui  n'appartiennent 
à  personne;  elle  prend  alors  le  nom  particulier  A'' occupation, 
et  s'opère  par  le  seul  fait  de  celui  qui  acquiert.  —  Elle  peut 
porter  sur  des  biens  qui  ont  déjà  un  maîtie,  et  alors  le  mode 
de  transmission  est  réglé  par  la  loi ,  comme  en  matière  de 
successions ,  de  donations  et  testaments ,  A^ obligations, 
et  autres  manières  d'acquérir  énumérées  au  livre  III  du  Code 
Civil.  —  On  acquiert  à  titre  universel  lorsque,  par  suc- 
cession ab  intestat  ou  par  testament ,  on  succède  aux  droits 
et  actions  d'une  personne  pour  une  part  indéterminée.  On 
acquiert  à  titre  particulier  quand  il  s'agit  d'une  ou  plu- 
sieurs choses  déterminées  :  par  exemple,  l'enfant  qui  hérite 
de  son  père  est  un  successeur  à  litre  univei-sel;  l'acheteur 
ne  prend  qu'à  titre  particulier.  On  acquiert  à  titre  onéreux, 
lorsqu'on  donne  l'équivalent  de  ce  qu'on  reçoit  :  par  exemple, 
la  vente;  à  titre  gratuit,  lorsque  l'on  prend  sans  rien  dé- 
bourser :  par  exemple,  la  donation.  —  On  divise  encore  les 
moyens  d'acquisition  en  originaires  et  dérivés  :  originaires 
lorsqu'on  acquiert  la  propriété  d'une  chose  sans  maître  :  les 
épaves,  le  gibier,  le  poisson,  le  butin  pris  sur  l'ennemi  ;  dé- 
rivés ,  qui  embrassent  tous  les  cas  de  la  division  précé- 
dente. —  Malgré  sa  généralité ,  cette  classification  des  ma- 
nières d'acquérir  n'embrasse  pas  tous  les  événements  qui 
peuvent  donner  naissance  à  la  propriété.  La  prescrip- 
t  ion, \Aspécificat  ion, Yaccession  industriel  le, 
sont  encore  autant  de  moyens  d'acquisition. 

ACQUIT.  Le  mot  acquit  est  synonyme  de  quittance, 
mais  on  le  restreint  d'ordinaire  aux  décharges  mises  au  bas 
des  billets  à  ordre ,  lettres  de  change  ou  autres  effets  négo- 
ciables. Ceux-là  sont  seuls  exceptés  de  la  formalité  de  l'en- 
registrement. 

En  termes  de  douanes ,  c'est  la  quittance  imprimée  sur 
papier  timbré  qui  est  expédiée  et  délivrée  aux  voituriers , 
commissionnaires  ou  négociants ,  par  les  commis,  receveurs 
et  contrôleurs  des  bureaux  des  impositions  indirectes,  des 
octrois  et  des  douanes ,  établis  aux  entrées  et  aux  sorties 
des  villes  et  sur  les  frontières  du  royaume.  On  distingue  trois 
sortes  d'acquits  :  Vacquit  de  payement,  Vacquit  à  caution, 
et  Yacquit  à  ca^ition  de  transit.  Vacquit  de  payement 
porte  l'indication  de  la  quantité ,  de  la  qualité ,  du  poids  et 
de  la  valeur  des  marchandises ,  du  nombre  des  caisses,  des 
balles  et  des  ballots  où  elles  sont  renfermées ,  de  leurs  mar- 
ques et  numéros,  des  plombs  quiy  sont  apposés,  de  la  somme 
qui  a  été  payée  pour  les  droits  d'entrée  ou  de  sortie,  du  nom 
de  l'expéditeur  et  du  destinataire,  du  lieu  de  la  desti- 
nation et  de  la  roule  à  suivre  par  levoiturier.  — Vacquit  à 
caution  ou  de  précaïUion  est  délivré  par  la  régie  à  celui 
(]ui  se  rend  caution  que  des  marchandises  seront  visitées  au 
bureau  de  leur  destination,  et  que  les  droits  y  seront  ac^ 
quittés.  Ces  marchandises  sont  mises  sous  balle  cordée, 
ficelée  et  plombée,  au  bureau  où  l'acquit  est  délivré.  Arri- 


ACQUIT  —  ACRIMONIE 


vëes  à  leur  destination  ,  elles  sont  vérifiées;  l'acquit  est  cUV 
cliargé  si  les  droits  ont  été  intégralement  payés,  et  renvoyé 
à  la  caution, afin  que,  sur  son  exhibition, elle  en  soit  déchar- 
gée aux  yeux  de  la  régie.  —  L'acquit  à  cautioti  de  transit 
se  délivre  pour  l'importation  ouTexportation  des  marchan- 
dises qui  sont  aftVancliies  du  payement  des  droits.  L'acqviit 
est  vérifié  au  dernier  bureau  qui  s'y  trouve  indiqué;  et,  sur 
la  vérification  de  l'exactitude  de  la  déclaration  faite  par  le 
propriétaire,  l'acquit  est  renvoyé  déchargé  à  celui  qui  s'était 
rendu  caution  du  transit. 

ACQUITTEMENT.  En  jurisprudence  ce  mot  exprime 
le  renvoi  d'une  accusation  ou  d'une  poursuite.  On  ne  doit 
pas  confondre  acquittement  avec  absohction  ,  quoique  le 
code  criminel  ne  fasse  ordinairement  aucune  distinction  entre 
ces  deux  mots  et  les  emploie  indifféremment.  Il  y  a  acquit- 
tement lorsque, sur  la  déclaration  de  non-culpabilité,  le  pré- 
sident décharge  l'accusé  des  fins  de  poursuites.  Il  y  a  abso- 
lution lorsque  le  tribunal  ne  trouve  aucune  peine  applicable 
à  l'accusé  déclaré  coupable  d'un  fait  qui  n'est  pas  défendu 
par  la  loi.  — L'acquittement  doit  avoir  lieu  si  l'accusation 
manque  de  preuves ,  si  l'accusé  n'a  pas  agi  avec  discerne- 
ment, s'il  se  trouve  dans  un  cas  d'excuse  légale,  s'il  y  a 
partage  parmi  les  juges  :  il  est  prononcé  par  le  président 
seul,  en  forme  d'ordonnance.  Si,  au  contraire,  le  jury  a  re- 
connu l'existence  d'un  fait  non  réprimé  par  la  loi,  l'absolu- 
tion de  l'accusé  doit  être  rendue  en  forme  d'arrôt.  —  Une 
fois  acquitté  ou  absous ,  nul  ne  peut  être  repris  et  accusé 
à  raison  du  môme  tait,  encore  bien  qu'après  le  jugement  il 
vienne  à  surgir  de  nouvelles  preuves.  L'acquittement  pro- 
noncé, l'accusé,  s'il  est  détenu,  doit  être  relaxé,  à  moins  qu'il 
ne  soit  retenu  pour  autre  cause.  —  Dans  le  nouveau  Code  de 
justice  militaire  et  maritime  on  a  tait  une  distinction  entre 
l'acquittement  et  l'absolution.  Dans  le  premier  cas  l'accusé 
est  immédiatement  rendu  à  la  liberté,  dans  le  second  il  n'est 
libre  qu'après  l'appel  ou  l'expiration  du  délai  d'appel  en  ré- 
vision, et  il  peut  repasser  en  jugement  si  le  conseil  de  révi- 
sion trouve  qu'une  peine  est  applicable  au  fait  constaté.    Z. 

ACRE,  ACRETE,  sorte  de  saveur  qui  donne  un 
sentiment  de  brûlure  et  de  chaleur  dans  la  gorge.  On  a  dé- 
signé sous  le  nom  d'acres  un  certain  ordre  de  poisons.  Les 
médecins  entendent  par  chaleur  acre  celle  qui  au  doigt 
donne  une  sensation  de  sécheresse  et  de  picotement.  — 
Les  anciens  médecins  admettaient  l'àcreté  des  humeurs 
(voyez  Acrimonie). 

ACRE,  ancienne  mesure  agraire  qui  différait  suivant 
les  pays  et  même  les  provinces.  En  France  elle  approchait 
généralement  de  50 ares  ;  l'acre  d'Angleterre  vaut  40  arcs  46  ; 
celui  de  Cassel,23  ares  86;  celui  de  Weimar,  28  ares  49. 

ACRE  ou  SALM-JEAN-D'ACRE,  en  arabe- yt/.to,  chef- 
lieu  du  pachalick  de  ce  nom,  ville  de  Syrie,  située  sur 
les  bords  de  la  mer  Méditerranée,  à  trois  lieues  du  mont 
Carmel,  par  32»  54'  lat.  N.  et33M5'  long.  E.  Son  port  est 
presque  rempli  de  sable,  et  l'ancrage  y  est  dangereux.  Le  com- 
merce ne  s'y  fait  que  par  petits  navires.  Il  exporte  du  coton 
et  du  riz  récoltés  dans  ses  environs.  Sa  population  est  d'en- 
viron 10,000  âmes;  le  climat  est  insalubre.  Parmi  les  mo- 
numents de  Saint-Jean-d'Acre  on  peut  citer  le  palais  du 
pacha,  la  mosquée,  et  les  bains  publics  ,  qui  passent  pour 
les  plus  beaux  de  l'Orient. 

Saint-Jean-d'Acre  remonte  à  une  très-haute  antiquité; 
les  Phéniciens  l'avaient  appelé  Acco;  sous  la  domination 
des  Ptoicmées  il  reçut  le  nom  de  Ptolémaïs.  Conquise 
par  les  Perses,  et  plus  tard  par  les  Romains,  cette  ville 
devint  enfin  la  proie  des  musulmans.  Les  premiers  croisés 
s'en  emparèrent  sans  résistance  en  1100.  Sa  lad  in  y  entra 
de  même  en  1187,  après  la  victoire  de  Tibériade,  et 
s'appliqua  à  la  rendre  extrêmement  forte.  C'est  de  ce  mo- 
ment que  commence  son  importance  dans  l'histoire.  Deux 
ans  après,  au  mois  de  septembre  1IS9,  elle  fut  investie  par 
les  croisés.  Plus  de  cent  combats  et  neuf  grandes  batailles 


99 

furent  livrés  sous  ses  murs;enfin  Philippe-Auguste  et 
Richard  Cœur  de  Lion  s'en  emparèrent  en  1191. 
Instruits  par  l'expérience,  les  chrétiens  résolurent  de  la 
rendre  imprenable.  Aux  travaux  de  Saladin  on  en  ajouta  de 
nouveaux  ;  et  comme  Jérusalem  était  restée  au  pouvoir  des 
infidèles ,  elle  devint  la  capitale  des  débris  des  colonies  cliré» 
tiennes.  Le  roi  de  Jérusalem  y  fixa  sa  résidence;  les  che- 
valiers de  Saint-Jean  vinrent  s'y  établir,  et  lui  donnèrent 
leur  nom.  Elle  atteignit  en  peu  de  temps  un  haut  degré  de 
prospérité,  et  devint  le  marché  de  l'Orient  et  de  l'Occident. 
Mais  cette  splendeur  ne  devait  pas  avoir  une  longue  durée; 
la  désunion  se  mit  parmi  les  défenseurs  lie  la  croix,  et 
Chalil,  septième  sultan  d'Egypte  et  de  Syrie,  surnommé 
Melik-al-Aschraf  (le  roi  illustre),  la  prit  d'assaut,  le  4  mai 
1291,  malgré  la  défense  héroïque  des  chevaliers  hospitaliers 
et  teutoniques  et  des  Templiers.  Les  musulmans  rasèrent 
les  fortifications,  détruisirent  la  ville  et  comblèrent  le  port. 
Saint-Jean-d'Acre  restaau  pouvoir  de  l'Egypte  jusqu'en  1517, 
époque  où  le  sultan  Sélim  V  asservit  les  Mamelouks. 
Le  chéik  Daher,  émir  arabe  qui  dominait  sur  l'ancienne 
Galilée,  s'en  empara  sur  les  Turcs  vers  le  milieu  du  dix-hui' 
tième  siècle,  et  y  ramena  un  peu  de  commerce  et  de  prospérité. 

Le  nom  d'Acre  vint  de  nouveau  occuper  le  monde  lorsque 
en  1799,  sous  le  cruel  Djezzar-Pacha,  elle  soutint,  avec 
l'assistance  des  Anglais,  commandés  par  Sidney  Smith,  un 
siège  de  soixante  jours  contre  les  Français.  Le  27  mai  1832, 
elle  fut  prise  d'assaut  par  Ibrahim-Pacha,  fils  du  vice- 
roi  d'Egypte.  Abdoullah-Pacha,  qui  l'avait  défendue  pendant 
six  mois ,  fut  conduit  prisonnier  de  guerre  en  Egypte ,  où 
on  le  traita  avec  égards.  A  partir  de  1833  ,  Méhémet-Ali 
exerça  le  pouvoir  souverain  eu  Syrie ,  et  Ibrahim-Pacha 
vint  résider  à  Saint-Jean-d'Acre  comme  gouverneur.  Lors- 
qu'en  1839  le  sultan  Mahmoud  II  eut  déclaré  Méhémet-Ali 
rebelle ,  Ibrahim-Pacha  répondit  par  le  gain  de  la  bataille 
de  Nésib.  Le  traité  du  15j  ui  1  let  1840n'accordaità  Méhémet- 
Ali  que  la  possession  de  la  partie  sud  de  la  Syrie  sous  la  dé- 
nomination de  pachalick  d'Acre.  Le  vieux  pacha  ayant  re- 
fusé d'obtempérer  aux  prescriptions  du  traité,  les  puissances 
signataires  ordonnèrent  le  blocus  des  côtes  de  la  Syrie  par 
une  flotfe  anglo-austro-turque,  sous  les  ordres  de  l'amiral 
Stopford.  Beyrouth,  Saïd,  Jaffa,  Sour,  Djebel  et  Botroun 
tombèrent  bientôt  aux  mains  des  confédérés,  et  Saint-Jean- 
d'Acre,  à  son  tour,  succomba  après  deux  jours  d'un  bombar- 
dement dirigé  par  le  commodore  Napier.  Force  fut  alors  à 
Ibrahim-Pacha  de  se  décider  à  abandonner  la  Syrie.  Par  la 
convention  qui  mit  fin  aux  discussions  du  sultan  avec 
Méhémet-Ali,  celui-ci  dut  renoncer  au  pachalick  de  Saint- 
Jean-d'Acre,  qui  fut  replacé  sous  l'autorité  du  sultan. 

ACREL  (Olof),  un  des  plus  grands  chirurgiens  du 
dix-huitième  siècle,  naquit  en  1717,  dans  un  village  des  en- 
virons de  Stockholm.  Après  avoir  terminé  ses  études  à  Up- 
sal,  il  fit  plusieurs  voyages  à  l'étranger,  et  servit,  en  1744, 
en  qualité  de  chirurgien  dans  l'armée  française  en  Alle- 
magne. Plus  tard,  il  fut  nommé  chirurgien  général  del'état- 
major  de  l'armée  suédoise,  professeur  a  Stockholm,  com- 
mandeur de  l'ordre  de  Gustave  Wasa,  et  mourut,  dans  un 
âge  fort  avancé,  en  1807.  Son  ouvrage  sur  les  Cas  chirur- 
gicaux est  resté  classiqiie.  II  est  peu  d'opérations  qui  n'aient 
été  perfectionnées  par  Acrel. 

ACRIDOPHAGE  (du  grec  àxpî;,  àxpîSo;,  saute- 
relle, et  (payw,  je  mange),  qui  mange,  qui  se  nourrit  de 
sauterelles.  On  a  donné  ce  nom,  dans  l'antiquité,  à  un 
peuple  fabuleux  que  l'on  plaçait  dans  l'Ethiopie,  au  delà  du 
Nil.  —  Dans  l'histoire  naturelle,  ce  nom  s'applique  à  des 
animaux  qui  mangent  des  sauterelles,  les  détruisent. 

ACRL\10I\IE,  &ynonynvi  dYicreté ,  pris  au  figuré.  — 
Dans  l'ancienne  médecine ,  on  désignait  sous  ce  nom  une 
altération  des  humeurs,  à  laquelle  on  attribuait  la  produc- 
tion de  diverses  maladies,  principalement  celles  de  la  peau. 
Longtemps  Vacrimonie  fut  un  sujet  de  discussion  parmi 

13. 


100 


ACRIMONIE  —  ACROTÈRE 


les  itK^tlecins  :  1ns  tins ,  en  effet ,  la  niaient  d'une  niaiiit're 
absolue  ;  les  autres  la  voyaient  en  tont  et  partout.  On  alla 
môme  jusqu'à  en  distinguer  de  plusieurs  sortes  :  ainsi,  il  y 
avait  racrimonie  mvlanique,  xalnir,  /rui.'evse,  ou  encore 
arthritique,  scorbutique,  dartreuse,  cancéreuse,  etc. 
Aujourd'hui  un  discn^dit  eoniplet  s'est  attaché  à  ces  di- 
verses opinions ,  et  personne  ne  .s'occupe  plus  de  Vacri- 
mouie. 

ACRISIUS.  Les  récits  et  les  généalogies  que  Ton  est 
convenu  d'admettre  h  la  place  que  tiendrait  l'histoire ,  si 
elle  avait  pu  être  conservée,  font  régner  Acrisius  h  Argos 
1361  ans  avant  J.-C.  Dans  la  mythologie,  il  est  père  de 
Danaé  et  grand-père  de  l^ersée.  Une  prédiction  portait 
qu'Acrisius  périrait  de  la  main  du  fils  que  sa  fi"e  mettrait 
an  monde.  11  fit  donc  tout  ce  qui  dépendait  de  lui  pour  em- 
pêcher qu'elle  ne  put  devenir  mère ,  et  à  cet  effet  il  l'en- 
ferma. Mais  on  sait  comment  s'y  prit  Jupiter  ;  d'autres 
disent  qu'elle  fut  fécondée  par  l'rœtus ,  frère  d'Acrisius. 
Celui-ci  fit  mettre  dans  un  coffre  la  mère  et  l'enfant, 
et  les  jeta  à  la  mer  ;  mais ,  poi1é  dans  l'île  de  Sisyphe , 
l'ersée  y  lut  élevé ,  voyagea ,  et  fit  beaucoup  de  belles  ac- 
tions ,  ce  qui  inspira  à  Acrisius  le  désir  de  le  voir.  L'en- 
trevue eut  lieu  à  Larisse  où  le  destin  s'accomplit,  Persée 
avant  tué  son  aïeul  sans  le  vouloir  en  lançant  un  disque 
pour  faire  preuve  d'adresse.  Strabon  dit  qu'Acrisius  a  or- 
ganisé les  Amphictyons;  mais  Théopompe,  Denys 
d'IIalicarnasse,  Pausanias,  font  honneur  de  cette  institu- 
tion h  Amphictyon  ,  roi  d'Athènes  :  d'où  l'on  a  conclu 
<lu'Acrisius  n'avait  fait  que  restaurer,  étendre  et  consolider 
Ce  qu'il  avait tiouvé  établi. 

ACPiOliATE  (du  grec  ây.po;,  extrémité;  paxEÏv, 
marcher  sur  la  pointe  du  pied).  Ce  mot  n'est  point  nou- 
Aean  parmi  nous.  Un  grave  personnage,  C.-F.-F.  Bouleuger, 
seigneur  de  Rivcry,  de  l'académie  d'Amiens,  lieutenant  civil 
au  bailliage  de  cette  ville,  divise  les  acrobates  en  quatre 
classes,  dans  ses  Recherches  historiques  et  critiques  sur 
quelques  aticiens  spectacles ,  particulièrement  sur  les 
mimes  et  pantomimes.  Avant  Boulenger,  Rlanlius  IS'icétas, 
dans  sa  Vie  (le  Carinus  ;  Symposius,  dans  ses  Antiquités 
(jrecques  et  romaines;  Dempster,  dans  ses  Paralipo- 
y/it'Hes,  désignent  les  sauteurs,  les  danseurs  de  corde  et 
les  acteurs  de  pantomime  sous  le  nom  d'acrobates.  Moréri 
et  les  auteurs  du  Dictionnaire  de  Trévoux  ont  enregistré 
ce  mot  dans  leurs  savantes  compilations.  Madame  Saqui , 
la  célèbre  acrobate  de  notre  époque ,  avait  appelé  de  ce 
nom  le  théâtre  qu'elle  avait  fondé  sur  le  boulevard  du  Temple. 
Forioso  faisait  les  délices  du  premier  empire,  lîlondin 
étonne  les  Américains  en  traversant  le  iNiagara  sur  la  corde 
tendue.  Voi/ez  Danseurs  he  corde. 

ACROCÉRAUiMENS  (Monts  ),  très-longue  chaîne 
de  montagnes  qui  côtoyait  l'Épire  et  la  Chaonie  jusqu'au 
pays  des  Molosses.  Strabon,  Pomponius  Mêla ,  Pausanias , 
les  appellent  Cérauniens.  Le  dernier  dit  que  la  flotte  des 
Grecs  ayant  été  dispersée  au  retour  de  Tioie,  les  Locriens 
fondèrent  Thronium  sur  le  fleuve  Boagrius.  Les  Abantes 
dliubée  nommèrent  Abantide  le  pays  (fu'ils  occupèrent  : 
les  uns  et  les  autres  perpétuèrent  ainsi  le  souvenir  de  leur 
patrie.  Le  nom  même  de  cette  chaîne  de  montagnes  indi- 
que l'élévation  de  sommets  toujours  frappés  on  menacés  de 
la  foudre  (  àxpo; ,  sommet;  xîpa'jvô;,  foudre). 
ACIVOtOHlAITIlE.  Voijvz  Cokintue. 
ACROLITIIE  (  du  grec  àxf  ov  ,  extrémité ,  et  XiOo; , 
pierre)  se  disait  d'une  espèce  de  statue  de  bois  ou  de 
bronze,  dont  les  extrémités  seules  étaient  en  marbre  ou  eu 
pierre.  Ce  genre  de  figures  se  prêtait  avec  facilité  à  l'u- 
sage de  plusieurs  têtes  qu'on  ajustait  sur  les  corps  des  sta- 
tues et  des  Hermès.  Par  ces  échanges,  on  variait  au  be- 
soin les  personnages.  Le  roi  Mausole  avait  placé  sur  le 
sonuiiet  du  temple  de  Mars  ii  Ilalicarnasse  un  célèbre  acro- 
lithe,  attribué  à  Tiniothéc. 


ACROMÎON  (du  g:T c âyf.o? ,  sommet;  huM,  épaule), 
prolongement  osseux  qui  termine  supéricurenient  l'omoplate 
et  qui  .s'articule  avec  la  clavicule.  —  On  a  donné  le  nom 
d'artère  et  de  veine  acromiates  à  deux  vaisseaux  qui  se 
distribuent  aux  nniscles  voisins  de  cette  éininence  osseuse. 
ACîlONYQUE  (de  âxpov,  extrémité;  vvÇ,  nuit). 
Voi/ez  LEvnn  ft  coucuer  des  astres. 

ACROPOLE  (du  grec  âxpov, sommet, et Ttô).'.;, ville). 
Ce  mot  grec  est  nécessaire  à  notre  langue,  car  la  traduction 
qu'on  en  a  faite  par  lcmot(v;fff/e//eest  des  plus  malheureu- 
ses. ^c?'o/)o/e  signifie  ville  (hi  sommet.  Elle  n'est  pas  nécessai- 
rement fortifiée  par  des  ouvrages,  elle  l'est  par  la  nature, 
par  l'escarpement  des  rochers,  et  n'a  de  nuirailles  cpie  du 
côté  accessible.  Niebuhr  a  cité  beaucoup  de  faits  à  l'appui 
de  cette  opinion.  —  Jusqu'ici  on  a  pins  >i>i'cialeuient  ap- 
pliqué ce  nomàla  citadelle  d'Atlièiies,  dont  Pausanias  a 
lait  une  intéressante  description.  De  C.oi.iîkcv. 

ACROPOLITE  (George)  naquit  en  1220,  à  Cons- 
tantinople,  qui  était  alors   au  pouvoir  des  Latins.  A  dix- 
sept  ans ,  il  se  rendit  à  Nicée ,  où  les  Lascaris  et  les  Ducas 
avaient  transporté  le  siège  de  l'empire  grec,  et  fut  élevé 
par  Jean  Ducas  à  la  dignité  de  grand  logothète.  Il  fut  en 
même  temps  chargé  de  diriger   l'éducation  du  fils  de  ce 
prince,  Théodore,  qui  monta  sur  le  trône  en  1235.  Sous 
le  nouveau  règne,   Acronolile,  devenu  gouverneur  de  la 
Macédoine ,  fut  fait  prisonnier  par  Aiicliel^Ange ,  prince  de 
Larisse,  et  ne  recouvra   la  liberté  que  sous   le  règne  de 
I\Iichel  Paléologue.  Celui-ci  l'envoya,  en  12G0,  en  ambas- 
sade auprès  de  Constantin ,  prince  des  Bulgares;  puis,  après 
la  reprise  de  Constantinople  sur  les  Latins,  il  le  nouuna 
rhéteur  de   l'Église,  et  1  envoya,  en  1274,  au  concile  de 
Lyon,  où  George  abjura,  au  nom  de  son  maître,  le  schisme 
de  l'Eghse  grecque.  George  fut  encore  envoyé,  en  rz82, 
en  ambassade  auprès  de  Jean,  roi  de  Bulgarie,  pour  lui 
offrir  la  main  d'Eudoxie,  troisième  fille  de  l'empereur.  Il 
mourut  la  même  anuée.  On  a  de  lui  trois  ouvrages  histo- 
riques, dont  le  plus  important,  qui  contient  l'histoire  de 
l'empire  grec  depuis  la  prise  de  Constantinople  par  les  La- 
tins, en  1204,  jusqu'à  la  reprise  de  celte  ville  par  les 
Grecs,  en  12G1,  se  trouve  dans  le  Xll*^  volume  de  la  col- 
lection byzantine  du  Louvre.  Ce  volume  a  été  reimprimé 
dans  la  collection  de  Mebuhr,  par  les  soins  d'Inuii.  Bec- 
ker.  —  Constantin  Acropolite,  fils  du  précédent,  et  son 
successeur  dans  la  charge  de  grand  logothète ,  fut  disgracie 
par  Michel  Paléologue  pour  s'être  opposé  à  la  réunion  des 
Eglises  grecque  et  romaiue ,  tentée  par  ce  prince  ;  mais  il 
rentra  en  faveur  sous  Andronic.  On  a  de  lui  quehpies  vies 
de  saints  ,  (pii  se  trouvent  dans  le  recueil  des  bollaudisfes. 
ACROSTiClîE  (du  grec   âxpov,  extrémité;    cti/c; , 
rang ,  oidre  ) ,  petit  morceau  de  poésie  dont  les  vers  sont 
disposés  de  manière  que  les  premières  lettres  forment  un 
nom,  un  sens,  une  devise,  qui  presque  toujours  est  le  sujet 
du  poëme.  Quelquefois  ce  sont  les  lettres  du  milieu ,  ou 
même  celles  de  la  lui ,  qui  sont  disposées  de  uiauière  à  of- 
frir un  sens  ou  un  nom. 
En  voici  un  exemple  : 

Portrait  de  Lalre. 

re  ciel,  qui  la  sauva  de  son  propre  penchant, 

>  b  bcaïUo  du  corps  unit  celle  de  l'àmc  ; 

C"ii  seul  de  SCS  re-jaids,  par  un  pouvoir  tuucliaut, 

— ciidail  a  la  vertu  le  cœur  de  sou  auiant. 

:t-.iIc  cudicllit  l'amour  eu  C()uranl  sa  liamciie. 

On  a  fait  aussi  des  sonnets  en  acrostiche. 

ACROTÈRE  (  du  grec  ày.f,toTr,4iov ,  pointe  ).  On  nomme 
ainsi, en  architecture, des  assises  qui  s'élèvent  au-dessus  de 
rentàblement  ou  du  fronton  d'un  édifice  ;  elles  servent  en 
général  de  piédestaux  à  des  statues.  Tantôt  les  acrotères 
sont  isolés ,  connue  lorsqu'ils  sont  placés  vers  les  bases 
ou  au  sommet  des  frontons  ;  tantôt  ils  font  partie  de  la  ba- 


ACROTÈRK  —  ACTE 


lustradc  qui  couronne  le  monument  :  alore  ils  sont  recou- 
verts (1*11110  taltlette  en  pierre.  11  y  a  des  acrotèies  au  fronton 
de  Notre-Dame  de  l.oretle  à  l'aris. 

ACTA  EUL'DlTORr.M.  C'e^t  le  titre  du  premier 
JKiirnal  lilléraiie  qui  ait  paru  en  Alloiiia!;nc,  de  celui  qui 
pendant  lon^tenip^  fut  Tiin  des  plus  lus  et  des  plus  ré- 
paniUis.  Déterminé  par  l'exemple  du  Journal  (fcs  Savants 
{ 1GG5) et  du  Gioniale  de' Lettcrat'i  (  lOGS),  en  mi^metemps 
(pie  jiar  Tactivilé  et  l'importance  toujours  plus  grandes  que 
le  commerce  de  la  librairie  prenait  alors  en  Allemagne,  le 
professeur  O.  .Mencke,  de  Leipzig,  fonda  ce  recueil  critique 
en  ICSO.  Après,  s'être,  au  moyen  d'un  voyage  en  Hollande  et 
en  Angleterre,  créé  les  relations  nécessaires,  il  connnença 
en  ICSî,  en  société  avec  les  savants  les  plus  distingués  de 
l'Allemagne,  la  publication  de  ce  journal,  dont  il  sut  élargir 
chaque  anm-e  davantage  le  cercle  de  lecteurs.  11  compta 
parmi  ses  collaborateurs  F.-B.  Carpzov,  Leibnitz,  Thoma- 
sius,  lîunau,etc.  Le  plan  dn  journal  n'admettait  que  des 
comptes-rendus  complets  et  exacts;  et  la  rédaction  resta 
lidi'le  à  celle  tendance,  alors  même  que  les  journaux  fran- 
çais publiés  en  Hollande  eurent  introduit  plus  de  vivacité  et 
d'indi'-pendance  dans  les  discussions  littéraires  rendues  pu- 
bliques par  la  voie  de  la  presse.  A  partir  de  1732  il  parut 
sous  le  titre  de  Nova  Acta  Erudltorum.  Le  peu  de  soin 
qu'on  apporta  à  répondre  aux  exigences  de  l'épocpie,  ensuite 
les  troubles  de  la  guerre  de  Sept  Ans,  mais  surtout  la  négli- 
gence de  plus  en  plus  marquée  de  la  rédaction,  dont  le  pro- 
fesseur Tel  fut  chargé  à  partir  de  1754,  tirent  perdre 
davantage  au  journal  chaque  année  en  richesse  de  matériaux 
et  en  circulation.  L'année  177G,  par  laquelle  il  se  termine, 
ne  fut  publiée  qu'en  1782.  Avec  ses  différents  suppléments 
et  les  tal)les,  il  comprend  117  volumes  in-4°. 

ACTA  SAXCTORmi.  Sous  cette  dénomination  on 
désigne  en  général  tous  les  recueils  contenant  les  rensei- 
gnements qui  nous  sont  parvenus  sur  les  saints  et  les  mar- 
tyrs de  l'Église  catholique  et  de  l'Église  grecque  ;  mais  c'est 
plus  particulièrement  le  titre  d'un  ouvrage  de  ce  genre 
dont  le  jésuite  Bolland ,  d'Anvers  ,  commença  la  publica- 
tion ,  sur  l'ordre  de  ses  supérieurs,  en  1643.  D'autres  jé- 
suites, nommés,  d'après  hii,  les  bollandistes ,  conti- 
nuèrent cette  collection ,  dont  les  dernières  livraisons  ont 
jiaru  en  1794.  Quoique  l'ouvrage  forme  cinquante-trois 
volumes  in-folio ,  il  n'est  pas  terminé.  Dès  le  deuxième  et 
le  troisième  siècle  on  commença  à  recueillir  des  notices  sur 
les  personnes  qui  s'étaient  fait  remarquer  par  la  sainteté  de 
leur  vie  ou  par  le  courage  qu'elles  avaient  opposé  aux  per- 
sécuteurs de  l'Église.  Les  premières  biograplues  complètes 
datent  du  quatrième  siècie.  A  la  fin  du  moyen  âge  le  nom- 
bre s'en  était  accru  d'une  manière  prodigieuse.  A  partir 
du  sixième  siècle ,  on  rédigea  ,  d'après  ces  biographies ,  des 
livres  de  piété.  La  première  collection  de  légcn(îes  origi- 
nales est  due  à  Boninius  Mombritius  ;  elle  date  de  1474. 
L'ouvrage  des  bollandistes  est  de  beaucoup  supérieur  à  tous 
ces  recueils  ;  c'est  le  plus  complet  et  le  mieux  écrit.  L'homme 
iiTipailial  qui  apportera  à  l'étude  de  ces  monuments  véné- 
rables de  l'antiquité  chrétienne  une  connaissance  parfaite 
des  mcrurs ,  des  usages  et  des  opinions  du  temps ,  qui  ne 
se  croira  pas  fondé  à  rejeter  un  fait  par  cela  seul  qu'il  ne 
s'accorde  pas  avec  les  idées  et  les  opinions  du  jour,  trouvera 
dnns  l'ouvrage  des  bollandistes  les  documents  les  plus  pré- 
cieux pour  l'histoire  du  moyen  âge. 

ACTE ,  dans  l'art  dramatique  ,  signifie  une  division  du 
drame  (jui  sert  à  reposer  l'attention  du  spectateur,  ou  qui 
termine  la  pièce.  L'intervalle  entre  deux  actes  s'appelle 
enlr'actc. 

Kn  jurisprudence  ce  mot  a  une  double  acception  :  tantôt  ii 
est  pris  pour  l'écrit  constatant  un  fait  quelconque,  tanl(jt 
il  est  pris  pour  le  fait  lui-même.  C'est  dans  ce  dernier  sens 
(pi'on  (Wi  faire  acte  d'Iiéril'ier.  Les  actes,  ])ris  dans  la  vé- 
lilablc  signilication  du  mot,  se  divisent  en  deux  cali'gories 


bien  distinctes;  ils  sont  publics  ou  privés.  —Les  actes  pu- 
blics sont  :  1"  les  actes  administratifs,  c'est-à-dire  ceux  (pii 
émanent  du  pouvoir  administratif,  et  qui  ont  pour  objet  nn 
service  d'utilité  publique  ;  2"  les  actes  judiciaires, c'es.l-h-dire 
ceux  qui  émanent  directement  du  juge  ou  qui  tendent  à 
obtenir  du  juge  une  solution.  Ainsi  un  jugement  est  un  acte 
judiciaire,  de  même  que  les  actes  de  procédure  finis  pour 
obtenir  ce  jugement,  tels  que  les  actes  d'avoué  et  d'huissier; 
3°  les  actes  extra-judiciaires,  c'est-à-dire  ceux  qui,  faits 
par  le  ministère  d'un  officier  ministériel,  sont  signifiés 
aux  parties  en  dehors  d'une  instance  ;  4°  les  actes  autfienfi- 
qxies ,  c'est-à-dire  ceux  qui  ont  lieu  devant  des  officiers  insti- 
tués pour  les  recevoir,  dans  le  ressort  pour  lequel  ces  officiers 
ont  été  établis,  et  avec  la  solennité  prescrite  parla  loi. 
Cette  dénomination  comprend  surtout  les  actes  notariés, 
c'est-à-dire  reçus  devant  l'officier  public  appelé  notaire. 
Les  actes  privés  sont  ceux  qui  n'ont  aucun  caractère  public 
et  sont  uniquement  l'œuvre  des  parties 

Il  a  été  longtemps  d'usage  en  France  de  rédiger  les  actes 
en  langue  latine,  qui  était  jdors  la  véritable  langue  des 
clercs  et  des  savants.  C'estseulementà  l'ordonnance  de  1539, 
rendue  par  François  l*%  que  remonte  l'introduction  du 
français  dans  la  rédaction  des  actes  et  des  jugements. 

On  divise  encore  les  actes  en  originaux  et  copies.  L'o- 
riginal d'un  acte  authentique  est  la  mnuite  qui  en  a  été 
dressée  ou  le  brevet  qui  en  a  été  délivré.  L'original  d'un 
acte  sous  seing  privé  est  l'acte  signé  par  les  parties.  Enfin  les 
actes  sont  soiiiflis  aux  formalités  du  timbre  et  de  l'enregis- 
trement ,  à  moins  qu'ils  n'en  soient  formellement  disoensés 
par  la  loi. 

H  nous  reste  à  énumérer  encore  quelques  acceptions  par- 
ticulières du  mot  acte.  Vacte  à  cause  de  mort  est  une  sorte 
de  donation  faite  au  moment  de  mourir;  ïacte  d'accti- 
sation  est  l'exposé  du  fait  d'un  crime  et  des  circonstances 
qui  rendent  un  individu  criminel  ;  les  actes  conservatoires 
sont  ceux  qui  ont  pour  objet  de  conserver  nos  droits  et 
de  nous  en  assurer  l'exercice  ( t'oye:;  Scellés,  Inscription 

HYPOTHÉCAIRE,       INVENTAIRE,     OPPOSITION);      leS     actCS    dc 

commerce  sont  des  négociations  faites  dans  un  but  dc  tra- 
fic :  ils  se  divisent  en  actes  commerciaux  par  leur  nature 
et  en  actes  commerciaux  par  la  qualité  des  personnes; 
les  actes  de  l'état  civil  sont  destinés  à  constater  les 
naissances ,  adoptions ,  mariages ,  décès  ;  Vacte  de  noto- 
riété est  une  attestation  d'un  fait  notoire  et  constant ,  ré- 
digé par  un  notaire  ou  un  juge  de  paix.  On  nomme  acte 
1-écognit if  celui  par  lequel  un  débiteur  reconnaît  de  nou- 
veau sa  dette  pour  empêcher  la  prescription  ;  l'acte  con- 
firmatif  a  pour  but  de  donner  de  la  force  à  un  acte  pré- 
cédent qui  n'en  aurait  pas  eu  sans  cela.  On  appelle  acte 
respectueux  une  démarche  que  font  auprès  de  leurs  pa- 
rents les  enfants  de  famille  pour  obtenir  leur  consentement 
au  mariage.  L'acte  sous  seing  privé  est  celui  qui  a  été 
rédigé  sans  l'intervention  d'un  officier  public;  Yacte  de 
suscription  est  l'acte  rédigé  par  un  notaire  pour  consta- 
ter le  dépôt  qui  lui  est  fait  d'un  testament  mystique. 

Acte  se  dit  aussi  en  parlant  des  déclarations  faites  devant 
un  tribunal,  soit  spontanément,  soit  d'après  l'ordre  de  la 
justice,  et  dont  on  a  constaté  l'existence;  c'est  dans  ce  sens 
qu'on  (lit  demander  acte ,  donner  acte.  Prendre  acte  de 
sa  comparution. 

En  Angleterre  acte  signifie  arrêté.  On  appelle  acte  de 
parlement  un  arrêté  du  parlement  qui  à  été  sanctionné  par 
le  roi.  L'ensemble  des  arrêtés  émanés  du  parlement  dans 
le  cours  d'une  session  s'appelle  statut  ;  les  arrêtés  en  for- 
ment les  sections  ou  i(!s  chapitres;  en  les  citant,  on  in- 
dique toujours  le  nom  du  monarque  et  l'année  de  son  règne 
de  laquelle  datent  ces  arrêtés.  Ainsi ,  l'acte  de  VHabeas 
corpus  est  le  deuxième  chapitre  du  statut  de  l'année  Ifiso  , 
le  trente-unième  du  règne  de  Chaih^'s  II,  et  on  le  désigne 
ainsi  par  abréviation  :  31.  cha[i   2.  C.  IJ. 


102  ACTE  ADDITIONNEL 

ACTE  ADDITIOXiXEL.  Pendant  les  dix  mois  qu'a- 
vait duré  la  preniiîîre  Restauration  ,  l'état  des  esprits  s'était 
considérablement  modifié  en  Trancc.  Bien  qu'octroyée,  la 
fliarte  de  1S14  n'en  renfermait  pas  moins  des  garanties  de 
liberté  dont  on  n'avait  jamais  joui  sous  l'erapirc  :  aussi  en 
(juittant  l'ilc  d'Klbe  Napoléon  comprit-il  qu'il  lui  faudrait 
traiter  avec  la  liberté.  11  ne  suffisait  pas  que  l'aigle  impé- 
riale volât  de  clocher  en  clocher  jusqu'aux  tours  de  Notre- 
Dame  pour  assurer  la  durée  de  son  retour  ;  il  fallait  donner 
au  i)euple,  et  surtout  aux  bourgeois,  des  preu\cs  certaines 
<pie  le  régime  glorieux,  mais  despoti(iue,  de  l'empire  avait 
entièrement  cessé.  Aussi  déclara-t-il  dans  toutes  ses  procla- 
mations ,  depuis  le  golfe  Juan  jusqu'à  Paris ,  qu'il  ne  reve- 
nait que  pour  rendre  la  France  libre,  heureuse  et  indépen- 
dante. Dès  le  13  mars,  par  un  décret  daté  de  Lyon,  il 
prononça  la  dissolution  des  chambres ,  et  convoqua  extraor- 
diuairement  tous  les  collèges  électoraux  de  remjjirc  à  Paris, 
pour  y  former  une  assemblée  du  champ  de  mai,  et  s'y  oc- 
cuper de  la  révision  des  constitutions  impériales. 

Mais ,  à  mesure  que  la  confiance  publique  revint  à  lui , 
à  mesure  qu'il  vit  s'accroître  sa  force  ,  il  sentit  diminuer  son 
désir  de  donner  la  liberté  qu'il  avait  promise  ;  l'empereur 
et  l'homme  de  guerre  reprenaient  le  dessus.  Les  soldats  étant 
tout  pour  lui ,  quand  il  en  vit  un  certain  nombre ,  il  crut 
qu'il  jiourrait  se  passer  du  concours  de  toutes  les  forces  na- 
tionales ,  qu'il  aurait  ramenées  infailliblement  autour  de  sa 
personne  par  des  concessions  libérales.  Il  ne  crut  pas  cepen- 
dant pouvoir  se  dispenser  de  tenir,  du  moins  en  partie,  sa 
promesse  de  donner  une  constitution  ;  mais,  dit  Thibaudeau  , 
il  se  révoltait  contre  la  tyrannie  de  l'opinion,  à  laquelle  il 
était  forcé  de  céder,  et  il  le  faisait  de  mauvaise  grâce,  sentant 
qu'il  agissait  contre  sa  nature  et  sa  conviction.  On  voulait 
le  détacher  du  passé ,  et  qu'il  fût  uu  homme  nouveau  : 
c'était  impossible;  il  s'y  cramponnait  de  toutes  ses  forces  : 
«  Vous  m'ôlez  mon  passé  ,  disail-il  ;  je  veux  le  conserver. 
«  IMes  onze  aimées  de  règne  !  l'Europe  sait  si  j'y  ai  des 
«  droits.  11  faut  que  la  nouvelle  constitution  se  rattache  à 
«  l'ancienne  ;  elle  aura  la  sanction  de  plusieurs  années  de 
«  gloire.  Les  constitutions  impériales  ont  été  acceptées  par 
«  le  peuple.  » 

La  nouvelle  constitution  dont  parlait  Napoléon,  celle  qui, 
selon  lui,  devait  satisfaire  tous  les  esprits  et  donner  au  peuple 
la  liberté  qu'il  était  en  droit  de  réclamer,  parut  d-ans  le 
Moniteur  du  23  avril  1815 ,  sous  le  titre  d'^lc^e  additionnel 
aux  constitutions  de  l'empire.  Elle  étonna  et  déplut  à  la 
fois  ;  Napoléon  y  reparaissait  conmie  le  mandataire  du  peuple 
français ,  et  déclarait  en  son  nom  ce  qui  lui  convenait.  Or, 
le  peuple  français  avait  espéré  tout  autre  chose  :  il  avait 
compté ,  d'après  les  promesses  de  l'empereur,  sur  une 
constitution  bbrement  discutée  par  ses  représentants;  il  s'é- 
tait attendu  à  voir  une  nouvelle  Assemblée  constituante , 
quelque  chose  de  national  et  de  grand  :  on  ne  lui  donnait 
«lu'un  décret.  Napoléon ,  que  l'enthousiasme  général  avait 
replace  à  la  tète  du  peuple ,  avait  repris,  sans  doute  à  son 
insu,  les  traditions  de  l'empire.  VActe  additionnel  nélM 
qu'une  espèce  de  charte  octroyée ,  qu'un  autre  acte  addi- 
tionnel pouvait  détruire  quand  il  plairait  à  l'empereur.  Il 
n'offrait  donc  aucune  garantie  de  stabilité ,  même  dans  sa 
durée.  Quoiqu'il  renfermât  des  dispositions  favorables  à  la  li- 
berté ,  il  était  vicieux  dans  sa  base ,  en  ce  sens  que  la  vo- 
lonté nationale  exprimée  par  la  chambre  des  représentants 
y  était  tenue  en  échec  par  la  chambre  des  pairs,  reconnue 
héréditaire.  Napoléon  retombait  vis-à-vis  de  la  liberté  dans 
les  fautes  de  la  Restauration;  il  revenait  au  despotisme,  et 
substituait  sa  suprême  volonté  à  la  volonté  du  peuple.  11  avait 
été  amené  à  cela  par  son  peu  de  conlîancc  dans  la  classe 
raisonneuse  de  la  nation.  Il  sentait  que  |iour  se  retrouver 
dans  son  élément ,  la  guerre,  il  devait  .s"ap|)uyer  sur  l'armée, 
qui  lui  était  obéissante  et  dévouée;  il  ne  voulut  pas  du 
tccours  que  hii  ajucnait  la  liberté  :  ce  fut  là  eon  tort  et 


-  ACTES  DES  APOTRES 

une  des  fautes  capitales  de  sa  politique  pendant  les  cent  jours. 

Cependant  VActe  additionnel,  quoiciue  ne  satisfaisant  ni 
les  besoins  ni  les  espérances  de  la  nation  ,  fut  soumis  à  l'ac- 
ceptation du  peuple  ;  et  tous  ceux  qui  étaient  opposés  de 
sentiment  aux  Bourbons,  tous  ceux  qui  ne  voulaient  point 
de  l'étranger,  s'empressèrent  de  le  signer.  Grand  nombre  de 
libéraux  et  de  républicains,  qui  regardaient  Napoléon  comme 
l'homme  de  la  nation ,  le  seul  qui  put  la  sauver  dans  le 
moment  critique  où  elle  se  trouvait,  y  adhérèrent  de  cœur. 
A  la  fctede  la  Fédération ,  le  l'^"'  juin,  les  électeurs  chargés 
du  dépouillement  des  votes  déclarèrent  que  treize  millions 
de  citoyens  l'avaient  accepté ,  et  que  quatre  mille  seulement 
l'avaient  rejeté.  Après  les  cent  jours ,  ce  fut  pour  beau- 
coup un  titre  à  la  faveur  des  Bourbons  que  de  n'avoir  pas 
signé  VActe  additionnel  ;  et,  soit  lâcheté,  soit  désir  de 
réparer  une  faute  qui  pouvait  les  compromettre ,  grand 
nombre  de  ceux  qui  dans  d'autres  temps  se  seraient  fait 
gloire  de  leur  signature  déclarèrent  publiquement  qu'ils  ne 
l'avaient  point  donnée.  De  Friess-Coloxna. 

ACTEON  (en  grec  'Axxaïov,  riverain),  fils  d'Autonoé, 
ime  des  quatre  filles  de  Cadmuset  d'Aristée,  naquit  à  Thèbes, 
fût  élève  de  Chiron,  et  devint  célèbre  par  sa  passion  pour  la 
chasse  et  par  son  infortune.  Un  jour  il  surprit  Diane  qui  se 
baignait  dans  la  vallée  de  Gargaphie.  Pour  le  punir  de  son 
indiscrétion ,  la  déesse  le  clrangea  en  cerf.  Cette  métamor- 
phose, dont  les  poètes  ont  varié  les  détails ,  est  racontée  par 
Ovide  avec  tout  le  charme  et  toute  la  tristesse  que  devait 
éveiller  dans  son  âme  l'idée  d'un  malheur  semblable  au 
sien.  On  sait  qu'Ovide  mourut  en  exil  pour  avoir  vu  Julie 
aux  bras  d'Auguste. 

ACTÉON  et  ACTION  (Zoologie).  Ces  deux  noms 
ont  été  donnés  à  deux  genres  de  mollusques.  Le  premier  a 
été  formé  par  Montfort  de  la  voluta  tornatilis  de  Linné  et 
des  espèces  analogues,  dont  Lamarck  a  fait  ensuite  son  genre 
tornatelle.  Le  deuxième,  ou  le  genre  actueon,  a  été  insti- 
tué par  Oken ,  d'après  l'animal  décrit  par  Montagu  dans  le 
tome  VllI  des  Transactions  linnéennes.  D'abord  placé 
entre  l'orchidie  de  Buchanan  et  le  genre  limace,  parce  qu'on 
le  croyait  pulmoné,  il  a  été  rangé  dans  l'ordre  des  tecti- 
branches,  près  des  aplysies,  ensuite  dans  la  famille  des 
placobranclies.  De  nouvelles  recherches  ont  fixé  de  nouveau 
l'attention  des  zoologistes  sur  cet  animal. 

ACTES  DES  APOTRES.  Les  Actes  des  Apôtres 
sont  un  livre  du  Nouveau-Testament,  qui  forme  la  conti- 
nuation de  l'Évangile  de  saint  Luc  ;  car  l'auteur  s'exprime 
ainsi  dès  le  début  :  «  J'ai  parlé  dans  mon  premier  livre 
«  de  toutes  les  choses  que  Jésus  a  faites  et  enseignées.  »  L'ou- 
vrage  est  aussi  adressé  à  Théophile,  ainsi  que  l'Évangile.  II 
est  écrit  en  grec  ,  et  contient  l'histoire  des  premiers  temps 
de  l'Église  chrétienne,  depuis  l'ascension  de  Jésus-Christ,  en 
l'an  33,  jusqu'à  la  deuxième  année  de  la  captivité  de  saint 
Paul  à  Rome,  l'an  G5.  C'est  là  que  se  trouve  consignée  l'his- 
toire de  saint  Paul,  de  sa  conversion,  de  ses  nombreux  voya- 
ges et  de  ses  prédications  en  Asie  et  en  Europe;  c'est  là 
aussi  qu'on  trouve  le  plus  de  lumières  pour  éclaircir  les  Épî- 
tres  de  saint  Paul,  pour  en  déterminer  l'ordre  et  la  date,  et 
pour  reconnaître  le  but  que  se  proposait  l'apôtre. 

Dans  leur  division  actuelle,  les  Actes  se  composent  de  vingt- 
huit  chapitres  ;  on  peut  y  distinguer  trois  parties.  La  première, 
comprenant  les  douze  premiers  chapitres,  raconte  l'établis- 
sement du  christianisme  en  Palestine  et  la  fondation  des 
premières  Églises,  jusqu'à  la  mort  d'Hérode  et  le  retour  de 
saint  Paul  et  de  Barnabe  à  Antioche.  La  seconde  partie 
embrasse  depuis  le  13*  jusqu'au  2t*  chapitre,  et  contient 
les  missions  de  saint  Paul  dans  les  pays  des  gentils,  soit  en 
A.sie,  soit  en  Europe.  Enfin,  la  troisième  partie,  du  cha- 
pitre 21  au  chapitre  2S,  présente  i'hisloire  de  la  captidté 
de  saint  Paul,  et  son  voyage  à  Rome  avec  saint  Luc. 

La  première  partie  des  Actes  des  Apôtres  est  la  plus  dé- 
veloppée  :   l'auteur  y  parle  en  témoin  oculaire.;  il  montre 


ACTES  DES  APOTRES  —  ACTEUR 


103 


inc  tello  connaissance  île  l'histoire  de  lÉglise  de  Jénisalem 
lu'il  doit  eu  avoir  été  ineiulire  dès  l'origine.  La  seconde 
)artie  est  consacrée  d'abord  à  l'Église  d'Aiitioche  :  elle  ex- 
>ose  son  origine  et  ses  preniiei-s  progrès ,  puis  un  voyage 
le  saint  Paul  et  de  Uarnatté  dans  l'ile  de  Chypre  et  dans  l'A- 
ie Mineure.  Il  n'est  question  de  l'Église  de  Jérusalem  que 
[uand  des  envoyés  d'.\ntioche  vont  la  consulter  ou  la  se- 
lourir  (xii,  1-25  :  xv,  4-30).  Il  est  donc  vraisemblable  que, 
a  nouvelle  doctrine  ayant  pris  racine  à  Anlioche,  saint 
.uc  quitta  Jérusalem  pour  retourner  à  Antioche,  sa  ville 
latale. 

L'autenr  parait  n'avoir  voulu  rapporter  que  les  faits  qu'il 
onnaissait  par  lui-même,  ou  d'après  des  témoins  oculaires. 
Vussi  le  récit  est-il  bien  plus  développe  lorsque  saint  Luc  se 
rouve  auprès  de  saint  l'aul  :  tel  est ,  par  exemple,  leur  sé- 
our  en  Macédoine  et  à  Athènes  (ch.  xvi  et  xvii).  Saint  Paul 
«  sépare-t-il  de  l'historien,  le  récit  se  resserre,  et  un  séjom- 
l'un  an  et  demi  à  Corinlhe  n'occupe  que  dix-sept  versets 
xviii,  1-17)  ;  puis  le  récit  d'un  voyage  d'Éphèse  à  Jérusa- 
eui  est  renfermé  en  deux  versets.  Plus  tard,  saint  Luc  re- 
rouve  saint  Paul,  et  le  récit  redevient  abondant  et  aniuié. 
saint  Paul  arriva  à  Rome  la  huitième  année  du  règne  de 
Séron  ;  il  y  prêcha  deux  ans.  Il  est  fort  à  regretter  que  saint 
Luc  n'ait  pas  raconté  les  détails  de  ces  deux  ans  de  séjour  à 
Rome,  et  que  les  Aclcs  se  taisent  sur  la  suite  de  l'histoire  de 
^aint  Paul.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  livre  des  Actes  est  pré- 
ieux  par  les  renseignements  qu'il  nous  a  conservés  sur  l'é- 
;at  des  sectes  juives  à  cette  époque,  sur  les  superstitions 
?ontre  lesquelles  la  nouvelle  doctrine  avait  à  lutter ,  sur  les 
préventions  que  saint  Paul  rencontra  dans  le  sein  du  ju- 
Jaïsme,  et  qui  le  forcèrent  de  s'adresser  aux  gentils. 

—  Sous  ce  titre.  Actes  des  Apôtres,  PeltierpubUa  enl789 
un  pamphlet  périodique  contre  l'Assemblée  constituante.  Cet 
ouvrage  eut  un  grand  succès.  C'était  le  Charivari  de  ce 
temps-là.  La  satire  personnelle  en  faisait  surtout  les  frais; 
on  y  trouve  plus  d'esprit  que  de  raison ,  et  plus  de  gaieté 
que  d'esprit;  cependant,  on  distinguait  parfois  des  criti- 
ques assez  fines  et  des  idées  originales ,  au  milieu  d'une 
foule  de  sarcasmes ,  de  calembours  et  de  mauvaises  plai- 
santeries de  tous  genres.  Par  exemple,  à  propos  des  dis- 
cussions de  l'Assemblée  sur  la  question  de  savoir  à  qui 
appartiendrait  le  droit  de  faire  la  paix  et  la  guerre ,  l'au- 
teur met  en  scène  le  député  Cochon ,  qui ,  assez  embar- 
rassé de  motiver  son  avis,  se  tire  toujours  d'affaire  par  un 
^071  hon  spirituel  ;  et  l'on  finit  par  décider  que  la  paix  et 
la  guerre  se  feront  d'elles-mêmes.  Ailleurs ,  les  rédacteins 
de  la  nouvelle  constitution  sont  travestis  en  danseurs  de 
corde ,  faisant  leurs  exercices  sur  le  fil  de  fer  tendu.  Target 
(  un  des  principaux  auteurs  de  cette  constitution  )  s'élance, 
vêtu  en  matelot  blanc  bordé  de  bleu,  appuyé  sur  l'orteil 
du  pied  droit ,  la  jambe  gauche  en  l'air,  et  les  coudes  ar- 
rondis ;  l'abbé  Siéyès  lui  présente  une  pyramide  colossale 
et  renversée,  en  avertissant  rassen)blée  que  M.  Target  al- 
lait la  mettre  en  équilibre  sur  la  pointe.  Target  essaye  en 
effet  de  mettre  la  pyramide  en  équilibre  sur  le  bout  de 
son  doigt ,  pendant  que  Tallien,  habillé  en  arlequin,  cliante 
l'air  de  hose  et  Colas  :  Ah  !  comme  il  y  viendra  !  Target 
voulant  répondre,  J'ai  pins  que  vous  le  poignet  ferme, 
(ait  un  faux  mouvement  ;  la  pyramide  l'entraine ,  il  roule 
et  disparaît.  Dans  un  autie  endroit,  il  produit  un  fragment 
de  Salluste ,  retrouvé  à  Vincennes ,  dans  la  chambre  qu'a- 
vait occupée  Mirabeau,  et  ce  fragment  est  une  généalogie 
de  Catilina,  dont  Mirabeau  descend  en  droite  ligne.  Ces 
indications  suffisent  pour  juger  ia  verve  caustique  qui  ani- 
mait ce  recueil.  Quant  à  l'esprit  qui  présidait  à  sa  rédac- 
tion,  il  est  franchement  contre-révolutionnaire;  il  attaque 
toutes  les  idées  nouvelles,  dénigre  toutes  les  réformes;  en 
un  mot ,  c'était  un  des  organes  les  plus  hardis  du  parti  aris- 
tocratique. Les  Actes  des  Apôtres  de  Peltier  forment  neuf 
volumes,  qui  pendant  longtemps  ont  été  très- recherchés  des 


amateurs  de  collections,  et  qui  se  vendaient  très-cher  tant 
qu'a  vécu  la  génération  qui  a  connu  les  personnages  aux- 
quels s'adressaient  ces  jiersonnalités.  AnT\iD. 

ACTEUR  (du  verbe  agcre,  agir,  qui  agit).  L'ancien 
Apparat  royal,  M\[.  de  170!?,  donne  de  ce  mot  la  définition 
sifivante  :  «  Qui  dit  en  public,  sur  le  théûtre  ou  dans  le  bar- 
reau. »  Aujourd'hui,  nos  avocats,  même  lus  mains  cfltbres, 
seraient  peut-être  peu  flattés  d'être  appelés  acteurs; 
ce  mot  ne  s'applique  qu'aux  personnes  qui  montent  sur  le 
théâtre  pour  concourir  à  la  représentation  d'une  opu%Te  scé- 
nique.  C'est  le  nom  général  donné  par  le  public  à  cette  pro- 
fession, depuis  le  premier  tragique  jusqu'aux  danseurs  et  aux 
modestes  comparses.  Le  titre  de  comédien  ou  de  tragédien 
sonne  cependant  mieux  aux  oreilles  de  ces  messieurs ,  et 
la  plupart  croient  devoir  prendre  la  qualité  d'artiste  dra- 
matique. 

Chez  les  nations  grecques ,  douées  d'une  intelligence  rive 
et  d'une  exquise  sensibilité,  la  profession  d'acteur,  qui  se 
lie  à  celle  d'écrivain  dramatique  par  des  rapports  si  intimes, 
exercée  d'ailleurs  par  des  citoyens  dans  les  fêtes  solennelles 
et  aux  réunions  olympiques,  dut  nécessairement  être  hono- 
rable et  honorée.  11  n'en  fut  pas  de  même  chez  les  Piomains, 
peuple  de  mœurs  énergiques,  mais  grossières,  plus  fait  pour 
la  guerre  que  pour  les  jeux  de  l'esprit.  Là,  les  premiers  ac- 
teurs, sortis  de  la  classe  des  esclaves,  ou  tout  au  moins  des 
affranchis,  ou  venus  des  provinces  conquises,  se  trouvèrent 
en  concurrence  avec  des  gladiateurs  et  des  entrepreneurs  de 
combats  d'animaux ,  comme  plus  lard  Shaicespeare  le  fut  à 
la  cour  d'Elisabeth  avec  les  gardiens  d'ours.  L'infériorité  de 
position  de  ceux  qui  exercèrent  les  premiers  la  profession 
influa  sur  le  degré  d'estime  que  le  sénat  jugea  devoir  ac- 
corder à  leurs  successeurs.  Tacite  nous  apprend  que,  d'a- 
près des  ordonnances  spéciales ,  un  sénateur  ne  pouvait  les 
visiter  chez  eux,  ni  un  chevalier  romain  les  accompagner 
dans  la  rue.  Il  fallut  les  réclamations  d'un  tribun  du  peuple 
et  le  bon  sens  de  Tibère  pour  maintenir  une  ordonnance 
d'Auguste  qui  les  déclarait  exempts  du  fouet  et  empêcher 
le  sénat  de  livrer  leurs  épaules  à  l'arbitraire  d'un  préteiu". 

En  France,  placés  entre  la  noblesse,  qui  les  nourrissait 
sur  le  pied  de  domesticité,  et  la  bourgeoisie,  qui,  ne  les 
rencontrant  dans  aucune  ville  ou  corporation  de  quelque 
importance  ou  de  quelque  utilité ,  oublia  de  les  admettre  à 
cette  confraternité  d'estime  que  les  arts  et  métiers  s'accor- 
daient mutuellement,  leur  condition  était  déjà  fort  précaire  : 
la  jalousie  du  clergé  devait  l'empirer  encore,  ^'on  content 
de  monopoliser,  en  faveur  des  frères  de  la  Passion,  la  repré- 
sentation des  mystères ,  il  travailla  à  entraver  ia  représen- 
tation des  soties  et  farces,  au  profit  de  concurrents  plus 
gais  et  plus  courus,  et  dans  ce  but  réchauffa  les  anathèmes 
que  les  puritains  de  la  primitive  Église  avaient  jadis  fou- 
droyés contre  les  cirques  où  l'on  avait  martyrisé  les  chré- 
tiens ,  et  par  extension  contre  les  comédiens  et  les  mimes. 
Ce  tut  pour  les  acteurs  le  comble  de  la  misère.  Dans  l'an- 
cienne Rome,  fouettés,  mais  grassement  payés  pendant  leur 
vie,  ils  avaient  en  mourant  la  certitude  que  leurs  os  iraient, 
comme  ceux  de  tout  le  monde,  se  calciner  sur  un  bûcher,  et 
l'espoir,  si  Minos  n'était  pas  trop  sévère,  que  les  Champs 
Elyséens  s'ouvriraient  pour  leurs  âmes.  En  France,  mai- 
gres pendant  leur  vie  (le  pain  d'aumône  nourrit  mal),  leur 
corps,  au  moment  de  son  divorce  d'avec  l'âme,  fut  con- 
damné à  pourrir  sans  prières,  et  leur  âme  jetée  aux  fiammes 
pour  l'éternité.  Notre  état  social  a  fait  enfin  justice  d'un 
préjugé  lidicule  et  odieux  contre  une  profession  qui  de- 
mande une  réunion  rare  de  qualités  brillantes.  Pour  réhabi- 
liter l'honneur  de  ia  nation  francise,  empressons-nous 
d'ajouter  que  les  gens  d'esprit  et  de  goût  n'avaient  point 
attendu  cette  époque.  Baron  et  Lekain,  longtemps  avant 
Talma,  avaient  compté  non  des  protecteurs,  mais  des  amis 
illustres,  dans  la  noblesse,  les  sciences  et  les  arts.  Préville 
initiait  aux  secrets  de  son  art  des  notabilités  de  la  cour  an 


,04  ACTEUR 

moment  où  la  fiiieiir  de  jouer  la  conK^die  lonrnait  toutes  les 
tètes,  lon'ilenips  axaiitciucl.alond  jouât  le  Misanthrope  au 
château  de  Lornioy,  de  couiplicit*''  avec  madame  la  du- 
chesse et  M.  le  duc  de  Maillé,  premier  gentilhomme  du  roi 
Charles  X.  Aujourd'hui  que  l'on  exerce  l'art  théâtral  sans 
en  être  moins  {;arde  national,  électeur,  juré  et  élii^ible,  la 
leinine  du  monde  reçoit  dans  son  salon  le  comédien  ou 
trofjcdien  célèbre,  s'il  a  de  l'esprit  et  de  bonnes  manières; 
le  bourj^eois  ne  refuse  pas  à  un  artiste  dramatique  sa 
soupe,  et  même  sa  lille,  s'il  gai^ne  de  bons  appointements  et 
mène  une  vie  rangée,  et  le  prolétaire  professe  presque  du 
respect  pour  tout  acteur.  Sai.nt-Geiimain. 

ACl'EUK  (  Pièces  à  ).  C'est  le  nom  signilicatif  cpie  l'on 
a  donne  à  un  genre  de  composition  dramatique  qui  con- 
siste ù  sacriiier  à  un  talent ,  souvent  même  à  un  défaut 
et  à  un  ridicule  physi(iue  d'un  acteur  aimé  du  public , 
toute  action,  tout  style,  tout  dialogue,  toute  intrigue.  On 
voit  sur-ie-cliamp  ce  (jue  cette  manière  a  de  servile  et  de 
<iégradant  pour  l'art.  Au  lieu  de  s'abandonner  à  son  imagi- 
nation, à  son  esprit,  à  sa  verve,  l'auteur  fait  poser  devant 
lui  un  comédien ,  et  tout  son  travail  consiste  à  lui  faire 
produire  de  l'ellèt.  11  en  résulte  quelquefois  pour  l'acteur 
inivilégié  une  création  originale,  presque  toujours  un  succès 
pour  l'auteur,  mais  non  une  œuvre  qui  puisse  rester. 

ACTIAQUE  (Ère).  Voyez  Ère. 

ACÏlAQtltS  (Jeux).  Ces  jeux  étaient  anciens.  Ils  se 
célébrèrent  d'abord  tous  les  trois  ans,  à  Actium  ,  en  l'hon- 
neur d'Apollon.  Mais  Auguste,  ajirès  la  victoire  d'A  cti  u  m, 
les  ayant  renouvelés  et  leur  ayant  donné  plus  d'éclat ,  les 
transporta  dans  sa  nouvelle  ville  de  JNicopolis,  où  depuis 
on  les  célébra  tous  les  cinq  ans.  Ils  eurent  lieu  ensuite  à 
Rome;  Tibère  les  présida  dans  sa  jeunesse.  Virgile,  pour 
plaire  à  .Auguste,  en  a  parlé  dans  sou  troisième  livre  de 
Vlinéide.  Ces  jeux  consistaieut  en  courses  et  eu  concours 
de  musi(iue.  On  y  observait  un  singulier  usage  :  on  sacri- 
fiait d'abord  un  bœuf,  que  l'on  abandonnait  aux  mouches, 
afin  que,  s'étant  rassasiées  de  son  sang,  elles  s'envolassent 
et  ne  vinssent  pas  troubler  la  fête.  On  voit  par  les  médail- 
les que  les  Actiaques  se  célébraient  dans  plusieurs  villes 
de  l'Asie  Mineure. 

ACTIF  (Grammaire).  Voyez  Veuee. 

ACTIF  {Commerce).  Voyez  Bilan  et  Inventaire. 

ACTIA'IE  (du  grec  à-/.tiv,  rayon),  genre  de  polypes  de 
la  famille  des  zoanthaires.  On  les  appelle  encore  anémones 
de  mer,  à  cause  de  leur  ressemblance  avec  cette  Heur.  Ils 
se  composent  d'une  masse  charnue  très-contractile,  couron- 
née à  son  sommet  par  un  grand  nombre  de  tentacules  :  au 
centre  est  une  ouverture,  qui  sert  à  la  fois  de  bouche  et 
d'anus.  Us  se  fixent  par  la  base,  soit  sur  le  sable ,  soit  aux 
rochers  qui  bordent  lesc(Jtes,  a  une  faible  profondeur,  et 
leiM'  adhérence,  qui  s'opère  par  la  succion  et  produit  l'effet 
d'une  ventouse,  est  si  forte  qu'on  les  écrase  plutôt  que  de  les 
détaclier.  Pendant  l'été  les  actinies  sont  três-noudneuses 
sur  les  rivages  de  Fiance,  et  leurs  brillantes  couleurs,  leurs 
nuances  multiples  et  variées  de  pourpre  ,  de  rose,  de  bleu, 
de  jaune ,  de  vert  et  de  violet ,  ainsi  que  leurs  rayons  étalés 
comme  ceux  d'une  lleur  double,  donnent  à  ces  côtes  l'pspect 
d'un  champ  émaillé  de  lleurs  ;  en  hiver  elles  vont  chercher  une 
température  plus  douce  dans  des  eaux  plus  profondes.  Pour 
changer  de  place  elles  se  laissent  emporter  par  les  Ilots  ,  ou 
se  traînent  à  l'aide  de  leurs  tentacules,  qui  font  alors  l'oflice 
de  pieds.  Ces  tentacules  sont  les  organes  de  préhension  ; 
elles  s'en  servent  pour  attirer  à  leur  bouche  les  petits  ani- 
maux dont  elles  se  nourrissent.  L'estomac  des  actinies  est 
formé  par  un  repli  du  tégument  extérieur,  et  représente  un 
siic  n'ayant  qu'une  ouverture.  Ces  animaux  ne  se  reprodui- 
sent pas,  comme  la  plupart  des  polypes,  au  moyen  de  bour- 
geons eNtcrieurs,  mais  au  mo\en  d'ceuls,  (pu,  après  s'être 
développés  entre  le  tégument  externe  et  l'estomac,  tondjent 
dans  ce  dernier,  et  sont  expulsés  au  dehors  par  ses  contrac- 


—  ACTION 

lions.  La  reproduction  se  fait  aussi  quelquefois  par  des  dé- 
chirements de  la  base.  Ces  animaux  ont  la  faculté  régéné- 
ratrice si  grande  que ,  partagés,  comme  les  polypes  ordinai- 
res, en  plusieurs  parties,  chacune  de  ces  parties  devient  au 
bout  d'un  certain  temps  un  animal  complet.  Les  actinies 
sont  très-.sensibles  à  l'impression  de  la  lumière  et  même  au 
bruit  ;  selon  qu'elles  sont  plus  ou  moins  épanouies ,  on  peut 
juger  si  le  temps  sera  beau  ou  non;  elles  sont  plus  sensi- 
bles même  que  le  baromètre.  Une  espèce  d'actinie,  Yactl- 
nie  verte  de  Forhshal,  détermine,  de  même  que  certains 
acalèphes,  quaud  on  y  touche,  une  sensation  brûlante 
qui  les  a  également  fait  nommer  orties  de  mer.  Parmi  les 
espèces  d'actinies  les  mieux  connues ,  nous  citerons  V actinie 
esculente,  que  l'on  mange  en  Provence  et  à  Mce;  r«c^(«ie 
rousse,  qui  est  tort  commune  sur  les  côtes  de  la  .Manche. 
Celte  dernière  est  large  de  deux  pouces.  Les  pêcheurs  l'aiv 
l^iiWdwi  jnsseuse ,  à  cause  de  la  faculté  qu'elle  possède  de 
lancer,  quand  on  l'irrite ,  l'eau  contenue  dans  son  corps. 

ACTIOX  {Phitosophic  ).  Nos  actions  sont  le  jeu  natu- 
rel, régulier,  un  peu  mystérieux,  mais  susceptible  d'obser- 
vation, d'une  faculté  qu'en  psychologie  nous  appelons  flc- 
tivité.  Cdii  \ai puissance  c/'«(?«r  après  avoir  voulu.  L'ac- 
tivité est  donc  i\  la  volonté  ce  que  la  volonté  est  à  la  liberté  ; 
c'est-à-dire  que  pour  agir  il  faut  d'abord  vouloir,  comme 
pour  vouloir  il  faut  être  libre.  Qui  n'est  pas  libre  ne  peut 
pas  avoir  de  volonté,  ne  peut  pas  déployer  d'activité.  Cepen- 
dant la  volonté  est  déjà  un  acte,  acte  d'intelligence  sans 
doute ,  mais  acte  véritable,  car  il  n'y  a  pas  de  volonté  sans 
une  pensée,  sans  une  réflexion  ,  une  délibération.  Or,  la 
délibération ,  la  réflexion ,  la  pensée ,  sont  des  actes,  et  il  y  a 
donc  un  jeu  d'activité  qui  précède  toute  volonté.  C'est  que 
l'àme  est  une,  et  que  ses  facultés  ont  un  foyer  commun,  oii 
elles  sont  toutes  réunies,  où  elles  forment  ensemble  cette 
vie  spirituelle  qui  se  manifeste  successivement  sous  tant  de 
formes  diverses  et  toujours  également  merveilleuses,  quel- 
(jue  nom  que  nous  donnions  à  leur  apparition  plus  ou  moins 
dominante.  C'est  ainsi  que  Vactivité,  qui  joue  d'abord  son 
rôle  dans  la  conception  primitive  de  toute  idée,  concourt  à 
toute  induction,  à  toute  réflexion,  à  toute  détermination,  se. 
montre  au  premier  rang  dès  que  la  délibération  est  prise  et 
qu'il  faut  atjir.  En  effet,  elle  prend  alors  le  gouvernement 
de  l'àme  et  du  corps;  elle  dispose  de  ce  qu'il  lui  faut  de  facul- 
tés de  l'un  et  de  l'autre  pour  réaliser  la  volonté,  effectuer 
un  dessein,  accomplir  une  résolution,  en  faire  des  actes, 
des  actions. 

Les  actes  et  les  actions  se  distinguent-ils?  LWcadé- 
mie,  dont  les  défmitions  et  les  exemple.s,  pris  dans  toutes 
les  riclicsses  classiques  de  la  langue,  ont  tant  d'autorité,  dé- 
finit le  mot  rtc<e  par  celui  d'action,  le  mot  action  par  ce- 
lui d'acte,  l'un  expliquant  parfaitement  l'autre;  mais  elle 
a  bien  soin  d'ajouter  des  exemples  qui  nuancent  l'un  et 
l'autre,  et  le  plus  novice  des  écrivains,  l'étranger  lui-même 
qui  sait  un  peu  notre  langue  ne  dirait  pas  :  le  prince  a  fait 
une  action  d'autorité;  l'acte  de  l'dme  sur  le  corps  est 
un  fait  incontestable.  11  y  a  donc  imediflérence  sensible 
pour  tout  le  monde  entre  l'acte  et  l'action.  Mais  cette 
ditférence  n'est-elle  pas  grammaticale  i)lutôt  que  psycholo- 
gique, puisqu'on  dit  indistinctement  un  acte  de  courage 
ou  une  action  courageuse?  Dans  ce  cas,  oui.  Mais  je  ne 
puis  sous  aucune  forme  emjjloyer  le  mot  acte  pour  rempla- 
cer le  mot  action  quand  il  s'agit  de  l'influence  de  l'dme 
sur  le  corps  :  c'est  que  le  mot  acte  exprime  seulement 
un  fait  déterminé,  une  action  une  fois  accomplie,  tandis 
quele  mot  «c^io«  exprime  en  outre  une  opération  habituelle. 

Cependant  ce  ne  sont  laque  des  définitions.  U  y  a  mieux 
à  voir  sur  ce  mot,  sur  cette  faculté,  sur  les  actions  de 
l'homme.  Quels  sont  les  organes  et  le  mode,  quels  sont  les 
motifs  et  le  but  de  nos  actions?  Quelles  en  sont  les  classes, 
l'importance,  les  règles  et  la  valeur?  Quel  est  le  rang  de  la 
science  qui  s'en  occupe?  Voilà  les  questions.  Parcourons-les 


ACTION 


105 


<Hi  ftiisons  voir  au  moins  comment  on  les  a  jusque  ici  effleu- 
rées ou  bien  approloiulics. 

I.  Les  organes  et  le  mode.  C'est-à-dire  comment,  par 
quelles  Toies,  cpiels  moyens  et  quels  organes  agissons- nous, 
et  t[uels  sont  les  signes  caractéristiques  qui ,  sous  ce  rap- 
port, distinguent  les  unes  des  autres  la  multitude  de  nos 
actions?  —  Los  moyens  que  nous  employons  pour  les  ac- 
complir, ce  sont  :  1°  la  seule  volonté  pour  les  actions  inté- 
rieures précédant  tout  ce  que  nous  appelons  l'action  de 
Pànie  sur  le  corps ,  ou  même  la  seule  pensée ,  et  moins 
qu'une  pensée,  l'idée  la  plus  fugace  :  car  une  idée  de  ce 
genre  suflit  pour  exercer  cette  espèce  d'action ,  qui  a  lieu 
souvent  sans  que  nous  l'apercevions  et  sans  que  nous  nous 
en  rendions  compte  ;  1°  les  organes  du  corps ,  la  parole ,  la 
mine,  le  geste ,  la  main,  le  pied ,  et  tous  les  membres  dont 
dispose  la  volonté  ;  3°  tous  les  genres  d'appareils  et  de  ma- 
chines que  le  génie  de  l'homme  invente  pour  joindre  mille 
autres  organes  à  ceux  que  la  nature  lui  a  donnés  pour  les 
produire.  Et  qui  ne  voit  au  i)remier  coup  d'œil  les  carac- 
tères qui  distinguent  nos  actions  sous  ce  rapport?  qui  ne 
voit  que  les  premières  sont  rapides  comme  l'éclair,  mais 
bornées  à  peu  près  aux  intérêts  d'un  seul  ;  les  secondes, 
plus  lentes,  mais  plus  extensives,  plus  puissantes  sur  les 
autres  et  de  conséquences  plus  fécondes;  les  troisièmes, 
plus  lentes  encore,  mais  plus  fortes,  plus  irrésistibles ,  et 
surtout  plus  durables,  plus  permanentes?  En  effet,  la  pyra- 
mide survit  au  papyrus ,  le  papyms  à  la  parole,  la  parole  à 
la  pensée  aperçue,  la  pensée  aperçue  à  celle  qui  ne  l'a  pas  été. 

II.  Les  motifs  et  le  but.  —  Les  motifs  ue  se  confondent 
pas  avec  le  but.  La  fortune  est  le  but  ;  le  désir  d'avoir  les 
jouissances  qu'elle  procure  est  le  motif  qui  nous  fait  travail- 
ler pour  l'acquérir.  Le  pouvoir  est  un  but  ;  le  motif  qui  nous 
le  fait  ambitionner,  c'est  le  plaisir  que  nous  aurons  à  semer 
les  bienfaits  et  à  nous  couvrir  nous-mêmes  de  la  gloire  dont 
nous  couvrirons  le  pays.  Les  motifs  de  nos  actions ,  ce 
sont  donc  des  idées  hautes  et  pures ,  des  sentiments  clairs 
et  nets,  ou  bien  des  considérations  ordinaires,  de  simples 
désirs,  des  appétits  naturels,  des  instincts  même.  Le  nom  de 
motifs,  toutefois,  ne  convient  qu'aux  raisons  dont  nous 
nous  rendons  un  compte  plus  ou  moins  exact,  et  les  déter- 
minations qu'ils  amènent  sont  fort  différentes  de  celles  qui 
suivent  de  vagues  désirs,  de  simples  excitations,  des  ins- 
tincts plus  ou  moins  nobles.  Et  comment  nos  actions  au- 
raient-elles la  même  importance  et  rentreraient-elles  dans 
la  même  classe,  qu'elles  soient  l'elfet  inévitable  de  celte 
activité  qui  fait  que  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  d'a- 
gir, de  faire  quelque  chose,  ou  le  résultat  généreusement 
voulu  et  péniblement  conquis  d'une  liante  conception?  11  y 
a  des  actions  en  apparence  sans  but;  il  en  est  d'autres  qui, 
mauvaises  en  elles-mêmes,  prétendent  se  sanctifier  par  le 
but  ;  il  en  est  qui  ne  sont  excusables  que  par  les  motifs  qui 
les  ont  inspirées.  Nos  actions  forment  donc  bien  des  classes, 
et  leur  importance  varie. 

III.  Classes  et  importance  de  nos  actions.  —  L'impor- 
tance de  nos  actions  est  dans  l'influence  bonne  ou  mau- 
vaise, plus  ou  moins  étendue,  qu'elles  exercent.  —  Dans 
la  règle,  rinfluence  de  nos  actions  dépend  du  caractère  de 
leur  conception.  Cela  a  donc  lieu  fréquemment  ;  mais  il  y 
a  de  grandes  exceptions.  On  a  vu  les  plus  sublimes  déter- 
minations s'évanouir  sans  avoir  rien  produit ,  et  les  plus 
simples  résolutions  suivies  des  plus  admirables  résultats. 
Ce  n'est  donc  pas  d'après  leur  impoilance,  caractère  ex- 
terne et  fortuit ,  qu'il  convient  de  classer  nos  actions ,  c'est 
d'après  les  règles  qui  les  gouvernent  et  d'après  la  valeur 
qu'elles  ont  aux  yeux  de  ces  règles  éternelles  et  suprêmes 
qui  sont  comprises  sous  le  nom  de  morale. 

rv.  Règles  et  valeur  morale  de  nos  actions.  —  La  va- 
leur morale  de  nos  actions  n'est  pas  leur  valeur  entière. 
Elles  peuvent  en  avoir  une  autre.  Telles  actions  peuvent 
en  avoir  une  qui  soit  immense  dans  la  politicjuc,  dansl'ln- 

DICT.    DE   lA    CONVERSATION.    —   T     I. 


dustrie,  dans  le  commerce,  sans  qu'elles  en  aient  une  très- 
grande  ,  sans  qu'elles  en  aient  aucune  en  morale.  Je  prends 
pour  exemple  une  découverte  qui  n'a  eu  sa  source  que  dans 
l'intérêt  privé ,  une  conquête  qui  n'a  eu  pour  motif  qu'une 
ambition  personnelle ,  une  donation  même  qui  n'a  eu  pour 
but  que  l'illustration  d'un  nom  propre.  Chacun  le  sent ,  ces 
actions  ont  une  grande  valeur  sociale;  mais  la  valeur  so- 
ciale n'est  pas  la  valeur  morale  de  nos  actions ,  et  celle- 
ci  en  est  la  valeur  suprême.  Par  quoi  est-elle  déterminée? 
Par  la  conformité  de  nos  actions  avec  les  règles  souveraines 
qui  les  gouvernent,  les  lois  de  la  morale,  lois  éternelles, 
(lui  ne  varient  ni  ne  peuvent  varier,  mais  dont  la  science 
et  la  formule  changent  sans  cesse.  D'après  ces  règles, 
nos  actions  se  classent  en  bonnes  et  mauvaises,  suivant 
qu'il  y  a  mérite  ou  démérite.  On  peut,  d'après  les  mêmes 
règles,  en  faire  d'autres  classes,  et  les  appeler  légales 
ou  illégales,  raisonnables  ou  déraisonnables,  suivant 
qu'elles  sont  conformes  à  la  loi ,  telle  que  la  conçoit  la 
raison  humaine  élevée  à  son  plus  haut  degré  de  pureté  et 
de  lumière.  On  fait  d'autres  classes,  suivant  que  nos  ac- 
tions sont  conformes  à  la  liberté  dont  nous  devons  jouir 
en  vertu  de  notre  nature  morale.  Sous  ce  rapport,  nos 
actions  sont  libres  ou  forcées ,  imputables  ou  non  impu- 
tables. Nos  actions  sont  esclaves  quand  toute  notre  per- 
sonne et  toute  notre  vie  est  assujettie  à  autrui ,  et  que  toute 
la  condition  humaine  est  altérée  en  nous.  Quand  nous  ab- 
diquons volontairement  notre  libre  arbitre  pour  agir  sui- 
vant celni  des  autres ,  nos  actions  sont  serviles.  L'escla- 
vage n'est  que  le  plus  grand  des  malheurs  ;  le  servilisme 
est  la  plus  grande  des  infamies.  Matter. 

ACTION  {Jurispnulence).  C'est  le  droit  que  nous 
avons  de  poursuivre  en  justice  ce  qui  nous  est  dû  ou  ce 
qui  nous  appartient ,  ainsi  que  l'a  défini  Justinien  dans  ses 
Institutes.  —  Par  extension,  on  appelle  encore  action  le  re- 
coms  même  à  l'autorité  judiciaire,  et  enfin  la  forme  dans 
laquelle  ce  recours  s'exerce. 

En  Droit  romain  nous  trouvons  trois  systèmes  de  procé- 
dure en  usage  à  différentes  époques  :  les  actions  de  la  loi , 
les  formules  et  les  jugements  extraordinaires;  mais 
avant  de  les  exposer  il  est  nécessaire  de  faire  connaître 
comment  on  rendait  la  justice  à  Rome.  Depuis  les  temps 
les  plus  reculés  jusqu'à  l'empereur  Dioclétien  l'organisa- 
tion judiciaire  est  fondée  sur  le  principe  suivant.  Un  ma- 
gistrat, représentant  de  la  loi,  précise  la  question,  éclaircit 
le  point  de  droit;  un  simple  citoyen,  nommé  par  le  préteur, 
est  chargé  de  vérifier  les  faits  et  décide  la  question.  Si  de- 
vant le  préteur  les  parties,  contraires  dans  leurs  prétentions, 
s'accordent  sur  les  faits ,  le  magistrat  n'a  pas  à  renvoyer  de- 
vant le  juré  :  il  dit  le  droit,  décide  immédiatement,  et  auto- 
rise lui-même  les  voies  de  contrainte.  Mais  si  les  parties 
sont  contraires  en  faits,  il  les  renvoie  au  juré,  qui  dit  le  fait 
et  clôt  les  débats  par  son  jugement.  Dioclétien  détruisit 
cette  admirable  organisation,  et  attribua  au  magistrat  seul  la 
connaissance  et  le  jugement  des  affaires.  Examinons  main- 
tenant la  procédure  dans  les  trois  systèmes  que  nous  avons 
signalés. 

Le  plus  ancien  est  celui  des  actions  de  la  loi  :  il  se  com- 
pose de  certaines  formalités  symboliques,  de  gestes  et  de 
paroles  déterminées,  dont  l'omission  la  plus  légère  entraînait 
la  perte  du  procès.  On  compte  cinq  actions  de  la  loi  ;  la  plus 
ancienne  de  toutes  est  l'action  sacramenti,  somme  d'argent 
que  chaque  partie  déposait,  après  un  combat  simulé,  entre 
les  mains  du  pontife,  et  qui  était  perdue  pour  celui  qui  suc- 
combait dans  l'instance.  Les  progrès  de  la  civilisation  et  l'in- 
fhience  toujours  croissante  de  la  plèbe  sur  les  affaires  de 
l'État  apportèrent  une  première  dérogation  aux  solennités 
rigouicuses  inventées  par  le  génie  aristocratique,  en  intro- 
duisant l'action  pcr  judicis  postulationcm,  sur  laquelle 
nous  n'avons  que  dos  renseignements  fort  incertains.  Il  est 
probable  qu'elle  autorisait  les  parties,  dans  ceilains  cas,^> 

14 


tOG 


ACTION 


demander  nn  juge  sans  consignation  préalable.  Enfin  la  loi 
SUta,  qu'on  suppose  rendue  l'an  510  de  r.onie,  restreignit  en- 
core les  limites  de  l'antique  et  solennelle  procédure ,  au 
moyen  de  l'action  per  condictionem.  La  condkiio  évitait 
toute  comparution  première  devant  le  magistrat,  ainsi  que  les 
formalités  qui  en  étaient  la  suite.  On  autorisa  le  deman- 
deur à  dénoncer  extrajudiciairement  en  termes  solennels  au 
défendeur  l'objet  de  la  réclamation,  en  le  sommant  de  se  pré- 
senter le  trentième  jour  devant  le  magistrat  pour  recevoir 
un  juge.  Lacondictio  ne  s'applifpiait  d'abord  qu'aux  actions 
qui  avaient  pour  objet  une  somme  déterminée;  ensuite  elle 
fut  étendue  par  la  loi  Calpurnia  aux  obligations  de  toute 
chose  certaine. 

Les  trois  actions  de  la  loi  que  nous  venons  d'énumérer 
avaient  pour  but  d'arriver  à  la  décision  d'un  procès  ;  mais 
il  y  avait  en  outre  deux  autres  actions  de  la  loi,  qui  n'étaient 
que  de  simples  voies  d'exécution  des  jugements.  Ce  sont 
d'abord  l'action  per  maiius  inject'wncm,  qui  réduisait  à 
l'esclavage  le  débiteur  qui  n'avait  pas  payé  sa  dette  après  un 
délai  de  trente  jours;  et  l'action  per  picjnorls  captionem, 
qui  autorisait  le  créancier  à  s'emparer  lui-même  comme  gage 
d'une  chose  appartenant  à  son  débiteur. 

La  subtilité  des  actions  de  la  loi,  leur  rigorisme  extrême, 
amenèrent  leur  suppression,  et  les  deux  lois  J^ilin  ainsi  que 
la  loi  A:butia  leur  substituèrent  le  systèmedes/orwiw/es.Le 
demandeur  expose  maintenant  ses  prétentions  au  préteur 
en  langage  ordinaire,  sans  gestes  et  paroles  consacrés;  et  s'il 
va  lieu  de  renvoyer  devant  le  juge  ou  juré,  le  magistrat  dé- 
livre au  demandeur  une  formule  qui  indique  la  question  de  fat 
que  le  juge  doit  examiner  et  la  sentence  qu'il  doit  rendre.  On 
voit  que  l'action  maintenant  n'est  plus  l'ensemble  des  actes 
pour  obtenir  le  recours,  mais  simplement  le  droit  accordé 
par  le  préteur  de  poursuivre  en  justice.  La  formule  contient 
d'ordinaire  trois  parties  :  la  dcmonstra/io,  exposé  du  débat  ; 
Vintcntio,  qui  indique  le  point  à  examiner,  et  la  condemna- 
i\o ,  qui  donne  au  juge  ordre  et  pouvoir  de  condamner  ou 
d'absoudre  le  défendeur  selon  que  la  prétention  du  deman- 
deur sera  ou  ne  sera  pas  constatée. 

On  a  vu  que  sous  le  système  des  actions  de  la  loi ,  et  sous 
la  procédure  formulaire,  le  magistrat  retenait  quelquefois  la 
cause  pour  la  juger  sans  renvoi  :  c'était  là  ce  qu'on  nommait 
jugement  extraordinaire.  Ces  jugements  s'étaient  multi- 
pliés sous  les  empereurs,  et  Dioclétien  les  érigea  en  règle 
générale.  Ici  l'action  n'est  plus  qu'un  droit  purement  privé , 
elle  ne  provient  plus  du  magistrat. 

11  nous  reste  à  indiquer  les  principales  divisions  des  ac- 
tions romaines.  On  les  classe  en  actions  réelles  et  en  actions 
personnelles.  Les  premières  sont  celles  par  lesquelles  on  ré- 
clame judiciairement  un  droit  absolu  sur  une  cbose,  indépen- 
damment de  tout  contrat,  de  toute  obligation  particulière; 
cette  action  est  dirigée  contre  la  chose ,  quel  que  puisse  être 
sondétenteur.  L'actionpersonnelle,  au  contraire,  est  celle  par 
laquelle  on  réclame  l'exécution  d'un  contrat,  etc.  ;  elle  est 
dirigée  contre  la  persomie,  jamais  contre  la  cbose,  sur  laquelle 
on  n'a  juscpie  alors  aucun  droit. 

On  divisait  encore  les  actions  en  civiles,  c'est-à-dire  créées 
par  le  droit  civil,  lois,  sénatuscon.sultcs,  plébiscites,  consti- 
tutions impériales,  réponses  des  prudents;  et  en  préto- 
riennes, c'est-à-dire  créées  par  le  préteur  en  vertu  de  sa  juri- 
«liction.  Il  y  avait  aussi  des  actions  directes  et  des  actions 
utiles,  suivant  qu'elles  étaient  accordées  dans  les  cas  spéciaux 
pour  les(puis  on  les  avait  établies,  ou  bien  qu'on  s'en  ser- 
vait indirect ementdans  des  cas  analogues.  Kniin,  elles  étaient 
distinguées  en  actions  de  droit  strict  et  en  actions  de  bonne 
/bf.Dansles  premières,  si  le  juge  admettait  les  prétentions  du 
«lemandeur,  il  devait  condamner  le  défendeur  à  payer  la 
somme  demandée,  sans  pouvoir  prendre  aucunement  en  con- 
sidération quelque  motif  étrangerau  droit  civil;  les  actions  de 
bonne  foi  étaient  celles  où  lejuge  était  auloriséà  lixer  le  mon- 
tait do  la  coudamualion  d'après  les  simples  règles  de  l'cquilé. 


Dans  notre  droit  civil ,  le  magistrat  juge  seul  sans  l'inttr- 
vention  du  jury;  la  procédure  n'a  rien  de  commun  avec 
les  anciens  systèmes  romains.  11  n'exi.stc  point  chez  nous 
d'actions  de  droit  strict  et  d'actions  de  bonne  foi  :  «  les  con- 
ventions, porte  l'article  1 1 35  du  Code  Civil,  obligent  non-seu- 
lement à  ce  qui  y  est  exprimé,  mais  encore  à  toutes  les  suite» 
que  l'usage,  l'équité  ou  la  loi  donnent  à  l'obligation  d'après 
sa  nature.  »  IMais,  quant  aux  divisions  que  les  Romains 
avaient  puisées  dans  la  nature  et  l'essence  même  des  choses, 
elles  ont  continué  d'être  admises  :  nous  avons  les  actions 
réelles  et  les  actions  personnelles,  et  dans  le  même  sens  ab- 
solument. Quant  à  l'action  mobilière  et  à  l'action  immobi- 
lière, elles  prennent  ces  noms  selon  qu'elles  ont  pour  but 
d'obtenir  un  meuble  ou  un  immeuble.  L'action  est  dite  pos- 
sessoire  quand  on  réclame  la  possession  d'une  cbose,  péti- 
taire  quand  on  en  réclame  la  propriété.  L'action  enfin  est 
hypothécaire  lorsqu'on  réclame  un  droit  d'hypothèque;  et 
si  c'est  une  hérédité  qu'on  veut  se  faire  attribuer,  l'action 
prend  le  nom  de  pétition  d'hérédité.  L'action  civile  en  ré- 
paration du  dommage  causé  par  un  crime  ou  un  délit  ap- 
partient à  tous  ceux  qui  en  ont  souffert  {voyez  Partie  ci- 
vile) ;  la  poursuite  de  l'action  publique  n'appartient  qu'aux 
magistrats  institués  à  cet  effet  (voyez  Ministère  public). 

Dans  quel(jues  parties  de  l'Allemagne  on  a  conservé  les 
divisions  et  les  qualifications  des  actions  romaines.  En  An- 
gleterre l'action  publique  appartient  à  tous  quand  il  s'agit  de 
la  violation  d'une  loi  pénale. 

ACTION  (Commerce).  C'est  la  part  d'intérêt  qu'ont 
les  membres  de  certaines  sociétés  commerciales  dans  le 
fonds  et  les  bénéfices  de  ces  sociétés.  On  doime  également 
ce  nom  au  titre  qui  élablit  cette  part  d  intérêt.  L'action  de 
commerce  est  dite  nominative  quand  elle  porte  le  nom  de 
celui  qui  a  déposé  le  prix  de  sa  valeur,  et  ne  peut  être  trans- 
mise qu'au  moyen  d'un  transfert  et  de  l'inscription  du  nou- 
veau propriétaire  sur  le  registre  de  la  société  dont  elle  émane. 
Elle  est  au  porteur  quand  elle  se  négocie  de  la  main  à  la 
main ,  ou  qu'on  n'exige  que  la  signature  du  cédant  pour  pas- 
ser à  un  nouveau  propriétaire.  On  nomme  action  indus- 
trielle,  action  de  jouissance,  coupon  de  fondation,  une 
action  qui  ne  représente  pas  un  apport  fait  en  espèces,  mais 
seulcaient  une  participation  spéciale  à  la  société,  comme  fon- 
daleur,  administrateur,  etc.  Les  actions  de  jouissance  sont 
aussi  parfois  des  titres  spéciaux  adjoints  aux  actions  primi- 
tives, dont  elles  peuvent  être  .séparées,  et  qui  confèrent  à 
leurs  propriétaires  le  droit  de  partager  dans  les  bénéfices  don- 
nés par  l'entreprise  après  l'amortissement  du  capital  versé. 

Le  montant  d'une  action,  une  fois  versé,  ne  pouvant  plus 
être  retiré  de  la  société  dont  il  a  servi  à  constituer  le  capi- 
tal, les  actions  ont  dû  devenir  un  objet  de  commerce.  Elles 
sont  susceptibles  de  hausse  et  de  baisse,  selon  les  résultats 
plus  ou  moins  favorables  de  l'opération.  Le  capital  des  so- 
ciétés anonymes  est  nécessairement  divisé  par  actions.  Le  ca- 
pital des  sociétés  en  commandite  peut  aussi  être  divisé  par 
actions.  Celui  qui  souscrit  une  action  d'une  société  anonyine 
ou  d'une  société  en  commandite,  comme  simple  commandi- 
taire, n'est  passible  des  pertes  que  jusqu'à  concurrence  du 
fonds  qu'il  a  mis  ou  dii  mettre  dans  la  société.  11  s'ensuit, 
d'un  autre  côté,  qu'il  est  tenu  de  verser  toute  la  valeur  de 
l'action,  quel  que  soit  le  peu  de  succès  de  l'affaire;  mais  on 
discute  encore  la  question  de  savoir  .s'il  doit  y  être  obligé 
par  corps,  comme  ayant  fait  acte  de  commerce. 

Les  actions  de  commerce  et  des  compagnies  de  finance  et 
d'industrie  sont  déclarées  meubles  par  la  loi,  quand  bien 
même  des  immeubles  dépendant  de  ces  entreprises  appar- 
tiendraient aux  compagnies.  11  suit  de  là  que  chaque  ac- 
tionnaire n'a  que  le  droit  de  céder  son  action,  sans  pouvoir 
engager  hypothécairement  rimmeiible  qui  appartient  à  la 
société  ;  la  société  seule  a  ce  droit  pour  les  obligations  qu'elle 
contracte  comme  être  collectif  et  dans  l'intéiêt  gc-néral  des 
actionna  res.  De  même,  les  créanciers  de  l'associé  n'auraient 


ACTION  —  ACTIUM 


107 


pas  le  ilrjil  de  faire  saisir  l'immeuble  de  la  société  pour  se 
(aire  payer  de  ce  que  leur  doit  cet  associé,  tandis  que  le 
créancier  de  la  société  aurait  évidemment  ce  droit.  Les  ac- 
tions de  la  Banque  de  France  peuvent  être  rendues  immo- 
bilières, à  la  volonté  des  possesseurs. 

La  loi  du  17  juillet  1856  défend  aux  sociétés  en  com- 
mandite par  actions  de  diviser  leur  capital  en  actions  ou 
coupons  de  moins  de  100  fr.  lorsque  ce  capital  n'excède 
pas  200,000  fr.,  et  de  moins  de  500  fr.  lorsqu'il  est  supé- 
rieur. Elles  ne  peuvent  être  définitivement  constituées 
qu'après  la  souscription  de  la  totalité  du  capital  social  et 
le  versement  du  quart  de  chaque  action,  le  tout  constaté 
par  un  acte  notarié.  Les  actions  des  sociétés  en  commandite 
sont  nominatives  jusqu'à  leur  entière  libération.  Les  sous- 
cripteurs sont  responsables  de  la  totalité  des  actions  qu'ils 
ont  souscrites,  lesquelles  ne  sont  négocia1)les  qu'après  le 
versement  des  deux  cinquièmes.  Tout  apport  qui  ne  con- 
siste pas  en  numéraire,  ou  tout  avantage  particulier  stipulé 
au  profit  d'un  associé  doit  être  vérifié  et  approuvé  par  une 
assemblée  générale.  Un  conseil  de  surveillance,  dont  la  loi 
règle  la  composition  et  les  devoirs,  peutencourir  une  certaine 
responsabilité  lorsque  la  société  n'est  pas  constituée  confor- 
mément à  la  loi ,  lorsque  sciemment  il  a  laissé  commettre 
dans  les  inventaires  des  inexactitudes  graves,  ou  lorsqu'il 
a  consenti  à  la  distribution  de  dividendes  non  justifiés.  La 
loi  punit  d'un  emprisonnement  de  huit  jours  à  six  mois  et 
d'une  amende  de  500  fr.  à  10,000  fr.,  ou  de  l'une  de  ces  deux 
peines,  l'émission  d'actions  non  conformes  à  celles  qu'elle 
prescrit,  et  le  gérant  qui  commence  les  opérations  sociales 
avant  l'entrée  en  fonction  du  conseil  de  surveillance.  Elle 
punit  aussi  la  négociation  d'actions  contraires  à  ses  prescrip- 
tions ,  les  simulations  de  souscription,  les  déclarations  de 
faux  actionnaires,  les  faux  inventaires,  etc. 
'  Aux  termes  de  la  loi  du  16  juin  1850,  chaque  titre  ou  cer- 
tificat d'action  dans  une  société ,  compagnie  ou  entreprise 
quelconque,  financière,  commerciale,  industrielle  ou  civile, 
<st  assujetti  au  timbre  proportionnel  du  capital  nominal, 
ou  réel  à  son  défaut,  de  50  centimes  pour  100  fr.  quand  les 
sociétés  doivent  avoir  une  durée  de  moins  de  dix  ans  ,  et 
de  1  fr.  pour  100  fr.  quand  la  durée  des  sociétés  doit  dépasser 
dix  ans.  Au  moyen  de  ce  droit,  les  cessions  de  titre  ou 
de  certificat  d'actions  sont  exemptes  de  tout  droit  et  de 
toute  formalité  d'enregistrement.  Les  sociétés  peuvent  s'af- 
franchir de  ces  obligations  en  conlracLint  avec  l'État  un 
abonnement  de  5  cent,  pour  100  fr.  par  an  du  capital  de 
chaque  action.  En  1857  le  gouvernement  avait  proposé 
d'élever  ce  droit  de  5  c.  à  15  c.  par  100  fr.  du  capital  réel 
réglé  sur  le  cours  moyen  des  actions;  le  corps  législatif 
préféra  un  autre  système  accepté  par  le  conseil  d'État,  sys- 
tème qui  consiste  à  frapper  d'un  impôt  annuel  les  coupons 
au  porteur  et  d'un  droit  de  mutation  la  conversion  d'un 
titre  nominatif  au  porteur,  et  réciproquement. 

Les  entreprises  commerciales  qui  se  font  à  l'aide  d'émis- 
sions d'actions  sont  d'abord  celles  qui  exigeraient  des  ca- 
pitaux trop  considérablespour  que  la  fortune  et  les  ressources 
des  plus  riches  capitalistes  pussent  y  suffire.  Elles  ont  l'im- 
mense avantage  de  permettre  des  opérations  que  l'industrie 
privée  ne  saurait  faire  sans  elles;  elles  permettent  aussi 
d'essayer  des  opérations  utiles  mais  douteuses,  en  répartis- 
sent les  pertes  possibles  sur  un  grand  nombre  d'actionnaires 
et  en  leur  donnant  la  garantie  que  leur  perte  n'excédera  pas 
une  certaine  somme.  Les  actions  fournissent  un  emploi 
avantageux  pour  les  plus  petits  capitaux  en  leur  permettant 
de  participer  aux  plus  grandes  affaires.  Elles  mobilisent 
une  partie  de  la  richesse  nationale,  et  lui  donnent  une  cer- 
taine valeur  de  circulation.  Pour  être  négociables  en  France, 
les  actions  et  obligations  des  compagnies  étrangères  sont 
soumises  à  des  conditions  de  constitution,  de  timbre  et 
d'imp<jt  analogues  à  celles  qui  frappent  les  valeurs  françaises. 

Les  actions  sont  une  invention  des  temps  modernes.  L'an- 


née 1720  fut  surfont  mémorable  par  l'immense  commerce 
d'actions  qui  se  fit  en  France  et  prC'îque  simidtanément  en 
Angleterre;  commerce  qui  concentra  des  millions  entre  les 
m&ins  d'hommes  qui  quelques  jours  auparavant  n'avaient 
rien,  en  môme  temps  qu'il  anéantit  les  plus  anciennes  et  les 
plus  solides  fortunes.  On  sait  que  depuis  la  France  retomba 
plusieurs  fois  dans  une  ardeur  d'agiotage  qui  rappelait  jus- 
qu'à un  certain  point  les  fameuses  actions  de  la  banque 
de  Law. 

ACTION  (Déclamation),  expr<»3sion  des  mouvements 
de  l'Ame  par  les  mouvements  et  l'attitude  du  corps.  De  nos 
jours,  on  ue  se  sert  de  ce  terme  que  pour  la  pantomime  et 
l'art  du  comédien.  L'action  oratoire  est  toute  subjective, 
se  restreint  aux  gestes  et  à  l'expression  de  la  physionomie. 
Le  comédien,  le  pantomime,  représentant  des  personnages 
étrangers,  l'expression  entière  de  leur  corps  est  du  domaine 
de  l'art.  Le  pantomime  ne  parle  qu'aux  yeux,  tandis  que  le 
comédien  y  joint  la  déclamation  ou  le  chant  ;  l'action  du 
chanteur,  déterminée  parla  musique,  diffère  de  l'action  du 
comédien  qui  déclame.  L'action  embrasse  :  1°  le  maintien , 
la  pose  du  corps,  en  un  mot  l'attitude;  2"  les  mouvements 
des  différentes  parties  du  corps ,  telles  que  la  tête,  les 
mains  ,  les  pieds  ;  les  plus  expressives  de  ces  parties  sont 
les  yeux  et  les  muscles  du  visage  ,  les  mains  et  les  doigts , 
les  mouvements  des  pieds  sont  du  domaine  de  la  danse. 
Chez  les  orateurs  anciens  l'action  était  véhémente;  elle 
est  encore  très-vive  et  quelquefois  pétulante  chez  les  Ita- 
liens ;  en  France  elle  est  animée;  elle  est  souvent  sèche  et 
froide  chez  les  peuples  septentrionaux. 

ACTION  (Littérature).  C'est  le  développement,  sui- 
vant les  règles  de  l'art ,  de  l'événement  qui  fait  le  sujet 
d'une  œuvre  littéraire.  Trois  parties  composent  l'action  : 
l'exposition ,  le  nœud ,  le  dénomment.  L'action  loit  être 
une,  vraisemblable,  complète.  Il  faut  surtout  tenir  l'action 
incertaine  jusqu'au  dénoiiment.  L'intérêt  pourrait-il  sub- 
sister si  le  dénoùment  était  prévu?  L'action  de  la  tragédie 
doit  être  noble  ;  l'action  épique,  magnifique  et  vaste;  le 
merveilleux  y  ajoute  un  grand  charme.  La  comédie  et  le 
roman  ne  doivent  pas  non  plus  être  dépourvus  d'action. 

ACTION,  QUANTITÉ  D'ACTION  (  Mécanique  ). 
Voyez  Mouvement. 

Action  d'éclat,  c'est  un  acte  individuel  de  cou- 
rage ou  de  présence  d'esprit  accompli  sur  le  champ  de  ba- 
taille. Le  connétable  était  autrefois  le  juge  et  le  rémunéra- 
teur des  actions  d'éclat.  Quand  la  charge  de  connétable  fut 
supprimée  par  Louis  XIII,  le  privilège  de  récompenser  ces 
actions  d'éclat  appartint  au  chef  de  l'État ,  par  l'entremise 
du  ministre  de  la  guerre.  Sous  la  république,  c'étaient  les 
généraux  en  chef  qui ,  sur  le  rapport  des  généraux  de  di- 
vision, récompensaient  les  actions  d'éclat  par  un  fusil  ou 
un  sabre  d'honneur.  Bonaparte,  devenu  premier  consul, 
conçut  la  pensée  d'une  institution  qui  réunissait  le  mérite 
civil  au  mérite  militaire,  et  il  créa  la  Légion  d'honneur, 
dont  tous  les  soldats  et  officiers  qui  avaient  obtenu  des 
armes  d'honne  u  r  devinrent  membres  de  droit. 

ACTIUM,  promontoire  sur  la  côte  occidentale  de  la 
Grèce,  dans  l'ancienne  Épire,  formant  l'extrémité  septen- 
trionale (le  l'Acarnanie,  à  l'entrée  du  golfe  d'Amhracie  (  au- 
jourd'hui Capo  de  Figolo  ouAzio,  sur  le  golfe  d'Arta, 
dans  l'Albanie).  Ce  cap  donna  son  nom  à  la  célèbre  ba- 
taille dans  laquelle  Antoine  fut  défait  par  Octave  (voyez 
Adguste  ) ,  le  2  septembre  de  la  31*année  avant  J.-C.  Les  ar- 
mées des  deux  chefs  étaient  campées  sur  les  deux  rives  op- 
posées du  golfe  ;  l'armée  d'Octave  comptait  80,000  hommes 
à  pied  ,  12,000  hommes  de  cavalerie  et  260  vaisseaux  ;  celle 
d'Antoine  était  composée  de  100,000  hommes  à  pied  ,  dt> 
12,000  cavaliers  et  de  220  vaisseaux.  Contre  l'avis  de  .ses 
généraux  les  plus  expérimentés,  Antoine  se  décida  à  courir 
les  chances  d'un  combat  sur  mer.  Ses  vaisseaux,  richement 
ornés,  se  faisaient  remarquer  par  leur  grandeur;  les  vais- 

li. 


108 


ACTIUM  —  ACTIVITÉ 


seaux  de  la  flotte  d'Octave  étaient  plus  petiLs,  mais  ils 
manoeuvraient  avec  plus  d'adresse  et  d»î  célt^rité.  Les  deux 
Hottes  étaient  montées  par  des  soldats  tirés  des  légions  ro- 
maines, qui  regardaient  l'affaire  connue  un  combat  sur 
terre,  et  les  vaisseaux  comme  des  l'oileresses  qu'ils  devaient 
prendre  d'assaut.  Les  troupes  d'Antoine  lançaient,  au 
moyen  de  catapultes ,  des  torches  allumées  et  des  flèches , 
tandis  que  les  soldats  d'Auguste  accrochaient  les  vaisseaux 
ennemis  avec  des  grappins  ;  après  quoi  ils  s'élançaient  à 
l'abordage.  Dès  le  commencement  de  la  bataille ,  le  centre 
de  la  flotte  d'Antoine  ayant  éprouvé  un  léger  échec,  Cléo- 
pâtre,  elïrayée,  prit  lâchement  la  fuite  avec  soixante 
vaisseaux  égyptiens  ;  Antoine  la  suivit  de  près.  Le  reste  de 
sa  flotte  se  défendit  quelqne  temps  avec  un  courage  hé- 
roïque ;  à  la  (in ,  cédant  à  la  supériorité  du  nombre  et  aux 
exhortations  d'Octave ,  qui  lui  apprit  la  fuite  ignominieuse 
de  son  général ,  elle  abandonna  une  cause  qu'il  avait  si 
mal  défendue.  Sept  jours  après ,  Toxemple  qu'avait  donné 
la  flotte  d'Antoine  fut  suivi  par  l'armée  de  terre,  qui,  ran- 
gée en  bataille  sur  le  rivage ,  ainsi  que  celle  d'Octave,  avait 
été  tranquille  spectatrice  du  combat.  Pour  témoigner  sa 
reconnaissance  aux  dieux ,  Octave  fit  suspendre  dans  le 
temple  d'Apollon  à  Actium  des  trophées  consacrés  à  Mars 
et  à  Neptune  ;  il  ordonna  de  plus  que  tous  les  cinq  ans 
on  y  célébrerait  des  jeux  en  mémoire  de  cette  journée ,  qui 
lui  donna  l'empire  du  monde  (  voyez  jeux  Actiaques  ).  A 
l'endroit  où  son  année  avait  campé,  jil  fit  en  outre  cons- 
truire la  ville  de  Nicopolis,  aujourd'hui  Prévésa. 

ACTIVITÉ.  L'activité  est  le  symptôme  le  plus  appa- 
rent de  la  vie  dans  les  espèces  animées;  mais  c'est  dans 
riionuue  qu'elle  se  montre  avec  tous  ses  développements 
et  toutes  ses  nuances,  depuis  l'instinct  aveugle,  qui  au 
début  de  la  vie  met  nos  facultés  en  mouvement ,  jusqu'à 
la  liberté ,  qui  les  dirige  avec  réflexion ,  pour  étendre  leur 
empire  sur  toute  la  création.  Il  y  a  en  nous  un  prin- 
cipe essentiellement  actif,  une  force  qui  tend  à  se  projeter 
au  dfcliors ,  et  qui  prend  successivement  des  formes  di- 
verses. Instinctive  chez  l'enfant ,  elle  devient  spontanée 
dans  l'adolescent ,  puis  réfléchie  dans  l'homme  fait ,  c'est- 
à-dire  volontaire  et  libre.  Le  caractère  de  l'instinct ,  c'est 
le  développement  d'une  force  aveugle  qui  s'ignore  ;  le  ca- 
ractère de  la  spontanéité,  c'est  le  développement  d'une 
force  qui  se  connaît  ;  le  caractère  de  la  liberté ,  c'est  le  dé- 
veloppement d'une  force  qui  se  possède  et  se  maîtrise. 
Entre  tous  ces  modes  de  l'activité  humaine ,  la  liberté  est 
le  plus  élevé  et  le  plus  pur.  La  première  manifestation  de 
cette  force  active  en  nous  est  déterminée  par  l'instinct.  Le 
mouvement  par  lequel  l'enfant  qui  vient  de  naître  saisit 
le  sein  de  sa  mère ,  les  appétits  naturels  qui  donnent  l'éveil 
aux  facultés  dont  nous  sommes  pourvus  pour  satisfaire 
aux  besoins  inhérents  à  notre  nature ,  sont  autant  d'effets 
de  l'activité  instinctive.  Elle  devient  spontanée  lorsqu'elle 
prend  conscience  d'elle-même  et  commence  à  se  connaître  : 
alors  les  simples  appétits  se  transforment  en  désirs,  en 
passions.  Enfin,  lorsque  l'intelligence  intervient  dans  les 
actes  du  moi ,  lorsqu'elle  délibère ,  qu'elle  pèse  des  motifs 
contraires  avant  de  prendre  une  détemiination ,  les  actes 
prennent  le  nom  de  volitions  ;  l'activité  est  devenue  volon- 
taire et  libre. 

La  liberté  suppose  donc  un  développement  intellectuel 
assez  élevé,  qu'on  appelle  raison.  Aussi  n'existe-t-elle  pas 
toujours  dans  l'homme  ;  elle  a ,  comme  toutes  les  facultés 
humaines ,  son  apprentissage  à  faire.  Son  évolution  est  gra- 
duelle :  imperceptible  dans  les  |)remiers  moments  de  l'exis- 
tence, elle  reste  obscure  et  enveloppée  dans  l'enlimt,  tant 
que  la  sensibilité  prédomine  :  alors ,  les  instincts ,  les  a|)- 
l>étits  sensuels,  les  penchants  passionnés,  sont  plus  torts 
que  la  raison.  Il  est  impossible  de  nier  qu'à  son  origine 
l'activité  de  l'homme  re  soit  instinctive  et  nuie  par  nue 
impulsion  aveugle.  Dès  que  les  picnùères  lueurs  d'inlelli- 


gence  commencent  à  poindre ,  alors  aussi  apparaissent  les 
premières  manifestations  de  la  volonté.  D'abord  faible  et 
indécise,  tant  qu'elle  n'est  pas  suffisauunent  éclairée,  elle 
hésite,  elle  tûlonne,  elle  chancelle;  guidée  par  une  intel- 
ligence lumineuse,  elle  s'affermit  peu  à  peu  ,  elle  acquiert 
la  conscience  d'elle-même ,  elle  agit  avec  plus  d'assurance 
quand  elle  voit  clairement  son  but. 

En  définitive,  l'activité  est  l'attribut  fondamental  du 
moi.  Jamais  elle  ne  repose.  Même  dans  les  états  de  l'àme  où 
elle  paraît  assoupie,  tels  que  le  sommeil,  la  défaillance,  ou 
les  actes  habituels,  il  y  a  un  certain  degié  d'aclivité  qui  en- 
tretient la  vie  continue  du  moi.  Dans  le  sommeil,  à  quelque 
instant  qu'il  soit  interrompu,  si  nous  nous  observons  nous- 
mêmes  avec  attention ,  nous  trouverons  que  notre  âme  était 
occupée  d'un  certain  objet,  d'une  certaine  pensée  ;  et  c'est 
ce  qui  explique  certains  phénomènes  de  la  mémoire ,  tels 
que  celui  de  l'écolier  qui,  ayant  lu  sa  leçon  une  fois  avant 
(le  s'endormir,  la  retrouve  presque  sue  le  lendemain  matin  ; 
c'est  encore  ce  travail  secret,  mystérieux,  qui  explique 
conmient,  au  bout  d'un  certain  temps,  on  se  trouve  un 
beau  jour  avoir  éclairci  quelque  problème  obscur  et  difficile, 
qu'on  croyait  avoir  entièrement  perdu  de  atic.  Dans  la  dé- 
faillance, il  reste  toujours  un  certain  degré  de  conscience 
vague,  confuse,  mais  réelle,  où  les  choses  ne  nous  apparais- 
sent plus  qu'enveloppées  de  brouillards,  et  où  le  fil  de  la 
vie  du  moi  n'est  pas  complètement  rompu.  Enfin,  qui  ne 
sait  que  l'habitude  nous  rend  insensibles  et  inaperçus  des 
actes  qui  dans  l'origine  nous  ont  coûté  de  pénibles  efforts, 
et  par  conséquent  ont  été  volontaires?  C'est  ce  qui  arrive 
dans  la  lecture  :  quelle  longue  application  ne  nous  a-t-il 
pas  fallu  pour  apprendre  à  distinguer  les  lettres,  à  les  as- 
sembler, et  à  reconnaître  la  valeur  des  mots,  opérations 
dont  aujourd'hui  nous  n'avons  plus  conscience.'  Ainsi,  le 
musicien  qui  exécute  sur  son  instrument  des  variations 
compliquées  a  dû  faire  un  laborieux  apprentissage  pour  en 
venir  à  enchaîner  ces  longues  séries  de  mouvements  qu'il 
accomi)lit  à  présent  presque  sans  le  moindre  effort  d'atten- 
tion. Toutes  ces  opérations,  machinales  en  apparence,  ont 
donc  été  d'abord  l'œuvre  d'une  volonté  opiniâtre. 

Reste  maintenant  à  reconnaître  quels  sont  les  rapports  de 
l'activité  avec  les  autres  éléments  essentiels  de  notre  nature, 
c'est-à-dire  avec  la  sensibilité  et  l'intelligence.  D'une  part, 
les  phénomènes  de  la  sensibilité  et  ceux  de  l'intelligence 
exercent  sur  l'activité  une  influence  nécessaire  et  inévitable, 
comme  mobiles  et  comme  motifs  qui  la  déterminent  à  se 
mettre  en  mouvement.  Les  sensations  et  tous  les  phéno- 
mènes affectifs  qui  en  dérivent  sont  autant  de  ressorts  qui  la 
mettent  en  jeu,  par  l'attrait  du  plaisir  et  par  la  crainte  de  la 
douleur.  Comme  ils  sont  purement  instinctifs  et  aveugles, 
et  qu'ils  n'ont  rien  de  rationnel,  on  les  appelle  des  mobiles; 
le  nom  de  motifs  est  réservé  pour  les  idées  ,  les  princi|)es 
moraux  qui  sont  la  loi  de  la  volonté  humaine.  D'un  autre 
côté,  l'activité  réagit  à  son  tour  sur  la  sensibilité  et  sur  l'in- 
telligence. Il  y  a  plus,  son  concours  est  indispensable  pour 
donner  naissance  aux  phénomènes  de  l'une  et  de  l'autre  fa- 
cidté,  tout  passifs  qu'ils  sont.  En  effet,  ])our  qu'ime  sensa- 
tion soit  sentie,  il  faut  que  le  moi  en  ait  conscience  ;  et  là 
où  il  y  a  conscience,  il  y  a  nécessairement  un  degré  quel- 
concpie  d'activité.  Quant  aux  phénomènes  de  l'intelligence, 
sans  doute,  envisagés  d'un  certain  point  de  vue,  ils  nous  ap- 
paraissent marqués  d'un  caractère  non  moins  fatal  que  r«ux 
de  la  sensibilité  ;  il  ne  dépend  pas  de  nous  de  faire  que  les 
vérités  qui  frappent  notre  esprit  soient  autres  qu'elles  ne 
sont ,  ou  ne  forcent  pas  notre  assentiment.  Riais  dans  la 
perception  de  la  vérité  l'intervention  de  notre  activité  per- 
sonnelle n'est  pas  moins  évidente.  Porter  un  jugement,  c'est 
affirmer  ou  nier;  et  cela  nous  est-il  possible  sans  comparer, 
sans  abstraire,  sans  généraliser?  Or,  il  n'est  aucune  de  ces 
o|)(''ralions  qui  ne  suppose  le  moi  actif.  Et  cet  effort  de  l'es- 
prit qu'on  appelle  a^/CH^ion,  cette  condition  première  de  toute 


ACTIVITE  —  ACUNH\ 


109 


iwnsi^e  claire,  cette  concentration  <le  nos  forces  intellectiiel- 
îessur  un  seul  point,  n'est-ce  pas  l'onivre  de  la  volonté? 

La  dignité  de  la  créature  humaine  consiste  précisément 
dans  cet  empire  qu'elle  prend  sur  elle-même,  dans  le  pou- 
voir qu'elle  a  de  diriger  ses  propres  facultés.  Plus  ce  pou- 
voir directeur  est  développé  dans  un  être,  plus  aussi  cet  élre 
est  une  personne.  Ainsi,  riiomme  a  sur  lui-même  et  sur 
les  facultés  dont  il  est  pourvu  un  empire  plus  grand  que 
les  animaux.  S'il  abdique  ce  pouvoir,  s'il  le  laisse  dépérir, 
il  se  ravale  au  rang  des  choses.  Mais  ce  pouvoir  personnel, 
dans  lequel  réside  le  gouvernement  de  nous-même,  est  sujet 
à  des  intermittences.  Rien  ne  se  lasse  plus  vile  en  nous  que  la 
volonté  :  c'est  que  cet  effort  (ju'exige  la  direction  de  nos  fa- 
cultés est  pénii)le,  et  celte  extrême  tension  amène  bientôt 
la  fatigue.  La  volonté  ou  l'énergie  personnelle  éprouve  donc 
par  intervalles  le  besoin  de  se  reposer  :  et  c'est  elle  en  effet 
qui  se  repose  dans  le  sommeil  ou  dans  la  rêverie  ;  c'est- 
à-dire  qu'alors  l'activité,  soutenue  à  ce  degré  d'intensité  où 
elle  devient  la  volonté,  se  détend,  se  relâche,  et  laisse  les 
idées,  les  sensations,  les  impressions  de  fout  genre  passer 
devant  elle  sans  prendre  la  peine  de  les  fixer  ;  mais  l'acti- 
vité ne  subsiste  pas  moins ,  quoiqu'à  un  degré  beaucoup 
plus  faible,  et  c'est  une  échelle  dont  il  est  possible  de  remon- 
ter tous  les  degrés  au  moment  du  réveil.  Aiitaud. 

ACTIVITE  DE  SERVICE,  NON-ACTIVIÏÉ.  On 
entend  par  activitti  de  service  la  position  de  tout  individu 
qui  compte  dans  la  force  numérique  d'une  armée  par  l'exer- 
cice d'un  emploi  de  son  grade  s'il  est  officier  ou  sous  offi- 
cier, et  par  le  fait  de  conscription  ou  d'engagement  s'il  n'est 
que  simple  soldat.  La  durée  de  l'activité  de  service  sert  à 
déterminer  le  chiffre  de  la  pension  militaire.  Elle  s'éteint 
par  les  congés  de  libération,  la  réforme,  la  retraite, 
la  démission  et  la  désertion;  s'interrompt  par  les  congés 
illimités,  la  disponibilité,  et  par  la  non-activité.  Au 
contraire  ,  un  congé  temporaire ,  un  service  spécial ,  une 
mission ,  la  captivité  à  l'ennemi ,  n'interrompent  jamais 
l'activité. 

Par  contre ,  la  non-activité  est  la  position  de  l'officier  hors 
cadre  et  sans  emploi.  Un  officier  ne  peut  être  mis  en  non- 
activité  que  dans  les  cas  suivants  :  licenciement  du  coips , 
suppression  d'emploi ,  infirmités  temporaires ,  rentrée  de 
captivité  à  l'ennemi  (  si  l'officier  prisonnier  de  guCTre  a  été 
remplacé  dans  son  emploi),  retrait  ou  suspension  d'emploi. 
L'officier  en  non-activité  est  appelé  à  remplir  la  moitié  des 
emplois  de  son  grade  vacant  dans  l'arme  à  laquelle  il  appar- 
tient ,  et  le  temps  qu'il  passe  en  non-activité  est  compté 
comme  service  effectif  pour  les  droits  à  l'avancement,  au 
commandement ,  à  la  retraite. 

ACTOX  (Joseph),  premier  ministre  du  royaume  de 
Naples,  naquit  à  Besançon,  en  1737,  de  parents  irlandais, 
qui  étaient  venus  s'y  établir.  Après  avoir  achevé  ses  études, 
il  entra  dans  la  marine  française,  qu'il  quitta  bientôt  pour 
passer  au  service  du  grand-duc  de  Toscane,  où  il  trouva 
l'occasion  de  se  distinguer  contre  les  Barbaresques.  Le  roi  de 
Kaples  lui  offrit  du  service;  et  bientôt,  grâce  à  la  faveur  de 
la  reine  Caroline,  il  obtint  successivement  les  portefeuilles 
de  la  marine,  de  la  guerre ,  des  finances ,  et  enfin  devint 
premier  ministre.  Poussé  par  sa  haine  implacable  contre 
les  Français,  il  se  ligua  avec  Hamilton,  ministre  d'Angle- 
terre, et  se  porta  aux  mesures  les  plus  insensées,  qui  préci- 
pitèrent la  famille  royale  dans  les  plus  grands  embarras,  et 
fortifièrent  de  plus  en  plus  le  parti  français.  Les  hommes  de 
ce  parti  formèrent  plus  tard  l'association  des  Carbonari.  Il 
accompagna  le  roi,  en  1798,  dans  l'expédition  de  Mack. 
C'est  lui  qui  dirigea  la  junte  d'enquête  que  ses  cruautés 
ont  rendue  si  fameuse.  Après  l'issue  malheureuse  de  l'expé- 
dition de  Mack ,  Acton  fut  éloigné  des  affaires  en  1803.  11 
mourut  en  1808,  en  Sicile,  haï  et  méprisé  de  tous  les  partis. 

ACTUALITE,  néologisme,  se  prend  pour  ce  qui  a 
rapport  aux  faits  et  aux  choses  qui  occupent  les  esprits  dans 


les  circonstances  actuelles.  Ce  mot  a  fait  fortune.  Pour- 
quoi ne  passerait-il  pas  définitivement  dans*  la  langue, 
puisque  l'idée  qu'il  exprime  est  si  bien  passée  dans  nos 
mœurs  qu'il  nous  faut  de  l'actuel  à  tout  prix,  que  le  pam- 
phlet, la  caricature,  la  chanson,  le  vaudeville-revue,  lui 
sont  redevables  de  leur  mérite  et  de  leurs  succès?  Le  jour- 
nalisme lui-même  ne  vit  que  d'actualité  et  ne  s'en  cache 
pas.  Tout  le  monde  connaît  cette  critique  naïvement  judi- 
cieuse du  directeur  d'une  revue  en  vogue,  qui,  demandant 
un  article  à  un  philosophe  humanitaire,  et  celui-ci  lui  en 
offrant  un  surDiew,  lui  répondit  vivement  :  «  Cela  manque- 
rait d'actualité  !  »  —  On  dit  à  chaque  iiistant  dans  la  con- 
versation :  C'est  une  question  pa/pi^a/i^e  d'actualité.  Cette 
expression  absurde  est  un  des  plus  frappants  exemples  de 
laltération  que  subit  la  langue  de  Molière  et  de  Racine. 
M.  de  Talleyrand  ne  pouvait  pas  l'entendre  sans  bondir 
d'indignation.  Un  jour  il  apostropha  très-rudement  certain 
secrétaire  d'ambassade  qui  avait  eu  l'imprudence,  en  faisant 
le  bel  esprit,  d'offenser  l'oreille  et  le  goût  du  dernier  de  nos 
grands  seigneurs  par  cette  amphigourique  et  prétentieuse 
métaphore. 

ACTUiVRIUS(Jean),  célèbre  médecin  grec  du  treizième 
siècle,  auteur  d'un  traité  De  actionibus  et  ajfectibus  spiri- 
tus  animalis,  décrivit  et  employa  le  premier  les  purgatifs 
doux,  tels  que  la  casse,  la  manne,  le  séné,  etc. 

ACUNHA  (Don  Antonio  OSORIO  d'),  évêque  espa- 
gnol ,  fameux  par  le  rôle  qu'il  joua  dans  les  luttes  qui  sui- 
virent l'avènement  de  Charles-Quint.  Il  occupait  le  siège  de 
Zamora  en  1519,  lorsque  commença  cette  insurrection  po- 
pulaire, si  connue  sous  le  nom  de  Sainte  Ligue,  et  dont  l'un 
des  chefs  fut  le  célèbre  Jean  de  Padilla.  La  population  de 
Zamora  était  alors  partagée  en  deux  factions,  qui  avaient  à 
leur  tête  le  comte  d'Alba  de  la  Isla  et  d'Acunha.  Celui-ci, 
forcé  de  s'éloigner  de  son  siège  par  suite  des  tracasseries  de 
son  rival,  se  jeta  dans  le  parti  des  communeros,  et  y  fut 
reçu  avec  enthousiasme.  Les  députés  étaient  alors  réunis  à 
Tordesillas;  on  lui  donna  des  canons,  des  soldats,  et  il  de- 
vint bientôt  pour  son  ennemi  un  redoutable  adversaire. 
D'Alba,  ne  se  sentant  pas  la  force  de  soutenir  la  lutte,  se 
joignit  au  cardinal  Adrien,  qui  commandait  les  troupes 
royales  en  l'absence  de  l'empereur.  D'Acunha  appela  autour 
de  lui  tous  les  hommes  de  bonne  volonté ,  et  bientôt  il  se 
vit  à  la  tête  de  cinq  mille  soldats,  parmi  lesquels  on  re- 
marquait cinq  cents  prêtres.  Guerrier  consommé,  intrépide, 
actif,  infatigable,  malgré  ses  soixante  ans,  il  les  menait  sou-i 
vent  à  la  victoire.  Au  moment  où  il  s'élançait  sur  les  batail" 
Ions  ennemis,  on  entendait  toujours  retentir  ce  cri  :  A  mi 
mis  clerigosî  (à  moi  mes  prêtres!  ),  adressé  à  la  phalange 
sacrée  qui  se  pressait  autour  de  lui.  La  reine-mère,  Jeanne 
la  Folle,  étant  tombée  aux  mains  des  révoltés,  Tordesillas 
devint  leur  place  d'armes  ;  les  destinées  de  l'Espagne  allaient 
peut-être  changer.  Mais  l'habileté  du  comte  de  Haro  répara 
tout  :  la  prise  de  Tordesillas  porta  aux  ligueurs  un  coup 
terrible;  le  bataillon  des  prêtres  résista  seul,  et  soutint  avec 
une  rare  intrépidité  le  choc  de  toutes  les  troupes  impériales. 
Mais  d'Acimha  n'était  pas  homme  à  faiblir  en  présence  des 
événements  les  plus  désastreux.  Alors  qu'une  partie  des 
généraux  défenseurs  du  peuple  étaient  dispersés,  lui  cou- 
vrait l'Espagne  de  ses  émissaires ,  et  fomentait  partout  le 
soulèvement.  La  prise  de  Tordesillas  le  jeta  dans  Tolède,  où 
le  peuple,  de  sa  propre  autorité,  le  fit  archevêque  primat  de 
toutes  les  Espagnes.  C'était  lui  donner  de  nouvelles  forces. 
Il  disposa  des  richesses  des  églises,  leva  des  troupes,  et 
courut  débloquer  Avila,  où  il  eut  pour  antagoniste  un  au- 
tre prêtre  comme  lui,  un  de  ses  ennemis  personnels,  don 
Antonio  de  Tolède,  placé  à  la  tête  des  troupes  royales.  La 
défaite  de  Padilla  à  Villalar  vint  terminer  ce  drame  terri- 
ble, où  la  monarchie  de  Ferdinand  et  d'Isabelle  avait  couru 
tant  de  dangers.  C'en  était  fini  du  rôle  de  d'Acimha;  il  le 
sentit,  et  voulut  se  sauver  en  France;  mais  il  fut  découvert 


tio 


ACUNIIA  —  ADALBERT 


e.l  eiiffinié  au  châlean  de  Simancas,  dont  il  tua  le  gouver- 
neur. Charles-Quint,  armé  d'un  bref  papal  qui  le  livrait  au 
bras  séculier,  fit  instniire  son  procès.  Le  sort  voulut  que 
riioinme  appelé  à  le  juger  fût  ce  même  alcade  Ronquillo, 
qui,  par  ses  exactions,  avait  soulevé  les  communcros.  11  n'y 
avait  rien  à  attendre  pour  lui  d'un  tel  juge.  Aussi  un  jour 
le  peui)lc  put  voir  pendu  aux  créneaux  de  la  vieille  forte- 
resse le  corps  sans  tète  de  celui  qui  l'avait  si  vigoureuse- 
ment défendu. 

Plusieurs  autres  personnages  historiques  ont  porté  le  nom 
d'Acunha.  Nous  citerons  :  don  Rodrigue  d'Aclnha  ,  arche- 
vêque de  Lisbonne ,  l'un  des  chefs  les  plus  énergiques  de  la 
conspiration  qui,  en  1040,  remit  sur  le  trône  la  maison  de 
]5ragance.  Ce  fut  lui  qui  fixa  le  choix  des  conjurés  sur 
D.  Jean  IV.  11  mourut  chéri   des^  Portugais  et  du  souve- 
rain. —  Christophe  d'Acunha  ,  rîiissionnaire  espagnol  qui 
parcounit  le  Pérou  et  le  Chili.  11  publia  à  son  retour,  en  1641, 
une  relation  de  la  découverte  de  la  rivière  des  Amazo- 
^^fs.  —  Fcrnand  d'Acunha,  né  h  Madrid  ,  mort  en  1580, 
se  distingua  également  à  la  cour  de  Charles-Quint  comme 
militaire  et  comme  poète.  11  traduisit  avec  succès  l'ouvrage 
intitulé  le  Chevalier  Délibéré ,  d'Olivier  de  la  Marche.  — 
Tristan   d'Acunua,   capitaine  portugais,   qui   fut  envoyé 
en   1506  par  le  roi  Emmanuel  dans  l'Inde,  au  secours  de 
François  d'Almeyda.  Il  conduisit  en  1508  dans  ce  pays  le 
\ice-roi  Albuquer([ue,  et  se  signala  par  son  courage.  11  fut 
en  1514  ambassadeur  à  Rome.  Il  découvrit  en  1506  les  îles 
qui  portent  son  nom.  —  Don  Alphonse  Cavillo  d'Accmia, 
archevêque  de  Tolède,  parvint  au  ministère  sous  Henri  IV, 
roi  de  Castille.  Disgracié  pour  s'être  vendu  au  roi  d'Ara- 
gon, il  s'arma  contre  son  souverain,  et  lui  livra  en  1464, 
sous  les  murs  de  Médina-del-Campo,  une  bataille  dont  le 
succès  resta  incertain.  Il  contribua  puissanmient  à  faire 
placer  sur  le  trône  Isabelle,  sœur  de  Henri,  et  devint  tout- 
puissant  à  l'avènement  de  cette  princesse.  Mais  bientôt,  ja- 
loux du  crédit  du  cardinal  Mendoza,  il  se  révolta  de  nouveau  ; 
il  (ut  enfin  forcé  de  se  soumettre  en   1478.  Isabelle  lui  fit 
grâce,  et  il  se  retira  dans  un  monastère,  où  il  mourut  en  1482. 
ACUiVIIA  (lie  Tristan  d').  Voyez  Tp.ist\n  d'Acunha. 
ACUPUiXCTUHE  (du latin  acus,  mguû\e;  puncfura, 
piqilre),  traitement   par  lequel  on  a  cherché  à  guérir  les 
maladies  aiguës,  les  inflammations  et  les  paralysies,  et  qui 
consiste  à  enfoncer  des  aiguilles  dans  la  partie  souffrante. 
Cette  opération  est  connue  depuis  un  temps  immémorial  en 
Asie.  Ten-Rhyne  l'introduisit  en  Europe  il  y  a  plus  d'un 
siècle.  Il  y  a  quelques  années,  des  médecins  employèrent  ce 
moyen  avec  succès  dans  des  cas  de  douleurs  rhumatismales. 
Béclard  démontra  par  un  grand  nombre  d'expériences  que 
la  pi(iùre  des  vaisseaux  n'est  presque  jau;ais  suivie  d'aucun 
accident  ;  il  constata  l'innocuité  de  la  piqûre  des  nerfs  et  de 
tous  les  viscères.  Le  meilleur  ouvrage  sur  ce  sujet  est  dû 
à  Jules   Cloque  t.  —  On  a  proposé  vm  mode  particulier 
d'acupuncture,  qui  consiste  à  mettre  l'aiguille  une  fois  en- 
trée dans  les  tissus  en  contact  avec  un  courant  électrique 
pour  exciter  plus  directement  les  filets  nerveux.  Ce  procédé, 
qu'on  a  appelé  élcctropiincture,  est  ainsi  que  l'acupuncture 
presque  entièrement  abandonné  aujourd'hui. 

ADAGE.  Tous  les  dictionnaires,  sans  même  en  excep- 
ter celui  de  l'Académie  Française,  donnent  ce  mot  comme 
étant  le  synonyme  de^roi.'e;'ftc;  et  c'est  à  tort  cependant. 
11  y  a  entre  ces  deux  vocables,  connue  eussent  dit  nos 
philologues  du  seizième  siècle,  une  différence  qui  a  été 
parfaitement  expliquée  par  Érasme,  auteur,  comme  chacun 
sait,  du  recueil  d'adages  anciens  le  plus  complet.  Deux  ca- 
ractères appartiennent  à  la  nature  du  proverbe,  dit-il,  la 
Vidgarité,  l'emploi  fréquent,  l'absence  de  toute  ambiguïté, 
qui  le  fait  reconnaître  de  chacun.  Au  contraire,  l'adage  est 
emprunté  aux  oracles  des  dieux,  aux  écrits  des  sages,  aux 
vers  du  poète;  enfin,  il  est  moins  répandu  parmi  le  peuple 
que  le  proverbe,  et  remporte  sur  ce  dernier  par  l'éiévalion 


autant  que  par  le  choix  de  la  pensée.  Après  celte  explication 
facile  à  saisir,  Érasme  donne  un  recueil  très-ample  des  ada- 
ges qu'il  a  trouvés  dans  Platon,  Homère,  Thucydide,  Ci- 
céron,  Horace,  Virgile,  et  dans  les  autres  poètes  ou  prosa- 
teurs grecs  et  latins.  Jean  Lebon,  qui  a  publié  vers  la  fin 
du  seizième  siècle  une  collection  de  proverbes ,  de  sentences 
et  d'adages,  sous  le  titre  singulier  de  :  Adages  et  prover- 
bes de  Salon  de  Vosges,  par  V héiropolitain ,  1  vol.  in-32, 
fait  à  peu  près  la  même  différence  qu'Érasme,  dont  il  con- 
naissait sans  doute  le  travail.  Le  proverbe,  dit-il,  est  mmc 
voix  de  ville,  c'est-à-dire  connu  de  chacun.  L'adage,  qu'il 
compare  au  couteau  delphique ,  peut  être  emprunté  à  six 
objets  de  nature  différente  :  ce  sont  les  choses  semblables, 
les  animaux,  les  personnes  fabuleuses  de  comédie,  d'his- 
toire, les  nations,  les  États.  Suivant  Lebon,  l'adage  est 
toujours  une  com-paraison  :  plus  grave  que  Caton,  plus 
riche  que  Crésus,  plus  envieux  que  Zoïle,  plus  inhu- 
main que  Timon,  C'est  seulement  avec  le  seizième  siècle 
que  le  mot  latin  adagium  s'est  introduit  dans  notre  langue. 
Le  sieur  de  la  Porte,  qui  publiait  en  1602  un  livre  sur  les 
épithètes  de  la  langue  française,  citait  le  mot  adage,  et  de 
plus  l'adjectif  adagieux;  mais  ce  grossier  barbarisme  ne 
s'est  pas  conservé.  Leroux  ue  Lincy. 

ADAGIO.  INIot  italien  qui  signifie  proprement  à  l'aise, 
et  que  les  musiciens  appliquent  à  l'exécution  des  morceaux 
d'une  expression  lente.  Cette  lenteur  se  modifie  selon  la 
situation  dramatique  ou  la  pensée  musicale.  Dans  les  mou- 
vements adagio  les  plus  graves,  où  la  lenteur  ne  descend 
pourtant  pas  jusqu'au  largo,  on  trouve  de  ces  phrases 
prolixes,  de  ces  interruptions  de  mesure,  comme  roula- 
des, traits,  cadences,  points  d'orgue,  et  autres  menues  li- 
cences musicales,  qui  justifient  admirablement  remploi  du 
mot  adagio. 

ADALBERT,  ou  ADELBERT,  et  encore  ALDEBERT, 
Gaulois  qui  vers  l'an  744  prêchait  l'Évangile  dans  les  con- 
trées du  Mein.  Il  fut  le  premier  qui  s'opposa  à  l'introduc- 
tion en  Allemagne  des  canons  et  des  rites  de  l'Église  ro- 
maine. Comme  il  attaquait  le  culte  des  saints  et  des  reliques 
ainsi  que  l'usage  de  la  confession ,  il  fut  accusé  à  Rome 
d'hérésie  par  Boniface,  condamné  sur  ce  chef  aux  synodes 
tenus  en  744  à  Soissons  et  en  745  à  Rome,  et  emprisonné 
ensuite  dans  l'abbaye  de  Fulde.  Par  la  suite  il  s'échappa 
de  sa  prison ,  et  fut ,  dit-on ,  tué  par  des  bergers  sur  les 
bords  de  la  Fulde.  Ses  adhérents ,  qui  le  considéraient  à 
l'égal  d'un  apôtre ,  à  cause  d'une  lettre  qu'il  prétendait  lui 
être  tombée  du  ciel  et  qu'il  donnait  pour  base  à  son  auto- 
rité, professaient  une  dévotion  extrême  pour  ses  cheveux 
et  ses  ongles  ;  ils  prenaient  la  qualification  iValdchcrtins. 

ADALBERT  (Saint),  de  Prague,  apôtre  delà  Prusse,  fils 
d'un  riche  seigneur  bohème ,  fut  élevé  à  l'abbaye  de  Saint- 
IMaurice  à  ISIagdebourg,  revint  en  Bohême  en  981,  et  fut  élu 
évêque  de  Prague  en  983.  L'extrême  sévérité  qu'il  déploya 
mal  à  propos  à  l'égard  des  Bohèmes  nouvellement  convertis, 
provoqua  contre  lui  parmi  eux  les  haines  les  plus  vives;  et 
en  988 ,  irrité  du  peu  de  résultat  de  ses  efforts ,  il  aban- 
donna son  diocèse  pour  se  retirer  dans  l'abbaye  du  Mont- 
Cassin,  et  ensuite  dans  celle  de  Saint-Alexis  à  Rome,  où  il 
vécut  jusqu'en  988  dans  la  plus  complète  solitude.  Les 
Bohèmes  le  rappelèrent  alors  dans  son  diocèse;  mais  deux 
ans  après  il  l'abandonnait  encore  une  fois,  par  suite  du 
cliagrin  qu'il  éprouvait  en  voyant  la  férocité  toute  païenne 
que  ses  ouailles  avaient  conservée  dans  leurs  nucurs.  En 
s'en  retournant  dans  son  couvent ,  Adalbert ,  passant  par  la 
Hongrie,  baptisa  en  l'an  995,  à  Grân,  en  présence  de  l'em- 
pereur OthonlII,  le  prince  Etienne ,  devenu  ensuite  roi, 
et  plus  tard  canonisé.  En  996,  il  alla  de  Rome  retrouver 
l'empereur  à  Mayence,  visita  en  route  les  abbayes  de  Tours 
et  de  Fleury,  et  se  rendit  ensuite  auprès  du  duc  Boleslaf,  en 
Pologne,  011  i'I  mit  à  exécution  le  projet  qu'il  avait  depuis 
longtemps  formé  d'aller  prêcher  la  foi  chrétienne  aux  peu- 


AD  ALBERT  —  ADAM 


111 


pies  païens,  et  d'abord  aux  Prussiens.  Avec  ses  fidèles 
«OUI pagnons ,  Gaudentiuset  BénMict,  il  descendit  la  Vistule 
jusqu'à  Dantzig,  oii  il  priVlia  et  baptisa,  et  continua  ensuite 
sa  route  vers  la  Pnisse.  11  aborda  dans  une  petite  île  vrai- 
scaiblablenient  silnée  à  rcmbouciiure  de  la  Pregol.  Il  paya 
ses  prédications  de  sa  vie.  Le  23  avril  997  un  prêtre  païen 
lui  enfonça  un  javelot  dans  la  poitrine.  Le  duc  Boleslaf 
racheta  son  corps  et  le  rapporta  à  Gneseu,  d'où  il  fut  trans- 
porté à  Prague  par  le  duc  Brzelislaf. 

ADALBERT,  nommé  archevêque  de  Brème  et  de 
Hambourg  en  1043,  était  issu  de  la  maison  des  comtes  pala- 
tins de  Saxe.  Le  pape  Léon  IX  le  uonima,  en  1050,  son  légat 
dans  le  Nord.  Pendant  la  minorité  de  l'empereur  Henri  l\\ 
il  se  fit  attribuer  la  tutelle  et  l'administration  de  l'Empire. 
En  1065  il  fit  déclarer  majeur  ce  prince,  alors  âgé  de  qua- 
torze ans,  et  s'empara,  sous  son  nom,  du  pouvoir  le  plus 
illimité.  L'année  suivante  les  princes  allemands  employè- 
rent la  violence  pour  l'éloigner  de  Henri  ;  mais,  après  une 
lutte  de  courte  durée,  il  se  retrouva,  en  1069,  en  possessio  n 
de  l'autorité  souveraine  comme  auparavant,  sous  le  nom  de 
Henri.  11  mourut  àGoslar,  le  17  mars  1072. 

ADALBERT  (Henri-Gdillalme),  prince  de  Prusse, 
fils  du  prince  Frédéric-Guillaume-Charles,  et  cousin  ger- 
main du  roi  Guillaume,  est  né  à  Berlin  le  29  octobre  181t. 
Il  entra  de  bonne  heure  dans  l'artillerie,  visita,  de  1826  à 
1843,  la  Hollande,  l'Angleterre,  l'Ecosse,  Saint-Pétersbourg, 
Moscou,  la  Russie  méridionale,  la  Turquie,  la  Grèce  et  les 
lies  Ioniennes,  Gibraltar,  Tanger,  Madère,  Ténériffe,  et  les 
côtes  du  Brésil.  En  1847  il  fit  paraître  à  Berlin  le  journal  de 
son  dernier  voyage  sous  ce  titre  :  Ans  meinem  Reisatagebu- 
che,  1842-1S43.  Le  11  juillet  1843  le  prince  Adalhert  avait 
été  nomméinspecteur  général  de  raiti!lerie;après  1848  il  lut 
chargé  de  l'organisation  d'une  marine  allemande  centrale  et 
créé  amiral.  A  ce  moment  il  fit  paraître  un  ^Mémoire  su>-  la 
formation  (Tune  flotte  allemande  (  Potsdam,  1848  ).  L'Al- 
lemagne ayant  renoncé  à  l'unité,  le  prince  Adalbert  est  resté 
seulement  le  chef  de  la  marine  prussienne.  En  1851  il  fit  un 
voyage  en  Suède,  et  en  185G  il  se  présenta  avec  une  petite 
escadrille  sur  les  côtes  de  Maroc.  Attaqué  par  les  pirates  du 
Rif,  dans  une  descente  à  terre,  il  les  mitrailla  pendant  deux 
heures  et  leur  fit  subir  des  pertes ,  puis  il  reprit  la  mer.  Il 
avait  près  de  lui  ses  deux  frères,  et  fut  gravement  blessé  à  la 
jambe  dans  cetengagement.il  revint  ensuite  en  Prusse  en 
passant  par  l'Angleterre.  En  1858  il  est  venu  visiter  Brest. 
Le  prince  Adalbert  a  épousé  morganaliquement  en  1S51 
M"e  Thf^rèse  Elssler,  créée  comtesse  de  Barniin. 

ADA3I,  c'est-à-dire  Yhojnme ,  et  EVE,  c'est-à-dire  la 
vivante,  sont  le  premier  couple  humain  sur  la  terre  dont 
il  soit  question  dans  la  Genèse.  Adam  mourut  à  l'âge  de 
neuf  cent  trente  ans,  et,  suivant  une  antique  tradition  juive, 
il  fut  enterré  dans  l'Hébron ,  à  côté  des  patriarches.  On 
croyait  trouver  cette  tradition  confirmée  dans  la  Bible, 
d'après  un  passage  mal  interprété  de  Josué  (  14  et  15)  dans 
la  Vulgate,  tandis  qu'une  autre  tradition  chrétienne  le  fait 
reposer  sur  le  mont  Golgotha.  On  connaît  le  récit  de  la 
Genèse.  D'après  ce  livre,  le  père  du  genre  humain  fut  formé 
de  terre  le  sixième  jour  de  la  création.  Dieu  compléta  son 
cpuvre  par  l'homme,  qu'il  fonna  d'après  son  image  et  qu'il 
établit  maître  de  tous  les  êtres  privés  de  raison.  Il  lui  donna 
pour  compagne  Eve,  formée  de  sa  chair,  afin  que  de  leur 
imion  naquît  une  heureuse  postérité  qui  peuplât  la  terre. 
Dieu  les  plaça  dans  l'Eden,  jardin  rempli  d'arbres  à  fruits, 
où  ils  trouvaient  tout  ce  qui  pouvait  satisfaire  leurs  besoins 
et  servir  à  leurs  plaisirs.  Mais  au  milieu  du  jardin  était 
l'arbre  de  la  science  du  bien  et  du  mal ,  dont  le  Créateur 
leur  avait  interdit  le  fruit.  Eve  se  laissa  séduire  par  le  ser- 
pent; elle  cueillit  de  ce  fruit,  et  en  mangea  avec  son  mari. 
Ce  crime  détruisit  leur  bonheur.  Tout  changea  aussitôt  de 
face  devant  leurs  yeux;  ils  s'aperçurent  de  leur  nudité,  et 
se  couvrirent  avec  des  feuilles.  Eu  vain  Adam  chercha  à  se 


dérober  à  la  vue  de  Dieu  ;  en  vain  il  s'efforça  de  rejeter  sa 
faute  sur  sa  compagne  :  l'anathème  ftit  lancé  contre  eux  et 
contre  la  nature  entière.  Déchu  désormais  de  l'état  d'in- 
nocence dans  lequel  il  avait  été  créé,  Adam  .se  vit  con- 
damné à  soutenir  son  existence  à  la  sueur  de  son  front. 
Toutes  les  misères  de  la  vie  et  les  teneurs  de  la  mort  l'attei- 
gnirent. Il  eut  trois  fils,  C  aï  n,  Abel  et  Selh.  —  Selonle.»- 
récits  poétiques  des  Juifs ,  Dieu  créa  Adam  comme  homme 
et  femme  tout  à  la  fois  avec  de  la  poussière  de  la  terre.  Sa  tète 
atteignait  le  ciel ,  et  l'éclat  de  ses  yeux  effaçait  celui  du  so- 
leil. Les  anges  du  ciel  eux-mêmes  le  redoutaient,  et  tous 
les  êtres  de  la  création  s'empressaient  de  l'adorer.  Alors  le 
Seigneur,  pour  montrer  sa  puissance  aux  anges,  endormit 
Adam ,  et ,  pendant  son  sonuneil ,  enleva  quelque  chose  de 
chacun  de  ses  membres.  A  son  réveil ,  il  lui  ordonna  de  dis- 
perser sur  la  terre  les  parties  qu'il  lui  avait  prises,  afin 
que  toute  la  terre  fût  habitée  par  sa  semence.  Adam  perdit 
aussi  sa  grandeur;  mais  il  n'en  conserva  pas  moins  sa  per- 
fection. Dieu  créa  ensuite  à  Adam  une  femme,  Lihth; 
mais  elle  s'enfuit  dans  les  airs,  et  alors  le  Seigneur  lui  fit 
Eve,  de  l'une  de  ses  côtes.  Dieu  la  conduisit  magnifique- 
ment parée  à  Adam  ;  et  les  anges  descendirent  du  ciel ,  en 
jouant  des  instruments  célestes,  et  le  soleil,  la  lune  et  toutes 
les  étoiles  dansèrent  ensemble.  Dieu  bénit  le  couple,  et  lui 
otfrit  un  repas  sur  une  table  en  diamant ,  tandis  que  les 
anges  préparaient  les  mets  les  plus  délicieux.  La  beauté 
d'.\dara  provoqua  la  jalousie,  et  le  séraphin  Sammael  réus- 
sit à  le  tenter.  L'heureux  couple  fut  alors  chassé  du  paradis 
nans  le  lieu  des  téuebres,  et  erra  ensuite  successivement 
sur  les  terres  jusqu'à  la  septième,  Tebhel ,  qui  est  celle  que 
nous  habitons.  —  Suivant  le  Koran ,  Dieu  créa  le  corps  de 
son  représentant  sur  la  terre  avec  de  l'argile  sèche ,  et  l'es- 
prit avec  du  feu  pur.  —  D'après  les  légentbires  persans.  Dieu 
créa  le  premier  homme  d'une  pâte  composée  des  sept  cou- 
ches de  la  terre ,  et  doua  son  corps  des  plus  nierveilleuses 
perfections.  Tous  les  anges  témoignèrent  leur  respect  au 
nouvel  être  créé,  à  l'exception  d'Eblis,  qui,  en  conséquence, 
fut  chassé  du  paradis,  assigné  dès  lors  pour  demeure  à  .4dam. 
Eve  fut  créée  dans  le  paradis.  Par  esprit  de  vengeance  elle 
teiila  les  premiers  hommes ,  qui  furent  alors  précipités  du 
ciel  sur  la  terre.  Dieu  eut  pitié  d'Adam  repentant,  et  lui  fit 
enseigner  ses  divins  commandements  par  l'archange  Ga- 
briel, là  où  plus  tard  fut  construit  le  temple  de  la  Mecque.  Il 
s'y  conforma  ponctuellement,  et  retrouva  alors  Zooafris,  son 
épouse ,  sur  le  mont  Ararat.  A  sa  mort  il  fut  enterré  sur  le 
mont  Abouraïs ,  près  de  la  Mecque  ;  ou ,  suivant  une  autre 
version,  recueilli  d'abord  par  Noé  dans  l'arche,  ce  serait 
Melrliisédcch  qui  l'aurait  enterré  là  où  plus  tard  s'éleva  la  ville 
de  Jérusalem.  On  trouvera  exposées  daivs  les  plus  grands 
détails  les  traditions  postérieures  des  juifs  et  des  mahomé- 
tans  dans  le  line  d'Eisenmenger  intitulé  :  le  Judaïsme  dé- 
voilé (en  allemand,  Francfort,  1700  ). 

AD  Ail  DE  Brème,  chanoine  de  cette  ville,  arriva  à 
Brème  en  l'an  1067,  vraisemblablement  appelé  de  la  haute 
Saxe  par  l'archevêque  Adalbert,  et  y  mourut  vers  l'an  1076.11 
yécrivit.sous  le  titre  de  Gesta  Hammenburgensis  Ecclesix 
pontijicum  ou  de  Historia  Ecclesiastica ,  le  plus  générale- 
ment d'après  des  documents  et  d'anciennes  inscriptions,, 
une  histoire  de  l'archevcché  de  Hambourg  depuis  l'an  788 
jusqu'à  la  mort  de  l'archevêque  Adalbert,  arrivée  en  l'an  1072. 
Cet  ouvrage  contient  de  précieuses  indications  pour  l'his- 
toire des  États  du  Nord,  et  plus  particulièrement  des  peuples 
slaves,  et  l'auteur  les  recueillit  de  la  bouche  même  du  roi 
danois  Svend  Estrithson,  qu'il  alla  visiter  tout  aussitôt  après 
son  arrivée  à  Brème.  Le  livre  d'Adam ,  dédié  à  l'archevêque 
Liemar  (1072-1101),  est  la  seule  source  de  quelque  valeur 
où  Ton  puisse  puiser  pour  l'histoire  des  pays  du  Nord  à 
cette  époque;  aussi  est-il  d'une  importance  extrême  pour 
les  historiens.  11  se  recommande  d'ailleurs  par  la  sagesse  d» 
son  plan ,  par  l'exactitude  avec  laquelle  y  sont  recueillis 


112 


ADAM 


tous  les  documents  écrits  on  oranx  ,  par  une  exposition 
claire,  et  par  un  style  assez  heureusement  imité  des  an- 
ciens. Vedel  publia  le  premier  r/^js^oire  d'Adam  de  Drôme 
(Copenhague,  1579,  in-4'' )  d'après  un  manuscrit  trouvé 
dans  l'abbaye  de  Soroe  par  Bartliolin.  Postérieurement  on 
en  a  trouvé  d'autres  copies,  non  moins  précieuses,  àCopen- 
liague,  à  Leyde  et  à  Vienne. 

ADAM  de  la  Halle,  surnommé  leBoçu  cVArras,  trou- 
vère du  treizième  siècle,  était  (ils  d'un  bourgeois  d'Arras. 
Né  vers  1240,  il  fit  ses  études  dans  l'abbaye  de  Vauxcelles 
et  embrassa  l'état  ecclésiastique.  En  1282  il  suivit  Ro- 
bert II,  comte  d'Artois,  h  Naples.  C'est  dans  cette  ville 
qu'il  composa,  pour  les  divertissements  de  la  cour,  Li  Jeu  de 
Robin  et  de  Marion  (  Paris,  1822,  in-S").  Il  mourut  à  Na- 
ples vers  t28G.  On  a  en  outre  de  lui  :  LiJeu  d'Adam,  ou 
du  Moruifje  (Paris,  1828,  in-8°);  Li  Congié  d'Adam 
d'Arras  (Paris,  1803  );  Cest  du  Roy  de  Sézile,  poème 
(Paris,  1828);  quelques  chansons,  rondeaux,  motets,  pu- 
bliés par  Roquefort,  dont  il  composait  lui-môme  la  musi- 
que qu'il  notait  d'après  le  système  de  Gui  d'Arezzo.     Z. 

ADAM  (Jean),  prédicateur  français,  né  à  Limoges,  en 
1008,  devint  supérieur  de  la  maison  des  jésuites  de  Bor- 
deaux, et  mourut  le  12  mai  1684.  Il  appelait  saint  Augus- 
tin V Africain  échauffé  et  le  Docteur  bouillant,  compa- 
rait Mazarin  à  saint  Jean-Baptiste,  et  Anne  d'Autriche  à  la 
sainte  Vierge.  En  1656  il  prêcha  le  carême  à  Paris  ;  un  sei- 
gneur de  la  cour  dit  alors  à  la  reine  :  «  Voilà  un  discours  qui 
m'a  fortement  convaincu  que  le  père  Adam  n'est  pas  le 
premier  homme  du  monde,  w  Z. 

ADAM.  Trois  frères  de  ce  nom  exercèrent  avec  éclat  l'art 
de  la  sculpture,  que  pratiquait  leur  père.  L'aîné,  Lambert-Si- 
gisbert,  né  en  17oo,  à  Nancy,  vint  à  Paris,  oii  il  remporta  le 
premier  prix  à  l'Académie,  et  alla,  comme  pensionnaire  du 
roi,  à  Rome.  Le  cardinal  de  Polignac  lui  fit  restaurer  les 
douze  statues  de  marbre  connues  sons  le  nom  de  la  famille 
de  Lycomèdci  qu'on  venait  de  découvrir  dans  le  palais  de 
Marins.  Adam  s'acquitta  de  ce  travail  avec  beaucoup  de 
talent.  En  1737  Adam  fut  élu   membre  de  l'Académie,  et 
dans  le  suite  il  y  fut  attaché  en  qualité  de   professeur.  On 
lui  doit  le  groupe  de  Neptune  et  Amphitrite  pour  le  bassin 
de  Neptune  à  Versailles.  Il  y  a  aussi  de  lui,  à  Berlin,  deux 
groupes  en  bronze,  la  Chasse  et  la  Pêche.  Il  mourut  le 
13  mai  1759.  —  Son  frère,  Nicolas-Sébastien,  né  à  Nancy, 
en  1705,  étudia  l'art  de   la  sculpture  sous  la   direction  de 
son  père;  puis  il  revint  à  Paris,  travailla  dans  un  château 
près  de  Montpellier,  et  alla,  en  1726,  h  Rome.  Il  y  gagna  au 
bout  de  deux  ans  un  prix  de  l'Acadéuiie  de  Saint-Luc.  Reçu 
à  l'Académie  de  Paris  en  1762,  il   sculpta,    comme  pièce 
d'essai,  Prométhée  déchiré  par  levautour,  qu'il  ne  finit 
que  plus  tard.  Son  morceau  principal  e^t  le  mausolée  de  la 
reine  de  Pologne,  épouse  de  Stanislas.  Il  mourut  le  27  juin 
1778.   —  Le  troisième  frère,  François-Gaspard,  né    à  ,' 
Nancy,  en   1710,  fut  de  môme  élève  de  son  père.  En  1728 
il  se  rendit  à  Rome,  auprès  de  ses  frères.  Il  revint  ensuite, 
comme  eux,  à  Paris,  y  remporta  le  premier  prix  de  l'Acadé-  I 
mie,  et  retourna  à  Rome,  où  il  acheva  ses  études.  Plus  tard   ' 
il  alla  à  Berlin ,  au  lieu  de  son  frère  Nicolas-Sébastien ,  qui 
y  avait  été  appelé  par   le  grand  Fiédéric,  y  travailla  plu-   \ 
sieurs  années  ,  et  mourut  à  Paris,    en  1769.  i 

AD^VM  (Robert)  ,  architecte,  né  près  d'Edimbourg  en  ' 
1728 ,  se  forma  par  des  voyages  sur  le  continent  et  par  un 
assez  long  séjour  en  Italie.  Lorsqu'il  lut  de  retour  à  Londres , 
le  roi  d'Angleterre  le  nomma  son  architecte.  Il  a  fourni 
les  plans  d'un  grand  nombre  de  monuments  remarquables , 
et  mit  plus  de  gortt  dans  les  ornements  des  édifices.  En 
1764,  le  comté  de  Kinross  l'envoya  au  parlement,  et  il  mou- 
rut en  1792.  On  cite  sa  Description  des  ruines  du  palais 
de  Dioctétien  à  Spalatro  (Londres,  1764,  in-fol.).  Z.  ! 
ADAM  (Maître).  Voyez  Bill \.it.  j 

ADAM  (  Édouaud  ) ,  inventa,  au  commencement  du  dix- 


neavièmc  siècle,  on  appareil  pour  la  distillation  des  vins  qui 
devait  enrichir  le  midi  de  la  France.  La  routine  déclara  d'a- 
bord que  son  invention  était  impraticable  ;  plus  tard,  quand 
on  en  reconnut  les  avantages,  on  contesta  que  ce  fût  une 
invention.  Il  perdit  ses  procès.  Après  sa  mort  on  lui  rendit 
plus  de  justice.  La  ville  de  Rouen  donna  son  nom  à  une  rue, 
et  le  département  de  l'Hérault  lui  a  voté  une  statue.  M .  J.  Gi- 
rardin  ,  de  Rouen,  a  publié  une  notice  sur  Ed.  Adam.     Z. 

ADAM  (  Adolphe-Charles  ) ,  nn  de  nos  plus  féconds 
compositeurs  dramatiques,  naquit  à  Paris,  le  24  juillet  1803. 
11  était  fils  du  célèbre  professeur  de  piano  Louis  Adam,  né 
en  1759  à  Miettersholtz,  en  Alsace,  mort  en  1840,  qui  a  été 
pendant  quarante-quatre  ans  professeur  au  Conservatoire, 
et  qui  a  formé  un  grand  nombre  de  nos  plus  habiles  pianistes. 
Adolphe  Adam  était  bien  jeune  encore  lorsque  son  père 
le  mit  entre  les  mains  d'une  madame  Duhan,  inventeur  d'une 
méthode  de  solfège  au  moyen  de  cartes  destinéesà  enseigner 
aux  enfants  les  principes  de  cet  art;  mais  il  fut  impossible 
au  jeune  Adolphe  de  rien  apprendre  par  ce  moyen.  A  l'âge 
de  sept  ans  il  entra  dans  la  pension  de  M.  Hix,  et  en  1814 
il  alla  à  Believille,  dans  celle  de  M.  Gersin,  père  de  ma- 
dame Benincori.  Madame  Benincori  donnait  des  leçons  de 
piano  aujeime  élève;  mais,  emporté  par  son  ardeur  de  com- 
position, il  improvisait  plus  qu'il  n'étudiait.  Pendant  son 
séjour  à  Believille,  le  jeune  Adolphe  s'éprit  d'une  belle  pas- 
sion pour  l'orgue.  Ayant  fait  la  connaissance  du  souffleur  de 
la  paroisse,  il  parvint  à  remplacer  souvent  l'organiste  titulaire. 
Adolphe  Adam  quitta  Believille  pour  suivre  comme  ex- 
terne le  cours  du  collège  Bourbon  ,  où  il  ne  poursuivit 
ses  études  que  jusqu'à  la  classe  de  seconde.  Son  père  lui 
donna  un  maître  d'harmonie,  M.  Widerker;  et  le  pro- 
fesseur d'harmonie,  qui  s'inquiétait  peu  des  progrès  de  son 
élève  en  humanités,  était  toujours  satisfait. 

Une  circonstance  particulière  contribua  beaucoupà  donner 
de  l'émulation  à  Adolphe  Adam  et  à  développer  chez  lui  le 
sentiment  musical.  Hérold ,  qui  avait  été  l'élève  de  prédilec- 
tion d'Adam  père  pour  le  piano,  et  qui  de  plus  était  son 
filleul,  revenait  alors  d'Italie.  L'intimité  qui  s'établit  natu- 
rellement entre  Hérold  et  Adophc  Adam  fut  très-profitable 
à  ce  dernier.  Adolphe  Adam  était  entré  dans  la  classe  d'or- 
gue de  Benoît,  professeur  au  Conservatoire.  Il  était  par- 
venu à  se  faire  accepter  en  qualité  de  commis  par  un  vieux 
organiste,  nommé  Baron,  qui  tenait  à  la  fois  les  orgues  de 
Saint-Nicolas-du-Chardonnet,  de  Saint-Étienne-du-Mont  et 
de  Saint-Louis-d'Antin.  Un  jour,  à  l'offertoire,  Adolphe 
Adam  se  hasarda  à  jouer  la  fugue  en/a  de  Haendel.  Comme 
le  vieux  Baron  n'avait  pas  habitué  les  oreilles  de  ses  ati- 
diteurs  à  un  style  pareil,  le  curé  de  la  paroisse  se  scanda- 
lisa fort,  et  lança  vertement  l'imprudent  commis.  Le  brave 
homme  s'écriait  :  //  vient  nous  jouer  de  la  musique  de 
V Ancien  Testament!  Adolphe  Adam  demanda  encore  des 
avis  à  Séjan,  dont  il  se  trouva  fort  bien.  Séjan  et  Benoît  peu 
à  peu  se  firent  remplacer  par  lui  à  la  chapelle  du  roi;  il  en- 
tendait là  les  chefs-d'œuvre  de  Lesueur  et  de  Cherubini. 

Ce  fut  en  (822  que  fut  formée  au  Conservatoire  la  classe 
de  composition  de  Boïeldieu,  Adolphe  Adam  entra  dans 
cette  classe  avec  MM.  Théodore  Labarre,  Claudel  etTariot. 
Un  beau  matin,  l'élève  présente  à  son  maître  une  cantate 
intitulée  Circ.é.  Cette  cantate  se  ressentait  du  goût  dominant 
de  la  plupart  des  élèves  pour  les  formes  scolastiques,  les 
modulations  brusques  et  recherchées,  à  l'exclusion  de  toute 
idée  mélodique.  Boïeldieu  examina  froidement  cet  ouvrage, 
et  dit  à  l'élève  de  lui  apporter  le  lendemain  une  simple  vo- 
calise dans  le  ton  d'w^,  de  vingt-cinq  à  trente  mesures  seu- 
lement, avec  défense  de  sortir  du  ton  à'ut  et  d'aller  en  sol. 
Le  maître  tint  l'élève  pendant  deux  ans  sur  celte  sorte 
d'exercice;  après  quoi  il  l'envoya  composer  à  l'Institut,  où 
il  obtint  une  mention  honorable.  L'année  suivante,  1825, 
Adolphe  Adam  obtint  le  second  grand  prix.  Le  père  d'A- 
dolphe Adam,  mécontent  de  ce  qu'il  voulait  être  exclusi- 


venient  musicien,  lui  retira  tout  subside.  Aiiain  parvint  à 
s'introduire  dans  i'orciiesire  du  Gymnase,  et  composa 
quelques  airs  pour  ditlVrenles  pièces,  entre  autres  La  Bn- 
telière  de  DrifUlZy  Valeittine  ou  la  Chute,  des  feuilles, 
le  Hussard  de  Felsiwiin,  Ta/eô,  etc.  A  l'époque  oii  la 
Dame  blanche  élàil  en  répélition,Boïeidieii  se  trouva  pressé 
parle  temps  ;  on  était  à  la  veille  du  jourde  la  n'pélition  t;éni^i  aie, 
et  l'onverluie  de  cet  opéra  n'était  i)as  prête.  Il  en  fallait  une 
pourtant.  Boïeldieu  prit  avec  lui  ses  deux  élèves,  Adolphe 
Adam  et  Labarre,  les  mena  dîner  chez  lui,  après  quoi  les  trois 
inusicieiis  se  partai;érent  l'ouverture.  Boieldieu  se  chargea 
de  l'andante,  Labarre  du  commencement  de  l'allégro  ,  qu'il 
tira  d'un  air  anglais  (c'était  Labarre  qui  avait  fourni  à 
l'auteur  de  la  Dame  blanche  les  airs  écossais  qui  font  par- 
tie de  cet  ouvrage);  Adolphe  Adam  eut  l'idée  de  la  cnba- 
U'ttc  empruntée  au  trio  de  voix  eiàwcrescendo.  L'ouverture 
tut  terminée  pendant  la  nuit,  et  jouée  on  sait  avec  quel  succès. 

Ce  fut  en  1S29  qu'.Vdam  donna  son  premier  ouvrage  à 
rOpéra-Comique  ;  c'était  un  acte  intitulé  :  Pierre  et  Ca- 
therine, qui  eut  près  de  cent  représentations.  En  1830  il 
fit  jouer  Danilhova,  en  trois  actes,  qui  eut  beaucoup  de 
succès.  Le  26  juillet  lS30on  représenta  Za  Chatte  blanche, 
pantomime  anglaise,  jouée  par  les  acteurs  anglais,  et  dont 
Adolphe  Adam  et  Gide  étaient  les  auteurs.  Après  la  révo- 
lution de  juillet,  Adam  lit,  avec  M.  Romagnesi,  pour  la 
réouverture  du  théâtre  des  Nouveautés,  Trois  Jotas  en  une 
heure.  De  plus,  il  avait  fait  un  morceau  symphonique  com- 
posé de  la  Marseillaise,  d'une  bataille,  et  de  l'air  :  la  Vic- 
toire est  à  nous.  Il  donna  successivement  :  Joséphine  ou 
le  Retour  de  Tfa^ram,  un  acte,  1830,  àl'OpéraComique; 
en  1S31,  Ze  Morceau  d'ensemble, un  acte,  au  môme  théâtre  ; 
Casimir,  un  acte,  aux  Nouveautés;  le  Grand  Prix,  en 
trois  actes,  à  l'Opéra-Comique. 

En  1832,  Adam  se  rendit  à  Londres,  où  il  donna  au  théâ- 
tre de  Covent-Garden ,  Sa  première  Campagne  (His  first 
Campaign),  en  deux  actes,  qui  eut  un  grand  succès,  et  le 
Diamant  noir  (thedark  Diamond),  entroisactes,qui  tomba. 
En  1833  le  King's-Theatre  joua  un  ballet  en  trois  actes, 
intitulé  Faust.  De  retour  à  Paris,  Adam  donna  le  Pros- 
crit, en  trois  actes,  qui  n'eut  que  quinze  représentations, 
mais  dont  la  musique  fut  goûtée;  en  1834,  Une  Bonne  For- 
tune, oiiéra-comique  fait  en  cinq  jours,  pour  Cliollet,  et 
qui  fut  représenté  plus  de  cent  fois;  le  charmant  opéra  du 
Chalet,  en  un  acte,  pour  les  débuts  d'Inchindi  ;  en  1835, 
la  Marquise,  un  acte;  Micheline,  un  acte;  en  1836,  la 
Fille  du  Dan'ube,ha.\\elen  deux  actes,  pour  le  grand  Opéra; 
le  Postillon  de  Lonjumeau,  pour  l'Opéra-Comique;  en 
1837,  les  Mohîcans,  ballet  en  deux  actes,  pour  l'Opéra; 
te  Fidèle  Berger,  à  l'Opéra-Comique,  en  trois  actes,  dont 
la  chute  fut  éclatante,  mais  qui  fut  goûté  à  Berlin  ;  en 
1S38,  le  Brasseur  de  Preston,  trois  actes;  en  183'J,  Ré- 
gine, en  deux  actes,  et  la  Reine  d'un  jour,  trois  actes, 
pour  les  débuts  de  Masset. 

En  1839  M.  Ailam  part  pour  la  Russie;  il  donne  l'an- 
née suivante  à  Saint-Pétersbourg  un  ballet  en  deux  actes, 
pourMi'"^  Taglioni, intitulé:  VEcumeardemer;  pendantson 
séjour,  il  écrit  fes  Lettres  sur  l'état  de  la  musique  en 
Russie.  Ne  pouvant  s'habituer  à  la  rigueur  du  climat,  il 
tombe  gravement  malade.  Au  mois  de  mars  1840  il  arrive 
à  Berlin  pour  y  passer  seulement  huit  jours.  Mais  le  roi,  à 
ipii  il  avait  dédié  le  Postillon  de  Lonjumeau,  lui  demande 
un  intermède.  Cet  intermède  devient  un  opéra  en  deux  actes, 
les  flamadnjades  (Die  Hamadriaden),  qui  fut  composé, 
copié,  répété  et  joué  en  deux  mois,  quoiqu'on  fût  obligé  de 
lui  Induire  les  paroles  de  la  pièce  en  français  pour  les  re- 
traduire ensuite  en  allemand,  langue  qu'Adam  ignorait.  Pie- 
venu  à  Paris,  Adam  donna  à  l'Opéra-Comique  la  Rose  de 
Péronne,  en  trois  actes  ;  en  1841,  le  délicieux  ballft  de  Gi- 
selle,  à  l'Opéra;  Richard  Cœur  de  Lion,  de  Grétry,  avec 
une  nouvelle  instrumentation  à  l'Opéra-Comique;  la  Main 

DICT.  DE  LA   CO.NVERS.   —  T.   I. 


ADA\f  113 

de  fer,  trois  actes  ;  en  1842 ,  la  Jolie  Fille,  de  Cand,  ballet 
en  deux  actes,  à  l'Opéra  ;  et  à  l'Opéra-Comique,  le  lioi  d' Yvc- 
tot;  en  1843,  Lambert  Simntl,  opéra  de  Monpou,  resté  in- 
achevé; le  Déserteur,  de  Mousiguy,  avec  une  nouvelle  ins- 
trum-ntation,  et  enlin,  en  i'ik'i, Cuglinstro,  en  trois  actes. 

Adolphe  Adam  a  écrit  encore,  outre  une  infinité  de  fan- 
taisies et  d'airs  variés  pour  le  piano,  ouvrages  de  sa  jeunesse, 
une  Messe  solennelle  (  1837  ),  avec  orgue  obligé,  violoncel- 
les, contre-basses  et  cuivres  ,  el  un  O  snlutaris.  11  comp- 
tait presque  autant  de  succès  que  d'ouvrnges.  Les  compo- 
siteurs italiens  ont  seuls  donné  l'e\en)ple  d'une  pareille 
fécondité.  Il  avait  l'entente  de  la  scène  Iwique.  Sa  nuisique 
est  parfaitement  bien  posée  pour  le  thr;'ii.ie.  Il  excelle  dans 
la  disposition  des  voix.  Son  orchestre  est  toujours  clair  et 
intéressant.  On  désirerait  seulement  parfois  plus  de  distinc- 
tion et  d'élévation  dans  les  idées.  J.    d'Oktigue. 

Le  22  juin  184i  Adam  fut  élu  membre  de  l'Académie  des 
Beaux-Arts,  à  la  place  de  Berton.  L'année  suivante,  il  donna 
Richard  en  Palestine,  opéra  en  trois  actes,  à  l'Opéra  ;  en 
1840,  le  Diable  à  quatre,  ballet  en  deux  actes,  au  même 
théâtre;  en  1847,  la  Bouquetière,  opéra  en  nn  acte,  à 
l'Opéra.  Nommé  directeur  d'un  troisième  théâtre  lyrique  a 
Paris,  il  en  fit  l'ouverture  dans  la  salle  du  Cirque,  le  15 
novembre  1847.  Ou  y  joua  le  Gastibelza  de.  M.  Maillart, 
et  le  succès  de  l'entreprise  paraissait  assuré  lorsipie 
éclata  la  révolution  de  lévrier  1848.  Deux  mois  plus  tani 
l'Opéra  national  était  obligé  de  fermer  ses  portes,  Adam  per- 
dait toutes  ses  économies  et  était  obligé  de  prendre  des 
engagements  pour  lesquels  il  se  remit  à  travailler  avec  une 
nouvelle  ardeur.  11  donna,  en  1848.  Griselidis ,  ou  les  Cinq 
Sens,  ballet  en  quatre  actes  à  1  Opéra  ;  en  1849,  le  To- 
réador, opéra  comique  en  deux  acfes,  à  l'Opéra-Comique; 
la  Filleule  des  fées,  ballet  en  trois  actes,  à  l'Opéra  ;  le 
Fanal,  opéra  eu  deux  actes,  au  même  théâtre;  en  1S50,  Gi- 
raZcf«,  trois  actes,  à  l'Opéra-Comique;  en  \8b2,  Si  j'étais  roi, 
le  Roi  des  halles,  le  Bijou  perdu,  en  trois  actes,  au  Théâtre 
Lyrique;  en  l&h3,  la  Poupée  de  Nuremberg,  Clichij,  au  même 
tlié;\tre;ea  1854,  Ze  Muletier  rfeTo/éde,  trois  actes,  au  Théâ- 
tre Lyrique;  en  ISôô.Ze  Uouzard  deBerchini,  deux  actes, 
à  l'Opéra-Comique  ;  en  1S56,  Falstaff,  un  acte,  au  Théâtre 
Lyrique  ;  le  Corsaire,  ballet  en  trois  actes,  à  l'Opéra  ; 
Mam'zelle  Geneviève,  deux  actes,  au  Théâtre  Lyrique  ;  la 
Faridondaine,  drame  lyrique,  à  la  Porte-Saint-Marlin  ; 
les  Pantins  de  Violette,  aux  Bouffes  Parisiens. En  1850, 
il  avait  composé  la  messe  de  Sainte-Cécile,  pour  l'associa- 
tion des  artistes  musiciens;  en  1851,  il  fit  en  six  jours 
la  musique  d'un  intermède,  intitulé  les  Nations ,  chanté  à 
une  représentation  donnée  à  Paris  devant  les  délégués  du 
l'exposition  universelle  de  Londres.  La  même  année,  le 
Fidèle  Berger  fut  repris  avec  succès  à  l'Opéra-Comique; 
en  1854,  il  fit  de  la  musique  pour  le  mois  de  Marie;  en 
1856,  il  rajeunit  la  vieille  comédie  du  .Sourd,  en\a  mettaul 
en  musique  pour  le  Théâtre  Lyrique,  et  composa  la  musi- 
que d'une  cantate  pour  la  naissance  du  prince  impérial. 
Le  3  mai  1856,  on  le  trouva  le  matin  mort  dans  son  lit.  11 
laissait  à  l'Opéra-Comique  la  partition  d'une  pièce  intituléiî 
Josepha,  ou  le  Dernier  Bal.  A  partir  de  1848,  il  adonni' 
des  iéuilletons  de  critique  musicale  au  Constitutionnel  et  ii 
V Assemblée  nationale.  Au  mois  d'octobre  1848,  il  avaii 
été  nouimé  professeur  <le  composition  au  Conservatoire  di' 
musique.  On  a  imprimé  en  1857  -.Souvenirs  d'un  Musicien, 
par  Adolphe  Adarn,  précédés  dénotes  biograiihiques  écrite - 
l)ar  lui-môme  (in-l3).  M.  Halévy  a  lu  à  l'Académie  des 
Beaux- Arts,  en  1859,  une  Notice  historique  sur  la  vie  et  k.^ 
travaux  d'.Adolphe  Adam.  L.  L. 

ADAM  (Albert),  peintre  de  batailles  et  d'animaux,  n.'. 
en  1786,  à  Nœrdiingen.  Son  père,  qui  était  confiseur,  ledestin\ 
au  même  état;  mais  de  bonne  heure  Adam  montra  des  dis- 
positions pour  le  dessin.  En  1803,  il  vint  étudier  la  pein- 
ture à  Nuremberg,  et  à  partir  de  1807  il  s'établit  à  Munich. 

15 


<Î4 


ADAM  —  ADAMS 


où  il  trouva  des  proteclcurs.  Kn  1 809,  il  accompagna  le  comte 
«îe  Froliberg-Monljois  dans  la  campagne  contre  les  Autri- 
chiens. Les  scènes  militaires  qu'il  eut  occasion  do  re- 
présenter obtinrent  un  succès  qui  détermina  Eugène  de 
Heauliarnais  à  se  l'attacher.  Adam  passa  quelque  temps  en 
Italie,  tout  entier  à  l'étnile.  Kn  1819,  il  accompagna  le  vice- 
roi  en  Russie,  d'où  il  revint  h  la  (in  de  l'année,  non  sans  avoir 
couru  de  grands  dangers.  Il  resta  en  Italie  jusqu'en  1815, 
et  retourna  à  cette  époque  à  Munich  ,  où  le  roi  Maximilien 
le  prit  sous  sa  protection.  Il  aenrichi  la  galerie  de  ce  prince 
d'un  grand  nombre  d'œuvres  remarquables.  Ses  souvenirs 
de  la  campagne  de  Russie  lui  ont  fourni  la  matière  d'un 
grand  ouvrage  lithographie  intitulé  :  Voi/age  pittoresque 
militaire.  En  1850,  il  a  fait  paraître  à  Munich  un  autre 
album  ayant  pour  titre  :  Souvenirs  de  la  campagne  de 
V armée  autrichienne  en  Italie  dans  les  années  1848, 
1849.  On  cite  encore  d'Albert  Adam  la  Bataille  de  la  Mos- 
kowa  composée  pour  le  roi  Louis  de  Bavière.  C.  L. 

ADAM  (Pic  d'),  en  anglais  Adani's  peak,  montagne 
appelée  par  les  indigènes  Hémaleh,  mot  qui  veut  dire 
demeure  de  la  neige.  C'est  la  montagne  la  plus  élevée 
qu'il  y  ait  dans  l'île  de  Ceylan.  Elle  a  2,227  mètres  d'éléva- 
tion et  est  extrêmement  escarpée  dans  beaucoup  d'endroits. 
A  son  sommet  on  montre  l'empreinte,  sur  une  pierre  plate, 
d'un  pied  colossal  ;  on  dit  que  celte  empreinte  fut  laissée 
là  par  Bouddha,  fondateur  de  la  doctrine  des  Singalais, 
lorsqu'il  monta  au  ciel.  Au  nom  de  Bouddha  les  mahonié- 
tans  substituent  celui  d'Adam,  et  c'est  à  cette  circonstance 
que  la  montagne  doit  la  dénomination  sous  laquelle  elle  est 
«onnue.  L'empreinte  du  pied  est  protégée  par  un  comparti- 
timent  ea  cuivre  orné  de  quatre  rangées  de  prétendus  dia- 
mants. Des  arbres  vénérables  par  leur  vieillesse,  notam- 
ment des  rhododendrons,  entourent  le  lieu  saint.  Les 
sectateurs  de  Bouddha  y  parviennent  à  l'aide  de  chaînes  de 
fer  scellées  dans  les  rochers. 

ADAMBERGER  (Marie-Anne  JAQUET),  actrice  al- 
lemande.née  en  1752,  à  Vienne,  où  elle  mourut  en  1804, 
était  fille  de  l'acteur  de  la  cour  Jaquet.  Elle  entra  au 
théâtre  dès  son  enfance,  avec  sa  sœur  Catherine,  qu'une 
mort  prématurée  ravit  aux  espérances  les  plus  llatteuses. 
Après  s'être  essayée  dans  le  tragique,  Marie-Anne  Jaquet 
s'exerça  dans  un_  genre  plus  simple,  et  en  remplit  les  rôles 
avec  tin  naturel,  une  vérité  et  une  perfection  admirables. 
Elle  s'était  mariée  en  1781,  avec  le  chanteur  Adamberger. 
—  Sa  fille  Antoinette,  non  moins  remanjuable  par  ses  ta- 
lents, avait  été  fiancée  à  Théodore  Kœrner,  et  l'Alle- 
magne doit  à  cette  liaison  plusieurs  chiinsons  délicieuses  de 
ce  poëte  célèbre.  Antoinette  Adamberger  se  maria  en  1817, 
et  quitta  le  théâtre ,  où  elle  s'était  déjà  acquis  l'affectiou  et 
l'admhration  du  public. 

ADAMIEXS,  sobriquet  donné  à  une  secte  chrétienne 
du  deuxième  siècle  qui  partageait  les  doctrines  d'Harpocrate 
et  de  Prodicus,  Les  adamiens  prétendaient  que,  le  Christ 
ayant  effacé  les  souillures  du  péché  originel,  les  hommes 
régénérés  devaient  rejeter  tout  vêtement  et  vivre  nus 
comme  Adam  avant  sa  chute.  Us  se  réunissaient  dans  un 
état  complet  de  nudité,  condamnaient  le  mariage,  etc. 

ADASiIQUE  (Race).  L'humanité  est-elle  issue  d'un 
.seul  couple,  placé  par  Dieu  dans  un  jardin  délicieux  ? 
Faut-il  admettre  ce  récit  de  la  Genèse  dans  son  sens  maté- 
riel et  littéral  ?  C'est  ce  que  la  science  conteste  depuis  long- 
temps. En  1G55,  un  moioe,  appelé  La  Peyrère,  publia  un 
livre  intitulé  :  les  Préadarni/es,  c'est-à-dire  les  hommes 
créés  avant  .\dam.  L'auteur  cherche  à  prouver,  d'après  des 
passages  de  la  Bible  et  de  saint  Paul,  qu'Adam  ne  fut  pas  la 
source  du  genre  humain,  mais  seulement  d'une  race  par- 
ticulière, la  race  adamique.  Il  faut  observer  que  suivant 
la  Genèse  elle-même, "le  monde  était  déjà  peu[)lé  à  l'époque 
de  la  mort  d'Abel.  Cam,  fugitif,  est  maudit  par  tous  les 
hommes  comme  uu  assassin;  il   bâtit  une  ville,   toutes 


choses  qui  suppo~,ent  une  population  nombreuse,  étrangère 
à  la  famille  d'.\dam.  Le  livre  de  La  Peyrère  fut  condamné; 
mais  sa  thèse  fut  reprise  au  dehors  du  cloître  par  la  science 
laïque,  plus  libre  dans  ses  allures.  La  diversité  des  conti- 
nents et  des  races  montre  que  l'unité  du  genre  humain  est 
toute  morale,  toute  religieuse,  et  qu'elle  ne  consiste  pas 
dans  une  filiation  commune.  —  Les  savants  donnent  quel- 
quefois l'épithète  <Vadamique  à  la  race  caucasienne,  la  plus 
belle  de  toutes,  parce  qu'elle  paraît  avoir  trouvé  son  berceau 
près  des  lieux  où  Moïse  semble  avoir  j'iacé  le  paradis  ter- 
restre. Victor  Hennequin. 

ADAMITES  ou  PICARDS,  nom  d'un  parti  fanatique 
du  quinzième  siècle,  qui  repoussé  par  les  taborites,  parce 
qu'il  enseignait  que  dans  la  communion  le  vin  et  le  pain 
sont  de  simples  emblèmes,  finit  par  embrasser  les  erreurs 
de  la  secte  de  l'esprit  libre.  Ils  vivaient  en  complète  com- 
munauté des  femmes  dans  l'une  des  îles  du  Lusinitz.  C'est 
là  qu'en  1421  Ziska  les  surprit.  Us  n'étaient  pas  moins 
odieux  aux  hussites  qu'aux  catholiques.  Ziska  en  fit  brûler 
des  milliers,  mais  sans  pouvoir  réussir  complètement  à 
extirper  cette  secte.  Les  taborites  furent  aussi  Iraités  quel- 
quefois par  leurs  adversaires  de  picards.  —  On  appela  éga- 
lement adamites]es  sectateurs  de  deux  anabaptistes,  Schnu- 
der  et  Schuster  d'Amsterdam,  qui  au  seizième  siècle  es- 
sayèrent d'aller  nus  comme  Adam. 

iVDAMS  (John),  second  président  des  États-Unis  de 
l'Amérique  du  Nord ,  était  issu  d'une  famille  de  puritains 
ancienne  et  distinguée,  qui  émigra  d'Angleterre  en  1630,  et 
fit  partie  des  premiers  colons  venus  s'établir  dans  la  baie 
de  Massacbusets.il  y  naquit,  àBraintrie,  le  19  octobre  1735. 
Avant  la  révolution  qui  éleva  son  pays  au  rang  d'État  in- 
dépendant, John  Adam  avait  acquis  la  réputation  de  juris- 
consulte habile.  Dès  17C5  il  publia  dans  un  journal  de  Boston 
un  e.ssai  sur  le  droit  canonique  et  sur  le  droit  féodal,  qu'on 
réimprima  à  Londres  en  1768,  et  qui  parut  sous  son  nom 
à  Philadelphie  en  1783.  En  composant  cet  ouvrage,  Adam 
paraît  avoir  eu  surtout  en  vue  d'affaiblir  le  respect 
presque  superstitieux  de  ses  concitoyens  pour  les  institu- 
tions publiques  de  la  mère-patrie,  en  leur  faisant  connaître 
les  principes  odieux  du  droit  aujouid'hui  encore  en  vigueur 
en  Angleterre.  Si  Adams  contribua  ainsi  à  exciter  chez  ses 
compatriotes  une  agitation  dangereuse,  il  saisit  volontiers 
les  occasions  favorables  de  la  réprimer;  et,  en  1770,  un  at- 
troupement ayant  attaqué  à  Boston  un  détachement  de  la 
garnison  qui  pour  sa  défense  fit  usage  de  ses  armes  et  tuii 
plusieurs  individus,  il  défendit  l'officier  et  les  soldats  avec 
tant  de  chaleur  .devant  la  justice,  que,  malgré  l'exaspéra- 
tion de  la  foule,  tous  les  prévenus  furent  acquittés.  En  1774 
Adams  fut  élu  par  le  Massachusets  membre  de  l'assemblée 
qui  vint  siéger  la  môme  année  à  Philadelphie.  L'idée  d'une 
séparation  d'avecla  mère-patrie  n'avait  point  encore  germé 
dans  les  masses,  mais  Adams  prévit  qu'une  rupture  était 
inévitable  :  «■  Je  sais,  écrivait-il  à  un  de  ses  amis,  que  l'An- 
gleterre est  déterminée  à  ne  point  changer  de  système  ; 
c'est  cette  détermination  qui  fait  la  mienne.  Le  sort  en  est 
jeté,  Aleajacia  est!  Couler  à  fond  ou  surnager,  vivre  ou 
périr  avec  mon  pays,  telle  est  mon  inébranlable  résolu- 
tion !  »  Il  prit  la  part  la  plus  active  aux  délibérations  des 
assemblées,  et  l'année  suivante,  au  moment  où  la  guerre 
avait  déjà  commencé,  ce  fut  lui  qui,  par  son  énergique  dé- 
termination, triompha  de  toutes  les  oppositions  et  fit  nom- 
mer Washington  général  en  chef  de  l'armée  des  États-Unis. 

D'accord  avec  Lee  et  Thomas  Jefferson,  il  réussit  à  po- 
pulariser toujours  davantage  l'idée  d'une  séparation  d'a- 
vec la  mère-patrie.  Dès  le  mois  de  mai  1776  il  proposait 
au  congrès  d'adopttr  la  forme  du  gouvernement  qui,  de 
l'avis  des  représentants  du  peuple,  serait  la  plus  propre 
à  aisurer  le  bonheur  et  la  prospérité  de  l'Amérique.  Il  n'y 
eut  alors  que  la  Pensylvanie  qui  hésita ,  parce  que  Dicker- 
son ,  le  plus  induent  des  représentants  de  cet  Etat,  croyait 


ADÂMS 

toujours  à  la  possibililé  d'une  réconrOiation  avec  l'Angle- 
f  erre.  C'est  ainsi  que  les  voies  se  trouvi^'i  ent  préparées  pour 
la  proposition  que  devait  faire  Lee  d'une  déclaration  de 
séparation  d'avec  l'Angleterre.  La  motion ,  votée  le  ^  juil- 
let 1770,  ouvrit  l'ère  de  l'indépendance  américaine.  Adams 
et  JefTerson  furent  désignés  par  les  membres  du  comité 
si>écial  nommé  à  cet  elfet  et  chargés  de  rédiger  le  projet 
de  déclaration  d'indépendance  ;  mais  il  est  aujourdMiui 
I)rouvé  que  Thomas  JeîTerson  seul  en  fut  l'auteur.  Rien 
que  le  style  et  les  mots  par  lesquels  commence  cette  dé- 
claration, et  qui  répondent  si  bien  aux  idées  particulières 
de  cet  homme  d'État  :  «  ISous  regardons  connue  une  vérité 
évidente  en  soi  que  tous  les  hommes  sont  nés  libres  et 
égaux ,  »  suffirait  pour  prouver  que  ce  fut  Jefferson  qui  la 
rt'digea,  quand  bien  même  on  n'en  aurait  pas  trouvé  plus 
tard  dans  ses  papiers  le  brouillon  écrit  tout  entier  de  sa 
tnain ,  circonstance  qui  met  à  néant  les  prétentions  des 
lédéralisles  pour  attribuer  la  paternité  de  cette  œuvre  ira- 
mortelle  à  John  Adams. 

Kn  1777  John  Adams  fut  envoyé  en  France,  où  il  trouva 
le  traité  d'alliance  avec  cette  puissance  déjà  tout  conclu 
par  les  soins  de  Franklin ,  avec  qui  d'ailleurs ,  comme  on 
]>eut  le  voir  dans  la  Correspondance  de  Franklin,  publiés 
par  Jared  Spakes,  il  n'était  pas  précisément  en  de  fort 
bons  ternies.  A  son  retour  dans  son  pays,  Adams  fut  dé- 
signé par  l'État  de  Massachusets  pour  faire  partie  du  comité 
chargé  de  rédiger  un  projet  de  constitution  nouvelle,  et 
ce  projet  fut  en  grande  partie  son  œu^Te  particulière.  Peu 
de  temps  après,  le  congrès  l'envoya  de  nouveau  en  Europe 
à  l'erret  d'y  nouer  des  négociations  de  paix  avec  l'Angle- 
terre; et  en  1780  il  arriva  à  Paris,  où  les  défiances  du  ca- 
binet de  Versailles ,  l'inimilié  notoire  du  négociateur  contre 
la  France  et  la  jalousie  qu'il  entretenait  contre  Franklin,  cou- 
pable de  l'avoir  complètement  éclipsé  dans  l'estime  du 
public  français ,  ne  laissèrent  pas  que  de  lui  susciter  de 
nombreuses  diflicultés.  Dans  le  cours  de  la  môme  année , 
il  se  rendit  encore  avec  le  titre  d'ambassadeur  en  Hollande, 
où  ,  par  d'adroites  négocialicns  et  par  des  écrits  ingénieux 
dans  lesquels  il  rectifiait  les  idées  du  public  relativement 
a  la  question  américaine ,  il  réu?sit  à  gagner  complète- 
ment le  gouvernement  et  l'opinion  aux  intérêts  de  son 
pays.  11  resta  en  Hollande  jusqu'en  17.S2,  époque  où  il 
revint  à  Paris  pour,  d'accord  avec  Franklin,  Jay,  Jeffer- 
son  et  Laurent ,  y  conclure  la  paix  avec  l'Angleterre.  En 
1785  il  se  rendit  à  Londres  avec  le  caractère  d'ambassa- 
deur; il  était  le  premier  agent  diplomatique  que  le  nouvel 
Etat  eût  encore  accrédité  auprès  du  gouvernement  anglais. 
Georges  III,  qui  le  savait  mal  disposé  à  l'égard  de  la  France 
et  cordialement  hostile  aux  doctrines  de  ses  philosophes , 
lui  dit,  lors  de  sa  présentation  à  la  cour,  qu'il  se  réjouissait 
de  recevoir  im  envoyé  qui  n'était  point  imbu  de  préjugés 
favorables  à  la  France,  l'ennemi  naturel  de  sa  couronne. 
"  Je  n'ai  de  préjugés  qu'en  faveur  de  mon  pays  » ,  répon- 
dit Adams.  A  Londres  il  publia  sa  Defence  of  the  cons- 
tilutions  and  government  of  the  Uniled  States  (  3  vol., 
1787). 

Revenu  en  1787  aux  États-Un's ,  il  appuya  de  toute  son 
induencfe,  avec  Alexandre  Hamilton  et  autres  partisans  du 
tédéralisme,  les  modifications  au  pacte  fédéral  propres  à  con- 
solider la  suprématie  du  congrès  sur  les  différents  États. 
Après  le  vole  d'une  nouvelle  loi  fondamentale,  il  fut  élu 
vice-président,  puis  président  en  1707,  quand  V.ashington 
se  retira  dans  la  vie  i)rivce.  Si  déjii  auparavant  il  s'était 
fait  des  ennemis  dans  le  parti  démocratique,  il  devint 
encore  bien  autrement  impopulaire  en  raison  des  mesures 
auxquelles  il  eut  recours  pour  sauvegarder  la  dignité  na- 
tionale contre  les  prétentions  de  la  France,  et  surtout  par 
ses  opinions  notoirement  favorables  à  l'existence  d'une 
noblesse  héréditaire,  qu'il  essaya  d'introduire  en  Amérique 
sous   la  forme  d'un  ordre  dit  de   Cincinnatus,  par 


J15 


ses  tendances  aristocratiques  franchement  exposées  dans 
le  livre  dont  nous  avon^  cité  le  litre  plus  haut;  et  il  de- 
vait naturellement  en  être  ainsi  à  une  époque  où  la  répu- 
blique française  comptait  tant  d'admirateurs  parmi  les  Amé- 
ricains. Pendant  qu'il  présida  aux  destinées  de  son  pays,  il 
déploya  le  plus  grand  zèle  pour  lui  créer  une  marine  mili- 
taire, tandis  qu'avant  lui  c'est  à  peine  si  on  avait  encore 
vu  un  vaisseau  de  gueiTc  américain  dans  les  eaux  de  l'O- 
céan. Quand  arriva,  en  1801 ,  le  terme  de  sa  présidence, 
Je f fe rson  ne  l'emporta  sur  lui  dans  les  élections  pour  la 
nouvelle  présidence  qu'à  la  majorité  d'une  seule  voix. 

Adams  avait  déplu  aux  deux  grands  partis  qui  divisent 
son  pays;  ses  mesures  avaient  paru  trop  aristocratiques  au 
parti  démocratique,  et  les  fédéralistes  les  avaient  jugées 
trop  libérales.  11  se  retira  aloi-s  dans  son  domaine  de  Quincy, 
où  il  s'occupa  activement  de  travaux  littéraires  ;  et  depuis 
cette  époque  il  lui  arriva  à  diverses  reprises  de  recevoir 
d'honorables  témoignages  de  la  confiance  de  ses  concitoyens. 
11  avait  quatre-vingt-quinze  ans  lorsqu'il  fut  appelé,  en  1820, 
à  faire  partie- du  comité  chargé  de  réviser  la  constitution 
particulière  de  l'État  de  Massachusets.  Le  4  juillet  1826, 
cinquantième  anniversaire  du  jour  où  il  avait  poussé  dans  la 
salle  du  congrès  le  cri  de  :  vive  l'indcpendance  !  il  se  réveille 
à  New-York  au  bruit  des  cloches  et  des  salves  d'artillerie. 
Son  domestique  lui  ayant  demandé  s'il  se  rappelait  quel 
jour  c'était  :  «  Oh ,  oui  '.  répondit-il ,  c'est  la  belle  journée 
du  4  juillet  !  Dieu  bénisse  cet  anniversaire  !  Que  le  Seigneur 
vous  bénisse  tous  !  »  Le  soir  môme  il  rendait  le  dernier 
soupir.  Quelques  instants  auparavant ,  il  avait  encore  dit  : 
«  La  grande  et  belle  journée  !  Jefferson  y  survit  !  »  Jlais  Jef- 
ferson,  son  heureux  rival,  était  mort  le  môme  jour.  Daniel 
Webster  et  Edouard  Everett  ont  tracé  et  publié  d'ingénieux 
parallèles  entre  ces  deux  premiers  hommes  d'État  qu'ait 
comptés  l'Union  américaine ,  à  l'occasion  de  leurs  obsèques, 
célébrées  simultanément. 

ADA^iS  (  JonN-QuiNCY  ) ,  sixième  président  des  États- 
Unis  de  l'Amérique  du  Nord  (  de  1825  à  1829  ),  fils  du  pré- 
cédent, naquit  dans  le  Massachusets,  le  II  juillet  1767. 
Encore  enfant,  il  suivit  son  père  en  Europe ,  où  celui-ci  avait 
été  chargé  d'importantes  missions  diplomatiques ,  peu  de 
temps  après  la  révolution  américaine  ;  et  une  grande  partie 
de  sa  jeunesse  s'écoula  d'abord  à  Paris,  puis  à  La  Haye,  et 
enfm  en  Angleterre,  où  son  père  remplit  les  fonctions  d'am- 
bassadeur. A  l'époque  où  son  père  devint  président  de 
l'Union,  J.-Q.  Adams  fut  accrédité  à  Berlin  comme  minis- 
tre plénipotentiaire.  Cette  mission  lui  fournit  l'occasion  do 
parcourir  la  Silésie;  et  il  publia  sous  forme  de  lettres ,  dans 
le  /'or(/'o//o,  journal  de  Philadelphie,  une  description  de 
cette  contrée ,  qui  ne  réussit  que  médiocrement  en  Amé- 
rique ;  cependant  elle  fut  traduite  en  allemand  et  en  français. 
John-Quincy  Adams  partageait  toutes  les  idées  de  son  père; 
il  aimait  peu  les  Français,  et  voulait  maintenir  à  tout  prix  la 
paix  avec  l'Angleterre;  n'envisageant  qu'avec  effroi  les 
nombreux  éléments  démocratiques  qne  contient  la  constitu- 
tion américaine,  il  estimait  qu'il  fallait  s'efforcer  d'y  op- 
poser ime  digue  en  constituant  une  puissante  aristocratie. 
Aussi  Thomas  Jefferson ,  chef  du  parti  démocratique ,  ne 
fut  pas  plus  tôt  élu,  en  1801,  président  des  États-Unis,  qu'il 
le  rappela  de  Berlin.  J.-Q.  Adams  fut  alors  nommé  professeur 
d'éloquence  à  l'université  d'Harvard,  dans  le  Massachusets, 
grand  centre  d'action  du  parti  fédéraliste.  Mais  il  ne  tarda 
pas  à  rentrer  dans  la  carrière  politique ,  et  fut  ensuite  en- 
voyé comme  sénateur  de  cet  Elat  à  Washington.  II  s'y 
montra  l'un  des  défenseurs  les  plus  zélés  du  parti  fédéra- 
liste, quoique,  une  fois  que  la  guerre  eut  éclaté,  il  ait  su 
avec  beaucoup  d'habileté  paraître  changer  de  rôle  et  se  rap- 
procher du  parti  de  James  Madison.  Cependant,  il  est  dé- 
montré qu'il  était  au  fait  des  intrigues  de  la  convention 
d'Harf/ord ,  dont  les  membres  ne  se  proposaient  rien 
moins,  dit-on,  que  de  conclure  une  paix  particulière  avec 


118  ADAMS 

rAngleterre  et  de  détacher  de  l'Union  les  six  États  de  la 
Nouvcile-Angielcne,  à  savoir:  le  iMaine,  Massachn?ets, 
Veriiiont ,  >'ew-Hanips!iire ,  Rhode-Island  et  Connecticiit. 
Madison  i'cmoya  avec  le  titre  de  plénipotentiaiie  en  Rus- 
sie, et  ensuite  en  Anglelcne.  En  cette  qualité  il  prit  part, 
on  1S14,  avec  les  coinuiissaires  envoyés  à  Gand  par  le  gou- 
YtiîT.ement  américain ,  aux  négociations  pour  la  paix  avec  la 
(Irande-Rretagno.  Monroe,  qui  sut  si  bien  dompter  l'esprit 
de  parti  qu'à  l'expiration  des  quatre  premières  années  de 
sa  présidence  il  fut  réélu  sans  opposition,  rappela  Adaais 
a  Washington ,  et  le  nomma  ministre  secrétaire  d'État.  En 
cette  qualité,  Adanis  noua  avec  Castlercagh  ,  et  plus  tard 
avec  Canning,  les  premières  négociations  relatives  au  droit 
de  visite;  et  elles  eussent  ajnené  la  conclusion  d'un  traité 
on  vertu  duquel  les  Anglais  auraient  pu  exercer  le  droit 
de  visite  jusque  sur  les  côtes  de  l'Union  si  le  sénat  ne 
s'était  pas  refusé  à  le  ratifier  et  n'y  avait  pas  ajouté  de 
nouvelles  conditions  auxquelles  il  était  impossible  que 
l'Angleterre  donnât  son  assentiment.  Après  Monroe  ,  Craw- 
ford ,  Clay,  Adams  et  Jackson  furent  les  cémdidats  qui  se 
mirent  sur  les  rangs  pour  la  présidence.  Jackson  avait  le 
plus  grand  nombre  de  voix  ;  mais  comme  il  n'avait  pas  la 
majorité  absolue,  aux  teruses  de  la  constitution  des  États- 
Unis  ce  fut  à  la  chanihre  des  représentants  que  se  trouva 
dévolu  le  droit  d'élection.  IIeni7  Clay  et  Adams  s'enten- 
dirent alors  pour  que  le  premier  reportât  ses  voix  comme 
aussi  celles  de  Cravvford  .sur  Adams,  mais  à  la  condition 
d'être  nommé  par  cehii-ci  secrétaire  d'Etat,  et  avec  promesse 
d'appui  pour  sa  candidature  personnelle  aux  prochaines  élec- 
tions. Grûce  à  cette  manœuvre,  .♦.dams  fut  élu  président; 
mais  des  la  première  année  de  son  administration  l'édifice 
ainsi  artificiellement  élevé  s'écroula.  Pendant  les  (juatre 
années  qu'il  exerça  le  pouvoir,  Ada.ms  eut  constamment  à 
lutter  contre  des  majorités  démocratiques;  il  n'y  avait  pas 
six  mois  qu'il  éta't  président,  que  déjà  il  avait  perdu  tout 
espoir  d'eue  jamais  réélu.  Il  finit  par  se  résoudie  à  sacrifier 
à  la  marée  mentante  de  la  déuiocratie  les  amis  qui  l'avaient 
justju'à  ce  moment  toujours  appujé  et  défendu.  En  gage 
de  la  sincérité  de  sa  conversion  récente  à  la  démocratie, 
il  publia  les  noms  des  membres  de  c^^tiQ  convention  d' Hart- 
ford dont  il  a  été  question  plus  haut,  signalant  les  projets 
lie  haute  trahison  (iii'ils  avaient  conçus  et  compromeliant 
par  la  les  preusières  familles  de  Boston.  Une  telle  couduile 
lui  fit  perdre  l'estime  de  ses  amis  et  de  ses  ennemis ,  et 
Jackson  fut  élu  président  à  une  énorme  majorité. 

Adariis  se  retira  alors  dans  son  domaine  de  QuLncy ,  aux 
environs  de  Boston  ;  mais  au  bout  de  deux  ans  il  se  portait 
déjà  candidat  aux  élections  pour  la  place  de  représentant  de 
son  district.  Le  système  qu'il  suivit  à  l'égard  des  sociétés 
secrètes  en  général ,  et  plus  particulièrement  à  l'égard  des 
francs-maçons ,  de  môme  que  les  théories  sur  l'abolition 
d(!  l'esclavage  développées  par  lui  pendant  les  deux  années 
qu'il  passa  ainsi  loin  des  aflaires  pui)liques ,  assurèrent  son 
élection.  Depuis  lors  on  le  vit  se  présenter  chaque  année  au 
«ongrès  sans  y  exciter  de  sympathie,  sans  y  avoir  d'amis  ni  de 
parti,  tenant  dans  sa  main  tremblante  une  pétition  abolition- 
nisle  et  la  recommandant  à  l'attention  de  la  chambre,  non 
pas  avec  l'espoir  de  faire  prononcer  la  suppression  de  l'es- 
clavage, mais  uniiiuement  pour  constater  et  maintenir  le 
dioit  de  pétition.  Quand  en  is'il  la  cha:ubre  des  représen- 
tants décida  une  fuis  pour  toutes  qu'à  l'avenir  on  se  bor- 
nerait à  déposer  sur  le  b.iroau  toutes  les  pétitions  de  ce 
^t-nre  sans  en  donner  lecture,  Adams,  l'année  suivante,  alia 
jusqu'à  (irésenter  une  pétition  dans  laquelle  on  osait  de- 
mander la  dissolution  de  l'Union  américaine.  11  eût  imman- 
quablement été  pour  ce  fait  expulsé  du  corps  législatif,  s'il 
n'avait  eu  la  précaution  de  déclarer  qu'il  était  personnelle- 
ment contraire  aux  idées  développées  dans  la  pétition,  et  qu'il 
iif  s'était  chargé  delà  remettre  à  la  chambre  que  pour  assurer 
in  abstracto  rcx::touce  du  dioit  de  pétition  ,  et  encore  s'il 


—  A DANA 

n'eût  pas  été  déshonorant  pour  la  nation  elle-même  d'ac- 
cuser de  haute  trahison  à  la  face  du  monde  entier  un  homme 
qui  avait  été  revêtu  des  plus  hautes  fonctions  de  son  pays. 
—  Dans  la  discussion  sur  l'annexion  du  Texas,  John-Quincy 
Adams  prononça  un  discours  profondément  pensé.  11  est 
mort  h  Vi'asliiîigfoule  17  f-vrii'r  isis. 

Son  instruction  était  très-variée.  Ses  harangues  fourmil- 
lent d'allusions  classiques,  et  aucun  sujet  n'était  étranger  à 
sa  plume.  Auteur  d'une  foule  de  discours  d'inauguration 
pour  les  sociétés  savantes ,  d'un  éloge  de  Lafayette  et  de 
beaucoup  de  harangues  anniversaires,  on  trouve  dans  la 
collection  de  WiUison  son  discours  d'inauguration  comme 
président  et  celui  qu'il  prononça  à  Plymouth,  dans  la  Nou- 
velle-Angleterre, en  1S22,  en  commémoration  du  débarque- 
ment des  premiers  colons. 

ADA3IS  (  Saiii;el  ) ,  né  le  27  septembre  1722,  à  Boston, 
étudia  d'abord  la  théologie ,  puis  entreprit  un  petit  com- 
merce, et  devint  ensuite  collecteur  d'impôts.  A  l'université 
d'Harvard  il  avait ,  en  prenant  ses  degrés ,  soutenu  et  dé- 
veloppé cette  thèse  :  «  11  est  permis  de  résister  à  l'autorité 
supérieure,  quand  il  n'y  a  pas  d'autre  moyen  de  sauver 
l'État,  »  et  elle  demeura  le  principe  politique  de  toute  sa 
vie.  Élu  en  I7C5  par  le  Massachusets  membre  de  l'assemblée 
législative,  dont  plus  tard  il  devint  secrétaire ,  il  fut  jusqu'à 
la  (in  de  la  guerre  de  l'indépendance  l'un  des  plus  intré- 
pides défenseurs  de  la  cause  populaire ,  et  il  combattit  de  la 
manière  la  plus  énergique  les  mesures  oppressives  ordonnées 
par  la  mère-patrie.  Ce  fut  lui  qui  le  premier  donna  l'idée 
de  fonder  des  sociétés  populaires  correspondant  entre  elles 
et  ayant  leur  centre  d'action  à  Boston  ;  et  l'exécution  de  ce 
plan  fournit  à  la  révolution  l'un  de  ses  plus  puissants  ap- 
puis. Envoyé  au  congrès  en  qualité  de  député  des  colonies, 
il  n'eut  pas  la  patience  d'attendre  que  les  hostiUtés  eussent 
éclr.té  entre  l'Angletene  et  ses  colonies  ;  et  déjà  il  insistait 
pour  une  déclaration  d'indépendance  absolue,  alors  que  les 
partisans  les  plus  chauds  de  la  cause  coloniale  ne  songeaient 
encore  qu'au  simple  redressement  des  légitimes  griefs  de  la 
population  américaine.  La  glorieuse  journée  de  Leangton 
combla  sou  va'u  le  plus  ardent,  et  lui  sauva  en  même  temps 
la  liberté.  Dans  le  sein  du  congrès  il  prit  une  part  injpor- 
tanîe  aux  délibérations  qui  aboutirent  à  la  déclaration  d'in- 
dépendance ,  et  dirigea  ensuite  les  délibérations  relatives 
à  la  constitution  du  Massachusets.  11  n'aimait  pa.5  Wa- 
shington, dont  la  prudence  et  la  calme  présence  d'esprit  fai- 
saient un  trop  saillant  contraste  avec  son  caractère  inquiet  et 
emporté.  11  entra  donc  en  1778  dans  l'intrigue  qui  avait  pour 
but  de  lui  enlever  le  commandement  en  chef  pour  le  donner 
à  Gates.  En  1794  il  fut  nommé  gouverneur  du  Massachusets. 
Trois  ans  après  il  renonça  aux  affaires  publiques ,  et  mourat 
pauvre,  conur,e  il  avait  vécu  ,  à  Boston ,  le  2  octobre  1802. 
Son  extérieur  ne  répondait  pas  à  l'audace  de  son  esprit. 

ADAMS  (Joun),  dont  le  \Tai  nom  était  Alexandre 
Smit!!,  matelot  anglais,  avait  pris  part  à  la  révolte  de  l'équi- 
page du  vaisseau  Bounty,  et  fut  un  des  colons  de  l'île  Pit- 
c  a  i  r  n ,  dont  il  devint  le  patriarche  après  la  mort  du  dernier 
de  ses  comp.ngnons.  Ce  simple  marin  réalisa  sur  un  îlot  de 
la  mer  du  Sud  l'idéal  des  républiques.  Il  fut  à  la  fois  le  lé- 
gislateur, le  prêtre,  le  juge  et  l'instituteur  de  la  plus  inno- 
cente des  populations;  les  capitaines  Kotzebue  et  Beecliey 
ont  révélé  au  monde  l'existence  de  cette  intéressante  colonie 
et  le  nom  de  son  digne  fondateur.  Adams  mourut  en  1829. 

ADA?»1SPEAK.  Voyez  Adam  (Pied'). 

A  D  AA' A,  chef-lieu  de  la  province  turque  du  même  nom, 
au  sud-ouest  de  l'Asie  Mineure,  limitrophe  de  la  frontière 
nord-ouest  de  la  SjTÎe,  dans  la  circonscription  de  l'ancienne 
Cilicie.  Cette  ville,  bâtie  sur  le  Seïhoun,  grande,  assez  régu- 
lièrement construite  et  peuplée  d'environ  trente  mille  âmes, 
commande  au  nord  les  défilés  du  Taurus,  auquel  elle  est 
adossée,  et  au  sud  une  vaste  plage  baignée  pir  le  golfe  de 
Sc;mdsroun.  Son  com:ue:'ce  est  fort  actif,  conséquence  na- 


ADANA  — 

tiircllo  de  sa  position  g(<ograpliiqiic ,  qui  en  fait  un  poste  in- 
tonuediaire  «les  rolattous  entre  la  Syrie  et  l'Asie  Mineure.  Elle 
occupe  IVniHaceinent  de  rantieniie  Badnia-,  célèbre  jadis 
par  les  agréments  de  son  site.  Pompée  la  peupla  avec  des  pi- 
rates. Plus  tard ,  les  rois  de  Syrie  relevèrent  au  rang  de 
ville,  sous  le  nom  à\A)!tioc/na  ad  Saruin.  Dans  les  diffé- 
rends qui  ccl.itéreiit  entre  le  vice-roi  d'Egypte,  Méhéniet- 
Ali  et  la  Porte,  Adana  acquit  une  grande  importance,  parce 
qu'elle  est  la  clef  du  nord-ouest  de  la  Syrie.  Aussi ,  après  la 
\ictoire  mnportce  à  Konieh,  le  21  décembre  1832,  par 
Ibrahim-Pacba,  Meliémet-Ali  s'empre.ssa-t-il  de  s'emparer 
d'Adana.  Mais  le  traité  du  15  juillet  1840  lui  imposa  l'obli- 
patiou  de  l'évacuer  ;  et  cette  évacuation ,  en  bâtant  la  cbute 
des  villes  de  la  côte  de  Syrie  où  les  Égyptiens  avaient  gar- 
nison, permit  aux  Turcsde  venir  reprendre  possession  d'Orfa 
et  d'Adana ,  qui  leur  assurent  les  défilés  du  Taurus. 

ADAXSON  (  Michel),  célèbre  naturaliste,  ne  a  Aix  en 
Provence,  le  7  avril  1727,  d'une  famille  d'origine  écossaise, 
;.pies  iiNoir  fait  de  brillantes  études  a  Paris,  fut  entraîné  par 
un  pencbant  décidé  vers  l'étude  de  Tbisloire  naturelle. 
l'.éamuur  et  P.ernard  de  Jussieu  furent  ses  principaux  guides. 
Ln  vain  ses  parents,  le  destinant  à  l'état  ecclésiastique,  lui 
avaient  fait  donner  un  canonicat  ;  Adanson  le  refusa,  et,  ja- 
loux d'appoiler  à  la  science  son  tribut  de  découvertes ,  il 
résolut  d'explorer  le  Sénégal ,  dont  le  climat  insalubre  avait 
jusque  là  éloigné  les  naturalistes.  Agé  seulement  de  vingt  et 
un  ans,  il  s'embarqua  à  ses  frais,  donnant  ainsi  l'exemple  d'un 
rare  désintéressement  et  d'un  dévouement  entier  à  la  science. 
11  poursuivit  ses  recliercbes  pendant  cinq  années  avec  une  ar- 
deur infatigable;  dressa  une  carte  du  fleuve  Sénégal,  que  l'on 
n'avait  pas  encore  reconnu,  et  rassembla  des  vocabulaires  des 
langues  des  diverses  peuplades  nègres  qu'il  avait  fréquentées. 
A  son  retour  en  France  ses  ressonrceis  étaient  épuir ées  ;  il 
n'aurait  pu  faire  connaître  ses  précieuse-s  découvertes  sans 
l'assistance  de  M.  de  Bombarde.  Ce  fut  en  1757  qu'il  donna 
son  Histoire  naturelle  du  Sénégal  {Coquillages) ,  avec  la 
relation  abrégée  d'un  Togagefait  en  ce  pays  pendant  les 
années  1749-1753,  un  vol.  in-4°.  Ces  1756  il  avait  vivement 
excité  l'attention  par  son  Mémoire  siir  le  Baobab.  Il  fit 
connaître  les  causes  de  raccroissementprogressifde  cet  arbre 
extraordinaire.  11  donna  ensuite  l'histoire  des  arbres  qui 
produisent  la  gomme  dite  d'Arabie,  branche  importante  du 
commerce  du  Sénégal.  A  la  suite  de  ces  divers  travaux  il  fut 
nommé  membre  titulaire  de  l'Académie  des  Sciences  et  cen- 
seur royal.  11  publia  en  1763  ses  Familles  des  Plantes 
(2  vol.  in-S°).  Dans  ce  livre  Adanson  combattait  les  idées 
de  Linné,  et ,  attribuant  les  vices  de  son  système  à  ce  qu'il 
était  fondé  sur  l'observation  d'un  petit  nombre  de  caractères 
seulement,  il  cherchait  à  fonder  une  méthode  sur  l'obser- 
vation de  l'ensemble  des  parties  et  de  leurs  rapports.  Bientôt, 
entraîné  par  la  logique  conséquente  de  son  système,  il  voulut 
en  poursuivre  l'ajq'licalion  non  plus  seulement  aux  plantes, 
mais  à  tous  les  êtres  ou,  suivant  son  expression,  à  toutes  les 
existences.  En  1775  il  présenta  à  l'Académie  le  plan  de 
l'entreprise  gigantesque  qu'il  préparait  depuis  longtemps;  la 
première  partie  aurait  formé  à  elle  seule  27  vol.  in-S"  :  elle 
était  intitulée  :  Ordre  universel  de  la  nature,  ou  méthode 
naturelle  comprenant  tous  les  êtres  connus,  leursqualités 
matérielles  et  leurs  facultés  spirituelles ,  suivant  leur 
f.crie  7inturelle,  indiquée  par  l'ensemble  de  leurs  rap- 
ports. Elle  devait  être  accompagnée  de  six  antres  parties, 
(]U'  en  formaient  en  quelque  sorte  le  complément.  Mais  ce 
I>lan  fut  jugé  au-dessus  des  forces  d'un  seul  homme,  et 
Adanson  ne  trouva  pas  aiiprès  du  gouvernement  les  encou- 
ragements sur  lesquels  il  comptait  pour  cette  œiivre  im- 
mense. Il  ne  se  découragea  pourtant  pas,  et  il  continuait  à 
recueillir  des  matériaux  quand  éclata  la  révolution  fran- 
ç^iise.  Adanson  perdit  alors  le  peu  de  fortune  qui  lui  restait, 
et  vit  même  dévaster  sous  ses  yeux  son  bien  le  plus  pié- 
cieu.x,  un  jardin  dans  lequel  il  suivait  depuis  plusieurs  an- 


ADDISO.N 


nT 


nées  des  expériences  mullipl-ées  sur  la  végétation,  et  notam> 
ment  sur  la  culture  des  mûriers. 

A  l'cpociue  de  sa  création,  l'Institut  s'empressa  d'inviter 
l'illustre  vieillard  à  venir  prendre  place  parmi  ses  membres. 
Adanson  répondit  qu'il  ne  pourrait  se  rendre  à  cette  invita- 
tion, parce  qu'il  n'avait  pas  de  souliers;  ce  fut  par  là  seule- 
n:ent  qu'on  apprit  sa  détresse.  Le  ministre  de  l'intérieur  lui 
accorda  une  pension.  Adanson  est  mort  le  3  août  1806.  Il  a 
fourni  de  savants  mémoires  à  la  collection  de  l'Académie. 
Il  a  fait  en  outre,  pour  le  supplément  de  V Encyclopédie  de 
Diderot  des  articles  sur  les  plantes  exotiques. 

Cnvier  a  composé  un  Éloge  historique  d'Adanson,  dont 
M.  Etex  a  fait  la  statue  pour  le  Jardin  des  plantes.  Bernard 
de  Jussieu  lui  a  dédié  un  genre  de  la  famille  des  malvacées 
qui  comprend  le  baobab(flrfa7J5onJff  ). 

ADDA,  rivière  d'Italie,  qui  prend  sa  source  dans  la 
Yalteline,  qu'elle  arrose  dans  toute  sa  longueur.  Elle  traverse 
ensuite  le  lac  de  Côme ,  parcourt  le  Milanais  du  nord  au 
sud,  et  va  se  perdre  dans  le  Pô,  au-dessus  de  Crémone. 
Ses  rives  furent  témoins  de  plusieurs  batailles  ou  combats 
célèbres.  L'an  223  avant  J.-C,  une  nombreuse  armée  de 
Gaulois  insubriens  ravageait  l'Italie ,  lorsque  le  consul  Fla- 
minius,  à  la  tête  des  légions  romaines  sous  ses  ordres,  vient 
l'attaquer  sur  les  bords  de  l'Adda,  la  disperse,  lui  tue  huit 
mille  hommes ,  lui  fait  seize  mille  prisonniers ,  et  s'empare 
d'un  immense  butin.  —  Lorsqu'en  490  Théodoric  et  Odoacre 
se  disputaient  la  possession  de  l'Italie,  leurs  armées  se  ren- 
contrèrent dans  les  plaines  arrosées  par  l'Adda.  Après  un 
combat  opiniâtre  et  le  plus  affreux  carnage,  Odoacre, 
vaincu  par  son  compétiteur,  prend  la  fuite  et  laisse  an  roi 
des  Goths  la  victoire  et  le  titre  de  roi  d'Italie.  Pendant  les 
mémorables  campagnes  de  Bonaparte  en  Italie,  les  rives  de 
l'Adda  furent  témoins,  en  1795  et  1796,  de  plusieurs  com- 
bats pai-tiels  entre  nos  troupes  et  l'ennemi.  —  Sous  la  domi- 
nation française,  l'Adda  donna  son  nom  à  un  département. 

ADDïA;'gTO.\  (  Ke.xki  ).  Voyez  SmMoura.' 

ABDISOM  (  JosEpn  ),  né  le  1"  mai  1672,  à  Milston, 
dans  le  Wiltshire,  où  son  père  remplissait  les  fonctions  du 
ministère  sacré,  termina  ses  études  à  Oxford.  Avant  de 
quitter  l'université  il  composa  des  poésies  latines  remplies 
de  goût  et  d'élégance ,  qui  commencèrent  à  le  faire  remar- 
quer. Un  poème  latin  sur  la  paix  de  Ryswick,  dédié  au  roi 
Guillaume,  lui  valut,  grâce  à  Congrève,  la  protection  de 
lord  Sommers  et  de  lord  Montagne,  devenu  depuis  marquis 
d'Halifax ,  ainsi  qu'une  pension  de  300  livres  sterling  qui 
lui  donna  le  moyen  de  voyager.  Après  avoir  passé  un  an  à 
Blois  pour  apprendre  le  français,  il  parcourut  l'Italie,  où  il 
écrivit  ses  plus  élégantes  productions ,  sa  lettre  à  lord  Ha- 
lifax et  quatre  actes  de  sa  tragédie  de  Cal  on.  Sur  ces  en- 
trefaites le  ministère  vint  à  changer,  et  sa  pension  lui  fut 
retirée;  il  revint  presque  sans  ressources  à  Londres,  et  pu- 
blia son  Voyage,  dont  l'histoire  de  la  petite  république  de 
Saint-Marin  est  le  morceau  le  plus  intéressant.  Il  fit  pa- 
raître à  la  même  époque  ses  Dialogues  sur  les  Médailles. 
La  bataille  d'Hochstaelt  (1704)  excita  alors  la  joie  la  plus 
vive  dans  toute  l'Angleterre.  Lord  Godolpbin,  désirant  qu'un 
poète  célébrât  cet  événement  national ,  en  chargea  Addison , 
sur  la  recomm.andation  de  lord  Halifax.  Avant  d'avoir 
même  terminé  son  poème  ,  Addison  reçut  la  place  de  com- 
missaire des  appels,  dont  Locke  s'était  démis. 

En  1705  Addison  accompagna  lord  Halifax  en  Hano-\Te , 
et  fut  l'année  suivante  nommé  sous-secrétaire  d'État.  A 
cette  époque  il  dédia  à  la  duchesse  de  Marlborougli  son 
opéra  de  Rosemonde ,  premier  essai  de  drame  musical  en 
anglais,  fait  à  l'imitation  des  opéras  itabens.  Le  comte  de 
Wharton  ayant  été  nommé  vice-roi  d'Irlande,  Addison  l'y 
accompagna  en  qualité  de  secrétaire,  et  réunit  à  cette 
charge  la  sinécure  d'archiviste  du  château  de  Cirnu'nghanQ. 
Ce  fut  alors  que  sir  Richard  Sleele,  l'un  de  ses  amis  d'en- 
fance, fonda  la  feuille  périodique  intitulée  thc  Tatler  (le 


118 


ADDISON  —  ADDITION 


15;ibillarcl  ).  Il  publia  ensuite  le  Spcclator  et  le  Guardian. 
AcMison  écrivit  beaucoup  dans  ces  (lifférents  recueils,  et  en 
a  seul  i-eliré  la  gloire.  Le  Spectateur  surtout,  publication 
d'un  genre  tout  nouveau ,  obtint  un  immense  succès.  Ad- 
dison  y  présente  le  tableau  des  mœurs  de  son  siècle ,  es- 
«juissaiit  les  caractères,  corrigeant  les  mœurs,  (lagcUant  les 
ridicules  et  les  vices  à  la  mode,  tanttit  avec  le  langage  sé- 
vère de  la  raison ,  tantôt  avec  le  ton  piquant  de  l'ironie  la 
plus  spirituelle  et  de  la  satire  la  plus  vive,  et  prouvant, 
par  la  manière  adroite  dont  il  maniait  ces  armes  tran- 
chantes,  combien  il  y  avait  d'élévation  dans  son  talent, 
combien  il  y  avait ,  sinon  de  profondeur,  du  moins  de 
sens,  dans  ses  jugements  sur  les  hommes  et  sur  les  choses. 
On  peut  reconnaître  les  articles  d'Addison  dans  le  Spec- 
tateur. Ils  sont  signés  d'une  des  lettres  du  mot  Clio. 

En  1713,  Addison  fit  jouer  sa  tragédie  de  Caton ,  qui 
eut  trente-cinq  repré-sentations ,  et  o!)tint  à  Londres  et  dans 
les  provinces  un  succès  immense ,  dû  moins  au  mérite  in- 
trinsèque de  celte  pièce ,  faible  et  essentiellement  froide , 
dans  laquelle  Addison  prouva  qull  était  plus  bel  esprit  que 
poète,  qu'aux  allusions  politiques  qu'elle  offrait  :  vvliigs  et 
tories  l'applaudirent  de  concert.  Deux  ans  après,  il  fit  re- 
présenter une  comédie  que  l'on  connaît  moins ,  le  Tambour; 
en  même  temps  il  rédigeait  des  pamphlets  et  des  journaux 
politiques,  tels  que  le  Wlù'j  Examiner,  le  Free  Holcler 
(  Franc  Tenancier  ).  Dévoué  au  ministère ,  il  retourna  pour 
la  seconde  fois  en  Irlande  comme  secrétaire  de  lord  Sun- 
derland ,  nonnné  vice-roi ,  et  revint  après  la  mort  de  la 
reine  Anne  pour  être  nommé  secrétaire  de  la  régence  avant 
l'arrivée  du  roi  Georges.  Quelques  années  après,  il  fut 
nommé  ministre.  Mais  on  s'apeiçut  bientôt  de  son  incapa- 
cité pour  un  poste  si  élevé.  11  ne  savait  ni  parler  en  public 
ni  défendre  les  mesures  du  gouvernement.  Les  différentes 
mortifications  qu'il  essuya  en  cette  qualité  et  l'affaiblisse- 
ment graduel  de  sa  santé  le  décidèrent  à  se  démettre  de  cet 
emploi.  11  reçut  une  pension  de  1,500  livres  sterling,  et  ré- 
solut de  consacrer  le  restant  de  sa  vie  imiquement  à  la  cul- 
ture des  lettres.  Une  tragi'die  sur  la  Mort  de  Sacrale,  une 
traduction  en  yersdesP.s«în««,une  Dffensede  lu  religion 
chrétienne  Toccupèrent  tour  à  tour  sans  qu'il  eût  le  temps 
de  terminer  aucun  de  ces  ouvrages.  11  avait  épousé  la  com- 
tesse douairière  deWarwick;  mais  celte  alliance,  qu'il  avait 
tant  ambitionnée,  ne  le  rendit  pas  heureux.  11  mourut  en 
1 7 19 ,  à  Ilollandhouse ,  près  de  Kensiuglon ,  et  sou  corps  fut 
déposé  à  l'abbaye  de  Westminster. 

Addison  est  considéré  en  Angleterre  comme  un  poète 
spirituel,  élégant,  harmonieux.  On  le  compare  souvent  à 
Pope  et  à  DiTden.  Sans  souscrire  à  ce  jugement,  on  ne  peut 
contester  qu' Addison  brille  au  premier  rang  parmi  les  pro- 
sateurs. Le  Spectateur  et  le  Voyage  en  Italie  sont  peut- 
être  les  ouvrages  les  plus  remarquables  de  la  littérature  an- 
glaise. Sa  prose  est  sous  tous  les  rapports  classique,  et  mé- 
rite d'être  étudiée ,  à  cause  de  sa  pureté  et  de  sa  noble  sim- 
plicité. C'est  lui  qui  contribua  le  plus  à  faire  apprécier  le 
génie  de  Milton,  que  l'Angleterre  avait  longtemps  méconnu. 
—  Homme  religieux,  grave  et  réservé,  Addison  était  embar- 
lassé  dans  le  monde.  Lord  Chesterlicld  a  dit  de  lui  qu'il  n'a- 
vait jamais  rencontré  d'homme  plus  modeste  et  plus  gauche. 
Cependant  dans  le  cercle  de  l'intimité  sa  conversation  était 
facile  et  agréable. 

Les  œuvres  d'Addison  ont  été  publiées  en  176t  par  Bas- 
Kerville  (Birmingham,  in-V);  eu  lS15,avec  des  notes  par 
lÀichard  Hurd  (Londres,  0  vol.  in-8°;  Oxford,  1830,  4  vol. 
in-S"  ).  Presque  tous  ses  écrits  ont  été  traduits  en  tranchais:  le 
lîabillard,  par  A.  de  Larhnpelie  (17.34,  ?.  vol.  in-l2);  le 
Spectateur,  \y,\T  J.-\i.  .Moel(l7ôi,grosin-8°}  ;  te  Guardian, 
sou?  le  titre  de  Mcnlor  moderne ,  par  Van  Kffen  (I7'25, 
3  vol.  in-l2);  le  Free  Holder,  sous  le  titre  de  l'Anglais 
jaloux  de  Sf.  liberté  (1727,  1  vol.  in-t2).  Le  Caton  a  été 
traduit  successi veinent  par  Dubos,  Guillcmard,  Deschauqis 


et  Dampmartin.  On  a  imprimé  à  Yverdun,  en  1777,  3  voL  : 
l'Esprit  d'Addison,  ou  les  Beautés  du  Spectateur,  dtc  Ba- 
billard et  du  Gardien.  Samuel  Johnson  a  écrit  dans  la  vie 
des  poètes  celle  de  J.  Addison,  que  M.  Boulard  a  traduite  en 
français,  en  1805. 

ADDITION  (Mathématiques).  Opération  qui  a  pour 
but  de  réunir  plusieurs  quantités  en  une  seule.  Le  signe  qui 
représente  cette  opération  est  le  signe -^-,  qui  \eut  dire  plus. 
Ainsi ,  pour  indiquer  l'addition  des  nombres  6,  2,  9,  5,  on 
écrira  C-|-2-|-9-|-5,  et  le  produit  de  ces  nombres  ajoutés 
les  uns  aux  autres  prend  le  nom  de  somme  ou  total.  L'ad- 
dition de  deux  ou  plusieurs  nombres  d'un  seul  chiffre  se 
fait  en  reportant  successivement  sur  lun  de  ces  nombres  les 
unités  dont  se  composent  les  autres  :  par  exemple,  s'il  s'agit 
d'additionner  7-|-9-{-3 ,  on  épuise  les  neuf  unités  du  second 
nombre  en  les  ajoutant  une  par  une  au  premier,  et  on  ajoute 
ensuite  lestrois  unités  que  contient  le  dernier.  De  cette  façon 
on  arrive  à  savoir  que  le  nombre  19  renferme  en  lui  seul 
toutes  les  unités  que  contenaient  séparément  7,  9  et  3.  Cette 
opération  est  si  simple,  que  l'esprit  acquiert  bien  vite  l'ha- 
bitude de  la  f;iire  immédiatement.  Mais  quand  il  s'agit  d'ad- 
ditionner des  nombres  de  plusieurs  chiffres,  la  grandeur 
des  nombres  proposés  s'oppose  à  ce  que  l'on  puisse  trouver 
le  résultat  sans  hésitation  ;  on  s'y  prend  alors  de  la  manière 
suivante  :  on  écrit  les  nombres  que  l'on  a  à  additionner  les 
uns  au-dessous  des  autres,  en  ayant  soin  que  leurs  unités  de 
mêmeordrecorrespondentdans  une  même  colonne  verticale; 
puis,  s'appuyant  sur  ce  principe  que  pour  ajouter  deux  nom- 
bres on  peut  additionner  séparément  les  unités,  dizaines, 
centaines  dont  ils  se  composent,  on  commence  par  la  co- 
lonne des  unités;  on  en  fait  la  somme;  si  cette  somme  est 
moindre  que  10,  on  l'écrit  au-dessous;  si  elle  est  égale  ou 
dépasse  10,  on  n'écrit  au-dessous  que  l'excédant  du  nombre 
des  dizaines ,  et  l'on  retient  ces  dernières  pour  les  ajouter 
à  la  colonne  des  dizaines;  on  opère  sur  celle-ci  de  même 
que  sur  celle  des  unités  et  ainsi  de  suite. 

L'addition  des  fractions  décimales  n'entraîne  aucune  dif- 
ficulté, puisque  les  fractions  décimales  peuvent  être  regar- 
dées comme  des  unités  d'un  ordre  inférieur,  se  comportant, 
les  dixièmes  à  l'égaid  des  unités  absolument  comme  les  uni- 
tés à  l'égard  des  dizaines,  les  centièmes  à  l'égard  des  dixiè- 
mes comme  les  dizaines  à  l'égard  des  centaines ,  et  ainsi 
de  suite  :  d'où  il  suit  que  tout  se  réduit  à  la  position  des 
chiffres  et  du  signe  indicateur  de  l'unité,  point  ou  virgule. 
Dans  ce  cas,  on  commence  par  additionner  l'unité  de  l'ordre 
le  plus  faible,  et  on  reporte  d'une  colonne  à  l'autre  les  cen- 
tièmes, les  dixièmes,  les  unités,  de  la  même  façon  qu'on  re- 
porte ensuite  les  dizaines,  les  centaines,  les  mille,  etc. 

Nous  parlerons  de  l'addition  des  fractions  ordinaires  à 
l'article  Fuaction". 

Quant  à  l'addition  des  nombres  complexes,  il  suffira  d'en 
dire  un  mot  ici,  ces  fractions  étant  hors  d'usage  aujourd'hui. 
On  place  exactement  les  unes  au-dessous  des  autres  les  frac- 
tions du  môme  ordre,  par  exemple  les  pouces  sous  les  pouces, 
les  lignes  sous  les  lignes,  les  onces  sous,  les  onces,  les  gros 
sous  les  gros,  les  secondes  sous  les  secondes,des  minutes  sous 
les  minutes,  etc.  ;  puis  on  additionne  ensemble  ces  fractions 
d'un  même  ordre,  et  l'on  divise  le  total  par  le  nombre  d'u- 
nités qu'il  en  faut  pour  constituer  une  unité  supérieure;  le 
<]uolient  est  à  reporter,  le  reste  doit  figurer  au  total  général. 
Ainsi ,  que  l'addition  des  lignes  donne  13,  il  y  aura  un  pouce 
à  reporter  aux  pouces,  et  il  resteia  une  ligne  au  total. 

En  algèbre,  où  la  valeur  des  quantités  est  indéterminée, 
l'addition  se  borne  h  écrire  à  la  suite  les  unes  des  autres 
toutes  les  quantités  à  ajouter,  en  leur  conservant  le  signe  qui 
les  précède  et  en  plaçant  le  signe -j-  devant  celles  qui  n'en 
ont  pas,  et  à  réduire  ensuite  les  termes  semblables  s'il  y 
en  a.  On  appelle  termes  sendjjables ,  en  algèbre ,  les  quantités 
quisont  les  mêmes,  exception  laite  de  leurs  signes  et  de  leurs 
coefficients,  soit  numériques,  soit  littéraux  :  -{-la^O-'cd^  et 


ADDITION  —  ADÉLAÏDE 


_  (.-î—H  )(i''/,5j,f/j  sont  des  termes  seinhlaliles.  Ainsi  pour 
ajonter  les  quantités  3flV>',— 5w'',— «'^',7o^/>%— G«V>', 
9«c*^,onécriia+;ifl'/''— ^fft*"'— «V;^+:a'6'— Ofl'/H-|-;Vfc''; 
puis  on  op^re  la  réduction  en  ajoutant  ou  retranchant  les 
coeflicients  selon  que  le  si^iie  qui  allecte  ces  termes  est  sem- 
blable OH  (lilïérent.  Le  résultat  se  trouve  ainsi  amené  à  lac*^ 
—  ■,a^l>^-^:a^b\ 

V.n  géométrie  l'addition  de  deux  lignes  droites  se  tait  en 
jilaçant  ces  deux  lignes  bout  à  bout,  de  manière  à  ne  fomicr 
iju'une  seule  ligne  droite. 

L'addition  est  d'un  usage  continuel  dans  le  calcul;  il 
nVst  pas  une  question  numérique  dans  la  solution  de  la- 
quelle l'addition  n'intervienne;  on  la  retrouve  dans  toutes 
les  autres  opérations  d'aritimiétique,  qui  à  la  rigueur  pour- 
raient être  ramenées  à  de  simples  additions. 

ADDUCTEUR  (du  latin  adduccrc,  conduire  vers). 
On  donne  ce  nom  aux  muscles  qui  rapprochent  une  partie 
ou  un  membre  de  l'axe  du  corps.  11  y  a  un  adducteur  de 
Poeil;  trois  de  la  cuisse,  un  du  pouce,  du  petit  doigt  et  du 
gros  orteil.  —  L'adduction  est  le  mouvement  déterminé  par 
ces  muscles;  il  est  opposé  à  V abduction ,  qui  est  la  fa- 
culté d'éloigner.  On  a  remarqué  que  les  muscles  addnclcurs 
sont  beaucoup  plus  puissants  que  les  abducteurs.  Ce  sont 
eux  (jui  contribuent  à  embrasser  et  retenir  plus  ou  moins 
fortement  les  corps  dont  les  animaux  ont  besoin. 

ADEL  ou  ADIL,  mot  arabe  qui  signifie  juste,  et  qui  a 
été  le  surnom  ou  titre,  souvent  non  mérité,  de  plusieurs 
princes  musulmans ,  tels  que  Malek-Adel  (  le  roi  juste  ) , 
Seif-Eddiu  Abou-Bekr,  sultan  d'Egypte  et  de  Syrie ,  mort 
en  1210.  —  La  i)lupart  des  rois  de  Visapour  ont  porté  aussi 
le  titre  {TAdcl-C/iah,  depuis  l'an  1491  jusqu'à  la  conquête 
de  ce  royaume  par  les  empereurs  mogols,  en  1670,  et  c'est 
à  l'un  d'eux ,  et  non  pas  à  ;Malek-Adel ,  qu'Abou-Talek  al- 
Hocéiny  a  dédié  sa  traduction  persane  des  Institutes  de 
Tamerlan,  mort  en  1405.  —  Adel-Chah  est  encore  le  titre 
que  prit  Aiy-Kouli-Khan,  lorsque  l'assassinat  de  son  oncle, 
le  fameux  Nadir-Chah,  en  1747,  le  mit  en  possession  du 
Irrtne  de  Perse,  dont  il  fut  renversé  au  bout  d'un  an,  par 
son  propre  frère  Ibrahim ,  qui  lui  fit  crever  les  yeux. 

ADEL,  vaste  étendue  de  pays  sur  la  côte  orientale 
d'Afiique,  le  long  de  la  mer  Rouge,  depuis  la  frontière  de 
l'Abyssinie  jusqu'au  cap  Guardahii.  Ce  pays,  peu  connu  et 
peu  frécpienlé  par  les  étrangers ,  est  habité  par  des  tribus 
arabes  qui  subsistent  de  leurs  troupeaux  et  qui  font  com- 
merce de  poudie  d'or,  d'ivoire,  de  miel ,  de  cire,  et  d'autres 
productions  cpie  fournit  cette  fertile  contrée.  Sa  capitale, 
Zéila,  où  réside  un  roi  mahométan,  et  Barbora,  port  de 
mer,  sont  les  seules  villes  que  l'on  connaisse  sur  cette  côte. 

ADEL.IAR.  Yoijez  Sivertsen. 

ADÉLAÏDE  (Madame  de  France),  fille  aînée  de 
Louis  XV  et  tante  de  Louis  XVI ,  naquit  à  Versailles ,  le 
5  mai  1732.  Au  milieu  d'une  cour  coiTompue,  elle  sut  con- 
server une  pureté  de  mœurs  irréprochable  et  se  concilier 
tous  les  cœurs  par  ses  vertus  et  son  affabilité.  Sous  Louis  XV 
elle  resta  complètement  étrangère  à  toutes  les  intrigues  (|ui 
s'agitaient  sous  ses  yeux.  Sous  le  règne  de  son  neveu  elle 
ne  crut  pas  davantage  devoir  se  mêler  d'affaires  politiques. 
Cependant,  douée  d'un  jugement  sain,  d'un  esprit  droit, 
qui  ne  la  trompait  jamais,  elle  ne  put  se  laisser  abuser  par 
les  illusions  de  Calonne,  et  pour  une  fois  elle  fit  céder  sa 
timidité  naturelle  au  besoin  de  combattre  les  plans  de  ce 
ministre,  qui  trompait  le  roi  en  se  trompant  lui-même,  et 
poussait  la  monarchie  vers  sa  ruine.  Ses  sages  conseils  ne 
furent  point  écoutés,  et  bientôt  la  révolution  éclata.  Effrayée 
des  troubles  qui  agitaient  le  royaume,  elle  obtint  du  roi  la 
permission  de  se  rendre  à  Rome  avec  sa  sœur,  madame 
Victoire,  et  toutes  deux  quittèrent  Paris  le  19  février  1791. 
Elles  furent  arrêtées  à  Moret;  mais,  après  quelques  hésita- 
tions, l'Assemblée  nationale,  qui  commençait  à  devenir 
toute-puissante,  donna  les  ordres  nécessaires  pour  qu'on 


leur  rendit  la  liberté.  Arrivées  h  Rome,  elles  y  reçurent 
l'accueil  le  plus  honorable,  et  pendant  quelques  amiées  elles 
purent  goûter  dans  cette  ville  le  bonheur  d'être  à  l'abri  de 
la  proscription  qui  frappait  leur  famille.  i"Mais  en  1799  Ka])- 
proche  des  armées  françaises  les  contraignit  de  quitter  l'I- 
talie. Elles  se  réfugièrent  successivement  dans  le  royaume 
de  Naples,  dans  l'ile  de  Corfou,  et  enfin  à  Tricste.  Cette  vie 
errante,  pleine  de  dangers  et  de  fiitigues,  ne  pouvait  qu'être 
funeste  à  deux  femmes  accablées  déjà  par  tant  de  chagrins, 
^ladame  Victoire  succomba  la  première;  madame  Adélaïde 
ne  survécut  que  neuf  mois  à  une  sœur  qu'elle  avait  toujours 
tendrement  chérie.  Elle  mourut  dans  les  premiers  mois  de 
l'année  ISOO,  à  l'âge  de  soixante-sept  ans. 

ADÉLAÏDE  (Madame),  princesse  d'Orléans.  Elt.knk- 
LouisE-ADÉLAÏnE,  fille  de  Louis-Philippe-Joseph,  duc  d'Or- 
léans, et  de  Louise-Marie-Adélaïde  de  Bourbon-Penthièvre, 
naquit  à  Paris,  le  23  août  1777.  Comme  son  frère,  elle  fut 
élevée  par  madame  de  Genlis.  La  révolution  saisit,  pour 
ainsi  dire,  cette  princesse  au  sortir  de  l'enfance;  mais  son 
caractère  énergique  et  résolu  devait  l'aider  à  suppoiter  avec 
courage  les  vicissitudes  que  la  fortune  lui  réservait.  Sortie 
de  France  en  1791  pour  se  renilre  en  Angleterre,  elle  en 
revint  trop  tard  pour  ne  pas  être  portée  sur  les  listes  de 
l'émigration.  Son  père  l'envoya  alors  à  Tournai,  pour  satis- 
faire à  la  loi,  auprès  du  duc  de  Chartres,  son  frère  aîné,  qui 
commandait  alors  une  des  divisions  de  l'armée  républi- 
caine. Forcé  de  fuir  par  suite  d'un  décret  d'anestation  qui 
venait  d'être  porté  contre  lui ,  le  duc  fit  conduire  sa  sœur 
aux  avant-postes  autrichiens ,  où  ils  se  séparèrent.  Made- 
moiselle d'Orléans  rejoignit  son  frère  à  Schaffhouse,  où  elle 
se  vit  en  butte  à  une  tentative  d'assassinat  de  la  part  de 
certains  émigrés.  Elle  se  retira  alors  avec  madame  de  Gen- 
lis au  couvent  de  Sainte-Claire,  qu'elle  quitta  bientôt  pour  se 
rendre  à  Fribourg,  qu'habitait  la  princesse  de  Conti  ;  mais  le 
nom  d'Orléans  était  alors  l'objet  de  tant  d'aversion  dans 
l'émigration  que  la  princesse  n'osa  point  recevoir  sa  nièce 
chez  elle  ;  elle  la  fit  entrer  dans  un  couvent,  jusqu'au  jour  où 
elles  partirent  ensemble  pour  la  Bavière.  Mademoiselle 
d'Orléans  resta  huit  ans  avec  sa  tante ,  et  se  rendit  en  1802 
auprès  de  sa  mère,  qui  habitait  Figuières  en  Catalogne.  Au 
bombaidement  de  cette  ville  par  les  Français,  la  duchesse 
et  sa  fille  s'embarquèrent  pour  Malte ,  où  elles  comptaient 
retrouver  le  duc  d'Orléans.  Mais  le  prince  venait  de  partir 
lorsqu'elles  arrivèrent,  et  ce  ne  fut  que  l'année  suivante,  à 
Portsmouth ,  qu'ils  purent  se  rejoindre.  Mademoiselle  Adé- 
laïde se  fixa  ensuite  à  Païenne,  après  le  mariage  de  son  frère 
avec  la  fille  du  roi  des  Deux-Siciles.  Depuis  lors  elle  ne 
quitta  plus  son  frère  ;  elle  vécut  auprès  de  lui  en  Sicilejusqu'au 
retour  de  Louis  XVIII,  époque  où  elle  revint  en  France  avee 
toute  sa  famille.  Pendant  les  Cent-jours  elle  le  suivit  égale- 
ment à  Twickenham,  où  il  se  tint  tout  à  fait  éloigné  des  af- 
faires; enfin  elle  rentra  en  France  en  1817. 

Mademoiselle  d'Orléans  prit  une  part  active  aux  événe- 
ments qui  préparèrent  l'élévation  du  roi  Louis-Philippe 
au  trône.  Durantles  dernières  années  du  règne  de  Charles  X, 
ses  opinions  bien  arrêtées  sur  les  projets  contre-révolution- 
naires de  la  cour  n'étaient  un  mystère  pour  personne.  L'in- 
fluence incontestable  qu'elle  ne  cessa  d'exercer  sur  l'esprit 
de  son  frère  a  fait  souvent  mêler  son  nom  à  l'histoire  de  cette 
époque.  Le  29  juillet  1830  elle  reçut  h.  Neuilly  la  visite  de 
M.  Thiers ,  qui  venait  offrir  le  pouvoir  au  prince  ;  elle  se 
chargea  de  vaincre  les  répugnances  du  duc  d'Orléans,  et  pro- 
mit d'user  de  son  crédit  pour  le  décider  à  une  prompte  ac- 
ceptation. Depuis  ces  événements  aucun  fait  mémorable 
ne  marqua  dans  la  vie  de  madame  Adélaïde;  mais  la  voix 
publique  lui  attribuait  une  grande  et  salutaire  influence 
sur  l'esprit  du  vieux  roi,  dont  elle  semblait  seule  pouvoir 
tempérer  l'obstination,  et  qui  la  consultait  souvent.  Tou- 
jours est-il  que,  par  une  coïncidence  étrange,  à  peine  s'élait- 
il  écoulé  deux  mois  depuis  que  la  mort  l'avait  enlevée  aux 


120 

conseils  du  roi,  que  l'opiiiiàtrcté  de  Loiiis-i'liilippe  dans  une 
question  de  réfomie  parleiiu-nlaire  lui  coûtait  un  trône,  et  le 
renvoyait  sur  la  tencd'exiljioury  niouiir  Lieniôt  après. .Ma- 
dame Adélaïde  était  morte  le  31  décembre  iS'iT,  d'une  liy- 
pertropliie  du  coeur,  laissant  sa  f^rande  loi  tune  à  ses  neveux. 
Le  décret  de  janvier  1852  a  dû  respecter  cette  donation. 
Suivant  Jouy,  «  la  nature  avait  doué  cette  princesse  d'une 
force  d'àme,  d'une  éner;>ie  de  caractère  à  l'épreuve  de  l'une 
et  l'autre  fortune,  et  d'une  extrême  modestie  «lui  la  dérobait 
à  l'éclat  de^  qualités  brillantes  dont  elle  était  pourvue.  »    Z. 

ADELAÏDE  (LouiSE-TnÉnÈSE-CAROUNE-AMÉLiE),  reine 
d'Angleterre,  fille  de  Georges-Frédéric-Charlcs,  duc  de  .Saxe- 
Meiningen,  et  de  la  princesse  Louise-Éléonore  d'Hohenlohe- 
Langenburg,  naquit  le  13  août  1792.  Elle  perdit  son  père  à 
l'âge  de  onze  ans,  et  resta  avec  son  frère  et  sa  sœur  sous  la  tu- 
tellede  sa  mère,  femme  remarquable  par  son  esprit  et  sa  bonté, 
a  qui  le  duc  avait  par  son  testament  confié  la  régence  pendant 
la  minorité  de  son  fils.  Elle  éleva  ses  enfants  avec  la  plus 
grande  simplicité,  et  veilla  avec  le  plus  grand  soin  à  leur  édu- 
cation. La  petite  cour  de  Meiningen  ne  portait  pas  d'ombrage 
à  Napoléon,  et  la  ducliesse  régente  put  continuer,  dans  le 
cercle  de  sa  paisible  existence,  à  se  consacrer  à  l'adminis- 
tration du  pays  et  à  l'éducation  de  ses  enfants.  Adélaïde 
avait  montré  dès  son  enfance  un  caractère  studieux  et  ré- 
servé ;  plus  tard  elle  montra  son  éloignement  pour  le  faste 
et  les  frivolités  du  monde  et  une  certaine  aversion  pour  les 
idées  pbilosophiques  et  anti-religieuses.  Bientôt  elle  donna 
tout  son  temps  à  des  œuvres  de  bienfaisance.  Ses  estima- 
bles qualités  attirèrent  l'attention  de  la  reine  Cbarlotte, 
femme  de  Georges  111,  et  lorsqu'il  fut  question  de  marier  le 
duc  de  Clarence,  troisième  fils  du  roi ,  elle  proposa  la  prin- 
cesse Adélaïde  de  Saxe-Meiningen  comme  digne  de  cette 
alliance.  Le  duc  de  Clarence,  entendant  de  toutes  parts  la 
confirmation  des  éloges  que  sa  mère  lui  faisait  de  la  jeune 
princesse,  demanda  sa  main  et  l'obtint.  Leur  union  fut  cé- 
lébrée à  Ivevv,  le  11  juillet  1818.  Deux  fausses  couches  affai- 
blirent la  princesse;  enfin  elle  donna  le  jour  à  une  fille,  qui, 
d'après  le  vœu  du  dernier  roi,  fut  baptisée  sous  le  nom  d'E- 
lisabeth, si  cher  aux  Anglais  ,  mais  qui  mounit  subitement 
trois  mois  après.  La  duchesse  habitait  ordinairement  avec  son 
époux  le  délicieux  séjour  de  Bushy-Park  ,  près  de  Londres. 

Le  26  juin  1830  elle  devint  reine  d'Angleterre,  et  l'année 
suivante  elle  fut  couronnée  avec  le  roi.  Dans  cette  haute 
position,  elle  s'attacha  à  léformer  le  personnel  de  la  cour, 
et  elle  y  parvint  en  partie.  Lors  de  l'agitation  pour  la  ré- 
forme parlementaire,  l'opinion  publique  l'accusa  de  couvrir 
de  son  influence  les  résistances  au  vœu  populaire.  Sa  con- 
duite privée  fut  toujours  du  moins  exempte  de  tout  repro- 
che. Après  un  règne  de  sept  ans  elle  rentra  dans  sa  retraite 
de  Bushy-Park ,  qu'elle  n'avait  quittée  qu'à  regret  :  Guil- 
laume IV  était  mort.  Le  parlement  avait  voté  des  1831  un 
douaire  de  cent  mille  li^Tes  sterling  à  sa  veuve.  La  santé  de 
la  reine  Adélaïde  ne  tarda  pas  à  décliner  visiblement.  Elle 
fit  un  voyage  à  Malte,  et  dota  magnifiquement  l'église  de  La 
Vaielte.  Ssa  vie  se  passa  depuis  dans  la  retraite.  Elle  est 
morte  le  2  di;cembre  1849. 

ADÉLAÏDE.  Votiez  Australie. 

ADELIE,  terre  inabordable ,  découverte  dans  la  mer 
Australe,  prèsdu  pôle  antarctique,  par  Du  mont  d'Urvi  lie, 
en  I8i0  ,  vers  66"  de  latitude  méridionale  et  138°  de  longi- 
tude orientale,  et  sur  laquelle  cet  amiral  plaçait  le  pôle 
magnéticpie.  Il  la  nomma  ainsi  du  prénom  de  madame 
Dumont  d'Urville. 

ADELOiV  (NicoLAS-PniLiBERT),  professeur  à  la  Faculté 
de  Médecine  de  Paris,  membre  de  la  Légion  d'honneur,  est 
né  à  Dijon,  le  20  août  17S2.  Il  avait  déjà  publié  une  Analyse 
d'un  cours  du  docteur  GaU,ou  Anatomie  physiologique 
du  cerveau  d'après  son  système  (1  vol.  in-8°,  sans  nom 
d'auteur),  îors<iu'il  fut  reçu  docteur  en  médecine,  en  1809, 
après  avoir  soutenu  une  thèse  sur  les/onctions  de  te  peau. 


ADÉLAÏDE  —  ADELUPjCt 


Ensuite  M.  Adelon  développa ,  dans  un  cours  de  physio- 
logie, la  doctrine  de  Chaussicr,  dont  il  était  l'élève  et  l'ami , 
et  avec  le(ii:el  il  coopéra  à  la  liiograpî'ne  universelle , 
au  Dictionnaire  des  Sciences  médicales  et  au  grand  Dic- 
lio)tnaire  de  Médecinede  Panckoucke.  En  1823  xM.  Adelon 
donna,  sous  le  titre  de  Physiologie  de  l'Homme,  un  grand 
ouvrage,  dont  la  seconde  édition  a  paru  en  1829,  et  dans  le- 
quel il  a  réuni  tout  ce  qu'on  possède  sur  cette  branche  in- 
téressante de  l'art  de  guérir.  La  môme  année,  la  Faculté  de 
Médecine  ayant  été  constituée  sur  de  nouvelles  bases,  M.  Ade- 
lon y  fut  admis  comme  agrégé  ;  la  mort  de  Royer-CoUaid,  en 
1826,  lui  fit  avoir  la  chaire  de  médecine  légale.  Ces  fonc- 
tions s'écartaient  de  la  ligne  ordinaire  de  ses  travaux  ;  mais, 
homme  instniit  et  laborieux ,  M.  Adelon  n'eut  pas  de  peine 
à  se  mettre  au  niveau  de  sa  position.  Dès  la  création  de  l'A- 
cadémie de  Médecine ,  il  y  fut  appelé  comme  membre  titu- 
laire par  les  suffrages  de  ses  confrères.  11  fit  aussi  partie  du 
conseil  de  salubrité.  M.  Adelon  a  concouru  avec  Chaussier  à 
une  édition  latine  de  Morgagni ,  De  Sedibus  et  Cnusis,  etc. 
Il  est  un  des  fondateurs  des  Annales  d'Hygiène  publique 
et  de  Médecine  légale.  Savant  estimable,  M.  Adelon  est  peu 
connu  comme  praticien  ;  mais  il  doit  être  placé  au  nombre 
des  bons  professeurs,  et  on  peut  dire  qu'il  a  toujours  ex- 
(luse  avec  fidélité  l'etalde  la  science.  En  1858  ,  il  a  (ait  im- 
primer un  Programme  du  cours  de  médecine  légale  de  la 
faculté  de  médecine  de  Pans,  dressé  en  1856. 

ADELUIVG  (Jean-Christophe).  Ce  savant  philologue 
naquit  le  8  août  1732,  à  Spantekof,  en  Poméranie,  où  son 
père  était  prédicateur.  11  commença  ses  études  à  Anclam  et 
à  Closterberg,  près  de  Magdebourg ,  et  les  termina  à  Halle. 
En  1759  il  fut  nommé  pasteur  au  gymnase  évangélique 
d'Erfurt',  qu'il  quitta  deux  ans  après ,  à  la  suite  de  quelques 
controverses  ecclésiastiques ,  pour  aller  à  Leipzig  ;  c'est  là 
qu'il  se  livra  aux  plus  vastes  travaux  avec  une  ardeur 
infatigable,  et  qu'il  mérita  si  bien  de  la  langue  et  de  la  litté- 
ture  allemande ,  surtout  par  la  publication  de  son  Diction- 
naire grammatical  et  critique  du  haut  allemand  (Leip- 
zig, 1774-1780).  En  1787  il  obtint  de  l'électeur  de  Saxe  la 
place  de  premier  conservateur  de  la  bibliothèque  publique 
de  Dresde ,  avec  le  titre  de  conseiller.  Il  remplit  cet  emploi 
jusqu'à  sa  mort,  qui  eut  lieu  le  10  septembre  1806. 

Adelung,  seul,  a  fait  pour  la  langue  allemande  ce  que  des 
académies  entières  ont  fait  pour  d'autres.  Son  Dictionnaire 
grammatical  et  critique  l'emporte  sur  le  Dictionnaire  an- 
glais de  Johnson,  pour  tout  ce  qui  a  rapport  à  la  détermina- 
tion des  idées  comprises  dans  les  mots  et  à  l'étymologie  de 
ces  derniers  ;  mais  il  est  au-dessous  de  l'auteur  anglais  pour  le 
choix  des  écrivains  classiques  cités  comme  exemples,  parce 
que  sa  partiaUté  envers  les  écrivains  de  la  haute  Saxe  et  de 
la  Misnie  le  rendait  injuste  et  lui  faisait  négliger  ceux  dont 
la  patrie  ou  le  style  ne  lui  plaisait  pas.  L'esprit  méthodique 
d'Adelung  reculait  devant  le  déluge  de  mots  nouveaux  dont 
il  voyait  la  langue  allemande  menacée  indéfiniment ,  et 
alors  il  méconnaissait  l'admirable  privilège  de  flexibilité  et 
de  richesse  que  cette  langue  seule  partage  avec  le  grec. 
Dans  la  seconde  édition  il  a  fait  à  son  travail  primitif  du 
nombreuses  additions,  précieuses  sans  doute  en  elles-mêmes, 
mais  qui  ne  sont  pas  à  la  hauteur  du  progrès  fait  depuis  lors 
par  la  langue,  et  qui  ne  prouvent  que  trop  qu'une  infatigable 
activité  est  impuissante  à  détruire  les  vices  inhérents  au 
plan  même  d'un  ouvrage.  Kous  citerons  encore  de  lui  : 
Glossarium  medix  et  infimas  Latinitatis  (6  vol..  Halle, 
1772-1784);  Grammaire  Allemande  (Berlin,  1781  );  De  l'Or- 
thographe (  Leipzig,  1788  ;  5'  édit.,  1825  )  ;  Du  Style  nlle- 
mand  (  3  vol.,  1785  ;  4*  édit.,  2  vol.,  1800)  ;  Magasin  de  la 
Langue  allemande  (2  vol.,  1782  );  Catalogue  critique  des 
Cartes  geogj  aphiques  de  la  Saxe  (  ^leissen  ,  1796  )  ;  le  Di- 
reclorium  (Meissen,  1802-1804),  guide  important  pour 
la  connaissance  des  antiquités  de  la  Saxe  méridionale; 
Histoire  ancienne  des  Allemands  (Leipzig,  lâ0G),el  Mi- 


ADELUNG 

thridafe  (tome  F',  Hpilin,  ISOG),  ouvrage  dans  lequel 
il  se  proposait  de  déposer  le  résultat  de  ses  dirféientes 
investiiL;ations  philoloiiiques.  La  mort  IVnipiVlia  de  le  ter- 
miner; mais  la  publiration  en  fut  eonlinuée  par  Vater,  à 
Halle.  Sa  roileclion  de  eartes  séograpliiques  et  ses  nom- 
breux documents  manuscrits  relatifs  à  l'histoire  de  Saxe 
furent  acquis  en  ISIO  pour  la  bibliothèque  royale  de  Suède. 

ADELUXG  (FRÉDÉRrc  d'),  savant  philologue  et  ar- 
chéologue ,  conseiller  d'Ktat  au  service  de  Russie  et  prési- 
dent de  l'Académie  asiatique  de  Saint-Pétersbourg,  neveu  du 
préctHlent ,  naquit  en  ITfiS,  à  Stettin,  où  il  fit  de  bonnes 
éludes.  11  entra  jeune  encore  comme  gouverneur  dans  une 
maison  particulière.  Un  voyage  qu'il  lit  à  Rome  lui  fournit 
l'occasion  d'examiner  dans  la  bibliothèque  du  Vatican  les 
manuscrits  de  vieux  poèmes  allemands  qui  avaient  fait 
partie  de  la  célèbre  bibliothèque  Palatine  à  Heidelberg.  11 
publia  à  Kœnigsberg,  en  1796  et  1799,  d'intéressantes  notices 
sur  ces  vieux  poèmes.  Devenu  secrétaire  particulier  du 
comte  de  Palilen  ,  Adelnng  le  suivit  de  Riga  à  Saint-Péters- 
bourg ,  où  il  fui  attaché  pendant  quelque  temps  à  la  direc- 
tion du  théâtre  allemand.  En  1803  il  fut  chargé  par  Marie 
Veodorowna  de  donner  des  leçons  à  ses  deux  plus  jeunes  tds, 
les  grands-<lucs  Nicolas  et  Michel ,  et  il  fut  anobli  en  qua- 
lité d'assesseur  de  collège.  Le  zèle  et  l'intelligence  qu'il  dé- 
ploya dans  ces  fonctions  le  placèrent  très-haut  dans  la  con- 
fiance de  l'impératrice  et  de  ses  eiève-^,  dont  i  un  a  oc- 
cape  depuis  le  trône  de  Russie.  Adelimg  obtint  encore  une, 
loule  de  distinctions,  et  en  1825  il  fut  appelé  à  la  prési» 
"lence  de  l'Académie  Asiatique.  Les  collections  du  bibliothé- 
caire Backmeister  lui  furent  d'un  grand  secours  pour  ses 
recherches  sur  la  philologie.  Parmi  les  ouvrages  qu'on  a  de 
lui,  nous  citerons  :  Rapports  entre  la  langue  sanscrite 
et  la  lanrjue  russe  (Saint-Pétersbourg,  1815);  la  biogra- 
phie du  baron  Sigismond  d'Herberstein  (1817)  ;  le  qua- 
trième voliune  ajouté  comme  supplément  au  Mithridate, 
commencé  par  son  oncle,  et  achevé  par  Vater  (Berlin,  1817); 
la  description  des  remarquables  portes  en  métal  de  l'église 
de  Sainte-Sophie  à  IS'owogorod ,  qu'on  dit  avoir  été  fondues 
au  onzième  siècle  à  INIagdebourg.  Cet  ouvrage  fut  composé 
à  la  demande  du  protecteur  de  l'auteur,  le  comte  Romant- 
zof,  chancelier  de  l'empire,  qui  fit  les  frais  des  dessins 
magnifiques  dont  il  est  orné  (Berlin,  1823).  On  a  encore 
d'Adelung  :  Voyage  du  baron  de  Meyerberg  (1661)  en 
Jîussie  (  Pétersbourg,  1817),  et  un  Essai  sur  la  Littérature 
et  la  Langiie  ScHscri^e  (  Pétersbourg,  1830),  compilation 
laborieuse ,  mais  dénuée  de  critique,  qui  a  paru  en  seconde 
édition  (1837)  sous  le  litre  de  Bibiiotheca  Sanscrita. 
Fréd.  d'Adelung  est  mort  le  2  février  1843. 

ADEIV,  État  de  la  côte  sud-ouest  de  la  presqu'île  d'A- 
rabie ,  placé  autrefois  sous  la  souveraineté  de  Timan  d'Yé- 
men. — Lavilledu  même  noiii,  Aden,  située  par  12°  43' de 
latitude  septentrionale  et  62°  52  de  longitude  orientale , 
à  environ  30  myriamètres  du  détroit  de  Bab-el-Mandeb , 
sur  le  versant  occidental  du  promontoire  d'Aden,  montagne 
escarpée  et  hérissée  de  rochers ,  possède  un  port  excellent 
et  protégé ,  en  raison  même  de  sa  situation ,  contre  les 
moussons  de  l'est,  et  le  plus  sûr  qu'on  rencontre  dans  ces 
parages  sur  une  grande  étendue  de  côtes.  Au  seizième  siècle 
le  commerce  de  l'Jnde  et  de  l'Abyssinie  fit  parvenir  cette 
Tille  à  un  haut  degré  de  prospérité.  En  l'année  1513  Alhi;- 
<iuerque  y  vint  mettre  inutilement  le  siège.  En  1537 
cette  ville  fut  i)rise  par  les  troupes  du  sultan  Soliman  1"; 
mais  elle  ne  demeura  pas  longtemps  sous  la  domination 
othomane.  Soumise  depuis  longtemps  il' iman  d'Yémen,  elle 
renvoya  son  gouverneur  vers  1730,  se  choisit  un  chéik  et  se 
maintint  depuis  dans  son  indépendance.  Une  fois  d'ailleurs 
que  le  conuiierce  se  fut  ',ial)itué  à  |)rendre  la  roule  du  cap 
de  Bonne- tspérnnce,  Aden  tomba  dans  une  décadence  telle, 
((u'il  y  a  peu  d'aunées  on  n'y  comptait  jias  plus  de  huit  cents 
habitants,  parmi  lcs(iiicls-^ctioii\c  nm;  sjeilli;  conuminc juive 

DICT.    DE    LA    CONVEKSATIO.N,    —    T.    I. 


—  ADER  121 

de  deux  cent  cinquante  à  trois  cents  individus.  Aujourd'hui  la 
poiudation  s'occupe  pre'=qiie  exclusivement  du  commerce  de 
'la  gomme  et  du  café.  Le  souverain  de  cet  état,  sultan  des 
Abdallis,  réside  ordinairement  à  Labadsch,  à  environ  cinq 
myriamètres  au  nord-est  d'Aden.  En  1837  la  compagnie  an- 
glaise <les  Indes  orientales  entra  en  négociations  avec  lui, 
d'abord  à  l'effet  de  réclamer  une  indemnité  iiour  le  pillage 
d'un  bâtiment  anglais  échoué  sur  ses  côtes,  et  ensuite  pour 
obtenir  la  cession  d'Aden  à  l'Angleterre.  Les  négociations 
échouèrent  ;  la  compagnie  (it  bloquer  le  port  ;  et  le  1 1  janvier 
1839  la  ville  fut  pri.se  d'assaut  par  les  forces  britanniques. 
La  possession  d'Aden  n'est  pas  moins  importante  pour  l'An- 
gleterre sous  le  rapport  polili(pie  que  .'»ous  le  rapport  com- 
mercial. Celte  place  en  effet  est  entre  ses  mains  comme  un 
autre  Gibraltar,  situé  entre  l'Afrique  et  l'Asie.  Dès  1845  1a 
populatiqn  s'élevait  à  25,000  âmes.  Elle  doit  être  aujourd'hui 
de  plus  de  30,000.  L'Angleterre  a  relevé  et  augmenté  les 
fortifications  (J'Aden,  déblayé  ses  immenses  citernes  et  fait  de 
son  port  une  espèce  de  port  franc,  avec  un  entrepôt  de 
charbon  pour  les  steamers  de  l'Inde.  * 

ADENES  ou  ADA1\S,  poète  français  du  treizième 
siècle,  naquit  en  Bral)ant,  vers  l'an  1240,  et  fut  élevé  à  la 
cour  du  duc  de  Brabant  Henri  III,  qui  était  grand  amateur 
de  poésie  et  poète  lui-même.  Il  lui  témoigne  ainsi  sa  rccon- 
:iai.ssance  .• 

Meneslrés  au  bon  duc  Henri 

Fui,  cil  ra'aleva  et  oorri. 

Et  me  fist  mon  tnestier  aprcndre. 

Après  la  mort  de  son  protecteur ,  Adenès  suivit  à  la  cour 
de  Philippe  le  Hardi  la  princesse  Marie,  sa  fille,  devenue 
reine  de  France.  Il  reste  de  lui  plusieurs  poèmes  :  Guil- 
laume d'Orange  au  coîirt  nez,  Ogier  le  Danois,  Bcrte  aus 
grans  piés,Buevon  de  Cormarchis et  Cléomadès.  Berte aus 
grans  pies  a  été  publié  en  1832  par  IM.  Paulin  Paris.  La 
fable  sur  laquelle  Adenès  a  composé  son  poème  n'offre  que 
peu  de  rapports  avec  l'histoire  de  la  femme  de  Pépin  le 
Bref.  C'est  plutôt  une  allégorie  aux  événements  contempo- 
rains et  à  la  vie  de  sa  protectrice ,  la  reine  IMarie. 

ADENITE  (  du  grec  ào-ov ,  glande  ).  C'est  en  pathologie 
l'inflammation  d'une  glande. 

ADÉIXOLOGIE  (du  grec  àSov,  glande;  Xôyoç ,  dis- 
cours). C'est  la  partie  de  l'anatomie  qui  traite  des  glandes. 

ADEPHAGIE  (du  grecàôvîv,  abondamment;  ipâyw, 
je  mange).  Voyez  Boulimie. 

ADEPTE  (en  latin  adeptiis ,  participe  d'adipiscor, 
j'obtiens  ;  littéralement,  qui  a  obtenu  ).  Les  alchimistes  appe- 
laient ainsi  ceux  d'entre  eux  qu'ils  supposaient  sur  la  voie 
de  la  découverte  de  la  pierre  philosophale ,  ou,  comme  ils 
disaient  dans  leur  langage ,  de  parvenir   au  grand  œuvre. 

—  On  emploie  encore  aujourd'hui  cette  expression  pour 
désigner  ceux  qui  se  sont  fait  initier  aux  mystères  d'une 
secte  religieuse ,  philosophique  ou  politique.  On  l'applique 
également  aux  hommes  versés  dans  une  science  ou  un  art 
quelconque. 

ADEQUAT  (du  latin  adxquatus,  égal  à) ,  terme  de 
philosophie  scolastique ,  synonyme  de  entier,  total.  —  On 
entend  par  idée  adéquate  celle  qui  renferme  tous  les  ca- 
ractères essentiels  de  son  objet ,  qui  convient  ii  tout  le  défini 
et  rien  qu'au  défini,  toti  et  soii  definito.  Les  mathématiques, 
par  exemple,  sont  ia  .seule  science  dans  laquelle  il  puisse 
y  avoir  des  notions  adéquates.  On  dit  encore  d'une  défini- 
tion ou  explication  d'idée  générale,  lorsqu'elle  exprime 
exactement  le  contenu  essentiel  et  les  limites  de  cette  idée , 
qu'elle  est  adéquate. 

ADER  (Gcili.aume),  célèbre  médecin,  né  à  Gimont 
(Gers),  vers  1550,  fut  l'im  lieces  poètes  qui  ont  continué 
(iepuis  les  temps  des  troubadours,  dans  le  midi  de  la  France, 
la  culture  de  ia  langue  romane.  Il  a  publié  une//e'înade,en 
vers  gascons  (Toiose,  16 10,  in-S'').  Ce  n'est  point,  comme 
l'ont  dit  (pielques  bihiiograplies,  un  [loeuic  burlesque  et  ma- 

lU 


ir2 

caroni(|iic  ;  c'cr.t  un  ouvrage  séfîcux ,  dans  leciuel  on  trouve 
(les  nn)rc«Mux  tr('s-remar([uables.  On  a  encore  de  ce  mé- 
decin poi'te  un  ouvrage  très-curieux  et  très-reclierché ,  dans 
lequel  il  cherche  à  montrer  (lue  les  maladies  que  guérissait 
Jésus-Christ  étaient  des  infirmités  incurables,  où  l'art  de  la 
médecine  ne  pouvait  absolument  rien.  On  lui  doit  en  outre 
un  traité  sur  la  peste  :  De  Peslis  Corjnit'ione,  prœvisione  et 
remediis  (Tolosœ,  1G2S,  in-8°).  Ader  exerça  pendant 
longtemps  la  médecine  à  Toulouse,  où  il  moin  ut  fort  âgé. 

ADERBÏDJAIV  ou  ADZKP.HAIDJAN  (pays  de  feu), 
ainsi  nommé  à  cause  des  éruptions  volcaniques  de  ses  mon- 
tagnes, fait  partie  de  Fancienne  Médie.  C'est  une  des  prin- 
cipales pro\inces  de  Perse,  dans  sa  partie  nord-ouest.  Elle 
est  située  entre  l'Arménie,  le  Kounlistan  et  l'Irak,  et  s'étend 
depuis  le  3G°  jusqu'au  39°  de  latitude  septentrionale.  Elle 
contient  près  de  quatre  mille  lieues  carrées  et  quinze  cent 
mille  habitants,  Persans,  Arméniens,  Turcs,  Kourdes  ou 
Juifs.  Couverte  de  hautes  montagnes  et  entrecoupée  de 
vallées  fertiles  et  bien  cultivées,  elle  est  arrosée  au  nord  par 
l'Aras,  qui  la  sépare  de  l'Arménie  russe,  et  à  l'est  par  le  Séli- 
Jîoud,  ou  Kizil-Ouzéin  des  Kourdes.  Elle  a  en  outre  deux 
cent  soixante-dix  lieues  carrées  couvertes  par  le  lac  d'Our- 
miah  ou  Chahi ,  le  plus  grand  de  la  Perse,  dont  les  eaux, 
presque  aussi  salées  que  la  mer,  ne  nourrissent  aucun  pois- 
non.  Hiclie  en  mines  d'argent,  de  cuivre  et  de  fer,  l'Ader- 
?iidjan  ne  peut  tirer  parti  que  des  dernières,  à  cause  delà 
pénurie  du  bois,  d'autant  plus  fâcheuse  que  son  climat,  quoi- 
que très-sain  ,  est  très-froid  pendant  plus  de  la  moitié  de 
Tannée.  On  s'y  chauffe  avec  la  bouse  de  vache  et  de  chameau. 
Cette  province  a  pour  capitale  Tauriz  ou  Tebriz,  la  deuxième 
cité  de  Perse,  et  ses  autres  principales  villes  sont  Ardebyl , 
Maragha,  Khoï  et  Ourmiah.  Elle  a  vu  naître  Zoroastre  ou 
Zerdoucht ,  le  fondateur  du  culte  du  feu.  C'est  aussi  dans 
cette  province  que  Kaioumarath  fonda  la  plus  ancienne  dy- 
nastie de  la  Fei-se.  Soumis  successivement  aux  divers  souve- 
rains des  autres  dya.xstie3,  puis  au  joug  de  l'islamisme,  à 
l'empire  des  califes  et  à  la  domination  des  Turcs  seidjoukidcs, 
i'Aderbidjan  forma  un  État  indépendimt  sous  les  Atabeks, 
de  1!36  à  1225;  alors  il  fut  conquis  par  les  Mongols  Jiengis- 
khanides ,  et  soumis  ensuite  aux  Mongols  ilkhanides  en  1336. 
lU'uni  à  l'empire  de  Tamerlan ,  il  en  fut  détaché  après  sa 
mort,  et  appartint  aux  deux  dynasties  turcomanes  du  Mou- 
ton-Noir et  du  AIouton-Blanc  (  voyez  Ac-Coi\lu  ) ,  jusqu'à 
ce  qu'il  fut  incorporé,  au  commencement  du  seizième  siècle 
dans  la  monarchie  des  Sofys,  puis  dans  celle  des  Afchars, 
des  Zends ,  enfin  dans  celle  des  Kadjars  ,  dynastie  régnante 
en  Perse ,  et  dont  un  prince  gouverne  toujours  cette  pro- 
vince. H.  Al'diffret. 

ADERSIJACII,  village  de  Bohême,  cercle  de  Kœnig- 
graeîz,  dans  une  vallée,  au  pied  de  la  montagne  des  Géants, 
h  deux  milles  et  demi  de  Landshut  et  à  deux  milles  envi- 
ron à  l'est  de  Schatziar,  célèbre  par  des  groupes  de  rochers 
d'une  disposition  singulière.  Ces  rochers  commencent  près 
du  village  ,  et  s'étendent,  avec  quelque  interruption,  il  est 
vrai,  jusque  dans  le  comté  de  Glatz.  Us  s'élèvent  debout  les 
mis  à  côté  des  autres  ,  séparés  par  des  abîmes  plus  ou 
inoins  profonds,  et  présentent  à  l'œil  l'aspect  d'une  gigan- 
tesque foret  de  pierres.  La  plupart  ont  cent  ])ieds  et  plus 
de  haut;  leur  forme  est  variée.  Les  uns  ressemblent  à  des 
pil'ers  et  à  des  tours,  les  autres  à  des  murs  entièrement 
|)lats  et  taillés  perpendiculairement  ;  d'autres  se  recourbent 
en  lignes  brisées,  portant  leur  sommet  en  saillie,  comme 
.s'ils  étaient  près  de  s'écrouler.  On  remarque  particulièie- 
inenl  celui  que  l'on  appelle  le  Pain  de  Sucre,  qui  .se  trouve 
en  dehors  de  la  forêt  de  pierres  proprement  dite,  haut  de 
cinquante  pieds,  plus  large  à  sa  partie  supérieure,  s'élendant 
en  pointe  à  sa  partie  inlerieure.  Il  est,  à  .sa  pointe,  entoure 
d'une  mare  d'eau,  de  sorte  (jne  cette  masse  semble  manquer 
nh«olu:r.ent  de  point  d'ap|iiii.  Une  porte  ferme  la  forêt  de 
rocliers  elle-même.  Une  tluile  d'eau,  et,  plus  avant  encore 


ADER  —  ADHÉSION 


dans  l'intérieur,  les  ruines  d'un  cliâteau  qni  servait  de  re- 
paire aux  brigands  durant  les  guerres  civiles  de  Bohême, 
sont  le  rendez-vous  ordinaire  des  curieux. 

ADESSÉAWIRES,  hérétiques  du  seizième  siècle.  Us 
admettaient  la  présence  réelle  de  Jésus-Christ  dans  l'en- 
chaiistie,  mais  ils  l'entemlaient  autrement  que  l'Église;  ils 
étaient  même  divisés  en  quatre  sectes  :  les  premiers  pré- 
tendaient que  le  corps  était  dans  le  pain;  les  seconds,  au- 
tour du  pain  ;  les  troisièmes,  sous  le  pain  ;  les  quatrièmes, 
sur  le  pain. 

ADiîÉilAR  DE  MOMTEIL  (Aimar),  évêque  du 
Puy  en  Yelay,  suivit  d'abord  la  carrière  militaire  et  fut 
.sacré  évêque  le  3  mai  lOfil.  Au  concile  de  Clermont,  tenu  par 
Urbain  II  en  1095,  il  demanda  le  premier  la  croix  et  suivit 
Raymond,  comledeToulouse,  en  Terre  Sainte,  cuinme  légat 
du  pape.  Il  y  rendit  de  grands  services;  se  distingua  dans 
phisieurs  combats  contre  les  Sarrasins,  qu'il  força  à  aban- 
donner le  siège  d'Antioche.  Il  mourut  peu  de  temps  après, 
de  la  peste,  le  l*"'  août  1098. 11  prétendait  avoir  retrouvé  la 
lance  avec  laquelle  on  avait  percé  le  côté  de  Jésus-Christ. 
Le  Tasse,  dans  sa  Jérusalem  délivrée,  le  fait  périr,  par  ana- 
chronisme, à  Jérusalem  d'un  coup  de  flèche  lancée  par  Clo- 
rinde.  Z. 

ADHERBzVL,  fils  aîné  de  Micipsa,  roi  de  Numidie, 
après  le  meurtre  de  .son  frère  Iliempsal ,  as.sassiné  par 
Jugurlha,  implora  le  secours  des  Romains.  Mais  les  sé- 
nateurs, corrompus  par  l'or  de  Jugurtha,  rendirent  un  dé- 
cret qui  partageait  entre  les  deux  princes  les  États  de 
Micipsa.  Jugurlha,  sûr  de  l'impunité,  envahit  bienlôt  les  pro- 
vinces échues  à  Adherbal.  Ce  prince,  défait  dans  deux  ren- 
contres, se  livra  à  son  ennemi,  et  périt  dans  lês  tourments, 
l'an  1 12  avant  J.-C. 

ADÎIÉREXCE  (du  latin  adhœrcntia,  fait  de  ad,  à, 
hxrere,  être  attaché),  union  intime  de  deux  corps  par  leurs 
faces.  La  physique  nous  apprend  que  les  molécules  de  même 
nature  sont  plus  ou  moins  étroitement  unies  entre  elles  eu 
vertu  de  deux  forces  dites  de  cohésion  et  (ï agréga- 
tion, et  que  les  molécuîes  fluides,  gazeuses  ou  liquides,  qui 
restent  appliquées  aux  surfaces  des  corps  solides ,  y  sont 
maintenues  dans  un  contact  immédiat  ;  ce  qui  constitue  le 
phénomène  de  l' a d  h  é s  i  o  n . 

En  physiologie  et  en  pathologie  on  entend  par  adhérence 
l'union  des  surfaces  correspondantes  d'organes  limités  par 
des  membranes  qui  préliminairement  permettaient  leur  con- 
tiguïté et  leur  glissement.  Les  membranes  .séreuses  et  syno- 
viales présentent  fréquemment  cette  adhérence,  qui  n'a  lieu 
que  sur  quelques  points,  ou  qui  s'effectue  dans  foute  réten- 
due de  leur  périphérie.  C'est  par  des  adhérences  que  se  pro- 
duisent les  rétrécissements  et  les  oblitérations  normales  ou 
anormales  de  certains  organes  qui  ont  des  formes  canalicu- 
laires.  Ces  sortes  d'adhérences  sont  complètes  dans  les 
vaisseaux  sanguins  qui  se  convertissent  en  ligaments,  in- 
complètes et  sous  ferme  de  brides  plus  ou  moins  fortes 
lorsqu'elles  ont  lieu  aux  surfaces  préliminairement  dénudées 
des  membranes  muqueuses  et  de  la  peau. 

ADHÉSION  (en  latin  adhœsio;  action  d'adhérer), 
union ,  jonction  ;  en  droit  et  en  morale ,  consentement. 

On  entend  par  adhésion  en  physique  une  simple  adhé- 
rence des  corps  les  uns  aux  autres ,  tant  des  corps  solides 
que  des  corps  liquides  ou  gazeux  •,\a.  coliésion  est  la  force 
qui  tient  unies  les  molécules  constituantes  d'un  même  corps. 
Pour  les  corps  solides  l'adhésion  s'exerce  en  raison  directe 
de  l'étendue  et  du  poU  des  surfaces  en  contact.  La  force 
d'adhésion  entre  deux  surfaces  iiuelconquespeut  se  mesurer 
au  moyen  du  poids  nécessaire  pour  séparer  les  corps  ea 
contact.  L'adhésion  s'exerce  de  même  entie  les  solides  et 
les  liquides.  Il  y  a  cc]iendant  dans  ce  cas  des  exceptions  : 
ainsi  le  mercure  ne  s'attache  pas  au  verre  et  s'attache  très- 
bien  à  l'or,  il  l'argent  et  au  |)lonib.  I/eau  acihère  à  la  plupaiî 
des  corps,  à  condition  (pie  ieur  -uilacc  n'ait  pas  été  rcccii- 


ADÎIÉSIOIN  —  ADIVE 


1*23 


vci  lo  (Vnne  iiraisse  on  d'un  vernis.  L';uli\t''-.ion  de  Toan  aux 
coqis  sur  losiim-ls  elle  passe  rend  compte  de  son  moiive- 
nuMit  dans  les  lits  des  rivières,  et  en  génc^ral  sur  les  jdans 
iiiclintvs,  cr.r  b  vitesse  de  Teau  courante  est  toujours  moindre 
qu'elle  ne  devrait  IVtre  d'après  les  lois  de  la  chute  des  corps. 
L'ascension  des  litpiides  dans  les  tubes  capillaires  ou  entre 
des  plaques  très-rapproclièes  est  causée,  en  partie  du  moins, 
par  l'adhésion  {voyez  C.\pillarité).  L'adhésion  st^  manifeste 
également  entre  les  fluides  élastiques.  Quelq\ies  physiciens 
regardent  l'adhésion  comme  le  premier  degré  de  l'affinité 
chimique.  —  Cest  sur  cette  propriété  que  sont  fondées 
plusieurs  opérations  importantes  et  usuelles  dans  les  arts  : 
telles  sont  les  diverses  espèces  de  collage,  de  soudure, 
rétamage  des  glaces,  la  dorure  sur  bois  et  sur  métaux,  et 
même  la  fabrication  des  pierres  artificielles. 

AD  nOC,  mots  latins  dont  la  signiiîcation  littérale  est 
pour  cela,  et  qui  servent  dans  notre  langue  à  exprimer  un 
rapport  exprès  et  spécial.  C'est  une  réponse  ad  hoc.  On 
envoya  un  homme  ad  hoc. 

AD  II03IIXEM,  locution  latine,  admise  depuis  long- 
temps dans  le  langage,  et  qui  caractérise  très-bien  l'argu- 
ment/JcrsoHJie^,  l'un  des  plus  puissants  que  puisse  em- 
ployer l'éloquence  lorsqu'il  s'appuie  sur  la  vérité.  L'argument 
ad  homitiem  est  une  espèce  d'enthymème  au  moyen  duquel 
l'orateur  se  sert  des  propres  armes  de  son  adversaire  pour 
le  vaincre ,  de  ses  propres  idées  ou  de  ses  propres  paroles 
pour  le  confondre.  Ainsi ,  Ligarius  étant  f.ccusé  par  Tubéron 
de  s'être  battu  contre  César  en  Afrique,  Cicéron,  qui  plaida 
sa  cause,  se  servit  contre  l'accusateur  d'un  terrible  argument 
ad  hominem.  Voici  la  traduction  de  ce  passage  sans  répli- 
que :  «  Mais,  je  le  demande,  qui  donc  a  fait  un  crime  à 
Ligarius  d'avoir  été  en  Afrique?  Cest  un  homme  qui  lui- 
même  a  voulu  être  en  Afrique, qui  se  plaint  que  Ligarius 
l'en  a  empêché,  qui,  enfin,  a  combattu  contre  Céfar  lui- 
même.  En  effet,  Tubéron,  que  faisiez-vous ,  le  fer  à  la  main, 
dans  les  champs  de  Pharsale?  Quel  sang  vouliez-vous  ré- 
pandre? Dans  quel  flanc  vos  armes  voulaient-elles  se  plon- 
ger? Contre  qui  s'empoilait  l'ardeur  de  votre  courage?  Vos 
mains,  vos  yeux,  quel  ennemi  poursuivaient-ils?  Que  dési- 
riez-vous?  Que  souhaitiez-vous?  »  Plutarque  rapporte  qu'à 
ces  mots  César  laissa  tomber  en  frémissant  les  papiers  qu'il 
tenait  à  la  main,  et  qui  renfermaient  l'acte  de  condamna- 
tion :  l'éloquence  avait  triomphé,  grâce  à  l'heureux  emploi 
de  l'argument  ad  hominem.  Ciiaiipag.\ac. 

AD  HOXORES,  expression  latine  qui  a  été  transpor- 
tée dans  la  langue  française,  oii  elle  signifie  gratuitement, 
pour  l'honneur  seul.  Être  amant  ou  époux  ad  honores,  par 
exemple ,  signifie  en  avoir  le  titre  sans  les  prérogatives.  Un 
litre  sans  fonctions  et  sans  émoluments  est  une  place  ad 
honores. 

ADI ABEXE  ,  riche  province  d'Assyrie,  à  l'est  du  Tigre, 
qui  se  rendit  indépendante  à  la  fin  du  règne  des  Séleucides, 
et  forma  un  royaume  jusqu'à  l'époque  où  elle  fut  conquise 
par  les  Romains,  sous  Trajan.  Actuellement  elle  fait  partie 
du  Kourdistan.  Arbèles  était  sa  capitale. 

ADIAXTE  {Botanique).  Voyez  Capillaire. 
ADIAPIIORISTES  (du  grec  a  privatif,  et  c-.âî;opo;, 
différent  :  indifférent).  On  désignait  ainsi  au  seizième  siècle 
les  luthériens  qui ,  tout  en  approuvant  les  doctrines  de  Lu- 
tlier,  continuaient  néanmoins  à  reconnaître  l'autorité  de  l'É- 
glise catholique.  —  En  théologie  on  appelle  adiaphora 
des  usages  ou  foiines  du  culte  qui,  n'étant  ni  ordonnés  ni 
défendus  par  l'Écriture,  peuvent  être  conservés  ou  rejetés 
.sans  inconvénient  pour  la  pureté  de  la  foi,  et  sans  danger 
pour  la  tranquillité  de  la  conscience.  Les  tiiéologiens  alle- 
mands se  servent  particulièrement  de  ce  mot  pour  désigner 
celles  des  cérémonies  du  culte  catiioli(pie  que  les  réforma- 
teurs avaient  d'abord  conservées.  Flacius,  théologien  d'iéna, 
s'éleva  le  premier  contre  celle  tolérance,  et  attaqua  avec 
acrimonie,  à  ce  sujet,  Mcianchliiou,  de  qui  elle  émanait,  et 


(lui,  dans  la  longue  et  vive  discussion  qui  s'ensuivit ,  reçut 
le  premier  l'épithète  iVadiaphorisle ,  regarde^  à  cflle 
époque  conmie  très-injurieuse. 

ADI-BOUDDII  A.  La  secte  des  bouddhistes  Ais'Varika 
donne  ce  nom,  qui  signilie  en  sanscrit  le  premier  Jlovdd//n 
ou  le  premier  sage,  au  dieu  primitif,  à  l'être  primilil, 
préexistant,  appelé  aussi  pour  cette  raison  Svayambliou,  ce 
qui  signifie  existant  par  soi-même.  .Adi-Bouddha,  principe 
essentiel  de  toutes  choses  ,  puissance  suprême,  qui  domine 
tout  ce  système  tltéologique,  séjourne  dans  ÏAgmcItta  bouh- 
vana,  ou  région  du  feu,  la  plus  élevée  de  toutes  celles  dont 
l'ensemble  compose  l'univers.  Ayant  éprouvé  le  désir  do 
rompre  l'unité  dont  il  embrassait  l'immensité,  ce  désir,  appelé 
Fradjna,  ou  manifestation  de  sa  toute-puissante  intelligence, 
devint  la  cause  de  l'existence  de  toutes  choses,  et  commença 
par  former  cinq  autres  Bouddhas ,  ou  dieux  très-puissants, 
quoique  subordonnés  à  Adi-Bouddha.  Ce  furent  Vairot- 
chann,  Ahchobhja,  Ratnasambhava,  Amitabha  etAmogha 
Sidd/ia,  lesquels,  à  leur  tour,  produisirent  chacun,  par  une 
sorte  de  force  intuitive  ou  de  méditation  céleste  {Dhyân  ) , 
un  dieu  subalterne ,  un  fils  spirituel ,  ou  Bodhisafva.  Le 
Bodhisatva  d'.\mitabha  fut  Padma  panni,  de  qui  émanèrent 
les  trois  puissances  de  la  nature,  Brahma,  Vichnou  et  Siva, 
ADIGE ,  VAthesis  des  anciens,  fleuve  d'Italie,  sort  des 
Alpes  helvétiques ,  traverse  le  Tyrol  sous  le  nom  à'L'tsch  et 
leroyaime  Lombard-Vénitien,  arrose  Glurns,  Méran,  Trente, 
F.overedo,  Rivoli,  Vérone,  Legnano;  reçoit  l'Eisach,  l'Avisio, 
l'Alpore  et  le  Hose,  et  se  jette  dans  l'Adriatique  à  Porto- 
Fossone,  au  nord  des  bouches  du  Pô.  Sans  être  un  affluent 
du  Pô ,  il  est  uni  à  ce  fleuve  par  diverses  branches.  Son 
cours  est  de  trois  cent  quarante-deux  kilomètres  ;  il  est  na- 
vigable depuis  l'embouchure  de  l'Eisach,  et  pour  les  gros  ba- 
teaux depuis  Vérone.  Ce  fleuve  éprouve  à  la  fonte  des 
neiges  des  crues  extraordinaires,  contre  lesquelles  on  a  été 
obligé  de  se  mettre  à  l'abri  par  de  fortes  digues.  L'Adige  a 
été  passé  trois  fois  par  les  armées  françaises  :  la  première 
par  Bonaparte  {voyez  Caltuero  et  Arcole)  ;  la  seconde  par 
le  maréchal  Brune, le  1"  janvier  1801  {voyez  Véroxe);  la 
troisième  par  Masséna  en  1805  (  voyez  Caldiero  ). 

ADIPEUX  (en  latin  adiposxis,  d'adeps,  graisse),  qui 
est  de  la  nature  delà  graisse,  qui  en  contient.  Le  tissu 
adipeux  est  une  variété  du  tissu  cellulaire,  avec  lequel  on 
l'a  généralement  confondu,  et  dont  les  lamelles  contiennent 
la  graisse.  Les  vésicules  adipeuses  sont  celles  qui  renfer- 
ment la  graisse  ;  elles  tiennent  au  tissu  laniineux  par  un 
pédicule  vasculaire ,  et  varient  beaucoup  pour  le  volume. 
La  membrane  adipeuse  est  le  tissu  cellulaire  sous-cutané. 
Enfin,  on  a  donné  improprement  le  nom  de  ligament  adi- 
peux  à  un  repli  de  la  membrane  synoviale  de  l'articulation 
du  genou.  —  Dans  Ticlithyologie  on  nomme  nageoires  adi- 
peuses des  nageoires  qui  sont  remplies  de  graisse ,  dépour- 
vues des  rayons  osseux  inférieurs,  et  placées  au  voisinage  de 
la  queue  chez  certains  poissons,  comme  les  silures,  les 
saumons ,  qui  pour  ce  fait  sont  ainsi  appelés  adipeux. 
ADIPEUX  (Tempérament  ).  Voyez  TEiiPÉr.vMENT. 
ADlPOCIilE  (du  latin  adeps,  graisse,  coiiil)iné  avec 
le  mot  français  cire).  Fourcroy  avait  donné  ce  nom  à  trois 
substances  que  l'analyse»  trouvées  être  bien  distinctes,  mais 
qu'il  regardait  comme  identiques,  à  savoir  :  le  blanc  de 
baleine  on  cétine  ,\e.  gr  as  des  cadavres  on  des  ci' 
metières,  et  la  choies  térine. 
ADITIOX  D'HÉRÉDiTÉ.  Voyez  Hérédité. 
ADIVE  {canis  aureus).  Quadrupède  un  peu  plus  pe- 
tit que  le  renard ,  mieux  fait  et  beaucoup  plus  leste.  Sui- 
vant nos  chroniqueurs ,  les  dames  de  la  cour  de  Charles  IX 
avaient  des  adives  au  lieu  de  petits  chiens.  Celte  fantaisie 
n'a  rien  d'étonnant ,  dit  le  savant  professeur  N'irey  ,  l'adive 
étant  l'un  des  plus  jolis ,  des  plus  vifs  et  des  plus  propres 
entre  les  quadrupèdes;  mais  cette  mode  de  cour  n'a  pas 
duié ,  parce  que  ce  petit  animal  est  en  même  temps  l'un  des 

IG, 


121 


ADIVE  —  ADJUDICATIO.N 


l»liis  fourbes,  des  plus  adroits  et  des  plus  fripons,  et  que 
ses  talents  naturels  pour  épier,  surprendre  et  saisir  une 
proie,  en  font  un  hùtc  qui  appelle  sajis  cesse  la  défiance. 

ADJACEXT  (  du  latin  ad ,  auprès  ;  ^ocere ,  être  cou- 
ché ,  situé  ).  En  géométrie ,  on  appelle  angle  adjacent 
l'angle  immédiatement  contigu  à  un  autre  angle,  de  sorte 
que  les  deux  angles  ont  un  côté  commun.  On  se  sert  même 
pins  particulièrement  de  ce  mot  loreque  les  angles  ont  non- 
seulement  un  c(Mé  commun,  mais  encore  lorsque  les  deux 
autres  côtés  forment  une  même  ligne  droite.  Une  des  propo- 
sitions les  plus  importantes  de  la  géométrie ,  c'est  que  deux 
angles  adjacents  valent  deux  angles  droits;  en  effet,  ils 
occupent  toujours  l'espace  d'un  demi-cercle ,  ou  180°.  —  En 
physique,  en  géograpliie,  on  appelle  parties  adjacentes , 
pays  adjacents ,  des  parties  contiguës  à  d'autres  parties, 
de.s  pays  contigus  à  d'autres  pays. 

ADJECTIF  (du  latin  adjectus ,  ajouté).  L'adjectif, 
comme  son  nom  l'indique,  exprime  une  manière  d'être  du 
sujet  auquel  il  se  rapporte.  On  l'appelait  autrefois  nom  ad- 
jectif, et  r.\cadémie  le  définit  encore  :  un  nom  que  l'on  joint 
aux  substantifs  pour  en  modifier  l'idée.  Il  arrive  quelque- 
fois que  le  nom  substantif  joue  le  rôle  de  l'adjectif,  et  réci- 
|)roquement  l'adjectif  se  prend  souvent  comme  nom  sub- 
slanlif.  Cependant  l'adjectif  forme  évidemment  une  classe 
essentiellement  distincte  du  nom  ou  substantif;  car  le  nom 
désigne  des  idées  d'êtres  conçus  comme  existants  par  eux- 
mêmes  ,  et  l'adjectif  ne  désigne  qu'un  état  de  ces  êtres , 
(;'est-à-dire  une  abstraction.  Il  y  a  plusieurs  espèces  d'ad- 
jectifs :  nous  concevons  les  êtres  comme  possédant  telle  ou 
telle  qualité,  c'est  l'adjectif  9î/a/;;^Cfl^)/ (  que  Beauzée  ap- 
pelle physique)  ;  il  comprend  tous  les  adjectifs  proprement 
dits.  Nous  concevons  ensuite  les  êtres  comme  étant  un  ou 
plusieurs,  isolés  ou  réunis;  ce  sont  les  adjectifs  dctcrvAi- 
natifs ,  que  ^tàvaée  nomme  métaphysiques ,  parce  qu'ils 
expriment  certaines  vues  de  l'esprit,  et  que  M.  de  Sacy  ap- 
pelle circonstanciels,  parce  qu'ils  expriment  des  qualités  ex- 
térieures. Ils  comprennent  les  articles,  les  noms  de  nombre , 
les  pronoms  possessif,  démonstratif,  indéfini.  Une  qualité 
peut  être  portée  dans  une  substance  à  un  plus  haut  degré  que 
dans  une  autre  ou  que  dans  toutes  les  autres.  L'adjectif  qua- 
lificatif est  donc  susceptible  de  trois  degrés  de  comparaison, 
que  l'on  appelle  le  positif,  le  comparatif  et  le  superlatif. 
—  En  français  et  dans  plusieurs  langues ,  l'allemand  ,  l'es- 
pagnol ,  etc.  ,  l'adjectif  s'accorde  ordinairement  avec  son 
substantif.  Dans  quelques  autres,  au  contraire,  il  reste  inva- 
riable, comme  dans  l'anglais,  le  turc,  le  persan.  —  En 
français  l'adjectif  se  place  indifféremment  avant  ou  après  le 
substantif.  Il  y  a  cependant  des  cas  où  sa  place  est  néces- 
sairement déterminée  par  le  sens. 

ADJEM.  Ce  mot  arabe,  qui  signifie  étranger,  barbare, 
grossier,  sert  à  désigner  particulièrement  les  Persans ,  et  en 
général  tous  les  autres  peuples  de  la  terre ,  par  opposition 
aux  Arabes.  C'est  dans  le  même  sens  que  les  Juifs  appelaient 
les  autres  peuples  rjentils ,  ou  bien  qu'aux  yeux  des  Grecs 
toutes  les  autres  nations  du  monde  étaient  barbares.  Au 
premier  siècle  de  l'islamisme  ,  nous  voyons  les  conquérants 
arabes  donner  à  une  province  de  Perse,  l'ancienne  Médie, 
le  nom  à'Irak-Àdjem  ,  pour  la  distinguer  de  VJrak-Arabi , 
qui  répond  à  l'ancienne  Clialdée ,  et  qui  de  temps  immé- 
morial a  été  occupée  par  des  tribus  nomades,  originaires  de 
l'Arabie.  Depuis  la  conquête  de  Constantinople  par  Sélim  1", 
les  souverains  de  Constantinople,  chefs  de  la  dynastie  otho- 
mane,  ajoutent  à  leurs  titres  celui  de  sultan  cl-Arab  u 
cl-Adjem.  Dans  cette  qualification,  emplovée  par  la  chan- 
cellerie turque,  le  mot  Arab  désigne  les  musulmans  en  gé- 
néral, dont  la  religion  est  originaire  d'Arabie,  et  le  mot  Ad- 
jem  s'applique  aux  peuples  d'une  autre  religion  placés  sous 
leur  autorité.  —  Avant  la  réforme  introduite  en  Turquie 
l>ar  le  suitan  Mahmoud,  lorsipie  le  corps  des  janissaires  se 
•ecrutait  au  moyen  de  levées  faites  tous  les  trois  ou  quatre 


ans  parmi  les  enfants  des  rayas,  on  donnait  le  nom  d'a- 
gemi-orjlans  (enfants  d'étrangers)  à  ces  recrues,  qui  for- 
maient une  des  quatre  divisions  de  cette  nombreuse  milice. 

ADJOINT,  fonctionnaire  chargé  d'en  aider  un  autre 
ou  de  travailler  sous  ses  ordres.  L'adjoint  au  maire  est  un 
officier  municipal  institué  pour  remplacer  le  maire  en  eus 
d'absence  ou  d'empêchement  et  pour  remplir  les  fonctions 
que  celui-ci  juge  à  propos  de  lui  déléguer.  Aux  termes  de 
la  loi  du  5  mai  1855,  les  adjoints  sont  soumis  aux  mêmes 
conditions  que  les  maires  pour  leur  nomination.  Leurs 
fonctions  sont  également  gratuites.  Il  y  a  un  adjoint  dans 
les  communes  de  2,500  habitants  et  au-dessous,  deux  dans 
celles  de  2,501  à  10,000  habitants.  Dans  les  communes 
d'une  population  supérieure,  il  peut  être  nommé  un  ad- 
joint de  plus  par  chaque  excédant  de  20,000  habitants. 
Lorsque  la  mer  ou  quelque  autre  obstacle  rend  difficiles, 
dangereuses  ou  momentanément  impossibles  les  communi- 
cations entre  le  chef-lieu  et  une  fraction  de  commune,  un 
adjoint  spécial,  pris  parmi  les  habitants  de  cette  fraction, 
est  nommé  en  sus  du  nombre  ordinaire  :  cet  adjoint  spé- 
cial remplit  les  fonctions  d'officier  de  l'état  civil,  et  peut 
être  chargé  île  l'exécution  des  lois  et  règlements  de  police 
dans  cette  partie  de  la  commune.  Z. 

Les  adjoints  d'état-major,  créés  en  I79I,  pour  aider  les 
adjudants-généraux,  furent  pris  depuis  le  grade  de  sous-lieu- 
tenant jusqu'à  celui  de  colonel.  Ils  cessèrent  d'exister  en 
1818,  date  de  la  création  du  corps  d'état-raajor. 

ADJONCTION  (Droit).   Voyez  Accf^ion. 

ADJUD.WT  (du  latin  adjuvans,  de  ad,  auprès, /«- 
vare,  aider).  Il  existe  dans  l'armée  française  plusieurs  em- 
plois de  ce  nom  :  Vadjudant  sous-officier,  qui  transmet 
les  ordres  du  chef  aux  sous-officiers  du  bataillon  ou  do 
l'escadron.  L'ordonnance  de  1776  en  créa  un  par  régipnent, 
et  celle  de  1784  deux.  On  en  compte  aujourd'hui  un  par 
chaque  bataillon  d'infanterie,  et  un  pour  deux  escadrons 
de  cavalerie.  Les  titulaires  sontà  la  nomination  du  colonel. 
—  L'emploi  à^adjudant -major,  créé  en  1790,  pour  rem- 
placer les  aides  et  les  sous-aides-majors,  est  confié  à  un  of- 
ficier du  grade  de  capitaine  ou  de  lieutenant  :  il  transmet 
les  ordres  du  colonel  à  tous  les  capitaines,  ainsi  qu'aux  of- 
ficiers de  semaine,  et  surveille  la  police  et  la  disdpline  du 
régiment.  —  Les  adjudants  de  p/ace  surcédèrent,  en  1791, 
aux  aides  et  sous-aides-majors  de  place,  créés  en  1558  :  ils 
aident  le  major  de  place  dans  l'exercice  de  ses  fonctions, 
sont  chargés  de  la  police  de  la  place,  du  service  des  rondes 
oe  jour  et  de  nuit,  de  l'ouverture  et  de  la  fermeture  des  [)o^- 
les.  —  Le  grade  d'adjudant-général  fut  institué  en  1790, 
pour  aider  les  ofGciers  généraux  :  ils  étaient  spécialement 
thargés  des  reconnaissances  mihtaires,  de  la  direction  des 
travaux  topograpliique.',  des  mémoires  relatifs  aux  plansdes 
opérations  de  la  guerre  offensive  et  défensive;  de  la  trans- 
mission aux  différents  corps  des  ordros  verbaux  ou  par  écrit 
des  généraux,  du  mouvement  des  troupes,  de  l'assiette  des 
camps  et  du  logement,  etc.  Us  prirent  en  1800  la  dénomi- 
nation d'arfjurfan?  commandant,  quils  changèrent  en  1815 
pour  celle  de  colonel  d'état-raajor. 

Dans  lespalais  impériaux  il  y  a  des  adjudants  de  plusieurs 
classes,  chargés  de  la  surveiLance  intérieure  et  extérieure 
des  châteaux  et  jardins.  Sicard. 

ADJUDICATION,  ADJUDICATAIRE.  On  entend  par 
adjudication  un  marché  fait  aux  enchères  jiubliques  et 
avec  concurrence.  Les  adjudications  sont  volontaires ,  ou 
judiciaires,  ou  administratives. 

L^ljudication  volontaire  est  la  vente  que  fait  aux  enchè- 
res un  individu,  soit  de  ses  immeubles,  soit  de  .ses  meubles, 
sans  y  être  contraint  par  les  poursuites  de  ses  créanciers. 
Pour  les  immeubles ,  ces  sortes  de  ventes  ne  peuvent  se 
faire  que  devant  notaires;  mais  quant  aux  meubles,  aux 
récolles  ou  marchandises,  l'adjudication  peut  être  faite  {Mr 
les  huissiers,  les  commissaires-priseurs  et  les  courtiers  de 


ADJUDICATION  — 


conimeiTc;  et  cV'^l  une  question  tro^-tontroversc'^e  entre  ees 
diverses  corporations  que  de  savoir  quels  sont  les  objets 
qu'elles  ont  le  droit  de  vendre  exclusivement  ou  concur- 
renuneut,  la  législation  actuelle  n'ayant  rien  de  bien  précis 
sur  ce  point. 

L'adjudication /oraV  on  judiciaire ,  ainsi  que  le  mot 
l'indique,  est  celle  qui  a  lieu  par  suite  d'une  décision  de  la 
justice;  elle  a  lieu  dans  le  cas  d'expropriation  forcée ,  ou 
quand  il  s'agit  de  biens  appartenant  à  des  incapables,  tels  que 
les  mineurs,  les  absents,  les  interdits,  ou  dépendant  de 
successions  vacantes,  en  déshérence,  ou  de  faillites.  Elle  com- 
prend eJle-méme  deux  adjudications.  Tune  que  l'on  noiume 
préparatoire,  et  l'autre  qui  est  définitive.  L'adjudication 
préparatoire  a  pour  objet  principal  d'accorder  un  nouveau 
délai  au  débiteur,  et  d'appeler  l'attention  de  toutes  les  par- 
lies  intéressées  sur  la  véritable  valeur  de  l'inuneuble  ;  cette 
adjudication  transporte  cependant  à  l'adjudicataire  la  pro- 
priété, mais  sous  une  condition  résolutoire;  car  si  avant 
l'adjudication  définitive  le  débiteur  parvient  à  se  libérer,  ou 
si,  par  l'effet  de  cette  adjudication,  un  autre  adjudicataire 
est  désigné,  le  droit  résultant  de  l'adjudication  préparatoire 
est  à  l'instant  même  résolu. 

Les  adjudications  administratives  sont  celles  que  fait  l'ad- 
mini-aration  elle-même;  elles  ont  pour  objet  :  I°la  vente 
d'immeubles  appartenant  à  l'État,  aux  départements  et  aux. 
communes  ;  2°  les  ventes  de  coupes  de  bois  de  l'État  et  com- 
munaux ;  3''  les  ventes  d'objets  appartenant  au  domaine  de 
l'État  ;  4"  les  fournitures,  transports,  travaux  publics,  et  les 
travaux  des  communes  et  établissements  publics  ;  5"  les  ven- 
tes de  fruits  et  les  baux  de  fermage  et  de  loyer  des  pro- 
priétés communales.  On  reconnaît  trois  espèces  d'adjudica- 
tions administratives  :  l'une  aux  enchères ,  qui  se  fait  dans 
la  même  forme  que  les  adjudications  judiciaires  ;  l'autre 
au  rabais  et  à  l'extinction  des  feux  ;  la  troisième  par  soumis- 
sions. On  entend  par  soumissions  les  conditions  offertes  par 
les  entrepreneurs  qui  se  présentent  pour  être  adjudicataires 
des  travaux  et  fournitures  qui  font  l'objet  de  l'adjudication. 
Aux  termes  de  l'ordonnance  du  4  décembre  1S3G,  portant 
règlement  pour  les  marchés  à  passer  au  nom  de  l'État ,  le 
président  de  l'adjudication,  au  jour  et  à  l'heure  indiqués  par 
les  journaux  et  les  affiches,  procède  publiquement,  en  pré- 
sence des  concurrents,  et  prononce  immédiatement  sur  leur 
validité  ou  leur  acceptation.  La  concession  est  accordée 
ordinairement  à  celui  qui  fait  !e  plus  fort  rabais;  si  deux 
concurrents  offrent  les  mêmes  conditions,  un  nouveau  con- 
cours est  immédiatement  ouvert  entre  eux,  et  le  président  en 
dresse  procès-verbal.  Le  cahier  des  charges  doit  déterminer 
la  nature  et  l'importance  des  garanties  que  les  fournisseurs 
ou  entrepreneurs  auront  à  produire ,  soit  pour  être  admis 
aux  adjudications,  soit  pour  répondre  de  l'exécution  de  leurs 
engagements.  Lorsqu'un  maximum  de  prix  ou  un  minimum 
de  rabais  aura  été  arrêté  d'avance  par  le  fonctionnaire 
chargé  de  l'adjudication,  ce  maximum  ou  ce  minimum  devra 
être  déposé  cacheté  sur  le  bureau  à  l'ouverture  de  la  séance. 
C'est  ainsi  que  plusieurs  fois  ont  été  adjugés  les  emprunts 
et  les  chemins  de  fer. 

Pour  se  rendre  adjudicataire,  outre  la  capacité  civile, il 
faut  avoir  la  capacité  de  contracter ,  remplir  les  conditions 
de  solvabilité  et  posséder  les  connaissances  spéciales  que  le 
cahier  des  charges  exige  en  certains  cas.  î\'e  peuvent  se  rendre 
adjudicataires  :  1°  les  tuteurs,  des  biens  dont  ils  ont  la  tutelle  ; 
2"  les  mandataires,  des  biens  qu'ils  sont  chargés  de  vendre; 
3°  les  administrateurs,  des  biens  confiés  à  leur  surveillance; 
4°  les  magistrats  de  l'ordre  judiciaire,  des  biens  contentieux 
qui  s'a<ljugent  dans  l'étendue  de  leur  ressort;  5"  les  offi- 
ciers 1  ublics ,  des  biens  qui  s'adjugent  par  leur  ministère. 

ADJURATIOM  (en  latin  adjuratxo,  àényéiX'ndjurare, 
jurer,  prier  avec  instance),  action  de  sommer  quelqu'un  de 
déclarer  ou  de  faire  quelque  chose.  Dans  le  langage  de  la 
théologie  catholique,  c'est  le  nom  qu'on  donne  au  comnian- 


ADLERSPARRE  125 

dément  fait  au  démon  ,  de  la  part  de  Dieu ,  de  sortir  du 
corps  d'un  possédé  ou  de  déclarer  ([uelque  chose ,  ainsi  (ju'à 
la  fornnile  dont  l'Église  se  sert  dans  les  exorcismes.  L'adju- 
ration est  impérative  ou  déprécatoirc,  selon  que  l'on 
emploie  une  formule  de  commandement  ou  de  prière  ;  ex- 
presse ou  implicite,  suivant  qu'on  se  sert  du  nom  de  Dieu 
ou  qu'on  invoque  seulement  celui  de  quelqu'une  de  ses  œu- 
vres. Votiez  Exorcisme. 

ADJUVANTS,  nom  pharmaceutique  d'un  des  éléments 
accessoires  d'une  formule  plus  ou  moins  complexe,  dans 
laquelle  la  base  joue  le  rôle  principal.  Les  adjuvants  sont 
choisis  parmi  les  agents  jouissant  de  propriétés  analogues  à 
celles  de  cette  base  elle-même,  dont  ils  deviennent  les  auxi- 
liaires. En  cela ,  ils  diffèrent  des  correctifs ,  qui ,  au  con- 
traire ,  destinés  à  modifier  son  action  ,  appartiennent  habi- 
tuellement à  une  autre  catégorie.  Comme  pour  ces  derîiiers, 
on  peut  faire  entrer  un  ou  plusieurs  adjuvants  dans  une 
préparation.  Souvent  ce  qu'on  apiielle  Vexcipicpt  ou  le 
véhicule  est  adjuvant  lui-n»ême.  Certaines  eaux  distillées  , 
la  plupart  des  sirops,  quelques  extraits  végétaux,  etc., 
sont  de  préférence  affectés  à  cet  usage.  Ajoutons ,  toute- 
fois ,  que  tel  médicament  employé  comme  adjuvant  dans 
un  cas  sert  de  base  dans  toute  autre  circonstance. 

iVDLERSPARRE  (  Georges,  comte  d'  ),  l'un  des  prin- 
cipaux auteurs  de   la   révolution  qui  précipita  du  trône 
le  roi  de  Suède  Gustave  IV,  naquit  dans  la  province  de 
Ja-mtland,  en  1760.  Il  servit  en  1778  dans  la  guerre  contre 
la  Russie,  fut  ensuite  envoyé  par  Gustave  III  en  Norvège, 
pour  entraîner  le  peuple  à  se  révolter  contre  les  Danois  ; 
mais  il  échoua  dans  cette  tentative.   Après  la  mort  de   ce 
prince,  Adlersparre  se  retira  du  service,  et  se  voua  exclusive- 
ment à  la  culture  des  lettres  pendant  plusieurs  années.  De 
1797  à  1800  il  publia  un  journal  politique  et  littéraire,  dont 
le   succès  chagrina  le  gouvernement.  Rappelé  au  service 
dans  la  guerre  contre  le  Danemark,  il  obtint  le  grade  de  lieu- 
tenant-colonel. Quelque  temps  après  il  entra  dans  la  cons- 
phation  qui  se  forma  contre  Gustave  I V,  et  le  premier 
il  conduisit  les  troupes  révoltées  sur  Stockholm.  Le  faible 
et  irrésolu   Gustave  contribua   par  son   inaction    à  faire 
réussir  le  projet  des  conjurés.  Il  tomba  au  pouvoir  du  gé- 
néral Adlercreutz  ;  et  lorsque  Adlersparre  entra  à  Stockholm, 
la  révolution  était  consommée.  Le  duc  de  Sudermanie  fut 
élu  roi ,  et  les  grâces  et  les  faveurs  plurent  dès   lors   sur 
Adlersparre.  Il  fut  coup  sur  coup  nommé  conseiller  d'État, 
colonel,  adjudant  général,  connuandeurde  l'ordre  du  Glaive, 
et  enfin  créé  baron.  En  même  temps  ce  fut  à  lui  qu'échut 
la    mission  d'aller  annoncer  au  prince  Christian-Auguste 
de  Schleswig-Holstein-Augustenbourg  que  la  diète  l'avait 
choisi  pour  héritier  du  trône.  Il  lut  en  outre  appelé  au  com- 
mandement en  chef  de  l'armée.  IMalgré  toutes  les  distinc- 
tions dont  il   avait  été  comblé ,  Adlersparre  était  mécon- 
tent, vraisemblablement  parce  que  son  influence  n'était  pas 
aussi  grande  qu'il  l'avait  espéré  ;  et  quand ,  après  la  mort 
si  subite  du  prince  royal ,  cette  influence  se  trouva  encore 
amoindrie,  il  sortit  du  conseil  d'État  pour  se   retirer  au 
fond  d'une  province  éloignée,  comme  gouverneur  militaire 
du  bailliage  de  Skaraborg.  Le  roi  continua  cependant  à  l'ac- 
cabler de  grâces  et  de  distinctions  de  tout  genre.  En  18 11  il 
fut  créé  grand'croix  de  l'ordre  du  Glaive  et  élevé  à  la  di- 
gnité de  comte  ;  en  1817  il  fut  nommé  sénateur  du  royaume, 
et  à  peu  de  temps  de  là  chevalier  de  l'ordre  des  Séraphins, 
avec  le  titre  d'Excellence.  Comme  administrateur,  il  mérita 
la  reconnaissance  de  la  province  confiée  à  ses  soms  ;  mais 
l)liis  tard  il  renonça  également  à  ces  fonctions.   Un  livre 
qu'il  publia  sous  le  titre  de  Documents  officiels  pour  servir 
ù  l'histoire  ancienne,  moderne  et  récente  de  la  Suède,  lui 
valut  en  1831  un  procès  de  presse.  Condamné  pour  ce  fait 
à  une  amende,  il  s'acquitta  vis-à-vis  du  fisc ,  et,  après  avoir 
publiquement  déclaré  que  le  jugement  qui  l'avait  frappé 
était  moralement  injuste ,   il  conlinna  sa  publication,  il 


126 


ALERSPARRE 


incurul  le  23  septembre  1835,  dans  sa  terre  de  Gustafsrik, 
Iirovince  lie  Wcrmland. —  L'aîné  de  ses  (ils,  C/iarles-Au- 
gusle,  s'est  fait  avantageusement  connaître  comme  poète. 

AD  LIBITUM  V  mots  latins  qui  signifient  à  volonté. 
En  musique,  on  les  emploie  indifféremment  avec  les  mots 
italiens  a  piacere,  qui  ont  le  mCmc  sens,  pour  désigner  les 
passages  d'im  solo  qui  exigent  ou  permettent  une  exécution 
])lus  libre,  et  relativement  à  la  mesure,  et  relativement  aux 
orn'/ments  dont  l'exécution  i)eut  (^tre  susceptible.  Le  com- 
positeur laisse  alors  au  goût  et  au  tact  de  l'exécutant  à  juger 
jusqu'à  quel  point  il  peut  donner  carrière  aux  inspirations 
de  son  imagination.  —  Dans  les  partitions  et  sur  les  titres 
d'œuvres  musicales,  les  mots  ad  libitum  sont  très-souvent 
employés  pour  désigner  une  partie  qui  n'est  pas  essentielle- 
ment nécessaire  au  tout,  et  qu'on  peut  supprimer.  Ceci  ne 
s'appi  que  d'ailleurs  jamais  qu'à  des  voix  ou  à  des  instru- 
ments servant  à  compléter  l'harmonie.  Par  exemple,  corno 
ad  libitum,  violoncello  ad  libitum. 

ADMÈTE,  roi  de  Phères,  en  Tliessalie ,  et  parent  de 
Jason,  fut  un  des  Argonautes  et  un  des  chasseurs  du  san- 
glier de  Calydon.  Apollon,  chassé  du  ciel,  se  mit  au  service 
de  ce  prince,  et  garda  ses  troupeaux.  Par  reconnaissance 
Apollon  devint  son  dieu  tutélaire.  Admète  ayant  demandé 
la  main  d'Alceste  à  Pélias,  celui-ci  s'engagea  à  la  lui  don- 
ner s'il  réussissait  à  atteler  un  lion  et  un  sanglier  à  un  char  : 
secondé  par  Apollon,  il  y  réussit;  mais  ayant  oublié  Diane 
dans  le  sacrifice  qu'il  offrit  aux  dieux  à  l'occasion  de  son 
mariage,  la  déesse  lui  envoya  une  énorme  quantité  de  ser- 
pents dans  la  chambre  nuptiale.  Apollon  vint  encore  à  son 
aide,  et  le  réconcilia  avec  Diane.  Admète  étant  tombé  ma- 
lade, les  Parques  consentirent  à  prolonger  le  fil  de  ses  jours 
si  quelqu'un  des  siens  consentait  à  mourir  pour  lui.  Ce  fut 
Alceste  qui  accomplit  ce  sacrifice. 

ADMIXiSTRATIOIV.  C'est  la  gestion  des  affaires  d'un 
particulier  ou  d'une  communauté  :  au  sens  le  plus  général. 
ce  mot  signifie  la  gestion  des  afiaires  de  l'État. 

Suivant  les  uns,  «  l'administration  est  l'action  vitale  du 
gouvernement;  le  gouvernement  est  la  tôle  de  la  société, 
Padministration  en  est  le  bras.  C'est  môme  le  véritable  gou- 
Ternement,  moins  la  confection  des  lois  et  l'action  de  la  jus- 
tice. »  Suivant  les  autres,  «  l'administration  est  la  plaie  (lu 
pays,  sept  fois  plus  ruineuse  et  dévastatrice  que  les  sept 
plaies  d'Egypte.  Sans  parler  des  insolences  de  la  bureau- 
cratie, l'administration  en  France  n'existe  que  par  l'ar- 
bitraire et  ne  vit  que  de  monopole.  Elle  coûte  à  la  France 
plusieurs  milliards  qui  servent  à  perpétuer  et  à  faire  pul- 
luler la  race  innombrable  et  inutile  des  fonctionnaires 
publics.  L'administration  est  l'ennemie  irréconciliable  de  la 
liberté.  Napoléon,  qui  l'a  créée,  l'a  faite  pour  son  despo- 
tisme. »  Une  administration  est  pourtant  chose  nécessaire 
pour  une  nation  ;  sa  force  doit  faire  la  force  du  pays.  Jlais 
elle  doit  être  non-seulement  contrôlée,  elle  doit  être  juste, 
impartiale  ,  serviable  ,  toute  à  tous.  La  centralisation,  qui 
augmente  la  force  de  l'État  par  la  concentration  du  pouvoir, 
peut  aussi  servir  à  exagérer  cette  force  centrale; elle  peut 
grossir  la  tête  au  détriment  des  membres.  «  Nous  avons  , 
dit  M.  Ed.  Laboulaye,  la  triste  expérience  des  révolu- 
tions ;  le  premier  jour  tout  semble  perdu ,  le  chef  de 
l'État  renversé,  les  ministres  en  fuite,  l'autorité  ab- 
sente; dès  le  lendemain  tout  est  prêt  à  fonctionner  comme 
devant:  le  nouveau  commandement  va,  comme  l'ancien, 
de  Paris  aux  frontières;  le  pays,  un  moment  ébranlé, 
se  rasseoit,  l'ordre  matériel  se  rétablit  comme  par  miracle, 
reste  seulement  le  désordre  moral.  Quel  est  cet  élément 
d'ordre,  que  rien  n'atteint  et  (jui  sauve  périodiquement 
la  France?  C'est  l'administration.  Bien  des  gens  lui  ont 
fait  un  reproche  de  son-  mérite  môme,  et  on  lui  a  su 
mauvais  gré  de  cette  facilité  de  gouvernement  qu'elle  offre 
à  tous  les  pouvoirs.  De  ce  qu'elle  n'est  pas  une  garantie 
de  liberté,  on  en  a  fait  un  instrument  do  despotisme  ;  on 


ADMINISTRATION 

n'a  pas  voulu  voir  qu'elle  est  au  dedans  ce  qiio  l'armée  est 
au  dehors,  non  pas  la  tète,  mais  le  bras  de  la  l'rance;  une 
force  et  non  pas  une  volonté.  Combien  il  eût  été  plus  juste 
de  reconnaître  que  c'est  grùce  à  celte  puissante  organisa- 
tion que  nous  avons  pu  traverser  deux  invasions  et  des  ré- 
volutions qu'on  ne  compte  plus,  nous  relevant  de  ces  rudes 
épreuves  avec  une  vivacité  qui  a  toujours  surpris  l'étran- 
ger... D'où  vient  cet  in.strument  magique?  qui  a  fondé  cette 
cent ralisa tion  qui  fait  la  force  de  la  France  au  dehors 
|)lus  encore  qu'au  dedans?  D'ordinaiie,  c'est  au  premier 
consul  qu'on  fait  remonler  la  pensée  de  l'institution  ;  c'est 
lui,  dit-on,  quia  créé  l'administration  française.  C'est  là 
une  idée  fausse  par  son  exagération...  S'il  eût  improvisé 
l'administration  française,  il  est  probable  qu'elle  ne  lui  eût 
pas  survécu  ;  elle  a  duré  parce  qu'elle  est  l'œuvre  des  siècles, 
et  qu'il  n'est  pas  un  de  nos  services  pubfics  qui  ne  date  de 
la  monarchie.  Ce  que  fit  Bonaparte,  avec  la  sagacité  d'un 
homme  d'État  qui  sait  le  danger  des  inventions  politiques, 
ce  fut  de  relever  l'administration  ancienne,  laissant  à  terre, 
parmi  la  poudre  et  les  débris,  ce  reste  de  féodalité  qui  en- 
travait à  chaque  pas  le  gouvernement  de  nos  rois  et  les 
empêchait  d'achever  cette  unité  qui  fut  toujours  dans  le 
vœu  de  la  France.  Tous  les  privilèges  de  naissance,  de 
classe,  de  provinces,  supprimés  par  la  Constituante ,  aux 
applaudissements  du  pays,  restaient  à  tout  jamais  effacés  ; 
mais  la  justice,  mais  l'impôt,  mais  la  police,  mais  la  comp- 
tabilité, mais  les  rapports  de  l'Église  et  de  l'État,  en  un 
mot  l'administration  tout  entière  fut  empruntée  à  l'ancienne 
monarchie  et  perfectionnée  par  le  génie  du  premier  consul... 
Il  est  aisé  de  comprendre  pourquoi  la  maison  de  Bourbon 
s'accommoda  de  l'organisation  impériale  :  c'était  son  œu- 
vre améliorée.  Quant  à  la  monarchie  de  juillet,  elle  livra 
l'administration  à  la  tribune  et  à  la  presse;  mais  le  grand 
jour  de  la  discussion  en  dissipant  les  préjugés,  fortifia  les 
services  publics,  en  montrant  combien  celte  admini.stration 
si  décriée  était  la  chose  et  l'intérêt  de  tous.  Aussi  en  I84â 
ne  fut-elle  pas  sérieusement  attaquée;  personne  ne  dis- 
|)uta  au  gouvernement  la  diplomatie,  l'armée,  la  marine, 
les  cultes,  la  police,  l'administration  supérieure;  tout  ce 
qu'on  attaqua,  et  avec  raison,  ce  fut  l'exagération  du  prin- 
cipe de  la  centralisation;  mais  le  principe  même  sortit  vic- 
torieux delà  discussion,  car  sous  un  autre  nom  c'est  l'unité 
delà  France.  »  Le  gouveruemcnlqui  a  succédé  à  la  républi- 
que a  commencé  des  essais  de  décentralisation  en  augmentant 
le  pouvoir  des  autorités  locales. 

Sous  la  domination  romaine,  notre  pays  jouissait  d'une 
administration  très-développée.  Les  invasions  des  bar- 
bares ne  laissèrent  subsister  que  peu  de  chose  de  cette  ad- 
ministration romaine.  En  vain  les  quelques  princes  remar- 
quables que  produisit  la  race  de  Mérovée  voulurent  remé- 
dier à  ce  chaos.  Charlemagne  voulant  doter  l'empire  qu'il 
avait  formé  d'une  administration  régulière  et  générale,  ins- 
titua les  missi  dominicï  ;  mais  cet  essai  de  gouvernement 
central  ne  put  résister  aux  tendances  de  morcellement 
qu'on  voyait  éclater  partout.  Laféodalité  réduisit  alors 
l'administration  aux  proportions  des  fiefs.  Enfin,  grâce  aux 
progrès  de  l'autorité  royale,  l'administration  se  créa  insen- 
siblement. A  l'époque  de  saint  Louis  la  France  était  encore 
divisée  en  pays  d'obéissance  le  roy  et  pays  hors  Vobéls- 
sance  le  roy.  Cependant  le  pouvoir  royal  empiétait  chaque 
jour  sur  les  fiefs  indépendants  en  multipliant  les  cas  royaux, 
où  un  procès  pouvait  être  porté  en  la  cour  du  roi.  Phi- 
lippe-Auguste divisa  les  pays  de  son  obéissance  en  soixante- 
dix-huit  prévôtés,  dont  les  chefs  étaient  placés  sous  la 
surveillance  des  baillis  ou  sénéchaux  et  sous  le  contrôle 
des  prud'hommes,  conseillers  municipaux;  enfin  l'institu- 
tion des  missi  dominici  de  Charlemagne  fut  renouvelée, 
et  des  enquestcurs  parcoururent  les  provinces  au  nom  du 
souverain.  Sous  Philippe  le  Bel,  nous  voyons  aulour  du  roi 
le  grand  conseil,  qui  élisait  les  sénéchaux,  les  baillis,  les 


ADMINISTRATION  —  ADMIRAL 


127 


jusi":?,  lo^  panios  dos  foires  do  Clinmpn;;i)(>,  1rs  j;ardc.s  des 
eaux  l't  forêts;  c'était  le  centre  do  riiii|mlsion  souveme- 
nientalo.  Aii-des:^oiis  du  prand  conseil  se  trouvaille  par- 
le moi t .  principalement  cliarS'' des  fonctions  judiciaires  ; 
pour  les  finances,  Uchnmhre  des  coin  p  tes ,  trilninal 
à  la  fois  administratif  et  judiciaire,  qui  vériliait  les  recettes, 
contriMait  les  dépenses,  examinait  la  conduite  ilc  tous  les 
{^ens  de  linance  et  procédait  contre  eux  s'il  y  avait  lieu. 
Peu  à  peu  l'administration  se  réi^ularisa.  Aprc's  la  bataille 
de  Poitiers,  la  cour  des  aides  fut  créée  aux  dépens  de  la 
cour  des  comptes,  pour  les  aides,  tailles  et  gabelles  et  autres 
droits  de  subsi<Ies  (]ui  se  levaient  par  autorité  du  roi. 

En  1789  on  trouvait  le  conseil  d'Élat  dît  roi,  ou  ^e 
traitaient  les  affiiires  jiénérales,  la  paiv,  la  f;uerre,  etc.;  le 
conseil  des  dépêches  ;  où  se  traitaient  les  all'aires  des  pro- 
vinces; le  conseil  royal  des  finances,  qui  connaissait  géné- 
ralement de  tout  ce  qui  avait  rapport  aux  revenus  et  aux 
dé|)enses  du  roi  ;  le  conseil  royal  de  commerce;  le  conseil 
d'État  privé  0»  des  parties;  Ui  grande  chancellerie  de 
France.  La  justice  pour  les  affaires  ordinaires  était  admi- 
nistrée par  des  IrWnmaiw  in  férieurs,  moyens  on  supérieurs . 
Les  premiers  étaient  les  chdlellenies,  prévôtés,  vigîie.ries,et 
autres  juridictions  royales  et  seigneuriales,  qui  ressortissaient 
par  appel  aux  bailliages  ou  sénéchaussées,  et  de  là  aux  pré- 
sidiaux,  formant  lesjuslices  moyennes  ou  infermédiaiies.  Les 
présidiaux  jugeaient  définitivement  et  sans  appel  détentes 
matières  civiles  qui  <î  l'cstimalion  n'excédaient  pas  deux  mille 
livres.  Les  affaires  d'une  plus  grande  importance  pouvaient 
se  porter  aux  parlements  ou  conseils  souverains  et  autres 
tribunauxsnpérieurs  établis  pour  les  juger  en  dernier  ressort. 
Outre  ces  divers  tribunaux  de  justice,  il  y  en  avait  encore 
en  France  deux  autres,  dont  la  juridiction,  unique  dans 
le  royaume,  n'était  pas  bornée,  comme  celle  des  premiers,  à 
ime  étendue  particulière  du  territoire  :  c'étaient  le  grand 
conseil,  sorte  de  cour  suprême,  et  la  prévôté  de  l'hôtel  du  roi 
qui  jugeait  en  dernier  ressort  de  toutes  actions  criminelles 
et  de  police  qui  pouvaient  concerner  des  personnes  de  la  cour. 

Pour  faciliter  la  perception  des  impôts  on  avait  divisé  le 
royaume  en  im  certain  nombre  A'' intendances  ou  générali- 
tés. En  1789  on  en  comptait  trente-deux,  la  plupart  en  pays 
d'élection,  quelques  autres  en  pays  d'états  ou  provinces 
ayant  conservé  le  privilège  de  répartir  elles-mêmes  les 
contributions  qu'elles  devaient  fournir  pour  soutenir  les 
charges  de  l'État.  Il  y  avait  dans  la  plupart  des  généralités 
un  bureau  de  finance  ou  tribunal  des  ^r^soner^cfe  France 
et  (]efi  receveurs  généraux  des  finances,  qui  faisaient  alter- 
nativement le  service  d'une  année. 

A  celte  machine  si  compliquée,  la  révolution  substi- 
tua une  organisation  plus  simple,  basée  sur  l'unité  de  la 
nation,  qu'elle  parvint  à  établir,  organisation  qui  a  survécu 
à  tous  les  changements  de  gouvernement.  On  peut  dire  en 
effet  que  si  le  gouvernement  a  changé  vingt  fois  en  France 
depuis  1791,  l'administration  est  à  peu  près  restée  immua- 
lile.  La  France,  divisée  administrativement  en  départements, 
arrondissements  et  communes,  eut  toujours  à  la  tète  de 
chacnne  de  ces  divisions  un  fonctionnaire  qui  représente  le 
pouvoir  central ,  avec  lequel  il  est  en  communication  cons- 
tante. Choisi  d'abord  par  l'éleclion,  ce  fonctionnaire  devint 
l)ientot  l'homme  du  pouvoir  central  ;  pour  tempérer  cette 
sorte  d'intromission  de  l'autorité  dans  les  affaires  locales, 
on  organisa  auprès  de  chacun  des  fonctionnaires  dont  nous 
venons  de  parler  des  conseils,  d'abord  au  choix  du  chef  de 
l'État,  puis  élus  par  certains  éleveurs  et  par  tous  maintenant. 
Ces  conseijs  eurent  des  pouvoirs  plus  ou  moins  étendus,  plus 
ou  moins  consultatifs  ;  mais  jamais  fadministralion  cen- 
trale ne  se  départit  du  droit  de  contrôler,  de  dissoudre,  de 
réviser.  Cependant,  pour  éviter  tout  arbitraire,  un  conseil 
♦l'État  fut  institué  près  du  gouvernement  pour  juger  ad- 
ministrativement les  actes  des  fonctionnaires  de  tous  rangs. 
A  la  têle  du  gouvernement,  et  par  conséquent  de  l'adminis- 


tration ,  se  trouvent  des  ministres.  Chargés  du  pouvoir  exé- 
cutif, ils  veillent  à  l'exécution  des  lois,  en  même  temps 
qu'ils  administrent  l'Etat  chacun  dans  la  partie  qui  est  de 
son  ressort.  Tous  communiquent  directement  avec  les  pié- 
fets,  placés  spécialement  sous  le  pouvoir  du  ministre  de 
l'intérieur,  et  en  même  temps  ils  font  mouvoir  fous  les  roua- 
ges de  l'administration  spéciale  dont  ils  ont  la  direction. Une 
cour  des  comptes  examine  la  gestion  financière  des  em- 
ployés de  toutes  les  administrations. 

L'Assemblée  constituante  prit  soin  de  séparer  les  fonc- 
tions judiciaires  des  fonctions  ailminislralivcs,  et  décida 
(pie  les  juges  ne  pourraient,  à  peine  de  forfaiture,  troubltr 
les  opérations  des  corps  administratifs  ni  citer  devant  eux 
les  administrateurs  pour  raison  de  leurs  fonctions.  Rien  de 
[ilus  sage  lorsqu'il  s'agit  des  règlements  généraux  et  de 
l'aclion  du  gouvernement;  mais  en  est-il  de  même  lorsqu'un 
particulier  se  croit  lésé  par  quelque  acte  d'administration  ; 
et  n'est-il  passurprenant  qu'on  ne  puisse  en  obtenir  le  redres- 
sement que  devant  l'autorité  admini:.trativc?  Et  en  admet- 
tant pour  les  affaires  contcntieuses  un  tribunal  adminis- 
tratif spécial,  ne  serait-on  pas  en  droit  de  demander  pour 
lui  les  garanties  d'indépendance  les  plus  fortes  vis-à-vis  de 
l'administration  proprement  dite?  Z, 

ADMIIVISTRATIOIV  MILITAIRE.  On  adonné  ce 
nom  à  l'organisation  spéciale  qui  pourvoit  à  l'entretien  du 
personnel  et  du  matériel  d'une  arnw'e.  L'administration 
militaire  est  chargée  du  service  des  fonds,  de  ceux  de  la 
solde,  des  subsistances,  du  chauffage,  de  l'habillement,  du 
campement,  des  remontes,  du  logement,  des  marchés, 
des  frais  de  recrutement,  des  prisons  militaires,  des  frais 
de  justice  militaire,  des  liôpifaux  militaires,  des  dépenses 
du  matériel  de  l'artillerie  et  du  génie,  et  de  celles  de  la 
direction  générale  des  poudres  et  salpêtres.  Chaque  année 
l'administration  établit  le  budget  pour  l'année  suivante.  Le 
ministre  de  la  guerre,  ayant  obtenu  le  crédit  législatif,  ouvre 
des  crédits  ministériels  qu'il  met  à  la  disposition  des  in- 
tendants militaires  pour  subvenir  aux  besoins  de  l'ar- 
mée. Il  ordonnance  par  des  ordres  nommés  ordonnances 
de  payement  ;  les  intendants  ordonnancent  par  des  ordres 
nommés  mandat  de  payement;  un  payeur  dans  chaque 
département  est  chargé  de  solder  tous  les  services.  —  Les 
détails  de  l'administration  des  corps  sont  confiés  à  un  con- 
seil spécial.  Ce  conseil  dirige  l'emploi  des  fonds  destinés 
à  la  solde  et  à  l'entretien  de  la  troupe  ;  il  procure  aux  mi- 
litaires du  corps  la  perception  des  prestations  de  toute  es- 
pèce qui  leur  sont  dues;  peut  passer,  avec  l'autorisation  du 
ministre,  des  marchés  pour  l'achat  des  effets  principaux  et 
accessoires  d'habillement,  de  grand  et  petit  équipement, 
des  abonnements  pour  les  réparations  ou  dépenses  au  compte 
des  masses  d'entretien  ;  règle  et  autorise  les  dépenses  éven- 
tuelles, et  doit  justifier  de  l'emploi  des  matières  et  denrées 
fournies  par  l'État.  Dans  les  régiments  une  commission  de 
trois  capitaines  est  chargée  de  passer  des  marchés  pour  l'a- 
chat des  effets  de  linge  et  de  chaussure;  elle  subit  le  con- 
trôle du  conseil  d'administration.  —  Les  registres  de  l'ad- 
miiiislration  générale  des  corps  et  de  la  gestion  des  deniers 
sont  tenus  par  le  trésorier;  les  registres  de  la  gestion  des 
matières,  par  l'officier  d'habillement;  ceux  relatifs  aux  ré- 
parations d'armes,  par  l'officier  d'armement.  —  Les  regis- 
tres des  compagnies,  des  escadrons  et  des  batteries  sont 
tenus  par  les  sergents-majors  oumaréci»aux-des-logis  chefs, 
sous  la  surveillance  immédiate  et  continuelle  des  capitaines. 
Toutes  les  opérations  administratives  des  corps  ainsi  que 
celles  des  entrepreneurs  et  des  fournisseurs  sont  soumises 
au  contr.'ile  de  l'intendance.  Les  membres  de  ce  corps  sont 
chargés  de  la  vérification  des  revues  de  liquidation,  des  états, 
des  bordereaux  et  des  comptes,  qu'ils  adressent  chaque  tri- 
mestre, avec  les  pièces  à  l'appui,  au  ministère  de  la  guerre. 
ADMÈUAL  (Henri  t.'),  né  à  Auzelot  (Puy-dcDôme), 
en  174''»,  tenta,  dans  la  nuit  du  22  mai  1704  (22  prairial 


128 


ADMIRÂL  —  ADONIS 


an  II),  d'assassiner  Collot-d'IIorbois  en  tirant  sur  lui  deux 
coups  de  pistolet,  qui  ne  l'atteignirent  pas.  l'rescju'a»  môme 
moment,  on  avait  arrêté,  au  domicile  de  Robespierre,  une 
jeune  fille  de  vingt  ans,  Cécile  Henauld,  qui  s'était  présen- 
tée chez  lui  pourvoir,  disait-elle,  comment  était  fait  un  tyran. 
On  eut  soin  de  présenter  cette  coïncidence  comme  le  résultat 
d'une  conspiration  dirigée  contre  la  république  et  les  repré- 
sentants du  peuple  par  les  agents  de  l'itt  et  de  Cobourg.  Kn 
vain  L'Admirai  aflirma  qu'il  n'avait  pas  de  complices;  cin- 
quante-deux victimes  périrent  en  même  temps  que  lui  et  la 
fille  Renauld,  comme  fauteurs  de  la  prétendue  conspiration. 
Dans  ce  nombre,  on  remarqua  un  Roban,  un  Montmorency, 
deux  ou  trois  Sombreuil,  ]M.  de  Sartines,  madame  de 
Sainte-Amarantbe,  celle  que  dans  les  salons  on  appelait, 
queUpies  années  auparavant ,  la  belle  madame  de  Sainte- 
Amaranthe,  et  madame  d  1-lprémesnil,  tous  étrangers  les  uns 
aux  autres.  A  la  lecture  de  l'acte  d'accusation ,  faite  devant 
le  tribunal  révolutionnaire  par  le  greffier,  et  où  tous  ces 
malheureux  étaient  accusés  de  complicité  dans  la  cause, 
L'Admirai,  s'adressant  à  Fouquier-Tinville,  l'accusateur  pu- 
blic ,  s'écria  :  «  Est-ce  que  vous  avez  le  diable  au  corps 
d'accuser  tout  ce  monde-là  d'être  mes  complices?  Je  ne  les 
ai  jamais  vus!  »  11  mounit  avec  courage,  après  avoir  vu 
exécuter  avant  lui  ses  prétendus  cinquante-deux  compli- 
ces. Ce  supplice,  plus  cruel  cent  fois  que  la  mort,  avait  duré 
trente-buit  minutes.  Ancien  domestique  du  ministre  Berlin, 
puis  homme  de  peine  dans  les  bureaux  de  la  loterie,  la  ré- 
volution avait  enlevé  à  L'Admirai  ses  ressources  et  sesmoyens 
d'existence,  et  lui  avait  inspiré  un  ■n if  ressentiment  contre 
les  hommes  qui,  comme  Robespierre  et  Coliot-d'Herbois, 
pouvaient  à  bon  droit  passer  pour  les  principaux  auteurs 
des  maux  que  la  France  souffrait  alors.  11  parait,  au  reste, 
qu'il  avait  longtemps  hésite  dans  le  choix  de  sa  victime,  et 
que  la  difficulté  de  pan-enii  jusqu'au  premier  l'engagea  à 
donner  la  préférence  au  second. 

ADMOXITIOX  (du  latin  admonitio,  avertissement). 
En  matière  ecclésiastique  ,  admonition  est  le  synonyme  de 
vionition,  avertissement  juridique  donné,  en  certains  cas, 
en  verîu  de  l'autorité  épiscopale,  avant  que  l'on  procède  à 
l'excommunication.  —  Dans  l'ancien  droit  français ,  Vad- 
monition  était  une  peine  qui  consistait  à  recevoir  debout, 
derrière  le  barreau,  en  présence  du  tribunal  assemblé,  mais 
à  huis  clos ,  un  avertissement ,  de  la  part  du  président ,  de 
ne  plus  commettre  le  délit  ou  la  faute  dont  on  venait  d'être 
déclaré  coupable,  et  d'agir  à  l'avenir  avec  plus  de  circons- 
pection. Ce  genre  de  punition  ,  moins  sévère  que  le  blâme, 
n'entraînait  pas  d'idée  flétrissante. 

ADOLESCEXCE  (du  latin  adolescere,  croître),  pé- 
riode de  la  vie  humaine  comprise  entre  l'enfance  et  l'âge 
adulte  ,  c'est-à-dire  entre  l'époque  où  se  manifestent  les  pre- 
miers signes  de  la  puberté  et  celle  où  le  corps  a  acquis  en 
hauteur  tout  son  développement ,  commençant  par  consé- 
quent, dans  nos  climats  tempérés,  à  onze  ou  douze  ans  chez 
les  jeunes  filles,  à  quatorze  ou  quinze  ans  chez  les  jeunes 
garçons,  et  se  terminant  vers  la  vingt  et  unième  année  en- 
viron chez  celles-là,  et  vers  la  vingt-cinquième  chez  ceux-ci. 
C'est  ordinairement  pendant  le  cours  de  cette  période  que  la 
constitution  de  l'individu  se  perfectionne  ou  se  détériore 
pour  toujours  :  aussi  doit-elle  attirer  toute  l'attention  du 
médecin.  Le  grand  air,  les  distractions  fréquentes,  les  bains, 
l'abstinence  ou  l'usage  très-modéré  des  boissons  spiri tueuses , 
«ne  nourriture  substantielle  et  en  même  temps  de  facile  di- 
gestion, constituent  le  régime  le  [dus  salutaire  à  l'adolescence. 

ADOLPHE-FRÉDÉRIC,  duc  de  Holstein-Eutin , 
puis  roi  de  Suède,  né  en  1710,  mort  en  1771.  Il  fut  d'abord, 
depuis  1727,  prince-évêque  de  Lubeck  ;  ensuite,  à  partir 
de  1739,  adn>inisirateur  du  durhé  de  Holstein-Gotlorp.  — 
En  1741,  lorsi|iii^ni"t'<;  la  mort  d'tllriqne-Éiéonore,  renie  de 
Suède,  le  mari  de  cette  princesse,  Frédéric  de  Hesse-Cassel , 
eut  pris  les  rênes  du  gouvernement,  la  dièle  dut  choisir 


un  nouveau  successeur  au  trAne,  parce  que  les  deux  époux 
n'avaient  pas  d'enfants.  Les  partis  ne  manquèrent  pas  de  s'a- 
giter; mais  l'influence  de  la  maison  impériale  de  Russie, 
à  laquelle  le  duc  de  Holstein  était  allié,  fit  porter  sur  lui  les 
sufl'rages.  Adolphe-Frédéric  fut  donc  unanimement  reconnu 
pour  successeur  au  trône  de  Suède ,  lui  et  sa  descendance 
mâle,  le  3  juillet  1743  ;  et  en  1751  il  reçut  la  couronne.  11  fit 
fleurir  les  arts  et  les  lettres;  mais,  prince  faible,  il  ne  sut 
pas  maintenir  l'autorité  royale.  C'est  en  effet  sous  son  règne 
que  se  formèrent  les  fameuses  factions  des  chapeaux  et 
des  bonnets.  Son  fils  Gustave  !H  lui  succéda. 

ADOLPHE  DE  NASSAU.  Voyez  Xassac. 

ADOXAI,  c'est-à-dire  Seigneur,  forme  du  pluriel  en  hé 
brcu,  donnant  plus  de  force  à  la  signification  du  mot  pri- 
mitif, et  qui  s'emploie  exclusivement  en  parlant  de  Dieu, 
l'our  ne  pas  prononcer  le  nom  de  Dieu  (  Jchovah  ),  les  Juifs 
lisent,  partout  où  il  se  rencontre,  Adonai. 

ADOXIDE.  Genre  de  la  polyandrie  polygynie  de  Linné, 
et  de  la  famille  des  renonculacéesde  Jussieu.  Cette  plante  est 
peu  recherchée  par  les  amateurs.  Cependant  la  délicatesse  de 
ses  fetilles,  l'élégance,  lavivacité  et  l'éclat  de  ses  fleurs,  d'un 
rouge  cramoisi,  lui  assignent  une  place  dans  les  parterres. 
L'espèce  la  plus  commune  brille  au  milieu  des  céréales  avec 
ses  variétés,  pendant  les  beaux  jours  de  l'été  et  jusque  dans 
l'automne.  C'est  Yadonide  d'été  et  Yadonide  d'automne  de 
Linné,  réunies  sous  le  nom  d'adonide  annuelle.  Dans  les 
jardins  elle  piend  le  nom  de  goutte  de  sang.  On  a  pendant 
longtemps  pris  Vadonide  du  printemps  pour  Vellébore 
noir  ou  ellébore  d'Hippocrate.  Cette  espèce  d'adonide  croit 
dans  les  hautes  Alpes,  vers  la  région  des  neiges,  et  quelques 
variétés  se  trouvent  dans  nos  jardins.  Ses  fleurs  sont  d'un 
jaune  pâle  un  peu  verdàtre;  ses  feuilles  sont  touffues  ;  sa  ra- 
cine épaisse,  noirâtre  et  fibreuse. 

ADOXIES.  Fêtes  en  l'honneur  d'Adonis,  qui  se  célé- 
braient à  Alexandrie,  à  Athènes,  à  Byblos  et  dans  d'autres 
contrées.  Elles  se  composaient  essentiellem.ent  d'une  partie 
lugubre,  consacrée  au  deuil  et  aux  larmes,  portant  le  nom  d'o- 
phanisme  (disparition)  :  on  y  déplorait  la  mort  du  dieu  ;  et 
d'ime  seconde  partie,  consacrée  aux  réjouissances,  qui  s'ap- 
pelait hén'ese  (découverte)  :  on  y  célébrait  le  retour  et  la 
résurrection  d'Adonis.  —  Ce  culte  prit  naissance  en  Phénicie, 
et  passa  de  là  en  Grèce;  les  Juifs,  enclins  à  l'idolâtrie,  l'a- 
doptèrent aussi. 

ADOXIQUE  ("\''ers).  Il  est  composé  d'un  dactyle,  d'un 
spondée  ou  trochée  (  Têrruit  ûrbëm  —  Aômèn  ï  mâgô?), 
et  convient  par  sa  marche  vive  et  rapide  à  des  chants  joyeux 
et  plaisants.  L'emploi  de  ces  vers  dans  un  morceau  d'une 
ceitaine  étendue  lui  donnerait  une  uniformité  monotone  ; 
auàsi  s'en  sert-on  rarement  sans  le  mêler  à  d'autres  vers.  Il 
est  principalement  usité  pour  terminer  la  strophe  saphique. 
—  On  croit  que  son  nom  lui  vient  des  Adonies,  où  l'on 
faisait  usage  de  ce  rhythrae. 

ADOXIS ,  fils  de  Jlyrrha,  qui  l'eut  de  son  propre  père 
Cinjras.  Il  fut  élevé  par  les  Dryades,  nymphes  des  bois,  et 
sa  beauté  devint  si  ravissante  que  'S'énus  le  choisit  pour  son 
favori.  La  déesse,  dans  sa  tendre  sollicitude,  accompagnait 
le  jeune  chasseur  à  travers  les  bois,  lui  montrant  les  dangers 
auxquels  il  s'exposait.  Adonis,  méprisant  ses  avertissements, 
n'en  poursuivait  qu'avec  une  passion  toujours  plus  ardente 
les  bêtes  féroces,  et  les  tuait  à  coups  de  flèches  ou  de  mas- 
sue. Jlais  ayant  un  jour  manqué  un  sanglier,  celui-ci  se  jeta 
sur  lui  et  le  blessa  mortellement.  Bien  que  la  déesse  eût 
presque  aussitôt  appris  ce  malheur,  bien  que,  pour  courir 
au  secours  du  bel  Adonis,  elle  n'eût  pas  craint  d'ensanglanter 
ses  pieds  délicats  aux  épines  des  rosiers,  dont  les  fleurs, 
jadis  blanches,  devinrent  dès  lors  delà  couleur  de  son  sang, 
elle  le  trouva  étendu  sans  vie  sur  l'herbe.  Pour  adoucir  ses 
regrets,  elle  ne  put  que  le  changer  en  anémone,  fleur  qui 
dure  si  peu,  et  obtenir  de  Jupiter  que,  partageant  la  jouis- 
sance du  jeune  homme  entre  elle  et  Proserpine,  il  lui  per- 


\ 


ADOMS  —  ADORATION 


i?9 


mettrait  de  passer  six  mois  de  Tannée  dans  TEnfer,  et  les 
six  antres  <lans  l'Olympe. 

ADOPTAXTS,  lierétiques  qui  prétendaient  que  connue 
Dieu  Jésus-Clirist  était  de  sa  nature  lils  de  Dieu,  mais  que 
comme  honuiie  il  ne  l'était  que  par  adoption  au  moyen  du 
baptême  et  de  la  résurrection,  voies  par  lesquelles  Dieu  dans 
sa  grûce  adopte  aussi  d'autres  hommes  pour  lils.  Ils  trou- 
vaient inconvenant  d'appeler  uu  être  humain  Jils  de  Dieu 
dans  la  stricte  acception  de  ce  terme.  Klipaadus,  arclievt^- 
que  de  Tolède,  et  Félix  ,  évoque  d'Urgel ,  en  Espagne,  in- 
troduisirent celte  hérésie  en  783  ,  et  lui  tirent  de  nombreux 
partisans  tant  en  France  qu'en  Espai^ne.  Charlemagne,  dans 
un  synode  tenu  à  Ratisbonne,  fit  condanmer  cette  hérésie 
et  déposer  Félix ,  son  vassal.  Ce  jugement  fut  répété  à 
Francfort-sur-le-Mein  en  794,  à  Rome  et  à  Aix-la-Chapelle 
en  7'J9,  par  suite  de  l'obstination  de  Félix,  cpii ,  après  deux 
relracl.uious  successives,  persista  dans  fon  iiéréaie;  on  y 
ajouta  même  une  clause  additionnelle  qui  condamnait  l'hérc^ 
siarque  à  rester  jusqu'à  sa  mort  (qui  arriva  eu  8i8)  sous 
la  surveillance  de  l'évêque  de  Lyon.  Quand  Ëiipandus  mou- 
rut, celle  «liscussion  tomba  dans  l'oubli. 

ADOPTIOA'  (du  latinarf,eto/j/are,  choisir).  L'adoption 
est  un  Contrat  qui,  sanctionné  par  l'aulorilé  judiciaire,  créi.' 
des  rapports  de  palernilé  et  de  iilialion  entre  des  personnes 
qui  n'étaient  point  unies  par  les  doubles  liens  delà  parenté 
naturelle  et  civile.  Une  loi  du  IS  jauvier  1792  avait  décrété 
l'adoption ,  mais  sans  l'organiser  ;  divers  actes  législatifs 
avaient  appliqué  ce  principe  au  nom  de  la  nation  dans  des 
occasions  solennelles.  Le  Code  civil  admit  cette  institution 
après  une  longue  discussion,  à  laquelle  le  premier  consul 
prit  la  principale  part.  .4ux  termes  du  Code  Napoléon,  l'adop- 
tion est  un  contrat  qui  ne  peut  être  passé  qu'entre  majeurs. 
L'adoptant  doit  être  âgé  de  plus  de  cinquante  ans,  et  sans  en- 
fants légitimes  ;  car  celui  quia  déjà  des  enfants,  ou  qui  est  en- 
core dans  un  âge  qui  lui  permet  d'en  espérer,  n'a  pas  besoin 
d'adopter  ceux  d'autrui  ;  et  il  doit  avoir  au  moins  quinze  ans 
de  iilus  que  l'adopté ,  parce  que  l'effet  du  contrat  est  d'éta- 
blir entre  eux  les  relations  de  père  à  fds.  Le  législateur  veut, 
en  outre,  que  le  contrat  ait  été  motivé  par  six  années  de 
soins  donnés  par  l'adoptant  à  l'adopté  pendant  sa  minorité. 
—  L'adopté  n'est  soumis  à  aucune  autre  condition  que  celle 
de  rapporter  le  consentement  de  ses  père  et  mère,  s'il  n'a 
point  vingt-cinq  ans  ;  et  s'il  a  dépassé  cet  âge,  il  ne  doit  pas 
procéder  à  un  acte  qui  opère  pour  lui  un  changement  d'élat 
sans  avoir  requis  leur  conseil.  —  Cependant,  si  l'adoption 
est  rémunératoire ,  si  elle  est  fondée  sur  la  reconnaissance 
d'un  service  rendu  dans  le  péril  le  plus  imminent,  lorsque 
l'adopté  a  sauvé  la  vie  à  l'adoptant,  soit  dans  un  combat, 
soit  en  le  retirant  des  flammes  ou  des  flots,  il  suffit  alors  que 
l'adoptant  soit  majeur  sans  enfants  et  plus  âgé  que  l'adopté. 
Si  l'adoptant  est  marié,  l'adoption  ne  peut  avoir  lieu,  dans 
aucun  cas,  sans  le  consentement  du  second  époux ,  qui  a  le 
droit  d'intei-venir  au  contrat,  encore  bien  qu'il  ne  soit  pas 
permis  à  plusieurs  d'adopter  la  même  personne;  mais  il  s'a- 
git ici  de  deux  époux  constituant  une  même  famille.  Les  tri- 
bunaux sont  appelés  à  vérifier  si  les  conditions  exigées  se 
trouvent  remplies,  et  à  rechercher  s'il  n'existe  aucune  cause 
d'honnêteté  publique  qui  défende  l'adoption.  Le  cas  échéant, 
comme  alors  ils  ne  rendent  pas  la  justice,  il  leur  est  inlerdit 
de  motiver  leur  décision  ;  toutefois  cette  décision  ne  suffit 
pas  pour  conférer  l'adoption,  qui  n'est  complète  que  par 
l'inscription  faite  sur  les  registres  de  l'état  civil.  11  est  un  cas 
où  l'adoption  peut  être  conférée  par  testament,  à  la  suite  de 
la  tutelle  officieuse.  —  Par  l'adoption,  l'adopté  acquiert  à 
l'égard  de  l'adoptant  tous  les  droits  d'un  enfant  légitime, 
dont  il  prend  le  nom  ;  mais  il  n'entre  pas  pour  cela  dans  la 
famille  de  l'adoptant,  et  les  liens  qui  l'attachaient  à  sa  propre 
famille  ne  sont  pas  rompus.  Ainsi,  l'adopté  hérite  de  l'adop- 
tant, mais  non  pas  des  parents  de  l'adoptant.  C'est  un  point 
de  controverse  de  savoir  si  on  peut  adopter  son  en/anf  na- 

DICT.    DE    I.V    CONV.    —   T.    I. 


turcl  légalement  reconnu  ;  la  cour  de  cassation  elle-même 
n'a  pas  de  jurisprudence  bien  établie  à  cet  égard. 

L'adojition  remonte  aux  temps  les  plus  reculés  :  la  fille  de 
Pharaon  adopta  Moïse  sauvé  des  eaux.  L'adoption  existait 
à  Sparte,  à  Athènes.  Chez  les  Romains  surtout,  l'adoption 
était  organisée  d'une  façon  tonte  particulière. 

11  y  avait  deux  espèces  d'adoption  :  l'adopf "on  propre- 
ment dite,  qui  faisait  passer  un  fils  de  fcimille  de  la  puissanc/î 
d'un  père  sous  celle  d'un  autre;  et  Vadrogatkm,  par  laquelle 
un  père  de  famille  se  soumettait  à  la  puissance  d'un  autre. 
L'adoption  proprement  dite  s'opérait  par  la  vente  solennelle, 
appelée  m  a  n c ip ation,  que  suivait  la  cession  en  justice. 
La  mancipation,  qui  devait  être  répétée  trois  fois  pour  un 
enfant  mâle  du  premier  degré,  le  libérait  de  la  puissance  pa- 
ternelle, mais  ne  lui  attribuait  pas  la  qualité  de  fils  de  famille 
de  l'acheteur  ;  c'était  la  cession  en  justice  qui  avait  ce  résul- 
tat. Justiuien  abrogea  ces  formaliiés  surannées,  et  l'adoption 
s'opéra  par  la  simple  déclaration  du  père  naturel  faite  devant 
le  magistrat  compétent,  en  présence  et  sans  contradiction  de 
l'adoptant  et  de  l'adopté.  Quant  à  l'adrogation,  elle  s'opérait 
autrefois  par  une  loi  que  remplaça  plus  tard  un  rescrit  du 
prince.  Elle  faisait  entrer  sous  la  puissance  de  l'adrogeant, 
non-seulement  l'adrogé,  mais  encore  tous  ses  enfants  légiti- 
mes ou  adoptés,  qu'il  avait  en  sa  puissance,  ainsi  que  ses 
biens.  Dans  l'ancien  droit ,  les  femmes  et  les  impubères,  qui 
ont  toujours  pu  être  adoptés,  ne  pouvaient  jias  être  adro- 
gés;  mais  Antonin  le  Pieux  l'avait  permis  pour  les  impu- 
bères, avec  des  règles  toutes  particulières.  Justinien  le  per- 
mit également  pour  les  femmes.  Il  devait  exister  entre  l'a- 
doptant et  l'adopté  une  différence  de  puberté  pleine,  dix-huit 
ans  pour  un  fils,  trente-six  ans  pour  un  petit-fils;  car  on 
pouvait  adopter  à  titre  de  fils  ou  de  petit-fils,  qu'on  eût  ou 
qu'on  n'eût  pas  d'enfants.  Dans  l'ancien  droit  les  femmes  ne 
pouvaient  pas  adopter;  mais  on  le  leur  permit  ultérieurement 

ADOPTION  MILITAIRE.  Chez  les  anciens  Scandina- 
ves, lorsque  deux  guerriers  s'étaient  liés  d'amitié  et  d'estime, 
ils  creusaient  en  terre  un  trou  avec  le  fer  de  leur  lance ,  y 
répandaient  de  leur  sang,  qu'ils  mêlaient  à  la  terre  fraîchement 
remuée;  puis  ils  s'embrassaient,  et  plaçaient  sur  le  trou  une 
pierre  qui  portait  leurs  chiffres  entrelacés.  Cette  adoption  ré- 
ciproque s'appelait  r«5ocifl?<o??  du  sang.  Elle  liait  non-seu- 
lement un  guerrier  à  un  autre  pour  la  vie,  mais  associait  en- 
core sa  famille  et  jusqu'à  ses  amis  à  la  fortune  du  survivant. 
—  Cette  institution  a  été  l'un  des  principaux  éléments  dtî 
la  force  militaire  de  ces  peuples.  —  On  retrouve  l'adoption 
militaire  chez  les  Grecs  des  premiers  siècles  de  l'ère  vulgaire 
et  dans  la  chevalerie  du  moyen  âge ,  sous  le  nom  de  /ra- 
tern ité  d' armes. 

ADORATIONS  La  faculté  d'adorer  constitue  le  pre- 
mier caractère  distinctif  de  notre  espèce ,  et  est  en  même 
temps  l'acte  le  plus  sublime  auquel  puisse  s'élever  l'in- 
teUigence  humaine.  A  elle  seule  en  appartient  le  pouvoir; 
car  la  plupart  des  voyageurs  se  sont  mépris  quand  ,  sur  le 
rapport  d'Jilien  et  de  Strabon,  ne  se  bornant  pas  à  accorder 
presque  des  vertus  à  l'éléphant ,  ils  ont  prétendu  qu'il  ado- 
rait le  soleil  levant.  On  est  revenu  de  ces  exagérations.  Il  est 
tel  animal  sur  la  terre  ,  même  à  côté  de  nous ,  dont  les  qua- 
liiés  instinctives  ou  perspicaces  sont  beaucoup  supérieures 
à  celles  de  cet  énorme  quadmpède.  Le  chien  et  le  cheval 
nous  sont  soumis  ;  mais  chez  eux  la  soumission  n'e.st  pas 
de  l'adoration.  Êtres  faibles  et  périssables ,  sujets  que  nous 
sommes  à  une  foule  d'infirmités  ,  il  n'y  a  rien  qui ,  d'homme 
à  homme,  justifie  l'adoration.  Si  l'Écriture,  dans  la  Vul- 
gale ,  use  de  cette  locution  en  nous  racontant  comment  la 
timide  Ruth  se  prosterna  devant  Tîooz  ,  l'un  des  anciens  de 
Juda  ,  et  Abigad  devant  David  ,  irrité  de  l'ingratitude  de  son 
mari,  elle  n'entend  que  nous  rendre  présents  des  actes  de 
profonde  vénération  ,  peut-être  mêlée  de  crainle.  Autrement 
elle  serait  infidèle  au  connnandement  inscrit  en  fêle  du  Dé- 
calogue,  ce  qid  ne  se  peni  pas. 


130 


ADORATION 


vins  (l'un  tyran  ,  plus  d'un  empereur  romain  ,  aprôs  s'iMro 
lait  dresser  des  statues  et  des  temples  ,  après  y  avoir  m«^ine 
institue  des  collèges  de  pontifes ,  ont  imposé  l'adoration  de 
leur  personne  à  do^  nations  entières.  C'était  à  la  fois  une 
.grande  audace  de  l'orgueil  en  délire  ,  et  la  honte  des  peuples 
qui  s'y  soumettaient;  honte  dont  Vespasien  avait  le  senti- 
ment, lorsqu'au  moment  d'exhaler  son  dernier  souffle,  il 
disait  avec  une  ironie  amère  :  «  Je  sens  que  je  vais  devenir 
dieu.  » 

Oui ,  l'adoration  n'est  duc  qu'à  Dieu.  En  s'abaissant  vers 
l'homme  elle  se  dégrade,  en  s'élevant  vers  la  Divinité 
elle  s'ennoblit.  Les  martyrs  chrétiens  ont  scellé  cette  vérité 
de  leur  sang.  Mais  combien  de  fois  ce  sentiment  ne  s'est-il 
pas  égaré ,  lorsqu'il  s'est  attaché  aux  œuvres  d'une  nature 
variable  dans  ses  évolutions ,  au  lieu  de  remonter  à  son  au- 
teur! Notre  devoir  est  de  définir  ici  l'adoration,  telle  que 
la  raison  humaine  en  a  adopté  les  formes  et  réglé  l'usage 
depuis  qu'il  a  plu  à  l'arbitre  des  mondes  de  placer  des  créa- 
tures intelligentes  .sur  notre  terre. 

L'adoration  implique  un  double  sentiment ,  mais  dans  des 
proportions  diverses,  de  respect  et  d'amour.  Le  respect, 
auquel  s'adjoint  une  sorte  de  crainte ,  nait  de  l'idée  d'un 
grand  pouvoir  dans  la  dépendance  duquel  on  se  place;  l'a- 
Niour,  môle  d'espérance ,  veut  s'attacher  à  quelque  chose  de 
bon  et  de  fort;  car,  même  au  milieu  de  ses  plus  grandes 
prospérités  ,  l'homme  aura  toujours  le  sentiment  de  sa  fai- 
blesse. C'est  un  Alexandre  atteint  d'une  fluxion  de  poitrine 
la  veille  ou  le  lendemain  d'une  victoire.  Aussi  combien  n'est- 
il  pas  misérable  de  voir  le  jeune  vainqueur  de  Darius  s'a- 
venturer avec  son  armée  dans  les  déserts  de  la  Libye  pour 
se  faire  proclamer,  par  l'oracle  de  Jupiter-Ammon ,  comme 
fils  de  ce  dieu!  N'était-ce  pas  mendier  Vadoration  à  la  fa- 
veur d'un  mensonge  ? 

Ce  besoin  de  notre  nature  s'est  en  effet  plus  d'une  fois 
égaré.  L'établissement  du  polythéisme  ancien,  et,  aujour- 
d'hui ,  du  panthéisme  allemand ,  encore  plus  dangereux , 
pourrait  remonter  à  une  pareille  origine.  Dans  sa  gratitude 
l'homme  versa  sur  ce  qui  l'entourait  une  portion  de  la  douce 
émotion  qui  débordait  de  son  cœur,  et  le  bienfait  fit  oublier 
la  source  dont  il  émanait.  Heureux  de  rencontrer  dans  sa 
fatigue  le  toit  hospitalier  d'un  chêne ,  le  voyageur  en  s'é- 
loignant  renferma  sous  l'écorce  une  dryade  chargée  de 
l'entretien  de  cet  ombrage.  Enrichi  par  le  ruisseau  qui 
abreuvait  sa  prairie ,  le  villageois  crut  voir  à  travers  les 
roseaux  une  nymphe  épancher  son  urne  bienfaisante.  Le 
sauvage  lui-même  attache  aux  meubles  utiles  des  esprits 
amis  de  celui  qui  les  possède.  Tant  nous  sentons  la  néces- 
sité de  faire  intervenir  une  puissance  surnaturelle  dans  les 
accidents  dont  se  compose  la  vie  humaine  ! 

On  a  dit  que  la  crainte  a  fait  les  premiers  dieux  :  il  y  a  là 
certainement  quelque  chose  de  vrai ,  mais  non  dans  un  sens 
absolu.  Le  culte  des  deux  principes  a  été  assez  nouvellement 
rencontré  chez  les  insulaires  de  l'Océanie ,  découverte  par  le 
navigateur  Wallis ,  (jui  lui  a  donné  son  nom.  Partout  où  la 
révélation  n'avait  pas  parlé ,  il  était  présumable  que  l'homme 
se  croirait  dominé  par  un  bras  invisible,  au  milieu  des 
grandes  circonstances  où  sa  vie  était  menacée.  Les  fléaux 
imprévus  qui  fondent  sur  une  contrée ,  les  contagions ,  le 
bruit  solennel  et  impasant  du  tonnerre ,  et  les  signes  pré- 
curseurs des  tompt"'tes ,  conduisirent  à  chercher  des  moteurs 
dans  une  sphèie  plus  élevée  que  la  nôtre  ;  car  on  sentait 
bien  que  la  nature  était  soumise  à  des  lois  qu'elle  ne  s'était 
pas  données  ;  on  reconnaissait  même  son  état  de  dépen- 
dance, manifesté  jusque  par  les  aberrations  d'un  ordre  gé- 
néral et  primitif.  Guidées  d'abord  par  un  avis  plus  qii'ins- 
tinctif,  bientôt  égarées  par  les  surprises  d'une  raison  qui 
prétendait  se  rendre  conqife  de  tout  sans  moyens  d'y  par- 
venir, les  premières  réunions  des  hommes  ont  pu  sacrifier 
sur  deux  autels.  Arimane  et  Oromaze  ont  c\\  leurs  fètcs , 
-tour  à  tour  terribles  et  joyeuses.  Plus  tard,  la  société  ne  se 


sera  pas  moins  effrayée  de  ses  propres  vires  que  des  plus 
redoutables  phénomènes;  il  aura  fallu  apaiser  Teutalès;  la 
peur  et  les  furies  vengeresses  auront  eu  un  culte ,  et  le  tem- 
ple de  Mars  sanguinaire  se  sera  élevé  à  Rome  auprès  de 
celui  de  la  Paix  et  de  la  Concorde. 

Ainsi ,  de  deux  impressions  diverses  sont  sorties  deux 
adorations  qu'un  sentiment  mieux  éclairé  a  ramenées  à  une 
seule.  Cependant  ces  fables,  plus  ou  moins  ingénieuses,  se- 
ront à  la  fois  un  objet  de  pitié  et  de  respect  pour  le  philoso- 
phe, puisque  si  d'une  part  elles  nous  affligent  par  le 
triste  spectacle  de  la  faiblesse  humaine  abandonnée  à  elle- 
même,  de  l'autre  elles  s'olTrent  à  nos  yeux  comme  autant 
de  témoignages  inécusables  d'une  adoration  permanente 
sur  la  terre ,  et  qui  n'attendait ,  pour  se  régulariser,  qu'une 
meilleure  direction. 

11  n'en  est  pas  moins  apparent  que  dans  les  anciens  âges 
les  hommes  dont  le  génie  a  brillé  d'une  vive  lumière  entre 
leurs  semblables,  loin  de  partager  l'erreur  commune,  con- 
servèrent, à  l'instar  du  feu  sacré  de  Vesta,  la  pensée  du  Dieu 
unique,  pour  laquelle  mounit  Socrate.  Certainement  Homère, 
qui  a  peint  à  si  grands  traits  la  sagesse,  la  puissance  et  la 
justice  du  chef  de  son  Olympe,  n'a  pas  cru  à  cette  foule  de 
divinités  colériques,  jalouses  et  incestueuses,  dont  il  fut  pro- 
bablement le  père.  Tandis  que  l'Aurore,  fraîche  et  vermeille, 
laissait  tomber  ses  fleurs  devant  le  berger  matinal  du  mont 
Hymette  et  que  le  paysan  de  la  Calabre  plaçait  la  foudre 
dans  la  main  de  Jupiter  irrité,  Platon  rendait  grâce  à  cette 
Providence  qui  chaque  matin  replaçait  les  campagnes  de 
l'Attique  sous  les  rayons  d'un  beau  soleil ,  et  Cicéron,  par  de 
belles  pages,  honorait  à  Tusculum  quelques-uns  des  attributs 
de  l'Éternel.  Plus  lard,  Sénèque  écrivait  ses  admirables 
lettres  à  Lucilius,  lettres  où  non-seulement  la  haute  sagesse 
du  Tout-Puissant  a  trouvé  plus  d'une  fois  un  noble  inter- 
prète, mais  où  sont  encore  pressentis  quelques-uns  des  se- 
crets de  la  nature  destinés  à  être  découverts  après  dix-huit 
siècles  d'études  et  de  tâtonnements. 

Ainsi,  pareille  à  ces  flambeaux  que  l'on  se  passait  de  main 
en  main  dans  les  fêtes  d'Eleusis,  Vadoration  d'un  pouvoir 
suprême,  conservateur  et  providentiel,  a  traversé  les  âges  et 
est  arrivée  jusqu'à  nous ,  maintenue  par  les  méditations  des 
philosophes,  les  travaux  des  artistes,  les  chants  des  poètes  , 
et,  à  quelques  exceptions  près  (qu'il  faudrait  encore  sou- 
mettre à  une  saine  critique),  par  la  profession  de  foi  de  tous 
les  honnêtes  gens  de  toutes  les  conditions  sociales  et  de 
toutes  les  contrées  de  ce  globe  terrestre. 

En  s'enfonçant  dans  l'antiquité  la  plus  reculée,  on  trou- 
vera bien  des  erreurs  auxquelles  nous  en  avons  substitué 
quelques  autres,  mais  peu  d'irréligion  absolue.  On  serait 
tenté  de  dire  que,  trop  rapprochés  de  leur  point  de  départ, 
les  hommes  n'étaient  pas  encore  assez  hardis  pour  élever 
des  doutes  sur  leur  propre  origine.  Serait-ce  plutôt  qu'il 
était  réservé  aux  passions  de  défigurer,  au  fond  des  cœurs, 
l'image  de  la  Divinité,  avant  de  songer  à  l'anéantir?  Quoi 
qu'il  en  soit,  il  n'est  pas  d'époque  dans  les  annales  des  peu-  . 
pies  où  il  n'ait  existé  presque  autant  de  temples  que  de  ha- 
meaux sur  la  terre.  Lisez  Pausanias  :  il  vous  montrera  la 
Grèce  couverte  d'édifices  religieux.  Sous  des  formes,  sous  des 
dénominations  différentes,  la  Divinité  y  était  partout  adorée. 
La  timide  innocence,  qui  abaisse  timidement  ses  paupières 
sur  l'orbe  d'un  œil  d'azur,  et  le  génie,  qui,  dans  sa  contem- 
plation ,  tient  sa  vue  ferme  et  arrêtée  vers  le  ciel,  lui  appor- 
taient également  leur  hommage.  Où  la  simple  paysanne  de 
Samos  déposait,  dans  sa  gratitude,  une  corbeille  de  fruits, 
Pytliagorc ,  le  plus  religieux  des  hommes,  offrait  un  tau- 
lobole. 

Certes,  c'est  quelque  chose  que  cette  chaîne  d'adoration 
arrivée  de  si  loin  jusqu'à  nous,  et  qui,  dans  des  temps  mo- 
dernes, a  compté,  comme  des  anneaux  encore  pins  brillants, 
des  Clarke,  des  Leibnilz,  des  Bossuet,  des  Fénelon,  qui  n'é- 
taient |ias  non  plus  de  trop  faibles  esprits  ;  et  ne  faut-il  pas 


ADORATION  —  ADUASTE 


131 


leur  ajouter  le  brillant  analyste  de  la  liiniitTe,  le  profond  liis- 
torien  des  mondes  voyageurs  dans  Tinimense  espace,  enfin 
le  grand  Newton,  qui,  lorsque  le  nom  de  Dieu  était  prononcé 
par  lui  ou  venait  à  frapper  ses  oreilles,  se  découvrait  la  tiMe 
en  signe  de  respect?  C'était  là  aussi  un  genre  iVadorotion, 
un  véritable  bommage  rendu  à  une  providence,  et  nous 
plaindrions  le  peuple  chez  lequel  de  pareils  actes  ne  seraient 
accueillis  que  par  un  murmure  ironique. 

Nous  crafgnons  plus,  en  effet,  l'athéisme  que  la  supersti- 
tion. C'était  un  adage  reçu  chez  les  anciens  :  qu'il  ne  faut 
pas  naviguer  arec  les  impies.  La  superstition  peut  con- 
duire à  de  grands  crimes,  nous  en  convenons  ;  l'histoire  en 
offre  de  déplorables  exemples  ;  mais,  après  tout,  comme  di- 
rection détournée  d'un  sentiment  vrai,  elle  n'est  que  la  ma- 
ladie des  sociétés,  tandis  que  l'athéisme  en  serait  la  mort. 
Aussi  nous  sommes  surpris  que  le  chancelier  Bacon,  qui 
dans  la  seule  croyance  en  Dieu  a  vu  le  fondement  du  sys- 
tème de  la  science ,  ait  préféré  la  négation  des  idées  reli- 
gieuses à  leur  aberration.  Le  superstitieux  tremblera  au 
moins  devant  quelq\ie  chose ,  on  aura  prise  sur  lui  en  de- 
hors de  son  intérêt  du  moment  ;  l'athée,  au  contraire,  que 
redoutera-t-il,  s'il  peut  ranger  la  force  de  son  côté,  ou  s'en- 
velopper de  ténèbres  ?  Je  serais  un  sot  de  confier  àcet  homme 
ma  femme,  ma  fille,  ou  le  soin  de  ma  fortune  ;  il  serait  un 
sot  lui-même  s'il  n'abusait  de  ma  confiance,  après  avoir 
pris  ses  sûretés,  fussent-elles  attentatoires  à  ma  vie.  Sa  con- 
voitise secrète  ne  m'a-t-elle  pas  tué  déjà  dans  ce  que  j'ai  de 
plus  cher?  Adorez  le  bœuf  Apis,  si  vous  le  voulez;  mais 
adorez  un  être  quelconque  qui  me  réponde  de  vous!  Dieu 
n'est  pas  si  difficile  à  trouver,  pour  qu'avec  un  peu  de  ré- 
flexion votre  hommage  n'aille  jusqu'à  lui. 

Une  analyse  psychologique  démêlerait  encore  dans  Yado- 
radon  un  état  de  l'âme  qui,  franchissant  les  limites  où  l'ar- 
rêtent trop  souvent  des  entraves  importunes,  chercherait  à 
remonter  vers  une  perfection  dont  elle  a  le  sentiment,  et  vers 
laquelle,  même  à  son  insu,  elle  essaye  sans  cesse  de  graviter. 
Cet  effort  lui  coûte  peu,  parce  qu'il  est  dans  sa  nature.  S'il 
ne  répondait  à  des  besoins  dont  elle  n'a  pas  encore  tout  le 
secret ,  s'il  n'attestait  une  sorte  de  droit  sur  un  avenir  in- 
connu, mais  implicitement  promis,  elle  ne  s'y  porterait  pas 
au  mépris  des  obstacles  qui  l'environnent;  elle  a  entendu  la 
voix  du  divin  maître  qui  l'appelle,  quand  toutes  les  appa- 
rences la  repoussent.  Tout  absorbée  qu'elle  est,  elle  sent 
quelle  marche  au  but  ;  elle.frissonne  de  crainte  devant  la  ma- 
jesté suprême,  mais  elle  se  confie,  elle  baisse  ses  paupières 
vers  la  terre;  mais,  dans  son  immobilité  silencieuse  et  sous 
le  voile  dont  elle  s'enveloppe,  elle  contemple  ce  qu'il  y  a  de 
plus  grand  dans  les  cieux.  Son  effroi  devient  de  l'amour  : 
en  adorant,  elle  est  déjà  heureuse ,  car  elle  espère  ;  déjà  elle 
s'est  identifiée  avec  une  bonté  suprême,  et  l'anéantissement 
dans  lequel  elle  se  plonge,  et  auquel  elle  s'est  soumise  sans 
regret,  devient  pour  elle  le  prélude  d'une  fusion  dans  le 
sein  de  son  Créateur.  Kératrv. 

ADORATION  PERPETUELLE ,  terme  ascétique 
qui  désigne  la  dévotion  singulière  de  quelques  congréga- 
tions de  femmes,  laquelle  consiste  à  adresser,  soit  au  saint- 
sacrement,  soit  au  sacré-cœur  de  Jésus,  des  prières  non  in- 
terrompues récitées  à  tour  de  rôle  par  chaque  membre  de 
la  congrégation.  Ces  pratiques  sont  regrettables,  car  elles 
semblent  tenir  de  la  superstition ,  et  sont  bien  éloignées 
de  l'esprit  de  l'Évangile.  L'Écriture  n'a-t-elle  pas  dit  : 
«  Quand  vous  priez,  n'usez  pas  de  vaines  redites  comme 
les  païens,  car  ils  cioient  qu'ils  seront  exaucés  quand  ils 
auront  beaucoup  parlé.  Ne  les  imitez  point;  car  votre  Père 
sait  ce  dont  vous  avez  besoin  avant  que  vous  le  lui  deman- 
diez. " 

ADORXO,  famille  plébéienne  de  Gênes,  du  parti  gi- 
belin ,  qui  lutta  pendant  près  de  deux  siècles  contre  la  fa- 
mille Fulgoso,  et  qui  a  fourni  plusieurs  doges  à  son  pays. 
Voyei  Gé.nes. 


ADOS.  On  appelle  ainsi  en  horticulture  une  disposition 
particulière  donnée  à  un  terrain ,  eu  l'inclinant  de  ma- 
nière qu'il  reçoive  les  rayons  solaires  le  moins  obliquement 
possible,  vers  le  levant  ou  le  midi ,  et  en  V adossant  à  une 
muraille  ou  à  un  abri  fait  avec  des  paillassons.  C'est  un 
moyen  employé  surtout  pour  obtenir  des  primeurs.  En  cela 
les  jardiniers  ne  font  qu'imiter  la  nature  ;  car  c'est  sur  des 
pentes  abritées  du  nord  que  naissent  et  croissent  tout  natu- 
rellement les  plantes  pour  lesquelles  la  chaleur  est  une  con- 
dition principale  d'existence. 

ADOUBER,  mol  de  la  langue  romane ,  qui  signifie 
ajuster,  orner,  et  surtout  pairr  des  vêtements  et  des 
armes  de  la  chevalerie.  Un  poème  bien  connu ,  VOrdène  de 
chevalerie,  offre  un  exemple  remarquable  à'adoubage  : 
c'est  Hue  de  Tabarie ,  c'est-à-dire  de  Tibériade,  qui  arme 
chevalier  le  puissant  et  magnanime  Saladin.  Le  Tasse ,  au 
dixième  chant  de  la  Jérusalem  délivrée,  nous  montre  la 
belle  Herminie  qui  enferme  son  sein  délicat  dans  une  dure 
cuirasse ,  cache  ses  beaux  cheveux  blonds  et  son  gra- 
cieux visage  sous  un  casque  menaçant ,  et  pend  à  son  bras 
gauche  un  lourd  bouclier,  fardeau  bien  peu  propre  à  sa  fai- 
blesse. C'est  ainsi  qu'Herminie  s'adoubait  en  guerrier.  On  fait 
venir  ce  mot  àHadaptare,  en  basse  latinité  adobare,  en  an- 
cien provençal flrfoftflr.  On  trouvedans  le  Roman  de  Ronce- 
vaux,  publié  par  M.  Francisque  Michel,  le  mot  adub 
pour  armure.  De  Reiffenberg. 

ADOUCISSANTS.  Ces  médicaments  ne  forment  plus 
aujomd'hui  une  classe  spéciale  dans  les  traités  de  matière 
médicale.  Ils  font  partie  des  émollients.  On  leur  suppo- 
sait le  pouvoir  de  modérer  la  chaleur  interne  et  de  corriger 
certaines  âcretés  des  humeurs.  Les  substances  mucilagi- 
neuses,  celles  surtout  qui  contiennent  un  principe  mucoso- 
sucré,  ou  même  seulement  du  sucre,  sont  particulièrement 
adoucissantes  :  les  fleurs  de  guimauve ,  de  violette,  de  tussi- 
lage, les  dattes,  les  jujubes,  les  raisins,  les  laits  de  vache  et 
de  chèvre,  etc.  On  prépare  des  aliments  doux  avec  les  di- 
verses fécules.  Les  huiles  d'amandes  douces,  d'olives,  etc., 
sont  des  adoucissants  externes.  D'  Delasiaive. 

AD  PATRES.  C'est  une  locution  latine  qui  signifie 
littéralement  vers  ses  pères.  On  l'emploie  en  français  dans 
quelques  phrases  familières.  Aller  ad  patres,  c'est  mourir. 
Un  coup  d'épée  l'envoya  ad  patres.  Son  médecin  l'a  en- 
voyé ad  patres. 

ADRAGANT  (Gomme),  suc  gommeux  très-épais, 
fourni  par  divers  arbustes  de  l'Orient  appartenant  aux  «5- 
tragales .  Ce  produit  apparaît  sous  forme  de  lanières  ou 
de  fils  minces,  contournés  et  vermiculés,  blancs  ou  rous- 
sàtres,  et  opaques.  La  gomme  adragant  nous  arrive  en 
caisses  de  120  à  130  kilogrammes.  Ce  mol  ndragani  est  dé- 
rivé du  nom  grec  d'une  espèce  (ïastragale ,  fort  conmunie 
aux  environs  de  Marseille,  la  tragaganthe,  formé  de  T&âyoc, 
bouc,  et  de  àxav5a,  épine,  parce  que  cet  animal  aime  à  la 
brouter.  D'une  saveur  douce  et  mucilagineuse,  la  gomme 
adi'agant  est  insoluble  dans  l'alcool ,  soluble  en  partie  dans 
l'eau  froide  et  en  totalité  dans  l'eau  bouillante.  Dans  l'eau 
elle  se  gonfie  beaucoup,  et  forme  un  mucilage  visqueux  et 
épais.  Les  pharmaciens  et  les  confiseurs  l'emploient  pour 
faire  les  diverses  pâtes  et  tablettes ,  le  nougat  blanc,  etc.  On 
s'en  sert  aussi  pour  donner  de  l'apprêt  à  diverses  étoffes; 
enfin  elle  entre  dans  la  composition  des  tablettes  de  couleurs 
destinées  à  peindre  la  miniature  et  l'aeiuarelle. 

ADRASTE,  roi  d'Argos,  fils  de  Talaiis  et  d'Euiynome. 
Pour  obéir  à  l'oracle  qui  lui  ordonnait  de  donner  sas 
deux  (illes,  Argiaet  Déiphyle,  à  un  lion  et  à  un  sanglier,  il- 
oflïit  l'une  à  Polynice,  banni  de  Tlièbes  par  son  frère 
Etéocle,  (jui  vint  à  lui  enveloppé  dans  une  peau  de  bon,  et 
l'autre  à  Tydée,  (pii  se  présenta  à  ses  regards  vêtu  d'une 
peau  de  sanglier.  Pour  soutenir  les  droits  de  son  gendre,  il 
marcha  contre  Tlièbes  avec  une  aiiuée  qu'avaient  réunie  six 
princes  grecs  ses  alliés.  Cette  guerre  est  célèbre  sous  k 

17. 


132 


ADRASTE  —  ADRESSE 


nom  (le  çvcrre  (ks  Sept  Chefs.  Tous  ces  princes  y  pé- 
rirent, à  rexception  (rAdrastc,  qui  se  réfugia  à  Athènes  avec 
un  petit  nombre  des  siens,  et,  par  le  secours  de  Thésée,  re- 
tourna dans  ses  États.  Dix  ans  apri^s,  Adraste  forma  une 
nouvelle  armée,  commandée  par  les  fils  des  princes  qui 
avaient  péri  dans  la  première,  connus  sous  le  nom  d'Épi- 
gones  (descendants)  ;  mais  Adraste  perdit  dans  le  combat 
son  filsÉgialée,  et  en  mourut  dedoiileur.  Son  cheval  Aiion, 
fruit  des  amours  de  Neptune  cl  de  Cérès,  qui  s'étaient  méta- 
morphosés Tun  en  étalon,  l'autre  en  cavale,  avait  le  don  de 
la  parole,  et  prédisait  l'avenir. 
ADRASTÉE  ,  surnom  de  Némésis.  Voyez  ce  nom. 
AD  REM.  Voici  encore  une  locution  latine  que  l'usage 
a  fait  natm-aliser  dans  le  langage  parlé  comme  dans  le  lan- 
gage écrit.  C'est  que  cette  expression  adverbiale  est  un  ex- 
cellent et  rapide  synonyme  des  mois  convenablement,  ca- 
tégoriquement. Elle  s'applique  très-bien  à  tout  orateur  ou 
écrivain  qui  ne  craint  pas  d'embrasser  une  question  dans  son 
ensemble,  de  pénétrer  jusque  dans  ses  entrailles  (  in  visce- 
ribus  rei),  et  d'en  arracher  tout  ce  qu'il  importe  de  con- 
naître. On  dit  alors  d'un  tel  orateur  ou  d'un  tel  écrivain 
qu'il  parle,  qu'il  éi  i  it  ad  rem.  On  sent  qu'il  ne  saurait  en 
être  de  même  de  ces  h  )unionnants  disfoureuis  qui  parlent 
toujours  pour  ne  rien  dire,  qui  s'étudient  à  polir  acadérai- 
(piement  de  ponqieuses  et  insignidantes  périodes,  et  restent 
toujours  en  dehors  de  la  (piestion.  De  par  le  bon  sens  ,  il 
est  défendu  à  ces  gens-là  de  dire  jamais  qu'ils  parlent  ou 
qu'ils  éciivent  ad  rem.  Champagnac. 

ADRESSE.  Dans  la  langue  politique ,  on  entend  par  ce 
mot  une  lettre  de  respect,  de  félicitalion,  d'adhésion  ou  de 
demande,  adressée  au  souverain  par  un  corps  politique ,  ou 
l)ar  une  réunion  de  citoyens.  L'usage  des  adresses  est  origi- 
naire d'Angleterre ,  où  le  parlement  est  dans  l'habitude  de 
répondre  par  une  adresse  au  discours  d'ouverture  ou  de  clô- 
ture (le  la  session  que  prononce  le  souverain.  Cet  usage  a 
l)assc  dans  les  mœurs  politiques  de  la  plupart  des  États 
constitutionnels.  En  France,  on  sait  quelle  importance  prit 
la  discussion  de  l'adresse  sous  la  luonarcliie  constitution- 
nelle, et  notamment  dans  les  dernières  années  du  règne  de 
Louis-I'liilippe.  Le  républi(iue  de  1848  avait  aboli  les  adres- 
ses; aucune  réponse  n'était  faite  an  manifeste  du  président. 
L'empire  ne  lésa  rétablies,  poiirlesénat  et  le  corps  législatif, 
(jueparle  décret  du  24  novembre  1860  ;  mais  elles  doivent  se 
J)orner  à  l'émissionde  vcbux,  ces  corps  n'ayant  aucune  action 
sin"  li'S  ministres.  A  la  fin  du  régime  parlementaire,  la  discus- 
sion de  l'adresse,  à  la  chambre  des  députés,  était  devenue 
ime  lutte    oratoire  animée,  qui   remplissait  les   premiers 
mois  de  la    session,   au  détriment  (ie  la  discussion   du 
biiiiget,  repoussée  à  latin  de  la  session.  Aucune  discussion 
ii'élait  d'ailleurs  entamée  que  l'adresse  ne  fût  votée  ;  car 
jns(]ue  alors  les  ministres  n'étaient  pas  certains  de  garder 
leurs  portefeuilles.  Dans  cette  discussion  de  l'adresse,  les 
ministres  en  expectative  attaquaient  les  ministres  titulaires 
sur  tous  les  points  :  al'Iaires  intérieures,  affaires  étrangères, 
toutes  les  questions  étaient  passées  en  revue,  et  le  ministère 
avait  à  défendre  sa  politique  entière.  Aussi,  une  fois  l'adresse 
volée,  l'intérêt  de  la  session  allait  languissant;  le  ministère 
était  srtr  de  sa  majorité,  il  ne  pouvait  plus  y  avoir  que  des 
escarmouches  ;  la  grande  bataille  était  gagnée.  Ainsi  que  le 
disait  JE  Odilon  Barrot  dans  la  première  édition  de  notre 
ouvrage,  «  ce  droit  des  chambres  d'exprimer  leurs  v(eux 
dans  une  adresse  à  la  couronne  était  d'autant  plus  redou- 
table qu'il  était  moins  limité  dans  son  objet;  ce  n'était  pas 
sur  telle  ou  telle  loi,  telle  ou  telle  mesure  spéciale  du  gou- 
vernement, que  les  chambres  avaient  le  droit  de  faire  porter 
leurs  adresses  à  la  couronne  ,  c'était  sur  tous  les  objets  quel- 
conques qui  pouvaient  intéresser  le  pays,  sur  la  marcb.e 
{;énérale  du  gouvernement  comme  siu'  ses  actes  spéciaux, 
sur  le  personnel  de  ses  agents  coumie  sur  leurs  nu;sures,  sur 
les  griefs  du  présent  comme  sur  les  aiipréhcnsio.'is  de  l'a- 


venir. Aussi  pouvait-on  dire  avec  raison  que  l'adresse  était 
la  plus  haute  comme  la  dernière  et  la  plus  décisive  expres- 
sion du  pouvoir  parlementaire ,  ïultimatum  en  quelque 
sorte  de  la  représentation  nationale.  » 

L'adresse  des  deux  cent  vingt-un  au  roi  Char- 
les X,  votée  en  1830  par  la  chambre  des  députés  de  France, 
et  ainsi  appelée  du  nombre  qui  formait  la  majorité  dont  elle 
formulait  l'opinion ,  est  sans  contredit  l'une  des  plus  mé- 
morables qu'aient  encore  offertes  les  annales  parlementai- 
res des  nations  constitutionnelles,  en  raison  des  événements 
extraordinaires  qu'elle  a  amenés  en  France  (  voyez  Révo- 
lution de  Juilijet).  La  révolution  de  Février  fut  aussi  le 
résultat  d'une  discussion  de  l'adresse.  Le  roi  avait  qualifié 
dans  son  discours  de  passions  aveugles  ou  ennemies  l'agi- 
tation produite  par  les  banquets.  La  chambre  avait  adopté 
cette  expression  ;  mais  l'opposition  avait  porté  le  défi  d'em- 
pêcher les  banquets ,  et  des  députés  de  toutes  les  nuances 
avaient  accepté  l'invitation  de  se  trouver  au  banquet  du 
douzième  arrondissement.  Le  ministère  avait  relevé  ce  défi 
dans  la  discussion  de  l'adresse,  et  il  voulait  saisir  le  pou- 
voir judiciaire  de  la  question  de  légalité.  Les  événements  en 
décidèrent  autrement.  C'est  encore  dans  une  discussion 
d'adresse  que  la  cluimbre  des  députés  introduisit  des  expres- 
sions flétrissantes  pour  ceux  de  ses  membres  qui  avaient 
fiiit  le  voyage  de  lîelgrave-Square.  Par  un  autre  vote  -elle 
empêcha  une  fois  ce  gouvernement  de  ratifier  un  traité  con- 
clu avec  l'Angleterre  à  propos  de  la  traite  des  nègres,  et 
qui  consacrait  le  droit  de  visite.  Ce  fut  encore  une  dis- 
cussion de  l'adresse  qui  interdit  l'expédition  projetée  contre 
Madagascar. 

En  Angleterre,  l'adresse  des  chambres  excite  à  un  moins 
haut  degré  l'intérêt  public,  parce  qu'elle  y  a  en  effet  moins 
d'importance.  Tout  membre  a  le  droit  de  proposer  directe- 
ment, à  la  chambre  dont  il  fait  partie, une  adresse.à  la  cou- 
lomie.  Lorsqu'il  s'agitderépondreaudiscours  d'ouverture  du 
pai  lement ,  le  projet  de  réponse  est  immédiatement  proposé 
p:u-  un  membre  de  la  majorité,  et  ce  projet  n'est  le  plus 
ordinairement  qu'une  paraphrase  du  discours  lui-même. 
L'opposition  a  le  droit  de  proposer  un  autre  projet  d'a- 
dresse, mais  elle  use  rarement  de  ce  droit,  et  elle  en  use 
d'autant  plus  rarement  qu'elle  est  plus  libre  dans  le  cours 
de  la  session,  sans  aucune  entrave  ni  restriction,  de  pro- 
poser une  adresse  spéciale  à  la  couronne.  —  En  outre,  et 
comme  en  Angleterre  les  mœurs  politiques  sont  assez  avan- 
cées pour  qu'il  paraisse  non-seulement  très-licite,  mais 
très-naturel,  lorsqu'un  ministre  n'a  plus  dans  les  chambres 
i;ne  majorité  assez  forte  et  assez  sympathique  pour  faire 
avec  fermeté  et  loyauté  les  affaires  du  pays ,  de  formuler 
nettement  et  directement  le  vœu  de  son  renvoi  dans  une 
adresse  spéciale,  tout  moyen  détourné  d'arriver  au  même 
résultat  paraîtrait  puéril  et  peu  digne  du  parlement.  Aussi 
en  Angleterre  ne  voit-on  pas ,  comme  on  l'a  vu  longtemps 
chez  nous,  de  ces  débats  prolongés  sur  un  mot,  sur  une 
]ilirase  souvent  équivoque  de  l'adresse,  débats  qui  n'étaient 
si  acharnés  que  parce  qu'ils  couvraient  une  question  raims- 
térielle  que  nos  mœurs  ne  permettaient  pas  de  poser  direc- 
tement. 

Quant  aux  adresses  de  félicitalion,  d'adhésion,  etc.,  éma- 
nant des  autorités  constituées  d'un  pays,  il  y  a  longtemps 
qu'elles  ont  perdu  toute  importance  politique.  Pour  que  ces 
documents  servissent  réellement  à  constater  l'état  de  l'opi- 
nion publique,  il  faudrait  qu'ils  fussent  délibérés  et  votés 
par  des  hommes  autres  que  ceux  auxquels  les  gouverne- 
ments confient  précisément  une  paît  dans  l'exercice  de  leur 
autorité.  Émanant ,  au  contraire ,  d'assemblées  représentant 
véritablement  les  intérêts  des  localités,  les  adresses  seraient 
d'une  incontestable  utilité  pour  faire  connaître  la  vérité  aux 
gouvernements.  Sous  ce  rapport,  il  semble  qu'on  ne  saurait 
trop  recommander  l'imitation  de  l'usage  qui  existe  depuis 
uu  temps  iuunémori;;!  en  Ausieîerre,  et  qui  permet  à  plu- 


ADRESSE 

Meurs  centaines  de  înilliers  de  citoyens  de  se  rtWinir  h  jour 
fixe  dans  un  lieu  donni^  à  Tellet  de  délibérer  soit  sur  la  si- 
tuation des  aiïaires  du  [lays,  soit  sur  les  griefs  particuliers  que 
les  localités  lésées  dans  leurs  intérêts  peuvent  avoir  à  faire 
connaître  au  souverain  ou  à  la  législature.  Ces  vastes  réu- 
nions d'hommes ,  dans  lesquelles  des  orateurs  populaires 
exposent  dans  im  langage  ferme  et  incisif,  tantôt  les  grands 
principes  du  droit  politique,  tantôt  les  erreurs  des  gouver- 
nants, peuvent  d'ailleurs,  dans  une  machine  constitutionnelle, 
être  considérées  comme  autant  de  soupapes  de  sûreté  par 
lesquelles  s'cchai>pe  le  trop-plein  du  mécontentement  po- 
luilaire.  Les  peuples,  comme  les  enfants,  demandent  moins 
qu'on  les  soulage  qu'on  ne  paraisse  écouter  leurs  doléances. 

ADRESSE  DES  221.  Quand  l'heure  (;itale  des  em- 
pires a  sonné,  il  faut  qu'ils  tombent.  Leurs  précautions  leur 
sont  un  piège,  et  leur  résistance  ne  fait  que  hâter  leur  chute. 
Pour  gouverner  dans  la  tempête  qui  s'éleva  sur  la  fin  du 
règne  de  Charles  X,  il  eût  fallu  prendre  im  timonier  aussi 
ferme  qu'habile,  et  ce  fut  un  pilote  ignorant  et  faible  qu'on 
choisit.  La  révolution  de  1830  date  chronologiquement  de 
juillet,  mais  elle  était  déjà  renfermée  dans  l'adressedes  deux 
cent  vingt  et  un.  Sous  les  emblèmes  les  plus  respectueux, 
sous  une  phraséologie  qui  poussait  la  servilité  jusqu'à  l'em- 
phase et  qui  se  prosternait  à  terre,  il  était  facile  d'entendrs 
les  grondements  sourds  de  l'opposilion,  et  de  lire  le  fond  de 
ses  pensées.  Elles  étaient  sombres  et  menaçantes.  Les  der- 
niers prestiges  du  droit  divin  s'évanouissaient,  et  la  souve- 
raineté nationale  apparaissait  dans  le  lointain.  C'est  dans  ce 
sens  qu'il  faut  lire,  qu'il  faut  étudier  le  prophétique  avertis- 
sement connu  sous  le  ncm  d^ Adresse  des  deux  cent  vingt 
et  un ,  qui  restera  comme  le  monument  le  plus  remarquable 
peut-être  des  révohilions  parlementaires. 

On  se  tromperait  si  Ton  croyait  que  les  deux  cent  vingt 
et  un  députés  de  la  coalition  ont  tous  voté  la  fanieuse  adresse 
par  les  mêmes  motifs.  —  Les  hommes  de  la  gauche  votèrent 
par  haine  contre  1\L  de  Polignac,  de  même  que  U^ï.  de 
Conny  ,  de  Laboulaye  et  de  Forment  eussent  voté  par  haine 
contie  MM.  de  Lafayette,  Bavoux  et  B.  Constant,  si  ces  der- 
niers eussent  été  ministres.  C'est  là,  au  surplus,  riiistoire  de 
tous  les  partis  et  de  tous  les  temps  :  il  y  a  dans  toutes  les  as- 
semblées politiques  une  invincible  répugnance  qui  naît  de 
l'incompatibilité  radicale  des  doctrines  ;  et  qui  ne  sait  ([ue 
de  la  haine  des  doctrines  on  passe  facilement  à  la  haine 
des  personnes  ?  —  Pour  les  députés  de  la  gauche,  M.  de  Poli- 
gnac était  l'incarnation  de  la  contre-révolution  ;  c'était  la 
restauration  d'une  aristocratie  hébétée  ;  c'était  l'ancien  ré- 
gime avec  ses  tourelles,  ses  créneaux,  son  vasselage  et  sa 
féodalité;  c'était  la  censure;  c'était  le  renversement  violent 
de  la  charte.  —  Les  honmies  du  centre  gauche  n'avaient 
pas  contre  la  personne  même  de  M.  de  Polignac  i\n  si 
âpre  ressentiment  ;  j'écoutais  leurs  entretiens.  Ils  se  disaient 
entre  eux  :  On  ne  peut  nier  que  ce  soit  un  homme  courtois, 
affable  et  de  manières  chevaleresques  et  polies.  Sa  fidélité 
au  roi  a  eu  quelque  chose  d'héroïque  et  d'admirable,  il  ne 
jieiit  pas  avoir  vécu  si  longtemps  en  Angleterre  sans  y  avoir 
«liod'lié  l'absolutisme  primitif  de  ses  idtîes,  et  le  spectacle 
d'une  nation  heureuse  et  libre  n'a  pas  dû  être  sans  influence 
sir  son  âme.  Nous  cioyons  qu'il  ne  manque  pas  d'une  cei- 
taine  modération  naturelle ,  et  que  les  coups  d'État  ne  sur- 
giraient pas  de  ses  propres  inspirations.  Enfin,  à  tout 
prendre ,  il  vaut  bien ,  il  vaut  mieux  que  tant  de  ministres, 
caméléons  politiques ,  qui  ne  se  sont  parés  de  beaux  sem- 
blants de  constitutionnalité  que  pour  capter  nos  suffrages, 
se  couvrir  d'honneurs  et  d'or,  et  trahir  la  cause  sacrée  de 
la  patrie.  —  Mais  U.  de  Polignac  est  faible  parce  qu'il  est 
médiocre;  il  n'a  pas  de  volonté  à  lui,  pas  de  système  arrêté. 
Il  est  le  jouet  d'une  faction  perverse,  qui  consent  que  tout 
périsse  ensuite,  peuple  et  monarchie,  pourvu  d'abord  qu'elle 
règne.  11  a  planté  son  drapeau  dans  rextiêmc  droite,  avec 
laquelle  tout  homme  rais-jr.nable  et  auu  de  sca  piijs  iw.ou- 


133 

nait  qu'il  est  impossible  de  marcher.  11  s'est  mis  à  la  fêle 
d'un  ministère  que  tout  annonce  n'avoir  été  créé  que  pour 
empêcher  l'établissement  de  l'organisation  municipale  et 
départementale,  et  pour  nous  ravir  les  deux  lois  de  la  presse 
et  des  élections.  Vn  votant  l'adresse,  nous  remplirons  notre 
devoir  de  loyaux  députés  ;  nous  reproduirons  le  vœu  de  nos 
départements  ;  nous  dirons  au  pouvoir  ce  qui  fâche,  mais  ce 
qui  éclaire,  ce  qui  blesse,  mais  ce  qui  guérit,  la  vérité. 
Nous  ne  nous  targuons  pas  ,  pour  faire  un  tel  acte  ,  ni  d'un 
grand  mérite  ni  d'un  grand  courage  ;  nous  voulons  tout  sim- 
plement êtie  conformes  à  nous-mêmes.  Les  médailles  cons- 
titutionnelles ,  les  dîners  civiques ,  les  discours  ,  les  remer- 
cîments,  les  sérénades,  à  nos  yeux,  ne  signifient  rien.  Que, 
d'un  côté ,  les  courtisans  inondent  les  antichambres  de 
M.  de  Pohgnac,  qu'ils  le  pressent,  qu'ils  l'étouf'fent  dans 
l'empressement  de  leurs  félicitations  ridicides  ;  de  l'autre , 
que  les  toasts  circulent  avec  le  vin  ou  la  bière  dans  les 
banquets  de  li  gauche  ;  nous  ne  voyons  en  tout  cela  que  des 
parades  de  théâtre  et  que  le  triomphe  puéril  d'une  coterie. 
C'est  à  la  France  calme  et  rassise ,  c'est  à  la  conscience  indi- 
viduelle de  tous  les  bons  citoyens,  que  nous  allons  nous 
adresser.  —  Tels  étaient  leurs  discours. 

Chaque  parti  était  pris  d'avance,  et  les  orateurs  du  comité 
secret  n'avancèrent  pas  la  question.  On  était  plus  avide  de 
la  solution  que  de  leurs  discours.  Voici  l'impression  exacte 
qu'ils  ont  produite  sur  l'assemblée.  —  M.  Fauro  a  paru  rai- 
sonnable; M.  Guizot,  dogmatique  et  peu  entraînant  ;  M.  Du- 
pin  ,  vif  et  pressant;  M.  Guernon  de  Pianville ,  aigre  et  hu- 
moriste ;  M.  de  Cbantelauze,  verbeux  et  monotone  ;  1\L  Pas 
de  Baulieu ,  déclamât eur  consciencieux  ;  M.  Berryer,  élo- 
quent, nerveux,  pas.sionné;  —  mais  M.  de  Cordoue,  avec 
son  accent  d'honnête  homme  et  sa  parole  convaincue ,  rem- 
porta une  véritable  victoire  ;  car  il  émut  presque  jusqu'aux 
larmes  cette  portion  de  l'assemblée  où  le  centre  gauche  se 
confondait  avec  le  centre  droit.  On  pourrait  affirmer  que 
sans  le  discours  chaleureux  et  persuasif  de  M.  de  Cordoue , 
la  majorité  n'eût  pas  été  tout  à  fait  aussi  forte.  —  Peut-être 
eût-elle  diminué  encore  un  peu  si  I\I.  de  Polignac  eût  su 
dire  quelques  paroles  de  modération  ,  et  s'il  eût  su  expliquer 
aTCc  quelque  mesure  et  quelque  clarté  le  système  de  son 
administration.  En  vérité,  l'on  souffrait  pour  lui,  comme  ces 
spectateurs  assis  au  théâtre ,  qui  sentent  du  malaise  à  ^oir 
un  acteur  se  troubler,  balbutier  et  pâlir.  Ce  pauvre  minis- 
tère, cloué  sur  son  banc,  sans  voix,  sans  couleur,  accablé 
de  sarcasmes  et  de  mépris  ,  faisait  étonnamment  pitié  ! 

La  salle  était  mal  éclairée,  et  de  sourds  frémissements 
parcouraient  tous  les  rangs  de  l'opposition  :  on  se  cherchait 
(!es  yeux ,  on  se  pressait  les  mains  et  l'on  s'encourageait  à  la 
victoire,  car  on  semblait  comprendre  que  cette  journée 
allait  décider  du  sort  de  la  France.  —  La  gauciie  et  le  centre 
gauche  se  levèrent  jiour  Vadresse  tous  à  la  fois,  coup  sur 
coup,  sans  division  et  comme  un  seul  homme.  —  L'extrême 
droite  vota  hardiment  contre  Vadresse,  et  comme  il  conve- 
nait à  des  gens  de  cœur.  —  Mais  le  spectacle  du  centre  droit 
était  risible  :  là  se  trouvaient  rangés  cette  foule  de  préfets  , 
d'avocats  généraux,  militaires  en  activité,  procureurs  du 
roi ,  gentils-hommes  de  la  chambre  et  autres  fonctionnaires 
amovibles ,  dont  la  plu|)art  étaient  passablement  constitu- 
tionnels au  fond  de  l'âme ,  qui  pestaient  contre  le  maudit 
usage  de  voter  ostensiblement  par  assis  'et  levé ,  et  qui  ne 
savaient  comment  faire  pour  accoider  la  conscience  avec 
l'intérêt,  et  le  député  avec  le  fonctionnaire.  —  Plusieurs 
hommes  timides  etindécis,  à  la  faveur  du  demi-jour,  se  glis- 
sèrent derrière  les  draperies,  et  disparurent.  Royalistes  de 
forme  ,  libéraux  au  fond  ,  e.\cités  par  leur  patriotisnie,  rete- 
nus par  l'intérêt,  ils  échappaient  au  vote,  croyant  ainsi 
échapper  à  leur  conscience. 

La  situation  devenait  critique.  Je  voyais  notre  majorité 
décroître  de  paragraphe  en  jiaragraphe,  jusqu'au  fiimeux 
membre  de  jihrase  :  «   Lrtre  vos  ministres  cl  nous,  que 


134 


ADRESSE  —  ADRETS 


Votre  Majesté  prononce  !  »  Là  6clat<'\il  le  refus  de  concours  ; 
là,  très-r^rtainement  aussi ,  c'est  tout  au  plus  si  huit  ou  dix 
membres  du  centre  droit  se  sont  levés  aVec  nous.  —  Com- 
ment donc  se  fait-il  alors  que  la  majorité  sur  l'ensemble  de 
Vadresse  ait  été  de  quarante?  C'est  qu'après  avoir  satisfait 
à  l'intérêt  de  leur  place,  les  quarante  membres  ont  obéi  à  la 
voix  de  leur  conscience.  Us  ont  donc  voté  à  la  fois  contre  et 
pour  :  contre,  à  l'assis  et  levé  ;  pour,  au  scrutin.  C'est  ainsi 
que  la  violence  du  ministère  engendrait  l'iiypocrisie  des 
fonctionnaires,  ctjui  faisait  des  ennemis  mortefs  de  tous  ces 
gens  peureux ,  mais  iionnétes ,  qu'il  forçait  à  se  composer, 
imurlemème  objet,  un  double  vote,  et  à  rougir  en  secret 
d'eux-mêmes.  — 'Mais  quels  étaient  ces  députés?  Le  mystère 
de  leurs  noms  est  resté  caché  dans  l'urne. 

S'attachant  à  ce  chiffre  de  quarante,  lemini.stère  Polignac 
voulut  faire  prendre  le  change  à  l'oijinion  et  donner  à  croire 
que  la  majorité  anti-ministérielle  n'avait  pas  été  au  delà.  — 
Hien  n'était  plus  faux  que  ce  calcul.  En  effet ,  plus  de  trente 
députés  avaient  voté  contre  l'adresse ,  qui  eussent  voté  pour 
l'amendement  Lorgeril.  Or,  l'amendement  Lorgeril  ne  mo- 
difiait que  l'enveloppe  de  la  pensée  intime  de  la  chambre, 
mais  il  ne  changeait  rien  au  fond  même  de  cette  pensée.  11 
repoussait  tout  autant  que  la  commissi/)n  le  ministère  Poli- 
gnac ,  mais  avec  des  formes  plus  adoucies.  Voilà  ce  qu'il  est 
impossible  de  nier.  Aussi  M.  Berryer,  qui  a  déployé  autant 
d'habileté  que  d'énergie  dans  cette  discussion ,  s'est-il  élevé 
avec  la  môme  force  contre  l'amendement  Lorgeril  que  contre 
l'adresse ,  et  l'extrême  droite,  qui  sentait  toute  la  justesse  de 
son  argumentation,  le  seconda  de  ses  applaudissements.  — 
De  son  côté,  le  centre  gauche ,  plus  exigeant  à  mesure  qu'il 
obtenait  davantage,  ne  crut  pas  devoir  abandonner  la  rédac- 
tion de  sa  commission  ,  pour  lui  substituer  un  amendement 
décoloré,  qui  au  fond  signifiait  exactement  la  môme  chose. 

Il  faut  conclure  de  tout  ceci  que  la  majorité  d'alors  se 
composait  de  quarante  membres ,  auxquels  il  faut  ajouter 
vingt  à  trente  députés  qui  siégeaient  au  centre  dioit,  et  qui 
étaient  à  peu  près  aussi  antipathiques  à  l'extrême  droite  qu'à 
l'extrême  gauche.  —  Le  parti  Polignac  pur,  tel  que  les  scru- 
tins de  la  présidence  et  de  la  vice-présidence  l'ont,  à  diffé- 
rentes épreuves,  signalé,  était  de  cent  seize  à  cent  vingt  mem- 
bres tout  au  plus.  Voilà  son  chiffre  et  voilà  sa  force  réelle. 
N'était-ce  pas  une  résolution  insensée,  désespérée,  de  vou- 
loir gouverner  avec  une  si  faible  majorité?  Timon. 

ADRETS  (Fkançois  de  Beaumomt,  baron  des).  Le 
paysan  du  Dauphiné  ne  prononce  aujourd'hui  ce  nom  qu'eu 
frémissant  :  après  deux  siècles  et  demi ,  on  se  souvient,  en- 
core dans  cette  province  du  chef  de  bandes ,  tour  à  tour 
bourreau  protestant  et  bourreau  catholique ,  qui ,  selon  le 
variable  instinct  de  sa  vengeance,  faisait  tomber  son  glaive 
sur  l'un  et  l'autre  parti.  Le  baron  des  Adrets  n'eut  de  pas- 
sion que  la  haine  ;  il  usa  pour  la  satisfaire  de  toutes  les 
qualités  du  guerrier  :  intrépidité ,  prévoyance  ,  sagacité  , 
activité,  mépris  du  danger  et  de  la  mort.  La  France  du 
seizième  siècle  parodiait  l'Italie ,  à  qui  elle  empruntait  tous 
ses  crimes  comme  toutes  ses  voluptés.  Elle  vit  en  lui  avec 
effroi  le  représentant  de  celte  vengeance  italienne,  dont 
Ezzelin  fut  le  modèle  et  Dante  le  poète.  Une  fureur  si  étran- 
gère à  nos  mœurs  frappa  vivement  les  esprits,  et  des 
Adrets  devint  un  type.  15ientôt  sa  légende  se  chargea  de 
tous  les  actes  de-,  férocité  que  put  inventer  rimaginatiou 
populaire,  et  l'historien,  forcé  aujourd'hui  de  découvrir 
sous  un  amas  de  mensonges  la  réalité  des  faits,  sépare 
avec  diflicuité  la  vérité  de  la  llction. 

Cet  honmie  odieux  appartenait  à  une  branche  puînée  de 
la  maison  de  Beaumont,  (jui  subsiste  toujours  dans  les  bran- 
ches de  Beaumont,  d'Autichamp  et  de  Saint-Quentin.  Né 
au  château  de  la  Frette,  en  15I;J,  il  entra  dans  une  com- 
pagnie de  gentils-hommes  volontaires  du  Dauphiné,  partit 
à  <\uiii7.e  ans  pour  l'Italie,  y  lit  sa  première  éducation  guer- 
rièic,  et  fut  nommé  à  dix-neuf   ans  l'un  des  cent    gen- 


tils-hommes ordinaires  de  François  I"".  Promu ,  après  la 
mort  de  ce  roi ,  au  grade  de  colonel,  il  s'était  déjà  signalé 
par  l'excès  de  son  intrépidité  et  la  violence  d'un  orgueil  qui 
ne  souffrait  et  ne  pardonnait  aucune  offense.  D'Ailly  de 
Pecquigny,  gouverneur  du  MontfeiTat,  ayant  livré  aux 
Espagnols  cette  place,  le  jeune  des  Adrets  l'insulta  par  une 
provocation  publique  ;  il  offrait  de  prouver  en  champ  clos, 
selon  les  anciennes  lois  du  royaume,  que  d'Ailly  avait  for- 
fait à  l'honneur  en  n'opposant  à  l'ennemi  aucune  résis- 
tance. D'Ailly  répondit  à  cette  provocation  par  une  dénon- 
ciation que  les  princes  de  Lorraine  soutinrent  ;  il  fut  dé- 
fendu au  baron  des  Adrets  de  renouveler  son  accusation , 
dont  le  gouverneur  fut  déchargé  solennellement.  Déclaré 
calomniateur  par  jugement  solennel  et  authentique ,  il  con- 
çut une  rage  profonde  contre  les  Guises,  qu'il  ne  cessa 
plus  de  poursuivre  de  sa  haine.  Catherine  de  Médicis  les 
craignait  et  voulait  les  détniire ,  le  baron  des  Adrets  était 
un  instrument  propre  à  servir  ses  vues  :  dans  une  lettre 
qui  s'est  conservée,  elle  l'engagea  vivement  à  la  servir  en 
servant  sa  j)ropre  vengeance ,  à  lever  des  troupes ,  protes- 
tantes ou  catholiques ,  peu  importait ,  et  à  ruiner  cette 
maison  de  Lorraine,  ennemie  de  l'État.  Ravi  de  trouver  une 
occasion  commode  de  vengeance,  des  Adrets  embrasse  aus- 
sitôt le  parti  de  Condé ,  et ,  dirigeant  avec  une  activité  et 
une  vigueur  incroyables  le  fanatisme  des  protestants ,  en- 
vahit successivement  Valence ,  Lyon ,  Grenoble ,  Vienne , 
Orange ,  Montélimart ,  Pierrelatte ,  le  Bourg ,  Bolène ,  etc. 
Signalant  son  passage  par  le  meurtre  et  la  cruauté  froide , 
et  semant  l'épouvante  sur  sa  route,  tantôt  il  pendait  une 
garnison  qui  se  rendait ,  tantôt  il  décapitait  en  riant  tous 
ses  prisonniers.  Les  chefs  de  la  cause  protestante  reculè- 
rent devant  les  succès  souillés  que  le  baron  leur  apportait. 
Soubise  fut  nommé,  à  l'exclusion  de  des  Adrets,  lieutenant 
général  du  prince  de  Condé.  Alors  ce  catholique ,  chef  do 
protestants,  s'aperçut  que  la  haine  l'avait  jeté  dans  une 
position  fausse ,  et  que  jamais  il  n'obtiendrait ,  même  en 
le  faisant  triompher,  la  confiance  du  parti  qu'il  servait. 
Des  négociations  entamées  entre  lui  et  le  duc  de  Nemours, 
tendant  à  sa  réconciliation  avec  les  catholiques ,  parvin- 
rent à  la  connaissance  de  Condé ,  qui  le  fit  arrêter  par  les 
anciens  lieutenants  du  baron  lui-môme,  Montbrun  et  Mou- 
vans.  Les  deux  partis  pouvaient  le  faire  pendre ,  il  avait 
trahi  l'un  et  l'autre;  mais  la  fermeté  de  sa  défense  et  la 
terreur  qu'il  inspirait  l'emportèrent  sur  la  haine  de  ses  en- 
nemis. Après  l'éilit  de  pacification  de  1563  ,  il  fut  relâché, 
sans  ôti  e  ni  condamné  ni  absous ,  comme  un  tigre  qui  au- 
rait embarrassé  ceux  qui  l'avaient  pris.  Bientôt  devenu  l'ins- 
trument du  roi  contre  les  protestants  et  Condé ,  comme  il 
avait  été  l'instrument  de  Catherine  contre  les  Guises ,  il 
s'occupa,  c'est  le  mot  dont  il  se  servit,  à  dé/aire  les  hu- 
guenots qu'il  avait  faits.  ]\Iais  cet  homme,  qui  n'avait  pour 
mobiles  que  sa  passion  et  sa  vengeance,  ne  pouvait  conquérir 
la  confiance  d'aucun  parti  ;  le  roi  le  fit  arrêter  et  enfermer  à 
Pierre-Encise.  Rendu  à  la  liberté  en  1571  ,  après  la  paix  ,  il 
vint  de  lui-même  affronter  à  la  cour  ses  ennemis,  et  deman- 
der jugement  de  sa  conduite.  Son  audace  fut  encore  victo- 
rieuse, et  le  joi,  par  acte  authentique,  le  déclara  exempt  de 
tout  blûme,  en  le  chargeant  d'aller,  dans  le  marquisat  de 
Saluées,  réprimer  les  tentatives  du  duc  de  Savoie.  Dès  qu'il  y 
jiarut ,  tout  fut  tranquille  :  ce  fut  là  qu'il  apprit  la  mort  de 
ses  fils,  l'aîné  tué  pendant  la  nuit  de  la  Saint-Barthélémy, 
l'autre  pendant  le  siège  de  la  Rochelle  ;  juste  punition  du 
ciel,  qui  laissait  seul  et  sans  postérité  ce  vieillard  qui  avait 
fait  tant  d'orphelins.  Une  profonde  douleur  lui  saisit  le  cœur, 
et  il  se  retira  dans  son  château ,  oii  il  mourut  le  2  fé- 
vrier 1586,  maudit  de  tous,  sans  que  nul  le  regrettât,  et  ca- 
lomnié par  la  haine  publique,  qui  poursuivait  en  lui  l'c- 
Roisme  et  la  cniauté  de  toute  une  vie.  Sans  fanatisme  de  re- 
ligion ni  de  patrie,  ii  n'avait  pensé  qu'à  se  venger  person- 
nellement.  11  s'était  réjoui  dans  le  sang  de  ses  ennemis, 


ADRETS  —  ADRIEN 


135 


et  n'avait  (^pariïiu^  ponrlc  versorni  trahisons  ni  infamies.  On 
connaît  ce  mot  du  soldat  forcé  par  lui  de  se  précipiter  h  son 
tour,  et  comme  toute  la  garnison ,  des  créneaux  d'une  tour 
élevée  :  «  Tu  t'y  reprends  à  deux  fois  ;  allons,  je  n'ai  pas  de 
n  temps  à  perdre.  —  Baron  ,  lui  répondit  le  malheureux  , 
«  que  cette  repartie  sauva,  je  vous  le  donne  en  quatre.  » 
Cest  peut-être  le  seul  homme  auquel  des  .\drets  ait  accordé 
la  vie.  —  Deux  biographes  ont  écrit  Thistoire  de  des  Adrets  : 
Allard  (1673 ,  Grenoble  )  et  J.  C.  Martin  (ii<03).  La  plupart 
de  ceux  qui  ont  parlé  de  ce  monstre  ont  négligé  le  trait  spé- 
cial de  son  existence  et  de  son  caractère.  Ce  n'était  point 
une  âme  ambitieuse  ni  un  esprit  fanatique  ;  c'était  une  vin- 
dicte inexorable,  une  éducation  italienne  du  seizième  siècle, 
jointe  à  la  bravoure  française ,  à  un  orgueil  démesuré ,  à  un 
égoisme  infini.  Philarète  Chasues. 

ADRIAXI  (Villa).  Voye:i  Tiblr. 

ADRIAXIÈS,  fêtes  en  l'honneur  ds  l'empereur  Adrien. 
Le  trente-quatrième  marbre  d'Oxford  prouve  qu'il  y  avait 
dans  ces  fêtes  des  concours  de  musique ,  et  qu'on  les  célé- 
brait à  Rome ,  à  Thèbes  et  à  Éphèse. 

ADRIATIQUE  (Mer),  ou  Golfe  de  Venise.  C'est  la 
partie  de  la  Méditerranée  qui  baigne  les  côtes  orientales 
de  l'Italie  et  l'illyrie,  la  Dalmatie  et  l'Albanie.  Elle  s'étend 
du  cap  d'Otrante  au  sud-est,  au  fond  du  golfe  de  Trieste,  au 
nord-ouest,  entre  40"d'  et  45''55'  de  latitude,  sur  une  lon- 
gueur d'environ  750  kilomètres.  Le  littoral  est  sans  sinuo- 
sités profondes;  les  seuls  golfes  qu'on  y  rencontre  sont 
ceux  de  Manfredonia,  de  Trieste  et  de  Quarnero.  Les  côtes 
occidentales  sont  basses  et  sans  ports,  les  côtes  orientales  sont 
escarpées  et  forment  de  bons  ports.  La  marée  ne  s'y  fait 
sentir  que  faiblement,  à  part  quelques  localités,  comme  Ve- 
nise, où  elle  s'élève  à  un  mètre  et  demi  ;  mais  l'eau  y  est  plus 
salée  que  dans  tout  le  reste  de  la  Méditerranée  :  c'est  que 
l'Adriatique  reçoit  peu  de  fleuves.  Le  Pôet  l'Adige  sont 
ses  seuls  aflluents  considérables.  Les  principaux  ports  de 
la  mer  Adriatique  sont  Trieste,  Venise,  Ancône  et 
Fi  unie.  Elle  doit  son  nom  à  la  ville  d'Adria,  près  de 
l'embouchure  du  Pô,  qui  fut  très-célèbre  dans  l'antiquité,  par 
son  commerce.  Ce  fut,  comme  on  sait,  à  la  république  de 
Venise  qu'échut  ensuite  la  domination  sur  cette  mer. 

ADRIEX  (  PcBLiL's  /Elius  Adrianus  ou  Hadrianis  ) , 
empereur  romain ,  naquit  à  Rome  le  24  janvier  76.  Son 
père ,  JEl'ms  Adrianus  Afer,  était  connu  de  Trajan  ;  sa 
mère,  Domitia  Paulina,  appartenait  à  une  illustre  famille  de 
Cadix.  Trajan  fut  son  tuteur.  Dans  sa  jeunesse  il  étudia 
les  lettres  avec  tant  d'ardeur  qu'on  l'appelait  Grxculus  (  le 
jeune  Grec).  Il  servit  de  bonne  heure  dans  l'armée,  et  était 
tribun  d'une  légion  avant  la  mort  de  Domitien.  L'aimée  de 
la  basse  Mœsie  le  choisit  pour  complimenter  Trajan ,  adopté 
par  l'empereur  >'erva,  et  ce  fut  encore  lui  qui  apporta  à  ce 
prince  la  première  nouvelle  de  la  mort  de  Nerva.  Adrien 
regagna  par  ses  talents  et  son  courage  les  bonnes  grâces  de 
Trajan,  qu'il  avait  perdues  par  ses  écarts  et  sa  prodigalité,  et 
épousa  sa  petite-nièce.  Il  était  gouverneur  de  Syrie  quand 
il  apprit  que  Trajan  l'avait  adopté  en  mourant.  II  se  fit 
aussitôt  proclamer  à  Antioche  (117).  On  a  prétendu  que  ce 
l'ut  Plotine ,  l'épouse  de  Trajan ,  qui  supposa  cette  adop- 
tion ;  mais  ce  fait  n'est  rien  moins  que  prouvé. 

L'empire  romain  était  arrivé  sous  Trajan  à  sa  plus 
grande  extension  ;  mais  l'extrême  diversité  des  races  et  des 
éléments  qui  s'y  trouvaient  rassemblés  ainsi  que  les  empié- 
tements continuels  et  progressifs  des  barbares  y  apportaient 
des  germes  puissants  de  dissolution.  Adrien  comprit  la  si- 
tuation et  le  rôle  qu'il  avait  à  jouer.  Doué  de  qualités  guer- 
rières et  de  talents  militaires,  il  ne  se  laissa  pas  séduire  par 
la  gloire  des  armes  qui  avait  entraîné  Trajan.  11  comprit  que 
le  temps  était  venu  d'arrêter  la  crue  du  colosse  romain;  et, 
pour  mieux  assurer  la  prospérité  de  l'État,  il  se  résigna 
à  abandonner  une  partie  des  conquêtes  de  son  prédéces- 
seur. Il  limita  l'empire  à  l'Euphrate  et  fit  même  abattre 


un  magnifique  pont  élevé  sur  le  Danube  par  l'ordre  de 
Trajan ,  dans  la  crainte  qu'il  ne  senît  aux  barbares.  Le» 
guerres  qu'il  fut  contraint  de  faire  furent  des  guerres  de 
conservation.  Telles  sont  celles  qu'il  entreprit  contre  les 
Alains ,  les  Sarmates  et  les  Daces ,  qui  faisaient  des  incur- 
sions dans  l'empire ,  et  contre  les  Juifs  ,  qui,  blessés  dans 
leur  croyance  par  la  construction  d'un  temple  de  Jupiter  à 
Jénisalem,  s'étaient  révoltés  sous  un  prétendu  messie,  nommé 
Barkokébas.  Adrien  employa  treize  années  de  son  rè^e, 
de  l'an  119  à  l'an  132,  à  visiter  son  wnpire,  marchant  [wur 
l'ordinaire  à  pied  et  la  tète  découverte.  Il  laissait  partout  des 
traces  de  sa  munificence  et  de  sa  hbéralité ,  en  même  temps 
que  sa  vigilance  était  le  plus  sur  garant  de  la  paix.  Ainsi  en 
Angleterre  il  fit  constniire  une  muraille  de  trente  heues  de 
longueur  pour  mettre  le  pays  à  l'abri  des  invasions  des  Calé- 
doniens. A  soixante  ans  il  adopta  Lucius  Vérus,  et,  celui-ci 
étant  mort ,  il  adopta  Antonius ,  à  la  condition  qu'Antonius 
adopterait  Marc-Aurèle  et  le  filsd'.Elius  Vérus,  donnant  ainsi 
de  dignes  héritiers  présomptifs  à  l'empire.  Dans  les  der- 
nières années  de  son  règne  il  laissa  son  successeur  s'essayer 
à  l'empire,  et  se  retira  à  Ti bur ,  dans  un  magnifique  palais, 
qu'il  dt  construire  d'après  ses  propres  plans.  En  outre ,  il 
avait  couvert  l'empire  de  monuments  :  il  avait  rebâti  Jéru- 
salem, nommée  en  son  honneur  ^lia  Dans  les  Gaules,  l'A- 
rène de  Nîmes  et  le  pont  du  Gard  ;  en  Espagne ,  le  tombeau 
de  Pompée  sont  un  témoignage  de  son  amour  des  arts  et 
de  sa  munificence.  11  adoucit  la  condition  des  esclaves,  et 
retira  aux  maîtres  le  droit  absolu  de  -vie  et  de  mort  qu'ils 
possédaient  sur  eux.  Il  ne  persécuta  point  les  chrétiens 
après  qu'Aristide  et  Quadratus,  évêque  d'Athènes,  lui  eurent 
démontré  la  fausseté  des  accusations  portées  contre  eux. 
On  prétend  même  qu'il  forma  le  dessein  de  bâtir  un  temple 
au  Dieu  des  chrétiens  et  de  l'admettre  parmi  les  autres 
dieux.  11  prohiba  les  sacrifices  humains ,  qui  se  faisaient 
encore  dans  certaines  parties  de  l'empire,  et  publia  Védit 
perpétuel,  vaste  corps  de  lois  qui  régit  l'empire  jusqu'au 
temps  de  Justinien.  Adrien  mourut  à  Baies,  l'an  13S,  à 
l'âge  de  soixante-deux  ans.  Les  vers  qu'il  fit  dans  ses  der- 
niers moments  prouvent  qu'il  vit  sans  «'émouvoir  sa  fin 
prociiaine.  Comme  revers  de  si  brillantes  qualités  et  d'im 
règne  aussi  sage,  l'histoire  reproche  à  Adrien  sa  honteuse 
passion  pour  le  bel  Antinoiis,  une  superstition  ridicule 
et  qui  semble  inconciliable  avec  l'élévation  de  son  esprit, 
et  quelques  cruautés  sur  la  fin  de  sa  vie. 
ADRIEN.  On  compte  six  papes  de  ce  nom. 
ADRIEN  I",  né  à  Rome,  régna  de  772  à  793,  et  fut  l'ami 
de  Charlemagne,  qui ,  pour  le  récompenser  du  zèle  avec  le- 
quel il  avait  défendu  ses  droits  à  la  couronne  ,  le  protégea  de 
ses  amies  contre  Didier,  roi  des  Lombards  (774),  et  confirma 
le  don  de  Pépin.  En  confirmant  les  résolutions  prises  en  786, 
au  concile  de  Nicée,  relativement  au  culte  des  images, 
Adrien  mécontenta  fortement  l'empereur,  qui  fit  rejeter  ces 
résolutions  parle  synode  tenu  à  Francfort-sur-le->Ieinen794. 
Adrien  combattit  cependant  avec  tant  d'habileté  les  motifs 
de  la  décision  de  ce  synode,  que  Charlemagne  n'en  resta  pas 
moins  son  ami  ;  et  à  la  mort  du  pontife,  arrivée  en  795,  l'em- 
pereur composa  lui-même  son  épitaphe,  qu'on  voit  encore 
aujourd'hui  au  Vatican. 

ADRIEN  II,  cent  cinquième  pape,  né  à  Rome ,  fils  de 
Talan,  évêque,  et  de  la  famille  d'Etienne  IV  et  de  Sergius  II, 
était  déjà  âgé  de  soixante-quinze  ans  quand  il  fut  salué  pape. 
Il  succéda  à  Nicolas  F'',  en  8G7.  Il  communia  de  sa  main 
Lothaire  II,  roi  de  Lorraine,  qui  avait  fait  le  voyage  du  !\Iont- 
Cassin  pour  faire  lever  l'excommunication  dont  l'avait  frappé 
Nicolas  I*"",  à  cause  de  son  divoice  avec  Theulberge.  Son 
intervention  dans  la  querelle  de  surcession  qui  éclata  à  la 
mort  de  Lothaire,  entre  Charles  le  Chauve  et  l'empereur 
Louis,  lui  attira  l'inimitié  du  roi  de  France.  Dans  ce 
royainne  il  soutint  avec  peu  de  succès  une  lutte  engagée  contre 
son  autorité.  On  déposa,  malgré  lui,  Hinkraar,  évêque  de 


J3G 


ADRIEN   -  ADULTERE 


Laon,  et  il  échoua  dans  une  tentative  faite  à  Constanti- 
■  riople  contre  le  patriarche  l'hotius,  qu'il  excommunia,  mais 
«lont  l'Église  n'en  continua  pas  moins  à  se  considérer  conmic 
indci)en(lante  du  siège  de  Rome.  Il  mourut  en  S72. 

AURILN  m,  cent  iiuiti^me pape  romain,  fut  élu  en  884,  suc- 
céda à  Marin,  et  ne  régna  qu'un  an  et  six  mois.  Il  s'opposa 
à  l'innuence  des  empereurs  sur  l'élection  des  papes,  et 
conçut  le  projet  de  réunir  l'Italie  en  une  seule  monarchie 
gouvernée  par  un  roi ,  dans  le  cas  oii  Charles  le  Gros  serait 
venu  à  mourir  sans  héritiers.  C'est  le  premier  pape  qui  ait 
cliangé  de  nom  ;  il  s'appelait  Agapet  avant  son  élection. 

ADIÎlKN  IV,  cent  soixante-sixième  pape.  Mcolas  Buears- 
PEAHE,  le  seul  pape  anglais,  né  à  Abbots-Langley,  dans  le 
Hertfordshire,  était  fils  d'un  mendiant,  et  fut  pendant  quel- 
que temps  réduit  lui-même  à  mendier.  Étant  venu  en  France, 
il  se  fit  recevoir  domestique  des  chanoines  de  Saint-Rulf, 
près  d'Avignon,  et  devint  ensuite  rehgieuxdans  ce  couvent, 
dont  il  fut  bientôt  supérieur.  Le  pape  Eugène  III  le  fit  car- 
dinal d'Albano,  et  l'envoya  comme  légat  en  Danemark  et  en 
^■orvège.  Il  fonda  à  Drontheim  le  premier  archevêché  qu'il 
y  ait  eu  en  Norvège,  et  érigea  l'évêché  d'Upsal  en  archevêché. 
Élu  pape  en  1 154,  il  lança  un  interdit  sur  la  ville  de  Rome, 
parce  que  des  sectateurs  d'Arnaud  de  Brescia  avaient  blessé 
le  cardinal  Gérard.  Il  fit  sans  succès  la  guerre  à  Guillaume 
de  Sicile,  qui ,  en  1  156  ,  le  força  à  faire  la  paix.  L'empereur 
Vrédéric  P""  Barberousse ,  qui  avait  été  couronné  par  lui  le 
18  juin  1 155,  le  blàraa  de  la  condescendance  qu'il  avait  mon- 
trée dans  cette  occasion.  Adrien  ajouta  au  mécontentement 
de  l'empereur  par  le  langage  hautain  dont  il  se  servit  dans 
des  lettres  qu'il  lui  adressa,  et  eu  excitant  les  Lombards 
contre  lui.  De  son  coté ,  Frédéric  agit  dans  les  Etats  de  l'É- 
glise comme  s'il  n'eût  pas  existé  de  pape.  Adrien  mourut  à 
Agnani,  avant  que  cette  querelle  fût  apaisée,  le  11  sep- 
tembre 115!).  Son  pontificat  est  surtout  remarquable  par  la 
permission  qu'il  donna  à  Henri  II,  roi  d'Angleterre,  d'envahir 
VIrlande,  à  la  condition  que  chaque  maison  de  cette  île  paye- 
rait au  saint-siége  une  rente  annuelle  d'un  denier,  attendu 
que  toutes  les  iles  faisaient  partie  du  domaine  de  saint  Pierre. 

AL)UIL?>  V,  cent  quatre-vingt  et  unième  pape,  élu  le  11 
juillet  1276,  se  nommait,  avant  son  exaltation,  Ottobonï  de 
FiESQCE.  Il  était  Génois  et  neveu  d'Innocent  IV.  En  qualité 
de  légat,  il  avait  heureusement  terminé  la  querelle  du  roi 
Henri  III  d'Angleterre  avec  les  {grands  de  son  royaume. 
11  mourut  en  12TC ,  peu  de  temps  après  son  élection. 
.\DRIEN  VI,  deux  cent  quinzième  pape,  Adrien  Flo- 
liENT,  né  le  2  mars  li59,  à  Etrecht,  était  fils  d'un  ouvrier 
de  cette  ville.  D'abord  professeur  de  théologie  à  Louvain , 
il  fut  nommé,  en  1507,  instituteur  de  Charles-Quint.  Am- 
bassadeur, en  1515,  de  l'empereur  Maximilien  auprès  de 
Ferdinand  le  Catholique,  il  réussit  à  déterminer  ce  mo- 
narque à  choisir  Charles-Quint  pour  successeur;  ce  qui  lui 
valut,  en  1516,  sa  nomination  à  l'évêché  de  Tortose  et  à  la 
régence  d'Espagne ,  et,  en  1517,  sa  promotion  au  cardi- 
nalat. Les  Espagnols ,  mécontents  de  la  sévérité  de  son  ad- 
ministration ,  se  réjouirent  quand,  par  l'inlluence  de  l'em- 
pereur, il  fut  élu  pape,  le  9  janvier  1522.  Les  réformes  qu'il 
opéra  dans  les  États  du  saint-siége,  sa  haine  active  contre  les 
vieux  abus,  la  prodigalité  et  la  vente  honteuse  des  indulgen- 
ces, le  firent  mal  voir  à  Rome.  Les  cardinaux  surent  rendre 
ses  efforts  inutiles.  11  est  douteux,  au  reste,  que  la  réforme 
entreprise  par  ce  pontife  eût  arrêté  les  progrès  de  ce  mou- 
vement réformateur  qui  avait  éclaté  en  Allemagne ,  et  qui 
porta  un  coup  si  terrible  à  la  toute-puissance  de  la  papauté. 
Adrien  vit  avec  douleur  s'opérer  cette  grande  révolution;  il 
s'efforça  d'exciter  Zwingle  et  Érasme  contre  Luther,  sans  y 
réussir.  On  doit  aussi  blâmer  les  mesures  politiques  aux- 
quelles il  eut  lecours  contre  la  France,  malgré  la  droiture  et 
la  pureté  de  ses  intentions.  Adrien,  en  expirant,  ne  fut 
point  regretté.  11  mourut  leli  septembre  152;5,  en  disant 
que  le  plus  grand  malheur  qu'il  eût  éprouvé  dans  le  monde, 


c'était  d'avoir  été  obligé  de  commander.  On  a  de  lui  QuxS' 
tiones  quodlibeUcx,  et  un  commentaire  sur  le  (juatrième 
livre  des  Sentences,  qu'il  fit  réimprimer  étant  pape,  sons 
changer  ce  qu'il  y  avait  dit,  que  le  pape  peut  errer,  même 
dans  ce  qui  appartient  à  la  foi. 

ADROGATIO\.  Voijez  Adoption. 

ADULÉ  (Marbres  d').  Adulé,  port  d'Ethiopie,  cité  par 
les  anciens  écrivains  comme  la  plus  importante  place  de 
commerce  des  Troglodytes  et  des  Éthiopiens  ,  paraît  être 
l'ylrAiAo  d'aujourd'hui,  qui  est  situé  par  15"32'  de  latitude 
nord,  et  37"25'  de  longitude  orientale,  sur  le  golfe  Arabique 
et  la  baie  de  Massouah.  Adulé  est  célèbre  dans  l'histoire 
par  l'inscription  trouvée  dans  cette  ville  au  sixième  siècle, 
du  temps  de  l'empereur  Justinien,  sur  un  siège  de  marbre, 
par  le  vogaycur  Cosmas  Indicopleustes,qui  l'a  rapportée  tout 
au  long  dans  sa  Topographia  chrïstiana.  Cette  inscription 
contient,  outre  la  généalogie  de  Ptolémée  Éverçète,  une  se- 
conde partie,  que  l'on  croit  écrite  dans  un  dialecte  abyssinien, 
et  qui  est  une  liste  des  peuples  (ju'un  roi  (  inconnu)  se  vanté 
d'avoir  soumis.  On  en  a  contesté  l'authenticité. 

ADULTE  (du  latin  adultus).  L';'ige  adulte  est  la  pé- 
riode de  la  vie  humaine  comprise  entre  la  fin  de  l'adoles- 
cence et  le  commencementdela  vieillesse,  c'est-à-dire  depuis 
vingt-cinq  ans  chez  l'homme  et  vingt  ans  chez  la  femme 
jusqu'à  soixante  ans  environ  chez  les  d€ux  sexes  (voyez 
Homme  et  ViniLiTÉ).  L'âge  adulte  est  celui  pendant  la  durée 
duquel  se  manifestent  plus  vivement  les  effets  produits  par 
l'exercice  des  diverses  professions.  Ainsi,  chez  les  gens  de 
lettres  le  système  nerveux  se  montre  plus  particulièrement 
disposé  aux  irritations  de  tout  genre;  les  apoplexies  seront 
communes  chez  les  personnes  dont  le  cerveau  aura  beaucoup 
fatigué.  L'abondance  de  la  nutrition  ne  pouvant  plus  servir 
à  l'accroissement ,  il  en  résultera  chez  les  uns  une  grande 
quantité  de  sang  qui  disposera  aux  congestions  foudroyantes, 
chez  les  autres  une  tendance  marquée  à  l'obésité.  Aussi  ne 
sera-t-il  pas  rare  de  voir  s'établir  des  expectorations  habi- 
tuelles, des  évacuations  pituiteuses  journalières,  servant  à 
débarrasser  de  cet  excédant  de  sucs  nutritifs.  Les  règles 
d'hygiène  à  l'usage  des  adultes  doivent  varier,  on  le  conçoit, 
suivant  les  individus  ;  il  en  est  une  cependant  qui  est  com- 
mune à  toutes  les  organisations,  à  tous  les  tempéraments  : 
c'est  d'user  avec  modération  de  ce  qui  est  agréable  et  utile. 

ADULTÉRATIOX.  On  entend  par  ce  mot  l'action 
coupable  de  dénaturer  un  médic<iment  par  le  mélange  frau- 
duleux d'une  substance  de  peu  de  valeur  ou  d'un  médica- 
ment de  qualité  inférieure.  On  dit  encore  sophistication. 

ADULTERE  (du  latin  ad,  vers  ;  alter,  autre),  violation 
de  la  foi  conjugale.  On  applique  aussi  ce  nom,  par  extension, 
à  celui  ou  à  celle  qui  commet  cette  violation.  L'adultère 
attaque  le  principe  social ,  ou  l'intégrité  de  la  famille  et  le  droit 
de  propriété,  en  introduisant  dans  la  famille,  d'une  façon 
subreptice ,  des  individus  étrangers  qui  sont  appelés  par  la 
loi  a  partager  avec  les  enfants  légitimes  les  biens  et  l'héritage 
du  chef. 

L'adultère  cesse  d'être  répréhensible  par  la  loi,  parce  qu'il 
cesse  d'exister  à  ses  yeux,  dans  les  pays  oii  la  conmiunauté 
des  femmes  est  permise,  comme  Platon  voulait  l'admettre 
dans  sa  république,  et  comme  Lycurgue  l'avait  introduite  à 
Lacédémone,  où  les  enfants  appartenaient  à  l'État,  qui  les 
élevait  et  les  dotait  à  ses  frais.  X  l'exception  de  ce  seul  peuple 
civilisé  de  l'antiquité,  on  ne  trouve  l'adultère  toléré  par  l'u- 
sage ou  par  la  loi  que  chez  les  peuples  barbares  ou  dont  la 
civilisation  tét  encore  dans  l'enlance.  Et  même,  n'est-ce  pas 
une  règle  tellement  générale  que  l'on  ne  puisse  citer  plusieurs 
exemples  du  contraire  jusque  chez  ceux  où  la  polygamie  est 
en  vigueur,  et  qui,  par  cette  raison,  paraîtraient  devoir  être 
moins  sévères  que  d'autres  sur  le  chapitre  de  la  fidélité  con- 
jugale? 

Il  existe,  en  effet,  quelques  peuples  à  demi  sauvages,  tels 
que  les  Lapons,  les  Samoièdes,  les  habitants  de  certaines  îles 


nouvel lonicnt  dt^couvortes,  qui  sont  moins  scnipuleux  sur  la 
fidélité  de  leurs  l'emmes,  el  qui  iei;ardcnt  comme  un  devoir 
d'hospitalité  de  livrer  leurs  tilles  et  leurs  compagnes  au 
%oya^eur  que  leur  toit  abrite. 

c'est  la  diiïorenee  des  résultats  de  Tadultère,  relativement 
aux  deux  sexes,  qui  a  fait  éUd)lir  cliez  tous  'es  iK'uplcs  \)o- 
licés  celle  de  la  pénalité  appliquée  à  l'homme  ou  à  sa  cotu- 
l>at;ne.  Un  mari  intidèle  manque  à  sa  promesse,  à  ses  ser- 
ments, à  la  morale  naturelle  ;  mais  sa  faute  ne  fait  à  la  per- 
sonne qui  est  associée  à  son  sort  qu'un  tort  passager  et  bien 
faible,  surtout  quand  elle  1  ijinore.  Il  n'en  est  pas  de  même 
à  son  égard  de  la  faute  que  peut  commettre  sa  femme.  L'ï  • 
};iiorût-il,  son  amour-propre,  sa  sensibilité,  seraient  seuls 
épargnés;  mais  les  résultats  de  cette  faute  pourraient  le 
blesser  non-seulement  dans  son  honneur,  mais  encore  dans 
ses  affections  et  dans  ses  biens,  en  appelant,  comme  nous 
l'avons  dit,  au  partage  de  ses  caresses  et  de  sa  fortune  des 
enfants  totalement  étrangers,  ou  qui  seraient  le  produit  d'un 
double  commeice.  Le  soupçon  seul,  en  pareil  cas,  est  déjà 
une  tache  pour  la  femme ,  el  le  doute  un  tourment  pour  le 
'  mari. 

Nous  venons  de  dire  que  les  pays  où  la  polygamie  est  en 
usage  ne  sont  pas  toujours  ceux  où  l'on  se  montre  le  moins 
sévère  à  l'égard  de  l'infidélité  des  femmes.  Ainsi ,  par  exem- 
ple, si  l'adultère  n'est  puni  que  d'une  amende  à  Siam,  il  est 
frappé  de  mort  chez  les  Tucopiens,  les  Rotoumayens,  les 
Nubiens,  les  habitants  de  Bornou,  etc.,  et  réprimé  plus  ou 
moins  sévèrement  par  les  Nouveaux-Zélandais,  les  Hotten- 
tots.  Chez  les  Battas,  peuple  de  cannibales  habitant  l'inté-  • 
rieur  de  Sumatra,  le  comphce  d'une  femme  adultère  subit 
la  loi  du  vaincu  et  sert  de  proie  vivante  à  la  vengeance  et  à 
l'appétit  carnassier  de  l'offensé  et  de  ses  parents. 

A  Athènes  on  pouvait  impunément  injurier  et  maltraiter 
publiquement  les  femmes  adultères.  En  Egypte  on  coupait 
le  nez  à  la  femme  et  l'on  fustigeait  le  complice  ;  chez  d'autres 
peuples  on  lui  crevait  les  yeux.  Les  Saimates  attachaient  le 
coupable  par  les  organes  de  la  génération ,  en  lui  donnant 
un  couteau  pour  se  délivrer  par  l'amputation  s'il  ne  préférait 
mourir  sur  la  place.  Chez  les  Juifs  ou  lapidait  les  deux  cou- 
pables. Chez  les  anciens  Saxons  la  femme  était  brûlée  vive 
et  l'on  pendait  son  complice.  A  Rome  la  femme  adultère 
était  jugée  par  son  mari  en  présence  de  ses  propres  parents, 
et  tout  citoyen  pouvait  se  porter  accusateur.  La  peine,  laissée 
à  l'arbitraire  du  mari  offensé,  était  ordinairement  très-sévère  : 
c'était  souvent  la  mort.  Sous  les  empereurs  la  loi  Julia  éta- 
blit pour  l'adultère  une  peine  que  ne  rapporte  point  le  Di- 
geste ,  mais  que  l'on  suppose  n'avoir  été  que  la  relégation , 
puisque  celle  de  l'inceste  n'était  que   la  déportation.  Au- 
guste, pressé  de  faire  des  règlements  plus  sévères  sur  les 
déportements  des  femmes,  éluda  la  demande  des  sénateurs, 
en  leur  disant  de  corriger  leurs  femmes  comme  il  corrigeait 
la  sienne,  sans  toutefois  leur  donner  et  sans  qu'ils  osassent 
lui  demander  son  secret  à  cet  égard .  Tibère,  qui  avait  moins 
en  vue  de  corriger  les  mœurs  générales  que  d'apporter  un 
frein  aux  écarts  de  sa  propre  famille  et  de  punir  ce  qu'il 
regardait  comme  un  crime  d'impiété  ou  de  lèse-majesté,  es- 
saya de  faire  revivre  les  anciennes  lois  romaines,  c'est-à-dire 
le  tribunal  domestique ,  institution  qui  datait  du  temps  de 
Romulus,  et  dont  les  dispositions  ne  regardaient  du  reste 
que  les  femmes  des  sénateurs ,  et  non  celles  du  peuple  ;  à  la 
différence  des  Grecs  et  même  des  barbares,  qui  avaient  des 
magistrats  spécialement  chargés  de  veiller  sur  les  moeurs  des 
femmes,  espèce  de  tutelle,  que  les  premiers  Germains  appe- 
laient mundeburdium.  Cette  loi  romaine,  qui  voulait  que 
l'accusation  de  l'adultère  fût  publique,  ét<iit  admirable,  dit 
Montesquieu,  pour  maintenir  la  pureté  des  mœurs,  en  ce 
qu'elle  était  à  la  fois  un  frein  pour  les  femmes  et  un  aiguil- 
lon pour  ceux  qui  étaient  obligés  de  veiller  sur  elles.  Anto- 
nin,  enchérissant  encore  sur  les  intentions  bien  évidentes 
des  premiers  législateurs,  avait  ordonné  par  \in  édit  qu'avant 

DICT.    DE  LA    CONVEr.S\TIO.N      -     T.    I. 


ADULTÈRE  isi 

d'admettre  l'accusation  d'adultère  de  la  part  d'un  mari 
contre  sa  femme,  on  examinât  bien  sa  conduite  à  lui-même, 
et  qu'on  le  punit  sévèrement  s'il  avait  des  reproches  à  se 
faire. 

Constantin  prononça  la  peine  de  mort  contre  la  femme 
adultère  et  son  séducteur  ;  sous  l'empereur  Justinien  la 
femme  était  seulement  fouettée  en  place  publique  et  subis- 
sait la  peine  de  la  réclusion  dans  un  monastère.  L'empereur 
Léon  abolit  la  jjeine  de  mort,  et  prescrivit  l'amputation  du 
nez.  Chez  les  Turcs  la  femme  coupable  est  encore  lapidée; 
en  Espagne  on  punissait  le  complice  delà  castration.  Char- 
Icmagne,  dans  ses  Capilulaires,  prononça  la  peine  de  mort 
contre  l'adultère  ;  mais  le  coupable  pouvait  se  racheter  par 
l'abandon  de  ses  biens.  Plus  tard,  les  descendants  de  Hugues 
Capet  ordonnèrent  pour  châtiment  des  courses  à  nu  dans  la 
villeetdes amendes  plus  ou  moins  fortes  :  ainsi  dans  certaines 
villes  la  femme  adultère  était  roulée  nue  dans  des  plumes, 
après  qu'on  avait  enduit  son  corps  de  miel ,  et  conduite  dans 
cet  état  par  toutes  les  rues.  En  Dauphiué  et  en  Provence 
on  battait,  en  le  traînant  nu  par  les  rues  de  la  ville,  l'homme 
qui  s'était  rendu  coupable  d'adultère  ;  ailleurs  les  deux  cou- 
pables étaient  promenés  par  la  ville  montés  sur  un  âne, 
le  visage  tourné  vers  la  queue  de  l'animal. 

En  examinant  la  législation  des  peuples  civilisés  modernes 
sur  l'adultère ,  nous  voyons ,  d'une  part ,  la  pidjlicité  de 
l'accusation ,  comme  en  Angleterre ,  et ,  de  l'autre  ,  celle  de 
la  punition ,  comme  autrefois  en  France ,  porter  quelque- 
fois une  atteinte  à  la  pudeur  qu'on  voulait  venger,  et  sub- 
stituer un  mal  à  un  autre.  Tout  le  monde  avouera  que  le 
scandale  des  débats  et  de  leur  publication  chez  nos  voisins 
à  l'égard  du  délit  que ,  par  une  espèce  de  contradiction  et  de 
pruderie  de  la  langue,  ils  qualifient  seulement  de  criminal 
conversation  .  est  une  chose  fort  peu  édifiante,  ainsi  que 
l'indécence  des  peines  portées  jadis  chez  nous  contre  les 
coupables. 

Avant  la  révolution  une  femme  adultère  était  le  plus  sou- 
vent condamnée ,  en  France ,  à  être  enfermée  dans  un  cou- 
vent, pour  y  demeurer  en  habit  séculier  pendant  deux  an- 
nées; c'était  ce  qu'on  appelait  une  femme  authentiquée , 
parce  qu'elle  subissait  cette  correction  en  vertu  d'une  no- 
velle  de  Justinien,  et  cesnovelles  prenaient  le  nom  i^ authen- 
tiques. Si  le  mari  ne  la  reprenait  point,  elle  devait  être  rasée, 
voilée  et  vêtue  comme  les  autres  religieuses,  et  y  rester  toute 
sa  vie.  Si  le  mari  était  pauvre,  la  femme  pouvait  être  en- 
fermée dans  un  hôpital  et  traitée  à  l'instar  des  femmes  dé- 
bauchées ,  comme  si  la  différence  des  fortunes  devait  en- 
traîner des  nuances  dans  les  peines.  La  jurisprudence  do 
tous  les  parlements  sur  l'adultère  n'était  point ,  du  reste , 
entièrement  la  même  dans  toute  la  France.  Le  code  pénal 
de  1791  avait  gardé  le  silence  sur  ce  délit  ;  les  dispositions 
du  nouveau  code  ont  rempli  cette  lacune  et  compris  l'adul- 
tère au  rang  des  attentats  aux  mœurs.  Aujourd'hui  la  femme 
adultère  peut  être  condamnée  à  la  peine  de  l'emprisonne- 
ment pour  trois  mois  au  moins,  et  deux  ans  au  p]us  ;  le  mari 
reste  le  maître  d'arrêter  l'effet  de  cette  condamnation  en 
consentant  à  reprendre  sa  femme.  La  plainte  pour  le  même 
délit  n'est  recevable  contre  le  mari  que  quand  à  l'adultère 
il  a  joint  le  fait  d'entretenir  sa  concubine  dans  la  maison 
conjugale,  et  la  punition  portée  contre  lui  est  une  amende 
de  100  fr.  à  2,000  fr.  Sur  la  proposition  de  M.  Pierre  Le- 
roux, les  condamnés  pour  délit  d'adultère  turent  en  outre 
privés  de  leur  droit  d'électeur  par  la  loi  du  31  mai  1850.  Le 
mari  seul  peut  porter  plainte  contre  sa  femme,  et  la  femme 
seule  contre  son  mari  :  il  eût  été  trop  dangereux,  en  effet, 
de  conférer  à  des  tiers  ou  au  ministère  public  la  faculté  de 
s'immiscer  ainsi  dans  un  ménage.  La  loi  défend  en  outre 
que  la  plainte  du  mari  soit  reçue  s'il  se  trouve  lui-même 
dans  le  cas  d'adultère  punissable.  Le  complice  de  la  femnif 
adultère  est  puni  d'un  emprisonnement  de  trois  mois  à  deux 
ans  et  d'une  amende  de  100  fr,  à  2,000  fr.Le  délit  d'adultèia 

18 


ADULTÈRE  —  ADY^AMIE 


138 

et  la  complicité  se  prouvent  par  le  (la^'rant  délit,  des  lettres 
ou  autres  papiers  écrits  de  la  main  des  coupables,  ainsi  que 
par  l'admission  du  désaveu  de  la  paternité.  L'article  324  du 
Code  Pénal  déclare  que  dans  le  r;us  d'adultère  de  la  femme , 
le  meurtre  commis  par  son  mari  sur  elle  et  sur  son  complice 
k  l'instant  où  il  les  surprend  en  flagrant  délit  dans  la  mai- 
son conjugale  est  excusable.  En  matière  civile,  l'adultère  était 
outrefois,  aux  termes  des  articles  228  et  2;i0  du  Code  Civil, 
une  cause  de  divorce;  il  donne  encore  lieu  aujourd'hui  aux 
actions  en  séparation  de  corps  et  en  désaveu. 

En  résumé,  l'adultère,  chez  les  différents  peuples  de  l'Eu- 
rope, est  considéré  de  nos  jours,  en  quelque  sorte,  moins 
comme  un  délit  contre  la  société  que  contre  l'époux,  et  n'en- 
traîne généralement  qu'une  réclusion  momentanée  ou  deô 
condatiinalions  pécuniaires.  La  jurisprudence  anglaise  per- 
met d'enlever  au  complice  d'une  femme  adultère  une  partie 
de  sa  fortune,  et  elle  emporte  pour  celui  qui  ne  peut  payer 
la  perte  complète  de  la  liberté:  il  peut  même  dans  ce  cas 
être  envoyé  à  Botany-Bay.  La  loi  anglaise  prononce  d'a?i- 
Jeurs  aujourd'hui  contre  l'ailullère  les  peines  de  l'aiMcnde 
et  delà  prison.  Mais,  d'un  autre  côté,  la  législation  anglaise 
exige  que  le  mari  (lui  se  plaint  soit  irréprochable  dans  sa 
conduite  personnelle  et  dans  le  soin  qu'il  a  dû  prendre  de 
surveiller  sa  femme. 

Cette  tendance  vers  la  raison  naturelle,  qui  perce  plus  ou 
moins  dans  toutes  les  dispositions  législatives  des  peuples 
civilisés,  anciens  et  modernes,  que  nous  avons  rappelées,  ex- 
plique les  adoucissements  successifs  qui  ont  été  apportés 
dans  la  pénalité  sur  l'adultère,  pénalité  qui,  sans  cette  con- 
sidération de  morale  et  de  justice  tlistributive,  ne  saurait  ja- 
mais être  assez  sévère,  eu  égard  au  mal  et  au  désordre  qu'un 
pareil  crime  cause  dans  la  société.  Dans  quelques  pays,  et 
surtout  en  France,  TopLuion,  injuste  en  apparence,  qui  semble 
excuser  ce  que  la  loi  condamne,  vient  encore  frapper  et 
punir  par  le  ridicule  celui  que  l'on  devrait  plaindi-e  sans 
doute  comme  l'offensé,  mais  qui,  à  peu  d'excejjtions  près, 
est  bien  souvent  aussi  le  premier  auteur  de  sa  honte  et  de 
la  faute  de  sa  femme.  ^î.  Droz  dit  avec  raison  :  «  L'infidé- 
,lité  des  hommes  est  une  cause  fréquente  de  la  désunion  des 
époux.  En  voyant  combien  peu  de  maris  sont  fidèles,  on  est 
tenté  de  croire  que  le  seul  parti  qu'il  y  aurait  à  prencke  serait 
de  prémunir  les  femmes  contre  la  jalousie  et  de  leur  pcî-suader 
que  nos  plaisirs  n'excèdent  jamais  nos  droits.  »  Le  système 
d'éducation  et  de  dépendance  dans  lequel  nous  retenons  les 
femmes  doit  aussi  peser  dans  la  considération  du  sujet  qui 
nous  occupe.  >'ous  élevons  ce  sexe  dans  le  désir  immodéré 
de  plaire  ;  nous  provoquons,  nous  excitons  chez  lui  cet  ins- 
tinct naturel ,  ce  penchant  à  la  coquetterie ,  qu'il  faudrait 
chercher  au  contraire  à  modérer  et  à  combattre.  IS'ous  vou- 
lons que  les  femmes  soient  des  objets  de  séduction  pour  les 
sens  bien  plus  que  pour  l'esprit  et  pour  le  cœur.  Puis  nous 
clierchons  ensuite  à  les  séduire  à  notre  tour  ;  nous  employons 
tous  les  moyens  pour  y  arriver;  nous  appliquons  notre 
amour-])ropre  à  surprendre  leur  vanité  ;  nous  tirons  parti 
contre  elles  et  contre  nous-mêmes  des  faiblesses  que  nous 
avons  autorisées,  encouragées,  et  nous  nous  plaignons  après 
cela  d'avoir  trop  bien  réussi  1  Que  diriez-vous ,  pour  nous 
servir  des  expressions  de  \oltaire,  «  que  diriez-vous  d'un 
maître  à  danser  qui  aurait  appris  son  métier  à  un  écolier 
pendant  dix  ans,  et  qui  voudrait  lui  casser  les  jambes  parce 
qu'il  l'a  trouvé  dansant  avec  un  autre  ?  »  C'est  donc  d'abord 
dans  une  meilleure,  dans  une  tout  autre  direction  même  de 
l'éducation  des  femmes,  qu'il  faut  chercher  un  remède  à  l'a- 
dultère, à  celle  plaie  honteuse  et  dévornnte  de  notre  civilisa- 
tion, et  peut-être  aussi  dans  une  loi  de  divorce  bien  réglée 
et  tempérée  par  toules  les  restrictions  nécessaires. 

>apoléon ,  qui  tenait  compte  sans  doute  de  l'état  des 
mteurs,  parlait  de  l'adultère  assez  légèrement.  «  L'adultère, 
disait-il,  qui  dans  un  code  civil  est  un  mot  immense,  n'est 
dans  le  fait  qu'une  galanterie,  une  alTaire  de  bul  masqué... 


L'adultère  n'est  pas  un  phénomène ,  c'est  une  affaire  de  ca- 
napé ;  il  est  très-commun.  »  Depuis  en  effet  que  les  femmes 
avaient  été  attirées  à  la  cour  pour  devenir  des  instruments 
de  politique,  la  galanterie  avait  amené  l'adultère  à  la  mode. 
Plus  tard  le  libertinage  éhonté  de  la  cour  de  Louis  XV  le 
rendit  plus  comnum  et  en  fit  presque  un  commerce.  La  bour- 
geoisie n'avait  pas  attendu  ce  règne  pour  suivre  l'exemple 
de  la  noblesse.  La  révolution  épura  d'abord  les  mœurs  ;  mais 
avec  le  retour  du  calme  les  ma'urs  redevinrent  faciles,  et  avec 
la  reconstitution  des  cours,  l'adultère  put  encore  une  fois 
s'alficher,  mais  non  .sans  honte.  Quelques  rénovateurs  ont 
cherché  un  remède  à  la  dissolution  des  mo'urs,  et  plusieurs 
ont  proposé  une  liberté  entière  dans  les  liens  du  mariage, 
prétendant  que  la  contrainte  était  le  plus  grand  stimulant  de 
l'infraction.  >'os  législateurs  se  sont  constamment  montrés 
contraires  à  cette  théorie,  et  le  divorce,  même  entouré  des 
plus  grandes  précautions,  n'a  pu  reparaître  dans  nos  codes. 
La  religion ,  plus  sévère  que  la  loi ,  poursuit  de  sa  répro- 
bation l'adultère,  et  l'Église  porte  la  peine  de  l'excommu- 
nication contre  les  coupables.  L'Église  catholique  n'admet 
pas  toutefois  que  ce  crime  soit  un  motif  de  divorce;  mais 
î'Églised'Orient,  comme  les  consistoires  protestants,  autorise 
la  nouvelle  union  que  la  partie  lésée  voudrait  contracter. 
ADUSTIOX.  C'est,  en  termes  de  chirurgie ,  la  brûlure 
ou  la  cautérisation  d'une  partie  par  le  feu. 

AD\Ti]ITAM,  nom  d'une  secte  de  philosophes  in- 
diens, qui  nient  l'existence  du  monde,  en  la  traitant  de  fan- 
tastique, et  qui  ne  croient  d'être  réellement  existant  que 
Dieu.  Une  secte  opposée  admet  les  deux  existences,  mais 
entièrement  séparées  :  elle  se  nomme  Dvéitam.  Une  troi- 
sième est  une  espèce  de  juste-milieu  entre  les  deux,  et 
prend  le  nom  à'Advtïta-Vichïsta-Dvcltam. 

ADVERBE  (du  latin  «rf,  auprès;  verbiim,  verbe). 
L'adverbe  n'est  pas  un  des  éléments  essentiels  du  langage 
comme  le  substantif,  l'adjectif  et  le  verbe;  c'est  un  mot 
abrégé  et  mixte,  qui  remplace  une  préposition  suivie  de  son 
complément  {sagement ,  avec  sagesse).  Faut -il  dire, 
comme  son  uom  porte  à  le  croire,  que  l'adverbe  modifie 
le  verbe?  Ce  serait  une  erreur.  L'adverbe  ne  modifie  que 
l'adjectif,  vis-à-vis  duquel  il  remplit  la  même  fonction  que 
celui-ci  vis-à-vis  du  substantif;  c'est  une  abstraction  formée 
elle-même  sur  une  abstraction.  Lorsque  l'on  dit  je  chante 
beaucoup ,  qu'on  fasse  l'analyse,  on  aura  je  suis  chan- 
tant beaucoup;  il  est  clair  que  la  modification  porte  sur 
l'attribut  seul,  car  il  n'y  a  pas  de  plus  ou  de  moins  dans 
l'idée  d'être.  Par  sa  nature  même ,  l'adverbe  est  invariable, 
car  une  qualité,  un  temps,  etc.,  ne  changent  pas,  quels  que 
soient  le  genre  et  le  nombre  des  personnes.  On  distingue 
quati-e classes  d'adverbes  :  les  adverbes  de  qualité,  de  quan- 
tité, de  temps  et  de  lieu.  —  Les  locutions  adverbiales 
sont  des  expressions  composées  modifiant  l'idée  de  l'attribut, 
véritables  adverbes  exprimés  d'une  manière  complexe. 
ADVERSITÉ.  yo>/cz  Malheur. 
ADYIVAllUE,  ADYNA>nQUE  (du  grec  à  privatif, 
û'jva[ji'.;,  force).  Les  médecins  donnent  le  nom  d'orfynffWJe 
à  un  état  particulier  de  débilité  générale,  de  prostration 
complète  des  forces ,  caractérisé  surtout  par  un  affaiblisse- 
ment de  l'action  musculaire,  et  dans  lequel  la  vie  semble 
s'éteindre  sans  que  les  organes  présentent  de  lésions  capa- 
bles d'expliquer  une  si  profonde  altération  des  fonctions.  Le 
résultat  n'en  est  pas  toujours  inévitablement  funeste,  le 
traitement  tonique  réussit  quelquefois  à  en  triompher  ;  mais 
l'état  adijnamique  étant  presque  constamment  accompagné 
d'inflammations  locales,  le  praticien  ne  manquera  pas  de 
les  prendre  en  mûre  considération  lorsqu'il  aura  à  se  déci- 
der sur  le  choix  des  moyens  curatifs.  S'ils  demeurent  im- 
puissants, Vadynamie  ne  tardera  pas  à  atteindre  son  derniet 
période,  que  signalent  des  phénomènes  presque  cadavéri- 
ques constituant  dans  leur  ensemble  la  putvidité ,  qui  en 
est  le  dernier  terme. 


ADZERBAIDJAN  —  AÉROLITHE 


139 


ADZERBAIDJAX.  Voyez  AnEUBinjAN. 

.EGILE,  ^illi'  tle  Laconic,  où  Cérès  avait  un  toniple. 
On  y  lOlolirait  des  niysti'TCs  où  les  femmes  seules  étaient  ad- 
mises. Aristomène  de  Messène,  à  la  ttMe  de  quelques  tron- 
pes ,  voulut  un  jour  les  enlever.  Mais  elles  se  défendirent  si 
bien  avec  les  instruments ,  les  broches  et  les  torches  du  sa- 
crifice ,  que  non-seulement  elles  repoussèrent  celle  attaque, 
mais  qu'  elles  tuèrent  une  partie  des  soldats  d'Aristoniènc 
et  le  firent  lui-même  prisonnier.  Archidamie  ,  qui  présidait 
à  la  fête,  éprise  de  son  captif,  lui  procura  les  moyens  de 
s'échapper. 

.«GOS-POT.\AIOS,c'est-à-dire,/e««e  de  la  Chè- 
vre ,  petite  rivière  de  la  Chersonèse  de  Thrace ,  nommée  au- 
jourd'hui Indjé-limcn,  tombait  dans  l'Hellesponl,  à  quelque 
distance  au  nord  de  Sestos.  C'est  près  de  là  que  le  Spartiate 
Lysandre  gagna  sur  les  Athéniens,  l'an  405  avant  J.-C, 
une  bataille  navale  qui  mit  fin  à  la  guerre  du  Péloponnèse. 
La  prise  d'Athènes  suivit  de  près  cette  victoire. 

^EAEAS  SYLVIUS.  Voyez  Pie  II. 

yE\OBARliUS  ou  AHENOB.VRBUS.  Voyez  DoMixirs. 

..-EPIJXUS  {  Fkançois-Marie-Ulrich-Théodore  ),  célè- 
bre physicien,  né  en  l724,àRostock,mortenl802,àDorpat, 
en  Livonie,  s'est  surtout  occupé  d'électricité ,  et  a  beaucoup 
avancé  cette  partie  de  la  physique  en  y  appliquant  le  calcul 
avec  un  grand  succès.  On  doit  à  ,Epinus  plusieurs  décou- 
vertes scientifiques,  et  on  lui  attribue  l'invention  du  con- 
densateur électrique  et  de  l'électrophore.  Il  avait 
d'abord  étudié  la  médecine  ;  et  il  était  membre  de  l'Acadiv 
mie  des  Sciences  de  Berlin,  lorsque  en  1757  il  tut  appelé  à 
Saint-Pétersbourg  comme  membre  de  l'Académie  impériale 
et  professeur  de  physique.  Catherine  lui  confia  la  direc- 
tion du  corps  des  cadets  nobles ,  le  chargea  d'enseigner  la 
jihysique  et  les  mathématiques  à  son  fils  Paul  Petrowilch , 
et  le  nomma  inspecteur  général  des  écoles  normales  dont 
elle  s'occupait  de  doter  l'empire.  On  a  d'^Epinus  Tentamen 
Théorise Electricilatis et  Magnet'ismi  (  Pétersbourg ,  1759  , 
1  vol.  in-4°),  dont  Haiiy  a  donné  un  abrégé  en  français  en 
1787,  in-8°;  Réflexions  sur  la  Distribution  de  la  Cha- 
leur sur  la  surface  de  la  terre,  traduites  du  latin  en 
français  par  Raoult  de  Rouen  ;  Recherches  sur  la  Tonr- 
maline  (  Péiersbourg,  1762 ,  in-8°  ),  et  plusieurs  mémoires 
intéressants  fournis  à  l'Académie  de  Saint-Pétershour*. 

AÉRATIOX  (du  latin  aer,  air).  C'est  l'action  d'aérer, 
c'est-à-dire  d'exposer  au  contact  immédiat  d'un  air  plus  ou 
moins  sec  et  fréquemment  renouvelé  des  substances  ou  des 
corps  qui,  ayant  séjourné  plus  ou  moins  longtemps  dans  un 
air  humide  et  stagnant,  ou  ayant  été  privés  de  tout  contact 
de  l'air  atmosphérique,  sont  exposés  à  s'altérer,  à  se  dé- 
composer et  à  se  corrompre.  L'aération  peut  être  faite  dans 
un  air  tranquille  et  non  agité,  ou  sous  rinlluence  d'un  veut 
plus  ou  m.oins  sec  :  dans  ce  dernier  cas ,  elle  prend  le  nom 
(leventilation.  —  L'eau  des  mers,  celle  des  lleuves,  des 
lacs,  des  étangs  et  même  des  mares,  est  naturellement  aérée, 
et  tient  en  dissolution  de  l'air  atmosphérique  plus  riche  en 
oxygène;  ce  qui  donne  au  milieu  aqueux  dans  lequel  vivent 
tous  les  animaux  pourvus  de  branchies  ou  respirant  par  la 
peau  les  conditions  favorables  à  leur  respiration  aquatique. 
L'air  imprègne  et  pénètre  aussi  les  différentes  parties  du 
corps  des  animaux  qui  volent,  et  leur  donne  ainsi  les  con- 
ditions aérostatiques  sans  lesquelles  la  locomotion  aérienne 
ne  pourrait  avoir  lieu. 

AERIEA'AES  (Visions),  genre  de  spectacle  offert  au 
Château  des  Fleurs,  à  Paris,  en  1850,  et  qui  se  composait  de 
tableaux  vivants  élevés  en  l'air,  dans  lesquels  plusieurs 
femmes  groupées  en  différentes  altitudes  et  suspendues  par 
des  armatures  en  fer  habilement  cachées,  simulaient  quel- 
ques gracieux  sujets  mythologiques  ou  féeriques,  comme  la 
Naisannce  de  Vénus,  la  F<e  aux  lioses,  etc. 

AERIEXS, sectateurs  d'Aérius,  moine  arien  qui,  en  l'an 
SCO,  fut  expulsé  de  Sébasle  en  Arménie,  comme  schisma- 


tique.  Il  niait  qu'il  existât  imediffi'-rencc  quelconque  entre  les 
évêques  et  les  simples  prêtres,  et  prétendait  que  les  prières 
pour  les  morts  leur  étaient  plutôt  nuisibles  qu'utiles.  Ilcon- 
danmait  en  outre  les  jeûnes  établis  par  l'Église  et  la  célé- 
bration de  la  Pàque. 

AÉRODYNAMIQUE  (du  grec  àr,p,  àspo;,  air; 
ôjvajii; ,  puissance),  partie  de  la  mécanique  qui  traite  des 
forces  et  du  mouvement  des  fluides  élastiques.  L'aérodyna- 
mique est ,  en  général,  traitée  en  même  temps  que  Thydro- 
dynainique. 

AÉROLITHE  (de  àr;p,  air,  et  de  ).î8o;,  pierre).  On 
donne  ce  nom  à  des  pierres  tombées  de  l'atmosplière,  et  que 
l'on  désigne  encore  quelquefois  par  ceux  de  bolides,  de  7n& 
téorites,  ûecéraunites,  de  pierres  de  foudre,  i\e  pierres 
tombées  du  ciel,  de  pierres  de  la  lune,  de  pierrex  météo- 
riques, d'uranolithcs ,  de  botilies ,  etc.  La  chute  de  ces 
pierres,  presque  toujours  accompagnée  d'un  météore  lumi- 
neux, ou  globe  de  feu,  qui  disparaît  après  avoir  fait  une  vio- 
lente explosion,  a  élé  longtemps  révoquée  en  doute,  en  rai- 
son de  la  singularité  que  présente  un  pareil  phénomène  et 
de  l'impossibilité  où  nous  sommes  d'en  donner  une  explica- 
tion satisfaisante.  i\Iais  aujourd'hui  des  exemples  nombreux 
et  revêtus  de  tous  les  caractères  de  l'authenticité  ne  per- 
mettent plus  d'hésiter  à  en  admettre  la  réalité.  L'analyse 
chimique  vient  d'ailleurs  à  l'appui  de  cette  opinion  ,  en  "dé- 
montrant l'identité  de  composition  des  diverses  pierres  de 
cette  nature  qui  ont  été  recueillies  à  des  époques  plus  ou 
moins  éloignées  et  dans  des  contrées  très-distantes  les  unes 
des  autres. 

Les  aéroîithes  arrivent  dans  notre  atmosphère  sous  forme 
d'une  masse  d'un  volume  peu  considérable  en  général.  Ce 
corps  s'entlamme  brusquement  ;  il  paraît  alors  comme  un 
globe  lumineux  qui  se  meut  avec  ime  extrême  rapidité,  et 
dont  la  grandeur  apparente  est  souvent  comparée  à  celle 
de  la  lune  ;  dans  sa  course  il  lance  des  étincelles ,  laisse 
après  lui  une  trace  brillante,  qui  paraît  être  la  flamme 
retenue  en  arrière  par  la  résistance  de  l'air  ;  la  clarté  très- 
vive  qu'il  répand  se  soutient  pendant  une  ou  deux  minu- 
tes environ  ;  en  disparaissant  il  forme  un  petit  nuage  blan- 
châtre qui,  semblable  à  de  la  fumée ,  se  dissipe  quehpies 
instants  après.  Aussitôt  la  lumière  éteinte ,  deux  ou  trois 
détonations  pareilles  à  celle  d'un  canon  de  gros  calibre  se 
font  entendre;  puis  elles  sont  suivies  d'un  roulement  sourd. 
Ces  faits  se  prolongent  suivant  la  direction  que  prend  l'aé- 
rolilhe;  là  où  il  passe,  on  entend  dans  l'air  un  sifilement 
provenant  de  la  rapidité  de  sa  chute.  Les  aérolilhes,  dont  le 
nombre  et  la  grosseur  varient,  sont  brûlants  à  l'instant  de 
leur  chute,  et  répandent  une  odeur  de  soufre  et  de  poudre 
à  canen.  Ces  phénomènes  ont  lieu  dans  toutes  les  latitudes, 
même  en  mer  :  on  est  fiappé  surtout  de  l'air  de  famille 
que  présentent  ces  pierres,  tant  par  leur  aspect  que  par  leur 
composition  intime.  Leur  forme  est  irrégulière;  leur  sur- 
face souvent  pleine  d'aspérités ,  dont  les  angles  sont  émous- 
sés  par  la  fusion.  Une  sorte  d'émail  noir  les  recouvre 
jusqu'à  un  millimètre  seulement  de  profondeur;  la  cassure 
est  grisâtre,  d'un  aspect  teneux  et  grenu.  Elles  sont  tantôt 
dures,  tantôt  friables  ;  leur  densité  moyenne  est  3,50,  cella 
de  l'eau  étant  prise  pour  unité.  Les  substances  qu'on  a  ren- 
contrées dans  les  aérolilhes  sont  le  fer,  le  nickel,  le  cobalt , 
le  manganèse,  le  chrome,  le  cuivre,  l'arsenic,  l'étain,  la 
sihce ,  la  magnésie,  la  potasse,  la  soude,  la  chaux,  l'alu- 
mine ,  le  soufre ,  le  phosphore ,  et  le  carbone.  Le  fer  et  la 
silice  ne  manquent  dans  auciui. 

On  divise  les  aérolilhes  en  trois  classes  :  l°les  aéroîithes 
métalliques,  composés  de  fer  pur  et  qui  tombent  rarement; 
2°  les  aéroîithes  pierreux,  qui  ne  renferment  que  des  par- 
celles de  fer  disséminées  dans  une  pâte  pierreuse;  .''.''  les 
aéroîithes  charbonneux,  dont  on  n'a  encore  qu'un  exemple 
constaté. 

Quatre  théories  ont  été  proposées  pour  e\pli<|uer  la  for- 


•Î40 

iiiation  (les  aérolilUes.  La  première,  due  à  Laplace,  les 
considère  comme  des  corps  lancés  par  les  volcans  de  la  hmo 
Jusque  dans  la  sphère  d'activité  de  l'attraction  terrestre.  La 
seconde  suppose  les  éléments  qui  les  composent  existant 
à  l'état  de  gaz  et  disséminés  dans  l'atmosphère  jusqu'à  ce 
qu'ils  éprouvent  une  condensation  subite  sous  l'influence  de 
certaines  causes  ignorées  de  nous.  Suivant  la  troisième,  ces 
pierres  se  trouvent  toutes  formées  dans  les  espaces  célestes,  où 
elles  se  meuvent  avec  une  vitesse  considérable  en  vertu  des 
actions  planétaires  ,  et  l'instant  où  elles  tombent  sur  la  terre 
est  celui  où  son  action  sur  elles  vient  à  prédominer.  Enfin  la 
quatrième  les  présente  comme  des  fragments  de  roche  lancés 
à  une  très-grande  hauteur  par  nos  volcans ,  et  qui ,  après 
avoir  décrit  plusieurs  révolutions  autour  de  notre  globe,  fi- 
nissent par  retomber.  Quelque  ingénieuses  que  soient  ces 
théories ,  elles  ne  sont  cependant  que  des  hypothèses  :  aussi 
devons-nous  avouer  modestement  que  l'origine  des  aérolithes 
est  un  mystère  resté  jusqu'ici  impénétrable  pour  nous.  Nous 
reviendrons  sur  ce  sujet  à  l'article  Ëtoiles  filantes. 

Le  chimiste  anglais  Howard  a  dressé  une  liste  chronolo- 
gique des  pierres  tombées  du  ciel  depuis  les  temps  les  plus 
reculés  jusqiies  et  y  compris  l'année  1818  :  Celte  liste  a  été 
coHtinui;e  jusqu'en  1824  par  Chladni.  Depuis,  beaucoup 
d'autres  chutes  d'aérolithes  ont  été  constatées.  Nous  citerons 
seulement  quelques-unes  de  ces  pierres. 

Du  temps  d'Anaxagore  une  pierre  noirâtre,  de  la  di- 
mension d'un  char,  tomba  près  du  fleuve  ^gos-Potamos  en 
1  hrace.  Cette  pierre  se  voyait  encore  en  ce  lieu  à  l'époque  de 
l'empereur  Yespasien.  11  y  avait  des  pierres  météoriques  dans 
le  gymnase  d'Abydos,  et  dans  la  ville  de  Cassandre  en  Ma- 
cédoine. Pline  dit  avoir  vu  lui-même  une  de  ces  pierres 
tomber  dans  la  campagne  des  Vocontiens,  dans  la  Gaule 
narbonnaise.  Le  7  novembre  1492  une  pierre  pesant  deux 
cent  soixante  livres  tomba  à  Ensisheim  ,  en  Alsace;  elle  se 
trouve  maintenant  dans  la  bibliothèque  de  Colmar,  mais  elle 
est  réduite  au  poids  de  cent  cinquante  livres ,  probablement 
en  raison  du  grand  nombre  de  fragments  qu'on  en  a  successi- 
vement détachés.  Le  26  mai  1751  deux  masses  de  fer  tom- 
bèrent à  Hradschina,  près  d'Agram,  capitale  de  la  Croatie. 
De  ces  deux  masses ,  l'une  pesait  soixante-onze  livres ,  et 
l'autre  seize  livres  seulement  :  la  plus  grosse  est  actuelle- 
ment à  Vienne.  La  pierre  qui  tomba  près  de  Lucé,  le  13  sep- 
tembre 1768  ,  fut  analysée  par  Lavoisier.  Les  douze  pierres 
qui  tombèrent  aux  environs  de  Siemie,  le  16  juin  17U4,  furent 
analysées  par  Howard  et  Klaproth.  Le  26  avril  1S03  une 
pluie  de  pierres  tomba  en  plein  jour  sur  la  petite  ville  de 
L'Aigle  en  Normandie.  L'autorité  locale  dressa  procès-verbal 
de  l'événement,  qui  ne  peut  être  mis  en  doute.  On  ramassa 
plus  de  deux  mille  aérolithes  sur  un  espace  de  deux  lieues 
et  demie  au-ilessus  duquel  le  météore  avait  passé.  Le  23  no- 
vembre ISIO  il  y  eut  encore  une  pluie  de  pierres  à  Charson- 
ville,  près  d'Orléans.  11  y  en  avait  plusieurs  du  poids  de  vingt 
livres  et  une  du  poids  de  quarante.  Le  10  août  1818  une 
pierre  tomba  àSlobodka,  dans  la  province  de  Smolensk, 
en  Russie,  et  pénétra  d'environ  seize  pouces  dans  le  sol; 
elle  pesait  sept  livres,  et  avait  une  croûte  brune  parsemée 
de  taches  plus  foncées.  Le  5  juin  1821  il  tomba  à  Privas  un 
aérohthe  qui  pesait  92  kilogrammes,  et  qui  s'enfonça  de  2  dé- 
cimètres enterre.  On  le  conserve  aujourd'hui  dans  la  galerie 
minéralogiquedu  ■Muséum  d'Histoire  Naturelle  à  Paris.  Vers 
la  fm  de  janvier  1824  il  y  eut  une  chute  d'un  grand  nombre 
de  pierres  près  d'Arenazzo,  dans  le  territoire  de  Bologne.  Une 
de  ces  pierres,  pesant  douze  livres,  est  conservée  dans  l'ob- 
servatoire de  Bologne.  Le  14  octobre  1824  il  tomba  près 
de  Zéhrack ,  cercle  de  Béraun ,  en  Bohème,  une  pierre 
<iui  est  conservée  au  muséum  national  de  Prague.  11  existe 
aussi  dans  différentes  collections  des  masses  de  fer  auxquelles 
on  peut  attribuer  une  origine  météorologique  :  tels  sont  la 
masse  vue  par  Pallas  iiKrasnoiark  ,  en  Sibérie;  un  fragment 
existant  dans  le  cabinet  impérial  do  Vienne,  et  venant  peut- 


AÉROLITHE  —  AEROSTAT 


être  de  la  Norvège;  une  petite  masse,  du  poids  de  quatre 
livres,  conservée  actuellement  à  Gotha.  La  seule  chute  con- 
nue de  masses  solides  dans  lesquelles  le  fer  existe  en  rhom- 
boïdes ou  en  octaèdres,  et  composées  de  couches  ou  feuilles 
parallèles,  est  celle  qui  eut  lieu  à  Agram  en  1751.  Quelques 
autres  masses  semblables  ont  été  trouvées  sur  la  rive  droite 
du  Sénégal,  au  cap  de  Boime-Espérance,  dans  différente» 
lociihtés  du  Mexique.  Dans  la  province  de  Bahia  ,  au  Brésil, 
il  y  a  une  masse  de  sept  pieds  de  long,  quatre  de  large ,  el 
deux  d'épaisseur  :  son  poids  est  d'environ  quatorze  mille  li- 
vres. Aux  environs  de  Bitbourg,  non  loin  de  Trêves,  on  a 
trouvé  une  masse  qui  pèse  trois  mille  trois  cents  livres.  Dans 
la  partie  orientale  de  l'Asie ,  non  loin  de  la  source  de  la  ri- 
vière Jaune ,  on  dit  avoir  rencontré  une  masse  d'environ 
quarante  pieds  de  hauteur;  et  les  Mongols,  qui  l'appellent 
lihadasut  filao,  c'est-à-dire  roche  du  pôle,  prétendent 
qu'elle  tomba  à  la  suite  d'un  météore  de  feu.  Une  masse  ne 
contenant  pas  de  nickel ,  mais  de  l'arsenic,  a  été  trouvée  à 
Aix-la-Chapelle;  une  autre,  sur  la  colline  de  Brianza,  dans 
le  Milanais;  une  autre,  à  Groskamsdorf.  Cette  masse,  qui, 
d'après  Klaproth,  contenait  un  peu  de  plomb  et  de  cuivre, 
a  été  fondue,  suivant  toutes  les  apparences,  de  manière  que 
les  morceaux  conservés  à  Freyberg  et  à  Dresde  ne  sont 
que  de  l'acier  fondu  ,  qu'on  a  substitué  à  la  masse  primitive. 

AEROMAA'CIE  (dugrecài>,p,  air;  (xavTeîa, divination), 
art  prétendu  de  prédire  l'avenir  par  les  phénomènes  qui  ont 
lieu  dans  l'air. 

AÉROMETRE  (du  grec  àrip,  air,  et  (léxpov,  mesure), 
instrument  qui  fait  connaître  la  densité  ou  la  raréfaction  de 
l'air.  M.  Hall  a  donné  ce  nom  à  un  instrument  ingénieux  de 
son  invention,  destiné  à  faire  les  corrections  nécessaires  quand 
on  veut  déterminer  le  volume  moyen  des  gaz. 

AÉROMÉTRIE,  science  qui  a  pour  objet  la  constitu- 
tion physique  de  l'air  et  qui  en  mesure  et  calcule  les  effets 
mécaniques.  C'est  la  partie  delà  physique  qui  s'occupe  de  la 
densité  ou  de  l'expansion  de  l'air  en  général ,  et  des  moyens 
de  les  mesurer. 

AJÉRONAUTE,  AÉRONAUTIQUE  (du  grec  àï;p,  air; 
variTYi;,  navigateur  ;vauTtxri,  navigation).  L'aéronaute est  celui 
qui  s'élève  dans  les  airs  au  moyen  d'un  aérostat,  qui  voyage 
en  aérostat.  L'aéronautique  est  l'art  de  naviguer  en  l'air  au 
moyen  d'un  ballon.  Voj/ez  Aérostat. 

AÉROSTAT  (du  latin  aer,  elstare,  se  tenir),  appa- 
reil au  moyen  duquel  on  s'élève  dans  l'atmosphère ,  à  l'aide 
d'un  air  plus  léger  qu'il  contient.  En  général,  les  aérostats 
sont  remplis  de  gaz  hydrogène.  Ceux  qui  s'élèvent  en  vertu 
de  la  dilatation  de  l'air  échauffé  prennent  spécialement  le 
)iom  de  montgolfiàres.  Communément  on  appelle  les  uns  et 
les  autres  ballons. 

C'est  un  magnifique  spectacle  que  celui  de  l'homme  s'é- 
lançantdans  l'espace,  dont  l'accès  lui  semblait  interdit  par  la 
nature,  et  porté  par  l'élément  qu'il  a  dompté.  Qui  n'a  senti  son 
C(pur  battre  au  départ  de  ces  hardis  voyageurs ,  qu'un  rien 
peut  précipiter  brisés  sur  la  terre,  et  qui  vont  gaiement 
affronter  lamort,  tantôt  pour  donner  un  spectacle,  tantôt  pour 
avancer  la  science  ,  tantôt  pour  découvrir  les  moyens  de  di- 
riger leur  machine?  Pour  l'aéronaute,  c'est  aussi  une  grande 
jouissance  que  la  vue  de  cette  multitude  curieuse  accourua 
pour  le  contempler  à  son  départ ,  et  qui  se  rassemble  avec 
enthousiasme  sur  le  chemin  de  son  esquif  aérien. 

Ordinairement  l'aérostat  est  compasé  d'un  ballon  ou  en- 
veloppe sphérique  en  étoffe  rendue  imperméable  au  moyen 
du  caoutchouc  et  contenant  le  gaz  hydrogène.  Un  réseau  ou 
filet  recouvre  le  ballon  et  se  rattache  à  un  cercle  de  bois 
nommé  éqnaleur  ;  de  l'équateur  descendent  des  cordes  qui 
soutiennent  un  grand  panier  d'osier  ou  nacelle,  dans  laquelle 
se  place  l'aéronaute.  La  nacelle  contient  en  outre  :  du  sable 
ou  lest ,  dont  l'aéronaute  se  débarrasse  lorsqu'il  veut  re- 
monter; des  instruments  de  physique,  qui  lui  indiquent  sa 
ilireclion,  la  hauteur  à  laquelle  il  se  trouve,  la  tempéra- 


AÉROSTAT 


141 


turc,  etc.  ;  de  la  nourriture,  pour  r»?parer  ses  forces,  des 
vclenionts  pour  éviter  le  froid  des  hautes  régions  de  l'at- 
mosphère ,  un  grappin  ou  petite  ancre  pour  s'accrocher  à  la 
terre  lorsqu'il  est  sur  le  point  de  quitter  sa  nacelle.  Enfin 
une  corde  lui  permet  d'ouvrir  une  soupape  située  au  som- 
met du  ballon ,  pour  laisser  échapper  le  gaz  ,  lorsqu'il  veut 
descendre  vers  la  terre.  Par  ce  moyen ,  si  l'aéronaute  ne 
peut  se  diriger  contre  le  vent ,  il  peut  du  moins  monter  et 
descendre  à  volonté  dans  l'atmosphère. 

Tout  le  monde  sait  qu'un  corps  plongé  dans  l'eau  perd 
une  quantité  de  son  poids  égale  à  celle  du  volume  de  liquide 
qu'il  déplace.  C'est  en  vertu  de  ce  principe,  découvert  par 
Archimède,  qu'un  morceau  de  liège  tend  à  flotter  sur  l'eau  , 
parce  que  le  yolume  d'eau  qu'il  déplace ,  égal  à  son  propre 
volume,  pèse  plus  que  lui-même.  Or,  cette  loi  de  l'hydro- 
statique est  parfaitement  apphcable  à  l'aérostatique,  et  ce  qui 
est  vrai  pour  l'eau  et  les  autres  liquides  est  également  vrai 
l)Our  les  fluides  gazeux.  C'est  donc  aussi  sur  cette  loi  que  re- 
posent la  théorie  de  l'aérostation  et  la  construction  des  aéros- 
tats. Un  ballon  s'élève  parce  qu'il  déplace  un  volume  d'air 
dont  le  poids  est  supérieur  au  sien.  Mais  la  pesanteur  de  l'air 
est  une  découverte  toute  moderne,  et  c'est  seulement  dans  la 
seconde  moitié  du  dix-huitième  siècle  que  la  science  a  re- 
connu que  les  divers  fluides  aériformes  possèdent  des  pe- 
santeurs spécifiques  différentes.  Ainsi  tout  gaz  dont  la  pe- 
santeur spécifique  serait  notablement  moindie  que  celle  de 
l'air,  pourrait  servir  à  gonfler  un  ballon.  Les  premiers 
aérostats  que  l'on  ait  construits  étaient  tout  simplement 
remplis  d'air  raréfié  ;  et  si  l'on  donne  la  préférence  à  l'hydro- 
gène, c'est  qu'il  est  beaucoup  plus  léger  que  l'air,  puisque  sa 
pesanteur  spécifique ,  lorsqu'il!  est  pur,  est  à  celle  de  l'air 
comme  69  est  à  1000. 

Appliquée  à  l'air,  la  chaleur  le  raréfie,  le  dilate  et  en  dimi- 
nue par  conséquent  la  pesanteur  spécifique.  Cette  diminution 
de  pesanteur  s'effectue  en  proportion  du  degré  d'intensité 
de  la  chaleur.  Pour  chaque  degré  du  thermomètre  de  Fah- 
renheit, la  chaleur  parait  dilater  l'air  d'environ  jj^  ;  ainsi  400° 
de  chaleur,  ou  plus  exactement  435 ,  doubleront  juste  le 
volume  d'une  masse  d'air.  Si  donc  l'air  renfermé  dans  un 
appareil  quelconque  est  modifié  par  la  chaleur  et  se  trouve 
dilaté  au  point  que  sa  pesanteur  soit  moins  considérable 
qu'une  masse  d'air  égale ,  cet  appareil  doit  s'élever  dans 
l'atmosphère  jusqu'à  ce  que  l'air  qu'il  contient  devienne  plus 
froid  et  se  condense  davantage,  ou  bien  que,  l'air  environnant 
devenant  moins  dense ,  ces  deux  espèces  d'air  aient  atteint 
une  pesanteur  spécifique  égale ,  le  tout  en  tenant  compte  du 
poids  de  l'appareil.  En  tout  état  de  cause,  l'appareil  redes- 
cendra graduellement  si  la  chaleur  n'est  pas  renouvelée  et 
ne  diminue  de  nouveau  sa  pesanteur.  Telle  est  la  théorie 
des  montgolfières.  Mais  si ,  au  heu  d'avoir  recours  à  ce 
moyen  ,  dont  les  procédés  ne  sont  pas  sans  danger,  on 
remplissait  l'appareil  d'un  fluide  élastique  plus  léger  que  l'air 
atmosphérique,  il  continuerait  à  s'élever  jusqu'à  une  hauteur 
oii  les  couches  d'air  environnantes  auraient  le  même  degré 
de  pesanteur  spécifique.  Tel  est  le  système  des  aérostats  in- 
ventés par  Charles. 

Connaissant  les  pesanteurs  spécifiques  relatives  de  l'air 
et  du  gaz,  ainsi  que  le  poids  de  l'enveloppe  dans  laquelle  on 
veut  enfermer  ce  dernier,  il  est  facile  de  calculer  les  dimen- 
sions que  doit  avoir  le  ballon  pour  s'élever  dans  l'air  atmo- 
sphérique et  emporter  avec  lui  un  poids  donné  à  une  hauteur 
donnée.  Un  mètre  cube  d'air,  au  niveau  de  la  mer  et  sous 
la  pression  atmosphérique  ordinaire,  pèse  1,209  grammes; 
dans  les  mêmes  conditions,  une  sphère  d'air  d'un  mètre  de 
diamètre  pèsera  683  grammes  environ.  Si  l'on  admet  que 
le  gaz  hydrogène  employé  à  gonfler  le  ballon  soit  seulement 
dix  fois  plus  léger  que  l'air,  à  cause  de  l'impureté  de  l'hydro- 
gène obtenu  par  les  procédés  ordinaires,  il  en  résultera 
que  la  force  avec  laquelle  une  sphère  d'hydrogène  de  même 
diamètre  tendra  à  s'élever  dans  les  airs  sera  de  613  grammes. 


Pour  des  sphères  de  différentes  grandeurs,  la  force  ascension- 
nelle sera  proportionnelle  à  leur  volume,  ou  autrement 
au  cube  de  leur  diamètre.  Ainsi  une  sphère  de  6  mètres  s'é- 
lèvera avec  une  force  égale  à  deux  cent  seize  fois  la  pre- 
mière, c'est-à-dire  une  force  de  133  kilogr.,  et  une  sphère  de 
12  mètres  avec  une  force  de  1,062  lui.  ;  mais  il  l'aut  déduire 
des  chiffres  ci-dessus  le  poids  de  l'enveloppe.  Si  le  tissu  dont 
on  se  sert  pèse  220  grammes  par  mètre  superficiel,  c'est  envi- 
ron 691  granunes  pour  l'enveloppe  entière  d'un  ballon  d'un 
mètre  de  diamètre.  Or,  pour  un  globe  plus  grand,  la  quantité 
nécessaire  augmentant  comme  le  carré  du  diamètre,  le  poids 
de  l'enveloppe  sera  d'environ  25  kil.  pour  un  ballon  de  6  mè- 
tres de  diamètre ,  et  de  100  kilogr.  pour  mi  ballon  de  12  mè- 
tres. Par  conséquent  un  ballon  de  6  mètres  s'élancera  du  sol 
avec  une  force  ascensionnelle  d'à  peu  près  108  kilogr.,  et  la 
force  ascensionnelle  d'un  ballon  de  12  mètres  s'élèvera  à 
962  kil.  On  trouve ,  par  le  même  procédé ,  qu'un  ballon  de 
20  mètres  enlèverait  un  poids  égal  à  4,640  kilogr.  environ, 
tandis  qu'un  petit  ballon  d'un  mètre  de  diamètre  ne  pourrait 
que  flotter  à  la  surface  du  sol,  le  poids  du  tissu  étant  presque 
égal  à  la  force  ascensionnelle  résultant  de  la  différence  entre 
la  pesanteur  spécifique  de  l'air  et  celle  du  gaz  emprisonné. 

La  hauteur  à  laquelle  un  aérostat  peut  s'élever  est  déter- 
minée par  la  loi  qui  règle  la  diminution  de  densité  des 
couches  atmosphériques  à  mesure  qu'on  s'éloigne  de  la 
terre.  La  force  élastique  diminue  avec  la  densité ,  et  lors- 
qu'elle se  trouve  réduite  à  une  quantité  seulement  égale  au 
poitis  du  ballon  et  de  ses  appendices ,  il  est  impossible  que 
l'appareil  s'élève  plus  haut.  Une  autre  circonstance  vient  en- 
core restreindre  la  possibilité  de  s'élever  au  delà  de  certaines 
limites.  A  mesure  que  la  pression  de  l'air  extérieur  diminue, 
la  force  expansive  du  gaz  enfermé  va  en  augmentant ,  et  à 
la  fin  cette  dernière  vamcrait  la  résistance  que  pourrait  lui 
offrir  toute  enveloppe,  quelque  solide  qu'elle  fût.  Un  ballon 
exactement  rempli  d'hydrogène  serait  mis  en  pièces  par  le 
gaz  aussitôt  qu'il  serait  parvenu  à  une  faible  hauteur  dans 
l'atmosphère,  si  l'aéronaute  n'avait  la  précaution  de  laisser 
échapper,  en  ouviant  la  soupape  du  ballon,  une  partie  du 
fluide  emprisonné.  Pour  éviter  cela  on  ne  remplit  pas  exac- 
tement le  ballon,  qui  se  distend  à  une  certaine  hauteur. 

Dans  la  plupart  des  ascensions  aérostatiques  on  se  sert 
aujourd'hui  de  l'hydrogène  carburé  de  l'éclairage;  autrefois 
on  demandait  l'hydrogène  dont  on  remplissait  les  ballons  à 
la  décomposition  de  l'eau  par  l'action  du  fer  ou  du  zinc  et 
de  l'acide  sulfurique.  L'appareil  dont  on  se  servait  pour  cela 
est  des  plus  simples.  On  place  debout  des  tonneaux  ordi- 
naires; on  perce  deux  trous  au  fond  supérieur  :  de  l'un  part 
un  tuyau  qui  se  rend  dans  un  plus  grand  tonneau  qui  reçoit 
le  gaz  de  tous  les  autres  et  l'envoie  dans  le  ballon.  Par  le 
second  trou  on  introduit  de  l'eau,  de  la  limaille,  ou  mieux 
de  la  tournure  ou  des  rognures  de  fer,  et  de  l'acide  sulfurique, 
dans  les  proportions  de  :  fer,  56;  acide  sulfurique  concen- 
tré, 100;  eau,  400.  Ces  nombres,  exprimés  en  kilogrammes, 
produisent  2,287  mètres  cubes  de  gaz  hydrogène.  On  peut, 
d'après  ces  proportions,  calculer  le  nombre  de  tonneaux  dont 
on  a  besoin  pour  remplir  un  ballon  de  dimension  connue. 

On  ne  saurait  apporter  trop  de  soin  dans  le  choix  des 
étoffes  dont  se  compose  l'enveloppe  d'un  aérostat.  On  doit 
aussi  essayer  les  cordages  qui  composent  le  filet ,  s'assurer 
du  jeu  de  la  soupape,  etc.  Dans  l'espoir  de  diminuer  les 
dangers  d'explosion  par  l'effet  de  la  distension  du  gaz,  on  a 
voulu  essayer  de  construire  des  ballons  avec  des  lames  mé- 
talliques. M.  Dupuis-Delcourt  fit  construire  il  y  a  quelques 
années  un  ballon  avec  des  lames  de  cuivre  très-minces  ;  mais 
le  défaut  d'homogénéité  du  métal  et  plusieurs  autres  cir- 
constances l'ont  empêché  de  réussir. 

Quant  à  la  forme  du  ballon ,  la  forme  sphérique  est  la 
plus  usitée,  et  parait  la  meilleure  lorsqu'il  s'agit  de  s'aban- 
donner au  vent,  comme  on  le  fait  dans  la  plupart  des  cas. 
Plusieurs  de  ceux  qui  ont  essayé  de  diriger  les  aérostats 


M  2  A  En 

ont  adopté  la  forme  ellipsoïde,  qui  se  ra{)proche  de  celle  du 
poisson. 

La  pensée  d'inventer  un  aj)pareil  à  Taide  duquel  on  pi'it 
s'élever  dans  l'air  parait  avoir  dès  la  plus  liante  anticplllé 
occupé  l'esprit  humain.  On  en  chercha  d'abord  le  moyen 
dans  (pielque  mécanisme  se  rapprochant  des  ailes  des  oiseaux. 
Auln-Gelle,  en  parlant  de  la  colombe  de  bois  d'Archytas,  dit 
qu'elle  se  soutenait  sans  doute  i>ar  des  moyens  d'équilibre , 
et  que  l'impulsion  lui  était  donnée  par  l'air  qu'elle  recelait 
intérieurement.  C'est  bien  à  tort,  suivant  nous,  que  l'on  voit 
là  l'idée  d'un  gaz  plus  léger;  car  celui-ci  n'aurait  pu   en- 
lever une  colombe  de  bois.  Roger  Bacon,  vers  1292,  s'était 
aussi  ingénié  h  construire  une  machine  pour  atténuer  le 
poids  d'un  homme  et  lui  donner  la  facilité  de  se  diriger  dans 
l'air  comme  les  oiseaux.  En  1670  le  P.  Lana  s'était  proposé 
<le  construire  un  navire  aérien  soutenu  par  quatre  grands 
ballons  eu  cuivre  vides  d'air.  Le  P.  Galien  publia  en  1735, 
à  Avignon,  un  livre  intitulé  Art  de  naviguer  dans  les  airs, 
dans  lequel  il  propose  de  faire  un  immense  ballon  rempli 
d'air  pris  dans  la  région  de  la  grêle ,  afin  que  ce  ballon  tût 
plus  léger  et  plus  apte  à  s'élever.  Dante  de  Pérouse  se  cassa 
une  cuisse  en  volant  avec  des  ailes.  Bernoin  à  Francfort  et 
le  marquis  de  Bacqueville  à  Paris  ne  furent  pas   plus  heu- 
reux. Besnicr  imagina  aussi  un  appareil  |)our  voler  en  l'air. 
Les  Anglais  ont  revendiqué  l'invention  des  aérostats.  1/ 
est  vrai  que  Cavcndish  ayant  découvert  lii  légèreté  de  Thy- 
drogénc,  Blar k  remplit  des  vessies  de  ce  gaz,  mais  elles  ne 
purent  s'élever  à  cause  de  leur  poids.  I>'un  autre  côté,  le  pa- 
pier ne  gardait  pas  le  gaz.  Plus  tard,  Cavallo  répéta  ces  expé- 
riences en  gonllant  des  bulles  de  savon  avec  l'hydrogène  : 
alors  les  bulles  montèrent  ;iu  plafond ,  où  elles  crevèrent. 
Mais  tous  ces  écrits,  toutes  ces  expériences  de  laboratoire 
ne  laissaient  entrevoir  aucune  application    utile  ,  lorsque 
I   M  ont  go  I  fier  fit  sa  belle  découverte.  On  dit  que,  brûlant 
un  jour  de  vieux  papiers,  il  s'aperçut  qu'un  sac  enflammé 
par  son  orifice  s'élevait  rapidement  dans  l'air,  et  s'y  main- 
tenait tant  que  l'orifice  pouvait  être  chauff(\  Il  répéta  plu- 
sieurs fois  cette  expérience,  et  toujours  avec  succès;  ce  qui 
lui  fit  concevoir  le  plan  d'une  montgolfière.  D'autres  disent 
qu'Etienne  MontgoUier,  après  avoir  lu  attentivement  les  œu- 
vres de  Priestley  sur  les  densités  différentes  des  gaz,  fut  frappé 
d'une  idée  subite  en  montant  une  côte  :  en  emprisonnant, 
se  dit-il,  dans  une  enveloppe  un  nuage ,  un  gaz  plus  léger  que 
l'air,  on  doit  pouvoir  enlever  des  fardeaux,  des  hommes 
peut-être.  Cette  pensée  communiquée  à  son  frère  Joseph  fut 
aussitôt  discutée,  élaborée,  éclaircie,  mise  en  pratique  avec 
de  petits  sacs  de  papier  ou  de  taffetas  remplis  d'hydro- 
gène. Quelle  que  soit  la  vraie  des  deux  versions,  ce  qu'il  y 
a  de  sûr,  c'est  que  Joseph  Montgolfier  contiima  à  Avignon, 
eu  1782,  une  série  d'expériences;  mais  l'hydrogène  traver- 
sant trop  facilement  les  enveloppes,  on  chercha  un  autre  gaz. 
On  pensa  à  la  fumée  produite  par  la  paille  et  la  laine,  et 
une  expérience  réussit  près  d'Annonay.  Les  états  du  Vivarais 
étaient  alors  assemblés;  les  frères  Montgolfier  les    prient 
d'assister  à  une  expérience  qu'ils  doivent  f^iire  sur  la  place 
de  la  ville ,  et  le  5  juin  1783,  devant  le  corps  entier  des 
états,  un  gros  ballon  de  110  pieds  de  circonférence  en  toile 
couverte  de  papier  est  rempli  par  les  inventeurs  d'un  gaz 
qii'ils  prétendent  savoir  faire  ;  dix  hommes  suffisent  à 
peine  à  le  retenir;  puis  on  le  laisse  aller  :  en  dix  miiuiles  il 
se  trouvée  lOOO  toises  d'élévation;  ensuite  l'aérostat  descend 
doucement  dans  les  vignes  voisines. 

Aussitôt  le  bruit  de  cette  expérience  se  répand  partout. 
Tous  les  physiciens  répètent  l'essai  ;  mais  comme  le  gaz  des 
Montgolfier  était  inconnu,  on  se  servit  d'hydrogène,  connu 
alors  sous  le  nom  d'air  Intlammalile.  Au  lieu  de  papier,  Charles 
imagina  d'employer  du  taffetas  gommé,  qui  retenait  mieux 
le  gaz.  Une  souscription  nationale  s'ouvrit  pour  faire  nu 
essai ,  et  elle  fut  bientôt  couverte.  Ce  ne  fut  pas  sans  peine 
qu'on  parvint  à  gonller  ce  premier  ballon ,  établi  dans  la 


OSTAT 

cour  de  la  maison  où  demeurait  Cliarles,  place  des  Victoires. 
A  force  de  soin,  et  moyennant  1000  hvres  de  fer  et  498 
d'acide  sulfurique,  ou  parvint  en  quatre  jours  à  gonller  un 
ballon  de  4  mètres  de  diamètre,  qui  pouvait  enlever  à  peine 
dix-huit  livres.  Le  2Gaoùt  1783,  le  ballon  était  prêt.  On  le 
porta  dans  la  nuit  au  Champ  de  Mars;  là  on  acheva  de  le 
gonfler,  et  le  27,  à  cinq  heures  du  soir,  le  ballon  partit,  au 
bruit  du  canon ,  devant  la  foule  accouiiie  de  toutes  parts.  Il 
s'éleva  avec  une  telle  vitesse  qu'en  deux  minutes  il  disparut 
dans  un  nuage.  Trois  quarts  d'heure  après,  l'aérostat  tombait 
à  côté  d'Écouen. 

Quelques  jours  plus  tard,  Montgolfier  arrivait  à  Paris  et 
reccvaitde  l'Académie  des  Sciences  l'invitation  de  faire  cons- 
truire une  machine  aux  frais  de  ce  corps  savant.  Il  se  mit 
à  l'œuvre,  et  fit  un  ballon  de  70  pieds  de  haut  sur  40  de 
diamètre.  Le  12  septembre,  devant  les  commissaires  de  l'Aca- 
démie, ce  ballon  ftit  gonflé  en  10  minutes  au  moyen  d'un 
grand  feu  de  paille  et  de  laine  hachée;  mais  il  survint  une 
pluie  battante  et  un  vent  épouvantable,  qui  détruisirent  la 
machine. 

Le  19  une  autre  expérienrc  eut  lieu  devant  le  roi  à  Ver- 
sailles. En  cinq  jours  on  avait  monté  une  montgolfière  en 
toile,  couverte  de  papier  peint  et  décorée  avec  soin.  A  une 
heure  la  machine  se  gonfle;  et,  bien  qu'un  coup  de  vent  l'ait 
fendu  vers  le  sommet,  le  ballon  s'élance  rapidement,  empor- 
taufavec  lui  une  cage  qui  renfermait  un  mouton,  im  coi]  et.un 
canard.  Arrivé  à  240  toises  de  hauteur,  l'aérostat  s'arrêta, 
et,  après  avoir  plané  quelques  instants,  il  s'abattit  dans  le 
bois  de  Vaucresson.  Dans  la  descente,  la  corde  qui  retenait 
la  cage  fut  coupée  par  une  pile  de  bois;  les  animaux  fu- 
rent détachés  et  tombèrent  sans  accident  grave. 

Cette  expérience  fit  naître  à  l'esprit  de  quelques  hommes 
la  pensée  de  se  livrer  aux  hasards  de  l'ascension  en  aérostat. 
Montgolfier  construisit  une  énorme  machine  de  70  pieds  de 
haut  et  de  46  de  diamètre,  richement  ornée,  et  sous  laquelle 
était  disposée  une  galerie  de  25  pieds  de  diamètre.  Au  milieu 
était  une  ouverture  où  pendait  avec  des  chaînes  de  fer  un 
réchaud  de  môme  métal,  dans  lequel  on  pouvait  entretenir 
un  feu  de  paille  et  de  laine;  car  les  frères  Montgolfier 
croyaient  toujours  que  l'ascension  était  due  au  gaz  produit 
par  la  combustion  de  la  laine.  PilàtredeRozier  fit  trois 
ascensions  dans  cet  appareil,  le  ballon  maintenu  par  des 
cordes  :  il  put  parfaitement  monter  et  descendre  à  volonté 
en  rallumant  ou  en  laissant  éteindre  le  feu.  Dans  une  des 
expériences,  l'aérostat  s'embarrassa  dans  des  arbres,  et  l'aé- 
ronante  le  tira  parfaitement  de  danger.  Enfin,  une  autre  per- 
sonne, Giroud  de  Villette,  osa  l'accompagner,  puis  après  lui 
le  marquis  d'Arlandes.  Ces  essais  avaient  lieu  dans  la  cour 
de  Réveillon.  Quelques  mois  plus  tard  des  femmes,  des  mar- 
quises, des  comtesses,  faisaient  des  ascensions  eu  ballon 
captif. 

Mais  tout  cela  n'était  qu'un  jeu.  Le  21  novembre  178.1 
Pilàtre  de  Rozier  et  d'Arlandes  s'enlevèrent  à  une  heure  cin- 
quante-quatre minutes,  du  jardin  de  la  Muet  te,  dans  une  mont- 
golfière libre,  sous  laquellehnllaitdela  paille. Lesaéronaute» 
coururent  les  plus  grands  dangers,  le  feu  ayant  pris  à  l'appa- 
reil; mais,  par  l'application  d'épongés  mouillées,  ils  par- 
vinrent à  l'éteindre  et  descendirent  sains  et  saufs  dans  la 
plaine  de  Gentilly. 

Le  second  voyage  aérien  s'accomplit  le  l^""  décembre  178.3, 
avec  un  globe  de  20  pieds  de  diamètre  en  taffetas  enduit  de 
gomme  élasticpie  et  lempli  de  gaz  hydrogène,  monté  par 
Charles  et  Robert.  A  une  heure  quarante  minutes,  les  aéro- 
nautes  partirent  du  jardin  des  Tuileries  pour  aller  descendre 
dans  la  prairie  de  Nesle;  Robert  descendit  le  premier,  et 
Charles  s'enleva  de  nouveau  pour  retomber  un  peu  plus  loin. 
Cette  ascension  causa  une  vive  sensation  dans  Paris.  L'A- 
cadémie des  Sciences  décerna  le  titre  d'associé  surnumé- 
raire à  Montgolfier,  à  Charles,  à  Robert,  à  Pilàtre  de  Rozier 
et  au  marquis  d'Arlandes.  Montgolfier  reçut  des  lettres  Je 


AÉROSTAT  —  AÉROSTIERS 


iinblcîsc  pour  son  père  ;  Charles  cul  une  pension  de  2,000  li- 
vres, Robert  une  pension  de  100  pistoles.  Pilàtrc  de  Hozier 
ii'eut qu'une  pension  de  1000  livres,  qu'il  trouva  trop  nioilique. 

La  troisième  ascension  eut  lieu  à  l^yon,  le  l'J  janvier  17S4. 
Montgollier  Tainé,  Pilàtre  de  Rozior,  Fontaine,  le  prince  de 
Liyne  et  trois  autres  personnes  de  qualité  furent  enlevés 
à  500  toises  environ  par  une  énorme  montgolfière,  de 
126  pieds  de  haut  sur  100  de  diamètre,  et  transportés  à  une 
lieue  de  la  ville  sans  accident. 

Dès  lors  on  se  mit  à  imiter  partout  les  hardis  voyageurs. 
I,c  25  février  don  Paul  Andréani  et  les  deux  frères  Gerli 
s'enlevaient  dans  une  grande  montgolfière  à  Milan.  Parmi  les 
ascensions  curieuses,  nous  citerons  celle  de  Blanchard,  qui 
traversa  la  Manche,  le  7  janvier  17S5,  avec  le  docteur  Jcf- 
feries.  Partis  de  Douvres  à  une  heure,  ils  descendirent  vers 
trois  heures  trois  quarts  entre  Boulogne  et  Calais.  Le  16  juin 
de  la  même  année  fut  marqué  par  une  catastrophe.  PikUre 
de  Rozier  s'imagina  de  construire  im  aérostat  dans  lequel  une 
montgolfière  cylindrique  était  surmontée  d'un  ballon  rempli 
de  gaz  inflammable.  C'était,  connue  l'avait  dit  Charles,  mettre 
du  fou  sous  la  poudre.  L'explosion  eut  lieu  en  effet,  et  Pilâtre 
tomba  brisé  ainsi  que  son  compagnon  Romain.  Ce  malheur 
ne  ralentit  pourtant  pas  le  courage  des  aéronautes.  On  créa 
même,  à  quelque  temps  de  là,  un  corps  d'aérostiers  mi- 
litaires et  une  école  d'aérostation  à  jNIeudon.  Blanchard 
adapta  un  p.^racliute  à  son  ballon,  et  fit  descendi'e  ainsi  des 
animaux.  Jaccpies  Garnerin  tenta  enfin,  le  1^"" brumaire  an  YI, 
la  première  descente  d'un  homme  en  parachute  dans  la 
|)laine  de  Monceaux.  Mademoiselle  Élisa  Garnerin  renouvela 
depuis  cette  périlleuse  expérience,  et  M.  Louis  Godard 
l'a  encore  exécutée  dans  ces  derniers  temps. 

Parmi  les  aéronautes  qui  suivirent,  nous  devons  citer  ma- 
dame Blanchard,  qui  périt  à  Paris,  en  1819,  par  l'explosion 
de  son  ballon,  allumé  par  des  pièces  d'artifice  qu'elle  tirait 
en  l'air;  le  comte  de  Zambeccari,  qui  périt  dans  une  expé- 
rience dangereuse  sur  une  montgolfière  ;  Arban ,  qui  est  allé 
se  perdre  en  Espagne  :  il  avait  fait  peu  de  temps  auparavant 
un  merveilleux  voyage  de  ÎMarseille  à  Turin ,  par-dessus  les 
Alpes;  Gale, quiseluaieSseptembre  1850 près  de  Bordeaux; 
.AI.  Green,  qui  a  traversé  la  Manche,  de  Londres  à  Nassau; 
les  frères  Godard,  qui  montrent  à  cliaque  instant  leur  intré- 
pidité aux  Parisiens;  enfin,  M.  Poitevin, qui  renouvelairt  une 
expérience  de  Testu-Brissy  et  de  Jîargat,  s'est  enlevé  sur 
un  cheval,  avec  un  taureau,  une  calèche  attelée,  etc.,  etc. 

D'autres  voyages  aériens  eurent  lieu  dans  l'intérêt  de  la 
science.  On  se  rappelle  les  ascensions  qu'entreprit  Gay- 
Lussacen  1804,  d'abord  avec  M.  Biot,  puis  seul.  Ce  savant 
s'éleva  à  la  plus  grande  hauteur  à  laquelle  aucun  homme 
soit  encore  parvenu,  c'est-à-dire  à  près  de  7,000  mètres  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer.  Depuis ,  d'autres  physiciens 
recommencèrent  cet  essai ,  mais  sans  résultats  nouveaux. 
Plusieurs  faillirent  en  être  victimes. 

Mais  la  navigation  aérienne  manquerait  en  grande  partie 
son  but  si  Ton  ne  parvenait  à  diriger  les  aérostats.  Dès  le 
commencement,  des  esprits  ingénieux  se  mirent  à  chercher 
les  moyens  de  les  faire  marcher  à  volonté.  Le  premier  qui 
essaya  de  diriger  les  ballons  dans  l'air  est  Blanchard.  Il  avait 
d'abord  rêvé  un  bateau  volant  mécanique;  il  se  rallia  de 
suite  aux  aérostats.  11  partit,  en  effet,  du  Champ  de  Mars,  le 
4  mars  1784  ,  et,  à  l'aide  d'un  gouvernail ,  fit  quelques  évo- 
lutions; il  descendit  vers  deux  heures  sur  le  chemin  de  Ver- 
sailles ,  près  de  la  verrerie  de  Sèvres.  A  quelque  temps  de 
là  Guyion  de  Morveau  construisit,  avec  l'aide  de  l'Académie 
de  Dijon ,  un  aérostat  garni  d'une  sorte  de  proue  en  toile  en 
avant,  et  d'une  espèce  de  gouvernail  en  arrière;  à  droite  et 
Il  gauche  il  y  avait  de  longues  rames ,  et  d'autres  rames 
étaient  attachées  à  la  gondole.  C'est  sur  cette  machine  qu'il 
fit,  avec  d'autres  personnes,  deux  ascensions,  le  25  février 
et  le  12  juin  17s'i.  Dans  la  première  le  vent  cassa  les  agrès; 
dans  la  seconde  les  aéronautes  parvinrent  quelquefois  à  lutter 


143 

contre  le  vent.  Robert  constniisit  ensuite  un  aéroslat  cylin- 
drique dans  lequel  il  enferma  un  glol)e  rempli  d'air  ([u'un 
soudlet  devait  remplir.  11  devait  conduire  celte  machine  à 
l'aide  de  rames  de  douze  pieds  de  surface,  11  s'enleva  de 
Saint-Cloud  avec  le  duc  de  Chartres,  père  de  Louis-Phi- 
lippe. Dans  une  occasion ,  une  rame  leur  servit  à  dompter 
le  vent;  mais  une  dilatation  inattendue  du  gaz  les  força  à 
déchirer  leur  ballon,  et  ils  descendirent  précipitamment. 
Le  18  juillet  1784,  Blanchard  tenta  une  nouvelle  expérience 
à  Rouen ,  et  obtint  un  bon  effet  de  ses  ailes  pour  monter  et 
descendre.  L'année  suivante,  M^L  Alban  et  Vallet,  direc- 
teurs de  la  fabrique  de  Javcl,  tentèrent  des  voyages  dans  les- 
quels ils  se  félicitèrent  du  jeu  des  ailes  adaptées  à  leur  ballon. 
Le  17  juin  1786,  Ïestu-Brissy  s'enleva  sur  une  sorte  do 
char  garni  de  ro-ues  à  ailes  et  suspendu  par  un  aérostat.  11 
attribua  une  de  ses  descentes  à  ses  rames.  INIeunier,  officier 
du  génie,  membre  de  l'Académie  des  Sciences,  rechercha  ma- 
thématiquement les  conditions  d'équilibre  des  aérostats  dans 
un  mémoire  très-remarquable,  et  proposa  d'entourer  les  bal- 
lons d'une  seconde  enveloppe  de  force,  entre  laquelle  une 
pompe  enverrait  ou  retirerait  de  l'air.  Loin  de  vouloir  résis- 
ter au  vent ,  Meunier  cherchait  à  s'en  faire  un  auxiliaire.  Le 
principal  but  qu'il  paraissait  se  proposer  c'était  d'atteindre 
les  courants  d'air  qui  eutrahieraient  l'aérostat  dans  la  direc- 
tion désirée.  Pour  arriver  à  ce  résultat ,  il  joignait  à  son  en- 
veloppe de  force  des  roues  à  palettes  manœuvrées  par  les 
aéronautes.  M.  Lennox  construisit  plus  tard,  dans  le  même 
espoir,  un  énorme  ballon  avec  un  gouvernail  en  avant  et  un 
en  arrière  delà  nacelle,  et  de  chaque  côté  des  roues  en  toile 
analogues  aux  roues  des  bateaux  à  vapeur.  Pour  huiler  la 
vessie  natatoire  des  poissons,  INI.  Lennox  imagina  d'intro- 
duire dans  son  grand  ballon  un  ballon  particulier  qui,  selon 
la  quantité  d'air  extérieur  qu'on  y  introduirait ,  devait  pro- 
duire sur  la  pesanteur  du  ballon  principal  une  différence  de 
trente  li^Tes  en  plus  ou  en  moins.  D'autres  imaginèrent  d'ap- 
pliquer la  vis  d'.\rchimède  à  leur  ballon.  Tout  cela  est  resté 
sans  résultats  appréciables.  On  doit  à  I\L  Transonun  système 
de  baUons  conjugués ,  c'est-à-dire  réunis  deux  à  deux  au 
moyen  d'une  corde ,  et  de  force  ascensionnelle  différente , 
qu'il  nomme  aéronefs,  à  l'aide  desquels  il  espérait  pouvoir 
atteindre  les  courants  favorables  à  la  direction  voulue.  11 
proposa  aussi  d'ajouter  aux  ballons  des  voiles  qui  rappellent 
les  fonctions  des  cerfs  volants.  Depuis  M.  Petin  a  donné  le 
plan  d"une  grande  machine  armée  de  voiles ,  de  parachutes , 
de  paramontes,  etc.  M.  P.  Juliicn  a  obtenu  quelques  résul- 
tats d'hélices  mues  par  un  ressort  et  appliquées  à  un  aérostat 
ayant  la  forme  d'un  poisson.  M.  Terzuolo  a  imaginé  de  pla- 
cer dans  un  aérostat  à  gaz  une  sorte  de  vessie  natatoire  pou- 
vant s'emplir  à  volonté  d'air  ou  de  gaz  tenu  dans  une  boîte 
de  réserve,  et  qui  permettrait  de  monter  ou  descendre  sans 
perte  de  gaz  ni  de  lest.  D'autres  systèmes  ont  été  proposés 
par  MM.  Sanson  ,  Carlingford  ,  Vert,Low  m  te.  Enfin  1' a- 
lumini  um  pourra  donner  des  machines  légères. 

On  demandait  à  Franklin  ce  qu'd  pensait  de  l'invention 
des  aérostats  :  «  C'est  l'enfant  qui  vient  de  naître ,  »  répon- 
dit-il. Depuis,  l'enfant  a  grandi.  Rien  ne  laisse  pourtant 
encore  entrevoir  le  moment  où  cette  grande  découverte 
dotera  l'homme  d'une  nouvelle  puissance.      L.  Louvet. 

AÉROSTATÎQUE, science  de  l'équilibre  de  l'air,  ou 
des  corps  avec  l'air;  partie  de  la  physique  qui  recherche  les 
lois  de  l'équilibre  de  l'air  et  de  tous  les  fluides  expansibles. 

AÉROSTIERS.  Sous  la  Convention,  Guyton-.Morveau 
proposa  au  comité  de  salut  public  d'employer  les  aérostats 
dans  l'art  militaire,  comme  moyen  d'observer  les  mouve- 
ments de  l'armée  ennemie.  Cette  proposition  fut  accueillie 
par  le  gouvernement,  sous  la  condition  de  ne  pas  einployer 
l'acide  sulfurique,  le  soufre  étant  nécessaire  à  la  fabrication 
de  la  poudre.  Coutelie  fut  chargé  des  expériences  néces- 
saires, et  le  cliâîeau  de  Meudon  fut  mis  à  sa  disposition.  Il 
s'associa  Conté ,  inventa  une  sorte  de  fourneau  pour  décou.* 


144 


poser  l'eau,  tt  imagina  une  foule  d'appareils  transportables 
aux  années.  Apios  ipielques  mois  de  travail,  tout  réussit; 
nii  aérostat  fut  rempli ,  et  Coutelle  s'éleva  en  l'air.  Son 
ballon  était  tenu  par  deux  cordes,  longues  de  270  toises. 
A  celle  hauteur,  il  voyait  avec  une  lunette  à  une  grande 
di.-.lance.  et  nonr  faire  des  signaux  il  faisait  couler  le  long 
d'une  corde  des  petits  sacs  de  sable  porteurs  de  flammes 
diverses.  Les  expériences  ayant  réussi,  Coutelle  obtint  le 
brevet  de  capitaine  commandant  les  aérostlers  dans  l'arme 
de  l'artillerie,  attaché  à  l'état-major  général.  Kn  même  temps 
il  reçut  l'ordre  d'organiser  une  compagnie  de  trente  hommes 
et  de  se  rendre  à  :\Iaubcuge,dont  les  Autrichiens  faisaient  le 
siège.  Coutelle  suivit  l'armée  pendant  toute  la  campagne, 
opérant  une  foule  de  reconnaissances  au  moyen  de  son 
ballon ,  retenu  par  de  longues  cordes  que.manoMivraient  ses 
soldais.  Cette  singulière  machine  de  guerre  fut  employée 
d'anord  en  1794,  comme  nous  l'avons  dit,  au  siège  défensif  de 
Mauhcuge,  et  ensuite  au  siège  offensif  de  Charleroi.  Lors  di' 
la  bataille  de  Fleurus ,  qui  fut  gagnée  par  Jourdan ,  le  2G 
juin  17i>4,  Coutelle  resta  pendant  y)lus  de  neuf  heures  en 
observation;  et  malgré  les  oscillations  continuelles  de  la 
nacelle,  il  put  distinguer  tous  les  mouvements  de  l'ennemi. 
«  Certainement,  a-t-il  dit,  ce  n'est  pas  l'aérostat  qui  nous  a 
fait  gagner  la  bataille  ;  cependant  je  dois  avouer  qu'il  gênait 
beaucoup  les  Autrichiens,  qui  croyaient  ne  pouvoir  faire  un 
pas  sans  être  aperçus ,  et  que,  de  notre  côté,  l'armée  voyait 
avec  plaisir  cette  arme  inconnue  qui  lui  donnait  confiance 
et  gaieté.  »  L'aé.'-ostat  fut  conduit  après  cela  au  siège  de 
Mayence.  Coutelle  put  observer  la  place;  mais  le  temps  était 
si  affreux  que  plusieurs  fois  son  ballon  vint  heurter  la  terre. 
Le  14  brumaire  an  lYune  seconde  compagnie  d'aèrostiers  fut 
créée  par  lui ,  et  envoyée  à  l'armée  du  Rhin.  Ses  travaux  lui 
valurent  le  grade  de  chef  d'escadron.  On  se  servit  encore 
pendant  quelque  temps  de  la  troupe  des  aérostlers.  Conté , 
directeur  de  l'établissement  de  Meudon  ,  ])assa  avec  Bona- 
parte en  Égj'pte.  On  y  enleva  aussi  des  ballons,  ce  qui  éton- 
nait beaucoup  les  musulmans  et  leur  inspirait  une  certaine 
torrenr.  Cependant  la  difficulté  de  faire  des  observations  au 
milieu  du  balancement  produit  par  la  marche  contre  le  vent, 
l'embarras  de  l'appareil,  le  temps  nécessaire  pour  gon- 
ller  le  ballon,  tout  cela  fit  renoncer  à  l'emploi  des  aérostats 
à  l'armée.  On  en  emmena  pourtant  un  lors  de  l'expédition 
d'Alger;  et  M.  Godard  fit  plusieurs  ascensions  pendant  la 
campagne  d'Italie,  en  18 j9. 

Aï'TÏTE  (du  grec  ài-i-,  aigle),  variété  de  fer  géo- 
dicpit  Iiydroxydè  ,  renfermant  un  noyau  mobile,  et  que  l'on 
nomme  vulgairement  pierre  d'aigle,  parce  que  les  anciens 
supposaient  qu'on  la  trouvait  dans  l'aire  des  aigles.  Ils  lui  at- 
tribuaient plusieurs  propriétés  merveilleuses ,  comme  de 
prévenir  les  fausses  couches ,  de  favoriser  les  accouche- 
ments, d'aider  à  découvrir  les  voleurs,  etc.  On  en  ren- 
contre assez  commimément  en  France,  près  de  Trévoux  et 
aux  environs  d'Alais. 

AETI US, général  romain,  né  à  Borostore,  dans  laMœsie, 
était  fils  d'un  Scythe,  nommé  Gaudence,  mort  au  service  de 
l'empire,  après  avoir  rempli  les  premiers  emplois  militaires. 
Llevé  à  la  cour  d'Alaric,  auquel  il  avait  été  donné  en  otage, 
il  apprit  l'art  de  la  guerre  sous  ce  redoutable  conquérant,  et 
profita  du  long  séjour  qu'il  fit  chez  les  barbares  pour  prendre 
sur  ces  peuples  une  grande  influence.  En  424  il  amena  jusqu'à 
60,000  Huns  en  Italie  pour  soutenir  les  prétentions  de  Jean 
contre  les  descendants  de  Théodose.  Jean  ayant  succombé, 
Aétius  vint  faire  .sa  soumission  à  Placidie,  mère  de  Valen- 
linien  III,  qui  gouvernait  l'Occident  comme  tutrice  de  son 
(ils.  La  régente  reconnut  dans  Aétius  les  talents  d'un  grand 
général  -.elle  résolut  de  se  l'attacher,  et  lui  donna  le  comman- 
dement de  l'Italie  et  de  la  Gaule,  tandis  qu'elle  confiait  à 
Boniface  le  gouvernement  de  l'Afrique.  Poussé  par  Aétius, 
Bonifiice  leva  l'étendard  de  la  révolte;  et  tandis  que  celui-ci, 
repentant,  faisait  de  vains  efforts  pour  disputer  l'Afrique  aux 


AÉROSTIERS  —  AFER 

Vandales,  Aétius  affermissait  son  pouvoir  dans  les  Gaules 
par  des  victoires  sur  les  Francs  et  les  Bourguignons.  Placidie 
ayant  accordé  de  nouvelles  dignités  à  Boniface,  Aétius 
passa  les  Alpes,  attaqua  Boniface,  fut  vaincu  ;  mais  il  blessa 
de  sa  main  son  rival,  qui  mourut  peu  de  temps  après.  Pla- 
cidie voulut  en  vain  venger  la  mort  de  son  lieutenant  ;  Aétius 
revint  bientôt, à  la  tête  de  00,000  barbares,  exiger  son  pardon. 
11  mil  dès  lors  son  ambition  à  relever  la  puissance  romaine 
et  à  comprimer  les  barbares,  qu'il  savait  bien  ne  pas  pou- 
voir chasser  de  l'empire.  Lorsqu'uiie  armée  innombrable  de 
Huns  pas.sa  le  Rhin,  près  de  Strasbourg,  sous  la  conduite 
d'Attila,  Aétius  fut  assez  habile  pour  réunir  contre  ses  anciens 
alliés,  alors  devenus  l'ennemi  commun,  tous  les  peuples  de 
race  germanique  établis  dans  les  Gaules.  Cependant  la  mar- 
che d'Attila  fut  si  rapide,  qu' Aétius  ne  put  empêcher  la  plu- 
part des  villes  delà  Gaule-Belgique  d'être  dévastées  et  livrées 
aux  flammes.  Le  roi  des  Huns  était  même  sur  le  point  de  s'em- 
parer d'Orléans,  lorsque  Aétius  parut  enfin  à  la  tète  des  Vi- 
sigoths,  des  Francs,  des  Bourguignons,  des  milices  armori- 
caines, et  de  quelques  misérables  cohortes  romaines  qu'il 
avait  tirées  d'Italie.  Les  Huns ,  surpris ,  abandonnèrent  leur 
proie,  mais  Aétius  les  poursuivit  vivement;  il  les  atteignit 
dans  les  champs  Caîalauniques,  entre  Chàlons-sur-Marne  et 
Méry-sur-Seine.  Ce  fut  là  que,  vers  la  fin  de  l'année  451,  se 
livra  la  bataille  mémorable  dont  le  succès  sauva  la  Gaule, 
et  prolongea  de  quelques  années  la  durée  de  l'empire  ro- 
main. Attila  évacuâtes  Gaules;  mais  ce  fut  pour  aller  ra- 
vager l'Italie.  Tant  qu'il  eut  à  craindre  cet  ennemi  redou- 
table, Valcntinien  III  flatta  bassement  le  vainqueur  de  Chà- 
lons  ;  mais  en  453 ,  Attila  étant  mort  dans  l'ivresse  d'un 
festin ,  son  empire  s'écroula  avec  lui,  et  le  lâche  empereur 
ne  songea  plus  qu'à  perdre  un  homme  qui  lui  portait  om- 
brage, et  dont  il  ne  croyait  plus  avoir  besoin.  11  fit  venir 
Aétius  au  palais ,  et  s'arma  pour  la  première  fois  de  sa  vie 
d'une  épée  :  Yalentinien  en  frappa  l'homme  qui  avait  sauvé 
l'empire.  Ses  eunuques  et  ses  courtisans  l'achevèrent.  Quel- 
ques mois  après,  Yalentinien  III  expia  son  crime  en  tombant 
sous  les  coups  de  Petronius  Maximus. 

AÉTIUS,  hérésiarque  du  quatrième  siècle,  était  né  à 
Antioche.  Après  avoir  été  valet  d'un  maître  de  grammaire,  il 
fut  ordonné  diacre  et  ensuite  évêque  par  Eudoxe ,  patriar- 
che de  Constantinople.  Il  enseignait  que  le  Fils  de  Dieu  n'est 
pas  semblable  au  Père,  et  faisait  consister  toute  la  religion 
dans  la  foi,  ne  parlant  jamais  à  ses  disciples  de  jeune  ni  de 
pénitence.  Condamné  dans  |ilu>ieurs  conciles  il  fut  exilé  par 
Constance.  Julien  le  rappela.  Aétius  mourut  à  Constantino- 
ple en  306.  Ses  partisans  s'appelaient  Aétiensoa  Anoméens. 
^TIOLOGIE.  Voyez  Étiologie. 
AÉTIUS  d'Amida,  en  Mésopotamie,  médecin  grec  de  la 
fin  du  cinquième  siècle,  est  auteur  de  Tetrabiblos,  en  seize 
livres,  vaste  compilation  où  il  avait  mis  à  contribution  les 
plus  grands  médecins  des  âges  antérieurs.  Cet  ouvrage  est 
remarquable  surtout  en  ce  qu'il  renterme  beaucoup  de  frag- 
ments d'ouvrages  perdus.  Les  huit  premiers,  livres  seule- 
ment ont  été  publiés  à  Yenise  en  1334,  in-fol.  Il  en  a  para 
plusieurs  traductions  latines. 

AFER  (DoMiTits),  célèbre  orateur,  naquit  à  Nîmes,  vers 
l'an  15  avant  J.-C.  —  A  quelle  époque  quilta-t-il  les  Gaules 
pour  l'Italie?  On  l'ignore;  mais  sous  Tibère  on  le  voit  prê- 
teur, et  bientôt,  au  sortir  de  la  préture,  cherchant  par  ses 
délations  à  se  faire  un  nom  et  une  fortune.  Devinant  la 
pensée  qu'a  formée  Tibère  de  perdre  Agrippine,  il  s'y  as- 
socie et  y  aide  en  accusant  d'impudicité,  d'adultère  avec  un 
certain  Furnius,  Claudia  Pulchra,  cousine  d'Agrippine.  Pul- 
chra  et  Furnius  furent  condamnés.  Le  génie  d'Afer  pour  la 
délation  s'était  révélé;  il  obtint  les  applaudissements  de  Ti- 
bère, qui  dès  lors  l'appela  l'homme  de  sa  justice.  Une  fois 
dans  cette  voie  du  mal,  où  il  s'était  engagé,  .\fer  ne  s'arr<^ta 
point.  Il  avait  fait  condamner  Claudia  Pulchra  ;  bientôt  il 
se  porta  comme  accusateur  du  fils  de  celte  célèbre  Ro- 


AFER 

inaine ,  Vanis  Quinctilius ,  personnage  riche  cl  parent  de 
(.'esar.  Loni;tenips  plongé  dans  la  misère,  Afer  deman- 
dait ainsi  à  des  délations  une  fortune  qu'il  dissipait  avec  au- 
tant de  facilité  qu'il  l'acquérait  avec  lionte  ;  mais ,  dégradé 
riimme  lionune,  Afer  se  relevait  comme  orateur.  La  répu- 
tation de  son  éloquence,  dit  Tacite,  fut  plus  pure  que  cdle 
«If  -M-  mœui-s.  Quintilien,  dont  il  avait  été  le  maître,  cite 
souvent  de  lui  des  mots  heureux  ou  piquants,  d'habiles  ou 
vives  reparties,  qui  témoignent  de  la  présence  d'esprit  et 
des  ressources  oratoires  d' Afer  ;  il  le  place  au  premier  rang  des 
orateurs  ;  il  ne  craint  même  pas  de  le  ranger  parmi  les  an- 
tiens,  c'est-à-dire  les  modèles ,  presque  à  côté  des  Horten- 
sius  et  des  Cicéron.  Tacite,  plus  sévère ,  et  qui  dans  Afer 
Uomitius  ne  peut  oublier  le  délateur,  alors  même  qu'il  y  re- 
connaît l'homme  éloquent,  dit  que  dans  son  dernier  âge 
Afer  déchut  beaucoup  de  son  talent,  et  que,  son  génie s'é- 
tant  affaibli,  il  n'eut  pas  (quel  orateur  l'eut  jamais?)  la  sa- 
gesse de  se  taire.  Afer  avait  été  fait  consul  sous  Caligula. 
11  mourut  dans  un  ùge  fort  avancé,  au  milieu  d'un  repas 
où  il  avait  mangé  avec  excès,  dit  la  chronique  d'Eusèbe  : 
in  cœna,  ex  n'nnia  cibi  repletïone.  De  l'éloquence  d'Afer 
il  ne  nous  reste  absolument  rien,  et  nous  n'avons  pour  la 
juger  que  l'admiration  de  Quintilien  et  le  témoignage  écla- 
tant, quoique  sévère  d'ailleurs,  de  Tacite,  qui  reconnaît 
son  génie.  Ajoutons,  moins  à  la  justification  d'Afer  qu'en 
l'honneur  de  l'éloquence  même,  qu'Afer  ne  se  servit  pas  de 
cette  arme  terrible  et  brillante,  que  la  nature  lui  avait  donnée, 
uniquement  pour  accuser  et  perdre,  mais  que  souvent  aussi 
il  en  fit  un  noble  usage  :  il  défendit  des  accusés.  L'bistobe 
d'Afer  est  du  reste,  et  malheureusement,  l'histoire  de  presque 
tous  les  orateurs  célèbres  sous  la  tyrannie  des  empereiu-s  : 
ou  se  faisait  bourreau  souvent  pour  n'être  pas  victime,  et 
la  laiblesse  autant  que  la  méchanceté  poussait  à  ces  déla- 
tions ,  qui  plus  d'une  fois  retombaient  sur  leurs  auteurs , 
les  empereurs  ne  demandant  pas  mieux  que  de  trouver 
des  coupables  dans  les  accusateurs  eux-mêmes,  c'est-à-dire 
des  dépouilles  à  prendre  des  deux  côtés.  La  bassesse  des 
sujets  devenait  ainsi  à  elle-même  son  châtiment,  et,  par  une 
mutuelle  expiation,  vengeait  l'humanité. 

CuARPE.NTrER,    prof,  à  la  Faculté  des  Lettres  de  Paris. 

AFFABILITÉ.  AffahïliSs\g\\\{\Q,  au  propre,  à  çîjî  l'on 
peut  facilement  parler.  Le  sens  du  mot  français  est  d'ac- 
cord avec  son  étymologie.  L'affabilité  en  effet  est  cette 
qualité  qui  consiste  à  être  d'un  accès  facile  pour  ses  infé- 
rieurs et  à  les  écouter  avec  bienveillance.  Cette  définition, 
sèche  comme  toute  définition,  ferait  peu  connaître  par 
elle-même  ce  qu'est  l'affabilité,  si  nous  négligions  de  signa- 
ler les  différents  caractères  qu'elle  présente  à  l'observation. 
L'affabilité  ne  consiste  pas  dans  les  dehors  d'une  vaine  po- 
litesse, dans  l'affectation  d'une  bonhomie  empruntée  ou 
d'une  bienveillance  mensongère  ;  mais,  comme  le  dit  3Ias- 
sillon,  «  elle  prend  sa  source  dans  l'humanité  ;  c'est  un  sen- 
timent qui  naît  de  la  tendresse  et  de  la  bonté  du  cœur  ». 
L'hypocrisie  porte  mal  le  masque  de  l'affabilité.  Ses  paroles 
seront  doucereuses,  séduisantes,  dorées,  mais  jamais  affa- 
bles, parce  qu'elles  ne  partent  point  du  cœur,  dont  le  lan- 
gage ne  saurait  tromper.  La  sincérité  dans  l'expression  de 
la  bienveillance  sera  donc  le  premier  caractère  de  l'affabilité. 
Comme  l'homme  affable  est  naturellement  bon,  ses  traits 
seront  empreints  d'une  douceur  aimable;  sa  parole  sera, 
malgré  lui,  caressante,  ses  manières  simplement  affectueu- 
ses, presque  familières,  sans  rien  perdre  de  leur  dignité.  La 
définition  même  de  l'affabilité  suppose  qu'il  existe  une  dis- 
tance entre  celui  qui  accueille  et  celui  qui  est  accueilli  : 
c'est  précisément  cette  distimce  que  l'homme  affable  s'ef- 
forcera de  faire  disparaître.  Il  sera  beaucoup  moins  préoc- 
cupé de  la  supériorité  de  son  rang  et  du  respect  qui  lui  est 
dû  que  de  la  gêne  et  de  l'embarras  de  celui  qui  l'aborde,  de 
la  confiance  qu'il  cherche  à  lui  inspirer.  Son  entrelien  n'aura 
rien  de  la  roideur  glaciale  d'une  audience,  il  saura  liii  donner 

DICT.    DE    I.A    COXVEP.S.    —   T.    I. 


AFFABILITE  M  5 

le  four  d'une  aimable  conversation;  loin  de  faire  sentir  à  son 
inférieur  l'intervalle  qui  les  sépare,  il  lui  tendra  doucement 
la  main  pour  l'approcher  de  lui,  et  la  sinii>licité  naturelle  de 
son  accueil  ne  fera  voir  en  lui  qu'un  homme  parlant  à  un 
autre  honmie,  ou  l'écoutant  avec  intérêt  pour  savoir  s'il  lui 
sera  possible  de  l'obliger. 

L'affabilité  est  plus  qu'une  heureuse  disposition  de  l'âme, 
plus  que  l'expression  d'une  bienveillance  véritable;  et  l'on  a 
pu  dire  avec  raison  qu'elle  est  ime  vertu,  car  elle  oblige  et 
rend  service  par  elle-même  :  un  bon  accueil  est  déjà  une 
boime  action.  On  reprochait  à  Titus  d'accueillir  trop  bien 
les  solliciteurs,  et  de  se  laisser  entraîner  à  leur  promettre 
plus  peut-être  qu'il  ne  pouvait  tenir  :  «  J'aurais,  répondit- 
il,  à  me  reprocher  une  mauvaise  action  si  quelqu'un  sortait 
mécontent  de  l'audience  du  prince  :  et  n'est-ce  déjà  pas  ac- 
corder un  bienfait  que  délaisser  l'espérance?  »  Considérom 
ea  effet  ce  qu'a  de  pénible  la  position  d'un  homme  en  pré- 
sence de  son  supérieur;  représentons-nous  sa  contrainte, 
son  embarras,  sa  méfiance  de  lui-même,  son  amour-propre 
secrètement  froissé  par  ce  rôle  de  protégé  et  d'inférieur,  et 
avouons  que  c'est  faire  une  bonne  action  de  le  délivrer  de 
cette  gène  cruelle,  de  remplacer  son  trouble  craintif  par  la 
confiance  et  l'espoir,  de  rendre  à  son  esprit  toute  sa  liberté, 
et  d'épargner  à  son  amour-propre  des  blessures  toujours  si 
cuisant  es  ! 

L'affabilité  est  une  vertu  des  anciens  jours.  Elle  se  re- 
trouve encore  dans  quelques  hommes  qui  ont  conservé  les 
traditions  de  noble  simplicité  et  de  généreuse  franchise  que 
leur  ont  léguées  nos  aïeux.  Mais  elle  semble  disparaître  peu 
à  peu,  et  n'être  plus  qu'une  vertu  surannée  dont  nous  pai- 
lons  ici  seulement  pour  mémoire.  Quelle  est  la  cause  de 
l'oubli  où  elle  est  tombée?  Serait-ce  que  les  institutions  mo- 
dernes auraient  nivelé  les  rangs?  serait-ce  qu'elle  aurait  suivi 
les  grands  seigneurs  dont  elle  était  l'apanage?  Cependant,  si 
nous  jetons  les  yeux  sur  la  société  actuelle ,  nous  y  retrou- 
vons une  hiérarchie  dont  les  degrés  sont  plus  nombreux  peut- 
être  qu'autrefois,  et  par  conséquent  bien  des  gens  qui  trou- 
veraient l'occasion  d'être  affables  s'ils  savaient  l'être.  Ce  qui 
fait,  selon  nous,  que  l'afïa'oilité  n'a  plus  cours  parmi  l'aris- 
tocratie moderne,  c'est  que  les  positions  élevées  ne  sont 
plus  inféodées  à  la  naissance,  mais  qu'elles  sont  presque 
toutes  occupées  par  des  hommes  nouveaux,  qualifiés  autre- 
fois de  parvenus.  INIaintenant,  en  effet,  grâce  à  nos  insti- 
tutions, une  fortune  rapidement  acquise ,  une  heureuse  or- 
ganisation intellectuelle,  ou  même  encore  la  seule  habileté  de 
l'intrigue,  suffisent  pour  tirer  bien  des  gens  de  leur  obscu- 
rité et  les  transformer  en  sommités  sociales.  Or,  cette  élé- 
vation soudaine  est  pour  leur  raison  un  dangereux  écueil  : 
leurs  yeux  n'ont  pas  eu  le  temps  de  s'habituer  à  la  hauteur 
de  cette  situation.  Éblouis  de  leur  nouvelle  fortune,  ils  en 
conçoivent  d'autant  plus  d'orgueil  qu'ils  croient  ne  la  de- 
voir qu'à  eux-mêmes,  et  la  pensée  exclusive  de  leur  supé- 
riorité les  entraîne  bien  loin  du  sentiment  de  l'égalité,  pour 
laquelle  on  a  tant  combattu ,  et  qu'ils  ont  si  vite  oubliée. 
De  là  chez  eux  cette  fierté  inabordable,  cette  morgue  dé- 
daigneuse, ces  airs  protecteurs  dont  le  sourire  est  une  insuit»'; 
en  un  mot,  cette  hauteur  de  caractère  et  cette  petitesse  de 
sentiments,  antipodes  de  l'affabilité.  A  cela  joignez  l'égoïsme, 
cette  plaie  de  la  société  actuelle,  qui  doit  à  l'absence  des 
croyances  morales  ses  rapides  et  elfrayants  ravages  ;  l'égoïsme, 
père  de  l'orgueil  et  de  la  dureté,  qui  empêche  de  comprendre 
les  ménagements ,  les  égards  dus  à  des  frères  moins  heu- 
reux, et  qui  fait  qu'en  leur  présence  on  leur  parle  de  soi 
beaucoup  plus  que  d'eux-mêmes,  et  qu'on  pense  beaucouf» 
moins  à  leur  venir  en  aide  qu'à  les  maintenir  à  distance  du 
piédestal  où  l'on  s'est  posé.  Voilà  pourquoi  l'affabilité  est  en 
ce  moment  presque  bannie  de  nos  mœurs.  Et  en  effet  celle 
vertu  est  le  propre  des  grandes  âmes,  et  nous  n'avons  main- 
tenant que  de  hautes  intelligences,  des  gens  de  mérite  eu 
grand  nombre,  si  l'on  veut,  mais  dont  le  mérite  est  an  moins 

19 


MC 


AFFABILITÉ  —  AFFECTATION 


incomplet;  car  il  leur  manfinc  ce  qui  fait  la  grandeur  vé- 
ritable, un  cœur  simple,  humain  et  généreux. 

C.-M.  Pafie. 

AFFAIRES  ÉTRAIVGÈllES  (Ministère  des).  Ce 
département  niinislériel,  chargé  des  intérêts  du  pays  à  l'étran- 
ger, de  la  préparation  et  de  la  conclusion  des  traités  poli- 
tiques et  commerciaux,  de  la  surveillance  et  de  la  protection 
des  nationaux  au  dehors ,  se  divise  en  deux  parties  princi- 
pales :  Tadministration  centrale  à  Paris ,  et  le  corps  diplo- 
matique et  consulaire  à  l'étranger. 

L'administration  centrale  du  ministère  des  affaires  étran- 
gères se  compose  :  r  du  cabinet  du  ministre  et  secrétariat  ; 
2°  de  la  direction  politique;  3°  de  la  direction  commerciale  ; 
4°  de  la  direction  des  archives  et  de  la  chancellerie;  5°  enfin 
de  la  direction  des  fonds,  de  la  comptabilité  et  du  conten- 
tieux. 11  y  a  en  outre  trois  secrétaires  interprètes  pour  les 
langues  orientales,  attachés  au  ministère,  un  comité  consul- 
tatif du  contentieux ,  et  un  conseil  judiciaire.  —  Le  bureau 
de  la  chancellerie  est  seul  ouvert  au  public.  Ce  bureau  a 
dans  son  ressort  les  passeports  autres  que  les  passeports 
de  cabinet;  les  légalisations,  les  visas  et  la  perception  des 
droits  qui  en  résultent;  la  transmission  des  actes  judiciaires 
et  des  conunissions  rogatoires;  la  discussion  des  questions 
touchant  à  l'état  civil,  et  l'instruction  des  réclamations  re- 
latives à  des  matières  d'intérêt  privé ,  telles  que  les  succes- 
sions ouvertes  en  pays  étranger,  les  recouvrements  sur 
particuliers ,  etc. 

•A  rextérieur  la  France  est  représentée  par  oes  ambas- 
sadeurs, des  envoyés  extraordinaires  ,  ministres  plénipo- 
tentiaires. D'autres  postes  sont  remplis  par  des  ministres 
plénipotentiaires,  ou  résidents,  ou  cliargéi  d'affaires  (voyez 
l'arlicle  Agent).  Auprès  de  ciiaque  légation  il  y  a  im  ou 
deux  secrétaires,  des  aspirants  diplomatiques  et  un  clian- 
celier.  La  France  entrehent  en  outre  à  l'étranger  des  agents 
consulaires,  ayant  les  titres  de  consuls  généraux,  consuls 
chargés  d'affaires,  on  d'agents  commerciaux. 

Faire  l'histoire  du  ministère  des  affaires  étrangères ,  ce 
serait  tenter  l'histoire  diplomatique  de  la  France.  Disons  seu- 
lement ici  que  ce  département  dans  notre  pays  fut  long- 
temps du  ressort  du  principal  ministre,  et  qu'il  faut  arriver 
au  règne  de  Henri  II  pour  trouver  un  secrétaire  d'État 
chargé  spécialement  de  quelques  relations  extérieures  ;  car 
pendant  bien  du  temps  encore  l'action  du  ministre  des 
affaires  étrangères  était  bornée  aux  relations  avec  quelqiKS 
pays  détermines.  Il  y  eut  même  dans  un  moment  jusqu'à 
trois  ministres  des  affaires  étrangères  à  la  fois ,  ayant  cha- 
cun un  département  particulier.  Depuis  la  révolution  ce 
minist-ère,  qui  prit  pendant  le  Directoire  et  l'Empire  le  titre 
de  ministère  des  relations  extérieures,  n'a  cessé  de  former 
un  département  distinct.  Parmi  les  hommes  éminents  qui 
ont  dirigé  cette  administration,  il  nous  suffira  de  citer  : 
Claude  de  l'Aubespine  (  1567  ) ,  le  seigneur  de  Villcroi  (  1 594  ), 
le  seigneur  delà  Vrillère  (  1624  ),  de  Loménie-Brienne  (  IG43  ), 
Hugues  de  Lionne  (1653),  le  marquis  de  Pomponne  (1671), 
Charles  Colbert  (1679),  le  maréchal  d'Uxelles  (I7t5),  le 
cardinal  Dubois  (  1718) ,  le  comte  de  Morville  (  1723  ),  Ame- 
lot  de  Chaillou  (1737),  le  marquis  d'Argenson  (1744),  le 
marquis  de  Puisieux  (  1747),  le  cardinal  de  Bernis  (  1757) , 
le  duc  de  Choiseul-Stainville  (  1758) ,  le  duc  de  la  Vril- 
lère (1770)  ,1e  duc  d'Aiguillon  (1771),  de  Vergennes(  1774), 
de  Montmorin  Saint-Hérem  (1787),  Valdec  de  Lessart  (  1791  ), 
Dumouriez,  de  Chambonas,  Bigot  de  Sainte-Croix ,  Lebrun 
(  1792) ,  de  Forgues  (1793) ,  Herman,  Buchot,  Mangourit  et 
Miot  (1794) ,  Lacroix  (1795),  Talleyrand  (  1797,  1799,  1814 
etlSlô),  Reinhardt(1799),  le  comte  de  Champagny  (1807), 
le  duc  de  Bas.sano  (  1809  ),  de  Caulaincourt  (  1813  ),  le  comte 
de  Jaucourt(  1815),  le  duc  de  Richelieu  (  1815),  le  marquis 
Dessoles  (1818),  le  baron  Pasquier  (1819),  le  duc  Mat- 
lîiieu  de  Montmorency  (  1821  ) ,  le  vicomte  de  Chateaubriand 
(1325),  le  baron  de  Damas  (1S24),  le  duc  de  Laferron- 


nays  (1828),  le  prince  de  Polignac  (1829).  Sous  Lonîs- 
Philippe  ce.  ministère  a  été  occupé  tour  à  tour  par  MM.  Mole, 
le  maréchal  Maison,  le  comte  Sébastiani,  d'Argout,  le  duc  de 
Broglie,  l'amiral  de  Rigny,  le  maréchal  Soult,  Thiers  et 
Guizot.  Depuis  la  révolution  de  février,  nous  y  avons 
vu  MM.  de  Lamartine,  Bastide,  de  Tocqueville,  de  Lahitte 
Drouyn  de  l'Huys,  Baroche,  Brenier  et  Tuigot  Depuis  le 
coup  d'État  du  2  décembre  1851,  MM.  Turgot,  Drouyn  de 
l'Huys,  Walewski  et  Thouvenel  s'y  sont  succédé. 

Dans  tous  les  États  il  y  a  aujourd'hui  un  ministre  des  af- 
faires étrangènes  Z. 

AFFAISSEMENT.  C'est  en  architecture  TelTet  qui 
a  lieu  dans  une  construction  lorsque  les  fondations  sont  trop 
faibles,  ou  lorsque  des  fûts,  portant  à  faux,  occasionnent 
par  leur  poids,  inégalement  réparti,  des  tassements  partiels, 
qui  changent  et  détruisent  les  niveaux. 

En  géologie,  V affaissement  du  sol,  qui  produit  trop  sou- 
vent de  terribles  catastrophes,  et  qui  d'autres  fois  fait 
glisser  sans  secousse  des  champs  cultivés  et  couverts  d'habi- 
tations, est  encore  trop  fréquent  dans  les  contrées  volcani- 
ques et  dans  les  pays  de  hautes  montagnes ,  et  devait  l'être 
encore  plus  à  l'époque  voisine  de  la  formation  de  leurs 
chaînes.  Les  géologues  attribuent  les  affaissements  du  sol 
à  plusieurs  causes,  qu'on  peut  réduire  à  deux  principales,  sa- 
voir :  l'action  des  eaux ,  qui  mine  lentement  ou  rapide- 
ment des  couches  meubles ,  et  celle  du  feu ,  qjii  fait  quel- 
quefois disparaître  des  voicans,  et  les  remplace  par  des  Incs 

AFFAITAGE.  Yotjez  Facconnepip:. 

AFFALER.  En  terme  de  marine  s'affaler  c'est  tomber 
sous  le  vent  faute  de  marche,  ou  par  un  changement  de  vent. 
C'est  ainsi  qu'on  s'affale  sur  une  côte ,  dans  une  baie ,  sous 
le  vent  de  sa  route.  Un  vaisseau  affalé  sur  une  côte  peut  y 
courir  le  danger  du  naufrage.  Affalé  sous  le  vent  de  sa 
route,  il  en  prend  souvent  prétexte  pour  relâcher;  cela  peut 
fournir  matière  à  des  discussions  avec  les  assureurs. 

AFFÉAGEANT.  Dans  la  langue  de  l'ancien  droit 
français,  on  désignait  par  le  terme  ^afféa(jeant  le  vassal 
qui  aliénait  une  partie  de  son  fief  avec  rétention  de  devoirs 
annuels,  soit  que  l'objet  de  la  vente  dût  être  tenu  en  arrière- 
lief ,  soit  qu'il  dût  être  tenu  en  roture. 

AFFÉAGEMEIVT.  Dans  l'ancienne  jurisprudence,  ce 
mot  était  synonyme  de  bail  à  cens.  En  Bretagne  il  se  di- 
sait d'une  sorte  de  diminution  ou  d'empi rement  du  fief, 
par  laquelle  le  vassal  aliénait  avec  rétention  de  foi  une  partie 
de  son  domaine,  que  l'aliénation  eût  été  faite  à  titre  de  sous- 
inféodation ,  ou  bien  à  titre  de  bail  à  cens. 

AFFECTATION.  L'affectation  est-elle  un  simple 
travers  et  un  ridicule,  ou  bien  un  défaut,  un  vice?  En 
d'autres  termes,  est-elle  justiciable  de  l'opinion  et  du 
goût  seulement,  ou  de  la  morale  ?  Elle  l'est  de  ces  trois  tribu- 
naux, ou  plutôt  de  l'un  ou  de  l'autre  des  trois,  suivant  son 
but ,  .son  origine  et  ses  caractères.  En  effet,  on  peut  tomber 
dans  V  affectation  par  simple  ignorance  des  bonnes  manières  et 
du  bon  langage,  et  avec  le  seul  désir  de  bien  faire  ou  de  bien 
dire.  Dans  ce  cas,  l'oZ/ecto^ion,  si  pénible  qu'elle  soit  pour  les 
témoins,  ne  doit  inspirer  qu'une  indulgence  sans  persiflage,  et 
ne  s'attirer  que  des  leçons  sans  critique.  On  peut  aussi  tomber 
dans  l'affectation  par  une  simple  absence  de  goût.  Dans  ce  cas 
encore  la  faute ,  si  grave  qu'elle  soit,  n'est  que  du  ressort  de 
l'opinion ,  du  tribunal  du  bon  goût.  Il  est  même  dans  l'his- 
toire de  la  civilisation  et  de  la  littérature  des  époques  oii  il 
est  à  ce  point  difficile  de  passer  de  la  barbarie  au  goût 
éclairé ,  que  Yaffectation  de  style  naît  quelquefois  des  pre- 
miers efforts  de  réforme.  Toutefois,  rien  ne  saurait  être 
aussi  coupable  que  l'affectation  qui  touche  aux  mœurs.  Celle- 
là  a  pour  but  de  nous  faire  paraître  ou  plus  fiers  ou  plus 
modestes,  plus  humbles  ou  plus  orgueilleux,  plus  riches  ou 
plus  pauvres,  plus  charitables  ou  plus  économes  que  nous 
ne  le  sonim.es.  Qu'elle  ait  pour  objet  de  nous  attribuer  des 
qualités  plus  éclalanles  ou  plus  obscures  que  celles  qui  sont 


AÏ'FliCTATlO^ 
réi-lleiuent  les  nôtres,  elle  est  cgalmucnt  inauvjusc.  —  On  dit 
queltiuofois  a/filcr  et  fl//?/(*  pour  affecter  et  affecté  ;  mais 
je  crois  qu'il  y  a  un  jieu  d'ajfi'terie  à  le  faire.       Matier. 

AFFECTIF.  iJi  philosopliie ,  ce  mot  sert  de  qualiJica- 
tion  {•éneriipie  à  tous  les  faits  qui  composent  le  domaine  de  la 
t^ensibilité ,  et  sert  également  à  qualKier  le  principe  même 
dont  ressorlissont  ces  faits.  Ainsi,  une  sensation,  un  senti- 
ment, l'amour,  la  haine,  toutes  les  émotions,  tous  les  désirs, 
toutes  les  passions  qui  peuvent  agiter  le  cœur  humain,  sont 
des  faits  aflectifs  ;  1 1  le  principe  en  vertu  duquel  tous  ces 
phénomènes  appaiaissent  dans  le  moi,  c'est-à-dire  la  sen- 
sibilité,  se  nomme  aussi  yj/JHO/pe  affectif,  affectivité,  par 
opposition  au  principe  intellectuel  ou  entendement.  Affectif 
vient  du  mot  afficere,  afl'ecter.  Ainsi  l'on  dira  en  philosophie 
que  l'àme  est  affectée  en  bien  ou  en  mal ,  affectée  d'un  sen- 
timent de  plaisir  ou  de  peine,  etc.  Toj/ci  Sensibilité,  Sen- 
sation ,  Sentiment. 

AFFECÏIOX.  Ce  mot  prend  au  pluriel  une  autre  ac- 
ception qu'au  singulier,  il  embrasse ,  au  pluriel ,  tous  ceux 
de  nos  sentiments  qui  nous  touchent  avec  un  peu  de  viva- 
cité et  de  profondeur,  c'est-à-dire  qui  préoccupent  un  peu 
fortement  l'àme  et  lui  font  éprouver  un  certain  degré  de 
plaisir  ou  de  peine.  Le  mot  affection  marque  donc ,  au 
pluriel ,  une  émotion  quelconque,  un  sentiment  agréable  ou 
désagréable.  Au  singulier  ce  mot  ne  désigne,  au  contraire, 
qu'une  seule  espèce  de  sentiment,  celui  de  la  tendresse. 
Cela  est  spécial  à  notre  langue ,  avec  laquelle  ni  le  latin ,  ni 
le  grec,  ni  les  idiomes  modernes,  ne  sont  d'accord  là-dessus. 
Le  verbe  affectionner  a  le  même  sens  restreint.  Il  n'exprime 
que  l'amour.  Nos  affectious  jouent  en  général  un  grand  rôle 
dans  la  vie  et  dans  la  pensée.  Elles  dépendent  non  seule- 
ment de  nos  idées ,  mais  encore  de  notre  organisation,  et 
elles  exercent  une  grande  influence  sur  nos  habitudes.  Quand 
elles  sont  profondes  et  permanentes,  elles  deviennent  des 
passions.  On  les  appelle  et  on  les  croit  souvent  de  simples 
caprices.  Mais  il  n'y  a  rien  de  capricieux  dans  la  nature 
humaine  :  tout  y  a  ses  causes  et  ses  effets,  ses  motifs  et 
ses  règles,  même  les  affections  déréglées,  qui  franchissent 
les  lois  auxquelles  elles  sont  assujetties.         Matter. 

AFFÉTERIE,  manière  de  parler  ou  d'agir  affectée  et 
prétentieuse,  dans  le  dessein  exagéré  de  plaire.  L'affectation 
est  une  façon  empruntée,  peu  naturelle  de  manifester  ses 
pensées,  ses  goûts,  ses  sentiments  ;  l'afféterie  est  une  re- 
cherche ridicule  dans  les  manières  extérieures,  comme  les 
gestes,  la  démarche,  le  maintien.  On  a  dit  avec  raison  que 
«l'afféterie  marque  delà  frivolité,  de  la  coquetterie  et  un  pe- 
tit esprit;  »  et  que  «  il  n'y  a  rien  de  plus  insupportable  que 
lesalféteriesd'unecoquette  oud'une  précieuse.»  On  a  aussi 
appliqué  ce  mot  au  style  et  aux  arts  du  dessin.         Z. 

AFFETTUOSO,  terme  de  musique.  Cet  adjectif  mis 
en  tête  d'un  morceau  de  musique  indique  que  l'expression 
doit  en  être  douce ,  tendre  et  légèrement  passionnée.  Ce  ca- 
ractère n'est  compatible  qu'avec  un  mouvement  lent. 

AFFiCIlES.  L'usage  de  faire  connaître  au  peuple  par 
des  affiches  la  volonté  des  chefs  de  l'État  ou  les  lois  nouvel- 
lement promulguées  remonte  à  une  antiquité  assez  haute. 
Les  Grecs  les  écrivaient  sur  des  rouleaux  en  bois  qui  se 
tournaient  dans  des  tableaux  plus  longs  que  larges ,  et  les 
ex])osaient  à  tous  les  regards  au  milieu  de  la  place  publique. 
Cest  ainsi  que  les  lois  de  Solon  furent  exposées  dans  Athènes 
en  treize  rouleaux  séparés.  Chez  les  Romains,  quand 
une  loi  avait  été  admise  par  les  comices,  elle  était  gravée, 
suiTant  l'importance  de  la  matière,  sur  des  tables  ou  sur  des 
colonnes  d'airain ,  et  restait  exposée  à  tous  les  regards  pen- 
<iaiit  (pielques  jours  avant  d'ôtre  enfermée  dans  le  trésor 
public.  Cet  usage  était  regardé  comme  si  nécessaire,  qu'il 
donna  lieu  à  une  loi  par  laquelle  des  peines  très-sévères  fu- 
rent infligées  à  ceux  qui,  (iaudulousement  et  par  ma- 
lice, auraient  gAîé  le  tableau  que  les  magistrats  de  chaque 
ville  (lisaient  aflicher  tofis  les  ins,  cl  ([uc  sa  couleur  faisait 


Al-FiCHIiS 


147 


nommer  Album  praioris.  Quelques  liisloricns  oui  prétendu, 
mais  sans  en  donner  aucune  preuve,  que  cet  usage  avait  passd 
dans  la  Gaule  avec  le  gouvernement  des  Romains,  et  qu'il 
fut  suivi  p;u"  nos  rois  des  deux  premières  races.  Au  moyen 
âge,  cet  usage  semble  avoir  été  remplacé  par  le  cri  à  son  de 
trompe,  par  la  voix  du  héraut  d'armes  quand  l'ordonnance 
était  promulguée  par  un  seigneur  suzerain,  et  dans  les  villes 
par  des  crieurs  jurés,  auxquels  cet  oflice  avait  été  concédé. 
D'après  les  usages  de  la  législation  romaine ,  c'est  aux  ma- 
gistrats municipaux  qu'appartenait  le  droit  de  faire  crier  les 
ordonnances  ou  même  les  événements  qui  devaient  être 
connus  de  tous ,  et  nous  voyons  à  la  fin  du  treizième  siècle 
le  roi  de  France  et  l'évêque  de  Paris  vendre  à  la  juridiction 
du  l'arloir-aux-Bourgeois  le  criage  de  l'aris.  Le  prévôt  de 
cette  ville  ayant  dans  ses  attributions  le  droit  de  promulguer 
les  ordonnances  royales  et  celles  des  cours  souveraines,  les 
registres  qui  étaient  conservés  au  Chàtelet,  siège  de  la  juri- 
diction de  ce  magistrat,  se  nommaient  registre-bannière, 
c'est-à-dire  registre  de  publication. 

La  voix  du  crieur  a  donc,  pendant  plusieurs  siècles,  rem- 
placé l'ancienne  table  de  bois  ou  d'airain  du  magistrat  do 
Rome,  et  il  faut  venir  jusqu'à  la  première  moitié  du  seizième 
siècle  pour  retrouver  avec  la  promulgation  à  son  de  trompe 
l'exposition  de  la  loi  dans  les  places  et  carrefours  de  la  ville. 
Par  un  édit  du  mois  de  novembre  1539,  François  I"  décide 
«  que  ses  ordonnances  seront  attachées  à  un  tableau,  écrites 
«  sur  du  parchemin,  en  grosses  letties,  dans  les  seize  quar- 
«  tiers  de  la  ville  de  Paris,  et  dans  les  faubourgs,  aux 
«  lieux  les  plus  éminents,  afin  que  chacun  les  connust ,  et 
«  entendist;  fait  défenses  de  les  oster,  à  peine  de  punition 
«  corporelle  ;  et  ordonne  aux  commissaires  de  quartier  de 
«  les  prendre  sous  leur  garde  et  d'y  veiller.  »  Pendant  le 
cours  du  quinzième  siècle  les  factieux  avaient  employé  le 
moyen  des  affiches  pour  faire  appel  aux  passions  populaires. 
Des  lettres-patentes  de  Charles  VI,  du  6  avril  1407,  sont 
adressées  au  prévôt  de  Paris  «  pour  faire  le  procès  à  ceux 
«  qui  avoient  affiché  des  placards  excitant  le  peuple  à  =0- 
«  dition  et  à  se  soulever  contre  l'autorité  du  roy  ».  Par  une 
ordonnance  du  9  décembre  I4l7,  rendue  sur  la  requête  du 
prévôt  des  marchands,  le  prévôt  de  Paris  enjoignait  à  tous 
de  lui  dénoncer  les  gens  qui  avaient  afficlié  des  libelles  dif- 
famatoires contre  le  roi ,  les  princes  et  les  officiers  de  sa 
maison,  «  à  peine  contre  ceux  qui  seroient  trouvez  en  avoir 
«  eu  connoissance  d'estre  traitez  comme  complices  ».  IMais 
ce  furent  principalement  les  partisans  de  la  religion  ré- 
formée qui  usèrent  des  affiches  et  placards  manuscrits  pour 
répandre  les  nouvelles  doctrines  qu'ils  professaient.  Quel- 
ques-uns d'entre  eux  poussèrent  l'audace  jusqu'à  mettre  dans 
l'alcôve  du  roi  François  I"  un  quatrain  contre  la  messe. 
Cette  insulte  grossière  irrita  ce  prince  à  un  tel  point  qu'il 
rendit  cet  arrêt  trop  célèbre  et  si  diversement  jugé,  contre 
la  liberté  de  la  presse.  Pendant  les  guerres  de  reUgion  qui 
ont  signalé  la  seconde  moitié  du  seizième  siècle,  cet  usage 
des  affiches  à  la  main  ou  clandestinement  imprimées  fut 
adopté  par  les  deux  partis.  Les  mémoires  du  temps,  et  sur- 
tout le  Journal  de  l'Estoile,  sont  remplis  de  curieuses  et  mor- 
dantes satires  ainsi  recueillies.  —  Les  frondeurs  se  gar- 
dèrent de  renoncer  à  une  arme  qui  convenait  si  bien  à  leur 
façon  d'agir  et  à  la  tournure  de  leur  esprit.  Les  affiches  sa- 
tiriques inondèrent  tout  Paris;  on  fut  obligé  de  sévir  confie 
un  pareil  désordre,  et  un  arrêt  du  parlement,  du  5  février 
1652,  porte  qu'Usera  informé  contre  les  auteurs  et  afficheurs 
de  placards  tendant  à  sédition.  «  Il  est  ordonné  aux  officiers 
«  du  Chàtelet  tenant  la  police  de  condamner  au  fouet  et 
»  au  carcan  ceux  qui  seront  trouvez  imprimant ,  affichant, 
«  criant,  publiant  ou  débitant  placards  contre  l'autorité  du 
«  roi.  » 

Les  libraires  paraissent  avoir  été  les  premiers  à  employer 
le  moyen  des  affiches  pour  faire  connaître  les  ouvrages  nou- 
veaux qu'ils  voulaient  mettre  en  vente.  L'édit  du  roi  de 

19. 


14S 


AFFICHES 


1686,  portant  règlement  pour  les  libraires  et  imprimeurs, 
défend  à  toute  autre  personne  qu'aux  libraires  de  faire  affi- 
cher des  ouvrages  nouveaux,  soit  qu'ils  s'en' disent  les  au- 
teurs ou  autrement.  —  Le  nombre  de  ceux  qui  voulaient 
faire  connaître  par  le  moyen  des  affiches  les  productions 
qu'ils  désiraient  vendre  augmentant  toujours,  il  fallut  ré- 
gulariser l'emploi  de  ce  moyen  de  publicité  et  soumettre  à 
\m  règlement  ceux  qui  l'exerçaient.  Un  arrêt  du  conseil , 
du  13  septembre  1729,,  fixa  les  devoirs  et  la  quantité  des 
colporteurs  et  afficheurs.  Ces  derniers  ne  durent  jamais  dé- 
l)asscr  le  nombre  de  quarante,  et  longtemps  encore  la  coîu- 
ptignic  des  afficheurs  ne  compta  pas  plus  de  membres  que 
l'Académie  Française,  ainsi  que  l'observait  déjà  de  son  temps 
Mercier,  dans  son  Tableau  de  Paris.  Ils  étaient  obligés  de 
savoir  lire  et  écrire,  et,  après  avoir  été  reçus  par  le  lieute- 
nant de  police,  de  déclarer  leur  nom  et  leur  adresse  au  syn- 
dic de  la  librairie.  11  leur  fut  prohibé  de  placarder  aucune 
adiche  qui  ne  porterait  pas  l'autorisation  ou  le  privilège  , 
x)u  qui  annoncerait  la  vente  d'un  ouvrage  ailleurs  que  chez 
un  libraire  ;  ils  étaient  tenus  de  porter  à  la  chambre  syn- 
dicale une  copie  des  affiches  qu'ils  posaient,  avec  leur  nom 
au  bas,  et  de  ne  jamais  rien  afficher  pour  les  particuliers 
sans  la  permission  du  lieutenant  de  police.  Ils  ne  devaient, 
sous  aucun  prétexte,  mettre  auprès  d'une  église  l'annonce 
d'un  livre  profane.  Ce  règlement  fut  renouvelé  plusieurs  fois, 
notamment  en  1779.  Le  Roux  de  Lincy. 

L'afliche,  un  des  modes  de  publicité  légale,  est  soumise  par 
la  loi  à  certaines  dispositions  particulières  et  fiscales. 

Les  affiches  des  actes  de  l'autorité  publique  sont  seules 
imprimées  sur  papier  blanc,  tandis  que  les  affiches  apposées 
dans  l'intérêt  des  particuliers  ne  peuvent  l'être  que  sur  du 
papier  de  couleur  (loi  du  28  juillet  1791).  Une  loi  de  la  même 
année  porte  que  dans  les  villes  et  municipalités  il  sera  dé- 
signé ,  par  les  officiers  municipaux ,  des  lieux  exclusivement 
destinés  à  recevoir  les  affiches  des  lois  et  actes  de  l'autorité 
publique,  et  qu'aucun  citoyen  ne  pourra  faire  poser  des  af- 
fiches dans  lesdits  lieux,  sous  peine  d'une  amende  de  loo 
francs. En  exécution  decette  loi,  deux  ordomiances  du  préfet 
de  police,  en  date  du  S  thermidor  an  LX.  et  du  5  fructidor 
an  X,  prescrivirent  pour  la  ville  de  Paris  l'établissement  de 
tables  en  marbre  noir  sur  lesquelles  seraient  gravés  ces 
mots  :  Lois  et  actes  de  l'autorité  publique,  et  au-dessous 
desquelles  seraient  posés  les  placards  officiels. 

La  loi  du  5  nivôse  an  V,  celle  du  9  vendémiaire  an  VI 
assujettissent  au  timbre  toute  affiche  apposée  par  les  parti- 
culiers, sous  peined'une  amende  de  23  francs  pour  la  première 
fois,  de  50  francs  pour  la  seconde,  et  de  100  francs  pour 
chacune  des  autres  récidives.  Les  affiches  apposées  à  l'inté- 
rieur des  maisons  o'u  établissements  sont  exemptes  du  timbre, 
ainsi  que  certams  petits avisécrits  à  la  main  elles  écriteaux 
de  location  sur  la  porte  môme  de  la  maison.  Le  corps  lé- 
gislatif, régldUt  le  budget  de  1853  a,  sur  la  proposition  de 
M.  Vér  on,  acceptée  par  la  commission  et  par  le  Conseil 
d'État,  stipulé  qu'à  partir  du  ler  août  1852,  il  serait  perçu 
un  droit  d'affichage  de  50  centimes  ou  de  1  fr.  surtout  avis 
inscrit  directement  sur  les  murs  au  moyen  de  la  peinture 
ou  autrement ,  suivant  que  cet  avis  occuperait  1  mètre 
carré  ou  plus  en  espace. 

On  distingue  pour  les  affiches  deux  sortes  de  timbres  : 
l'un  s'applique  aux  afficiies  signées  d'un  notaire,  d'un  huis- 
sier ou  d'un  antre  officier  public,  et  aux  affiches  relatives 
aux  ventes  judiciaires.  Elles  sont  sur  papier  blanc  timbré, 
comme  celui  des  actes,  suivant  la  dimension.  Toutes  celles 
qui  ne  rentrent  pas  dans  cette  classe  sontsoumisesà  un  tim- 
bre, dont  le  prix  est  de  5  centimes  par  demi-feuille  de  papier 
dit  carré,  et  de  10  centimes  pour  toute  feuille  excédant 
cette  dimension,  quelle  qu'elle  soit  d'ailleurs  :  c'est  ainsi 
que  les  affiches  monstres  ne  payent  pas  plus  de  timbre 
qu'une  feuille  de  16  décimètres  carrés.  Avant  1857,  les 
affiches  ou  avis  à  la  main  étaient,  comme  les  prospectus 


de  commerce,  etc.,  soumises  à  un  timbre  qui  variait  suivant 
la  grandeur  du  papier.  —  Les  imprimeurs  qui  font  tirer 
des  affiches  non  timbrées  préalablement  sont  passibles  d'une 
amende  de  500  francs.  Les  affiches  de  l'administration  ou 
du  gouvernement  sont  exemptées  du  timbre. 

On  nonune  affiches  légales  celles  qui  sont  prescrites  par 
notre  législation  pour  faire  parvenir  à  tous  les  citoyens  la 
connaissance  de  certains  actes.  C'est  ainsi  qu'on  affiche  à  la 
porte  des  mairies  ou  des  palais  de  justice,  à  la  Bourse,  etc., 
les  mariages,  les  séparations  de  biens,  les  actes  de  société, 
les  interdictions,  etc.  Les  affiches  judiciaires  sont  celles 
qui  sont  apposées  en  vertu  d'un  jugement,  comme  les  ventes 
de  biens  saisis ,  les  envois  en  possession ,  les  arrêts  d'adop- 
tion, etc.  D'autres  sont  infligées  comme  une  juste  réparation 
envers  une  partie  lésée  :  par  exemple,  lorsque,  dans  les  cas 
de  contrefaçon  ou  usurpation  de  titres,  de  diffamation,  etc., 
les  juges  ordonnent  d'afficher  un  extrait  de  leur  jugement  à 
un  certain. nombre  d'exemplaires. 

Quelques  actes  administratifs,  comme  les  ventes  de  biens 
de  l'État,  les  adjudications  de  travaux  publics ,  les  baux  de 
propriétés  communales ,  doivent  être  affichés,  pour  que  la 
publicité  la  plus  étendue  possible  ait  lieu.  Les  arrêts  criminels 
sont  aussi  affichés  par  extraits.  Une  loi  plus  douce  a  remplacé 
la  honteuse  exposition  par  une  siiiiple  affiche  de  l'arrêt. 
Enfin  les  règlements  de  police  doivent  être  également  affi- 
chés, et  lorsque  le  gouvernement  juge  convenable  de  hâter 
l'exécution  d'une  loi,  d'im  décret  ou  d'un  arrêté,  sans  attendre 
les  délais  ordinaires,  il  en  ordonne  l'impression  et  l'affiche,  et 
la  loi ,  le  décset  ou  l'arrêté  est  exécutoire  du  jour  de  cette 
affiche.  Voyez  Promulgation. 

Le  déchirement  des  affiches  apposées  par  ordre  de  l'admi- 
nistration est  puni  d'une  amende  de  11  à  15  francs  (Code 
Pénal,  art.  479). 

La  loi  du  18  mai  1791  défend  à  tout  citoyen  et  à  toute 
réunion  de  citoyens  de  rien  -afficher  sous  le  titre  d'arrêt,  de 
délibération,  ni  sous  aucune  forme  obligatoireou  impérative. 
Une  autre  loi,  du  13  novembre  1791,  prohibe  l'apposition 
d'une  affiche  sans  l'autorisation  des  maires.  Ces  deux  lois 
ont  été  complétées  et  développées  par  le  Code  pénal  et  par 
la  loi  du  10  décembre  1830.  Une  ordonnance  de  police  du 
18  mai  1853  a  rappelé  qu'il  n'est  permis  d'apposer  aucune 
afiiche  sans  que  sa  rédaction  ait  été  approuvée.  L'article 
283  du  Code  pénal  punit  d'un  emprisonnement  de  six  jours 
à  six  mois  toute  apposition  faite  sciemment  d'affiehes  dans 
lesquelles  ne  se  trouve  pas  l'indication  vraie  des  noms,  pro- 
fessions et  demeures  de  l'auteur  et  de  l'imprimeur;  et  dans 
tous  les  cas,  aux  termes  de  l'article  286,  les  affiches  sai- 
sies sont  confisquées.  La  loi  du  10  décembre  1830  défend 
d'afficher  aucun  écrit  manuscrit,  imprimé,  lithographie  ou 
gravé,  contenant  des  nouvelles  politiques  ou  traitant  d'ob- 
jets politiques,  sous  peine  d'un  emprisonnement  de  six  Jours 
à  un  mois  et  d'une  amende  de  25  à  500  francs.  Celui  qui 
s'est  servi  d'une  affiche  pour  provoquer  au  crime  ou  au  dé- 
lit, ou  pour  injurier  des  agents  de  l'autorité  ou  des  particu- 
liers, est  passible  des  peines  prononcées  par  les  lois  sur 
les  délits  delà  presse. 

Après  la  révolution  de  février  Taffichage  jouit  d'une  li- 
berté illimitée.  Le  timbre  fut  d'abord  retiré,  et  pendant 
longtemps  encore  toute  affiche  traitant  de  matières  poli- 
tiques en  fut  exemptée,  sous  le  prétexte  de  ne  pas  imposer 
la  pensée  humaine.  A  la  suitedes  journées  de  juin,  les  affiches 
politiques  furent  interdites  en  tout  autre  temps  que  dans  les 
périodes  électorales  :  alors  elles  reprenaient  une  partie  de 
leur  liberté.  On  a  publié  un  curieux  recueil  des  affiches  ap- 
posées à  Paris  et  dans  les  provinces  après  184S  ,  sous  ce 
iitre- Les  Murailles  révolutionnaires.  En  1830  on  affichait 
les  journaux.  On  afiichc  encore  le  Moniteur  aujourd'luii. 
L'enregistrement  n'est  imposé  qu'aux  affiches  légales  et 
judiciaires;  encore  ne  sont-elles  soumises  à  cette  formalité 
qu'autant  qu'elles    sont    lelalives  à  un  intérêt  prive,  ou 


I 


AFFICHES  —  AFFILIATION 


li9 


qiiVtaiit  sij;noi'S  des  i>artifs  ou  de  leurs  mandataires ,  elles 
|icu>ent  Hrc  considérées  comme  des  actes. 

Aujourd'hui  les  afliches  imprimées  sont  en  partie  rempla- 
cées jxir  un  autre  mode  d'affichage.  Beaucoup  d'annonces 
industrielks  et  commerciales  sont  peintes  sur  les  murs  en 
Iettrt?s  quelquefois  gigantesques.  Ces  aftiches  ont  l'avantage 
de  frapper  les  yeux  de  Irés-loin  et,  en  durant  plus  longtemps, 
de  devenir  plus  économiques  ;  mais  elles  comportent  difli- 
cileraent  de   grands   détails.   D'autres  industriels   se  sont 
avisés  de  faire  promener  des  honnnes  habillés  d'aûiches ,  ou 
portant  un  écrileau  au  bout  d'un  bâton.  On  en  met  aussi  sur 
les  voitures,  dans  lesomnibus,  dans  des  Douliques, etc.  On  fait 
aussi  maintenant  de  grandes  affiches  co^orjf'es  et  illustrces. 
Quelques  afliclies  bizarres  mériteraient  ici  une  mention 
historique.  Le  savoir-faire  en  ce  genre  consiste  surtout  à 
saisir  im  lien  entre  son  industrie  et  quelque  circonstance 
politique.  Chacun   s'arrête,  et  quoique  trompé  lit  entière- 
ment, de    peur  d'être  pris  pour  un   niais.  On  se  rappelle. 
l'affiche  du  chromo-duro-phane,  dont  l'auteur  profitait  de 
ce  qu'une  élection  devait  avoir  lieu  ie8;«j//e^  pour  indiquer 
cette  date  en  grosses  lettres,  et  dire  que,  ce  jour  étant  celui 
du  déménagement,  on  avait  besoin  de  sa  marchandise  pour 
mettre  les  appartements  en  couleur.  On  se  souviendra  aussi 
de  l'affiche  du  Château  de  V Égalité,  qm  annonçait  des 
habits  à   si  hou  marché,  que  personne  ne  mettrait  plus  de 
blouses,  quoiqu'il  en  vendit  aussi,  probablement. 

Les  affiches  de  théâtre,  desliaées  à  faire  foi  en  cas  de 
discussion  entre  le  directeur  et  le  public,  doivent  être  l'expres- 
sion exacte  et  fidèle  de  promesses  qui  seront  tenues.  Tout 
changement  dans  le  programme  officiel  doit  être  annoncé  sur 
l'affiche  primitive  par  une  bande  de  couleur  différente  ;  et 
si  le  changement  arrive  trop  tard  pour  que  cette  formalité 
puisse  être  remplie,  chaque  spectateur  aie  droit  de  se  faire 
restituer  le  prix  de  sa  place. 

Une  ordonnance  de  police  du  8  mars  18.i2  règle  ce  qu\ 
concerne  les  affiches  de  théâtres,  spectacles,  concerts  et 
hais  dans  le  ressort  de  la  préfecture.  Les  administrations  des 
ditïérents  théâtres  de  Paris  ont  imaginé,  pour  économiser 
les  frais,  d'imprimer  ensemble  leurs  affiches  sur  une  même 
feuille  de  papier.  On  peut  voir  à  présent  tous  les  specta- 
cles annoncés  dans  les  petites  cases  d'une  affiche  ordinaire. 
Ce  n'est  guère  quedepuis  la  première  révoluliou  que  tous 
les  théâtres  affichent  leur  spectacle  avec  le  nom  des  acteurs. 
Autrefois,  comme  encore  dans  les  foires  et  dans  quelques 
villes,  on  y  suppléait  par  une  pancarte  collée  à  la  porte, 
par  l'annonce  à  son  de  trompe  dans  les  rues,  par  l'annonce 
sur  les  tréteaux  à  la  suite  de  parades,  par  des  tableaux 
peints  indiquant  le  sujet  du  spectacle,  etc.  A  la  fin  du  spec- 
tacle un  acteur  annonçait  le  spectacle  du  lendemain.  Au 
dix-septième  siècle  on  commença  à  coller  des  affiches  de 
théâtre  à  Paris.  Tous  les  théâtres  en  font  usage  aujourd'hui, 
et  il  a  fallu  assigner  à  chacun  le  rang  qu'il  doit  occu|)er. 

Quant  à  l'industrie  d'afficheur,  elle  est  libre  aujourd'hui , 
sauf  quelques  mesures  de  précaution  et  de  surveillance. 
Ainsi  toutafficbeur  est  tenu  de  faire  connaître  son  domicile 
à  la  police,  qui  lui  déli\Te  une  médaille. 

Avant  la  révolution  de  Juillet,  l'affichage  de  Paris  avait  été 
en  partie  affermé  à  une  compagnie,  qui  avait  fait  établir  à  ses 
frais  une  foule  de  plaques  en  tôle  sur  les  murs  de  la  ville  : 
le  soir  on  fermait  ces  plaques,  et  les  affiches  échappaient 
ainsi  à  la  fureur  des  chiffonniers  et  des  gumins,  <jui  leur  foiit 
une  guerre  acharnée.  On  traitait  alors  avec  la  compagnie 
pourun  temps  déterminé  pendant  lequel  l'affiche  devait  rester 
exposée  aux  yeux  du  public,  .aujourd'hui  rien  ne  promet 
que  le  lendemain  elle  sera  encore  visible,  d'autant  plus 
que  les  afficheurs  se  font  un  maliu  plaisir  de  recouvrir  les 
afliches  posées  par  un  concurrent  :  aussi  l'affichage  est-il  un 
des  modes  de  publicité  les  plus  coûteux  qu'il  y  ait  à  Paris. 
AFFILIATION,  établissement  de  liens  et  de  rapports 
entre  deux  sociétés,  deux  corporations  poli'iqties,  religieuse? 


et  autres,  pour  les  soumettre  à  un  principe  identique  ou  ^ 
une  direction  commune.  L'affiliatiojr  n'entraîne  souvent  aussi 
qu'une  simple  combinaison  d'efforts  et  un  rapprochement 
de  tendances  philosophiques  ou  littéraires  :  ceci  est  vrai 
surtout  des  affiliations  académiques.  Le  lien  est  plus  étroit, 
la  force  de  cohésion  plus  intense  dans  l'alliance  ou  la  fusion 
des  corps  religieux  ou  politiques.  —  Dans  les  commence- 
ments de  la  révolution  française ,  les  clubs  s'affilièrent  ;  les 
sociétés  populaires  des  départements  s'unirent  à  celles  de 
la  capitale,  et  correspondirent,  suivant  la  diversité  de  leurs 
nuances,  avec  les  Teuillants,  les  Cordeliers  ou  les  Jacobins. 
Les affdiations  de  la-métropole-du  jacobinisme  furentles plus 
nombreuses,  et  ne  contribuèrent  pas  peu  à  faire  de  cette  fa- 
meuse assemblée  la  rivale  delà  Convention  et  l'effroi  de  l'Eu- 
rope. —  En  1815,  et  pendant  les  Cent  Jours,  les  fédérations 
départementales  furent  appelées  sur  plusieurs  points  de  la 
France,  par  des  missionnaires  politiques,  à  s'affilier  aux  fédé- 
rations de  quelques  villes  principales,  et  particulièrement  à 
la  fédération  parisienne.  —  Sous  la  Restauration,  des  loges 
maçonniques  furent  affiliées  aux  sociétés  secrètes  du  libéra- 
lisme, et  devinrent  les  succursales  des  ventes  du  carbona- 
risme. Telle  fut  la  loge  des  Amis  de  la  Vérité,  placée  sous 
l'influence  de  MM.  Bazaid,  Bûchez,  etc.,  et  dont  faisaient 
partie  les  sergents  de  la  Rochelle,  immolés  en  1S22. 

L'affiliation  peut  aussi  être  considérée  comme  l'adhésif^ 
et  la  soumission  individuelle  d'une  personne  isolée  aux  pnn- 
cipes,  aux  statuts  et  à  la  hiérarchie  d'une  assemblée ,  d'un 
ordre,  d'unecommunauté.  C'est  cet  acte  que  la  loi  française 
punit'de  la  perte  des  droits  civils,  quand  il  n'est  pas  autorisé 
par  le  gouvernement,  et  qu'il  a  pour  objet  l'admission  d'un 
régnicole  dans  une  institution-militaire  étrangère.  —  L'affi- 
liation individuelle  fut  pratiquée  dans  l'antiquité.  Les  sages 
et  les  législateurs  de  l'ancienne  Grèce  eurent  besoin  d'y  re- 
courir pour  obtenir  d'être  initiés  à  la  science  occulte  des  prê- 
tres de  l'Egypte  et  de  l'Inde.  Solon,  Pythagore  et  Platon  ne 
parvinrent  pas  autrement  à  pénétrer  dans  les  profondeurs  de 
î'isotérisme  oriental.  Ils  s'affilièrent  aux  collèges  sacerdo- 
taux de  Thèbes  et  de  Memphis,  comme  plus  tard  les  penseurs 
et  les  littérateurs  de  l'Italie  vinrent  s'affilier  aux  instituts 
philosophiques  du  Lycée,  de  l'Académie  et  du  Portique,  pour 
lier  la  civilisation  grecque  à  la  civilisation  latine. 

.Ku  moyen  âge  l'affiliation  aux  ordres  de  chevalerie  con- 
tribua puissamment  au  maintien  et  à  l'exaltation  des  vertus 
guerrières,  en  même  temps  qu'elle  servit  à  entretenir  la  foi 
religieuse  et  la  grandeur  morale.  Dans  les  temps  modernes, 
la  science,  suspecte  d'hérésie,  fut  souvent  obligée  de  se  ca- 
cher aux  yeux  de  l'intolérance  ombrageuse.  On  explora  la 
nature  en  secret,  de  peur  que  la  persécution  ne  sui^1t  de 
près  la  découverte.  Les  savants,  réduits  à  vivre  sous  la  me- 
nace du  bûcher,  durent  se  rechercher  en  silence,  s'entourci 
de  mystère  et  de  garanties  pour  la  sûreté  de  leurs  personnes 
et  pour  la  conservation  de  leurs  richesses  intellectuelles.  Il  y 
eut  des  affiliations  scientifiques  et  philosophiques  en  face  des 
institutions  monacales,  auxiliaires  de  l'inquisition,  et  qui  ne 
se  firent  pas  faute  de  brûler  les  affiliés  comme  sorciers,  sous 
prétexte  qu'ils  étaient  liés  par  un  pacte  mystérieux  à  l'esprit 
infernal. 

Au  dix-huitième  siècle  on  s'affilia  aux  réunions  maçonni- 
ques et  aux  comités  itliilosophi([ues,  pour  renverser  le  vieil 
ordre  de-choses.  Sous  la  réiiubUipie  les  affiliations  continuè- 
rent ;  outre  celles  des  clubs,  il  y  eut  des  associations  occidtes 
Babfuf,  dans  sa  conspiration  contre  la  propriété,  fonda  une 
véritable  société  secrète,  qui  a  donné  naissance  à  tout  ce 
qu'a  produit  depuis  le  communisme.  L'empire  eut  ses  phi- 
ladelphes,  qu'il  tenait  de  la  république,  et  au.vquels  îMoreau 
avait  été  affilié.  Quant  à  la  restauration,  elle  fut  plus  riche 
qu'aucun  des  gouvernements  précédents  en  affiliations  de 
toutes  sortes  :  affiliations  publiques  pour  la  liberté  de  la  presse 
et  pour  le  succès  des  élections  libérales,  affiliations  secrètes 
pour  la  révolution  et  pour  la  contre-révolution  ,  clubs  c?an- 


150 


AFFILIATION  —  AFFINITE 


destins  (l'une  part,  congrégations  ténébreuses  de  l'autre.  En 
1834  CCS  associations  ou  celles  qui  les  avaient  remplacées 
in(iuiélérent  assez  vivement  l'autorité  pour  provoquer  une 
loi  prohiliitivc.  En  résumé,  les  affiliations,  bien  que  les  gar- 
diens des  vieilles  doctrines  eu  aient  usé  largement  de  nos 
jours,  ont  été  employées  le  plus  souvent  parles  novateurs 
pour  propager  leurs  idées  et  avancer  leur  œuvre  à  rencontre 
des  masses  ignorantes  ou  de,s  pouvoirs  conservateurs. 
LAUR^:^T  (de  l'Ardeclie). 

AFFILOIR,  instrument  destiné  à  faire  disparaître  le 
morjil  qui  empôclie  les  instruments  tranchants  de  couper 
les  objets  qu'on  soumet  à  leur  action ,  lorsqu'ils  viennent 
d'être  aiguisés  à  la  meule;  ou  bien  à  leur  rendre  le  fil,  lors- 
que l'usage  le  leur  a  enlevé.  Les  affiloirs  varient  suivant 
l'espèce  d'instrument  dont  ils  doivent  aviver,  dresser  ou  en- 
lever le  morfil.  Pour  ceux  dont  le  tranchant  doit  être  très- 
délicat,  tels  que  les  rasoirs  ouïes  instruments  de  chirurgie, 
on  emploie  une  pierre  schisteuse  jaune,  sur  la  surface  de  la- 
quelle quelques  gouttes  d'huile  préalablement  répandues  fa- 
vorisent le  glissement  des  lames  qu'on  y  promène.  Les  ins- 
truments plus  grossiers,  tels  que  les  couteaux,  les  ciseaux, 
s'affilent  à  sec,  sur  des  pierres  à  gros  grain.  Pour  les  faux, 
on  promène  la  pierre  sur  toute  la  longueur  de  la  lame.  Les 
bouchers  affilent  leurs  outils  tranchants  sur  un  morceau  d'a- 
cier cylindrique  nommé  fusil.  Les  cuirs  sur  lesquels  on 
promène  les  rasoirs  sont  aussi  des  espèces  à'offdoirs. 

AFFINAGE.  Ce  mot,  dans  son  acception  la  plus  géné- 
rale, désigne  l'action  de  purifier  une  substance  quelconque. 
Les  expressions  affinage  et  raffinage  s'emploient  souvent 
indifféremment  pour  désigner  cette  opération.  Toutefois  la 
première  paraît  mieux  s'appliquer  au  cas  où  il  se  pro- 
<luit  un  changement  capital  dans  les  propriétés  et  les  va- 
leurs de  la  substance  ;  c'est  ainsi  qu'on  dit  plus  spéciale- 
ment :  affinage  des  alliages  d'or  et  d'argent ,  de  la  fonte  de 
fer,  de  plomb  argentifère,  etc.  Le  nom  de  raffinage  au 
contraire  est  plus  fréquemment  employé  pour  désigner 
une  simple  purification  ;  c'est  dans  ce  sens  que  l'on  dit  com- 
numément  :  raffinage  du  sucre ,  du  salpêtre ,  de  l'antimoine. 

L'affinage  du  fer  a  pour  but  de  séparer  le  fer  des  ma- 
tières étrangères  avec  lesquelles  il  se  trouve  en  combi- 
naison dans  la  fonte,  pour  le  convertir  en  fer  forgé,  et  dans 
ceriains  cas  en  acier  naturel.  Le  principe  de  cette  opéra- 
t'on  consiste  à  enlever  le  carbone  et  le  silicium  de  la  fonte 
pu'isque  en  totafité  ou  seulement  en  partie,  par  le  moyen  de 
l'oxydation.  Voyez  Fek,  Fonte  et  Forges. 

L'affinage  de  l'argent  s'opère  par  la  coupellation  pour 
le  sépai'erdu  plomb;  mais  il  peut  aussi  contenir  de  l'or,  dont 
on  le  sépare  au  moyen  du  départ.  —  L'affinage  de  l'or  se 
fait  au  moyen  de  l'amalgamation  dans  les  mines;  quant 
à  l'or  qui  est  combiné  avec  l'argent,  le  cuivre  ou  le  plomb, 
on  l'en  sépare  par  la  liquation,  la  coupellation  et  le 
départ.  —  L'affinage  du  cuivre  comprend  des  procédés  assez 
variés,  qui  ont  en  général  pour  but  d'enlever  à  ce  métal,  par 
voie  d'oxydation ,  les  substances  étrangères ,  telles  que  le 
soufre,  le  fer,  etc.,  qui  en  altèrent  la  pureié.  C'est  par  la  li- 
quation qu'on  retire  du  cuivre  l'argent  ou  l'or  qu'il  contient. 
Dans  un  autre  sens,  le  mot  affinage  se  prend  pour  l'ac- 
lion  de  rendre  plus  fm,  plus  délié.  C'est  ainsi  que  l'affinage 
du  lin,  du  chanvre,  consiste  à  le  faire  passer  successive- 
ment par  plusieurs  peignes  de  fer  dont  les  dents  vont  tou- 
jours en  augmentant  de  finesse.  —  On  nomme  drap  d'affi- 
nage celui  (pii  a  reçu  la  meilleure  et  dernière  foulure  avant 
d'aller  à  la  teintiue. 

AFFiiXEUR,  celui  qui  affine  l'or  et  l'argent.  Pendant 
longtemps  l'art  de  l'affinage  des  métaux  précieux  ne  se  fit 
qu'à  la  coupel  1  e.  Les  premières  expériences  faites  à  Paris 
pour  affiner  l'or  par  la  voie  du  départ  à  l'acide  nitrique 
datent  de  1518,  sous  François  1'^''.  Le  titre  des  ouvrages 
d'or  fut  alors  porté  à  21  carats  de  fin  au  lieu  de  1!)  1/5 
qu'il  était  auparavant.  Il  y  avait  pourtant  pli:s  d'un  siècle 


que  les  acides  minéraux  étaient  connus  et  qu'on  s'en  ser- 
vait à  Venise  pour  l'opération  du  départ.  Dans  ces  derniers 
temps ,  JL  Dizé  a  eu  l'idée  de  substituer  l'acide  sulfu- 
rique  à  l'acide  nitrique.  Par  ce  moyen  on  est  parvenu  à  re- 
tirer encore  de  l'argent  déjà  affiné  un  millième  de  son  poids 
d'or;  ce  qui  a  procuré  de  grands  bénéfices  aux  affineurs, 
qui  ont  pu  opérer  même  sur  les  pièces  de  monnaie. 

Les  ateliers  d'affinage  figurent  parmi  les  établissements 
que  la  loi  déclare  insalubres  et  incommodes,  et  qui  par  con- 
séquent ne  peuvent  être  formés  sans  autorisation.  D'après  la 
loi  du  19  brumalie  an  VI,  quiconque  veut  départir  et  affiner 
l'or  ou  l'argent  est  tenu  d'en  faire  la  déclaration  à  l'admi- 
nistration municipale,  à  celle  du  département  et  à  celle  des 
monnaies.  Il  ne  peut  recevoir  que  des  matières  qui  ont  été 
essayées  ou  tirées  par  un  essayeur  public.  Il  doit  tenir  regis- 
tre des  opérations  qu'il  fait ,  et  il  doit  insculper  son  nom  en 
toutes  lettres  sur  les  lingots  par  lui  affinés.  Il  ne  peut  les 
rendre  au  propriétaire  sans  les  avoir  portés  au  bureau  de  ga- 
rantie pour  y  être  essayés,  marqués,  et  le  droit  acquitté. 
Vogez  Essayeur,  Blueau  de  garantie,  Marque,  Con- 
trôle, etc. 

AFFINITÉ  ou  ALLIANCE  {Droit).  C'est  le  lien  qui  unit 
l'un  des  époux  aux  parents  de  l'autre.  Ainsi  les  parents  du 
mari  sont  les  alliés,  ou,  selon  l'expression  de  l'ancien  droit, 
les  affins  de  sa  femme,  et  réciproquement.  Une  belle-mère 
est  donc  l'alliée  de  sa  belle-fille  ;  deux  beaux-frères  sont  al- 
liés entre  eux  ;  l'oncle  de  la  femme  est  allié  du  mari,  c'est-à- 
dire  son  oncle  par  alliance,  etc.  —  On  voit,  d'après  cette 
définition  et  les  exemples  que  nous  en  donnons,  qu'il  n'y  a 
point  affinité  ou  alliance  entre  les  parents  d'un  époux  et  les 
parents  de  l'autre  époux  :  par  exemple,  entre  le  frère  de  la 
femme  et  le  frère  du  mari,  entre  l'oncle  du  mari  et  la  tante 
de  la  femme,  etc.  Aucun  lien  civil  n'existe  entre  ces  per- 
sonnes, qui,  bien  que  rapprochées  socialement  par  le  fait 
d'un  mariage,  demeurent  néanmoins,  selon  le  droit,  parfaite- 
ment étrangères  les  unes  aux  autres.  —  L'affinité  ou  alliance 
est  une  parenté  civile;  elle  produit  des  effets  semblables  à 
ceux  qui  sont  attachés  à  la  parenté  naturelle.  Le  plus  impor- 
tant de  ces  effets  consiste  dans  les  prohibitions  de  mariage 
qu'elle  entraine  (C.  Civ.,  161  et  suiv.).  Ainsi, en  France,  le 
mariage  est  prohibé  entre  tous  les  ascendants  et  descendants 
à  i'infini  et  les  alliés  dans  la  même  ligne,  entre  les  frères 
et  sœurs  et  les  alliés  au  même  degré,  sauf  les  dispenses 
qu'il  est  loisible  au  chef  de  l'État  d'accorder,  pour  des  causes 
graves,  aux  alliés  collat^^raux,  c'est-à-dire  aux  beaux-frères 
et  belles-sœurs  (  Loi  du  16  avril  1832  ). 

11  y  a  encore  assimilation  de  l'affinité  et  de  la  parenté  na- 
turelle dans  beaucoup  d'autres  cas  :  ainsi,  pour  citer  seule- 
ment les  principaux,  les  gendres  et  les  belles-filles  doivent 
des  aliments  à  leurs  beau-père  et  belle-mère  qui  sont  dans 
le  besoin.  —  Les  notaires  ne  peuvent  recevoir  des  actes  dans 
lesfiuels  leurs  parents  ou  alliés  en  ligne  directe  à  tous  les 
degrés,  et  en  ligne  coUatéiale  jusqu'à  celui  d'oncle  ou  de 
neveu  inclusivement,  seraient  parties,  ou  qui  contiendraient 
(|iiei<ius  disposition  en  leur  faveur.  —  Pareillement,  un 
huissier  ne  peut  instrumenter  pour  ses  alliés  en  ligne  directe 
à  liaiiiii,  et  en  ligne  collatérale  jusqu'au  degré  de  cousin 
issu  de  germain  inclusivement;  —  les  parents  et  alliés  jus- 
qu'au degré  d'oncle  et  de  neveu  inclusivement  ne  peuvent 
siéger  ensemble  comme  membres  d'un  même  tribunal  ou 
d'une  même  cour,  soit  comme  juges  ou  conseillers,  soit 
comme  officiers  du  ministère  public,  ou  comme  greffiers, 
sauf  dispense.  —  Enfin,  en  matière  criminelle,  les  déposi- 
tions des  père,  mère,  fils,  petit-fils,  etc. ,  et  des  alliés  au 
même  degré  de  l'accusé  ;  celles  de  ses  frères,  sœurs  et  alliés 
au  même  degré,  ne  peuvent  être  reçues  en  justice,  à  titre 
de  témoignages.  Le  président  appelle  quelquefois,  en  vertu 
de  sou  pouvoir  discrétionnaire,  ces  personnes  à  donner  des 
renseignements;  mais  alors  elles  ne  sont  pas  considérées 
comme  témoins  et  ne  prêtent  pas  serment. 


I 


AFFINITÉ  —  AFFIRMATION 


Inl 


L'affinilé  ri^suUant  du  mariage  ccsse-t-ellc  avec  le  ma- 
riage quainl  il  se  trouve  dissous  par  la  mort  de  Tiin  des 
ëpoux?  Oui  eu  priucipe  ;  non,  quand  il  existe  encore  des  en- 
fants nés  de  ce  niariaj;.',  qui  sont  comme  le  témoignage  vi- 
vant du  lien  conjugal.  —  ?nous  disons  que  Palliance  finit 
avec  le  mariage  dont  il  ne  survit  point  d'enfant  :  cela  est 
positif;  et  cependant  il  est  remarquable  que  ce  n'est  ([u'a- 
prés  la  dissolution  du  mariage  qui  l'a  produite  (pfelle  coni- 
mence  Maiment  à  former  un  obstacle  particulier  à  une  nou- 
velle union  :  ici  l'efiet  survit  en  quelque  sorte- à  la  cause,  et 
l'on  \m\t  dire  que cest  le  respect  de  l'alliance  qui  n'existe 
plus,  plutôt  que  l'alliance  elle-mi^me,  qui  produit  certaines 
prohibitions  de  mariage.  —  Dans  l'ancien  droit  romain,  le 
mariage  n'était  aucunement  interdit  entre  personnes  qui  ne 
se  touchaient  que  par  une  affinité  collatérale  :  l'empereur 
Constance  fut  le  premier  qui  défendit,  comme  incestueux,  le 
mariage  entre  beaux-frères  et  belles-sœurs,  et  cette  ioi  fut 
renouvelée  et  confirmée  par  Théodose  et  par  Justinien  ; 
mais  dès  avant  la  défense  impériale  l'Église  avait  réprouvé 
ces  mariages,  comme  contraires  à  la  loi  du  Lévitiqne.  Elle 
alla  ensuite  jusqu'à  prohiber  le  mariage  entre  affins,  à  tous 
les  degrés  où  il  était  alors  prohibé  entre  parents  naturels, 
c'est-à-dire  jusqu'au  septième  degré.  Ces  interdictions  abu- 
sives et  d'autres  encore  furent  abrogées,  au  treizième  siècle, 
par  le  concile  général  de  Latran,  qui  établit  la  discipline 
observée  depuis  dans  l'Église. 

Dans  le  droit  romain  il  y  avait  en  outre  une  affinité  illé- 
gitime, qui  existait  entre  deux  personnes  dont  l'une  vivait 
avec  un  parent  de  l'autre  à  l'état  de  concubinat.  Comme 
la  loi  reconnaissait  cette  sorte  de  mariage  ,  l'affinité  qui  en 
résultait  était  aussi  une  cause  de  prohibition  de  mariage 
entre  les  alliés  en  ligne  directe  à  l'infini,  et  jusqu'au  deuxième 
degré  en  ligne  collatérale. 

AFFIIVITÉ  (Chimie).  Un  très-grand  nombre  de  corps 
peuvent  se  combiner  ensemble  pour  former  une  fouie  de 
composés,  qui  constituent  soit  la  masse  du  globe,  soit  les  vé- 
gétaux ou  les  animaux.  Le  nom  d'affinité  a  été  employé 
pour  désigner  leur  tendance  à  s'unir.  Ainsi ,  quand  du 
charbon  brûle,  que  du  fer  se  rouille  à  l'air,  que  du  plomb 
fondu  se  recouvre  d'une  crasse  épaisse ,  il  y  a  combinaison 
de  l'un  des  principes  composants  de  l'air,  Voxygènc ,  avec 
le  charbon ,  le  ter  ou  le  plomb.  Comme  dans  un  grand 
nombre  de  circonstances  on  voit  certains  corps'  en  ciiasser 
d'autres  de  leurs  combinaisons ,  ou  s'emparer  de  préférence 
à  eux  d'autres  corps  avec  lesquels  ils  sont  en  contact,  on 
a  admis  autrefois  des  affinités  électives,  et  par  suite  des  af- 
finités divellentes  et  quiescentes  :  les  premières  tendaient 
à  réunir  les  corps ,  les  secondes  à  les  séparer,  et  de  l'excès 
de  l'une  sur  l'autre  de  ces  forces  dépendaient  alors  les  ac- 
tions en  sens  opposé  que  l'on  observait;  mais  en  étudiant 
plus  à  fond  cette  question  importante,  on  a  vu  que  dans 
certains  cas  un  môme  corps  pouvait  en  chasser  un  autre 
ou  être  chassé  par  lui  :  d'où  il  résulte  nécessairem^ent  que 
Vaffinité  varie  sous  certaines'  influences ,  et  qu'elle  ne  peut 
être  considérée  comme  absolue.  Ainsi ,  de  l'acide  sulfurique 
versé  dans  une  dissolution  de  borax  formé  d'acide  borique 
et  de  soude,  s'empare  de  celle-ci  pour  former  du  sulfate  de 
soude,  et  sépare  l'acide  borique ,  qui  se  précipite  sous  forme 
de  lames  brillantes.  Si  on  mêle  de  l'acide  borique  avec  du 
sulfate  de  soude,  c'est-à-dire  les  corps  qui  viennent  de  se 
former,  et  qu'on  chauffe  jusqu'à  une  température  rouge , 
l'acide  borique  s'unit  à  la  soude  et  chasse  Tacide  sulfurique. 
Cette  singulière  anomalie  s'explique  facilement  quand  on 
considère  l'état  des  corps  employés.  Ainsi,  dans  le  pre- 
mier cas,  le  sulfate  de  soude  qui  se  forme  est  soiuble  dans 
l'eau  qui  le  retient,  tandis  que  l'acide  borique,  très-peu 
soiuble,  se  précipite  ;  dans  le  deuxième  cas,  le  borax  de  soude 
qui  se  produit  est  fixe,  et  l'acide  sulfurique  volatil  ou  trans- 
formable en  produits  volatils,  d'où  résulte  qu'il  doit  sedé- 
gagcr:ce  qui  a  lieu,  en  effet.  Nous  pourrions  multiplier  beau- 


coup les  exemples  de  ce  genre  do  réactions,  mais  celui  qi;« 
nous  avons  cité  nous  parait  suffisant  pour  prouver  (|ue  si 
certains  corps  ont  plus  de  tendance  que  certains  autres  à 
former  des  combinaisons ,  l'état  des  composés  qui  peuvent 
se  former  influe  tellement  sur  leur  manière  d'agir,  que  celte 
cause  peut  altérer  ou  intervertir  complètement  leurs  actions 
réciproques.  Quand  des  composés  fixes  et  volatils,  solubles 
et  insolubles,  peuvent  se  former,  il  y  a  toujours  réaction  pro- 
duite. Dans  ce  sens,  nous  citerons  seulement  encore  un 
exemple  en  terminant.  On  verse  de  l'acide  acétique  sur  un 
carbonate  ;  l'acide  acétique  s'empare  de  la  base  pour  former 
un  acétate  et  chasse  l'acide  carbonique  :  c'est  ce  qui  arrive 
quand  on  laisse  tomber  du  vinaigre  sur  du  marbre.  Si,  au 
contraire,  l'acétate  étant  soiuble  dans  l'alcool,  par  exemple 
celui  de  potasse ,  on  fait  traverser  cette  dissolution  par  un 
courant  de  gaz  carbonique ,  il  se  précipite  du  carbonate  de 
potasse,  et  l'acide  acétique  reste  dissous  dans  la  liqueur 
alcoolique.  H.  Gaultier  de  Claubuv. 

AFFIRMATÏOJV  [Philosophie).  Ce  mot,  dans  son 
sens  le  plus  général ,  signifie  l'expression  de  l'assentiment 
doimé  par  l'esprit  à  ce  qui  lui  paraît  une  vérité.  Quand 
l'esprit  a  aperçu  un  rapport  de  convenance  ou  de  dis- 
convennnec  entre  deux  idées ,  il  ne  reste  pas  indifférent  en 
face  de  la  vérité  qui  vient  de  se  révéler  à  lui ,  il  ne  se 
contente  pas  de  la  réflécliir  comme  le  ferait  un  miroir  de 
l'objet  dont  il  reçoit  l'image.  Non-seulement  il  connaît  ce 
rapport  qu'il  a  perçu  ,  mais  de  plus  il  o'oit  à  son  existence, 
il  y  acquiesce ,  et  par  la  parole  il  le  proclame ,  il  en  té- 
moigne, il  Vaffirme.  Le  verbe  est  le  mot  qui  sert  à  exprimer 
cette  croyance ,  cet  acquiescement  de  l'esprit  à  l'existence 
du  rapport  perçu  :  le  verbe  est  donc  le  signe  de  l'affirmation. 
• —  Si  Taffirmation  est  la  manifestation  par  la  parole  de 
l'assenti/nent  de  l'esprit  à  l'existence  de  telle  ou  telle  vérité, 
on  a  ca  raison  de  dire  que  chaque  proposition  est,  de  la 
part  de  Thomme ,  un  acte  de  foi,  un  hommage  de  la  raison 
humaine  à  la  vérité  devant  laquelle  elle  s'incline.  —  Toute 
proposition  est  affirmative ,  eu  ce  sens  qu'elle  exprime  cet 
assentiment  de  l'esprit  à  l'existence  d'un  fait  ou  d'une  vérité 
quelconque.  Comment  concilier  avec  cette  assertion  l'e.vis- 
lence  des  propositions  négatives?  Aussi,  grande  querelle 
dans  l'école  à  ce  sujet ,  les  uns  soutenant  qu'il  ne  peut  y 
avoir  de  propositi'ons  négatives;  les  autres,  qu'on  ne  saurait 
les  nier  sans  absurdité.  Comment  contester  en  effet  à  cette 
proposition,  les  hommes  ne  sont  jyns  parfaits ,  la  qualité 
de  négative  ?  Essayons  d'arranger  ce  différend  à  la  satisfaction 
des  deux  parties.  Il  suffira,  je  crois,  pour  cela ,  de  montrer 
que  c'est  ime  dispute  de  mots,  et  que  chacun  a  raison,  selon 
le  sens  qu'il  attache  au  mot  qffirmatif.  Assurément  si  l'on 
entend  par  affirmation  l'expression  de  l'assentiment  donné 
à  ime  vérité  par  l'esprit  qui  juge ,  toute  proposition  est  af- 
firmative ;  l'homme  ne  peut  ouvrir  la  bouche  sans  affirmer 
quelque  chose;  même  s'il  veut  exprimer  un  doute,  il  affirme 
encore ,  car  il  affirme  qu'il  doute.  Mais  si  l'on  entend  par 
affirmative  une  proposition  exprimant  un  rapport  de  con- 
venance entre  deux  idées ,  et  par  négative  celle  qui  exprime 
un  rapport  de  disconvenance  ,  et  qui  l'exprime  au  moyen 
d'un  adverbe  négatif,  alors  on  aura  des  propositions  des  deux 
espèces.  Mais  on  voit  que  les  propositions  ne  sont  jamais 
négatives  que  dans  la  forme;  car  si,  au  lieu  de  dire  : 
L'homme  n'est  pas  parfait,  je  disais  :  L'homme  est  impar- 
fait, ma  proposition  ne  serait  plus  négative,  et  pourtant  elie 
serait  identique  à  la  première.  Concluons  de  là  que  la  pai!- 
vreté  de  la  langue  est  une  des  grandes  misères  de  la  philo- 
sophie. C.-M.  Paffe. 

AFFiRMATION  (  Droit  ).  C'est  l'assurance  donnée, 
sous  la  foi  du  serment,  de  la  vérité  ou  de  la  fausseté  d'un  fait 
ou  d'un  acte.  En  général,  dans  notre  législation  civile  et  cri- 
minelle Yaffirmation  n'est  pas  distincte  du  serment  pro- 
prement dit;  il  est  cependant  à  remarquer  que  la  loi  emploie 
de  préférence  ce  dernier  terme  lorsqu'elle  prescrit  le  serment 


152 


AFFIRMATION 


dans  (les  circonstances  graves ,  capitales ,  ou  en  vue  de  ré- 
sultats décisifs.  Ainsi,  dans  les  enquêtes  (jui  précèdent  les 
procès  civils  ou  criminels  ;  ainsi ,  dans  les  débats  publics  et 
oraux  des  tribunaux  correctionnels  et  des  cours  d'assises; 
ainsi ,  dans  les  expertises  ordonnées  par  la  justice,  la  loi 
prescrit  le  serment  aux  témoins  et  aux  experts,  afin  sans 
doute  d'éviter  toute  équivoque  et  de  bien  pénétrer  ceux  qui 
le  prêtent  de  la  solennité  et  de  la  sainteté  de  leur  action. 

L'flj[/îrmr?<(o»,  ou  déclaration  avec  serment,  est  spéciale- 
ment prescrite  dans  une  foule  de  cas  déterminés  par  les  Codes 
Civil ,  de  Procédure  et  de  Commerce.  Ainsi ,  la  veuve  doit 
affirmer  sincère  et  véritable,  devant  notaire,  l'inventaire 
dressé  par  elle  de  tous  les  biens  de  la  communauté,  si  elle 
veut  conserver  la  faculté  d'y  renoncer  (C.  Civ.,  art.  149G); 
le  maître  actionné  en  justice  par  ses  ouvriers  ou  domes- 
1i(|ues  pour  le  payement  ou  la  quotité  de  leurs  gages  ou  sa- 
laires est  cru  sur  son  aflirmation  (  td.,  art.  1781  ).  Pareille- 
ment, raffirination  de  l'assuré,  en  cas  de  naufrage ,  suffit 
pour  lui  faire  allouer  les  frais  de  recou^Tement  (C.  Comm., 
art.  381).  On  affirme  de  même  une  créance,  une  dette  saisie, 
un  voyage,  un  compte,  un  procès- verbal,  etc.  Cependant, 
il  ne  faut  pas  croire  que  le  serment  soit  toujours  et  absolu- 
ment nécesssaire  pour  valider  l'affirmation.  Dans  plusieurs 
cas  la  loi ,  sinon  dans  son  texte ,  du  moins  dans  son  es- 
prit interprété  par  une  saine  jurisprudence,  n'entend  pres- 
crire qu'une  affirmation  pure  et  simple.  Tel  est  le  sens  vé- 
ritable de  l'article  534  du  Code  de  Procédure  Civile,  aux 
termes  duquel  le  comptable  commis  par  justice  doit  pré- 
senter et  fl^rmer  son  compte,  en  présence  du  juge-com- 
missaire. Le  législateur,  en  effet,  n'a  pas  dû  vouloir  pros- 
tituer en  quelque  sorte  le  serment  dans  l'accomplissement 
d'une  foule  de  menues  formalités. 

En  matière  de  procès-verbaux  judiciaires ,  l'affirmation , 
qui  est  le  serment  prêté  par  l'officier  public  sur  la  sincérité 
de  son  procès-verbal ,  a  une  grande  importance  ;  car  son 
défaut  vicie  et  annule  tous  les  procès-verbaux  pour  les- 
quels la  loi  a  spécialement  prescrit  cette  formalité  ;  et  même 
il  importe,  à  peine  de  nullité ,  que  l'acte  constatant  le  ser- 
ment soit  siiiné  par  le  fonctionnaire  qui  l'a  prêté.  ÎSIoyen- 
nant  cette  formalité  accomplie  dans  le  délai  voulu,  les 
procès-verbaux  font  foi  en  justice,  les  \\n%  jusqiCà  ins- 
cription de  faux,  comme  ceux  des  gardes  et  agents 
forestiers,  des  employés  des  contributions  indirectes  et  des 
douanes;  les  autres,  seulement  jMsg-ît'ù  preuve  contraire, 
comme  ceux  des  gardes  cbampètres ,  des  maires ,  juges  de 
paix ,  commissaires  de  police ,  etc.  Sont  néanmoins  affran- 
cliis  de  l'affirmation  les  procès-verbaux  dressés  pour  simples 
contraventions  de  police  par  les  maires,  adjoints  et  comniis- 
saires,  et  ceux  qui  émanent,  à  quelque  titre  que  ce  soit,  des 
officiers  de  gendarmerie ,  sous-officiers  et  simples  gendar- 
mes. Quant  aux  procès-verbaux  des  gardes  cbampètres  et 
forestiers ,  institués  pour  constater  les  contraventions  et 
délits  ruraux ,  notamment  les  délits  de  chasse ,  ils  doivent 
toujours  être  affirmés  dans  les  vingt-quatre  heures  entre 
lesmainsd'une  officier  municipal.  To^e- Serment  et  Pr.ocics- 

TERBAL.  Aug.   HlSSO.N. 

AFFIXES  (  du  latin  offixus,  joint  à  ).  On  donne  ce  nom 
h  certaines  lettres  ou  syllabes  qui  dans  les  langues  sémitiques 
ont  la  valeur  des  pronoms  de  la  première,  de  la  deuxième  ou 
de  la  troisième  personne ,  et  qui  s'ajoutent  à  la  fin  des 
substantifs  et  des  verbes  de  manière  à  ne  faire  plus  qu'un 
avec  eux. 

AFFLEUREMEXT.  En  géologie  on  désigne  sous  ce 
nom  l'extrémité  d'une  couche,  d'un  sillon  ou  d'un  dike  qui 
se  montre  à  la  surface  dn  sol.  La  connaissance  des  afficure- 
ments  des  couches ,  qu'on  distingue  en  perméables  et  en 
iuiperméables,  est  surtout  nécessaire  lorsqu'on  se  propose  de 
pratiquer  des  \im{?,  artésiens ,  dans  les  divers  lieux  compris 
dans  l'étendue  d'un  bassin  géologique.  11  faut  un  coup  d'ail 
exercé  pour  bien  estimer  la  direction  des  couches  i  .ir  les 


—  AFFOUAGE 

affleurements  qu'elles  ne  présentent  que  çà  et  l'»,  et  qu'il 
ne  faut  pas  confondre  avec  les  aflleurements  des  blocs  de       | 
roches  éboulés  et  enfouis  depuis  longtemps  à  la  surface       i 
du  sol. 

AFFLEURER.  Dans  les  arts  du  bâtiment,  c'est  dis- 
poser plusieurs  corps  de  manière  à  ce  qu'aucun  d'eux  ne        j 
vienne  à  en  dépasser  un  autre,  et  qu'Us  forment  ainsi  une       | 
même  surface. 

AFFLICTION.  Ce  mot  désigne  un  état  de  l'âme,  et  im- 
plique l'idée  d'une  peine  assez  profonde  pour  être  bien  sentie, 
assez  prolongée  pour  n'être  pas  une  simple  atteinte  transitoire. 
Cependant,  si  les  afilictions  impliquent  l'idée  d'une  peine  plus 
profonde  et  d'une  durée  plus  constante  que  les  douleurs,  elles 
n'ont  pas  tous  les  mêmes  caractères  de  gravité  que  les 
chagrins  et  les  soucis.  Les  afflictions  dérangent  et  afi'aiblis- 
sent  l'âme,  les  soucis  la  rongent,  et  les  chagrins  la  dévorent. 
Les  afflictions  d'ailleurs  sont  diverses  dans  leurs  effets  comme 
dans  leurs  causes ,  et  pour  en  apprécier  les  conséquences , 
en  prévenir  les  suites  fâcheuses ,  en  tempérer  la  vivacité  et 
en  assurer  les  résultats  utiles,  c'est  toujours  aux  causes  qu'il 
faut  remonter.  Ces  causes  tiennent  toutes  à  la  nature  morale 
et  physique  de  l'homme.  Cela  est  évident  ;  car  cela  équivaut  à 
(iire  que  nous  serions  inaccessibles  à  l'affliction  si  autre  était 
notre  organisation.  Mais  s'il  est  des  afflictions  voulues  parle 
Créateur  de  notre  être  et  le  gouverneur  de  nos  destinées ,  il 
en  est  aussi,  et  c'est  là  le  grand  nombre,  qui  n'ont  leur  cause 
que  dans  notre  arbitre  et  dans  l'usage  que  nous  en  faisons. 
La  religion  nous  enseigne  à  nous  résigner  aux  premières, 
elle  en  console  l'amertume  :  elle  en  fait  non-seulement  jaillir 
toute  une  série  de  leçons  et  même  une  série  d'espérances, 
mais  encore  il  en  est  qui  à  ses  yeux  sont  de  grandes  grâces. 
La  morale  doit  nous  apprendre  à  diminuer  le  nombre  des 
autres,  et  à  tirer  de  celles-là  même  qu'elle  ne  nous  fait  pas 
éviter  des  avertissements  salutaires.  Toutes  les  afflictions  qui 
naissent  de  la  fragilité  de  notre  être,  de  la  pureté  de  nos  affec- 
tions, de  l'accomplissement  de  nos  devoirs,  la  religion  en 
fait  des  soiirces  de  bonheur.  La  morale  doit  faire  des  leçons 
de  sagesse  de  toutes  celles  qui  viennent  des  égarements  de 
notre  amoui-propre  et  de  la  séduction  de  nos  passions. 

Matter. 

AFFLUEXT  (  du  latin  ad,  vers,  etfluens,  qui  coule  ). 
On  donne  ce  nom ,  en  géographie,  à  tout  cours  d'eau  qui  se 
décharge  dans  un  autre  cours  d'eau ,  ordinairement  d'une 
étendue  et  d'une  masse  plus  considérables.  On  a  fait  une 
distinction  entre  ce  mot  et  celui  de  confluent,  qu'on  vou- 
drait appliquer  à  la  réunion  de  deux  fleuves  se  confondant 
en  un  seul.  C'est  là  ,  il  faut  l'avouer,  une  distinction  assez 
difficile  à  saisir.  —  En  pathologie  on  donne  cette  épithète  aux 
humeurs  en  général  lorsqu'eUes  se  portent  dans  un  certain 
sens  déterminé,  soit  qu'elles  se  dirigent  vers  un  organe  plu- 
tôt que  vers  un  autre ,  soit  qu'elles  y  anivent  en  grande 
abondance  ;  c'est  ainsi  qu'on  dit  :  sang  affluent,  fltiide 
affluent,  sérosité  afflxiente,  salive  afjluente.  —  Dans  la 
physique  ce  mot  se  dit  d'un  fluide  qui  se  porte  dans  un  sens 
déterminé ,  et  surtout  de  la  matière  électrique  qui  afflue  au 
corps  électrisé. 

AFFORAGE  ou  AFFÉRAGE.  Dans  l'ancien  droit 
français  ce  mot  signifiait  le  droit  seigneurial  d'où  dépendait 
la  permission  de  vendre  du  vin  ou  toute  autre  boisson  dans 
le  fief  d'un  seigneur  et  suivant  la  taxe  établie  par  ses  of- 
ficiers. Plus  tard  ,  cette  expression  se  généralisa,  et  désigna 
le  prix  fixé  par  l'autorité  administrative  à  une  chose  vénale. 

AFFOUAGE,  droit  accordé  à  l'usager  de  prendre 
dans  une  forêt  le  bois  nécessaire  à  son  chauffage.  —  Au- 
trefois ,  et  surtout  dans  le  nord  de  la  France ,  où  le  bois  était 
considéré  comme  objet  de  première  nécessité ,  chaque  com- 
munauté d'habitants  avait  ses  affouages  dans  les  forêts  sei- 
gneuriales qui  se  trouvaient  près  de  son  territoire,  et  dans 
la  plupart  des  coutumes  il  existait  des  dispositions  pour 
régler  l'exercice  de  ce  droit  ;  aujourd'hui  le  droit  d'affouage 


I 


AFFOUAGE  —  AFFRA^XIIISSEMENT 


fe  confoiul  onlii-i ornent  avec  ks  autres  droits  d'usage,  qui 
ne  peuvent  s'etal)lir  que  \>Ar  titres  ou  par  une  prescription 
(Hpiivahuit  à  titre. 

AFFOUAGEMEKT.  Voyez  Fouace. 

AFFOURCIIER.  En  termes  de  marine ,  affourchcr 
un  vaisseau ,  c'est  mouiller  une  seconde  ancre,  de  telle 
sorte  que  les  deux  cibles  forment  une  espèce  de  fourche, 
afin  de  mieux  retenir  le  vaisseau.  11  est  de  règle  d'a/foiir- 
cher  suivant  la  direction  du  vent  ou  du  courant ,  c'est-à-dire 
de  placer  les  deux  ancres  sur  une  ligne  perpendiculaire  au 
vent  traversier  de  la  côte  ,  et  dans  une  rade  dont  la  marée 
est  forte ,  de  placer  une  ancre  sur  le  côté  de  la  marée 
montante ,  et  l'autre  du  côté  de  la  marée  descendante. 

AFFRANCHI.  C'était  le  nom  que  les  Romains  don- 
naient à  celui  qui  avait  été  délivré  légalement  de  l'esclavage, 
par  opposition  aux  ingénns,  qui,  nés  libres,  n'avaient 
jamais  cessé  de  l'être.  Les  affranchis  se  nommaient  en  latin 
liberti,  libcrtini,  par  contraction  de  liberati,  délivrés. 
L'affranchi,  à  l'instant  où  il  recevait  la  liberté,  se  faisait  ra- 
ser la  tête  dans  un  temple  et  la  couvrait  du  bonnet  phrygien, 
devenu  un  sNmbole  lie  la  liberté. 

AFFR-VXCHISSEMEXT.  A  côté  de  l'esclavage  on 
trouve,  chez  presque  tons  les  peuples  qui  l'ont  admis ,  l'habi- 
tude, réglée  par  les  coutumes  et  les  lois,  de  rendre  la  liberté 
à  c«ux  qui  ont  mérité  cette  faveur.  Cependant,  Taffranchis- 
sement  des  esclaves  ne  fut  point  connu  de  l'ancienne  La- 
cédémone.  D'après  ses  lois  de  fer,  la  servitude  s'imposait  à 
perpétuité  ;  c'était  la  torture  sans  fin ,  la  privation  à  jamais 
des  droits  de  l'espèce  humaine.  Chez  les  Hébreux,  les  Athé- 
niens, ainsi  qu'à  Rome,  l'esclave  pouvait  se  racheter  par  son 
pécule. 

Chez  les  Romains  l'affranchissement  s'appelait  manu- 
missio,  ce  qui  veut  dire  mise  hors  de  main  ,  mise  hors  de 
puissance.  Il  s'opérait  de  diverses  manières.  Tant  que  le  ti- 
tre de  citoyen  romain  eut  une  haute  valeur,  l'affranchis- 
sement, ayant  pour  but  l'admission  d'un  nouveau  membre 
Jans  la  cité,  fut  un  acte  public,  dans  lequel  comparaissaient 
avec  solennité  les  trois  parties  intéressées  à  ce  changement 
d'état ,  l'esclave ,  le  maître ,  et  la  cité  qui  allait  recevoir  un 
nouveau  citoyen  et  approuvait  la  demande  qui  lui  était  faite 
par  l'entremise  des  magistrats.  —  A  dater  du  règne  de 
Servius  Tullius,  les  affranchissements  se  firent  par  le  cens. 
Au  moyen  du  recen?ement  quinquennal  des  citoyens,  îe  chef 
•le  famille  faisait  inscrire  sur  les  livres  publics,  comme 
h«mme  libre ,  l'esclave  qu'il  voulait  affranchir,  et  du  jour 
les  cérémonies  lustrales  l'inscrit  devenait  citoyen. — Mais 
le  cens  ne  se  faisait  que  tous  les  cinq  ans  ,  et  à  mesure  que 
Rome  s'agrandissait  par  les  conquêtes,  le  nombre  des  es- 
claves augmentait  ainsi  que  l'occasion  et  l'habitude  d'accor- 
der l'affranchissement  à  ceux  qui  avaient  bien  mérité  de  leur 
maître.  Pour  remédier  à  cet  inconvénient,  un  procès  sym- 
bolique fut  le  moyen  qu'on  employa.  Quand  un  homme  li- 
bre était  injustement  retenu  comme  esclave,  tout  citoyen 
pouvait  se  porter  son  champion  et  intenter  un  procès  à  celui 
qui  s'en  prétendait  maître.  On  se  sem't  de  ce  moyen  pour 
arriver  à  l'affranchissement  d'un  véritable  esclave.  Un  ami 
ou  le  licteur  soutenait  devant  le  magistrat  que  l'esclave  était 
libre;  le  maître,  jouant  le  rôle  de  défendeur,  ne  contredisait 
point  cette  assertion,  et  le  magistrat,  donnant  gain  de  cause 
au  demandeur,  proclamait  l'esclave  en  liberté  :  «  Aio  te  U- 
beriim  more  Quirithim.  »  Tout  cela  se  faisait  avec  des 
i^estesetdes  paroles  consacrés,  et  en  employant  une  baguette 
(vindicta)  dont  le  demandeur  était  armé,  et  qui,  lance  sjtu- 
boliquc,  était  le  glorieux  signe  de  la  propriété  chez  les  Ro- 
mains :  c'est  ce  qui  fit  donner  à  cet  affranchissement  le  nom 
de  vindicte.  —  L'affranchissement  se  donnait  aussi,  et  très- 
fréquemment,  par  acte  de  dernière  volonté.  Ce  fut  même  uns 
habitude  admise  par  la  vanité  des  riches  de  donner  la  liberté 
à  un  grand  nombre  d'esclaves  à  l'époque  de  leur  décès,  afin 
qu'une  fotde  nombreuse  assistât  à  leurs  funérailles.  —  Dan- 
L-;cT.  tr  LV  cer  vtusATîCN.  —  t.  i. 


i:;3 

ces  trois  modes  primitif  et  solennels,  la  cité  est  représentée 
par  le  censeur  dans  le  cens,  par  le  préleur  dans  la  vindicte, 
enfin  par  le  peuple  lui-même  dans  le  testament,  qui  se  faisait 
devant  les  comices  en  forme  de  loi. 

Peu  à  peu  l'usage  s'établit  d'accorder  la  liberté  aux  escla- 
ves par  une  déclaration  faite  verbalement,  au  milieu  d'amis 
ou  par  écrit ,  enfin  par  plusieurs  autres  modes  qu'introdui- 
sirent les  constitutions  des  empereurs,  tels  que  de  donner 
dans  un  acte  public  le  nom  de  fils  à  son  esclave,  de  remettre 
ou  déchirer  en  présence  de  cinq  témoins  les  titres  de  servi- 
tude. Ces  divers  modes  de  conférer  la  liberté,  que  nous  ap- 
pellerons privés,  ne  pouvaient  pas  donner  à  l'esclave  la  liberté 
pleine;  il  n'avait  qu'une  liberté  de  fait,  qui  le  dispensait 
du  service,  mais  qui  n'empêchait  pas  tous  les  autres  effets  de 
la  servitude  :  ainsi  tout  ce  qu'il  acquérait  appartenait  à  son 
maître,  qui  s'en  emparait  après  sa  mort  par  droit  de  pro- 
priété. 

Dans  les  premiers  siècles  de  Rome ,  la  liberté  était  une  et 
indivisible,  et  la  conséquence  de  l'affranchissement  était  de 
faire  passer  l'esclave  dans  la  classe  des  citoyens  avec  tous 
les  privilèges  de  ce  titre.  Mais  on  ne  reconnaissait  pour  léga- 
lement affranchis  que  ceux  qui  l'avaient  été  dans  les  condi- 
tions suivantes  :  il  fallait  que  le  maître  eût  sur  l'esclave  qu'il 
voulait  affranchir  le  domaine  quiritaire,  propriété  de  droit 
civil,  et  non  pas  la  simple  possession,  qu'avait  introduite  le 
droit  prétorien  (voyez  Propriété),  et  qu'il  eût  employé  ea 
outre  un  des  trois  modes  d'affranchissement  reconnus  par 
le  droit  civil.  Si  ces  conditions  n'étaient  pas  remplies,  l'affran- 
chissement était  nul  de  droit  ;  mais  le  préteur ,  interprète 
de  l'équité  et  des  mœurs,  qui  favorisaient  de  plus  en  plus  les 
affranchissements,  maintenait  l'esclave  en  liberté  de  fait. 

Tel  était  l'état  des  aHranciiis  à  la  fin  de  la  lépublique. 
A  celte  époque  les  affranchissements  s'étaient  multipliés 
d'une  telle  façon  qu'une  foule  d'hommes  vils  et  coriompus 
obteuaient  par  ce  moyen  la  qualité  de  citoyens.  Ainsi  la  loi 
Fusia  Caninia,  pour  mettre  un  obstacle  à  ces  affranchis- 
sement faits  par  vanité  dans  les  riches  familles  le  jour  des 
funérailles,  ordonna  qu'on  ne  pourrait  jamais  affianchir  au 
plus  que  la  moitié  de  ses  esclaves ,  sans  jamais  dépasser  le 
nombre  de  cent.  Quelque  temps  auparavant,  la  loi  yElia 
Sentia,  rendue  sous  Auguste,  ajouta  plusieurs  conditions 
nouvelles  à  celles  exigées  dans  l'ancien  droit  pour  la  vali- 
dité des  affrancliissements.  Elle  défendait  d'affranchir  un 
esclave  iigé  de  moins  de  trente  ans,  à  moins  qu'on  ne  l'af- 
franchît par  la  vindicte,  après  avoir  fait  approuver  les  causes 
de  l'affranchissement  par  un  conseil  spécial.  Deux  autres 
chefs  de  la  même  loi  empêchaient  les  maîtres  d'affranchir 
soit  en  fraude  de  leurs  créanciers ,  soit  avant  l'âge  de  vingt 
ans.  De  plus,  elle  décida  que  les  esclaves  qui,  après  avoir 
subi  quelque  supplice  infamant,  viendraient  à  être  affran- 
chis, n'acquerraient  en  aucun  cas  le  titre  de  citoyen ,  mais 
seraient  seulement  assimiles  pour  les  droits  aux  déditices. 
On  nommait  ainsi  les  peuples  qui ,  ayant  pris  les  armes 
contre  les  Romains,  avaient  été  vaincus  et  s'étaient  rendus 
à  discrétion.  Ils  avaient  parmi  les  sujets  de  l'empue  la 
dernière  condition.  Quant  aux  esclaves  qui  étaient  seule- 
ment maintenus  en  liberté  par  la  protection  du  préteur, sans 
être  véritablement  affranchis,  la  loi  Junia  Korbona,  rendue 
sous  Tibère,  régularisa  leur  position  en  leur  accordant  les 
droits  qu'avaient  autrefois  les  habitants  des  anciennes 
colonies  du  Latium  :  de  là  ils  furent  appelés  Latins  ju- 
niens  :  Zrt//'».9,  parce  qu'ils  jouissaient  du  droit  de  latinité  ; 
junicns,  parce  que  c'est  à  la  loi  Junia  qu'ils  devaient  ce 
bienfait.  —  Plus  fard  ces  lois,  devenues  inutiles,  puisque 
les  distinctions  sur  lesquelles  elles  repo.saient  n'existaient 
])lus ,  furent  abrogées  par  Justinien.  Tous  les  modes  d'af- 
franchissement procuièœnt  la  liberté  pleine  et  le  titre  de 
citoyen.  Tous  les  affranchis  obtinrent  l'anneau  d'or  et  la 
régénéiation,  ce  qui  lesassimila  complètement  aux  ingénus. 
L'a*ffauchisseuiont  faisait  naître  des  rapports  nouveaux 

20 


ir>4 


AFFRANCHISSEMENT 


cnlre  l'ancien  maître  et  l'affranchi.  Ils  consistaient  en 
devoirs  respectueux,  que  l'affranchi  devait  à  son  patron 
comme  un  fds  à  son  père.  Il  ne  pouvait  par  conséquent 
le  traduire  en  justice  sans  en  avoir  obtenu  la  permission  du 
magistrat,  ni  intenter  contre  lui  une  action  infamante.  L'af- 
franchi devait  des  aliments  à  son  ancien  maître  si  celui-ci 
tombait  dans  l'indigence;  il  lui  devait  en  outre  des  services 
s'il  s'y  était  engagé  par  stipulation  ou  par  serment  lors  de 
son  aftianchissement.  Le  patron  ou  sa  famille  avaient  de 
plus  des  droits  de  succession  sur  les  biens  de  l'affranchi 
prédécédé.  Les  lois  qui  régirent  le  droit  de  successibilité 
«les  patrons  sur  les  biens  des  alTranchis  suivirent  les  mêmes 
règles  générales  que  les  lois  qui  statuaient  sur  l'affranchis- 
sement lui-nu^me  :  favorables  à  l'affranchi  dans  le  principe, 
elles  lui  imposèrent  des  obligations  nombreuses  au  com- 
mencement de  l'empire,  et  redevinrent  sous  Justinien  ce 
qu'elles  étaient  aux  premiers  temps  de  Rome.  D'abord  le 
patron  ne  succédait  à  l'affranchi,  par  une  qualité  symbolique 
iVarjnat,  qu'à  défaut  d'héritiers  siens;  mais  comme  l'af- 
franchi pouvait  tester,  il  lui  suffisait  d'instituer  un  héritier 
testamentaire  ou  d'adopter  un  étranger  pour  enlever  sa 
propre  fortune  à  son  ancien  maître.  Plus  tard,  lorsque 
l'affranchi  ne  laissait  pas  d'enfant ,  mais  un  héritier  par 
testament  ou  par  adoption,  le  préteur  intervenait  pour 
assurer  au  patron  la  possession  de  la  moitié  des  biens  à 
moins  que  l'institué  ne  fût  un  enfant  naturel  du  testateur. 
Ensuite  la  loi  accorda  au  patron  le  droit  de  concourir  avec 
les  enfants  naturels  dans  certaines  conditions  de  fortune  du 
«léfunt.  —  Les  règles  de  l'ancien  droit  ne  s'appliquaient 
qu'aux  affranchis  citoyens  romains.  Les  Latins  juniens  n'a- 
vaient point  d'héritiers,  parce  qu'à  leur  mort  ils  étaient 
censés  n'avoir  jamais  été  libres. 

On  sait  que  les  affranchis  conservaient  le  nom  de  leur 
maître.  C'est  ainsi  que  le  poète  Andronicus ,  affranchi  de 
M.  Livius  Salinator,  fut  appelé  M.  Livius  Andronicus.  Quel- 
quefois aussi  ils  prenaient  le  nom  de  la  personne  à  la  recom- 
mandation de  laquelle  ils  avaient  obtenu  la  liberté.  11  leur  était 
défendu  d'épouser  la  mère,  la  veuve  ou  la  fdle  d'un  patron. 
Cette  condition  de  l'affranchi  se  perpétuait  en  partie  jusque 
chez  ses  enfants.  Le  fils  de  l'affranchi  portait  encore  la  trace 
de  l'esclavage  de  son  père ,  et  ce  n'était  qu'à  la  troisième  gé- 
nération que  cette  origine  s'effaçait  complètement.  La  même 
infériorité  devait  naturellement  se  montrer  relativement  aux 
droits  politiques,  et  c'est  ce  qui  eut  lieu  en  effet.  L'affranchi, 
avec  la  tète  rasée,  l'oreille  percée  et  un  bonnet  pour  marque 
de  son  état,  n'était  pas  réellement  l'égal  d'un  citoyen.  Aussi 
ces  affranchis  ne  jouirent-ils  d'abord  d'aucun  droit  politique  ; 
ce  ne  fut  que  sous  Servius  TuUius  qu'on  les  classa  dans  les 
tribus.  Ils  devinrent  ensuite  de  quelque  poids  dans  la  lutte 
des  partis.  Leur  condition  les  liait  évidemment  aux  intérêts 
(les  patriciens.  Appius  Claudius  pendant  sa  censure  les 
introduisit  dans  les  tribus  de  la  campagne ,  ce  qui  excita  la 
colère  des  citoyens.  Aussi,  neuf  ans  après,  un  autre  censeur 
les  fit  rentrer  dans  les  tribus  de  la  ville.  Enfin,  Tibérius 
Gracchus,  qui  exerça  la  censure  en  585,  entreprit  de 
chasser  les  alTranchis  de  toutes  les  tribus  ;  mais  ayant  ren- 
contré de  l'opposition  de  la  part  de  son  collègue,  il  se  ré- 
duisit à  les  renfermer  tous  dans  la  tribu  Esquilina. 

Tant  que  la  république  subsista,  on  ne  trouve  point 
d'exemple  d'affranchi  ni  de  fils  d'affranchi  qui  ait  été  sé- 
nateur ou  chevalier;  une  fois  seulement  le  fils  d'un  affran- 
chi fut  nommé  édile  curule  par  le  peuple.  Biais  lorsque  vin- 
rent les  guerres  civiles  et  l'empire,  il  s'opéra  une  confusion 
dans  les  rangs  qui  changea  la  position  des  affranchis  ;  on  en 
vit  pénétrer  dans  le  sénat.  Beaucoup,  par  le  commerce 
qu'ils  avaient  appris  étant  esclaves  et  qu'ils  continuaient 
après  leur  ainanchissement,  avaient  acquis  de  grandes  for- 
tunes, recueillant  ainsi  les  bénéfices  que  dédaignaient  les 
citoyens  de  Ironie.  Enfin,  sous  les  successeurs  d'Auguste, 
ks  affranchis,  à  peine  sortis  de  l'esclavage,  devinrent  les  ar- 


bitres et  les  ministres  de  l'empire.  La  vieille  république,  qui 
avait  tant  méprisé  les  esclaves  même  qu'elle  consentait  à 
affranchir,  devint  tout  à  coup  la  proie  de  quelques  affran- 
chis. On  sait  de  quels  traits  éloquents  Tacite  a  marqué  la 
servilité  des  Romains  prosternés  devant  les  affranchis  des 
empereurs,  le  sénat  offrant  la  préture  à  Pallas,  qui  no 
daigna  pas  même  la  briguer;  le  censeur  Soranus  proposant 
de  décerner  une  récompense  nationale  de  400,000  écus  à 
cet  affranchi,  riche  déjà  de  150  millions  ;  et  un  descendant 
des  Cornélius,  L.  Scipion,  voulant  qu'on  remerciât  les 
dieux  de  ce  que  cet  affranchi  ne  dédaignait  pas  d'être  le 
ministre  de  l'empereur  et  le  second  tyran  du  monde.  La 
grande  puissance  des  affranchis ,  qui  du  reste  ne  fut  jamais 
que  la  puissance  de  certains  individus  et  ne  changea  rien  à 
la  condition  générale  des  esclaves ,  eut  lieu  principalement 
depuis  Tibère  jusqu'à  Adrien.  Ce  prince  introduisit  sur  ce 
point  une  réforme.  Il  renferma  ses  affranchis  dans  les  bonies 
du  service  de  sa  maison.  Il  ne  souffrait  point  qu'ils  se  mê- 
lassent d'intrigues  politiques;  il  en  punit  plusieurs  pour 
s'être  vantés  de  leur  crédit  auprès  de  lui.  Jusqu'à  lui  les 
empereurs  s'étaient  servis  de  leurs  affranchis  comme  de  se- 
crétaires, et  les  avaient  aussi  chargés  de  recevoir  les  re- 
quêtes des  citoyens  :  il  leur  enleva  ces  fonctions ,  pour  les 
confier  à  des  chevaliers. 

La  coutume  romaine  de  i'affrancliissement  se  prolongea 
jusfpie  après  la  chute  de  l'empire  et  la  complète  invasion  des 
barbares.  Le  cinquième  livre  de  la  loi  des  Visigoths,  inti- 
tulé/)eZi6e?Yfi</6î«  et  Libertis,  est  un  curieux  monument  à 
cet  égard.  Toutes  les  dispositions  des  lois  romaines  pour 
m.aintenir  la  dépendance  des  affranchis  envers  leurs  patrons 
y  sont  rappelées  et  aggravées ,  et  cette  dépendance  est  môme 
étendue  à  leurs  enfants.  Tout  mariage  avec  la  postérité  de 
leurs  patrons  leur  est  interdit.  La  moindre  insolence  envers 
leurs  anciens  maîtres  les  met  dans  le  cas  de  retomber  dans 
l'esclavage.  Il  leur  est  défendu  de  s'éloigner  pour  échapper 
au  patronage.  En  un  mot,  ils  ont  encore  à  endurer  plus 
qu'une  demi-ser\itude.  Une  autre  disposition  ordonne  de  re- 
mettre dans  l'esclavage  un  affranchi  qui  aurait  l'audace  de 
témoigner  contre  son  patron  ou  le  fils  de  son  patron.  Mais 
l'édit  de  Théodoric,  roi  d'Italie,  est  encore  plus  expres- 
sif sur  ce  point  :  il  porte  textuellement  que  :  «  si  un  affranchi 
s'avisait  de  déposer  contre  son  patron  ou  les  enfants  de 
son  patron  ,  il  faudrait  l'arrêter  au  premier  mot,  et  lui  cou- 
per la  parole  à  coups  d'épée.  » 

Lorsque  les  barbares  s'emparèrent  des  Gaules,  ils  trouvè- 
rent toute  la  population  nirale  réduite  à  l'état  de  colons 
ou  de  serfs  ;  et  cette  classe  continua  à  subsister  sous  les  rois 
germains  dans  les  mêmes  conditions  que  sous  les  empe- 
reurs de  Rome.  Les  esclaves  proprement  dits,  qui  ne  diffé- 
raient des  colons  que  par  certains  avantages  civils  que  la 
loi  accordait  à  ces  derniers ,  durent  se  fondre  dans  la  classe 
des  colons ,  et  tous  tombèrent  du  régime  de  la  loi  loniaine 
sous  le  joug  du  conquérant  germain  dans  l'alleu  ou  fief 
duquel  ils  habitaient.  Les  formes  du  gouvernement  variè- 
rent; mais  la  condition  des  serfs  resta  la  même  du  cin- 
quième au  douzième  siècle.  Cependant,  depuis  le  dixième 
siècle ,  de  nombreuses  révoltes  révélèrent  un  changement 
inévitable  et  prochain.  Ces  mouvements  précédèrent  de  fort 
peu  l'insurrection  des  Communes. 

Au  treizième  siècle  la  distinction  entre  les  esclaves  pn  - 
prement  dits  et  les  colons  s'était  bien  conservée  dans  les 
lois,  mais  dans  la  réalité  elle  n'existait  plus,  la  tyrannie 
des  seigneurs  féodaux  avait  tout  confondu. 

Bientôt  l'établissement  de  communes  pui-ssantes  et  libres, 
les  croisades,  et  les  rapports  qui  s'établirent  entre  la  France 
et  les  républiques  italiennes  ,  les  progrès  de  l'esprit  humain 
avaient  ébranlé  les  bases  de  la  société  féodale.  La  masse  des 
seifs,  jusque  alors  soumise  aux  rois ,  princes,  barons,  abbés 
ou  évê(jues,  exigea  la  liberté,  et  dès  cotte  époque  les  affran- 
chissements devinient  nombreux.  Le  besoin  d';;rgent  pou» 


AFFIUNCUISSEMENT 


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fniicle  pMoiinagc  en  Terre-Sainte  obligea  lui  certain  nombre 
de  seigneurs  à  vendre  la  liberté  à  leurs  serfs. 

[  Au  moyen  âge,  la  pratique  de  l'affrancliissement  était 
très-fréquente;  mais  la  plupart  des  affianchis  n'obtenaient 
qu'une  liberté  incomplète.  On  aperçoit  dans  les  monu- 
ments trois  classes  d'allrancbis  :  1°  les  dcnarinlcs,  qui 
tiraient  leur  nom  de  la  cérémonie  môme  de  ralfranclii?- 
sement  :  le  maître  amenait  son  esclave  devant  le  roi  ;  l'es- 
clave tenait  dans  sa  main  un  denier  ;  le  roi,  en  lui  frappant 
la  main,  lui  faisait  sauter  le  denier  au  visage  et  le  décla- 
rait libre.  La  plupart  dessavants  ont  affirmé  que  dès  lors  sa 
liberté  était  entière  et  qu'il  devenait  en  tout  l'égal  des 
Francs  :  c'est  en  eflet  ce  qu'ordonne  expressément  la  loi 
des  Ripnaires;  mais  la  même  loi  porte  que  si  le  dénarié 
meurt  sans  enfants,  ses  biens  seront  dévolus  au  fisc;  il  ne 
pouvait  donc  tester  à  son  gré.  Un  capilulaire  de  Charlema- 
gne  ordonne  que  le  wefirgeld  dû  pour  le  meurtre  d'un 
dénarié  sera  payé  non  à  sa  famille,  mais  au  roi  ;  un  autre 
capilulaire  interdit  aux  rfenories  le  droit  d'bériter  de  leurs 
parents  aux  premier,  second  et  troisième  degrés  :  autant  de 
restrictions  à  la  plénitude  de  la  liberté.  2"  Les  tabularii,  af- 
franchis devant  l'Église  :  le  maître  se  présentait  à  l'église, 
remettait  son  esclave  à  l'évêque  en  présence  du  clergé  et 
du  peuple,  et  demandait  qu'on  rédigeât  selon  la  loi  romaine 
l'acte  d'afîrancbissement  {tabula).  L'esclave  devenait  li- 
bre; mais  s'il  mourait  sans  enfants  l'Église  héritait  de  ses 
biens  ;  il  ne  pouvait  porter  témoignage  dans  les  causes  qui 
intéressaient  des  hommes  libres;  ses  descendants  à  la 
troisième  génération  y  étaient  seuls  admis.  Il  lui  était  in- 
terdit de  s'élever  au  rang  de  dénarié  par  un  nouvel  affran- 
chissement devant  le  roi.  Enfin  c'était  auroi,  et  non  à  sa 
famille,  qu'était  payé  son  wehrgeld.  3°  Les  chartularû, 
dont  l'affranchissement  s'accomplissait  par  un  acte  isolé 
du  maître,  et  sans  l'intervention  d'aucun  magistrat  laïque 
ou  ecclésiastique;  la  forme  et  les  effets  en  étaient  très-va- 
riés. Quelques  formules  indiquent  la  concession  de  la  liberté 
la  plus  entière;  cependant  celle  des  chartularii  est  aussi 
limitée  par  des  lois.  Un  capitulaire  de  Charlemagne  leur 
interdit  le  droit  d'hériter  de  leurs  parents  jusqu'au  troisième 
degré  ;  un  autre  ordonne  que  s'ils  ne  sont  placés  sous  la 
protection  d'aucun  patron  déterminé  ,  leur  ivehrgeld  sera 
payé  au  roi.  Ainsi,  dans  la  classe  des  affranchis,  on  observe 
le  même  phénomène  que  dans  celle  des  hommes  libres  par 
leur  origine  :  en  entrant  dans  la  liberté  ils  tombaient  sous  la 
dépendance  d'un  patron,  les  dénariés  sows  celle  du  roi,  les 
tabularii  sous  celle  de  l'Église.  Les  chartularii  pouvaient 
choisir  le  leur;  mais  s'ils  n'en  choisissaient  point,  le  roi 
s'attribuaitsur  eux  des  droits  spéciaux.  Ces  diverses  sortes 
d'alTranchissement  conféraient  divers  degrés  deliberté  ;  mais 
en  aucun  cas  l'affranchi  ne  s'élevait  à  cette  condition  de 
citoyen  où  l'homme  né  libre  pouvait  se  maintenir.  Une 
protection  individuelle  pouvait  seule  le  préserver  de  retom- 
ber dans  la  servitude;  elle  lui  était  le  plus  souvent  imposée 
par  la  loi  môme  ;  c'était  celle  de  l'autorité  qui  avait  sanc- 
tionné son  affranchissement.  En  proie  à  la  lutte  des  forces 
individuelles  et  à  ses  chances,  la  liberté  ne  trouvait  de  rehige 
que  dans  la  vassalité  :  du  cinquième  au  dixième  siècle  elle 
fut  constamment  en  décadence  ;  tout  tendit  à  la  formation 
de  cette  aristocratie  hiérarchique  de  propriétaires  et  à  la 
servitude  de  la  population.  L'histoire  des  institutions  nous 
révèle  clairement  les  mômes  tendances.  F.  Guizox.  ] 

La  royauté  traita  en  général  les  serfs  de  ses  domaines  avec 
modération.  En  1224  Louis  VIII  affranchit  tous  les  serfs  du 
fief  d'Étampes  ;  la  reine  Blanche,  sa  femme,  pendant  la  mi- 
norité de  son  fils,  adoucit  autant  qu'elle  put  la  condition  des 
.serfs.  Ce  fut  la  royauté  qui  donna  en  1315  le  grand  spec- 
tacle de  l'émancipation  en  masse  de  tous  les  serfs  de  ses 
domaines.  Cette  ordonnance  de  Louis  X  engageait  les  sei- 
gneurs français  à  imiter  son  exemple;  mais  les  terribles 
guerres  delaJacquerie  attestent  qu'ils  répondirent  peu  à 


son  appel.  Néanmoins  le  nombredes affranchissements  par 
ticuliers  alla  sans  cesse  en  augmentant.  Le  droit  de  wj  ain- 
morte  remplaça  le  servage.  On  entend  sous  ce  nom  toutes 
les  charges  que  le  seigneur  imposait  aux  serfs  en  les  affran- 
chissant de  la  servitude  personnelle.  Cescliarges  variaient 
suivant  les  circonstances  ;  voici  cependant  les  plus  généra- 
lement imposées  :  le  serf  affranchi  ne  pouvait  se  marier  à 
une  personne  d'une  autre  condition,  sous  peine  d'amende  et 
de  confiscation  d'un  tiers  de  ses  biens  ;  ii  ne  devait  point 
aliéner  ses  terres  sans  l'approbation  du  seigneur,  ni  disposer 
de  ses  biens  par  testament,  ni  faire  héritier  par  contrat  de 
mariage.  Cependant  cette  sujétion  nouvelle  diminua  peu  à 
peu.  Ainsi  le  niainmortable  s'affranchissait  dans  plusieurs 
provinces  par  une  prescription  de  vingt  ans  ;  la  femme  de- 
venait franche  en  épousant  un  homme  franc.  Plusieurs 
villes  jouissaient  du  privilège  d'affranchir  ceux  qui  venaient 
demeurer  dans  leur  enceinte.  La  jurisprudence  et  les  ordon- 
nances de  nos  rois  adoucirent  successivement  la  position  des 
gens  de  mainmorte;  les  conditions  imposées  aux  serfs  furent 
réglées  peu  à  peu  et  sensiblement  améliorées  par  les  parle- 
ments. Les  corvées  auxquelles  étaient  astreints  les  gens  de 
roture,  dernier  vestige  de  leur  ancienne  condition  servile, 
furent  abolies  par  Louis  XVI  le  12  mars  1776,  et  dans  la  nuit 
du  4  août  1789,  la  Constituante  supprima  les  droits  féodaux. 

Quand  l'esclavage,  réprouvé  par  les  mœurs  dans  les  sociétés 
européennes,  trouva  un  refuge  dans  les  colonies  du  Nouveau 
Monde,  il  y  conserva  du  moins  la  seule  institution  qui 
puisse  en  tempérer  la  barbarie,  l'affranchissement.  L'éditde 
1685  reconnaît  formellement  ce  <lroit,  et,  tout  en  comman- 
dant aux  affranchis  un  respect  singulier  pour  leurs  anciens 
maîtres,  il  leur  accorde  les  droits  civils.  Mais  la  couleur 
de  la  peau  du  nègre  affranchi  s'opposait  à  une  parfaite 
égalité  ;  on  trouve  dans  les  écrits  et  les  ordonnances  toutes 
les  distinctions  vexatoires  consacrant  la  suprématie  de  la 
race  blanche.  Les  affranchis  étaient  écartés  des  emplois  pu- 
blics; on  leur  avait  interdit  l'exercice  de  la  médecine  ou  de 
la  chirurgie.  Les  mômes  préjugés  existent  encore  aux  États- 
Unis  contre  les  esclaves  affranchis,  que  les  mœurs  repous- 
sent partout  de  la  société.  La  première  république  abolit  l'es- 
clavage. Haïti  répondit  à  ce  bienfait  en  se  séparant  de  la 
métropole,  et  réussit  depuis  à  former  un  État  indépendant. 
Le  premier  empire  rétablit  l'esclavageaux  colonies.  Plusieurs 
États  de  l'Amérique  émancipèrent  leurs  esclaves.  Après  la 
révolution  de  1830  on  reconnut  aux  affranchis  libres  de  nos 
colonies  la  jouissance  entière  des  droits  civils.  Les  formalités 
de  l'affranchissement  reçurent  également  d'heureuses  mo- 
difications. Suivant  les  anciennes  lois  coloniales,  le  maître 
ne  pouvait  affranchir  son  esclave  qu'en  lui  assurant  des 
moyens  d'existence  et  en  payant  pour  la  délivrance  de  l'acte 
une  taxe  qui  dans  certains  cas  s'élevait  jusqu'à  2,000  francs. 
Toute  taxe  sur  les  affranchissements  fut  abolie  en  1831. 
L'émancipation  des  nègres  dans  les  colonies  anglaises  eut 
lieu  par  un  bill  de  1833  qui  maintint  les  esclaves  en  état 
d'apprentis  travailleurs  pendant  six  ans  à  la  campagne,  ou 
quatre  ans  dans  les  villes,  après  quoi  ils  furent  libres  de 
plein  droit.  Une  somme  de  20  millions  de  livres  sterlin;; 
indemnisa  les  propriétaires  d'esclaves.  A  la  fin  du  règne  de 
Louis-Philippe,  on  affranchit  légalement  tous  les  esclaves  du 
domaine  dans  les  colonies,  et  on  essaya  de  former  des  ate- 
liers libres.  On  permit  à  l'esclave  de  se  racheter  au  moyen 
du  pécule,  qu'il  pouvait  acquérir  par  le  travail  du  samedi, 
par  héritage,  donation  ou  autrement;  c'est-à-dire  qu'on  lui 
reconnut  le  droit  de  famille  et  de  propriété.  La  révolution 
de  février  mil  lin  à  ces  attermoiements.  Un  décret  du  gou- 
vernement provisoire  affranchit  tous  les  esclaves,  sauf 
indemnité  par  l'État,  laquelle  fut  réglée  par  un  décret  du 
30  avril  1849. 

En  Pologne  la  constitution  de  1791  avait  décrété  l'affran- 
chissement total  et  immédiat  de  tous  les  serfs  ;  mais  on  est 
revenu  ensuite  sur  cette  mesure.  En  Livonie,  en  Courlande 

20. 


15t) 

et  en  Eslhonic,  où  l'aiïranchissemeiit  a  eu  lieu  par  lots  dans 
le  courant  d'un  ccilain  nouilne  d'années,  il  a  produit  de  l)nns 
eflels.  En  Russie  l'eni|icrour  a  prononcé  ralfrancliisscment 
dos  serfs  ilc  la  couronne,  et  plusieurs  sei;;neurs  ont  égale- 
ment donné  la  liberté  à    crux  qui  dépendaient  de  leurs 
terres.  Knlin  rallrantliissenient  (-ém-ral  a  été  décidé  en  18GI, 
pour  la  Russie  et  la  Pologne.  Les  événements  de  18^8 
l'ont  fait  disparaître  .le  beaucoup  d'autres  pays  européens. 
AFFRE  (  Df.ms-Ait.lstk),  arcbevéquc  de  Paris,  na- 
quit le  17  septendjre  1793,  à  Saint-Rome  de  Tarn  (Avcyron). 
Dés  un  ftge  tendre  son  père  le  plaça  au  collège  de  Saint- 
Affricpie;  il  y  fit  avec  succès  ses  premières  études,  et  en 
sortant  de  rliëtoriqiie  il  vint  à  Issy  suivre  le  cours  de  philo- 
sophie. Plus  tard  il  alla  continuer  ses  études  h  Cleruiont. 
Revenu  h  Saint-Sulpice  après  la  Restauration ,  il  y  fut  or- 
donné prêtre  en  18IS,  à  l'ûgede  vingt-cinq  ans.  L'abbé  Affre 
professa  d'abord  la  philosophie  au  séminaire  de  Nantes ,  et 
échangea  {iuel([ue  temps  après  ces  fonctions  contre  celles  de 
grand  vicaire,  d'abord  à  Luçon,  puis  après  à  Amiens.  Il 
administra  ce  dernier  diocèse  pendant  dix  ans  sous  la  di- 
rcttion  d'un  prélat,  M.  de  Chabons,  que  la  vieillesse  et  des 
intirinités  mettaient  dans  l'impossibilité  de  suffire  aux  de- 
voirs de  sa  charge. 

A  l'àgc  de  vingt-sept  ans,  M.  Affre  publia  un  Traité  de 
rAdinhiislradon  temporelle  des  Paroisses.  Ce  livre  re- 
ujarquablc  s'occupe  des  conseils  de  fabrique,  des  attributions 
de  chacun  de  ses  membres,  de  la  gestion  des  biens,  de  la 
nature  des  charges  relatives  aux  constructions  et  répara- 
tions, etc.,  puis  de  h  police  des  églises,  des  processions 
extérieures,  du  traitement  des  curés,  de  la  célébration  des 
mariages,  des  quêtes,  des  confréries,  des  pompes  funè- 
bre» ,  des  refus  de  sépulture ,  des  crimes  et  délits  commis 
par  des  ecclésiastiques ,  etc.  En  tête  du  traité  se  trouve 
l'histoire  des  fabriques ,  et  à  la  fin  sont  cités  les  arrêts  de 
cassation,  lois,  décrets,  ordonnances  et  avis  du  conseil 
d'État  sur  la  matière,  enfin  toutes  les  pièces  justificatives.  Ce 
traité  donna  à  M.  Feutrier  l'idée  d'appeler  M.  Affre  au  secré- 
liriat  des  affaires  ecclésiastiques ,  et  à  ^I.  de  Montbel  celle 
de  le  faire  maître  des  requêtes.  L'abbé  Affre  n'accepta  pas 
ces  honneurs.  Eu  1S20  il  publia  une  brochure  dans  laquelle 
il  attaquait  fortement  Fultramontanisme  de  M.  de  la  IMennais. 
On  a  aussi  delui  wic  dissertation  surlcs  hiéroglyphes d'ÉgTple. 
En  1S31,  Louis-Philippe  passant  par  Amiens  dans  une 
tournée  à  travers  nos  départements  du  nord,  I\L  Affre,  en 
sa  (jualité  de  grand  vicaire  et  pendant  l'absence  de  son  évû- 
<pie,  fut  charge  d'adresser,  au  nom  du  clergé  diocésain ,  au 
roi  issu  des  barricades  les  conipliincuts  d'usage;  et  il  s'ac- 
(piitta  de  cette  mission  de  manière  à  singulièrement  flatter 
les  rancunes  du  parti  vaincu  en  juillet.  M.  Affre  alTecta  en 
effet  de  ne  donner  à  Louis-Philippe  ni  le  titre  de  .Sire,  ni 
la  qualilicnlion  de  Votre  Majesté  :  il  l'appela  prince,  litre 
vague,  qui  laissait  réservée  ,  comme  on  voit ,  la  question  de 
légitimité.  Le  succès  du  discours  de  M;  Affre  fut  tel  dans  le 
faubourg  Saint-Germain,  que  'M.  de  Quélen  s'empressa  de 
récompenser  le  hardi  harangueur  en  le  nommant  son  vicaire 
général ,  ainsi  que  membre  titulaire  de  son  chapitre.  Dans 
ses  nouvelles  fonctions,  les  nombreux  points  de  contact 
«lu'il  eut  avec  le  pouvoir  amenèrent  sans  doute  M.   Affre 
à  reconnaître   l'exagération  de   ses  regrets  et  à  modifier 
sr:s  tendances  politiques.  En  1S39  il  fut  nommé  coadju- 
teur  de  Strasbourg ,  avec  le  titre   d'évèque  de  Pompeio- 
polis.  M.  de  Quélen  étant  venu  à  mourir  sur  ces  entre- 
faites, le  siège  de  Paris  resta   quelque  temjis  vacant;  et 
au  1*^^  mai  iS'iO,  à  l'occasion  delà  fête  du  roi,  ce  fut  encore 
à  M.  .\flVe  (pi'échut  le  soin  de  prononcer,  au  nom   du 
clergé  du  diocèse ,  les  félicitations  d'usage.  Cette  fois  le  dis- 
cours de  ."VI.  Affre  ne  ressembla  guère  à  celui  d'Amiens  : 
aussi  quelipies  jours  après  la  vacance  du  siège  avait  cessé, 
M.  Affre  ét;iit  nommé  archevêque  de  Paris.  Sa  lettre  pasto- 
rale à  l'occasion  de  son  avènement  au  siège  de  Paris  rec\it 


AFFI\.\NCH1SSEMENT  —  AFFRES 

l'approbation  générale.  Le  prélat  s'y  attachait  à  prêcher  la 
paix  et  la  concorde,  la  fusion  des  opinions  divisées,  et  mon- 
trait le  néant  des  ambitions  de  la  terre. 

M.  Affre  ne  resta  pas  toujours  aussi  bien  avec  la  cour.  11 
prit  part  aux  discussions  du  clergé  avec  l'Université  à  pro- 
I)Os  du  monopole  de  l'enseignement,  et  adressa  au  garde  des 
sceaux  une  lettre  signée  de  lui  et  de  ses  quatre  suffragants  à 
ce  sujet.  Le  ministre  de  la  justice  refusa  de  recevoir  cette 
adresse ,  comme  contraire  aux  lois,  qui  défendaient ,  selon 
lui,  aux  évêques  de  délibérer  en  commun  sans  y  être  ap- 
pelés par  le  gouvernement.  Bientôt  M.  Affre,  félicitant  le 
roi  à  l'occasion  de  sa  fête,  en  prit  occasion  de  lui  demander 
l'observation  du  dimancilie.  Louis-Philippe  répondit  d'une 
manière  assez  verte  au  discours  du  prélat,  qui  ne  parut  pas 
au  Moniteur.  Le  roi  n'en  fut  ensuite  que  plus  aimable  dans 
ses  réponses  aux  présidents  des  consistoires  protestants  qui 
le  félicitèrent  après ,  et  l'archevêque  de  Paris  fut  quelque 
temps  à  retrouver  une  réconciliation  dont  une  cérémonie 
religieuse  de  famille  ne  tarda  pas  à  lui  offrir  le  moyen.  Dans 
le  but  de  soulager  les  prêtres  pauvres ,  M.  Affre  ordonna 
une  nouvelle  répartition  du  casuel;  mais  ce  projet,  lancé 
sans  préparation,  souleva  tout  le  liant  clergé  paroissial  contre 
lui ,  et  l'ordonnance  de  M.  Affre  a  àù  être  rapportée  depuis. 
Lorsque  Pie  IX  s'annonça  au  monde  comme  le  régénéra- 
teur de  la  péninsule  italique,  RL  Affre  publia  un  mandement 
ordonnant  des  prières  pour  le  pape;  l'esprit  libéral  de  ce 
mandement  fit  grande  sensation. 

Peu  de  temps  après  éclata  la  révolution  de  février.  La 
haute  intelligence  de  M.  Affie  ne  se  refusa  pas  à  reconnaître 
le  doigt  de  Dieu  dans  l'enchaînement  prodigieux  des  évé- 
nements. Le  clergé  se  jeta  d'ailleurs  dans  le  mouvement  : 
on  vit  des  prêtres  solliciter  les  suffrages  de  leurs  concitoyens, 
se  faire  nommer  représentants  du  peuple.  M.  Affre  ne  fut 
donc  pas  hostile  au  nouvel  état  de  choses.  Mais  un  jour 
une  insurrection  épouvantable  vient  ensanglanter  Paris. 
M.  Affre,  à  la  vue  de  cette  bouclunie,  pense  à  s'interposer  en- 
tre ses  brebis  qui  s'égorgent.  Le  25  juin  1848  il  va  chez  le 
général  Cavaignac  pour  obtenir  un  sauf-conduit,  et  il  se 
rend  à  la  place  de  la  Bastille  avec  ses  deux  grands  vicaires. 
Le  faubourg  Saint~.\ntoine  était  encore  aux  insurgés.  A 
l'arrivée  de  l'archevêque  la  troupe  cesse  le  feu.  Une  branche 
d'arbre  est  cueillie  et  portée  en  avant  par  un  jeune  homme 
en  signe  de  paix.  Les  insurgés ,  avertis  de  ce  qui  se  passe, 
cessent  aussi  de  tirer.  M.  Atfre  franchit  la  première  baiTi- 
cade.  Il  va  parler  à  ces  hommes  armés.  Tout  à  coup  un 
mouvement  se  manifeste  dans  les  rangs  de  la  garde  mobile. 
Des  coups  de  feu  partent  on  ne  sait  comment;  le  prélat 
tombe  blessé  d'une  balle  dans  les  reins.  Les  insurgés  le  relè- 
vent, l'emportent,  et  se  défendent  avec  acharnement  ;  cepen- 
dant le  coup  de  feu  n'est  pas  parti  de  leurs  rangs ,  les  grands 
vicaires  l'attestent.  On  porte  l'archevêque  chez  le  curé  des 
Quinze-Vingts,  où  il  reçoit  les  secours  empressés  mais  inu- 
tiles de  l'art;  et  le  lendemain  matin  M.  Affre  est  porté  sur  un 
brancard  à  son  hôtel,  où  il  ne  tarde  pas  à  rendre  le  dernier 
soupir,  en  répétant  ces  paroles  de  FÉvangile  :  «  Le  bon  pas- 
teur donne  sa  vie  pour  ses  brebis,  »  et  en  formant  le  vœu 
que  son  sang  fût  le  dernier  versé. 

Cette  belle  mort  excita  des  regrets  universels.  Des  ob- 
sèques magnifiques  furent  faites  à  ce  martyr  chrét'en  de  nos 
discordes  civiles,  et  un  monument  lui  a  été  élevé  par  l'État 
dans  l'église  métropolitaine  sur  les  dessins  de  M.  Aug.  Debay. 
AFFRES.  Ce  mot  ne  se  dit  guère  qu'au  pluriel,  et  exprime 
admirablement  un  grand  effroi ,  une  émotion  extrême,  cau- 
sée par  la  vue  de  quelque  objet  terrible.  Aucun  terme  ne 
rendrait  avec  autant  d'énergie  le  frémissement  qu'excitent 
l'épouvante  et  l'horreur.  Ce  mot  se  rencontre  quelquefois 
dans  les  beaux  vers  de  Corneille.  Voltaire  regrette  qu'il  ne 
soit  pas  employé  plus  fréquemment.  Les  affres  de  la  mort 
représentent  assurément  mieux  que  tout  autre  terme  Ic3 
convulsions  et  les  frissons  de  l'agonie. 


AFFRETRMKNT  - 

AFFRrrrEMEiXT,  contrat  par  lequel  on  loue  un 
navire  pour  le  transport  de  niarcliandiscs ,  de  troupes  ou 
d'effets  militaires.  Il  est  synonyme  de  nolissemcnf,  ternie 
employé  dans  la  Méditerranée.  On  nomme  fret  on  Ho/isie 
prix  de  la  location  ;  il  est  réglé  par  les  conventions  des 
parties  et  constaté  par  la  charte-partie,  ou  parle 
connaissement.  —  L'affrètement  peut  se  faire  ou  du 
navire  entier  ou  d'une  partie;  celui  d'une  partie  se  fait  au 
quintal  ou  au  tonneau.  Au  quintal,  on  le  loue  pour  y  charger 
tant  de  cent  kilogrammes  pesant ,  au  lonmau  ,  pour  y 
mettre  des  marchandises  remplissant  un  espace  de  tant  de 
tonneaux.  Le  louage  au  quintal  ou  au  tonneau  se  fait  pure- 
mont  et  simplement,  ou  sous  la  condition  que  dans  un  temps 
déterminé  le  maître  du  bâtiment  trouvera  d'autres  affréteurs 
pour  compléter  le  chargement  :  c'est  l'affrètement  a  la  cueil- 
lette. La  condition  est  remplie  dès  qu'il  se  trouve  assez  de 
marchandises  pour  charger  le  vaisseau  aux  trois  quarts. 
L'affrètement  se  fait  encore  au  voyage  ou  au  mois.  —  Le 
fréteur  est  celui  qui  loue  le  navire  ;  Vaf/rvteur,  celui 
qui  le  prend  à  bail.  Les  articles  273  à  310  du  Code  de 
commerce  règlent  les  conditions  de  l'affrètement. 

AFFRE VILLE,  annexe  de  Milianah,  à  8  kiiomèkes 
de  cette  ville,  contient  trente  établissements  agricoles.  Le  sol 
y  est  riche  et  fertile. 
AFFRO\T.  Voyez  Ava>-ie. 

AFFROUiV  (El),  section  de  Mouzaïaville  en  Aigérifi. 
AFFRY  (  Lons-AcGCSTix-PHiLTPPE ,  comte  D'  ) ,  pre- 
mier landamman  de  la  Suisse,  mort  le  16  juin  1810,  était 
né  à  Fribourg,  en  1743.  Entré  de  bonne  heure  au  service  de 
France ,  il  devint  capitaine  des  gardes  suisses,  et  fut  promu 
en  1784  au  grade  de  maréchal-de-camp.  Après  avoir  obtenu 
son  congé ,  il  revint  dans  sa  patrie ,  y  fut  nommé  membre 
du  grand-conseil,  et  prit  en  1798,  lorsque  les  Français  enva- 
hirent la  Suisse,  le  commandement  en  chef  des  troupes  canto- 
nales. Quand ,  à  la  suite  de  la  confusion  générale  survenue 
dans  les  affaires  de  la  Suisse ,  Bonaparte  offrit  sa  média- 
tion ,  et  appela  à  Paris  des  députés  chargés  de  rédiger  un 
projet  de  constitution  nouvelle  pour  la  confédération,  le 
comte  d'Affry  fut  de  tous  ceux  à  qui  on  confia  cette  mission 
celui  qui  attira  le  plus  l'attention  du  chef  du  gouvernement 
français.  En  1803  il  eut  mission  d'.iller  porter  à  ses  conci- 
toyens l'acte  si  important  de  la  médiation.  Bonaparte  le 
nomma  en  outre  premier  landamman,  et  il  exerçait  encore 
ces  fonctions  au  moment  de  sa  mort. 

AFFUSïOX ,  moyen  thérapeutique ,  qui  consiste  à  ré- 
pandre un  liquide  sur  une  ou  plusieurs  parties  du  corps.  Ce 
liquide  est  le  plus  souvent  de  1  eau  froide  ou  à  différents  de- 
grés. Cette  eau  peut  être  simple ,  saline  ou  chargée  de  sub- 
stances aromatiques.  Les  affusions  d'eau  de  mer  ont  paru 
être  très-efficaces  dans  certains  cas.  Quand  on  veut  donner 
ime  alfusion  entière,  on  place  le  malade  dans  une  baignoire, 
et  on  lui  verse  sur  la  tète  un ,  deux  ou  trois  seaux  d'eau. 
On  le  met,  au  contraire,  dans  un  demi-bain,  si  l'affusion  ne 
doit  atteindre  que  la  moitié  .supérieure  du  corps.  La  d  o  u  c  h  e 
est  une  variété  d'affusion.  Les  affusions  et  les  douches  sont 
très-employées  dans  le  traitement  des  maladies  mentales, 
et  notamment  dans  les  excitations  maniaques  et  la  stupi- 
dité :  leur  effet  primitif  est  un  frisson  plus  ou  moins  pro- 
longé ,  suivi  de  réaction  et  d'une  sueur  qui  coïncide  avec  un 
besoin  de  repos  et  de  sommeil.  On  a  encore  eu  recours  aux 
affusions  dans  quelques  affections  nerveuses ,  telles  que  le 
tétanos,  la  choréc,  et  contre  l'épuisement  onanicpie  et  di- 
vei-ses  autres  débilités.  Quelques  praticiens  ont  recommande 
ce  moyen  pour  hâter  l'éniption  tardive  de  certaines  rou- 
geoles et  scarlatines.  C'est  à  l'aide  d'affusions  locales  qu'on 
parvient  quelquefois  à  arrêter  les  hémorrhagies.  Tout  le 
monde  connaît  enfin  l'heureux  emploi  qu'on  fait  de  nos 
jours  des  irrigations  froides  pour  prévenir  ou  modérer  les 
phlegmasies  qui  compliquent  si  fâcheusement  les  plaies  trau- 
matiqucï  D'  Del\si.\lve. 


AFGHANISTAN  157 

AFFUT.  Cliariot  siu'  lequel  sont  portées  les  pièces 
d'artillerie.  Voyez  Canon. 

En  termes  de  chasse  on  appelle  affût  un  endroit  retiré  où 
le  chasseur  se  place,  après  le  coucher  du  soleil,  souvent 
même  dans  la  nuit,  pour  attendre  le  gibier  au  passage. 

AFGIIAIVISTAIV  ,  vaste  contrée  au  nord-est  du  pla- 
teau de  l'Iran,  appelée  autrefois  Drangiane,  maintenant 
habitée  par  les  Afghans,  et  située  par  les  29  et  36°  de  la- 
titude septentrionale  et  les  79  et  90°  de  longitude  orientale, 
qui  est  bornée  au  nord  par  les  khanats  turkestans  de  Balkh 
et  de  Badajan  ,  à  l'est  par  Lahore,  le  pays  des  Sikhs  et  le 
territoire  du  Sindh,  au  midi  par  le  Béloudjistan,  et  à  l'ouest 
par  la  Perse.     Elle  comprend  à  peu  près   7,000  kilomè- 
tres carrés  ,   et  compte  environ   14,000,000   d'habitants. 
Si  au  nord-est  la  région  sauvage  et  élevée  de  l'Hindou- 
Kouh,  entrecoupée  de  vallées  profondes,  forme  une  gorge 
montagneuse  dont  les  plateaux  successifs  finissent  par  at- 
teindre la  région  des  glaces  éternelles,  et  oppose  les  plus 
grands  obstacles  à  tout  système  de  communications  faciles 
entre  les  vallées  de  l'Orus  et  de  l'Indus,  les  chaînes  paral- 
lèles du  mont  Soleyman,  ainsi  que  les  chaînes  salines  de 
Kalla-Bagh,  situées  au  nord,  et  celles  des  Khyber,  consti- 
tuent à  l'est  une  séparation  aussi  abrupte  qu'escarpée  vers 
la  région  plate  et  basse  du  Pendjab.  Deux  passages  seule- 
ment conduisent  des  hauts  plateaux  de  l'Afghanistan  à  l'In- 
dus. Ce  sont  :  au  nord,  entre  le  système  de  THindou-Kouh  et 
celui  des  chaînes  du  Soleyman,  la  profonde  vallée  du  Ka- 
boul, dont  les  parois  étagées  s'inclinent  comme  une  espèce 
d'escalier  naturel,  oùDjellalabad  et  Péchaouer,  non  loin  des 
importants  défilés   des  Khyber  ou  Kheyber,   forment  de 
grandes  étapes ,  et  qui  débouche  dans  l'Indus  à  Attok  ;  au 
sud-est  des  défilés  de  Bolan,  une  passe  montagneuse  de  la 
chaîne  méridionale  du  mont  Soleyman ,  servant  de  point  de 
communication  avec  le  Sindh  ;  le  labyrinthe  de  vallées  et  de 
montagnes  du  Paropamisus,  habité  par  les  Eùnaks  et  les  Hé- 
zaréhs,  n'est  pas  encore  bien  connu  ,  pas  plus  dans  la  partie 
orientale,  appelée  Ghorat,  que  dans  le  Klwraçan,  pays  mon- 
tagneux, hmitrophe  delà  Perse.  Les  plateaux  les  plus  éle- 
vés des  contrées  orientales  du  Kaboul  et  de  Ghazna  ou 
Ghizneh  s'abaissent  doucement ,  pour  s'effacer  et  disparaître 
dans  les  déserts  de  sable  du  Sedjestan,  au  milieu  du  grand 
steppe  de  l'Iran,  où  viennent  se  perdre,  sur  les  frontières 
de  l'Afghanistan  et  de  la  Perse,  dans  le  lac  de  Zaréh,  les 
eaux  de  THilmend  (  quelquefois  nommé  Hirmend  ou  Kind- 
mend),  rivière  au  cours  lent  et  uni.  De  cet  aperçu  général, 
de  la  disposition  même  de  son  sol,  il  résulte  que  l'Afghanis- 
tan  est  naturellement  appelé  à  servir  de  point  de  communi- 
cation entre  l'Asie  orientale  et  l'Asie  occidentale. 

En  général,  le  climat  de  l'Afghanistan  est  tout  à  fait  con- 
tinental, mais  il  ne  saurait  cependant  être  tempéré,  en  raison 
même  des  nombreux  cours  d'eau  et  des  brusques  élévations 
qui  entrecoupent  le  sol.  Sans  doute,  dans  les  oasis  qu'on  ren- 
contre au  milieu  des  déserts  sablonneux  du  sud-ouest,  crois- 
sent naturellement  le  dattier  et  le  palmier ,  et  dans  les  pro- 
fondes vallées  de  l'est,  si  parfaitement  abritées  de  tous  côtés, 
une  nature  d'une  richesse  tout  indienne  permet  ia  culture 
de  la  canne  à  sucre  et  du  coton;  mais  sur  les  plateaux  de 
Kaboul  et  de  Ghazna,  élevés  de  huit  à  neuf  mille  pieds  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer,  l'hiver  est  toujours  d'une  rigueur 
extrême  et  accompagné  de  la  chute  de  masses  énormes  de 
neige.  Cependant  la  température  moyenne  de  toute  l'année 
est  "encore  de  7°  Réaumur;  et  en  été  il  y  règne  une  chaleur 
assez  forte  et  assez  constante  pour  mûrir  des  raisins  déli- 
cieux. La  vigne  y  croît  donc  à  côté  du  pommier,  du  prunier 
et  de  l'abricotier,  au  milieu  de  champs  où  sont  cultivées 
toutes  les  espèces  de  céréales  connues  en  Europe ,  en  même 
temps  que  le  tabac,  les  plus  admirables  tulipes,  les  plantes 
aromatiques,  l'assa-fiitida  et  la  rhubarbe  des  régions  monta- 
gneuses; tandis  que  dans  les  vallées,  toutes  riches  en  cours 
d'eau,  le  grenadier  et  l'oranger  s'élèvent  au  milieu  de  forêts 


t58 


AFGHAMSTAN 


Je  rosiers  au  suave  parfum,  et  annonrcnl  le  di^licicux  climat 
de  riinJe  avec  toute  sa  luxuriante  fécondité.  La  diversité 
du  règne  animal  y  répond  d'ailleurs  à  celle  du  climat  et  de 
la  végétation.  Ainsi,  dans  les  contrées  sauvages  des  monta- 
fines  vivent  l'ours,  le  loup  et  le  renard,  tandis  que  dans 
les  vallées,  où  régne  la  chaleur  des  tropi(iues,  on  rencontre 
le  lion,  le  tigre,  le  léopard,  le  chacal  et  l'hyène;  des  prairies 
de  la  |ilus  magnilique  végétation  favorisent  l'élève  des  che- 
vaux et  des  bètes  à  cornes,  et  le  chameau  traverse  le  désert. 
Independanuiient  de  la  richesse  de  son  sol,  l'Afghanistan 
est  d'inie  haute  importance  pour  le  commerce  de  l'iluropc, 
parce  qu'il  est  la  route  naturelle  du  commerce  de  l'Inde, 
route  ouverte  de  l'est  à  l'ouest  aux  caravanes,  et  parcourue 
depuis  un  temps  inunémorial  par  des  peuples  étrangers  les 
uns  aux  autres  sous  le  rapport  des  mœurs,  des  langues  et 
des  religions.  C'est  à  celle  route,  dite  route  des  Rois,  que 
KalM)ul,  (Ihazna,  Kandahar  et  Uérat,  les  quatre  villes  prin- 
cipales du  pays,  doivent  leur  prcspérité.  Kaboul  est  la  ca- 
pitale actuelle  ;  avec  Djellalabad,  cette  ville  commande  l'en- 
trée de  rude  au  nord,  de  même  que  Kandahar  au  midi, 
tandis  qu'à  l'extrémité  occidentale  Hé  rat  garde  la  frontière, 
de  l'ersc  complètement  ouverte  de  ce  côté. 

On  retrouve  dans  le  caractère  des  populations  de  l'Afgha- 
nistan la  même  diversité  que  dans   la  nature  de  son  sol  ; 
toutefois,   il  est  un  sentiment  commun  à  toutes  ces  peu- 
plades :  c'est  l'amour  de  l'indépendance  et  de  l'égalité,  joint 
à  desmours  d'une  grande  simplicité,  à  une  hospitalité  sans 
bornes  et  à  un  esprit  essentiellement  guerrier.  L'Afghan  est 
■vigoureusement  constitué;  si  en  général  ses  traits,  forte- 
ment accusés,  manquent  de  beauté,  du  moins  ils  expri- 
ment la  franchise,  la  gravité  et  la  décision  de  caractère.  Mo- 
déré dans  ses  goûts  et  d'humeur  gaie  et  enjouée,  l'honneur 
de  son  pays  passe  à  ses  yeux   avant  tout;  mais  il  est  na- 
turellement enclin  à  tirer  vengeance  des  offenses  person- 
nelles dont  il  croit  avoir  à  se  plaindre.  La  langue  des  Afghans, 
le  poiuhlon  ,  contient  une  foule  de  mots  d'origine  hébraï- 
que, circonstance  qui  semblerait  donner  quelque  vraisem- 
blance aux  tratlitions  antiques  q\n  font  descendre  ce  peuple 
des  dix  tribus  d'Israël,  exilées  dans  le  pays  à^ii-zareth  ow 
Hazareh ,  mot  qui,  en  kourde  et  en  chaldéen,  langue  as- 
sez rapprochée  du  poutcliou,  signifie  des  tribus,  et  qui  est 
encore  aujourd'hui  le  nom  de  l'un  des  cantons  de  l'Afghanis- 
tan. Suivant  M.  Burnes,  les  Afghans  se  nomment  eux-mêmes 
Béni  Israël  (enfants  d'Israël).  Ils  prétendent,  dit-il,  que 
Nabuchodonosor,  après  le  sac  de  Jérusalem,  les  transporta 
dans  la  ville  de  Ghore,  et  qu'on  les  appela  .\fghans,  du  nom 
de  leur  chef  A/ghana;  qa'ih  suivirent  la  loi  de  Moïse  jus- 
qu'au neuvième  siècle,  et  qu'ils  furent  alors  subjugués  par 
Mahmoud  de  Ghiztieh.  Ils  ont  au  surplus  tout  à  fait  l'as- 
pect des  Juifs,  et  même  ils  en  ont  plusieurs  coutumes  :  chez 
eux  les  jeunes  frères  épousent  la  veuve  de  leur  aîné ,  sui- 
vant la  loi  de  Moïse.  Ce  qui  porterait  peut-être  à  croire  que 
cette  origine  hébraïque  que  s'attribuent  les  .\fghans  est  basée 
sur  un  fond  de  vérité,  c'est  qu'ils  ont  contre  les  Juifs  une 
foule  de  préjugés  fortement  enracinés  :  ce  ne  saurait  donc 
être  par  engouement  pour  les  Israélites  qu'ils  prétendent 
appartenir  à  la  même  souche,  et  il  semlile  dès  lors  naturel 
de  penser  qu'en  cela  ils  ne  font  que  répéter  d'antiques  tra- 
ditions nationales.  Quoi  qu'il  en  puisse  être,  au  reste,  de 
cette  origine,  plus  ou  moins  controversable,  nous  ajouterons 
que  les  Afghans  sont  mahométans  sunnites  ;  qu'ils  obsenent 
rigoureusement  les  préceptes  de  leur  religion,  et  qu'ils  ont 
en  égale  horreur  le  Persan  en  sa  qualité  de  chiite,  et  le 
SiUh  comme  professant  le  déisme  pur.  L'amitié  est  à  leurs 
yeux  un  sentiment  saint  et  sacré  ;  mais  ce  qui  les  distingue 
essentiellement  des  autres  peuples  de  l'Orient,  c'est  le  res- 
pect pour  la  femme,  uni  aux  sentiments  délicats  de  l'amour 
le  plus  tendre  et  le  plus  passionné.  Les  populations  du  Kho- 
raçansont  nomades,  tandis  que,  par  la  fertilité  naturelle  de 
leur  sol,  les  contrées  montagneuses  de  l'est  semblent  inviter 


leurs  habitants  à  y  établir  des  demeures  fixes.  Les  habitants 
des  profondes  vallées  de  l'est,  comme  les  Khybers  ou  Khey- 
bers,  les  Vousiris,  les  Kakers,  etc.,  dont  les  hordes  pillardes 
infestent  tous  les  défilés  de  ces  montagnes ,  demeurent  eu 
dehors  de  l'action  civilisatrice  des  villes,  de  môme  que  les 
hordes  qui  errent  dans  les  steppes  du  sud-ouest  ou  les  sau- 
vages peuplades  du   nord.  Il    est  probable  que  jadis  les 
Afghans,  partagés  en  deux  grandes  races,  les  Guildjis  elles 
Douranibs,  descendirent  des  régions  montagneuses  de  l'Hin- 
dou-Kouh  et  du    Paropamisus ,  pour  soumettre  les  habi- 
tants aborigènes  de  l'Afghanistan,  à  l'ouest  les  Hindkis  et 
à  l'est  les  Tadjiks,  et  y  fondèrent  un  grand  empire ,  tout  en 
conservant  les  formes  de  leurs  institutions  patriarcales.  Les 
Tadjiks  forment  encore  aujourd'hui  une  partie  importante 
de  la  population;  ils  composent  la  classe  des  serviteurs, 
des  laboureurs;  ce  sont  eux  qui  par  leurs  travaux  nourris- 
sent les  habitants  des  villes,  tandis  que  par  suite  des  immi- 
grations et  des  conquêtes  le  reste  de  la  population  offre  un 
mélange  confus  des  races  orientales  les  plus  diverses,  parmi 
lesquelles  les  Juifs  et  surtout  les  Arméniens  ont  en  quelque 
sorte  le  monopole  du  commerce.  La  communauté  politique 
se  compose  de  l'assemblage  d'une  multitude  de  tribus, 
ayant  toutes  leur  administration  particulière,  et  à  la  tête  des- 
quelles l'élection  place  un  khan.  Les  Afghans  ne  connaissent 
guère  d'autres  armes  que  le  sabre ,  qu'ils  manient  avec  une 
grande  habileté.  Ils  combattent  presque  toujours  à  cheval. 
L'histoire    des  époques    antérieures    nous   montre  les 
armées  afghanes  guerroyant  tantôt  sur  les  bords  de  la  mer 
Caspienne,  tantôt  au  fond  des  vallées  de  l'Inde,  quelquefois 
divisées  en  autant  de  corps  séparés  qu'elles  se  composaient 
de  tribus  différentes,  quelquefois  réunies  en  un  tout  com- 
pacte ;  mais  on  ne  voit  guère  apparaître  la  forme  régulière 
d'un  empire  afghan  que  vers  le  milieu  du  dix-huitième  siècle, 
époque  à  laquelle  Acluned-Chah ,  de  la  race  des  Abdallihs , 
profita  des  troubles  que  la  moil  de  Nadir-Chah  amena  en 
Perse  en  1747  pour  affranchir  les  Afghans  de  la  domination 
persane ,  se  constituer  souverain  d'un  empire  afghan  indé- 
pendant, et  fonder  la  dynastie  des  Douranhis  ou  des  Abdal- 
lihs. Son  fils  Téimour  mourut  en  1793,  sans  avoir  décidé 
entre  ses  enfants  la  question  de  succession  au  trône;  et  Si- 
man,  son  second  fils,  s'empara  de  l'autorité  suprême.  Après 
avoir  expulsé  son  frère  aîné  du  Kandahar  et  l'avoir  ensuite 
réduit  à  l'impuissance  en  lui  faisant  crever  les  yeux ,  il 
triompha  à  trois  reprises  successives  des  tentatives  faites 
par  un  autre  de  ses  frères ,  appelé  Mahmoud ,  qui  résidait  à 
Hérat,  et  le  contraignit  à  se  réfugier  sur  le  territoire  persan. 
Mais  Foutteh-Khan ,  chef  de  la  puissante  famille  des  Barak- 
sis,  ne  tarda  pas  à  prendre  fait  et  cause  pour  le  fugitif, 
et  tous  deux  jurèrent  sur  le  Koran  ane  alliance  offensive 
et  défensive  contie  Siman.  Après  s'être  d'aborô  emparés 
du  Kandahar,  ils  précipitèrent  du  trône  Siman  ,  qui  à  son 
tour  eut  les  yeux  crevés ,  et  trouva  ensuite  asile  à  Lou- 
diana ,  sous  la  protection  de  la  compagnie  anglaise  des  Indes 
orientales,  qui  lui  assura  une  pension  annuelle.  Mais  Mah- 
moud ,  lui   non  plus ,  ne  devait  pas  longtemps  jouir  de 
ce  retour  de  fortune,  car  le  désordre  de  son  administration 
amena  une  révolte  qui  eut  pour  résultat  sa  chute  du  trône, 
sur  lequel  le  remplaça  son  frère  Soudjah ,  gouverneur  de 
Péchaouer.  Soudjah  se  contenta  d'empêcher  Mahmoud  de 
pouvoir  désormais  lui  nuire  en  le  retenant  en  prison ,  mais 
sans  lui  faire  crever  les  yeux  ;  et  au  commencement  du 
siècle  actuel  une  nouvelle  ère  sembla  luire  pour  l'Afgha- 
nistan ,  d'autant  plus  que  Kamran ,  fils  de  Mahmoud ,  pa- 
rut ,  ainsi  que  Foutteh-Khan ,  complètement  s'eflacer  de  la 
scène  iwlitique.  Ce  dernier  toutefois  ne  s'était  tenu  à  l'écart 
que  pour  mieux  préparer  une  levée  de  boucliers ,  qui  ftit 
comprimée  en  1805.  Élevé  de  nouveau  à  la  dignité  de  grand 
vizir  par  la  générosité  de  Soudjah ,  Foutteh-Khan  se  servit 
de  Mahmoud,  qui  s'était  évadé  de  sa  prùson  en  1 809,  comme 
d'instrument  pour  une  nouvelle  révolte.  Cette  lois  encore 


AFGIIANISTAIN 

Soudjali  en  triompha;  mais,  pnVijiifL^  du  trône  dès  raniu-e 
suivante  par  une  coiiipliaition  d'intrigues  i\\\\  anieni-rent  de 
sanglants  conflits,  ce  prince  fut  à  sou  tour  oMigé  de  se  ré- 
fugier à  Loudiana  et  de  s'y  placer  sous  la  protection  des 
Anglais.  Malunoiid  pour  la  seconde  fois  monta  sur  le  trône, 
dont  il  songea,  dans  son  orgueil,  à  reliausser  l'éclat  par  des 
expéditions  guerrières  dans  1  est.  IMais  le  souverain  de  La- 
liore,  Rundjet-Sing,  lit  en  1S19  la  conquèle  de  Kaclieniir, 
après  s'être  auparavant  rendu  maître  d'Attock,  de  jMoul- 
tan ,  et ,  à  la  suite  d'une  série  de  victoires  qu'il  lui  fallut 
quelquefois  clièiement  acheter,  réussit  .à  reporter  sur  la 
rive  droite  de  l' Indus  les  frontières  de  r.Vl'glianistan. 

l'-n  faisant  pi'rir  dans  les  supplices  l'ontteh-Khan,  son 
ancien  allié ,  Mahmoud  s'attira  à  tel  point  l'animadversion 
des  Baraksis,  parents  de  Foutteh-Khan ,  qu'en  IS23  il  fut 
obligé  pour  la  seconde  fois  de  renoncer  à  l'éclat  de  la  sou- 
veraine puissance,  et  il  mourut  à  Hérat  en  1S29,  auprès 
de  son  fils  Kamran ,  après  avoir  depuis  longtemps  perdu 
toute  importance  politique.  Avec  lui  disparut  la  monarchie 
«les  Douranhis  ;  elle  avait  duré  soixante-seize  ans,  et,  à  l'ex- 
ception d'Hérat ,  tout  l'Afghanistan  passa  alors  sous  la  do- 
niination  des  Baraksis,  de  sorte  que  Dost-Mohammed 
régna  à  Kaboul,  Kohoun-Dii  àKandahar,  et  le  sultan  Moha- 
med à  Péchaouer.  L'aîné  de  ces  trois  frères ,  Dost-Moham- 
med, était  le  plus  puissant  de  ces  princes,  en  sa  qualité  de 
souverain  de  Kaboul ,  le  plus  riche  des  trois  États.  Mais  les 
provinces  de  l'Afghanistan  ne  devaient  point  encore  jouir  des 
bienfaits  de  la  paix.  A  l'est ,  Dost-^Iohammed  eut  à  lutter 
contre  le  souverain  de  Lahore;  à  l'ouest,  Ilérat  tut  attaqué 
par  une  armée  persane.  En  effet,  Kamran  avait  fait  plusieurs 
irruptions  en  Perse  ,  d'où  il  avait  enlevé  douze  mille  indi- 
\  idus  qu'il  vendit  ensuite  comme  esclaves ,  et  il  y  avait 
rançonné  plusieurs  villes  frontières.  11  avait  en  outre  fait 
prisonniers  un  grand  nombre  de  Persans  de  distinction  ,  et 
n'avait  accordé  à  la  Perse  pour  ces  actes  de  violence  au- 
cune des  satisfactions  qu'elle  avait  exigées.  Bien  qu'en  1819 
l'Angleterre  eût  promis  de  ne  point  intervenir  dans  les  af- 
faires de  l'Afghanistan  ni  dans  celles  de  la  Perse ,  à  moins 
d'en  être  requise,  le  gouverneur  général  de  l'Inde,  lord 
Auckland,  déclara,  le  1"  octobre  1838,  la  guerre  à  l'Af- 
ghanistan ,  sous  le  prétexte  que  Dost-Mohammed  avait  il- 
légalement attaqué  Rundjet-Sing ,  allié  de  l'Angleterre ,  que 
le  refus  obstiné  de  barrer  la  navigation  de  l'Indus  et  des 
préparatifs  de  guerre  ouvertement  faits  indiquaient  suffi- 
samment de  sa  part  des  intentions  hostiles  contre  la  sécurité 
des  établissements  britanniques  dans  Itnde,  et  enfin  quen 
sa  qualité  de  souverain  légitime  de  l'Afghanistan,  le  chah 
Soudjah  avait  invoqué  l'appui  de  l'Angleterre.  Tout  cela  était 
vrai,  sans  doute;  mais  depuis  1832  Soudjah  appelait  l'inter- 
vention anglaise  sans  pouvoir  l'obtenir.  Ce  qui  décidait  l'An- 
gleterre, c'était  sa  rivalité  avecla  Russie.  Cette  puissance  avait 
poussé  le  chah  de  Perse  à  faire  mettre  le  siège  devant  Hérat. 
Les  secours  amenés  par  le  major  Pottinger  sauvèrent  Hérat,  et 
cette  ville  repoussa  les  Persans,  qui  l'assiégeaient  depuis  dix 
mois.  Les  Anglais  cherchèrent  alors  à  former  avec  quelques 
peuples  de  l'Asie  centrale  une  confédération  contraire  à  celle 
que  la  Russie  et  la  Perse  projetaient  entre  l'Afghanistan,  le 
Sindh  et  le  Pendjab.  La  haine  de  Dost-Mohammed  et  des  Siklis 
s'opposa  à  la  réussite  des  projets  des  Anglais.  Dès  lors  ils  ré- 
solurent de  le  renverser  et  de  rétablir  Chah-SoudjahàI\aboul. 
Dès  le  13  septembre  1838  le  chah  Soudjah  fut  donc  solen- 
nellement proclamé  roi  de  Kahoulà  Loudiana;  on  lui  fournit 
aussitôt  un  corps  de  six  mille  hommes,  commandé  par  le 
colonel  Simpson  et  par  des  officiers  européens;  puis  on 
Ibrma  une  armée  de  l'Indus  avec  des  régiments  pris  dans  le 
corps  d'armée  du  Bengale  et  dans  celui  de  Bombay,  de  sorte 
qu'une  force  totale  de  vingt-six  mille  hommes  fut  destinée 
à  la  ciJmpagnedc  TAfghanistan.  On  marcha  d'abord  sur  Kan- 
dahar.  A 1  effet  d'obtenir  un  lii)re  passage  à  travers  les  districts 
du  Siudh,  État  indépendant,  et  d'assurer  à  l'armée  pendant 


l.V.) 
sa  marche  tous  les  vivres  dont  elle  aurait  besoin ,  on  avait 
préalablement  fait  des  traites  avec  tous  les  émii-s  compé- 
tents. Mais  ceux-ci  agirent  avec  tant  de  mauvaise  foi  que  l'ar- 
mée anglaise  se  vit  d'abord  obligée  d'agir  contre  le  Sindh,  qui 
fut  rayé  de  la  liste  des  États  indépendants,  et  cpii  devint  tri- 
butaire. Après  une  marche  à  travers  les  montagnes,  qui  of- 
frit des  difficultés  dont  il  serait  impossible  de  donner  une 
idée,  les  drapeaux  anglais  flottèrent  enfin,  vers  la  fin  d'avril 
1839,  sur  le  plateau  de  Kandahar,  que  l'on  occupa  sans  coup 
férir,  attendu  que  l'année  chargée  de  le  défendre  avait  pris 
la  fuite.  Le  chah  Soudjah  fut  accueiUi  à  bras  ouverts ,  et  y 
reçut  le  8  mai  les  hommages  du  peuple.  Après  avoir  laissé 
quelque  temps  ses  troupes  se  reposer,  sir  John  Keane, 
commandant  en  chef  de  l'expédition,  marcha  sur  Ghazna, 
qui,  énergiquement  défendue ,  ne  put  être  enlevée  que  par 
un  vigoureux  coup  de  collier.  Le  30  juillet  le  corps  d'ar- 
mée anglais  se  mit  en  marche  sur  Kaboul ,  que  Dost-Mo- 
hammed avait  l'intention  de  défendre;  mais  ce  prince, 
abandonné  par  son  armée  ,  dut  se  réfugier  vers  les  contrées 
de  l'Hindou-Kouh.  Le  7  août  1839  le  chah  Soudjah  fit  son 
entrée  solennelle  à  Kaboul,  accompagné  par  sir  John  Keane, 
par  l'envoyé  Mac->'agten  ,  par  l'état-major  et  par  quelques 
détachements  de  troupes  anglaises.  L'un  des  fils  de  Dost- 
Mohammed  ,  Heyder-Khan ,  fut  arrêté  comme  prisonnier 
d'État  ;  mais  les  généraux  anglais  ne  permirent  point  que 
les  cruautés  qui  accompagnaient  toujours  jadis  les  chan- 
gements de  souverains  eussent  lieu  cette  fois.  Tandis  que 
Dost-Mohammed  errait  fugitif,  sir  Alexandre  Burnes  vint 
s'établir  comme  résident  à  Kandahar,  et  le  major  Todd 
fut  envoyé  à  Hérat ,  qui  s'était  héroïquement  défendu  pen- 
dant plusieurs  mois  contre  les  Persans ,  à  l'effet  de  relever 
les  fortifications  détruites  de  cette  place. 

La  tranquillité  se  trouvant  rétablie  dans  l'Afghanistan,  le 
corps  d'armée  expéditionnaire  commença  son  mouvement 
de  retraite  vers  la  fin  de  l'année  1839  ,  et  on  ne  laissa  qu'à 
Djelialabad  un  détachement  de  troupes  à  la  disposition  du 
chah  Soudjah.  Cette  retraite  fut  signalée  par  un  brillant 
coup  de  main ,  la  prise  de  Kclat ,  capitale  d'un  des  dis- 
tricts du  Beloudjistan;  et  par  cette  nouvelle  opération  im- 
portante sur  la  côte  de  Mekran  ,  l'influence  anglaise  sur  ces 
contrées,  boulevards  de  l'Inde  vers  le  nord-ouest,  parat 
encore  s  affermir.  Toutefois,  des  insurrections  réitérées  ne 
tardèrent  pas  à  obliger  de  nouveaux  renforts  de  troupes 
britanniques  à  rentrer  dans  l'Afghanistan.  Le  khan  de 
Boukhara  avait  par  trahison  fait  prisonnier  Dost-Moham- 
med, qui,  après  s'être  évadé,  souleva  dans  l'Afgiianistan 
tous  ses  partisans  contre  les  Anglais;  mais  il  lut  battu  le 
18  septembre  1840  à  Raniam,  et  le  2  novembre  suivant  à 
Pourwour.  Il  invoqua  alors  la  protection  de  l'envoyé  anglais 
à  Kaboul,  Mac-IS'agten ,  qui  lui  assigna  d'abord  pour  rési- 
dence Loudiana,  et  ensuite  Kownoul.  Mais  la  tranquillité 
rétablie  ainsi  dans  l'Afghanistan  n'était  qu'apparente,  car 
les  montagnards  de  l'est,  et  parmi  eux  surtout  la  puis- 
sante tribu  des  Guildjis ,  inquiétaient  constamment  la  route 
de  l'Inde,  et  jusqu'aux  environs  même  de  Kaboul.  En  de 
pareilles  circonstances,  on  ne  faisait  qu'aciieter  la  jiaix  aux 
diverses  tribus ,  et  l'or  de  l'Angleterre  procurait  aux  cara- 
vanes bien  plus  de  sécurité  que  la  crainte  de  ses  armes. 
En  octobre  1841  Mac-i\'agten  ayant  envoyé  aux  Guildjis  de 
l'est,  dans  les  défilés  des  Keybers,  une  somme  moindre  que 
celle  qui  avait  été  convenue,  ce  manquement  à  la  parolo 
donnée  amena  une  nouvelle  insurrection.  Le  général  sir 
Robert  Sale  ne  put  que  difficilement  et  en  soutenant  de 
continuelles  escarmouches  atteindre  Djelialabad ,  tandis, 
qu'à  Kaboul  aussi  éclatait  si  inopinément  une  insurrection, 
qr.e  le  chah  Soudjah  et  les  troupes  anglaises  aux  ordres  du 
général  Elphinston  eurent  à  peine  le  temps  ne  se  réfugier 
dans  la  citadelle  de  Yala-Hissar  et  dans  leur  camp  retran- 
ché. Alexandre  Burnes  fut  tué  d'un  coup  de  feu  dès  le 
commencement  de  la  révolte,  et  beaucoup  d'autres  ofliciors- 


,00  AFGHANISTAN  —  AFRICANUS 

curent  Ift  même  sort.  Les  Anglais  essuyèront  également  de 
granilM  pertes  à  Koliistaii  et  dans  les  inonlagnes  voisines. 


Les  troupes  stationnées  à  Gliazna  et  à  Kandaliar  se  trou 
valent  cernées  de  toutes  parts  dans  leurs  positions;  l'énorme 
quantité  «le  neij-e  qui  couvrait  les  campa;;nes  empêchait  de 
son^î'-r  à  tenter  le  moindre  mouvement  otlensil',  et  sur  tous 
les  "points  rénerj;ie  et  le  nombre  toujours  croissant  des 
AWians  menaçaient  les  troupes  anglaises  d'une  destruction 
totale.  Leur  position  à  Kaboul  devenait  d'ailleurs  de  plus 
en  plus  critique;  car  toutes  les  négociations  entamées  avec 
les  Afglians,  à  la  tête  desquels  s'était  mis  AKb;ir-Klian,  l'un 
des  (ils  de  Dosl-Moliammed,  avaient  échoué.  La  n.iort  de 
Mac-Nagtcn,  assassiné  vers  la  lin  de  décembre,  à  l'issue 
d'une  conférence  <|u'il  venait  d'avoir  avec  Akbar-Khan,  à 
retïet  de  négocier  le  libre  départ  des  troupes  britanniques , 
fut  un  nouveau  signe  de  l'irritation  toujours  plus  grande  des 
populations  contre  le  nom  anglais.  Le  major  Potlinger,  suc- 
cesseur de  Mac-Nagten,  réussit  cependant  enfin  à  conclure 
un  traité  qui ,  moyennant  l'abandon  d'un  certain  nombre 
d'ota;;es,  promettait  aux  troupes  an;j;laises  slationoées  à 
Kaboul  toute  liberté  et  toute  sécurité  pour  opérer  leur 
mouvement  de  retraite.  Le  0  janvier  1842  Akbar-Khan 
escorta  en  personne  dans  sa  première  marche  l'armée  an- 
glaise, qui  avait  encore  environ  13  myriamélres  à  faire 
avant  d'atteindre  Ujellalabad.  Cependant ,  malgré  le  traité, 
elle  fut  si  constamment  harcelée  dans  le  long  et  difficile 
passage  des  nombreux  defiics  qu'elle  avait  à  franchir,  qu'elle 
y  périt  en  détail ,  et  qu'au  commencement  de  l'année  1842 
ou  put  regarder  l'armée  anglaise  qui  avait  envahi  le  Ka- 
l)Oulislan  comme  compli-tement  anéantie. 

Le  nouveau  gouverneur  général  des  Indes,  lord  Ellenbo- 
rough,  en  vos  a  deux  divisions  pour  ravager  le  pays.  Le 
10  août  1S42  les  Anglais  évacuèrent  Kand  diar.  Le  général 
Kott  se  dirigea  sur  Ghazna  et  Kaboul,  tandis  cpie  le  géné- 
ral tugland  marcha  sur  Queltah,  où  il  entra  le  20.  Le  géné- 
ral Pollock,  attaqué  daris  sa  marche  de  Djellalabad  sur 
Giendarnouck,  délit  les  Afghans,  et  le  6  septembre  la  ville  de 
Gliazan  se  rendit  aux  Anglais.  Le  13  du  môme  mois  le  gé- 
néral l'olluck  battit  Akbar-Khan  avec  seize  mille  Afghans; 
le  IC  il  occupa  le  fort  de  Balar-IIissar,  près  de  Kaboul,  et 
cette  ville  tomba  aussitôt  en  son  pouvoir.  Lo  r'  octobre 
le  gouverneur  général  des  Indes  lit  savoir,  par  une  proclama- 
tion datée  de  Simlah,  que  l'intention  de  l'.Angleterre  n'était 
pas  «l'intervenir  dans  les  affaires  du  gouvernement  des  Af- 
ghans, et  que  cette  puissance  reconnaîtrait  celui  qu'ils 
choisirai  nt,  pourvu  qu'il  put  maintenir  a  paix  avec  les 
Etats  voisins.  Le  15  octobre  l'armée  anglaise  quitta  Kaboul 
après  l'avoir  démolie.  Les  Anglais  abandonnèrent  également 
toutes  les  autres  positions  del'.^fghanistan,  et  sur  leur  pas- 
sage ils  détruisirent  Djellalabad.  Enfin,  le  20  novembre, 
après  queWiucs  combats  dans  les  délilés  de  Keyher,  les  trou- 
pes anglaises,  commandées  par  les  généraux  Pollock  et  Nott, 
arrivèrent  à  l'irouzpour,  limite  de  leur  retraite. 

L'Afghanistan  resta  dès  lors  en  proie  à  l'anarchie  la  plus 
cruelle.  En  I8i4,  sous  l'intlucnce  de  la  Russie,  on  en  re- 
vint à  l'idée  de  former  une  espèce  de  confédération  avec  la 
Terse.  La  même  année  lord  Ellenborough  dut  céder  le  gou- 
vernement des  Iude.s  à  lord  Dalhousie.  L'année  1847  vit 
mourir  Akbar-Khan.  A  ses  derniers  moments  il  exhortait 
.  son  père  et  ses  frères  ii  ne  jamais  s'allier  aux  iulidèles. 
IJientùl  les  Afghans  s'unirent  aux  Sikhs  contre  les  Anglais; 
mais,  après  plusieurs  sanglantes  affaires,  la  bataille  de  Gou- 
djerat  {  2l  février  1S49)  mit  fin  à  celte  insurrection.  Dost- 
Mohaiumed  se  porta  sur  Tlndus  avec  16,000  bonuues.  Les 
Ani.lais  passèrent  de  nouveau  le  délilé  de  Keyber  et  com- 
mencèrent l'assujélissement  séparé  des  diverses  tribus  af- 
ghanes, lin  1S5G  les  chefs  afghans  se  livraient  encore  entre 
eux  des  combats  meurtriers,  et  en  1S57,  l'Anglelerie,  dans 
son  traité  avec  la  Perse,  fit  reconnailie  a  celle  puissance 
l'indépendance  de  l'Afghanistan.  Z. 


A  FLGT.  En  termes  de  marine,  être  à /lot,  c'es^l  Ilotler, 
être  porté  par  le  fluide  sans  toucher  le  fond.  Un  vaisseau  à 
Ilot  peut  se  mouvoir  et  se  transporter. 

AFRAXCESADOS.  On  appela  ainsi  les  Espagnols 
qui  en  1808  jurèrent  d'observer  et  de  marntenir  la  consti- 
tution que  le  roi  Joseph  Bonaparte  leur  avait  donnée;  on 
les  appelait  aussi  Josefinos.  Après  la  chute  du  roi  Joseph 
un  grand  nombre  d'entre  eux  furent  obligés  de  se  réfugier  en 
France.  Ferdinand  Vil,  à  son  retour  en  1814,  poursuivit 
également  et  les  josefinos  et  les  certes,  quoique  ces  derniers 
eussent  hâté  la  chute  du  roi  Joseph.  Le  30  mai  1814  le  roi 
défendit  à  tous  ceux  des  afrancesados  qui  avaient  émigré 
de  rentrer  dans  leur  patrie ,  et  surtout  à  ceux  qui  avaient 
obtenu  des  places,  des  titres,  des  dignités  sons  le  précédent 
gouvernement,  ou  qui  avaient  servi  dans  l'armée.  Cette  dé- 
fense s'appliquait  également  aux  femmes  qui  avaient  suivi 
leurs  maris.  Le  nombre  de  ces  réfugiés  montait  à  seize  mille. 
Ceux  d'entre  eux  qui  obtenaient  la  pernnssion  de  rentrer  en 
Espagne  étaient  placés  sous  la  surveillance  de  la  police,  et 
obligés  de  résider  à  une  distance  de  vingt  lieues  de  Madrid. 
L'amnistie  publiée  le  20  septembre  1816,  et  retirée  en  1817, 
ne  changea  en  rien  le  sort  des  afrancesados  bannis.  Le 
gouvernement  poussa  la  rigueur  jusqu'à  interdire  le  retour 
dans  la  patrie  à  ceux  qui  avaient  été  prisonniers  en  France, 
parce  qu'ils  avaient  dû  y  puiser  des  idées  et  des  principes 
révolutionnaires.  Ce  ne  fut  que  lorsque  Ferdinand  eut  accepté 
la  constitution  des  cortès  qu'il  se  décida,  le  8  mars  1 820,  à  ac- 
corder une  amnistie  aux  yosp/îjjox,  qui  purent  s'établir  dans 
toute  l'Espagne,  à  l'exception  de  Madrid.  Le  21  septembre  de 
la  même  année  les  cortès  leur  rendirent  la  jouissance  de  leurs 
biens,  mais  non  celle  de  leurs  dignités,  titres  et  pensions. 
AFRAIXIUS  (Licius),  l'un  des  partisans  de  Pompée', 
qu'il  accompagna  dans  ses  campagnes  contre  Sertorius  et 
Mithridate,  et  à  l'influence  duquel  il  fut  redevable  de  son  élé- 
vation au  consulat  avec  C.  !\Ietellus  Celer,  l'an  60  avant  J.-C. 
Pendant  la  guerre  qui  eut  lieu  entre  César  et  Pompée,  Lu- 
cius  Afranius  essaya  vainement ,  avec  ftl.  Petréius ,  de  se 
maintenir  contre  le  premier  en  Espagne  ;  ils  furent  tous  deux 
contraintsde  se  rendre  àdiscrétion  dans  le  courant  d'août  de 
l'an  49  avant.  J.-C,  et  obtinrent  leur  grâce  de  l'heureux 
vainqueur,  à  la  condiUon  de  ne  plus  porter  les  armes  contre 
lui.  L'année  suivante,  Lucius  Afranius  n'en  alla  pas  moins 
rejoindre  Pompée  en  Épire.  Après  la  déroule  de  Pharsale,  il 
s'enfuit  en  Afrique,  où  il  se  vit  livrer  à  César  à  la  suite  de 
la  bataille  de  Thapsus,  l'an  46  avant  J.-C.  Quelques  jours 
plus  tard,  il  périssait  égorgé  dans  une  sédition. 

AFRAIMUS  (Luciijs),  poète  comique  romain,  vivait 
vers  l'an  95  avant  J.-C.  11  fut  le  véritable  créateur  de  la 
comédie  nationale  appelée  fabula  togata,  opposée  à  la 
fabula  tabernaria ,  qui  est  une  peinture  des  usages  et 
des  habitudes  du  bas  peuple.  Il  n'emprunta  aux  Grecs  que 
la  forme  extérieure,  pour  l'adapter  à  la  vie  du  peuple  ro- 
main; ce  qui  a  (ait  dire  que  la  toge  d'Afraniu?  allait  bien  à 
Ménandre  :  la  rudesse  et  la  licence  de  ce  pocle  sont  blâmées 
par  les  critiques ,  mais  ils  reconnaissent  en  même  temps 
que  ses  pièces  pétillent  d'esprit  et  de  gaieté.  11  ne  nous  reste 
pins  «lue  quelques  fragments  de  ses  nombreux  ouvrages. 
AFRE  (Sainte),  sous  l'invocation  de  laquelle  est  placée 
l'école  communale  deMeissen,  naquit,  suivant  la  légende, 
à  Avgusfa  VindeUcorum  (Augsbourg).  Sa  mère  la  desti- 
nait au  culte  de  Vénus.  L'évêque  Narcisse ,  venu  d'Espagne 
à  Augsbourg  pendant  la  persécution  de  Dioclétien,  parvint 
à  la  convertir,  ainsi  quesa  mère  et  trois  jeunes  filles  païennes. 
Cajus  l'ayant  appris  fit  venir  Aire,  et  ne  pouvant  la  ramener 
au  culte  des  dieux  la  condamna  à  moniir.  Elle  subit  le  mar- 
tjre  par  le  fou  le  7  août  304.  Ce[ientiant  son  corps  resta 
entier,  ses  relicjuei  se  trouvent  à  l'église  Saint-Ulrich 
d'Augsbourg. 
AFRICAIN  (LûoN  l').  yoye:>  Léon  (Jean). 
AFRICAKUS (SextI'S  Ji'lics),  Voyez  Jules l'Af-^jca in. 


AFRIQUE 


lei 


AFRIQUE,  l'un  des  trois  continents  qui  forment  l'an- 
cien inoiiile. 

Descripfio?!  géographique.  L'Afrique  est  une  grande  pé- 
ninsule comprise  entre  l'Europe  au  nord ,  l'Asie  à  l'est  et 
l'Amérique  à  l'ouest  ;  qui  se  rattache  à  l'Asie  par  l'isthme 
•le  Suez,  et  que  baignent  au  nord  la  mer  Méditerranée ,  à 
l'ouest  et  au  sud  l'océan  Atlantique,  à  l'est  la  mer  des  Indes 
et  la  mer  Rouge.  Elle  s'étend  du  19"  de  longitude  occiden- 
tale au  49"  de  longitude  orientale ,  et  du  37°  de  latitude 
nord  au  34°  de  latitude  sud.  Sa  plus  grande  longueur  est 
de  S, 110  kilomètres,  sa  plus  grande  largeur  est  de  7,470  ki- 
lomètres; sa  superficie  totale  est  évaluée  à  piusde29mil- 
lious  de  kilomètres  carrés.  La  population  est  diversement 
évaluée  de  (îO  à  100  millions  ;  mais  il  faut  avouer  qu'on  a 
peu  de  notions  exactes  pour  faire  un  semblable  calcul. 

Le  littoral  de  l'Afrique  n'offre  point  de  ces  profondes 
découpures  qui  ouvrent  au  commerce  et  à  la  civilisation 
l'accès  de  l'intérieur.  Au  nord  la  Méditerranée  y  forme  deux 
golfes  que  les  anciens  appelaient  les  Svites  et  que  la  géo- 
graphie moderne  a  nommés  golfes  de  Cabès,  de  Sidre  et  de 
Tunis  ;  à  l'ouest,  l'océan  Atlantique  s'élargit  entre  le  cap  do 
Palmes  et  le  cap  Lopez,  et  prend  le  nom  de  golfe  ou  plutôt  de 
mer  de  Guinée  ;  le  golfe  de  Guinée  forme  lui-même  à  gau- 
che le  golfe  de  Bénin  et  à  droite  le  golfe  de  Biafra,  séparés  par 
le  cap  Formose.  Quant  à  la  mer  Rouge,  ce  n'est  à  propre- 
ment parler  qu'un  golfe ,  qu'on  nomme  golfe  Arabique,  et 
dont  le  golfe  de  Suez  est  une  subdivision.  11  faut  encore 
mentionner  le  golfe  d'Aden,  entre  l'Arabie,  l'Abyssinie  et  le 
pays  des  Somaulis.  Mais  si  l'Afrique  a  peu  de  golfes,  elle 
offre  plusieurs  vastes  baies,  entre  autres  celle  de  Saldanha, 
un  des  plus  beaux  ports  de  l'Afrique  australe  ;  la  False- 
Bay,  à  l'est  du  cap  de  Bonne-Espérance  ;  la  baie  de  Sofala  et 
celle  de  Lagoa  sur  la  côte  orientale.  —  Les  caps  les  plus  re- 
marquables sont,  au  nord,  le  cap  Spartel  en  face  de  Gibral- 
tar, les  caps  Matifou  et  Boudjaroni  en  Algérie ,  le  cap  Blanc 
ou  de  Cizerte  dans  la  régence  de  Tunis ,  le  plus  septentrio- 
nal de  l'Afrique  ;  à  l'ouest,  le  cap  Noun,  le  cap  Bojador,  le 
cap  Blanc,  le  cap  'V'ert,  le  cap  Rouge,  le  cap  Tagrin,  les  caps 
Verga,  Mesurado,  des  Palmes,  Formose  et  Lopez  en  Guinée  ; 
les  caps  Négro  et  Frio  au  Congo,  le  cap  de  Bonne-Espérance 
et  le  cap  des  Aiguilles ,  qui  est  le  point  le  plus  austral  de 
toute  l'Afrique.  Sur  l'océan  Indien  se  trouvent  les  caps 
Corrientes,  Delgado,  les  caps  d'Orfui  et  deGardafui  ;  et  sur 
la  mer  Rouge  le  cap  Calmez,  dans  la  Nubie.  —  L'Afrique  ne 
compte  que  deux  d&troits  :  celui  de  Gibraltar,  qui  sépare  l'A- 
frique de  l'Europe,  et  celui  de  Babel-Mandeb,  qui  fait  com- 
muniquer le  golfe  Arabique  avec  le  golfe  d'Aden.  Quant  au 
canal  de  Mozambique,  c'est  un  véritable  bras  de  mer. 

Le  contour  des  côtes  de  l'Afrique  offre  moins  d'îles  que 
les  autres  grandes  divisions  du  globe.  "Voici  les  principales, 
classées  dans  les  cinq  mers  où  elles  sont  situées.Dans  la  mer 
Méditerranée  on  trouve  l'île  Gerbi,  dans  le  golfe  de  Cabès, 
qui  appartient  à  Tunis.  "Vient  ensuite  Tabarca,  que  le  bey 
de  Tunis  a  cédée  à  la  France,  et  oîi  se  fait  la  pêche  du  co- 
rail. Dans  l'océan  Atlantique  les  principales  îles  sont  le 
groupe  de  Madère  et  l'archipel  du  cap  "Vert,  possession 
portugaise;  l'archipel  des  Canaries,  aux  Espagnols  ;  l'île 
G  orée,  à  la  France  ;  l'archipel  des  Bissagos ,  vis-à-vis  l'em- 
bouchure du  Geba  et  du  Rio-Grande  ;  les  îles  de  Boulama  et 
de  Cherbro;  les  îles  d'A  n  n  o  b  o  n ,  du  Prince,  Saint-Thomas  et 
Fernando-Po;  à  une  plus  grande  distance  du  littoral,  les 
iles  de  l'Ascension  et  Sainte-Hélène,  appartenant, 
ainsi  que  l'île  Tristan-d'Acunha,  aux  Anglais;  dans  la 
mer  Australe,  les  îlesCrozat,  du  Prince-Edouard,  Bouvet, 
ainsi  que  plus  à  l'est  les  îles  Saint-Paul,  Amsterdam  et  Kergue- 
len.  Dans  l'océan  Indien  se  trouve  un  vaste  assemblage  d'îles 
que  Balbi  nomme  avec  raison  archipel  de  Madagascar  :  il 
comprend,  outre  l'île  de  Madagascar,  d'une  étendue  de 
plusde  20,000  lieues  carrées,  les  îles  Comore,  Mayotte; 
les  îles  Arides  ;  les  îles  Mascareignes,  formées  des  tles  de  la 

DICT.    DE    LA    CONV.    —   T.    I, 


Réunion,  Maurice,  Rodrigue;  les  iles  Providence,  Alba- 
bra,  Saint-Laurent  et  Galega;  le  groupe  des  Séchelles, 
formé  des  iles  Amirautés  et  Mahé ,  et  aussi  le  groupe  des 
Sept-Frères.  On  peut  encore  rattacher  à  cet  archipel  les  îles 
Quiloa ,  Montia,  Zanzibar  et  Pemba,  le  long  de  la  côte  de 
Zanguebar.  Vis-à-vis  le  cap  Gardafui  se  trouve  l'île  de  So- 
cotora,  et  parmi  les  îles  assez  nombreuses  du  golfe  Ara- 
bique nous  nous  bornerons  à  citer  l'île  Dahlac ,  jadis  très- 
florissante. 

Depuis  plus  de  trois  siècles  les  Européens  ont  reconnu  et 
décrit  successivement  les  côtes  de  l'Afrique  ;  mais  ils  n'ont 
pu  parvenir  à  une  grande  distance  dans  sou  intérieur.  On 
est  donc  réduit  à  de  pures  conjectures  sur  un  grand  nombre 
de  points  relatifs  à  sa  géographie.  Dans  l'état  imparfait  de 
nos  connaissances,  le  relief  du  continent  africain  semble  se 
diviser  en  trois  massifs  principaux  :  le  plateau  méridional  ; 
le  système  des  montagnes  de  Kong,  dont  les  Européens  n'ont 
vu  que  les  extrémités  est  et  ouest ,  et  qui  paraît  avoir  sou 
nœud  principal  sur  les  limites  de  la  Sénégambie,  et  le  système 
de  l'Atlas.  —  A  l'exception  d'une  zone  étroite  de  terres  basses 
ou  de  rampes  inclinées  le  long  des  côtes,  le  plateau  méridional 
de  l'Afiique  couvre  le  continent  de  son  extrémité  sud  jusqu'au 
10*  degré  de  latitude  nord  environ.  L'intérieur  nous  en  est 
tout  à  fait  inconnu  ;  les  chaînes  de  montagnes  qui  le  ceignent 
sont  :  au  sud,  les  monts  du  Nieuweveld ,  dans  la  colonie  du 
Cap  ;  au  nord,  une  chaîne  considérable,  celle  des  monts  de  la 
Lune,  commençant  à  l'ouest  aux  monts  Camerones,  sur  le 
golfe  de  Biafra,  et  se  rattachant  à  l'ouest  au  système  des 
montagnes  abyssiniennes  qui  dominent  le  golfe  d'Aden.  La 
rampe  orientale  de  ce  plateau  nous  est  inconnue  dans  la  plus 
grande  partie  de  son  étendue;  elle  est  abrupte,  et  sur  plu- 
sieurs points  elle  domine  directement  la  côte.  A  l'ouest , 
entre  l'embouchure  de  l'Orange  et  le  4"  de  latitude  sud,  le 
plateau  s'abaisse  graduellement  de  l'intérieur  vers  la  côte  ; 
ailleurs,  ses  dernières  terrasses  s'avancent  jusqu'à  l'Océan. 
Un  prolongement  de  cet  immense  plateau  se  détache  des 
montagnes  de  l'Abyssinie,  et  suit  jusqu'à  son  extrémité  nord 
la  côte  de  la  mer  Rouge.  Sur  le  limbe  occidental  de  ce  pro- 
longement est  creusé  le  sillon  ,  la  vallée  étroite  où  coule  le 
Nil,  et  la  chaîne  qui  encaisse  cette  vallée  à  l'ouest,  se  conti- 
nuant jusqu'à  la  ISIéditerranée,  va  se  terminer  au  plateau 
de  Barka.  —  Le  système  des  montagnes  de  Kong  occupe 
l'intervalle  situé  entre  le  Sénégal  et  le  Nigei'  ;  la  vallée  de  ce 
dernier  lleuve  le  sépare  du  plateau  méridional.  —  Quant  au 
massif  de  l'Atlas ,  il  suit  la  direction  générale  de  la  côte  nord 
du  continent  près  de  laquelle  il  est  situé,  et  s'étend  de  l'oue-st 
à  l'est ,  du  cap  Noun  au  golfe  de  Sidre. 

Au  centre  de  ces  trois  massifs  principaux ,  entre  l'océan 
Atlantique  et  la  chaîne  qui  borne  à  l'ouest  la  vallée  du  Nil, 
s'étend  une  plaine  immense,  effrayante  d'étendue  et  de  nudité, 
une  mer  de  sable  et  de  gravier,  ondulant  quelquefois  en  sèches 
collines,  coupées  rarement  de  quelques  rangées  de  rochers, 
n'offrant  que  de  languissants  arbustes  clair-semés  et  rabou- 
gris; nulle  verdure,  nulle  eau  courante,  et  seulement  à  de 
grands  intervalles,  quelques  dépressions  du  sol  où  l'humidiié 
permet  une  végétation  moins  appauvrie  :  c'est  le  désert,  le 
grand  Désert,  que  les  Arabes  ont  nommé  Saharu-Belama , 
c'est-à-dire  désert  sans  eau.  Il  s'étend  de  l'est  à  l'ouest,  entre 
15"  et  30"  de  latitude  nord,  dans  une  longueur  de  deux  cents 
milles  géographiques  ,  etquelquefois  plus.  Sa  superficie  est  de 
plus  de  cinquante  milles  carrés.  Une  de  ses  extrémités, 
au  nord-est,  n'est  qu'à  deux  journées  du  Caire  et  prend  le 
nom  de  disert  Libyque.  Il  se  distingue  du  Sahara  par  quel- 
ques débris  de  végétation  et  des  fragments  de  rochers,  qui 
contrastent  avec  l'affreuse  uniformité  des  plaines  bn'danles 
du  Sahara.  Une  particularité  remarquable  du  désert  Libyque , 
c'est  la  grande  quantité  de  bois  pétrifié  que  l'on  y  trouve , 
depuis  les  branches  les  plus  minces  jusqu'aux  troncs  d'ar- 
bres les  plus  gros  ;  ce  qui  lui  donne  l'aspect  d'un  fond  de 
mer  desséché ,  et  couvert  de  débris  de  vaisseaux  naufragés. 

2i 


1C2 

U  Saliara  atteint  la  côte  de  la  M<yiterran6e,  à  la  longi- 
tude du  1-ezzan,  à  l'ouest  du  plat4'au  de  Barka.  Sa  largeur 
varie  de  1,000  k  1,500  kilomètres.  Une  ligne  d'oasis,  véri- 
tables lies  de  verdure  au  milieu  de  cet  océan  de  sables  mou- 
vants, liées  entreelles  par  des  clialnes  de  rochers,  le  traverse 
au  sud  du  Fezzan  et  le  divise  en  deux  parties,  dont  l'occi- 
dentale porte  le  nom  de  Sahel. 

Les  plus  remarquables  de  ces  oasis  sont  :  la  Grande  Oasts 
ou  oasis  du  Sud,  en  arAheel-Wdfi-el-Kébir,  nommée  aussi 
Voasis  de  llù-bes,  qui  a  vingt-quatre  lieues  de  longueur  sur 
une  largeur  de  trois  h  quatre ,  et  est  liabitéfe  par  des  Arabes 
sous  l'autorité  d'un  c/icick.  —  La  Petite  Oasis ,  près  du  lac 
Mœris,  renfermant  plusieurs  sources  chaudes  et  froides.  — 
L'oasis'de  Four,  qui  n'est  autre  chose  que  le  pays  de  Fo^ir 
(en  arabe  Dar-Fmir  ),  composée  de  plusieurs  oasis  groupées 
en  cercle  allongé ,  que  le  souverain,  décoré  du  titre  de  sultan, 
visite  successivement.  Elle  a  trois  entrées  principales  : 
Sweinï  au  nord,  Ril  au  sud-est,  et  Kubkabia  k  l'ouest. 
Kobbé,  la  capitale,  est  au  centre.  —  El-Kassar,  qui  forme 
une  vallée  (erlile ,  entourée  de  rochers,  dont  les  versants  inté- 
rieurs se  terminent  en  coUiiies  couvertes  de  bois  de  pal- 
miers, et  arrosées  par  des  sources  nombreuses.  —  El-IIaïr, 
dont  lès  plaines,  ombragées  de  cerisiers,  produisent  d'abon- 
dantes récoltes  de  riz  et  de  blé.  —  Takel,  à  l'ouest  d'El- 
Khareg ,  et  l'oasis  Farnfré ,  arrosées  de  sources  nombreuses , 
mais  Iroubii's.  —  Sioi(d/^  la  célèbre  oasis  de  Jupiter-Ammon, 
située  sous  î'J"  H.'  de  latitude  nord  et  44"  54'  de  latitude  est , 
k  vingt-quatre  jours  de  marche  en  ligne  droite  d'Alexandrie. 
Au  milieu  de  celle  oasis,  couverte  de  moissons  et  de  riches 
prairies  ombragées  par  des  bois  d'orangers  et  de  palmiers, 
s'élève ,  sur  le  sonunet  d'un  rocher,  semblable  à  une  forte- 
resse, la  capitale,  Siouûh  ,  entourée,  dans  un  rayon  d'une 
demi-lieue,  de  cin(i  villages  habités  par  ime  tribu  d'Arabes 
remuants  et  avides  de  combats.  Les  pierres  des  maisons  pro- 
viennent des  débris  du  temple ,  dont  les  ruines  imposantes 
témoignent  encore  de  son  antique  splendeur.  Onyrencoulre 
de  nombreuses  catacombes  remplies  de  débris  de  momies. 

—  Agably,  à  trente-trois  jours  de  marche  de  Tripoli,  et 
aux  trois  septièmes  du  chemin  de  cette  ville  à  Tombouclou. 

—  Tortat ,  sur  la  môme  route.  —  L'oasis  à'Axtgila,  à  treize 
jours  de  marche  ,  au  sud-est  de  lîernyq  (  Bérénice)  et  de  la 
mer,  qui  compte  (juatre  villages ,  et  produit  des  dattiers  cé- 
lèbres dès  le  temps  d'Hérodote  par  la  saveur  de  leurs  fruits. 

Le  Fezzan  ,  désigné  par  Hérodote  sous  le  nom  de  grande 

Oasis  du  pays  des  Garamnnles,  qui  est  entourée  de 
rochers  et  de  sables,  et  qui ,  d'après  Homemann,  compte, 
en  outre  de  sa  capitale,  Murzouk ,  cent  autres  villages.  Sa 
longueur,  du  nord  au  sud ,  est  de  soixante  milles  géogra- 
phicpies ,  et  sa  largeur,  de  l'est  à  l'ouest,  de  quarante.  — 
Gadames,  située  à  rextrémilé  méridionale  del'Atlas,  dans  le 
Hélud-el-Djérid  (pays  des  dattes) ,  et  qui  confine  aux  mon- 
tagnes des  Berbères.  Ces  deux  chaînes  d'oasis ,  l'une  à  l'est 
et  l'autre  à  l'ouest  du  désert  Libyque ,  partent  également  de 
l'intérieur  de  l'Afrique ,  et  forment  les  deux  grandes  voies 
que  la  nature  a  ouvertes  au  commerce  de  ces  peuples ,  et 
(jue  l'histoire  nous  signale  comme  constamment  suivies  dans 
l'antiquité;  de  nos  jours,  elles  sont  les  postes  où  viennent 
se  reposer  les  caravanes  qui  traversent  le  désert. 

L'Afrique  compte  encore  d'autres  déserts  ;  toute  la  côte 
d'.Xjan  et  celle  des  Cimbébasne  sont  qu'un  vaste  désert  ainsi 
que  dans  la  saison  sèche  les  Karrous  des  Hottenlots. 

L'altitude  approximative  des  points  culminants  de  l'A- 
frique est  évaluée  dans  la  chaîne  du  Nieuweveld  à  3,000 
mètres  ;  «lans  les  Canierones,  sur  le  golfe  de  Biafra,  à  plus  de 
4,000  mètres;  dans  les  montagnes  Abyssiniennes  à  4,500 
mètres;  dans  les  montagnes  de  Kong  à  1,000  mèlies,  et 
dans  l'Atlas  à  4,000  mètres.  Les  derniers  voyageurs  ,  et 
surtout  MM.  Riippel.d'Abbadie,  Russegger,  et  Beke,  ont  rec- 
tifié beaucoup  d'erreui-s  au  sujet  des  principaux  plateaux 
de  l'Afrique.  Les  plus  élevés  sont  ceux  du  Semcn,  dans  la 


AFRIQUE 

chaîne  abyssinienne,  qui  vont  de  2,600  à  3,000  mètres  ;  le 
plateau  abyssinien  méridional,  de  2,000  à  2,400  mètres; 
enfin  le  plateau  de  Gondar,  de  2,000  à  2,200  mètres ,  tandis 
que  l'altitude  du  Sahara  n'atteint  pas  200  mètres.  Ce  défaut 
d'élévation  est  cause  de  la  rareté  des  sources,  de  l'aridité  du 
sol  et  du  manque  de  végétation. 

L'hydrographie  de  l'Afrique  est  très-incomplète,  et  l'on  ne 
connaît  encore  le  cours  entier  d'aucun  de  ses  grands  fleuves. 
Le  Nil,  si  célèbre  dans  l'antiquité  et  de  nos  jours,  a  ses  em- 
bouchures à  l'extrémité  nord-est  de  l'Afrique,  dans  la  Médi- 
terranée, par  3  r  25'  de  latitude  ;  ses  deux  bras  les  plus  écartés 
séparent  de  la  terre  ferme  une  grande  île  triangulaire  que  les 
Grecs  nommaient  Delta,  en  la  comparant  à  cette  lettre  de 
leur  alphabet.  De  ce  point  jusqu'au  18"  il  offre  le  phénomène 
singulier  de  ne  recevoir  aucun  affluent.  Le  Taccazé  est  le 
premier  qui  lui  apporte  à  droite  le  tribut  de  .ses  eaux  ;  le 
Bahr-el-Azrek  (  fleuve  bleu  )  est  le  second  :  tous  deux  viennent 
de  l'Abyssinie.  Le  Taccazé  a  été  pris  à  tort  par  quelques 
voyageurs  pour  le  bras  principal  du  Nil  des  anciens ,  ou 
Bahr-el-Abiad  (fleuve  blanc).  Dans  ces  derniers  temps  on 
s'est  beaucoup  occuité  de  l'exploraliou  des  sources  du  Nd. 
Les  diverses  expéditions  que  l'on  a  faites  et  les  résultats 
que  l'on  a  obtenus  trouveront  leur  place  à  l'article  Nil.  Le 
long  de  la  côte  septentrionale  on  ne  rencontre  que  des  cours 
d'eau  peu  considérables  qui  viennent  de  l'Atlas,  tels  que  le 
Chélif  et  le  Malouïa.  11  en  e.4  de  môme  de  la  côte  occiden- 
tale, où  l'on  ne  rencontre  guère  que  le  Sebou  et  le  Tensif  jus- 
qu'au 1G°  de  latitude  nord  ;  là  on  trouve  le  Sénégal,  et  succes- 
sivement, en  allant  au  sud,  la  Gambie,  le  Rio-Grande  et 
quelques  autres  moins  importants.  Dans  le  golfe  de  Guinée  on 
trouve  un  grand  nombre  de  fleuves  dont  les  cours  au  delà  d'une 
petite  distance  sont  inconnus.  Du  reste,  la  masse  d'eau  de  leur 
embouchure  n'est  pas  trè&-considérable,  excepté  pour  le  Rio 
Formoso  ou  Djoliba,  dans  lequel  les  frères  Lander  ont  reconnu 
le  mystérieux  Niger,  que  René  Caillié  avait  descendu  dans  la 
partie  supérieure  de  son  cours  {voyez  Niger  ).  Sur  les  côtes 
du  Congo,  le  Calbar,  le  Gabou,  le  Coanza,  le  Zaïre  et  l'Avongo 
apportent  à  l'Océan  un  si  grand  volume  d'eau,  que  l'on  a 
supposé  que  leur  parcours  devait  être  considérable.  Le  reste 
de  la  côte  a  été  très-peu  exploré  jusqu'au  27"  degré  de  lati- 
tude, où  se  trouvent  le  Vis-Revier  et  le  majestueux  Orange  ou 
Gariep,  découvert  par  Gordon  en  1777  ,  et  qui  parait  avoir 
sa  source  dans  les  monts  Nieuweveld.  Sur  la  côte  orientale, 
les  grands  fleuves  sont  encore  moins  nombreux.  Les  plus  con- 
sidérables sont  le  Zambézé  ou  Couama ,  qui  se  jette  dans  le 
canal  de  Mozambique,  la  Livouma,  le  Loffih,  l'Ozy,  le  Pan- 
gany  et  le  Jubo.  Plus  au  nord  on  trouve  encore  le  Coaro ,  le 
Mélinde  et  le  Magadchou. 

Les  lacs  sont  rares  en  Afrique  ;  parmi  les  amas  d'eaux 
dont  l'existence  est  incontestable,  il  faut  citer  le  lac  Tchad, 
dans  la  Nigritie  centrale,  découvert  en  1824,  dont  les  eaux 
sont  douces;  il  est  rempli  d'iles  habitées  par  les  féroces  Bi- 
doumas,  que  l'on  dit  de  terribles  pirates;  le  lac  Dibbi,  que 
traverse  le  Niger:  le  Kalounga  Koufoua,  à  l'est  du  Congo; 
le  lac  Zambre  ou  Maravi ,  au  sud-est  au  delà  de  l'équateur, 
regardé  par  Balbi  comme  le  plus  grand  de  l'Afrique  ;  le  lac 
Dembea  en  Abyssinie,  sinus  du  Nil  bleu,  à  une  petite  dis- 
tance de  ses  sources,  et  enfin  le  lac  Keroun  en  Egypte. 

On  connaît  trop  peu  l'Afrique  pour  qu'il  soit  possible 
d'indiquer  la  distribution  géognostique  de  ses  terrains.  Dans 
toutes  les  chaînes  de  montagnes  qui  ont  été  visitées,  on  a  ob- 
servé le  granit  dans  les  régions  supérieures,  quelquefois  pé- 
nétrant par  veines  dans  le  schiste  qui  lui  est  superposé, 
comme  une  formation  ignée  qui  aurait  soulevé  et  déchiré  une 
enveloppe  antérieure.  Les  calcaires  se  montrent  surtout  dans 
l'Afrique  septentrionale;  les  grès  abondent  à  peu  près  par- 
tout, tantôt  reposant  immédiatement  sur  le  granit,  tantôt 
sur  le  schiste.  Le  sel ,  soit  en  couches,  soit  dissous  dans  l'eau 
de  quelques  lacs,  se  trouve  en  diverses  parties  du  continent , 
mais  particulièrement  au  nord.  Des  formations  basaltiques  et 


des  roches  lrapi.^eiuiec.  sont  indi(juéo5  dans  piv  q-jo  toiilos 
les  j;r;uides  chaînes.  11  existe  égiilement,  ilit-on,  des  vol- 
cans en  activité  dans  les  montagnes  du  Congo,  dans  celles  de 
Mozambique  et  nu^me  en  Abyssinie;  mais  la  plupart  de 
c«s  indications  auraient  besoin  d'être  vérifiées.  Si  le  conti- 
nent africain  a  peu  de  volcans,  en  revanche  les  îles  qui  en 
dépendent  en  ont  de  nombreux.  Quant  aux  sables  du  Sahara, 
.sont-ils  un  terrain  d'alluvion  ou  bien  le  résultat  d'une  dé- 
composition spontanée  de  roches  préexistantes?  C'est  une 
question  sur  laquelle  les  notions  acquises  jusqu'ici  ne  per- 
mettent pas  de  prononcer,  bien  que  la  nature  friable  des 
grès  du  Fezzan  semble  favoriser  cette  dernière  supposition. 

L'Afrique  possède  en  abondance  des  mines  de  fer,  de 
cuivre  et  d'or  ;  ces  dernières  se  trouvent  surtout  dans  le  Ban- 
bouk  et  le  Bouré,  dans  l'ouest ,  et  le  pays  de  Sofala  à  l'est. 
Les  Arabes  donnent  à  ces  deux  dernières  contrées  le  nom  de 
Pays  de  l'Or  et  de  la  Tondre  d'Or.  Les  Portugais  appellent 
aussi  Côte-d'Or  une  partie  du  Congo.  Des  pierres  pré- 
cieuses existent ,  dit-on ,  en  abondance  dans  certains  can- 
tons, surtout  dans  les  pays  qui  avoisinentle  Nil. 

La  température  de  l'Afrique  n'est  généralement  pas  aussi 
bridante  que  sa  situation  climatérique  le  ferait  présumer. 
L'élévation  des  terrasses  qui  se  succèdent  par  étages  jus- 
<{u'à  des  hauteurs  considérables  procure ,  jusque  sous  l'é- 
quateur,  un  air  frais  et  doux,  quelquefois  môme  vif  et  pi- 
quant; les  côtes  seules  subissent  toute  l'ardeur  du  soleil 
/.énilhal.  Des  pluies  diluviales  reviennent  chaque  aimée  gros- 
sir toutes  les  rivières  situées  entre  les  tropiques,  et  les  débor- 
ilements  de  ces  fleuves  vont  porter  au  loin  la  fécondité.  Les 
crues  du  Nil  sont  surtout  fameuses.  L'époque  qui  suit  immé- 
diatement la  saison  des  pluies  est  dangereuse,  par  les  fièvres 
épidémiques  qu'engendre  un  air  trop  humide  et  trop  chaud, 
jusqu'à  ce  que  les  vents  aient  desséché  et  assaini  l'atmo- 
sphère. C'est  de  l'intérieur  de  l'Afrique  que  sort  ce  vent  qui, 
après  avoir  traversé  les  immenses  déserts  qu'elle  renferme , 
apporte  avec  lui  ces  vapeurs  brûlantes  et  quelquefois  mor- 
telles, qui  l'ont  fait  nommer  simoun  (en  arabe,  poi.son).  Quoi- 
<iue  très-affaibli,  il  pénètre  jusqu'en  Espagne  sous  le  nom  de 
solauo,  et  en  Italie  sous  le  nom  de  sirocco.  Lorsqu'il  arrive 
en  Suisse  sous  le  nom  defohn,  il  est  beaucoup  rafraîchi  par 
les  montagnes  de  neige  qu'il  a  franchies,  mais  il  est  toujours 
pesant,  épais  et.  malsain.  C'est  dans  le  Sahara  que  la  chaleur 
est  le  plus  intense;  elle  s'élève  jusqu'à  plus  de  45°  du 
thermomètre  de  Réaumur;  elle  est  tort  modérée  dans  la 
Barbarie  et  constamment  fraîche  dans  la  région  méridionale. 

Ces  différences  bien  tranchées  de  température  déterminent 
une  grande  diversité  dans  l'aspect  général  de  la  végétation. 
On  peut  néanmoins  diviser  la  flore  générale  en  trois  flores 
spéciales.  La  flore  septentrionale,  c'est-à-dire  celle  de  la 
lisière  de  la  Méditerranée,  présente  une  grande  analogie  de 
productions  avec  les  parties  méridionales  de  l'Europe  ;  ià 
croissent  le  chêne,  le  pin,  le  cyprès,  le  myrte,  le  laurier,  l'ar- 
bousier, la  bruyère  arborescente  ;  l'olivier,  l'oranger,  le  juju- 
bier, le  dattier,  la  vigne,  le  figuier,  le  pêcher,  l'abricotier, 
le  melon,  les  pastèques  ;  l'orge,  le  mais,  le  froment,  le  riz,  le 
tabac,  l'indigotier,  le  coton  ,  la  canne  à  sucre.  Au  revers 
de  l'Atlas  on  trouve  le  dattier  en  abondance,  mais  desséché 
|)ar  le  vent  brûlant  du  Sahara. 

Puis  vient  le  désert  qui  sépare  la  flore  septentrionale  de 
la  flore  équinoxiale  ;  des  buissons  de  gommiers  ou  mimosas, 
l'agoul  ou  herbe  du  pèlerin ,  quelques  poacées  et  panicées, 
entre  autres  le  kascliya  au  calice  piquant,  une  capparidée  ap- 
pelée souag ,  et  un  petit  nombre  d'autres  plantes  ciiétives  et 
glauques  sont  la  triste  paiure  végétale  de  ces  solitudes  im- 
menses. 

La  zone  équinoxiale  forme  un  immense  triangle  dont  le 
sommet  est  au  golfe  Persique,  et  dont  la  base  se  développe 
le  long  de  l'océan  Atlantique.  On  doit  même  y  comprendre 
r.\rabie,  que  son  climat  et  sa  proximité  de  l'Afrique  assimi- 
lent à  ce  continent.  Sous  le  rapport  de  la  végétation,  cette 


AFRIQUE  IG3 

région  phylographi(iue  pourrait  être  à  son  tour  pailagée  en 
bandes  succe^sives,  chacune  ayant  sa  flore  spéciale.  La  bande 
lin\itrophe  du  désert  offre  le  palmier  doum  et  le  soump  ou  ba- 
lanile  ;  puis  viennent  l'imposant  baobab,  les  fromagers,  le  pal- 
mier élaïs,  le  khaïr,  le  nété,  les  arbres  à  beurre,  le  kola  ou 
gourou,  les  cypéracées.  Outre  les  fruits  et  les  autres  produits 
que  l'indigène  retire  de  ces  arbres,  tels  que  le  vin  et  l'huile 
de  palme,  le  beurre  végétal,  etc.,  il  recueille  pour  sa  nourri- 
ture le  mil,  le  riz,  le  maïs,  le  manioc,  les  ignames,  quelques 
légumes,  la  banane,  la  goyave,  l'orange,  le  limon,  les  fruits 
du  papayer,  du  tamarin ,  etc.  ;  il  cultive  aussi  le  coton , 
l'indigo  et  le  tabac.  La  vallée  du  Nil  présente  à  la  fois  la 
végétation  de  la  lisière  septentrionale  et  celle  de  la  région 
équinoxiale. 

La  zone  austro-orientale,  comprise  entre  le  fleuve  Orange 
et  Mascate,  offre  des  caractères  très-remarquables  :  on  y  ren- 
contre en  nombreuses  tribus  les  stapelias,  les  mesembryan- 
thèmes,  les  aloès ,  les  pélargoniuras ,  les  protées ,  les  ixias, 
les  euphorbes,  les  bruyères,  sans  parler  de  la  vigne,  des  cé- 
réales et  des  arbres  fruitiers  que  l'homme  cultive  pour  ses 
besoins.  M.  de  Candolle  a  été  frappé  de  l'analogie  qu'oftre 
cette  végétation  avec  celle  de  la  Diéménie. 

Les  îles  de  l'Afrique  se  rattachent  naturellement  par  leur 
végétation  aux  régions  dont  elles  sont  le  plus  voisines.  11 
est  à  remarquer  toutefois  que  les  espèces  européennes  domi- 
nent dans  les  ilesdel'ouest,  notamment  aux  Canaries  et  même 
à  Sainte-Hélène  ;  Madagascar,  la  Réimion ,  Maurice  forment 
une  sorte  de  liaison  intermédiaire  entre  la  flore  africaine 
et  celle  de  l'archipel  Indien ,  et  présentent  en  outre  quel- 
ques végétaux  qui  leur  sont  propres:  on  y  remarque  surtout 
une  profusion  d'orchidées  et  de  fougères. 

Sous  le  point  de  vue  zoologique  l'Afrique  présente  un 
aspect  tout  particulier.  Parmi  ses  nombreux  zoophytes ,  le 
plus  remarquable  est  le  corail  rouge,  dont  les  Européens  font 
des  i)èches  réglées;  l'éponge,  qui  fait  également  l'objet  d'un 
commerce  considérable.  Les  corallines ,  les  madrépores ,  les 
gorgones,  les  alcyoues,  les  poh'pes  de  toutes  formes  abondent 
sur  le  littoral,  de  môme  que  les  échinodermes  et  les  acalè- 
phes.  Parmi  les  helminthes,  on  doit  mentionner  le  ver  de 
Guinée  ,  filaire  qui  s'insinue  sous  la  peau  humaine  et  cause 
les  plus  vives  douleurs. — Quantaux  mollusques  maritimes, 
ils  appartiennent  aux  mers  adjacentes,  plutôt  qu'aux  côtes. 
L'Atlantique  amène  sur  le  littoral  des  seiches  colossales;  la 
spirale  n'est  pas  rare  dans  les  parages  du  Sénégal  ;  le  nautile 
se  montre  en  flottiUes  nombreuses  dans  les  environs  du  cap 
de  Bonne-Espérance;  la  janthine  pourprée  abonde  sur  les 
rivages  barbaresques  ;  les  doris  et  les  aplysies  peuplent  la 
mer  Rouge.  Parmi  les  fluviatiles,  M.  Cailliaud  a  décrit  les 
étliéries  du  Nil;  les  mollusques  terrestres  sont  à  peine  con- 
nus. —  Entre  les  annelides,  il  faut  citer  la  sangsue  du  Sénégal,, 
qu'on  a  voulu  naturaliser  aux  Antilles  et  à  Cayenne. — Le  plus 
vorace  des  insectes  africains  est  la  sautereUe  voyageuse ,  fléau 
plus  terrible  que  Fincendie  ,  qui  anéantit  les  récoltes  et  dont 
les  essaims  immenses  obscurcissent  le  jour;  les  fourmis,  les 
termites  font  aussi  de  grands  ravages;  les  mosquites,  les 
abeilles,  les  scolopendres  à  la  piqûre  douloureuse,  le  taon  du 
Sennar  sont  de  redoutables  ennemis  pour  l'homme.  —  Parmi 
les  arachnides,  on  remarque  la  tarentule,  qui  abonde  en  Bar- 
barie, le  tendaraman  ou  araignée  venimeuse  de  Maroc,  la 
mygale  à  la  robe  veloutée  de  la  Sénégambie,  et  l'araignée  du 
cap  de  Bonne-Espérance  ,  toutes  fort  dangereuses,  ainsi  que 
le  scorpion  et  le  galéopode.  Les  crustacés  sont  à  peu  près 
les  mêmes  que  ceux  de  l'Europe  méridionale,  des  homards, 
des  langoustes ,  des  crabes,  des  chevrettes,  etc.  Les  poissons 
maritimes  qu'on  pêche  aux  atterrages  d'Afrique  sont  ceux 
des  mers  qui  baignent  ces  côtes;  et  quant  aux  poissons  de 
fleuves,  on  n'en  connaît  qu'un  nombre  fort  restreint  :  Geof- 
froy Saint-Hilaire  a  décrit  ceux  du  Nil,  parmi  lesquels  on 
remarque  l'énorme  bichir,  des  silures  et  des  pimélodes,  dimt 
les  analogues  ont  été  retrouvés  au  Congo.  Les  rivières  oeci- 

•21. 


104  AFRIQUE 

dental»'»  ont  fourni  de  curieux  acanthopodes ,  des  gj-nmar- 
«lucs.dos  sciènes,  etc.  Les  reptiles  sont  très-nombreux; 
mais  le  nombre  des  espèces  paraît  assez  borné.  Les  plus 
remarquables  sont,  parmi  les  lézards ,  les  crocodiles ,  les 
caïmans  ou  alligators,  ([ui  peuplent  les  grands  fleuves;  1(!S 
inonitorsou  ouarans  du  Nil  et  du  Congo;  les  salamandres 
et  les  iguanes  de  Guinée,  les  cerdyles  du  Cap,  les  geckos 
immondes  du  Caire  et  de  Madagascar,  les  scinques  du  Fez- 
Ann  et  des  régions  du  Haut-Nil,  si  prompts  à  disparaître  sous 
le  sol,  et  les  caméléons,  dont  les  diverses  an'ections  sensitives 
se  iwignenl  sur  la  peau  en  couleurs  changeantes.  On  a  ob- 
s<Yvc  peu  de  batraciens,  mais  parmi  eux  des  crapauds  d'une 
taille  énorme.  Les  fleuves  et  les  rivières  offrent  quelques  tor- 
tues; la  tortue  terrestre  est  très-commune  en  Barbarie.  Les 
grands  serpents  d'Afrique  paraissent  appartenir  au  genre  py- 
thon ;  le  céraste  cornu  et  d'autres  espèces  venimeuses  ont  été 
signalés  au  Cap;  des  vipères  d'une  espèce  nouvelle  ont  été 
recueillies  au  Sénégal.  —  Sur  six  cent  cinquante  espèces 
d'oiseaux  qui  se  trouvent  en  Afrique,  près  de  cinq  cent 
soixante  lui  appartiennent  en  propre.  Les  plus  nombreuses 
sont  :  dans  l'ordre  des  promeneurs,  les  passereaux,  si  variés, 
les  hoche-queue  ,  les  gobe-mouches,  les  merles,  les  loriots, 
les  roUiers,  les  troupiales ,  les  pique-bœufs,  les  calaos  au 
bec  monstnieux  ,  les  hirondelles ,  les  soiii-mangas ,  les  guê- 
piers, les  mar'tins  pécheurs,  les  pies  grièches,  les  mésanges, 
les  alouetles ,  le  crinon ,  dont  le  bec  est  accompagné  à  sa 
base  de  soies  longues  et  rudes.  Puis,  parmi  les  oiseaux  de 
proie  on  compte  les  vautours,  les  griffons ,  les  percnoptères  , 
les  aigles,  les  pygargues,  les  éperviers,  les  buses,  les  faucons, 
les  messagers  et  la  plupart  des  rapaces  nocturnes.  Les  grim- 
peurs fournissent  beaucoup  de  perroquets  et  de  perruches,  des 
foiiracos,  des  couroucous,  des  coucous.  Entre  les  gallina- 
cés ,  on  remarque  des  pigeons  variés ,  tels  que  la  tourterelle 
a  collier  du  Sénégal  et  de  l'Afrique  australe,  et  le  pigeon  vert 
d' Abyssiuie  et  de  Guinée,  des  perdrix,  des  cailles ,  des  tétras, 
et  la  pintade,  qui  appartient  spécialement  à  l'Afrique;  le 
dronte,  qu'on  voyait  jadis  à  l'île  de  France  et  dans  quelques 
parties  du  continent,  ne  se  rencontre  plus,  et  peut-être  a-t-il 
entièrement  disparu  du  globe.  Les  échassiers  offrent  des 
falcinelles,  des  pluviers,  des  vanneaux,  des  grues ,  des 
hérons,  des  cigognes,  entre  autres  la  cigogne  à  sac  de  la 
côte  orientale;  des  ombrettes,  des  flamants,  des  spatules, 
l'ibis,  oiseau  sacré  de  l'ancienne  Egypte,  le  marabou  qui 
donne  un  duvet  si  élégant  ;  des  courlis,  des  bécasses,  des  râles, 
des  poules  d'eau  ;  le  secrétaire,  qui  semble  réunir  les  caractères 
des  échassiers  et  des  oiseaux  de  proie.  Dans  les  palmipèdes 
on  trotive  le  canard  et  l'oie ,  le  pélican ,  le  cormoran ,  la  fré- 
gate, l'anhinga,  le  fou ,  le  manchot  ;  on  voit  de  plus  sur  les 
côtes  des  goélands ,  des  pétrels ,  des  albatros.  Mais  le  plus  re- 
marquable des  oiseaux  de  cette  partie  du  monde,  c'est  Tau- 
truclie,  compagne  habituelle  du  zèbre,  et  qui  vit  en  troupe 
dans  le  Sahara  ;  plusieurs  espèces  d'outardes  méritent  éga- 
lement d'être  mentionnées. 

Quant  aux  mammifères,  l'Afrique  possède  un  qua\t  à  peu 
près  des  espèces  connues.  Les  ruminants  y  sont  dans  une 
proportion  très-forte  ;  le  genre  antilope  y  est  particulièrement 
développé;  les  plus  remarquables  sont  le  canna,  ou  élan  du 
Cap  ;  le  genou  de  la  Guinée  et  du  Sud  ;  le  mouflon,  à  la  queue 
énorme  et  pesante;  le  bœuf  à  bosse,  qui  sert  de  monture,  de 
bête  de  somme  et  de  trait  dans  toute  la  Nigrilie;  le  bcnif 
galla,  aux  cornes  immenses  ;  le  buffle  sauvage  du  Cap  ;  la  gi- 
rafe, et  le  dromadaire  ou  chameau  à  une  bosse,  si  bien 
nommé  le  navire  du  désert.  L'ordre  des  pachydermes  non 
ruminants  appartient  aussi  spécialement  pour  deux  cin- 
quièmes à  r.Mrique  :  l'éléphant  s'y  rencontre  depuis  la  limite 
du  Sahara  jusqu'au  cap  de  Bonnc-F.spérance,  il  est  d'une  es- 
pèce différente  de  celui  d'.\sie;  le  rhinocéros  à  deux  cornes  a 
été  trouvé  en  Abyssinie  cou)me  au  Cap  ;  l'hippopotame,  qui  a 
disparu  depuis  longtemps  des  eaux  du  Nil,  se  montre  dans 
tous  les  grands  fleuves  de  la  région  australe;  le  phacociière  à 


défenses  énormes  a  été  trouvé  au  cap  Terl  et  au  sud,  où  se 
rencontre  aussi  le  sanglier  à  masque,  différent  du  sanglier  du 
Sénégal.  Le  zèbre  et  le  couagga  se  Iroiivent  au  centre  et  au 
sud;  le  cheval  et  l'àne,  principalement  dans  le  nord.  Les 
quadrumanes  sont  ensuite  l'ordre  le  plus  nombreux;  le  plus 
remarquable  de  tous  est  le  chimpanzé,  grand  singe  sans 
queue,  dont  les  bras  sont  moins  longs  que  ceux  de  l'orang- 
outang  de  Bornéo,  et  qui  offre  ainsi  plus  de  ressemblance 
avec  l'homme  ;  le  genre  cynocéphale  est  représenté  par  des 
espèces  variées,  presque  toutes  grandes,  fortes  et  mé- 
chantes ;  les  guenons  sont  aussi  fort  multipliées  ;  les  ma- 
kis et  les  galagos  sont  nombreux  en  Nigritie,  l'indri  à  ^lada- 
gascar.  L'ours  n'habite  que  les  cavernes  de  l'Atlas;  les  car- 
nassiers sont  très-répandus  sur  le  continent  :  le  lion,  la  pan- 
thère, le  léopard,  la  hyène,  le  loup  et  le  chacal  ainsi  que  le 
chien,  redevenu  sauvage  au  Congo  ;  le  lynx  ;  le  fennec  d'A- 
byssinie  semble  devoir  être  rapporté  au  même  genre,  il 
est  caractérisé  par  ses  longues  oreilles  de  lièvre.  La  civette 
se  rencontre  presque  partout,  ainsi  que  l'iclmeumon  ,  jadis 
adoré  en  Egypte  pour  la  guerre  acharnée  qu'il  fait  aiTX  rep- 
tiles. —  Il  faut  citer  encore  plusieurs  espèces  de  hérissons,  la 
musaraigne  et  la  chysocldore  du  Cap,  à  robe  dorée,  le  tenrec 
de  Madagascar  et  diverses  taupes.  —  Parmi  les  chéiroptères, 
l'Afrique  possède  différentes  espèces  de  chauves-souris,  dont 
la  plus  gros.se  est  la  roussette ,  recherchée  à  Madagascar  et 
à  Maurice  à  l'égal  du  faisan  et  de  la  perdrix.  —  Dans  les 
rongeurs  on  remarque  plusieurs  espèces  d'écureuils ,  la  ger- 
boise du  désert,  l'aye-aye  de  Madagascar,  le  rat-taupe,  et 
le  rat-sauteur  du  Cap,  la  souris  du  Caire  armée  de  piquants, 
le  porc-épic  à  crête ,  le  lièvre  et  le  lapin.  —  Enfin  les  éden- 
tés  sont  les  mammifères  les  plus  rares  en  Africfue  :  on  n'y  a 
encore  vu  que  l'oryctérope  du  Cap ,  le  kouaggelo  ou  pangolin 
à  longue  queue,  à  écailles  mobiles  et  tranchantes,  qui  habite 
au  Sénégal  et  en  Guinée.  On  rencontre  sur  les  côtes  quelques 
amphibies,  du  moins  le  phoque  et  le  lion  de  mer.  A  l'embou- 
chure des  fleuves  on  trouve  le  lamentin.  Parmi  les  cétacés 
proprement  dits,  les  voyageurs  mentionnent  surtout,  comme 
fréquents  sur  les  côtes  d'Afrique ,  les  dauphins  souffleurs  et 
les  marsouins. 

Ethnographie.  L'ethnographie  de  l'Afrique,  que  l'on  s'est 
inutilement  efforcé  d'établir  d'après  les  idiomes  qui  s'y 
parlent,  a  été  parfaitement  déterminée  par  la  comparaison 
des  types.  La  couleur  de  la  peau  et  la  nature  des  cheveux, 
que  M.  Bory  de  Saint-Vincent  a  prises  pour  base  de  sa  clas- 
sification du  genre  humain,  sont  des  caractères  trop  superfi- 
ciels et  trop  peu  tranchés.  Les  formes  du  crâne  et  de  la 
face  sont,  au  contraire,  un  guide  infaillible  et  certain.  En 
prenant  donc  l'angle  facial  pour  base,  on  peut  réduireà  deux 
types  généraux  toutes  les  races  indigènes  africaines,  dont 
chacune  a  un  grand  nombre  de  variétés  résultant  de  croise- 
ments. La  race  à  visage  ovale,  à  angle  facial  très-ouvert, 
au  nez  aquilin ,  aux  membres  bien  conformés ,  aux  doigts 
effilés,  aux  cheveux  longs  et  noirs,  aux  lèvres  minces,  of- 
fre les  traits  caractéristiques  des  anciens  Égy-ptiens  tels 
qu'on  les  voit  sculptés  et  peints  sur  les  monuments  et  tels 
que  nous  les  présentent  la  plupart  des  momies.  Cette  race  a 
tous  les  caractères  de  la  race  caucasienne;  elle  ne  se  dis- 
tingue des  peuples  européens  que  par  le  feint  plus  foncé,  la 
lèvre  supérieure  légèrement  plus  grosse  que  l'inférieure,  et 
surtout  par  la  position  des  oreilles  placées  plus  haut,  en 
sorte  que  le  lobe  supérieur  dépasse  la  ligne  des  yeux  ;  elles 
sont  aussi  un  peu  plus  grandes  et  plus  écartées  du  crâne. 
Les  Berbères,  qui  se  donnent  le  nom  d'Amazigs  (nobles); 
les  Coptes  au  teint  jaune  foncé,  au  nez  court  et  droit,  au 
visage  bouffi,  et  les  Abyssins,  les  Nubiens  au  teint  noir,  au 
nez  presque  aquilin,  comiiosent  cette  race.  Le  second  type 
africain,  indubitablement  originaire  de  celte  contrée,  est  la 
race  dite  nègre,  aux  cheveux  crépus,  aux  grosses  lèvres,  aux 
pommettes  saillantes,  au  front  étroit,  au  menton  plus  ou 
moins  pointu,  au  crâne  très-épais,  très-dur  et  très-blanc. 


ainsi  que  tous  les  autres  os ,  aux  pieds  longs ,  aii\  iloigls 
épais  et  non  eftilés.  Quant  au  teint,  il  varie  depuis  le  noir 
le  plus  foncé  jusqu'au  cuivre.  Il  est  nu' me  à  remarquer  (jne 
ce  ne  sont  pas  les  plus  noirs  qui  offrent  les  formes  et  la  face 
les  plus  rapprochés  du  singe  :  ainsi  le  Moutchicongo,  dont 
le  teint  est  peu  foncé,  a  le  nez  p-esquc  plat  et  des  lè\Tes 
énormes,  tandis  que  le  Yolof,  le  plus  noir  de  tous  les  Kégies, 
est  aussi  celui  qui  a  le  nez  le  moins  épaté.  Cette  race  se 
distingue  par  une  grande  perfection  dans  tout  ce  qui  a  rap- 
port aux  fonctions  animales.  On  y  rencontre  moins  de  dif- 
formités que  dans  toutes  les  autres  races  humaines  ;  les 
femmes  accouchent  avec  facilité  et  sont  d'cKcellentes  nour- 
rices. Chez  ces  peuples  l'ossification  du  cnlae  est  très-ra- 
jiide  ;  les  enfants  dés  leur  naissance  présentent  à  peine  les 
fontanelles ,  les  sutures  disparaissent  de  bonne  heure,  et  le 
développement  du  crAne  est  terminé  dès  l'adolescence, 
tand's  que  celui  des  os  de  la  face  se  pomrsuit  jusqu'à  l'ûge 
adulte.  Cette  race  est  très-robuste;  on  y  voit  beaucoup 
d'individus  d'une  haute  taille;  il  est  fréquent  d"y  trouver  des 
hommes  d'un  âge  très-avancé.  Les  Peuls ,  les  Cafres  en  sont 
des  espèces  particulières;  les  Holtentots  ou  Bojesmans  en 
forment  encore  une  variété,  inférieure  en  intelligence,  à  l'an- 
gle facial  encore  plus  déprimé.  Leur  taille  est  plus  petite, 
leur  figure  hideuse.  Chez  la  femme  hottentole ,  un  trait  re- 
marquable est  le  développement  des  nymphes,  qui  couvre 
les  parties  génitales  d'une  sorte  de  tablier  naturel ,  et  l'é- 
norme saillie  des  fesses. 

Quant  aux  races  qui  ne  sont  pas  autochthones,  il  faut  comp- 
ter :  la  race  arabe,  répandue  sur  les  côtes  orientales  jusqu'à 
Aladagascar,  sur  celle  de  la  Méditerranée,  sur  le  littoral 
Atlantique  jusqu'au  Sénégal,  s'étendant  jusqu'à  une  assez 
grande  profondeur  dans  le  désert  ;  la  race  tmque,  rare  et 
clair-semée  sur  les  côtes  septentrionales  ;  les  races  euro- 
péennes, qui  ont  formé  des  colonies  sur  toute  la  périphérie; 
enfin,  seulement  sur  la  plage  orientale  de  Madagascar,  des 
colonies  de  race  malaise. 

La  distribution  ethnographique  que  nous  venons  d'indi- 
quer n'est  qu'une  ébauche  grossière,  que  l'état  imparfait  de 
nos  connaissances  empêche  de  tracer  avec  une  plus  exacte 
précision.  Quant  aux  langues  de  l'Afrique ,  sans  avoir  la 
prétention  d'en  donner  un  catalogue  complet ,  ni  même  une 
liste  bien  étendue,  nous  essayerons  de  rapporter  ici  les  plus 
importantes,  en  indiquant  les  nombreux  dialectes  qui  en 
dérivent  respectivement,  ^■ous  citerons  d'abord  la  langue 
berbère,  qui  ramène  à  une  souche  unique  de  nombreux  dia- 
lectes dispersés  sur  une  iramense  étendue  depuis  l'Atlas  jus- 
qu'à l'Egypte,  en  englobant  le  Sahara  ;  la  langue  arabe  d'une 
part,  avec  toutes  ses  variétés;  la  langue  copte,  qui  n'est  plus 
en  usage  en  Egypte  que  pour  les  livres,  mais  qui  est  encore 
parlée,  dit-on,  au  sud  du  golfe  de  Cabès;  la  langue  peule  ou 
fellane ,  dont  les  innombrables  dialectes  se  parlent  dans  tout 
l'ouest  et  le  sud  :  toutes  les  tribus  hottentotes  ainsi  que  les 
tribus  cafres  ont  un  système  de  langage  qui  en  dérive  évi- 
demment; l'idiome  mandingue,  que  parlent  une  grande  quan- 
tité de  peuplades;  la  langue  yolofe,  très-répandue  également, 
ainsi  que  la  langue  des  Achantis  ;  la  langue  nubienne ,  la  lan- 
gue des  Gallas,  et  les  idiomes  bounda  et  bomba,  qui  se  parlent 
au  Congo.  Nous  n'indiquons  point  ici  le  turc,  dominateur 
précaire  sur  la  côte  septentrionale,  ni  les  idiomes  apportés 
par  les  colons  européens. 

En  général,  il  n'y  a  pas  de  civilisation  en  Afrique  ;  aussi 
la  croyance  religieuse  n'y  a  acquis  nulle  paît  un  degré  de 
perfection  qui  témoigne  de  quelque  progrès.  Le  christia- 
nisme grossier  des  Coptes  et  des  Abyssins,  celui  que  les  mis- 
sionnaires s'efforcent  d'implanter  chez  les  nègres,  les  Cafres 
et  les  Hottentots ,  n'est  pour  tous  qu'un  culte  sans  intelli- 
gence des  préceptes  et  des  dogmes.  Le  judaïsme  a  de  nom- 
breux adhérents;  l'islamisme  est  la  religion  du  nord  de 
{'Afrique  et  des  peuplades  nègres  les  plus  avancées.  Le  féti- 
thi;-iue  le  plus  grossier  est  le  culîc  le  plus  généralement 


AFRIQUE  165 

répandu  dans  toute  l'Afrique.  Quel  que  soit  son  culte ,  du 
reste ,  l'Africain  est  polygame.  Quant  à  l'organisation  poli- 
tique, patriarcale  chez  les  tribus  nomades,  elle  passe  générale- 
ment à  la  monarchie  chez  les  peuplades  fixes.  Il  y  a  cepen- 
dant quelques  peuplades  où  dominent  les  formes  démocra- 
tiques, dans  le  Fouta  par  exemple.  Une  sorte  de  féodalité 
existe  chez  les  Yolofs.  Le  despotisme  absolu  parait,  du  reste, 
le  régime  le  plus  fréquent. 

Soumis  à  moins  de  besoins  que  les  habitants  des  régions 
tempérées  et  froides ,  ceux  de  l'Afrique  ont  bien  moins  d'in- 
dustrie ;  elle  se  borne  à  préparer  et  à  colorer  des  cuirs ,  à 
filer  le  coton,  dont  ils  fabriquent  des  tissus  d'une  petite  lar- 
geur, et  à  les  teindre.  Ils  façonnent  les  métaux  avec  une 
certaine  adresse  ;  mais  les  mines  sont  exploitées  peu  avan- 
tageusement. Ils  taillent  et  percent  les  pierres  dures ,  ils 
font  divers  ustensiles  en  terre  et  en  bois  ,  enfin  des  armes 
de  plusieurs  genres  et  même  des  fusils;  ils  fabriquent  de  la 
poudre  et  fondent  les  balles.  Voilà  le  terme  où  sont  parvenus 
les  plus  habiles.  Les  habitations  sont  en  terre ,  basses  et 
presque  toutes  rondes,  couvertes  en  chaume,  et  n'ont  d'autre 
ouverture  que  la  porte.  Le  commerce  entre  les  indigènes 
consiste  dans  les  productions  du  sol  et  de  l'industrie,  et  n'a 
lieu  que  par  échange.  Des  piècesde  toile  de  coton,  des  mor- 
ceaux de  fer  ou  même  des  coquillages  sont  le  plus  souvent 
les  signes  représentatifs  de  la  valeur  des  objets. 

Les  objets  d'importation  sont  les  tissus  de  coton  et  de 
laine ,  la  poudre  ,  les  armes ,  la  verroterie  ,  la  quincaillerie , 
le  sel.  Les  entrepôts  de  ce  conamerce  sont ,  après  les  ports 
d'Egypte  et  des  États  Barbaresques ,  ceux  des  établisse- 
ments européens. 

L'anarchie  désole  continuellement  l'Afrique;  du  reste,  les 
guerres  entre  indigènes  ne  sont  pas  généralement  meur- 
trières, on  cherche  plutôt  à  faire  des  esclaves  qu'à  tuer  son 
ennemi.  Le  commerce  des  esclaves  a  de  tout  temps  été 
très-actif  en  Afrique  :  le  monarque  vend  ses  sujets  ou  en- 
lève ceux  des  voisins  pour  en  faire  le  trafic.  Les  nations 
européennes  qui  faisaient  autrefois  la  traite  des  Nègres 
se  sont  interdit  cet  odieux  commerce  ;  et  s'il  a  encore  lieu, 
ce  n'est  que  clandestinement. 

Divisions  politiques.  Balbi  partage  l'Afrique  en  régions 
qu'il  nomme  •.\°la  région  du  ^'il;  1°  le  Maghreb  ;  3°  la  Nïgri- 
tie  centrale,  occidentale,  maritime  et  méridionale;  4°  VA/ri- 
que  australe;  ^"V  Afrique  orientale  ;  6°  les  possessions  des 
puissances  étrangères.  —  La  région  du  Ml  comprend  l'E- 
gypte, les  deux  Nubies,  puis  d'une  part  l'Abyssinie,  et  de  l'au- 
tre le  pays  inconnu  quarrose  le  Nil-Blanc  et  qu'on  croit  ha- 
bité par  les  nègres  Schilouks.  Il  faut  y  rattacher  encore  le 
Kordofan ,  que  sa  position  géographique  et  ses  relations  po- 
litiques unissent  étroitement  à  la  Nubie,  et  même  le  Dar- 
four,  que  les  Européens  n'ont  encore  abordé  que  par  la  voie 
de  l'ÉgjTte.  —  Le  Maghreb,  dénomination  empruntée  aux 
Arabes,  comprend  tous  les  pays  habités  par  les  musulmans 
occidentaux,  c'est-à-dù-e  les  contrées  de  l'Atlas,  le  IMaroc, 
l'Algérie,  Tunis ,  Tripoli ,  le  Bélud-el-Djerid,  le  Fezzan  et  le 
Sahara.  —  La  troisième  division,  celle  qui  embrasse  le  plus 
de  territoire,  se  compose  de  la  Nigritie  centrale,  formée  elle- 
même  du  Bouré,  du  Bambarra,  du  royaume  deTombouctou, 
de  la  confédération  de  Borgou,  des  royaumes  de  Yaouri, 
Yarriba,  Founda,  Bénin,  des  empires  de  Bornou  et  des  Fel- 
lafahs;  de  la  Nigritie  occidentale,  qui  comprend  les  États  yo- 
lofs, peuls  et  mandingues;  de  la  Nigritie  maritime,  torméedes 
royaumes  de  Soulimana,  de  Cap  Monte,  de  Dahomey  et  de 
l'empire  d'Achanti  ;  enfin  de  la  Nigritie  méridionale,  qui  com- 
prend les  royaumes  de  Loango,  de  Congo,  de  Bomba,  de 
Sala,  des  Malouas,  et  de  Cassange,  outre  les  pays  soumis  aux 
Portugais.  M.  d'Avezac  a  proposé  les  dénominations  géné- 
rales de  Ouankarah  et  de  Takrour  pour  l'intérieur  des  terres. 
—  L'Afrique  australe,  outre  la  colonie  du  Cap  et  ses  dépen- 
dances, se  compose  de  la  Cimbébasie,  du  pays  des  Cafres  et 
de  celui  des  lloUentots,  L'Afrique  orientale  embrasse  deux 


1C6 

régions  :  la  première,  établie  dans  le  bassin  du  Zambézô , 
comprend  l'empire  du  Monomotapa,  aujourd'hui  dt'-membré, 
Sofala,  Mozambique  et  Zani,'uébnr  ;  l'autre  nous  est  presque 
totalement  inconnue,  à  peine  sait-on  les  noms  de  quelques- 
uns  des  peuples  qui  habitent  ce  baut  plateau  ,  tels  que  les 
Cazenbés  et  les  Mozivas.  On  rattache  comme  annexe  à  cette 
division  le  restant  de  la  côte  orientale,  le  pays  des  Somaulis, 
la  côte  d'Ajanet  Magadchou.  —  Toutes  ces  subdivisions  ont 
des  articles  spéciaux  dans  notre  ouvrage. 

La  France,  l'Angleterre,  le  Portugal ,  l'Espagne,  le  Da- 
nemark, les  Pays-Bas,  les  États-Unis  d'Américjue,  possèdent 
en  Afri(iue  des  établissements  coloniaux.  Les  possessions 
delà  France  comprennent  les  trois  gouvernements  d'Al- 
gérie, deSénégambic  et  de  la  Réunion.  Celles  de 
l'Angleterre  sont,  sur  le  continent,  les  gouvernements  du 
Cap,  de  S  icrra-Leone  ;  dans  les  îles,  le  gouvernement 
di>Saintc-Hélène,  dont  dépendent  les  îles  Fernando-Po 
cl  lie  l'Ascension;  le  gouvernement  de  Maurice,  dont 
tlcpt-nil  l'archipel  des  Seychelles;  et  les  établissements  de 
la  C û  t  e-d 'Or  et  de  la  C ô t e  d e s  E  s cla  v e s .  Les  établisse- 
ments portugais  forment  le  gouvernement  de  Madère  et 
relui  des  îles  du  Cap  Vert  avec  ses  dépendances,  sur 
la  côte  de  la  Sénégambie,  Angola  et  Benguela;  celui  de 
Saint-Thomé  et  du  Prince,  et  celui  de  Mozambi- 
que. L'Espagne  possède  en  Afrique  l'archipel  des  Cana- 
ries, qui  forme  non  un  établissement  colonial,  mais  une 
des  provinces  administratives  du  royaume  :  les  places  de 
déportation  ou  présidios  de  C  eu  ta,  Peûon  de  Vêlez,  Alhu- 
cemas  et  Velilla,  sur  la  ciMe  de  Maroc ,  l'ile  d'Annobon  et 
quelques  Ilots  dans  le  golfe  de  Guinée.  Les  possessions  da- 
noises, composées  de  petits  territoires  et  de  quelques  ports 
sur  la  Cote  d'Or,  forment  le  gouvernement  de  Chris- 
tiansborg;  les  établissements  des  Pays-Bas,  plus  impor- 
tants (jne  ceux  du  Danemark ,  forment  le  gouvernement 
d'Elmina,  aussi  sur  la  Côte  d'Or.  Enlin  les  Étals-Unis  ont 
fondé  sur  la  côte  de  Guinée  l'clablissement  de  Libéria, 
destiné  à  recevoir  les  esclaves  africains  affranchis,  ainsi  que 
ceux  de  Dassa-Cowe  et  de  Simon. 

Nisfoirc.  L'Afrique  n'a  pas  d'histoire  générale.  Certaines 
de  ses  |)arties,  il  est  vrai,  surtout  l'Egypte  et  toute  la  côte 
baignée  par  la  Méditerranée ,  occupent  une  grande  place 
dans  l'histoire  du  monde;  mais  on  ne  saurait  rattacher 
sous  ce  rapport  ces  contrées  aux  continents  qu'elles  bor- 
dent. Nous  ne  suivrons  donc  i)as  les  merveilleuses  vicissi- 
tudes de  l'Afrique  ;  l'antique  civilisation  égyptienne,  sortie 
de  la  Nubie  pour  finir  aux  Ptolémées  ;  l'empire  de  Carlhagc, 
anéanti  par  une  rivalité  fatale,  après  avoir  produit  de  grands 
hon)mes  et  fait  de  grandes  choses;  la  domination  romaine, 
civilisatrice  du  pa\ s,  qu'elle  étonne  encore  par  ses  ruines 
f^igantesques,  renversée  à  son  tour  par  l'invasion  gothique 
«'t  vandale;  puis  le  grand  mouvement  islamique,  qui  sem- 
blait devoir  cm])orter  le  monde  et  qui  fd  de  l'Afrique 
connne  son  ipiartier  général;  enlln,  dans  des  temps  plus 
modernes,  les  conciuOtes  des  Turcs  et  des  Européens.  Cha- 
cune de  ces  phases  de  l'histoire  .sera  traitée  à  sa  place; 
nous  ne  nous  occu|)crons  ici  <iuedes  découvertes  successives 
des  anciens  et  des  modernes. 

Les  Grecs  n'avaient  que  des  données  très-imparfaites 
fur  ce  continent  méridional  qu'ils  nommaient  Libye.  L'E- 
gypte, suivant  eux,  n'en  faisait  pas  partie.  Homère  croyait 
i;ue  les  Colonnes  d'Hercule  (détroit  de  Gibraltar)  étaient 
les  limites  du  monde,  et  que  les  piliers  qui  devaient  soute- 
nir le  ciel  et  la  terre  étaient  gardés  par  Atlas  dans  une  région 
où  l'on  ne  pouvait  pénétrer.  Cependant  les  voyages  de  dé- 
couvertes remontent  à  une  haute  antiquité;  les  T)  riens  et  les 
Carthaginois,  maîtres  du  commerce  de  la  Méditerranée  et 
de  la  mer  Houge,  durent  avoir  sur  l'Afriqne  des  connais- 
sances beaucoup  plus  étendues;  mais  ils  ne  les  divul- 
guaient point  aux  peuples  étrangers,  et  il  n'est  resté  d'eux 
que  le  souvenir  d'une  expédition  de  circumnavigation  ac- 


r\FRlQUE 

compile  par  des  marins  phéniciens,  d'après  l'ordre  du  Pha- 
raon Necbo,  et  le  récit  d'un  autre  voyage  maritime  entre- 
pris par  le  Carthaginois  Hannon  j)Our  aller  fonder  des 
colonies  sur  les  côtes  occidentales.  On  rapporte  aussi  que 
Xerxès  envoya  le  l'ersan  Sataspès  pour  renouveler  d'occi- 
dent en  orient  le  voyage  que  les  pilotes  phéniciens  avaient 
fait  d'orient  en  occident.  Plus  tard,  Scylax  décrivit,  confor- 
mément à  la  navigation  d'Hannon,  une  partie  de  la  côte  occi- 
dentale jusqu'à  l'endroit  oii  la  mer  est  couverte  de  sargasses 
épaisses,  qui  la  rendent  impraticable.  Euthymène  parvint 
jusqu'à  un  grand  (leuve  soumis,  comme  le  Nil,  à  des  crues 
périodiques  (sans  doute  le  Sénégal),  l^olybe  ne  dépassa 
pas  les  caps  où  viennent  aboutir  les  grands  rameaux  de 
l'Atlas.  Eudoxe  de  Cyzique  voulut  accomplir  le  tour  entier 
de  l'Afrique  ;  mais  un  naufrage  fit  échouer  son  projet.  —  Les 
notions  que  l'on  possé<lait  sur  le  littoral  d'orient  étaient 
plus  vagues  encore;  Marin  de  Tyr  y  indique  un  cap  Pra- 
sum,  qui  paraît  être  le  cap  Delgado.  —  Quant  à  l'intérieur 
de  l'Afrique ,  les  voyages  des  Grecs  ne  dépassèrent  pas 
l'oasis  d'Ammon  (Siouàh).  Hérodote  cependant  apprit  des 
Libyens  l'itinéraire  des  caravanes  jusqu'à  l'Atlas  par  le 
Fezzan  ;  il  eut  aussi  connaissance  d'un  fleuve  coulant  de 
l'ouest  à  l'est,  que  le  major  Kennell  reconnaît  pour  le 
Niger.  Les  Égyptiens  lui  dirent  encore  que  le  Nil ,  non 
loin  de  sa  source ,  coulait  de  l'ouest  à  l'est  ;  ce  que  les 
ex|>lorations  modernes  ont  confirmé  pour  les  sources  du  Nil- 
I51anc ,  trouvées  dix  degrés  plus  loin  qu'on  ne  l'avait  sup- 
posé. 

Les  Romains  contribuèrent  par  quelques  expéditions  aux 
progrès  de  la  géographie  africaine;  Suétonius  Paulinus 
traversa  le  premier  dans  l'ouest  le  grand  Atlas,  et  arriva  en 
dix  étapes  à  un  ileuve  que  sur  une  simple  consonnance  on 
a  voulu  retrouver  dans  le  Niger.  Cornélius  Balbus  porta 
les  armes  romaines  dans  le  ï"ezzan.  Julius  Maternus  em- 
ploya quatre  mois  à  se  rendre  dans  un  pays  où  il  trouva  le 
rhinocéros,  et  Septimius  Flaccus  voyagea  trois  mois  en 
Ethiopie.  Ces  deux  dernières  expéditions  ne  sont  d'ailleurs 
connues  que  par  une  simple  mention  de  Ptolémée.  A  ces 
voyages,  aux  observations  recueillies  par  des  savants  comme 
Strabon ,  Ptolémée ,  Pline  et  leurs  abréviateurs  Denys  le 
Périégèle,  Pomponius  Mêla,  Julius  Solinus,il  faut  joindre 
deux  documents  officiels  du  plus  baut  intérêt  :  le  premier 
est  la  notice  des  grandes  routes  militaires  de  l'empire  ro- 
main ;  le  second  est  l'/^/Hcrflire,  rédigé  au  temps  d'Alexandre- 
Sévère.  Les  routes  qui  y  sont  détaillées  ne  dépassent  pas 
l'Atlas,  mais  constituent  toutefois,  pour  les  pays  qu'elles 
comprennent ,  le  réseau  géodésique  le  plus  parfait  que  nous 
possé<lions  encore. 

Malgré  toutes  ces  découvertes,  nous  voyons  au  sixième 
siècle  le  moine  égyptien  Cosmas  Indicopleustès  considérer 
l'Afrique  comme  une  immense  plaine  carrée ,  deux  fois  aussi 
longue  que  large,  entourée  de  tous  aîtés  par  l'Océan ,  et  au- 
tour de  laquelle  s'élevait  un  grand  murqui  supportait  la  voûte 
du  firmament,  sous  laquelle  le  soleil  et  la  lune  tournaient 
autour  d'une  niontiigne  en  forme  de  quille.  Strabon  avait  ce- 
pendant déjà  donné  à  l'Afrique  la  forme  d'un  rectangle,  dont 
les  côtes  septentrionales  tonnaient  la  base,  le  Nil  et  les  côtes 
de  la  mer  d'Ethiopie  l'angle  droit ,  et  la  côte  occidentale 
l'hypothénuse. 

De  tous  les  peuples  anciens  et  modernes  aucun  n'a  eu 
sur  l'intérieiu-  de  l'Afrique  des  notions  aussi  exactes  que  les 
Arabes.  Dès  le  dixième  siècle,  3Iassude  Kothbeddin  |)nhlia 
dans  ses  ouvrages  (  In  Plaine  dorée  et  la  Mhir  de  f)ia- 
manls)  une  description  de  cette  contrée.  Ebn-Aoukal  de 
Bagdad  écrivit  également  au  dixième  siècle  son  Livre  des 
Routes  et  des  Roijaumes ,  ti  parcourut,  dit-on,  toutes  les 
possessions  musulmanes  en  Afrique  ,  aussi  bien  qu'en  Eu- 
rope et  en  Asie.  Un  siècle  après,  Abou-Obéid-el-Bekii 
composa  aussi  un  Livre  des  Roules  et  Roijaumes,  où  les  pays 
les  plus  reculés  de  l'Afriipic  sont  décrits  d'après  le  témoi- 


AFR 

gnagc  Tcrbal  «Ui  fakir  voyageur  Abd-cl-Malek.  Pliisfanl,  Kbn- 
el-\Vardi,  tlaus  sa  Perle  merveilleuse,  ilomia  des  renseigiie- 
inent  tn^'s-coniplets  sur  l'Afrique.  A  un  autre  siècle  de  dis- 
taiu'«  le  scliorif  El-Edrisi,  natif  de  Ceuta  et  courtisan  de 
Roger  de  Sicile  ,  étendit  plus  loin  que  les  précMents  ses  in- 
diquions géographiques.  11  nonuue  les  montagnes  de  la  Lune 
et  même  la  ciUe  de  Sofala.  Aboul  Féda  reproduisit ,  au 
qualoiiièmc  siècle ,  les  écrits  de  ses  devanciers.  Peu  après 
voyagea  pendant  trente  années  consécutives  Kl)n-15atouta  de 
Tanger,  qui  a  le  premier  mentionné  ïombouctou  ;  il  visita 
cette  ville  en  1353.  >ous  passons  sous  silence  d'autres  voya- 
geurs pour  arriver  au  célèbre  El-Uassan  de  Grenade,  si 
conini  sous  le  nom  de  Léon  l'Africain,  qui  visita  deux  fois 
Tomhouctou  et  nous  a  laissé  une  dcscrii)tlon  étendue  de 
l'Afiique  ,  rédigée  par  lui-môme  en  italien.  Elle  n'étend  pas 
beaucoup  le  cercle  des  connaissances  géographiques ,  mais 
on  y  trouve  des  détails  intéressants.  Quant  à  Marmol ,  il 
n'est  le  plus  souvent  que  le  copiste  de  Léon  l'Africain, 
quoiqu'il  ail  parcouru  lui-même  plusieurs  des  pays  qu'il  a 
(lécrits. 

Les  découvertes  des  Européens  ont  été  bien  tardives.  Il 
parait  prouvé  qu'en  1364  des  marchands  de  Dieppe  et  de 
Rouen  envoyèrent  des  expéditions  jusqu'au  delà  de  Sierra- 
Leone,  et  fondèrent  à  l'embouchure  du  Rio-dos-Cestos  le  comp- 
toir du  Petit-Dieppe;  l'année  suivante  ils  poussèrent  leurs 
explorations  jusqu'à  la  Côte  d'Or,  et  écheloimèrent  successi- 
vement leurs  établissements  depuis  le  cap  Vert  jusqu'à 
la  Mine,  où  ils  bâtirent  une  église  en  1383.  En  1346  un  Ca- 
talan, nommé  Ferrer,  envoya  de  Majorque  une  galère  à  la  Ri- 
vière d'Or ,  figurée  au  sud  du  cap  Rojador  sur  im  portulan 
de  1375,  qui  existe  à  la  Bibliothèque  Nationale  de  Paris.  Ma- 
dère et  les  Canaries  y  sont  également  tracées  en  détail  ;  ce 
qui  oblige  à  les  retrancher  du  nombre  des  découvertes  por- 
tugaises ,  puisque  Joao  Gonzalès  ne  fut  poussé  par  la  tem- 
pête à  Porto-Santo  qu'en  14 IS  ,  et  que  ces  îles  avaient  été 
visitées  dès  1341  par  le  Florentin  Angelino  del  Tegha  de 
Corbizzi  et  le  Génois  Nicolaso  Recco.  Gil  Janez  ne  doubla 
le  cap  Bojador  qu'en  1434,  et  Antonio  Gonzalès  ne  parvint 
à  la  Rivière  d'Or  qu'en  1442.  Diniz  Fernandez  arriva  au  Sé- 
négal en  1446.  Nuno  Tristao ,  après  avoir  vu  le  Rio  Grande, 
atteignit  en  1447  le  fleuve  qui  porte  son  nom,  et  où  il  reçut 
la  mort  ;  le  Yénitien  Ca-da-Mosto  et  le  Génois  Antonio  di 
Noli  visitèrent  les  îles  du  Cap  Vert  en  1455.  Pedro  de  Cintra 
s'avança  en  1462  jusqu'à  la  côte  de  Guinée,  et  rapporta  de 
la  poudre  d'or  et  quelques  Nègres,  qui  firent  naître  l'idée  de 
l'infâme  trafic  auquel  on  ne  tarda  pas  à  se  livrer  (  voyez 
Traite  dks  Ni:cKEs).  Joao  de  Santarem  en  1471  parvint  à 
la  Côte  d'Or,  où  l'on  bâtit  le  fort  Saint-Georges  de  la  Mine 
en  14S2,  un  siècle  depuis  que  les  Français  y  avaient  élevé 
leur  église  Deux  ans  après,  Alonzo  d'Averio  abordait  au 
Bénin  et  Diego  Cam  au  Congo  ;  on  longea  rapidement  en- 
suite la  crtte  australe ,  et  Barthélemi  Diaz  atteignit  le  cap  des 
■  Tourmentes,  que  le  roi  Jean  de  Portugal  aima  mieux  appeler 
le  cap  de  Bonne-Espérance.  Vasco  de  Gama  le  doubla 
en  1497,  toucha  à  la  côte  de  Natal,  visita  Mozambique,  Me- 
linde.  Pedio  Alvarez  Cabrai  vint  en  1500  à  Quiloa,  Albu- 
querqueen  1503  à  Zanzibar,  et  Pedro  de  Anayaen  1506  à  So- 
fala ,  où  il  bâtit  un  fort. 

Liis,  contours  de  l'Afrique  une  fois  découverts,  on  voulut 
connaître  l'intérieur.  Alors  commence  cette  magnifique 
série  de  tentatives  et  d'efforts  tentés  par  les  Européens ,  et 
continués  avec  une  admirable  persévérance  pendant  plus  de 
deux  siècles  et  demi.  En  1588  Thompson  pénétra  jusqu'à 
Tenda,  en  remontant  la  Gambie.  En  1620  Robert  Jobson 
arrive  aussi  a  Tenda  par  le  môme  fleuve.  En  1670  Paul 
Imbert,  des  Sables-d'Olonne,  parti  de  Maroc,  atteignit  Tom- 
houctou. En  169S  de  Bruc  alla  jusqu'à  Galam  par  Saint- 
Louis,  à  Bambouc  par  !a  côte  de  Noun.  En  1711  Hougli- 
ton  parvint  à  Aud-Amar  par  la  Gambie.  En  1715  Compagnon 
arriva  à  Bambouc  par  Saint-Louis.  Enllii,  eu  1723  Stibbs 


IQllE  167 

visita  de  nouveau  les  mômes  lieux  en  remontant  la  Gambie. 
Quelques-uns  des  voyageurs  que  nous  venons  de  rappeler 
furent  les  agents  d'une  Société/rançaise  d'Afrique  au  Séné- 
gal, qui  existait  dès  le  milieu  du  dix-septième  siècle.  En  172!) 
on  publia  à  Paris  la  Nouvelle  Relation  de  V  Afrique  occiden- 
tale du  P.  Labat,  qui  répandit  beaucoup  de  lumières  sur 
cette  partie  delà  géographie.  En  1731  Moore,  et  Deflandre 
en  1742,  pénétrèrent  encore  à  Bambouc  par  le  même  che- 
min, ainsi  qu'Adansoneu  1749.  —  De  Lisle, et  plus  tard 
d'A  n  V  i  1 1 e ,  profitèrent  avec  intelligence  de  ces  voyages  mul- 
tipliés pour  les  cartes  qu'ils  publièrent  à  cette  époque.  Vers  la 
fin  du  dix-huitième  siècle  l'ardeur  des  explorateurs  sembla 
redoubler.  En  1784Follier,  et  l'année  suivante  Brisson,  re- 
connurent encore  Bambouc;   ils  étaient  venus  par  la  côte 
de  Noun.  A  peu  près  en  môme  temps  Grégorio  Mendez  par- 
courait l'intérieur  des  terres  au   sud  de  Benguela  jusqu'au 
cap  Negro.  Roubaud  en  1786,  en  cherchant  le  Niger,  fraya  la 
route  de  Galam  par  terre ,  et  l'année  suivante  Picard  ,  parti 
de  Saint-Louis,  s'avança  jusqu'à  Fouta-Toro.  Enfin,  en  1788 
se  fonda  la  Société  Africaine  de  Londres,  qui  donna  à  ces 
entreprises  une  tendance  plus  uniforme  et  plus  suivie.  Ce- 
pendant les  premiers  voyages  faits  au  nom  de  cette  association 
eurent  peu  de  succès  :  John  Ledyard  et  Lucas  en  1788,  le 
major  Houghton  en  1791,  qui  atteignit  Aud-Amarpar  la  Gam- 
bie et  mourut  avant  de  parvenir  à  Bambouc  ;  Watt  et  Win- 
terbottom  en  1794,  qui  s'avancèrent  jusqu'à  Timbo  sur  le 
Rio  Nunez,  ne  virent  pas  leurs  tentatives  couronnées  de  succès. 
Le  premier  voyage  de  l'illustre  Mungo-Park,  en  1795,  lui 
attira  une  captivité  rigoureuse.  Il  avait  remonté  la  Gambie 
et  pénétré  jusqu'à  Silla  sans  atteindre  le  Djoliba.  11  retourna 
en  Afrique  en  1805,  et  y  resta  six  années  consécutives;  il 
atteignit  le  Niger  à  Bamakou,  s'embarqua  à  Sansanding,  et 
suivit  le  fleuve  jusqu'à  Cabra,  Houssa  et  Boussa,  se  diri- 
geant vraisemblablement  vers  Tombouctou  ;  mais  vers  le 
commencement  de  janvier  1806,  entraîné  par  la  lapidité  du 
courant,  il  fit  naufrage,  et  se  noya  non  loin  de  Boussa.  Sa 
relation  finit  au  16  septembre  1805,  à  Sansanding.  La  der- 
nière nouvelle  certaine  qu'on  en  ait  eue  depuis  est  une  lettre 
de  lui  à  sa  femme,  datée  du  19   novembre.  Rœptgen  de 
Neuwield  périt  également  en  se  rendant  à  Tombouctou  en 
1809.  L'ordre  des  dates  nous  conduit  ensuite  au  matelot 
américain  Robert  Adaras,  nommé  aussi  Benjamin   Rose, 
dont  les  récits ,  faux  ou  vrais,  sont  tellement  pleins  d'exa- 
gération, que  ses  compatriotes  môme  ne  voulurent  pas  y 
ajouter  foi.  L'Américain  Riley,  qui  naufragea  sur  la  côte 
ouest  de  l'Afrique,  et  devint  esclave  du  prince  maure  Sidi- 
Hamet,  obtint  de  lui  d'importants  renseignements  sur  la 
ville  de  Tombouctou.  Les  Anglais  Peddie  et  Campbell,  aux- 
quels s'était  joint  le  Saxon  Adolphe  Kuraraer,  suivirent  le 
Rio-Nunez  pour  pénétrer  dans  l'intérieur.  Le  second  réussit 
à  arriver  assez  près  de  Timbo  ;  mais  tous  trois  vinrent  aug- 
menter le  nombre  des  martyrs  de  l'amour  de  la  science, 
et  périrent  victimes  du  climat,  au  milieu  des  sables.  Le  ca- 
pitaine Tuckey,  en  1816,  et  ses  dix-sept  compagnons  fini- 
rent tous   misérablement  en  trois   mois  sur  les  rives  du 
Congo.  Le  major  Gray  fut  contraint ,  en  1818 ,  de  renoncer 
à  son  expédition  par  les  préparatifs  hostiles  des  populations, 
ainsi  que  P.  Rouzey.  Belzoni  et  Bodwich  furent  victimes  de 
leur  dévouement.  Dupiûs  et  Hutton,  en  1820,  ne  dépassèrent 
pas  la  capitale  des  Achantis  ;  en  revanche,  la  découverte  des 
sources  du  Sénégal  et  de  la  Gambie  fut  obtenue  par  Mollien, 
qui  dès  1818  avait  remonté  le  cours  de  ces  fleuves  et  du 
Rio-Grande,  jusque  non  loin  deTimbo.  Bien  que  ses  voyages 
manquent  entièrement  d'observations  sur  la  géographie  ma- 
thématique des  lieux  qu'il  a  visités,  on  ne  lui  est  pas  moins 
redevable  de  renseignements  et  de  faits  précieux  sur  plusieurs 
portions  de  la  Sénégambie  et  le  plateau  de  Futadjallon,  con- 
trées entièrement  inconnues  avant  lui.  En  1822  Laing, 
parti  de  Sierra-Leone,  essaya  en  vain  de  découvrir  les  sources 
du  Niger.  Clapperton,  Oudney  et  Denham  en  1822  péné- 


ir,8 


AFRIQUE 

(rèrent  «lans  l'empire  Bornou  par  le  Fezzan;  arrivi^rcnt  à 
Koiika,  ville  située  sur  le  lacTchad  ,  et  atteignirent  Sakatou, 
cuipitale  du  Soudan.  Kn  1827  Laing  entreprit  un  second 
voyage;  évitant  la  route  de  Bornou,  il  se  dirigea  de  Tripoli 
sur  l'oasis  d'Aglaby,  traversa  le  Sahara  dans  son  milieu, 
et  arriva  à  son  but,  à  cette  ville  de  Toinbouctou,  dont  on 
avait  ouï  raconter  tant  do  merveilles.  IMallieureusement  ce 
voyageur  ne  revit  point  l'Europe;  car,  s'étant  avancé  au 
sud  vers  Ségou,  il  fut  assassiné  par  un  marchand  maure 
tpi'il  avait  engagé  comme  guide. 

La  connaissance  positive  de  ïomboncton,  cette  grande  la- 
cune de  la  géographie  si  souvent  signalée,  fut  enfin  obtenue 
par  René  Caillié,  qui,  parti  du  Kakondi  sur  le  Rio-Nunez , 
arriva  a  ïimé  et  gagna  Djt-nné,  d'où  il  suivit  le  cours  du 
ISiger  jusqu'à  ce  mystérieux  Tombouctou,  qu'il  put  le  pre- 
mier décrire  à  l'Europe.  En  1S27  Clapperton  et  Lande r 
atteignirent  Sakatou  par  le  golfe  de  Bénin,  en  traversant  les 
royaumes  jusque  là  inconnus  de  Janiba  et  de  Borgou.  Clap- 
perton, mal  reçu  par  le  sultan  des  Fellahs,  sur  l'amitié  duquel 
il  croyait  pouvoir  compter,  et  découragé,  mourut  à  Sakatou. 
La  gloire  lui  reste  d'avoir  trouvé  le  premier  que  le  Niger 
courait  au  sud  à  partir  de  Tombouctou,  d'abord  dans  une 
direction  un  peu  orientale  vers  KylTé,  mais  dont  il  se  dé- 
tourne ensuite  dans  le  pays  de  Funda  pour  se  jeter  à  l'ouest 
dans  le  golfe  de  Guinée.  11  détermina  aussi  la  position  de 
IJoussa  et  d' Vaouri.  C'est  aux  frères  Lander  que  fut  réservée, 
eu  1830,  la  gloire  de  constater  irrévocablement  le  fait  prévu 
par  Clapperton  de  l'embouchure  du  JNiger  sur  le  golfe  Atlan- 
tique. Us  descendirent  ce  lleuve  depuis  Yaoury  jusqu'au  cap 
Formose,  ayant  parcouru  neuf  cents  milles  anglais.  Depuis  la 
mort  de  Lander,  une  compagnie  commerciale  se  forma  à  Glas- 
cow  pour  établir  par  le  Niger  des  relations  avec  les  naturels 
de  l'inlérieur.  Le  colonel  Nichols  fut  chargé  de  cette  mission. 
Lnlin,  en  1840  une  société  anglaise,  formée  pour  l'extinction 
de  la  traite  des  esclaves  et  la  civilisation  de  l'Afrique,  et 
placée  sous  le  patronage  du  prince  Albert,  confia  à  des  of- 
ficiers de  la  marine  britannique  la  mission  de  remonter  le 
Niger  avec  trois  bateaux  à  vapeur.  Mais  cette  expédition  n'a 
pas  donné  de  grands  résultats. 

Dans  la  région  du  Nil,  les  magnifiques  travaux  de  l'expédi- 
tion d'Egypte  ont  jeté  sur  ce  pays  de  vives  lumières.  11  serait 
ingrat  d'omettre  Norden  et  Pockoke  (1737),  Hamilton,  qui 
arriva  jusqu'à  Syène  en  1801,  ainsi  que  Legh  et  Light 
en  1814,  et  W'addington  en  1820;  mais  les  notions  les  plus 
exactes  et  les  plus  étendues  que  nous  possédions  sur  ces 
contrées  sont  incontestablement  dues  à  1  infiUigable  et  con- 
sciencieux'Suisse  Burckhardt,  qui  réunissait  à  une  érudition 
rare  un  esprit  d'observation  remarquable.  Il  partit  sous  les 
auspices  de  la  compagnie  Anglo-Africaine,  et ,  après  plu- 
sieurs années  de  voyages  pénibles  en  Syrie  et  en  Egypte , 
pénétra  jusqu'au  Dongolah;  traversant  ensuite  le  désert 
Libyque,  il  passa  à  Berber  et  Schendy,  et  parvint  à  la 
mer  Rouge  par  le  Soudan;  de  là  il  s'embarqua  pour  la  Mec- 
que et  partit  de  celte  ville  pour  visiter  le  mont  Arafat  (Ara- 
rat).  La  mort  le  surprit  au  Caire  en  1815  ,  au  moment  oii 
il  se  préparait  à  pénétrer  dans  l'intérieur  de  r.\frique  avec 
une  caravane  du  Fezzan  ,  par  le  chemin  qu'avait  déjà  suivi 
Hornemann.  Celui-ci,  Allemand  de  naissance,  mais 
voyageur  de  l'^l/'rica?!  Association,  partit  en  1798,  du  Caire, 
gagna  le  Fe/zan  à  travers  les  oasis  de  Siouah;  arrivé  à 
Mourzouk,  il  y  recueillit  de  nombreuses  informations  sur 
les  populations  du  désert  et  sur  le  pays  de  Bornou,  pour  le- 
quel il  se  mit  en  route  en  1806.  On  n'a  plus  eu  de  ses  nou- 
velles. L'Anglais  Lead  nous  a  laissé  une  description  aussi 
exacte  qu'intéressante  du  pays  de  Dahomé,  que  Dazel  et 
Norris  ne  nous  avaient  fait  connaître  que  très-superficielle- 
ment. Lyon,  accompagné  de  son  ami  Ritchie  (qui  mourut 
à  Mourzouk  le  20  novembre  181'J),  du  naturaliste  Depoul  et 
du  savant  Anglais  Belfort,  partit  de  Tripoli,  pénétra, 
en  1819,  jusqu'au  désert  de  Bilinu,  à  l'extrémité  méridio- 


nale du  Fezzan ,  et  vint ,  par  une  relation  consciencieuse  de 
son  voyage,  publiée  à  Londjes  en  1821 ,  augmenter  les  no- 
tions que  l'on  possédait  sur  ces  pays. 

En  1820  Caillaud  remonta  le  Nil  plus  loin  que  tous  ses 
devanciers.  Suivant  une  autre  direction ,  Adolphe  Linant 
parcourut  en  1818  les  rives  du  Nil  supérieur.  Valentia  et 
Sait  poussèrent  plus  loin  les  découvertes  en  Abyssinie  ainsi 
que  Drovetti  dans  les  oasis.  11  faut  encore  citer  Gobah, 
Edouard  Riippel ,  Mimitoli,  Heimprich,  Galinier  etFerret, 
Ehrenberg,  d'Arnaud  et  Sabatier,  et  tout  récemment 
MM.  Combes  et  Tamisier  et  MM.  d'.tVbbadie. 

Quant  au  Sahara,  il  n'a  guère  été  vu  que  par  les  voyageurs 
qui  de  la  côte  barbaresque  se  rendaient  dans  le  Mely  ou  le 
Takrour,  ou  bien  par  quelques  naufragés  dont  aucun  ne 
mérite  une  mention  particulière  ;  le  littoral  méditerranéen 
a  été  exploré  par  délia  Cella  (1817),  Bechey  (1822),  Pacho  et 
Millier  (1825).  Le  Maroc  a  été  visité  par  le  général  Badia, 
connu  sous  le  nom  d'Ali-Bey,  en  1805  ;  par  le  lieutenant  de  la 
marine  anglaise  Washington,  en  1829. 

Dans  la  région  de  Mozambique  et  des  côtes  orientales,  les 
voyages  se  sont  concentrés  sur  le  fleuve  Zambezé  ;  le  plus 
ancien  est  celui  de  Francisco  Barreto,  envoyé  pour  découvrir 
des  mines  d'or.  Nous  voyons  en  1796  le  Portugais  Pereira 
pénétrer  à  la  cour  du  roi  de  Cazenbé  sur  le  Zambezé  supé- 
rieur, à  trois  mois  de  marche  d'Angola,  et  en  1798  le  colonel 
du  génie  La  Cerda  surpris  par  la  mort  dans  cette  même  ville 
de  Cazenbé.  Enfin,  en  1823  les  officiers  anglais  Brown, 
Forbes  et  Kilpatrik  ,  attachés  à  l'expédition  hydrographique 
du  capitaine  Owen,  remontèrent  le  Zambezé  jusqu'à  Sana,  et 
reçurent  d'un  colon  portugais  une  notice  très-remarquable 
sur  le  pays ,  qui  fut  publiée. 

Si  nous  sommes  en  défaut  sur  cette  partie  de  l'Afrique, 
poiu-  la  région  du  Cap  les  relations  abondent.  A  ne  citer 
que  les  plus  remarquables ,  nous  indiquerons  celle  de  Le- 
vaillant ,  dont  on  a  contesté  parfois  la  véracité  ;  celle  de 
John  Barrow,  qui  a  voyagé  en  1797  et  1798  dans  toute  la 
colonie,  et  au  delà  chez  les  Cafres  et  les  Bojesmans  ;  celle 
de  Trutter  et  Somerville,  qui  en  1801  et  1802  se  sont 
avancés  jusqu'à  Litacou ,  capitale  des  Bedjouanas  ;  celle  de 
Lichtenstein,  qui  se  rapporte  à  l'année  1803  ;  celles  de 
W.  Burchell,  1811  et  1812  ;  de  Campbell,  en  1812  et  1820; 
de  Thompson,  de  1821  à  1824;  de  Phelips,en  1825;deCooper 
Rose,  en  1824  et  1828;  l'itinéraire  du  missionnaire  Rolland 
jusqu'à  Mosika,  et  celui  du  marchand  ambulant  Hume,  en 
1833,  qui  alla  jusqu'à  vingt-six  journées  au  nord-est  de  Mo- 
sika, chez  des  peuples  qui  paraissent  avoir  des  rapports  com 
merciaux  avec  Mozambique.  Le  capitaine  James  Edward 
Alexander  a  traversé  le  fleuve  Orange ,  le  Kaisip  ou  Rivière- 
Rouge,  et  poussé  jusqu'à  la  baie  de  Wahvish,  par  22°  de  lat. 
sud.  MM.  Arbousset  et  Daumas  ,  missionnaires  protestants, 
dans  un  voyage  d'exploration  entrepris  en  1836,  au  nord- 
est  du  cap  de  Bonne-Espérance,  dont  la  relation  a  été  publiée 
à  Paris  en  1842,  ont  trouvé  la  source  des  principaux  fleuves 
de  l'Afrique  méridionale  dans  une  montagne  qui  termine 
au  nord  la  chaîne  des  montagnes  Bleues  :  l'Orange,  le  Ca- 
lédon ,  le  Namagari,  le  Létonélé  et  le  Mononémon  ont  tous 
une  commune  origine,  et  descendent  dans  diverses  directions, 
au  sud-ouest ,  au  sud ,  au  nord  et  au  nord-est,  d'une  même 
montagne  que  ces  voyageurs  ont  nommée  le  Mont-aux- 
Sources. 

De  hardis  voyageurs  ont  encore  exploré  l'Afrique  dans 
ces  derniers  temps  ;  parmi  eux  nous  citerons  M.M .  Ba  r  t  h,  R  i- 
cliardson,  Overweg, David  Livingstone, Edouard  Vo- 
gel,  Anderson,  Albert  Roscher,  Rebraann,  Bayard  Taylor, 
belegorgue,  Laird,  R.  Burton  et  J.  Speke,  etc.,  etc.  Plu- 
sieurs ont  payé  de  leur  vie  leur  généreuse  entreprise. 

Consulter  Hérodote,  Strabon,  Ptolémée,  Edrisi,  Léon  l'A- 
fricain ,  Shaw,  V Afrique  de  Mariaol,  les  Recherches  sur 
l'intérieur  de  V Afrique  septentrionale ,  par  Wakkenaer, 
V Histoire  générale  des  Voyages,  ou  Aouvelle  CoUeclior 


AFRIQUE  — 
des  Relations  de  Voyages  par  mer  et  par  terre  (Paris, 
1S57,  14  vol.);  Ritter,  Géographie  générale  eomparée 
(Afrique);  d'Avczac,  Esquisse  générale  dcV  Afrique  (Paris, 
1837);  Essai  sur  les  Progrès  de  la  Géographie  de  l'In- 
térieur de  l'Afrique,  par  la  Renaudière  (Paris,  1520);  les 
3IéTnoires  de  MM.  Jomard,  d'Avezac  et  Frecman;  le  Bul- 
letin des  Sciences  Géographiques ,  les  A'ouvellcs  Annales 
des  Voi/agcs,  et  les  relations  des  Toyageurs  que  nous 
avons  cités. 

AFZELIUS,  nom  d'une  célèbre  famille  de  savants 
suédois.  —  Ada77i  ArzÉucs,  né  à  Larf ,  en  Westgothlanil , 
le  S  octobre  1750,  mort  le  "^6  janvier  IS37,  dernier  repré- 
sentant de  l'école  fondée  par  Linné,  fut  nommé  en  1777 
professeur  agrégé  de  littérature  orientale,  et  en  1785  dé- 
monstrateur de  botanique  à  l'université  d'Upsal.  En  1792 
il  se  rendit  en  qualité  de  naturaliste  dans  la  colonie  anglaise 
de  Sierra-Léone  en  .Vfriqne,  et  il  était  de  retour  de  cette 
mission  scientifique  dés  1794.  Deux  ans  après  il  fut  nommé 
secrétaire  d'ambassade  à  Londres  ;  mais  en  1799  il  reprit 
ses  fondions  à  Upsal,  oii  en  1812  il  devint  pioiesseur  de 
matière  médicale.  Il  s'est  fait  connaître  comme  écrivain 
par  i)lusieurs  ouvrages  relatifs  à  l'iùstoire  naturelle  et  par 
la  publication  de  l'autobiographie  de  Linné.  On  a  donné 
sou  nom  à  la  famille  de  plantes  Afzélia  ainsi  qu'à  diverses 
espèces  de  végétaux.  Sa  collection  de  plantes  fut  achetée 
pour  le  compte  de  l'université  d'Upsal.  —  Son  frère,  Jean 
.t^zÉLirs,né  en  1753,  professeur  de  chimie  à  Upsal  de- 
puis 1784,  mort  le  20  mai  1837  ,  après  avoir  été  admis  à 
la  retraite  en  1820 ,  contribua  beaucoup  aux  progrès  de  la 
chimie  sans  avoir  cependant  jamais  rien  écrit  sur  cette 
science.  —  Pehr  Afzélids,  frère  des  précédents,  né  en 
1760  ,  professeur  de  médecine  à  Upsal  depuis  isoi,  mé- 
decin ordinaire  du  roi  de  Suède  à  partir  de  1812,  et  anobli 
en  1816,  admis  également  en  1820  à  faire  valoir  ses  droits  à 
la  retraite,  cultiva  avec  ardeur  les  sciences  pendant  les 
premières  années  de  sa  carrière ,  et  fut  longtemps  l'im  des 
médecins  praticiens  les  plus  célèbres  de  la  Suède.  Il  est 
mort  le  2  décembre  1 839.—  Andcrs-Erik  Avzélks,  parent  des 
précédents, né  le  25 avril  1779,  futde  1818  à  1821  professeur 
de  jurisprudence  à  Aloo.  Devenu  suspect  au  gouvernement 
russe  en  raison  de  ses  sentiments  politiques,  il  reçut  en  1831 
l'ordre  d'abandonner  le  pays,  et,  ayant  différé  d'obéir,  il 
fut  exilé  à  Wiatka.  Mais  en  1835  il  oblint  l'autorisation  de 
revenir  en  Finlande,  se  fixa  à  W'illmanslrand  et  plus  tard 
à  Riga.  —  Arvtd-Ariguste  Afzélius,  né  en  1785,  pasteur 
à  EnKœping  depuis  1821,  s'est  fait  un  nom  glorieux  par 
ses  recherches  sur  l'antique  littérature  du  Nord  et  aussi  par 
ses  productions  poétiques.  Il  s'était  de  bonne  heure  occupé 
d'une  façon  toute  spéciale  des  anciens  chants  populaires  de 
son  pays,  et  avait  essayé  de  composer  quelques  poèmes 
originaux  dans  l'ancien  dialecte  populaire.  Il  a  été  le  colla- 
borateur de  Geijer  pour  la  publication  des  Svenska  Follî- 
visor  (  chants  populaires  suédois,  3  vol.  ),  avec  les  anciennes 
mélodies  objets  des  travaux  de  Hieflner  à  Upsal  et  de 
Gronland  à  Copenhague.  On  a  de  hii  une  excellente  traduc- 
tion de  la  Sxmundar  Edda  et  de  la  Herwara-Saga.  Sa  tra- 
gédie Den  sinta  Follningen  n'est  remarquable  qu'au  point 
de  vue  lyrique.  On  a  en  outre  de  lui  une  histoire  de  Suède 
basée  sur  les  traditions  nationales,  Svenska  Jnlkets  sa- 
gohxfder,  vaste  Ir.avail  qui  parut  de  1839  à  1843. 

AGA  ou  AGHA.  Ce  mot,  qui  ?,\gmi\Q  seigneur,  est  donné 
par  les  Turcs  aux  commandants  des  troupes,  aux  ofliciers 
dn  palais  de  l'empereur,  aux  cliefs  des  eunuques ,  enfin  à 
tout  individu  chargé  d'im  commandement  spécial.  C'est  en 
outre  un  titre  de  politesse,  de  déférence,  que  l'on  donne  aux 
personnes  de  distinction.  —  Vaga  des  silihdar  est  le  chef 
de  l'infiinterie ,  X'aga  des  spahis  est  le  chef  de  la  cavalerie, 
Vaga  des  topidchis  est  le  chef  de  l'artillerie.  Le  chef  des 
eunufiues  noirs  se  nomme  kizlar-aga,  et  le  chef  des  eunu- 
'.{nei  hhmc?.  kapou-aga.  L'aga  des  janissaires  était  le.gé- 

mCT.   DE   L*   C0XVEK£\TI0y.    —    T.    I. 


AG.\CERn:S 


tG9 


néral  de  cette  troupe  redoutable,  et  avai-1  presque  autant  de 
pouvoir  que  le  grand  vizir. 

Sous  l'administration  turque  h  Alger  il  y  avait  aussi  im 
aga,  ou  conmiandant  des  troupes.  Il  avait  dans  ses  attri- 
butions les  affaires  des  outhans  ou  districts  de  la  plaine,  et 
son  autorité  s'étendait  sur  la  province  d'Alger  tout  entière, 
mais  pas  au  delà.  Il  avait  sous  ses  ordres  les  kaids  et  les 
kadis;  il  disposait  de  toutes  les  milices  irrégidières ,  spahis, 
abids,  etc.,  pour  percevoir  les  impôts  et  maintenir  les  po- 
pulations dans  l'obéissance.  —  Sous  l'administration  française 
on  a  donné  le  même  titre  à  quelqu'un  d"  jos  officiers  dont 
le  pouvoir  administratif  et  militaire  s'étendait  sur  les  tribus 
qui  dépendent  d'Alger. 

AGACEMENT,  état  nerveux  qui  se  manifeste  souvent 
aux  dents ,  lorsqu'on  mâche  des  fruits  trop  acides  ou  d'autres 
substances  acerbes.  Ce  phénomène  résulte  de  l'action  spé- 
ciale de  l'acide ,  qui ,  sinsinuant  à  travers  les  interstices  de 
l'émail ,  pénètre  jusqu'au  noyau  osseux  intérieur  de  la  dent, 
dans  lequel  se  distribue  le  rameau  du  nerf  qui  la  vivifie. 
Ce  nerf  acquiert  alors  une  sensibilité  plus  délicate  aux  moin- 
dres impressions.  Il  en  est  de  même  dans  l'agacement  causé 
par  des  cris  perçants  ou  réches  et  aigus ,  qui  émeuvent  la 
portion  dure  de  la  septième  paire  (acoustique),  laquelle  se 
répartit  aussi  aux  gencives  et  aux  dents. 

Mais  Vagacement  ne  se  borne  pas  à  ces  faits,  il  offre  un 
ébranlement  plus  général  dans  l'appareil  nerveux  ;  plus  que 
le  chatouillement ,  il  est  cette  excitation ,  cet  éveil  particu- 
lier, causé  par  quelque  émouslillement  ou  même  par  des 
titillations  locales  d'organes  chez  lesquels  s'épanouissent  des 
houppes  nerveuses  abondantes ,  comme  aux  orilices  (  la 
bouche,  les  narines,  l'oreille,  les  parties  sexuelles,  le  ma- 
melon ,  l'anus,  etc.).  Les  individus  tendres  et  délicats ,  les 
femmes ,  les  jeunes  gens ,  ayant  beaucoup  de  vibratilité  dans 
leurs  tissus,  sont  plus  disposés  à  ces  agacements  que  la 
vieillesse,  racornie ,  sèche,  demi-morte.  Les  personnes  trop 
blasées  par  les  jouissances  sont  plutôt  émoussées  qu'agacées 
par  ces  sollicitations  et  frictions  légères  sur  certaines  régions 
de  la  peau ,  puisque  les  chatouillements  même  de  la  plante 
des  pieds  et  des  aisselles  ne  les  émeuvent  plus  guère. 

Au  moral,  Vagacement  des  nerfs  peut  être  déterminé  par 
certaines  contrariétés  dans  les  volontés,  les  désirs,  les  es- 
pérances (ou  désappointements),  et  surtout  aussi  par  des 
dépits,  des  picoteries  d'amour-propre  froissé.  Il  en  peut  ré- 
sulter des  mouvements  spasmodiques  d'ennui ,  avec  pandi- 
culations,  bâillements,  disposition  à  l'irascibilité,  suscepti- 
biUié  vive  pour  les  moindres  occasions  de  mauvaise  humeur. 
Il  y  a  des  caractères  tellement  agaçables  ,  comme  les  per- 
sonnes à  fibres  grêles  et  mobiles ,  qu'alors  ils  partent  avec 
explosion  ,  sans  pouvoir  se  contraindre.  Tels  sont  aussi  des 
je4mes  gens  excités  par  le  vin,  l'amour  ou  les  passions  se- 
crètes, etc.;  ils  se  disent  tout  en  feu.  Les  femmes  au  mo- 
ment de  la  menstruation  sont  particulièrement  agacées  par 
les  moindres  causes. 

Quant  aux  agaceries,  ce  terme  ne  doit  pas  être  oublié, 
car  il  Y  a  bien  véritablement  des  sollicitations  capables 
d'amorcer  les  esprits  comme  les  corps,  surtout  entre  les 
sexes.  Le  plus  faible  est  même  d'ordinaire  le  plus  coupable, 
pniscp'.e  l'action  directe  lui  est  interdite  par  la  pudeur.  Mais 
qui  ne  sait  combien  la  coquetterie ,  l'art  charmant  denlacer 
un  jeune  ceur  par  un  coup  d'œil  détourné,  par  cette  fuite 
entraînante,  par  ces  voiles  à  demi  entr'ouverls,  sont  mille 
fois  plus  piquants  que  de  l'effronterie  déliontée  et  sans  ver- 
gogne ?  Rien,  au  contraire,  ne  répugnerait,  ne  désenchanterait 
davantage.  La  saturation  détruit  l'illusion  qui  fait  le  charme 
de  cet  agacement  moral.  Toute  agacerie  et  l'excitation  qui 
en  résulte  ne  peuvent  donc  s'opérer  que  sur  un  système 
nerveux  non  épuisé  et  par  là  niênie  susceptible  de  quelque 
degré  d'exaltation  physique  et  morale.  J.-J.  V'ip.ey. 

AGACEÎliES,  signes,  mots,  actions  propres  à  éveiller 
l'attenlion  des  gens  avec  lesquels  on  se  trouve ,  et  les  obliger 


,70  AGACKIllKS  —  AGAMIE 

il  s'occuper  de  sot.  La  nature  ,  qui  in«t  les  enf.mts  dan-^  une 
(It-lJcnJance  si  absolue  ,  pour  des  bc^oias  nmltipliés  à  l'infiui 
sous  le  ra|)port  physique  et  moral ,  leur  inspire  mille  petites 
agaceries,  a(in  qu'ils  se  rendent  l'objet  de  soins  assidus.  Cet 
instinct  du  premier  Age  déj;cncre  souvent  eu  exigences  ca- 
pricieuses, et  devient  une  tyrannie  insupportable,  connne 
toute  domination  qui  n'a  pas  un  but  utile.  Si  Ion  Unit  jtar 
se  lasser  des  agaceries  d'un  c^tre  innocent  et  faible,  motivées 
par  des  besoins  toujours  renaissants,  que  sera-ce  des  aga- 
ceries que  tant  de  fenmies  croient  devoir  employer  dans  le 
mdim  but?  Alin  d'attirer  les  regards,  afin  d'exciter  un  infé- 
rcH  (juelconque,  elles  prodiguent  les  coups  d'œii  (urtifs,  les 
sourires  qui  laissent  ai)ercevoir  des  dents  blanches,  les 
mines  boudeuses  qui  dessinent  avec  tant  d'avantage  la  forme 
d'une  belle  bouche.  Le  pied,  s'il  est  joli,  ne  demeure  pas 
sans  activité;  il  est  montré  ou  dérobé  à  la  vue,  selon  la 
curiosité  (pi'il  excite.  Tendant  ces  ynaJiœuvrcs  toutes  ma- 
térielles ,  l'esprit  n'agit  pas  moins  que  le  corps  ;  il  cherche 
et  dicte  des  éloges  ironiques,  des  reproches  non  mérités, 
des  exclamations  de  surprise ,  d'inquiétude ,  de  léger  dédain, 
le  tout  exprimé  brièvement  et  avec  toute  la  fmesse  dont  on 
peut  être  capable.  Quelquefois  même  (  c'est  selon  la  position 
sociale  des  individus),  les  agaceries  consistent  à  bailler  qiicl- 
(/ites  taloches,  à  retirer  un  escabeau  et  a  faire  choir 
tout  (le  son  long  à  terre  celui  qui  s'en  servait,  ainsi  que 
nous  l'apprend  MoHère  dans  Don  Juan.  Mais  quelle  que  soit 
la  marche  suivie  par  les  femmes  agaçantes ,  elles  s'en  pro- 
mettent toutes  le  même  résultat  :  produire  de  l'effet  et  ne 
point  demeurer  inaperçues.  Les  agaceries  sont  à  l'usage  des 
coquettes,  et  varient  selon  leur  rang ,  leur  habileté ,  leur 
éducation.  Excepté  aux  yeux  de  l'homme  qui  se  croit  agacé, 
les  agaceries  d'une  femme  dévoilent  un  caractère  vaniteux , 
faux  et  immoral.  On  s'amuse  dans  le  monde  des  femmes 
agaçantes ,  on  ne  leur  accorde  aucune  estime  ;  et  il  n'est  point 
d'homme  qui  ne  redoute  pour  son  épouse  ou  ses  fdles  cette 
désignation  que  tant  de  femmes  ambitionnent,  bien  qu'elle 
les  prive  de  l'estime  du  monde  pendant  la  jeunesse  et  de 
son  rej^pect  quand  l'âge  augmente  encore,  par  le  ridicule,  la 
laideur  de  tous  les  défauts.  On  ne  saurait  donc  être  trop 
sobre  d'agaceries ,  et  les  femmes  qui  tiennent  à  leur  répu- 
tation doivent  absolument  se  les  interdire. 

Comtesse  de  Bradi. 

AGALLOCHE  ou  BOIS  D'ALOÈS,  BOIS  D'AIGLE, 
C.\LA:\IBAC  ,  substance  balsamique  nommée  a-jaloudjin 
par  les  Orientaux,  qui  l'estiment  depuis  un  temps  immémo- 
rial comme  parfum.  Cette  substance  odorante  est ,  à  ce  qu'il 
parait ,  une  huile  essentielle  contenue  dans  des  veines  d'une 
couleur  foncée  éparses  dans  le  corps  du  vieux  bois  d'un 
arbre  nommé  aquilaire  agalloche,  dont  on  l'extrait  en 
faisant  bouillir  ce  bois  dans  de  l'eau. 

AGAME  {Histoire  naturelle),  t'oyes  Agamie.  — On 
donne  aussi  le  nom  d'agame  à  un  genre  de  reptiles  sau- 
riens qui  fait  partie  de  la  famille  des  ignamiens  de  Cuvier; 
c'est  le  type  de  la  première  des  deux  sections  qui  compo- 
sent cette  famille ,  c'est-à-dire  des  agamiens ,  lesquels  se 
distinguent  des  ignamiens  proprement  dits  en  ce  qu'ils 
n'ont  pas  le  palais  armé  de  dents.  On  en  connaît  mainte- 
nant plus  de  dix  espèces ,  qui  sont  répandues  dans  plusieurs 
contrées  de  l'Asie ,  en  Afrique  et  dans  l'Océanie.  La  plus 
remarquable  est  Yagame  ocellé,  qui  doit  ce  nom  aux  taches 
jaunâtres  cerclées  de  noir  répandues  sur  son  ventre. 

AG.V:ME.M\0>I,  roi  de  Mycène  et  d'Argos,  fils  de 
Plisthène,  neveu  d'Atrée,  frère  de  Ménélas  et  d'Anaxibie.  Sa 
mère  s'appelait  Ériphyle  suivant  les  uns,  et  Aéroppe  suivant 
d'autres.  Selon  l'opinion  générale  et  celle  d'Homère,  il  était 
lils  d'.A.trée  ;  du  moins  Homère  appelle  presque  toujours  les 
deux  frèras  les  Atrides.  Une  destinée  ennemie  ne  cessa  de 
poui^^uivre  cette  race  héroïque,  depuis  Tantale  jusqu'à  Aga- 
meuinon  et  ses  enfants  (voyez  Tantale,  Piii.oi-s,  Atuée, 
ÏUVESTE).  Aganiemnon  régnyit  sur  Jlycène,  cl  son  empire 


s'étendait  sur  une  p:\rt'e  de  l'Achaïe,  sur  l'Argolide,  et  sur 
les  îles  voisines.  11  avait  eu  de  Clytemnestre ,  son  épouse , 
.Iphigénie,  Electre,  Chrysothémis  et  Oreste.  Lorsque  éclata 
la  guerre  de  Troie,  dont  il  fut  un  des  instigateurs,  il  arma 
cent  vaisseaux  et  en  céda  soixante  aux  Arcadiens.  Son  armée 
se  rassembla  enAulide.  Agamemnonen  prit  le  commandement 
général,  ce  qui  le  fit  surnommer  le  roi  des  rois.  Diane  ayant 
suspendu  le  départ  de  la  flotte  grecque  en  arrêtant  les  vents, 
l'orgueil  d'Agamemnon  le  poussa  à  sacrifier  sa  fille  Iphi- 
génie pour  apaiser  la  déesse,  qui  avait  d'abord  demandé  ce 
sacrifice  en  réparation  d'un  outrage;  enfin  l'armée  grecque 
put  partir  et  arriver  devant  Troie.  Pendant  le  long  siège 
de  cette  ville,  Agamemnon  se  distingua  toujours  des  autres 
princes,  et  se  montra  digue  de  son  rang  dans  les  conseils  et 
sur  le  champ  de  bataille.  Sa  querelle  avec  Achille  est  le 
fond  de  toute  Y  Iliade.  A  son  retour  dans  ses  foyers ,  après 
la  prise  de  Troie,  Égisthe,  fils  de  Thyeste,  à  qui  il  avait 
pardonné  le  meurtre  d'Atrée ,  et  à  qui  il  avait  confié  sa 
femme  et  ses  enfants ,  le  surprit  pendant  son  repas,  et  l'as- 
sassina ,  de  complicité  avec  Clytemnestre.  Ce  monstre  as- 
sassina également  Cassandre,  fille  de  Priam,  ainsi  que  ses 
enfants.  Tel  est  le  récit  d'Homère.  Selon  d'autres,  ce  serait 
Clytemnestre  elle-même  qui  aurait  égorgé  son  époux  au  bain  ; 
les  uns  attribuent  la  cause  de  son  crime  à  l'adultère ,  les 
autres  à  la  jalousie  que  lui  donnait  Cassandre.  —  L'histoire 
d'Agamemnon  a  souvent  inspiré  les  poètes  et  les  artistes.  Outre 
Y  Iliade,  toutlemondc  connaît  Y  Iphigénie  enAulide  deRa- 
ei  n  e  etY  Égisthe  et  Clytemnestre  deLemercier,  ainsi  que 
le  tableau  de  Guérin  représentant  la  Mort  d'Agamemnon. 

AGAJ\U,  ou  OISEAU-TROMPETTE,  genre  d'oiseaux 
de  l'ordre  des  échassiers ,  que  Cuvier  place  en  tête  de  sa 
tribu  des  grues.  L'agami-trompetle ,  vulgairement  nommé 
poule  péteuse ,  a  été  ainsi  appelé  parce  que,  outre  son  cri 
ordinaire ,  il  a  la  faculté  d'émettre,  sans  ouvrir  le  bec ,  un 
son  intérieur  qui  paraît  dii  à  une  conformation  particulière 
de  la  trachée-artère ,  et  que  l'on  a  cru  longtemps  sortir  par 
l'anus.  A  l'état  sauvage ,  cet  oiseau  vit  en  troupes  nombreu- 
ses dans  les  forêts  de  la  Guyane  ;  mais  on  le  réduit  facile- 
ment en  domesticité ,  et  alors  son  intelligence ,  ses  qualités 
lui  assignent  le  premier  rang  parmi  les  oiseaux  de  basse- 
cour.  Il  s'attache  à  l'homme,  et  devient  un  guide  et  un  dé- 
fenseur intrépide  pour  les  autres  oiseaux  domestiques.  A 
Cayenne  on  lui  donne  à  garder  des  troupes  de  canards  et  de 
dindons  ;  il  s'en  acquitte  à  merveille.  A  l'heure  habituelle  il 
fait  rentrer  les  oiseaux  qui  lui  sont  confiés  ;  puis  il  va  se 
percher  sur  le  toit  ou  sur  quelque  arbre  voisin.  Fidèlement 
attaché  à  celui  qui  le  soigne ,  l'agami  vient  au-devant  de 
son  maître,  le  suit  ou  le  précède,  avec  les  marques  de  la 
plus  vive  satisfaction.  Sensible  aux  caresses,  il  présente  sa 
tête  et  son  cou  pour  être  gratté.  Chaque  fois  qu'on  se  met 
il  table,  il  arrive  sans  être  appelé  et  chasse  les  chats  et  les 
chiens,  qui  n'osent  lui  résister.  11  poursuit  également  à  coups 
de  bec  les  personnes  qui  lui  déplaisent.  L'agami  a  six  dé- 
cimètres environ  de  hauteur,  et  sept  décimètres  de  longueur. 
Son  bec  conique  est  d'un  vert  sale;  ses  yeux,  dont  l'iris  est 
jaune  brun,  sont  entourés  d'un  cercle  nu  et  rougeàtre.  Des 
plumes  courtes  et  frisées  lui  recouvrent  la  tête  et  les  deux 
tiers  supérieurs  du  cou ,  dont  le  tiers  inférieur  est  garni 
de  plumes  plus  grandes  ,  non  frisées  et  d'un  violet  noir.  La 
gorge  et  le  haut  de  la  poitrine  présentent  une  sorte  de  plas- 
tron brillant  des  plus  riches  rellets  métalliques;  le  lesle  de 
la  poitrine ,  le  ventre ,  les  flancs  et  les  cuisses  sont  noirs.  Le 
dos  est  noir  vers  le  haut,  d'un  roux  brûlé  au  milieu,  et 
gris  sur  le  reste  de  son  étendue.  La  queue,  qui  ne  dépasse 
pas  les  ailes  pliées,  est  noire  comme  celles-ci.  Les  jambes 
sont  verdàtres ,  comme  les  pieds  ;  ceux-ci  sont  robustes  et 
armés  d'ongles  courts  et  pointus.  La  chair  de  l'agami  est 
délicate  et  recherchée. 

AGAj\I1E  (//(5/oJ;-6  naturelle).  Ce  mot,  dérivé  du 
grec,  a  privatif,  et  de  yàiio;,  noces,  signifie  absence  de  mu' 


AGAMIE 

rlarjc  ou  privation  de  sexe.  11  est  employt*  pour  désigner 
les  végétaux  et  les  animaux  chez  lesquels  l'obsen'ation  mi- 
croscopique n'a  pu  encore  jusqu'à  ce  jour  permettre  de 
constater  l'existence  d'organes  spéciaux  de  reproduction. 
Les  botanistes  rangent  dans  lu  groupe  des  végétaux  againes 
les  algues,  les  conferves,  les  hypoxylées,  les  niucédinées, 
les  lycoperdacées ,  les  champignons  et  les  lichens.  Quoique 
les  zoologistes  n'aient  point  cru  de^oir  instituer  un  groupe 
d'anhiiattx  ogames,  ils  ont  cependant  signalé  comme  tels  : 
1"  tous  les  vers  ou  helminthes,  dépourvus  de  sexe;  '2° un 
certain  nombre  d'espèces  de  mollusques  inférieurs  ou  ani- 
maux ascidiforaies  ,  qu'on  avait  d'abord  pris  pour  des  poly- 
pes; 3°  les  derniers  animaux  du  groupe  des  zoophytes, 
parmi  lesquels  sont  les  hydres ,  les  animaux  inférieurs  mi- 
croscopiqiies  homogènes  et  les  spongiaires.  Il  ne  faut  pas 
confondre  l'agamie,  ou  la  privation  complète  de  sexe,  avec 
la  crtjptogamie,  dans  laquelle  on  a  rangé  les  végétaux 
dont  les  organes  rejjroducteurs  existent ,  quoique  cachés. 

AG  A-MOHAMED,  chah  de  Perse,  fondateur  delà 
dynastie  qui  règne  actuellement  sur  cet  empire,  naquit  vers 
1734 ,  dans  la  puissante  tribu  des  Kadjars.  Son  père,  devenu 
maître  de  quelques  provinces ,  fut  mis  à  mort  par  Kérira , 
sou  compétiteur  au  trône.  Tombé  au  pouvoir  des  ennemis 
de  sa  famille,  le  jeune  Mohammed  fut  fait  eunuque  :  d'où 
lui  vint  le  surnom  iVAga.  11  sut  cependant  gagner  les  bonnes 
grâces  de  Kériui,età  la  mort  de  ce  prince,  en  1779,  il 
s'empara  du  trône.  Sous  son  règne,  la  Perse  s'agrandit  et 
se  fortifia.  Pour  mieux  suiveiller  les  mouvements  des  Russes 
et  des  Ouzbeks,  il  établit  sa  résidence  à  Téhéran,  qui  de- 
vint la  capitale  de  l'empire.  Il  fut  assassiné  en  1797 ,  par 
deux  esclaves  dont  il  avait  ordonné  la  mort.  Son  neveu , 
Baba-Khan  ,  lui  succéda  sous  le  nom  de  Feth- Ali-Chah. 

AGAMPPE  <,  source  ayant  la  même  origine  que  l'H  i  p- 
pocrène,  et  qui  sortait  également  du  mont  Hélicon.  La 
fable  dit  que  le  cheval  Pégase,  en  frappant  la  terre  du 
pied,  lit  jaillir  ces  deux  fontaines,  qui  avaient  la  vertu  d'ins- 
pirer les  poètes.  Elles  furent  consacrées  à  Apollon  et  aux 
Muses,  d'où  celles-ci  prirent  le  siu'nom  (ÏAgcmippides. 

AGAPAJXTHE  (du  grec  àyaTir, ,  amour,  et  âvOo;, 
fleur),  genre  de  liliacées  de  la  tribu  des  hémérocallidées , 
établi  par  Lhéritier  pour  une  belle  plante  originaire  fbi  cap 
de  Bonne-Espérance,  commune  aujourd'hui  dans  nos  par- 
terres ,  où  on  la  cultive  sous  le  nom  de  tubéreuse  bleue. 
Ses  feuilles  longues,  planes,  secoucJient  àterre;  satige,  haute 
d'environ  un  mètre,  est  lisse,  verte,  un  peu  comprimée.  L'a- 
gapauthe  produit  au  mois  de  juillet  une  belle  ombelle,  d'une 
quarantaine  de  jolies  (leurs  bleues  inodores,  assez  semblables 
à  celles  de  la  tubéreuse,  d'où  lui  est  venu  son  nom  vulgaire. 
On  cite  deux  \iiT\é\és,l''agapanthe  à  petites  feziilles ,  et 
Yagapanthe  rubanée,  dont  les  feuilles  sont  rayées  de  vert 
et  de  blanc. 

AGAPES  (du  grec  àyaTt^,  amour).  On  appelait  ainsi 
dans  la  primitive  Église  les  repas  en  commun  qui  précédaient 
la  sainte  communion.  Des  hommes  de  tous  les  rangs  y  man- 
geaient ensemble,  en  signe  de  l'amour  fraternel  qui  doit  unir 
les  cliréliens.  Chacun  y  contribuait  selon  sa  fortune  ,  et  le 
liche  défrayait  le  pauvre.  Quelques  riches  faisaient  même 
des  agapes  dans  le  but  de  nounir  les  malheureux.  Mais  les 
agapes  ne  tardèrent  point  à  se  corrompre.  Saint  Paul ,  dans 
son  Épitre  aux  Corinthiens,  se  plaint  de  ce  que  les  agapes 
ne  se  font  plus  en  commun ,  mais  que  chacim  apporte  ce 
qu'il  doit  manger,  et  qu'ainsi  les  uns  s'en  vont  rassasies 
quand  les  autres  éprouvent  encore  les  tourments  de  la  faim. 
Les  païens  ne  manquèrent  pas  d'attaquer  ces  léunions  :  le 
baiser  de  paix  que  s'y  donnaient  les  convives,  d'abord  entie 
les  deux  sexes  indiiîéremment,  ainsi  que  l'usage  de  se  placer 
sur  des  lits  pendant  le  temps  du  repas,  leur  fournirent  ma- 
tière à  incrimination.  Il  paraît  du  reste  que  leurs  accusa- 
tions n'étaient  pas  tout  à  fait  sans  fondement ,  puisque  saint 
l*ierre,  en  parlant  des  agapes,  dit  de  quelques  (aux  docteurs 


-  AGAR  171 

qu'ils  n'aiment  que  leurs  plaisirs  et  que  leurs  festins  sont  de 
pures  débauches.  On  ordonna  donc  que  le  baiser  de  paix  ne 
se  donnerait  plus  qu'entre  les  persoimes  du  même  sexe  et 
on  interdit  l'usage  des  lits  dans  le  lieu  des  agapes.  Les  abus 
n'en  persistèrent  pas  moins,  à  ce  qu'il  parait,  et  le  concile  de 
Carthage  les  abolit  en  397.  On  pense  que  les  agapes  avaient 
été  instituées  en  commémoration  de  la  sainte  Cène  ;  d'autres 
prétendent  que  cette  coutume  était  empruntée  au  paganisme. 
De  nos  jours,  les  frères  Moraves  ont  renouvelé  l'usage  des 
agapes ,  qu'ils  célèbrent  dans  des  occasions  solennelles ,  au 
milieu  de  cantiques  et  de  prières,  par  une  consommation 
modérée  de  thé  et  de  pain  blanc. 

AGAPET.  Deux  papes  ont  porté  ce  nom.  —  Acapet  V\ 
élu  pape  en  535,  fut  le  successeur  de  Jean  II.  Il  sut  résister 
à  l'empereur  Justinien  qui  voulait  le  forcer  à  communiquer 
avec  Anthyme,  patriarche  de  Constantinople  et  eutychéen. 
Agapet  mourut  pauvre  en  536.  —  Agapet  II ,  élu  pape  en 
946,  fut  le  successeur  de  Marin  ou  Martin  III.  11  opposa 
l'empereur  Othon  à  Bérenger  n,  qui  aspirait  à  la  couronne 
d'Italie  ,  et  mourut  en  956. 

AGAPET,  diacre  de  Constantinople,  au  sixième  siècle 
adressa  à  Justinien ,  lorsque  ce  prince  monta  sur  le  trône, 
une  lettre  intitulée  Scheda  rcgia ,  sive  de  officto  régis ,  et 
qui  contient  des  conseils  sur  les  devoirs  d'un  prince  chré- 
tien. Cet  ouvrage ,  imprimé  en  grec  et  en  latin  à  Venise, 
en  1509,  a  été  plusieurs  fois  traduit,  et  entre  autres  par 
Louis  Xin^dans  sa  jeunesse ,  Paris ,  1612  ,  in-S°. 

AGAPETES.  La  primitive  Église  donnait  ce  nom,  qui 
signifie  bien  aimées,  aux  vierges  qui  se  consacraient  au 
service  des  ecclésiastiques.  La  pureté  des  mœurs  autorisait 
ces  associations  pieuses,  et  les  femmes  des  prêtres  toléraient 
leur  présence  dans  le  foyer  domestique.  3Iais  on  sait  avec 
quelle  rapidité  les  mœurs  des  chrétiens  se  corrompirent. 
Les  agapètes  donnèrent  lieu  à  de  graves  désordres,  contre 
lesquels  s'élevèrent  saint  Cyprien ,  saint  Jérôme  et  divers 
conciles.  Un  certain  nombre  de  ces  femmes,  soit  fana- 
tisme, soit  hypocrisie,  adoptèrent  sérieusement  pour  maxiuie 
qu'il  n'y  avait  rien  d'impur  pour  les  consciences  pures. 
Cette  secte,  renouvelée  des  gnostiques,  gardait  le  siii  nce  le 
plus  inviolable  sur  ses  mystères ,  ou  plutôt  sur  ses  débau- 
ches. Ces  confraternités  durèrent  longtemps.  Le  concile  de 
Latran ,  de  lan  1139 ,  attesta  leur  existence  en  prononçant 
leur  interdiction. 

AGAR,  femme  égyptienne  qu'Abraham  et  Sara  rame- 
nèrent de  Memphis,  où  la  famine  les  avait  contraints  de 
chercher  un  asile.  Dieu  avait  promis  un  fils  à  Abraliani  ; 
Sara,  doutant  de  pouvoir  jamais  lui  en  donner,  à  cause  de 
son  grand  âge,  amena  elle-même  sa  servante  à  son  mari, 
et  la  plaça  dans  son  lit.  I  s  mae  l  fut  le  ('mit  de  cette  union. 
Cependant  peu  de  temps  après  Sara  devint  mère  à  son  tour , 
et  elle  ne  put  supporter  ni  rivale  pour  elle  ni  cohéritier 
pour  son  fils.  Usant  de  tout  son  ascendant  sur  Abraham  , 
elle  fit  renvoyer  Agar  avec  Ismael.  Abraham  eut  même  la 
cruauté  de  ne  lui  donner  qu'un  morceau  de  pain  et  une 
outre  d'eau.  Agar,  dit  la  Genèse ,  erra  longtemps  dans  le 
désert  de  Baisabée;  et  elle  y  serait  morte  avec  son  fils, 
qu'elle  voyait  périr,  sur  le  sable,  de  fatigue  et  de  besoin , 
si  un  ange  ne  l'eût  secourue  dans  sa  misère  et  ses  larmes. 
Touché  de  son  amour  maternel ,  cet  ange  ne  l'abandonna 
point,  et  la  consola.  Ismael  grandit  sous  les  yeux  de  sa 
mère,  et  ce  fils  répudié  devint  la  souche  d'ime  nombieuse 
famille,  qui  devait  un  jour  prévaloir  sur  la  race  légitime 
d'Isaac  et  de  Jacob. 

AGAR  (JEAN-Ai\TOiNE-MicuEL),comteDE  MOSBOURG, 
naquit  le  18  décembre  1771,  à  Merciies  (  Lot).  Il  exerçait 
la  prolession  d'avocat,  lorsqu'il  fut  élu  député  de  Caliors  en 
l'an  IX.  H  suivit  son  compatriote  Murât  dans  la  Toscane, 
qu'il  conmiença  à  organiser  avant  l'abdication  du  roi  d'É- 
tiurie,  et  coopéra  aux  négociations  des  consulta  à  Lyon  et 
à  Milan.  Murât  le  nomma  ensuite  son  premier  ministre 

22. 


172 


AGAR 


dans  le  grand-duché  de  BerR,  où  ses  taleiilâ  et  ses  himièies 
lui  gagnèrent  l'estime  publique,  tii  1807  il  épousa  une 
nièce  de  Murât ,  et  celui-ci  lui  donna  à  cette  occasion  le 
comté  de  Moshourg ,  créé  de  différents  domaines  du  duché 
de  Berg.  Murât,  devenu  roi  de  iSaples  sous  le  nom  de  Joa- 
chini,  confia  au  comte  de  Mosbourg  le  portefeuille  des  finan- 
ces de  ce  royaume.  Le  comte  de  Mosbourg  est  l'auteur  de 
la  Constitution  octroyée  par  Murât  aux  Napolitains,  et 
pul)liée  le  jour  même  où  Murât  fut  contraint  de  fuir  de  ce 
pays.  Après  la  catastrophe  de  1815,  le  comte  de  Mosbourg 
passa  en  Angleterre,  puis  revint  en  France.  Le  gouvernement 
prussien,  qui  avait  séquestré  le  domaine  de  Mosbourg,  le  ren- 
dit même  en  1816.  Élu  député  en  18?.0  ,  le  comte  Agar  fut 
api)elé  à  la  pairie  le  3  octobre  1837.  11  est  mort  à  Paris  le 
8  novembre  1844. 

AGARDII  (  CuARLES-AnoLPHE  ) ,  évêque  de  Karlstad 
en  Suède,  naturaliste,  qui  s'est  rendu  célèbre  par  ses  recher- 
ches sur  les  algues,  naquit  le  23  janvier  1785,  à  Bœstad, 
en  Scanic,  où  son  père  était  commerçant.  11  fit  ses  études , 
à  partir  de  l'année  1799,  à  l'université  de  Lund,  où  il  fut 
nonuné  professeur  de  mathématiques  en  1807.  Mais  il  ne 
tanla  pas  à  revenir  à  l'étude  de  la  science  qui  avait  d'abord 
été  l'objet  de  ses  prédilections ,  Thistoire  naturelle.  11  se 
consacra  avec  une  ardeur  toute  particulière  à  des  recher- 
ches sur  les  plantes  cryptogames.  Sans  doute  les  travaux 
antérieurs  deTurner,  de  Dillwyn,  deVaucher,elc.,  luifurent 
d'un  grand  secours;  mais  il  n'y  avait  point  encore  de  clas- 
sification scientifique  de  ces  curieux  végétaux.  Agardh 
publia  d'abord  sa  Dispositio  Algarwn  Sj<ena?,dans  laquelle 
il  suivait  encore  presque  en  tous  points  le  système  de  Linné; 
puis  la  Synopsis  Aljarum  Scandinavix,  pour  laquelle  il 
mit  à  proiit  l'ouvrage  de  Lamouroux,  et  qu'il  classa  avec 
la  plus  grande  exactitude,  et  ensuite  sa  Species  Algarum 
(tomes  1"  et  11°,  première  partie,  Greifsnald,  1820-1823), 
(jue  suivirent  les  Icônes  Alyanun  (Lwnd,  1820-1823);  et 
enfin  son  grand  ouvrage,  le  S'.'/.siema4/9«r«m(  Lund,  1824  ), 
dans  lequel  il  résumait  toutes  les  découvertes  faites  avant 
lui  dans  l'étude  des  algues,  notamment  celles  du  Danois 
Lynghye,  et  qu'il  enrichissait  d'une  immense  quantité  d'ob- 
servations particuHères  et  d'idées  originales.  Il  fit  ensuite  pa- 
raître ses  Icônes  ylZr/ar!<»i  £în"op.t' (4  livraisons,  Leipzig, 
1828-1834);  puis  sonEssai  de  réduire  la  physiologie  vé- 
gétale à  des  principes  fondamentaux  (Lund,  1828)  ;  son 
£ssai  sur  le  développement  intérieur  des  plantes  (  Lund, 
1829),  et  enfin  le  Licrobok  i  Botanik,  ou  Traité  de  Bota- 
nique, (2  vol.,  Malmœ,  1829-31  ) ,  dont  la  première  partie, 
VOrganographie  des  Plantes,  a  été  traduite  en  allemand  par 
L.  de  Meyer  (Copenhague,  1831  ),  et  la  seconde,  dans  la 
même  langue,  par  Creplin,  sous  le  titre  de  Biologie  univer- 
selle des  Plantes  (Greifswald,  1832).  On  a  eu  outre 
d'Agardh  divers  ouvrages  sur  les  mathématiques  ,  l'éduca- 
tion publique ,  la  préparation  à  la  théologie ,  ainsi  qu'une 
critique  des  principes  de  l'économie  politique  et  un  éloge 
ile  Linné.  Son  style  est  vif,  agréable  et  souvent  brillant. 
Ses  idées  sont  éblouissantes  ;  mais  quand  il  qviiUe  le  do- 
maine des  cryptogames,  ses  idées  ne  soutiennent  pas 
toujours  un  examen  attentif,  et  il  a  commis  plus  d'une 
erreur  dans  son  Manuel  de  Botanique.  Après  avoir  été,  à 
partir  de  1812,  attaché  à  l'université  de  Lund  en  qualité 
de  professeur  de  botanique  et  d'économie  pratique  ,  il  fut 
ordonné  prêtre  en  1816,  ef  obtint  en  môme  temps  une  pré- 
bende. 11  fut  député  de  son  bailliage  aux  diètes  de  1817  , 
1823  et  I8;>i.  A  trois  reprises  dilléreutes  il  a  parcouru 
la  plus  grande  partie  de  l'Europe.  11  est  membre  d'un 
grand  nombre  d'académies  et  de  sociétés  savantes,  de 
l'Académie  des  Sciences  de  Stockholm,  et  l'un  des  seize  de 
l'Académie  suédoise.  En  1834  il  fut  promu  à  l'évôché  de 
Karlstad,  et  depuis  lors  il  s'est  surtout  occupé  de  théo- 
logie el  de  littérature  orientale.  Il  a  également  été  membre 
de  la  diète  pendant  la  session  de  1839  à  1840,  où  il  a  fait 


AGARIC 

preuve  d'une  grande  acti\ilé  et  d'un  certain  libéralisme. 
11  est  mort  à  Karlstad,  le  28  janvier  iSi'J.  —Son  fils, 
Jacques-Georges  Ag\rdh,  auteur  de  la  Synopsis  generis 
Lnpini  (Lund,  1833)  et  de  la  Ilecensio  specierum  generis 
Ptcridis  (Lvtnii,  1839),  a  suivi  glorieusement  les  traces  de 
son  père. 

AGARÉIVIEXS ,  secte  de  chrétiens  apostats  qui ,  vers 
le  milieu  du  septième  siècle,  embrassèrent  la  religion  musul- 
mane après  avoirnié  la  Trinité,  alléguant  que  Dieu  ne  pouvait 
point  avoir  de  fils,  puisqu'il  n'avait  pas  de  lemme;  ou  les 
nomma  ainsi  du  nom  d'Agar,  mère  d'ismael ,  le  père  des 
mahométans. 

AGARIC,  genre  de  plantes  appartenant  à  la  famille  des 
champignons.  Dans  le  commerce  on  donne  ce  nom  à  cer- 
taines espèct's  de  clianii)ignons  parasites  qiù  sont  employés 
dans  la  chirurgie  ou  dans  les  arts  :  tels  sont  l'agaric  du 
chêne  ou  agaric  proprement  dit,  et  Vagaricdu  mélèze  ou 
agaric  blanc.  Mais  les  botanistes  modernes  rangent  ces  es- 
pèces dans  le  genre  qu'ils  appellent  bolet. 

D'après  Pries  et  Pcrsoon,  on  caractérise  ainsi  les  agarics  : 
champignons  sans  voile,  sans  coiffe  membraneuse  qui  les  en- 
veloppe en  entier  dans  leur  jeunesse;  chapeau  distinct, 
scssile  ou  pédicule ,  et  garni  inférieurement  de  lames  sim- 
ples, toutes  d'éf  aie  longueur,  ou  entremêlées  vers  la  circon- 
férence de  lamelles  plus  courtes.  On  doit  ajouter  que  ces  la- 
melles sont  formées  par  une  membrane  repliée  sur  elle- 
luôme  et  portant  entre  ses  replis,  sur  des  lames  ou  dans  des 
capsules  particulières  dont  la  réunion  forme  Vhymœnium, 
un  seul  rang  ou  quatre  rangs  de  sporules  ou  corps  repro- 
ducteurs. 

Parmi  les  espèces  d'agarics .  nous  citerons  Yagaric  co- 
mestible, champignon  de  couche  {agaricus  eedilis ,  cam- 
pcstris  ).  C'est  le  plus  recherché  comme  aliment.  Son  pé- 
dicule est  blanc,  court  et  charnu  ;  il  soutient  un  chapeau  de 
couleur  fauve,  couvert  d'une  pellicule  qui  s'enlève  faci- 
lement. Ses  lames  sont  rougeâtres  à  la  naissance,  puis  pour- 
pres ou  noirâtres ,  sa  chair  ferme  et  cassante  ;  c'est  la  seule 
espèce  qu'il  soit  permis  de  vendre  sur  le  marché  de  Paris 
(  voyez  Culture  des  Champignons  ).  Vagaric  mousseron 
{agaricus  albellus)  est  d'un  blanc  jaunâtre  à  sa  surface; 
son  chapeau  est  presque  sphérique  et  large  de  quatre  cen- 
timètres. 11  est  très-commun  au  printemps  et  pendant  une 
partiedel'été  dans  les  boisdécouverts,  les  friches,  les  prés  secs. 
On  le  préfère  jeune  et  frais  ;  il  entre  dans  les  ragoûts  comme 
assaisonnement.  Pour  le  conserver  on  l'enfile  par  le  pied  et 
on  le  laisse  dessécher.  Jusqu'à  présent  on  a  «ssayé  inutile- 
ment de  le  cultiver.  Vagaric  faux  mousseron  (  agaricus 
pseudo-mousseron  )  se  reconnaît  à  sa  couleur  d'un  jaune 
j)àle,  tirant  sur  le  roux,  à  son  pédicule  très-grêle,  à  son 
chapeau  convexe ,  mamelonné  au  centre ,  large  de  quatre  à 
cinq  centimètres.  Sa  chair  est  dure,  mais  assez  savoureuse, 
etd'une odeur  agréable.  L'oronge  {agaricus  aurantiacus) 
est  d'un  goût  etd'une  odeur  très-agréables  ;  malheureusement 
on  peut  très-facilement  la  confondre  avecl'fl^aric  moucheté 
ou  fausse  oronge,  qui  est  extrêmement  vénéneux.  En  Alle- 
magne ce  dernier  sert  à  tueries  mouches.  Vagaric  du  houx 
(agaricus  uquifolius),  qui  croit  en  été  sous  les  buissons  de 
houx,  est,  suivant  Persoon,un  de  nos  meilleurs  champignons. 
—  Vagaric  élevé  {agaric  procerus,  colubrinus)  est  l'es- 
pèce la  plus  élevée  du  genre  ;  son  pédicule  est  très-long , 
son  chapeau  roussàtre  un  peu  panaché;  il  croît  en  été  dans 
les  bois  et  les  champs  sablonneux  ;  on  le  mange  en  beau- 
coup d'endroits.  —  D'autres  agarics  servent  encore  à  la  nour- 
riture de  l'homme  dans  nos  contrées  ;  mais  ils  sont  trop  dil- 
ficiles  à  distinguer  des  mauvaises  espèces  ou  peu  savoureux. 

Parmi  les  agarics  vénéneux,  on  distingue  :  Vagaric 
meurtrier  (  agaricus  necator  )  ;  il  en  découle  un  suc  lai- 
teux ,  acre  et  caustique.  Dans  le  cas  d'empoisonnement,  la 
remède  le  plus  usité  est  l'huile  d'olive ,  prise  en  lavement  et 
en  boisson  ;  on  administre  aussi  le  vinaigre  comme  anti- 


A(;ARIC  —  AGATE 


173 


ilote.  L'af/nric caustique  (aonricus  purogallus),  qui  croit 
tlaus  les  bois;  s.i  couleur  est  d'un  jaune  livide,  terreux. //fi- 
f/aric  acre  (açtiricus  acris\hhnc,  à  lames  jaunâtres  ou 
rongeâtres ,  distillant  un  suc  Uùteux  très-àcre ,  ce  qui  n'eni- 
piHlie  pas  qu'il  soit  souvent  rongé  par  les  lièvres  et  les  la- 
pins, etc.,  etc. 

On  distingue  parmi  les  agarics  un  groupe  assez  remar- 
quable par  la  propriété  de  se  fondre  en  une  eau  noire  à  l'c- 
pmjue  de  sa  destruction.  La  plupart  de  ces  champignons  crois- 
sent dans  des  lieux  inlects,  sur  les  substances  putrides  ;  leur 
existence  est  d'ordinaire  de  courte  durée  :  par  exemple,  l'c- 
garic  éphémère,  qui  ne  dure  qu'un  jour,  etc. 

11  est  enlin  des  agarics  caractérisés  par  des  qualités  par- 
ticulières. Vagaric  styptique  lorsqu'on  le  mâche  produit 
au  bout  de  quelques  instants  un  étranglement  analogue  à 
celui  du  vitriol.  La  saveur  de  l'flj/arJc/tYirfe  est  poivrée,  etc. 

L'agaric  minéral  est  la  chaux  carbonatée  spongieuse 
d'HaiJy;  c'est  une  substance  terreuse,  blanche,  légère,  friable 
et  analouue  à  la  craie. 

AGARIC  DES  CHÏRURG1E^S.  T  oyes   Amadou. 

AGASSIZ  (  Louis  ),  naturahste,  est  né  en  1807,  à  Orbe 
(  pays  de  Vaud  ),  où  son  père  était  pasteur.  Il  alla  en  1822 
terminer  à  Lausanne  son  éducation,  commencée  au  collège 
de  Biel.  Il  étudia  ensuite  la  médecine  à  Zurich,  à  Heideiberg, 
et  enKn  à  Munich,  où  il  fut  reçu  docteur  en  1830.  Dès  sa 
jeunesse  l'étude  de  la  nature  avait  eu  pour  lui  un  attrait 
tout  particulier.  A  Heideiberg  et  à  Munich  il  s'occupa  surtout 
d'analomie  comparée,  et  se  lia  dans  la  seconde  de  ces 
villes  avec  Marlius  et  Spix.  Spix  étant  venu  à  mourir  en 
1836,  Martius  lui  confia  le  soin  de  publier  la  description  de 
cent  seize  espèces  de  poissons  que,  celui-ci  avait  recueillies 
au  Brésil,  et  au  nombre  desquelles  il  s'en  trouvait  un 
grand  nombre  de  complètement  inconnues  jusque  alors.  A 
cette  occasion  Agassiz  divulgua  ses  idées  sur  la  classification 
des  poissons.  L'ouvrage  parut  sous  ce  titre  :  Pisces,  etc., 
quos  collegit  et pingendos  curavit Spix,  descripsit  Ar/ns- 
siz  (Munich,  1829-1831,  avec  91  planches  in-folio  litho- 
graphiées).  Conduit  par  ce  travail  à  faire  une  étude  toute 
spéciale  de  l'iclilhyologie ,  Agassiz  publia  une /Tis^ire  Jia- 
turelle  des  Poissons  cV eau  douce  de  V Europe  centrale , 
( Neufchâtel ,  1S.'Î9  et  suiv.,  in-fol.,  avec  pi.),  quil  classe 
systématiquement,  en  mettant  au  jour  une  foule  de  choses 
nouvelles  sur  les  mœurs,  le  mode  de  reproduction  et  l'ana- 
tomie  des  poissons  qui  habitent  les  lacs  des  Alpes  et  les 
fleuves  de  l'Europe  centrale  jusqu'à  leur  embouchure  dans 
la  mer.  Il  fit  paraître  ensuite  ses  Recherches  sur  les  Pois- 
sons fossiles  (Xeufchâtel ,  1833  et  suiv.,  in-4",  avec  pi.  lith. 
in-fol.  ),  travail  ayant  pour  base  des  matériaux  d'une  ri- 
chesse infinie,  puisés  par  l'auteur  dans  diverses  collections 
particulières  et  publiques,  notamment  à  Paris,  où  il  passa 
les  années  1831  et  1832,  et  qui  combla  une  importante  la- 
cune dans  l'histoire  naturelle,  en  traitant  une  partie  de  la 
zoologie  qui  n'avait  encore  été  jusque  alors  l'objet  que  de  très- 
insuffisantes  recherches.  L'étude  des  débris  de  poissons  an- 
tédiluviens poussa  Agassiz  à  s'occuper  ensuite  d'autres  ani- 
maux fossiles,  et  d'abord  deséchinodermes  {Description  des 
Échinodermes  fossiles  de  la  Suisse  (  Neufchàtel,  1839  et 
suiv.,  avec  pi.  in-fol.  lith.),  travail  qu'il  a  complété  depuis, 
en  agrandissant  le  champ  de  ses  investigations,  dans  sa  Mo- 
nographie d'échinodermes  vivants  et  fossiles ,  dans  ses 
Éludes  critiques  S2ir  les  Mollusques  fossiles  { Xeufchâ- 
tel,  1840),  et  dans  son  Mémoire  sur  les  Moules  de  Mollus- 
ques vivants  et  fossiles  (Neufchàtel,  1840,  in-4°,  avec  pi. 
lith.  ).  Mais  de  tous  ses  ouvrages  celui  qui  produisit  le  plus 
de  sensation  fut  celui  qui  a  pour  titre  Études  sur  les  Gla- 
ciers (  Neufchàtel ,  1840 ,  avec  pi.  lith.  in-fol.  ),  et  qui  a  en 
quelque  sorte  partiellemeut  transformé  la  géologie.  L'objet 
de  ce  travail  remarquable  est  l'étude  des  blocs  e  r  r  a  t  i  q  u  e  s , 
ou  masses  énormes  de  roches  dispersées  en  tous  lieux,  dont 
la  composition  intrinsèque  i)rouve  qu'elles  n'ajipartiennent 


pas  originairement  aux  terrains  dans  lesquels  elles  se  trou- 
vent aujourd'hui.  D'autres  avaient  déjà  pensé  que  les  blocs 
erratiques  de  la  vallée  du  Rlulncdevaieutleiu-transportau  lieu 
de  leur  gisement  actuel  au  déplacement  d'énormes  monceaux 
de  glaces  qui  les  auraient  poussés  en  avant.  M.  Agassiz  éten- 
dit et  généralisa  cette  théorie.  Cet   ouvrage  fut  suivi  d'un 
travail  plus  complet  intitulé  Système  glaciaire,  ou  Recher- 
ches sttr  les  glaciers,  par  L.  Agassiz,  A.  Guyot  et  E.  Dcsor 
(Paris,  1847,  avec  atlas).  M.   Agassiz  avait  été  nommé 
professeur  de  zoologie  à  Neutchàtel.  Pendant  un  court  séjoiu' 
à  Paris   il  publia,  en  1846,  un  A'omenclator  Zoologicus 
(en  10   livraisons,  avec  index  alphabétique),  dans  le<iuel 
il  énumère  trente  et  un  mille  noms  de  genres  et  de  familles 
dont  il  donne  l'étymologie,   la  date  et  la  citation  la  plus 
ancienne.  Sur  ce  nombre,  il  n'y  en  a  pas  moins  de  treize 
mille  qui  font  double  emploi  et  devraient  être  changés,  dix 
mille  sont  fautifs  dans  leur  composition  granmiaticale.  La 
même  année  M.  Agassiz  accepta  une  place  de  professeur 
à  l'université  de  Harvard,  à  New-Cambridge,  près  Boston. 
Il  a  fait  paraître  aux   États-Unis  :  Principles  of  Zoology 
i  (Boston,  1848);  Lake  superior  (Boston,  1850);  T/ie  na- 
'  tural  history  of  the  acalephx  of  north  America  (  Cam- 
bridge, 1855);  Contributions  to  the  natural  history  ofthe 
United  States  of  America  (  Boston,  1857  et  suiv.  )  :  ce  der- 
nier ouvrage  aura  plus  de  douze  volumes.  En  1857,  le  gou- 
vernement français  offrit  spontanément  à  M.  Agassiz  la  chaire 
;  de  paléontologie  au  Muséum  d'histoire  naturelle  de  Paris, 
I  vacante  par  la  mort  de  d'Orbigny.  M.  Agassiz  la  refusa  pour 
î  ne  pas  rompre,  disait-il,  les  liens  qui  l'attachent  aux  Élats- 
1  Unis.  En  1859  l'empereur  lui  a  envoyé  la  croix  d'honneur. 
I  M.  Agassiz  est  membre  correspondant  de  PAcadémie  de» 
.sciences,  qui  lui  a  accordé  un  de  ses   grands  prix. 

AGATE  (Minéralogie),  An  ïie.n\&  Achates  en  Sicile. 
Nom  sous  lequel  on  désigne  communément  plusieurs  varié 
tés  de  quartz ,  que  l'on  distingue  des  silex  ordinaires  à  leu^ 
demi-transparence,  à  leur  cassure  cireuse,  à  la  diversité  de 
leurs  couleurs,  ordinairement  fort  vives.  Susceptibles  de 
recevoir  un  beau  poli ,  elles  sont  employées  connue  objet 
d'ornement  dans  la  grosse  bijouterie ,  et  plus  ou  moins  re- 
cherchées selon  les  accidents  de  coloration  qu'elles  offrent. 
On  les  trouve  dans  toutes  les  contrées  du  globe ,  en  rognons, 
en  masses  concrétionnées ,  dans  les  cavités  qu'offrent  cer- 
taines roches  primitives.  Oberstein ,  sur  le  Rhin ,  est  un  des 
gisements  les  plus  célèbres.  —  La  distribution  et  l'opposition 
des  couleurs  ou  de  la  lumière  dans  les  différentes  couches 
dont  elles  sont  composées  en  ont  fait  distinguer  plusieurs 
variétés  :  telles  sont  les  agates  onyx  ou  ruhanèes,  à  couches 
concentriques,  nettement  tranchées  et  de  nuances  diverses; 
les  agates  moi«5ei«es,  arhorisées ,A'xa.%  l'intérieur  desquelles 
on  aperçoit  de  petits  cristaux  simulant  par  leur  arrangement 
des  mousses,  des  arbrisseaux;  les  &%^ie%  ■ponctuée ,  irisée, 
œilléet  les  enhydres,  renfermant  de  petites  cavités  rem- 
plies de  gouttes  d'eau  qui  s'y  conservent  souvent  sans  alté- 
ration. On  voit  aussi  du  bois  pétrifié  et  passé  à  l'état  d'agate. 
—  On  peut  encore  rattacher  aux  agates  plusieurs  variétés  de 
pierres  fines  qui  portent  différents  noms  dans  le  commerce  : 
telles  sont  :  les  chrysoprases,  d'un  beau  vert-pomme  ;  les 
sardoines,  d'un  jaune  orange;  \ei  cornalines ,  rouges;  les 
calcédoines,  d'un  blanc  bleuâtre;  les  héliotropes ,  d'un 
vert  sombre,  ordinairement  pointillé  de  rouge.  Le  jaspe  ne 
diffère  des  variétés  précédentes  que  par  son  défaut  absolu 
de  transparence  et  par  sa  cassure  terne,  caractères  qui  dis- 
tinguent suffisamment  aussi  le  silex  des  agates  proprement 
dites.  D"^  Saucerotte. 

L'agate  se  taille,  se  scie,  se  polit  et  se  grave  en  général 
avec  assez  de  facilité.  On  en  fait  des  vases,  des  bagues, 
des  cachets,  des  chapelets,  des  boîtes,  des  safières,  des 
manches  de  couteaux  et  de  fourchettes,  etc.  On  est  parvenu 
à  colorer  et  à  décolorer  à  volonté  les  veines  de  ces  pienes. 
On  fait  aussi  des  agates  artificielles. 


AGATHE  —  AGDE 


174 

AGATHE  (Saillie),  vierge  de  Palcrme,  niarlyre,  morte 
dans  les  torliires  en  Sicile,  l'an  9.51  de  J.-C.  Sa  fcle  est  cé- 
lébrée le  5  février. 

AGAÏIIIAS,  surnommé  le  Scolastiqiie,  à  cause  de  la 
rare  elendue  de  ses  connaissances  en  jurisprudence ,  natif 
de  Myrina,  en  Étolie,  llori-,sait  vers  le  milieu  du  sixième 
siècle  de  notre  ère.  Élevé  à  Alexandrie,  il  s'établit  à  Cons- 
tantinople  vers  l'an  554,  et  se  fit  plus  tard  un  nom  comme 
poète  et  surtout  comme  bistorien.  Nous  ne  possédons  plus 
ipic  quatre-vingt-dix  de  ses  poèmes  et  quelques  épigrammes 
.(u'on  a  recueillies  dans  V Anthologie  grecque.  La  riche  col- 
lection de  poésies  (lis  six  premiers  siècles  qu'il  avait  réunie 
sous  le  nom  de  Kyklos,  a  péri.  Mais  l'ouvrage  historique  en 
cinq  livres  qu'il  avait  composé  sur  le  règne  de  Justinien 
IHsndant  les  années  553  à  559,  et  qu'on  peut  considérer 
comme  la  continuation  de  Procope  ,  est  venu  en  entier  jus- 
<pi'à  nous.  Le  style  en  est  incorrect,  l'exposition  pleine  d'en- 
llure  est  surchargée  d'expressions  poétiques.  La  première 
édition  de  cette  histoire  fut  donnée  par  Vulcanius  (Leyde, 
in-4°,  1594);  la  plus  récente  est  celle  de  Niebuhr  (Bonn, 
1828),  et  le  texte  en  a  été  singulièrement  corrigé  et  amé- 
lioré. 

AGATnOCLE,un  des  plus  hardis  aventuriers  de  l'an- 
tiquité. Son  père  lui  lit  apprendre  le  métier  de  potier  à  Sy- 
racuse. La  beauté  d'Agathocle  lui  ayant  gagné  les  bonnes 
grâces  d'un  riche  Syracusain,  il  ne  tarda  pas  à  sortir  de  son 
obscurité ,  et  on  lui  confia  même  le  commandement  d'une 
armée  envoyée  contre  Agrigcnte.  Agathocle  épousa  la  veuve 
de  son  bienfaiteur,  et  devint,  par  ce  mariage,  un  des  plus 
riches  citoyens  de  SvTacuse.  Sous  la  tyrannie  de  Sosistrate, 
il  fut  obligé  de  se  réfugier  à  Tarente;  mais  à  la  mort  de  ce 
prince  il  revint  à  Syracuse ,  s'empara  du  pouvoir  suprême, 
qu'il  affermit  entre  ses  mains,  en  ne  reculant  pas  devant  le 
sacrilice  de  la  vie  de  plusieurs  milliers  de  citoyens  apparte- 
nant aux  classes  les  plus  distinguées ,  et  par  la  conquête  de 
presque  toute  la  Sicile  (an  317  avant  J.-C.  ).  .'»  se  maintint 
au  pouvoir  pendant  vingt-huit  ans.  Pour  occuper  l'esprit  du 
peuple,  il  poursuivit  rexéciition  du  projet  formé  par  les 
Denys  d'expulser  les  Carthaginois  de  la  Sicile.  Vaincu  par 
ces  derniers,  et  même  assiégé  dans  Syracuse,  il  forma  le 
plan  hardi  de  passer  en  Afrique  avec  le  reste  de  son  armée. 
11  y  fit  la  guerre  pendant  quatre  ans ,  et  presque  toujours 
avec  succès.  Des  troubles  qui  éclatèrent  en  Sicile  le  forcèrent 
deux  fois  à  quitter  son  année  pour  venir  les  réprimer.  Mais 
son  armée  fut  battue  par  les  Carthaginois.  Il  pacifia  ensuite 
la  Sicile,  et  conclut  la  paix  avec  Carthage,  l'an  306  avant 
J.-C.  11  employa  alors  ses  forces  à  attaquer  l'Italie ,  où  il 
vainquit  les  Brutiens ,  et  pilla  Crotone.  11  avait  le  projet  de 
remettre  la  couronne  à  son  dernier  fils  Agathocle;  mais  son 
petit-fils  Archagathe ,  s'étant  révolté,  assassina  l'héritier  pré- 
somptif, et  lit  empoisonner  Agathocle. 

AG AÏIIODÉMOX  (  du  grec  àYa^ô; ,  bon ,  Sa-'iiwv , 
génie),  symbole  du  >'il,  adoré  par  l'Egypte  au  temps  des 
Lagides.  11  est  représenté  par  le  serpent  inoffensif,  le  corps 
replié  en  nombreux  anneaux  ,  un  diadème  royal  sur  la  tète , 
et  la  queue  terminée  en  Heurs  de  lotos  ou  des  épis  qui  figu- 
rent l'abondance  et  la  végétation  amenées  par  les  sinuosités 
de  ce  fleuve.  —  Les  Grecs  donnaient  le  nom  de  coupe  d'A- 
gathodémon  à  une  coupe  consacrée  à  Bacchus  que  l'on  fai- 
sait circuler  dans  les  repas  pour  que  chacun  y  bût  un  peu. 
Par  allusion  à  la  très-petite  quantité  de  vin  que  buvait  alors 
chaque  convive ,  Hésychius  appelle  agathodémonistcs  les 
gens  modérés  dans  la  boisson. 

AGATHOX,  Athénien  contemporain  et  ami  de  Platon 
et  d'Euripide,  célèbre  par  sa  beauté ,  par  ses  richesses,  par 
l'élégance  de  ses  mœurs  et  par  ses  talents  poétiques.  11  avait 
compose  des  tragédies  dans  lesquelles  il  s'était  écarté  de  la 
voie  sui\ie  par  les  tragiques  précédents,  mais  qui  ont 
péri.  11  eut  l'insigne  lionncur  d'être  nn  jour  couronné  aux 
jeux  Olympiques  comme  poète  tragique.  La  fête  célébrée 


à  c^tte  occasion  par  Agathon  a  servi  de  cadre  à  Platon 
pour  celui  de  ses  dialogues  qui  est  intitulé  Sijmposion  (  le 
Repas).  Wicland  a  pris  Agathon  pour  héros  d'un  roman 
philosophique  dans  l'introduction  duquel  il  a  réuni  tous 
les  documents  historiques  qu'on  possède  sur  ce  person- 
nage. 

AGAVE,  genre  de  plantes  monocotjlédonées  (famille 
des  liliacées  )  établi  par  Linné,  et  qu'on  a  longtemps  con- 
fondu avec  les  aloès.  LUes  se  distinguent  par  leur  périgone 
ou  enveloppe  florale  en  forme  d'entonnoir  qui  surmonta 
d'une  part  l'ovaire  auquel  sa  base  adhère ,  et  de  l'autre  est 
surmonté  par  les  étamines  qui  s'y  insèrent  et  le  débordent. 
Du  reste,  à  l'instar  des  aloès,  elles  élèvent  du  milieu  d'une 
rosace  de  feuilles  longues  et  épaisses  leur  tige  cylindrique 
et  écailleuse  comme  celle  d'une  grosse  asperge.  Leur  flo- 
raison n'a  heu  qu'une  fois  pendant  toute  leur  vie;  dans 
les  pays  chauds ,  elle  arrive  au  bout  de  sept  ou  huit  ans , 
mais  dans  nos  climats  tempérés  ou  froids  elle  peut  être 
retardée  jusqu'à  la  quarantième  année.  Pendant  tout  ce 
temps  la  plante  reste  basse  et  ne  s'allonge  que  fort  peu  ; 
mais  lorsque  le  moment  de  fleurir  est  arrivé ,  on  la  voit 
grandir  rapidement  et  atteindre  une  hauteur  de  vingt,  trente 
et  quarante  pieds  en  un  mois.  11  y  avait  là  certes  de  quoi 
mettre  en  verve  les  amis  du  merveilleux  :  aussi  s'est-on 
plu  à  dire  que  la  floraison  des  agaves  n'avait  lieu  qu'au 
bout  de  cent  ans,  et  qu'elle  était  accompagnée  d'une  explo- 
sion semblable  à  celle  d'un  coup  de  canon. 

Les  espèces  les  plus  intéressantes  sont  :  Yagave  d'Amé- 
riqîie  (  agave  americana).  Cette  plante  fut  apportée  en  Eu- 
rope vers  le  milieu  du  seizième  siècle  ;  on  la  trouve  aujour- 
d'hui en  Portugal ,  en  Espagne ,  en  Sicile ,  sur  les  côtes  de 
Barbarie ,  aux  environs  de  Marseille,  en  Roussilîon  et  même 
dans  quelques  cantons  de  la  Suisse.  On  en  possède  une 
variété  à  feuilles  panachées  de  blanc  et  de  jaune ,  dont  les 
grands  bouquets  de  Heurs  disposés  le  long  de  la  hampe, 
comme  un  gigantesque  candélabre,  produisent  le  plus  bel 
effet.  L'agave  d'Amérique  donne  aux  campagnes  où  il  est 
cultivé  un  aspect  tout  exotique.  En  Espagne  on  en  forme 
des  haies  impénétrables.  Les  fibres  des  feuilles  de  l'agave 
sont  longues,  fortes  et  déliées;  on  en  fabrique  des  cordes, 
des  filets  de  pêcheurs,  des  tapis,  des  toiles  d'emballage ,  des 
pantoufles,  du  papier,  et  divers  autres  ouvrages.  On  dégage 
les  fibres  en  faisant  rouir  les  feuilles  comme  du  chanvre 
dans  une  eau  stagnante  ou  dans  du  fumier;  on  les  écrase 
entre  deux  cylindres  ;  on  les  lave ,  on  les  bat ,  et  on  les 
peigne  à  plusieurs  reprises  pour  les  nettoyer  et  leur  donner 
de  la  souplesse.  —  On  retire  encore  des  feuilles  de  l'agave, 
par  la  trituration ,  un  suc  que  l'on  passe  à  la  chausse  et 
que  l'on  fait  épaissir  par  l'évaporalion  après  y  avoir  ajouté 
une  certaine  quantité  de  cendres.  C'est  une  sorte  de  savon 
qu'on  emploie  pour  lessiver  le  linge. 

Vagave  pitte  (  agave  fœtida  )  croit  dans  les  mêmes  ter- 
rains que  l'espèce  précédente  ;  on  la  préfère  pour  fabriquer 
des  tissus  plus  fins.  On  fait  macérer  les  libres  pendant 
trois  ou  quatre  heures  dans  la  saumure,  puis  on  les  lave 
et  on  les  assouplit  avec  de  l'huile,  comme  cela  se  pratique 
pour  le  lin.  Avec  le  fil  ainsi  préparé  ,  on  fait  dans  les  îles 
de  la  Méditerranée  des  bas,  des  gants  et  même  des  étoffes 
appelées  zapparas. 

Vagave  du  Mexique  (  agave  cubensis  )  est  le  maguey 
des  Jlexicains.  Lorsqu'on  enlève  les  jeunes  pousses  placées 
au  centre  de  la  touffe  des  feuilles,  on  forme  dans  ce  point 
une  cavité ,  une  sorte  de  cuvette ,  dans  laquelle  s'amasse 
promptement  et  en  abondance  un  suc  limpide  sucré  que 
l'on  enlève  et  qu'on  laisse  fermenter,  en  y  ajoutant  une 
racine  que  les  Mexicains  nomment  ocpafli;  c'est  là  ce  qui 
a  valu  à  cette  plante  le  nom  de  vigne  du  Mexique.  Mais 
ce  vin,  peu  agréable  au  goût,  donne  une  odeur  fétide  à  l'ha- 
leine de  ceux  qui  en  boivent  immodérément. 
AGDE.  Voyez  Hérault  (Département  de  1'). 


AGK  —  AGENDA 


175 


AGE  (Physiologie).  La  vie  de  riionime.tlepuis  sa  nais- 
sauce  jusqu'à  sa  mort,  forme  dilïéientes  époipies  bien  dis- 
tinctes qu'on  appelle  ùges.  Cesraetamorplioses  doriiommesc 
buccèdeiit  avec  lies  transitions  plus  on  moins  sensibles,  mais 
toujours  faciles  à  reconnaître.  La  division  de  la  vie  la  plus 
généralement  adoptée  est  la  suivante  :  1"  Vcnfatice,nm 
dure  depuis  un  an  jusqu'à  quatorze.  Cette  époque  se  sub- 
divise en  deux  parties  :  la  première  comprend  l'enfance 
proprement  dite,  infanlia,  qui  commence  au  moment  de 
la  naissance  et  dure  jusqu'au  septième  mois;  puis  vient  la 
première  période  de  la  dentition,  qui  commence  au  sep- 
tième mois,  et  dure  jusqu'à  la  deuxième  année,  et  enfin  la 
seconde  période  de  la  dentition,  qui  dure  depuis  deux  ans 
jusqu'à  sept.  La  seconde  partie  de  l'enfance  est  la  puéri- 
lité, qui  commence  à  sept  ans,  et  dure  chez  les  garçons 
jusqu'à  quatorze  ou  quinze,  et  chez  les  filles  jusqu'à  onze 
ou  douze,  c'est-à-dire  jusqu'au  développement  de  la  pu- 
berté. 2'  Vadolescence,  ou  âge  de  puberté,  qui  com- 
mence à  l'époque  oii  (inil  l'enfance.  Dans  les  climats  tem- 
pérés cet  âge  dure  chez  les  bonmies  jusqu'à  vingt-cinq  ans  et 
chez  les  femmes  jusqu'à  vingt.  3°  La  troisième  grande  divi- 
sion de  la  vie  conmience  alors,  c'est  l'âge  de  la  virilité. 
La  nature  s'arrête  à  ce  moment,  et  parait  rester  station- 
naire  pendant  une  longue  suite  d'années.  Celle  troisième 
division  comprend  cependant  trois  subdivisions  bien  fa- 
ciles à  établir  :  dans  la  première,  l'homme  est  encore  jeune; 
dans  la  seconde,  il  est  d'âge  moyen  ;  dans  la  troisième,  il 
se  fait  vieux.  4°  A  soixante  ans  enfin,  comu'.ence  le  qua- 
trième âge  de  riionmie,  la  vieillesse.  —  11  est  probable 
que  l'enfant  ne  reçoit  d'abord  d'autres  impressions  que 
celles  des  sens.  Les  facultés  de  l'àme  ne  se  forment  que 
plus  tard.  La  jeunesse  est  l'âge  de  l'amour,  source  des  plus 
délicieux  sentiments  et  des  peines  les  plus  amères,  mobile 
des  actions  les  plus  nobles,  des  égarements  les  plus  ter- 
ribles. L'âgevirii  est  celui  de  la  maturité  et  de  la  prudence. 
C'est  dans  l'âge  avancé  que  la  raison  se  montre  sous  son 
jour  le  plus  pur  -.  on  dirait  qu'à  mesure  que  le  corps  se 
penche  vers  la  terre,  l'esprit  s'élève  vers  le  ciel.  Dans  l'en- 
fance la  nature  développe  les  appareils  de  la  nutrition; 
l'adolescence  se  distingue  par  l'évolution  de  l'appareil  gé- 
nital. Tous  les  organes  acquièrent  leiu's  proporlions  défini- 
tives. En  perpétuant  son  espèce  dans  l'âge  adulte ,  l'homme 
remplit  l'objet  pour  lequel  il  a  été  formé;  ensuite  arrivent 
la  décroissance  de  la  vieillesse  et  la  mort. 

[M.  Flourens  prolonge  la  durée  des  âges  humains.  I!  les 
divise  en  quatre  séries ,  subdivisées  chacune  en  deux  pé- 
riodes, savoir  :  \' enfance,  première,  de  la  naissance  à  dix  aiis  ; 
deuxième  (  adolescence  ) ,  de  dix  à  vingt  ans  ;  jeunesse , 
première,  de  vingt  à  trente  ans;  deuxième,  de  trente  à 
quarante  ans  ;  virilité,  première,  de  quarante  à  cinquante- 
cinq  ans;  deuxième,  de  cinquante-cinq  à  soixante-dix  ans; 
vieillesse,  première ,  de  soixante-dix  à  quatre-vingt-cinq 
ans;  deuxième,  de  quatre-vingt-cinq  ans  à  la  mort.  Ce  sa- 
vant physiologiste  prolonge  l'adolescence  jusqu'à  vingt  ans, 
parce  qu'alors  seulement  se  termine  le  développement  des 
os,  et  par  suite  l'accroissement  du  corps  en  longueur;  il 
prolonge  la  jeunesse  jusqu'à  quarante  ans,  parce  qu'alors 
se  termine  l'accroissement  du  corps  en  grosseur  :  ce  qui 
peut  survenir  après  cela  n'est  qu'une  accumulation  de  graisse. 
Jusqu'à  cinquante-cinq  ans  se  fait  un  travail  ô'invigoralion 
qui  rend  toutes  les  parties  du  corps  plus  fermes  ,  plus  ache- 
vées, et  l'organisme  entier  plus  complet.  Ce  travail  se  main- 
tient ensuite  jusqu'à  soixante-dix  ans  ou  à  peu  près.  La 
vieillesse  alors  commence.  Pour  M.  Flourens,  le  signe  de 
cet  âge  c'est  la  perte  de  la  force  en  réserve  qui  existe  pour 
tous  les  autres  :  le  vieillard  n'a  plus  que  la  force  agissante, 
colle  du  moment.  L.  L.  J 

AGE  (Législation).  Époque  de  la  vie  où  l'on  devient 
cipable  d'exercer  certains  droits  civils  ou  politi<]ues.  Ainsi 
la  loi  a  lixc  un  âge  auquel  elle  suppose  «lue  les  individus 


sont  aptes aumariage;  un  ûge  pour  l'adoplantct  l'adopté 
dans  l'adoption;  un  âge  pour  refuser  la  tu  telle,  wi  s'en 
faire  décharger;  un  âge  pour  la  majorité;  un  âge  pour 
le  testament  du  mineur,  pour  l'é m  a  n  ci  p a  t  i o n ,  pour  l'en- 
rôlement volontaire;  un  âge  pour  être  reçu  en  témoignage; 
un  âge  pour  l'appel  sous  les  drapeaux  ;  un  âge  pour  le  ser 
vice  de  la  garde  nationale,  etc.;  un  âge  qui  affranchit  le 
débiteur  nonsteliionataire  de  la  contraintepar  corps; 
elle  établit  une  présomption  de  survie  lorsque  plusieurs 
personnes  héritières  l'une  de  l'autre  périssent  ensemble  dan.' 
un  même  événement ,  suivant  l'âge  et  le  sexe,  etc. 

L'homme  accusé  d'un  crime  ou  d'un  délit,  s'il  n'a  point 
atteint  sa  seizième  année,  sur  la  déclaration  du  jury  qu'il 
n'a  point  agi  avec  discernement ,  est  acquitté,  sauf  à  subir 
s'il  y  a  lieu  ,  une  détention  limitée  dans  une  maison  de 
correction.  S'il  est  décidé,  au  contraire,  qu'il  a  agi  avec 
discernement,  la  peine  qu'il  subit  est  toujours  correction- 
nelle; mais  elle  peut  être  de  vingt  ans.  A  soixaule-dix  ans 
l'individu  dans  le  cas  d'être  condamné  aux  travaux  forcés 
ou  à  la  déportation  ne  l'est  qu'à  la  réclusion.  S'd  subissait 
déjà  une  de  ces  peines,  il  est  au  môme  âge  renlermé  dans 
une  maison  de  force  pour   le  temps  à  expirer  de  sa  peine. 

La  loi  exige  vingt  et  un  ans  pour  être  électeur,  vingt-cinq 
pour  être  député  au  corps  législatif,  ainsi  que  membre  d'un 
conseil  municipal,  maire,  etc.;  trente  pour  être  juré. 

L'âge  se  prouve  en  général  par  l'acte  de  naissance  extrait 
des  registres  de  l'état  civil,  ou  à  son  défaut  par  d'autres 
actes  authentiques  ou  de  notoriété  publique.  Z. 

Age  (Moyen).  Voge:^  Moven  Age. 

ÂGE D'OR,D'ARGEi\T,elc.Foy.  Ages  (Les Quatre). 

AGÉBITES.  Voyez  Aclabites. 

AGEM.  Voyez  Adjem. 

AGEN,  autrefois  capitale  du  comté  d'Agénois,  aujour- 
d'hui chef-lieu  du  département  de  L  o  t  -  e  t-  G  a  r  o  n  n  e.  Situé 
sur  la  rive  droite  de  la  Garonne,  Agen  est  une  ville  d'ori- 
gine gauloise  ;  Ptolémée  la  mentionne  comme  la  capitale  des 
rs'ifiobriges  ;  elle  fut  embellie  sous  la  domination  romaine, 
eut  beaucoup  à  souffrir  des  invasions  des  barbares,  Visi- 
goths,  Huns  et  Vandales,  fut  prise  par  les  Normands  au 
neuvième  siècle  ,  et  passa  ensuite  tour  à  tour  sous  le  pou- 
voir des  rois  de  France,  des  ducs  d'Aquitaine,  des  rois 
d'Angleterre  et  des  comtes  de  Toulouse.  En  1322  les  Fran- 
çais s'en  emparèrent,  mais  la  rendirent  aux.  Anglais  huit 
ans  après.  Cependant  elle  secoua  bientôt  le  joug  de  l'étranger, 
et  les  Anglais  ne  purent  la  reprendre.  Le  traité  de  Bréligny 
la  leur  rendit  encore  une  fois;  mais  ils  la  perdirent  presque 
aussitôt  et  pour  toujours.  En  1418  elle  fut  saccagée  par  les 
troupes  du  comte  d'Armagnac.  Les  protestants  s'en  empa- 
rèrent en  1562 ,  mais  elle  se  déclara  pour  la  Ligue  en  1584, 
Le  comte  de  la  Roche,  fils  du  maréchal  de  Matignon,  la 
prit  en  1591  ;  enfin  elle  se  rendit  l'année  suivante  à  Henri  IV. 
Avant  1789,  Agen  était  le  siège  d'un  présidial ,  d'un  gou- 
vernement particulier,  d'une  sénéchaussée  et  d'une  élection. 
C'est  maintenant  celui  d'une  cour  impériale,  de  tribunaux  do 
première  instance  et  de  commerce ,  d'un  évôché ,  fondé , 
suivant  la  tradition,  en  350.  Cette  ville  possède  un  grand  et 
un  petit  séminaire,  un  lycée  impérial,  une  école  normale 
priniaire,  une  bibliothèque  publique  de  15,000  volumes  , 
une  manufacture  impériale  de  toiles  à  voiles  ,  des  filatures 
de  colon  ,  des  manufactures  d'indiennes,  de  molletons  ,  de 
serges,  de  cotonnades,  etc.  Il  s'y  faU  un  grand  commerce 
de  blé  et  de  farine  pour  les  colonies,  d'eaux-de-vie,  de 
chanvre,  de  pruneaux, etc.  Entrepôt  du  commerce  entre 
Toulouse  et  Bordeaux,  Agen  se  relie  à  ces  deux  villes  par 
un  chemin  de  fer.  Un  autre  doit  un  jour  le  rattacher  à  Li- 
moges. Sa  population  est  de  17,667  âmes. 

AGENDA,  expression  latine  qui  s\g\n(\e  chose  à  faire^ 
et  qui  a  été  transportée  dans  notre  langue  pour  désigner  un 
petit  livret  portatif,  composé  de  tablettes  pour  chaque  jour, 
où  chacun  peut  écrire  des  noies,  marquer  d'avance  ses  ^f- 


J76  AGENDA  -  AGENT  DE  CHANGE 

faites,  ses  projets,  les  lieurcs  cl  les  lieux  de  ses  rendez- 
vous,  les  emplois  ((ii'il  se  propose  de  (aire  «le  son  temps. 

AGENT  (du  latin  agere,  agir,  se  mouvoir).  Ce  mot 
exprime  toute  espèce  d'action  au  propre  ou  au  figuré.  11 
est  mis  par  opposition  h  patient  :  ainsi ,  Ion  dit  Yo'jent  et 
le  patient,  pour  signifier  la  cause  qui  opère  et  le  sujet 
passif  qui  en  soufTre. 

Dans  la  physitiue  et  dans  la  ciiimie,  on  nomme  agent 
foute  force  naturelle  ou  toute  substance  énergique  qui  pro- 
duit un  effet,  soit  sur  l'homme,  soit  sur  des  corps  inertes. 

En  économie  politique,  J.-B.  Say  appelle  agents  de  la 
production  ce  qui  agit  pour  produire;  les  indiistrieux  et 
leurs  instruments  ;  ou,  si  on  veut  personnifier  l'industrie, 
c'est  l'industrie  avec  ses  instniments.  De  leurs  services 
productifs  réunis  naissent  tous  les  produits.  Le  même  éco- 
nomiste appelle  la  monnaie  Yagent  de  la  circulation. 

On  donne  encore  le  nom  d'agent  à  la  personne  qui  agit, 
qui  se  donne  du  mouvement  dans  l'intérêt  d'une  autre  ;  à 
certains  employés  ou  commis  de  quelques  administrations, 
ou  enfin  à  celui  qui  gère  les  affaires  d'autrui  ou  une  entre- 
prise quelconque. 

Agent  d'intrigues,  celui  qui  se  mêle,  par  goût  ou  par  ca- 
ractère ,  de  faire  naître  des  intrigues ,  des  embarras ,  des  dif- 
ficultés ,  des  brouilleries,  etc.,  entre  les  personnes.  On 
donne  aussi  ce  nom  à  celui  qui  fait  profession  de  faire  ob- 
tenir aux  autres  des  emplois,  des  faveurs  ,  des  honneurs, 
l»ar  la  cabale,  les  sollicitations,  des  manèges  secrets,  etc.; 
ou  de  détruire  le  crédit  d'une  personne ,  de  renverser  une 
entreprise,  etc. 

Agent  d'affaires.  C'est  une  espèce  de  negotiorum  gestor 
(pji  se  charge  des  affaires  d'autrui.  Ces  agents ,  en  général 
peu  estimés  ,  sans  doute  parce  que  leur  intrusion  dans  les 
affaires  est  presque  toujours  fatale  à  ceux  qui  les  emploient, 
se  consacrent  ordinairement  aune  spécialité  :  les  uns  pour- 
suivent les  affaires  contentieuses  près  les  administrations 
publiques  ou  les  tribunaux  ,  les  autres  gèrent  la  fortune 
des  particuliers ,  recouvrent  les  capitaux ,  font  des  place- 
ments ,  des  ventes ,  etc. 

Agent  de  faillite.  On  donnait  ce  nom  à  celui  qui  gérait 
les  affaires  d'une  faillite  avant  la  loi  du  28  mai  1838.  Ces 
agents  sont  remplacés  aujourd'hui  pardes  syndics  provisoires. 

Agent  comptable.  On  appelle  ainsi  certains  employés 
qui  dans  les  administrations  sont  chargés  du  maniement 
des  fonds. 

Agent  judiciaire  du  trésor,  employé  supérieur  des  fi- 
nances chargé  de  représenter  le  trésor  public  dans  toutes 
les  affaires  judiciaires  qui  le  concernent. 

Agent  de  la  force  publique  se  dit  de  tous  ceux  qui  sont 
chargés  de  veiller  à  l'exécution  des  lois  ,  des  jugements  et 
actes  :  tels  sont  les  procureurs  généraux  et  impériaux, 
les  huissiers,  les  gardes  du  commerce,  les  gendarmes, 
ceux  f)ui  sont  charges  de  veiller  à  la  tranquillité  publique 
ou  préposés  à  la  police  municipale  et  nirale ,  conmie  les 
commissaires  de  police  et  leurs  agents ,  les  maires  et  leurs 
adjoints ,  les  gardes  champêtres  et  les  gardes  foi-estiers,  etc. 
•  Les  violences  dirigées  contre  un  agent  de  la  force  pu- 
blique, dit  le  Code  Pénal,  si  elles  ont  eu  lieu  pendant  l'exer- 
cice de  son  ministère ,  seront  punies  d'un  emprisonnement 
d'un  mois  à  six  mois.  » 

Agent  de  police,  préposé  ou  surveillant  nommé  par  l'au- 
torité locale  pour  maintenir  l'ordie  dans  une  ville,  une 
commune,  etc. 

Agent  provocateur,  celui  qui  excite  quelqu'un  à  faiie 
quelque  chose,  et  surtout  à  commettre  un  crime,  un  délit. 
On  désigne  particulièrement  sous  ce  nom  d'agent  provoca- 
teur celui  qui,  dans  un  moment  d'effervescence  publique, 
pousse  les  citoyens  à  la  révolte ,  ourdit  des  complots ,  pro- 
voque à  l'émeute  et  fait  tomber  ses  imprudents  complices 
dans  les  mains  de  la  justice. 
Agent   municipal,  nom  que  l'on  donnait  sous  la  pre- 


mière république  à  l'officiernommé  par  l>es  communes  dont 
la  population  ne  s'élevait  pas  à  cinq  mille  âmes  pour  exercer 
les  fonctions  municipales.  La  réunion  de  tous  les  agents  mu- 
nicipaux des  conmiunes  formait  la  municipalité  du  canton. 

Agent  diplomatique ,  fonctionnaire  qu'un  gouvernement 
envoie  et  accrédite  près  d'un  autre  gouvernement  pour  lui 
servir  d'intermédiaiie,  et  pour  protéger  en  pays  étranger 
les  sujets  de  la  nation  qu'il  représente.  Il  y  a  quatre  classes 
d'agents  diplomatiques  officiels,  suivant  l'ordonnance  du 
16  décembre  1832  :  les  ambassadeurs ,  les  ministres  plé- 
nipotentiaires, les  résidents,  et  les  chargés  d'affaires. 
Quant  aux  consuls  généraux  et  aux  consxils ,  ils  forment 
un  ordre  à  part  dans  la  diplomatie,  et  ne  sont  en  général  que 
des  agents  puremer't  commerciaux.  Après  la  révolution  de 
Février,  le  gouvernement  provisoire  avait  décidé ,  par  me- 
sure d'économie,  et  à  l'exemple  de  la  Prusse,  que  la  France 
ne  serait  représentée  à  l'étranger  tout  au  plus  que  par  des 
envoyés  extraordinaires,  ministres  plénipotentiaires;  depuis 
l'empire  on  a  nommé  plusieurs  auibassadeins.  Les  ambas- 
sadeurs du  Saint-Siège  prennent  les  noms  de  légats  et  de 
nonces  apostoliques. 

On  nomma  agent  secret  celui  qui  est  chargé  d'une  mis- 
sion secrète,  inconnut;  souvent  à  l'envoyé  officiel. 

Agent  voyer,  agent  chargé  de  diriger  les  travaux  de 
voirie  dans  une  division  administrative.  * 

AGENT  DE  CiiANGE.  Agent  intermédiaire  pour  les 
.  actes  de  commerce,  officier  public  ayant  seul  qualité  pour  n('- 
gocier,  soit  les  effets  publics  et  ctiangers,  soit  tout  autre  effet 
susceptible  d'être  coté  ;  de  faire  pour  le  compte  d'autrui  les 
négociations  de  lettres  de  change  ou  de  billets  et  de  toutes 
sortes  de  papiers  comraerçabies,  et  d'en  constater  le  couis, 
ainsi  que  celui  des  matières  métalliques  dont  il  fait  aussi  les 
négociations  et  le  courtage  de  vente  ou  d'achat,  concurrem- 
ment avec  les  courtiers  de  marchandises  ;  mais  seuls  les  agents 
de  change  ont  le  droit  d'en  constater  le  cours. 

Jusqu'à  Charles  IX  le  commerce  de  l'or,  de  l'argent ,  de 
billets  ou  de  marchandises  se  faisait  librement,  et  il  n'y  avait 
aucune  différence  entre  les  courtiers  de  marchandises  et 
les  agents  de  change ,  titres  nouveaux  que  ces  derniers  ne 
commencèrent  à  porter  qu'en  1639.  Louis  XTS'^,  en  1705,  sub- 
stitua aux  anciens  agents  de  cb.ange  établis  dans  toute  l'é- 
tendue du  royaume  cent  seize  nouveaux  officiers  avec  la 
qualité  de  conseillers  du  roi,  agents  de  banque,  change, 
commerce  et  finances.  On  supprima  encore  ou  on  créa  de 
nouveaux  offices  de  ces  agents;  enfin  un  édit  de  1723  régla 
leur  nombre,  leurs  attributions  et  leurs  droits.  La  loi  du  17 
mars  1791,  qui  proclama  la  liberté  illimitée  de  toutes  les  pro- 
fessions ,  supprima  les  agents  de  change,  qm  furent  rétablis 
par  la  Convention  le  28  ventôse  an  IX.  Leur  existence  est 
consacrée  par  le  Code  de  Commerce. 

Aujourd'hui  il  y  a  des  agents  de  change  dans  toutes  les 
villes  qui  ont  vme  Bourse  de  commerce.  Ils  sont  nommés 
par  l'empereur.  Ils  doivent  fournir  un  cautionnement  qui 
varie  de  4,000  à  125,000  francs.  Le  nombre  des  agents  de 
change  est  fixé  à  soixante  [)0ur  la  Bourse  de  Paris.  La 
compagnie  nomme  tous  les  ans  une  chambre  syndicale, 
composée  d'un  syndic  et  de  six  adjoints.  Cette  chambre, 
étant  instituée  pour  la  discipline  du  corps,  doit  veiller  à  ce 
(jue  tout  agent  de  change  se  renferme  dans  les  limites  de 
ses  fonctions  :  elle  peut  suspendre  un  agent  de  change,  et 
elle  peut  provoquer  sa  destitution  auprès  du  ministre  com- 
pétent. 

Nul  ne  peut  être  nommé  agent  de  change  s'il  ne  jouit  dos 
droits  de  citoyen  français ,  s'il  a  fait  faillite,  abandon  de  biens 
ou  attermoiement  sans  avoir  été  réhabilité.  Tout  individu 
qui  empiéterait  siu-  les  fonctions  qui  sont  attribuées  aux 
agents  de  change  serait  passible  d'une  amende  du  douzième 
au  sixième  du  cautionnement  de  ces  oflicicis  publics. 

Les  agents  de  change  sont  obligés  d'avoir  dos  livres  cotés, 
parafes  ^t  visés ,   soit  par   un  des  juges  du   tribunal   de 


AuENT  DE  CIlAiXGt:  —  AGGLOMÉRATION 


177 


commerce',  soit  par  le  maire  ou  un  adjoint  dans  la  forme  or- 
dinaire et  sans  fiais.  I!s  sont  tenus  de  consi';ner  dans  ces 
livres  jonr  par  jour  et  par  ordre  de  dates,  sans  ratures,  in- 
terlignes ni  transpositions ,  sans  abréviations  ni  chiflres , 
toutes  les  conditions  des  ventes  ,  achats ,  assurances ,  et  en 
général  de  toutes  les  opérations  faites  p;ir  leur  ministore. 
Ils  ne  peuvent  dans  aucun  cas  et  sous  aucun  prétexte  faire 
des  opérations  de  commerce  ou  de  banque  pour  leur  compte. 
Us  ne  peuvent  s'intéresser  directement  ni  indirectement,  sous 
leur  nom  ou  sous  un  nom  supposé ,  dans  aucune  entreprise 
commerciale.  La  loi  leur  défend  de  signer  des  effets  de 
change ,  et  des  arrêtés  les  rendent  responsables  de  la  der- 
nière signature  des  ellets  qu'ils  négocient.  Us  ne  peuvent 
recevoir  ni  payer  pour  le  compte  de  Iciu-s  commettants ,  ni 
se  rendre  garants  des  marchés  dans  lesquels  ils  s'entremet- 
tent. Toute  contravention  à  ces  dispositions  entraîne  la  des- 
titution et  la  condamnation  à  une  amende  qui  ne  peut 
excéder  trois  mille  francs,  sans  préjudice  de  l'action  des  par- 
ties en  dommages-intérêts.  —  Tout  agent  de  change  des- 
titué ne  peut  être  réintégré  dans  ses  fonctions.  En  cas  de 
faillite  ,  l'agent  de  change  doit  être  poursuivi  comme  ban- 
queroutier. 

Les  agents  de  change  doivent  le  secret  le  plus  inviolable 
à  leurs  cUents  lorsque  ceux-ci  ne  consentent  pas  à  être  nom- 
més ;  ils  ne  peuvent  se  faire  représenter  que  par  un  de  leurs 
collègues  chargé  de  leur  procuration ,  et  dont  ils  sont  res- 
ponsables. A  Paris  il  leur  est  permis,  pour  certaines  de 
leurs  fonctions,  de  se  faire  remplacer  par  un  commis  reçu 
par  la  compagnie,  et  révocable  au  gré  de  son  p.itron  ou  fie 
cette  compagnie.  Leurs  droits  sont  (ixés  d'un  huitième  à  un 
quart  pour  cent  pour  chaque  opération,  dont  ils  î^ont  d'ail- 
leurs personnellement  responsables.  La  cour  impériale  de 
Paris  a  refusé  aux  agents  de  change  le  droit  de  poursuivre 
leurs  clients  pour  les  différences  provenant  des  jiux  de 
bourse.  —  Les  agents  de  change,  leurs  veuves,  enfants  ou 
héritiei-s  peuvent  présenter  des  successeurs,  poumi  qu'ils 
réunissent  les  conditions  exigées  ;  cette  faculté  n'a  pas  lieu 
pour  ceux  qui  ont  encouni  la  destitution. 

ÂGES  (Les  quatre).  L'idée  qu'il  y  a  eu  autrefois  une 
époque  de  bonheur  parfait  pour  le  genre  humain ,  époque 
que  la  corruption  toujours  croissante  des  hommes  a  fait 
cesser,  a ,  malgré  la  sensation  pénible  qu'elle  fait  éprouver, 
quelque  chose  de  trop  attrayant ,  et  pour  l'homme  pensant 
sous  l'impression  des  circonstances  qui  l'environnent,  et 
pour  l'imagination  des  poètes ,  pour  c[ue  ceux-ci  n'aient  pas 
de  fort  bonne  heure  essayé  la  description  de  cette  époque 
idéale.  Hésiode  et  Ovide  sont  les  premiei-s  poètes  qui  nous 
aient  laissé  une  description  à  peu  près  complète  et  attrayante 
de  cette  époque  et  de  sa  dégénérescence.  D'après  la  tradi- 
tion exposée  par  le  dernier,  dans  ses  Métamorphoses , 
quatre  âges  différents  se  sont  succédé  depuis  l'origine  du 
monde,  à  savoir  :  i"  Ydge  d'or,  sous  le  règne  de  Saturne. 
Les  hommes  vivaient  alors  libres ,  sans  lois ,  sans  juges , 
sans  armes,  sans  guerriers,  sans  guerres.  Leurs  champs  pro- 
duisaient spontanément  les  fruits  les  plus  délicieux,  et  ils 
jouissaient  d'un  éternel  printemps.  2°  Sous  le  règne  de  Ju- 
piter, suivit  Td^fe  d'argent.  Jupiter  partagea  l'année  en  quatre 
saisons.  Les  hommes,  qui  auparavant  avaient  habité  les 
champs  et  les  bois,  commencèrent  à  construire  des  maisons  et 
à  cultiver  la  terre.  3°  Vint  ensuite  Vdge  d'airain,  dans  le- 
quel se  manifesta  déjà  le  caractère  farouche  de  l'homme  et 
son  goût  pour  la  guerre,  mais  dans  lequel  la  race  humaine  ne 
se  rendit  cependant  coupable  d'aucun  crime.  4°  Parut  enfin  le 
siècle  rfe/e7'.  La  fidélité,  la  probité  et  la  sincérité  disparurent 
alors  de  la  teiTe;  la  cupidité,  la  violence,  le  mensonge  et  la 
ruse  prirent  leur  place.  On  commença  à  constniire  des  vais- 
seaux, à  démarquer  les  propriétés  ;  on  rechercha  avec  avidité 
des  richesses  cachées  dans  les  entrailles  de  la  terre;  on  décou- 
vrit le  fer,  on  en  foigea  des  armes  ;  le  brigandage,  le  meurtre 
et  la  guerre  envahirent  la  terre,  et  Ast^ée  remonta  aux 

DICT.   DE    I.\    CONVEI;S.    —   T.    I. 


cieux.  C'est  alors  que  les  Géants  tentèrent  d'escalader  le 
ciel.  —  Les  poètes  et  les  philosophes  ont  souvent  imité  et 
diversement  traité  cette  exposition  des  quatre  Ages  d'Ovide. 
Hésiode  intercale,  en  outre,  entre  l'dge  d'airain  et  l'âge  de 
fer  l'âge  héroïque,  qui  comprend  les  siècles  héroïques  de  la 
Grèce.  On  trouve  dans  les  Jugs  des  Indiens  quelque  ana- 
logie avec  ces  quatre  Ages  du  monde. 

AGÉSANDRE ,  habile  sculpteur  de  Rhodes,  auteur  du 
beau  gioupe  de  Laocoon,  qui  fut  retrouvé  sous  Jules  11 
par  Félix  de  Fredis,  et  que  l'on  regarde  comme  un  des  chefs-- 
d'œuvre de  la  statuaire  antique.  On  ne  s'acconie  pas  sur  le 
temps  où  vécut  Agésandre  ;  les  uns  le  font  vivre  à  l'époque 
la  plus  brillante  de  la  Grèce,  les  autres  le  placent  sous  le-. 
premiers  empereurs  romains,  ou  même  sous  Yespasien,  peu 
avant  Pline  l'ancien,  qui  cite  et  qui  décrit  le  Laocoon. 

AGÉSILAS ,  roi  de  Sparte  de  l'an  390  à  l'an  360  avant 
J.-C.  Après  la  mortdesonfrèreAgis,Lysandrelelitmonter 
sur  le  trône,  avec  l'intention  de  l'en  précipiter  plus  tard; 
mais  les  projets  de  Lysandre  furent  découverts  et  déjoués. 
Appelé  par  les  Ioniens  pour  les  secourir  contre  Artaxerxès, 
il  commença  sa  glorieuse  canière  en  Asie  par  une  victoire 
qu'il  remporta  sur  les  Perses.  11  fut  obligé  par  la  suite  de 
tourner  ses  armes  contre  Thèbes  et  Coriiithe,  qui  s'étaient 
liguées  contre  Sparte,  et  de  combattre  contre  Épami- 
nondaset  Pélopidas,  les  deux  plus  grands  capitaines 
de  l'époque.  Agésiïas  parvint  par  sa  prudence  et  sou  habi- 
leté à  sauver  Sparte,  en  évitant  une  bataille  rangée.  Quoi- 
que octogénaire ,  il  triompha  d'Épaminondas ,  et  sauva  la 
ville ,  qui  était  déjà  tombée  au  pouvoir  de  ce  général.  Au 
retour  de  la  dernière  campagne  qu'il  fit  en  Egypte ,  sa  tlotte 
fut  jetée  sur  les  côtes  de  la  Libye  :  il  y  mourut,  à  l'âge  de 
quatre-vingt-quatre  ans ,  couvert  de  gloire ,  et  regretté  de 
tous  ses  concitovens. 

AGÉSIPOLiS  I-III,  rois  de  Sparte,  de  la  dynastie  des 
A  g  ides.  Le  premier,  lils  de  Pausanias,  lui  succéda,  l'an  397 
avant  J.-C.  Il  remporta  une  grande  victoire  sur  les  JManti- 
uéeus,  et  mom'ut  l'an  380.  Le  deuxième,  fils  de  Cléombrote,  ne 
régna  qu'un  an,  371  avant  J.-C.  Le  troisième,  étant  encore  très- 
jeune  au  moment  de  son  avènement,  l'an  219  avant  J.-C., 
fut  mis  sous  la  tutelle  de  Cléomène  et  de  Lycurgue.  Ce 
dernier  lui  ravit  la  couronne.  Voyez  Sparte. 

AGÉTORIE,  fête  en  l'honneur  de  IMercure  Agetor 
ou  conducteur.  — Apollon  était  aussi  nommé  Agétor  chez  les 
Argiens ,  parce  qu'il  passait  pour  avoir  été  le  conducteur 
des  Héraclides  chez  les  Lacédémoniens.  —  Ces  fêtes  portaient 
le  nom  de  Carnées. 

AGGÉE  ,  un  des  douze  petits  prophètes.  On  ignore  et 
sa  naissance  et  l'époque  de  sa  mort.  Sa  prophétie ,  qui 
forme  deux  chapitres  seulement ,  nous  apprend  que  la  pa- 
role du  Seigneur  se  révéla  à  lui  dans  la  seconde  année  du 
règne  de  Darius  ;  ce  qui  jjermet  de  placer  sa  vie  à  la  fin  du 
sixième  siècle  avant  J.-C. ,  peu  de  temps  après  le  retour  des 
Hébreux  de  la  captivité  de  Eabyloue.  Aggée  excita  ses  com- 
patriotes à  rebâtir  le  temple  de  Jérusalem  ;  une  année  de 
stérilité  vint  à  frapper  les  Juiis ,  et  ils  se  mirent  plus  vigou- 
reusement à  l'œuvre.  Comme  la  médiocrité  du  nouvel  édi- 
fice arrachait  des  larmes  à  ceux  qui  se  souvenaient  de  la 
magnificence  du  temple  bâti  par  Salomon ,  Aggée  leur  rendit 
le  courage  en  annonçant  que  la  gloire  de  cette  dernière 
maison  serait  encore  plus  grande  que  celle  de  la  première. 
Les  théologiens  ont  appliqué  cette  prophétie  à  la  venue  du 
Cliiist ,  qui  honoia  ce  temple  de  sa  présence. 

AGGEUHUUS.  Voyez  XonvÈCE. 

AGGLOMÉRAT.  On  appelle  ainsi,  en  minéralogie  et 
en  géologie ,  des  masses  composées  de  substances  dissem- 
blables ,  formées  à  diverses  époques  après  avoir  été  long- 
temps séparées. 

AGGLOMÉRATION.  Dans  les  sciences  naturelles, 
on  se  sert  fréquemment  de  ce  nom,  qui  signifie  réunion  en 
aynas.  On  l'applique  en  géologie  au  mode  de  formation  des 

23 


«78 

foclies  qui  .n'ont  pas  une  orij^inc  instanlam^e,  coninio  les 
roches  agrégées,  et  qui  sont  composées  de  fragments  de 
roclies  d'une  époque  antérieure ,  agglomérés  par  un  ciment 
quelconfpie.  Les  roches  formées  par  agglomération  prennent 
le  nom  i\ agglomérats  ou  de  conglomérats.  —  On  dit  éga- 
lement qu'il  y  a  agglomération  d'individus  réunis  par  une 
partie  connnune  vivante,  lorstpril  s'agit  de  détemiiner 
le  genre  d'individualité  propre  aux  végétaux  dont  la  tige 
représente  la  souche  ou  la  partie  commune  vivante,  et 
dont  les  divers  organes  appendiculaires,  depuis  la  feuille 
cotylédonaire  jusqu'à  la  feuille  carpellaire,  sont  alors 
considérés  comme  autant  d'individus  qui  fonctionnent,  les 
uns  comme  agents  de  nutrition ,  et  les  autres  comme  or- 
ganes de  reproduction.  Certains  animaux  zoophytes,  qui 
forment  le  groupe  des  pennatulaires  ,  sont  également  com- 
l)osés  d'une  partie  commune  vivante,  sur  laquelle  sont  ag- 
glomérés un  grand  nomhre  d'individus. 

AGGLUTINATIFS,  emplâtres  collants  qu'on  étend 
sur  du  papier,  du  linge  et  du  cuir.  Comme  ils  ont  la  pro- 
priété d'adhérer  fortement  à  la  peau ,  on  s'en  sert ,  sous  le 
nom  de  sparadraps ,  pour  maintenir  réunies  les  parties 
divisées.  L'usage  des  bandelettes  agglutinatives  est  jour- 
nalier en  chirurgie.  Les  principaux  agglutinatifs  sont  les 
empl;■ltre^  de  diapalme  et  diachylon  gommé.  Le  taffetas  d'An- 
gleterre jouit  d'un  grand  créilit  dans  le  peuple,  comme  des- 
siccatif des  plaies.  Un  grand  nombre  d'agglutinatifs ,  surtout 
s'ils  sont  mal  préparés ,  ont  l'inconvénient  d'irriter  les  lis- 
sus  sur  lesquels  on  les  applique.  Aussi  a-t-on  varié  à  l'in- 
fini les  formules  de  leur  composition ,  pour  tâcher  d'éviter 
cet  inconvénient. 

AGGRAVANTES  (Circonstances).  Dans  la  législation 
criminelle,  on  appelle  ainsi  les  faits  accessoires  qui,  en  ve- 
nant s'ajouter  à  un  fait  principal,  relèvent  graduellement  sur 
l'échelle  du  crime,  et  le  rendent  proportionnellement  pas- 
sible d'ime  pénalité  plus  forte.  Ainsi  le  meurtre  devient  as- 
sassinat par  la  circonstance  aggravante  de  la  préméditation, 
et  la  peine  de  mort  est  susceptible  elle-même  d'être  aggra- 
vée si  le  meurtrier  a  pris  pour  victime  l'un  de  ses  ascendants 
légitimes ,  ou  ses  père  et  mère  légitimes ,  naturels  ou  adop- 
lifs.  Ainsi  le  vol  simple,  qui  est  rangé  dans  la  catégorie  des 
délits,  et  qui  est  de  la  compétence  des  tribunaux  correc- 
tionnels ,  se  change  en  crime  et  tombe  dans  la  juridiction 
des  cours  d'assises  par  le  concours  de  l'une  des  circons- 
tances aggravantes  qui  suivent  :  l'effracUon ,  l'escalade ,  la 
nuit,  la  maison  habitée,  le  chemin  public,  la  pluralité  des 
coupables ,  le  port  d'armes ,  la  violence  ou  la  menace  des 
armes ,  les  fausses  clefs ,  les  faux  titres  et  les  faux  ordres. 
Suivant  que  ces  circonstances  se  rencontrent  en  plus  ou 
moins  grand  nombre  dans  une  accusation  de  vol ,  la  peine 
applicable  s'élève  de  la  réclusion  aux  travaux  forcés  à  temps, 
aux  travaux  forcés  à  perpétuité  et  jusqu'à  la  mort.  Le  faux, 
les  attentats  à  la  pudeur ,  et  généralement  tous  les  délits  et 
tous  les  crimes  prévus  et  punis  par  le  Code  Pénal,  soit  qu'ils 
aient  été  dirigés  contre  la  sûreté  de  l'État,  soit  qu'ils  aient 
porté  atteinte  aux  personnes  ou  aux  propriétés,  peuvent 
être  accompagnés  de  circonstances  aggravantes.  —  L'accu- 
sation doit  toujoui-s  spécifier  et  préciser  ces  circonstances, 
et  le  jury  doit  être  appelé  à  répondre  distinctement  sur  cha- 
cune d'elles.  Mais  s'il  y  a  nécessité  de  déterminer  et  de  dis- 
tinguer les  faits  d'aggravation,  considérés  en  eux-mêmes  et 
dans  leur  rapport  avec  l'accusation ,  cette  distinction  est-elle 
é^ialement  indispensable  à  l'égard  de  chacun  des  accusés?  La 
cour  (le  cassation  l'a  décidé  négativement  par  arrêt  du  10 
lévrier  1844.  Laurent  (  de  l'Ardèche). 

AGIIA.  Voyez  Aca. 
AGHUIDAGH.  Voyez  Aharat. 
AGIDES.  Lorsqueles  H éraclidescliassèrentde  Sparte 
les  descendants  de  Pélops ,  Eurysthène  et  Proclès ,  fils  d'A- 
ristodème ,  mort  pendant  l'expédition  (  1173  avant  J.-C), 
furent  les  premiers  rois  de  la  race  d'Hercule  qui  résnèient 


AGGLOMÉRATION  —  AGIER 

PU  Laconie.  Les  descendants  de  ces  deux  princes  conser- 
vèrent l'autorité  suprême,  de  manière  que  l'État  fut  toujours 
gouverné  en  commun  par  deux  rois  tirés  de  chacune  de  ces 
branches.  Eurysthène  eut  pour  fils  Agis ,  d'où  les  princes  de 
sa  lignée  furent  appelés  Agïdes  ou  Eurijsthén'ules.  Proclès 
transmit  son  nom  aux  ProcUdcs,  ses  descendants.  La 
branche  des  Agides  donna  trente  rois,d'Euryslhène  à  Cléo- 
mène  III,  qui  mourut  en  Egypte.  Cette  race  finit  avec  Agé- 
sipolis  III  ;  mais  on  ne  sait  comment  ce  prince  termina  ses 
jours.  Voyez  Sparte. 

AGIER  (Puilippe-Jean),  président  de  chambre  à  la 
cour  royale  de  Paris,  mortdoyen  d'ûge  de  cette  cour  en  182.3, 
était  né  le  28  décembre  174S.  Fils  d'un  procureur  au  parle- 
ment ,  il  exerçait  la  profession  d'avocat  consultant ,  lorsque 
la  révolution  éclata.  11  fut  nommé  en  1789  député  sup- 
pléant de  Paris  aux  états  généraux  et  membre  de  la  commune 
formée  au  14  juillet,  où  il  fit  partie  du  fameux  Comité  des 
recherches.  Cependant  on  n'eut  aucun  excès  à  lui  reprocher, 
et  l'Assemblée  constituante  le  désigna  parmi  les  candidats  pour 
la  place  de  gouverneur  du  daupliin.  11  était  en  août  1792 
président  du  tribunal  du  cinquième  arrondissement,  séant 
aux  Petits-Pères;  mais  ayant  été  appelé  à  la  commune, 
avec  ses  collègues,  pour  y  prêter  le  serment  de  liberté  et 
d'égalité,  Agier  s'y  refusa  ;  ce  qui  le  fit  mettre  à  la  retraite. 
Étranger  aux  affaires  publiques  pendant  la  Terreur,  il  fut 
nommé  en  1795  président  du  tribunal  révolutionnaire  ré- 
généré. Ses  nouvelles  (onctions  cessèrent  complètement 
au  bout  de  trois  mois.  Désigné  en  1796  juré  près  la  haute 
cour  nationale  devant  laquelle  étaient  traduits  Babeuf  et  ses 
complices ,  Agier  se  récusa,  comme  ayant  été  inscrit  par  les 
prévenus  sur  une  liste  de  proscription.  Sa  récusation  ne  fut 
point  admise  ;  mais  il  s'abstint  de  voter  dans  les  délibéra- 
tions du  jury.  "Vers  le  même  temps ,  il  devint  membre  du 
comité  du  contentieux  de  la  dette  publique ,  et  enfin ,  après 
l'établissement  du  gouvernement  consulaire ,  il  fut  nommé 
juge,  puis  bientôt  après  vice-président  au  tribunal  d'appel 
de  Paris.  En  1816  il  fut  confirmé  par  Louis  XVIII  dans  ces 
honorables  fonctions.  Doué  d'une  rare  activité  d'esprit ,  il  a 
publié  plusieurs  ouvrages  estimés  en  matière  de  droit  civil 
et  politique ,  entre  autres  le  Jurisconsulte  national ,  ou 
Principes  sur  les  droits  les  plus  importants  de  la  nation 
(1789,  in-8°);  Vues  sur  la  réformation  des  lois  civiles 
(  1793,  in-8°)  ;  Du  Mariage  dans  ses  rapports  avec  la  re- 
ligion et  avec  les  lois  nouvelles  de  France  (  1801 ,  2  vol. 
in-S").  Ses  écrits  religieux  décèlent  un  zèle  tellement  exagéré 
pour  les  libertés  de  l'Église  gallicane  qu'on  l'a  accusé  de 
jansénisme  outré.  Son  travail  sur  les  psaumes ,  qu'il  a  tra- 
duits et  mis  dans  leur  ordre  naturel,  avec  des  explications  et 
des  notes  critiques ,  est  fort  estimé.  Son  commentaire  sur 
V Apocalypse  et  son  ouvrage  sur  le  second  avènement  de 
Jésus-Christ  prouvent  que  cet  excellent  esprit  était  tombé 
dans  les  erreurs  des  millénaires. 

AGIER  (Cuarles-Glv- François),  cousin  du  précé- 
dent, né  en  1753  ,  à  Niort,  était  avant  la  révolution  lieu- 
tenant-criminel au  siège  royal  de  Saint-Maixent.  Député  du 
tiers  état  aux  états  généraux ,  il  se  fit  remarquer  par  sa  mo- 
dération et  par  son  utile  coopération  aux  travaux  des  co- 
mités. Il  fut  incarcéré  sous  le  régime  de  la  Terreur.  Nommé 
en  1 800,  par  le  gouvernement  consulaire  ,  commissaire  près 
le  tribunal  civil  de  Niort ,  il  fut  sous  la  Restauration  élevé 
aux  fonctions  de  procureur  général  près  la  cour  royale  du 
ressort,  et  mourut  en  fonctions  en  1828. 

AGIER  (François-Marie),  fils  du  précédent,  avait 
débuté  an  barreau,  à  l'âge  de  vingt-deux  ans,  comme  dé- 
fenseur de  deux  complices  de  Moreau  (1804).  Quoiqu'il 
ertt  rempli  pendant  cinq  ans  des  fonctions  judiciaires  sous 
Napoléon ,  il  se  prononça  vigoureusement  en  faveur  de  la 
Restauration,  et  refusa  sous  les  Cent  Jours  de  signer  l'Acte 
additionnel.  A  la  tête  d'une  compagnie  de  volontaires  roya- 
listes, il  apporta  à  la  chambre  des  représentants  de  isiâ 


AGIEU  — 

une  pélilion  iiiipiliinV'  où  l'on  demandait  le  rétablisscniont 
deî>  lîourbons.  Sous  la  Restauration ,  Agier  devint  iirésident 
d'une  société  ultra-royaliste  dite  des  Francs  régénéras ,  re 
qui  lui  valut  la  disgnke  du  gouvernement,  et  niùme  une 
destitution  en  ISlS.  Il  coopéra  ensuite  à  la  rédaction  du 
Conservateur,  et  à  l'arrivée  de  M.  de  Villèlc  au  ministère 
il  fut  rappelé  dans  la  magistrature.  Élu  par  le  département 
des  Deux-Sèvres  à  la  chambre  des  députés  dite  septennale, 
Agier  y  prit  place  au  centre  droit.  Il  contribua  avec  trente 
députés  votant  sous  son  influence,  et  que  pour  cela  on  ap|)ela 
la  défection  Agier,  à  corroborer  cette  majorité  des  29.1  , 
qui  eut  en  1830  une  si  puissante  influence  sur  les  destinées  du 
pays.  Réélu  après  la  dissolution  prononcée  par  le  ministère 
Polignac,  il  accourut  prendre  part  aux  délibérations  qui  con- 
sommèrent la  révolution  de  1830  en  appelant  Louis-Philippe 
au  trône.  Agier  ne  fut  pas  réélu  en  1831  ;  mais  il  revint  à  la 
chambre  en  1834,  pour  échouer  de  nouveau  en  1836.  En  1842 
le  gouvernement  le  nomma  président  de  chambre  à  la  cour 
royale  de  Paris  ;  il  dut  prendre  sa  retraite  après  la  révolution 
de  février,  et  mourut  peu  de  temps  après,  le  16  mai  1848. 

AGILES  (Raymond  d'),  chanoine  du  Puy,  accompagna 
Adhémar  de  Monteil  à  la  première  croisade ,  et  fut  promu  au 
sacerdoce  pendant  le  saint  voyage.  Raymond  IV  le  distin- 
gua parmi  ses  vassaux;  il  fut  nommé  chapelain  de  ce  prince, 
qui  avait  remarqué  son  esprit  et  ses  connaissances,  et  qui 
l'admit  dans  ses  conseils  et  dans  son  intimité.  Au  nombre  de 
ceux  qui  avaient  accompagné  en  Orient  le  célèbre  comte  de 
Toulouse  et  de  Saint-Gilles ,  le  chapelain  distingua  surtout 
Pons  de  Bahazun ,  qui  à  la  valeur  du  guerrier  joignait  les 
talents  de  l'homme  de  lettres  ;  tous  deux  formèrent  le  projet 
décrire  l'histoire  de  la  croisade,  surtout  en  ce  qui  avait 
rapport  à  l'évèque  Adhémar  et  à  Raymond  IV;  mais  Pons 
de  Bahazun  mourut  au  siège  d'Archas,  en  1099,  et  Raymond 
d'Agiles,  revenu  en  Languedoc  après  la  prise  de  Jérusalem, 
s'occupa,  dans  les  loisirs  que  lui  laissaient  ses  devoirs  de 
chanoine,  du  soin  d'écrire  les  faits  d'armes  des  croisés  en 
Orient  jusqu'au  départ  de  Jérusalem  et  au  passage  du  Jotu- 
dain  par  l'armée  toulousaine.  Le  latin  de  Raymond  d'Agiles 
est  assez  pur,  et  même  assez  élégant,  selon  M.  Michaud, 
qui  le  critique  cependant,  parce  que,  dévoué  à  son  prince,  il 
a  raconté  les  méfaits  et  les  erreurs  des  croisés  du  nord  de 
la  France.  Guillaume  de  Tyr  a  presque  entièrement  adopté 
les  récits  de  Raymond  d'Agiles,  et  cette  estime  marquée  pour 
l'historien  du  comte  de  Toulouse  est  un  éloge  de  la  véracité 
de  cet  écrivain. 

AGILOLFINGES,  dynastie  ducale  de  Bavière.  Vers 
le  miheu  du  sixième  siècle,  les  Souabes,  ainsi  que  les  Ba- 
varois ,  paraissent  s'être  unis  par  des  traités  à  l'empire  des 
Francs ,  qui  s'étendait  sur  tonte  l'Allemagne  méridionale. 
C'est  ce  que  Luden  établit  parfaitement  dans  son  Histoire 
du  peuple  Allemand.  Les  rois  francs  laissèrent  aux  Bavarois 
leurs  ducs  particuliers,  qu'ils  confirmaient  dans  leur  dignité 
après  l'élection,  laquelle  portait  toujours  sur  un  prince  de 
la  famille  d'Agilolf.  L'histoire  n'en  connaît  pas  d'antérieurs 
à  Garibald,  qui  est  appelé  duc  par  Grégoire  de  Tours.  La 
loi  des  Bavarois  (titre  II,  chap.  20,  3  )  dit  :  Dux  rite  sem- 
per  de  génère  Agilolfingorum  fuit  et.  débet  esse,  quia  sic 
reges  anlecessores  nostri  conccsservnt  eïs.  On  ne  sait  pas 
l'origine  des  AgiloKinges,  ni  quel  était  Agilolf,  mais  sans 
aucun  doute  il  était  au  nombre  des  ancêtres  de  Garibald.  Il 
est  vraisemblable  aussi  que  le  traité  qui  unit  les  Bavarois 
aux  Francs  stipulait  des  avantages  particuliers  pour  les 
membres  non  régnants  de  la  famille  ducale.  Cinq  races  sont 
nommées  dans  la  loi  des  Bavarois,  De  Golbéry. 

AGIXCOURT.  Voii.  Seuocx  d'Acincoubt. 

AGIO  (d'un  mot  italien  qui  signifie  aider),  terme  de 
banque,  qui  exprime  la  somme  nécessaire  pour  couvrir  la 
différence  de  la  valeur  nominale  et  de  la  valeur  réelle  des 
monnaies.  Cinq  pièces  de  20  francs,  au  ulre  *;t  au  poids  de 
leur  création,  valent  100  francs.  Mais  cj.  d,  j  ujj,  n^u'elles  sont 


AGIOTAGE  179 

en  circulation,  le  frottement  ou  la  main  du  faussaire  a  ré- 
duit leur  poids  de  5  pour  100,  il  est  évident  que  leur  valeur 
réelle  n'est  plus  que  de  95  francs,  quoique  leur  valeur  no- 
minale soit  toujours  de  100  francs.  La  somme  de  5  francs, 
nécessaire  pour  éj^aler  la  valeur  réelle  à  la  valeur  nominale , 
est  ce  qui  constitue  l'agio. 

Il  faut  cependant  remarquer  qu'on  ne  l'exige  pas  dans  les 
relations  commerciales  d'un  pays.  Chacun  donne  la  mon- 
naie comme  il  la  reçoit,  et  la  valeur  réelle  ne  se  distingue 
pas  de  la  valeur  nominale.  L'agio  n'a  lieu  que  lorsque  la 
monnaie  se  dégrade  sensiblement  et  s'éloigne  beaucoup  de 
sa  valeur.  Mais  dans  les  relations  commerciales  de  peuple  à 
peuple,  celui  qui  accepterait  des  monnaies  dégradées  sans 
rétablir  le  prix  par  l'agio  éprouverait  un  grand  dommage. 
Afin  de  prévenir  cet  inconvénient,  les  peuples  qui  faisaient 
un  grand  commerce,  comme  les  Hollandais,  les  Vénitiens, 
établirent  des  b a  n  q  u  e s  d  e  d  é  p ô  t ,  qui  ne  recevaient  et  ne 
donnaient  la  monnaie  qu'au  titre  et  au  poids  légaux.  Cette 
première  mesure  fut  suivie  d'une  seconde  plus  efficace  en- 
core :  on  obligea  tous  ceux  qui  donnaient  à  l'étranger  des 
lettres  de  change  sur  le  pays,  de  les  stipuler  payaiiles  en 
monnaie  de  la  banque  de  dépôt.  Ce  fut  un  moyen  de  se  sous- 
traire au  désastreux  agio. 

On  se  sert  aussi  du  mot  agio  pour  exprimer  le  profit  que 
l'on  fait  sur  le  change  des  monnaies  d'un  métal  différent. 
Ainsi,  lorsque  l'or  était  rare,  comme  il  était  recherché  par 
moments,  à  cause  de  sa  plus  grande  valeur  sous  un  moindre 
poids,  il  fallait  donner  une  certaine  somme  en  prime  pour 
convertir  l'argent  en  or  :  c'est  cette  prime  que  l'on  nomme 
agio.  Après  la  révolution  de  février,  nous  avons  vu  l'agio 
de  l'or  monter  à  95  fr.  pour  1,000  fr.  :  aujourd'hui  ce  métal  est 
au  pair  avec  l'argent,  ou  plutôt  l'agio  serait  en  faveur 
del'aigent.  —  Il  y  a  encore  lieu  à  un  payement  d'une  diffé- 
rence quand  on  échange  du  papier  contre  des  valeurs  métal- 
liques :  le  bénéfice  que  réalise  le  banquier  se  nomme  agio. 
et  la  perte  que  supporte  la  personne  qui  éciiange  les  va- 
leurs prend  le  nom  d'esco/np/e  (l'o^T- Change).      Z. 

AGIOTAGE.  On  désignait  autrefois  par  le  terme  d'o- 
giotage  tout  ce  qui  concernait  le  commerce  des  espèces  mé- 
talliques ou  du  papier,  commerce  qui  constitue  aujourd'hui 
la  profession  de  banquier.  Cette  industrie  importante  fut  d'a- 
bord exercée  à  Venise,  puis  dans  d'autres  cités  commerçan- 
tes de  l'Italie,  et  de  là  elle  ne  tarda  pas  à  se  répandre  dans 
les  principales  villes  de  l'Europe.  L'agiotage  ,  ainsi  que  son 
nom  l'indique,  consistait  à  prélever  l'agio,  à  titre  de  rému- 
nération des  frais  de  transport,  de  compensations  des  ris- 
ques, etc.,  que  nécessite  le  change  d'une  valeur  contre  une 
autre  valeur.  Ce  terme  fut  bientôt  détourné  de  son  sens  pri- 
mitif, et  on  s'en  servit  pour  désigner  la  spéculation  sur  les 
actions ,  effets  publics ,  etc.  C'est  à  l'époque  du  fameux  sys- 
tème de  Law  que  l'agiotage  prit  en  France  pour  la  pre- 
mière fois  un  développement  scandaleux.  Il  en  fut  de  même 
pendant  les  orages  de  la  révolution  française.  Aujourd'hui 
l'agiotage  désigne  donc  surtout  les  spéculations  dont  la  dette 
publique  et  autres  valeurs  mobilières  sont  le  (irétexte. 
Agioter,  c'est  acheter  des  rentes,  des  actions,  lorsqu'elles 
son  ta  bas  prix  pour  les  revendre  lorsqu'elles  auront  haussé, 
et  réaliser  ainsi  un  bénéfice.  On  comprend  tout  lie  suite 
pourquoi  l'agiotage  est  voué  à  la  ré|(robation  publique,  c'est 
que  par  lui  il  n'y  a  pas  de  production,  pas  d'accroissement 
rfiel  de  produits;  il  n'y  a  (ju'im  dé]i!acement  de  valeurs, 
enrichissement  de  l'un  par  la  ruine  de  l'autre.  Les  négocia- 
tions sérieuses  ont  presque  disparu  pour  faire  place  à  des 
ventes  ou  achats  fictifs ,  que  l'on  connaît  sous  le  nom  de 
marchés  à  terme  et  de  marchés  à  primes  {voyez  Bourse). 

L'agiotage  ne  s'exerce  pas  seulement  sur  les  valeurs  publi- 
ques, etc.,  mais  aussi  sur  les  objets  de  production  réelle, 
les  vins,  les  eaux-de-vie,  les  huiles,  les  cafés,  les  colons. 
Dans  ces  marchés  on  s'engage  d'une  i)art  à  livrer,  d'auire 
part  à  recevoir  telle  quantité  d'une  marcliaiidise  à  certaine 


(SO 


AGIOTAGE  —  AGLABITES 


I  poque  moyennant  un  prix  convenu.  Non  que  l'on  veuille 
vendre  ou  acheter  réellement  ;  c'est  encore  un  pari  de  la  na- 
ture de  celui  (pii  se  fait  sur  les  rentes.  Au  terme  marqué,  le 
marché  se  résout  par  le  payement  de  la  différence  entre  le 
cours  au  jour  de  l'échéance  elle  prix  convenu. 

Ces  opérations  sont  une  source  de  désordies,  une  cause 
de  ruines  que  la  loi  flétrit  ;  mais  en  voulant  les  empêcher,  elle 
serait  exposée  à  interdire  une  foule  d'opérations  sérieuses 
et  utiles.  L'agioteur  prerjd  tous  les  moyens  pour  être  au 
courant  des  nouvelles;  il  spécule  même  quelquefois  sur 
riionneur  du  pays;  s'il  a  des  accointances  auprès  des  hom- 
mes politiques  ,  il  peut  jouer  à  coup  sih-;  avec  de  grosses 
sommes ,  il  est  maître  de  la  place ,  et  il  a  été  un  moment  où 
une  .seule  maison  de  haiique  à  Taris  jouait  sur  la  rente;  au- 
cune autre  n'osait  lutter  avec  elle. 

AGIS,  riusieurs  rois  de  Sparte  ont  porté  ce  nom.  — 
Agis  !"■,  fds  d'iiurystliène,  régna  vers  l'an  1060  avant  J.-C. 
Ce  fut  lui,  suivant  Strabon,  qui  prit  la  ville  d'Hélos,  et  en 
réduisit  les  habitants  {voyez  Ilotes)  en  esclavage.  Ses  des- 
cendants ,  i{ui  régnèrent  à  Sparte  concurremment  avec  ceux 
de  Troclès,  son  oncle,  prirent  de  lui  le  nom  d'j4  ^rides.  — 
Agis  II,  iilsd'Archidanuis  II,  de  la  race  des  Proclulcs,  régna 
de  427  à  301)  avant  J.-C.  Il  se  distingua  dans  la  guerre  du 
réioponnèsc,  remporta  en'4l8,  à  Mantinée,  une  impor- 
tante victoiie  sur  les  Argiens  et  leurs  alliés,  lit  ensuite  in- 
vasion dans  l'Attique,  et  y  fortilia  Décélie;  ce  qui,  suivant 
riutarque,  contribua  plus  que  toutes  les  victoires  de  Lacé- 
<lémone  à  la  ruine  de  la  puissance  athénienne.  Alcibiade, 
réfugié  à  Sparte,  séduisit  la  femme  d'.Agis,  et  en  eut  un  fils, 
Léotychide,  que  ce  prince  désavoua  d'abord,  et  qu'il  recon- 
nut dans  la  suite  ;  ce  qui  n'empêcha  pas  les  Spartiates  de 
l'exclure  du  trône,  pour  y  placer  Agésilas.  —  Agis  HT, 
fils  d'Arcliidamus  111  et  petil-fils  d'Agésilas,  régna  de  .347  à 
.338  avant  J.-C.  Quoique  opposé  au  parti  macédonien,  il 
attendit  pour  se  déclarer  contre  Alexandre  que  ce  prince 
eût  passé  en  Asie  et  se  fût  engagé  dans  son  expédition  contre 
Darius.  Ce  dernier  lui  fournit  alors  des  subsides  considé- 
rables, dont  il  se  servit  pour  enrôler  huit  mille  mercenaires 
échaitpés  à  la  bataille  d'Issus,  et  pour  équiper  une  flotte  avec 
laquelle  il  se  rendit  maître  de  la  plus  grande  partie  de  l'ile 
de  Crète.  Il  revint  ensuite  dans  le  Péloponnèse,  dont  la  plus 
grande  partie  fut  bientôt  soulevée  contre  les  IMacédoniens , 
et  il  alla,  avec  20,000  hommes  de  pied  et  2,000  chevaux , 
mettre  le  siège  devant  Mégalopolis.  IVIais  Antipater,  qui 
commandait  en  :\Iacédoine,  se  hâta  d'accourir  au  secours  de 
celle  ville.  Son  armée  s'élevait  à  40,000  hommes;  Agis 
n'hésita  cependant  pas  à  lui  livier  bataille,  et  il  eût  rem- 
porté la  victoire  sans  la  défection  d'une  partie  de  ses  alliés. 
Les  Lacédémoniens,  après  des  prodiges  de  valeur,  avaient 
été  enfin  obligés  de  céder  au  nombre;  (juatre  guerriers  em- 
portaient Agis  grièvement  blessé.  Celui-ci,  les  voyant  sur  le 
point  d'être  enveloppés  i)ar  l'ennemi,  leur  ordonna  de  le  dé- 
poser à  terre  et  de  pourvoir  à  leur  sûreté  ;  puis,  se  mettant  à 
genoux,  ilattcndit  dans  cette  positionles  Macédoniens,  en  tua 
encore  plusieurs,  et  tomba  enfin,  percé  de  part  en  part  d'un 
javelot  lancé  de  loin  contre  lui.  C'est  en  apprenant  cette  vic- 
toire de  son  lieutenant  qu'Alexandre  dit  à  ses  amis,  avec  un 
sourire  de  pitié  :  «  Tandis  que  nous  chassions  l'Asie  devant 
«  nous,  il  y  avait  en  Grèce  un  combat  de  souris!  »— Agis  IV, 
fils  d'Eudamidas  II,  de  la  race  des  Proclides,  monta  sur  le 
trône  en  '232  avant  J.-C.  Sparte  était  alors  bien  déchue  : 
c'était  à  peine,  dit  Plutanpie,  si  l'on  y  comptait  encore 
.sept  cents  citoyens;  et  sur  ce  nombre  il  y  en  avait  six  cents 
qui  ne  possédaient  rien  ;  tout  Icteriitoircapparfenaitauxcent 
autres,  (jui  passaient  leur  vie  dans  la  mollesse  et  la  débau- 
che ,  et  semblaient  avoir  mis  dans  un  oubli  complet  les 
lois  de  Lycurgiie.  Agis  voulut  opérer  une  réforme  politique, 
et,  aidé  de  Lysandre,  le  plus  considéré  de  tous  les  Spar- 
tiates, qu'il  était  parvenu  à  faire  nommer  éphore,  de  Man- 
ilroclidas,  qui  passait  pour  le  plus  habile  des  Grecs  dans  la 


conduite  des  affaires ,  de  son  oncle  Agésilas,  et  enfin  de  sa 
mère  Agésistiate,  à  qui  son  immense  fortune  donnait  dans 
la  ville  une  grande  influence,  il  essaya  de  faire  adopter  deux 
mesures  qui  devaient  amener  le  retour  de  la  république  à 
cette  législation  à  laquelle  elle  avait  dû  sa  grandeur  :  l'abo- 
lition de  toutes  les  dettes,  et  un  nouveau  partage  des  terres. 
La  première  fut  seule  décrétée;  Agésilas,  dont  les  biens 
étaient  considérables,  mais  qui  devait  encore  plus  qu'il  ne 
I)ossédail,  essaya  d'arrêter  là  la  réforme,  et  abandonna  son 
neveu  quand  celui-ci  voulut  aller  plus  loin.  Agis  fut  alors 
chargé  de  conduire  aux  Achéens ,  en  guerre  avec  les  Élo- 
liens,  le  secours  que  Sparte  devait  leur  fournir  comme  leur 
alliée.  Pendant  son  absence,  ses  ennemis  reprirent  le  dessus; 
son  collègue  Léonidas,  qui  s'était  déclaré  le  chef  du  parti 
opposé  aux  réformes ,  et  que  Lysandre  avait  fait  exiler  et 
remplacer  par  Cléombrote ,  fut  rappelé ,  et  remonta  sur  le 
trône;  le  peuple,  qui  n'avait  rien  gagné  à  l'abolition  des 
dettes ,  s'en  prit  à  Agis  de  l'ajournement  du  partage  des 
terres,  et  ce  malheureux  prince,  accueilli,  à  son  retour,  par 
une  émeute  terrible,  ne  put  échapper  à  la  fureur  de  ses  en- 
nemis qu'en  se  réfugiant  dans  le  temple  de  MineiTe  Chalcia- 
que.  11  n'y  fut  pas  longtemps  en  sûreté  :  les  éphores  l'en 
arrachèrent  pour  le  livrer  aux  bourreaux.  Son  aïeule  Archi- 
damie  et  sa  mère  Agésistrate  furent  ensuite  mises  à  mort  ; 
puis  Léonidas  força  la  veuve  de  son  collègue  à  épouser  son 
petit-fils  Cléomène,  qui  alors  était  à  peine  nubile,  mais  qui, 
devenu  roi  à  son  tour,  renouvela  les  efforts  d'Agis  pour  le 
rétablissement  des  lois  de  Lycurgue,  et  ne  réussit  pas  mieux 
que  lui.  Pluîarque  a  écrit  les  Vies  d'Agis  et  de  Cléomène, 
et  ce  ne  sont  pas  les  moins  intéressantes  de  ses  admirables 
biographies.  Léon  Renieu. 

AGITATEUR  (du  latin  agito,  fréquentatif  d'op'o,  agir), 
celui  (jui  excite  les  passions  du  peuple  et  occasionne  des 
troubles  dans  l'État.  O'  Connell  avait  reçu  le  surnom  de 
grand  agitateur  de  l'Irlande.  On  se  rappelle  en  effet  avec 
quelle  facilité  ce  vol  sans  couronne  soulevait  et  apaisait  des 
flots  de  peuple  dans  son  pays.  En  1847  nous  avons  vu  en 
France  de  petits  agitateurs  chercher  à  peser  sur  le  gouver- 
nement au  moyen  de  l'agitation  des  banquets ,  et  produire 
la  révolution  de  février.  —  Les  officiers  que  l'armée  anglaise 
élut  en  1643,  pendant  les  troubles  politiques  de  cette 
époque,  pour  veiller  aux  intérêts  de  l'État,  avaient  aussi 
reçu  le  nom  (!l  agitateurs. 

AGITATION.  On  appelle  ainsi ,  en  pathologie,  une 
sorte  de  mouvement  continuel  et  fatigant  du  corps,  accom- 
pagné de  malaise ,  que  l'on  observe  en  général  au  début  des 
maladies ,  et  quelquefois  à  la  suite  d'une  simple  indisposi- 
tion. Une  mauvaise  digestion,  les  excitants,  le  café,  les  li- 
queurs alcooliques  peuvent  également  produire  de  l'agita- 
tion. L'agitation  morale  détermine  aussi  souvent  l'agitation 
physique.  Ce  symptôme  a  ordinairement  peu  de  gravité  au 
début  des  maladies ,  mais  il  en  acquiert  lorsqu'il  se  pro- 
longe ou  lorsqu'il  se  manifeste  au  milieu  d'une  affection 
qui  suivait  un  cours  régulier. 

AGITATO ,  terme  de  musique ,  indique  le  trouble  et 
l'agitation.  Son  expression  réclame  un  mouvement  rapide  : 
aussi  le  mot  agitato  se  rencontre-t-il  le  plus  souvent  à  la 
suite  du  mot  allegro. 

AGLABITES  ou  AGÉBITES,  dynastie  qui  a  gouverné 
une  partie  de  l'Afrique  septentiionale  pendant  cent  douze 
ans,  depuis  l'an  de  l'hégire  184  jusqu'à  l'an  296  (  800-909  de 
l'ère  chrétienne).  Ils  descendaient  d'Ibrahim,  fils  d'Aglab, 
général  du  khalife  Haroun-al-Raschid,  qui  l'envoya  gou- 
verneur en  Egypte  vers  l'an  800.  Ibrahim  conquit  pour 
son  compte  tout  le  littoral  africain  jusqu'à  Tunis,  et  ne 
releva  plus  du  Khalife  de  Bagdad  que  pour  la  forme.  Ce- 
pendant, comme  on  peut  suivie  dans  Ihistoire  des  khalifes 
la  série  des  gouverneurs  d'Egypte,  il  est  évident  «pie  les  fils 
d'Ibraliim  ne  furent  souverains  indépendants  que  de  cette 
contrée  de  l'Afrique  que  les  anciens  appelaient  la  Tentapolect 


AGLABlTIilS 

la  C  yrénaïque ,  et  que  le  khalife  Omar  avait  dfyà  fait  occuiior 
par  ses  gént^raiix.  I,h  se  trouvent  les  ailles  ilc  Barca,  de 
Tripoli  et  de  Caïrwan.  Cette  dernière  était  l'antique  Cyrone; 
et  quoique  certains  Orientaux  aient  écrit  qu'elle  ne  fut  réta- 
blie que  par  le  chef  de  la  dynastie  des  Fathimites,  vei-s  910  de 
l'ère  chrétienne ,  quelques  notions  éparses  dans  l'histoire  des 
khalifes  prouvent  que  les  Aglabites  en  avaient  déjà  fait  leur 
capitale,  puisque  cette  même  histoire  les  appelle  partout  kha- 
lifes ou  émirs  de  Caïrwan.  Abdallah  fut  le  second  prince  de 
cette  dynastie.  C'est  lui,  qui,  l'an  212  de  l'hégire  (828),  s'em- 
para d'une  partie  de  la  Sicile ,  sous  le  khalifat  de  Mamon. 
Mahomet  l*"^,  son  fds,  lui  succéda,  soumit  les  villes  de  Mes- 
sine, de  Lipaii  et  de  Palcrme,  et  prit  le  titre  d'émir  de  Si- 
cile en  l'an  228  de  l'hégire  (843),  sous  le  khalifat  de  Wathek. 
Mahomet  régna  neuf  ans,  et  son  fds  Abou-Ibrahim-Ahmed 
lui  succéda.  Il  parait  qu'à  cette  époque  les  Aglabites  de  Sicile 
s'étaient  déclarés  indépendants  du  khalife  de  Caïrwan,  dont 
ils  se  bornaient  à  demander  l'investiture.  Le  premier  de  ces 
émirs  particuliers  se  nommait  Al-^Vbbas ,  le  second  Abdhal- 
lali  ;  c'est  Al-Abbas  qui  s'empara  de  Raguse ,  sur  la  terre 
<erme.  Au  second  succéda  sou  fds,  Ebn-Solian ;  à  celui-ci 
Mahomet- Ebn-Khatajub,  dont  l'élection  fut  confirmée  par 
Maliomet  II,  khaUfe  de  Caïrwan ,  l'an  255  de  l'hégire  (869  de 
l'ère  chrétienne),  et  c'est  ainsi  que  l'histoire  nous  révèle  le 
nom  du  cinquième  des  Aglabites.  Mahomet  régna  vingt  ans, 
et  mourut  l'an  2G2,  ou  875  de  J.-C.  Ibrahim,  son  frère,  fut 
le  sixième.  11  envoya  des  troupes  en  Sicile,  s'y  transporta 
lui-même,  y  remporta  quelques  victoires,  et  mourut  en  903 
(291  de  l'hégire).  Son  fils  et  successeur,  Abou-Nasser-Zia- 
dat-Allah ,  fut  le  dernier  de  cette  dynastie,  que  le  khalife  de 
Bagdad  lit  détrôner  par  un  de  ses  généraux,  en  909.  Obéid- 
Allah  fut  mis  à  sa  place,  et  commença  la  dynastie  des  Fa- 
thimites. Le  dernier  des  Aglabites  alla  mourir  à  Ramla , 

dans  la  Palestine.  Viennet  ,  de  rAcadémie  Française. 

AGLAE  {Aglaïa).  Suivant  Hésiode,  ime  des  trois  Grâ- 
ces, fdle  de  Jupiter  et  d'Eurinome;  suivant  d'autres ,  la 
mère  des  Grâces ,  et  épouse  de  Yulcain. 

AGLAR.  Vojjez  Aquilée. 

AGXADEL  (  Bataille  d'  ).  Le  pape  J  ules  II  étant  par- 
venu à  faire  conclure  la  ligue  de  Cambrai,  Louis  XII  se 
disposa  à  marcher  contre  Venise.  Les  Vénitiens  ne  furent 
avertis  du  complot  qui  se  tramait  contre  eux  qu'au  com- 
mencement de  1509,  peu  de  mois  avant  le  terme  fixé  pour 
leur  déclarer  la  guerre  ;  mais  ils  pressèrent  tellement  leurs 
préparatifs  que  dès  les  premiers  jours  d'avril  ils  réunirent 
à  Pontevico ,  sur  l'Oglio ,  une  armée  de  trente  mille  hom- 
mes d'infanterie  et  sept  mille  chevaux,  sous  les  ordres  du 
comte  de  Pitigliano  et  de  Barthélemi  l'Alviane.  L'armée 
française,  qui  s'assemblait  à  IVIilan,  n'était  que  de  dix-huit 
mille  hommes  d'infanterie  et  deux  mille  gendarmes  d'or- 
donnance. Le  15  avril  les  hostilités  commencèrent,  en 
même  temps  que  Louis  XII  faisait  déclarer  la  guerre  à  Ve- 
nise. L'armée  vénitienne  se  porta  alors  en  avant  sur  Triviglio, 
qu'elle  prit,  et  vint  camper  vers  Arsago,  derrière  le  canal 
de  la  Roya  Commune,  ayant  Rivolta  devant  sa  droite,  et 
sa  gauche  s'étendant  dans  la  direction  de  Vailate.  Louis  XI 1, 
ayant  appris  la  prise  de  Triviglio ,  se  hâta  de  marcher  avec 
son  armée  sur  Capario ,  pour  y  passer  l'Adda.  On  s'atten- 
dait que  les  Vénitiens  auraient  occupé  l'île  que  forme  à 
l'extrémité  du  pont  le  canal  appelé  Ritardo.  Le  maréchal 
Trivulzi  avait  annoncé  qu'on  les  y  trouverait  retranchés. 
Mais  le  comte  de  Pitigliano,  qui  commandait  en  chef  les 
Vénitiens,  voulant  à  tout  prix  éviter  un  engagement,  avait 
négligé  cette  position  importante.  L'armée  française  jtassa 
donc  l'Adda  sans  obstacle ,  et  vint  se  déployer  devant  les 
Vénitiens,  qui  restèrent  sur  les  hauteurs  qu'ils  occupaient, 
et  refusèrent  la  bataille.  Louis  XII,  pour  les  y  contraindre, 
fit  le  lendemain  attaquer  Rivolta;  Pitigliano  laissa  em- 
porter la  place  d'assaut  sans  la  secourir.  Alors  le  roi  de 
Viàiice  forma  le  projet  de  se  rendre  maître  de  Vailnte,  afin 


—  AGNAT  181 

de  couper  aux  Vénitiens  la  communication  de  leurs  maga- 
sins, établis  vers  Crema  et  Crémone.  Pour  y  arriver,  il  fal- 
lait faire  un  détour  par  Boidrina  et  Agnadel  ou  Agnadello, 
tandis  que  les  Vénitiens,  plus  près  de  Vailate,  pouvaient 
s'y  rendre  directement  par  le  chemui  de  Crema.  D'un  autre 
côté ,  l'armée  française ,  dans  sa  marche  au  travers  d'un 
pays  coupé  de  canaux ,  prêtait  le  flanc  à  l'ennemi.  Mais 
Louis  XII  comptait  précisément  sur  l'avantage  qu'il  leur 
offrait  pour  amener  les  Vénitiens  à  une  bataille  qu'il 
désirait. 

Le  1 4  mai  l'armée  française  se  mit  en  marche.  Dès  que 
ce  mouvement  fut  aperçu,  l'armée  vénitienne  se  mit  égale- 
ment en  mouvement  pour  se  rendre  à  Vailate;  l'Alviane 
en  commandait  l'arrière-garde ,  et  on  croyait  toujours  pou- 
voir éviter  le  combat.  Mais  l'avant-garde  française ,  com- 
mandée par  Chaumont  et  Trivulzi,  avait  fait  une  telle  di- 
ligence, que  l'Alviane  fut  attaqué  entre  Agnadello  et  Vai- 
late. Il  fit  d'abord  occuper  par  son  infanterie  des  vignes  et 
une  digue  qui  couvraient  les  débouchés  de  la  plaine,  et  fit 
avertir  Pitigliano  d'accourir  avec  le  reste  de  l'armée,  une 
bataille  étant  inévitable.  L'attaquÊ  des  Français  fut  impé- 
tueuse ,  et  la  résistance  de  l'Alviane  digne  de  ses  talents  et 
de  son  courage.  Mais  Pitigliano  ayant  mis  quelque  peu  de 
lenteur  dans  son  mouvement ,  le  reste  de  l'armée  française 
eut  le  temps  d'arriver  au  secours  de  son  avant-garde.  Alors 
le  roi  fit  attaquer  les  vignes  par  l'infanterie  gasconne,  et 
la  digue  par  les  Suisses,  malgré  le  conseil  qu'on  lui  donnait 
de  cesser  le  combat ,  puisqu'il  avait  été  prévenu  à  Vailate 
par  l'ennemi.  Il  sentait  bien  qu'il  tenait  l'armée  vénitienne, 
et  qu'en  débouchant  dans  la  plaine ,  tout  l'avantage  de  la 
bataille  était  pour  sa  cavalerie.  Les  Suisses ,  d'abord  rompus 
par  l'artillerie  qui  défendait  la  digue,  finirent  par  l'em- 
porter après  un  combat  sanglant.  Les  Gascons ,  fort  mal- 
traités, commençaient  à  plier,  lorsque  le  roi  ariiva  près 
d'eux.  Sa  présence  ranima  le  combat,  et  les  vignes  furent 
également  occupées.  Alors  la  gendarmerie  française  put 
déboucher  dans  la  plaine ,  et  les  armées  se  trouvèrent  en 
présence.  La  cavalerie  ennemie ,  ayant  été  rompue  au  pre- 
mier choc,  jeta  le  désordre  dans  l'armée  vénitienne ,  qui  fut 
facilement  mise  en  déroute.  Elle  perdit  à  cette  journée 
huit  mille  morts,  quinze  mille  prisonniers,  trente-six  ca- 
nons et  ses  bagages.  L'Alviane ,  blessé ,  fut  fait  prisonnier, 
combattant  toujours  et  couvert  de  sang.  Pitigliano  ne  put 
rallier  les  débris  de  son  armée  qu'à  Brescia. 

Général  G.  de  Vaudoncocrt. 

AGNALîES.  Voyez  Agonales. 

AGNANO  (Lac  d'),  lac  du  royaume  de  Naples,  à  8  kilom. 
sud-ouest  de  la  capitale ,  formé  par  le  cratère  d'un  ancien 
volcan.  Jl  a  environ  3  kilom.  de  circonférence.  Près  de  là  se 
trouvent  la  fameuse  grotte  du  Chien,  célèbre  par  ses  exha- 
laisons méphitiques,  et,  dans  la  vallée  de  la  Solfatara,  les 
eaux  thermales  de  San-Germano,  renommées  par  leur  vertu 
contre  la  syphilis,  la  goutte  et  les  rhumatismes.  De  temps 
en  temps  les  eaux  du  lac,  quoique  froides,  semblent  être 
en  ébuUition.  —  Acnano  est  encore  le  nom  d'une  petite  ville 
de  Toscane  qui  possède  des  eaux  thermales  acidulés. 

AGIVAT,  AGNATION.  Les  Romains  distinguaient  deux 
sortes  de  parenté,  la  parenté  naturelle  qu'ils  appelaient 
cognation  ,  et  la  parenté  civile  qu'ils  nommaient  agna- 
tion.  Le  titre  de  cognats  était  générique,  celui  d'agnats 
était  spécial  et  n'appartenait  qu'à  certains  parents ,  à  ceux 
que  le  dioit  civil  réunissait  dans  une  seule  et  même  fa- 
mille, sous  la  puissance  d'un  même  père  de  famille,  chef 
et  propriétaire  de  la  famille.  Cependant  l'agnation  subsis- 
tait encore  lorsque  le  lien  de  famille  était  brisé  par  la  mort 
du  père,  et  les  nouvelles  familles  qui  en  résultaient  ne  ces- 
saient pas  de  former  la  famille  générale  ;  chaque  membre 
avait  le  titre  commun  d'agnat.  Mais  si  l'un  des  membres  de 
la  famille  venait  à  en  sortir  d'une  autre  manière,  par  l'é- 
mancipation, l'adoption  par  exemple,  l'agnation  ceS' 


182 

sait.  Il  ne  restait  plus  alors  de  la  communauté  d'origine  que 

la  simple  parenté  naturelle  ou  cognation,  qui  ne  pouvait 

changer. 

Les  enfants  n'étaient  jamais  agnals  de  leur  mt'^re  quand 
«lie  n'avait  pas  passé  dans  la  famille  de  son  mari  ;  ils  ne 
l'étaient  jamais  de  ses  parents,  parce  qu'appartenant  à  la 
famille  de  leur  père,  ils  ne  faisaient  jamais  partie  de  celle  de 
leur  mère. 

La  famille  ne  se  continuant  que  par  les  mâles,  c'était 
donc  uniquement  dans  leur  descendance  qu'il  pouvait  se 
trouver  des  agnats  :  aussi  a-t-on  défini  les  agnats  :  des  pa- 
rents par  le  sexe  masculin.  Distinction  inexacte;  car  outre 
qne  des  parents  par  uuiles  peuvent  avoir  perdu  l'agnation,  l'a- 
dopté acquérait  tons  les  droits  d'agnat  dans  la  famille  où  il 
entrait  :  c'est  l'unité  de  famille  qui  la  constitue. 

Les  agnats  seuls  composant  à  Rome  la  famille  légale, 
eux  seuls,  d'après  la  loi  des  Douze  Tables,  étaient  appelés  à 
la  tutelle  quand  le  i)ère  de  famille  n'avait  point  fait  de  tes- 
tament, ou  n'y  avait  pas  nommé  de  tuteur  à  ses  enfants;  eux 
seuls  avaient  le  droit  de  venir  en  second  ordre  à  l'hérédité , 
à  défaut  de  ceux  qui  recueillaient  la  succession  de  préférence 
à  tous,  et  qu'on  appelait  héritiers  siens.  Si  plus  tard  les  co- 
gnât» furent  aussi  appelés  à  l'hérédité,  ce  ne  fut  que  par  le 
droit  prétorien. 

Dans  le  droit  primitif,  la  femme  passait  entièrement  sous 
la  jinissance  et  dans  la  famille  de  son  mari;  elle  y  prenait 
une  place  d'enfant,  de  fille  :  elle  devait  donc  être  comptée 
au  nombre  des  agnats.  Le  titre  d'agnat  appartenait  égale- 
ment à  toutes  les  femmes  de  la  famille  ,  tant  qu'elles  n'en 
étaient  i>as  sorties.  Mais  plus  tard,  par  une  interprétation  de 
la  loi  Vocnnio,  pour  conserver  les  biens  dans  chaque  fa- 
mille, on  décida  que  les  femmes  ne  devaient  pas  participer 
au  droit  d'agnation,  auquel  les  mâles  seuls  furent  admis. 

Sous  Justinien,  l'agnation  disparut;  le  lien  du  sang  fut  dé- 
finitivement reconnu  comme  donnant  droit  à  succéder.  La 
cognation  l'emporta  alors  sur  le  lien  de  parenté  civile. 
Trois  classes  d'héritiers  furent  instituées,  les  descendants,  les 
ascendants  et  les  collatéraux.  Cette  division  simple,  et  fon- 
dée sur  les  affections  présumées  du  défunt,  passa  en  France 
dans  les  coutumes  du  droit  écrit,  et  les  rédacteurs  du  Code 
Civil  l'adoptèrent  comme  base  du  droit  de  succession  qui 
régit  la  Frauce. 

Les  disposilions  de  la  loi  salique  suivie  pour  la  succes- 
sion de  la  couronne  de  France  rappelaient  assez  la  législation 
romaine  sur  les  agnats. 

L'agnation  est  encore  de  la  plus  grande  importance  dans  les 
pays  où  l'on  suit  le  droit  féodal,  en  Allemagne  et  en  Italie. 
Le  plus  prochain  des  agnats  est  toujours  appelé  à  la  suc- 
cession des  fiefs  par  une  espèce  de  substitution  perpétuelle; 
il  peut  faire  révoquer  l'aliénation  du  fief  faite  par  le  précé- 
dent possesseur,  s'il  n'y  a  prêté  son  consentement.  Enfin,  l'a- 
piafion  réglait  la  succession  de  nos  anciens  duchés-pairies, 
l't  elle  règle  encore  aujourd'hui  la  transmission  héréditaire 
<les  biens  érigés  en  majorais. 

AGIVEAU.  Voyez  Mouton. 

AGAEAU  PASCAL.  Chez  les  Juifs  la  manducation 
de  Vagnemi  pascal  était  une  des  cérémonies  les  plus  impor- 
tantes de  la  loi.  Longtemps  chez  les  chrétiens  les  fidèles  fu- 
rent dans  l'usage  de  pratiquer  une  cérémonie  identique  et 
de  manger  un  agneau  btinit  le  jour  de  Pâques.  Walafride- 
Strabon  blâme  fort  cette  coutume,  coiimie  empreinte  de  ju- 
daïsme. Mais  le  savant  cardiiKil  lîona  l'a  justifiée;  il  dit 
qu'elle  subsistait  encore  de  son  temps.  A  Marseille  le  joiu- 
de  Pâques  on  mangeait  autrefois  un  agneau  rOti.  Cette  céré- 
monie avait  lieu  après  l'heure  de  tierce,  et  pendant  ce  temps 
on  lisait  le  livre  de  la  Cite  de  Dicu,(\Q  saint  Augustin. 
11  y  a  longtemps  que  cette  coutume  est  abolie.  On  retrouve 
la  même  cérémonie  chez  les  Arméniens.  L'évètnie,  les  prê- 
tres et  les  fidèles  ))renaient  part  à  ce  festin  symbolique,  qui 
uvait  lieu  à  l'église.  Suivant  le  onzième  ordre  romain,  c'était 


AGNAT  —  AGNÈS  SOREL 


le  souverain  pontife  qui  bénissait  l'agneau  pascal;  et  l'on 
voit  dans  le  douzième  ordre  romain  que  cet  agneau  était 
béni  par  le  plus  jeune  des  cardinaux.  11  serait  assez  difficile 
d'expliquer  la  cause  de  ce  changement  de  personne.  Le 
pape  Benoît  XTV,  dans  son  Traité  des  Fêtes,  ne  fait  aucune 
meutipn  (Je  Ijftgneau  pascal  pour  le  jour  de  Pâques. 

AGIVÈLET  ou  AIGNEL ,  nom  d'une  ancienne  monnaie 
d'or,  fabriquée  pour  la  première  fois ,  en  France ,  sous  le 
règne  de  Louis  VII,  au  titre  de  24  carats  et  du  poids  de  26 
gros.  Elle  portait  pour  effigie  un  agneau,  et  tirait  son  nom 
de  cette  empreinte.  Autour  de  l'agneau  on  lisait  :  Agnus 
Lei,  qui  iollis  peccuta  mundi,  miserere  nobis;  et,  der- 
rière, une  croix  llcurdelisée  avec  la  légende  XPS  (  Christus) 
vincil,  XPS  régnât,  XPS  imperat.  Saiut  Louis  en  fit  fa- 
briquer de  la  valeur  de  12  sous  d'argent  et  6  deniers,  re- 
présentant environ  13  francs  de  notre  monnaie.  Les  agnelets 
du  roi  Jean,  an  titre  légal  de  990,  représentaient  une  valeur 
actuelle  de  IG  francs  50  centimes.  —  Presque  tous  les  rois 
de  France,  jusqu'à  Charles  VII,  firent  frapper  de  ces  espèces, 
très-recherchées  dans  les  transactions,  et  qu'on  nommait  aussi 
assez  communément  moutons  d'or  à  la  grande  laine  ou 
à  la  petite  laine.  A  l'imitation  de  nos  rois,  différents  princes 
étrangers  firent  fabriquer  des  pièces  d'or  du  même  poids, 
du  même  titre  et  à  la  même  empreinte. 

AGNES  (  Sainte  ),  jeune  vierge  d'une  beauté  remarqua- 
ble et  d'une  vertu  éprouvée,  appartenait  à  une  illustre  fa- 
mille romaine.  Soupçonnée  d'avoir  embrassé  le  christia- 
nisme, Agnès  fut  enveloppée  dans  la  persécution  qu'or- 
donna Dioclétien.  La  légende  rapporte  qu'un  miracle  pré- 
serva sa  chasteté  d'un  attentat  odieux  ;  le  soldat  chargé  de 
lui  enlever  sa  virginité  fut  frappé  de  cécité;  mais  la  sainte 
lui  rendit  la  vue.  Elle  subit  le  martyre  l'an  303  avant  J.-C. 
L'Église  célèbre  sa  fête  le  21  janvier. 

AGNÈS  (Rôle  d').  C'est,  au  théâtre,  celui  d'une  jeune 
personne  naïve  et  siuiple,  sans  expérience.  Ce  nom  est  de- 
venu synonyme  d'ingénue  depuis  que  Molière  l'a  donné  à 
la  jeune  fille  de  l'École  des  Foiunes  ;  il  la  caractérise  ainsi  : 

Dans  ses  siniplicilés  à  tous  coups  je  l'admire; 
Et  jiarfois  clic  en  dit  dont  je  pâme  de  rire. 
L'autre  jour  (  pourrait-on  se  le  persuader  ?  ) 
Elle  était  fort  en  peine,  et  me  vint  demander. 
Avec  une  innocence  à  nulle  autre  pareille. 
Si  les  eiilauls   qu'on  fait  se  faisaient  par  l'oreille. 

Destouclics  a  donné  une  Fausse  Agnès  au  théâtre. 

AGNÈS  DE  MÉRANIE.  Voyez  Puiuppe  II. 

AGNES  SOREL,  maîtresse  du  roi  de  France  Char- 
les VII,  était  la  fille  d'un  gentilhomme  attaché  à  la  maison 
de  Clermont,  et  naquit  en  140'J,  à  Fromenteau,  en  Touraine. 
Elle  perfectionna  si  bien  les  dons  qu'elle  avait  reçus  de  la 
nature,  qu'elle  fut  du  nombre  des  femmes  les  plus  distin- 
guées de  cette  époque,  tant  par  ses  charmes  personnels  que 
par  son  esprit  et  son  instruction.  Dame  d'honneur  de  la 
duchesse  d'Anjou  Isabelle  de  Lorraine ,  elle  vint  à  la  cour 
de  France,  en  1431 ,  avec  cette  princesse.  Sa  rare  beauté 
captiva  le  cœur  du  roi;  pour  l'attacher  à  sa  cour  ce 
prince  la  nomma  dame  d'honneur  de  la  reine.  Après  quel- 
que résistance ,  Agnès  céda  aux  impétueux  désirs  du  mo- 
narque; cependant  leur  liaison  resta  quelque  temps  secrète. 
Les  Anglais  étaient  alors  maîtres  de  la  moitié  du  royaume  ; 
Charles  VII,  naturrllement  brave,  mais  inférieur  à  la 
crise  dans  laqitelle  il  se  trouvait ,  était  tombé  dans  la 
[rliis  fatale  apathie.  Acnés  Sorel ,  d'aurès  nianlôir.c,  réussit 
à  l'en  faire  sortir,  et  a  lui  rappeler  ce  (ju'il  devait  à  sa  gloire. 
Le  succès  qui  s'attacha  dès  lors  aux  armes  du  roi  lui 
rendit  sa  maîtresse  encore  plus  chère  ;  elle  n'abusa  tou- 
tefois jamais  de  sa  faveur,  et  se  retira  même  dès  l'an  1442 
â  Loches,  où  le  roi  lui  avait  fait  construite  un  château. 
Charles  Vil  lui  donna  en  outre  le  coiuté  de  Penthièvrc  en 
Rrotngnc,  les  chùtellenies  de  la  Roche-Servière  et  d'Issou- 
dim  dans  le  lîeiri ,  et  le  château  de  Deauté  sur  les  bords  de 


AGNÈS  SOREL  —  AGONALES 


la  Marne,  d'oii  elli'  prit  le  nom  »lo  danu»  de  I5oaiito.  Klle  y 
habitait  depuis  cimj  ans ,  toujours  en  relation  intime  avec 
le  roi,  qui  lui  rendait  de  fréquentes  visites,  lorsqu'en  144!) 
la  reine  l'invita  à  revenir  à  la  cour.  Agnès  Sorel  se  rendit  à 
cette  invitation,  et ,  pour  se  rapprocher  davantage  du  roi , 
vint  habiter  le  cluUcau  du  ^lesnil,  à  un  quart  de  lieue  de 
Jumiejjes,  où  elle  niounit,  le  9  février  I4i9,  si  subitement 
([u'on  soupçonna  avec  raison  qu'elle  avait  été  emiioisoniu>c. 
Plusieurs  historiens  prétendent  que  le  crime  fut  commis  par 
Tordre  du  dauphin,  depuis  Louis  XI,  qui  ne  l'aimait  point, 
parce  que  son  père  l'aimait  trop;  mais  c'est  une  conjecture 
qui  ne  repose  que  sur  le  caractère  cruel  et  vindicatif  de  ce 
jirince.  Agnàs  Sorel  laissa  trois lilles,  qui,  reconnues  parle  roi, 
furent  établies  aux  frais  de  la  couronne. 

AGXESl  (Mahie-Gaetane),  l'une  des  gloires  de  son 
sexe,  naquit  à  Milan,  le  ifi  mai  1718.  Elle  était  fdlede  don 
l'edro  di  Agnesi,  seigneur  de  Monteveglia,  professeur  de  ma- 
thématiques à  Bologne.  Dès  l'âge  de  neuf  ans  elle  pailait 
le  latin  avec  la  plus  grande  facilité ,  et  elle  prononça  un  dis- 
cours, qui  hit  imprimé  plus  tard  à  Milan,  en  1727,  dans  le- 
quel elle  s'efforçait  de  démontrer  que  les  femmes  ne  doivent 
pas  demeurer  étrangères  à  l'étude  des  langues  classiques. 
On  assure  qu'à  l'ûge  de  onze  ans  elle  parlait  le  giec  avec 
autant  de  facilité  que  sa  langue  maternelle.  Elle  mit  autant 
d'ardeur  à  étiulier  les  langues  française,  espagnole  et  alle- 
mande, ainsi  que  la  géométrie  et  la  philosophie  spéculative. 
Son  père  favorisa  encore  ses  raies  dispositions  pour  les 
sciences  en  réunissant  dans  sa  maison  un  cercle  de  liltéra- 
teui^s  et  de  savants  au  milieu  desquels  sa  tille,  riche  de  beauté 
et  de  talents ,  dirigeait  la  conversation ,  exposant  et  défen- 
dant ses  idées  particulières  en  philosophie ,  qui  ont  été  en 
partie  rendues  publiques  par  son  père  dans  les  Proposi- 
iiones  philosophie X  publiées  à  Milan  en  1734.  A  partir  de 
l'âge  de  vingt  ans  Marie-Gaetane  Agnesi  se  Uvra  avec  une  ar- 
ileur  toute  particulière  à  l'étude  des  mathématiques.  Elle 
écrivit  une  dissertation  des  plus  remarquables  sur-  les  sec- 
lions  coniques,  mais  qui  n'a  point  été  imprimée,  et  pubUa 
les  Instituzioni  analitiche,  2  vol..  Milan,  1748,  in-4"'  (tra- 
duites en  français  par  d'Antelmy,  sous  le  titre  de  Traites  élé- 
mentaires du  calcul  différentiel  et  du  calcul  intégral , 
avec  des  notes  deBossut,  Paris,  1775);  ouvrage  qui  accrut 
à  ce  point  sa  réputation  que  le  pape  Benoît  XIV  n'hésila 
pas  à  la  nommer  professeur  titulaire  de  mathématiques  à 
l'université  de  Bologne,  en  remplacement  de  son  père,  affaibli 
par  l'âge  et  parla  maladie.  Elle  n'avait  alors  que  trente-deux 
ans.  Mais  l'élude  des  mathématiques  eut  pour  résultat  de  lui 
faire  perdre  la  gaieté  de  caractère  qui  lui  était  naturelle. 
Bientôt  elle  renonça  à  tout  commerce  avec  le  monde,  entra 
dans  une  sévère  congrégation  leligieuse ,  pour  se  consacrer 
exclusivement  au  soulagement  des  malades  et  des  pauvres. 
Elle  mourut  en  1799.  —  Sa  sœur  Marie-Thérèse  AcNEsi.est 
auteur  de  plusieurs  cantates  et  de  la  musique  de  trois  opéras, 
Sofonisbe,  Ciro  in  Armenia  et  Nitocri,  qui  eurent  du 
succès. 

AGNOÈTES  (du  grec  àyvosîv,  ignorer),  hérétiques 
qui  soutenaient  avec  Théophrone  de  Cappadoce  que  la  pres- 
cience de  Dieu  n'est  pas  la  même  que  sa  connaissance  du 
présent  et  du  passé.  Ils  changèrent  aussi  dans  la  formule  du 
baptême  le  nom  de  la  Trinité  pour  celui  de  Jésus-CInist.  Ce 
Théophrone  se  fit  chef  de  secte  quand  les  Eunomiens ,  en 
dissidence  avec  lui,  l'eurent  chassé  de  leur  commimion,  sôus 
Yalens,  vers  370.  —  Une  autre  secte  porte  encore  ce  nom. 
Détachée  de  celle  des  Eutychiens  au  sixième  siècle,  elle  avait 
pour  chef  Thémistius,  et  prétendait  que  Jésus-Christ  comme 
homme  a  ignoré  plusieurs  choses,  et  entre  autres  le  jour  du 
jugement;  qu'il  a  paru  timide,  faible  et  abattu  dans  le  temps 
de  la  Passion. 

AGA'US  CASTUS.  Voyez  Gattu-ier. 

AG\US  DEI  (agneau  de  Dieu).  On  appelle  ainsi  une 
prière  de  la  liturgie  catholique  romaine  qui  commence  par 


183 

ces  nuits,  et  que  l'on  chante  avant  la  communion.  Suivant 
une  bulle  du  pape  Sergius  l" ,  de  688,  elle  doit  terminer 
la  messe.  —  C'est  aussi  un  morceau  de  cire  rond  et  filat 
sur  lequel  est  imprimé  l'image  de  l'agneau  pascal  avec  le 
labarum ,  ou  la  ligure  de  saint  Jean ,  et  portant  pour  exer- 
gue l'année  et  le  nom  du  pape.  Les  papes  béiusscnl  ces 
morceaux  de  cire,  et  en  dorment  un  très-grand  nombre  en 
présent.  Originairement  c'était  le  bout  des  cierges  de  Pâques 
que  l'on  distribuait  au  peuple  dans  les  églises  de  Rome ,  et 
que  les  fidèles  achevaient  de  brûler  chez  eux  pour  s'attirer 
les  faveurs  célestes.  Quand  le  nombre  des  demandeurs  d'.-]- 
gnus  Dci  devint  trop  grand,  on  imagina  l'expédient  de  cette 
espèce  de  médaille  en  cire  actuelle  pour  satisfaire  tout  le 
monde.  —  On  appelle  encore  Agnus  Dei  le  morceau  d'une 
messe  en  musique  qui  se  chante  sur  la  prière  de  ce  nom  au 
moment  de  la  communion. 

AGOBARD,  archevêque  de  Lyon,  naquit  en  779.  Il 
fut  un  des  soutiens  de  la  révolte  des  fils  de  l'empereur  Louis 
le  Débonnaire;etquandla  fortune  eut  trahi  ce  monanpie, 
il  le  déposa  dans  l'église  Notre-Dame  de  Soissons.  Mais 
lorsque  l'année  suivante  Lothaiie  fut  défait  à  son  tour  et 
que  Louis  reprit  le  pouvoir,  Agobard  fut  privé  de  son  siège. 
Quelques  années  après,  Louis,  toujours  clément,  lui  permit  de 
le  reprendre  ;  et  en  840,  dans  un  voyage  qu'il  fit  en  Aqui- 
taine, il  lui  confia  le  soin  des  affaires  de  ce  royaume.  Ago- 
bard mourut  cette  même  année  à  Saintes.  Il  fut  canonisé 
sous  le  nom  de  saint  Agebaud.  Agobard  est  une  des  plus 
grandes  figures  de  ces  temps  demi-barbares.  Homme  ins- 
truit et  éclairé,  il  combattit  la  doctrine  de  Félix  d'Urgel 
sur  Jésus-Christ,  écrivit  un  traité  contre  la  loi  Gombette 
et  les  combats  singuliers.  Il  condamna  aussi  les  jugements 
de  Dieu ,  c'est-à-dire  les  épreuves  par  l'eau  et  par  le  feu. 
II  se  prononça  contre  le  culte  des  images,  qu'il  ne  veut 
pas  même  appeler  saintes.  Les  œuvres  d'Agobard,  si  intéres- 
santes pour  l'histoire  et  la  connaissance  de  ce  qu'était  il 
y  a  mille  ans  l'esprit  humain ,  furent  retrouvées,  par  Pa- 
pyre  Masson,  chez  un  relieur  qui  allait  mettre  en  pièces, 
pour  en  couvrir  des  livres,  le  manuscrit  en  parchemin  qui 
les  contenait.  Une  première  édition  parut  à  Paris  en  1606 
in-8°.  Baluze  en  1666  en  fit  paraître  une  seconde. 

AGON,  mot  grec  qui  signifie  lutte ,  en  général  toute 
espèce  de  combat  :  de  là  le  mot  agonie.  On  appelait  aussi 
de  là  agones  les  jeux  que  les  anciens  Grecs  célébraient  à 
certaines  fêtes ,  et  qui  consistaient  non-seulement  en  luttes 
gymnastiques ,  mais  encore  en  combats  de  musique,  de 
poésie  et  de  danse  ;  des  juges ,  nommés  agonarques,  y 
maintenaient  les  règlements  et  les  lois  instituées ,  déci- 
daient les  différends  entre  les  concurrents,  et  décernaient 
les  prix.  Voyez  Jeux. 

AGONALES,  fêtes  instituées  par  Numa  en  l'honneur 
de  Janus.  On  les  célébrait  le  9  de  janvier;  elles  furent  nom- 
mées d'abord  Agonies.  Ovide  rapporte  plusieurs  étymolo- 
gies  sur  l'origine  et  le  nom  de  ces  fêtes  ;  mais  il  donne  la 
préférence  à  celle  qui  tirait  son  nom  de  celui  iVagonie, 
qu'on  donnait  au  bétail  dans  les  premiers  temps ,  proba- 
blement parce  qu'on  le  chasse  devant  soi.  On  avait  même 
consei-vé  dans  ces  fêtes  l'usage  de  conduire  de  force  à  l'autel 
le  bélier  qu'on  devait  immoler.  D'autres  croyaient  que  les 
Agonales  étaient  d'origine  grecque ,  et  qu'elles  rappelaient 
les  jeux,  agones,  qui  en  avaient  fait  partie.  Ce  mot,  sui- 
vant d'autres ,  pouvait  venir  à^agm(s,  agneau  ;  car  ces  fêtes 
furent  d'abord  appelées  agnalies.  On  a  aussi  regardé 
comme  une  des  étymologies  des  Agonales  la  formule  agone, 
par  laquelle  le  viclunaire  demandait  au  prêtre  la  permission 
d'égorger  la  victime  :  c'est  le  sentiment  de  Varron  ;  mais 
cette  formule  étant  usitée  dans  les  sacrifices ,  elle  n'aurait 
donné  son  nom  à  ces  fêtes  qu'en  admettant  qu'elles  furent 
les  premières  (car  elles  étaient  fort  anciennes)  où  l'on  s'en 
servit.  H  y  avait  aussi  des  agonales  le  21  mai  et  le  11  dé- 
cembre :  ces  jours  étaient  réputés  malheureux. 


ISI 


AGONIE  —  AGOUTÎ 


AGOIVIE  («lu  K'fc  àycov,  lulle).  On  appelle  ainsi  lY'tat 
qui  préct-de  immédiatement  la  mort,  moment  où  elle  lutte 
avec  la  vie,  dont  elle  finit  par  triompiier.  Selon  la  diversité  des 
causes  qui  amènent  la  mort ,  l'agonie  est  environnée  de  phé- 
nomènes différents.  Tantôt  le  malade  éprouve  une  complète 
prostration  de  forces,  tantôt  il  y  a  en  lui  une  lutte  effroya- 
ble de  tous  les  principes  vitaux  au  milieu  de  la  plus  violente 
aj^itation ,  (jui  se  termine,  après  un  délai  plus  ou  moins  long, 
par  la  mort.  Souvent  le  moribond,  longtemps  avant  d'expi- 
rer, a  perdu  toute  espèce  de  connaissance;  parfois,  au  con- 
traire, il  conserve  l'usage  entier  de  toutes  ses  facultés  intel- 
lectuelles jusqu'au  dernier  moment.  Lliomme  qui  lutte  ainsi 
contre  la  mort  est  déjà  à  moitié  cadavre  ;  son  visage  est  pâle, 
jaunâtre,  ses  yeux  ternes  et  caves,  sa  peau  ridée,  son  nez  con  - 
tracté  et  blanc ,  ses  oreilles  et  ses  tempes  abattues  ;  une  sueur 
froide  et  fébrile  découle  de  son  front  et  de  ses  membres  ;  les 
évacuations  du  siège  et  de  l'urine  sont  involontaires;  la  res- 
piration devient  rauque,  de  plus  en  plus  embarrassée  ,  puis 
îinit  par  s'arrêter  :  c'est  l'instant  de  la  mort.  La  durée  de  cet 
état  est  très-variable  :  tantôt  elle  n'est  que  de  quelques 
minutes ,  tantôt  elle  se  prolonge  pendant   plusieurs  jours. 
Quand  une  fois  l'agonie  a  véritablement  commencé,  il  n'est 
plus  d'espoir  de  sauver  le  patient.  Cet  instant  ne  peut  plus 
ftre adouci  que  par  les  prières,  la  sollicitude,  les  consola- 
tions de  ceux  qui  entourent  le  moribond,  et  qui  ne  doivent 
pas  s'en  abstenir,  alors  môme  qu'il  paraît  avoir  perdu  toute 
espèce  de  connaissance.  Qui  pourrait,  en  effet,  assurer  qu'il 
ne  conserve  pas  jusqu'au  dernier  moment  la  conscience  de 
ce  qui  se  passe  autour  de  lui?  Tant  que  le  moribond  peut 
encore  avaler,  on  doit  lui  donner  de  temps  à  autre  un  peu  de 
vin  ou  de  quelque  boisson  fortifiante.  Les  médicaments  sont 
alors  inutiles,  odieux  au  patient,  et  ne  doivent  être  employés 
que  dans  le  cas  seulement  où  l'agonie  n'est  pas  bien  décidée, 
etoùie  maladene  se  trouve  que  dans  une  prostration  dont  on 
peut  espérer  de  le  faire  sortir.  Nous  ne  terminerons  pas  cet 
article  sans  signaler  ici ,  pour  le  flétrir,  l'usage  vraunent  bar- 
bare qui  existe  dans  certaines  localités,  d'ôter  au  moribond 
l'oreiller  qui  soutenait  sa  tète,  ou  de  couvrir  sa  figure  d'un 
drap.  Un  soin  religieux  doit  garantir  les  derniers  instants  de 
l'homme.  Si  le  médecin  n'a  plus  rien  à  faire  dans  ce  moment, 
le  prêtre  doit  venir  mêler  ses  consolations  à  celles  de  la  famille 
et  soutenir  le  courage  de  l'homme  qui  va  mourir.  L'Église 
catholique  administre  au  moribond  le  dernier  des  sacre- 
ments ,  l'extrême-onction ,  avant  de  le  munir  du  saint  via- 
tique ,  et  récite  à  son  lit  de  mort  des  prières  qui  ont  pris  le 
nom  de  prières  des  agonisants. 

AGOiMISTIQUES.  Les  donatistes  donnaient  ce  nom  à 
ceux  de  leur  secte  qui  se  répandaient  dans  les  provinces  pour 
combattre  les  erreurs  des  catholiques  et  propager  leur  doc- 
trine. Ce  nom  veut  dire  combattants,  et  les  violences  aux- 
quelles se  livraient  ces  missionnaires  doivent  les  faire  con- 
fondre avec  ceux  que  les  mômes  hérétiques  appelaient 
circonceliions.  Voyez  Donatistes. 

AGOSÏIiVI  (JNicoLo),  poète  vénitien  du  seizième  siè- 
cle ,  continua  le  célèbre  itoëme  de  Roland  amoureux,  que 
Boïardo  avait  laissé  inachevé.  Les  trois  derniers  livres,  qui 
sont  l'œuvre  d'Agostini ,  sont  loin  de  valoir  le  commence- 
ment. —  Un  autre  Agostim  (  Leonardo  ),  né  à  Sienne,  dans 
le  dix-septième  siècle ,  a  publié  un  recueil  estimé,  intitulé 
Gemme  antichcjigurate. 

AGOUli  (Josi:iMi),  orientaliste  distingué,  naquit  au  Caire, 
en  17yr),  fit  ses  études  à  Marseille,  et  fut  nommé  professeur 
d'arabe  au  collège  Louis-lc-Grand  en  1820.  11  mourut 
en  183?. ,  à  Marseille.  11  a  collaboré  à  la  Revue  Encyclopé- 
dique, au  Journal  de  la  Société  Asiatique,  au  Bulletin 
universel  des  Sciences,  et  a  laissé  en  outre  plusieurs  poèmes, 
contes  et  discours  relatifs  à  l'Orient,  traduits  ou  imités  de 
l'arabe. 

AGOULT  (Famille  d').  La  maison  d'Agoult,  dont  cel- 
les de  Simiane  et  de  Pontcvès  ne  sont  que  des  branches,  est 


une  des  plus  anciennes  et  des  plus  illustres  de  la  Provence; 
Chérin ,  généalogiste  des  ordres  du  roi ,  ne  craint  même  pas 
de  la  placer  la  première  et  de  la  mettre  hors  de  comparaison. 
Hospitalité  et  bonté  d'Agoult,  vieil  adage  du  roi  René,  qui 
a  si  ingénieusement  caractérisé  toutes  les  grandes  familles 
de  sa  cour ,  est  resté  en  proverbe  dans  le  pays,  et  atteste  les 
vertus  de  cette  maison.  Les  seigneurs  d'Agoult  furent  d'a- 
bord princes  souverains  d'Apt  et  barons  de  SauU,  petits 
Etats  qu'ils  détachèrent  du  comté  de  Provence,  et  dont  ils 
assurèrent  l'indépendance ,  à  la  faveur  de  la  faiblesse  des 
rois  d'Arles  et  de  la  lutte  contre  les  Sarrasins. 

AGOULT  (  Charles  -  Constance-  César-  Louis  -  Joseph- 
Matthieu  n'),  né  à  Grenoble  en  1747,  mort  à  Paris  en 
1824,  fut  sacré  évoque  de  Pamiers  en  1787,  émigra  et  rentra 
en  France  en  1801, 'après  avoir  donné  sa  démission.  H  a^écrit 
sur  les  finances,  les  impôts  et  la  politique. 

AGOULT  {Ai\toine.-Jean ,  vicomte  n'),  pair  de  France, 
né  à  Grenoble  le  22  novembre  1750,  était  mestre  de  camp 
en  1791,  époque  où  il  quitta  la  France  pour  se  rendre  à  Tar- 
uiée  des  [irinces.  Il  rejoignit  ensuite  Louis  XVIII  à  'Vérone, 
l'accompagna  en  Russie ,  en  Allemagne  et  en  Angleterre,  et 
ne  voulut  rentrer  en  France  qu'à  sa  suite.  Ce  prince  le  nomma 
en  1814  lieutenant  général  et  gouverneur  du  château  de 
Saint-Cloud.  En  1822  il  reçut  la  grand'  croix  de  l'ordre  de 
Saint-Louis;  et  fut  élevé  à  la  pairie  le  28  décembre  1823. 
Dernier  rejeton  de  sa  branche,  il  mourut  le  10  avril  1828. 
AGOULT  [Hector-Philippe,  comte  d'),  de  la  branche  de 
Voreppe,  naquit  à  Grenoble,  le  16  septembre  1782,  futnonmié 
secrétaire  d'ambassade  en  Espagne  en  I8l4,  ministre  plé- 
nipotentiaire en  Hanovre  en  1819,  à  Stockholm  l'année  sui- 
vante, à  La  Haye  en  1823,  et  plus  lard  à  Berlin.  Une  or- 
donnance royale  lui  transmit  la  pairie  du  vicomte  d'Agoult, 
son  cousin;  après  la  révolution  de  1830  il  se  retira  à  Vo- 
reppe (Isère),  où  il  mourut  en  1856.  —  Madame  la  comtesse 
d'AcoL'LT  (MarieDE  Flwigny),  née  en  1805  àFrancfort-sur- 
le-Mein,  mariée  en  1827,  est  connue  dans  le  monde  littéraire 
sous  le  nom  de  Daniel  Stem  ;  elle  a  publié  des  romans,  des 
portraits  littéraires  et  des  ouvrages  politiques,  parmi  lesquels 
on  cite  :  Hervé  (  1841) ,  Valentia  (1842),  Nélida  (1845), 
Lettres  républicaines  (1848  ) ,  Esquisses  morales  et  poli- 
tiques (1849),  Histoire  de  la  révolution  de  1848  (1851  ). 
AGOUTI ,  genre  de  mammifères  rongeurs,  caractérisé 
par  quatre  doigts  devant,  trois  derrière,  quatre  molaires  de 
chaque  côté  et  à  chaque  mâchoire;  ces  molaires  offrent  une 
couronne  plate,  à  sillons  irréguliers,  un  contour  arrondi  et 
échancré  au  bord  interne  dans  les  supérieures,  et  à  l'externe 
dans  les  inférieures.  —  Ces  animaux  ont  les  jambes  de  der- 
rière notablement  plus  longues  que  celles  de  devant,  à  peu 
près  comme  nos  lièvres.  Leur  poil  est  rude,  droit,  et  se  détache 
facilement.  —  L'espèce  la  plus  connue  est  l'agouti  ordi- 
naire;  sa  taille  estcelle  du  mpin.  Son  pelage  est  brun,  un  peu 
mêlé  de  roux  en  dessus,  jaunâtre  en  dessous,  et  sa  queue 
est  réduite  à  un  simple  tubercule.  Cet  animal  habite  de  pié- 
férence  les  collines  boisées,  et  se  loge  dans  les  fentes  des 
rochers.  Plusieurs  naturalistes  affirment  cependant  qu'il  se 
creuse  des  terriers  comme  le  lapin.  C'est  surtout  le  soir  qu'il 
sort  de  sa  demeure  ;  car  il  y  voit  fort  bien  la  nuit ,  et  paraît 
redouter  l'éclat  du  soleil.  L'agouti  est  dans  les  Antilles  et  les 
parties  chaudes  de  l'Amérique  le  représentant  de  nos  lapins. 
Les  chasseurs  le  poursuivent  constamment,  et  dès  1789 
l'espèce  en  était  déjà  détruite  à  Saint-Domingue.  Sa  chair  se 
mange ,  mais  les  Européens  l'estiment  assez  peu.  11  s'appi  i- 
voise  très-aisément,  et  il  est  très-facile  à  élever,  car  il  est 
omnivore  —  Les  autres  espèces  connues  de  ce  genre  sont 
au  nombre  de  quatre.  —  Le  cotia  ou  acouti  de  d'Azara  ;  sa 
taille  dépasse  celle  des  plus  grands  lièvres,  et  sa  queue  a  dix- 
huit  millimètres  de  longueur.  Le  poil  de  ses  flancs  est  un  mé- 
lange de  brun  fauveetdejauneverdàtre,  d'où  lui  vient  le  nom 
de  chloromys  (  en  grec  yloaçôi,  vert,  et  (lO;,  rat),  donné  au 
genre  agouti  par  Cuvier.  —  L'acouchi  est  un  peu  plus  petit 


AGOUTI   - 

que  l'agouU.  Sa  queue  csl  du  «iuiible  plus  longue  que  relie 
«le  ce  dernier.  —  Vagouti  huppé  proscnle  sur  l'orciput, 
<it'lHiis  riutorvalle  des  yeux,  une  sorte  de  criMe  formée  de 
jtoiis  trî's-allongés  et  un  peu  rele\és.  —  EnCin  le  mara ,  ou 
nyouti  des  Patagous,  est  une  espi-ce  d'agouti  à  plus  lon- 
gues oreilles.  Le  niara  est  plus  grand  que  le  cotia,  et  diffère 
lie  tous  les  autres  agoutis  en  ce  qu'il  a  cinq  molaires  de  clia- 
(t;ie  côté  aux  deux  mâchoires.  DWzara  lui  a  donné  le  nom 
»;•.'  liècre  des  Pampas.  Ces  quatre  espèces  ne  se  trouvent 
que  dans  l'Amérique  méridionale. 

AtiliA.  <iier-lieu  d'une  province  de  la  présidence  de 
Oalcntta  ,  dans  rinde  anglaise  ,  bâtie  sur  le  Djouinna,  nf- 
!l;:entiiu  Gange,  jadis  capitale  et  résidence  du  puissant  Ak- 
har,  grand  mogol,  était  alors  une  dés  plus  brillantes  villes  de 
l'Asie.  On  n'y  comptait  pas  moins  de  huit  cent  mille  âmes  ; 
elle  n'en  possédait  guère  que  soixante  mille  à  l'époque  de  l'in- 
surrection de  1857.  En  1829  on  y  voyait  près  de  trente  mille 
maisons,  cent  cinquante-trois  temples  indous,  cent  sept 
!uosquécs ,  et  deiix  églises  chrétiennes.  La  fabrication  et 
le  commerce  des  étoffes  de  coton  et  de  soie  y  prirent  d'ino- 
menses  proportions.  Du  milieu  de  ruines  colossales,  de  cons- 
tructions magnifiques,  s'élève  le  fort  Akbarabad  avec  le 
Mouti-Medjid,  ou  mosquée  des  perles,  l'im  des  pins 
beaux  temples  musulmans  de  toute  l'Asie.  A  peu  de  dis- 
tance d'Agra ,  on  trouve  le  célèbre  mansolre  Taaclie-Maal 
«Il  Tadje-Makel,  construit  par  l'empereur  Chah-Djehan  en 
l'honneur  de  la  suWane  Kour-Djeliau ,  et  que  l'on  peut  re- 
garder comme  un  des  plus  beaux  et  des  plus  magnifiques 
monuments  qu'il  y  ait  sur  la  terre.  Agra  n'était  d'abord 
qu'un  village,  sur  l'emplacement  duiiuel  Sekunder-Lody 
fonda,  en  1501,  Badulghur,  qui  devint  la  capitale  de  ses 
États.  Dans  le  seizième  siècle,  son  nom  fut  changé  par 
Akbar  en  celui  d' Akbarabad  ,  et  en  1G47  en  celui  d'Agra, 
(lu'eile  a  conservé.  En  recevant  le  nom  d'Agra,  cette  ville 
perdit  en  grande  partie  son  ancienne  splendeur,  parce  qu'à 
la  même  époque  (1647)  le  siège  de  l'empire  fut  transfépé 
à  Delhi.  Agra,  environnée  d'une  forte  muraille,  d'un  fossé 
de  cent  pieds  de  large,  et  défendue  par  une  forteresse  im- 
portante, fut  prise  par  les  Mongols  en  1784,  et  par  les  An- 
glais en  1S03.  Ceux-ci  la  réunirent  à  leurs  vastes  possessions. 
Agra  fut  avec  Delhi  le  principal  siège  de  l'insurrection  dans 
les  I  n  il  es  en  1857.  Les  troupes  anglaises  durent  se  retirer 
dans  le  fort  le  5  juillet,  mais  le  10  octobre,  le  colonel  Great- 
lied  battit  les  insurgés  près  d'Agra,  leur  tua  deux  mille 
hommes  et  leur  prit  tous  leurs  canons. 

AGRAFE.  En  serrurerie  on  nomme  ainsi  un  morceau 
de  lerplat,  recourbé  aux  deux  extrémités  et  que  l'on  fixe 
par  un  des  bouts  dans  une  pierre ,  dans  une  pièce  de  cliam- 
branle,  on  dans  une  pièce  de  bois,  et  par  l'aidre  à  la  pièce 
avec  laquelle  on  veut  l'ajuster,  en  les  liant  solidement  en- 
semble. On  appelle  aussi  agrafe  l'espèce  de  boucle  dans 
laquelle  pa«se  le  [)anneton  d'une  espagnolette. 

Dans  l'architecture,  on  décore  du  nom  iVugrafe  tout  or- 
nement qui  semble  unir  plusieurs  membres  d'architecture  les 
uns  avec  les  autres  :  tels  sont  les  ornements  en  forme  de 
console  qui  sont  placés  à  la  tète  des  arcs,  et  paraissent  re- 
lier les  moulures  de  l'archivolte  avec  la  clef  de  l'arc;  telle 
est  encore  la  décoration  du  parement  delà  clef  d'une  croisée. 

Le  nom  (Tagrajc  s'applique  tout  particulièrement  à  une 
sorte  de  petit  crochet  métallique  qui  en  s' ajustant  dans  ime 
porte  seit  à  tenir  fermés  les  habits,  les  robes,  les  manteaux, 
les  vêtements  de  toute  nature.  On  faille  plus  généralement 
les  agrafes  en  fil  de  lailon  étamé,  ou  bien  on  les  blanchit  en 
les  faisant  bouillir  dans  un  bain  d'étain  et  de  crème  de  tar- 
tre, ou  bien  encore  on  les  recouvre  d'une  sorte  de  vernis 
noir.  Autrefois,  la  fabrication  des  agrafes  était  en  quelque 
sorte  ie  privilège  des  pompiers  à  Paris,  qui  pour  la  plupart 
n'avaient  d'autre  occupation  dans  leurs  torps-de-garde,  en 
ai  tendant  les  alertes,  que  de  contourner  du  fil  de  1er  ou  de 
lailon   en  milliers   d'agrafes  avec    l'aide  seulement  de   la 

DICT.    DF.    L\    tOVEHSATI'J.N.    —    1.    1. 


AGUAIKES 


1S5 


pince  à  bec  de  corblu.  Vers  \f,ic>,  un  mécanicien,  iionmié 
lloyau,  leur  enleva  cette  pelile  industrie  en  imaginant  une 
machine  qui  iicrmet  ;\  nn  seul  ouvrier  de  fabriquer  aujour- 
d'hui trois  cent  cinq>iantc-deux  mille  huit  cents  portes  ou 
crochets  par  jour  de  douze  heures.  Dix  opérations  ont  lieu 
successivement  dans  cette  curieuse  machine  par  chacun  des 
tours  de  la  manivelle  qui  lui  donne  le  mouvement.  Ainsi  le 
fil  est  pris,  dressé,  arrêté  à  la  longueur  voulue,  coupé  par 
une  cisaille  qui  fait  les  deux  temps  de  se  lever  et  de  couper; 
puis  il  est  dégagé  par  un  guide ,  et  conduit  pour  être  courbé 
par  le  milieu  ;  ensuite  il  est  replié  aux  deux  bouts  pour  faire 
les  yeux,  et  l'agrafe  est  chassée  au  dehors,  en  même  temps 
que  par  un  autre  mouvement  toutes  les  pièces  rentrent  à 
leur  première  position.  L'agrafe  est  alors  reprise  et  portée  à 
la  main  sous  une  machine  qui  l'aplatit;  puis  enfin  elle  est 
courbée  en  crochet  également  à  la  main.  Dans  ces  derniers 
temps  on  a  proposé  des  agrafes  à  verrou ,  qui  permettent  de 
serrer  plus  ou  moins  le  vêtement. 

Les  bijoutiers  font  aussi  des  agrafes  en  or  et  en  argent, 
de  formes  diverses ,  et  avec  des  ornements  plus  ou  moins 
riches,  dont  l'usage  est  toujours  de  servir  d'attaches  faciles  à 
promptement  accrocher  et  ouvrir. 

AGRAIRES  (Lois).  C'a  été  une  erreur  généralement 
admise  que  les  lois  agraires  chez  les  Romains  avaieiit  pour 
but  l'abolition  de  la  propriété  ou  tout  an  moins  le  partage 
des  terres.  Mably ,  Montesquieu  avaient  professé  cette  fausse 
opinion.  La  Convention  la  partageait  également ,  quand 
elle  prononça  dans  sa  loi  du  17  mars  1793  la  peine  de  mort 
contre  quiconque  proposerait  une  loi  agraire,  c'est-à-dire 
tendant  au  partage  égal  des  terres  entre  tous  les  citoyens. 
Les  Allemands  Ileyne,  Savigny,  Mebubr  réclamèrent  les 
premiers  en  faveur  de  la  vérité  historique.  Leurs  magni- 
fiques travaux  ont  prouvé  que  les  lois  agraires  ne  pouvaient 
pas  avoir  pour  but,  soit  la  négation  de  la  propriété,  soit 
une  limite  imposée  à  l'exercice  de  ce  droit,  soit  l'abolition 
de  l'héritage,  soit  enfin  ie  partage  égal  des  terres  entre  tous 
les  citoyens  de  la  république.  On  sait  de  quel  respect  les 
Romains  entouraient  la  propriété.  Esprits  essentiellement 
pratiques  et  positifs  ,  les  Romaijis  ne  pouvaient  songer  à 
mettre  en  lois  des  spéculations  impossibles  à  réaliser.  Plutar- 
que,  bien  qu'il  connût  parfaitement  la  nature  des  lois 
agraires  à  Rome,  a  peut-être  contribué  au  malentendu  que 
nous  signalons  ici  par  son  parallèle  entre  Agis ,  Cléomène 
et  les  Gracques.  On  sait,  en  effet,  (pie  Lycurgue  fit  à  Sparte 
un  partage  individuel  des  propriétés  privées,  que  voulurent 
renouveler  plus  tard  Agis  et  Cléomène. 

On  appelait  loi  agraire  à  Rome  toute  disposition  que 
faisait  la  république  des  terres  qui  lui  appartenaient  en 
propre.  Il  était  de  droit  public  que  la  conquête  emportait 
la  confiscation  du  territoire  ennemi  ;  la  répubUque  ne  s'ap- 
propriait que  rarement  le  tout,  si  ce  n'est  dans  le  cas  de  trahi- 
son flagrante.  Telle  est  l'origine  du  domaine  public,  que  vin- 
rent agrandir  plus  tard,  outre  les  additions  volontaires  de 
peuples  alliés,  les  testaments  de  rois,  Attale,  Nicomède,  etc., 
les  confiscations  des  biens  des  condamnés  ou  des  prévenus, 
la  succession  des  biens  vac<ints ,  etc.  Sur  ce  territoire  les 
Romains  fondaient  des  villes  ou  bien  envoyaient  des  colons. 
Ces  colonies  leur  servaient  de  défense.  De  ce  domaine, 
fruit  de  la  conquête,  la  partie  cultivée  était  toujours  ad- 
jugée aux  nouveaux  colons,  soit  à  titre  gratuit,  soit  par 
vente  ,  soit  par  bail  à  redevance.  Quant  à  la  partie  inculte, 
presipie  toujours  la  plus  considérable,  on  n'avait  pas  cou- 
tume de  la  mettre  en  distribution,  mais  on  en  abandonnait 
la  jouissance  à  qui  voulait  la  défricher  et  la  cultiver,  en 
léservant  au  domaine  la  dixième  partie  des  moissons  et  la 
cinquième  partie  des  fruits  perçus.  On  mettait  également  un 
impôt  sur  ceux  qui  élevaient  du  grand  et  du  petit  bétail. 

Les  riches  s'emparèrent  peu  à  peu  de  cette  portion  de  fer- 
res non  partagées  et  livrées  au  premier  occupant;  puis,  se 
confiant  dans  la  durée  de  leur  possession,  ils  a(  hetèrent  dô 

?4 


180 

t;r6  à  gré  ou  enlevèrent  par  la  force  aux  petits  propriétaires 
voisins  leurs  modestes  héritages,  formant  ainsi  ces  vastes 
rloniaines  (jui ,  suivant  l'éloquenlc  expression  de  Pline,  ont 
perdu  ritalie.  Le  plus  souvent  même  estaient  des  compa- 
gnies industrielles  qui  se  rendaient  adjudicataires  ;  le  plus 
souvent  elles  étaient  composées  de  chevaliers  que  Mon- 
tesquieu appelle  les  traitants  de  la  république.  On  com- 
prend facilement  que  les  fermiers  de  l'État  dans  ses  domai- 
nes ,  s'ils  étaient  riches  et  puissants ,  n'avaient  qu'un  pas  à 
faire  pour  se  considérer  comme  propriétaires  de  biens  dont 
ils  n'étaient  i\\\c  possesseurs. 

De  là  les  plaintes  des  tribuns,  de  là  les  lois  agraires. 

Suivant  Savigny  et  Niebuhr,  le  domaine  public  lui-même 
se  divisait  en  deux  parties  distinctes ,  Vagcr  publicus  pro- 
prement dit  et  Vager  vectigalis.  Vagcr  publicus  parait 
avoir  été ,  soit  celui  dont  l'État  se  réservait  nettement  la 
propriété  en  le  laissant  sans  disposition  précise  et  comme 
ressource  éventuelle ,  soit  celui  où  l'on  fondait  des  colonies 
et  que  l'on  partageait  au  peuple.  Vager  vectigalis ,  objet  de 
nombreuses  dispositions  dans  le  droit  i.mpérial,  était  celui 
que  frappaient  des  redevances  par  suite  de  ces  adjudications 
faites  par  les  censeurs  au  nom  de  la  république,  ou  des  sous- 
concessions  faites  par  les  adjudicataires  primitifs ,  les  villes, 
les  collèges  de  prêtres ,  les  vestales ,  etc. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  l'usucapion  n'était  pas  admise  sur  le 
domaine  public  ;  l'État  avait  un  droit  permanent  de  ressaisir 
les  terres  usurpées  ou  concédées.  Ce  fait  est  maintenant  hors 
de  doute. 

Heyne  a  distingué  trois  espèces  de  lois  agraires  :  1°  celles 
qui  eurent  pour  objet  la  division  ou  le  partage  entre  les  plé- 
béiens des  terres  du  domaine  public  usurpées  parles  grands; 
2°  celles  qui  eurent  pour  objet  de  diviser  des  terres  ou  ré- 
cemment conquises  ou  laissées  depuis  plus  ou  moins  long- 
temps dans  le  domaine  de  l'État,  pour  y  fonder  des  colonies; 
3"  enfin,  dans  les  derniers  temps  de  la  république,  sous  Ma- 
rius,  Sylla,  Pompée,  César,  Antoine  et  môme  Octave,  les 
usurpations  violentes  de  terres  publiques  et  souvent  même 
lie  propriétés  particulières  distribuées  aux  légions,  aux  soldats 
.les  généraux  qui  avaient  combattu  et  triomphé  dans  les  guer- 
res civiles.  Les  deux  premières  espèces  sont  de  véritables  lois 
agraires.  Mais  l'une,  mesure  générale ,  difficile,  souleva  une 
foule  de  réclamations,  et  ne  fut  jamais  entiLTcment  exécutée, 
tandis  que  l'autre ,  mesure  partielle ,  d'une  exécution  facile, 
utile  à  toutes  les  classes  de  l'État,  ne  vit  jamais  son  principe 
contesté ,  alors  môme  qu'on  contestait  son  opportunité.  La 
troisième  espèce  eut  pour  résultat  la  fondation  de  colonies 
d'un  nouveau  genre,  exclusivement  militaires,  qui  accrurent 
la  puissance  déjà  excessive  des  soldats  dans  les  derniers 
ten)ps  de  la  république. 

Lois  agraires  ayant  pour  but  le  partage  du  domaine 
public  entre  les  plébéiens.  Les  lois  agraires  sont  aussi  an- 
ciennes que  Rome;  on  en  trouve  sous  les  rois.  Romulus, 
Numa,  Scrvius  Tullius  en  ont  porté;  et  ce  dernier  peut  même 
être  considéré  comme  la  première  victime  des  lois  agraires. 
Après  l'expulsion  des  rois,  révolution  toute  aristocratique,  la 
question  prend  une  nouvelle  face.  On  trouve  encore  quelques 
concessions  individuelles,  mais  extrêmement  rares.  L'aristo- 
cratie agit  alors  sur  les  terres  du  domaine  public  comme  si 
elles  lui  appartenaient;  elle  cessa  de  payer  la  redevance,  le 
vectigal  qui  augmentait  les  revenus  de  l'Etat  et  était  em- 
ployé aux  services  publics,  elle  vendit  et  elle  aliéna.  Ces 
progrès  du  mal  et  de  l'injustice  furent  si  rapides,  que  vingt- 
r^nci  ans  après  la  fondation  de  la  république,  le  consul  Spu- 
I  lus  Cassius  proposa  une  loi  agraire  dans  un  double  but  :  il 
exigeait  que  la  redevance  fût  réellement  versée  dans  le  tré- 
sor public  par  les  fermiers  de  Yagri  publici  et  employée  à 
donner  la  paye  aux  soldats;  et  comme  un  traité  conclu  avec 
les  Ilcmiipies  venait  de  leur  enlever  les  deux  tiers  du  terri- 
toire, Cassius  proposait  de  partager  ces  terres  entre  les  Ro- 
mains et  les  Latins ,  avec  celles  que  l'aristocratie  détenait 


ÂGIUIRES 

à  tort.  Les  patriciens,  menacés  dans  leurs  usurpations ,  eu- 
rent l'adresse  de  gagner  le  collègue  de  Cassius,  Proculus 
Virginius,  qui  s'opposa  à  cette  loi.  Ils  accusèrent  Cassius 
d'aspirer  à  la  tyrannie,  et  les  tribuns  du  peuple  eux-mêmes, 
jaloux  de  la  popularité  d'un  aristocrate ,  prirent  parti  contre 
lui.  Il  fut  mis  à  mort  à  la  sortie  de  son  consulat. 

C'est  à  tort  que  Denys  attribue  à  Appius  Claudius,  le  fou- 
gueux patricien ,  si  attaché  aux  prérogatives  de  son  ordre , 
l'initiative  d'une  loi  agraire.  En  484  le  peuple  s'agita  de 
nouveau  pour  obtenir  une  loi  agraire,  que  le  sénat  persista 
à  refuser.  Dans  les  années  qui  suivirent  immédiatement ,  les 
mêmes  propositions  furent  reprises  par.Menius,  Spurius,  Ici- 
lius  et  Ponlificius.  En  477  Fabius  Cœson,  personnage  consu- 
laire, reconnut  formellement  le  principe  et  le  caractère  des 
lois  agraires  ;  mais  il  ne  put  vaincre  les  refus  des  patriciens. 
Q.  Considius,  T.  et  Cn.  Genucius  ne  furent  pas  plus  heureux 
dans  leurs  motions.  Appius  Claudius  résista  à  toutes  les  ten- 
tatives des  tribuns,  malgré  les  instances  des  consuls  Valerius 
et  yEmilius.  Cependant  Fabius  trouva  un  moyen  terme,  qui 
consistait  à  envoyer  une  colonie  à  Anlium  ;  mais  les  plé- 
béiens, qui  ne  voulurent  pas  perdre  leurs  droits  politiques, 
refusèrent  d'y  aller  habiter. 

Enfin,  en  454,  est  portée  la  lo  '  Icilia,  la  première  loi 
agraire  qui  ait  été  adoptée  et  exéa  tée  depuis  la  république. 
Le  mont  Aventin,  qui  jusque  alors  ne  faisait  pas  partie  de  la 
ville,  fut  partagé  entre  les  plébéiens. 

Cependant  la  lutte  continua  entre  les  deux  ordres.  Peti- 
lius  et  le  fils  de  Spurius  Meiius,  ce  chevalier  romain  qui  dant 
un  temps  de  disette  avait  employé  ses  immenses  revenus  à 
distribuer  gratuitement  du  blé  au  peuple  et  que  l'aristocratie, 
inquiète,  avait  mis  à  mort  sans  jugement  comme  aspirant  à 
la  royauté,  se  consumèrent  en  vaines  tentatives  pour  géné- 
raliser la  loi  Icilia.  En  411  le  tribun  L.  Sextius  proposa 
de  partager  le  territoire  de  Boles.  En  ?.90  le  territoire  de 
Véies  fut  partagé  entre  les  plébéiens ,  et  sept  arpents  furent 
assignés  à  chaque  personne  libre  dans  une  famille.  En  379  il 
en  (ut  de  même  pour  le  territoire  de  Poaiptinum.  A  peu 
près  à  cette  époque ,  Manlius  Capitolinus  proposa  une  loi 
agraire  sur  laquelle  on  manque  complètement  de  renseigne- 
ments. Les  patriciens  recoururent  cette  fois  encore  au  vieux 
moyen  qui  leur  réussissait  toujours  :  ils  accusèrent  Manlius 
d'ambitionner  la  royauté,  et  l'homme  qui  avait  sauvé  Rome 
des  Gaulois  fut  précipité  de  la  roche  Tarpéienne. 

Pendant  le  siècle  qui  sépare  Spurius  Cassius  de  Licinius 
Stolon  le  mal  s'accrut  avec  une  rapidité  effrayante.  L'aris- 
tocratie sait  éluder  toutes  les  propositions  de  lois  agraires  : 
toutes  les  fois  qu'elle  en  est  menacée ,  elle  propose  l'envoi 
de  colonies  dans  les  terres  d'acquisition  récente,  gagnant 
ainsi  de  la  popularité,  se  fortifiant  dans  les  domaines  usur- 
pés, et  prolitant  de  l'expulsion  de  la  partie  la  plus  turbu- 
lente de  Rome  qu'elle  envoie  habiter  ces  colonies.  Enfin , 
l'an  de  Rome  377  ,  Licinius  Stolon,  plébéien ,  gendre  du  pa- 
tricien Fabius  Ambustus,  aidé  de  son  beau-père  et  du  tri- 
bun du  peuple  Luciiis  Sextius,  jeune  homme  de  cœur,  à  qui 
i!  ne  manquait  qu'ime  naissance  patricienne ,  proposa  à  la 
fois  trois  lois,  dont  la  première  admettait  les  plébéiens  à  l'une 
des  deux  places  de  consul  ;  la  seconde  était  une  nouvelle 
loi  agraire,  et  la  troisième  réglait  le  payement  des  dettes  à 
l'avantage  des  débiteurs.  Voici  les  dispositions  de  sa  loi 
agraire  :  Personne  ne  pourra  posséder  plus  de  cinq  cents  ar- 
pents de  terres  publiques.  Sur  cette  étendue  de  terres  on 
ne  pourra  pas  faiie  paître  plus  de  cent  têtes  de  gros  bétail, 
plus  de  cinq  cents  de  petit;  on  sera  tenu  d'y  entretenir 
un  certain  nombre  d'hommes  libres,  surtout  pour  surveiller 
les  travaux.  Une  amende  frappera  tous  les  violateurs  de 
celte  loi.  La  partie  des  terres  publiques  retirée  à  tous  ceux 
qui  en  posséderont  iilus  de  cinq  cents  arpents  sera  distri- 
buée aux  pauvres  à  des  conditions  équitables.  —  Le  .sénat  ne 
se  résigna  pas  sur-k'-champ  à  accorder  cette  juste  satisfac- 
tion Mais  Licinius  Stolon  [)erscvcra  pendant   dix  ans ,  lui- 


AGRAIRES 


187 


tant  avec  habileté  et  sagesse  contre  le  parti  pris  des  patri- 
ciens; il  linit  par  triompher. 

Cette  loi,  œuvre  admirable  de  modération,  eut  les  plus 
heureuses  conséquences.  Elle  arrêta  l'absorption  de  la  petite 
propriété  par  la  sjrande,  dont  les  conséquences  déplorables 
se  faisaient  déjà  sentir;  elle  empêcha  cette  mule  et  rude  po- 
pulation de  laboureurs  qui  quittaient  la  charrue  pour  com- 
battre de  disparaître  devant  la  culture  moins  dispendieuse 
des  esclaves.  Quoi  qu'on  en  ait  dit,  la  république  dut  aux  lois 
liciniennes  un  calme  profond,  la  pratique  des  vertus  privées 
et  publiques  et  les  conquêtes  rapides  qu'elle  lit  jusqu'aux 
Gracques.  Licinius  Stolon  doit  donc  être  compté  au  nombre 
des  grands  citoyens  de  la  république;  et  pourtant  (ô  na- 
ture humaine  !  )  il  fut  condamné  par  sa  propre  loi ,  qu'il 
avait  éludée  en  émancipant  son  fds  et  en  faisant  passer  sur 
sa  tête  cinq  cents  arpents. 

Dans  l'intervalle  de  deux  cents  ans  qui  sépare  Licinius 
Stolon  des  Gracques,  le  sénat  fit  plusieurs  distributions 
spontanées.  Flaminius  porta  une  loi  agraire  qui  distribuait 
le  territoire  gallo-romain  entre  Rimini  et  le  Picénura  ,  et 
Scipion ,  de  retour  de  Carthage,  fit  la  première  distribution 
de  terres  aux  soldats  que  l'histoire  mentionne. 

Au  moment  où  les  Gracques  parurent  sur  la  scène 
politique ,  Rome  n'était  plus  cette  ville  des  Quirites  au 
génie  farouche,  aux  mœurs  austères.  Elle  s'était  étendue 
d'abord  sur  le  Latium,  puis  sur  toute  l'Italie.  Elle  avait 
ruiné  Carthage  ,  conquis  les  lies  de  la  Méditerranée,  l'Afri- 
(jue ,  l'Espagne ,  la  Grèce ,  une  partie  de  l'Asie.  Mais  à  cha- 
que conquête,  à  chaque  assimilation  de  peuples  vaincus, 
elle  avait  perdu  quelque  trait  de  son  caractère  national.  A 
l'intérieur ,  par  suite  des  courageux  efforts  des  tribuns  du 
peuple,  des  plébéiens  étaient  entrés  à  plusieurs  reprises  au 
sénat  ;  mais  ces  parvenus,  reniant  leur  origine,  s'efforçaient, 
à  force  de  complaisances  pour  l'aristocratie,  de  lui  faire  ou- 
blier leur  passé.  Le  peuple,  au  lieu  de  trouver  en  eux  des 
soutiens  fervents,  n'avait  pas  de  plus  acharnés  adversaires. 
Le  nouveau  patriciat  était  d'ailleurs  corrompu  par  les  riches- 
ses qui  affluaient  de  toutes  parts  à  Rome.  L'ordre  des  che- 
valiers avait  surtout  acquis  une  influence  considérable  ;  les 
hommes  d'argent  étaient  tout-puissants.  Les  abus  étaient  si 
grands,  qu'on  avait  été  obligé  d'instituer  un  tribunal  per- 
manent pour  faire  rendre  gorge  aux  publicains  quand  leurs 
exactions  dépassaient  toute  mesure.  Les  fortunes  s'étaient 
accrues  dans  une  proportion  énorme,  ainsi  que  les  proprié- 
tés territoriales.  L'agriculture  disparaissait  peu  à  peu  de  l'I- 
ialie;  à  la  culture  économique  des  prairies,  qui  remplaçait 
depuis  longtemps  celle  du  blé,  les  propriétaires  de  ces  ma- 
gnifiques villas,  qui  couvraient  déjà  l'Italie,  avaient  substitué, 
comme  plus  lucrative,  l'élève  des  poissons  les  plus  délicats 
ou  des  oiseaux  les  plus  rares.  D'ailleurs,  le  grand  nombre 
des  esclaves  rendait  toute  agriculture  impossible  pour  le 
peuple.  Aussi ,  la  populace  romaine ,  sans  moyens  d'exis- 
tence, n'avait-elie  d'autres  ressources  que  les  distributions 
gratuites ,  les  lois  frumentaires  et  le  trafic  des  votes.  Joi- 
gnons à  ce  tableau  l'influence  toujours  croissante  et  démora- 
lisatrice des  affranchis,  et  l'on  aura  une  idée  de  la  haute 
et  superbe  mission  que  les  Gracques  voulurent  accomplir. 

Au  rapport  de  Plutarque  ,  ce  fut  au  retour  d'im  voyage 
en  Italie  qu'effrayé  et  désolé  par  le  spectacle  affligeant  qu'il 
avait  eu  sous  les  yeux  ,  Tibérius  Gracchus  ,  tribun  du  peu- 
ple, porta  sa  fameuse  loi  Sempronia,  dont  les  dispositions 
ne  faisaient  que  renouveler  celles  des  lois  Liciniennes.  Seu- 
lement ,  tenant  compte  de  la  différence  des  temps  et  des 
mœurs,  aux  cinq  cents  arpents  de  terres  publiques  il  en 
ajoutait  deux  cent  cinquante  pour  chaque  enfant.  Pour  oter 
tout  prétexte  au  mauvais  vouloir  des  patriciens ,  il  avait 
même  poussé  la  modération  jusqu'à  stipuler  une  indemnité 
payée  aux  frais  du  trésor  public  pour  le  surplus  des  terres 
usurpées  du  domaine  public  qui  serait  enlevé  à  leurs  déten- 
teurs. En  outre,  comme  il  connaissait  bien  ce  peuple  cor- 


rompu qu'il  voulait  régénérer,  il  avait  eu  la  précaution  d'in- 
terdire l'aliénation  de  la  portion  concédée,  qui  du  reste  l'était 
à  perpétuité. 

La  loi  agraire  fut  adoptée,  malgré  l'opposition  d'Ocfavius, 
son  collègue,  que  Tibérius  eut  le  tort  de  faire  déposer,  don- 
nant ainsi  l'exemple  de  violer  l'inviolabilité  tribunitienne 
qui  l'aurait  peut-être  sauvegardé  plus  tard  lui-même. 

Sur  ces  entrefaites,  eut  lieu  le  testament  d' A ttale,  en 
faveur  de  la  république  romaine.  Tibérius  Gracchus  com- 
mit alors  la  faute  de  proposer  le  partage  de  ce  nouveau 
territoire  en  y  admettant  les  Itahens;  motion  )nipoliti(|ue 
pour  sa  popularité ,  mais  qui  témoigne  du  moins  de  l'élé- 
vation de  son  esprit.  Ayant  mécontenté  à  la  fois  les  Italiens 
par  sa  loi  agraire,  et  les  Romains  par  sa  motion  en  faveur  des 
Italiens,  il  voulut  s'appuyer  sur  les  chevaliers,  et  proposa  de 
retirer  au  sénat  le  pouvoir  j\idiciaire  pour  le  donner  à  ces 
hommes  d'argent  si  fréquemment  justiciables  des  tribunaux. 
Ces  fautes  accumulées  le  perdirent,  et  bientôt  les  jjatricicns 
se  débarrassèrent  de  ce  grand  homme  par  un  odieux  assas- 
sinat. 

Malgré  la  réaction  aristocratique  qui  s'ensuivit ,  la  loi 
agraire  ne  fut  pas  abandonnée  ;  de  zélés  citoyens ,  parents 
ou  amis  de  Tibérius,  essayèrent  de  la  mettre  en  pratique. 
Son  frère  Caius,  une  fois  arrivé  au  tribunat,  renouvela  sa  loi, 
et  réalisa  les  autres  projets  de  son  frère.  Caïus  accoida  le 
droit  de  cité  aux  aUiés  de  Rome  en  Italie;  aux  chevaliers,  le 
privilège  dont  jouissaient  les  sénateurs  de  rendre  la  justice 
dans  les  tribunaux  permanents,  établis  quelque  temps  aupa- 
ravant. Mais  le  sénat  gagna  son  collègue  Livius  Drusus,  qui, 
en  exagérant  ses  motions,  parvint  à  lui  enlever  toute  sa  po- 
pularité, qu'avait  déjà  compromise  son  séjour  à  Carthage , 
où  il  avait  été  fonder  une  colonie.  Enfin  le  consul  Opimius 
fit  abolir  les  lois  des  Gracques  ;  une  insurrection  éclata  dans 
Rome ,  et  Caïus  Gracchus  y  trouva  la  mort. 

Dans  la  période  qui  suivit  la  mort  de  Caius  Gracchus,  jus- 
qu'au tribunat  de  Saturninus ,  c'est-à-dire  entre  les  années 
121  et  100,  on  porta  encore  trois  lois  agraires;  mais  cette 
fois  elles  furent  l'ouvrage  de  l'aristocratie  victorieuse,  et 
leur  résultat  fut  déplorable.  La  première,  dérogeant  à  la 
loi  Sempronia,  permettait  de  vendre  la  portion  concédée  des 
terres  publiques.  La  seconde  défendait  de  partager  à  l'a- 
venir le  domaine  public,  qui  devait  rester  aux  possesseurs 
moyennant  une  redevance  que  l'on  distribuerait  aux  citoyens. 
L'aristocratie  ne  s'arrêta  pas  dans  cette  voie.  Une  loi  qu'on 
a  lieu  de  croire  émanée  de  Spurius  Thorius ,  tribun  du  peu- 
ple ,  vint  affranchir  les  possesseurs  de  cette  redevance.  Puis 
vinrent  les  lois  agraires  de  Marcius  Philippus  et  de  Saturni- 
nus, dont  les  dispositions  principales  tendaient  à  faire  dis- 
tribuer au  peuple  les  terres  récemment  conquises  sur  les 
Cimbres  et  qui  naguère  appartenaient  aux  Gaulois  ;  c«lle  de 
Titius  et  de  Livius  Drusus,  qui  demandait  le  droit  de  cité 
pour  les  Italiens,  l'établissement  de  colonies  en  Sicile  et  en 
Italie,  où  les  pauvres  de  Rome  iraient  habiter  ;  mesure  depuis 
longtemps  décrétée,  mais  toujours  ditîérée  par  le  mauvais 
vouloir  tant  des  patriciens  que  du  peuple  lui-même,  auquel 
le  séjour  de  Rome  convenait  beaucoup  mieux.  De  plus,  elle 
adjoignait  cent  nouveaux  membres  plébéiens  au  sénat,  et 
revenant  sur  la  fâcheuse  loi  des  Gracques,  lui  rendait  la 
justice.  Ces  lois  furent  adoptées,  mais  éludées,  surtout  quant 
aux  droits  des  peuples  italiens  ;  droits  incontestables  et  sa- 
crés pourtant,  car  à  qui  Rome  était-elle  redevable  de  ses  im- 
menses conquêtes,  si  ce  n'est  à  ces  Italiens  qu'elle  repoussait 
de  son  sein?  Cette  mauvaise  et  injuste  poUtiquedu  sénat 
causa  la  guerre  sociale. 

Cinquante-sept  ans  après  la  mort  du  dernier  des  Grac- 
ques, Servilius  Kullus,  tribun  du  peuple,  imagina  un  nouveau 
projet  de  loi  agraire,  dont  voici  les  principales  dispositions  : 
on  aurait  commencé  par  vendre  les  terres  conquises  récem- 
ment, ainsi  que  quelques  autres  domaines  peu  productifs 
liour  l'État  ou  impossibles  à  iiaitager  entre  les  citoyens,  et, 

2i. 


188 

avec  raiRont  qui  proviendrait  «le  cc^  vailles,  on  aurait 
acheté  des  terres  que  l'on  aurait  distribuées  ensuite  aux  ci- 
toyens pauvres.  Des  décenivirs  investis  d'un  pouvoir  absolu, 
cliar{;és  de  l'exécution  de  cette  loi,  étaient  autorisés  à  établir 
«le  nouvelles  colonies.  Ici  Rullus  commettait  une  première 
faute  :  c'était  de  ne  pas  désij-ner  avec  précision  les  lieux 
où  l'on  fonderait  ces  colonies.  11  conunit  une  faute  plus  grave 
encore  en  demandant  que  ces  décemvirs  ne  fussent  pas 
nommés  par  les  trente-cinq  tribus,  mais  dans  une  assemblée 
de  dix-sept  tribus  seulement,  lesquelles  éliraient  par  rou' 
séquent  a  la  simple  majorité  de  neuf  dentre  elles.  En  outre, 
coite  élection  n'aurait  pas  été  ratifiée  dans  une  assemblée  par 
centuries,  mais  dans  les  comices  par  c  u  r  i  e  .s,  qui  n'exis- 
taient plus  que  de  nom.  Bien  plus,  si,  par  impossd)le,  les  cu- 
ries relusaient  de  sanctionner,  on  devait  passer  outre.  Enfin 
Poni[)ee  était  exclu  du  décemvirat,  sous  prétexte  de  ne  pas 
interrompre  le  cours  de  ses  victoires;  mais  en  revanche  l'au- 
teur du  jirojet,  Rullus,  en  faisait  partie  de  droit.  On  com- 
prend facilement  tout  ce  que  ces  exagérations  ridicules  et 
ces  vues  personnelles  inspirèrent  d'amertume  et  d'autorité  à 
l'éloquence  de  Cicéron  :  il  fit  rejeter  la  loi,  dont  le  principe 
général  était  pourtant  excellent.  Une  particularité  très-remar- 
(piablc  des  discours  qu'il  prononça  à  cette  occasion  ,  et  qui 
vient  conlirmer  TiJce  plus  juste  que  l'on  se  fait  maintenant 
des  lois  agraires,  c'est  le  respect  singulier  que  Cicéron,  par- 
tisan de  l'aristocratie,  professa  pour  la  mémoire  des  Gracques 
et  la  justice  qu'il  rendit  à  la  loi  Sempronia. 

Quelques  années  plus  tard ,  Flavius  proposa  une  loi  agi'aire 
en  faveur  des  vétérans  de  Pompée,  et  l'on  voit  môme  Cicé- 
ron s'associer  à  ce  projet  par  les  modifications  qu'il  propose. 

lilnlin  César  est  consul.  11  ftit  passer  une  loi  agraire  qui 
partage  la  Campanie,  jusque  alors  affermée  au  profit  de  l'ii- 
tat,  entre  ceux  des  citoyens  qui  ont  trois  enfants.  On  devait 
suppléer  à  l'insuffisance  possible  de  ce  domaine  par  l'achat 
de  propriétés  particulières  avec  l'argent  que  Pompée  a  retiré 
de  ses  conquêtes.  En  outre.  César  fit  remise  aux.  publicains 
du  tiers  de  leurs  fermages.  Cette  loi  eut  des  résultats  admi- 
rables :  vingt  mille  pères  de  famille  en  profitèrent,  et  cent 
mille  personnes  au  moins  en  Italie  em'eut  des  terres  à  cul- 
tiver; Rome  fut  délivrée  d'une  populace  insoumise  et  avilie; 
l'Italie  se  repeupla  d'hommes  libres;  la  république  put 
espérer  des  recrues  pour  ses  armées.  Cicéron,  qui  avait,  il  est 
vrai,  cond)atlu  une  loi  agraire,  mais  qui  s'était  déjà  conveili 
pour  celle  de  Flavius,  se  décida  à  payer  à  la  loi  de  César  un 
pompeux  tribut  d'éloges. 

Avec  la  réfniblique  finirent  les  lois  agraires  d'un  intérêt 
général.  La  cause  en  est  simple  :  le  peuple,  d'un  côté,  nourri 
aux  dépens  du  maîtie,  ne  demande  plus  que  du  pain  et  des 
spectacles  ;  et,  de  l'autre,  il  n'y  a  plus  à  proprement  parler 
de  domaine  public,  les  empereurs  l'absorbent  dans  leur 
domaine  privé. 

Des  colonies.  Les  distributions  de  terres  pour  la  fonda- 
tion des  colonies  forment  la  seconde  espèce  de  lois  agraires, 
puisque,  comme  les  lois  agraires  générales ,  elles  partent  du 
principe  que  l'État  pouvait  disposer  de  ses  domaines  et  «pie 
les  terres  distribuées  aux  colons  étaient  prises  sur  le  do- 
uiaine  public.  Voyez  Colonies  kom.mnes. 

Distributions  de  terres  aux  soldats.  C'est  la  troisième 
espèce  de  lois  agraires  ;  encore  quelquefois  ces  distribu- 
tions de  terres  atteignirent  la  propriété  privée,  respectée  jus- 
qu'aux guerres  civiles,  et  amenèrent  des  dépossessions  vio- 
lentes. Les  légions  romaines  avaient  perdu  leur  antique  dis- 
<  ipline  depuis  Marins  et  Sylla;  les  soldats  s'attachaient  à  un 
homme,  leur  chef,  dont  ils  suivaient  la  fortune,  et  les  plus 
graves  désordres  étaient  le  résultat  de  ce  nouvel  état  de  cho- 
ses. Les  proscriptions  de  Sylla  et  de  Marins  offrirent  natu- 
rellement l'occasion  de  distribuer  aux  vétérans  les  terres  con- 
fisquées. César  suivit  o;;alement  cet  exemple;  il  distribua  des 
terres  aux  soldats  qui  l'avaient  fait  triompher  dans  les  guer- 
res civiles.  Après  la  mort  de  César,  les  soldats  se  trouvèrent 


.\GRAIRKS  —  AGRAM 


tout-puissants  ;  chaque  ambitieux  qui  prétendait  à  la  sncces- 
sion  du  grand  homme  leur  faisait  des  avances  et  des  flatte- 
ries. Antoine,  Octave,  Cicéron  et  le  sénat  multiplièrent  ces 
distributions.  Octave  surtout,  après  la  guerre  de  Modène,  la 
bataille  de  Philippes,  la  gueire  de  Pérouse,  celle  contre 
Sextus  Pompée  et  la  bataille  d'Actium.  Mais  ime  fois  empe- 
reur, Auguste  organisa  les  cohortes  urbaines  et  les  cohortes 
prétoriennes,  qui  finirent  plus  lard  par  remplacer  l'influence 
des  légions.  Les  prétoriens  aimaient  beaucoup  mieux  le  dé- 
sordre des  camps  et  d'une  grande  ville  comme  Rome  que 
la  vie  sédentaire  d'une  colonie.  Aussi  le  donativum ,  lar- 
gesse que  faisait  l'empereur  à  son  avènement,  remplaça  pour 
toujours  les  distributions  de  terres. 

En  résumé,  les  lois  agraires,  si  l'aristocratie  avait  eu  l'in- 
telligence de  les  exécuter,  auraient  empêché  tous  les  maux 
qui  à  la  longue  détruisirent  la  république  romaine.  11  y  au- 
rait eu  à  Rome  des  classes  moyennes,  intéressées  à  l'ordre 
et  au  maintien  de  la  république,  et  des  classes  populaires  la- 
borieuses et  paisibles.  La  poi)ulace  ne  se  serait  pas  avilie  et 
abrutie  en  vendant  ses  votes  et  en  vivant  sans  travailler  aux 
dépens  du  trésor  public.  L'Italie  aurait  vu  se  repeupler  .ses 
solitudes  ;  la  Péninsule,  qui  exportait  jadis  des  blés,  n'aurait 
pas  été  réduite  à  recevoir  sa  subsistance  de  la  Sicile,  de 
l'Afrique  et  de  l'Egypte;  la  république  aurait  eu  des  sol- 
dats ,  et  n'aurait  pas  été  obligée  de  les  recruter  parmi  le.s 
esclaves  et  les  peuples  étrangers.  Le  grand  argument  des 
patriciens  était  d'empêcher  la  dilapidation  du  domaine  pu- 
blic; mais  ils  le  dilapidèrent  bien  davantage  eux-mêmes 
par  leurs  distributions  aux  soldats.  Un  seul  moyen  de  salut 
était  offert  à  la  république  et  à  l'aristocratie  elle-même;  elle 
mit  tout  en  œuvre  pour  le  repousser,  le  courage,  la  ruse ,  le 
crime  et  l'éloquence.  Le  monde  romain  fut  perdu. 

On  peut  consulter  sur  les  lois  agraires  Ileyne,  Opuscula 
Àcademica ,  t.  IV;  Niebuhr,  Histoire  Romaine,  i.  11; 
Savigny,  Droit  Romain  ;  et  le  remarquable  travail  de  M.  A. 
Macé,  Des  Lois  agraires  chez  les  Romains  (Paris,  1S46)  : 
c'est  à  ce  dernier  ouvrage  que  nous  avons  emprunté  les 
matériaux  de  notre  article.  W.-A.  Ducrett. 

AGRAiVI  (  Comitat  d'  ),  en  Croatie,  a,  sur  5,920  kilomè- 
tres carrés,  une  population  de  S50,000  habitants,  presque  toiis 
Croates  et  catholiques.  C'est  un  pays  riche  en  bois  et  fertile 
dans  les  vallées  ;  on  y  récolte  des  grains  en  quantité  à  peine 
suffisante  ;  mais  on  y  cultive  aussi  le  tabac,  la  vigne  et  dif- 
férents fruits,  la  prune,  la  châtaigne.  Les  principales  rivières 
sont  :  la  Save  ,  la  Lonya  et  la  Krapina.  Le  comitat  d'Agrani 
contient  deux  districts ,  celui  d'Agram  et  celui  de  Saint- 
Istvany,  et  renferme  deux  villes  libres,  Agram  et  Karlstadt, 
douze  bourgs  et  neuf  cent  soixante-quatre  villages  et  ha- 
meaux. 

La  ville  iY Agram,  en  croate  Zagor  ,  sur  la  Save,  a  neuf 
mille  habitants;  elle  est  non-seulement  la  capitale  du  comi- 
tat ,  mais  on  la  considère  aussi  comme  celle  de  la  Croatie. 
Le  ban,  ou  gouverneur  de  Croatie,  l'évêque,  la  chancellerie, 
la  diète  et  les  commandants  militaires  des  deux  provinces 
de  la  Croatie  et  de  la  Slavonie ,  ont  à  Agram  leur  résidence. 
La  ville  a  une  haute  école  académique,  avec  dix  professeurs, 
une  bibliothèque  publique,  un  séminaire,  un  gymnase  et  une 
école  normale.  La  haute  cour  de  justice  de  Croatie  et  Sla- 
vonie, la  cour  d'appel  de  ces  deux  divisions  de  l'empire  y 
ont  aussi  leur  siège.  Parmi  les  édifices  il  faut  citer  le  pa- 
lais épiscopal,  le  palais  des  États  de  Croatie,  le  pont  sur  la 
Save  ,  et  surtout  l'église  cathédrale,  bâtie  par  saint  Ladis- 
las.  Agran)  se  compose  de  trois  parties,  dont  chacune  a  sa 
propre  juridiction,  de  la  ville  libre,  de  la  ville  de  l'évêque, 
et  de  la  ville  appartenant  à  la  juridiction  des  chanoines. 
Agram  a  des  manufactures  de  tabac  et  une  fabrique  de  cire. 
Elle  expédie  pour  Fiume  et  pour  les  côtes  de  la  Dalmatie, 
beaucoup  de  sel,  de  tabac  et  de  vins.  A  trois  lieues  d'.\- 
gram,  sur  la  Gradna,  un  martinet  appartenant  au  village  de 
S/amborfo'unit  de  deux  à  cinq  mille  quintaux  de  cuivre  par 


AGRAiM  —  AGRÂVIADOS 


1  S'.) 


an,  clàciiiq  licnfô  d'Agram  les  malades  prennent  les  eaux 
tliermaltN  t!e  Sludza. 

AGRAMANT  (Camp  d').  Cette  poétique  création  de 
TAriostc  est  rorigine  du  proverbe  :  La  discorde  est  an  camp 
d'Agramant.  —  L'épisode  qui  sert  en  quelque  sorte  de  base 
3u  poeuie  de  Roland  furieux  est  le  |)rétcndu  siège  de  l'aris 
par  les  Sarrasins.  Agraraant,  et  les  autres  cbefs,  Hodomont , 
Sacripant,  dont  les  noms  sont  aussi  devenus  des  types  pro- 
verbiaux, sont  au  moment  de  s'emparer  de  cette  capitale, 
que  défendent  avec  intrépidité  Charlemagne  et  ses  preux. 
C'en  est  fait  de  l'empire  des  Carlovingicns,  et  peut-être  du 
christianisme  lui-uiéme!  Mais  l'Éternel  veille  du  haut  dos 
cieux  sur  la  ville  fidèle.  L'archange  saint  Michel  reçoit  l'or- 
dre d'aller  chercher  le  Silence  et  la  Discorde.  Le  Silence 
enveloppera  l'armée  de  Renaud  dans  un  nuage,  et  lui  per- 
mettra d'arriver  sans  être  aperçue  sur  les  bords  de  la  Seine. 
La  Discorde  troublera  et  dispersera  les  assiégeants.  L'ar- 
change .Michel,  en  cherchantle  Silence  dans  le  centre  des  cloî- 
tres, \  rencontre  seulement  la  Discorde;  il  est  obUgé  d'aller 
relancer  la  taciturne  divinité  au  fond  de  l'Arabie.  L'armée 
de  secours  arrive,  en  effet,  aux  bords  de  la  Seine.  Déjà  la 
Discorde  avait  accompli  une  partie  de  sa  mission ,  mais  elle 
s'en  lasse  bientôt  :  les  chefs  sarrasins  ne  lui  fournissent  pas 
assez  d'occupation ,  elle  préfère  retourner  chez  ses  moines. 
Saint  Michel  va  gourmander  la  Discorde  dans  la  retraite  où 
il  l'avait  trouvée  d'abord ,  et  la  ramène  par  les  cheveux.  La 
seconde  entrée  de  la  Discorde  au  camp  d'Agramant  produit 
beaucoup  plus  d'efl'et  que  la  première.  Mandricard  querelle 
Roger  au  sujet  de  laigle  blanche  qu'il  a  fait  peindre  sur  la 
Lurandale,  célèbre  et  redoutable  épée  de  Roland ,  qui  devient 
le  prix  d'un  conflit  sanglant.  Sacripant,  le  roi  de  Circassie,  se 
plaint  à  Agramant  de  la  manière  dont  le  perfide  Brunel  lui 
a  dérobé  son  cheval  Frontm,  pendant  son  sommeil,  en  le 
laissant  sur  la  selle,  qu'il  avait  appuyée  sur  quatre  pieux. 
Agramant,  au  heu  de  faire  pendre  Brunel,  l'avait  créé  roi 
de  Tingitane.  Cette  injustice  excite  le  courroux  de  l'amazone 
Marpliise.  Celle-ci  marche  contre  le  nouveau  roi  de  Tingi- 
tane ,  l'enlève  d'une  seule  main ,  et  le  porte  tout  près  d'A- 
gramant, disant  qu'elle  veut  pendre  Brunel  de  ses  mains  , 
parce  qu'il  lui  a  dérobé  son  épée.  Le  sage  roi  Sobrino  arriva 
à  propos  pour  calmer  la  fureur  d'Agramant  ;  mais  les  affai- 
res des  Sarrasins ,  des  Circassiens  et  des  Séricassiens  n'en 
allèrent  pas  mieux.  La  Discorde,  jugeant  alors  qu'elle  avait 
fait  d'assez  bonne  besogne,  sauta  de  joie  et  éleva  vers  le  ciel 
un  cri  perçant ,  afin  d'annoncer  à  l'archange  Michel  le  succès 
de  son  entreprise.  Cependant  les  exhortations  d'Agramant 
eurent  enfin  leur  effet.  Rodomont,  le  roi  d'Alger,  consent 
à  s'éloigner,  et  va  coucher  dans  une  auberge,  dont  l'hôte, 
pour  charmer  ses  ennuis,  s'amuse  à  lui  raconter  l'histoire 
de  Joconde.  Grâce  à  tout  ce  fracas ,  la  capitale  de  la  France 
est  délivrée  ;  mais  le  poète  retarde  le  plus  qu'il  peut  le  dé- 
noùment.  C'est  à  ses  incessantes  et  ingénieuses  digressions 
que  nous  devons  le  tableau  merveilleux  des  amours  d'An- 
gélique et  Médor,  d'Isabelle  et  de  Zerbino,  et  enfin  la  folie 
de  Roland,  qui  est  le  motif,  ou  pour  mieux  dire  le  prétexte 
de  tout  le  poème.  Breton. 

AGRAMES,  AGRL\NIES,  AGRIONIES,  fêtes  d'Ar- 
gos  en  l'honneur  d'une  fille  de  Praetus.  On  les  célébrait  la 
nuit  et  on  s'y  couronnait  de  lierre.  Les  femmes  faisaient 
semblant  de  chercher  Bacchus  Agrionos,  féroce;  ne  le  trou- 
vant point,  elles  disaient  qu'il  s'était  retiré  chez  les  Muses. 
Elles  soupaient  ensemble ,  et  se  proposaient  des  énigmes.  11 
se  commettait ,  dit-on ,  de  grands  excès  dans  ces  fêtes  ;  elles 
avaient  lieu  tous  les  deux  ans  à  Orchcmène.  Les  femmes 
descendant  de  Minyas  en  étaient  exclues;  le  prêtre  de  Bac- 
chus, l'épée  à  la  main,  les  empêchait  d'approcher;  s'il  en 
rencontrait  une,  il  pouvait  impunément  la  tuer.  Voici  le 
motif  de  cette  exclusion  :  les  (illes  do  Minyas,  dans  leur 
enthousiasme  bachique ,  avaient  égorgé  Hippasus,  fils  de 
Leucippe,  et  avaient  fait  un  horrible  festin  de  ses  membres. 


Le  nom  d'rtCo/(V.">,  ou  cruelles,  était  resté  aux  Minyenne.^. 
La  poursuite  de  leur  crime  était  encore  dans  sa  vigueur  au 
temps  de  Plutarque.  Cet  auteur  cite  un  prêtre  nommé  Zoïlus 
qui  en  tua  une,  mais  il  ajoute  qu'il  mourut  misérablement 
d'un  ulcère.  Les  Orchoméniens,  ayant  été  ensuiie  affligés  de 
plusieurs  fléaux,  les  regardèrent  comme  une  punition  du  ciel, 
et  ôtèrent  la  prêtrise  à  la  famille  de  Zoilus.  —  Bacchus  étail 
surnommé  ylr/rjonos,  sauvage,  soit  à  cause  des  excès  où 
porte  le  vin ,  soit  parce  qu'il  était  sans  cesse  environné  dfl 
panlhères  et  d'autres  bêtes  carnassières.  On  l'appelait  môme 
Ornas fi's,  mangeur  de  chair  crue. 

AGRARIENS.  C'est  le  nom  que  s'est  donné  lui-mênip 
aux  Étals-Unis  un  parti  nombreux  et  puissant  qui  voulait 
ressusciter,  selon  sa  propre  expression  ,  l'esprit  des  Grac- 
ques.  Il  y  a.  en  efïef,  une  analogie  incontestable  entre  les 
([iiestionsque  soulevèrent  à  Rome  les  lois  agraires  et  les 
agitations  (|ui  se  sont  produites  à  un  moment  dans  les  États- 
Uni.?.  L'Union  possède  un  milliard  quatre  cents  millions 
d'acres  de  terres  publiques ,  dix  fois  l'étendue  de  la  France. 
Pourtijer  parti  de  ces  immenses  richesses,  l'État  avait  ob- 
ttmu  une  loi  qui  permettait  de  les  vendre  pour  payer  les 
frais  des  guerres  qu'il  avait  à  soutenir.  Depuis  longtemps  la 
dette  est  acquittée,  et  cependant  la  vente  continue  à  raison 
de  un  dollar  l'acre ,  ce  qui  ramène  le  prix  de  l'hectare  à 
douze  francs  cinquante  centimes  à  peu  près.  Il  semblerait 
(jue  ce  bon  marché  incroyable  dût  permettre  à  tout  le 
monde  d'acquérir.  Il  n'en  est  rien  pourtant.  Des  sociétés 
d'accaparement  se  sont  formées  qui  rendent  la  concur- 
rence tellement  impossible,  que  déjà  en  1832  le  président 
Jackson  réclamait  contre  cet  état  de  choses  dans  son  mes- 
sage au  congrès.  D'ailleurs ,  ces  terres  sont  incultes  ;  les  spé- 
culateurs peuvent  seuls  faire  le  voyage ,  défricher,  avancer 
ou  hasarder  des  fonds ,  acheter  les  instruments  de  culture. 
Voici  donc  ce  que  demandent  les  Agrariens  :  tout  en  res- 
pectant la  propriété  privée ,  ils  voudraient  qu'on  abolît  la 
vente  des  terres  publiques ,  et  qu'on  les  divisât  en  lots  de 
cent  soixante  acres.  L'État  garderait  un  droit  permanent 
sur  ces  terres,  dont  il  conserverait  la  propriété,  et  dont  il 
ne  pourrait  abandonner  que  la  jouissance  ou  la  possession 
moyennant  une  redevance.  D'un  autre  côté,  tout  chef  de 
famille  aurait  droit  à  une  ferme  de  cent  soixante  acres,  à  la 
condition  de  la  cultiver  et  de  l'exploiter  par  lui-même  ou 
par  ses  enfants  ;  nul  ne  pourrait  d'ailleurs  posséder  plus 
de  cent  soixante  acres.  Ne  se  croirait-on  pas  à  Rome  nu 
temps  de  Licinius  Stolon?  Pour  un  inslant  pourtant,  les 
agrariens  parurent  vouloir  s'écaiter  du  respect  (pi'ils  pro- 
fessaient pour  la  propri-été  privée,  et  adopter  des  tendances 
communistes.  Cette  exagération  regrettable  pourrait  com- 
promettre une  cause  juste  et  des  réclamations  fondées. 

W.-A.    DCCKETT. 

AGRAULE,  fille  de  Cécrops  et  d'Agraule  ou  Agrauie  , 
fille  d'Acte.  Voyez  Aghaulies.  —  C'était  aussi  le  nom  d'un 
bourg  de  l'Attique ,  près  d'Athènes,  de  la  tribu  Ércchthéide. 

AGRAULIES,  fête  athénienne  en  l'honneur  de  Mi- 
nerve et  d'Agraule  ou  Aglaure ,  fille  de  Cécrops,  qui  se  dé- 
voua pour  sa  patrie  en  se  précipitant  de  l'acropole ,  et  à 
laquelle  on  avait  élevé  un  temple  et  consacré  des  mystères 
et  des  initiations.  Les  Athéniens,  à  l'âge  de  vingt  ans,  prê- 
taient sur  son  autel  serment  de  dévouement  à  leur  patrie. 
On  célébrait  dans  l'île  de  Chypre,  au  mois  aphrodisius,  det 
agraulies,  et  l'on  y  sacrifiait  un  homme  à  Agraule  :  cet  usage 
subsista  jusqu'à  Diomède. 

AGRAVIADOS,  mot  espagnol  qni  s\gn\iiepersécn(cs, 
mécontents.  On  désignait  autrefois  en  Espagne  par  la  qua- 
lification d'(7{/?"oyiof/o.ç  ou  agrcviados  une  classe  de  seigneins 
auxquels  les  rois  issus  de  la  maison  de  Bourbon  n'avaient 
pas  voulu  reconnaître  ou  conférer  la  dignité  de  grand  d'Es- 
pagne (  voyez  GiîANDEssF.),  parce  qu'on  lessupposait  dévoués 
aux  intérêts  autrichiens  et  partisans  des  prétentions  do 
l'arclîiduc,  par  conséquent  opposés  aux  prétentions  du  pi  ince 


,90  AGRAVIADOS  —  AGRÉGÉ 

petit-fils  de  Louis  XIV,  appclii  à  succ(^der  h  Cliarles  II.  Au- 
joiir«riiiii  encore  on  trouve  en  Catalogne  des  familles  nobles 
([u'on  dd.si;i;ne  sous  le  nom  à'agraviados ,  parce  qu'on  y  a 
consené  intactes  ,  de  père  eu  fils ,  les  préoccupations  poli- 
tiques des  premières  années  du  dix-huitième  siècle,  et  qu'on 
y  regrette  encore  la  maison  d'Autriche.  La  plus  grande  par- 
tie de  ces  seigneurs  agraviados  descendant,  comme  les 
grands  d'Espagne,  des  rJco5  hombres,  les  grands  d'Espa- 
gne se  sont  toujours  fait  im  point  d'honneur  de  les  regarder 
et  de  les  traiter  en  toute  occasion  comme  leurs  égaux. 

AGREDA  (Maiiie  d' ) ,  visionnaire  espagnole,  née 
en  1602,  dans  la  ville  d'Agreda  (  Vieille-Castille  )  d'une 
ftimille  pieuse  qui  portait  le  nom  de  Coronel.  Ses  parents 
ayant  fondé,  en  1G19,  un  couvent  de  VImmaculéc  Con- 
ception dans  leur  propre  maison ,  pour  obéir  à  une  révéla- 
tion particulière  ,  la  jeune  Marie  y  prit  l'habit  de  religieuse 
le  môme  jour  que  sa  mère  et  sa  sœur  ;  elle  y  prononça  ses 
vœux  le  2  février  1C20 ,  avec  sa  mère  :  la  profession  de  sa 
sœur  fut  différée,  parce  qu'elle  n'avait  pas  l'ùge  voulu.  En 
1627,  elle  devint  abbesse  du  couvent.  Depuis  lors,  jus- 
qu'en 16.37  ,  elle  reçut,  à  plusieurs  reprises  ,  de  Dieu  et  de 
la  Vierge  Marie ,  l'ordre  d'écrire  la  vie  de  la  sainte  Vierge. 
Après  avoir  résisté  à  ces  ordres  pendant  dix  ans ,  elle  se 
mit  enfin  en  devoir  d'obéir.  :Mais  lorsqu'elle  eut  achevé 
cette  vie ,  elle  la  brûla  avec  plusieurs  autres  écrits  ,  par  le 
conseil  d'un  confesseur  qui  la  dirigeait  en  l'absence  de  son 
confesseur  ordinaire.  Ses  supérieurs  et  le  premier  confes- 
seur l'en  reprirent  aigrement,  et  lui  commandèrent  d'écrire 
une  seconde  fois  la  vie  de  la  mère  de  Dieu.  Le  même  com- 
mandement ayant  été  renouvelé  par  Dieu  et  la  Vierge,  elle  se 
mit  de  nouveau  à  l'ouvrage,  et  publia  ,  en  1655  ,  le  recueil 
des  visions  qu'elle  avait  eues  à  ce  sujet.  Elle  mourut  en  1665. 
Son  livre  a  été  traduit  en  français  par  le  père  Thomas 
Crozet,  récollet,  sous  le  titre  :  La  mystique  Cité  de  Dieu,  etc. 
(Marseille,  1696,  3  vol.  in-4'').  —  Ce  livre  est  un  tissu  de 
visions  ridicules,  qui  vont  parfois  jusqu'à  l'indécence.  Les 
folies  y  abondent  tellement ,  que  la  faculté  de  théologie  de 
Paris  crut  devoir  en  faire  la  censure  dans  le  temps  même 
où  l'on  travaillait  à  Rome  à  faire  canoniser  Marie  d'Agreda. 
On  y  trouve  le  récit  de  ce  qui  arriva  à  la  sainte  Vierge  pen- 
dant les  neuf  mois  qu'elle  fut  dans  le  sein  de  sa  mère, 
sainte  Anne.  Entre  autres  extravagances ,  il  y  est  dit  que  la 
sainte  Vierge ,  avant  l'âge  de  trois  ans  ,  balayait  la  maison  , 
et  que  les  anges  l'aidaient.  —  On  peut  citer  ce  livre  comme 
un  des  produits  de  la  dévotion  outrée  pour  la  sainte  Vierge, 
et  du  cuile  superstitieux  qu'on  en  est  venu  à  lui  rendre.  En 
1855  -M.  G.  de  la  Vigne  a  publié  une  partie  lie  la  correspon- 
dance le. Marie  d'Agreda  avecPliilippelV.  Aiitald 

AGREE,  jurisconsulte  qui  postule  devant  certains 
tribunaux  de  commerce ,  avec  l'autorisation  et  l'agrément 
de  ces  tribunaux.  Pour  donner  plus  de  simplicité ,  d'éco- 
nomie et  de  promptitude  à  la  procéduie  devant  les  tribu- 
naux de  commerce,  la  loi  affranchit  les  plaideurs  de  l'obli- 
gation de  comparaître  assistés  d'avoué  ou  d'avocat.  Mais 
dans  les  grandes  villes  l'absence  d'officiers  publics  pou- 
vait avoir  ses  dangers.  On  forma  donc  un  corps  d'agréés, 
qui  représentent  les  parties  sans  que  leur  ministère  soit 
forcé.  Les  agréés  ne  sont  pas  des  officiers  ministériels  ins- 
titués par  la  loi  ;  leur  existence  a  pour  base  non  les  dispo- 
sitions de  la  loi ,  mais  uniquement  son  silence.  11  résulte,  en 
effet,  de  la  discussion  du  projet  du  Code  de  Conunerce  au 
conseil  d'État  impérial,  que  l'on  a  évité  de  s'expliquer  sur 
les  agréés  précisément  pour  laisser  à  chaque  tribunal  con- 
sulaire la  faculté  de  conserver  ses  usages.  Ainsi  les  tribu- 
naux de  commerce  peuvent  instituer  des  agréés  et  faire  des 
règlements  sur  l'exercice  de  cette  profession.  Le  21  dé- 
cembre 1809  le  tribunal  de  commerce  de  Paris  régla  l'or- 
ganisation des  agréés,  établit  une  chambre  disciplinaire ,  et 
détermina  sa  composition  et  ses  fonctions.  Quelques  années 
plus  tard,  le  10  juin  1313,  le  môme  tribunal  de  commerce, 


reconnaissant  que  le  nombre  des  agréés ,  qui  était  alors  de 
vingt  et  un,  était  au-dessus  de  celui  que  pouvaient  comporter 
les  affaires  et  les  besoins  du  service,  le  réduisit  à  quinze, 
en  faisant  désintéresser  et  éteindre  les  six  cabinets  les 
moins  occupés,  au  moyen  d'une  indemnité  de  225,000  fr. 
que  les  agréés  restants  payèrent  en  proportion  des  affaires 
qu'ils  faisaient.  Il  en  est  résulté  une  sorte  de  propriété  pour 
ces  cabinets,  qui  depuis  se  sont  vendus  comme  des  offices 
ministérie_ls. 

AGRÉGAT.  On  appelle  ainsi ,  en  minéralogie  et  en 
géologie ,  la  réunion  de  plusieurs  matières  pierreuses ,  plus 
ou  moins  considérables  et  plus  ou  moins  homogènes,  agglu- 
tinées ensemble  à  l'époque  de  leur  formation.  Ainsi  le  mar- 
bre est  un  agrégat.  —  Les  chimistes  donnent  ce  nom  à  l'é- 
tat d'un  corps  dont  toutes  les  molécules  sont  réunies  entre 
elles  de  manière  à  former  une  seule  masse.  —  Dans  la  langue 
des  mathématiques ,  agrégat  s'enienà  d'un  a.ssemblage  de 
plusieurs  termes  positifs  ou  négatifs  :  il  exprime  les  sommes 
et  les  différences. 

AGRÉGATION  {Histoire  naturelle).  On  désigne  en 
géologie  sous  ce  nom  ,  qui  signifie  réunion  en  troupe,  le 
mode  de  formation  des  roches,  considérées  minéralogique- 
ment,  qui  se  sont  constituées  instantanément  et  à  la  même 
époque,  telles  que  le  granit,  le  porphyre,  le  schiste  micacé, 
le  calcaire.  Ces  roches  sont  nommées  agrégats  ou  roches 
agrégées ,  ^ouT  les  distinguer  des  agglomérats  ou  roches 
agglomérées  (voyez  Agglomération).  — On  connaît  aussi  en 
zoologie  des  espèces  animales  dont  un  certain  nombre  d'in- 
dividus sont  naturellement  réunis,  soit  sous  une  même  peau 
commune,  depuis  leur  origine  ou  leur  formation  dans  l'œuf 
(alcyonelle,  cristalette ,  etc. ) ,  soit  soudés  ou  greffés  seu- 
lement par  des  parties  adjacentes  de  leurs  corps  (botrylles, 
pyrosomes)  après  qu'ils  sont  sortis  de  l'œuf.  Ces  groupes  na- 
turels d'animaux  sont  des  agrégations  d'individus  que  l'on 
prenait,  dans  les  premiers  temps  de  la  science,  pour  un  seul 
animal.  Le  caractère  des  agrégations  animales  est  l'union 
des  individus  sous  une  peau  commune,  ou  la  soudure  ou  la 
greffe  des  individus  sur  les  points  adjacents  de  la  peau. 
C'est  ce  qui  distingue  les  agrégations  des  agglomérations  et 
des  associations.  L.  Ladrent. 

AGRÉGATION  (Chimie).  Toutes  les  substances 
composées  de  la  nature  sont  formées  par  la  réunion  d'un 
certain  nombre  de  corps  simples  unis  deux  à  deux  ou  en  plus 
grand  nombre;  la  force  qui  les  unit  est  désignée  sous  le 
nom  d'o/Jinité.  Elle  est  de  nature  chimique,  et  ne  peut 
être  détruite  que  par  des  forces  chimiques  ;  mais  la  masse 
des  corps  simples  ou  composés  est  formée  par  la  réunion  de 
petites  parties  toutes  semblables  aux  7?2oZecM?é'5  maintenues 
par  une  force  qui  porte  le  nom  à^agrégation  ou  cohésion. 
Cette  force  est  de  nature  physique ,  et  peut  être  surmontée 
par  des  actions  de  cette  même  nature.  Ainsi,  dans  le  soufre, 
l'argent ,  l'or,  etc.,  qui  sont  des  corps  simples,  les  molécules 
sont  réunies  entre  elles  de  la  même  manière  que  les  molé- 
cules de  craie,  d'or  et  de  cuivre  dans  une  monnaie,  etc., 
sont  réunies  pour  former  une  masse  plus  ou  moins  considé- 
rable ;  on  voit  d'après  cela  que  dans  un  corps  simple  il 
n'existe  qu'une  seule  force ,  Yagrégation ,  tandis  que  dans 
les  corps  composés  il  s'en  trouve  deux,  puisque  Ya/finité 
est  nécessaire  pour  produire  des  combinaisons.  Ainsi ,  dans 
la  craie,  la  chaux  et  l'acide  carbonique  sont  unis  chimique- 
ment, comme  l'or  et  l'argent  dans  la  monnaie.  —  Une  action 
physique,  comme  le  choc,  la  percussion ,  la  traction ,  lompt 
la  masse  des  corps  et  en  sépare  des  parties,  mais  qui  restent 
toujours  avec  leur  môme  nature;  le  fragment  de  soufre  est 
toujours  un  corps  simple,  comme  le  fragment  de  craie  est  tou- 
jours un  composé  chimique.      H.  Gaultier  de  Clalbrv. 

AGRÉGÉ.  Pour  arriver  au  professorat  dans  les  lycées 
et  dans  les  collèges  français ,  outre  le  grade  de  licencié  ès- 
lettres  obligatoire  pour  les  classes  supérieures  des  lettres,  de 
licencié  ès-sciences  également  obligatoire  [)oi!r  celles  de 


AGRÉGÉ  —  AGIUCOLA 


mathématiques  élémentaires  et  spéciales ,  de  sciences  phy- 
siques,  naturelles  et  de  chimie,  il  y  a  de  plus  l'obUgation 
•Vobteuir  aii  concours  le  titre  spécial  d'agrégé. 

rarallélonient  ;\  l'École  Normale,  dont  elle  reçoit  l'im- 
rndsiou  et  qu'elle  excite  par  la  concurrence,  l'agrégation 
est  destinée  à  assurer  le  renouvellement  et  la  force  de  l'ins- 
îruction  secondaire.  Empruntée  à  un  règlement  du  dernier 
siècle  qui  créait  dans  l'Université  de  Paris  soixante  places 
de  docteurs  agrégés,  nommés  au  concours,  pour  la  philoso- 
phie, les  lettres  et  la  grammaire  ,  cette  institution  fut  éta- 
blie en  principe  pour  toute  la  France  par  le  décret  du 
17  mars  1808,  sous  la  réserve  du  mode  d'examen  que  de- 
vait fixer  le  conseil  de  l'Université. 

Par  divers  motifs ,  l'institution  tarda  à  Ctre  mise  en  pra- 
tique. Le  titre  d'agrégé  fut  même  pendant  quelque  temps 
donné  par  simple  collation ,  comme  l'étaient  aussi  les  di- 
plômes de  grade.  Les  premiers  concours  n'eurent  lieu 
qu'en  1S21  pour  les  lettres,  la  grammaire  et  les  sciences. 
De  nouvelles  agrégations  furent  établies  ensuite,  d'abord 
une  agrégation  d'histoire,  supprimée  en  1852  et  rétablie  en 
1860,  puis  une  agrégation  des  sciences  physiques  et  naturelles 
distincte  de  celle  des  sciences   mathématiques. 

Le-"  aspirants  doivent  être  âgés  de  vingt-cinq  ans,  avoir 
fait  la  classe  pendant  cinq  ans  dans  un  établissement  pubhc 
ou  dans  un  établissement  libre,  être  pourvus  du  diplôme 
de  licencié  es  lettres  ou  de  deux  au  moins  des  trois  diplômes 
de  licencié  es  sciences ,  suivant  l'agrégation  à  laquelle  ils 
aspirent.  Des  avantages  spéciaux  sont  accordés  aux  élèves 
de  l'École  normale.  Le  diplôme  de  docteur  es  lettres  ou  de 
docteur  es  sciences  compte  pour  deux  années  de  classe. 
Les  épreuves  sont  de  deux  sortes  :  les  épreuves  prépara- 
toires, qui  consistent  en  compositions  écrites,  et  les  épreuves 
définitives,  qui  sont  orales  et  publiques. 

Il  y  a  encore  des  agrégés  pour  l'enseignement  supérieur 
dans  les  facultés  :  ils  se  divisent  en  agrégés  en  activité  et  en 
agrégés  libres.  Il  y  a  des  agrégés  près  chaque  faculté  de 
droit,  de  médecine,  des  sciences,  et  des  lettres.  11  y  en  a 
enfin  pour  les  écoles  supérieures  de  pharmacie. 

Dans  les  facultés  de  médecine  les  agrégés  sont  chargés 
d'aider  et  de  suppléer  les  professeurs.  Les  élèves  en 
médecine  ont,  en  effet,  besoin  à  chaque  instant  de  secours 
pour  puiser  dans  les  collections,  pour  s'instruire  aux  pré- 
parations, aux  appareils ,  aux  dissections ,  pour  répéter  les 
cours  des  professeurs,  pour  compléter  par  des  cours  acces- 
soires les  leçons  officielles  obligatoires.  Le  corps  des  agrégés 
remplit  cet  objet.  L'agrégation  se  donne  au  concours.  Au 
bout  d'un  temps  d'exercice,  si  les  agrégés  n'ont  pas  obtenu 
une  chaire  de  professeur,  ils  deviennent  agrégés  libres. 
L'institution  des  agrégés  en  médecine  avait  eu  pour  but 
dans  la  principe  de  former  une  pépinière  de  professeurs  ; 
elle  perdit  en  partie  cet  effet  par  suite  de  l'admission  de 
tous  les  docteurs  au  concours  pour  le  professorat.  Elle  a 
néanmoins  produit  d'heureux  résultats  en  plaçant  dans  les 
écx)les  de  médecine  un  élément  mobile  et  jeune  qui  ne 
permet  pas  à  l'enseignement  de  rester  stationnaire.  Il  y  a 
dans  le!\  facultés  de  médecine  des  agrégés  pour  les  sciences 
anatomiques  et  physiologiques,  pour  les  sciences  physiques, 
poii-r  la  médecine  proprement  dite  et  la  médecine  légale , 
|.oiu-  i;i  f  liinirgie  et  les  accouchements.  * 

AGRÉIEEXT,  AGRÉMENTS.  Il  y  a  d'importantes  dis- 
tinctions à  faire  dans  l'emploi  de  ces  mots.  Le  mot  agrément 
s'emploie  fréquemment  comme  synonyme  ^^approbation 
ou  de  consentement  ;  il  se  rapporte,  comme  eux,  aux  actes 
de  la  volonté  d'une  personne ,  et  s'applique  également  au 
présent,  au  passé,  à  l'avenir.  Au  premier  coup  d'oeil  la 
valeur  de  ces  termes  paraît  la  même  ;  mais  la  réflexion  y 
découvre  quelques  dificrences.  Ainsi,  le  consentement  se 
demande  aux  personnes  intéressées  dans  une  affaire;  mais 
avant  de  faire  certaines  démarches  il  est  bon  d'avoir  Vagré- 
mcni  de  ceux  tpii  ont  quelque  autorité,  c'est-à-dire  de  leur 


191 

agréer,  de  ne  pas  leur  déplaire.  On  n'ac(iuiert  point  d'emploi, 
même  subalterne,  dans  une  grande  maison,  sans  Yagrément 
du  maître.  —  Agrément  au  singulier  se  dit  aussi  d'une  chose 
qui  est  agréable,  qui  procure  quoique  avantage  ou  quelque 
plaisir.  —  Mais  en  passant  au  pluriel  ce  mot  sert  excltisive- 
ment  à  désigner  un  assemblage  de  traits,  soit  au  physique, 
soit  au  moral,  qui  l'emportent  souvent  sur  ce  qui  est  régu- 
lièrement beau.  Cependant  il  s'applique  plus  ordinairement 
aux  dons  de  l'esprit.  Ainsi  l'on  dit  très -bien  d'une  personne 
que  sa  conversation  est  pleine  S' agréments.  Le  mot  agré- 
ments en  parlant  des  arts  conserve  la  même  signification. 
La  proportion,  la  beauté,  peuvent  n'être  point  agréables,  ne 
point  offrir  d'agréments.  Un  ouvrage  peut  être  sans  agre- 
nunts,  sans  que  cet  ouvrage  ait  le  moindre  désagrément 
{voyez  Gr.\ce).  Cu\mpac.\.\c. 

Les  passementiers  nomment  agréments  des  ornements  en 
or,  en  argent,  en  soie  ou  en  laine,  destinés  à  être  appliqués 
sur  les  robes  de  femmes,  sur  les  manteaux,  ou  sur  les 
meubles. 

Dans  la  musique  on  appelle  ?<o/e5  d'agrément  des  notes 
qui  s'ajoutent  dans  le  cours  d'un  morceau,  et  que  l'exécutant 
peut  omettre  ou  rendre  et  même  varier  à  volonté.  Ces  notes 
ne  sont  pas  indispensables  à  la  contexture  de  la  phrase  mu- 
sicale. On  ne  les  compte  pas  dans  la  mesure,  et  on  les  écrit 
ordinairement  en  caractères  plus  petits.  Si  l'emploi  modéré 
de  ces  notes  ajoute  parfois  à  l'agrément  du  morceau,  leur 
abus  devient  fatigant  et  nuit  à  l'effet  du  morceau,  dont  elles  fi- 
nissent par  écraser  le  motif. 

AGRES.  On  désigne  par  ce  mot  tous  les  objets  néces- 
saires à  la  mâture  d'un  vaisseau ,  les  mâts ,  les  voiles,  les 
vergues,  les  poulies,  etc.,  enfin  tout  ce  qui  n'est  pas  coque, 
vivres  ou  chargement.  La  coque,  les  agrès  et  apparaux  sont 
hypothèque  de  l'équipage  (  Cod.  Civ.,  art.  271  ).  L'armateur 
ne  doit  pas  oublier  de  s'assurer  sur  coque ,  quille ,  agrès  et 
apparaux  ;  sans  quoi  les  assureurs  refuseraient  de  payer  les 
câbles,  mâts  ou  voiles  perdues,  etc.  —  On  ne  doit  pas  con- 
fondre le  mot  agrès  avec  celui  de  grécment ,  qui  a  une  si- 
gnification toute  dilférente. 

AGRESSEUR,  AGRESSION  (  du  latin  aggredi,  at- 
taquer ).  L'agresseur  est  celui  qui  fait  naître  une  querelle, 
soit  en  injuriant,  soit  en  menaçant ,  soit  en  attaquant.  Le 
rôle  d'agresseur  est  toujours  mal  vu  par  la  justice;  il  im- 
porte par  conséquent  de  savoir  celui  qui  a  commencé  la 
querelle.  C'est  un  principe  de  droit  naturel  que  l'homme 
attaqué  a  le  droit  de  se  défendre.  Les  lois  humaines  ne  por- 
tent pas  de  peine  contre  le  meurtre  commis  en  cas  de  légi- 
time défense.  Cependant,  si  cet  homme  a  fait  plus  que  ne 
lui  commandait  sa  défense,  la  loi  ne  considère  l'agression 
que  comme  un  simple  cas  d'excuse,  dont  l'effet  est  de  di- 
minuer la  peine  encourue. 

AGRICOLA  (  Cnéics-Julius),  général  et  consul  ro- 
main, beau-père  de  Tacite,  naquit  à  Fiéjus,  l'an  37  de  J.  C. 
"Vespasien  l'envoya,  l'an  77,  dans  la  Grande-Bretagne,  qu'il 
soumit  à  la  domination  romaine  et  qu'il  gouverna  jusqu'à 
l'an  85.  A  la  mort  de  Titus ,  le  nouvel  empereur  Domi- 
tien  ,  Jaloux  des  succès  d'Agricola ,  rappela  ce  grand  général 
de  son  gouvernement,  oii  il  s'était  fait  chérir  par  la  dou- 
ceur de  son  administration.  Agiicoia  passa  le  reste  de  ses 
jours  dans  la  retraite,  et  il  mourut  à  l'âge  de  cinquante-six 
ans,  empoisonné  peut-être  par  Domitien.  Tacite  a  écrit 
sa  vie. 

AGRICOLA  (  Jean).  Son  véritable  nom  était  Schnei- 
der ou  Schniiter  (  moissonneur).  Fils  d'un  simple  journa- 
lier, il  naquit  à  Eislebeii,  en  1492,  et  est  nommé  dans 
quelques  ouvrages  Magister  Islcbius ,  d'autres  fois  -nus'-.i 
Jean  Eislcben.  11  fut  un  des  plus  zélés  propagateurs  de  la 
doctrine  de  Luther.  Après  avoir  terminé  ses  études  avec 
beaucoup  desuccès  à Leip/ig  et  à  W'ittemberg ,  il  fut  nommô 
recteur  et  prédicateur  de  .sa  ville  natals ,  ensuite  prédica- 
teur à  Fiancfort-sur-le-Mein,  et  remplit  eu  1527,  à  la  diète 


102 

de  Spire ,  les  fonctions  de  prédicateur  de  la  cour  de  Jean  , 
électeur  de  Saxe.  Par  la  suite,  il  devint  prédicateur  de  la 
cour  du  comte  Albert  de  Mansfeld,  prit  part  à  la  confes- 
sion d'A  u  g  s  1)  0  u  r  s ,  et  signa  les  articles  de  S  m  a  1  k  a  1  d  e. 
En  1537  il  se  rendit,  en  (jualité  de  professeur,  à  Wittem- 
berg,  où  il  commença  la  controverse  de  Tant  i  no  mis  me 
contre  Luther  et  Mélanclilhon  ,  en  soutenant  que  la  loi 
évangélique  n'était  pas  nécessaire  pour  être  sauvé.  Les 
(jucrelles  qui  en  résultèrent  le  forcèrent  à  se  réfugier  à  Ber- 
lin ,  où  il  écrivit  une  rétractation.  Il  fut  alors  nommé  pré- 
dicateur de  la  cour  de  l'électeur  de  Brandebourg  ,  et  mou- 
rut dans  cette  résidence,  en  15GG,  après  s'être  attiré  de 
nouvelles  discussions  par  la  part  qu'il  prit  à  la  rédaction  du 
fameux  fnterim.  Nous  passons  sous  silence  les  nombreux 
écrits  théologiques  et  polémiques  d'Agricola ,  et  nous  ne 
citerons  que  l'ouvrage  véritablement  national  qu'il  publia 
en  bas-allemand  sous  le  titre  de  Proverbes  usuels  alle- 
tnmicls,  avec  leur  explicntion  (  Magdebourg ,  1528).  L'é- 
dition en  haut-allemand  parut  en  1529,  àHaguenau,  2  vol., 
et  une  réimpression  corrigée  en  1592,  à  Wittemberg.  Les 
principes  patriotiques,  la  morale  pure  et  le  langage  franc 
qui  régnent  dans  ce  livre  lui  assignent ,  après  la  traduc- 
tion de  la  lîible  par  Luther,  lu  première  place  parmi  les 
ouvrages  en  prose  allemande  de  cette  époque. 

On  a  quelquefois  confondu  Agricola  Islebius  a.\ec  Etienne 
AcKicoLA,  mort  en  1547,  qui  fut  aussi  un  des  premiers 
soutiens  de  la  réforme  de  Luther,  —  et  avec  Jean  Agkicola 
de  Spremberg,  aussi  son  contemporain,  comme  lui  théo- 
logien saxon  et  poète  sacré,  et  qui  fut  pendant  quelque  temps 
secrétaire  de  Luther. 

Un  autre  théologien  protestant  du  nom  d' Agricola  (  Michel  ) 
a  traduit  le  Nouveau  Testament  dans  la  langue  vulgaire  de 
la  Finlande.  Il  est  mort  en  1557. 

iVGUICOLA  (Rodolphe),  dontlenoni  véritable, qu'U  la- 
tinisa lui-même,  suivant  l'usage  du  temps,  était  Rolef  Hnys- 
vumn  ou  Ilausmann,  appelé  aussi,  du  lieu  da  sa  naissance, 
Frisius  ou  Rodolphe  de  Groningue,  et  encore,  d'après 
l'abbaye  de  Silo,  où  il  séjourna  pendant  quelque  temps,  Ro- 
dolphe de  Ziloha,  était  né  en  août  1443,  au  village  de 
Ilado  ,  près  de  Groningue.  D'abord  disciple  de  Thomas  de 
Kempcn  à  Zwoil,  il  alla  à  Louvain,  puis  à  Paris,  et  de  là 
eu  Italie,  où,  dans  les  années  1476  et  1477  ,  il  suivit  à  Fer- 
rare  et  à  Pavie  les  leçons  des  savants  les  plus  célèbres  de 
son  siècle.  11  s'y  lia  d'une  étroite  amitié  avec  Dalberg,  de- 
venu plus  tard  évéque  de  Worms.  Il  fut  le  premier  Alle- 
mand qui,  coaniie  professeur,  se  «listingua  en  Italie,  non- 
seulement  par  son  érudition ,  mais  encore  par  la  beauté  du 
langage  et  par  la  linesse  de  la  prononciation.  Il  se  fit  en 
outre  une  grande  réputation  comme  musicien  consommé,  et 
(juolques-unes  de  ses  compositions  eurent  une  grande  vogue 
en  Italie.  A  son  retour  en  Allemagne,  il  s'efforça  avec  plu- 
sieurs de  ses  anciens  condisciples  et  amis,  notamment 
Alexandre  Ilegius  et  Rodolphe  Lange  ,  d'y  propager  l'amour 
des  lettres  et  la  culture  de  l'éloquence.  Plusieurs  villes  de 
Hollande  rivalisèrent  vainement  entre  elles  pour  le  fixer 
dans  leurs  nuus  au  moyen  de  fonctions  publiques  ;  et  les 
offres  biillantes  qui  lui  furent  faites  à  la  cour  de  l'enqiereur 
Maximilien  l'^'',  où  il  s'était  rendu  dans  les  intérêts  de  la 
ville  de  Groningue,  ne  purent  non  plus  le  déterminer  à  re- 
noncer à  son  indépendance.  Ln  1483  il  linit  par  se  rendre 
aux  sollicitations  de  Dalberg,  devenu  chancelier  de  l'élec- 
teur palatin  et  évêque  de  Worms,  et  vint  s'établir  dans 
le  Palalinat,  où  il  séjourna  alternativement  à  Heidelberg  et 
à  Worms,  jiartageant  son  temps  entre  ses  études  particu- 
lières et  des  coui-s  publics  ,  et  jouissant  d'une  immense  con- 
sidération. 11  se  distingua  aussi  comme  peintre;  et  pour 
pouvoir  étudier  la  théologie  il  apprit  encore  avec  ardeur 
en  I48'i  la  langue  hébraïque.  L;»  même  année  il  fit  un 
voyage  en  Italie  avec  D.ilberg,  et  mourut  le  28  octobre  1  'iS5, 
l<cu  de  temps  après  son  retour  en  Allemagne.  La  répulalion 


AGKICOLA  —  AGRICULTURE 


dont  il  jouit  de  son  vivant  reposait  plutôt  sur  son  action 
pei-sonnelle  que  sur  ses  ouvrages,  tous  écrits  en  latin,  moins 
nombreux  d'ailleurs  et  aussi  moins  importants  que  la  plu- 
part de  ceux  des  savants  de  son  époque.  La  première  édition 
à  peu  près  complète  qui  en  ait  été  donnée  est  celle  d'Alard 
(Cologne,  1539,  1  vol.  in-4").  Elle  porte  le  titre  de  Liicu- 
brationes.  Oncite  parmi  ces  écrits  le  discours  In  tandem 
philosophix  et  le  traité  De  Inventionc  diulectica, 

AGRICOLA  (  Georges  ),  dont  le  véritable  nom  était 
Baiier,  naquit  le  24  mars  1490  à  Glauchau  ,  et  mourut  à 
Chemnitz  le  2 1  novembre  1555.  Apiès  avoir  été  de  1 5 1 8  à  1 522 
recteur  de  l'école  de  Zv\ickau ,  il  alla  étudier  la  médecine  à 
Leipzig,  puis  il  se  rendit  en  Itidie.  A  son  retour,  en  1527,  il 
s'établit  comme  médecin  praticien  h  Joachimstlial  en  Bohêuie, 
et  en  1531  à  Chemnitz,  où  il  se  livra  désormais  tout  entier  à 
la  minéralogie.  Convaincu  que  la  Saxe  recelait  dans  ses  mon- 
tagnes d'immenses  richesses  minérales  ,  il  fit  d'inutiles  ef- 
forts pour  faire  partiiger  ses  convictions  aux  différents 
princes  saxons.  L'électeur  Maurice  le  récompensa  de  ces 
travaux  en  lui  accordant  une  pension  et  un  logement  gratuit 
à  Chemnitz,  où  plus  tard  il  devint  médecin  communal  et 
bourgmestre.  En  rentrant  dans  le  giron  de  l'Église  catho- 
lique il  provoqua  des  haines  si  ardentes  qu'à  sa  mort  on 
refusa  les  honneurs  de  la  sépulture  à  sa  dépouille  mortelle, 
et  qu'il  fidlut  le  transférer  à  Zeitz.  Les  plus  importants  de 
ses  ouvrages  sont  intitulés  :  De  Or  tu  cl  causis  Sublcrra- 
nxorinn,  etc.  (Bàle,  154G  et  1558,  in-fol.)  ;  De  Re  Metal- 
lica  (Bàle,  15G1,  in-fol.);  et  De  Mcnsuris  et  Fonderibns 
Romanorum  atciue  Grœcorum  (liâle,  1533  et  1550  , in-fol.). 
Schmidt  a  publié  son  Bergmannus^  ou  Dialogues  siir  l'ex- 
ploitation des  »}(/»«  (Fribourg,  1806  ;.  Agricola  fut  le 
premier  qui  fit  en  Allemagne  de  la  minéralogie  raisonnée. 
Il  rendit  de  grands  services  à  cette  science,  bien  qu'il  ne  fût 
pas  exempt  des  piéjugés  de  son  temps  :  c'est  ainsi  qu'il 
avoue  franchement  croire  à  l'influence  hostile  des  gnomes  du 
monde  souterrain.  11  a  aussi  écrit  un  traité  De  Lapide 
Philosophico  (Cologne,  1531). 

AGRICOLA  (Martin),  l'un  des  premiers  qui  en  Alle- 
magne substituèrent  à  la  tablature  les  notes  aujourd'hui  en 
usage ,  né  à  Sorau  en  148G  ,  mort  le  10  juin  1556,  fut,  après 
la  réformation ,  premier  chantre  et  directeur  de  musique  à 
Magdebourg.  Il  avait  acquis  des  connaissances  étendues,  non 
pas  seulement  en  musique,  mais  encore  dans  les  langues  an- 
ciennes. Ses  différents  ouvrages  sont  d'un  grand  prix  pour 
qui  veut  bien  connaître  l'état  de  la  musique  au  seizième 
siècle,  et  notamment  sa  Musica  instrumentons  (Witten- 
berg,  1529,  2^  édit.,  1545)  pour  l'histoire  des  instruments, 
attendu  que  les  dessins  qu'on  y  a  joints  sont  de  beaucoup 
préférables  à  ceux  qui  accompagnent  l'ouvrage  de  Prav 
torius  sur  le  même  sujet. 

AGRICOLA  (Jean-Frédéuic),  l'un  des  plus  grands  or- 
ganistes et  des  plus  habiles  musiciens  du  dix-huitième  siècle, 
né  le  4  janvier  1720,  à  Dobitschen,  dans  le  pays  d'Altenbourg, 
étudia  d'abord  le  droit  à  Leipzig,  puis  la  nmsique  sous 
Sébastien  Bach.  Son  intermède  FilosoJ'o  convinto  lui  valut, 
en  1750,  une  place  au  théâtre  de  Potsdani,  où  il  épousa  la 
célèbre  cantatrice  Uenedetta  Émilia  Molteni.  A  la  mort  de 
Graun,  en  1759,  il  fut  nommé  directeur  de  la  chapelle  de 
Frédéric  II,  fonctions  honorables,  mais  difficiles,  qu'il  con- 
serva jus([u'à  sa  mort,  arrivée  en  1774.  Il  a  conqiosé  plu- 
sieursopéras,  Achille  à  Sajros,  Iphigcnie  en  Tauride,  etc. 
Sa  traduction  de  V Introduction  à  l'Art  du  Chant  par  Tosi 
(Berlin,  1757,  in-4''),  à  laquelle  il  ajouta  de  précieuses  an- 
notations, explique  clairement  l'ancienne  solmisation. 

AGRICOLE  (Système).  Voyez-  PnvsiocnATiotF.. 

AGRICULTURE.  Obtenir  par  le  travail  le  plus  de 
produits  possibles  de  la  terre,  sans  toutefois  lépuiser,  tel 
est  le  but  et  l'objet  de  l'agriculture.  La  théorie  de  l'agri- 
culture se  compose  :  l"  de  la  physique  et  de  la  chimie 
agricoles ,  sciences  des  éléments  favorables  ou  nuisibles  à 


la  voi^étation ,  des  diverses  naliires  de  terrain  et  de  leurs 
jiropriétés;  2"  de  la  connaissance  des  principes  généraux 
de  la  ciiKure  des  terres,  ce  qui  comprend  tous  les  détails 
relatifs  aux  instruments  aratoires,  ustensiles  et  outils,  et  la 


théorie  des  engrais  et  des  amendements,  ainsi  que 
des  semis  et  plantations;  3°  de /'or^  vétérinaire; 
4"  de  l'architecture  rurale,  pour  construire  avec  salu- 
brité les  habitations  des  cultivateurs  et  les  logements  des 
animaux,  les  caves,  greniei-s,  meules,  granges,  etc. 

D'autres  sciences,  comme  la  géométrie,  la  mécanique,  la 
météorologie,  la  holanique,  l'hydraulique,  l'hygiène,  la  géolo- 
gie, la  statistique  et  même  le  droit  civil  peuvent  contribuer 
beaucoup  à  éclairer  sa  marche  et  à  assurer  ses  pas. 

En  ne  considérant  que  l'agriculture  pratique,  on  peut  la 
diviser  en  tjra.idc  et  petite  culture.  La  grande  culture  a 
lieu  dans  les  grands  domaines  :  son  objet  principal  et  pres- 
que unique  est  la  culture  des  céréales.  Elle  appelle  à  son 
secours  les  grandes  machines  aratoires  ;  elle  se  sert  des  che- 
vaux, parce  qu'ils  ont  l'allure  plus  vive  que  les  bœufs;  ceux- 
ci  ne  sont  employés  qae  rarement,  sauf  en  plaine.  Les  con- 
ditions de  sa  prospérité  sont  :  le  voisinage  des  grandes  villes, 
des  grands  marchés  pour  l'écoulement  des  produits,  et  sur- 
tout les  qualités  essentielles  que  doit  posséder  le  fermier 
qui  la  dirige  :  l'intelligence  et  l'activité,  une  grande  expé- 
rience de  la  culture  des  terres,  des  connaissances  positives 
sur  leurs  principes  constitutifs  et  sur  les  mélanges  qui  peu- 
vent les  améliorer,  l'économie  de  temps  et  de  moyens.  II 
f;iut  de  plus,  pour  la  grande  culture,  des  capitaux  considé- 
rables,atin  de  pou  voir  confectionner  les  instruments  d'exploi- 
tation et  parer  aux  pertes  qu'occasionnent  les  saisons  dé- 
favorables. 

Le  fermier,  faisant  l'avance  d'un  certain  capital  et  de  son 
industrie,  dispose  pour  lui-même  des  produits  du  domaine 
moyennant  la  redevance  annuelle  qu'il  paye,  sous  le  nom  de 
fermage,  à  un  régisseur  ou  intendant,  qui  administre  la  pro- 
priété pour  un  salaire  fixe.  La  méthode  d'exploitation  par 
régisseur  est  fort  commune  en  Allemagne ,  et  tend  à  se  gé- 
néraliser en  France.  Il  faut  aussi  mentionner  le  mode  d'ex- 
ploitation par  colons  partiaires,  métayers,  ou  grangers,  les 
associations  en  commandite,  enfm  les  colonisations  dirigées 
soit  par  le  gouvernement,  soit  par  des  sociétés  particulières. 

La  petite  culture,  ainsi  nommée  par  opposition  à  la 
grande ,  peut ,  à  la  quantité  près ,  comprendre  et  les 
céréales,  objet  principal  de  celle-ci,  et  tous  les  autres  pro- 
duits, selon  les  localités,  les  climats,  la  nature  du  sol  et  ses 
voisinages.  Les  petites  fermes  et  les  métairies  sont  par  con- 
séquent comprises  dans  cette  classe.  Ses  moyens  d'exécution 
sont  les  chevaux ,  les  bœufs,  les  ânes  même ,  selon  la  posi- 
tion du  sol.  Elle  a  pour  objet  :  les  pâturages,  les  prairies 
naturelles  et  artificielles,  les  pommiers  à  cidre,  mûriers, 
vignes,  oliviers,  tous  les  arbres  fruitiers,  plantes  oléagi- 
neuses et  tinctoriales,  l'entretien  et  l'éducation  des  bestiaux. 
Elle  se  pratique  sur  un  sol  varié,  plaines,  collines,  monta- 
gnes. Elle  exige  moins  de  capitaux  que  la  précédente.  Le 
fennier  doit  avoir  un  sens  droit,  du  discernement,  des  con- 
naissances générales  sur  la  nature  des  végétaux,  et  positives 
sur  la  manière  de  les  cultiver.  Cette  classe  de  cultivateurs, 
moins  riche  fpie  les  grands  propriétaires,  mais  ijeut-être 
plus  laborieuse,  mérite  toute  la  sollicitude  du  gouvernement. 
C'est  d'ailleurs  le  plus  souvent  le  propriétaire  qui  exploite 
lui-même  son  patiimoine.  Dans  la  petite  culture  il  faut  aussi 
comprendre  celle  «pii  se  pratique  à  bras  d'homme.  Son  objet 
principal  est  la  culture  des  légumes,  des  plantes  alimentaires, 
oléagineuses,  tinctoriales,  arbres  fiiiiliers,  etc.  Cette  der- 
nière classe  est  pauvre  ;  à  l'ordinaire  elle  ne  récolte  que  pour 
Res  besoins  ;  à  peine  lui  leste-t-il  assez,  pour  payer  les  impôts 
et  les  droits.  Quoique  inférieure  aux  autres,  la  petite  culture 
n'en  est  pas  moins  utile  ;  c'est  d'ailleurs  de  la  réunion  de 
toutes  trois  que  résulte  cet  ensemble  de  productions  variées, 
qui  charme  la  vue,  suffit  aux  besoins  généiaux.  et  qui  donne 

IlICT.    DF.    LA    CONVF.nS,    —  T.    I. 


AGUICULTURK  193 

l'idée  la  plus  vraie  de  la  fertilité  du  sol,  de  l'activité  des 
cultivateurs,  et  de  l'état  prospère  où  se  trouve  l'art  agricole 
dans  un  pays. 

Relativement  aux  produits  que  l'on  veut  retirer  de  la 
terre,  l'agriculture  reçoit  encore  diverses  dénominations. 
Vagriculture  proprement  dite  est  celle  qui  s'applique  ex- 
clusivement aux  céréales.  L'horticulture  ne  demande 
pour  ses  opérations  que  d'étroits  espaces  et  le  travail  ma- 
nuel de  l'honune,  et  se  divise  elle-même  en  plusieurs  ra- 
meaux, tels  que  la  pomologie,  la  floriculture,  l'art  du  ma- 
raîcher, etc.  Vient  ensuite  làsilviculture, ou  agriculture 
forestière,  qui  a  trait  à  tout  ce  qui  concerne  les  forêts,  l'en- 
tretien des  arbres,  la  taille  et  l'aménagement  ;  la  viticulture, 
qui  s'occupe  spécialement  de  la  vigne,  de  l'art  de  faire  du 
vin  et  de  le  conserver.  —  On  a  aussi  donné  le  nom  do 
zoopeclie  à  la  partie  de  l'agriculture  qui  concerne  l'élève 
des  bestiaux  et  des  autres  animaux  domestiques.  On  peut 
y  joindre  ïapiculture,  ou  l'art  d'élever  les  abeilles;  la  se- 
riciculture ,  ou  l'art  de  produire  la  soie  ;  Vaviculture,  ou 
art  d'élever  les  oiseaux,  et  \dL  pisciculture ,  art  de  peupler 
nos  viviers.  On  réserve  l'expression  ^'économie  rurale  à 
cette  partie  de  la  science  agricole  qui  apprend  à  diriger 
les  moyens  dont  dispose  le  cultivateur,  et  à  les  combiner 
entre  eux  de  la  manière  la  plus  favorable  au  succès  de  l'en- 
treprise. 

Le  problème  de  l'agriculture  se  résout  par  différents  pro- 
cédés. L'homme  a  plusieurs  moyens  de  réparer  l'épuise- 
ment du  sol  causé  par  les  récoltes  qu'il  en  tire,  entre  autres 
les  engrais,  qui  renouvellent  les  matières  propres  à  la  nu- 
trition des  plantes;  les  différents  labours,  qui  font  absor- 
ber au  sol  les  principes  vivifiants  de  l'atmosphère;  la  com- 
binaison des  récoltes,  que  nous  donne  la  théorie  des 
assolements,  c'est-à-dire  la  succession  alternante  de 
plantes  qui,  ne  se  nourrissant  pas  des  mêmes  substances , 
permettent  au  sol  de  réparer  successivement  ses  pertes.  Les 
irrigations  ajoutent  encore  à  la  fertilité  du  sol  par  la  for- 
mation de  prairies  artificielles. 

Un  savant  praticien  énumérera,  à  l'article  Agronomie, 
les  connaissances  indispensables  à  l'agriculteur. 

L'origine  de  l'agriculture  est  sans  doute  contemporaine 
du  fait  de  l'appropriation  du  sol  ou  de  la  constitution  de  la 
propriété.  Dans  cet  état  hypothétique  de  l'humanité  auquel 
on  donne  le  nom  de  société  primitive ,  la  richesse  agricole 
consistait  uniquement  en  bestiaux  que  l'on  faisait  voyager 
d'un  lieu  à  un  autre  pour  chercher  de  nouveaux  pâturages 
et  des  eaux  vives  ;  mais  à  mesure  que  le  genre  humain  s'ac- 
crut ,  la  population  se  fixa.  Pour  cela  il  fallut  exécuter  sur 
le  sol  certains  travaux  qui  fussent ,  pour  ainsi  dire ,  le  prix 
de  son  appropriation  à  un  seul  possesseur.  C'est  seulement 
à  partir  de  ce  moment  que  put  naître  l'agriculture  propre- 
ment dite.  Jusque  alors  l'homme  s'était  contenté  de  con- 
sommer les  produits  naturels  qu'il  rencontrait;  dès  ce 
moment  il  chercha  à  les  multiplier  par  la  culture. 

L'agriculture  dépend  principalement  du  climat,  de  l'ag- 
glomération plus  ou  moins  grande  de  la  population  sur  un 
territoire ,  et  du  degré  de  civilisation  auquel  cette  population 
est  parvenue.  Dans  les  climats  chauds,  où  la  nature  produit 
une  énorme  abondance  de  fiuits  pour  la  subsistance  de 
l'homme  et  des  animaux,  où  il  n'est  pas  nécessaire  de  se 
livrer  à  un  travail  incessant  pour  satisfaire  aux  différents 
besoins  de  la  vie ,  l'agriculture  en  général  fait  peu  de  progrès. 
Il  en  est  de  même  dans  les  contrées  où  règne  constanmient 
un  froid  rigoureux  ;  mais  ici  ce  sont  les  obstacles  naturels 
qui  s'opposent  au  développement  de  la  culture.  Ainsi,  par 
exemple,  dans  le  Groenland  et  le  Kamtschatka ,  où  la  terre 
est  couverte  de  neige  pendant  neuf  mois  de  l'année,  on  ne 
peut  cultiver  qu'une  ou  deux  espèces  de  céréales ,  et  les 
liabitants  se  nourrissent  principalement  du  produit  de  leur 
chasse  et  siulout  de  leur  pêche.  \\\  contraire,  dans  les  régions 
tempérées,  l'homme  ixnit  travailler  pendant  piesque  toutû 

25 


194 


AGRICULTURE 


l'année  le  sol  qui  le  nnnrrit,  et  il  en  peut  tirer  ine  extrême 
variété  de  productions. 

11  suflit  de  suivre  la  cIironoloj];ie  de  l'histoire  générale 
pour  constater  ce  fait,  que  les  peuples  s'adonnent  naturelle- 
ment à  l'agriculture  sous  certains  climats  qui  lui  sont  favo- 
rables. Lorsqu'on  ouvre  les  livres  des  Juifs,  on  voit  qu'elle 
était  l'occupation  principale  des  patriarches,  et  que  dès  les 
temps  les  plus  reculés  elle  était  i)ratiquée  dans  la  Mésopo- 
tamie et  la  Palestine.  Osias,  roi  de  Juda,  dirigeait  lui-même, 
sur  les  mont;ignes  du  Carmel,  les  travaux  de  ses  cultiva- 
teurs, et  il  étendait  sa  sollicitude  d'une  manière  toute  pa- 
ternelle sur  ceux  de  ses  sujets  qui  s'occupaient  exclusive- 
ment de  la  culture  des  champs  et  du  soin  des  troupeaux. 
On  sait  que  l'agriculture  était  florissante  chez  les  Assyriens, 
les  I\Ièdeset  les  Perses.  Selon  Bérose,  elle  était  si  ancienne 
chez  les  Babyloniens,  qu'elle  remontait  au  premier  siècle  de 
l'existenc»^  de  ce  peuple.  Les  Egyptiens  lui  attribuaient  une 
origine  céleste  :  suivant  leurs  traditions ,  la  déesse  Isis  avait 
découvert  le  blé,  et  le  dieu  Osiris  avait  inventé  la  charrue  et 
la  culture  de  la  vigne.  Au  reste,  les  travaux  que  les  Égyptiens 
ont  exécutés  pour  fertiliser  l'Egypte  sont  les  plus  éloquents 
témoignages  de  l'importance  qu'ils  attachaient  à  l'industrie 
agricole.  A  leur  exemple,  les  Grecs  attribuèrent  également 
aux  dieux  les  premières  notions  qui  leur  furent  révélées  sur 
cet  art.  La  mythologie  nous  montre  Cérès,  déesse  des  mois- 
sons, enseignant  aux  premiers  habitants  de  l'Attique  l'art 
d'ensemencer  les  terres,  de  recueillir  le  blé  et  défaire  le  pain. 
Elle  attribue  à  Bacchus  la  culture  de  la  vigne  et  la  fabrica- 
tion du  vin.  Le  poème  d'flésiode  intitulé  Les  Travaux  et 
les  Jours  nous  donne  quelques  notions  sur  ce  qu'était  l'a- 
griculture à  cette  haute  antiquité.  H  y  est  fait  mention  de 
la  charrue,  du  soc,  de  la  flèche,  du  manche ,  du  râteau,  de 
la  faucille,  de  l'aiguillon  du  bouvier,  et  d'une  voiture  à  roues 
très-basses  qui  avait  sept  pieds  et  demi  de  largeur.  On  voit 
dans  ce  poème  que  le  sol  recevait  trois  labours ,  le  premier 
en  automne ,  le  second  au  printemps  et  le  dernier  immédia- 
tement après  les  semailles.  A  une  époque  moins  reculée, 
Théophraste  parle  des  engrais,  découverte  d'Augias,  suivant 
Pline,  des  dépiquages  des  grains  par  les  pieds  des  chevaux, 
des  soins  donnés  à  la  multiplication  des  bestiaux  ainsi  qu'au 
nourrissage  des  porcs  et  des  chèvTes ,  et  enfin  de  l'éduca- 
tion des  chevaux  de  labour  et  de  luxe.  Ces  résultats  in- 
contestables d'une  culture  avancée  font  assez  voir  les  progrès 
que  les  Grecs  avaient  accomplis  dans  l'art  de  cultiver  le  sol  et 
en  quel  honneur  ils  le  tenaient. 

Les  Romains ,  à  leur  tour,  regardèrent  cet  art  comme  le 
plus  utile  à  une  nation,  et  les  productions  de  la  terre  comm.e 
les  biens  les  plus  justes  et  les  plus  légitimes  qu'il  soit  donné  à 
l'homme  d'acquérir.  Il  fallait  dans  les  premiers  temps  pos- 
séder un  champ ,  si  modique  qu'il  fût,  et  le  cultiver  soi-même 
pour  être  admis  au  nombre  des  défenseurs  de  la  patrie.  Les 
tribus  rustiques  étaient  les  plus  honorées.  Le  propriétaire 
cultivait  son  domaine  à  la  bêche,  mode  de  culture  qui  était 
jugé  plus  favorable  à  la  production.  En  outre,  des  lois  sévères 
veillaient  au  respect  des  moissons  sur  pied  et  des  limites  des 
champs,  et,  grâce  à  la  réserve  d'un  domaine  public  consi- 
dérable, dont  une  partie  était  affermée  an  profit  de  l'État,  les 
particuliers  n'avaient  pas  à  gémir  sous  le  poids  des  impôts. 
Le  droit  de  parcours  était  inconnu  ;  on  multipliait  les  mar- 
chés et  les  foires,  tout  en  laissant  chacun  libre  d'y  porter  ses 
denrées;  on  ouvrait  et  l'on  entretenait  avec  soin  des  voies 
de  connnunication  pour  faciliter  les  transports.  Mais  lorscpie 
les  usur|>ations  patriciennes  siu-  le  domaine  ])uhlic  d'abord , 
sur  la  propriété  privée  ensuite,  eurent  absorbé  le  sol  juscpie 
alors  si  fertile  de  l'Italie, et  que.malgré  les  lois  agra  i  res,  les 
rudes  travaux  de  l'agriculture  furent  abandoiniés  aux  es- 
claves, les  campagnes,  négligées,  ne  fournirent  plus  le  hlé 
nécessaire  à  la  subsistance  du  peuple  romain,  qui  dut  s'ap- 
provisionner ailleurs ,  et  l'on  ne  s'occupa  plus  guère  que  des 
pâturages  et  de  l'élève  des  bestiaux.  I^e  revenu  foncier  n'était 


plus  que  d'environ  soixante  litres  par  hectare  sous  l'em- 
pereur Claude ,  tandis  qu'il  était  encore  de  deux  cent  cin- 
quante litres  à  l'époque  où  vivait  Cicéron.  —  Catou  le  Censeu., 
^'arron,  Colunielle,  Virgile ,  Pline  et  Palladius  nous  ont  laissé 
des  documents  intéressants  sur  la  situation  et  les  progrès  de 
l'agriculture  aux  diverses  époques  delà  grandeur  des  Romains 
et  de  leur  décadence.  On  connaissait  parfaitement,  du 
moins  dans  l'origine ,  toute  l'importance  du  travail  et  de 
l'inspection  personnelle;  mais  quand,  par  les  causes  rap- 
portées plus  haut,  les  propriétaires  ne  cultivèrent  plus  par 
eux-mêmes,  ils  confièrent  d'abord  l'exploitation  à  des  par- 
tuarii,  qui  n'avaient  tout  au  plus  qu'un  cinquième  du  pro- 
duit ,  mais  ne  fournissaient  ni  les  semences ,  ni  les  bes- 
tiaux, ni  les  instnnnenls.  11  y  eut  ensuite  des  coloni,  sorte 
de  fermiers  qui  payaient  une  redevance  en  argent  pour  la 
jouissance  d'une  partie  ou  de  la  totalité  des  produits.  Du 
temps  de  C'aton  le  fonds  qui  avait  le  plus  de  valeur  était 
celui  qui  était  plantéen  vigne,  quoique  les  vins  de  l'Itahe  fus- 
sent peu  estimés.  En  seconde  ligne  venaient  les  jardins ,  les 
saussaies,  les  vergers  d'oliviers,  les  prairies,  les  terres  à  blé,  les 
bois  taillis,  les  pièces  couvertes  d'arbres  destinés  à  soutenir 
les  ceps  de  vigne  ,  enfin  les  forêts  à  glands.  On  mettait  le 
plus  grand  soin  à  varier  les  cultures  d'après  les  terrains  qui 
leur  sont  propres,  et  l'on  suivait  différents  systèmes  ou  cours 
de  culture  sur  ces  diverses  espèces  de  sol  ;  mais  la  rotation 
la  plus  ordinaire  était  une  récolte  de  céréales  suivie  d'une 
jachère,  ou  le  système  biennal.  Quelquefois  encore  on  rom- 
pait les  vieilles  prairies  pour  les  mettre  en  culture  pendant 
trois  ans  de  suite  ;  au  bout  de  ce  temps  on  rétablissait  l'état 
primitif.  Les  Romains  possédaient  un  grand  nombre  d'ins- 
truments aratoires,  entre  autres  Yirpex,  l'équivalent  de 
l'instrument  que  nous  appelons  cultivateur  ;  le  cratcs,  sorte 
de  herse;  le  râteau,  le  hoyau,  la  bêche,  le  sarcuhan,  la 
mnrsa,  etc.  Ils  ne  connurent  la  charrue  à  roues  qu'à  la  fin 
de  la  république.  Parmi  les  meilleurs  engrais,  ils  comptaient 
ceux  que  fournissaient  les  cloaques ,  les  basses-cours  ;  ils  sa- 
vaient également  fumer  les  terres ,  soit  en  renversant  les 
plantes  légumineuses  au  moment  de  leur  floraison  pour  les 
faire  pouiTir  dans  les  sillons,  soit  en  brûlant  sur  place  les 
chaumes,  soit  en  faisant  parquer  les  bestiaux  en  plein  air. 

Les  Romains  pratiquaient  le  labour  léger  que  nous  nom- 
mous  binage ,  le  buttage  et  le  sarclage.  On  ne  liait  pas  le  blé 
en  gerbe  ;  sitôt  qu'il  était  coupé  on  ^envC^yait  à  l'aire  pour  être 
battu.  On  faisait  brouter  aux  moutons  vers  le  printemps 
celui  qui  poussait  avec  trop  de  vigueur.  Leur  système  d'irri- 
gation et  de  dessèchement  était  admirablement  entendu. 
Ils  cultivaient  presque  toutes  les  céréales ,  les  légumes  et  les 
fourrages  que  nous  possédons ,  notamment  notre  froment 
ordinaire,  qu'ils  nommaient  7-oi!/5,  notre  froment  blanc,  qu'ils 
nommaient  siligo,  et  le/o;",  que  l'on  croit  être  le  maïs.  Us 
avaient  porté  à  un  très-haut  degré  l'art  de  former  des  pi-airies 
artificielles  de  plantes  fourragères ,  comme  la  luzerne,  ainsi 
que  la  culture  de  la  vigne  et  des  oliviers. 

Quelle  était  l'agriculture  des  autres  peuples  de  l'antiquité? 
C'est  ce  que  nous  ne  savons  qu'imparfaitement.  L'Espagne 
et  le  midi  de  la  Gaule,  ayant  été  civilisés  par  les  Grecs  et  les 
Carthaginois,  avaient  du  être  initiés  de  bonne  heure  à  la 
culture  des  terres.  Dans  le  nord  même  de  la  Gaule,  et  dans 
l'île  des  Bretons,  les  nations  celtiques  avaient  une  agricul- 
ture passablement  avancée,  puisqu'elles  employaient  la  marne 
pour  amender  les  terres  et  qu'elles  cultivaient  une  assez 
grande  quantité  de  végétaux.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'estque 
la  population  de  ce  pays  était  très-nombreuse,  fait  qui 
témoigne  d'une  agriculture  avancée.  Sous  la  domination 
lomaine ,  les  Gaulois  firent  de  rapides  progrès  dans  la  civi- 
lisation, et  l'agiicultiue  participa  à  ce  mouvement  général. 
Mais  l'invasion  des  tribus  germanifiues,  que  l'amour  seul 
du  pillage  rassemblait  autour  d'un  ciief ,  couvrit  le  pays  de 
mines,  et  y  tarit  toutes  les  sources  de  la  production.  Le 
régime  politique  qui  suivit  l'établissement  des  Francs  dans 


AGRICULTURE 


195 


la  Gaule  était  loin  de  pouvoir  relever  ragriculture  du  triste 
<?tat  daus  lequel  elle  était  tonibfe.  En  elïel,  les  Gaulois, 
l>long(5s  dans  la  servitude  ,  étaient  soumis  à  la  domination 
arbitraire  des  Francs,  possesseurs  d'alleux  ou  de  bi^ncMices. 
Or,  entre  les  mains  d'esclaves  jtaresscux  et  craintifs  les  ter- 
res les  meilleures  deviennent  bientôt  infertiles. 

Ce  ue  fut  que  sous  les  rois  de  la  seconde  race  que  l'agri- 
culture commença  à  se  relever,  grâce  à  l'intelligence  et  à 
l'activité  des  moines,  qui  se  livrèrent  avec  zèle  au  défricbe- 
raeut  des  terres.  Qui  ue  sait,  en  elTet,  que  les  prémontrés, 
les  bénédictins,  etc.,  ont  défriché  dans  toute  la  France  bien 
des  forêts  et  des  landes  que  remplacent  aujourd'hui  des 
vignobles  ou  des  moissons?  Le  progrès  de  l'agriculture  dut 
beaucoup  aussi  au  capilulaire  de  Charlemagne  sur  l'entretien 
de  ses  fermes  {de  Villis  );  mais,  après  la  mort  de  ce  prince, 
il  fut  bientôt  arrête  par  les  incursions  des  Normands,  des 
Sarrasins  et  des  Hongrois  aux  neuvième  et  dixième  siècles, 
et  surtout  par  le  système  féodal .  Comment,  en  effet,  l'agri- 
culture aurait-elle  pu  fleurir  à  une  époque  où  ie  serf  était 
arbitrairement  taxé,  taillé,  soumis  à  des  corvées  et  traîné  à 
des  guerres  perpétuelles?  C'est  ce  qui  explique  ces  famines 
si  fréquentes  et  si  longues ,  ces  pestes  meurtrières  et  multi- 
pliées, la  dépopulation  des  campagnes,  la  misère  et  l'igno- 
rance générales.  Aussi  est-ce  parmi  les  Maures  d'Espagne 
qu'il  faut  chercher  de  bons  modèles  de  culture  pendant 
le  moyen  âge  :  l'ouvrage  de  l'Arabe  Ehu-El-Aram  en  est 
un  monument  curieux.  Lu  auteur  chrétien  du  même  pays, 
MÏnt  Isidore  de  Séville,  a  aussi  laissé  un  traité  très- 
complet  sur  l'agriculture  dans  le  livre  dix-septième  de  ses 
Origines,  intitulé  :  De  Rébus  Rusticis. 

Au  treizième  siècle,  à  l'époque  des  croisades,  beaucoup  de 
seigneurs  vendirent  la  liberté  à  leurs  serfs,  afin  de  se  pro- 
curer les  sommes  nécessaires  aux  expéditions  d'outre-mer. 
De  nouvelles  plantes  furent  introduites  en  Europe  par  les 
croisés  qui  revenaient  de  l'Orient,  notamment  le  mais  ou  blé 
de  Turquie,  envoyé  en  France  par  Boniface  de  Montferrat 
a[)rès  la  prise  de  Constantinople ,  les  pruniers  de  Damas , 
les  échalotes ,  etc.  Dès  lors  l'influence  du  travail  libre  ne 
tarda  pas  à  se  faire  sentir  dans  la  production  agricole.  L'af- 
franchissement des  communes  vint  encore  favoriser  ce 
mouvement  ;  toutefois  ce  ne  fut  guère  qu'au  seizième  siècle 
(jue  l'agriculture  reçut  une  impulsion  toute  nouvelle.  Elle 
devait  naturellement  se  ressentir,  comme  toutes  les  sciences 
et  tous  les  arts,  des  grandes  découvertes  de  l'esprit  humain 
à  cette  époque.  La  plupart  des  ouvrages  de  l'antiquité  sur 
l'agriculture  furent  traduits  dans  les  diverses  langues  mo- 
dernes; puis  parurent  à  de  courts  intervalles,  en  Italie,  les 
Vinti  Giornate  deW  Acjricoltura,  par  Gallo,  et  le  Rieordo 
d' Agricoltura  par  Camille  Tarello,  de  Venise,  qui  proposa 
le  premier  d'alterner  les  cultures  ;  en  Espagne,  l'ouvrage  de 
Herrera  ;  en  Allemagne,  celui  de  Heresbach  ;  en  Angleterre,  le 
traité  de  Fitz  Herbert,  intitulé  :  the  Book  0/  Ilnsbandnj,  où 
nous  ^  oyons  qu'à  cette  époque  les  Anglais  se  distinguaient 
déjà  dans  l'éducation  des  animaux  domestiques;  en  France, 
le  Théâtre d'Agriculhire et  Icménagedes champs, dans  le- 
quel est  représenté  tout  ce  qui  est  requis  et  nécessaire  pour 
bien  dresser  et  gouverner,  enrichir  et  embellir  la  maison 
rustique,  par  Olivier  de  Serres,  seigneur  de  Pradei,  qui  a 
mérité  d'être  surnommé  le  père  de  l'agriculture  française. 
I)n  lui  doit  la  première  notice  détaillée  siir  la  pomme  de  terre, 
alors  récemment  importée  d'Amérique,  ainsi  que  l'extension 
et  le  perfectionnement  de  la  culture  du  mûrier. 

A  partir  du  dix-se|)tième  siècle  le  progrès  est  général  dans 
presque  tous  les  Étals  de  l'Europe ,  où  il  s'effectue  plus  ou 
moins  rapidement.  Entre  les  promoteurs  de  l'art  agricole  en 
Angleterre,  on  doit  citer  im  réfugié  polonais,  nommé 
Ilartlil),  qui,  dans  son  Discourse  0/  Flander 's  Husbandry, 
lit  connaître  à  sa  nouvelle  patrie  la  cidture  si  soigneuse  des 
Belges;  Tull ,  qui  le  premier,  dans  son  livre  Horse-hoeing 
Husbandry,  recommanda  la  culture  en  lignes,  mais  eut 


le  tort  de  se  déclarer  l'ennemi  des  engrais  et  de  vouloir 
y  suppléer  par  des  labours  nudtiiiliés.  Bakewell,  qui  façon- 
nait ,  pour  ainsi  dire ,  à  son  gré  les  races  d'animaux ,  en 
appariant  de  génération  en  génération  les  imhvidus  doués 
des  qualités  qu'il  s'agissait  de  fixer  ou  de  développer  encore 
davantage;  Arthur  Young  ,  Marshal  et  Sir  John  Sinclair,  à 
qui  l'on  doit  tant  d'ouvrages  excellents  et  de  si  notables 
améliorations  ;  enfin  Loudon,  qui  a  publié  une  Encyclopédie 
de  l'Agriculture.  En  somme,  l'Angleterre  a  porté  son  agri- 
culture à  la  même  perfection  que  les  produits  de  ses  manu- 
factures. Elle  n'a  pas  de  rivale  pour  la  culture  en  lignes ,  la 
rotation  des  récoltes ,  et  principalement  pour  l'amélioration 
des  animaux  domestiques.  L'Ecosse,  encore  barbare,  il  y  a  cent 
ans  à  peine,  joint  à  ses  titres  d'honneur  celui  d'avoir  répandu 
plus  d'instruction  parmi  les  habitants  de  ses  campagnes. 
Mais  en  revanche  l'Irlande  voit  son  sol  si  fertile  appauvri  par 
la  culture  des  pommes  de  terre,  l'impôt  et  l'absentéisme. 
La  France,  que  la  nature  a  douée  d'un  climat  plus  favo- 
rable que  sa  voisine  d'outre-Manche,  est  un  pays  essentielle- 
ment agricole.  Sidly  voyait  dans  le  pâturage  et  le  labourage 
les  mamelles  de  l'État.  Le  règne  de  Louis  XIV  fut  peu  favo- 
rable au  développement  de  l'agriculture  ;  le  commerce  et 
l'industrie ,  les  arts  et  la  guerre,  attirèrent  toute  l'attention 
de  ce  prince ,  et  Colbert  subordonna  toujours  l'agriculture  à 
l'industrie.  Cependant  les  routes  et  les  canaux  qu'ils  firent 
construire  multiplièrent  les  relations,  et  ser\irent  autant  les 
laboureurs  que  les  artisans.  Sous  le  règne  suivant,  le  sys- 
tème de  Law  et  la  fureur  d'agiotage  qui  s'em.para  de  tous 
les  esprits,  surtout  durant  la  régence,  accablèrent  l'agricul- 
ture, qui  ne  se  releva  que  vers  le  milieu  du  dix-huitième 
siècle.  Les  travaux  de  Quesnay ,  Turgot ,  Duhamel ,  Rozier, 
Raynal,  Trudaine,  Condorcet,  Mirabeau,  Dupont  de  Ne- 
mours ,  appelèrent  l'attention  du  gouvernement  sur  l'agri- 
culture, et  amenèrent  d'utiles  réformes.  Dès  1754  un  édit 
fut  publié  qui  permettait  le  libre  commerce  des  grains  dans 
l'intérieur  de  la  France  et  en  autorisait  l'exportation  dans 
de  certames  limites.  Des  écoles  vétérinaires  furent  fondées  à 
Lyon  et  à  Alfort.  En  1756  on  exempta  d'impositions  les 
terres  nouvellement  défrichées;  en  1776  on  supprima  les 
corvées  ;  de  nombreuses  sociétés  d'agriculture  se  formèrent, 
et  s'occupèrent  des  moyens  de  perfectionner  et  la  théorie  et 
les  instruments.  Mais  pour  que  l'agiiciilture  reçût  une  im- 
pulsion puissante,  il  ne  fallait  rien  moins  qu'une  rénovation 
politique  qui  changeât  les  conditions  mêmes  de  la  propriété 
territoriale  et  la  rendit  moins  onéreuse,  plus  libre,  plus  acces- 
sible à  tous.  C'est  donc  à  la  destniction  des  dernières  lois 
féodales,  de  celles  sur  la  chasse  par  exemple,  à  la  suppression 
des  dîmes ,  à  l'aliénation  des  immenses  propriétés  du  clergé 
et  de  la  noblesse  ,  à  l'égal  partage  des  biens  entre  les  en- 
fants, au  morcellement  qui  en  résulta,  à  notre  révolution,  en 
un  mot,  malgré  les  réquisitions  et  le  maximum  de  la  Con- 
vention, que  la  France  doit  les  immenses  progrès  de  son  agri- 
cidture ,  depuis  que  la  fin  des  guerres  de  la  Répidslique  et 
de  l'Empire  a  permis  au  nouvel  état  de  choses  de  porter  ses 
fruits.  Trois  contributions  foncières ,  triste  nécessité  d'un 
gouvernement  militaire,  furent  successivement  établies  par 
l'administration  fiscale.  Toutefois,  n'oublions  pas  que  nous 
sommes  redevables  à  Napoléon  de  la  culture  en  grand  de  la 
betterave,  et  que  dès  Louis  XVI  notre  pays  avait  acquis 
par  les  travaux  de  Parmentier  la  culture  de  la  pomme  de 
terre.  Jlalgré  le  mauvais  vouloir  de  la  Restauration,  qui 
tendait  à  l'agglomération  des  terres  dans  la  main  des  ci-de- 
vant seigneurs,  et  celui  du  gouvernement  de  Juillet,  qui 
réservait  surtout  sa  sollicitude  pour  le  commerce  et  l'in- 
dustrie, il  faut  reconnaître  que  depuis  1815  on  s'est  occujid 
sans  cesse  de  perlectionner  les  théories  et  les  instruments 
agricoles;  on  a  créé  à  Roville  et  à  Grignon,  au  Verneuil,  des 
feinies-modèles  où  de  nombreux  jeunes  gens  sont  initiés  aux 
meilleures  théoriesainsi  qu'à  l'application  de  toutes  les  sciences 
à  l'agriculture.  Les  propriétaires,  en  fixant  leur  résidence  sur 


19G 

It-urs  terres  et  en  dirigeant  par  eux-mômes  les  travaux,  ontcon- 
tiibui!  a  faire  adopter  des  procédés  que  repoussait  la  routine. 
La  sultsliltition  du  système  des  assolements  à  celui  des  jachè- 
res, la  multiplication  des  races  d'animaux  domestiques,  de 
nombreux  percements  de  routes  et  de  ciicmiiis,  ont  relevé 
l'agriculture,  qui  semble  devoir  bientôt  trouver  un  appui 
«jaus  de  nouvelles macliines,  comme  les  faucii  eu  ses,  les 
moissonneuses,  les  batteuse»,  etc.,  et  demander  le  se- 
cours'leia  vapourpour  remplacer  lelravaildes  Iionimes  et  des. 
animaux  par  deslocomobiles.  Certes  ragricuilure  n'a  pas  dit 
son  dernier  mot.  Après  la  révolution  de  tévriej ,  une  certaine 
réaction  se  produisit  en  France  en  faveur  de  l'agriculture  : 
un  institut  agronomique  fut  fond»'  à  Versailles,  mais  il  n'a 
pas  survécu  aux  événements  de  1851  ;  des  écoles  régionales 
ont  été  instituées  à  Grignon  (  Seine-et-Oise),  à  GrandJouan 
(Loire-lnféri.upp),  à   la  Saulsavc  (Ain)  et  à  Saint-Angeau 
(Cantal).  Les  trois  premières  existent  encore.  Trois  bergeries 
et  une  vacherie  furent  achetées  par  l'État;  des  fermes-écoles 
ont  élé  créées  dans  un  grand  nombre  de  départements  : 
enfin    des  concours  régionaux  et  généraux  distribuent  des 
récompenses  à  tous  les  progrès.   Dès  encouragements  ont 
<^té  donnés  au  drainage  et  au  dessèchement  des  marais 
Od  s'est  encore  occupé  des  lan  des    et  des  biens  com- 
munaux. Pres(|ue  tous  les  déparlements  possèdent  des  .so 
ciétés  d'agriculture  et  des  comices  a  gricoles;  mais  ce 
qui  manque  surtout  à  l'agriculture  ce  sont  les  bras  et  le  crédit. 
Chaque  contrée  de   l'Europe  a  une  agriculture  pratique 
toute   particulière.  En  Toscane  on   cultive  U-s  collines  en 
terrasses,  on   pratique  des  défoncements  ii   la  bêche;   les 
mareumies  et  les  métairies  s'y  transn)ettent  héréditairement. 
En  Suisse  on  trouve  une  culture  pastorale ,  et  d'une  sim- 
plicité primitive ,  à  laquelle  s'harmonient  merveilleusement 
les  gracieux  chalets  au  milieu  des  glaciers.  Les  Hollandais 
ont  conquisleurs  champs  sur  rOcéan.  Les  Flamands,  de  tout 
temps  peuple  agriculteur,  ont  découvert  plusieurs  espèces 
d'engrais  et  d'amendements.  Ils  n'ont  pourtant  presque  rien 
écrit  sur  cette  science,  dont  ils  sont  assurément  les  maîtres; 
à  peine  peut-on  citer  V Agriculture  pratique  de  la  Flandre, 
par  iM.  Van  Aelbrœck,  livre  du  reste  très-complet  et  bien 
conçu.  La  Pologne,  un  des  pays  les  plus  fertiles  de  l'Europe, 
produit  les  céréales  en  abondance,  presque  sans  soin  et  sans 
culture.  Le  Danemark  et  surtout  les  duchés  allemands  de 
Schleswig-Holstein  sont  admirablement  cultivés.  On  y  suit 
les  procédés  de  ïhaer,  le  plus  célèbre  des  agronomes  mo- 
dernes ,  qui  recommande  surtout  l'analyse  chimique  du  sol 
pour  calcider  ses  degrés  de  chaleur  et  de  fertilité  naturelle, 
et  évaluer  ce  que  la  fermentation  des  engrais  de  toute  es- 
pèce peut  y  ajouter.  En  Saxe  et  en  Silésie,  on  a  créé  la  race 
des  brebis  électorales,  qui  ont  une  laine  si  fine.  Le  Mecklem- 
hourg  est  fier  de  .sa  magnifique  race  de  chevaux,  qu'il  doit  à 
l'étiit  avancé  de  son  agriculture.  En  Bavière,  les  enfants  des 
paysans  apprennent  l'agriculture  dans  des  catéchismes,  abso- 
lument comme  la  religion.  L'Espagne  restera  nécessairement 
en  arrière  des  autres  Etats  tant  que  le  tiers  de  son  territoiie 
appartiendra  aux  moines.  La  Russie,  dont  le  sol  est  admirable- 
ment fertile,  surtout  dans  ses  provinces  méridionales,  a  tout 
à  gagner  à  l'émancipation  prochaine  des  serfs.  En  dehors  de 
l'Europe,  il  ne  faut  pas  omettre  la  Chine,  où  la  condition 
d'agriculteur  est  si  fort  estimée,  qu'elle  vient  immédiate- 
ment après  ceNe  des  lettrés  et  des  officiers  d'État ,  et  que 
l'empereur  lui-même  se  rend  une  fois  par  an  aux  champs, 
avec  un  nombreux  cortège,  et,  prenant  la  charrue,  trace  un 
sillon,  afin  d'honorer  letravail  deschamps  et  de  donner  ainsi 
l'exemple  à  ses  sujets.  C'est  peut-être  le  peuple  le  plus  avancé 
du  globe  sous  ce  rapport,  ainsi  que  send)lent  le  i)rouver 
les  procédés  intelligents  qu'il  emploie  pour  les  engrais  et 
la  multiplicité  des  opérations  manuelles.  En  Amérique,  les 
anciens  habitants  du  Mexique  et  du   Pérou  avaient  porté 
l'agriculture  à  un  très-haut  degré  de  perfectionnement,  et 
de  nos  jours  les  infatigables  défricheurs  des   États-Unis 


AGRICULTURE 

méritent  bien  de  l'humanité  en  conquérant  à  la  production 
les  immenses  solitudes  des  prairies  et  des  forêts  vierges.  De 
l'état  actuel  de  l'agriculture  chez  tous  les  peuples  civilisés 
il  résulte  clairement  qu'elle  est  en  rapport  direct  avec  les 
progrès  des  sociétés,  et  qu'il  importe  de  plus  en  plus  d'é- 
clairer la  classe  agricole.  La  loi  sur  l'instruction  primaire, 
celle  sur  les  chemins  vicinaux  en  France,  ont  déjà  fait  beau- 
coup ainsi  que  les  fermes-modèles  et  les  comices 
agricoles. 

Parmi  les  instituts  et  sociétés  d'agriculture,  il  faut  citer 
particulièrement  la  Société  Centrale  de  Paris,  VAcadnnie 
des  Géorgophiles  de  Florence,  la  Société  des  Montagnes 
d'Ecosse,  V Académie  de  Mœglin,  etc. 

Quant  à  la  littérature  agricole,  elle  n'est  pas  moins  encombrée 
que  toutes  les  autres  branches  de  littérature;  elle  a  ses  piéten- 
tions,  ses  répétitions,  ses  fatras.  Les  blés,  les  vins,  les  vers  à 
soie,  les  colombiers,  les  bêtes  à  laine  ou  à  cornes,  la  médecine 
vétérinaire,  ont  élé  traités  dans  plusieurs  milliers  de  volumes. 
Chaque  plante  cultivée,  chaque  bête  de  labour  a[)partenant  à 
l'exploitation  rurale,  a  ses  traités  particuliers.  11  faut  sou- 
lever toute  cette  masse  de  livres  pour  trouver  ce  qu'il  y  a 
de  vrai,  de  raisonnable  et  d'applicable  an  pays,  et  imiter  ces 
habitants  des  rives  du  Rhône  qui  soulèvent  des  montagnes 
de  sable  pour  cueillir  quelques  paillettes.  Quand  nous  les 
aurons  recueillies,  ouvrons  nos  sillons,  cultivons  par  nous- 
mêmes,  consultons  sans  cesse  les  laboureurs  du  voisinage, 
et  nous  verrons  jusqu'à  quel  point  les  théories  sont  appli- 
cables à  notre  sol.  On  peut  citer  cependant  les  Principes 
raisonnes  d'Agriculture,  parThaer,  traduits  par  Cmd  ;  VA- 
griculture  pratique  et  raisonnée,  de  sir  John  Sinclair;  les 
A7inci''es  Agricoles  de  Roville,  par  Mathieu  de  Dombasle, 
1830;  le  Calendrier  du  bon  Cultivateur,  par  le  même;  les 
Annales  de  l'Académie  de  Mœglin;  le  Dictionnaire  d'A- 
griculture pratique,  par  François  de  Neufchàteau,  Dupetit- 
Thouars,  etc.  (1827),  2  vol.  in-8°;  le  Manuel  pratique  du 
Laboureur,  par  Chabouillé  du  Petit-Mont,  2  vol.  in-12; 
les  Éléments  de  Chimie  agricole,  par  sir  Humphry-Davy, 
traduits  en  français,  2  vol.,  in-8°;  la  Chimie  appliquée  à 
l'Agriculture,  par  Chaptal,  2  vol.,  in-8";  le  Cours  de  Cul- 
ture et  de  naturalisation  des  Végétaux,  par  Thouin;  la 
Maison  Rustique  du  dix-neuvième  siècle,  par  une  réunion 
de  savants  et  de  praticiens;  le  Nouveau  Cours  complet 
d'Agriculture  théorique  et  pratique,  sur  le  plan  de  celui  de 
l'abbé  Rozier,  par  les  membres  de  la  section  d'agriculture  de 
rinsfitut  ;  le  Cours  d''Agriculttire  de  M.  de  Gasparin;  l'En- 
cyclopédie de  VAqriculteur,  par  M.  Moll,  etc. 

AGRICULTURE  (Minislère  de  l'),  DU  COMMERCE 
ET  DES  TRAVAUX  PUBLICS,  ministère  de  formation  ré- 
cente, tour  à  tour  démemliré  et  réuni  au  ministère  de  l'in- 
térieur et  à  d'autres,  scindé,  divisé ,  détruit  et  reformé.  En 
1812  Napoléon  avait  créé  un  ministère  du  commerce  et  des 
manufactures;  mais  c'était  moins  pour  protéger  les  rela- 
tions commei'ciales  que  pour  veiller  à  l'observation  rigou- 
reuse du  blocus  continental.  Ce  ministère  ne  survécut  pas  à 
l'empire.  Sous  la  Restauration  il  fut  remplacé  par  un  bu- 
reau du  commerce,  et  le  4  janvier  1S2S  une  ordonnance 
rovale  nomma  un  secrétaire  d'Etat  président  du  conseil  su- 
périeur du  commerce  et  de?  colonies.  Le  20  du  même  mois 
ce  secrétaire  d'État  prit  le  titre  de  ministre  au  département 
du  commerce  et  des  manufactures.  Cette  institution  ne  se 
soutint  pas  longtemps;  et  lors  de  la  formation  du  minis- 
tère du  s  aoi1t  1829,  l'administration  du  commerce  retomba 
dans  les  limites  étroites  d'un  bureau.  Apres  la  révolution  de 
Juillet  un  ministère  du  commerce -et  de  l'industrie  fut  ré- 
tabli par  l'atbninistration  du  13  mars  1831  ;  mais  on  y  joi- 
gnit les  travaux  publics,  qui  en  furent  séparés  en  1834,  |)our 
former  un  ministère  spécial.  Le  nunistèie  dont  nous  nous 
occupons  prit  alors  le  nom  de  ministère  du  connnerce.  «  11 
doit  concentrer,  disait-on  dans  le  rapjiort  au  roi  sur  les  at- 
tributions de  ce  ministère ,  toute  l'action  du  gouvernement 


AGRICULTURE  —  AGRIPPA 


197 


8«r  les  inti^rêts  matériels  A  économiques  de  la  société. 
Asriciilliiie,  nianuractiires,  commerco,  voilà  le  triple  objet 
de  ces  travaux.  C'est  en  quelque  sorte  le  ministi''re  de  la 
production  et  de  la  circulation  des  richesses  publi(]ues.  » 
Le  19  septembre  1830,  un  niinistiVe  de  l'aRriculture,  du 
commerce  et  des  travaux  public^;  est  institué  pour  M.  Martin 
(du  Nord).  Le  t2  mai  1839,  un  ministère  spécial  de  l'a- 
griculture et  du  commerce  est  confié  à  M.  Cunin-Gridaine. 
Dans  le  cabinet  du  1"^'  mars  1840,  M.  Gouin  prend  seule- 
ment le  titre  de  ministre  du  commerce.  M.  Cunin-Gridaine 
lui  succède  le  29  octobre  de  la  même  année.  Après  la  ré-  . 
volution  de  février  nous  voyons  M.  IJetlimont  ministre  de 
l'agriculture  et  du  commerce,  M.  F.  Flocon  lui  succède  le 
11  mai  1843,  et  M.  Tourret  remplace  ce  dernier  le  28  juin; 
BI.  Bixio  remplace  M.  Tourret  le  20  décembre,  et  est  rem- 
placé lui-uK^iue  par  M.  Buffet  le  29  du  même  mais.  M.  J.-B. 
Dumas  prend  ce  ministère  le  31  octobre  1849  et  le  cède 
à  M.  Bonjean  le  9  janvier  1851.  M.  Schneider  l'occupe  le 
24  janvier  suivant  et  le  rend  à  M.  Buffet  le  10  avril  de  la 
même  année.  Le  26  octobre,  M.  Casablanca  prend  le  titre 
de  ministre  du  conmierce.  Le  23  juin  1853,  l'empereur  Na- 
poléon III  rétablit  un  ministère  de  l'agriculture,  du  com- 
merce et  des  travaux  publics,  et  le  confie  à  M.  ftlagne  qui 
le  cède  à  M.  Rouher  le  5  février  1855.  C'est  sous  ce  mi- 
nistère que  les  chemins  de  fer  ont  pris  tout  leur  développe- 
ment et  qu'a  été  préparée  la  réforme  des  droits  de  douanes. 

L'organisation  de  ce  ministère  comprend  le  secrétariat 
général,  la  division  du  personnel  et  la  division  de  la  compta- 
bilité. La  première  seclion  comprend  le  bureau  de  la  sta- 
tistique générale  de  la  France,  la  division  de  l'agriculture, 
la  division  du  commerce  intérieur  et  la  divisiou  du  com- 
merce extérieur.  La  division  des  haras  qui  en  faisait  partie 
en  a  été  distraite  le  24  novembre  1860  pour  être  jointe  au 
ministère  d'État.  La  section  des  chemins  de  fer  renferme 
la  division  des  études  et  travaux,  et  la  division  de  l'exploi- 
tation. La  troisième  section,  dite  des  ponts  et  chaussées, 
comprend  la  division  des  routes  et  ponts  et  la  division  de 
la  naviuation.  La  quatrième  section,  dite  des  mines,  ren- 
ferme seulement  la  division  des  mines  et  usines.  C'est  da 
bureau  de  la  statistique  qu'émanent  ces  grosses  publications 
connues  sous  le  nom  de  statistiques  officielles,  et  qui  se 
rapportent  surtout  au  mouvement  de  la  production  et  de  la 
populiition  de  la  France.  La  division  du  commerce  exté- 
rieur comprend  les  bureaux  de  la  législation  et  des  tarifs  de 
douanes  rn  France,  et  à  l'étranger,  et  le  bureau  du  mou- 
vement général  du  commerce  et  de  la  navigation.  Elle  publie 
les  Annales  du  commerce  extérieur,  bulletin  mensuel  où 
les  négociants  peuvent  trouver  quelques  renseignements. 

Il  exi-fe  près  de  ce  ministère  un  conseil  supérieur  du 
commerce,  de  l'agriculture  et  de  l'industrie,  un  conseil  gé- 
néral de  l'agriculture,  une  commission  pour  la  fixation  an? 
nuelle  des  valeurs  de  douanes,  une  commission  du  registre 
matricule  pour  l'inscription  des  animaux  de  race  pure  de 
l'espèce  bovine,  etc.  Les  services  extérieurs  comprennent 
les  écoles  impériales  d'agriculture,  les  fermes-écoles,  les 
écoles  vétérinaires,  les  écoles  impériales  des  ponts  et  chaus- 
sées et  des  mines,  l'école  des  mineurs  de  Saint-Etienne, 
l'école  pratique  des  maîtres  ouvriers  mineurs  d'Alais,  etc. 
Les  colonies  et  asiles  agricoles,  les  associations  et  comices 
agricoles,  les  missions  agronomiques,  les  concours  d'ani- 
maux et  de  produits  agricoles,  les  encouragements  à  l'agri- 
culture, les  dessèchements  et  assainissements,  le  diainage, 
les  irrigations,  la  police  rurale,  la  mise  en  culture  des  lau- 
des, le  reboisement,  les  secours  pour  épizootie,  inonda- 
tions, grêle, incentiies,  les  mercuriales  des  grains,  les  foires 
et  marchés ,  les  règlements  de  la  boucherie,  boulangerie, 
les  abattoirs,  etc.,  ressortissent  également  à  ce  ministère, 
ainsi  que  les  chambres  du  commerce,  les  bourses,  les  agents 
de  change,  les  courtiers,  les  sociétés  anonymes,  les  caisses 
«l'épargne,  les  caisses  de  retraite  pour  la  vieillesse ,  les  assu- 


rances, les  tontines,  les  sociétés  d'encouragement,  les  sociétés 
de  crédit  foncier,  le  comité  consultatif  elles  chambres  consul- 
tatives des  arts  et  manufnctures;  le  Conservatoire  des  Arts 
et  Métiers,  les  écoles  impériales  des  arts  et  métiers  dt  Châlons, 
d'Angers  et  d'Aix ,  l'École  centrale  des  arts  et  manufactures, 
les  écoles  industrielles,  les  conseils  de  prud'hommes,  les  bre- 
vets d'invention,  les  dessins  et  marques  de  fabrique,  les  li- 
vrets d'ouvriers,  le  travail  des  enfants  dans  les  manufac- 
tures, les  expositions  des  produits  de  l'industrie,  les  conditions 
publiques  des  soies,  les  encouragements  à  l'industrie,  le  co- 
mité consultatif  d'hygiène  publique,  les  commissions  et 
agences  sanitaires ,  les  lazarets,  les  quarantaines,  les  épi- 
démies, les  encouragements  pour  la  propagation  de  la  vac- 
cine, la  police  médicale,  les  remèiles  secrets,  les  eaux  mi- 
nérales, les  établissements  dangereux ,  insalubres  ou  in- 
commodes, la  vérilication  des  poids  et  mesures,  la  pêche 
maritime,  les  mesures  relatives  à  l'émigration,  etc.  Outre 
les  chemins  de  fer,  il  s'occupe  encore  «les  ports  de  com- 
merce ,  des  canaux,  des  phares,  de  la  navigation  des  neu- 
ves et  rivières,  des  barrages,  écluses,  quais,  bas-ports,  du 
flottage,  des  travaux  de  défense  contre  le  débordement  des 
cours  d'eau,  des  bacs,  ponts,  etc.,  des  concessions  des  mines, 
de  la  surveillance  des  mines,  carrières  et  tourbières,  de  l'a- 
ménagement et  de  la  conservation  des  sources  d'eaux  mi- 
nérales, des  machines  et  bateaux  à  vapeur,  de  la  police  des 
usines,  etc.  Z. 

AtiRlGENTE,  en  grec  Acragas,  nommée  ainsi  à  cause 
du  fleuve  qui  coulait  le  long  de  ses  murs  :  telle  est  du  moins 
l'opinion  «i'Étienne  de  Byzance.  Agrigente  est  située  non 
loin  de  la  côte  méridionale  de  la  Sicile;  elle  tut  fondée,  selon 
les  uns  par  une  colonie  d'Ioniens,  selon  les  autres  par  les 
habitants  de  Gela,  604  ans  avant  J.-C.  Une  troisième  opi- 
nion lui  accorde  une  antiquité  moins  reculée,  et  fixe  à  l'an 
572  seulement  la  fondation  de  cette  ville.  La  fertilité  de  son 
sol  était  généralement  appréciée,  et  l'on  croit  même  en  re- 
trouver l'indication  dans  son  nom.  Le  commerce  d' Agrigente 
avec  Cartilage  porta  la  première  de  ces  villes  àun  haut  degré 
de  prospérité;  elle  s'enrichit  de  monuments  remarquables  : 
on  vante  surtout  la  magnificence  du  temple  de  Jupiter,  le 
plus  grand  de  tous  ceux  de  la  Sicile.  On  rapporte  que  ses 
colonnes  avaient  cent  vingt  pieds  de  haut,  et  qu'un  homme 
pouvait  se  cacher  dans  chacune  de  leurs  cannelures.  Il  y 
avait  hors  de  la  ville  un  lac  creusé  de  main  d'homme  et 
peuplé  de  poissons  pour  le  luxe  des  festins.  En  la  troisième 
année  de  la  quatre-vingt-treizième  olympiade,  Exénèted'A- 
grigente,  ayant  été  vainqueur  à  la  course  du  stade,  (it  son 
entrée  dans  la  ville,  et  l'on  vit  à  sa  suite  trois  cents  chars 
attelés  chacun  de  deux  chevaux  blancs,  que  l'on  dit  avoir 
été  tirés  d'Agrigente.  On  raconte  aussi  des  choses  merveil- 
leuses sur  riiospitaiité  exercée  par  les  riches  envers  les 
étrangers,  et,  pour  en  citer  un  exemple,  cinq  cents  cavaliers 
de  Gela  ayant  passé  par  Agrigente,  Gellias  les  reçut  tous 
dans  sa  maison,  et  fit  présenta  chacund'une  tunique  et  d'une 
robe.  On  cite  encore  Antislhène,  qui  traita  tous  les  citoyens 
<à  l'occasion  des  noces  de  sa  fille.  —  Sa  population  au  temps 
de  sa  prospérité  était  de  800,000  âmes.  —  Assiégés  par  les 
Carthaginois  (405  av.  J.-C),  les  habitants  sortirent  de  leur 
ville  escortés  par  leur  milice  jusqu'à  Gela,  et  Syracuse  leur 
donna  la  ville  des  Léontins  pour  habitation. Les  Carthaginois 
arrachèrent  des  temples  tous  ceux  qui  s'y  étaient  réfugiés, 
elles  massacrèrent;  Gellias  était  dans  celui  de  Minerve, 
qu'il  brûla  pour  échapper  à  la  fureur  des  barbares;  les 
autres  édifices  furent  pillés.  Beaucoup  d'objets  d'art  fuient 
envoyés  a  Carthage,  entre  autres  un  taureau  de  Plialaris, 
qui  était  d'un  prix  inestimable.  Agrigente  se  rétablit;  mais 
jamais  elle  ne  put  arriver  à  son  antique  splemleur.  —  Au- 
jourd'hui cette  ville  s'appelle  Girgenti.     De  Golbéry. 

AGRIONIES.  Voyez  Agranies. 

A<iRIPPA  (M^RCUsViPS.uxiiJs), contemporain  et  gendre 
d'Auguste,  sous  le  règne  duquel  11  fut  deux  fois  consul,  était 


198 


AGRIPPA  —  AGRONOMIE 


1)6  Tan  Gi  avant  J.-C.  Quoique  d'une  basse  extraction,  il 
sY'Ieva  par  srs  taii-nts  aux  plus  hautes  dignités.  11  se  distin- 
gua comme  p'iiéral,  et  comnjanda  la  flotte  d'Octave  à  la  ba- 
taille d'Actium.  Agrippa  épousa  Julie,  fille  d'Auguste,  et 
fut  désigné  pour  succéder  à  l'empire;  mais  il  movirut  avant 
l'empereur,  l'an  12  avant  J.-C,  au  retour  d'une  expédition 
rontre  les  Païuioniens.  C'est  lui  qui  lit  construire  ;i  T.ome  le 
l'anlliéon,  aujourd'liui  >otre-Dame  de  la  Uotonde.  Agrippa 
laissa  trois  (ils,  (pii  furent  adoptés  par  l'empereur,  mais  qui 
tous  périrent  d'une  manière  tragique.  Sa  fille  Agrippine 
épousa  Germanicus. 

AGRIPPA  (Menemls).  Voyez  MeneiMus. 

AGRIPPA  (HÉr.ODE).  Voyez  Hérode. 

AGRIPPA  (  IIenri-Corneillc )  de  Nettesheim,  savant 
remarquable  comme  écrivain  ,  comme  médecin  et  comme 
philosophe,  Iionnne  qui  unissait  de  grands  talents  et  de  vastes 
connaissances  à  beaucoup  de  forfanterie,  d'envie  de  faire 
parler  de  soi  et  de  charlatanisme,  était  né  à  Cologne,  en 
148C.  Sa  vie  fut  aussi  agitée  qu'aventureuse.  Placé  à  Dole 
en  qualité  de  professeur  de  théologie,  il  fit  d'abord  une  vive 
sensation  par  son  enseignement  ;  mais  ses  mordantes  satires 
ameutèrent  contre  lui  le  parti  monacal ,  et,  accusé  d'hérésie, 
il  dut  bientôt  abandonner  cette  ville.  Il  enseigna  ensuite  pen- 
dant quelque  temps  la  théologie  à  Cologne,  s'occupanl  en 
même  temps  d'alchimie  ;  puis  il  fit  un  voyage  en  Italie,  où  il 
prit  du  service  dans  l'année  de  Maximilien  r"",  parvint  au 
grade  de  capitaine,  et  reçut  l'accolade  de  chevalier.  Plus  tard 
il  se  fit  recevoir  docteur  en  droit  et  en  médecine,  et  fit 
des  cours  à  Paris  jusqu'au  moment  où,  accablé  de  dettes,  il 
dut  s'enfuir  à  Casale.  Au  bout  de  quelque  temps,  il  accepta 
les  fonctions  de  syndic  à  Metz  ;  mais  dès  l'année  1520  on  le 
retrouve  à  Cologne,  parce  qu'en  prenant  la  défense  d'une 
sorcière  il  s'était  mis  à  dos  cl  l'inquisition  et  les  moines  de 
Metz.  Les  rancunes  de  ceux-ci  Tayanî  poursuivi  à  Cologne, 
il  se  rendit  à  Fribourg  en  Suisse,  et  s'y  établit  comme  méde- 
cin praticien.  En  152'»  cependant  il  revint  à  Metz,  et  s'y  fît 
une  si  grande  réputation,  que  la  mère  du  roi  François  I'"'  le 
prit  pour  médecin  particulier.  S'étanl  refusé  à  pronostiquer 
le  résultat  de  la  campagne  entreprise  en  1525  par  François  P"" 
en  Italie,  il  perdit  sa  charge,  et  se  retira  dans  les  Pays-Bas. 
Marguerite  d'Autriche,  gouvernante  des  Pays-Bas,  lui  fit 
donner  le  titre  d'historiographe  de  l'empereur  son  frère.  C'est 
alors  qu'il  composa  son  li>Te  intitulé  :  Declmnatio  de  Nobili- 
ta(e  et  Prsccellentia  Feminei  Sexus,  ainsi  que  son  célèbre 
ouvrage  De  Incertitud'ine  et  Vamtate  Scientiarum  (Colo- 
gne, 1527) ,  satire  mordante  de  l'état  où  se  trouvaient  alors 
les  sciences.  11  y  soutient  ce  paradoxe,  qu'il  n'y  a  rien  de  plus 
pernicieux  et  de  plus  dangereux  pour  la  vie  des  hommes  et  pour 
le  salut  de  leur  ûme  que  les  sciences  et  les  arts.  Accusé  pour 
ce  livre  auprès  de  Charles-Quint,  il  dut  fuir  encore,  et  se  re- 
tira à  Lyon.  La  haine  de  ses  ennemis  l'y  poursuivit  et  l'y  fit 
arrêter;  mais  ses  amis  parvinrent  à  le  rendre  à  la  liberté, 
et  il  se  relira  à  Grenoble,  où  il  mourut  en  153.5.  C'était  une 
Lelle  intelligence.  Il  eut  le  mérite  de  combattre  bon  nombre 
des  idées  fausses  et  des  préjugés  de  son  siècle.  Son  ouvrage 
qui  a  pour  litre  :  De  Occulta  P/iilosopItia  (Cologne,  1533), 
contient  le  vrai  système  de  la  cabbale.  La  collection  la  plus 
complète  de  ses  o-uvres  est  celle  qui  a  paru  à  Lyon  en  deux 
volumes,  sans  indication  de  date  (vers  1550). 

AGRIPPIXE.  Trois  femmes  romaines  ont  porté  ce 
nom  célèbre. 

AOr.ll'PIM:,  petite-fille  de  Pomponius  Atficus,  femme 
de  l'empereur  Tibère,  fut  répudiée  par  lui,  malgré  l'a- 
mour qu'il  lui  portait,  lorsqu'il  épou?a  Julie,  fille  d'Auguste. 
Agrippine  .se  maria  ensuite  à  Asinius  Gallus ,  qui  fut  con- 
danmé  à  une  prison  perpétuelle  par  Tibère,  toujours  épris 
de  sa  première  fennne. 

AGRIPPIM:,  femme  de  Germanicus  et  fille  d'Agrippa 
et  de  Julie,  se  distingua  par  de  grandes  vertus  et  par  .son 
rare  pulnolisme.  Elle  accompagna  Germanicus  dans  toutes 


ses  campagnes  ;  après  sa  mort ,  elle  rapporta  ses  cendres  en 
Itafie,  et  accasa  elle-même  devant  les  tribunaux  les  meur- 
triers de  son  époux.  Le  tyran ,  qui  la  redoutait  à  cause  de 
ses  vertus  et  des  nombreux  partisans  qu'elle  comptait  parmi 
le  peuple ,  l'exila  dans  l'ile  Pandataria ,  où  elle  mourut  de 
faim  l'an  33  de  J.-C.  Elle  donna  le  jour  à  Caiigula  et  à  une 
autre  Agrippine,  mère  de  Néron. 

AGRIPPINE,  fille  de  Germanicus  et  de  la  précédente, 
naquit  à  Cologne,  qu'elle  fil  agrandir  plus  tard  et  qu'elle 
nomma  Colonia  Agrippina.  Elle  épousa  en  premières  noces 
Domilius  .Enobarbus ,  dont  elle  eut  Néron.  Devenue  veuve, 
Claude ,  son  oncle ,  l'épousa  en  troisièmes  noces ,  après 
Messaline.  Elle  avança  la  mort  de  son  deuxième  époux ,  afin 
d'assurer  à  son  fils  le  trône  qui  appartenait  de  droit  à  B ri- 
tan  ni  eu. s.  Parvenu  à  l'empire,  Néron  ,  que  sa  mère  impor- 
tunait de  ses  reproches ,  résolut  de  s'en  débarrasser  par  la 
mort.  Un  vaisseau  qu'elle  montait  devait  être  submergé  en 
mer  ;  mais  elle  échappa  à  ce  danger  :  son  fils  la  fit  alors  assas- 
siner par  un  affranchi ,  l'an  59  de  J.-C.  Poursuivie  par  son 
meurtrier,  elle  lui  dit  en  se  retournant,  et  par  une  sorte  d'i- 
roniesublime  :  «  Frappe  au  ventre.  »  Celte  princesse  joignait 
à  une  grande  beauté  un  esprit  artificieux ,  un  caractère 
violent,  impétueux ,  une  dissolution  de  mœurs  inouïe  et  la 
plus  froide  ci  uauté. 

AGRO\O.^IIE  (du  grec  àypô;,  champ,  et  v6|xo;,  loi), 
théorie  de  l'agriculture. 

Toute  plante  provient  d'un  œuf  qu'on  nomme  graine  ou 
semence.  Cet  œuf,  arrivé  à  terme,  brise  le  placenta,  se  dé- 
tache de  sa  mère,  soit  par  une  force  élastique  qui  lui  est 
particulière,  soit  en  vertu  des  lois  générales  de  la  gravita- 
tion, et  vient  demander  aux  éléments  une  couveuse  et  une 
nourrice.  — Le  soleil,  qui  est  le  grand  incubateur  du  monde, 
l'érhauffe  de  ses  rayons  ;  la  terre  le  nourrit  de  ses  sels,  et 
développe  en  lui  deux  mamelles,  nommées  cotylédons,  qui 
l'abreuveront  d'un  lait  délicat  dans  les  jours  de  sa  faiblesse, 
et  qui  disparaîtront  aussitôt  que  ses  organes  pourront  sup- 
porter une  nourriture  plus  substantielle.  —  Comme  l'être 
animé  qui  sort  de  cet  embryon  est  d'une  nature  amphibie,  il 
se  développe  en  lui  deux  organes  manducateurs  :  l'un,  sous 
le  nom  de  radicule,  s'enfonce  dans  la  terre  pour  en  pomper 
les  parties  solubles;  l'autre,  sous  le  nom  de  plumule,  s'é- 
lève dans  les  airs  pour  en  sécréter  les  fluides  et  pour  excréter 
les  parties  qu'il  n'a  pu  s'assimiler.  —  De  là  l'indispensable 
nécessité  pour  tous  ceux  qui  s'occupent  de  l'éducation  de 
ces  êtres  animés ,  de  savoir  ce  qui  se  passe  dans  la  terre  et 
dans  les  airs  durant  les  diverses  périodes  de  leur  existence, 
l'incubation,  la  germination,  la  floraison,  la  fruclificalion,  la 
maturité,  et  de  les  aider  de  tous  les  moyens  que  l'intelli- 
gence humaine  peut  suggérer  pour  leur  faire  accomplir  heu- 
reusement leurs  destinées.  —  Dans  le  sein  de  la  terre  l'a- 
gronome doit  rechercher  et  étudier  toutes  les  matières  assi- 
milables, et  qui  sont  susceptibles  d'être  saisies  par  les  su- 
çoirs végétaux  ;  et  comme  les  plantes  sont  essentiellement 
salivores,  il  a  d'abord  à  s'occuper  des  sels.  11  doit  apprendre 
comment  ces  sels  s'attirent  ou  se  repoussent ,  se  composent, 
se  métamorphosent  les  uns  dans  les  autres,  et  reprennent  leur 
nature  propre,  et  comment ,  dans  leurs  caractères  primitifs 
ou  combinés,  ils  agissent  sur  les  plantes,  soit  comme  irri- 
tants ou  excitants,  soit  comme  alimentaires  ou  nourriciers, 
soit  comme  principes  délétères  ou  morbifiques.  —  Dans  l'at- 
mosphère ,  qui  est  le  chapiteau  de  ce  grand  alambic  dont 
le  foyer  est  la  terre,  l'agronome  reconnaît  comme  partie 
principale  et  constituante  l'azote,  qui  en  forme  presque 
les  trois  quarts,  et  qui  enchaîne  l'activité  de  l'oxygène,  le- 
quel sans  l'azote  acidifierait  et  brillerait  fout ,  tandis  que 
l'azote  privé  de  l'oxygène  alcaliserait  et  stupéfierait  tout.  — 
Au  sein  de  ces  deux  éternels  ennemis  vient  se  placer  le  gaz 
hydrogène,  qui  est  plus  léger;  le  gaz  acide  carbonique, 
(lui  est  plus  pesant,  et  plusieurs  autres  gaz,  dont  quelques- 
uns  ,  impondérables  et  insaisissables,  fonr.eat  la  nourriture 


AGRONOMIK 


199 


Réricnne  ilcs  j>!anlcs,  et  satisfont  l'apiu'iit  île  cet  organe 
léger  dont  la  partie  infoiieure  poniiietout  ce  qui  lui  est  as- 
similable, et  la  partie  supérieure  aspire  ce  qui  n'a  pu  lui  ôtre 
assimilé. 

L'agronome  e?t  donc  obligé  d'étudier  la  météorologie  dans 
tous  ses  rapports  avec  le  règne  végétal,  la  formation  des 
nuages,  des  brouillards,  des  rosées,  de  la  pluie,  de  la  griMe,de 
la  neige,  la  théorie  des  vents  ou  le  défaut  d'équilibre  de  l'air. 
Considérant  ensuite  les  plantes  en  elles-mêmes,  l'agronome 
arrive  à  étudier  leur  organisation,  ce  que  la  science  appelle  la 
physiologie  végétale,  cause  de  querelles  pour  les  savants, 
qui  sont  loin  d'être  d'accord  sur  le  jeu  des  organes  des  plantes. 
—  On  peut  juger  combien  des  êtres  aussi  compliqués  que  le 
sont  les  végétaux,  en  point  de  contact  avec  tant  d'éléments 
si  variables,  sont  sujets  à  être  affectés  ou  altérés,  soit  par 
la  quantité,  l'absence  ou  l'excès  des  aliments,  soit  par  les 
variations  d'une  atmosphère  dont  toutes  les  parties  discor- 
dantes ne  peuvent,  d'après  leur  nature  même,  demeurer  un 
instant  en  repos.  —  De  là  résulte  pour  un  agriculteur  la  né- 
cessité d'étudier  l'hygiène  et  la  pathologie  végétales,  ou  les 
moyens  curatifs  et  préservatifs  de  tant  de  maladies,  qui  va- 
rient suivant  les  diverses  espèces.  —  Pour  les  céréales  seules, 
ces  maladies  sont  la  nielle,  la  coulure,  la  rouille,  le  charbon, 
la  carie  et  l'ergot  ;  pour  les  plantes  ligneuses,  la  gelivure,  la 
décurtation,  l'exfoliation,  les  exostoses,  panachures,  cloques, 
mousses,  blancs  ou  meuniers,  bnllures,  excroissances,  hé- 
morrhagies,  et  pour  tous  les  végétaux  la  chlorose,  la  plé- 
thore, la  champlure,  l'ictère  ou  jaunisse,  l'anasarque,  la 
gangrène ,  la  flétrissure ,  la  phthiriasis,  qui  est  aux  végétaux 
ce  que  la  maladie  péiliculaire  est  aux  animaux.  —  Le  be- 
soin d'administrer  avec  discernement  des  remèdes  puisés 
dans  les  trois  règnes  à  des  êtres  sujets  à  tant  de  dérange- 
ments ramène  l'agronome  à  étudier  d'une  manière  plus  par- 
ticulière la  sensibilité ,  ou  si  l'on  veut  l'irritabilité  végétale, 
la  circulation,  ou  si  l'on  veut  l'oscillation  de  la  sève,  et 
tout  ce  qui  a  rapport  à  la  nutrition,  digestion,  excrétion  et 
reproduction. 

Comme  la  plupart  des  espèces  végétales,  semblables  à  des 
peuples  nomades  qui  ne  sont  pas  encore  fixés,  vivent  entre 
elles  dans  un  état  de  guerre  permanent,  et  se  disputent  sans 
cesse  le  terrain  et  la  nourriture,  l'agronome  doit  connaître 
l'instinct,  les  mœurs,  les  habitudes  de  ces  familles,  afin 
d'établir  entre  elles  une  sorte  de  pofice,  et  de  protéger  la 
végétation  civilisée  contre  les  invasions  de  la  population 
barbare.  Ceci  le  conduit  à  l'étude  de  la  botanique,  c'est- 
à-dire  à  la  connaissance  des  classes,  des  ordres,  des  sec- 
tions, des  genres,  des  espèces,  des  variétés.  Comme  le  règne 
animal  se  divise  naturellement  en  deux  parties,  l'une  vivant 
sur  lui-même,  l'autre  vivant  sur  le  règne  végétal,  l'agronome 
est  nécessairement  obligé  d'étudier  cette  moitié  qui  vit  du 
pillage  et  de  la  dilapidation  des  produits  agricoles. — Prenant 
la  zoologie  à  son  sommet,  il  s'attache  d'abord  à  la  classe  des 
mammifères  vertébrés,  vivipares,  à  sang  chaud  et  à  double 
système  nerveux,  et  il  y  trouve  les  quadrupèdes  rongeurs  à 
dents  incisives,  les  glirins,  les  loirs,  les  campagnols,  rats, 
taupes,  les  léporiens,  les  hystriciens,  les  onguiculés,  et  ceux 
qui  ont  des  molaires  sansincisives,ou  des  ongles  sans  incisives 
ni  molaires.  Et  passant  aux  vertébrés  sans  mamelles,  il  trouve 
parmi  les  oiseaux  déprédateurs  les  picoïdes,  les  rapaces, 
h'S  grimpeurs,  les  piqueurs,  suceurs,  màcheurs  et  grigno- 
teurs.  — Passant  de  l'ornithologie  aux  annélides,  il  doit  étu- 
dier les  espèces  de  vers  vêtues  de  fourreaux,  et  celles  qui  en 
sont  dépourvues.  Dans  le  premier  genre  il  rencontie  les 
arénicoles,  les  furies  et  les  planaires,  et  dans  le  dernier  les 
dentales,  les  serpules,  les  vagiuelles,  comme  les  fii\i!!\  de 
l'agriculture.  —  Dans  l'étude  des  mollusques  il  dislingue 
ceux  qui  marchent  nus  et  ceux  qui  marchent  dans  des  mai- 
sons qu'ils  traînent  après  eux,  et  desquelles  ils  sortent  à  vo- 
lonté. —  Il  trouve  en  première  ligne  dans  les  céphalés  le 
limaçon,  armé  d'un  cioissant  avec  lequel  il  tond  les  jeunes 


pousses  et  fait  disparaître  quelquefois  en  une  seule  nuit,  par 
un  temps  humide,  une  récolte  naissante,  qui  la  veille  en- 
core donnait  les  plus  belles  espérances.  —  Passant  de  là 
aux  insectes,  il  étudie  linstinct  et  les  mœurs  de  ces  des- 
tructeurs étemels  de  la  végétation;  il  trouve  dans  les  né- 
vroptères  les  demoiselles  et  les  libellules,  les  termites,  les 
cloportes,  les  scorpions,  les  arachnides  ou  araignées,  parmi 
lesquelles  il  faut  soigneusement  distinguer  les  tapissières, 
les  (ilandières,  les  tondeuses,  les  sauteuses,  les  chercheuses, 
et  les  voyageuses,  qui  aiment  à  se  reposer  des  fatigues  do 
leurs  voyages  sur  les  arbres  à  plein  vent  et  sur  les  espaliers. 
—  Faut-il  parler  des  diverses  espèces  de  mantes ,  de  vers , 
de  chenilles,  de  fourmis,  de  puces ,  de  poux,  de  punaises , 
invisibles  armées  qui  entrent  en  campagne  au  premier  souQlo 
du  printemps ,  et  qui ,  avec  leurs  crochets  et  leurs  tenta- 
cules, leurs  dents  et  leurs  pinces,  leurs  lances,  leurs  trompes, 
leurs  aiguillons,  leurs  vrilles,  leurs  lancettes  et  leurs  su- 
çoirs, dévorent  les  semences  aussitôt  qu'on  les  a  jetées  en 
terre,  les  cotylédons  qui  s'y  forment  ou  la  plumule  qui  com- 
mence à  germer  ;  s'introduisent  dans  le  chevelu  des  racines, 
dans  le  parench)Tne  des  feuilles,  dans  le  réseau  des  écorces, 
dans  le  tissu  vasculaire  des  tiges,  dans  les  anthères  et  calices 
des  fleurs  (  dont  elles  empoisonnent  ainsi  l'hyménée  ) ,  dans 
l'intérieur  des  fruits,  des  tubercules  et  des  bulbes,  y  déjiosent 
une  famille  qui,  à  peine  visible,  se  développe  successivement, 
et  finit  par  dévorer  la  maison  entière  dans  laquelle  elle  est 
logée? —  Plusieurs  de  ces  espèces  consomment  dans  un  seul 
jour  im  volume  végétal  six  fois  plus  considérable  que  ce- 
lui de  leur  corps,  surtout  dans  les  moments  qui  précèdent 
leurs  diverses  métamorphoses  envers,  larves,  nymphes, 
chrysalides,  papillons ,  mouches,  phalènes  ;  crises  par  les- 
quelles se  régénèrent  ces  vilaines  bêtes,  transformations  tou- 
jours précédées  d'une  consommation  d'autant  plus  dispen- 
dieuse qîi'elle  est  plus  prochaine,  et  nécessairement  accom- 
pagnée d'une  abstinence  après  laquelle  ces  néophytes  se 
livrent,  sous  d'autres  formes,  aux  plus  coupables  dépréda- 
tions. L'agronome  doit  chercher  dans  la  nature  des  engrais, 
dans  des  préparations  chimiques,  dans  le  choix  des  époques 
de  labour  et  de  semage ,  dans  celui  des  graines  et  des  terres 
moins  sujettes  à  l'invasion  de  ces  insectes,  des  moyens  de 
les  préseiTer  de  ce  fléau ,  qui  réunit  contre  les  espèces  vé- 
gétales tout  ce  que  peuvent  développer  de  plus  odieux  contre 
l'espèce  humaine  la  guerre,  la  peste  et  la  famine. 

En  examinant  ensuite  les  végétaux  cultivés  sous  le  rapport 
de  la  quantité  de  substance  nutritive  que  chaque  espèce  con- 
tient, on  voit  que,  parmi  les  céréales,  le  froment  donne  en 
gluten  ou  albumine  (celle  de  toutes  les  substances  végétales 
qui  approche  le  plus  des  substances  animales  )  dix-huit  à  vingt 
pour  cent  de  son  poids  ;  l'orge,  de  cinq  à  iuiit  pour  cent  ; 
l'avoine,  de  deux  à  deux  et  demi  pour  cent  ;  le  seigle,  de 
deux  à  deux  et  demi  pour  cent  ;  et  parmi  les  tuberculeuses 
et  bulbeuses,  la  pomme  de  terre  rend,  en  matière  soluble 
et  nutritive,  deux  cents  parties  sur  mille,  à  peu  près  le 
quart  de  ce  que  rapporte  le  froment.  —  La  betterave  rouge, 
le  turaeps  et  la  carotte  rendent  cent  à  cent  cinquante  par- 
ties sur  mille.  —  Quoique  les  végétaux  fournissent ,  par 
leur  décomposition  ,  le  mucilage ,  la  gomme ,  l'amidon ,  le 
sucre  ,  l'albumine ,  le  gluten ,  les  gaz  élastiques ,  l'extrait, 
le  tannin,  l'indigo ,  le  principe  narcotique ,  le  principe  amer, 
la  cire,  la  résine,  le  camphre,  les  liuiles  fixe  et  volatile, 
les  acides,  les  alcalis,  les  oxydes  métalliques,  et  grnéra- 
lement  tous  les  composés  salins,  tout  cela,  réduit  aux 
principes  les  plus  simples ,  n'offre  plus  que  l'oxygène,  l'a- 
zote, l'hydrogène  et  le  carbone ,  et  c'est  avec  ce  petit  nom- 
bre d'éléments  élaborés  dans  dos  moules  dont  la  nature 
sait  le  secret,  qu'elle  produit  et  varie  jusqu'à  l'infini  en 
couleurs,  en  foruies,  en  saveurs  et  en  iiarl'ums,  tous  les 
ouvrages  qu'elle  nous  offre  avec  une  abondance  qui  ressem- 
ble souvent  à  la  prodigalité. 

Ai)rès  s'être  assure  que  les  terres  les  plus  fécondes  (ou  en 


200  AGRONOMIE 

d'autres  tcrmrs,  les  terres  qui  posst''(lont  au  plus  haut  degré 
la  facullo  (l'absorption)  se  composent  de  silice,  d'alumine, 
de  chaux  et  de  magnésie,  combinées  dans  de  justes  propor- 
tions entre  elles,  et  avec  la  profondeur,  la  couleur  et  l'expo- 
sition du  sol  ,  l'agronome  doit  s'occuper  des  engrais  destinés 
à  donner  de  l'activité  aux  matières  terreuses.  On  les  distin- 
gue en  engrais  stimulants  (et  tels  sont  principalement  les 
minéraux  )  et  en  engrais  nutritifs ,  qui  se  composent  de  par- 
ties salines  et  solubles  que  les  Jluides  aqueux  portent  et  dé- 
posent avec  leur  oxygène  dans  les  divers  végétaux.  —  Plu- 
sieurs espèces  de  .sels  de  la  même  nature ,  quoique  dans  des 
pro[)ortions  dilférentes ,  se  trouvent  dans  les  deux  espèces 
d'engrais  ;  mais  ce  qui  distingue  les  engrais  animaux  des 
engrais  végétaux ,  c'est  la  graisse,  le  mucus ,  l'urée  ,  les  aci- 
des uri(jueet  phospiiorique,  ou,  pour  s'exprimer  avec  plus 
de  précision  ,  la  fibrine ,  l'albumine ,  le  caséum ,  la  gélatine, 
qui  à  l'analyse  donnent  de  quarante-sept  à  soixante  par- 
ties de  carbone ,  de  douze  à  vingt-quatre  parties  d'oxygène, 
de  sept  à  huit  parties  d'hydrogène ,  et  de  quinze  à  vingt 
parties  d'azote.  —  Les  os  brisés  contiennent  moitié  phos- 
phate ,  moitié  gélatine ,  et  ils  sont  par  consécpient  stimulants 
et  nutritifs.  —  Les  cornes  ,  les  ongles ,  les  rognures  et  raclu- 
res des  cornes  employées  dans  les  arts,  les  poils ,  les  plumes, 
les  laines  et  la  matière  savonneuse  appelée  sîiint ,  les  excré- 
ments des  oiseaux  ,  toujours  préférables  à  ceux  des  quadru- 
pèdes, sont  d'excellents  engrais,  à  la  tète  desquels  il  faut 
cependant  placer  les  larves  ammoniacales  du  bombyx.  — 
Parmi  tous  les  végétaux ,  celui  qui  offre  le  plus  de  parties 
salines  et  solubles  doit  être  préféré  pour  former  des  en- 
grais. —  La  paille  du  froment ,  ne  fournissant  de  matière 
soluble  que  deux  ou  trois  pour  cent  de  son  poids,  ne  doit 
être  considérée  que  comme  excipient  d'engrais.  —  Les 
jilantes  à  large  feuillage  ,  arrachées  lors  de  leur  floraison , 
fournissant  vingt  pour  cent ,  sont  inliuiment  préférables. 

Ses  terres  arables  étant  suflisamnient  amendées  ,  labou- 
rées et  fumées ,  l'agronome  doit  s'appliquer  à  former  un 
bon  assolement,  ou  ,  ce  qui  est  la  même  chose,  une  suc- 
cession bien  entendue  de  récoltes  de  nature  diverse.  —  Les 
plantes  se  nourrissant  de  sels  divers ,  et  les  cherchant  à 
diverses  profondeurs  ,  le  soleil  ne  chômant  point ,  la  terre 
continuant  de  travailler  et  de  produire  toujours ,  il  semble 
que  les  règles  de  l'art  doivent  se  conformer  aux  règles  de 
la  nature  :  conséquemment,  on  peut  considérer  les  jachères 
conune  un  contre-sens.  —  Les  céréales  épuisent  la  terre 
moins  par  les  sels  qu'absorbent  leurs  tiges  que  par  la  nourri- 
ture et  l'élaboration  qu'exigent  leurs  graines  ,  et  par  la  quan- 
tité d'herbes  parasites  que  la  ténuité  des  pailles  laisse  pou.s- 
ser.  —  Lorsqu'en  échange  des  graines  que  vous  fournit  une 
terre,  vous  ne  lui  restituez  que  la  paille,  c'est  comme  si 
\ous  preniez  cent  et  que  vous  rendissiez  un.  Le  meilleur 
sol  ne  saurait  supporter  longtemps  un  tel  régime  :  aussi 
fait-on  succéder  à  une  récolte  de  céréales  des  plantes  à  large 
feuillage,  telles  que  des  turneps  et  des  tuberculeuses,  qui 
demandent  beaucoup  à  la  terre ,  mais  qui  lui  rendent  beau- 
coup plus  encore.  —  A  cette  récolte  on  fait  succéder  des 
plantes  fourrageuses ,  que  l'on  fait  couper  en  vert ,  et  que 
l'on  fait  enfouir  en  terre;  ce  qui  produit  un  engrais  abon- 
dant pour  le  froment  qui  vient  immédiatement  après. 

Conune  les  terres  ont  besoin  d'être  souvent  remuées,  afin 
d'être  saturées  dé  gaz  aériens ,  purgées  de  toute  végétation 
parasite ,  et  réduites  en  parties  tellement  ténues  qu'elles  ne 
gênent  point,  mais  qu'elles  facilitent,  au  contraire,  la  germi- 
nation, l'agronome  doit  s'occuper  des  labours,  de  leurs 
modes  divers ,  et  se  proposer  à  lui-même  la  solution  du 
problème  suivant  :  «  Produire  sur  le  fonds  de  terre  propre 
à  la  végétation  le  plus  d'effet  possible  avec  le  moins  de  force 
possible.  »  De  là  résulte  le  besoin  de  calculer  la  puissance 
motrice  des  attelages  suivant  l'espèce  des  animaux  qu'on  y 
emploie,  et  la  forme  qu'on  doit  donner  aux  divers  leviers, 
tels  que  l'araire,  la  binette ,  la  charrue  avec  ou  sans  chariot, 


avec  une  ou  plusieurs  oreilles,  avec  un  ou  plusieurs  socs, 
le  sarcloir,  le  butoir  à  cheval,  le  scarificateur  et  le  tritura- 
teur  enq)Ioyés  eu  Angleterre  et  en  Belgique,  la  herse  à  dents 
de  bois  ou  de  fer,  le  cylindre  ou  rouleau  en  bois  ou  en  pierre, 
et,  parmi  les  instruments  manuels,  la  bêche,  le  louchet,  la 
pioche,  la  houe,  le  crochet,  suivant  la  nature  du  terrain  et 
l'espèce  de  culture  qu'on  y  pratique.  —  A  cette  élude  doit 
nécessairement  succéder  celle  des  instruments  de  transport 
les  plus  convenables  au  pays,  depuis  le  chariot  soutenu  par 
des  roues  à  jantes  de  huit  pouces  ,  jusqu'à  la  simple  brouette. 

Une  étude  non  moins  importante  est  celle  de  l'archilecture 
rurale,  ou  de  la  forme  la  plus  salubre  ,  la  plus  commode  et 
la  moins  dispendieuse  à  donner  à  l'habitation,  à  la  bergerie, 
aux  écuries,  aux  étables,  aux  granges,  aux  cours,  aux 
pressoirs,  aux  greniers,  aux  colombiers  et  aux  poulaillers; 
et  le  problème  qui  consiste  à  réunir  la  plus  grande  salubrité 
animale  à  la  plus  grande  fécondité  végétale  est  difficile  à 
résoudre,  car  les  animaux  ont  besoin  de  respirer  un  air  vital 
composé  de  six  septièmes  d'azote  et  d'un  septième  d'oxy- 
gène ,  et  les  végétaux  ont  surtout  besoin  d'hydrogène  et  de 
carbone,  éléments  délétères  pour  les  êtres  vivants.  —  La 
prospérité  d'une  ferme  exige  cependant  la  santé  des  bonmies 
et  des  bêtes ,  et  la  force  d'une  vigoureuse  végétation.  Pour 
résoudre  approximativement  le  problème,  il  faut  tenir  le 
fumier  et  les  végétaux  en  dissolution  dans  des  lieux  couverts 
et  écartés  de  l'habitation,  curer  et  dessécher  les  mares  qui 
en  sont  trop  voisines  ,  passer  à  l'eau  de  chaux  les  étables  et 
les  écuries,  et  donner  à  leur  pavé  la  pente  nécessaire  pour 
l'écoulement  des  urines,  changer  fréquemment  les  litières; 
car  toute  bête,  et  même  celle  qui  a  entre  toutes  la  réputation 
d'être  la  plus  sale ,  veut  être  tenue  proprement. 

Ce  serait  ici  le  lieu  de  parler  des  soins  qu'exigent  les  di- 
vers animaux  d'une  ferme,  considérés  comme  laboureurs, 
comme  fournisseurs  d'engrais,  d'ahments,  etc. ,  et  l'éduca- 
tion propre  à  chacune  des  espèces;  comment  on  entretient 
leur  santé ,  comment  on  prévient  ou  guérit  leurs  maladies , 
et  comment  on  en  tire  le  meilleur  parti  possible,  en  formant 
des  élèves  et  en  les  vendant  après  les  avoir  engraissés  ;  du 
parti  que  l'on  doit  tirer  des  soies,  des  laines,  et  de  toutes  les 
manipulations  qu'exigent  une  laiterie,  une  magnanerie,  un 
rucher,  un  pigeonnier,  et  du  bénéfice  que  l'on  doit  retirer  du 
tout;  car  l'agriculture  n'est  pas  une  affaire  de  luxe  ou  de 
curiosité,  une  spéculation  scientifique  ou  philosophique. 
Dans  la  théorie ,  elle  doit  être  considérée  comme  une  ma- 
nufacture dans  laquelle  les  fabricants  s'occupent  sans  cesse 
à  convertir,  au  moyen  de  moules  organiques ,  l'oxygène , 
l'azote,  l'hydrogène  et  le  carbone  en  produits  végétaux  et 
animaux  de  toute  espèce. 

La  dépense  doit  donc  être  réglée  comme  celle  <J'une  fa- 
brique. —  Avant  de  se  livrera  une  exploitation  de  ce  genre, 
il  fiiut  connaître  le  prix  des  matières  premières  qu'on  y  em- 
ploie ,  celui  des  mains-d'œuvre ,  le  salaire  des  serviteurs  à 
gages ,  les  impositions  de  toute  nature ,  la  dépense  que  né- 
cessitent l'entretien  des  bâtiments  et  des  instruments  agri- 
coles ,  le  charronnage ,  le  ferrage ,  le  chauffage  et  l'éclai- 
rage. Quant  à  la  recette,  il  faut  tous  les  jours  être  au  cou- 
rant du  prix  des  denrées  et  des  bestiaux  ,  de  celui  des  trans- 
ports et  des  voitures,  des  lieux  de  marché,  des  fumiers  et 
des  délais  de  recouvrement ,  et  généralement  des  lois  qui 
règlent  les  transactions  commerciales. 

La  connaissance  dont  un  agronome  peut  le  moins  se  pas- 
ser, c'est  la  connaissance  des  hommes  et  l'art  de  les  diriger 
dans  une  exploitation  rurale.  —  Le  gouvernement  paternel 
est  le  seul  qu'un  agriculteur  doive  adopter  envers  ses  servi- 
teurs à  gages  et  ses  ouvriers.  —  Tl  doit  toujours  les  consi- 
dérer comme  des  compagnons  de  voyage,  destinés  à  traverser 
péniblement  avec  lui  le  désert  de  la  vie.  Chargé  de  la  di- 
rection et  des  frais  du  pèlei  inage ,  il  est  de  son  devoir  de 
leur  en  adoucir  les  fatigues  jusqu'à  son  arrivée  à  cette 
destination  où  l'on  ne  connaît  plus  les  catégories  de  pro~ 


AGRONOMIE  —  AGUADO 


201 


pruMalics  cf  de  salariés ,  de  maîtres  et  de  valets ,  et  où  les 
arrivants  ne  sont  distingués  qvie  coninie  bons  ou  mauvais , 
durs  ou  bienl"ais;ints.  Lorsque  les  serviteurs  d'un  domaine 
montrent  du  zèle,  de  ractivité  et  de  la  vertu,  le  maitredoil 
s'y  montrer  toujours  sensible;  mais  lorsqu'ils  en  manquent, 
ils  ne  doivent  essuyer  aucun  mauvais  traitement  de  sa  part. 
]|  voit  leurs  vices  avec  miséricorde  et  leurs  misères  avec 
une  compassion  sympathique.  Il  doit  considérer  l'iionmie  en 
société  comme  un  excipient  obliiîé  de  toutes  les  émanations 
de  l'atmosphère  dans  laquelle  il  respire.  —  Son  caractère 
moral  est  le  résultat  d'une  organisation  qu'il  n'a  pas  été 
libre  de  se  donner,  d'une  éducation  qu'il  n'a  pas  pu  diriger, 
d'institutions  qu'il  n'a  pu  ni  créer  ni  modifier,  des  hasards, 
et  d'une  fortune  qu'il  n'a  pu  ni  calculer  ni  maîtriser.  Pour 
ôtre  juste  envers  chacun ,  il  faudrait  savoir  ce  qui  vient  de 
lui  et  ce  que  les  autres  y  ont  mis ,  connaître  la  force  de  ses 
organes,  apprécier  le  degré  de  résistance  dont  il  a  pu  être 
capable ,  et  ce  qui  lui  est  resté  de  liberté  morale.  —  Si  l'on 
se  livrait  à  de  tels  calculs ,  on  verrait  que  la  part  des  cir- 
constances et  des  positions  est  fort  grande,  et  celle  de  la 
volonté  personnelle  fort  petite.  On  porterait  avec  moins 
de  légèreté  des  jugements  absolus  sur  des  créatures  si  fai- 
bles et  si  compliquées.  L'infection  des  grandes  sociétés  ur- 
baines et  l'égoisme  sauvage  des  populations  rustiques  sont 
des  effets  aussi  nécessaires  que  le  sont  les  exhalaisons  alca- 
lescentes  des  matières  animales  ou  l'hydrogène  des  marais. 
S'irriter,  s'emporter  avec  violence  contre  de  tels  effets  est 
puéril ,  se  venger  est  dur  et  injuste  ;  mais  prévenir,  sur- 
Neiller,  se  préserver,  diriger  sans  cesse,  réprimander  sou- 
vent pour  n'avoir  jamais  à  punir,  ce  doit  être  la  maxime 
du  sage.  ^  Le  comte  Français  (  de  Nantes  ). 

AGTÉLEK  (  Caverne  d'),  en  hongrois  Baradlo,  ce  qui 
signifie  lieu  suffocant;  l'une  des  plus  vastes  et  des  plus  re- 
marquables cavernes  de  la  terre,  près  du  village  d'Agtélek, 
d'où  elle  tire  son  nom,  à  Textrémité  du  comitat  de  Gomor 
en  Hongrie ,  non  loin  de  la  route  conduisant  de  Bude  à  Kas- 
chau.  Cette  caverne  ,  dont  l'ouverture,  située  au  pied  d'une 
montagne,  n'a  pas  plus  de  trois  pieds  et  demi  d'élévation  sur 
cinq  de  largeur,  se  compose  d'une  suite  de  grottes  et  de  ca- 
vités communiquant  les  unes  avec  les  autres ,  qu'il  est  fati- 
gant et  dangereux  de  visiter,  et  dans  lesquelles  on  ne  sau- 
rait souvent  même  pénétrer,  à  cause  de  l'élévation  de  la 
rivière  souterraine  qui  y  coule.  La  partie  supérieure  et  les 
|>arois  de  chacune  de  ces  grottes  et  cavités  sont  couvertes 
«les  plus  magnifiques  stalactites  qu'on  puisse  voir,  affectant 
les  formes  les  plus  diverses  ;  d'où  ces  grottes  ont  reçu  les 
différentes  dénominations  sous  lesquelles  elles  sont  célèbres, 
comme  la  Grande  Église,  VA^ctel  mosaïque,  ]& Sainte 31èrc 
de  Dieu,  etc.  La  plus  grande,  celle  dont  l'effet  est  le  plus  im- 
posant et  le  plus  admirable ,  située  à  environ  deux  cents  pas 
de  l'ouverture  de  la  caverne ,  est  appelée  le  Jardin  des 
Plantes ,  parce  que  le  sol  en  est  entièrement  boidé  par  un 
entrccolonnement  de  stalactites  d'une  délicieuse  délicatesse, 
affectant  les  formes  des  treillages  architectoniques  tels  qu'on 
en  voyait  autrefois  dans  les  jardins  dessinés  dans  le  genre 
français.  Elle  a  environ  trente  mètres  d'élévation  sur  trente 
mètres  de  largeur  et  trois  cents  de  profondeur.  La  voûte  de 
cette  immense  salle  est  entièrement  en  stalactites ,  et  le  sol, 
presque  plane  dans  toute  son  étendue  et  traver.sé  par  un  pe- 
tit ruisseau,  y  est  recouvert  d'une  couche  de  molle  argile 
d'alluvion.  —  C'est  en  l'année  1785  que  la  caverne  d'Agtélek 
fut  pour  la  première  fois  scientifiquement  explorée  par  une 
commission  de  savants  envoyés  à  cet  effet  par  la  Société 
royale  de  Londres. 

ÀGUADO  (Alexandre-Marie),  marquis  de  LAS  MA- 
RISMAS  DEL  GUADALQUIVIR  ,  l'un  des  plus  riches  ban- 
quiers des  temps  modernes,  né  à  Séville,  le  29  juin  178i, 
descendait  d'une  famille  juive  de  Portugal.  Soldat  dans  sa 
jeunesse,  il  parvint  à  d'assez  hauts  grades  tant  au  service 
d'Espagne  qu'à  celui  de  France,  et  à  l'époque  de  l'occu- 

DICT.    DE   L\    CoriVEUSATIO.N.    —    T.    1. 


pation  de  l'Espagne  pai'  le  maréchal  Soult  il  remplit  auprès 
de  lui  les  fonctions  d'aide  de  canqi.  Mis  ;\  la  retraite  en  1815 
avec  le  grade  de  colonel ,  il  se  relira  à  Paris ,  où  il  demanda 
au  commerce  des  moyens  de  subsistance,  et  fit  pendant 
longtemps  la  commission  des  vins  d'Espagne  et  des  cigares 
de  la  Havane  introduitsen  contrebande.  Actif  et  intelligent,  le 
cercle  de  ses  relations  et  de  ses  opérations  alla  toujours  en 
s'élargissant,  et  bientôt  il  put  à  la  commission  adjoindre 
quelques  opérations  de  banque.  Presque  constamment  heu- 
reux dans  ces  spéculations ,  sa  fortune  s'accroissait  d'année 
en  année,  et  vint  enfin  le  moment  où  la  haute  banque  dut 
l'admettre  dans  son  cénacle ,  et  lui  faire  sa  part  dans  toutes 
les  grandes  opérations  financières  de  l'époque.  Cependant 
les  plus  fructueuses  qu'il  fit  jamais  furent  les  empiunts 
qu'il  conclut  au  nom  de  l'Espagne.  11  est  avéré  aujourd'hui 
que  ces  différentes  négociations  eurent  lieu  de  compte  à 
demi  entre  lui  et  le  roi  Ferdinand  VIT.  Le  premier  emprant 
ainsi  émis  eut  lieu  en  1823,  au  moment  du  rétablissement 
delà  monarchie  absolue ,  par  suite  de  l'invasion  de  la  pénin- 
sule par  une  armée  française  aux  ordres  du  duc  d'Angou- 
lême.  11  était  de  cinq  cent  mille  piastres  fortes,  et  fut  placé 
au  taux  de  soixante  et  demi  pour  cent,  avec  deux  et  demi  pour 
cent  de  commission.  Quand,  en  1828,  laFrance  et  l'Angleterre 
insistèrent  toutes  deux  pour  obtenir  du  cabinet  de  IMadrid  le 
payement  des  sommes  considérables  qui  leur  étaient  dues 
par  la  trésorerie  espagnole,  la  France  ayant  menacé  de  no 
point  évacuer  l'Espagne  tant  qu'il  n'aurait  pas  été  fait  complé- 
tementdroit  à  ses  réclamations,  s'élevant  à  92,000,000  francs, 
un  échange  des  notes  les  plus  vives  eut  lieu  entre  les  deux  ca- 
binets. A  ce  moment  critique,  Aguado  vint  encore  une  fois 
au  secours  de  l'héritier  de  la  monarchie  de  Philippe  II;  ou, 
pour  mieux  dire,  ces  exigences  si  pressantes  des  puissances 
étrangères  pour  faire  liquider  leurs  créances  respectives  servi- 
rent admirablement  les  npénrtioivs  financières  de  Ferdi- 
nand VII,  dont  les  énormes  émissions  de  bons  royaux  se  trou- 
vaientainsijustifiéesaux  yeux  du  vulgaire  des  agioteurs.  L'art 
du  courtier  qui  en  opéra  le  placement  consista  à  faire  recher- 
cher d'autant  plus  vivement  ces  valeurs  fantastiques  qu'elles 
étaient  de  la  part  de  la  presse  indépendante  l'objet  des  plus 
vives  critiques.  Il  y  a  tout  lieu  de  croire,  en  effet,  que  le  ban- 
quier n'était  pas  étranger  aux  articles  imprimés  par  les  jour- 
naux, dans  lesquels  ou  attaquait  avec  la  plus  grande  énergie 
les  scandaleux  tripotages  de  bourse  auxquels  donnait  lieu  sur 
les  différentes  places  de  l'Europe  la  négociation  des  certi- 
ficats des  emprunts  i"oyaux  d'Espagne;  car  leur  correspon- 
dance était  calculée  de  manière  à  ne  pas  nuire  au  crédit 
des  valeurs  émises,  et,  tout  au  contraire,  à  exciter  la  spécu- 
lation à  se  disputer  des  titres  dans  la  négociation  desquels 
on  faisait  rapidement  fortune.  La  révolution  de  juillet  1830 
vint  mettre  un  terme  à  ce  fructueux  commerce.  Le  trésor 
de  Madrid  cessa  alors  de  payer  toute  espèce  d'intérêts ,  et 
ce  ne  fut  plus  un  mystère  pour  personne  qu'il  n'avait  été  si 
exact  de  1824  à  1830  à  servir  l'intérêt  de  ses  différents  em- 
prunts ,  qu'en  jetant  incessamment  de  nouveaux  titres  sur 
les  diverses  places  de  l'Europe.  La  réaction  fut  rapide,  et 
des  valeurs  cotées  naguère  à  soixante-seize,  et  même  à  qua- 
tre-vingts, ne  se  placèrent  plus  qu'à  seize  ou  dix-huit.  Mais 
le  tour  était  fait.  Le  roi  Ferdinand  VII  avait  acquis  une 
fortune  privée  évaluée  à  plus  de  quatre-vingts  millions  de 
francs,  et  Aguado,  son  entremetteur,  ne  s'était  point  oublié 
dans  le  partage  du  gâteau.  Aussi  bien  le  roi  catholique  recon- 
naissant non-seulement  l'avait  décoré  du  titre  de  banquier  de 
sa  cour  et  delà  croix  de  divers  ordres,  mais  l'avait  en  outre 
créé  marquis  de  las  Marismas  del  Guadalquivir.  L'octroi 
de  cette  savonnette  à  vilain  fournit  dans  le  temps  au  Chari- 
vari une  de  ses  bonnes  plaisanteries  ;  il  ne  désigna  plus  dès 
lors  l'opulent  banquier  que  sous  le  nom  de  Blaguado  de  las 
Macairismas.  Aguadoeutà  ce  moment  le  bon  esprit  de  renon- 
cer sux  affaires,  et  de  ne  plus  s'occuper  que  de  la  lifjuida- 
tion  de  sa  fortune;  on  l'évaluait  à  plus  do  cinquante  millions 

2U 


2C2  AGUADO 

de  francs.  Il  en  faisait  d'ailleurs  un  assez  noble  usage  Les 
beaiix-aris  avaient  trouvé  en  lui  un  protecteur  plus  généreux 
peut-être  qu'éclairé;  et  la  galerie  de  tableaux  qu'il  avait  pu- 
nis dans  son  bel  liôlel  de  la  rue  Gran;;e-Bateiière  possédait 
quelques  toiles  dignes  de  ligurer  dans  les  gran  Is  musées. 
Agiiado  (ut  en  outre  pendant  longtemps  le  commanditaire  de 
l'Opéra,  c'est-à-dire  de  l'entrepreneur  privilégié  et  subven- 
tionné de  cette  grande  scène  nationale. 

Naturalisé  Français  en  1828,  Aguado  devint  maire  de  Pe- 
tit-Bonrg,  et  fit  conslruireà  ses  (rais  un  joli  pont  suspendu 
sur  la  Seine.  Il  s'entremit  encore  dans  la  négociation  de  l'em- 
prunt grec,  que  garantirent  les  trois  grandes  puissances  pro- 
tectrices, et  à  celte  occasion  il  reçut  du  roi  Otiion  l'ordre 
du  Sauveur  de  Grèce.  Dans  l'hiver  de  1841  à  1842  il  par- 
lit  pour  les  Asturies,  oii  il  avait  de  grandes  exploitations  de 
houilles  à  organiser.  En  allant  d'Oviélo  à  Gijoii,  il  fut 
surpris  par  la  neige,  au  milieu  d'une  roule  qu'il  avait  fait 
construire  dans  les  montagnes.  Forcé  d'abandonner  ses 
voitures,  il  voulut  poursuivre  sa  route  à  pied  ;  m.ais  il  risqua 
de  se  perdre  plusieurs  fois,  et,  après  quelques  heures  d'une 
marche  pénible,  accablé  de  fatigue  et  de  froid,  il  périt  dans 
une  misérable  poaoda,  fournissant  un  nouvel  et  bien  frappant 
exemple  de  linanilé  des  biens  de  ce  monde.  Son  corps, 
rapporté  en  France,  a  été  inhumé  au  cimetière  du  Père-la- 
Chaise,  après  des  obsèques  magnifiques  à  l'église  Notre- 
Damcde-Lorelte.  Aguado  a  laissé  une  veuve  et  trois  lils, 
dont  l'ainé  a  été  attaché  à  la  diplomatie  française. 

AGUESSEAU(d').  Voyez  Uaguesseac. 

A  GUI  L'AN  ]V  EU  F.  Locution  relative  aux  fêtes  drui- 
diques qui  se  célébraient  lors  du  renouvellement  de  l'année 
chez  les  Gaulois,  pendant  lesquelles  on  coupait  le  gui  sacré 
dans  les  forêts  de  chênes  consacrés  à  leurs  divinités,  et  dont 
Lucain  nous  a  donné  une  idée  bien  poétique  par  sa  descrip- 
tion de  celle  de  Marseille.  Des  vestiges  de  ces  antiques 
usages  du  paganisme  ont  longtemps  subsisté  en  France, 
particulièrement  en  Bretagne  et  en  Picardie,  où  la  veille  de  la 
nouvelle  année  les  pauvres  allaient  quêtant  leurs  étrennes 
au  cri  de  à  gui  l'ati  neuf.  A  cette  occasion  on  fit  long- 
temps aussi  des  quêtes  pour  les  cierges  de  l'église;  et  ces 
quêtes,  faites  par  les  jeunes  gens  de  chaque  endroit,  que 
guidait  un  chef  DO\ûmé  follet,  avaient  lieu  au  cri  de  à  gui 
Van  neuf,  resté  jusqu'à  nos  jours  dans  quelques  campa- 
gnes un  cri  de  réjouissance  particulier  aux  derniers  jours 
de  l'année.  de  Reiffexberg. 

AHA\,AHANER.  Voici  encore  de  ces  vieux  mots  pit- 
toresques et  expressifs  qui  ont  disparu  de  notre  langue  sans 
êire  remplacés.  Il  n'est  pas  de  terme  qui,  aussi  bien  que 
ahan,  représente  un  grand  effort,  ôlant  presque  la  faculté  de 
respirer. C'est  l'expression  du  bûcheron,  du  charpentier,  des 
manœuvres  pour  reprendre  leursoufde  et  se  donner  la  force 
nécessaire  pour  bien  porter  leur  coup.  Ce  mot  était  très- 
familier  à  nos  vieux  écrivains. Rabelais,  Montaigne,  Amyot, 
l'emploient  avec  une  sorte  d'aifection.  On  en  a  fait  ahaner, 
travailler  avec  peine,  avec  ahan.  Ahan  était  aussi  passé 
dans  le  style  figuré,  pour  exprimer  de  pénibles  travaux  d'es- 
prit et  le  tourmtiit  d'une  personne  agitée  par  l'incertitude. 

An.\SVERL'S  ou  ABBASUERUS.  Voyez  Kw  err\.nt. 

AII.MED.  Voyez  kcauEi. 

AHMKD,  bey  de  Conslanfine.  Voyez  Hadji-Ahmcd. 

AH.MS:i),  bey  de  Tunis.  Voyez  Tg.ms. 

AUilED-ABAD,  ville  de  l'Hindoustan  anglais,  située 
sur  la  rivière  navigable  de  Sahermate,  dans  la  présidence  de 
Bombay,  et  chef-lieu  du  district  qui  porte  son  nom.  Celte 
ville  est  bien  déchue  de  son  importance  primitive.  Elle  lut  au 
quinzième  siècle  la  capitale  d'un  État  indépendant,  et  Irès-im- 
porlante  par  son  commerce  et  son  industrie.  Sa  population 
est  encore  évaluée  à  100,000  ûmes.  On  y  trouve  de  belles  et 
nombreuses  ruines. 

AHMED-FETIH-PACÏIA,  grand  maîlrc  de  l'arlil- 
lerie  ottomane,  né  vers  isoo,  d'une  riche  famille  de  Pile 


—  AIDE 

de  Rhodes,  reçut  une  éducation  di.stinguée,  et  se  fit  remar» 
quer  à  la  guerre  par  une  action  d'éclat  qui  lui  valut  le 
surnom  de  Fetbi  (Victorieux).  Mahmoud  II  le  fit  successive- 
ment grand  maréchal  du  palais,  gouverneur  général  d'Aïdin, 
ambassadeur  à  Vienne  en  1834  ctàl'arisen  1838.  Deretourà 
Constantinopleen  1840,  il  prit  la  direction  du  ministère  du 
commerce  et  épousa  une  fille  du  sidian.  Président  du  con 
seil  d'État  en  1844,  il  devint  bientôt  directeur  du  matériel 
de  la  guerre  et  grand  maître  de  l'arlillerie,  place  compre- 
nant à  la  fois  le  génie  militaire,  les  fortifications  et  les  qua- 
rantaines. Il  remplissait  encore  ces  fonctions  lorsqu'il  mou- 
rut en  février  1858.  La  Turquie  lui  doit  en  grande  partie 
l'organisation  de  ses  quarantaines.  L.  L. 

AII.MED-PACIIA,  fils  aîné  d'Ibrabim-P  acba,  na- 
quit au  Caire  en  1S2J.  Il  suivit  son  père  dans  plusieurs  voya- 
gent dans  sa  campagne  de  Syrie.  Envoyé  ensuite  à  Paris 
pour  y  compléter  son  éducation,  il  retourna  en  Egypte  en 
1848,  et  se  fit  remarquer  par  les  réformes  qu'il  introduisit 
dans  l'administration  des  grands  biens  que  lui  laissa  son 
père.  Les  mécontents  de  sa  famille  cherchèrent  à  le  mettre  à 
la  tête  de  leur  opposition  contre  A  b  b  a  s  -  P  a  c  h  a.  Il  partit 
en  ISôl  pour  Constantinople,  y  reçut  le  titre  de  pacha  et  de 
général  de  division,  et  revint  en  Égypie.  Héritier  présomp- 
lif  de  la  vice-royauté  d'Egypte  sous  Saïd-Pacha,  il  était 
depuis  1856  président  du  conseil  délibérant  de  ce  pays 
lorsqu'un  accident  fit  tomber  le  wagon  qui  le  portait  dans 
leiNil,  oii  il  senoya  le  14  mai  1858,  à  Kafr-Lès.  Il  était  très- 
aimé  au  Caire.  L.  L. 

AilSiJMANE.  C'est  dans  l'antique  religion  des  Parses 
le  nom  de  l'uu  des  deux  principes  qui  gouvernent  l'uni- 
vers. Alirimane,  principe  du  mal  et  des  ténèbres,  est  en  lutte 
continuelle  avec  Ormuzd,  princijje  du  bien  et  de  la  lumière;  et 
c'est  de  cet  antagonisme  que  résulte  l'alternative  de  bien  et 
de  mal  que  présente  l'univers.  Suivant  la  croyance  orllio- 
doxe  des  mages,  Ormuzd  seul  était  incréé  ;  selon  quelques- 
uns  même,  ce  fut  lui  qui  créa  Alirimane,  pour  se  donner  le 
plaisir  detriompherd'un  rival  redoutable,  dont  l'abaissement 
servirait  un  jour  à  relever  l'éclat  de  sa  gloire  et  de  sa  puis- 
sance.— Le  mauvais  génie  inspirait  aux  Parses  une  profonde 
horreur;  jamais  ils  n'écrivaient  son  nom  qu'en renversantles 
lettres.  Les  poissons,  les  reptiles  et  d'autres  animaux  impurs 
ou  ennemis  de  la  lumière  lui  étaient  consacrés,  et  l'une  des 
pratiques  religieuses  de  son  culte  consistait,  dit  Plutarque,  à 
lui  offrir  une  pâte  composée  d'une  plante  appelée  onwnii  et 
de  sang  de  loup.  Cette  oblation  se  déposait  dans  des  cavernes 
profondes  oùlejour  ne  pénétrait  jamais. 

AHUMADA  (Duc  d'). Voyez  Giron. 

Al  {Histoire  naturelle).  Toye- Bradvpe. 

AI  ou  AY(Geo(;rflp/j(e),  jolie  pelite  ville,  de  3,430  habi- 
tants, dans  le  département  de  la  Marne,  cliel'-lieu  de  can- 
ton, à  20  kilomètres  de  Reims  et  à  140  de  Paris,  renommée 
pour  ses  excellents  vins  mousseux,  auxquels  elle  a  donné 
son  nom.  T'oye;  CnAMPAGNE  (Vins  de). 

AICHA  ou  AIESCHAH.  Voyez  AvÉcnA. 

AIDE.  On  a  donné  ce  nom  aux  personnes  chargées 
d'aider  le  chirurgien  dans  une  opération  ou  dans  un  panse- 
ment. —  Dans  l'art  militaire,  il  y  avait  Vaicle-major,  qui 
était  un  officier  placé  sous  la  direction  immédiate  du  ma- 
jor et  le  remplaçait  en  sonab.sence.  Les  adjuila  nts-ina- 
jors  remplissent  maintenant  ces  fonctions.  Vaide-major 
de  place  est  remplacé  aujourd'hui  par  l'adjudant  de  place. 
Vaide-major  général  était  un  officier  qui  exerçait  auprès 
des  détachements  les  fonetioiis  de  major  général  ;  c'est  en- 
core un  officier  général  sous  les  ordres  directs  du  major 
général.  Le  chirurgien  aide-major  est  un  chirurgien  ndli- 
taire  d'un  grade  intérieur  à  celui  de  chirurgien-major.  II  y 
en  a  plusieurs  par  ré>;i:iient.  D'autres  sont  attachés  aux 
hôpitaux  militaires,  ils  ont  le  rang  de  lieutenants.  —  Dans 
la  marine  il  y  a  Yaide-charpender,  Vaide-canonnier, 
Vaide-timonier,  etc.  —  Enfin  le  bourreau  aaussisesa;rf£5. 


AIDE  —  AIDKS 


»Dans  un  autre  sens ,  on  appelle  aides  toutes  les  pièces  de 
dégapoir.ent  ménagées  ai:pi\s  des  pièces  de  service  dans  un 
apparti'mcnt.  —  Eu  ternie  de  manège  aides  se  dit  des  se- 
cours et  soutiens  que  Ton  tire  des  eflets  modérés  de  la 
bride,  de  l'éperon,  de  la  voi\,  du  mouveuient  des  jambes, 
des  cuisses,  et  du  talon.  C'est  ainsi  que  Pou  dit  qu'un  cheval 
connaît  les  aides ,  répond  bien  aux  aides.  * 

AIDE  DE  CA.'^IP.  Ou  appoUo  ainsi  rotlicier  attaché  à 
un  générai,  et  chargé  de  transuiellre  ses  ordres  partout  où  le 
service  les  rend  nécessaires,  et  particvdièrement  sur  les 
champs  de  bataille.  Ces  fonctions  paraissent  aussi  an- 
ciennes que  rorgani>ation  régulière  des  troupes.  Beaucoup 
de  jeunes  geutils-iiomnies  les  remplissaient  gratuitejnent  au- 
tretvis  comme  volontaires  ;  aujounlluii  c'est  seulement  dans 
le  corps  d'état-major  que  se  recrutent  les  aides  de  camp  en 
France.  Au  seizième  et  au  dix-septième  siècle  ils  avaient 
la  dénomination  (Taides  des  maréchaux  de  camp  des  ar- 
mées du  roi ,  parce  qu'ils  étaient  attachés  particulièrement 
au  maréchal  de  camp  pour  le  seconder  dans  la  distribution 
des  quartiers  de  l'armée.  Le  duc  d'Enghien  en  avait  vingt- 
deux  lorsqu'il  fit  le  siège  de  Thionville ,  en  1643.  Louis  XIV 
allouait  à  chaque  aide  de  camp  300  francs  par  mois  de 
traitement.  H  en  donna  quatie  à  chaque  maréchal  ou  com- 
mandant d'armée ,  deux  à  chaque  lieutenant  général ,  et  un 
à  chaque  maréchal  de  camp  en  campagne.  Le  nombre  et 
le  grade  des  aides  de  camp  varient  encore  en  raison  de  l'é- 
lévation du  grade  de  l'emploi  du  général.  Les  souverains 
attachent  à  leur  personne  un  certain  nombre  d'aides  de 
camp  et  en  accordent  de  même  aux  membres  de  leur  fa- 
mille. Ces  aides  de  camp  sont  presque  toujours  des  officiers 
généraux  ou  au  moins  supérieurs.  L'empereur  a  ainsi  attaché 
à  sa  personne  des  aides  de  camp,  même  du  grade  de  général 
de  division,  et  des  officiers  d'ordonnance. 

AIDES  9  sorte  d'assistance  pécuniaire  que  le  vassal  de- 
Tait  à  son  seigneur.  Les  principales  étaient  l'aide  de  reliej; 
taxe  due  par  les  vassaux  à  la  mort  de  leur  seigneur ,  et 
destinée  à  aider  ses  héritiers  à  relever  le  fief  héréditaire  ; 
Yaide-chevel,  qui  se  subdivisait  ainsi  :  l'aide  de  mariage , 
quand  le  seigneur  mariait  ou  dotait  sa  fille;  l'aide  de  che- 
valerie, quand  il  voulait  armer  chevalier  son  fils  aîné  ;  l'aide 
de  rançon,  quand,  prisonnier,  il  avait  à  se  racheter.  On  nom- 
mait encore  les  aides-cht^vcls  droits  de  complaisance,  ai- 
des de  noblesse,  aides  coutumières  et  communes,  baux, 
devoirs  et  loyaux  aides. 

11  y  avait,  en  outae,  les  aides  libres  et  gracieuses,  que  le 
vassal  offrait  volontairement  à  son  seigneur  dans  les  cas  ex- 
traordinaires et  imprévus  ;  les  aides  raisonnables,  qui 
étaient  taxées  à  raison  des  facultés  de  chacun  ;  les  ai- 
des de  l'hostetde  chevauchée,  autrement  A^ûq^  subsides  de 
guerre,  étaient  celles  dont  le  vassal  était  tenu  envers  son  sei- 
gneur, lorsque,  par  un  motif  quelconque,  il  se  trouvait  dis- 
pensé en  personne  du  service  militaire. 

Il  y  avait  aussi ,  au  profit  des  évoques ,  des  aides,  autre- 
ment dites  coutumes  épiscopales  ou  synodales,  ou  bien 
}  encore  denier  de  Pdques.  Ces  aides  avaient  lieu  à  l'occa- 
sion de  leur  avènement  ou  de  leur  sacre,  lorsqu'ils  étaient 
appelés  au  Vatican  ou  à  un  concile,  et  même  lorsque  le  roi 
venait  les  visiter  dans  leur  palais. 

Sous  les  premières  races,  les  rois ,  possesseurs  de  reve- 
nus considérables,  ne  frappaient  de  contributions  sur  leurs 
sujets  que  dans  les  temps  de  grandes  crises  ;  ces  sortes  de 
contributions ,  essentiellement  temporaires,  disparaissaient 
avec  ces  crises  mêmes.  Plus  tard  on  établit  des  impositions 
annuelles;  puis  les  besoins  de  l'État  augmentant  sans  cesse, 
on  en  établit  d'autres  pour  plusieurs  années,  et  ces  derniè- 
res finirent  même  par  devenir  permanente?  et  perpétuelles. 
Les  aides  proprement  dites,  ou  impositions  sur  les  denrées 
et  marchandises  qui  se  vendaient  et  se  transportaient  dans 
l'étendue  du  royaume,  furcut  établies,  dit-on,  sous  Phi- 
lippe le  Bel  ou  Jean  I^"";  d'autres  assurent  que  ce  ne  fut 


2o:î 


que  sous  Charles  V.  En  tout  cas ,  elles  ne  devaient  se  perce- 
voir que  du  consentement  des  états. 

Sous  Philippe  le  Del  les  aides  s'accrurent  au  point  de  né- 
cessiter la  création  de  commissaires  spéciaux  ;  et  sous  le  rè- 
gne de  Jean  cet  accroissement  fut  tel  que  les  états  du  pays 
de  la  Langue  d'Oil  n'accordèrent  de  nouveaux  .subsides  qu'a- 
près avoir  institué  des  rccp?;ewrs/i<7>7fCH/ie/-s,  chargés  exclu- 
sivement de  leur  perception.  Us  instituèrent  en  outre,  d'ao- 
cordavecle  lox.nmicommissaires généraux,  dits  superin- 
tendants, choisis,  en  nombre  égal,  parmi  les  trois  ordres 
du  tiers  état,  du  clergé  et  de  la  noblesse.  Ces  agents  étaient 
chargés  de  vérifier  les  opérations  des  receveurs  particuliers 
ainsi  que  l'emploi  des  deniers,  et,  en  outre,  de  statuer  sou- 
verainement sur  tous  les  procès  civils  ou  criminels  auxquels 
donnait  Ueu  la  perception  des  subsides.  Après  cela,  ils  étaient 
tenus  de  rendre  compte  aux  états  du  résultat  de  leur  inspec- 
tion. Quant  à  la  levée  des  aides  féodales  et  coutumières, 
le  roi  en  chai-geait  directement  ses  officiers  :  c'est  ce  que 
fit  Jean  II,  le  Bon,  prisonnier  des  Anglais,  pour  la  percep- 
tion du  montant  de  sa  rançon. 

Le  mot  aides  fut  jusqu'à  Louis  XIY  appfiqué ,  comme 
terme  générique,  à  tous  les  genres  d'impôts,  gabelles,  dé- 
cimes ou  autres  ;  mais  sous  son  règne  une  ligne  de  démar- 
cation s'étant  établie  entre  les  impôts  directs  et  les  impôts 
indirects,  le  mot  aides  désigna  exclusivement  ces  derniers. 
Nos  impôts  indirects  et  nos  octrois  d'aujourd'hui  n'ont  pas 
d'autre  origine. 

Dans  quelques  provinces  les  habitants  parvinrent,  au 
moyen  d'équivalents ,  à  se  rédiraer  des  droits  d'aides  ;  cer- 
tains pays  d'états  obtinrent  même  du  roi  le  privilège  de  s'im- 
poser directement.  Sous  le  dernier  régime  la  perception 
des  aides  se  faisait  non  par  des  agents  directs  de  l'État , 
mais  par  les  fermiers  généraux ,  avec  lesquels  l'État  traitait 
à  forfait. 

AIDES  (Cour  des),  cour  souveraine  établie  sous  le 
règne  du  roi  Jean ,  pour  juger  en  dernier  ressort  et  toute 
souveraineté  tous  les  procès  civils  et  criminels  en  matières 
fiscales,  aides,  gabelles,  tailles  et  autres  impôts.  Les  étais 
généraux  de  1355  avaient  décidé  que  les  nouveaux  impôts 
qu'ils  venaient  de  voter  ne  seraient  point  perçus  par  les 
préposés  du  ministre,  et,  pour  prévenir  de  nouvelles  dilapi- 
dations, il  fut  résolu  que  des  commissaires  spéciaux,  choisis 
par  l'assemblée,  se  rendraient  dans  les  provinces  pour  y 
diriger  la  perception  et  l'emploi  des  contributions.  Une  com- 
mission centrale  avait  été  établie  à  Paris  ;  les  délégués  dans 
les  provinces  correspondaient  avec  elle  et  recevaient  ses 
instructions.  L'assemblée  comprit  qu'elle  excédait  les  limites 
de  ses  attributions  constitutionnelles ,  et ,  pour  concilier  ce 
qu'elle  devait  aux  intérêts  de  ses  commettants  et  aux  exi- 
gences de  la  prérogative  royale,  les  délégués  reçurent  une 
commission  spéciale  du  roi.  La  commission  centrale  des 
états  généraux  fut  ainsi  convertie  en  commission  royale. 
Ce  qui  n'était  que  provisoire  et  de  circonstance  devint  défi- 
nitif. Telle  fut  l'origine  de  la  cour  des  aides ,  dont  les  pou- 
voirs devinrent  aussi  judiciaires,  en  vertu  de  deux  ordon- 
nances royales  ,  attribuant  aux  résolutions  de  la  cour  des 
généraux  des  aides  la  même  autorité  qu'aux  arrêts  du  par- 
lement. 

Dans  les  premiers  temps  du  règne  de  Charles  VI  les 
aides  et  la  cour  des  aides  furent  abolies  à  la  suite  d'une 
révolte  populaire.  Jkiis  le  nouveau  monarque,  après  avoir 
longtemps  sollicité  en  vain  des  états  le  rétablissement  de 
cette  cour,  prit  enfin  le  parti  de  la  rappeler  lui-même  en 
veilu  de  sa  propre  prérogative.  On  convoqua  bien  encore , 
il  est  vrai,  de  loin  en  loin  les  états  généraux,  mais  c'était 
toujours  à  la  dernière  extrémité,  uniquement  pour  la  forme 
et  en  vue  d'en  obtenir  de  nouvelles  augmentations  d'impôts. 
Charles  VII ,  essayant  la  voie  des  rél'ormes  fiscales,  sépara 
complètement  les  attributions  des  officiers  des  aides  ;  il  eu 
forma  deux  classes  :  l'une  chai-gée  de  la  levée  de.s  subsiiies , 

•lij. 


204 


AIDES  —  AIDE-TOI,  LE  CIEL  T'AIDERA 


et  rautre,  tic  l'application  <le  la  justice  aux  matières  pure- 
ment fiscales.  Louis  XII  ilélinit  nettement  la  compétence  de 
ces  nouveaux  ofiiciers  judiciaires,  et  Henri  II  leur  attribua  le 
titre  proprement  dit  de  cour  des  aides,  titre  qui  leur  est 
resté  depuis.  Au  temps  de  la  Ligue,  Henri  III,  ayant  trans- 
féré le  [)arlement  de  Taris  à  Tours,  essaya  de  transférer  éga- 
lement dans  cette  dernière  ville  la  cour  des  aides.  Les  li- 
gueurs s'ét^uit  opposés,  par  tous  les  moyens,  à  l'exécution 
de  cette  mesure,  Henri  III  trancha  la  difficulté  en  trans- 
portant au  i)ariciiient  la  juridiction  de  cette  cour.  Plus  heu- 
reux que  son  prédécesseur,  Henri  IV  parvint  à  transférer  à 
Chartres  d'abord,  à  Tours  ensuite,  la  cour  des  aides,  qu'il 
rappela  enlin  à  Paris,  lors  de  sa  rentrée  victorieuse  dans 
cette  capitale.  En  1G35,  Louis  XIII  ajouta  une  troisième 
chambre  aux  deux  qui  existaient  déjà. 

Indépendamment  des  matières  fiscales,  cette  cour  con- 
naissait encore,  en  premier  comme  en  dernier  ressort ,  du 
contentieux  en  ce  qui  concernait  les  revenus  royaux,  des 
débats  (les  comptes-rendus  de  la  chambre  des  comptes,  de 
la  discussion  des  biens  des  agents  comptables,  des  affaires 
litigieuses  concernant  les  privilèges  de  l'hôtel-Dieu  et  de 
l'hôpital  général,  de  celles  relatives  au  payement  des  rentes 
assignées  sur  les  contributions,  des  marchés  entre  fermiers 
généraux,  sous-fermiers,  munitionnaires  ou  traitants,  en  un 
mot  de  tous  les  différends  nés  du  fait  de  la  levée  des  sub- 
sides. Comme ,  dans  l'ancien  régime,  la  noblesse  et  le  clergé 
avaient,  entre  autres  privilèges,  celui  d'être  exempts  de  cer- 
tains impôts,  la  cour  des  aides  connaissait  encore,  exclusi- 
vement à  toutes  autres  cours,  des  contestations  qui  nais- 
saient à  chaque  instant  de  l'obtention  soit  des  titres  de 
noblesse,  soit  même  des  titres  de  réhabilitation.  Enfin,  la 
cour  des  aides  statuait  souverainement  sur  les  appels  des 
sentences  des  élections,  greniers  à  sel,  juges  des  dépôts  des 
sels,  juges  des  traités  ou  maîtres  des  ports,  et  de  celles 
rendues  en  matière  d'octroi.  —  Les  charges  delà  cour  des 
aides  de  Paris  conféraient  la  noblesse  aux  titulaires. 

Les  attributions  et  le  nombre  de  ces  cours  se  sont  suc- 
cessivement augmentés.  La  première  était  celle  de  Paris  : 
elle  se  composait ,  lors  de  sa  suppression  définitive ,  d'un 
premier  président,  de  neuf  présidents,  de  cinquante-deux 
conseillers,  d'un  procureur  génà'al  et  de  trois  avocats  gé- 
néraux. Elle  avait  le  droit  d'adresser  des  remontrances  au 
roi,  et  chacun  de  ses  membres  n'était  justiciable  que  de 
ses  propres  pairs.  Dans  l'origine  la  cour  des  aides  de  Paris 
existait  seule ,  et  son  ressort  s'étendait  à  tout  le  royaume. 
Dans  la  suite,  d'autres  cours  des  aides  furent  successive- 
ment établies  :  les  principales  avaient  leur  siège  à  Lyon, 
liordeaux,  Nantes,  Rouen,  Metz,  Rennes,  Montpellier,  Aix, 
Dijon,  Caen,  Agen,  Clermont,  Chàlons,  Périgueux,  Gre- 
noble, Montauban,  Pau,  Cahors,  Dôie,  Montferrand,  etc. 
Ces  tours  furent,  en  grande  partie,  successivement  réunies 
à  des  parlements,  à  des  chambres  des  comptes  ou  même  à 
d'autres  cours  des  aides.  En  1789  les  trois  cours  de  Bor- 
deaux, Montauban  et  Clermont-Ferrand  avaient  seules  con- 
servé une  existence  propre. 

Souveraines  dans  leurs  attributions,  exclusivement  judi- 
ciaires ,  les  cours  des  aides  n'avaient  point  l'influence  poli- 
tique des  parlements  ;  plus  dépendantes  des  ministres ,  elles 
subirent  de  fré(iuentes  mutations  de  sièges,  et  même  de 
titres  et  d'attributions;  celle  de  Paris  ne  put  échapper  au 
sort  commun.  L'abbé  Terray,  contrôleur  général  depuis  1709, 
lit  supprimer  en  1771  la  eaux  des  aides  de  Paris.  A  l'avéne- 
incnt  de  Louis  XVI  la  cour  des  aides  reprit  son  titre  et  ses 
fonctions.  Les  cours  des  aides  s'associèrent  à  l'opposition 
parlementaire  contre  les  «idits  bursaux.  Le  comte  d'Artois 
fut  chargé  d'aller  à  la  cour  des  aides  exiger  l'enregistrement 
des  nouveaux  édits.  Le  premier  président,  Barantin,  fit  en- 
tendre au  prince  des  paroles  sévères.  La  cour  des  aides  avait 
commencé  la  procédure  confie  les  auteurs  présumés  de  l'in- 
«;eudie  des  barrières  de  Paris.  Celte  procédure  fiit  annulée   ' 


par  une  loi  du  i"  juillet  1790,  et  la  cour  fut  supprimée  le 
7  septembre  suivant  par  une  loi  qui  transféra  ses  attributions 
soit  aux  tribunaux  civils  ou  criminels,  soit  aux  coi-ps  admi- 
nistratifs. Cependant,  les  droits  connus  sous  le  nom  d'aides 
ne  furent  définitivement  abolis  que  le  2  mars  1791. 

AIDE-TOI,  LE  CIEL  T'AIDERA.  Cette  moralité 
de  bon  sens,  qui  termine  une  des  plus  jolies  fables  de  La  Fon- 
taine, devint  le  titre  d'une  société  politique  née  sous  la  Restau- 
ration, continuée  jusqu'aux  lois  de  septembre,  et  qui,  dans  ses 
phases  diverses,  rendit  assez  de  services  pour  attirer  l'atten- 
tion générale  et  mériter  une  certaine  renommée.  Le  titre  du 
reste ,  s'appliquait  avec  à-propos  et  au  but  qu'on  se  propo- 
sait et  aux  circonstances  au  milieu  desquelles  on  fondait  cette 
association.  Le  ministère  Villèle  ,  appuyé  à  la  chambre  des 
députés  par  une  majorité  docile,  tenait  dans  sa  main  toutes 
les  forces  publiques  et  les  faisait  mouvoir  à  son  gré  ;  le  corps 
électoral  paraissait  confisqué;  la  chambre  des  pairs,  où 
quelques  mécontents  essayaient  d'une  opposition  très-mo- 
dérée, déUbérait  à  huis  clos;  la  presse,  avertie  de  temps  en 
temps,  par  le  retour  de  la  censure,  que  la  liberté  était  à 
peine  tolérée,  se  voyait  encore  atteinte  par  les  procès  de 
tendance;  le  jury  lui  avait  été  ravi;  la  loi  d'aînesse  avait 
succédé  à  la  loi  du  sacrilège ,  la  grande  propriété  se  recons- 
tituait peu  à  peu  ;  le  milliard  d'indemnité  était  accordé  aux 
émigrés  ;  l'éducation  était  tout  entière  sous  la  direction  des 
prêtres  ;  les  missionnaires  inondaient  les  provinces ,  les  jé- 
suites de  toutes  les  robes  envahissaient  l'administration; 
l'ancien  régime  enfin,  qui,  d'infdtration  en  infiltration,  avait 
engorgé  toutes  les  artères  du  corps  politique,  attaquait  le 
cœur  même  de  la  société ,  et  cette  société  paraissait  s'aban- 
donner elle-même.  Une  apathie  universelle  semblait  tout 
permettre  à  la  réaction.  Au  dehors,  les  insurrections  de  la 
Calabre  et  de  la  Romagne  avaient  été  étouffées,  l'Espagne 
était  rentrée  sous  le  régime  de  l'absolutisme ,  le  congrès  de 
^'érone  avait  cimenté  la  Sainte  Alliance,  le  silence  des  évé- 
nements était  complet. 

C'est  au  moment  où  le  char  de  la  Révolution  paraissait 
tomber  dans  ces  profondes  ornières ,  que  quelques  écrivains 
crièrent  à  la  classe  moyenne  :  Aide-toi,  le  ciel  f aidera! 
Ils  voulurent  donner  un  centre  aux  idées,  exciter  l'émula- 
tion ,  diriger  les  efforts,  et  rester  dans  la  légalité  pour  échap- 
per à  la  police,  et  à  la  justice,  sa  fidèle  auxiliaire.  Ils  cons- 
tituèrent donc  la  société  Aide-toi,  dont  le  but  était  d'agir 
sur  le  corps  électoral  par  des  conespondances  et  des  publi- 
cations. La  plupart  des  fondateurs  appartenaient  au  parti 
doctrinaire,  et  ils  avaient  le  Globe  pour  chef-lieu  :  c'étaient 
MM.  Guizot,  Duchàtel,  Duvergier  de  Hauranne,  Dubois, 
Lherminier,  Paravey ,  etc.  L'association  réunit  bientôt  en- 
viron une  centaine  de  membres;  la  direction  fut  confiée  à 
un  comité  élu  au  scrutin,  tous  les  trois  mois,  en  assemblée 
générale;  tout  membre  résidant  ou  correspondant  devait 
verser  une  cotisation  mensuelle.  Le  comité  choisissait  enfin 
un  secrétaire,  qui  était  spécialement  chargé  de  l'emploi  des 
fonds,  et  de  la  mise  en  eeuvre  des  résolutions  du  comité  di- 
recteur. Ce  secrétaire,  dont  l'intelligence,  l'infatigable  acti- 
vité, la  précision  dans  la  mémoire ,  l'exactitude  dans  l'exé- 
cution, contribuèrent  puissamment  à  l'extension  et  à  l'in- 
fluence de  la  société  Aide-toi,  fut  André  Marc  hais.  La 
comité  se  modifia,  le  secrétaire  demeura  inamovible ,  non 
pas  que  les  règlements  l'eussent  déterminé,  mais  parce  qu'on 
avait  reconnu  dans  M.  André  Marchais  les  quahtés  les  plus 
propres  à  remplir  les  fonctions  qui  lui  étaient  attribuées. 
On  s'aperçut  bientôt  dans  le  monde  polilicpie  du  mouvement 
imprimé  par  la  société  nouvelle.  Des  pétitions  arrivaient  en 
nombre  considérable  à  la  chambre ,  et  fournissaient  à  la  très- 
vigoureuse  opposition  d'alors  un  texte  souvent  heureux  de 
discussions  élevées  ;  les  brochuies  se  succédaient  rapidement  ; 
l'action  de  la  presse  était  plus  hardie;  chaque  jour  amenait, 
du  camp  oppoi^é,  des  désertions  considérables,  et  les  jour- 
naux du  jjouvoii-  dénonçaient  aussi  chaque  jour  ce  terrible 


AIDE-TOI,  LE 

comitc^  direrleiir  qiie  l'on  faisait  se  rassemlilcr  dans  des 
Mves  pour  conspiior  le  bouleversement  universel,  comme 
ces  anges  de  téni''bres  du  poète  anglais  qui  s'agitent  dans 
le  Pandémoniuin.  La  société  Aide-toi  se  renforçait  incessam- 
ment, et  dans  les  publications  sorties  de  son  sein  on  voyait  à 
coté  d'un  écrit  signé  Un  jeune  pair  de  France  (M.deMon- 
talivet),  d'autres  écrits  sérieux  ou  badins,  parmi  lesquels  on 
peut  se  rappeler  les  Lettres  à  la  Girafe,  de  M.  de  Salvandy. 
Cependant  il  restait  à  côte  de  cette  société  un  grand  nombre 
de  jeunes  bommes  actifs,  énergiques,  pleins  de  foi  et  d'ar- 
deur, qui  déjà  s'étaient  enrôles  dans  une  association  plus 
l>ériUeuse  et  plus  résolue.  Us  avaient  des  doctrines  plus  fer- 
mes, des  idées  moins  vagues,  un  but  plus  déterminé.  Mo- 
teurs principaux  du  carbonarisme,  ils  ne  voulaient  point 
pactiser  avec  la  contre-révolution ,  mais  l'attaquer  corps  à 
corps  et  la  détruire.  Us  n'étaient  ni  des  bâtards  ni  des  colla- 
téraux de  la  révolution,  mais  ses  béritiers  directs  et  légitimes. 
Ils  en  acceptaient  la  succession ,  ils  voulaient  en  continuer  le 
travail;  et  ce  qui  se  passait  sous  leurs  yeux,  les  confessions 
mêmes  des  hommes  qui  étaient  venus  réclamer  le  prix  de 
leur  trahison,  les  avaient  avertis  combien  l'œuvre  de  leurs 
pères  avait  été  calomniée.  Purs  de  souillure,  placés  loùi  des 
événements,  ils  en  avaient  étndié  l'histoire,  et  la  réaction 
qu'ils  subissaient  leur  rendait  plus  admirable  et  plus  cher  ce 
mouvement  immense  de  tout  un  peuple  qui,  en  changeant 
toutes  les  zones  de  sa  sphère  sociale,  avait  préparé,  amené 
le  commencement  d'une  saison  nouvelle  pour  l'humanité. 
Leur  cœur  était  haut  conanie  leurs  principes ,  et  au  milieu 
de  ces  opinions  languissantes  ou  irrésolues  qui  attaquaient 
le  ministère  en  se  prosternant  devant  la  légitimité,  eux  pro- 
clamaient sans  détour  qu'ils  voulaient  réaliser  dans  les  faits 
les  idées  démocratiques  dont  ils  avaient  ressoudé  la  chaîne. 
De  pareils  auxiliaires  parurent  utiles  à  des  mécontents 
poussés  à  bout  ;  et  vers  la  fin  du  ministère  Villèle,  il  fut  dé- 
cidé que  le  comité ,  composé  de  douze  personnes ,  aurait 
la  faculté  de  choisir  lui-même  et  de  s'adjoindre  quatre  mem- 
bres étrangers.  Les  nouveaux  élus  furent  MM.  Jules  Bas- 
tide, Boinvilliers,  Joubert  et  un  quatrième,  appartenant  tous 
à  l'opinion  républicaine.  Ceux-ci,  qui  avaient  déjà  pratiqué 
le  prosélyiisme  dans  les  ventes  de  carbonari,  firent  tous  leurs 
efforts  pour  amener  à  la  société  Aide-toi  le  plus  grand 
nombre  de  leurs  amis.  Us  y  réussirent  si  vite  et  si  bien  cpi'aux 
élections  trimestrielles  suivantes,  ils  eurent  une  majorité 
considérable  :  l'élément  doctrinaire  fut  dépassé,  et  il  ne  fut 
représenté  au  comité  que  par  trois  ou  quatre  noms.  L'action 
de  la  société  reçut  alors  toute  la  vigueur  de  l'impulsion  dé- 
mocratique ;  et  l'on  put  s'en  apercevoir  lorsqu'à  quelque 
temps  de  là  les  élections  générales  agitèrent  le  pays.  Tous 
les  correspondants  de  la  société,  présents  partout,  remuèrent 
jusqu'aux  couches  les  plus  inertes  du  sol  électoral.  On  ré- 
veilla la  léthargie,  on  réchauffa  la  tiédeur,  on  dirigea  le  zèle 
en  le  stimulant  ;  des  jeunes  gens  non  électeurs  devinrent  les 
agents  les  plus  actifs  de  l'élection  ;  les  fils  conduisaient  et 
fortifiaient  les  pères  ;  les  anciens  carbonari,  avocats,  méde- 
cins, notaires,  parcouraient  les  campagnes  et  ramenaient  au 
chef-lieu  quelque  nouveau  votant  pour  l'opposition.  Le  pou- 
voir, de  soncôlé,  réunit  tous  ses  efforts  ;  mais  il  succomba 
dans  la  bataille,  et  le  ministère  Martignac  remplaça  bientôt 
le  cabinet  Villèle. 

C'était  l'avènement  d'une  poliUque  semi-libérale,  qui  allait 
parfaitement  au  tempérament  des  premiers  fondateurs  de  la 
.société  Aide-toi.  Us  se  rallièrent  pour  la  plupart  à  ce  pavil- 
lon d'un  fond  blanc  très-mat,  sur  lequel  le  vent  de  l'opinion 
avait  jeté  une  très-légère  poussière  d'indigo  bourgeois  que  le 
moindre  soulfle  aurait  du  reste  emportée.  U  n'en  fallut  pas 
davantage  pour  que  les  doctrinaires  se  déclarassent  satisfaits. 
Uslircnt  halte, etvoulurent  même  ladissolutionde  la  société. 
Ce  fut  un  moment  de  crise;  mais  les  démocrates  la  traver- 
sèrent victorieusement.  A  leurs  yeux  rien  n'était  changé;  le 
même  esprit  animait  le  pouvoir,  qui  avait  adouci  ses  (ormes 


CIEL  T'AIDERA 


205 


et  pris  di  s  instruments  moins  usik.  Le  mal  n'était  pas  an 
ministère,  mais  à  la  cour  ;  c'était  jusque  là  qu'il  fallait  aller, 
et  ils  étaient  décidés  à  laisser  en  route  ceux  qui  manque- 
raient dejaiTCt.  Cette  discussion,  qui  avait  été  très-vive  au 
comité  des  Seize ,  se  renouvela  à  l'assemblée  générale  du 
trimestre.  Toute  la  phalange  doctrinaire  donna.  Le  parti 
opposé  soutint  vigoureusement  la  lutte,  et  la  majorité  lui 
fut  acquise.  Alors  la  plupart  des  fondateurs  s'éloignèrent  ; 
presque  toute  la  faction  doctrinaire  émigra ,  y  compris 
M.  Barthe,  qui,  après  avoir  combattu  la  dissolution  devant 
l'assemblée,  crut  prudent  toutefois  de  suivre  les  hommes  qui 
se  rapprochaient  du  pouvoir.  Au  nombre  de  ceux  qui  ne  don- 
nèrent pas  leur  démission  était  M.  Guizot,  qui  se  tint  sans 
doute  à  l'écart  du  comité ,  mais  qui ,  par  une  clainoyance 
particulière,  voulut  demeurer  membre  de  la  société  Aide-toi. 
C«lle-ci  prit  alors  une  allure  complètement  démocratique  : 
ses  correspondants  devinrent  plus  nombreux  ;  elle  multiplia 
ses  circulaires,  émit  son  avis  dans  la  plupart  des  discussions, 
et  son  influence  s'accrut  d'une  manière  considérable.  Le  co- 
mité directeur  avait  pour  principaux  membres  MM.  Odilon 
Barrot,  Lamy,  Boinvilliers ,  Guinai-d,  Cavaignac,  Joubert, 
Bastide ,  Thomas  ,  Chevallon,  Aylies,  André  Marchais,  etc. 
La  société  n'avait  pas  alors  d'organe  spécial,  comme  au 
moment  où  elle  disposait  du  Globe;  celui-ci  même  la  bou- 
dait un  peu,  et  plus  d'un  article  porta  l'empreinte  de  sa  maii^ 
vaise  lumieur.  Mais  la  presse  quotidienne  venait  en  aide 
au  nouveau  comité  :  tous  les  journaux  indépendants  rece- 
vaient ses  communications,  en  sorte  qu'au  lieu  d'agir  seu- 
lement sur  les  lecteurs  de  la  famille  doctrinaire,  elle  entrait 
par  tous  les  journaux  libéraux  dans  toutes  les  couches  de 
l'opposition.  La  situation  était  donc  excellente,  et  son  in- 
fluence très-développée  au  moment  où  le  ministère  Polignac 
vint  renverser  violemment  le  cabinet  présidé  par  M.  Maifi- 
gnac.  U  y  a  des  noms  qui  sont  des  principes  ;  à  côté  de  ]\L  de 
Polignac  se  trouvaient  Bourmont,  Labourdonnaye,  bientôt 
remplacé  par  M.  de  PevTonnet.  C'était  la  contre-révolution 
toute  nue,  mais  armée  et  inflexible  :  le  défi  était  formel  ;  il 
faUait  désormais  la  tuer  ou  être  tué  par  elle.  Le  ministère 
nouveau,  cependant,  ne  se  montra  pas  violent  dès  la  pre- 
mière heure,  et  il  criait  à  ses  ennemis  :  «  Attendez  nos 
actes.  "  Vos  noms  sont  des  actes,  lui  répondait  l'opinion  in- 
dignée. Ce  retour  si  subit  et  si  vif  de  la  Restauration  aux 
hommes  selon  son  cœur  démontre  combien  les  démocrates 
de  la  société  Aide-toi  avaient  eu  raison  de  ne  pas  désarmei". 
Us  redoublèrent  d'activité  et  d'énergie.  Restés  toujours  dans 
les  voies  légales,  ils  agirent  à  Paris  sur  les  députés,  qu'ils 
influençaient  par  les  élections;  dans  les  provinces,  sur  les 
électeurs,  qu'ils  préparaient  à  une  nouvelle  lutte.  Elle  se 
présenta  bientôt,  et  à  ce  moment  M.  Guizot  se  rendit  à  une 
assemblée  trimestrielle,  avec  l'arrière-pensée  de  se  faire  re- 
commander aux  électeurs  de  Lisieux.  Sa  présence  causa 
une  agitation  qui  lui  fut  peu  favorable  :  il  s'entendit  repro- 
cher avec  quelque  amertume  et  une  vivacité  foit  peu  sou- 
cieuse des  termes  dont  elle  se  servait,  et  son  voyage  à  Gand, 
et  sa  justification  de  la  censure,  et  sa  participation  à  la  loi 
des  cours  prévôtales,  et  sa  complicité  en  un  mot  dans  toutes 
les  mesures  d'un  ministère  réactionnaire  où  il  remplissait, 
en  1815,  les  fonctions  de  secrétaire  général.  M.  Guizot  put 
avoir  le  pressentiment  de  ce  qui  l'attendait  sur  une  autre 
scène  et  sur  un  plus  grand  théâtre;  et  il  dut  se  convaincre 
que  dans  ce  pays,  qui  semble  si  oublieux,  il  arrive  un  jour 
où  l'on  se  souvient  de  tout,  et  où  le  châtiment  atteint  et 
frappe  sans  pitié  toutes  les  fautes  et  les  crimes  dont  un  re- 
pentir public  n'a  pas  fait  l'expiation.  Le  désagrément  arrivé 
à  M.  Guizot  l'empOcha  de  revenir,  soit  aux  réunions  tri- 
mestrielles, soit  au  siège  du  comité;  mais  il  prit  son  parti 
en  philosophe,  et  il  se  garda  bien  de  renoncer  pour  cela  à 
l'appui  de  ce  comité  auprès  des  électeurs  de  Lisieux.  Il  s'é- 
tait produit  à  la  dernière  assemblée  sous  le  chaperon  de 
M.  Odilon  Barrot  ;  ce  fut  à  lui  qu'il  s'adressa  pour  êlre  re- 


206  AIDE-TOI,  LE  CIEL 

commandé  aux  suffrages  des  Bas-Normands.  11  fallait  avoir 
surtout  la  si.!:;nnture  du  secrétaire.  André  Marchais  se  laissa 
entraîner,  et  il  la  donna.  Tout  cela  se  lit  à  Tinsu  du  comité, 
et  ausi^itôt  que  le  fait  lui  fut  connu,  une  prolestalion  fut 
adre'îsée  à  Lisieux  dans  laquelle  on  refaisait  la  biographie 
de  M.  Guizof,  en  conseillant  un  tout  autre  choix.  Mais  il  était 
trop  tard;  la  candidatiire  était  lancée,  la  nouvelle  lettre  ne 
fiorlait  le  nom  d'aucun  autre  candidat  ;  et,  grâce  à  un  sub- 
terfuge, M.  Guizot  remit  le  pied  sur  l'éclielle  politique,  au 
haut  de  laquelle  nous  l'avons  vu  se  cramponner  comme  un 
pilote  au  bout  du  màt  du  navire  heurté,  presque  brisé  par 
les  vagues  d'un  très-gros  temps  (1). 

La  société  AkIc-(oi  exerça  une  influence  décisive  sur  la 
résolution  des  221 ,  et  la  révolution  de  Juillet  en  sortit.  — 
Ceux  qui  l'avaient  prévue  et  souhaitée  ne  furent  pas  des 
derniers  à  descendre  dans  la  rue  ;  ils  prirent  au  combat  une 
part  importante,  mais  individuelle,  et  ils  firent  pailie  plus 
tard  de  la  commission  des  récompenses  nationales.  Après 
le  triomphe  du  peuple,  la  société  Aide-toi  continua  d'exister; 
mais  l'ancien  comité  s'était  dissous  sous  la  pression  des 
événements  (2)  ;  M.  Garnier-Pagès  le  résuma,  et  devint  seul  le 
directeur  de  la  correspondance  électorale.  11  publia  cepen- 
dant aussi  plusieurs  brochures  ,  et  en  particulier  des  bio- 
graphies rapides  de  députés ,  où  il  relevait  leurs  votes.  Ce 
sont  des  recueils  utiles  à  consulter  pour  l'histoire  des  vaiia- 
tions  .si  nombreuses  dont  nous  avons  eu  le  triste  spectacle. 

La  société /Ijf/e-^j  dura  ain.si  jusqu'en  1834;  elle  ne  fui 
pas  violemment  emportée,  mais  indirectement  atteinte  par 
ce  torrent  de  réaction  qui  déborda  sur  le  pays  et  finit  par 
.•;e  résumer  dans  les  lois  de  septembre.  Il  n'en  resta  plus 
que  d'anciens  registres  portant  ces  noms  d'affiliés,  de  fon- 
dateurs ou  d'acteurs,  unis  jadis,  séparés  plus  tard  ,  et  que 
l'on  retrouve,  les  uns  an  ministère,  aux  assemblées,  au 
conseil  d'iital,  dans  les  adininistralioiis;  les  autres  dans  les 
bureaux  des  feuilles  d'opposition,  sur  les  livres  d'écrou  de 
la  prison  ou  sur  le  livre  plus  triste  encore  de  l'exil  (3). 
Armand  Marrast, 
ancien  président  de  l'Asscinbléc  consl'tusDte. 

(1)  En  apprenant  que  noas  remédions  sons  presse  cet  article, 
M.  André  .Marchais,  secrétaire  de  la  société  dont  il  s'agit  ici ,  nous  a 
adressé  une  pelite  rectification  à  laquelle  notre  impartialité  nous 
commande  de  donner  place.  11  dit  que,  malgré  le  rude  accueil  qui, 
selon  M.  Marrast,  fut  fait  à  M.  Guizot  dans  cette  séance,  ce  publi- 
cistc  n'en  fut  pas  moins  élu  membre  du  comité.  M.  Guizot  demanda 
naturellement  le  concours  de  ses  collègues  pour  sa  candidature  de 
Lisieux.  Le  jour  où  la  question  fut  posée  le  comité  étairt  peu  nom- 
breux. On  remit  à  la  prochaine  séance,  en  décidant  que  la  convo- 
cation indiquerait  le  Imt  de  la  réunion.  Deux  convocations  consé- 
cutives furent  ainsi  faites,  et  les  membres  qu'on  pouvait  croire 
opposes  à  la  cuudidature  de  M.  Guizot  n'y  parurent  pas.  Les  cinq 
membres  qui  se  présentèrent  furent  d'avis  d'appuyer  M.  Guizot.  Le 
secrétaire  eut  donc  nun-seulement  le  droit,  mais  ce  fut  un  devoir 
pour  lui  de  donner  sa  signature.  Quant  à  la  protestation  dont  parle 
M.  Marrast,  elle  n'était  signée  que  par  trois  membres  de  l'associa- 
tion :  Jules  Bastide,  Hubert,  ancien  notaire,  et  Ch.  Teste.  Le  pre- 
mier seul  était  membre  du  comité. 

^2)  M.  André  Marchais  nous  écrit  encore  que  ce  n'est  pas  précisé- 
ment sous  la  pression  des  événements  que  le  comité  existant 
en  1830  s'est  dissous,  mais  bien  parce  que  la  société  ne  lui  fournis- 
sait pas  les  moyens  d'assurer  au  peuple  les  conséquences  de  sa 
victoire  de  183U,  ainsi  qu'il  le  dit  dans  sa  démission,  en  date  du 
2  décembre  1830. 

(3)  Nous  tenons  de  l'obligeance  de  M.  Marchais  la  liste  des  membres 
de  l'association  et  de  ses  correspondants.  On  nous  saura  gré  sans  doute 
d'en  extraire  les  noms  qui  nous  ont  frappé  :  on  retrouvera  une  grande 
partie  de  ces  noms  dans  notre  ouvrage,  à  leur  ordre  alphabétique. 

Membres  de  la  société  Aide-toi,  le  ciel  t'aidera  :  .Allègre,  Allier, 
Ambert,  Andréossy,  Et.  Arago,  Audiat,  Audry  de  Puyraveau  , 
Aylies,  Ilarillon,  Ferdinand  Barrot,  Odilon  Barrot,  Barthe,  Bastide, 
Bavouxfils,  licranger(lepnêtei,  Jh.  Bernard,  Jules  Bernard,  Berville, 
Aug.  Blanqui,  Bocage,  Bobain  ,  Boinvilîiers  ,  Bonnarie  ,  Borrego  , 
Bouchené-Lefer,  Boutron-r.harlard ,  Brice,  Cabct,  Carnot  (Sidi), 
Armand  Carrel,  Casenave,  God.  Cavaignac,  Cave,  CUambolIe, 
Chevallier,  Chevallon,  Chodzko,  Ch.  Comte,  O'Connor  Corcclles  fils, 
f;oulombier,  Uamiron,  d'.Argensoo,  Decaisne,  Derruzy.  K.  Degeorges, 
li.  Dejpan,  général  Ucmarray,  Oesclozeaux,  Drolling,  Dubochet,  Du- 
bois, Tanneguy-Duchùtel ,  Christian  Pumas,  llupont  (de  Bussac), 
Dupont-While  ,  Dussart ,  Maurice  Duval  ,  Duvcrgier  de  llauranne  , 
Feuet,  llocou,  Forel ,   Krayssinaud,   Ercuîsard,  1  ulchiron,  Car- 


T'AIDERA  —  AIGLE 

AÏEUX,  ANCÊTRES.  Ceux  de  qui  l'on  descend.  Ces 
mots  s'emploient  souvent  indifféremment  l'un  pour  l'autre  ; 
cependant  quelques  traités  de  synonymes  font  des  distinc- 
tions :  les  uns  disent  que  les  ancêtres  sont  les  aïeux  les 
plus  reculés,  tandis  que  les  aïeux  sont  les  intermédiaires 
entre  les  pères  et  les  ancêtres;  d'autres  disent  que  le  nom 
à'aieux  est  restreint  à  la  famille,  tandis  que  l'acception  du 
mot  des  ancêtres  s'étend  aux  peuples.  Les  Gaulois  et  les 
Francs  ont  été  nos  ancêtres.  Un  gentilhomme  parlait  de 
ses  aïeux ,  un  plébéien  de  ses  pères.  Le  mot  aïeux  doit 
toujours  s'entendre  de  tous  les  ancêtres  qui  précèdent  le 
grand-père;  autrement,  il  faut  dire  mes  aïeuls  lorsqu'on 
désigne  précisément  son  grand-père  et  sa  grand'mère. 

AJGLE  {Histoire  naturelle) ,  du  latin  aquila.  Cet  oi- 
seau de  proie  est  le  type  d'un  genre  de  l'ordre  des  rapaces,de 
la  famille  des  faucons ,  dont  les  caractères  principaux  sont 
un  bec  très-fort,  courbé  seulement  vers  sa  pointe,  et  dont  la 
base  est  garnie  d'une  cire  poilue  ;  des  tarses  robustes,  courts 
ou  moyens,  emplumés  jusqu'aux  doigts;  des  doigts  forts, 
peu  allongés;  des  ongles  puissants,  très-arqués,  creusés 
en  dessous  en  gouttière ,  dont  les  bords  forment  des  lames 
tranchantes  (  celui  du  milieu  a  trois  lames  )  ;  des  ailes  longues, 
obtuses ,  dont  les  pennes  sont  inégales ,  la  quatrième  étant 
ordinairement  la  plus  longue  de  toutes. 

L'aigle  n'a  pas  dans  la  forme  de  ses  doigts  de  grands 
moyens  de  préhension;  mais  ce  qui  lui  manque  sous  ce  rap- 
port est  bien  compensé  par  la  force  de  ses  ongles ,  dont  le 
grand  développement  et  les  lames  inférieures  comprimées 
font  de  ses  serres  des  poignards  acérés,  à  plusieurs  tranchants, 

nier-Pagès,  Ganja,  Gervais  (de  Cacn) ,  Gisquet,  Guinard,  Guizard, 
Guizot ,  Haussman,  Ilingray,  Hubert ,  llumann  ,  Isambert ,  Jaubert, 
Joubert ,  Alexis  de  Jussieu  ,  Klein,  I.acaze  de  Montauban  ,  Lafayette 
père  ,  Lafayette  fils ,  L.  Lagarde,  Lamy,  Lanjuiuais,  Laprée,  La- 
rabit,  Las-Cases,  J.  Lasteyrie,  Lavalette,  Lavocat,  Lebon,  Lcpage, 
Lerminier.  Cauchois-Lemaire ,  Levasseur,  Liadières,  Littré,  Loéve- 
Veiraar,  .Mabrun,  Manuel,  Marchais,  Marchai,  Mcrilhou  aîné, 
Montébello,  Morhèry,  Pages  (de  l'Ariége),  Pauca,  Paravey,  Perdonr 
net,  Léon  Pillet,  Qninette ,  P.avean ,  Recurt,  Ch.  de  Kémusat,  Ch. 
Renouard,  Rieublanc,  E.  Salverte,  Sarrans,  Savoye,  J.-B.  Say , 
Schœlcher,  Sébire,  Sentis,  Snbervic,  Taillandier,  Tascherean , 
Ternaux,  Ch.  Teste,  Thiars,  Thomas,  Tonnet,de  Tracy,  Trélat, 
Louis  Viardot,  Visinet,  Vitet ,  J.  de  Wailly,  ^Valfcrdin,  Willocq. 

Correspondants  de  la  société  :  Alleman ,  Armez,  Célestin  Baa- 
chart,  C.  Bandin,  Baze,  Berthomieux,  II.  Blanc,  Boncbotte,  Eroglie, 
Casimir  Captier,  Chanay,  Charassin,  Clogenson ,  Creton,  Daverne, 
Daniel  aîné,  nemadiéres,  Deville,  IJornez,  Drault,  Léon  Ducos,  Du- 
long,  Silvain  Dumon,  Dupont  ^de  l'Eure),  Estanceliu  ,  Fiéron  ,  Henry 
Fonfrède,  Génie,  Gallos,  Félix  Gillon,  Augustin  Giraud,  Gleiie  Cri- 
velli ,  Paul  Gnichenné,  .Aristide  Guilhem,  Guiter,  Guyonnet,  Haniard, 
Hello,  llernoux,  His,  Jacqueminot,  JoUivet,  Julien,  Junien,  Lacaze 
de  Montauban  ,  Lafontaine,  Lallemand  ,  Landrin  ,  Lareveillére-Lé- 
panx,  Laurence,  Lebon,  Lefebvre-Duruflé,  Liecbtemberger,  Lortet, 
Madier  de  Montjeau  père,  Victor  Mangin,  Maréchal  fils,  A.  Marie, 
Alfred  Marquisel,  Ach.  Marrast,  Auguste  .Martell  ,  .Martin,  !»!as- 
son ,  Michel  (de  Bourges),  Mouchons,  Scipion  Jlourgues,  Démos- 
théne  OUivier,  A.  Périer,  de  Podenas ,  Poire! ,  A.  Reyiiaud  ,  Félix 
Robert,  Romiguiéres,  Salveton,  général  Sémelé,  Senart,  Victor Suin, 
Terme,  Teulon,  général  Thiars,  Vaissieres,  Vialard,  Visinet. 

La  réunion  où  la  formation  de  la  société  a  été  décidée  s'est  tenue 
chez  M.  Ch.  Paravey,  qui  fut  depuis  conseiller  d'Etat  :  M.  Guizot 
présidait  cette  réunion,  .M.  de  .Moutalivel  y  assistait.  La  raison  so- 
ciale ou  devise  fut  proposée  par  M.  Vitet. 

I.e  premier  comité  elait  compose  de  M.M.  Damiron  ,  Bcsclozeanx  , 
Desloges,  Dubois  (de  la  Loire-Inférieure)  ,  T.  Ducbâtel,  Duvergier 
de  tianranne,  Joubert,  Lerminier,  Marchais  ,  Paravey,  Rémusat, 
Ch.  Renouard,  Sautelet,  Vitet. 

Le  second  comité  était  composé  de  M.M.  Bastide,  Boinvilîiers, 
B.  Dejean,  Dubois  (de  la  Loire-Inférieure  ),  T.  Duchàtel,  Duvcrgier  de 
Uauraune,  Guizot,  Joubert,  Marchais,  Paravey,  Rémusat,  Vitet. 

Le  comité  nommé  à  l'avènement  du  ministère  Martignac,  après  la 
retraite  des  doctrinaires,  fut  composé  de  M.M.  Odilon  Barrot,  Bas- 
tide, Boinvilîiers,  Cavaignac,  Chevallon,  Decruzy,  Gainard ,  Lamy, 
Lanjuinais,  Marchais,  Taschereau  ,  Thomas. 

Le  comité  qui  se  trouvait  en  exercice  au  moment  des  journées  de 
Juillet  1830  se  composait  de  ,MM.  OJilon  Barrot,  Bastide,  J.  Ber- 
nard, Berville,  Boinvilîiers,  G.  Cavaignac,  Chevallon,  Corcelles, 
Decruzy,  Gassicourt,  Guizot,  Lamy,  l.anjuinais.  Marchais,  E.  Sal- 
verte .  Taschereau,  Thomas. 

Enfin  un  cinquième  comité,  qui  fut  nommé  enaoiit  1830,  .se  compo- 
sait de  M.M.  O.  Barrot,  Bastide.  Boinvilîiers, God.  Cavaignac,  Cheval- 
lon, Decruzy,  Guinard,  Lamy,  Lanjuinais,  l.as-Cases,  E.  Leiirelon, 
Marchais,  E.  Salverte,  Taschereau  ,  Ch.  Teste,  Thomas,  Tonuet. 


ATG 

au  moyen  desquels  il  saisit  et  lacère  sa  proie.  Ce  n'est  qu'a- 
près cinq  ou  six  mues ,  c'est-à-dire  cin([  ou  six  aiîuées ,  que 
le  plumage  des  aii^les  a  atteint  sa  perfection  et  l'état  inva- 
riable qui  disliuiiue  les  espaces.  Les  grandes  pennes  des  ailes 
,  et  de  la  queue  sont  les  dernières  parties  qui  changent  de 
couleur.  Dans  le  cours  de  ces  différentes  mues  non-seule- 
ment les  couleurs  du  plumage  varient,  mais  la  longueur 
proportionnelle  de  la  queue  et  dos  ailes  présente  des  diffé- 
rences très-mai-quées.  Ainsi,  chez  le  jeune  aigle  la  queue  est 
bien  plus  longue  que  chez  l'adulte.  La  femelle ,  plus  grande 
que  le  niùle,  atteiiit  quelquefois  huit  pieds  d'envergure. 

Les  aigles  surpassent  en  courage  tous  les  autres  oi- 
seaux; leur  regard  est  étincelant  ;  leurs  yeux,  perçants,  dis- 
'tinguent  du  haut  des  airs  l'humble  animal  rampant  sur 
l'herbe  ;  leur  démarche  est  hardie,  tous  leurs  mouvements 
très-énergiques  ;  dans  le  repos  ils  tiennent  la  tête  haute,  et 
restent  fièrement  dressés  sur  leurs  membres. 

Les  aigles  habitent  particulièrement,  comme  les  vautours, 
les  grandes  chaînes  de  montagnes,  oii  ils  chassent  les  oi- 
seaux et  les  mammifères  ;  parmi  ceux-ci  ce  sont  pour  la  plu- 
part les  lièvres,  les  agneaux,  les  chevreaux,  les  jeunes  daims 
ou  cerfs  qu'ils  préfèrent.  Ils  ne  se  nourrissent  en  général  que 
de  proie  vivante;  cependant,  quand  celle-ci  leur  manque, 
ils  se  rabattent  sur  les  cadavi'es. 

Ils  vivent  en  monogamie,  et  il  est  très-rare  d'en  trouver 
plus  d'une  paire  dans  la  même  portion  de  montagne.  Ils  se 
construisent  dans  un  lieu  inaccessible,  entre  deux  rochers 
ou  sur  un  arbre  élevé ,  un  nid  qu'on  appelle  aire,  et  qu'ils 
conservent  ordinairement  toute  leur  vie.  Ce  nid  est  tout  plat, 
et  a  pour  abri  des  branchages  ou  une  avance  de  rocher. 
C'est  une  espèce  de  plancher  large  de  plusieui's  pieds,  formé 
de  perches  appuyées  par  leurs  deux  bouts,  traversées  par 
d'autres  branches  flexibles ,  et  recouvertes  de  plusieurs  lits 
de  joncs  et  de  bruyères.  C'est  là  que  l'aigle  et  sa  femelle  trans- 
portent leur  proie,  quand  ils  ne  la  dévorent  pas  sur  place , 
et  qu'ils  déposent  chaque  année  deux  ou  trois  œufs  au  plus, 
dont  l'incubation  dure  trente  jours.  Lorsque  leurs  ai'jlons 
sont  assez  forts  pour  voler,  ils  les  chassent  au  loin ,  et  les 
empêchent  de  revenir.  —  La  vie  de  l'aigle  est  fort  longue, 
et  peut,  assure-t-on,  dépasser  cent  ans;  s'il  faut  même  en 
croire  Klein,  leur  existence  s'étendrait  à  plusieurs  siècles. 

Le  genre  aigle  renferme  plusieurs  esiièces  ;  nous  ne  cite- 
rons que  les  principales. 

Vaifjle  royal  ou  aigle  comimtn  est  l'espèce  la  plus  ré- 
pandue dans  toutes  les  grandes  contrées  montagneuses  de 
l'Europe.  Il  est  long  de  trois  pieds  et  demi  environ,  d'un  brun 
plus  ou  moins  fonce  ;  les  plumes  de  la  tête  effdées,  d'un 
roux  doré;  la  queue  noirâtre,  marquée  de  bandes  irrégu- 
lières et  cendrées.  Dans  la  jeunesse ,  il  a  la  queue  blanche 
dans  sa  moitié  supérieure,  noire  dans  l'autre. 

Vaigle  impérial,  long  de  trois  pieds  pour  la  femelle  et 
de  deux  pieds  et  demi  pour  le  nulle ,  a  les  ailes  plus  lon- 
gues proportionnellement  que  l'aigle  royal,  le  sommet  de 
la  tête  et  l'occiput  tout  garnis  de  plumes  acuminées,  rous- 
Rûtres,  bordées  de  roux,  la  poitrine  noirâtre,  le  ventre 
roux,  le  manteau  brun  avec  quelques  plumes  blanches, 
la  queue  cendrée  avec  des  bandes  noires.  La  femelle  est  d'un 
fauve  taché  de  brun.  L'aigle  impérial  se  trouve  dans  les 
grandes  forêts  montagneuses  de  l'est  et  du  midi  de  l'Europe; 
il  est  très-commun  en  Egypte.  Il  surpasse  en  force  l'espèce 
précédente ,  et  est  plus  redoutable  qu'elle  pour  les  autres 
oiseaux.  Son  cri  est  sonore,  terrible.  Il  donne  la  chasse  aux 
daims  et  aux  chevreuils,  dont  il  emporte  dans  son  aire  des 
lambeaux  énormes. 

Vaigle  criard ,  ainsi  nommé  à  cause  du  cri  plaintif  qu'il 
répète  fréquemment ,  est  d'un  tiers  environ  plus  petit  que 
les  précédents.  11  est  aussi  beaucoup  uioins  hardi,  et  ne  se 
nourrit  que  d'animaux  faibles.  Il  hai);le  les  forêts  monta- 
gneuses de  l'Allemagne,  de  la  Russie,  du  midi  de  l'Euroue 
et  de  l'Afrique  orientale. 


LE  207 

AIGLE  (S{/î;j;>o//5;He).  L'aigle  est  d'un  fréquent  usage 
dans  l'allégorie.  Ainsi  dans  la  mythologie  antique,  l'aigle, 
comme  roi  des  oiseaux ,  était  l'oiseau  par  excellence  de  Ju- 
piter et  portait  la  foudre  dans  ses  serres.  Cet  oiseau  est  con- 
sidéré comme  l'emblème  de  la  toute-puissance.  C'est  pris 
dans  ce  sens  que  nous  le  voyons  servir  de  symbole  à  des 
peuples,  à  des  princes,  à  des  armées. 

Chez  les  Grecs  l'aigle  avait  donné  son  nom  au  fronton, 
soit  que  cette  partie  des  monuments  rappelât  la  forme  de  cet 
oiseau ,  les  ailes  éployées,  soit  que  l'aigle  en  lût  l'ornement 
ordinaire,  ou  qu'il  la  dominât  seulement. 

Les  anciens  peuples  avaient  déjà  reconnu  la  nécessité 
d'avoir  à  la  guerre  des  signes  de  ralliement  ;  on  croit  géné- 
ralement que  les  Perses  furent  le  premier  peuple  de  l'anti- 
quité qui  adopta  l'aigle  pour  enseigne.  Parnd  les  attributs 
de  la  royauté  que  les  Étrusques  envoyèrent  en  signe  d'a- 
mitié aux  Romains,  se  trouvait  un  sceptre  surmonté  d'un 
aigle  en  ivoire  ;  c'est  depuis  cette  époque  que  l'aigle  devint 
un  des  principaux  attributs  de  la  république  romaine,  at- 
tribut que  les  empereurs  conservèrent  religieusement.  Les 
Romains  eurent  bien  encore,  pendant  les  cinq  premiers 
siècles  qui  suivirent  la  fondation  de  Rome,  d'autres  en- 
seignes pour  conduire  leurs  légions  à  la  conquête  du  monde; 
mais,  en  l'an  de  Rome  650,  Marins  les  supprima  toutes  sans 
exception,  et  fit  de  l'aigle  l'enseigne  principale  et  unique 
des  armées  de  la  république.  On  voit  encore  figurer  l'aigle 
romaine  dans  les  armées  de  Valenlinien  II,  de  Justinien,  de 
leurs  successeurs,  jusqu'à  la  fin  de  l'empire  grec.  L'aigle 
portée  en  tête  des  armées  perses  était  d'or,  aux  ailes  éployées. 
Chez  les  Roniams  les  aigles  furent  d'abord  en  bois,  accom- 
pagnées plus  tard  de  com-onnes,  puis  en  argent  avec  des 
éclairs  d'or  entre  leurs  serres.  Sous  César  et  ses  successeurs 
elles  furent  d'or  massif,  mais  sans  foudre.  L'aigle  était  fixée 
au  haut  d'une  lance  et  servait  de  guide  aux  légions. 

A  la  chute  de  l'empire  d'Occident  on  vit  disparaître 
aussi  les  aigles  romaines.  Napoléon  adopta  l'aigle  pour  l'em- 
bième  de  la  France  impériale.  On  vit  l'aigie  romaine  figurer 
non-seulement  sur  la  hampe  des  drapeaux  français,  mais 
sur  las  armes  de  l'empire,  sur  le  sceau  de  l'État,  sur  le  revers 
de  la  Légion  d'Honneur,  dont  le  plus  haut  grade  était  celui 
de  grand  aigle,  avec  un  aigle  d'or  pour  attribut,  eîc  ,  etc. 
Lorsque  en  1830  la  France  reprit  le  drapeau  tricolore,  elle 
répudia  l'aigle  belliqueux  pour  le  coq.  Elle  l'a  repris  en  1852. 

Vaigle  à  deux  têtes  fut  d'abord  en  usage  chez  les  empe- 
reurs d'Orient,  qui,  dit-ou,  par  ce  symbole  désignaient 
leurs  droits  à  l'empire  d'Orient  et  à  celui  d'Occident.  Les 
empereurs  d'Occident  empruntèrent  plus  tard  ce  symbole  à 
l'Orient.  Mais  ou  n'est  pas  d'accord  sur  le  premier  qui  se  servit 
de  ce  signe  :  les  uns  nomment  Othon  lY,  les  autres  Sigismond. 

L'aigle  à  deux  tètes  se  trouve  encore  dans  les  armoiries 
d'Autriche  et  de  Russie.  La  Pi-usse  a  adopté  pour  armoirie 
l'aigle  noir,  et  la  Pologne  avait  de  même  l'aigle  blanc.  La 
Sicile  et  la  Sardaigne,  ainsi  qu'un  grand  nombre  de  prmces, 
de  comtes  et  de  barons  de  l'empire  d'Allemagne,  ont  adopté 
des  emblèmes  où  se  trouve  figuré  ce  roi  des  oiseaux.  L'aigle 
devint  aussi  l'emblème  de  beaucoup  d'ordres  de  chevalerie, 
tels  que  l'ordre  Teutonique,  de  Jérusalem,  l'ordre  de 
l'Aigle  Blancde  Pologne,  les  deux  ordres  de  l'Aigle  Rouge 
et  de  l'Aigle  Noir  de  Prusse,  les  ordres  russes  de  Saint-An- 
dré et  de  Saint-Alexandre  Nevvski.  L'aigle  figure  sur 
les  étendards  des  puissances  qui  l'ont  dans  leurs  armes. 

Dans  la  guerre  de  l'Indépendance  ,  les,  États-Unis  prirent 
pour  drapeau  une  aigle  sur  champ  d'azur  semé  d'étoiles. 
Lorsque  l'ordre  de  Cincinnatus  fut  fondé  en  Amérique, 
l'aigle  en  fut  la  décoration.  Cet  oiseau  figure  en  outre  sur  les 
monnaies  américaines.  De  là  vie'it  qu'on  désigne  sous  le  nom 
û'aigle  une  monnaie  d'or  des  Etats-Unis  valant  5  dollars  ou 
27  francs  60  centimes.  Il  y  a  aussi  aux  États-Unis  des 
doubles  aigles  et  des  demi-aigles. 
Considéré  comme  emblèiiie ,  le  mot  aigle  est  ordinaire' 


208 


AIGLE  —  AIGRE 


ment  féminin;  cependant  on  fait  exception  dans  le  blason 
ymrVaifjte  noir,  Wti'jlc  blanc,  olc,  et  plusieurs  poëtes  ont 
gardé  le  masculin  même  \)mr  les  aigles  romaines;  nous 
ne  citerons  que  Delille  et  Boileau  qui  ont  donné  ce  genre, 
le  premier  à  l'aigle  romain,  le  second  à  l'aifile  germanique. 

On  a  encore  donné  le  nom  iVniglc  au  pupitre  des  églises 
qui  représente  cet  oiseau  les  ailes  étendues  et  «pii  reçoit  les 
livres  placés  devant  les  chantres. 

Enfin  les  alchimistes  employaient  ce  nom  avec  un  adjectif 
pour  désigner  diverses  substances  chimiques,  et  dans  l'as- 
tronomie c'est  le  nom  d'une  constellation  boréale. 

AIGLE(  IJois  d'  ).  Voi/ez  Acaixocue. 

AKiLE  (  Pierre  d'  ).  i'oijez  Ai;tite. 

AIGLE-AUTOUR,  genre  d'oiseaux  de  proie  de  la 
famille  des  falconidées,  qui  offrent  dos  rapports  évidents 
a\ec  les  aigles  et  les  autours;  ce  qui  lui  a  fait  donner  leur 
nom.  A  la  forme  du  bec,  aux  tarses  emplumés  des  aigles, 
ils  joignent  la  hauteur  des  pattes ,  la  brièveté  des  rémiges  et 
la  longueur  de  queue  des  autours.  Ils  ont  les  doigts  courts  , 
les  ongles  très-arqués  ;  les  plus  longues  plumes  de  leurs 
ailes  atteignent  à  peine  dans  le  repos  le  tiers  de  la  queue , 
qui  est  ordinairement  fort  longue  et  terminée  carrément.  La 
plupart  des  espèces  sont  ornées  d'une  huppe  occipitale  tom- 
bante. Les  (iKjles-nutours  habitent  l'ancien  et  le  nouveau 
continent.  L'Amérique  en  offre  entre  autres  une  espèce  re- 
marquable par  la  beauté  de  son  plumage.  Ces  oiseaux  ont 
en  partie  les  mœurs  des  aigles  et  des  autours. 

AIGLE  BLAIVC  (Ordre  de  1'),  ordre  polonais,  créé 
en  1323,  par  Aladislas  V,  lors  du  mariage  de  son  fds  Ca- 
simir avec  la  fdle  du  grand-duc  de  Lilluiauie.  Les  cl'evaliers 
portaient  une  chaîne  d'or,  d'où  pendait  sur  la  poitrine  un 
aigle  d'argent  couronné.  L^ordre  de  V Aigle  Blanc  fut  renou- 
velé, en  1705,  par  Frédéric-.-kuguste,  électeur  de  Saxe,  roi 
de  l'ologne  sous  le  nom  d'Auguste  II.  Les  insignes  de  cet 
ordre  sont  une  croix  d'argent  à  huit  pointes  émaillées  de 
gueules,  avec  quatre  tlannnes  de  même  aux  angles  :  au 
milieu  de  la  croix  figure  un  aigle  couronné  d'argent,  por- 
tant sur  l'estomac  une  croix  ornée  tout  autour  des  trophées 
de  l'électoral  de  Saxe.  Le  collier  est  une  chaîne  ornée  d'ai- 
gles couronnés,  le  tout  d'argent;  la  croix  est  fixée  au  collier 
par  un  chaînon  qui  joint  une  couronne  royale,  enrichie  de 
diamants.  Les  chevaliers  de  WMçjle  Jllanc  portent  sur  l'é- 
paule gauche  un  ruban  bleu.  Depuis  1831  l'ordre  de  l'Aigle 
Diane  (le  Poloi;nc  est  réuni  aux  ordres  impériaux  de  Russie. 

AIGLE  D'OR  (Ordre  de  1') ,  en  V/urtemberg,  fondé  en 
1702;  il  a  reçu  d(>  nouveaux  statuts  en  1809  de  Frédéric  l", 
premier  roi  (le  Wurtemberg. 

AIGLE  i\OIR  (Ordre"der).Ilfut  fondé,  enl701, parle 
premier  roi  de  l'russe,  Frédéric  T"",  le  jour  qui  précéda  son 
couronnement,  sous  le  nom  A'ordre  de  la  Fidélilé.  Les 
insignes  de  cet  ordre  sont  une  croix  d'or  à  huit  pointes, 
émaillée  d'a/ur  et  ornée  aux  angles  de  quatre  aigles  de  sable. 
Au  centre  de  la  croix  sont  entrelacées  les  deux  lettres  F.  R., 
qui  signifient  Frcdcricus  rex.  Cette  croix  est  attachée  à 
\\\\  ruban  orange,  porté  en  écliar|)e,  de  l'éiwulc  gauche  à 
la  hanche  droite,  par-dessus  l'habit.  On  prétend  que  cette 
couleur  fut  choisie  en  mémoire  de  la  princesse  d'Orange, 
mère  de  Frédéric.  Les  chevaliers  portent  aussi  sur  le  côté 
gauche  de  leur  habit  une  croix  d'argent  brodée  en  forme 
d'étoile,  au  milieu  de  laquelle  se  trouve  un  aigle  en  broderie 
d'or  sur  un  fond  orange.  L'oiseau  tient  dans  l'une  de  ses 
serres  une  couronne  de  laurier,  et  dans  l'autre  un  foudre  avec 
cette  inscription  :  Stitini  cuique.  C'est  l'ordre  le  plus  dis- 
tingué qu'il  y  ait  en  Prusse.  H  se  confère  aux  princes  de  la 
famille  royale  etaiix  membres  des  maisons  souveraines  étran- 
gères, de  même  qu'aux  grands  fonctioimaires  de  l'Klat,  pour 
qui  il  constitue  la  plus  haute  distinction  dont  ils  puissent 
être  l'objet.  Il  confère  la  noblesse  personnelle,  et  donne  dr.)it 
à  la  qualification  d'excellence. 

AIGLE  ROUGE    (Ordre  de  F).    Fondé  à  l'origine, 


en  1712,  sous  la  dénomination  d'ordre  de  la  Sincérité,  par 
le  margrave  Georges-Guillaume  de  Baireuth,  il  fut  trans- 
mis à  la  Prusse,  en  1792,  en  même  temps  que  la  succession 
aux  principautés  de  Franconie,  Anspach  et  Baireuth.  Fré- 
déric-Guillaume II  décida  à  cette  occasion  qu'il  formerait 
désormais  le  second  ordre  de  son  royaume.  Frédéric-Guil- 
laume III  en  élargit  encore  les  bases  en  le  divisant  en  quatre 
classes.  Les  chevaliers  de  la  troisième  classe  se  distinguent 
à  la  rosette;  les  chevaliers  de  la  seconde,  à  l'étoile,  ou  guir- 
lande de  chêne  ;  ceux  de  la  première,  enfin  ,  portent  égale- 
ment la  guirlande  de  chêne,  mais  en  diamants.  La  décoration 
commune  atix  quatre  classes  consiste  en  une  médaille  d'ar- 
gent avec  cette  inscription  :  Pour  services  rendus  à  l'État, 
qu'on  suspend  àla  boutonnière  avec  le  ruban  de  l'Aigle  Rouge. 

AIGIV/VN  (Etienne),  de  l'Académie  Française ,  naquit  à 
Beaugency-sm-Loire,  en  1773.  Il  a  fait  des  traductions  qui 
ne  sont  pas  sans  mérite  :  celle  de  Y  Iliade  en  vers  a  obtenu 
du  succès;  celle  de  VOdijss^'e  n'a  pas  été  imprimée.  On  lui 
doit  aussi  la  traduction  de  ï Essai  sur  la  critique  de  Pope, 
et  de  quelques  romans  anglais ,  parmi  lesquels  on  remarque 
le  Vicaire  de  Wahelicld.  Aignan  a  fait  pour  le  théâtre  les 
tragédies  de  Brunehaut,  A' Arthur  de  Bretagne,  et  de  Po- 
Ujxcne,  et  l'opéra  de  Ncpktali  (musique  de  Blangini),  qui 
n'eurent  qu'un  petit  nombre  de  représentations.  Parmi  ses 
écrits  politiques  nous  citerons  les  brochures  intitulées  :  Sur 
leJwy;de  l'Étal  des  Prolestants  en  France  depuis  le 
quinzième  siècle  jusqu'à  nos  jours;  cl  Des  Coups  d'État. 
Enfin  Aignan  fut  l'un  des  rédacteurs  de  la  Minerve  française. 
Lorsque  ce  journal  cessa  de  paraître ,  Aignan  se  retira  à  la 
campagne  ,  où  il  composa  sa  Bibliothèque  historique  ,  re- 
cueil de  morceaux  inédits  relatifs  à  l'histoire  nationale.  Il 
avait  succédé,  dans  l'Académie  Française ,  à  Bernardin  de 
Saint-Pierre ,  dont  il  prononça  l'éloge  dans  son  discours  de 
réception  en  1815,  pendant  les  Cent  Jours.  Un  style  pur,  une 
pensée  forte  et  indépendante ,  et  cependant  toujours  modé- 
rée, distinguent  cet  écrivain,  qui  montra  en  1793  un  grand 
courage  en  publiant  la  tragédie  de  la  Mort  de  Louis  XVI 
quelques  semaines  après  l'exécution  de  ce  prince.  Quoique 
bien  jeune  encore,  il  tenta  en  1793  de  s'opposer  aux  exct>s 
de  cette  époque  :  il  fut  mis  en  captivité  pour  prix  de  ses 
efforts.  Sous  l'empiie  il  dut  à  l'amitié  de  M.  de  Luçay  la 
place  de  secrétaire  du  palais  impérial,  et  en  1808  Napoléon 
le  nomma  aide  des  cérémonies  et  secrétaire  du  cabinet  de 
l'intriuluction  des  ambassadeurs.  Aignan  est  mort  à  Paris, 
le  21  juin  1824. 

AIG^'EL.  Voy.  Agnelet. 

AIGOMAi\CIE  (  du  grec  dXl,  a'iyoç ,  chèvre  ;  (AavTet'a, 
divination  ),  art  de  prédire  l'avenir  par  les  mouvements  ou 
le  bêlement  d'une  chèvre. 

AIGRE  (du  latin  acer,  acris,  acide,  piquant  au  goût), 
saveur  acide,  piquante,  que  présentent  surtout  les  substan- 
ces qui  subissent  la  fermentation  acide.  Le  vin  devient  aigre 
lors(pi'il  est  exposé  à  l'air.  Le  lait ,  le  bouillon  qui  se  gâtent, 
deviennent  aigres ._  tournent  à  V aigre.  Des  fraises  tournées 
sont  aigres.  On  donne  encore  le  nom  iVaigres  à  certains 
fruits  qui  ont  quelque  chose  de  piquant,  d'âpre  au  goût  : 
cerise  aigre,  pomme  aigre.  —  On  appelle  cidre  aigre  celui 
qui,  ayant  acquis  ce  défaut  en  vieillissant,  a  perdu  son  âpreté 
en  passant  sur  du  marc  nouveau.  —  L'odeur  aigre  est  celle 
qui  s'exhale  de  quelques  substances  altérées.  —  Les  phar- 
maciens et  les  parfumeursdonnentle  nom  d^iigre  de  cidre, 
de  limon,  de  bigarade ,  aux  sucs  de  cédrat,  de  limon  de 
bigarade,  qui  viennent  surtout  des  environs  de  Gênes,  et 
que  l'on  mêle  avec  de  l'eau  poiu"  obtenir  une  boisson  ra- 
fraîchissante très-agréable.  —  On  dit  encore  que  l'air,  que  le 
vent  est  aigre,  lorsqu'il  est  froid.  —  Au  figuré,  ce  mot  s'ap- 
plique aux  personnes  qui  ont  <le  l'aigreur  dans  le  carac- 
tère, dans  l'humeur.  On  dit  d'une  personne  revêche,  aca- 
riâtre, (pfelle  est  aigre  comme  citron  vert,  comme  verjus. 
—  lin  son  aigre  est  un  son  rude  à  l'oreille,  un  bruit  aigu. 


AIGRE  —  AIGU 


209 


tau\  et  perçant.  On  le  dit  aussi  d'une  voix  dés;igi âUile  et 
rude.  —  Dans  la  métallurgie ,  ce  non»  s'applique  aux  mor- 
ceaux de  métal  qui  manquent  de  ductilité,  qui  sont  cassants, 
parce  que  leurs  i)arties,  mal  liées,  se  séparent  facilement  les 
unes  des  autres.  Du  IVr,  du  cuivre  aigre.  —  In  terrain  aifjre 
s'entend  d'un  terrain  dil'licile  à  cultiver,  jiarcc  que  les  pluies 
le  transforment  en  marais,  et  que  les  sédieresses  en  reiuiinit 
la  surface  dure  comme  de  la  pierre.  —  Enlin ,  en  peinture 
on  dit  que  les  couleurs  d'un  tableau  sont  aij;res  quand  elles 
ne  sont  pas  Rées  par  des  dégradations  qui  les  fondent,  les 
accordent ,  les  harmonisent. 

AIGRËFEUILLE  ( Fclcrand,  marquis  d'),  célè- 
bre dans  les  .annales  de  la  gastronomie,  né  vers  l'année  IT^ô, 
était  avant  la  révolution  chevalier  de  Malte  et  procureur 
général  à  la  cour  des  aides  de  Montpellier.  11  tenait  dans 
cette  ville  table  ouverte ,  et  comptait  quelquefois  parmi  ses 
convives  un  homme  qui  plus  tard  lui  rendit  à  usure  ses 
bons  repas  :  c'était  Cambacérès,  conseiller  à  cette  même 
cour  des  aides,  qui,  devenu  député  à  la  Convention  natio- 
nale, usa  de  son  crédit  pour  protéger  d'Aigrefeuille  contre 
les  effets  de  la  Terreur.  Mais  là  ne  s'arrêta  pas  la  fortune  de 
Cambacérès  :  second  consul  après  le  18  brumaire,  il  admit 
son  ancien  procureur  général  dans  sa  société  intime.  D'Ai- 
grefeuille devint  en  quelque  sorte  le  maître  des  cérém.onies 
de  cette  petite  cour,  où  l'on  se  piquait  de  rappeler  la  gravité 
des  manières  parlementaires  de  l'ancien  régime ,  et  surtout 
de  savourer  avec  une  savante  recherche  les  plaisirs  de  la 
table.  Ce  qui  perpétua  le  crédit  de  d'Aigrefeuille  auprès  de 
Cambacérès ,  c'est  que  jamais  il  ne  parut  se  souvenir  qu'au- 
trefois il  avait  été  dans  une  position  bien  plus  élevée  que 
son  patron.  Puis,  quand  avec  l'établissement  impérial  re- 
vinrent les  qualifications  de  l'ancienne  étiquette,  jamais, 
même  dans  le  tête-à-tête,  il  ne  manqua  de  qualifier  d'altesse 
sérénissime  Cambacérès ,  devenu  prince  archichancelier.  On 
raconte  à  ce  propos  qu'un  jour,  dans  une  naïveté  d'orgueil 
qui  avait  un  air  de  modestie ,  le  patron  lui  dit  :  «  Mon  cher 
«  d'Aigrefeuille ,  dans  l'intimité ,  pas  d'altesse  sérénissime  ; 
«  entre  nous,  appelez-moi  tout  bonnement  Monseigneur.  » 
C'est  à  d'Aigrefeuille  que  Grimod  de  la  Reynicre  a  dédié  la 
première  année  de  son  Almanach  des  Gourmands.  D'Ai- 
grefeuille aimait  la  bonne  chère ,  mais  il  l'aimait  en  convive 
délicat  ;  il  découpait  à  merveille,  et  possédait  surtout,  dit-on, 
le  talent  de  laisser  tomber  comme  involontairement ,  dans 
un  coin  du  plat,  le  meilleur  morceau  de  la  pièce  qu'il  s'était 
chargé  de  dépecer.  Il  avait  de  l'esprit ,  l'usage  du  monde , 
une  politesse  exquise,  des  reparties  heureuses  et  de  l'ins- 
truction. 11  était  petit  et  d'une  rotondité  remarquable;  sa 
figure,  passablement  enluminée, 

Semblait  d'ortolans  seuls  et  de  bisques  nourrie. 

Il  portait  une  petite  épée,  se  dandinait  en  marchant  comme 
son  illustre  patron,  et  formait  un  contraste  parfait  avec  un 
autre  commensal  du  prince,  le  marquis  de  la  \ illevieille , 
personnage  long,  sec  et  pâle.  Sous  l'empire,  les  longues 
promenades  que  faisait  régulièrement  au  Palais-Royal  ce 
trio ,  bien  propre  à  inspirer  le  génie  de  la  caricature,  avaient 
le  privilège  de  faire  sourire  les  passants  et  d'attirer  les  cu- 
rieux. Qui,  parmi  les  contemporains,  ne  se  rappelle  encore 
aujourd'hui  ce  burlesque  cortège  de  badauds  suivant  à  dis- 
tance respectueuse,  sous  les  galeries  de  pierre  et  dans  le 
jardin ,  le  prince  archichancelier,  couvert  de  rubans  et  de 
crachats,  flanqué  de  ses  deux  acolytes  toujours  en  luibit  à 
la  française,  le  claque  sous  le  bras  et  ré[tée  au  coté?  .^lais 
avec  le  retour  de  Louis  XVIII,  Cambacérès  réforma  sa  cui- 
sine ;  il  eut  même  quelipics  raisons  d'éloigner  de  lui  d'Aigre- 
feuille, qui  mourut  en  1818,  assurément  bien  maigri ,  et 
vivant  à  peine  d'une  indemnité  de  cent  louis  par  an  que  lui 
faisait  le  ministre  de  la  police  générale.     Cli.  du  Rozoir. 

AIGREFIX.  Voyez  Eciîtrix. 

AIGRETTE.  On  appelle  ainsi  en  bolaniqtie  im  o:- 

DICT.    DE   LA   CO.NVr.RS.    —  T.    1. 


gane  appendiculaire  composé  d'une  petite  touffe  de  poils 
soyeux,  cpii  surmonte  quelquefois  le  péricarpe.  L'aigiette  est 
dite  scssile  lorsqn'elle  est  immédiatement  appliquée  sur  le 
sommet  de  l'ovaire,  sans  aucun  corps  intermédiaire;  elle  est 
appelée  slip'déc  lorsqu'elle  est  portée,  au  contraire,  sur  une 
espèce  de  petit  pivot  ou  support  particulier  nommé  slipe. 
Quand  les  poils  qui  composent  l'aigrette  sont  simples,  l'aigrette 
est  appelée  simple  ou  poilue;  on  la  nomme plumCuse  lors- 
que les  poils  offrent  sur  leurs  parties  latérales  d'autres  petits 
poils  plus  fins,  plus  déliés  et  pluo  courts,  qui  lui  donnent 
l'apparence  d'une  plume.  Il  y  a  en  outre  des  aigrettes  mem- 
braneuses ,  squameuses  ou  soyeuses,  suivant  l'apparence 
de  leur  tissu.  —  En  ornithologie  on  appelle  aigrette  un 
faisceau  de  plumes  effilées  qui  orne  le  dessus  delà  tête  de 
certains  oiseaux,  comme  le  paon,  la  grue  couronnée,  etc.  — 
C'est  aussi  le  nom  d'un  oiseau  du  genre  héron,  qui  porte  sur 
le  dos  de  longues  plumes  blanches,  droites  et  soyeuses.  Ces 
plumes  gardent  le  môme  nom  lorsqu'elles  passent  dans  la 
toilette  des  dames,  qui  les  emploient  pour  orner  et  relever 
leur  coiffure.  Par  extension  on  a  encore  donné  ce  nom  à  tout 
ce  qui  rappelle  la  forme  de  cet  ornement.  —  .\insi,  dans  la 
joaillerie  on  appelle  aigrettes  certains  bouquets  de  pierres 
précieuses  disposées  en  aigrette.  —  Dans  la  pyrotechnie  on 
désigne  par  ce  nom  une  pièce  d'artifice  qui  fait  jaillir  des 
étincelles  imitant  les  aigrettes.  —  Aigrettes  se  dit  aussi  du 
faisceau  de  rayons  lumineux,  divergents  entre  eux ,  qu'on 
aperçoit  aux  extrémités  et  aux  angles  des  corps  électrisés.  — 
Une  espèce  de  singe  porte  le  nom  d'aigrette,  à  cause  d'une 
touffe  de  poils  qu'il  porte  au  milieu  du  front. — Plusieurs  co- 
quilles ont  aussi  ce  nom.  —  Enfin,  dans  l'entomologie  on  dé- 
signe par  là  des  faisceaux  de  poils  qui  se  trouvent  sur  une 
.partie  quelconque  du  corps  des  insectes,  et  qui  sont  tantôt 
simples  et  tantôt  en  forme  de  plumet. 

Dans  le  costume  militaire ,  l'aigrette  a  été  longtemps  la 
parure  du  casque  :  le  sultan  en  porte  une  comme  oruejnciit 
à  son  fez,  et  les  grands  dignitaires  turcs  en  ont  oyilenwnl. 
Au  conmienccment  de  ce  siècle  elle  fut  adaptée  au  chapeau 
à  cornes,  puis  au  scliaKodes  officiers  généraux  et  des  officiers 
supérieurs  de  notre  armée.  Ces  derniers  la  portent  encore , 
ainsi  que  les  officiers  supérieurs  de  la  garde  nationale.  Sous 
l'empire  l'aigrette  passa  des  généraux  aux  soldats;  en  1812 
les  grenadiers  et  les  voltigeurs  de  l'armée  portèrent  à  leur 
schako  une  aigrette,  rouge  pour  les  premiers,  jaune  pour  les 
seconds.  Abandonnée  par  la  Restauration,  l'aigrette  reparut 
en  1821.  Elle  fut  définitivement  supprimée  en  1832. 

AIGREUR,  au  propre  qualité  de  ce  qui  est  aigre ^ 
et  au  figuré  disposition  d'esprit  et  d'humeur  qui  porte  à  of- 
fenser les  autres  par  des  paroles  piquantes,  blessantes. 

Je  m'emporte  peut-être,  et  ma  muse  en  fureur 
Verse  dans  ses  discours  trop  de  fiel  et  d'aigreur, 

(  BolLEAU.  ) 

En  pathologie  on  appelle  aigreurs  les  rapports  de  gaz  ou 
de  liquides  aigres  qui  accompagnent  les  digestions  laborieuses, 
et  qui  même  dans  certaines  afièctions  ne  sont  pas  nécessaire- 
ment le  résultat  d'aliments  préalablement  ingérés.  Dans  tous 
les  cas,  ce  phénomène  indique  un  état  maladif  de  l'estomac, 
que  cet  état  soit  constant  ou  bien  seulement  accidentel.  Pour 
combattre  cette  indisposition  les  médecins  recommandent 
l'emploi  de  substances  propres ,  comme  la  magnésie,  par 
exemple,  à  s'emparer  des  liquides  que  la  science  considère 
comme  en  étant  la  source.  Voyez  Absorbants. 

Dans  les  arts  plastiques,  particulièrement  dans  la  gravure 
à  l'eau-forte,  on  se  sert  du  mot  aigreurs  pour  désigner  cer- 
tains traits,  certaines  teintes,  des  touches  noires  et  trop  enfon- 
cées, causées  parl'inégalité  des  tailles  où  l'acide  atrop  mordu. 

AIGU,  adjectif  dont  le  sens  propre  représente  à  l'es- 
prit quelque  chose  de  terminé  en  pointe  ou  en  tranchant, 
et  propre  à  percer  ou  à  fendre  ;  et  qui  se  dit  aussi  au  figuré 
de  sens  clairs  et  perçants,  ou  encore  d'une  douleur  vive  et 

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210 


AIGU 


piquante.  Appliqué  au  son ,  il  est  alors  l'opposé  tle  grave. 
Plus  les  vibrations  des  corps  sonores  sont  fréquentes,  et 
plus  le  son  il<'\ient  aigu.  En  paliiologic  on  appelle  mala- 
dies aiguë.'!  ci'iles  qui  se  déclarent  avec  violence  et  se 
terminent  en  peu  de  temps.  On  les  distingue  ainsi  des  ma- 
ladies chroniques  ,  qui  s'annoncent  avec  moins  de  rapi- 
dité et  avancent  plus  lentement  à  leur  terme.  —  Four  Vangle 
aigu,  voyez  Anci.k;  pour  Vaccent  aigu,  voyez  Accent. 

AIGUADE,  lieu  où  l'on  va  prendre  et  embarquer  de 
l'eau  douce  [)Our  le  service  des  vaisseaux  à  la  mer.  Le  be- 
soin de  faire  ai^niade  est  un  motif  de  relàclie. 

AIGUE-MARIIVE ,  de  deux  mots  latins ,  aqua  ma- 
rina ,  signifiant  eau  de  mer.  On  appelle  ainsi  en  minéra- 
lope  une  pierre  précieuse  formée  d'alumine,  de  silice,  de 
glucyne ,  de  cliaux  et  d'oxyde  de  fer,  dont  la  couleur  est 
assez  semblable  h  celle  de  l'eau  de  mer,  et  qui  a  beaucoup 
de  rapport  avec  l'émeraude.  Ce  qui  les  dilférencie ,  c'est 
que  l'émeraude  est  un  silicate  d'alumine  et  de  j^lucyne  co- 
loré en  vert  par  de  l'oxyde  de  chrome ,  tandis  que  c'est 
l'oxyde  de  fer  qui  produit  la  coloration  en  vert  de  l'aigue- 
marine.  On  la  trouve  en  diverses  contrées  ,  mais  surtout  en 
Russie.  Cette  pierre ,  médiocrement  recherchée ,  et  qui  u'est 
guère  employée  que  pour  la  bijouterie  commune  (  on  en  cite 
cependant  im  échantillon  (pi'on  a  trouvé  assez  beau  pour 
en  former  le  globe  qui  surmonte  la  couronne  des  rois  d'An- 
gleterre), est  une  espèce  de  béryl;  elle  jouit  de  la 
propriété  de  causer  aux  rayons  de  lumière  une  double  ré- 
fraction. 

AIGUES-MORTES,  petite  ville  du  département  du 
Gard,  arronilissement  d'Uzès,  chef-lieu  de  canton,  pos- 
sède 2,897  habitants.  Cette  ville,  en  forme  de  parallélogramme 
carré,  est  enceinte  d'une  muraille  crénelée  et  flanquée  de 
grosses  tours.  Elle  doit  son  nom  aux  marais  qui  l'entouraient 
et  en  rendaient  le  séjour  malsain.  On  est  parvenu ,  il  y  a 
quelques  années ,  aies  dessécher.  Les  immenses  salines  du 
Peccais ,  terrain  aride  et  sablonneux ,  dont  le  produit  est 
incalculable ,  lui  donnent  aujourd'hui  une  grande  impor- 
tance. Aigues-Mortes  possède  un  port  sur  la  Grau  du  Roi.  On 
sait  que  c'est  à  Aigues-Mortes  que  saint  Louis  s'embarqua 
en  1248  pour  son  expédition  de  la  Palestine.  Il  règne  encore 
une  grande  incertitude  historique  sur  le  point  de  savoir  si 
cette  ville  était  alors  baignée  par  la  Méditerranée ,  ou  bien 
si  elle  s'en  trouvait,  comme  aujourd'hui,  éloignée  de  près  de 
cinq  kilomètres.  En  1538,  François  1^'  eut  à  Aigues-Mortes 
une  entrevue  avec  Charles-Quint.  Napoléon  avait  conçu  le 
projet  de  faire  creuser,  à  Aigues-Mortes ,  un  large  bassin , 
bordé  de  quais,  oîi  viendraient  affluer,  smtout  à  l'éjjoque  des 
foires  de  Reaiicaire ,  tous  les  navires  de  long  cours ,  jusque 
alors  privés  d'abri  dans  ces  parages. 

AIGUILLE  (du  latin  acicula,  diminutif  d'ocifs,  pointe), 
petite  verge  métailifpie  pointue  par  un  bout  et  percée  par  l'au- 
tre pour  y  passer  du  (il,  de  la  soie,  etc.,  et  dont  on  se  sert 
pour  coudre,  pour  broder,  pour  faire  de  la  tapisserie,  etc. 

Il  est  fort  vraisemblable  que  les  premières  aiguilles  à  cou- 
dre ont  été  d'abord  des  épines  o\i  des  arêtes  de  poisson  per- 
cées vers  le  bout  le  plus  gros  ;  il  est  constant  (juc  les  anciens 
taisaient  usage  d'aiguilles  en  meta! ,  travaillées  assez  gros- 
sièrement, s'il  faut  en  juger  par  celles  qui  se  voient  dans 
les  cabinets  d'antiquités;  mais  chez  les  modernes  ce  petit 
instrument  a  acquis  une  très-grande  perfection.  —  L'aiguille 
à  coudre,  qui  a  donné  son  nom  à  toutes  les  autres  espèces, 
se  fabrique  de  la  manière  suivante  :  on  prend  du  (il  d'acier  de 
la  grosseur  (pie  l'aiguille  doit  avoir,  et  on  le  coupe,  au  moyen 
de  cisailles ,  en  bouts  d'une  longueur  suffisante  pour  faire 
detix  aiguilles  ;  on  aiguise  les  deux  extrémités  de  ces  bouts 
d'acier  sur  une  meule  de  grès,  et  l'on  termine  les  deux  poin- 
tes sur  une  roue  de  noyer,  ap[ielée  oïdinairenientpo/i.'î.so/rr, 
sur  laquelle  on  répand  de  l'éineri  en  poudre  délaye  dans  «le 
l'huile.  Après  cette  oi)eration,  on  coupe  les  morceaux  d'acier 
par  le  milieu,  et  on  les  palme.  Palmer  les  aiguilles,  c'.ist 


AIGUILLE 

les  prendre  par  petites  poignées  de  quatre  ou  cinq,  plus  on 
moins,  et  les  tenir  par  la  pointe  entre  l'index  et  le  pouce,  de 
manière  qu'elles  représentent  les  cotes  d'un  éventail  déve- 
loppé ,  et  ai)!atir  le  gros  bout  sur  un  tas  :  c'est  dans  ce  bout 
aplati  que  doit  être  percé  le  trou  ou  c/ias  de  l'aiguille.  Lors- 
que les  aiguilles  sont  palmées,  on  les  fait  recuire  pour  amol- 
lir le  bout,  que  le  palmage  a  dû  nécessairement  durcir  en 
l'écrouissant.  On  a  pu  observer  que  les  tètes  des  aiguilles  à 
coudre  ne  sont  pas  parfaitement  plates ,  mais  qu'elles  portent 
deux  petites  gouttières  ou  cannelures.  Autrefois  ces  gout- 
tières se  faisaient  à  la  lime  ;  aujourd'hui  on  les  pratique  au 
moyen  d'un  petit  balancier  qui  fait  jouer  deux  poinçons  à  la 
fois ,  lesquels  agissent  sur  l'aiguille ,  que  l'on  a  placée  entre 
eux  de  la  même  manière  que  deux  de  nos  dents  incisives , 
dont  l'une  supérieure  et  l'autre  inférieure,  formeraient  une 
empreinte  sur  un  crayon,  par  exemple,  que  nous  presserions 
entre  elles  ;  en  imprimant  les  cannelures ,  on  écrouit  la  ma- 
tière: voilà  pourquoi  il  faut  recuire  de  nouveau  l'aiguille  avant 
de  la  percer. 

Le  trou  de  l'aiguille  se  fait  en  trois  fois  -.  l'ouvrier,  muni  d'un 
poinçon  de  grosseur  convenable,  pose  l'aiguille  sur  une  masse 
de  plomb,  applique  le  poinçon  sur  une  des  faces  aplaties  de 
l'aiguille,  et  trappe  un  coup  de  marteau  dessus;  puis  il  re- 
tourne l'aiguille  pour  en  faire  autant  du  côté  opposé  :  le  trou 
est  ébauché  des  deux  côtés ,  mais  il  n'est  pas  encore  ouvert. 
Un  autre  ouvrier,  chargé  de  terminer  cette  opération,  porte  les 
aigmlles  sur  un  bloc  de  plomb,  et,  à  l'aide  d'un  autre  poinçon, 
il  détache  le  petit  morceau  d'acier  qui  était  resté  dans  l'œil  de 
l'aiguille,  et  qui  le  tenait  bouché.  Cette  opération  s'appelle 
troquer  les  aiguilles.  Les  ouviiers  qui  percent  les  aiguilles 
sont  ordinairement  des  enfants;  ils  ont  tant  de  justesse  dans 
le  coup  d'œil  qu'il  s'en  est  vu  qui  perçaient  un  cheveu  d'un  coup 
de  poinçon,  et  qu'ils  en  passaient  unautredansle  trou,  comme 
on  passe  un  fil  dans  une  aiguille.  —  Une  aiguille  mal  percée 
coupe  le  fil;  cela  provient  de  ce  que  les  arêtes  de  son  clias 
sont  trop  vives ,  ou  qu'elles  ont  des  bavures  tranchantes. 
Pour  faire  disparaître  cet  inconvénient  autant  cpie  possible, 
on  C'barbe  les  trous  après  le  perçage,  au  moyen  d'instruments 
dont  on  peut  aisément  se  faire  une  idée  ;  on  arrondit  aussi  le 
bout  aplati,  ce  qui  s'appelle/aire  le  chapeau  de  l'aiguille. 

Après  ces  diverses  manœuvres,  l'aiguille  esta  peu  près  ter- 
minée ;  il  reste  encore  à  la  tremper  et  à  la  polir.  Pour  tremper 
les  aiguilles,  on  les  range  sur  un  fer  plat,  étroit  et  un  peu 
recourbé  par  un  bout  ;  on  le  tient  par  l'autre  au  moyen  de 
pinces,  et  on  le  pose  sur  un  feu  de  charbon;  lorsque  les  ai- 
guilles ont  reçu  le  degré  de  chaleur  que  l'on  juge  convenable, 
on  les  fait  tomber  dans  un  bassin  d'eau  froide.  L'opération 
de  la  trempe  est  fort  délicate  et  une  des  plus  importantes;  si 
la  trempe  est  trop  dure ,  l'aiguille  est  cassante  ;  dans  le  cas 
contraire,  elle  est  molle  et  dépourvue  de  ressort.  On  rectifie 
l'opération  de  la  trempe  par  le  recuit;  pour  recuire  les  aiguil- 
les, on  les  étend  dans  une  poêle  de  fer  placée  sur  un  réchaud, 
où  elles  prennent  un  degré  de  chaleur  que  l'œil  de  l'ouvrier 
expérimenté  peut  seul  juger  satisfaisant.  Le  recuit  rend  les 
aiguilles  moins  cassantes,  sans  rien  leur  faire  perdre  de  leur 
élasticité.  —  Tout  le  monde  sait  qu'une  pièce  d'acier  qui  est  un 
peu  longue,  relativement  ;i  la  grosseur,  se  courbe  et  se  tour- 
mente plus  ou  moins  quand  on  lui  donne  une  trempe  un  peu 
forte  :  cela  arrive  à  la  plupart  des  aiguilles  que  l'on  trempe; 
aussi  est-on  obligé  de  les  dresser  les  imes  après  les  autres  au 
marteau  après  le  recuit ,  après  quoi  il  ne  reste  plus  qu'à  les 
polir. 

Le  polissage  des  aiguilles  se  pratique  de  cette  manière  :  on 
en  prend  douze  à  quinze  mille,  que  l'on  arrange  par  petits 
paquets  placés  les  uns  à  coté  des  autres  sur  un  morceau  de 
treillis  neuf,  couvert  de  poudre  d'émeri;cela  l'ait,  on  répand 
sur  les  aiguilles  une  autre  couche  d'émeri ,  que  l'on  arrose 
d'huile  ;  on  roule  le  treillis,  dont  on  forme  une  espèce  de  sac 
en  le  fiant  par  les  deux  bouts  ;  on  le  serre  également  dans 
toute  sa  longueur  avec  des  cordes  ;  on  porte  ensuite  ce  rou- 


AIGUILLE  —  AIGUILLETTE 


211 


kau  ou  ce  boudin  sur  la  table  à  polir.  La  machine  Ji  polir  se 
compose  d'une  table  ordinaire,  de  figure  rectant^ulairc,  un  peu 
forte,  et  d'un  plateau  aussi  rectangulaire,  nuiui  de  manches 
ou  poignées  vers  ses  deux  bouts;  les  rouleaux  contenant  les 
aiguilles  sont  placés  entre  la  table  et  le  plateau  ;  ce  dernier 
est  chargé  d'un  poids;  un  ou  deux  ouvriers  font  aller  et  venir 
le  plateau  ainsi  chargé  pendant  mi  jour  et  demi  ou  deux  jours  ; 
les  paquets  roulant  continuellement  sur  eux-mêmes,  le  poids 
qui  pèse  dessus  oblige  les  aiguilles  à  se  frotter  les  unes  contre 
les  autres,  et  à  se  polir  réciproquement  par  relfet  de  l'émeri 
interposé  entre  elles.  Dans  les  grandes  fabriques  les  machi- 
nes à  pol'u:  sont  mises  eu  mouvement  par  la  vapeur,  des  chu- 
tes d'eau ,  etc. 

Lorsque  les  aiguilles  sont  polies,  on  les  tire  de  la  bourse, 
et  on  les  jette  dans  une  lessive  d'eau  chaude  et  de  savon, 
jiour  les  débarrasser  du  cambouis  formé  par  l'huile,  l'é- 
meri et  les  particules  d'acier  que  le  polissage  a  détachées. 
Pour  achever  de  nettoyer  les  aiguilles,  après  les  avoir  lessi- 
vées ,  on  les  enferme  avec  du  son  dans  une  boîte  carrée, 
portée  horizontalement  sur  un  arbre,  que  l'on  fait  tourner 
au  moyen  de  la  manivelle  dont  il  est  muni.  Cette  opération 
s'appelle  ffiHner  les  aiguilles.  On  renouvelle  le  son  plusieurs 
fois,  on  tire  les  aiguilles  du  van  ,  et  l'on  procède  au  triage  ; 
car  bon  nombre  d'entre  elles  ont  dû  perdre  leur  pointe  ou  leur 
chas,  soit  dans  l'opération  violente  du  polissage,  soit  dans 
le  van  ;  on  met  donc  à  part  toutes  celles  qui  n'ont  perdu  que 
la  pointe.  Un  ouvrier  en  prend  plusieurs  entre  le  pouce  et 
l'index ,  dont  il  refait  la  pointe  en  les  faisant  rouler  sur  une  pe- 
tite meule  à  polir,  qu'U  entretient  en  mouvement  au  moyen 
d'un  rouet  qu'il  fait  tourner  de  l'autre  main.  Voilà  la  dernière 
opération  de  la  fabrication  des  aiguilles  ;  elle  a  reçu  le  nom 
à\iffinage.  Lorsque  les  aiguilles  sont  affinées,  on  les  essuie 
avec  des  linges  gras  et  huilés,  et  on  les  distribue  par  pa- 
quets sur  des  papiers. 

Dans  la  plupart  des  manœuvres  qui  viennent  d'être  dé- 
crites, il  est  nécessaire  que  les  aiguilles  soient  toutes  rangées 
dans  le  même  sens  ;  les  ouvriers  habitués  à  ces  maniements 
ont  acquis  une  telle  dextérité,  que,  prenant  une  poignée 
d'aiguilles  dans  chaque  main, ils  leur  impriment,  en  les  ba- 
lançant, un  mouvement  tel  que  toutes  leurs  pointes  se  tour- 
nent du  même  côté.  Teyssèdre. 

On  ne  flxe  pas  pour  l'invention  des  aiguilles  telles  que 
nous  les  connaissons,  une  date  plus  reculée  que  1545.  L'his- 
toire n'a  pas  même  gardé  le  nom  de  l'inventeur,  qu'on  dit 
être  un  Indien,  qui  aurait  importé  son  procédé  en  Angleterre. 
On  essaya  aussi  d'en  fabriquer  en  France,  mais  avec  moins 
de  succès,  et  avant  la  révolution  il  y  avait  à  Paris  une  com- 
munauté à^aiguillcrs.  Les  aiguilles  de  Paris  avaient  quelque 
renommée ,  et  le  nom  d^aiguilles  de  Paris  est  resté  à  une 
espèce  d'aiguilles  choisies  et  de  bonne  qualité.  Les  aiguilles 
de  premier  choix  sont  marquées  d'un  Y.  La  France  compte 
encore  plusieurs  fabriques  d'aiguilles  à  Paris,  à  Lyon,  à  Be- 
sançon, à  Metz,  à  L'Aigle,  à  Rugles,  etc.  En  Prusse,  on  en 
fabrique  à  Berlin,  à  Aix-la-Chapelle,  à  Stolberg,  à  Bor- 
cette,  etc.  On  en  fabrique  aussi  à  Liège,  à  Vienne  en  Autri- 
che, à  Nuremberg,  etc.  ;  mais  les  aiguilles  d'Allemagne  sont 
moins  recherchées  que  les  aiguilles  d'Angleterre,  parce  que 
celles-ci  sont  en  général  d'un  acier  i)lus  dur  et  moins  flexi- 
ble, ce  qui  permet  de  leur  donner  plus  de  longueur  relative- 
ment à  leur  grosseur,  et  parce  que  leur  poli  est  plus  parfait. 

Le  nom  d'aiguille  se  donne  encore  à  différentes  petites 
verges  de  fer  ou  d'autre  métal  qui  servent  à  dilférents  usages. 
C'est  ainsi  que  \^%  aiguilles  à  ^/ico^er  sont  tout  bonnement 
des  tiges  métalliques  sans  pointe  ni  chas.  Les  aiguilles  du 
métier  à  bas  sont  de  petits  crochets  enchâssés  dans  du 
plomb  ;  les  aiguilles  à  broder  sont  analogues  aux  aiguilles 
à  coudre  ;  les  brocheuses  emploient  des  aiguilles  un  peu 
courbées.  Les  grosses  aiguilles  d'emballage,  les  carrelets  des 
cardeurs  de  matelas,  des  tapissiers,  sont  de  grandes  aigiulles 
grossières.  On  nomme  aussi  aiguilles  à  insectes  des  pointes 


de  mêlai  dont  on  se  sert  pour  garder  des  insectes  dans  les 
collections. 

Dans  la  chirurgie  on  a  donné  le  nom  d'aiguilles  à  des 
instruments  qui  se  rapprochent  plus  ou  moins  de  l'aiguille 
à  coudre.  Pour  pratiquer  les  sutures  de  plaies  qu'on  veut 
réunir,  on  se  sert  d'aiguilles  droites  ou  courbes ,  rondes  ou 
plates.  Les  aiguilles  employées  dans  l'acupuncture  sont 
tout  simplement  de  petites  tiges  d'acier  pointues  par  un  bout. 
Vaiguille  à  selon  est  plate  et  de  forme  lancéolée  vers  la 
pointe  :  on  en  fait  peu  usage.  L'aiguille  à  cataracte  est  une 
petite  lance  à  pointe  droite  ou  un  peu  courbe  sur  le  plat,  et 
ajustée  à  un  manche  léger  sur  lequel  un  petit  point  de  cou- 
leur indique  la  face  qui  correspond  au  plat  de  l'aiguille. 
Vaiguille  de  Deschamps  est  un  instrument  inventé  par 
un  chirurgien  de  ce  nom  pour  passer  les  ligatures  sous  les 
vaisseaux  profonds.  Toutes  ces  aiguilles  peuvent  être  en  ar- 
gent, en  or,  ou  en  acier;  celles  qui  sont  destinées  à  demeurer 
longtemps  dans  les  tissus  doivent  être  en  métal  non  oxyda- 
ble. Leur  force,  leur  épaisseur,  leur  courbure  varient  selon 
l'usage  auquel  elles  sont  destinées.  Il  y  en  a  d'un  décimètre 
de  longueur;  d'autres  à  peine  de  quelques  millimètres, 
comme  celles  de  Dilfenbach  pour  la  suture  du  voile  du 
palais. 

On  appelle  aussi  aiguilles  les  lames  métalliques  mobiles 
qui  indiquent  les  heures  sur  les  cadrans.  Un  petit  barreau 
d'acier  aimanté  forme  l'aiguille  de  la  boussole. 

Dans  l'architecture  on  qualifie  d^aiguilles  des  espèces  de 
pyramides  en  pierres  ou  en  charpente ,  comme  les  clochers 
des  églises,  lorsqu'elles  sont  extrêmement  pointues.  Les 
obélisques  prennent  aussi  ce  nom.  —  Dans  l'hydrau- 
hque  les  aiguilles  sont  des  espèces  de  vannes  avec  lesquelles 
on  ferme  les  pertuis.  —  Dans  les  chemins  de  fer  on  nomme 
aiguille  un  instrument  qui  rapproche  ou  éloigne  des  parties 
de  rails  de  manière  à  faire  changer  de  voie.  * 

AIGUILLE  AIMANTÉE.  Voyez  Aimant. 
AIGUILLES  (Cap  des),  dans  la  colonie  anglaise  du  cap 
de  Bonne-Espérance  ;  c'est  le  point  le  plus  méridional  du 
continent  africain.  11  est  situé  sur  l'océan  Antarctique,  à  1.30 
kilomètres  sud-est  du  cap  de  Bonne-Espérance,  par  34°  51' 
de  latitude  sud ,  et  17°  36'  de  longitude  est. 

AIGUILLETTE  ,  tresse  ou  lacet  formé  d'un  tissu  d'or, 
d'argent,  de  soie  ou  de  laine,  dont  les  bouts  sont  en  pointe  de 
métal.  Dans  le  moyen  âge,  et  depuis  l'usage  des  armures 
complètes,  on  donna  le  nom  d'aiguillette  aux  cordons  qui 
en  liaient  les  différentes  parties. 

Lorsque  chacun  avait  le  costume  prescrit  par  les  règle- 
ments pour  la  classe  à  laquelle  il  appartenait,  et  quand  sou- 
vent même  on  portait  les  insignes  de  sa  profession,  les  gardes 
préposés  à  la  police  avaient  sur  l'épaule  un  trousseau  de  pe- 
tites cordes  destinées  à  attacher  les  malfaiteurs  qu'ils  arrê- 
taient. Dans  la  suite,  on  en  fit  une  espèce  d'ornement  pour 
la  maréchaussée,  dont  la  gendarmerie  de  nos  jours  est  l'héri- 
tière directe.  Ces  petites  cordes  ou  aigtiillettes,  tantôt  ron- 
des, tantôt  plates ,  servirent  ensuite  à  distinguer  les  différentes 
armes  et  les  différents  grades.  On  les  plaçait  indifféremment 
sur  l'une  ou  l'autre  des  deux  épaules;  on  les  fixait  à  un  bou- 
ton attaché  près  le  collet  de  l'habit,  et  elles  s'y  adaptaient  au 
moyen  d'une  ganse  posée  à  l'extrémité  de  l'épaule.  —  Quel- 
ques régiments  de  dragons,  les  chevau-légers,  les  gardes  de 
la  marine,  les  cadets-gentils-liommes  et  la  maréchaussée  por- 
taient des  aiguillettes.  Elles  furent  réservées  plus  tard  aux 
armes  spéciales  et  à  quelques  troupes  d'éhte,  telles  que  la 
garde  impériale  et  la  garde  royale.  —  Les  officiers  du 
corps  d'état-raajor  et  de  la  garde  impériale,  quelques  corps 
de  cette  garde,  la  garde  de  Paris  et  la  gendarmerie  en  sont 
décorés.  —  Elle  est  la  marque  distinclive  du  grade  pour  les 
aspirants  de  marine.  —  Les  pages  des  souverains  en 
France  portèrent  Vaiguillette  tout  le  temps  de  leur  existence. 
—  Les  domestiques  des  grandes  maisons  la  portent  encore. 
—  Le.xpression  familière  nouer  Vaiguillelle,  qu'on  icu- 

27. 


212 


AfGUILLETTE  —  ÀIGUISERIE 


contre  n<;sez  soiivent  dans  nos  conlonrs  du  £eizit''n»e  çièclc  , 
pour  désigner  rinipossibilité  momcnfanée  où  se  trouvait  un 
jeiino  marié  de  satisfaire  au  devoir  conjugal ,  provenait  de  ce 
(jue  ilu  temps  des  braques  et  des  braguette-,  cette  dernière 
Ijarlie  du  vttenient  se  fermait  au  moyen  (Vaiguillel/es.  Le 
plus  souvent  cette  impossibilité  physique  était  attribuée  à  un 
maléfice, et  alors  on  exprimait  décemment  iidée  attachée  à 
cet  état  d'impuissance  du  marié  en  disant  que  son  aiguil- 
lelle  était  nouée. 

—  On  donne  aussi  Je  nom  à'aigîtiUette  à  une  tranche  de 
chair  effilée  prise  le  long  du  dos  d'un  oiseau  de  rivière  servi 
sur  table. 

AIGUILLOX.  En  ternies  de  botanique,  l'aiguillon  est  un 
piquant  qui  prend  naissance  dans  l'écorce,  et  n'a  aucune 
liaison  avec  le  bois,  ce  qui  le  distingue  de  l'épine.  L'ai- 
guillon se  détache  facilement  de  la  plante,  comme  on  peut  le 
voir  dans  le  rosier. 

—  Ln  zoologie  on  appelle  aiguillon  une  arme  commune  à 
quelques  insecles  et  qui  est  placée  à  l'extrémité  de  l'abdo- 
men. 11  y  en  a  de  deux  sortes,  celui  qui  est  caché  et  qui 
sort  à  volonté  de  l'animal,  comme  dans  les  abeilles,  les  guè- 
jies,  etc.,  et  celui  qui  reste  toujours  apparent,  et  ne  peut  ja- 
mais rentrer  en  entier  dans  l'abdomen,  comme  dans  les  mou- 
ches à  scie,  etc.  ;  cette  dernière  espèce  porte  particulièrement 
le  nom  de  tarière.  Le  plas  ordinairement,  les  femelles  et  les 
neutres  seulement  sont  pouiTus  d'un  aiguillon ,  et  les  mâles 
en  sont  privés.  Cette  arme,  dit  M.  Ilippolyte  Cloquet,est  en 
général  composée  de  plusieurs  parties  cartilagineuses  enve- 
loppées par  des  muscles ,  et  au-dessus  desquelles  s'élève  un 
étui  de  même  nature,  où  glissent  deux  lames,  entre  lesquel- 
les existe  une  gouttière.  C'e^t  dans  cette  rainure  que  coule 
une  liqueur  venimeuse,  préparée  par  des  canaux  tortueux  , 
qui  viennent  se  rendre  à  une  petite  vésicule,  dont  le  conduit 
aboutit  à  la  base  de  l'aiguillon ,  liqueur  qui  produit  tous  les 
accidents  des  piqûres  des  hyménoptères.  Un  grand  nom- 
bre de  remèdes  ont  été  indiqués  pour  apaiser  la  douleur  pro- 
duite par  les  piqilres  d'abeilles  ou  de  tout  autre  insecte  porte- 
aiguillon.  On  a  préconisé  tour  à  tour  l'ammoniaque,  rhuile 
d'olive,  l'eau-de-vie,  la  salive;  mais  aucun  de  ces  remèdes 
n'est  bien  certain.  Le  moyen  qui  réussit  le  mieux,  c'est  de 
sucer  l'endroit  piqué  pendant  un  quart  d'heure  environ. 
Lorsque  l'aiguillon  est  resté  dans  la  plaie,  il  faut  en  couper  la 
base  le  plus  près  possible  de  la  peau ,  oj  l'arracher  avec  des 
pinces,  en  évitant  de  presser  la  base,  où  se  trouve  la  vésicule 
qui  renferme  le  venin. 

AIGUILLON  (  Famille  n').  Aiguillon  est  une  petite 
ville  du  département  de  Lot-et-Garonne ,  près  d'Agen , 
d'origine  ancienne,  que  Henri  TV  érigea  en  duché-pairie 
en  faveur  du  duc  de  Mayenne.  Louis  XIII  donna  ensuite 
ce  duché  au  seigneur  de  Puylaurcns,  et  en  lG:i8  à  Made- 
leine de  Vignerod,  fille  de  René  de  'V'iguerod  et  de  Fran- 
çoise Dupies-sis,  sœur  du  cardinal  de  Richelieu,  dame  d'hon- 
neur de  la  reine,  qui  jouissait  d'une  grande  faveur  à  la  cour. 
Ln  10:^0  elle  épousa  Antoine  du  Roure  de  Combalet,  qui  la 
laissa  veuve  quelque  temps  après ,  et  elle  mounit  en  1G75. 
—  Son  petit-neveu,  Armand-Lovis  de  Vignerod,  duc  d'Ai- 
ciii.i.oN,  né  en  icsn,  connu  d'abord  sous  le  nom  de  mar- 
quis de  Richelieu,  mounit  en  1750.  Il  a  laissé  quelques 
compositions  obscènes ,  faites  en  société  avec  l'abbé  Gré- 
court,  le  père  Vinot  et  la  princesse  de  Conti. 

Armand  Vignerod  Duplcssis  de  Richelieu,  duc  d'Ai- 
ciiLLON,  ministre  des  affaires  étrangères  sous  Louis  XV, 
était  le  fds  du  précédent.  ISé  en  1720,  il  obtint  dès  qu'il 
parut  à  la  cour  les  bonnes  grâces  de  la  duchesse  de  CIk\- 
tcauroux;  et,  dans  la  crainte  de  trouver  en  lui  un  rival  au- 
près de  sa  favorite,  le  roi  l'envoya  à  Tannée  d'Italie.  Xoumié 
gouverneur  d'Alsace,  puis  de  Rictagne  en  1756,  il  souleva 
le  parlement  de  cette  province  par  ses  actes  arbitraires.  Les 
Anglais  ayant  fait  une  descente  sur  les  côtes  de  Bretagne, 
en  1758,  furent  repousses  avec  perte;  mais  d'Aiguillon  s'é- 


tait tenu,  à  ce  qu'il  paraît,  durant  l'action  dans  un  moulin, 
ce  qui  fit  dire  à  ses  ennemis  que  «  s'il  ne  s'était  pas  cou- 
vert de  gloire,  il  s'était  du  moins  couvert  de  farine  ».  Le 
parlement  de  Bretagne,  guidé  par  La  Chalotais,  son  pro- 
cureur général,  accusa  le  gouverneur  d'exactions  et  de 
crimes  énormes.  Une  enquête  fut  commencée  contre  le  duc; 
mais  d'Aiguillon  retourna  l'accusation  contre  ses  adversaires, 
et  La  Chalotais,  accusé  par  lui,  auprès  de  la  cour,  d'un 
complot  tendant  à  renverser  les  lois  de  la  monarchie,  fut 
arrêté  et  conduit  avec  son  fils  et  trois  conseillers  dans  la  ci- 
tadelle de  Saint-.'^îalo.  Les  accusés  furent  soustraits  à  leur 
juges  naturels  et  renvoyés  devant  une  commission.  Le  par- 
lement de  Paris  prit  la  défense  de  La  Chalotais,  et,  grâce  au 
duc  de  Choiseul,  le  procès  fut  arrêté;  mais  un  édit  con- 
damna les  accusés  à  l'exil.  C'était  un  triomphe  pour  d'Ai- 
guillon, qui  tenta  dès  lors  de  détruire  ou  du  moins  d'an- 
nuler le  parlement  de  sa  province,  à  qui  il  voulait  enlever  le 
droit  de  fixer  et  de  lever  l'impôt.  Des  plaintes  nouvelles  s'é- 
levèrent ;  le  duc  fut  rappelé,  et  son  procès  repris.  Mais  le  chan- 
celier Maupeou  évoqua  l'affaire  à  la  cour  des  pairs  ;  et  en 
1770  le  roi  vint  dans  un  lit  de  justice  justifier  lui-même  son 
lieutenant.  Peu  après,  le  duc  de  Choiseul  fut  disgracié,  et  le 
duc  d'Aiguillon,  que  l'on  regardait  comme  un  des  plus  fer- 
mes soutiens  de  l'autorité  royale,  fut  nommé  en  1:71  mi- 
nistre des  affaires  étrangères.  Il  forma  donc  avec  Mau- 
peou et  l'abbé  Ter ray  ce  trop  fameux  ministère  qui 
détruisit  les  anciens  parlements,  réduisit  les  rentes,  et  laissa 
consommer  le  partage  de  la  Pologne  par  les  cours  du  Xord. 
D'Aiguillon  se  vantait  aussi  d'avoir  préparé  la  révolution 
qui  s'opéra  en  Suède  en  1772.  A  l'avènement  de  Louis  XVI 
le  due  d'Aiguillon  fut  remplacé  au  ministère  par  le  comte 
de  Vergennes.  Il  retourna  dans  son  ancien  gouvernement 
de  Bretagne,  où  il  mourut  en  1780. 

Son  fils,  Armand  Vignerod,  duc  d'Aiccillon,  suivit  une 
conduite  opposée.  Pair  de  France,  colonel  du  régiment  de 
Royal-Pologne,  commandant  des  chevau-légers  du  roi, 
député  de  la  noblesse  d'Agen  aux  états  généraux  en  1789, 
il  se  montra  zélé  partisan  des  idées  nouvelles.  Il  fut  au 
nombre  des  membres  de  la  minorité  de  la  noblesse  qui  se 
réunirent  au  tiers  état  le  25  juin,  et  le  4  août  il  fut  le  second 
de  son  ordre  à  renoncer  à  ses  privilèges  féodaux.  La  guerre 
ayant  été  déclarée  à  l'Autriche,  le  duc  d'Aiguillon  prit  le 
commandement  des  troupes  qui  occupaient  les  gorges  de 
Porentruy  ;  mais  ayant  accusé  l'Assemblée  d'usurpation  de 
pouvoir  dans  une  lettre  qu'il  écrivait  à  Bamave  après  le  10 
août,  et  qui  fut  interceptée,  il  fut  décrété  d'accusation,  et  il 
n'eut  que  le  temps  de  passer  la  frontière.  Il  se  retira  à 
Londres,  et  mourut  à  Hambourg  en  isoo. 

AIGUISERIE,  usine  dans  laquelle  on  donne  la  pointe 
ou  le  poli  aux  armes  blanches  et  aux  autres  instruments  tran- 
chants, à  l'aide  de  meules  de  grès  ou  de  bois  de  tout  dia- 
mètre, et  mues  par  différents  moteurs,  suivant  les  localités. 
Les  meules  à  dégrossir,  ordinairement  en  grès,  ont  de 
2  à  3  décimètres  d'épaisseur,  sur  14  à  24  décimètres  de  dia- 
mètre (de  7  à  11  pouces,  sur  4  à  7  pieds),  et  font  par  minute 
de  250  à  500  tours  de  rotation  sur  elles-mêmes.  On  ne  les 
mouille  point.  Les  ^o/(55oJr5  ou  meules  à  polir  sont  en 
bois,  et  la  grandeur  en  varie  de  1  à  9  décimètres  de  dia- 
nîètre.  On  les  enduit  d'émeri  délayé  dans  l'huile  de  navette 
ou  bien  du  charbon  léger  dont  on  frotte  la  circonférence.  — 
Le  tiavail  des  aiguiseries  est  en  général  fatal  à  la  santé  des 
ouvriers,  à  cause  de  la  poussière  métallique  et  pierreuse  que 
produisent  le  mouvement  rapide  et  le  choc  des  pierres  à 
aiguiser.  Ainsi ,  les  aiguiseurs  d'aiguilles  meurent  le  plus 
souvent  fort  jeunes ,  et  ceux  qui  font  la  pointe  des  épingles 
éprouvent  en  outre  la  pernicieuse  inlluence  de  l'oxyde  de 
cuivre,  qui  finit  bientôt  par  faiie  prendre  à  leur  chevelure 
une  teinte  verdâtre,  et  qui  rend  leur  tempérament  rachiti- 
que.  Un  Anglais  ,  Prlor,  a  cependant  imaginé  dans  ces  der- 
niers temps  un  mécanisme  ingénieux  propre  à  prévenir  ces 


AIGUISERIE  -  AILE 


313 


fîlchciix  résultats  :  c'est  un  ventilateur  garni  de  soufllets 
entrninaiit  la  poussière  dans  une  direction  oppost'e  à  la  res- 
piration de  Taiguiseur,  qui  doit  avoir  en  outre  la  tigure 
couiploteuient  isolée  de  la  meule  j'ar  une  espère  d'écran  en 
verre,  ne  nuisant  d'ailleurs  en  rien  h  la  Mie  non  plus  qu'à 
raction  des  mains.  Ces  travailleurs  sont  en  outre  exposés  à 
<!tre  plus  ou  moins  grièvement  blessés  par  des  éclats  que  la 
rapidité  extrême  du  mouvement  de  rotation  détache  trop 
souvent  des  meules,  et  quelquefois  même  par  leur  explo- 
sion et  leur  rupture  avec  violence. 

AIKIN  (Jon.v),  littérateur  anglais,  né  en  1747,  à  Kel- 
v.oth,  exerçait  vers  1700  la  médecine  à  Yarniouth,  où  il  se 
fit  remarquer  par  l'exaltation  d'idées  avec  laquelle  il  em- 
luassa  la  défense  des  principes  de  la  révolution  française. 
La  violence  de  quelques  écrits  qu'il  publia  pour  exposer  ses 
doctrines  politiques  lui  ayant  fait  de  nombreux  ennemis  dans 
cette  petite  ville,  il  se  décida,  en  1792,  à  venir  s'établir  à 
Londres,  où  il  ne  tarda  pas  à  renoncer  h  la  pratique  de  son 
art  pour  ne  plus  se  livrer  qu'à  l'élude  des  lettres.  11  est  mort 
en  1S5'2.  —  Aikin  est  auteur  d'une  Biographie  universelle 
en  10  volumes  in-4'',  publiée  de  1799  à  1815;  d'une  Géo- 
graphie de  l'Angleterre,  fort  estimée;  d'une  Histoire  du 
règne  de  George  III,  et  de  diverses  œuvres  de  littérature 
et  de  morale ,  qui  toutes  ont  eu  les  honneurs  de  nombreu- 
ses éditions  et  ont  été  traduites  en  diverses  langues  étrangè- 
res. —  On  doit  à  sa  fille,  miss  Lucy  Aiein  ,  de  curieu\  mé- 
moires sur  la  cour  de  la  reine  Elisabeth.  Cette  dame  a  aussi 
publié  une  intéressante  biographie  de  son  père ,  où  elle  nous 
le  montre  lié  de  l'amitié  la  plus  intime  avec ,  entre  autres 
hommes  célèbres,  Priestley,  Roscoe  et  le  vertueux  Ho- 
ward ,  dont  il  a  écrit  la  vie. 

AIL  (Alliiun),  au  pluriel  aulx.  Genre  de  plantes  de  la 
famille  des  asphodélées,  dont  l'ail  commun  est  l'espèce 
I)rincipale,  et  qui  renferme  plus  de  cent  soixante  espèces 
différentes ,  répandues  dans  presque  toutes  les  contrées  du 
globe ,  mais  plus  particulièrement  dans  les  régions  tempé- 
rées ,  où  on  les  trouve  dans  les  champs ,  les  bois ,  les  vi- 
gnes. On  cultive  plusieurs  espèces  comme  plantes  potagères 
et  quelques-unes  comme  plantes  d'ornement.  Les  plus  com- 
munes sont  Yail  commun ,  la  rocambole,  le  poireau,  etc., 
qui  ont  les  feuilles  planes  ;  ro((7?20H  commun,  Véchalotte , 
la  ciboule,  la  civette,  etc.,  qui  ont  les  feuilles  cylindri- 
ques et  creuses.  Nous  ne  nous  occuperons  ici  que  de  Yail 
commun  et  des  espèces  qui  portent  vulgairement  le  même 
nom.  Les  autres  auront  des  articles  particuliers. 

Le  bulbe  de  l'a îZ  est  arrondi.  Il  contient  depuis  six  jusqu'à 
dix  petits  bulbes  oblongs ,  connus  sous  le  nom  de  gousses 
ou  caïeux,  qui  «dhèrent  légèrement  au  petit  disque  d'où 
sortent  les  racines ,  et  sont  recouverts  par  des  membranes 
minces,  blanches  et  sèches,  qui  sont  les  bases  de  la  tige 
feuillue  de  la  plante.  Ces  gousses  sont  renfermées  dans  plu- 
sieurs enveloppes  générales  très-minces ,  de  couleur  blan- 
che ou  violacée.  Leur  réunion  est  ce  qu'on  appelle  une  tête 
d'ail.  Entre  les  pédicules  des  fleurs  il  se  forme  quelquefois 
de  petits  bulbes  ou  soboles,  semblables  aux  caïeux  de  la 
racine,  mais  plus  petits  et  plus  secs,  à  raison  de  leur  éloi- 
gnement  de  la  terre. 

Les  gousses  ont  une  saveur  acre  et  une  odeur  piquante, 
qui  de  tout  temps  ont  donné  lieu  à  de  grandes  différences 
d'opinions.  Les  anciens  Égyptiens  faisaient  de  l'ail  un  dieu  ; 
il  était  en  liorreur  aux  Grecs.  Chez  les  Romains  il  faisait 
partie  de  la  nourriture  ordinaire  des  soldats  :  Horace  a  lancé 
contre  lui  des  imprécations.  Chez  nous  il  excite,  dans  le 
Kord,  une  répugnance  presque  générale,  et  n'y  est  guère 
en  usage  que  comme  condiment,  pour  relever  la  fadeur  de 
certains  aliments  ;  pour  la  généralité  des  habitants  du  Midi, 
au  contraire ,  c'est  un  mets  délicieux.  Disons  ici,  en  passant, 
aux  personnes  qui  aimant  le  goût  de  l'ail  se  privent  d'en 
manger  à  cause  de  l'odeur  désagréable  qu'il  commimique  à 
l'haleine,  qu'il  suflit  pour  faire  disparaître  cette  odeur  de 


manger  de  la  betterave  rouge  cuite  sous  la  cendre,  ou  des 
fèves  cnies,  ou  du  persil. 

L'ail  est,  du  reste,  un  sliundant  très-actif;  sous  ce  rap- 
port il  jouissait  déjà  chez  les  anciens  d'une  grande  réputa- 
tion. On  prétend  que  les  soldats  romains  en  mangeaient 
jiour  s'exciter  au  combat.  Virgile  parlf,  dans  ses  Églogues, 
d'un  mélange  formé  de  serpolet  et  d'ail  qu'on  servait  aux 
moissonneurs  accablés  par  la  chaleur  du  jour  ;  encore  aujour- 
d'hui on  le  donne  aux  coqs  et  aux  chevaux,  dans  le  but 
d'augmenter  leur  ardeur  pour  les  combatsou  pour  la  course. 
Lu  médecine  les  usages  de  l'ail  sont  très-variés.  Il  peut  être 
utile  à  certains  estomacs  et  nuisible  à  d'autres.  Les  estomacs 
vigoureux  peuvent  le  supporter  en  certaine  quantité;  chez 
les  personnes  dont  l'estomac  est  faible  il  trouble  la  diges- 
tion et  occasionne  des  renvois  fétides.  Appliqué  sur  la  peau, 
il  agit  à  la  façon  des  vésicatoires,  et  détermine  d'abord  la 
rubéfaction,  puis  la  vésication;  cette  action  est  accompa- 
gnée d'un  mouvement  fébrile.  Il  est  regardé  depuis  la  plus 
liante  antiquité  comme  anti-pestilentiel;  ceux  qui  craignent 
de  contracter  des  maladies  par  contagion  portent  sur  eux 
quelques  gousses  d'ail.  L'ail  a  des  propriétés  vermifuges 
réelles ,  surtout  contre  les  vers  dits  ascarides,  lombricoides, 
ou  vers  ronds.  On  le  donne  à  manger  aux  enfants  affectés 
de  ces  vers,  soit  cru,  soit  mêlé  à  du  beurre,  ou  infusé  dans 
du  lait  chaud ,  à  la  dose  de  deux  ou  trois  gousses  ;  mais  il 
peut  occasionner  des  accidents.  L'ail  doit  les  propriétés 
dont  nous  venons  de  parler  à  une  huile  volatile  très-âcre 
renfermée  dans  ses  bulbes,  qu'on  extrait  par  l'esprit  de 
vin  et  le  vinaigre  très-concentré.  La  chaleur  la  fait  évaporer. 

L'ail,  originaire  des  contrées  méridionales  de  l'Europe, 
se  propage  par  ses  graines  ou  ses  caieux.  Ceux-ci  font  leur 
plante  dans  l'année  même,  tandis  que  la  grame  ne  donne 
la  récolte  qu'à  la  seconde  ou  à  la  troisième  année.  —  La 
plus  grande  culture  de  l'ail  a  lieu  dans  le  midi  de  la 
France,  où  des  champs  entiers  d'une  grande  étendue  sont 
annuellement  couverts  de  cette  plante.  Elle  donne  lieu  à  un 
commerce  considérable. 

Vail  dorf,  qui  croît  naturellement  dans  les  montagnes 
des  parties  méridionales  de  l'Europe ,  est  cultivé  dans  les 
jardins  pour  la  brillante  couleur  jaune  de  ses  fleurs,  qui  se 
développent  au  milieu  de  l'été.  —  Vail  à  trois  coques,  qui 
vient  de  l'Amérique  septentrionale;  Vail  velu,  qui  habite 
le  midi  de  la  France;  Vail  musqué,  indigène  aussi  dans  nos 
contrées  méridionales,  et  dont  les  fleurs  ont  une  odeur  de 
musc  très-agréable ,  sont  également  cultivés  comme  plantes 
d'agrément.  —  Vail  des  vignes  a  la  tige  cylindrique,  les 
fleurs  rougeàtres ,  et  porte  presque  toujours  des  soboles.  Il 
est  propre  à  l'Europe .  et  croît  dans  les  vignes ,  dans  les 
champs  et  dans  les  haies.  Son  abondance  devient  souvent 
un  fléau  pour  les  cultivateurs,  qui  parviennent  difficilement  à 
l'extirper  de  leurs  terres.  Les  soboles ,  qui  ont  la  grosseur 
d'un  grain  de  froment ,  restent  dans  le  blé ,  et  communiquent 
leur  odeur  à  la  farine  qui  en  provient.  Les  vaches  qui  en 
mangent  donnent  un  lait  désagréable.  —  Mentionnons  aussi 
Vail  noir,  Vail  à  feuilles  de  plantain,  qui  croissent  natu- 
rellement dans  nos  départements  méridionaux ,  et  dont  les 
bulbes  ont  une  saveur  plus  douce  que  celle  de  l'ail  commun. 
AIL  \NTE.  Vn?/pz  Aviantr. 

AILE.  Ce  mot  désigne  dans  les  oiseaux,  et  dans  quelques 
autres  animaux ,  les  parties  qu'ils  mettent  en  mouvement 
pour  se  diriger  dans  l'air.  Les  ailes  des  oiseaux  sont  formées 
déplumes  fortes  et  superposées  de  manière  à  frapper  l'air 
avec  vigueur.  L'aile  des  oiseaux  est  composée  d'un  appareil 
solide  autour  duquel  viennent  se  réunir  les  tendons ,  les 
muscles  et  les  téguments  destinés  à  fixer  et  à  rassembler 
les  plumes  qui  la  recouvrent.  L'aile  est  une  soile  de  bias, 
avec  un  avant-bras  et  une  espèce  de  main.  On  y  trouve 
l'humérus,  qui  est  attaché  à  une  omoplate,  ainsi  que  la  cla- 
vicule, un  radius  et  un  cubitus,  enfin  un  véritable  caipe, 
et  le  métacarpe  ;  ces  derniers  os  diffèrent  sm  tout  des  os  ana^ 


214 


AILE  —  AILLY 


logucs  chez  les  mammifères  ;  souvent  môme  il  est  difficile  de 
les  reconnaître.  Les  plumes  qui  garnissent  les  ailes  varient 
suivant  les  oiseaux  et  selon  leur  position  sur  l'aile.  On  ap- 
pelle rémiges  ou  pennes  celles  qui  composent  l'aile  projjre- 
inent  dite  ;  les  dix  extérieures,  dont  quatre  garnissent  la  lon- 
gueur des  doigts,  sont  les  rnn'xjes  primaires;  les  secondai- 
res, en  plus  grand  nombre  ordinairement,  ont  leur  attache 
le  long  de  l'avanf-bras  ;  on  aperçoit  en  outre  trois  ou  cinq 
plumes  beaucoup  plus  petites  et  plus  étroites  que  les  rémi- 
ges, qui  sont  insérées  au  poignet  le  long  du  pouce;  elles  for- 
ment Vnileron  ou  \c  fouet  de  l'aile.  Les  plumes  molles  qui 
recouvrent  les  rémiges  sont  appelées  tectrices. 

Les  ailes  des  cliauves-souris  .sont  des  membranes  de  peau 
soutenues  et  fixées  par  des  os  ;  les  ailes  de  quelques  insectes 
sont  un  réseau  trés-délié  et  transparent;  les  scarabées,  lors- 
«lu'ils  sont  dans  l'inaction,  ont  leurs  ailes  repliées  et  couver- 
tes par  des  ailes  coru»'i>  qui  leur  servent  d'étui  ;  les  ailes  des 
papillons  sont  aussi  un  réseau  fort  délié,  recouvert  de  plu- 
mes variées  de  couleurs  et  si  menues  qu'on  les  prend  pour 
«le  la  poussière;  la  simple  pression  des  doigts  suffit  poiw  les 
enlev<T.  La  forme  des  ailes  chez  les  insectes  sert  à  classer 
ces  animaux. 

On  dit  qu'un  oiseau  étend  ses  ailes,  déploie  ses  ailes, 
vole  à  tire  d'ailes,  bat  des  ailes  ;  un  oiseau  bl&ssé  ne  bat 
qne  d'une  aile;  une  poide  rassemble  ses  poussins  sous  ses 
ailes.  La  fauconnerie  étant  une  chasse  féodale,  il  est  natu- 
rel de  trouver  des  ailes  parmi  les  pièces  du  blason;  mais 
les  termes  dont  on  se  sert  dans  ce  cas  sont  ceux  de  vol 
ou  demi-vol,  suivant  qu'il  se  trouve  deux  ailes  ou  une 
seule  aile. 

La  Bible  |>arle  des  ailes  des  anges,  de  celles  des  chéni- 
bins.  La  mythologie  donne  des  ailes  à  l'Amour,  à  la  Victoire, 
à  la  Renonnnée,  au  Temps,  aux  Heures,  au  cheval  Pégase; 
Mercure  en  a  (luelquetois  aux  talons;  quelquefois  aussi  on 
en  donne  à  la  .Mort ,  mais  ce  sont  des  ailes  de  chauve-sou- 
ris; les  poètes  parlent  des  ailes  du  Vent,  de  celles  de  Zé- 
pliire.  On  a  aussi  donné  des  ailes  aux  harpies,  aux  dragons, 
au(  chimères. 

Dans  certaines  plantes  alternes  et  dans  quelques  arbres, 
on  a  donné  le  nom  d'ailes  aux  brandies  principales  qui  ac- 
compagnent la  tige.  On  dit  aussi  les  ailes  d'un  artichaut, 
pour  désigner  les  pommes  qui  viennent  sur  les  côtés  et  ne 
sont  jamais  aussi  grosses  que  celle  du  milieu;  on  donne  le 
nom  d'ailerons  aux  pommes  qui  quelquefois  accompagnent 
les  ailes  et  sont  encore  plus  petites.  On  donne  aussi  le  nom 
à'ailes  aux  deux  pétales  latéraux  des  (leurs  de  la  classe  des 
légumineuses  et  aux  feuillets  mendjraneux  qui  accompagnent 
la  tige  de  quelques  plantes.  L'érable ,  le  sycomore ,  le  frêne 
et  d'autres  arbres  ont  des  graines  ailées,  c'est-à-dire  que  leur 
semence  est  accompagnée  de  deux  parties  légères  qui  don- 
nent au  vent  la  facilité  de  les  porter  au  loin.  —  Les  parties 
cliarniics  qui  forment  les  narines  sont  quelquefois  nouuuées 
ailes  du  nez.  On  dit  aussi  Vaile  de  l'oreille ,  c'est  le  pavil- 
lon; et  l'aile  d'une  coquille,  c'est  alors  la  partie  prolongée 
d'ur.e  des  lèvres. 

On  donne  le  nom  d'r/i /m  aux  parties  latérales  d'im  bat  iment, 
.soit  qu'elles  s'étendent  sur  la  même  ligne  que  la  façade,  soit 
qu'elles  se  trouvent  en  retour  d'équerre  :  ce  bâtiment  est 
iuq)arlait,  il  n'a  qu'une  aile;  les  ailes  du  palais  de  Versail- 
les ont  beaucoiqi  trop  d'étendue  relativement  au  corps  prin- 
cipal. —  On  donne  aussi  le  nom  d'ailes  aux  deux  bras  de  la 
croisée  d'ime  église  :  le  portail  de  Vaile  gauche  est  plus 
moderne  et  d'une  architecture  bien  diiférente  de  celui  de 
Vaile  droite.  —  Dans  un  théAtre,  on  donne  le  nom  d'niles 
aux  deux  côtés  hors  de  la  scène  où  se  meuvent  les  châssis 
des  décorations  et  oii  se  tiennent  les  acteurs  et  les  figurants 
avant  d'entier  en  .scène.  —  Les  ailes  d'un  pont  sont  les  éva- 
sures  qu'on  praliciue  sur  les  culées  pour  lendre  les  issues 
plus  commodes. 

Les  ailes  d'un  moulin  à  vent  sont  les  châssis  garnis  de 


toile  qui  donnent  prise  au  vent  pour  faire  tourner  l'axe  par 
le  moyen  duquel  les  meules  sont  mises  en  mouvement.  Or- 
dinairement les  ailes  sont  au  nombre  de  quatre ,  mais  quel- 
ijuefois  il  n'y  en  a  que  deux  ;  dans  tous  les  cas ,  les  ailes  ont 
une  légère  inclinaison,  et  ne  sont  pas  placées  directement 
au  bout  l'une  de  l'autre,  mais  un  peu  de  côté,  ce  qu'on 
nomme  placé  en  ailes  de  moulin. 

Le  mot  aile  est  encore  employé  dans  plusieurs  arts  et 
métiers  :  ainsi  le  charpentier  nomme  ailes  ou  joues  les  deux 
côtés  d'une  lucarne  ;  le  maçon  nomme  ailes  les  deux  parties 
plates  ou  inclinées  d'une  grande  cheminée  qui  en  rétrécis- 
sent l'àtre  ;  leserrurier  donne  ce  même  nom  d'ailes  aux  deux 
parties  mobiles  des  charnières,  des  couplets  ou  des  fiches; 
le  vitrier  de  son  côté  le  donne  aux  deux  parties  minces  de  la 
lame  de  plomb  qu'il  emploie  pour  former  les  panneaux  dans 
les  grandes  verrières. 

Les  deux  extrémités  d'une  armée  rangée  en  bataille  sont 
désignées  sous  les  noms  d'aile  droite  et  d'aile  gauche.  C'est 
aux  ailes  que  se  place  la  cavalerie  quand  elle  n'est  pas  en 
réserve. 

Le  mot  aile  s'emploie  souvent  dans  le  style  figuré;  ainsi 
on  dit  :  Cette  jeune  personne  n'a  pas  quitté  Vaile  de  sa 
mère;  cet  homme  ne  but  phts  que  d'une  aile;  il  en  a 
dans  l'aile,  ce  qui  veut  dire  aussi  qu'il  a  passé  cinquante 
ans  ,  nombre  que  l'on  marque  avec  une  L  ;  on  lui  a  tiré  une 
plume  de  l'aile;  on  lui  a  7-ogné  les  ailes  ;  il  a  voulu  vo- 
ler avant  d'avoir  des  ailes;  voler  à  tire  d'ailes;  la  peur 
lui  a  donné  des  ailes. 

AILEROIV,  partie  extrême  de  l'aile  des  oiseaux.  — 
Dans  l'entomologie  on  appelle  aileron  ou  cueilleron  une 
petite  écaille  membraneuse  convexe ,  placée  au-dessous  du 
point  où  naissent  les  ailes  des  diptères.  —  Dans  la  marine  on 
nomme  aileron  une  planche  que  l'on  cloue  provisoirement 
sur  les  deux  côtés  du  safran  du  gouvernail ,  plus  bas  que  le 
niveau  de  l'eau ,  et  avec  un  peu  d'inclinaison.  —  En  ar- 
cliitecture  les  ailerons  sont  de  petites  consoles  renversées. 
Dans  l'architecture  hydraulique  les  ailerons  sont  des  plan- 
ches qui  reçoivent  le  choc  de  l'eau  dans  la  roue  des  mou- 
lins et  servent  à  la  faire  tourner.  On  donne  aussi  ce  nom 
aux  rebords  minces  des  petites  lames  en  plomb  qui  reçoi- 
vent dans  leurs  rainures  des  vitres  de  différentes  grandeurs, 
comme  celles  des  églises  gothiques.  * 

AILIIAUD  (J.),  charlatan  habile,  qui  vivait  au  siècle 
dernier  et  qui  mourut  en  l'année  1756. 11  se  fit  une  grande 
fortune  par  la  vente  d'un  spécifique  propre  à  guérir  toutes 
les  maladies,  connu  sous  le  nom  <Ie  poudre  Ailhaud ,  la- 
quelle était  composée  de  scammonée,  de  résine  et  de  suie. 

AILLY  (  Pierre  d'  ),  l'un  des  hommes  les  plus  remar- 
quables qu'ait  produits  l'Université  de  Paris,  surnommé  le 
Marteau  des  hérétiques,  V Aigle  des  docteurs  de  France, 
naquit  à  Compiègne,  en  I.jSO,  dans  une  condition  obscure, 
et  si  pauvre,  dit-on  ,  qu'étant  venu  à  Paris  pour  faire  ses 
études  au  collège  de  Navarre ,  il  fut  obligé  de  servir  le  por- 
tier de  ce  collège.  Lorsqu'il  eut  terminé  son  cours  de  théo- 
logie et  obtenu  le  doctorat ,  il  devint ,  en  I3S1 ,  grand-maître 
du  collège  de  Navarre,  où  il  avait  fait  ses  études.  Déjà, 
en  1372,  il  avait  été  procureur  de  la  nation  de  France.  En 
1383  il  était  aumônier  du  roi  Charles  VI,  qui  l'envoya  à 
Avignon  négocier  des  atTaires  importantes  auprès  du  pape 
Clément  VII.  Il  avait  de  la  fermeté  et  les  qualités  nécessaires 
pour  mener  une  affaire  à  bonne  fin.  En  1385  Jean  de  Tré- 
lon,  qui  avait  été  recteur  dix-neuf  ans  auparavant,  ayant 
tenu  sur  lui  des  propos  désobligeants,  Pierre  d'Ailly  en  obtint 
réparation  en  pleine  assemblée  de  la  faculté  des  arts  à  Saint- 
Julien  le  Pauvre,  et,  dans  la  querelle  de  l'Université  contre 
le  chancelier  DlanKaert ,  il  soutint  avec  vigueur  les  droits 
et  la  liberté  de  la  compagnie.  En  13SS  il  fut  chef  de  la  dé- 
pntation  que  l'Univeisité  envoya  au  pape  Clément  VU  , 
pour  défendre ,  contre  Jean  de  Montson  ,  le  dogme  de  l'im- 
maculée conception  de  la  Vierge.  L'année  suivante  il  suc- 


AILLY  —  AI  MAINT 


215 


céda  dans  la  place  de  chancelier  de  l'Université  à  Jean  de 
Guignecoiirt.  Dans  la  même  année  où  il  fut  nommé  chan- 
celier il  lit  encore  un  voyage  à  Avii;non ,  pour  solliciter,  au 
nom  du  roi ,  de  l'Université  et  du  clergé  de  Paris,  la  béatili- 
calion  du  cardinal  Pierre  de  Luxembourg,  parent  du  roi, 
élève  de  l'Université  et  chanoine  de  l'église  de  Paris;  mais 
il  ne  réussit  pas.  C'est  lui  qui  fournit ,  avec  Gilles  des 
Champs ,  les  matériaux  du  fameux  mémoire  que  l'Univer- 
sité présenta,  en  1394,  sur  les  moyens  de  finir  le  schisme, 
et  que  rédigea  Clémengis. 

Cliarles  VI  l'envoya  auprès  de  Pierre  de  Lune  pour  en- 
gager cet  antipape  à  céder  volontairement  à  Boniface  IX  la 
tiare  qu'il  lui  disputait.  .Mais  le  rusé  pontife  sut  attirer  d'.Ailly 
dans  ses  intérêts,  si  bien  que  celui-ci  lit  reconnaître  Be- 
noît XIII  connue  pape  légitime  par  le  conseil  du  roi.  Succes- 
sivement pronm  aux  évèchés  du  Puy  et  de  Cambrai,  d'Ailly 
n'accepta  que  ce  dernier  en  1398  ,  et  en  même  temps  il  se 
démit  des  fonctions  de  chancelier,  qui  passèrent  dans  les  mains 
de  son  disciple  Gerson.  Lorsqu'on  sévit  à  Paris  contre 
certains  messagers  ou  partisans  de  Benoît,  l'Université  vou- 
lut impliquer  dans  cette  affaire  l'évèque  de  Cambrai,  Pierre 
d'Ailly  ;  elle  avait  même  obtenu  du  roi  un  ordre  de  Tarrôter 
et  de  l'amener  à  Paris.  Mais  Pierre  d'Ailly  obtint  du  roi  un 
sauf-conduit  et  des  lettres  pour  n'être  jugé  que  par  le  roi 
en  son  conseil. 

En  1409  d'.\illy  assista  au  concile  de  Pise,  où,  pour  met- 
tre fin  au  schisme,  il  lit  déclarer  la  destitution  des  trois 
ccntendants  qui  se  disputaient  le  siège  pontifical.  Il  fut 
créé  cardinal  par  le  pape  Jean  XXUI,  qui  le  nomma  ensuite 
son  légat  en  Allemagne.  C'est  comme  légat  que  d'Ailly 
figura  au  fameux  concile  de  Constance.  Il  y  soutint  avec 
•vigueur  la  supériorité  des  conciles  sur  les  papes  et  la  néces- 
sité de  réformer  l'Eglise.  D'autre  part,  il  fit  partie  de  la 
commission  chargée  de  l'extirpation  des  hérésies ,  et  il  eut 
une  grande  part  au  supplice  du  réformateur  bohème  Jean 
Huss.  Nous  n'avons  pas  à  retracer  ici  l'histoire  du  concile 
de  Constance  ;  un  article  spécial  lui  sera  consacré. 

Dès  1411  d'Ailly  s'était  démis  de  l'évêché  de  Cambrai, 
et  le  pape  Martin  V  le  nomma  son  légat  à  Avignon ,  où  il 
resta  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  de  1419  à  1425;  car  on  est 
incertain  sur  l'époque  précise. 

D'Ailly  fut  l'un  des  plus  habiles  théologiens  de  son  temps. 
Il  était  aussi  habile  astronome ,  assez  du  moins  pour  re- 
marquer et  prouver  les  défauts  du  calendrier  Julien ,  et  pour 
en  assigner  le  remède.  Il  proposa  d'omettre  un  jour  bis- 
sextile à  chaque  révolution  de  130  ans  :  ce  qui  revient  au 
môme  pour  le  fond  que  la  réforme  grégorienne,  qTie  nous 
suivons  aujourd'hui.  Malheureusement ,  d'Ailly  donna  aussi 
dans  quelques  erreurs  de  l'astrologie.  Du  reste ,  son  style  est 
meilleur  que  celui  des  autres  théologiens  de  son  temps ,  et 
ses  écrits,  tous  sérieux  par  leur  objet,  «  sont  (dit  un  his- 
torien )  de  temps  en  temps  semés  de  quelques  fleurs  qu'il 
prend  soin  de  cueillir  dans  les  bons  modèles  de  l'antiquité.  » 
Il  fut  constamment  attaché  à  la  secte  des  nominaux,  et 
la  sympathie  que  montra  très-formellement  Jean  Huss  à  la 
secte  des  réalistes  ne  fut  peut-être  pas  étrangère  à  la  part 
active  que  d'Ailly  prit  àla  condamnation  de  cet  hérétique.  — 
On  a  conservé  de  d'.\illy  un  grand  nombre  d'ouvrages  pu- 
bUés,  soit  séparément,  soit  dans  des  recueils. 

Aug.  Satacneh. 
AIMACOURIES,fête  du  Péloponnèse,  dans  laquelle  on 
fouettait  des  enfants  jusqu'au  sang  sur  le  tombeau  de  Pélops. 
On  ne  voit  pas  dans  l'histoire  de  Pélops  ce  qui  avait  pu  enga- 
ger les  Péloponnésiens  à  lui  rendre  des  honneurs  si  barbares. 
AIAlAiXT.  On  donne  ce  nom  à  une  espèce  de  mine  de 
fer  qui  a  la  propriété  d'attirer  le  (ér,  l'acier,  le  cobalt  et  le 
nickel.  Presque  toutes  les  mines  de  fer  qui  ne  sont  pas  entiè- 
rement saturées  d'oxygène  jouissent   de  cette   propriété. 
On  distingue  deux  sortes  d'aimants,  les  amants  naturels 
et  lesahnants  artificiels. 


L'aimant  naturel  est  d'une  texture  compacte  et  granu- 
leuse, d'une  couleur  gris  d'acier,  un  peu  plus  foncé  et  tirant 
sur  le  noir  quand  il  est  réduit  en  poudre.  Sa  cassure,  sou- 
vent inégale,  est  lamellaire,  écailleuse,  conchoide  ou  grenue. 
L'aimant  est  une  substance  très-abondamment  répandue  à 
la  surface  de  la  terre.  Il  forme  une  montagne  entière  dans 
le  Smoland,  en  Suède;  il  se  trouve  dans  un  grand  nombre 
de  localités  du  même  royaume,  dans  la  Norvège,  le  Piémont, 
et  aux  États-Unis  d'Amérique,  intercalé  en  couches  puis- 
santes dans  lUverses  roches  anciennes  stratifiées.  Le  gisement 
le  plus  remarquable  est  celui  de  Danemora,  en  Suède ,  où 
le  banc  d'aimant  a  plusieurs  centaines  de  pieds  d'épaisseur. 
On  le  trouve  aussi  en  veines,  en  nids,  en  rognons,  et  en  par- 
ticules très-fines. 

Lorsqu'on  roule  un  aimant  dans  de  la  limaille  de  fer,  on 
observe  que  cette  limaille  s'accumule  et  s'attache  principa- 
lement vers  deux  points  opposés  de  sa  surface.  Ces  deux 
points  ont  reçu  les  noms  de  pôles  de  l'aimant.  Le  fer  est 
attiré  également  par  l'un  et  l'autre  pôle  ;  mais  ce  qui  est  fort 
singulier,  c'est  que  deux  aimants  s'attirent  par  deux  de 
leurs  pôles,  et  se  repoussent  par  les  deux  autres.  Désignons 
les  pôles  du  premier  aimant  par  .\  et  B,  et  ceux  de  l'autre 
aimant,  qui  sont  analogues  à  ces  derniers,  par  a  et  b.  Si  l'on 
présente  le  pôle  a  au  pôle  A,  les  aimants  se  repousseront  ;  ils 
se  repousseront  encore  si  l'on  présente  le  pôle  b  au  pôle  B  ;  ils 
s'attireront,  au  contraire,  si  l'on  présente  le  pôle  a  au  pôle  B 
et  le  pôle  b  au  pôle  A.  C'est  pourquoi  l'on  désigne  les  propriétés 
des  aimants  en  disant  que  les  pôles  de  même  nom  se  repous- 
sent et  que  les  pôles  de  7wm  contraire  s'attirent.  L'action 
des  aimants  s'exerce  à  une  certaine  distance  ■•  si  l'on  suspend 
une  petite  aiguille  de  fera  un  fd  de  soie  non  tordu,  et  qu'on 
lui  présente  un  des  pôles  d'un  aimant  à  distance,  on  observe 
qu'elle  est  attirée  par  cet  aimant.  Aucune  substance  inter- 
posée entie  une  aiguille  ainsi  suspendue  librement  et  un  ai- 
mant ne  peut  neutraliser  ou  diminuer  l'action  de  celui-ci,  qui 
a  lieu  aussi  bien  dans  le  vide  qu'à  l'air.  Si  l'on  met  un  aimant 
sous  un  plateau  de  verre,  de  carton,  ou  de  toute  autre  ma- 
tière non  attirahle  par  l'aimant,  et  si  l'on  répand  ensuite  do 
la  limaille  de  fer  sur  le  plateau,  les  grains  se  disposent  en  ordre 
et  forment  des  lignes  courbes  qui  aboutissent  à  deux  points 
du  plateau,  sous  lesquels  répondent  les  pôles  de  l'aimant. 
D'après  cette  singuUère  propriété  qu'ont  les  aimants  d'agir  à 
travers  les  substances  étrangères,  il  est  très-facile  de  les  ca- 
cher, ainsi  que  le  fer  que  l'on  veut  soumettre  à  leur  action. 
C'est  sur  ce  principe  que  sont  constniites  les  petites  macliines 
magnétiques  dont  on  se  sert  pour  faire  des  tours  d'adresse. 
Entre  les  pôles  d'un  aimant,  se  trouve  une  ligne  ou  limite 
imaginaire  sur  laquelle  la  limaille  de  fer  ne  s'attache  point  ; 
cette  ligne  s'appelle  ligne  moyenne,  ligne  neutre  ou  cqua- 
teur.  t'n  coupant  l'aimant  par  cette  ligne,  on  pourrait  croire 
d'abord  qu'il  n'a  plus  qu'un  pôle;  il  n'en  est  pas  ainsi. 
Chacune  des  deux  portions  de  l'aimant  acquiert  un  nouveau 
pôle  de  nom  contraire  à  celui  qu'elle  avait  déjà,  c'est-à-dire 
que  la  portion  qui  avait,  par  exemple,  le  pôle  B  quand  l'ai- 
mant était  entier,  acquiert  le  pôle  A  après  le  partage. 

Nous  ignorons  complètement  la  nature  de  la  substance 
qui  produit  les  phénomènes  magnétiques,  comme  nous  igno- 
rons celle  de  la  chaleur,  de  la  lumière,  de  l'électricité.  Poui 
expliquer  les  phénomènes  magnétiques,  les  physiciens  ont 
recours  à  une  hypothèse  fort  simple ,  la  même  qu'ils  ont 
adoptée  pour  rendre  raison  des  phénomènes  électriques  ;  ils 
supposent  qu'il  existe  dans  les  aimants  deux  fluides  diffé- 
rents, que  nous  désignerons,  l'un  par  A ,  et  l'autre  par  B,  et 
ils  disent  que  les  molécules  du  fluide  A  se  repoussent  mu- 
tuellement, et  qu'elles  ont  de  la  sympathie,  de  l'affection 
pour  celles  du  fluide  B,  lesquelles  se  repoussent  aussi  mu- 
tuellement. Le  fluide  A  se  porte  vers  l'un  des  pôles,  et  le 
fluide  B  vers  le  pôle  contraire.  Suivant  la  même  hypothèse, 
tous  les  barreaux  de  fer,  de  nickel ,  etc.,  pov-èdent  les  deux 
fluides  magnétiques  ;  et  s'ils  n'ont  pas  la  faculté  d'attirer  la 


2lG 

limaille  de  fer,  cela  vient  de  ce  que  les  deux  fluides  A  et  B 
sont  combinés  entre  eux  dans  ces  barreaux ,  et  que  leurs 
forces  se  neutralisent  réciproquement.  Mais  si,  par  un  moyen 
quelconque,  on  i)arvient  à  séparer  les  deux  lluides,  le  bar- 
reau manifeste  les  vertus  maf;nétiques.  Ces  principes  élant 
admis,  il  est  très-facile  d'expliquer  pourquoi  un  aimant,  sans 
rien  perdre  de  ses  vertus,  peut  les  conmiuniquer  à  un  bar- 
reau de  fer  mis  en  contact  avec  l'un  de  ses  pôles.  Le  fluiile 
qui  se  trouve  vers  le  pôle  de  l'aimant  avec  lequel  on  touche 
le  barreau  repousse  le  (luide  qui  est  de  même  espèce  que 
lui,  et  il  attire  l'autre  fluide  qui  est  de  nature  différente,  de 
manière  que  les  deux  fluides,  qui  étaient  combinés  entre  eux 
dans  le  barreau,  se  séparent  et  se  portent  vers  ses  extrémi- 
tés, l'un  d'un  côté,  et  l'autre  de  l'autre.  Le  barreau  se  trouve 
doué  de  deux  pôles  comme  l'aimant,  et  il  a,  comme  lui,  la 
propriété  d'attirer  le  fer  ;  mais  si  ce  barreau  est  de  fer  doux 
et  bien  pur,  il  perd  ses  propriétés  magnétiques  aussitôt  qu'on 
l'éloigné  de  l'aimant ,  par  la  raison  que  les  deux  fluides,  se 
retrouvant  en  liberté,  se  combinent  entre  eux  comme  aupa- 
ravant. 

Le  barreau  de  fer  qui  est  suspendu  à  l'un  des  pôles  d'un 
aimant  a  la  propriété  d'en  soutenir  un  second ,  celui-ci  un 
troisième,  et  ainsi  de  suite ,  tant  que  Je  poids  total  de  ces 
l)arreaux  n'excède  pas  la  force  d'attraction  dont  jouit  l'ai- 
mant. Cela  se  conçoit  facilement  :  l'aimant  ayant  disjoint 
les  fluides  du  premier  barreau ,  celui-ci  décompose  à  son 
tour  les  fluides  combinés  du  second  barreau ,  lequel  agit  de 
la  même  manière  sur  le  troisième,  etc. 

Le  fer  est  à  l'aimant  ce  que  les  corps  pesants  sont  à  la 
surface  de  notre  globe.  Comme  pour  l'attraction  de  la  terre, 
la  force  attractive  de  l'aimant  décroît  à  mesure  que  la  dis- 
tance augmente.  Du  reste  l'attraction  est  réciproque ,  et  le 
fer  attire  autant  l'aimant  qu'il  est  attiré  par  celui-ci.  Comme 
nous  l'avons  dit ,  la  force  attractive  n'est  pas  égale  dans 
toutes  les  parties  de  l'aimant;  elle  est  à  peu  près  nulle  à  la 
ligne  moyenne. 

Aimant  artificiel  ;  manière  d'aimanter.  —  Pour  com- 
muniquer les  vertus  magnétiques  à  un  barreau  de  fer,  il  faut 
le  frotter  à  plusieurs  reprises  avec  l'un  des  pôles  d'un  ai- 
mant. Voici  la  meilleure  manière  de  procéder  lorsqu'on  n'a 
qu'un  seul  aimant  à  sa  disposition  :  on  pose  un  des  pôles  de 
l'aimant,  que  l'on  tient  un  peu  incliné,  sur  le  milieu  du  bar- 
reau; on  le  presse  un  peu  fortement  sur  ce  dernier,  et  on  le 
pousse  jusqu'à  une  de  ses  extrémités;  après  quoi,  on  reporte 
de  nouveau  l'aimant  sur  le  milieu  du  barreau  en  le  tenant 
de  la  même  manière,  puis  on  le  pousse  comme  auparavant 
jusqu'à  la  môme  extrémité.  On  répète  cette  manœuvre  un 
certain  nombre  de  fois;  on  retourne  ensuile  l'aimant,  et,  le 
tenant  incliné,  on  le  pose  sur  le  milieu  du  barreau,  et  on  le 
pousse  jusqu'à  l'autre  extrémité  de  ce  dernier  ,  opération  que 
l'on  répète  autant  de  fois  ipie  l'on  a  déjà  fait  pour  l'aiman- 
tation de  l'autre  moitié  du  barreau.  Le  succès  de  cette  ma- 
nière d'opérer  s'explique  aisément  :  le  pôle  de  l'aimant,  que 
l'on  promène  vers  une  des  extrémités  du  barreau, attire  de  ce 
côté  le  fluide  de  nature  contraire  à  celui  qu'il  contient,  et  il 
repousse  vers  l'autre  extrémité  du  barreau  le  fluide  de  même 
nom  que  le  sien.  Paieille  cliose  arrive  quand  on  frotte  l'autre 
moitié  du  barreau  avec  l'autre  pôle  de  l'aimant.  Cette  se- 
conde opération  ne  fait  que  compléter  la  première.  L'ai- 
mantation n'aurait  pas  lieu ,  ou  elle  serait  du  moins  très- 
imparfaite,  si  l'on  n'avait  pas  l'attention  de  ne  frotter  le  bai- 
reau  qu'en  allant  toujours  dans  le  même  sen-^  ;  en  retotunant 
en  arrière,  l'aimant  détruirait  l'effet  qu'il  aurait  produit  en 
allant.  Cette  manière  d'aimanter  s'appelle  la  méthode  de 
la  .">/»iyj/e/o!/c/;c.  La  méthode  delaf/oi<6/e/oî<c//e  a  plus  d'ef- 
ficacité, mais  il  tant  opérer  avec  deux  aimants.  On  les  pose 
l'un  et  l'autre  à  la  fois  sur  le  milieu  du  barreau,  en  les  tenant 
inclinés,  l'un  d'un  côté  et  l'autre  de  i'arrtre,  vers  les  extré- 
mités du  barreau,  et  Ion  lait  en  sorte  que  l'un  d'eux  touche 
ce  dernier  par  le  pôle  13,  et  l'autre  par  le  pôle  A;  puis  on 


AIMANT 

pousse  les  deux  aimants  à  la  fois  vers  les  extrémités  du  bar- 
reau, en  écartant  les  mains  ;  on  les  retire,  on  les  reporte  sur 
le  milieu  du  barreau  pour  répéter  la  même  opération  autant 
de  fois  qu'on  le  juge  nécessaire.  Les  extrémités  du  barreau 
ainsi  aimantées  prennent  des  pôles  de  noms  différents  de  ceux 
des  aimants  qui  les  ont  frottées  ;  c'est-à-dire  que  la  moitié  du 
barreau  qui  a  été  frottée  par  le  pôle  B  acquiert  le  pôle  A  ;  et 
l'autre  moitié ,  qui  a  été  frottée  par  le  pôle  A ,  acquiert  le 
pôle  B.  On  fait  encore  usage  d'autres  manières  d'aimanter 
plus  compliquées,  qu'il  serait  trop  long  d'exposer  ici.  Les  ai- 
mants dont  on  se  sert  pour  communiquer  les  propriétés  ma- 
gnétiques ne  perdent  que  peu  ou  point  de  leurs  forces,  lors- 
qu'on opère  comme  il  vient  d'être  dit ,  sans  jamais  ramener 
l'aimant  sur  lui-même  en  sens  contraire  ;  de  façon  qu'avec 
un  seul  aimant  on  peut  communiquer  le  pouvoir  magné- 
tique à  un  nombre  indéterminé  de  barreaux  de  fer,  lesquels, 
réunis  en  faisceau,  forment  un  aimant  d'une  très-grande  force  ; 
cet  appareil  s'appelle  magasin  magnétique. 

Le  fer  devient  magnétique  quand  on  le  bat  à  froid  ou 
qu'on  le  tord ,  et  aussi  lorsqu'il  est  soumis  à  un  courant 
électrique.  Le  fer  doux  s'aimante  facilement ,  mais  il  con- 
serve peu  de  temps  les  propriétés  magnétiques.  L'acier 
trempé,  au  contraire,  acquiert  plus  lentement  et  conserve 
plus  longtemps  les  vertus  magnétiques  que  le  fer  doux.  Ou 
donne  pour  raison  de  cette  différence  la  petite  quantité  de 
carbone  que  contient  l'acier.  Cette  substance ,  n'étant  pas 
de  même  nature  que  le  fer,  s'oppose  d'abord  à  la  disjonc- 
tion des  fluides  magnétiques  qui  sont  combinés  dans  lo 
barreau  d'acier  avant  qu'on  l'aimante;  le  même  carbone 
contrarie  la  tendance  qu'ont  les  deux  fluides  à  se  réunir  do 
nouveau  quand  l'action  d'un  aimant  cesse  d'agir  sur  eux. 
L'aimantation  ne  change  point  le  volume  des  corps.  Le  fer 
rougi  à  blanc  perd  toutes  les  propriétés  magnétiques  dont  il 
pouvait  jouir  auparavant.  Lorsque  l'aimantation ,  par  une 
cause  quelconque ,  n'est  pas  bien  faite ,  il  se  forme  des 
points  conséquents.  On  appelle  de  ce  nom  les  pôles  qui  se 
forment  entre  les  deux  pôles  extrêmes.  Les  points  consé- 
quents contrarient  plus  ou  moins  l'action  des  pôles  de  l'ai- 
mant. On  peut  parvenir  à  faire  disparaître  cet  inconvénient 
d'un  aimant  artiliciel  en  le  frottant  avec  deux  autres  à  plu- 
sieurs reprises,  partant  toujours  du  milieu  du  barreau. 

Des  armatures.  —  L'expérience  a  démontré  que  les 
aimants  conservent  plus  longtemps  leurs  propriétés  et  quo 
même  ils  acquièrent  plus  de  force  lorsqu'ils  sont  enveloppés 
de  limaille  de  fer.  Cette  observation  a  fait  naître  l'idée  des 
armatures.  On  nomme  ainsi  des  lames  de  fer  doux  que 
l'on  applique  sur  les  pôles  d'un  aimant ,  et  que  l'on  con- 
tourne de  manière  que  deux  de  leurs  extrémités  se  termi- 
nent sur  un  même  plan,  de  sorte  que  l'aimant  ainsi  armé 
semble  avoir  deux  pieds;  le  tout  est  couvert  d'une  enve- 
loppe de  cuivre  et  suspendu  au  moyen  d'un  anneau.  Cha- 
cune des  extrémités  des  bandes  de  fer  doux ,  qui  sert 
comme  de  pied  à  l'aimant ,  a  les  propriétés  du  pôle  de  l'ai- 
mant qui  est  en  contact  avec  la  bande  dont  elle  fait  partie  ; 
une  pièce  de  fer,  qu'on  appelle  ancre,  s'applique  sur  les 
nouveaux  pôles  de  l'appareil ,  et  c'est  à  l'ancr-e  qu'on  sus- 
pend les  matières  dont  on  charge  l'aimant.  Quand  l'aimant 
est  artificiel ,  on  le  contourne  en  fer  à  cheval ,  afin  que  ses 
pôles  puissent  s'apjiliquer  à  la  fois  sur  un  même  barreau; 
de  cette  manière ,  l'aimant  peut  supporter  un  poids  doui>!e. 
La  force  des  aimants  n'est  point  proportionnelle  à  leur  vo- 
lume :  il  se  rencontre  de  gros  aimants  qui  ont  peu  de  force; 
en  général ,  les  petits  aimants  ai'tilrciels  ont  ])roporfionnel- 
lerr.ent  plus  de  force  que  les  grands ,  soit  naturels ,  .soit 
artificiels;  on  en  a  fait  qui  soutenaient  cent  fois  leur  propre 
poids.  Si  on  augmente  progressivement  la  charge  d'un  ai- 
mant,  ses  forces  s'acci-oissent  pour  la  soutenir  jiisi)ir'à  un 
certain  point,  au  delà  duquel  la  charge  tombe  et  l'aimant 
perd  toute  sa  force. 
Aiguilles  magnétiques.  —  Si  une  aiguille  d'acier  non 


AIMANT  —  AIMOIN 


217 


trfinant(^  est  plac<5e  sur  une  pointe  aiguë  et  ilispos<5c  en 
iHjuilibre ,  elle  ne  penchera  pas  plus  d'un  côté  que  de  l'au- 
tre; mais  si  on  la  place  de  la  niOme  manière  après  l'avoir 
aimantée ,  on  observera ,  dans  nos  climaL^ ,  que  celle  de  ses 
pointes  qui  sera  tournée  vers  le  nord  s'inclinera  vers  la 
terre  ;  et  si  l'on  porte  la  même  aiguille  de  l'autre  cùlé  de  l'é- 
quateur,  l'inchnaisou  de  l'aiguille  se  fera  en  sens  contraire, 
ce  sera  la  pointe  tournée  vers  le  sud  qui  s'abaissera.  La 
meilleure  manière  de  disposer  les  aiguilles  aimantées  pour 
taire  des  observations ,  c'est  de  les  suspendre  par  leur  cen- 
tre de  gravité  à  un  lil  de  soie  tel  qu'il  sort  du  cocon.  Une 
aiguiQe  ainsi  suspendue  dans  nos  climats  s'inclinera  vers  la 
terre  du  côté  du  nord  ;  mais  encore,  si  on  la  détourne  à  droite 
ou  à  gauche  de  la  direction  qu'elle  aura  prise  d'elle-même, 
elle  y  reviendra  en  faisant  plusieurs  oscillations ,  à  la  ma- 
nière des  pendules  que  l'on  écarte  de  la  perpendiculaire  :  de 
là  la  distinction  des  aiguilles  aimantées  en  aiguilles  de 
déclinaison  et  aiguilles  d'inclinaison.  L'aiguille  de  décli- 
naison conserve  toujours  sa  position  liorizontale ,  parce  que 
l'on  fait  l'extrémité  de  cette  aiguille  qui  se  trouve  vers  le 
nord  plus  légère  que  l'extrémité  qui  se  dirige  vers  le  sud, 
de  fa(,on  qu'elle  ne  peut  plus  s'incliner  vers  la  terre  du  côté 
du  nord.  La  direction  de  l'aiguille  de  déclinaison  est  très- 
variable,  suivant  les  lieux  où  on  la  porte,  et  suivant  les 
temps.  A  Paris  ,  par  exemple ,  elle  s'écarte  de  la  méridienne 
de  cette  ville  d'environ  19»  42'  vers  l'ouest.  En  1678  son 
écartement  n'était  que  d'un  degré  un  tiers;  on  prétend 
qu'aujourd'hui  elle  se  rapproche  de  nouveau  du  méridien. 
On  trouve  sur  le  globe  terrestre  plusieurs  lignes  courbes  sur 
ksquelles  la  déclinaison  de  l'aiguille  est  nulle  ;  c'est-à-dire 
qu'étant  portée  sur  un  point  quelconque  de  ces  courbes, 
elle  se  dirige  exactement  vers  le  nord.  La  direction  de 
l'aiguille  de  déclinaison  varie  aussi  de  quelque  chose  à  cer- 
taines heures  de  la  journée.  Le  maximum  de  déclinaison  a 
lieu  de  midi  à  trois  heures  du  soir  ;  l'aiguille  a  repris  sa 
première  position  à  huit  heures ,  puis  elle  demeure  station- 
naire  toute  la  nuit.  C'est  entre  les  deux  équinoxes  de  prin- 
temps et  d'automne  qu'ont  lieu  les  plus  grandes  variations 
diverses.  Ces  variations  ne  sont  pas  les  mêmes  dans  tous  les 
pays.  L'aiguille  aimantée  est  encore  sujette  à  des  varia- 
tions brusques  et  accidentelles ,  qui  se  manifestent  surtout 
à  l'apparition  des  aurores  boréales  ;  les  tremblements  de 
terre  la  détournent ,  et  la  foudre  lorsqvi'elle  tombe  auprès 
renverse  quelquefois  totalement  ses  pôles,  c'est-à-dire  que 
]a  pointe  qui  se  dirigeait  vers  le  nord  se  tourne  brusque- 
ment vers  le  sud.  On  dit  alors  qu'elle  affole.  La  bous- 
sole est  une  application  des  propriétés  de  l'aiguille  de 
déclinaison. 

L'aiguille  d'mclinaison  se  construit  avec  une  lame  d'acier 
mince,  suspendue  par  son  centre  de  gravité  sur  un  petit  ar- 
bre horizontal,  qui  tourne  sur  ses  deux  extrémités  comme 
une  roue  de  montre  sur  ses  pivots.  Quand  cette  aiguille 
n'est  pas  aimantée,  elle  prend  une  position  horizontale; 
mais  lorsqu'on  lui  a  communiqué  les  propriétés  magné- 
tiques, elle  s'incline  vers  la  tene  du  côté  du  nord,  ou  du 
côté  du  midi,  suivant  qu'elle  est  portée  en  deçà  ou  au  delà 
d'un  cercle  qui  se  trouve  dans  le  voisinage  de  l'équateur 
terrestre,  et  qu'on  appelle  Equateur  magnétique,  parce 
que  l'aiguille  d'inclinaison,  étant  portée  sur  un  point  quel- 
conque de  ce  cercle,  prend  une  position  parfaitement  hori- 
zontale; dans  tout  autre  lieu  de  la  terre  elle  s'incline  plus 
ou  moins;  il  existe  à  coup  siir  des  pôles  magnétiques,  où 
elle  se  tiendrait  verticalement.  L'énuateur  inagiiétifinep-t  fort 
irrégulier  :  il  forme  plusieurs  coudes,  puisqu'il  coupe  l'équa- 
teur terrestre  en  quatre  endroits  différents.  Pour  que  l'aiguille 
d'inclinaison  agisse  en  toute  liberté,  il  faut  la  diriger  suivant 
le  méridien  magnétique,  dont  la  direction  est  indiquée  par 
l'aiguille  de  déclinaison;  nous  voulons  dire  que  l'axe  qui  la 
porte  doit  faire  quatre  angles  droits  avec  la  direction  qui 
est  indiquée  par  l'aiguille  de  déclinaison.  L'aiguille  d'incli- 

tolCT.    DE   LA   CO>YERSATIO>.    —   T.    1. 


naison,  aussi  variable  que  l'aiguille  de  déclinaison,  n'est  pas 
à  beaucoup  près  d'une  aussi  grande  utilité ,  parce  que  ses 
variations  ne  sont  ni  régulières  ni  constantes.  Deux  aiguilles 
s'inclinent  différemment  dans  le  même  temps  et  dans  le 
même  lieu.  On  évaluait  l'inclinaison  magnétique  à  Paris  eu 
1S31  à  67"  40'  ;  en  18  J8 ,  à  G6°  16'  ;  en  1859 ,  à  66°  15'. 

L'inclinaison  de  l'aiguille  aimantée  augmente  avec  la  la- 
titude. Les  voyageurs  qui  ont  pénétré  dans  les  régions  polai- 
res ont  trouvé  des  inclinaisons  voisines  de  90°,  c'est-à-dire 
presque  verticales,  mais  jusqu'à  présent  on  n'a  pas  rencontré 
le  lieu  oii  l'aiguille  aimantée  coïnciderait  avec  le  fil  à  plomb. 

Action  du  globe  terrestre  sur  les  aimants.  —  Les  phé- 
nomènes que  les  aiguilles  aimantées  indiquent  sont  attri- 
bués à  l'action  du  globe  terrestre.  En  effet ,  les  physiciens 
admettent  ou  supposent  que  les  diverses  masses  de  fer  qui 
sont  ensevelies  dans  les  entrailles  de  la  terre  jouissent  des 
propriétés  magnétiques  ;  que  leurs  actions  s'ajoutant ,  il  en 
résulte  que  le  globe  agit  comme  un  gros  aimant  ayant  ses 
pôles,  l'un  vers  le  nord,  l'autre  vers  le  sud  ;  qu'enfin  il  agit 
sur  les  autres  aimants  suivant  les  lo'is  qui  régissent  les  flui- 
des magnétiques.  Ainsi  donc,  une  aiguille  aimantée  qui  peut 
tourner  librement  sur  un  pivot  prendra  forcément  une  di- 
rection qui  s'écartera  peu  ou  point  de  la  méridienne  du  lieu 
où  on  la  placera.  Appelons  A  le  pôle  de  l'aùnant  terrestre  qui 
est  du  côté  du  nord,  et  B  le  pôle  qui  est  du  côté  du  sud,  et 
désignons  par  a  et  6  les  pôles  de  l'aiguille  aimantée.  Le 
fluide  contenu  vers  le  pôle  a  étant  de  même  espèce  que  celui 
du  pôle  A  de  la  terre ,  ce  pôle  a  sera  repoussé  par  le  pôle 
A,  et  il  sera  attiré  par  le  pùle  B  ;  et  par  la  même  raison , 
comme  nous  l'avons  dit  plus  haut ,  le  pôle  b  sera  attiré  par 
le  pôle  A ,  tellement  que  la  pouite  de  l'aiguiUe  vers  laquelle 
sera  le  pôle  b  se  dirigera  vers  le  nord ,  et  l'autre  pointe  vers 
le  sud  :  d'où  il  suit  que  si  l'on  appelle  les  pôles  de  l'aimant 
représenté  par  la  terre  austral  el  boréal,  et  que,  par  ana- 
logie, on  donne  les  mêmes  noms  à  ceux  de  l'aiguille  aiman- 
tée, il  est  évident  que  celle  de  ces  pomtes  qui  se  tournera 
vers  le  nord  portera  le  nom  de  pôle  austral ,  et  que  le  pôle 
boréal  de  la  même  aiguille  se  tournera  vers  le  sud. 

C'est  encore ,  dit-on  ,  à  l'influence  du  globe  terrestre  qu'il 
feut  attribuer  les  vertus  magnétiques  qu'acquièrent  avec  le 
temps,  ainsi  que  Gassendi  l'a  remarqué  le  premier,  les  croix 
des  clochers  et  des  barres  de  fer  disposées  verticalement 
pendant  un  certain  temps.  Dans  nos  climats  le  fluide  du 
pôle  boréal  de  la  terre  attire  vers  celle-ci  le  fluide  de  nom 
contraire  de  la  barre  de  fer,  et  il  repousse  l'autre  qui  est 
de  même  nature  que  lui ,  de  façon  qu'à  la  longue  la  barre 
acquiert  les  propriétés  d'un  aimant. 

Les  propriétés  de  l'aimant  sont  d'une  grande  utilité  pour 
se  diriger  avec  certitude  en  tout  temps,  la  nuit  comme  le 
jour,  sur  terre,  sur  mer  et  dans  les  souterrains.  Sans  le 
secours  de  la  boussole,  les  longs  voyages  maritimes  seraient 
impossibles  ou  très-dangereux. 

Les  Égyptiens  et  les  Grecs  employaient  l'aimant  en  méde- 
cine sous  forme  d'emplâtre  ou  de  poudre  auxquels  ils  attri- 
buaient des  propriétés  merveilleuses.  Ces  préparations  sont 
complètement  abandonnées  aujourd'hui.  On  a  imaginé  de- 
puis l'usage  de  plaques  aimantées,  qui,  par  les  courants  élec- 
triques qu'elles  déterminent  au  travers  des  organes  dans  le 
voisùiage  desquels  elles  sont  appliquées ,  peuvent  apporter 
un  soulagement  réel  dans  une  foule  de  maladies  nerveuses. 
Quant  aux  bagues  aimantées,  que  quelques  personnes  portent 
au  doigt  pour  prévenir  la  migraine ,  elles  n'ont  sans  doute 
d'action  que  sur  l'imag'mation  des  malades.       L.  L. 

AOlOIiV,  chroniqueur  français,  naquit  vers  l'année  950^ 
à  Villefranche,  en  Périgord,  et  mourut  en  l'an  1008.  Entré 
au  cloilre  des  Bénédictins  de  Fleury-sur-Loire,  il  devint  un 
des  disciples  de  l'abbé  Abbon.  11  a  laissé  une  Histoire  des 
Français,  qui  comprend  cinq  livres.  Les  trois  premiers  em- 
brassent une  période  qui  se  termine  à  la  seizième  année  du 
règne  de  Clovis  IL  Quant  aux  livres  quatrième  et  cinquième, 

28 


218  AIMOIN  - 

on  a  lieu  de  supposer  qu'ils  n'ont  pas  été  composés  par 
Ainioin. 
AIMOX  (Les  quatre  fils).  Voyez  Aymon. 
AIX  (  IXi)artement  de  1'  ).  Composé  de  l'ancienne  Bresse, 
du  Uiiyey,  du  Vairomey,  du  territoire  de  Gex  et  de  la  prin- 
cipauté de  Doinbes,  il  estljorné  au  nord  par  le  département 
du  Jura,  à  Test  parla  Suisse  et  les  départements  de  la 
Haute-Savoie  et  de  la  Savoie,  au  sud  par  le  Rhône  qui  le  sé- 
pare du  département  de  l'Isère,  et  à  l'ouest  parla  Saône  qui 
le  sépare  des  départements  du  Piliône  et  de  Saône-et-Loire. 
Divisé  en  cinq  arrondissements,  dont  les  chefs-lieux  sont 
Bourg,  Belley,  Gex  ,  Nantua  et  Trévoux  ,  il  compte  35  can- 
tons et  446  communes.  Il  envoie  trois  députés  au  corps 
législatif;  forme  avec  le  RiiAiic  et  Saône-et-Loire  la  17^  con- 
servation forestière;  constitue  la  4"^  subdivision  de  la  8' di- 
vision militaire,  dont  le  quartier  fiénéral  est  à  Lyon;  res- 
.sortit  à  la  cour  impériale  de  la  même  ville,  et  compose  le 
diocèse  de  Belley,  suffragant  de  l'archevêché  de  Lyon.  Son 
académie  comprend  1  lycée  impérial,  1  collège  communal, 
1  institution,  7   pensions,  784  écoles  primaires. 

Sa  superficie  est  de  592,674  hectares,  dont  246,608  en 
terres  labourat>les ,  119,863  en  bois,  12,139  en  forêts  et  do- 
maines non  productifs,  81,143  en  prés,  16,869  en  vignes, 
2,102  en  vergers,  pépinières  et  jardins,  19,834  eu  étangs  , 
mares,  canaux  d'irrigation,  4,119  en  rivières,  lacs  et  ruis- 
seaux, 76,587  en  landes  et  bruyères  ,  4,198  en  propriétés 
bâties,  etc.  Sa  population  est  de  370,919  hahiîants.  L'an- 
cienne principauté  de  Dombes,  formant  l'arrondissement  de 
Trévoux,  est  couverte  d'étangs  a\i  nombre  de  16,000,  sur 
20,000  hectares,  alternativement  remplis  d'eau  et  cultivés  : 
une  loi  de  1857  en  règle  et  facilite  l'assèchement. 

Ce  département  est  arrosé  par  l'Ain,  qui  lui  donne  son 
nom,  par  la  Bienne,  la  Reyssouse,  la  Valserine,  la  Veyle,  la 
Chalaronne  et  le  Furan.  L'Ain,  qui  prend  sa  source  dans  le 
déparlement  du  Jura,  et  va  se  jeter  dans  le  Rhône  à  28kilom. 
au-dessus  de  Lyon,  traverse  le  département  du  nord  au  sud, 
elle  divise  en  deux  régions.  La  partie  orientale,  sur  sa  droite, 
forme  un  vaste  plateau  ondulé,  couvert  de  terrains  argileux 
et  marécageux;  la  partie  occidentale,  siu:  sa  gauche,  est  hé- 
rissée de  montagnes  de  l  ,400  à  l  ,S00  mètres  d'élévation,  qui 
se  rattachent  aux  Alpes  par  le  Jura,  et  sillonnée  de  vallées 
profondes,  presque  toutes  dirigées  du  nord  au  sud,  et  tra- 
versées par  des  torrents  rapides.  Dans  la  région  orientale, 
l'agriculture,  qui  forme  la  principale  occupation  des  habi- 
tants, leur  fournit  des  récoltes  suffisantes  pour  leur  con- 
sommation; le  sol  leur  donne  de  la  tourbe  et  quelques 
bancs  de  houille.  Dans  la  région  occidentale,  on  cultive 
des  terres  lertiles,  on  élève  des  bœufs ,  des  moutons  et  des 
cl>evaux  ;  on  exploite  du  fer  et  d'excellents  matériaux  pour 
les  constnictions. 

Dans  ce  département,  les  rivières  sont  poissonneuses  ;  les 
aloses  et  les  truites  qu'on  y  pêche  sont  particulièrement  re- 
nommées. Les  essences  dominantes  dans  les  forêts  sont  le 
chêne,  le  hêtre  et  le  sapin.  La  truffe  noire  est  assez  com- 
mune. La  mine  de  fer  de  'Villebois-sous-Belley  est  la  seule 
exploitation  métallurgique  de  l'Ain;  mais  les  carrières  de 
marbre,  de  pierres  de  taille,  de  marne,  d'argile  à  potier,  de 
gypse ,  y  sont  nombreuses  et  importantes.  On  y  trouve  de 
ralbûtre,  des  stalactites  en  grandes  masses,  qui  présentent 
des  formes  et  des  nuances  curieuses.  Les  pierres  lithogra- 
phiques de  l'arrondissement  de  Belley  sont  les  meilleures  de 
lYance.  Plusieurs  localités  possèdent  des  tourbières,  et  les 
mines  de  bitume  de  Seyssel  et  de  PjTimond  sont  l'objet 
d'une  exploitation  avantageuse. 

L'industrie  agricole  y  est  florissante.  On  y  cultive  la  vigne, 
le  froment,  le  seigle,  forge,  l'avoine,  le  mais,  le  millet,  le 
cbanvre,  la  pomme  de  terre.  L'élève  des  chevaux  et  «les  bes- 
tiaux occupe  un  grand  nombre  de  cultivateurs  ;  les  porcs 
cras,  la  volaille  de  Bresse,  les  poissons  des  élangs  sont  l'objet 
d'une  glande  exploitalion.  Depuis  quelques  années  on  s'y 


AINESSE 

livre  à  l'éducation  des  vers  à  soie,  qui  donne  déjà  de  très- 
bons  résultats.  11  existe  à  Naz,  près  Gex,  un  établissement 
pour  l'élève  des  bêtes  à  laine  superline. 

L'industrie  manufacturière  consiste  en  papiers,  peaux  mé- 
gissées ,  fds  de  chanvre  et  belles  toiles  de  Saint-Lambert, 
draps  moyens,  tissus  de  soie  unis  fabriqués  dans  les  cam- 
pagnes, beaux  chapeaux  de  paille  de  Lagnieu,  planches  de 
sa|)in ,  chaux  hydrauliipie ,  plûtre,  poterie  de  terre  et  de 
grès,  taillanderie,  boissellerie,  tourneiie,  tabletterie,  fro- 
mages très-estimés,  eaux-de-vie  de  marc. 

Les  voies  de  communication  du  dé(iailement  comptent 
six  routes  impériales,  seize  routes  départementales,  et  douze 
cent  vingt-six  chemins  vicinaux. 

Il  ne  renferme  que  des  villes  peu  importantes.  Bourg, 
.stirnommé  en  Bresse,  du  nom  de  l'ancienne  province  dont 
il  était  la  capitale,  est  aujourd'hui  le  cliel-licu  cl  la  prin- 
ci[)ale  ville  du  dciiartement.  —  Belley  était  la  capitale  du 
Bugey ,  pays  riche  en  sites  pittoresques ,  en  souvenirs  an- 
tiques, et  dont  le  territoire  forme  actuellement  les  arrondisso 
ments  de  Belley  et  de  Nantua. —  Le  petit  village  de  Frébuge, 
près  de  Kantua,  est  le  Forum  Sebusiamtm,  cité  principale 
des  Soàusiani.  —  Dans  une  gorge  entourée  par  des  rocs  es- 
carpés, paraît  Nantua,  qui  reçut  ce  nom  des  anciens  Nan- 
tuates.  Elle  renferme  des  lilatures,  des  fabriques  de  papiers 
et  de  peignes  de  corne.  —  La  ville  de  Gex,  mal  bâtie  et 
d'un  accès  difficile,  est  renommée  pour  ses  fromages.  — 
Dans  un  joli  vallon  se  trouve  Fern  ey  ou  Fernay ,  célèbre 
parle  séjour  de  Voltaire.  —  Trévoiix  est  bâti  en  amph'ithéà- 
tre,  sur  la  rive  gauche  de  la  Saône.  —  .\  Montluel  on  fabrique 
du  drap  pour  l'armée.  —  Pont-de-Vaux,  sur  la  rive  droite 
de  la  Reyssouse,  et  près  de  la  rive  gauche  de  la  Saône, 
possède  une  fontaine  d'eaux  minérales,  fabrique  du  coton, 
de  la  faïence ,  de  la  tannerie  et  de  la  chamoiserie.  —  Seys- 
sel, sur  le  Rhône,  est  connu  pour  son  asphalte.  —  Thoissey, 
sur  la  Chalaronne,  a  des  fabriques  de  bougies ,  de  vannerie, 
de  tannerie,  etc.  * 

AIXE  (du  latin  inguen;  on  a  dit  autrefois  aingne,  et 
phis  tard  aigne,  puis  aisne,  et  enfin  aine).  On  appelle  ainsi, 
en  anatomie,  l'espace  qui  sépare  l'abdomen  ou  bas-ventre 
du  haut  de  la  cuisse,  et  qui  s'étend  obliquement  de  la  saillie 
formant  l'épine  du  pubis  à  l'extrémité  antérieure  de  l'os  de 
la  hanche,  c'est-à-dire  les  deux  parties  latérales  de  la  région 
hypogastrique  inférieure  de  l'abdomen.  Limitée  intérieure- 
ment par  les  organes  de  la  génération ,  l'aine  se  trouve  en 
contact  immédiat  avec  les  viscères  renfermés  dans  la  cavité 
abdominale ,  et  contient  dans  l'épaisseur  de  son  tissu  trois 
canaux,  Yinguinal ,  le  crural  et  le  sous-pubien ,  par  les- 
quels ces  viscères  peuvent,  à  la  suite  d'un  effort  exagéré, 
trouver  issue  et  constituer  une  hernie.  C'est  aussi  le  plus 
souvent  dans  cette  partie  du  corps ,  qu'à  la  suite  des  hernies 
on  voit  s'établir  la  dégoûtante  infirmité  qu'on  appelle  amis 
anormal.  Les  contusions ,  les  tumeurs  et  les  plaies,  dans 
cette  partie  du  corps  humain ,  peuvent  avoir  les  plus  graves 
conséquences ,  et  exigent  de  la  part  du  praticien  une  vigi- 
lance^ extrême. 

AlXESSE  (  Droit  d').  Le  bizarre  et  inique  privilège  qui 
donnait  autrefois  à  l'aîné  d'une  famille  noble  le  droit  de  prendre 
dans  la  succession  de  ses  père  et  mère  une  portion  plus  con- 
sidérable que  celle  de  chacun  de  ses  frères  et  sœurs  en  par- 
ticulier, est  d'origine  toute  féodale ,  et  s'appelait  chez  nous 
droit  d'aînesse  ou  de  primogcniture. 

L'histoire  d'É  s  a  li,  dans  l'Ancien  Testament,  nous  indique 
bien  qu'il  existait  chez  les  Hébreux  quelque  cbose  de  sem- 
blable au  droit  d'aînesse  ;  mais  nous  ignorons  en  quoi  il 
consistait ,  et  nous  pouvons  tout  au  plus  conclure  de  la  ces- 
sion que  fit  Ésaii  du  sien  pour  un  plat  de  lentilles  cuites  à 
point,  que  ce  privilège  n'avait  vraisemblablement  pas  grande 
importance.  —  Des  publicistes,  Dumoulin,  par  exemple,  dans 
son  Traité  des  Fiefs,  ont  vainement  essayé  de  démontrer  ([ue 
le  droit  d'aincsse  avait  toujours  suljsiilc  depuis  les  patriar- 


Am^ESSE  —  AIN-MADIIY 


219 


c1u?s ,  qui  on  seraient  h^  K'gislaleurs.  On  ne  trouve  de  ce 
fait  aucune  trace,  pas  plus  cliez  les  Grecs  que  chez  les  Ro- 
mains ;  et  tous  les  documents  liistoriques  sont  d'accord  pour 
nous  apprendre  que  sous  les  deux  premières  races  de  nos 
rois  l'ainé  partagea  toujours  également  avec  ses  frères  et 
sœurs.  Le5  exceptions  à  celte  règle ,  si  tant  est  qu'on  en 
puisse  citer  de  bien  authontiquement  prouvées,  ne  se  rap- 
jHirteraient  jamais  qu'aux  règnes  des  derniers  Carloviugiens. 
—  C'est  donc  à  la  révolution  qui  porta  les  Capétiens  au  tronc 
qu'il  faut  reporter  l'origine  première  de  cette  institution 
dans  notre  pays.  A  cette  époque,  en  etTet,  tous  les  seigneurs 
voulurent  donner  de  l'extension  à  leurs  droits,  et  même  s'en 
créer  de  nouveaux.  Plus  tard,  il  f;\llut  bien  réunir  dans  une 
seule  et  même  niain  toute  la  puissance ,  tous  les  moyens 
d'exécution  dont  avait  disposé  le  père,  pour  soutenir  l'œuvre 
de  son  injustice  et  de  ses  violences  ;  de  là  aussi  sans  doute 
l'institution  du  droit  d'ainesse. 

Ce  droit  compétait  à  l'aîné  niàle  habile  à  hériter,  alors 
même  qu'il  était  le  puîné  des  femmes.  Quand  il  était  inha- 
bile à  succéder,  c'est-à-dire  lorsqu'il  était  ou  mort  civile- 
ment ,  ou  cxhérédé ,  ou  religieux  profès ,  son  droit  passait 
au  plus  âgé  des  puînés.  Quand  il  n'y  avait  pas  d'autres  hé- 
ritiers que  des  filles ,  aucune  de  celles-ci  n'était  admise  à 
invoquer  le  droit  d'aînesse,  et  elles  partageaient  toutes 
également.  En  effet ,  comme  le  droit  d'aînesse  n'avait  été 
institué  que  pour  conserver  le  nom  et  la  splendeur  des  famil- 
les ,  il  ne  pouvait  produire  ses  effets  dans  la  persoime  des 
filles ,  dont  le  nom  se  perd  quand  elles  se  marient ,  et  ne 
pouvait  pas  être  invoqué  comme  lorsqu'il  y  avait  un  héritier 
mâle,  propre  dès  lors  à  perpétuer  le  nom  de  la  race. 

La  révolution  de  17S9  raya  enfin  de  notre  législation 
cette  flagrante  insulte  à  l'esprit  d'égafité,  qui  depuis  un  siècle 
était  le  fonds  même  de  nos  mœurs  publiques.  Les  lois  des 
15  mars  1790  et  8  avril  1791  abolirent  toute  espèce  de  droit 
de  primogéniture,  et  ne  firent  d'exception  à  la  règle  générale 
que  pour  la  transmission  du  tiùne  —  Quand,  eu  1815,  les 
baïonnettes  étrangères  nous  ramenèrent  les  Bourbons,  on 
dut  s'attendre  à  voir  cette  famille  de  princes,  qui  n'avaient 
rien  appris  ni  rien  oublié,  s'efforcer  de  ressusciter  toutes  les 
vieilleries  féodales  que  la  tourmente  révolutionnaire  avait  à 
jamais  balayées  du  sol  français.  En  1826  uiie  loi  fut  présen- 
tée à  la  chambre  des  pairs ,  non  pas  précisément  pour  réta- 
blir l'hérédité  telle  qu'elle  existait  autrefois ,  mais  pour  at- 
tribuer à  l'aîné  des  enfants  mâles,  à  titre  de  préciput  légal, 
toute  la  quotité  légalement  disponible  dans  la  succession  d'un 
père  payant  300  francs  d'impôt  foncier,  sauf  à  celui-ci  à  or- 
donner par  testament  le  partage  légal.  On  voulait  ainsi  ren- 
verser complètement  les  dispositions  du  Code  qui  avaient  fait 
de  l'égalité  le  principe  de  la  loi  des  successions  en  faisant 
l'inégalité  facultative.  Le  chiffre  de  300  francs,  qui  était  celui 
du  cens  des  électeurs,  montrait  clairement  d'ailleurs  qu'il 
s'agissait  de  constituer  héréditairement  le  droit  électoral  dans 
certaines  familles.  La  loi  succomba  devant  la  réprobation 
générale,  et  la  chaftibre  des  pairs  la  rejeta  le  8  avril  1826. 
Le  droit  d'aînesse  était  pourtant  aussi  l'ordre  de  successi- 
bilité  de  la  pairie  sous  la  Restauration.  — Napoléon,  lui  aussi, 
avait  cru  trouver  une  force  et  un  appui  dans  la  quasi-résur- 
rection du  droit  d'aînesse  :  il  avait  donc  autorisé  sa  noblesse 
à  se  constituer  des  majorais.  On  sait  combien  les  événe- 
ments de  1813  et  1814  lui  prouvèrent  qu'à  cet  égard  il  s'é- 
tait trompé,  et  qu'en  s'appuyant  sur  des  privilèges  et  des 
exceptions,  il  n'avait  fait  que  construire  sur  le  sable.  — 
L'opinion  publique  força  le  pouvoir  issu  des  événements  de 
Juillet  à  rejeter  d'abord  l'hérédité  de  la  pairie,  et  plus  tard 
à  proposer  aux  chambres  des  mesures  législatives  tendant  à 
limiter  et  à  circonscrire  le  mal  créé  par  les  fausses  mesures 
de  l'empereur  et  par  l'esprit  rétrograde  de  la  Restauration 
dans  la  question  des  majorais. 

L'Angleterre,  on  le  sait,  est  la  terre  classique  du  droit 
d'ainesse,  successivement  effacé  des  codes  des  différentes 


nations  germaniques;  et  c'est  giâce  à  te  partage  inégal  et 
inique  des  héritages ,  qui  attribue  tout  à  l'aîné  et  rien  aux 
puînés,  que  l'aristocratie  anglaise  se  maintient  en  jouissance 
de  ces  immenses  propriétés ,  de  ces  fortunes  colossales,  dont 
plusieurs  sont  trois  et  quatre  fois  plus  considérables  que  la 
liste  civile  de  certains  rois  du  continent. 

AÎi\ESSE  DE  NORMANDIE.  Par  le  mot  aînesse 
on  désignait  en  Normandie  un  ténement  divisé  entre  plu- 
sieurs personnes,  et  chargé  de  redevances  qui  étaient  payées 
au  seigneur  par  un  tenancier  principal,  appelé  aine,  et 
auxquelles  les  puînés ,  autrement  dits  ses  co-teneurs ,  con- 
tribuaient solidairement  pour  leur  part  et  portion  :  l'ainesse 
de  Normandie  avait  assez  d'analogie  avec  ce  qu'on  dési- 
gnait dans  le  Lyonnais  et  l'Auvergne  par  le  mot  pagésie , 
et  par  celui  àefréche  dans  le  Maine  et  l'Anjou. 

AIN-MADFIY,  ville  du  désert  algérien,  à  330  kilomè- 
tres au  sud  de  Mascara,  et  à  260  snd-sud-ouest  de  Tagdempt. 
Cette  ville  est  bâtie  sur  un  rocher  au  milieu  d'une  plaine 
aride;  elle  est  entourée  de  jardins  très-boisés,  et  forme  ainsi 
une  oasis  à  six  journées  de  marche  dans  le  désert.  Au  nord- 
ouest  de  la  ville  coule  un  petit  ruisseau  nommé  Oued-Aïn- 
Jladhy,  qui  prend  sa  source  dans  le  Djebel  Amour,  et  qui  se 
perd  dans  les  sables  à  quelques  lieues  de  la  ville.  Aïn-Madhy 
ne  compte  guère ,  dit-on  ,  que  deux  cents  maisons  et   deux 
mille  habitants;  une  muraille  épaisse,  flanquée  de  douze 
forts,  l'entoure.  Cette  ville  a  trois  portes  fortifiées.  Elle  est 
percée  de  deux  rues  principales.  La  Kasba  est  la  résidence 
habituelle  du  marabout  qui  règne  sur  ces  contrées.  Elle  est 
entourée  de  murailles  crénelées  et  renferme  un  puits  et  des 
magasins.  Les  Arabes  comparent  la  forme  d'Aïn-Madhy  à 
celle  d'un  œuf  d'autruche ,  dont  la  pointe  est  dirigée  vers 
la  porte  du  sud.  —  La  famille  des  Tedjini,  qiù  règne  sur 
celte  ville,  est  originaire  de  JMaroc,  où  elle  jouissait  d'une 
grande  réputation  de  sainteté,  qu'elle  a  conservée.  Un  des 
ancêtres  des  Tedjini  vint  à  la  têle  d'un  parti  nombreux  at- 
taquer Aïn-Madhy,  qui  était  au  pouvoir  des  Oulad-Sidy-3Ia- 
homed-ben-Aly ;  il  s'en  empara  :  depuis,  liniluence  des 
Tedjini  s'établit,  et  s'ctendit  même  par  un  gouvernement 
modéré  et  par  l'autorité  religieuse  qu'ils  surent  prendre  sur 
les  esprits.  On  attribue  à  leurs  prières  une  grande  efficacité. 
—  L'importance  de  cette  ville  est  bien  moins  dans  les  forces 
dont  elle  dispose  que  dans  sa  situation  au  milieu  d'immenses 
espaces  où  les  points  de  station  sont  rares.  L'oasis  où  elle  est 
située  est  le  passage  obligé  des  caravanes  et  sert  de  liaison 
entre  des  points  nombreux  de  l'intérieur.  Les  habitants  ne 
vivent  que  de  commerce  et  n'ont   pas  d'industrie  ;  chaque 
maison  est  une  sorte  d'entrepôt  où  les  Arabes  du  dehors 
mettent  en  sûreté  leurs  récoltes,  qu'ils  échangent  ensuite.  A 
quelque  distance  au  delà   d'Aïn-^Iadhy ,  il  n'y  a  plus  de 
terre  habitable  jusqu'à  Ouerkelah,  ville  à  quinze  jours  de 
marche.  Trois  routes  conduisent  à  Aïn-]\Iadliy,  de  Mascara, 
de  Tagdempt  ou  de  Frendah.  —  La  domination  des  Turcs 
sur  Am-Madhy  était  plutôt  nominale  que  réelle.  Cependant 
elle  était  soumise  à  un  tribut,  et  chaque  fois  qu'elle  essaya 
de  s'y  dérober,  des  expéditions  rapides  la  forcèrent  à  recon- 
naître la  souveraineté  turque.  —  Après  le  traité  de  la  Tafna 
Abd-el-Kader  déclara  la  guerre  à  Tedjini,  voulant  sans  doute 
consacrer  par  la  soumission  d' Am-Madhy  sa  prise  de  pos- 
session des  parties  avancées  du  Sahara  de  l'ouest,  et  peut- 
être  aussi  se  ménager  un  pomt  d'appui  contre  l'atteinte  des 
Français  en  cas  de  rupture.  Le  marabout  Tedjini  repoussa 
les  prétentions  de  l'émir.  Celui-ci  partit  de  Tagdempt,  le 
Il  juin  1838,  avec  deux  mille  fantassins,  trois  cents  che- 
vaux et  deux  obusiers  servis  i)ar  vingt-quatre  canonniers  : 
quinze  cents  chevaux  portaient  ses  bagages  et  ses  vivres.  La 
population  d'Aïn-Madhy  se  composait  alors  d'Arabes  attachés 
à  Tedjini,  ou  par  la  parenté,  ou  par  le  prestige ,  ou  par  des 
liens  de  dépendance  et  de  domesticité;  d'un  grand  nombre 
de  nègres,  presque  îo-.is  esclaves  de  Tedjini,  et  de  quelques 
familles  juives.  Un  bon  nombre  d'Arabes  des  tribus  voisines 


250 

vinrent  se  joindre  aux  défenseurs  de  la  place.  L'émir  croyait 
s'emparer  d'Aïn-Madhy  en  moins  d'un  mois  ;  mais  il  fut 
trompé  dans  ses  espérances.  11  fit  encore  venir  du  canon  , 
des  vivres,  et  le  2  décembre  1838  il  obtint  de  Tedjini  une 
capitulation  par  laquelle  rclui-ci  s'engageait  à  quitter  la  ville 
avec  sa  famille  dans  quarante  jours.  Tedjini  profita  sans 
doute  de  cette  trêve  pour  ravitailler  la  ville  et  y  introduire 
de  nouveaux  défenseurs.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  qu'en 
juin  1839  Abd-el-Kader  n'y  avait  pas  encore  pénétré.  11  finit 
par  en  lever  le  siège.  Alors  il  recommença  la  guerre  contre 
les  chiétiens,  et  le  canon  ne  tarda  pas  à  déchirer  le  traité 
de  la  Tafna.  L.  Louvet. 

AIXOS  ou  AINOUS  (c'est-à-dire  ho)nmes),  nom  des 
habitants  primitifs  de  l'île  de  Jesso  et  de  la  partie  mé- 
ridionale de  Sakhalin,  refoulés  par  les  Japonais.  Krusenstern 
et  Laiigsdorf  les  représentent  comme  petits  de  taille,  presque 
noirs  de  peau ,  ayant  la  barbe  noire  et  forte ,  les  cheveux 
hérissés ,  ayant  pourtant  des  traits  assez  réguliers  et  un  ca- 
ractère très-doux.  Les  deux  voyageurs  que  nous  venons  de 
nommer  donnent  d'intéressants  détails  sur  la  langue  de  ce 
peuple ,  du  reste  peu  nombreux. 

AIA'SVYOUTII  (  William-Harrison),  romancier  an- 
glais, né  à  Mancliosler  le  4  lévrier  1805,  est  le  lils  d'un 
avoué.  Il  étudia  le  droit  et  s'adonna  à  la  littérature.  H 
commença  par  composer  des  articles  pour  les  Magazines,  et 
écrivit  un  volume  de  poésies  sous  le  nom  de  Clieviot  Tiche- 
bourne.  Venu  à  Londres,  il  fit  paraître  un  roman,  épousa 
la  fille  d'un  libraire,  fonda  VAinsivorth''s  Magazine,  et 
édita  le  Keepsake.  Parmi  ses  productions  on  cite  .Sir  John 
Chiverlon  ii82b),  Rookwood  {i83i),  Crichton  (1837),  Guy 
Fawkes  (1840),  Le  château  de  Windsor  (  1843),  La  Tour 
de  Londres  (1846),  etc.  Ciuikshank  a  illustré  les  Contes 
de  décembre  et  le  Jack  Sheppard  d'Ainsworth.      Z. 

AIR  (  du  latin  acr  ).  Toute  la  surface  de  notre  globe  ter- 
restre est  enveloppée  d'une  masse  gazeuse  qu'on  appelle 
atmosphère.  L'air  est  le  gaz  qui  constitue  cette  atmo- 
sphère ;  et  par  conséquent  c'est  le  milieu  dans  lequel  se  dé- 
veloppent la  plupart  des  corps  organisés  et  se  produisent 
presque  tous  les  phénomènes  que  l'homme  peut  observer. 
Aussi  peut-on  dire  que  c'est  à  la  découverte  de  la  composi- 
tion et  des  propriétés  chimiques  de  l'air,  ignorées  si  long- 
temps, que  l'on  a  dû  les  immenses  progrès  de  la  physiologie 
animale  et  végétale,  ainsi  que  la  grande  révolution  de  la 
chimie. 

L'air  est  un  gaz  permanent,  c'est-à-dire  qu'il  ne  se  laisse 
ni  liquéfier  ni  solidifier;  il  nous  parait  être  sans  odeur  et 
sans  saveur,  quoique  plusieurs  faits  semblent  prouver  le 
contraire,  par  exemple  le  goftt  fade  de  l'eau  que  l'ébuliition 
a  privée  de  l'air  qu'elle  contenait.  Pris  en  petite  quantité, 
l'air  est  parfaitement  incolore  et  transparent;  mais  en  grande 
masse  il  présente  une  couleur  bleue,  due  à  l'inégalité  d'ac- 
tion avec  lacfucUe  il  transmet  les  différentes  parties  des 
rayons  lumineux  qui  le  traversent.  L'air  est  un  corps  pe- 
sant; cette  vérité  fut  entrevue  par  Aristote,  mais  n'a  été  dé- 
montrée qu'en  1644  par  Torricelli.  L'appareil  qu'il  em- 
ploya à  cet  effet ,  après  plusieurs  modifications  ingénieuses , 
est  devenu  le  baromètre.  Par  sa  pression,  l'air  fait  équi- 
libre à  une  colonne  d'eau  de  10  mètres  40  centimètres  et  à 
une  colonne  de  mercure  de  76  centimètres. 

Une  expérience  fort  simple  fait  connaître  la  pesanteur  de 
l'air  :  on  prend  un  vase  de  verre  muni  d'un  robinet,  dont 
la  capacité  est  de  quelques  litres,  on  le  pèse  rempli  d'air  à 
la  température  de  la  glace  fondante,  après  quoi  on  le  porte 
sur  le  plateau  de  la  machine  pneumatique;  on  adai)te  le 
goulot  à  l'extrémité  du  tuyau  de  la  pompe,  on  ouvre  le  ro- 
binet et  l'on  extrait  l'air  du  vase.  Quand  le  vide  est  aussi 
parfait  que  possible,  on  ferme  le  robinet  et  l'on  pèse  le 
vase;  on  trouve  que  son  poids  est  plus  faible  (jiie  lorsqu'il 
était  plein  d'air,  la  diflérence  est  de  1  gr.  2,9S6  par  litre 
'd'air  extrait;  d'où  l'on  conclut  que  le  poids  d'un  litre  d'air 


AIN-MADHY  —  AIR 

à  la  température  de  la  glace  fondante  est  de  1  gr.  2,986.  Un 
litre  d'eau  pesant  mille  grammes,  il  s'ensuit  que  le  poids  de 
l'air  est  à  celui  de  l'eau  comme  1,3  est  à  1,000,  ou  comme 
1  est  à  770. 

L'air  est  un  corps  éminemment  élastique,  comme  tous  les 
gaz;  il  a  la  propriété  de  pouvoir  être  comprimé  indéfini- 
ment et  de  reprendre  exactement  son  volume  primitif  quand 
on  a  cessé  de  le  presser.  La  compressibilité  et  l'élasticité  de 
l'air  sont  faciles  à  reconnaître.  Le  briquet  à  air  met  ces 
propriétés  en  évidence,  et,  sans  avoir  recours  à  cet  appareil, 
il  suffit  de  presser  une  vessie  pleine  'd'air  pour  s'assurer  que 
ce  gaz  se  comprime  sous  sa  pression,  diminue  de  volume,  et 
le  reprend  exactement  aussitôt  que  sa  pression  cesse.  Quand 
il  est  enfermé  dans  un  vase  parfaitement  clos,  il  exerce  une 
pression  égale  sur  toutes  les  parties  des  parois  de  ce  vase  ;  en 
sorte  que  si  on  y  adapte  im  manomètre,  la  hauteur  à  la- 
quelle le  hquide  s'élève  dans  cet  instrument  mesure  la  ten- 
sion ou,  si  l'on  veut,  la  force  élastique  de  l'air  renfermé  dans 
le  vase.  Mariette  découvrit  le  premier  que  l'air  se  comprime 
sous  les  poids  dont  on  le  charge  d'une  manière  proportion- 
nelle à  ces  poids  :  cette  loi  n'avait  d'abord  été  vérifiée  que 
sous  de  petites  charges.  MM.  Dulong  et  Arago  l'ont  confir- 
mée depuis  jusqu'à  la  charge  énorme  d'une  colonne  de  mer- 
cure de  20  m.  499,  ce  qui  correspond  à  une  pression  de  vingt- 
sept  atmosphères.  L'élasticité  de  l'air  étantégaleàsa  pression, 
il  s'ensuit  qu'un  très-petit  volume  d'air  peut  faire  équilibre  à 
un  poids  égal  à  celui  de  l'atmosphère.  C'est  ce  qui  explique 
conmiient  une  éprouvette  remplie  d'air  et  maintenue  au- 
dessus  d'une  surface  d'eau  ne  permet  pas  à  l'eau  de  monter 
dans  l'intérieur  de  cette  éprouvette,  quoiqu'elle  soit  pressée 
extérieurement  sur  tofute  sa  surface  par  tout  le  poids  de 
l'atmosphère.  C'est  à  l'élasticité  de  l'air  qu'est  due  la  propa- 
gation des  sons.  La  chaleur  dilate  l'air  des  0.00367  de  son 
volume  par  chaque  degré  du  thermomètre  centigrade.  La 
plupart  des  gaz  permanents  sont  soumis  à  cette  loi ,  quelle 
que  soit  la  pression  ,  pourvu  qu'elle  reste  constante  pendant 
toute  la  durée  de  l'expérience.  Comme  le  volume  de  tous 
les  corps,  mais  surtout  des  corps  gazeux,  augmente  ou  di- 
minue suivant  le  degré  d'élévation  ou  d'abaissement  de  la 
température,  il  est  important  de  tenir  compte  de  l'indica- 
tion thermométrique  dans  les  analyses,  et  surtout  dans  la 
détermination  des  poids  spécifiques. 

C'est  à  la  densité  de  l'air  prise  comme  unité  que  l'on 
compare  celle  des  différents  gaz.  Sa  puissance  réfiactive  est 
également  prise  pour  unité  quand  on  veut  évaluer  celle  des 
autres  gaz.  L'air  est  mauvais  conducteur  du  calorique  et  de 
l'électricité ,  à  moins  qu'il  ne  soit  humide. 

Les  anciens  regardaient  l'air  comme  un  élément.  Ce  ne 
fut  même  qu'à  la  fin  du  siècle  dernier  que  l'on  déconviit 
sa  composition.  Déjà  en  1630  Jean  Rey,  ayant  vérifié  l'expé- 
rience de  Brun  sur  l'augmentation  de  poids  de  l'étain  quand 
il  se  transforme  en  chaux  (oxyde),  expliqua  ce  phénomène 
en  disant  que  l'air  avait  été  absorbé  par  le  métal.  Mais  les 
idées  de  Jean  P>ey  restèrent  ensevelies  dans  l'oubli.  En  «774 
Priestley,  en  soumettant  de  la  chaux  de  mercure  placée  sous 
une  cloche  remplie  de  ce  métal  à  l'action  des  rayons  solaires 
concentrés  par  une  forte  lentille,  observa  que  la  cloche  se 
remplissait  d'un  gaz  éminemment  propre  à  entretenir  la  com- 
bustion et  la  respiration ,  ce  qu'il  attribua  à  l'absence  du 
p  h  logistique,  soupçonnant  toutefois  que  l'air  était  le 
produit  de  ce  gaz  et  d'un  air  phlogistiqué,  et  ébranlant  ainsi 
le  principe  de  la  simplicité  de  composition  de  l'air.  Bayen,  de 
son  côté ,  prouva  par  des  expériences  décisives  que  tous  lea. 
corps  qu'on  désignait  sous  le  nom  de  chaux  métalliques 
doivent  leur  excès  de  poids  et  tous  les  caractères  qui  les 
distinguent  du  métal  qui  s'y  trouve,  à  l'absorption  d'un  des 
éléments  de  l'air  atmosphérique.  Lavoisier  à  son  tour  s'em- 
pare des  idées  de  Priestley  et  de  Bayen  ;  il  les  féconde  par 
son  génie,  et  ses  recherches  sur  l'air  changent  la  face  de  la 
science.  Les  travaux  des  chimistes  modernes  n'ont  fait  que 


AIR 


221 


confirmer  les  points  fondamentaux  dos  d«^couvertes  de  La- 
voisier  relativement  à  la  composition  de  l'air;  seulement  les 
proport ious  des  principes  constituants  sont  aujourd'hui  con- 
nues d'une  manière  beaucoup  plus  exacte.  Cent  volumesd'air 
renferment,  terme  moyen,  vin^tet  un  volumes  d'oxy  i^ène 
et  soi\ante-tlix-neuf  volumes  d'azote.  L'acide  carbonique 
et  la  vapeur  d'eau  s'y  trouvent  dans  la  proportion  de  quel- 
ques millièmes.  L'air  contient  en  outre  des  particules  très- 
petites  de  substances  animales  et  végétales  dont  les  quantités 
varient  suivant  les  localités.  On  peut  facilement  démontrer 
la  présence  de  ces  ditTérents  corps  dans  l'air.  Pour  prouver 
la  présence  de  l'oxygène  et  de  l'azote,  on  chauffe  pendant 
plusieurs  jours  du  mercure  métallique  à  un  degré  voisin  de 
son  ébullition ,  en  le  tenant  en  contact  avec  une  masse  d'air 
renfermée  dans  un  appareil.  Au  bout  de  ce  temps  presque 
tout  l'oxygène  a  été  absorbé  par  le  mercure  et  a  formé  un 
oxyde  rouge.  Que  si  on  calcine  au  rouge  cet  oxyde,  on  régé- 
nère d'une  part  le  mercure  et  de  l'autre  l'oxygène  qui  avait 
été  absorbé,  et  ce  dernier  gaz,  mélangé  avec  le  gaz  azote  qui 
en  avait  été  séparé,  forme  de  nouveau  un  corps  gazeux  en- 
tièrement identique  avec  l'air  atmosphérique.  Pour  démon- 
trer la  présence  de  l'acide  carbonique,  on  expose  à  l'air  de 
l'eau  de  chaux  parfaitement  limpide  :  la  surface  du  liquide  se 
recouvre  immédiatement  d'une  pellicule  très-légère  de  carbo- 
nate de  chaux  ;  et  si  on  l'agite  de  temps  en  temps ,  on  obtient 
en  quelques  jours  un  dépôt  dont  on  peut  extraire  une  quantité 
très-notable  d'acide  carbonique.  La  présence  de  la  vapeur 
d'eau  dans  l'air  se  démontre  directement  de  la  manière  sui- 
vante :  lorsqu'on  tient  un  vase  rempli  d'eau  froide  dans  une 
chambre  chaude,  les  parois  extérieures  se  recouvrent  d'une 
rosée.  Or,  cette  rosée  est  produite  en  vertu  des  propriétés  des 
gaz  non  permanents ,  par  la  précipitation  de  la  vapeur,  qui 
vient  se  condenser  sur  la  surface  refroidie  avec  laquelle  elle 
se  trouve  en  contact.  Enfin,  pour  les  molécules  organiques , 
lorsqu'on  laisse  par  une  petite  ouverture  pénétrer  dans  une 
pièce  obscure  un  rayon  direct  du  soleil ,  on  remarque  au 
milieu  de  ce  rayon  une  foule  de  petits  corpuscules  semblables 
à  de  la  poussière  qui  s'agitent  en  sens  divers. 

L'analyse  exacte  des  proportions  relatives  de  ces  divers 
principes  constitue  une  série  d'opérations  très-délicates. 
L'analyse  par  l'eudiomètre  consiste  à  introduire  un  mé- 
lange d'air  et  d'hydrogène  dans  un  tube  de  verre,  gradué  et  à 
parois  épaisses  et  à  y  faire  passer  ime  étincelle  électrique. 
La  combinaison  de  l'hydrogène  et  de  l'oxygène  de  l'air  a  lieu 
instantanément;  il  se  forme  de  l'eau,  ce  qui  permet  de  trou- 
ver la  proportion  d'azote,  par  suite  celle  de  l'oxygène.  La 
quantité  d'acide  carbonique  contenue  dans  l'air  est  si  faible 
que ,  pour  en  doser  une  quantité  notable ,  il  faut  nécessaire- 
ment opérer  sur  une  quantité  considérable.  On  prend  un 
grand  ballon  de  verre  dont  on  connaît  la  capacité ,  on  y  in- 
troduit de  l'eau  de  baryte;  on  ferme  le  robinet,  et  on  agite  ; 
au  bout  de  quelques  minutes  l'acide  carbonique  est  absorbé. 
On  fait  ensuite  le  vide,  et  on  introduit  une  nouvelle  quantité 
d'air.  On  recommence  la  même  opération  à  dix  reprises , 
jusqu'à  ce  qu'on  ait  un  dépôt  suffisant  de  carbonate  de 
bary  te.  Le  poids  de  ce  corps  étant  connu ,  on  en  déduit  la 
quantité  d'acide  carbonique  contenue  dans  le  volume  d'air 
sur  lequel  on  a  opéré.  La  quantité  de  vapeur  d'eau  contenue 
dans  l'air  est  très-variable.  Après  avoir  recueilli  les  indica- 
tions de  l'hygromètre  et  du  thermomètre  dans  l'air  qu'il 
s'agit  d'analyser,  on  cherche  d'une  part  dans  les  tables  d'hy- 
grométrie la  fraction  de  saturation  correspondante  au  degré 
de  l'hygromètre ,  et  d'autre  part  la  quantité  d'eau  contenue 
dans  l'air  saturé  à  la  température  qu'indiquele  thermonn  tre  : 
le  produit  de  ce  nombre  par  la  fraction  de  saturation  donne 
la  quantité  d'eau  cliercliée. 

Quelques  chimistes  ont  pensé  que  l'air  n'était  pas  un  mé- 
lange, mais  bien  une  combinaison,  en  se  fondant  prin- 
cipalement sur  les  rapports  constitutifs  de  l'oxygène  et  de 
l'azote,  qu'ils  regardent  comme  simples,  c'est-à-dire  entiers 


(1  à  4).  Mais  l'analyse  démontre  rigoureusement  en  vo- 
lume 20.8  d'oxygène  et  79.2  d'azote  :  donc  le  rapport  n'est 
pas  .simple;  en  outre,  79  volumes  d'azote  unis  à  21  d'oxy- 
gène n'amènent  aucun  changement  de  température  et  ne  don- 
nent lieu  à  aucune  condensation  de  volume  ;  d'autre  part, 
les  phénomènes  de  réfraction  de  la  lumière  se  comportent 
comme  si  l'air  était  un  mélange.  Enfin,  la  preuve  la  plus 
concluante  est  celle-ci  :  l'air  est  soluble  dans  l'eau,  qui  en 
dissout  dans  les  circonstances  ordinaires  environ  la  tren- 
tième partie  de  son  volume  ;  lorsqu'il  est  en  dissolution ,  il 
n'offre  plus  la  même  composition;  il  renferme  alors  0.32 
d'oxygène  à  peu  près  pour  0.68  d'azote,  parce  que  la  solubilité 
de  l'oxygène  est  supérieure  à  celle  de  l'azote. 

On  sait  que  l'air  est  indispensable  au  développement  et  au 
maintien  de  la  vie  chez  tous  les  êtres  organisés,  tant  animaux 
que  végétaux.  Voyez  Respiration  ,  Végétation. 

Un  agent  d'une  si  giande  importance  mérite  que  l'on  s'oc- 
cupe des  variations  qu'il  peut  subir.  Les  proportions  des 
éléments  de  l'air  ne  varient  que  dans  des  limites  excessive- 
ment étroites.  L'analyse  de  l'air  recueilli  à  toutes  les  hauteurs 
a  donné,  contrairement  à  l'hypothèse  deDalton,  absolument 
les  mêmes  quantités  d'azote  et  d'oxygène.  IVIais  dans  les  lieux 
où  se  trouvent  rassemblées  un  grand  nombre  de  personnes, 
et  dans  une  foule  d'autres  circonstances,  il  s'opère  un  déga- 
gement d'acide  carbonique  tel  qu'il  augmente  notablement  la 
proportion  de  ce  gaz  (  voyez  Asphyxie  ).  Dans  les  orages  il  se 
forme  accidentellement  dans  l'air  de  l'acide  nitrique  et  de 
l'ammoniaque;  ce  fait  s'expHque  facilement,  attendu  que  les 
divers  éléments  nécessaires  à  la  production  de  ces  gaz, 
oxygène,  hydrogène,  azote ,  se  trouvent,  sous  l'influence 
des  décharges  électriques,  dans  les  conditions  voulues  pour 
que  ces  combinaisons  aient  lieu.  —  Dans  les  environs  des 
volcans  l'air  renferme  habituellement  du  gaz  acide  sulfureux 
et  du  gaz  acide  chlorhydrique  ;  et  dans  le  voisinage  des  fa- 
briques on  peut  trouver  une  foule  de  gaz  et  de  vapeurs  plus 
ou  moins  compliqués,  qui  altèrent  la  pureté  de  l'air  au  point 
de  le  rendre  nuisible  non-seulement  à  la  santé  des  individus, 
mais  encore  à  la  végétation.  Du  reste,  l'action  de  ces  causes 
ne  se  fait  en  général  sentir  que  dans  un  rayon  peu  étendu. 
Au  contraire,  une  cause  dont  l'influence  est  extrêmement  per- 
nicieuse ,  c'est  le  dégagement  des  m  i  a  s  m  e  s  qui  se  dévelop- 
pent en  abondance  dans  tous  les  fieux  où  des  matières  vé- 
gétales privées  de  vie  sont  exposées  à  l'action  de  la  chaleur 
et  de  l'humidité.  Quant  à  certains  endroits  dont  l'insalubrité 
est  bien  reconnue ,  comme  les  amphithéâtres  d'anatomie,  la 
présence  dans  l'air  de  particules  en  décomposition  est  suf- 
fisamment prouvée  par  l'odeur  infecte  qu'ils  exhalent. 

L'influence  de  l'air  sur  l'économie  animale  est  variable 
suivant  les  différents  degrés  de  pesanteur,  de  température  et 
d'humidité.  L'air  condensé  ralentit  la  circulation  et  déter- 
mine une  sensation  générale  de  froid.  Les  ouvriers  placés 
sous  la  cloche  à  plongeur  ressentent  un  froid  disproportionné 
à  la  température  du  milieu  où  ils  sont  placés.  Il  diminue 
rapidement  l'état  inflammatoire  et  l'état  fébrile;  il  semble 
être  efficace  dans  les  maladies  des  voies  respiratoires.  Les 
individus  qui  passent  leur  vie  dans  les  mines  ont  générale- 
ment une  santé  languissante;  mais  ils  sont  environnés  de 
tant  de  causes  d'insalubrité  qu'il  est  presque  impossible  de 
distinguer  l'influence  de  l'augmentation  de  la  pesanteur  de 
l'air.  On  connaît  davantage  les  effets  d'un  air  raréfié. 

Nous  nous  occuperons  ailleurs  des  effets  que  produit  le 
manque  d'air,  ou  le  vide,  tel  qu'on  l'obtient  au  moyen 
de  la  machine  pneumatique. 

Outre  que  l'air  est  le  principal  agent  de  beaucoup  d'opéra- 
tions, de  la  combustion,  de  la  fermentation,  etc.,  les  arts 
et  l'industrie  ont  mis  à  profit  toutes  ses  propriétés.  Son  ex- 
trême mobilité  constitue  les  vents.  La  résistance  de  l'air 
forme  le  principe  essentiel  de  la  cloche  à  plongeur.  On 
peut  s'en  faire  une  idée  en  faisant  pénétrer  un  verre  dans 
l'eau,  les  bords  les  premiers  :  non-seulement  le  verre  surnage. 


222 


AIR 


mais  l'eau  ne  pénètre  pas  jusqu'au  fond  du  vase;  et  si  une 
force  quelconque,  un  poids,  par  exemple,  fait  descendre  le 
verre  dans  le  liquide ,  celui-ci  ne  mouille  jamais  le  fond ,  à 
moins  que  l'air  n'en  soit  tiré.  Une  autre  preuve  de  la  résis- 
tance de  l'air  se  trouve  encore  dans  l'expérience  des  hé- 
misphères de  Magdebourg.  Puisque  l'air  est  pesant,  il 
doit  tendre  à  faire  élever  les  corps  plus  légers  que  lui,  comme 
l'eau  fait  surnager  le  liège.  C'est  le  principe  des  aérostats. 
La  chaleur  le  dilate  et  le  rend  plus  léger,  de-  là  l'origine  des 
montgoUières  ;  elle  augmente  son  élasticité,  de  là  son  emploi 
comme  moteur  dans  les  machines  à  air  et  à  feu  ou  pyro- 
pneumatiques.  C'est  encore  sur  le  principe  de  l'élasticité  de 
l'air  que  sont  faits  les  fusils  à  vent ,  les  machines  de  com- 
pression pour  élever  l'eau,  comme  la  fontaine  de  Héron, 
la  pompe  foulante,  dont  dérive  la  presse  hydrau- 
Tuiue.  La  pression  que  l'air  exerce  sur  tous  les  corps  produit 
l'ascension  de  l'eau  dans  les  pompes  aspirantes;  et 
dans  les  machines  àvapeurà  simple  effet  elle  fait  re- 
descendre le  piston  et  entretient  le  mouvement  alternatif. 

L'air  comprimé  a  été  encore  employé  à  de  nombreux 
usages.  MM.  Pravaz  et  Tessié  du  Motey  en  ont  composé  des 
bains  d'une  nouvelle  espèce;  et  ces  bains,  ils  s'en  ser- 
vent contre  les  douleurs  rhumatismales,  les  gonflements 
et  les  névralgies.  M.  E.  Guillaumet  a  de  même  tiré  parti  de 
l'air  condensé  pour  établir  une  machine  de  submersion  qui 
puisse  permettre  de  séjourner  sous  les  eaux ,  au  fond  de  la 
nier,  soit  pour  la  pèche  des  perles  et  du  corail,  soit  pour 
des  opérations  de  sauvetage ,  pour  visiter  et  radouber  des 
navires,  ou  pour  porter  secours  à  des  incendiés.  M.  Triger 
s'en  est  servi  à  son  tour  pour  évacuer  les  eaux  de  la  Loire 
d'un  puits  de  houille  dont  l'exploitation  aurait  dû  être  in- 
terrompue pendant  la  crue  des  eaux.  Il  a  proposé  le  même 
moyen  pour  établir  des  piles  de  pont  sans  barrage  préalable. 
Enlin  M.  Letellier,  avec  le  concours  de  l'air  comprimé  et 
d'une  vis  d'Archimède,  a  composé  une  pompe  beaucoup  plus 
serviable  et  d'un  Jeu  inliniment  plus  doux  que  les  pompes 
vulgaires. 

L'action  chimique  de  l'air  est  de  la  plus  haute  importance  : 
on  lui  doit  la  plupart  des  phénomènes  d'oxydation,  de  colo- 
ration, de  blanchiment ,  d'efllorescence  et  de  déliquescence 
des  sels,  etc.,  etc.  L'action  de  l'air  est  toute-puissante  sur 
la  végétation;  la  terre  elle-même  a  besoin  d'air  comme 
les  végétaux ,  et  les  marnes ,  les  chaux  qui  en  absorbent  le 
plus  sont  les  plus  fécondantes.  W.-A.  Dlckett. 

De  l'influence  de  l'air  dans  la  vie  organique.  Les  plan- 
tes, les  animaux,  l'homme,  renferment  de  la  matière.  D'où 
vient-elle.'  Que  fait-elle  dans  leurs  tissus  et  dans  les  liqui- 
<les  qui  les  baignent.'  Oii  va-t-elle  quand  la  mort  brise  les 
liens  par  lesquels  ses  diverses  parties  étaient  si  étroitement 
unies?  Voilà  les  questions  que  nous  devons  aborder  ici.  Nous 
avons  reconnu  qvi'aux  nombreux  éléments  de  la  chimie  mo- 
derne ,  la  nature  organique  n'en  emprunte  que  trois  ou 
quatre  ;  qu'à  ces  matières  végétales  ou  animales,  maintenant 
nndtipliées  à  l'infini,  la  physiologie  générale  n'emprunte  pas 
plus  de  dix  à  douze  espèces  ,  et  que  tous  ces  phénomènes 
de  la  vie,  si  compliqués  en  apparence ,  se  rattachent ,  en  ce 
qii'ils  ont  d'essentiel,  à  une  formule  générale  si  simple 
qu'en  quelques  mots  on  a  pour  ainsi  dire  tout  énoncé,  tout 
rappelé ,  tout  prévu. 

Nous  avons  constaté ,  en  effet ,  par  une  foule  de  résiU- 
tals,  que  les  animaux  constituent,  au  point  de  vue  chimique, 
de  véritables  appareils  de  combustion  au  moyen  desquels 
du  carbone  bnilé  sans  cesse  retourne  à  l'atmosphère  sous 
forme  d'acide  carbonique;  dans  lesquels  de  l'hydrogène 
lirùlé  sans  cesse,  de  son  coté ,  engendre  continuellement  de 
l'eau  ;  d'où  enfin  s'exhalent  sans  cesse  de  l'azote  libre  par 
la  lespiration  ,  de  l'azote  à  l'état  d'oxyde  d'anuuoninm  par 
les  urines.  Ainsi,  du  règne  animal  considéré  dans  son 
ensemble  -'échappent  conslauiment  de  l'acide  carbonique, 
de  la  vapeur  d'eau ,  de  l'azote  et  de  l'oxyde  d'annuonium 


matières  simples  et  peu  nombreuses  dont  la  formation  se 
rattache  étroitement  à  l'histoire  de  l'air  lui-même. 

Nous  avons  constaté  d'autre  part  que  les  plantes,  dans 
leur  vie  normale,  décomposent  l'acide  carbonique  pour  en 
fixer  le  carbone  et  en  dégager  l'oxygène;  qu'elles  décompo- 
sent l'eim  pour  s'emparer  de  son  hydrogène  et  pour  en  dé- 
gager aussi  l'oxygène  ;  qu'enfin  elles  empruntent  tantôt  di- 
rectement de  l'azote  à  l'air,  tantôt  indirectement  de  l'azote 
à  l'oxyde  d'ammonium,  ou  à  l'acide  nitrique,  fonctionnant 
de  tout  point  ainsi  d'une  manière  inverse  de  celle  qui  ap- 
partient aux  animaux.'  Si  le  règne  animal  constitue  un  im- 
mense appareil  de  combustion,  le  règne  végétal,  à  son  tour, 
constitue  donc  un  immense  appareil  de  réduction  où  l'acide 
carbonique  réduit  laisse  son  charbon,  où  l'eau  réduite  laisse 
son  hydrogène,  où  l'oxyde  d'ammonium  et  l'acide  azotique 
réduits  laissent  leur  ammonium  ou  leur  azote. 

Si  les  animaux  produisent  sans  cesse  de  l'acide  carboni- 
que, de  l'eau,  de  l'azote,  de  l'oxyde  d'ammonium,  les  plantes 
consomment  donc  sans  cesse  de  l'oxyde  d'ammonium ,  de 
l'azote,  de  l'eau,  de  l'acide  carbonique.  Ce  que  les  uns  don- 
nent à  l'air,  les  autres  le  reprennent  à  l'air,  de  sorte  qu'à 
prendre  ces  faits  au  point  de  vue  le  plus  élevé  de  la  phy- 
sique du  globe ,  il  faudrait  dire  qu'en  ce  qui  touche  leurs 
éléments  vraiment  organiques,  les  plantes,  les  animaux 
dérivent  de  l'air,  ne  sont  que  de  l'air  condensé,  et  que,  pour 
se  faire  une  idée  juste  et  vraie  de  la  constitution  de  l'at- 
mosphère aux  époques  qui  ont  précédé  la  naissance  des  pre- 
miers êtres  organisés  à  la  surface  du  globe,  il  faudrait  rendre 
à  l'air ,  par  le  calcul ,  l'acide  carbonique  et  l'azote  dont  les 
plantes  et  les  animaux  se  sont  approprié  les  éléments. 

Les  plantes  et  les  animaux  viennent  donc  de  l'air  et  y  re- 
tournent donc  ;  ce  sont  de  véritables  dépendances  de  l'at- 
mosphère. Les  plantes  reprennent  donc  sans  cesse  à  l'air  ce 
que  les  animaux  lui  fournissent,  c'est-à-dire  du  charbon,  de 
l'hydrogène  et  de  l'azote,  ou  plutôt  de  l'acide  carbonique,  de 
l'eau  et  de  Paimnoniaque.  Reste  à  préciser  maintenant  com- 
ment à  leur  tour  les  animaux  se  procurent  ces  éléments 
qu'ils  restituent  à  l'atmosphère,  et  l'on  ne  peut  voir  sans 
admiration  pour  la  simplicité  sublime  de  toutes  ces  lois  de 
la  nature,  que  les  animaux  empru.itent  toujours  ces  éléments 
aux  plantes  elles-mêmes. 

Nous  avons  reconnu  ,  en  effet,  par  des  résultats  de  toute 
évidence,  que  les  animaux  ne  créent  pas  de  véritables  ma- 
tières organiques,  mais  qu'ils  les  détruisent  ;  que  les  plantes, 
au  contraire,  créent  habituellement  ces  mêmes  matières  et 
qu'elles  n'en  détruisent  que  peu  et  pour  des  conditions  par- 
ticulières et  déterminées. 

Ainsi,  c'est  dans  le  règne  végétal  que  réside  le  grand  labo- 
ratoire de  la  vie  organique  ;  c'est  là  que  les  matières  végé- 
tales et  animales  se  forment,  et  elles  s'y  forment  aux 
dépens  de  l'air.  Des  végétaux  ,  ces  matières  passent  toutes 
formées  dans  les  aninvaux  herbivores,  qui  en  détruisent  une 
partie  et  qui  accumulent  le  reste  dans  leurs  tissus;  des 
animaux  herbivores ,  elles  passent  toutes  formées  dans  les 
animaux  carnivores,  qui  en  détruisent  ou  en  conservent 
selon  leurs  besoins;  enfin  pendant  la  vie  de  ces  animaux  ou 
après  leur  mort  ces  matières  organiques,  à  mesure  qu'elles  se 
détruisent,  retournent  à  l'atmosphère,  d'où  elles  proviennent. 

Ainsi  se  ferme  ce  cercle  mystérieux  de  la  vie  organique  à 
la  surface  du  globe.  L'air  contient  ou  engendre  des  produits 
oxydés,  acide  carbonique ,  eau  ,  acide  azotique,  oxyde  d'am- 
monium. Les  plantes,  véritables  appareils  réducteurs,  s'ein- 
paient  de  leurs  radicaux,  carbone,  hydrogène,  azole,  ammo- 
niimi.  Avec  ces  radicaux  elles  façonnent  toutes  les  matières 
organiques  ou  organisables ,  qu'elles  cèdent  aux  animaux. 
Ceux-ci  à  leur  tour,  véritables  appareils  de  combustion , 
reproduisent  à  leur  aide  l'acide  carbonique,  l'eau,  l'oxyde 
d'ammonium  et  l'acide  azotique,  qui  retournent  à  l'air  pour 
reproduire  de  nouveau  et  dans  riuunensitc  des  siècles  les 
mêuies  phénomènes. 


AIR 


223 


Et  si  l'on  ajoute  à  ce  tableau,  déjà  si  frappant  par  sa  sim- 
plicité et  sa  grandeur,  le  rôle  incontesté  de  la  lumière  so- 
laire, qui  seule  a  le  pouvoir  de  mettre  en  mouvement  cet 
immense  appareil,  cet  appareil  inimité  jus(iue  ici,  que  le  ré- 
gne végétal  constitue  et  où  vient  s'accomplir  la  réduction  des 
produits  oxydés  de  l'air,  on  sera  frappé  du  sens  de  ces  pa- 
roles de  Lavoisier  : 

«  L'oi^anisation,  le  sentiment,  le  mouvement  spontané, 
»  la  vie  n'existent  qu'à  la  surface  de  la  terre  et  dans  les 
«  lieux  exposés  à  la  lumière.  On  dirait  que  la  fable  du  fliun- 
«  beau  de  Prométhée  était  l'expression  d'une  vérité  philoso- 
«  pliique  qui  n'avait  point  échappé  aux  anciens.  Sans  la  lu- 
n  miére  la  nature  était  sans  vie,  elle  était  morte  et  inanimée  : 
«»  un  Dieu  bienfaisant ,  en  apportant  la  lumière ,  a  répandu 
«  sur  la  surface  de  la  terre  l'organisation,  le  sentiment  et  la 
«  i)ensée.  »  ^ 

Ces  paroles  sont  aussi  vraies  qu'elles  sont  belles.  Si  le 
sentiment  et  la  pensée,  si  les  plus  nobles  facultés  de  Tàme 
et  de  l'intelligence  ont  besoin  pour  se  manifester  d'une  en- 
veloppe matérielle,  ce  sont  les  plantes  qui  sont  chargées 
d\n  ourdir  la  trame  avec  des  éléments  qu'elles  empruntent 
à  l'air  et  sous  l'influence  de  la  lumière  que  le  soleil ,  où  en 
est  la  source  inépuisable,  verse  constamment  et  par  torrents 
à  la  surface  du  globe.  Et  comme  si  dans  ces  grands  phéno- 
mènes tout  devait  se  rattacher  aux  causes  qui  en  paraissent 
le  moins  proches,  il  faut  remarquer  encore  comment  l'oxyde 
d'ammonium,  l'acide  azotique,  auxquels  les  plantes  emprun- 
tent une  partie  de  leur  azote,  dérivent  eux-mêmes  presque 
toujours  de  l'action  des  grandes  étincelles  électriques  qui 
éclatent  dans  les  nuées  orageuses  et  qui,  sillonnant  l'air  sur 
une  grande  étendue,  y  produisent  l'azotate  d'ammoniaque 
que  l'analyse  y  décèle. 

Ainsi ,  des  bouches  de  ces  volcans  dont  les  convulsions 
agitent  si  souvent  la  croûte  du  globe  s'échappe  sans  cesse  la 
principale  nourriture  des  plantes,  l'acide  carbonique;  de 
l'atmosphère  enflammée  par  les  éclairs  et  du  sein  même  de 
la  tempête  descend  sur  la  terre  cette  autre  nourriture  non 
moins  indispensable  des  plantes,  celle  d'où  vient  presque 
tout  leur  azote,  le  nitrate  d'ammoniaque,  que  renferment  les 
pluies  d'orage.  "Se  dirait-on  pas  comme  un  souvenir  de  ce 
chaos  dont  parle  la  Bible,  de  ces  temps  de  désordre  et  de 
tumulte  des  éléments  qui  ont  précédé  l'apparition  des  êtres 
organisés  sur  la  terre? 

Mais  à  peine  l'acide  carbonique  et  l'azotate  d'ammoniaque 
sont-ils  formés,  qu'une  force  plus  calme,  quoique  non  moins 
énergique,  vient  les  mettre  en  jeu  :  c'est  la  lumière.  Par  elle 
l'acide  carbonique  cède  son  carbone ,  l'eau  son  hydrogène , 
l'azotate  d'ammoniaque  son  azote.  Ces  éléments  s'asso- 
cient, les  matières  organisées  se  forment,  et  la  terre  revêt  son 
riche  tapis  de  verdure. 

C'est  donc  en  absorbant  sans  cesse  une  véritable  force,  la 
lumière  et  la  chaleur  émanées  du  soleil,  que  les  plantes 
fonctionnent,  et  qu'elles  produisent  cette  immense  quantité 
de  matière  organisée  ou  organique,  pâture  destinée  à  la  con- 
sommation du  règne  animal.  Et  si  nous  ajoutons  que  les 
animaux  produisent  de  leur  côté  de  la  chaleur  et  de  la  force 
en  consommant  ce  que  le  règne  végétal  a  produit  et  a  len- 
tement accumulé,  ne  semble-t-il  pas  que  la  fin  dernière  de 
tous  ces  phénomènes,  que  leur  formule  la  plus  générale  se 
révèle  à  nos  yeux  ?  L'atmosphère  nous  apparaît  comme  ren- 
fermant les  matières  premières  de  toute  l'organisation;  les 
volcans  et  les  orages,  comme  les  laboratoires  où  se  sont  fa- 
çonnes d'abord  l'acide  carbonique  et  l'azotate  d'ammoniaque 
dont  la  vie  avait  besoin  pour  se  manifester  ou  se  multiplier. 
A  leur  aide,  la  lumière  vient  développer  le  règne  végétal, 
producteur  immense  de  matière  organique;  les  plantes  ab- 

fsorbent  la  force  chimique  qui  leur  vient  du  soleil  pour  décom- 
poser l'acide  carbonique,  l'eau  et  l'azotate  d'annnoniaqiie, 
comme  si  les  plantes  réalisaient  un  appareil  réductif  supé- 
rieur à  tous  ceux  que  nous  connaissons  ;  car  aucun  d'eux 


ne  décomposerait  Tacidc  carbonicpie  à  froid.  Viennent  en- 
suite les  animaux,  consommateurs  de  matière  et  produc- 
teurs de  chaleur  et  de  force,  véritables  appareils  de  combus- 
tion. C'est  en  eux  que  la  matière  organisée  revêt  sa  plus 
haute  expression  sans  doute ,  mais  ce  n'est  pas  sans  en  souf- 
frir qu'elle  devient  l'instrument  du  sentiment  et  de  la  pen- 
sée ;  sous  cette  influence  la  matière  organisée  se  brûle,  et  en 
produisant  cette  chaleur,  cette  électricité  qui  font  notre 
force  et  qui  en  mesurent  le  pouvoir,  ces  matières  organi- 
sées ou  organiques  s'anéantissent  pour  retourner  à  l'atmo- 
sphère d'où  elles  sortent. 

L'atmosphère  constitue  donc  le  chaînon  mystérieux  qui  lie 
le  règne  végétal  au  règne  animal.  Les  végétaux  absorbent 
donc  de  la  chaleur  et  accumulent  donc  de  la  matière  qu'ils 
savent  organiser.  Les  animaux,  par  lesquels  cette  matière  or- 
ganisée ne  fait  que  passer,  la  brûlent  ou  la  consomment 
pour  produire  à  son  aide  la  chaleur  et  les  diverses  forces 
que  leurs  mouvements  mettent  à  profit.  Qu'il  nous  soit  donc 
permis,  empruntant  aux  sciences  modernes  une  image  assez 
grande  pour  supporter  la  comparaison  avec  ces  grands  phé- 
nomènes, d'assimiler  la  végétation  actuelle,  véritable  maga- 
sin où  s'alimente  la  vie  animale ,  à  cet  autre  magasin  de 
charbon  que  constituent  les  anciens  dépôts  de  houille,  et 
qui ,  brûlé  par  le  génie  de  Papin  et  de  \\'att,  vient  produire 
aussi  de  l'acide  carbonique,  de  l'eau,  de  la  chaleur,  du  mou- 
vement, on  dirait  presque  de  la  vie  et  de  l'intelligence.  Pour 
nous  le  règne  végétal  constituera  donc  un  immense  dépôt  de 
combustible  destiné  à  être  consommé  par  le  règne  animal, 
et  où  ce  dernier  trouve  la  source  de  la  chaleur  et  des  forces 
locomotives  qu'il  met  à  profit. 

Ainsi  un  lien  commun  entre  les  deux  règnes,  l'atmos- 
phère ;  quatre  éléments  dans  les  plantes  et  dans  les  ani- 
maux, le  carbone,  l'hydrogène,  l'azote  et  l'oxygène  ;  un  très- 
petit  nombre  de  formes  sous  lesquelles  les  végétaux  les  ac- 
cumulent, sous  lesquelles  les  animaux  les  consomment; 
quelques  lois  très-simples ,  que  leur  enchaînement  simplifie 
encore  :  tel  serait  le  tableau  de  l'état  de  la  chimie  orga- 
nique la  plus  élevée. 

Puisque  tous  les  phénomènes  de  la  vie  s'exercent  sur  des 
matières  qui  ont  pour  base  le  carbone,  l'hydrogène,  l'azote, 
l'oxygène;  puisque  ces  matières  passent  du  règne  animal  au 
règne  végétal  par  des  formes  intermédiaires,  l'acide  carbo- 
nique, l'eau  et  l'oxyde  d'ammonium;  puisqu'enfin  l'air  est  la 
source  où  le  règne  végétal  s'alimente ,  qu'il  est  le  réser- 
voir dans  lequel  le  règne  animal  vient  s'anéantir,  nous  som- 
mes conduits  à  étudier  rapidement  ces  divers  corps  au  point 
de  vue  particulier  de  la  physiologie  générale. 

L'eau  se  forme  et  se  décompose  sans  cesse  dans  les  ani- 
maux et  les  plantes;  pour  apprécier  ce  qui  en  résulte,  voyons 
d'abord  quelle  est  sa  composition.  Des  expériences  fondées 
sur  la  combustion  directe  de  l'hydrogène,  et  où  j'ai  produit 
plus  d'un  iiilogrararae  d'eau  artificielle;  expériences  très- 
difficiles,  très-délicates,  il  est  vrai,  mais  dont  les  erreurs  se- 
raient, du  reste ,  sans  importance  pour  les  circonstances  qui 
nous  occupent ,  rendent  très-piobable  que  l'eau  est  formée ,. 
en  poids , 

de  I  partie  d'hydrogène 
et  8  parties  d'oxygène, 
et  que  ces  nombres  entiers  et  simples  expriment  le  véritable 
rapport  suivant  lequel  se  combinent  ces  deux  éléments  pour 
constituer  l'eau.  Comme  les  matières  se  représentent  toujours 
aux  yeux  du  chimiste  par  des  molécules ,  comme  il  cherche 
toujours  à  rattacher  dans  sa  pensée  au  nom  même  de  cha- 
que matière  le  poids  de  sa  molécule,  la  simplicité  de  ce 
rapport  n'est  pas  sans  quelque  importance.  En  effet,  ciiaqiie 
molécule  d'eau  se  trouvant  formée  d'une  molécule  d'hydro- 
gène et  d\me  molécule  d'oxygène,  on  arrive  à  ces  nombres 
simples  qui  ne  s'oublient  plus  :  une  molécule  d'hydrogène 
pèse  1 ,  une  molécule  d'oxygène  pèse  8,  et  une  molécule  d'eau 
pèse  i). 


224 


AIR 


L'acide  carbonique  se  produit  sans  cesse  dans  les  animaux, 
et  se  décompose  sans  cesse  dans  les  plantes;  sa  composition 
mérite  donc  une  attention  spéciale  à  son  tour.  Or,  l'acide 
carboniiiue,  conmie  l'eau,  se  représente  par  les  nombres  les 
plus  simples.  Des  expériences  fondées  sur  la  combustion  di- 
recte du  diamant  et  sur  sa  conversion  en  acide  carbonique 
m'ont  prouvé  que  cet  acide  se  forme  de  la  combinaison  de 
«  parties  eu  poids  de  carbone  pour  IC  parties  en  poids  d'oxy- 
gène. On  est  donc  conduit  à  se  représenter  l'acide  carbo- 
t\u\m  connue  étant  formé  dune  molécule  de  carbone  pesant  G 
I)our  deux  molécules  d'oxygène  pesant  16,  ce  qui  constitue- 
rait une  molécule  d'acide  carbonique  pesant  22. 

lùifin  l'ammoniaque,  à  son  four,  semble  formée  en  nombres 
entiers  de  3  parties  d'hydrogène  pour  14  d'azote,  ce  qui  peut 
se  représenter  par  3  molécules  d'hydrogène  pe?ant  3  et  par 
une  molécnie  d'azote  pesant  14.  .\insi,  comme  pour  montrer 
mieux  toute  sa  puissance,  la  nature  n'opère,  quand  il  s'agit 
de  l'organisation,  que  sur  un  très-petit  nombre  d'éléments 
combinés  dans  les  rapports  les  plus  simples. 

Tout  le  système  atomique  du  physiologiste  roule  sur  ces 
quatre  nombres  :  1,  G,  7,  8. 

1,  c'est  la  molécule  d'hydrogène; 

C,  celle  du  carbone; 

7 ,  ou  deux  fois  7 ,  c'est-à-dire  14 ,  celle  de  l'azote  ; 

8,  celle  de  l'oxygène. 

Qu'il  rattache  toujours  ces  nombres  à  ces  noms;  car  pour 
le  diimiste  il  ne  saurait  exister  ni  hydrogène,  ni  carbone, 
ni  azote ,  ni  oxygène  abstraits.  Ce  sont  des  êtres  dans  leur 
réalité  qu'il  a  toujours  en  vue  ;  c'est  de  leurs  molécules  qu'il 
parle  toujours ,  et  pour  lui  le  mot  hydrogène  peint  une  mo- 
lécule qui  pèse  l  ,  le  mot  carbone  une  molécule  qui  pèse  6, 
et  le  mot  oxygi  ne  une  molécule  qui  pèse  8. 

L'air  atmosphérique,  qui  joue  un  si  grand  rôle  dans  la 
nature  organi([ue,  possède-t-il  aussi  une  composition  simple, 
comme  l'eau,  l'acide  carbonique  et  l'ammoniaque  ?  Telle  est 
la  question  que  nous  avons  récemment  étudiée ,  M.  Bous- 
singault  et  moi.  Or,  nous  avons  trouvé,  comme  le  pensaient 
le  plus  grand  nombre  des  chimistes,  et  contrairement  à  l'o- 
pinion du  docteur  Prout,  à  qui  la  chimie  doit  tant  de  vues 
ingénieuses,  que  l'air  est  un  mélange,  un  véritable  mélange. 

En  poids,  l'air  renferme  2, ."500  d'oxygène  pour  7,700  d'a- 
zote; en  volume,  20S  du  premier  pour  792  du  second.  L'air 
renferme  en  outre  de  4  à  G/1 0,000''^  d'acide  carbonique  en 
volume,  soit  qu'on  le  prenne  à  l-aris,  soit  qu'on  le  prenne  à  la 
campagne.  Ordinairement,  il  en  renferme  4/1 0,000'"*.  Déplus, 
il  contient  une  quantité  presque  insensible  de  ce  gaz  hydro- 
gène carboné,  qu'on  nouune  gaz  des  marais,  et  que  les  eaux 
stagnantes  laissent  dégager  à  chaque  instant.  Nous  ne  parlons 
pas  de  la  vapeur  aqueuse,  si  variable,  de  l'oxyde  d'ammonium 
et  de  l'acide  azotique,  qui  ne  peuvent  avoir  dans  l'air  qu'une 
existence  momentanée,  à  raison  de  leur  solubilité  dans  l'eau. 

L'air  constitue  donc  un  mélange  d'oxygène,  d'azote,  d'a- 
cide carbonique  et  de  gaz  des  niarais. 

L'acide  carbonique  y  varie,  et  même  beaucoup ,  puisque 
les  différences  y  vont  du  simple  au  double,  de  4  à  G/10,000. 
Ne  serait-ce  pas  la  preuve  que  les  plantes  lui  enlèvent  cet 
acide  carbonique  et  que  les  animaux  lui  en  reprennent?  ne 
serait-ce  pas,  en  un  mot,  la  preuve  de  cet  équilibre  des  élé- 
ments de  l'air  attribué  aux  actions  inverses  que  les  animaux 
et  les  plantes  produisent  sur  lui  ?  Jl  y  a  longtemps ,  en  effet , 
qu'on  l'a  remarqué,  les  animaux  empruntent  à  l'air  son  oxy- 
'  gène  et  lui  rendent  de  l'acide  carbonique  ;  les  plantes  à  leur 
tour  décomposent  cet  acide  carbonique  pour  en  fixer  le  car- 
bone, et  restituent  son  oxygène  à  l'air.  Comme  les  animaux 
respirent  toujours ,  comme  les  piaules  ne  respirent  que  sous 
linlliience  solaire  ;  comme  en  hiver  la  terre  est  dépouillée , 
tandis  qu'en  été  elle  est  couverte  de  verdure ,  on  a  cru  que 
l'air  devait  traduire  toutes  ces  iniluences  dans' sa  consfi 
tution.  L'acide  carbonique  devait  augmenter  la  nuit  et  di- 
minuer le  joiu-.  L'oxygène  à  son  tour  devait  suivre  une  mar- 


che inverse.  L'acide  carbonique  devait  aussi  suivre  le  cours 
des  saisctis,  et  l'oxygène  subir  le  même  sort.  Tout  cela  est 
vrai ,  sans  doute ,  et  très-sensible  pour  une  portion  d'air  li- 
mitée et  confinée  sous  une  cloche;  mais  dans  la  masse  de 
l'atmosphère  toutes  ces  variations  locales  se  confondent  et 
disparaissent.  Il  faut  des  siècles  accumulés  pour  que  cette 
balance  des  deux  règnes  au  sujet  de  la  composition  de  l'air 
puisse  être  mise  en  jeu  d'une  manière  efficace  et  nécessaire; 
nous  sommes  donc  bien  loin  de  ces  variations  journalières 
ou  annuelles  qu'on  était  disposé  à  regarder  comme  aussi  fa- 
ciles à  observer  qu'à  prévoir.  Relativement  à  l'oxygène ,  le 
calcul  montre  qu'en  exagérant  toutes  les  données,  il  ne  fau- 
drait pas  moins  de  800,000  années  aux  animaux  vivants  à 
la  surface  de  la  terre  pour  le  faire  disparaître  en  entier. 
Par  conséquent,  si  l'on  supposait  que  l'analyse  de  l'air  eût 
été  faite  en  1800,  et  que  pendant  tout  le  siècle  les  plantes 
eussent  cessé  de  fonctionner  à  la  surface  du  globe  entier, 
tous  les  animaux  continuant  d'ailleurs  à  vivre,  les  analystes 
en  1900  trouveraient  l'oxygène  de  l'air  diminué  de  1/8,000 
de  son  poids,  quantité  qui  est  inaccessible  à  nos  méthodes 
d'observation  les  plus  délicates,  et  qui  à  coup  sûr  n'inllue- 
rait  en  rien  sur  la  vie  des  animaux  ou  des  plantes. 

Ainsi  nous  ne  nous  y  tromperons  pas,  l'oxygène  de  l'air 
est  consommé  par  les  animaux,  qui  le  convertissent  en  eau 
et  en  acide  carbonique  ;  il  est  restitué  par  les  plantes,  qui 
décomposent  ces  deux  corps.  Mais  la  nature  a  tout  disposé 
pour  que  le  magasin  d'air  fût  tel  relativement  à  la  dépense 
des  animaux  que  la  nécessité  de  l'intervention  des  plantes 
pour  la  purification  de  l'air  ne  se  fit  sentir  qu'au  bout  de 
quelques  siècles.  L'air  qui  nous  entoure  pèse  autant  que 
581,000  cubes  de  cuivre  d'un  kilomètre  de  coté;  son  oxygène 
pèse  autant  que  134,000  de  ces  mômes  cubes.  En  supposant 
la  terre  peuplée  de  mille  millions  d'hommes ,  et  en  portant 
la  population  animale  à  une  quantité  équivalente  à  trois 
mille  millions  d'hommes  ,  on  trouverait  que  ces  quantités 
réunies  ne  consomment  en  un  siècle  qu'un  poids  d'oxygène 
égal  à  15  ou  IG  kilomètres  cubes  de  cuivre,  tandis  que  l'air 
en  renferme  134,000.  Il  faudrait  dix  mille  années  pour  que 
tous  ces  hommes  pussent  produire  sur  l'air  un  effet  sensible 
à  l'eudioraètre  de  Yolta,  même  en  supposant  la  vie  végétale 
anéantie  pendant  tout  ce  temps. 

En  ce  qui  concerne  la  permanence  de  la  composition  de 
l'air,  nous  pouvons  dire  en  toute  assurance  que  la  proportion 
d'oxygène  qu'il  renferme  est  garantie  pour  bien  des  siècles, 
même  en  supposant  nulle  l'influence  des  végétaux ,  et  que 
néanmoins  ceux-ci  lui  restituent  sans  cesse  de  l'oxygène  en 
quantité  au  moins  égale  à  celle  qu'il  perd  et  peut-être  supé- 
rieure ;  car  les  végétaux  vivent  tout  aussi  bien  aux  dépens 
de  l'acide  carbonique  fourni  par  les  volcans  qu'aux  dépens  de 
l'acide  carbonique  fourni  par  les  animaux  eux-mêmes. 

Ce  n'est  donc  pas  pour  purifier  l'air  que  ceux-ci  respirent 
que  les  végétaux  sont  surtout  nécessaires  aux  animaux, 
mais  bien  pour  leur  fournir,  et  pour  leur  fournir  incessam- 
ment, de  la  matière  organique  toute  prête  à  l'assimilation , 
de  ta  matière  organique  qu'ils  puissent  brûler  à  leur  profit. 

Il  y  a  donc  un  service  nécessaire  sans  doute ,  mais  si 
éloigné  que  notre  reconnaissance  en  est  bien  petite,  que  les 
végétaux  nous  rendent  en  purifiant  l'air  que  nous  consom- 
mons. Il  en  est  un  autre  tellement  prochain,  que  si  pendant 
une  seule  année  il  nous  faisait  défaut ,  la  terre  en  serait 
dépeuplée  :  c'est  celui  que  ces  mêmes  végétaux  nous  ren- 
dent en  préparant  notre  nourriture  et  celle  de  tout  le  règne 
animal.  C'est  en  cela  surtout  que  réside  cet  enchaînement 
des  deux  règnes.  Supprimez  les  plantes,  et  dès  lors  les  ani- 
maux périssent  tous  d'une  affreuse  disette ,  et  la  nature  or- 
ganique elle-même  disparait  tout  entière  avec  eux  en  quel- 
ques saisons. 

Cei)endant  ,  avons-nous  dit ,  l'acide  carbonique  de  l'air 
varie  de  4  à  G/ 10,000.  Ces  variations  sont  très-faciles  à 
observer  et  très-frcqucnlcs.  ^'est-ce  pas  là  un  phénomène 


AI 

qni  accii«e  rinfluenc*  des  animaux  qui  iiitro«luisont  cet  acide 
dans  Tair  et  celle  des  végétaux  qui  le  lui  enlèvent? 

Non ,  ce  pliénouit'ne  est  un  simple  phénomène  météorolo- 
gique. 11  en  est  de  Tacide  carbonique  connue  de  la  vapeur 
aqueuse ,  qui  se  forme  à  la  surface  des  mers  ,  pour  se  con- 
denser ailleurs  ,  retomber  en  pluie  et  se  reproduire  encore 
sous  forme  de  vapeur.  Cette  eau  (jui  se  condense  et  tombe 
dissout  et  entraîne  l'acide  carbonique;  cette  eau  cpii  s'éva- 
pore abandonne  ce  même  gaz  à  Pair.  11  y  aurait  donc  un 
grand  intérêt  météorologique  à  mettre  eu  regard  les  variations 
de  riiygromètre  et  celles  des  saisons  ou  de  l'état  du  ciel 
avec  les  variations  de  l'acide  carbonique  de  l'air;  mais  jus- 
qu'ici tout  tend  à  montrer  que  ces  variations  rapides  cons- 
tituent un  simple  événement  météorologique ,  et  non  pas , 
comme  on  l'avait  pensé,  un  événement  physiologique,  qui , 
considéré  isolément,  produirait  à  coup  sur  des  vaiiations 
inliniment  plus  lentes  que  celles  qu'on  observe  en  réalité 
tant  dans  les  villes  qu'à  la  campagne  elle-même. 

Ainsi  l'air  est  un  immense  réservoir,  où  les  plantes  peu- 
vent longtemps  puiser  tout  l'acide  carbonique  nécessaire  à 
leurs  besoins  ;  où  les  animaux ,  pendant  bien  plus  long- 
temps encore ,  trouveront  tout  l'oxygène  qu'ils  peuvent  con- 
sommer. C'est  aussi  dans  l'atmosphère  que  les  plantes  puisent 
leur  azote,  soit  directement,  soit  indirectement;  c'est  là  que 
les  animaux  le  restituent  en  définitive.  L'atmosphère  est 
donc  un  mélange  qui  reçoit  et  fournit  sans  cesse  de  l'oxygène, 
de  l'azote  ou  de  lacide  carbonique,  par  mille  échanges  dont 
il  est  maintenant  facile  de  se  former  une  juste  idée,  et  dont 
une  analyse  rapide  va  nous  permettre  d'apprécier  les  détails. 

Que  l'on  jette  une  semence  en  teiTe,  et  qu'on  la  laisse 
germer  et  se  développer,  qu'on  suive  la  nouvelle  plante  jus- 
qu'à ce  qu'elle  ait  porté  fleurs  et  graines  à  son  tour,  et  l'on 
verra  par  des  analyses  convenables  que  la  semence  primi- 
tive en  produisant  le  nouvel  être  a  fi  xé  du  carbone,  de  l'hy- 
drogène, de  l'oxygène,  de  l'azote  et  des  cendres. 

Le  carbone  provient  essentiellement  de  l'acide  carbo- 
nique ,  soit  qu'il  ait  été  emprunté  à  l'acide  carbonique  de 
l'air ,  soit  qu'il  provienne  de  cette  autre  partie  d'acide  car- 
bonique que  la  décomposition  spontanée  des  engrais  dé- 
veloppe sans  cesse  au  contact  des  racines.  ]\Iais  c'est  dans 
l'air  surtout  que  le  plus  souvent  les  plantes  puisent  leur 
carbone.  Comment  en  serait-il  autrement  quand  on  voit  Té- 
norme  quantité  de  carbone  qu'ont  su  s'approprier  des  arbres 
séculaires  par  exemple,  et  l'espace  si  limité  pourtant  dans 
lequel  leurs  racines  peuvent  s'étendre  ?  A  coup  sûr,  quand  a 
germé  le  gland  qui  a  produit  il  y  a  cent  ans  le  chêne  qui  fait 
notre  admiration  maintenant ,  le  terrain  sur  lequel  il  était 
tombé  ne  renfermait  pas  la  millionième  partie  du  charbon 
que  le  chêne  lui-même  renferme  aujourd'hui.  C'est  l'acide 
carbonique  de  l'air  qui  a  fourni  le  reste,  c'est-à-dire  la  niasse 
à  peu  près  entière.  Mais  quoi  de  plus  clair  et  de  plus  con- 
cluant d'ailleurs  que  celte  expérience  de  M.  Boussingault  où 
des  pois  semés  dans  du  sable,  arrosés  d'eau  distillée  et  ali- 
mentés d'air  seulement ,  ont  trouvé  dans  cet  air  tout  le  car- 
bone nécessaire  pour  se  développer,  fleurir  et  fructifier? 

Toutes  les  plantes  fixent  du  caibone,  toutes  l'empruntent 
à  l'acide  carbonique,  soit  que  celui-ci  soit  pris  directement 
à  l'air  par  les  feuilles ,  soit  que  les  racines  puisent  dans  la 
terre  les  eaux  pluviales  imprégnées  d'acide  carbonique,  soit 
que  les  engrais,  en  se  décomposant  dans  le  sol,  foc ■•nissent 
de  l'acide  carbonique  dont  les  racines  s'emparent  aussi  pour 
le  transporter  aux  feuilles. 

Tous  ces  résultats  se  constatent  sans  peine.  M.  Doussin- 
gault  a  vu  des  feuilles  de  vigne  enfermées  dans  un  ballon 
prendre  tout  l'acide  carbonique  de  l'air  qu'on  dirigeait  au 
travers  de  ce  vase,  quelque  rapide  que  fut  le  courant. 
M.  Boucherie  a  vu  à  son  tour  s'échapper  du  tronc  coujk! 
des  arbres  en  pleine  sève  des  quantités  énoimes  d'acide 
carbonique  évidemment  aspiré  du  sol  par  les  racines. 

Mais  si  les  racines  puisent  dans  le  sol  cet  acide  carbonique, 

DIOT.    DE   LA   CONVEUS.    —   T.    '. 


R  225 

si  celui-ci  passe  dans  la  tige  et  de  là  dans  les  feuilles,  il  finit 
par  s'exhaler  dans  l'atmosphère  sans  altération,  quand 
aucune  force  nouvelle  n'intervient.  Tel  est  le  cas  des  plantes 
végétant  à  l'ombre  ou  dans  la  nuit.  L'acide  carbonique  du 
sol  filtre  au  travers  de  leurs  tissus  et  se  répand  dans  l'air. 
On  dit  que  les  plantes  produisent  de  l'acide  carbonique  pen- 
dant la  nuit  ;  il  faut  dire  que  les  plantes  en  pareil  cas  lais- 
sent passer  de  l'acide  carbonique  emprunté  au  sol.  Mais  que 
cet  acide  carbonique  venant  du  sol  ou  pris  à  l'atmosphère  se 
trouve  en  contact  avec  les  feuilles  ou  les  parties  vertes,  que 
la  lumière  solaire  intervienne  d'ailleurs,  et  alors  la  scène 
change  tout  à  coup  :  l'acide  carbonique  disparaît;  des  bulles 
déliées  d'oxygène  se  développent  sur  tous  les  points  de  la 
feuille,  et  le  carbone  se  fixe  dans  les  tissus  de  la  plante. 

Chose  bien  digne  d'intérêt,  ces  parties  vertes  des  plantes , 
les  seules  qui  jusqu'ici  puissent  manifester  cet  admirable  phé- 
nomène de  la  décomposition  de  l'acide  carbonique ,  sont 
aussi  douées  d'une  autre  propriété  non  moins  spéciale ,  non 
moins  mystérieuse.  En  effet,  vient-on  à  transporter  leur  image 
dans  l'appareil  de  M.  Daguerre,  ces  parties  vertes  ne  s'y  trou- 
vent pas  reproduites ,  comme  si  tous  les  rayons  chimiques 
essentiels  aux  phénomènes  daguerriens  avaient  disparu  dans 
la  feuille,  absorbés  et  retenus  par  elle.  Les  rayons  chimi- 
ques de  la  lumière  disparaissent  donc  en  entier  dans  les 
parties  vertes  des  plantes;  absorption  extraordinaire  sans 
doute,  mais  qu'explique  sans  peine  la  dépense  énorme  de 
force  chinùque  nécessaire  à  la  décomposition  d'un  corps 
aussi  stable  que  l'acide  carbonique. 

Quel  est  d'ailleurs  le  rôle  de  ce  cnrbone  fixé  dans  la  plante  ? 
A  quoi  est-il  destiné?  Pour  la  majeure  partie  sans  doute,  il 
se  combine  à  l'eau  ou  à  ses  éléments,  donnant  ainsi  naissance 
à  des  matières  de  la  plus  haute  importance  pour  le  végétal. 
Que  12  molécules  d'acide  carbonique  se  décomposent  et 
abandonnent  leur  oxygène,  et  il  en  résultera  12  molécules 
de  carbone ,  qui  avec  1 0  molécules  d'eau  pourront  consti- 
tuer soit  le  tissu  cellulaire  des  plantes ,  soit  leur  tissu 
ligneux,  soit  l'amidon  et  la  de\îrine  qui  en  dérive.  Ainsi, 
dans  une  plante  quelconque,  la  masse  presque  entière  de 
la  charpente  formée  conmie  elle  l'est  par  du  tissu  cellulaire, 
du  tissu  ligneux ,  de  l'amidon  ou  des  matières  gommeuses, 
se  représentera  par  12  molécules  de  charbon  unies  à  10  mo- 
lécules d'eau.  Le  ligneux  ,  insoluble  dans  l'eau  ;  l'amidon  , 
qui  fait  empois  dans  l'eau  bouillante,  et  la  dextrine,  qui  se 
dissout  si  bien  dans  l'eau  à  froid  ou  à  chaud ,  constituent 
donc ,  comme  l'a  si  bien  prouvé  M.  Payen,  trois  corps  doués 
exactement  de  la  même  composition,  mais  diversifiés  par  un 
arrangement  moléculaire  différent.  Ainsi ,  avec  les  mêmes 
éléments ,  dans  les  mômes  proportions ,  la  nature  végétale 
produit  ou  bien  les  parois  insolubles  des  cellules  du  tissu 
cellulaire  et  des  vaisseaux  ,  ou  bien  l'amidon  qu'elle  accu- 
mule comme  aliment  autour  des  bourgeons  et  des  embryons, 
ou  bien  la  dextrine  soluble  que  la  sève  peut  transporter  d'une 
place  à  l'autre  pour  les  besoins  de  la  plante.  Admirable  fé- 
condité, qui  sait  du  môme  corps  en  faire  trois  différents  et 
qui  permet  de  les  transmuter  l'un  en  l'autre  avec  la  plus 
faible  dépense  de  force  toutes  les  fois  que  l'occasion  l'exige. 
C'est  encore  au  moyen  du  charbon  uni  à  l'eau  que  se  pro- 
duisent les  matières  sucrées  si  fréquemment  déposées  dans 
les  organes  des  plantes  pour  des  besoins  spéciaux  que  nous 
rappellerons  bientôt;  12  molécules  de  carbone  et  11  molé- 
cules d'eau  forment  le  sucre  de  canne;  12  molécules  de  car- 
bone et  14  molécules  d'eau  font  le  sucre  de  raisin. 

Ces  matières  ligueuses ,  amylacées,  gommeuses  et  sucrées, 
que  le  charbon ,  pris  à  l'état  naissant,  peut  produire  en  s'u- 
nissant  à  l'eau,  jouent  un  rôle  si  large  dans  la  vie  des  plantes, 
qu'il  n'est  plus  difficile  de  s'expliquer,  quand  on  les  prend 
en  considération,  le  rôle  important  que  joue  dans  les  plantes 
la  décomposition  de  l'acide  carhonicpie. 

De  même  que  les  plantes  décomposent  l'acide  carbonique 
pour  s'approprier  son  carbone  et  pour  former  avec  celui-ci 

29 


226 


AIR 


tous  les  corps  neutres  qui  composent  leur  masse  presque 
entière  ;  de  mtmc,  et  pour  certains  produits  qu'elles  forment 
en  moindre  abondance,  les  plantes  décomposent  l'eau  et  en 
fixent  l'hydrogène.  C'est  ce  qui  ressort  clairement  des exié- 
riences  de  M.  Boussinsault  sur  la  végétation  des  pois  on 
vaisseaux  clos.  C'est  ce  qui  ressort  plus  clairement  encore 
«le  la  production  des  huiles  grasses  ou  volatiles,  si  fréquentes 
dans  certaines  parties  des  plantes  et  toujours  si  riches  en 
hydrogène.  Celui-ci  ne  peut  venir  que  de  l'eau ,  car  la  plante 
uè  reçoit  pas  d'autre  produit  hydrogéné  que  l'eau  elle-même. 

Ces  corps  hydrogénés,  auxquels  donne  naissance  la  fixa- 
tion de  l'iiydrogènc  emprunté  à  l'eau,  sont  employés  par  les 
plantes  à  des  usages  accessoires.  Ils  constituent  en  effet  les 
huiles  volatiles,  qui  servent  de  défense  contre  les  ravages 
des  insectes;  des  huilas  grasses  ou  des  graisses  dont  la 
graine  s'entoure ,  et  qui  servent  à  développer  de  la  chaleur 
en  se  briMant  au  moment  de  la  germination  ;  des  cires,  dont 
les  feuilles  ou  les  fruits  se  revêtent  pour  devenir  imperméa- 
bles à  l'eau.  Mais  tous  ces  usages  ne  constituent  que  des 
accidents  de  la  vie  des  plantes  :  aussi  les  produits  hydrogénés 
sont-ils  bien  moins  nécessaires,  bien  moins  communs  dans 
le  règne  végétal  que  les  produits  neutres  formés  de  charbon 
et  d'eau. 

Pendant  sa  vie,  toute  plante  fixe  de  l'azote,  soit  qu'elle 
emprunte  de  l'azote  à  l'atmosphère,  soit  qu'elle  le  prenne 
aux  engrais.  Dans  les  deux  cas  il  est  probable  que  l'azote 
n'arrive  dans  la  plante  et  ne  s'y  utilise  que  sous  forrae  d'am- 
moniaque ou  d'acide  azotique. 

Les  expériences  de  M.  Boussingault  ont  prouvé  que  cer- 
taines plantes,  comme  les  topinambours,  empruntent  à  l'air 
une  grande  quantité  d'azote;  que  d'autres,  comme  le  fro- 
ment, ont,  au  contraire,  besoin  de  tirer  tout  leur  azote  des 
engrais;  distinction  précieuse  pour  l'agriculture,  car  il  faut 
évidemment  dans  toute  culture  commencer  par  produire 
les  végétaux  qui  s'assimilent  l'azote  de  l'air,  élever  à  leur 
aide  les  bestiaux  qui  fourniront  des  engrais ,  et  tirer  parti 
de  ces  derniers  pour  la  culture  de  certaines  plantes  qui  ne 
savent  prendre  l'azote  que  dans  les  engrais  eux-mêmes. 

L'un  des  plus  beaux  problèmes  de  l'agriculture  réside 
donc  dans  l'art  de  se  procurer  de  l'azote  à  bon  marché.  Pour 
le  carbone,  il  n'y  a  pas  à  s'en  inquiéter;  la  nature  y  a 
pourvu;  l'air  et  l'eau  pluviale  y  suffisent.  Mais  l'azoîe  de 
l'air,  celui  que  l'eau  dissout  et  entraîne,  les  sels  ammonia- 
caux que  l'eau  pluviale  recèle  elle-même,  ne  sont  pas  tou- 
jours suffisants.  Pour  la  plupart  des  plantes  de  culture  im- 
portante il  faut  encore  entourer  leurs  racines  dun  engrais 
azoté,  source  permanente  d'ammoniaque  ou  d'acide  azo- 
tique, dont  la  plante  s'empare  à  mesure  de  leur  production. 
C'est  là,  comme  on  sait,  une  des  grandes  dépenses  de  l'a- 
griculture,  un  de  ses  grands  obstacles;  car  elle  ne  retrouve 
que  l'engrais  qu'elle  produit  elle-même.  Mais  la  chimie  est 
assez  avancée  sur  ce  point  pour  que  le  problème  de  la  pro- 
duction d'un  engrais  azoté  purement  chimique  ne  puisse 
tarder  à  être  résolu. 

Mais  à  quoi  sert  donc  cet  azote  dont  les  plantes  semblent 
avoir  un  besoin  si  impérieux.'  Les  recherches  de  M.  Payon 
nous  l'apprennent  en  partie  ;  car  elles  ont  prouvé  que  tous 
les  organes  de  la  plante,  sans  exception,  commencent  par 
être  formés  d'une  matière  azotée  analogue  à  la  fibrine ,  à 
laquelle  viennent  s'associer  plus  tard  le  tissu  cellulaire ,  le 
tissu  ligneux,  le  tissu  amylacé  lui-même.  Cette  matière 
azotée,  véritable  origine  de  toutes  les  parties  de  la  piaule, 
ne  se  détruit  jamais;  on  la  retrouve  toujours,  quelque  abon- 
dante que  soit  la  matière  non  azotée  qui  est  venue  s'inter- 
poser entre  ses  propres  particules. 

Cet  azote  fixé  par  les  plantes  sert  donc  à  produire  une 
substance  fihrineuse  concrète,  qui  fait  le  rudiment  de  tous 
les  organes  du  végétal.  11  sert  à  produire  en  outre  l'albu- 
mine liquide, que  les  sucs  congulables  de  toutes  les  plantes 
recèlent,  et  to  caséum,  si  souvent  confondu  avec  l'albu- 


mine, mais  si  facile  h  reconnaître  dans  beaucoup  de  plantes. 
La  fibrine,  l'albumine,  le  casé  u  m  existent  donc  dans 
les  plantes.  Ces  trois  produits,  identiques  d'ailleurs  dans 
leur  composition,  ainsi  que  M.  Vogel  l'a  prouvé  depuis 
longtemps,  présentent  une  analogie  singulière  avec  le  li- 
gneux, l'amidon  et  la  dextrine.  En  effet,  la  fibrine  est  inso- 
luble comme  la  matière  ligneuse;  l'albumine  se  coagule  à 
chaud  comme  l'amidon;  le  caséum  est  soluble  comme  la 
dextrine.  Ces  matières  azotées  sont  neutres  d'ailleurs  aussi 
bien  que  les  trois  matières  non  azotées  parallèles ,  et  nous 
verrons  qu'elles  jouent,  parleur  abondance  dans  le  règne 
animal,  le  même  rôle  que  ces  dernières  nous  ont  offert  dans 
le  règne  végétal.  En  outre,  de  même  qu'il  suffit  pour  former 
les  matières  non  azotées  neuties  d'unir  du  carbone  à  l'eau 
ou  à  ses  éléments,  de  même,  pour  former  ces  matières 
azotées  neutres  il  suffit  d'unir  le  carbone  et  l'ammonium 
aux  éléments  de  l'eau.  Quarante-huit  molécules  de  carbone, 
six  d'ammonium  et  quinze  d'eau  constituent  ou  peuvent 
constituer  la  fibrine,  l'alJnmiLne  et  le  caséum.  Ainsi,  dans  les 
deux  cas,  des  corps  réduits,  carbone  ou  ammonium,  ajoutés 
à  de  l'eau,  suffisent  pour  former  les  malières  qui  nous  occu- 
pent, et  leur  production  rentre  tout  naturellement  dans  le 
cercle  des  réactions  que  la  nature  végétale  semble  surtout 
propre  à  produire.  Le  rôle  de  l'azote  dans  les  plantes  est  donc 
digne  de  la  plus  sérieuse  attention ,  puisque  c'est  lui  qui  sert 
à  former  la  fibrine  qu'on  retrouve  comme  rudiment  dans  tous 
les  organes;  puisque  c'est  lui  qui  sert  à  produire  l'albumine 
et  le  caséum  si  largement  répandus  dans  tant  de  plantes,  et 
que  les  animaux  s'assimilent  et  modifient  pour  leurs  propres 
besoins. 

C'est  donc  dans  les  plantes  que  réside  le  véritable  labo- 
ratoire de  la  chimie  organique;  le  carbone,  l'hydrogène, 
l'ammonium  et  l'eau  sont  donc  les  principes  que  les  plantes 
élaborent;  la  matière  ligneuse,  l'amidon,  les  gommes  et  les 
sucres  d'une  part,  la  fibrine,  l'albumine,  le  caséum  et  le 
gluten  de  l'autre,  sont  donc  les  produits  fondamentaux  des 
deux  règnes  ;  produits  formés  dans  les  plantes  et  dans  les 
plantes  seules,  et  transportés  par  la  digestion  dans  les  ani- 
maux. 

Une  immense  quantité  d'eau  traverse  le  végétal  pendant 
la  durée  de  son  existence.  Cette  eau  s'évapore  à  la  surface 
des  feuilles  et  laisse  nécessairement  pour  résidu,  dans  la 
plante ,  les  sels  qu'elle  contenait  en  dissolution.  Ces  sels 
constituent  les  cendres,  produits  évidemment  empruntés  au 
sol,  et  qu'après  leur  mort  les  végétaux  lui  restituent.  Quant 
à  la  forme  sous  laquelle  se  déposent  ces  produits  minéraux 
dans  le  tissu  végétal,  rien  de  plus  variable.  Remarquons 
toutefois  que  parmi  les  produits  de  cette  nature,  l'un  des 
plus  fréquents  et  des  plus  abondants  consiste  en  ce  peclinate 
de  chaux  reconnu  par  M.  Jacquelein  dans  le  tissu  ligneux  de 
la  plupart  des  plantes. 

Si  dans  l'obscurité  les  plantes  fonctionnent  comme  de 
simples  filtres  que  traversent  l'eau  et  les  gaz  ;  si  sous  l'in- 
fiuence  de  la  lumière  solaire  elles  fonctionnent  comme  des 
appareils  réducteurs  qui  décomposent  l'eau,  l'acide  carbo- 
nique et  l'oxyde  d'ammonium ,  il  est  certaines  époques  et 
certains  organes  où  la  plante  revêt  un  autre  rôle ,  un  rôle 
tout  opposé.  En  effet,  s'agit-il  de  faire  germer  un  embryon, 
de  développer  un  bourgeon,  de  féconder  une  fleur,  la  plante 
qui  absorbait  la  chaleur  solaire,  qui  décomposait  l'acide 
carbonique  et  l'eau,  change  tout  à  coup  d'allure.  Elle  brûle 
du  carbone  et  de  l'hydiogène,  elle  produit  de  la  chaleur; 
c'est-ù-<lire  qu'elle  s'approprie  les  principaux  caractères  de 
l'animalité.  Mais  ici  une  circonstance  remarquable  se  révèle. 
Si  l'on  fait  germer  de  l'orge,  du  blé ,  il  se  produit  beaucoup 
de  chaleur,  d'aci<le  carbonique  et  d'eau.  L'amidon  de  ces 
graines  se  change  d'abord  eu  gomme,  puis  en  sucre;  yjuis 
il  disparaît  en  produisant  l'acide  carbonique  ohsené.  Une 
pomme  de  terre  germe-t-el!e,  c'est  encore  son  amidon  qui  se 
change  en  dextrine,  puis  en  sucre,  et  qui  produit  enfin  de 


AIR 


227 


i\irjde  carbonuinc  et  de  la  chaleur.  Le  sucre  semble  donc 
l'agent  au  moyen  duquel  les  iilaiitos  développent  de  la  cha- 
leur an  besoin. 

Conuiient  nVtre  pas  frappé  dès  lors  de  la  coïncidence  des 
fait.s  suivants  :  la  lécondation  est  toujours  accompagnée  de 
chaleur,  les  Heurs  respirent  en  produisant  de  Tacide  carbo- 
nique :  elles  consomment  donc  du  charbon  ;  et  si  Ton  de- 
mande d'où  vient  ce  chaibon,  on  voit  que  dans  la  canne 
îi  sucre,  par  exemple,  le  sucre  accunnilé  d;uis  la  tige  a  dis- 
paru en  entier  quand  la  floraison  et  la  fructification  sont 
accomplies.  Dans  la  betterave  le  sucre  va  de  même  en 
augmentant  dans  la  racine  jusqu'à  la  floraison;  mais  la  bet- 
terave porte-graine  ne  contient  plus  trace  de  sucre  dans  sa 
racine.  Dans  le  panais ,  le  navet ,  la  carotte ,  les  mf-mes  phé- 
nomènes se  reproduisent.  Ainsi  donc,  à  certaines  époques, 
dans  certains  organes ,  la  plante  se  fait  animal ,  elle  devient 
comme  lui  appareil  de  combustion  ;  elle  brûle  du  carbone  et 
de  l'hydrogène;  elle  développe  de  la  chaleur.  Mais  à  ces 
mêmes  époques  elle  détruit  en  abondance  des  matières  su- 
crées qu'elle  avait  lentement  accumulées  et  emmagasinées. 
Le  sucre  ou  l'amidon  converti  en  sucre  sont  donc  les  ma- 
tières premières  au  moyeu  desquelles  les  plantes  développent 
au  besoin  la  chaleur  nécessaire  à  l'accomplissement  de  quel- 
ques-unes de  leurs  fonctions.  Et  si  nous  remarquons  avec 
quel  instinct  les  animaux ,  les  hommes  eux-mêmes ,  vont 
précisément  choisir  pour  leur  nourriture  ces  parties  du  vé- 
gétal où  celui-ci  avait  accumulé  le  sucre  et  l'amidon  qui  lui 
servent  à  développer  de  la  chaleur,  ne  devient-il  pas  pro- 
bable que,  dans  l'économie  animale,  le  sucre  et  l'amidon  sont 
aussi  destinés  à  jouer  le  même  rôle,  c'est-à-dire  à  se  brûler, 
pour  développer  la  chaleur  qui  accompagne  le  phénomène 
de  la  respiration? 

En  résumé ,  tant  que  le  végétal  conserve  son  caractère  le 
plus  habituel,  il  emprunte  au  soleil  de  la  chaleur,  de  la 
lumière  et  des  rayons  chimiques.  Il  reçoit  de  l'air  du  car- 
bone ;  il  prend  de  l'hydrogène  à  l'eau,  de  l'azote  ou  de 
l'ammonium  à  l'oxyde  d'ammonium ,  au  sol  divers  sels.  Avec 
ces  matières  minérales  ou  élémentaires  il  façonne  des  ma- 
tières organisées  qui  s'accumulent  dans  ses  tissus.  Ce  sont  des 
matières  ternaires  :  ligneux,  amidon,  gommes,  sucres,  corps 
gras.  Ce  sont  des  matières  quaternaires  :  fibrine ,  albumine, 
caséum,  gluten.  Jusque  là  le  végétal  est  donc  un  producteur 
incessant;  mais  si  par  moments,  si  pour  satisfaire  à  certains 
besoins  le  végétal  se  fait  consommateur,  il  réalise  exactement 
les  mêmes  phénomènes  que  l'aninial  va  nous  offrir. 

Un  animal,  en  elTet,  constitue  un  appareil  de  combustion 
d'où  se  dégage  sans  cesse  de  l'acide  carbonique,  où  sans 
cesse  se  brûle  par  conséquent  du  carbone. 

Nous  ne  seions  pas  arrêtés  i)ar  cette  expression  d'o?îi- 
maux  à  sang  froid,  qui  semblerait  désigner  des  animaux 
dépourvus  de  la  propriété  de  produire  de  la  clialeur.  Le  fer 
qui  brûle  avec  éclat  dans  l'oxygène  produit  ime  clialeur  que 
jiersonne  ne  voudrait  nier;  mais  il  faut  de  la  réflexion  et 
quelque  science  pour  s'apercevoir  que  le  fer  qui  se  rouille 
lentement  à  l'air  en  dégage  tout  autant,  quoique  sa  tempé- 
rature ne  varie  pas  sensiblement.  Le  phosphore  enflammé 
brûle  en  produisant  une  grande  quantité  de  chaleur,  per- 
sonne n'en  doute.  Le  phosphore  à  froid  brûle  encore  dans 
l'air;  et  pourtant  la  chaleur  qu'il  développe  en  pareil  cas  a 
été  longtemps  contestée.  Ainsi  est-il  des  animaux  :  ceux  qu'on 
appelle  à  sang  chaud  brûlent  beaucoup  de  charbon  dans  un 
temps  donné,  et  conservent  un  excès  sensible  de  chaleur  sur 
les  corps  environnants;  ceux  qu'on  nomme  à  sang  (roid 
brûlent  beaucoup  moins  de  charbon,  et  conservent  consé- 
quemment  un  excès  de  chaleur  si  faible  ([u'il  devient  diiïicile 
ou  impossible  à  observer.  ISlais  néanmoins  le  raisonnement 
nous  fait  voir  que  le  caractère  le  plus  constant  de  l'animalité 
réside  dans  celte  combustion  de  cliarl)on  et  dans  le  dévelop- 
jiement  d'acide  caiboniqiie  qui  en  est  la  conséquence,  par- 
tant aussi  dans  la  production  de  chaleur  (juc  toute  combu:-:lioii 


do  charbon  détermine.  Qu'il  s'agisse  d'animaux  supérieurs 
ou  inférieurs,  que  cet  acide  carbonique  s'exhale  du  poumon 
ou  de  la  peau,  il  n'importe;  c'est  toujours  le  môme  phéno- 
mène, la  même  fonction. 

En  même  temps  que  les  animaux  brûlent  du  carbone,  ils 
brûlent  aussi  de  l'hydrogène  ;  c'est  un  point  prouvé  par  k 
disparition  constante  d'oxygène  qui  a  lieu  dans  leur  respi- 
ration. En  outre,  ils  exhalent  constamment  de  l'azote. 
J'insiste  sur  ce  point.  Quelques  observateurs  ont  admis  une 
absorption  d'azote  dans  la  respiration ,  qui  ne  se  présente 
jamais  qu'avec  des  circonstances  qui  la  rendent  plus  que 
douteuse.  Le  phénomène  constant ,  c'est  l'exhalation  de  ce 
gaz,  comme  l'a  très-bien  remarqué  M.  Despretz.  Il  faut  donc 
en  conclure  avec  certitude  que  nous  n'empruntons  jamais 
de  l'azote  à  l'air;  que  l'air  n'est  jamais  un  aliment  pour 
nous;  que  nous  nous  bornons  à  lui  prendre  l'oxygène  néces- 
saire pour  former  avec  notre  carbone  de  l'alcide  carbonique  ; 
avec  notre  hydrogène ,  de  l'eau. 

L'azote  exhalé  provient  donc  des  aliments,  et  il  en  pro- 
vient tout  entier.  Celui-là ,  dans  l'économie  générale  de  la 
nature,  pouna  dans  des  milliers  de  siècles  être  absorbé  par 
les  plantes  qui,  comme  les  topinambours,  empruntent  direc- 
tement leur  azote  à  l'air  ;  mais  ce  n'est  pas  là  tout  l'azote 
que  les  animaiLx  exhalent.  Chacun  de  nous  rend  par  ses 
urines,  terme  moyen,  comme  l'a  constaté  ]\L  Lecanu,  quinze 
grammes  d'azote  par  jour,  azote  évidemment  emprunté  à 
nos  aliments,  comme  le  carbone  et  l'hydrogène  que  nous 
brûlons. 

Sous  quelle  forme  cet  azote  s'échappe-t-il  ?  Sous  forme 
d'ammoniaque.  Ici  se  présente  même  une  de  ces  observations 
qui  ne  manquent  jamais  de  nous  pénétrer  d'admiration  pour  la 
siraphcité  des  moyens  que  la  nature  met  en  œuvre.  Si  dans 
l'ordre  général  des  choses  nous  rendons  à  l'air  l'azote  que 
certains  yégétaux  pourront  utiliser  directement  un  jour,  il 
devait  arriver  que  nous  étions  tenus  de  lui  rendre  aussi  de 
l'ammoniaque,  produit  si  nécessaire  à  l'existence ,  au  déve- 
loppement de  la  plupart  des  végétaux.  Tel  est  le  principal 
résultat  de  la  sécrétion  urinaire.  C'est  une  émission  d'am- 
moniaque ,  qui  retourne  au  sol  ou  à  l'air. 

Mais,  est-il  besoin  d'en  faire  ici  la  remarque?  les  organes 
urinaires  seraient  altérés  dans  leurs  fondions  et  leur  vitalité 
par  le  contact  de  l'ammoniaque;  ils  le  seraient  même  par 
le  contact  du  carbonate  d'ammoniaque.  Aussi  la  nature  nous 
fait-elle  excréter  de  l'urée. 

L'urée,  c'est  du  carbonate  d'ammoniaque;  c'est-à-dire  de 
l'acide  carbonique  comme  celui  que  nous  expirons ,  et  de 
l'ammoniaque  tel  que  le  veulent  les  plantes.  Mais  ce  carbo- 
nate d'ammoniaque  a  perdu  de  l'hydrogène  et  de  l'oxygène 
ce  (pi'il  en  faut  pour  constituer  deux  molécules  d'eau. 

Privé  de  cette  eau,  le  carbonate  d'ammoniaque  devient  de 
l'urée;  alors  il  est  neutre,  inactif  sur  les  membranes  ani- 
males :  alors  il  peut  traverser  les  reins,  les  uretères,  la 
vessie,  sans  les  enflammer.  l\Iais  parvenu  à  l'air,  il  éprouve 
une  fermentation  véritable,  qui  lui  restitue  ces  deux  mo- 
lécules d'eau ,  et  qui  fait  de  cette  même  urée  de  véritable 
carbonate  d'ammoniaque  :  volatil,  pouvant  s'exhaler  dans 
l'air;  soluble,  pouvant  être  repris  par  les  pluies;  destiné  en 
conséquence  à  voyager  ainsi  de  la  terre  à  l'air  et  de  l'air  à  la 
terre,  jusqu'à  ce  que,  pompé  i)ar  les  racines  d'une  plante 
et  élaboré  par  eUe ,  il  se  convertisse  de  nouveau  en  matière 
organique. 

Ajoutons  un  trait  à  ce  tableau.  Dans  l'urine,  à  côté  de 
l'urée,  la  nature  a  placé  quelques  traces  de  matière  animale 
albumineuse  ou  muqueuse,  traces  presque  insensibles  à 
l'analyse.  Celle-ci  pourtant,  parvenue  à  l'air,  s'y  modifie,  et 
devient  un  de  ces  ferments  comme  nous  en  trouvons  tant 
dans  la  nature  organique;  c'est  lui  qui  détermine  la  con- 
version de  l'urée  en  carbonate  d'ammoniaque.  Ainsi  nous 
émettons  de  l'urée  accompagnée  de  ce  ferment,  de  cet 
arlilice  qui,  jouant  à  un  moment  donné,  va  tjansformcr 

29. 


228 


AIR 


cette  urde  en  carbonate  d'ammoniaque.  Si  nous  rendons  au 
phénoiiit-ne  général  de  la  combustion  animale  cet  acide 
carbonique  du  carbonate  d'ammoniaque  qui  lui  appar- 
tient de  droit,  il  reste  de  l'ammoniaque  comme  produit 
caractéristiiiue  des  urines. 

Ainsi,  par  le  [)Oumon  et  la  peau,  acide  carbonique,  eau, 
azote;  par  les  urines,  ammoniaque.  Tels  sont  les  produits 
constants  et  nécessaires  qui  s'exhalent  de  l'animal.  Ce  sont 
précisément  ceux  que  la  végétation  réclame  et  utilise  ;  tout 
comme  le  végétal  rend  à  son  tour  à  l'air  l'oxygène  que  l'a- 
nimal a  consommé. 

U'où  viennent  ce  carbone,  cet  bydrogène  brûlé  par  l'a- 
nima!, cet  azote  qu'il  a  exiialé,  libre  ou  converti  en  am- 
moniaque? Ils  viennent  évideumient  des  aliments. 

En  étudiant  la  d  i  gestion  à  ce  point  de  vue,  nous  sommes 
conduit  à  la  considérer  d'une  manière  bien  plus  simple 
qu'on  n'a  coutume  de  le  faire  et  qui  va  se  résumer  en  quel- 
ques mots. 

En  effet,  dès  qu'il  a  été  prouvé  pour  nous  que  l'animal 
ne  crée  point  de  matière  organi(iue,  qu'il  se  borne  à  se 
l'assimiler  ou  à  la  dépenser  en  la  brûlant,  il  ne  fallait  plus 
chercher  dans  la  digestion  tous  ces  mystères  qu'on  était 
bien  sûr  de  n'y  point  trouver.  C'est  qu'en  effet  la  digestion 
est  une  simple  fonction  d'absorption.  Les  matières  solu- 
bles  passent  dans  le  sang,  inaltérées  pour  la  plupart;  les  ma- 
tières insolubles  arrivent  dans  le  chyle,  étant  assez  divisées 
pour  être  aspirées  par  les  orifices  des  vaisseaux  chylifères. 
D'ailleurs,  la  digestion  a  évidemment  pour  objet  de  resti- 
tuer au  sang  une  matière  propre  à  fournir  à  notre  respira- 
tion ces  douze  ou  quinze  grammes  de  charbon  ou  l'équiva- 
lent d'hydrogène  que  chacun  de  nous  brûle  à  l'heure,  et  de 
lui  rendre  ce  gramme  d'azote  qui  s'exhale  par  heure  aussi, 
tant  par  le  poumon  ou  la  peau  que  par  les  tnines. 

Ainsi  les  matières  amylacées  se  changent  en  gomme  et 
sucre  ;  les  matières  sucrées  s'absorbent  ;  les  matières  grasses 
se  divisent,  s'émulsionnent,  et  passent  ainsi  dans  les  vais- 
seaux, pour  former  ensuite  des  dépôts  que  le  sang  reprend 
et  brûle  au  besoin.  Les  matières  azotées  neutres,  la  fibrine, 
l'albumine  et  le  caséum ,  dissoutes  d'abord,  passent  dans  le 
sang. 

Ainsi  l'animal  reçoit  et  s'assimile  presque  intactes  des 
matières  azotées  neutres  qu'il  trouve  toutes  foi  mées  daiiî 
les  animaux  ou  les  plantes  dont  il  se  nourrit  ;  il  reçoit  des 
matières  grasses  qui  proviennent  des  mômes  sources;  il 
reçoit  des  matières  amylacées  ou  sucrées  qui  sont  dans  le 
même  cas. 

Ces  trois  grands  ordres  de  matières,  dont  l'origine  re- 
monte toujours  à  la  plante ,  se  partagent  en  produits  assi- 
milables, fibrine,  albumine,  caséum,  corps  gras,  qui  servent 
à  accroître  ou  à  renouveler  les  organes  ;  et  en  produits  com- 
bustibles, sucre  et  corps  gras,  que  la  respiration  consomme. 

L'animal  s'assimile  donc  ou  détruit  des  matières  organiques 
toutes  faites  ;  il  n'en  crée  donc  pas.  La  digestion  introduit  donc 
dans  le  sang  des  matières  organiques  toutes  faites;  l'assimi- 
lation utilise  celles  qui  sont  azotées  ;  la  respiration  brûle  les 
autres. 

Si  les  animaux  ne  possèdent  aucun  pouvoir  particulier 
pour  produire  des  matières  organiques ,  ont-ils  du  moins  ce 
pouvoir  spécial  et  singulier  qu'on  leur  a  attribué  de  pro- 
duire de  la  chaleur  sans  dépense  de  matière?  En  discutant  les 
expériences  de  MM.  Dulong  et  Desprctz,  on  voit  positive- 
ment le  contraire  en  ressortir.  Ces  habiles  physiciens  ont 
supposé  qu'un  animal  placé  dans  un  calorimètre  à  eau  froide 
en  sort  exactement  avec  la  température  qu'il  possédait  à 
l'entrée;  chose  absolument  impossible ,  on  le  sait  aujour- 
d'hui. C'est  ce  refroidissement  de  l'animal,  dont  ils  n'ont  pas 
tenu  compte,  qui  exprime  dans  leurs  tableaux  les  excès  de 
chaleur  attribués  par  eux  et  par  fous  les  physiologistes  à  un 
pouvoir  calorilique  particidier  à  l'animal  et  indépendant  de 
la  respiration. 


Il  m'est  démontré  que  toute  la  chaleur  animale  vient  de 
la  respiration,  qu'elle  se  mesure  par  le  charbon  et  l'hy- 
drogène brûlés.  11  m'est  démontré ,  en  un  mot ,  que  cette 
assimilation  poétique  de  la  locomotive  du  chemin  de  fer  à 
un  animal  repose  sur  des  bases  plus  sérieuses  qu'on  ne  l'a 
cru  peut-être.  Dans  l'un  et  l'autre ,  combustion ,  chaleur, 
mouvement ,  trois  phénomènes  liés  et  proportionnels. 

Vous  voyez  qu'à  la  considérer  ainsi ,  la  machine  animale 
devient  bien  plus  facile  à  comprendre  :  c'est  l'intermé- 
diaire entre  le  règne  végétal  et  l'air;  elle  emprunte  tous  ses 
aliments  au  premier,  pour  rendre  au  second  toutes  ses  ex- 
crétions. 

Faut-il  rai)peler  comnient  nous  envisageons  la  respira- 
tion ,  phénomène  plus  complexe  que  ne  l'avaient  cru  Laplace 
et  Lavoisier,  que  ne  l'avait  pensé  Lagrange,  mais  qui,  préci- 
sément en  se  compliquant,  tend  de  plus  en  plus  àrentrerdans 
les  lois  générales  de  la  nature  morte  ?  On  sait  que  le  sang 
veineux  dissout  de  l'oxygène  et  dégage  de  l'acide  carbo- 
nique; qu'il  devient  artériel  sans  produire  trace  de  chaleur. 
Ce  n'est  donc  pas  en  s'artérialisant  que  le  sang  produit  de 
la  chaleur.  Mais  sous  riulluence  de  l'oxygène  absorbé  les 
matières  solubles  du  sang  se  convertissent  en  acide  lac- 
tique, comme  l'ont  vu  M.NL  Jlitscherlich,  Doutron-Charlard 
et  Frémy;  l'acide  lactique  se  convertit  lui-même  en  lactate 
de  soude  ;  ce  dernier,  par  une  véritable  combustion,  en  car- 
bonate de  soude ,  qu'ime  nouvelle  portion  d'acide  lactique 
vient  décomposer  à  son  tour.  Celte  succession  lente  et  con- 
tinue de  phénomènes,  qui  constitue  une  combustion  réelle, 
mais  décomposée  en  plusieurs  temj)s,  où  il  faut  voir  une 
de  ces  combustions  lentes  sur  lesquelles  M.  Chevreul  a  de- 
puis longtemps  fixé  l'attention ,  c'est  là  le  véritable  phéno- 
uiène  de  la  respiration.  Le  sang  s'oxygène  donc  dans  le  pou- 
mon ;  il  respire  réellement  dans  les  capillaires  de  tous  les 
autres  organes,  là  où  la  combustion  du  carbone,  la  produc- 
tion de  chaleur  se  réalisent  surtout. 

Une  dernière  réflexion.  Pour  monter  au  sommet  du  Mont- 
Blanc,  un  homme  emploie  deux  journées  de  douze  heures. 
Pendant  ce  temps  il  brûle  en  moyenne  300  grammes  de  car- 
bone ou  l'équivalent  l'hydrogène.  Si  une  machine  à  vapeur 
s'était  chargée  de  l'y  porter,  elle  en  aurait  brûlé  1,000  à 
1,200  pour  faire  le  même  scrAice.  Ainsi,  comme  machine 
empruntant  toute  la  force  au  charbon  qu'il  briîle,  l'houime 
est  une  machine  trois  ou  quatre  fois  plus  parfaite  que  la  plus 
parfaite  machine  à  vapeur.  Nos  ingénieurs  ont  donc  encore 
à  faire  ;  et  pourtant  ces  nombres  sont  bien  de  nature  à  prou- 
ver qu'il  y  a  communauté  de  principes  entre  la  machine  vi- 
vante et  l'autre;  car  si  l'on  tient  compte  de  toutes  les  pertes 
inévitables  dans  les  machines  à  feu  et  si  soigneusement  évi- 
tées dans  la  machine  humaine,  l'identité  du  principe  de  leurs 
forces  respectives  ressort  manifeste  et  évidente  aux  yeux. 

Si  nous  nous  résumons,  nous  voyons  que  de  l'atmosphère 
primitive  de  la  terre  il  s'est  fait  trois  grandes  parts  : 

L'une  qui  constitue  l'air  atmosphérique  actuel  ;  la  seconde 
qui  est  représentée  par  les  végétaux;  la  troisième,  par  les 
animaux. 

Entre  ces  trois  masses,  des  échanges  continuels  se  passent  : 
la  matière  descend  de  l'air  dans  les  plantes,  pénètre  par 
cette  voie  dans  les  animaux,  et  retourne  à  l'air  à  mesure  que 
ceux-ci  la  mettent  à  profit. 

Les  végétaux  verts  constituent  le  grand  laboratoire  de  la 
chimie  organique.  Ce  sont  eux  qui  avec  du  carbone,  de  l'hy- 
drogène, de  l'azote,  de  l'eau  et  de  l'oxyde  d'ammonium, 
construisent  lentement  toutes  les  matières  organiques  les 
plus  complexes. 

Us  reçoivent  des  rayons  solaires,  sous  forme  de  chaleur 
ou  de  rayons  chimiques,  les  forces  nécessaires  à  ce  travail. 

Les  aniniaux  s'assimilent  ou  absorbent  les  matières  orga- 
niques formées  par  les  plantes.  Ils  les  altèrent  peu  à  peu,  ils 
les   détruisent.  Dans  leurs  tissus  ou  leurs  vaisseaux,  des 
1  matières  organiques  nouvelles  peuvent  naître;  mais  ce  sont 


AIR 


22a 


toujours  des  matières  plus  simplos ,  plus  rapprocliées  de 
l'état  élémentaire  que  celles  qu'ils  ont  reçues. 

lis  délont  doue  peu  à  peu  ces  matitres  organiques  créées 
lentement  par  les  plantes.  Ils  les  ramènent  donc  peu  à  peu 
vers  l'état  d'acide  carbonique,  d'eau,  d'azote,  d'ammonia- 
que, état  ipii  leur  permet  de  les  restituer  à  l'air. 

En  brillant  ou  en  détruisant  ces  matières  organiques ,  les 
animaux  produisent  toujours  de  la  chaleur,  qui  rayonnant  de 
leur  corp;;  dans  l'espace  va  remplacer  celle  que  les  végétaux 
avaient  absorbée. 

Ainsi ,  tout  ce  que  l'air  donne  aux  plantes  ,  les  plantes  le 
cèdent  au\  animaux,  les  animaux  le  rendent  à  l'air;  cercle 
étemel ,  dans  lequel  la  vie  s'agite  et  se  manifeste ,  mais  où  la 
matière  ne  lait  que  changer  de  place. 

La  matière  brute  de  l'air,  organisée  peu  à  peu  dans  les 
plantes,  vieuf  donc  fonctionner  sans  changement  dans  les 
animaux  et  servir  d'instrument  à  la  pensée;  puis,  vaincue 
par  cet  eflort  et  comme  brisée,  elle  retourne  matière  brute  au 
grand  résenoir  d'où  elle  était  sortie. 

J.-B.  Dm  AS,  de  l'Acadcmie  drs  Sciences , 
scnalcur,  ancien  minisire  de  l'agricullure  et  du  commerce. 

AIR  (  Musique) ,  de  l'itahen  aria.  L'idée  la  plus  générale 
et  la  plus  précise  que  l'on  puisse  se  faire  d'im  air,  quels 
qu'en  soient  d'ailleurs  le  genre  et  l'espèce,  est  celle  d'un 
morceau  de  musique,  tantôt  fort  court,  tantôt  très-dé  veloppé, 
dans  lequel  la  mélodie  d'une  partie  dominante  attire  princi- 
palement l'attention.  Cette  définition  s'applique  sans  difli- 
culté  à  toutes  les  sortes  d'airs. 

Les  différences  qui  constituent  chacun  d'eux  naissent  en 
premier  lieu  des  organes  auxquels  l'air  est  destiné  :  il  y  a 
en  conséquence  l'air  vocal  et  l'air  instrumental  ;  en  second 
lieu,  des  circonstances  dans  lesquelles  on  l'exécute,  et  qui  se 
distinguent  selon  qu'il  appaitieut  au  style  d'église,  de  chambre 
ou  de  théâtre. 

L'air  vocal  se  règle  naturellement  quant  à  l'expression , 
et  par  suite  quant  à  la  coupe  et  à  l'étendue,  sur  les  paroles 
que  le  poète  a  livrées  au  compositeur.  Or  celui-ci,  devant  y 
chercher  ses  inspirations  musicales,  compose  une  mélodie 
gaie  ou  mélancolique,  calme  ou  agitée,  simple  ou  grandiose; 
il  lui  donne  un  mouvement  lent  ou  précipité,  il  l'étend  large- 
ment ou  la  resserre  dans  d'étroites  limites,  il  raccompagne 
d'une  harmonie  légère  ou  étoffée ,  il  la  coupe  d'interludes 
ou  lui  donne  une  impulsion  continue,  etc.,  selon  que  le  re- 
quiert le  sens  des  paroles,  qu'il  ne  doit  jamais  perdi-e  de  vue 
si  c€lles-ci  ont  de  l'importance.  On  conçoit  d'après  cela  que 
le  compositeur  de\Ta  jouir  d'une  certaine  liberté,  et  s'écarter 
en  plusieurs  cas  des  habitudes  ordinaires,  puisqu'il  est  dans  la 
nécessité  de  se  soumettre  à  des  obligations  extérieures  ;  cette 
liberté  n'aura  même  véritablement  d'autres  limites  que  la 
violation  des  règles  essentielles  de  l'art  ou  de  celles  que 
l'expérience  a  le  droit  d'imposer.  Mais  fort  souvent  il  arrive 
que  des  paroles  d'ailleurs  excellentes  pour  la  musique  ont 
fort  peu  d'importance  littéraire  .  ce  sont  celles  qui ,  se  dé- 
veloppant sur  des  idées  vagues  et  d'un  caractère  peu  saillant, 
exigent  seulement  du  compositeur  une  couleur  générale  telle 
que  la  musique  ne  contraste  pas  avec  les  paroles.  Alors  il  se- 
rait inexcusable  de  ne  pas  s'astreindre  aux  règles  ordinaires 
et  à  la  distribution  commune  de  la  mélodie,  puisque  rien  ne 
l'oblige  à  s'en  écarter  et  que  d'excellents  modèles  sont  sous 
ses  yeux. 

Il  y  a  peu  de  chose  à  dire  sur  les  airs  du  style  d'église  : 
ils  se  composent  d'im  seul  mouvement,  si  ce  n'est  pour 
certains  motets,  qui  en  admettent  deux.  Ces  sortes  d'airs  ren- 
trent dans  la  classe  de  ceux  qu'au  théâtre  on  appelle  de 
demi-caractcre ,  et  dont  il  sera  parlé  plus  loin.  Le  lieu  où 
ils  s'exécutent  et  l'objet  qui  réunit  l'auditoire  excluent  né- 
cessaireujent  une  expression  trop  passionnée,  môme  lors- 
que les  paroles  res|>irent  une  grande  énergie ,  comme,  par 
exemple,  celles  de  certains  |)saumes.  Le  grand  art  du  mu- 
sicien est  alors  de  donner  à  ses  airs  d'église  une  teinte  re- 


ligieuse et  d'éviter  toute  exagération  dans  la  peinture  des 
sentiments.  Tout  le  monde  comprendra  que,  par  exemple, 
l'allégresse  qu'expriment  certains  passages  de  la  liturgie  ne 
saurait  se  rendre  à  l'église  par  les  moyens  qu'on  emploierait 
dans  un  opéra-luiffa;  c'est  même  là  une  des  difficultés  les 
plus  considéraliles  que  rencontrent  ceux  qui  veulent  écrire 
des  airs  d'église  sans  en  avoir  l'iiabitude.  La  forme  doit 
d'ailleurs  être  plus  régulière,  et  la  stricte  observation  des  lois 
de  la  mélodie  est  ici  de  rigueur. 

Les  airs  du  style  de  chambre  sont  ceux  qui  se  chantent 
par  amusement,  et  qui,  destinés  surtout  aux  amateurs,  n'ap- 
partiennent pas  seulement  aux  salons,  mais  qui,  reproduits 
avec  plus  ou  moins  d'exactitude,  descendent  dans  l'atelier 
ef  même  dans  la  me,  et  deviennent  la  propriété  et  le  patri- 
mo'ne  musical  du  peuple.  C'est  surtout  dans  cette  classe 
qu'il  s'en  rencontre  que  tout  le  monde  Unit  par  connaître,  et 
qui  dès  lors  sont  x(-\^u{é% populaires.  Elle  renferme,  sans  y 
comprendre  les  airs  de  danse,  des  subdivisions  fort  nom- 
breuses, en  tête  desquelles  se  placent  les  airs  patriotiques, 
qui  dans  chaque  pays  ont  pour  objet  de  célébrer  les  liants 
faits  de  son  histoire,  sa  délivrance  de  la  tyrannie  étrangère 
ou  domestique,  et  quelquefois  de  pleurer  sur  ses  revers,  de 
réveiller  dans  le  cœur  des  citoyens  l'amour  de  la  liberté  et 
la  haine  de  l'oppression.  A  la  suite  de  ces  airs,  inspirés  par 
les  circonstances,  viennent  les  airs  tendres  ou  joyeux,  ro- 
mances, chansons,  chansonnettes,  les  barca- 
rcles ,  les  tonad  illes ,  les  airs  de  table  ou  airs  bachi- 
ques, etc.  Remarquons  en  passant  que  toutes  ces  compo- 
sitions sont  des  pièces  à  couplets,  c'est-à-dire  dans  les- 
quelles la  musique ,  écrite  pour  la  première  ou  les  deux 
premières  strophes  ou  divisions  poétiques  du  morceau,  sert 
pour  les  autres  divisions  semblables  qui  viennent  ensuite. 
Et  là  ne  s'arrête  pas  la  reproduction  ;  car  ces  mêmes  airs 
servent  de  timbres  à  une  foule  de  nouvelles  poésies  de 
même  mètre  pour  lesquelles  on  n'a  point  composé  de  mu- 
sique spéciale  :  en  sorte  qu'un  air  unique  s'adapte  souvent 
à  des  milliers  de  chansons. 

C'est  dans  le  recueil  de  ces  airs  de  genres  différents  que 
l'on  trouve  le  corps  des  airs  nationaux  particuliers  à 
chaque  peuple,  et  qui  portent  une  empreinte  plus  ou  moins 
vive  des  pays  qui  les  ont  vus  naître.  En  effet,  parmi  ces  airs 
il  en  est  dont  la  tonalité,  le  rhylhme,  une  particularité  quel- 
conque de  composition  offrent  à  l'oreille  un  trait  caracté- 
ristique d'autant  plus  facile  à  observer  qu'il  se  trouve 
dans  des  compositions  courtes  et  précises,  faciles  à  com- 
prendre et  à  retenir,  et  chantées  le  plus  ordinairement  par 
des  gens  qui  n'ont  aucune  notion  musicale.  C'est  parmi  ces 
airs  que  se  trouvent  ceux  qui  dans  chaque  localité  remon- 
tent à  une  époque  souvent  fort  reculée,  et  dont  par  cette 
raison  l'on  ignore  les  auteurs  :  telles  sont,  par  exemple,  les 
mélodies  irlandaises  et  écossaises  que  l'on  a  recueillies  en 
ces  derniers  temps,  et  dont  l'ancienneté  est  incontestable. 
Ces  airs  sont  d'une  extrême  utilité  au  compositeur  ;  et  lors- 
qu'il veut  donner  à  un  ouvrage  une  certaine  couleur  locale, 
il  ne  sait  rien  faire  de  mieux  que  de  les  reproduire  ou  de 
les  imiter.  Observons  que  chez  les  peuples  où  la  musique  a 
fait  de  grands  progrès  et  fleurit  depuis  longtemps,  les  airs 
nationaux  primitifs  ont  fini  par  se  perdre.  Et  il  est  facile 
d'en  donner  la  raison  :  de  nouvelles  compositions  étant 
chaque  jour  mises  en  circulation ,  quelques-unes  des  plus 
anciennes  vont  aussi  chaque  jour  s'oubliant  et  mourant  avec 
les  vieillards  qui  en  avaient  conservé  le  souvenir.  11  suffit 
pour  s'en  apercevoir  de  remarquer,  par  exemple,  que  la 
plupart  des  timbres  qui  au  commencement  de  ce  siècle  ser- 
vaient pour  les  chansons  nouvelles  et  pour  les  couplets  des 
petites  comédies  appelées  vaudevilles,  sont  à  peu  près  aban- 
donnés, seront  bientôt  tout  à  fait  oubliés,  et  se  perdraient  al> 
solument  si  l'impression  ne  les  avait  conservés.  Cet  abandon 
n'est  nullement  pour  ces  airs  une  marque  d'infériorité; 
mais  de  plus  nouveaux  sont  venus  se  substituer  à  eux,  et 


230 


AIR 


ont  t^lc^.  pr(^f6rt^s  parce  qu'ils  éfaienl  à  la  mode.  Voilà  com- 
iiicnt  rUalic,  la  Kranre,  l'AIlema{;iic  ont  iienlu  le  plus  grand 
noiiiltn!  d{!  leurs  airs  antiques,  tantiis  qu'il  s'en  est  con- 
servé un  assez  grand  nombre  dans  les  montagnes  de  l'É- 
tosse  et  de  la  Suisse,  sur  les  glaces  de  l'Islande,  de  la 
Russie,  de  la  Norvège,  parce  (pic  dans  ces  lieux  il  s'en 
compose  fort  peu  de  nouveaux,  et  (pie  jusqu'à  nos  jours,  où 
Ton  a  pris  la  peine  de  les  noter  et  île  les  recueillir,  ils  ne  se 
transmettaient  que  par  tradition  et  ne  s'apprenaient  que 
de  routine.  Sans  nous  arrùter  ici  au  caractère  spécial  de  ces 
airs  chez  chacun  des  diflérents  jieuples  qui  les  possèdent, 
nous  devons  remarcpier  qu'en  général  les  airs  originaires  du 
Kord  sont  tous  mélancoliques,  et,  chose  assez  singulière,  il 
en  est  de  même  des  airs  orientaux:  seulement  ceux-ci  sont 
exécutés  avec  une  si  prodigieuse  surcharge  d'ornements  de 
toutes  sortes,  que  l'expression  de  tristesse  qu'ils  portent  avec 
eux  semble  d'une  nature  fort  différente. 

Les  airs  du  style  théûtral  sont  ceux  q\a  dans  cet  article 
doivent  plus  particulièrement  lixer  notre  attention.  Ce  qui 
leur  donne  un  caractère  propre,  c'est  qu'ils  sont  intimement 
liés  à  une  action  dramatique,  qui  les  domine  d'une  manière 
absolue ,  qu'ils  sont  exécutes  dans  un  vaste  local  et  en  pré- 
sence de  nombreux  auditeurs,  enlin  qu'ils  sont  accompa- 
gnés par  l'orchestre  et  au  besoin  par  les  chœurs.  Les  airs 
vont  dans  les  opéras  une  des  parties  auxquelles  le  public 
attache  le  plus  d'importance,  et  fort  souvent  de  la  beauté 
d'un  air  et  de  sa  bonne  exécution  dépend  le  succès  d'un 
opéra. 

L'air  proprement  dit,  appelé  souvent  grand  air,  et  qui 
à  plusieurs  égards  mérile  ce  titre,  exprime  presque  toujours 
des  sentiments  élevés,  des  images  nobles  et  pathétiques,  ou 
bien  dans  le  genre  comique  des  idées  divertissantes  et  bouf- 
fonnes; il  admet  des  descriptions  d'événements  importants, 
et  dans  ce  cas  il  a  le  droit  très-naturel  d'empiéter  sur  le 
récitatif  libre  ou  obligé.  On  distingue  dans  les  grands  airs  l'air 
(le  caractère  ou  de  sentiment;  il  peut  être  sérieux  et  tra- 
gi(pie,  ou  bien  gai,  comique,  bouffon;  et  c'est  à  lui  que 
s'applique  particulièrement  ce  qui  vient  d'être  dit.  L'air 
de  chant  ou  air  chantant,  appelé  aussi  air  de  demi-carac- 
tère, où  le  compositeur  cherche  une  mélodie  vague, 
agréable  et  limpide,  sans  courir  après  une  expression 
positive,  que  n'exige  point  la  situation  ;  l'air  déclamé  et  l'air 
2iarlé,  dans  lequel  la  mélodie  sur  laquelle  se  dessinent  des 
traits  d'orchestre  se  rapproche  constamment  soit  du  réci- 
tatif, soit  mêm(î  du  discours  habituel  ;  l'air  de  bravoure, 
destiné  uniquement  à  faire  briller  la  voix  et  le  talent  d'un 
chanteur  habile;  enfin,  en  Italie  on  établit  d'autres  distinc- 
tions, pour  les  airs  de  5ecoH(/e7)rtr^/e,con(iésàdes  chanteurs 
<le  second  ordre;  les  airs  de  convenance,  que  le  chanteur 
introiluit  dans  un  ouvrage  auquel  ils  n'appartiennent  pas; 
les  airs  de  pacotille,  qui  sont  ceux  que  le  compositeur  ou  le 
chanteur  tieiment  toujours  prêts  pour  s'en  servir  à  l'occasion  ; 
enfin,  pour  désigner  un  air  mauvais  ou  médiocre,  qui  ne  peut 
exciter  aucun  intérêt,  on  le  nonnne  air  de  sorbet,  parce 
(pie  tandis  que  le  chanteur  l'exécute  on  se  retire  pour 
piendre  des  glaces. 

Ce  que  nous  disions  en  commençant  sur  la  nécessité  ce 
subordonner  dans  les  airs  la  disposition  musicale  à  la  poésie 
s'applique  essentiellement  aux  airs  de  théâtre,  et  voilà  pour- 
quoi l'air  chamatique  n'a  pas  de  règles  positives  et  absolues; 
quelle  que  put  être  leur  multitude,  le  compositeur  aurait 
tout  droit  de  les  violer  si  la  situation  ou  le  sens  des  paroles 
l'exigeait,  ou  si  enlia  la  fougue  de  l'imagination  et  le  (eu  du 
génie  l'y  autorisaient.  On  pardonne  tout  au  compositeur 
dramatique,  s'il  est  réellement  inspiré.  Pour  appeler  cette 
inspiration,  il  cherche  d'abord  à  bien  se  pénétrer  du  sens 
des  paroles;  lorsqu'il  a  rélléchi  sur  la  mesure  des  vers, 
reconnu  et  fixé  les  points  des  grands  repos  périodiques,  il 
voit  comment  les  vers  s'accouplent,  afin  d'obtenir  les  demi- 
cadcncos;  quand  il  a  trouvé  son  premier  motif,  il  cheichc 


comment  des  vers  ou  parties  de  vers  prises  a\  et  là  peuvent 
convenablement  se  rapprocher,  ^associer  et  servir  au  dé- 
veloppement des  pensées  nmsicales.  Dans  les  airs  bien  faits, 
les  vers  sont  presque  toujours  présentés  d'abord  tels  que  le 
poêle  les  a  disposés  :  de  cette  manière  le  sens  en  est  tout  de 
suite  compris  par  les  auditeurs,  et  les  nouveaux  sens  que  l'on 
peut  former  au  moyen  des  mêmes  paroles  ne  causent  alors 
aucune  confusion.  Il  est  très-permis  néanmoins  de  répéter 
dès  le  connnenceincnt  quelque  vers ,  quelque  petite  phrase, 
quelque  mot,  surtout  lorsque  la  mélodie  étend  ou  détermine 
le  sens  des  paroles.  Le  compositeur  ne  saurait  trop,  pour  la 
phrase  principale  de  l'air  qu'il  écrit,  invoquer  le  génie  inspi- 
rateur ;  car  si  sa  première  pensée  est  naturelle,  claire,  neuve 
et  convenablement  adaptée  à  la  situation,  s'il  lui  vient  de  ces 
idées  que  l'artiste  puise  dans  sa  propre  sensibilité ,  et  non 
dans  les  formules  de  son  art ,  le  public  est  à  lui ,  et  môme 
pardonnera  volontiers  quelques  écarts  dans  le  cours  de  la 
composition  ;  mais  pour  cela  il  est  nécessaire  que  l'auditeur 
ait  été  réellement  électrisé.  A  l'égard  de  la  coupe  du  mor- 
ceau, la  manière  la  plus  usitée  aujourd'hui  est  de  présenter 
après  le  récitatif  un  cantabilc  qui  respire  la  mélancolie  et 
môme  la  tristesse;  c'est  là  que  le  musicien  doit  déployer 
toutes  les  émotions  de  son  àme.  Ce  premier  mouvement  est 
suivi  d'un  allegro  qui  se  termine  lui-même  par  une  coda 
nommée  cabaletle,  qui  commence  à  l'endroit  où  l'on  serre  la 
mesure.  L'air  finit  habituellement  dans  le  ton  où  il  a  com- 
mencé ;  mais  le  contraire  peut  arriver  quelquefois.  La  coupe 
qui  vient  d'être  indiquée  est  la  plus  en  usage.  On  trouve 
aussi  beaucoup  d'airs  modernes  formés  de  l'assemblage  de 
trois  mouvements  différents.  Encore  une  fois,  il  n'y  a  ici  rien 
d'obligatoire;  le  compositeur  est  maître  d'imaginer  d'autres 
coupes  et  de  les  employer  con)me  bon  lui  semble ,  il  suffit 
que  la  situation  s'y  prête. 

Les  airs  de  plus  petite  dimension,  appelés  au  théâtre  pe- 
tits airs,  sont  les  romances ,  chansons  ou  cavatines;  les 
deux  premières  rentrent,  sauf  les  convenances  scéniques, 
dans  la  catégorie  des  airs  de  chambre.  La  cavatine  ap- 
partient seulement  à  la  musique  dramatique  ;  c'est  un  air 
court  et  presque  toujours  d'un  seul  mouvement,  quekpiefois 
de  deux.  A  elle  se  rapportent  d'autres  petits  airs  que  l'on 
tiaite  souvent  en  rondeau  et  qui  en  suivent  les  règles. 

Au  reste,  qu'il  s'agisse  de  grands  ou  de  petits  airs,  le  com- 
positeur draniatique  a  pour  en  augmenter  la  valeur  une 
ressource  bien  utile,  et  dont  parfois  il  lui  arrive  d'abuser  : 
c'est  l'orchestre,  qui  souvent  se  trouve  là  pour  relever  les 
endroits  faibles,  et  jette,  parla  variété  des  formes,  par  la  dif- 
férence des  timbres  et  par  les  dessins  mélodiques  et  harmo- 
niques, une  grande  variété  dans  un  air  qui,  entouré  de  moins 
d'appareil,  pourrait  fatiguer  par  son  étendue ,  ou  se  mon- 
trer trop  inconsistant. 

Les  airs  que  nous  avons  placés  dans  la  deuxième  section 
sont  ceux  qui  ont  pour  organe  non  plus  la  voix  humaine, 
mais  un  ou  plusieurs  instruments.  S'il  s'agit  d'un  air  destiné 
à  un  instrument  unique  exécutant  tout  à  fait  seul,  ou  ac- 
compagné par  d'autres  qui  ne  jouent  qu'un  rôle  secondaire, 
il  rentre  dans  la  catégorie  des  airs  vocaux  en  style  de 
chambre,  et  c'est  même  souvent  un  de  ceux-ci  dans  lequel 
seulement  l'instrument  est  substitué  à  la  voix.  Que  le  thème 
ou  motif  soit  d'invention,  ou  bien  qu'il  soit  emprunté  à  la 
musique  vocale,  si  l'on  veut  en  reproduire  plusieurs  cou- 
plets, la  différence  des  paroles  n'existant  plus  à  chacim 
d'eux,  et  la  répétition  continue  d'une  même  mélodie  sans 
paroles  ne  pouvant  manquer  de  devenir  bientôt  fastidieuse, 
on  cherche  à  captiver  l'attention  de  l'auditeur  en  présentant 
chaque  couplet  sous  un  aspect  nouveau  où  l'on  conserve  le 
fond  du  thème,  en  renouvelant  chaque  fois  sa  forme  exté- 
rieure, et  pour  ainsi  dire  en  le  faisant  toujours  reparaître 
vêtu  d'un  nouveau  costume.  En  ce  cas,  dans  le  langage  vul- 
gaire on  désigne  cet  air  par  le  mouvement  indicpié  en  lête, 
et  Tondit  {mandu}ile,  un  grazioso,  un  allcgrcllo  avec 


Am  - 

vaiialions.  Si  lo  molif  osl  empninlé  h  quelque  pièce  de 
tluàtre  ou  de  ciiaïubre,  on  le  désigne  par  le  nom  qui  lui 
appartient,  en  ajoutant  qu'il  est  destiné  à  tel  ou  tel  instru- 
ment. 

Les  airs  qui  doivent  être  exécutés  par  plusieurs  instru- 
ments à  la  fois  sont  de  deux  genres  ,  les  uns  semblables  à 
ceux  dont  il  vient  d'être  question,  les  autres  destinés  par- 
ticulièrement à  s'unir  ïi  la  danse  et  à  en  régler  et  diriger 
les  mouvements  et  les  attitudes.  Ceux-ci  s'appellent  airs  île 
danse,  airs  ballatoires  ou  airs  de  ballet.  Pour  les  premiers, 
le  compositeur,  ayant  à  sa  disposition  des  organes  plus  ou 
moins  nombreux  et  des  timbres  différents,  reproduit  le 
motif  en  le  faisant  passer  d'un  instrument  à  un  autre,  sou- 
vent sans  le  varier,  car  la  différence  de  timbre  suflit  pour 
exciter  et  nourrir  l'attention;  mais  le  plus  ordinairement  à 
chaque  fois  que  le  thème  se  rencontre,  l'harmonie  est  ren- 
forcée ,  réchauffée ,  renouvelée  par  tous  les  moyens  que  l'art 
fournit,  et  de  plus  le  musicien  ne  s'interdit  pas  les  variations 
quand  il  juge  convenable  d'en  faire  usage.  Les  seconds 
mouvements  de  beaucoup  de  symphonies  et  quatuors  sont 
conçus  de  cette  manière ,  et  l'œuvre  de  Haydn  offre  à  cet 
égard  comme  à  bien  d'autres  d'admirables  modèles. 

Les  airs  de  danse  se  lient  intimement  à  cliacune  des  dan- 
ses particulières  dont  ils  ont  déterminé  le  mouvement , 
soit  qu'ils  s'appliquent  à  quelqu'une  des  nombreuses  ligures 
imaginées  depuis  trois  siècles,  telles  que  t  r  a  n  Z  e  s,  g  /  gués, 
chaco  unes, boiirrées,s  au  t  eu  s  es, contredanses, 
walses,  polkas,  mazxirkas,  etc.,  soit  qu'ils  se  ratta- 
chent à  une  action  mimodraraatique.  C'est  donc  à  l'article 
particulier  de  chaque  danse  et  à  l'article  Ballet  que  l'on 
trouvera  l'indication  du  caractère  des  pièces  de  musique 
qui  en  dépendent.  Adrien  de  Lafage. 

AIR  L\FLAJ\OIABLE.  Voye:^  Hydrogène. 

AIRAIX.  Ce  mot  répond  au  mot  ws  des  Latins,  par 
lequel  ceux-ci  ont  désigné  quelquefois  le  cuivre  pur,  mais 
plus  fréquemment  les  alUages  de  ce  métal  avec  un  grand 
nombre  d'autres  substances  métalliques ,  et  notamment  l'or, 
l'argent,  le  zinc,  le  pîomb,  l'étain. 

H  n'y  a  plus  guère  que  les  poètes  qui  se  servent  aujour- 
d'hui de  ce  mot  pour  désigner  des  pièces  formées  de  quelque 
alliage  de  cuivre.  L'airain  a  pris  chez  les  modernes  le  nom 
de  bronze. 

La  fabrication  de  l'airain  était  une  partie  importante  des 
arts  métallurgiques  chez  les  anciens  ;  car  ils  se  servaient  de 
ce  métal  pour  un  grand  nombre  d'usages,  et  principaiemeut 
pour  en  faire  des  statues  et  des  monnaies.  On  sait  que  les 
Romains  l'employèrent  d'abord  en  masse  comme  moyen 
d'échange ,  et  que  ce  fut  leur  roi  Servius  Tulhus  qui  le 
premier  fit  monnayer  cette  substance.  Ce  n'est  que  cinq 
ans  avant  la  guerre  Punique  (i'an  585  de  Rome)  que  Ton 
commença  à  battre  de  la  monnaie  d'argent. 

Les  anciens  faisaient  un  prodigieux  emploi  de  l'airain  : 
les  entablements ,  les  portes ,  les  chandeliers ,  les  statues 
des  dieux ,  et  autres  ornements  des  temples  étaient  faits  avec 
ce  métal;  ils  s'en  servaient  pour  conserver  la  mémoire  des 
hommes  qui  avaient  rendu  de  grands  services  à  leur  patrie , 
qui  avaient  remporté  trois  années  de  suite  les  prix  aux  jeux 
olympiques ,  etc. 

La  statue  colossale  de  Rhodes,  ouvrage  d'un  élève  du 
fameux  Lysippe,  était  en  airain.  On  fabriquait  encore  des 
armes  et  des  ustensiles  de  ménage  en  airain;  de  tous  les  al- 
liages de  cuivre  en  usage  chez  les  Grecs ,  le  plus  estimé  était 
l'airam  fabriqué  dans  l'ile  de  Délos  et  d'Égine. 

Les  anciens  attribuaient  l'alliage  magnifique  appelé  ai- 
rain de  Cortnthe  au  hasard ,  à  la  fusion  et  au  mélange  de 
plusieurs  métaux  lors  de  l'embrasement  de  cette  ville,  qui 
eut  lieu  cent  quarante-six  ans  avant  J.-C.  Mais  ce  beau 
bronze,  dont  les  Romains  faisaient  tant  de  cas,  était  sans 
doute  plus  ancien.  On  a  peine  à  croire  à  cet  alliage  fortuit 
de  l'airain  de  Coiintlie  quand  on  sait  avec  quelle  diflicrJté 


AIRE 


291 


s'opèrent  le  mélange  et  la  combinaison  de  plusieurs  métaux 
de  pesanteurs  spécifiques  différentes,  et  combien  il  faut  les 
reuuier  ou  les  brasser.  Plusieurs  métaux,  tels  que  l'or,  l'ar- 
gent, le  bronze,  l'étain,  le  plomb,  etc.,  abandonnés  à  la 
seule  action  du  feu,  n'auraient  formé ,  même  en  supposant 
une  fusion  simultanée ,  que  des  masses  confuses ,  composées 
de  plusieurs  couches,  selon  la  pesanteur  spécifique  et  la 
quantité  de  chaque  métal  ;  ou  ils  ne  se  seraient  qu'imparfai- 
tement mélangés ,  et  il  n'aurait  pu  en  résulter  un  tout  éga- 
lement combiné ,  et  propre ,  par  exemple ,  à  servir  à  la 
fonte  des  ouvrages  du  statuaire.  Pline  dit  que  l'on  imitait 
l'airain  de  Corinthe  par  im  alUage  de  cuivre,  d'or  et  d'ar- 
gent. Mais  les  connaissances  en  métallurgie  et  en  analyse 
chimique  étaient-elles  alors  parvenues  au  point  de  faire 
trouver  la  composition  de  ce  bronze  et  les  proportions  de 
son  alliage?  C'est  ce  dont  il  est  permis  de  douter.  Pline 
parle  de  trois  espèces  d'alliages  :  la  première  était  blanche , 
et  l'argent  y  dominait;  la  seconde  avait  la  couleur  de  l'or, 
ce  métal  n'y  entrait  probablement  qu'en  petite  quantité; 
s'il  y  eilt  été  réparti  uniformément,  il  se  serait  opposé,  en 
conservant  sa  couleur ,  à  ce  que  le  temps  produisît  facile- 
ment cette  belle  teinte  verte  que  les  anciens  aimaient  à  voir 
au  bronze.  Dans  la  troisième  espèce,  les  métaux  étaient 
combinés  par  parties  égales. 

H  y  avait  un  airain  noir,  nommé  hêpatizon,  à  cause  de  sa 
couleur  d'un  rouge  brun  foncé,  qui  avait  assez  de  ressemblance 
avec  celle  du  foie  (en  grec  'n-Kaç)  -.  Pline  n'en  connaissait 
pas  la  composition  ;  il  paraît  qu'elle  était  due  au  hasard.  Ce 
bronze  était  moins  estimé  que  celui  de  Corinthe ,  mais  plus 
que  ceux  de  Délos  et  d'Égine. 

AIÎIAÏIV  (  Serpent  d'  ).  Voyez  Serpent. 

AIRE  (du  latin  area).  En  géométrie  on  appelle  ainsi 
l'espace  que  renferme  une  figure  rectihgne,  cuniligne  ou 
mixtiligne.  Dans  ce  cas  rrireest  synonyme  de  surface  ou 
superficie  ;  mais  il  s'emploie  plus  particulièrement  en  parlant 
d'une  portion  de  surface,  bien  qu'il  puisse  s'appliquer  aussi 
à  une  surface  entière.  —  En  mécanique ,  on  appelle /jr/nc/^e 
des  aires  ou  conservation  des  mouvements  de  rotation  un 
principe  général  posé  par  Newton ,  et  qui  s'applique  particu- 
lièrement à  un  système  de  points  matériels  soUicités  par  les 
actions  mutuelles  et  par  des  forces  dirigées  vers  un  point 
fixe.  —  En  astronomie ,  Kepler  a  donné  le  nom  de  loi  des 
aires  proportionnelles  à  une  des  lois  auxquelles  obéissent 
les  planètes  dans  leurs  mouvements;  découverte  que  ce 
grand  astronome ,  notons-le  en  passant ,  fit  en  même  temps 
que  celle  de  la  figure  elliptique  des  orbites  de  ces  mêmes  pla- 
nètes. Cette  loi  consiste  en  ce  que  lerayonvecteur,  mené 
du  centre  du  soleil  au  centre  de  la  planète  qui  tourne  autour 
de  lui,  parcourt  des  secteurs  égaux  dans  des  temps  égaux. 
Ainsi ,  que  la  planète  soit  deux  fois  plus  éloignée  du  soleil , 
elle  ira  deux  fois  plus  lentement  ;  de  sorte  que  le  triangle  du 
secteur  parcouru  étant  deux  fois  plus  étroit,  quoique  deux 
fois  plus  long,  la  surface  sera  la  même.  De  la  découverte  de 
cette  loi ,  Kepler  conclut  que  le  mouvement  des  planètes 
devait  nécessairement  être  produit  par  une  force  dirigée 
constamment  vers  le  soleil  et  combinée  avec  une  force  ini- 
tiale. —  En  termes  d'architecture ,  on  appelle  aire  toute 
surface  plane  d'une  construction  :  ainsi ,  Vaire  d'un  pont  est 
le  dessus  d'un  pont ,  la  partie  sur  laquelle  on  marche;  Vaire 
d'un  bassin  est  un  massif  d'environ  33  centimètres  d'épaisseur, 
composé  de  chaux  et  de  ciment  avec  des  cailloux  ou  un  corroi 
de  glaise  ,  pavé  par-dessus,  et  qui  fait  le  fond  d'un  bassin; 
Vaire  d'un  plancher  est  l'enduit  en  plâtre,  en  plâtras  ou  en 
mortier  que  l'on  fait  au-dessus ,  au-dessous  et  entre  les  so- 
lives d'un  plancher,  etc.  —  En  agriculture  on  donne  ce  nom 
à  une  sui face  plane  et  circonscrite  par  les  bords,  ménagée 
sur  le  sol ,  et  sur  laquelle  on  bat  les  gerbes  de  blé  pour  sé- 
parer le  grain  de  la  paille.  —  En  numismatique,  aire  est  sy- 
nonyme de  champ,  et  désigne  la  surfilée  plane  de  la  médaille 
sur  laquelle  est  giavc  le  sujet  de  la  légende.  —  Aire  se  dit 


232 


AIRE  -^  AISNE 


aussi ,  en  ornilliologie ,  du  nid  des  grands  oiseaux  de  proie. 
Il  est  rond,  aplati,  très-peu  concave  et  fort  ample  :  des 
hramlies  et  de  jeunes  rameaux  composent  son  tissu ,  et  il  e^t 
garni  de  mousse,  de  poil  et  de  laine.  —  Kn  termes  d'eaux 
et  forôts,  on  entend  par  coupes  à  tire  et  à  aire  celles  qui 
doivent  être  faites  entre  des  lisièi es  marquées  pour  faire  un 
champ  ou  une  aire,  dans  laipielle  on  ne  laisse  que  des  ar- 
bres de  réserve.  —  Dans  la  marine  on  nomme  aire  ou  air  de 
vent  une  des  trente-deux  divisions  de  la  boussole  ou  rose  des 
vents.  I.a  circoiifcionce  de  l'iiorizon  est  divisée  en  trente- 
deux  parties  auxquelles  on  a  donné  des  noms  empruntés 
aux  points  cardinaux;  et  la  rose  des  vents  est  divisés  en 
trenti-deiix  aires,  qui  répondent  aux  divisions  de  l'horizon. 
AIRI'^KWtS.  Voyez  Alokbs. 

AIRELLE,  nom  conmuiu  d'un  genre  de  plantes  que  les 
botanistes  noumient  vaccinium,  et  qu'ils  rangent  dans  la 
famille  des  éricacées.  —  Les  forêts  du  nord  de  rEurojic,  celles 
de  l'Allemagne,  et  en  France  celles  des  Vosges  surtout,  ren- 
ferment dans  leurs  sites  les  plus  ombragés  et  les  plus  troids 
iMi  arbuste  qui  n'a  qu'un  pied  de  hauteur,  et  qui  dans  plu- 
sieurs positions  domine  néanmoins  tellement  le  sol,  qu'il 
l'occupe  seul  sur  de  grandes  superlicies,  à  l'exclusion  de  tout 
autre  végétal  ;  c'est  Vairelle  imjrtil  ou  myrtille.  Cet  ar- 
buste produit  des  fruits  bleus  ayant  le  volume  de  petits  rai- 
sins, légèrement  acides,  très-agréables  à  manger,  dont  on 
fait  un  excellent  sirop,  des  tartes  aussi  délicates  que  celles 
de  raisins  de  Corintbe,  et  dont  il  se  fait  une  très-grande 
consonnnation  dans  les  Vosges  et  ailleurs.  Les  Vosgiens,  à  l'i- 
mitation des  habitants  de  l'Amérique  septentrionale,  qui  pré- 
parent avec  l'airelle  de  Pensylvauie  des  tourteaux  de  confi- 
tures, font  avec  l'airelle  des  Vosges  des  conlitures  sèches 
façonnées  à  la  manière  américaine,  qui,  mises  en  lieu  sec, 
se  conservcut  [)lusieurs  années.  —  Mais  le  principal  em- 
ploi du  fruit  de  l'airelle  myrtil  est  de  colorer  le  vin,  auquel 
il  donne,  en  outre,  un  petit  goût  piquant,  qui  ajoul'e  à 
la  (pialité  des  vins  ordinaiies.  —  Il  y  a  déjà  quelque  temps, 
une  quantité  remarquable  de  fruits  d'airelle  myrtil  secs,  en 
balles,  envoyés  de  l'Allemagne  sur  la  place  de  Paris,  servi- 
rent, avec  de  l'alcool  et  une  matière  sucrée ,  à  faiie  des  vins 
artificiels  agréables  et  d'une  belle  couleur,  qui  s'écoulèrent 
par  la  voie  du  commerce,  et  furent  consommés  dans  cette 
ville  sans  danger  pour  la  santé  pubUque.  Du  reste,  il  est  cer- 
tain que  pour  colorer  le  vin  ce  fruit  est  préférable  aux  baies 
de  sureau  ,  qui  ne  sont  pas  sans  danger  dans  certaines  cir- 
constances, tandis  que  l'airelle  myrtil  n'est  jamais  dange- 
reuse. —  L'airelle  myrtil ,  déjà  multii)liée  dans  nos  jardins, 
sera  vraisemblablement  un  jour  un  objet  de  culture  de  quel- 
que importance  parmi  nous ,  et  surtout  dans  le  ÎNord,  moins 
pour  faire  le  vin  (jue  pour  le  colorer,  ou  comiiie  plante  tinc- 
toriale ,  dont  les  ap|)lications  ne  sont  pas  encore  suflisamment 
connues.  —  L'airelle  myrtil  i)orle  encore  les  noms  de  muret , 
brimbelle,  raisin  de  bois  et  teint-vin. 

L'airelle  de  J'ensijlvanie  s'élève  à  la  hauteur  de  six  à 
sept  pieds,  et  croi«l  abondamment  dans  r.\mérique  septen- 
trionale, oii  l'on  consonune  ses  fruits  comme  aliment,  à  l'é- 
tat frais,  sur  toutes  les  tables.  Cette  plante  est  d'une  giande 
importance  pour  les  peuplades  qui  vivent  au  sein  des  Ibrèts. 
On  en  fait  dans  les  États-Unis  des  conlitures  très-délicates, 
qui  se  conservent  plusieurs  années  si  on  a  soin  de  les  tenir 
dans  un  lieu  sec.  C.  Tollakd  aine. 

l'ainii  les  autres  espèces  on  cite  :  Vairelle  des  murais, 
qui  croit  dans  les  Alpes,  dont  les  fleurs  sont  blanches  ou 
roses,  a\ecdes  baies  noirâtres;  Vairelle  ponctuée,  dont  les 
feuilles  sont  ponctuées  en  dessous,  les  Heurs  rougeàtres,  et 
les  ba'es  ronges  très-acides  et  rafraichissanles.  Cet  arbuste 
croit  jusqu'en  Laponie,  où  on  mange  ses  baies  crues.  Dans 
(fiielipies  contrées  d'.\llemagne  elles  servent  d'assaisonne- 
ment, lue  aidie  espèce,  Vairelle  carneberge  ou  coussinet, 
croît  d.ins  ks  marais  tourl)eu\  ;  ses  baies  rouges,  très-acides, 
sont  abandonnées  aux  oiseaux. 


AIRY(Georces-Riddell),  astronome  anglais,  né  le  27 
juillet  1801,  à  Alnwick  (Norihumberland),  fit  ses  études  au 
collège  de  Colchester  et  à  l'université  de  Cambridge,  où  il 
devint  professeur  d'astronomie  en  1828  et  directeur  de 
l'observatoire.  En  1833  il  obtint  la  charge  d'astromime  royal 
à  Greenwich.  Ou  lui  doit  le  perfectionnement  et  l'invention 
de  plusieurs  instruments,  des  méthodes  plus  simples  de  calcul, 
et  des  recherches  sur  le  magnétisme,  la  météorologie,  la 
photographie,  etc.  Il  a  indiqué  un  moyen  de  corriger  les 
déviations  delà  boussole  sur  les  navires  en  fer,  et  il  a  fait 
dans  les  mines  et  près  des  montagnes  une  série  d'expériences 
avec  le  pcmlule  pour  déterminer  la  pesanteur  de  la  terre  et 
par  suite  la  densité  des  autres  corps  célestes.  Membre  de 
la  Société  royale  de  Londres,  il  a  été  décoré  de  la  Légion 
d'honneur  en  1855.  On  cite  son  travail  sur  les  inégalités  de 
Vénus  (  18.33  ),  ses  Astronomical  observadons  (1829-1836) 
et  ses  Traités  mathématiques,  ou  les  théories  de  la  lune 
pt  des  planètes,  la  figure  de  la  terre,  etc.  Z. 

AÏS, d'un  mot  latin  signifiant  soliveau,  planche  de  bois. 

Ses  ais  demi-pourris,  que  l'âge  a  relâchés, 
Sont  à  coups  de  maillet  unis  et  rapprocbés, 

a  dit  Boileau.  Ce  mot,  qui  appartient  au  vieux  langage  fran- 
çais du  quiiuième  et  du  seizième  siècle,  n'est  presque  plus 
employé  que  dans  le  langage  spécial  de  la  technologie.  Les 
imprimeurs  ont  des  ais  à  tremper  età  desserrer  ;  les  relieurs, 
des  ais  à  rogner,  à  presser  ;  les  vitriers ,  des  ais  feuilles  et 
à  rainure,  dans  lesquels  ils  coulent  l'étaiii ,  etc. 

AISANCES.  Voyez  Lieux  d'aisances.  Fosses  d'ai- 
SA.xcEs,  etc. 

AISXE  (Département  de  1').  Formé  du  Laonnaiset  du 
Soissonnais,  qui  dépendaient  de  l'Ile-de-France,  du  Ver- 
mandois  et  de  la  Thiérache,  lesquels  faisaient  partie  de  la 
Picardie,  et  d'une  portion  de  la  Brie,  qui  appartenait  à  la 
Champagne ,  le  département  de  l'Aisne  est  borné  au  nord 
par  celui  du  Nord,  à  l'est  par  celui  des  Aidennes  et  partie 
de  celui  de  la  iMarne,  au  sud  par  une  partie  des  départements 
de  la  Marne  et  de  Seine-et-Marne ,  à  l'ouest  par  ceux  de 
l'Oise  et  de  la  Somme. 

Il  est  divisé  en  cinq  arrondissements,  dont  les  chefs-lieux 
sont  Laon  ,  Chàleau-Tbierry,  Saint-Quentin ,  Soissons  et 
Vervins.  Il  compte  27  cantons  et  838  communes.  Sa  popu- 
lation est  de  535,039  individus.  Il  envoie  quatre  députés 
au  corps  législatif.  Il  forme ,  avec  le  Nord ,  le  Pas-de-Calais 
et  la  Somme,  le  7"  arrondissement  forestier  ;  constitue  la 
2'-'  subdivision  de  la  4^  division  militaire,  dont  le  quartier 
général  est  à  Chàlons-sur-Marne  ;  fait  partie  du  diocèse  de 
Soissons,  et  ressortit  à  la  cour  wupenalt d'Amiens.  Son  aca- 
démie comprend  5  collèges  communaux,  5  institutions, 
21  pensions,  1,150  écoles  primaire^;. 

^a  superficie  est  de  728,330  hectares,  dont  496,730  en 
terres  labourables,  96,287  en  bois,  42,568  en  prés,  20,906 
en  vergers,  pépinières  et  jardins,  11,972  en  cultures  diverses, 
1 1,420  en  landes,  pâtis,  bruyères,  etc.,  9,076  en  vignes,  8,859 
en  forêts,  domaines  non  productifs,  5,276  en  oseraies,  an- 
nales, saussaies,  4,344  en  propriétés  bâties,  2,337  en  rivières, 
lacs,  ruisseaux,  1,462  en  étangs,  mares,  canaux  d'irriga- 
tion, etc.  —  On  y  compte  116,794  maisons,  1,089  mou- 
lins à  eau  et  à  vent,  deux  forges  et  fourneaux,  329  fabriipies 
et  manufactures.  —  Il  a  payé  5,211,370  fr.  d'impôt  foncier 
eu  lH58et  25,748,994  fr.  de  contributions  do  toutes  natures. 

Le  département  de  l'Aisne  est  arrosé  par  sept  rivières  navi- 
gables :  l'Aisne,  la  .Marne,  l'Oise,  l'Ourcq,  la  Serre,  la  Somme 
et  la  Vesle.  L'Aisne,  qui  lui  donne  son  nom,  en  tiaverse  de 
l'est  à  l'ouest  la  partie  moyenne,  venant  du  département  des 
Ardcnnes,  où  elle  a  sa  source,  et  se  dirigeant  vers  celui  de 
l'Oise.  11  fait  partie  du  bassin  de  la  Seine,  à  l'exception 
d'une  étroite  zone  au  nord,  qui  renferme  les  sources  de  la 
Somme,  de  l'Escaut  et  de  la  Sambre.  Ce  département  est  un 
pays  de  plaiiies  ondulées,  sillonné  par  des  chaînes  de  pla- 


AISNE  —  A IX 


233 


(paiix  à  pentes  abruptes ,  et  dont  les  pointa  cnlminanls 
atteifjnenl  à  peine  200  mètres  d'altiliule.  La  siirlace  de  ces 
plateaux,  dont  la  niasse  se  compose  de  formations  argileuses, 
siliceuses  et  calcaires,  est  recouverte  d'une  couche  végétale 
assez  fertile;  mais  le  sol  des  vallées  surtout,  résultant  d'al- 
luvions  fluviales,  est  remarquable  par  sa  fécondité.  Le  dé- 
partement de  l'Aisue  est  boisé,  et  présente  un  assez  grand 
nombre  de  lacs  et  d'étangs,  dont  le  plus  considérable  est 
celui  de  Saint-Laurent. 

Les  forêts  qui  le  recouvrent  recèlent  un  grand  nombre  de 
bètes  fimves  et  d'animaux  sauvages.  On  pÔL-lie  des  sangsues 
dans  les  étangs  ;  l'écrevisse  y  est  conmiune  et  d'une  gros- 
seur remarquable.  Les  essences  dominantes  dans  les  forêts 
sont  le  cbêne,  le  charme,  le  liôtre,  le  frêne  et  le  bouleau. 
Le  sol,  généralement  calcaire  ou  crayeux,  ne  renferme  pas 
démines  métalliques  susceptibles  d'exploitation;  mais  il 
abonde  en  pierres  à  bâtir,  en  marbres,  en  argile  à  creusets, 
en  terres  pyriteuses  et  alumineuses,  en  gypse,  grès,  lignite, 
tourbe. 

L'art  agricole  est  fort  avancé  dans  ce  déparlement.  La 
culture  prédominante  est  celles  des  céréales,  qui  occupent 
annuellement  les  cinq  septièmes  environ  de  l'étendue  du  sol. 
On  y  cultive  les  plantes  oléagineuses,  les  betteraves  à  sucre, 
les  poiriers  et  les  pommiers  pour  le  cidre,  le  houblon,  les 
haricots  renommés  de  Soissons.  Les  vignes  ne  produisent  que 
des  vins  de  médiocre  qualité.  L'exploitation  des  forêts  forme 
une  brandie  très-importante  de  l'industrie  agricole.  L'en- 
grais des  bestiaux  et  l'élève  des  chevaux  et  des  moutons  y 
ont  acquis  quelque  développement.  Les  animaux  de  basse- 
cour  sont  aussi  l'objet  de  spéculations  de  la  part  d'un  graud 
nombre  de  cultivateurs. 

L'industrie  manufacturière  du  département  de  l'Aisne  est 
très-importante.  Ses  principaux  produits  consistent  en  tis- 
sus dits  articles  de  Saint-Quentin,  toiles  de  Thiérache,  tulles 
brodés,  châles  et  tissus  cachemires,  glaces  de  Saint-Gobain, 
verreries  de  Folembray,  farines,  sucre  de  betteraves,  huiles, 
cidre,  charbons  de  bois,  boissellerie,  vannerie,  plâtre,  bri- 
ques, toiles,  produits  chimiques. 

Le  département  de  l'Aisne  possède  plusieurs  canaux  -.  les 
canaux  de  Crozat,  des  Ardennes,  de  Manicamp,  de  La  Fère, 
de  la  Somme,  de  la  Sambre  à  l'Oise,  et  le  canal  de  Saint- 
Quentin,  qui  lie  la  Somme  à  l'Escaut.  11  est  en  outre  sillonné  par 
12  routes  impériales,  15  routes  départementales,  et  1,790 
cliemins  vicinaux.  Le  chemin  de  fer  deCreil  à  Saint-Quentin 
relie  ce  département  à  Paris  ;  un  embranchement  passant 
près  de  Laon  le  rattache  au  chemin  de  fer  de  l'Est  par  Reims. 

Ses  principales  villes  sont:  Laon,  chef-lieu  du  départe- 
ment. Saint-  Quentin,  Soissons, Château-Thierry, 
Vervins,  Guise,  La  Fère.  LaFerté-Milon  est  la  patrie 
de  Racine.  * 

AISSAOUAS,  secte  musulmane  qu'on  rencontre  sur- 
tout dans  le  nord  de  l'Afrique,  en  Algérie  et  au  Maroc,  et 
dont  les  membres  pratiquent  des  tours  d'adresse,  comme  de 
jouer  avec  le  feu,  avec  des  serpents,  etc.  Ils  tirent  leur 
nom  d'Aïssa,  marabout  du  seizième  siècle.  Z. 

AISSÉ  (Mademoiselle),  Circassienne  devenue  célèbre 
par  ses  aventures,  fut  achetée  à  l'âge  de  quatre  ans,  en  1698, 
moyennant  la  somme  de  1,500  fr.,  par  le  comte  de  Feniol, 
am.bassadeur  de  France  à  Conslantinople  :  le  marchand  d'es- 
claves assurait  qu'elle  était  princesse  circassienne;  du  reste, 
elle  promettait  déjà  une  rare  beauté.  M.  de  Ferriol  l'amena 
en  France,  et  la  confia  à  sa  belle-sœur,  sœur  de  madame  de 
Tencin.  M"»  Aïssé  reçut  donc  une  éducation  brillante.  Son 
bienfaiteur  voulut  se  payer  de  ses  soins  en  la  séduisant. 
Elle  résista  aux  offres  du  Régent.  Au  nombre  de  ses 
adorateurs,  elle  distingua  le  chevalier  d'Aydie,  et  cet  amour 
remplit  le  reste  de  sa  vie.  M.  d'Aydie  était  chevalier  de 
Malte  :  il  voulut  se  dégager  de  ses  vœux  ;  mais  elle  s'y  op- 
posa constamment,  et  alla  en  Angleterre,  où  elle  donna 
naissance  au  fruit  de  leur  liaison.  Bientôt  les  remords  les 
citT.  Dt  LA  co^vtut)A;lo^.  _  i    , 


plus  amers  vinrent  accabler  mademoiselle  Aïssé;  ne  pou- 
vant vaincre  sa  passion,  elle  ne  voulut  point  du  moins  y 
céder  denouveau,  et  sa  vie  se  consuma  dès  lors  en  chagrin. 
Elle  mourut  à  Paris  en  1733.  Elle  a  laissé  des  lettres  rem- 
plies de  grâces  et  d'agrément;  elle  y  peint  les  faiblesses  de 
son  cœur  avec  franchise  et  abandon  ;  on  y  trouve  aussi  des 
anecdotes  sur  ses  contemporains.  Ces  lettres,  imprimées 
d'abord  avec  des  notés  de  Voltaire,  ont  été  depuis  réunies 
à  celles  île  mesdamesde  Villars,de  La  Fayette  et  de  Tencin, 
et  ont  obtenu  plusieurs  éditions,  parmi  lesquelles  on  cite 
celle  d'Aiiger,  avec  une  notice  de  M.  de  Tarante,  et  celle 
de  M.  Ravenel  avec  une  étude  de  M.  Sainte-Beuve.      * 

AISSKLLE  (^lu  latin  axJWa  ),  cavité  qu'on  remarque 
au-dessous  de  l'épaule,  à  la  naissance  de  l'articulation  du 
bras,  entre  ce  dernier  membre  et  le  côté  de  la  poitrine;  on 
l'appelle  aussi  le  creux  de  Vaisselle.  Cette  cavité,  en  forme 
de  triangle  mobile,  suivant  les  divers  mouvements  qu'affecte 
le  bras,  se  trouve  bornée  par  deux  espèees  de  saillies  sous- 
cutanées,  dont  la  première  en  avant  est  formée  par  une 
partie  du  muscle  grand  pectoral ,  et  la  seconde  en  arrière 
par  les  muscles  grand  dorsal  et  grand  rond.  La  peau  de 
l'aisselle  est  de  légère  épaisseur,  plus  ou  moins  garnie  de 
poils  à  l'âge  de  la  puberté.  Une  assez  grande  quantité  de 
ganglions  dits  sébacés  sécrètent  une  espèce  de  matière 
muqueuse  dont  l'exhalaison  est  désagréable.  La  peau  se  rat- 
tache à  la  région  que  forme  le  creux  de  l'aisselle  au  moyen 
d'une  bride,  qui  se  relie  elle-même  avec  la  coracnide.  On  dé- 
couvre immédiatement  au-dessus  de  la  peau  une  légère  couche 
de  tissu  cellulaire,  puis  ensuite  une  aponévrose,  laquelle  .se 
trouve  elle-même  enveloppée  dans  une  nouvelle  couche  plus 
considérable  de  tissu  cellulaire.  C'est  au  sein  de  cette  der- 
nière région  qu'an  rencontre  les  vaisseaux  axillaires  ainsi 
que  les  nerfs  du  plexus  brachial.  Les  maladies  principales 
de  l'aisselle  sont  les  abcès,  les  bubons,  les  furoncles,  les 
plaies  des  vaisseaux  axillaires,  l'anévrysme  de  l'artère  axil- 
laire,  l'engorgement  des  ganglions  lymphatiques,  etc. 

Par  analogie,  on  donne  le  nom  à'' aisselle,  en  botanique, 
à  l'angle  formé  par  une  feuille  ou  par  un  rameau  sur  nne 
branche  ou  sur  la  tige. 

AIS'VARIKA,  nom  des  sectes  bouddhiques  qui  ad- 
mettent l'existence  d'un  être  primitif,  créateur  du  monde 
et  maître  de  toutes  choses  ;  tandis  que  les  svabhavikas  at- 
tribuent l'origine  de  toutes  choses  à  la  force  productrice  de 
la  seule  nature  (svabhava),  dont  les  productions  sont  le 
résultat  nécessaire  de  lois  éternelles,  préexistantes  et  im- 
muables. Lesais'varikas  sont  à  leur  tour  partagés  en  deuK 
grands  partis,  dont  l'un  admet  un  Dieu  éternel  et  immortel 
comme  cause  unique  et  principe  immédiat  de  tout  ce  qui 
est;  et  l'autre,  tout  en  reconnaissant  ce  même  Dieu,  avec 
les  mêmes  attributs,  cette  mêmecauseavec  les-mêmes  résul- 
tats, ajoute  qu'ils  sont  unis  à  un  principe  matériel,  quoi- 
que éternel.  Comme  d'autres  sectes  bouddhiques,  les  ais'va- 
rikas  admettent  l'existence  de  deux  mondes,  celui  de  l'action 
et  celui  du  repos  ;  mais  ceux-là  même  qui  croient  en  un 
seul  Dieu  immatériel  par  es.sence  n'admettent  ni  sa  provi- 
dence ni  son  autorité.  Ils  pensent  que  l'homme  vertueux 
peut  arriver  au  bonheur  par  l'abstraction  mentale  et  par 
les  efforts  de  l'abnégation  qu'il  professe  pour  toutes  Jes 
choses  extérieures.  * 

AlTO;\  (William),  botaniste  anglais,  né  en  1731  près 
d'Hamilton,  comté  de  Lanark  (Ecosse),  était  d'abord  un 
simple  jardinier.  Venu  à  Londres,  il  fut  nommé  en  1759, 
surintendant  du  jardin  botanique  de  Kew  ,  et  contribua 
beaucoup  à  l'enrichir.  En  1789  il  publia  avec  Solander  et 
Dryander  YHortus  Kewensis,  .3  vol.  in-S",  qu'un  de  ses  fils 
a  continué.  Aiton  mourut  en  1793.  Tbunberg  lui  a  dédié 
un  genre  de  plantes.  Z. 

AIX.  C'est  VAqitse  Sextix  des  Romains.  Ville  de  France,, 
ancienne  capitale  de  la  Provence,  aujourd'hui  chef-lieu 
d'arrondissement  des  Bouchcs-du  Rhône,  près  de  la  riv;èî& 

30 


Î3.4 


AIX  -  AIX-LA-CHAPELLE 

«l'Arc,  ;i  9.0  l»ilom.  nord  de,  Marseille.  Population,  2G,  llOlia- 
Litants.  Klle  fut  fondée  en  Tan  124  avant  J.-C,  près  d'une 


source  d'eaux  thermales,  par  le  consul  C.  Sextius  Calvinus, 
dont  die  [)rit  le  nom.  Elle  est  le  siège  d'un  archevt^clié , 
d'une  cour  impériale,  d'im  tribunal  de  première  instance 
et  d'un  tribunal   de  commerce;  son  académie  comprend 
les  départements  des  BasRes-.\lpes,  des  Douclies-du-Rhône, 
de  la  Corse,  du  Var,  de  Vaucluse  et  des  Alpes-Maritimes  ; 
Aix  possède  des  facultés  de  droit,  des  lettres  et  de  théologie, 
un  collège  communal,  une  école  normale  primaire,  une  école 
impériale  d'arts  et  métiers,  un  cabinet  d'histoire  naturelle, 
un  musée  rie  tableaux;  et  d'antiquités,  augmenté  de  la  galerie 
de  Granet,  et  une  ricke  bibliothèque  publique.  Aix  a  de 
magnifiques  hôtels,  <le  belles  rues,  une  grande  place  publique 
et  de  superbes  promenades.  Ses  bains  chauds  ne  jouissent 
jilus  de  la  vogue  qui  fit  leur  splendeur.  Son  industrie  du 
coton  est  déchue;  mais  elle  trouve  une  large  indemnité 
dans  l'éducation  des  vers  à  soie  et  la  fabrication  des  soie- 
ries. Les  huiles  d'Aix  jouissent  d'une  réputation  européenne, 
et  le  succès  avec  lequel  on  y  a  acclimaté  les  légumes  et 
les  fruits  de  l'Italie  est  devenu  pour  les  habitants  de  son 
territoire  une  source  de  richesses.  A  la  fin  du  douzième 
siècle,  Aix   fut    pour    ainsi  dire    le  cenKe   et  le  foyer 
de  la  littérature  provençale;   et    elle   resta   la   capitale 
des  comtes  de  Provence  jusqu'à  l'extinction  de  leur  race.  On 
y  conserve  encore  le  souvenir  du  roi  René,  auquel  on  a  élevé 
une  statue  en  1819.  Quelque  temps  après  sa  fondation,  Aix 
fut  embellie  par  Marius,  et  César  y  envoya  une  colonie  : 
plus  tard ,  elle  devint  la  métropole  de  la  seconde  ^arbon- 
naise.  Lors  de  l'invasion  des  Bourguignons  et  des  W'isi- 
goths  elle  vit   son  territoire  entièrement  dévasté;    enfin 
survinrent  les  Sarrasins,  qui  mirent  la  ville  à  feu  et  à  sang. 
On  ne  commença  à  la  rebâtir  qu'en  796.  Sous  le  règne  de 
François  I"  Aix  fut  pillée  par  les  Marseillais  et  prise ,  en 
153.5,  par  Charles-Quint,  qui  s'y  fit  couronner  roi  d'Arles. 
AIX,  l'ancienne  Aquas  Sabaudicx,  chef-Ueu  de  canton' 
du  département  de  la  Savoie,  à  12  kilom.  de  Chambéry,  près 
du  lac  de  Dourget;  elle  a  2,882  habitants.  On  y  voit  les  belles 
ruines  de  YAqua;  Gratiame  des  Romains.  C'est  dans  celte 
ville  qu'eut  lieu  la  cession  de  la  Savoie  et  de  la  Maurienne  à 
Bérold  par  Rodolphe,  en  1000.  Elle  renferme  des  eaux  ther- 
males en  grande  réputation.  Ces  eaux  étaient  connues  des  Ro- 
mains, et  l'on  attribue  l'établissement  de  ses  bains  au  procon- 
sul Domitius  ,  qui  vivait  vers  la  fin  du  quatrième  siècle,  sous 
l'empire  de  Gratien  ;  celui-ci  y  fit  faire  ensuite  de  grands  em- 
bellissements. Les  bâtiments  qui  existent  maintenant  sont 
dus  à  l'ingénieur  Capellini,qui  les  construisit  d'après  les  ordres 
du  duc  Amédée  111.  Les  eaux  d'Aix  sont  sulfureuses;  elles 
coulent  de  deux  sources  qui  sortent  d'un  rocher  calcaire  ser- 
vant d'enceinte  à  la  rille.  La  première  est  appelée  source 
d'alun  ou  de  Saint-Paul ,  ou  thermes  de  licrthollet,  en 
mémoire  du  célèbre  chimiste  qui  était  né  dans  ces  contrées; 
la  seconde  est  appelée  source  de  soufre.  La  chaleur  des 
eaux  d'alun  est  de  3S°,2  ;  celle  des  eaux  de  soufre,  de  4.3°, 7. 
La  température  des  eaux  sulfureuses  d'Aix  ne  baisse  que 
temporairement,  au  moment  de  la  fonte  des  neiges  et  des 
pluies  équiuoxiales.  L'eau  est  parfaitement  transparente, 
im  peu  onctueuse  au  toucher.  L'analyse  chimique  y  dé- 
montre, selon  M.  Buonvicino,  la  présence  des  matières 
suivantes  :  acide  sulfliydrique,  carbonates  de  chaux  et  de 
fer,  chlorures   de  calcium  et  de  magnésium ,  sulfates  de 
chaux,  de  magnésie  et  de  soude,  ainsi  que  quelques  traces 
de  matière  extractive  animale.  On  les  administre  en  bois- 
sons pour  les  affections  de  poitrine,  telles  que  l'asthme,  les 
catarrhes  chroniques  et  la  i>btliisie  commençante;  en  bains 
et  en  boisson  dans  les  paralysies  incomplètes  ,  les  tumeurs 
blanches,  les  maladies  des  articulations ,  les  rhumatismes, 
les  anciennes  blessures  et  les  vieux  ulcères 

AIX  (lie  d'),  |ietite  île  de  l'océan  Atlantique,  àTembou- 
ciiuie  de  la  Charente,  oii  les  vaisseaux  partis  de  Rocliel'orI 


viennent  s'abriter.  Ses  fortifications  contribuent  à  la  sûreté 
du  port  de  Rochefort.  En  1757,  les  Anglais  y  opérèrent  une 
descente,  et  en  firent  sauter  les  forts.  En  1806  sa  rade  fut 
le  thèiitre  d'un  terrible  combat  naval  entre  la  frégate  fran- 
çaise la  Minerve  et  la  frégate  anglaise  la  Pallas.  En  1854 
nie  d'Aix  a  servi  de  résidence  aux  prisonniers  russes.    * 

AIX-LA-CHAPELLE,  en  allemand  Aachen,  chef- 
lieu  de  l'arrondissement  du  même  nom  dans  la  province 
Rhénane  prussienne,  est  située  par  50°  47  de  latitude  sep- 
tentrionale et  3"  55'  de  longitude  orientale ,  à  1 60  mètres  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer,  dans  une  fertile  vallée  ,  arrosée 
par  la  Wurm  et  couronnée  par  les  premiers  prolongements 
des  llautes-Tanges.  On  y  compte  environ  47,000  habitants, 
dont  2,000  protestants  et  300  juifs,  au  centre  d'un  pays 
de  riche  culture,  elle  est  aussi  un  grand  foyer  d'industrie 
célèbre  pour  la  fabrication  des  draps  fins  et  des  aiguilles. 
On  y  a  établi  une  manufacture  de  glaces.  Principale  station 
du  chemin  de  fer  belge-rhénan,  elle  est  d'une  haute  impor- 
tance pour  le  commerce  prussien.  Ses  sources  d'eaux  miné- 
rales l'ont  rendue  célèbre  dans  le  monde  entier,  et  elle  abonde 
en  souvenirs  historiques.  Son  nom  indique  son  origine  toute 
romaine;  car  l'allemand  Ahha  est  évidemment  un  mot  ori- 
ginairement dérivé  du  latin  aqtia  ;  et  ce  mot  fut  sans  doute 
créé  pour  désigner  les  sources  qui  s'y  trouvent.  Le  nom  d'^l- 
quiscjramim,  qui  n'apparaît  qu'au  huitième  siècle,  est  peut- 
être  dérivé  de  Granus,  surnom  sous  lequel  les  Romains  ho- 
noraient Apollon  dans  les  sources  thermales.  Le  nom  français 
à'' Aix-la-Chapelle  provient  de  la  chapelle  du  palais,  oii  dès 
l'an  765  Pépin  célébra  la  solennité  de  Noël.  C'est  à  Charle- 
magne  qu'elle  est  redevable  de  sa  glorieuse  réputation.  Il 
est  douteux  qu'elle  ait  été  son  berceau;  mais  c'est  là  qu'il 
fut  enterré,  en  l'année  814.  Cette  ville,  comme  faisant  partie 
de  l'héritage  de  Cbarlemagne,  jouissait  de  nombreuses  fran- 
chises. Ses  habitants  étaient  exempts  dans  tout  l'empire  de 
corvées  et  de  service  militaire,  de  la  peine  d'emprisonnement 
et  de  tout  impôt.  Elle  était  ville  libre  impériale  du  cercle  de 
\Nestplialic.  Il  suffisait  de  respirer  l'air  d'A.ix-la-Chapelle, 
fùt-on  au  ban  de  l'empire,  pour  jouir  d'une  complète  liberté. 
—  En  1794  les  Français  occupèrent  Aix-la-Chapelle;  la  paix 
conclue  à  Lunéville  en  1801  la  comprit  désormais  dans  le 
territoire  français,  oii  elle  devint  le  chef-lieu  du  département 
de  la  Roer;  mais  les  événements  de  1815  la  placèrent  sous 
l'autorité  de  la  Prusse. 

Vers  l'an  796  Cbarlemagne  fit  complètement  reconstruire 
le  château  et  la  chapelle.  Tous  deux  furent  reliés  par  une 
coloimade  qui ,  vraisemblablement  à  la  suite  d'un  trem- 
blement de  terre,  était  déjà  en  ruines  du  vivant  même  du 
grand  empereur.  Tandis  que  plus  tard  on  construisait  l'IiA- 
tel  de  ville  sur  les  ruines  du  palais  impérial,  la  chapelle  de- 
venait et  est  restée  le  noyau  de  la  cathédrale.  Celle-ci  est 
de  forme  octogone  et  entourée  d'une  galerie  à  deux  étages 
avec  laquelle  elle  forme  extérieurement  un  hexadécagone. 
Au  centre  de  l'octogone  une  pierre  avec  cette  inscription  : 
Carolo  Magna,  indique  le  lieu  oii  fut  enseveli  Cbarlemagne. 
Olbon  111  fit  ouvrir  ce  tombeau  en  l'an  1000.  Le  cadavre  fut 
trouvé  encore  bien  conservé,  assis  sur  un  siège  de  marbre, 
revêtu  des  ornements  impériaux  ,  avec  le  sceptre  à  la  main, 
le  livTe  des  Évangiles  sur  les  genoux,  un  fragment  de  la  sainte 
croix  sur  la  tète,  avec  la  panetière  autour  des  hanches.  Le 
caveau  fut  ensuite  muré  de  nouveau,  apris  qu'on  eut  prati- 
qué les  quelques  réparations  intérieures  qu'on  jugea  néces- 
snires.  L'empereur  Frédéric  Y'  fit  de  nouveau  ouvrir  le 
tombeau  en  1165.  On  plaça  alors  les  ossements  dans  un 
cercueil  d'or  et  d'argent;  et  on  suspendit  au-dessus  du  tom- 
beau, en  commémoration, une  grande  couronne  d'un  beau 
tnivail.  Le  siège  en  marbre  blanc  ,  recouvert  plus  tard  de 
pl;'.(iues  d'or,  servit  jusqu'en  l'année  1558  au  couronnement 
des  empereurs.  L'empereur  nouvellement  élu  y  prenait  place 
quand  il  recevait  les  félicitations  des  princes  étrangers.  Le*". 
!  in  igncs  impériaux  furent  transférés  en  1795  à  Vienne.  A 


AIX-LA-CHAPELLE 


235 


lYpoquo  ilu  qualorT.it''ino  sii-clc  on  ajouta  du  ciW.  de  l'orient 
un  durur  do  style  iiolhiiiue  à  l'octogone  tonstiuit  dans  le 
style  byzantin ,  tandis  qu'à  l'ouest  s'y  relie  un  clocher  qua- 
dranguiaire  llanqué  de  deux  petites  tours  formant  escaliers 
et  conduisant  à  la  chambre  des  reliijues.  Cest  là  qu'on  con- 
serve ce  qu'on  appelle  les  grandes  reli(iues,  que  tous  les  sept 
ans  on  montre  au  peuple  de  la  galerie  de  la  tour,  et  qui  au 
mois  de  juillet  attirent  à  Aix-la-Chapelle  ilusicurs  milliers 
d'iHrangers.  Si  des  maisonnettes  et  des  boutiques  adossées  à 
l'édifice  nuisent  à  son  aspect  inqiosant,  tout  son  ensemble  et 
la  profusion  d'ornements  architectoniques  qu'on  y  trouve , 
par  exemple  au  portail  du  Loup,  témoignent  d'une  antiquité 
vénérable  et  riche  en  traditions  et  légendes.  L'hôtel  de  ville 
orne  la  place  du  Marché  ;  à  sa  droite  s'élève  la  tour  de  Gra- 
mts,  dont  le  nom  rappelle  l'époque  romaine,  et  à  sa  gauche 
la  tour  du  beffroi.  A  l'intérieur,  on  remarque  surtout  la 
grande  salle  du  couronnement ,  avec  le  portrait  de  tous  les 
empereurs  et  une  foule  de  précieux  restes  de  l'ancien  art  al- 
lemand. On  y  voit  aussi  les  portraits  de  Napoléon  et  de  Jo- 
séphine, peints  par  David.  Devant  l'hôtel  de  ville  s'élève 
une  belle  fontaine  jaillissante,  avec  la  statue  en  bronze  de 
Charlemagne.  On  admire  dans  l'église  des  Franciscams  une 
magnifique  Descente  de  croix  de  Rubens.  Du  milieu  des  en- 
virons d'Aix-la-Chapelle,  qui  ne  forment  pour  ainsi  dire 
qu'un  vaste  parc,  s'élève  le  Lousberg,  ou  plutôt  Louisherg, 
«lont  le  point  culminant  est  à  260  mètres  au-dessus  du  ni- 
veau de  la  mer,  avec  une  magnifique  vue  et  un  délicieux 
belvédère.  A  une  petite  lieue  d'Aix-la-Chapelle  on  rencontre 
les  ruines  de  Frankenberg ,  séjour  favori  de  Charlemagne. 
Kon  loin  de  là  est  situé  Burtscheid. 

Six  sources  d'eaux  minérales  chaudes  et  deux  froides 
jaillissent  à  Aix-la-Chapelle.  Les  sources  chaudes  appar- 
tiennent aux  eaux  thermales  alcalines  muriatiques,  et  sont 
divisées,  d'après  leur  situation  même,  en  sources  supérieures 
et  inférieures.  La  température  des  premières  est  plus  élevée 
que  celle  des  secondes,  de  même  qu'elles  donnent  une  plus 
grande  quantité  degaz  hydrosulfureux.  Laprincipale  des  sour- 
ces supérieures  est  la  source  de  l'Empereur,  qui  jaillit  au  milieu 
de  l'auberge  du  Bain-de-l'Empereur  ;  vient  ensuite  une  petite 
source  située  devant  le  Bain-de-l'Empereur,  et  la  source 
Quirinus.  Parmi  les  sources  inférieures,  il  faut  citer  l'an- 
cienne source  à  boire ,  et  le  nouveau  puits  à  boire  organisé 
en  1827,  le  puits  d'Élèse,  la  source  du  Bain-de-Rose ,  et  la 
source  de  Cornélius.  Les  bains  eux-mêmes  ont  de  quatre  à 
cinq  pieds  de  profondeur,  sont  complètement  massifs  et 
construits  à  l'ancienne  mode  romaine.  Les  sources  acidulées 
ferrugineuses  sont  des  sources  froides,  et  peu  riches.  La  plus 
forte  de  toutes  est  encore  la  source  de  la  Lanterne.  Celle  qui 
se  trouve  dans  le  Drischstrass  est  moins  abondante;  on 
l'appelle  le  puits  de  Spa,  en  raison  de  l'analogie  de  son  eau 
avec  "eau  de  Pouchon  à  Spa. 

Les  eaux  chaudes  d'Aix-la-Chapelle  ont  une  odeur  sulfu- 
reuse, pénétrante  et  un  goût  hépatique.  Leur  température 
varie  de  33  à  40°  R.  Elles  contiennent  de  l'azote,  de  l'acide 
carbonique  et  de  l'hydrogène  sulfuré,  du  carbonate,  du 
muriate  et  du  sulfate  de  soude,  des  carbonates  de  chaux  et 
de  magnésie,  et  de  la  silice.  Les  eaux  d'Aix-la-Chapelle  sont 
très-excitantes,  irritent  la  peau  et  le  système  nerveux.  On 
les  prescrit  contre  les  paralysies,  les  rhumatismes  chroni- 
cjues ,  les  affections  goutteuses ,  les  anciennes  maladies  de 
la  peau,  les  affections  sj-philitiques  invétérées,  les  maladies 
de  la  vessie  et  des  voies  urinaires,  les  engorgements ,  et  les 
alTections  chroniques  des  organes  abdominaux.  Elles  sont 
administrées  sous  toutes  les  formes ,  en  boisson ,  en  lotions , 
en  bains  et  en  douches.  On  doit  les  boire  à  petites  doses; 
lorsqu'on  en  boit  un  ou  deux  htres,  elles  deviennent  purga- 
tives. On  peut  les  mêler  avec  du  lait  de  vache  ou  d'ànesse  : 
quand  elles  causent  des  nausées  ou  des  vertiges,  il  faut  les 
boire  refroidies. 

Deux  traités  de  paix  et  un  congrès  ont  donné  dans  ces 


derniers  temps  un  inic'rrt  histori(pie  tout  particulier  à  Aix- 
la-Chapelle.  Le  premier  de  ces  traites  mit  lin  à  la  guerre  de 
dévolution  déclarée  en  1007  à  l'Espagne  par  Louis  XIV, 
parce  (pie,  i>  la  mort  de  son  beau-père, Philippe  IV,  il  pré- 
tendait à  la  possession  d'une  grande  partie  des  Pays-Bas,  en 
se  fondant  sur  le  droit  de  dévolution  en  vigueur  dans  le 
Brabant  et  le  pays  de  Naimir  parmi  les  particuliers,  et  en 
agissant  au  nom  et  du  chef  de  sa  femme,  l'infante  Marie- 
Thérèse.  Les  progrès  victorieux  de  Louis  XIV  furent  arrè-» 
tés  par  la  triple  alliance  que  conclurent  l'Angleterre,  la  Hol- 
lande et  la  Suède.  Les  coalisés  prescrivaient  à  l'Espagne  de 
céder  à  Louis  XIV,  ou  la  Franche-Comté,  ou  la  partie  de  la 
Flandre  déjà  conquise  par  son  armée,  à  savoir  :  Charleroy, 
Ath,  Oudenarde,  Douai,  ïournay  et  Lille,  menaçant  de 
se  tourner  contre  celle  des  parties  contendantes  qui  refuse- 
rait d'en  passer  par  cette  décision.  Louis  XJV  ayant  accepté 
ces  conditions  à  Saint-Germain-en-Laye,  et  l'Espagne  de 
son  côté  ayant  recouvré  la  Franche-Comté  au  moyen  de  la 
cession  des  places  fortes  de  la  Flandre,  les  puissances  signa» 
taires  de  la  triple  alliance  conclurent  à  Aix-la-Chapelle, 
le  2  mai  1GG3  ,  le  traité  de  paix  définitif,  que  corrobora  en- 
core un  second  traité,  signé  en  1669.  —  Le  second  traité  de 
paix  d'Aix-la-Chapelle  mit  fin  à  la  guerre  de  la  succession 
d'Autriche,  provoquée  par  les  prétentions  que  l'électeur 
Charles-Albert  de  Bavière  éleva  en  1740  au  trône  de  Marie- 
Thérèse,  qui  dura  huit  années,  avec  des  intermittences  de 
succès  et  de  revers  pour  chacune  des  parties  beUigérantes, 
et  dans  laquelle  la  France,  l'Espagne,  Modène  et  Gènes 
épousèrent  les  intérêts  de  la  Bavière,  pendant  que  la  Sardai- 
gne-,  l'Angleterre ,  la  Saxe  et  la  Hollande  prenaient  fait  et 
cause  pour  l'Autriche.  Le  malheur  qui  s'attacha  aux  armes 
de  cette  puissance  amena  en  Allemagne  un  corps  russe  auxi- 
liaire, commandé  par  le  prince  Repnin,  et  à  la  solde  des 
puissances  maritimes.  L'arrivée  de  ce  puissant  renfoit  sur 
les  bords  du  Rhin  hâta  la  conclusion  des  préliminaires,  qui 
furent  signés  le  30  avril  1747,  entre  la  Fiance  et  les  deux 
puissances  maritimes.  Ce  traité  préliminaire  fut  transformé 
le  18  octobre  174s  en  un  traité  définitif,  auquel  accédèrent 
l'Espagne,  l'Autriche,  Gênes  et  la  Sardaigne,  après  que  la 
Saxe  et  la  Bavière  eussent  déjà  renoncé  à  la  lutte.  Ce  traité 
confirma  tous  les  traités  précédents  ainsi  que  la  garantie  de 
la  Pragmatique  sanction.  On  reconnaissait  à  chacune  des 
puissances  intéressées  la  possession  des  territoires  qu'elle 
possédait  avant  la  guerre.  La  Sardaigne  conseiTa  les  pla- 
ces du  Milanais  qui  lui  avaient  été  cédées  pendant  le  cours 
de  la  guerre.  Parme,  Plaisance  et  Guastalla  furent  cédées  à 
l'infant  d'Espagne  Philippe ,  second  fils  d'Elisabeth ,  sous 
certaines  réserves  de  droits  de  retour  à  l'Autriche.  La  pos- 
session de  la  Silésie  et  du  comté  de  Glatz  fut  garantie  à  la 
Prusse.  L'Angleterre  obtint  de  nouveau  le  traité  d'e^  As- 
siento  pour  quatre  ans  et  le  déniant  ellement  de  Dunkerquedu 
côté  de  la  terre.  La  France  s'engagea  à  expulser  de  son  terri- 
toire le  prétendant  Edouard.  Grâce  à  l'habileté  du  ministre 
Kaunitz  ,  l'Autriche  se  tirait  de  cette  guerre  par  de  tr^s- 
faibles  sacrifices ,  tandis  qu'elle  coûtait  à  l'Angleterre ,  en 
dépit  de  ses  brillantes  victoires  navales,  80,000,000  liv.  st. 
ajoutés  à  sa  dette  publique. 

Le  congrès  que  les  trois  souverains  de  Russie,  d'Autriche 
et  de  Prusse  tinrent  à  Aix  -la-Chapelle,  au  mois  d'octobre  1 8 1  s, 
eut  pour  olijet  de  délibérer  sur  le  retrait  des  troupes  confé- 
dérées restées  en  France  comme  corps  d'occupation ,  et 
par  là  d'affermir  la  confiance  dans  la  paix  générale.  Le  signal 
officiel  d'une  réconciliation  avec  la  France  fut  une  invitation 
adressée  le  4  novembre,  au  nom  de  leurs  souverains  respec- 
tifs, par  Metternich,  Castlereagli,  "Wellington,  Hardenherg, 
Bemstoff,  Nesselrode  et  Capo  d'istria,  au  duc  de  Richelieu, 
de  venir  joindre  ses  efforts  aux  leurs  pour  asseoir  sur  d&s 
bases  solides  la  paix  de  l'Europe.  Cette  invitation  ayant  été 
acceptée,  un  protocole  fut  signé, le  15  novembre  suivant, par 
l'Autriche,  la  France,  la  Russie,  la  Grande-Bretagne,  la 


236 


AIX-LA-CHAPELLE  —  AJUSTER 


Prusse,  ilans  lequel  furent  confirmés  tous  les  principes  pro- 
clamés parla  Sain  te- Alliance,  et  qui  lui  servaient  de 
base.  Le  contenu  en  fut  notifié  à  toutes  les  cours  de  l'Europe 
dans  une  déclaration  à  la  suite  de  laquelle  il  était  formelle- 
ment dit  que  la  nouvelle  alliance  n'apportait  aucune  modifi- 
cation aux  rapports  consacrés  par  les  traités  précédents,  et 
que,  tout  au  contraire,  les  souverains  avaient  résolu  de  ne  ja- 
mais, dans  leurs  rapports  mutuels  ou  avec  d'autres  États, 
s'éloi^jner  dos  principes  qui  constituent  le  droit  des  peuples. 

AJACCIO,  chef -lieu  du  département  de  la  Corse  , 
à  87Ô  kiioinùties  sud-est  de  Paris,  ancienne  ville  maritime 
->ur  la  cote  occidentale  de  l'Ile ,  au  fond  du  golfe  du  môme 
nom.  Sa  population  est  de  12,109  habUants.  On  croit 
qu'elle  fut  fondit  par  les  Lesliiens,  qui  lui  donnèrent  le  nom 
d'Ajasso,  d'après  une  petite  ville  de  l'île  de  Lesbos,  qui  existe 
encore.  Les  Romains  la  mommèrent  Vrcïnium,  à  cause  de 
SCS  excellentes  fabriques  de  poterie  ;  mais  la  ville  actuelle, 
bAtie,  en  14'J5,  par  les  Génois,  se  trouve  à  2  kilomètres  plus 
au  nord  de  l'ancienne  Ajaccio.  Siège  d'une  subdivision  mi- 
litaire, Ajaccio  possède  un  évêché,  dont  l'île  forme  le  diocèse, 
des  tribunaux  de  première  instance  et  de  commerce,  un 
collège  communal,  une  école  normale  primaire  départemen- 
tale ,  un  séminaire ,  une  société  d'agriculture,  une  école  de 
navigation,  un  jardin  botanique,  une  cathédrale,  et  une  bi- 
bliothèque publique,  composée  de  14,000  volumes.  Elle  est 
assez  bien  constniite,  et  ses  rues  sont  droites,  larges  et  bordées 
de  maisons  agréables.  Son  port,  le  plus  beau  de  toute  l'île, 
est  spacieux  et  commode,  bordé  par  un  très-beau  quai,  et 
les  gros  vaisseaux  y  trouvent  un  bon  mouillage  protégé  par 
une  citadelle,  qui  en  défend  très-bien  l'approche.  Son  com- 
merce principal  consiste  en  blés,  vins,  huiles,  oranges,  etc. 
On  pèche  le  corail  sur  les  côtes.  Ajaccio  est  la  patrie  de  Na- 
poléon ;  la  maison  où  il  naquit  est  visitée  avec  empresse- 
ment par  tous  les  étrangers  qui  abordent  dans  l'île. 

AJAN  (Côte  d').  On  comprend  sous  ce  nom  la  côte 
d'Afrique,  aride,  sablonneuse  et  presque  déserte,  qui  s'étend 
depuis  le  Zanguebar  jusqu'au  cap  Guardafui ,  ainsi  que  le 
pays  des  Somaulis,  qui  occupent  le  territoire  compris  depuis 
le  Magadoxo  et  la  côte  d'Ajan  jusqu'aux  confins  de  l'Abys- 
sinie  et  jusqu'à  la  côte  méridionale  du  golfe  d'Aden.  Cette 
vaste  contrée  est  babitée  par  des  peuplades  nègres,  indépen- 
dantes les  unes  des  autres ,  et  professant  le  maliométisme. 
La  côte  d'Ajan  comprend  le  royaumed'Adel,où  le  commerce 
Tient  s'approvisionner  d'ivoire  et  de  poudre  d'or.         * 

AJASSO\  DE  GRAXDSAGXE  (J.-B.-Fr.  Etienne 
ou  Stéi'Uane,  vicomte),  connu  par  un  grand  nombre  de 
publications  populaires,  des  traductions,  et  surtout  comme 
directeur  de  la  Bibliothèque,  populaire,  était  né  à  La  Cli;\tie 
en  iSO?  et  mourut  subitement  à  Lyon  le  9  mai  1845.     Z. 

AJAX.  Parmi  les  princes  grecs  qui  assistèrent  au  siège 
de  Troie ,  il  y  eut  deux  AJax ,  l'un  fils  de  Télamon ,  l'autre 
fils  d'Oïlée. 

Le  premier  était  roi  de  Salamine;  suivant  Homère,  il 
était  le  plus  beau  et  le  plus  vaillant  des  Grecs  après  Achille  ; 
il  avait  une  taille  énorme,  et  ressemblait,  dans  les  com- 
bats, au  dieu  Mars.  Ajax  combattit  pendant  un  jour  en- 
tier contre  Hector  sans  ])ouvoir  décider  la  victoire  :  les 
deux  gueniers  ne  se  séparèrent  qu'à  la  nuit,  et  ils  échan- 
gèrent entre  eux  des  présents.  Malgré  sa  bouillante  valeur,  le 
fils  de  Télamon  ne  fut  jamais  blessé,  ce  qui  le  lit  passer, 
aux  yeux  des  Troyens,  pour  invulnérable.  Après  la  mort 
d'Achille,  il  réclama  les  armes  de  ce  héros,  fondant  ses 
droits  sur  sa  parenté  et  sa  bravoure.  Ulysse,  son  concur- 
rent, l'ayant  emporté  sur  lui,  il  tomba  aussitôt  en  proie  i 
une  démence  furieuse.  Revenu  plus  tard  à  lui,  honteux 
d'avoir  seni  deriséeà  tous,  il  se  perçai  le  ccPiir  avec  son  é[!ée.  . 

Le  second  Ajax  était  roi  des  Locriens.  11  se  rendit  de- 
vant Troie,  impatient  «le  venger  l'outrage  fait  à  la  Grèce 
par  l'enlèvement  d'Hélène,  dont  il  était  un  des  adorateurs. 
1!  était  renommé  pour  sa  grande  agilité  et  pour  son  indomp- 


table courage ,  bien  que  celni-ci  dégénérât  parfois ,  dans  la 
chaleur  du  combat,  en  iine  sorte  de  frénésie.  Lors  du  sac 
de  Troie,  il  poursuivit  Cassandre  jusqu'aux  pieds  de  la 
statue  de  Pallas ,  l'en  arracha  par  les  cheveux ,  et  se  livra 
sur  elle  aux  excès  de  la  plus  révoltante  bî-utalité.  Ulysse  dé- 
nonça cette  infâme  violence:  Ajax  se  justifia  par  le  serment; 
mais  Pallas,  irritée,  le  poursuivit  de  sa  vengeance  et  le  fit 
périr  dans  les  flots.  On  raconte  qu'Ajax ,  luttant  contre  la 
tempête,  parvint  à  gagner  un  rocher,  qu'il  blasphéma  alors 
contre  les  dieux,  mais  que  Neptune  frappa  le  rocher  de 
son  trident  et  engloutit  ainsi  le  blasphémateur. 

AJAXTIES.  Ajax ,  fils  de  Télamon ,  proche  parent 
et  ami  d'Achille,  et  le  plus  brave  des  Grecs  après  le  fils  de 
Thétis ,  fut  mis ,  comme  lui ,  au  rang  des  immortels.  On  lui 
rendait  des  honneurs  divins,  et  il  avait  un  temple  à  Sala- 
mine.  Sa  statue  y  était  d'ébène.  Tous  les  ans,  à  sa  fête,  on 
portait  sur  un  lit  très-orné  une  figure  armée  de  toutes  piè- 
ces. Les  Athéniens  honoraient  aussi  Ajax  ;  ils  avaient  donné 
son  nom  à  une  de  leurs  tribus,  l'.'Eantide. 

AJOIXC.  Cet  arbuste  épineux,  connu  encore  sous  le 
nom  de  jean,  hande,  jonc  marin,  et  (lenct  épinerix,  est 
célèbre  par  la  propriété  dont  il  jouit  d'utiliser  de  mauvaises 
terres,  où  on  le  sème  avec  avantage  pour  en  obtenir,  en  le 
coupant  tous  les  deux  ou  trois  ans,  du  menu  bois  pour  le 
chauffage  et  pour  faire  des  clôtures.  Quelquefois  la  pousse 
de  la  première  année  est  coupée  en  herbe ,  et  sert  de  four- 
rage. L'ajonc  fertilise  tellement  le  sol  que  la  sixième  année 
on  peut  le  détruire  et  le  remplacer  par  du  froment,  ou  toute 
autre  céréale,  qui  y  réussit  parfaitement.  Mais  c'est  surtout 
pour  faire  des  haies  que  l'ajonc  est  recommandable  à  cause 
de  ses  innombrables  épines  et  de  sa  rusticité.  Pour  obtenir 
des  haies  d'ajonc,  il  faut  en  semer  les  graines  en  place,  et 
non  pas  les  planter,  parce  qu'il  est  d'une  reprise  difficile, 
même  en  employant  du  plant  de  pépinière,  quoique  ce  der- 
nier soit  moins  mauvais  que  celui  qu'on  aurait  fait  arracher 
dans  les  vieilles  haies  d'ajonc  ou  dans  les  terres  où  cet  ar- 
buste aurait  été  semé.  —  L'ajonc  est  un  arbuste  à  fleurs 
jaunes ,  solitaires ,  très-rameux,  plus  ou  moins  velu,  épineux, 
sans  feuille.  Il  croît  naturellement  dans  toute  l'Europe  sur  les 
terres  incultes  ou  abandonnées ,  et  surtout  dans  les  sables 
légers  et  mobiles,  qu'il  iixe,  utilise  et  fertilise.  l\  appartient 
à  la  famille  des  légumineuses.  On  en  connaît  trois  espèces, 
ou  plutôt  trois  variétés.  C.  Tollaud  aîné. 

A  JOUR  .  C'est  l'expression  dont  on  se  sert  pour  indi- 
quer un  genre  de  monture  qu'on  adapte  aux  pierres  fines.  Un 
cercle  entoure  la  pierre,  dont  les  deux  faces  sont  visibles, 
ce  qui  étal)lit  la  transparence.  —  On  se  sert  de  cette  expres- 
sion en  comptabilité  commerciale  :  les  livres  sont  à  jour  ; 
mettre  un  compte  à  jour,  c'est-à-dire  les  comptes  sont  ame- 
nés sans  lacune  jusqu'aux  dernières  opérations,  il  n'y  a  pas 
d'écriture  en  arrière. 

AJOURNEMENT  se  dit,  en  procédure,  de  l'assi- 
gnation ou  avertissement  qu'on  fait  donner  par  un  offi- 
cier public  à  une  personne  pour  qu'elle  se  présente  devant 
un  tribunal  à  jour  et  heure  fixes.  Dans  l'ancienne  procé- 
dure criminelle  on  appelait  ajournement  personnel  l'assi- 
gnation donnée  à  quelqu'un,  en  vertu  d'une  ordonnance  ou 
d'un  décret  du  juge,  pour  comparaître  en  personne  et  ré- 
pondre sur  les  faits  dont  il  était  accusé.  —  Jacques  de 
Mol  ai,  du  haut  de  son  bûcher,  ajourna,  dit-on,  Philippe 
le  Bel  et  Clément  V  devant  le  tiibunal  de  Dieu.  —  Notre  lan- 
gage parlementaire  a  emprunté  aux  Anglais  le  mot  ajourne- 
ment pour  désigner  le  renvoi  d'une  discussion  à  un  autre 
jour,  ce  qui  peut  être  une  fin  de  non  recevoir. 

AJUDA,  palais  du  roi  de  Portugal,  à  4  kilomètres  de  Lis- 
bonne. Quoique  inachevé,  il  se  dessine  majestueusement 
à  l'entrée  du  Tage,  et  sa  façade  est  un  des  points  les  plus 
remarquables  du  panorama  de  la  ville.  Z. 

AJIjSTER.  Dans  lart  militaire, ajuster,  c'est  régler  la 
position  (le  son  fusil  en  raison  du  but  qu'on  veut  faire  at- 


AJUSTER  —  AKERBLAD 


237 


t.'iiulre  à  la  balle,  et  de  la  distance  qu'elle  doit  parcourir. 
Pendant  longtemps  on  a  agité  la  question  de  savoir  s'il 
importe  à  l'art  mililaire  que  l'infanterie,  quand  elle  se  bat  en 
ligne,  ajuste  son  feu.  On  disait  que  l'infanlerie  en  masse 
tirant  sur  des  masses  son  feu  devait  toujours  porter,  et  qu'il 
valait  mieux  tirer  plus  de  coups  que  de  vouloir  ajuster. 
Néanmoins,  il  a  paru  si  important  que  le  fantassin  tire  juste 
qu'on  a  fondé  à  Vincennes  une  école  de  tir  oîi  chaque  régi- 
ment envoie  tour  à  tour  des  officiers,  des  sous-ofliciers  et 
même  des  soldats,  qui,  en  retournant  à  leurs  corps  une  fois 
que  leur  instruction  est  achevée,  y  portent  et  y  propagent  la 
connaissance  des  vrais  principes  du  tir. 

AJUSTEUR.  En  termes  de  technologie,  ajttster  c'est 
réunir  les  pièces  diverses  d'une  machine,  exécutées  par 
d'autres  ouvriers,  qui  travaillent  sans  bien  savoir  ce  qu'ils 
fout,  tandis  que  Yajusteur  (on  l'appelle  encore  plus  souvent 
peut-être  le  monteur)  connaît  la  place  que  doit  occuper 
dans  la  machine  chacune  de  ces  pièces,  et  sait  comment  il 
devra  les  poser  pour  s'assurer  si  elles  s'ajustent  bien,  et  si 
une  fois  réunies  elles  produisent  le  jeu  et  l'effet  attendus. 
On  nomme  plus  spécialement  ajusteurs  :  1°  les  ouvriers 
balanciers ,  qui  fabriquent  les  poids  et  les  mesures  confor- 
mément aux  étalons  légaiix  ;  2"  les  employés  des  hôtels  des 
monnaies  chargés  de  constater  le  poids  des  flans,  avant 
qu'ils  soient  soumis  au  balancier  pour  recevoir  l'empreinte 
monétaire;  de  renvoyer  à  la  fonte  ceux  qui  sont  trop  faibles, 
ou  bien,  quand  ils  sont  trop  forts,  de  les  couper  et  de  les 
limer  pour  leur  donner  le  juste  poids  qu'ils  doivent  avoir. 
AJUTAGE.  Ce  mot  désigne  un  petit  tube  conique  ou 
cylindrique  qui  s'adapte  à  l'extrémité  d'un  tuyau  de  plus 
grand  diamètre  pour  produire  un  jet  d'eau.  On  emploie 
les  ajutages ,  soit  isolément ,  soit  en  les  combinant  ;  et  on 
leur  donne  différentes  formes  qui  produisent  les  effets  les 
plus  variés.  Tantôt  l'eau  jaillit  en  gerbe  élincelante,  tantôt 
elle  forme  un  gracieux  berceau  pour  retomber  ensuite  en 
larges  nappes ,  en  flots  écumeux  ou  en  pluie  fine  et  diaman- 
tée.  On  dissimule  les  ajutages  en  les  faisant  passer  dans  des 
statues  d'hommes  ou  d'animaux;  le  plus  souvent  on  les 
cache  dans  la  gueule  entr'ouverte  d'un  poisson  monstrueux, 
que  tient  une  humide  Naïade  ou  quelque  Amour  bouffi. 

AKAKIA  (Maktin),  professeur  de  médecine  dans  l'uni- 
versité de  Paris,  né  à  Chàlons-sur-Saône,  devint,  par  son 
mérite ,  l'un  des  principaux  médecins  de  François  1"'.  Ce 
docteur  mourut  en  1551.  Il  avait  traduit  plusieurs  écrUs 
relatifs  à  son  art.  On  cite  les  suivants  :  Ars  medica,  qux 
est  arsparva,ei  De  Ratione  Curandi,  de  Galien.  Cette  der- 
nière traduction  est  accompagnée  d'un  Commentaire.  — 
Martin  Akari.v,  fils  du  précédent,  fut  médecin  comme  son 
père  et  professeur  royal  en  chirurgie;  il  mourut  en  1588, 
âgé  d'environ  quarante-neuf  ans.  On  a  sous  son  nom  un 
traité  intitulé  :  ConsUïa  Medica,  1598,  in-folio.  Mais,  suivant 
quelques  auteurs,  cet  ouvTage,  ainsi  que  celui  qui  traite  des 
iTialadies  des  femmes,  et  qui  lui  est  généralement  attribué,  ap- 
partient à  son  père.  —  Cette  famille  a  fourni  plusieurs  autres 
médecins.  —  Tout  le  monde  connaît  la  piquante  Diatribe 
du  docteur  Akakia, médecin  du  pape. \o\\.ai\re,\''aaieuT  de 
ce  pamphlet ,  emprunta  ce  nom,  connu  dans  la  médecine, 
pour  ridiculiser  un  livre  de  Maupertuis;  cette  diatribe  est 
une  continuelle  allusion  à  tous  les  passages  de  ce  livre  qui 
étaient  l'objet  de  la  moquerie  pubUque.        Champacnac. 

AKBAR(DjÉLAL-EDDiN-MonAMMED),  cmpercur  de  l'Hin- 
doustan  ,  de  la  race  de  Tamerlan ,  et  l'un  des  plus  grands 
princes  de  l'Asie  dans  les  temps  modernes,  naquit  à  Amerkat, 
en  1542,  et  avait  treize  ans  quand  ,  à  la  mort  de  son  père 
Houmàjoùn ,  il  parvint  au  trône  sous  la  tutelle  du  ministre 
Beyram.  Il  se  distingua  très-jeune  encore  par  des  talents 
remarquables,  et  surtout  par  la  bravoure  et  l'activité  qu'il 
développa  dans  une  guerre  qu'il  eut  à  soutenir  contre  ses 
sujets  révoltés,  parmi  lesquels  se  trouvait  Beyram  lui-même. 
Malgré  les  guerres  continuelles  qu'il  eut  à  soutenir  contre 


ses  voisins  ou  contre  ses  propres  sujets ,  et  qui  l'entraînè- 
rent successivement  dans  toutes  les  provinces  de  son  em- 
pire, il  cultiva  les  sciences,  principalement  l'histoire,  et 
donna  les  plus  grands  soins  à  l'administration  de  ses  États. 
11  fit  faire  le  dénombrement  de  ses  peuples,  et  ordonna  des 
recherches  sur  la  nature  et  les  produits  de  l'industrie  de 
chacune  de  ses  provinces.  Le  résultat  de  ce  travail  statis- 
tique a  été  réuni  en  corps  d'ouvrage  par  son  ministre  A  b  ou  I- 
Fazel,  sous  le  titre  de  Ajin-Akbmi.  Akbar  mourut  en  lfi04^ 
après  un  règne  de  quarante-neuf  ans.  Aux  environs  d'Agra 
on  voit  encore  un  superbe  monument  funéraire  avec  cette 
seule  inscription  :  «  Akbar  ».  Son  fils  Sélim  lui  succéda,  sous, 
le  nom  de  Djihangir. 
AKBAR-ABÂJD.  Voyez  Agra. 
A  KEMPIS  (Thomas).  Voyez  Thomas  a  Kempis. 
AKÈNE  (  du  grec  à  privatif;  yaivti,  je  m'ouvre  ).  On 
nomme  ainsi  un  genre  de  fruit,  très-commun  dans  la  nature, 
dont  le  péricai-pe  est  sec,  n'a  qu'une  seule  loge,  contenant 
une  seule   graine,  est  indéhiscent ,  et  non  soudé  avec  la 
graine.  L'akène  peut  provenir  d'un  ovaire  infère,  ou  d'un 
ovaire  supère,  et  offrir  même  quelques  autres  modifications. 
Ainsi  l'akène  est  tantôt  couronné  par  les  dents  du  calice, 
tantôt  il  est  nu  ;  assez  souvent  il  est  terminé  par  des  soies ,, 
des  paillettes,  c'est-à-dire  par  une  aigrette.  Ces  modifications, 
de  peu  d'importance  d'ailleurs ,  ont  donné  lieu  à  de  Mirhel, 
Desvaux  et  autres  botanistes  de  faire  des  espèces.  Le  fruit  des 
synanthérées ,  des  polygonées  ,  appartient  au  genre  akène. 
AKENSIDE  (Marc),  médecin  et  poète  anglais,  né 
en  1721  à  Newcaslle-sur-Tyne,  était  fils  d'un  boucher.  A  dix- 
huit  ans ,  il  fut  envoyé  à  l'université  d'Edimbourg  pour  y 
étudier  la  théologie ,  qu'il  abandonna  bientôt  pour  la  méde- 
cine ;  son  goût  dominant  l'entraînait  toutefois  vers  la  poésie. 
Reçu  docteur  en  médecine  en  1744,  à  Leyde,  il  se  rendit 
l'année  suivante  en  Angleterre,  où  il  exerça  successivement 
sa  profession  à  Northampton ,  à  Hampstead  et  à  Londres. 
11  eût  vécu  longtemps  dans  une  grande  médiocrité,  an  milieu 
de  cette  dernière  ville,  sans  un  ami  généreux ,  Jérémie  Dy- 
son ,  qui  le  força  d'accepter  une  pension  de  300  livres  ster- 
ling. Il  donna  des  leçons  publiques  d'anatomie ,  et  devint 
membre  de  la  Société  royale  et  du  Collège  des  Médecins  de 
Londres,  docteur  de  Cambridge,  et  médecin  de  la  reine.  Il 
mourut  en  1770.  Il  a  laissé  quelques  dissertations  de  méde- 
cine estimées,   une  entre  autres   sur  la  dyssenterie.  Ses 
poésies ,  dans    les   genres  didactique  et  lyrique,  ont  été 
réunies  et  publiées  à  Londres  par  Dyson,  en  1772,  en  1  vol. 
in-4°.  Son  poëme  le   plus   remarquable  est  intitulé  :  Les 
Plaisirs  de  r Imagination.   Cet   ouvrage ,  qu'il  publia  à 
vingt-trois   ans,  lui  valut  les  suffrages  de  Pope,  et  fit  sa 
réputation.  Relouché  plus  tard  par  son  auteur,  il  a  été  tra- 
duit en  français,  en  prose,  par  le  baron  d'Holbach  (  Am- 
sterdam, 1769,  et  Paris,  1805).  Lord  Chesterfield  disait: 
a  C'est  le  plus  beau  des  livres  que  je  n'entends  pas.  »   * 

AKERBLAD  (Jean-David)  ,  célèbre  philologue  et  ar- 
chéologue suédois ,  était  employé  à  la  chancellerie  royale 
depuis  1783,  lorsqu'en  1789  il  fut  nommé  interprète  pour  la 
langue  turque.  En  1795  il  se  rendit  en  qualité  de  secrétaire 
de  légation  à  Constantinople,  d'où  il  fut  rappelé  en  1797.  Il 
habita  ensuite  pendant  quelque  temps,  vers  1800 ,  Gci-ttin- 
gue,  fut  nommé  en  1802  secrétaire  de  légation  à  La  Haye, 
et  l'année  suivante  à  Paris ,  d'où  il  fut  cependant  encore 
rappelé  en  1804.  Mécontent  des  changements  politiques  sur- 
venus dans  sa  patrie,  il  résolut,  à  ce  qu'il  paraît,  de  renon- 
cer complètement  à  la  Suède,  et  se  retira  à  Rome,  où  il  trouva 
dans  la  duchesse  de  Devonshire  et  quelques  autres  amis  des 
lettres  les  secours  et  l'appui  nécessaires  pour  lui  permettre 
de  se  livrer  en  paix  à  de  vastes  travaux  littéraires,  dont  nous 
avons  les  fruits  dans  un  ouvrage  également  impoitant  pour 
la  paléographie  etl'épigrapliic,  et  intitulé  :  Inscrizionegreca 
!  sop7-a  una  lamina  di  piombo  trovaia  in  un  sepolcro 
'  nclle  vicinanze  d'Atcnc  (Rome,  in-'i",  1813).  Dans  les 


23g  AKERBLAD 

«krnières  annexes  de  sa  \ic ,  AKeiblad  subsistait  à  Rome  en 
exerçant  Tobsciir  métier  de  cicérone,  se  faisant  passer  pour 
un  Danois  auprès  des  étrangers  à  qui  il  montrait  les  monu- 
ments de  la  ville  étemelle.  Ses  ouvrages  témoignent  d'ime 
profonde  connaissance  des  langues  orientales  et  occidentales, 
lin  effet,  non-seulement  il  les  parlait,  mais  il  les  écrivait  avec 
facilité.  Akerblad  mounit  à  Rome,  le  H  février  1819.  On 
cite  encore  de  lui  :  Lettre  à  M.  Silvestre  de  Sacy  sur  l'é- 
criture cursive  copte;  Lettre  à  M.  de  Sactj  sur  l'inscrip- 
tion égyptienne  de  Rosette;  Notice  siir  deux  inscriptions 
en  caractères  runiques  trouvées  à  Venise,  et  sur  les  Va- 
rangcs ,  avec  les  remarques  de  M.  d'Ansse  de  Villoison, 
morceaux  imprimés  dans  le  Magasin  encyclopédique,  an- 
nées 1801,  1S02  et  1804.  Akerblad  était  correspondant  de 
rinstitut  de  France ,  et  membre  de  beaucoup  d'académies. 
AUUALZllîlI  (  Ancien  pachalik  d'),  le  Sa-atabago  des 
Géorgiens ,  forme  aujourd'liui  l'un  des  onze  arron«lissernents 
du  gouvernement  grousio-iméréthien  des  possef.sions  russes 
au  delà  du  Caucase,  sur  les  bords  du  Kour  supérieur.  Il  est 
borné  au  nord-ouest  par  les  arrondissements  d'Osourgéti  et 
de  Koutniss,  au  nord  et  au  nord-est  par  celui  de  Tiflis,  au 
sud-est  par  celui  d'Alexandropol,  enSn  au  sud  par  les  cercles 
turcs  de  Tschaldir  et  de  Kars.  Dans  les  vallées  ou  Kour  et  du 
Poskho  se  trouvent  de  riches  pâturages  et  des  cliamps  fertiles, 
tandis  que  la  vigne  est  cultivée  avec  succès  sur  les  collines; 
néanmoins,  Taspect  général  de  cette  contrée  est  nu  et  désert. 
La  vallée  supérieure  du  Kour  et  du  Poskho  s'appelait  jadis 
Semo-Karthli  (  Karthli  supérieur  )  ;  elle  était  habitée  par  les 
Géorgiens,  et  fut  toujours  pour  eux  un  lieu  d'aeile  assuré. 
Vers  la  fin  du  premier  siècle  de  l'ère  chrétienne ,  Erowant 
d'Arménie  fit  la  conquête  du  Semo-Karthli ,  qui  ne  repassa 
sous  la  domination  des  rois  de  Géorgie  qu'après  une  lutte 
aussi  longue  qu'acharnée  et  sanglante.  Réunie  alors  de  nou- 
veau à  la  Géorgie  par  des  hens  politiques  plus  intimes,  cette 
contrée  parvint,  grâce  à  la  bienfaisante  influence  du  chris- 
tianisme ,  à  un  haut  degré  de  civilisation.  Elle  était  admi- 
nistrée par  des  gouverneurs  appelés  atabegs;  le  plus  an- 
cien de  ces  fonctionnaires  dont  l'histoire  ait  conservé  le 
souvenir  s'appelait  Sargis,  et  mourut  en  1334. 

Pendant  la  guerre  qui  eut  lieu  entre  les  Turcs  et  les  Per- 
sans, au  milieu  et  vers  la  fin  du  seizième  siècle,  le  pays 
d'Akhalzikh  devint  fréquemment  le  théâtre  des  pins  horri- 
bles dévastations.  Malgré  l'héroïque  résistance  des  deux  fib 
tic  Talabeg  Kaecliosrow,  Kouarkouar  et  Manoutschur,  e> 
Turcs  réussirent  à  s'en  rendre  maîtres.  Cependant  iMa- 
noutschar  y  reçut  l'investiture  souveraine,  sous  le  titre  de 
pacha  de  Saalabago.  En  l'an  1025  les  Turcs  assurèrent 
encore  plus  complètement  leur  domination  sur  ce  territoire 
en  en  expulsant  complètement  l'ancienne  famille  régnante, 
qu'Amuratli  IV  remplaça  par  Sapliar-Pacha,  dont  les  des- 
cendants continuèrent  à  le  gouverner.  Le  territoire,  dévasté 
et  appauvri  sous  l'administration  turque,  fut  divisé  en 
sandjahs,  dont  les  cinq  suivants  :  Akhalzikh  ,  Atskwer, 
Aspindse,  Chcrtwis  et  Achalkalaki,  ont  été  cédés  en  1829 
à  la  Russie  par  le  traité  de  paix  conclu  à  Andrinople. 
Beaucoup  de  familles  musulmanes  émigrèrent  alors ,  et  la 
popiilation  diminua. 

La  capitale  de  l'Akhalzikh  est  la  ville  du  môme  nom.  place 
forte  bâtie  sur  le  Poskho  (  Dalka  ou  Dalki),  défendue  par 
une  bonne  citadelle,  et  qui  compte  11,000  habitants.  Celte 
\ille  fut  prise  le  27  août  1828  par  le  feld-maréchal  prince 
Paskewitch,  et  occupée  par  un  bataillon  russe.  Quand  les 
pachas  de  Kars  et  d'Erzeroum  apprirent  la  prised'Aklialzikh, 
ils  tentèrent,  à  la  tôte  d'un  corps  de  dix-huit  mille  hommes, 
de  reprendre  cette  ville,  qui  est  la  clef  septentrionale  de  l'A- 
natolie  ;  mais  cette  entreprise  échoua,  par  suite  de  la  vigou- 
reuse résistance  de  la  garnison  russe.  Le  gouvernement 
russe  ordonna  l'èlahlissement  d'une  nouvelle  ville  sur  la 
rive  droite  du  Poskho;  cette  cité  nouvelle  a  été  peuplée 
de  colons  arméniens.  Akhalzikli  ayant  cessé  d'èlre  un  grand 


—  ARJERMANN 


marché  d'esclaves,  a  singulièrement  perdu  de  son  importance 
On  y  compte  huit  églises,  pour  laplupartarméniennes,  et  une 
synagogue;  ses  nombreuses  mosquées  sont  tombées  en 
ruines,  à  l'exception  de  celle  d'Achmed,  située  dans  la 
citadelle,  et  qui  avait  été  bâtie  sur  le  plan  de  Sainte-Sophie 
de  Constantinople  :  elle  aété  consacrée  par  les  Russes  au  culte 
grec.  A  cette  mosquée  était  jadis  annexé  un  collège,  dont  la 
bihliothèque  passait  pour  l'une  des  plus  riches  de  l'Orient; 
les  livres  les  plus  précieux  en  ont  été  transportés  à  Saint- 
Pétersbourg. 

Pendant  la  guerre  d'Orient,  dix-huit  mille  hommes  de 
troupes  turques,  sous  les  ordres  du  lérik  Ali-Pacha,  .s'avancè- 
rent jusqu'à  Akhalzikh  et  se  fortifièrent  au  village  de  Soupliss. 
Le  général  Andronikoff  marcha  au  secours  d'Akhalzikh, 
où  il  arriva  le  24  novembre  1853.  Le  26  les  Russes,  après 
une  vive  canonnade,  traversèrent  le  Poskho  et  parvinrent  à 
chasser  les  Turcs  de  leurs  positions,  en  leurtuantun  millier 
d'hon-imes  et  leur  prenant  12  canons,  5  drapeaux,  une 
grande  quantité  d'armes  et  de  munitions.  Les  Russes  pour- 
suivirent les  Turcs  jusque  sur  leur  territoire,  et  le  lieute- 
nant-colonel Zimmermann  pénétra,  le  l'''  décembre,  jusqu'à 
Didveri.  Z. 

AKHTlRKAy  villede  Russie,  dans  le  gouvernement  de 
Kharkof ,  sur  la  rivière  de  son  nom.  Cette  ville ,  chef-lieu 
d'un  district,  compte  15,832  habitants.  On  y  récolle  des 
fruits  estimés  et  on  y  fabrique  des  lainages.  Dans  l'une  des 
églises  se  trouve  l'image  miraculeuse  de  Notre-Dame  d'Akh- 
tirka ,  qui  est  le  but  d'un  pèlerinage  célèbre.  Akhtirka  a  été 
fondée  par  les  Polonais,  en  1641. 

AKIBA,  fils  de  Joseph,  célèbre  docteur  de  la  loi  et  de  la 
Mischna  chez  les  Juifs,  vécut  en  Judée  vers  l'an  lOO  après 
J.-C.  Bien  qu'il  ne  se  fût  livré  à  l'étude  que  dans  un  âge  déjà 
assez  avancé,  il  ne  tarda  pas  à  l'emporter  sur  tous  ses  con- 
temporains ,  autant  par  l'étendue  que  par  la  profondeur  de 
ses  connaissances,  et  les  fondateurs  de  la  Mischna  furent 
tous  ses  disciples.  Il  fit  de  grands  voyages  dans  les  trois  par- 
ties du  monde,  s'efforçant  partout  et  toujours  d'améliorer  la 
condition  des  Juifs ,  alors  soumis  au  joug  de  fer  des  Ro- 
mains. Impliqué,  en  135,  dans  l'insurrection  du  fameux 
Barkokéhas,  Un  fus  le  (it  écorcher  vif.  Les  écrits  cabalis- 
tiques qu'on  lui  atlrihue  sont  tous  apocryphes. 

AKJERMANNou  AKKERMANN,  ville  de  la  Bessarabie 
turque,  à  l'embouchure  du  Dniester  dans  la  mer  Noire ,  avec 
une  citadelle  et  un  port.  C'est  VAlba  Julia  des  Romains,  qui 
périt  presque  complètement  à  l'époque  de  la  grande  migra- 
tion des  peuples,  ne  fut  relevée  de  ses  ruines  que  beaucoup 
plus  tard  par  les  Génois,  et  devint  ensuite  la  proie  des  Turcs. 
Les  auteurs  ne  sont  pas  d'accord  sur  le  chiffre  de  sa  population, 
que  les  uns  évaluent  à  14,000,  et  les  autres  à  20,000  âmes. 

La  convention  signée  dans  cette  ville,  le  6  octobre  18?.(;, 
entre  la  Porte  Othomane  et  la  Russie ,  représentée  par  le 
conîte  W'oronzof  et  le  marquis  de  Ribeaupierre ,  avait 
pour  but  d'arranger  la  question  turco-russe  ,  qui  n'avait  fait 
que  se  compliquer  toujours  davantage  depuis  la  paix  de 
Boukarest.  Cette  convention  additionnelle  aux  stipula- 
tions du  traité  de  Doukarest  se  composait  de  huit  articles, 
et  avait  pour  corollaire  deux  actes  additionnels  relatifs 
à  la  Moldavie  et  à  la  Servie.  Elle  «issurait  à  la  Russie  la  libre 
navigation  de  la  mer  Noire  pour  son  pavillon,  protégé  désor- 
mais d'une  manière  efficace  contre  les  corsaires  des  États 
barbaresques.  Elle  stipulait  en  outre  la  création  de  divans 
en  Moldavie  et  en  Vaiachie,  le  rétablissement  des  privilèges 
de  la  Servie ,  province  dont  les  troupes  turques  devaient  se 
boiner  à  occuper  les  places  fortes,  ainsi  que  la  reconnaissance 
des  réclamations  élevées  par  les  sujets  russes ,  et  dont  la 
liquidation  devait  être  opérée  par  une  commission  mixte. 
Les  frontières  des  deux  puissances  contractantes  devaient 
rester  en  Asie  telles  qu'elles  étaient  au  moment  de  la  signa- 
ture de  la  convention  :  c'était  dire  que  la  Russie  conserve-' 
rait  les  places  fortes  turques  dont  elle  s'était  emparée  en 


AKJERMANN  —  AL-ACSA 


Asie.  Le  non-acioinplissenienl  par  la  Porto  dos  stipulations 
(le  la  coiivoiitiou  d'Akjermaim  ont  pour  résultat,  eu  182S, 
la  guerre  à  laquelle  la  paix  d'And ri  nople  mit  un  terme. 
AK-KOYUXLU.  Voijcz  Ac  Coinlu. 
AKOYA  (  Baronuie  lî'  ).  Le  pays  d'Akova  est  situé  au 
milieu  des  luoutagnes  de  l'ancienne  Arcadie ,  sur  la  rive 
orienlîde  du  Ladon.  Au  moment  de  la  coniiutMe  de  la  Morée 
par  les  Français,  en  i-lOh,  Akova  fut  donnée  à  titre  de  haute 
baronuie,  ayant  droit  de  haute  justice ,  de  guerre  privée,  de 
forteresse  et  d'évêché,  à  Gaultier  de  Ronclicres  ou  de  Ro- 
zière,  avec  yingt-quatre  tiefs  de  cavalerie.  A  la  mort  de  Gaul- 
tierde  Ronchères,  qui  ne  laissa  pas  d'héritiers,  labaronnied'.\- 
kova  passa  à  sa  nièce ,  Marguerite  de  Neuilly  ;  mais  ce/le-ci 
ne  put  prendre  possession  de  ce  lief.  Cependant  Guillaume  de 
Aillehardouin  lui  en  rendit  le  tiers ,  et  elle  l'apporta  en  dot 
à  la  maison  de  Saint-Omer  par  son  «nariage  avec  Jean  de 
Saint-Omer. 

ALABAMA,  vaste  territoireadmisen l'année  1819  au 
nombre  des  Etats  souverains  composant  J'Uniou  américaine 
«l'i  Nord  ,  est  limité  au  nord  par  l'État  de  Tennessee,  à  l'est 
par  la  Floride  occidentale,  à  l'ouest  par  l'état  de  î\Iississipi, 
et  au  sud  par  le  golfe  de  Mexique.  11  s'étend  du  30°  10'  au 
35°  de  latitude  septentrionale ,  et  du  87°  24'  au  90°  49'  de 
longitude  occidentale.  Sa  moyenne  longueur  peut  être  éva- 
luée à  environ  340  kilomètres,  sa  largeur  à  environ  200  kil., 
sa  superticie  totale  à  53,000  kilomètres  carrés.  En  ISiO  la 
population  ne  s'élevait  pas  à  plus  de  20,000  habitants  ;  en 
IS20  elle  atteignait  déjà  le  chilTie  de  127,901;  en  1830  ce 
cliiffre  était  de  407,527,  et  en  1845  de  624,827  âmes,  dont 
253, i32  esclaves  et  2,039  nègres  libres.  Dans  ces  derniers 
temps  le  nombre  des  esclaves  s'y  est  presque  quintuplé  ; 
car  sous  un  climat  chaud  et  avec  un  soi  d'une  luxuriante 
fccx>ndité  les  noirs  se  propagent  beaucoup  plus  rapidement 
que  les  blancs.  L'importation  des  nègres  de  l'Afrique  ou  des 
Indes  occidentales  y  est  punie  de  mort. 

La  chaîne  la  plus  occidentale  des  monts  A  1  légha  n  y  s 
sépare  l'Alabama  du  nord  de  l'Alabama  du  centre  et  de 
l'Alabamadu  sud.  L'Alabama  du  nord  est  montagneux,  et 
le  sol  en  est  propre  àla  culture  des  céréales,  quoiqu'elle  y  soit 
négligée.  L'Alabamadu  centre  est  plus  fertile  ;  son  produit 
principal  est  le  colon  (environ  100,000  balles  par  an  )  ;  on  y 
cultive  aussi  le  sucre  et  l'indigo,  et  le  riz  prospère  dans  les 
terrains  d'alluvion  aux  environs  du  golfe  de  Mexique.  L'Ala- 
hamadusudest  un  pays  de  plaines  immenses,  couvertes  d'une 
espèce  de  roseaux  appelés  canes  breaks.  Les  forôts  de  la 
partie  septentrionale  fournissent  le  meilleur  bois  que  l'on 
connaisse  pour  laconslruction  desnavires,  celui  àa  chêne  dit 
dévie,  e\  autres  essences  précieuses.  Dans  les  parties  cen- 
trale et  méridionale  croissent  les  pins  ;  dans  leur  voisinage 
l'air  est  sain ,  mais  le  sol  stérile  et  presque  sans  valeur. 
C'est  là  que  viennent  se  réfugier  les  habitants  du  reste  de 
l'État  aux  époques  où  sévit  la  fièvre  jaune.  Des  mines  d'or 
sont  exploitées  dans  l'Alabamadu  nord. Les  débris  des  Clié- 
rokees,  des  Creeks,  des  Chacktaset  des  Chikasas,  ainsi  que 
d'autres  peuplades  indiennes,  habitants  aborigènes  de  ce 
pays  ont  insensiblement  péri  ou  ont  émigré  à  l'ouest  du 
Mississipi.  Le  séjour  de  l'Alabama  est  d'ailleurs  fatal  aux 
émigrants ,  et  son  climat  est  très-insalubre  en  certains  en- 
droits et  pendant  certains  mois. 

VAlabama,  (leuve  navigable  dans  la  plus  grande  partie 
de  son  cours,  et  qui  donne  son  nom  à  l'État,  est  le  plus 
grand  cours  d'eau  de  ce  territoire ,  qu'arrosent  en  outre 
le  Tallapousa,  la  Cousa,  la  Cahacoba,  leTombigbee  et  le 
Black-Warrior ,  lesquels ,  après  leur  réunion ,  forment 
la  Mobile  et  se  déchargent  en  deux  grands  bras  dans 
la  baie  de  Mobile.  Le  Tennessee  traverse  la  partie  septen- 
trionale de  l'État.  L'Appalachicola,  formé  par  la  jonction 
du  Chattahouche  et  de  la  Flint-River,  et  les  torrents  de 
Yellow-Water,  d'Escambia  et  de  PerdiUo,  déversent  leurs 
eaux  dans  le  golft  Ju  Mexique. 


231 

Mobile  est  le  contre  commercial  de  l'Alabama.  Tuscn- 
lousa,  capitale  de  tout  l'État  sur  la  rive  méridionale  du 
Black-Warrior,  est  le  siège  du  gouvernement  et  d'une  uni- 
versité; sa  population  estd'à  pou  près  2,000  habitants.  On 
peut  encore  citer  Blakely  (  situé  en  face  de  Mobile),  Mont- 
gomery,  Florence,  Tuscumbia ,  Cahacoba  et  Huntsville. 
L'État  d'Alabama  concourait  pour  sept  voix  à  l'élection  du 
président  de  l'Union.  11  envoyait  cinq  députés  au  congrès. 
Le  pouvoir  législatif  est  confié  à  une  assemblée  générale 
composée  d'un  sénat  et  d'une  chambre  des  représentants.  Les 
sénateurs,  au  nombre  de  trente-trois,  sont  élus  pour  trois  ans; 
les  représentants,  au  nombre  de  cent,  ne  le  sont  que  pour 
un  an.  Tout  citoyen  blanc  âgé  de  vingt  et  un  ans  et  domi- 
cilié depuis  un  an  dans  l'État  y  jouit  du  droit  électoral.  Le 
pouvoir  exécutif  est  délégué  à  un  gouverneur  élu  pour 
dix  ans  par  l'assemblée  générale,  laquelle  nomme  aussi  les 
membres  de  la  cour  suprême  pour  six  ans.  Après  l'é- 
lection deM.  Lincoln,  en  1860,  comme  président  des  États- 
Unis,  l'Alabama  a  déclaré  se  séparer  de  l'Union.         Z. 

ALABAIVDIiVE  (d'Alabanda,  villede l'Asie  Mineure). 
Nom  donné  par  les  anciens  à  une  pierre  précieuse  dure,  d'un 
rouge  foncé,  qu'on  tirait  des  mines  d'Alabanda,  et  qui  pa- 
raît être  une  variété  de  grenat.  M.  Beudant  a  aussi  donné  ce 
nom  au  manganèse  sulfuré. 

ALABASTRITES,  grosses  perles  et  vases  à  parfum 
faits  en  poire.  Phne  dit  que  l'on  appelait  ainsi  les  boutons 
de  rose ,  ce  qui  indique  bien  la  forme  de  ces  perles  et  de  ces 
vases.  On  nomma  d'abord  alabastra  les  vases  à  parfum , 
parce  qu'ils  n'avaient  point  d'anses ,  de  l'a  privatif  et  de 
Xaêrj,  anse.  Comme  on  employait  souvent  à  cet  usage  une 
espèce  de  pierre  orientale  transparente ,  on  lui  donna  le 
nom  à'alabastnun  {voyez  Albâtre),  quoiqu'on  fit  des  ala- 
bastra d'or  et  de  plusieurs  autres  matières  précieuses. 

ALACOQUE  (  Marie  ),  religieuse  visitandine,  devenue 
célèbre,  dans  son  temps,  par  ses  extases,  ses  visions  et  ses 
prédictions.  Toutefois ,  malgré  la  part  qu'elle  a  eue  à  l'ins- 
titution de  la  fête  du  Sacré-Cœur ,  son  nom,  resté  obs- 
cur, serait  peut-être  difficilement  parvenu  jusqu'à  nous,  s'il 
ne  nous  avait  été  transmis  par  Vert-vert,  qui,  on  le  sait, 
était  lui-même  élève  du  couvent  de  la  Yisitalion,  ei  dont  le 
poète  a  dit  : 

11  savait  môme  ud  peu  du  Soliloque 
Et  des  traits  tios  de  Marie  Alacoque. 

Elle  naquit  le  22  juillet  1647,  à  Lauthecour,  près  d'Autun. 
Atteinte  d'infirmités  dès  l'enfance,  elle  était  déjà,  à  l'âge 
de  huit  ans ,  au  couvent  de  Charolles.  Ayant  été  guérie 
d'une  paralysie ,  elle  fit  honneur  de  sa  guérison  à  la  Vierge, 
et  par  reconnaissance  substitua  désormais  le  nom  de  Marie 
à  celui  de  Marguerite ,  qui  était  le  sien.  Poussée  par  une  vo- 
cation irrésistible,  elle  prit  l'habit  de  novice  au  couvent 
des  Visitandines  de  Paray-le-Monial  le  24  août  1671,  et 
elle  y  prononça  ses  vœux  le  6  novembre  1672.  Là,  ses  dis- 
positions naturelles  au  mysticisme  s'exaltèrent ,  et  elle  re- 
çut, au  dire  de  ses  biographes,  le  don  de  prophétie,  d& 
révélations ,  et  même  le  don  des  miracles.  Le  fruit  de  ses 
contemplations  mystiques  fut  un  ouvrage  qu'elle  composa 
sous  ce  titre  :  La  Dévotion  au  cœur  de  Jésus.  Il  fut  pu- 
blié en  1698,  après  sa  mort,  par  le  père  Croiset.  Ce  fut  là 
l'origine  du  culte  du  Sacré-Cœur.  Marie  Alacoque  raconte 
elle-même  le  plaisir  ineffable  qu'elle  éprouva  en  gravant 
sur  son  sein,  avec  un  canif,  le  nom  de  Jésus  en  gros  ca- 
ractères. Elle  mounit  le  17  octobre  1090,  après  avoir  prédit 
avec  exactitude  le  jour  de  sa  mort.  C'est  du  moins  ce  que 
disent  ses  biographes,  et,  entre  autres,  l'évêque  Languet, 
qui  a  publié  sa  vie  en  un  volume  in-4°,  Paris,  1729. 

Artaud. 

AL-ACSA  est  le  nom  d'une  des  deux  principales  mos- 
quées de  Jérusalem  ,  qui  furent  pillées  et  saccagées  par  les 
croisés,  lorscpi'ils  s'emparèrent  de  cette  ville,  l'an  10J9.  -» 


240 


AL-ACSA  —  ALAINS 


Ce  mot  arabe,  qui  signifie  le  dernier,  a  été  donné  par  les 
Arabes  à  la  partie  la  plus  occidentale  de  rAni(pie  septen- 
trionale; ils  l'apiiellcnt  Magreb  al-Acsa  (le  dernier  occi- 
dent). C'est  la  Mauritanie  occidentale,  qui  s'étend,  de  l'est 
à  l'ouest ,  depuis  Tlemcen  jusqu'à  l'Océan ,  et,  du  nord  au 
sud,  depuis  Tan};er  et  Ceuta  jusqu'à  Maroc. 

AJLADIX,  ou  mieux  ALA-liUDlN,  surnommé  le 
Vieux  de  la  Montagne,  prince  des  Assassins,  parvint, 
après  bien  des  aventures ,  à  se  créer,  dans  les  montagnes  de 
l'ancienne  Partliie,  une  souveraineté  à  peu  près  indépendante. 
Les  meurtres  sans  nombre  auxquels  se  livrèrent  ses  sujets 
répandaient  autour  de  lui  une  si  grande  terreur,  que  les  rois 
ses  voisins  et  même  plusieurs  princes  cbrétiens  se  virent 
obligés  de  lui  adresser  das  présents.  Lors  de  sa  croisade  en 
Palestine,  saint  Louis  se  montra  non-seulement  inaccessible 
à  toute  espèce  de  crainte,  mais  il  réussit  môme  à  forcer  le 
farouche  tyran  à  lui  adresser  solennellement  une  ambassade 
avec  des  présents.  —  Un  autre  ALA-EDDiN-KAïrvOD\n,  prince 
seldjouKide,  fut  sultan  d'Iconium  de  1219  à  1237. 

ALADIiV  { Lampe  d'  ).  Qui  de  nous  n'a  rôvé  parfois  à 
cette  lampe  merveilleuse  des  Mille  et  une  nuits,  qu'il  suffit 
de  frotter  pour  qu'un  génie  tout-puissant  vienne  se  mettre  à 
la  disposition  de  son  possesseur,  et  lui  apporter  des  riches- 
ses de  toutes  sortes,  lui  fournir  à  manger,  lui  donner  des  es- 
claves ,  des  habits  magniliques ,  des  chevaux ,  lui  bâtir  en 
une  nuit  un  palais  de  toute  beauté  ,  transporter  ce  palais  de 
Chine  en  Afrique,  et  d'Afrique  en  Chine ,  en  un  clin  d'œil.' 
Aladin ,  pauvre  fils  de  tailleur,  sans  état,  sans  fortune,  grâce 
à  ce  fameux  talisman,  qu'il  a  failli  payer  de  sa  vie,  devient 
le  gendre  du  sultan,  et  sultan  lui-même.  De  la  classe  la  plus 
infime  il  s'élève  à  la  puissance  suprême,  et  il  semble  mériter 
cette  élévation  par  le  bon  usage  qu'il  fait  de  ses  ricliesses. 
Aussi  cette  lampe  a  pu  passer  à  juste  titre  en  proverbe, 
et  chacun  sait  ce  qu'il  pourrait  faire  s'il  avait  la  lacipe  d'A- 
ladin. 

ALAIDIAR  f  Moiiammed-Aden-),  fondateur  du  royaume 
de  Grenade,  était  un  de  ces  ciiefs  arabes  qui,  au  treizième 
siècle,  avaient  conservé  en  Espagne  une  faible  puissance 
dont  ils  ne  se  servaient  que  pour  se  nuire  et  se  dépouiller 
réciproquement,  préparant  ainsi  une  proie  ticile  aux  chré- 
tiens. Alahmar  conçut  le  hardi  projet  de  réunir  sous  son 
autorité  les  pays  qui  n'étaient  point  encore  tombés  sous  la 
domination  chrétienne.  Après  s'être  emparé  de  Grenade,  il 
serrait  de  près  dans  Murcie  le  fils  d'Aben-Houd ,  qiwnd  celui- 
ci  ,  pour  ne  pas  tomber  dans  la  puissance  de  son  adver- 
saire, fit  hommage  de  ses  États  au  roi  de  Castille.  L'infant 
don  Alphonse  s'empressa  d'en  venirprendre  possession.  Après 
une  résistance  opiniâtre,  (jui  dura  plus  d'un  an,  Ahihinar, 
voyant  sa  position  tout  à  fait  désespérée,  résolut  de  tuiie  sa 
soumission.  11  se  rendit,  sans  aucune  suite,  au  camp  du 
roi  de  Castille,  se  fit  conduire  à  sa  tente,  et  lui  baisa  les 
mains  en  signe  de  vassalité.  Cette  démarche  flatta  le  roi,  qui 
le  traita  favorablement.  Un  arrangement  eut  lieu  entre  ces 
<!eux  princes ,  et  il  fut  convenu  qu'.\lahniar  conserverait  la 
jirovinre  de  Grenade  sous  la  suzeraineté  et  la  protection 
de  Ferdinand,  auquel  il  payerait  un  tribut  annuel ,  et  fourni- 
rait des  troupes  quand  il  en  serait  requis. 

Quoique  vassal  et  tributaire  du  roi  de  Castille,  Alahmar 
jeta  les  fondements  du  royaume  de  Grenade,  qui  finit  par 
acquérir  de  l'importance  et  de  la  force.  Cette  province  devint 
le  refuge  des  populations  musulmanes,  et  en  1266  tout  ce 
qui  restait  de  musulmans  en  Espagne  vivait  sous  l'auto- 
rité d'Alahmar.  Il  se  conduisit  avec  tant  de  pnidence  dans 
ses  rapports  avec  les  princes  chrétiens,  qu'il  s'en  fit  estimer 
et  respecter,  et  put  défendre  d'une  manière  eflicace  les  inté- 
rêts de  ses  compatriotes  auprès  des  Espagnols.  La  paix  ab- 
solue dont  jouit  Grenade  jusqu'à  sa  mort  (en  1273)  lui  permit 
de  constituer  assez  solidement  le  royaume  qu'il  avait  fondé. 
On  s'accorde  à  louer  Alahmar  pour  sa  modération ,  sa  justice 
et  les  efforts  constants  qu'il  lit  pour  la  prospérité  de  son 


pays.  11  encouragea  l'agriculture,  l'industrie  et  les  beaux-arts, 

il  établit  de  nombreuses  manufactures ,  fonda  des  hospices , 
créa  partout  des  écoles.  Le  célèbre  palais  de  l'Alhambrà 
est  l'ouvre  d'Alahmar,  qui  en  fit  sa  résidence  royale. 

ALAIX  CIIARTIER.  Voyez  Chartier. 

ALAIAf  DE  L'ISLE,  ainsi  nommé  du  lieu  de  sa 
naissance,  bien  que  l'on  ne  sache  pas  au  juste  à  quelle  ville 
la  rapporter,  fut  surnommé  le  Docteur  universel,  à  cause 
de  ses  vastes  connaissances.  Né  vers  le  milieu  du  douzième 
siècle,  il  devint  professeur  de  théologie  à  l'université  de 
Paris,  et  s'y  acquit  une  grande  réputation,  s'appliquant 
surtout  à  revêtir  le  langage  de  la  philosophie  de  formes  sé- 
duisantes et  poétiques.  Alain  de  l'isle  passa  les  dernières 
années  de  sa  vie  dans  l'abbaye  de  Cîteaux.  Il  mourut  en 
1203.  On  a  de  lui  un  assez  grand  nombre  d'écrits  latins, 
soit  en  vers,  soit  en  prose,  qui  ont  été  publiés  en  1654,  à 
Anvers,  en  un  volume  in-folio.  On  y  remarque  un  Anti- 
Claudien,  poème  philosophique,  et  \e  Livre  des  Paraboles. 
qui  a  été  traduit  en  français  par  Antoine  Vérard.  On  lui 
attribue  des  apliorisraes  hermétiques.  * 

ALAIXS.  Les  Alains ,  peuple  de  race  scythique ,  habi- 
taient dans  l'origine  entre  le  Pont-Euxin  et  la  mer  Cas- 
pienne. Ils  étendirent  leurs  conquêtes  depuis  le  Volga  jusqu'au 
Tanais,  pénétrèrent  au  nord  jusque  dans  la  Sibérie,  et 
poussèrent  au  sud  leurs  incursions  jusqu'aux  frontières  de  la 
Perse  et  de  l'Inde.  Le  mélange  des  races  sarmates  et  ger- 
maines avait  un  peu  rectifié  les  traits  des  Alains.  Ils  étaient 
moins  basanés  que  le  reste  des  Tatars,  moins  ditTormes  et 
moins  sauvages  que  les  Huns,  sans  leur  rien  céder  du  côté 
de  la  bravoure.  Passionnés  pour  la  liberté,  les  Alains  ne 
plaçaient  la  gloire  et  la  félicité  du  genre  humain  que  dans 
îepillage  et  les  combats.  Un  cimeterre  nu,  fiché  en  terre,  était 
l'objet  de  leur  culte.  Leurs  forces  militaires,  comme  celles 
de  presque  tous  les  Tatars,  se  composaient  d'une  nombreuse 
cavalerie  ;  ils  caparaçonnaient  leurs  chevaux  avec  les  crâ- 
nes de  leurs  ennemis ,  et  méprisaient,  dit  Jomandès,  les 
guerriers  pusillanimes  qui  attendaient  patiemment  les  in- 
firmités de  l'âge,  ou  qui  souffraient  les  douleurs  d'une 
longue  maladie.  Aussi ,  dans  ce  déluge  de  hordes  barbares 
qui ,  vers  le  cinquième  siècle,  inondèrent  le  monde  civilisé, 
les  Alains  se  montrèrent-ils  les  plus  cruels  et  les  plus  san- 
guinaires. 

L'an  73  de  J.-C,  ayant  franchi  le  Caucase,  ils  se  jetèrent 
sur  la  Médie,  et  la  dévastèrent.  Ils  furent  moins  heureux 
sous  le  règne  d'Adrien,  et  éprouvèrent  une  grande  défaite 
en  130.  Arrien  avait  enseigné  aux  Romains  une  tactique  mi- 
litaire particulière  contre  eux.  Vers  l'an  276  ils  recom- 
mencèrent leurs  incursions  dans  l'empire  Romain.  Peu  de 
temps  avant  sa  mort,  l'empereur  Aurélien,  se  disposant  à 
aller  porter  une  seconde  fois  la  guerre  en  Orient ,  fit  avec 
eux  un  traité  par  lequel  ils  s'engagèrent  à  envahir  la  Perse 
avec  un  corps  nombreux  de  cavalerie.  Ils  exécutèrent  fidèle- 
ment leurs  engagements;  mais,  la  mort  de  l'empereur  ayant 
fait  abandonner  le  projet  de  la  guerre  contre  les  Perses ,  on 
ne  tint  pas  les  promesses  qu'on  leur  avait  faites  :  pour  se 
venger,  ils  envahirent  l'empire,  et  se  rendirent  maîtres  en 
peu  de  temps  des  provinces  de  Pont,  de  Cappadoce,  de 
Cilicie  et  de  Galatie.  Le  successeur  d'.Aurélien ,  l'empereur 
Tacite,  voulant  à  tout  prix  délivrer  ses  États  des  barbares 
qui  les  désolaient,  s'empressa  de  remplir  les  engagements 
contractés  par  son  prédécesseur,  et  les  Alains,  satisfaits  de 
cette  démarche ,  se  retirèrent  pour  la  plupart  dans  leurs  dé- 
serts, au  delà  du  Phase.  Quelques-unes  de  leurs  tribus,  qui 
se  refusèrent  à  cette  transaction,  furent  exterminées  vers 
l'an  376.  Le  pays  des  Alains  fut  envahi  par  les  Huns,  venus 
des  frontières  de  la  Chine;  et  les  Alains ,  vaincus  après  une 
longue  résistance,  quittèrent  de  nouveau  leurs  retraites. 
Quelques  tribus  se  réfugièrent  dans  les  montagnes  du  Cau- 
case, où  elles  conservèrent  leur  nom  et  leur  indépendance. 
D'autres   s'avancèrent  jusqu'à  la  mer  Baltique,  et  s'asso- 


ALAKNS  —  ALAMBIC 


ctt^ront  au\  tribus  scptontnonalcs  de  r.\l!ouîa?;no;  mais  la 
plus  grande  partie  de  la  nation  accepta  l'alliance  avanta- 
geuse qui  lui  fut  otTerte  par  les  vjiinqueurs,  et  se  réunità  eux 
pour  envahir  l'empire  des  Goths. 

A  partir  de  celte  époque  jusqu'au  moment  de  leur  entier 
anéantissement  en  Espagne ,  les  Alains  n'occupent  plus  dans 
l'iiistoire  des  peuples  barbares  qu'un  rang  secondaire.  Plu- 
Kieurs  tribus  de  cette  nation  faisaient  partie  de  l'armée  de 
Radagaisc,  lorsqu'au  printemps  de  l'année  'lOO  il  envahit 
l'Italie;  mais  le  corps  de  la  nation  s'était  alors  confédéré 
«vec  les  Suéves ,  les  Vandales  et  les  lîourguignons.  Quel- 
ques tribus  étaient  aussi  au  service  do  l'empire.  Après  la 
défaite  et  la  mort  de  Hadagaise,  les  quatre  nations  confédé- 
rées ,  échelonnées  entre  les  Alpes  et  le  Danube ,  rebrous- 
sèrent chemin  vers  la  Germanie  occidentale,  dans  le  dessein 
de  se  rejeter  sur  la  Gaule.  Les  Francs  Ripuaires  es.sayèrent 
en  vain  de  défendre  «"tte  barrière;  ils  furent  mis  en  dé- 
route par  l'impétueuse  cavalerie  des  Alains ,  qui  vengèrent 
ainsi  la  défaite  et  la  mort  du  roi  des  Vandales  ,  Godégisile , 
tué  dans  l'action.  Le  31  décembre  406,  le  Rhin  fut  forcé 
près  de  Mayence,  et  pendant  plus  de  deux  ans  la  Gaule  fut 
ravagée  par  ces  barbares.  En  409 ,  à  l'exception  des  Bour- 
guignons, qui  s'étaient  détachés  de  la  confédération,  les 
alliés  abandonnèrent  les  provinces  dévastées  de  la'Gaule , 
et  le  i:î  octobre  ils  franchirent  les  l'yrénées,  appelés  par 
Gérontius,  qui  leur  fit  embrasser  la  cause  du  t^ran  Maxime. 
Ainsi  l'Espagne,  qui  depuis  quatre  siècles  jouissait  d'une 
paix  profonde,  se  vit  tout  à  coup  envahie  par  les  Suèves, 
les  Alains  et  les  Vandales ,  qui  devaient  s'y  livrer  de  san- 
glants combats.  Ils  avaient  été  remplacés  dans  les  Gaules 
par  les  Visigoths;  mais  le  comte  Constance,  résolu  de 
tout  faire  pour  éloigner  ces  nouveaux  barbares  de  la  Gaule , 
leur  montra  les  richesses  de  l'Espagne,  et  les  décida  à  passer 
à  leur  tour  les  Pyrénées  ;  sa  politique  était  de  détruire  les 
baibarcs  les  uns  par  les  autres ,  en  mettant  ainsi  les  Gotlis 
aux  prises  avec  les  Suèves ,  les  Vandales  et  les  Alains.  En 
effet,  dans  les  divers  combats  que  les  Visigoths,  sous  la 
conduite  de  Wallia ,  livrèrent  aux  autres  barbares ,  la  nation 
des  Alains  fut  presque  anéantie ,  et  ses  débris  se  fondirent 
dans  celle  des  Vandales,  dont  ils  suivirent  la  fortune; 
depuis  lors  ils  ne  reparaissent  plus  dans  l'histoiie  comme 
formant  un  corps  de  nation. 

ALAÏS,  ville  du  Languedoc  et  ancienne  capitale  des 
Cévennes,  aujourd'hui  chef-lieu  d'arrondissement  du  Gard, 
sur  la  rive  gauche  du  Gardon ,  à  074  kilomètres  de  Paris. 
Cette  ville  est  parvenue,  depuis  1819,  à  un  tel  degré  de 
))rospérité,  qu'elle  a  vu,  dans  un  intervalle  de  trente-sept 
années,  à  peu  près  doubler  sa  population,  qui  était  en  1836 
de  20,084  habitants.  Elle  le  doitsurtoutàîon  bassin  houiller, 
l'un  des  plus  riches  peut-être  de  la  France.  Elle  i)os- 
sède  de  grandes  usines  et  des  fileries  de  soie  fort  renommées , 
et  fait  un  commerce  considérable  de  grains,  de  vins,  d'o- 
lives, de  bestiaux.  Elle  possède  un  tribunal  civil,  un  tri- 
bunal de  commerce,  un  conseil  de  prud'hommes,  un  col- 
lège communal,  une  bibliothèque  publique,  une  église 
consistoriale  calviniste ,  et  ime  école  des  maîtres  et  ouvriers 
mineurs.  Saint  Louis  acheta  Alais  et  Anduze,  en  1243,  à  la 
maison  de  Bermond ,  une  des  plus  anciennes  du  Languedoc. 
Devenue  comté  en  1396,  la  ville  d' Alais  passa  successive- 
ment dans  la  maison  de  Montmorency  et  dans  celle  des 
princes  de  Conti.  Louis  XIII  la  soumit  en  1629  ;  quelques 
années  plus  tard,  Louis  XIV  en  lit  le  siège  d'un  évêché ,  et 
y  bâtit  une  citadelle  après  la  révocation  de  Tédit  de  Nantes. 
11  y  a  un  chemin  de  fer  d'Alais  à  Nîmes.  * 

AL AM AK ,  une  des  étoiles  de  la  constellation  d'An- 
dromède. 

ALA.MAXXI.  Voyez  Alemans. 

ALAM^VXNl  (Llici  ),  célèbre  poëte  italien,  né  à  Florence, 
le  2S  octobre  1495 ,  descendait  d'une  des  familles  les  plus 
nobles  et  les  plus  illustres  de  celte  république.  Sa  mère  était 

DICT.    DE    LA    CONV.    —   T      1. 


^4} 

Giiicvra  PignalcUi ;  f^on  père,  Franccsco  Alamann:,  était 
un  zélé  partisan  des  Métlicis.  Longteiups  il  jouit  lui-mènte 
d'un  grand  crédit  auprès  du  cardinal  Jules,  (pii  gouvernait  au 
nom  du  pape  Léon  X  ;  mais  s'étant  cru  vicliine  d'une  ii<- 
justice,  il  entra  ilans  une  conspiration  contre  la  vii>  du  cardi- 
nal. Le  complot  ayant  été  découvert,  Alamanni  se  réfugia  à 
Venise,  où  il  trouva  dans  le  sénateur  Carlo  Cappello  \\n  pro- 
tecteur. Plus  tard,  lorsque  le  cardinal  fut  promu  h  la  chaire 
de  saint  Pierre,  sous  le  nom  de  Clément  VII ,  il  dut  s'enfuir 
en  France;  mais  les  malheurs  qui  signalèrent  le  pontificat 
de  ce  pa|)e  ayant  fourni  à  l'iorence  l'occasion  de  recouvrer 
sa  liberté,  Alamanni  put  y  revenir  eu  1327.  Ce  fut  lui  qui  con- 
seilla à  ses  concitoyens  de  se  placer  volontairement  sous  la 
protection  de  Charles-Quint,  et  il  leur  offrit  à  cet  effet  son 
protecteur  André  Doria  comme  intermédiaire.  Les  républi- 
cains austères  déclarèrent  qu'un  tel  conseil  n'était  qu'une  tra- 
hison. En  conséquence  Alamanni  restaauprès  de  Doria,  qui  le 
conduisit  en  Espagne  avec  sa  (lotte.  A  quelque  temps  de  là, 
il  revint  à  Florence  à  bord  de  la  même  ilotîe  ;  mais  alors  , 
proscrit  de  nouveau,  il  dut  aller  chercher  un  asile  en  France, 
où  François  ï"  ne  tarda  pas  à  faire  tellement  cas  de  lui 
qu'après  la  paix  de  Crespy ,  conclue  en  1344,  il  le  nomma 
son  ambassadeur  auprès  de  Charles-Quint.  Alamanni  ne  jouit 
pas  d'une  considération  moindre  auprès  de  Henri  II,  qui 
l'employa  dans  diverses  négociations.  11  mourut  à  Araboise, 
en  1556.  De  tous  ses  ouvrages,  celui  qui  porta  le  plus  haut  sa 
réputation  fut  son  poème  didactique  la  Coltivazionc  (Paris, 
1546  ;  dernière  édition,  Florence,  1S30).  Son  poème  héroïque 
en  vingt-quatre  cliants,  Girone  il  cortese,  est  imité  d'un  vieux 
poème  français.  Dans  une  autre  épopée,  aussi  en  vingt-quatre 
chants ,  l'Avarchkle ,  dont  le  sujet  est  le  siège  de  Bourges 
{Avaricion),  il  a  imité  avec  peu  de  bonheur  Homère.  11 
publia  ses  œuvres  diverses  sous  le  titre  à'Opere  Toscane 
(  2  vol.,  Lyon,  1332).  Il  écrivit  une  comédie,  Flora,  et  une 
hn\t3iUondeYAnfigoneHeSop\ioc\e.SesEpigi-am)niToscani 
(Mondovi,  1570)  firent  grand  bruit.  Ses  ouvrages  se  recom- 
mandent par  la  légèreté,  la  clarté  et  la  pureté  du  style  ;  mais 
la  vigueur  et  la  verve  poétique  y  font  trop  souvent  défaut. 
Alamanni  fut  le  premier  qui  introihiisit  les  vers  blancs 
(versi  scïolti)  dans  la  littérature  italienne;  mérite  que 
Trissino  pourrait  peut-être  revendiquer  pour  lui-môme,  mais 
dont,  en  tout  cas ,  ses  compatriotes  lui  tiennent  médiocre- 
ment compte. 

ALAJVIBÎC  (du  mot  grec  âixoi?,  vase,  pot,  et  de  l'article 
arabe  al  ).  Toutes  les  fois  qu'il  s'agit  de  séparer  des  produits 
inégalement  volatils ,  on  a  recours  à  une  opération  qui  porte 
le  nom  de  distillation,  dont  le  but  est  de  volatiliser 
certains  corps  et  de  les  condenser  à  l'état  liquide.  Lorsqu'on 
opère  sur  des  quantités  de  substances  assez  considérables, 
on  emploie  des  alambics ,  vases  dont  la  forme  a  singulière- 
ment varié,  mais  consistant  toujours  essentiellement  en  un 
récipient  renfermant  le  produit  à  distiller  et  muni  d'appa- 
reils propres  à  refroidir  et  à  liquéfier  les  produits  volatilisés. 
Le  récipient  se  nomme  ordinairement  CiUi^r^/^c  ,1a  partie  de 
l'appareil  où  les  vapeurs  se  réunissent  prend  le  nom  de 
chapiteau,  et  le  tuyau  où  elles  se  condensent  s'appelle 
le  serpentin,  à  cause  de  sa  forme.  C'est  ainsi,  par  exemple, 
que  l'on  obtient  l'eau-de-vie,  i'esprit-de-vin  ,  les  essences, 
les  eaux  de  Cologne  et  de  mélisse,  l'eau  pure  ou  distillée,  etc. 
—  Dans  certains  cas,  les  substances  sur  lesquelles  on  opère 
pourraient  éprouver  par  la  chaleur  une  altération  qui  modilio- 
rait  ou  altérerait  les  produits  volatils  ;  on  renferme  alors  la 
partie  inférieure  de  l'alambic  dans  un  vase  appelé  bain- 
marie ,  enveloppé  d'eau  ordinaire  ou  salée,  qui  la  chauffe 
par  intermédiaire.  —  Les  pioduits  volatilisés  pourraient  se 
condenser  partiellement  parle  refroidissement  qu'ils  éprouve- 
raient en  traversant  des  appareils  en  contact  avec  l'air  par 
toutes  leurs  parois  extérieures;  mais  une  fois  échaulïés,  ces 
vases  en  laisseraient  échapper  la  plus  grande  partie.  C'est 
pour  déterminer  imc  condensation  complète  que  les  appareils 

Jl 


242 

sont  enveloppés  treaii  fioide  que  l'on  lenoiivelle  à  mesure 
(lu'elle  s'écliauiïe.  —  Des  tuyaux  citciilaires  ou  plats  sont 
renfermés  dans  un  vase  rempli  de  ce  liquide  ;  h  leur  ex- 
trémité supérieure  ,  ils  reçoivent  les  vapeurs,  et  par  leur  ex- 
trémité inférieure  s'écoule  le  liquide  condensé.  L'eau  employée 
jiour  le  refroidissement  arrive  par  la  partie  inférieure  du  ré- 
frif^érant,  donrelle  occupe  ie  fond,  à  cause  de  sa  plus  grande 
densité ,  et  l'eau  chaude ,  plus  légère ,  s'écoule  par  un  con- 
duit placé  supérieurement.  —  Quand  il  s'agit  de  préparer 
à  la  fois  de  l'alcool  à  divers  degrés  de  force  en  distillant  du 
vin  ou  d'autres  liquides  alcooliques,  les  réfrigérants  sont  plus 
compliqués ,  parce  qu'on  est  alors  obligé  de  condenser  à  des 
températures  variées  les  produits  volatils  ;  de  cette  manière, 
on  recueille  des  liquides  marquant  des  degrés  très-différents. 
H.  Gailtikr  de  Claibrv. 
AL.W'D  (Iles  d') ,  groupe  d'environ  trois  cents  Iles  et 
llolsdans  legolfede  Bothnie,  «iont  quatre-vingts  sont  habilé>: 
d'à  peu  près  quatorze  mille  âme.>.  Le  soi  en  est  si  pierreux 
et  recouvert  d'une  couche  de  terre  si  légère,  que  dans  les 
élés  chauds  les  grains  s'y  dessèchent  avant  de  mûrir,  et  que 
les  arbres  5  fruit  n'y  produisent  presque  rien.  La  navigation 
et  la  pêche  du  hareng  constituent  la  principale  ressource 
des  habitants,  qui  sont  originaires  de  la  Suède.  En  1714, 
un  combat  naval  eut  lieu  près  de  ces  Iles  entre  les  Russes 
sous  les  ordres  d'Apraxin  et  les  Suédois  commandés  par 
Ehreiiskœld  :  les  premiers  restèrent  vainqueurs.  Aux  termes 
de  la  paix  de  1809,  la  Suède  dut  faire  cession  de  lar- 
chipel  d'Aland  à  la  Russie.  L'Ile  principale,  qui  a  onze 
lieues  de  long  sur  neuf  de  large,  et  qui  a  donné  sou 
nom  à  l'archipel,  a  ses  côtes  coupées  d'un  grand  nombre 
de  baies.  Elle  possède  une  ville  qui  porte  le  même  aom. 
C'est  dans  la  partie  orientale  de  cette  Ile  que  se  trouve 
la  baie  de  Lumpar,  où  une  flotte  entière  peut  mouiller  en 
toute  sûreté,  et  à  l'extrémité  de  laquelle  est  située  la  forteresse 
de  Bomarsund,  dont  les  Français  et  les  Anglais  s'empa- 
rèrent au  mois  d'août  1854.  Par  le  traité  de  Paris  du 30  mars 
1856  la  Russie  s'est  engagée  à  ne  pas  fortilier  les  îles  d'Aland 
et  à  n'y  maintenir  ni  créer  aucun  établissement  militaire  ou 
naval.  Z. 

ALARCON  Y  MENDOZA  (  Don  Juan  Ruiz  de  ), 
auteur  dramatique  espagnol  qui  se  place  immédiatement 
après  Lope  de  Véga  et  Caldéron.  Schlegel ,  Bouterwek 
et  Sisinondi,  qui  se  sont  spécialement  occupés  du  Ihéàtie 
espagnol  ,  passent  sous  silence  cet  homme  remarqua- 
bl« ,  dont  Corneille  admirait  le  génie.  Ses  compatriotes 
mêmes  l'ont  oublié;  à  peine  le  nom  d'Alarcon  apparait- 
il  de  temps  à  autre,  de  la  manière  la  plus  vague ,  dans 
leurs  annales  littéraires  :  on  ne  le  cite  jamais.  Pendant  sa 
vie,  plusieurs  faussaires  lui  dérobèrent  ses  titres  degloire; 
après  sa  mort,  les  critiques  ne  parvinrent  à  les  retrouver 
et  à  les  lui  rendre  qu'avec  difficulté;  Corneille  lui-même, 
en  lui  empnmtant  le  Menteur,  comédie  qui  a  ouvert  la 
carrière  de  notre  gloire  théâtrale,  attribuait  à  Lope  de  Véga 
cette  œuvre,  qu'il  appelle  «  la  merveille  du  théâtre,  et  à  la- 
quelle, dit-il,  il  ne  trouve  rien  de  comparable  en  ce  genre 
chez  les  anciens  ni  chez  les  modernes  ■>.  Victori/i  Fabre 
attribuait  à  Francesco  de  Rojas  la  Verdad  Sospechosa, 
œuvre  prototype  du  Menteur,  et  il  a  fallu  toutes  les  re- 
cherches réunies  et  successives  de  Nicolas  Antonio,  de 
M.  Salva  ,  de  M.  Ferdinand  Denis  et  de  l'auteur  de  cet  ar- 
ticle, pour  savoir  enfin  à  peu  près  comment  Alarcon.  a  vécu 
et  où  il  a  vécu. 

Alarcon  axait  reçu  de  la  nature  et  de  la  société  plusieurs 
<lons  singuliers  et  disparates ,  qui  se  détruisaient  mutuelle- 
ment :  \m  génie  original ,  un  violent  orgueil ,  une  naissance 
noble,  un  berceau  étranger,  une  grande  distinction  de  ma- 
nières et  une  difformité  naturelle.  11  était  Indien,  c'est-à-dire 
né  au  Mexique,  et  il  faut  voir  avec  quelle  supériorité  de  dé- 
dain les  Espagnols  ont  longtemps  traité  les  enfants  de  leurs 
colonies.  Dernièrement  encore,  tout  en  se  donnant  à  elle-même 


ALAMBIC  —  ALARCON 


une  constitution  libre,  l'Espagne  a  retenu  sa  dernière  colo- 
nie, la  Havane,  dans  la  servitude  la  plus  complète.  Malgré 
celte  extraction  indienne,  Alarcon  occupait  à  la  cour  de 
Madrid  un  poste  honorable  et  surtout  lucratif,  à  une  épo- 
que où ,  comme  le  dit  le  marquis  de  Louville ,  il  y  avait  à 
peine  assez  d'argent  dans  les  caisses  pour  fournir  une  olla- 
podrida  à  Leurs  Majestés ,  et  où  commençait  la  rapide  déca- 
dence de  la  monarchie  espagnole.  Au  lieu  de  trahier  sa  vie 
dans  cette  pauvreté  amère  qui  dévora  les  jours  du  Camoëns 
et  de  Cervantes ,  Alarcon  se  trouva  de  niveau  avec  les 
grands  seigneurs  du  temps,  qui  devaient  mépriser  fort, 
néanmoins ,  du  sommet  de  leur  ignorance  et  de  leur  fierté 
castillane,  un  poète,  homme  de  finances ,  Indien  et  bossu. 
Ce  dernier  malheur,  dont  semble  douter  un  peu  le  spirituel 
et  récent  auteur  d'une  Histoire  comparée  des  Littératures 
Espagnole  et  Française  (M.  Adolphe  de  Puibusque  ),  est 
néanmoins  confirmé  |)ar  les  nombreuses  épigrammes  que 
les  poètes  ses  contemporains  dirigèrent  contre  sa  gibbosité. 
L'un  dit  qu'il  <<  prend  cette  bosse  pour  le  mont  Hélicon  ;  » 
l'autre,  que  «  si  sa  bosse  était  grosse  comme  son  orgueil, 
«  Pélion  et  Ossa  ne  l'égaleraient  pas.  »  Il  paraît  peu  pro- 
bable que  la  malice  contemporaine  se  soit  égayée  sur  une 
difformité  chimérique;  être  bossu ,  Indien  et  homme  de  gé- 
nie, ce  sont  trois  malheurs  dont  on  aurait  pu  après  tout  se 
consoler  avec  un  peu  de  tact,d'esprit  et  de  réserve.  Mais, 
pour  achever  le  désastre  de  sa  gloire  et  de  son  repos,  Alarcon 
joignait  à  ses  autres  dons  le  plus  infernal  orgueil  dont 
une  âme  humaine  ait  jamais  été  pétrie.  «  Canaille,  dit-il 
«  au  public  (  al  volgo  ),  dans  ime  de  ses  préfaces,  bête  fé- 
«  roce,  je  m'adresse  à  toi  ;  je  ne  dis  rien  aux  gentils-hommes, 
«  qui  me  traitent  mieux  que.  je  ne  le  désire  ;  je  te  livre  mes 
«  pièces,  fais-en  ce  que  tu  fais  des  bonnes  choses;  sois  in- 
«  juste  et  stupide  à  ton  ordinaire.  Elles  te  regardent  et  t'af- 
n  ft-ontent  ;  leur  mépris  pour  toi  est  souverain.  Elles  ont  tra- 
«  versé  tes  grandes  forêts  (  le  parterre  ).  Elles  iront  te  cher- 
«  cher  dans  tes  repaires.  Si  tu  les  trouves  mauvaises ,  tant 
«  mieux,  c'est  qu'elles  sont  bonnes.  Si  elles  te  plaisent, 
«  tant  pis,  c'est  qu'elles  ne  valent  rien.  Paye-les,  je  me  ré- 
«  jouirai  de  l'avoir  coûté  quelque  chose.  »  Ce  terrible  bossu 
ameuta  nécessairement  contre  lui  toute  l'armée  des  écri- 
vains roturiers ,  sans  que  les  gentils-hommes  de  Castille  dai- 
gnassent prendre  en  main  la  défense  de  l'Indien.  Aussi  fit- 
il  d'excellents  drames  que  personne  ne  vanta ,  que  plusieurs 
s'attribuèrent ,  dont  Corneille  profita  sans  savoir  à  qui  il 
les  devait,  et  qui  ne  valurent  à  leur  orgueilleux  père  qu'une 
réputation  posthume  et  contestée. 

Né,  selon  toutes  les  probabilités,  vers  le  commencement 
du  dix-septième  siècle,  dans  la  province  mexicaine  de  Tusco, 
province  qui  fait  partie  du  district  de  Cuença ,  don  Juan 
Ruiz  de  Alarcon  appartenait  sans  doute  à  cette  grande  fa- 
mille des  Alarcon  qui  s'est  signalée  dans  les  guerres  de  la 
conquête ,  dont  le  marquis  de  TrocifaI  a  publié  la  généalo- 
gie ,  et  qui  a  donné  plusieurs  gouverneurs  généraux  à  l'île 
de  Cuba,  où  elle  existe  encore.  Dès  cette  époque ,  le  prince 
de  Esquillache  avait  fondé  à  Mexico  un  collège  pour  les 
jeunes  gentils-hommes ,  collège  où  il  est  probable  que  le 
poète  fit  ses  études.  En  1621  ou  1622  il  passe  en  Europe, 
obtient  en  1625  le  titre  et  le  grade  de  licencié,  est  nommé 
ensuite  rapporteur  du  conseil  royal  des  Indes  (  relatordel 
real  consejo  de  las  Indias  ) ,  vit  à  la  cour,  s'amuse  à  écrire 
des  comédies,  dont  il  publie  huit,  composant  un  premier  vo- 
lume (  1628,  ISIadrid  ) ,  et  ensuite  douze,  composant  un  se- 
cond volume  (  1634,  Barceloua).  La  première  partie  est  dé- 
diée au  grand-chancelier  du  conseil  des  Indes,  don  Ramiro 
¥e\\])e  de  Gusman ,  duc  de  Médina  de  las  Torres,  son  Mé- 
cène ,  dit-il ,  mais  auquel  il  s'adresse  plutôt  du  ton  cour- 
tois d'un  gentil-homme  qui  parle  à  son  égal  avec  une  af- 
fection dévouée  et  chevaleresque ,  que  du  ton  obséquieux 
d'un  poète  de  cour  et  d'un  protégé.  On  ne  sait  rien  de  sa 
'  mort  ;  peut-être ,  fatigué  des  épigrammes  dont  les  poètes 


ALAUCOM 

criblaient  le  genlil-hoinnie  boisu,  retouina-t-il  en  Amérique. 
Dojà  en  1G42  sa  meilleure  conaïklie ,  la  Verdad  Sospe- 
chosa,  ijnprimée  dans  le  second  volume  de  son  recueil,  était 
attribu»^?  à  Rojas  et  à  Lope,  tant  on  avait  accordé  peu  d'at- 
tention au  volume  et  à  l'écrivain.  C'était  un  drame  bien  in- 
venté et  bien  conduit ,  qui ,  imprimé  séparément ,  tomba , 
sans  nom  d'auteur,  entre  les  mains  d'un  jeune  Français  né  en 
Normandie.  Ce  dernier  s'occupait  beaucoup  de  théâtre,  et, 
selon  le  conseil  d'un  de  ses  vieux  amis,  étudiait,  imitait  et 
exploitait,  en  les  soumettant  à  une  régie  plus  sévère ,  les 
fertiles  carrières  du  draine  espagnol.  Pierre  Corneille  (il 
s'agit  de  lui  )  fut  émerveillé  de  la  vigueur  du  dialogue,  de  la 
simplicité  des  ressorts  et  de  la  haute  moralité  de  l'ensemble. 
Il  imita  la  Verdad  Sospcchosa  avec  la  supériorité  de  son 
génie,  en  fit  le  Menteur,  et  dota  la  France  de  la  comédie 
de  caractère.  Seulement ,  en  aùoucissant  ({uelques  teintes  es- 
pagnoles, et  en  remplaçant  le  vers  facile  et  rapide  d'Alarcon 
par  l'énergique  et  imposante  naïveté  de  son  vers  hexamètre, 
notre  grand  poète  conserva  malgré  lui  certaines  nuances  et 
certains  tableaux  tout  castillans ,  qui  produisent  un  effet 
singulier  au  milieu  des  mœurs  françaises  et  provinciales  de 
la  ville  de  Poitiers,  où  il  reporte  son  action.  Le  plus  re- 
marquable de  ces  traits  espagnols  est  la  gronde  Jlesta,  la 
fête  et  la  sérénade  données  sur  l'eau  par  un  galant  à  sa 
maîtresse,  description  fort  convenable  aux  mœurs  des  rive- 
rains du  Guadalquivir  et  du  INIançanarès ,  mais  peu  en  har- 
monie avec  les  rustiques  habitants  des  bords  du  Clain ,  qui 
baigne  les  murs  de  Poitiers.  Le  caractère  du  talent ,  disons 
mieux ,  du  génie  d'Alarcon ,  n'était  pas  sans  analogie  avec 
celui  du  grand  Corneille  :  c'est  la  fierté  de  la  conception  et 
du  langage.  On  retrouve  cette  simplicité  hautaine ,  cette  hé- 
roïque grandeur  dans  toutes  ses  comédies ,  telles  que  Y  Exa- 
men de  Maridos,  et  surtout  dans  le  beau  drame  eu  deux 
parties  {el  Texedor  de  Segovia),  que  M.  Feidinand  Denis 
a  traduit  (  Chroniques  de  l'Espagne,  tome  II  )  avec  un  talent 
et  une  fidélité  remarquables.  On  peut  consulter  sur  Alarcon 
le  grand  ouvrage  de  IVI.  de  Puibusque  que  nous  avons  cité , 
la  notice  de  M.  Ferdinand  Denis ,  et  la  série  d'études  que , 
le  premier  en  France ,  l'auteur  de  cet  article  a  consacrées  à 
Alarcon  dans  la  Revue  de  Paris  de  1832. 

Philarète  Chasles. 
ALARD  (Marie-Joseph-Louis-Jean-François-Antoine), 
médecin  en  chef  de  la  maison  de  la  Légion  d'Honneur  de 
Saint-Denis,  naquit  à  Toulouse,  le  1""^  avril  1779.  En  1794 
il  prit  du  service  dans  l'armée  du  Rhin  comme  chirurgien 
sous-aide;  puis  il  fut  attaché  à  l'état-major  de  la  dix-sep- 
tième division  militaire ,  dont  la  capitale  était  alors  le  siège. 
Rentré  quelques  années  après  dans  la  vie  civile,  il  com- 
mença de  sérieuses  études  médicales,  et  se  fit  recevoir  doc- 
teur à  Paris  en  1803.  Condisciple  de  Bichat,  de  Cuvier,  de 
Duraéril ,  Fouquier  et  Dupujiren  ,  il  resta  un  des  rares  amis  de 
ce  dernier.  Suivant  les  cours  du  Jardin  des  Plantes  en  même 
temps  que  ceux  de  l'École  de  médecine,  il  connut  au  Muséum 
d'Histoire  Naturelle  Lacépède ,  avec  lequel  Use  lia.  Lacépède, 
devenu  sénateur  et  grand  chancelier  de  la  Légion  d'Honneur, 
choisit  Alard  pour  médecin ,  puis  il  l'institua  en  18  î  1  méde- 
cin en  chef  des  maisons  d'éducation  de  la  Légion  d'Honneur, 
et  plus  particulièrement  de  la  maison  de  Saint-Denis.  Alard 
garda  celte  place  après  la  chute  de  l'empire,  et  même  après 
la  chute  des  deux  branches  des  Bourbons.  Il  est  mort  dans 
la  même  position  en  1850.  —  Sa  place  l'avait  mis  nécessai- 
rement en  relation  avec  de  grandes  dames  dont  il  avait  été 
le  médecin  d'enfance ,  et  sa  clientèle  était  devenue  brillante 
et  nombreuse.  Ciievalier  de  la  Légion  d'Honneur  en  1820, 
officier  en  1 828 ,  il  avait  été  nommé  membre  de  l'Académie 
de  Médecine  dès  la  création.  Choisi  pour  secrétaire  général 
en  1S21  par  la  Société  Médiaile  d'Émulation,  Alard  rédigea  le 
septième  tome  des  Actes  de  cette  compagnie,  où  il  inséra  un 
éloge  du  voyageur  Pérou.  En  même  temps  il  avait  la  rédac- 
tion el  la  direction  du  Bulletin  des  Sciences  Médicales 


ALAUIC 


2  43 


publié  parcelle  socicté.  Ha  en  outre  fait  paraître  une  tra- 
duction de  l'ouvrage  de  James  Hendy  sur  les  Maladies 
Glanduleuses  de  la  Barbade  (1800)',  une  Dissertation 
inaugurale  sur  le  Catarr/iede  l'Oreille  (1803),  une  Histoire 
de  l'Éléphantiasisdes  Arabes,  1806,  in-8°,dont  la  deuxième 
édition,  imprimée  en  1824,  porte  pour  titre  :  De  l'inflamma- 
tion des  vaisseaux  absorbants  lymphatiques ,  dermoides 
et  sous-cuta)iés,  maladies  désignées  par  les  auteurs  sous 
les  dij/érents  noms  d'cléphantiasis  des  Arabes ,  d'œdème 
dur,  de  hernie  oléagineuse,  de  maladie  glandulaire  de  la 
Barbade,  etc.,  in-8°,  avec4  pi.;  Du  Siège  et  de  la  nature  des 
Maladies,  ou  co7tsidérations  sur  la  véritable  action  dusys- 
tèmc  absorbant  dans  Vécoywmie animale,  1827,  2vol.in-8°. 
Ces  deux  ouvrages  ont  d'autant  plus  d'intérêt  que  les  vais, 
seaux  lymphatiques,  dont  ils  traitent ,  n'ont  été  découverts 
que  depuis  une  centaine  d'années.      D'    Isid.BocnnoN. 

ALARIC,  roi  des  'S'isigoths ,  rompit  l'alliance  que  sous 
le  règne  de  l'empereur  Théodose  les  Gotlis  avaient  conclue 
avec  les  Romains,  el  envahit,  en  l'an  395,  la  Thrace,  la  Macé- 
doine, laThessalie  et  l'IUyrie,  où  il  porta  en  tous  lieux  le 
fer  et  le  feu.  Stihcon,  qui  aurait  voulu  mettre  un  terme  à  ces 
dévastations,  en  fut  empêché  par  la  jalousie  de  Rufin,  mi- 
nistre d'Arcadius  ;  et  ce  ne  fut  que  lorsque  Alaric ,  après  avoir 
traversé  la  Grèce,  où  il  prit  Athènes,  fut  entré  dans  le  Pélo- 
ponnèse, que  Stilicon  put  l'y  joindre.  Alaric  s'enfuit  alors  en 
lUyrie,  dont,  en  386,  Arcadius  lui-môme  lui  confia  le  gou- 
vernement supérieur.  C'est  de  là  qu'en  l'année  402  il  partit 
pour  envahir  la  haute  Italie  ;  et  Honorius,  ne  se  croyant  plus 
en  sûreté,  se  réfugia  alors  à  Ravenne,  ville  mieux" fortifiée. 
Alaric  était  en  route  pour  passer  en  Gaule ,  quand  Stilicon 
le  rencontra  et  le  battit  à  Pollentia  sur  le  Tanaro  :  mais  ce 
ne  fut  que  dans  l'automne  suivant  que  le  roi  des  Visigoths , 
battu  de  nouveau  à  Vérone,  se  retira  en  lilyrie.  Dos  l'an- 
née 404  Alaric  trouvait  un  prétexte  pour  envahir  de  nou- 
veau l'Italie  ;  mais  à  ce  moment  un  traité  qu'il  conclut  avec 
Honorius  par  l'intermédiaire  de  Stilicon  le  décida  à  rebrous- 
ser chemin  et  à  se  jeter  dans  l'Épire  pour  y  opérer  sa  jonction 
avec  l'armée  de  Stilicon  et  attaquer  de  concert  Arcadius. 
L'expédition  projetée  n'eut  pas  lieu  ;  mais  Alaric  n'en  ré- 
clama pas  moins  une  indemnité ,  et ,  d'après  le  conseil  de 
Stilicon,  Honorius  lui  promit  4000  livres  pesant  d'or.  Après 
le  supplice  de  Stilicon,  qui  eut  lieu  en  408,  Honorius  ayant 
refusé  de  tenir  ses  engagements,  Alaric  envahit  l'Italie  à  la 
tête  de  son  armée,  et  vint  assiéger  Rome,  qui  ne  put  éloigner 
les  barbares  de  ses  murailles  qu'en  promettant  de  leur 
payer  5,000  livres  pesant  d'or  et  30,000  livres  pesant  d'ar- 
gent. Les  négociations  entamées  pour  la  paix  à  la  suite  de 
ces  conventions  préliminaires  n'ayant  amené  aucun  résultat 
définitif,  Alaric  revint  mettre  le  siège  devant  Rome  pour  la 
seconde  fois.  La  famine,  qui  ne  tarda  pas  à  régner  dans  cette 
ville  contraignit  les  habitants  à  capituler,  el  le  sénat  pro- 
clama alors  empereur,  en  remplacement d'Honorius,  A  tt  a  1  e, 
qui  avait  présidé  à  la  défense.  Toutefois,  celui-ci  fit  preuve 
de  tant  d'incapacité ,  qu'Alaric  lui  enjoignit  publiquement 
de  déposer  la  pourpre  impériale.  Les  négociations  engagées 
de  nouveau  avec  Honorius  n'amenèrent  aucun  résultat.  Une 
surprise  qu'on  tenta  à  Ravenne  contre  Alaric  l'irrita  telle 
ment,  qu'il  vint  assiéger  Rome  une  troisième  fois.  Le  24 
aoit  410  ses  bandes  victorieuses  entrèrent  dans  la  ville 
éternelle,  qu'elles  livièrent  pendant  trois  jours  au  pillage  et 
dont  elles  incendièrent  ensuite  une  grande  partie.  Les  an- 
ciens historiens  n'en  exaltent  pas  moins  la  modération  dont 
Alaric  fit  preuve  en  ordonnant  d'épargner  les  églises  et  les 
l)ersonnes  qui  s'y  étaient  réfugiées.  11  paraît  d'ailleurs  que 
les  anciens  édifices  et  les  œuvres  d'art  souffrirent  moins  de 
cet  effroyable  sinistic  que  ne  l'ont  dit  les  historiens  moder- 
nes. Alaric  ne  quitta  Rome  que  pour  aller  entreprendre  la 
conquête  de  la  Sicile  ;  mais  la  mauvaise  constiuction  de  ses 
navires  le  força  de  renoncer  à  ce  projet,  el  la  mort  vint  le 
frapper  lui-même  avant  le  temps  àCoseuza  enCalabie,  en 

31. 


244 


ALAiUC  —  AL  AUX 


l'an  410.  Onrenteiradaos  le  lit  du  ficave,  afin  que  les  Romains 
ne  pussent  jamais  retrouver  ses  cendr&s ,  et  les  prisonniers 
qui  avaient  été  employés  à  ce  travail  furent  ensuite  égorgés. 
Itome  et  l'Italie  célébrèrent  celte  mort  par  des  réjouissances 
publiques,  et  le  monde  eut  alors  quelques  instants  de  calme 
et  de  repos.  Mais  Alaric  avait  appris  aux  barbares  le  clie- 
min  de  Rome,  et  leur  avait  révélé  le  secret  de  l'impuissance 
de  l'ancienne  reine  du  monde. 

ALAUIC  H,  roi  des  Visigotbs  de  487  à  507,  fils  d'Eu- 
ric ,  régnait  sur  l'Espagne  et  la  partie  des  Gaules  comprise 
entre  les  Pyrénées,  le  Rhône  et  la  Loire.  Il  livra  à  Clovis  le 
général  romain  Syagrius,  qui  s'était  réfugié  près  de  lui; 
mais  cette  làcLeté  n'empèclia  pas  le  roi  des  Francs,  qui  cou- 
voitaitles  riches  provinces  du  midi,  de  lui  déclarer  la  guerre. 
Alaric  était  arien  ;  le  prétexte  fut  tout  trouvé.  Clovis  s'em- 
para de  Tours,  et  rencontra  l'armée  des  Visigoths  dans  la 
plaine  de  Vouglé  près  Poitiers;  les  Francs  furent  vain- 
queurs, et  Alaric  périt  dans  la  mêlée  de  la  main  même  de 
Clovis.  11  avait  fait  rédiger  à  l'usage  de  son  peuple  un 
abrégé  du  code  Théodosien ,  connu  sous  le  nom  de  Code 
d' Alaric. 

ALARME ,  dérivé  de  l'italien  alV  arme  !  (  aux  armes  !  ) 
—  C'est  un  mouvement  de  troupes,  causé,  en  temps  de 
guerre,  dans  un  camp,  dans  une  ville  fortifiée,  dans  un 
poste  ou  dans  un  cantonnement ,  par  l'approche  de  l'ennemi 
ou  la  crainte  d'un  danger  imminent,  d'une  attaque  imprévue. 
I/alanne  est  annoncée  par  le  canon,  la  cloche,  la  caisse  ou 
la  trompette  :  à  ce  signal ,  bien  connu  du  soldat,  les  corps 
l)iennent  aussitôt  les  aimes ,  se  rendent  dans  les  lieux  qui 
leur  sont  assignés  et  s'y  mettent  en  défense.  Ce  qu'il  importe 
surfoiit  d'éviter  dans  une  alarme,  c'est  la  confusion  ;  car  si 
elle  s'introduisait  parmi  les  troupes ,  son  effet  paralyserait 
les  di«positioas  prises  pour  repousser  avec  succès  l'attaque 
de  l'ennemi ,  et  pourrait  compromettre  la  sûreté  de  l'armée 
sur  un  autre  point.  —  On  dit  \e poste  d'alarme,  le  canon 
d^alarme,  sonner  l'alarme.  En  campagne  et  dans  une  place 
de  guerre,  le  poste  d'alarme  est  le  lieu  assigné  à  un  régi- 
ment, un  bataillon,  un  détachement,  en  cas  d'alarme;  on 
appelle /)(èce  d'alarme,  le  canon  placé  à  la  tète  d'un  camp, 
et  qui  est  prêt  à  faire  feu  au  premier  signal. 

Alarme  se  dit  figurément  de  toute  sorte  de  frayeur  et  d'é- 
pouvante subite ,  ou  encore ,  par  extension ,  d'inquiétude , 
de  souci,  de  chagrin.  Mais  dans  cette  dernière  acception 
11  .s'emploie  ordinairement  au  pluriel.  Sicard. 

ALARMISTES.  On  appela  de  ce  nom ,  aux  temps  de 
notre  première  révolution  ,  ceux  qui  faisaient  métier  de  ré- 
pandre des  alarmes  fausses  ou  réelles ,  des  nouvelles  propres 
à  jeter  le  trouble  et  l'effroi  dans  les  masses.  Une  motion 
présentée  le  17  septembre  1793  à  la  Convention,  par  Bar- 
rère,  avait  pour  but  de  rendre  les  alarmistes  passibles  de 
la  peine  de  mort.  —  Ce  mot  revint  à  la  mode  après  la  ré- 
volution de  février. 

ALARY  (  Pierre-Joseph  ) ,  membre  de  l'Académie 
Française,  né  à  Paris,  le  19  mars  1690,  embrassa  l'état  ec- 
clésiastique, vint  à  la  cour,  et  dut  sa  foilime  à  une  circons- 
tance qui  povivait  le  perdre.  Accusé  en  1718  d'avoir  pris  part 
à  la  conspiration  de  Cellamare ,  il  se  justifia  si  bien  auprès 
du  régent  que  ce  prince  lui  dit  :  «  Vos  accusateurs  nous 
«  ont  servis  l'un  et  l'autre  en  me  procurant  l'occasion  de 
«  vous  connaître.  »  Alary  fut  alors  nommé  sous-précepteur 
de  Louis  XV,  auquel  il  fut  chargé  d'apprendre  à  lire.  Il 
exerça  le  même  emploi  auprès  du  dauphin  et  des  enfants  de 
France.  Il  ne  fut  pas  moins  bien  venu  du  cardinal  de  Fleury, 
<iui  lit  sa  fortune.  Entre  autres  bénéfices,  Alary  possédait  le 
prieuré  commcndataire  de  >'otre-Dame  de  Gournay-sur- 
.Mame.  Son  titre  de  sous-précepteur  lui  ouvrit  les  portes  de 
l'Académie  française,  ofi  il  fut  reçu  en  17:53.  Il  n'a  pourtant 
rien  écrit ,  mais  il  avait  dans  le  caractère  cette  droiture,  dans 
l'esprit  celte  finesse,  qui  rendent  faciles  les  succès  dans  le 
monde.  Depuis  longtenq)sil  avait  quitté  la  cour  et  vivait  dans 


la  retraite,  lorsiiu'il  mourut  à  Paris,  le  23  décembre  1753. 
Lors  de  l'éleclion  de  l'abbé  Alary  comme  académicien,  le 
poète  Roy  avait  fait  contre  lui  des  épigrammes,  et  fut  mis  à  la 
Bastille.  La  verve  de  Piron  n'épargna  pas  non  plus  l'abbé 
Alary,  qui  eut  toujours  des  protecteurs  assez  zélés  et  assez 
puissants  pour  ne  pas  s'affecter  de  la  nullité  qu'on  lui  repio- 
ciiaif.  C'flait  chez  lui,  dans  son  entre-solde  Ih  place  Ven- 
dôme, quesc  tenait  la  fameuse  société  dite  de  l' Entre-sol. 
Ajary  eut  pour  successeur  à  l'Académie  l'iiistorien  Gail- 
lard. • 

ALASKA  est  le  nom  d'une  péninsule  située  entre  55» 
et  62°  de  latitude  nord,  et  appartenant  aux  Russes,  dans 
l'Amérique  septentrionale.  Presque  séparée  du  continent  de 
l'Amérique  par  le  lac  Chélékof ,  elle  s'étend  vers  le  sud- 
ouest  jusqu'aux  îles  Aléoutiennes,  et  un  détroit  la  sépare 
de  celle  d'Ounimak.  Cette  presqu'île  fait  partie  du  domaine 
de  la  compagnie  américaine-russe  ;  ses  habitants,  assez  nom- 
breux, sont  appelés  Konia,  Korenga,  ou  Kagataya-Kounga, 
et  l'on  croit  qu'ils  appartiennent  à  la  race  aléoutienne. 

ALASTOR ,  fils  de  îNélée  et  frère  de  Nestor,  selon  As- 
clépiades;  selon  d'autres,  un  des  douze  fils  de  Nestor  et  de 
ClUoris ,  eut  pour  femme  Harpalyce,  héroïne  d'une  merveil- 
leuse beauté ,  fdle  de  Climène.  Celui-ci ,  depuis  longtemps 
épris  pour  son  propre  sang  d'une  passion  incestueuse,  arra- 
cha Harpalyce  des  bras  de  son  époux ,  qu'il  tua.  Il  ramena 
sa  fdle  sous  le  toit  maternel,  lui  fit  violence,  la  rendit  mère 
d'un  fils  qu'elle  égorgea  dans  sa  honte  et  qu'elle  servit  à  la 
table  de  son  père.  Cette  autre  Progné  fut  cliangée  par  les 
dieux  en  oiseau.  On  eut  pitié  de  son  sort  et  de  sa  démence  ; 
des  jeux  furent  institués  en  son  honneur;  les  jeunes  filles  y 
chantaient  une  chanson  appelée,  de  son  nom,  l'Harpalyce. 
C'est  Apollodore  qui  raconte  ce  mythe  bizarre. 

Ala^tor  est  aussi  le  nom  d'un  chef  grec,  frère  d'Ajax , 
fils  de  Telamon.  —  C'est  encore  le  nom  d'un  des  chevaux 
de  Pliiton  dans  le  Rapt  de  Proserpine  de  Claudien.  — 
C'est  aussi  celui  d'un  mauvais  génie —  Dans  Ménandre,  c'est 
le  nom  de  Jupiter  vengeur  des  meurtres.  —  Enfin  on  a  donné 
ce  nom  aux  Euménides. 
ALAUDIDÉS.  Voyez  Co.'^irostres. 
ALAUX  (Jean),  peintre  d'histoire  d'une  grande  fécon- 
dité, est  né  à  Bordeaux  en  1786.  M.  Alaux  (ut  d'abord  élève 
de  Vincent,  et,  après  plusieurs  essais  infructueui,  il  obtint, 
en  1815,  le  grand  prix  de  l'école  des  Beaux-Arts  sur  ce  su- 
jet :  Briséis  retrouvant  chez  Achille  le  corps  de  Patrocle.  Il 
était  encore  à  Rome  lorsqu'il  exposa  pour  la  première  fois,  au 
salon  de  1824 ,  une  Scène  du  combat  des  Centaures  et  des 
Lapithes  et  Pandore  apportée  dit  ciel  par  Mercxire.  Ce 
dernier  tableau,  d'un  ton  clair  et  d'un  goût  un  peu  fade,  dé- 
core aujourd'hui  le  plafond  d'une  des  salles  du  palais  de 
Saint-Cloud.  En  1827  M.  Alaux  exposa  deux  peintures  re- 
ligieuses ,  l'Ascension  et  Saint  Hilaire,  et  une  composition 
allégorique  exécutée  en  collaboration  avec  M.  Pierre  Fran- 
que,  la  Justice  veillant  sur  le  repos  du  monde  (  Musée  du 
Luxembourg  ).  Plus  tard  ,  lorsque  le  roi  Louis-Philippe  en- 
treprit la  décoration  du  palais  de  Versailles ,  M.  Alaux , 
peintre  à  la  main  facile ,  au  talent  complaisant ,  fut  l'un  des 
premiers  qu'il  voulut  employer.  Versailles  est  plein  des 
oeuvres  de  M.  Alaux.  Il  nous  suffira  de  rappeler  qu'il  y  a 
peint  le  portrait  en  pied  de  Gassion  et  les  portraits  équestres 
deRantzau  (  1835)  et  du  duc  de  Brissac  (  1S36),  la  Bataille 
de  Villaviciosa  (  1837  ),  la  Prise  de  Valencienncs  (  1838  ), 
]à  Bataille  de  Denain  (  1839),  etc.  Indépendamment  de 
ces  tableaux ,  M.  Alaux  a  exécuté,  au-dessus  des  portes  et 
dans  les  encadrements,  des  sujets  militaires  de  petite  dimen- 
sion ,  et  pour  ce  travail  il  a  souvent  servi  de  collaborateur  à 
.MM.  V.  Adam,  Ilip.  Lecomte,  Philippoteaux,  etc.  «  Alaux 
dessine  bien,  il  compose  bien ,  il  n'est  pas  cher,  et  il  est  co- 
loriste »,  disiiit,  à  ce  qu'on  assure ,  le  roi  Louis-Philip|)e  ;  et 
c'est  sans  doute  jioiir  cela  (pie  l'artiste  fut  chargé  presque 
seul  lie  la  décoration  de  la  salle  des  Etats  généraux  :  on  sail 


ALAUX 

on  effet  qu'il  n'y  a  pas  exéciiU^  moins  lie  quinze  panneaux, 
lie  haute  ou  de  petite  taille.  C'est  t'i^alemcut  pour  Versailles 
que  M.  Alaux  avait  peint  la  Lecture  du  Tcstnmcnt  de 
Louis  XIV,  qui  a  figuré,  avec  un  méciiocrc  lionneur,  au 
salon  de  1851,  et  que  les  héritiers  du  roi  ont  ensuite  mis  en 
vente.  M.  Alaux  a  eu  aussi  une  grande  paît  dans  la  restau- 
ration des  peintures  de  la  salle  de  Henri  II  à  Fontainebleau. 
En  l8iG  M.  Alaux,  présenté  le  second  par  l'Acailémie  des 
lieaux-.\rts  pour  remplacer  M.  Schnetz  comme  directeur  de 
l'école  fraoçaise  à  Rome,  fut  nommé,  par  suite  de  la  retraite 
de  M.  Couder.  Cette  place,  qu'il  occupa  depuis  le  l'"'' jan- 
vier J847  jusqu'à  la  fin  de  1852,  fut  peut-être  son  meilleur 
titre  académique.  Il  a  été  en  effet  appelé  à  l'Institut  le  22 
février  1851,  à  la  place  de  DrôUing.  Peintre  sage  jusqu'à 
la  froideur  et  prudent  jusqu'à  la  banalité,  M.  Alaux  ne 
se  distinguerait  pas  des  maîtres  de  son  école,  s'il  n'avait 
un  défaut  qui  le  singularise  :  nous  voulons  parler  de  son 
coloi  is,  ordinairenaent  violet  ou  lie  de  vin  ,  ton  bizarre  et 
faux  qui  donne,  à  ses  productions  le  plus  étrange  aspect. 

Paul  M.4NTZ. 

M.  Alaux  avait  deux  frères  qui  s'occupaient  aussi  de 
peinture.  L'un,  directeur  de  l'école  de  dessin  de  Bordeaux, 
mourut  dans  celte  ville  à  la  fin  de  janvier  1858  ;  l'autre, 
Paul  Alaux,  peignait  le  paysage.  Propriétaire  du  Pano- 
rama dramatique  à  Paris,  il  fonda  dans  cette  ville  le  Néo- 
rama,  où  il  exposa  la  Basilique  de  Saint-Pierre  etPAb- 
baye  de  Westminster.  Il  est  mort  à  Paris  aussi  en  1858. 
Le  musée  de  Bordeaux  possède  de  lui  une  Vue  prise  àFloi- 
rac,  qui  avait  été  exposée  au  salon  de  1827.         Z. 

A  LAVA,  la  plus  méridionale  des  trois  provinces  bas- 
ques de  l'Espagne,  a  pour  limites  au  nord  le  Guipuzcoa 
et  la  Biscaye,  au  sud-est  laVieille-Castille,  et  au  sud-ouest 
la  Navarre.  Cette  province  forme,  en  s'avançant  au  midi 
jusqu'à  i'Èbre  supérieur  ,  une  succession  de  plateaux,  con- 
tinuation des  montagnes  dont  sont  hérissées  les  côtes  can- 
tabres,  et  qui,  sous  les  noms  de  Sierra-Alta,  Montés  de 
Altubé  et  Sierra  de  Aranzaza,  ceignent  tout  son  territoire. 
Elle  est  arrosée  par  la  Zadora  et  d'autres  petits  affluents  de 
I'Èbre.  On  voit  bien  rarement  tomber  de  la  neige  dans  les 
vallées,  où  presque  partout  réussissent  la  vigne  et  même  l'o- 
livier. De  magnifiques  forêts  de  chênes,  l'élève  des  bêtes 
à  cornes,  des  moutons  et  des  chèvres,  la  culture  du  froment, 
du  mais,  du  chanvre,  du  lin  et  de  la  vigne,  de  riches  mines 
de  fer  et  de  cuivre,  des  sources  salines  presque  inépuisa- 
bles, fournissent  en  abondance  aux  habitants  des  produits 
avantageux  pour  l'exportation.  Ce  pays  est  traversé  par  les 
routes  de  Burgos  à  Bilbao  et  à  Bayonne  par  Tolosa.      * 

ALAVA  (  Don  Miguel  Ricardo  de  ) ,  général  espagnol, 
né  à  Vittoria,  en  1771 ,  était  parvenu  au  grade  de  capitaine 
de  frégate  quand  il  passa  dans  le  service  de  terre.  Après 
l'abdication  de  Ferdinand  VII  il  adhéra,  comme  membre 
de  l'assemblée  de  notables  convoquée  à  Bayonne,  à  lanou- 
velle  constitution  donnée  à  son  pays  par  la  France.  Toute- 
fois, en  1811,  il  embrassa  la  cause  nationale.  Adjoint  à 
l'état-major  de  Wellington,  il  se  fit  remarquer  dans  la 
guerre  de  l'indépendance.  Suspect  de  libéralisme,  il  futjetépn 
prison  à  la  restauration  ;  mais  le  crédit  de  son  oncle,  l'in- 
quisiteur Ethénard,  et  la  protection  de  Wellington  lui  valu- 
rent sa  liberté  et  sa  nomination  au  poste  de  ministre  plénipo- 
tentiaire à  La  Haye.  Il  revint  en  Espagne  en  1820,  après  la 
révolution.  Nommé  alors  capitaine  général  d'Aragon  ,  il  se 
fit  remarquer  parmi  les  exaltados.  Député  de  sa  province 
aux  certes,  il  vota  à  Séville  (  1823)  pourlasuspensionduroi, 
et  prit  part  à  Cadix  aux  négociations  entamées  avec  le  duc 
d'Angoulême.  Le  rétablissement  du  pouvoir  absolu  dans  la 
Péninsule  le  contraignit  à  se  réfugier  d'abord  à  Bruxelles, 
puis  en  Angleterre  ;  à  la  mort  de  Ferdinand,  la  régente  le 
rappela  et  le  nomma  procsr  du  royaume.  En  1834  Ma  r- 
tinez  de  laRosa  l'envoya  comme  ambassadeur  d'['2s- 
pagne  à  Londres.  Ce  fut  sur  sa  recommandation  que  Me  u- 


—  ALBAN  2îi 

I  dizabal  fut  nommé  ministre  desfinanc.es.  Vers  la  fin  de 
I   1835  il  accepta  une  mission  à  Paris.    Sous  l'administra- 
I   tion  d'Isturiz  on  le  vit  solliciter  l'intervention  française, 
I   qu'il  avait  repoussée  de  toutes  ses  forces  pendant  son  am- 
[   bassade  à  Londres.  Après  l'insurrection  de  la  Granja,  il 
refusa  de  prêter  serment  à  la  constitution  de  1812,  décla- 
I  rant  qu'il  était  fatigué  de  prêter  constamment  de  nouveaux 
serments.  Il  donna  sa  démission,   et  se  retira  en  France. 
Il  est  mort  en  1843,  à  Baréges.  * 

!  ALAVOINE  (Jean-Antoine,  chevalier),  architecte, 
'  né  à  Paris  en  1778,  mort  dans  la  même  ville  en  1834  ,  étudia 
son  art  sous  Dumas,  Faivre  et  Thibaut.  On  lui  devait  le 
projet  de  la  fontaine  de  rÉléi)hant  pour  la  place  de  la  Bas- 
tille ,  où  il  fut  chargé  d'élever  la  colonne  de  Juillet,  après  la 
révolution  de  1830.  Il  a  aussi  dirigé  la  consolidation  de  la 
;  cathédrale  de  Seez  et  la  reconstruction  d'une  des  flèches  de 
cette  église.  Le  monument  de  Louis  XIV,  sur  la  place  des 
Victoires  à  Paris,  est  encore  de  lui.  Z. 

ALB.  Voyez  Alp. 

ALBAN  (Saint),  martyr  anglais,  naquit  à  Vérulam. 
Il  servit  d'abord  dans  les  armées  de  l'empereur  Dioclétien. 
De  retour  en  Angleterre,  il  embrassa  la  foi  chrétienne.  Il 
fut  mis  à  mort  en  l'an  286  selon  les  uns ,  en  l'an  303  selon 
d'autres.  On  érigea  en  mémoire  de  son  martyre  un  monastère 
auquel  la  ville  moderne  de  Saint-Alban  a  emprunté  son 
nom.  L'Église  célèbre  sa  fête  le  22  juin. 

ALBAN ,  un  des  directeurs  de  la  fabrique  de  Javel  avant 
la  révolution,  a  fait  avec  son  associé  Vallet,un  des  plus 
heureux  essais  de  direction  aérostatique  que  l'on  connaisse. 
Dès  le  mois  de  janvier  1784  ils  produisaient  dans  leur  usine 
le  gaz  nécessaire  aux  aéronaules.  Ils  inventèrent  pour  la 
conduite  des  aérostats  une  sorte  de  mécanisme  ressemblant 
à  des  ailes  de  moulin  à  vent  qu'ils  adaptèrent  d'abord  à 
une  civière  maintenue  par  un  contre-poids ,  puis  à  un  ba- 
teau auquel  ils  firent  traverser  la  rivière  ;  enfin,  fixant  ces 
ailes  à  une  forte  nacelle,  ils  arrivèrent  à  faire  avec  un  ballon 
qu'ils  nommèrent  le  comte  d'Artois,  une  suite  d'expériences 
curieuses.  Ils  annoncèrent  même  publiquement  un  cours 
de  direction  aérostatique,  et  le  24  aoilt  1785  ils  tentèrent 
d'aller  à  Versailles  en  ballon  libre.  Ils  ne  prirent  pas  de 
lest  et  s'embarquèrent  avec  un  garçon  charpentier  nommé 
Truchon,  à  quatre  heures  vingt-cinq  minutes  du  matin, 
par  un  vent  sud  est  peu  favorable.  Élevés  à  200  pieds 
seulement,  ils  traversèrent  la  Seine,  et  faisant  mouvoir 
leurs  ailes  de  bas  en  haut,  ils  descendirent  dans  la  plaine 
de  Boulogne.  Enlevés  de  nouveau ,  ils  se  portèrent  vis-à-vis 
de  Saint-Clond.  Pour  traverser  les  hauteurs  de  cette  ville, 
ils  agitèrent  leurs  ailes  de  haut  en  bas  et  montèrent  à  plus 
de  300  pieds.  A  cinq  heures  ils  étaient  au-dessus  du  château 
et  se  dirigèrent  vers  la  plaine  de  Garches  ;  mais  le  vent  de- 
vint trop  fort  et  ils  durent  descendre  :  le  vent  s'étant  main- 
tenu ils  revinrent  à  Javel  à  huit  heures  du  soir.  Le  13  sep- 
tembre ils  allèrent  sur  Issy  ,  revinrent  à  Javel,  se  dirigè- 
rent sur  Vaugiiard  et  revinrent  encore  à  Javel.  Les  17  et  18 
ils  firent  de  nouvelles  expériences;  le  19  ils  allèrent  des- 
cendre dans  la  courduchâteau  de  Saint-Cloiid,  où  le  roi  et 
la  reine  vinrent  les  voir.  Par  les  manœuvres  de  leur  app.a- 
reil,  ils  purent  monter  et  descendre,  mais  ils  ne  purent 
lutter  contre  e  vent  qui  s'était  élevé,  et  ils  durent  se  faire 
remorquer  à  Javel.  Le  comte  d'Artois,  qui  était  devenu  leur 
protecteur,  fit  plusieurs  voyages  avec  eux.  En  1786  ils  se  li- 
vrèrent à  de  nouvelles  recherches.  Dans  le  temps  calme  ils 
se  portaient  en  avant  et  en  arrière  et  parcouraient  un  cercle 
de  250  pieds  de  diamètre.  Ils  parvenaient  à  vaincre  le  cou- 
rant de  l'air  en  formant  avec  la  ligne  du  vent  un  angle  de 
20  à  25°.  Plusieurs  fois  ils  allèrent  à  Saint-Cloud ,  Bellevue, 
etc.  Ils  se  servaient  de  lieux  rames  à  jalousie,  d'un  mou- 
Hnet  à  la  proue  et  d'un  gouvernail  à  la  poupe  delà  gondole. 
Ils  montaient  et  descendaient  sans  perdre  de  lest  ni  de  gaz 
et  par  le  simpie  jt-u  de  !eurs  appareils.  L.  Lolvet. 


'21 G 


ALBANAIS  —  ALBAiME 


ALliA\AIS.  Voyez  Aldame. 

ALUWE,  un  des  trois  princiiies  immédiats  de  la 
giilta  percha  dans  la  composition  de  laquelle  il  entre 
pour  14  à  19  centièmes.  Z. 

ALBAA'I  (Fka>cksco),  peintre  célèbre,  né  à  Bologne, 
en  1578,  et  plus  connu  sous  le  nom  franclséde  rAlbanc,  était 
le  fds  d'un  marchand  de  soie,  qui  \oulait  lui  faire  embrasser 
sa  profession  ;  mais  l'Albaiie  aimait  i)assionnémont  la  pein- 
ture. ]1  étudia  d'abord  cet  art  chez  le  Flamand  Denis  Cal- 
vart,où  il  rencontra  le  Guide.  Ils  se  lièrent  d'amitié,  et  tous 
deux  passèrent  dans  l'école  des  Carraclies,  fameuse  alors 
dans  toute  l'Italie.  L'Albane  exécuta  de  grands  travaux  à  Bo- 
logne, a  Florence,  où  le  cardinal  de  Toscane  le  fit  venir  pour 
décorer  son  palais  de  Mezzo-.Monte.  L'Albane  peignit  de 
grandes  galeries  et  beaucoup  de  tableaux  d'autel.  Tous  les 
souverains  voulaient  avoir  de  ses  tableaux,  qu'il  peignait  sur 
des  lames  de  cuivre  pour  que  le  transport  en  fût  plus  facile. 
I.cs  carnations  de  fenimes  et  d'enfants  lui  convenaient  mieux 
«pie  les  corps  musclés  des  hommes.  On  l'a  mis  pendant 
longtemps  au-dessus  de  tous  les  peintres  pour  l'étude  des 
formes  féminines;  cependant  le  Corrège  lui  est  bien  su- 
périeur sous  ce  rapport.  Ses  comjjositions  les  plus  estimées 
sont  :  les  Amours  de  Vénus  et  d'Adonis,  gravé  par  Au- 
dran;  la  Toilette  et  le  Triomphe  dé  Vénus;  les  Quatre 
Éléments,  etc.  On  lui  reproche  de  dessiner  avec  incorrection 
et  de  répéter  ses  sujets  ;  ses  têtes  d'enfants ,  de  femmes  et 
de  vieillards  ont  trop  de  ressemblance.  Il  a  réussi  admira- 
blement à  reproduire  la  véritable  couleur  des  arbres  et  de 
la  verdure,  la  limpidité  des  eaux  et  la  clarté  de  l'air;  mais 
il  se  complaît  trop  souvent  dans  ces  effets,  et  les  reproduit 
trop  fréquemment.  Néanmoins  la  légèreté,  l'enjouement,  la 
facilité,  la  grâce,  caractérisent  les  ouvrages  de  l'Albane, 
qu'on  a  surnommé  VAnacréon  de  la  peinture.  11  ne  com- 
prenait pas  son  art  à  la  manière  des  grands  maîtres  :  «  De 
même,  disait-il,  qu'un  poète  est  responsable  de  la  moindre 
syllabe  de  ses  vers,  le  peintre  doit  rendre  compte  des  plus 
pelits  détails  qu'il  met  dans  son  œuvre.  »  Ses  dessins  sont 
fort  rares.  Ils  sont  lavés  au  bistre  et  à  l'encre  de  Chine,  par- 
fois relevés  de  blanc.  D'autres  sont  entièrement  à  la  pliirae, 
avec  des  couleurs  et  des  têtes  pointillées.  On  y  remarque  peu 
de  facilité  de  main,  un  crayon  embarrassé,  des  figures  lourdes, 
mais  des  draperies  bien  jetées.  Homme  de  mœurs  douces  ei 
pures,  irréprochable  dans  sa  vie  privée,  Francesco  Albani 
avait  épousé  en  secondes  noces  une  très-belle  femme,  qui 
lui  servit  très-souvent  de  modèle.  Il  en  eut  douze  enfants, 
qu'il  prit  aussi  plaisir  à  peindre  en  Amours.  Son  talent  bais- 
sait de  plus  en  plus  lorsqu'il  mourut  en  1660,  à  l'âge  de 
<piatre-vingt-deux  ans,  après  avoir  survécu  à  sa  gloire. 
L'Albane  cultiva  toute  sa  vie  les  belles-lettres;  il  a  laissé 
•des  écrits  qui  nous  ont  été  consenés  par  Malvasia. 

ALB^VA'I  (Famille).  Cette  riche  et  célèbre  maison  de  la 
noblesse  romaine  est  originaire  de  l'Albanie,  qu'elle  aban- 
■donna  au  seizième  siècle  pour  venir  chercher  en  Italie  un 
refuge  contre  les  Turcs,  et  dont  elle  prit  le  nom.  A  son  ar- 
rivée sur  le  sol  italien  ,  elle  se  divisa  en  deux  branches, 
<lont  l'une  fut  anoblie  à  Bergame  et  l'autre  à  Lrbino.  Cette 
famille  doit  d'ailleurs  son  illustration  à  l'heureux  hasard  (jui 
'voulut  que  ce  fût  un. \lbani  qui  apportât  au  pape  Urbain  VIII 
la  nouvelle  de  la  prise  d'Urbino.  Elle  acquit  encore  bien 
autrement  d'iniluence  quand  un  de  ses  membres,  Giovanni 
Francesco  Ai.ca.m,  acquit  la  tiare  ,  en  1700,  sous  le  nom 
de  Clément  XL  —  Annibale  Alhvni,  né  à  Urbino,  le  l."} 
août  16S?.,  se  rendit  à  Vienne  en  1709,  comme  ambassadeur 
de  Clément  XI,  avec  mission  d'opérer  ime  réconciliation 
entre  le  pape  et  l'empereur  :  ce  à  quoi  il  réussit.  En  1711) 
il  fut  app-clé  aux  importantes  fonctions  de  camerlingue  de 
riiglise  romaine;  mais  en  1747,  sous  le  pontilicat  de 
Benoit  XIII ,  il  se  relira  dans  son  évôché  d'Urbino,  afin  de 
s'y  vouer  exclusivement  désormais  à  la  cultiue  des  sciences, 
«ty  mourut,  le  21  sei'Ieuibre  1751.  Une  bibliothèque  ma- 


gnifique, une  riche  collection  de  tableau)  et  de  statues, 
un  cabinet  de  médailles  dont  Rod.  Venuti  a  donné  la  des- 
cription (2  vol.  in-fol.,  Rome,  1739)  ,  et  qui  plus  tard  fut 
réuni  à  celui  du  Vatican,  dont  il  compose  la  partie  la  plus 
précieuse ,  enfin  quelques  ouvrages  d'érudition  originaux , 
par  exemple  :  Memorie  concerncnti  la  cilta  di  Urbino 
(in-fol.,  Rome,  1724),  témoignent  de  la  diversité  de  ses 
connaissances  — Alessandro  Aluam,  frère  du  précédent,  né 
le  19  octobre  1692  ,  embrassa  l'état  ecclésiastique  sur  le  vœu 
formel  qu'en  exprima  Clément  XI ,  et  fut  |)romu  au  cardi- 
nalat dès  l'année  1721  par  le  pape  Innocent  XIII.  Nonce 
apostolique  près  la  cour  de  Vienne  depuis  1720,  il  fut  plus 
tard  nommé  par  l'impératrice  Marie-Thérèse  ministre  d'Au- 
triche à  Rome ,  et  co-protecteur  de  ses  États.  11  prit  une 
part  des  plus  actives  aux  nombreuses  querelles  suscitées  à 
cette  époipie  au  gouvernement  pontifical,  d'autant  plus  que 
c'était  un  ardent  partisan  des  jésuites.  Le  cardinal  était  fier 
et  heureux  de  sa  belle  collection  d'objets  d'art.  Winckel- 
mann,  qu'il  avait  décidé  à  embrasser  le  catholicisme  et 
qui  l'institua  son  héritier,  l'aida  de  ses  conseils  dans  la  for- 
mation et  dans  la  mise  en  ordre  de  ce  musée ,  que  IMarini, 
Fea  et  Zoéga  ont  rendu  célèbre,  de  même  qu'ils  lui  doivent 
une  partie  de  leur  propre  réputation.  Le  cardinal  Albani 
mourut  le  11  décembre  1779.  Sa  longue  vie  avait  constam- 
ment été  des  plus  occupées;  cependant  il  n'avait  jamais 
rien  écrit.  —  Carlo  Albam,  frère  du  précédent ,  né  en  1687, 
acheta  en  17151e  duché  de  Soriano,  fut  créé  prince  en  1721, 
par  le  pape  Innocent  XIII,  et  mourut  en  1724.  —  Giovanni- 
Alcssandro  Albam,  fils  du  précédent,  né  le  26  février  1720, 
fut  nommé  très-jeune  encore  évêque  d'Ostie  et  de  Velletri , 
et  cardinal  dès  l'âge  de  vingt-sept  ans.  Son  extérieur  agréable, 
son  esprit,  la  diversité  et  l'étendue  de  ses  connaissances,  le 
faisaient  vivement  recbercher  dans  tous  les  cercles  ;  aussi 
négligea-t-il  d'abord  les  affaires  de  l'Église  pour  mener  la 
vie  insouciante  d'un  jeune  homme.  Mais,  grâce  à  la  protec- 
tion des  jésuites,  dont  en  toute  occasion  il  se  montra  le  zélé 
défenseur,  il  jouit  toujours  d'une  grande  influence.  Adver- 
saire déclaré  des  Français,  il  s'enfuit  de  Rome  à  la  première 
approche  d'une  armée  française  ;  il  ne  revint  dans  cette  ca- 
pitale que  lorsque  Pie  VII,  à  l'élection  de  qui  il  contribua 
beaucoup,  eut  pris  place  dans  la  chaire  de  saint  Pierre.  II 
mourut  en  septembre  1803.  —  Le  prince  GinseppeAt^wi, 
neveu  du  précédent,  né  à  Rome  le  13  septembre  1750,  reçut 
de  Pie  VII,  le  23  février  1801,  le  chapeau  de  cardinal.  11 
avait  passé  sa  jeunesse  dans  l'oisiveté,  préférant  lamusi(pie 
à  toute  autre  occupation.  11  n'en  déploya  pas  moins  de  bril- 
lantes facultés  quand  la  nécessité  lui  fit  un  devoir  de  s'oc- 
cuper de  choses  sérieuses.  Fidèle  aux  traditions  de  sa  fa- 
mille, ilpritparti  pourl'Autrichecontrela  France.  Des  lettres 
qu'il  écrivait  de  ^'ienne,  où  il  séjournait  dans  les  intérêts 
du  saint-siége  en  1796,  ayant  été  interceptées,  servirent  de 
prétexte  aux  Français  pour  rompre  l'armistice  et  occuper 
Rome.  Il  perdit  alors  les  bénéfices  considérables  qu'il  possé- 
dait dans  la  haute  Italie.  Son  palais  fut  li\Té  au  pillage;  et 
il  vécut  depuis  ce  temps-là  dans  l'obscurité,  à  Vienne,  jus- 
qu'en 1814,  époque  où  il  put  rentrera  Rome.  Léon  XII  le 
nomma  légat  à  Bologne;  et  Pie  VIII,  à  l'élection  duquel  il 
avait  puissamment  contribué,  le  choisit  en  1829  pour  secré- 
taire d'État.  Lors  des  troubles  dont  les  Légations  furent  le 
théâtre  en  1831,  on  l'envoya  avec  des  troupes  à  Bologne  en 
qualité  de  commissaire  apostolique  dans  les  quatre  Léga- 
tions; mais  les  résultats  de  sa  mission  furent  nuls.  A  peu  de 
temps  de  là,  il  se  démit  de  ses  fonctions,  et  se  retira  à  Pesaro, 
où  il  mourut  le  3  décembre  1834. 

ALBAA'!E,  contrée  de  la  Tunpiie  d'Europe  dépendante 
de  l'eyalet  de  Roumélie,  formée  des  anciens  royaumes  d'E- 
pireetd'lllyrie;  elle  est  située  entre  39"  et  43"  de  latitude 
septentrionale,  17"  et  19"  de  longitude  orientale,  et  comprend 
une  siq)erficie  d'environ  38,000  kilr)mèlres  carrés.  Elle  est 
bornée  au  nord  par  le  Mon!énég:o,  la  Servie,  la  Bosnie    à 


ALBAME 


247 


l'ouest  par  lu  mer  Adiiatitino  ot  la  iiior  loiiiiMint',  a»  sud 
par  la  Li\  aille  et  le  golle  d'Arta,  ;\  l'est  eiiliii  par  les  monts 
d'Argentaro  et  d'Ai^rafa ,  qui  la  séparent  de  la  Macédoine  et 
de  la  Thessalie.  Son  climat  est  beau  ,  la  terre  y  est  si  fertile 
qu'en  plusieurs  endroits  on  récolte  deu\  moissons  par  an 
conmie  en  ligyple.  Le^  productions  de  l'Albanie  se  compo- 
sent de  maïs ,  d'orge ,  de  riz ,  de  tabac ,  de  lin ,  de  chanvre , 
de  blé,  d'huile,  de  coton  ,  de  sel  minéral ,  de  bois  de  cons- 
truction, et  d  excellents  vins.  On  trouve  dans  ([uelques  can- 
tons des  pêchers,  des  oliviers,  du  sumac,  de  la  résine,  ainsi 
que  de  gras  i>âturages  où  l'on  élève  une  belle  race  de  che- 
vaux. 

Panni  les  lacs  il  faut  citer,  pour  les  souvenirs  qui  s'y  rat- 
tachent, le  lac  Achénisien.  Les  principales  montagnes  sont 
le  Monténégro  et  le  Chimera  ;  et  les  rivières  les  plus  remar- 
quables sont  le  Drino  ,  la  Bojana,  l'Aspro  et  le  Sconibi. 

l'armi  les  villes  on  doit  citer  Scutari,  siège  d'un  pa- 
chalik  et  d'un  évéché  catholique  ;  Janina,  cité  considé- 
rable et  siège  d'un  pachalik,  détruite  par  Ali-Pacha;  Del- 
\ino;  Argyro- Castro;  Durazzo,  autrefois  Epidammtis,  puis 
Dyrraclimm,  le  grand  passage  de  la  Grèce  en  Italie;  II- 
bessan,  siège  d'un  pachalik  ;  Croia,  illustré  par  les  exploits  de 
Scanderbeg ;Souli,  Parga, etc. 

La  population  de  l'Albanie  dépasse  1,900,000  âmes.  C'est 
un  mélange  de  Turcs,  de  Grecs,  de  Serbes ,  de  Juifs  et  d'Al- 
banais. Ces  derniers  se  nomment  eux-mêmes  Skypétars  ; 
lesGrecs  les  appellent  Arvanitès,  et  les  Turcs  Arnautes.  Des 
Skypétars,  les  uns  sont  demeurés  chrétiens,  les  autres  ont 
enjbrassé  la  religion  musulmane.  Les  chrétiens  se  divisent 
en  latins  et  en  grecs ,  les  mahométans  en  sunnites  et  en 
chiites.  Les  Skypétars  fonnent  quatre  familles  différentes , 
les  Guègues  et  les  Mirdites  ,  les  Toxides,  les  lapyges  et  les 
Chamides,  qui  parlent  quatre  langues  diverses.  Tous  sont 
grands,  rol)ustes,  braves  jusqu'à  la  témérité.  Chez  quelques- 
uns  on  retrouve  l'ancien  costume  héroïque  :  cothurne , 
chlamyde  et  cotte  tombant  sur  les  genoux.  D'autres  font 
parade  de  leur  saleté  comme  d'une  manpie  de  valeur,  et 
laissent  pourrir  sur  leur  corps  le  linge  grossier  et  la  bure 
dont  ils  se  vêtissent.  Les  Skypétars  sont  entièrement  dé- 
pourvus de  liens  communs  et  d'administration  publique. 
Les  vols  et  les  larcins  sont  traités  avec  indulgence  par  ce 
peuple,  chez  qui  le  brigandage  est  une  partie  de  l'industrie 
nationale.  Le  vol  public  est  môme  regardé  comme  une 
preuve  de  bravoure  et  d'audace  :  au  point  (|ue  les  Albanais 
s'honorent  du  nom  de  Klephtes ,  qui  signilie  voleurs.  Ceux 
qui  habitent  les  rivages  de  la  mer  allument  des  fanaux 
perfides  pour  attirer  au  milieu  des  écueiis  les  navires 
qu'ils  aperçoivent,  enchaîner  les  malheuieux  que  la  tem- 
pête a  épargnés  et  piller  la  cargaison.  Ils  sont  très-supersti- 
tieux, sobr€s  par  nécessité  plutôt  que  par  nature.  Les  musul- 
mans ne  s'abstiennent  pas  du  vin  comme  ceux  des  autres 
provinces.  Ils  sont  généralement  pauvres  :  cent  chèvres,  cent 
moutons,  deux  mulets,  quelques  paires  d'ànes  sont  une 
fortune  pour  eux.  Les  Skypétars  ont  encore  cela  de  parti- 
culier, que  les  chrétiens  et  les  mahométans  s'unissent  très- 
fréquemment  entre  eux  par  ie  mariage. 

La  vengeance  est  une  de  leurs  passions  dominantes,  et  la 
loi  du  talion  est  à  peu  près  toute  leur  justice.  Les  femmes  al- 
banaises sont  généralement  belles  et  fécondes;  mais  leur 
sort  est  loin  d'être  heureux.  Sans  être  renfermées  comme 
celles  des  peuples  orientaux,  elles  n'en  vivent  pas  moins 
dans  une  sorte  de  servitude,  assujetties  aux  travaux  les  plus 
rudes  et  souvent  même  en  butte  à  de  mauvais  traitements. 
Cependant  presque  toute  l'industrie  de  la  contrée  est  dans 
leurs  mains;  elles  fabriquent  avec  le  poil  de  chèvre  tme 
sorte  de  hure  épaisse  qui  sert  aux  vêtements  de  la  famille. 
Les  Sk-j-pétars  ont  l'habitude  de  s'engager  à  l'étranger,  et 
ils  ont  à  cet  effet  des  recruteurs  nonmiés  boiUouk-baclii.  Us 
ne  continctent jamais  d'engagement  pour  plus  d'une  année  ; 
cai-  ils  sont  fortement  altacliés  au  sol  de  leur  patiie.  Leur 


équipement,  d'ailleurs  peu  dispendieux,  esta  leurs  frais;  ils 
ont  fourni  des  soldats  à  plusieurs  puissances  chrétiennes. 
On  vit  des  Albanais  parmi  les  troupes  auxiliaires  qui  ser- 
vaient en  France,  au  temps  de  la  Ligue ,  sous  les  drapeaux 
de  Henri  IV.  Charles  111 ,  roi  de  Naples,  avait  un  régiment 
royal-macédonien  qui  était  composé  d'Albanais.  Les  Skypé- 
tars mahométans  ne  s'expatrient  que  pour  servir  les  Turcs. 

Avant  de  faire  l'histoire  des  Skypétars ,  il  faut  dire  un 
mot  de  leur  origine.  Il  est  très-probable  qu'ils  descendent 
des  anciens  Illyriens,  (pioiqu'on  en  ait  fait  une  nation  scythe, 
issue  des  Albaniens  qui  habitaient  le  bord  de  la  mer  Cas- 
pienne. Les  Skypétars  suivirent  le  sort  du  royaume  de  Ma- 
cédoine; leur  pays  finit  par  tomber  sous  la  domination 
romaine.  Connue  le  reste  de  l'Europe,  ils  se  convertirent  au 
christianisme ,  à  ce  que  l'on  assure ,  même  dès  le  premier 
siècle.  On  raconte  que  sous  Néron  des  proscrits  chrétiens 
s'étant  réfugies  dans  les  montagnes  de  l'IUyrie  Macédonienne, 
étonnèrent  ce  peuple  simple  et  naïf  par  leurs  vertus  et  le 
convertirent  par  leur  courage.  A  l'époque  du  partage  de 
l'empire  Romain ,  l'Albanie,  ainsi  que  toute  la  Grèce,  fit 
partie  de  l'empire  d'Orient  ;  TlUyrie  méridionale  devint  la 
province  d'Epirus  nova.  L'invasion  des  barbares  causa  de 
grands  maux  à  ce  pays  ;  il  fut  d'abord  ravagé  par  les  Vi- 
sigoths  au  cinquième  siècle ,  puis  conquis  par  les  Bulgares , 
qui  y  fondèrent  un  royaume,  renversé  quelque  temps  après 
par  les  empereurs  d'Orient.  Lors  du  scliisme  entre  l'Église 
d'Orient  et  la  papauté,  les  Guègues  et  les  Mirdites  restèrent 
fidèles  à  l'Église  d'Occident  ;  les  Toxides  ,  les  lapyges  et  les 
Chamides  s'attachèrent  au  culte  grec.  L'empereur  Jean 
Cantacuzène  parle  d'eux  comme  de  montagnards  libres, 
presque  aussi  redoutables  à  Constantinople  que  l'avaient 
été  les  Bulgares.  Ils  s'emparèrent  de  toutes  les  montagnes 
du  côté  de  la  Macédoine ,  de  la  Dardanie  et  de  toute  l'É- 
pire;  mais  toutes  ces  contrées  étaient  partagées  entre  plu- 
sieurs petits  princes ,  division  qui  facilita  beaucoup  les  pro- 
grès des  Turcs.  En  1395  les  Turcs  firent  chez  eux  un  grand 
nombre  de  prisonniers;  en  1424  Janina  est  saccagée,  les 
Guègues  embrassentia  religion  musulmane.  S  canderbeg 
lutta  seul  pendant  vingt-trois  ans  contre  toute  ia  puissance 
oîiiomane,  et  contraignit  Mahomet  II  à  lui  accorder  la  jjaix 
en  1461.  Scanderbeg  une  fois  mort ,  les  Skypétars  furent 
subjugués.  Ordre  leur  fut  intimé  d'embrasser  le  maho- 
mctisme.  La  plaine  obéit  ;  beaucoup  se  réfugièrent  dans  les 
montagnes,  d'autres  émigrèrent;  toutefois  les  Mirdites  surent 
faire  respecter  leurs  capitulations,  et  demeurèrent  inébran- 
lables dans  la  religion  de  leurs  pères.  Les  Skypétars  devenus 
musulmans  prirent  ,'place,  sous  Bajazet,  dans  les  hordes  de 
janissaires.  Lors  de  l'insurrection  malheureuse  de  1770,  les 
Skypétars  musulmans,  au  nombre  de  vingt  mille,  qui  ser- 
vaient en  Morée,  mécontents  du  retard  de  leur  solde,  se 
révoltèrent ,  et  .••epoussèrent  successivement  les  efforts  de 
onze  pachas  envoyés  de  Constantinople  pour  les  expulser 
du  Péloponnèse.  Hassan-Pacha  Imit  par  les  dompter  dans 
une  bataille  qu'il  leur  livra  sous  les  murs  de  Tripolitza.  Ils 
furent  tous  massacrés  dans  les  versants  des  monts  Œniens. 

La  Porte  n'a  jamais  eu  en  Albanie  qu'une  autorité  chance- 
lante. Ali-Pacha  seul  put  l'asservir  en  se  .servant  des  haines 
intestines  des  Skypétars  pour  les  détruire  les  uns  par  les 
autres.  Jusqu'au  dix-huitième  siècle  il  n'y  eut  pas  chez  eux 
de  vizir  absolu  ;  il  existait  même  dans  le  pachalik  de  Scutari 
des  Souliotes  et  des  Monténégrins  libres,  ainsi  que  d'autres 
commîmes  indépendantes  dans  le  voisinage  de  l'ancien  ter- 
ritoire vénitien,  qui  fait  actuellement  partie  des  possessions 
autrichiennes.  Ces  communes,  protégées  secrètement  par  la 
république  de  Venise,  purent  se  maintenir  aussi  bien  contre 
la  puissance  extérieure  de  la  Turquie  que  contre  les  tra- 
casseries intérieures  des  gouverneurs  particuliers.  Le  gou- 
vernement français  de  l'illyrie  observa  à  leur  égard  la  même 
conduite  pohtique.  Dans  la  dernière  insurrection  des  Grecs, 
lesSkypL'tursiiialiunit.laus  servirent  sous  les  drapeaux  turcs. 


248 


ALBANIE  —  ALBATÉGNI 


Depuis,  l'élémcnlRrec  a  fail  lîes  prourr's  cii  Albanie,  et  pen- 
dant la  guerre  d'Orient  il  y  eut  dans  (cllecontiéc  des  soulè- 
vements qui  ont  «Ué  durement  réprimes  par  les  Turcs.  Les 
Sliypt'lars  ont  fondé  des  colonies  dans  la  Grèce  :  on  en  ren- 
contre dans  riilide,  la  iMorée,  la  Corintliie  etrAtliquc;  à 
Lala,  Barlwnnia,  Sycione;  à  Argos,  qu'ils  ont  relevée  de  ses 
ruines;  dans  les  lies,  en  Béotie  ,  aux  Thcrmopy  les,  et  jus- 
que dans  l'Eubée.  Ils  ont  aussi  formé  des  établissements 
dans  le  royaume  de  Naples. 

Les  anciens  donnaient  le  nom  AWlhmùr  h  une  contrée  de 
l'Asie  située  entre  la  mer  C'aspierme  el  l'Ilxirie,  qui  forme 
maintenant  le  Cli  i  rwa  n  et  le  Ua;;lii;st  an.  lille  lit  partie 
de  l'empire  l'erse,  de  celui  des  Partlics  et  du  royaume  d'Ar- 
ménie, et  fut  incorporée  à  l'empire  d'Orient  sous  Justi- 
iiien  IL  —  Le  déliié  de  Uerbend,  qui  conduit  du  Caucase 
dans  l'ancienne  Albanie  asiatique,  portait  le  nom  de  Portes 
Alhanientics.  * 

L'I'xwsc  s'est  aussi  appelée  Albanie.  Voyez   aldany. 

ALBi\J\0.  Sur  remplacement  occupé  par  Albe  la 
Longue,  ville  qui,  suivant  la  tradition,  fut  détruite  de  bonne 
heure,  s'éleva  plus  tard  la  ville  municipale  Albanum,  au- 
jourd'hui Albano,  à  laquelle  les  vastes  et  magnifiques  mai- 
sons des  grands  de  Rome,  notamment  de  Pompée,  de 
Domitien,  de  Claudius,  etc.,  servirent  de  premier  noyau. 
Elle  est  située  sur  le  dernier  versant  du  rempart  de  lave  qui 
entoure  le  lac  de  Castel-Gandolfo.  On  voit  encore  aux  en- 
virons de  cette  ville,  sur  la  voie  Appienne,  les  ruines  d'un 
anipliithéùtre  et  celles  d'un  tombeau  du  style  étrusque.  Le  lac 
d'Albnnum ,  appelé  aujourd'hui  lago  di  Castello,  est  le  cra- 
tère d'un  volcan  éteint.  A  l'époque  de  la  gueiTe  de  Véies,  l'an 
3t)5  avant  J.-C,  pendant  un  été  d'une  chaleur  extrême,  ce 
lac  subit  une  crue  extraordinaire,  sans  qu'aucune  cause 
visible  pût  donner  l'explication  de  ce  phénomène.  Le  bruit 
s'étant  répandu  que  les  devins  étrusques  avaient  annoncé 
que  le  sort  de  Véies  tenait  à  ce  que  le  lac  conservât  désormais 
toujours  la  même  masse  d'eau,  les  Romains  entreprirent  la 
construction  d'un  canal  qui  pût  lui  servir  d'issue.  Ils  s'initiè- 
rent ainsi  à  l'art  que  possédaient  déjà  les  Étrusques  de  cons- 
truire des  canaux  souterrains,  et  appliquèrent  bientôt  cette 
invention  à  creuser  des  galeries  souterraines  sous  les  ouvra- 
ges de  défense  de  Véies  ;  ce  qui  leur  facilita  la  prise  de  cette 
ville.  Le  canal  de  dérivation  ou  émissoire  du  lac  Albanum  a 
une  étendue  de  3,700  pas,  2  mètres  de  profondeur,  1  mètre 
1 0  cent,  de  largeur,  et  fonctionne  encore  aujourd'hui  sans  avoir 
jamais  été  l'objet  de  la  moindre  réparation.  Sur  le  mont  Alba- 
num, appelé  aujourd'hui  Monte-Cavo ,  situé  à  l'est  du  lac  et 
à  une  hauteur  d'environ  850  mètres  au-dessus  du  niveau  de 
la  mer  Tyrrhénienne ,  s'élevait  le  magnifique  temple  de 
Jupiter  Laliaris,  auquel  conduisait  un  chemin  pavé  qui  subsiste 
encore  en  partie  aujourd'hui,  et  qui  servait  aux  cortèges 
solennels  lors  des  fêtes  de  la  confédération  latine  (  Ferkc 
Latinx),  et  aussi  lors  des  ovations  des  généraux  romains. 
La  pierre  d'Albanum,  appelée  aujourd'hui  peperino ,  avait 
une  grande  célébrité.  C'est  une  espèce  de  tuf  volcanique  de 
couleur  grise  ou  cendrée,  et  dont  on  se  sert  encore  beau- 
coup à  Albano. 

ALBAJVY  ou  ALBAIN,  nom  donné  primitivement  à 
toute  l'Ecosse,  [luis  à  un  duché  comprenant  les  districts  d'A- 
thol,  de  Glenurchy  et  de  Breadalbané,  ou  partie  des  comtés 
d'Inverncîs,  de  Pcrth  et  d'Argyle.  Ce  duché  formait  l'apa- 
nage de  l'un  des  jjrinces  de  la  famille  royale  d'Ecosse.  Robert 
Sluart  le  jeune,  lils  de  Robertll,  roi  d'iicosse,  fut  le  preuiier 
duc  d'Albany.  Devenu  en  1406,  après  la  mort  de  Robert  111, 
régent  du  royaume,  il  mourut  en  1420.  L'extinction  de  cette 
première  branche  des  ducs  d'Albany  eut  lieu  vers  I4f>0,  en 
la  personne  de  Henri  Stuart.  Alexandre  Stuart,  duc  d'Al- 
bany, second  fils  de  Jacques  H,  roi  d'Lcosse,  devint  la  sou- 
che d'une  nouvelle  branche.  Exilé  par  Jacques  111,  son  frère, 
ce  prince  mourut  en  France  en  1485.  Le  dernier  duc  d'Al- 
bany fut  Jean  Stuart,  fils  du  précédent,  le  même  qui  s'at- 


tacha au  service  de  Louis  XII ,  el  Tr-^compagna  à  Gênes.  De 
retour  en  Ecosse ,  il  fut  nommé  gouverneur  de  ce  royaume 
en  ISKJ;  mais  il  le  quitta  pour  suivre  François  F"' dans  ses 
campagnes  d'Italie.  Après  la  hinesle  bataille  de  Pavie,  il 
rentra  en  France,  oii  il  mourut  en  1530.  En  sa  personne 
s'éteignit  la  dernière  branche  des  ducs  d'Albany. — Le  préten- 
dant Charles-Edouard  Stuart  prit  plus  fard  le  titre 
de  duc  d'Albany.  Nous  consacrerons  seulement  ici  quelques 
mots  à  la  ifuchesse  d'Albany,  sa  femme. 

ALBANY  (Loi'ise-Marie-Caroune,  ou  Aloyse,  com- 
tesse d'),  épouse  du  prétendantanglaisCharles-Édouardj  pe- 
tit-fils de  Jacques  II ,  était  née  en  17..2  et  était  fille  du  prince 
Gustave-Adolphe  de  Stolberg-Gedem ,  mort  en  1757  à  la 
bataille  de  Leuthen.  Lors  de  son  mariage,  qui  fut  célébré 
en  1772,  elle  prit  le  nom  de  comtesse  d'Albany.  Son  union 
avec  le  prétendant  demeura  stérile,  et  fut  des  plus  malheu- 
reuses. Pour  échapper  aux  actesde  brutalité  de  son  mari,  qui 
vivait  dans  un  état  presque  constant  d'ivresse,  elle  se  réfugia, 
en  1780,  dans  un  couvent.  A  la  mort  du  prince,  arrivée 
en  1788  ,  la  cour  de  France  lui  assura  une  pension  annuelle 
de  00,000  fr.  Elle  survécut  d'ailleurs  à  la  maison  des 
Stuarts,  qui  s'éteignit  en  1807,  en  la  personne  de  son  beau- 
frère,  le  cardinal  d'York,  et  ne  mourut  qu'en  1824  à  Flo- 
rence, ville  qu'elle  habitait  ordinairement.  Les  ouvrages 
d'Alfieri  et  son  autobiographie  transmettront  à  la  posté- 
rité le  nom  et  le  souvenn  des  malheurs  de  cette  femme  :  elle 
fut  la  muse  inspiratrice  de  son  génie  ;  il  avoue  lui-même  que 
sans  son  amitié  il  n'eût  jamais  été  capable  de  faire  quelque 
chose  qui  méritât  d'être  dérobé  à  l'oubli.  Les  restes  mor- 
tels de  la  comtesse  d'Albany  et  ceux  d'Alfieri  reposent  au- 
jourd'hui dans  la  même  tombe,  dans  l'église  de  la  Sainte- 
Croix  à  Florence ,  entre  les  tombeaux  de  MôCliiavel  et  de 
Michel-Ange. 

ALBANY,  capitale  et  siège  du  gouvernement  de  l'État 
de  New-York,  sur  la  rive  droite  de  l'Hudson,  dans  une  con- 
trée aussi  fertile  que  bien  cultivée.  L'Hudson  est  navigable 
j  usqu'à  Albany  pour  des  bâtiments  de  cent  cinquante  tonneaux 
et  pour  les  plus  grands  bateaux  à  vapeur,  dont  un  bon  nombre 
font  chaque  jour  le  service  entre  cette  ville  et  New-York. 
Les  canaux  Érié  et  Champlain  se  réunissent  au  nord  d'Al- 
bany, qu'un  chemin  de  fer  relie  d'ailleurs  à  New-York  et 
à  Boston.  En  outre,  deux  grandes  routes  commerciales, 
l'une  par  la  voie  de  terre ,  et  longue  d'environ  298  kilo- 
mètres, l'autre,  le  canal  Érié,  long  de  363  kilomètres,  con- 
duisent de  ce  point  à  Buffalo,  clef  de  tout  le  commerce  de 
l'ouest,  et  au  Canada.  Albany  est  une  ville  manufacturière 
et  commerçante.  On  y  travaille  le  fer,  le  coton  et  la  laine; 
il  s'y  publie  deux  journaux,  et  elle  possède  un  institut  lit- 
téraire et  scientifique  ,  ainsi  qu'une  école  de  médecine. 

Après  Jamestovvn,en  Virginie,  Albany  est  la  plus  ancienne 
ville  de  l'Union;  elle  fut  fondée  en  1014  par  des  Hol- 
landais, qui  l'appelèrent  for^O?•û?Jpe.  En  1790  on  y  comp- 
tait 3,498  habitants  ;  en  1810,  9,356  ;  en  1830  ,  24,238  ;  en 
1845,  41,139.  Parmi  les  édifices  remarquables  qu'elle  ren- 
ferme, il  faut  citer  le  Capitole,  palais  du  gouvernement,  bâti 
en  marbre  blanc ,  la  cathédrale  catholique ,  le  théâtre  et  le 
muséum. 

Le  comté  du  même  nom  comprenait  en  1840  une  popu- 
lation totale  de  68,593  habitants  ;  et  indépendamment  du 
cheMieu  que  nous  venons  de  décrire ,  on  y  remarque  le* 
villes  de  Bethléem  (  3,240  h.  ),  Berne  (  3,74o  h.  ),  Guilder- 
/flrtrf  (2,790  h.  ),  Rcusselaerville{2,100),  Wesierloo {iyOao) 
et  WatervUet  (10,140  h.).  —  Dans  ce  comté,  les  droits 
féodaux ,  introduits  dans  l'origine  par  les  Hollandais,  sub- 
sistent encore  en  paitie  :  anomalie  qui  dans  ces  derniers 
temps  a  donné  lieu  à  de  sanglantes  collisions  entre  les  pro- 
priétaires  de  terres  et  leurs  fermiers. 

ALBATÉGiXI  (  Mohammed -Ren-Geber- Ben-Se>an- 
Abou-Aedallau),  né  à  Batan,  en  Mésopotamie,  d'où  lui 
vient  le  nom  (TAlbatanij,  latinisé  en  Albalenius,  connndJi- 


ALBATKGNI  —  ALBATROS 


249 


da\l**n  Syrie  pour  les  khiJifes  de  Bagdad,  et  fit  des  obser- 
\  alions  astronomiques  vers  la  lin  du  neuvième  siècle  de 
notre  ère,  soit  à  Antioche,  siège  de  son  gouvernement,  soit 
à  Ki.cc«  (  Aracte),  où  il  faisait  son  séjour  ordinaire.  On  Ta 
surnommé  le  Ptolcmte  des  Arabes  ;  et  c'est  avec  raison , 
car  l'ouvrage  qu'il  nous  a  laissé  sur  la  connaissance  des  corps 
cèU^tesa  pendant  plusieurs  siècles  représenté  l'ensemble  des 
travaux  de  l'école  de  Bagdad ,  de  même  que  l'Almageste 
nous  offrait  le  dernier  terme  des  découvertes  de  l'école  d'A- 
lexandrie :  aussi  Lalande  n'hésite-t-il  pas  à  le  placer  parmi 
les  plus  célèbres  astronomes  qui  aient  jamais  vécu.  11  faut 
reconnaître  en  effet  que  depuis  le  quinzième  siècle  jusqu'au 
dix-neuvième  Albatégni  a  défrayé  tous  les  écrivains  qui  se 
sont  occupés  de  l'histoire  des  sciences  chez  les  Arabes ,  et  ce 
n'est  que  depuis  un  petit  nombre  d'années  que  l'on  a  pu 
s'assurer  que  les  découvertes  inscrites  sous  son  nom  n'étaient 
pas  tout  à  fait  sa  propriété  exclusive.  Xous  savons  très-bien 
que  Ptolémée  a  mis  les  ouvrages  d'Hipparque  à  contribution  : 
lui-même  nous  l'apprend  avec  une  entière  bonne  foi;  mais 
ces  ouvrages  immortels  du  plus  grand  des  observateurs  grecs 
ne  nous  sont  pas  parvenus ,  et  la  gloire  de  son  successeur  a 
dû  naturellement  s'en  accroître.  Albalégni  se  trouve  mal- 
heureusement dans  une  position  moins  favorable  :  il  a  été 
considéré  pendant  six  siècles  comme  le  premier  des  astro- 
nomes arabes,  parce  que  l'on  ne  s'était  pas  doimé  la  peine 
d'examiner  les  traités  de  ceux  qui  l'avaient  précédé  ou  suivi  ; 
mais  ces  traités  existent,  et  maintenant  que  l'on  commence 
à  mettre  un  peu  plus  d'importance  à  l'étude  des  écrits  scien- 
tifiques des  Orientaux ,  on  a  déjà  rectifié  bien  des  idées 
fausses  que  certaines  personnes,  restées  étrangères  aux  pro- 
yjèi  de  la  science  hislorique  dans  cette  branche  si  intéres- 
sante des  connaissances  humaines ,  peuvent  encore  cliercher 
à  propager  çà  et  là,  mais  qui  disparaîtront  nécessairement 
devant  la  vérité  des  faits.  Cest  ainsi  qu'on  supposait  que 
les  quatre  observations  dont  Albatégni  se  dit  l'auteur  étaient 
les  seules  qui  eussent  été  faites  pendant  la  période  de  près  de 
sept  siècles  qui  sépare  les  Grecs  des  modernes  ;  Longomon- 
tan  n'avait  pas  hésité  à  l'affirmer ,  et  aujourd'hui  nous  avons 
une  indication  précise  d'une  suite  d'observations  continuées 
avec  la  plus  louable  persévérance  par  les  astronomes  arabes 
pendant  toute  la  dui  ée  du  neuvième  et  du  dixième  siècles  ; 
nous  pouvons  y  ajouter  celles  d'Aboul-Wéfa  à  Bagdad, 
<i  Ebn-Jounis  au  Caire,  d'Arzachel  à  Tolède,  de  Nassir-Eddin- 
'l'Iiousi  à  IMeragah,  d'Oloug-Beg  à  Samarcande,  etc.  Si, 
d'un  autre  côté,  Albatégni  s'est  appuyé  sur  les  travaux  de  ses 
devanciers  pour  établir  d'une  manière  plus  exacte  que  Pto- 
lémée le  mouvement  de  préression ,  l'excentricité  de  l'orbite 
solaire,  la  durée  de  l'année,  d'après  le  passage  si  curieux  et 
si  controversé  où  il  fait  intervenir  les  Chaldéens  et  les  Égyp- 
tiens; s'il  n'a  pas  lui-même  signalé  le  mouvement  de  l'apo- 
gée du  soleil ,  s'il  n'a  pas  substitué  le  premier  les  sinus  aux 
cordes ,  il  n'en  a  pas  moins  rendu  un  véritable  service  à  la 
science  en  nous  présentant  le  tableau  des  résultats  obtenus 
de  son  temps  ;  seulement,  en  rendant  à  chacun  ce  qui  lui 
appartient,  on  ne  s'avisera  plus ,  comme  l'ont  fait  Delambre 
et  ceux  qui  se  sont  servis  de  son  livre,  d'accuser  Alfragan, 
<iui  Ilorissait  en  830,  et  non  pas  en  950,  d'avoir  copié  les  pre- 
miers chapitres  d'Albatégni,  mort  en  928.  —  Nous  avons  une 
traduction  latine  de  l'ouvrage  du  savant  astronome  de  Racca  ; 
mais  le  texte  original  a  disparu,  et  l'on  n'a  pu  s'assurer  s'il 
en  existait  quelque  manuscrit  au  Vatican  ou  à  la  bibliothèque 
de  l'Escurial  :  c'est  une  perte  très-regrettable  pour  les  astro- 
nomes et  les  orientalistes.  L.-Am.  Sfdillot. 

ALliÀTRE  (du  grec  àXâoaaxpov  ,  insaisissable,  voyez 
ALABASTRiTts).  On  distingue  deux  sortes  d'albâtre,  Valbàire 
calcaire  et  YalbcUrc  gijpsevxoii  blanc. 

L'albdtre  calcaire  est  du  carbonate  de  chaux  concré- 
lionné,  provenant  des  stalactites  et  des  stalagmites, 
ou  plutôt  c'est  la  substance  même  qui  compose  ces  forma- 
tions. Cette  variété  de  calcaire  est  formée  de  couches  suc- 

L';CT.    l't    LA    (.('NVERSATIOM.    —    T.    I. 


ccssives ,  ondidées,  qui  se  dessinent  en  veincB  à  la  surface  ; 
sa  cassure  est  imparfaitement  cristalline  et  comme  striée;  sa 
couleur  est  le  blanc-laiteux,  un  peu  roux,  ou  jaune  de  miel. 
Cette  pierre  est  remarquable  par  sa  demi-transparence  et  1<3 
beau  poli  dont  elle  est  susceptible.  L'albâtre  est  très-précieux 
pour  la  décoration  des  monuments.  On  le  taille  en  coupes,  en 
vases  élégants,  en  châsses  de  i)endules ,  et  les  anciens  en 
faisaient  des  statues,  des  colonnes,  des  tables,  etc.  On  donne 
le  nom  d'alhdtre  oriental  à  celui  dont  les  couleurs  sont 
vives,  la  translucidité  parfaite  :  tel  est  celui  que  les  anciens 
tiraient  de  l'Egypte  sous  le  nom  de  marbre  onyx,  et  dont 
est  laite  la  statue  egyplienni'  que  (lO.^^^■<le  noir.'  Musée  du 
Louvre.  On  a  trouvé  à  Montmartre,  près  lit'  Paris,  un  albâtre 
d'un  beau  jaune  de  miel,  dont  on  a  pu  faire  quelques 
coupes  d'un  assez  bel  effet  ;  mais  il  y  est  rare ,  et  toujours 
en  masses  peu  volumineuses. 

Valbûtre  gypseux  est  de  la  chaux  sulfatée  compacte  ou 
sulfate  de  chaux  hydraté.  11  est  translucide ,  d'un  grain  fin 
et  serré  et  susceptible  de  recevoir  un  beau  poli.  Il  offre  sou- 
vent la  blancheur  la  plus  parfaite,  quoique  cette  qualité  ne 
lui  soit  point  essentielle,  et  c'est  à  cette  variété  que  se  rap- 
porte l'expression  proverbiale  blanc  comme  l'albâtre.  Cette 
espèce  de  chaux  se  trouve  en  masses  considérables  dans  les 
terrains  primitifs ,  et  aussi  assez  communément  dans  ceux 
de  troisième  formation.  Les  carrières  de  Lagny-sur-Marne 
fournissent  une  variété  d'albâtre  veiné ,  de  couleur  grise  ou 
blanc  jaunâtre,  qu'on  exploite  d'une  manière  avantageuse. 
Le  plus  beau  est  celui  que  l'on  trouve  à  "Volterra  en  Toscane, 
et  qrie  l'on  travaille  à  Florence,  où  d  prend,  sous  le  ciseau 
du  statuaire ,  les  formes  les  plus  variées  et  les  plus  élé- 
gantes. On  fait  avec  l'albâtre  gy-pseux  des  vases,  des 
lampes,  des  châsses  de  pendules,  de  petites  statues ,  des  re- 
vêtements de  cheminées,  etc. 

Valbûtre  gypseux  et  Yalbâtre  calcaire  diffèrent  entre 
eux  autant  par  leurs  caractères  physiques  que  par  leur  com- 
position chimique.  Le  premier  est  composé  de  trente-deux 
parties  de  chaux,  de  quarante-six  d'acide  sulfurique  et  de 
vingt-deux  d'eau  ;  le  second,  de  cinquante-cinq  parties  de 
chaux,  de  trente-quatre  d'acide  carbonique,  et  de  onze  d'eau. 
L'albâtre  calcaire  est  assez  dur  pour  rayer  le  marbre  blanc,  et 
par  l'action  d'un  acide  il  se  décompose  en  faisant  une  vive 
effervescence ,  tandis  que  l'albâtre  gypseux ,  beaucoup  plus 
tendre  et  plus  fragile,  se  laisse  rayer  par  l'ongle  et  ne  peut 
être  attaqué  par  les  acides.  Le  moindre  frottement  suffit 
pour  lui  enlever  son  poli  et  son  éclat,  et  il  perd  prompte- 
ment  sa  transparence  quand  il  est  exposé  au  feu.  Aussi  est- 
il  beaucoup  moins  estimé  que  l'autre. 

ALBATROS  ou  ALB\TROSSE,  oiseau  qui  forme  le 
genre  dtomedea  de  Linné.  Ses  caractères  sont  :  bec  sans 
dentelures,  grand,  fort  et  tranchant,  offrant  plusieurs  su- 
tures, dont  l'extrémité  est  en  forme  de  croc,  qui  y  semble 
articulé;  narines  en  forme  de  rouleaux  courts,  couchés  sur 
les  côtés  du  bec  ;  jambes  courtes,  pieds  sans  pouce  ;  les  frois 
doigts  antérieurs  longs  et  entièrement  palmés  ;  ailes  longues, 
étroites  et  tout  à  fait  aiguës.  G.  Cuvier  l'a  placé  dans  la  fa- 
mille des  longipennes  ou  grands  voiliers,  de  l'ordre  des  pal- 
mipèdes. De  tous  les  oiseaux  d'eau  les  albatros  sont  les 
plus  grands  et  les  plus  massifs.  L'envergure  de  leurs  ailes  est 
de  trois  à  quatre  mètres.  L'espèce  la  plus  connue  est  nommée 
par  les  navigateurs  mouton  du  Cap,  à  cause  de  sa  grande 
taille,  de  son  plumage  blanc  et  noir.  Elle  a  été  appelée  par 
les  Angh\?,  vaisseau  de  guerre.  Sa  voix  est,  dit-on,  aussi 
forte  que  celle  de  l'âne.  Il  se  nourrit  de  poissons  volants, 
fait  un  nid  de  terre  élevé  et  pond  des  œufs  nombreux,  bons  à 
manger.  Les  diverses  espèces  de  ce  genre  habitent  les  mers 
australes,  et  vivent  de  frai  de  poisson  et  de  mollusques. 
Malgré  leur  grande  taille  et  leur  force,  les  albatros  sont  des 
oiseaux  lâches,  qui  se  laissent  battre  pardes  espèces  plus  fai- 
bles ,  telles  que  les  goélands  et  les  mouettes,  et  leur  abandon- 
nent leur  proie  qu'ils  ne  savent  ou  n'osent  îeur  disputer. 

32 


250 


ALBE 


ALBE  {Alba  Longa),  ville  considérable  du  Latium, 
passe  pour  avoir  été  batic  par  Ascagne,  fils  d'Énée ,  et  gou- 
vernée après  sa  mort  par  Sylviiis,  second  fils  d'Énée.  Il 
régna  ensuite  à  Albe  une  assez  longue  série  de  princes,  parmi 
lesfiuels  figurent  Numitor,  père  de  Rliéa  Sylvia  et  aïeul  de 
liénuis  et  de  Romulus.  Albe  se  glorifiait  d'avoir  fondé  trente 
colonies  ;  et  à  l'époque  de  la  fondation  de  Rome  elle  était  la 
métropole  du  Latium.  La  royauté  y  fut  abolie  à  peu  près 
dans  le  même  temps  (pi'à  Rome ,  par  une  révolution  que 
nous  ignorons,  et  fut  remplacée  par  une  dictature  élective 
et  probablement  temporaire.  Tite-Live  a  écrit  un  curieux 
récit  sur  la  guerre  d'Albe  et  de  Rome  ;  il  est  aisé  de  retrouver 
dans  le  combat  des  Horaces  et  des  Curiaces  les  fragments 
défigurés  d'un  poëme  symbolique.  Ce  combat,  en  effet,  est 
probablement  celui  des  deux  nations  sœurs  et  de  ses  trois 
tribus  personnifiées.  Quelque  douce  que  fût  la  domination 
romaine ,  la  masse  des  Albains  supportait  impatiemment  le 
joug.  De  là  le  soulèvement  de  Fidènes,  la  trabison  de  Suffé- 
tius.  Les  Romains  s'en  vengèrent  cruellement  :  Albe,  sur- 
prise par  lin  corps  de  cavalerie,  fut  rasée,  à  l'exception  des 
temi)k's  que  Tullus  ordonna  d'épargner.  Voilà  tout  ce  que 
l'on  sait  d'Albe  jusqu'à  sa  cliute.  Mais,  la  ville  détruite,  le 
mont  Albain  n'en  resta  pas  moins  le  siège  révéré  des  reli- 
gions du  Latium,  et  sous  ce  rapport  le  rival  du  Cap  il  oie. 
Au  temps  d'Auguste, les  Fériés  Latines  s'y  tenaient  encore. 
Sur  ses  ruines  s'élève  aujourd'hui  la  ville  d'Albano. 

ALBE,  ville  des  États  Sardes,  chef-lieu  de  la  province 
de  son  nom  ,  située  à  57  kilomètres  de  Turin  ,  sur  la  rive 
droite  du  ïanaro.  Sa  population  est  de  7,500  habitants. 
Elle  est  le  siège  d'un  évôcbé  suffragant  de  Turin,  pos- 
sède un  collège  royal  et  un  séminaire,  et  fait  un  com- 
merce considérable  de  bestiaux.  C'est  Y  Alba  Pompeia  des  Ro- 
mains. —  L'histoire  de  cette  ville  n'est  pas  très-connue.  Albe 
obtint  de  Rarbcrousse  les  droits  régaliens  en  1183;  en  1215 
elle  était  alliée  avec  les  marquis  de  Saluées;  en  1239  cette 
ville  était  gibeline,  et  guerroyait  contre  Gènes;  en  1264  elle 
avait  changé  de  drapeau ,  et  obéissait  à  Charles  d'Anjou, 
comte  de  Provence,  roi  de  IS'aples;  en  1314  Henri  VII,  em- 
l)ereur,  l'inféoda  au  marquis  de  Saluées,  qui  la  garda  peu  de 
temps  ;  en  134S  Lucbino  Visconti  s'en  empaia  ;  ensuite  elle 
tomba  sous  la  domination  du  marquis  de  JMont ferrai,  qui  en 
garda  la  possession  jusqu'en  1631.  A  cette  époque  Albe, 
avec  soixante-treize  villages  du  Moutferiat,  fut  adjugée  par 
le  Iraili'  de  Quérasqne  à  Victor-Amédée  1".       Ciiikario. 

ALBE  (Fernando-Alvarez  de  Tolède,  duc  d'),  mi- 
nistre d'État  et  général  des  armées  impériales,  né  en  150S, 
d'une  des  familles  les  plus  distinguées  (l'Espagne,  il  fut  élevé 
sous  les  yeux  de  son  grand-père,  Frédéric  de  Tolède,  qui  lui 
enseigna  l'art  militaire  et  l'initia  aux  affaires  politiques.  Il  fit 
ses  premières  armes,  encore  fort  jeune,  contre  la  France,  sous 
le  connétable  de  Castille,  et  assista  à  la  prise  de  Fontaiabie. 
L'année  suivante  il  se  distingua  à  la  bataille  de  Pavie  ;  sous 
Cbarles-Quint,  il  commanda  en  Hongrie,  au  siège  de  Tunis, 
et  à  l'expédition  contre  Alger.  Il  défendit  Perpignan  contre 
les  Fiançais,  et  se  distingua  en  Navarre  et  en  Catalogne.  Son 
caractère  prudent  et  circonspect,  joint  à  son  penchant  pour 
la  politique,  donnèrent  d'abord  une  idée  médiocre  de  ses  ta- 
lents militaires.  Charles-Quint,  à  qui  en  Hongrie  il  avait  con- 
seillé de  faire  plutôt  un  pont  d'or  aux  Turcs  que  de  leur  li- 
vrer une  bataille  décisive,  le  regardait  comme  incapable  d'un 
commandement  supérieur,  et  lui  conféra  cette  haute  dignité 
plutôt  comme  à  titre  de  faveur  qu'en  reconnaissance  de  ses 
talents.  Ce  mépri<;  nffon'Ja  son  orgueil  naturel  ,  et  donna  à 
son  génie  un  clan  tel  qu'il  fit  des  actions  dont  le  souvenir 
mérite  cciles  d'être  con-^ervé  par  l'histoire.  Par  sa  conduite 
prudente,  il  gagna  à  Charles-Quint,  en  15»7,  la  célèbre  ba- 
taille de  M  II  h  Iberg,  contre  Jean-Frédéric,  électeur  de 
Saxe.  Ce  dernier  fut  fait  prisonnier.  Leduc  d'Albe,  qui  pré- 
sidait le  conseil  de  guerre,  le  condamna  à  mo't,  et  |)ria  ins- 
tamment lemperenr  de  ne  point  commuer  la  peine.  Si  cet 


arrêt  ne  fut  pas  exécuté,  la  faute  n'en  fut  pas  au  duc  ;  car 
ayant  suivi  l'empereur  à  Wittenberg,  il  osa  même  lui  proposer 
•le  violer  la  tombe  de  Luther  pour  brûler  son  corps.  Cbarles- 
Quint  avait  plus  d'élévation  dans  l'Ame;  il  répondit  à  son 
lieutenant  :  «  Je  fais  la  guerre  aux  vivants,  mais  je  respecte 
le  repos  des  morts  !  »  En  1552  le  duc  d'Albe  échoua  au  siégo 
de  Metz,  que  défendait  François  de  Guise. 

En  1555  il  fut  chargé  d'aller  combattre  en  Italie  les  Fran- 
çais et  le  pape  Paul  IV,  ennemi  irréconciliable  de  Fempereur. 
Il  remporta  plusieurs  victoires,  fit  lever  le  siège  de  Milan  , 
alla  à  Naples ,  et  y  raffermit  la  prépondérance  espagnole. 
Lorsque  Charles-Quint  eut  remis  les  rênes  de  l'État  aux 
mains  de  son  fils  Philippe  II,  le  duc  garda  le  commande- 
ment supérieur  de  l'armée.  11  fit  la  conquête  des  États  de 
l'Église,  et  paralysa  les  efforts  des  Français  ;  mais  lorsque 
Philippe  eut  gagné  sur  le  duc  de  Guise  la  bataille  de  Saint- 
Quentin  ,  d'Albe,  a  ijui  sa  superstition  reprochait  la  guerre 
qu'il  avait  faite  au  saint-père  ,  s'empressa  d'accepter  la  paix 
offerte  par  Paul  IV,  lui  rendit  tout  ce  qu'il  lui  avait  enlevé , 
et  courut  à  Rome  implorer  son  pardon. 

Rappelé  d'Italie,  il  parut  à  la  cour  de  France  en  1559, 
pour  épouser,  au  nom  de  son  souverain,  Elisabeth,  fille  de 
Henri  II,  qui  avait  été  promise  au  prince  royal  don  Carlos. 
Sur  ces  entrefaites,  les  Pays-Bas  se  soulevèrent  ;  la  noblesse 
forma  une  ligue  à  laquelle  le  propos  insolent  d'un  courtisan 
fit  donner  le  nom  de  ligue  des  Gueux  ,  et  le  duc  d'Albe 
conseilla  au  roi  d'étouffer  ces  troubles  par  la  force.  Le  roi 
lui  confia  une  armée  considérable  et  l'investit  d'un  pouvoir 
illimité,  avec  ordre  de  soumettre  les  Pays-Bas  au  régime  de 
la  force  et  de  l'inquisition.  A  peine  le  duc  fut-il  arrivé  en 
Flandre  (1556),  qu'il  organisa  un  tribunal  sanguinaire,  à  la 
tête  duquel  il  plaça  son  affidé  Jean  de  Vargas.  Tous  ceux 
dont  l'opinion  parut  suspecte  ou  dont  les  richesses  excitè- 
rent la  cupidité  des  juges  furent  condamnés  sans  distinction. 
On  fit  des  procès  aux  présents,  aux  absents,  aux  vivants  et 
aux  morts,  et  leurs  biens  furent  confisqués.  Beaucoup  de 
marchands  et  de  manufacturiers  émigrèrent  en  Angleterre  ; 
il  y  en  eut  plus  de  cent  mille  qui  abandonnèrent  ainsi  leur 
patrie.  D'autres  allèrent  se  ranger  sous  les  drapeaux  du 
prince  d'Orange,  qui  était  proscrit.  Aigri  par  la  défaite 
de  son  lieutenant,  le  duc  d'Aremberg,  le  duc  d'Albe  fit  périr 
sur  l'échafaud  les  comtes  d'Egmont  et  de  Horn.  Puis  ii 
battit  le  comte  de  Nassau  dans  les  plaines  de  Gemmingen. 
Quelque  temps  après,  le  prince  d'Orange  se  présenta  avec 
une  armée  imposante.  Le  jeune  Frédéric  de  Tolède  envoya 
un  message  à  son  père  pour  en  obtenir  la  permission  de  li- 
vrer bataille.  Le  duc,  qui  exigeait  de  ses  inférieurs  une  sou- 
mission aveugle,  lui  fit  répondre  «  qu'il  lui  pardonnait  en 
faveur  de  .son  inexpérience  ;  mais  qu'il  eût  à  .>e  garder  de 
le  presser  davantage,  car  il  en  coûterait  la  vie  à  celui  qui 
oserait  se  charger  d'un  pareil  message  ». 

Le  prince  d'Orange  fut  obligé  de  se  retirer  en  Allemagne. 
Le  duc  d'Albe  flétrit  sa  réputation  militaire  par  de  nouvelles 
cruautés  :  ses  bourreaux  versèrent  plus  de  sang  que  ses 
soldats  ;  le  pape  lui  envoya  une  épée  et  un  chapeau  bénits, 
honneur  qui  jusque  alors  n'avait  été  accordé  qu'à  des  prin- 
ces. Non  content  de  cette  distinction,  lui-même  s'en  accorda 
une  autre  en  s'érigeant  au  milieu  de  la  citadelle  d'Anvers  une 
statue  d'airain  qui  le  montrait  foulant  aux  pieds  deux  figures 
allégoricpies,  dont  l'une  représentait  l'iiérésie  et  l'autre  la  rébel- 
lion. Cependant,  la  Hollande  et  la  Zélande  résistaient  encore 
à  ses  armes  victorieuses.  Une  (lotte  qu'on  avait  expédiée  d'a- 
près son  ordre  fut  anéantie ,  et  partout  dans  ces  contrées 
il  rencontrait  un  courage  aussi  opiniâtre  qu'invincible.  Ce 
motif,  joint  à  la  crainte  qu'il  avait  de  perdre  la  faveur  du 
roi,  le  détermina  à  solliciter  son  rap|)el.  Philippe  lui  accorda 
volontiers  sa  demande;  car,  voyant  que  les  cruautés  du  duc 
d'Albe  ne  faisaient  qu'accroître  la  résistance  des  rebelles,  il 
résolut  d'avoir  recours  à  des  moyens  plus  doux.  En  dé- 
cembre 1573  le  duc  d'Albe  fit  proclamer  une  amnistie,  rc- 


ALBE  —   ALBERONI 

mil  le  commandement  îles  troupes  à  Louis  ûe  Requesens , 
et  alKmdonna  un  pays  où  il  avait,  connue  il  s'en  vantait,  lait 
périr  dans  les  supplices  dix-huit  mille  personnes,  allumé  une 
guerre  qui  exerça  ses  ravages  pendant  soi\ante-liuit  ans,  et 
coûté  à  rEsi>agne  huit  cents  millions  d\'cus,  ses  meilleures 
troupes ,  et  enlin  sept  des  plus  belles  provinces  néerlan- 
daises. 

Le  duc  d'Albe  fut  accueilli  h  Madrid  avec  distinction  ; 
mais  il  ne  jouit  pas  longtemps  de  son  ancien  crédit.  Son  lils, 
Frédéric  de  Tolède,  marquis  de  Coria,  séduisit  une  dame 
4'lionneur  de  la  reine,  et  refusa  de  l'épouser,  malgré  l'ordr'! 
formel  du  roi.  On  le  jeta  en  prison  ;  mais  son  père  favorisa 
son  évasion,  et  lui  lit  épouser  sur-le-champ  sa  cousine.  Aussi 
le  duc  fut  exilé  de  la  cour  à  son  château  d'Uzéda,  où  il 
passa  deux  années  dans  la  retraite. 

L'entreprise  de  don  Antonio,  prieur  de  Crato,  qui  s'était 
fait  couronner  roi  de  Portugal ,  força  Philippe  d'avoir  re- 
cours à  l'homme  dans  les  talents  et  à  la  foi  duquel  il  avait  une 
entière  confiance.  D'Albe  conduisit  une  armée  en  Portugal, 
gagna  deux  batailles  en  trois  semaines,  chassa  don  Antonio, 
et  soumit,  en  1581,  tout  le  Portugal  à  son  souverain.  Il 
s'empara  des  trésors  de  la  capitale,  et  permit  à  ses  soldats 
de  piller,  avec  leur  cruauté  accoutumée,  les  faubourgs  et  les 
environs  de  Lisbonne.  Philippe,  mécontent  de  ces  actes , 
voulut  faire  examiner  la  conduite  de  son  général,  qu'il  soup- 
çonnait, d'ailleurs,  d'avoir  détourné  à  son  profit  les  richesses 
conquises  sur  les  vaincus;  mais  une  réponse  hautaine  de 
celui-ci  et  la  crainte  qu'il  ne  se  révoltât  l'en  empêchèrent. 
Le  duc  mourut  le  21  janvier  1582,àràge  de  soixante-qua- 
torze ans.  D'Albe  avait  la  contenance  superbe,  le  regard  hau- 
tam  et  un  corps  robuste;  il  Uoniiuu  i».  n.  travaillait  etécri- 
vait  beaucoup.  On  prétend  que  pendant  les  soixante  années 
qu'il  fit  la  guerre  contre  différents  ennemis,  il  ne  se  laissa  ja- 
mais ni  battre  ni  surprendre  ;  mais  son  orgueil,  sa  dureté  et 
sa  cruauté  ont  tlétri  sa  gloire,  et  son  nom  est  resté  synonyme 
de  tyrannie. 

ALBE  (Bâcler  d').  Voyez  Bâcler. 

ALBE3LARLE  ,  nom  ancien  de  la  ville  de  Normandie 
que  par  contraction  nous  nommons  A  u  m  a  1  e,  et  qui  est  resté 
en  Angleterre  le  titre  d'un  duché  nominal  depuis  que  la  ville 
d'Aumale  a  été  enlevée  à  Richard  d'Angleterre  par  Pliilippe- 
Auguste,  en  1194.  Ce  titre  a  été  porté  par  Monk  et  par 
Arnold-Jean  Van  Keppel,  né  dans  la  Gueldre,  en  1669,  mort 
en  1718,favori  deGuillaumelIl.  Il  est  encore  dans  sa  famille. 

ALBEXDORF,  village  de  Prusse ,  dans  la  Silésie ,  ré- 
gence de  Breslau,à  12  kilomètres  de  Glatz,  avec  1,000  habi- 
tants, est  célèbre  par  son  sanctuaire  de  la  Nouvelle  Jérusalem, 
visité  annuellement,  dit-on ,  par  plus  de  80,000  pèlerins, 
qui  vieiment  principalement  de  la  Bohême.  L'église  est  riche 
ii'ex-voto  offerts  en  mémoire  de  prétendues  guérisons. 

ALBERGATIC  APACELLI  (  Francesco,  marquis  d') 
l>oëte  comique  italien,  l'ami  et  l'émule  de  Goldoni,  né  à 
Bologne,  en  1728,  mort  en  1804,  descendait  d'une  vieille 
famille  patricienne  de  Bologne,  et  reçut  une  éducation  con- 
forme à  sa  naissance.  Après  l'annulation  d'un  mariage  qu'il 
n'avait  contracté  que  par  suite  des  obsessions  de  sa  famille, 
il  se  retira  dans  son  domaine  de  Zola,  où  il  vécut  jusqu'en 
l'année  1766,  tout  entier  à  ses  études  et  au  commerce  de 
quelques  amis  choisis.  11  y  fit  élever  un  théâtre  qui  pouvait 
contenir  trois  cents  spectateurs,  et  y  fit  représenter  des  pièces 
de  sa  composition,  dont  le  mérite  ne  tarda  pas  à  être  apprécié 
dans  \m  cercle  plus  étendu.  Des  contrariétés  qu'il  éprouva 
de  la  part  des  autorités  locales  le  contraignirent  à  aban- 
donner sa  patrie  et  à  aller  s'étabhr  à  Vérone.  Il  fit  ensuite 
quelque  séjour  à  Venise,  puis  s'en  revint  à  Zola,  où  il 
vécut  avec  moins  d'éclat  sans  doute  qu'auparavant,  mais 
avec  plus  de  calme  et  de  bonheur  réel.  La  douceur  et  l'ama- 
bilité de  son  caractère  étaient  si  grandes  qu'il  fiit  toujours 
assez  lieureux  pour  ignorer  ce  que  c'était  que  de  perdre  un 
aniL  11  fut  d'ailleurs  en  correspondance  suivie  avec  toutes 


251 

.  les  illustrations  de  son  siècle,  et  Voltaire  lui  dédia  une  de 
ses  tragédies.  —  On  a  réuni  et  publié  en  12  volumes  in-8"  le 
théâtre  d'Albergali-Capacelli.  —  Sans  doute  ses  pièces  sont 
inférieures  en  mérite  à  celles  de  Goldoni  sous  le  rapport 
de  l'invention  et  de  l'art  de  tracer  les  caractères ,  mais  on  y 
remarque  une  meilleure  entente  des  effets  scéniques  et  une 
bien  plus  grande  pureté  de  style.  On  représente  encore 
aujourd'hui  sur  toutes  les  scènes  italiennes,  aux  applaudisse- 
ments des  connaisseurs,  son  Saggio  Amico  et  son  Ciarlator 
maldicejite.  U  existe  un  éloge  d'Albergati  par  son  ami 
Zacchiroli,  en  compagnie  de  qui  il  avait  écrit  ses  Lettere 
capricciose  (Venise,  1780). 
ALBERGE.  Voyez  Abricotier. 
ALBÉRIC,  religieux  de  l'ordre  de  Citeaux  et  moine  de 
l'abbaye  des  Ïrois-Fontaines,  vivait  au  milieu  du  treizième 
siècle.  Il  reste  de  lui  une  Chronique  qui  commence  à  la 
création  du  monde ,  et  se  termine  à  l'année  1241.  Cette 
chronique  se  trouve  imprimée  dans  les  Accessiones  historicx 
de  Leibnitz. 

ALBEROXI  (Jules),  cardinal  de  l'Église  romaine,  et 
premier  ministre  d'Espagne,  né  le  30  mars  1664,  à  ¥[- 
renzuola,  dans  le  duché  de  Parme ,  était  fils  d'un  jardinier, 
et  déploya  presque  autant  d'habileté  pour  entrer  dans  les 
ordres  qu'il  lui  en  fallut  ensuite  pour  gouverner  l'Espagne. 
Il  commença  par  être  sonneur  de  la  cathédrale  de  Plaisance , 
et  reçut  par  charité  une  espèce  d'éducation  dans  le  couvent 
des  Barnabites.  Doué  d'une  rare  pénétration,  il  devint  bientôt 
ciianoine,  puis  chapelam  et  favori  du  comte  Roncovieri , 

j  évêque  de  Saint-Donino.  Celui-ci  ayant  été  envoyé  par  le 
duc  de  Parme  auprès  du  maréchal  de  Vendôme,  reuM 
en  Italie  pour  commencer  la  campagne  a  la  tête  de  l'armée 
française,  se  démit  bientôt  de  sa  mission,  et  la  céda  à  Albe- 
roni.  Le  duc  de  Vendôme  le  prit  en  faveur,  et  l'emmena  à  la 
cour  de  France,  où  il  le  présenta  à  Louis  XIV.  Alberoni  ne 
quitta  plus  son  protecteur,  ni  dans  ses  campagnes  des  Pays- 
Bas  en  1707  et  1708,  ni  dans  sa  retraite  à  son  château  d'Anet, 
ni  en  Espagne,  où  la  fortune  l'attendait.  Dans  cette  guerre  d*? 
la  succession  d'Espagne,  où  Vendôme  se  couvrit  de 
gloire ,  Alberoni  servit  puissamment  de  son  habileté  les  af- 
faires de  Philippe  V,  et  gagna  sa  faveur.  Quelque  temps 
après  il  eut  l'occasion  d'être  utile  auprès  du  roi  d'Espagne  ;i 
son  ancien  maître  le  duc  de  Parme,  qui  l'en  récompensa  en 
lui  donnant  l'occasion  de  revenir  avec  le  titre  de  son  envoyé 
à  la  cour  de  Madrid,  cpi'il  avait  quittée  depuis  la  mort  du  duc 
de  Vendôme.  Deux  personnes  portaient  ombrage  à  l'ambi- 
tion d'Alberoni ,  le  cardinal  del  Giudice  et  la  princesse  des 
Ursins.  Il  eut  l'habileté  de  s'en  débarrasser,  en  donnant 
pour  femme  au  roi  la  nièce  du  duc  de  Parme,  Elisabeth 
Farnèse.  Parvenu  enfin  au  ministère  et  au  cardinalat,  il 
voulut  rendre  à  la  monarchie  espagnole  toute  sa  splendeur. 
11  réforma  les  abus,  organisa  une  marine,  disciplina  l'armée 
espagnole  à  l'instar  de  l'armée  française,  et  rendit  le  royaume 
plus  puissant  qu'il  n'avait  jamais  été  depuis  PliiHppe  II.  Il 
avait  formé  le  vaste  projet  de  rendre  à  l'Espagne  tout  le 
territoire  qu'elle  avait  perdu  en  Italie.  Le  duc  d'Orléans,  ré- 
gent de  France,  s'étant  dégagé  de  l'alliance  de  l'Espagne 
pour  s'unir  à  l'Angleterre ,  l'orgueilleux  prélat  ne  renonça 
pas  à  son  système;  bien  au  contraire,  il  jeta  le  masque,  at- 
taqua l'empereur,  et  lui  enleva  la  Sardaigne  et  la  Sicile.  La 
Hotte  espagnole  ayant  ensuite  été  entièrement  détruite  par  la 
Hotte  anglaise  commandée  par  l'amiral  Byng,  le  cardinal 
résolut  d'exciter  une  guerre  générale.  Il  rechercha  à  cet  effet 
l'alliance  de  Charles  XII  et  de  Pierre  le  Grand,  s'efforça 
d'engager  l'Autriche  dans  une  guerre  contre  les  Turcs,  et 
d'exciter  un  soulèvement  en  Hongrie  ;  enlin  il  fomenta  une  ré- 
volte en  France,  la  conspiration  de  Cellamare,  et  tenta  de 
faire  arrêter  le  duc  d'Oriéans  lui-même  avec  le  secours  d'un 
parti  puissant  qu'il  avait  su  se  former  à  la  cour.  Son  projet 
fut  découvert.  Le  régent,  fort  de  l'appui  de  l'Angleterre,  dé- 
clara la  guerre  à  l'Espagne,  et  dévoila  dans  un  manifeste  toutes 

32. 


2i2  ALBERO.M 

les  intrigues  du  cardinal.  Une  tentative  que  fit  en  Angletpne 
le  prétendant,  échoua.  Une  année  française  entra  en  Espagne, 
et,  quoique  Alberoni  eût  essayé,  par  des  troubles  qu'il  sus- 
cita en  Bretagne  ,  d'arrêter  les  entreprises  de  la  France ,  le 
roi  d'Espagne  n'en  perdit  pas  moins  courage,  et  fut  contraint 
de  signer  un  traité  de  paix  ,  dont  la  principale  clause  était 
l'exil  du  cardinal.  En  conséquence,  celui-ci  reçut,  le  20  dé- 
cembre 1720,  l'ordre  de  quitter  Madrid  dans  les  vingt- 
quatre  heures,  et  d'être  hors  du  territoire  espagnol  dans  l'es- 
pace de  cinq  jours.  Il  demeura  ainsi  exposé  à  toute  la  ven- 
geance des  puissances,  dont  il  s'était  attiré  la  haine,  et  ne 
trouva  pas  un  seul  endroit  où  il  pût  espérer  d'ôtre  en  sûreté. 
II  n'osa  même  pas  retourner  à  Rome ,  attendu  qu'il  n'avait 
pas  moins  trompé  le  pape  Clément  XI  pour  obtenir  le  cha- 
I)eau  de  cardinal.  A  peine  eut-il  dépassé  les  Pyrénées,  que 
sa  voiture  fut  attaquée,  et  un  de  ses  domestiques  tué.  Lui- 
même,  pour  sauver  sa  vie,  fut  obligé  de  se  déguiser  et  de 
continuer  sa  route  à  pied.  Il  erra  longtemps  sous  des  noms 
supposés,  et  fut  arrêté  sur  le  territoire  de  Gênes,  à  la  de- 
mande du  pape  et  du  roi  d'Espagne;  mais  les  Génois  lui  ren- 
dirent bientôt  la  liberté.  On  lui  fit  son  procès  à  Rome,  et 
le  libertinage  de  sa  vie  privée  fut  au  nombre  des  accu- 
sations qu'on  fit  peser  sur  lui.  11  fut  condamné  à  quatre  ans  de 
réclusion,  dont  il  ne  fit  qu'une  année,  dans  un  établissement 
de  jésuites.  Innocent  XIV  le  réintégra  dans  tous  les  droits  et 
prérogatives  du  cardinalat.  Alberoni  se  ^^t  même  sur  le  point, 
à  la  mort  de  Clément  XII,  de  reparaître  sur  l'horizon  poli- 
tique comme  souverain  pontife  :  avec  quelques  voix  de  plus, 
le  génie  d'Alberoni  aurait  encore  pesé  sur  les  destinées  du 
monde.  Il  mourut  en  1752 ,  à  Tige  de  quatre-vingt-sept  ans. 
La  fortune  d'Alberoni  fut  si  rapide  qu'elle  a  donné  lieu  à  mille 
suppositions.  Tout  le  monde  sait  ce  que  raconte  Saint-Simon 
.^ur  rorigine  de  l'aniitié  du  duc  de  Vendôme  pour  ce  per- 
sonnage; nous  ne  nous  permettrons  pas  de  le  répéter. 

ALliERT.  Six  ducs  d'Autriche  ont  porte  ce  nom  ;  le 
premier  et  le  cinquième  furent  en  même  temps  empereurs 
d'Allemagne. 

ALBERT  r%  duc  d'Autriche,  et  plus  tard  empereur  d'Al- 
lemagne, né  en  1248,  était  fils  de  Rodolphe  de  Habsbourg , 
qui ,  peu  de  temps  avant  sa  mort,  avait  inutilement  tenté 
de  placer  la  couronne  impériale  sur  la  tête  de  son  fils. 
Après  la  mort  de  son  père,  Albert  voulut  succéder  à  toutes 
ses  dignités,  et,  sans  attendre  la  décision  de  la  diète,  il 
s'empara  des  insignes  de  l'empire.  Cette  démarche  violente 
détermina  les  électeurs  à  lui  refuser  leurs  voix,  pour  nommer 
à  sa  place  Adolphe  de  iS'assau.  Des  troubles  qui  venaient 
d'éclater  contre  lui  en  Suisse  et  une  maladie  qui  le  priva 
d'un  œil  le  décidèrent  à  céder.  Il  déposa  les  insignes  de 
l'empire  ,  et  jura  foi  et  hommage  au  nouvel  empereur.  A 
peine  avait-il  apaisé  la  révolte  des  Suisses,  qu'il  eut  de  nou- 
veaux démêlés  avec  ses  sujets  d' .Autriche  et  de  Styrie,  par- 
ticulièrement avec  l'évêque  de  Saltzbourg,  qui,  sur  le  bruit 
de  sa  mort,  avait  fait  une  incursion  dans  ses  États.  Cepen- 
dant Adolphe,  après  un  règne  de  six  ans,  s'était  aliéné  tous 
l&s  princes  de  l'empire  :  Albert  chercha  à  profiter  de  ce  mé- 
contentement, et  par  sa  douceur  hypocrite  il  sut  si  bien 
tromper  les  électeurs  qu'à  la  diète  de  1298,  où  Adolphe  fut 
déposé  ,  ils  le  créèrent  empereur.  Mais  pour  que  cette  élec- 
tion pût  avoir  son  effet  il  fallait  que  les  armes  décidassent 
entre  les  deux  concurrents.  Us  se  rencontrèrent,  à  la  tète 
de  leurs  années,  près  de  Gelheim,  entre  Spire  et  ^Vorms. 
Albert  feignit  une  retraite  pour  tromper  Adolphe  et  l'engager 
à  le  poursuivre  avec  sa  seule  cavalerie.  Bientôt  les  deux 
rivaux  se  trouvent  en  face.  «  Tu  vas  porilre  la  couronne  et  la 
vie!  u  crie  Adolphe  à  son  adversaue.  "  Le  ciel  en  décidera!  » 
répond  celui-ci;  et  en  même  temps  de  sa  lance  il  le  frappe 
à  la  figure.  Adolpiie  tomba  de  cheval,  et  fut  tué  par  les  com- 
pagnons de  son  rival. 

.Albert  ne  vit  plus  alors  aucun  obstacle  entre  lui  et  le  pou- 
voir suprême;  mais  il  coniprit  ([iie  c'était  l'occasion  de  se 


—  ALBERT 

montrer  généreux.  11  renonça  de  lui-même  à  la  couronne, 
qu'on  lui  avait  déférée  dans  la  dernière  élection,  et,  comme 
il  l'avait  prévu,  il  fut  élu  une  seconde  fois.  Sou  couronne- 
ment eut  lieu  à  Aix-la-Chapelle,  au  mois  d'août  1298,  et  il 
tint  sa  première  séance  impériale  à  Nuremberg  avec  la  plus 
grande  solennité.  Mais  un  nouvel  orage  le  menaçait.  Le  pape 
Boniface  VIII  prétendit  que  les  électeurs  n'avaient  pas  le 
droit  de  disposer  de  l'empire,  et  déclara  que  le  pape  seul 
était  le  véritable  empereur,  le  roi  légitime  des  Romains.  En 
conséquence  ,  il  somma  Albert  de  comparaître  devant  lui 
pour  lui  demander  pardon,  et  pour  se  soumettre  à  la  péni- 
tence qu'il  lui  infligerait;  en  même  temps,  il  défendit  aux 
princes  allemands  de  le  reconnaître,  et  les  délia  de  leur  ser- 
ment de  fidélité  envers  lui.  L'archevêque  de  Mayence,  en- 
nemi d'Albert,  dont  il  avait  d'abord  été  l'ami,  se  ligua  avec 
le  pape.  De  son  côté  l'empereur  fit  aUiance  avec  Philippe 
le  Bel,  roi  de  France,  s'assura  de  la  neutralité  de  la  Saxe  et 
du  Brandebourg,  et,  entrant  tout  à  coup  dans  l'électorat  de 
Mayence ,  força  l'archevêque  non-seulement  à  renoncer  à 
son  alliance  avec  le  pape,  mais  encore  à  se  liguer  avec  lui- 
môme  pour  cinq  ans. 

Boniface,  effrayé  par  ce  prompt  succès,  entama  avec  Al- 
bert des  négociations  où  ce  dernier  montra  de  nouveau 
toute  la  fausseté  de  son  caractère.  Il  rompit  son  alliance 
avec  Philippe,  et  convint  que  les  empereurs  d'Occident  ne 
régnaient  que  par  suite  de  la  renonciation  des  papes  en 
leur  faveur.  Pour  reconnaître  ces  concessions,  Boniface  ex- 
communia Philippe  le  Bel,  le  déclara  déchu  de  la  couronne, 
et  donna  le  royaume  de  France  à  Albert.  Mais  Philippe 
châtia  le  pape,  et  garda  sa  couronne.  Albert,  après  avoir 
échoué  dans  ses  guerres  contre  la  Hollande ,  la  Zélande ,  la 
Frise ,  la  Hongrie ,  la  Bohême  et  la  Thuringe,  s'apprêtait  à 
diriger  ses  forces  contre  les  Suisses,  qui  venaient  de  se  ré- 
volter de  nouveau  contre  sa  tyrannie  (1*' janvier  1308).  Mais 
une  nouvelle  injustice  de  ce  prince,  vengée  par  un  crime, 
mit  un  terme  à  son  ambition  et  à  sa  vie.  La  Souabe  appar- 
tenait par  droit  de  succession  à  Jean,  son  frère,  qui  avait  en 
vain  réclamé  plusieurs  fois  cette  province.  Lorsque  Albert 
partit  pour  la  Suisse,  Jean  renouvela  sa  demande  ;  mais 
l'empereur,  joignant  la  raillerie  à  l'injustice,  lui  dit  en  lui 
présentant  un  bouquet  de  fleurs  :  «  VoUà  ce  qui  convient  à 
«  ton  âge,  laisse-moi  les  soins  du  gouvernement.  »  —  Jean, 
de  concert  avec  son  précepteur  et  son  maître,  Walter 
d'Eschenbach ,  et  avec  trois  amis,  Rodolphe  de  la  Wart, 
Rodolphe  de  Palm  et  Conrad  de  Tegelfeld,  jura  la  perte 
d'Albeit.  Les  conjurés  profitèrent  du  moment  où  lempereur, 
dans  une  excursion  à  Rheinfeld,  se  trouvait  séparé  par  la 
Reuss  du  reste  de  son  escorte,  et  le  renversèrent  de  cheval, 
mortellement  blessé.  C'est  ainsi  que  mourut,  le  l'^'mai  1.308, 
ce  prince  ambitieux.  On  verra  dans  l'article  de  Jean  le 
Parricide  avec  quelle  cruauté  Agnès,  reine  de  Hon- 
grie, vengea  la  mort  de  son  père. 

ALBERT  II,  duc  d'Autriche,  fils  de  l'empereur  Albert  I", 
naquit  en  1298.  Il  régna  quelque  temps  avec  son  frère 
Olhon,  après  la  mort  duquel  il  resta  seul  de  sa  famille.  Un 
poison  qu'on  lui  avait  fait  prendre,  à  l'âge  de  trente-deux 
ans,  lui  occasionna  une  paralysie,  qui  ne  l'empêchait  pas 
cependant  de  commander  son  armée  en  personne.  Il  se  fai- 
sait tantôt  porter  dans  une  litière ,  tantôt  attacher  sur  son 
cheval.  Le  pape  Jean  XXII  lui  offrit  la  couronne  impériale, 
mais  il  la  refusa.  Il  échoua  dans  ses  entreprises  contre  la 
Suisse.  Contraint  de  lui  céder  sur  tous  les  points,  il  retourna 
à  Vienne,  où  il  mourut,  consumé  de  chagrin,  le  16  août 
1.338,  laissant  quatre  fils,  qui  lui  succédèrent.  Les  deux  pre- 
miers étant  morts  peu  de  temps  après,  les  États  héréditaires 
d'Autriche  restèrent  aux  deux  derniers,  Albert  et  Léopold, 
dit  le  Preux.  Il  se  distinguait  par  son  activité,  ses  connais- 
sances, son  économie,  sa  patience,  son  esprit  sage  et  pré- 
voyant, et  l'histoire  lui  a  donné  le  surnom  de  Sage.  Le 
premier  il  chercha  à  introduire  le  droit  de  primogéniliire  dans 


ALBKRT 


253 


les  États  liértslitaires  de  la  maison  «l'Autiidie.  Mais  celte 
loi  ne  fut  observée  qn'ajiFès  Maximilien  l"'. 

ALBERT  III.  Après  la  mort  de  leurs  frères  aînés,  Albert 
et  Léopolii,  fils  d'Albert  II,  continuèrent  à  gouverner  leurs 
États  en  couinuin;  mais  en  1370,  à  la  suite  d'un  partage  (pii 
eut  lien  entre  les  deux  princes,  Albert  obtint  l'Autriclie,  et 
Leopold  la  Carinthie,  avec  les  possessions  d'Alsace,  de  Souabe 
et  de  Suisse.  A  la  mort  de  Léopol<l,  qui  fut  tué  à  la  bataille 
de  Senipacli ,  dans  la  guerre  de  ce  prince  contre  les  c^mtons 
de  Zurich,  de  Zug  et  de  Berne,  Albert  demeura  seul  chargé 
du  poids  des  affaires.  En  13S0  il  mit  fin  aux  hostilités  en 
concluant  avec  les  ciintons  une  trêve  de  sept  ans,  qui  fut 
plus  tard  prolongée  ixnir  douze,  puis  pour  cinquante  ans.  11 
mourut  en  Bohème  en  1395.  Ce  prince  se  distinguait  par  des 
vertus  toutes  pacifiques.  Il  cherclia  à  améliorer  l'administra- 
tion et  à  opposer  un  frein  à  l'ambition  remuante  des  seigneurs  ; 
il  cultiva  les  sciences  et  les  arts  ,  encouragea  les  lettres  et 
les  hautes  études ,  et  fonda  plusieurs  chaires  nouvelles  dans 
l'université  de  Vienne. 

ALBERT  IV ,  dit  le  Pieux,  fds  du  précédent ,  succéda  à 
son  père  à  l'âge  de  dix-huit  ans ,  sous  la  tutelle  de  son 
cousin  Guillaume.  Quand  il  eut  atteint  sa  majorité ,  ce 
dernier  le  lit  souscrire  à  un  traité  en  vertu  duquel  la  pos- 
session de  l'Autriche  demeura  indivise  entre  eux.  Quelipie 
temps  après,  il  abandonna  ses  États  pour  faire  un  pèlerinage 
dans  la  Terre  Sainte.  A  son  retour,  il  épousa  la  fille  du  duc 
de  Bavière.  A  la  suite  de  troubles  survenus  en  Moravie  ,  il 
prêta  à  Sigismond  ,  roi  de  Hongrie,  le  secours  d'une  armée, 
et  mourut  au  siège  de  Znauu,  les  uns  disent  d'une  dyssen- 
lerie,  les  autres  de  poison. 

ALBERT  V,  duc  d'Autriche  et  empereur  d'Allemagne  sous 
le  nom  d'ALBEKT  H ,  surnommé  le  Magnanime,  lils  d'Al- 
bert IV,  né  en  1 399.  11  succéda  en  1404  à  son  père  dains  ses 
États  héréditaires  d'Autriche ,  sous  la  tutelle  successive  de 
ses  oncles  Guillaume ,  Léopold  et  Ernest.  Il  inaugura  les 
premiers  temps  de  son  règne  par  une  altitude  ferme  et  éner- 
gique, qui  mit  fin  aux  troubles  de  sa  minorité,  et  rétablit  par- 
tout l'ordre  et  la  paix  dans  ses  États.  En  1422  Elisabeth, 
fdle  de  l'empereur  Sigismond ,  lui  apporta  en  dot  plusieurs 
villes  de  iMoravie.  A  la  mort  de  son  beau-père ,  survenue 
en  1437,  il  devint  presque  coup  sur  coup  roi  de  Hongrie, 
empereur  d'Allemagne  et  enfin  roi  de  Bohême.  Après  son 
avènement  à  l'empire,  qui  eut  lieu  le  31  mai  1438,  il  prit 
les  armes  contre  les  Hussites,  et  les  défit.  Cette  année  même 
il  fit  adopter  par  la  diète  de  Nuremberg  plusieurs  mesures 
d'intérêt  général  pour  l'empire.  Cependant  les  Turcs  d'A  m  u- 
rath  II,  après  avoir  subjugué  la  Grèce ,  ravagé  la  Servie  et 
la  Transylvanie  ,  se  préparaient  à  envahir  la  Hongrie.  Albert 
marcha  en  personne  à  leur  rencontre  ;  mais,  Ibrcé  bientôt  à 
la  retraite  par  les  maladies  et  défections  qui  décimaient  ses 
troupes,  atteint  lui  aussi  du  mal  qui  dévorait  ses  soldats, 
il  mourut  le  27  octobre  1439,  dans  un  bourg  ignoré  de  la 
Hongrie,  à  i'àge  de  quarante-cmq  ans,  laissant  sa  femme 
enceinte  d'un  fils.  Ce  fils ,  nommé  Ladi-slas ,  fut  plus  tard 
duc  d'.^utriche ,  roi  de  Hongrie  et  de  Bohème. 

ALBERT  VI ,  sixième  fils  de  l'empereur  JMaximillen  II, 
naquit  en  1559.  il  fut  nommé  par  Philippe  II,  son  beau- 
frère  ,  gouverneur  des  Pays-Bas  ,  où  il  s'appliqua  à  réparer, 
par  tous  les  moyens  possibles,  les  maux  causés  par  le  duc 
d'Albe  ;  mais  i!  échoua  dans  son  entreprise  de  reconquérir 
la  Hollande ,  qui  avait  secoué  le  joug  des  Espagnes.  11  mou- 
rut en  1621. 

ALBERT  l'Ours,  margrave  de  Brandebourg,  i'un 
des  princes  les  plus  remarquables  de  son  siècle,  né  en  l'an 
1106,  succéda  à  son  père,  Othon  le  Riche,  comte  de  Ballen- 
stœdt  et  d'Ascanie,  lequel  mourut  en  1123  et  avait  épousé 
É:ilica,  fille  aînée  du  duc  de  Saxe  Magnus,  dernier  prince 
delà  maison  de  Billiing.  L'empereur  Lolliaiie,  envers  qui  il 
avait  fait  preuve  de  fidélité,  lui  octroya,  en  l'an  1125,  ia  Lu- 
sacc,  à  titre  de  fief  de  rEmpirc.  Mais  le  duciié  de  Saxe,  sur  le- 


quel, en  sa  qualité  île  fils  de  la  fiHc  aînée  du  dernier  duc,  il 
élevait  des  prétentions,  fut  concédé  en  l'an  1127  au  duc 
Henri  le  Fier  de  Bavière,  fils  de  la  fille  cadette.  Par  compen- 
sation, il  fut  nommé,  en  1133,  margrave  delà  Marche  sep- 
tentrionale. Ce  ne  fut  qu'en  1138,  après  que  Conrad  entêté 
élu  roi  d'Allemagne  et  que  Henri  eut  été  mis  au  ban  de 
l'Empire,  que  le  duché  de  Saxe  fil  retour  à  Albert  l'Ours, 
qui  prit  alors  le  tilre  de  duc  de  Saxe.  Cependant  Henri  ne 
tarda  pas  à  l'emi>orler  de  nouveau;  et  Albert,  contraint  de 
fuir  devant  lui,  dut  se  contenter  du  margraviat  de  la  Saxo 
septentrionale  et  de  l'arcliibailliage  de  Souabe  pour  indem- 
nité. Oe  retour  dans  ses  États,  il  fit  ériger  en  fief  héréditaire 
de  l'Empire  les  contrées  qu'il  avait  conquises  sur  les 
Wendes,  et  devint  ainsi  le  fomlateur  du  nouvel  État  de  Bran- 
debourg en  même  temps  que  le  premier  margrave  de  Bran- 
debourg. Une  révolte  des  Wendes,  qu'il  parvint  à  dompter 
en  1157,  le  détermina  à  prendre  à  l'égard  des  vaincus  des 
mesures  d'une  rigueur  extrême,  et  dont  le  résultat  fut  de  dé- 
peupler les  contrées  qu'ils  habitaient  et  où  il  appela  des  co- 
lons fiamands.  11  entreprit  avec  sa  femme  le  voyage  de  In 
Palestine,  et  en  revint  en  1 1 59.  Après  s'être  efforcé  dans  les 
dernières  années  de  sa  vie  d'extirper  la  langue  wende  et 
d'introduire  le  christianisme  dans  ses  nouveaux  États ,  il 
mourut  en  1170,  à  Ballenstaîdt,  où  on  l'enterra. 

ALBERT,  dit  le  Bienheureux,  législateur  et  saint  de 
l'ordre  des  Carmes,  naquit  près  de  Parme.  D'abord  évoque 
de  Babio  et  de  Verceil,  il  fut  ensuite  appelé,  en  1204,  au  pa- 
triarcat de  l'église  latine  de  Jérusalem.  La  ville  sainte  étant 
occupée  par  les  musulmans,  il  avait  fixé  sa  résidence  à  Saint- 
Jean  d'Acre.  Il  fut  assassiné  dans  cette  ville,  le  14  sep- 
tembre 1214,  au  moment  où  il  allait  partir  pour  le  concile 
de  Latran. 

ALBERT  LE  GRAND  {Albertus  de  Colonia,  Al- 
bertus  Teutonicus,  Albertus Ratisbonensis,  Albertus  Gro- 
tus),  né  en  Souabe,  à  Lauingen,  en  1193,  selon  d'autres 
en  1205,  était  de  la  famille  des  comtes  de  Bollstecdt.  11  étu- 
dia à  Padoue,  et  entra  en  1223  dans  l'ordre  des  dominicains 
d'après  les  conseils  de  Jordanus.  Des  membres  de  cet  ordre 
occupaient  des  chaires  dans  plusieurs  universités  importan- 
tes. Albert,  que  ses  talents  hors  ligne  eurent  bientôt  fait  dis- 
tinguer, enseigna  successivement  à  Cologne,  à  Ratisbonne, 
à  Strasbourg,  à  Hildesheim.  Vers  1230  il  se  rendit  à  Paris, 
dont  les  écoles  avaient  alors  une  grande  réputation  ;  il  y 
ouvrit  un  cours  particulier  de  philosophie  à  la  manière  des 
premiers  enseignements  d'Abélard ,  car  à  cette  époque  l'U- 
niversité de  Paris  n'avait  pas  encore  admis  dans  son  sein  les 
humbles  frères  de  Saint-Dominique.  11  expliqua  Aristole, 
malgré  la  défense  expresse  de  l'Église,  et  obtint  un  tel  succès, 
que  les  salles  consacrées  à  ses  leçons  s'étant  trouvées  trop 
étroites  pour  contenir  l'affluence  de  ses  auditeurs,  il  fut 
obligé  de  professer  en  plein  air  sur  une  place  que  l'on  appela 
de  son  nom  Place  de  Maître  Albert,  et  ensuite,  par  cor- 
ruption, Place  Maubert.  Après  avoir  été  reçu  docteur 
à  Paris  et  y  être  ('emeuré  trois  ans ,  il  retourna  professer  à 
Cologne.  Saint  Thomas  d'Aqnin,  son  disciple  assidu, 
qui  l'avait  suivi  à  Paris,  l'y  accompagna  encore.  Six  ans 
après  il  fut  élevé  à  la  dignité  de  provincial  de  son  ordre 
pour  l'Allemagne,  puis  envoyé  en  qualité  de  nonce  en  Po- 
logne, pays  encore  barbare,  quoique  chrétien.  Le  pape 
Alexandre  IV,  jaloux  de  posséder  à  Rome  un  liomme  siémi- 
nent,  le  fit  maître  du  sacré  palais  ;  c'est  dans  la  capitale 
de  la  chrétienté  qu'AUjert  commenta  publiquement  les  épî- 
tres  canoniques  et  l'Évangile  de  saint  Jean.  En  1260  i!  fut 
promu  à  l'évêché  de  Ratisbonne ,  mais  il  se  démit  de  ces 
hautes  fonctions  trois  ans  après,  et  revint  reprendre  ses  le- 
çons à  Cologne,  en  1203.  U  lut  de  nouveau  arraché  à  ses 
études  pour  aller  prêclier  la  croisade  en  Bohême  et  en  Alle- 
magne, et,  après  avoir  assisté  au  concile  générai  de  Lyon 
en  1274,  comme  envoyé  de  l'empereur,  il  retourna  à  Co- 
logne, où  ii  mourut,  en  1280,  dans  le  monastère  qu'il  avait 


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AL13ERT 


choisi  pour  asile  de  sa  vieillesse.  Ses  facultés  inlcllcctiiellcs 
ravaifiit  abandonné  depuis  quelque  temps. 

Albert  a  laissé  un  grand  nombre  d'écrits;  Pierre  Jammy, 
dominicain,  en  a  donné  une  édition  (Lyon,  1051,  21  vol. 
in-fol.  ).  qui  e4  loin  d'être  complète.  On  lui  attribue  en 
outre  un  Rrand  nombre  de  livres  apocryplies  ,  entre  autres 
celui  qui  est  intitulé  De  Secrelis.VitUerum,  et  qui  fut  très- 
répandu  au  moyen  ùge.  Son  érudition  était  surtout  pui<éc 
dans  les  travaux  des  Arabes  et  des  rabbins  ,  et  ses  œuvres 
se  composent  princi|)alement  de  commentaires  sur  Aristotc. 
IJieu  qu'il  ait  écrit  sur  la  théologie,  et  notamment  des  com- 
nientaues  sur  les  Sentences  de  Pierre  Lombard,  la  dialectique 
et  les  sciences  physiques  et  mathématiques  paraissent  avoir 
touJDurs  formé  le  principal  objet  de  ses  études.  Son  grand 
savoir,  inouï  pour  le  siècle  d'ignorance  et  de  ténèbres  où  il 
vivait,'  le  lit  passer  après  sa  mort,  peut-être  môme  de  son 
vivant,  pour  un  homme  doué  d'une  puissance  surnaturelle. 
Ses  travaux  sur  l'alchimie  ont  été  regardés  comme  ayant  eu 
pour  but  la  recherche  de  la  pierre  philosophale.  On  prétendit 
même  qu'ils  avaient  été  couronnés  de  succès.  Ses  connais- 
sances en  chimie  et  en  mécanique  furent  considérées  pen- 
dant tout  le  moyen  âge  comme  le  résultat  de  la  sorcelle- 
rie et  de  la  rnagie.  C'est  ainsi  que,  sous  le  nom  de  Secrets 
du  Grand  et  du  Petit  Albert,  d'absurdes  pratiques  super- 
stitieuses ont  été  mises  sur  son  compte,  et  se  réimpriment 
encore  tous  les  jours.  Une  tradition  allemande  porte  que 
voulant  traiter  dignement  le  roi  des  Romains,  Guillaume 
de  Hollande,  lors  de  son  passage  à  Cologne,  il  lui  donna 
dans  le  jardin  de  son  couvent  un  banquet  magnilique  pen- 
dant lequel  il  métamorphosa  autour  des  convives  la  rude 
saison  d'hiver  en  un  été  paré  de  fleurs  et  de  fruits.  Tout  le 
sortilège  consista  sans  doute  à  faire  dresser  le  couvert  dans 
une  serre  chaude.  La  postérité  a  vengé  sa  mémoire ,  et  a 
rendu  pleine  justice  à  cet  illustre  savant  du  treizième  siè- 
cle. La  science  moderne  s'est  aussi  préoccupée  de  quelques 
hypothèses  développées  dans  ses  écrits ,  par  exemple  sur 
les  fonctions  du  cerveau. 

On  nomme  Alberlisles  les  scolastiques  qui  suivaient  les 
opinions  d'Albert  le-Grand. 

ALBERT  (Casimir),  duc  DE  SAXE-TESCIIEN,  (ils 
du  roi  de  Pologne  Auguste  III,  naquit  le  12  juillet  1738 
à  .Moritzbourg,  près  Dresde.  Lors  de  son  mariage,  en  1766, 
avec  l'archiduchesse  Christine,  fille  de  Marie-Thérèse, 
celle-ci  lui  constitua  en  dot  la  principauté  de  Teschen  ,  si- 
tuée dans  la  Silésie  autrichienne,  qu'il  administra  avec  sa 
fcjnme,  laquelle  portait  le  titre  de  gouvernante  des  Pays- 
Bas  autrichiens.  Il  résidait  ordinairement  à  Bruxelles.  L'in- 
surrection qui  éclata  dans  cette  ville  en  1789  le  contraignit 
à  se  réfugier  à  Vienne,  d'où  il  revint  à  Bruxellles  dès  que  l'in- 
surrection y  fut  comprimée.  Dans  la  guerre  de  1792  contre 
la  France,  il  commanda  l'armée  chargée  du  siège  de  Lille 
(du  21  septembre  au  10  octobre).  Forcé  d'abandonner  ce 
siège ,  il  ne  tarda  pas ,  après  avoir  été  battu àJemmapes 
avec  Beau  lieu,  à  être  obligé  d'évacuer  la  Belgique,  où 
Diiinouriez  réussit  à  se  maintenir.  Dans  la  campagne 
suivante  il  quitta  l'armée,  et  résida  depuis  lors  à  Vienne. 
Le  faubourg  Maria-Hilf,  dans  cette  capitale ,  est  redevable 
à  l'archiduchesse  sa  femme,  morte  sans  avoir  eu  d'enfants  , 
/e  24  juin  1798,  de  la  construction  d'un  magnifique  aqueduc. 
Le  duc  de  Saxe-Teschen  faisait  le  plus  digne  usage  de  sa 
grandi;  fortune.  Il  a  fait  élever  à  sa  femme  un  superbe  mo- 
nument parCanova.  Il  consacrait  chaque  année  des  sommes 
considérables  à  augmenter  sa  galerie,  qui  était  surtout  riche 
en  gravures,  et  qui  contenait  aussi  beaucoup  de  tableaux 
des  premiers  maîtres  des  écoles  italienne,  allemande  et  fla- 
mande. Il  en  constitua  un  fidéicommis  dont  l'archiduc  Charles 
lut  ensuite  possesseur.  Le  duc  Albert  de  Saxe-Teschen 
mourut  à  Vienne,  le  11  février  (822.  Sa  collection  de  des- 
sins a  fourni  les  matériaux  des  Copies  lithographiques  de 
dessins  originaux  d'anciens  maitrcs,  tires  de  la  galerie 


de  Varchiduc    Charles   publiées    par   Fœr>lcr   (Vienne, 
1830-1«42,  grand  in-fol.) 

ALBERT  (  FuANÇois-AccusTE  Charles- Emmanuel),  duc 
de  SAXE-COBOURG-GOTHA,pri«ce-époMj;  d'Angleterre  , 
mari  de  la  reine  Victoria,  est  né  le  26  août  1819,  au  châ- 
teau de  Rosenau .  Second  (ils  d'Ernest,  duc  de  Saxe-Cobourg- 
Gotha,  il  reçut  une  éducation  soignée  et  alla  étudier  le 
droit  à  l'université  de  Bonn  en  1837.  L'année  suivante  il 
assista  avec  son  père  au  couronnement  de  la  reine  d'.\ngle- 
terreVictoria.à  quiilsut  plaire,  et  le  28  novembre  1839cette 
princesse  déclara  publiquement  son  intention  de  s'unir 
à  lui.  Le  mariage  (ut  célébré  en  effet  à  Londres  le  10  fé- 
vrier 1840.  Le  prince,  q»ii  avait  été  naturalisé  Anglais,  reçut 
les  titres  d'altesse  royale,  de  feld -maréchal,  de  conseiller 
privé,  et  obtint  une  liste  civile  de  30,000  liv.  st.  Il  est  en 
outre  colonel  du  I  r  de  hussards,  et  des  grenadiers  de  la  garde, 
gouverneur  de  Windsor,  chevalier  de  l'ordre  de  la  Jarre- 
tière, chancelier  de  l'université  de  Cambridge,  etc.  La  reine 
lui  a  conféré  en  1857  le  titre  de  prince-époux  (prince  con- 
sort).  Quelques-uns  l'ont  quelquefois  accusé  de  trop  se 
mêler  de  la  politique  du  pays,  mais  d'autres  ont  défendu 
ses  droits,  et  il  a  su  se  faire  respecter  de  tous.  Ami  des  arts, 
qu'il  prati(jue  lui-même,  des  sciences  et  de  l'industrie,  aux- 
quelles il  n'est  pas  étranger,  il  a  conçu  et  exécuté  le  plan 
de  cette  gigantesque  exposition  universelle  faite  au  Palais  de 
Cristal  à  Londres  en  1851.  En  1854  il  reçut  avec  la  reine 
l'empereur  et  Pimpératrice  des  Français,  et  l'année  suivante 
il  vint  en  France  avec  la  reine.  Il  a  eu  de  nombreux  en- 
fants de  la  reine  Victoria;  sa  (ilie  aînée  a  épousé  le  prince 
royal  de  Prusse,  la  cadette  doit  épouser  un  prince  de  Hesse. 
Son  fils  aine,  Albert-Edouard,  prince  d-*  Galles,  colonel 
dans  l'armée  anglaise  et  chevalier  de  lu  Jarretière,  a  fait 
plusieurs  voyages  sur  le  continent,  visité  le  Canada  en  1860 
et  obtenu  une  véritable  ovation  en  Amérique.  Z. 

ALBERT  (Frédéric-Adolphe),  archiduc  d'Autriche, 
fils  de  l'archiduc  Charles  et  de  la  princesse  Henriette  de 
Nassau,  est  né  le  3  août  1S17.  Il  entra  de  bonne  heure 
dans  l'armée  autrichienne  et  se  distingua  comme  général  de 
cavalerie.  En  1S40  il  commanda  une  division  en  Italie  et 
prit  part  à  la  bataille  de  No  vare.  Il  reçut,  après  la  cam- 
pagne, le  commandement  du  3"  corps  d'armée,  et  devint  en 
1851  gouverneur  civil  et  militaire  de  la  Hongrie,  dont  il  prit 
le  titre  de  gouverneur  général  en  1850.  En  1857  il  fut  ap- 
pelé à  la  présidence  du  conseil  de  guerre,  et  en  1859,  après 
un  voyage  à  Varsovie,  il  a  été  chargé  du  gouvernement  du 
Tyrol,  où  il  a  ouvert  les  séances  de  l'assemblée  des  nota- 
bles, réunis  pour  la  révision  de  la  loi  communale.  Il  a 
épousé  en  1844  la  princesse  Ilildegarde,  tille  du  roi  Louis 
de  Bavière;  deux  tilles  sont  nées  de  ce  mariage.  Z. 

ALBERT  (  Famille  d'  ).  Le  haut  éclat  dont  a  brillé  lout 
à  coup  la  maison  d'Albert  par  l'élévation  de  Charles  d'Al- 
bert de  Liiynes  à  la  dignité  de  connétable,  sous  Louis  XIII, 
n'a  fait  qu'épaissir  les  ténèbres  qui  couvrent  le  berceau  <le 
cette  famille.  Les  uns,  détracteurs  acharnés,  lui  ont  donné 
l'origine  la  plus  infime,  et  Tallemant  des  Réaux  a  renchéri 
sur  eux  encore,  en  rattachant  son  ascendance  à  l'union  illé- 
gitime d'un  moine  et  d'une  religieuse.  Les  autres,  généalo- 
gistes complaisants,  attribuent  à  la  maison  d'Albert  une 
souche  commune  avec  les  Alberti,  seigneurs  de  Catenaia, 
famille  puissante  de  Florence,  qui  fut  exilée  vers  la  fin  du 
quatorzième  siècle.  Les  preuves  faites  par  le  connétable  de 
Luynes  pour  être  reçu  chevalier  des  ordres  du  roi  ne  remon- 
tent qu'à  Thomas  Alberti,  avocat  et  viguier  royal  du  Pont- 
Saint-Esprit,  en  1415.  —  Pierre  Alberti,  fils  de  Thomas,  se 
distingua  au  siège  de  Beaucaire,  et  s'attacha  au  service  du 
dauphin ,  depuis  Charles  VII,  dont  il  devint  le  panetier 
après  son  avènement  au  trône.  —  Honoré  d'Albert,  ar- 
rière-pelit-fils  du  précédent,  et  chambellan  du  ducd'Alençon, 
se  battit  en  champ  clos  au  bois  de  Vincennes,  en  présence 
du  roi  et  delà  cour,  en  1570,  avec  le  capitaine   Panier, 


ALBERT  —  AI.BKRTirr 


exempt  de  la  compagnie  des  gardes  du  corps  écossais,  qui 
l'avait  accusé  d'avoir,  deux  ans  auparavant,  favorisé  l'éva- 
sion du  duc  d'Alençon  et  du  roi  de  Navarre, depuis  Henri  IV, 
cliffs   tous  dou\  du  p:irti  i\f!i  politique.'!.    Il  tua  son  ad- 
versaire et  eut  toute  lajiloire  de  ce  couibaf,qui  fut  le  dernier 
duel  autorisé  par  nos  rois.  —  Honoré  fut  père  de  Charles 
d'Albert,  favori  de  Louis  XIII,  qui  reçut  la  diijnité  de  con- 
nétable, et  obtint,  par  letlres  patentes  de  1019  et  de  1021, 
l'érection  des  duchés-pairies  de  Lnynos  et  de  Cbevreuse , 
noms  sous  lesquels  les  rejetons  de  la  famille  d'Albert  ont 
toujours  été  connus  depuis.   Voyez  Cuevuelsk  et  Livnes. 
ALBERT  (Alexandiïe  MARTIN,  dit), ouvrier,  membre 
du  gouvernemeni  provisoire  après  la  révolution  de  février 
1848,  naquit  en  iSlô  à  IJury  (Oise),  où  son  père  était  cul- 
tivateur. Il  entra  comme  apprenti  cliez  un  de  ses  oncles, 
mécanicien  modeleur.  Lorsqu'il  fut  devenu  ouvrier,  et  tout 
jeune  encore,  il   commeuça  son  tour  de  France.  Eu  1840 
il  fonda  à  Taris  le  journal    L'Atelier,  leuille  rédigée  ex- 
clusivement par  des  ouvriers  et  tout  entière  consacrée  à 
la  défense  des  intérêts  populaires.  La   révolution  de  1848 
trouva  Albert  encore  ouvrier    et  membre  du    conseil  des 
prud'liouunes  de  la  Seine.  La  veille  du  jour  où   fut  pro- 
clamée la  république,  il  travaillait  dans  l'atelier  d'un  fabri- 
cant de  boutons.  Sur  la  désignation  de  M.  Louis  Blanc,  qui 
voul&it  un  ouvrier  dans  le  gouvernement  provisoire,  il  fut 
appelée  faire  partie  de  ce  gouvernement  ;  et  dès  le  25  février 
Albert  lisait  lui-même  au  peuple  la  proclamation  dans  la- 
quelle le  gouvernement  promettait  d'assurer  l'existence  de 
l'ouvrier  par  le  travail.  Il  devint  bientôt  vice- président  de  la 
commission  des  délégués  du  Luxembourg.  Cependant,  si 
Ton  en  croit  M.   Barocbe,  «  le  rôle  d'Albert  paraît  avoir 
été  assez  peu  actif  dans   le  gouvernement  provisoire  et 
dans  la  commission  du  Luxembourg,  et  il  semble  n'avoir 
été  appelé  là  que  pour  donner  une  seconde  voix  à  Louis 
Blanc,  dont  il  adoptait  toutes  les  idées,  soutenait  toutes 
les  propositions.    »  Albert    fut  nommé   ensuite  président 
de  la  commission   des   récompenses   nationales  ;  mais  il 
donna  bientôt  sa  démission.   Nommé  représentant  de  la 
Seine,  avec  douze  mille  voix  de  plus  que  M.  Louis  Blanc, 
Albert  siégeait  à  l'assemblée  lors  de   l'attentat  du  15  mai 
1848;  il  fut  accusé  d'avoir  été  un  des  chefs  du  mouvement 
et  traduit  devant  la  haute  cour  de  justice  de  Bourges.  Al- 
bert déclina  la  compétence  de  ce  tribimal ,  et  refusa  de 
répondre  à  toutes   les  questions  qui  lui  furent  adressées. 
On  lui  reprochait  d'avoir  dit  à  M.  Ledru-Rollin ,  dans  la 
jwi'-iiée  du  15  mai  :  «  Dans  une  demi-heure,  votre  triste 
chambre  aura  cessé  d'exister.  «  Mais  M.  Ledru-RolIin  dé- 
mentit ces  paroles  à  l'audience  du  19  mars  1849.  C'est  Al- 
bert, dit-on,  qui  écrivit  le  décret  qui  nommait  MM.  Louis 
Blanc,  Albert,  Ledru-Rollin,  Barbes,  Raspail,  Pierre  Leroux, 
Tlioré,  membres  de  !a  commission  de  gouvernement  ins- 
tituée par  l'insurrection.  On  sait  comment  finit  cette  tenta- 
tive: Albert  fut  condamnéà  la  déportation.  Renfermé  d'abord 
à  Douliens,  il  (ut  transféré  en  1850  dans  la  prison  de  Belle- 
Isle,  d'où  il  passa  à  Vannes,  puis  à  Tours  en  1854,  pour  motifs 
de  santé.  Il  était  détenu  à  Corte  en  1859,  lorsque  l'am- 
nistie générale  du  15  août  lui  a  rendu  la  liberté.    L.  L. 

Un  autre  Albekt  [l'ierre-Jean-Marie-Édoiiard) ,  né 
à  Riom  en  1801,  se  trouva  impliqué  dans  le  procès  d'avril 
1834,  et  fut  condamné  en  1835  à  la  déportation  par  la  cour 
de  pairs.  Celui-ci  avait  pris  part  à  la  révolution  de  juillet, 
et  avait  fondé  à  Lyon  le  journal  la  Glaneuse,  dont  la 
rédaction  caustique  avait  dû  plusieurs  fois  être  traduite  de- 
vant les  tribunaux.  Il  venait  d'être  condamné  à  5,000  fr. 
d'amende  lorsque  Lyon  se  mit  en  insurrection.  Albert 
y  prit  part,  et  ce  fut  lui,  dit-on,  qui  fit  adopter  aux  ouvriers 
de  cette  ville  la  fameuse  devise  :  Vivre  en  travaillant, 
oumoarir  en  combattant.  On  ignore  ce  qu'il  est  devenu 
depuis  et  on  l'a  confondu  avec  le  précédenl.  Z. 

ALBERT  (Thérèse  VLRNET,  femme  RODRIGUES, 


dite  M"'),  actrice,  née  h  Toulouse  en  1805,  débuta  à  l'âge  de 
quatre  ans  à  Montpellier.  Sa  grand'mèrc.  M"""  Cn^sicnl 
eut  la  fantaisie,  un  jour  que  l'on  représentait  le  liai  de  Co- 
cagne, de  métamorphoser  sa  petile-lille  en  une  j^ouvcr- 
nantede  soixante-dix  ans.  On  (itde  l'enfant  une  petite  vieille, 
qui  singeait  parfaitement  sa  grand'mère,  ce  qui  amusa 
beaucoup  les  spectateurs. 

La  jeune  actrice  suivit  sa  grand'mère  et  sa  mère,  qui  jouait 
aussi  la  comédie  ,  à  Perpignan  et  à  Nîmes.  Dans  le  Chau- 
dronnier de  Saint-Flour  et  dans  les  Petits  fiavotjards, 
elle  acquit  une  grande  réputation  en  province  :  elle  avait 
neuf  ou  dix  ans.  Douée  d'une  jolie  voix ,  elle  chanta  l'opéra 
à  Toulouse  et  plus  tard  à  Bordeaux,  où  elle  se  maria.  En- 
gagée à  l'Odéon,  comme  première  Dugazon,  elle  y  joua  le 
rôle  de  Nancy  dans  Robin  des  Bois ,  et  devint  cantatrice 
de  la  chapelle  du  roi  Charles  X.  Elle  débuta  ensuite  aux 
Nouveautés,  dans  le  Coureur  de  Veuves,  puis  joua  dans  Ca- 
leb,  Faust,  la  Fiancée  du  fictive,  la  Poitrinaire,  et  dans 
bien  d'autres  pièces.  Après  la  révolution  de  juillet,  elle  passa 
au  théâtre  du  Vaudeville,  où  Madame  Dnbarry,  Un  duel 
sous  Richelieu,  l'Ami  Grandet,  Lcontine ,  Arthur,  la 
Dame  de  l'Empire,  Georgette,  la  Camargo ,  lui  valurent 
une  .suite  de  succès.  Depuis,  les  chutes  successives  du 
Vaudeville  la  forcèrent  plusieurs  fois  à  retourner  encore  en 
province.  En  1855  elle  a  joué  exceptionnellement  le  rôle  de 
laCarconte  dans  le  Retour  du  Pharaon,  de  M.  Alex.  Du- 
mas, à  la  Gaîté.  Elle  est  morte  en  1860,  veuve  de  Bignon. 

M™®  Albert  ne  doit  pas  être  confondue  avec  une  actrice  du 
même  nom  (Ca?'o/iHe  Boisseau)  qui  a  ligure  dans  le  fa- 
meux procès  Beauvallon,  et  chez  laquelle  Dujarrier 
rencontra  pour  la  première  fois  Beauvallon.  Dujarrier  avait 
fait  des  articles  pour  cette  actrice  dans  les  différents  jour- 
naux dont  il  était  propriétaire.  Dujarrier  ayant  vu  Beau- 
vallon chez  elle  ,  lui  dit  qu'il  ne  viendrait  plus  la  voir.  Elle 
répéta  ce  propos  à  Beauvallon ,  et  cette  indiscrétion  ne  put 
qu'aigrir  ces  deux  hommes  l'un  contre  l'autre.  * 

ALBERT  (ECUS  d').  Voyez  Albertlns. 
•  ALBERT,  ou  ANCRE,  chef-lieu  de  canton  du  départe- 
ment de  1^  Somme,  à  177  kilom.  de  Paris,  renferme  3,000 
habitants.  Cette  petite  ville  est  située  sur  l'Ancre,  qm  y 
forme  une  belle  cascade.  —  Ancre  était  autrefois  un  mar- 
quisat, qui  appartint  successivement  aux  Coucy,  aux  Mont- 
morency, aux  d'Humières.  Le  Florentin  Concini  l'acheta 
en  1010,  et  prit  d'elle  le  titre  de  maréchal  d'Ancre.  A  la 
mort  de  ce  ministre,  Albert  de  Luynes,  favori  de  Louis  XIII, 
obtint  du  roi  toutes  les  dépouilles  de  Concini,  et  fit  changer 
son  marquisat  d'Ancre  en  duché  d'Albert. 

ALBERTAS  (Famille  d'),  ancienne  famille  de  Pro- 
vence, originaire  d'Italie ,  a  pour  premiers  auteurs  con- 
nus Antoine  Albertas  et  son  frère  ,  riches  négociants  de  la 
ville  d'Albe  qui  vinrent  se  fixer  en  France  vers  1300.  Jean- 
Baptiste  d'Alcertas,  marquis  de  Boue,  premier  président 
de  la  cour  des  comptes  de  Provence,  périt  en  1790,  assas- 
siné par  ses  vassaux  ,  à  la  suite  d'une  fête  qu'il  leur  avait 
donnée.  —  Jean-Baptiste-Suzanne ,  marquis  d'Albertas, 
son  fils,  né  à  Aix  en  1748  ,  mort  en  1829  ,  n'émigra  pas  et 
se  livra  à  des  spéculations  commerciales  qui  décuplèrent 
sa  fortune.  En  juin  1814  il  fut  nommé  préfet  des  Bouches- 
du-Rliône.A  son  retour,  Louis  XVllI  l'eleva  à  la  dignité  de 
pair  de  France,  le  17  août  1815. 

ALBERTAZZI  (N HO'^'SON,  madame),  était 

née  en  1812,  d'un  père  qui  était  professeur  de  musique.  A 
l'âge  de  seize  ans  elle  se  maria,  et  le  19  avril  1837  elle 
débuta  de  la  manière  la  plus  brillante  au  théâtre  de  la  Reine 
à  Londres,  dans  la  Cenerenfola.  En  1840  elle  eut  le  plus 
grand  succès  à  Drury-Lane  dans  la  Gazza  ladra.  Madame 
Albertazzi  mourut  de  consomption,  Je  25  septembre  1847, 
à  sa  résidence  de  Saint-John's-Wood.  Z. 

ALBERTET,  poète  provençal,  né  à  Sisteron,  lloris- 
sait  sur  la  fin  du  treizième  siècle.  Très-porté  à  la  gal.iulerie, 


256 


ALBKRTET  —  ALBIGEOIS 


il  choisit  pour  l'olijet  de  sa  passion  la  marquise  de  Malc-;- 
pine,  femme  accomplie,  à  la  louange  de  laquelle  il  (il  plu- 
sieurs pièces  de  poésie ,  qui  plnient  tant  à  cette  dame,  (pfelle 
lui  en  marqua  sa  reconnaissance  par  des  présents  de  che- 
vaux ,  de  bijoux  et  d'arj^ent.  Cependant ,  s'étant  aperçue 
que  les  assiduités  d'Alherfet  faisaient  tort  à  sa  réputation, 
clic  le  pria  de  la  quitter.  Alhertet  obéit  avec  douleur,  et  se 
retira  à  Tarascon ,  où  il  continua  à  chanter  sa  belle  mar- 
quise. Il  y  mourut  d'amour  et  de  chagrin. 

ALIiEKTI  (Li;o  Battista),  homme  d'une  érudition 
très-variée  et  qui  se  lit  surtout  un  nom  comme  architecte,  né 
à  Florence  en  i.30s,  mort  vers  l'an  \i'?.,  descendait  d'une 
ancienne  et  ilhistre  l'amille.  Après  avoir  reçu  une  éducation 
des  plus  comiilètes ,  il  se  consacra  d'abord  à  l'étude  du 
droit.  Il  réussit  si  bien  à  s'assimiler  les  langues  anciennes, 
qu'Aide  Manuce  le  jeune  imprima  en  1588,  comme  étant 
du  comique  Lépide,  une  comédie  d'Alberti  intitulée  :  Fhilo- 
iloxios  ;  il  est  vrai  que  quebiues  criticpies  attribuent  cette 
comédie,  avec  assez  de  vraisemblance,  à  l'Arétin  (mort 
en  1433).  Alberti  composa  encore  d'autres  ouvrages,  relatifs 
pour  la  plupart  aux  sciences ,  les  uns  en  langue  latine  et  les 
autres  en  italien.  Ses  progrès  en  musitpie  avaient  été  tels, 
qu'on  le  considérait  comme  l'un  des  meilleurs  organistes  de 
son  siècle.  Il  ne  réussit  pas  moins  dans  la  peinture,  et  son 
invention  de  tableaux  de  perspective  optique  produisit  une 
vive  sensation.  Un  traité  qu'il  composa  sur  la  peinture 
obtint  plus  tard  de  nombreuses  éditions.  Mais  c'est  encore 
l'architecture  qui  reste  la  principale  base  de  sa  renonunée. 
Après  s'être  livré  avec  la  plus  grande  ardeur  à  l'étude  des 
constructions  antiques,  il  s'efforça  d'en  appliquer  les  prin- 
cipes dans  la  pratique.  Efl'ectivement,  les  édifices  qu'il  cons- 
truisit portent  tous  l'empreinte  la  plus  pure  du  style  de  l'ar- 
chitecture antique.  Tlorcnce  en  possède  plusieurs;  mais  les 
plus  importants  sont  les  églises  de  Saint-André  à  Mantoue 
et  de  Saint-François  à  Rimini.  L'ouvrage  théuiique  qu'il 
com|tosa  sur  l'architecture,  de  Re  Jidijkatoria  (Florence  , 
in-folio,  1485 j,  qui  fut  traduit  en  italien,  en  français,  eu 
espagnol  et  en  anglais,  n'a  pas  moins  d'importance  que  les 
travaux  d'architecture  auxquels  il  a  attaché  son  nom. 

ALBERT1.\E  (Ligne).  Voyez  Saxe  (Maison  de). 

ALliEllTIXS,  ou  écusd\ilberi,  Albertusthaler,  ap- 
pelés encore  tfialers  à  la  croix ,  thulers  de  Brabcatt , 
de  Bourgogne ,  pièces  de  monnaie  mises  en  circulation  a 
partir  de  l'année  1588,  et  qui  furent  ainsi  nommées  de  l'ar- 
chiduc Albert,  gouverneur  des  Pays-Bas  méridionaux.  Il  en 
entrait  neuf  trois  cjuarts  au  marc  d'argent  lin,  et  l'usage  en  de- 
vint à  peu  près  général  à  cette  époque,  parce  que  c'est  la 
monnaie  dans  lariuelle  furent  acquittés  par  les  Pays-Bas  les 
nomhiei.x  emprunts,  subsides  et  impôts  levés  par  l'Espagne. 
La  jdus  grande  partie  en  (ut  frappée  avec  l'argent  arrivant 
d'Amérique.  Plus  tard,  les  albertins  furent  vivement  re- 
cJiercliés  en  Russie,  en  Pologne  et  en  Turquie,  où  ils  ser- 
vaient à  solder  les  produits  bruts  tirés  de  ces  contrées  et 
furent  pendant  longtemps  presque  la  seule  monnaie  en  cir- 
culation. Aussi  en  fut-il  frappé  par  d'autres  États  européens, 
qui  se  trouvaient  obligés  d'effectuer  des  payements  consi- 
«lérahles  dans  ces  pays.  Les  premiers  furent  frappés  en  1747 
à  Brunswick;  en  1752,  l'impératrice  Marie-Thérèse  en  fit 
frapper  avec  la  croix  de  Saint-André  ;  ensuite  il  en  fut  frappé 
par  le  duc  de  Ilolstein,  Pierre,  grand-duc  de  Russie,  eu  1753  ; 
par  le  roi  de  Prusse,  Frédéric  II,  en  17G7,  et  par  son  suc- 
cesseur, Frédéric-tluillaume  II,  en  17'J7.  Les  ducs  de  Cour- 
lande  en  firent  frapper  de  1752  à  1780  comme  monnaie 
courante  du  pays.  —  Il  y  eut  aussi  des  y/oci»,?  d'Albertus  et 
ties  (jroa  d'Albertus,  conmie  monnaie  de  compte  en  Cour- 
lande,  en  Sémigalle,eteB  Livonie.  Il  fallait  trois llorinsd'alber- 
tus  ou  trente  grosd'.Vlliertus  jiour  faire  un  Ihaler  d'Albertus. 

ALHERTllAiXDY  (Juan-Baptistf.),  l'un  des  hommes 
qui  pendant  la  seconde  moitié  du  dix-huitième  siècle  ont 
le  plus  cuntrilnie  à  réveiller  en  Pologne  le  goût  des  sciences, 


était  né  à 'Varsovie,  en  n.Tl.  Son  père,  qui  avait  abandonné 
l'Italie,  sa  patrie,  pour  venir  s'établir  en  Pologne,  lui  fit 
donner  une  éducation  distinguée  dans  un  établissement  de 
jésuites,  dont  Albertrandy  prit  l'habit.  Professeur  à  Poul- 
chontou-k,a  Plock  et  a  NVilna,  il  devint  conservateur  delà 
bibliothèque  de  J.  Zalouski,  lorsque  celui-ci  en  permit  l'accès 
au  public.  En  1764  Albertrandy  fut  chargé  par  le  primat 
Lubienski  de  l'éducation  de  son  petit-neveu  Félix  Lubienski. 
A  la  mort  du  primat,  Albertrandy  se  retira  à  Sienne,  où  il 
(piitta  l'ordre  des  jésuites,  et  devint  prêtre  séculier.  11  visita 
Rome  plusieurs  fois,  devint  directeur  de  la  bibliothèque 
du  roi  Stanislas-Auguste ,  et  fut  enfin  nonmié  évéque  de 
Zénopol.  Il  entreprit  encore  un  voyage  à  Stockholm  et  à 
Upsal  pour  fouiller  la  bibliothèque,  et  à  la  mort  du  roi  son 
protecteur  il  se  trouva  même  un  moment  dans  le  besoin. 
Il  mourut  le  10  août  1808,  laissant  une  Histoire  de  Henri 
et  d'Etienne  Bathory,  et  une  Histoire  de  l'administration 
des  Jagellons  Kasimir,  Jean  Alhrecht  et  Alexandre. 
Ces  deux  ouvrages  ont  été  publiés  longtemps  après  sa  mort 
par  le  professeur  Onacewitz,  chacun  en  2  volumes  in-S»,  à 
Varsovie ,  le  premier  en  1823 ,  le  second  en  1824. 

ALBI,  ancienne  ville  du  Languedoc,  aujourd'hui  chef- 
lieu  du  département  du  Tarn,  à  C81  kilomètres  sud  de  Paris, 
siège  d'un  archevêché,  est  située  sur  une  ^.minence  au  pied 
de  laquelle  coule  le  Tarn,  et  renferme  14, 656  habitants.  Elle 
possède  un  tribunal  de  première  instance  et  un  tribunal  de 
commerce,  une  académie,  un  collège  communal,  une  biblio* 
thèque  publique,  composée  de  14,000  volumes,  un  musée,  un 
cabinet  d'histoire  naturelle,  une  ferme-école.  On  y  trouve  des 
fabriques  de  toiles,  de  molletons,  de  couvertures  de  laine,  des 
filatures  de  coton ,  des  papeteries,  etc.  Son  commerce  con- 
siste principalement  en  grains,  vins,  chapellerie,  orfèvrerie, 
fruits  secs,  safran,  etc.  Quoique  fort  mal  bâtie,  la  ville  d'Albi 
possède  quelques  monuments  remarquables.  Sa  cathédrale 
surtout,  ornée  intérieurement  de  vieilles  peintures  à  fresque, 
dues  au  pinceau  de  Jean  d'Udine,  est  un  chef-d'œuvre  d'élé- 
gance et  de  hardiesse,  et  l'on  rencontre,  au  bout  de  la  pro- 
menade appelée  la  Lice,  une  belle  terrasse  d'où  la  vue 
plonge  sur  une  plaine  magnifique.  On  y  admire  encore  l'hôtel 
de  la  préfecture,  qui  fut  autrefois  le  palais  épiscopal  et,  à 
une  époque  plus  éloignée ,  celui  des  anciens  comtes  de  l'Al- 
bigeois ;  l'hospice,  qui  est  une  superbe  construction  ;  le  pont 
sur  le  Tarn  et  la  jolie  fontaine  de  Verdusse.  Le  nom  latin 
de  cette  ville,  Albiga,  prouve  qu'elle  était  la  principale  cité 
des  Albigi,  comme  elle  fut  depuis  la  capitale  du  pays  des 
Albigeois.  En  730  elle  fut  dévastée  entièrement  par  les  Sar- 
rasins, et  tomba  en  765  au  pouvoir  de  Pépin.  Du  huitième 
au  treizième  siècle  elle  eut  pour  gouverneurs  des  vicomtes 
dont  la  puissance  s'accrut  graduellement.  Le  dernier  fut 
Raymond-Roger,  qui,  après  la  croisade  contre  les  Albi- 
geois, partagea  le  sort  de  Raymond  YI,  comte  de  Tou- 
louse, et  fut  réduit  à  livrer  Albi  à  Simon  de  Montfort.  Sous 
Louis  XIII,  le  cardinal  de  Richelieu  se  rendit  maître  de  la 
ville  d'Albi,  qui  comptait  un  grand  nombre  de  protestants; 
et  sous  le  règne  suivant  une  partie  de  ses  habitants  se  vit 
forcée,  par  suite  de  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,dequitter 
le  sol  de  la  France.  Il  s'est  tenu  à  Albi  deux  conciles,  l'un 
en  1176,  oîi  fut  condamnée  la  secte  des  Albigeois,  et  l'autre 
en  125i.  Albi  est  la  patrie  de  l'infortuné  Lapeyrouse,  auquel 
on  a  érigé,  en  isi»,  une  statue  eu  bronze  sur  une  des  prin- 
cipales places  publiques  de  la  cité. 

ALBIGEOIS,  pays  faisant  partie  du  Languedoc,  à 
l'ouest  des  Ce  venues,  entre  cette  chaîne  de  montagnes,  le 
Quercy,  l'Armagnac,  le  Rouergue  et  le  haut  Languedoc,  et 
présentant  une  étendue  de  vingt  lieues  carrées.  Albi  en 
était  la  capitale.  Il  appartient  maintenant  au  département 
du  Tarn.  L'Albigeois  fut  gouverné  par  des  vicomtes,  dont 
on  fait  remonter  la  liste  jusqu'à  l'année  918.  En  1247  saint 
Louis  acheta  celte  vicomte  à  Raymond -Roger,  treizième 
vitumte  d'Albi. 


ALBIGEOIS 
ALBIGEOIS  (Guerres  des).  La  croisade  conlre  les 
Albigeois,  <lc  I20tî  à  IS^O,  est,  dit  ChiUeaubriand,  un  abo- 
minable épisode  de  notre  bistoire.  Si  l'on  se  reporte  aux 
sources  oriijinales,  on  voit  de  part  et  d'autre  beaucoup  de 
passion  ;  ou  trouve  la  même  i)artialité  cbez  les  compilateurs 
nio<lernes.  Cependant,  Sismomli  et  Sclioll  ont,  dans  leurs 
grandes  bistoires,  le  premier  surtout,  esquisNé  quehpies 
parties  de  ce  drame  sanglant  d'une  manière  ipii  laisse  peu  à 
désirer.  Nous  n'avons  pas  à  tiailer  ici  ce  sujet  à  fond ,  il 
nous  suflira  de  présenter  sur  cette  croisade  de  cbrétiens 
contre  chrétiens,  de  Français  contre  Français,  quelques 
souvenirs,  quelques  considérations.  Ce  qu'on  n'a  pas  as- 
sez remarqué,  c'est  que  c*tte  pei-sécution  si  atroce  des 
-■Vlbigeois  était  un  phénomène  nouveau  dans  l'Église  latine, 
rius  d'une  fois  l'Ëglisc  grecque  s'était  montrée  persécutrice; 
depuis  Constantin  on  avait  vu  presque  tous  les  empereurs 
s'armer  du  glaive  pour  extirper  ce  qu'ils  appelaient  l'hérésie. 
Cependant  l'Occident  était  encore  étranger  au  lléau  de  la 
persécution,  bien  que  de  temps  en  temps  il  se  fût  élevé  en 
France  et  en  Espagne  quelques  hétérodoxies.  Ainsi ,  dans 
le  onzième  siècle,  Béranger,  archidiacre  d'Angers,  qui  atta- 
quait le  dogme  de  la  transsubstantiation,  et  qu'avaient  con- 
damné cinq  conciles,  échappa  à  toute  punition,  grâce  à 
la  tolérance  de  Grégoire  VII,  qui  réprouva  sa  doctrine  sans 
permettre  qu'on  persécutât  sa  personne.  Mais  au  douzième 
siècle  les  évèques  de  Rome,  jusque  alors  si  tolérants,  de- 
vinrent tout  à  coup  persécuteurs.  Pourquoi  ce  changement 
déplorable?  La  différence  provient  de  celle  qui  existait 
entre  les  hérétiques  du  douzième  siècle  et  ceux  qui  les 
avaient  précédés.  C'était  seulement  sur  des  points  dogma- 
tiques que  les  ariens,  les  nestoriens,  les  pélagiens ,  les 
disciples  de  Béranger  et  quelques  autres  sectaires  s'étaient 
séparés  de  l'autorité  ecclésiastique.  Les  nouveaux  hérétiques 
attaquaient  non-seulement  le  dogme,  mais  l'autorité,  l'exi-s- 
tence  même  de  l'Église  ;  ils  prétendaient  renverser  l'insti- 
tution, comme  s'étant  écartée  de  son  but  ;  enfin  ils  voulaient 
ramener  la  Rome  des  Grégoire  YII  et  des  Innocent  IIl  à  la 
simplicité  toute  populaire,  à  la  discipline  toute  répulilicaiue 
du  christianisme  naissant.  Voilà  ce  qui  explique  la  fureur , 
alors  sans  exemple,  qu'excita  chez  les  partisans  du  clergé 
romain  la  secte  des  albigeois,  vaudois,  cathares,  etc.  :  car 
combien  de  noms  différents  n'a-t-on  pas  donnés  à  ce  parti, 
non  moins  politique  peut-être  que  religieux! 

Un  riche  négociant  de  Lyon ,  Pierre  de  Vaux  ou  Valdo, 
après  avoir  distribué  sa  fortune  aux  pauvres,  s'érigea  en 
réformateur  des  mœurs,  et  prêcha  d'abord  contre  l'irréligion 
et  la  débauclie,  contre  les  dissolutions  du  clergé  et  les  abus 
de  la  discipline  ecclésiastique.  Bientôt,  attaquant  le  dogme, 
^'aldo,  ou  du  moins  ses  successeurs,  prêcha  une  doctrine 
analogue  en  tout  point  à  celles  de  Luther  et  de  Calvin  (1). 
Rome  d'abord  ne  conçut  aucun  sentiment  de  défiance  contre 
lespatarins,  les  catharins  ou  pauvres  de  Lyon  ;  elle  parut 
même  considérer  leur  doctrine  comme  un  projet  de  sancti- 
fication, et  leurs  associations  comme  autant  d'ordres  de 
moines  qui  réveillaient  la  ferveur  publique  sans  songer  à 
secouer  le  joug  de  l'Église.  De  Lyon  et  des  environs,  l'esprit 
d'innovation  et  de  mysticisme  se  répandit  dans  la  Provence 
et  le  Languedoc,  au  commencement  du  treizième  siècle. 
Allant  beaucoup  plus  loin  que  les  premiers  vaudois,  les 
nouveaux  sectaires  enseignaient  que  la  loi  du  Christ  avait 
été  abolie  par  celle  du  Saint-Esprit;  ({ue  le  Christ  né  à 
Bethléem  et  crucifié  était  un  être  mauvais;  que  le  bon  Christ 
n'a  pas  été  incarné,  et  qu'il  n'est  venu  sur  la  terre  qu'en 
esprit  dans  le  corps  de  l'apôtre  saint  Paid.  Connus  d'abord 
sous  le  nom  d'hérétiques  delà  Provence,  ces  religionnaires  le 
furent  plus  tard  sous  celui  lY albigeois,  non  parce  que  Albi 
a  été  leur  principal  siège ,  car  ils  étaient  plus  nonibreux  à 


257 


(1  )  Oq  peut  en  Toir  la  preuve  dans  le  Choix  de  Poésies  originales 
des  Troubadours,  recueil  dans  lequel  se  trouvent  quelques  pièces  de 
poètes  Taudois  conipusées  dès  le  douzième  siècle, 

DICT.    DE   LA   CO.NVEUS.    —   T,    I. 


Toulouse,  h  Carcassonne  et  h  Narbonne,  mais  parce  ipie 
las  premiers  soldats  de  la  Croix  qui  les  combattirent  furent 
envoyés  contre  Raymond  Roger,  vicomte  d'.^lhi  etdeBéziers. 

Les  idées  nouvelles  firent  d'autant  plus  de  progrès  dans 
ces  contrées  de  la  langue  de  Provence  (  Provence  et  Lan- 
guedoc), que  le  clergé  y  méritait  plus  la  critique.  Les  pré- 
latines étaient  réservées  aux  membres  des  familles  puissantes, 
qui  vivaient  en  grands  seigneurs,  c'est-à-dire  dans  le  luxe 
et  dans  le  désordre,  tandis  que  les  curés  et  prêtres  infé- 
rieurs, pris  parmi  les  vassaux  des  seigneurs,  pai-mi  leurs 
paysans  et  leurs  serfs,  conservaient  la  brutalité,  l'ignorance 
et  l'abjection  de  leur  origine  servile.  D'une  autre  part,  le 
Languedoc  et  la  Provence,  qui,  ainsi  que  la  Catalogne  et 
les  pays  environnants ,  relevaient  du  roi  d'Aragon  ,  étaient 
habités  par  une  race  d'hommes  industrieuse,  spirituelle, 
adonnée  au  commerce  et  aux  arts,  principalement  à  la 
poésie.  Les  nombreuses  cours  des  petits  princes  qui  se  par- 
tageaient ces  contrées,  la  multiplicité  des  villes  commer- 
çantes, les  libertés  répubUcaines  dont  elles  jouissaient  la 
plupart,  enfin  le  voisinage  de  l'Italie,  tout  avait  contribué 
à  bâter  le  développement  de  la  civilisation  dans  ce  pays,  où 
s'étaient  conservés  d'ailleurs  tant  de  vestiges  de  l'adminis- 
tration et  des  mœurs  romaines.  Le  clergé  provençal  était 
demeuré  étranger  à  ce  mouvement,  par  les  motifs  que  l'on 
vient  d'énoncer.  C'était  un  grand  mal  au  milieu  d'une  po- 
pulation trop  éclairée  pour  que  les  vices  des  ecclésiastiques 
ne  les  exposassent  point  au  mépris  pubhc.  On  voit  dans  le.î 
chroniqueurs  du  temps  que  les  expressions  les  plus  offen- 
santes pour  les  gens  d'Église  avaient  passé  en  proverbe  : 
Il  J'aimerais  mieux  être  prêtre  que  d'avoir  fait  une  telle 
chose  n ,  était  un  dicton  provençal.  Cependant,  chez  cette 
nation,  alors  tout  h  fait  distincte  de  la  nation  française,  la 
disposition  était  religieuse,  et  celte  dévotion  élevée  que  les 
Provençaux  ne  pouvaient  trouver  dans  l'Église,  ils  allaient  la 
chercher  auprès  des  sectaires.  Ces  derniers  étaient  nom- 
breux, surtout  à  Toulouse,  dont  le  nom,  selon  la  réflexiou 
de  Pierre  de  Vaux-Cernay,  auteur  contemporain,  aurait 
plutôt  dû  être  Tôt  a  dolosa. 

Ce  fut  le  pape  Alexandre  III  qui ,  s'écartant  de  la  sage  po- 
litique de  Grégoire  VII ,  autorisa ,  l'an  1 179 ,  la  persécution 
contre  les  sectaires  de  la  Provence.  Lan  1181,  son  légat, 
Henri,  abbé  de  Clairvaux,  puis  cardinal-évêque  d'Albano, 
unis? ant  l'épée  à  la  crosse ,  prit  d'assaut  Lavaur,  à  la  tête 
d'une  nombreuse  armée ,  et  obligea  Roger  II ,  vicomte  de 
liéziers,  à  abjurer  les  nouvelles  doctrines.  L'abbé  de  Sainte- 
Geneviève  de  Paris ,  que  Philippe- .Auguste  avait  envoyé  en 
mission  auprès  de  ce  rude  convertisseur,  écrivait  en  ces 
termes  à  ce  prince  :  «  Je  ne  sais  oii  Je  pouiTai  trouver  le 
légat  ;  Je  le  suis  à  la  trace ,  et  dans  un  pays  que  son  expé- 
dition a  ruiné.  Je  passe  à  travers  des  montagnes  et  des  val- 
lées, au  milieu  des  déserts,  où  je  ne  rencontre  que  des  villes 
consumées  par  le  feu ,  ou  des  maisons  entièrement  démo- 
lies, n  3Iais  rien  ne  put  arrêter  le  torrent  des  opinions  nou- 
velles, et,  seize  ans  après,  Innocent  III  fut  obligé  d'en- 
voyer de  nouveaux  légats.  Leur  faste,  encoie  plus  que  leur 
cruauté  ,  souleva  tous  les  esprits.  Un  pieux  prélat  espagnol, 
Diego  de  Azebez ,  évêque  d'Osma ,  qui  voyageait  alors  en 
Fiance  avec  Dominique  Gusman,  sous-prieur  de  sa  cathé- 
drale, trouva  les  légats  à  Montpellier,  leur  conseilla  de  renon- 
cer à  la  pompe  mondaine  dont  ils  s'entouraient,  et  de  conti- 
nuer leur  mission  à  l'exemple  des  apôtres,  à  pied ,  et  sans 
porter  de  l'argent  sur  eux.  Diego  et  Dominique  leur  en  don- 
nèrent l'exemple  ;  ils  parcoururent  le  pays  nu-pieds,  dis- 
putèrent avec  les  sectaires,  et  le  firent  avec  succès.  Il  semble, 
en  lisant  la  Chronique  de  Guillaume  de  Puylaurens,  qu'ils 
étaient  quelquefois  impatientés  de  ce  que  leurs  adversaires 
n'étaient  pas  plus  habiles.  Un  jour  que  1  evêque  d'Osma,  par 
des  questions  ca[)tieuses,  était  parvenu  à  leur  faire  dire  que 
les  jambes  du  Fils  de  l'homme,  qui  est  dans  le  ciel,  étaient 
aussi  longues  que  toute  la  distance  qui  sépare  les  cieux  de 

3J 


358  ALBIGEOIS 

la  terre  :  »  Que  le  bon  Dieu  vous  maudisse,  comme  des  !ié- 
rétiques  grossiers  que  vous  êtes  !  s'(''cria  le  prélat  ;  je  croyais 
que  vous  aviez  plus  de  subtilité  que  cela.  »  Une  autre  fois, 
qu'il  avait  embarrassé  ses  adversaires,  et  qu'il  les  avait 
vaincus  suivant  toutes  les  refiles  de  l'absurde  dialectique 
alors  en  usage  dans  les  écoles ,  l'évéque  d'Osma  dit  aux  lia- 
bilants  :  <>  Pourquoi  ne  les  cbasscz-vous  pas?  pourquoi  ne 
les  exterminez-vous  pas?  —  Nous  ne  le  pouvons,  répondi- 
rent-ils :  nous  avons  des  parents  parmi  eux ,  et  nous  voyons 
combien  leur  vie  est  honnête.  «  Le  môme  Guillaume  de 
Puylaurens  se  scandalise  de  cette  réponse,  et  ajoute  cette 
réflexion  :  «  C'est  ainsi  que  l'esprit  de  mensonge ,  par  la 
seule  apparence  d'une  vie  nette  et  sans  tache ,  soustrayait 
ces  imprudents  à  la  vérité.  » 

Disons-le,  les  persécuteurs  avaient  alors  pour  eux  l'opi- 
nion publique,  sinon  en  Provence,  du  moins  dans  le  reste  de 
la  monarciiie  française.  Mais  le  fougueux  Pierre  de  Castel- 
nau,  l'un  des  légats  du  pape,  passa  bientôt  à  des  mesures 
d'une  violence  inouïe  :  il  excita  secrètement  une  ligue  de 
quelques  seigneurs  voisins  contre  Raymond  VI ,  comte  de 
Toulouse,  qui  refusait  de  prendre  l'épée  pour  convertir  ses 
sujets ,  moins  peut-être  parce  qu'il  partageait  leurs  idées  re- 
ligieuses que  par  un  esprit  de  tolérance  qui  dans  ce  sii^cle 
était  regardé  comme  la  preuve  d'une  pen'ersité  absolue. 
Castelnau  lança  contre  lui  l'excommunication ,  et  écrivit 
au  pape  pour  obtenir  la  confirmation  de  cette  sentence.  Jus- 
qu'alors Innocent  III  avait  recommandé  à  ses  délégués  de 
ne  pas  pousser  trop  loin  la  rigueur  ;  mais  il  ne  démentit 
point  l'audacieuse  démarche  de  Castelnau ,  et  l'on  vit  le 
pontife  de  Rome  adresser  des  lettres  à  tous  les  princes  de  la 
chrétienté  pour  les  inviter  à  se  croiser  contre  l'arrière-petit- 
fds  de  ce  Raymond  de  Saint-Gilles  qui  avait  joué  un  rôle 
si  brillant  dans  la  première  croisade  en  Palestine.  Bientôt 
Pierre  de  Castelnau  est  assassiné  par  un  gentil-homme  de 
Beaucaire  qu'il  avait  offensé.  Le  soupçon  d'avoir  commandé 
ce  meurtre  ,  qui  rappelait  celui  de  Thomas  Becket  de  Can- 
torbéry ,  tomba  sur  le  comte  de  Toulouse.  Innocent  III  ful- 
mina contre  lui  de  nouveaux  anathèmes ,  et  délia  ses  sujets 
du  serment  de  fidélité.  Ce  fut  dans  toute  la  France  à  qui  se 
croiserait  contre  les  Provençaux.  Innocent,  emporté  par  la 
haine,  prodiguait  à  ces  nouveaux  soldats  de  l'Église  des  in- 
dulgences inliniment  plus  étendues  que  celles  que  ses  pré- 
décesseurs avaient  accordées  aux  croisés  qui  avaient  tra- 
vaillé à  la  délivrance  de  la  Terre  Sainte.  Us  étaient  mis  sous 
la  protection  du  saint-siége ,  dispensés  de  payer  les  intérêts 
de  leurs  dettes,  soustraits  à  tous  les  tribunaux  ;  «  et  la 
guerre  (ju'ils  étaient  invités  à  faire  à  leur  porte,  ditSisraondi, 
presque  sans  danger  et  sans  dépenses,  devait  expier  tous 
les  vices  et  tous  les  crimes  d'une  vie  entière...  Ce  fut  donc 
avec  des  transports  de  joie  que  les  fidèles  reçurent  les  nou- 
veaux pardons  qui  leur  étaient  offerts  :  d'autant  plus  que , 
loin  de  regarder  comme  pénible  ou  comme  dangereuse  la 
chose  qu'on  leur  demandait  en  retour,  ils  l'auraient  faite  vo- 
lontiers pour  le  seul  plaisir  de  l'accomplir.  La  guerre  était 
leur  passion,  et  la  pitié  pour  les  vaincus  n'avait  jamais  trou- 
blé ce  plaisir.  La  discipline  des  guerres  sacrées  était  bien 
moins  sévère  que  celle  des  guerres  politiques;  les  fruits  de 
la  victoire  étaient  bien  plus  doux  :  là  on  pouvait  sans  re- 
mords, comme  sans  obstacle  de  la  part  de  ses  officiers, 
piller  tous  les  biens,  massacrer  tous  les  hommes,  violer  les 
femmes  et  les  enfants...  On  leur  offrait  la  récolte  du  champ 
voisin,  la  dépouille  delà  niaison  voisine,  qu'ils  pourraient 
transporter  chez  eux  en  nature,  et  des  captives  abandon- 
nées à  leurs  désirs  qui  parlaient  la  même  langue  queux.  » 
Les  moines  de  Cîteaux  se  distinguaient  par  leur  zèle  à  prê- 
cher cette  guerre,  alors  sacrée  ;  ils  promettaient,  au  nom  du 
pape,  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul,  rémission  entière 
de  tous  les  péchés  commis  depuis  le  jour  de  la  naissance 
jusqu'à  la  mort  à  tous  ceux  qui  périraient  dans  cette  ex- 
pédition. Une  congrégation  nouvelle,  autorisée  par  Inno- 


cent  III,  et  à  la  tête  de  laquelle  il  mit  Dominique  Gu»- 
man,  jetait  les  fondements  du  tribunal  de  l'inquisition  :  c'é- 
tait le  digne  fruit  de  la  semence  jetée  par  Castelnau.  Les  nou- 
veaux frères  prêcheurs  parcouraient  à  pied  et  deux  à  deux 
les  villages  ;  ils  sermonnaient  les  habitants,  entrant  en  con- 
troverse avec  eux  ;  et,  à  la  faveur  de  la  confiance  qu'inspi- 
raient la  simplicité  de  leurs  manières  ,  la  familiarité  de  leur 
discussion,  ils  obtenaient  des  renseignements  exacts  sur  tous 
ceux  qui  s'étaient  éloignés  du  sein  de  l'Église,  pour  les  faire 
brûler  dès  que  les  catholiques  seraient  les  plus  forts.  Foul- 
ques ,  évoque  de  Toulouse ,  qui  avait  suggéré  au  pontife  les 
principaux  règlements  de  cet  ordre ,  et  qui  les  fit  cruelle- 
ment exécuter  dans  son  diocèse,  était  un  troubadour  connu 
jusqu'alors  par  la  grâce  de  ses  poésies  et  la  liberté  de  ses 
mœurs. 

Ce  fut  au  printemps  de  l'an  1209  que  trois  cent  mille 
croisés  selon  les  uns,  cinq  cent  mille  selon  les  autres,  et 
selon  l'abbé  de  Vaux-Cernay  cinquante  mille  seulement , 
allèrent  fondre  sur  le  Languedoc.  Le  comte  de  Toulouse  es- 
père conjurer  l'orage  par  une  prompte  soumission.  Inno- 
cent III  feint  de  s'adoucir,  et  accueille  ses  envoyés.  Dans 
les  instructions  adressées  à  ses  légats,  faisant  une  applica- 
tion sacrilège  des  textes  de  l'Écriture,  il  leur  disait  :  «  Nous 
vous  conseillais,  avec  l'apôtre  saint  Paul,  d'employer  la 
ruse  à  l'égard  de  ce  comte;  car  dans  ce  cas  elle  doit  être 
appelée  prudence.  Il  faut  attaquer  séparément  ceux  qui  sont 
séparés  de  l'unité,  laisser  pour  un  temps  le  comte  de  Tou- 
louse, usant  avec  lui  d'une  sage  dissimulation,  afin  que  les 
autres  hérétiques  soient  plus  facilement  défaits,  et  qu'on 
puisse  l'écraser  ensuite  quand  il  se  trouvera  seul.  »  Ici  se 
place  la  scène  de  l'église  de  Saint-Gilles,  où  l'on  vit  le  comte 
Raymond  fustigé  de  la  main  du  légat;  et  tel  était  l'esprit  du 
temps,  que  les  fidèles  qui  assistaient  à  cette  cérémonie,  dont 
le  seul  récit  nous  scandalise ,  n'y  trouvaient  rien  d'extraor- 
dinaire. Une  honte  sans  doute  encore  plus  poignante  pour 
Raymond  le  fustigé ,  et  qui  méritait  bien  de  l'être ,  puis- 
qu'ayant  l'épée  au  côté  il  souffrait  cette  odieuse  humiliation, 
fut  l'obligation  de  se  croiser  contre  ses  propres  sujets,  contre 
son  neveu,  le  vaillant  Raymond  Roger,  vicomte  d'Aibi  et  de 
Béziers. 

On  eût  dit  que  tous  les  peuples  de  la  langue  de  France  s'é- 
taient ébranlés  pour  aller  dénationaliser  la  Provence.  Bour- 
guignons ,  Nivernais  ,  Picards,  Normands  ,  marchaient  à  la 
suite  d'Eudes  III ,  duc  de  Bourgogne,  de  Henri ,  comte  de 
Nevers,  puis  des  évêques  de  Sens,  d'Autun,  de  Clermont, 
de  Lisieux,  de  Bayeux,  etc.  Le  nom  de  tous  ces  chefs  s'ef- 
face devant  celui  de  Simon  de  M  o n  tf ort ,  qui  aujourd'hui 
vit  encore  dans  la  mémoire  des  peuples  pour  être  exécré  • 
compensation  assez  bizarre  des  éloges  excessifs  qu'il  a  reçus 
de  ses  contemporains  dabord ,  puis  ensuite  de  la  tourbe 
servile  qui  pendant  quatre  ou  cinq  siècles  a  en  France 
écrit  l'histoire.  Pour  ces  apologistes  Monlfort  est  tout  à 
la  fois  un  Hercule,  un  Gédéon,  un  Macchabée  ;  c'est  l'homme 
fort  des  livres  saints,  c'est  le  bras  droit  du  Très-haut.  Pour 
nous  cet  homme  est  un  cadet  d'illustre  lignage,  possesseur 
d'ime  assez  mince  seigneurie  dans  l'Ile-de-France,  qui,  armé 
d'une  piété  fervente,  d'un  cœur  impitoyable,  d'un  esprit  subtil 
et  perfide ,  puis ,  par-dessus  tout ,  d'une  ambition  calme  et 
persévérante,  sut,  en  se  faisant  le  soldat  du  clergé,  con- 
quérir pour  lui  de  vastes  domaines,  en  léguer  une  partie  à 
ses  descendants ,  et  monter  au  rang  des  grands  feudataires 
de  la  couronne.  Nul  ne  fit  la  guerre  avec  plus  de  férocité  : 
à  l'incendie  de  Béziers,  au  dire  d'un  de  ses  biographes,  Vul- 
son,  «  il  fit  passer  par  le  fer  et  par  le  feu  tout  ce  qui  s'y  ren- 
contra, pour  donner  de  la  terreur  aux  autres,  et  les  obliger 
à  se  soumettre  à  la  force,  puisque  la  douceur  n'avait  fait  que 
les  irriter  davantage  ».  Dans  ce  massacre  il  ne  périt  pas 
moins  de  trente-cinq  à  quarante  mille  individus,  tant  catho- 
liques que  sectaires.  Le^  prêtres  mêmes  ne  furent  pas  épar- 
gné;». Des  contemporains  comptent  jusqu'à  soixante  mille 


1 


ALBIGEOIS 

victimes.  Tuez-ks  tmts ,  avait  dit  de  sang-froid  avant  las- 
saut,  et  dans  le  conseil  de  guerre,  Arnaud  Anialrio,  légat  du 
paiH?,  le  Seigneur  conuaitni  bien  ceux  qui  sont  à  lui.  Il  y 
eut  sept  mille  cadavres  dans  une  seule  église.  En  reprodui- 
sant de  pareils  détails,  on  serait  tenté  de  préférer  les  siècles 
de  parfaite  indifférence  en  matière  de  religion,  puisque,  mal 
entendue ,  elle  a  pu  autoriser  de  pareilles  atrocités  et  les 
préconiser  dans  tous  les  auteurs  catUoliqucs  jusqu'au  siècle 
dernier. 

Attaqué  dans  Carcassonne,  le  vicomte  Raymond  Roger, 
après  avoir  deux  fois  repoussé  les  croi.sés,  ose  attendre  de 
Montfort  et  du  légat  une  capitulation  honorable.  11  se  rend 
dans  leur  camp  pour  négocier.  Le  légat,  pénétré  de  cette 
maxime,  que  c'est  manquer  à  la  foi  que  de  garder  la 
foi  à  ceux  qui  n'ont  pas  la  foi,  lait  arrêter  le  vicomte ,  et 
Montfort  devient  son  geôlier.  Après  l'occupation  de  Caieas- 
sonne,  Montfort  et  le  légat  obligèrent  les  habitants  à  se 
rendre  à  discrétion ,  la  corde  au  cou  et  les  parties  honteuses 
découvertes ,  scandale  jnoins  profitable  aux  croisés  que  le 
viol  des  femmes  et  dés  filles.  Ils  firent  ensuite  brûler  vifs 
quatre  cents  chevaliers  ou  bourgeois ,  et  pendre  cinquante 
autres.  De  semblables  exécutions  avaient  lieu  partout  sur  le 
passage  des  croisés.  Les  seigneurs  français  commençaient  à 
sentir  quelque  honte  de  tant  de  sang  versé.  ÎSIais  le  légat  et 
Montfort  n'en  avaient  point  assez.  «  Pour  faire  rétrograder 
la  civilisation,  observe  Sismondi,  pour  faire  perdre  la  trace 
des  progrès  de  l'esprit  humain,  ce  ne  sont  pas  quelques  mil- 
liers de  victimes  qu'il  suffit  de  sacrifier  comme  un  exemple  : 
il  faut  tuer  la  nation  ;  il  faut  faire  périr  en  même  temps  tout 
ce  qui  a  participé  au  développement  de  la  pensée  et  des 
connaissances,  et  n'épargner  tout  au  plus  que  ces  hommes 
de  peine  dont  l'intelligenc*  est  bien  peu  élevée  au-dessus  du 
bétail  dont  ils  partagent  les  travaux.  »  Le  légat,  qui  mettait 
ainsi  en  coupe  réglée  la  population  provençale,  ne  se  trompa 
point  sur  les  moyens  qui  devaient  conduire  au  but  qu'U  se 
proposait.  Il  offrit  les  États  de  Raymond  Roger  à  Eudes  III, 
duc  de  Bourgogne  ;  mais  celui-ci  refusa,  et  son  noble  exemple 
fut  imité  par  les  comtes  de  Nevers  et  de  Saint-Pol,  à  qui  le 
légat  fit  la  même  proposition.  Montfort,  après  avoir  aussi  un 
moment  joué  l'homme  désintéressé,  accepta  la  souveraineté 
de  tous  les  pays  conquis  par  les  croisés  ;  et  c'est  de  ce  mo- 
ment que  date  l'établissement  des  Français  en  Provence 
(1209).  Raymond  Roger  était  toujours  prisonnier  dans  la 
tour  de  Saint-Paul  à  Carcassonne;  il  moumt,  et  les  lettres 
d'Innocent  III,  qui  désapprouva  ce  crime,  donnent  à  penser 
(jue  Montfort  avait,  par  quelque  moyen  violent,  hâté  la  fia 
de  ce  malheureux  prince. 

Tel  est  le  premier  acte  de  la  croisade  contre  les  albigeois  ; 
mais  le  but  des  persécuteurs  n'était  pas  atteint  :  un  seul  des 
États  où  régnaient  les  nouvelles  doctrines,  l'Albigeois,  avait 
été  dévasté,  dépeuplé,  soumis  au  joug  des  Français  ;  mais 
les  idées  nouvelles  régnaient  encore  dans  le  Toulousain,  le 
Querci,  les  pays  de  Foix,  de  Comminges,  etc.  Chaque  année, 
après  le  départ  des  croisés,  Montfort  et  les  chevaliers  de 
rile-de-France  et  de  Picardie  qu'il  avait  associés  à  sa  con- 
tpiète,  se  voyaient  menacés  par  la  haine  des  populations.  11 
fallait  ou  finir  par  regagner  les  tristes  manoirs  du  Nord,  ou 
éteindre  par  le  fer  et  par  le  feu  ces  populations  si  fières  à 
défendre  leur  croyance  et  leur  nationalité.  Innocent  III  com- 
mença à  sentir  qu'il  avait  été  trop  loin  ;  il  montra  de  l'in- 
térêt à  Raymond  VI,  qui  était  venu  à  Rome  implorer  sa  jus- 
tice et  sa  clémence.  Mais  le  pontife  ne  fut  pas  assez  puissant 
pour  arrêter  les  passions  fanatiques  que  lui-même  avait 
déchaînées.  Lui  aussi  subissait  l'influence  de  son  clergé, 
qui  le  servait  avec  tant  de  zèle  ,  et  qui  ne  le  servait  qu'à  ce 
prix.  Bien  qu'il  eût  enfin  reconnu  la  justice  de  la  cause  de 
Raymond  VI,  il  n'osa  point  écouter  la  voix  de  sa  cons- 
cience ,  et  renvoya  le  sort  de  ce  malheureux  prince  à  la  dé- 
cision des  évêques  du  pays,  qui  l'abreuvèrent  d'outrages. 
Raymond  finit  par  où  il  aurait  dû  commencer  :  aux  armes 


2&9 


il  opposa  les  armes,  et  parvint,  sinon  à  vaincre  Montfort, 
du  moins  à  l'inquiéter,  à  l'arrêter  quelquefois  dans  ses  con' 
(piêfes.  Alors  commence  une  suite  de  campagnes,  dans  les- 
quelles on  voit  ce  chef  des  croisades  se  couvrir  de  gloire 
conmie  guerrier,  mais  déshonorer  complètement  chacun  de 
ses  succès  par  les  plus  atroces  cruautés.  Tantôt  il  faisait 
mutiler  les  vaincus  de  la  manière  la  plus  barbare,  tantôt  il 
faisait  pendre  des  populations  entières,  tantôt  il  faisait  pré- 
cipiter dans  les  bûchers  les  hommes  et  les  femmes  par  mil- 
liers. Pendant  ces  massacres  les  prêtres  et  les  soldats  croi- 
sés chantaient  le  Veni  Creator.  Pour  se  faire  une  idée  du 
caractère  propre  à  ces  exécutions  religieuses,  il  faut  en  lire 
la  description  dans  les  récits  contemporains,  surtout  dans 
la  Chronique  de  l'abbé  de  Vaux-Cernay.  C'est  avec  une 
sorte  d'exaltation,  de  gaieté  môme,  qu'il  nous  représente  les 
tortures  des  hérétiques  et  la  joie  extrême  qu'éprouvaient 
les  spectateurs  catholiques;  ces  mots  :  cum  ingenti  gau- 
dio,  terminent  chacun  de  ces  tableaux  révoltants  de  béate 
naïveté. 

Faut-il  en  conclure  que  Montfort  ait  été  à  tous  égards 
un  de  ces  monstres  dont  toutes  les  actions  furent  des  cri- 
mes? Loin  de  là,  on  trouve  dans  sa  vie  plus  d'un  trait  ho- 
norable :  très-réglé  dans  ses  mœurs ,  il  n'en  avait  pas 
moins  dans  ses  manières  une  grâce,  une  courtoisie,  qui  dé- 
notaient un  chevalier  de  haut  lignage.  Mais  faisons  ici  une 
remarque  qui  s'applique  aussi  aux  compagnons  de  Mont- 
fort :  prêts  à  se  donner  entre  eux  des  preuves  de  générosité, 
de  compassion,  d'affection,  les  croisés  regardaient  les  héré- 
tiques comme  étant  hors  de  la  race  humaine ,  et  ils  agis- 
saient en  conséquence.  Accoutumés  à  se  confier  aveuglé- 
ment à  la  voix  de  leurs  prêtres,  à  ne  jamais  soumettre  au 
jugement  de  la  raison  ce  qui  appartenait  à  la  foi ,  ils  se 
croyaient  d'autant  meiUeurs  chrétiens  qu'ils  travaillaient 
avec  plus  d'ardeur  à  la  destruction  des  sectaires.  S'ils  éprou- 
vaient un  mouvement  de  pitié  en  assistant  à  leur  supplice, 
c'était  à  leurs  yeux  une  révolte  de  la  chair  dont  ils  allaient 
s'accuser  au  tribimal  de  la  pénitence.  Au  reste,  toute  l'Eu- 
rope partageait  le  zèle  de  Montfort  et  des  personnes  de  sa 
famille  :  une  armée  de  croisés  lui  fut  amenée  par  sa  femme 
Alix  de  Montmorency,  par  sa  belle-mère  et  par  son  beau- 
frère,  le  sire  Bouchard  de  Montmorency  et  de  Marly.  Un 
Léopold,  duc  d'Autriche;  un  Guillaume,  comte  de  Juliers; 
un  Adolphe,  comte  de  Mons,  vinrent  se  ranger  sous  la  ban- 
nière de  ce  gentil-homme  de  l'Ile-de-France,  dont  l'autorité 
militaire  et  religieuse  n'était  pas  moins  respectée  qu'avait 
pu  l'être  en  Palestine  celle  de  Godefroi  de  Bouillon.  Plus 
tard,  le  fdsde  Philippe-Auguste  prit  part  à  cette  croisade; 
et  comme  la  terre  albigeoise  avait  été  conquise  non  par  les 
armes  du  roi  de  France,  mais  par  le  pape,  on  ne  permit  à 
l'héritier  présomptif  du  royaume  de  paraître  à  l'armée  qu'en 
simple  particulier.  Louis  ne  crut  pas  faire  im  sacrifice  en 
se  soumettant  aux  ordres  de  Montfort. 

Un  fait  encore  bien  remarquable  de  cette  croisade,  et 
qui,  comme  le  précédent,  ne  s'explique  que  par  la  connais- 
sance des  mœurs  de  l'époque,  c'est  de  voir  ce  même  Mont- 
fort, que  depuis  six  années  le  saint-siége  préconisait  comme 
le  chef  de  l'armée  du  Seigneur,  IWontfort,  pour  l'amour 
duquel  on  avait  excommunié,  spolié  le  comte  de  Toulouse, 
être  à  son  tour  excommunié  par  le  légat  du  pape;  mais 
bientôt  il  rentra  en  grâce,  et  Honoré  III,  successeur  d'Inno- 
cent III,  lui  confirma  la  donation  du  comté  de  Toulouse.  Un 
tort,  qui  appartient  à  l'homme,  et  non  à  l'époque,  c'est  quand 
Simon  de  Montfort,  s'écartant  du  but  d'une  guerre  reli- 
gieuse, conduisit  l'armée  des  croisés  dans  l'Agénois  et  dans 
d'autres  contrées  catholiques,  dont  la  conquête  était  à  sa 
convenance.  Un  toit  non  moins  grave ,  une  inconséquence 
qui  eut  contre  elle  l'opinion  d'alors,  quelque  peu  éclairée 
qu'elle  fût,  c'est  quand  le  légat  du  pape,  Arnaud  Amalric, 
après  s'être  fait  archevêque  de  Narbonne,  déclara  le  duché 
de  Narbonne  acquis  au  premier  occupant,  puis  se  hàfa  d'aller 

33. 


2Ç0  ALBIGEOIS 

dans  cette  tUIc  cumuler,  au  grand  mécontentement  de 
Montfort,  avec  la  mitre  d'évèque,  la  couronne  ducale.  D'au- 
tres usurpations  semblables,  au  profit  des  moines  de  Citcaux, 
ces  zélés  prêcheurs  de  la  croisade  albigeoise,  prouvèrent  au 
peuple  que  ces  religieux  avaient  eu  trop  en  vue  dans  cette 
expédition  les  biens  de  ce  monde.  Mais  si  l'opinion  parmi 
k's  calboliques  se  sentait  péniblement  affectée  par  la  cupi- 
dité de  ces  moines,  elle  ne  faisait  aucun  reproche  à  l'évèque 
de  Toulouse,  Foulques,  qui  avait  dans  cette  cité  organisé  la 
guerre  civile  entre  les  catholiques  et  les  dissidents;  qui  en- 
suite ,  forcé  de  s'éloigner,  se  mêla  avec  tout  son  clergé  dans 
les  rangs  des  croisés,  ne  cessant  d'appeler  sur  son  troupeau 
les  fléaux  de  la  guerre  et  de  la  persécution.  Toulouse,  as- 
siégée jusqu'à  trois  fois  par  le  comte  de  Montfort,  brava  la 
première  fois  ses  efforts;  la  seconde  fois,  elle  voulut  bien 
se  donner  au  prince  Louis,  fds  de  Philippe-Auguste;  la 
troisième  fois,  elle  fut  l'écueil  où  se  brisa  l'existence  agitée 
du  nouveau  Gédéon.  Une  pierre  lancée  par  un  mangonneau 
emporta  la  tète  de  cet  homme ,  «  qui  en  faisant  tant  de 
mal,  dit  Voltaire,  avait  acquis  tant  de  renommée  n.  «Le 
Iruit  de  ses  conquêtes,  dit  le  biographe  Vulson,  tomba  avec 
sa  tète.  » 

Le  plus  signalé  de  ses  triomphes ,  la  victoire  de  Muret , 
où  périt  le  roi  d'Aragon ,  avait  eu  principalement  pour  ré- 
sultat de  préparer  au  joug  français  toute  la  partie  arago- 
naise  de  la  Gaule,  et  de  procurer  dès  lors  au  roi  Philippe- 
Auguste  la  souveraineté  de  la  puissante  commune  de  Mont- 
pellier. La   mort  prématurée  de   Montfort,  en  brisant  la 
main  ferme  qui  seule  aurait  pu  conserver  ces  acquisitions, 
fut  encore  plus  avantageuse  à  la  couronne  capétienne.  11 
laissait  un  fds,  Amaury  de  P.îontfort,  à  qui  le  pape  adjugea 
les  domaines  accordés  à  Simon  ;  mais  il  ne  put  lui  trans- 
mettre ni  le  crédit  ni  les  talents  de  son  père.  Amaury  sou- 
tint faiblement  la  guerre  contre  les  comtes  de  Toulouse, 
Raymond  YI  et  Raymond  VII,  et  finit  par  céder  ses  préten- 
tions sur  le  comté  de  Languedoc  au  roi  de  France  Louis  VIII. 
On  sait  quel  fut  le  résultat  de  la  croisade  royale  de  ce  prince 
contre  les  albigeois.  Après  avoir,  à  la  tète  de  deux  cent 
mille  hommes,  ravagé  le  Languedoc  et  assiégé  la  puissante 
commune  d'Avignon,  dont  il  n'avait  reçu  aucune  offense,  il 
périt  frappé  de  la  contagion  qui  dévorait  son  armée  (1226). 
Durant  la  minorité  de  saint  Louis ,  la  guerre  entre  les 
Français  du  nord  et  les  habitants  du  Languedoc  ne  discon- 
tinua point.   Humbert  de  Beaujeu,  lieutenant   du  roi  de 
France ,  et  Gui  de  Montfort ,  frère  de  Simon ,  étaient  à  la 
tète  des  croisés.  Gui  trouva  la  mort  dans  un  combat.   Le 
vieux  Raymond  VI  avait  cessé  de  vivre ,  et  ses  ossements 
ne  trouvèrent  point  de  tombeau.  On  les  voyait  avant  la  ré- 
volution de  1780,  dans  un  coflre,  tout  profanés  et  à  moitié 
rongés  des  rats,  dans  le  coin  obscur  d'une  église  de  Tou- 
louse. Le  jeune  Raymond  VII  se  défendit  avec  assez  de  per- 
sévérance. Mais  cette  guerre,  qui  fut  marquée  par  un  nou- 
veau siège  de  Toulouse,  ne  présente  plus  la  même  impor- 
tance. Chateaubriand  admire  la  conduite  des  Toulousains  : 
«  Une  simple  commune  de  France ,  dit-il ,  la  petite  répu- 
blique de  Toulouse,  brava  pendant  vingt  ans  les  anathèmes 
des  papes,  les  fureurs  de  l'inquisition ,  les  assauts  de  trois 
rois  de  France.  »  Il  ne  faut  pas  oublier  que  l'implacable 
évèque  Foulques  était  à  ce  siège.  Ce  fut  lui  qui  amena  la 
reddition  de  cette  ville,  par  le  conseil  qu'il  donna  aux  as- 
siégeants d'affamer  son  troupeau  en  détruisant  méthodi- 
quement toute  la  végétation ,  tous  les  produits  de  la  terre 
dans  un  rayon  de  plusieurs  lieues. 

Toutefois,  Is  fanatisme  commençait  k  se  lasser  :  d'ail- 
leurs, les  villes  et  les  campagnes  dépeuplées  ne  promettaient 
plus  aux  gibets  et  aux  bûchers  le  même  nombre  de  vic- 
times. A  une  ardeur  impatiente  pour  la  destruction  des  hé- 
rétiques .avait  succédé  une  calme  indifférence,  mais  sans 
que  la  tolérance  y  gagnilt  :  rois,  nobles,  prêtres,  peuples, 
étaient  d'accord  pour  penser  que  les  non-catholiques  de- 


-  ALBINI 

valent  être  mutilés  par  le  feret  par  le  feu  ;  et  ce  fut  sans  pas- 
sion qu'on  appliquait,  soit  après  le  combat,  soit  dans  les 
nouveaux  tribunaux  d'inquisition ,  cette  doctrine,  passée  en 
axiome  de  justice  publique.  Désormais  dans  l'Albigeois  on 
fit  une  guerre  sans  éclat  ni  intérêt  et  tout  à  fait  semblable 
à  celle  qui  vers  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV  désola  les 
Cévennes.  Les  prêtres  ne  pardonnaient  pas  aux  Languedo- 
ciens, et  ceux-ci  n'épargnaient  point  les  prêtres  :  tout  pri- 
sonnier était  mis  à  mort,  toute  place  rendue  réduite  en 
cendres  ;  mais  tout  cela  se  faisait  sans  bruit  et  comme  une 
chose  consacrée  par  l'usage.  Enfin  le  traité  de  Meaux  vint 
en  1229  mettre  fm  à  cette  odieuse  continuité  de  massacres 
et  de  guerres  civiles.  Le  comté  de  Toulouse  et  l'Albigeois  fu- 
rent réunis  à  la  couronne  ;  quelques  parties  de  ces  États  hé- 
réditaires furent  laissées  à  Raymond  VII,  et  le  mariage  de  sa 
fille  Jeanne  fut  stipulé  avec  Alphonse  de  Poitiers,  frère  du 
roi  de  France,  Louis  IX. 

Dès  ce  moment,  les  peuples  de  la  langue  de  Provence  ces- 
sèrent de  former  une  nation  distincte  ;  il  n'y  eut  plus  aussi 
de  France  aragonaise.  La  couronne  capétienne  recueillit  le 
fruit  des  crimes  de  Montfort;  elle  acquit  de  nouvelles  et 
vastes  provinces,  mais  flétries,  mais  dévastées,  mais  dé- 
peuplées. Alors,  la  langue  picarde  ou  le  français  wallon  se 
répandit  dans  les  villes  du  Languedoc.  La  belle  langue  ro- 
mane se  perdit  avec  les  antiques  libertés  du  pays,  comme 
se  perdit  aussi  sa  civilisation  toute  romaine.  Ces  restes  pré- 
cieux d'un  bel  ordre  social  avaient  pourtant  trouvé  grâce 
devant  le  vainqueur  d'Alaric  ;  mais  Clovis  était  éclairé  par 
le  christianisme  pur  et  sans  mélange  de  saint  Rémi.  Avec  le 
triste  avantage  d'arrondir  le  domaine  des  rois  capétiens,  les 
provinces  de  la  langue  de  Provence  acquirent  l'inquisition, 
et  se  virent  frauduleusement  dépouillées  de  la  plupart  de 
leurs  franchises  mimicipales.  Despotes  assez  doux ,  les  Ca- 
pétiens n'en  ont  été  que  des  ennemis  plus  dangereux  pour 
la  liberté  des  peuples.  Enfin,  ces  belles  contrées,  qui  sous 
leurs  princes  nationaux  avaient  marché  en  avant  du  reste 
des  Gaules  dans  la  voie  de  la  civilisation  et  de  l'émancipation 
intellectuelle,  sont  toujours  depuis  restées  fort  en  arrière. 
Aujourd'hui  encore  on  peut  y  retrouver  des  traces  flagrantes 
des  vingt  années  de  la  croisade  albigeoise.  A  la  révolution 
de  1789  les  fils  des  vieux  Languedociens  se  réveillèrent; 
ils  se  soulevèrent  contre  les  descendants  de  familles  impor- 
tées chez  eux  par  le  farouche  Montfort;  et  lorsqu'en  1815 
quelques  nobles  de  ce  pays ,  issus  de  ces  races  étrangères , 
signalèrent  dans  nos  assemblées  délibérantes  leur  fanatisme 
religieux  et  politique,  leurs  adversaires  ne  manquèrent  pas 
de  leur  rappeler  ce  précédent ,  indélébile  aux  yeux  du  pa- 
triote provençal.  Cii.  Du  Rozoir. 

ALBliVI  (François-Joseph,  baron  d' ),  homme  d'État 
distingué,  né  à  Saint-Goar,  en  1748,  débuta  dans  la  carrière 
politique  en  qualité  de  conseiller  de  régence  au  service  du 
prince-évèque  de  Wurtzbourg.  En  1774  il  fut  nommé 
assesseur  au  kanvncrgericht,  et  en  1787  conseiller  intime 
et  référendaire  de  l'électeur  de  Mayence ,  fonctions  qui  le 
mirent  en  relations  directes  avec  l'empereur  Joseph  II,  qui 
l'honora  de  sa  confiance  toute  particulière,  et  qui  le  chargea 
de  missions  extraordinaires  auprès  de  diverses  cours  d'Al- 
lemagne. A  la  mort  de  ce  prince  il  passa  au  service  de 
l'électeur  de  Mayence,  en  qualité  de  ministre  et  de  chancelier 
de  cour.  Son  administration  eut  les  suites  les  plus  bienfai- 
santes pour  ce  petit  État;  mais  la  guerre  qui  éclata  en  1792 
en  détruisit  les  effets.  Le  baron  d'Albini  assista  en  1797  au 
congrès  de  Rastadt.  Il  conçut  le  plan  d'une  levée  en  masse 
(  Landsturm  )  de  l'Allemagne  pour  expulser  les  armées 
françaises  du  sol  allemand,  et  il  se  mit  lui-même,  en  1799,  à 
la  tête  de  la  landsturm  de  Mayence.  L'électeur  Fiédéric- 
Charles-Joseph  étant  venu  à  mourir  le  25  juillet  1802,  au 
moment  où  Albini  dirigeait  les  négociations  relatives  aux 
indemnités  à  répartir  entre  les  différents  princes  de  l'Empire, 
celui-ci  fit  immédiatement  prêter  par  les  troupes  et  par  les 


ALBINI  — 

aiitoiités  civiles  serment  de  fuliUité a»  nouvel  électeur  de 
Dalben^  ;  et  comme  il  possédait  toute  sa  conliance,  leclian- 
j;eineiit  de  W'i^ne  n'apporta  aucun  clianijeniont  dans  Tadmi- 
lûstration  et  les  alVaires.  Le  baron  d'Albini  resta  ('{ialeiuent 
au  service  de  l'électeur  quand  celui-ci  eut  été  créé  prince- 
|)riuiat  de  Ratisbonne;  et  loisipi'il  fut  nommé  {"rand-duc  de 
Trancfort ,  ce  fut  lui  qu'il  investit  de  la  jirésidence  de  son 
conseil.  Le  baron  d'Albini,  dans  toute  sa  conduite  politique, 
resta  toujours  lidéle  aux  intérêts  de  rAllemagne  ;  et  au  mois 
d'octobre  lSi:î  les  puissances  alliées  lui  donnèrent  une 
preuve  de  leur  estime  en  lui  confiant  la  présidence  du  con- 
t-eil  des  ministres  du  grand-duclié  de  Irancfort  dont  elles 
venaient  de  prendre  possession.  Il  poidit  néanmoins  ses 
autres  emplois;  aussi  en  1S15  eutra-t-il  au  service  au- 
trichien, il  venait  d'être  nommé  ministre. plénipotentiaire  de 
cette  puissance  prés  la  diète  germanique,  lorsqu'il  mourut 
à  Diebourg,  le  8  janvier  1 8 lO,  avant  même  que  cette  as- 
semblée eiit  commencé  à  fonctionner. 

ALBIXOS.  Ce  mot  d'origine  portugaise  (  Albïno,  de  al- 
bus,  blanc)  a  été  appliqué  à  des  individus  qu'on  rencontre 
dans  toutes  les  races  humaines,  et  qui,  loin  d'offrir  la  colo- 
ration propre  à  chacune  d'elles,  s'en  distinguent  surtout  par 
la  rougeur  des  pupilles  et  la  coloration  blanche  de  la  peau 
et  du  système  pileux,  coloration  qu'on  a  désignée  sous  le 
nom  à'albhiie  ou  (Talbinisme.  A  une  époque  fort  reculée 
on  avait  déjà  recueilli  des  notions  exactes  sur  les  albinos; 
l'iine  le  naturaliste  en  a  parlé.  Ils  sont  plus  connnuas  en 
Afrique  et  dans  les  contrées  équatoriales  habitées  par  les 
nègres  que  partout  ailleurs;  c'est  ensuite  en  Américpie, 
principalement  au  ^Mexique,  au  Brésil,  en  Colombie  et  aux 
Antilles,  qu'on  les  observe  le  plus  fréquemment  ;  ils  existent 
aussi  en  petit  nombre  dans  les  Indes  orientales ,  à  Ceyian  , 
aux  îles  de  la  Sonde,  aux  Moluques,  aux  Philippines,  aux 
lies  des  Amis  et  de  la  Société,  et  il  n'est  pas  très-rare  d'en 
rencontrer  en  Europe.  Selon  Humboldt ,  l'état  désigné  sous 
le  nom  à''aU)inie  s'observe  en  général  d'autant  plus  sou- 
vent dans  les  diverses  nations  qu'elles  ont  la  couleur  de  la 
l>eau  plus  foncée  et  habitent  un  climat  plus  chaud  :  aussi 
est-il  peu  commun  dans  la  race  cuivrée,  et  devient  d'autant 
plus  rare  que  les  naturels  ont  une  peau  plus  blanche;  rap- 
port très-remarquable,  si  on  le  rapproche  de  cette  observa- 
tion de  géographie  zoologique  ,  savoir  :  que  la  couleur 
blanche  est  d'autant  plus  fréquente  chez  les  animaux  à  l'é- 
tat normal  qu'on  se  rapproche  davantage  des  pôles.  —  On 
nomme  les  albinos  dondos  en  Afrique ,  béders  à  Ceyian, 
liacrelus  ou  kakerlahs  à  Java  ;  à  l'isthme  de  Darien  on  les 
appelle  albinos;  en  France  on  les  a  décrits  sous  le  nom  de 
blafards,  de  nègres  blancs  et  d'albinos. 

Leur  peau  est  d'un  blanc  fade,  souvent  bouffie,  quel- 
quefois rude  ou  semée  de  rides  ou  de  taches  lenticulaires; 
généralement  un  duvet  fin  et  blanc,  laineux  chez  quelques- 
uns,  recouvre  tout  leur  corps.  Tout  le  système  pileux  est  dé- 
coloré chez  eux  ;  les  cheveux  sont  habituellement  d'une 
grande  blancheur,  dans  quelques  cas  d'un  jaune  sale  et 
comme  roussis,  longs  ettrainanlsen  Asie,  laineux  et  frisés  en 
Alriqiie,  ordinairement  droits  dans  les  autres  contrées  et  res- 
semblant aux  poils  blancs  de  la  chèvre  ;  les  sourcils  et  les  cils 
sont  blancs  connue  la  totidilé  des  poils ,  tantôt  droits,  tan- 
tôt semblables  au  duvet  de  l'eider.  L'iris  est  rouge  sanguino- 
lent, Tose  pâle,  bleu  rosé  ou  bleu  pâle ,  en  même  temps  que 
les  pupilles  offrent  une  rougeur  iJiononcée  très-caractéris- 
tiipie.  Les  albinos  sont  généralement  atteints  de  myopie  ;  et 
il  n'est  pas  rare,  selon  Siebold  etMansfeld,  de  les  voir  frap- 
pés de  cécité  pendant  un  temps  plus  ou  moins  long  par  la 
persistance  temporaire  de  la  membrane  pupillaiie  ;  prescpie 
toujours  ils  sont  nyctalcpes,  c'est-à-dire  qu'ils  voient  mieux 
la  nuit  que  le  jour.  La  i)hysionomie  des  albinos  est  dépourvue 
de  mobilité;  ils  ont  les  lèvres  décolorée?,  une  constitution 
grêle  et  les  chairs  molles  :  leur  taille  est  habituellement 
médiocre.  L'all}inisme  s'observe  plus  fréquemment  chez  les 


ALBINOS  2G1 

femmes,  lesquelles  possèdent  d'ailleurs  tous  les  attributs  de 
leur  sexe.  Les  albinos  sont  en  général  frappés  d'idiotie;  ce- 
pendant on  aurait  tort  de  croire  que  tous  les  albinos  olfrent 
une  lésion  de  l'entendement ,  car  on  a  observé  [ilusieurs  al- 
binos qui  étaient  très-distingués  par  l'étendue  de  leur  in- 
telligence. Comme  les  albinos  offrent  autant  d'imperfections 
physiques  que  d'infirmités  morales,  il  en  résulte  naturelle- 
ment pour  eux,  dans  les  contrées  non  civilisées,  une  grande 
faiblesse  et  l'impossibilité  d'attaquer  et  de  se  défendre. 

Non-seulement  l'albinisme,  qui  a  été  considéré  pendant 
longtemps  comme  une  modification  propre  seulement  à  une 
des  deux  races  d'hommes ,  peut  se  produire  chez  toutes  d'une 
manière  accidentelle ,  mais  encore  il  apparaît  chez  les  ani- 
maux d'un  ordre  inférieur,  et  même  plus  souvent  que  dans 
l'espèce  humaine  :  c'est  ainsi  que  Tiedemann  cite  un  grand 
nondjie  d'animaux  atteints  d'albinisme,  et  que  .^I.  Is.  Geof? 
froy  Saint-ililaire  a  rencontré  cet  étal  à  un  degré  plus  ou 
moins  marqué  parmi  les  mammifères  et  oiseaux  sauvages  et 
domestiques ,  chez  des  poissons,  et  même  dans  queUjues 
genres  de  mollusques.  Qui  n'a  entendu  parler  des  éléphants 
blancs,  si  célèbres  dans  l'Orient,  et  que  les  Indiens  vénéraient 
parce  qu'ils  les  croyaient  animés  par  les  âmes  de  leurs  an- 
ciens rois?  De  tous  les  phénomènes  présentés  par  les  al- 
binos ,  les  plus  remarquables  consistent  dans  la  coloration 
des  yeux ,  de  la  peau  et  des  poils.  Dans  l'état  naturel ,  ces 
parties  sont  colorées  par  une  substance  nommée  pigmen- 
tum,  formée  de  molécules  noires  ,  insoluble  dans  l'eau  et  que 
la  plupart  des  auteurs  rapportent  aujourd'hui  à  la  matière 
colorante  du  sang.  C'est  à  l'identité  et  au  dépôt  proportion- 
nel du  pigmentura  dans  les  diverses  parties  du  corps  qu'est 
dû  le  rapport  habituellement  signalé  entre  la  couleur  de  la 
peau,  celle  des  yeux  et  celle  des  poils  :  si  le pigmentian  est 
abondant,  la  peau  est  brune,  les  cheveux  et  les  yeux  sont 
noirs  ;  et  quand  cette  matière  existe  en  quantité  moindre , 
les  cheveux  restent  blonds ,  les  yeux  bleus  et  la  peau  blan- 
che :  en  sorte  que  l'intensité  de  coloration  de  ces  parties  du 
corps  est  en  raison  directe  de  la  quantité  de  pigmentum  qui 
y  est  déposée.  C'est  ce  qui  explique  comment  les  albinos  aux 
yeux  bleus  forment  un  degré  moins  avancé  de  l'albinisme, 
que  ceux  aux  yeux  rouges  offrent  au  maximum ,  parce  que 
chez  les  premieis  il  y  a  absence  moins  complète  de  pigmen- 
tum que  chez  les  autres.  La  coloration  des  yeux ,  de  la  peau 
et  des  poils  chez  les  albinos  s'explique  donc  par  le  défaut  de 
sécrétion  plus  ou  moins  complet  du  pigmentum  dans  ces 
diverses  parties ,  selon  Blumenbach,  soit  que  le  réseau  mu- 
queux  ou  réticulaire  de  Malpighi  n'existe  point ,  ou  que,  s'il 
existe,  sa  sécrétion  soit  très-incomplète.  L'albinisme  est 
considéré  par  quelques  savants ,  entre  autres  par  Blumen- 
bach ,  Otto  ,  Sprengel  et  Blandin ,  comme  une  maladie  orga- 
nique ,  et  par  d'autres  simplement  comme  une  anomalie. 
Jelferson,  tîallé  ,  Béclard  et  Mansfeld  se  montrent  partisans 
de  cette  dernière  opinion.  Les  principales  raisons  qu'on  fait 
valoir  pour  considérer  l'albinisme  comme  une  maladie  sont 
celles-ci  :  la  décoloration  chez  les  albinos  est  jointe  à  une 
grande  débilité;  la  peau  des  nègres  se  décolore  dans  leurs 
maladies  ;  l'exagération  du  tempérament  lymphatique  s'ac- 
compagne d'une  grande  blancheur  de  la  peau  :  placées  dans 
l'obscurité  et  l'humidité,  les  plantes  s'étiolent,  deviennent 
malades  et  blanchissent;  l'albinisme  sévit  souvent  sur  les 
animaux  mal  nourris ,  soustraits  à  rinfluence  delà  lumière 
et  privés  d'exercice.  Les  raisons  qid  militent  en  faveur  de 
l'albinie  envisagée  comme  anomalie  sont  moins  nombreuses: 
celle  qui  consiste  à  l'attribuer  à  un  arrêt  de  développement 
[irésente  une  certaine  valeur.  7tlais  pour  bien  compiendre 
cette  explication  il  faut  savoir  que  chez  le  foilus  humain 
l'ouverture  de  l'iris  est  fermée  par  une  membrane  dite  pupil- 
laire  juscprau  .septième  mois  de  la  grossesse  ;  que  pendant 
la  vie  iutra-utérine  la  peau  est  couverte  d'un  (luvet  abon- 
dant, et  qu'au  moment  de  la  naissance,  et  surtout  dans  les 
premiers  mois  de  la  gestation ,  l'enveloppe  cutanée  offre  la 


262  ALBINOS 

même  coloration  chez  tous  les  enfants,  à  quelque  race  qu'ils 
appartiennent.  Si  on  rapproche  donc  ces  phénomènes  de 
ceux  observés  dans  l'albinisme ,  on  ne  peut  s'empêcher  de 
trouver  entre  eux  la  plus  grande  analogie  ;  car  la  persistance 
«le  la  membrane  pupUlaire  s'observe  chez  quelques  mdivulus, 
la  présence  d'un  duvet  sur  tout  le  corps  se  remarque  chez 
un  grand  nombre  d'entre  eux,  et  chez  tous  la  blancheur  de  la 
peau  peut  Ctre  constatée.  L'albinisme  complet  est  toujours 
congénial  dans  l'espèce  humaine.  Les  albinos  naissent  quel- 
quefois de  parents  blancs.  On  ne  connaît  pas  de  fait  bien 
avéré  qui  établisse  l'aptitude  des  albinos  de  la  race  nègre  à 
se  reproduire  entre  eux  :  les  femmes  albinos  de  cette  race 
non-seulement  peuvent  devenir  mères,  mais  encore  être 
très-fécondes.  En  Europe,  au  contraire,  les  albinos  sont 
aptes  à  la  propagation ,  comme  l'ont  prouvé  les  deux  albinos 
intelligents  cités  par  Esquirol ,  lesquels  se  marièrent  et  cu- 
rent tous  deux  des  enfants  non  albinos  et  même  très-bruns. 

Quant  à  Valbinie  partielle,  les  exemples  en  sont  fré- 
([uents  et  variés.  En  Ethiopie,  la  lèpre  alphos  et  le  vitiligo 
sèment  la  peau  de  taches  blanches  qui  se  heurtent  avec  le 
noir  et  caractérisent  les  nègres  pies.  Une  autre  variété  de 
ces  derniers  résulte  quelquefois  de  l'union  de  deux  noirs  ou 
d'un  nègre  et  d'une  femme  blanche.  Ou  peut  «lire  que  l'al- 
binie  congéniale  est  toujours  incurable,  et  que  la  vie  des  al- 
binos est  généralement  très-bornée  ;  cependant  on  cite  quel- 
ques raies  exceptions  à  cette  observation  générale. 

D"^  Alex.  Dlcrett. 

ALBIXOVAJVUS  (C.  Tedo),  contemporain  et  ami 
d'Ovide,  qui,  du  fond  de  son  exil  dans  le  Pont,  lui  adressa 
une  lettre,  se  distingua  dans  la  poésie  épiiiue.  D'un  grand 
poëmeoùil  célébrait  les  hauts  faits  de  Germanicus,  un 
petit  nombre  de  vers  seulement  sont  parvenus  jusqu'à  nous. 
\\  crnsdorf  les  a  recueillis  dans  son  édition  des  PoeLv  la- 
tiiii  minores  {it  vol.  in-i"  ).  On  lui  attribue  aussi  une  élégie 
<|iii  n'est  pas  sans  mérite.  Elle  est  intitulée  :  Consolatio  ad 
lAriam  Aiigustam,  de  morte  Drusï.  Beck  l'a  puljliée 
dans  son  recueil  (Leipzig,  1783). 

ALBINUS  (Decius  Clodius  Sfitimus),  général  des  ar- 
mées romaines  sous  Marc-Aurèle,  Commode  etPertinax, 
commandait  en  Bretagne,  lorsque  celui-ci  fut  assassiné.  A  la 
nouvelle  que  l'empire  avait  été  mis  aux  enchères  par  les  sol- 
dats, et  que  Didius  Julianus,  qui  en  avait  donné  le  plus  haut 
prix,  était  proclamé  césar,  Albinus,  Pescennius  Niger,  qui 
commandait  en  Orient,  et  Septime-Sévère  enlUyrie,  irrités 
de  leur  exclusion,  marchèrent  simultanément  sur  Rome  pour 
renverser  Didius.  Mais  Sévère  était  le  plus  près  ;  ce  fut  lui 
qui  l'emporta.  Apres  avoir  mis  à  mort  Didius  et  les  assas- 
sins de  Pertinax  ,  il  tourna  ses  armes  contre  ses  deux  com- 
liéliteiirs.  Pescemiius  fut  vaincu  à  Nicée ,  et  Albinus,  après 
qiiehpies  avantages,  futdéfait  complétementà  Lyon,  l'an  1  '.)7. 
Sévère,  devant  lequel  il  fut  amené  prisonnier,  lui  fit  tran- 
cher la  tète. 

ALBIXUS  (Bernhard-Siecfried),  né  le  24  février  1697, 
à  l"rancfort-sur-roder,  oii  résidait  alors  son  père,  liernliard 
ALRiNis  ,  dont  le  véritable  nom ,  latinisé,  suivant  l'usage  du 
temps,  était  Weiss,  et  qui  alla  ensuite  occuper  la  chaire  de 
médecine  à  l'Université  de  Leyde.  Après  avoir  suivi  les  le- 
çons de  son  père  et  celles  de  Rau ,  de  Bidloo  et  de  Boer- 
haave,  il  viulétudierà  Paris  l'anatomie  et  la  botanique  sous 
^Villslo^v,  Senac  et  Vaillant.  Dès  171!)  il  élait  appelé  à  oc- 
cuper la  chaire  d'anatomie  à  Leyde.  Après  la  mort  de  son 
père  (  1721  ),  il  le  remplaça  dans  sa  diaire  de  médecine  et 
d'anatomie,  et  devint  bientôt  l'une  de•^  gloires  de  l'école  de 
Leyde,  non-seulement  comme  prolesseuret  comme  écrivain, 
mais  encore  comme  praticien.  On  le  considérait  comme  lé- 
iniile  et  l'égal  de  Boerhaave,  et  il  ét:iiî  d'ailleurs  des  pre- 
miers à  rendre  hommage  à  la  simplicité  des  principes  de 
cet  oracle  de  la  médecine  moderne.  Son  amphithéâtre  ne  réu- 
nissait pas  .seulement  une  foule  d'étudiants ,  mais  attirait 
encore  de  toutes  les  parties  do  rEuro])e  un  grand  nombre  de 


—  ALBOIN 

médecins.  De  toutes  parts  les  malades  affluaient  autour  de 
lui  ou  le  consultaient  par  voie  de  correspondance.  On  rend 
universellement  justice  aux  services  qu'il  rendit  à  l'anatomie; 
et  ses  nombreux  ouvrages  occuperont  toujours  une  place 
honorable  dans  les  archives  de  la  science ,  parce  qu'il  y  mit 
constamment  le  soin  le  plus  consciencieux  ,  souvent  même 
le  plus  minutieux ,  ne  reculant  devant  aucune  espèce  de 
dépense  pour  les  porter  aussi  près  que  possible  de  la  per- 
fection. Nous  devons  surtout  mentionner  ici  ses  Tabulx 
sceleti  et  musculorum  corporis  huynuni  (Leyde,  1747, 
in-fol.),  ornées  de  magnifiques  planches  gravées  par  Wande- 
laar,  et  dont  la  publication  ne  lui  coûta  pas  moins  de  30,000 
florins.  Il  poursuivit  sans  relâche  ses  travaux  scientifiques 
et  littéraires  prescpie  jusqu'au  dernier  moment  de  sa  vie, 
et  mourut  le  9  septembre  1770.  — Son  frère,  Frédéric- 
Bernard  Albinus,  qui  lui  succéda  dans  sa  chaire,  et  qui 
mourut  en  177S,  bon  anatomiste  et  savant  physiologiste , 
ne  saurait  cependant  lui  être  comparé. 

ALBION,  ou  Britannia  major;  c'est  ainsi  que  les 
Romains  nommaient  l'île  qui  forme  aujourd'hui  l'Angle- 
terre et  l'Ecosse  ,  pour  la  distinguer  du  pays  qu'ils  appe- 
laient l?n/(7«nja  7H(?20J' (  aujourd'hui  la  Bretagne,  province 
francai.se).  Sprengel ,  dans  V Histoire  générale  de  la  Grande- 
Bretagne,  prétend  que  le  nom  d'Albion  est  d'origine  gal- 
lique ,  et  que  c'est  le  même  mot  qu'Alban  ou  Alhain ,  qui 
dans  la  langue  des  Highlanders  désigne  aujourd'hui  les  Hi- 
ghlands  d'Ecosse.  Cest,  selon  lui ,  le  pluriel  du  mot  Alp  ou 
Ailp  ,  qui  signifie  chaîne  de  rochers;  et  ce  nom  ,  dit-il ,  a 
été  donné  à  la  Grande-Bretagne ,  parce  que  les  côtes  d'An- 
gleterre, vues  du  rivage  opposé  de  la  Gaule  ou  France,  figu- 
rent une  longue  suite  de  roches  escarpées.  D'autres  croient 
que  le  nom  d'Albion  doit  son  origine  à  la  couleur  blanche 
des  roches  de  craie  qui  forment  le  rivage  méridional  de 
l'Angleterre. 

ALBITE  (du  latin  albidus,  blanchâtre ),  espèce  de 
feldspath  à  base  de  soude ,  dont  la  forme  primitive  est  un 
prisme  oblique  non  symétrique,  et  qui  offre  trois  clivages, 
non  à  angle  droit.  C'est  un  silicate  d'alumine  et  de  soude. 
L'albite  est  l'ancien  schorl  blanc  du  Dauphiné.  Les  pre- 
mières variétés  connues  étaient  toutes  d'un  blanc  mat  ou 
laiteux  ;  il  en  existe  aujourd'hui  de  plusieurs  couleurs. 

ALBITTE  (AsToiNE-Louis)  était  avocat  à  Dieppe 
lorsque  la  révolution  éclata.  Envoyé  à  l'Assemblée  législative, 
en  1791,  par  le  département  de  la  Seine-Inférieure,  il  se 
mêla  de  l'organisation  militaire,  demanda  la  démolition  de 
toutes  les  fortifications  des  villes  de  l'intérieur,  et  le  1 1  août 
1792  il  fit  décréter  le  renversement  des  statues  des  rois  et 
leur  remplacement  par  celle  de  la  Liberté.  Réélu  à  la  Con- 
vention, il  demanda  qu'on  vendît  les  biens  des  émigrés, 
vota  la  mort  de  Louis  XYI,  sans  appel  et  sans  sursis,  et  le 
215  mars  1793  il  lit  décréter  la  peine  de  mort  contre  les 
émigrés,  armés  ou  non  armés,  qui  souilleraient  de  leur 
présence  le  territoire  des  pays  envahis  par  les  Franç^iis. 
Envoyé  comme  commissaire  aux  armées  des  Alpes  et  d'Italie, 
il  fit  preuve  d'énergie  et  de  courage  au  siège  de  Toulon.  Il 
fut  ensuite  chargé  de  plusieurs  missions  dans  différents  dé- 
partements. Accusé  d'avoir  pris  part  au  mouvement  insur- 
rectionnel du  1'^'"  prairial,  Albitte  fut  condamné  à  mort  par 
contumace.  Après  l'amnistie  du  14  brumaire  an  IV,  ildevint 
maire  de  Dieppe,  et  ensuite  sous-inspecteur  aux  revues.  Il 
mourut  de  misère  en  1812,  dans  la  retraite  de  Moscou. 

ALBOIN,  roi  des  Lombards,  succéda,  en  l'an  561,  à 
son  père  Audoin.  Sa  domination  s'étendait  sur  la  Norique 
et  la  Pannonie,  pendant  que  Kunimund,  roi  des  Gépides, 
régnait  sur  la  Dacie  et  la  Syrmie,  et  que  Bajan  ou  Kagan, 
roi  des  Avares,  achevait  de  soumettre  les  contrées  que  re- 
présentent aujourd'hui  la  Moldavie  et  la  Valachie.  B  é  1  i  s  a  i  r  e, 
général  de  Juslinien,  rechercha  son  alliance,  et  fut  secondé 
par  lui  dans  la  guerre  ipi'il  eut  ii  soutenir  contre  loti  la, 
loi  des  Ostrogolhs.  Uni  aux  Avares,  il  vainquit  les  Gépides 


ALBOIN  — 

et  tua  Je  sa  propre  main  leiir  roi  Kuniiiiund,  dans  uno 
grande  baLtille  livrt'e  en  âC6.  A  la  mort  de  sa  leninie  Klo- 
doiMJiida,  il  opoiisa  Rosamunde  ,  fille  de  Kunimund,  qui 
se  trouvait  au  noml»e  de  ses  prisonniers,  lùn  l'an  ôGS  il  en- 
treprit avec  son  peuple  et  20,000  auxiliaires  saxons  la  con- 
quête de  l'Italie,  oii  Narsès,  qui  avait  soumis  cette  contrée 
à  Juslinienet  en  avait  été  fort  mal  récompensé,  trouva  en  lui 
un  vengeur.  Chaque  année  il  faisait  de  nouveaux  progrés 
dans  la  péninsule;  car  il  n'y  avait  qu'un  bien  petit  nombre  de 
villes  qui  osassent  lui  résister.  Après  un  siège  qui  avait  duré 
trois  ans,  Pavie  tomba  enfin  en  son  pouvoir.  Dans  l'ivresse 
d'une  fête  célébrée  à  Vérone,  ayant  présenté  du  vin  à  sa  fem- 
me dans  le  crâne  de  Kunimund,  celle-ci  le  fit  assassiner,  en 
574,  par  Helmicbis,  son  amant,  et  par  Peredecus.  Kosa- 
munde  se  réfugia  avec  Helmicliis  à  Ravenne  auprès  de 
l'exanjuc  grec  Longin.  Longin  s'étant  mis  sur  les  rangs  pour 
obtenir  sa  main,  Rosamunde  présenta  du  poison  à  Helmi- 
cbis; mais  HeJmichis,  pressentant  la  trahison,  la  contraignit 
à  boire  elle-même  le  restant  de  la  coupe  fatale. 

xVLBOX  (  Famille  d'  ).  Le  comté  d'Albon ,  après  avoir 
appartenu  aux  dauphins  du  Viennois  de  la  première  race, 
de^int  le  patrimoine  d'une  des  plus  anciennes  et  des  [ilus 
illustres  maisons  du  Dauphiné ,  qui  a  pour  premier  auteur 
André  d'Albon,  seigneur  des  Acris,  au  Mont  Dore,  vers  1250. 

Jacques  d'Alboi;  ,  seigneur  de  Saint-André,  maréchal  de 
France ,  issu  d'André  à  la  neuvième  génération,  fut  un  des 
plus  grands  capitaines  de  son  époque.  Il  est  devenu  célèbre , 
sous  le  nom  de  maréchal  de  Saint-André,  par  ses  exploits 
et  par  la  faveur  du  roi  Henri  II.  H  était,  disent  les  mémoires 
du  temps,  brave,  bien  tait ,  magnifique,  insinuant,  qualités 
qui  lui  acquirent  l'amitié  de  ce  prince  encore  dauphin.  Saint- 
André  se  distingua  à  la  bataiHe  de  Cerisoles  et  au  siège  de 
Boulogne ,  pendant  lequel  il  fit  d'inutiles  efforts  pour  se 
jeter  dans  la  place.  Henri  n  l'honora ,  en  1547,  de  la  dignité 
de  maréchal  de  France ,  puis  de  celle  de  premier  gentil- 
tiomme  de  sa  chambre.  Il  commandait  à  la  bataille  deRenty, 
et  en  1557  à  celle  de  Saint-Quentin,  où  il  fut  fait  prisonnier 
«  l'épée  sanglante  à  la  main,  »  La  journée  de  Dreux,  en 
1562  ,  lui  fut  encore  plus  funeste.  Après  l'action,  s'étant  mis 
avec  trop  d'ardeur  à  la  poursuite  des  fuyards,  son  cheval 
s'abattit,  et  un  gentilhomme  huguenot ,  l'ayant  reconnu,  lui 
caisa  la  tôte  d'un  coup  de  pistolet.  C'était  le  dernier  rejeton 
de  la  branche  cadette  de  la  maison  d'Albon. 

André-Suzanne,  marquis  d'Albon,  issu  d'une  autre  bran- 
che héritière  de  la  seigneurie  d'Yvetot,  dont  les  possesseurs 
avaient  porté  quelque  temps  le  titre  pompeux  de  roi ,  na- 
quit à  Lyon,  le  15  mai  1761.  De  retour  de  l'émigration  en 
1801 ,  il  vécut  dans  la  retraite  jusqu'en  1813,  époque  où 
il  fut  nommé  maire  de  Lyon  par  l'empereur.  Lors  des  évé- 
nements de  1814  il  se  déclara  un  des  premiers  contre  son 
nouveau  protecteur,  et  refusa  des  armes  aux  bourgeois  qui 
voulaient  défendre  leur  ville  contre  les  armées  autrichien- 
nej.  Nommé  membre  de  la  chambre  des  députés  en  1816, 
il  y  vota  constamment  avec  la  majorité ,  et  se  montra  l'un 
des  pins  chauds  partisans  de  la  loi  contre  les  régicides.  L'exa- 
gération de  ses  principes  ayant  fait  repousser,  en  1817,  sa 
nouvelle  candidature  ,  il  resta  éloigné  des  affaires  politiques 
jusqu'en  1827,  où  une  ordonnance  en  date  du  5  novembre 
l'appela  à  la  pairie.  Éliminé  de  la  chambre  haute  par  la  ré- 
volution de  juillet,  il  alla  mourir  à  Avauge,  près  Tarare,  en 
1834.  Il  avait  épousé  la  fille  unique  du  marquis  de  Vien- 
nois, dernier  descendant  mâle  d'Amédée  de  Viennois,  fils 
naturel  de  Humbert  H  de  la  Tour-du-Pin,  qui  avait  cédé 
le  Dauphiné  à  Philippe  de  Valois  en  1344.  De  ce  mariage 
il  a  laissé  trois  fils. 

ALBOM  (  Marietta  ),  comtesse  de  PEPOLI,  célèbre 
cantatrice,  est  née  en  1824,  à  Cesena,  dans  laRomagne.  Son 
père  lui  fit  donner  une  éducation  soignée,  et  elle  parle  plu- 
sieurs langues  avec  facilité.  Un  musicien  de  sa  ville  natale  lui 
donna  les  premières  leçons  de  solfège.  A  onze  ans  elle  savait 


ALBORNOZ 


263 


!  liretoutcmusiqucâ  première  vue.  Ses  parents  l'ayant  conduite 
plus  tard  à  Bologne,  la  présentèrent  à  Rossini,  qui  après 
l'avoir  entendue  ,  lui  conseilla  de  recommencer  ses  études 
de  chant,  et  lui  donna  à  ce  sujet  des  conseils  et  des  leçons. 

Mademoiselle  Alboni  avait  à  peine  quinze  ans  quand  elle 
débuta  à  Bologne,  au  théâtre  communal.  De  là  elle  passa 
sur  la  vaste  scène  délia  Scala,  à  Milan ,  et  le  retentissement 
de  ses  triomphes  d'Italie  la  conduisit  bientôt  en  Allemagne, 
en  Russie,  en  Angleterre,  où  elle  balança  les  succès  de  ma- 
demoiselle Jenny  Lind.  Un  dernier  bonheur  lui  manquait 
pourtant,  c'était  l'approbation  parisienne.  Elle  débuta  à 
notre  grand  Opéra  au  mois  d'octobre  1847,  mais  seulement 
dans  des  concerts.  Elle  passa  ensuite  au  Théâtre  Italien, 
où  elle  joua  te  rôle  d'Arsace,  dans  Semiramide.  Depuis  elle 
a  paru  alternativement  sur  l'une  et  l'autre  scène. 

«  La  voix  de  mademoiselle  Alboni,  disait  M.  Berlioz,  est 
un  contr'alto magnifique ,  d'une  immense  étendue  (deux  oc- 
taves et  une  sixte  ;  presque  trois  octaves ,  du  mi  grave 
à  I'm^  aigu),  dont  la  sonorité  est  parfaite  partout,  même 
dans  les  dernières  notes  du  registre  inférieur,  notes  fâ- 
cheuses chez  la  plupart  des  cantatrices  qui  croient  posséder 
un  contr'alto,  et  dont  l'émission  a  presque  toujours  l'air 
d'un  râlement ,  notes  hideuses  en  ce  cas ,  et  qui  révoltent 
l'oreille.  La  vocalisation  de  mademoiselle  Alboni  est  d'une 
grande  légèreté ,  peu  de  soprani  se  montrent  aussi  agiles. 
Les  registres  de  sa  voix  sont  si  parfaitement  unis  entre  eux, 
que  dans  les  gammes  on  ne  sent  jamais  le  passage  d'un  re- 
gistre à  l'autre  ;  le  timbre  en  est  onctueux ,  caressant,  ve- 
louté, mélancolique,  comme  celui  de  tous  les  contr'alti,  mais 
moins  sombre  cependant  que  celui  du  contr'alto  de  la  Pisa- 
roni  et  incomparablement  plus  pur  et  plus  limpide.  Comme 
les  sons  naissent  sans  effort,  cette  voix  est  propre  à  toutes 
les  nuances  ;  aussi  mademoiselle  Alboni  peut-elle  chanter 
depuis  le  piano  le  plus  mystérieux  jusqu'au /or^e  le  plus 
éclatant.  » 

En  1850  M"«  Alboni  joua  le  rôle  de  Fidès,  du  Prophète, 
après  M™^  Viardot,  à  l'Opéra.  Elle  fit  ensuite  un  voyage  à 
Madrid.  L'année  suivante  elle  obtint  un  grand  succès  à  Paris, 
dans  la  Favorite,  et  créa  le  rôle  de  Zerline  dans  la  Corbeille 
d'oranges  de  M.  Auber.  En  1852  elle  visita  l'Amérique,  et  en 
1853  elle  épousa  le  comte  Pepoli.  Elle  a  encore  obtenu  de 
nombreux  succès  à  Londres  et  à  Paris  dans  il  Barbiere, 
la  Gazza  ladra,  don  Juan,  la  Doua  del  Lago,  la  Cene- 
reniola,il  Trovatore,l' Italiana  in  Algeri,  il  Giuramento, 
il  Matrimonio  segreto,  etc.  Simple  et  gaie  de  caractère, 
elle  a  su  se  faire  aimer  de  ses  camarades  ;  un  peu  trop  de 
santé  nuit  peut-être  maintenant  à  son  jeu,  mais  la  beauté 
de  sa  voix  efface  tout.  L.  L. 

ALBORAK,  mot  arabe  qui  signifie ;e^er  des  éclairs. 
C'est  le  nom  de  la  jument  miraculeuse  sur  laquelle  Mahomet 
monta  de  la  Mecque  au  ciel,  à  ce  qu'assurent  les  musul- 
mans. Ils  ajoutent  à  cette  merveilleuse  légende  que  le  divin 
quadrupède  était  pourvu  d'ailes  ;  qu'il  avait  la  face  humaine; 
qu'à  la  faculté  de  penser  il  unissait  celle  de  parler;  enfin, 
que  sa  robe  était  toute  scintillante  de  diamants,  de  rubis 
et  d'émeraudes.  —  Ce  nom  à^Alborak  fut  donné  au  mer- 
veilleux animal,  soit  à  cause  de  son  éblouissante  blancheur, 
soit  à  cause  de  l'incroyable  vitesse  dont  il  était  doué,  et 
qui  était  telle  qu'il  put  conduire  Mahomet  au  ciel  et  le  ra- 
mener sur  la  terre  en  moins  de  temps  encore  qu'il  ne  nous 
on  faudrait  pour  remuer  l'œil. 

ALBORDJ.  Voyez  Elbours, 

ALBORXOZ  (Gilles-Alv\rez-Carillo),  issu  par  son 
père  des  rois  de  Léon  et  par  sa  mère  de  ceux  de  Castille, 
naquit  à  Cuenza,  dans  le  royaume  de  Tolède ,  et  fut  promu, 
très-jeune  encore,  au  siège  archiépiscopal  de  Tolède,  par 
Alphonse  XI.  Après  avoir  étudié  à  Toulouse  le  droit-canon, 
il  avait  déjàélé  nommé  archidiacre  à  Tolède,  puis  aumônier 
de  la  cour,  lorsque  ces  hautes  fonctions  lui  furent  confiées. 
Albornoz  esttont  à  fait  le  type  du  prélat  guerrier  au  moyen 


264  ALBORNOZ 

A^fl.  C'est  ainsi  que  nous  le  voyons  suivre  le  roi  sonprotec- 
tuiir  dans  ses  campagnes  conlre  les  Maures,  et  lui  sauver 
la  vie  par  sa  bravoure  et  sa  présence  d'esprit  à  la  baLiille  de 
Tarifa,  action  d'éclat  en  récompense  de  laquelle  'Alphonse 
l'arma  chevalier.  Plus  tard  il  lui  confia  la  direction  du  sii^ge 
d'AlKésiias.  Sous  le  règne  de  Pierre  le  Cruel,  successeur  d'Al- 
phonse XI,  Albornoz  ne  jouit  pas  de  la  même  faveur;  et  ayant 
o>é  blûmcr  la  conduite  dissolue  de  ce  prince,  il  dut  se  ré- 
fugier, en  1350  ,  à  Avignon,  auprès  du  pape  Clément  VI,  qui 
le  nomma  cardinal  dès  la  même  année.  Innocent  AI,  succes- 
seur de  Clément  VI,  mit  à  profit  les  talents  guerriers  d'Al- 
bornoz,  et  le  chargea  de  reconquérir  les  États  de  l'Église; 
entreprise  aussi  hardie  que  périlleuse ,  mais  qui  réussit  com- 
plètement, grice  au  soin  qu'avait  eu  Albornoz  d'intéresser 
à  son  succès  le  fameux  tribun  Colas  Rienzi,  qu'il  ramena 
avec  lui  d'Avignon  à  Rome,  où  il  fut  reçu  avec  enthousiasme. 
Montetiascone,  Vitcrhe,  Orvieto,  étaient  déjà  tombés  en  son 
pouvoir,  lorsque  Albornoz  se  vit  rappelé  à  Avignon  (1.357  ). 
Son  successeur  perdit  bien  vite  tous  les  avantages  obtenus  par 
Albornoz. Celui-ci,  remis  à  la  tète  des  troupes  pontificalas, 
eut  bientôt  rétabli  les  affaires,  et,   moins  de  trois  mois 
après ,  la  conquête  et  la  pacification  des  Élats  de  l'Église 
étaient  si  complètes,  qu'il  put  engager  Urbain  V,  successeur 
d'Innocent  VI,  à  reprendre  la  route  d'Italie  et  à  rétablir  à 
Rome  le  séjour  de  la  cour  pontificale.  Albornoz  mourut 
à  Viterbe  en  1307. 
ALBOUIS.  Voi/ez  Dazincolrt. 
ALBRECUTSBERGER  (  Jew-Georces),  l'un  des 
plus  savants  contrepointistes  des  temps  modernes,  naquit 
le  3  février  1729  à  KIosterNeubourg  près  de  Vienne,  et 
eut  pour  maître  d'accompai;nement  et  de  composition  l'or- 
ganiste de  la  cour,  Mann.  Après  avoir  rempli  les  fonctions 
d'organiste  à  Raab,  puis  à  Maria-Taferl,  et  plus  tard  à  Mœlk; 
il  fut  nommé  en  1772  organiste  de  la  cour  et  membre  de 
l'Académie  de  musique,  et  en  1792  maître  de  chapelle  de 
Saint-Étienne  à  Vienne  ,  où  il  mourut  le  7  mai  1809.  Beetho- 
ven et  le  chevalier  de  Seyfried  furent  au  nombre  de  ses 
élèves  pour  le  contrepoint.  Ses  nombreuses  compositions 
de  musique  religieuse,  dont  vingt-sept  seulement  ont  été 
imiirimées,  et  son  Traité  de  Composition  (Leipzig,  1790, 
troisième  édition,  1821  ),  conserveront  toujours  une  grande 
valeur.  Ses  ouvrages  théoriques  sur  la  basse  générale,  les 
principes  d'harmonie,  etc.,  ont  été  publiés  par  le  chevalier 
de  Se\fried  (3  vol.;  Vienne,  1826). 

ALBREDA,  ancienne  factorerie  française  ou  comptoir 
situé  sur  la  rive  septentrionale  de  la  rivière  Gambie  (côte 
occidentale  d'Afrique),  a  été  cédée  par  l'empereur  des 
Française  la  reine  de  la  Grande-Bretagne,  en  vertu  d'une 
convention  du  7  mars  1857,  en  échange  de  la  renonciation  de 
la  part  des  Anglais  du  droit  de  trafiquer  depuis  l'embouchure 
de  la  rivière  Saint-Jean  jusqu'à  la  baie  et  au  fort  de  Portendic 
inclusivement.  Z. 

ALBRET,  dynastie  qui  a  régné  sur  la  Navarre.  Elle 
tire  son  nom  du  château  d'Albret,  dans  le  diocèse  de  Bazas, 
et  remonte  jusqu'à  fan  1050,  époque  où  vivait  un  Amanieu, 
seigneur  de  ce  fief.  Jean  d'Albret  II,  le  quinzième  seigneur 
de  cette  maison,  épousa  Catherine,  petite-fille  de  Gaston  IV, 
comte  de  Foix  et  de  Bigorre,  et  roi  de  Navarre  par  son  ma- 
riage avec  la  reine  Éléonore.  Catherine  apporta  ce  royaume 
en  dot,  l'an  1484,  à  son  époux,  Jean  d'Albret,  qui  fut 
couronné  à  Pampelune,  le  10  janvier  1494.  Ferdinand  V, 
roi  d'Aragon  et  de  Castille,  après  l'avoir  longtemps  amusé 
par  des  négociations  sans  résultat,  manifesta  tout  à  coup 
son  dessein  secret  de  s'emparer  de  la  Navarre.  Leduc  d'Albe 
chassa  Jean  d'Albret  de  sa  capitale,  en  juillet  1512.  Le  roi 
de  France  Louis  XII,  dont  ce  malheureux  prince  vint  à 
Paris  implorer  le  secours,  y  envoya  le  duc  de  Valois,  qui 
fut  depuis  François  1".  Les  deux  princes  parurent  un  mo- 
ment devant  Pampelune;  mais  une  nouvelle  armée  de  Fer- 
dinand .e  Catiiolique  leur  en  fit  lever  le  siégo,  et  Jean  d'Al- 


—  ALBUM 

j  bret ,  abandonné  par  la  France,  fut  réduit  h  la  partiede  ses 
États  qui  était  en  deçà  des  Pyrénées.  Le  chagrin  termina  sa 
vie;  il  mourut  au  mois  de  juin  Ijlo  ,  et  Calherine  lui  sur- 
vécut à  peine  huit  mois.  —  Henri  H ,  l'alné  de  leurs 
quatorze  enfants,  succéda  au  titre  de  roi  de  Navarre  sous  la 
protection  de  François  I".  11  tenta  de  reprendre  Pampelune; 
mais  .son  général  fut  battu  par  le  général  de  Charles-Quint, 
et  la  Navarre  espagnole  resta  sous  la  domination  de  ce 
prince.  Henri  II  alla  se  faire  prendre  à  la  bataille  de  Pavie; 
mais,  plus  heureux  que  François  I",  il  se  sauva  de  sa 
prison,  épousa,  en  152G,  Marguerite  de  Valois,  et  mourut 
à  Pau  en  Béarn  ,  en  1555,  à  l'âge  de  cinquante-trois  ans. 

—  Jeanne  d'Albret,  fille  unique  de  Henri  H,  épousa  en 
1548  Antoine  de  Bourbon,  et  fut  la  mère  de  Henri  III,  qui 
devint  notre  Henri  IV.     Viennet,  de  l'Académie  française. 

ALBRIZZl  (Isabelle  THÉOTOKI,  comtesse  d'),  sur 
nommée  par  lord  Byron  «  la  M""^deStaèl  de  Venise,  »  née  à 
Corfou  en  1770,  morte  à  Venise  en  1836,  a  publié  des  Ai- 
iratti  ou  portraits  de  ses  contemporains  (Brescia,  1807), et  les 
Opère  di  plastica  di  Canova  (  1 822  ).  Elle  était  veuve  de  Ma 
rino  lorsqu'elle  épousa  le  comte  Joseph  Albrizzi.  Z. 

ALBUFÉRA,  lac  poissonneux  assez  considérable,  qui 
cependant  se  dessèche  en  partie  et  forme  une  espèce  de 
marais  pendant  l'été.  Il  est  situé  au  nord  de  la  ville  de  Va- 
lence en  Espagne,  et  communique  avec  la  mer  Méditerra- 
née au  moyen  d'un  canal  étroit.  C'est  de  ce  lac  que  vient  le 
titredediic  d'Albuféra  que  reçut  le  maréchal  Suc het  pour 
avoir  enfermé  et  fait  prisonnier  dans  Valence  le  général 
anglais  Blake,  après  un  combat  livré  près  de  ce  lac.  Valence, 
ouvrit  ses  portes  aux  Français  le  9  janvier  1812. 

ALBUFÉRA  (Duc  d').  Voyez  Suchet. 

ALBUGIXÉE  (  Membrane  ).  On  donne  ce  nom  ,  ou 
celui  de  membrancfibreuse  ou  péritestc ,  à  une  membrane 
analogue  à  la  sclérotique,  forte,  très -résistante,  d'un  blanc 
opaque,  d'un  tissu  serré  et  fibreux,  qui  enveloppe  immé- 
diatement le  testicule.  Sa  surface  externe  est  tapissée  par 
la  tunique  vaginale,  et  l'interne,  appliquée  sur  le  paren- 
chyme du  testicule,  lui  envoie  des  prolongements  filiformes 
ou  aplatis,  qui  se  dirigent  tous  vers  le  bord  supérieur  de  cet 
organe,  et  partagent  l'intérieur  de  la  tunique  albuginée  en 
plusieurs  loges  triangulaires  occupées  par  les  vaisseaux  sé- 
minifères. 

ALBUGO  (  du  latin  albus,  blanc).  On  désigne  sous  ce 
nom  une  tache  blanche  et  opaque  ayant  son  siège  sur  une 
partie  de  la  cornée  transparente  de  l'œil.  Cette  tache,  va- 
riable dans  sa  forme,  est  plus  dense  au  centre  qu'à  la  circon- 
férence ;  elle  est  bleuâtre  quand  elle  commence  à  paraître, 
et  blanchâtre  quand  elle  est  tout  à  fait  formée.  L'albugo  est 
produit  par  l'cpaississement  de  la  muqueuse  conjonctive 
qui  ta|)isse  la  cornée,  ou  par  l'épanchement  d'un  liquide 
qui  se  coagule  entre  les  lames  de  la  cornée.  Il  arrive  sou- 
vent à  la  suite  d'une  ophlhalmie  violente;  dans  certaines 
maladies,  comme  la  syphilis,  les  dartres,  les  scrofules,  on 
l'a  vu  se  développer  spontanément.  Lorsque  la  tache  existe 
à  la  partie  superficielle  de  la  cornée,  on  la  nomme 
leucoma.  L'albugo  est  connu  aussi  généralement  sous  le 
nom  de  taie. 

ALBUilERA  ou  ALBUERA,  bourg  d'Estramadure, 
est  célèbre  parla  bataille  qui  se  livra  sous  ses  murs,  le  16  mai 
1811,  entre  le  maréchal  Beresford,  à  la  tète  d'une  armée 
(le  trente  mille  .\nglais,  Espagnols  et  Portugais,  et  le  maré- 
chal S  ouït,  qui  n'avait  guère  que  vingt-cinq  mille  hommes 
sous  ses  ordres,  mais  qui  compensait  cette  infériorité  nu- 
mérique par  une  artillerie  formidable.  Le  marchai  Soult 
voulait  faire  lever  le  siège  de  Badajoz,  aux  Anglais;  mais  il 
dut  battre  en  retraite  sur  Séville,  après  avoir  perdu  neuf 
mille  hommes.  Lesconfedérés  n'évaluèrent  leur  propre  perte 
qu'à  sept  mille  hommes. 

ALBUM.  Ce  mot,  chez  les  Romains,  désignait  des  fa- 
blettes  blanches  sur  lesquelles  on  écrivait  des  renscign&. 


y^ 


ALBUM  —  ALBUQUERQUE 


2  G. 


meiits  oflkiels.  Ou  distinguait  ces  tablettes  les  unes  des  an- 
tres par  le  nom  des  diverses  autorités  :  par  exemple,  l'a/- 
bum  pon///à'Mm  était  la  chronique  de  l'État.  C'est  pourquoi 
le  mot  album  sert  aussi  à  désigner  les  mafricules  ou  re- 
gistres sur  lesquels  on  inscrit  les  noms  des  personnes  qui  font 
partie  d'une  association  quelconque,  d'un  corps  de  troupes, 
d'une  corporation  ou  communauté  ;  puis  les  tables  d'an- 
nonces^ ou  planches  noires  des  universités,  et  les  Stariim- 
buch,  proprement  dits  livres  généalogiques,  ou  recueils  de 
souvenirs.  —  Un  album  est  une  sorte  de  portefeuille ,  très- 
commun  en  Allemagne  et  dans  le  nord  de  l'Europe,  en 
Suisse,  en  Angleterre,  etc.,  composé  de  feuilles  détachées, 
reliées  souvent  avec  beaucoup  de  luxe  et  d'élégance,  sur 
lesquelles  les  personnes  que  Ton  désire  pouvoir  se  rappeler 
écrivent  leurs  noms  ,  des  pensées  en  prose  ou  en  vers,  des 
romances  et  des  airs  notés,  peignent  des  portraits  ou  des 
fleurs,  dessinent  des  paysages,  des  sites  curieux,  dos  monu- 
ments remarquables,  ou  bien  placent  des  ouvrages  en  che- 
veux, en  broderie,  etc.,  et  consacrent  ainsi ,  d'une  manière 
plus  ou  moins  expressive  et  ingénieuse,  leurs  sentiments  ou 
leurs  souvenirs.  — L'a/ÔMm  et  l'agenda  sont  deux  sortes 
de  livrets,  dont  la  destination  est  très-différente.  —  Valbum 
est  le  livre  du  passé;  c'est  un  mémorial,  dépôt  de  souve- 
nirs, qui  fait  passer  rapidement  en  revue  les  personnes  que 
l'on  a  connues,  que  l'on  a  aimées ,  les  lieux  que  l'on  a  par- 
courus. M.-A.  JCLLIEN,  de  Paris. 
ALBUMAZAR.  Voyez  Aboo-Maschar. 
ALBUilEA',  nom  latin  du  blanc  d'œuf.  —  En  bota- 
nique, ce  mot  est  synonyme  d  'endosper  me. 

ALBUAIIAE  (du  latin  albumen,  blanc  d'œuf).  Cette 
.substance,  qui  forme  presque  à  elle  seule  le  blanc  d'œuf,  fait 
partie  constituante  de  nos  tissus,  en  particulier  du  sang; 
l'humeur  vitrée  de  l'œil  n'est  presque  formée  que  d'albu- 
mine. On  en  troure  en  quantité  plus  ou  moins  grande  dans 
la  synovie  articulaire, dans  l'eau  de  l'Iiydrocèie,  de  l'ascite, 
de  plusieurs  kystes,  dans  les  tissus  blancs  en  général,  dans 
les  muscles,  etc.  L'urine  en  contient  dans  la  néphrite 
albu  mineuse.  Quelques  chimistes  modernes  regardent 
l'albumine  comme  l'équivalent  de  la  fibrine. 

L'albumine  liquide  est  visqueuse,  transparente,  incolore, 
plus  {»esante  que  l'eau,  dans  laquelle  elle  semble  soluble, 
légèrement  alcaline  à  cause  de  la  petite  portion  de  soude 
qu'elle  contient  :  à  la  températiu-e  de  -|-  74°  cent,  elle  se 
coagule:  elle  est  alors  solide,  blanche,  insoluble  dans  l'eau 
et  soluble  dans  les  alcalis  et  dans  l'acide  acétique.  Desséchée 
au  soleil,  elle  fournit  une  masse  jaunâtre,  parfaitement 
soluble  dans  l'eau  froide.  Les  acides  un  peu  forts ,  excepté 
les  acides  phosphorique  et  acétique,  se  combinent  avec  elle, 
et  donnent  lieu  à  des  précipités.  M.  Melsens  l'a  coagulée  par 
des  actions  mécaniques. 

L'albumine  du  blanc  d'œuf  est  composée,  selon  RL  Dumas, 
de  5,337  de  carbone,  7,10  d'hydrogène,  de  15,77  d'azoto, 
23,76  d'o>ygène,  etc.  L'albumine  du  sérum  de  l'homme 
contient  0,05  de  moins  de  carbone,  0,19  de  plus  d'hydro- 
gène, 0,07  de  moins  d'azote  ,  et  0,07  de  moins  d'oxygène. 
L'albumine  de  la  farine  contient  0,37  de  carbone  de  plus 
que  celle  du  blanc  d'œuf,  0,01  de  plus  d'hydrogène,  0,11  de 
moins  d'azote ,  et  0,26  de  moins  d'oxygène  :  l'albumine  de 
l'œuf  renferme  en  outre  du  mucus,  de  la  soude  et  du  soufre. 
L'albumine  est  employée  comme  aliment  léger  dans  cer- 
taines maladies,  dans  les  convalescences,  dans  les  gastrites 
chroniques.  Dans  ce  dernier  cas ,  on  prépare  des  blancs 
d'œuf  très-frais,  en  les  écrasant  et  en  les  faisant  passer  par 
un  filtre,  afin  de  séparer  l'albumine  de  la  rnembranule  al- 
véolaire qui  la  renferme  dans  les  œufs;  on  la  délaye  dans  de 
l'eau  ou  dans  du  bouillon  froid.  On  peut  aussi  édulcorer  la 
solution  aqueuse  et  la  donner  comme  tisane.  A  l'extérieur 
l'albumine  est  plus  souvent  employée  en  médecine.  On  s'en 
servril  autrefois  dans  le  traitement  des  fractures  par  l'appa- 
reil inamovible,  oii  on  Li  iem|)lace  aujourd'hui  par  l'amidon 
Li.i-i.  hi.  L.\  c^;.^vtllbAllo^■.  —  i.  i. 


ou  la  dextriiie.  Dans  le  premier  pansement  des  biftlures,  on 
se  sert  utilement  du  blanc  d'unif  battu,  dans  lequel  on  mêle 
de  l'alun  en  |)Oudre  ou  de  l'acétate  de  plomb  liquide;  des 
linges  sont  trempés  dans  ce  mélange,  et  appliqués  sur  les 
parties  malades.  L'albumine  est  encore  employée  dans  les 
arts  ;  les  pharmaciens,  les  raffineurs  et  les  confiseurs  s'en 
servent  pour  clarifier  à  chaud  ou  à  froid  différentes  li(|ueurs  : 
à  chaud,  l'albumine  se  coagule  et  entraîne  avec  elle  les  im- 
puretés ;  h  froid  ,  elle  est  coagulée  par  le  tannin,  et  le  même 
phénomène  est  produit.  Les  relieurs  se  servent  de  l'albumine 
pour  vernir  les  livres. 

[En  soumettant' les  liquides  albumineux  à  l'épreuve  de 
l'endosmomètre,  MM.  Mialhe  et  Pressât  ont  reconnu  que 
l'albumine,  franche  de  toute  altération,  ne  passait  jamais 
d'une  cellule  dans  l'autre,  d'où  ils  ont  conclu  que  l'albumine 
du  sang,  comme  celle  du  blanc  d'œ-uf,  est  une  suhstancii 
véritablement  organisée,  suspendue,  mais  non  dissoute  dans 
l'eau  qui  lui  sert  de  véhicule.  Cependant,  pour  entrer  dans 
l'économie,  il  faut  que  l'albumine  passe  à  l'état  liquide;  elle 
se  transformerait  alors  en  une  substance  isomérique  que 
MM.  Mialhe  et  Pressât  nomment  albumïnose.  Pour  cette 
transformation,  l'albumine  passerait  d'abord  par  un  état 
moyen  dans  lequel  déjà  soluble  elle  constituerait  l'albumine 
amorphe.  Sous  ces  trois  états  isomériques,  l'albumine  aurait  la 
môme  composition  chimique,  mais,  bien  que  toujours  pré- 
cipitable  par  les  sels  de  plomb,  d'argent,  de  mercure,  par 
la  créosote,  le  tannin,  l'alcool,  etc.,  l'albumine  se  laisse- 
rait distinguer  sous  ces  états  divers  par  la  manière  dont 
elle  se  comporte  avec  la  chaleur  et  l'acide  nitrique.  Le 
passage  de  l'albumine  dans  les  urines  aurait  ainsi  sa  cause 
dans  une  modification  anormale  de  l'albumine  du  sang 
plutôt  que  dans  une  affection  spéciale  des  reins.  Z.] 

ALBOII\URIE.  Voyez  Néphrite  albumineuse, 
ALBUQUERQUE  (Alphonse  d'),  vice-roi  des  Indes, 
surnommé  le  Grand  et  le  Mars  portugais,  naquit  à  Lis- 
bonne, en  1463,  d'une  famille  issue  du  sang  royal.  Sa  na- 
tion se  distinguait  dans  ce  siècle  par  son  héroïsme  et  par  le 
génie  des  découvertes  ;  elle  avait  découvert  et  soumis  une 
grande  partie  de  la  côte  occidentale  de  l'Afrique,  et  commen- 
çait aussi  à  étendre  sa  domination  sur  les  mers  et  sur  les 
peuples  de  l'Inde.  Alhuquerque,  nommé  vice-roi  de  ces 
nouvelles  possessions,  aborda  le  26  septembre  1503,  avec  une 
Hotte  et  quelques  troupes,  sur  la  côte  de  Malabar,  conquit 
Ooa,  doHt  il  fit  le  centre  de  la  domination  portugaise  et  du 
commerce  en  Asie.  Il  soumit  ensuite  tout  le  Malabar,  l'ile 
de  Ceyian,  les  lies  de  la  Sonde  et  la  presqu'île  de  Malacca. 
En  1507  il  s'empara  de  l'île  d'Ormus,  à  l'entrée  du  golfe 
Persique.  Lorsque  le  roi  de  Perse  fit  réclamer  le  tribut  que 
les  princes  de  cette  lie  avaient  acquitté  jusque-là,  Alhuquer- 
que présenta  aux  envoyés  une  balle  et  un  sabre,  et  leur  dit  : 
«  Voilà  en  quelle  monnaie  le  Portugal  paye  son  tribut.  »  Il 
fit  respecter  le  nom  portugais  par  tous  les  peuples  et  par  tous 
les  princes  de  l'Inde  ;  et  plusieurs ,  en  particulier  les  rois  de 
Siam  et  de  Pégou ,  recherchèrent  son  allianceet  sa  protec- 
tion. En  1513  il  fit  une  expédition  dans  l'Arabie  Heureuse  ; 
mais  il  échoua  ,  et  ne  fut  pas  plus  heureux  lorsqu'il  renouvela 
une  seconde  tentative  contre  Ad  en.  Toutes  ses  entreprises 
avaient  quelque  chose  de  grand  et  d'extraordinaire.  Il  main- 
tenait une  sévère  discipline  dans  son  armée  ;  il  était  actif, 
prévoyant,  sage,  humain,  équitable,  estimé  et  craint  de  ses 
voisins,  aimé  de  ses  sujets.  Ses  vertus  firent  une  telle  im- 
pression sur  les  Indous,  que  longtemps  encore  après  sa 
mort  ils  se  rendaient  en  pèlerinage  à  son  tombeau  pour  hii 
demander  son  assistance  contre  les  vexations  de  ses  suc- 
cesseurs. Malgré  la  grandeur  de  ses  services ,  il  ne  put 
échapper  à  l'envie  des  courtisans  et  à  la  défiance  du  roi 
Emmanuel,  qui  envoya  Lopez  Soarez,  ennemi  personnel 
d'Albuquerque,  pour  lui  succéder  dans  le  poste  de  vice-roi. 
Il  supporta  cette  ingratitude  avec  un  profond  chagrin,  écri- 
vit une  courte  lettre  au  roi  pour  lui  rccooimander  tou 

34 


•266 

tils  unique,  et  mourut  quelques  jours  après  à  Goa  ,  l'an 
1515.  Emmanuel  lionora  sa  mémoire  par  un  long  repentir 
et  éleva  le  fils  d'Albuquerque  aux  premières  dignités  de 
l'État.  —  Le  fils  du  grand  Albuquerquc,  Z?/aJ5e-^l^p/ionse 
d'Alblqlerque,  a  publié  les  mémoires  de  son  père  (  Lis- 
bonne ,  1570,  in'fol.). 

ALBUS  ou  Pfennig  blanc,  petite  monnaie  d'argent  qui 
fut  frappée  à  partir  de  l'an  1360,  sous  le  règne  de  l'empereur 
Charles  IV,  et  qui  avait  surtout  cours  dans  l'électorat  de 
Cologne  et  dans  la  Hesse-Cassel.  Elle  valait  neuf  pfennigs, 
mais  n'e;;t  plus  aujourd'Inii  en  wage. 

ALCAliALA  ou  ALCAVALA,  tribut  prélevé  sur  le 
prix  des  ventes  publiques  en  Espagne  et  dans  les  pays  de 
la  domination  espagnole.  Il  fut  pour  la  première  fois  voté 
par  les  États  de  Castille  à  Alcala  de  Ilénarès,  en  faveur  du 
roi  Alphonse  II,  vers  l'an  1.130.  Cet  impôt  ne  devait  servir 
qu'à  la  conquête  de  la  ville  d'Algésiras,  puis  à  la  guerre 
contre  les  Maures  ;  mais  il  devint  ensuite  permanent  et  fut 
basé  sur  le  dixième  du  prix  de  toutes  les  marchandises. 

ALCADE  (en  espagnol  a /crtWe),  mot  dérivé  de  l'a- 
rabe al  cadh,  le  cadi,  qui  sert  à  désigner  en  Espagne  des 
magistrats  qui  ont  remplacé  le  cadi  musulman  après  l'ex- 
pulsion des  Maures.  Les  attributions  des  alcades  sont  à  la 
fois  de  l'ordre  civil  et  de  l'ordre  judiciaire.  Il  y  en  a  de  plu- 
sieurs sortes.  Les  principaux  sont  les  alcades  nommés  par 
voie  d'élection  dans  les  villes.  Ce  sont  des  espèces  de  juges 
et  d'officiers  municipaux.  Us  portent  comme  marque  de  leurs 
fonctions  une  longue  baguette  blanche  ornée  d'une  main 
d'ivoire.  Il  y  a,  en  outre,  Y  alcade  de  casa  cor  te  y  rastro , 
alcade  de  la  maison  et  cour  du  roi  ;  Yalcade  de  obras  y 
bosques,  alcade  des  bâtiments  et  forêts,  avec  juridiction 
civile  et  criminelle  sur  les  maisons  et  forêts  royales  hors  de 
Madrid  ;  Yalcade  de  noche,  alcade  de"nuit  ;  Yalcade  alamin, 
juge  pour  les  arts  et  métiers  ;  Yalcade  de  la  inesta,  nommé 
pour  connaître  des  contestations  qui  peuvent  naître  dans  le 
commerce  des  bêtes  à  laine. 

ALCAÏQUE,  espèce  de  vers  inventé  par  Alcée,  et 
([u'on  retrouve  fréquemment  dans  la  poésie  lyrique  grecque 
ou  latine.  Le  vers  alcaïque  se  compose  de  quatre  pieds ,  un 
épitrite,  deux  choriambes,  et  un  bachique.  Horace  l'a  adopté 
dans  un  grand  nombre  de  ses  odes  ;  il  a  aussi  été  employé 
par  plusieurs  poètes  allemands,  en  particulier  par  Klopstock 
dans  son  Ode  au  Rédempteur  et  dans  celle  à  Fanny.  Il  y 
a  aussi  le  vers  alcaïque-dactyliqiie ,  qui  commence  par  un 
ïambe  ou  spondée,  suivi  dun  second  ïambe,  d'une  césure, 
et  de  deux  dactyles,  ou  bien  encore  qui  se  compose  de  deux 
dactyles  et  de  deux  trochées.  —  On  nomme  également 
alcaïque  une  sorte  d'ode  grecque  ou  latine  dont  chaque 
strophe  a  quatre  vers  qui  sont  :  les  deux  premiers,  alcaïques- 
dactyliques;  le  troisième,  ïambique;  et  le  quatrième,  al- 
caïque simple. 

ALCALA ,  nom  arabe  commun  à  plusieurs  villes  d'Es- 
l)agne.  Les  plus  importantes  sont  :  Alcala  de  Ilénarès,  dans 
la  Nouvellc-Caslille,  à  trois  myriamètres  à  l'est  de  Madrid, 
sur  le  Hénarès ,  l'un  des  affluents  de  la  rive  droite<du  Tage; 
et  Alcala  la  Real,  en  Andalousie.  —  Alcala  de  Hénarès , 
l'ancien  Complutum  des  Romains,  ruiné  au  neuvième  siècle, 
est  le  siège  d'une  université  fondée  en  1499,  par  le  cardinal 
Ximénès,  et  dont  la  réputation  s'étendait  autrefois  en  tous 
lieux.  Ce  fut  par  les  soins  des  membres  de  ce  corps  savant, 
et  aux  frais  de  son  protecteur,  que  fut  imprimée  dans  cette 
ville  la  célèbre  Cible  polyglotte  (textes  hébreu ,  chaldéen  , 
grec  et  latin  )  dite  de  Complute.  — Cervantes  était  né  à 
Alcala  de  Hénarès. 

ALCiVLESCENCE.  En  chimie  ce  mot  se  prend  dans 
un  sens  actif  et  dans  un  sens  passif.  Dans  le  premier  il  désigne 
le  mouvement  qui  s'opère  dans  une  substance  lorsqu'elle  de- 
vient alcaline;  dans  le  second  il  indique  l'état  des  sub- 
stances animales  ou  végétales  dans  lesquelles  il  s'est  déve- 
loppé spontanément  de  l'ammoniaque.    L'aJcalescence  est 


ALBUQUERQUE  —  ALCALI 

toujours  le  résultat  de  la  décomposition  des  substances  qui 
renferment  de  l'azote,  l'un  des  principes  de  lammoniaque. 
—  En  médecine,  les  humoristes  nommaient  alcalescence 
des  humeurs  une  disposition  des  corps  à  éprouver  la  fer- 
mentation alcaline  et  putride. 

ALCALI  ou  ALKALI  (de  l'arabe  al,  et  kali,  soude). 
Ce  mot  a  d'abord  été  employé  pour  désigner  une  plante  ma- 
rine, h  salsola  soda ,  qui  fournit  la  soude  par  son  inciné- 
ration et  le  lessivage  de  ses  cendres.  Ce  nom  resta  commun 
à  la  soude  et  à  la  potasse,  que  l'on  regarda  conmie  des  corps 
identiques  jusqu'à  ce  que  Margraff  les  séparât  en  1736.  Ce 
savant  chimiste  appela  la  potasse  alcali  fixe  végétal,  parce 
qu'on  la  retirait  des  cendres  des  végétaux;  et  il  api)ela  la  sonde 
alcali  fixe  minéral,  parce  qu'elle  existe  dans  le  sel  genune. 
Le  nom  d'alcali  fut  ensuite  donné  à  l'ammoniaque ,  qui  pré- 
sente quelque  analogie  avec  la  soude  et  la  potasse.  Le  nom 
d'alcalis  aérés  équivalait  dans  l'ancienne  chimie  à  celui  d'al- 
calis carbonates.  Maintenant  le  nom  d'oZcaZi  s'applique  à  tout 
corps  composé  capablede  verdir  les  couleurs  bleues  végétales, 
de  ramener  au  bleu  les  mêmes  couleurs  rougies  par  des  acides 
et  de  saturer  les  acides,  avec  ou  sans  effervescence ,  en  for- 
mant des  sels  solubles.  On  distingue  deux  classes  d'alcalis, 
les  inorganiques  ou  minéraux,  et  les  organiques  ou  végé- 
taux et  animaux.  Ces  derniers  sont  appelés  alcaloïdes , 
parce  qu'ils  manquent  de  quelques-unes  des  propriétés  des 
alcalis.  Les  alcalis  minéraux  étaient  autrefois  réputés  des 
corps  simples  ;  on  les  divisait  en  trois  classes ,  en  alcalis 
proprement  dits,  en  terres  alcalines,  et  en  terres.  Cette  di- 
vision a  été  conservée  par  Berzelius.  Les  alcalis  proprement 
dits  sont  au  nombre  de  quatre  :  la  potasse,  la  soude,  la 
lithine  et  l'ammoniaque.  Cette  dernière  est  appelée 
anssialcalivolatil,  paropposition  avecles trois  autres, qu'on 
nomme  alcalis  fixes.  L'ammoniaque  n'est  cependant  pas 
composée  de  la  même  manière  que  les  autres  alcalis  ;  mais 
elle  a  une  si  grande  analogie  avec  les  alcalis  par  toutes  ses 
propriétés  qu'on  ne  peut  la  ranger  dans  aucune  autre  caté» 
gorie  de  la  classification  chimique.  Les  terres  alcalines  sont 
aussi  au  nombre  de  quatre  :  la  baryte,  la  strontiane, 
la  chaux  et  la  magnésie.  Elles  diffèrent  des  alcalis  par 
leur  peu  de  solubilité  dans  l'eau  lorsqu'elles  sont  pures  et 
par  l'insolubilité  de  leurs  carbonates  neutres.  Les  terres  sont 
au  nombre  de  cinq  :  l'alumine,  la  glutine,  l'yttria, 
la  zircone  et  la  thorine.  Autrefois  on  rangeait  aussi 
dans  cette  classe  la  s  i  1  i  c  e ,  qu'on  regarde  aujourd'hui  comme 
un  acide. 

Les  alcalis  et  les  terres  alcalines  se  distinguent  des  autres 
bases  sali  fiables  par  différents  caractères  que  voici  : 
1°  une  saveur  particulière  appelée  lexivielle,  et  la  propriété 
plus  ou  moins  prononcée  de  dissoudre  et  de  détruire  les 
matières  animales,  propriété  dont  ils  ne  jouissent  qu'à  l'état 
de  pureté ,  état  dans  lequel  on  les  désigne  par  l'épithète  de 
caustiques  :  ils  forment  alors  des  poisons  violents,  dont  les 
antidotes  sont  les  acides  étendus,  notamment  l'eau  vinaigrée. 
L'ammoniaque  a  une  odeur  qui  lui  est  propre ,  tandis  que  les 
alcalis  fixes,  au  contraire,  sont  inodores  à  la  température 
ordinaire  de  l'air,  et  n'acquièrent  une  odeur  faible  et  caracté- 
ristique et  qui  se  ressemble  pour  tous,  que  dans  leurs  dissolu- 
tions concentrées  bouillantes,  ainsi  que  dans  les  vapeurs  qui 
se  dégagent  quand  les  terres  alcalines  caustiques  s'échauffent 
avec  de  l'eau;  2°  la  propriété  de  verdir  diverses  couleurs 
végétales  bleues  et  rouges,  comme,  par  exemple,  le  principe 
colorant  delà  violette,  du; chou  rouge,  de  la  rose  rouge,  etc., 
et  de  faire  passer  différentes  couleurs  rouges  au  bleu,  comme 
le  tournesol  et  le  fernambouc  rougis  par  les  acides  ;  enfin 
de  brunir  ceilaines  couleurs  jaunes,  telles  que  le  curcuma, 
la  rhubarbe,  le  bois  du  Grésil.  Cette  propriété  prend  le  nom 
de  réaction  alcaline.  La  plupart  des  alcalis  inorganiques 
s'unissent  avec  les  corps  gras  pour  former  des  savons. 

Les  alcalis  végétaux  et  animaux  on  organiques  n'ont 
été  découverts  que  dans  ces  dernières  aimces ,  et  n'ont  de 


ALCALI  —  ALCALOÏDES 


Sf)7 


comiimn  avec  les  alcalis  minéraux  que  la  propriété  de  satu- 
rer les  acides  et  ilc  former  des  sels.  Leur  goût  est  généra- 
ieinent  amer;  ils  paraissent  renfermer  le  principe  actif  des 
plantes  dont  on  les  tire  :  on  en  connaît  un  grand  nombre. 
Voyez  Alcaioïdes. 

ALCALIGÈNE,  nom  donné  par  Fourcroy  à  l 'azote , 
lorsque  DerthoUet  eut  démontié  que  ce  gaz  constitue ,  par 
sa  combinaison  avec  Thydrogène ,  l'ammoniaque  ou  alcali 
volatil. 

ALCALIMÈTRE  (du  français  alcali,  et  du  grec 
(xîTpov,  mesure),  appareil  qui  sert  à  mesurer  la  quantité 
d'alcali  contenue  dans  les  potasses  ou  les  soudes  du  com- 
merce. On  sait  que  ces  substances  (  carbonates  de  potasse 
ou  de  soude)  ne  sont  jamais  pures,  et  qu'elles  renferment 
plus  ou  moins  de  matières  étrangères.  Il  est  donc  d'un 
grand  intérOt  pour  l'aclieteur  de  connaître  la  quantité  d'al- 
cali qu'elles  contiennent.  On  sait  en  chimie  que  3  grammes 
d'acide  sulfuriqno  pur  et  concentré  saturent  exactement 
4  gr.  807  de  potasse,  pour  former  un  sulfate  neutre  de  po- 
tasse. Si  donc  ou  ajoutait  à  4  gr.  807  de  potasse  en  dissolution 
un  peu  plus  de  5  gr.  d'acide  sulfurique,  il  resterait  dans  la 
liqueur  un  peu  d'acide  à  l'état  libre,  qui  suffirait  pour  rougir 
la  couleur  bleue  de  tournesol  qu'on  y  plongerait.  Si ,  au 
contraire ,  on  mettait  dans  la  dissolution  de  potasse  moins 
de  5  gr.  d'acide,  la  liqueur  contenant  un  peu  de  potasse  à 
l'état  libre  resterait  alcaline,  et  ramènerait  au  bleu  la  tein- 
ture de  tournesol  rougie  par  un  acide.  C'est  sur  ces  principes 
que  repose  le  procédé  de  V alcalimétrie.  —  On  met  dans  un 
tube  gradué  5  gr.  d'acide  sulfurique  pur  et  concentré ,  et  on 
y  ajoute  assez  d'eau  pour  que  l'acide  étendu  occupe  100  di- 
visions. Ce  liquide,  ainsi  préparé,  s'appelle  oc(c/es2///Mr<j«e 
normal.  —  On  dissout  dans  de  l'eau  distillée  4  gr.  807  de  la 
potasse  du  commerce  que  l'on  veut  essayer;  on  mêle  avec 
c«tte  dissolution  de  la  teinture  de  tournesol.  Cela  fait,  on 
verse  graduellement  dans  cette  liqueur  celle  de  l'acide  sul- 
furique. A  mesure  qu'on  en  ajoute ,  la  potasse  dégage  l'acide 
carbonique,  qui  colore  en  rouge  vineux  la  teinture  bleue  de 
tournesol.  Tant  que  cette  coloration  persiste,  on  continue 
d'ajouter  de  l'acide  sulfurique  étendu,  mais  par  petites 
quantités  à  la  fois.  On  s'assure  que  c'est  l'acide  carbonique 
qui  rougit  le  tournesol ,  quand ,  après  avoir  trempé  un 
morceau  de  papier  bleu  de  tournesol  et  l'avoir  exposé  un 
peu  à  la  chaleur,  il  reprend  sa  couleur  primitive.  Enfin  il 
arrive  un  moment  oii  l'acide  sulfurique  a  chassé  tout  l'acide 
carbonique  du  carbonate  de  potasse.  Si  alors  on  continue 
d'ajouter  un  peu  du  liquide  acide,  et  que  la  teinture  de  tour- 
nesol se  colore  en  rouge  pelure  d'oignon,  l'opération  est  ter- 
minée ;  cette  coloration  annonce  que  toute  la  potasse  con- 
tenue dans  l'échantillon  mis  en  dissolution  est  saturée.  Si, 
après  avoir  trouvé  que  pour  arriver  à  ce  résultat  il  a  fallu, 
par  exemple,  les  20  centièmes  de  l'acide  sulfurique  étendu 
ou  20  divisions  du  tube,  on  en  conclura  que  la  potasse  du 
commerce  essayée  ne  contient  réellement ,  en  potasse  pure, 
que  les  20  centièmes  environ  de  son  poids;  c'est-à-dire  que 
si  l'on  a  acheté  100  kil.  de  cette  potasse,  on  n'a  en  réalité  que 
20  kil.  de  potasse  pure.  On  dit  qu'elle  est  au  titre  de  20. 

Pour  évaluer  le  titre  de  la  soude,  on  procède  de  la  même 
manière;  seulement  on  doit  se  rappeler  qu'il  ne  faut  que 
3  gr.  183  de  soude  pour  saturer  5  gr.  d'acide  sulfurique. 

ALCALINS.  Dans  la  thérapeutique ,  on  donne  spécia- 
lement ce  nom  aux  carbonates  alcalins,  dont  l'usage 
comme  médicament  s'est  beaucoup  répandu  dans  ces  der- 
niers temps. 

ALCALOÏDES.  On  a  donné  ce  nom  aux  substances 
tirées  du  règne  végétal  et  du  règne  animal  susceptibles  de 
neutraliser  les  acides  et  de  former  des  composés  semblables 
aux  sels  minéraux  {voyez  Bases).  Parmi  les  principaux 
alcaloïdes,  nous  citerons  la  cinchonine  et  la  quinine, 
qu'on  tire  du  quinquina;  Varicine,  qui  provient  de  l'écorce 
d'un  arbre  de  Pérou  ;  la  sabadilline,  qui  s'extrait  de  l'ellé- 


bore blanc;  \adelphinc,  qui  vient  de  la  staphysaigre ;  la 
strychnine,  qu'on  trouve  dans  la  noix  vomique  ;  la  codéine, 
la  morphine,  la  narcéine,  la  narcotine,  qui  se  trouvent 
dans  l'opium;  la  hrucine,  qui  provient  de  la  fausse  angus- 
ture;  la  vératrine,  qu'on  extrait  de  la  cévadille;  Yatropine, 
qui  vient  de  l'atropa  belladona;  la  solanine,  delà  morelle; 
la  ménispermine,  delà  coque  du  Levant  ;  Yémétine ,  i\e 
l'ipécacuanha  ;  la  mélamine,  qu'on  produit  artificiellement, 
ainsi  que  Yamméline. 

D'autres  alcaloïdes,  dont  l'existence  n'est  peut-être  pas 
aussi  bien  constatée  que  celle  des  précédents,  sont  -.lanicotin  e, 
trouvée  dans  les  feuilles  de  tabac;  Y hyosciamine ,  trouvée 
dans  les  semences  de  Yhyoscyamus  niger;  la  daturine, 
trouvée  dans  les  semences  du  datura  stramonhan  ;  la  col- 
chicine ,  extraite  du  colchicum  autumnale  ;  Yaconitine , 
trouvée  dans  les  feuilles  sèches  de  l'aconit  napel  ;  la  ciira- 
rine,  extraite  du  poison  des  Indiens  nommé  ciirara. 

Tous  ces  alcaloïdes  sont  solides,  blancs,  sans  odeur  ;  leur 
saveur  est  généralement  acre  ou  amère  ;  ils  ramènent  au  bleu 
la  teinture  de  tournesol  rougie  par  les  acides ,  et  leur  pesan- 
teur spécifique  est  supérieure  à  celle  de  l'eau.  Les  acides 
faibles  et  les  acides  puissants  étendus  d'eau  les  dissolvent  et 
forment  des  sels  de  diverses  saturations.  L'acide  azotique 
concentré  décompose  à  froid  tous  les  alcaloïdes,  et  forme 
avec  presque  tous  à  chaud  de  l'acide  oxalique  ;  cependant, 
lorsqu'il  est  étendu, il  se  combine  avec  eux  sans  les  décom- 
poser. L'acide  sulfurique  agit  à  peu  près  de  la  même  ma- 
nière. Les  oxydes  alcalins  et  celui  de  magnésium  enlèvent 
les  acides  de  tous  les  sels  à  bases  alcaloïdes.  Ces  bases  en- 
lèvent à  leur  tour  les  acides  de  presque  tous  les  autres  oxy- 
des. L'mfusion  de  noix  de  galle  produit  dans  les  disso- 
lutions de  tous  les  sels  neutres  à  bases  organiques  un  pré- 
cipité que  les  acides  redissolvent.  Soumis  au  courant  de  la 
pile  de  Volta,  tous  les  sels  à  bases  organiques  sont  décom- 
posés ;  l'acide  se  porte  au  pôle  positif,  et  la  base  au  pôle  né- 
gatif. Tous  sont  décomposables  par  le  feu.  Les  alcaloïdes 
sont  peu  ou  point  solubles  dans  l'eau,  maistrès-solubles  dans 
l'alcool.  Leurs  sels  sont  généralement  solubles  dans  l'eau,  à 
l'cKception  des  tartrates ,  oxalates  et  gallates  neutres  ;  mais 
ceux-ci  le  deviennent  par  un  excès  d'acide.  C'est  sur  ces 
propriétés  qu'est  fondé  le  procédé  le  plus  généralement  em- 
ployé pour  extraire  les  bases  organiques,  qu'on  ne  rencontre 
ordinairement  dans  les  végétaux  qu'unies  à  des  acides ,  c'est- 
à-dire  à  l'état  de  sel.  On  fait  infuser  les  substances  végé- 
tales, puis  on  verse  dans  cette  infusion,  chauffée  convenable- 
ment, de  la  magnésie  ou  de  l'hydrate  de  chaux,  ce  qui  pré- 
cipite les  bases  organiques;  on  les  recueille,  on  les  lave,  et 
enfin  on  les  traite  par  l'alcool  bouillant,  qui  ne  s'empare  que 
des  bases  pures,  d'oii  on  les  retire  par  évaporation.  Ce  pro- 
cédé doit  être  modifié  suivant  la  nature  des  substances  vé 
gétales. 

La  propriété  qu'offrent  un  certain  nombre  de  corps  de  se 
combiner  avec  les  acides  pour  former  des  sels  n'avait  en- 
core été  reconnue  que  dans  le  règne  minéral ,  lorsqu'un 
pharmacien  allemand ,  Sertuerner,  signala  dans  l'opium 
l'existence  d'une  base  salifiable  organique  ;  mais  son  travail 
resta  inaperçu,  malgré  l'importance  de  cette  découverte.  Ce 
ne  fut  que  quelques  années  après  que,  revenant  sur  le 
même  sujet,  l'auteur  publia  un  travail  nouveau  qui  fixa 
l'attention  des  chimistes  et  conduisit  en  peu  de  temps  à  la 
découverte  d'un  grand  nombre  de  produits  analogues,  qui 
reçurent  d'abord  le  nom  (Yalcalis  végétaux,  ou,  mieux,  d'o/- 
caloïdes.  La  morphine,  trouvée  par  Sertuerner,  permet 
d'administrer  comme  médicament  et  sous  un  très-petit  vo- 
lume unesubstance  très-énergique,  possédant  quelques-unes 
des  propriétés  de  l'opium  ;  depuis ,  on  rencontra  dans  le 
môme  corps  quatre  autres  alcaloïdes.  Les  chimistes  qui  ont 
fait  connaitie  le  plus  grand  nombre  d'alcaloïdes  sont  Pelle- 
tier et  Caventou  ,  à  qui  on  doit  suitout  la  découverte  si 
importante  de  la  quinine  et ,  par  suite,  de  son  sulfate,  spé- 

ii. 


268  alcaloïdes 

cifique  si  admirable  pour  la  guérison  des  lièvres  intermit- 
tentes ,  et  dont  l'application  a  été  un  si  grand  bienfait  pour 
lliumanité.  —Un  fait  bien  important,  c'est  que  presque 
toutes  les  plantes  vénéneuses  ou  douces  ont  des  propriétés 
très-énergiiiues  et  les  doivent  à  des  alcaloïdes.  Dans  les 
plantes  du  même  genre ,  on  rencontre  ordinairement  ou  les 
mêmes  alcalis  ou  des  alcalis  qui  olTrent  entre  eux  beaucoup 
de  rapports.  La  noix  vomiquc  doit  l'énergie  de  son  action  à 
la  strijch  nine,  dont  la  plus  petite  quantité  occasionne  le 
tétanos.  La  brucine,  qui  se  rencontre  avec  cette  môme  base 
dans  la  fausse  angusture,  est  aussi  Tun  des  poisons  les  plus 
violents.  La  feuille  du  tabac  fournit  par  distillation  un  al- 
caloïde très-volatil  et  excessivement  vénéneux.  —  Dans  ces 
derniers  temps  la  chimie  est  parvenue  à  former  artificielle- 
ment divers  alcaloïdes. 

ALC-VXTARA ,  ville  ancienne  et  fortifiée  de  la  province 
d'Estramadure  en  Espagne,  dont  la  population  s'élève  à 
3,000  âmes.  Elle  fut  fondée  par  les  Maures.  On  y  arrive  par 
un  l>eau  pont  jeté  sur  le  Tage,  de  223  mètres  de  long  et  de 
9  mètres  de  large,  que  décore  un  arc  de  triomphe  élevé  en 
Ihonneur  de  Trajan. 

Vordre  d' Alcantara ,  l'un  des  trois  anciens  ordres  reli- 
gieux de  l'Espagne ,  fut  fondé  au  douzième  siècle  par  les 
frères  de  l'ordre  de  Saint-Julien  dcl  Paijrero  (  du  Poirier  ). 
Vers  l'an  1217  il  obtint  de  l'ordre  de  Calatrava,  en  ré- 
compense du  courage  héroïque  dont  ses  membres  avaient 
fait  preuve  contre  les  Maures,  la  ville  d'Alcantara,  dont  il 
prit  désormais  le  nom.  11  fut  ensuite  réuni  à  la  couronne 
d'Espagne  après  que  Ferdinand  lui  eut  donné  pour  admi- 
nistrateur, en  l'année  1404,  le  grand  maître  don  Juan  de 
Zuiiiga.  Indépendamment  des  vœux  communs  aux  différents 
ordres  de  chevaliers,  ceux  d'Alcantara  font  aussi  celui  de 
défendre  envers  et  contre  tous  l'Immaculée  Conception  de 
la  sainte  Vierge;  mais  depuis  l'an  1540  ils  ont  le  dioit  de 
se  marier.  La  décoration  de  Tordre  consiste  en  une  croix 
d"or  lleutdelysée.  Sur  l'écu  on  voit  un  poirier  et  deux  fasces. 

ALCARAZAS.  C'est  le  nom  que  les  Espagnols  don- 
nent à  des  vases  propres  à  rafraîchir  l'eau.  Ces  vases  sont 
poreux,  et  leur  propriété  réfrigérante  tient  à  ce  qniis  laissent 
transsuder  l'eau,  qui  en  sévaporant  enlève  assez  de  calo- 
rique pour  abaisser  de  plusieurs  degrés  la  température  gé- 
nérale de  l'alcarazas.  Pour  accélérer  l'évaporaîion  on  a  soin 
d'exposer  ces  vases  à  l'ombre  et  dans  un  courant  d'air.  On 
peut  suppléer  aux  alcarazas  en  enveloppant  un  vase  quel- 
conque de  linges  maintenus  humides.  La  matière  qui  sert 
à  fabri(iuer  les  alcarazas  se  compose  de  cinq  parties  de  terre 
calcaire  et  de  huit  parties  de  terre  argileuse.  Lorsque  l'ar- 
gile se  trouve  être  trop  compacte,  on  la  mélange  avec  du 
sel  marin.  Ce  sel  est  dissous  par  la  première  eau  que  l'on 
verse  dans  le  vase  et  y  laisse  une  multitude  de  pores.  De 
plus,  on  a  soin  de  ne  donner  aux  alcarazas  qu'une  demi- 
cuisson  de  dix  à  douze  heures.  L'invention  en  a  été  attri- 
buée aux  Égyptiens  et  aux  Arabes.  Il  s'en  fabrique  depuis 
([uclques  années  à  Paris,  où  on  les  nonmie  hydroccrames 

ALCATIIOEES,  fête  des  .Mégariens  en  l'honneur 
d'.\lcathons,  (ils  de  Pélops.  11  avait  délivré  leur  pays  d'un 
lion  furieux,  et  il  épousa  la  fille  de  leur  roi  Mégaréus. 

ALC.VZ.VR  (L').  Voyez.  Séville. 

ALCEE.  Dans  les  temps  héroïques,  Alcée  régnait  à  Ti- 
rynthe ,  en  Argolide.  Il  fut  le  père  d'Amphitryon ,  qui  épousa 
Alcmène,  et  le  grand-père  d'Hercule ,  qui  lui  emprunta 
le  nom  d'Alcide. 

Un  autre  Alcée,  fils  d'Hercule  et  dOmphale,  selon  les 
uns,  et  de  Janlnne  nu  de  Malis ,  suivantes  de  cette  reine  de 
Lydie,  selon  les  autres,  commença  à  régner  vers  l'an  1292 
avant  J.-C.  Il  fut,  selon  la  fable,  la  lige  des //éracZirfes. 

ALCEE ,  l'un  des  plus  grands  poêles  lyriques  de  la 
Grèce,  né  à  Milylène,  dans  l'île  de  Lesbos,  y  llorissait  vers 
l'an  604  avant  J.-C.  Contempornin  de  .Sapho,  il  rendit  hom- 
mage aux  charmes  de  son  illustre  concitoyenne,  mais  sans 


—  ALCHIMIE 

pouvoir  la  rendre  sensible  à  sa  passion.  Doué  d'une  âme  ar- 
dente, il  aspira  à  la  double  gloire  des  combats  et  de  la  poésie  ; 
c'est  à  tort  qu'on  lui  a  reproché  comme  une  lâcheté  l'acci- 
dent qui  lui  fit  perdre  son  bouclier  dans  une  guerre  des  Mi- 
tyléniens  contre  les  Athéniens.  Les  dissensions  qui  agitèrent 
sa  patrie  l'entraînèrent  aussi  dans  la  guerre  civile.  11  com- 
battit pour  la  liberté  avec  la  lyre  et  avec  l'épée  :  d'abord 
du  parti  de  Pittacus,  il  se  rangea  ensuite  dans  le  parti  con- 
traire, lorsque  après  la  chute  des  petits  tyrans,  ce  sage  saisit 
lui-même  les  rênes  de  la  toute-puissance.  Les  circonstancas 
ayant  obligé  Alcée  à  quitter  Mitylène,  il  erra  longtemps  sur 
la  terre  étrangère;  et  lorsqu'à  la  tête  des  exilés  il  voulut 
rentrer  à  main  armée  dans  sa  ville  natale,  il  tomba  au  pou- 
voir de  Pittacus,  qui  lui  pardonna  généreusement.  Les  chants 
d' Alcée  ressemblèrent  à  sa  vie.  Lors  même  qu'il  célébrait 
les  plaisirs  de  l'amour  et  du  vin,  sa  pot'sie  était  animée 
d'un  mâle  enthousiasme  patriotique.  Mais  l'élévation  de  son 
génie  brillait  dans  tout  son  éclat  lorsqu'il  chantait  la  valeur, 
lorsqu'il  châtiait  les  tyrans,  ou  lorsqu'il  décrivait  le  bonheur 
de  la  liberté,  les  opprobres  et  les  fatigues  de  l'exil.  Sa  muse 
se  pliait  à  toutes  les  formes  et  à  tous  les  sujets  de  poésie 
lyrique,  et  l'antiquité  cite  parmi  ses  œuvres  des  hymnes, 
des  dithyrambes,  des  odes  et  des  chansons.  Il  ne  nou.s 
est  resté  de  lui  que  quelques  fragments,  et  dans  quelques 
odes  d'Horace  nous  retrouvons  un  léger  écho  de  sa  poésie.  H 
écrivit  dans  le  dialecte  éolien ,  et  est  l'inventeur  du  mètre 
qui,  de  son  nom,  fut  a\>[)e\éalcaïq2te,  et  qui,  parmi  les 
mètres  lyriques ,  est  un  des  plus  beaux  et  des  plus  harmo- 
nieux. Jani  a  recueilli  les  fragments  d'Alcée.  On  en  trouve 
aussi  dans  les  Analecta  de  Brunk  et  dans  V Anthologie  de 
Jacobs. 

ALCESTE,  fille  de  Pélias  et  épouse  d'Admète,  roi  de 
Tbessalie.  L'oracle  de  Delphes  avait  déclaré  que  son  époux 
malade  ne  pourrait  prolonger  sa  vie  que  si  quelqu'un  de  ses 
proches  s'offrait  volontairement  à  la  mort  pour  lui.  Alceste, 
au  défaut  des  père  et  mère  d'Admète ,  fit  secrètement  aux 
dieux  le  sacrifice  de  sa  vie  ;  elle  tomba  malade,  et  son  mari 
fut  guéri.  Hercule  força  Phiton  à  rendre  Alceste  à  son  époux. 
Suivant  une  autre  version,  Proserpine  la  lui  renvoya  spon- 
tanément, en  récompense  du  sacrifice  que  lui  avait  inspiré 
l'amour  conjugal.  Ce  dévouement  d' Alceste  et  son  retour  à  la 
vie  font  le  sujet  d'une  des  tragédies  d'Euripide. 

ALCHIMIE.  Il  est  probable  que  chez  les  peuples  les 
plus  anciens,  dès  que  l'on  commençaà  fondre  les  métaux,  on 
fut  frappé  des  phénomènes  qui  accompagnent  cette  opéra- 
tion, et  qu'en  remarquant  que  le  mélange  de  divers  métaux 
produit  des  masses  d'une  tout  autre  couleur;  que  le  cuivre, 
par  exemple ,  avec  le  zinc  forme  un  alliage  qui  imite  l'or, 
on  tira  naturellement  cette  conclusion  qu'il  était  possible  de 
transformer  un  métal  en  un  autre. 

Les  prêtres  de  Tlièbes  et  de  Memphis  paraissent  avoir  été 
les  premiers  adeptes  de  l'alchimie,  quel'antiiiuité  appelait  ar/ 
sacré.  Les  couleurs  qu'ils  employaient  dans  la  peinture  des 
hiéroglyphes,  à  défaut  d'autres  preuves,  suffiraientà  constater 
l'étendue  de  leurs  connaissances  chimiques.  Ils  altribuaient  à 
Hermès  Tri  smégiste,  un  de  leurs  dieux,  la  révélation  de 
cet  art  sacré,  que  les  Grecs  appelaient  aussi  art  hermétique. 
Leurs  pratitiues  étaient  enveloppées  de  mystères;  ils  ne  les 
nivelaient  qu'à  un  petit  nombred'initiés,  qui  s'étaient  engagésà 
ne  les  pas  divulguer,  sous  peine  de  perdre  la  vie  en  cas  de  ré- 
vélation ;  les  prêtresse  débarrassaient  del'indiscretou  dutrat- 
tre  par  un  poison  tiré  de  la  feuille  et  de  l'amande  du  pécher, 
sans  doute  l'acide  hydrocyanique.  Comme  ils  étaient  parvenus 
à  décomposer  et  à  recomposer  certains  corps,  qu'au  moyen  f 
de  la  coupeUation  ils  avaient  obtenu  de  l'argentavec 
du  plomb  argentifère,  qu'ils  avaient  observé  que  les  va- 
peurs d'arsenic  blancliissent  le  cuivre,  fait  connu  dès  une 
haute  anliipiité  et  qui  avait  donné  naissance  à  une  multi- 
tude d'allégories  mystitpies  sur  les  moyens  de  transformer 
le  cuivre  en  argent,  ces  prêtres  aspiraient  à  reproduire  l'a-u- 


ALCHIMIE 


269 


vre  tic  la  cn^ation,  et,  pensant  pouvoir  saisir  les  prociHlôs 
les  plus  secrets  île  la  nature,  ils  voulaient  contraindre  là 
matière  à  prendre  les  formes  qu'ils  lui  imposeraient.  Cctic 
orgueilleuse  espérance,  d'ailleurs  fondée  sur  des  faits  réels 
qu'ils  avaient  observés,  ne  doit  pas  être  traitée  d'absurdité 
par  un  esprit  judicieux  et  élevé.  «  Tout  est  dans  tout  >>  était 
leur  axiome  de  prédilection  ;  et  une  des  plus  vastes  concep- 
tions pliilosopliiques ,  l'unité  de  la  cliose  créée ,  formait  le 
Jond  général  du  système.  En  outre,  les  transformations  mer- 
veilleuses que  l'homme  voit  s'accomplir  sous  ses  yeux  dans 
les  corps  organisés,  et  même  dans  quelques  substances  inor- 
ganiques, ne  légitimaient-elles  pas  ridée  de  la  transmutation 
des  métaux?  Lorsque  l'on  fuit  tomber  du  mercure  en  pluie 
fine  sur  du  soufre  en  fusion,  ou  obtient  une  matière  noire, 
qui,  chauffée  dans  un  va<e  fermé,  se  volatilise  sans  s'altérer 
et  se  transforme  en  une  belle  matière  rouge.  Ce  phéno- 
mène, encore  inexpliqué  aujourd'hui,  car  notre  mot  iso- 
mérie  n'explique  rien,  était  considéré  par  cette  caste  sacer- 
dotale, dépositaire  du  pouvoir  et  de  la  science,  comme  le 
symbole  du  bien  et  du  mal,  de  la  lumière  et  des  ténèbres,  et 
a  contribué  fans  doute  à  établir  ce  fameux  principe ,  point 
de  départ  de  toute  l'alchimie,  que  tous  les  corps,  et  particu- 
lièrement les  métaux,  sont  des  composés  de  soufre  et  de 
mercure.  Les  livres  juifs  témoignent  du  pouvoir  surnaturel 
des  prêtres  égyptiens,  et  Moïse,  qui  avait  été  leur  adepte,  y 
est  représenté  brûlant  dans  un  fourneau  le  veau  d'or  et  le 
transformant  en  or  potable,  problème  presque  aussi  difficile 
que  celui  de  la  transmutation  directe.  Les  plus  anciens  ou- 
vrages d'alchimie  que  l'on  ait  sont  ceux  que  l'on  attribue  à 
Hermès  ;  mais  ils  ne  remontent  pas  au  delà  de  l'école  d'A- 
lexandrie. Les  principaux  sont  \e  Pimandre,le  traité  des 
Sept  Chapitres  et  la  Table  d'Émeraude.  A  dater  de  l'époque 
de  la  prise  d'Alexandrie  par  les  Arabes,  en  640,  la  science 
d'Hermès  parut  tomber  dans  l'oubli  ;  toutefois,  elle  continua 
d'être  l'objet  de  patientes  et  secrètes  recherches,  et  dès  que 
l'empire  des  califes  fut  fondé  et  que  les  Arabes  commencè- 
rent à  cultiver  les  diverses  sciences  connues  de  leur  temps , 
l'art  hermétique  devint,  sous  le  nom,  moitié  grec,  moitié  arabe, 
à! alchimie,  le  but  des  travaux  d'un  grand  nombre  d'iicmmes 
remarquables  ;  et  ce  culte  pour  l'alchimie  se  maintint  pendant 
tout  le  moyen  âge,  jusqu'au  moment  où  la  chimie  se  con- 
stitua en  science  positive  et  indépendante. 

Pendant  toute  cette  période  l'alchimie  se  proposa  im 
double  but.  La  passion  de  l'or  et  de  l'argent,  et  aussi  une 
plus  haute  et  plus  noble  ambition,  celle  de  pénétrer  les  se- 
crets de  la  création,  inspirèrent  l'espoir  de  transformer  les 
métaux  ^ils  en  métaux  précieux.  En  même  temps  l'amour  de 
l'existence  fit  naître  le  désir  de  trouver  un  remède  général 
contre  toutes  les  maladies,  un  moyen  de  soulager  les  infir- 
mités de  la  vieillesse,  de  rajeunir  et  de  prolonger  la  vie. 
Santé  et  richesses,  voilà  le  côté  essentiellement  pratique  du 
grand  œuvre,  tandis  que  le  côté  théorique  se  rattachait  aux 
mystères  de  la  religion,  de  l'astrologie  et  de  la  cosmogonie. 
Pour  transformer  les  métaux,  les  alchimistes  croyaient  avoir 
besoin  d'une  substance  qui ,  contenant  en  elle-même  le  prin- 
cipe de  toutes  choses ,  eût  la  vertu  de  décomposer  un  corps 
en  ses  diverses  parties.  Ce  moyen  général  d'analyse  ou 
menstruum  universale,  qui  devait  en  même  temps  purger 
le  corps  de  tout  principe  de  maladie  et  renouveler  la  vie,  fut 
appelé  pierre  philosophale ,  elixir  philosophai,  pa- 
nacée universelle.  Une  catégorie  plus  élevée  des  adeptes 
chercliait  en  outre  l'âme  du  monde,  qui  devait  donner  la 
suprême  félicité  dans  le  commerce  de  Dieu  et  des  esprits. 

La  recherche  de  la  pierre  philosophale  pouvait  se  faire  de 
deux  manières,  par  la  voie  sèche  et  par  la  voie  humide.  La 
première,  qui  était  celle  oii  l'on  employait  la  calcination,  don- 
nait la  pierre  philosophale  sous  forme  d'une  poudre  rouge 
ou  blanche,  qui  constituait  la  poudre  de  projection.  La 
blanche  projetée  sur  le  métal  inféiieur  ne  pouvait  donner 
naissance  qu'à  l'argent  j  la  rouge  seule  produisait  l'or.  Dans 


les  recherches  par  la  voie  humide,  on  avait  recours  principa- 
lement à  la  distillation.  Moins  était  claire  l'idée  que  les  al- 
chimistes eux-mêmes  se  faisaient  des  phénomènes  qui  ac- 
compagnaient leurs  expériences,  plus  ils  enveloppaient  leurs 
recherches  d'allégories  mystiques  et  symbolitiues.  Mais  cela 
ne  doit  pas  surprendre  quand  on  se  reporte  à  l'esprit  gé- 
ntral  du  moyen  âge,  où  le  phénomène  le  plus  simple  était 
toujours  supposé  produit  par  une  cause  fantastique,  et  où  les 
sciences  physiques  s'appelaient  sciences  occultes. 

Le  premier  qui  ouvre  l'histoire  moderne  de  l'alchimie  est 
Abou-Moussah  Djafar-al-Sofi,  si  connu  sous  le  nom  de  Ge- 
ber.  Il  vivait  au  huitième  siècle.  On  trouve  dans  les  ouvrages 
qui  portent  son  nom  de  nombreuses  préparations  de  métaux 
pour  les  approprier  à  l'œuvre.  Geber  présente  son  élixir 
rouge,  qui  n'est  autre  chose  qu'une  dissolution  d'or,  comme 
un  moyen  de  prolonger  la  vie  indéfiniment  et  de  rajeunir 
la  vieillesse.  Les  écrits  de  Geber  répandirent  tellement  le  goût 
de  l'alchimie  chez  les  Arabes,  que  la  plupart  des  savants 
qui  ont  illustré  cette  nation  ont  cultivé  la  science  henné- 
tique  avec  ardeur.  Parmi  les  plus  illustres  d'entre  eux  on 
peut  citer  :  Mohammed  Abou-Bekr  Ibn-Zacaria  (Rhazès), 
aux  neuvième  et  dixième  siècles  ;  Abou-AliHosséin  Ibn-Sina 
(A  V  i  c  e n  n e),  dixième  et  onzième  siècles  ;  Ibn-Rochd  (  A  v  e  r- 
rhoès),  douzième  siècle.  —  Un  des  plus  anciens  alchimis- 
tes de  l'Occident  dont  on  ait  gardé  la  mémoire  est  Hortulanus, 
qui  vers  le  milieu  du  onzième  siècle  alla  étudier  en  Es- 
pagne ,  et  qui  à  son  retour  écrivit  un  commentaire  sur  la 
Table  d'Émeraude.  Les  plus  célèbres  furent  Albert  le 
Grand,  saint  Thomas  d'Aquin,  que  son  traité  De  Re 
Metallica  peut  faire  considérer  comme  un  des  adeptes;  Ray- 
mond Lulle  ,  des  îles  Baléares  ,  qui ,  pendant  son  séjour  à 
Londres,  transmuta,  dit-on,  pour  le  roi  Edouard  I"  une  masse 
de  cinquante  mille  livres  pesant  de  mercure  en  or,  avec  le- 
quel furent  frappés  les  premiers  rosenobles  ;  Roger  Bacon, 
un  des  esprits  les  plus  avancés  du  moyen  âge,  auteur  de 
traités  sur  l'alchimie  où  il  fait  preuve  d'un  grand  savoir  et 
d'une  connaissance  approfondie  des  écrits  des  Arabes.  C'est 
probablement  d'eux  qu'il  tenait  le  secret  de  la  poudre  à 
canon.  \\  faut  encore  citer,  en  France,  Arnauld  de  Ville- 
neuve et  Pierre  de  Villeneuve  son  frère,  Nicolas  Flamel, 
écrivain-libraire  de  l'université  de  Paris  ;  Guide  de  Montanor  ; 
JeanFernel  ;  le  célèbre  auteur  du  Roman  de  la  Rose,  Jean  de 
Me  un  g;  en  Italie,  Pierre  de  Salente,  Trévisan;  Aurelius 
Augurellus,  Jean  de  Rupescina,  Jean  Chrysippe;  en  Alle- 
magne, Bemhard  de  Trêves;  Jean  Isaac  de  Hollande;  Georges 
Ripley,  et  surtout  Basile  Valentin,  si  célèbre  par  ses  travaux 
sur  l'antimoine ,  auteur  des  Douze  Clefs ,  du  Lever  des 
Planètes,  etc. 

Le  quinzième  siècle  vit  l'alchimie  prendre  en  quelque 
sorte  une  direction  nouvelle  ;  elle  enrichit  la  thérapeutique 
d'un  grand  nombre  de  préparations  ciùmiques.  Mais  ce 
fut  surtout  dans  le  siècle  suivant  que  l'application  de  l'al- 
chîmie  à  la  médecine  reçut  un  prodigieux  accroissement , 
grâce  aux  efforts  deParacelse;  cet  illustre  savant  croyait 
à  la  génération  de  l'or,  mais  il  renonça  à  la  recherche  de 
la  pierre  philosophale  pour  se  livrer  avec  ardeur  à  celle  de 
la  panacée  universelle.  Par  suite  de  la  nouvelle  impulsion 
qu'il  communiqua  à  la  science,  la  question  de  la  transmu- 
tation devint  tout  à  fait  secondaire.  Cependant  on  cite  en- 
core les  noms  de  Pliilaièthe,  de  Becker,  et  surtout  de 
Glauber,  et  de  Kunckel  de  Lœwenstern,  qui  a  écrit  ces 
sages  paroles  :  «  Dans  la  chimie  il  y  a  des  séparations ,  des 
combinaisons  ,  des  purifications  ;  mais  il  n'y  a  pas  de  trans- 
mutations. L'œuf  éclot  par  la  chaleur  d'une  poule.  Avec 
tout  notre  art  nous  ne  pouvons  pas  faire  un  œuf  ;  nous 
pouvons  le  détruire  et  l'analyser,  voilà  tout.  »  Le  docteur 
Price  est  le  dernier  des  adeptes  dont  le  nom  ait  quelque 
célébrité ,  et  c'est  avec  une  vive  surprise  qu'on  le  voit  à  la 
fin  du  dix-huitième  siècle,  en  1781,  exécuter  publiquement, 
à  sept  reprises  différentes,  la  transformation  de  mercure  en 


I 


270 


ALCHIMIE  —  ALCIBIADE 


argent  ou  en  or,  au  moyen  tVune  pondre  de  projection. 
Comme  il  était  membre  de  la  Société  royale  de  Londres , 
cette  académie  se  préoccupa  vivement  de  ses  expériences  ; 
en  conséquence,  elle  nomma  des  commissaires  pour  assister 
aux  essais  de  Price.  Mais  lorsque  ce  dernier  se  vit  contraint 
d'opérer  sous  les  yeux  de  juges  aussi  compétents,  il  prétendit 
n'avoir  plus  de  poudre  :  on  lui  laissa  donc  le  temps  d'en 
préparer  de  nouvelle.  Enlin,  pressé  par  la  Société  royale,  il 
donna  à  sa  comédie  un  dénoùment  tout  à  fait  tragique,  en 
s'empoisomiant  avec  riuiile  volatile  du  laurier-cerise,  choi- 
sissant ainsi  sans  le  savoir  le  môme  genre  de  mort  qui  deux 
mille  ans  auparavant  punissait  la  trahison  des  initiés  de 
Memphis.  Ce  fut  le  coup  de  grâce  de  l'alchimie.  Cependant 
quelcjues  personnes  à  l'esprit  enthousiaste,  séduites  par  la 
lecture  d'anciens  ouvrages  sur  la  science  hermétique,  entre- 
prirent encore  de  longs  travaux,  où  elles  dissipèrent  en  pure 
perte  leur  temps  et  leur  fortune,  pour  obtenir  la  pierre  phi- 
losophale,  et  de  nos  jours  même  bien  des  gens  se  livrent 
encore  avec  ardeur  à  la  recherche  de  la  poudre  de  projection. 
Sans  rappeler  tout  ce  que  nos  sciences  modernes  doivent 
à  l'alchimie ,  aux  patientes  recherches  et  aux  travaux  gi- 
gantesques de  ces  chercheurs  infatigables  qui  ont  doté  l'hu- 
manité de  ses  plus  fécondes  découvertes,  entre  autres  du  phos- 
phore, des  préparations  du  mercure,  du  kermès  minéral,  de 
la  porcelaine,  etc.,  il  est  évident  que  les  alchimistes  du 
moyen  âge  et  peut-être  de  l'antiquité  ont  eu  connaissance 
de  la  plupart  de  nos  découvertes  modernes,  du  gaz  hydro- 
gène par  exemple.  Si  elles  se  sont  perdues ,  c'est  que  la 
science  était  obligée,  dans  ces  temps  d'ignorance  générale,  de 
se  cacher  et  de  se  taire.  L'exemple  de  Roger  Bacon ,  con- 
damné à  passer  une  partie  de  sa  vie  en  prison ,  malgré  son 
éloquente  déclaration  sur  la  nullité  de  la  magie,  en  est  une 
preuve  trop  convaincante.  En  résumé ,  s'il  n'appert  pas 
expressément  que  les  alchimistes  soient  parvenus  à  trans- 
muter les  métaux,  des  savants  du  premier  ordre,  entre  autres 
sir  Humphry  Davy,  ont  pensé  que  des  recherches  herméti- 
ques pouvaient  avoir  des  résultats  satisfaisants.  M.  Dumas 
lui-même  s'exprime  en  ces  termes  :  n  Serait-il  permis  d'ad- 
mettre des  corps  simples  isomères?  Cette  question  touche 
de  près  à  la  transmutation  des  métaux.  Résolue  aflinnati- 
vement,  elle  donnerait  des  chances  de  succès  à  la  recherche 
de  la  pierre  philosophale.  .  11  faut  donc  consulter  l'expé- 
rience, et  l'expérience,  il  faut  le  dire ,  n'est  point  en  opposi- 
tion jusqu'ici  avec  la  possibihté  de  la  transmutation  des 
corps  simples...  Elle  s'oppose  même  à  ce  qu'on  repousse 
cette  idée  comme  une  absurdité  qui  serait  démontrée  par 
l'état  actuel  de  nos  connaissances.  »  —  Consultez  :  Hoefer, 
Histoire  de  la  Chimie;  Sclmeider,  Histoire  de  la  Chimie 
(en  allemand);  J.-B.  Dumas,  Leçons  sur  la  Philosophie 
chimique;  L.  Figuier,  V Alchimie  et  les  Alchimistes. 

ALCIAT,  célèbre  jurisconsulte  du  seizième  siècle,  né 
à  Milan,  en  1490,  publia  dès  l'âge  de  vmgt-deux  ans  ses  Pa- 
radoxes du  droit  civil.  C'est  un  examen  philologique  des 
termes  grecs  qui  sont  dans  le  Digeste.  Cet  ouvrage  avait 
donné  déjà  une  haute  opinion  du  jeune  docteur;  bientôt  il 
imprima  ses  Prxtermissa  et  son  traité  de  Verborum  Si- 
gnificatione,  Alciat  comprit  l'un  des  premiers  toute  l'in- 
fluence que  l'étude  de  l'histoire  devait  exercer  sur  celle  du 
droit.  Il  réunit  à  ses  cours  à  Avignon,  en  1521,  une  afiluence 
immense  d'auditeurs,  puis  retourna  à  Milan.  François  \" 
profita  des  persécutions  qu'Alciat  éprouvait  en  Italie  pour 
l'attirer  en  France,  et  le  fit  professeur  à  Bourges;  mais 
François  Sforze  l'ayant  menacé  de  confisquer  ses  biens  s'il 
ne  revenait  dans  sa  patrie,  Alciat  y  retourna  et  fut  profes- 
seur à  Pavie,  à  Bolo^'ne,  encore  à  Pavie,  à  Ferrare;  enfin 
il  termina  sa  carrière  à  Pavie,  oii  il  mourut  d'une  indiges- 
tion, à  l'âge  de  cinquante-liuit  ans;  car  s'il  était  avare,  il 
était  encore  plus  gourmand.  On  reproche  aussi  à  son  carac- 
tère un  excès  d'orgueil.  Le  pa[)e  l'avait  fait  piotonotaire,  et 
Charles-Quint  lui  avait  conféré  la  dignité  de  comte  palatin. 


—  Les  œuvres  d'Alciat  ont  été  réunies  et  publiées  ^  Lyon , 
1560,  5  vol.  in-f^;  Bâle,  1571,  6  vol.  in-f>;  Bâle,  1582, 
4  vol.  in-f>;  Strasbourg,  1616,  4  vol.  in-f';  Francfort-sur- 
le-Mein,  1617,  4  vol.  in-f.  Plusieurs  de  ses  ouvrages  ont 
été  imprimés  séparément.  On  doit  à  Alciat  quelques  traités 
purement  liistoriques  ou  littéraires,  comme  ses  notes  sur 
Tacite,  son  Traité  des  Poids  et  Mesures,  son  Histoire  de 
Milan.  —  L'un  de  ses  neveux,  François  Alciat,  célèbre 
aussi  comme  jurisconsulte,  eut  pour  disciple  saint  Charles 
Borroméc,  et  devint  cardinal.  Muret,  dans  une  de  ses  haran- 
gues, dit  qu'il  fut  i'ornement  de  son  siècle.      De  Golbéry. 

ALCIBIADE,  fils  de  Clinias  et  de  Dinomaque,  naquit  à 
Athènes,  dans  la  82"  olympiade  (vers  l'an  450  avant  Jésus- 
Christ).  11  perdit  son  père  à  la  bataille  de  Chéronée,  et  fut 
ensuite  élevé  dans  la  maison  de  Péri  cl  es,  son  grand-père 
maternel.  Celui-ci  était  trop  occupé  des  affaires  de  l'État 
pour  pouvoir  donner  à  l'éducation  de  son  petit-fils  tous  les 
soins  qu'aurait  exigés  l'impétuosité  de  son  caractère.  Aici- 
biade  annonça  dès  son  premier  âge  ce  qu'il  serait  dans  la 
suite.  Un  jour  il  jouait  aux  dés  dans  la  rue  avec  quelques  ' 
enfants  de  son  âge  ;  un  chariot  survient  :  il  prie  le  conduc- 
teur d'arrêter  ;  et,  sur  le  refus  de  celui-ci,  il  se  jette  devant 
la  roue ,  et  s'écrie  :  «  Avance  maintenant ,  si  tu  l'oses  !  » 
Il  s'essaya  avec  succès  dans  tous  les  genres  d'étude  et  dans 
tous  les  exercices  gymnastiques,  Sa  beauté,  sa  noblesse,  le 
rang  de  Périclès ,  son  tuteur,  lui  attirèrent  une  foule  d'amis 
et  d'admirateurs,  mais  donnèrent  naissance  en  même  temps  à 
des  bruits  injurieux  pour  ses  mœurs.  Socrate  lui  avait 
accordé  son  amitié ,  et  espérait  par  ce  moyen  le  diriger  vers 
le  bien.  En  effet,  il  obtint  une  grande  influence  sur  lui,  et, 
au  milieu  de  sa  vie  dissipée,  Alcibiade  revenait  toujours  vers 
le  philosophe.  Il  fit  ses  premières  armes  dans  l'expédition 
entreprise  contre  Potidée ,  et  il  y  fut  blessé  ;  Socrate ,  qui 
combattait  à  ses  côtés,  le  défendit  et  le  ramena.  A  la  bataille 
de  Délium,  il  se  distingua  dans  les  rangs  de  la  cavalerie, 
qui  combattit  victorieusement  ;  mais ,  après  la  défaite  de 
l'infanterie ,  il  fut  obligé  de  fuir  avec  le  reste  de  l'armée. 
Dans  sa  fuite ,  il  rencontra  Socrate ,  qui  se  retirait  à  pied , 
l'accompagna  et  veilla  à  sa  sûreté.  Tant  que  vécut  le  déma- 
gogue Cléon ,  Alcibiade  ne  se  fit  connaître  que  par  son  luxe 
et  sa  prodigalité ,  sans  prendre  aucune  part  aux  affaires  de 
l'État. 

Après  la  mort  de  Cléon  (422  ans  avant  J.-C),  Nicias 
réussit  à  faire  conclure  une  paix  de  cinquante  ans  entre  les 
Athéniens  et  les  Lacédémoniens.  Alcibiade ,  jaloux  de  l'in- 
fluence de  Nicias ,  et  piqué  en  même  temps  de  ce  que  les 
Lacédémoniens ,  auxquels  il  était  uni  par  les  liens  de  l'hos- 
pitalité ,  ne  se  fussent  pas  adressés  à  lui ,  profita  de  quelques 
mésintelligences  survenues  entre  les  deux  nations  pour  ame- 
ner la  rupture  de  la  paix.  Les  Lacédémoniens  avaient  envoyé 
des  députés  à  Athènes  ;  Alcibiade  les  reçut  avec  beaucoup 
de  démonstrations  de  bienveillance ,  et  leur  conseilla  de 
cacher  leurs  pouvoirs ,  afin  que  les  Athéniens  ne  pussent  pas 
leur  dicter  des  lois.  Us  se  laissèrent  persuader,  et  lorsqu'ils 
furent  mandés  dans  l'assemblée  du  peuple,  ils  déclarèrent 
qu'ils  n'avaient  pas  de  pouvoirs.  Aussitôt  Alcibiade  se  leva 
contre  eux,  leur  reprocha  leur  mauvaise  foi,  et  détermina 
les  Athéniens  à  une  alliance  avec  les  Argiens.  Ce  fut  là  l'oc- 
casion de  la  rupture  avec  Lacédémone.  Alcibiade  commanda 
à  diverses  reprises  les  flottes  athéniennes  qui  ravageaient  le 
Péloponnèse  ;  mais  même  alors  il  ne  renonça  ni  au  luxe  ni 
à  la  volupté.  A  son  retour,  il  se  livra  plus  que  jamais  à 
toutes  sortes  d'excès.  Un  jour  qu'U  sortait  d'une  orgie  noc- 
tiune,  en  société  de  quelques  amis,  il  lit  le  pari  de  donne;  f 
un  soufflet  au  riche  Hipponicus ,  et  il  le  lui  donna  en  effet. 
Cet  outrage  fit  beaucoup  de  bruit  dans  !a  ville;  mais  Alci- 
biade se  rendit  chez  l'offensé,  et,  après  avoir  quitté  son 
vêtement ,  il  l'invita  à  se  venger  lui-même  à  coups  de  verges. 
Ce  repentir  pubhc  apaisa  Hipponicus;  il  lui  pardonna,, 
et  dans  la  suite  il  lui  donna  même  en  mariage  sa  lille  Hip 


I 


ALCIBIADE  — 

parète,  avec  une  dot  de  dix  talents.  Cependant  le  maria'ie 
ne  le  corrigea  pus  de  sa  It^gÎTeté  et  de  sa  prodigalité.  Celle-ci 
éclata  surtout  aux  jeux  olympiques ,  où  il  parut  dans  la  lice, 
non  pas  avec  un  char,  connue  d'autres  riches,  mais  avec 
sept,  et  où  il  remporta  les  tiois  premiers  prix.  Il  triompha 
aussi  aux  jeux  isthmiques  et  aux  jeux  néméens.  Il  passait 
les  jours  et  les  nuits  en  banquets  dans  les  bras  de  folles 
femmes ,  enlevant  celles  qui  lui  résistaient  et  se  parant  avec 
ostentation  de  magnifiques  robes  de  pourpre.  Il  se  fit  faire 
un  écu  doré  qui  ne  portait  ni  devise  ni  enseigne,  à  la  manière 
ordinaire  des  Athéniens,  mais  l'image  de  l'Amour  lançant  la 
tondre.  Tout  cela  lui  attira  la  haine  d'un  grand  nombrede  ses 
concitoyens ,  et  il  aurait  succombé  à  l'ostracisme  si,  de 
concert  avec  Nicias  et  Pliœax ,  (pii  craignaient  le  même  sort 
que  lui ,  il  n'avait  si  bien  pris  ses  mesures  qu'il  fit  con- 
damner à  l'exil  celui-là  même  qui  comptait  le  renverser. 
Peu  de  temps  après,  les  Athéniens  résolurent  une  expédi- 
tion contre  la  Sicile,  et  le  nommèrent  général  en  chef,  avec 
Nicias  et  Lamachus.  Pendant  qu'on  faisait  les  préparatifs, 
les  statues  de  Mercure  furent  toutes  mutilées  en  une  seule 
nuit.  Les  ennemis  d'Alcibiade  firent  tomber  sur  lui  le  soup- 
çon de  ce  crime  ;  mais  ils  différèrent  l'accusation.  A  peine 
tùt-il  embarqué  qu'ils  soulevèrent  contre  lui  les  esprits  des 
Athéniens ,  qui  le  rappelèrent  pour  le  juger.  AlcLbiade  avait 
déjà  obtenu  de  brillants  succès  en  Sicile  lorsqu'il  reçut 
l'ordre  qui  le  rappelait.  Il  obéit,  et  s'embarqua  ;  mais  arrivé 
à  Thurium,  il  descendit  à  terre  pour  se  cacher.  A  Athènes  on 
le  condamna  à  mort.  Lorsqu'il  en  reçut  la  nouvelle,  il  s'é- 
cria :  «  J'apprendrai  aux  Athéniens  que  je  vis  encore.  »  Il 
passa  d'abord  à  Argos,  puis  à  Sparte,  où  il  sut  si  bien  se 
plier  aux  mœurs  sévères  du  pays  que  là  aussi  il  devint  le 
favori  du  peuple.  Il  réussit  donc  à  engager  les  Lacédémo- 
niens  dans  une  alliance  avec  le  roi  de  Perse ,  et ,  après  l'is- 
sue malheureuse  de  l'expédition  des  Athéniens  contre  la  Si- 
cile ,  il  les  détermina  à  secourir  les  habitants  de  Chios  pour 
les  délivrer  du  joug  d'Athènes.  Il  s'y  rendit  kiimême.  A  son 
arrivée  dans  l'Asie  Mineure ,  il  souleva  toute  l'Ionie  contre 
les  Atliéniens ,  auxquels  il  fit  beaucoup  de  mal.  Jlais  Agis 
et  les  premiers  personnages  de  Sparte  furent  jaloux  de  ce 
succès ,  et  ordonnèrent  aux  généraux  qui  commandaient  en 
Asie  de  le  faire  tuer.  Alcibiade  découvrit  leur  projet ,  et  se 
rendit  auprès  de  Tissapheme,  satrape  du  roi  de  Perse,  qui 
avait  ordre  d'agir  de  concert  avec  les  Lacédémoniens.  Là , 
il  changea  encore  une  fôis  de  mœurs ,  se  plongea  tout  entier 
dans  le  luxe  de  l'Asie ,  et  sut  se  rendre  indispensable  au  sa- 
trape. Comme  il  ne  pouvait  plus  se  fier  aux  Spartiates ,  il 
entreprit  de  servir  sa  patrie,  et  représenta  à  Tissapheme 
qu'il  serait  contraire  aux  intérêts  du  grand  roi  d'épuiser 
entièrement  les  Athéniens  ;  qu'il  valait  bien  mieux  affaiblir 
Athènes  et  Sparte  l'une  après  l'autre.  Tissapheme  suivit  ce 
conseil ,  et  laissa  quelque  répit  aux  Athéniens.  Ces  derniers 
avaient  alors  des  forces  assez  considérables  à  Samos.  Alci- 
biade fit  dire  aux  généraux  que  s'ils  promettaient  d'arrêter 
la  licence  du  peuple  et  de  remettre  l'autorité  aux  mains  des 
grands,  il  leur  concilierait  l'amitié  de  Tissapheme.,  et  em- 
Iiêcherait  la  jonction  de  la  flotte  phénicienne  avec  la  Hotte 
des  Lacédémoniens.  Ces  conditions  furent  acceptées  par  les 
généraux ,  et  ils  envoyèrent  à  Athènes  Pisandre ,  l'un  d'eux  , 
qui  fit  remettre  le  gouvernement  à  un  conseil  composé  de 
quatre  cents  personnes;  mais  comme  las  membres  de  ce 
conseil  ne  songeaient  pas  à  rappeler  Alcibiade ,  l'armée  de 
Samos  lui  déféra  le  commandement ,  et  le  chargea  d'aller 
aussitôt  à  Athènes  pour  renverser  les  tyrans.  Cependant  il 
ne  voulait  pas  retourner  dans  sa  patrie  avant  de  lui  avoir 
rendu  quelques  services.  Il  attaqua  donc  la  Hotte  des  Lacé- 
démoniens, et  la  battit  complètement.  Il  retourna  ensuite 
auprès  de  Tissapheme,  et  ce  satrape  le  fit  arrêter  à  Sardes 
pour  n'être  pas  soupçonné  par  le  roi  de  Per.se  d'avoir  pris 
part  à  cette  expédition  ;  mais  Alcibiade  trouva  moyen  de 
s'échapper,  se  mit  à  la  lête  do  l'arniée,  défit  les  Lacédémo- 


ALCIDAMAS  27! 

niens  et  les  Perses  près  de  Cyzique,  sur  terre  et  sur  mer, 
enleva  Cyzique ,  Chalcédoine  et  Byzance ,  rendit  aux  Athé- 
niens l'empire  des  mers ,  et  retouma  enfin  dans  sa  patrie , 
où  il  avait  été  rappelé  sur  la  proposition  de  Critias.  Il  y  fut 
reçu  avec  un  enthousiasme  universel ,  parce  que  les  Athé- 
niens avaient  considéré  son  exil  comme  la  source  de  tous 
leurs  malheurs.  Cependant  ce  triompiie  fut  de  courte  durée. 
On  l'envoya  de  nouveau  en  Asie  tivec  cent  vaisseaux  ;  mais 
comme  il  ne  recevait  pas  d'argent  pour  la  solde  de  ses 
troupes ,  il  se  vit  contraint  d'aller  chercher  des  secours  en 
Carie ,  et  confia  le  commandement  pendant  son  absence  à 
Antiochus,  qui  se  laissa  attirer  par  L  y  sandre  dans  une 
embuscade ,  où  il  perdit  la  vie  avec  un  grand  nombre  de  ses 
vaisseaux.  Les  ennemis  d'Alcibiade  profitèrent  de  cet  acci- 
dent pour  l'accuser  et  pour  faire  nommer  d'autres  géné- 
raux. 

Alcibiade  se  rendit  alors  à  Pactyes  dans  la  Thrace ,  y  ras- 
sembla des  troupes,  et  fit  la  guerre  aux  peuples  libres  de  cette 
contrée.  Il  étonna  par  son  intempérance  les  rois  de  ce  pays, 
jaloux  de  voir  qu'il  supportait  encore  mieux  qu'eux  l'excès 
du  vin.  Il  fit  un  butin  considérable ,  et  assura  le  repos  des 
villes  grecques  voisines.  La  flotte  athénienne  était  alors  à 
jEgos-Potamos.  Il  avertit  les  généraux  du  danger  qui  les 
menaçait,  leur  conseilla  d'aller  à  Sestos,  et  leur  offrit  son 
secours  pour  forcer  le  général  Spartiate  Lysandre  à  une  ba- 
taille ou  à  la  paix  ;  mais  ils  n'écoutèrent  pas  ces  proposi- 
tions ,  et  furent  bientôt  complètement  battus.  Alcibiade , 
qui  craignait  la  vengeance  des  Lacédémoniens  ,  se  retira  en 
Bithynie,  d'où  il  voulait  passer  à  la  cour  du  roi  de  Perse 
poui-  l'attirer  à  la  cause  de  son  pays.  Cependant  les  trente 
tyrans  que  Lysandre  avait  établis  à  Athènes  après  la  con- 
quête de  cette  ville  avaient  prié  ce  général  de  faire  tuer  Al- 
cibiade ;  mais  Lysandre  avait  refusé  de  se  rendre  à  ce  désir, 
jusqu'à  ce  qu'il  reçût  le  même  ordre  de  sa  patrie.  Il  en  confia 
l'exécution  à  Pharnabaze.  Alcibiade  se  trouvait  alors  en 
Phrygie  avec  Timandra,  sa  maîtresse.  Les  émissaires  de 
Pharnabaze  mirent  le  feu  à  sa  demeure  pendant  la  nuit,  el 
le  tuèrent  à  coups  de  flèches  au  moment  où  il  venait  d'é- 
chapper à  l'incendie.  Timandra  lui  rendit  les  honneurs  *i 
la  sépulture. 

Ainsi  mouret  Alcibiade ,  404  ans  avant  J.-C,  environ 
à  l'âge  de  quarante-cinq  ans.  La  nature  l'avait  orné  de  so- 
dons  les  plus  rares  ;  il  possédait  à  un  haut  point  le  ta- 
lent de  séduire  et  de  dominer  les  hommes,  et  son  éloquence 
était  entraînante,  quoiqu'il  ne  pût  prononcer  la  lettre  r  et 
qu'il  bégayât.  Jlalheureusement ,  ces  qualités  extraordi- 
naires ,  les  circonstances  seules  en  réglèrent  l'usage.  Il  était 
privé  de  cette  grandeur  d'âme  qui  accompagne  toujours  la 
vertu;  mais  il  avait  cette  audace  qu'inspire  la  conscience  de 
la  supériorité ,  et  qui  ne  recule  devant  aucun  obstacle ,  parce^ 
qu'elle  n'hésite  jamais  sur  le  choix  des  moyens  qui  peuvent 
conduire  au  but.  Parmi  les  auteurs  anciens ,  Plutarque  et 
Cornélius  Népos  ont  écrit  sa  vie. 

ALCID AIMAS,  rhéteur  grec ,  né  à  Élée,  ville  de  l'Asie 
Mineure ,  florissait  vers  l'an  420  avant  J.-C,  à  la  même  épo- 
que qu'Isocrate.  11  avait  été  disciple  de  Gorgias,  et  avait 
composé  divers  ouvrages  qui  ne  sont  pas  parvenus  jusqu'à 
nous.  Plutarque  prétend  que  c'est  dans  un  traité  de  rhéto- 
rique d'Alcidamas  que  Démosthène  puisa  les  premières  no- 
tions de  son  art  ;  et  Cicéron  vante  le  talent  dont  il  avait  fait 
preuve  dans  un  éloge  de  la  mort.  Aristote ,  de  son  côié ,  cite 
les  écrits  de  ce  rhéteur  comme  les  modèles  du  style  froid  et 
ampoulé.  Deux  dissertations  ou  déclamations  d'Alcidamas, 
ou  du  moins  qui  lui  sont  attribuées  par  les  anciens,  ont  éîô 
recueillies  dans  la  collection  de  Henri  Esticnne  et  dans  cello 
de  Reiske  :  l'une  est  une  Accusafion  d'Ulysse  contre  Pala- 
mède,  pour  cause  de  trahison  ;  l'autre  est  dirigée  contre  les. 
rhéteurs  et  sophistes  contemporains  de  l'auteur;  il  leur  re- 
proche de  n'avoir  pas  le  talent  de  l'improvisation  et  d'avoir 
recours  à  l'éloquence  érrifc.  Toutes  deux  sont  icmaniuahlss. 


572 


ALCIDAMAS  —  ALCOOL 


par  la  sage  simplicité  du  sljle ,  simplicité  qui  n'exclut  pas 
IVh'finncc. 

ALCIDE,  surnom  d'Hercule,  que,  d'après  rexjUication 
la  plus  couunime ,  on  fait  dériver  d'Alcée ,  son  grand-père , 
père  d'Anipliitryon. 

ALCIDE  TOUSEZ.  Voyez  Tolsez. 

ALCLXOilS,  roi  des  riicacicns,  dont  Homère,  dans 
rodyssc'e,  vante  les  admiraMcs  jardins,  et  qui  accueillit 
Ulysse  lorsque,  après  la  prise  de  ïroie,  telui-ci  cliercliait  à 
revenir  dans  sa  patrie,  sans  pouvoir  y  rentrer.  L'ile  des 
Pliéaciens  était  celle  (le  Corcyre,  aujourd'hui  Corlou.  Al- 
cinoiis  avait  pour  liiie  ^ausicaâ. 

AL(>IXOiJS,  philosophe  platonicien  du  second  siècle, 
un  de  ceux  qui  préparèrent  le  syncrétisme ,  n'est  connu  que 
par  un  ouvrage  qu'il  a  laissé  sous  ce  titre  :  In/roducOon  à 
la  rhilosopliie  de  Platon.  Ce  livre  a  été  traduit  plusieurs 
fois  en  latin ,  entre  autres  par  Marsile  Ficin  ( Aenisc,  1497 , 
et  Paris,  1537  ),  et  aussi  par  D.  Lambin  (Paris,  15G7).  Ces 
éditions  sont  assez  rares,  rischor  en  a  publié  une ,  «pi'il  a 
jointe  à  ÏEulliyi)liron  de  Platon  (Leipzig,  17«7,  in-b"  ). 
Jl  existe  une  traduction  française  du  livre  d'Alcinoiis,  par 
Combes-Dounous  (  Paris,  ISOO  ,  in-12). 

ALCiPlIROA' ,  le  premier  des  épistolograpbcs 
grecs ,  c'est-à-dire  des  beaux-esprits  qui  ont  composé  des 
lettres.  On  ne  sait  rien  de  sa  vie  ;  l'époque  même  où  il  a 
vécu  est  incertaine;  on  le  croit  pourtant,  d'après  un  pas- 
sage d'Aristénète ,  contemporain  de  Lucien,  qui  écrivait  au 
deuxième  siècle  de  l'ère  chrétienne.  Nous  avons  de  lui  cent 
seize  lettres,  presque  toutes  datées  d'Athènes,  dont  il  a  ima- 
giné les  sujets ,  et  où  son  but  paraît  être  de  mettre  en  scène, 
à  la  façon  de  la  comédie,  des  hommes  de  certaines  condi- 
tions, de  certaines  classes  bien  tranchées,  pour  leur  faire 
décrire  à  eux-mêmes  leur  vie,  leurs  travaux,  leurs  actions, 
leurs  pensées  et  leurs  sentiments.  Ces  lettres  se  distinguent 
par  la  pureté,  la  clarté  et  la  simplicité  du  langage  et  du 
style;  elles  sont  utiles  à  consulter  pour  la  connaissance  par- 
faite de  l'anticpiité  et  des  dialectes  grecs  au  deuxième  siècle. 
On  cite  les  éditions  de  Genève,  1606  ;  de  Leipzig,  1Â15  et 
17"JS,  par  J.-A.  NYagner;  ces  lettres  ont  été  traduites  en 
français  par  l'abbé  Richard  (  Paris,  1785  ). 

ALCJ\IAI\  ,  poète  grec ,  lils  d'un  esclave  Spartiate  ,  né  à 
Sardes,  en  Lydie,  vers  l'an  670  avant  J.-C.  H  paraît  qu'il 
passa  la  plus  grande  partie  de  sa  vie  à  Sparte ,  où  il  avait 
obtenu  le  droit  de  cité  et  où  son  talent  de  poète  était  tenu 
en  grand  honneur.  Les  Lacédémuniens  lui  élevèrent  un  mo- 
nument après  sa  mort,  et  quatre  grammairiens  d'Alexandrie 
commentèrent  ses  ouvrages,  dont  nous  n'avons  aujourd'hui 
<iue  quelques  fragments  très-remarquables.  NYelcUer  a  publié 
en  1S15,  à  Giessen,  ce  qui  nous  reste  de  ses  hymnes  et  autres 
poèmes  lyriques  ,  écrits  en  dialecte  dorique. 

ALCMAA'IEN,  sorte  de  vers  inventé  par  Alcman. 
Ce  poète,  rapporte  Suidas,  bannit  le  vers  hexamètre  des 
poésies  lyriques  ou  chantantes,  pour  y  substituer  une  me- 
sure plus  légère  et  plus  gracieuse;  il  créa,  à  cet  effet,  le 
vers  ([ui  a  conservé  son  nom,  et  qui  se  conq)osc  de  trois 
dactyles  suivis  d'une  syllabe. 

ALCMEA'E,  tille  d'Électryon  et  femme  d'Amphitryon. 
Jupiter,  en  étant  devenu  amoureux,  prit  la  figure  de  son 
époux  pour  la  tromper.  Elle  en  eut  un  lils,  qui  devint  célèbre 
sous  le  nom  d'il  e  r  c  u  1  e. 

ALOIEOX,  lils  d'Amphiaraiis  et  d'Ériphyle,  naquit  à 
Argos.  Ayant  été  élu  chefdes  sept  épigones,  il  prit  d'as- 
saut la  ville  de  Thèbes,  et  la  saccagea.  Pour  venger  la  mort 
de  son  père  Amphiaraùs,  il  tua  sa  mère  Lriphyle,  et  par  son 
ordre.  Depuis  ce  parricide,  Alcnuon  fut  tourmenté  jiar  les 
riiries.  Unoratle  lui  avait  prédit  qu'il  n'en  serait  délivré  que 
loisipi'il  arriverait  dans  un  pays  (jui  n'aurait  point  existé 
au  moment  où  sa  mère  l'avait  maudit.  Aicméon  trouva 
enllii  le  repos  dans  une  ile  qui  venait  de  se  former  dons  le 
fleuve  Achéloiis.  S'y  étant  lixé,  il  éiioùsa  Callirhoé,  la  tille 


de  ce  neuve,  après  avoir  répudié  sa  première  femme,  Arsl- 
noé,  fdle  du  prêtre  Phégée.  Aicméon  ne  jouit  pas  longtemps 
de  sa  nouvelle  conquête.  Sa  femme  lui  ayant  demandé  le 
collitT  d'Hermione ,  dont  il  avait  fait  présent  à  sa  première 
fcuune ,  Aicméon  se  rendit  auprès  de  Phégée  et  le  lui  déroba. 
Les  lils  de  Phégée  se  mirent  à  sa  poursuite,  et  le  tuèrent. 

ALC;\IEOI\  ,  philosophe  pythagoricien  ,  né  à  Crotone 
vers  500  avant  J.-C.  Aicméon  avait  entendu  Pythagorc  sur 
la  lin  de  sa  vie.  11  se  fd  un  nom  dans  la  suite  par  l'élude  de 
la  nature  et  par  la  pratique  de  la  médecine.  11  passe  pour 
être  le  premier  qui  ait  disséqué  des  animaux.  Cet  élève  de 
Pythagore  attribuait  les  éclipses  à  la  révolution  de  la  lune;  — 
il  croyait  que  les  planètes  .se  mouvaient  d'un  mouvement 
contraire  à  celui  des  étoiles  fixes;  —  que  l'âme  habitait 
principalement  dans  le  cerveau  ;  —  que  dans  le  développe- 
ment de  l'embryon  la  tête  se  formait  la  première;  —  qne 
la  santé  dépendait  d'une  égalité  dans  la  chaleur,  la  séche- 
resse, le  froid,  l'humidité,  la  douceur,  l'amertume  et  au- 
tres qualités  semblables.  Selon  Aicméon,  les  maladies  nais- 
saient lorsque  l'une  de  ces  choses  dominait  sur  les  autres 
et  en  rompait  ainsi  l'union  et  l'équilibre  :  ces  idées  ont  été 
les  premiers  fondements  <ie  toutes  les  théories  anciennes, 
des  différentes  classes  à' intempéries,  et  les  distinctions 
fameuses  reçues  encore  aujourd'hui  chez  les  modernes ,  de 
quatre  tempéraments. 

ALCOOL.  Depuis  \m  temps  immémorial  on  sait  que 
les  sucs  de  certains  fruits  donnent ,  dans  des  circonstances 
particulières  ,  des  liqueurs  plus  ou  moins  analogues  au  vin^ 
et  qui,  comme  lui,  ont  la  propriété  d'enivrer.  Toutes  ces 
liqueurs  sont  susceptibles  de  donner  par  la  distillation  un 
autre  liquide  spiritueux  qui  porte  le  nom  di  alcool,  esprit 
de  vin  ou  eau-de-vie.  Ce  liquide  a  des  propriétés  qui  sont 
constamment  les  mêmes  ;  mais  il  en  présente  quelques-imes 
de  particulières,  selon  l'espèce  de  hqueur  fermentée  d'où 
on  Ta  retiré,  et  qui  permettent  de  distinguer  son  origine. 
C'est  ainsi  que  l'eau-de-vie  de  mélasse ,  ou  rhum ,  celle  de 
cerises  noires,  ou  kirsch-xcasser,  celle  de  grains ,  se  distin- 
guent de  l'eau-de-vie  de  vin.  Quelques  fois  la  saveur  parti- 
culière des  liqueurs  alcooliques  les  fait  rechercher  pour 
l'usage  domestique,  et  n'offre  rien  que  d'agréable;  d'autres 
fois  elle  présente  des  inconvénients  auxquels  l'habitude 
seule  peut  rendre  indifférent.  C'est  ainsi  que  le  rhum  et  le 
kirscli-wasser  ont  une  saveur  qui  est  généralement  goûtée, 
tandis  que  l'eau-de-vie  de  pommes  de  terre  et  de  grains  en 
a  une  acre  et  brûlante ,  à  laquelle  beaucoup  de  personnes 
ne  peuvent  s'accoutumer.  La  première  est  due  à  un  prin- 
cipe aromatique  qui  n'a  pu  en  être  isolé  ;  celle  de  Teau-de- 
vie  de  grains  l'est,  au  contraire,  à  une  substance  huileuse, 
dont  l'àcreté  est  telle  que  quelques  gouttes  suffisent  pour 
gâter  une  pièce  de  ce  liquide.  Comme  cette  huile  est  moins 
volatile  que  l'eau-de-vie,  on  peut  la  séparer  par  des  distilla- 
tions convenables ,  et  enlever  presque  entièrement  à  l'eau- 
de-vie  la  saveur  (pi'elle  devait  à  celte  substance.  L'alcool 
pur  ne  di  Itère  de  l'eau-de-vie  que  par  la  quantité  d'eau  que 
celle-ci  renferme;  cependant  on  trouve  une  très-grande 
différence  de  saveur  entre  un  mélange  d'alcool  et  d'eau  et 
de  l'eau-tle-vie  au  même  degré  de  force  :  cela  peut  tenir  à 
une  combinaison  plus  intime  de  l'eau  et  de  l'alcool ,  ou  à 
l'existence  d'une  petite  ipiantité  de  substance  aiomatique 
que  renferme  l'eau-de-vie,  qui,  en  raison  de  sa  moindre 
force,  a  été  obteiuie  à  une  plus  haute  température. 

L'alcool  pur,  que  nous  prendrons  pour  exemple  des  pro- 
priétés de  ce  corps,  est  un  lifpiide  incolore,  d'une  saveur 
forte  et  brûlante  ,  d'ime  odeur  agréable  et  d'une  pesanteur 
spécifique  de  0,7i)2.  D'après  les  meilleures  analyses,  l'alcool  / 
rectifié  résulte  des  trois  éléments  suivants  :  carbone,  2  ato- 
mes; hydrogiue,  6  atomes;  oxygène,  1  atome.  L'alcool 
absorbe  un  grand  nombre  de  gaz,  tels  que  l'oxygène,  l'acide 
carbonique,  le  protoxyde  d'azole.  11  brûle  avec  la  plus 
grande  facilité,  eu  se  décomposimt  eu  eau  et  en  acide  car- 


ALCOOL  —  ALCOVE 


honiqiio.  Son  pouvoir  réfrigt^ianl  est  consitli'iable ;  sa  flamme 
ne  laiss;e  i>as  déposer  de  noir  do  l'innée ,  comme  lo  font  d'au- 
tres substances  trés-combustibles.  Lorsqu'on  nu'lc  faicool 
pur  avec  l'eau,  il  se  doi;age  de  la  chaleur;  mais  si,  au  con- 
tialre,  on  le  mi'le  avec  de  la  nci^e  on  de  la  glace  pilée,  il  se 
produit  un  abaissement  de  température  :  c'est  ainsi  (jue  lors- 
<lu'on  niéle  de  l'alcool  anhydre  avec  de  la  neige  à  la  mCme 
température,  le  froid  peut  descendre  jusqu'à  37"'  quand  la  quan- 
tité de  neige  excède  celle  que  l'alcool  peut  fondre.  Le  froid 
le  |)lus  vif  qu'on  ait  pu  produire  n'a  pu  solidifier  l'alcool.  La 
plupart  des   acides  minéraux  décomposent   l'alcool  et  le 
transforment  en  éther.  Il  dissout  le  soufre,  l'iode ,  le  phos- 
phore, les  alcalis  minéraux  et  végétaux  et  les  sels  déliques- 
cents. Les  résines ,  les  huiles ,  les  baumes ,  les  savons  ,  etc. , 
s'y  dissolvent  en  général  facilement.  On  ne  peut  obtenir  di- 
rectement l'alcool  anhydre  par  la  distillation  ;  dans  ce  cas 
le  produit  le  plus  concentré  renferme  toujours  une  quantité 
d'eau  assez  considérable.  Mais  en  laissant  quelque  temps 
en  contact  cet  alcool  avec  une  substance  très-avide  d'eau , 
comme  la  chaux  vive  ou  le  chlorure  de  calcium ,  et  distillant 
ensuite  à  une  température  très-douce,  on  obtient  un  alcool 
plus  fort.  L'alcool  bout  à  une  température  d'autant  moins 
élevée  qu'il  est  plus  pur;  l'alcool  absolu  ,  ou  anhydre ,  bout 
à  78°.  Veaic  de  vie  contient  50  à  52  pour  100  d'alcool;  ce 
qui  correspond  à  la  densité  de  0,9  à  0,95.  Valcool  rectifié 
contient  de  66  à  70  p.  100  d'alcool;  sa  densité  est  de  0,88 
à  0,89.  Valcool  absolu  renferme   90  p.   100  d'alcool  ;  sa 
densité  est  de  0,836  à  0,841,  à  la  température  de  I5°,55 
centigrades.  Si  on  fait  chauffer  un  mélange  d'eau  et  d'alcool, 
il  se  séparera  d'abord  une  portion  de  celui-ci  mêlée  d'une 
petite  quantité  d'eau  ;  à  mesure  que  l'on  avancera,  la  pro- 
portion de  l'eau  deviendra  plus  grande ,  et  par  conséquent 
l'alcool  s'affaiblira ,  de  sorte  que  les  dernières  portions  seront 
à  peine  alcooliques.  C'est  sur  ce  principe  qu'est  fondé  l'art 
de  la  distillation. 

Si  on  renferme  un  mélange  d'alcool  et  deau  dans  un  vase 
dont  on  ferme  l'ouverture  avec  un  morceau  de  vessie ,  on 
trouve,  après  quelque  temps,  que  la  liqueur  a  acquis  de  la 
force  :  cet  effet  se  continue  pendant  un  certain  temps. 
L'eau,  se  réduisant  en  vapeurs,  traverse  plus  facilement  la 
vessie  que  ne  le  fait  l'alcool,  et  donne  lieu  à  la  concentration 
de  la  liqueur.  Cette  singulière  propriété,  découverte  par  un 
chimiste  allemand ,  avait  été  regardée  comme  susceptible 
d'une  application  utile;  mais  son  effet  paraît  être  trop  borné 
pour  qu'elle  le  soit  réellement. 

iVous  avons  dit  précédemment  que  toutes  les  liqueurs  qui 
ont  subi  la  fermentation  donnaient,  quand  on  les  distil- 
lait ,  de  l'alcool  dont  la  nature  était  toujours  la  même.  Les 
chimistes  sont  restés  longtemps  divisés  sur  la  question  de 
savoir  si  l'alcool  existait  dans  les  liqueurs  fermentées,  ou 
s'il  se  formait  dans  la  distillation  :  les  faits  qui  ont  ])rouvé 
l'existence  de  l'alcool  dans  le  vin  .sont  trop  curieux  pour  que 
nous  ne  les  rapportions  pas  ici  :  ils  sont  dus  à  M.  Gay- 
Lussac.  En  distillant  du  vin  dans  le  vide  à  une  tempéra- 
ture de  15°,  plus  de  moitié  moindre  que  celle  du  corps 
humain ,  on  en  obtient  de  l'alcool,  qui  ne  peut  se  former  à 
une  aussi  faible  température  s'il  ne  l'est  déjà,  puisque  celle 
de  l'atmosphère  est  très-souvent  supérieure.  En  agitant  du 
vin  avec  de  la  litharge  en  poudre  fine ,  on  le  décolore  entiè- 
rement. Si  on  y  jette,  jusqu'à  ce  qu'il  refuse  d'en  dissoudre, 
du  sous-carbonate  de  potasse,  celui-ci  s'empare  de  l'eau, 
et  l'alcool  vient  former  à  la  surface  une  couche  plus  ou 
moins  épaisse ,  que  l'on  peut  séparer  facilement.  —  Il  n'est 
pas  nécessaire  que  des  liqueurs  fermentées  soient  potables 
pour  qu'on  puisse  en  extraire  de  l'alcool,  et,  par  différents 
procédés,  on  en  prépare  très  en  grand  dans  le  but  seul  de 
les  soumettre  à  la  distillation  ,  tandis  qu'il  serait  impossible 
de  les  faire  servir  aux  usages  de  la  table. 

L'alcool,  à  .ses  divers  degrés  de  force,  est  employé  à  une 
foule  d'usages,  soit  comme  boisson ,  soit  pour  la  prépara- 

niCT.    DE    LA   COiNVEUS.    —  T.   I. 


273 


lion  d'un  grand  nombre  de  substances  utiles  dans  les  arts, 
ou  de  médicaments.  Comme  l'alcool  pur  est  très-avided'eau* 
et  qu'il  l'enlève  aux  matières  avec  lesquelles  il  est  mis  ei'i 
contact,  il  est  d'un  usage  précieux  pour  la  conservation 
des  pièces  anatomiqiies.  On  en  fait  une  grande  consom- 
mation pour  la  fabrication  des  vernis.  Les  eaux-de-vie 
connues  sous  les  nom  de  rhum,  de  rach,  de  kirscJi- 
wasser,  de  tafia,  ne  sont  jamais  employées  que  pour  la 
table.  Les  arts  peuvent  également  faire  usage  de  celles  qui  sont 
extraites  de  toutes  les  liqueurs  fermentées  L'eau-de-vie  est 
habituellement  colorée,  quoiqu'on  sortant  des  appareils  de 
distillation  elle  soit  absolument  incolore;  l'usage  le  veut 
ainsi,  et  on  la  colore  artiliciellement,  soit  en  la  plaçant  dans 
des  fûts  neufs,  dont  le  bois  lui  cède  une  petite  quantité  de 
matière  colorante,  soit  en  y  mêlant  un  peu  de  caramel  :  du 
reste,  cela  ne  change  rien  à  ses  propriétés.  Quoique  l'usage 
trop  répété  des  liqueurs  alcooliques  présente  des  inconvé- 
nients graves  pour  la  santé,  il  ne  résulte  pas  d'accidents  im- 
médiats de  leur  emploi,  tandis  que  l'alcool  concentré  pour- 
rait en  produire,  et  donner  môme  la  mort  si  on  en  avalait  une 
quantité  assez  considérable.  Cet  effet  est  dii  à  la  facilité  avec 
laquelle  il  s'empare  de  l'eau  :  il  agit  alors  sur  les  tissus  aïii- 
inaux  en  les  racornissant.  Affaibli  et  pris  en  petite  quantité, 
il  occasionne  une  chaleur  plus  ou  moins  vive  à  l'épigastre' 
une  irritation  plus  ou  moins  grande  du  système  nerveux  \ 
l'accélération  de  la  circulation,  en  un  mot  une  excitation  gé- 
nérale. En  grande  quantité,  il  détermine  l'ivresse,  carac- 
téri,séeparun  coma  profond,  l'inflammation  de  l'estomac,  etc., 
et  il  peut  même  déterminer  la  mort.  Quand  l'alcool  est 
abandonné  dans  l'air,  il  en  attire  l'humidité,  et  perd  plus  ou 
moins  de  sa  force  ;  si  on  le  mêle  avec  de  l'eau,  il  en  résulte 
M\\  effet  semblable  ;  mais  il  offre  un  phénomène  singulier  : 
c'est  que  le  mélange  occupe  plus  ou  moins  de  volmiie  que 
les  deux  liqueurs  réunies,  selon  ses  proportions,  et  que  sa 
densité  varie  aussi.  H.  Gaultier  de  Clacbrv. 

Le  haut  prix  des  vins  a  donné  une  grande  importance  à  la 
fabrication  de  l'alcool  tiré  d'autres  substances.  On  en  obtient 
surtout  de  la  betterave  ,  de  divers  légumes,  de  l'asphodèle  , 
des  figues,  etc.  Il  a  été  interdit  d'en  extraire  des  grains  sans 
permission.  2. 

ALCOOLAT ,  ALCOOLE.  Le  premier  de  ces' mots 
a  été  inventé  par  Chaussier  pour  désigner  les  préparations 
alcooliques  médicamenteuses  faites  à  l'aide  delà  distillation; 
l'esprit  de  cannelle,  par  exemple,  qui  se  prépare  en  distillant 
une  partie  de  cette  écorce  dans  huit  parties  d'esprit-de-vin, 
est  un  alcoolat  :  le  baume  de  Fioraventi ,  qui  résulte  de  la 
distillation  du  même  liquide  sur  un  mélange  bizarre  d'une 
quinzaine  de  substances  diverses  et  de  térébenthine,  est  aussi 
un  alcoolat  :  il  en  est  de  même  de  l'eau  de  Cologne.  On 
peut  donc  dire  qu'un  alcoolat  n'est  que  de  l'alcool  impré- 
gné intérieurement  d'une  ou  plusieurs  huiles  essenliellt^^. 
moyennant  la  distillation.  —  Par  alcoolé  on  désigne  les 
mêmes  préparations  alcooliques  faites  à  froid  par  simple 
solution  ou  macération,  comme  l'eau-de-vie  camphrée,  i;ar 
exemple,  ainsi  que  plusieurs  liqueurs  aromatisées  qu'on  sert 
sur  les  tables.  —  On  voit  donc  que,  sous  le  nom.  d'alcoolat 
ou  sous  celui  d'alcoolé,  il  faut  entendre  une  préparation 
dont  le  degré  d'énergie  est  en  raison  composée  de  la  quan- 
tité d'alcool ,  de  sa  rectification ,  de  la  nature  et  de  la 
quantité  des  substances  qu'il  s'est  assimilées. 

ALCOOLOMÈTiRE.  Voyez  Aréomètre. 

ALCORAIV.  Voijez  Coran. 

ALCÔVE.  C'est,  dans  une  chambre  à  coucher,  la  partie 
où  est  placé  le  lit,  quelquefois  avec  de  menus  meubles  dont 
on  peut  avoir  besoin.  Deux  petits  cabinets  sont  souvent 
placés  aux  deux  côtés  de  l'alcôve  ;  dans  tous  les  cas,  une 
décoration  particulière ,  soit  en  menuiserie,  .soit  en  étoffe, 
fait  de  l'alcôve  une  partie  distincte  du  reste  de  la  chambre  à 
coucher.  On  a  aussi  fermé  les  alcôves  par  de  grandes  por- 
tes qui  ne  restent  oiivei  tes  que  ia  nuit;  on  a  renoncé  à  cette 

35 


274  ALCOVE  — 

«lisposition,  qui  est  malsaine,  le  lit  et  les  vêtements  de  nuit 
ayant  besoin  d'«5tre  aérés.  Autrefois,  dans  les  appartements 
dos  princes,  les  alcôves  étaient  assez  grandes  pour  qu'on  put 
y  admettre  et  y  faire  asseoir  quelques  personnes  de  la  plus 
narfa'*' intimité.  Les  anciens  ont  aussi  eu  des  alcôves;  on 
en  a  trouvé  à  Pompéi  et  à  la  villa  Adriana.  —  Le  mot  al- 
côve vient  certainement  de  l'espagnol  atcoba,  et  il  est  pro- 
bable que  celui-ci  dérive  des  mots  arabes  al  koba,  la  ca- 
bane, la  chambre,  l'endroit  où  on  couche. 

ALCUDIA  (Duc  d').  Voyez  Godoï. 

ALCUIIV  (  ALCir.NLS  Flacccs  )  fut  le  maître  et  l'ami  de 
Char  le  magne.  Il  naquit  en  732,  selon  les  uns  à  York, 
selon  les  autres  à  Londres.  Élève  de  Bède  et  de  l'évèque 
Eckert,  deux  des  savants  les  plus  illustres  du  temps,  il  dut 
à  la  protection  de  ce  dernier  l'abbaye  de  Cantorbéry.  S'é- 
lant  arrêté  à  Parme  au  retour  d'un  voyage  qu'il  avait  fait 
à  Itome,  il  eut  occasion  de  voir  Cbarlemagne,  qui  s'y  trou- 
vait alors.  Ce  prince  conçut  pour  lui  tant  d'estime,  qu'il 
lui  conlia,  en  7»2,  la  direction  intellectuelle  de  son  empire. 
Alcuin  s'empressa  de  ranimer  les  études  en  France,  où  le 
clerçé  avait  oublié  jusqu'à  la  langue  dans  laquelle  sa  li- 
turgie était  écrite.  Charlemagne  le  seconda  dans  cette  tâche 
difficile,  et  adressa  une  sorte  de  lettre  encyclique  à  tous  les 
évêques  et  abbés  de  son  royaume  sur  l'état  de  l'instruc- 
tion. Les  efforts  de  l'empereur  et  de  celui  auquel  il  donnait, 
en  lui  écrivant,  le  titre  de  maître  et  de  précepteur,  ne  tar- 
dèrent pas  à  aboutir  à  de  féconds  résultats.  Lyon,  Orléans, 
Tours  et  plusieurs  autres  villes  importantes  eurent  bientôt 
un  enseignement  complet.  Alcuin  ne  se  contenta  pas  seule- 
ment de  diriger;  il  écrivit  une  foule  de  petits  traités  sous 
forme  de  dialogues,  dont  Charlemagne  est  toujours  l'interlo- 
cuteur, et  il  établit  à  la  cour  une  académie  qui  prit  le 
nom  d''Académie  Palatine.  Chargé  de  la  surveillance  de 
tous  les  couvents,  il  y  répandit  son  instruction  et  ses  lu- 
mières. Il  ouvrit  en  France  plusieurs  écoles,  et  fonda,  entre 
autres,  l'abbaye  de  Saint-Martin.  —  En  801  il  quitta  la  cour, 
et  se  retira  à  l'abbaye  de  Saint->îartin,  d'où  il  entretint 
jnsqu'àses  derniers  moments  une  correspondance  suivie  avec 
l'empereur.  Il  mourut  en  804.  —  Alcuin  fut  un  des  hommes 
célèbres  de  son  temps.  Il  possédait  à  fond  les  langues  latiue, 
grecque  et  hébraïque.  On  a  aussi  de  lui  quelques  essais 
poctitpies  qui  se  ressentent  de  la  baibarie  de  l'époque.  Ses 
ouvrages  furent  publiés  à  Paris  en  1617,  et  à  Ratisboime 
en  1777,  en  deux  volumes  in-folio.  Ils  sont  un  monument 
précieux  de  l'état  des  connaissances  humain*>s  et  de  la  foi 
catholique  au  huitième  siècle.  —  Alcuin  est  aussi  connu 
sous  le  nom  de  Flacats  Albïnus,  nom  sous  lequel  il  fut 
béatifié  et  qu'il  prit  comme  membre  de  PAcadéraie  Pala- 
tine. 

ALCYON.  Ce  nom ,  qui  rappelle  la  fable  de  Céyx  et 
d'.\lcyone,  a  été  donné  par  les  anciens  à  un  oiseau  dont 
ou  ignore  aujourd'hui  re,spèce.  Quelques  naturalistes  veu- 
lent que  ce  soit  \&  pétrel;  quelques  autres,  Vkirondelte  sa- 
lanqxie,  dont  les  nids  sont  recherchés  par  les  Chinois  comme 
un  mets  délicieux.  Cejiendant  on  désigne  assez  généralement 
sous  ce  nom  le  mariin-péckeur  à  dos  bleu  de  nos  climats. 

Voyez  MxRTtN-I'ÊCUElR. 

ÀLCYOXE,  ou  HALC^ONE,  était  fdle  d'ÉoIe.  Ayant 
rencontré  un  jour  sur  les  bords  de  la  mer  le  cadavre  de  son 
époux  Céyx,  qui  venait  d'être  englouti  dans  les  abîmes  par 
une  tempête,  elle  se  précipita  to\it  éperdue  sur  ces  pré- 
cieux restes,  et  les  dieux,  touchés  de  ses  pleurs  et  de  son  dé- 
sespoir, les  métamorphosèrent  l'un  et  l'autre  en  oiseaux  que 
les  anciens  apfielaient  alcyons,  et  voulurent  que  désor- 
mais la  mer  restât  calme  pendant  tout  le  temps  que  ces  oi- 
seaux mettaient  d'ordinaire  à  faire  leur  nid  et  à  couver 
leurs  œufs. —  La  mythologie  cite  une  autre  Alcyone,  lille 
d'Atlas  et  de  Pléione,  qui  fut  rendue  mère  d'Aréthusepar>f|)- 
tune,et  d'fileuthère  par  Apollon.  Alcyone,  métamorphosée 
enétoile,  forma  avec  ses  sœurs  la  constellation  desPléiades. 


ALDEHYDE 

ALCYO\'IEIVS.  Un  genre  de  polypes  connus  sous  le 
nom  il\ilcyo)is  ont  été  pris  jwur  ty|»e  d'un  groupe  considé- 
rable de  poly|)es  ,  (jue  M.  Milne  Edwards  a  proposé  d'ériger 
en  famille  sous  le  nom  d'alcyonicns.  Ces  zoophytes  forment 
sa  troisième  famille  dans  l'ordre  des  polypes  parenchyma- 
tcux.  Les  alcyoniens  sont  des  animaux  dont  la  bouche,  en- 
tourée de  tentacules  pinnés  au  nombre  de  six  ou  huit  seule- 
ment, conduit  dans  une  cavité  digestive  précédée  d'un 
œsophage,  qui  a  ses  parois  garnies  dehuit  ou  six  lames  ova- 
riennes. Celte  famille  comprend  cinq  tribus,  savoir  :  les  al- 
cyoniens pierreux  (  genres  tubipore,  favosite,  caténi- 
pore,  etc.),  ie^  alcyoniens  dendroïdes  (corail,  isis,  gor- 
gones, etc.),  les  alcyoniens  libres  (pennatulaires),  lesa/- 
cyoniens  rampants  (genre  cornulaire)  et  les  alcyoniens 
massifs  (genre  alcyon  proprement  dit  et  alcyonide  ).  —  Les 
alcyonides  offrent,  d'après  les  observations  de  M.  Milne 
Edwards,  un  caractère  qui  les  distingue  de  tous  les  autres 
alcyoniens,  et  qui  consiste  en  ce  que  leur  canal  intestinal 
communique  avec  une  cavité  commune  ;  et  les  aliments 
avalés  par  un  des  polypes  peuvent  profitera  tous  les  autres, 
puisqu'il  y  a  un  seul  estomac  sans  anus  et  autant  de  bouches 
que  de  canaux  intestinaux  individuels.  Suivant  le  même 
zoologiste,  il  existe  aussi  des  alcyons  qui  sont  des  individus 
isolés  et  non  réunis,  comme  dans  tous  les  genres  des  tribus 
qu'il  a  établies.  L.  Lairent. 

ALCYOIViVELLE.  Genre  de  polypes  institué  par  La- 
marck  d'après  une  production  subérilorme  découverte  par 
Eruguières,  qui  Tavait  rangée  parmi  les  alcyons.  M.  de  Blain- 
ville  caractérise  ainsi  Talcyonnelle  :  animaux  hydriformes  , 
pourvus  de  tentacules  assez  nombreux,  disposés  en  fer  à 
cheval  ou  cercle  incomplet,  rétractiles  dans  une  sorte  de 
polypier  fixé,  subéreux,  composé  de  tubes  verticaux  ,  sub- 
pentagonaux,  remplis  de  corpuscules  graniformes.  L'alcyon- 
nelle,  réunie  à  d'autres  polypes  à  panache  en  fer  à  cheval 
ou  en  cercle,  a  été  d'abord  élevée  au  rang  de  troisième  sous- 
classe  de  polypiaires,  sous  le  nom  de  polypes  douteux,  par 
le  même  zoologiste.  L'élude  plus  approfondie  qu'on  a  faite 
dans  ces  derniers  temps  de  l'organisation  de  l'alcyonnelle  et 
des  autres  polypes  douteux  a  permis  à  MM.  Elu-enberg, 
rsordman,  Vanl)eneden  et  Dumortier,  d'obtenir  des  résul- 
tats qui  autorisent  le  rapprochement  qu'on  en  a  fait  des  mol- 
lusques acéphales  connus  sous  les  noms  d'ascidies  ou  de  tu- 
nicicrs.  Voyez  Bryozoaires.  L.  Laure.nt. 

ALDE.  Voyez  Mancce  et  Aldines  (Éditions). 

ALDÉBARAIV.  C'est  le  nom  donné  à  une  étoile  pri- 
maire un  peu  rougeàtre  de  la  constellation  du  Taureau  :  on 
l'appelle  aussi  Œil  du  Taureau. 

ALDEG ONDE  (Seigneur  du  MONT-SALNT-).  Voyez 
.Mar.mx  (Philippe  de). 

ALDEGREVER  (Henri),  ou  ALDÉGRAF,  connu 
aussi  sous  le  nom  d'' Albert  de  Westphalie ,  peintre  et  gra- 
veur, né  à  Soëst,  en  1502,  mort  dans  la  mênie  ville  en  1562. 
Il  se  foiTua  à  Nuremberg,  dans  l'atelier  d'Albert  Durer; 
aussi  ses  œuvres  se  rapprochent-elles  beaucoup  du  style 
de  ce  maître.  Ses  toiles  sont  devenues  d'une  grande  rareté. 
Les  galeries  devienne  et  de  .Munich  en  possèdent  cependant 
plusieurs.  Ses  gravures  sont  exécutées  avec  une  grande  ha- 
bileté et  un  soin  extrême.  A  cet  égard  il  occupe  l'une  des 
premières  places  parmi  ce  qu'on  appelle  les  petits-maîtres, 
cest-à-dire  parmi  les  artistes  allemands  qui  ont  exécuté  de 
petites  gravures  avec  autant  de  lini  que  de  délicates.se. 

ALDÉHYDE,  mot  barbare,  formé  par  contraction  du 
nom  alcool  deshydrogéné ,  et  par  lequel  on  désigne  un 
corps  qui  se  produit  en  diverses  circonstances,  particulière-  ^ 
ment  lorsqu'on  fait  passer  des  vapeurs  d'éther  ou  d'alcool  à  T 
travers  un  tube  chauffé  au  rouge  obscur,  ou  lorsqu'on  traite 
par  le  chlore  l'alcool  étendu  deau.  L'aldéhyde  est  un  li- 
quide incolore,  dune  odeur  éthérée  particulière;  il  brûle 
avec  une  flamme  blanche  très-pile.  Il  se  transforme  à  la 
longue  en  deux  produits  isomériques  :  I  un  solide,  nommé 


ALDEHYDE  —  ALDINES 


!75 


mctoldvhtjde  ;  l";nitre  li(|iiiile,  appelé  claldi'/iydc.  L'rcide 
aldi'hydtque  «.'  prinluit  lorstiiroi»  chauffe  tld'oxyded'argent 
«lans  (le  l'aldohyili'.  Il  reste  combiné  avec  l'argent  ;  mais  oh 
Pen  sé|>are  an  moyen  de  l'acide  sulfliydriqne.  —  On  désigne 
également  sous  le  nom  d'aldéhyde  une  classe  de  composés 
neutres  jxtuvaiit  se  transformer  directement  en  oxydes  mo- 
itoltasique^i  jKir  la  fixation  de  deux  équivalents  d'oxygène, 
M)it  au  moyen  du  contact  de  l'air,  soit  au  moyen  des  corps 
«uydants.  Les  aldéhydes  existent  tout  fonnés  dans  les  végé- 
taux ,  et  y  constituent  des  huiles  essentielles  :  telles  sont 
Vcssence  de  cauiielle  et  celle  de  ctiinin. 

ALDEXIIOVEN,  bourg  de  l'arrondissement  d'Aix-la- 
Chapelle  {  Trusse),  non  loin  de  Juliers,  a  acquis  de  la  célé- 
brité jiarce  que,  le  l"""^  mars  1703,  il  fut  le  théâtre  d'une 
affaire  par  laquelle  s'ouvrit  la  campagne  de  1793.  Après  la 
perte  de  la  bataille  de  Jemmappes,  les  Autrichiens  s'étaient 
vus  forcés  d'évacuer  la  Belgique,  Luxembourg  et  Maestricht, 
et  de  se  retirer  derrière  la  Roer,  pendant  que  Dumouricz 
menaçait  la  Hollande  d'une  invasion.  Pour  l'en  empêcher 
et  en  même  temps  débloquer  ^laestricht,  le  prince  de  Co- 
iKturg  concentra  derrière  la  Roer  son  armée  composée  de 
quarante  mille  .\utrichions,  à  la  tête  de  laquelle  il  effectua 
le  l"  mars  le  passage  de  cette  rivière  à  Duren  et  à  Juliers. 
L'archiduc  Jean  commandait  lavant-garde  ;  l'aile  gauche 
était  aux  ordres  du  feUl-maréchal -lieutenant  prince  de 
\Vurtenil)erg.  Les  Français,  complètement  mis  en  déroute , 
perdirent  six  mille  hommes  tués  ou  blessés  et  quatre  raille 
prisonniers.  Le  lendemain  le  prince  de  Cobourg  occupa  Aix- 
la-Chapelle  et  Liège,  débloqua  Maestricht,  et  poursuivit  vive- 
ment les  Français.  L'année  suivante,  le  2  octobre  1794, 
Jourdan  remporta  au  même  endroit  une  victoire  sur  les 
Autrichiens. 

ALDERJLVN,  en  anglo-saxon  xldorman,  c'est-à-dire 
ancien.  Ce  mot  désigne  tout  à  la  fois  un  degré  de  noblesse 
et  une  fonction  de  magistrature.  Dans  la  constitution  anglo- 
saxonne,  les  chefs  de  toutes  les  corpoiations  étaient  quali- 
fiés à'oldermen  (pluriel  (Taldermaji) ,  comme  aussi  les 
liauts  fonctionnaires  des  cercles  ou  comtés  (s/iires)  et  les 
anciens  (scnatores)  de  tout  le  royaume,  qui  avaient  voix 
délibérative  dans  les  assemblées  du  peuple  {u'ittenagemot) 
et  qui  en  temps  de  guerre  marchaient  à  la  tête  des  hommes 
d'armes  de  leurs  comtés.  A  l'origine  ils  étaient  à  la  nomi- 
nation des  rois;  ils  furent  élus  par  les  possesseurs  de  biens 
libres.  .\près  la  conquête  de  Tile  par  les  Danois,  ce  mot  fut 
remplacé  par  le  xao\àa.nQ\?,jarls{earls).  —  Aujourd'hui  en 
Angleterre,  et  aussi  dans  une  grande  partie  des  États-Unis 
d'Amérique,  les  membres  des  corporations  municipales,  re- 
présentant le  conseil  de  la  ville,  et  que  préside  le  maire 
(qualifié  à  Londres  de  lord  maire),  portent  le  titre  d'aWe/-- 
men.  Le  lord-maire  de  Londres  est  élu  chaque  année  dans 
le  corps  des  aldermen ,  lequel  est  lui-même  le  produit  de 
rélection  faite  par  les  électeurs  de  chaque  quartier  {ivnrd). 
La  principale  attribution  des  fonctions  d'alderman  consiste 
à  sur\eiller  l'exécution  des  lois  et  règlements  de  police  dans 
le  district  particulier  que  représente  chacun  d'eux  dans  le 
conseil  municipal  (  Common  council  ).  Les  trois  plus  anciens 
(ildcrmen,  et  aussi  ceux  qui  ont  déjà  rempli  les  fonctions  de 
maire,  sont  eji  même  temps  juges  de  paix.  Beaucoup  de 
considération  et  de  respect  s'attache  aux  fonctions  et  au  titre 
«ralderman. 

AL-DERRIIIIM.  Voijez  Derahim. 

ALDLXES  (Lditions).  On  design*;  ainsi  les  ouvrages 
sortis  des  presses  de  la  famille  Manuce,  et  surtout  d'Aide 
Manuce  (Aldus  Manutius).  Files  ne  se  recommandent  pas 
«joins  par  leur  valeur  intrinsèque  que  par  leur  exécution 
matérielle,  et  sont  aussi  esliuK'es  des  savants  que  recher- 
cl«ces  par  les  bibliophiles.  Beaucoup  d'entr-e  elles  sont  ks 
premières  éditions  (edi/iones  principes)  qu'on  ait  laites 
des  classiques  grecs  et  latins;  d'autres  re(M0<lniseiit  ks 
textes  de  diveis  auteurs  classiques  moderhes,  tels  cpie  l'c- 


trarque,  le  Dante  ,  Boccac«  ,  etc.,  soigneusement  restitués 
d'après  les  manuscrits.  Toutes  brillent  en  général  par  une 
remarquable  correction  typographique  ;  ce|>cndant  les  édi- 
tions des  auteurs  grecs  sont  sous  ce  rapport  quelque 
peu  inférieures  aux  éditions  latines  et  italiennes.  Les 
é<litions  publiées  par  Aide  le  père  font  en  outre  époque 
dans  les  annales  de  l'imprimerie ,  parce  qu'elles  contribuè- 
rent singulièrement  au  perfectionnement  des  types.  Jamais 
imprimeur  n'avait  encore  avant  lui  employé  de  si  beaux 
tjrpes  grecs.  Il  en  fit  successivement  graver  et  fondre  sur 
neuf  corps  différents.  Quant  aux  caractères  romains ,  il  en 
employa  quatorze  corps  différents.  C'est  à  lui,  ou  plutôt  au 
graveur  Francesco  de  Bologne  ,  qu'on  est  redevable  de  l'in- 
vention du  caractère  dit  itnligîic.l\  l'employa  pour  la  pre- 
nuère  fois  dans  son  édition  in-S"  de  classiques  anciens  et 
modernes,  qu'il  commença  (en  1501  )  par  Virgile.  Il  n'y  a 
pas  jusqu'aux  caractères  hébreux  dont  il  ne  possédât  jusqu'à 
trois  corps  différents.  Ses  éditions  in-S"  sont  dépourvues 
de  gravures  sur  bois ,  toujours  rares  d'ailleurs  dans  les  ou- 
vrages sortis  de  ses  presses.  V Hypnerotomachia  PoU- 
phili  (  1499 ,  in-fol.  )  est  une  remarqualile  exception  à  cette 
règle.  Ses  impressions  sur  parchemin  sont  d'une  incompa- 
ral)le  beauté.  Manuce  le  père  fut  le  premier  imprimeur  qui 
introduisit  l'usage  de  tirer  quelques  exemplaires  sur  dn 
papier  meilleur,  plus  fin ,  ou  plus  fort ,  que  celui  du  reste 
de  l'édition.  Les  Epislolœ  Grxcee  (1499)  en  offrent  le  pre- 
mier exemple.  A  partir  de  1501,  dans  son  édition  de  Philos- 
trate,  il  tira  aussi  quelques  exemplaires  sur  grand  papier  ; 
les  premiers  exemplaires  qu'on  ait  sur  papier  bleu  sont  de 
1514.  Un  petit  nombre  d'exemplaires  de  ses  éditions  des 
Libri  de  Re  Rustica  et  de  Quintilien  furent  ainsi  tirés.  Per- 
sonne, avant  ni  après  lui,  n'a  fait  preuve  dans  l'impression 
des  reu^Tes  des  auteurs  classiques  d'autant  de  zèle,  de goiit 
et  de  profondes  connaissances  en  littérature.  Jamais  itiiijri- 
meur  ne  fit  non  plus  tant  de  sacrifices  pour  arriver  à  la 
correction.  Après  sa  mort ,  arrivée  en  1515  ,  son  imprimeiie 
fut  dirigée  par  son  beau-père,  Andréas  Asulanus,  qui  sut  le 
remplacer.  Paul ,  fils  d'Aide  ,  eut  pour  les  classiques  lafin;^ 
le  même  enthousiasme  que  son  père  avait  éprouvé  pour  les  clas- 
siques grecs.  L'imprimerie  fondée  par  Aide  Manuce  le  père 
subsista  pendant  cent  années ,  et  dans  cet  espace  de  temps 
imprima  neuf  cent  huit  ouvrages  différents.  Sousladirectio:» 
du  petll-filsdu  fondateur.  Aide,  fils  de  Paul,  mort  à  Rome 
en  1597  ,  elle  perdit  la  supériorité  qu'elle  avait  constam- 
ment eue  sur  toutes  les  autres  imprimeries  d'Italie,  et  dut 
finir  par  se  fermer.  Comme  de  très-bonne  heure  ou  rechercha 
extrêmement  les  diverses  impressions  provenant  de  cette 
officine,  notamment  celles  qui  remontent  aux  premières 
années  de  son  existence,  les  imprimeurs  de  Lyon  et  les 
Giunti  de  Florence,  à  partir  de  1502  ,  trouvèrent  du  profit 
à  les  contrefaire.  Leurs  mauvaises  et  frauduleuses  réimpres- 
sions furent  souvent  confondues,  et  jusqu'au  commencement 
du  dix-neuvième  siècle,  avec  les  éditions  aldines  originales, 
h'aldomanie  a  du  reste  beaucoup  diminué  dans  ces  der- 
niers temps,  surtout  en  Allemagne.  Parmi  les  ouvrages  deve- 
nus aujourd'hui  les  plus  rares  qui  soient  sortis  des  presses 
des  Aides,  il  faut  citer  les  Hone  bcntae  Marix  Virginis 
de  1497,  le  Virgile  de  1501  et  les  Rhetores  Graci,  sans 
compter  les  éditions,  extrêmement  rares ,  datées  de  1494  a 
1497.  Parmi  les  collections  d'éditions  aldines,  on  citait  celle 
du  libraire  Renouard,  quia  été  dispersée;  on  cite  encore 
celle  de  Florence  et  celle  de  M.  A.  Firmin  Didot,  lequel  a 
donné  une  savante  et  curieuse  notice  sur  les  Manuce  dans 
la  Biographie  générale.  Renouard  a  lait  paraître  les  An- 
nales de  l'Imprimerie  des  Aides,  oh  Histoire  des  trois 
Manuce  et  de  leurs  éditions,  etc.  (Paris,  3'  édition,  1834, 
1  vol.  in-S"  :  la  2"  édition  avait  3  vol.).  Ébert  a  publié  eu 
supplément  au  premier  volim>e  de  son  DJc^îOH??«?re&i''//o- 
graphique  le  catalogue  de  toutes  les  éditions  aldines  aiillien- 
tiques.  * . 


ALDINI  —  ALDROVANDE 


ALDL\1  (Antomo,  comte),  n.»  en  l7jG,  à  Bologne, 
dait  [iiolesseur  de  droit  dans  sa  ville  natale ,  lorsque,  par 
suite  de  l'invasion  française  en  Italie,  elle  se  sépara  des 
ttats  pontificaux.  Il  fut  alors  envoyé  à  l'aris  par  ses  con- 
ciloyens  pour  les  y  re|trésenter.  Plus  lard  il  (it  partie  du 
Consiùl  des  Anciens  de  la  république  Cisalpine.  En  1801  il 
fut  appelé  à  faire  partie  delà  consulte  de  Lyon,  et  plus  tard 
aux  fonctions  de  président  du  conseil  d'Etat,  qu'il  ne  conserva 
d'ailleurs  que  peu  de  temps.  En  1805  Napoléon  le  créa  comte 
et  le  nomma  ministre  secrétaire  d'État  pour  le  royaume 
d'Italie.  Le  comte  Aldini  avait  fait  construire  dans  les  bois 
de  Montmorency,  près  Paris,  un  château  qui  coûta  des 
.sommes  énormes,  et  qui  fut  détruit  en  1815.  Après  la  disso- 
lution du  royaume  d'Italie,  il  vécut  dans  la  retraite  et  l'iso- 
lement, à  Milan,  où,  à  partir  de  1819,  il  parvint  à  gagner 
également  la  confiance  du  gouvernement  autrichien ,  et 
mourut  à  Pavie,  le  5  octobre  1826.  Peu  de  temps  avant  sa 
mort,  A  n  f  0  m  m  a  r  c  h  i  lui  avait  apporté  un  adieu  suprême 
de  iNapoléou,  qui  jusqu'au  dernier  moment  de  sa  vie  avait 
conservé  de  lui  le  souvenir  le  plus  affectueux.  En  1857  on 
a  annoncé  à  Paris  les  Mémoires  du  comte  Aldini. 

Son  frère,  Giovanni  Aldini,  était  né  le  10  avril  1762,  à 
Bologne,  et  fut  nommé  en  1798  professeur  de  physique  à 
l'université  de  cette  ville.  En  1811  l'influence  d'Antonio 
le  (it  appeler  aux  fonctions  de  conseiller  d'État;  et  plus  tard 
il  le  suivit  dans  sa  retraite  à  Milan,  où  il  mourut  le  17  jan- 
vier 1S34.  Il  s'était  surtout  occupé  de  questions  pratiques, 
comme  l'application  du  galvanisme  à  la  médecine ,  l'éclai- 
rage au  gaz,  la  construction  et  l'éclairage  des  phares, 
l'emploi  de  la  vapeur  pour  chauffer  l'eau  des  bains,  etc.  Ou 
a  lie  lui:  Précis  d'expériences  galvaniqîies{Vain!i,  180.3); 
£ssui  historique  et  expérimental  sur  le  galvanisme 
(Paris,  1804);  Expériences  sur  le  levier  hydraulique 
(Milan,  1811)  et  Recherches  swr  V application  de  la  va- 
peur au  dévidage  des  cocons  devers  à  soie  (Milan, 
1818).  Il  avait  inveiilé  un  appareil  de  sauvetage,  sorte  de 
cotte  de  maille  en  asbeste  pour  le  cas  d'incendie,  qu'il  a  dé- 
crit dans  son  Art  de  se  préserver  de  l'action  de  la  flamme 
(Paris,  1830).  Cet  appareil  avait  été  essayé  avec  succès  à 
Genève ,  à  Vienne,  à  Paris,  à  Londres  et  en  Italie.  L'Acadé- 
mie des  sciences  lui  décerna  pour  cet  appareil  un  prix  de 
8,000  fr.  sur  le  legs  Montyon,  en  1830;  la  Société  royale  de 
Londres  lui  donna  la  grande  médaille  d'or,  et  l'empereur 
d'Autriche  le  décora  de  la  Couronne  de  fer.  Aldini ,  neveu 
de  Galvani,  fut  un  des  premiers  membres  de  l'Institut  na- 
tional d'Italie.  Il  a  légué  à  sa  ville  natale  une  somme  consi- 
dérable pour  l'établissemsnt  d'un  cours  de  physique  et  de 
Lhimie  en  faveur  des  ouvriers.  Z. 

AL-DJÏIIED  ou  ALGIHAD.  Ce  mot  arabe,  qui  signifie 
guerre,  est  donné  spécialement  par  les  musulmans  à  la 
guerre  qu'ils  font  aux  peuples  qui  ne  suivent  pas  la  religion 
de  Mahomet,  et  surtout  aux  chrétiens.  Us  appellent  al-gha- 
ziah  (d'où  nous  avons  fait  razzia)  une  campagne  contre 
les  inlidèles.  Le  premier  nom  est  le  but,  et  le  second  l'exé- 
cution. Dans  les  premiers  siècles  de  l'islamisme  et  au  moyen 
âge ,  les  princes  musulmans  de  l'Asie,  de  l'Afrique  et  de  l'Es- 
pagne faisaient  prêcher  Val-djihed  ou  guerre  sainte  contre 
les  chrétiens;  et  lorsqu'ils  leur  accordaient  ou  leur  deman- 
daient la  paix,  ce  n'était  réellement  qu'une  trêve  ,  ainsi  que 
l'indique  du  reste  le  sens  du  mot  qu'ils  employaient.  — 
Parmi  les  nombreux  ouvrages  musulmans  qui  traitent  des 
devoirs  et  des  mérites  de  la  guerre  sainte  ,  il  y  en  a  un 
écrit  en  arabe  qui  a  été  imprimé  en  Egypte  par  ordre  du 
vice-roi  Méhémet-Ali.  H.  Audiffret. 

ALDOBRAXDI\'ES  (Noces),  antique  peinture  à 
fresque,  datant  vraisenil)lablement  de  l'époque  d'Auguste, 
«jui  fut  découverte  sous  le  pontificat  de  Clément  VIII,  non 
loin  de  Sainte-Marie-Majeure,  là  où  étaient  autrefois  situés 
les  jardins  de  Mécènes  ,  et  qu'on  transporta  d'alwrd  dans  la 
villa  du  prince  Aldobrandini,  d'où  lui  vient  la  dénomination 


'  sous  laquelle  elle  est  connue.  Elle  y  resta  pendant  plus  de 
;  deux  .siècles,  jusqu'à  ce  que  cette  villa,  située  sur  le  mont 
Quirinal,  passât  dans  la  famille  Borghèse.  Celle-ci  fit  vendre 
ce  tableau  en  même  temps  que  d'autres  trésors  artistiques. 
i  Cette  peinture,  placée  depuis  lors  sous  verre  au  Vatican, 
I  aété  réparée  avec  bonheur  parle  peintre  Domenico  del  Frate. 
Elle  offre  un  groupe  de  dix  figures,  et  représente  la  célé- 
bration d'une  noce.  Winckelmann  veut  qu'il  s'agisse  des 
noces  de  Pelée  et  de  Thétis  ;  suivant  Bondi,  ce  seraient  celles 
de  Manlius  et  de  Julia.  Nicolas  Poussin  en  avait  lait  une 
copie  célèbre,  et  Carloni  en  fit  une  planche  sur  cuivre  tirée  en 
couleur.  On  peut  consulter  sur  l'histoire  et  l'explication  dece 
beau  morceau  de  peinture  la  dissertation  pubhée  par  Bœtti- 
gcret  .Meyer  Sur  les  Noces  Aldobrandines  (texte  allemand  ; 
Dresde,  1840);  lettera  suW  antica  célèbre  pittura  co- 
nosciuta  sotto  il  nome  délie  !\'ozze  Aldobrandine  (  Rome, 
in-4'',  1815),  et  le  second  volume  des  petits  Mémoires  ar- 
chéologiques de  Bœttiger  (  Dresde  ,  1838). 

ALDOBRAJ\DI!\I  (Famille).  Cette  famille, qui  s'étei- 
gnit en  1681,  par  la  mort  d^Octavie,  fille  de  Jean-George 
Aldobrandini,  prince  de  Rossano,  était  une  des  plus  il- 
lustres maisons  de  Rome.  Plusieurs  membres  de  cette  fa- 
mille se  sont  distingués  dans  les  sciences ,  dans  l'histoire 
ou  dans  les  lettres.  Sylvestre  Aldobrandini,  né  à  Florence 
en  1499,  mort  à  Rome  en  1558,  fut  un  des  plus  célèbres  ju- 
risconsultes de  son  tei!i|is.  —  Un  de  ses  fils,  Hippolyte  Al- 
docr.\ndini,  devint  pape  sous lenomde Clément  VIII.  — 
Un  autre,  Jean,  fut  cardinal  auditeur  de  Rote,  puis  évê- 
que  d'imola,  et  mourut  à  Rome  en  1573.  —  Un  troisième, 
appelé  Pierre,  succéda  à  son  père  dans  la  charge  d'avocat 
de  la  chambre  apostolique.  ■ —  On  possède  de  Thomas  Al- 
dobrandini, le  plus  jeunedes  fils  de  Sylvestre,  une  traduction 
estimée  de  Diogène  Laeice  (  Rome,  1594,  in-fol.  ).  —  Un 
neveu  de  Clément  VIII,  Cintio  Passero,  prit  le  norad'AI- 
dobrandini ,  de  sa  mère,  qui  appartenait  à  cette  famille  ;  il 
devint  cardinal  en  1593.  —  Pierre,  frère  du  précédent,  car- 
dinal et  légat  en  France,  termina  les  différends  qui  exis- 
taient entre  le  duc  de  Savoie  et  Henri  IV.  —  Un  autre 
membre  de  la  même  famille,  Alexandre,  né  à  Florence, 
en  1674,  fut  cardinal,  nonce  à  Naples,  à  Madrid,  à  Venise, 
et  archevêque  de  Rhodes.  Il  mourut  en  1742.  Les  biens 
de  cette  famille  passèrent  aux  maisons  PamCli  et  Borghèse. 
ALDRINGER  ou  ALTRINGER  (Jean),  seigneur  de 
ROSCHITZ,  comte  de  LIGMA,  feldmaréchal  autrichien, 
était  issu  d'une  famille  pauvre  du  Luxembourg.  Engagé  vo- 
lontaire, il  servit  sous  Wallensteia  et  sous  Colalto,  et  s'é- 
leva par  sa  bravoure  jusqu'au  plus  haut  grade.  Il  prit  Man- 
toiie  en  1629,  fut  blessé  au  passage  du  Lech  en  1632 ,  en- 
vahit la  Bavière  en  leS."?,  et  périt  dans  l'Isar  en  1634. 

ALDROVANDE , et  mieux  ALDROVANDI( Ulysse), 
savant  naturaliste  italien,  né  à  Bologne  le  il  septembre 
1522,  mort  dans  la  même  ville  en  1605,  consacra  toute  sa 
vie  à  l'étude  des  sciences  naturelles,  pour  les  progrès  des- 
quelles il  dépensa  toute  sa  fortune  en  recherches,  en  voya- 
ges ,  emmenant  avec  lui,  dans  chacune  de  ses  excursions 
scientifiques ,  des  peintres  et  des  graveurs ,  entretenus  à 
grands  frais,  et  qu'il  faisait  travailler  au  grand  œuvre  qu'il 
avait  entrepris.  Aussi  laissa-t-il  à  sa  patrie  la  plus  complète 
collection  qui  eût  encore  était  formée.  Il  n'eut  pas,  au  reste, 
le  temps  de  mettre  lui-même  en  œuvre  l'énorme  quantité  de 
matériaux  qu"il  avait  rassemblés  pour  une  Histoire  natu- 
relle, dont  il  ne  put  publier  que  quatre  volumes ,  sur  les 
trente  dont  elle  se  compose.  Le  sénat  de  Bologne,  légataire 
de  son  cabinet  et  de  ses  manuscrits,  se  chargea  de  terminer 
cette  belle  et  consciencieuse  publication.  Sans  aucun  doute 
elle  a  bien  vieilli-,  mais  aujourd'hui  encore,  quoi  qu'en  aient 
dit  Buffon  et  d'autres  naturalistes,  qui  n'y  voyaient  qu'une 
iu)mense  compilation  ,  elle  est  une  source  aussi  précieuse 
qu'abondante,  à  laquelle  vont  bien  discrètement  puiser 
force  savant- ,  qui  n'ont  garde  de  s'en  vanter  ;  car  il  s'y 


ALDROVANDE  —  ALÈGUE 


277 


Iroiive  lies  iltUails  et  surlonl  îles  graviiies  qu'on  clicrcherait 
ailUnirs  inutilement. 

ALDUDES  (  Combat  des),  ou  d'ISE'ÉGUI.  Legt^néral 
Mulicr,  conunaiidant  l'armée  des  Pyrénées  occidentales, 
voulant  tenter  une  expédition  sur  le  territoire  espagnol  par 
la  vallée  de  Bastan,  lit  attaiiuer  les  positions  des  Aldudes 
et  d'Ispégui  le  3  juin  1794.  La  défense  fut  énergique,  et  les 
troupes  françaises  se  virent  plusiems  (ois  contraintes  de  se 
reployer;  mais  l'adjudant  général  Harispe  combattit  si  vail- 
launnent  à  la  tête  des  Basques ,  qu'il  finit  par  enlever  les  re- 
doutes de  l'ennemi  et  par  le  chasser  des  positions  qu'il  oc- 
cupait. 

ALE  (  prononcez  aile  ou  êle  ) ,  nom  d'une  bière  de 
table ,  claire,  forte,  d'une  piquante  amertume,  dont  il  se  fait 
en  Angleterre  une  immense  consommation,  et  qui  est  la 
plus  forte  des  bières  qu'on  connaisse.  Elle  contient  près  de  7 
pour  100  d'alcool.  La  fabrication  de  l'aie  demande  beaucoup 
de  soins.  On  n'y  doit  employer  que  le  malt  le  plus  beau ,  le 
mieux  torréfié,  et  le  houblon  le  plus  récent  et  le  mieux  con- 
servé ;  on  dirige  la  fermentation  de  telle  sorte  que  la  levure 
en  soit  à  la  vérité  complètement  séparée,  mais  que  beau- 
coup de  sucre  y  reste  non  décomposé  ;  ce  qui  est  la  cause  de 
la  faculté  de  se  conserver  pendant  longtemps  que  cette 
espèce  de  bière  possède  à  un  haut  degré,  ainsi  que  du  goilt 
qui  lui  est  particulier.  On  exporte  l'aie  avec  beaucoup  de  fa- 
cilité. Il  s'en  fait  aujourd'hui  une  assez  importante  consom- 
mation sur  le  continent.  Comme  le  procédé  employé  dans 
les  brasseries  anglaises  est  parfaitement  connu,  on  fabrique 
de  l'aie  dans  divers  pays  avec  le  plus  grand  succès. 

ALEA,  ville  d'Arcadie,  fondée,  dit-on,  par  Aléus,  non 
loin  de  Mégalopolis,  oii  Minerve,  Bacchus  et  Diane  avaient 
chacun  un  temple.  On  y  célébrait  en  l'honneur  de  Eacchus 
une  fête  dans  laquelle  les  femmes  se  déchiraient  de  coups 
de  fouet,  comme  dans  les  fêtes  de  Diane  Orthia ,  à  Lacédé- 
mone. 

ALÉATOIRE  (  du  latin  alea ,  jeu  de  hasard  ),  adjectif 
qui  dans  notre  langue  n'a  point  de  substantif,  et  se  rapporte 
à  tout  ce  qui  dépend  d'un  événement  incertain ,  tel  qu'un 
coup  de  dés;  il  s'applique,  surtout  en  droit,  aux  contrats 
ou  conventions  dans  lesquels ,  soit  les  deux  parties ,  soit 
lune  d'elles ,  s'en  remettent  pour  l'exercice  de  leurs  droits 
à  un  événement  incertain  entièrement  subordomiéau  hasard. 
Dans  l'origine  de  notre  législation,  les  décisions  judiciaires 
elles-mêmes  étaient  souvent  aléatoires  ;  le  plaignant  avait  à 
soutenir  sa  plainte ,  et  le  prévenu  à  prouver  son  innocence 
par  les  armes;  d'autres  fois,  le  prévenu  était  soumis  à  de 
certaines  épreuves  judiciaires,  soit  du  fer,  soit  du 
feu ,  soit  de  l'eau ,  qui  décidaient  de  son  sort  ;  c'était  ce  que 
l'on  nommait  alors  lejugementdeDieu:  le  hasard  fai- 
sait les  arrêts. 

Parmi  les  conventions,  celles  qui  sont  purement  aléatoires, 
et  qui  dépendent,  soit  d'un  coup  de  dés,  soit  d'un  jeu 
de  hasard  ,  ont  toujours  été  sévèrement  proscrites  comme 
contraires  à  la  morale  publique  et  au  bon  ordre.  Ainsi ,  la 
loi  ne  reconnaît  ni  les  dettes  de  jeu  ni  les  paris;  e1.  Lien  que 
les  parties  contractantes  soient  liées  à  cet  égard  par  une 
obligation  naturelle,  puisqu'elles  ont  volontairement  con- 
senti à  courir  des  chances  qu'elles réputaient  égales,  il  leur 
est  interdit  d'exercer  aucune  action  en.jiistice ,  soit  pour  exi- 
ger ce  qui  a  été  gagné,  soit  pour  redemander  ce  qui  a  été 
payé  après  avoir  été  perdu.  Les  jeux  de  cartes,  les  jeux  de 
dés ,  les  jeux  de  Bourse  ,  sont  expressément  compris  dans 
cette  proscription  ,^qui  cependant  n'est  point  générale,  car 
elle  ne  s'étend  pas  aux  jeux  qui  tiennent  à  l'adresse  et  à 
l'exercice  du  corps;  à  cet  égard,  l'action  est  ouverte,  et 
peut  être  poursuivie;  mais  les  tribunaux  ont  le  pouvoir 
discrétionnaire  de  régler  le  montant  des  condamnations, 
ou  de  rejeter  entièrement  la  demande ,  suivant  les  circons- 
tances. 11  y  a  du  reste  un  assez  grand  nombre  de  conven- 
tions aléatoiies  qui  sont  paifaitement  licites  et  d'un  usage 


habituel  :  tels  sont  tous  les  contrats  dans  I(s<piels  les  parties 
stipulent  sur  un  événement  incertain  qui  présente  pour  cha- 
cune d'elles,  ou  pour  l'une  d'elles,  des  chances  égales  do 
gain  ou  de  perte ,  soit  que  les  deux  parties  consentent  éga- 
lement à  courir  des  hasards  contraires,  comme  dans  le  con- 
trat d'assurance ,  soit  que  l'une  d'elles  cède  pour  une  sonnne 
fixe  et  déterminée  des  droits  réels  qui  lui  sont  acquis ,  mais 
dont  elle  ignore  l'importance  ,  comme  dans  la  cession  d'une 
créance  litigieuse  et  de  droits  héréditaires  non  réglés  ,  ou 
dans  la  vente  d'un  coup  de  filet.  Dans  ces  sortes  de  conven- 
tions, c'est  aux  parties  à  faire  respectivement  l'évaluation 
de  leurs  espérances  et  des  chances  qu'elles  peuvent  avoir  à 
courir  ;  mais  une  fois  le  contrat  arrêté ,  quelles  que  soient 
leurs  stipulations ,  et  quel  que  soit  l'événement ,  les  parties 
sont  iriévocablemcnt liées. 

Outre  les  conventions  générales  qui  peuvent  contenir  des 
dispositions  éventuelles ,  et  qui  forment  ainsi  de  véritables 
contrats  aléatoires,  les  principaux  de  ces  contrats  sont  : 
1°  les  donations  contractuelles  que  se  font  d'ordinaire  les 
époux  par  leur  contrat  de  mariage,  et  dont  l'effet  est 
subordonné  au  prédécès  de  l'un  d'eux  ;  2°  le  contrat  d' as- 
surance, soit  terrestre,  soit  mai'itime,  soit  sur  la  vie; 
3°  le  prêt  à  la  grosse  aventure;  4°  enfin  le  contrat  à 
rente  viagère.  Nous  parlerons  de  ces  différents  contrats 
à  leurs  articles  respectifs. 

ALECTO.  Vot/ez  Fdriks. 

ALECTRIOMANCIE   ou  ALECTOROMANCIE  (du 
grec  àXÉxTwp,  coq,  et  |j.avTst'a,  divination),  sorte  de  divination 
qui  se  pratiquait  par  le  moyen  d'un  coq ,  qu'on  plaçait  au 
milieu  d'une  figure,  en  forme  de  carré  ou  de  cercle,  tracée 
sur  le  sable  et  divisée  en  vingt-quatre  compartiments.  Cha- 
cune des  cases ,  marquée  d'une  lettre  de  l'alphabet ,  conte- 
nait un  grain  de  blé.  On  fabriquait  un  mot  des  letties,  sui- 
i   vaut  Tordre  dans  lequel  le  volatile  avait  mangé  le  grain 
j  placé   sur  chacune   d'elles,  et  on  en  tirait  un  pronostic. 
C'est  ainsi ,  dit-on,  que  fut  prédit,  sous  l'empereur  Valens, 
i  l'avènement  de  Théodose  le  Grand.  On  pourrait  ranger  dans 
la  même  catégorie  ces  poulets  sacrés  de  l'ancienne  Rome 
dont  le  plus  ou  moins  d'appétit  décidait  du  sort  de  l'État. 

ALECTRIOIVOiV,  c'est-à-dire  combats  de  coqs.  Ce  fut 
Thémistocle ,  dit-on,  qui  les  établit  en  mémoire  de  sa  vic- 
toire sur  les  Perses.  Avant  de  livrer  bataille ,  il  avait  tiré  un 
heuieux  présage  du  chant  d'un  coq.  D'autres  disent  qu'ayant 
vu  avant  le  combat  deux  coqs  se  battre  avec  fureur,  il  les 
avait  fait  remarquer  à  ses  soldats ,  pour  les  animer  par  cet 
exemple.  —  Ces  espèces  de  jeux  se  célébraient  avec  solen- 
nité dans  le  grand  théâtre  d'Athènes ,  vers  le  20  de  boédio- 
mion  (septembre).  On  les  faisait  précéder  de  prières  et  de 
sacrifices.  Il  paraît  cependant  que  ces  jeux  étaient  connus 
en  Grèce  avant  Thémistocle ,  ainsi  que  les  combats  de  cailles 
et  de  perdrix ,  mais  que  ce  général  leur  donna  l'appareil 
d'une  fête  religieuse.  Lucien  dit  que  tous  les  jeunes  gens  en 
âge  de  puberté  étaient  obligés  d'assister  à  ces  combats  de 
coqs.  —  Nous  retrouverons  ces  jeux  chez  les  modernes. 
Voijez  Combats  de  Coqs. 

ALÉES,  fêtes  des  Tégéates  en  l'honneur  de  Minerve 
Aléa.  Ce  surnom  de  la  déesse  venait  d'Aléus ,  dixième  roi 
d'Arcadie  et  père  d'Augé,  qui  eut  d'Hercule  un  fils  nommé 
Télèphe.  Aléus  éleva  à  Minerve  un  temple,  l'un  des  plus 
anciens  de  la  Grèce,  et  dont  l'asile  était  le  plus  respecté. 
Les  prèlrcsses  qui  le  desservaient  étaient  de  jeunes  filles 
dont  le  sacerdoce  cessait  à  l'âge  de  puberté.  Ces  fêtes  avaient 
lieu  en  mémoire  d'une  victoire  que  les  Tégéates  avaient  rem- 
portée sur  les  Lacédémoniens,  dont  ils  avaient  fait  un  grand 
nombre  de  prisonniers.  Les  Alées  étaient  suivies  de  jeux.  On 
les  nonimait  aussi  Aloties,  d'à).6w,  je  prends. 

ALÈGRE.  La  maison  d'Alègre  est  originaiie  de  la 
province  d'Auvergne,  où  elle  ac(iuit  un  rang  distingué  dans 
la  noblesse  par  ses  alliances  et  ]iar  les  grands  officiers  qu'ellt; 
a  produits.  —  Mot 'mot,  huion  d'ALi:ciiL,  fut  conseiller  tt 


ALEGRE  —  ALENÇON 


278 

chambellan  du  roi  Charles  VI.  —  Yves ,  son  anitre-pctit- 
fils,  suivit  à  la  conquête  du  royaume  de  Naples  le  roi  Char- 
les VIII,  qui  le  nomma  commandant  de  la  Basilicate,  et  le 
roi  Louis  XII,  qui  lui  donna  le  gouvernement  du  Milanais. 
—  Yves,  marquis  d'ALfecKE,  issu  du  précédent,  naquit  en 
1653;  il  entra  dans  les  gardes  du  corps  en  1675,  et  servit 
d'abord  sous  le  duc  de  Luxembourg  et  sous  les  maréchaux 
de  Créqui,de  Lorges  et  de  Villeroi.  Créé  lieutenant  gé- 
néral des  armées  du  roi  en  1702,  il  servait  dans  l'armée 
de  Flandre,  lorsque  les  alliés,  à  la  faveur  de  la  nuit, 
surprirent,  le  18  juillet  1705,  les  lignes  qui  couvraient  nos 
|K)ssessions  dans  les  Pays-Bas  espagnols.  Le  marquis  d'Alègre 
y  soutint  un  combat  opiniâtre,  dans  lequel  il  eut  un  cheval 
tué  sous  lui.  11  fut  fait  prisonnier  et  conduit  en  Hollande, 
où  le  roi  lui  expédia  un  plein  pouvoir  pour  conclure  la  paix 
avec  celte  république.  Échangé  en  1712,  après  Taffaire  de 
Denaiii,  il  lit  les  campagnes  d'Allemagne  et  du  Rhin ,  qui 
amenèrent  le  traité  d'Utrecht.  Il  reçut  le  2  février  1724  le 
bâton  de  maréchal,  et  fut  créé  quatre  ans  après  chevalier 
des  ordres  du  roi.  Il  mourut  en  1733. 

ALEMAÎV  (  Matthieu),  écrivain  espagnol,  né  à  Séville, 
vers  le  milieu  du  seizième  siècle,  mort  vers  1C20,  fut  pen- 
dant longtemps,  sous  le  règne  de  Philiiipe  II,  surintendant 
et  contrôleur  des  linances.  H  voyagea  au  Mexique,  et  quitta 
ensuite  les  affaires  pour  se  vouer  exclusivcmment  à  la  car- 
rière des  lettres.  Il  est  auteur  de  plusieurs  ouvrages,  entre 
autres  du  roman  de  Guzmun  d'Al/arache  (Madrid,  15'Jy), 
que  Le  Sage  a  plutôt  imité  que  traduit. 

ALÉMiVNMQUE  (Dialecte).  On  nomme  ainsi  un 
dialecte  allemand  qui  n'a  pas  subi  les  modifications  et  le 
perfectionnement  que  les  autres  idiomes  de  l'AllerAagne  ont 
généralement  reçus  depuis  le  seizième  siècle.  Il  se  parle 
«lans  l'ancien  pays  des  Aleraans,  en  Alsace,  en  Souabe  et 
dans  (luehiues  parties  de  la  Suisse.  Ile  bel  a  écrit  ses  poésies 
en  dialecte  alémannique. 

ALEMAIXS  (des  mots  allen^ands  aile  manncn ,  qui 
signifient  gens  de  toute  origine).  C'est  le  nom  d'une  confé- 
dération guerrière  de  plusieurs  peuples  germaniques,  entre 
autres  des  Teuctères  et  des  Usipiens,  qui  vers  le  commence- 
ment (lu  troisième  siècle  s'approchèrent  de  l'empire  Romain. 
i:  ai  a  ca  1 1  a  tut  défait  par  eux  sur  les  bonis  du  Rhin  ainsi 
qiu'  M. :x  andre  Sévère.  Maximilien  lut  le  premier  qui 
les  battit,  en  23(i,  et  les  refoula  en  Germanie.  Mais  après  sa 
mort  ils  envahirent  de  nouveau  la  Gaule.  Postbumius  les 
4lclit  complètement,  les  poursuivit  au  delà  du  Rhin;  et  pour 
niettri-  dorénavant   l'empire  à   l'abri  de  leurs  incursions, 
il  lit  élever  le  long  des  frontières  des  reu)parts  garnis  de 
lossés  et  défendus  de  distance  en  dislance  par  des  forts. 
Il  existe  encore  aujourd'hui  des  débris  de  ces  fortifications  à 
IMiiring  sur  le  Danube,  ainsi  que  dans  la  principauté  de 
Hohenlohe  jusqu'il  Jaxlhausen,  et  sur  la  rive  septentrionale 
<lu  Mein  (vor/ez  Mur  du  Diahle).  Les  Alemans  n'en  conti- 
nuèrent pas  moins  leurs  incursions,  et  furent  sureessivement 
Lattus  et  rejetés  en  Germanie  par  Lollianus,  successeur  de 
l'oslhumius  ,  et  jtar  l'empereur  Probiis.  Apres  la  mort  de  ce 
<lernier,  cédant  à  la  pression  des  Bourguignons  venus  du 
jiord-est,  ils   sétabliient  au  delà  de  la   nunaille  romaine 
<lepuis  Mayence  jusipiau  lac  de  Constance  ,  des  deux  côtés 
<lela  forêt  d'Odenel  delal'orét-Noire.  Enfin,  l'an  307,  Julien 
l'ut  envoyé  en  qualité  de  césar  dans  les  Gaules.  Les  Alemans 
avaient  continuellement  porté  leurs  ravages  .surson  tenitoire 
iiinsi  «pi'à  l'est  siu-  celui  de  la  ÎNorique.  .lufien  contraignit 
<le  nouve^ui  lei  Alemans  à  repasser  le  Rhin  ;  ies  huit  princes 
<iui  les  commandaient  iniplori-rent  la  paix.  L«'its  forces  réimies 
<!ans  la  bahrille  rangée  que  leur  livra  Julien  se  montaient 
il  35,000  hommes.  Bientôt  après  se  joignirent  à  eux  riir  le 
Danul>esupérieurlesJullmnges,dontie  nom  disparait  au  cin- 
<|uième  siècle.  Le  peuple  confédcié  porta  par  la  suite  le  nom 
4VAtemfins  ou  Siièves,  dont  on  lit  Sounhcs,  eniployt-  comme 
dcnomination  g-néiique.  Au  qiuitiième  siècle  ils  se  répan- 


dirent sur  toute  la  rive  gauche  du  Rhin  jusqu'aux  Vosges,  él 
au  sud  jusqu'aux  Alpes  helvétiques.  Enfin  Clovis  anéantit 
leur  puissance  à  Tolbiac  (396),  elles  .soumit  à  la  domina- 
tion franque.  Un  grand  nombre  d'entre  eux  se  réfugièrent 
alors  auprès  de  Théodoric  ,  roi  des  Ostrogoths ,  en  Italie  et 
dans  les  Alpes.  La  partie  septentrionale  du  pays  des  Alemans 
devint  le  domaine  particulier  des  rois  francs.  Le  reste  du 
territoire,  qui  en  était  la  plus  grande  partie,  forma  le  duché 
(ÏAlenwnnie,  qui  s'étendait  au  sudjusqu'au  mont  Saint-Go- 
thard,  à  l'ouest  jusqu'au  Jura  (plus  tard  seulement  jusqu'à  la 
Reuss),  ;u  nord  sur  le  Rhin  jusqu'à  la  Sur  et  la  .Murg,  .sur 
le  Necker  jusqu'à  l'Enz,  et  à  l'est  jusqu'à  la  Wamitzet  le  Lech. 
L'Alsace,  qui  en  fut  pendant  quelque  temps  séparée,  lui  fut 
de  nouveau  réunie  sous  l'empereur  Henri  F'',  et  en  fit  partie 
jusqu'au  treizième  siècle.  A  partir  du  règne  de  Henri  IV  le 
nom  de  Souabe  devint  en  usage  pour  désigner  la  partie  de  ce 
duché  située  à  l'est,  sans  y  comprendre  les  fiefs  de  Hohens- 
taufen  et  de  Z<Thringen. 
ALEMBERT  (d').  I''oys;  D'Alembert. 
ALEMBllOTII ,  mot  chaldi-en  dont  se  .servaient  les 
alchimistes  pour  signifier  la  clef  de  l'art.  Cette  clef  faisait 
entrer  le  chimiste  dans  la  transmutation.  Celui  qui  la  possé- 
dait savait  le  grand  œuvre.  Les  alchimistes  appelaient  set 
d'alembroth  ou  sel  de  la  sagesse  un  produit  obtenu  en 
sublimant  le  calomélas  avec  le  chlorure  d'ammonium.  En 
pharmacie  on  nomme  sel  d''alembroth  une  sorte  de  mé- 
lange salin  médicamenteux  considéré  comme  fondant ,  diu- 
rétique, apéritif.  Le  moi  alembrotli  cfX  au.ssi  employé  par 
quelques  chimistes  pour  désigner  un  sel  fondant  ou  alr^ilin , 
aidant  à  la  fusion  des  métaux. 

ALEM-TEJO  ou  ALENTEJO,  province  administrative 
du  Portugal,  bornée  au  nord  par  lEstramadure  et  la  Beira , 
à  l'est  par  l'Estramadure  espagnole ,  au  sud  |)ar  l'Algarve  et 
à  l'ouest  par  l'océan  Atlantique.  Elle  a  quarante-quatre  lieues 
de  longueur,  sur  une  largeur  à  peu  près  égale ,  et  ne  ren- 
ferme que  384,000  habitants.  Cette  province  est  traversée 
par  une  chaîne  de  montagnes  appelée  la  Sierra  Monohique, 
et  arrosée  par  le  Tage  ,  la  Guadiana ,  le  Zadao  et  un  grand 
nombre  de  petites  rivières.  Son  territoire  est  montueux  et 
sabionneiix  dans  quelques  endroits,  et  fertile  dans  d'autres , 
mais  partout  mal  cultivé.  Des  marécages  nombreux  et  éten- 
dus en  occupent  une  bonne  partie.  Cependant  le  sol  y  est 
en  général  si  riciie  qu'il  fournit  en  surabondance  des  récoltes 
de  blé,  de  riz,  d'iuiile,  de  vin,  d'oranges,  et  autres  fruits. 
Les  pâturages  sont  excellents  et  couverts  de  nombreux 
troupeaux  de  moulons  à  laine  fine,  de  chèvres  et  de  porcs. 
Les  fromages  qu'on  prépare  dans  ce  pays  sont  renommés. 
Il  y  a  des  mines  d'or  et  d'argent ,  qu'on  n'exploite  pas  faute 
de  combustible;  mais  on  exploite  des  carrières  de  marbre 
et  une  belle  terre  dont  on  fait  des  vases  et  d'autres  ustensile.s 
qui  .s'exportent  en  Espagne.  Le  commerce  de  cette  province 
est  très-restreint,  et  la  f.djrication  se  borne  à  des  draps  et 
des  lainages  de  médiocre  qualité.  L'.Mentejo  se  divise  en 
huit  districts  ou  camarias;  ce  sont  ceux  iïÉvora ,  chef-lieu 
de  la  i)rovince ,  de  liéja ,  d'Elvas ,  de  Portalègre ,  d'Ourique , 
de  Villa-Viciosa  ,  de  Crato  et  d'Aviz. 

ALEXÇO\,  jolie  ville  de  France,  chef-lieu  du  dépar- 
tement <le  î"Orne,  située  dans  une  grande  et  fertile  plaine, 
entourée  de  forêts ,  au  continent  de  la  Sarthe  et  de  la  Bril- 
lante, à  193  kilomètres  sud-est  dt  Paris.  Sa  population  est 
de  10,473  habitants.  Elle  est  aussi  le  chef-lieu  du  quinzième 
arrondissement  forestier.  Elle  possède  des  tribunaux  de  pre- 
mière instance  et  de  coinmetce,  une  chambre  de  commerce, 
un  conseil  de  prud'hommes,  un  collège  communal,  une 
école  normale  primaire  départementale,  une  bibliothecpie  pu- 
blique, qui  renferme  de  riches  colleclions,  ainsi  que  les  ma- 
niisi  rils  de  l'abbaye  de  Saint-Évroiil,  parmi  lesquels  (m  re- 
maniue  un  autographe  d'Orderic  Vital  et  un  de  l'abbé  de 
r.ancé.  Ses  principaux  monuments  sont  :  l'église  collégiale, 
édilice  du  seizième  siècle,  l'hôtel  de  la  prélecture ,  et  l'hôtel 


ALENCOIV 


279 


(le  villo,  con>;truit  en  17S3,  sur  IViniiIaconu'nt  de  raïuicn 
cliAtt-aii.  On  y  >oit  encore  les  restes  de  l'ancien  cliAteau  des 
dm  s  d'Alenv  on. 

Cette  \i\\c  a  uni'  industrie  trt"s-active.  Elle  est  renoniniée 
innir  son  ancienne  fabrication  de  dentelles  dites  point 
(r.Alcnfon,  et  pour  sa  fabrication  de  tuiles,  de  blondes,  de 
mousselines,  de  toiles  et  de  cliape;ui\  de  i)aille  fine.  Klle 
posstVle  d'importantes  fdatures  de  coton  et  de  clianvre,  des 
fabriques  de  bouïiran,  des  blanchisseries  considérables,  des 
tanneries,  etc.  Elle  tient  au  chemin  de  fer  de  Cherbourg. 

On  exploitait  jadi*  prèsd'Alençon  un  quart/  cristallisé  que 
1  on  travaillait  sous  le  nom  de  d lamants d' Aleiiçon.  La  belle 
lubritpie  de  pohit  d'Alençon ,  qui  a  lonjitemps  joui  d'mie 
l)rillanle  rt^pntation,  due  à  la  beauté  de  son  exécution,  à  la 
l'Urelé  de  ses  dessins,  à  la  solidité  de  son  magnifique  tra- 
vail, fut  apiK'lée  de  Venise  par  Colbert.  Ce  fut  le  5  aoîit  1675 
que  les  lettres  patentes  consolidèrent  le  nouvel  établissement 
à  Alençon  ;  neuf  ans  après  on  i>rohiba  les  dentelles  de  Ve- 
nise, de  Gènes  et  de  Flandre.  Vers  1750  on  comptait  douze 
cents  femmes  occu|)ées  aux  diverses  parties  du  point  d'Alen- 
çon :  ces  ouvrières  étaient  en  1772  au  nombre  de  dix  mille  ; 
mais  cet  état  de  prospérité  ne  fut  pas  durable.  Avant  1789 
les  dentelles  plus  légères,  mises  à  la  mode  par  Marie-Antoi- 
nette, établirent  une  concurrence,  qui  peu  à  peu  devint  très- 
préjudiciable  aux  points  d'Alençon  et  d'Argentan  (car  cette 
dernière  ville  avait  mis  en  grand  renom  son  point  de  France, 
à  peu  près  pareil  à  celui  d'Alençon  ).  Le  baron  Mercier  par- 
\  int  sous  Tempire  à  remettre  en  honneur  pendant  quelques 
années  ce  beau  produit  de  notre  industrie,  qui  est  retombé 
depuis  dans  un  nouvel  état  de  ruine. 

Autrefois  capitale  d'un  comté,  puis  d'uuduché  de  son  nom, 
Alençon  n'est  pas  cependant  une  ville  très-ancienne.  Au 
neuvième  siècle  ce  n'était  encore  qu'un  simple  bourg.  Guil- 
laume de  Bellesme  y  fit  construire,  en  1026,  un  château 
fort.  Geoffroy  Martel,  comte  d'Anjou,  s'en  empara  en  1052  ; 
elle  fut  reprise  la  même  année  par  Guillaume  le  Conqué- 
rant, lin  11 35  elle  fut  prise  par  Henri  II ,  roi  d'Angleterre.  Les 
grandes  compagnies  du  quatorzième  siècle  la  dévastèrent 
plusieurs  fois.  En  1417  elle  tomba  de  nouveau  au  pouvoir 
des  Anglais,  qui  furent  forcés  de  la  rendre  aux  Français 
en  1421.  Les  Anglais  y  rentrèrent  en  1428,  en  furent  chas- 
sés eu  1440,  la  reprirent  en  1444,  et  furent  enfin  contraints 
del'abandonner  pour  toujours  en  1450.  Elle  est  une  des  villes 
qui  eurent  le  plus  à  souffrir  des  guerres  de  religion.  Cepen- 
dant elle  fut  préservée  des  massacres  de  la  Saint-Barthélémy 
par  le  maréchal  de  Matignon,  qui  y  couunandait  à  cette 
époque.  En  1589  elle  tomba  au  pouvoir  des  Ligueurs,  mais 
Henri  IV  la  leur  reprit  en  1590,  et  fit  démolir  une  partie 
du  château.  La  révocation  de  l'édit  de  Nantes  y  fut  aussi  la 
cause  de  graves  désordres. 

AXiEIVÇOiV  (  Comtes  et  ducs  d'  ).  Les  premiers  seigneurs 
d'Alençon  furent  comtes  de  Bellême,  depuis  Yves  de  Creil, 
lequel,  de  comte  de  Belléme,  devint,  vers  941,  comte  d'A- 
lençon, territoire  qui  jusque  alors  avait  eu  peu  d'importance. 
Ainsi,  le  Perche,  et  l'Alençonnais,  qui  embrassait  tout  le 
diocèse  de  Séez,  furent  réunis  sous  la  même  main.  Cinq 
comtes  d'Alençon  sortirent  de  la  famille  des  Bellêmes  :  Yves, 
dont  nous  venons  de  parler,  Guillaume  l",  Robert  I", 
Guillaume  II  et  Arnoulfe  ou  Amoul.  Pour  prix  de  ses  ser- 
vices, le  premier  de  ces  seigneurs  reçut  du  duc  de  Norman- 
die, Richard  I*'',  le  territoire  d'Alençon  etcelui  de  Domfront. — 
Guillaume  I",  surnommé  Talvas,  se  brouilla  avec  le  bien- 
faiteur de  son  père  :  il  fut  vaincu,  et  Alençon  fut  pris 
en  1028.  On  voit  encore  à  Domfront  les  débris  du  tom- 
beau de  ce  seigneur.  —  Le  comte  Robert  fut  assassiné  dans 
sa  prison,  vers  1033.  —  Sous  Guillaume  If,  Alençon  et 
Doinfiontlui  furent  enlevés  de  vive  force  par  Geoffroy-Mar- 
tel, comte  d'.\njou.  —  Mabile,  fille  de  Guillaume  ,  ayant 
épousé  Roger  II  de  Montgomeri,  les  seigneuries  d'Alençon  et 
de  Domfront  passèrent  dans  cette  maison,  très-illustre,  à  dé- 


faut d'héritiers  du  comte  Arnoulfe.  Ainsi,  la  maison  d.^ 
Montgomeri  remplaça  celle  de  Bellême.  —  Roijcr  se  dist'ui- 
gua  vaillamment  A  cette  bataille  d'Hastings  (  en  1060),  qui 
mit  la  couronne  d'Angleterre  sur  le  front  de  Guillaume  le  Bâ- 
tard, duc  de  Normandie.  —  Robert  II  succéda  à  Roger,  et 
fut  connu  sous  le  nom  de  Robert  II  de  Bellême,  parce  que 
alors  cette  ville  était  la  plus  importante  du  comté.  S'étant 
brouillé  avec  Henri  1"",  duc  de  Normandie  et  roi  d'Angle- 
terre, qui  lui  avait  ravi  Domfront,  il  fut  battu  et  jeté  dans  la 
prison  de  Verham  en  Angleterre,  où  il  finit  misérablement 
ses  jours.  —  Guillaume  III,  surnommé  Talvas,  comme  ses 
homonymes,  joignit  du  chef  de  sa  mère  le  titre  de  comte  de 
l'onthieu  à  ceux  qu'il  possédait  déjà.  A  son  retour  de  la 
croisade,  en  1147,  il  mourut  à  Alençon,  le  29  juin  1172. — 
Jean  1",  que  l'Art  de  vérifier  les  dates  regarde  à  tort 
comme  le  premier  comte   d'Alençon,  mourut  le   24  fé- 
vrier 1191.  —  Robert  III,  son  frère,  suivit  Richard  Cœur 
de  Lion  en  Palestine ,  puis,  après  la  mort  de  ce  grand  mo- 
narque, se  soumit  à  Philippe-Auguste.  Ses  successeurs  vé- 
curent très-peu  de  temps.  La   branche  des  Montgomeri 
finit  sous  Robert  IV.  Alors  Philippe-Auguste  réunit  à  la  cou- 
ronne le  comté  d'Alençon,  en  1219.  —  Louis  IX  ayant  don- 
né cette  seigneurie  pour  apanage  à  son  cinquième  fils,  la 
branche  des  comtes  d'Alençon-Valois  y  commença  une  nou- 
velle dynastie.  Elle  donna  d'abord  Pierre  I",  qui  fit  avec 
son  père  la  campagne  de  Tunis.  Comme  Pierre  mourut  sans 
enfants,  Philippe  le  Hardi,  son  frère,  disposa  d'Alençon  en  fa- 
veur de  son  troisième  fils,  Charles  I",  en  mars  1284.  La 
mort  de  Charles  \"  eut  lieu   le  16  décembre  1325.  —  Il 
laissa  pour  successeur  Charles  II,  son  fils,  qui  fut  tué  à  la 
bataille  de  Créci,  en  1346.  Le  comté  d'Alençon  fut  en  sa  fa- 
veur érigé  en  pairie.  —  Charles  III,  Pierre  III,  viennent 
ensuite  ;  puis /ean  III,  qui  prit  le  titre  de  duc  lorsque  Alen- 
çon fut  érigé  en  duché-pairie,  le  l"  janvier  1414.  C'est  ce 
prince,  et  non  Charles  l",  qui  périt  à  la  bataille  d'Azincourt, 
le  25  octobre  1415.  —  Jean  IV,  que  l'on  a  mal  à  propos 
appelé  Jean  II,  fils  du  précédent,  se  distingua  dans  les 
guerres  contre  les  Anglais,  et  finit,  après  leur  expulsion,  par 
rentrer  dans  ses  domaines.  Deux  fois  condamné  à  mort  pour 
conspiration  en   faveur  de  l'Angleterre,  Jean  obtint  deux 
fois  sa  grâce,  et  alla  mourir  prisonnier  à  Loches,  eu  1476, 

—  René,  son  fils,  ne  fut  guère  plus  heureux  :  jeté  aussi  dans 
les  fers  en  1481,  il  ne  recouvra  sa  liberté  qu'en  li85,  après 
la  mort  deLouisXI.il  mourut  à  Alençon  en  1492;  il  avait  eu 

pour  femme  ]\larguerite  de  Lorraine,  qui  lui  survécut  trente 
ans.  —  Leur  fils  Charles  /T' épousa  l'illustre  Marguerite  de 
Valois,  qui  le  perdit  en  1524,  et  n'en  conserva  pas  moins 
jusqu'à  sa  mort  le  duché  d'Alençon,  par  une  faveur  de 
François  I^',  son  frère.  A  cette  époque,  le  duché  fit  retour  à 
la  couronne.  — La  fameuse  Catherine  de  Médicis  fut  quelque 
temps  duchesse  d'Alençon,  titre  dont,  en  1566,  Charles  IX 
disposa  en  faveur  de  son  jeime  frère  François,  qui  est 
connu  généralement  sous  le  titre  de  duc  d'Anjou,  et  à  la 
mort  duquel  Alençon  fut  encore  réuni  à  la  couronne  en  1584. 

—  En  1606  Henri  IV  l'engagea  au  duc  de  Wurtemberg, 
lequel  mourut  en  1608  et  le  transmit  à  son  fils,  qui  le  pos- 
séda jusqu'en  octobre  1612.  Marie  de  Médicis,  ayant  rem- 
boursé ce  qui  était  dû  au  duc  de  Wurtemberg,  jouit  de  cet 
apaî/age  dès  cette  même  année.  —  A  la  mort  de  cette  prin- 
cesse, Gaston,  frère  de  Louis  XIII,  eut  dans  sa  part  le  du- 
ché d'Alençon.  —  Elisabeth  d'Orléans ,  seconde  femme  de 
Gaston,  obtint  ce  duché,  qiii  lui  fit  donner  le  nom  de  Ma- 
demoiselle  d'Alençon,  qu'elle  porta  quelque  temps.  Deve- 
nue veuve  de  Louis-Joseph  de  Lorraine,  duc  de  Guise, 
elle  porta  ce  dernier  nom.  Leur  fils  mourut  à  l'âge  d'en- 
viron cinq  ans,  en  1075,  et  le  duché  d'Alençon  retourna  en- 
core à  la  couronne.  —  Le  même  retour  eut  lieu  en  1713, 
à  la  mort  de  Charles  de  Berri.  —  Loiiis-Stanislas-Xavier, 
comte  de  Provence,  depuis  Louis  XVIII,  porta  aussi  le 
nom  de  duc  d'Alençon.  Enfin,  le  deuxième  fils  du  duc  ue 


5S0  ALENÇOIS 

Nemours,  Fcrdinnnd-rhiUppe-Mnrie  (\'Ox\(-tiX\^,  n<^  le  19. 
juillet  is4'i,  reçut  le  titre  de  duc  d'Alenron  en  naissant. 

Louis  DU  Bois. 

ALÉOUTIEMVES  (lies  ),  ou  Archipel  de  Catherine, 
grctipe  d'iles  au  nombre  de  plus  de  cent  cinquante  et  occu- 
pant une  superficie  d'environ  450  myriamètres  carr(''S,  qui  fait 
partie  de  l'Amérique  russe ,  et  forme  comme  une  continua- 
tion insulaire  de  la  presqu'île  Alaska,  df'-jx-ndance  de  l'Anié- 
rique  septentiionale,  un  arc  s'avançant  presque  jusqu'au 
Kamtchatka,  et  séparant  au  nord  du  50"  de  latitude  septen- 
trionale la  mer  du  Kamlcliatka  ou  la  merde  Bering  du  Grand- 
Océan.  Ces  île*  sont  divisées  en  cinq  groupes  :  les  îles  de 
Béri  ng ,  avec  Mednoi  ou  l'île  de  Cuivre  ;  les  îles  de  Sasi- 
gnan,  avec  Attou,  Agattou  et  Semitsclii  ;  les  îlesdes  Rats,  avec 
Bouldyr,Kiska,  Amschitka  et  Krysiù-Ostrow;  les  îles  An- 
dreanolf,  avec  Samidopotsclienoi,  Goreloi  ou  île  de  Brand, 
Bobrowoi,  Tanaga,  Atsclia,  Aralja  ou  Amiak,  etc.  ;  les  île?  des 
Renards,  avec  Unimak,  Unalasclika,Uinnak,etc.  Toutes  sont 
hérissées  de  rochers  et  portent  la  trace  de  violentes  com- 
motions intérieures.  Aujourd'hui  encore  plusieurs  volcans  y 
sont  périodiquement  en  activité  ou  lancent  continuellement 
de  la  fumée  ;  les  sources  chaudes  volcaniques  y  sont  aussi 
très-nombreuses.  Sons  un  climat  dont  le  long  et  rigoureux 
hiver  n'est  interrompu  que  pendant  très-peu  de  temi>s  par 
un  printemps  nuageux  et  un  été  d'une  chaleur  extrême,  le 
sol  de  ces  îles  n'est  susceptible  que  de  produire  des  buissons 
rabougris  au  lieu  d'arbres,  beaucoup  d'herbes,  de  n«ous- 
sesetde  lichens.  En  revanche ,  on  y  rencontre  en  abon- 
dance des  poissons,  des  renards,  des  chiens,  des  rennes  et 
des  loutres  de  mer.  Les  habitants  ,  dont  le  nombre  peut 
être  évalué  à  6,000,  sont  d'origine  kamtschadale.  Lâchasse 
et  la  pêche  forment  leur  principale  occupation.  Leur  état 
moral  est  des  plus  abjects ,  attendu  que  les  agents  de  la 
compagnie  russe  de  commerce  exercent  sur  eux  l'oppressiou 
la  plus  tyrannique,  et  que  le  vice  de  l'ivrognerie  est  de- 
venu général  parmi  eux.  La  population  a  diminué  d'une 
manière  effrayante  depuis  la  domination  russe.  Les  îles 
Aléoutiennes  forment  une  station  importante  pour  le  com- 
merce des  pelleteries  et  du  poisson,  dont  l'entrepôt  pri-icipal 
est  à  Alexandria  ,  dans  l'île  Kodjak ,  en  face  de  la  côte 
sud-ouest  d'.Vlaska.  En  1833, des  vaisseaux  anglais  et  fran- 
çais visitèrent  ces  îles  aprèsavoir  ruiné  Pétropawlosk.  * 

ALEP  ou  HALEB ,  capitale  de  l'eyalet  du  même  nom 
situé  au  nord  de  la  Syrie.  Elle  est  bâtie  entre  l'Oronte  et 
TEuphrate,  sur  les  bords  du  Koïk,  petite  rivière  du  désert 
ordinairement  appelée  i\Aor-e?-//a/e&,àrentrée  nord-ouest 
du  grand  désert  de  Syrie  et  d'Arabie.  Les  fertiles  jardins 
qui  garnissent  les  deux  rives  de  cette  rivière,  et  qui  sont 
justement  renommés  pour  leurs  belles  plantations  de  pis- 
tachiers, offrent  un  agréable  contraste  avec  le  morne  aspect 
de  toute  la  contrée  environnante .  Alep,  qui  par  le  style  gé- 
néral de  ses  constructions  appartient  aux  plus  belles  villes 
de  l'Orient,  comptait  encore  il  y  a  soixante  ans  une  popula- 
de  300,000  âmes.  On  y  voit  un  magnifique  bazar,  composé 
de  plusieurs  nies,  entièrement  voûté,  et  recevant  le  jour 
qui  lui  est  nécessaire  par  des  fenêtres  pratiquées  en  partie 
dans  des  coupoles  spécialement  destinées  à  cet  usage.  Le 
tremblement  de  terre  du  13  août  1822  ensevelit  les  deux 
tiers  des  habitants  d'Alep,  et  transforma  en  un  mon- 
ceau de  ruines  la  citadelle,  située  au  milieu  de  la  ville. 
Depuis  lors  la  population ,  qui  atteint  à  peine  aujourd'hui 
le  chiffre  de  80,000  ùmes,  n'a  jamais  pu  regagner  son  antique 
prospérité.  La  nouvelle  citadelle  a  été  construite  au  nord- 
ouest  de  la  ville,  et  renferme  une  grande  caserne.  Alep,  ville 
au  caractère  et  à  la  physionomie  essentiellement  arabes,  est 
une  des  principales  étapes  du  commerce  entre  l'Europe , 
l'Inde,  la  Perse,  l'Arabie  et  l'Arménie.  C'est  là  que  s'opère 
iéchange  des  produits  de  l'Europe  contre  ceux  de  l'o. ient, 
Elle  est  aussi  le  centre  d'un  grand  commerce  en  étoffes  de 
colon  et  de  soie,  en  cuirs,  tabacs  et  vins.  —  Une  révolte 


ALESSI 

ayant  éclaté  à  Alep  en  18.30 ,  treize  chrétiens  y  perdirent  la 
vie ,  trois  églises  furent  incendiées.  Le  7  novembre  Kerim- 
Pacha  fit  venir  les  chefs  de  la  rébellion,  et  les  arrêta.  L'in- 
surrection recommença  aussitôt  ;  à  la  tête  de  4,000  hommes , 
Kérim-Paclia  repoussa  les  insurgés  après  une  lutte  de  vingt- 
quatre  heures.  Dix-huit  cents  rebelles  tombèrent  sous  les 
coups  du  pacha  turc;  trois  quartiers  de  la  ville,  Karleh, 
Bab-Kusa  et  El-Bab-Beyrak,  foyers  de  la  révolte,  furent  dé- 
truits dans  cette  sanglante  répression,  qui  montra  dq  moins 
la  volonté  formelle  du  sultan  de  protéger  les  chrétiens. 

ALERTE,  mouvement  excité  dans  une  troupe  par 
quelque  indice  ou  par  un  ordre  supérieur,  pour  lui  faire 
prendre  les  armes  avec  promptitude  ;  elle  se  tient  alors  sur 
ses  gardes  et  prête  à  obéir  au  premier  ordre  qui  pourrait 
lui  être  donné.  Dans  les  camps,  les  places  de  guerre  et  dans 
les  postes  militaires,  on  donne  quelquefois  dc/aw.we.$  o/er- 
tes,  pour  habituer  les  corps  à  se  porter  avec  rapidité  et  en 
silence  dans  les  lieux  qui  leur  ont  été  assignés  pour  les  cas 
d'attaque  ou  d'incendie.  Aux  termes  des  ordonnances  sur 
le  service  des  places  et  des  troupes  en  campagne,  un  général, 
un  gouverneur,  un  commandant  d'armes,  un  commandant 
de  poste  militaire,  doivent,  à  des  époques  indéterminées, 
ordonner  de  fausses  alertes.  Ils  sont  tenus,  dans  ce  cas,  d'en 
informer  les  autorités  locales. 
ALESIA.  Voyez  Alise. 

ALÉSOIR,  instrument  ou  machine  qui  sert  à  agrandir, 
calibrer,  polir  un  trou  ou  les  parois  intérieures  d'un  tube, 
comme  un  corps  de  pompe,  un  cylindre  de>machine  à  va- 
peur, un  canon  de  fusil,  l'àrae  d'une  bouche  à  feu.  Les  alé- 
soirs  sont  en  général  des  barreaux  d'acier  ayant  des  coupes 
propres  à  régulariser  et  à  faciliter  leur  mouvement  dans  le 
cylindre  qu'on  veut  aléser.  On  leur  imprime  ce  mouvement, 
soit  à  la  main,  soit  au  moyen  d'un  vilebrequin  ou  d'une  es- 
pèce de  tour,  suivant  la  puissance  de  progression  qu'on  doit 
leur  communiquer.  Les  corps  de  pompe  ou  cylindres  sont 
fondus  d'un  seul  jet.  Quelques  précautions  qu'on  prenne 
dans  cette  opération  ,  la  cavité  de  ces  pièces  n'est  pas  par- 
faitement cintrée  et  circulaire ,  et  ses  parois  sont  couvertes 
d'aspérités.  C'est  pour  corriger  ces  imperfections  qu'on  a 
recours  à  une  seconde  opération,  celle  de  Valésage.  L'alé- 
sage peut  être  employé  aussi  bien  pour  un  trou  conique 
que  pour  un  trou  cylindrique.  C'est  de  l'alésage  que  dé- 
pendent la  précision  et  la  facilité  du  jeu  des  pistons  dans 
toutes  les  machines  à  vapeur,  et  la  justesse  du  tir  dans  les 
fusils  et  les  bouches  à  feu.  On  distingue  deux  espèces  d'alé- 
soirs,  Valésoir  horizontal  et  Yalésoir  vertical. 

ALESSANDRI  (Alessandro),  connu  aussi  sous  le 
nom  (TAlexander  ab  Alexandre,  né  à  Naples  vers  l'an 
1460  ,  et  qui  y  exerça  pendant  quelque  temps  la  profession 
d'avocat,  se  laissa  déterminer  par  les  beaux  travaux  archéo- 
logiques de  Filelfu  et  de  Calderino,  à  se  consacrer,  lui  aussi, 
à  l'étude  de  l'antiquité  classique.  Quoiqu'il  ne  soit  jamais  par- 
venu à  mériter  le  titre  d'archéologue ,  le  grand  ouvrage  dans 
lequel,  à  l'instar  des  Nuits  Attiques  d'Aulu-Gelle,  il  a  traité, 
sous  le  titre  de  Dies  Géniales  {Rome,  1322;  souvent  réim- 
primé depuis  )  et  en  forme  d'entretiens  avec  des  amis  ins- 
truits, d'une  foule  de  points  et  de  questions  ayant  trait  pour 
la  plupart  à  l'antiquité  classique,  obtint  un  rare  succès. 
Alessandri  mourut  le  2  octobre  1523  à  Rome,  où  il  rem- 
plit pendant  quelque  temps  les  fonctions  de  protonotaire  na- 
politain. 

ALESSI  (Galeazzo  ),  célèbre  architecte,  né  à  Penigia, 
en  1500,  mort  dans  la  même  ville,  en  1572.  C'est  à  Rome 
qu'il  se  forma  comme  artiste,  et  il  y  eut  pour  maître  Michel- 
Ange.  Par  la  suite  il  s'établit  à  Gênes,  ville  qui  fut  le  théâtre 
de  ses  plus  importants  travaux.  Ce  fut  lui  qui  y  répandit  le 
goût  pour  l'architecture  m.oderne.  Une  foule  de  palais,  de 
villas  et  d'églises  y  furent  constniits  sous  sa  direction.  On 
admire  dans  ces  divers  ouvrages  la  richessed'une  imagination 
qui  ne  se  laisse  jamais  aller  aux  écarts  de  la  fantaisie ,  ainsi 


ALESSl  —  ALEXAINDRE  LE  GRAND 


281 


qu'on  l'oliscrve  chi^z.  Li  pluivut  (ks  architeclos  de  ce  temps- 
là.  ol  chez  Michel-Ange  lui-inonie.  Les  comlitionsextériciiies 
sous  remplie  de^cpielles  il  eut  lieu  d'exercer  son  talent , 
uotamment  le  sol  si  accidenté  de  Gônes,  lui  fournirent  l'oc- 
ca.-ion  dVtre  conslaiument  neuf  et  original  dans  ses  pro- 
ductions. Les  parties  mlérieures  de  ses  palais,  leurs  escaliers, 
leurs  cours,  etc.,  sont  toujours  disposées  de  la  manière  la 
jtlus  pittoresque  et  la  plus  agréable. 

ALÉTIDES,  sacrilices  solennels  oiïerts  par  les  Athé- 
niens iK)ur  apaiser  les  mines  d'Érigonc,  qui  avait  erré  long- 
temps en  clH?rchant  son  p;re  Icarus,  et  qui  s'était  pendue 
de  désespoir  de  ne  l'avoir  pas  trouvé.  Les  fdles  s'y  balan- 
»  Mitiii  Mil  (les  escarpolettes  en  chantant lMZeA»5  ou  la  Vaga- 
bonde (d'àXr.TsJu),  j'erre):  ce  chant  avait  été  composé  par  Théo- 
dore de  Colophon.  Quelques-uns  ont  cru  que  cette  fête  était 
en  l'honneur  du  roi  Témahis,  ou  d'1';gistlie  et  de  Clytem- 
nestre,  qui  ne  le  méritaient  gnèrcs  D'autre,  pensent  qu'elle 
fut  instituée  en  mémoire  d'Érigone,  lille  d'Egi>te  et  de  Cly- 
leiunestre,  qui  poursuivit  Oreste  devant  l'aréopage  après  la 
mort  de  son  père  et  de  sa  mère,  et  qui  se  pendit  de  déses- 
poir de  n'avoir  pu  réussir  à  le  faire  condamner.  Mais  cette 
opinion  n'était  pas  fort  suivie.  D'autres  auteurs  prétendent 
jième  qu'Érigone  épousa  Oreste,  et  en  eut  Penthilus.  Ces 
Sites  se  nommaient  aussi  Eores  ou  Eudeipnos. 

ALEUROM  ANCIE  (  du  grec  àXsupov,  farine  ;  (xavieta, 
divination),  sorte  de  divination  qui  se  pratiquait  au  moyen 
cJc  la  farine  de  froment. 

ALEUTIE^^XES  (Iles).  Voyez  Aléoutiennes. 

ALEVIIV,  nom  donné  aux  jeunes  poissons  que  l'on  met 
dans  les  étangs  on  les  rivières  pour  les  peupler.  Il  se  dit 
surtout  des  jeunes  carpes. 

ALEXAXDERSBAD  ,  petite  ville  de  Bavière ,  près 
de  Wnnsiedel,  dans  une  magniliqiie  contrée  du  plateau  des 
Fichlelgebirge ,  au  i)ied  des  monts  Kœsscine.  Sa  source, 
qui  contient  une  énorme  quantité  d'acide  carbonique  et  de 
fer,  fut  découverte  en  1737  par  un  paysan  appelé  Brodmer- 
kel.  En  1741  on  s'occupa  d'en  régulariser  la  distribution, 
et  en  1783  le  margrave  Alexandre  d'Anspach  y  fit  construire 
un  établissement  de  bains.  En  1838  on  l'a  augmenté  d'un 
établissement  hydrothérapeutique.  Le  charmant  château  de 
Luisenburg  a  pris  son  nom  du  séjour  qu'y  fit  la  reine  Louise 
de  Prusse.  L'eau  d'Alexandersbad  s'emploie  surtout  en  bois- 
son, maison  peut  aussi  s'en  servir  en  bains,  pourcombattre 
les  blennorrliées  chroniques,  la  chlorose  et  les  flux  de  sang. 

ALEXANDRA  FÉODOROWNA  (Fuédériqce-Lolise- 
CnARLOTTE-W'iLUELMiNE  ),  impératrice  de  Russie,  née  le  13 
juillet  1798,  fille  aine  du  roi  de  Prusse  Frédéric-Guillaume  III 
et  de  la  reine  Louise,  épousa,  le  13  juillet  1817,  l'empereur 
NicolasI^'',  qu'elle  perdit  le  2  mars  1855.  Elle  mourut 
elle-même  le  27  octobre  1860.  Dévouée  à  son  mari  et  à  ses 
enfants,  elle  eut,  depuis  son  avènement  au  trône,  une  santé 
débile  qui  ne  l'empêchait  pas  de  se  livrer  avec  ardeur  aux 
plaisirs  de  la  société.  Après  le  rétablissement  de  la  paix, 
an  185fi,eile  passa  une  partie  de  son  veuvage  en  Italie.    Z. 

ALEXAJVDRE  LE  GRAND  naquit  au  moment  de 
la  plus  haute  puissance  de  son  père,  Philippe,  roi  de  Ma- 
cédoine, l'an  356  avant  J.-C,  la  première  année  de  la 
V)is'  olympiade.  La  nuit  de  sa  naissance  fut  marquée  par 
l'incendie  du  fameux  temiile  de  Diane,  à  Éphèse.  —  D'après 
quelques  historiens,  Alexandre  descendait  d'Hercule  par  son 
jw-re ,  et,  par  sa  mère  Olympias  (  fille  de  Néoptolème, 
roi  d'Épire),  de  la  foilc  race  desÉacides.  Alexandre  annonça 
dès  son  jeune  âge  les  dispositions  les  plus  heureuses  :  les 
premières  leçons  d'Olympias,  sa  mère,  trouvèient  une  in- 
telligence ouverte  et  déjà  préparée.  A  douze  ans  il  fut  confié 
aux  soins  d'A  ri  stote,  après  être  resté  (pielque  temps  entre 
les  mains  de  Lysimaque,  homme  savant,  mais  llatteur  et 
corrompu.  Aristote,  devinant  les  dispositions  du  jeune  prince 
et  comprenant  l'importance  de  son  rôle  futur,  résolut  de 
refaire  entièiement  son  éducation.  —  Fuyant  le  bruit  de  la 

Lier.    DE    L\    CO.NVbUSATHJ^.    —     1.    1 


cour,  il  se  retira  avec  lui  dans  la  solitude  de  Mieja  ,  sur  les 
bords  du  Stiymon.  Pltitarque  dit  que  de  son  temps  on  y 
voyait  encore  les  pierres  (pii  leur  servaient  de  sièges.  C'est 
là  qu'ils  raisonnaient  sur  les  détails  éclaircis  à  celte  époque 
de  tontes  les  connaissances  humaines.  Aristote  avait  com- 
posé pour  son  élève  un  traité  sur  VArt  de  régner;  ce  traité 
a  été  perdu,  nous  n'en  possédons  aucun  fragment.  Il  avait 
annoté  pour  lui  V Iliade  ;  et  l'on  sait  l'admiration  profonde 
d'Alexandre  pour  Homère,  dont  le  poème,  enfermé  dans  une 
cassette  d'or,  le  suivait  dans  toutes  ses  expéditions.  Il  acquit 
une  somme  de  connaissances  extraordinaire  à  celte  époque; 
son  intelligence  lucide ,  l'élévation  de  son  esprit,  la  netteté 
de  ses  vues,  lui  facilitaient  la  compréhension  de  tous  les  su- 
jets, et  lui  permettaient  de  retirer  de  chaque  tait  de  la  vie 
<run  héros  un  exemple  qui  pilt  servir  de  règle  à  la  siemie. 
Au  milieu  de  tous  ces  travaux  intellectuels,  l'éducation  phy- 
sique, SI  importante  alors  ,  n'était  pas  négligée.  Alexandre 
n'avait  pas  été  moins  favorisé  pour  la  force  du  corps  que 
pour  la  grandeur  de  rintelligence.  Hardi,  adroit,  souple, 
courageux,  il  courait  aux  choses  extraordinaires,  recherchait 
les  actions  impossibles  :  à  peine  sorti  de  l'enfance,  il  dompta 
un  cheval  fougueux  qui  avait  effrayé  et  rebuté  les  plus  ha- 
biles écuyers de  la  cour.  Ce  cheval,  appelé Bncéphale,  de- 
vint depuis  sa  monture  favorite.  En  même  temps  qu'il  com- 
mençait à  avoir  le  sentiment  de  sa  puissance  et  de  sa  force, 
sa  fieilé  et  son  orgueil  s'éveillaient  en  lui.  Les  historiens  ont 
cité  différents  traits  qui  peuvent  servir  à  l'étude  de  son  ca- 
ractère. On  sait  avec  quelle  grandeur,  quel  esprit  et  quelle 
noble  fierté  il  reçut  les  envoyés  du  grand  roi  Darius,  sou- 
verain des  Perses.  —  On  se  rappelle  sa  réponse  aux  cour- 
tisans qui  l'engageaient  à  disputer  la  palme  aux  jeux  olym- 
piques :  «  J'irai ,  dit-il ,  s'il  y  a  des  concurrents  dignes  de 
moi  :  qu'on  trouve  un  autre  Alexandre ,  fils  de  Philippe  !  ■> 
—  11  pleurait  en  apprenant  les  victoires  multipliées  de  Phi- 
lippe :  «  Mon  père  ne  me  laissera  donc  rien  à  faire!  »  s'é- 
ciiait-il;  et  pour  tromper  son  impatience  et  son  courage, 
il  allait  à  la  chasse,  combattant  les  lions,  contre  lesquels  il 
s'acharnait. 

Alexandre  atteignit  ainsi  l'âge  de  seize  ans.  Ce  fut  à  cette 
époque,  l'an  340  avant  J.-C,  que  Philippe  partit  pour  la 
conquête  de  la  Thrace.  Il  chargea  son  fils  de  la  conduite  du 
royaume  pendant  la  durée  de  son  absence,  sur  déjà  de  son 
habileté  et  de  son  courage.  Cette  confiance  ne  fut  pas  trom- 
pée :  les  Médares,  peuple  tributaire  de  la  Macédoine,  ayant 
essayé  de  profiter  de  l'iibsence  de  Pliili[)pe  pour  se révoltei, 
Alexandre  les  battit  complètement,  et,  entraîné  par  son  désir 
de  victoires,  il  eût  tenté  d'autres  conquêtes  si  son  père,  crai- 
gnant les  dangers  de  son  impétuosité,  ne  l'eût  appelé  à  By- 
zance,  où  il  venait  de  réunir  ses  troupes.  Quelque  temps 
après,  à  la  bataille  de  Chéronée,  où  il  commandait  sous 
les  ordres  de  Philippe,  Alexandre  tailla  en  pièces  le  célèbre 
bataillon  sacré  des  Thébains.  Après  s'être  ainsi  signalé 
conuue  soldat,  Alexandre  fut  envoyé  enambassade  à  Afliènes, 
où  il  se  distingua  par  une  prudence  et  une  modération  peu 
ordinaires  à  une  si  extrême  jeunesse  et  à  un  si  grand  cou- 
rage. Philippe,  cédant  à  un  élan  de  tendresse  et  d'admiration, 
lui  dit,  les  larmes  aux  yeux  :  «  Cherche  un  autre  royaume, 
mon  fils,  le  mien  n'est  pas  assez  grand  pour  toi!  »  Jusque 
alors  le  père  et  le  fils  étaient  restés  complètement  unis  : 
Alexandre  aimait  tendrement  Philippe;  mais  sa  plus  grande 
part  d'affection  était  pour  sa  mère  Olympias ,  qu'il  avait  en 
profonde  vénération.  Aussi,  lorsque  Philippe  voulut  la  ré- 
pudier, Alexandre  le  quitta,  et  suivit  sa  mère  à  la  cour 
d'Alexandre  Molosse,  roi  d'Epire  et  frère  d'Olympias.  11  se 
préparait  à  venir  réclamera  main  armée  les  droits  de  celle-ci 
confie  son  père,  lorsque  la  réconciliation  s'opéra  :  Olympias 
et  Alexandre  revinrent  en  Macédoine  pour  le  mariage  du  roi 
d'Épire  avec  Cléopàtre,  fille  de  Philippe.  C'est  au  milieu  de? 
fêtes  de  ce  mariage  que  Philippe  fut  assassiné,  l'an  337 
avant  J.-C. 

36 


282 

Lorscjuc  Alexandre  monta  sur  le  trône,  il  n'avait  pas  en- 
core atteint  sa  vingtième  année.  On  vit  alors  cet  exemple 
iiioiii  d'un  jeune  homme  que  son  bouillant  courage  entraînait 
aux  con(iuéte.s  l«s  plus  hardie-;,  modérer  toutes  les  inspira- 
tions de  ce  courage  et  les  soumettre  au  jugement  d'une  raison 
froide  et  saine  avant  de  s'y  abandonner.  Il  remplaçait  l'ex- 
périence par  l'intuition.  Son  vaste  génie  devinait  ce  que  les 
années  api»ortent  de  science  à  l'âge  mûr. 

Philippe  était  mort  en  préparant  le  projet  d'une  expédition 
contre  les  Perses.  Ce  projet  flattait  les  penciiants  de  tout  le 
peuple  grec  depuis  que  diverses  tentatives,  particulièreîuent 
celle  d'Agésilas,  avaient  montré  que  ces  idées  n'étaient  pas 
impraticables.  —  Alexandre  résolut  de  mettre  à  exécution  le 
projet  de  son  père.  Avant  de  quitter  .ses  États  pour  tenter 
cette  immense  conquête ,  le  jeune  roi  voulut  dégager  ses 
frontières  des  ennemis  qui  les  menaçaient.  Il  vainquit  les 
Thraces;  puis,  leur  offrant  une  paix  honorable,  il  enrôla  sous 
ses  drai>eaux  leurs  meilleurs  soldats  et  leurs  plus  braves  ca- 
pitaines. 11  défit  également  les  Tribaiies  et  les  Gètes,  tou- 
jours en  état  d'agression  contre  sa  puissance.  Tranquillisé 
désormais  de  ce  côté  ,  il  se  fit  reconnaître  pour  chef  par  les 
députés  de  la  Grèce,  réunis  pour  cette  élection  dans  l'isthme 
de  Corintiie.  11  se  mit  alors  a  la  tète  de  son  armée ,  traversa 
rapidement  les  pays  jusqu'au  Danube,  qu'il  franchit,  et  força 
Clilus,  roi  d'Iliyrie,  d'abandonner  son  royaume  au  vainqueur. 
Pendant  ce  temps ,  le  bruit  s'étant  répandu  dans  la  Grèce 
qu'Alexandre  avait  péri  dans  la  bataille ,  les  Athéniens ,  les 
Thébains  et  d'autres  peuples  grecs,  enhardis  par  les  discours 
de  Démostliène  et  de  Lycurgue,  se  levèrent  contre  la  Ma- 
cédoine, et  quelques  officiers  macédoniens  furent  égorgés 
dans  Thèbes  la  nuit  même  où  l'on  apprit  cette  fausse  nou- 
velle. Instruit  de  cette  trahison  ,  Alexandre  traversa  la  Ma- 
ccdoine,  une  partie  de  la  Thessalie,  franchit  les  Thermopyles 
et  vint  assiéger  Thèbes,  qu'il  prit  d'assaut  et  qu'il  saccagea  : 
toute  la  ville  fut  rasée ,  à  l'exception  des  temples  et  de  la 
maison  où  était  né  Pindare.  Ayant  ainsi  prouvé  sa  force, 
Alexandre  voulut  montrer   sa  clémence  :  il  pardonna  aux 
Athéniens,  et  assura  de  la  sorte,  par  la  crainte  et  par  la  re- 
connaissance ,  sa  domination  sur  toute  la  Grèc«.  11  se  pré- 
para ensuite  à  la  conquête  de  l'Asie  :  ses  immenses  prépa- 
ratifs furent  achevés  en  un  hiver.  Le  printemps  suivant,  l'an 
334  avant  J.-C.,  il  traversa  l'Hellespout  avec  une  armée  de 
trente-deux  mille  hommes  de  pied  et  de  cinq  mille  chevaux, 
des  vivres  pour  un  mois  et  soixante-<"lix  talents  dans  sa  caisse. 
11  avait  laissé  à  Antipater  l'administration  de  son  royaume. 
En  quittant  la  Grèce ,  il  s'était  tait  dire  par  la  prêtresse  d'A- 
pollon que  rien  ne  pouvait  lui  résister  ;  à  Gordium ,  il  con- 
firma l'oracle  en  tranchant  le  nœud  gordien,  à  la  solution 
duquel  on  attachait  l'empire  de  l'Asie.  Son  premier  acte  en 
arrivant  en  Asie  fut  d'implorer  les  dieux  et  de  célébrer  des 
.•sacrifices  en  l'honneur  d'Achille,  son  héros  favori.   11  s'a- 
vança alors  vers  le  Granique,  qu'il  traversa,  et  où  il  paya 
de  sa  personne  comme  le  plus  obscur  et  le  plus  valeureux 
soldat.  11  marcha  ensuite  à  la  conquête  de  l'Asie  Mineure,  for- 
çant toutes  les  villes  à  lui  ouvrir  lems  portes.  11  traversa 
ainsi  une  partie  de  ce  pays  comme  un  triomphateur,  jus- 
qu'à Tarse,  ca|titale  de  la  Cilicie,  où  il  tomba  malade  pour 
s'être  baigné ,  couvert  de  sueur,   dans  les  eaux  froides.du 
Cydnus.  On  connaît  le  courage  qu'il  déploya  en  cette  occa- 
sion :  comme  Darius  s'avançait  avec  des  forces  immenses 
pour  lui  fermer  les  issues  duTaurus,  Alexandre  avait  besoin 
d'une  i>rompte  guérison  ;  son  médecin  Philippe  lui  arrangea 
un  breuvage  qui  devait  avoir,  selon  lui,  un  effet  immédiat; 
au  moment  où  Alexandre  allait  prendre  ce  breuvage,  on  lui 
apportai  une  lettie  de   Parménion  qui  accusait  Philippe  de 
vouloir  em[)oisonner  le  roi  ;  celui-ci  montra  la  lettre  à  son 
médecin,  et  pendant  qu'il  la  lisait  avala  le  breuvage  salu- 
taire. Celle  confiance  amena  ime  prompte  convalescence,  et 
à  peine  rétabli  Alexandre  s'avança  contre  Darius.  Celui-ci, 
i\ix  une  armée  beaucoup  plus  forte  que  celle  d^s  Macédo- 


ALEKANDKE  LE  GRAND 


niens,  était  campé  près  d'Issus,  non  loin  de  la  mer.  Après 
un  court  combat,  cette  belle  aimée  fut  entièrement  détruite  ; 
Darius,  obligé  de  s'enfuir,  abandonna  ses  trésors  et  ses  ba- 
gages aux  vainqueurs,  laissant  au  pouvoir  d'Alexandre  sa 
mère,  sa  femme  et  ses  enfants.  Le  roi  de  Macédoine  respecta 
ces  nobles  victimes,  et  ordonna  qu'elles  fussent  entourées 
d'hommages  et  de  soins,  générosité  rare  alors  chez  le  plus 
fort  ou  le  plus  habile.  Il  laissa  fuir  Darius  sans  l'inquiéter, 
no  songeant  qu'à  établir  sa  puissance  sur  tout  le  littoral  de 
la  Méditerranée;  il  y  réussit  facilement.  La  ville  de  Tyr, 
seule,  fit  plus  longue  résistance,  voulant  garder  la  fidélité 
qu'elle  avait  jurée  au  roi  des  Perses.  Elle  finit  pourtant  par 
tomber  au  pouvoir  d'Alexandre,  qui  la  détruisit ,  ainsi  que 
Gaza,  ville  qui  avait  voulu  imiter  Tyr  dans  sa  résistance.  Le 
vainqueur  fit,  dit-on,  attacher  à  son  char  Bétis,  gouverneur 
de  Gaza,  et  le  fit  ainsi  traîner  autour  des  murs,  la  tête  sur 
le  sol,  disant  qu'il  voulait  imiter  Achille.  —  Nous  dcxons 
ajouter  que  Quinte-Curce  seul  raconte  ce  trait  de  féroce 
cruauté;  ni  Arrien  ni  Plutarque  n'en  disent  un  mot. 

L'historien  Josèphe  place  vers  ce  temps  l'expédition  d'A- 
lexandre contre  Jérusalem.  On  sait  comment  le  grand  prê- 
tre Gaddus  le  fit  se  retirer  des  murs  de  la  ville  sainte  en  lui 
expliquant  les  prophéties  de  Daniel.  Il  tourna  ses  vues 
vers  l'Egypte,  qui  était  aisposée  a  voir  en  lui  un  libérateur 
plutôt  qu'un  conquérant  :  elle  se  mit  volontiers  sous  le  joug 
de  la  Grèce  pour  secouer  celui  de  la  Perse ,  qui  lui  était 
odieux.  Ce  fut  alors  qu'Alexandre  fonda  cette  ville  à  laquelle 
il  donna  son  nom ,  et  qui  dès  son  origine  devint  une  des 
premières  places  du  monde:  Alexandrie.  Ces  choses 
faites,  il  voulut,  pour  aller  consulter  l'oracle  d'Ammon,  tra- 
verser les  déserts  de  Libye  :  l'oracle  lui  confirma  qu'il  était 
fils  de  Jupiter.  Dans  toutes  ces  conquêtes  «  Alexandre  res» 
pecta,  dit  Jlontesquieu,  les  traditions  anciennes  et  tous  les 
monuments  delà  gloire  et  de  la  vanité  des  peuples.  Les  rois 
de  Perse  avaient  détruit  les  temples  des  Grecs ,  des  Babylo- 
niens et  des  Égyptiens  :  il  les  rétablit.  Peu  de  nations  se 
soumirentà  lui  sur  lesautels  desquelles  il  ne  fit  des  sacrifices  ; 
il  semblait  qu'il  n'eût  conquis  que  pour  être  le  monarque 
particulier  de  chaque  nation  et  le  premier  citoyen  de  chaque 
ville.  Les  Romains  conquirent  tout  pour  tout  détruire ,  il 
voulut  tout  conquérir  pour  tout  conserver,  et,  quelques  pays 
qu'il  parcourût ,  ses  premières  idées,  ses  premiers  desseins 
furent  toujours  de  faire  quelque  chose  qui  pût  en  augmenter 
la  prospérité  et  la  puissance.  Il  en  trouva  les  meilleurs  moyens 
dans  la  grandeur  de  son  génie;  les  seconds,  dans  sa  frugalité 
et  dans  son  économie  particulière;  les  troisièmes,  dans  son 
iiimiense  prodigalité  pour  les  grandes  choses.  » 

Pendant  son  séjour  en  Egypte  les  recrues  macédo- 
niennes avaient  eu  le  temps  de  se  former  en  armée  et  de 
venir  le  rejoindre.  Il  résolut  alors  de  combattre  Darius  au 
co'ur  même  de  ses  États.  Celui-ci,  effrayé,  malgré  les  forces 
énormes  dont  il  disposait,  fit  demander  la  paix,  olTrant  à 
Alexandre  la  main  de  sa  fille,  10,000  talents  de  rançon 
pour  les  autres  princesses,  et  la  cession  de  toutes  les 
provinces  d'Asie  depuis  l'Euphrate  jusqu'à  l'Heilespont. 
Alexandre  ayant  communiqué  ces  conditions  aux  principaux 
ofliciers  de  son  armée  :  «  J'accepterais,  dit  Parménion,  si 
j'étais  Alexandre.  —  Et  moi,  dit  Alexandre,  si  j'étais  Par- 
ménion. »  Et  il  refusa.  Darius,  irrité,  rassembla  toutes  ses 
forces  :  son  armée  comptait  im  million  de  combattants  et 
trois  mille  chariots  armés  de  faux  ;  elle  couvrait  les  plaines 
d'Ar belles;  les  généraux  d'Alexandre  en  furent  effrayés, 
lui  seul  resta  (uilme  et  assuré  de  la  victoire.  Le  matin  qui 
précéda  la  bataille,  on  le  trouva  profondément  endormi  :  il 
fallut  l'éveiller  ;  les  préparatifs  du  combat  commencèrent.  Six 
heures  après ,  la  victoire  des  Macédoniens  était  complète , 
Darius  fuyait ,  et  Alexandre  se  trouvait  maître  absolu  de 
l'empire  des  Perses.  Pen  tant  que  le  roi  vaincu  se  cachait 
dans  les  montagnes  de  la  Mcdie ,  Alexandie  prenait  posses- 
sion   de  Pcrsépolis,  de  Su/.e,  de  Babylone  et  de  leurs 


ALEXANDRE  LE  GRAND 

immenses  richesses.  11  renvoya  aux  Athéniens  les  bustes 
d'Harnioilius  el  d'Aristogiton  qu'avait  emportés  Xerxès  à 
Persépoiis.  Cet  acte  d'halille  politique  valut  h  Alexandre 
l'amitié  des  Athéniens  et  plus  tard  leur  neutralité  lorsque 
le  roi  Agis  insurgea  Sparte  contre  lui. 

Alexandre,  parvenu  au  comble  d'une  puissance  inconnue 
jusque  alors,  perdit  la  dignité  de  mœurs  qu'il  avait  montrée 
dans  sa  jeunesse.  Il  s'abandonna  aux  joies  de  l'orgie  : 
s'il  faut  en  croire  les  historiens  grecs,  perdant  tout  sens 
moral ,  il  incendiait  des  palais  pour  satisfaire  un  caprice  de 
courtisane;  mais  ces  oublis  de  lui-mt^uie  ne  duraient  pas 
longtemps  :  les  fautes  qu'il  commettait  dans  ces  moments 
d'ivfesse  lui  causaient  des  repentirs  sincères;  les  actes  bru- 
taux auxquels  il  s'abandonnait  lui  faisaient  bientôt  hor- 
reur :  «  on  les  oublie,  dit  Montesquieu,  pour  se  souvenir 
de  son  respect  pour  la  vertu ,  de  sorte  qu'ils  furent  consi- 
dérés plutôt  comme  des  malheurs  que  comme  des  choses 
qui  lui  fussent  propres.  » 

Cependant  Darius  fuyait  vers  le  nord  de  l'empire; 
Alexandre  se  mit  à  sa  poursuite,  et  l'atteignit  près  des  fron- 
tières de  la  Bactriane.  Darius  venait  d'être  assassiné  par 
un  de  ses  satrapes ,  Alexandre  punit  de  mort  l'assassin,  et 
fit  rendre  au  malheureux  prince  les  plus  grands  honneurs 
mortuaires  en  usage  chez  les  Perses.  11  soumit  ensuite 
la  Parthiène ,  la  Sogdiane  et  l'Hyrcanie.  —  Voulant  tou- 
jours marcher  en  avant,  et  n'assignant  pas  de  bornes  à  son 
ambition,  Alexandre  franchit  i'Indus,  l'an  327  avant  J.-C.  !l 
s'assura,  en  arrivant,  l'alliance  de  Taxile,  un  des  rois  les 
plus  puissants  de  ces  contrées;  il  s'avança  ensuite  jusqu'au 
Gange,  où  l'attendait  Porus,  roi  indien,  habile,  courageux, 
persévérant ,  qui  avait  réuni  toutes  ses  troupes  pour  com- 
battre le  vainqueur  :  le  combat  fut  long  et  plus  terrible  que 
tous  ceux  hvrés  contre  les  Perses.  Cependant  Porus  fut 
vaincu  et  fait  prisonnier.  Alexandre,  touché  de  son  courage 
et  de  ses  vertus,  lui  demanda  comment  il  voulait  être  traité  : 
"  En  roi  !  »  répondit  Porus  ;  et  il  s'abandonna  à  la  magna- 
nimité d'Alexandre,  dont  il  devint  bientôt  l'ami. 

Après  quelques  autres  conquêtes ,  les  Macédoniens  refu- 
sèrent de  suivre  leur  roi  plus  avant.  Ils  voyaient  avec  regret 
qu'Alexandre  traitait  les  nations  soumises  non  en  peuples 
vaincus,  mais  en  alliés.  Il  voulait,  en  effet,  s'attacher  tous 
les  peuples  sans  les  opprimer.  Son  projet  était  de  fondre  en 
un  seul  peuple  les  vainqueurs  et  les  vaincus.  11  ne  faisait 
plus  de  distinction  entre  les  Perses  et  les  Macédoniens; 
ceux-ci  furent  blessés  de  cette  sage  pohtique,  dont  ils  ne 
comprenaient  pas  le  but.  Alexandre  se  vit  obligé  de  ré- 
primer des  complots  et  de  punir  plusieurs  de  ses  généraux, 
entre  autres  Clitus,  Philotas,  Parménion,  etc.  Nous  ne 
devons  pourtant  pas  croire  légèrement  les  récits  que  font  les 
historiens  grecs  des  froides  cruautés  d'Alexandre  :  eux 
seuls  l'en  ont  accusé  ;  les  traditions  des  Perses  et  des  autres 
peuples  vaincus  n'en  font  nulle  mention.  Les  Grecs  seuls , 
qui  ne  pouvaient  pardonner  à  Alexandre  sa  toute-puissance, 
ont  tant  accablé  sa  mémoire. 

Abandonné  de  son  armée  s'il  voulait  encore  marcher  en 
avant,  Alexandre  se  vit  forcé  de  reculer  jusqu'à  l'IIydaspe, 
oii  il  divisa  ses  troupes  en  deux  parties  :  il  confia  l'une  à 
Né  arque,  pour  aller  tenter  d'établir  une  communication 
entre  l'IndOS,  l'Euphrate  et  le  Tigre  ;  se  mettant  à  la  tête  de 
l'autre,  il  se  dirigea  vers  Babylone,  à  travers  les  déserts 
de  la  Gédrosie.  11  ne  voulait  rien  commencer  avant  la  jonc- 
tion de  l'armée  deNéarque  à  la  sienne.  Ce  fut  avant  cet  in- 
tervalle que  mourut  son  ami  Éphestion  :  il  en  ressentit 
une  telle  douleur,  qu'il  oublia  un  moment  son  grand  rêve 
d'unité  et  ses  gigantesques  projets  ;  il  fit  tuer,  dit-on,  le 
médecin  qui  n'avait  pas  pu  sauver  son  ami.  —  Sur  ces 
entrefaites,  Néarque  arriva  à  l'embouchure  de  l'iùipiirate. 
A  cette  nouvelle,  l'énergie  revint  à  Alexandie;  il  lit  les  pré- 
paratifs d'un  immense  i>lan  de  campagne  :  «  Conmie  il  allait 
reconnaître  le  golfe  Persique,  dit  Montesquieu,  comme  il 


383 

avait  reconnu  la  mer  des  Indes ,  comme  il  fit  construire  un 
port  à  Babylone  pour  mille  vaisseaux  et  des  arsenaux, 
comme  il  envoya  500  talents  en  Phénicie  et  en  Syrie  pour  eu 
faire  venir  des  nautoniers  qu'il  voulait  placer  dans  les 
colonies  qu'il  répandait  sur  les  côtes  ;  connue  enfin  il  fit 
des;  travaux  immenses  sur  l'Euphrate  et  les  autres  fleuves 
de  la  Syrie,  on  ne  peut  douter  que  son  dessein  ne  fût  de 
faire  faire  le  commerce  des  Indes  par  Babylone  et  le  golfe 
Persique.  » 

La  mort  vint  réduire  à  néant  ces  merveilleux  projets  -. 
Alexandre  succomba  à  Babylone  aux  accès  d'une  fièvre 
violente,  l'an  324  avant  J.-C.  à  l'âge  de  trente-deux  ans.  11 
avait  régné  pendant  treize  années.  L'opinion  la  plus  générale 
est  qu'il  fut  empoisonné  par  Antipater  ;  quelques-uns 
disent  qu'il  mourut  des  excès  de  débauche  et  de  tiavail  :  les 
veilles  trop  répétées  et  la  tension  incessante  des  organes  du 
cerveau  furent ,  selon  ces  derniers ,  la  seule  cause  de  sa  mort. 

Alexandre  fut  un  de  ces  immenses  génies,  une  de  ces 
puissantes  volontés  auxquelles  il  est  presque  impossible  de 
ne  pas  attribuer  une  mission  surhumaine.  En  treize  ans  il 
avait  élevé  un  empire  plus  vaste  que  ne  le  fut  jamais  celui 
des  Bomains  du  temps  de  leur  plus  grande  puissance,  apiès 
dix  siècles  de  combats.  «  Dans  l'espace  de  quatorze  ans, 
dit  une  légende  poétique  de  la  Perse,  Iskander  (  Alexan- 
dre )  parcourut  les  routes ,  les  déserts  et  les  montagnes 
du  globe.  Les  pieds  de  ses  coursiers  agiles  et  étincclants  de 
feu  inscrivaient  sm-  les  montagnes  élevées  et  inaccessibles 
des  vers  dont  voici  le  sens  :  Le  jour  il  est  dans  la  Grèce,  et 
la  nuit  dans  l'Inde  ;  le  soir  à  Damas ,  et  le  matin  à  Nous- 
chad  ;  son  cheval  se  désaltère  le  même  jour  aux  eaux  du 
Gihoun  et  dans  celles  du  Tigre ,  qui  arrose  Bagdad.  » 

A  sa  mort  l'empire  d'Alexandre  comprenait  :  en  Europe, 
la  Grèce ,  la  Jlacédoine ,  une  partie  de  la  Thrace  ;  en  Asie , 
l'Asie  Mineure  (à  Texception  de  quelques  provinces),  la 
Syrie,  la  Phénicie,  ia  Palestine,  tous  les  États  du  Tigre  et 
de  l'Euphrate ,  la  Médie,  la  Perse,  le  littoral  de  l'Océan  jus- 
qu'à I'Indus ,  et  dans  le  nord  la  Bactriane  et  la  Sogdiane  ;  en 
Afrique,  l'Egypte  jusqu'aux  cataractes  au-dessus  de  Syène, 
et  les  côtes  de  la  Méditerranée  jusqu'au  pays  de  Cyrène. 
Ce  vaste  empire  ne  devait  pas  lui  survivre.  Sentant  la  mort 
s'approcher,  et  sans  héritier  capable  de  lui  succéder,  il 
laissa  le  pouvoir  au  plus  dir/ne;  mais  il  eut  à  peine  fermé 
les  yeux,  que  ses  lieutenants  se  livrèrent  des  luttes  san- 
glantes ,  et  l'immense  monarchie  née  de  son  génie  périt 
aussitôt  dans  les  convulsions  d'un  démembrement. 

Olympias,  mère  d'Alexandre,  survécut  à  ce  prince,  ainsi  que 
son  épouse  Statire,  fille  de  Darius;  il  laissa  un  fils  imbécile, 
Hercule,  qu'il  avait  eu  d'une  concubine,  Barsine;  une  autre 
épouse  légitime  du  héros  ,  Koxaue  ,  était  à  sa  mort  enceinte 
d'un  enfant,  roi  plus  tard  sous  le  nom  d'Alexandre  l\. 

A  toutes  les  qualités  qui  font  le  grand  homme  de  guerre 
Alexandre  joignait  les  vertus  qui  peuvent  faiie  le  grand 
homme  d'État.  Il  était  assuiément  le  plus  instruit  et  le  plus 
intelligent  de  son  armée;  il  avait  au  plus  haut  degré 
l'amour  des  belles-lettres  et  des  sciences  :  il  entretenait 
une  correspondance  scientifique  avec  Aristote  au  même  mo- 
ment où  il  conquérait  l'Asie;  il  apprenait  la  médecine 
la  veille  des  batailles;  la  cassette  d'or  qui  contenait  1'/- 
liade  était  chaque  jour  placée  sous  son  chevet  ;  enfin  il  lisait 
Pindare  le  lendemain  d'une  victoire.  Évidemment  la  civili- 
sation conquérante  ne  fut  jamais  mieux  représentée  que  par 
Alexandre. 

L'histoire  d'Alexandre  a  été  écrite  par  Aristobule  et  par 
Ptolémée ,  fils  de  Lagus,  dont  les  ouvrages  sont  perdus. 
Arrien  du  moins  les  avait  sous  les  yeux  lorsqu'il  composa 
le  sien.  Plutarque  a  écrit  la  vie  du  héros  macédonien. 
Quinte-Curce  tombe  dans  le  roman  en  se  servant  de  sources 
aujourd'hui  perdues.  Voir  Sainte-Croix,  Examen  ailique 
des  anciens  Historiens  d'Alexandre  le  Grand  (Paris, 
2*^  édit.,  ISO'i,  iu-i"). 


284 

ALEXANDRE  (Roman  d').  C'est  le  privilège  des 
hommes  dont  la  gloire  ou  le  génie  frappe  vivement  l'ima- 
gination des  peuples  de  léguer  à  la  postérité  un  double 
souvenir.  Tandis  que  l'histoire  prend  note  des  faits  réels 
qui  servent  de  texte  aux  biograpliies,  le  prestige  de  l'Iié- 
roisnic  et  le  prisme  de  la  distance  décomposent  en  quelque 
sorte  la  vérité  pour  la  convertir  en  légendes.  A  côté  de 
la  physionomie  humaine  et  vraie  d'un  grand  homme  se  des- 
sine, après  sa  mort,  et  parfois  même  de  son  vivant,  sa 
figure  poétique  et  idéale,  agrandie  par  l'enthousiasme  popu- 
laire. Une  admiration  superstitieuse  l'entoure  d'une  mer- 
veilleuse auréole  :  il  cesse  d'être  un  chef  de  peuple  ou 
d'armée  ;  il  devient  un  héros,  un  dieu.  Telle  fut  la  destinée 
d'Alexandre  le  Grand. 

Nous  allons  exposer  ici  comment  la  figure  légendaire  d'A- 
lexandre, créée  par  la  superstition  enthousiaste  du  peuple 
et  des  soldats,  vint  à  travers  les  pays  et  les  âges  se  refléter 
dans  l'œuvre  de  deux  poètes  français,  et  comment  ceux-ci, 
grâce  à  un  singuher  mélange  de  souvenirs  antiques  et 
d'idées  modernes,  arrivent  à  nous  montrer  dans  le  roi  de 
Macédoine  le  type  du  parfait  chevalier. 

C'est  à  l'époque  où  l'histoire  grecque  entrait  dans  sa  pé- 
riode de  décadence  que  les  compagnons  d'Alexandre,  Pto- 
lémée,  Aristobule,  Clitarque  et  Callisthène,  entreprirent 
d'écrire  la  biographie  et  les  exploits  du  roi  qui  les  avait  en- 
traînés à  une  expédition  tentée  jadis  par  des  demi-dieux. 
Hercule  et  Bacchus.  Mis  en  contact  avec  le  monde  asiatique, 
le  génie  des  historiens  grecs  laisse  corrompre  sa  franchise 
naive  et  fausser  la  justesse  de  son  coup  d'œil.  On  voit  éclater 
chez  eux  un  mépris  absolu  de  la  vérité  et  de  l'évidence,  une 
recherche  prétentieuse  des  faits  surnaturels,  une  exagération 
perpétuelle  des  actions  les  plus  simples,  une  métamorphose 
incessante  de  l'histoire  en  roman.  Aussi  la  tradition  légen- 
daire dont  le  héros  était  le  roi  de  Macédoine,  après  être 
sortie  des  tentes  mêmes  du  camp  d'Alexandre,  après  avoir 
passé  entre  les  mains  de  Plutarqne,  de  Justin,  de  Diodore, 
de  Quinte-Curce,  qui  l'incorporent  à  leurs  écrits,  finit-elle 
par  se  confondre  de  plus  en  plus,  durant  les  âges  suivants, 
avec  les  matériaux  réellement  historiques,  et  à  les  con- 
vertir, si  l'on  peut  parler  ainsi ,  on  sa  propre  substance. 
De  la  sorte ,  à  côté  des  biographies,  qui  essayent  de  repro- 
duire l'image  lidèle  et  vraie  du  prince  qu'elles  suivent  dans 
ses  conquêtes,  en  débarrassant,  autant  qu'elles  peuvent,  leurs 
récits  des  circonstances  merveilleuses  que  les  mémoires  des 
auteurs  contemporains  du  roi  leur  ont  léguées,  nous  en  trou- 
vons d'autres  qui  acceptent  sans  réserve  la  tradition  po- 
pulaire, qu'elles  modifient  au  gré  d'une  imagination  intaris- 
sable; elles  inventent  des  détails  surprenants,  des  exploits 
impossibles,  et  font  du  roi  macédonien  le  fils  d'un  dieu,  ou 
tout  au  moins  d'un  sorcier,  d'un  enchanteur  égyptien,  digne 
en  tout  de  son  père.  De  ces  biographies ,  les  premières,  qui 
sont,  pour  ainsi  dire,  classiques,  semblent  s'arrêter  au  siècle 
d'Adrien  ;  les  secondes,  commencées  par  les  récits  des  compa- 
gnons du  roi,  prennent  à  ce  moment  une  nouvelle  extension. 
La  poésie,  qui  s'en  empare  et  qa\  les  teint  de  ses  couleurs,  ne 
fait  qu'y  ajouter  d'audacieux  ornements.  Klienne  de  Dyzance 
cite  une  Alexandriade  composée  par  l'empereur  Adrien. 
Cet  exem,ple  auguste  paraît  avoir  provoqué  les  imitations  de 
Nestor  de  Laianda ,  contemporain  d'Alexandre  Sévère ,  et 
de  Solérichus  d'Oasis ,  qui  vécut  sous  Dioclétien.  Adrien 
lui-même  ne  faisait  probablement  que  recueillir  l'héritage 
poétique  d'un  nommé  Chérilus  d'Iasos,  l'un  des  compagnons 
d'Alexandre,  d'un  Agisd'Argos,  détestable  imitateur  du  très- 
médiocre  Chérilus,  enfin  d'un  certain  Arrien,  qui  n'a  d'autres 
rapports  avec  le  célèbre  historien  que  la  ressemblance  du 
nom.  On  attribuait  encore  un  poème  semblable  au  philo- 
sophe Anaximène  de  Lampsaque.  Ces  détails  nous  prouvent 
que  les  Alexandriadesdu  moyen  âge  avaient  leurs  analogues 
dans  l'antiquité.  La  combinaison  de  ces  divers  éléments, 
empruntés  à  la  prose  et  à  la  poc-io,  ot  dans  lesquels  venaient 


ALEXANDRE 

se  mêler  les  récits  vrais  et  les  légendes ,  les  amplifications 


de  la  prose  et  les  machines  dramatiques  de  la  poésie ,  les 
traditions  de  la  Grèce  et  de  l'Orient,  celles  de  la  Judée  et 
de  l'Egypte,  enfanta  au  septième  et  au  huitième  siècle  une 
œuvre  émanée  de  quehpie  romancier  byzantin,  qui  se  cacha 
sous  le  nom  grec  de  Callisthène  ou  d'yEsopus,  et  qu'un  autre 
pseudonyme,  Julius  Yalérius,  traduisit  ou  plutôt  imita  libre- 
ment-en  latin.  C'est  à  ces  sources,  augmentées  peut-être  des 
travaux  deSiméon  .Seth,  protovestiaire  de  l'empereur  Michel 
Ducas,  au  onzième  siècle,  et  traducteur  grec  d'une  biographie 
persane  d'Alexandre,  que  paraissent  avoir  puisé  nos  vieux 
auteurs,  Lambert  le  Court  et  Alexandre  de  Bernai. 

Ce  sont,  en  effet,  ces  deux  trouvères  que  les  écrivains 
qui  ont  parlé  du  roman  d'Alexandre  s'accordent  tous  a  en 
considérer  comme  les  auteurs,  quoiqu'ils  n'aient  pas  trouvé 
la  même  unanimité  lorsqu'il  s'agit  de  fixer  la  part  d'œuvre 
qui  revient  à  chacun  d'eux.  Suivant  la  conjecture  la  plus 
probable ,  le  poëme  composé  d'abord  par  Lambert  le  Court 
n'existe  plus  aujourd'hui ,  et  l'ouvrage  qui  nous  reste  est 
simplement  une  restitution ,  une  recension  due  à  la  main 
intelligente  d'Alexandre.  D'après  cette  hypothèse,  Alexandre, 
arrangeur  habile,  aurait  donné  plus  de  régularité  aux  vers  de 
l'auteur  original,  rajeuni  le  style  et  remplacé  les  assonnauces 
grossières  par  des  rimes  exactes  et  harmonieuses. 

Il  est  impossible  de  fixer  avec  précision  la  date  à  laquelle 
parut  manuscrite  pour  la  première  fois  cette  œuvre,  chantée 
d'abord  par  les  trouvères  :  le  manuscrit  6987,  un  des  plus 
anciens,  n'est  pas  antérieur  à  1330.  Toutefois ,  comme  il 
parait  certain  que  Lambert  et  Alexandre  ont  vécu  au  dou- 
zième siècle ,  nous  nous  croyons  fondé  à  croire  que  cette 
chanson  de  geste ,  chantée  sous  des  formes  plus  ou  moins 
changeantes,  puis  reprise,  remaniée,  étendue  par  les  poètes 
auxquels  on  l'attribue,  commença  à  circuler  écrite  lorsqu'ils 
lui  eurent  donné  la  dernière  main,  et  qu'ensuite  leur  manus- 
crit servit  de  modèle  aux  copistes  des  âges  suivants. 

Il  existe  à  la  Bibliothèque  Impériale  vingt  manuserits  du 
poëme  légendaire  d'Alexandre.  Quelques-uns  se  ressemblent 
presque  identiquement  ;  d'autres  offrent  quelques  différences. 
11  en  a  été  publié  en  184G,  par  la  Société  littéraire  de  Stutt- 
gart, une  édition  dont  la  révision  a  été  confiée  à  M.  Henri 
JMichelant. 

Il  serait  trop  long  de  doimer  ici  une  analyse  de  ce  roman  : 
les  auteurs ,  usant  de  leurs  droits  de  trouvères ,  donnent  à 
Alexandre  douze  pairs,  lui  prêtent  les  sentiments  et  le 
langage  d'un  chevaUer  contemporain  des  Guillaume,  des 
Robert  et  des  Tancrède.  Ils  prennent  le  héros  à  sa  naissance, 
dont  ils  décrivent  les  circonstances  merveilleuses;  ils 
racontent  les  prouesses  de  son  jeune  âge  jusqu'au  jour  où  il 
put  enfin  abandonner  les  lions  pour  combattre  des  guer- 
riers et  devenir  homme  de  guerre.  Arrivés  là,  les  deux  poètes 
se  jouent  tout  à  leur  aise  des  détails  de  l'histoire  :  ils  cor- 
rompent les  noms ,  transposent  les  événements,  et  s'aban- 
donnent à  toute  la  richesse  de  leur  imagination  :  à  un  cer- 
tain endroit  du  poème,  Alexandre  fait  la  rencontre  du  Diable, 
dans  un  val  mystérieux  où  chaque  fleur  est  une  jeune  fille, 
et  où  l'astre  du  soleil  et  celui  de  la  lune  lui  prédisent  sa 
mort  prématuiée.  On  voit  qu'il  serait  impossible  de  raconter 
ce  poème  sans  s'éloigner  par  trop  des  détails  de  l'histoire. 
Le  Roman  d'Alexandre  est  d'ailleurs  origùial,  plein  de 
détails  curieux  sur  la  chevalerie ,  les  coutumes  du  moyen 
âge,  les  luttes  héroï(iues  de  l'époque  des  croisades.  La  forme 
en  est  généralement  coulante,  malgré  l'uniformité  des  tirades 
monorimes  :  quelques  éclairs  de  poésie  réelle,  d'éloquence 
entraînante  y  brillent  par  intervalles  et  animent  la  longueur 
parfois  faiigante  du  récit.  Ces  beautés  incontestables  jus- 
tifient l'immense  réputation  dont  ce  livre  a  joui  chez  noi 
aïeux,  ainsi  que  le  nom  donné  au  vers  alexandrin  don», 
firent  usage  les  deux  poètes  qui  consacrèrent  leurs  étudet 
et  leur  talent  à  la  gloire  d'Alexandre. 

Eugène  TalbOT,    professeur  au  lycée  Louis-lo-Grand. 


ALEXANDRE 


28.> 


ALEXAXDRE  (Ère  A').  Voi/cz  Kue. 

ALKXAXDIIE,  rois  de  Macotloine.  Outre  Alexandre 
le  C'.raïul,  quatre  princes  portirent  ce  nom  sur  le  trône  de 
MaciHloiue.  Le  premier,  tils  d'Ainyntas  1"",  régna  de  497  à 
454  avant  J.-C.  —  Le  second,  fils  d'Anivntas  II,  régna  de 
371  à  370.  —  Le  Iroîsièine  fut  Alexandre  le  Grand.  — Le 
quatii-nie,  (ils  posthume  d'Alexandre  le  Grand,  avait  pour 
mère  Roxane.  11  porta  un  instant  le  titre  de  roi  après  sa 
naissance  ;  mais  Cassandre  le  lit  tuer  dans  sa  première  en- 
fance. —  Alexandre  V,  lils  de  Cassandre,  régna  d'abord 
avec  son  frère  .\ali|)ater,  de  207  à  21)4  avant  J.-C.  Voyez 

MaCÉDOI.NE  et   .\NTn'\TlUDES. 

ALEXAXDRE,  tyran  de  Phères,  enThessalie,  lan 
3r>'.i  avant  J.-C,  fameux  par  ses  cruautés,  fut  vaincu  par 
l'elopidas,  général  tliébain,  et  tué  par  Thébé,  sa  femme, 
l'an  3ô7  avant  J.-C". 

ALEX.WDRE  I-II,  rois  d'Épire.  Vo!jez  Épire. 

ALEXAXDRE.  Deux  usurpateurs  du  trône  de  Syrie 
ont  porté  ce  nom.  L'un,  Alexandre  Balx  ,  dont  le  véritable 
nom  était  Pompala,  Rhodien  d'origine,  se  fit  passer  pour 
fds  d'Anliochus  Éplphane,  et  réussit  à  détrôner  Démé- 
trius  Soter,  l'an  149  avant  J.-C,  grâce  au  secours  que  lui 
avait  prêté  le  roi  a'Égypte  Ptolémée  Pliilométor.  Aban- 
donné par  ce  prince,  qu'il  avait  tralii,  il  fut  lui-même 
détrôné  par  Démétrius  >'icator,  l'an  144  avant  J.-C.  — 
Alexandre  Zf.cina,  fds  d'un  fripier  d'Alexandrie,  se  pré- 
tendant le  lils  d'Alexandre  Bala,  et  soutenu  par  Ptolémée 
Physcon,  roi  d'Egypte,  parvint  à  s'emparer  du  trône  qu'oc- 
cupait Démétrius  >"icator,  l'an  125  avant  J.-C.  Antiochus 
Grypus,  fds  de  Nicator,  le  fit  mettre  à  mort  quatre  ans  après. 

ALEXAXDRE  JAXXÉE.  Yoyez  Maccabées. 

.\LEXAADRE  SÉVÈRE  (M.  Alrélrs),  vingt -sep- 
tième empereur  romain,  ré^a  depuis  l'an  222  après  J.-C. 
jusqu'à  l'an  235  ;  il  appartient  à  cette  race  impériale  syrienne 
qui  tirait  son  nom  de  Julia  Domna,  épouse  de  Septime 
Sévère ,  née  à  Émèse.  Cette  impératrice  remplit  de  Syriens 
le  conseil  de  l'empereur,  et  tous  les  Sévères,  dans  la  suite, 
furent  considérés  comme  emi)ereurs  syriens.  Ces  princes 
sont  :  Caracaila  et  Géta  ;  puis ,  après  l'usurpateur  Macrin , 
Bassien,  Iléliogabale  ;  enfin  Alexandre  Sévère,  dont  le  vé- 
ritable nom  était  Bassien ,  car  il  n'est  connu  dans  Thistoire 
que  par  ses  deux  surnoms  :  celui  à'Alexandre,  parce  qu'il 
était  né  à  Arsène ,  en  Syrie ,  dans  un  temple  consacré  à 
Alexandre  le  Grand;  celui  de  Sévère,  à  cause  de  sa  ver- 
tueuse rigidité  envers  les  courtisans,  les  soldats.  Bassien  était 
cousin  et  peut-être  frère  de  père  de  l'infâme  Héliogabale. 

Il  semble,  en  Usant  le  règne  d'Alexandre  Sévère  dans 
Lampride ,  que  cet  historien  se  soit  complu  à  représenter 
l'idéal  de  la  puissance  souveraine  exercée  par  un  adolescent, 
au  visage  aussi  beau  que  son  âme  était  pure,  son  cœur  chaste, 
son  esprit  élevé.  Le  sénat  lui  conféra  en  un  seul  jour  tous 
les  pouvoirs  impériaux,  comme  àun  vieil  empereur,  et  lui 
offrit  successivement  les  titres  ù'Antonin  et  de  Grand;  il 
les  refusa ,  et  Lampride  nous  donne  la  longue  discussion 
qui  eut  lieu  à  ce  sujet.  Dès  sa  plus  tendre  enfance  Alexandre 
Sévère  avait  été  instruit  dans  les  lettres  grecques  et  latines.  11 
avaiteu  pour  maîtres  les  plus  célèbres  rhéteurs  de  son  temps; 
il  ne  fit  pourtant  pas  de  grands  progrès  dans  l'éloquence  la- 
tine ;  mais  il  réussit  dans  les  lettres  grecques,  et  composa  en 
vers  dans  cette  langue  la  vie  des  bons  princes.  Ses  lectures 
favorites  étaient  le  traité  des  Offices  et  celui  de  la  Répu- 
blique de  Cicéron.  Il  lisait  aussi  la  vie  d'Alexandre,  dont 
il  n&  proposa  d'imiter  les  veitus ,  tout  en  condamnant  dans 
ce  prince  l'ivrognerie  et  la  cruauté  envers  ses  amis.  11  aimait 
les  poètes  latins, 'surtout  Virgile,  qu'il  appelait  le  Platon  des 
poètes.  Assuré  de  mériter  le  respect ,  il  rejetait  les  titres  fas- 
tueux, les  obséquieuses  formules.  Les  entrées  chez  lui  étaient 
libres,  et ,  à  la  dilTérence  de  ses  prédécesseurs,  il  se  laissait 
aborder  par  tout  :e  monde.  11  vivait  si  familièrement  avec 
ses  amis  qu'à  table  il  partageait  avec  eux  le  môme  lit ,  allait 


.■îans  façon  manger  chez  eux,  et  les  recevait  de  même.  Il  le? 
visitait  quand  ils  étaient  mahuU-?,  de  quelque  rang  qu'ils  lii<- 
Gcnl  ;  il  aimait  que  chacun  lui  dit  librement  sa  pensée  ;  eiî 
sa  présence,  il  voulait  que  chacun  fût  assis,  et  s'informait 
soigneusement  des  absents.  Sa  mère,  Mammée,  et  Memmia, 
son  épouse ,  lui  reprochaient  sa  trop  grande  affabilité,  et  lui 
disaient  qu'il  affaiblissait  ainsi  son  pouvoir.  —  "  Dites  plutôt, 
répondit-il,  que  je  l'affermis  et  le  rends  plus  durable.  »  Ban- 
nissant de  son  costume  l'or  et  les  pierres  précieuses,  dont  ?e 
couvrait  Héliogabale,  il  portait  toujours  une  toge  de  lin  d'une 
éclatante  blancheur.  11  avait  tant  de  vivacité  dans  les  yeux, 
qu'on  ne  pouvait  longtemps  soutenir  son  regard.  Pour  l'air 
martial,  la  vigueur  et  l'agilité ,  c'était  un  vrai  soldat ,  et  il 
passait  pour  le  meilleur  lutteur  de  son  temps.  11  était  doué 
d'une  perspicacité  extraordinaire  et  d'une  mémoire  prodi- 
gieuse. 

k  peine  monté  sur  le  trône,  Alexandre  éloigna  les  juges 
et  tous  les  employés  que  l'impur  Héliogabale  avait  tirés  de 
la  classe  la  plus  abjecte  :  il  ne  voulut  conserver  dans  le  pa- 
lais impérial  que  les  gens  absolument  nécessaires  ,  supprima 
toutes  les  sinécures,  et  s'engagea  par  serment  à  n'en  point 
créer.  En  général ,  il  n'admettait  dans  sa  société  que  des 
gens  honnêtes  et  bien  famés;  de  même,  il  défendit  aux 
femmes  d'une  réputation  équivoque  de  faire  la  cour  à  sa 
mère  et  à  sa  sœur.  Il  se  montra  fort  sévère  pour  les  cour- 
tisans qui  trafiquaient  de  leur  crédit.  L'histoire  cite  un 
homme  qu'il  Ut  mettre  en  croix  pour  ce  délit,  puis  un 
autre  qu'il  fit  étouffer  au  milieu  d'un  feu  de  paille,  afin,  di- 
sait-il, de  punir  par  la  fumée  celui  qui  avait  vendu  de 
la  fumée.  Un  de  ses  secrétaires  avait  fait  un  faux  exposé 
d'une  affaire  au  conseil  du  prince  :  Alexandre  l'exila,  aprè^ 
lui  avoir  fait  couper  les  nerfs  des  doigts ,  de  manière  à  ce 
qu'il  ne  put  plus  écrire.  Il  condamnait  à  mort  les  tjibuns  de 
légion  qui  s'étaient  enrichis  aux  dépens  du  soldat.  Dans 
les  différends  survenus  entre  les  soldatî  et  les  officiers,  il 
punissait  ceux-ci  sans  pitié  quand  ils  étaient  coupaiiles.  »  Du 
reste,  en  quatorze  années  de  temps,  dit  Hérodien,  historien 
peu  favorable  à  Alexandre,  il  ne  répaudit  pas  une  seule  goutte 
de  sang  innocent  ;  et  l'on  ne  nommera  pas  un  seul  homme 
qui  pendant  ^ni  si  long  règne  ait  été  condamné  sans  qu'on 
lui  ait  fait  auparavant  son  procès  dans  toutes  les  formes. 
Quelquefois  même  il  ne  pouvait  se  résoudre  à  condamner 
à  mort  des  gens  coupables  de  fort  grands  crimes.  »  Les  ju- 
risconsultes compilateurs  des  lois  romaines  nous  appren- 
nent qu'il  aboUt  presque  entièrement  les  recherches  poin- 
crimes  de  lèse-majesté  impériale,  et  ce  ne  fut  pas  pour  lui 
une  petite  affaire  que  d'arrêter  le  zèle  des  juges  qui  croyaient 
faire  leur  cour  en  appliquant  cette  législation  cruelle.  Il  fit 
nombre  de  lois  fort  douces  relativement  aux  droits  du 
peuple  et  à  ceux  du  fisc  ;  il  destina  les  impôts  que  payaient 
les  villes  à  l'entretien  de  leurs  édifices;  il  plaça  les  deniers 
pubUcs  à  quatre  pour  cent,  et  de  ce  produit  il  prêtait  sans 
intérêt  à  des  particuliers,  pour  les  aider  dans  leurs  affaires; 
U  accorda,  pour  les  attirer  à  Rome,  des  indemnités  consi- 
dérables aux  négociants.  Outre  les  distributions  d'usage  qu'il 
faisait  au  peuple,  il  prit  des  mesures  piévoyantes  pour  di- 
minuer le  prix  des  denrées.  Sa  vie  simple,  frugale  etréguUère, 
était  une  leçon  vivante  pour  les  Romains.  Afin  d'arrêter  le 
luxe,  il  eut  la  pensée  de  distinguer  les  conditions  par  les  vê- 
tements. 11  ne  voulait  point  faire  entrer  dans  le  fisc  les  con- 
trUjutions  établies  par  Caligula  sur  les  lieux  de  débauche,  et 
consacra  ces  revenus  de  la  corruption  à  l'entretien  des  théâ- 
tres et  des  jeux  du  cirque. 

Sous  ce  prince  les  chrétiens  cessèrent  d'être  persécutéi 
et  les  Juifs  conservèrent  leurs  privilèges.  Alexandre  avait 
emprunté  à  nos  livres  saints  cette  maxime  :  Aefais  pas  à 
autrui  ce  que  tu  ne  voudrais  pas  qu'on  te  fit  à  toi- 
même,  et  il  la  fit  graver  sur  le  frontispice  de  son  palais  et 
de  plusieurs  édifices  publics.  Dans  son  oratoire  on  voyait 
les  images  de  Jésus-Christ  et  d'Abraham  à  côté  de  celles 


28G 


ALEXANDRE 


I 


d'Orphée  et  d'Apollonius  de  Tyane.  Il  voulut  mt^nie  bâtir 
un  temple  au  Christ. 

Tels  sont  les  principaux  traits  du  tableau  animé,  mais 
sans  ordre,  que  Lainpride  nous  trace  de  la  personne  d'A- 
lexandre Sévère.  Il  nous  apprend  encore  que  ce  jeune  em- 
pereur avait  la  faiblesse  de  rougir  de  son  origine  syrienne  , 
et  se  composa  un  arbre  t;énéalogiquc  qui  le  faisait  descendre 
des  Métellus.  Veut-on  connaître  les  passe-temps  par  les- 
quels il  se  délassait  des  soins  du  trône  ?  Il  entretenait  dans 
.son  palais  une  infinité  d'oiseaux  de  toutes  espèces,  entre  au- 
tres vingt  mille  ramiers  ;  il  aimait  à  faire  battre  entre  elles 
des  perdrix,  et  à  faire  jouer  des  jeunes  chiens  avec  déjeunes 
cochons.  Ces  amusements  d'enfant  convenaient  sans  doute  à 
son  âge,  à  son  ûme  innocente  ;  mais  ils  sont  fort  à  remarquer 
dans  la  vie  d'un  prince  qui ,  sans  avoir  encore  de  barbe  au 
menton,  régnait  comme  Trajan  et  parlait  comme  MarcAurèle. 
Tous  les  auteurs  s'accordent  à  vanter  sa  tendre  piété  pour 
sa  mère  et  son  attachement  fidèle  à  son  épouse  ;  mais  si 
l'on  en  croit  Hérodien ,  Alexandre  poussa  la  déférence  fi- 
liale jusqu'à  la  faiblesse.  Selon  lui ,  l'impérieuse  Mammée 
s'abandonnait  contre  sa  bru  à  tous  les  excès  d'une  jalousie 
furieuse,  et  Alexandre  le  souffrait. 

Auguste ,  si  l'on  en  croit  Sénèque ,  avait  fait  un  consul  de 
Cinna  pour  le  punir  d'avoir  conspiré  contre  lui.  Alexandre 
Sévère  se  vengea  d'une  manière  analogue  d'Ovinius  Camil- 
lus,  sénateur  de  haute  naissance,  mais  efféminé,  dissolu, 
et  qui  affectait  des  prétentions  à  l'empire.  Il  le  créa  césar, 
l'associa  à  sa  puissance .  multiplia  autour  de  lui  les  fatigues 
et  les  embarras  du  trône,  et  le  força  ainsi  de  rentrer  dans  la 
vie  privée.  Moins  heureux  que  Cinna ,  Ovinius  fut  plus  tard 
massacré  par  les  troupes,  et  l'on  n'a  point  imputé  cette  mort 
à  Alexandre  Sévère,  qui,  selon  le  témoignage  unanime  des 
historiens ,  mérita  qu'on  dit  de  lui  comme  de  Marc-Aurèle, 
qu'il  ne  fit  mourir  aucun  sénateur. 

Ce  prince  n'est  pas  moins  intéressant  à  suivre  dans  sa 
conduite  politique  :  «  Il  eut,  dit  Heeren,  le  courage  d'être 
un  réformateur  à  une  époque  où  les  vertus  étaient  plus  dan- 
gereuses pour  un  souverain  que  les  vices.  «  Il  voulut  faire 
revivre  les  sentiments  romains;  souvent  il  haranguait  le 
peuple,  l'appelait  quelquefois  aux  suffrages,  et  rendit  au  sé- 
nat une  grande  influence.  En  un  mot,  comme  tous  les  bons 
empereurs  de  Rome,  il  affectionna  les  formes  répubhcaines. 
Alexandre  Sévère  s'était  porté  sur  les  bords  du  Rhin  pour 
surveiller  les  mouvements  des  barbares  de  la  Germanie. 
Les  légions  de  la  Gaule,  qui  ne  le  connaissaient  que  par 
ses  réformes ,  se  rendirent  l'instrument  de  l'ambition  du 
Thrace  Maximin.  Elles  tuèrent  Alexandre  avec  sa  mère  dans 
le  bourg  de  Sécila ,  près  de  Mayence,  l'an  235 . 

Dans  la  quatrième  année  du  règne  de  ce  prince  ,  Artaban, 
dernier  rejeton  de  la  race  des  Arsacides,  avait  succombé 
sous  les  coups  d'un  soldat  de  fortune,  Artaxerce,  chef  de  la 
dynastie  des  Sassanides,  et  qui  fit  quitter  à  ses  compatriotes 
le  nom  de  Parthes  iwur  reprendre  celui  de  Perses  (l'an  226). 
Avec  le  titre  de  grand  roi ,  Artaxerce  affecta  le  langage  des 
successeurs  de  Cyrus.  Pour  toute  déclaration  de  guerre,  il 
ordonna,  par  une  lettre ,  à  l'empereur  Alexandre  Sévère 
d'abandonner  l'Egypte  et  l'Asie,  puis  il  envahit  la  Mésopo- 
tamie et  la  Syrie.  Alexandre,  après  avoir  répondu  avec  une 
noble  modération,  fit  avec  vigueur  ses  préparatifs,  passa 
en  Orient,  et  sortit  vainqueur  de  cette  lutte,  qui  dura  trois 
ans.  C'e.4  du  moins  ce  qui  résulte  du  récit  de  Lampride, 
appuyé  par  les  abrégés  d'Aurélius  Victor,  d'Eutrope ,  de 
Zonaras,  etc.  Hérodien  seul  représente  cette  expédition 
comme  malheureuse,  par  suite  de  l'inexpérience  d'.Mexandre 
Sévère  et  de  son  défaut  de  courage.  C'est  sans  doute  le  lan- 
gage qui  convenait  à  im  historien  trop  favorable  à  l'usurpa- 
tion du  farouche  Maximin  ;  mais  son  récit  présente  eu  outre 
des  obscurités  et  dos  contradictions.  L'opinion  de  Lampride 
a  prévalu,  appuyée  qu'elle  est  par  les  monuments  triom- 
phaux de  l'empire.  Lnlin  Artaxerce ,  jiendant  le  reste  de 


son  règne,  qui  fut  de  huit  ans,  n'osa  pas  môme  attaquer 
la  Mésopotamie,  malî^rc  les  guerres  intestines  qui  occu- 
paient les  légions  de  l'empire.  La  mort  prématurée  d'A- 
lexandre Sévère ,  dont  cependant  le  règne  est  un  des  plus 
longs  de  l'époque,  mit  Rome  sous  le  despotisme  militaire 
de  Maximin ,  ce  persécuteur  cruel  du  sénat ,  qu'Alexandre 
Sévère  avait  voulu  relever.  En  admettant  que  le  portrait  du 
fils  de  Mammée,  tracé  par  Lampride,  soit  quelque  peu 
flatté,  il  est  toujours  glorieux  pour  ce  jeune  empereur  d'a- 
voir été  choisi  au  temps  de  Constantin,  par  un  des  auteurs 
de  l'histoire  impériale,  comme  type  de  la  vertu  romaine , 
heureusement  modifiée  par  l'accession  des  plus  belles  maxi- 
mes du  christianisme.  Sous  ce  rapport  l'on  peut  mettre  la 
pure  et  noble  figure  d'Alexandre  Sévère  en  regard  de  l'i- 
mage auguste  et  vénérable  de  Marc-Aurèle,  type  exclusif 
des  philosophes  païens.  Ch.  du  Rozoïn. 

ALiEX ANDRE.  Huit  papes  ont  porté  ce  nom. 

ALEXANDRE  1^',  qui  régna  depuis  109  jusqu'à  119,  n'est 
connu  que  par  l'introduction  de  l'eau  bénite ,  qu'on  lui  at- 
tribue. Il  mourut  de  mort  violente.  L'Église  le  compte  au 
nombre  de  ses  martyrs.  On  l'honore  le  3  mai. 

ALEXANDRE  II  {Anselme  de  BAGio),de  Milan,  ancien 
évêque  de  Lucques ,  fut  porté ,  en  1061,  au  trône  pontifical 
par  le  parti  du  fameux  Hildebrand  (Grégoire  VII),  tan- 
dis que  les  partisans  du  roi  d'Allemagne  et  de  la  noblesse 
romaine  faisaient  éUre  à  Bâle  l'antipape  Honorius  II. 
Celui-ci  chassa  Alexandre  de  Rome  ;  mais  Hildebrand,  qu'on 
pouvait  dès  lors  regarder  comme  l'àme  du  gouvernement 
papal,  prit  vivement  sa  défense,  et  le  fit  reconnaître  au 
synode  de  Cologne  en  1062.  Les  Romains  eux-mêmes  ayant 
abandonné  Honorius  en  1063  ,  Alexandre  demeura  paisible 
possesseur  du  saint-siége  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  en  1073. 
Pendant  tout  le  temps  de  son  pontificat ,  ce  fut  Hildebrand 
qui  gouverna  réellement  en  son  nom.  Aussi  les  ordonnances 
de  cette  époque  contre  l'investiture  par  des  laïques ,  contre 
le  mariage  des  prêtres ,  et  surtout  la  fameuse  bulle  contre 
le  divorce  de  Henri  rv,  qui  cita  ce  prince  en  cour  de  Rome, 
doivent  être  exclusivement  imputées  à  Hildebrand,  qui  se 
seiTait  du  faible  Alexandre  comme  d'un  instrument  pour 
exécuter  ses  plans  ambitieux.  Ce  fut  sous  le  pontificat  d'A- 
lexandre II  qu'on  vit  pour  la  première  fois  un  pape  s'opposer 
aux  persécutions  que  les  chrétiens  exerçaient  contre  les 
juifs. 

ALEXA]SDRE  III  (  Orlando  Rainuccio  )  était  né  de 
parents  pauvres,  à  Sienne,  en  Toscane.  Il  eût  pu  rester 
chanoine  toute  sa  vie  si  le  pape  Eugène  III ,  frappé  de  son 
mérite  et  de  ses  vertus ,  ne  l'eût  tout  à  coup  proclamé  car- 
dinal-diacre, puis  cardinal-prêtre,  et  enfin  élevé  à  la  dignité 
de  chancelier  du  siège  apostolique.  Alexandre  III  régna  de- 
puis 1159  jusqu'en  1181,  et  combattit  avec  des  succès  variés, 
mais  un  courage  inébranlable,  le  parti  de  l'empereur  Fré- 
déric r""  et  des  antipapes  Victor  III,  Pascal  III  et  Ca- 
lixte  III ,  qui  s'élevèrent  successivement  contre  lui.  Obligé 
de  se  réfugier  en  France  en  1161 ,  il  y  demeura  à  Sens  jus- 
qu'à ce  que,  quatre  ans  après,  en  1165,  les  querelles  sur- 
venues entre  les  Lombards  et  l'empereur  Frédéric ,  l'appui 
des  princes  ecclésiastiques  de  l'Allemagne  et  les  vœux  una- 
nimes des  Romains, lui  eussent  rouvert  les  portes  de  Rome. 
Son  premier  soin  fut  de  contracter  une  étroite  alliance  avec 
les  villes  lombardes.  Forcé  de  fuir  de  nouveau ,  en  1177, 
devant  l'armée  impériale,  il  se  retira  successiven)ent  à  Réné- 
vent,  Anagni  et  Venise.  Mais  Frédéric  ayant  été  complète- 
ment battu  prcs  de  Legnano  par  les  Lombards ,  .\lexandre 
profita  de  leur  victoire  pour  contraindre  ce  prince  à  l'Ini- 
miliant  traité  devienne;  et,  après  avoir  vu  l'empereur  d'Al- 
lemagne réduit  à  lui  baiser  les  pieds  et  à  lui  tenir  l'étrier,  il 
rentra  dans  Rome  en  triom[tliaîeur  (1178).  Fidèle  à  marcher 
sur  les  traces  de  Grégoire  Vil,  il  fit  sentir  au  roi  d'Angle- 
terre Henri  II,  lors  de  l'assassinat  de  Tiiomas  Beckef, 
archevêque  de  Cantorbéry,  tout  le  poids  de  la  puissance 


ALEXANDRE 

pontificale,  donna  la  couronne  de  Portugal  au  roi  Al- 
piionj^c  II,  frappa  l'Ecosse  d'interdit,  pour  la  punir  de  la 
désobéissance  de  son  roi ,  publia  une  nouvelle  croisade  qui 
fut  aca'ptée  par  Philipjxî-Auguste  et  Henri  II  ;  et  jusqu'à 
sa  mort ,  arrivée  en  1 ISI ,  pendant  vingt-deux  ans  de  jwn- 
tilicat,  il  s'efforça  par  tous  les  moyens  d'établir  la  supré- 
matie du  saint-siège  sur  les  princes  de  l'Europe.  Alexandre  HI 
a  laissé  dans  l'histoire  le  renom  d'un  pape  pieux,  d'un 
lionuue  de  courage,  et  d'un  polititjue habile  :  «  il  était  très- 
éloquent,  dit  un  liistorien,  et  suflisaniraent  instruit  aux 
écritures  divines  et  humaines,  bénin,  patient,  sobre, 
chaste,  bon  aumônier,  et  toujours  attentif  aux  œuvres 
agréables  et  plaisantes  à  Dieu.  » 

ALEXANDRE  IV,  comte  de  Ségoa,  né  à  Anagni,  ancien 
évéqiie  d'Ostie,  fut  revêtu  de  la  dignité  pontificale  à  une 
époque  peu  favorable  au  saint-siège,  en  1254.  Battu  par 
Manfred  de  Sicile ,  impliqué  dans  les  querelles  des  Guelfes 
et  des  Gibelins ,  méprisé  dans  ses  propres  États ,  ce  pape, 
bien  intentionné  et  pacifique ,  ne  put  apaiser  les  troubles 
qui  désolaient  l'Italie ,  ni  par  des  prières  ni  par  des  excom- 
munications. Il  mourut  en  12S1,  après  avoir  eu  à  lutter  pen- 
dant toute  la  durée  de  son  pontificat  contre  des  ennemis  et 
des  malheurs  auxquels  il  n'opposa  ni  assez  de  force  ni  assez 
de  dignité;  il  se  laissait  d'ailleurs  trop  influencer  par  les  flat- 
teurs à  la  prière  desquels  il  prodiguait  les  privilèges ,  les 
bulles  et  les  dispenses.  Ce  fut  Alexandre  IV  qui ,  sur  la 
demande  de  saint  Louis,  établit  en  France  l'inquisition. 

ALEXANDRE  V  (Pierre  Philarci),  né  à  Candie  de 
parents  très-pauvres,  fut  obUgé  de  mendier  son  pain  de  porte 
en  porte.  Un  cordelier  italien,  qui  remarqua  en  lui  d'heu- 
reuses dispositions ,  le  fit  recevoir  dans  son  ordre  ;  il  se  mit 
à  travailler  avec  ardeur,  et  bientôt  on  le  vit  briller  aux  uni- 
versités d'Oxford  et  de  Paris.  Galéas  Visconti  le  nomma  pré- 
cepteur de  son  fds,  et,  après  avoir  obtenu  pour  lui  les  évêchés 
de  Vicence  et  de  Novare,  le  fit  nommer  à  l'archevêché  de 
Milan.  Innocent  Vil  le  revêtit  de  la  pourpre,  et  le  nomma 
son  légat  en  Lombardie.  En  1409,  Alexandre  fut  élu  par 
le  concile  de  Pise.  Ses  grandes  connaissances ,  la  pureté  de 
ses  mœurs,  et  le  respect  que  la  sagesse  de  son  administra- 
tion avait  inspiré,  l'avaient  fait  élever  au  pontificat  (  1409), 
dans  l'espérance  qu'il  saurait  mettre  un  terme  au  schisme 
d'Occident;  mais  il  ne  répondit  pas  à  la  haute  opinion  qu'on 
avait  conçue  de  lui.  Devenu  pape  après  avoir  été  mendiant, 
Alexandre  n'éleva  point  sou  caractère  au-dessus  de  son 
ancien  état,  cl ,  par  un  faux  sentiment  d'humilité ,  il  fit 
rentrer  les  religieux  mendiants  dans  des  privilèges  qui  bles- 
saient les  intérêts  de  l'université  de  Paris  et  le  décret  du 
concile  de  Latran.  11  eut  la  faiblesse  de  se  laisser  gouverner 
par  le  cardinal  Cessa ,  qui  le  retint  à  Bologne  et  finit  par 
l'empoisonner.  Alexandre  V  mourut  dans  cette  ville,  le 
3  mai  1410,  après  avoir  occupé  le  saint-siége  moins  d'une 
année  ;  la  mort  le  surprit  au  moment  où  il  fulminait  des  con- 
damnations contre  les  doctrines  de  Wiclef,  en  même  temps 
qu'il  se  préparait  à  punir  Jean  Huss,  le  réformateur  bohé- 
mien. Il  favorisa  les  lettres,  et  s'opposa  de  tout  son  pouvoir  a 
rétablissement  de  la  secte  des  flagellants,  dont  il  désapprou- 
vait les  honteuses  mascarades. 

ALEXANDRE  VI  {Rodrigue  Lenzuolo  Boro[a),  deux 
cent  vingt-troisième  pape,  naquit  à  Valence,  en  Espagne, 
l'an  1431.  Godefroi  Lenzuolo,  son  jjèro,  avait  acquis,  par  les 
divers  emplois  qu'il  occupait  à  la  cour  d'Aragon,  une  for- 
tune assez  brillante  pour  que  le  fier  Alphonse  Borgia,  arche- 
vêque de  cette  ville,  lui  donnât  sa  S(eur  Joanna  en  mariage. 
Ce  prélat,  devenu  cardinal  en  1444  et  pape  en  1445,  perniit 
même  à  son  beau-frère  de  prendre  le  nom  de  Borgia ,  et 
Lenzuolo  le  transmit  à  ses  descendants.  Cinq  enfants  naqui- 
rent de  ce  mariage.  P.odrig'je,  dont  il  est  ici  question,  mon- 
tra de  bonne  heure  les  heureuses  et  les  mauvaises  disposi- 
tions qui  rélevèrent  à  la  plus  haute  fortune  de  son  temps  , 
el  à  une  si  honteuse  célébrité  que  la  satire  et  l'histoire  sc- 


2S7 
raient  dans  l'impuissance  de  calomnier  ses  mœurs  et  son  ca- 
ractère. Il  se  distingua  si  bien  dans  ses  études ,  qu'à  l'âge 
de  dix-huit  ans  son  père  se  reposait  sur  lui  du  soin  de 
traiter  les  affaires  les  plus  importantes.  Les  grands  talents 
qu'il  déploya  comme  avocat  lui  procurèrent  des  sommes 
considérables  ;  mais  son  inconstance  naturelle  le  détourna 
de  cette  profession,  et  le  jeta  dans  le  métier  des  armes  où 
son  penchant  à  la  débauche  se  manifesta  bientôt  par  de 
scandaleux  éclats.  Une  veuve  et  ses  deux  filles ,  nouvelle- 
ment arrivées  de  Rome,  furent  à  la  fois  les  objets  de  sa  pas- 
sion déréglée.  La  mère  morte,  il  mit  l'une  des  filles  dans  un 
couvent,  et  continua  à  vivre  avec  l'autre,  qui  était  la  cé- 
lèbre Vanozza. 

L'exaltation  de  son  oncle  Alphonse  Borgia ,  sous  le  nom 
de  Calixte  III,  lui  inspira  une  ambition  nouvelle.  Il  avait 
alors  vingt-quatre  ans,  et  possédait  un  revenu  de  32,000  du- 
cats.  Le  pape  le  fit  venir  à  Rome,  ajouta  un  bénéfice 
de  12,000  écus  à  sa  fortune,  le  fit  archevêque  de  Valence 
dans  la  même  année,  le  promut  au  cardinalat  en  1456.  sous 
le  titre  de  Saint-Nicolas  in  carcere  Tulliano,  et  lui  conféra 
la  dignité  de  vice-chancelier  de  l'Église,  à  laquelle  était  en- 
core attaché  un  revenu  de  28,000  écus.  Calixte  ne  voyait 
que  le  mérite  et  la  capacité  de  son  neveu ,  il  en  igno- 
rait les  dérèglements,  et  Rodrigue,  à  qui  la  nature  n'avait 
épargné  aucun  vice ,  avait  réussi  à  couvrir  du  manteau  de 
l'hypocrisie  la  dissolution  de  sa  vie  privée.  La  belle  Vanozza 
et  ses  enfants  l'avaient  suivi  en  Italie,  mais  il  les  tenait  à  Ve- 
nise, loin  des  yeux  de  son  oncle  et  de  la  cour  de  Rome.  Cette 
séparation  lui  était  pénible.  Il  avait  même  hésité  à  accepter 
la  dignité  de  cardinal,  qui  lui  imposait  cette  obligation.  Mais 
l'ambition  lui  montra  le  saint-siége  en  perspective,  et  cet 
homme,  dévoré  de  vices,  ne  parut  plus  aux  yeux  du  monde 
que  sous  les  dehors  de  la  piété  la  plus  austère.  Vanozza 
seule  était  dans  le  secret  de  son  âme  ;  il  se  consolait  en  lui 
écrivant,  et  mêlait  aux  expressions  de  l'amour  le  plus  tendre 
et  le  plus  passionné  les  hautes  espérances  de  son  hy- 
pocrisie. C'était  s'imposer  une  longue  contrainte  ;  car  il 
n'avait  que  vingt-sept  ans  à  la  mort  de  Calixte  III,  et  quatre 
pape^  devaient  le  précéder  encore  sur  la  chaire  de  saint 
Pierre.  L'histoire  ne  l'a  cité  sous  les  pontificats  de  Pie  II  et 
de  Paul  II  que  pour  avoir  contribué  à  l'élection  du  premier 
en  désertant  le  parti  du  cardinal  de  Rouen,  auquel  il  avait 
promis  sa  voix.  Mais  la  grande  part  qu'il  eut  à  l'élévation 
de  Sixte  IV  lui  valut,  en  1471,  l'abbaye  de  Saint-Jacques,  et, 
l'année  suivante,  la  légation  d'Espagne.  Il  reçut  de  grands 
honneurs  dans  sa  patrie  ;  il  s'y  montra  politique  habile,  et 
suscita  contre  Louis  XI  la  ligue  des  souverains  d'Aragon, 
d'Angleterre  et  de  Bourgogne;  mais  il  n'oublia  ni  sa  fortuné 
ni  ses  plaisirs,  se  replongea  dans  la  débauche  la  plus  effrénée, 
pour  se  dédommager  des  austérités  mensongères  auxquelles 
le  condamnait  le  séjour  de  Rome,  et  n'eut  point  de  plus  sé- 
rieuse occupation  que  de  pilier  les  pays  où  il  exerçait  ses 
fonctions  de  légat.  11  n'en  retira  cependant  d'autre  fruit  que 
la  honte  ;  car  la  galère  où  il  avait  entassé  ses  richesses  périt 
sur  les  côtes  d'Italie,  et  il  revint  à  Rome  comme  il  en  était 
parti,  pour  cabaler  en  faveur  d'Innocent  VIII. 

Rodrigue  Borgia  avait  alors  cinquante-trois  ans,  et  depuis 
vingt-sept  ans  il  vivait  loin  de  Vanozza  et  de  ses  enfants, 
qu'il  n'allait  voir  qu'à  de  longs  intervalles ,  et  qu'il  aimait 
avec  passion.  Son  impatience  ne  put  plus  se  contenir;  il  les 
fit  venir  à  Rome  sous  le  chaperon  de  son  intendant,  qu'il 
fit  passer  pour  le  mari  de  sa  maîtresse,  et  qu'il  baptisa  du 
nom  de  comte  Ferdinand  de  Castille  ;  grâce  à  cette  précau- 
tion ,  l'hypocrite  jouit  à  la  fois  des  plaisirs  du  vice  et  des 
honneurs  de  la  vertu.  Sa  piété  simulée  n'aurait  point  suffi 
cependant  jiour  le  conduire  au  but  de  son  ambition  ,  si ,  à 
la  mort  d'Innocent  VIII ,  il  n'eût  pris  enfin  le  parti  d'ache- 
ter la  diaire  aposfoliciue.  Vingt-deux  cardinaux ,  payi's  à 
beaux  deniers  comptant ,  ou  pourvus  d'avance  de  paiai:-, 
de  légations  et  de  riches  bénéfices,  le  saluèrent  onfin  du 


288 

nom  aUlcxaiulrc  VI ,  nialgiu  l'opposition  des  cinq  aiilrcs  , 
le  2  aortt  1492.  Mais  ces  mystères  du  conclave  n'étaient  pas 
plus  connus  du  peuple  que  les  déréglenientsdu nouveau  pon- 
tife Sa  réputation  de  sainteté  couvrait  si  bien  toutes  ces  in- 
famies, que  la  joie  et  les  resjjects  des  Romains  éclatèrent  sur 
son  passage  avec  une  vivacité  et  une  magnilicence  qui  n'a- 
vaient pas  eu  d'exemple.  Les  princes  chrétiens  partagèrent 
cette  allégresse ,  et  le  félicitèrent  par  de  solennelles  ambas- 
sades Leleul  Ferdinand,  roi  de  Naples,  n'y  fut  pas  trompé; 
il  versa  des  pleurs  à  cette  nouvelle,  prédit  de  grands  dé- 
sordres à  l'Église,  et  Alexandre  VI,  impatient  de  justifier 
cette  prédiction ,  se  délivra  sur-le-champ  de  la  rude  et  lon- 
gue contrainte  que  .son  ambition  lui  avait  imposée.  Rome 
apprit  en  i)eu  de  jours  que  le  pape  avait  une  maîtresse  et 
cinq  enfants,  dont  trois  au  moins  étaient  nés  depuis  .sa  pro- 
motion au  cardinalat,  et  qui  tous  étaient  aussi  vicieux  que 
leur  père.  L'infâme  ne  parut  s'être  élevé  sur  la  plus  haute 
émiiience  de  la  terre  chrétienne  que  pour  donner  aii  monde 
le  s])cctacle  de  ses  vices,  et  ajouter  à  ses  jouissances  le 
plaisir  de  braver  les  mépris  de  la  chrétienté. 

Les  troubles  de  la  Hongrie  et  le  schisme  des  hussites  oc- 
cupèrent d'abord  sa  politique;  il  poursuivit  le  projet  de  la 
croisade  que  ses  prédécesseurs  avaient  prèchée  contre  les 
Turcs,  sanctionna  l'ordre  des  Minimes,  étaidit  quatre  ca- 
thédrales dans  le  royaume  de  Grenade,  et  adjugea  de  sa 
pleine  autorité  à  Ferdinand  et  Isabelle  tous  les  pays  que 
\enait  de  découvrir  Cluistoiiiie  Colomb.  Mais  son  occupa- 
lion  principale  fut  l'agrandissement  de  sa  famille,  qu'il  en- 
riciiit  par  les  proscriptions ,  les  empoisonnements ,  les  meur- 
tres et  les  confiscations  les  plus  odieuses.  Les  Ursins ,  les 
Colonne ,  les  Savelli ,  le  cardinal  La  Rovère ,  furent  tour  à 
tour  les  objets  de  ses  persi'cutions  intéressées ,  et  résistè- 
rent par  les  armes  à  l'aiabition  des  enfants  du  pape.  Les 
exactions ,  la  vénalité  des  charges ,  étaient  encore  pour  eux 
des  moyens  de  fortune,  et  quand  les  ministres  de  leur  ava- 
rice ne  trouvaient  plus  oii  prendre,  la  famille  papale  les 
détruisait  eux-mômes  pour  s'approprier  le  fruit  de  leurs 
rapines  particulières.  L'insatiable  Alexandre  créait  tous  les 
jours  de  nouveaux  emplois  ,  qu'il  faisait  payer  le  plus  clier 
qu'il  pouvait.  Aussi  dit-on  de  lui  : 

Vendit  Alcxandcr  claves  ,  altaria  ,   ChrisUim. 
Fiuerat  ille  prius,  vendere  jure  polest. 

Ce  distique  fut  appliqué  avec  deux  autres  contre  une  sta- 
tue mutilée  qui  était  à  la  porte  d'un  tailleur  facétieux,  nommé 
Pasquino,  et  devint  l'origine  des  pasquinades.  Les  simo- 
ires ,  les  cruauttis  et  les  déportements  du  pape  accrédi- 
tèrent promptement  celte  invention  de  la  vengeance  popu- 
laire. La  statue  parla  tous  les  jours  ,  et  les  tlatteurs  d'A- 
lexandre VI  lui  conseillèrent  de  la  jeter  dans  le  Tibre.  «  Elle 
se  changerait  en  grenouille,  répondit  l'impudent  pontife, 
et  j'en  serais  importuné  nuit  et  jour  ;  j'aime  mieux  une 
pierre  muette.  » 

L'or  ne  suffisait  pointa  l'amliilion  de  cette  famille;  elle 
était  aussi  avide  de  dignités,  de  lîefs  et  de  titres  (pie  de 
richesses.  Dès  la  première  année  de  ce  pontificat,  dans  une 
promotion  de  douze  cardinaux,  presque  tous  espagnols, 
car  ce  pape  détestait  les  Italiens,  fut  compris  César Bor- 
pia,  son  second  fils,  qui  lui  succéda  à  l'archevêché  de 
Valence ,  et  fut  connu  dès  lors  sous  le  nom  du  cardinal  Va- 
lenlin.  Mais  ce  fut  sur  les  fiefs  du  royaume  de  Naples  que 
le  jière  de  ces  brigands  jeta  sou  dévolu.  Alphonse,  duc  de 
Calabre,  et  (ils  du  roi  Ferdinand,  lui  ayant  refusé  dona 
Sancia,  sa  fille  naturelle,  pour  un  de  ses  enfants,  il  pro- 
fila, pour  réduire  l'orgueil  de  ce  prince,  des  brigues  que 
forma't  eu  Italie  l'ambition  de  Ludovic  Sl'orce.  Cet  autre 
assassin  régnait  dans  Milan  sous  le  nom  de  Jean  Galéas , 
son  neveu ,  et  gendre  de  ce  même  duc  de  Calabre  ;  et  comme 
la  puissance  d'Alphonse  était  un  obstacle  à  l'usiirpalion  (juc 
méditait  Ludovic  ,  celui-ci  rechercha  l'alliance  du  p;tpe,  que 


ALEXAP^DRE 

venait  d'irriler  le  refiis  de  ce  prince.  Alexandre  VI  enfn» 
dans  cette  ligue ,  et  y  entraîna  la  république  de  Venise. 
Alphonse  s'allia  de  son  côté  à  la  maison  de  Médicis ,  aux 
Colonne ,  aux  Ursins ,  à  La  Rovère ,  à  tous  les  ennemis  du 
pontife ,  pour  renverser  à  la  fois  Ludovic  et  les  Borgia.  Mais 
le  vieux  Ferdinand ,  menacé  par  Charles  VIII ,  sentit  la 
nécessité  de  ne  pas  se  brouiller  avec  le  pape ,  et  rompit  les 
projets  de  son  fils  Alphonse  pour  négocier  un  accommode- 
ment avec  la  cour  de  Rome.  Ludovic  pressentit  l'incon- 
stance d'Alexandre  VI ,  dont  il  connai.ssait  les  secrètes  pen- 
sées, et  se  tourna  vers  le  roi  de  France.  Charles  VIII  pré- 
tendait au  royaume  de  Naples,  comme  héritier  de  la  maison 
d'Anjou,  en  vertu  du  testament  de  Charles  IV,  neveu  du 
roi  René.  Fort  de  l'alliance  du  perfide  Sforce ,  il  pressa  sa 
marche  vers  l'Italie ,  et  le  duc  de  Calabre,  quoique  devenu 
roi  de  Naples  par  la  mort  de  son  père ,  se  vit  foicé par  cet 
Incident  nouveau  à  en  adopter  la  politique,  de  peur  que  le 
pape  n'ajoutât  à  ses  embarras  le  refus  de  l'investiture  qu'il 
était  obligé  de  demander  au  saint-siége.  Alexandre  VI  ne 
rougit  point  d'abuser  de  la  position  de  ce  faible  monarque, 
que  la  fortune  mettait  ainsi  à  sa  discrétion.  Il  lui  fit  payer 
1000  ducats  pour  son  couronnement ,  obtint  pour  son  fils 
Giuffie  la  main  de  dona  Sancia,  avec  la  principauté  de  Sqiiil- 
lace  ,  le  comté  de  Cariati ,  le  prolonotariat  de  Naples ,  et 
une  garde  de  trois  cents  hommes  payés  par  le  trésor  d".41- 
phonse;ilexigeaencore  pour  le  duc  de  Gandie,  son  fils  aîné, 
un  revenu  de  10,000  ducats,  avec  un  commandement  dans 
l'armée  napolitaine,  et  le  cardinal  Valentin  reçut  en  mémo 
temps  la  promesse  des  plus  riches  bénéfices  d'un  royaume 
qui  était  à  la  merci  de  son  ambition. 

Alexandre  VI  fut  moins  heureux  auprès  de  la  république 
de  Venise  ;  il  essaya  vainement  de  la  détacher  de  l'alliance 
de  Ludovic  Sforce  , qu'il  avait  cimentée  lui-même  ;  et,  dans 
le  besoin  où  il  était  de  chercher  des  secours  contre  Char- 
les VIII,  il  dirigea  ses  raes  vers  Bajazet,  ce  môme  empe- 
reur des  Turcs  contre  lequel  il  avait  tenté  de  soulever  les 
princes  chrétiens.  La  haine  qu'il  portait  aux  Français  lui 
faisait  oublier  ainsi  les  intérêts  de  la  religion  dont  il  était  le 
chef.  Laipolitique  de  Bajazet  saisit  avidement  l'espoir  de 
cette  étrange  alliance ,  qu'il  avait  un  grand  intérêt  à  ména- 
ger. Son  frère  Zizim,  qu'il  avait  dépouillé  de  ses  États, 
réfugié  d'abord  à  Rhodes  et  en  France,  était  alors  sous  la  garde 
de  la  cour  de  Rome,  qui  s'en  servait  pour  effrayer  le  pos- 
sesseur de  la  couronne  ottomane.  Bajazet  offrit  300,000  du- 
cats au  pape  Alexandre  s'il  voulait  le  défaire  du  prince 
Zizim ,  et  promit  un  secours  de  douze  mille  hommes  pour 
défendre  le  royaume  d'Alfonse.  C'était  plus  qu'il  n'en  fallait 
pour  décider  les  Borgia;  mais  la  rapidité  de  Charles  VIII 
prévint  l'exécution  de  cette  promesse.  Le  roi  de  France 
vint  réclamer  l'investiture  du  royaume  de  Naples ,  et ,  sur 
le  refus  du  pape,  sans  égard  pour  ses  anathèmes,  il  entra 
dans  Rome  sans  combattre,  et  y  fit  des  actes  de  souverai 
neté.  Tous  les  ennemis  d'Alexandre  VI  se  réveillèrent  :  les 
Colonne,  les  Ursins,  les  cardinaux  italiens,  sollicitèrent  tous 
une  élection  nouvelle ,  et  l'accusèrent  de  tous  les  crimes  qui 
pouvaient  justifier  sa  déposition.  Mais  le  roi  de  France 
n'osa  pousser  jusque  là  sa  vengeance,  et  le  pape,  retiré  dans 
le  château  Saint-Ange,  employa  ses  trésors  et  son  adresse  à 
triompher  de  ses  ennemis.  Il  séduisit  avec  un  chapeau  de 
caidinal  l'ambitieux  Briçonnet  et  l'évêque  du  Mans,  minis- 
tres favoris  de  Charles  VIII,  remit  àceroi  son  fils,  le  cardinal 
A'alentin ,  comme  garant  de  sa  bonne  foi ,  et  lui  livra  le 
prince  Zizim  pour  lui  prouver  qu'il  rompait  avec  l'empe- 
reur Bajazet.  Mais  le  sc^Mérat  aAait  auparavant  empoisonné 
ce  prince  pour  gagner  à  la  Ibis  l'argent  de  son  frère  et  l'a- 
mitié du  roi  de  France.  Il  donnait  avis  en  même  temps  aux 
Turcs  de  tous  les  mouvements  de  Charles  VIII,  de  toutes 
les  intelligences  cpie  ce  roi  pratiquait  dans  la  Grèce,  et  il 
attirait  aïnsi  sur  les  chrétiens  de  cette  contrée  les  terri- 
bles vengeances  du  sultan.  On  porle  à  cinquante  mille  le 


ALEXANDRE 


280 


nombre  des  victimes  dont  ses  délations  causèrent  la  perte. 

La  conqiit'te  de  >aples  ne  coûta  pas  un  coup  dVpée  à 
Charles  VIII;  mais  ce  roi  la  perdit  avec  la  nii'me  fa(i!ili\ 
et  trouva  sur  ses  derrii^res  les  ennemis  qu'Alexandre  NI  lui 
avait  suscités.  Ludovic  Sforce,  usurpateur  du  duclie  de 
Milan,  devint  aussi  ardent  à  chasser  les  Français  d'Italie 
qu'il  avait  montré  d'empressement  à  les  y  appeler.  Les  Vé- 
nitiens changèrent  comme  lui.  Le  roi  de  Castille,  le  roi  des 
Romains,  entrèrent  dans  cette  ligne  ,  et  le  pape  dévoila  ses 
mauvais  desseins  en  fuyant  de  Rome  à  rapproche  des  Fran- 
çais, qui  revenaient  de  Naples  ;  il  somma  même  Charles  \IU 
de  quitter  l'Italie  dans  dix  jours  avec  ses  troupes,  sous 
peine  d'excommunication.  Le  jeune  roi  se  moqua  de  ses 
menaces  ;  mais  il  avait  trop  d'ennemis  sur  les  bras  pour  se 
flatter  de  les  vaincre ,  et  il  tut  forcé ,  pour  regagner  ses  États, 
de  passer  sur  le  corj^s  des  quarante  mille  combattants  qu'ils 
avaient  rassemblés  à  Fornoue. 

Alexandre  \l ,  délivré  des  Français ,  reprit  le  cours  de  ses 
trames  contre  les  barons  romains ,  que  le  duc  de  Gandie , 
son  lils,  poursuivait  à  outrance;  mais  il  fut  battu  par  les 
l'rsins ,  et  le  jeune  Ferdinand ,  fds  et  successeur  du  roi  Al- 
fonse,  fut  obligé  d'envoyer  au  secours  de  "Rome  le  fameux 
Gonzalve  de  Cordoue,  qui  fit  payer  sa  médiation  au 
pape  par  des  mépris  dont  ce  dernier  faisait  fort  peu  de  cas. 
Il  s'accommoda  cependant  avec  les  Ursins,  qui  passèrent  au 
service  du  roi  d'Espagne  ;  mais  ce  roi  s'unit  vainement  au 
roi  de  Portugal  pour  essayer  de  mettre  un  terme  aux  désor- 
dres de  l'Italie  et  aux  dérèglements  de  la  famille  pontificale. 
Le  pape  reçut  leurs  ambassadeurs  avec  colère,  et  menaça 
de  les  faire  jeter  dans  le  Tibre;  mais  il  ne  put  vaincre  leur 
résistance  relativement  à  la  principauté  de  Bénévcnt ,  qu'il 
voulait  faire  adjuger  au  duc  de  Gandie.  La  faveur  dont 
jouissait  cet  aîné  de  ses  fils  n'irritait  pas  seulement  les  sei- 
gneurs qui  en  étaient  les  victimes,  elle  excitait  aussi  la  ja- 
lousie du  cardinal  Valenîin ,  et  un  autre  motif  de  haine  s'é- 
levait entre  les  deux  frères.  Lucrèce  Borgia ,  fille  unique  du 
pape,  et  femme  de  Jean  Sforce,  seigneur  de  Pesaro,  vivait 
en  même  temps  avec  son  père  et  ses  deux  frères  ,  César  et 
le  duc  de  Gandie.  Le  cardinal  ne  put  souffrir  ce  partage;  le 
duc  disparut ,  et  quelques  jours  après  on  trouva  son  cadavie 
dans  le  Tibre.  Alexandre  VI  en  éprouva  un  chagrin  d'au- 
tant plus  violent  qu'il  préférait  ce  fils  à  tous  les  autres  ;  il 
resta  trois  jours  sans  manger ,  mais  il  finit  par  oublier  ctt 
assassinat,  et  célébra  le  retour  du  meurtrier,  qui  s'était  ré- 
fugié à  >'aples ,  par  une  grande  chasse  que  signalèrent  le 
faste  et  la  débauche  la  plus  immodérée.  Rome ,  disent  les 
historiens  du  temps,  était  une  caverne  de  voleurs,  un 
sanctuaire  d'iniquité;  et  Pontanus  a  consacré  les  déporte- 
ments de  Lucrèce  Borgia  et  de  son  père  par  cette  épitaphe  : 

Hoc  tnmulo  dorniil  Liicrctia  Domine,  sed  re 
Tliais  ,  Alexandri  filia  ,  nupta  ,  nuriis. 

Cette  Messaline  faisait  ouvertement  les  honneurs  du  palais 
pontifical;  elle  y  rassemblait  tout  ce  que  Rome  renfermait 
de  femmes  impudiques  ,  donnait  audience  aux  cardinaux  , 
maniait  toutes  les  affaires ,  ouvrait  la  correspondance  de  son 
père,  expédiait  les  brefs,  et  poussait  l'effronterie,  ajoute  le 
journal  de  Burchard,  jusqu'à  paraître  dans  la  basilique  de 
Saint-Pierre  avec  ses  compagnes  de  débauche,  aux  grandes 
solennités  de  l'Église.  Les  hommes  les  plus  recommandables 
de  ces  temps  d'immoralité  prêchaient  en  vain  contre  ces  dé- 
sordres; en  vain  la  faculté  de  théologie  de  Paris  réclamait 
un  concile  général  pour  y  mettre  un  terme.  Le  prédicateur 
Savonarole  expia  sur  un  bûcher  sa  généreuse  indignation, 
et  la  mort  de  Charles  VIII  changea  les  dispositions  de  la 
cour  et  de  l'Église  de  France. 

Louis  Xll,  son  successeur ,  avait  besoin  d'Alexandre  VI 
pour  faire  casser  son  mariage  avec  Jeanne  la  Boiteuse  ,  et  le 
pape  s'empressa  de  le  satisfaire.  Mais  cette  complaisance  ne 
lui  point  gratuite.  Le  caidinal  Valentin  ,  ou  César  Borgia, 

DlC.   DE   LA   CO.XVtr.S.    —   T.    I. 


abdiquant  cette  dignité  pour  rentrer  dans  le  n.onde,  reçut 
du  nouveau  roi  de  France  le  titre  de  duc  do  Valentinois, 
avec  un  revenu  de  ?.0,000  francs  et  une  compagnie  de  cent 
lances,  qui  en  valait  autant;  et  Louis  XII  put  épouser  à  c? 
prix.\nnede  Bretagne,  malgré  les  intrigues  de  Ferdinand 
et  d'Isabelle  de  Castille ,  dont  les  ambassadeurs  mirent  tout 
en  oeuvre  pour  empèc  her  le  consentement  du  pape.  Ils  s'en 
vengèrent  par  des  emportements  et  des  menaces  ;  mais  le 
fier  Alexandre  VI  leur  répondit  sur  le  même  ton,  et,  bra- 
vant les  reproches  de  la  cour  de  Madrid ,  il  recommença 
ses  cruautés,  ses  débauches  et  ses  simonies.  Le  jubilé  de 
1500  fut  pour  lui  une  ample  moisson  d'or,  et  il  fallait  une 
forte  dose  de  superstition  pour  croire  aux  indulgences  que 
distribuait  un  pareil  monstre.  Il  colorait  cette  levée  de  de- 
niers par  la  reprise  de  ses  préparatifs  de  guerre  contre  les 
infidèles ,  mais  il  n'avait  d'autre  intention  que  d'ajouter  aux 
richesses  de  sa  famille.  Pendant  ce  jubilé  le  ciel  parut 
vouloir  en  purger  la  terre.  Une  violente  tempête  renversa 
l'appartement  dii  il  causait  avec  son  fils  César,  et  une  forte 
blessure  à  la  tète  fit  espérer  enfin  la  vacance  du  saint-siége. 
Cette  joie  du  peuple  fut  de  courte  durée.  Le  pape  guérit 
malgré  ses  soixante-dix  ans ,  et  fit  tomber  sa  vengeance  sur 
ceux  qui  s'étaient  réjouis  de  son  malheur.  La  famille  des 
Cajetani  fut  cette  fois  l'objet  de  ses  persécutions  ;  leurs 
terres  furent  confisquées,  et  passèrent  dans  les  mains  de 
l'inlame  Lucrèce. 

L'arrivée  de  Louis  XII  et  de  son  armée  en  Italie  servait 
alors  les  projets  des  Borgia,  ses  alliés,  qui  ne  mettaient 
plus  de  bornes  à  leurs  attentats.  Chaque  soleil  éclairait  un 
de  leurs  assassinats ,  de  leurs  empoisonnements  ou  de  leurs 
pillages.  Les  seigneurs  ,  les  évêques  ,  tout  éprouvait  la  fu- 
reur de  cette  famille,  qui  engloutissait  ainsi  les  richesses 
de  ses  victimes.  Alexandre  s'était  déclaré  l'héntier  de  tous 
les  ecclésiastiques  au  préjudice  de  leurs  parents ,  et  il  était 
trop  impatient  de  jouir  pour  laisser  à  la  mort  naturelle  le 
soin  de  le  mettre  en  possession  de  ces  héritages.  C'est  ainsi 
que  François  Borgia,  quatrième  fils  du  pape,  acquit  l'ar- 
chevêché de  Cosenza  ,  dont  le  poison  avait  anéanti  le  titu- 
laire Agnelli.  Ce  scandale  fut  poussé  si  loin,  que  les  princes 
d'Italie  défendirent  à  leurs  sujets  d'acheter  des  bénéfices 
dans  la  Romagne.  :\Iais  les  revenus  de  l'Italie  ne  suffisaient 
plus  à  la  rapacité  de  cette  maison.  Sous  l'éternel  prétexte 
d'une  guerre  sainte,  qui  n'arrivait  jamais,  le  pape  réclama 
le  dixième  de  tous  les  revenus  ecclésiastiques  de  la  chré- 
tienté, et  imposa  sur  les  juifs  une  taxe  exorbitante.  Les 
sommes  incroyables  que  lui  valurent  ces  deux  bulles  furent 
dévorées  par  les  guerres  que  César  Borgia  soutenait  contre 
les  ennemis  de  sa  famille.  On  eut  beau  multiplier  les  pam- 
phlets, les  remontrances,  les  satires,  les  noms  d'Antéchrist, 
de  ^'éron  ,  de  Caligula,  les  villes  n'en  furent  pas  moins  pil- 
lées, le  patrimoine  même  de  saint  Pierre  n'en  fut  pas  moins 
aliéné  au  profit  des  enfants  du  pape. 

La  principauté  de  Piombino  fut  la  dernière  conquête  du 
duc  de  Valentinois,  et  le  portrait  de  Vanozza,  placé  en 
gm'se  de  Vierge  dans  l'église  de  Sainte-Marie-del-Popolo , 
fut  la  dernière  impudence  de  son  pè'e.  Un  tel  homme  devait 
cependant  finir,  et  le  ciel  lui  devait  une  mort  toute  particu- 
lière, ea  lui  faisant  trouver  dans  ses  crimes  mêmes  le  châ- 
timent de  son  exécrable  vie.  Les  prodigalités  de  César 
Borgia  ayant  surpassé  ses  dilapidations,  il  songea  à  se  dé- 
barrasser des  trois  ou  quatre  plus  riches  cardinaux  du  sacré 
collège.  Le  pape  sourit  à  ce  nouveau  moyen  de  battre  mon- 
naie. Il  invita  Corneto  et  ses  amis  à  un  souper  splendide, 
qu'il  fit  préparer  dans  la  villa  même  de  ce  cardinal,  et 
César  Borgia  fit  apiiorter  du  vin  empoisonné,  en  recom- 
mandant de  n'en  servir  à  personne  sans  son  ordre.  Mais  ie 
pape  et  son  digne  fils  étant  arrivés  par  une  chaleur  extraor- 
dinaire, le  maître  de  l'hôtel  ou  l'un  de  ses  garçons,  car 
riiistoire  est  incertaine  là-dessus,  croyant  que  ce  vin  n'était 
ainsi  réservé  que  pour  sa  qualité  supérieure,  s'emiressa 


2  no 


ALEXANDRE 


«l'en  servir  aux  deux  scélérats.  L'eiïet  du  poison  fut  rapide. 
Le  pape  mourut  au  bout  de  quelques  lieines  dans  des  con- 
Tulsions  iiorrii)les,  et  son  (Ils  n'échappa  à  cette  juste  mort  que 
parce  qu'il  avait  l'iialtitude  de  ne  boire  que  de  l'eau  roupie. 
Ce  fut  le  18  août  lyO:i  que  le  monde  et  la  chrétienté  furent 
purgés  de  ce  monstre,  après  un  régne  de  douze  années,  ipii 
furent  douze  siècles  pour  les  peuples  qu'il  opprimait.  Les 
historiens  varient  sur  les  détails  de  cet  empoisonnement, 
mais  le  fait  et  la  cause  ne  sont  contestés  par  personne,  et  il 
importe  fort  peu  de  remarquer  qu'un  tel  pécheur  reçut  avec 
dévotion  les  sacrements  de  l'ERlise.  On  ne  trouve  d'ailleurs 
cette  particularité  que  dans  le  journal  de  la  maison  de  Bor- 
gia,  et  la  source  en  est  suspecte.  César,  son  lils,  quoique 
luttant  contre  le  poison,  eut  encore  la  force  de  s'emparer  du 
trésor  pontifical,  et  n'annonça  la  mort  de  son  père  qu'après 
cette  expédition  domestique.  La  joie  du  peuple  et  du  clorRé 
fut  inexprimable.  11  Hillut  forcer  les  moines  et  les  confréries 
à  assister  à  ses  obsèques.  Ses  parents  avaient  d'autres  soins 
h  prendre  pour  se  soustraire  à  la  juste  vengeance  des  Ro- 
mains. Le  corps  fut  insulté  par  les  gardes  eux-mêmes,  qui 
chassèrent  les  prêtres,  et  qui  furent  cependant  forcés  de 
l'exposer  dans  l'église  de  Saint-Pierre  pour  satisfaire  la  cu- 
riosité du  peuple,  qui  voulait  contempler  les  traits  de  son 
oppresseur.  Cette  figure,  où  la  nature  avait  imprimé  une 
grande  majesté,  était  devenue  hideuse  par  l'effet  du  poison. 
Jl  ne  se  rencontra  point  un  homme  assez  hardi  pour  lui 
Jiaiscr  la  main  suivant  l'usage ,  et  le  cercueil  s'étant  trouvé 
trop  court ,  les  crocheteurs  et  charpentiers  chargés  de  l'in- 
humer poussèrent  la  vengeance  jusqu'à  la  profanation  en  y 
faisant  entrer  le  cadavre  i^i  grands  coups  de  poing  et  avec  de 
grands  éclats  de  rire.  Il  fut  enterré  à  gauche  du  grand  autel, 
et  le  poète  Sannazar  grava  ces  vers  sur  son  tombeau  : 

Portasse  nescis  cujus  bic  liimulus  siet. 

Ad.sta,  \iator,  ni  pigct. 
Tumiihiin  qiiem  Alcxandri  vides,  haud  illiiis 

M:]f;iii  est,  sed  Liijns  qui  modo 
Libidinosa  sangiiinis  c.nptus  sili, 

Tôt  civitates  inclytas, 
Tôt  rejçna  vertit,  lot  duces  Iclbo  dcdit, 

ISatos  ut  implcat  suos. 
Orbem  rapinis  ,  ferro  et  igné  fundilùs 

Vaslavit,  baiisit,  eruit  ; 
Humana  jura,  nec  minus  cœleslia  , 

Ipsosqne  snstulit  deos  ; 
Ct  scilicet  liccrct  (bcu  scclus!)  palri 

[Natce  sinum  pcrmingere, 
Nec  cxsecrandis  abstinere  nuplii.s. 

Timoré  snblalo  scmel. 

Disons  toutefois  que  la  nature  avait  donné  de  grands 
talents  h  ce  monstre  :  sa  pénétration,  sa  mémoire,  son  élo- 
quence, étaient  remarquables.  Personne  ne  présentait  avec 
plus  d'art  les  questions  q\i'il  soumettait  au  jugement  des 
autres,  et  ne  s'accommodait,  quand  il  le  voulait,  avec  plus 
de  facilité  à  leur  caractère  ou  à  leur  génie.  Grave  ou  plai- 
sant suivant  l'occasion ,  intrépide  dans  le  danger,  passionné 
pour  les  plaisirs,  mais  d'une  grande  régularité  dans  les 
affaires,  il  s'en  occupait  sans  relâche ,  sans  que  la  débauche 
même  pût  l'en  distraire ,  et  marchait  droit  à  son  but  sans 
^tre  arrêté  ni  par  les  obstacles  ni  par  sa  conscience.  Rome 
sous  son  règne  n'éprouva  jamais  de  disette.  Jamais  les 
soldats  ni  les  ouvriers  ne  furent  privés  de  leur  salaire  ;  et 
par  là  s'explique  la  fidélité  que  les  troupes  conservèrent  à 
son  fils  César  [îorgia ,  qui  imposait  encore  aux  cardinaux 
pendant  le  conclave  qui  suivit  la  mort  d'.Alexandrc  VL 
Mais  ce  digne  (ils  du  tyran  ne  jouit  pas  du  fruit  de  ses  ra- 
pines. Les  Ursins,  les  Colonne,  les  Malatesta,  les  La  Rovère, 
le  duc  d'Urbin,  tous  les  seigneurs  dépouillés  rentrèrent 
dans  leurs  domaines  sous  la  protection  de  Gonsnlve  de  Cor- 
doue.  L'amitié  de  Louis  XII  et  le  crédit  des  cardinaux  es- 
pagnols ne  firent  que  retarder  la  chute  du  duc  de  VaU'ii- 
tinois.  Le  cardinal  La  Rovère  se  servit  de  lui  cl  de  sa  faction 


pour  monter  sur  la  chaire  de  saint  Pierre.  Il  alla  même 
jusqu'il  lui  dire  qu'il  avait  eu  les  faveurs  de  Vanozza  en 
même  temps  qu'Alexandre  VI,  et  qu'il  était  son  véritable 
père.  César  Borgia  eut  la  sottise  de  le  croire  ,  et  quelques 
jours  après  son  exaltation  Jules  II,  le  dépouillant  du 
reste  de  ses  biens,  le  fit  jeter  dans  un  cachot.  C'était  venger 
l'Italie  et  la  chrétienté  par  une  lâche  ingratitude;  mais  c'é- 
taient les  mœurs  du  temps,  et  Jules  II  était  de  son  siècle. 

Voyez  BoiiClA.  Viennet,  de  l'Académie  Française. 

ALEXANDRE  VII  (Fnbio  Cnici)  naquit  à  Sienne,  en  1599. 
Sa  famille  était  très-ancienne  ;  elle  commença  à  se  faire,  re- 
marquer à  la  cour  de  Rome  sous  le  pontificat  de  Jujes  II. 
D'abord  nonce  en  Allemagne,  inquisiteur  à  Malte,  vice- 
légat  à  Ferrare,  évêque  d'Imola  et  cardinal,  il  fut  élu  pape 
h  ia  mort  d'Innocent  X,  en  1655.  Avant  cette  époque,  sur- 
tout pondant  les  négociations  relatives  à  la  paix  de  Muns- 
ter, il  avait  fait  concevoir  de  ses  talents  la  plus  haute  opi- 
nion ,  et  la  véhémence  avec  laquelle  il  déclamait  contre  les 
abus  et  les  désordres  du  clergé  pouvait  faire  croire  que  l'É- 
glise aurait  en  lui  un  chef  d'une  grande  austérité.  Les  com- 
mencements de  son  pontificat  prouvèrent,  en  effet,  qu'on  ne 
s'était  pas  trompé  ,  mais  il  n'en  fut  pas  toujours  de  même; 
devenu  prodigue  sur  la  fin  de  .sa  vie,  il  dissipa  en  dépenses 
de  luxe  les  deniers  de  l'Église ,  et  ne  refusa  plus  rien  aux 
membres  de  sa  famille  ,  qu'il  avait  traités  d'abord  avec  une 
sage  réserve.  —  Le  premier  acte  d'Alexandre  VII  en  mon- 
tant sur  le  trône  pontifical  avait  été  de  confirmer  par  une 
bulle  celle  d'Innocent  X,  qui  condamnait  les  cinq  propositions 
de  Jansenius.  Cette  démarche  le  brouilla  en  France  avec  la 
Sorbonne  et  le  parlement,  et,  quelques  années  après,  une  af=- 
faire  d'un  autre  genre,  l'insulte  faite  par  la  garde  corse  au 
duc  de  Créqui ,  vint  lui  causer  encore  de  plus  violents  em- 
barras. Ce  fut  en  vain  qu'il  envoya  à  Paris  le  cardinal  Chigi, 
son  neveu  ,  pour  faire  des  excuses  à  Louis  XIV  ;  qu'il  chassa 
la  garde  corse  et  qu'il  fit  construire  devant  leur  ancienne 
caserne  une  pyramide  sur  laquelle  l'outrage  et  la  réparation 
étaient  consignés  :  il  y  perdit  encore  Avignon  et  le  Comtat 
Venaissin  ,  que  le  grand  roi  crut  devoir  confisquer.  —  Pro- 
lecteur des  sciences  et  des  lettres,  qu'il  avait  cultivées 
dans  sa  jeunesse  avec  quelque  succès,  Alexandre  embellit 
Rome  de  nombreux  monuments,  et  dépensa  des  sommes 
considérables  pour  achever  le  collège  de  la  Sapience.  La 
reine  Christine  vint  se  fixer  à  Rome  sous  son  pontificat. 
Ce  pape  ne  manquait  ni  de  bonnes  intentions  ni  de  vertus 
morales;  mais  il  est  toujours  resté  au-dessous  du  rôle  dont 
il  s'était  chargé ,  et  c'est  pour  cela  que  ses  contemporains 
l'ont  jugé  si  sévèrement.  Il  mourut  en  1667,  peu  regretté 
des  catholiques. 

ALEXANDRE  VIII  (  Pierre  Ottoboni  ),  fils  de  Marc 
Ottoboni ,  grand  chancelier  de  la  république  de  Venise , 
naquit  dans  cette  ville,  en  1610;  il  fit  ses  études  à  Padoue 
et  à  Rome.  Tous  les  papes  depuis  Urbain  VIII  l'employè- 
rent dans  les  affaires  les  plus  impoilantes.  Après  avoir  été 
nommé  successivement  évêque  de  Brescia  et  de  Frascati , 
puis  cardinal,  il  fut  élevé,  en  1CS9,  à  la  chaire  de  saint 
Pierre.  Après  la  mort  d'Innocent  XI  Louis  XIV  lui  restitua 
Avignon  et  le  Comtat  Venaissin,  espérant  obtenir  en  échange 
le  droit  de  franchise  et  celui  de  régale.  Mais  Alexandre  VIII 
se  montra  inflexible;  il  publia  une  bulle  contre  les  quatre 
articles  du  clergé  de  France  de  1682,  et  refusa,  comme 
Innocent  XI ,  de  reconnaître  les  prélats  qui  avaient  été  de 
cette  assemblée.  Au  lit  de  mort ,  il  assembla  les  cardinaux , 
et  leur  exposa  avec  énergie  les  motifs  qui  l'avaient  engagé 
à  publier  sa  bulle  contre  le  clergé  gallican.  Alexandre  VIII 
mourut  en  1691,  dans  sa  quatre-vingt-deuxième  année, 
n'a>ant  occupé  le  saint-siége  que  pendant  seize  mois.  En- 
nemi des  jésuites,  il  repoussa  leur  doctrine  sur  le  péché 
philosophique ,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  condamner  les 
trente  et  un  dogmes  des  jansénistes.  11  se  montra  libéral  en- 
vers les  pauvres,  et  surtout  envers  ses  parents ,  fournit  aux 


ALEXAJNDRE 


291 


vr-nitions  et  à  reuipercur  Li^opold  dos  sommes  consitlérables 
|iour  laire  la  guerre  aux  Turcs ,  et  aclieta  la  magnilique 
bibliolliiViue  de  la  reine  Christine,  qui  mourut  à  Rome  sous 
son  poatilicat. 

ALEXAXDRE  Poi.YîiisTon.  Cet  écrivain  grec  naquit, 
selim  les  uns  en  i'Iuygie,  selon  d'autres  à  Milet,  ville  de 
l'Asie  Mineure.  On  ignore  la  date  de  sa  naissance  ;  on  sait 
seulement  que,  fait  prisonnier  dans  la  guerre  contre  IMi- 
tliridate  (l'an  85  avant  J.-C.  ),  il  devint  esclave  de  Cornélius 
LentiJus,  qui,  distinguant  son  rare  mérite,  l'affrancliit  et  en 
fit  le  précepteur  de  ses  enfants.  —  Alexandre  avait  été 
nommé  Poltjhistor  (c'est-à-dire  qui  sait  beaucoup)  à 
c^use  de  sa  vaste  érudition.  11  a  écrit  sur  la  géographie,  sur 
l'histoire  et  sur  la  philosophie  des  traités  dont  la  plupart 
sont  perdus;  il  n'est  parvenu  jusqu'à  nous  que  quelques 
fragments  d'un  Traité  sur  les  Juifs,  et  d'une  Histoire  des 
Peuples  de  l'Orient,  conservés  par  Plutarque,  Pline,  Athé- 
née, Eusèbe  et  Suidas.  —  Alexandre  Polyhistor  mourut  vers 
Tan  74  avant  J.-C. 

ALEXANDRE  d'Aphrodisie,  en  Carie,  vécutet  enseigna 
à  Athènes  et  à  Alexandrie  vers  la  fin  du  deuxième  siècle  et  au 
commencement  du  troisième  siècle  de  notre  ère.  Comme  com- 
mentateur d'Aristote,  il  fitpreuved'une  telle  fécondité  etétait 
en  telle  estime,  qu'on  l'appelait  par  excellence  VExégète.  Ses 
disciples ,  désignés  d'abord  sous  le  nom  d'Alexandréens, 
furent  plus  tard  appelés  Alexandristes.  Indépendamment  de 
ses  Commentaires  sur  Aristote,  nous  avons  encore  de  lui 
une  Dissertation  sur  la  liberté  et  la  volonté,  et  des  Ques- 
tions sur  la  physique  (Venise,  1536),  enfin  deux  ouvrages 
sur  le  sort  ei  sur  l'âme,  publiés  tous  deux  par  Orelli 
(Zurich,  1824).  Dans  le  premier,  il  déclare  la  doctrine  des 
stoïciens  sur  le  destin  (Ffl?«w)  incompatible  avec  la  morale; 
dans  le  second,  s'écartant  des  principes  d'Aristote,  il  s'ef- 
force de  démontrer  que  l'àme,  n'étant  point  une  substance 
particulière,  mais  uniquement  la  forme  du  corps  organique , 
ne  peut  pas  davantage  être  immortelle. 

ALEXANDRE  de  Tralles,  médecin  grec,  naquit  au 
commencement  du  sixième  siècle ,  àTrallcs,  Tille  de  Lydie.  Il 
parcourut  à  diverses  reprises  la  Gaule  ,  l'Ilalie,  l'iilspagne, 
et  alla  enfin  se  fixer  à  Rome,  où  sa  ré|)iitation  ne  fit  que 
grandir;  il  était  aussi  habile  dans  la  pratique  que  dans  l'ex- 
plication de  son  art.  Ses  écrits  sont  encore  estimés,  bien 
qu'il  recommande  parfois  des  pratiques  superstitieuses  et  des 
amulettes  ;  son  principal  ouvrage  (  B.êXia  larpt/.à  Suoxaîoexcz) 
s'appuie  sur  des  expériences  personnelles  et  répétées  ;  il  est 
de  tous  points  supérieur  aux  autres  écrits  de  l'époque ,  qui 
ne  contiennent  pour  la  plupart  que  îles  discussions  dogma- 
tiques et  théoriques  ,  souvent  hasardées  et  paradoxales.  — 
Une  des  i»'illeures  éditions  d'Alexandre  de  Tralles  est  celle 
de  Wintlier  d'Andernacli  (Bàle,  1556,  in-S"),  * 

ALEXANDRE  de  Bernw  ,  couuu  aussi  sous  le  nom 
A' Alexandre  Paris ,  ou  de  Paris ,  parce  qu'il  habiîa  long- 
temps cette  dernière  ville,  était  né  à  Rernay  (  Eure  ) ,  dans 
le  douzième  siècle.  11  travailla  au  fameux  pocree  sur  Alexan- 
dre le  Grand,  dont  nous  avons  parlé  à  l'article  Rom.an  d'A- 
LEXANDRE.  On  pense  qu'il  corrigea  ce  poème ,  commencé 
ou  plutôt  ébauché  par  Lambert  le  Court  ou  II  Cors. 
Alexandre  de  Bernay  a  laissé  en  outre  les  romans  Athis  et 
Prophilms;  Hélène,  mère  de  saint  Martin;  Drlson. 

ALEXANDRE  de  Hales,  religieux  franciscain  du  cloî- 
tre de  Haies,  dans  le  comté  de  Glocester,  fit  ses  études  à 
Oxford  et  à  Paris,  et  enseigna  dans  l'université  de  la  seconde 
de  ces  villes  la  théologie  scolastique,  en  la  pliant  aux  for- 
mes de  l'aristotclisme  d'ime  manière  bien  autrement  |)ro- 
noncée  qu'on  n'avait  encore  osé  le  faire  avant  lui.  Il  mourut 
en  1245.  La  grande  sagacité  dont  il  faisait  preuve  en  toute 
circonstance  lui  avait  valu  le  siiniom  de  Doclor  irrc/ra- 
gubilis.  Il  dépassa  saint  Tliomas  d'Acpiin  lui-même  dans 
son  zèle  à  (ionner  des  basos|)liilosoplii(iues  à  l'enseignement 
de  la  tliéoiog'e;  mais,  dans  raccomplissement  de  la  tâche 


qu'il  s'était  imposée,  il  lui  arriva  souvent  de  fmre  preuve 
d'un  esprit  ridiculement  étroit.  Par  exemple,  il  discutait  it 
résolvait  affirmativement  des  questions  telles  que  celle-ci  : 
«  L'ne  souris  qui  ronge  une  hostie  dévore-t-elle  le  corps 
lîe  Jésus-Christ?  »  Le  plus  grand  service  qu'il  renilit  à  l'Église 
de  Rome  fut  d'inventer  la  doctrine  du  trésor  des  mérites 
superflus  de  Jésus-Christ  et  de  ses  saints.  Son  principal 
ouvrage,  qui  fut  achevé  par  ses  disciples,  a  pour  titre  :  Sum- 
ma  universx-  Theologix  :  la  meilleure  édition  est  celle  de 
Venise  (4  vol.in-fol.,  1576). 

ALEX.\NDRE  FARNÈSE.  Voyez  Farnèse. 

ALEXANDRE  JAGELLON.  Voyez  Jagkllon. 

ALEXANDRE  MÉDICÏS.  Voyez  IMédicis. 

ALEXANDRE  NEVVSKY,  héros  et  saint  moscovite, 
né  en  1219,  était  fils  du  grand-prince  laroslaf.  Pour  pou- 
voir mieux  défendre  l'empire,  pressé  de  toutes  parts  par 
des  ennemis  extérieurs,  et  surtout  par  les  Mongols ,  laroslaf 
partit  de  Novgorod ,  et  laissa  pendant  son  absence  la  ré- 
gence de  l'empire  à  ses  deux  fils,  Fédor  et  Alexandre,  dont 
le  premier  mourut  peu  de  temps  après.  Alexandre  repoussa 
avec  vigueur  plusieurs  irruptions  de  l'ennemi  ;  ce  qui  n'em- 
pêcha pas  qu'en  123S  la  Russie  ne  tombât  sous  le  joug  des 
Mongols.  Alexandre,  prince  de  Novgorod,  défendit  ensuite 
la  frontière  occidentale  contre  les  Danois ,  les  Suédois  et 
les  chevaliers  de  l'ordre  Teutoniqne.  En  1240  il  remporta 
sur  les  Suédois  une  victoire  signalée  sur  les  bords  de  4a 
Neva,  victoire  qui  fut  l'origine  de  son  surnom.  En  1242  il 
battit  les  chevaliers  de  l'ordre  Teutonique  sur  le  lac  de  Pei- 
pus ,  qui  se  trouvait  alors  complètement  glacé.  Cette  victoire 
eut  pour  résultat  d'obliger  les  ennemis  d'abandonner  leurs 
conquêtes  dans  le  pays  de  Pskof  et  d'accepter  la  paix  aux 
conditions  proposées  par  Alexandre.  L'année  suivante  il 
battit  les  Lithuaniens,  et  remporta  sur  eux  sept  victoires  en 
sept  jours.  Après  la  mort  de  son  père,  arrivée  en  1247,  et 
après  les  courts  règnes  du  frère  et  du  fils  aîné  d'Iaroslaf , 
Alexandre  devait  monter  sur  le  trône  de  Vladimir;  son 
frère  André  usurpa  ses  droits ,  et  Alexandre  fut  obligé  d'aller 
demander  justice  au  khan  de  la  horde  d'Or,  de  qui  il  obtint 
amitié  et  protection  ;  avec  son  aide  il  chassa  du  trône  l'u- 
surpateur, et  commença  à  régner  en  1252.  Il  n'eut  plus  alors 
à  combattre  que  les  ennemis  des  frontières  :  les  Tchoudes , 
les  Suédois ,  les  Livoniens ,  les  James,  dont  il  repoussa  tou- 
jours les  tentatives  d'invasion.  Il  mourut  en  1263,  regretté 
de  tous.  La  reconnaissance  de  la  nation  russe  a  perpétué  la 
mémoire  de  ce  héros  dans  des  chansons  populaires ,  et  en  a 
mèuie  fait  un  saint.  Pierre  le  Grand  bâtit  en  son  honneur 
uti  magnifique  cloître  à  Saint-Pétersbourg  ,  et  fonda  l'ordre 
d'Alexandre-Newsky,  en  commémoration  de  ses  hauts  faits. 

ALEXANDRE  NEWSlîi  (  Ordre  de  SAINT-),  ordre 
russe  institué  par  Pierre  le  Grand,  empereur  de  Russie,  en 
mémoire  de  saint  Alexandre  Newsky.  Cet  ordre  a  été  conféré 
pour  la  première  fois  sous  le  règne  de  Catherine  I" ,  en  1725. 
Les  insignes  en  sont  une  croix  rouge  avec  des  aigles ,  sus- 
pendue à  un  ruban  ponceau. 

ALEXANDRE  I"  PAULOWITCIÎ ,  empereur  de 
Russie,  était  fils  de  Paul  Y'  et  de  Marie  Fœderovna,  prin- 
cesse de  Wurtemberg.  11  naquit  le  23  décembre  1777.  Paul  P' 
n'eut  aucune  part  à  l'éducation  de  son  fils  ;  Catherine  II 
eîi  prit  seule  la  direction,  et  c'est  h  peine  si  elle  permit  à  la 
grande-duchesse  Marie,  mère  du  jeune  prince,  d'exercer  sur 
lui  son  autorité  naturelle.  Catherine  II  écrivit  elle-même  un 
pian  d'éducation,  et  en  confia  l'exécution  au  comte  Sol- 
tikof  :  au  nombre  des  choses  dont  il  ne  fallait  pas  parler 
à  Alexandre,  Catherine  avait  mis  la  poésie  et  la  musique, 
comme  prenant  un  temps  qu'on  pouvait  employer  plus  pré- 
cieusement à  l'éducation  d'un  souverain.  César  Laliarpe, 
juol'esseur  suisse,  très-partisan  des  idées  libérales,  fut 
i'iîoiîîriio  que  clioisU  le  comte  de  Solîikof.  Le  choix  élait 
e\celleiit.  Laliarpe,  su:is  tenir  nu!  compte  des  préjugés  de 
la  cour,  doiina  à  sou  élève  une  éducalion  toute  remplie  (ki 

S7. 


>92 


ALEXANDRE 


principes  de  tolérance  et  d'inimanid''.  Il  ne  n*5ç;lic;pa  aucune 
brandie  des  sciences.  11  s'attacha  à  dc-velopper,  à  dégager  le 
sens  droit,  le  jugement  sain,  la  promptitude  de  coup  d'œil 
que  le  jeune  prince  avait  reçu';  de  la  nature,  et  il  en  fit  un 
«les  hommes  les  plus  instruits  de  l'empire.  Alexandre  garda 
toujours  pour  son  maître  les  sentiments  d'une  grande  recon- 
naissance; il  ne  le  quitta  qu'en  1793,  à  l'ûge  de  seize  ans, 
jtour  épouser  la  princesse  de  Bade,  Louise- .Marie- Auguste , 
plus  connue  depuis  sous  le  nom  dÉlisabeth  Alexéiewna, 
«lu'elle  prit  lors  de  sa  conversion  h  la  foi  de  l'f.glise  grecque, 
lillle  était  ilgée  de  quatorze  ans,  et  a\ait  une  beauté  accomplie 
et  de  grandes  vertus;  mais  Alexandre,  emporté  par  l'ardeur 
de  la  jeunesse ,  ne  sut  pas  reconnaître  les  qualités  de  sa  jeune 
femme  :  il  s'abandonna  à  toutes  les  fantaisies  de  ses  passions, 
dédaignant  l'amour  qu'elle  avait  pour  lui.  Catherine  II  mou- 
rut trois  ans  après  ce  mariage,  laissant  la  toute-puissance 
à  son  fils  Paul  1",  qr.i  fut  ass::ssiné  cinq  ans  apii's,  sans 
qu'aucune  recherche  des  coupables  fût  ordonnée  par  .Mcxaa- 
«Ire,  qui  lui  succéda  le  24  mars  1801.  On  a  accusé  Alexandre 
d'avoir  trempé  dans  la  conspiration  des  courtisans  contre 
son  jM^'re  ;  mais  la  vérité  de  cette  accusation  n'a  jamais  pu 
Otre  établie. 

L'avènement  d'Alexandre  au  trône  fut  célébré  par  les 
poètes  de  toutes  les  nations  :  Kl op stock,  alors  très-vieux, 
iit  en  son  honneur  une  ode  à  l'Humnnité;  le  peuple,  heu- 
reux dï'trc  délivré  du  joug  de  Taul  1",  salua  le  nouvel  em- 
pereur de  ses  vœux  de  bonlieur.  Dès  qu'il  fut  chef  de 
l'empire,  Alexandre  tûcha  de  réparer  les  injustices  commises 
sous  le  dernier  règne  ;  il  rappela  beaucoup  de  ceux  qu'avait 
exilés  son  père.  11  s'appliqua  ensuite  à  donner  à  ses  États  une 
bonne  administration  intérieure.  11  témoigna  du  plus  grand 
respect  pour  les  lois  du  pays ,  déclarant  «  qu'il  ne  recon- 
naissait comm.e  légitime  aucun  pouvoir  s'il  n'émanait  des 
lois  ».  Il  abolit  la  censure,  le  tribunal  secret  et  la  toiiure.  Il 
permit  les  publications  des  comptes-rendus  relatifs  à  la  ges- 
tion des  affaires  publiques.  Il  rétablit  pour  les  divisions 
territoriales  du  royaume  l'ordre  adopté  par  Catherine  II; 
il  fit  de  mc^me  pour  l'armée.  Ayant  mis  ord:e  à  toutes  ces 
choses,  il  tourna  ses  vues  vers  les  réformes  à  ri;/-ier  dans 
le  commerce  et  l'instiniction  publicpie.  Par  les  traités  qu'il 
conclut  avec  les  puissances  étrangères,  et  par  d'autres  me- 
sures non  moins  utiles,  il  permit  au  commerce  de  la  Russie 
dédoubler  sa  valeur,  et  d'avoir  pour  la  première  fois  des 
débouchés  dans  les  divers  marchés  de  l'Europe.  C'est  à  lui 
que  la  Ru.ssie  est  redevable  de  cette  organisation  de  l'édu- 
cation nationale  (pii  lut  si  vite  en  plein  développement.  Il 
sut  s'entourer  d'hommes  savants,  distingués,  qui  contribuè- 
rent puissamment  à  D'pandre  dans  l'aristocratie  russe  le  goût 
des  sciences  et  des  arts.  Par  leurs  conseils  et  avec  leur  aide, 
il  réorganisa  ou  fonda  sept  grandes  univei-sités,  plus  de 
deux  cents  gymnases  et  environ  deux  mille  écoles  primaires. 
)1  protégea  les  artistes  et  les  savants ,  qu'il  attirait  à  sa 
cour;  il  encouragea  et  soutint  la  publication  de  beaux  ou- 
vrages nationaux;  il  adoucit  les  peines  infligées  aux  soldats 
et  aux  paysans,  et  fit  enfin  faire  à  la  Russie  un  pas  im- 
mense dans  la  civilisation.  Sa  piété,  qui  plus  tard  dégénéra 
en  un  mysticisme  étroit,  lui  concilia  les  prêtres,  comme  ses 
efforts  et  ses  bienfaits  lui  avaient  concilié  toute  la  nation. 

lin  1801,  Alexandre  avait  signé  avec  rsapoléon,  alors 
premier  consul ,  un  traité  d'amitié  qui  ne  fut  rompu  (juc  lors 
de  l'exécution  du  duc  d'Kughien.  Quelque  temps  après, 
Alexandre  entra  dans  la  troisième  coalition  formée  contre  la 
France  par  l'Autriche,  l'Angleterre  et  la  Suède.  De  là  la 
!)ataiile  d'Austerlitz,  où  Alexandre  commandait  en  per- 
sonne l'armée  russe  ;  l'alliance  d'.4lexandre  avec  Frédéric- 
Guillaume  111,  les  batailles  d'Ky  la  u,  de  Friedland,  et  toute 
cette  série  de  combats  où  la  France  était  toujours  attendue 
par  la  victoire.  Nous  n'avons  pas  à  entrer  ici  dans  les  dé- 
tails de  toutes  ces  batailles;  bornons-nous  à  dire  que  toutes 
oes  campagnes  se  terminèrent  par  la  paix  de  Tilsitt,  qui 


fait  époque  dans  les  institutions  militaires  de  la  Russie. 
Cette  paix  ouvrit  à  Alexandre  non-seulement  la  voie  de  la 
conquête  de  la  Finlande  (  1800  )  et  de  deux  erobouchures  du 
Danube  (1S12),  mais  encore  elle  lui  donna  le  temps' de 
remédier  aux  in)perfections  du  système  militaire  suivi  jus- 
qu'alors. Il  y  réussit  si  bien  ,  et  avec  tant  de  rapidité ,  que 
dans  les  campagnes  de  1812  à  1814,  l'équipement,  la  disci- 
pline et  la  précision  des  troupes  russes  furent  généralement 
admirés  à  l'étranger.  En  descendant  ainsi  dans  tous  les 
détails  de  l'administration  ,  Alexandre  s'acquit  la  confiance 
illimitée  de  ses  peuples.  Au  reste,  si  l'armée  russe  succom- 
bait sous  les  coups  des  Français,  elle  était  plus  heureuse  ayec 
ses  autres  ennemis  :  Alexandre  battit  les  Suédois,  iit  la 
conquête  de  la  Finlande,  prit  sur  les  Turcs  les  forteresses  de 
Silistrie,  Rutchuk  et  Giurgévo,  et  battit  les  Perses,  qui  furent 
obligés  de  lui  céder  une  partie  de  leurs  possessions.  —  Tous 
ces  combats  ne  lai  faisaient  pas  oublier  le  soin  «les  affaires 
intérieures  :  il  institua  en  ISIO  le  conseil  de  L'empire,  ou 
les  lois  et  règlements  sont  soumis  à  une  délibération  provi- 
soire ;  il  prit  diverses  mesures  pour  le  développement  du 
commerce  national  ;  il  définit  nettement  l'organisation  des 
divers  ministères,  et  ne  négligea  rien  pour  l'embellissement 

de  sa  capitale.  Tels  lurent  les  travaux  utiles  et  niuUipliéâ 

d'Alexandre. 

Quoiqu'il  eût,  lors  delà  paix  de  Tilsitt  et  depuis,  professé 
pour  iSapoléon des  sentiments  d'admiration  et  d'amitié,  quoi- 
qu'il eût  subi,  sans  lutter  contre  elle,  la  fascination  profonde 
exercée  par  Napoléon  sur  tous  ceux  qui  l'entouraient,  quoi- 
qu'il fût  frappé  de  son  intelligence,  de  son  activité  cl  de  la 
loyauté  qu'il  avait  apportée  dans  leurs  relations,  quoiqu'un 
accord  parfait  semblât  régner  entre  eux,  de  nouveaux  nuages 
ne  tardèrent  pas  à  paraître.  Napoléon  se  plaignit  avec  hu- 
meur de  quelques  molificntions  faites  par  l'empereur 
Alexandie  au  système  continental.  Le  fait  est  qu'Alexandre 
avait  pris  à  cet  égard  des  engagements  qu'il  ne  pouvait  pas 
tenir.  La  mésintelligence  alla  toujours  en  augmentant,  jus- 
qu'à ce  qu'enfin  la  guerre  fut  de  nouveau  déclarée,  en  1812. 
On  en  connaît  les  désastreuses  conséquences  pour  la 
France.  Alexandre  se  trouva  à  cette  époque  devenu  en  peu 
de  jours  le  héros  européen.  Sa  proclamation  en  date  de  Ka- 
iisch  ,  du  25  mars  1813,  dans  laquelle,  en  appelant  aux 
armes  les  peuples  de  l'Allemagne,  il  leur  promettait,  au  nom 
des  souverains,  des  constitutions  qui  assureraient  leur  liberté 
et  leur  indépendance,  souleva  contre  la  domination  française 
une  nation  que  ses  accents  de  liberté  tirèrent  de  son  apa- 
thie. On  sait  quels  nobles  sacrifices  r.\llemagne  fit  alors  pour 

son  indépendance.   On  sait  aussi  comment  elle  en  a   été 

plus  tard  récompensée!  L'histoire,  dans  .sa  justice,  dira  du 
moins  d'Alexandre  qu'il  fut  un  vainqueur  généreux.  Ce  fut 
lui  qui  en  1814  insista  pour  qu'après  la  prise  de  l'aris  les 
souverains  alliés  traitassent  toujours  avec  Napoléon  de  sou- 
verain à  souverain.  A  cette  époque  il  fut  l'objet  du  plus  vif 
enthousiasme  de  la  part  des  Français,  et  particulièrement  des 
Parisiens,  qui  virent  bien  moins  en  lui  un  conquérant  étran- 
ger qu'un  héros  pacificateur,  et  qui  admirèrent  en  lui  le 
conservateur  généreux  de  leurs  monuments  et  de  leurs  ri- 
chesses nationales.  Il  passa  en  juin  de  la  même  année  en 
Angleterre,  où  il  fut  reçu  avec  plus  d'enthousiasme  encore, 
et  rentra  à  Saint-Pétersbourg  le  25  juillet,  où  il  refusa  mo- 
destement le  surnom  de  Béni ,  que  vint  lui  offrir  le  sénat. 
La  neutralité  de  la  Suisse  respectée  ne  prouva  pas  moins 
que  sa  conduite  ferme  et  énergique  lors  de  la  rentrée  de 
Napoléon  en  France,  en  mars  1815,  la  constance  d'.\lexandre 
dans  ses  principes  politiques.  Cette  fois,  ce  fut  l'.^ngleterre 
qui  portii  le  coup  mortel  au  colosse  du  siècle.  Alexandre  ar- 
riva trop  tard  avec  ses  Russes,  Paris  était  déjà  au  pouvoir 
des  armées  all'ées;  il  y  fit  son  entrée  le  il  juillet.  Mais  les 
temps  étaient  changés.  Les  Français  de  toute  opinion  avaient 
compris  que  c'était  bien  moins  les  funérailles  de  l'empire 
que  celles  de  la  patrie  qui  avaient  été  célébrées  à  Waterloo* 


ALEXANDRE 


29; 


Alexaiulie  fut  reçu  avec  une  froiilpiir  marquée  dans  une 
ville  où  sa  vue  un  ;ui  auparavant  sullisait  pour  produire  le 
plus  \ir  entliousiasuic.  Ce  contraste  l'aHlii^ea.  CVsl  pendant 
«'es«'jourà  Taris  qu'il  connut  madame  deKrudener,  deve- 
nue, après  une  vie  de  galanteries  et  de  plaisirs,  un  des  ap- 
puis <iu  mysticisme.   Alexandre  avait  pour  celle   fennne 
une  grande  amitié,  et  beaucoup  de  confiance  en  ses  conseils  : 
ce  fut  sous  rinll'.ienoe  des  extases  mys|i(]iies  de  madame  de 
Krudener  qu'il  conçut  le  projet  delà  Sainte-Alliance. 
Il  considérait  des  lors  Napi)léon  conunû  un  impie,  un  enne- 
mi de  Dieu,  le  démon  de  la  i;iierre,  et  se  rci;ariiait  iui-ménie 
comme  le  génie  du  bien  et  de  la  paix  :  les  extases  de  ma- 
dame de  Krudener  expliquaient  cela  par  les  dénominations 
d'auge  7Wir  et  ô'aïKje  blanc.  Alexandre  voyait  dans  le 
traité  de  la  Sainte-Alliance  l'établissement  définitif  de  la 
paix  dans  l'humanité  ;  il  y  apporta  la  foi  des  monarques  qui 
partaient   au  moyen  âge  pour  les  croisades.  Madame  de 
Krudener  le  suivit  ((uelque  temps ,  et   ne  fut  pas    élran- 
^ere  aux  traités  conclus  à  cette  époque.  On  sait  couuiient 
Alexandre  changea  de  sentiments  à  son  égard  :  en  181 S 
il  lui  fit  défendre  l'entrée  de  Moscou  et  de  Saint-Péters- 
bourg. 

Cependant,  attriste,  comme  nous  l'avons  dit,  du  froid  ac- 
cueil des  Parisiens,  Alexandre,  après  avoir  passé  ses  troupes 
en  revue ,  repartit  pour  Bruxelles ,  où  il  assista  au  mariage 
de  sa  sœur  avec  le  prince  d'Orange ,  et  de  là  se  rendit  à 
Varsovie,  où  il  accorda  aux  Polonais,  devenus  ses  sujets 
par  une  décision  du  congrès  de  Vienne,  une  constitution 
qui  eiit  pu  faire  leur  bonheur  si  elle  avait  été  franchement 
exécutée  ;  mais  Alexandre,  effrayé  des  progrès  des  doctrines 
de  liberté  en  Europe ,  en  redouta  la  contagion  pour  ses  États, 
et  voulut  les  arrêter  autant  que  possible  partout  où  elles  se 
manifestaient  le  plus  visiblement.  Il  fut  l'àme  des  congrès  de 
T roppau  et  de  Laybach.  Après  avoir  appelé  de  ses  vœux 
l'indépendance  de  la  Grèce,  il  réprouva  formellement  l'in- 
surrection qui  éclata  en  1820  dans  ce  pays,  et  qui,  après 
une  lutte  de  dix  années,  a  fini  par  assurer  son  indépen- 
tlance.  Il  contraria  par  la  l'opinion  nationale  de  son  peuple , 
qui  s'intéressait  vivement  au  triomphe  de  coreligionnaires 
opprimés  par  les  ennemis  constants  et  naturels  de  la  Russie. 
Alexandre ,  dominé  par  le  besoin  de  rapporter  à  une  vaste 
organisation  révolutionnaire  tous  les  mouvements  de  per- 
turbation auxquels  était  en  proie  l'Europe,  déchirée  alors 
on  tous  sens  par  des  tiraillements  intérieurs ,  ne  vit  dans 
la  généreuse  levée  de  boucliers  des  Hellènes  que  l'exécution 
ponctuelle  d'un  ordre  émané  du  grand  comité  directeur  de 
Paris.  Il  nuisit  donc  autant  qu'il  lui  fut  possible  à  une  cause 
qui  était  la  sienne ,  et  au  triomphe  de  laquelle  se  rattachait 
la  réalisation  des  plans  favoris  de  la  politique  de  Catherine, 
l'expulsion  des  Turcs  de  l'Europe.  On  dit  cependant  que 
dans  les  derniers  temps  ses  idées  s'étaient  rectifiées  à  ce 
sujet ,  et  qu'il  avait  commencé  à  s'apercevoir  qu'il  avait  été 
dupe  d'une  vaine  fantasmagorie.  IMais  ,  quoi  qu'il  en  soit ,  il 
oublia  un  peu  le  plan  de  conduite  politique  libéral  et  géné- 
reux qu'il  s'était  formé  dans  sa  jeunesse  :  il  rétablit  la  cen- 
sure ,  se  laissa  guider  par  la  politique  étroite  et  despotique 
de  l'Autriche,  ([u'il  poussait  contre  l'Italie,  en  môme  temps 
«m'il  poussait  la  France  contre  l'Espagne  ;  il  négligea  l'a- 
chèvement des  réformes  intérieures  qu'il  avait  tentées  avec 
tant  d'intelligence,  et  s'abandonna  complètement  aux  pra- 
ti(iiies  d'une  dévotion  méticuleuse.  Tontes  ces  fautes  ne  pu- 
rent lui  enlever  l'affection  de  son  peuple  :  sa  bonté ,  sa  dou- 
ceur, le  souvenir  de  ses  bienfaits,  le  courage  qu'il  montra 
lors  de  la  terrible  inondation  de  Saint-Pétersbourg,  en  182'!, 
sauvant  au  péril  de  ses  jours  les  malheureux  qui  se 
noyaient,  réparant  les  pertes  tant  qu'il  le  put,  toutes  ces 
ciioses  lui  gardèrent  le  cœur  de  ses  sujets. 

Selon  quelques  historiens,  Alexandre,  revenu  à  des  idées 
plus  justes,  à  celles  qui  l'avaient  si  longtemps  guidé,  mé- 
ditait d'importantes  réformes  pour  son  empire,  (piaiid  la 


mort  vint  brusquement  le  frapper  sur  les  rives  de  la  mer 
Noire,  à  cinq  cents  lieues  de  sa  capitale,  au  milieu  d'un 
voyage  qu'il  avait  entrepris  dans  les  provinces  méridionales 
de  son  empire ,  conjointement  avec  l'impératrice ,  dont  la 
santé  délabrée  demandait  un  air  mains  rude,  un  soleil  moins 
rare  que  celui  de  Saint-Pétersbourg.  11  choisit  Taganrog 
pourpoint  principal  de  sa  résidence;  il  allait  de  là  faire 
différents  voyages  dans  les  pays  du  Don  ,  laissant  à  Tagan- 
rog l'impératrice,  qui  soignait  sa  santé.  11  se  disposait  au 
voyage  d'Astrakan,  lorsque  le  comte  Woronzof  l'engagea  à 
visiter  les  peuples  de  la  Crimée.  Alexandre  partit  aussitôt , 
accompagné  de  ses  amis.  Ce  vovaize  devait  être  long  ;  on 
traversa  rapidement  la  côte  méridionale  de  la  Crimée  ;  mais 
une  indisposition ,  qui  eut  sa  cause  dans  un  froid  trop  vif, 
lui  donna  tout  à  coup  la  fièvre,  et  il  commanda  qu'on  le  ra- 
menât immédiatement  à  Taganrog,  L'empereur  eut  dès  lors, 
dit-on ,  les  plus  effroyables  soupçons ,  et  refusa  positive- 
ment les  médicaments  qui  lui  furent  offerts.  Il  demandait 
toujours  à  ses  domestiques  de  l'eau  glacée  :  «  Elle  me  calme, 
disait-il,  tandis  que  leurs  potions  m'ont  brûlé...  •  La  ma- 
ladie d'Alexandre  dura  à  peu  près  onze  jours;  n  expira 
Ift  i"  décembre  1825.  Peu  d'heures  après  l'indication  offi- 
cielle de  sa  mort,  sa  figure  était  très-visiblement  chan- 
gée. Quand,  trois  jours  après ,  il  fallut  le  montrer  au  peuple 
pour  le  baisement  des  mains ,  on  lui  couvrit  le  visage  avec 
un  voile.  La  figure  était  devenue  noire.  Deux  jours  après 
l'autopsie ,  qui  avait  été  immédiate  ,  le  corps  prit  une  teinte 
livide ,  circonstance  rare ,  et  qui  resterait  à  expliquer  dans 
une  saison  et  dans  un  pays  si  froid.  Des  ordres  partis  de  la 
cour  prescrivirent,  au  dépait,de  laisser  le  cercueil  fermé 
jusqu'à  Saint-Pétersbourg;  ils  furent  remplis. 

Le  règne  d'Alexandre  a  exercé  sur  toute  l'Europe  une 
ir.iluence  qu'il  importe  de  constater  :  c'est  depuis  ce  règne 
seulement  que  la  Russie ,  considérée  autrefois  comme  une 
nation  demi-asiatique,  a  définitivement  pris  place  au  rang 
des  nations  européennes.  L'histoire  citera  ce  règne  au  nom- 
bre de  ses  plus  belles  pages  ;  toutes  les  fautes  d'Alexandre  ne 
peuvent  effacer  le  souvenir  de  ses  bienfaits  et  de  sa  sagesse  : 
malgré  ses  efforts,  ce  prince  n'a  pas  pu  détruire  entièrement 
les  bonnes  choses  qu'il  avait  créées. 

[  Voici  comment  Napoléon  jugeait  Alexandre  :  «  Si  cela 
rentrait  dans  les  limites  de  mon  pouvoir,  disait-il,  je  choi- 
sirais Alexandre  pour  mon  successeur.  Grand  cœur,  âme 
noble,  rusé  comme  un  Grec  du  Bas-Empire  ,  fier  et  superbe 
comme  un  vieux  Romain,  il  a  été  mon  ennemi  souvent, 
mais  je  l'ai  toujours  admiré...  C'est  un  vrai  César;  Alexan- 
dre serait  le  seul  homme  capable  de  continuer  mon  œuvre 
en  Europe,  si  au  lieu  d'être  Russe,  il  était  Français.  »  L.  ] 
ALEXANDRE  11  NICOLAÉWITCH,  empereur  de 
Russie,  fils  aîné  de  l'empereur  Nicolas  et  d'Alex  and r a 
Féodorowna,  est  né  à  Moscou  le  29  avril  1818.  Élevé  d'a- 
bord par  sa  mère,  il  eut  pour  gouverneur  le  général  Mœrder, 
et  son  éducation  fut  achevée  par  le  poëte  Joukofski,  Son 
père  lui-même  se  chargea  ,  dit-on,  de  l'initier  aux  habitudes 
militaires.  Le  4  mai  1834,  le  césarévitch  Alexandre  fut 
déclaré  majeur,  et  il  devint  commandant  des  lanciers  de  la 
garde  ,  ataman  des  cosaques ,  premier  aide  de  cair^p  de 
l'empereur.  A  la  suite  d'un  voyage  en  Allemagne,  il  épousa, 
le  28  avril  1841,  la  princesse  Maximiiienne-Wilhelmine-Au- 
giiste-Sophie-Marie,  fille  du  grand-duc  de  Hesse  Louis  II, 
qui  prit  à  son  entrée  dans  l'Église  russe  le  nom  de  Marie 
Alexandrowna.  Chancelier  de  l'université  de  Finlande,  le 
grand-duc  Alexandre  encouragea  les  études  finnoises,  fonda 
une  chaire  de  langue  et  littérature  finnoises  à  l'université 
d'Helsingfors,  prit  l'académie  finnoise  sous  sa  protection  et 
récompensa  les  lointaines  explorations  de  savants  finnois. 
A  la  mort  du  grand-duc  Michel,  son  oncle,  il  prit  la  haute 
direction  des  écoles  militaires  de  l'empire.  L'empereur  Ni- 
colas le  félicita  publiquement  du  soin  qu'il  prenait  d'élever 
la  jeunesse  dans  le  véritable  esprit  russe.  En  1850  le  grand 


294  ALEXANDRE 

•■iuc  Alexandre  visita  la  Russie  mi^'-vdionale,  Nicoiaief ,  Sébas- 
topol ,  Tiflis  ,  Érivan,  DeiDeiit,  et  Ici  mina  ce  voyage  en  al- 
lant se  battre  contre  les  Circasfiens.  A  la  mort  de  INicolas, 
dont  il  reçut  le  dernier  soupir  et  les  dernièies  instructions, 
le  2  mars  1855 ,  il  monta  sur  le  trône,  jurant  »  de  rester 
fidèle  à  tous  les  sentiments  de  son  père  et  de  persévérer 
dans  la  ligne  des  principes  politiques  qui  lui  ont  servi  de 
règle.  »  Dans  un  rnanilesie  adressé  aussitôt  à  ses  peuples , 
il  disait  :  «  Fasse  Ja  Providence,  qui  nous  a  appelé  à  cette 
liaute  mission,  que,  guidé  et  protégé  par  elle,  nous  puissions 
affermir  la  Russie  d;uis  le  plus  haut  degré  de  puissance  et 
de  gloire  ;  que  par  nous  s'accomplissent  les  vues  et  les 
désirs  de  nos  illustres  prédécesseurs,  Pierre,  Catherine, 
Alexandre  le  bien-ainié,  et  notre  auguste  père  d'impéris- 
sable mémoire.  »  La  lutte  engagée  en  Orient  par  Nicolas 
continua  donc  avec  les  puissances  occidentales  alliées  à  la 
Turquie.  Alexandre  visita  Cronstadt,  Moscou ,  Varsovie, 
et  partit  pour  la  Crimi^e.  «  Dieu  a  voulu  soumettre  la  Russie 
aux  épreuves ,  disait-il  dans  un  rescrit  au  commandant  de 
Moscou.  Combattons  pour  l'intégrité  de  l'empire.  Dieu  dé- 
fendra la  l'.ussio  orthodoxe  qui  a  pris  les  armes  pour  la 
défense  de  la  bonne  cause,  la  cause  du  christianisme.  » 
Arrivé  à  Sébastopol ,  on  dit  qu'il  s'écria  devant  ces  ruines  : 
«  Aujourd'hui  la  paix  est  impossible.  »  Dans  une  dép^îche  au 
r«i  de  Prusse,  il  di.sait  encore  :  «  La  Russie  ne  fera  jamais 
la  paix  après  im  désastre.  »  On  lui  avait  aussi  entendu  pro- 
noncer ces  paroles  :  «  J'aimerais  mieux  n'avoir  plus  à  Saint- 
Pétersbouri;  de  tuiles  sur  mon  toit  que  de  perdre  uu  pouce 
de  terrain  en  Crimée.  » 

Bientôt  pourtant  les  Russes  ,  qui  avaient  perdu  ,  outre 
Sébastopol  et  Bornarsund,  Kericii,  Kamiesch,  Kinburn, 
Anapa,  et  d'autres  places,  purent  s'emparer  de  Kars  contre 
les  Turcs.  Ce  succès  permit  à  l'empereur  Alexandre  II  d'é- 
couter les  propositions  de  paix.  Il  accepta  les  conditions 
que  lui  faisaient  la  France  et  l'Angleterre,  envoya  des  mi- 
nistres à  Paris,  où,  après  un  congrès,  la  paix  fut  signée,  le 
30  mars  1836.  Dans  un  manifeste  publié  à  cette  occasion, 
Alexandre  disait  que  «  alin  de  bâter  la  conclusion  de  la  paix 
et  d'écarter  pour  l'avenir  même  jusqu'au  soupçon  de  vues 
ambitieuses,  il  avait  consenti  à  l'adoption  de  mesures  de 
précaution  dcstimes  à  éviter  toutes  collusions  entre  ses 
forces  navales  et  celles  de  la  Turquie.  »  Voulant  dès  lors  se 
consacrer  entièrement  à  l'amélioration  matérielle  de  son 
empire,  Alexandre  II  communiqua  un  grand  mouvement  à 
l'industrie  russe,  facilita  les  échanges  avec  l'étranger,  ordonna 
de  grands  travaux ,  et  encouragea  la  construction  des  che- 
mins de  1er.  Il  s'était  montré  disposé  à  un  rapproche- 
ment avec  le  saint-siège  et  à  de  grandes  concessions  en  fa- 
veur du  cierge  catholique  en  Pologne  ;  il  accorda  des  faci- 
lités pour  l'enseignement  dans  les  universités ,  créa  une 
faculté  des  langues  orientales  ii  l'université  de  Saint-Péters- 
bourg, et  plaça  l'instruction  publique  sous  sa  surveillance 
personnelle.  Bientôt  il  accepta  la  démission  du  comte  Nes- 
selrode  et  conlia  la  direction  des  affaires  étrangères  au 
princeGortscbakof.il  acheva  l'émancipation  des  serfs 
du  domaine  et  prépara  celle  des  serfs  des  particuliers,  qui  a 
enfin  été  proclamée  en  mars  1861.  Il  donna  d'abord  quel(jue 
espérance  à  la  Pologne,  autorisa  la  rentrée  des  émigrés, 
moyennant  un  acte  de  soumission  et  sans  restitution  des  biens 
conlisqués  ;  mais  dans  un  voyage  à  Varsovie  il  dit  à  la  noblesse 
polonaise:  «  Avant  tout  point  de  rêveries,  ceux  qui  vou- 
draient continuera  nourrir  des  illusions,  je  saurai  les  main- 
tenir dans  le  devoir.  La  Pologne  et  la  Finlande  me  sont  aussi 
chères  que  toutes  les  autres  provinces  de  mon  empire;  mais 
pour  le  bien  des  Polonais  eux-mêmes,  il  faut  qu'ils  restent 
unis  pour  toujours  à  la  grande  famille  des  empereurs  de 
Russie.  » 

Le  7  septembre  1856,  l'empereur  Alexandre  II  se  fit 
sacrer  solennellement  à  Moscou.  11  s'était  rapproché  de  la 
France.  Au  mois  de  septembre  1857  il  eut  une  entrevue 


—  ALEXANDRIE 


avec  l'empereur  Napoléon  III  à  Stutlgard,  Lorsque  les 
affaires  d'Italie  furent  sur  le  point  d'amener  un  contlit 
entre  la  Sardaigne  et  rAiitriclie,  la  Russie  proposa  un 
congrès.  L'Autriche  précipita  les  événements  et  la  guerre 
éclata;  la  France  intervint  et  la  Russie  resta  calme.  «  La 
Russie  ne  boude  pas,  avait  dit  le  prince  Gortscbakof;  elle 
se  recueille.  »  Après  la  paix  de  Villafranca,  l'empereur 
Alexandre  se  rencontra  à  Varsovie  avec  le  roi  de  Prusse  et 
l'empereur  d'Autriche;  rien  n'y  fut  conclu.  La  Russie  de- 
vait se  souvenir  de  l'abandon  de  l'Autriche  pendant  la  guerre 
d'Orient  et  au  congrès  de  Paris  ;  on  croit  môme  que  l"Au- 
Iriclie  refusa  encore  à  ce  moment  de  revenir  sur  le  traité 
de  185(;,  que  la  Russie  trouve  injuste,  et  que  la  France  ne 
seniit  pas  éloignée  de  modifier.  Cependant  lorsque  Victor- 
Emmanuel  fit  entrer  ses  forces  dans  le  royaume  de  Naples 
envahi  par  Garibaldi,  la  Russie  rappela  .son  envoyé  de 
Turin.  Après  la  reddition  de  Gaëte,  Alexandre II  fit  remettre 
le  grand  cordon  de  ses  ordres  au  roi  François  IL- 

Le  25  lévrier  1861  les  Polonais  répondirent  aux  paroles 
de  l'empereur  par  une  manifestation  en  Ihonneur  de  leurs 
compatriotes  morts  à  Grochow  en  l8:il.  Cette  manifestation 
fut  dispersée  à  coups  de  fusil  ;  elle  recommença  le  lende- 
main, et  il  y  eut  de  nouvelles  victimes.  Des  Polonais  se 
chargèrent  de  rétablir  l'ordre;  mais  ils  adressèrent  une  pé- 
tition à  l'empereur  pour  réclamer  leur  nationalité,  rede- 
mander les  immunités  de  leurs  écoles,  les  privilèges  de 
leur  église,  les  moyens  constitutionnels  de  faire  parvenir 
leurs  vœux  au  trône.  Cette  pétition  n'a  pas  été  repous>ee 
par  l'empereur  Alexandre,  qui,  le  2  avril,  accorda  à  la  Po- 
logne un  conseil  d'Etat  formé  de  hauts  personnages  ,  des 
conseils  de  gouvernements  et  des  conseils  mimicipanx  ba.sés 
sur  réicction,  et  une  organisation  distincte  pour  les  affaires 
ecclésiastiques  et  l'instruction  publique. 

L'empereur  a  cinq  fils  et  une  fille  :  l'aîné ,  Nicolas  ,  est  né 
le  20  septembre  1843.  L.  Loiivet. 

ALEXANDRE  lîARADJORDJEWICZ.  Voyez 
Serbie. 

ALEXAi\DRETTE,en  latin  Alexandha  ad  Issum, 
en  arabe  Iskanderoun,  ville  de  Syrie,  située  sur  le  bord  de 
la  Méditerranée,  près  du  ruisseau  de  Beloum,  lut  fondée  par 
Alexandre  le  Grand  auprès  de  Myriandrus,  non  loin  du 
champ  de  bataille  d'Issus.  Dès  que  la  Syrie  fit  un  royaume 
à  part,  les  Séleucides  s'établirent  à  Antioche,  et  Alexan- 
drelle  tomba  en  ruines.  Rebâtie  par  l'un  des  khalifes  oin- 
miades ,  elle  devint  une  place  forte  des  frontières ,  et  n'eut 
pas  d'autre  importance.  Tancrède  la  prit  d'assaut  et  la  livra 
aux  flammes.  La  domination  des  Osmanlis  ne  la  releva  pas. 
Le  commerce  de  l'Europe  ayant  repris  quelque  activité  avec 
l'Orient,  des  Francs  s'établirent  à  Alexandrette,  qui  devint  le 
port  d'Alep.  L'insalubrité  de  l'air  ne  lui  permit  pas  de 
s'accroître.  On  n'y  voit  plus  que  qiu'lques  chétives  habita- 
tions, et  des  marais  pestilentiels  entourent  la  ville.  Vers  le 
sud  ,  à  un  quart  de  lieue  de  la  mer,  sur  la  gauche  du  chemin 
qui  mène  à  Beylan,  on  voit  encore  un  château  en  ruines, 
nommé  le  château  d'Alexandre  :  au  delà  de  ce  château , 
d'une  architecture  évidemment  moderne  et  peut-être  con- 
temporaine des  croisades,  gisent  d'autres  ruines  et  des 
vestiges  de  constructions  antiques.  Les  croisés  avaient  ap- 
pelé Alexandrette  Alcxandria  Scabiosa.  E.  B. 

ALEXANDRIE,  apiielée  par  les  Turcs  et  les  Arabes 
Uhandèriék  ou  Skandciich,  fondée  l'an  331  avant  Jésus- 
Christ  par  Alexandre  le  Grand,  était  située  à  l'origine  dtips 
les  terrains  plats  et  bas  qui  séparent  le  lac  Maréotis  de  la 
Médilerranée,  à  environ  un  myriamètre  de  Canope.  En 
avant,  dans  la  Méditerranée,  on  trouvait  l'ile  de  Pharos,  à 
l'extrémité  nord-ouest  de  laquelle  s'élevait  la  tour  célèbre 
qu'on  éclairait  la  nuit  (voyez  Piiaiie)  pour  guider  les 
navigateurs,  et  qu'une  jetée  appelée  Hcptastadlum  unis- 
sait à  la  terre  ferme  en  formant  les  deux  grands  ports  de 
la  ville.  Il  y  avait  en  outre  daus  le  lac  Maréotis   un   port 


aiiv  eaux  slapianîos  et  niart'cagoiises ,  h  rcmbouchurp 
du  canal  du  Ml ,  le  port  appelé  Kiliolor,  el  deux  ports  de 
moindre  étendue  à  raiigle  nord-ouest  du  grand  jiort  situé 
à  l\-st  de  la  jetée.  Alexandrie ,  dont  le  plan  avait  été  drossé 
par  l'architecte  Dinoc.rate,  occupait  autour  de  ces  deux 
guands  ports  un  emplacement  s'étendant  du  nord-est  au  sud- 
ouest  sur  une  longueur  totale  d'à  peu  près  trois  myriamètres. 
Deux  grandes  rues,  larges  cliacune  d'environ  33  mètres,  et 
ornées  dans  toute  leur  longueur  de  colonnades ,  la  traver- 
saient d'une  extrémité  à  l'autre  et  se  coupaient  à  angle  droit. 
La  ville  était  d'ailleurs  très-régulièrement  construite.  La 
partie  la  plus  brillante  était  le  quartier  appelé  J>nic/iiui)i , 
voisin  du  port  de  l'est.  Là  se  trouvaient  les  palais  des  Plolé- 
mées  avec  le  Musée  et  la  BibliotUèque,  le  So)na  ou  Sema, 
les  tombeaux  d'Alexandre  le  Grand  et  des  Ptolémées ,  le 
PosUlonium ,  le  'fmocrium  et  le  grand  théâtre.  Plus  loin 
à  l'ouest  on  rencontrait  VEmporium ,  les  cbantiers  de  vais- 
seaux, sur  la  petite  pointe  de  terre  qui,  avec  YHcptasta- 
diiim,  son  prolongement  artidciel ,  sépaiait  les  deux  giauds 
ports,  là  où  était  situé  jadis  un  village  appelé  Rkacotis,  le 
Serapeum  avec  sa  riche  bibliothèque  et  le  Gymnase.  A  l'ouest 
de  la  ville  était  située  la  grande  ÎNécropole  (  ville  des  morts  ) 
avec  ses  tombeaux ,  et  à  l'est  la  Lice  et  la  Mcopole.  Des  ci- 
ternes pratiquées  dans  le  roc  calcaire ,  et  contenant  l'eau 
nécessaire  à  la  consommation  des  habitants  pendant  une 
année  entière ,  occupaient  presque  toute  la  superficie  sou- 
terraine de  la  ville.  Dès  sa  fondation  Alexandrie  fut  la  ca- 
pitale grecque  de  l'Egypte.  Sa  population ,  évaluée  à  l'époque 
de  sa  plus  grande  [)rospérité  à  300,000  habitants  libres,  et  qui, 
en  y  comprenant  les  esclaves  et  les  étrangers ,  devait  s'élever 
à  plus  du  double  de  ce  chiffre ,  se  composait  surtout  de 
colons  grecs,  d'Egyptiens  proprement  dits,  et  de  Juifs  venus 
de  bonne  heure  s'y  établir,  et  qui  n'avaient  pas  tardé  à  y 
adopter  la  langue  et  les  coutumes  des  Grecs. 

Après  la  mort  d'Alexandre  le  Grand,  Alexandrie  échut  aux 
Ptolémées,  qui  y  établirent  leur  résidence  et  en  firent  la 
plus  magnifique  ville  de  l'antiquité  avec  Rome  et  Antioche , 
de  même  que  le  centre  de  l'érudition  et  de  la  civilisation 
grecque  de  ce  temps-là ,  d'où  elles  se  propagèrent  ensuite 
dans  une  grande  partie  de  l'Asie  et  de  l'Afrique.  L'heureuse 
situation  de  cette  ville,  au  point  de  partage  entre  l'Occident 
et  l'Orient ,  en  eut  bientôt  fait  le  centre  du  commerce  du 
monde,  qui  porta  au  plus  haut  degré  sa  prospérité  matérielle. 
Alexandrie  était  arrivée  au  faîte  de  ses  richesses  et  de  ses 
grandeurs,  quand  elle  tomba  au  pouvoir  des  Romains,  l'an 
29  avant  Jésus-Christ.  C'est  de  cette  époque  que  date  sa 
décadence,  d'abord  peu  sensible,  mais  qui  plus  tard,  à  la 
suite  de  la  translation  à  Rome  des  chefs-d'œuvre  de  l'art 
qui  la  décoraient ,  des  massacres  commis  par  Caracalla ,  de 
la  dévastation  du  Bruchium  par  Aurélien  ,  du  siège  et  du 
pillage  par  Dioclétien,  et  enfin  de  la  prospérité  toujours 
croissante  de  Constantinople ,  devint  en  peu  de  temps  ti  ès- 
yensible,  de  telle  sorte  qu'au  quatrième  siècle  de  notre  ère 
le  temple  de  Sérapis  était  le  seul  monument  architectural 
de  quelque  importance  qui  y  subsistât  encore.  La  lutte 
entre  le  christianisme  envahisseur  et  le  paganisme  provoqua 
dans  Alexandrie  les  désordres  les  plus  sanglants.  La  prise 
d'assaut  du  Serapeum ,  dernier  refuge  de  la  théologie  et  de 
l'érudition  païenne,  en  l'an  389,  par  les  chrétiens,  et  sa 
transformation  en  une  église  chrétienne,  «ous  l'invocation  de 
saint  Arcadius,  portèrent  le  dernier  coup  au  paganisme  ago- 
nisant. Alexandrie  devint  alors  le  chef-lieu  de  la  théologie 
chrétienne,  et  conseiTa  ce  caractère  jusqu'à  ce  qu'elle  eût 
été  conquise  par  les  Arabes,  en  l'an  042.  La  prise  de  la  ville 
par  les  Turcs ,  en  l'année  8G8,  acheva  de  l'anéantir.  Ll!e  se 
releva  phis  tard,  il  est  vrai,  sous  la  domination  des  khalifes, 
et  resta  pendant  toute  la  durée  du  moyen  âge  le  grand  en- 
trepôt des  produits  de  l'Orient  et  de  l'Occident;  mais  la  dé- 
couveite  de  l'Amériijue  et  de  la  route  des  Grandes-Indes 
par  le  cap  de  Coiine-Espjiancc  anéantit  complètement  son 


ALEXANDRIE  295 

commerce.  Enfin  la  domination  des  Mameloucks,  et  ensuite 


la  conquête  qu'en  firent  les  Osmanlis,  achevèrent  de  détruire 

jusqu'à  ce  qui  y  était  l'œuvre  des  Arabes.  C'est  ainsi  qu',\- 

lexandrie  en  arriva  à  ne  plus  compter  en  1778  que  cinq  mille 

habitants.  La  conquête  de  ri':gypte  par  les  Français  à  la  fin 

du  dix-huitième  siècle  conmiença  à  la  faire  sortir  de  ses 

ruines;  et  sous  la  domination  de  Méhémet-Ali ,  qui  y 

établissait  sa  résidence  pendant  une  partie  de  l'année,  elle 

se  releva  tellement  qu'elle  est  aujourd'hui  l'une  des,  places 

les  plus  importantes  de  la  Méditerranée.  Le  commerce  ^vec 

les  Indes  reprend  de  nos  jours  la  voie  qu'il   abandonna  au 

seizième  siècle.   Alexandrie  avait  30,000   âmes  en  1798, 

230,000  en  1817,  400,000  en  1859. 

La  ville  actuelle  n'occupe  pas  le  même  emplacement  que 
l'antienne.  Elle  s^élève  f^ur  V  fleptastadiiun,  transformé  par 
des  alluvions  en  une  large  langue  de  terre ,  entre  les  deux 
grands  poris  qui  existent  toujours.  Miiis  celui  qui  est  siiué 
au  nord-est,  et  qu'on  appelle  aussi  le  Port-\eiif ,  est  en- 
sablé. Le  canal  de  Ramanieh ,  terminé  en  1820,  et  un 
chemin  de  fer  mettent  le  Caire  en  communication  avec 
Alexandrie,  qui  du  côté  de  la  mer  est  protégée  par  divers 
ouvrages  de  fortification.  Comme  la  plupart  des  villes  de 
rOrienl,  Alexandrie  est  aussi  sale  que  misérablement  bâtie. 
Ses  édifices  les  plus  remarquables,  tels  que  le  nouveau 
palais ,  la  douane,  l'arsenal  de  la  marine,  sont  tous  l'œuvre 
de  Méhémet-Ali.  La  Bourse  a  été  terminée  en  1859. 

Cette  ville,  habitée  par  des  Arabes,  des  Turcs,  des  Juifs,  des 
Coptes,  des  Grecs  et  des  Francs,  est  le  siège  des  consuls  eu- 
ropéens, d'un  patriarche  copte,  des  établissements  mari- 
times et  commerciaux  du  pacha,  ainsi  que  des  écoles  mi- 
Htaires  et  de  marine  égyptiennes.  De  tous  les  monuments 
antiques  qu'elle  renfermait  autrefois,  elle  ne  possède  plus 
que  la  colonne  de  Pompée  ,  produit  de  l'art  grec,  placée 
sur  un  fût  de  vingt  et  un  mètres  de  long,  qui  vraisembla- 
blement ornait  à  l'origine  le  Serapeum,  renversée  plus 
tard,  puis  redressée  par  ordre  d'un  gouverneur  de  Dioclé- 
tien ,  et  surmontée  alors  de  la  statue  d'un  empereur  qui 
depuis  longtemps  en  a  été  arrachée  ;  ce  que  l'on  appelle 
les  Aiguilles  de  Cléopdtre,  deux  obélisques,  dont  l'un  est 
à  moitié  en  ruines ,  mais  dont  l'autre ,  monolithe  de  vingt 
mètres  de  hauteur,  est  encore  debout:  enfin,  plusieurs 
tombeaux  de  l'antique  nécropole,  et  les  citernes,  en  ruines 
pour  la  plupart. 

ALEXiVA'DRÎE  (  Bibliothèque  d'),  fondée  principale- 
ment par  les  libéralités  des  Ptolémées ,  contenait ,  dit-on, 
dans  400,000  volumes  ou  rouleaux,  toute  la  littérature 
romaine,  giecque,  indienne  et  égyptienne ,  dont  nous  ne 
possédons  plus  aujourd'hui  que  quelques  débris.  La  plus 
grande  paitie  en  était  placée  dans  le  plus  beau  quartier  de 
la  ville,  le  Bruchium,  et  fut  brûlée  lors  du  siège  de  cette 
ville  par  Jules  César,  mais  fut  ensuite  remplacée  par  la 
bibliothèque  de  Pergame,  dont  Antoine  fit  présent  à  Cléo- 
pàtre.  Le  reste  se  trouvait  dans  le  Serapeum,  le  temple  de 
Jupiter  Sérapis,  et  se  conserva  jusqu'à  l'époque  de  Théodose 
le  Grand.  Mais  quand  ce  prince  fit  détruire  tous  les  temples 
païens  de  l'empire ,  le  magnifique  temple  de  Jupiter  ne  fut 
pas  plus  épargné  que  les  autres;  im  rassemblement  furieux 
de  chrétiens  fanatiques,conduits  par  l'archevêque  Théophile, 
l'assaillit  et  le  mit  en  ruines.  On  rapporte  qu'au  milieu  de 
ces  scènes  de  dévastation,  la  bibliothèque  fut  en  partie  brûlée 
et  en  partie  dispersée,  et  Orose  Thistorien  n'en  vit  plus  que 
les  rayons  vides.  Par  conséquent  ce  furent  des  barbaies 
chrétiens,  et  non  pas,  comme  on  le  croit  généralement,  des 
Arabes  commandés  par  Omar,  qui  firent  éprouveraux  scien- 
ces cette  irréparable  perte.  On  a  cru  découvrir  les  ruines  de 
celle  bihiiotlièque  en  1854. 

ALEXANDRIE  (  Coded').  On  appelle  ainsi  un  manus- 
crit de  toutes  les  saintes  Écritures  eu  langue  grecque^ qui 
se  trouve  au  BrisHsh  Muséum  à  Londres,  et  qui  est  d'une 
haule  importance  pour  la  critique.  Il  est  écrit  sur  parcheniin. 


5or> 


ALEXANDRIE 


en  lettres  onciales,  sans  esprits  ni  accents,  date,  suivant  toute 
vraisemblance,  de  la  seconde  moitié  du  sixième  siècle,  et 
contient  toute  la  Bible  eu  grec  (l'Ancien  Testament  d'ajirès 
la  traduction  des  Septante)  avec  les  Kpîtres  de  Clément  le 
Romain;  mais  il  offre  trois  lacunes  dans  le  Nouveau  Testa- 
ment, l.e  texte  en  est  d'une  importance  toute  particulière  pour 
la  critique  des  lii)ltres  du  Nouveau  Testament,  attendu  que 
le  manuscrit  original  que  le  copiste  avait  devant  lui  pour 
les  Évangiles  était  évidemment  beaucoup  plus  défectueux. 
Ce  manuscrit  célèbre  faisait  partie,  dès  l'an  1098,  de  la  col- 
lection de  livres  du  patriarche  d'Alexandrie.  Le  patriarche 
de  Constanlinople  Cyrille  Lucar,  qui  l'adressa  à  titre  de 
présent  au  roi  d'Angleterre  Charles  I",  en  1628,  assura 
l'avoir  reçu  d'Egypte ,  et  diverses  circonstances,  tant  inté- 
rieures qu'extérieures,  témoignent  qu'il  fut  réellement  écrit 
dans  ce  pays.  Grabe  le  prit  pour  base  dans  son  édition  des 
Septante  (4  vol.  in-fol.,  Oxford,  1707-1720).  Woid  a  donné 
la  reproduction  complète  et  diplomatiquement  fidèle  du 
Nouveau  Testament  ( Londres ,  178G,  in-fol.  ).  Baber  com- 
mença en  1816  un  travail  identique  pour  l'Ancien  Testament. 

ALEXANDRIE  (Dialecte  d').  On  appelle  ainsi  le  dia- 
lecte particulier  de  la  langue  grecque  qui  se  forma  peu  à  peu  à 
Alexandrie  dans  la  langue  parlée  et  écrite,  après  que  la  civi- 
lisation et  la  science  grecque  s'y  furent  implantées ,  et  qui 
difTérait  de  l'ancienne  langue  des  habitants  de  TAttique  par 
le  mélange  qu'il  avait  admis  de  nombreuses  formes  et 
expressions  macédoniennes  et  doriennes. 

ALEXANDRIE  (Guerre  d').  C'est  celle  dans  laquelle 
fut  entraîné,  au  mois  d'octobre  de  l'an  48  avant  Jésus-Christ, 
peu  de  temps  après  la  bataille  de  Pharsale,  César,  alors  à  la 
poursuite  de  Pompée ,  lorsqu'il  arriva  à  Alexandrie.  Ayant 
décidé  en  faveur  de  Cléopàtre  le  différend  à  ce  moment  pen- 
dant entre  elle  et  son  frère  Ptolémée-Dionysus  pour  le  par- 
tage de  l'héritage  paternel,  les  Égyptiens,  conduits  par 
Pothinus  et  Achillas ,  chef»  du  parti  de  Ptolémée,  se  révol- 
tèrent contre  lui.  César,  qui  n'avait  que  4,000  hommes  à  sa 
disposition,  se  vit  bientôt  assiégé  dans  un  quartier  d'Alexan- 
drie par  les  habitants  de  cette  ville,  qu'appuyait  une  armée 
de  20,000  hommes,  commandée  d'abord  par  Aciiillas,  et  après 
la  mort  de  celui-ci  par  Ganymétlès.  Sa  position  devint 
extrêmement  critique,  et  il  faillit  même  perdre  la  vie  dans 
une  tentative  qu'il  lit  pour  se  rendre  maître  de  lilede  Pharos. 
Ce  ne  fut  qu'en  mars  47,  lorsque  jMithridate  de  Pergame  eut 
réussi  à  lui  amener  des  renforts  d'Asie,  qu'il  pai  vint  à  domi- 
ner le  danger.  Le  roi  Ptolémée  périt  en  combattant  ;  Alexan- 
drie fut  réduite  à  capituler,  et  Cléopàtre,  qui  avait  gagné 
l'amour  de  César,  fut  mise  en  possession  du  pouvoir  sou- 
verain conjointement  avec  sou  plus  jeune  frère,  appelé  éga- 
lement Ptolémée.  L'histoire  de  la  guerre  d'Afrique  qu'on 
trouve  à  la  suite  des  Commentaires  de  César,  a  vraisembla- 
blement pour  auteur  son  légat  A.  Hirtius. 

ALEXANDRIE  (École  d').  Les  Ptolémées ,  à  cause  de 
cet  amour  des  lettres ,  des  sciences  et  des  arts  qui  fut  pour 
ainsi  dire  le  génie  de  leur  dynastie,  firent  d'Alexandrie 
le  rendez-vous  de  tous  les  esprits  éclairés  de  leur  temps.  Les 
grammairiens,  les  savants,  les  philosophes  furent  attirés 
vers  cette  ville  célèbre,  oii  Ptolémée  Philadelphe  fonda  le 
Musée,  qu'on  regarde  à  juste  titre  comme  la  première  Aca- 
démie du  monde,  et  établit  cette  fameuse  bibliothèque 
(voyez  Bibliothèque  d'ALKwxDRiE  )  que  l'histoire  a  tou- 
jours considérée  comme  la  plus  précieuse  de  l'antiquité.  Ce 
concours  de  lumières  et  de  protection  royale  était  l'ait  pour 
qu'Alexandrie  devint  avec  le  temps  ce  qu'.Vthènes  avait  élé 
déjà  à  Tépoipie  de  Périclès.  De  la  le  nom  d'école  d'Alexan- 
<k\e  donné  à  l'ensemble  des  systèmes  philosophiques  qui 
suivirent  le  périi)atélisine  et  le  platonisme,  dernières  lueurs 
du  paganisme  mourant,  et  dont  le  foyer  principal  était  la 
ville  d'.Mexandre.  Celle  école,  rcmanjuable  par  ses  origines, 
par  le  pénie  de  ses  penseurs,  par  la  richesse  et  la  profondeur 
de  ses  doctrines,  par  sa  longue  durée,  par  son  rôle  histo- 


rique ,  par  son  influence  sur  les  doctrines  du  moyen  âge  et  de 
la  Renaissance,  mérite  une  place  à  part  dans  l'histoire  de  la 
philosophie.  Elle  commence  vers  la  fin  du  troisième  siècle 
de  l'ère  chrétienne,  et  ne  finit  que  vers  539,  avec  l'antiquité 
elle-même.  Pendant  cette  longue  période  elle  change  dans  le 
cours  de  son  développement  de  situation ,  de  rôle ,  de 
théâtre;  elle  garde  invariablement  ses  principes  et  son  es- 
prit, tout  en  subissant  l'influence  des  hommes  et  des  cir- 
constances. Essentiellement  rationnelle  avec  Ammonius, 
Plotin  et  Porphyre,  elle  dégénère  en  pratiques  théur- 
giques  avec  Jamblique,  Chrysanthe,  Maxime  et  Julien  ; 
puis  elle  reprend  une  forme  plus  sévère  à  Athènes  avec 
Syrianus,  Procluset  Damascius. 

Ce  qui  caractérise  d'abord  l'école  d'Alexandrie,  c'est  une 
idée  noble  et  hardie  :  ses  phUosophes  travaillèrent  à  la  com- 
binaison de  tous  les  systèmes  connus.  Après  bien  des  siècles 
de  civilisation  ,  d'activité  et  d'éclat ,  l'esprit  humain  sembla 
prendre  repos  à  l'ombre  du  trône  des  Lagides  ;  mais,  comme 
la  foi  et  toutes  les  croyances  religieuses  l'avaient  abandonné, 
trop  épuisé  pour  créer  et  fonder,  U  voulut  faire  un  faisceau 
de  toutes  les  spéculations  de  la  Grèce  et  de  l'Asie.  Une  pa- 
reille initiation  valut  aux  pliilosophes  le  surnom  iV éclec- 
tiques.  Ammonius  Saccas  fut  son  fondateur.  Cependant 
l'École  d'Alexandrie  ne  fut  pas  seulement  éclectique,  elle  se 
laissa  aussi  entraîner  au  mysticisme.  La  recherche  de  l'ab- 
solu, tel  fut  le  problème  que  ses  philosophes  se  proposèrent. 
Mais  pour  atteindre  leur  but ,  la  raison  parut  trop  débile 
aux  Alexandrins.  Aussi,  impuissants  à  s'acquitter  de  leur 
tâche,  par  cela  même  qu'ils  renonçaient  à  se  servir  de  la 
raison  et  qu'ils  la  regardaient  comme  une  faculté  trompeuse, 
ils  empruntèrent  à  Xcnophanes  et  à  Parménides  leur  Dieu 
absolu,  c'est-à-dire  Tètre  immuable  et  ineffable,  sans  rap- 
ports possibles  avec  la  génération  ,  et  qu'ils  ne  purent  con- 
cevoir qu'à  l'aide  de  la  perception  immédiate ,  base  néces- 
r,dire  au  mysticisme.  De  ce  premier  point  à  l'extase  il  n'y 
avait  qu'un  pas ,  et  les  Alexandrins  le  franchirent  ;  car  en 
voulant  comprendre  et  décrire  la  nature  incompréhensible 
de  Dieu,  que  la  raison  ne  pouvait  saisir  et  expliquer,  ils  fu- 
rent obligés  démettre  au-dessus  de  la  raison  une  facnilé, 
et  cette  facullé  fut  la  faculté  mystique  de  l'extase.  Le 
mysticisme  des  Alexandrins  est  plus  observateur,  plus  mé- 
taphysicien qu'il  n'est  enthousiaste  :  c'est  ce  qu'il  est  facile 
de  constater  par  l'examen  des  ouvrages  de  Plotin ,  le  repré- 
sentant le  plus  illustre  du  mysticisme  de  l'école  d'A- 
lexandrie. 

Pendant  que  l'école  d'Alexandrie  s'efforçait  d'opérer  la 
fusion  parfaite  du  génie  grec  et  du  génie  oriental ,  un  rival 
redoutable  s'élevait  contre  elle.  Le  christianisme  ve- 
nait à  peine  de  se  montrer  au  monde  avec  son  bref  et 
ferme  symbole ,  ses  dogmes  arrêtés ,  sa  morale  sublime  ,  sa 
puissante  hiérarchie,  que  déjà  l'antiquité  païenne,  seô  dieux, 
ses  croyances,  sa  morale  plus  ou  moins  austère,  son  orgueil 
justifié  par  plusieurs  siècles  de  grandeur  et  de  beauté  dans 
ses  créations,  ses  vertus  les  plus  applaudies,  tout  en  un  mot 
de  ce  qui  se  rattachait  à  l'Olympe  d'Homère  ou  en  faisait 
partie,  était  fortement  ébranle.  Contre  cette  religion  inconnue 
encore,  mais  faisant  partout  des  prosélytes,  fondant  des 
églises,  consacrant  des  prêtres,  les  Alexandrins  composèrent 
en  quelque  sorte  le  parti  de  la  résistance.  Plotin,  Long  in, 
Origène,  Erennius,  Porphyre  et  Jamblique  déploient 
dans  cette  lutte  de  deux  civilisations  toute  IVnergie  de  la 
pensée,  une  vaste  érudition,  une  élévation  de  style  sans 
cgide  :  on  dirait  qu'ils  réunissent  à  eux  seuls  toutes  les  for- 
ces de  la  Grèce  et  de  l'Orient  qui  vont  périr,  pour  mieux 
combattre  resjirit  nouveau.  Un  instant  vaincpieurs,  après 
beaucoup  de  défaites,  pendant  le  règne  de  Julien,  les  phi- 
losophes et  les  rhéteurs  de  l'école  d'Alexandrie  rentrèrent 
dans  Tobscurilé,  et  virent  leurs  temjjles  rasés  par  l'ordre 
de  ihéodose.  Durant  cette  polémicpie,  chrétiens  et  Alexan- 
drins employèrent  leurs  veilles  à  produire  des  miracles, 


ALEXANDRIE 

comme  éh^mcnts  de  conviction  de  ce  qu'ils  avançaient  de 
part  et  d'autre.  Un  mysticisme  exailé  troublait  les  esprits,  et 
leur  faisait  croire  à  la  réalité  de  leurs  prétendues  illumina- 
tions. Les  Alexandrins,  au  lieu  de  combattre  leurs  adver- 
saires, occupés  à  la  propagation  des  merveilles  de  leur  reli- 
gion ,  au  lieu  de  nier  leurs  mii-acles  ou  de  les  détruire  par 
le  raisonnement ,  s'en  attribuèrent  à  leur  tour;  ils  ne  man- 
quaient pas  aussi  d'écrire  l'bisloire  de  leurs  prédécesseurs, 
de  les  supposer  auteurs  de  certains  prodiges ,  et  d'ojiposer 
à  la  vie  de  Jésus-Cluist  les  travaux  d'Apollonius  de  Tyane 
ou  de  P\1hagore. 

Quels  qu'aient  été  les  résultats  ou  la  justice  des  moyens 
dont  on  lit  usage  dans  les  deux  camjis  ennemis ,  il  ne  faut 
pas  oublier  que  cet  éclectisme  que  les  Alexandrins  appli- 
quèrent aux  anciens  cultes  ,  apnXs  l'avoir  appliqué  aux  prin- 
cipaux systèmes  de  l'antiquité  grecque,  impliquait  le  dépé- 
rissement de  toute  religion,  le  triomphe  de  la  philosophie, 
et  avecle  triomphe  de  celle-ci  la  liberté  d'interpréter  et  de 
choisir.  Les  philosophes  de  cette  école  qui  les  premiers, 
dans  un  moment  de  défense ,  soumirent  à  un  contrôle  sé- 
rieux et  profond  toutes  les  vieilles  croyances  des  religions 
passées,  leurs  dogmes  et  leurs  superstitions,  ont  donné  aux 
générations  futures  un  exemple  salutaire,  celui  delà  liberté 
d'examen.  Jusque  alors  l'imposture  ou  le  mensonge  avaient 
caché  bien  des  vérités  ;  mais  le  jour  de  mort  étant  arrivé, 
prêtreset  philosophes  communiquèrent  ensemble  dans  l'inté- 
rêt commun.  Le  résultat  de  cetteentente  fut  funeste  à  la  reli- 
gion comme  à  la  philosophie  d'abord;  mais  celle-ci  aura  jeté 
une  semence  qui  fructifiera  dans  d'autres  temps  et  d'autres 
lieux. 

Entre  le  christianisme  et  l'école  d'Alexandrie  la  critique 
moderne  a  cru  apercevoir  certains  rapports  qu'il  n'est  pas 
inutile  de  rappeler.  Les  Pères  de  l'Eglise,  en  effet,  ne 
semblent  pas  exempts  d'emprunts  au  platonisme  et  à  d'autres 
doctrines  enseignées  à  Alexandrie  et  à  Athènes.  Sans  doute 
les  deux  doctrines  avaient  des  bases  opposées  ;  mais  il  se- 
rait injuste  de  dire  que  la  religion  nouvelle  n'a  rien  appris 
pendant  quatre  siècles  de  l'école  d'Alexandrie.  Comment 
supposer  qu'Alexandrins  et  chrétiens  aient  pu  vivre  si  long- 
temps à  côté  les  uns  des  autres ,  se  disputant  i)€rpétuelle- 
nient,  dénouant  quelquefois  lems  dissensions  sur  la  place 
publique  par  les  persécutions  et  par  l'émeute,  sans  que  le 
christianisme  ait  cherché  à  s'approprier  ce  qu'il  y  avait  de 
vrai  et  d'utile  dans  la  philosophie  profane  ?  Saint  Clément 
d'Alexandrie  nous  offre  sur  ce  point  un  témoignage  inécu- 
sable,  lorsqu'il  avoue  que  la  philosophie  des  écoles  peut 
servir  à  commenter  les  vérités  de  la  foi ,  à  les  démontrer  et 
à  les  développer.  Qu'on  ouvre  encore  saint  Augustin,  et 
dans  la  Cité  de  Dieu  chacun  croira  lire  un  platonicien.  Le 
mystère  de  la  Trinité  lui-même,  dans  la  religion  chré- 
tienne ,  ne  manque  pas  d'offrir  une  ressemblance  assez  cu- 
rieuse avec  la  Trinité  de  l'école  d'Alexandrie.  Sous  ce  rap- 
port les  Ennades  de  Plotin,  après  le  Timée  et  le  sixième 
livre  de  la  République  de  Platon,  pourraient  offrir  plus 
d'un  trait  piquant  à  la  critique  philosophique. 

La  plupart  des  grands  noms  que  comprend  l'école  d'A- 
lexandrie ne  se  rattaciient  qu'indirectement  à  Alexandrie 
même  :  Plotin  vécut  à  P>onie,  Proclus  à  Athènes;  mais  Alexan- 
drie n'en  a  pas  moins  été  le  centre  du  monde  grec,  le  terrain 
des  plus  grandes  luttes.  L'école  d'Athènes ,  sa  rivale,  n'est 
qu'un  développement  sur  un  autre  théâtre  de  la  philosophie 
alexandrine.  L'école  d'Alexandrie  s'éteignit  obscurément, 
vers  le  milieu  du  sixième  siècle,  et  avec  elle  finit  la  philo- 
sophie grecque,  déjà  frappée  par  un  décret  de  Justinien,  qui 
ferma  l'école  d'Athènes  en  529.  La  clôture  des  écoles  païen- 
nes par  l'édilde  Justinien  anéantit  l'école  d'Alexandrie,  mais 
non  ses  doctrines.  Le  néo  pi  aton  i  sme,  recueilli  dans  d'ob- 
scures compilations,  passa  à  travers  les  écoles  du  Bas-Em- 
pire dans  la  philosophie  du  moyen  âge,  et  inspira  tous  les 
esprits  rebelles  au  jong  d'A  r  i  s  t  o  t  e  et  de  la  se  o  I  a  s  t  i  q  u  c; 
uicr.  UL  LA  co\vi:i;sAiio:s.  —  t.  / 


297 

puis,  ,'i  la  Renaissjuice,  il  devint  la  source  de  toutes  les  doctri- 
nes idéalistes  et  mystiques  des  quinzième  et  seizième  siècles. 

Tout  le  travail  de  l'école  d'Alexandrie  ne  se  borne  point 
à  celui  qui  a  été  fait  dans  le  champ  des  spéculations  philo- 
sophiques. A  côté  des  philosophes  il  y  a  aussi  des  sa- 
vants,  des  grammairiens,  des  poètes.  Les  grammairiens 
ne  s'occupaient  pas  seulement  de  ce  que  nous  appelons 
grammaire;  ils  ne  se  contentaient  pas  d'éplucher  des  mots 
de  distinguer  des  phrases;  c'étaient  des  critiques  instruits  ' 
dos  philologues  qui  possédaient  des  connaissances  positives! 
On  compte  parmi  ces  grammairiens  Zenodote  d'Éphèsej 
Aristarque  de  Samothrace,  Cratès  deMalles[ 
I>enys  de  Thrace,  Apollonius  le  Sophiste  et 
Zoïle.  Le  grand  mérite  de  ces  philologues,  c'est  d'avoir 
recueilli  les  monuments  de  la  littérature  et  de  la  civilisation 
des  siècles  passés,  de  les  avoir  soumis  à  une  critique  savante 
et  judicieuse ,  et  de  les  avoir  transmis  à  la  postérité.  Parmi 
les  poètes  nous  remarquerons  Apolloni  us  de  Rhodes, 
Lycophron,  Aratus,  Nicandre,  Euphorion,  Cal- 
limaque,  Tliéocrite,  Philétas,  Phanoclès,  Timon  le 
Phliasien,  Denys,  et  les  sept  poètes  tragiques  que 
l'on  appelait  la  Pléiade  d'Alexandrie.  Les  poètes  de  cette 
école  se  distinguent  surtout  par  l'élégance ,  la  pureté ,  la 
correction  savante  du  style  ;  ce  qui  leur  manque ,  c'est  le 
talent,  l'esprit  créateur  qui  inspirait  les  poètes  grecs  des 
siècles  préctnients.  Érudits  sans  âme,  philologues  laborieux 
et  froids,  ils  cherchaient  à  suppléer  à  l'enthousiasme  par  l'art 
et  le  savoir.  Les  poètes  de  l'école  d'Alexandrie  sont ,  à  peu 
d'exceptions  près,  d'habiles  tourneurs  de  vers,  des  écrivains 
pleins  de  science ,  mais  sans  verve ,  sans  inspiration. 

Cette  école  produisit  également  un  grand  nombre  de  ma- 
tliématiciens,  tels  que  E  u  c  I  i  d  e,  le  créateur  de  la  géométrie 
scientifique  ;ApolloniusdePerge,dansla  Pamphylie, 
qui  a  laissé  un  ouvrage  sur  les  sections  coniques;  Ni  co- 
in a  q  ue  ,  qui  le  premier  réduisit  l'arithmétique  en  système; 
Kratosthène,  auteur  des  Catastérismes ;  Aratus,  auteur 
d'un  poëme  didactique  intitulé  Phanomètre ;  ^lénéXAS ,  et 
surtout  le  géographe  Ptolémée,  auquel  nous  devons  la 
Jtfarjna  Syntaxis  (voyez  Almageste).  Ces  astronomes  ap- 
pliquèrent les  hiéroglyphes  à  la  dénomination  des  constella- 
lions  de  la  sphère  boréale,  et  corrigèrent  la  théorie  du  calen- 
drier Julien.  Mentionnons  encore  parmi  les  savants  de 
quelque  renom  l'anatomiste  Hérophile,  le  naturaliste 
Erasisti'atus ,  et  Démosthène  Philalèlhe,  auteur  du  plus 
ancien  ouvrage  qui  existe  sur  la  maladie  des  yeux. 

On  peut  consulter  sur  l'école  d'Alexandrie  l'ouvrage  de 
M.  .Matler,  Sssai  historique  sur  l'École  d'Alexandrie; 

—  l'Histoire  de  l'École  d'Alexandrie,  de  M.  Jules  Simon; 

—  Y  Histoire  critique  de  l'École  d'Alexandrie,  de  M.  "V'a- 
cherot,et  le  Pxapport  de  M.  Barthélémy  Saint-Hilaire  à  l'A- 
cadémie des  Sciences  morales  et  politiques  sur  le  concours 
ouvert  par  elleàpropos  de  l'école  d'Alexandrie  (  1845,in-8°). 

ALEXANDRIE  ( Chronique  d').  On  appelle  ainsi  une 
compilation  de  plusieurs  auteurs  grecs  faite  sous  Héraclius, 
au  règne  duquel  elle  s'arrête.  Cette  chronique  fut  découverte 
en  Sicile  vers  le  milieu  du  seizième  siècle,  et  imprimée  en 
1G15,  par  les  soins  du  jésuite  Raden:s,  qui,  ayant  trouvé  en 
tête  du  manuscrit  le  nom  de  Pierre  d'Alexandrie,  lui  donna 
la  dénomination  qu'elle  porte. 

ALEXiVKDRIE  {Alessandria  délia  Paglia,  Alexan- 
drie de  la  Paille).  Cette  ville,  qui  s'appela  d'abord  Césaree, 
est  située  dans  une  contrée  marécageuse,  au  confluent  du 
Tanaro  et  de  la  Bormida.  C'est  une  place  forte,  chef-lieu 
delà  province  du  Piémont.  Elle  fut  fondée  en  1178  par  les 
habitants  de  Crémone  et  de  Milan  (  la  ligue  Lombarde  ),  au- 
tant pour  leur  senir  de  boulevaid  contre  l'empereur  Frédé- 
ric l"  Barberousse  qu'en  mémoire  des  succès  que  la  ligue 
Lombarde  avait  déjà  remportés  sur  lui.  A  peine  la  ville  était- 
elle  construite  que  Barberousse  vint  l'assiéger  :  elle  repoussa 
l'ennemi  ;  mais  on  y  vit  aussitôt  éclater  des  dissensioas  m- 


298 


ALEXANDRIE  —  ALEXIS 


t:Tie'.ire<;.  Le  chroniqueur  Ventura  raconte  que  tic  son  temps 
l!  y  avait  en  sept  expulsions  d'une  faction  par  l'autre.  Cc'snrée 
•  \vMU\  son  nom  pour  prendre  celui  (Y Alexandrie,  en  l'iion- 
lîciir  du  pape  Alexandre  III,  qui  y  avait  (^tal)li  le  siège  d'un 
<^v6cl)C.  Cette  ville  a  été  souvent  l'objet  des  luttes  les  plus 
sanglantes.  Vers  la  (in  du  treizième  siècle,  le  marquis  de 
Montferrat  et  Matthieu  de  Visconti,  seigneur  de  Milan,  s'en 
<lispulèrent  la  possession;  elle  finit  par  rester  au  pouvoir 
«les  Visconti,  et  fut  annexée  au  duclii-  de  Milan.  Montferrat 
(ut  enfermé  dans  une  cage  de  bois,  où  il  mourut  dix-huit 
ntois  après,  lui  1522  Alexandrie  fut  prise  d'assaut  el  livrée 
iui  pillage  par  le  duc  de  Sforze;  en  1G57  les  Français, 
«:ommandés  par  le  prince  de  Conti,  l'assiégèrent  inutile- 
ment; en  1707  le  prince  liugène  s'en  rendit  maître  après  un 
siège  long  et  meurtrier.  Plus  tard  l'empereur  Joseph  l*"" 
abandonna  celte  pi.ice  au  duc  de  Savoie-  Klie  passa  sous  la 
iloniinalion  française  en  1700.  La  France  la  perdit  ;  mais 
le  1(5  juin  1800,  après  la  bataille  de  M  aren  go,  le  général 
M ''las  y  conclut  avec  Donaparte  un  armistice  par  lequel 
il  lui  livra  l'Italie  supérieure  jusqu'au  Mincio.  En  1802  elle 
devint  ie  chef-lieu  du  d^-partement  de  Marengo.  En  1814 
(Ile  retourna  à  la  Sanlaigiie.  Aujourd'hui  Alexandrie  est  une 
ville  de  30,000  Am;\s.  Son  commerce  consiste  surtout  en 
toiles  et  en  étoffes  de  laine  et  de  coton.  Les  fortilications 
li'Alexandrie  se  composent  d'une  enceuite  bastionnée,  d'une 
riladelle  garnie  de  défenfes  extérieures,  et  d'une  tête  de 
pont  siu-  la  rive  droite  de  la  Bormida.  Un  pont  de  pierre 
reiie  la  citadelle  à  la  ville.  Aux  termes  de  l'armistice  conclu 
après  la  bataille  de  Xovar  re,  le  26  mars  1849  ,  les  Autri- 
chiens composèrent  la  moitié  de  la  garnison  d'Alexandrie 
jusqu'à  la  paix.  En  I8..16  les  fortilications  d'Alexandrie  fu- 
rent considérablement  augmentées,  et  une  souscription  pu- 
blique fut  ouverte  pour  l'armer  de  canons.  Pendant  la  cam- 
pagne d'Italie  elle  a  servi  de  premier  quartier  général  aux 
alliés,  et  de  pivot  à  leurs  opérations  contre  les  Autrichiens 
qui  s'étaient  approchés  de  ses  murs.  * 

ALEX-iVNDRir^',  épithète  qui  désigne  dans  la  poésie 
française  la  sorte  de  vers  affectée  depuis  longtemps,  et  vrai- 
fiend)lablement  pour  toujours,  aux  grandes  et  longues  com- 
positions, telles  que  le  poème  é[)ique  et  la  tragédie,  sans 
être  toutefois  exclue  des  ouvrages  de  moindre  baleine.  Le 
vers  alexandrin  est  divisé  par  un  repos  en  deux  parties 
qu'on  appelle  hémistiches.  Dans  le  vers  alexandrin,  mas- 
culin ou  féminin,  le  premier  hémistiche  n'a  jamais  que 
six  syllabes  qui  se  comptent  :  je  dis  qui  se  comptent,  parce 
que  s'il  arrive  que  cet  hémistiche  ait  sept  syllabes,  la  der- 
nière finira  par  un  e  muet  et  la  première  du  second  hémis- 
tiche commencera  par  une  voyelle  ou  par  une  h  non  aspirée, 
à  la  rencontre  de  laquelle  Ye  muet  s'élidant,  le  premier 
hémistiche  sera  réduit  à  six  syllabes.  Dans  le  vers  alexan- 
drin masculin,  le  second  hémistiche  n'a  non  plus  que  six 
syllalîes  qui  se  comptent,  dont  la  dernière  ne  peut  être  une 
syllable  muette.  Dans  le  vers  alexandrin  féminin,  le  second 
liémistiche  a  sept  syllabes,  dont  la  dernière  est  toujours  une 
syllabe  muette.  Le  nombre  et  la  gravité  forment  le  caractère 
de  ce  vers;  c'est  pourquoi  je  le  trouve  trop  éloigné  du  ton 
de  la  conversation  ordinaire  pour  être  employé  dans  la 
comédie.  Une  loi  commune  à  tout  vers  partagé  en  deux 
hémistiches,  et  principalement  au  vers  alexandrin,  c'est  que 
le  premier  hémistiche  ne  rime  point  avec  le  second  ni  avec 
aucmi  des  devix  du  vers  qui  précède  ou  qui  suit.  On  dit  que 
notre  vers  alexandrin  a  été  ainsi  nommé  ou  d'un  poème 
français  de  la  vie  d'Alexandre  (  roycc  Roman  d'ALEXANonr,), 
couiposo  en  cette  mesure  jiar  Aicxandrc  de  Paris,  Lambert 
Li  Cors,.Iean  le  Nivelais  et  autres  anciens  poètes,  ou  d'un 
poème  latin  intitulé  YAlcxandriade,  et  trarhiit  par  les  deux 
l)remiers  de  ces  poètes,  en  grands  vers,  en  vers  alexandrins, 
en  vers  héroïques;  car  toutes  ces  dénominations  sont  sy- 
nonymes, et  désignent  indistinctement  la  sorte  de  vers  que 
nous  venons  de  dctlnir. 


Le  vers  alexandrin  nous  tient  lieu  du  vers  hexamètre, 
et  h  sa  pince  nous  l'employons  dans  nos  po('mes  héroïques; 
mais  quant  au  nombre  et  au  mètre,  c'est  au  vers  asclé- 
p  i  ad  e  latin  que  notre  vers  héroïque  ré[)ond.  Il  en  a  la  coupe 
et  les  nombres,  avec  cette  seule  difféience  que  le  premier 
hémistiche  de  l'asclépiade  n'est  pas  essentiellement  séparé 
du  second  par  un  repos  dans  le  sens,  mais  seulement  par 
une  syllabe  qui  reste  en  suspens  après  le  second  pied. 

Plus  le  vers  héroïque  français  approche  de  l'asclépiade 
par  les  nombres,  et  plus  il  est  harmonieux.  Or  ces  nombres 
peuvent  s'imiter  de  plusieurs  façons,  ou  par  des  nombres 
semblables,  ou  par  des  équivalents. 

On  sait  que  les  nombres  de  l'asclépiade  sont  le  spondée 
et  le  dactyle ,  et  que  chacun  de  ces  deux  pieds  forme  une 
mesure  à  quatre  temps.  Ainsi,  toutes  les  fois  que  le  vers  hé- 
roïque français  se  divise  à  l'oreille  en  quatre  mesures  égales, 
que  ce  soient  des  spondées,  des  dactyles,  des  anapestes,  des 
dipyrriches ,  ou  des  amphibraches ,  il  a  le  rhythme  de  l'as- 
clépiade, quoiqu'il  n'en  ait  pas  les  nombres. 

Le  mélange  de  ces  éléments,  étant  libre  dans  nos  vers  fran- 
çais, les  rend  susceptibles  d'ime  variété  que  ne  peut  avoir 
l'asclépiade,  dont  les  nombres  sont  immuables.  Cependant 
nos  grands  vers  sont  encore  monotones,  et  celte  monotonie  a 
deux  causes  :  l'une,  parce  qu'on  ne  se  donne  pas  assez  de 
soin  pour  en  varier  les  repos;  l'autre,  parce  que,  dans  nos 
poèmes  héroïques,  les  vers  sont  rimes  deux  à  deux;  et  rien 
de  plus  fatigant  pour  l'oreille  que  ce  retour  périodique  de 
deux  finales  consounantes  répétées  mille  et  mille  fois. 

Il  serait  donc  à  souhaiter  qu'il  fût  permis,  surtout  dans 
un  poème  de  longue  haleine,  de  croiser  les  rimes,  en  don- 
nant, comme  a  fait  Malherbe,  une  rondeur  harmonieuse  à 
la  période  poétique.  Peut-être  serait-il  à  souhaiter  aussi  que, 
selon  le  caractère  des  images  et  des  sentiments  qu'on  aurait 
à  peindre,  il  fût  permis  de  varier  le  rhythme  et  d'entre- 
mêler, comme  a  tait  Quinault,  différentes  formes  de  vers. 

Marmontel. 

ALEXIEIVS.  Voyez  Lollhards. 

ALKXIPIIARMAQUE.  (du  grec  à)i|a),  je  repousse; 
çàppiaxov,  venin).  On  donnait  autrefois  ce  nom  à  des  re- 
mèdes propres  à  expulser  par  les  ouvertures  de  la  peau  le 
préfendu  poison  qui  troublait,  suivant  certains  systèmes 
médicaux,  les  fonctions  animales  dans  les  maladies  aiguës; 
en  ce  sens,  alexipliannaque  était  synonyme  de  sudori- 
fiqiie.  A  une  époque  plus  reculée ,  on  appelait  ainsi  tout 
remède  dont  la  vertu  principale  était  de  repousser  ou  de 
prévenir  les  effets  délétères  des  poisons  absorbés  intérieu- 
rement. 

ALEXIS  COAINÈIVE.  Voyez  Comnène. 

ALEXIS  { Le  Faux),  célèbre  imposteur  qui  au  douzième 
siècle,  sous  le  règne  d'Isaac  l'Ange ,  prince  aussi  faible  que 
vicieux,  profita  de  sa  ressemblance  extraordinaire  avec 
Alexis II,  fds  de  Manuel  Comnène,  pour  exploiter  le  mé- 
contentement des  populations  et  usurper  le  pouvoir  suprême. 
Azedd ,  sultan  d'Iconium  ,  «jui  favorisa  d'abord  sa  levée  de 
boucliers  faite  en  Asie,  parce  que  le  premier  il  avait  cru  à  la 
sincérité  de  ses  allégations  relativement  à  son  illustre  origine, 
l'abandonna  dès  qu'il  lut  désabusé.  Le  faux  Alexis,  grâce  à 
la  complète  incapacité  d'.\lexis  III,  n'en  parvint  pas  moins 
à  réunir  sous  ses  étendards  des  forces  assez  considérables; 
mais  ces  troupes ,  vil  ramassis  de  mahométans  et  de  pil- 
lards, ravagèrent  les  provinces  qu'elles  avaient  mission  de 
soumettre  à  leur  chef ,  et  les  profanations  ainsi  que  les 
excès  et  les  cruautés  de  toute  espèce  auxquels  elles  se  li- 
vraient excitèrent  bientôt  la  haine  et  le  fanatisme  des  ha- 
bitants. Aussi  un  moine,  interprète  de  l'indignation  générale, 
s'introduisit  à  la  faveur  de  la  nuit  dans  la  chambre  à  cou- 
cher du  faux  Alexis,  saisit  son  épée,  suspendue  au  chevet  de 
son  lit,  et  l'assassina.  Le  chef  de  la  révolte  mort,  sesadhérent* 
se  débandèrent,  et  quelques  jours  après  cette  armée  n'exis- 
tait plus  (an  de  J.-C.  1  llU  ). 


ALKXIS  —  ALFIERI 


203 


ALEXIS  MICÏÏAELOWiTCiI,czar  de  Moscovio. 
né  en  Ui;îO ,  succéda,  eu  lOlG,  à  son  père,  le  czar  Miclu-l 
Fœdoiowitch  RonianoC.  Son  long  règne  fut  troublé  par  des 
guerres  intestines  et  étrangères ,  et  il  lui  fallut  à  la  fois 
etoufler  des  révoltes  parmi  ses  sujets  et  combattre  les  l'o- 
lonais  et  les  Suédois.  S'il  reprit  les  places  et  les  provinces 
cétlées  aux  Polonais  sous  le  régne  précédent,  il  fut  moins 
heureux  contre  les  Suédois,  qui  le  battirent,  mais  dont  en 
définitive  il  repoussa  l'armée,  cpii  avait  envahi  la  Lithuanie. 
Un  soulèvement  des  Cosaciues  du  Don ,  (pii  avaient  pour 
chef  un  certain  StenKo-Razine  (  1009),  ébraida  d'abord  assez 
fortement  son  autorité.  Stenko,  à  la  tète  de  deux  cent  mille 
hommes  ,  s'empara  d'Astrakhan  ;  cependant  Alexis  réussit 
à  comprimer  entièrement  ce  mouvement  en  1671.  Trois  ans 
plus  tard  il  combattiiit  avec  les  Polonais  les  armées  du 
grand  seigneur,  et  aidait  au  célèbre  Jean  Sobieski  à  rem- 
porter la  victoire  de  Chokzim  (1G74  ).  Cette  alliance  des  deux 
peuples  contre  l'ennemi  commun  devait  pourtant  amener  des 
rivalités  entre  eux ,  puis  des  collisions  :  aussi  les  Polonais 
finirent-ils  par  s'emparer  de  l'Ukraine.  Alexis  Michaélowifch 
mourut  sur  ces  entrefaites  :  c'était  en  1677.  —  D'un  se- 
cond mariage  il  laissait  trois  fils,  dont  l'un  fut  le  célèbre 
Pierre  l",  et  cinq  filles.  —  Les  premières  années  du  règne 
d'Alexis  n'avaient  fait  présager  que  de  la  faiblesse ,  car  son 
gouverneur  Morousof,  qui  à  une  ambition  démesurée  joignait 
une  extrême  avarice ,  avait  profité  de  son  caractère  inap- 
pliqué et  de  son  extrême  jeunesse  pour  gouverner  en  son 
nom.  La  mauvaise  administration  de  cet  homme  excita  donc 
de  vifs  mécontentements  parmi  les  boyaids,  à  la  vengeance 
desquels  Alexis  eut  de  la  peine  à  le  soustraiw.  Mais  dès  (pie 
le  czar  eut  pris  en  main  les  rênes  du  gouvernement ,  il  fit 
preuve  d'autant  de  vigueur  que  de  capacité.  La  guerre  ne 
détourna  jamais  son  attention  des  affaires  intérieures  de 
l'empire  ;  il  favorisa  l'industrie,  dota  la  Russie  d'un  code  de 
lois,  et,  on  peut  le  dire,  fraya  la  voie  aux  réformes  autre- 
ment énergiques  et  puissantes  de  Pierre  le  Grand.  C'est  le 
premier  czar  qui  ait  entretenu  des  relations  diplomatiques 
avec  les  autres  puissances  de  l'Europe,  et  en  1052  il  noua 
avecla  Chine  les  premières  relations  commerciales  qui  eussent 
encore  existé  entre  les  deux  empires. 

ALEXIS  PÉTROWÏTCU ,  fils  aîné  de  Pierre  le 
Grand  etd'Eudoxie  Lapouchine,  né  à  Moscou,  le  18  février 
IC90,  témoigna  tant  d'aversion  pour  les  réformes  et  les  in- 
novations introduites  par  son  père,  que  celui-ci  résolut  de 
l'exclure  de  la  succession  au  trône.  Alexis  feignit  d'être 
parfaitement  content  d'une  telle  décision  ,  renonça  volon- 
tairement à  tous  ses  droits  à  la  couronne,  et  déclara  que  son 
intention  était  de  se  faire  moine.  Mais  quand  Pierre  le 
Grand  fut  parti  pour  son  second  voyage  dans  le  nord  de 
l'Europe,  Alexis  s'enfuit,  en  1717,  à  Vienne,  et  de  là  à  Naples, 
sous  prétexte  d'aller  rejoindre  son  père,  qui  l'avait  mandé 
auprès  de  lui.  Obéissant  aux  ordres  de  l'empereur  et  cédant 
aux  représentations  du  capitaine  des  gardes  Roumanzof  et 
du  conseiller  intime  Tolstoï,  envoyés  à  cet  effet  en  mission 
expresse  près  la  cour  de  Vienne,  Alexis  revint,  il  est  vrai, 
en  Russie  ;  mais  Pierre,  irrité,  considéra  ce  départ  furtif  comme 
un  crime  de  lèse-majesté ,  et  déshérita  son  fils  par  un  oukase 
en  date  du  2  février  1718.  Les  suites  de  la  procédure  enta- 
mée à  cette  occasion  ayant  fait  découvrir  qu'Alexis  avait  eu 
en  secret  le  projet  de  revenir  sur  son  acte  de  renonciation 
à  la  couronne  et  de  revendiquer  ses  droits  héréditaires , 
l'empereur  non-seulement  envoya  au  supphce  tous  ceux  qui 
avaient  pris  [)art  au  complot  tramé  par  son  fils ,  mais  encore 
le  fit  condamner  lui-même  à  la  i)eine  capitale,  et  commanda 
qu'on  lui  donnât  lecture  de  la  sentence  de  mort  rendue 
contre  lui  à  l'unanimité  i)ar  cent  quarante-quatre  juges.  En 
vain  on  annonça  peu  <]e  temps  après  à  cet  infortuné  que  son 
père  lui  faisait  grâce  de  la  vie  ,  l'impression  de  iirolonde  ter- 
reur proiluiti;  sur  son  esprit  par  tous  les  incidents  de  ce 
procès  eut  de  si  déplorables  suites  qu'il  mourut  à  quelques 


jours  de  \h,  le  7  juillet  (26  juin  )  1718.  Suivant  une  autre 
version,  il  aurait  été  décapité  dans  sa  prison;  et  l'un  des 
principiiux  acteurs  de  ce  drame  judiciaire  et  de  l'exécution 
(jui  le  termina  aurait  été  un  généra!  allemand  appelé  Adam 
Weid.  Afin  d'éviter  toute  apparence  d'injustice,  Pierre  le 
Grand  fit  publier  les  actes  du  procès.  Alexis  Petrowitcli 
laissait  de  sa  femme ,  Charlotte-Christine-Sophie ,  princesse 
de  Brunswick-Wolfenbuttel,  qui  eut  beaucoup  à  souffrir  de 
la  sauvage  violence  de  son  caractère,  et  morte  dès  l'année 
1715,  une  fille,  qui  mourut  en  1728,  et  un  fils,  qui  régna 
plus  tard  sous  le  nom  de  Pierre  11. 

ALEXISB AD ,  l'une  des  sources  ferrugineuses  les  plus 
riches  que  possède  l'Allemagne ,  située  dans  la  délicieuse 
vallée  de  Selke ,  dans  la  partie  du  Harz  dépendant  de  la 
principauté  d'Anhalt-Bernbourg ,  fut  organisé  comme  éta- 
blissement thermal  en  1810,  aux  frais  du  duc  Alexis-Frédéric- 
Cluistian  d'Anhalt-Bernbourg.  On  a  su  admirablement  tirer 
parti  des  avantages  naturels  de  la  localité,  afin  d'en  rehaus- 
ser encore  le  charme  par  de  charmantes  promenades  ;  et  les 
baigneurs  n'ont  que  l'embarras  du  choix  pour  se  procurer 
d'agréables  distractions  au  moyen  d'excursions  dans  les  en- 
virons, notamment  à  Victorshcehe ,  à  Rosstrappe,  à  Stuben- 
berg ,  à  Ballenstedt ,  à  Falkenstein,  au  Maigdesprung,  à 
Harzgerode  et  à  Josephshœhe.  Le  Mœgdesprung ,  situé  à 
trois  quarts  d'heure  de  distance  d'Alexisbad,  est  une  des 
forges  les  plus  considérables  de  l'Allemagne.  Indépendam- 
ment de  ses  délicieux  environs ,  il  est  célèbre  par  l'obélisque 
en  fer  fondu ,  haut  d'à  peu  près  dix-neuf  mètres ,  qui  y  a 
été  élevé,  le  3  août  1812,  en  l'honneur  du  créateur  de  cette 
usine,  le  prince  Frédéric- Albert ,  mort  en  179G.  Deux  em- 
preintes assez  semblables  à  celles  que  laisseraient  des  pieds, 
qu'on  voit  là  dans  un  rocher,  ont  donné  naissance  à  l'une 
des  légendes  populaires  du  Harz,  et  sont  l'origine  du  nom 
particulier  de  la  localité.  —  On  boit  rarement  l'eau  d'A- 
lexisbad, qu'on  emploie  plutôt  en  bains.  Dans  ce  cas  il  est 
bon  de  la  mélanger  avec  l'eau  de  Beringerbad,  autre  source 
située  à  trois  quarts  de  lieue  de  là,  à  Suderode  ;  et  elle  est 
alors  efficace  surtout  contre  les  scrofules  et  le  rachitisme.  On 
distingue  à  Alexisbad  les  trois  sources  de  Selke ,  d'Alexis  et 
d'Ema.  Gra^fe  est  le  premier  qui  ait  analysé  ces  eaux  dans 
un  Mémoire  sur  les  eaux  ferrugineuses  et  salines  de  la 
vallée  de  Selken  dans  le  Harz  (Leipzig,  1809). 

ALEXITERE  (du  grec  àXé^u,  je  repousse;  Ovi?,  bâte 
venimeuse).  Ce  mot  était  usité  autrefois  pour  indiquer  un 
remède  employé  contre  la  morsure  des  animaux  venimeux. 
ALÈZE,  ALÈSE  ou  ALAISE,  pièce  de  toile  pliée  en  plu- 
sieurs doubles  dont  on  garnit  le  lit  des  malades  pendant  ou 
après  certaines  opérations  chirurgicales. 
ALFA.  Voyez  Spart, 

ALFAQUÎNS, prêtres  maures  cachés  en  Espagne  après 
l'expulsion  de  leurs  compatriotes.  C'étaient  des  mission- 
naires musulmans  qui  prêchaient  les  chrétiens  en  secret, 
les  retenaient  ou  les  attiraient  dans  l'islamisme,  et  qui, 
déclamant  surtout  contre  l'exercice  et  l'autorité  de  l'inqui- 
sition, étaient,  avec  les  juifs,  les  figurants  les  plus  ordi- 
naires des  auto-da-fé. 

ALFARABÏ  (Auoi'-Nasr  Mohammed  Icn-Tarkuan  ) 
naquit,  au  commencement  du  dixième  siècle,  à  Farab,  ville  de 
la  Transoxiane,  d'où  il  prit  son  nom.  C'est  un  des  plus  grands 
philosophes  dont  s'enorgueillisse  la  civilisation  musulmane.  A 
commenta  Arislole,  et  a  laissé  des  traités  sur  les  Principes 
de  lanalure,  VEssencede l'âme,  ïa  Logique el  \3i  Musique, 
ainsi  qu'une  Encgclopédie  des  Sciences.  11  mourut  en  950. 
Avicenne  a  beaucoup  emprunté  à  Alfarabi. 

ALFBERI  (ViTTOKio,  comte  d')  naquit  en  t7-'i9,  à  Asti, 
en  Piéuiont,  de  parents  nobles  et  riches.  Son  oncle  Pellegri- 
no  Alficri,  gouverneur  de  Coni,  qui  était  en  niême  temps  son 
tuteur,  le  pinça  à  Tiicadémie  deTinin  ;  mais  Alfieri  «i  sor- 
tit à  peu  près  aussi  ignorant  qu'il  y  était  entré,  et  fut  lait 
presque  aussitôt  officier  dans  un  régiment  provincial,  qui  ue  sa 

38. 


300 

ri^unissait  qu'une  fois  par  an,  et  seulement  pour  peu  de  jours. 
Poussé  par  un  vague  désir  (le  voir  le  inonde,  Alfieri  parcourut 
l'Italie,  la  France,  l'Anglef  erre  et  la  Hollande.  A  peine  de  re- 
tour, l'ennui  que  lui  c;insait  l'étude  de  la  i)iiilosopliie,  qu'il  ve- 
nait d'entreprendre,  le  détermina  à  faire  de  nouveaux  voyages; 
il  vit,  pour  ainsi  dire,  au  gidop  presque  tous  les  pays  de 
rijirope,  sans  rien  observer,  sans  rien  apprendre.  Mais,  quoi- 
qu'il n'eiH  retiré  aucun  fruit  de  ses  voyages  pour  son  ins- 
truction, ils  eurent  une  puissante  influence  sur  son  carac- 
tère ;  ils  lui  furent  utiles  sous  un  autre  rapport  :  l'aspect 
de  tant  de  i)euples  avilis  par  le  despotisme  révolta  son  àmc 
lière  et  indépendante ,  et  lui  inspira  cette  haine  énergique 
de  la  tyrannie,  cet  ardent  amour  de  la  liberté,  qui  sont  le  ca- 
ractère distinclif  de  sa  poésie.  Quoiqu'il  fût  encore  incertain 
sur  le  choix  d'une  carrière,  Alfieri  se  hâta  de  (piilter  le  ser- 
vice. Pendant  quelque  temps  il  mena  une  vie  entièrement 
désœuvrée.  Bientôt  une  passion  violente  pour  une  femme 
qui  n'en  était  pas  digne  enchaîna  toutes  les  facultés  de  ce 
vigoureux  génie. 

Ayant  réussi,  après  de  longs  et  cruels  combats,  à  briser 
c^s  iionteux  liens,  la  liberté  iidellectuelle  et  morale  qu'il  ve- 
nait de  reconquérir  lui  fit  sentir  d'autant  i)lus  vivement  le 
besoin  de  fournir  un  aliment  à  l'activité  de  son  esprit.  Un 
essai  dramatique  qu'il  avait  tenté  quelques  années  aupara- 
vant, dans  \\n  moment  d'ennui ,  lui  étant  tombé  par  liasard 
entre  les  mains,  il  crut  entendre  comme  une  voix  intérieure 
qui  lui  révélait  sa  vocation  pour  la  poésie  dramatique.  11  se 
mit  aussitôt  à  l'ouvrage.  Sa  première  tragédie,  Clcopâlre, 
obtint  uu  succès  qu'elle  était  loin  de  mériter,  ainsi  qu'une 
petite  pièce  intitulée  les  Poêles,  dans  laquelle  il  faisait  lui- 
même  la  critique  de  sa  tragédie.  A  l'âge  de  vingt-sept  ans  , 
Alfieri  prit  avec  lui-même  l'engagement  solennel  de  se  con- 
sacrer tout  entier  au  théâtre.  C'est  alors  que,  mesurant  ses 
forces  et  ses  moyens,  son  ignorance  se  montra  pour  la  pre- 
mière fois  à  ses  yeux  dans  toute  son  étendue.  Il  eut  le  cou- 
rage de  se  remettre  aux  premiers  éléments  de  la  grammaire 
latine,  puis  il  se  rendit  à  Florence  pour  s'adonner  à  l'étude 
du  pur  idiome  toscan.  C'est  à  Florence  qu'il  rencontra 
Louise  Stolherg,  comtesse  d'Albany,  femme  du  préteudiuit 
d'Angleterre.  Cette  femme  distinguée  lui  inspira  un  attache- 
ment passionné;  elle  méritait  d'être  aimée  par  une  àme 
aussi  belle,  aussi  généreuse  que  celle  d'.MIieri.  Cet  amour , 
qui  ne  s'éteignit  plus  qu'avec  sa  vie,  enflamma  de  plus  en 
plus  son  entliousiasme  pour  la  poésie.  Pour  vivre  tout  à  fait 
ifldcjiendaiit,  pour  pouvoir  consacrer  tous  ses  instants  à 
l'étude  et  à  la  composition,  il  céda  sa  fortune  à  sa  sœur 
contre  une  rente  modique.  Il  vécut  alternativement  à  Rome 
et  à  Florence,  et  acheva,  en  moins  de  sept  années,  quatorze 
tragédies  ■.Philippe  II,  Polyvice,  Antigone, Agcmemnon, 
Virginie,  Oreslc,  la  ConjuraUon  des  Pazzi ,  Don  Garcia, 
Rosemonde,  Marie  Sluart,  Timoléon,  Octavie,  Mérope, 
Saùl.  11  fit  encore  paraître  plusieurs  autres  ouvrages ,  soit 
en  prose,  tels  que  le  Trailé  de  la  Tyrannie  et  la  Traduc- 
tion de  Salluste  ;  soit  en  vers,  comme  l'Élrurie  vengc'e, 
poème  en  quatre  chants,  et  les  cinq  Odes  sur  la  révolution 
de  l'Amérique  du  i\ord. 

Quand  la  comtesse  d'.\lbany  se  trouva  libre  par  la  mort 
de  son  époux,  les  deux  amants  se  réunirent  pour  ne  plus  se 
sé[mrer,  et  vécurent  soit  à  Pari»,  soit  en  Alsace.  Alfieri  écri- 
vit Agis  ,  Sophonisbe,  Myrrha  et  les  Deux  Brutus,  en 
même  fenips  qu'il  rédigeait  son  Traité  du  Prince  et  des 
Leltres,  le  Panégyrique  de  Trajan,  la  Vertu  méconnue,  et 
l'Amérique  libre. 

Alfieri  salua  avec  enthousiasme  la  révolution  française,  et 
célébra  le  triomphe  de  la  liberté  dans  une  ocle  sur  la  prise 
de  la  Bnstille  (  Pariyi  Sbastiglialo  ) .  Mais  son  àme  généreuse 
s'indigna  des  excès  qui  vinrent  souiller  la  cause  populaire; 
il  quitta  la  France,  et  se  rendit  en  Angleterre  :  la  baisse  des 
assignats  le  força  de  revenir  à  Paris  vers  la  fin  d'août  17y3; 
il  éciiappa  par  la  fuite  aux  massacres  de  septembre.  II  per- 


ALFIERI 

dit  ses  li\Tes  et  la  plus  grande  partie  de  ses  tragédies,  qirt 
venaient  de  paraître  chez  Didot ,  en  cinq  volumes.  A  cette 
époque  il  se  fixa  à  Florence.  Il  avait  conçu  une  haine  vio- 
lente pour  la  France,  qui  l'avait  si  mal  récompensé  ;  les  évé- 
nements survenus  dans  l'année  179S  en  Italie  lui  inspirè- 
rent une  satire  amère,  intitulée  Miso-Gallo.  A  cinquante  ans 
il  entreprit  d'apprendre  le  grec;  il  y  réussit  parfaitement.  Il 
avait  conçu  une  si  grande  admiration  pour  Homère,  qu'il 
voulut  créer  un  ordre  de  chevalerie  en  son  honneur.  Les  in- 
signes étaient  un  collier  en  pierres  bleues,  sur  lesquelles 
étaient  gravés  les  noms  de  vingt-trois  poètes  anciens  et  mo- 
dernes. Au  bas  était  suspendu  un  camée  représentant  les 
traits  d'Homère. 

Alfieri  mourut  le  8  octobre  1803.  Il  est  enterré  à  Flo- 
rence, dans  l'église  de  la  Croix.  Son  tombeau,  chef-d'œuvre 
de  Canova,  est  placé  entre  celui  de  Machiavel  et  celui  de 
Micliel-Ange. 

Comme  poète  dramatique,  Alfieri  s'est  essayé  danstr  ois  gen- 
res différents.  On  a  de  lui  vingtet  une  tragédies,  six  comédies, 
et  une  œuvre  à  laquelle  il  a  donné  le  nom  de  Tramélogédie. 
]Mais  tous  ces  ouvrages  trahissent  l'absence  de  spontanéité 
en  même  temps  que  cette  opiniâtreté  avec  laquelle  il  faisait 
violence  à  lui-même  et  à  l'art.  Il  s'était  imposé  la  règle, 
ainsi  qu'il  le  raconte  lui-même  dans  sa  vie ,  de  ne  jamais 
lire  de  poète,  afin  de  ne  point  déflorer  la  virginité  de  sa 
propre  muse.  Son  inspiration  était  bien  plutôt  politique  que 
poétique.  Voulant  réveiller  l'amour  de  la  liberté  dans  des 
cœurs  engourdis,  il  considérait  le  théâtre  comme  une  école  où 
le  peuple  devait  venir  apprendre  à  être  libre,  fort  et  noble. 
Gœthe  définit  admirablement  cette  ivresse  de  la  liberté  dans 
laquelle  il  vivait,  quand  il  dit  :  «  Les  pièces  d'Alfieri  s'ex- 
«  pliquent  par  sa  vie.  Il  tourmente  ses  lecteurs  et  ses  audi- 
■I  leurs ,  de  même  qu'il  se  tourmentait  lui-même  comme 
«  auteur.  Nature  esseutiellement  aristocratique,  il  ne  haïssait 
«  tant  les  tyrans  que  parce  qu'il  se  sentait  en  lui-même  une 
«  veine  de  tyran.  Cette  nature  de  gentilhomme  et  d'homme 
«  de  course  trahit  d'une  façon  fort  comique  sur  la  fin  de  sa 
«  vie,  alors  qu'il  n'imagine  pas  de  meilleur  moyen  de  ré- 
«  compenser  son  propre  mérite  que  de  créer  un  ordre  de 
«  chevalerie  spécialement  à  son  usage.  »  Alfieri  avait  la 
prétention  de  ne  produire  de  l'effet  qu'en  employant  les 
moyens  les  plus  simples.  Il  renonça  à  toute  espèce  d'orne- 
mentation ,  pour  ne  plaire  que  par  une  virile  gravité.  Ses 
tragédies  sont  froides  et  roides ,  ses  plans  d'une  simplicité 
qui  va  jusqu'à  la  pauvreté ,  ses  vers  durs  et  désagréables  à 
l'oreille.  Son  style  manque  en  outre  complètement  de  ce 
magique  éclat  à  l'aide  duquel  seulement  le  poète  peut  aller 
jusqu'au  plus  profond  des  cœurs. 

Les  services  qu' Alfieri  rencUt  à  la  tragédie  italienne  n'en 
sont  pas  moins  immenses ,  et  ont  été  célébrés  à  bon  droit 
par  ses  compatriotes ,  encore  bien  qu'il  y  ait  eu  pendant 
quelque  temps  de  l'exagération  dans  leurs  éloges.  Le 
grand  mérite  de  cet  écrivain  consiste  à  avoir  su  faire  jus- 
tice du  goi'it  efféminé  qui  dominait  à  l'époque  où  parurent 
ses  premiers  essais ,  et  de  la  pédanterie  qui  portait  alors  les 
poètes  à  prendre  servilement  les  Grecs  jwur  modèles.  Ceux 
qui  vinrent  après  lui  s'efforcèrent  de  reproduire  dans  leurs 
œu\Tes  sa  mâle  vigueur  et  sa  simplicité. 

Dans  la  comédie,  la  direction  d'Alfieri  est  tout  à  fait 
grave,  et  le  plus  souvent  aussi  politique.  L'invention  chez 
lui  est  vide ,  l'intrigue  sans  intérêt ,  et ,  comme  dans  ses 
tragédies ,  les  caractères ,  qui  ne  sont  que  des  contours  gé- 
néraux ,  manquent  d'individualité  ;  ses  comédies  sont  donc 
encore  bien  inférieures  à  ses  tragédies. 

Le  meilleur  de  ses  ouvrages  dramatiques  paraît  être  son 
Abel,  production  qu'il  a  appelée  tramélogédie,  pour  lui 
donner  sans  doute  un  nom  répondant  à  tous  égards  à  son 
éiiangelé.  Alfieri,  inventeur  de  ce  genre  bâtard,  tenant  le 
milieu  entre  la  tragédie  et  l'opéra,  s'était  proposé  de  com- 
poser six  pièces  de  ce  genre. 


ALFIERI  -  ALFRED  LE  GRAND 


301 


Outre  ces  ouvrages  dramaliiines  originaux ,  on  a  de  lui 
on  |Kieuie  (5pi«iue  eu  quatre  chants,  iilusieurs  poèmes  ly- 
riques, seize  satires,  et  quelques  traductions  en  vers  de 
passages  de  Tt^rence,  de  Virgile,  d'Eschyle,  de  Sophocle, 
d'F.uripide" et  d'Aristophane.  Après  sa  mort,  ou  lit  paraître 
son  Miso-Gallo  ,  monument  de  la  haine  qu'il  avait  vouée  à 
la  nation  française,  ses  (lùivres  conipkHes  (37  volumes, 
Padoue  et  lîrescia,  1 800-18 10),  et  son  autobiographie,  ou- 
vrage à  l'aide  duquel  on  apprend  à  connaître  Tindividualité 
de  cet  écrivain. 

La  collection  des  Œuvres  complètes  d'AIfieri  aétépuhliée 
plusieurs  fois  en  Italie.  Une  édition  en  22  vol.  in-S"  a  été 
imprimée  à  Paris.  Les  tragédies  forment  G  vol.  in-8".  Pe- 
titot  et  J.-A.  de  Gourbillon  en  ont  donne  une  traduction. 

ALFORT,  petit  village  du  département  de  la  Seine, 
à  8  kil.  sud-est  de  Paris,  sur  la  rive  gauche  de  la  !\k»rne, 
avant  700  habitants,  doit  son  impof tance  à  l'École  impériale 
vétérinaire  qui  y  existe. 

V École  d'AI/orf  tire  son  nom  d'un  ancien  château  où  elle 
fut  établie  dés  l'origine.  Ce  château ,  érigé  autrefois  en  (ief 
>ous*le  nom  de  Maisonville ,  fut  acheté  du  baron  de  Bor- 
nies,  en  17C5,  par  le  ministre  des  finances  Bertin.  C'est  là 
que  ce  ministre  (onda,  sur  les  plans  de  Bourgelat,  l'école 
vétérinaire  qui  devait  bientôt  faire  oublier  celle  de  Lyon. 
Aucune  dépense  ne  fut  épargnée  dès  le  principe  pour  lui 
donner  des  développements  et  même  de  l'éclat.  Bour- 
gelat fut  chargé  de  sa  direction ,  et  les  plus  savants  pro- 
fesseurs y  furent  appelés.  Broussenet  et  Daubenton 
y  donnaient  des  leçons  d'agriculture  et  d'économie  rurale; 
Vicq-d'Azyr,  d'anatoniie  comparée;  Fourcroy  y  dé- 
montrait la  chimie  ;  un  peintre  de  réputation  y  enseignait 
l'art  de  représenter  fidèlement  les  animaux.  Un  amphithéâtre 
magnifique ,  un  riche  laboratoire  de  chimie ,  des  troupeaux 
fins,  un  cabinet  dhistoire  naturelle,  furent  accordés  avec 
magnificence.  Des  encouragements  furent  donnés  aux  élèves. 
En  17C9  un  ordre  du  ministre  de  la  guerre  enjoignit  à  tous 
les  colonels  de  cavalerie  de  détacher  chacun  un  sujet  pour 
être  instruit  dans  l'art  vétéiinaire ,  afin  d'exercer  ensuite  cet 
art  avec  le  grade  de  maréchal-des-logis.  Bourgelat  étant  mort 
en  1779 ,  Chabert ,  son  élève,  lui  succéda.  Depuis  cette  époque 
l'école  d'Alfort  n'a  cessé  de  recevoir  des  agrandissements 
et  des  améliorations.  Son  jardin  botanique  est  un  des  plus 
beaux  de  l'Europe ,  et  ses  collections  d'histoire  naturelle  et 
d'anatomie  se  sont  considérablement  augmentées.  Elle  ren- 
ferme des  hôpitaux  où  l'on  soigne ,  moyennant  rétribution , 
les  animaux  malades  qui  y  sont  amenés  par  les  particuliers. 
On  admire  dans  ses  bergeries  un  superbe  troupeau  de  mé- 
rinos et  de  chèvres  de  Cachemire.  Une  machine  hydraulique 
de  Perrier  fournit  à  l'établissement  toute  l'eau  dont  il  a  be- 
soin. Le  ministre  de  la  guerre  entretient  aujourd'hui  à  cette 
école  quarante  élèves  militaires  pour  le  service  des  corps 
de  troupes  à  cheval.  Les  cours  y  sont  faits  par  six  pro- 
fesseurs. 

ALFRAGAN  (Ahmed-Bf.n-Ketiu),  né  à  Ferganah, 
TÏfle  de  la  Sogdiane ,  prit  part ,  selon  toute  apparence ,  à  la 
révision  des  Tables  astronomiques  de  Ptoléméc,  ordonnée 
par  le  khalife  Almamoun,  vers  825  de  J.-C.  Il  composa  plu- 
sieurs traités  sur  VobliquUé  de  V ccUptique ,  sur  la  cons- 
truction de  l'astrolabe,  les  cadrans  solaires,  etc.  Ses 
éléments  d'astronomie  nous  sont  seuls  parvenus.  Ils  furent 
traduits  au  douzième  siècle  par  Jean  Hispalensis;  cette  tra- 
duction a  été  imprimée  à  Ferrare  en  14"J3  ,  et  à  Nuremberg 
en  1537,  avec  une  lettre  de  Mélanchthon,  servant  de  préface, 
et  un  discours  de  Régiômontan.  Christmann  en  publia  une 
seconde,  faite  par  Frédéric,  moine  de  P.alisbonne,  en  1447, 
ou  d'après  une  version  hébraïque  du  juif  J.  Anloli;  et  Go- 
iius,  une  troisième  en  1GG9,  avec  un  commentaire  rempli 
de  faits  et  de  remarques  intéressantes,  que  la  moil  ne  lui 
permit  pas  de  compléter.  Delambre ,  dans  son  JJistoire  de 
l'Astronomie  aie  vioyen  dge,  nous  a  donné  une  analyse  fort 


exacte  du  traité  d'Alfragan  ;  seulement  il  s'est  trompé  en 
le  plaçant,  avec  Christmann,  parmi  les  écrivains  arabes  du 
neuvième  siècle  :  il  florissait  cinquante  ans  avant  Albatégni, 
et  Ebn  Jounis  le  cite  connue  l'un  des  auteurs  de  la  Table 
vcri/iée,  qui  pendant  deux  cents  ans  a  servi  de  hase  aux 
grands  travaux  des  astronomes  de  Bagdad,  ctqu'Aboul- 
wefa  devait  revoir  et  compléter  vers  l'an  980  de  notre  ère. 

L.-Am.  Skdillot. 

ALFRED  LE  GRAND,  sixième  roi  d'Angleterre  de  la 
dynastie  saxonne,  né  en  849,  à  Wantage,  dans  le  Berkshire, 
était  le  plus  jeune  des  cinq  fils  d'Ëthehvolt'.  Son  ptîre,  qui  avait 
pour  lui  une  prédilection  particulière  ,  l'envoya  tout  enfant  à 
Rome,  et  le  fit  couronner  par  le  pape.  Quelque  temps  après, 
il  l'emmena  à  la  cour  (ie  France,  où  il  allait  épouser  Judith, 
fille  de  Charles  le  Chauve.  Mais  ils  furent  bientôt  rappelés 
tous  deux  par  une  révolte  qui  venait  d'éclater  en  Angleterre 
dans  le  sein  même  de  la  famille  royale.  Éthelbald,  le  fils  aîné 
d'Éthelwolf,  était  à  la  tète  des  rebelles;  une  réconciliation 
entre  le  père  et  le  fils,  devenus  rivaux,  épargna  au  pays  une 
guerre  civile,  et  la  mort  ne  tarda  pas  à  les  faire  disparaître 
l'un  et  l'autre.  Alfred  succéda  en  871  à  son  frère  Ethelred, 
qui  lui  avait  confié  le  commandement  des  troupes  et  les 
rênes  de  l'administration  ,  et  dont  la  mort  le  laissa  à  vingt- 
trois  ans  maître  d'un  royaume  presque  entièrement  envahi 
par  les  Danois. 

Les  premières  tentatives  d'Alfred  pour  combattre  les  op- 
presseurs de  sa  patrie  ne  furent  pas  heureuses.  Accablé  par 
le  nombre ,  abandonné  des  siens  dans  leur  découragement, 
réduit  à  prendre  la  fuite,  U  résolut  d'attendre  dans  la  plus 
profonde  obscurité  le  moment  favorable  de  délivrer  sa 
patrie;  il  se  mit  au  service  d'un  pâtre.  Un  an  s'était  à  peine 
écoulé  que  les  Anglais,  impatients  du  joug  qui  les  opprimait, 
songèrent  à  reprendre  les  armes  et  à  profiter  des  divisions 
de  lems  ennemis.  Instruit  de  ce  qui  se  passait,  Alfred 
conçoit  et  exécute  le  hardi  projet  de  pénétrer  dans  le  camp 
danois.  Sous  le  costume  d'un  barde ,  une  harpe  à  la  main , 
il  se  mêle  parmi  les  soldats ,  s'introduit  auprès  des  chefs , 
gagne  leur  confiance  par  l'affabilité  de  ses  manières,  assiste 
à  leurs  repas  et  à  leurs  conseils,  et,  après  avoir  pénétré 
leurs  projets  et  leurs  moyens  ,  il  revient  à  la  tète  d'une  poi- 
gnée de  braves  porter  le  carnage  et  la  mort  dans  ce  même 
camp  qu'il  charmait  naguère  par  ses  accords  mélodieux.  Ce 
premier  succès  fut  pour  l'Angleterre  le  signal  de  la  liberté; 
les  Danois  furent  repoussés  de  toutes  parts ,  et  Alfred ,  trop 
habile  pour  ranimer  leur  courage  en  les  réduisant  au  déses- 
poir, renversa  leur  domination  à  force  de  générosité.  Tous 
ceux  qui  voulurent  se  soumettre  et  embrasser  le  christia- 
nisme eurent  la  permission  de  rester  en  Angleterre  ;  les  au- 
tres purent  regagner  librement  leur  pays  sous  la  conduite 
d'un  chef  qu'il  leur  désigna  ;  enfin ,  ceux  qui  entreprirent  de 
lui  résister,  battus  devant  Rochester  et  chassés  de  Londres, 
cherchèrent  vainement  un  refuge  sur  leurs  vaisseaux ,  où  la 
flotte  anglaise,  qu'il  avait  créée,  acheva  de  les  anéantir. 
Tranquille  au  dedans,  sans  crainte  du  dehors,  Alfred  ne 
s'occupa  plus  que  de  la  civilisation  et  du  bonheur  de  ses 
sujets.  Il  voulut  faire  de  l'Angleterre  un  seul  royaume,  régi 
par  une  administration  et  des  lois  uniformes.  L'union  des 
tribus  saxonnes,  qui  sousEgbert  n'avait  été  que  nomi- 
nale, fut  réalisée  par  Alfred.  En  893  il  eut  encore  à  combattre 
une  invasion  des  Danois  commandés  par  Hasting.  11  mou- 
rut en  900  ,  un  an  après  avoir  déposé  les  armes. 

Alfred  le  Grand  avait  pris  pour  modèle  Charlemagne  :  il  ne 
lui  est  pas  resté  inférieur.  Ses  mesures  administratives  .sont 
mieux  connues  que  ses  actes  législatifs.  Les  plus  belles  insti- 
tutions anglaises  lui  sont  attribuées,  le  jury  entre  autres .  Per- 
suadé que  le  meilleur  moyen  de  rendre  les  hommes  heureux 
est  de  les  éclairer,  il  établit  l'université  d'Oxford ,  et  y  fonda 
une  bibliothèque  d'ouvrages  qu'il  fit  venir  de  Rome.  Le 
meilleur  historien  de  son  siècle,  et  poète  remarquable,  il 
encouragea  les  lettres,  protégea  les  crts,  attira  les  savants 


302 


h  sa  cour,  et  fil  sortir  la  nation  anglaise  de  l't^tat  (rapatliie 
où  l'avait  [)longre  le  desi)otisiiic  harbanr  des  Danois.  Jamais 
prince  ne  lit  tant  pour  son  pcuide,  et  Voltaire  Ta  bien  jugé 
lors(iii'il  a  dit,  avec  autant  de  force  que  de  vérité  :  "  .le  ne 
sais  s'il  y  a  jamais  eu  sur  la  terre  un  homme  plus  dii;ne  des 
respects  de  la  postérité  qu'Alfred  le  Grand.  L'histoire,  qui 
d'ailleurs  ne  lui  reproche  ni  défauts  ni  faiblesse,  le  met  au 
premier  rang  des  héros  utiles  au  genre  humain,  qui,  sans 
ces  hommes  extraordinaires,  eut  toujours  été  semblable  aux 
bûtes  farouches.  >.  —  .\lfred  le  Grand  fut  enseveli  dans  le 
monastère  <le  Winchester,  (in'il  faisait  bâtir.  M.  G.Gui/ot  a 
fait  paraître  en  1850  une  étude  sur  Alfred  le  Grand. 

ALGALIE,  nom  d'un  instrument  de  chirurgie,  servant 
à  donner  issue  à  l'urine  quand  elle  est  retenue  et  accumulée 
dans  la  vewie  par  un  eflet  commun  à  plusieurs  maladies 
dilTérentes.  C'est  à  tort  que ,  dans  l'usage  commun ,  on  sub- 
stitue à  ce  mot  celui  de  sonde.  L'action  d'introduire  une 
algalie  dans  la  vessie  s'appelle  Cfl^/i  é^^  ris  ?>ie.  —  Il  n'est 
pas  certain  que  les  Grecs  connussent  l'emploi  de  l'algalie 
dans  les  maladies  des  voies  nrinaires;  mais  nous  savons 
positivement  que  les  Latins  en  faisaient  usage.  En  effet , 
Celse  recommande  de  se  servir  de  cet  instrument  dans  la 
rétention  d'urine,  provenant  soit  de  débilité  sénile,  soit 
d'un  calcul  vésical,  ou  encore  d'un  état  inflammatoire;  et 
il  décrit  très-bien  la  manière  dont  on  doit  l'introduire.  La 
forme  et  le  volume  des  algalies  varient  suivant  les  circons- 
tances, de  mi'me  que  la  matière  dont  on  les  fabrique,  sui- 
vant qu'on  les  veut  flexibles  ou  solides.  On  en  fait  en  gomme 
élastique ,  en  argent  et  en  platine  ;  mais  les  premières , 
d'invention  encore  assez  récente ,  sont  préférables  aux  al- 
galies métalliques ,  et  peuvent  être  regardées  comme  une 
des  plus  belles  inventions  de  la  chirurgie  moderne. 

ALGAIIDI  (  Alessandro  ),  en  français  VAlqarde,  cé- 
lèbre sculpteur,  né  à  Bologne,  en  IGÛ'2,  d'une  bonne  famille, 
se  forma  sous  la  direction  de  Louis  Carrache.  A  l'ûge  de 
vingt  ans ,  l'Algarde  se  rendit  à  Mantoue ,  où  il  s'exerça  à 
mouler  en  plâtre ,  d'aiirès  les  célèbres  tableaux  de  Jules 
Romain.  Ces  essais  donnèrent  une  fausse  direction  à  son 
talent.  Le  désir  de  se  perfectionner  dans  son  art  le  con- 
duisit à  Venise,  et  de  là  à  Rome.  Le  cardinal  Ludovisi, 
auquel  il  avait  été  recommandé  par  le  duc  de  IMantoue , 
donna  de  l'occupation  au  jeune  artiste,  et  lui  fit  faire  la 
connaissance  du  Dominiquin.  Pour  gagner  sa  vie  ,  Algardi 
confectionnait  des  modèles  en  cire  pour  les  orfèvres ,  et 
restaurait  les  statues  endommagées.  La  statue  de  sainte 
Madeleine  ,  qu'il  lit  pour  l'église  Saiut-Silvestie  au  mont 
Quirinal ,  fonda  sa  réputation.  Bientôt  les  cardinaux  et  les 
princes  s'empressèrent  de  lui  commander  des  ouvrages  :  ia 
cour  de  France  chercha  à  l'attirer  à  Paris  ;  mais  Algardi 
préféra  rester  à  Rome,  où  il  mourut  le  10  juin  1G54  ;  il  est 
enterré  à  l'église  San-Giovanni  de  Bolognesi.  La  production 
la  plus  célèbre  de  l'Algarde  est  un  bas-relief  en  marbre, 
représentant  la  fuite  d'Attila,  qu'on  voit  à  Saint-Pierre,  au- 
dessns  de  l'autel  de  Saint-Léon.  11  n'a  pas  fallu  moins  de 
génie  à  l'Algarde  pour  tirer  du  marbre  une  telle  composition 
qu'à  Raphaël  pour  traiter  sur  la  toile  le  même  sujet.  Son 
exécution  fut  même  si  parfaite ,  qu'il  parut  avoir  trouvé  le 
clair-obscur  avec  son  ciseau.  Les  figures  du  premier  plan 
sont  presque  de  ronde-bosse  ;  ce  sont  de  véritables  statues. 
Celles  qu'il  a  placées  derrière  ont  moins  de  relief,  et  leurs 
traits  sont  plus  ou  moins  marcpiés  suivant  qu'elles  s'enfon- 
cent ))lus  ou  moins  dans  le  lointain  ;  cnlin  la  composition  liait 
par  plusieurs  figures  dessinées  au  trait  sur  le  marbre.  Sa  sta- 
tue représentant  le  dieu  du  Sommeil  a  souvent  passé  pour 
un  ouvrage  de  l'antiquité.  —  Il  existe  un  giand  nombre  de 
gravnrcs  de  la  Fiiile  d'Attila.  La  dernière  a  paru  dans  la 
Stnrifi  dcHfi  Scoltiira,  par  Cicognara. 

AL(iAl\OïiI  (  Poudre  d'),  ainsi  appelée  du  nom  de 
son  inventeur,  et  cpi'on  employait  autrefois  comme  émé- 
tiqiie  cl  piirijalil".  On  l'obtieiit  en  Uaitanl  le  chlorure  d'anti- 


AL^RED  LE  GRA^'D  —  ALGARVE 

moine  par  l'eau  ,  opc-iation  dans  laquelle  il  se  forme  un 


précipité  blauc ,   pulvérulent ,   d'oxychlonire  d'antimoine, 
On  lui  donnait  aussi  le  nom  de  mercure  de  vie. 

ALGAIlOTTi  (  lMiANCh:sco  ,  comie  d'),  auteur  italien 
qui  a  réuni  le  gnùt  des  sciences  à  la  culture  des  arts  et  des 
lettres,  naquit  à  Venise,  le  11  décembre  1712.  Il  lit  ses  étu- 
des à  Rome ,  à  Venise  et  à  Bologne  ;  ses  progrès  dans  les 
matliémati(]iies,  l'astronomie,  la  philosophie  et  la  phy- 
sique, furent  des  plus  rapides.  Il  s'adonna  ]ilus  particulière- 
ment à  celte  dernière  science,  ainsi  (pi'a  l'anatomie.  Alga- 
rotti  savait  très-bien  le  latin  et  le  grec,  et  donna  toute  son 
attention  à  la  langue  toscane.  Il  visita  la  France ,  l'Angle- 
terre, la  Russie,  l'Allemagne,  la  Prusse  et  toutes  les  villes 
importantes  de  l'Italie.  A  l'âge  de  vingt  ans  il  écrivit  à 
Paris  la  plus  grande  partie  de  son  Neutonianismo  per  le 
donne  (  1737  ) ,  à  l'imitation  de  la  Pluralité  des  Mondes , 
de  Fontenelle  :  cet  ouvrage  commença  sa  réputation.  Alga- 
rotti  vécut  tour  à  tour  à  Paris  et  à  Cirey,  chez  la  marquise 
du  Châtelet,  jusqu'en  1739  ,  où  il  partit  avec  lord  Baltimore 
pour  Pétersbourg.  A  son  retour,  il  passa  par  Rheinberg ,  oii 
il  fut  présenté  à  Frédéric  II ,  qui  était  alors  prince  royal. 
Quand  Frédéric  fut  monté  sur  le  trône  ,  il  appela  le  savant 
Italien  à  sa  cour,  et  lui  conféra  le  titre  de  comte  pour  lui 
et  ses  descendants.  Le  roi  de  Pologne,  Auguste  III,  avait  éga? 
lement  une  haute  estime  pour  Algarotti  ;  il  lui  donna  le 
titre  de  conseiller  intime.  Plus  tard ,  î"rédéric  II  le  lit  son 
chambellan  et  chevalier  de  l'ordre  du  Mérite.  Voltaire  faisait 
grand  cas  de  lui ,  et  il  le  célébra  dans  plusieurs  de  ses  écrits. 
Après  avoir  vécu  alternativement  à  Dresde  et  à  Berlin , 
Algarotti  retourna  dans  sa  patrie  en  1747.  11  se  rendit  d'a- 
bord à  Venise ,  ensuite  à  Bologne  ;  enfin  il  se  fixa  à  Pise , 
où  il  mourut  en  1764,  par  suite  d'une  phthisie.  Algarotti 
avait  fait  lui-même  le  dessin  du  tombeau  que  Frédéric  lui 
fit  ériger  à  Pise.  Algarotti  possédait  des  connaissances  va- 
riées et  approfondies  :  en  fait  de  peinture,  de  sculpture  et 
d'architecture,  c'était  un  des  plus  grands  connaisseurs  de 
l'Europe.  Un  grand  nombre  d'artistes  se  sont  formés  sons 
sa  direction.  Il  dessinait  très-bien  et  ^''^'^'ait  à  l'eau-forte. 
Dans  ses  ouvrages ,  qui  roulent  sur  un  grand  nombre  de 
sujets ,  on  trouve  des  vues  neuves ,  des  pensées  ingénieuses 
et  brillantes.  Ses  pensées  manquent  de  chaleur,  mais  elles 
sont  pleines  de  grâce  et  d'élégance  ;  ses  lettres  sont  des 
modèles  de  style  épistolaire.  La  dernière  édition  de  ses  ou- 
vrages a  paru  à  Venise,  en  dix-sept  volumes,  de  1791  à 
1794.  Nous  citerons  les  Snggi  sopra  le  Belle  Arti.  Ses 
Letterefilologiche  ont  été  imprimées  à  Venise  en  1826.  Son 
Newton ianisme  des  Dames  a  été  traduit  en  français,  ainsi 
que  son  Essai  sur  la  Peinture. 

ALGARVE  (de  l'arabe  cZ  Garb,  le  coucbant),  province 
administrative  (avecle  titre  de  royaume)  et  lapins  méridionale 
du  Portugal ,  dont  le  chef-lieu  est  Tavira ,  bornée  au  sud 
et  à  l'ouest  par  l'océan  Atlantique,  au  nord  par  l' Alentéjo, 
dont  elle  est  séparée  par  la  Sierra  ÎMouchique,  et  à  W>i  par 
l'Espagne,  dont  elle  est  séparée  par  la  Guadiana  et  la  Cliauxa. 
Cette  province  a  trente-trois  lieues  de  long  sur  dix  de  large, 
et  renferme  135,000  habitants  environ.  Elle  est  traversée 
du  sud  au  nord-est  par  la  Sierra  Mouchique ,  et  arrosée  p.ar 
la  Guadiana ,  le  Zadao  et  autres  rivières  de  moindre  impor- 
tance. La  neige  ne  tombe  jamais  dans  cette  contrée ,  et  la 
températiire.y  est  très-douce  en  hiver.  Son  territoire  monta- 
gneux est  en  général  peu  fertile;  la  récolte  des  céréales  est 
insulfisante  pour  la  consommation  des  habitants  ;  mais  elle 
produit  en  quantité  des  citrons,  des  oranges,  des  figues, 
des  amandes,  grenades,  dattes,  olives,  qu'elle  livre  au  com- 
merce. Ses  vins  sont  excellents.  Il  y  a  des  salines,  des  mines 
de  sulfure  d'antimoine  exploitées.  Il  existe  à  quelques  lieues 
de  Tavira  une  mine  d'argent  et  de  cuivre.  Cette  province  est 
divisée  en  trois  districts,  ceux  de  Tavira,  de  Lagos  cl  de 
Faro. 

La  province  dont  nous  parlons,  qui  était  connue  des 


ALGARVE  -  ALGÈBRE 


wicieii:;  Rons  le  nom  de  Cimeiis,  nVst  qu'une  partie  de 
l'ancioniH"  Alfiane,  qui  comprenait  en  outre  une  portion  du 
ton  itdirc  de  l'Andalousie.  Cfllc  coût  réélut  l'une  des  prcinièros 
cnn(pKMcs  des  Arabes  en  lùirope,  et  c'est  à  cu\  (pfelle  doit 
ton  nom.  Ils  la  possédèrent  du  huitième  au  treiziiine  siècle. 
En  1550  .Vlplionse  111  de  Portu;4al  la  prit,  et  céda  en  1254 
la  portion  orientale,  à  l'est  de  la  Guadiana,  au  roi  Al- 
phonse X  de  Caslille  :  d'où  le  nom  d\llgaive  espagnole 
que  cette  portion  conserva  longtemps,  et  celui  d'Algarve 
portrignise. 

ALGAZALI  (Abou-Hamed  MonAsiMED  InN-  Mohammed), 
encore  appelé. l/^?^;?/,  né  vers  1058,  à  Tus,  dans  le  Koraçan, 
enseigna  la  philosophie  avec  éclat  à  Bagdad,  Damas,  Jérusa- 
lem et  Alexandrie.  H  a  combattu  .\ristote  et  les  philosophes 
arabes  qui  l'ont  précédé;  A  ver  rho  es  l'a  réfuté.  Il  a  laissé 
un  traité  des  sciences  religieuses,  très-estimé  des  Orientaux. 

ALGÈliUE,  science  dont  le  nom  dérive  de  l'arabe  ol 
gebrxral  mokdbaln,  équation.  Tous  les  pliénomènesde  l'u- 
nivers se  produisant  dans  le  temps  et  l'espace  donnent  lien 
à  des  considérations  de  nombre.  L'idée  de  nombre  dut  d'a- 
bonl  paraître  à  l'homme  inhérente  aux  objets  qu'il  consi- 
d  rail.  Mais  il  s'aperçut  bientôt  que  les  opérations  exécu- 
tées sur  les  nombres  restent  constamment  les  mêmes,  quelle 
que  soit  la  nature  des  objets  auxquels  l'idée  de  nombre  est 
appliquée.  L'esprit  humain  s'éleva  donc  à  un  système  de 
calculs  abstraits,  dans  lequel  le  nombre  fut  dépouilléde  toute 
valeur  concrète;  ce  fut  l'origine  de  raritlimétique.  L'idée 
de  nombre  était  ainsi  séparée  de  toute  qualité  physique,  mais 
les  nombres  conservaient  leur  valeur  propre  et  restaient  dé- 
terminés quanta  la  quantité.  Plus  tard,  on  arriva  à  la  décou- 
verte de  ce  fait  Ccfpital,  que  les  nombres  eux-mêmes  peuvent 
devenir  l'objet  de  nouvelles  considérations ,  abstraction  faite 
de  toute  idée  de  quantité  ou  de  valeur  propre  attribuée  ;  ce  fut 
l'origine  de  l'algèbre.  Ainsi  le  passage  de  l'idée  de  nombre  du 
concret  à  l'abstrait  a  donné  lieu  à  l'arithmétique;  le  pas- 
sage de  l'idée  de  nombre  du  particulier  au  général  a  don- 
né naissance  à  l'algèbre.  11  convient  donc  d'admettre  la  dé- 
finition qu'a  donnée  .M.  ^Yronski  :  L'algèbreest  la  science  des 
lois  des  nombres,  tandis  que  l'aiithmétique  est  la  science  des 
faits  des  nombres. 

L'algèbre,  considérée  dans  toute  son  étendue,  est  souvent 
désignée  sous  le  nom  d'analyse  mathématique,  et 
alors  elle  comprend  non-seulement  l'algèbre  élémentaire, 
mais  encore  l'algèbre  supérieure  ou  transcendante,  qui  n'en- 
tre pas  dans  la  composition  ordinaire  des  traités  d'algèbre. 

Newton  avait  proposé  le  nom  Ci  arithmétique  universelle 
pour  désigner  la  science  des  nombres  dans  son  ensemble , 
comprenant  l'arithmétique  et  l'algèbre.  Ampère ,  dans  sa 
classification  des  connaissances  humaines,  emploie  le  mot 
arithmologie ;  enfin  plusieurs  mathématiciens  distingués  se 
servent  de  préférence  du  mot  algorithmie. 

L'algèbre  représente  les  nombres  et  les  calculs  auxquels 
ils  peuvent  donner  lieu  d'une  manière  très-générale  par  des 
symboles  conventionnels;  et  c'est  à  son  système  si  parfait  de 
notation  que  cette  branche  des  mathématiques  est  redevable 
des  immenses  progrès  qu'elle  a  faits.  Les  symboles  qu'em- 
l)loie  l'algèbre  sont  de  deux  sortes  :  les  ur.s  servent  à 
représenter  les  (piantiîés  ou  grandeurs,  (juelle  que  soit  d'ail- 
leurs leur  nature  :  ce  sont  les  lettres  de  l'alphabet,  soit 
latin, soit  grec;  les  autres  indiquent  les  rapports  qu'on  peut 
établir  entre  les  quantités  et  les  opérations  qu'on  peut  leur 
faire  subir  :  ce  sont  les  signes.  Aussi  a-t-onditde  l'algèbre 
(pi'elle  éfait  la  plus  concise,  la  plus  étendue,  la  (lius  com- 
mode de  toutes  les  langues  que  les  hommes  aient  parlées  ou 
inventées  jusque  ici.  L'exemple  suivant,  emprunté  au  Traité 
cV Algèbre  de  Lacroix,  le  fera  encore  mieux  conipicndre  : 

Problème.  Partager  un  nombre  donné  en  trois  pallies 
telles  que  l'excès  de  la  moyenne  sur  la  plus  petite  soit  un 
nond)rt*  donné,  et  (pie  l'excès  de  la  plus  gnuidc  sur  la 
moyenne  soit  un  astre  nombre  donné. 


803 

SoLLTioji.  Avec  le  langage  ordinaire.  La  moyenne  partie 
sera  la  plus  petite  plus  l'excès  delà  moyennesur  là  plus  petite. 

La  plus  grande  partie  sera  la  moyenne  plus  l'excès  de  la 
plus  grande  sur  la  moyenne. 

Les  trois  parties  réunies  forment  le  nombre  proposé. 

Donc  la  plus  petite  partie,  plus  la  plus  petite  partie,  plus 
l'excès  de  la  moyenne  sur  la  plus  petite,  plus  encore  la  plus 
petite  partie,  plus  l'excès  de  la  moyenne  sur  la  plus  petite, 
plus  l'excès  de  la  plus  grande  sur  la  moyenne,  égalent  le 
nombre  à  partager. 

Donc,  trois  fois  la  plus  petite  partie,  plus  deux  fois  l'excès 
de  la  moyenne  sur  la  plus  petite,  plus  encore  l'excès  de  la 
plus  grande  sur  la  moyenne,  égalent  le  nombre  à  partager. 

Donc  trois  fois  la  plus  petite  partie  égalent  le  nombre  à 
partager  moins  deux  fois  l'excès  de  la  moyenne  sur  la  plus 
petite,  et  moins  encore  l'excès  de  la  plus  grande  sm-  la 
moyenne. 

Donc  enfin  la  plus  petite  partie  égale  le  tiers  de  ce  qui 
reste  après  qu'on  a  ôté  du  nombre  à  partager  deux  fois  l'excès 
de  la  moyenne  sur  la  plus  petite,  et  encore  l'excès  de  la 
plus  grande  sur  la  moyenne. 

Avec  l'écriture  algébrique.  Soit  a  le  nombre  à  partager, 

b  l'excès  de  la  partie  moyenne  sur  la  plus  petite ,  c  l'excès 

de  la  plus  grande  sur  la  moyenne,  la  plus  petite  étant  x; 

la  moyenne  sera  x  -\-b; 

la  plus  grande  sera  x-\-b-\-c. 

Donc  x-\-x-\-b-\-x-\-b-\-c  =  a. 

Zx-\-2b-\-  c  —  a, 

Zx=  a  —  ?.b  —  c, 

a  —  ib  —  c 

X  == . 

3 

Dans  cet  exemple  on  a  eu  à  considérer  plusieurs  équations 
ou  a-sseinblages  de  quantités  séparées  par  le  signe  d'égalité  et 
renfermant  des  inconnues.  On  a  dCi  aussi  effectuer  plusieurs 
des  opérations  fondamentales  de  l'algèbre,  telles  que  l'addi- 
tion, la  soustraction,  la  multiplication,  la  divi- 
sion, etc.,  pour  arriver  à  la  détermination  de  Vinconnue. 

Comme  nous  l'avons  dit,  l'algèbre  se  propose  la  résolution 
de  toutes  les  questions  possibles  sur  les  nombres.  Or ,  les 
symboles  qu'elle  emploie  étant  parfaitement  généraux,  on 
arrive  par  leur  moyen  à  créer  des /or?)î?(/e.s  qui  non-seule- 
ment fournissent  la  solution  des  questions  particulières, 
conformément  aux  conditions  des  problèmes  donnés,  mais 
encore  permettent  d'obtenir  la  solution  de  toutes  les  ques- 
tions d'un  même  ordre.  Exemple  :  La  somme  de  deux  nom- 
bres dont  un  surpasse  l'autre  d'une  quantité  représentée 
par  b,  est  égale  à  une  quantité  représentée  par  a  :  quels 
sont  ces  deux  nombres?  Soit  .rie  plus  petit  nombre,  x-\-b 
représentera  le  plus  grand  ;  et  puisque  ces  deux  nombres 
ajoutés  ensemble  sont  égaux  à  une  quantité  représentée  par 
G ,  on  a  les  équations 

x-\-  x-\-b  =  a, 
{2x-{-b=^a)  {2x  =  a  —  b) 

et  par  conséquent  x-\-b,  ou   le  plus  grand  des  deux  nom- 
bres, doit  être  égal  à 


(^^0 


En  effet,  si  k  j:,  premier  membre  de  l'équation 


a 

X  =  — 

2 


on  ajoute  -j-  &,  il  faut  îijouter  la  même  quantité  -\-  b  nu 
.second  membre,  afin  que  l'égalité  ne  soit  pas  détruite;  mais 
l'équation 

I    r  "         '''il. 


304 

est  susceptible  d'ôtre  simplifiée ,  car  dans  le  second  membre 

nous  voyons \-b;  ce  qui  signifie  qu'après  avoir  dimi- 
nué -  d'une  moitié  de  b,  il  faut  augmenter  le  reste  de  b  tout 

2 
entier;  par  conséquent  cela  se  réduit  à  ajouter  une  demi  0, 

ou  4-  -  à  -  :  il  vient  pour  nouvelle  équation 
a  ,    b 

Les  valeurs  des  deux  nombres  cberchés  sont  représentées , 
celle  du  plus  petit  par 


celle  du  plus  grand  par 


'  2         2 


a       b     , 
Les  expressions et 


-| — ,  auxquelles  on  est  défi 


a 
2       2        2 
nitivement  parvenu  dans  la  solution  du  problème  ci-dessus 
sont  desfornuiles.  Les  formules  indiquent  la  manièrede  ré- 
pondre sur-le-cbamp  à  toutes  les  questions  de  même  nature 
dans  lesquelles  on  fait  varier  seulement  les  valeurs  numé- 
riques des  données.  La  première  formule 
a       b 
2  "  "2 
peut  se  traduire  ainsi  :  Pour  avoir  le  plus  petit  des  deux 
nombres,  prenez  la  moitié  de  la  somme  a  des  deux  nombres, 
et  de  celte  moitié  retranchez  la  moitié  de  la  différence  b.  En 
effet,  supposons  que  la  somme  donnée  soit  4G,  et  la  dilfé- 
rence  10  :  mettant  46  à  la  place  de  a  dans  la  formule  ci-des- 
sus, et  10  à  la  place  de  b,  le  plus  petit  nombre  égalera 
46        10 
2  2 

OU 

46  —  10        36 


La  seconde  formule  nous  dit  :  Pour  avoir  le  plus  grand  des 
deux  nombres,  prenez  la  moitié  de  la  somme  a,  et  ajoutez- 
y  la  moitié  de  la  différence  b  ;  celte  dernière  somme  satisfera 
à  la  demande.  Mettons  donc  46  à  la  place  de  a  et  10  à  la 
place  de  b  dans  celle  formule ,  nous  aurons  :  le  plus  grand 
nombre  égale 

46    ,  10         56 

^  -  =  —  =  28. 

2  2  2 

Ces  résultats  sont  exacts ,  car 

28  -i-  18  =  46,  et  28  —  18  —  10. 

La  formule  que  nous  avons  employée  pour  arriver  à  la 
solution  de  cette  question  est  d'une  application  jiénérale.  Si 
donc  on  prend  d'autres  nombies  pour  la  somme  et  la  diffé- 
rence données,  on  obtiendra  également  la  solution  de  la 
nouvelle  question  ainsi  que  de  toutes  les  questions  de  ce 
genre.  Dès  lors  on  conçoit  tout  l'avantage  que  présentent 
les  formules  algébriques,  puisqu'il  siiftit  d'exécuter,  pour 
ainsi  dire,  mécaniciuement  les  calculs  indiqués  par  ces  for- 
mides  suivant  la  nature  du  problème  à  résoudre.  Le  raison- 
nement dont  elles  sont  l'expression  a  été  fait  une  fois  pour 
toutes;  et  si  le  matériel  du  calcul  cbangc  avec  les  nombres 
donnés,  l'ordre  et  la  nature  des  opérations  à  pratiquer  res- 
tent invariablement  les  mêmes.  11  suffirait  donc  à  l'esprit 
humain  de  posséder  un  tableau  de  formides  propres  à  dé- 
terminer les  calnds  auxquels  donne  lieu  chaque  ordre  de 
questions  numériques,  pour  qu'il  arrivât  infailliblement  à  la 
.solution  de  toutes  les  questions  ou  phénomènes  particuliers 
dans  lesquels  ces  lois  préalablement  établies  reçoivent  nue 
réalisation  concrète. 


ALGEBRE 

On  a  distingué  l'algèbre  Hî»Ht'rîi7?/e  et  l'algèbre  spectCM5c 
on  litlvralc.  La  première  est  celle  des  anciens  algébristes; 
elle  n'a  été  employée  que  dans  la  résolution  de  questions 
arithmétiques.  La  quantité  cherchée  y  est  exprimée  par 
une  lettre,  mais  son  <  "efficient  et  les  quantités  données 
sont  représentés  par  des  nombres.  La  seconde  est  celle  où 
toutes  quantités,  connues  ou  inconnues,  sont  exprimées  par 
des  lettres  d'une  manière  générale.  Elle  mérite  seule  le  nom 
d'algèbre. 

Nous  n'avons  point  à  parler  ici  du  calcul  algébrique  pro- 
prement dit,  non  plus  que  de  l'application  de  l'al- 
gèbre à  la  géométrie;  nous  renvoyons  aux  articles 
spéciaux. 

On  a  longtemps  agité  la  question  de  savoir  à  quelle  époque 
et  dans  quelle  contrée  l'algèbre  fut  inventée,  quels  sont  sur 
cette  matière  les  plus  anciens  écrivains ,  quelle  fut  la  marche 
de  ses  progrès,  et  enfin  de  quelle  manière  et  dans  quel  temps 
cette  science  s'est  répandue  en  Europe.  C'était  une  opi- 
nion généralement  admise  dans  le  dix-septième  siècle  que 
les  anciens  mathématiciens  grecs  durent  posséder  une  ana- 
lyse de  la  nature  de  notre  algèbre  moderne,  à  l'aide  de  la- 
quelle ils  découvrirent  les  théorèmes  et  la  solution  des  pro- 
blèmes que  l'on  admire  le  plus  dans  leurs  ouvrages.  On 
croyait  qu'ils  cachaient  soigneusement  leurs  moyens  de 
recherche,  pour  ne  donner  que  les  résultats  obtenus  en 
les  accompagnant  de  démonstrations  synthétiques.  Cette 
idée  ne  saurait  être  admise  aujourd'hui.  Une  plus  pro- 
fonde connaissance  des  ouvrages  des  anciens  géomètres  a 
prouvé  qu'ils  avaient  une  analyse,  mais  que  cette  analyse 
était  purement  géométrique  et  essentiellement  différente  de 
notre  algèbre.  Vers  le  milieu  du  quatrième  siècle  de  l'ère 
chrétienne,  dans  un  temps  où  la  science  des  mathématiques 
commençait  à  tomber  en  décadence,  ceux  qui  la  cultivaient, 
au  lieu  de  produire  des  ouvrages  originaux,  se  contentèrent 
de  commenter  ceux  de  leurs  plus  illustres  prédécesseurs,  et 
ils  y  firent  des  additions  importantes.  Tel  fut  le  traité  de 
Diop  hante  sur  l'arithmétique,  qui  originairement  se  com- 
posait de  treize  livres ,  mais  dont  les  six  premiers  seulement, 
et  une  partie  d'un  autre,  qui  traite  des  nombres  polygones, 
et  qu'on  suppose  être  le  treizième,  sont  parvenus  jusqu'à 
nous.  Ce  fragment  précieux  ne  nous  donne  rien  qui  res- 
semble à  un  traité  complet  sur  l'algèbre,  il  s'agit  plutôt 
d'une  classe  particulière  de  questions  arithmétiques  qui 
appartiennent  à  ce  que  l'on  appelle  maintenant  l'analyse 
indclcnninee.  Diophanle  peut  avoir  été  l'inventeur  de  l'al- 
gèbre chez  les  Grecs;  mais  il  est  plus  vraisemblable  que  les 
principes  de  cette  science  n'étaient  pas  inconnus  de  son 
temps,  et  que,  la  prenant  dans  l'état  où  il  la  trouva  comme 
la  base  de  ses  travaux,  il  l'enrichit  de  nouvelles  applica- 
tions. Les  élégantes  solutions  de  ce  mathématicien  montrent 
(pi'il  possédait  une  grande  habileté  dans  la  branche  parti- 
culière dont  il  s'occupa,  et  qu'il  était  bien  capable  de  ré- 
soudre les  équations  déterminées  du  second  degré;  pioba- 
blement  ce  lut  là  la  plus  grande  extension  donnée  à  la 
science  chez  les  Grecs,  l-u  effet,  dans  aucun  pays  elle  ne 
dépassa  ces  limites  jusqu'à  ce  qu'elle  eut  été  transportée 
en  Italie  lors  de  la  lîenaissance.  La  célèbre  Hypatia,  fille 
de  Théon  ,  composa  un  commentaire  sur  l'ouvrage  de  Dio- 
plianîe,  mais  il  n'est  point  parvenu  jusqu'à  nous,  non  plus 
qu'un  semblable  travail  de  cette  illustre  mathématicienne 
sur  les  coniques  d'Apollonius. 

"N'ersle  milieu  du  seizième  siècle,  le  texte  grec  des  œuvres 
de  Diopbante  fut  découvert  à  Piome,  dans  la  bibliothèque 
du  Vatican,  où  probablement  il  avait  été  apporté  lorsque 
les  Turcs  s'emparèrent  de  Constantinople.  Une  traduction 
latine  fut  publiée  par  Xylander  en  1575,  et  une  autre  tra- 
duction beaucoup  plus  complète,  accompagnée  d'un  com- 
mentaire, fut  publiée  en  1621  parBachet  deMéziriac,  l'un 
des  plus  anciens  membres  de  l'Académie  Française.  Uachet 
élait  éminemment  savant  dans  l'analyse  indéfinie,  et  par 


ALGKBRE 


ron'=t'iuient  bien  capable  île  commenter  son  original;  mais 
le  le\U-  tle  Dioplumle  était  tellement  altéré,  qu'il  fut  sou- 
vent obligé  lien  deviner  le  sens ,  ou  «le  suiipléer  ce  qui 
manquait.  Quelipie  tem|)s  après,  le  célèbre  mathématicien 
français  Fermât,  dans  ses  additions  au  commentaire  de 
Hacliet  sur  les  ouvrages  de  l'algébriste  grec ,  y  ajouta  des 
notes  de  la  plus  haute  importance,  et  son  édition,  la  meil- 
leure de  celles  qui  existent,  parut  en  1C70. 

lîien  qu'il  faille  regarder  la  découverte  des  ouvrages  de 
Diophanle  con)mc  un  événement  important  dans  l'histoire 
des  mathématiques,  cependant  ce  ne  fut  point  par  eux  que 
l'algèbre  conmiença  d'être  connue  en  Europe.  Il  parait  que 
cette  admirable  invention,  ainsi  que  les  caractères  arithmé- 
tiques dont  nous  nous  servons  aujourd'hui,  nous  viennent  des 
Arabes.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'ils  recueillirent  avec  soin 
les  ouvrages  des  mathématiciens  grecs,  les  traduisirent 
dans  leur  langue,  et  cherchèrent  à  les  éclairer  par  des  com- 
mentaires. Les  Arabes  attribuent  l'invention  de  l'algèbre  à  un 
de  leurs  mathématiciens,  Mohammed-lîcn-!Musa  ou  Mosès, 
nommé  aussi  Mohammed  de  Buzana ,  qui  florissait  vers  le 
milieu  du  neuvième  siècle.  Quoi  qu'il  en  soit ,  il  est  cons- 
tant que  cet  écrivain  composa  un  traité  sur  la  matière,  car 
pendant  un  temps  il  en  exista  en  Europe  une  traduction 
italienne,  qui  est  perdue  aujourd'hui.  Heureusement  une  co- 
pie de  l'original  arabe,  dont  la  date  de  transcription  corres- 
pond à  l'année  1342 ,  se  retrouva  dans  la  bibliothèque  Bod- 
iéienne,  à  Oxford.  Le  titre  de  ce  manuscrit  prouve  l'Identité 
de  son  auteur  avec  l'ancien  mathématicien  arabe;  une  note 
marginale ,  qui  déclare  plus  loin  que  l'ouvrage  est  le  premier 
traité  sur  l'algèbre  composé  parmi  les  croyants ,  vient  en- 
core confirmer  cette  identité.  Du  reste,  les  sciences  mathé- 
matiques firent  peu  de  progrès  entre  les  mains  des  Arabes. 
L'algèbre  resta  chez  eux  presque  dans  le  même  état  de- 
puis leurs  premiers  écrivains  sur  cette  matière  jusqu'à  Be- 
hujidiu,  l'un  des  derniers,  qui  vécut  entre  les  années  953 
et  1031. 

On  a  de  fortes  raisons  de  croire  que  les  nations  européennes 
sont  en  partie  redevables  de  cette  science  à  un  marchand  de 
Pise,  nommé  Leonardo  Bonaccio.qui  avait  résidé  dans  sa 
jeunesse  en  Barbarie ,  et  que  ses  affaires  de  commerce 
conduisirent  successivement  en  Egypte,  en  Syrie ,  eu  Grèce 
et  en  Sicile;  il  dut  se  familiariser  avec  les  différents  sys- 
tèmes de  numération  en  usage  dans  ces  divers  pays.  Le  sys- 
tème indien  lui  parut  de  beaucoup  le  meilleur.  En  con- 
séquence ,  il  en  fit  une  étude  spéciale  ,  et ,  joignant  à  la 
connaissance  qu'il  parvint  à  en  acquérir  quelques  idées  qui 
lui  étaient  propres ,  s'aidant  en  outre  de  la  géométrie  d'Eu- 
clide,  il  composa  un  traité  sur  l'arithmétique.  A  cette  époque 
l'algèbre  n'était  considérée  que  comme  une  extension  de  cette 
science.  Elle  en  était,  en  effet,  la  partie  la  plus  élevée,  et 
sous  ce  rapport  ces  deux  branches  furent  traitées  dans  l'ou- 
vrage de  Leonardo,  qui  dans  le  principe  parut  en  1204, 
et  fut  ensuite  publié  en  1228  ,  après  avoir  été  refondu.  11  ne 
faut  pas  oublier  que  cet  ouvrage  fut  composé  deux  siècles 
avant  l'invention  de'l'imprimerie ,  et  comme  le  sujet  n'était 
pas  d'un  intérêt  général,  il  n'est  pas  étonnant  qu'il  ait  été  peu 
connu  :  aussi  demeura-t-il  manuscrit,  de  même  que  quel- 
ques autres  traités  du  même  auteur,  qui  restèrent  oubliés 
jusque  vers  le  milieu  du  siècle  dernier,  où  on  les  découvrit 
à  Florence,  dans  la  bibliothèque  Magliabecchia.  Les  con- 
naissances de  Leonardo  ne  s'étendirent  guère  plus  loin  que 
celles  des  écrivains  arabes  ses  prédécesseurs.  11  résolut  les 
équations  du  premier  et  du  second  degré ,  et  il  était  spécia- 
lement versé  dans  l'analyse  de  Diophante.  Comme  il  avait 
aussi  de  grandes  connaissances  en  géométrie,  il  les  em- 
ployait pour  la  démonstration  de  ses  règles  algébriques. 
De  même  que  les  mathématiciens  arabes ,  il  se  servait,  dans 
ses  raisonnements,  de  mots  entiers ,  mode  on  ne  peut  plus 
défavorable  au  progrès  de  la  science.  L'usage  des  signes  et 
l'art  de  les  combiner  afin  de  pouvoir  embrasser  ù'un  seul 

DICT.    ne    l.A   COSVF.RS.    —    T.    I. 


305 


coup  d'œil  une  longue  suite  de  raisonnements  sont  une  in- 
vention bien  postérieure  à  Leonardo. 

Entre  le  temps  où  vivait  cet  algébriste  et  l'invention  de 
l'imprimerie  on  cultiva  l'algèbre  avec  une  attention  particu- 
lière. Des  professeurs  l'enseignèrent  publiquement.  Plusieurs 
traités  furent  comjiosés  sur  cette  partie  de  la  science,  et  deux 
ouvrages  des  algébristes  orientaux  filrent  traduits  de  l'arabe 
en  langue  italienne.  Le  plus  ancien  livre  imprimé  sur  l'algèbre 
fut  composé  par  un  frère  mineur  nomme  Lucas  Paciolo  ou 
Lucas  de  lîorgo.  Cet  ouvrage,  imprimé  pour  la  première  fois 
en  1404,  et  réimprimé  en  1523,  avait  pour  titre  :  Summa 
de  Âritfimetica ,  Geometrin,  Proportione  et  Proportio- 
nal'tta.  C'était  pour  le  temps  où  il  parut  un  traité  complet 
d'arithmélique,  d'algèbre  et  de  géométrie;  Paciolo  a  de  plus 
le  mérite  particulier  de  nous  avoir  conserve  les  ouvrages  de 
Leonardo ,  sur  les  traces  duquel  il  marcha  pas  à  pas.  Sous 
le  rapport  de  la  commodité  et  de  la  brièveté  d'expression , 
l'analyse  algébrique  était  encore  fort  imparfaite  au  temps  de 
Lucas  de  Borgo.  Les  seuls  signes  employés  étaient  de  lé- 
gères abréviations  faites  aux  mots  ou  aux  noms  qui  se  ren- 
contraient dans  la  suite  des  calculs,  espèce  de  tachygra- 
phie,  qui  était  bien  loin  de  la  perfection  du  système  de  signes 
dont  on  se  sert  aujourd'hui. 

L'application  de  l'algèbre  était  encore  à  cette  époque  ex- 
trêmement limitée.  Les  algébristes  s'arrêtaient  alors  à  la 
soluiion  des  équations  du  premier  et  du  second  degré,  et 
ils  classaient  ce  second  degré  en  différentes  catégories,  à 
chacune  desquelles  était  adaptée  une  méthode  particulière 
de  solution.  On  ne  connaissait  point  encore  cet  important 
résultat  de  l'analyse  au  moyen  duquel  la  résolution  de  tous 
les  cas  d'un  problème  peut  être  comprise  dans  une  seule 
formule,  qui  elle-même  peut  être  obtenue  par  la  solution 
d'un  seul  de  ces  cas  avec  un  simple  changement  des  signes. 
On  resta  si  longtemps  sans  comprendre  cette  vérité,  que  le 
docteur  Halley  s'étonnait  de  ce  qu'une  formule  d'optique 
qu'il  avait  trouvée  pouvait  donner,  à  l'aide  d'un  simple  chan- 
gement de  signes ,  le  foyer  des  deux  rayons  convergents 
et  divergents,  qu'ils  soient  réfléchis  ou  réfractés  par  un  mi- 
roir ou  une  lentille  convexe  ou  concave ,  et  que  JMolyneux 
pariait  de  l'universalité  de  la  formule  d'Halley  comme  d'une 
chose  qui  tenait  de  la  magie. 

L'algèbre  est  indépendante  des  principes  de  la  géométrie, 
quoique  dans  bien  des  cas  ces  deux  sciences  puissent  se 
prêter  un  secours  mutuel.  En  effet,  d'après  l'exemple  de 
Leonardo,  Lucas  de  Borgo  jugea  convenable  d'employer 
les  constructions  géométriques  à  prouver  la  vérité  des  règles 
à  l'aide  desquelles  il  résolvait  les  équations  du  deuxième 
degré,  dont  il  ne  comprenait  pas  complètement  la  théorie. 
Il  résuma  ses  méthodes  en  vers  latins,  qui  sont  loin  de  va- 
loir son  poème,  bien  connu,  qui  a  pour  titre  :  V Amour  des 
Triangles. 

La  science  resta  presque  stationnaire  depuis  le  temps  de 
Leonardo  jusqu'à  celui  de  Paciolo ,  pendant  une  période 
de  trois  siècles.  Mais  l'invention  de  la  typographie  donna 
une  grande  impulsion  à  toutes  les  sciences  mathématiques. 
Jusque  là  une  imparfaite  théorie  des  équations  du  deuxième 
degré  était  le  point  le  plus  avancé  où  la  science  frtt  par- 
venue. Mais  enfin  cette  bariière  fut  franchie,  et  vers  l'année 
1505  un  cas  particulier  d'équations  du  troisième  degré  fut 
résolu  par  Scipion  Ferreo,  professeur  de  mathématiques  à 
Cologne.  C'était  un  pas  important,  parce  qu'il  montrait  que 
la  difficulté  de  résoudre  les  équations  d'un  ordre  plus  élevé, 
au  moins  celles  du  troisième  degré,  n'était  poii.t  insurmon- 
table, et  qu'une  nouvelle  route  était  ouverte  à  la  décou- 
verte. A  cette  époque  ceux  qui  cultivaient  l'algèbre  avaient 
pour  habitude  lorsqu'ils  avaient  (ait  un  pas  de  le  cacher 
soigneusement  à  leurs  contemporains,  et  de  les  délier  à 
résoudre  des  questions  d'arithmétique  posées  de  telle  sorte 
que  pour  les  résoudie  il  fallait  absolument  connaître  la 
nouvelle  règle  par  eux  trouvée.  Ferreo  lit  donc  un  secret  da 

■M 


306 


ALGÈBRE 


sa  df'coiivertc.  Il  fa  communiqua  cependant  h  nn  Vénitien 
nommé  Floriilo,  son  disciple  favori.  Vers  Tan  1535,  celui-ci, 
ayant  fixé  sa  résidence  à  Venise,  défia  Tartaglia  de  Dres- 
cia,  homme  d'un  grand  mérite,  à  lutter  de  science  en  ré- 
solvant des  problèmes  au  moyen  de  Talgèbre.  Flondo  posa 
ses  questions  de  manière  que  pour  les  résoudre  il  fallait 
connaître  la  règle  que  lui  avait  ajiprise  son  maître  Ferreo. 
Mais  cinq  ans  -auparavant  Tartaglia  avait  devancé  Ferreo, 
et  il  était  pour  Fiorido  un  adversaire  trop  redoutable.  Il  ac- 
cepta donc  le  défi,  et  un  jour  fut  désigné  dans  lequel  cha- 
cun d'eux  devait  proposer  à  son  adversaire  trente  questions. 
Avant  le  jour  indiqué  il  se  remit  à  travailler  les  équations  du 
troisième  degré,  et  il  découvrit  la  solution  de  deu\  nouveaux 
cas  en  sus  des  deux  qu'il  avait  déjà  trouvés.  Les  questions 
de  Fiorido  furent  telles  qu'on  n'avait  besoin  pour  les  ré- 
soudre que  de  la  règle  de  Ferreo,  tandis  qu'au  contraire 
celles  de  Tartaglia  ne  pouvaient  être  résolues  que  par  l'une  ou 
l'autre  de  trois  des  règles  que  lui-même  avait  trouvées,  sans 
pouvoir  l'être  par  la  quatrième ,  qui  était  aussi  connue  de 
Fiorido.  On  comprend  facilement  d'avance  l'issue  de  la 
lutte;  Fiorido  ne  put  résoudre  une  seule  des  questions  de 
son  adversaire,  tandis  que  Tartaglia  résolut  toutes  les 
siennes  en  deux  heures. 

Cardan  était  contemporain  de  Tartaglia.  Cet  homme  re- 
marquable, médecin  et  professeur  de  mathématiques  à  Milan, 
était  alors  sur  le  point  de  terminer  l'impression  d'un  ouvrage 
sur  l'arithmétique,  l'algèbre  et  la  géométrie.  Mais,  désirant 
ardemment  enrichir  son  livre  des  découvertes  de  Tartaglia, 
qui  fixaient  à  cette  époque  l'attention  du  monde  savant 
en  Italie,  il  s'efforça  de  tirer  de  lui  la  révélation  de  ses 
règles.  Tartaglia  résista  longtemps  aux  prières  de  Cardan  ; 
mais  enfin,  vaincu  par  ses  importunités  et  par  l'offre  qu'il 
lui  fit  de  jurer  sur  les  saints  Évangiles,  l'honneur  d'un  gen- 
tilliomme  et  la  foi  d'un  chrétien,  de  ne  jamais  les  publier, 
et  de  les  employer  en  chiffres,  de  telle  sorte  que  mèn.e 
après  sa  mort  elles  ne  pussent  être  intelligibles  pour  qui 
que  ce  fût,  il  s'aventura,  après  beaucoup  d'hésitation,  à  lui 
révéler  ses  règles  prati(pies,  et  il  lui  en  donna  la  clef  en 
quelques  vers  italiens,  qui  étaient  eux-mêmes,  jusqu'à  un 
certain  point,  fort  énigmatiques  :  il  en  retint  toutefois  la  dé- 
monstration. Cardan  eut  bientôt  découvert  la  raison  des 
règles,  et  même  il  les  perfectionna  tellement  qu'il  se  les 
appropria  en  quelque  sorte.  De  l'essai  imparfait  de  Tartaglia 
il  déduisit  une  méthode  ingénieuse  et  systématique  poi:r 
résoudre  toutes  les  équations  du  troisième  degré ,  quelles 
qu'elles  soient.  Mais,  oubliant  bientôt  la  parole  sacrée  qu'il 
avait  donnée,  il  publia  en  1345  les  découvertes  de  Tartaglia 
combinées  avec  les  siennes,  comme  supplément  à  son  traité 
sur  l'arithmétique,  l'algèbre  et  la  géométrie,  qu'il  avait  pu- 
blié six  ans  auparavant.  Cet  ou\Tage  est  remarquable  pour 
avoir  été  le  second  livre  imprimé  sur  l'algèbre.  L'année  sui- 
vante Tartaglia  publia  aussi  un  ouvrage  sur  l'algèbre,  qu'il 
dédia  à  Henri  VIII,  roi  d'Angleterre. 

Le  pas  que  fit  ensuite  la  science  de  l'algèbre  fut  la  décou- 
verte de  la  méthode  pour  résoudre  les  équations  du  qua- 
trième degré.  Un  algébriste  italien  proposa  une  question  qui 
ne  pouvait  être  résolue  par  les  règles  nouvellement  inven- 
tées. Quelques-uns  prétendaient  que  ce  problème  était  im- 
possible à  résoudre  ;  mais  Cardan  ne  partageait  pas  cette 
opinion  :  il  avait  un  élève ,  nommé  Ludovico  Ferrari ,  jeune 
lioumie  d'un  grand  génie,  et  qui  étudiait  avec  ardeur  l'a- 
nalyse algébrique.  Cardan  lui  confia  la  solution  de  cette 
difficile  (luestion,  et  il  ne  fut  point  trompé  dans  son  attente  : 
non-seulement  Ferrari  résolut  le  problème ,  mais  encore  il 
trouva  une  méthode  générale  pour  résoudre  les  équations 
du  quatrième  degré ,  en  la  faisant  procéder  de  la  solution 
des  équations  du  troisième  degré.  C'était  là  un  immense 
progrès,  que  n'ont  point  encore  dépassé  les  plus  grands 
elforts  de  l'analyse  moderne.  Vers  le  milieu  du  seizième 
siècle,  un  matliématicicn  allemand,  Stifcl,  dans  son  ouvrage 


intitulé  Arithmctïca  intégra,  inventa  les  signes  de  l'addi- 
tion (  +  )  et  de  la  soustraction  ( — ),  ainsi  que  le  radical 
(v/)-  Le  premier  traité  sur  l'algèbre  écrit  en  anglais  fut 
composé  par  Recorde,  médecin  et  professeur  de  mathéma- 
tiques à  Cambridge.  Recorde  publia  un  traité  d'arithmé- 
ti(iue  dédié  à  Edouard  VI,  et  un  autre  sur  l'algèbre  intitulé  : 
tlie  Whclslone  of  Wit,  etc.  Il  y  introduisit  pom-  la  pre- 
mière fois  le  signe  indiquant  l'égalité  (  =  ).  Il  fit  choix  de  ce 
symbole  parce  que,  dit-il,  il  ne  peut  y  avoir  deux  choses  plus 
égales  entre  elles  que  deux  lignes  parallèles.  Raphaël  Bom- 
binelli  (  1579)  et  Richard  Steven  (1585)  ajoutèrent  quelques 
perfectionnements  à  la  science. 

Enfin,  parut  Vie  te,  mathématicien  français,  qui  fit  faire  à 
l'algèbre  un  pas  de  géant.  Le  premier  il  employa  des  caractè- 
res généraux  pour  représenter  des  quantités  connues  et  incon- 
nues. Ce  progrès,  qui  paraît  si  simple,  eut  cependant  d'im- 
portantes conséquences.  On  doit  regarder  Viète  comme  lo 
premier  qui  ait  appliqué  l'algèbre  à  l'avancement  de  la  géo- 
métrie. Les  anciens  algébristes  avaient  en  effet  résolu  des 
problèmes  géométriques ,  mais  chaque  solution  était  parti- 
culière; tandis  que  S'iète  en  introduisant  ses  signes  géné- 
raux donna  des  formules  générales,  qui  étaient  applicables 
à  tous  les  problèmes  de  la  même  espèce.  L'heureuse  ap- 
pHcation  de  l'algèbre  à  la  géométrie  eut  d'immenses  consé- 
quences ;  elle  conduisit  Viète  à  la  doctrine  des  sections  an- 
gulaires. 11  trouva  aussi  la  théorie  des  équations  algébriques, 
et  il  fut  le  premier  qui  donna  une  méthode  générale  pour  les 
résoudre  par  approximation.  Comme  il  vécut  entre  l'année 
1540  et  l'année  1603,  ses  ouvrages  appartiennent  à  la  der- 
nière période  du  seizième  siècle.  Il  les  fit  imprimer  à  ses 
frais,  et  les  distiibua  généreusement  à  ceux  qui  s'occupaient 
de  la  science. 

Le  mathématicien  flamand  Albert  Gérard  étendit  la  théo- 
rie des  équations  un  peu  plus  loin  que  Viète ,  mais  il  n'ap- 
profondit pas  entièrement  leur  composition  ;  il  fut  le  premier 
qui  introduisit  l'usage  du  signe  négatif  dans  la  résolution 
des  problèmes  géométriques,  et  le  premier  aussi  il  parla 
des  quantités  imaginaires,  sujet  qui  cependant  ne  fut 
pas  bien  approfondi ,  et  il  en  inféra ,  par  induction ,  que 
chaque  équation  a  autant  d'espèces  qu'il  y  a  d'unités  dans 
le  nombre  qui  exprime  les  degrés.  Son  Algèbre  parut  en  1629. 

Thomas  Harriot,  mathématicien  anglais,  né  à  Oxford, 
en  15G0 ,  est  auteur  de  découvertes  importantes  en  algèbre  : 
le  premier  il  égala  au  besoin  les  équations  à  zéro ,  en  fai- 
sant passer  le  second  membre  du  même  côté  que  le  premier, 
et  en  affectant  ses  ternies  d'un  signe  contraire  à  celui  qu'ils 
avaient  ;  mais  il  ne  fit  pas  tout  l'usage  qu'il  aurait  pu  de  cette 
méthode.  Le  prmcipal  service  qu'il  ait  rendu  aux  mathé- 
matiques, c'est  d'avoir  observé  que  toutes  les  équations 
d'ordre  supérieur  sont  des  produits  d'équations  simples  : 
cette  découverte  est  d'une  grande  importance.  'Wallis, 
mathématicien  anglais ,  a  fait  l'impossible  pour  prouver  que 
Harriot  fut  au-dessus  de  tous  les  algébristes  de  son  époque. 
Sous  le  rapport  de  l'invention ,  les  ï'rançais ,  jaloux  de  la 
gloire  si  bien  méritée  de  leur  compatriote  Viète,  prouvent, 
sans  beaucoup  de  difficulté,  que  Harriot  ne  fut  en  grande 
partie  que  son  imitateur.  D'ailleurs,  la  préface  que  Harriot 
mit  à  la  tête  de  ses  ouvrages  donne  un  démenti  formel  aux 
assertions  de  Wallis.  Au  reste,  Harriot  occupe  une  des  pre- 
mières places  dans  le  rang  secondaiie  des  mathématiciens. 
Les  signes  <  et  >  (plus  petit  et  plus  grand  )  sont  de  son  in- 
vention. Ougthred  à  la  même  époque  introduisit  le  signe  X 
pour  désigner  la  multiplication. 

Après  eux  parut  Descartes.  Ce  grand  géomètre  ouvrit  un 
vaste  champ  de  découvertes  en  appliquant  l'algèbre  à  la 
théorie  des  lignes  courbes.  En  rapportant  chaque  point 
d'une  courbe  à  ses  coordonnées,  il  exprima  le  rapport 
entre  les  différents  points  au  moyen  d'une  équation  qui 
sert  de  caractéristique  pour  distinguer  la  courbe,  et  dont 
on  peut  déduire  toutes  ses  didérentes  propriétés  géouaé- 


ALGÈBRE  —  ALGER 


triques  à  l'aide  des  procédés  ordinaires  de  l'algèbre.  Des-  I 
cartes  indiqua  en  outre  sa  manière  de  construire  ou  de  repré- 
senter géométriquement  les  équations  des  degrés  supérieurs. 
Il  donna  une  régie  pour  résoudre  une  équation  du  quatrième 
degré  au  moyen  d'une  équation  cubique  et  de  deux  équations 
du  seœnd  degré. 

Depuis,  une  foule  de  simplificalions  nouvelles  ont  été 
apportées  dans  les  notations;  l'usage  des  exposants  in- 
tro<luit  par  Descartes  est  devenu  général  ;  l'algèbre  a  (Hé 
encore  perfectionnée  dans  tous  ses  détails  ,  et  on  en  a  sin- 
gulièrement étendu  et  varié  les  applications.  Citons  pour 
mémoire  la  découverte  des  logarithmes  par  Néper,  les 
calculs  de  Kepler  sur  les  surfaces  formées  par  la  révolution 
des  lignes  courbes,  la  géométrie  des  indivisibles  de  Cava- 
lieri,  l'arithmétique  des  infinis  de  Wallis,  et  par-dessus 
tout  la  méthode  des  fluxions  de  Newton,  et  le  calcul 
intégral  et  différentiel  de  Leibnitz.  Les  travaux 
derHospital,deRoberval,deFermal,d'Huygeus, 
des  deux  Bernoulli,  de  Herman,  de  Pascal,  de 
Barrow,  de  James  Gregory,  de  \Yren,  de  Cotes,  de 
Lambert,  de  Taylor,  de  Halley,  de  Moivre,  de 
M  a  cl  au  ri  n,  de  Slii-ling,  de  D'Alenibert ,  de  Mau- 
pertuis,  d'Euler,  agrandirent  encore  le  domaine  de  la 
science.  Plus  tard,  Lagrange  créa  la  théorie  dest'onc- 
tions  analytiques.  Laplace  appliqua  une  analyse  sa- 
vante à  la  mécanique  céleste;  enfin  les  investigations  de 
Legendre,  Poisso  n,  Abel,  Gau  s  s  ,  Wronski, 
C  au  c  hy,  Sturm  ,etc.,  ont  encore  accru  la  somme  de  nos 
connaissances  dans  l'analyse  et  perfectionné  ses  méthodes 
d'investigation. 

L'attention  des  savants  s'est  portée  dans  ces  derniers  temps 
sur  une  branche  nouvelle  de  l'histoire  de  l'algèbre  :  nous 
voulons  parler  du  haut  degré  de  perfection  que  cette  science 
avait  atteint  dans  les  Indes.  C'est  à  M.  Reuben-Barow  que 
nous  sommes  redevables  des  premières  notions  sur  ce  point 
intéiessant.  Le  désir  d'éclaircir  l'histoire  des  sciences  mathé- 
matiques le  décida  à  faire  une  collection  de  manuscrits  orien- 
taux, dont  quelques-uns,  en  langue  persane,  furent  légués 
à  M.  Calby,  professeur  au  Collège  royal  militaire,  qui  vers 
l'année  ISOO  les  communiqua  à  tous  ceux  que  ce  sujet  pou- 
vait intéresser.  En  1813  M.  Edouard  Stracliey  traduisit 
du  persan  le  Bija  Gannita  (  ou  Vija  Ganïta  ),  traité  indou 
sur  l'algèbre,  et  en  1816  le  docteur  Taylor  publia  à  Bom- 
bay une  traduction  du  Lilavati  faite  sur  le  sanscrit  original. 
Ce  dernier  ouvrage  est  un  traité  sur  l'arithmétique  et  la 
géométrie,  et  tous  deux  ont  été  faits  par  un  algébriste  orien- 
tal, Bhascara-Acharya.  Enfin,  en  1817  parut  l'ouvrage 
intitulé  :  Algèbre ,  Arithmétique ,  l'Art  des  Mesures,  tra- 
duit du  sanscrit  de  Brahmegupta  et  Bhascara  par  Henri 
Thomas  Colebrooke.  Cet  ouvrage  contient  quatre  traités 
diflérents,  originairement  écrits  en  vers  sanscrits,  savoir  : 
le  Vija  Gonita,  et  le  Livati  de  Bhascara  Acharya  ,  et  les 
Ganita  d'Haya  et  Cuttaca  d'Hyaya  de  Brahmegupta.  Les 
deux  premiers  forment  la  partie  préliminaire  du  cours  d  as- 
tronomie de  Bhascara ,  intitulé  :  Sldd'  hanta  Siromanï ,  et 
les  deux  derniers  sont  le  douzième  et  le  dix-huitième  cha- 
pitre d'un  cours  semblable  d'astronomie  intitulé  :  Bralima- 
Sidd'  hanta.  Le  temps  où  écrivait  Bhascara  est  fixé  avec 
la  plus  grande  certitude,  par  son  propre  témoignage  et 
d'autres  circonstances ,  vers  l'année  1 150  de  l'ère  chrétienne. 
Les  ouvrages  de  Brahmegupta  sont  extrêmement  rares ,  et 
l'époque  à  laquelle  il  vécut  est  très-incertaine.  On  sait 
que  le  traité  de  Bralime{?iipta  ne  fut  pas  le  premier  ouvrage 
écrit  <!ans  l'Imle  siu-  la  matière.  Ganessa ,  astronome  et 
mathématicien  distingué,  et  le  plus  célèbre  des  commenta- 
teurs de  Bhascara,  cite  un  passage  d'un  auteur  beaucoup 
pins  ancien,  Arya  Chatta,  qui  est  regardé  par  d'autres  com- 
mentateurs comme  le  chef  des  anciens  écrivains.  Non-seu- 
lement les  Hindous  applicjuèrent  l'algèbre  à  l'astronomie  et 
à  la  géométrie,  mais  réciiiroipiemcnl  ils  appliquèrent  la 


807 

géométrie  à  la  démonstration  des  règles  algébriques.  En 
effet ,  ils  cultivèrent  l'algèbre  avec  beaucoup  d'assiduité  et 
beaucoup  plus  de  succès  que  la  géométrie  :  l'état  peu  avancé 
de  leurs  connaissances  dans  cette  dernière  science  et  le  haut 
degré  de  perfection  qu'ils  avaient  atteint  en  algèbre  le 
prouvent  incontestablement.  M.  Colebrooke  établit  une 
comparaison  entre  les  algéliristes  indiens  et  Diophante,  et 
il  arrive  à  conclure  que,  tout  considéré ,  les  premiers  ont 
été  plus  loin  dans  la  science  que  ce  dernier.  Suivant  lui  ils 
ont  le  mérite  d'avoir  atteint  et  même  dépassé  les  décou- 
vertes modernes  dans  la  solution  des  équations  du  quatrième 
degré  ;  d'avoir  trouvé  des  méthodes  générales  pour  la  solu- 
tion des  problèmes  indéterminés  du  premier  et  du  second 
degré,  dans  lesquelles  ils  sont  allés  beaucoup  plus  loin  que 
Diophante  et  ont  primé  les  découvertes  des  algébristes  grecs; 
d'avoir  appliqué  l'algèbre  aux  recherches  astronomiques  et 
aux  démonstrations  géométriques ,  dans  lesquelles  ils  ont 
aussi  touché  quelques  matières  qui  ont  été  inventées  dans 
les  temps  modernes. 

Les  applications  de  l'algèbre  sont  nombreuses ,  et  c'est 
une  des  raisons  pour  lesquelles  on  ne  saurait  trop  apprécier 
cetîe  science  admirable.  Dépourvues  de  ses  secours  ,  où  en 
seraient  la  géométrie  supérieure,  la  mécanique,  l'astronomie 
et  la  physique?  L'algèbre  est  la  ba^e  de  la  trigonométrie, 
dont  les  calculs  sont  d'un  continuel  emploi  dans  la  naviga- 
tion ;  la  stéréotomie  lui  emprunte  ses  formules  ;  l'astronome, 
guidé  par  elle,  trace  plusieurs  siècles  d'avance  la  route  des 
comètes,  ou  découvre,  plus  sûrement  qu'avec  un  télescope, 
des  astres  jusque  alors  inconnus.  Non-seulement  elle  contribue 
partout  à  de  nouvelles  conquêtes  de  l'esprit  humain;  mais 
elle  offre  le  précieux  avantage  de  la  rapidité  des  moyens  : 
et  si  l'on  en  voulait  un  exemple ,  il  suffirait  de  comparer 
la  détermination  des  éclipses  chez  les  anciens  et  chez  les 
modernes. 
ALGEMAD.  Voyez  Al-Djiiied. 
ALGÉNÎB ,  une  des  deux  étoiles  secondaires  de  la  cons- 
tellation de  Pégase. 

ALGER,  ville  principale  de  l'Algérie,  chef-lieu  du 
département  de  son  nom  et  siège  du  gouvernement  général 
des  possessions  françaises  dans  le  nord  de  l'Afrique ,  est 
située  sur  la  Méditerranée ,  vis-à-vis  de  IMajorque ,  par 
0''39'43"  de  longitude  orientale  et  36" 48'  36"  de  latitude  sep- 
tentrionale ,  à  sept  cents  kilomètres  de  Toulon  et  à  huit 
cents  kilomètres  de  Marseille,  trajet  que  l'on  fait  ordinaire- 
ment en  quarante-huit  heures.  Alger  possède  un  évêché  suf- 
fragant  d'Aix,  érigé  en  183S,  une  pretécture,  une  académie 
d'instruction  publique,  une  cour  impériale,  un  tribunal  de 
première  instance  ,  un  tribunal  et  une  chambre  de  com- 
merce, une  ban(i,ue,  un  mont-de-piété  et  une  caisse  d'é- 
pargne, etc.  Il  s'y  publie  plusieurs  journaux  :  VAkhbar;  le 
Mobacher,  journal  arabe  français;  ['Algérie  nouvelle,  etc. 
On  y  trouve  en  outre  un  théâtre. 

Cette  ville,  que  les  Arabes  appellent  al  Djézaïr  (l'Ile),  et 
qui  paraît  occuper  la  place  de  l'antique  Jcosium,  est  bâtie 
en  arnphitliéàtre,  sur  une  colline  décent  dix-huit  mètres  d'é- 
lévation ,  dont  elle  occupe  tout  le  penchant  qui  fait  face  à  la 
mer.  Elle  a  ainsi  la  forme  d'un  triangle  dont  le  plus  grand 
côté,  lui  servant  de  base,  s'appuie  sur  le  rivage,  et  au  sommet 
duquel  se  trouve  la  Casbah,  ou  citadelle.  Ses  maisons,  blan- 
chies et  terminées  par  des  terrasses,  offrent  une  mas.se 
non  interrompue  qui  s'aperçoit  à  une  grande  dislance  en 
mer.  Le  grand  nombre  de  maisons  de  campagne  dont  elle 
est  environnée  lui  donnent  l'aspect  d'une  ville  riche  et  com- 
merçante. 

On  compte  à  Alger  et  sa  banlieue  60,647  habitants,  dont 
18,722  indigènes,  parmi  lesquels  il  y  a  des  Arabes,  des 
Kabyles,  des  Israélites  et  des  nègres.  Par  décret  du  l'^''  mai 
18.^4,  la  municipalité  d'Alger  se  compose  d'un  maire,  de  trois 
adjoints  domiciliés  à  Alger,  de  trois  adjoints  pour  les  sec- 
tions suburbaines,  nommés  par  l'empereur  sur  le  rapport  du 


808 


luinistie  delà  guerre  et d'.ip'fîs  •'*  proposition  du  j^oiivcr- 
neur  général,  et  d'un  consoil  iiiuiiici|ial  de  seize  iiieiid)ie.s, 
dont  dix  Français  ou  naturalises,  trois  étrangers,  deux  in- 
digènes musulmans  ,  un  indii;èiie  israélite,  noimucs  par  le 
gouverneur  général  sur  la  prtsenlatiou  du  préleL 

Alger  se  trouve  vers  l'ouverture  occidentale  d'une  vaste 
baie  occupant  un  espace  de  s  à  !)  milles,  de  l'est  à  l'ouest, 
ayant  près  de  4  milles  de  profondeur,  et  à  l'ouverture  orien- 
tale de  laquelle  est  le  cap  Matifou.  Au  fond  de  celte  baie 
est  l'embouchure  de  l'Harach,  larf;e  de  quarante  mètres, 
mais  souvent  obstruée  par  un  banc  de  sable.  L'ancienne  rade 
d'Alger  était  complètement  ouverte  aux  vents  du  large  ;  la 
petite  darse  qui  formait  le  port  avait  été  construite  à  l'extré- 
mité ouest  et  à  l'entrée  de  cette  rade.  Sa  fondation  remonte  à 
l'an  1 5.30.  Elle  est  l'ouvrage  de  Khair-Eddin,  frère  de  Bar- 
berousse,  qui,  s'étant  rendu  maître  d'un  petit  ilôt  situé  en  face 
de  la  ville,  sur  lequel  les  Espagnols  avaient  une  forteresse, 
résolut,  pour  s'en  assurer  la  possession,  et  en  même  temps 
pour  avoir  devant  Alger  un  port  à  l'abri  des  vents  et  de  la 
mer  du  large ,  de  la  réunir  à  la  ville  au  moyen  d'une  jetée 
qu'on  nomme  la  jetée  Khair-Eddïn.  Elle  a  cent  soixante- 
(piinze  mètres  de  longueur,  trente-six  mètres  de  largeur  en 
couronnement  ;  sa  direction  est  à  peu  près  celle  de  l'est- 
nord-est  à  l'ouest-sud-ouest.  Indépendamment  de  la  jetée 
Kliair-Eddin,  on  en  a  construit  une   seconde,  parallèle  à 
la  direction  de  l'île ,  et  qui  couvre  le  port  des  vents  de 
l'est  :  c'est  celle  que  l'on  nomme  le  Môle  proprement  dit. 
Elle  a  cent  vingt-cinq  mètres  de  longueur,  et  quatre-vingt- 
quinze    niètres  dans  sa  plus  grande   largeur;  sa  direction 
est  du  nord-ouest  au  sud-ouest.  Ces  deux  jetées  avec  le 
petit  môle  du  lazaret  formaient  l'enceinte  de  la  darse,  qui 
avait  trente-neuf  mille  huit  cent  douze  mètres  carrés  de 
superlkie,  et  pouvait  contenir  soixante  bâtiments,  dont  trente 
environ  du  port  de  trois  cents  tonneaux,  et  quelques-uns  seu- 
lement de  huit  cents  tonneaux.  Les  navires  d'un  plus  tort 
tonnage  mouillaient  hors  de  la  darse  ,  exposés  à  mille  acci- 
dents. Depuis  1836  on  a  entrepris  de  grands  travaux  pour 
agrandir  ce  port.  Au  moyen  d'énoinies  blocs  de  béton  de 
soixante   à  quatre-vingt-dix  mètres  cubes  chacun,  on  a  pro- 
longé une  jetée  en  avant  du  môle  et  dans  la  direction  de 
l'ouest  au  nord,  qui  doit  garantir  les  na\ires  des  vents  du 
large  et  les  défendre   au  besoin   contre  les  entreprises  de 
l'ennemi.  Une  autre  jetée  partant  de  terre  aux  environs  du 
fort  Bab-Azoun  doit  un  jour  compléter  l'enceinte  du  port 
d'Alger.  La  roche,  sans  nom,  qui  gênait,  a  été  dérasée. 

Sur  le  petit  îlot  dont  nous  avons  parlé,  et  qu'on  nomme 
la  Marine,  se  trouvent  un  parc  d'artillerie  et  d'autres  éta- 
blissements maritimes;  près  de  la  jetée  Khaïr-Eddin  il 
existe  un  phare,  mal  entretenu  par  les  Turcs,  mais  possé- 
dant aujourd'hui,  à  trente-cinq  mètres  d'élévation  au-dessus 
du  niveau  de  la  mer,  un  feu  tournant  de  quatrième  gran- 
deur, à  éclipse, et  visible  jusqu'à  cinq  lieues  en  mer.  Près  de 
là  il  y  avait  une  poudrière  qui  fit  explosion  le  8  mars  1845. 

Aussitôt  après  la  prise  d'Alger  on  s'occupa  d'assurer 
la  défense  de  la  place.  Les  abords  de  la  Casbah  furent  dé- 
gagés des  maisons  qui  les  obstruaient;  de  nouveaux  aligne- 
ments de  rues  furent  tracés;  en  même  temps  qu'au  fort 
de  l'Empereur  la  brèche  causée  par  l'explosion  qui  nous 
avait  ouvert  cet  ouvrage  était  réparée,  on  s'empressait  d'a- 
méliorer à  l'intérieur  d'Alger  tout  ce  qui  pouvait  augmenter 
sa  résistance  contre  une  attaque.  Des  déblais  étaient  entrepris 
au  fort  Neuf  pour  l'envelopper  d'un  fossé,  et  assainir  ainsi 
les  beaux  souterrains  (jui  s'y  trouvaient;  une  batterie  terr;isscc 
à  barbette  était  élevée  près  de  la  Pêcherie;  on  restaurait 
les  ]>arties  d'enceinte  avoisinant  la  rue  Macaron  ;  néanmoins 
la  faiblesse  de  l'enceinte  turque  fit  entreprendre  une  nouvelle 
muraille  bastionnée,  en  1841.  Comme  les  projets  d'agian- 
«lissement  du  port  lui  assignaient  l'espace  compris  entre  le 
fort  Bab-Azoun  et  la  darse  existante,  l'enceinte  nouvelle 
dut  s'étendre  jusqu'à  ce  fort,  et  par  suite  le  faubourg  Bab- 


ALGER 

Azoun  fut  enfermé  dans  la  ville  nouvelle.  L'enceinte  turque, 
qui  séparait  la  ville  de  ce  faubourg,  a  depuis  été  démolie,  ef 
le  reste  de  l'enceinte  rectifié  et  fortifié ,  en  même  temps 
que  la  citadelle  ou  Cnsbah  était  agrandie  et  pourvue  des 
établissements  nécessaires.  De  plus ,  Alger  a  été  couvert 
d'une  ligne  de  forts  détaclu'S. 

Le  faubourg  Bab-.\zoun ,  qui  avant  la  conquête  était  dé- 
sert et  int(>ct,  s'est  couvert  de  belles  maisons  et  d'établisse- 
ments importants,  construits  suivant  des  alignements  régu- 
liers. Il  est  devenu  le  plus  beau  quartier  de  la  ville.  — 
Du  côté  opposé,  à  l'ouest  d'Alger,  se  trouve  le  faubourg  Bab- 
el-Oued. 

Le  palais  du  gouverneur  est  un  hôtel  successivement 
agrandi  et  embelli.  De  belles  casernes  ont  été  construites,  des 
prisons  appropriées;  les  services  publics  ont  été  installés 
convenablement,  dans  des  locaux  choisis  à  cet  elfet,  au  fur 
et  à  mesure  des  besoins.  Enfin  les  souterrains,  assainis  et 
réparés,  ont  pu  servir  de  magasins  d'approvisionnements. 

La  calhédrale  d'Alger  est  sous  l'invocation  de  saint 
Philippe.  C'est  une  ancienne  et  fort  jolie  mosquée.  Ses  pro- 
portions n'étant  pas  d'abord  celles  qui  convenaient  à  une 
église  métropolitaine ,  des  travaux  importants  de  res- 
tauration et  d'agrandissement  furent  entrepris  pour  doubler 
la  superficie  de  l'édifice  et  y  anneser  toutes  les  dépendances 
nécessaires.  Les  travaux  ont  été  exécutés  dans  le  style 
mauresque  de  l'ancienne  mosquée. 

Une  maison  mauresque  des  plus  élégantes  a  été  affectée 
à  l'évêché  d'Alger  ;  elle  est  située  en  face  de  la  cathédrale,  et 
dans  ses  dépendances  sont  logés  les  chanoines  et  les  prêtres 
de  Saint-Philippe. 

L'église  Saint- Augustin,  rue  Bab-el-Oued,  est  une  ancienne 
mosquée  qui  depuis  l'occupation  avait  été  affectée  au  ser- 
vice du  campement.  Des  travaux  d'appropriation  ont  été 
exécutés  dans  son  intérieur,  et  elle  sert  d'église  paroissiale 
pour  le  quartier  de  Bab-el-Oued. 

Le  temple  protestant ,  commencé  en  1843,  a  été  achevé 
en  1845.  Un  logement  pour  le  pasteur  et  une  école  y  sont 
annexés. 

Alger  possède  en  outre  quatre  grandes  mosquées  et  une 
trentainede  petites,  deux  grandes  s}Tiagoguesetdou7.e petites. 
Vhospice  civil  est  établi  dans  l'ancienne  caserne  des  ja- 
nissaires de  Kharratine.  Eu  ISSlon  établit  l'hôpital  de  la 
Salpétrière  hors  de  la  porte  de  Bab-el-Oued ,  en  utilisant 
d'anciennes  constructions  ;  en  1832  l'hôpital  du  Dey  a  été 
formé  également  de  bâtiments  maures  dans  le  même  fau- 
bourg. Depuis  ,  ces  deux  élahiissements  ont  été  considéra- 
blement  augmentés  et  améliorés.  Un   bureau   de  bienfai- 
sance musulman  a  été  déclaré  d'utilité  publique  à  Alger  eu 
1857. 

Le  lazaret  d'Alger,  construction  remarquable,  commencé 
en  1840,  a  été  terminé  en  1843.  Il  est  placé  sur  un  terrain 
au  sud  et  à  peu  de  distance  du  fort  Bab-Azoun ,  au-dessus 
d'une  crique  où  il  est  facile  de  débarquer. 

La  bibliothèque  publique  d'Alger,  dont  la  fondation  se 
pré[)arait  depuis  1835,  fut  définitivement  constituée  enlS38, 
au  moyeu  de  dons  d'ouvrages  faits  par  les  divers  départe- 
ments ministériels,  auxcpiels  vinrent  se  joindre  des  manus- 
crits arabes  recueillis  par  M.  Berbrugger,  conservateur  de 
l'établissement,  ainsi  que  dans  nos  expéditions  militaires,  et 
surtout  à  la  prise  de  Constantine,  en  1837.  Elle  est  in.stallée 
dans  une  dépendance  de  l'ancienne  caserne  des  janissaires, 
transformée  en  lycée;  le  public  y  est  admis  trois  fois  par 
semaine.  En  1840  elle  comptait  1,473  ouvrages  imprimés, 
087  manuscrits  contenant  plus  de  deux  mille  ouvrages,  et 
quelques  cartes. 

Le  musée  d'Alger,  commencé  en  même  temps  que  la 
bibliothèque,  a  grandi  et  s'est  développé  successivement, 
au  point  que ,  l'espace  ayant  manqué  pour  disposer  conve- 
nablement les  collections  dans  le  bâtiment  du  lycée,  on  a 
du  réunir  les  objets  d'art  anti'pies  cl  les  curiosités  indigènes 


ALGER  — 

dans  quatre  sallos  <ie  la  J.'niiia.  I.e  musée  se  divise  en 
plusieurs  sections  :  ol^jets  iriiistoire  n.idirelle,  minéralopiie, 
fossiles,  hiscri^itions,  iin-daillfs  et  ecliantillon^  divers.  On  y 
voit  le  tomheau  du  fameux  Ha-san-Aglia,  qui  défendit  Alger, 
en  1541,  contre  Charles-Quint. 

Le  lycée  est  installé  dans  une  ancienne  caserne  de  janis- 
saires. Alser  compte  en  outre  un  colloiie  arabe  français,  une  1 
école  préparatoire  de  médecine  et  de  pharmacie,  deux  écoles  | 
françaises  de  garçons,  une  école  maure  française,  une  école  j 
juive  française,  ime  école  des  sœurs,  une  école  de  jeunes 
juives,  ime  salle  d'asile,  et  plusieurs  écoles  privées. 

Les  rues  de  jirande  voirie  d'Al;;er,  dont  le  développement 
est  de  1,7S6  mètres,  forment,  d'après  leur  position  dans  la 
ville  basse,  les  principales  artères  de  la  cité  ;  ce  sont:  la  nie 
de  l'Amirauté,  longeant  la  jetée  Kliaïr-i:<Idin,  du  côté  du 
port;  la  rue  de  la  Marine,  qui  fait  suite  à  la  précédente  , 
joint  la  porte  de  France  à  la  place  du  Gouvernement,  et 
borde  le  côlé  nord  de  cette  place  ;  la  rue  [Îah-Azoun,  qui 
suit  le  côté  ouest  de  la  même  place  et  conduit  à  la  porte 
d'Azoun;  la  rue  Bab-el-Oued,  qui  mène  à  la  porte  de  ce 
nom,  et  prend  naissance  à  l'angle  nord-ouest  de  la  place 
du  Gouvernement  ;  les  rues  Philippe,  Traversière  et  des 
Consul'!,  qui  mettent  en  communication  la  partie  nord  de 
la  rue  Bab-el-Oued  avec  l'extrémité  est  de  la  rue  de  la  Ma- 
rine. A  l'exception  des  rues  Philippe  et  des  Consuls ,  les 
rues  de  grande  voirie  à  Al^er  sont  couvertes  de  chaque  côté 
par  des  arcades.  Celles  de  la  Marine,  Bab-Azoun  et  Bab- 
el-Oued ont  huit  mètres  de  voie  charretière  et  sont  bordées 
dcgaleriesà  arcadesqui  abritent  des  trottoirsde  deux  mètres 
quarante  centimètres  de  largeur  dans  œuvre.  La  rue  de  la 
Lyre,  percée  en  1847,  large  de  huit  mètres  et  pourvue  d'ar- 
cades, va  de  la  place  du  Gouvernement  à  la  porte  d'fsly. 

Au  milieu  des  démolitions  qui  suivirent  la  conquête,  on  a 
établi  la  place  du  Gouvernement;  puis  la  place  de  Chartres, 
destinée  à  devenir  le  grand  marché  de  la  ville;  el  enfin  la 
place  du  Soudan,  qui  dégage  le  palais  du  gouverneur,  la 
cathédrale,  l'évêché;  la  place  d'Isly ,  etc. 

Les  égouts  d'Alger  servent  non-seulement  à  l'écoulement 
des  eaux  pluviales  et  ménagères,  mais  aussi  au  dégorge- 
ment des  fosses  d'aisances  des  maisons  particulières.  La  pente 
rapide  du  sol  de  la  ville,  bâtie  en  amphithéâtre,  permet  un 
écoulement  facile  et  prompt.  Les  Turcs  avaient  lais.sé  ce3 
égouts  dans  un  état  déplorable.  L'administration  française 
les  a  améliorés.  Tous  ces  égouts  sont  dirigés  vers  la  mer, 
les  uns  du  côté  de  Bab-el-Oued,  depuis  la  jetée  Khaïr-Eddin 
jusqu'au  fort  Neuf;  les  autres, et  c'est  le  plus  grand  nombre, 
du  côté  de  Bab-Azoun,  depuis  la  même  jetée  Khaïr-Eddin 
jusqu'à  la  porte  Bab-Azoun.  Ceux  qui  se  jettent  à  la  mer 
du  côté  de  Bab-el-Oued  ne  présentent  aucun  inconvénient; 
les  immondices  sont  battus  et  enlevés  par  la  mer  libre. 
Ceux  qui  se  jettent  du  côté  de  Bab-Azoun  se  déversent  dans 
le  port,  et  tendent  non-seulement  à  le  combler,  mais  encore 
à  le  rendre  plus  infect.  Poui-  éviter  ces  inconvénients,  on 
a  pensé  f.ure  un  grand  égout  de  ceinture  à  point  de  partage 
recevant  tous  ceux  qui  s'écoulent  dans  le  port,  et  portant 
les  résidus  à  la  mer,  d'un  côté  au  nord  de  la  jetée  Khaïr- 
Eddin,  et  de  l'autre  au  sud  du  fort  Bab-Azoun. 

Les  aqueducs  qui  alimentent  Alger  sont  au  nombre  de 
quatre,  savoir  :  le  Hamma,  le  Telendi,  l'Aïn-Zeboudja,  et  le 
Birtreriah.  Ilsfournissentensembleun  volumede  23,880  hec- 
tolitres par  vingt-quatre  heures.  Les  aqueducs  deTelemli  et 
d'Aïn-Zeboudja  ont  .subi  en  1845  des  avaries  qui  ont  néces- 
.silé  leur  reconstruction.  En  i si  1  il  y  avait  soixante  fon- 
taines publiques  à  Alser,  consommant  8,014  heclol'tres 
d'eau.  Ce~  fontaines  sont  uuinies  de  bassins  et  d'abreuvoirs. 
Depuis  ce  temps  le  nombre  des  fontaines  a  augmenté. 

L'industrie  est  peu  importante  à  Alger.  On  y  fabrique  des 
soieries,  des  tapis,  des  tissus  de  laine,  des  armes  à  feu,  des 
objets  de  sellerie,  de  bijouterie,  d'norlogerie,  des  cuirs,  etc. 
Cependant  Alger  possède  maintenant  quelques  usines  à  va- 


ALGÉRIE  309 

peur.  Celle  de  Balvel-Oued  subvient  à  peu  près  exclusivement 
à  la  mouture  de  l'armée.  Le  commerce  y  a  plus  d'impor- 
tance; entrepôt  naturel  des  éciianges  entre  la  métropole  et 
la  colonie  arabe,  il  s'y  fait  aussi  un  certain  mouvement  de 
cabotage.  Alger  possède  des  chantiers  de  construction  et  un 
certain  nombre  de  bâtiments.  La  pépinière  du  gouvernement, 
situi'eà  Hamma,  a  beaucoup  contribué  à  l'accliiualation  des 
plantes  exotiques  en  Algérie,  et  sert  également  à  préparer 
la  naturalisation  de  végétaux  pour  la  métropole.  Enfin  la 
douceur  du  climat  doit  im  jour  attirer  en  grand  nombre 
d'étrangers  à  Alger  en  hiver.  L.  Locvet. 

ALGÉRIE,  autrefois  régence  d^Alger,  un  des  anciens 
États  Barbaresques,  soumis  aujourd'hui  à  la  puis- 
sance de  la  France. 

DescJ-ipfion  géoçiraphique.  L'Algérie  est  bornée  au  nord 
par  la  Méditerranée,  à  l'ouest  par  l'empire  de  Maroc,  à  l'est 
par  la  régence  de  Tunis,  au  sud  par  Je  Sahara.  Elle  s'étend 
de  6"  30'  de  longitude  orientale  à  4°  de  longitude  occidentale. 
Ses  frontières  ont  été  fixées  par  un  traité  spécial  auprès 
du  cap  Malonia  du  côté  du  Maroc,  et  du  côté  de  Tunis  elles 
s'arrêtent  vis-  à-vis  l'ile  de  Tabarkah,  au  c?p  Roux .  Il  a  long- 
ternos  été  difficile  de  déterminer  les  limites  de  l'Algérie  au 
sud';  mais  on  peut  dire  qu'elles  sont  natm-e'.lemcnt  tracées 
par  la  fin  de  la  ligne  des  oasis  et  le  commencement  de  l'uu- 
mense  Sahara-Belama. 

L'Algérie  est  aujourd'hui  divisée  en  trois  provinces  et  trois 
préfectures,  ayant  pour  chefs-lieux  Alger,  Oran, Cons- 
tantin e.  Sa  population  est  évaluée  à  180,472  Européens. 
Sa  population  indigène  dépasse  2,500,000  âmes.  A  la  tête  de 
l'administration  se  trouve  un  gouverneur  général;  un  sou.s- 
gouverneur  le  supplée  en  cas  d'absence.  Dans  chaque 
province  un  général  commande  la  division  et  administre  le 
territoire  militaire.  L'administration  départementale  est 
confiée  à  trois  préfets.  Blidah ,  Mo.staganem ,  Bone ,  Phi- 
lippeville,  Médéah,  Miliana,  Mascara,  Tlemcen,  Gm-lma  et 
Sétif,  ont  des  sous-préfets.  Des  commissaires  civils  exerçant 
un  pouvoir  qui  tient  du  pouvoir  municipal  et  judiciaire  se 
trouvent  à  la  tète  de  certains  districts;  des  maires  et  adjoints 
administrent  les  communes  constituées.  Des  conseils  .sont 
placés  auprès  des  différentes  autorites.  La  hiérarchie  militaire 
comprend  des  officiers  supérieurs  de  divers  grades  dirigeant 
des  subiiivisions  et  des  cercles.  Les  services  des  ponts  et 
chaussées,  des  mines,  des  bâtiments  civils,  des  domaines,  des 
hypothèques,  des  douanes,  des  postes,  descontributions  indi- 
rectes, des  forêts,  sont  partout  organisés. La justiceest  rendue 
pardes  juges  depaix,  des  tribunauxde  commerce,  des  tribu- 
naux de  première  instance  et  une  cour  impériale  qui  siège 
à  Alger.  En  outre ,  des  kadis  et  des  tribunaux  indigènes 
rendent  la  justice  sous  notre  surveillance.  Des  bureaux 
arabes  ,  présidés  par  des  officiers  français,  veillent  à  tout 
ce  qui  regarde  l'administration  des  indigènes,  qui  doivent 
obéir  à  des  khalifas,  des  agas,  des  bach-agas,  des  kaids, 
et  des  amins,  institués  par  le  gouvernement  français.  Un 
évêché  existe  à  Alger.  Presque  tous  les  grands  centres  de 
population  ont  leurs  églises,  leurs  mosquées  ou  leurs  syna- 
gogues. Des  postes  télégraphiques  sont  établis,  et  un  com- 
missariat central  de  police  existe  à  Alger.  L'académie  d'Alger 
comprend  les  trois  départements  :  elle  est  dirigée  par  un 
recteur,  deux  inspecteurs  d'académie,  un  insjiecteur  pri- 
maire et  deux  sous-inspecteurs.  Elle  compte  un  lycée,  un 
collège  arabe  français,  des  collèges,  des  pensions  et  de 
nombreuses  écoles  primaires. 

La  chaîne  de  montagnes  qui  forme  la  ligne  de  partage 
des  eaux  entre  la  Méditerranée  et  le  Grand  Désert  porte  le 
nom  général  'X'Atlas.  Les  géographes  ont  longtem(is  dis- 
tingué le  grand  et  le  petit  Atlas,  désignant  par  ce  dernier 
nom  cette  cliaîue  peu  élevée,  mais  escarpée,  qui  suit  le  lit- 
toral depuis  le  détroit  de  Gibraltar  à  travers  le  .■\Iaroc  et 
l'Algérie  jusqu'à  Tunis.  Mais  cette  distinction  n'est  point 
exacte,  car  les  deux  chaînes  ne  sont  parfaitement  dislinclei 


3,0  ALGÉRIE 

on  aucun  endroit,  et  l'intervalle  qui  les  géparc  est  lui-mCme 
un  pays  de  montagnes  entrecoupé  de  profondes  vallées. 
Aucune  des  cimes  de  l'Atlas  ne  s'élève  jusqu'à  la  région  des 
neiges  perpétuelles  ;  elles  sont  presque  toujours  couronnées 
de  vastes  et  magnifiques  forêts  de  pins.  Le  massif  du  Jur- 
jura  et  surtout  les  monts  Aurès  semblent  ôtre  les  points 
culminants. 

La  constitution  géologique  de  ces  montagnes  présente 
des  calcaires  anciens  alternant  avec  un  schiste  talqucux  et 
passant  souvent  à  un  micaschiste  bien  caractérisé  et  au 
gneiss.  La  stratification  du  gneiss  est  également  très-irrégu- 
lière,  il  ne  présente  pas  de  débris  organiques;  puis  vien- 
nent des  marnes  schisteuses  alternant  avec  des  calcaires  se- 
condaires; enfm  des  calcaires  grossiers  avec  des  marnes 
blancliâtres,  des  sables  ferrugineux  reposant  sur  des 
marnes  bleues  gypseuses.  Ce  terrain  est  particulièrement 
développé  près  d'Oran ,  et  les  plaines  dont  le  sol  en  est 
formé  sont  d'une  grande  fertilité,  tandis  que  du  côté  d'Alger 
il  paraît  peu  propre  à  la  végétation.  On  a  également  trouvé, 
mais  en  petites  quantités,  des  roches  volcaniques,  des  tra- 
chytes ,  des  laves ,  des  ponces  et  des  scories.  Parmi  les 
gemmes,  il  faut  citer  les  diamants,  les  calcédoines,  les  gre- 
nats, les  macles,  les  tourmalines,  des  cristaux,  du  quartz  et 
de  belles  lames  de  mica.  Il  y  a  aussi  des  mines  d'or,  d'ar- 
gent, d'antimoine,  de  fer,  de  plomb  et  de  cuivre.  Ces  trois 
derniers  métaux  surtout  se  rencontrent  en  gisements  nom- 
breux et  puissants. 

Au  milieu  des  reliefs  montagneux  qui  sillonnent  l'Algérie 
s'étendent  de  nombreuses  vallées  qui  s'étendent  parfois  en 
vastes  plaines  ,  parmi  lesquelles  on  cite  en  première  ligne 
celles  de  la  Métidja  et  delaMedjana;  au  versant  mé- 
ridional de  l'Atlas,  celles  de  Seresso,  d'El-Mehaguen,  d'El- 
Mansef,  d'El-Mita,  d'El-Ouazâren. 

L'iiydrographie  de  l'Afrique  commence  à  être  mieux 
connue.  Les  principaux  cours  d'eau  sur  le  versant  de  la 
Méditerranée  sont  la  Mafrag,la  Seihouse,  qui  se  jettent 
dans  la  mer  près  de  Cône,  ainsi  que  iaEoudjinia,  petite  ri- 
vière dont  le  cours  est  fort  lent;  le  Béni-Meiki,  qui  dé- 
bouciie dans  le  golfe  de  Stora;  rOued-el-I\ebir  ouR  ummel; 
le  Boufcerak,  l'Isser,  l'Hamise,  lilaracii,  le  Maza- 
fran  ,  le  Chélif,  ie  fleuve  le  plus  important  de  toute  l'Al- 
gérie, la  Macta,  le  Rio-Salado  et  la  ïafna;  sur  le  versant 
du  désert,  l'Oued-iMedjerdah  et  l'Oued-Milleg,  l'Oued-Rosran, 
rOued-Bedjer,  l'Oued-Djellàl ,  lOued-el-Djedi,  dont  le  par- 
cours est  considérable  et  dont  les  principaux  allluents  sont 
rOued-el-Arab ,  l'Oued-el-Abied  ,  l'Oued-Hadjer,  TOued- 
Oulad-Abdi ,  l'Oued-el-Tell  ,  lOued-Djeaii  et  l'Oued-ei- 
Fcirad.  Les  autres  cours  d'eau  sont  peu  considérables  et 
imparfaitement  connus. 

Parmi  les  lacs  il  faut  citer  :  dans  le  département  de  Cons- 
tantine,  le  Guérah-el-Hout,  leGuérah-el-Bolieira,  le  lac  l'et- 
zara,  la  Sebkha-Zerkak  ;  dans  le  département  d'Alger,  le  lac 
Alouta  ;  dans  le  département  d'Oran,  la  S  e  b  k  h  a  ou  lac  Salé, 
et  quclciues  autres  plus  petits.  Le  Sahara  algérien  contient 
un  grand  nombre  de  lacs,  oii  se  jettent  les  fleuves  qui  l'ar- 
rosent. Les  plus  importants  sont  le  lac  de  Zaghez,  le  Chot- 
cl-Saïda,  le  lac  de  Nsiga,  le  lac  Feighigh,  le  lac  Melgliigh  et 
le  lac  de  Cliegga. 

Pour  la  description  des  côtes  de  l'Afrique  que  les  indigènes 
appellent  S  «  A  e /,  nous  les  suivrons  de  l'ouest  à  l'est  à 
partir  des  frontières  de  Maroc.  Le  cap  Malouia  est  !e  pre- 
mier que  l'on  rencontre  depuis  la  fixation  des  frontières; 
on  passe  ensuite  devant  Djeinmâa-Gliazaouali ,  place  occu- 
pée par  nos  troupes;  après,  on  trouve  le  cap  llone,  jtlus  loin 
le  cap  Noé,  formé  de  leiTes  hautes  et  coupées  à  pic  du  côté 
lit;  la  iner,  le  caj)  légalo,  un  des  plus  avancés  de  la  cùle,  très- 
escarpé  et  presque  taillé  à  pic;  le  cap  Lindlès,  puis  une  baie 
profonde,  l)ordée  île  plages  et  de  falaises  ;  le  cap  l'aieon,  !a 
baie  de  las  Aguadas,  la  baie  d'Oran.  Le  mouillage  d'Oran 
est  détendu  des  vents  d'ouest  et  nord-ouest  par  la  poiule  du 


fort  Lamouna;  et  le  fort  Mer  s-el-Kebir,  qui  s'avança 
comme  un  môle  vers  l'est,  en  fait  le  meilleur  al^ri  que  l'on 
puisse  trouver  sur  la  côte  d'Algérie.  Le  cap  Ferrât  sépare  la 
baie  d'Oran  de  celle  d'Arzeu,  qui  offre  un  excellent  mouil- 
lage pour  toutes  les  saisons  aux  bâtiments  ordinaires  du 
commerce.  Vient  ensuite  la  pointe  du  Chélif,  puis  une  suite 
de  falaises  ou  de  terres  peu  élevées,  le  cap  Ivi,  une  cour- 
bure de  la  côte,  peu  sensible,  mais  prolongée,  et  le  cap  Té- 
nès;  le  port  de  Cherchell,  situé  dans  une  petite  anse 
circulaire,  dont  l'ouverture  est  tournée  au  nord-ouest  et  qui 
n'est  aujourd'hui  praticable  que  pour  les  petits  bâtiments. 
On  trouve  ensuite  le  Raz  el-Amousch  ,  composé  de  terres 
hautes  qui  occupent  une  grande  surface,  la  presqu'île  de  S  i  d  i  - 
Fer  rue  h  elle  capCaxine.  La  baie  d'Alger  vient  ensuite  ; 
la  côte  est  rocailleuse  d'abord ,  puis  forme  une  large  plage 
qui  tourne  à  l'est-sudest  et  se  courbe  insensiblement  en 
remontant  enfm  vers  le  nord  jusqu'à  l'Hamise.  Là  le  sable 
disparaît;  c'est  une  falaise  qui,  se  levant  graduellement  jus- 
qu'au cap  Matifou,  forme  la  partie  orientale  de  la  baie  d'Al- 
ger. Jusqu'au  cap  Bengut  il  n'y  a  ni  abri  ni  mouillage.  A 
partir  de  Del  lys  la  côte  est  sans  sinuosités  remarquables 
juscpi'au  cap  Corbelin.  Une  longue  plage  de  sable  terminée 
par  de  basses  lalaises  forme  le  cordon  de  la  côte  jusqu'au 
cap  Sigli,  De  ce  point  au  cap  Carbou  la  côte  présente  à  la 
mer  une  muraille  perpendiculaire  de  grands  rochers.  La  baie 
de  Bougie  vient  ensuite,  et  offre  un  abri  sûr  en  toutes  sai- 
sons. Jusqu'au  port  de  Djidjelli  la  côte  n'est  qu'une  suite 
de  bas  rochers.  Du  cap  Boudjaroni,  point  le  plus  septentrio- 
nal de  toute  la  côte  d'Algérie,  jusqu'à  la  baie  de  Collo,  la 
côte  est  variée  et  pittoresque  ;  puis  on  trouve  le  Raz-Bibi , 
formé  de  mamelons  disposés  en  pointe  étroite,  une  côte 
soutenue  par  d'énormes  rochers  ;  ime  baie  de  nouveaux  es- 
carpements de  rochers  ;  la  petite  anse  de  S  t  o  r  a ,  que  les  in- 
digènes regardent  comme  le  meilleur  port  du  littoral,  et 
enlin  le  cap  Filfila.  Le  grand  enfoncement  compris  entre 
ce  cap  et  le  cap  de  Fer  se  nomme  golfe  de  Slora.  La  côte 
se  redresse  après  avoir  dépassé  Philippevi Ile  vers  le 
nord-est  jusqu'au  cap  de  Garde.  La  plage  qui  borde  la  ville 
de  Bone  tourne  au  sud  et  la  portion  de  la  côte  comprise 
entre  les  caps  de  Garde  et  Rosa  forme  le  golfe  de  Bone. 
Immédiatement  après,  nous  trouvons  la  Calle,  ancien 
établissement  de  la  compagnie  d'Afrique ,  et  le  cap  Roux , 
limite  de  l'Algérie. 

Nous  venons  de  citer  les  principales  villes  de  l'Algérie 
qui  se  rencontrent  sur  les  côtes  ;  il  ne  nous  reste  plus  qu'à 
rappeler  celles  de  l'intérieur  ;  presque  toutes  auront  des  ar- 
ticles dans  notre  ouvrage.  Dans  le  Tell  algérien  nous  trou- 
vons d'abord  :  dans  la  province  d'Alger  :  Blidah,  Bouf- 
farick,  Orléansville,  Medjadja ,  Miliana,  Médéah, 
Teniet-el-Haad,Boghar;  dans  la  province  d'Oran,  T 1  e- 
mecen.  Mascara,  Mostaganem,  Zebdou,  ïiaret, 
Tagdemt;  dans  la  province  de  Constantine  :  Milab, 
Msilah,  Sétif,  Djemilab,  Gbelma,  ïiflèch.  Dans  le 
Salwra  algérien  on  doit  citer  comme  stations  principales 
des  caravanes  et  sièges  des  marches,  Bou-Sada,  Ain-Ma- 
dhy,  El-Aghouat,  El-Alleg ,  Bouferdjoiin ,  Biskarali, 
Zaalcha,  Tuggurt,  El-Guérara,  Ouaregla,  Ghardéia, 
Methli,  El-Abiedh,  Lelmaia,  El-Ghaçoul,  Stiten,  El-Moqta, 
Taouiala. 

Située  dans  la  plus  chaude  moitié  de  la  zone  tempérée, 
mais  encore  loin  du  tropique,  l'Algérie  doit  à  celle  heureuse 
position  ainsi  qu'à  l'élévation  montueuse  du  sol  el  an  voi- 
sinage de  la  mer  un  climat  extrêmement  doux  el  saiuhrc 
sur  les  pentes  septentrionales  de  l'Atlas;  l'hiver  offre  une 
température  moycnnede  12°  à  18°,  et  dans  l'été  elle  atteint 
de  30"  à  40";  des  vents  frais  et  des  brises  régulières 
viennent  en  modérer  l'ardeur.  D'avril  en  octobre,  le  ciel  est 
constamment  pur  ;  puis  viennent  les  pluies,  qui  durent  jus- 
qu'en mars.  Le  nombre  des  jours  pluvieux  n'est  guère 
que  de  quarante  dans  l'année,  mais  la  (ptantilé  d'eau  tombée 


est  conskWn\blo,  et  se  peut  évaluer  h  une  moyenne  de  soixan- 
te-seize centimètres.  Les  vents  les  plus  communs  sont  ceux 
du  nord  et  du  nord-ouest,  les  plus  rares  sont  ceux  d'est  et 
d'ouest  ;  le  vent  du  sud ,  ou  simoun,  qui  souflle  trois  ou 
quatre  fois  par  mois,  produit  une  chaleur  accablante;  mais 
il  est  rare  qu'il  dure  plus  de  vingt-quatre  heures. 

La  végétation  est  telle  qu'on  la  doit  attendre  du  climat, 
et  la  contrée  n'a  point  dégénéré  ;  c'est  toujours  cette  ferti- 
lité si  renommée  chez  les  anciens.  Tous  les  fraits  de  l'I-u- 
rope  méridionale  y  croissent  en  abondance.  Les  oranges, 
les  citrons,  les  amandes,  les  jujubes,  les  caroubes,  les  figues, 
les  bananes,  les  noix,  les  mûres,  les  raisins,  et  généralement 
tous  nos  fruits  à  pépin  et  à  noyau  y  sont  d'une  qualité  su- 
périeure. Le  dattier,  le  pistachier,  l'olivier,  l'arbousier,  la 
vigne  môme  et  l'oranger  sont  des  produits  spontanés  du 
sol.  Les  plaines  donnent  les  plus  riches  moissons  de  cé- 
réales ;  le  riz  se  cultive  dans  les  vallées,  plus  humides.  Tous 
nos  légumes  et  nos  herbages  potagers  y  réussissent  par- 
faitement, ainsi  que  toutes  les  variétés  de  melons.  L'indigo, 
le  café, et  surtout  le  tabac,  y  ont  été  introduits  depuis  la 
conquête,  et  font  déjà  prévoir  une  immense  source  de  re- 
venus pour  l'Algérie. 

Tous  nos  arbres  et  nos  fleurs  d'agrément  y  croissent  na- 
turellement côte  à  côte  de  la  raquette,  de  l'agave,  du  sumac, 
des  cystes,  du  gonêt  épineux,  de  l'absinthe,  de  la  menthe  et 
de  la  sauge.  Le.^  forêts  sont  peuplées  de  lièges,  d'yeuses,  de 
thuyas,  de  cyprès  et  de  pins.  Dans  les  marécages  on  trouve 
beaucoup  de  joncs  et  de  roseaux. 

Dans  le  rogne  animal,  on  doit  citer  :  parmi  les  zoophytes, 
le  corail  et  l'éponge;  parmi  les  insectes,  la  sauterelle,  la  pu- 
naise, les  moustiques  et  la  puce  surtout,  véritable  fléau  pour 
l'épiderme  déhcat  de  l'Européen.  L'eau  des  mares  contient 
des  petites  sangsues  presque  imperceptibles,  qui  occasionnent 
de  fréquents  accidents.  Les  scorpions  et  les  tarentules  sont 
très-dangereux.  Les  poissons  de  mer  et  d'eau  douce  sont 
les  mêmes  que  ceux  des  côtes  et  des  rivières  de  la  Provence. 
Les  reptiles  sont  très-communs  et  très-variés,  les  crapauds 
d'une  taille  remarquable,  les  lézards  très- multipliés  ainsi 
que  les  caméléons.  Les  tortues  déterre  et  d'eau  douce  sont 
extrêmement  nombreuses,  sans  parler  de  celles  que  la  Mé- 
diterranée apporte  sur  les  côtes.  Les  oiseaux  sont  à  peu 
près  ceux  de  l'Europe.  Quant  aux  mammifères,  parmi  les 
carnassiers  on  rencontre  le  lion,  la  panthère,  l'once,  le  lynx, 
le  chacal,  la  hyène,  l'ours,  le  loup,  le  chien,  le  chat,  le  re- 
nard, la  genette  et  l'ichnenmon  ;  parmi  les  rongeurs ,  les 
rats,  la  gerboise,  le  porc-épic,  les  lièvres  ;  parmi  les  singes, 
des  guenons  et  des  babouins  ;  entre  les  pachydermes  non 
ruminants,  le  sanglier  ;  parmi  les  narainants,  les  antilopes  et 
les  gazelles,  et  enfin  les  animaux  domestiques,  comme  le 
cheval,  l'une,  le  mulet,  le  chameau,  le  dromadaire,  le  bœuf, 
le  mouton  et  la  chèvre. 

11  n'y  a  peut-être  pas  de  pays  où  l'on  rencontre  autant 
de  races  d'hommes  différentes,  pures  ou  mélangées.  On 
admet  d'ordinaire,  en  mettant  à  part  les  colons  européens, 
des  Arabes,  des  Kabyles  ou  Berbers,  des  Turcs,  des  Juifs, 
des  Nègres  et  des  Coulouglis.  La  dénomination  de  Bédouins 
(nomades)  s'applique  indifféremment  aux  Kabyles  et  aux 
Arabes,  ces  deux  peuples  si  distincts  d'origine.  Quant  à  cello 
de  Maures,  par  laquelle  on  préfendait  désigner  les  restes 
du  peuple  que  les  Romains  appelaient  ainsi,  elle  est  erro- 
née. Mais  ces  sept  races  d'hommes  ne  se  rencontrent  pas 
quelquefois  pures  de  tout  mélange,  soit  entre  elles,  soit  avec 
des  éléments  étrangers.  Ainsi,  dans  les  Kabyles  on  retrouve 
facilement  des  descendants  des  Vandales,  encore  reconnais- 
sablés  à  leurs  cheveux  blonds  et  à  leurs  yeux  bleus.  Les 
Turcs  (et  il  en  reste  peu)  ne  sont  pas  de  véritables  Os- 
manlis,  mais  descendent  de  ce  ramas  de  gens  de  toutes  soiles 
et  de  toutes  origines  ,  Turcs  ,  Grecs,  Circassiens ,  Albanais  , 
Corses,  Mallais,  que  la  soif  du  pillage  avait  réunis  dans  le 
repaire  de  la  piraterie.  Les  Coulouglis  (  fiis  de  sollats)  étaient 


ALGÉRIE  311 

la  postérité  issue  de  ces  Turcs  avec  des  femmes  indigènes. 


Il  ne  faut  pas  croire  non  plus  que  la  classe  des  Juifs,  si 
nombreuse  dans  les  villes,  descende  en  droite  ligne  d'Abra- 
ham ;  les  historiens  arabes  ne  laissent  point  ignorer  qu'aux 
septième  et  huitième  siècles  une  grande  partie  des  habitants 
de  l'Afrique  professaient  le  judaïsme,  et  que  la  prédication 
musulmaiie  fut  loin  d'opérer  une  conversion  universelle.  En- 
fin  la  race  nègre  doit  son  origine  aux  esclaves  successive- 
ment amenés  par  les  caravanes  des  divers  pays  de  l'inté- 
rieur de  l'Afrique. 

La  langue  arabe  est  la  plus  généralement  répandue ,  la 
plupart  des  Juifs  la  parlent;  la  langue  berbère  se  parle 
dans  toutes  les  tribus  kabyles.  Le  turc  et  la  langue  franque 
ont  complètement  disparu  depuis  que  le  français  a  fait  élec- 
tion de  domicile  dans  l'ancienne  régence  d'Alger.  Les  indi- 
gènes l'apprennent  et  le  parlent  avec  facilité.  L'espagnol  se 
parle  beaucoup  dans  la  province  d'Oran. 

La  religion  dominante  est  la  religion  musulmane;  la  ma- 
jorité est  sunnite  ou  orthodoxe,  une  partie  des  indigènes 
est  chyite  ou  schismatique.  Le  judaïsme  est  exactement 
pratiqué  par  ses  sectateurs.  Le  paganisme  originel  desîN'ègres 
s'est  perpétué  dans  quelques  pratiques  superstitieuses. 

La  plus  grande  diversité  existe  également  dans  les  cou- 
tumes et  les  mœurs  de  ces  peuples.  L'Arabe  est  générale- 
ment nomade  ;  il  habite  sous  des  lentes ,  dont  la  réunion 
forme  des  douars.  Ces  tentes,  en  tissu  de  peau  de  chameau, 
sont  disposées  en  cercles  de  manière  à  laisser  au  centre  un 
grand  espace  où  les  troupeaux  sont  enfermés  la  nuit.  Les 
chevaux  sont  entravés  avec  des  cordes  tendues  auprès  de 
chaque  tente  ;  les  armes  et  les  selles  sont  toujours  prêtes , 
de  sorte  qu'en  cas  d'alerte  le  douar  est  sur  pied  en  peu 
d'instants.  La  richesse  de  l'Arabe  consiste  en  nombreux  trou- 
peaux. Quand  il  a  chargé  sa  tente  sur  le  dos  d'un  mulet  ou 
d'un  chameau,  il  emporte  avec  lui  sa  patrie.  Le  Kabyle,  au 
contraire ,  habite  de  beaux  et  nombreux  villages.  Les  mai- 
sons sont  construites  en  pierres  et  en  briques  ;  le  toit  est 
couvert  en  chaume,  en  tuiles  pour  les  riches;  des  étables, 
des  écuries  servent  à  abriter  le  bétail  et  les  chevaux.  En  outre, 
les  Arabes  ont  une  organisation  essentiellement  aristocra- 
tique ;  tandis  que  les  Kabyles  affectionnent  les  formes  démo- 
cratiques. La  différence  de  rangs  est  très-marquée  chez  les 
premiers  :  les  guerriers  et  les  marabouts  forment  dans 
chaque  tribu  l'ordre  des  grands ,  et  de  nombreuses  et  an- 
ciennes familles  exercent  une  très-grande  influence.  Cela 
ne  se  rencontre  pas  chez  les  Berbers.  L'Arabe  déserte 
le  travail  ;  essentiellement  paresseux,  pendant  neuf  mois  de 
l'année  il  ne  s'occupe  que  de  plaisirs ,  il  court  de  fête 
en  fête.  Le  Kabyle,  cultivateur  par  excellence,  attaché 
au  sol,  travaille  sans  cesse.  En  outre,  il  exploite  les  mines, 
qui  se  trouvent  en  quantité  dans  ses  riches  montagnes,  et 
dont  il  letire  du  plomb  pour  fondre  des  balles,  du  fer  dont 
il  façonne  des  couteaux,  divers  ustensiles,  et  des  canons 
de  fusil  ;  du  cuivre  et  de  l'argent,  qu'il  emploie  à  divers 
usages  et  à  sa  parure.  11  file  et  tisse  la  laine  de  ses  trou- 
peaux ,  le  lin  de  ses  récoltes  ;  il  amalgame  l'huile  grossière 
qu'il  retire  des  oliviers  avec  la  cendre  des  varechs  ,  en  un 
savon  noirâtre;  de  ses  ruches  il  retire,  outre  le  miel,  une 
cire  qu'il  épure  pour  en  former  ces  chandelles  qui,  du  pre- 
mier port  où  notre  commerce  les  a  trouvées,  ont  reçu  le 
nom  de  buttyic.s.  En  revanclie,  toute  l'industrie  de  l'Arabe 
nomade  consiste  principalement  à  fabriquer  des  ustensiles  de 
bois  et  de  vannerie,  à  filer  et  à  tisser  la  laine,  le  poil  de  cha- 
meau, le  lin,  l'agave.  Enfin,  l'habitant  des  villes  exerce  tous 
les  métiers  qui  sont  nécessaires  aux  besoins  de  la  cité  ;  mai? 
les  arts  mécaniques  et  les  arts  libéraux  sont  en  enfance. 
Les  principaux  objets  des  exportations  de  l'Algérie  soni 

les  laines,  les  tabacs,  les  céréales,  les  huiles  d'olives   et 

d'autres  graines,  les  minerais  de  plomb  et  de  cuivre,  les 

moutons,  les  bœufs,  les  peaux,  ftc. 
Au  nombre   de  ses  importations  figurent  les  tissus   de 


312 


ALGERIE 


coton,  de  lame ,  de  soie ,  de  dianTre  et  de  lin  ;  vins  et  eanx- 
de-vie,  houilles,  vêtements,  sucre,  café,  linge,  outii'^,  pa- 
pier, savons,  huiles  éjuirées,  peaux  préparées,  fruits,  etc. 
Presque  tous  ces  articles  proviennent  de  France. 

Le  commerce  extérieur  de  l'Algérie  se  réduit  à  peu  près 
à  celui  de  ses  ports.  Son  négoce  avec  les  États  voisins,  ou 
par  la  voie  des  caravanes  avec  l'intérieur  de  l'Afrique,  n'a 
pas  encore  atteint  une  graiide  extension.  Le  premier  consiste 
dans  l'exportation  du  froment,  orge,  préférable  aux  dilfé- 
rentes  orges  importées  dans  la  colonie;  bétail,  cette  richesse 
des  indigènes;  cuirs  et  peaux,  corail,  sangsues,  cire, 
gomme,  liège,  kermès,  lichens  tinctoriaux,  fruits,  huile 
de  la  Kabylie  ,  la  meilleul-e  pour  la  fabrication  du  savon ,  et 
des  draps  ;  fruits,  ivoire,  plumes  d'autruche,  terres  savon- 
neuses; laines,  qui  motivent  cbaque  année  des  opérations 
considérables  sur  les  marchés  de  Tiaret  et  de  Boghar. 

Undécret  impériaidu  25juin  1860a  ouvert  la  frontière  sud 
de  l'Algérie,  de  Géryville  à  Lagliouat  et  à  IJiskra  à  l'impor- 
tation en  franchise  des  produits  naturels  et  fabriqués  ori- 
ginaires du  Sahara  et  du  Soudan. 

Grâce  aux  Européens,  la  culture,  négligée  par  les  Arabes 
et  exploitée  avec  intelligence  par  les  Kabyles,  a  réalisé 
d'incontestables  améliorations.  Ses  produits  sont  :  partout, 
le  froment  et  l'orge  ;  dans  certaines  contrées ,  le  nia>s,  le 
millet  et  le  riz.  Les  autres  récoltes  se  composent  de  fèves, 
lentilles,  haricots,  pois,  légumes  verts,  melons  et  fruits 
excellents.  Les  plantations  les  plus  nombreuses  sont  celles 
des  llguiers,  des  grenadiers,  des  amandiers,  des  mûriers, 
des  oliviers  et  des  dattiers,  splendide  et  lucratif  ornement 
du  versant  méridional  de  l'Atlas. 

La  vigne  tend  à  se  propager.  Elle  n'occupail  pourtant 
encore  en  1857  que  3,637  hectares.  Le  coton  s'y  est  parfai- 
tement acclimaté.  Encouragée  par  des  prix  et  des  achats 
directs,  celte  culture  occupait  en  lSô8  2,058  hectares  : 
elle  avait  fourni  en  1857  200,000  kilogrammes  de  coton. 
L'abolition  de  l'esclavage  en  Amérique  pourrait  donner 
une  grande  importance  à  la  culture  du  cotonnier  en  Al- 
gérie, qui  produit  également  la  canne  à  sucre,  l'indigo 
et  la  cocheuille.  Le  tabac ,  des  deux  cultures  arabe  et 
européenne,  fournit  de  très-bonnes  qualités  qu'achètent  l'ad- 
ministration; les  sortes  inférieures  restent  à  la  fabrication 
et  à  la  consommation  de  la  colonie.  En  1858,  5,132  hectares 
ont  produit  4,765,692  kiiogiammes  de  feuilles  de  tabac 
achetés  par  l'État  4,133,501  fr.  Les  soies,  industrie  euro- 
péenne du  Sahel  d'Alger,  sont  appelées  à  prendre  un  notable 
et  fructueux  développement.  L'.\lgérie  expédie  en  France, 
comme  primeurs,  des  légumes, des  fruits,  desartichauts,  de* 
pois,  des  choux-lleurs,  des  bananes,  des  oranges,  des 
citrons,  etc. 

Parmi  les  produits  de  l'exploitation  algérienne,  nous  si- 
gnalerons le  fer,  le  plomb  argenti-aurifère  de  Kefoum- 
Theboul  et  de  Gar-Roublan ,  le  cuivre  de  Tenès  et  de 
Mouzaïa  ;  le  sel  extrait  des  lagunes  d'Arzeu,  après  l'évapo- 
ration  des  eaux;  le  salpêtre,  obtenu  en  abondance  par  le 
lavage  des  terres;  les  gypses,  les  pierres  de  chaux,  les  terres 
savonneuses,  les  marbres  blancs  du  Fillila,  le  marbre- 
onyx  translucide  d'Aiu-Tekbalet,  etc.  Enfin,  la  pèche  est 
depuis  longtemps  l'ime  des  meilleures  sources  du  revenu 
algérien,  surtout  celle  du  corail,  inépuisable  entre  Bone  et 
rileTabarkah. 

Quant  à  l'industrie  de  fabrication,  elle  comprend  le 
tissage  des  étoffes  de  laine  et  de  celles  de  poil  de  chèvre  ; 
les  étoffes  de  soie;  les  mousselines  brochées  d'or  et  d'argent, 
les  tapis,  les  toiles  grossières,  les  cuirs,  les  maroquins,  les 
articles  de  sellerie,  les  armes,  et  les  objets  d'horlogerie  et 
de  bijouterie  ;  mais  elle  décline  nécessairement  devant  la 
concurrence  des  produits  similaires  de  la  métropole. 

Aperça  sur  Iti  ciiloiiistifion  Jrauçaise.  —  Ahe  était 
depuis  peu  de  temps  en  notre  pouvoir,  le  pied  dc'nos  sol- 
dats avait  à  peine  louché  les  premiers  contreforts  de  J'A- 


r  tlas,  et  déjà  de  hardis  colons  venaient  s'établir  dans  la 
plaine  de  la  Métidja.  Nous  ne  parlons  pas  de  ces  spécula- 
teurs moins  courageux  et  moins  recommandables  qui  l'ont 
achetée  tout  entière,  sans  la  visiter,  d'Arabes  aussi  peu 
scrupuleux  qu'eux-mêmes.  Nous  rappelons  les  efforts  de 
quelques  vrais  propriétaires ,  qui  dèà  le-s  premières  années 
ont  eu  foi  dans  l'aVenir  de  l'Afrique ,  qui  lui  ont  porté  leurs 
familles  et  leurs  fortunes  ;  et  il  en  est  quelques-uns  qui  ont  vu 
plus  tard  tous  ses  désastres  sans  lais&er  un  instant  ébranler 
leur  courage. 

En  même  temps  des  populations  agglomérées  commen- 
çaient à  former  des  villages  nouveaux.  En  1832  des  familles 
alsaciennes  arrivèrent  du  Havre  à  Alger  ;  le  duc  de  Rovigo 
les  plaça  dans  le  Sahel  d'Alger,  à  Dély-lbrahim  et  à  Kouba. 
En  1836,  sous  l'administration  du  maréchal  Clauzel ,  un 
centre  de  population  fut  créé  à  Bouffarick.  Ses  habitants 
eurent  beaucoup  à  soufl'rir  de  la  guerre  et  de  l'insalubrité 
du  territoire  qui  les  entourait.  LavilledeCherchell,  ayant  été 
complètement  abandonnée,  fut  repeuplée  en  1840  par  les 
soins  du  maréchal  Valée.  Des  groupes  s'établissaient  sponta- 
nément sans  intervention  de  l'autorité  dans  la  banlieue 
d'Alger ,  en  choisissant  de  préférence  les  lieux  oii  se  trou- 
vîiient  des  camps  ou  des  stations  militaires ,  comme  Hus- 
séin-Dey,  Birkadem ,  Birmadrais,  Texeraïn.  D'autres  avaient 
élevé  leurs  habitations  plus  avant,  au  cœur  du  Sahel ,  près 
des  camps  de  Douera  et  de  Maelma.  Cependant  les  premiers 
essais  de  colonisation  ,  à  proprement  parler,  ne  remontent 
pas  au  delà  de  1841.  On  était  au  milieu  de  la  guerre,  les 
hostilités  s'étendaient  jusqu'à  la  banlieue  d'Alger.  On  songea 
à  faire  de  la  colonisation  où  l'élément  militaire  prédominât. 
On  pensa  qu'il  fallait  l'enfermer  dans  des  fossés ,  dans  des 
enceintes  continues.  On  commença  Yobstacle,  et  on  créa  les 
grands  villages  militaires  de  Fouka  et  de  Mered,  entourés 
de  murailles  ,  à  l'abri  desquelles  étaient  les  maisons  des  co- 
lons, bâties  sur  un  plan  uniforme  par  le  génie  militaire.  Ils 
devaient  être  peuplés  par  des  soldats  libérés ,  organisés  en 
compagnies  et  commandés  militairement. 

Fouka  seul  fut  peuplé  de  cette  manière.  Mais  on  ne  tarda 
pas  à  reconnaître  les  difficultés  et  les  dépenses  excessives 
propres  à  un  système  qui  faisait  de  la  colonisation  avec  des 
célibataires  sans  ressources ,  qu'il  fallait  marier  pour  leur 
donner  une  famille ,  doter,  loger,  nourrir  et  habiller,  et  qui 
travaillaient  en  commun. 

Pour  peupler  Mered  on  employa  des  soldats  encore  atta- 
chés au  drapeau ,  résolus  à  se  fixer  en  Algérie  et  ayant  des 
habitudes  agricoles.  Une  compagnie  ainsi  recrutée  fut  ins- 
tallée dans  ce  village,  et  une  autre  dans  le  camp  de  Maelma. 

On  voulut  ensuite  faire  de  la  colonisation  civile.  Un  arrêté 
en  date  du  18  avril  1841,  relatif  à  la  formation  de  nouveaux 
centres  et  aux  concessions  à  y  faire  ,  vint  régler  l'action  des 
diverses  branches  de  l'administration  publique  appelées  à 
prendre  part  aux  opérations  de  la  colonisation  ,  devenue 
ainsi  une  œuvre  administrative  et  gouvernementale.  11  at- 
tribua à  la  direction  de  l'intérieur  la  part  essentielle  dans 
cette  œuvre ,  le  choix  des  emplacements ,  le  levé  et  l'allo- 
tissement  des  terres ,  le  placement  des  familles ,  l'établisse- 
ment des  routes  et  la  construction  des  éoiflces  publics ,  la 
délivrance  des  titres  provisoires  de  concession.  Le  conseil 
d'administration  eut  l'examen  des  projets  d'arrêtés  de  créa- 
tion, qui  ne  pouvaient  être  exécutés  qu'après  avoir  été  ap- 
prouvés par  le  ministre.  La  direction  des  finances  ne  dut 
intervenir  dans  la  formation  des  nouveaux  centres  que  pour 
la  remise  des  immeubles  domaniaux  à  comprendre  dans 
leur  périmètre ,  et  pour  la  délivrance  des  titres  définitifs 
de  propriété.  L  arrêté  stipulait  la  gratuité  des  concessions. 

Des  règlements  particuliers  déterminèrent  les  conditions 
exigées  pour  être  admis  à  titre  de  colons  concessionnaires 
dans  les  centres  de  nouvelle  formation.  Le  minimum  des 
ressources  pécuniaires  fut  fixé  de  12  à  1,500  francs.  Toute 
famille  admise  dans  un  village  eut  droit  au  permis  de  pas^ 


1 


ALGERIE 


S13 


snge  gratuit  de  Toulon  on  de  Marseille  à  Alger.  Les  préfels 
pouvaient  en  outre  délivrer  des  secoins  de  route  jusquau 
port  d'embarquement.  Chaque  concessionnaire  reçut,  pour 
l'aider  d.ins  la  construction  «le  sa  maison  ,  dis  matériaux  à 
Mtir  pour  une  valeur  de  600  (r.  11  lui  lut  i>reté  des  hœnfs 
pour  la  mise  en  culture  de  sa  concession  ;  il  lui  fut  délivré 
des  instruments  aratoires,  des  semences  et  des  arbres  ;  en 
certaines  circonstances  même,  on  lui  lit  défricher  par  l'ar- 
mée un  ou  deux  hectares. 

C'est  d'après  ce  système  que  furent  créés  et  constitués, 
du  12  janvier  1842  au  24  décembre  1S43,  douze  centres  nou- 
veaux, savoir  :  Drariali,  r.^chour,  Cheraga,  Douera,  Saoula, 
Ouled-Fayet,  lîaba-Hassan,  IVlonlpensier,  Joinville,  Krecia, 
DouaoudaeluneannexedeMered;en  lS4ô,  Souma et  Notre- 
Dame  de  Fouka,  Sidi-Chami ,  Mazat-ran,  Saint-Denis  du  Sig, 
Arzeu,  .\in-Silia.  Trois  centres  déjà  créés  ont  été  complétés 
suivant  ce  mode ,  Dely-lbrahim,  Boulfarik,  Cherchell. 

Plusieurs  villages  ont  été  établis  dans  les  parties  extrêmes 
du  Sahel  par  les  condamnés  militaires.  Saint- Ferdinand  et 
Sainle-.\niélie.  En  1844  ils  ont  construit  les  villages  de 
Maelma  et  Zéralda  dans  le  Sahel  d'Al^zer;  de  Dalmatie  à 
l'est  de  Blidah  et  du  Fondouck  au  pie.l  de  l'Atlas,  de  Daui- 
rémont,  Yalée  et  Saint-Antoine  auprès  de  Phihppeville, 
ainsi  que  plus  tard  Gastonville,  Robertvilie,  etc. 

D'antres  villages  ont  été  créés  par  les  grands  propriétaires 
du  sol ,  entre  autres  :  Saint-Jules  et  Caussidou  ,  situés  sur  le 
revers  méridional  du  Sahel ,  en  face  de  la  Métidja,  à  gauche 
de  la  route  d'Alger  à  Bhdah  par  Douera. 

Une  société  religieuse  renommée  par  ses  habitudes  agri- 
coles et  ses  mœurs  rustiques,  les  trappistes,  forma  le  projet, 
à  la  fin  de  1842,  de  fonder  en  Algérie  une  vaste  exploitation. 
Les  propositions  qu'elle  fit  dans  ce  but,  et  qu'appuyèrent 
plusieurs  membres  des  deux  chambres,  furent  favorablement 
accueillies.  Après  un  voyage  d'exploration  en  Afrique,  les 
chefs  de  celte  communauté  demandaient  la  concession  de 
l'ancien  camp  de  Staoueli,  d'une  contenance  de  1,020 
hectares,  limitée  au  nord  par  la  mer,  au  sud  par  l'Oued- 
Bridia,  à  l'est  par  l'Oued-Bakara  et  la  plaine,  à  l'ouest  par 
la  plaine.  Us  se  constituèrent  h  cet  effet  en  société  civile,  et 
obhurenl  la  concession.  Les  trappistes  ont  défriché  cette 
terre,  planté  des  arbres  d'essences  variées,  >emé  des  céréales , 
institué  des  prairies,  planté  une  vigne,  de  grands  jardins  po- 
tagers, et  une  magnifique  pépinière;  ils  ont  essayé  un  grand 
nombre  de  cultures,  parmi  lesquelles  il  faut  compter  celle  du 
tabac, qui  a  réussi  complètement  ;  indépendamment  des  tra- 
vaux agricoles,  ils  ont  exécutédes  constructions  considérables. 
En  dehors  de  ces  concessions  faites  par  la  direction  de 
l'intérieur  à  titre  gratuit,  la  direction  des  finances  a  opéré 
la  concession  d'un  grand  nombre  d'immeubles  ruraux  ap- 
partenant au  domaine.  Les  concessionnaires  de  ces  im- 
meubles étaient  tenus  d'y  construire  des  bâtiments  d'exploi- 
tation ,  d'y  faire  des  travaux  d'assainissement ,  de  mettre  les 
terres  en  culture  dans  un  délai  fixé,  de  faire  des  plantations, 
de  greffer  des  oliviers. 

Après  la  révolution  de  Février,  l'Algérie  joua  un  rôle  dans 
les  utopies  gouvernementales.  On  en  fit  un  lieu  de  irans- 
portalion.  Des  milliers  de  bras  étaient  inoccupés  :  on  réso- 
lut de  s'en  servir  pour  hâter  la  colonisation  de  l'Afrique 
française.  L'Assemblée  nationale  mit  une  grande  précipita - 
lion  à  voter  un  crédit  de  50  millions  pour  l'établissement 
de  colonies  agricoles;  nouvelle  expérience  qui  a  coûté  quel- 
ques milliers  d'hommes  et  quelques  millions  de  francs. 

[Depuis  la  soumission  d'Abd-el-Kader,  à  la  fia  de  1847, 
le  guerre  a  laissé  le  champ  libre  à  la  colonisation.  Quelques 
^oulèvements,  aussitôt  réprimés,  ont  à  peine  troublé  la  tran- 
quillité du  pays,  qui  dans  les  guerres  d'Orient  et  d'Italie  a  pu 
voir  partir  pour  ces  nouveaux  champs  de  bataille  une  bonne 
partie  de  ses  troupes  sans  éprouver  la  moindre  inquiétude. 
L'expédition  de  Kabylie,  si  heureusement  et  si  promptement 
terminée,  n'a  fait  qu'ajouter  à  la  sécurité.  Les  Arabes 

niCT.    DE    LA    CO>VtKiAllO>i.    —    T.    I. 


eux-mêmes,  qu'on  pouvait  croire  un  obstacle,  semblent  sa 
pliera  la  régéuération  de  l'Algérie;  ils  cultivent  aujourd'hui, 
plantent,  bâtissent,  si)éculent,  font  des  routes,  se  fixent  enfin 
et  acceptent  nos  lois.  Partout  aujourd'hui  la  sécurité  est 
garantit'.  Les  autorités  françaises  sont  partout  reconnues; 
des  fortilicalious  mettent  les  troupes  à  couvert;  le  télé- 
graphe porte  les  ordres  de  l'autorité  d'un  bout  à  l'autre 
de  la  contrée  ;  des  roules  facilitent  les  mouvements  de 
l'armée;  des  cliemins  de  fer  donneront  bientôt  une  locomo- 
tion plus  prompte  encore;  les  côtes  sont  hérissées  de  canons, 
et  enfin  l'Arabe,  qui  voit  notre  force,  connaît  aussi  notre 
justice.  Plusieurs  mesures  du  gouvernement  sont  venues 
aider  à  cette  transformation.  D'abord  un  décret  de  1851 
a  fondé  et  leconnu  la  propriété  en  Algérie  et  lui  a  doimé 
des  bases  certaines.  Aux  concessions  gratuites  des  terrains 
se  sont  ajoutées  plus  tard  des  ventes  à  l'enchère.  Une 
foule  de  nouveaux  centres  de  population  ont  été  créés  ;  des 
communes  civiles  ont  été  organisées;  bien  des  points  souuns 
a  l'autorité  militaire  sont  passés  sous  l'autorité  civile;  des 
municipalités  ont  été  nommées;  des  conseils  municipaux  et 
des  conseils  généraux  ont  été  appelés  à  la  vie;  enfin  l'au- 
torité militaire  a  été  réduite  autant  que  possible.  De  grands 
travaux  publics  ont  été  entrepris  ;  des  mesures  de  douanes 
plus  justes  et  plus  libérales  ont  été  promulguées;  des  encou- 
ragements ont  été  donnés  à  la  production  du  tabac,  du 
colon,  des  chevaux,  etc.  Un  ministère  spécial  avait  été 
créé  pour  marquer  une  nouvelle  ère  aux  progrès  de  la 
colonie  dans  la  voie  de  la  liberté  civile  ;  on  a  supprimé 
ce  ministère  à  la  fin  de  1860,  et  on  en  est  revenu  à  un  gou- 
verneur général  qui  saura  sans  doute  ne  pas  se  détourner 
de  la  route  indiquée.  Des  compagnies  de  colonisation  se  sont 
fondées  en  Afrique,  entre  autres  la  compagnie  genevoise  : 
elles  peuvent  rendre  de  grands  services  ;  mais  le  courant  d« 
l'émigration  n'est  pas  encore  vers  l'Algérie.  Sa  population 
européenne,  qui  était  de  131,283  individus  en  1851,  n'était 
encore  en  1857  que  de  180,472.  Et  pourtant  la  fertilité  du 
sol  alricain  appelle  les  bras  européens.  Il  pourra  pourvoir 
en  effet  à  l'insuffisance  de  la  métropole  en  céréales,  en  viande 
et  en  chevaux.  L'industrie  doit  également  être  encouragée 
en  Airique;  car  «  s'il  est  vrai  que  l'agriculture  doive  être 
loni,temps  encore  la  principale  occupation  des  colons  algé- 
riens ,  a  dit  M.  Michel  Chevalier,  il  ne  l'est  pas  moins  que 
l'agriculture  a  des  accessoires  industriels  qu'on  ne  peut  lui 
interdire  sans  la  mutiler.  »  Z.] 

On  peut  dire  aujourd'hui  que  notre  gouvernement  est 
accepté  par  l'Algérie  tout  entière.  Dans  la  société  kabyle 
ou  arabe,  la  tribu  est  l'élément,  l'unité  sur  laquelle  s'exerce 
notre  autorité.  L'individu,  la  tente,  le  douar  forment  la 
vie  intérieure  de  la  tribu,  échappent  à  notre  surveillance, 
et  doivent  être  respectés.  Au  sein  de  quelques  tribus  se 
sont  élevées  de  grandes  familles  ennoblies  parle  sacerdoce  ou 
par  la  guerre.  Les  chefs  de  ces  familles  exercent  en  quelques 
endroits  le  pouvoir  en  notre  nom.  Les  bureaux  arabes 
ont  essayé  sur  quelques  points  le  gouvernement  direct  des 
indigènes.  Enfin  nous  tenons  le  Tell  par  une  ligne  centrale 
et  par  les  postes  qui  sont  sur  la  limite  du  Sahara.  Par  la  pos- 
session du  Tell,  nous  occupons  le  Sahara,  puisque  chaque 
année ,  à  l'époque  des  moissons ,  les  tribus  sahariennes  sont 
forcées  d'abandonner  leur  campement  et  de  venir  au  nord 
chercher  des  céréales  pour  leur  nourriture  et  des  pâturages- 
pour  leurs  troupeaux. 

Faisons  des  vœux  pour  que  cette  terre  à  jamais  française 
nous  récompense  de  la  noble  tâche  que  nous  bous  sommes 
imposée  d'ouvrir  à  la  civilisation  une  contrée  que  la  nature 
a  comblée  de  ses  dons.  Sans  parler  des  immenses  débou- 
chés que  l'Algérie  olfreànoi  produits  (  débouchés  que  devra 
!  décupler  encore  l'établissement  de  relations  avec  l'Afrique' 
j  centrale  si  le  rêve  du  maréchal  Biigeaud  vient  à  se  réaliier), 
î  au  point  de  vue  politique,  il  est  incontestable  que  l'existence 
!  de  déparlements  français  de  l'autre  côté  de  la  Méditerranée. 

40 


'à  II 


ALGÉRIE 


nvec  une  |K»|)ulaUon  évaUiée  dt'jà  à  plusieutr;  niUlious 
d'dmi's,  (loil  peser  notablement  dans  la  balance  des  iulcréts 
i;uro(iL'ciiî. 

Nous  y  trouverons  les  «'îléincnts  d'une  excellente  cavalerie 
et  d'une  irifanteriedouéc  (les qualités  qui  donnent  la  victoire, 
la  sobriété,  l'habitude  de  la  fatigue  et  le  sang-froid,  traits 
principaux  du  caractère  musulman.  Le  cabotage  et  la  pèche 
sur  !.!  littoral  serviront  au  recrutornent  de  notre  (lotte.  Ces 
hardis  corsaires  devant  lesquels  s'est  huniili^'e  aiilrclois  la 
fii'rlé  des  nations  européennes,  seront  sur  nos  vaisseaux  de 
robustes  et  intréjiides  marins.  En  outre,  la  possession  de  l'Al- 
t;érie  rattache  d('j;'i  la  France  aux  nations  de  race  latine,  et 
son  incorporation  définitive  et  prochaine  doit  avoir  la  plus 
grande  influence  sur  le  rôle  que  notre  patiie  est  destinée  à 
jouer  dans  ce  grand  mouvement  d'assimilation  et  de  fusion 
(}ui  travaille  l'Europe. 

Les  Romains  appelaient  la  Méditerranée  Mare  nostriim  ; 
l'Algérie  nous  donne  le  droit  de  dire  que  la  Méditerranée  est 
un  lac  français. 

Histoire.  Rien  n'est  plus  obscur  que  tout  ce  qui  se  rat- 
tache aux  origines  des  habitants  du  nord  de  l'Afrique.  l'armi 
toutes  ces  populations  y  en  a-t-il  d'aborigènes?  Cette 
question  send)le  devoir  être  résolue  aflirmativement  pour 
les  Rerbe  rs  ou  Kabyles,  qui  s'étendent  depuis  les  oasis 
d'.\udjelali  et  de  Siouah  jusqu'au  détroit  de  Gibraltar  sur 
loules  les  parties  montagneuses  et  escarpées  du  littoral.  La 
langue,  le  caractère,  les  habitudes,  les  traits  physiques  sont 
leur  lien  commun. 

L'antiquité  les  appelait  Libyens.  Avant  que  les  Phéniciens 
eussent  apporté  sur  la  côte  de  Tuni^  leur  civilisation,  déjà  si 
avancée,  et  que  les  Grecs  eussent  débarqué  en  Cyrénaïque, 
la  vie  des  peuplades  aborigènes  devait  être  sauvage  comme 
telle  des  hôtes  iëroces,  en  si  grand  nombre  dans  ces  contrées. 
Les  traditions  fabuleuses  qu'ont  recueillies  les  historiens  de 
ranti(piité  sur  les  combats  d'Hercule  et  d'Antée,  sur  les  At- 
lantes, sur  le  jardin  des  Hespérides,  n'étaient  sans 
<loute  que  des  symboles  figurant  soit  des  invasions  très- 
nîculécs  et  des  iiiigvalions  de  races,  soit  la  conûguratioa 
géographique  du  pays, 

l^anni  les  pe\iplades  dont  les  noms  sont  parvenus  jusqu'à 
nous,  les  Gétules,  les  Nomades  ou  Numides,  lesGa- 
ramantes  oc(;upent  le  premier  rang.  A'iennent  ensuite  les 
Mazkpies,  les  JMaurusiens,  et  celte  nation,  presque  complète- 
ment sauvage,  q>ii  habitait  le  pays  aride  et  triste  qui  borde 
les  deux  Syrtes,  les  L  o  t  o  p  h  a  g  e  s,  les  P  s  y  1 1  e  s,  les  Na- 
samons,  les  Blemmyes.  Une  distinction  fondamentale 
partageait  cette  grr.nde  iamillc  en  deux  groupes  :  le  carac- 
tère nomade  ou  sédentaire  des  tribus.  Les  Gétules,  les  Gara- 
mantes,  les  Ma/.iques  étaient  célèbres  de  temps  immémo- 
rial par  leur  goût  pour  la  vie  errante.  Sous  le  nom  significatif 
de  Numides,  on  les  suit  depuis  les  temps  antéhistoriques,sous 
les  dominations  carthaginoise,  romaine,  vandale,  arabe  et 
turque.  Ce  sont  ces  cavaliers  intrépides,  maigres,  basanés, 
montés  sur  des  chevaux  de  peu  d'apparence,  mais  rapides 
et  infatigables ,  et  qu'ils  guident  avec  une  corde  tressée  de 
joue  en  guise  de  bride.  Leur  gouvernement  était  un  singulier 
mélange  de  despotisme  et  de  liberté  ;  leur  religion  consis- 
tait dans  l'adoration  des  astres  et  de  la  mer.  Quelques  tribus, 
au  témoignage  de  Léon  ,  prati(piaient  le  sabéisme. 

Lorsqu'une  colonie  phénicienne  fut  arrivée  sur  ces  côtes 
et  eut  fondé  Carthage,  en  même  temps  qu'une  émigration 
grec(pie  donnait  naissiuice  à  la  ville  de  Cy  rêne,  ces  puis- 
sants germes  de  civilisation  jetés  an  sein  des  peuples  barbares 
eurent  bientôt  produit  d'admirables  résultats. 

On  sait  comment  le  jjuissant  empire  de  Carthage  s'écroula 
devant  la  fortune  de  Rome  et  l'inimitié  de  Masinissa.  La 
domination  des  Romains  se  substitua  naturellement  à  celle  du 
peuple  vaincu.  Mais  ils  ement  degrandes  difficultés  à  soumet- 
tre le  jiays  ;  ils  comiuirent  sur  .1  u  gu  f  t  h  a  toute  la  N  n  m  i  d  i  e, 
tlladoiinèiciil  d'abord  a  Liocchus,  roi  de  ?»' au  ri  ta  nie.  IMus 


tard  ils  en  investirent  Juba,  le  fondateur  de  Jnlia  Cœsarea 
(  aujourd'hui  Cherchell  ).  Ces  deux  royaumes  furent  quelque 
temps  après  incorporés  à  l'Empire.  CarUiage  avait  été  rele- 
vée. L'Algérie  actuelle  formait  les  deux  provinces  de  Numidie 
et  de  Mauritanie  Césarienne.  Le  reste  de  l'Afrique  septen- 
trionale se  partageait  en  Tingitane,  Mauritanie  Sitifienne, 
lîyzacène,  Tripolilaine  et  Cyrénaïque,  que  sa  position  reculée 
liait  aux  destinées  de  l'I-gypte. 

La  province  d'Afrique  sous  les  empereurs  fut  le  théâtre 
de  plusieurs  révoltes  causées  par  les  exactions  des  gouver- 
neurs. Sous  Tibère  le  soulèvement  de  Taclarinas  faillit 
faire  perdre  à  Rome  cette  riche  province  qui  la  nourrissait. 

Quand  l'empire  romain  s'écroula  à  son  tour,  l'Afrique  était 
dans  un  état  de  prospérité  inouïe.  Le  christianisme  y  avait 
Iiénélré  dès  le  deuxième  siècle,  et  y  avait  produit  une  foule 
d'hommes  illustres  :  Tert  ullien,  Cypri  en,  Augustin; 
les  lettres  et  les  arts  y  avaient  atteint  un  haut  degré  de 
perfectionnement.  Les  luines  (pie  nos  armées  retrouvent 
aujourd'hui  sur  tous  les  points  de  l'Algérie  nous  font  assez 
voir  comment  la  civilisation  romaine  savait  transformer  un 
pays. 

Les  barbares  Vandales,  qui  venaient  de  conquérir  l'Es- 
pagne, furent  appelés  en  Afrique  par  le  comte  B  o  n  i  face,  et 
succédèrent  aux  Romains.  Mais  le  puissant  empire  que  le 
génie  deGenséric  avait  fondé  s'écroula  sous  G  é  1  i  m  e  r ,  et 
Bélisaire,  qu'avait  envoyé  Jus  tin  i  en  ,  réunit  ces  pro- 
vinces à  l'empire  d'Orient. 

Vers  la  fin  du  septième  siècle,  les  Arabes  envahirent 
l'Affi(pie  septentrionale,  et  changèrent  totalement  la  face  du 
pays.  Les  populations  durent  embrasser  la  religion  de  Maho- 
met, et  les  deux  cent  quatre-vingt-treize  églises  épiscopales 
qui  eÂ.istaient  dans  les  seules  limites  du  territoire  algérien 
actuel  disparurent  jusqu'aux  derniers  vestiges.  Les  déno- 
minations romaines  s'effacèrent  pour  faire  place  au  nom 
général  de  Maghreb.  Plusieurs  dynasties,  soit  arabes,  soit 
berbères,  se  succédèrent  sur  divers  points  de  ces  nouvelles 
possessions  des  Kitalifes  d'Orient.  L'Algérie  fit  tour  à  tour 
partie  du  royaume  des  A  g  1  .i  b  i  t  e  s,  des  lî  d  r  i  s  i  t  e  s,  des 
Fat  imites,  des  Zéirites,  des  Haraadites,  des  Ouahe- 
dites.  Ces  trois  dynasties  furent  renversées  par  les  Almo- 
rav  ides,  que  détruisirent  à  leur  tour  les  Almohades. 
En-.oie  la  domination  passagère  de  ces  derniers  fut-elle 
prompfement  remplacée  par  celle  des  Zyaniles  de  Tlémecen 
et  des  Hcfsites  de  Bougie. 

Les  fils  des  Arabes  conquérants  de  l'Espagne  venaient 
d'être  expulsés  de  l'Andalousie  apiès  la  chute  du  royaume 
de  Grenade.  La  plupart  se  réfugièrent  sur  la  côte  barba- 
lesque,  et  armèrent  de  nondjreux  corsaires  pour  inquiéter  les 
rivages  espagnols.  Ferdinand  le  Catholique,  pour  met- 
tre un  terme  à  cet  état  de  choses,  s'empara  du  fort  dcMers- 
el-Kebir  près  d'Oran.  Cette  dernière  ville.  Bougie,  Alger  et 
diverses  autres  places  tombèrent  successivement  au  pouvoir 
des  Espagnols.  Mais  les  Algériens  appelèrent  à  leur  secours 
Salem-ebn-Témi,  le  plus  redoutable  des  chefs  arabes.  Celui- 
ci,  pour  assurer  le  succès  de  son  entreprise,  eut  recours  à 
l'assistance  d'un  écumeur  de  mer,  le  premier  Barberousse. 
Alger  dut  capituler;  mais  les  Arabes  ne  firent  que  changer 
de  maître.  Barberousse  se  défit  au  plus  tôt  de  son  rival ,  et 
resta  posse.sseur  de  la  ville,  avec  la  milice  turque.  Le  (ils  ilo 
Saiem  implora  en  vain  le  secours  des  Espagnols  ;  une  tem- 
pête fit  échouer  l'expédilion.  Barberousse  r'  avait  partagé 
le  |iouvoirav<T.  son  frère  Khaïrod.lin  ou  Barbe  rousse  1 1, 
qin  lui  succéda.  En  butte  à  la  haine  des  Arabes  et  aux  atta- 
ques des  Espagnols,  le  nouveau  souverain  s'adressa  en  i:i9.n 
au  snltan  Sélim,  et  obtint  de  lin  ,  en  échange  d'un  acte 
formel  de  soumission,  le  titre  de  bey  d'Alger,  un  secours  de 
deux  mille  janissaires,  de  l'artillerie  et  de  l'argent.  Avec  ces 
renforts  Kbaïreddin  s'empara  du  fort  espagnol ,  qui  tenait 
encore,  et  (it  construire  par  des  esclaves  chréliens  la  j(  té*' 
d'A!-:r.- 


ALGER  IK 


Le  sultan  Soîimnn  a\nnt  rappelt^  Kliaireiidin,  le  <oin- 
niamionit'iil  d'Ailier  dciiiiMita  à  un  eiinuqnt',  rciiO};at  sardf, 
nomiuo  Hassan-Aga,  qui  s'était  tendu  fumeux  par  ses  pirate- 
ries, liieuto»,  le  pape  Paul  III,  alarmé  des  fré(|UPiites  ap- 
paritions des  Algériens  sur  les  côles  d'Italie,  et  particuliè- 
rement sur  celles  du  Patrimoine  de  saint  Pierre,  engagea 
vivement  l'empereur  Cliarles-Quint  à  prendre  la  défense  de 
la  elirétienfé.  Ku  lôil  une  tlotle  lut  armée  contre  Al^er. 

Cette  expédition,  à  laquelle  présida  quelque  chose  de 
l'esprit  à  la  fois  poétique,  clievalerescpie  et  religieux  des 
croisades ,  est  un  des  épisodes  les  plus  curieux  de  l'Iiisfoire 
algérienne.  —  «  I\Ion  très-cher  empereur  et  fds ,  écrivait  le 
r<?lèbre  Doria  àCharles-Quint,  ne  vous  engagez  point 
dans  cette  entreprise  chanceuse  et  téméraire,  sur  cette  côte 
battue  des  vents,  sur  cette  terre  aride.  "  —  Mais  qu'impor- 
taient les  prévisions  du  vénérable  amiral  ? 

Les  forces  réelles  se  composaient  d'environ  vingt-sept 
mille  hommes.  La  Hotte  qui  emmenait  cette  brillante  année 
avec  tout  son  cortège  réunissait  cent  gros  vaisseaux,  soixante- 
dix  galères,  et  cent  vaisseaux  plus  petits  :  total,  deux  cent 
soixante-dix  bâtiments.  A  l'élite  des  troupes  espagnoles 
s'étaient  joints  une  foule  de  gentils-hommes  d'Espagne  et 
d'Italie,  parmi  lesquels  brillait  au  premier  rang  Fernand 
Cortez,  le  conquérant  du  Mexique ,  qui  se  présenta  comme 
volontaire  avec  ses  trois  lils.  La  terreur  régnait  à  Alger.  Huit 
cents  Turcs  et  cinq  à  six  mille  indigènes  formaient  pour 
l'instant  la  seule  barrière  qu'il  fût  possible  d'opposer  à  cette 
nuée  d'ennemis.  Les  autres  Turcs  étaient  en  campagne  pour 
lever  les  tribuU  sur  les  Arabes.  Di;ux  jours  s'étaient  écoulés 
depuis  ledébarquement.etaueune  action  remarquablen'avait 
eu  lieu,  quand  une  violente  tempête  vint  arrêter  les  efforts  des 
Espagnols  (22  octobre).  Le  lendemain  au  point  du  jour,  les 
Algériens,  qui  n'avaient  nullement  souffert,  firent  une  sor- 
tie, et,  quoique  obligés  à  la  fin  de  se  retirer  devant  l'armée 
entière  de  l'empereur,  ils  lui  tuèrent  un  grand  nombre  de 
.soldats.  Le  jour  en  naissant  éclaira  un  spectacle  encore 
plus  lamentable.  Les  vents  arrachaient  les  vaisseaux  de  leurs 
ancres;  ils  se  heurtaient  contre  les  rochers,  échouaient  sur 
le  rivage,  ou  s'abîmaient  dans  les  flots  :  quinze  vaisseaux 
de  guerre  et  boixante  bâtiments  de  transport  périrent  en 
une  heure  ;  huit  cents  hommes  furent  noyés ,  et  les  au- 
tres, lorsqu'ils  atteignaient  la  terre  à  la  nage,  y  trouvaient 
des  Arabes  chargés  de  les  massacrer.  Ainsi,  les  vivres,  les 
munitions,  les  moyens  de  se  rembarquer,  tout  disparais- 
sait à  la  fois.  Heureusement,  le  lendemain  matin,  un  mes- 
sager, arrivé  sur  une  barque,  annonça  que  Doria  était 
échappé  à  cette  tempête,  la  plus  terrible  (ju'il  eût  vue  depuis 
cinquante  ans,  et  qu'il  attendait  l'armée  impériale  sous  le 
cap  de  Temend-FoMs.  Mais  le  cap  était  à  quatre  jours  de 
marche.  Levoyags  de  l'armée,  épuisée,  presque  sans  pro- 
^isions,  ralentie  parles  blessés  et  les  malades  qu'elle  traînait 
à  sa  suite,  ne  fut  guère  moins  désastreux  que  l'événement 
(jui  le  nécessitait;  les  Turcs  ne  donnèrent  point  un  instant 
de  relûche  aux  malheureux  fugitifs.  Enlln,  l'on  toucha  à  cette 
pointe  tant  désirée ,  et  les  débris  de  la  brillante  armée  espa- 
gnole reprirent  avec  l'empereur  le  chemin  de  l'Espagne  ;  les 
chevaliers  de  Maite  revinrent  dans  leur  île  avec  trois  galères 
a  demi  brisées. 

Jl  était  naturel  que  cet  échec  essuyé  par  les  armes  de 
Charles-Quint  ajoutât  à  l'audace  des  corsaires  algériens  , 
(jui  ju>(iuc  vers  la  lin  du  dix-septième  siècle  continuèrent  à 
désoler  impunément  les  cotes  de  la  Méditerranée.  En  1663, 
Louis  XIV  régnait  depuis  vingt  ans.  Animé  de  cet  esprit 
chevaleresque  qui  n'est  pas  son  moindre  titre  à  la  gloire  et 
à  l'admiration  des  siècles,  il  songea  à  laver  l'Europe  de  la 
fxnche  honteuse  que  lui  imprimait  sa  condescendance  pour 
les  Carharesques,  et  résolut  de  s'emparer  d'ime  place  à  égale 
distance  d'Alger  et  de  Tunis,  alin  qu'au  besoin  ses  forces  pus- 
sent se  diriger  sur  l'une  ou  l'autre  de  ces  villes.  En  consé- 
quence, une  escadre  de  six  vaisseaux  paitit  deToulon  en  1  GO.';, 


sous  les  ordres  du  lieutenant  général  maritime  Paul,  et  dé- 
barqua  six  mille  hounues  sur  la  côte  de  Ojidjelli.  La  com- 
pagnie du  bastion  de  France  avait  là  ime  factorerie  qui  pou- 
vait devenir  le  noyau  d'une  grande  colonisation.  On  se  mit 
à  y  construire  un  fort.  Mais  les  Algériens,  auxquels  ces  nou- 
velles constructions  étaient  à  juste  titre  suspectes,  surprirent 
la  colonie  naissante,  et  chassèrent  les  Français  de  leur  posi- 
tion avant  même  que  le  fort  fût  achevé.  Les  années  1664 
et  1665  se  passèrent  en  guerre.  Le  duc  de  Beau  fort, 
amiral,  remporta  sur  eux  plusieurs  victoires;  mais  ces 
avantages  n'avaient  rien  de  décisif,  et  les  pertes  légères  qiie 
les  corsaires  souffraient  de  temps  à  autre  étaient  amplement 
compensées  par  les  riches  produits  du  vol.  Les  cOtes  de  la 
Provence  et  du  Languedoc  surtout  étaient  exposées  à  des  dé- 
prédations continuelles  ,  presque  aussi  fatales  que  celles  dont 
l'Espagne  et  l'Italie  étaient  le  théâtre.  En  vain  divers  trai- 
tés furent  signés  entre  la  régence  et  le  roi  de  France , 
d'abord  en  1666  ,  puis  en  1676.  Les  corsaires  profitaient  dii 
prétexte  le  plus  simple  pour  violer  les  traités  ;  quelquefois 
ils  venaient  sous  pavillon  tunisien  ou  tripolitain  attaquer  les 
navires  français.  Enfin,  Louis  XIV  se  résolut  à  les  intimider 
par  un  châtiment  exemplaire. 

Duquesne  fut  chargé  de  cette  expédition;  Tourville 
servait  sous  lui.  Il  commença  par  donner  la  chasse  à  des  bâ- 
timents tripolitains,  qui  se  réfugièrent  dans  la  rade  de  Chio  : 
l'amiral  les  y  poursuivit,  et,  ne  pouvant  obtenir  que  le  gou- 
Aemeur  de  Pile  les  fît  sortir  du  port,  il  foudroya  la  citadelle, 
les  remparts  et  le  château ,  abattit  les  murailles  et  les  autres 
ouvrages  du  port,  et  coula  à  fond  quatorze  vaisseaux  corsaires. 
Mais  cette  victoire  n'était  que  le  prélude  de  ce  que  la  puissance 
française  méditait  contre  Alger.  Il  s'agit  ici  du  célèbre  bom- 
bardement, premier  modèle  des  opérations  de  ce  genre.  Ber- 
nard Picnau  d'Éliçagaray,  jeune  Béarnais,  dont  Colbert 
avait  deviné  le  haut  génie,  venait  d'inventer  (1679)  l'art 
d'appliqtier  aux  vaisseaux  les  mortiers  à  bombe,  Il  osa  pro- 
poser dans  le  conseil  de  bombarder  Alger.  Chacun  se  récria, 
et  le  traita  de  visionnaire.  Toutefois ,  Louis  XIV  lui  permit 
l'essai  de  cette  nouveauté,  et  le  vieux  Duquesne  partit  à  la 
tête  de  douze  vaisseaux  de  guerre,  quinze  galères,  trois 
brûlots  et  quelques  flûtes  et  tartanes  armées  en  guerre  :  cinq 
galiotes  à  bombes  sous  les  ordres  de  Renau  complétaient 
cet  armement,  duquel  l'amiral  n'attendait  aucun  succès.  11 
en  fut  tout  autrement;  et  quoique  trois  cents  pièces  d'artil- 
lerie fissent  feu  sur  les  galiotes  à  bombes,  quoique  la  gai'ni- 
son  de  la  ville  eût  m.ême  essayé  une  sertie  contre  les  cha- 
loupes armées,  une  pluie  de  bombes  incendia  la  capitale  des 
Algériens,  mit  en  cendres  leur  plus  belle  mosquée  et  inspira 
un  tel  effroi,  que  toute  la  population  sortit  de  la  ville  et  con- 
traignit le  dey  a  relâcher  le  consul  français,  qu'il  avait  mis 
dans  les  fers,  et  à  l'envoyer  à  l'amiral  pour  traiter  de  la  paix. 
Duquesne  refusa  d'entrer  en  négociation,  et  continua  ses 
opérations  jusqu'à  ce  que  l'approrhe  de  la  saison  des  vents 
le  forçât  à  ramener  son  escadre  à  Toulon. 

L'année  suivante,  il  mit  à  la  voile  dès  le  commencement 
de  juin,  et  reparut  devant  Alger  le  26.  Les  galiotes  étaient 
pins  nombreuses  et  servies  par  un  nouveau  corps  d'officiers 
d'artillerie  et  de  bombardiers,  ftenau,  de  son  côté,  avait  in- 
venté de  nouveaux  mortiers  qui  lançaient  les  bombes  jus- 
qu'à dix-sept  cents  toises.  On  répéta  les  manœuvres  de  l'an- 
née précédente;  sept  galiotes  décrivaient  un  cercle  autour 
du  môle,  et  furent  halées  sur  les  ancres  d'autant  de  vais- 
seaux stationnés  derrière  elies  et  destinés  à  les  protéger  et  à 
les  recueillir.  Dans  la  nuit  du  26  au  27  et  dans  la  journée 
suivante,  deux  cent  vingt  bombes,  foutes  de  treize  à  quinze 
livres  de  poudre,  tombèrent  dans  la  ville  ou  dans  le  môle  : 
une  d'elles  renversa  la  maison  du  gendre  du  dey  Hassan; 
une  autre  fit  couler  à  fond  une  barque  chargée  de  cent 
hommes;  presque  toutes  les  batteries  furent  démontées.  Les 
habitants  poussaient  des  rugissements  de  fureur  contre  le  gou- 
vernement; les  femmes  allèrent  trouver  Hassan,  et  portant 

40. 


110 


ALGERIE 


»lcT*6t  lui  la  tt'tc  de  leurs  maris,  les  membres  de  leurs  en- 
fants, demandèrent  impérieusement  la  paix.  Hassan  députa 
le  consul  et  le  vicaire  apostolique  Lcvaclier;  mais  Duqucsne 
ne  consentit  qu'a  une  trêve,  et  encore  e\igea-t-il  que  l'on 
remît  à  son  bord  tous  les  esclaves  chrétiens.  Le  dey  en  avait 
déjà  rendu  cinq  cent  quarante-six,  lorsque,  le  3  juillet,  il 
prétendit  qu'il  lui  fallait  du  temps  pour  faire  revenir  ceux 
qui  étaient  disséminés  dans  les  campagnes  et  les  villes  éloi- 
{;nées  de  la  côte.  C'était  deinaïuicr  la  prolongation  de  la  trêve. 
L'amiral  exigea  alors  qu'on  lui  remit  plusieurs  otages  im- 
portants pour  lui  répondre  de  la  fidélité  de  la  régence. 
Parmi  ceux-ci  était  le  fameux  renégat  Hadji-Hasséin,  connu 
sous  le  nom  de  Mczzomorto,  parce  qu'il  avait  été  ramassé 
à  demi  mort  sur  un  vaisseau  capturé  par  les  Barbaresques. 
En  même  temps  Duquesne  donnait  à  entendre  qu'il  ne  trai- 
terait de  la  paix  qu'aux  trois  conditions  suivantes  :  1"  déli- 
vrance de  tous  les  esclaves  français  ou  autres  ;  2°  indem- 
nité égale  à  la  valeur  de  toutes  les  prises  faites  sur  la  nation 
française,  ou  restitution  de  ces  mêmes  prises  ;  3"  députiition 
solennelle  du  dey  à  Paris,  pour  demander  pardon  au  roi  des 
hostilités  commises  sur  les  vaisseaux  français. 

A  la  nouvelle  de  ce  qu'exigeait  le  chef  de  la  flotte  ennemie, 
les  matelots  et  les  soldats  de  la  milice  se  soulevèrent,  et  re- 
fusèrent nettement  de  restituer  ce  qu'ils  avaient  pris.  Du- 
quesne allait  recommencer  le  bombardement,  lorsque  Hadji- 
Hasséin  obtint  de  lui  son  renvoi  dans  la  ville,  promettant 
que  par  son  crédit  il  ferait  consentir  la  milice  aux  conditions 
proposées.  Ses  intentions  étaient  toutes  différentes.  A  peine 
de  retour  à  Alger,  il  se  mit  à  la  tète  des  séditieux,  se  dé- 
clara en  plein  divan  contre  ce  qu'il  appelait  la  lâcheté  du 
dey,  qui  fut  tué  la  nuit  suivante  en  faisant  sa  ronde,  et  se 
fit  proclamer  par  tout  le  peuple  et  par  les  janissaires. 
:Rompre  les  négociations  et  arborer  le  pavillon  rouge  ne  fut 
ensuite  que  l'affaire  d'un  moment. 

Duquesne  fit  n^emraencer  le  bombardement  ;  le  feu  était 
si  violent  qu'il  éclairait  la  surface  de  la  mer  à  plus  de  deux 
lieues  ;  le  sang  coulait  dans  Alger.  Les  Turcs,  dans  le  délire 
de  la  fureur  à  la  vue  de  kur  ville  embrasée,  attachent  à  la 
bouche  de  leurs  canons  le  consul  et  les  captifs  français 
qu'ils  ont  encore  entre  les  mains.  Les  membres  de  ces 
infortunés  étaient  portes  par  les  explosions  jusque  sur  les 
ponts  des  navires  français.  Cependant  P.cnau  ne  cessait 
de  jeter  ses  bombes  :  tous  les  magasins ,  les  palais ,  les 
mosquées  s'abîmaient  dans  l&s  flammes ,  et  pas  une  maison 
ne  fût  restée  debout  si  enfin  les  bombes  n'eussent  été  épui- 
sées. Duquesne,  à  son  grand  regret,  fit  voile  pour  Toulon, 
laissant  devant  le  port  d'Alger  une  division  pour  le  bloquer, 
et  se  proposant  <lc  reparaître  l'année  suivante.  Mais  tant  de 
pertes  avaient  abattu  l'orgueil  des  Algériens.  Ils  sentirent 
qu'il  devenait  impossible  de  les  réparer  sans  quelques  an- 
nées de  repos.  Hadji-Hasséin,  informé  de  la  résolution  de 
ses  compatriotes,  prit  la  fuite  (2:.  avril  1G84  ).  Hadji-Djial'ar- 
Aga-Etfendi  se  rendit  à  la  cour  de  Versailles,  oii  il  demanda, 
au  nom  du  dey,  du  pacha  et  du  divan,  pardon  de  toutes  les 
insultes  que  lès  corsaires  avaient  multipliées  contre  le  pa- 
villon français,  et  des  atrocités  exercées  contre  les  captifs. 
On  convint  en  même  temps  de  la  paix,  qui  fut  signée  pour 
cent  ans. 

Mais  trois  ans  à  peine  s'étaient  écoulés  que  les  Algériens , 
oubliant  la  tenible  catastrophe  dont  ils  venaient  d'être  vic- 
times, violèrent  les  clauses  du  traité.  La  vengeance  suivit  de 
près  l'attentat.  En  1G87  Tourville  dut  aller  encore  une  fois 
châtier  ces  incorrigibles  pirates.  L'année  suivante  (juin  !  Gss) 
vit  sortir  du  port  de  Toulon,  sous  les  ordres  du  maréclial 
d'Eslrées,  une  Hotte  de  onze  vaisseaux  de  ligne,  de  huit 
galères,  de  dix  galioles  à  bombes,  et  de  plusieurs  bâtiments 
légers.  Les  mêmes  atrocités  furent  renouvelées  par  les 
janissaires  et  les  défenseurs  de  la  ville,  qui  fut  de  nouveau 
réduite  en  cendres,  et  forcée  à  s'humilier  devant  la  France. 
Pne  paix  nouvelle  fut  signée  le  27  septembre  i6Si).  Celle-ci 


fut  de  plus  longue  durée  ,  et  depuis  celte  époque  jusqu'en 
1830  il  n'y  eut  plus  d'hostilités  prolongées  entre  Alger  et  la 
France. 

La  Porte  avait  continué  d'envoyer  des  pachas  pour  gou- 
verner Alger.  Cet  état  de  choses  dura  jusqu'au  dix-septième 
siècle.  A  cette  époque  la  milice ,  mécontente  du  gouverneur 
turc,  qui  la  payait  mal,  sollicita  et  obtint  du  sultan  la  fa- 
culté de  se  choisir  un  deii,  ou  patron,  qui ,  résidant  conti- 
nuellement à  Alger,  aurait  l'administration  de  la  régence,  paye- 
rait la  milice  et  enverrait  des  tributs  à  Constantinople  au 
lieu  d'en  recevoir  des  subsides.  Le  pacha  nommé  par  la 
Porte  devait  conserver  ses  honneurs  et  ses  revenus,  mais  il 
était  écarté  du  gouvernement. 

Alger  posséda  donc  un  pacha  et  un  dey  jusqu'au  mo- 
ment de  l'élévation  d'Aly  (  1710  ).  Cet  homme,  sorti  de  la 
milice  turque,  était  doué  d'un  caractère  énergique  et  résolu. 
Une  révolte  ayant  l'clafé,  il  fit  tomber  dix-sept  cents  têtes 
pendant  le  premier  mois  de  son  avènement  ;  cette  sanglante 
exécution  donna  naissance  à  de  nouveaux  troubles,  dont  le 
pacha  fut  le  principal  fauteur.  Aly  le  fit  embarquer  pour 
Constantinople,  et  il  envoya  en  même  temps  au  sultan  Ah- 
med III  les  plus  riches  présents.  Ces  moyens  de  justifica- 
tion ne  déplurent  pas  au  divan.  Aly  fut  élevé  à  la  dignité  de 
pacha,  et  reçut  l'investiture  de  celte  dignité  par  l'envoi  des 
trois  queues.  Les  deys  gouvernèrent  des  lors  sans  partage. 
Au  commencement  du  dix-huitième  siècle  Oran  était  re- 
tombée entre  les  mains  des  indigènes.  Philippe  V,  en  1732, 
chargea  le  comte  de  .Alontemar  de  reprendre  la  conquête  du 
cardinal  Ximenès.  Trois  jours  après  le  débarquement,  Oran 
et  Mers-el-Kebir  étaient  au  pouvoir  des  Espagnols. 

En  1732,  un  même  jour  vit  à  Alger  l'élection  de  cinq 
deys,  qui  furent  massacrés  les  uns  après  les  autres.  Leurs 
tombes  sont  en  dehors  du  faubourg  Bab-el-Oued. 

L'Angleterre,  la  Hollande,  s'étaient  résignées  à  payer  aux 
corsaires  algériens  de  honteuses  redevances.  Les  Danois, 
sans  cesse  offensés  dans  leur  commerce  par  les  incursions 
des  pirates,  envoyèrent ,  en  1770 ,  une  flotte  devant  la  côte 
barbaresque.  Mais  leur  apparition  n'inspira  pas  grand  effroi 
aux  Algériens,  puisque  pendant  huit  jours  que  l'escadre  em- 
ploya ou  plutôt  perdit  à  se  promener  devant  la  rade  et  les 
fortifications ,  on  ne  daigna  pas  lui  envoyer  des  remparts  un 
seul  coup  de  canon. 

L'expédition  entreprise  par  les  Espagnols  en  1775  fut 
plus  remarquable.  Jamais  armée  navale  plus  brillante  n'était 
sortie  depuis  un  siècle  et  demi  des  ports  d'Espagne  :  dix- 
huit  mille  deux  cents  hommes  d'infanterie ,  huit  cent  vingt 
cavaliers,  deux  cent  quarante  dragons,  trois  nulle  trois  cent 
quarante  marins ,  formant  ensemble  vingt-deux  mille  deux 
cent  soixante  hommes ,  élite  des  forces  de  tene  et  de  mer , 
étaient  portés  par  une  flotte  de  trois  cent  quarante  bâti- 
ments de  transport ,  qu'accompagnaient  et  protégeaient  qua- 
rante -  quatre  bâtiments  de  guerre.  Plus  de  cent  bouches 
à  feu  de  campagne  et  de  siège ,  quatre  mille  mulets  pour 
le  service  de  l'artillerie,  une  grande  quantité  de  munitions 
de  guerre,  de  bouche,  d'immenses  approvisionnements  et 
matériaux  de  tout  genre  ,  complétaient  cet  armement.  Le 
général  OReiliy  commandait  en  chef  toute  l'expédition  : 
du  :îO  juin  au  1^''  juillet,  les  deux  divisions  de  cette  brillante 
armée  parurent  devant  la  rade  par  un  vent  frais  de  nord- 
ouest,  et  mouillèrent  vis-à-vis  de  l'embouchure  de  l'Ha- 
rach.  Le  général  O'Reilly  avait  pris  des  mesures  si  peu 
eflicaces  pour  le  débarquement ,  que  le  7  au  soir ,  après 
plusieurs  tentatives  inutiles,  les  soldats  étaient  encore  à 
hoid  de  l'escudie.  Enfin,  le  8,  vers  quatre  heures  et  demie 
du  malin,  le  déliarquenient  commença;  mais  les  barques, 
mal  choisies  pour  une  telle  opération,  et  mal  disposées  par 
le  général,  n'agirent  qu'a\ec  beaucoup  de  lenteur  :  les  huit 
mille  hommes  amenés  par  le  premier  débarquement  restèrent 
une  heure  à  attendre  qu'une  seconde  division  vînt  les  ap- 
puyer. On  eut  ensuite  le  tort  de  ne  point  les  former  en  co- 


ALGERIE 


317 


Idiines ,  et  de  les  faire  avancer  inconsidérément  contre  quel- 
ques i)elotons  de  Maures  qui ,  tapis  derrière  les  haies  d'a- 
loés  et  derrière  les  inéj^alitos  du  sol ,  comme  derrière  au- 
tant de  parapets  inexpugnables,  l;\isaient  un  feu  très-meurtrier 
en  se  retirant  vers  le  pied  des  montagnes.  L'infanterie  lé- 
gère fut  ainsi  anéantie.  —  Vers  six  iieures  O'Reilly  com- 
manda à  l'aile  gauche  démarcher  sur  les  hauteurs  pour  s'em- 
parer du  château  de  Charles-Quint ,  qui  commande  toute  la 
ville ,  et  dont  la  prise,  en  efTet,  aurait  assuré  celle  de  la  ca- 
pitale. Mais  après  des  pertes  considérables ,  et  qui  auraient 
pu  l'être  encore  bien  i)lus  sans  l'intrépidité  du  chef  d'esca- 
bre  Acton ,  il  fut  obligé  de  renoncer  à  ce  dessein ,  et  de 
chercher  à  se  retrancher.  Le  camp ,  adossé  à  la  mer,  et  sur 
la  rive  gauche  de  l'Harach ,  à  trois  cents  toises  environ  de 
l'embouchure,  était  exposé  au  feu  de  deux  batteries  algé- 
riennes ,  qui  en  peu  de  temps  enlevèrent  plus  de  six  cents 
liOHimes  et  en  Wessèient  plus  de  dix-huit  cents.  Enfin, 
à  dix  heures,  O'Reilly  assembla  un  conseil  de  guerre,  dans 
lequel  il  fut  décidé  qu'à  quatre  heures  on  se  rembarquerait. 
Le  plas  grand  désordre  présida  à  cette  dernière  opération. 

Les  Espagnols  se  présentèrent  encore  devant  Algerenl783 
et  1784,  et  bombardèrent  inutilement  cette  ville.  Dans  la  se- 
conde année  du  règne  du  dey  Hassan,  ils  lui  cédèrent  Oran 
et  Mers-el-Kebir ,  qu'un  tremblement  de  terre  venait  de 
ruiner. 

En  1793,  la  France  ayant  eu  besoin  de  blés  pour  l'ap- 
provisionnement de  ses  deux  armées ,  le  dey  Hassan  au- 
torisa des  exportations  de  blés  que  fournirent  les  maisons 
juives  Bakri  et  Busnach.  Cette  fourniture  fameuse  a  été  la 
cause  de  la  guerre  de  conquête. 

A  l'époque  de  l'expédition  d'Egypte,  la  Porte  enjoignit  au 
dey  de  déclarer  la  guerre  à  la  France.  Nos  établissements 
de  Bone  et  de  la  Galle  furent  détruits,  et  le  consul  français 
mis  en  prison.  Mais  ces  démêlés  ne  durèrent  pas  longtemps  : 
en  1801  un  traité  de  paix  fut  signé  avec  la  régence.  Napo- 
léon exigeait  que  non-seulement  la  France,  mais  encore  tous 
les  États  réunis  sous  la  domination  française  fussent  res- 
pectés par  les  corsaires.  Alger  se  soumit  à  cette  injonction. 

En  1815  une  division  américaine  s'étant  présentée  devant 
Alger,  le  dey,  dont  tous  les  vaisseaux  étaient  eu  course , 
accéda  sans  dilliculté  à  toutes  les  conditions  qu'on  lui  fit. 

En  1816,  lord  Exmouth  fut  envoyé  par  le  gouverne- 
ment anglais  à  la  tète  d'une  escadre  de  trente-sept  voiles 
demander  satisfaction  au  dey  des  mauvais  traitements  qu'a- 
vaient subis  à  Bone  quelques  sujets  de  l'empire  britan- 
nique. N'ayant  pu  l'obtenir,  l'amiral  anglais  bombarda  la 
ville ,  et  lui  fit  éprouver  des  dommages  considérables. 

Le  8  septembre  1817,  une  de  ces  révolutions  si  fréquentes 
à  Alger  enleva  au  dey  Obar-ebn-Mohammed  le  trône  avec 
la  vie. 

Aly-Codjia,  qui  l'avait  fait  périr,  lui  succéda.  C'était  un 
homme  cruel  et  débauché ,  mais  qui  n'était  pas  dépourvTi 
d'instruction  et  de  mérite.  Une  première  conspiration  ayant 
éclaté  contre  lui ,  il  fit  transporter  de  nuit  dans  la  Casbah 
son  trésor.  Puis  s'entourant  d'une  garde  composée  d'Arabes 
et  de  Nègres ,  il  ne  dissimula  plus  son  projet  de  se  débar- 
rasser des  janissaires ,  et  il  en  avait  déjà  fait  périr  quinze 
cents  quand  la  peste  l'emporta.  Husséin-Paclia  lui  suc- 
céda. Le  nouveau  dey,  en  1824,  eut  à  répondre  de  quelques 
actes  de  piraterie  commis  sur  des  sujets  britanniques  ;  une 
flotte  anglaise  se  présenta  devant  Alger,  mais  le  différend 
se  termina  par  des  négociations. 

Ce  fut  à  cette  époque  que  les  relations  d'Alger  avec  la 
France;  prirent  un  caractère  de  mauvais  vouloir  qui  amena 
bientôt  la  rupture.  La  fourniture  de  1793  en  fut  la  cause. 

La  créance  à  laquelle  elle  avr«'t  donné  lieu  avait  été  liquidée 
en  1819  à  la  somme  de  sept  millions  de  francs.  Des  Français, 
créanciers  du  juif  algérien  Bakri,  titulaire  de  la  créance,  for- 
mèrent opposition  au  payement.  Le  dey  réclamait  avec  ins- 
tance, et,  arrêté  par  le  peu  de  succès  de  ses  réclamations,  il 


saisissait  toutes  les  occasion*de  témoigner  son  mécontente- 
ment au  consul  franç^iis ,  M.  Deval.  Les  relations  entre  les 
deux  gouvernements  prirent  un  caractère  d'aigreur  qui  fit 
présager  une  rupture  prochaine.  En  effet,  le  2.3  avril  1828,  le 
consul  français  s'étant  présenté,  suivant  l'usage,  pour  ofTrir 
ses  félicitations  au  dey,  à  l'occasion  de  la  grande  fête  que  les 
musulmans  célèbrent  à  cette  époque  de  l'année ,  ce  prince 
lui  demanda ,  d'un  ton  courroucé ,  où  en  était  la  négocia- 
tion relative  à  la  créance  dont  il  réclamait  le  payement  ;  et 
sur  la  réponse  évasive  du  consul,  il  fit,  avec  l'éventail 
qu'il  tenait  à  la  main  en  ce  moment ,  un  geste  de  mépris  ; 
on  a  même  prétendu  qu'il  en  avait  frappé  M.  Deval.  Il 
ajouta  à  cette  insulte,  faite  en  présence  des  autres  consuls 
européens,  l'ordre  de  quitter  Alger.  Peu  de  jours  après, 
M.  Deval  revint  en  France.  Le  gouvernement  français  de- 
manda satisfaction  au  dey,  qui,  loin  de  l'accorder,  fit 
détruire  par  son  lieutenant  le  bey  de  Constantine  l'établis- 
sement que  les  Français  possédaient  à  La  Calle  sur  le  bord 
de  la  mer,  à  quelques  lieues  de  Bone. 

Le  gouvernement  français ,  qui  n'était  pas  encore  décidé 
à  tenter  l'expédition  qu'il  exécuta  deux  années  après ,  fit 
bloquer  Alger.  Mais  ce  blocus  ,  qui  cofttait  à  la  France  près 
de  sept  millions  par  an,  n'amenait  aucun  résultat.  11  était,  en 
effet,  impossible  de  stationner  constamment  sur  une  côte 
dangereuse  :  de  sorte  que  les  corsaires  algériens,  pouvant 
presque  toujours  sortir  et  rentrer  librement,  continuaient  de 
troubler  la  navigation  de  la  Méditerranée ,  au  grand  détri- 
ment de  notre  commerce.  Plusieurs  projets  furent  présentés 
au  ministère  qui  précéda  celui  de  M.  de  Polignac;  mais  il 
était  réservé  à  ce  dernier  d'offrir  à  la  France ,  par  la  con- 
quête d'Alger,  une  compensation  aux  maux  que  son  avène- 
ment fit  peser  sur  elle ,  et  d'ennoblir  par  ce  brillant  fait 
d'armes  la  chute  de  la  branche  aînée  des  Bourbons. 

L'expédition,  décidée  à  la  fin  de  1829,  fut  poussée  avec 
une  vigueur  extrême  dans  les  premiers  mois  de  1830.  Le 
commandement  en  fut  donné  au  général  comte  de  Bour- 
mont,  ministre  de  la  guerre;  l'amiral  Duperré  eut  ce- 
lui de  la  flotte ,  et  fut  chargé  de  diriger  le  débarquement. 
Rien  ne  fut  épargné  pour  assurer  la  réussite  :  trente-cinq 
mille  hommes  furent  embarques  à  Toulon  avec  tout  le  ma- 
tériel nécessaire.  La  flotte  comptait  onze  vaisseaux  de  ligne, 
dis-neuf  frégates,  et  deux  cent  soixante-quatorze  bâtiments 
de  transport.  Elle  quitta  le  port  de  Toulon  en  trois  divisions, 
les  23 ,  26  et  27  mai.  Une  tempête,  rare  dans  cette  saison  et 
dans  ces  parages,  força  l'amiral  Duperré  à  jeter  l'ancre 
le  2  juin  dans  la  baie  de  Palma ,  île  de  Majorque ,  et  d'y 
rester  jusqu'au  10.  Le  temps,  devenu  beau,  permit  de 
mettre  à  la  voile  et  de  se  diriger  sur  la  baie  de  Sidi-Fer- 
ruch,  où,  contre  l'attente  générale,  l'amiral  Duperré  avait  ré- 
solu d'opérer  le  débarquement ,  qui  fut  effectué  heureu- 
sement le  14  du  même  mois.  Les  Algériens  n'attendaient 
point  les  Français  sur  ce  point  de  la  côte  ;  aussi  l'armée 
trouva-t-elle  peu  d'obstacles.  Le  général  en  chef  et  l'amiral 
purent  faire  toutes  les  dispositions  pour  compléter  l'œuvre 
du  débarquement ,  qui  eût  été  troublé  par  un  orage  qui  sur- 
vint, et  dura  toute  la  journée  du  17  et  une  partie  de  celle 
du  tS,  si  les  Algériens  eussent  été  en  force  sur  ce  point.  Ce 
n'est  que  le  19  qu'ils  se  montrèrent,  au  nombre  de  quarante 
mille,  la  plupart  Arabes,  conduits  par  les  beys  de  Constan- 
tine et  de  Titteri ,  sous  le  commandement  d'Ibrahim-Aga , 
gendre  du  dey.  Une  bataille  s'engagea;  les  Algériens,  atta- 
qués avec  impétuosité ,  ne  purent  résister  à  la  bravoure  et 
à  la  tactique  françaises  :  ils  furent  entièrement  défaits.  Cette 
action  a  été  nommée  bataille  de  Staouéli,  du  nom  de  l'en- 
droit oii  Ibraliim-Aga  avait  établi  son  camp. 

Le  général  Bonrmont  aurait  pu  dès  le  20  marcher  sur 
Alger;  mais  la  grosse  artillerie  n'était  pas  encore  débarquée, 
et  ce  ne  fut  que  le  25,  et  après  plusieurs  combats,  tous  avan- 
tageux aux  Français,  mais  sans  être  décisifs,  que  l'armée 
commença  son  mouvement.  Les  dispositions  durèrent  jus- 


JI8 


ALGÊUIE 


qii  au  50  ,  et  le  4  juillet  les  batteries  de  sii-^e  ouvrirent  le 
Jeu  contre  le  fort  de  Tlùiipereur;  les  Turcs  qui  le  défen- 
daient l'abandonnèrent  après  une  résistance  opiniâtre,  et 
le  firent  sauter  en  l'évacuant. 

Le  dey  Hussein,  déjà  découragé  par  les  défaites  succes- 
sives essuyées  par  ses  troupes  depuis  le  Jour  du  débarque- 
ment de  l'armée  française,  fut  atterré  à  la  nouvelle  de  la 
chute  du  fort  de  l'Kmpereur,  qui  était  réputé  inexpugnai)le, 
et  dont  la  possession  assurait  celle  de  la  ville.  Céilant  aux 
conseils  de  la  prudence  et  aux  insinuations  du  consul  d'An- 
gleterre, une  convention  fut  arrêtée  dans  la  matinée  du 
5  juillet,  entre  lui  et  le  comte  de  I5ounnont.  Klle  stipulait 
que  le  fort  de  la  Casbah,  les  autres  forts,  le  port  et  toutes 
les  batteries  seraient  remis  aux  troupes  françaises,  ainsi  que 
toutes  les  propriétés  du  gouvernement,  y  compris  le  trésor. 
La  fortune  particulière  du  dey  et  de  tous  les  habitants  leur 
fut  conservée.  Plus  de  mille  cinq  cents  canons ,  la  plupart 
de  gros  calibre ,  et  une  quantité  considérable  de  munitions 
de  toute  espèce ,  tombèrent  au  pouvoir  des  Français.  A  part 
quelques  légers  désordres,  inévitables  dans  une  première 
occupation  ,  et  surtout  dans  un  pays  où  tout  dut  paraître 
étrange  aux  vainqueurs ,  la  prise  de  possession  ne  présenta 
aucun  i'cidcnt  remarquable.  Les  ligures  naturellement 
impassibles  des  Arabes  ne  laissaient  [)as  que  d'exprimer 
Tétonnement  extrême  dont  ils  étaient  saisis  en  voyant  les 
Français  user  d'une  modéraliou  sur  laquelle  ils  étaient  loin 
de  compter. 

Ainsi  tomba  cette  puissance  monstrueuse  qui  désola  pen- 
dant si  longtemps  le  commerce  des  Européens  dans  la  Mé- 
diterranée ;  gouvernement  singuler,  qui  pourrait  être  com- 
paré à  celui  de  Malte ,  et  dans  lequel  l'autorité  despotique 
du  dey  était  dévolue  par  une  milice  qui ,  comme  à  Malte , 
ne  se  recrutait  jamais  dans  le  pays  :  les  habitants,  fussent- 
ils  nés  d'un  père  membre  lui-même  de  cette  corporation 
guerrière,  ne  pouvaient  en  faire  partie.  Do  toutes  les  pro- 
vinces de  l'empire  ottoman  arrivaient  continuellement  à 
Alger  des  aventuriers,  la  plupart  soldats  turcs,  que  Unir 
inconduite  ou  l'espoir  d'mie  meilleure  condition  détermi- 
nait à  y  venir  tenter  la  fortune.  Les  renégats  chrétiens  étaient 
admis  dans  cette  associai  on  ;  mais  les  Arabes,  véritables 
propriétaires  du  sol ,  ces  Arabes  dont  les  ancêtres  avaient 
conquis  rtspagne,  où  leur  longue  domination  jeta  tant 
d'éclat,  ces  <lescendanls  des  Abcncenauos  ot  (!p<  Z>^giis,  si 
célèbres  par  leur  bravoure  chevaleresque,  étaient  rigoureu- 
sement exclus  de  la  milice  et  de  toute  part  au  gouverne- 
ment. Quoique  moins  exposés  aux  vexations  que  les  juifs , 
qui  formaient  une  portion  vérital)le  de  la  population  d'Al- 
ger, ils  vivaient  dans  un  état  de  dépendance  et  àc  soumis- 
sion voisin  de  l'esclavage;  quelques  jilaces  de  l'administra- 
tion leur  étaient  confiées ,  mais  ils  ne  faisaient  jamais  partie 
du  divan,  dans  le(iuel  résidait,  sous  l'autorité  absolue  du 
dey,  l'exercice  du  pouvoir  souverain. 

L'État  d'Alger  était  divisé  en  trois  provinces  nommées 
heylivIiK  :  celle  de  Tlémecen  à  l'ouest ,  confinant  aux  fron- 
tières de  Maroc ,  et  dont  la  ville  d'Oran  était  devenue  la 
C'ipilale  depuis  que  les  Espagnols  en  avaient  été  expulsés  ; 
<'.t-lle  de  Titteri  au  sud ,  Médéah  en  était  le  chef-lieu  :  cette 
province  .s'étend  depuis  le  territoire  de  la  ville  d'Alger  pro- 
prement dit  jusqu'au  Grand-Désert  ;  celle  enfin  de  Coniitan- 
tine,  à  l'est,  qui  comprend  tout  le  pays  situé  entre  la  ré- 
gence de  Tunis  à  l'est,  la  mer  au  nord  ,  le  Grand-Désert 
au  sud ,  et  le  bcylick  de  Titteri  à  l'ouest.  Chacune  de  ces 
provinces  était  gouvernée  par  un  bey  nommé  par  le  dey, 
cl  revêtu  d'une  autorité  absolue ,  dont  il  ne  lui  était  jamais 
demandé  compte,  pourvu  que  le  tribut  qui  lui  était  imposé 
arrivât  régulièrement  à  Alger.  Un  pareil  gouvernement 
avait  nécessairement  dil  produire  des  conséquences  dé- 
sastreuses :  aussi ,  cette  vaste  contrée ,  que  la  nature  s'est 
plu  à  enrichir  de  ses  dons  les  plus  précieux,  et  où,  sous 
la  domination  romaine,  on  avait  comjifé  jusqu'à  trente-trois 


villes,  éti'.it-elle  tombée  dans  un  état  déplorable  rous  tous 
Fes  rapports.  La  jiopulation  diminuait  tous  les  jours ,  et  à 
peine  quelques  vallées  étaient-elles  cultivées  à  des  époques 
irrégulières  par  les  tribus  d'Arabes  répandus  sur  cette  grande 
surface  ou  réunis  dans  un  petit  nombre  de  bourgs.  Le  tri  - 
but  exigé  par  le  dey  d'Alger,  tout  faible  qu'il  était ,  ne  se  re- 
couvrait qu'au  moyen  des  plus  cruelles  vexations,  auxquelles 
les  Arabes  cherchaient  souvent  à  se  soustraire  en  se  dépla- 
çant. H  n'eût  pas  été  possible  au  dey  de  subvenir  aux  dépenses 
du  gouvernement  et  à  l'entretien  de  la  milice  s'il  n'avait 
eu  d'autres  ressources  que  les  revenus  du  pays  :  aussi  la 
piraterie  était-elle  une  condition  inévitable  de  son  existence. 
C'est  la  portion  considérable  qu'il  s'attribuait  sur  les  prises 
maritimes  (jui  alimentait  son  trésor.  Depuis  que  les  puis- 
sances européennes,  isolant  moins  leurs  intérêts  récipro- 
ques ,  prêtaient  appui  aux  Etats  secondaires ,  et  forçaient  le 
dey  à  se  contenter  d'un  tribut  dont  elles  se  dissimulaient 
l'ignominie  en  le  qualifiant  de  présent,  le  déficit,  de  plus 
en  i)lus  considérable ,  que  ce  nouvel  état  de  choses  faisait 
éprouver  au  dey ,  le  forçait  à  recourir  au  trésor  amassé  de- 
puis trois  siècles  par  ses  prédécesseurs.  Ce  trésor ,  que  la 
renommée  faisait  monter  à  des  sommes  immenses ,  n'était 
plus  que  d'un  peu  moins  de  cinquante  millions  de  francs  au 
moment  de  la  conquête;  et  une  investigation  sévère,  en 
prouvant  qu'il  n'en  avait  été  rien  détourné ,  connue  on 
l'avait  dit ,  a  fait  connaître  la  situation  de  cette  puissanrx; , 
dont  la  cluitc  ne  pouvait  être  éloignée. 

M.  de  Bourmont  était  loin  de  prévoir  qu'un  autre  gou- 
vernement que  celui  de  Charles  X  allait  mettre  à  profit  la 
conquête  brillante  qui  venait  de  lui  valoir  le  bâton  de  ma- 
réchal. Toujours  titulaire  du  ministère  de  la  guerre,  il  son- 
geait déjà  à  rentrer  en  France,  et  se  contentait  de  quelques 
mesures  provisoires  d'administration  locale,  se  proposant 
sans  doute  d'eu  faire  prendre  de  définitives  à  son  retour  à 
Paris,  lorsque  la  première  nouvelle  de  la  révolution  de 
juillet  vint  le  surprendre  et  faire  évanouir  tous  ses  projets. 
—  On  a  dit  que  M.  de  Gourmont  avait  cru  possible  de  rester 
à  la  tête  de  l'armée  d'Afrique ,  et  de  la  conserver  à  Charles  X. 
Quoi  qu'il  en  soit,  il  atteudit  l'arrivée  de  son  successeur,  lui 
remit  le  commandement,  et  quitta  Alger  le  3  septembre.  Le 
dey  et  les  principaux  ciiefs  de  la  milice  turque  étaient  partis 
d'Alger  le  \1  juillet,  avec  leurs  familles  et  la  plus  grande 
partie  de  leur  fortune. 

Le  maréchal  Clauzel  arriva  à  Alger  le  2  septembre  avec 
les  pouvoirs  du  nouveau  gouvernement  :  il  fut  accueilli 
avec  enthousiasme  par  l'armée ,  qui  était  fière  de  marcher 
sous  les  ordres  d'un  des  vieux  capitaines  de  iSapoléon. 

La  capitulation  d'Alger  n'avait  donné  qu'Alger  mêiue  à 
la  France.  Des  dispositions  hostiles  apparurent  dès  les  pre- 
miers jours  de  l'occupation.  Le  commandant  en  chef  ayant 
cru  pouvoir  s'avancer  sur  Blidali  avec  un  corps  de  1,200 
lionmies  fut  obligé  de  renoncer  à  son  dessein.  Tout  autour 
les  tribus,  soulevées  contre  nous  par  la  haine  du  nom  chré- 
tien, menaçaient  d'arracher  à  nos  soldats  victorieux  le  sol 
sur  lequel  ils  venaient  de  planter  leur  drapeau.  La  révolu- 
tion de  juillet,  qui  inspirait  au  gouvernement  de  légitimes 
incertitudes  sur  le  maintien  de  la  paix  avec  l'Europe ,  ne 
lui  permettait  d'ailleurs  pas  de  s'occuper  librement  des  affai- 
res de  l'Algérie. 

Pres(iue  partout  avaient  surgi  dans  les  villes  et  au  sein 
des  tribus  des  chefs  audjitieux  aspirantau  pouvoir.  L'anar- 
chie existait  par  toute  la  régence.  Le  maréchal  Clauzel ,  se 
voyant  dans  l'impossibilité  de  tenter  la  soiunissioa  du  pays, 
songea  à  instituer  dans  les  provinces  de  Test  et  de  l'ouest  des 
princes  amis ,  tributaiies  de  la  France ,  qui  devaient  épargner 
à  son  armée  les  périls  de  la  conquête  et  les  embarras,  encore 
plus  grands  peut-être,  de  la  consen-ation.  Dans  l'attente  de 
la  conclusion  prochaine  d'arrangemenls  avec  le  bey  de  Tunis 
pour  des  princes  de  sa  maison,  le  commandant  en  chef  réso- 
lut de  frapper  un  grand  coup  dans  la  province  de  ïittcry.  II 


1 


ALGÉRIE 
avait  confirme  h  Boii-Mczra;;  le  beylik  de  Tilfery;  mais  cet 
ambitieux,  qui  lùvait  la  délivrance  d'Alger,  ayant ,  trois 
mois  après  son  investiture,  appelé  les  Arabes  à  h\  guerre 
sain/ ('M  maréclial  Clauzel  marcha  sur  Médéah,  où  il  sVtait 
installé ,  dispersa  ses  partisans,  et  le  ramena  prisoimier,  en 
lui  donnant  pour  remplaçant  un  Arabe,  Mustaplia-Ben-Omar, 
auquel  il  laissa  pour  le  soutenir  douze  cents  Français. 

La  prise  d'Alt;er  avait  été  pour  le  lieylick  d'Orau  le  signal 
d'une  insurrection  générale  des  poinilations  arabes  contre 
les  Turcs.  Pressé  entre  deux  ennemis  ,  le  bey  Hassan  im- 
plorait alors  notre  assistance;  on  hésitait  à  accueillir  ses 
inopositions,  mais  un  ennemi  plus  puissant,  l'emiiercur  de 
Slaroc,  menaçait  d'une  invasion  prochaine.  Descendant  di- 
rect du  Prophète  et,  selon  la  croyance  des  musuhnans  du 
Maghreb ,  le  premier  de  ses  successeurs  après  le  sultan  de 
Constantinople,  Muley-Abd-el-Rhaman  devait  exciter  dans 
les  tribus  la  plus  vive  sympathie.  Une  armée  marocaine, 
sous  les  ordres  du  neveu  de  l'empereur,  parut  devant  Mas- 
cara, qui  ouvrit  ses  portes;  Tlémecen  fut  ensuite  occupée; 
mais  trois  mille  Turcs  et  Coulouglis,  renfermés  dans  la  cita- 
delle, parvinrent  à  s'y  maintenir.  L'intervention  française  ne 
se  fit  pas  attendre.  Au  mois  de  novembre  18:50  nous  oc- 
cupions le  fort  de  Mers-el-Ivebir,  et  le  10  décembre  suivant 
la  ville  d'Oran ,  dont  le  bey  de  Tunis  vint  prendre  posses- 
sion, jusqu'à  ce  que  la  sanction  aux  traités  qui  avaient  appelé 
les  Tunisiens  dans  cette  place  eût  été  refusée. 

La  courte  administration  du  maréchal  Clauzel  fut  signalée 
par  l'organisation  de  différents  services  publics,  tels  que  la 
justice,  la  douane,  par  l'établissement  de  la  ferme-modèle, 
par  la  création  des  zouaves  et  des  chasseurs  algériens,  par 
la  formation  de  la  garde  nationale  algérienne,  sous  le  nom  de 
milice  africaine. 

En  février  1831  le  général  Berthezène  succéda  au 
Maréchal  Clauzel.  Une  partie  de  l'armée  avait  été  rappelée 
en  France;  son  effectif,  autrefois  de  37,357  hommes  et  de 
3,094  chevaux,  était  alors  réduit  à  9,300.  Avec  de  si  fai- 
bles moyens ,  on  était  obligé  de  faire  face  à  de  nombreux 
besoins.  Le  fils  de  IJou-Mezrag ,  favorisé  par  des  amis  puis- 
sants* et  le  souvenir  de  son  père ,  attaquait  Médéah ,  dont 
on  avait  supprimé  la  garnison.  ÎSotre  bey,  Mustapha-Ben- 
Omar,  allait  succomber  ;  il  fallut  le  secourir  et  le  ramener 
à  Alger.  Des  troubles  survenus  aussi  à  Oran  lors  du  départ 
du  bey  de  Tunis  nous  obligèrent  à  y  envoyer  le  généial 
lioyer  avec  1,350  hommes  jiour  s'y  établir.  La  situation  de 
la  province  d'Oran  à  cette  époque  était  déplorable.  Aucun 
des  liens  qui  assuraient  autrefois  la  dépendance  des  tribus 
n'avait  survécu  à  la  dissolution  de  l'ancien  gouvernement. 
A  Tlémecen  les  Arabes  occupaient  la  ville,  les  Coulouglis  la 
citadelle,  et  les  hostilités  étaient  continuelles.  Dans  quelques 
villes,  comme  Mascara,  ils  se  partageaient  le  gouvernement. 
Le  père  d'Abd-el-Kader,  le  marabout Mahi-Edd in,  prépa- 
rait déjà  dans  la  province  l'avènement  futur  de  son  fils  ,  et 
faisait  servir  son  influence  religieuse  à  la  fondation  d'une 
jinissance  purement  arabe.  Le  général  Boyer  s'occupa  d'a- 
bord d'entrer  en  relations  avec  les  garnisons  turques  et 
coulouglies  éparses  dans  la  province.  Celle  de  Mascara  avait 
capitulé,  et  les  Arabes,  violant  leurs  engagements,  la  massa- 
crèrent en  entier.  Mascara  devint  pour  eux  une  place  de 
guerre  et  un  centre  d'action  contre  les  forces  françaises.  Le 
même  sort  menaçait  les  milices  de  Moslaganem  et  de 
Tlémecen.  A  cette  crainte,  qui  maintenait  les  garnisons  tur- 
<pies  et  coulouglies  dans  nos  intérêts,  le  général  Boyer  ajouta 
l'apjjùt  d'une  solde  mensuelle,  et  leur  résistance  continua.  Le 
général  Boyer  établit  également  des  rapports  avec  Arzeu, 
jiort  situé  à  dix  lieues  ;i  l'est  d'Oran,  qui  lui  procurèrent  du 
bh-,  des  fourrages  et  des  bestiaux  ;  et  après  avoir  mis  la  ville 
en  état  de  délénse  et  réjjaré  en  partie  les  fortifications  ,  qui 
avaient  été  presque  comijlétenient  déiruiles,  il  entama  des 
licgociations  avec  les  Douairs  et  les  Zuiélas,  afin  de  les  atla- 
ilicr  il  notre  cau^e. 


8Iλ 


A  cette  époque  une  vaste  coalition  se  formait  pour  dias- 
ser  les  Français  de  l'Algérie  :  un  Maure,  nommé  Sidi-Sadi, 
récenmient  arrivé  de  Livourne  ,  où  se  trouvait  Husséin-Dey, 
avait  concerté  avec  le  pacha  dépossédé  un  plan  dt;  soulève- 
ment général ,  qui ,  n'ayant  pas  été  exécuté  avec  ensemble 
par  toutes  les  tril)us  confédérées,  permit  au  Rénéral  Ber- 
thezène de  les  battre  séparément  au  gué  de  l'Harach  et  à  la 
Ferme-modèle.  Ces  embarras  surmontés  pouvaient  renaître 
chaque  jour  et  épuiser  lentement  nos  forces,  car  les  Arabes, 
bien  que  vaincus ,  n'étaient  pas  soumis. 

Presque  toujours  occupé  à  repousser  l'ennemi,  le  général 
Berthezène  eut  peu  de  temps  à  donner  à  l'administration 
intérieure  de  la  colonie  ;  on  lui  doit  cependant  quelques  éta- 
blissements utiles,  parmi  lesquels  il  faut  citer  de  belles  caser- 
nes situées  au  delà  du  faubourg  de  Bab-Azoun  ,  un  abattoir, 
la  place  du  Gouvernement,  la  réparation  de  la  jetée,  etc. 

Enfin,  16,000  hommes  de  troupes  débarquèrent  en  Afri- 
que sous  le  commandement  du  duc  de  Rovigo ,  pour  satis- 
faire aux  besoins  de  loccupation  et  ramener  les  indigènes 
au  respect  de  notre  autorité.  Le  commandement  du  pays  et 
de  l'armée  fut  laissé  au  duc  de  Rovigo.  L'autorité  civile  fut 
rendue  indépendante,  et  résida  dans  la  personne  d'un  inten- 
dant civil,  M.  Pichon.  Ce  fut  un  essai  malheureux,  auquel  il 
fallut  renoncer  après  un  petit  nombre  de  mois. 

La  situation  de  l'Algérie  semblait  alors  plus  favorable. 
Les  tribus  étaient  découragées.  Peu  de  temps  avant  son 
départ,  le  général  Berthezène  avait  nommé  aga  des  Arabes 
Sidi-Ali-M'barek ,  marabout  vénéré  de  Coleah,  qui  mainte- 
nait la  tranquillité  dans  la  plaine.  Sur  ces  entrefaites ,  des 
envoyés  ducbeik  El-Farhat,  ennemi  du  bey  de  Constantine, 
Hadji-Ahmed,  étaient  venus  à  Alger  offrir  le  concours  de  leur 
maître  pour  l'expédition  qu'ils  croyaient  projetée  contre 
Constantine.  Ces  députés  partirent  d'Alger  chargés  de  pré- 
sents; mais  arrivés  sur  le  territoire  de  la  tribu  d'El-Ouffia, 
ils  furent  complètement  dépouillés  par  des  Arabes  inconnus. 
Dès  le  lendemain  la  tribu  d'El-Ouffia  fut  frappée  d'exécu- 
tion militaire;  son  chef,  fait  prisonnier,  fut  condamné  à  mort 
et  exécuté.  A  la  suite  de  cet  acte  de  vigueur,  une  nouvell»» 
coalition  se  forma.  Sidi-Sadi ,  aidé  par  les  marabouts  fa- 
natiques, mit  en  circulation  des  prophéties  qui  annonçaient 
la  prochaine  et  infaillible  extermination  des  Français.  L'aga 
des  Arabes  Ali-M'barek  se  laissa  entraîner,  et  devint  dès  lors 
notre  ennemi  ;  mais  les  rassemblements  formés  au  pied  de 
l'Atlas  furent  bientôt  dissipés. 

Bone ,  occupée  une  première  fois  en  1830 ,  avait  été  pré- 
cipitamment évacuée,  lorsque  la  nouvelle  des  journées  de 
Juillet  était  parvenue  en  Afrique  ;  les  habitants  n'y  avaient 
point  rappelé  le  bey ,  Hadji-Ahmed ,  dont  ils  redoutaient  la 
tyrannie  ;  mais  la  quiétude  dont  ils  jouissaient  ne  fut  pas 
de  longue  durée.  Ahmed ,  sentant  sa  puissance  raffermie , 
dirigea  tous  ses  efforts  contre  Bone ,  position  commerciale 
qui  était  pour  lui  de  la  plus  haute  importance.  Après  le 
départ  des  troupes  françaises  les  habitants  de  Bone  avaient 
reçu  quelques  secour>  ;  mais  la  ville  était  étroitement  blo- 
quée du  côté  de  terre  par  les  troupes  d'Hadji-Ahmed  ou  par 
les  tribus  qui  lui  obéissaient.  Vers  la  fin  de  f  831,  le  chef  de 
bataillon  Houder  arriva  à  Bone  avec  cent  vingt-cinq  zouaves. 
Bien  accueilli  d'abord,  et  ensuite  trompé  par  Ibrahim ,  an- 
cien bey  de  Constantine ,  qui  se  saisit  pour  son  compte  de 
la  casbah ,  ce  malheureux  officier  fut  tué  au  moment  où 
il  se  rembarquait.  Cependant  Bone ,  serrée  chaque  jour  de 
plus  près  par  les  soldats  d'Hadji-Ahmed,  implorait  toujours 
les  secours  de  la  France.  Il  était  dangereux  de  laisser  le  bey 
de  Constantine  reprendre  ce  port  ;  l'occupation  en  fut  dé- 
cidée. En  mars  1832,  le  capitaine  d'artillerie  d'Armandy,  et 
Jou  sou  f,  alors  capitaine  aux  chasseurs  indigènes,  du- 
rent aller  aider  les  assiégés  de  leurs  conseils  et  leur  prêter 
main-forte.  Mais  avant  leur  arrivée  Bone,  forcée  d'ou- 
VI  ir  ses  portes  à  Ahmed ,  subit  toute  l'horreur  des  cala- 
Diifés  de  la  guerre.  Quelques  braves  se  maintinrent  cepeu» 


3'^0  ALGÉRIE 

dant  dans  la  casbah ,  et  les  Français,  ayant  eu  l'audace  d'y 
Iiéiiétier  la  nuit,  arborèrent  aussitôt  le  pavillon  tricolore, 
<iui  n'a  pas  cessé  d'y  llotter  depuis.  L'u  bataillon  d'infan- 
terie, et  plus  tard  3,000  hommes,  partis  de  Toulon  avec 
le  général  Monk-d'Uzer,  vinrent  s'établir  sur  les  ruines  de 
la  place ,  que  l'on  s'occupa  de  déblayer  et  de  rcconstmire 
immédiatement.  Ibraliim-Ccy,  en  proie  au  dépit  de  l'ambi- 
tion trompée,  essaya  bien  de  nous  en  disputer  la  conquête; 
mais  il  fut  repoussé  et  poursuivi  par  les  indigènes  eux- 
mêmes.  Peu  de  temps  après,  deux  tribus,  lassées  de  la  tyran- 
nie d'Ahmetl-Bey,  vinrent  s'établir  sous  le  canon  de  la  place, 
et  fournirent  des  cavaliers  pour  la  police  de  la  plaine. 

Notre  occupation  embrassait  donc  à  Alger  la  ville  et  la 
banlieue,  renfermée  presque  entièrement  dans  la  ligne  de 
nos  avant-postes;  nous  dominions  sur  tout  le  territoire 
compris  entre  l'Harach,  la  Métidja,  le  Maxafran  et  la  mer; 
à  Oran,  nous  possédions  une  lieue  autour  de  la  place  et  le 
tort  Mers-el-Kcbir.  Tlémecen  et  Moslaganem,  occupés  par  les 
Turcs  et  les  Coulougiis,  commençaiL-nt  à  vivre  eu  bonne 
intelligence  avec  nous.  A  Donc  ,  bien  que  l'établissement  ne 
s'étendit  qu"à  portée  de  canon  des  murailles,  nos  relations 
avec  les  tribus  voisines  se  formaient  d'une  manière  satis- 
faisante. C'est  dans  cet  état  que,  le  lieutenant  général  Voiro  I 
trouva  l'Algérie  française  lorsqu'il  reçut,  par  intérim ,  le 
commandement  après  le  départ  du  duc  de  Rovigo,  (jui  re- 
vint en  France  ,  déjà  atteint  de  la  maladie  à  laquelle  il  devait 
.succomber.  Le  général  Avizard,  qui  avait  pris  le  comman- 
dement au  départ  du  duc  de  Rovigo,  institua  pendant  sa 
courte  administration  le  bureau  arabe,  celte  licureu^e 
création,  qui  a  fait  et  ftjra  plus  pour  notre  domination  que 
vingt  ans  de  combats.  Le  capitaine  Lamoricière  fut  le 
premier  chef  de  ce  bureau.  Malgré  ses  étroites  limites,  notre 
domination  s'asse\ait  solidement;  la  population  civile,  im- 
perceptible d'abord ,  s'accrut  avec  rapidité.  On  construisait, 
on  plantait;  des  routes  militaires  s'ouvraient;  des  camps  re- 
tranchés étaient  établis  ;  les  sentiments  hostiles  s'éteignaient 
autour  de  nous,  et  la  paix  faisait  des  progiès  réels.  Ces  dis- 
positions à  un  rapprochement  furent  accrues  par  le  succès 
([u'oblint ,  au  commencement  de  mai ,  une  expédition  diri- 
{^ée  contre  les  Bouyagueb  et  les  Gueroiiaou,  dont  l'insolence 
et  les  agressions  continuelles  méritaient  un  châtiment. 

Depuis  que  lione  lui  avait  échappé  sans  retour,  Hadji- 
Ahmed  convoitait  Bougie ,  pour  en  faire  son  port.  Il  se 
flattait  aussi  de  soun;ettre  au  sud  Médéah  ,  que  déchiraient 
des  factions  ;  mais  les  gens  de  Médéab  réclamèrent  notre  se- 
cours, et  quoi<iue  les  auxiliaires  demandés  ne  pussent  être 
fournis,  encouragés  par  notre  bon  accueil,  ils  repoussèrent 
le  bey  de  Constantine. 

Le  général  Boyer,  après  de  fréquents  combats  contre  les 
Arabes,  venait  de  remettre  le  commandement  d'Oran  au  gé- 
néral Desmichels ,  et  l'empereur  de  Maroc,  dén  >iragé  par 
notre  ferme  contenance  et  par  les  représentations  éner- 
giques du  colonel  Delarue,  notre  envoyé,  se  détermina  à  re- 
tourner dans  ses  li^tats.  La  guerre  continuait  entre  les  Arabes 
et  les  Coulougiis  de  Tlémecen,  et  le  départ  des  troupes  ma- 
rocaines n'avcfit  pas  fait  trêve  aux  hostilités  des  populations 
contre  nous.  Les  marabouts  prêchaient  sans  cesse  la  ligue 
sainte  contre  les  chrétiens.  Après  la  mort  de  Alahi-Kddin, 
reconnu  un  moment  chef  des  tribus  du  pays  de  Mascara , 
Abd-el-Kader  se  fit  proclamer  à  Tlémecen  bey  de  la  pro- 
vince, leva  des  contributions,  appela  à  lui  les  Arabes  des 
alentours,  et  marcha  sur  Mostaganem  pour  s'en  emparer. 
Ar/.eu  tomba  en  son  pouvoir,  et  le  cadi  de  cette  ville,  qui 
avait  traité  avec  les  Français,  fut  décapité  par  son  ordre.  Le 
général  Desmichels  sentit  la  nécessité  de  balancer  les  succès 
d'A!)d-el-KaJer  :  il  marcha  bur  ArxtMi,  qui  ttil  occupé  le 
3  juillet,  et  prit  possession  de  Most'iganem  le  29  liii  même 
mois.  L'émir  (titre  qu'Abd-el-Kader  avait  pris  depuis  long- 
temps) fut  battu  successivement  à  Ain-Beda  le  l'"''  octobre, 
tl  ix  Tamezouat  le  .î  décembre.  Après  ce  dernier  combat, 


où  il  essuya  des  pertes  considérables ,  les  Douaïrs  et  les 
Zmélas  se  détachèrent  complètement  de  sa  cause ,  et  nous 
sont  depuis  restés  fidèles. 

Vers  cette  époque  l'occupation  de  Bougie  fut  résolue.  Oc- 
donnée  le  14  septembre,  l'expédition,  sous  le  commandement 
du  général  Trézel,  mit  à  la  voile  le  23,  et  le  9.9,  après  une  as- 
sez vive  résistance,  Bougie  devint  une  ville  française. 

Au  commencement  de  1834  quelques  tiihus  de  la  Métidja 
montrèrent  des  dispositions  amicales;  on  s'occupait  d'or- 
ganiser les  Outhans  raUiés.  Des  hakems  (gouverneurs) 
nommés  par  l'autorité  française  maintenaient  sur  les  villes 
de  Blidah  et  de  Coleah  une  souveraineté  nominale.  Les  tribus 
du  beylick  de  Tittery  continuaient  de  repousser  les  tentatives 
d'Ahmed-Bey;  celles  des  environs  de  Bone  se  tenaient  égale- 
ment prêtes  à  le  combattre.  Tuggurt,  ville  des  confins  du 
désert,  avait  envoyé  des  députés  à  Alger  pour  promettre  a 
la  France  son  concours  et  ses  sympathies  si  elle  marciiaii 
contre  le  bey  de  Constantine. 

Enfin,  à  Oran,  le  général  Desmichels,  victorieux  à  Tame- 
zouat, avait  signé  la  i)aix  avec  Abd-el-Kader  le  2fi  février  1 83  'i , 
et  si  d'une  part  la  cessation  des  bostiliiés  permettait  à  Ahd- 
el-Kader  de  tournor  ses  efforts  contre  ses  rivaux,  de  l'autre 
elle  donnait  à  la  France  le  temps  de  s'affermir  sur  tous  les 
points  occupés. 

Une  commission  de  pairs  et  de  députés  fut  chargée  par  le 
gouvernement  d'examiner  le  pays,  et  d'éclairer  la  France 
sur  les  inconvénients  et  les  avantages  de  sa  conquête.  A  la 
suite  de  cette  enquête,  parut  l'ordonnance  du  22  juillet  ISoi, 
qui  constitua  sur  de  nouvelles  bases  l'organisation  politique 
de  la  régence,  ii  laquelle  on  donna  le  nom  significatif  de  Pos- 
sessions françaises  dayis  Icnordde  l'Afrique.  Le  gouverne- 
ment ne  lut  plus  la  conséquence  du  commandement  militaire, 
mais  le  domina.  Sous  les  ordres  du  gouverneur  général,  il  y 
eut  un  lieutenant  général  commandant  les  troupes,  et  les 
services  divers  reçurent  des  chefs  spéciaux. 

Le  général  Drouet  d'Erlon,  nommé  gouverneur,  prit 
alors  possession  de  son  commandement.  Par  suite  du  vo-u 
exprimé  par  les  Chambres  de  voir  réduire  les  dépenses  de 
l'occupation,  il  dut,  à  défaut  d'un  déploiement  de  forces 
considérables  ,  donner  à  la  composition  de  l'armée  une  va- 
leur plus  cissi  rée  et  un  effectif  plus  réel.  On  créa,  sous  le 
titre  de  spahis  réguliers,  un  corps  d'indigènes,  afin  d'uti- 
liser ces  derniers  et  de  pouvoir  en  même  temps  réduire 
les  corps  venus  de  France. 

Les  bons  rapports  qui  avaient  été  établis  avec  les  indigènes 
durèrrnt  jusqu'à  la  fin  de  1834.  !\Iédéah,  menacée  d'un  côté 
par  le  bey  de  Constantine ,  de  l'autre  pressée  par  les  sol- 
licitations d'Abd -el-Kader,  envoya  dr-.  députes  au  gouver- 
neur général  pour  lui  demander  1-autorisation  d'accueillir 
l'émir  et  de  reconnaître  un  bakem  quMl  nommerait  :  en  cas 
de  refus ,  le  général  en  chef  était  supplié  de  pourvoir  lui- 
même  à  l'administration  et  à  la  défense  de  la  ville.  On  fit 
défendre  à  Abd-el-Kader  de  quitter  la  province  d'Oran  et  aux 
habitants  de  Médéah  de  le  recevoir.  On  ne  put  néanmoins 
leur  envoyer  un  gouverneur,  faute  de  tioupcs  pour  le 
soutenir. 

Le  général  Trézel,  qui  remplaça  le  général  Desmi- 
chels dans  la  province  d'O'-an,  avait  pour  nnssion  de  con- 
tinuer les  rapports  pacifiques  établis  avec  Abd-el-Kader; 
mais  la  tâche  était  difficile  :  les  conditions  du  dernier  traité 
n'étaient  pas  exécutées  ;  Abd-el-Kader  exerçait  sur  les 
Arabes  de  la  province  d'Oran  et  même  de  la  province  de 
Tittery  une  influence  prépondérante.  Le  besoin  d'ordre  et  de 
gouvernement  régulier  poussait  les  populations,  à  <léfaut  de 
la  France,  trop  éloignée  et  souvent  invoquée  en  vain ,  vers 
l'émir,  représentant  de  la  nationalité  arabe.  Médéah,  toujours 
menacée  par  le  bey  <le  Constantine,  se  jeta  dans  son  parti. 
.Sur  ces  entrefaites  un  chef  de  tribu  du  Sahara,  Hadjr-Moussa- 
el-l)arkaoui,  souleva  les  populations  contre  les  Français  et 
contre  l'émir,  coupable  d'avoir  fait  la  paix  avec  les  chrétiens  ; 


ALGÉRIE 


mais  il  fut  cU-fait.  Abd-cl-Kador  entra  victorieux  dans  Mé- 
di^ali,  et  reçut  la  soumission  de  Miliana.  Outre  l'extension  qu'il 
avait  donnée  à  son  autorité,  l'émir  recevait  de  rétran;;er  des 
munitions  de  guerre  ;  enfin  ,  la  rupture  semblait  devenir  iné- 
vitable. A  la  suite  d'une  razzia  qui  menaçait  le  territoire  des 
Douaïrs  et  des  Zmélas,  la  division  d'Oran  fit  une  démons- 
tration militaire  qui  fut  le  signal  des  hostilités.  Les  désas- 
tres de  la  forêt  Muley-Ismael  et  delà  Macta,  où 
nous  i)erdîmes  six  cents  hommes  sur  dix-huit  cents,  ébran- 
lèrent malheureusement  dans  l'esprit  des  indigènes  la  con- 
viction de  notre  supériorité,  et  compromirent  notre  ascen- 
dant moral.  Quinze  mois  d'une  paix  équivoque  dansl'onest 
avaient  séparé  de  nous  les  populations  du  centre  ;  le  fana- 
tisme s'était  réveillé  :  sous  le  titre  de  prince  des  fidèles  et  de 
protecteur  de  la  religion ,  Abd-el-Kader  avait  été  reçu  par- 
tout avec  enthousiasme  ;  de  Médéah  à  Tlémeccn,  les  villes  et 
les  tribus  semblaient  ne  plus  reconnaître  d'autre  chef.  Le 
bey  de  Constantine  Ahmed  paraissait  résigné  au  succès  de 
son  habile  rival.  La  prise  de  Mascara,  l'occupation  de 
l'île  de  Harchgoun  et  l'expédition  de  Tlémecen  ,  dirigées  par 
le  nouveau  gouverneur  maréchal  Clauzel  (  1835) ,  raffemii- 
rent,  il  est  vrai,  notre  puissance;  mais  le  contre-coup  de 
l'échec  de  la  Macta  s'était  fait  sentir  dans  les  autres  parties 
de  l'Algérie  :  Bone,  Bougie,  Médéah  étaient  loin  d'être  pa- 
cifiées. Néanmoins,  ce  (acheux  événement  n'eut  pas  le  pou- 
voir de  faire  renaître  les  coalitions ,  et  les  Arabes,  fatigués 
d'une  guerre  sans  terme,  qui  les  appauvrissait ,  semblaient 
attendre  de  quel  côté  pencherait  la  balance  pour  se  joindre 
au  parti  vainqueur.  Les  généraux  Perre^aux  et  d'Arlanges , 
l'un  sur  l'Habrah  et  la  vallée  du  Chélif,  l'autre  à  l'em- 
bouchure de  la  Tafna ,  où  le  gouverneur  général  avait  jugé 
nécessaire  l'établissement  d'un  camp  pour  procurer  à  la 
garnison  française  de  Tlémecen  une  communication  plus 
prompte  avec  la  mer,  s'efforçaient  de  maintenir  la  tran- 
quillité et  d'établir  la  suprématie  de  notre  drapeau.  Mais  la 
lutte  était  trop  inégale.  Des  renforts  furent  envoyés  de  France, 
sous  le  commandement  du  général  Bugeaud,  qui,  pour 
débuter,  battit  complètement  l'émir  au  i)assage  de  la  S  i  c- 
k a k,  lui  tua  douze  à  quinze  cents  hommes,  et  lui  prit  cent 
trente  réguliers ,  qui  furent  traités  avec  humanité  et  trans- 
portés en  France.  Aucun  événement  important  ne  signala 
du  côté  d'Oran  la  fin  de  1836.  En  août  et  novembre  une 
brigade  put ,  sans  obstacle  sérieux ,  parcourir  de  grandes 
distances  et  recueilhr  la  soumission  passagère  des  tribus 
détachées  de  la  cause  de  l'émir.  La  domination  française 
avait  autour  et  en  avant  de  Bone  fait  des  progrès  réels  ;  la 
Call  e  venait  d'être  occupée  par  le  chef  d'escadron  Jousouf, 
récemment  nommé  bey  de  Constantine.  Cependant  depuis 
cinq  années  les  Arabes  de  la  province  s'étonnaient  que  la 
France  laissât  le  bey  de  Constantine  exercer  en  paix  un  pou- 
voir qui  aurait  dû  finir  avec  la  régence  d'Alger.  Le  maré- 
chal Clauzel,  pour  préparer  l'expédition  de  Constantine, 
fit  occuper  la  position  de  Dréan ,  à  vingt-quatre  kilomètres 
sud  de  Bone.  Les  forces  dont  il  pouvait  disposer  lui  parais- 
saient suffisantes,  le  succès  lui  semblait  assuré,  et,  sur  la  foi 
de  ces  espérances,  le  corps  expéditionnaire,  fort  de  9,137 
hommes,  s'ébranla  le  8  novembre.  Le  ISoncanipaitàGhelma, 
et  le  21  Tarmée  prit  position  sous  les  murs  de  la  ville,  où  tant 
de  déceptions  poignantes ,  de  tortures  et  de  misères  l'atten- 
daient. Après  quelques  jours  d'infructueuses  tentatives,  la 
retraite  se  fit  lentement  sur  Bone.  L'issue  malheureuse  de 
cette  expédition  aurait  pu  avoir  une  influence  fâcheuse  sur 
"nos  relations  avec  les  tribus  des  provinces  d'Alger  et  de  Tit- 
tery ,  si  les  habiles  dispositions  prises  par  le  général  Rapa- 
tel  n'avaient  imposé  aux  Arabes.  Le  développement  de  nos 
établissements  militaires,  l'agrandissement  de  Ghebna,  les 
travaux  de  route,  de  canalisation ,  d'agriculture ,  qui  s'exé- 
cutaient de  toutes  parts,  prouvaient  assez  que  l'insuccès  d'une 
entreprise  contrariée  par  le  mauvais  temps  n'abattait  pas 
notre  courage. 

DICT.  DE  L.V  CONVERS.  —  T.  I. 


321 

Dans  les  derniers  jours  de  mai  1837,  le  nouveau  gouver- 
neur général,  Dam  ré  mon  t,  se  disposait  à  explorer  Mihana 
et  la  vallée  supérieure  du  Chélif,  et  le  général  Bugeaud,  de 
son  côté,  allait  commencer  la  guerre  de  dévastation  dont  il 
avait  menacé  les  Arabes,  lorsqu'Ahd-el-Kader  demanda  à 
traiter,  eu  reconnaissant  la  souveraineté  de  la  France.  La 
convention  de  la  Tafna  laissa  le  gouvernement  libre  de 
porter  son  attention  tout  entière  sur  la^  province  de  Cons- 
tantine; rien  ne  fut  épargné  pour  que  la  question  depuis  si 
longtemps  indécise  entre  Ahmed  et  nous  fût  enfin  tranchée 
par  la  guerre.  Bone,  Dréan,  Ghelma,  Nechmeya,  Hamman- 
Berda,  se  garnirent  de  troupes,  d'artillerie,  de  munitions  et 
d'approvisionnements.  On  se  rapprocha  de  Constantine,  en 
occupant  fortement  la  position  de  Medjez-el-Ahmar,  sur 
laquelle  10,000  Arabes  ne  tardèrent  pas  à  se  ruer,  mais  sans 
succès.  Partie  de  ce  point  le  1"^  octobre  1837,  l'armée  ar- 
riva le  6  devant  Constantine,  et  y  entra  de  vive  force 
le  13.  Cette  victoire  fut  chèrement  achetée  :  une  foule  de 
braves,  en  tête  desquels  il  faut  nommer  le  comte  de  Dam- 
rémont  lui-môme,  la  payèrent  de  leur  vie.  Le  général  Val ée 
prit  le  commandement.  La  chute  de  Constantine  achevait 
la  ruine  de  l'ancienne  régence,  et  la  domination  sur  la  pro- 
vince tout  entière  résultait  natui'ellement  de  sa  possession. 
Assise  sur  un  i)lateau  élevé,  assez  rapprochée  des  frontières 
de  Tunis,  entretenant  avec  les  peuplades  des  confins  du  dé- 
sert des  rapports  fréquents,  et  débouchant  dans  les  plaines 
à  l'est  des  Portes-de-Fer,  elle  devait  exercer  sur  le  pays  la 
plus  utile  influence.  On  répara  la  brèche  ouverte  pai-  notre 
artillerie,  et  5,000  hommes  y  demeurèrent  en  garnison  avec 
le  fameux  bataUlon  de  Constantine,  composé  de  Turcs 
et  d'Arabes ,  qui  nous  ont  depuis  rendu  de  si  grands  ser- 
vices. 

Le  général  Valée  arriva  sans  obstacle  à  Bone,  où  il  reçut 
sa  nomination  aux  fonctions  de  gouverneur  général  de  l'Al- 
gérie. Quelque  temps  après,  le  bâton  de  maréchal  de  France 
le  récompensa  du  glorieux  fait  d'armes  auquel  il  avait  at- 
taché son  nom. 

En  janvier  1838  le  général  Négrier  alla  reconnaître  la 
route  qui  conduit  de  Constantine  à  la  rade  de  Stora ,  dans 
le  but  d'assurer  à  cette  ville  des  communications  plus 
promptes  et  plus  faciles  avec  la  mer,  et  de  donner  un 
port  de  plus  à  la  province.  Il  trouva  sur  son  passage,  dans 
une  étendue  de  vingt-quatre  kilomètres,  tous  les  Arabes 
paisibles  et  adonnés  aux  travaux  des  champs.  Bientôt  la 
voie,  longue  seulement  de  quatre-vingts  kilomètres,  qui, 
par  le  camp  de  Smendou ,  conduit  en  trois  marches  de 
Constantine  à  Stora ,  fut  commencée ,  et  les  transports  de 
l'armée  ne  tardèrent  pas  à  la  parcourir  en  toute  sécurité. 
Une  ville  française,  sous  le  nom  de  Philippeville,  s'éleva 
bientôt  auprès  de  l'ancienne  Stora.  Trompé  sans  doute 
par  les  espérances  que  lui  faisaient  trop  légèrement  con- 
cevoir ses  partisans ,  Hadji-Ahmed ,  avec  les  cavaliers  de 
quelques  tribus  restées  fidèles ,  s'était  d'abord  avancé  dans 
le  Djérid ,  puis  vers  Constantine.  Nos  troupes  marchèrent  à 
sa  rencontre ,  comprenant  bien  qu'un  tel  voisinage  porterait 
l'incertitude  parmi  nos  alliés.  Celte  démonstration  suffit 
pour  faire  reculer  l'ancien  bey  et  détacher  de  sa  cause  les 
chefs  les  plus  influents  qui  suivaient  encore  sa  fortune. 

Dans  les  provinces  du  centre  et  de  l'ouest ,  l'émir  ne 
se  rendait  pas  compte  des  obligations  que  la  paix  de  la  Tafiia 
lui  imposait  envers  nous  ;  il  ne  veillait  pas  suffisamment  au 
maintien  de  la  tranquillité,  et  devançait,  par  des  actes  que  le 
moment  n'était  pas  venu  de  réprimer,  l'interprétation  con- 
testée du  traité.  Une  convention  supplémentaire ,  signée  à 
Alger  par  le  représentant  d' Abd-el-Kader ,  Mouloud-Ben- 
Arrach ,  n'ayant  pas  été  ratifiée  par  lui ,  la  rupture  devint 
inévitable.  Une  partie  de  l'année  s'écoula  cependant  sans  hos- 
tilités. Abd-el-Kader  de  son  côté,  après  avoir  assiégé  la  ville 
d'A  ï  n  -  M  a  d  h  i  ,  s'assurait  des  sympathies  de  l'empereur  de 
Maroc  En  attendant,  les  travaux  de  route  et  d'assainissement 

41 


322 


ALGÉRIE 


se  poursuivaient  partout  avec  activité;  des  postes  étaient 
établis  au  pied  de  l'Atlas ,  afin  de  protéger  le  territoire  de 
la  jMétidja.  Les  indigènes  semblaient  eux-mêmes  seconder 
ces  progrès  de  nos  établissements,  et  s'associer  à  nos  espé- 
rances d'avenir.  Des  familles  arabes  émigrées  revenaient 
avec  confiance  se  réfugier  sous  notre  autorité;  nos  alliés 
des  tribus  de  Krachna,  Béni-Moussa  et  Béni-Kbalid,  fati- 
gués des  exactions  des  lladjoutes,  formaient  contre  eux 
une  expédition,  tuaient  leurs  guerriers  et  enlevaient  leurs 
troupeaux.  Dans  la  province  de  Constantine ,  quelques 
meurtres  isolés  commis  sur  nos  soldats  ayant  motivé  de 
la  paît  du  général  Négrier  de  sévères  admonestations  au 
klialifat  du  Sahel,  Ben-.Vissa,  on  vit  pour  la  première  fois 
des  Arabes  arrêtés,  jugés,  condamnés  et  exécutés  par 
des  Arabes,  leurs  juges  naturels,  pour  des  assassinats  sur 
des  chrétiens.  Une  attaque  des  Kabyles  contre  la  garnison 
de  Ghelma  et  le  cliûliment  des  Oulad-Agiz,  qui  avaient  as- 
sassiné Bou-Agab,  notre  cheik  des  Harractas,  furent  les  seules 
occasions  dans  lesquelles  nos  troupes  eurent  à  signaler  de  nou- 
veau leur  valeur  et  à  montrer  leur  supériorité.  Divers  évé- 
nements ,  tels  que  les  approvisionnements  de  INIilah  et  de 
Ghelma,  une  reconnaissance  entre  Bone  et  Philippeville, 
ayant  pour  objet  une  communication  plus  prompte  entre 
ces  deux  points  importants,  reliés  ainsi  à  Constantine,  l'oc- 
cupation de  Djomilah  et  du  port  de  Djidjeli ,  l'expédition 
de  Sétif,  la  soumission  de  plusieurs  tribus  non  ralliées,  l'ar- 
rivée du  duc  d'Orléans,  et  le  passage  du  Biban,  occupè- 
rent laborieusement  nos  armées  jusqu'au  mois  d'octobre 
1839. 

Vers  la  fin  de  l'aimée,  les  Arabes  qui  avaient  envahi  le 
territoire  d'Alger  s'étaient,  il  est  vrai,  éloignés  de  nos  postes; 
mais  leur  masse  remplissait  encore  les  versants  septentrio- 
naux des  montagnes  les  plus  voisines.  La  plaine  était  dépeu- 
plée d'Européens,  dont  les  habitations  avaient  été  détruites. 
Des  partis  ennemis  se  glissaient  à  la  faveur  des  plis  du 
terrain  jusqu'au  voisinage  d'Alger  ;  nulle  part  la  campagne 
n'était  sûre ,  et  les  communications  d'un  poste  à  l'autre  ne 
s'effectuaient  plus  que  par  des  colonnes. 

A  cette  époque,  les  Hadjoutes,  prévenus  des  secrètes 
dispositions  d'Abd-el-Kader,  passèrent  la  Chiffa,  et  vinrent 
exercer  des  razzias  meurtrières  contre  la  tribu  des  Béni- 
Khalib ,  notre  alliée.  Le  commandant  du  camp  d'Ouad-el- 
Aleg,  accouru  pour  les  repousser,  tombe  mortellement 
blessé,  ^'os  soldats,  furieux,  se  précipitent  sur  l'ennemi,  et, 
malgré  leur  infériorité  numérique ,  le  refoulent  en  deçà  de 
la  Chiffa.  A  ce  premier  échec  l'émir  répond  enfin  par  une 
franche  déclaration  de  guerre.  Dans  les  premiers  jours  de 
décembre,  mille  à  douze  caits  Hadjoutes,  rencontrés  entre 
le  camp  de  l'Arba  et  le  cours  de  l'Harach  par  une  colonne 
formée  du  62"  de  ligne  et  d'un  escadron  du  l"""  de  ciias- 
seurs,  furent  culbutés  et  forcés  à  une  prompte  retraite, 
après  avoir  subi  des  pertes  considérables.  Peu  de  temps 
après,  un  convoi  parti  de  Bouffarick  pour  Blidah  rencontre 
au  delà  de  Méred  les  bataillons  réguliers  de  l'émir,  aux- 
quels s'étaient  joints  un  grand  nombre  de  Kabyles.  Une 
charge  vigoureuse  du  1"  régiment  de  chasseurs  les  jette 
dans  un  ravin ,  et  les  décime  par  un  feu  des  plus  meur- 
triers ;  à  peine  arrêté  dans  sa  marche,  le  convoi  gagne  tout 
entier  le  camp  de  Blidah ,  en  avant  duquel ,  dès  le  lende- 
main, l'ennemi  revient  s'établir.  Le  général  Rulhières,  à 
la  tête  de  quatre  colonnes  immédiatement  disposées  pour 
l'attaque ,  se  lance  sur  les  Arabes ,  les  déloge  de  leur  posi- 
tion ,  et  rentre  à  Boiiffarick ,  après  les  avoir  foudroyés  par 
sa  mitraille. 

La  guerre  ne  tarda  pas  h  agiter  aussi  la  province  d'Oran. 
Elle  est  signalée  par  la  défense  de  Mazagran,  un  des  plus 
glorieux  faits  d'armes  de  la  conquête;  en  môme  temps  un 
corps  expéditionnaire  occupe  Cherche  11.  Un  succès  plus 
important  venait  d'être  remporté  le  1"  décembre  dans  la 
province  d'Alger,  entre  le  camp  supérieur  de  Blidah  et  la 


Chiffa.  Toutes  les  forces  des  khalifats  de  Médéah  et  de 
Miliana  réunies  ,  l'infanterie  régulière  de  l'émir  et  sa  nom- 
breuse cavalerie  occupaient  le  ravin  de  l'Oued-el-Kebir  ;  les 
2"  léger,  23*  de  ligne  et  1"^  de  chasseurs,  en  chargeant  sur 
elles,  gravissent,  sans  tirer  un  seul  coup  de  fusil ,  la  berge 
opposée  du  ravin ,  et  atteignent  les  Arabes ,  qu'ils  mettent  en 
pleine  déroute.  Trois  drapeaux ,  une  pièce  de  canon ,  les 
tambours  des  bataillons  réguliers,  quatre  cents  fusils  et  trois 
cents  cadavres,  furent  les  trophées  de  cette  brillante  vic- 
toire. IMais  ces  rencontres  ne  pouvaient  être  décisives  ;  il  de- 
venait évident  pour  tous  que  l'émir  ne  serait  détruit  que  par 
une  suite  d'opérations  combinées  avec  une  persévérance  et 
une  vigueur  extrêmes. 

Dans  cet  état  de  choses ,  le  gouverneur  général  résolut 
de  faire  à  .\bd-el-Kader  une  guerre  opiniâtre  et  de  l'at- 
teindre jusque  dans  ses  principaux  établissements.  Les  com- 
bats de  Miserguin  et  de  Sihous,  la  punition  des  tribus  ka- 
byles de  Béni-Saak ,  de  Béni-Ouaban ,  de  Déni- Moussa  et 
des  Haractas,  retardèrent  jusqu'au  25  avril  1840  l'ouver- 
ture de  la  campagne.  La  prise  de  possession  de  Médéah  et 
de  Miliana,  qui  devait  couper  les  communications  d'Abd- 
el-Kader,  étant  résolue ,  neuf  raille  hommes  s'ébranlèrent 
pour  l'effectuer.  L'ennemi ,  plusieurs  fois  abordé  et  vaincu , 
parvint  toujours  à  se  dérober,  par  la  fuite,  à  une  défaite 
complète;  cependant  dans  la  journée  du  27  notre  in- 
fanterie, arrivant  au  pas  de  course  avec  la  cavalerie  sur 
les  hauteurs  de  l'Afroun ,  le  chassa  dans  la  vallée  de  Bou- 
Roumi,  et  l'obligea  à  quitter  une  forte  position  qu'il  oc- 
cupait dans  la  gorge  de  l'Oued-Djer.  Pendant  ce  temps 
Cherchell  était  attaquée  par  les  Arabes,  qui  se  fatiguèrent 
inutilement  pendant  six  jours  à  en  surprendre  ou  à  en 
forcer  la  garnison.  Le  corps  expéditionnaire  marcha  ensuite 
sur  Médéah,  pour  la  ravitailler;  mais  le  passage  du  col  de 
Mouzaïa  lui  fut  vivement  disputé  par  les  Kabyles ,  embus- 
qués dans  des  ravins  Inexpugnables.  Médéah  tomba  en  notre 
pouvoir  le  17  mai.  Dans  la  deuxième  période  de  cette  fruc- 
tueuse campagne,  Miliana  fut  occupée  le  8  juin  et  ravi- 
taillée le  23,  presqu'en  môme  temps  que  Médéah. 

Mais  la  chaleur  ne  permettant  pas  de  continuer  les  opé- 
rations dans  la  province  de  Tittery ,  le  gouverneur  ramena 
les  troupes  sur  le  territoire  d'Alger,  après  avoir  châtié  sé- 
vèrement les  Kabyles  de  Mouzaïa  et  les  Béni-Salah,  qui 
depuis  le  commencement  de  la  guerre  s'étaient  montrés 
très-hostiles  et  avaient  constamment  inquiété  nos  convois. 
En  quittant  le  camp  de  Mouzaïa,  qui  n'était  qu'un  poste  de 
campagne,  le  gouverneur  ordonna  des  travaux  prélimi- 
naires à  rétabhsseraent  d'une  route  qui  permettait  de  tour- 
ner à  l'est  le  col  de  Mouzaïa ,  comme  on  l'avait  déjà  tourné 
à  l'ouest.  Cherchell ,  Médéah  et  Miliana  occupés ,  le  terri- 
toire des  Hadjoutes  balayé  et  l'ennemi  repoussé  partout  oii 
il  avait  tenté  la  résistance,  tels  furent  les  résultats  maté- 
riels de  cette  glorieuse  campagne.  De  retour  avec  l'année, 
le  maréchal  Valée  s'occupa  immédiatement  des  dispositions 
à  prendre  pour  la  campagne  d'automne  :  achever  dans  la 
province  de  Constantine  la  soumission  des  tribus  indécises, 
et  compléter  l'approvisionnement  de  toutes  les  places  jus- 
qu'au printemps;  dans  celle  de  Tittery,  approvisionner  pour 
six  mois  Médéah  et  Miliana ,  ramener  les  tribus  du  terri- 
toire à  la  soumission  et  détruire  l'établissement  de  Thaza; 
dans  la  province  d'Alger,  couvrir  le  Sahel,  manœuvrer  dans 
la  plaine  pour  tenir  les  Arabes  en  respect  et  maintenir  les 
communications;  enfin,  dans  la  province  d'Oran,  occuper 
Mascara  et  détruire  Tagdemt,  tel  fut  le  plan  que  l'on 
adopta  et  dont  on  entreprit  l'exécution  à  partir  du  l*"^  no- 
vembre ISiO.  Le  tribut  prélevé  sur  une  grande  portion  du 
pays  commençait  alors  à  offrir  quelques  ressources;  les 
marchés  se  peuplaient  d'indigènes,  les  Arabes  cultivaient 
les  terres ,  et  la  cause  française  gagnait  chaque  jour  de  nou- 
veaux défenseurs;  près  de  sept  mille  musulmans,  cavaliers 
ou  fantassins,  s'étaient  rangés  sous  nos  drapeaux.  Les  villes 


ALGERIE 


323 


d'Alger,  Oran  et  Donc ,  sorties  de  leurs  ruines ,  prenaient  un 
rapide  développement  ;  la  population  européenne ,  qui  s'ac- 
croissait dans  une  proportion  constante ,  atteignait  au 
21  décembre  1840  le  chiffre  de  28,000,  dont  13,000  Fran- 
çais ,  9,000  Espagnols ,  6,000  Italiens ,  Maltais  ou  Allemands. 
Du  côté  des  Arabes,  la  guerre  continuait  comme  d'habitude, 
sous  forme  d'escarmouches,  de  déprédations,  de  dévasta- 
tions et  d'attaques  contre  les  individus  isolés  ou  les  faibles 
détachements.  L'émir  ne  défendait  ni  pays ,  ni  villes ,  ni 
camps ,  ni  positions  ;  il  fuyait  les  rencontres  sérieuses ,  les 
engagements  décisifs ,  et ,  malgré  de  fréquentes  défaites ,  il 
conservait  encore  des  forces  iiuposantes  et  pouvait  continuer 
de  troubler  nos  établissements.  A  dire  vrai,  la  seule  victoire 
réelle  remportée  sur  les  Arabes  se  bornait  à  l'adoucissement 
progressif  de  leurs  mœurs  :  ils  ne  tuaient  plus  leurs  pri- 
sonniers ,  les  traitaient  souvent  avec  quelque  humanité ,  et 
répondaient  avec  empressement  aux  offres  d'échanges  qui 
leur  étaient  faites.  La  civilisation  faisait  donc  plus  que  nos 
armes. 

Le  22  février   1841  le  lieutenant  général  Bugeaud  vint 
remplacer  le  maréchal  Valée  dans  son  gouvernement. 

L'éternelle  gloire  de  Bugeaud  sera  d'avoir  compris  que  nous 
n'avions  pas  en  face  de  nous  une  véritable  année ,  mais  la 
population  elle-même ,  et  qu'il  fallait  par  conséquent  pour 
se  maintenir  dans  un  tel  pays  que  nos  troupes  y  restassent 
presque  aussi  nombreuses  en  temps  de  paix  qu'en  temps 
de  guerre  ;  d'avoir  découvert  en  même  temps  que  les  po- 
pulations qui  repoussaient  notre  empire  n'étaient  pas  no- 
mades, comme  on  l'avait  cru  longtemps ,  mais  seulement 
beaucoup  plus  mobiles  que  celles  d'Europe.  Chacune  avait 
son  territoire  limité,  d'où  elle  ne  s'éloignait  pas  sans  peine, 
et  où  elle  était  toujours  obligée  de  revenir.  Si  on  ne  pou- 
vait occuper  les  maisons  des  habitants ,  on  pouvait  donc 
s'emparer  des  récoltes ,  prendre  les  troupeaux  et  arrêter 
les  personnes.  Dès  lors  les  véritables  conditions  de  la  guerre 
d'Afrique  lui  apparurent.  Il  ne  s'agissait  plus,  comme  en  Eu- 
rope, de  rassembler  de  grandes  armées  destinées  à  opérer  en 
masses  contre  des  armées  semblables ,  mais  de  couvrir  le 
pays  de  petits  corps  légers  qui  pussent  atteindre  les  popula- 
tions à  la  course ,  ou  qui ,  placés  près  de  leur  territoire,  les 
forçassent  d'y  rester  et  d'y  vivre  en  paix.  On  renonça  d'abord 
atout  ce  qui  encombre  la  marche  des  soldats  en  Europe.  On 
supprima  presque  entièrement  le  canon  ;  à  la  voiture  on 
substitua  le  chameau  ou  le  muk  t.  Des  postes-magasins,  placés 
de  loin  en  loin ,  permirent  de  n'emporter  avec  soi  que  peu 
ou  point  de  vivTes.  Nos  officiers  apprirent  l'arabe,  étudièrent 
le  pays,  et  y  guidèrent  les  colonnes  sans  hésitation  et  sans 
détour.  Coname  la  rapidité  faisait  bien  plus  que  le  nombre , 
on  ne  composa  les  colonnes  elles-mêmes  que  de  soldats 
choisis  et  déjà  faits  à  la  fatigue.  On  obtint  ainsi  une  rapidité 
de  mouvements  presque  incroyable,  et  à  la  fin  nos  troupes, 
aussi  mobiles  que  l'Arabe  armé ,  allèrent  plus  vite  que  la 
tribu  en  marche. 

La  mission  expresse  du  général  Bugeaud  étant  de  détruire 
la  puissance  d'Abd-el-Kader,  l'effectif  de  l'armée  fut  porté  à 
78,000  hommes  et  à  13,500  chevaux.  La  grande  guerre  allait 
cesser  en  Afrique.  On  renonçait  enfin  à  cette  ceinture  de 
postes  isolés  qui  ne  protégeaient  rien  ;  on  occupa  les  villes,  et 
on  mit  en  pratique  le  système  qui  consiste  à  rayonner  au- 
tour de  soi  en  partant  d'une  position  permanente.  De  cette 
manière,  l'ennemi,  toujours  maintenu  à  distance,  incessam- 
ment menacé  dans  ses  troupeaux  et  ses  moissons,  était  forcé 
de  se  tenir  constamment  sur  une  défensive  fatigante  et  rui- 
neuse, qui  l'appauvrissait  chaque  jour  davantage. 

L'année  s'ouvrit  sous  de  favorables  auspices.  Une  co- 
lonne de  4,000  hommes,  partie  d'Oran  sous  les  ordres  du 
commandant  de  la  place,  marche  à  la  rencontre  du  khalifat 
de  l'émir,  Ben-Tamy,  et  le  contraint  à  la  retraite.  Dans  la 
province  de  Conslanline,  la  tribu  de  Béui-Oualban,  cou- 
pable de  plusieurs  meurties  commis  sur  la  roule  de  Piii- 


lippeville,  est  sévèrement  châtiée  ;  dans  le  même  temps,  la 
garnison  de  Djidjcli  faisait  chèrement  payer  aux  Kabyles 
leur  acharnement  etleurperfidie.  Les  attaques  d'El-Berkadi, 
autre  khalifat  d'Abd-el-Kader,  furent  également  repoussées 
dans  la  province  de  Tittery.  L'ennemi  y  éprouva  des  pertes 
considérables,  et,  malgré  ses  efforts,  les  ravitaillements  de 
Médéah  et  de  Mlliana  purent  encore  une  fois  s'opérer  avec 
succès.  Le  général  Bugeaud,  après  avoir  renforcé  Sétif, 
Constantine,  Ghelma  et  Bone,  confia  au  général  Baraguay- 
d'Ililliers  le  commandement  de  la  division  qui  devait  agir 
dans  le  bas  Chélif,  pendant  que  lui-même  dirigerait  l'expé- 
dition projetée  dans  la  province  d'Oran.  Le  maréchal  de 
camp  de  Bar  reçut  le  commandement  d'Alger  et  de  son 
territoire. 

A  dater  de  celte  époque  (  25  mai  1841  ),  une  suite  non 
interrompue  de  revers  vint  accabler  le  fds  de  Mahi-Eddin. 
La  prise  de  Tagdemt,  de  son  fort  et  de  ses  magasins, 
celle  de  Mascara,  le  combat  d'Akbet-Khedda,  qui  lui  coûte 
400  hommes,  la  destruction  de  Boghar  et  de  Thaza, 
l'occupation  de  M  s  il  a  h  et  la  défaite  de  Farhat-Ben-Saïd, 
son  fidèle  allié,  préludent  tristement  à  l'anéantissement  de 
sa  puissance.  Les  tribus  des  Laghouath  et  des  Bordjia  im- 
priment aux  débris  de  son  armée  découragée  un  funeste 
élan  de  défection  ;  tout  appui  lui  manque,  toute  influence 
l'abandonne  ;  désormais  son  génie  se  résignera  à  combiner 
des  chances  de  sauvegarde  pour  les  siens,  plutôt  que  des 
projets  de  vengeance  contre  nous.  Réduit  à  la  défensive, 
honteux  de  son  impuissance,  déchu  de  sa  gloire,  le  lion 
vaincu  va  chercher  un  refuge  dans  les  sables  du  désert. 

Pendant  la  première  campagne  de  1842  la  guerre  marcha 
avec  une  rapidité  incroyable  dans  les  provinces  d'Alger  et 
de  Tittery.  Les  émigrations,  les  alarmes  continuelles,  les 
pertes  énormes  occasionnées  par  les  razzias,  les  femmes  et 
les  enfants  enlevés  ou  morts  de  fatigue  et  de  faim,  la  né- 
cessité de  vivre  pendant  tout  l'hiver  sur  les  montagnes  les 
plus  âpres,  dont  les  sommets  étaient  couverts  de  neige,  dé- 
cidèrent des  soumissions  multipliées,  et  un  grand  nombre  de 
tribus  firent  marcher  leurs  cavaliers  avec  les  nôtres  pour 
combattre  l'ennemi.  Malgré  cette  tendance  générale  à  la 
paix,  les  opérations  militaires  ne  manquèrent  en  1842  ni 
d'activité  ni  d'importance.  Le  fort  de  Sebdou,  unique 
place  de  la  seconde  ligne  qui  restât  encore  à  l'émir ,  tomba 
en  notre  pouvoir,  et  quinze  tribus  nous  firent  leur  soumis- 
sion. Les  Beni-Menacer,  tribu  kabyle  des  environs  de  Cher- 
chell ,  furent  sévèrement  châtiés.  Plus  de  vingt  tribus  im- 
plorèrent l'aman  du  général  Bugeaud.  En  juillet  le  khalifat 
El-Berkani  fut  entièrement  battu  et  dépouillé.  Abd-el-Kader, 
fuyant  devant  le  général  Lamoricière,  s'était  réuni  au  kha- 
lifat Ben-Allah,  Sidi-Embarak,  sur  la  frontière  sud  du  khalifat 
de  Milianah,  pour  faire  quelques  tentatives  sur  les  tribus 
soumises  de  cette  contrée.  Celles-ci  ayant  demandé  du  se- 
cours, \i  général  Changarnier  partit  avec  ses  auxiliaires 
pour  refouler  l'émir  dans  le  désert.  Les  manœuvres  des  gé- 
néraux d'Arbouville  chez  les  Flitas,  et  Sillègue  dans  le 
Sétif,  du  colonel  Comman  chez  les  Beni-Djahad  et  du  com- 
mandant de  place  de  Bougie,  du  Courtial,  contre  les  Kabyles 
qui  avaient  cherché  à  le  surprendre,  consolidèrent  notre 
conquête  dans  les  provinces  de  l'ouest,  et  parvinrent  à  cir- 
conscrire le  foyer  de  la  guerre.  Cependant  Abd-el-Kader 
s'était  établi  dans  les  montagnes  de  l'Ouarensénis,  et 
dominait  sur  tout  le  pays  compris  entre  le  Chélif  et  la  Mina. 
Une  campagne  d'hiver  fut  organisée,  qui  répondit  parfiiite- 
ment  aux  attentes  du  général  Bugeaud.  Le  général  Chan- 
gaiTiier  dirigea  ensuite  une  expédition  contre  les  populations 
voisines  de  Tenès ,  où  nous  n'avions  pas  encore  porté  nos 
armes.  A  la  fin  de  l'année  voici  quelle  était  la  situation  :  tout 
le  pays  était  soumis  et  organisé  depuis  le  Jurjura  jusqu'à  la 
frontière  de  Maroc.  Les  villes  du  littoral ,  relevées  comme 
celles  de  l'intérieur,  s'environnaient  alors  de  villages,  pres- 
que aussitôt  peuplés  que  construits  ;  on  essayait  tous  les 

41. 


324 


ALGERIE 


moyens  pour  favoriser  la  colonisation  ;  des  casernes ,  des 
hôpitaux,  des  magasius,  des  éj^lises,  des  écoles,  des 
marchés  ,  des  fontaines  ,  des  édifices  puhlics  et  privés 
surgissaient  sur  tous  les  points.  Des  chambres  de  com- 
merce, des  entrepôts  réels,  s'ouvraient  sur  nos  côtes  aux 
marchamlises  étrangères  ;  des  phares  éclairaient  tous  les 
ports  ;  des  routcfi  nouvelles  rayonnaient  sur  le  sol ,  toutes 
couvertes  de  soldats ,  de  marchands ,  de  voyageurs  cir- 
culant avec  sécurité  ;  des  ponts  étaient  jetés  sur  Tisser,  le 
Rio-Salado  et  la  Mina.  On  commençait  même  h  exploiter 
ces  vastes  forêts  dont  rexistence  avait  été  si  longtemps 
contestée  ;  l'industrie,  le  commerce,  la  culture,  s'accrois- 
saient en  proportion  de  la  population,  qui  de  28,000  âmes 
était  en  moins  de  deux  ans  montée  à  42,000  !  Les  grains, 
les  bestiaux,  les  huiles,  cires,  laines,  fruits,  légumes  et  vo- 
lailles, qui  nous  étaient  fournis  pendant  la  guerre  par  le 
commerce  maritime ,  et  à  des  prix  excessifs ,  nous  furent 
alors  vendus  à  meilleur  compte  par  des  indigènes,  et  les 
colons  virent  enfin  cesser  leurs  privations.  Tels  furent  les 
résultats  politiques  et  administratifs  qui  signalèrent  à  l'ad- 
miration et  à  la  reconnaissance  de  la  France  le  gouvernement 
de  r.Ugérie  à  la  fin  de  cette  campagne. 

Cependant  la  situation  politique  de  la  contrée  entre  la 
Mina,  le  Chélif  et  la  mer  était  loin  d'être  florissante.  Au  mois 
d'avril  18'43  l'insurrection  était  encore  aux  portes  de  Cher- 
chell  ;  tout  le  Dahra,  sauf  la  grande  tribu  des  Béni-Zerouals, 
subissait  encore  l'influence  d'Abd-el-Kadcr,  ainsi  que  les 
tribus  riveraines  du  Chélif  et  celles  de  l'Ouarensénis.  Les 
lettres  de  l'émir,  répandues  avec  profusion  depuis  les  fron- 
tières du  Maroc  jusqu'au  fond  du  khalifat  de  Sembaou,  agi- 
taient profondément  nos  alliés.  A  la  tête  de  2,000  fantas- 
sins montés,  tant  dans  la  Smala  que  dans  les  montagnes  du 
Dahra  et  de  l'Ouarensénis,  il  rétablissait  peu  à  peu  son  as- 
cendant sur  les  populations  de  nos  provinces.  Une  vigou- 
reuse olTensive  pouvait  en  quelques  semaines  les  ramener 
au  calme  et  à  l'obéissance  :  aussi  résolut-on  d'étouffer  sur- 
le-champ  dans  leur  germe  ces  nouveaux  symptômes  de 
discordes  et  de  rébellion.  Le  gouverneur  général,  avec  neuf 
bataillons  de  troupes  de  Miliana  et  de  Mostaganem ,  partit 
d'Alger  pour  jeter  les  bases  des  établissements  permanents 
d'Odéansville  sur  le  Chélif  central,  de  Té  nés  sur  le  lit- 
toral ,  entre  Mostaganem  et  Cherchell ,  et  de  Tiaret  sur  les 
confins  du  désert.  Son  heureux  combat  contre  les  partisans 
de  l'émir  dans  le  Dahra  lui  prépare  admirablement  les 
voies;  une  razzia  énergique  poussée  sur  les  Sbeihh  lui  li- 
vre 2,000  prisonniers,  15,000  têtes  de  bétail  et  un  immense 
butin  ;  les  Léni-Madoun,  les  Hemnis,  les  Ouled-Faress ,  les 
Béni-Hidja  et  les  tribus  de  cette  partie  du  Dahra  qui 
avoisine  l'Ouarensénis  nous  font  leur  soumission.  Pendant 
ce  temps  le  général  Changarnier  créait  les  postes  provisoires 
de  Teniet-el-IIaad  et  de  l'Oued-Rouina,  et  ses  bataillons, 
avant  de  pénétrer  dans  la  chaîne  orientale  de  l'Ouarensénis, 
exécutaient  chez  les  Béni-Ferebh  une  manœuvre  qui  les 
rendait  maîtres  d"un  riche  butin  ;  ils  parcouraient  le  pays 
en  tous  sens,  incendiant  les  douars,  coupant  les  arbres 
fruitiers,  détruisant  les  moissons,  et  réussissant  i>ar  tous  ces 
moyens  extrêmes  à  soumettre  enfin  les  montagnards  ter- 
rifiés. 

De  son  côté ,  le  duc  d'Aumale ,  pai  ti  de  Boghar,  où  il 
avait  établi  aussi  un  poste  provisoire,  parvient  àGoudjilah, 
et  surprend  la  smala  d'Abd-el-Kader  sur  la  source  même 
d'Am-Taguin.  Malgré  l'infériorité  numérique  de  ses  cinq  cents 
chasseurs  et  spahis,  déjà  fatigués  par  des  marches  de  nuit 
longues  et  rapides,  le  prince,  plein  d'ardeur  et  de  courage,  se 
précipite  avec  impétuosité  sur  les  cinq  cents  défenseurs  de  l'é. 
mir,  en  disperse  une  partie,  fait  trois  cents  prisonniers,  tue 
le  reste, et  relounie  à  Boghar  avec  quatre  drapeaux,  un  canon 
et  le  trésor  d'Abdel-Kader.  Sa  mère  et  sa  femme  faillirent 
elles-mêmes  tomber  en  notre  pmivoir.  Avec  les  débris  de  .sa 
smala  flottant  çà  et  là  dans  le  pays,  l'émir  tombe  quelqiies 


jours  après  sous  les  coups  des  généraux  Lamoricière,  Mus- 
tapha-Ben-Lsmael  et  du  colonel  Géry  ;  deux  mille  cinq  cents 
Ilachems  et  leurs  troupeaux  deviennent  notre  proie,  et  le 
brillant  succès  du  duc  d'Aumale  est  ainsi  complété.  Mais  une 
horrible  catastrophe  vient  troubler  la  joie  de  l'armée  et  jeter 
la  consternation  dans  tous  les  esprits.  Notre  allié  fidèle ,  le 
général  Mustapha,  s'étant  obstiné  à  traverser  avec  les  Douaïrs 
les  forêts  impénétrables  des  Cheurfas,  y  est  attaqué  par  les 
liabitants  du  pays.  Les  cavaliers ,  courbés  sous  le  poids  de 
leur  butin,  égarés  dans  cet  inextricable  labyrinthe,  n'enten- 
dant plus  la  voix  encourageante  du  chef,  se  débandent , 
fuient  en  désordre  et  laissent  frapper  leur  brave  général,  qui 
tombe  dans  un  guet-apens.  Le  général  Lamoricière,  pour  le 
venger,  opère  sur  les  Flitas ,  et  les  force  à  une  fuite  pré- 
cipitée. 

L'émir  continuait  à  se  diriger  vers  l'ouest  de  la  province , 
dans  le  but  de  dérober  les  restes  de  sa  smala  à  nos  attaques 
incessantes.  Le  colonel  Géry,  instruit  de  sa  présence  au  sud 
de  Mascara  avec  500  cavaliers  réguliers  et  GOO  fantassins 
environ  ,  se  dirige  à  sa  rencontre  par  une  marche  de  nuit, 
qui  n'est  trahie  par  aucun  des  habitants  de  la  contrée  ,  et , 
chargeant  sur  lui  à  Timproviste,  renverse  son  camp  tout  en- 
tier. Dans  le  butin  on  retrouva  les  éperons  et  la  selle  de 
l'émir,  qui  ne  s'était  sauvé  que  par  miracle,  sur  le  cheval 
d'un  de  ses  khiaias.  Le  général  Bedeau  et  le  colonel  Tem- 
poure  n'étaient  pas  restés  inactifs  pendant  celte  brillante  cam- 
pagne. La  colonne  de  TIémecen  avait  aussi  sa  part  de  fati- 
gues et  de  glorieuses  actions,  tant  à  l'est  qu'à  l'ouest  du 
pays  desDjaffra;  enfin,  la  division  de  Constantine,  bien  que 
sur  un  théâtre  tout  à  fait  indépendant  de  l'influence  d'Abd-el- 
Kader  ,  n'en  rivalisait  pas  moins  d'énergie  avec  celles  d'Oran 
et  d'Alger.  A  peine  investi  du  commandement  de  la  province, 
le  général  Baraguay-d'Hilliers  avait  concentré  ses  prin- 
cipales forces  dans  le  grand  triangle  entre  Bone,  Philippeville 
et  Constantine,  où,  à  très-peu  d'exceptions  près, on  n'avait 
jamais  reconnu  l'autorité  de  la  France  :  par  des  combats 
meurtriers  et  des  courses  incessantes,  il  parvint  à  soumet- 
tre toutes  les  montagnes  de  Collo  à  la  frontière  de  Tunis, 
força  l'Édoug  à  nous  obéir ,  et  renversa  ainsi  le  seul  pou- 
voir qui  dans  l'est  ne  fût  pas  encore  subjugué. 

Au  mois  de  janvier  1844  l'émir  avec  300  chevaux,  der- 
nier débris  de  son  armée,  campait  à  une  journée  au  sud 
d'Ouchda;  sa  déira  (escorte)  occupait  une  vallée  au  delà 
du  Chot-el-Gharbi  ;  puis  elle  vint  à  Bouka-Cheba ,  sur  l'ex- 
trême frontière.  Son  dénùment  était  affreux  ;  les  maladies, 
la  lassitude,  la  faim,  la  misère,  éclaircissaient  encore  cha- 
que jour  les  rangs  de  ses  fidèles.  .\  chaque  marche  nouvelle, 
la  déira  marquait  son  passage  par  un  nouveau  cimetière. 

Sur  ces  entrefaites  le  général  Bugeaud  fut  nommé  maré- 
chal de  France.  Leducd'Aumaleavaitreçu  le  commandement 
de  la  province  de  Constantine,  et  MM.  de  Lamoricière  et 
Changarnier  passaient  lieutenants  généraux. 

Le  gouverneur  général  mettait  à  profit  cette  situation  fa- 
vorable pour  activer  les  travaux  cle  colonisation.  Dans  la 
province  d'Alger  un  système  de  rayonnement,  comprenant 
la  Mélidja,  le  Sahel  et  le  revers  septentrional  de  l'Atlas,  était 
en  pleine  voie  de  prospérité.  Des  routes  étaient  tracées,  des 
ponts  reliaient  entre  elles  les  rives  jusque  alors  séparées  des 
cours  d'eau.  Fnfin  des  villages  nombreux  s'élevaient  comme 
par  enchantement. 

Cependant  le  khalifat  d'Abd-el-Kader  était panenu  à  réta- 
blir son  autorité  dans  le  Zab,  réunion  de  petits  villages  sur 
la  frontière  du  Sahara  algérien,  dont  la  capitale  est  Biskara, 
ville  d'entrepôt  pour  les  caravanes  du  désert.  Une  colonne 
expéditionnaire  prit  possession  de  cette  place;  et,  après  y 
avoir  laissé  une  faible  garnison,  composée  d'indigènes,  elle  se 
porta  rapidement  sur  tous  les  points  occupés  i)ar  Almied, 
l'ancien  bey  de  Constantine,  et  faillit  même  le  faire  pri- 
sonnier. 

Abd-el-Kader  n'avaH  pas  reparu  ;  mais  ses  émissaires  agis- 


saient  pour  lui  ;  riin  d'eux,  Bcn-Salem,  qui  avait  une  grande 
uifluence  sur  les  tribus  kabyles  de  Test,  soulevait  les  Flissalis. 
Le  maréthal  leur  livra  combat  à  Ouarezzivin.  L'ennemi  laissa 
plus  de  mille  morts.  Une  quarantaine  de  villages  furent  in- 
cendies. Ben-Zamoun,  leur  cbef,  lit  sa  soumission. 

Le  général  Maiey-Monge  obtenait  sur  un  autre  ponit  delà 
province  un  résultai  éiialcment  impoitani,  la  soumission  du 
marabout  Tedjini.clicikd'Aui-Madhy,  rival  d'Abd-el-Kader. 

Le  u)aréclial  Bugeaud  apprit  cnlin  qu'Abd-el-Kader  s'était 
réfugié  sur  le  territoire  de  la  province  de  Riff  dans  le  Maroc , 
où  il  chercliait  à  reconstruire  le  noyau  de  sa  puissance.  Le 
gouvernement  français  se  plaignit  à  l'empereur  AbdH?r- 
Rhaman,  qui  déclara  que  son  autorité  était  à  peine  reconnue 
chez  les  Riffains,  et  qu'il  ne  pouvait  obtempérer  à  la  demande 
de  la  France.  Ln  même  temps  il  nommait  Abd-el-Kader  kha- 
lifat  de  la  province  du  Riff.  Cette  nouvelle  dignité  exalta 
l'ambition  d'Abd-el-Kader,  qui  ne  dissimulait  déjà  plus  l'es- 
poir de  s'emparer  de  la  couronne  de  Maroc.  Pour  prépa- 
rer la  voie  à  son  double  but,  il  excitait  par  tous  les  moyens 
possibles  les  populations  marocaines  contre  nous ,  et  par 
son  influence  soulevait  entre  la  France  et  le  Maroc  une 
question  de  frontière  qui  amena  les  troupes  d'Abd-er-Rha- 
nian  à  Ouchda,  en  face  du  camp  et  du  fort  français  de  Lalia- 
Magbrnia.  Le  territoire  français  fut  violé.  Le  général  Lamo- 
ricicre  repoussa  l'attaque  avec  un  grand  succès.  Les  hosti- 
lités étaient  donc  ouvertes.  Des  renforts  arrivaient  de  France. 
Le  maréchal  gouverneur  prit  le  commandement  supérieur. 
Après  im  engagement  sans  conséquence  à  .Mouïla,  le  maré- 
chal posa  un  ultimatum  qui  resta  sans  réponse;  le  19  il  en- 
tra à  Ouchda  sans  coup  férir  :  les  troupes  marocaines  s'é- 
taient retirées  dans  le  plus  grand  désordre. 

Le  gouvernement  français  comprit  la  nécessité  de  joindre 
aux  opérations  militaires  sur  les  frontières  du  Maroc  une 
expédition  maritime  sur  les  cotes  de  l'empire.  Une  division 
navale  fut  réunie,  et  le  commandement  en  fut  donné  au 
prince  de  Joinvilie.  Aussitôt  Tanger  fut  bombardé,  tous  ses 
forts  démantelés  et  ruinés. 

Cependant  les  sévères  leçons  données  auK  Jlarocains  ne 
paraissaient  devoir  porter  aucun  fruit.  De  nouvelles  levées 
en  masse  s'effectuaient  à  Fez  et  dans  les  environs.  Les  né- 
gociations entamées  furent  rompues,  et  le  fils  de  l'empereur 
vint  lui-m Jme,  avec  une  vingtaine  de  miUe  bouimes,  prendre 
le  commandement  des  troupes  rassemblées  sur  la  frontière. 
Le  gouverneur  général  résolut  alors  de  prendre  l'iniliativc, 
redoutant  les  suites  de  toute  lenteur,  qui  pourrait  donner 
le  temps  aux  tribus  de  la  province  d'Oran  de  se  déclarer 
contre  nous.  Le  13  aoîit  il  se  portait  en  avant,  à  la  tête  de 
neuf  mille  quatre  cents  hommes,  et  le  14  il  remportait  la  vic- 
toire d'Isly.  Le  lendemain  même  notre  escadre  bom- 
bardait Mogador. 

L'orgueil  du  Maroc  était  humilié,  et  ses  populations  fana- 
tiques commençaient  à  comprendre  la  nécessité  de  faire  la  paix . 
Elle  fut  accordée  aux  conditions  suivantes  :  les  rassemblements 
extraordinaii'cs  de  troupes  marocaines  formés  sur  notre  fron- 
tière dans  les  environs  d'Oucbda  seraient  immédiatement  dis- 
sous ;  un  châtiment  exemplaire  serait  infligé  aux  auteurs  des 
agressions  commises  sur  notre  territoire  ;  Abd-el-Kader  serait 
expulsé  du  territoire  marocain  ou  interné,  et  ne  recevrait 
plus  désormais  des  populations  soumises  à  l'empereur  ni 
appui  ni  secours  d'aucun  genre.  Une  délimitation  complète 
et  régulière  des  frontières  serait  arrêtée  et  convenue. 

La  clause  du  traité  de  Tanger  par  laquelle  l'empereur  de 
Maroc  s'obligeait  à  expulser  ou  à  interner  Abd-el-Kader  ne 
fut  pas  exécutée.  Notre  dangereux  ennemi  resta  longtemps 
campé  sur  la  rive  gauche  de  la  Malouïa.  Une  tentative  contre 
le  camp  de  Sidi-Bel-Abbès  fut  le  premier  signal  d'une  lutte 
nouvelle.  Au  moment  où  le  gouverneur  de  l'Algérie  prépa- 
rait une  expédition  contre  la  Kahylic,  on  apprit  que  la  guerre 
sainte  était  prèchée  de  tous  cotés  par  les  tribus  limitrophes 
de  la  frontière  du  Maroc.  De  nombreux  émissaires  d'Abd- 


ALGÉRIE  325 

el-Kader  parcouraient  le  pays,  et  le  fanatisme  se  réveillait  à 
leur  voix.  L'enlèvement  d'un  camp  sur  la  route  de  Tenès  à 
Orléansville  et  l'attaque  d'un  convoi  près  de  Cherchell  pré- 
ludèrent à  une  insurrection  générale. 

Un  compétiteur  à  la  puissance  d'Abd-el-Kader  venait  d'ap- 
paraître dans  la  partie  de  nos  possessions  qui  semblait  le 
mieux  pacifiée.  Le  Dahra  et  l'Ouarensénis  étaient  en  pleine 
insurrection.  L'instigateur  de  cette  nouvelle  levée  de  bou- 
cliers était  le  chérif  B  o  u  -  M  a  z  a.  Battu  par  une  colonne  fran- 
çaise, il  se  vit  forcé  de  fuir  de  tribu  en  tribu,  essayant,  mais 
en  vain,  de  soulever  encore  sur  son  passage  les  fanatiques  et 
crédules  habitants  du  Sahara.  C'est  alors  qu'un  sanglant  et  re- 
grettable épisode  de  l'expédition  du  Dahra,  le  massacre  des 
Ouled-Riah,  eut  le  plus  fâcheux  retentissement.  Sur  un  autre 
point,  Abd-el-Kader,  encouragé  parla  nouvelle  prise  d'armes, 
repassait  aussi  sur  notre  territoire,  mais  rentrait  presque  im- 
médiatement sur  le  sol  marocain.  Dans  la  province  de  Cons- 
tantine ,  le  général  Bedeau  obtenait  la  souniission  des  mon- 
tagnards de  l'Aurès  et  leur  faisait  payer  des  impôts  de  guerre. 

Abd-el-Kader  en  se  retirant  sur  la  îMalouia  avait  enmiené 
avec  lui  plusieurs  grandes  tribus  du  désert  au  sud  de  Tlérae- 
cen.  Par  cette  nouvelle  émigration  les  Arabes  qui  partageaient 
sa  fortime  ne  s'élevaient  pas  à  moins  de  trois  mille ,  et  pou- 
vaient lui  fournir  environ  cinq  cents  cavaliers.  Sa  cavalerie 
et  son  infanterie  régulière  se  montaient  à  peu  près  à  quinze 
cents  honmies.  Seul,  Bou-Maza  était  resté  en  Algérie,  errant 
avec  un  petit  nombre  de  partisans ,  tantôt  dans  les  montagnes 
de  la  rive  droite  du  Chélif ,  tantôt  dans  celles  de  la  rive 
gauche.  La  trahison  d'une  fraction  des  Sbéah ,  qui  massa- 
crèrent notre  agha  des  Sendjeh  et  sa  suite ,  lui  fournit  l'oc- 
casion d'essayer  de  reprendre  son  rôle  politique.  Il  vint  se 
placer  au  milieu  de  la  population  coupable  pour  la  diriger 
dans  sa  défense  contre  nous ,  et  pour  s'en  faire  un  levier 
avec  lequel  il  put  soulever  de  nouveau  le  pays.  Mais  il  se 
fit  battre  dans  les  douars  des  Sbéah,  et  quelques  jours  après 
son  khalifat  Mohamed- Ben -Aicba,  ancien  porte -drapeau 
d'Abd-el-Kader,  fut  pris  et  tué  par  notre  agha  Ghobrini. 

Cependant  une  insurrection  nouvelle  et  plus  terrible  vint 
montrer  sur  quel  fond  reposait  la  sécurité  générale.  Le 
maréchal  gouverneur  était  en  France  quand  on  apprit  tout 
à  coup  d'affreuses  nouvelles.  Une  colonne  de  450  hommes, 
amenée  dans  une  embuscade  sur  la  frontière  du  Maroc , 
avait  été  enveloppée  par  toutes  les  forces  d'Abd-el-Kader  et 
entièrement  écrasée.  Non  loin  de  là  se  passait  presqu'au 
mémo  moment  un  des  plus  tristes  épisodes  de  cette  nouvelle 
insuiTection ,  mais  aussi  un  des  faits  les  plus  héroïques  de 
nos  annales  militaires ,  la  défense  du  marabout  de  S  i  d  i  - 
Brahim. 

A  la  nouvelle  de  ce  malheur,  l'émotion  publique  fut  grande 
en  France.  Le  gouverneur  général  reçut  l'ordre  de  retourner 
immédiatement  en  Algérie.  Abd-el-Kader ,  profitant  habile- 
ment du  moment  où  les  troupes  de  la  division  de  Tlémecen 
étaient  occupées  à  combattre  l'insurrection  fomentée  par  ses 
adversaires ,  se  dirigeait  sur  le  pays  de  Trara,  qui  s'étend 
sur  la  rive  gauche  de  la  Tafna,  pays  situé  à  deux  journées 
de  marche  de  Lalla-^Maghrnia  et  de  Tlémecen,  à  quatre  jour- 
nées d'Oran. 

Sur  ces  entrefaites,  un  petit  détachement  de  200  hommes, 
envoyé  au  camp  d'Ain-Temouchen  pour  en  renforcer  la 
garnison,  fut  entouré  par  une  multitude  de  Ghossels,  qui  ve- 
naient de  se  prononcer  pour  l'insurrection ,  et  mit  bas  les 
armes  sans  combat.  Le  général  de  Lamoricière  et  le  général 
Cavaignac  ayant  fait  leur  jonction  au  col  de  Bab-Taza,  s'a- 
vancèrent dans  le  pays  de  Trara  ;  mais  pendant  ce  temps 
l'insurrection  gagnait  toute  la  subdivision  de  Tlémecen  à  l'ex- 
trémité du  Tell,  et  une  seconde  invasion  arrivait  du  Maroc, 
commandée  par  un  nouveau  khalifat  d'Abd-el-Kader,  Bou- 
Guerrara.  Le  général  Lamoricière  attaqua  le  col  d'Aïn-Kc- 
bira,  où  l'émir  s'était  retranché.  Celui-ci  n'accepta  pas  le 
combat,  et  fit  retraite  avec  les  2,000  cavaliers  de  sa  déira  et 


32G 


ALGÉRIE 

qui  le  poursui- 


du  Maroc,  laissant  écraser  les  insurgés 
virent  de  leurs  malédictions. 

Lorsque  le  maréchal  Bugeaud  arriva  à  Alger,  il  trouva  le  rôle 
agressif  d'Abd-cl-Kader  déjà  réduit  a  une  proportion  défen- 
sive. Néanmoins  il  se  mit  en  campagne  avec  sept  bataillons , 
quatre  escadrons,  une  batterie  de  montagne  et  un  détachement 
de  sapeurs  du  génie,  en  tout  quatre  mille  hommes.  La  pointe 
faite  par  l'émir  sur  le  Maroc  après  les  victoires  du  général 
Lamoricière  n'était  qu'une  ruse  nouvelle.  Après  avoir  tra- 
versé la  ïafna  et  l'Oued-Mouilah ,  il  passa  par  Bridgi,  entre 
Lalla-Maghrnia  et  Tlémecen,  contourna  cette  ville  par  le  sud, 
et  prit  enfin  la  direction  de  Sidi-Bel-.\bbès  et  de  Mascara.  Il 
fallut  abandonner  à  l'émir  toute  la  partie  excentrique  de  la 
province  d'Oran,  et  tous  les  efforts  de  nos  généraux  durent 
se  borner  à  préserser  d'incursions  et  à  maintenir  dans  le  de- 
voir la  contrée  d'Oran  à  Mostaganem,  ainsi  que  celle  du  Ché- 
lif,  d'Orléansville  à  Miliana,  pour  que  le  trouble  ne  s'éten- 
dit pas  jusque  dans  la  plaine  d'Oran  et  la  Métidja  d'Alger. 

Les  plans  d'Abd-el-Kader  s'étaient  modifiés  d'une  façon 
inattendue.  Depuis  la  dernière  campagne,  notre  infatigable 
ennemi  semblait  avoir  compris  l'hnpossibilité  de  la  conquête 
ou  même  d'un  établissement  provisoire  dans  la  province 
d'Oran.  Aussi  tous  ses  efforts  tendaient-ils  maintenant  à  em- 
mener avec  lui  au  Maroc  le  plus  grand  nombre  possible 
de  tribus,  afin  de  se  refaire  un  Etat  et  une  armée.  C'est  ainsi 
que  les  khalifats  d'Abd-cl-Kader  se  montraient  occupés  à 
faire  émigrer  les  tribus  bien  plus  qu'à  les  mener  au  combat. 
Bou-Hamedi  poussait  vers  le  Maroc  presque  toutes  les  tri- 
bus du  cercle  de  Tlémecen ,  y  compris  les  Beni-Amers ,  les 
Gharabas  elles  Chéragas.  Bou-Guerrara  remplissait  la  même 
mission  du  côté  de  ZebJou,  et  Bou-Taleb  dans  le  cercle  de 
Mascara. 

A  la  suite  des  mouvements  opérés  par  le  maréchal  gou- 
verneur, le  général  Jousouf  et  le  colonel  Saint -Ai'uaud,  l'émir 
fut  obligé  de  retourner  au  désert.  Il  en  sortit  bientôt,  et  vint 
menacer  la  province  de  Tittery.  Le  désastre  récent  d'une 
colonne  partie  de  Constantine  et  décimée  par  le  froid  dans 
les  neiges  des  monts  Bou-Taleb  n'avait  pas  été  sans  in- 
fluence sur  cette  nouvelle  entreprise.  Le  premier  acte 
d'Abd-el-Kader  dans  sa  nouvelle  incursion  fut  de  ruiner  les 
Rhaman,  tribu  soumise  de  la  lisière  du  désert,  qui  joignait 
liabituellement  son  goum  à  nos  expéditions  dans  le  sud. 
L'intention  de  l'émir  était  de  menacer  le  centre  de  nos  pos- 
sessions, de  pénétrer  en  arrière  de  Miliana  ou  de  .Médéah 
jusque  dans  la  province  d'Alger,  et  d'y  exécuter  une  inva- 
sion soudaine  et  rapide,  non  pas  sans  doute  dans  l'espoir  de 
s'y  maintenir,  mais  en  vue  de  frapper  un  coup  qui  ébranle- 
rait la  sûreté  de  notre  domination  et  ranimerait  pour  long- 
temps encore  les  espérances  des  Arabes. 

IMais  il  se  vit  bientôt  arrêté  dans  sa  marche  vers  l'est  par 
l'arrivée  du  maréchal  Bugeaud  sur  le  territoire  de  la  puis- 
sante tribu  des  Ouled-Nails,  chez  lesquels  il  avait  trouvé  un 
refuge.  Sur  un  autre  point,  le  chérif  Bou-Maza,  s'étant 
avancé  jusqu'à  Tadjcna,  pour  paralyser  l'effet  de  nos  succès, 
était  contraint  de  disparaître  devant  le  lieutenant-colonel 
de  Canrobert. 

Tout  à  coup  Abd-cl-Kader  renonça  à  son  plan  d'invasion 
de  l'est  dans  la  direction  du  cercle  de  Sétif.  Il  remonta  ra- 
pidement vers  le  nord-ouest;  puis,  tournant  le  Djébel-Dira, 
il  traversa  la  plaine  d'Hamza,  et  prit  position  sur  le  versant 
occidental  du  Jurjura,  chez  les  Flittas,  tribu  kabyle  du 
cercle  de  Dellys,  à  trente  lieues  seulement  d'Alger.  De  là  il 
menaçait  de  franchir  l'Isser  et  d'exécuter  ime  subite  incur- 
sion dans  la  Métidja.  Son  khalifat  Bcn-Salem  l'avait  i)récédé 
sur  l'Isser  avec  des  contingents  nombreux  des  Kabyles  du 
Jurjura.  Mais  le  général  Gentil,  établi  sur  l'Oued-Corso, 
n'eut  pas  plus  tôt  appris  la  marche  en  avant  du  lieutenant 
d'Abd-el-Kader,  qu'il  le  surprit  le  7  février  dans  son  camp 
(t  lui  tua  beaucoup  de  monde.  Le  maréchal  envahit  les 
liîonlagnes  des  Fhttas  insoumis,  et  balaya  les  Kabyles;  mais 


il  ne  put  atteindre  la  colonne  de  l'émir,  qui,  suivant  sa  tac- 
tique ordinaire,  avait  abandonne  ses  alliés  ,  et  profitait  de 
l'insurrection  qu'il  avait  excitée  pour  couvrir  sa  retraite. 

De  ce  jour  la  lutte  changeait  de  face,  et  les  rôles  étaient 
changés.  A  son  tour,  le  maréchal  Bugeaud  prit  l'offensive  ; 
ses  colonnes  mobiles  pénétrèrent  profondément  dans  le  sud, 
et  le  sillonnèrent  de  tous  côtés.  Les  tribus  rebelles  passèrent 
de  nouveau  sous  notre  drapeau,  et  celles  qui  avaient  émigré 
du  Tell  demandèrent  à  revenir  sur  leur  territoire.  Dans  les 
premiers  jours  d'avril,  l'émir,  ne  trouvant  plus  aucun  appui, 
suivi  seulement  d'une  poignée  de  cavaliers  montés  sur  des 
chevaux  exténués,  se  jeta  vers  l'ouest  du  désert.  Dans  le 
même  temps  les  derniers  foyers  de  l'insurrection  du  Tell 
étaient  vivement  attaqués  dans  le  Dahra  et  dans  l'Ouarensénis. 

Cependant  la  déira  d'Abd-el-Kader  était  toujours  campée 
sur  la  frontière  marocaine  près  de  la  Malouïa.  Le  général 
Cavaignac  fit  une  démonstration  qui  eut  pour  résultat  d'é- 
loigner Bou-Hamedi.  L'empereur  du  Maroc  lui-même  avait 
aidé  à  ce  succès  par  des  manifestations  armées.  Une  af- 
freuse nouvelle  vint  tout  à  coup  troubler  la  joie  causée  par 
les  événements.  Dans  la  nuit  du  24  au  25  avril  I8'i6,  187  pri- 
sonniers français  sur  200  avaient  éti  massacrés  à  la  déira, 
par  ordre  du  beau-frère  d'Abd-el-Kader,  Moustaphabeo- 
Tiiamy,  qui  comptait  par  là  arrêter  l'émigration  des  Beni- 
Amers.  La  déira  était  d'ailleurs  réduite  à  la  dernière  mi- 
sère. 

Enfin,  l'année  1847  était  destinée  à  voir  s'accomplir  notre 
œuvre  de  conquête  et  de  pacification.  Quelques  combats 
furent  encore  nécessaires  pour  assurer  ce  résultat,  depuis 
si  longtemps  attendu.  Un  engagement  meurtrier  eut  lieu  le 
10  janvier,  entre  le  général  Herbillon  et  les  Ouled-Djellal, 
que  Bou-Maza  venait  de  visiter;  un  village  fortifié  fut  enlevé 
par  nos  soldats.  D'un  autre  côté,  le  général  Marey-Monge, 
qui  commandait  à  Médéah,  tombait  sur  les  Ouled-Naïls,  qui , 
eux  aussi,  avaient  reçu  Bou-Maza  et  lui  avaient  fourni  des 
secours  en  hommes  et  en  denrées.  Quelques  jours  après , 
Bou-;Maza  lui-même  était  poursuivi  entre  Teniet-cl-IIaad  et 
Tiaret  ;  son  escorte  était  dispersée  et  son  trésor  enlevé.  Cet 
échec  fut  sans  doute  pour  Bou-Maza  la  cause  d'une  réso- 
lution extrême.  Ce  chérif  fameux,  qui  avait  allumé  la  révolte 
de  1845,  cet  imposteur  habile,  que  l'émir  lui-même  redoutait 
comme  un  rival,  se  rendit  le  13  avril  au  colonel  de  Saint- 
Arnaud.  Bou-Maza  fut  amené  à  Paris,  oii  le  gouvernement 
le  traita  avec  plus  de  distinction  que  sa  vie  et  ses  antécé- 
dents ne  paraissaient  le  mériter. 

Mais  le  plus  dangereux  ennemi  de  la  France  restait  en- 
core à  dompter.  Rejeté  par  nos  armes  dans  le  Maroc,  Abd- 
el-Kader  avait  moins  songé  dans  sa  fuite  à  s'y  préparer 
un  refuge  qu'un  empire.  Pendant  ce  temps,  le  maréchal  gou- 
verneur songeait  à  obtenir  la  soumission  complète  de  la 
Kabylie.  La  grande  insurrection  de  1845-46  avait  révélé  le 
péril  d'une  enclave  indépendante  à  quinze  lieues  de  la  capi- 
tale. Le  6  mai  une  forte  colonne,  sous  le  commandement 
du  général  Bedeau,  quitta  Alger,  prit  la  nouvelle  route 
d'Aumale,  que  plusieurs  bataillons  venaient  de  créer.  Après 
avoir  rallié  la  garnison  mobile  d'Aumale,  ce  qui  portait  son 
effectif  à  huit  mille  hommes,  la  colonne  campait  le  15  à 
Sidi-Moussa,  au  bord  de  la  Soummam  ;  sur  la  rive  opposée 
s'élevait  en  amphithéâtre  le  pays  riche ,  mais  difficile ,  des 
Beni-Abbès.  Leurs  villages  nombreux  et  rapprochés,  se  com- 
mandant et  se  flanquant  l'un  l'autre ,  garnissent  une  série 
de  pitons  ardus  ;  le  plus  inaccessible ,  et  en  même  temps  le 
plus  considérable,  est  Azrou,  quecouronne  un  plateau  dénudé 
sur  le  faîte  du  chaînon.  Le  IG,  à  la  pointe  du  jour,  l'attaque 
conmiença.  La  position  d'Azrou  ,  réputée  inexpugnable,  fut 
emportée,  les  maisons  furent  brûlées,  et  les  tours  qui 
dominaient  le  pays  tombèrent  sous  les  coups  de  notre  ar- 
tillerie. Le  lendemain'  tous  les  chefs  des  Béni-Abbès  étaient 
réunis  dans  la  tente  du  gouverneur,  et  les  conditions  de 
l'aman  leur  étaient  dictées. 


ALGERIE 


327 


Ainsi  fut  accomplie  en  quelques  jours  la  soumission  tic  tout 
ce  territoire  montagneux  que  comprend  le  grand  triangle 
formé  par  Hanua,  Sétif  et  Bougie.  Celte  contrée  était  liabitée 
par  cinquante-cinq  tribus,  ayant  trente-trois  mille  deux  cent 
soixante  fusils.  La  grande  vallée  de  Sebaou  et  tout  le  revers 
nord  du  Jurjura  jusqu'à  la  mer  possèdent  une  population 
encore  plus  considérable.  On  évalue  à  plus  de  qi.araute 
mille  le  nombre  des  guerriers  de  ce  pays.  Toute  celte 
partie  ayant  reconnu  l'autorité  de  la  France,  il  en  résultait 
qu'au  total  on  avait  établi  notre  domination  plus  ou  moins 
directe  sur  des  montagnes  qui  contiennent  plus  de  soixante- 
dix  mille  bonunes  armés.  En  même  temps  les  sept  colonnes 
du  sud  avaient  aussi  rempli  la  mission  de  discipliner  le 
Petit  Désert.  Le  maréchal  Bugcaud,  arrivé  au  terme  de  son 
œuvre,  donna  sa  démission,  qui  fut  acceptée.  Il  fut  remplacé 
par  M.  le  duc  d'Aumale. 

Mais  tout  n'était  pas  fini  pour  l'Algérie  tant  qu'.\bd-el- 
Kader  campait  sur  la  frontière  de  Maroc.  Si  ce  n'était  plus 
vers  nos  possessions  qu'il  tournait  ses  regards ,  le  gouver- 
nement français  ne  pouvait  pourtant  sans  inquiétude  le  voir 
s'essayer  à  fonder  un  empire  rival  sur  les  ruines  de  l'empire  de 
MuIey-Abd-er-Rhaman.  Le  succès  d'une  telle  entreprise  eût 
été  pour  nous  le  signal  d'une  lutte  nouvelle  et  terrible ,  et 
nous  eût  imposé  la  nécessité  d'une  sanglante  et  onéreuse 
conquête.  La  position  de  l'émir  avait  surtout  augmenté 
d'importance  depuis  que  le  prince  Abd-er-Rhaman ,  fils  de 
Muley  Soliman,  prédécesseur  de  Muley- Abd-er-Rhaman,  dont 
celui-ci  était  le  neveu,  s'était  réfugié  auprès  de  lui.  Les 
craintes  de  l'emperem-  de  Jlaroc  au  moment  d'entrer  en 
lutte  avec  l'émir  étaient  faciles  à  coniprend.e.  Abd-el-Kader 
avait  de  nombreux  partisans  dans  toutes  les  villes  du  Maroc 
et  jusque  dans  les  rangs  de  l'armée  impériale. 

Cependant  Muley-Hachem ,  neveu  de  l'empereur,  et  son 
kaid  El-Hamar  se  rendirent  parmi  les  tribus  encore  indé- 
cises pour  les  engager  dans  un  mouvement  qu'ils  prépa- 
raient contre  l'émir.  Mais  celui-ci ,  instruit  de  ces  tenta- 
tives ,  se  résolut  à  porter  un  coup  qui  frappât  de  terreur  ses 
nombreux  ennemis.  Deux  cents  cavaliers  marocains  étaient 
assemblés  à  quelque  distance  de  son  camp  ;  il  courut  à  leur 
rencontre ,  et  les  culbuta.  La  lutte  était  ouverte,  Abd-el- 
Kader  comprit  qu'il  fallait  la  poursuivre  avec  vivacité.  Un 
de  ses  aghas,  Ben-Jabia,  surprit  un  camp  marocain;  le  caï.l 
El-Hamar  fut  pris,  et  eut  la  tète  tranchée. 

L'empereur  sentit  alors  qu'un  grand  déploiement  de  forces 
clait  indispensable.  On  se  rappelle  que  quelques  tribus  al- 
gériennes avaient  été  l'année  précédente  entraînées  par  Abd- 
el-Kader  sur  le  territoire  marocain.  L'émir  voulait  en  faire 
le  noyau  d'une  domination  nouvelle.  Après  avoir  flotté 
pendant  plusieurs  mois  sur  la  frontière  orientale  de  l'em- 
pire, ces  tribus  s'étaient  avancées  jusque  sous  les  murs  de 
Fez,  où  elles  avaient  déployé  leurs  tentes.  L'approche 
d' Abd-el-Kader  les  rendit  suspectes  à  l'empereur;  il  résolut 
de  les  éloigner,  et  il  les  poussa  vers  le  sud.  Elles  devaient, 
d'après  ses  ordres,  aller  s'établir  aux  environs  de  Maroc,  où 
l'influence  de  l'émir  ne  pourrait  plus  les  atteindre.  Le 
déiir  de  revoir  un  sol  qu'elles  regrettaient  les  ramena  vers 
TAlgérie.  Elles  changèrent  brusquement  de  route,  et  l'em- 
pereur, trompé  sur  le  sens  de  ce  mouvement ,  les  fit  pour- 
suivre et  massacrer  impitoyablement. 

Cetteénergie  inattendue  imposa  aux  montagnards  du  RilT et 
aux  autres  tribus  kabyles,  dont  la  foi  était  douteuse.  Abd-el- 
Kader  jugea  alors  qu'un  coup  de  vigueur  et  de  désespoir 
pouvait  seul  le  sauver.  Méprisant  la  cohue  de  combattants 
qui  se  trouvaient  devant  lui ,  avec  ses  2,000  hommes  d'é- 
lite ,  il  tomba  à  l'improviste  pendant  la  nuit  sur  un  des 
camps  marocains,  et  s'en  empara.  Mais  le  lendemain 
toute  la  masse  de  ses  adversaires  se  rua  contre  lui ,  il  fut 
oI)'.igé  de  se  retirer  vers  la  Malouia  ;  toutes  les  hauteurs 
étaient  couronnées  d'ennemis.  Dans  la  matmée  du  12  les  di- 
vers camps  marocains  se  réunirent,  et  renfermèrent  la  déira 


dans  une  sorte  d'enceinte  vivante.  Cependant  l'émir,  au  prix 
de  la  moitié  de  ses  troupes,  réussit  à  forcer  le  passage,  et 
essaya  avec  ses  fidèles  de  tenter  encore  une  fois  la  route  du 
désert.  Mais  le  général  Lamoricière  avait  deviné  ses  projets,  et 
s'était  porté  à  sa  rencontre.  Abd-el-Kader,  désespérant  de  sa 
fortune ,  comprit  alors  qu'une  seule  ressource  lui  restait  en- 
core, la  générosité  de  la  France.  Il  se  rendit  au  général  La- 
moricière, sous  la  conilition  d'être  conduit  à  Alexandrie  ou 
à  Saint-Jean  d'Acre.  Cette  promesse  fut  ratifiée  par  M.  le  duc 
d'Aumalç,  mais  ne  reçut  pas  la  sanction  du  gouvernement 
de  Louis-Philippe  ni  de  celui  qui  lui  succéda. 

La  nouvelle  de  la  soumission  d' Abd-el-Kader,  propagée  ra- 
pidement jusque  dans  le  désert,  impressionna  particulière- 
ment la  grande  tribu  des  Ilamianes-Garabas ,  la  seule  qui 
eût  persisté  jusqu'à  ce  jour  à  se  tenir  en  dehors  de  notre 
obéissance.  Les  trois  principales  fractions  de  cette  tribu  en- 
voyèrent une  députation  au  commandant  de  la  subdivision 
de  Mascara  pour  demander  l'aman.  .Vinsi  se  trouvait  com- 
plétée la  pacification  de  la  province  d'Oran. 

La  déira,  composée  d'environ  cinq  à  six  mille  individus , 
fut  licenciée.  Les  familles  dont  elle  se  composait  furent  im- 
médiatement remises  aux  chefs  des  tribus  auxquelles  elles 
appartenaient  et  dirigées  sm'  leurs  territoires. 

La  révolution  de  fé^Tier  n'eut  qu'un  faible  contre-coup  en 
Africpie.  Le  duc  d'Aumale,  en  apprenant  la  chute  du  trône 
de  son  père,  remit  sans  hésiter  ses  pouvoirs  au  général  Chan- 
garnier,  en  attendant  que  le  général  Cavaignac,  qui  en  éîait 
investi,  fût  arrivé.  Le  prince  de  Joinville  se  trouvait  aussi 
alors  en  .Airique.  Les  deux  frères  quittèrent  noblement  ces 
rivages ,  où  ils  avaient  combattu  avec  nos  armées ,  et  pro- 
testèrent encore  une  fois  de  leur  dévouement  à  la  France. 
Ainsi  s'évanouit  cette  vice-royauté  que  le  vieux  roi  avait 
peut-être  rêvée  pour  un  de  ses  fils. 

Sous  le  gouvernement  républicain ,  les  gouverneurs  géné- 
raux se  succédèrent  avec  rapidité  en  Algérie  ;  mais  nos  troupes 
ayant  pu  rester  en  Afrique,  les  indigènes  ne  songèrent  pas  à 
organiser  une  insurrection  que  nos  embarras  intérieurs  sem- 
blaient présager.  Bientôt  on  s'occupa  activement  de  trans- 
porter en  Afrique  un  grand  nombre  de  colons ,  et  des  cen- 
tres de  population  furent  créés.  Mais  la  mort  a  décimé  ces 
nouveaux  arrivants. 

Quelques  expéditions  de  peu  d'importance  occupèrent 
les  premiers  mois  de  l'année  1849.  Ainsi,  dans  le  Sahara  du 
sud-ouest ,  le  général  Pélissier,  le  général  Mac-Mahon  et  le 
colonel  MelHnet  opérèrent  contre  les  douars  de  dissidents 
excités  à  la  révolte,  sur  les  frontières  du  Maroc,  par  Si- 
Chigr-Ben-Taïeb.  Quelque  temps  après,  le  colonel  Maissiat 
ordonna  aux  Hamianes-Garabas,  travaillés  par  l'influence 
des  marabouts,  de  repasser  le  Chot-el-Chergui  et  de  venir 
camper  sur  la  rive  gauche  ;  mais  ils  refusèrent  d'obéir  ;  les 
Rezain  allèrent  même  s'installer  à  Bou-Guem,  à  l'extrémité 
occidentale  du  Chot-el-Chergui.  Une  simple  démonstration 
fit  tout  rentrer  dans  l'ordre.  Dans  la  pro^ince  d'Alger,  une 
fraction  des  Béni-Séliman,  les  Béni-Siîera,  et  les  Ouled-Sol- 
tan,  avaient  méconnu  l'autorité  du  khalifat  Maheddin,  chassé 
leur  caïd  et  refusé  le  payement  du  zekkat.  Les  Béni-Silem , 
qui  s'éiaient  le  plus  compromis,  virent  leurs  villages  atta- 
qués et  brûlés,  et  durent  payer  une  amende  considérable 
en  argent  et  en  bestiaux. 

Ces  expéditions  avaient  coûté  peu  d'hommes  et  peu  d'ef- 
forts ;  il  n'en  fut  pas  de  même  pour  notre  domination  sur 
les  bords  du  désert.  Une  révolte  éclata  kZaatcha,  qui  fait 
partie  d'une  région  d'oasis  appelée  le  Ziban,  et  dont  le 
chef-lieu  est  Biskara.  Un  marabout  très-vénéré,  Bou- 
Zian,  commença,  au  mois  de  juin,  à  prêcher  la  guerre  sainîo. 
De  sourds  mécontentements  existaient  déjà  dans  l'esprit  des 
populations  des  oasis.  Les  marabouts ,  exempts  d'impôts , 
venaient  d'y  être  assujettis,  et  la  redevance  perçue  sur  les 
dattiers  avait  été  élevée  de  quelques  centimes.  Le  colonel 
Carbuccia  expédia  à  Zaatcha  un   officier  avec  quelques 


328  ALGÉRIE 

cavaliers  du  cliôik  El-Arab  pour  arrêter  Bou-Zian.  Le  mara- 
bout fut  enlevé,  et  on  l'emmenait  déjà,  lorsque  son  fils  sou- 
leva le  peuple  et  le  délivra.  Le  colonel  Carbuccia  vint  at- 
taquer l'oasis  de  Zaalclia  avec  une  colonne  de  1 ,200  hommes  ; 
mais  il  fut  repoussé ^vec  perte.  Cet  échec  pouvait  compro- 
mettre la  renommée  des  armes  françaises.  L'audace  des  Ka- 
byles de  l'Aurès  s'en  accrut,  et  une  petite  armée  descendit 
des  montagnes,  marchant  sur  Biskara,  sous  la  conduite  du 
marabout  Si-Afid.  Il  fut  vigoureusement  repoussé  par  le 
commandant  Saint-Germain.  Cependant  l'agitation  augmen- 
tait toujours,  propagée  par  l'association  religieuse  de  Sidi- 
Abd-cr-Rhaman ,  cette  vaste  société  secrète  qui  enArasse 
presque  toutes  les  populations  kabyles;  elle  donnait  la  main 
à  une  révolte  quiavait  éclaté  au  nord,  dans  le  Zouaga,  et  enve- 
loppait toute  la  frontière  méridionale  de  la  province  deCons- 
tantinc.  Depuis  trois  mois  Zaatcha  bravait  l'autorité  fr.ançaise 
et  Bou-Zian  fomentait  au  loin  la  ré  voile.  Une  expédition,  com- 
mandée par  le  général  Herbillon  et  le  colonel  Canrobert, 
s'empara  de  cette  place  après  un  siège  meurtrier  de  cin- 
quante et  un  jours.  Les  oasis  voisines  se  rendirent  alors  sacs 
conditions.  Le  reste  de  l'insurrection  s'éteignit  dans  le  Hodna, 
dans  l'Aurès ,  et  sous  les  décombres  de  Narah,  dont  les  ha- 
bitants furent  passés  par  les  armes.  Le  Zibaa  était  pacifié 
pour  longtemps. 

Cette  année  fut  encore  signalée  par  un  différend  avec  le 
Maroc.  Les  autorités  françaises  avaient  été  insultées  ;  une 
démonstration  sérieuse  amena  une  réparation  éclatante. 

Depuis  longtemps  l'attention  du  gouvernement  se  p.ortait 
sur  les  montagnes  qui  bordent  le  littoral  entre  Dellys  et 
Philippevilie,  et  qu'on  nomme  la  Petite-Kabylie.  Celte  par- 
tic  du  pays  était  restée  en  dehors  de  notre  autorité,  et 
pouvait  (i'un  jour  à  l'autre  nous  menacer  ;  en  même  temps 
plusieurs  villes  du  littoral  étaient  comme  bloquées  par  une 
population  ennemie.  Au  commencement  de  1851,  le  gouver- 
nement résolut  de  mettre  un  terme  à  cet  état  de  choses. 
Une  expédition  fut  résolue.  Dans  les  premiers  jours  du  mois 
de  mai,  le  général  de  Saint-Arnaud  parcourut  les  eu  virons  de 
Djidjelli.  Une  insurrection  conduite  par  Bou-Baghla  amena 
le  général  Camou  aux  environs  de  Bougie ,  qu'il  délivra  ;  et 
enfin  l'expédition  se  tern^ina  par  des  opérations  dans  le  cer- 
cle de  Collo.  Dans  cette  expédition,  nos  troupes,  avec  leur 
valeur  et  leur  courage  ordinaires,  supportèrent  des  fatigues 
de  tous  genres.  Des  points  inaccessibles  furent  emportés,  et 
les  Kabyles  durent  se  soumettre.  La  route  qui  relie  Philippe- 
ville  à  Constantine  devint  sûre.  Djidjelli  fut  débloquée;  des 
richesses  minérales  hirent  reconnues  dans  les  montagnes 
traversées  par  nos  colonnes  ;  enfin ,  les  tribus  kabyles  ac- 
quittèrent  des  contributions  île  guerre. 

D'uu  autre  côt£ ,  une  loi  rendue  par  l'Assemblée  natio- 
nale, le  II  janvier  1851,  régla  sur  un  nouveau  pied  les  rap- 
ports commerciaux  de  l'Algérie  avec  la  I-rance ,  en  appelant 
cette  colonie  à  une  plus  grande  part  dans  nos  échanges  et 
en  favorisant  ses  produits.  Le  16  juin  1851,  la  môme  As- 
semblée adoptait  une  loi  sur  la  propriété  en  Algérie,  et  depuis 
elle  jeta  les  bases  d'une  banque  à  Alger.    W.-A.  Dccrett. 

Au  moment  du  coup  d'État  du  2  décembre  1851,  le  général 
Pclissier  commandait  par  intérim  à  Alger.  Il  mit  aus- 
sitôt la  colonie  en  état  de  siège.  Bientôt  le  général  Randon 
arriva  comme  gouverneur  général;  L'Algérie  reçut  un  grand 
nombre  de  transportés  poUtic^ues,  réunis  surtout  à  Lambessa. 
En  1852  le  général  Randon  parcourut  la  contrée  soumise 
par  \e  général  Saint-Arnaud.  Le  4  décembre  de  la  même 
année ,  le  général  Pélissier  soumit  L  a  g  h  o  u  a  t  à  la  domina- 
tion française.  En  1853  le  général  Randon  dirigea  une  ex- 
pédition contre  les  monts  Babor,  qui  dominaient  la  plaine 
de  Sétif,  et  qu'on  avait  dû  laisser  de  côté  en  1851.  Le 
18  mai  les  troupes  partirent  de  Sétif  en  deux  colonnes , 
l'une  sous  les  ordres  du  général  Bosquet,  l'autre  sous 
tes  ordres  du  général  M  a  c-Ma  bon  :  le  gouverneur  général 
était  avec  la  première.  Une  trentaine  de  tribus  se  mirent 


en  état  de  défense.  Le  gouverneur  attaqua  le  grand  Babor 
parla  gauche,  c'est-à-dire  par  le  sud-ouest,  tandis  que  le 
général  Mac-Mahon l'attaquait  par  l'est.  La  division  Bosquet 
se  distingua  dans  le  com'bat  des  Djermouna,  au  col  de  Tizi- 
Sikka  et  à  l'assaut  du  montTararist  ;  la  division  Mac-Mahon, 
dans  des  engagements  contre  les  Menalla,  les  Dracen  et  les 
Krerrata.  Le  G  juin  les  deux  petits  corps  d'armée  se  réuni- 
rent sur  les  bords  de  la  mer,  à  Ziana,  après  avoir  traversé 
le  pays  des  Kabyles.  Les  tribus  se  soumirent,  et  le  gouver- 
neur général  donna  l'investiture  à  des  chefs  indigènes  en  dé- 
terminant les  circonscriptions  de  leurs  commandements  res- 
pectifs, ainsi  que  lesconditions  d'un  faible  tribut  exigé  comme 
signe  d'obéissance.  Le  10  juin  on  se  remit  en  campagne. 
On  entra  dans  le  cercle  de  Djidjelli  et  l'on  aborda  une  con- 
trée dont  le  général  Saint-Arnaud  avait  seulement  parcouru 
la  région  maritime  en  1851.  Les  tribus  des  montagnes  s'em- 
pressèrent d'apporter  leur  part  de  contributions  arriérées,  et 
l'expédition  militaire  n'eut  pas  lieu.  Plusieurs  chefs  nous 
avaient  aidé.  Le  gouverneur  général  ordonna  de  construire 
des  routes  de  Djidjelli  à  Sétif  par  Djimila,  et  à  Constantine 
par  Milah;le  1*"^  juillet  il  rentrait  à  Alger.  En  1854  de  nou- 
velles opérations  furent  encore  entreprises  contre  les  Kabyles. 
Pendant  la  guerre  d'Orient  l'Algérie  resta  avec  peu  detroupes. 
En  1855  elle  figura  avec  honneur  à  l'exposition  universelle 
de  Paris.  La  même  année  quatre  colonnes  parcoururent  les 
oasis  du  désert  ;  Tuggurt  fut  visité.  Le  général  Maissiat  fit 
encore  une  expédition  contre  les  Kabyles  des  Babors  et 
commença  de  nouvelles  roules.  Les  Kabyles  se  firent  battre 
encore  par  le  généralJoussout.  Des  expéditions  eurent  lieu 
sur  les  frontièresdu  Maroc  et  sur  celles  de  Tunis  pour  assurer 
la  tranquillité.  Enfin,  en  1857,  le  moment  parut  venu  de 
soumettre  la  grande  Kciby  lie,  qui  prétendait  rester  en  de- 
hors de  notre  action.  Au  mois  de  mai  des  colonnes  placées 
sous  les  ordres  des  généraux  Renault ,  Mac-.Mahon  et  Jous- 
souf,  et  dirigées  par  le  général  Randon  lui-même,  attaquèrent 
les  Kabyles  du  Jurjura.  L'enlèvement  de  Souk-el-Arba  amena 
la  soumission  des  Beni-Raten.  La  prise  d'Icheriden  par  la 
division  Mac-Mahon,  et  de  Taouret-el-Hadjadj  parla  divi- 
sion Joussouf  décida  la  défaite  des  Beni-Jenni  et  d'une 
foule  d'autres  tribus.  Le  fort  Napoléon  s'éleva  au  centre 
de  la  Kabylie ,  des  routes  furent  tracées  ,  le  pays  organisé, 
des  otages  envoyés  en  France,  et  depuis  lors  la  Kabylie  est 
restée  soumise  à  notre  autorité.  Pendant  que  ceci  s'opérait, 
trois  colonnes  mobiles  parcouraient  le  reste  de  l'Algérie  pour 
empêcher  toute  tentative  de  soulèvement. 

En  1858  la  paix  fut  à  peine  troublée  dans  la  province  de 
Constantine  par  un  mouvement  de  quelques  contingents  des 
tribus  des  Babors,  qui  avaient  tenté  de  s'emparer  du  bordj 
de  Takitoul,  bravement  défendu  par  quelques  Français.  Le 
général  Desmarest  accourut  de  Sétif,  fit  quelques  arresta- 
tions et  tout  rentra  dans  l'ordre.  A  la  fin  de  l'année  une 
nouvelle  agitation  se  manifesta  dans  l'Aurès,  à  l'instigation 
du  marabout  Sidi-Sadok.  Le  10  décembre  un  de  ses  envoyés 
lut  sur  le  marché  de  Sidi-Okba  un  appel  à  la  guerre  sainte , 
et  les  tribus  coururent  aux  armes.  Le  général  Desvaux,  com- 
mandant la  subdivision  de  Batna,  arriva  avec  des  forces  de- 
vant Sidi-Okba  :  les  Arabes  battirent  le  contingent  de  notre 
kaid  de  Biikara  à  Habbel;  le  général  fit  avancer  ses  troupes 
dans  les  gorges  de  Tonnegaline  et  mit  les  insurgés  en  déroute. 
Sidi-Sadok  se  sauva,  mais  poursuivi  par  les  goums  des 
tribus  fidèles,  il  fut  arrêté  et  conduit  à  Constantine,  traduit 
devant  un  conseil  de  guerre  et  condamné  à  la  peine  de  mort 
avec  ses  trois  fils  et  onze  de  ses  complices.  Les  débuts  de 
1859  virent  s'accomplir  l'occupation  définitive  du  petit  port 
de  Collo  entre  Philippevilie  et  Djidjelli.  La  guerre  d'Italie 
enleva  un  grand  nombre  de  troupes  à  l'Algérie.  La  mort  de 
l'empereur  de  Maroc  amena  du  trouble  à  la  frontière.  11  y 
eut  quelques  invasions  de  notre  territoire  et  des  attaques 
contre  nos  tribus  ;  le  commandant  supérieur  y  envoya  des 
troupes,  et  les  maraudeurs  furent  sévèrement  punis. 


ALGÉRIE  —  ALGIDE 


Ad  milieu  de  ces  mouvements  guerriers,  le  gouvernement 
aidait  à  la  colonisation.  De  nouvelles  communes  ,  de  nou- 
veaux commissariats  civils,  de  nouvelles  sous-préfectures 
étaient  créés,  des  conseils  supérieurs  étaient  fondés,  des 
conseils  généraux  et  municipaux  étaient  institués;  la  cen- 
tralisation ministérielle  était  diminuée,  le  pouvoir  des  pré- 
fets était  étendu,  de  nouveaux  droits  étaient  reconnus 
aux  Aral)es,  des  diminutions  de  droits  de  douanes  étaient 
accordées  sur  certaines  marchamiises,  l'administration  de 
la  justice  était  fortiliée,  des  chemins  de  fer  étaient  commen- 
cés, des  routes  achevées,  des  puits  artésiens  forés,  des  travaux 
d'utilité  publique  poursuivis  avec  persévérance.  Espérons 
que  toutes  ces  mesures  assureront  le  repos  de  l'Algérie  et 
que  bientôt  elle  pourra  être  assimilée  en  partie  aux  autres 
départements  de  l'Empire.  L.  Louvet. 

ALGÉRIE  (Gouvernement  général  de  1').  Suivant 
un  décret  impérial  du  10  décembre  1860 ,  le  gouvernement  et 
la  haute  administration  de  l'Algérie  sont  centralisés  à  Alger 
sous  l'autorité  d'un  gouverneur  général,  dont  la  nomination 
est  contresignée  par  le  ministre  d'État.  Le  gouverneur  général 
rend  compte  directement  à  l'empereur  de  la  situation  poli- 
tiqueet  administrative  du  pays.  Il  commande  les  forces  de 
terre  et  de  mer  en  Algérie;  toutefois,  le  ministre  de  la  guerre 
et  le  ministre  delà  marine  conservent  sur  l'armée  et  sur  la 
marine  l'autorité  qu'ils  exercent  sur  les  armées  en  campagne 
et  les  stations.  Un  sous-gouverneur,  général  de  division,  chef 
d'état  major  général,  supplée  le  gouverneur  généra!  en 
cas  d'absence.  La  justice,  l'instruction  publique  et  les  cultes 
sont  rentrés  dans  les  attributions  des  départements  minis- 
tériels auxquels  ils  ressortissent  en  France.  Toutefois  les 
écoles  françaises-arabes  et  les  écoles  indigènes  sont  restées 
dans  les  attributions  exclusives  du  gouverneur  général,  lequel 
nomme  directement  à  tous  les  emplois  qui  étaient  à  la  dési- 
gnation du  ministre  de  l'Algérie,  sauf  en  ce  qui  concerne 
l'instruction  publique,  les  cultes,  la  magistrature  française 
elles  officiers  ministériels.  Les  actes  de  haute  administration 
et  de  gouvernement,  les  nominations  qui  doivent  émaner 
de  l'empereur  lui  sont  présentés  par  le  ministre  de  la  guerre 
sur  la  proposition  du  gouverneur  général,  qui  statue  sur 
toutes  les  affaires  administratives  non  placées  dans  les  attri- 
butions d'une  autre  autorité.  Un  conseil  consultatif  est  placé 
auprès  du  gouverneur  général,  qui  le  préside.  Le  gouver- 
neur général  prépare  le  budget  annuel  de  l'Algérie,  l'as- 
sielle  et  la  répartilion  des  divers  impôts.  Ce  budget  est  soumis 
à  l'examen  d'un  conseil  supérieur  et  sanctionné  par  l'em- 
pereur. L.  L. 

ALGÉRIE  (Ministère  de  1')  et  DES  COLONIES.  Ce 
ministère,  créé  le  24  juin  1858,  fut  confié  d'abord  au  prince 
jNapoléon  et  installé  au  Palais-Royal.  Le  7  mars  1859  il 
passa  aux  mains  du  comte  deChasseloup-Laubat,  et  l'hôtel 
Beauvau  (faubourg  Saint-Honoré  )  fut  acheté  pour  le  conte- 
nir. Il  a  été  supprimé  le  24  novembre  1860,  et  les  colonies 
ont  été  réunies  au  ministère  de  la  marine ,  pendant  que  le 
maréchal  Pélissier  était  nommé  gouverneur  général  de  l'Al- 
gérie. Le  ministère  de  l'Algérie  avait  successivement  ra- 
mené dans  ses  attributions  la  justice,  l'instruction  publique 
et  les  cultes,  sauf  l'obligation  de  se  concerter  avec  les  au- 
tres ministères.  Il  partageait  ses  attributions  avec  les  mi- 
nistères de  la  guerre  et  de  la  marine  pour  les  affaires  mi- 
litaires et  maritimes ,  et  le  minislcre  des  finances  avait 
conservé  la  gestion  des  revenus  et  des  dépenses  de  la  tré- 
sorerie, de>  postes,  des  douanes,  des  tabacs  et  des  contribu- 
tions de  toute  nature.  Z. 

ALGÉSIRAS  (Combat  naval  d').  Le  contre-amiral 
L  i  noi  s,  commandant  une  escadre  française  composée  de 
trois  vaisseaux  et  d'une  petite  frégate,  venait  de  donner  la 
chasse  aux  vaisseaux  anglais  qui  croisaient  sur  les  côtes  de 
Provence,  et  se  présentait  devant  Gibraltar,  lorsque  six 
▼aisseaux  de  guerre  anglais  vinrent  mouiller  dans  la  même 
rade,  le  4  juillet  1801.  La  partie  n'était  pas  égale,  et  il  eût 

UICT.    Dt   LA    CO.XVEIISATION.    —   T.    1. 


329 

!  été  très-imprudent  aux  Français  de  s'exposer  en  pleine  mer 
contre  des  forces  aussi  disproportionnées.  En  conséquence, 
Linois  évita  la  rencontre  des  Anglais,  et  alla  mouiller  le 
même  jour  dans  la  baie  d'Algésiras,  sous  la  protection  des 
batteries  dont  elle  était  garnie,  ayant  eu  la  précaution  d'en- 
voyer pour  les  servir  des  canonniers  de  son  bord.  Le  lende- 
main les  vaisseaux  anglais  vinrent  dans  la  baie  s'embosser 
à  une  portée  de  fusil  des  vaisseaux  français,  et  le  combat 
s'engagea  avec  chaleur.  La  division  française  était  de  beau- 
coup inférieure  à  l'escadre  anglaise;  cependant  l'avantage 
de  la  position  compensa  celui  des  forces,  et  rétablit  un  peu 
l'équilibre  :  le  courage  fut  égal  de  part  et  d'autre,  et  le  com- 
bat n'en  devint  que  plus  terrible;  mais  la  victoire  resta 
fidèle  au  pavillon  français.  Les  Français  perdirent  dans  celte 
journée  cent  quatre-vingts  soldats  et  deux  capilaines,  La- 
londe  et  Moncousu.  La  perte  des  Anglais  s'éleva  à  quinze 
cenls  hommes;  ils  eurent  trois  vaisseaux  mis  hors  de  com- 
bat. Le  9  du  même  mois,  l'amiral  Moreno",  à  la  tête  d'une 
division  composée  de  cinq  vaisseaux  et  d'une  frégate  espa- 
gnols, d'un  vaisseau  et  de  deux  frégates  français,  se  réunit 
à  l'escadre  du  contre-amiral  Linois,  et  mouilla  à  Algésiras. 
Le  12,  à  une  heure  après  midi  ,  toute  la  flotte  appareilla 
pour  retourner  à  Cadix.  A  la  nuit,  le  temps  étant  obscur  et 
le  vent  frais,  deux  vaisseaux  espagnols ,  se  prenant  pour  en- 
nemis, s'attaquèrent  avec  fureur  :  tous  deux  sautèrent.  Le 
Formidable,  monté  par  le  contre-amiral  Linois,  se  sépara 
de  l'escadre,  et  se  vit  le  lendemain  sur  les  côles  d'Espa- 
gne, à  portée  de  l'escadre  anglaise.  Linois,  profitant  de  l'en- 
thousiasme de  ses  soldats,  résolut  d'accepter  le  combat. 
L'action  s'engagea  ;  les  forces  des  Anglais  consistaient  en 
trois  vaisseaux  et  une  frégate  :  la  frégate  reçut  quelques 
bordées ,  et  s'éloigna  ;  un  vaisseau,  le  Pompée,  fut  privé  de 
ses  trois  mâts,  et  rasé  comme  un  pouton.  Il  restait  encore 
deux  vaisseaux  ;  Le  Formidable  fait  feu  de  bâbord  et  de 
tribord ,  les  oblige  à  lâcher  prise ,  et  ramène  son  vaisseau 
victorieux  dans  le  port  de  Cadix. 

ALGHISI  ou  ALGISI  (D.  Pakis  Francesco),  né  à 
Brescia,  en  1666,  mort  dans  la  même  ville,  le  29  mars 
1733,  fut  organiste  de  la  cathédrale  de  Brescia,  et  fit  repré- 
senter sur  le  théâtre  de  Venise  deux  opéras  :  l'Amore  di 
Curzio  per  la  patria,  et  il  Trïonfo  délia  continenza. 
Dans  sa  vieillesse  il  en  était  arrivé,  à  force  d'austérité,  à  ne 
plus  vivre  que  d'herbes  assaisonnées  de  sel,  et  s'était  fait 
ainsi  une  réputation  de  sainteté. 

ALGHISI  (ToM.vsEo),  né  à  Florence,  en  1669,  mort 
dans  la  même  ville,  en  17 13,  étudia  la  chirurgie  et  fut  reçu 
docteur  en  1703  par  l'université  de  Padoue,  après  une  thèse 
soutenue  en  présence  du  célèbre  Yallisnicri.  Alghisi  pro- 
fessa la  chirurgie  dans  sa  patrie;  il  devint  célèbre  comme 
opérateur,  et  surtout  comme  litliotomiste;  malheureusement 
il  mourut  dans  la  force  de  l'âge  et  dans  tout  l'éclat  de  son 
talent,  à  la  suite  d'une  amputation  rendue  nécessaire  par 
l'explosion  d'un  fusil  qui  lui  avait  enlevé  la  main  gauche. 
On  a  de  lui  :  Lilotomia,  ovvero  del  cavar  la  pietra  (Flo- 
rence, 1707),  traité  de  lithotomie  qui  offre  un  vif  intérêt 
pour  l'histoire  de  l'art  ;  ainsi  qu'une  lettre  à  Vallisnieri  sur 
divers  sujets  ,  par  exemple  sur  des  vers  sortis  de  la  vessie, 
sur  une  matière  propre  à  injecter  les  artères,  et  sur  les  ban- 
dages employés  chez  les  Égyptiens. 

ALGHISI-GALEAZZO-,  architecte  de  la  seconde 
moitié  du  seizième  siècle,  né  à  Carpi  dans  le  duché  de  Mo- 
dène,  fut  longtemps  au  service  du  duc  de  Ferrare,  et  s'oc- 
cupa plus  particulièrement  de  l'art  des  fortifications.  Son 
traité  ,  publié  à  Venise  en  1570,  in-folio,  sous  le  titre  de 
Alghisci  Carpensis  Opus  ,  etc.,  était  le  meilleur  ouvrage 
qui  eiit  encore  paru  sur  celte  matière. 

ALGIDE  (du  latin aZç/icfM5, d'à /^ere, avoir  froid).  Cet 
adjectif  se  dit  de  certaines  fièvres  intermittentes,  qui  sont 
accompagnées  d'un  froid  glacial  pendant  toute  la  durée  de 
l'accès.  Les  fièvres  algides  appartiennent  à  la  classe  de 

42 


330 


ALGIDE  —  ALHAMBRA 


fièvres  intermittentes  pernicieuses.  Elles  sont  cxtromenient 
graves  ;  souvent  les  malades  succombent  au  deuxième  ou 
tioisième  accès. 

ALGOL  ,  nom  arabe  d'une  étoile  changeante  de  la  cons- 
tellation de  Persée,  et  qu'on  appelle  aussi  la  Télé  de  Mé- 
duae. 

ALGONQUIIVS,  ou  rjramh  Esquimaux,  peuple  sau- 
vage de  l'Amérique  septentrionale.  Ils  habitent  au  nord  -ouest 
delà  merd'Hudson,  entre  le  lac  des  Esclaves  et  la  mer  Polaire, 
sur  les  bords  du  Copper-Mine  et  du  Mackensie.  Petits, 
trapus  et  faibles ,  ces  peuples  polaires  ont  le  teint  plutôt 
d'un  jaune  rougeâtre  sale  que  cuivré.  Leurs  huttes ,  de  forme 
circulaire,  sont  couvertes  de  peaux  de  daim;  on  n'y  entre 
qu'en  se  traînant.  Leurs  canots ,  formés  do  peaux  de  veau 
marin ,  naviguent  avec  vitesse.  Ces  sauvages  travaillent  pa- 
ticmnu'ut  une  pierre  grise  et  poreuse,  appelée  pierre  de 
Labrador,  en  forme  de  cruche  et  de  chaudière  très-ornées. 
Ils  conservent  leurs  provisions  de  bouche  dans  des  outres 
remplies  d'huile  de  baleine.  Ceux  qui  habitent  les  bords  du 
fleuve  Mackensie  se  rasent  la  tête.  Ils  se  servent  de  traî- 
neaux tirés  par  des  chiens.  Leurs  principales  occupations 
sont  la  chasse  et  la  pèche.  Ils  sont  la  plupart  catholiques, 
et  vont  à  Québec  remplir  leurs  devoirs  religieux  :  c'est  ce 
qui  les  distingue  des  autres  Esquimaux,  qui  ont  à  peine  une 
klée  confuse  d'un  Être  suprême.  Les  pays  algonquins  ont 
été  un  peu  plus  que  toutes  les  autres  tribus  d'Esquimaux 
visités  par  les  Européens  :  on  a  même  cherché  à  déterminer 
les  principes  de  leurs  idiomes,  qui  ont  tous  une  prononciation 
sonore  et  fortement  accentuée.  Plusieurs  grammaires  en  ont 
été  publiées  depuis  1643  jusqu'en  lb38;  mais,  quoique  pré- 
sentant des  observations  très-utiles,  elles  sont  encore  néan- 
moins insuffisantes  et  très-incomplètes.  —  Du  reste ,  à  part 
la  polygamie ,  leurs  mœurs  et  leur  intérieur  sont  semblables 
à  ceux  des  Esquimaux  proprement  dits  :  c'est  la  vie  sau- 
vage à  peine  un  peu  modifiée  par  le  contact  de  rares  voya- 
geurs européens. 

ALGORITHME  (d'un  mot  arabe  qui  signifie  racine). 
Ce  terme,  dans  la  langue  des  mathématiques,  désigne  chaque 
forme  particulière  de  génération  des  nombres.  Vahjorïth- 
miec&t  la  science  qui  embrasse  tous  les  algoritlmies,  et  par 
conséquent  les  faits  et  les  lois  des  nombres. 

ALGUAZIL  (des  mots  arabes  al,  le ,  et  ghasil,  huissier, 
archer  ) ,  fonctionnaire  secondaire  de  l'ordre  de  la  police 
en  Espagne ,  qui  exerce  les  mêmes  fonctions  que  celles  de 
la  gendarmerie  en  France.  Les  lois  alphonsines  nous  ap- 
prennent qu'on  donnait  ce  nom  d'alguazil  à  iftie  sorte  de 
grand  prévôt  du  palais  chargé  de  l'arrestation,  du  jugement 
et  de  la  punition  d'un  coupable  ou  d'un  sujet  livré  par  le 
prince  au  tribunal  expéditif  de  ce  magistrat.  —  On  emploie 
souvent  ce  nom  d'un  manière  ironique. 

ALGUES  (du  latin  algx).  On  a  désigné  longtemps  sous 
la  vague  dénomination  d'algues  une  foule  de  plantes  aqua- 
tiques qui  ont  peu  ou  point  de  rapports  entre  elles.  Tourne- 
fort  plaçait  des  phanérogames  et  des  polypiers  parmi  ses 
algues.  Linné  nommait  ainsi  le  troisième  ordre  de  sa  cryp- 
togamie ,  après  en  avoir  seulement  oté  toutes  les  produc- 
tions animales.  Jussieu  restreignit  encore  le  nombre  des 
algues  de  Linné;  mais  il  réunit  dans  ce  vaste  groupe  des 
l^lanfes  trop  disparates  pour  que  leur  ensemble  méritât  d'être 
conservé.  Et  aujourd'imi  môme,  malgré  les  nombreux  tra- 
vaux des  cryptogamistes  modernes,  la  signification  du 
mot  fl/£f«x'icst  loin  d'avoir  reçu  quelque  fixité.  Cependant, 
on  ne  peut  disconvenir  que  l'ordre  ne  commence  à  se  faire 
dans  le  chaos.  — •  D'après  Frics ,  les  algues ,  dont  il  a  fait 
\ine  sous-classe,  divisée  en  trois  familles  (  les  p/ujcées  ou 
algues  submergées,  les  l'icliens  ou  algues  émergées,  et 
/es  btjssaci'es  ou  algues  amphibies),  sont  des  plantes  aga- 
mes,  -sivant  dans  l'air,  au  fond  des  eaux  douces  ou  salées 
ou  h  leur  surface,  le  plus  souvent  vivaces,  remarquables 
par  une  texture  cellulaiic  ou  filamenteuse  dans  laquelle  il 


n'entre  jamais  de  vaisseaux  ;  en  général  libres  ,  vivant  iso- 
lément ou  en  société ,  nues  ou  enveloppées  dans  une  sorte 
de  substance  gélatini forme,  à  végétation  continue  ou  inter- 
rompue par  intervalles.  Ces  plantes  puisent  dans  l'humidité 
ou  le  liquide  ambiant  les  matériaux  propres  à  leur  accrois- 
sement ,  et  dans  l'air  et  la  lumière  les  principes  de  leur 
coloration  ;  elles  se  reproduisent,  soit  par  des  germes  proli- 
fiques (gonidies)  développés  à  leur  surface,  soit  par  des 
sporules  ou  des  séminules  résultant,  autant  du  moins  qu'on 
en  peut  juger,  du  seul  acte  de  la  nutrition  ,  soit  enfin  par 
des  sporidies  que  contient  un  nucléus  renfermé  lui-même 
dans  des  réceptacles  diversement  conformés. 

On  distingue  aussi  les  algues  d'une  manière  générale  en 
algues  d'eau  douce  et  en  algues  marines.  Celles-ci,  les  seu- 
les qui  présentent  quelque  intérêt,  sont  tantôt  étendues  en 
membranes  à  la  surface  des  rochers,  tantôt  en  lanières  simples 
ou  ramifiées  et  adhérentes  au  fond  de  la  mer,  au  moyen  de 
pédicules.  Leur  longueur  est  quelquefois  très-considéra- 
ble. Le  chorda  filum ,  si  commun  dans  la  mer  du  Nord, 
atteint  souvent  quarante  pieds,  et  le  macrocytis  pyrifera 
jusqu'à  quinze  cents  pieds  ;  elles  se  soutiennent  à  la  surface 
de  l'eau  par  le  moyen  de  vésicules  remplies  d'air,  et  forment 
dans  certains  parages  ces  prairies  marines  qui  effrayèrent 
Christophe  Colomb ,  et  à  travers  lesquelles  un  bateau  a  de 
la  peine  à  se  frayer  un  passage.  Ces  végétaux  sont  vulgai- 
rement désignés  sous  le  nom  de  varechs  ou  goémons. 

Plusieurs  espèces  d'algues  sont  d'une  grande  utilité.  Les 
varechs  ou  fucus,  que  l'on  trouve  si  abondamment  sur  les 
côtes  de  l'Océan  et  de  la  ^léditerranée ,  sont  employés  dans 
plusieurs  contrées  pour  fumer  les  terres ,  ou  pour  nourrir 
les  bestiaux  pendant  l'hiver.  On  retire  des  cendres  de  plu- 
sieurs algues,  entre  autres  du  fucus  vesiculosus ,  une  assez 
notable  quantité  de  soude  et  dépotasse,  et  c'est  des 
eaux-mères  des  sels  que  fournit  la  lessive  de  ces  cendres 
qu'on  extrait  l'iode.  Quelques  espèces,  telles  que  les /mcms 
clulcis ,  escahutus ,  edulis ,  le  laminaria  saccharina,  ser- 
vent d'aliments  aux  habitants  de  certaines  contrées  mari- 
times. C'est  du  sphxrococcus  tenax  que  les  Chinois  retirent 
le  vernis  qui  recouvre  leur  papier  et  leurs  étoffes  de  soie  ; 
et  c'est  en  se  nourrissant  du  codium  bursa  que  l'hirondelle 
nommée  hirundo  esculenta  fabrique  ces  nids  imprégnés 
de  gélatine  dont  les  Chinois  font  un  commerce  considé- 
rable. Enfin  le  gigartina  helminlhocorlon ,  vulgairement 
appelé  mousse  de  mer,  est  un  excellent  vermifuge  que  l'on 
administre,  soit  en  poudre,  soit  en  infusion,  aux  enfants 
affectés  de  vers  intestinaux. 

ALHAMBRA.  On  n'est  pas  bien  fixé  sur  le  nom  du 
fondateur  de  ce  palais  :  les  uns  en  attribuent  la  pensée  et 
l'exécution  à  Alahmar,  fondateur  du  royaume  de  Grenade  , 
qui  fut  assez  heureux  pour  le  commencer  et  pour  le  voir 
terminer  ;  d'autres  conviennent  bien  qu' Alahmar  en  est 
le  fondateur,  mais  disent  en  même  temps  qu'il  ne  fut  en- 
tièrement terminé  que  sous  le  règne  d'Aboulhaggez ,  en  1338  ; 
d'autres  enfin  prétendent  que  l'Alhambra  a  été  bâti  par  Abou- 
Abdallah-ben-Naser,  surnommé  Elgaleb  Billali  (Vain- 
queur par  la  fiiveur  de  Dieu  ).  Selon  les  premiers ,  l'étymo- 
logie  du  mot  proviendrait  de  la  corruption  du  nom  d'A- 
lahmar;  selon  les  derniers,  l'Alhambra  viendrait  du  mot 
medinat-alluinira ,  ou  ville  rouge,  à  cause  de  la  cou- 
leur des  matériaux  qu'on  employa  pour  sa  construction. 
Quoi  qu'il  en  soit ,  l'Alhambra  ,  tout  à  la  fois  palais  et  for- 
teresse, formait  autrefois  un  des  quatre  quartiers  delà 
célèbre  ville  de  Grenade,  et  servait  d'habitation  aux 
rois  maures.  L'.\lliambra  est  situé  sur  le  sommet  d'un  co- 
teau escarpé  qui  borne  la  ville  du  côté  de  l'est;  outre  les 
eaux  du  Xénil  et  du  Darro,  qui  l'environnentde  toutes  parts, 
il  est  encore  entouré  d'une  double  enceinte  d'épaisses  mu- 
railles :  il  devait  être  imprenable  lorsqu'on  ne  pouvait  l'at- 
taquer avec  du  canon.  Maintenant  l'ancien  palais  des  rois 
maures  offre  à  l'extérieur  l'apparence  d'un  vieux  château 


fort,  flanqué  de  bastions  et  île  tours.  Par  rentrée  principale, 
qui  s'appelait  autrefois  la  Porte  du  Jugement ,  el  qui  est 
pratiquée  dans  une  grosse  tour  carrée,  on  pénètre  dans  la 
première  cour,  entourée  d'un  portique  et  pavée  en  marbre 
blanc  ;  la  seconde  cour,  appelée  cour  (les  Lions,  îi  cause  de 
douze'lions  de  marbre  noir  qui  ornent  son  bassin,  est  célèbre 
par  le  souvenir  du  massacre  des  A  b  e  n  c  é  r  a  ?  e  s  et  par  les  co- 
lonnes de  marbre  blanc  qui  soutiennent  la  galerie  qui  l'en- 
toure. Les  apitartements  de  l'Albanibra ,  larges,  nombreux  , 
sans  cesse  rafraîchis  par  l'eau  des  fontaines,  sont  sculptés 
avec  un  art  inoui,  avec  une  richesse  d'imagination,  une 
hardiesse  et  une  patience  d'exécution  presque  incroyables. 
Ce  palais  est  un  des  plus  curieux  vestiges  de  l'art  du  moyen 
âge ,  et  peut-être  le  plus  beau  modèle  de  l'architecture 
mauresque  en  Lurope ,  quoiqu'il  ait  sul)i  bien  des  dégrada- 
tions. Charles-Quint  en  fit  abattre  une  partie  pour  faire 
place  à  un  palais  mesquin  et  triste.  En  1856  un  des  grands 
murs  s'écroula.  La  reine  d'Espagne  a  ordonné  la  réparation 
de  l'Alhambra.  —  L'Alharabra  est  encore  célèbre  par  ses 
beaux  jardins  du  Généralife,  palais  de  campagne  des  rois  mau- 
res ,  situé  sur  une  colline  opposée,  et  moins  bien  conservé, 
et  par  une  ancienne  mosquée ,  devenue  une  église  sous  l'in- 
vocation de  Sainte  Hélène. 

AL-HARIZI.  Votjez  Ciiarizi. 

^VLHOY  (L.),  né  à  Angers,  en  1755,  entra  de  bonne 
heure  dans  la  congrégation  de  l'Oratoire ,  et  professa  dans 
les  collèges  de  son  ordre  jusqu'à  l'époque  de  son  abolition. 
Pendant  la  proscription  de  l'abbé  Sicard  (1797),  il  fut 
choisi  pour  le  remplacer  à  llnstitution  des  Sourds-Muets  , 
et  remplit  les  fonctions  de  directeur  de  cet  établissement 
jusqu'en  1800.  Plus  tard  il  devint  membre  de  la  commis- 
sion administrative  des  hospices ,  et  en  1S15  principal 
du  collège  de  Saint-Germain-en-Laye.  Il  mourut  en  1S26. 
Alhoy  cultivait  les  lettres  avec  distinction.  Il  a  composé 
un  Discours  sur  VÉducation  des  Sourds-iVuels,  et  deux 
poëme-.,  les  Hospices  et  les  Promenades  poétiques  dans 
les  Hôpitaux  de  Paris.  * 

ALHUCEMAS,  village  fortifié  et  petit  port  de  l'A- 
frique espagnole,  l'un  des  présidios,  situé  sur  un  îlot  près 
delà  côte  de  Maroc.  En  1856,  les  Espagnols  y  soutinrent 
un  combat  contre  les  Maures.  Z. 

ALI,  cousin  et  gendre  du  législateur  des  Arabes,  et 
son  quatrième  successeur  au  khalifat ,  naquit  à  la  Mecque, 
Ters  l'an  600  de  Jésus-Christ.  Quoiqu'il  fût  issu ,  comme 
Mahomet,  de  la  puissante  tribu  de  Koraïsch,  et  que  sa 
famille  fût  en  possession  du  gouvernement  aristocratique 
de  la  Mecque,  il  se  vit  obligé ,  dans  sa  première  jeunesse, 
de  se  mettre  aux  gages  d'un  maître  pour  gagner  son  pain. 
Mais  on  voit  dans  la  Bible  que  jamais  la  domesticité  n'a  été 
un  déshonneur  chez  les  nations  de  l'Orient.  Lorsque  Ma- 
iiomet  commença  sa  carrière  apostolique ,  .Ali  devint  un  de 
ses  premiers  et  de  ses  plus  ardents  disciples ,  et  mérita 
par  ses  services ,  son  courage  et  son  aveugle  dévouement , 
la  main  de  Fatliemah  ou  Fat i me,  la  fille  chérie  du  Pro- 
phète. A  la  mort  de  son  beau-père ,  qui  ne  laissait  point 
d'héritier  mâle,  Ali  semblait  appelé  detlroit  à  lui  succéder. 
11  était  son  plus  proche  parent,  il  avait  été  son  secrétaire, 
son  lieutenant,  son  ami;  mais  sa  jeunesse,  son  caractère 
impétueux,  et,  plus  encore ,  l'induerice  d'Ayéchah,  veuve 
de  Mahomet,  et  fdie  d'Abou-Bekr,  firent  donner  la  pré- 
férence à  ce  dernier,  qui  fut  le  premier  khalife  ou  vicaire 
du  fondateur  de  la  religion  et  de  la  puissance  musulmanes. 
Ayéchah  avait  voué  une  haine  implacable  à  Ali  depuis  qu'il 
l'avait  accusée  du  vivant  même  de  Mahomet  d'intrigues 
galantes  et  de  trahison.  Après  Ahou-Bekr,  régnèrent  Omar 
et  Osman,  toujours  à  l'exclusion  d'Ali. 

Osman  ayant  été  assassiné  l'an  656 ,  Ali  fut  enfin  é!u 
Khalife,  quoique  ses  ennemis  l'accusassent  d'avoir  trempé 
dans  le  meurtre  de  son  prédécesseur,  et  qu'il  fût  du  moins 
soupçonné  de  l'avoir  faiblement  défendu.  Trompé  par  de 


ALH  AMBRA  —  ALI  331 

perfides  conseils ,  Ali  commit  la  faute  de  destituer  la  plu' 
part  des  gouverneurs  de  province  nommés  sous  les  règnes 
préci^dents.  Cette  imprudence  fortifia  l'opposition  qui  s'était 
toujours  manifestée  contre  lui,  et  fut  la  cause  de  sa  perte. 
M  0  a  w  i  a  h ,  gouverneur  de  Syrie ,  se  déclara  le  vengeur  et 
le  successeur  d'Osman.  Amrou ,  privé  du  gouvernement  de 
l'Egypte,  qu'il  avait  conquise,  se  prononça  pour  Moawiah. 
Ce  fut  à  la  Mecque  que  se  forma  le  premier  orage  contre 
Ali.  Une  armée  nombreuse ,  partie  de  cette  ville ,  alla  s'em- 
parer de  Bassora.  Le  khalife  quitta  Médine,  et  marcha  con- 
tre les  rebelles,  qu'il  vainquit  complètement  à  Kharibah, 
dans  une  bataille  que  les  Arabes  ont  appelée  la  journée 
du  chameau  ,  parce  qu'Ayéchah  était  montée  sur  un  cha- 
meau ,  d'où  elle  animait  ses  soldats  et  ses  partisans.  Cette 
victoire  ne  mit  pas  fin  au  schisme  qui  divisait  l'empire  mu- 
sulman. Moawiah  prit  le  titre  de  khalife  à  Damas,  et  con- 
tinua la  guerre.  Ali  pour  l'éviter  employa  vainement  tous 
les  moyens  de  conciliation  :  pendant  onze  mois  l'avantage 
fut  toujours  pour  lui,  dans  quatre-vingt-dix  combats  que 
les  deux  armées  se  livrèrent  sur  les  confins  de  la  Syrie. 
Moavi'iaheut  enfin  recours  à  l'artifice  :  parle  conseil d'Am- 
rou ,  il  fit  attacher  au  bout  de  plusieurs  lances  des  exem- 
plaires du  Coran ,  portés  à  la  tète  des  troupes  par  des  gens 
qui  criaient  :  Voici  le  livre  gui  doit  terminer  nos  dijfé- 
rends  et  arrêter  l'effusion  du  sang.  Ce  stratagème  réus- 
sit :  les  soldats  d'.Mi ,  saisis  de  respect ,  posèrent  les  armes. 
Deux  arbitres  furent  nommés  pour  vider  cette  grande  que- 
relle :  celui  d'Ali ,  homme  probe  mais  simple ,  fut  la  dupe 
d'Amrou ,  son  collègue.  Après  de  longues  conférences ,  ils 
convinrent  de  déposer  les  deux  khalifes  ;  mais  lorsque 
cette  double  déposition  eut  été  publiquement  prononcée  par 
le  crédule  arbitre  d'Ali ,  le  rusé  Amrou ,  qui  avait  à  dessein 
cédé  la  parole  à  son  collègue ,  confirma  son  arrêt  contre  le 
légitime  khalife  seulement ,  et  maintint  l'élection  de  l'usur- 
pateur. Cette  décision  ralluma  les  troubles;  mais  elle  ne 
laissa  pas  d'affaiblir,  en  le  divisant,  le  parti  d'Ali.  Après 
une  suite  de  victoires  éclatantes,  mais  sans  résultats  avanta- 
geux ou  durables ,  Ali  fut  assassiné  dans  la  mosquée  de 
Koufah,  où  il  avait  établi  le  siège  de  sa  puissance,  à  l'âge  de 
soixante-trois  ans,  le  24  janvier  661 .  Il  avait  régné  cinq  ans. 

Humain  et  généreux,  Ali  avait  trop  de  franchise  pour 
être  un  habile  jiolitique  ;  mais  sa  valeur  était  à  toute  épreuve, 
et  son  sabre,  dzoulfékar,  qu'il  avait  reçu  de  Mahomet, 
est  encore  l'objet  de  la  vénération  musulmane;  surnommé 
lui-même  Assad-Allah  et  Al-Mortadhi  (le  lion  de  Dieu, 
l'agréable  à  Dieu  ) ,  il  est  généralement  respecté  comme 
un  des  héros  de  l'islamisme,  Ali  était  savant ,  et  avait 
l'esprit  cultivé.  On  a  de  lui  divers  recueils  de  sentences  et 
proverbes ,  et  de  poésies ,  qui  ont  été  traduits  en  persan , 
en  turc,  en  latin,  en  anglais,  en  français,  etc.  Son  mo- 
deste tombeau  près  de  Koufah  demeura  caché  tant  que  dura 
la  dynastie  des  Om  mi  a  de  s,  fondée  par  Moawiah.  On  le 
découvrit  sous  le  règne  des  Abbassides ,  et  on  y  érigea  un 
monument  somptueux ,  autour  duquel  s'est  formée  depuis 
la  ville  de  Mesched-Ali.  Voyez  Alides. 

ALI,  pacha  de  Janina.  Ce  dominateur  de  l'Épire  mo- 
derne et  de  presque  toute  l'Hellade  naquit  vers  1745, 
à  Tepeleni,  bourgade  de  l'Épire.  Son  grand'père,  Mouc- 
tar,  périt  vers  1715,  dans  l'expédition  des  Turcs  contre 
Corfou ,  et  son  père ,  Véli ,  ayant  été  chassé  de  Tepeleni 
par  les  antres  fils  de  Mouctar,  fut  réduit  pendant  quelques 
années  à  faire,  pour  subsister,  le  métier  de  chef  d'une 
troupe  de  Klephtes.  Véli  panint  pourtant  à  reprendre 
sur  ses  frères,  qu'il  fit  périr,  l'héritage  de  son  père;  mais 
il  en  fut  bientôt  chassé  de  nouveau,  et  il  mourut  en  175P, 
laissant  à  peine  à  son  iils  Ali,  alors  très-jeune  encore, 
quelques  champs  et  une  cabane.  Khaméo,  mère  d'Ali,  était 
une  femme  audacieuse ,  d'un  caractère  énergique  et  cruel  : 
elle  réunit  les  partisans  de  son  époux ,  anima  le  courage  de 
son  fils,  et  marcha  contre  les  ennemis  de  sa  race.  Après 

42. 


832 


ALI  -  ALIBERT 


une  alternative  de  succès  et  de  défaites ,  Khaméo  fut  faite 
prisonniwe  et  conduite  à  Gardiki ,  avec  son  fils  Ali  et  sa  fille 
Chaénitza  ;  les  deux  femmes  furent  outragées  et  traitées 
avec  la  plus  grande  barbarie.  Khaméo ,  délivrée  de  ses  en- 
nemis par  le  secours  d'un  marchand  grec,  qui  paya  sa  ran- 
çon et  celle  de  ses  enfants,  portées  à  75,000  francs,  n'ou- 
blia jamais  ce  qu'elle  avait  souffert.  Ali  la  vengea  plus  lard 
par  l'extermination  de  tous  les  Gardikiotes. 

Ici  commence  dans  la  vie  d'Ali  une  suite  de  crimes  et 
de  brigandages.  Obligé  de  passer  en  Eubée ,  il  revint  bien- 
tôt en  Épire ,  s'enrichit  par  le  pillage  du  canton  de  Zagori , 
et  s'établit  de  nouveau  à  Tepeleni.  Ses  crimes  multipliés 
attircrent  enfin  l'attention  de  Kourd  ,  pacha  de  Bérat,  qui 
envoya  contre  Ali  des  troupes ,  qui  le  firent  prisonnier.  Ses 
compagnons  furent  pendus,  et  il  aurait  dû  l'être  ;  mais  sa 
jeunesse,  sa  beauté ,  quelques  relations  de  parenté  et  les 
prières  de  Khaméo  le  sauvèrent.  Kourd  lui  pardonna ,  et  le 
renvoya  à  Tepeleni ,  avec  l'injonction  de  ne  plus  troubler 
l'ordre  public.  Ali  tint  parole  :  il  s'appliqua  à  étendre  ses 
relations  et  à  se  faire  des  alliés;  il  obtint  en  mariage  la  fille 
de  Kapelan,  pacha  de  Delvino,  Emineh ,  dont  la  beauté, 
les  vertus  et  les  infortunes  furent  longtemps  célèbres  dans  la 
mémoire  des  Épiroles.  Ali  avait  environ  vingt-quatre  ans 
lorsqu'il  l'épousa.  Il  espérait  par  ses  alliances  obtenir  un 
pachahk  ou  tout  autre  emploi  important  ;  mais  il  vit  tous 
ses  efforts  et  toutes  ses  ruses  échouer  jusqu'au  jour  où, 
moitié  par  trahison,  moitié  par  force,  il  fut  enfin  mis  en 
possession  du  pachaUk  de  Janina.  11  consolida  sa  puis- 
sance dans  ce  poste ,  grâce  à  un  grand  despotisme  et  à 
de  terribles  vengeances;  ensuite  il  tourna  son  esprit  aux 
idées  d'agrandissement,  et  à  partir  de  cette  époque  ses 
conquêtes  allèrent  toujours  en  s'accroissant.  11  eut  bientôt 
toute  rÉpire  sous  sa  domination ,  à  l'exception  pourtant  du 
canton  de  Delvmo,  où  le  pacha  se  trouvait  bloqué  dans  les 
montagnes  avec  celui  de  Souli ,  dont  les  habitants  s'étaient 
conservés  indépendants  de  la  domination  ottomane.  Ces 
montagnards  résistèrent  pendant  trois  ans,  déployant  un 
courage  désespéré  et  héroïque ,  et  finirent  par  succomber 
cnl802.  Beaucoup  furent  tués;  le  reste  fut  forcé  de  se 
disperser  dans  la  Grèce  et  les  Sept-Iles.  AM-Pacha  profita  de 
la  ruine  de  Venise  pour  s'emparer  des  possessions  de  cette 
république  sur  la  côte  maritime  de  l'Albanie  :  de  la  sorte, 
il  se  vit  possesseur  de  l'Acarnanie ,  de  l'Étolie ,  et  de  pres- 
que toute  l'Albanie,  avec  le  titre  de  gouverneur  de  Romélie. 
Il  avait  en  outre  sous  sa  dépendance  la  Morée,  où  l'aîné  de 
ses  fils  était  pacha. 

Ali  était  alors  au  comble  de  sa  gloire  et  de  sa  force.  Il 
avait  essayé  et  essaya  encore  depuis  de  nouer  tour  à  tour 
des  alliances  avec  la  France,  avec  l'Angleterre,  trahissant 
sous  le  moindre  prétexte ,  ou  môme  sans  prétexte.  Il  recher- 
cha l'appui  de  Napoléon  (qui  avait  envoyé  un  consul  à  Ja- 
nina), tant  que  Napoléon  fut  vainqueur;  mais  lors  des 
désastres  de  notre  campagne  de  Russie  il  jeta  le  masque, 
et  aida  ouvertement  les  Anglais ,  déjà  maîtres  de  Zante  et 
de  Céphalonie,  à  se  rendre  maîtres  de  Parga  et  à  resserrer 
Corfou ,  espérant  obtenir  une  part  de  nos  dépouilles.  Les 
traités  de  Vienne,  en  donnant  les  Sept-Iles  à  l'Angleterre, 
trompèrent  son  espoir.  Enfin,  en  1818  ,  la  vénalité  lui  livra 
Parga ,  qui  lui  avait  toujours  échappé.  Celte  malheureuse 
ville  lui  fut  vendue  par  le  gouverneur  de  Corfou,  Mnitland, 
sous  la  condition  d'une  indemnité ,  dont  la  moitié  fut  encore 
prise  aux  malheureux  habitants  par  les  commissaires  an- 
glais chargés  de  son  évaluation. 

Enfin,  en  1820,  le  sultan  Mahmoud,  se  croyant  as.xz 
affermi ,  mit  Ali-Pacha  au  b^.n  de  reiiipire.  Attaqué  par  des 
forces  imposantes,  Ali  se  défendit  liéroïquemcnt;  mais 
abandonné  de  tous  les  .siens ,  il  dut  se  rendre,  en  se  réscr- 
•vant  la  vie  sauve.  Kourchid-Pacha  lui  en  donna  la  pro- 
messe; mais  dès  qu'Ali  fut  en  sa  possossion,  il  le  fit  entou- 
rer par  ses  soldats,  et  lui  présenta  un  finnan  de  mort  :  Ali 


répondit  en  faisant  feu  de  ses  deux  pistolets,  et  tomba  percé 
de  coups.  — Ceci  se  passait  le  28  janvier  1822. 

Ses  fils  et  ses  petits-fils,  à  l'exception  d'un,  furent  décapi- 
tés à  Kutaych,  où  ils  s'étaient  retirés,  après  avoir  capitulé 
à  Prévésa  et  Argyro  Kastro.  Vasiliki,  femme  courageuse, 
qui  avait  soutenu  son  époux  dans  le  malheur,  et  qui  lui 
était  restée  fidèle  jusqu'au  dernier  moment ,  le  consolant 
par  ses  vertus,  fut  seule  épargnée  parmi  les  femmes  d'Ali  et 
de  ses  fils.  Quelques  années  après ,  lorsque  le  petit-fils  survi- 
vant d'Ali  fut  nommé  pacha  de  Janina ,  elle  l'y  accompagna 
et  jouit  des  honneurs  dus  à  son  rang. 

Ali-Pacha  était  un  honune  d'une  bravoure  sanguinaire, 
d'un  caractère  cruel,  intrigant  et  perfide.  Son  ambition 
égalait  sa  cruauté.  Il  avouait  ses  vices,  et  faisait  parade  de 
ses  crimes  quand  ils  pouvaient  servir  à  ses  projets.  Il  n'aima 
réellement  que  deux  personnes  :  Émineh,  dont  nous  avons 
parlé,  et  Vasiliki ,  jeune  Grecque  qui  la  remplaça.  Vasi- 
liki était  d'un  village  appelé  Plichivistas,  dont  les  habitants, 
accusés  d'être  de  faux  monnayeurs ,  avaient  été  saisis  et 
pendus  par  ordre  d'Ali.  Touché  des  larmes  et  de  la  beauté 
de  la  jeime  Vasiliki ,  qui  implorait  sa  pitié  pour  sa  mère 
et  ses  sœurs ,  il  la  conduisit  à  Janina ,  et  en  fit  son  épouse. 
A  part  ces  deux  affections ,  Ali  ne  voyait  autour  de  lui  que 
des  ennemis  ou  des  complices  :  il  tuait  les  premiers  et  cor- 
rompait les  seconds.  Il  dut  sa  haute  puissance  autant  à  la 
ruse  et  à  la  trahison  qu'à  son  courage  et  à  son  intelligence. 
C'était  un  aventurier  liabile  et  hardi ,  qui  placé  en  d'autres 
circonstances  eût  pu  devenir  un  grand  homme. 

AXiIBAUD  (Louis),  né  à  Nîmes  en  1810,  reçut  les 
éléments  d'une  éducation  libérale  au  collège  de  cette  ville; 
cependant  il  n'acheva  pas  ses  études,  et  s'engagea  en  1829 
dans  le  15*  régiment  d'infanterie  légère,  en  garnison  à  Paris. 
Il  quitta  le  service  en  1834,  soit  qu'il  désespérât  d'arriver 
au  grade  d'officier,  soit  qu'il  fût  dégoûté  d'une  carrière  où 
l'obéissance  passive  est  une  des  qualités  les  plus  nécessaires  ; 
il  laissa  au  régiment  la  réputation  d'un  bon  sous-officier. 
Obligé  d'entreprendre  une  nouvelle  carrière,  Aiibaud  cher- 
cha à  entrer  dans  le  commerce ,  et  ne  put  y  parvenir.  Il  fut 
alors  employé  pendant  quelque  temps  à  l'administration  des 
télégraphes  à  Carcassonne,  puis  il  alla  à  Perpignan  rejoindre 
son  père.  Là  il  se  lia  avec  des  réfugiés  espagnols  qui  avaient 
conçu  le  projet  d'entrer  en  Espagne  pour  y  opérer  un  mou- 
vement. Il  alla  même  avec  eux  jusqu'à  Barcelone;  mais  les 
mesures  prises  par  le  gouvernement  espagnol  l'obligèrent  à 
revenir  en  France.  Ce  fut  alors  qu'il  se  dirigea  sur  Paris  avec 
la  ferme  résolution  d'assassiner  le  roi  ;  il  y  arriva  en  no- 
veinbre  1835.  S'il  faut  en  croire  Aiibaud  lui-même,  le  projet 
qu'il  méditait  alors  remontait  à  1832.  Il  aurait  eu  pour  ori- 
gine l'idée  qu'il  s'était  faite  du  despotisme  de  Louis-Philippe, 
Pendant  six  mois  il  chercha  une  occasion  favorable  de 
mettre  à  exécution  son  projet,  épiant  le  roi  dans  ses  sorties. 
Enfin,  le  2G  juin  1S3G  il  se  posta  au  guichet  des  Tuileries 
qui  donne  en  face  du  Pont-Royal,  et  lorsque  le  roi  sortait 
en  voiture  avec  la  reine  et  madame  Adélaïde,  il  tira  sur  lui 
avec  une  canne-fusil  un  coup  presqu'à  bout  portant.  Arrêté 
immédiatement,  on  lui  trouva  un  couteau-poignard  avec 
lequel  il  voulait  se  tuer.  Traduit  devant  la  cour  des  pau"s, 
Aiibaud  y  fut  défendu  par  M.  Ledni  ;  puis  il  prit  lui-même 
la  parole,  et  se  mit  à  lire  une  théorie  du  régicide  qu'il  avait 
préparée  ;  mais  le  président  l'arrêta  au  commencement  de 
sa  lecture,  et  l'empêcha  de  continuer.  Il  fut  condamné  par  la 
cour  à  subir  la  peine  des  parricides,  et  fut  exécuté  le  11 
juillet  183G.  Aiibaud  montra  beaucoup  de  fermeté,  soit  lors 
de  son  arrestation,  soit  dans  le  cours  des  débals,  soit  au 
montent  de  sa  mort.  De  tous  les  assassins  qui  ont  attenté  à 
la  vie  de  Louis-Philippe,  c'est  certainement  celui  qui  a  mon- 
tré le  plus  d'énerg'e  et  de  courage. 

ALIBERT  (Jean-Lolis)  fut  le  médecin  le  plus  brillant 
et  sans  contredit  le  plus  littéraire  au  temps  de  l'empire  et  de 
la  restauration,  et  il  dut  ses  succès  à  son  esprit  naturel  et  à 


ALIBERT 


333 


son  heureuse  physionomie  beaucoup  phis  qu'à  ses  ouvrages, 
si  nombreux  et  si  ct4èbres  qu'ils  aient  été.  11  naquit  à  Ville- 
franche,  dans  l'ATeyron,  le  12  mai  17C6.  Son  père,  magis- 
trat distingué,  prit  un  grand  soin  de  son  éducation,  à  la- 
quelle concoururent  ses  bons  exemples.  Il  fit  ses  études 
sous  la  direction  des  pères  de  la  Doctrine  chrétienne.  On 
lui  donna  pour  camarade,  à  lui  d'abord  si  léger  de  carac- 
tère et  si  disposé  à  trop  sacrifier  h  l'imagination,  un  jeune 
homme  calme,  réfléchi,  sensé,  le  philosophe  La  Romi- 
guière.  Après  leurs  humanités,  les  deux  amis  entrèrent 
dans  je  ne  sais  quelle  congrégation  chrétienne,  dont  la  ré- 
volution, à  quelque  temps  de  là,  devait  interrompre  les  tra- 
vaux et  clore  la  studieuse  carrière.  Ils  vinrent  à  Paris  vers 
l'époque  où  la  révolution  allait  commencer.  Alibert,  qui  avait 
vingt-trois  ans  et  l'ambition  de  se  produire,  aurait  pu  prendre 
un  rôle  dans  ce  bouleversement  général  qui  devançait  une 
rénovation;  mais,  soit  antipathie  pour  les  mœurs  de  ce 
temps,  soit  attachement  pour  l'ancien  ordre  étabU,  ou  es- 
poir de  le  voir  renaître,  il  ne  voulut  point  figurer  dans  le 
drame  révolutionnaire.  Cette  neutralité  politique  et  ce  dé- 
sœuvrement forcé  firent  de  lui  un  littérateur  précoce,  à  qui 
toutefois  il  manquait  une  vocation  expresse  et  un  but  précis. 
Après  avoir  passé  quelques  mois  avec  La  Romiguière  à  l'école 
Normale,  il  entra  enfin  à  l'École  de  Santé,  première  et  in- 
forme ébauche  de  la  Faculté  de  Médecine  d'aujourd'hui.  — 
Rêveur  et  sentimental,  mais  causeur  élégant  et  ingénieux, 
homme  séduisant  par  les  charmes  de  l'esprit,  mais  lui-même 
très-accessible  à  toutes  les  séductions ,  il  contracta  des  in- 
timités fort  disparates.  C'est  ainsi  qu'on  le  vit  à  la  fois  l'ami 
du  docteur  Roussel,  disciple  naïf  de  Bordeu  ;  l'élève  de  Ca- 
banis, dont  la  doctrine,  remplie  de  dangers,  semblait  conci- 
lier Locke  et  Condillac,  tout  en  exagérant  l'un  et  l'autre 
jusqu'au  scepticisme;  l'ami  de  Richerand,  qui,  à  son  insu 
même,  outrait  encore  Cabanis  ;  lintime  de  Bichat,  qui  ré- 
cusait ces  auteurs  encore  plus  que  leurs  systèmes,  et  enfin 
de  La  Romiguière,  qui  combattait  les  uns  et  les  autres  de 
sa  dialectique  si  persuasive  et  si  convaincue.  Alibert  fut  tel 
toute  sa  vie  :  lui  qui  devint  le  serviteur  zélé  de  deux  rois 
et  qui  resta  l'ami  constant  de  la  royauté,  il  se  plut  sans  cesse 
à  conamercer  avec  toutes  les  opinions,  pourvu  qu'elles  n'a- 
bordassent point  la  politique. 

Reçu  médecin  en  1799  (  an  XIU  ),  après  avoir  couronné 
de  brillantes  épreuves  par  une  thèse  fort  remarquée,  sur  les 
fièvres  pernicieuses ,  Alibert  fonda  alors,  de  concert  avec 
Bichat  et  Ribes,  la  Société  Médicale  d'Émulation,  dont 
il  fut  longtemps  le  secrétaire  dirigeant  et  le  principal  ora- 
teur. Ce  fut  dans  cette  compagnie  qu'il  prononça  plusieurs 
éloges,  peut-être  trop  vantés  dans  l'origine  et  certainement 
trop  oubliés  aujourd'hui.  Montrant  dès  lors  une  grande  pré- 
dilection pour  les  périodes  harmonieuses ,  les  grands  mou- 
vements oratoires,  lestropesà  froid,  les  artifices  d'émotion, 
les  antithèses  et  les  parallèles,  sa  pensée  paraissait  comme 
appauvrie  et  presque  invisible  sous  le  luxe  effréné  des  ajus- 
tements; et  Bernardin  de  Saint-Pierre  lui-même,  tout  en 
battant  des  mains  aux  spirituels  essais  de  son  jeune  imi- 
tateur, les  trouva  déréglés  quant  aux  images  et  trop  sobres 
en  fait  d'idées. 

Jusqu'à  la  restauration,  Alibert  resta  simplement  médecin 
de  l'hôpital  de  Saint-Louis  ;  mais,  lors  de  son  retour  en 
France,  Louis  XVIII  le  nomma  son  médecin  ordinaire, 
sans  doute  en  considération  du  genre  de  maladies  dont  il 
faisait  sa  principale  étude  plutôt  qu'à  la  recommandation 
du  baron  Portai,  son  premier  médecin.  Le  roi,  en  effet, 
dès  cette  époque ,  souffrait  de  cotte  maladie  île  jambes 
qui  persévéra  jusqu'à  sa  mort.  A  ce  titre  essentiel ,  qui  fit 
infiniment  pour  sa  fortune,  A'ibci  1  réunit  plus  tard  celui  de 
professeur  de  matière  médicale  à  i'Ixolc  de  Médecine,  celui 
de  médecin  du  collège  Henri  IV  et  plusieurs  autres.  Il  pro- 
fessait sans  gravité,  mais  sa  parole  avait  du  charme,  et  le 
son  de  .sa  voix  était  enchanteur.  Ses  leçons  étaient  remar- 


quées pour  ces  mots  imprévus  et  pittoresques  dont  il  finis- 
sait lui-même  par  sourire  avec  esprit,  à  l'instigation  de  ses 
auditeurs.  Mais  ses  improvisations  les  plus  remarquables  et 
les  plus  applaudies  étaient  pour  l'hôpital  Saint-Louis,  où  il 
[irofessait  en  plein  air,  sous  des  tilleuls,  à  l'ombre  desquels 
il  faisait  parader   pendant  le  printemps  des  malheureux 
couverts  de  dartres.  C'est  à  ce  cours  célèbre  que  les  méde- 
cins de  toute  l'Europe  ont  appris  pendant  vingt  ans  à  con- 
naître les  maladies  de  la  peau ,  qu'.\libert  a  mieux  décrites 
et  mieux  représentées  qu'aucun  de  ses  devanciers.  —  Bien 
que  méditatif  et  distrait  jusqu'à  l'excès,  Alibert  fut  constam- 
ment un  des  plus  fervents  apôtres  de  la  mode.  S'il  apprenait 
qu'à   la  cour  on  eût  accueilli  un  jeune  poète,  vanté  ses 
vers,  lu  ses  ouvrages ,  dès  le  lendemain  l'heureux  auteur 
recevait  ses  invitations  ou  sa  visite.  A  ses  déjeuners  on  était 
certain  de  rencontrer  les  plus  jeunes  muses,  les  voyageurs 
récemment  débarqués ,  les  poètes  lauréats ,  les  avocats  et 
les  jeunes  orateurs  dont  les  premiers  débuts  étaient  applau- 
dis ,  et  même  les  actrices  et  acteurs  en  vogue  :  c'était  là 
la  brillante  contre-partie  de  ses  cours  de  l'hôpital  Saint- 
Louis  :  là  l'esprit,  les  arts  et  le  luxe  ;  ici  les  misères  et  les 
souffrances.  Après  le  déjeûner  venaient  des  lectures ,  puis 
la  comédie.  Son   petit  théâtre  de  la  rue  de  Varennes  avait 
ordinairement  pour  principaux  ordonnateurs  l'actrice  ma- 
demoiselle Fleury,  et  le  célèbre  Marchangy,  avocat  général. 
Puis ,  quand  vint  à  régner  Charles  X,  des  sermons  rempla- 
cèrent le  spectacle;   cependant  le  déjeûner   du  dimanche 
persévéra.  —  Ses  cabinets  de  consultations ,  qui  ne  s'ou- 
vraient que  deux  fois  la  semaine,  semblaient  une  succur- 
sale du  Jardin  des  Plantes.  On  voyait  là  des  volières  qui 
mettaient  à  contribution  toutes  les  régions  du  globe,  des 
collections  magnifiques  de  papillons  et  d'insectes,  les  pein- 
tures célèbres  de  Redouté,  représentant  les  plus  belles  fleurs, 
et  à  côté  de  cela  les  planches  de  son  grand  ouvrage ,  retra- 
çant des  ichthyoses,  des  psoriasis,  des  prurigos,  etc.  Ali- 
bert a  toujours  aimé  les  antithèses  et  les  contrastes  ;  mais  fl 
sanctifiait  ce  luxe  et  cette  frivolité  par  de  bonnes  actions. 
Il  paraît  certain  qu'il  fut  un  des  hommes  les  plus  bienfai- 
sants de  son  époque.  Sa  bienveillance  était  devenue  prover- 
biale ;  et  tels  étaient  l'aménité  de  son  accueil,  le  charme  de 
son  entretien ,   qu'il  suffisait  de  l'avoir  entendu  et  abordé 
une  ou  deux  fois  pour  rester  à  jamais  sympatliique  à  sa  per- 
sonne. Son  style  de  tous  les  jours,  son  style  sans  apprêt , 
avait  aussi  beaucoup  de  naturel ,  bien  qu'un  peu  verbeux 
et  trop  orné. 

Médecin  très-occupé,  Ahbert  a  néanmoins  beaucoup  étudié, 
beaucoup  écrit,  et  composé  de  nombreux  ouvrages,  dont  voici 
les  principaux  :  —  1°  Traitédes  Fièvres  intermittentes per- 
nicieuses,  1801.  C'est  un  commentaire  de  sa  thèse,  pour 
lequel  il  mit  naturellement  à  contribution  l'ouvrage  anté- 
rieur de  Torti.  Dans  ce  traité,  qui  a  eu  quatre  éditions,  dont 
la  dernière  est  de  1 81 9,  Alibert  décrit  ces  fièvres  dangereuses, 
et  quelquefois  travesties,  dans  lesquelles  on  ne  saurait  trop 
tôt  administrer  le  quinquina.  Ce  fût  cet  ouvrage  et  les  maux 
dont  il  traite  qui  rendirent  le  quinquina  si  cher  en  1808,  et 
qui  firent  la  grande  fortune  du  vin  de  Séguin.  —  2°  Des- 
cription des  Maladies  de  la  Peau  observées  à  l'hôpital 
Saint-Louis,  elc,  ouvrage  in-f°,  enrichi  de  500  planches 
gravées  et  coloriées.  C'est  un  ouvrage  de  toute  beauté  et 
d'une  valeur  inestimable  :  il  suffirait  seul  à  la  gloire  de  son 
auteur.  On  le  critiqua  beaucoup,  on  le  loua  jusqu'à  l'excès, 
et  cela  même  en  constate  le  grand  mérite.  Quand  Alibert  se 
mettait  tristement  à  craindre  l'oubli  des  hommes,  il  songeait 
à  son  grand  ouvrage  des  Dermatoses,  et  ce  souvenir  le 
tranquillisait.  Un  auteur  lui  disait  im  jour  :  «  Je  fais  un  petit 
livre  (jui,  j'espère,  contiendra  tout  ce  que  la  science  offre 
d'essentiel.  »  —  «  Hélas  !  reprit  .\libert,  nous  croyons  tous 
être  auteurs  de  ce  livre-là.  Tenez,  le  mien  a  de  jolies  images, 
mais  il  est  trop  gros.  »  Commencé  en  1806,  cet  ouvrage  ne 
fut  achevé  qu'en  1826,  ~  3°  Précis  théorique  et  pratique 


334 


ALTBKRT  —  ALIDADE 


sur  les  Maladies  de  la  Peau,  1  toI.  in-S".  C'est  !e  texte 
abrégé  du  grand  ouvrage.  Ce  précis  a  eu  deux  éditions  ;  la 
dernière  est  de  1822.  —4°  Éloges  de  Spallanzani,  de 
Galvani  et  de  Roussel ,  in-8°,  Paris,  1806.  Ce  volume  est 
terminé  par  :  Discours  sur  les  rapports  de  la  médecine 
avec  les  sciences  physiques  et  morales.  Ces  deux  travaux 
de  sa  jeunesse  avaient  déjà  paru  isolément.  —  5°  Éléments 
de  Thérapeutique  et  de  Matière  médicale.  La  première 
édition  ne  se  compose  que  d'un  volume  in-S°  (  1814  )  ;  mais 
la  dernière,  qui  est  de  182G,  a  trois  volumes.  Le  plus  lu  de  ses 
ouvrages,  ce  traité  a  déjà  le  sort  des  ouvrages  élémentaires 
et  systématiques  :  il  est  presque  oublié.  Et  cependant  que 
de  travail ,  que  de  faits ,  que  de  ressources  d'esprit ,  quels 
frais  de  style  !>Oublié ,  précisément  parce  qu'il  retraçait  trop 
bien,  à  l'époque  où  il  parut,  l'état  présent  de  la  science  !  La 
science  a  changé,  un  autre  livre  a  pris  sa  place,  et  pour  com- 
bien d'années?  —  G°  Physiologie  des  Passions,  ou  Nouvelle 
Doctrine  des  Sentiments  moraux,  4  vol.  in-8°,  1825;  une 
deuxième  édition  parut  en  1837.  Voilà  ce  qui  ne  changera  ja- 
mais, ce  sont  les  passions.  Aussi  Alibert,  plus  mùr  et  tou- 
jours amoureux  d'une  gloire  durable ,.  a  fini  par  là  ses 
publications  essentielles.  L'Académie  Française  décerna  une 
récompense  à  cet  ouvrage  intéressant  et  moral.  !\Iais  l'auteur 
en  fit  don  à  un  auteur  que  les  infirmités  de  la  vieillesse 
avaient  jeté  dans  le  besoin  :  noble  action  couronnant  un  bel 
ouvrage.  Alibert,  à  la  manière  de  M.  Bouilly,  mais  avec  plus 
d'élévation  et  plus  de  méthode,  consacre  une  Nouvelle  à 
chaque  passion.  —  1°  Précis  sur  les  Eaux  Minérales , 
in-8",  1826  ;  ou\Tage  utile  à  son  apparition,  mais  trop  com- 
plaisant, et  dans  lequel  l'auteur  se  montre  trop  crédule  en- 
vers les  témoins  intéressés.  —  8°  Nosologie  naturelle,  ou 
Maladies  du  corps  humain  classées  par  familles ,  in-4°, 
ouvrage  splendide,  avec  planches  coloriées  ;  ce  n'est  qu'une 
première  partie,  dont  la  deuxième  n'a  point  pani.  La  seule 
chose  qu'on  puisse  dire  de  cet  ouvrage,  c'est  qu'il  est  impos- 
sible de  classer  les  maladies  comme  dès  animaux  ou  des 
plantes.  —  9°  Monographie  des  Dermatoses.  C'est  à  peu 
près  le  Précis  de  lsiO-1822,  mais  rajeuni  et  modifié. — 
Alibert  prenait  en  pitié  tout  médecin  qui  en  présence  d'une 
dartre  vive  ou  d'une  ichthyose  ne  sentirait  pas  aussitôt  son 
cœur  palpiter  ;  il  le  déclarait  dès  lors  dépourvu  d'une  voca- 
tion véritable.  —  Alibert,  profopdément  attristé  depuis  1830, 
mourut  tout  à^onp  le  6  novembre  1837.  Quelque  temps  au- 
paravant il  avait  été  victime  d'une  violente  surprise,  dont  il 
resta  frappé.  Cette  aventure,  qui  fit  beaucoup  de  bruit,  bien 
qu'on  ne  se  la  racontât  qu'à  l'oreille,  restera  vraisemblable- 
ment toujours  entourée  de  mystère.    D"^  Isid.  BouRnoN. 

ALI-BE  Y,  dominateur  de  l'Egypte  dans  la  dernière  moitié 
du  dix-huitième  siècle ,  était  né  en  172S ,  dans  le  pays  des 
Abazcs .  Amené  au  Caire  à  l'âge  de  treize  à  quatorze  ans, 
il  fut  vendu  comme  esclave  à  un  kiahia  (  colond)  des  ja- 
uissaires,  appelé  Ibrahim,  qui  jouissait  d'une  assez  grande 
mfluence  en  Lgypte  et  qui  lui  fit  apprendre  le  métier  des 
armes.  Affranchi  à  l'âge  de  vingt  ans  par  ce  kiahia,  qui  avait 
fini  par  se  rendre  indépendant  dans  son  commandement , 
Ali-Bey  obtint  peu  de  temps  après  le  titre  de  kachef  ou  gou- 
verneur de  district.  S'élevant  ensuite  de  grade  en  grade  par 
son  courage,  il  panint  à  se  faire  admettre  au  nombre  des 
vingt-quatre  beys  qui,  sous  la  suprématie  nominale  d'im 
pacha  turc,  s'étaient  partagé  l'administration  de  ri-.gjpte. 
Ali-Bey  renversa  en  17G6  le  pacha  qui  administrait  au  nom 
du  grand  seigneur,  et  prit  lui-mèir.e  !c  titre  de  sultan,  en 
s'arrogeant  le  droit  de  battre  monnaie.  11  rêva  le  rétablisse- 
ment de  l'Egypte  comme  puissance  indépendante,  et  con- 
çut les  plus  vastes  projets  pour  lui  rendre  son  antique  im- 
portance. A  cet  effet  il  conclut  des  alliances  ;  et  déjà,  après 
s'être  rendu  maître  dune  partie  de  la  Palestine,  il  était  sur 
le  point  d'opérer  le  démembrement  de  l'empire  turc,  lorsque 
la  trahison  de  son  fils  adoptif,  Mohammed-Bey,  vint  l'airèter 
au  milieu  de  ses  succès.  Ali-Bey  dut  chercher  dans  la  fuite 


son  salut  contre  la  révolte  de  sa  propre  année,  et  dans  ce 
grand  et  soudain  désastre  fut  généreusement  recueilli  par  le 
pacha  d'Acre.  Croyant  que  sa  seule  présence  en  Egypte  suf- 
firait pour  y  rétablir  son  autorité,  dont  s'était  emparé  Mo- 
hammed-Bey,  il  ne  tarda  pas  à  s'y  rendre  ;  mais  à  peine 
arrivé  à  .Salehyé  avec  quelques  fidèles,  il  y  fut  pris  par  un 
chef  de  mamlouks,  nommé  Mourad-Bey,  le  môme  qui  plus 
tard  fit  preuve  d'une  si  chevaleresque  bravoure  dans  la  dé- 
fense de  l'Egypte  contre  les  troupes  françaises.  Quelques 
jours  après,  Ali-Bey  avait  cessé  de  vivre  (  1773  ). 

ALI-BEY,  pseudonyme  sous  lequel  un  Espagnol,  ap- 
pelé Domingo  Badia  y  Leblich,  né  en  176G,  pubha,  en  1814, 
la  relation  d'un  voyage  fait  pendant  les  années  1804  et  1807, 
en  Asie  et  en  Afrique.  Avant  de  l'entreprendre,  Badia  avait 
étudié  la  langue  arabe  ;  et  quand  il  se  fut  bien  familiarisé 
avec  cet  idiome,  il  conçut  le  bizarre  projet  de  prendre  un 
nom  musulman  et  même  de  se  faire  passer  pour  l'un  des  des- 
cendants des  khalifes  abbassides.  Il  eut,  au  reste,  l'adresse 
de  rattacher  certaines  vues  politiques  à  l'exécution  de  ce 
projet,  dans  lequel  il  fut  secondé  par  son  gouvernement.  Dé- 
barqué à  Tanger  en  1803,  il  visita  donc  successivement  Fez, 
Maroc,  Tripoli,  l'île  de  Chypre,  l'Egypte,  la  Mecque,  Jéru- 
salem, Damas  et  Constantinople;  tournée  dans  laquelle  il 
put  recueillir  les  documents  les  plus  curieux,  et  (grâce  à 
son  travestissement,  pour  la  plus  complète  exactitude  duquel 
il  avait  poussé  le  dévoùment  à  la  science  jusqu'à  se  faire  cir- 
concire )  connaître  des  détails  auxquels  aucun  chrétien  n'a- 
vait pu  jusque  alors  se  faire  initier.  La  relation  du  voyage  de 
Badia  parutà  Paris,  en  1814.  Quelque  temps  après,  il  repartit 
encore  pour  la  Syrie,  mais  cette  fois  sous  le  nom  d'Ali- 
Othman,  et  chargé ,  dit-on ,  par  le  gouvernement  français 
d'une  mission  secrète  ayant  pour  but  de  donner  plus  d'ex- 
tension et  d'activité  à  nos  relations  commerciales  avec  l'O- 
rient. Il  mourut  à  Damas  en  1818;  et  comme  tous  ses  pa- 
piers furent  alors  saisis  par  ordre  du  pacha  de  Damas,  on 
supposa  que  cette  mort  n'avait  pas  été  naturelle. 

ALIBI,  mot  latin  qui  signifie  ailleurs.  Il  s'emploie,  en 
droit  criminel,  pour  justifier  que  le  prévenu  n'était  point 
sur  le  lieu  du  crime  au  moment  où  il  a  été  commis.  C'est 
un  moyen  de  défense  péremptoire.  Si  en  effet  le  prévenu 
parvient  à  prouver  son  alibi  par  des  témoignages  irrécu- 
sables ,  l'accusation  tombe  d'elle-même. 

ALIBOUFIER  ou  STYRAX ,  genre  de  plantes  de  la 
famille  des  ébénacées  de  Linné.  iX'ous  n'en  possédons  en 
Europe  qu'une  seule  espèce ,  Yaliboxifier  officinal.  C'est  un 
petit  arbre,  qui  a  les  feuilles  alternes ,  pétiolées ,  ovales , 
molles ,  velues  en  dessous  ;  les  fleurs  blanches ,  très-odo- 
rantes et  disposées  en  grappes  axillaires ,  plus  courtes  que 
les  feuilles  ;  son  fruit  est  un  drupe  cotonneux  en  dehors , 
renfermant  un  noyau  monosperme.  Cet  arbre  croît  dans  le 
Levant,  l'Italie,  la  Provence.  Il  découle  des  incisions  faites 
à  son  écorce  une  résine  connue  sous  le  nom  de  styrax 
solide.  On  le  cultive  dans  les  jardins  d'agrément.  —  Une 
autre  espèce,  Valiboufier  benjoin,  originaire  de  Sumatra, 
donne  la  résine  connue  sous  ce  nom  de  benjoi  n. 

ALICAXTE ,  port  sur  la  '^Méditerranée,  dans  le  royaume 
de  Valence,  avec  25,000  habitants,  qu'un  chemin  de  fer 
relie  depuis  1858  àMadrid.  La  même  année  on  a  dû  démolir 
se^  fcriilications  pour  donner  une  plus  grande  extension  à  cette 
cité.  Ou  exporte  de  cette  ville  un  vin  fort  doux,  connu  foiis 
le  nom  de  vin  d'Alicanie,  ou  bien  vino  tinta,  à  cause  de 
sa  couleur  foncée  :  ce  vin  s'expédie  en  grande  partie  jiour 
l'Angleterre.  Alicante  est  l'entrepôt  des  productions  de  Va- 
lence et  le  centre  du  commerce  de  l'Espagne  avecl'Palie. 
Cette  ville  possède  quelques  établissements  scientili(ip.es 
pour  la  marine. 

ALIDADE.  Ce  mot,  emprunté  à  la  langue  arabe,  dé- 
signe la  traverse  ou  règle  mobile  qu'on  applique  sur  les  as- 
trolabes ,  graphomètres ,  et  sur  tous  les  autres  instruments 
de  céométric  et  d'astronomie  qui  servent  à  prendre  la  me- 


ALIDADE  —  ALIENATION 


335 


sure  des  angles  ;  il  ne  vient  pas,  comme  le  supposait  Mon- 
tucla,  du  \ crbe  hadda  (tuirneravit),  Al-JIhidud  (tiv- 
MERis  ),  d'où  Ton  aurait  fait  dériver  Alh'  idode,  en  conser- 
vant l'article  al  pour  exprimer  le  nianêrateur,  mais  de 
H'adhada  (juvit,  comprehetidit),  Al-U'ad/ikl  {bra- 
chium  ),  d'où  est  venu  Al-H'idhadoh  {mcdiclinhnn ,  ré- 
gula, sive  valvcUa  ).  L'alidade  est  garnie  de  deux  pinnules 
ou  plaques  percées  d'un  petit  trou,  sur  la  ligne  de  direc- 
tion. Au  centre  de  l'astrelabe  on  laisse  subsister  un  trou 
{ïalme/ian  ),  qui  traverse  l'araignée  et  toutes  les  tablettes; 
ce  trou  est  de  forme  ronde  et  entouré  d'un  cercle  {Yalplie- 
lath  )  ;  on  y  plac«  un  axe  percé  à  son  extrémité ,  ou  un  es- 
sieu (Valchitot),  et  on  y  ajoute  un  écrou  ou  clavette  en 
forme  de  tête  de  cheval  {Valphérath,  le  chevalet),  qui 
sert  en  même  temps  à  retenir  l'alidade.  —  Nos  alidades 
sont  de  diverses  espèces  ;  quelques-unes  sont  surmontées  de 
petites  lames  plates  et  mobiles  qui  s'allongent  ou  se  rappro- 
chent, selon  la  nature  des  opérations.  —  En  termes  d'iior- 
logerie ,  l'alidade  est  une  règle  mobile  sur  une  plate-forme 
destinée  à  diviser  les  cadrans.  L.-Am.  Sédii.lot. 

ALIDES  ou  ALE\MS,  descendants  d'Ali.  Ce  khalife  laissa 
une  nombreuse  postérité;  mais  c'est  par  deux  de  ses  fds, 
Hassan  et  particulièrement  Housséin ,  qu'elle  s'est  perpé- 
tuée. Kés  de  Fa ti me,  sa  première  femme,  ils  ont  seuls 
transrais  à  leurs  descendants,  ou  soi-disant  tels ,  leurs  pré- 
tentions au  khaUfat,  ou  du  moins  au  titre  et  aux  fonctions 
d'i  m  a  m  ,  ou  pontife  suprême.  Hassan  succéda  à  son  père; 
mais  il  ne  fut  reconnu  que  dans  l'Irak  et  en  Arabie ,  et  ne 
put  lutter  longtemps  contre  la  fortune  et  les  talents  de 
Moawiah.  Au  bout  de  quelques  mois  il  abdiqua,  et  se 
retira  à  Médine ,  où  il  mourut  en  669 ,  empoisonné,  dit-on, 
par  sa  femme ,  que  Yézid ,  fils  de  son  heureux  rival ,  avait 
séduite.  —  Holsséin  voulut  disputer  l'empire  à  Yézid.  Ap- 
pelé par  les  habitants  de  Koufah ,  qui  l'avaient  proclamé 
khalife ,  il  se  rendait  dans  leur  ville  avec  sa  famille  et  ses 
amis,  lorsque  attaqué  par  des  forces  infiniment  supérieures, 
il  périt  près  de  Kerbelah ,  en  680 ,  ainsi  que  presque  tous 
les  siens ,  avec  un  courage  et  une  résignation  dignes  d'un 
meilleur  sort ,  et  dont  les  détails  sont  extrêmement  drama- 
tiques. Sa  sépulture,  située  à  Mesched  Housséin,  petite 
Tille  de  l'Irak,  a  été  pillée  et  profanée,  au  dix-neuvième  siècle, 
par  les  Wahabit«9.  Le  nom  et  le  tombeau  de  Housséin  ne 
sont  pas  en  moins  grande  vénération  que  ceux  de  son  père 
parmi  les  chyites.  Une  fête  instituée  en  commémoration  de 
sa  mort  entretient  depuis  le  dixième  siècle  le  fanatisme 
des  chptes  et  leur  haine  contre  les  sunnites.  Les  chyites 
traitent  d'usurpateurs  les  trois  premiers  khalifes ,  ainsi  que 
ceux  des  maisons  d'Ommiah  et  d'Abbas ,  et  ne  reconnaissent 
que  douze  imams  légitimes  pour  successeurs  de  Mahomet , 
savoir  :  Ali ,  Hassan ,  Housséin ,  et  neuf  de  leurs  descen- 
dants ,  dont  le  dernier,  Mahdy,  enlevé ,  disent-ils ,  miracu- 
leusement, est  attendu  par  eux  comme  le  Messie.  Outre 
ces  douze  imams ,  plusieurs  princes  de  la  maison  d'Ali  ont 
disputé ,  les  armes  à  la  main ,  le  khahfat  à  ceux  qui  n'en 
étaient  à  leurs  yeux  que  les  usurpateurs.  Presque  tous  ont 
péri  dans  les  combats  ou  dans  les  supplices.  Mais ,  mal- 
gi-é  les  persécutions  et  les  anathèmes  dirigés  contre  eux,  il 
en  est  qui  sont  parvenus  à  fonder  des  monarchies  tempo- 
raires plus  ou  moins  puissantes.  Sans  parler  des  dynasties 
obscures  qu'ils  ont  établies  à  Koufah  et  dans  les  provinces 
qui  bordent  la  mer  Caspienne,  nous  citerons  les  schéri/s 
édrisides ,  fondateurs  de  la  ville  et  du  royaume  de  Fez  en 
^lauritanie;  les  Hamoudides,  qui  régnèrent  en  Espagne 
après  les  Ommiades;  les  Obéidides  ou  Fatimïdes,  con- 
quérants de  l'Afrique  et  de  l'Egypte,  et  rivaux  des  khalifes 
abbassides,  quoique  leur  généalogie  ait  toujours  été  contes- 
tée; les  schéri/s  de  la  Mecque,  qui,  malgré  leur  illustre 
origine,  se  sont  rendus  vassaux  des  Turcs-Osmanlis  ;  enfin, 
les  schéri/s  qui  régnent  depuis  trois  cents  ans  à  la  INIec- 
que,  etc.,  etc.  Outre  ces  branches  souveraines  de  la  famille 


d'Ali ,  il  en  existe  encore ,  dans  tous  les  pays  soumis  au 
joug  du  Coran,  une  foule  de  rejetons  jusque  dans  les  plus 
basses  classes  de  la  société ,  et  dont  les  seules  prérogatives 
.sont  d'être  qualifiés  des  titres  i'cmir,  de  scid  et  de  schérif 
(prince,  seigneur,  noble),  et  de  porter  à  leur  turban  une 
mousseline  verte ,  couleur  qu'Ali  avait  adoptée ,  et  pour  la- 
quelle Mahomet  avait  beaucoup  de  prédilection. 

H.   AUDIFFIIET. 

ALIE3I  BILL.  Ces  mots  anglais  désignent  une  loi  rela- 
tive aux  étrangers  arrivés  et  résidant  en  Angleterre.  Elle  fut 
rendue  à  l'époque  de  notre  première  révolution,  lorsque  dans 
nos  clubs  et  nos  assemblées  populaires  on  proclamait  hau- 
tement le  projet  de  propager  par  tous  les  moyens  possibles, 
dans  les  pays  étrangers ,  les  doctrines  politiques  qui  triom- 
phaient parmi  nous ,  et  qui  effrayaient  à  bon  droit  les  puis- 
sances voisines ,  lesquelles  durent  songer  aux  moyens  de  se 
garantir  de  la  contagion  des  principes  révolutionnaires.  Pitt 
proposa  vers  la  fin  de  Tannée  1792 ,  dans  la  Chambre  des 
Communes ,  un  bill  spécial  contenant  les  règles  de  surveil- 
lance auxquelles  seraient  désormais  soumis  tous  les  étrangers 
qui  entreraient  sur  le  territoire  de  la  Grande-Bretagne  ;  bill 
qui,  en  raison  de  sa  destination,  fut  appelé  alicn  OUI,  et 
que  Charles  Fox  et  ses  amis  politiques  combattirent  avec  la 
plus  violente  énergie ,  comme  contraire  de  tout  point  aux 
principes  de  liberté  qui  sont  le  fond  de  la  constitution  an- 
glaise. L'éloquence  de  PUt ,  appuyée  de  celle  de  Burke ,  qui 
s'était  déclaré  l'adversaire  systématique  de  notre  révolution, 
l'emporta  sur  l'opposition ,  et  le  bill  passa.  L'année  suivante 
lord  Granville  le  fit  adopter  par  la  Chambre  haute.  Les  prin- 
cipales dispositions  de  cette  loi  ordonnaient  qu'à  l'avenir 
tout  étranger,  en  mettant  le  pied  sur  le  territoire  anglais,  se 
fît  enregistrer  à  l'effet  d'obtenir  un  permis  de  séjour,  permis 
qui  ne  s'accordait  qu'après  une  enquête  sévère ,  et  qui  sur 
le  moindre  soupçon  pouvait  être  retiré.  Il  fut  en  outre  dé- 
fendu aux  étrangers,  sous  les  peines  les  plus  graves,  de  dé- 
barquer en  Angleterre  avant  que  le  capitaine  du  navire  à  bord 
duquel  ils  se  trouveraient  eût  fait  sa  déclaj'ation,  et  il  leur 
fut  interdit  de  sortir  du  royaume  sans  s'être  préalablement 
munis  d'un  passeport.  Ces  mesures  exceptionnelles  étaient 
encore  aggravées  par  un  luxe  de  précautions  injurieusemcnt 
défiantes,  dont  les  enfants  et  les  évêques  français  émigrés  fu- 
rent seuls  exemptés.  —  Depuis  l'époque  de  sa  promulgation, 
Valien  &(7Z,  dont  les  effets  étaient  du  reste  toujours  limités  à 
une  période  précise  de  temps,  fut  à  diverses  reprises  remis  erv 
vigueur  par  le  gouvernement  anglais ,  qui  y  trouva  un  utile 
moyen  de  défense  dans  des  moments  de  crise,  soit  intérieure, 
soit  extérieure.  C'est  ainsi  que  des  votes  du  parlement  le  remi- 
rent successivement  en  vigueur  en  1802, 1803,  1816  et  1818. 
Quand ,  à  la  mort  de  Castlereagh  ,  le  cabinet  de  Saint -James 
entra  enfin  dans  les  voies  d'une  politique  plus  libérale  et  plus 
progressive,  et  lorsque  Canning  fut  appelé  à  diriger  les  affaires 
de  son  j^ays,  il  crut  pouvoir  renoncer  à  ces  mesures  d'excep- 
tion, et  remplacer  Yalien  bill  de  Pitt  et  de  Granville  par  une 
loi  qui  protège  davantage  l'étranger  contre  l'arbitraire  d'une 
police  soupçonneuse  et  tracassière ;  loi  qui,  au  reste,  diffère 
peu  de  celle  qui  en  France  régit  la  même  matière.  Voyez 
Étrangers. 

ALIENATION.  On  appelle  ainsi,  en  jurisprudence, 
l'acte  par  lequel  une  personne ,  capable  de  disposer,  trans- 
fère à  une  autre ,  soit  à  titre  onéreux  ,  soit  à  titre  grafuit , 
la  propriété  d'une  chose  mobilière  ou  immobilière.  11  y  a 
aliénation  à  titre  gratuit  dans  les  donations,  les  legs,  etc. 
La  vente ,  l'échange ,  l'engagement ,  l'hypothèque ,  consti- 
tuent l'aliénation  à  titre  onéreux,  c'est-à-dire  ayant  lieu 
moyennant  un  équivalent.  Bien  que  le  droit  d'aliéner  soit, 
de  sa  nature ,  inhérent  au  droit  même  de  propriété ,  la  loi 
française  a  .spécifié  des  cas  où  Yaliénation  reste  soumise  à 
des  règles  particulières ,  dépendant  ou  de  l'incapacité  des 
propriétaires ,  ou  de  la  nature  du  droit ,  ou  de  la  nature  des 
choses  mêmes.  —  C'est  ainsi  que  les  miueuis  et  les  iûter- 


336 

dits  ne  peuvent  aliéner  que  par  rinteriiiédiaire  de  leurs  tu- 
teurs ,  lesquels  doivent  préalablement  requérir  et  obtenir  à 
cet  elfet  l'autorisation  de  la  justice,  et  que  la  femme  en 
puissance  de  mari  doit ,  avant  de  pouvoir  aliéner  sa  pro- 
priété ,  obtenir  l'autorisation  de  son  mari  ou  requérir  celle 
de  la  justice.  Dans  ces  différentes  espèces  il  y  a  restriction 
apportée  à  l'usage  du  droit  d'aliénation  en  raison  de  l'inca- 
pacité des  personnes. 

La  nature  du  droit  même  de  propriété  limite  encore  quel- 
quefois le  droit  d'aliéner.  C'est  ainsi  que  la  faculté  d'aliéner 
est  interdite  à  tout  propriétaire  dont  les  biens  sont  frappés 
de  substitution;  aux  gens  de  main-morte,  c'est-à-dire 
aux  corps  et  communautés  ayant  une  existence  légale,  comme 
les  collèges ,  les  bôpitaux ,  les  cbapitres ,  etc.  ;  enfin  elle 
est  interdite  aux  souverains  de  France,  lesquels  ne  peuvent 
aliéner  les  domaines  de  la  couronne,  dont  ils  ne  sont  qu'usu- 
fruitiers, et  qu'ils  doivent  transmettre  intacts  à  leurs  suc- 
cesseurs. 

Eniin ,  en  raison  môme  de  la  nature  de  leur  destination , 
les  routes,  les  rues  ,  les  places ,  les  monuments ,  etc.,  sont 
regardés  comme  inalténables  ;m&is  celte  inaliénabilité  cesse 
du  moment  où  leur  destination  vient  à  changer. 

AL1ÉIVATI0\  MENTALE.  Ce  mot  est  générique, 
et  doit  comprendre  dans  sa  signification  toute  espèce  de 
dérangement  ou  d'imperfection  des  facultés  de  l'esprit,  tout 
état  anomal  de  l'intelligence,  ou,  pour  parler  plus  exacte- 
ment, toute  espèce  de  désordre  dans  les  fonctions  du  cerveau. 

Les  progrès  que  la  physiologie  du  cerveau  a  faits  de  nos 
jours  nous  ont  procuré  la  connaissance  des  véritables  facultés 
de  l'homme ,  ainsi  que  la  différence  qui  existe  entre  les  di- 
vers penchants,  les  sentiments,  les  talents  et  les  facidtés  in- 
tellectuelles proprement  dites.  C'est  d'après  ces  connais- 
sances, définitivement  acquises  à  la  science,  que  l'étude  des 
différentes  sortes  d'aliénations  mcnfak  s  nous  a  mis  à  môme 
de  rectifier  le  langage  scientifique  employé  jusque  ici,  et  de 
préciser  chaque  espèce  d'aliénation  bien  mieux  que  ne  l'ont 
fait  nos  devanciers.  Nous  pouvons,  par  la  même  raison, 
suivre  les  phases  que  les  malheureux  atteints  d'une  sorte 
d'aliénation  mentale  passent  successivement  à  d'autres  es- 
pèces de  la  même  maladie  jusqu'à  la  fin.  11  est  démontré  que 
chaque  phénomène  morbide  de  l'intelligence  est  le  résultat 
d'une  altération  quelconque  dans  le  cerveau  :  cela  ne  peut 
pas  être  autrement. 

Beaucoup  de  médecins,  les  légistes,  les  littérateurs,  et,  en 
général,  tous  ceux  qui  n'ont  pas  fait  des  études  spéciales  sur 
cette  matière,  emploient  indistinctement,  dans  leurs  écrits 
ou  dans  leurs  discours,  le  mot  aliénation  mentale  comme 
synonyme  de/o  lie  :  c'est  confondre  le  genre  avec  l'espèce  ; 
c'est  comme  si  l'on  disait  fièvre,  sans  qu'on  pût  savoir  s'il 
est  question  d'une  fiôvre  pernicieuse ,  d'une  fièvre  scarlatine 
ou  d'une  fièvre  tj^phoïde.  Nous  pensons  donc ,  avec  les  sa- 
vants les  plus  instruits  sur  cette  matière ,  qu'il  faut  y  atta- 
clier  un  sens  plus  large  :  ainsi,  il  faut  placer  parmi  les 
aliénations  mentales  le  délire,  la  démence,  l'extase, 
la  folie,  les  hallucinations,  l'hypocondrie,  l'i- 
diotie,  la  manie,  la  mon  orna  nie,  etc.,  etc.  Nous  donne- 
rons à  chacun  de  ces  mots ,  et  à  d'autres  du  même  genre, 
un  article  spécial  ;  nous  y  exposerons  ,  selon  l'opportunité, 
la  doctrine  physiologiciue  qui  explique  leur  mode  d'être  et 
les  différences  qui  les  caractérisent,  le  traitement  dont 
chaque  espèce  est  susceptible,  et  les  observations  qui  se  rap- 
portent à  l'hygiène  publique,  à  la  législation,  et  aux  mesures 
sanitaires  ou  de  police  médicale  requises  pour  chaque  espèce 
de  maladie. 

Il  y  a  des  aliénations  très-difficiles  à  être  saisies  et  bien 
caractérisées,  même  par  les  médecins  ;  car  elles  conmiencent 
d'une  manière  imperceptible,  et  elles  augmentent  par  degrés, 
sans  qu'on  s'en  doute,  au  point  que  depuis  l'excentricité  de 
certains  caractères,  que  l'on  remarque  à  peine ,  ou  l'extrava- 
gance de  certains  individus,  dont  la  raison  commenes  à 


ALIENATION  —  ALIENATION  MENTALE 

s'altérer,  jusqu'à  la  manie  furibonde,  il  n'y  a  eu  que  des 
nuances  de  la  môme  maladie.  Le  commencement  du  dé- 
rangement des  facultés  passe  presque  toujours  inaperçu 
dans  les  familles  :  on  trouve  bien  que  le  caractère  d'un 
individu  est  changé,  qu'il  est  plus  morose,  qu'il  est  plus 
irritable ,  qu'il  n'a  plus  les  mêmes  affections ,  qu'il  a  du 
chagrin ,  etc.  ;  mais  on  ne  pense  pas  que  c'est  le  principe 
d'une  aliénation.  Et  en  attendant  la  maladie  du  cerveau  fait 
des  progrès  ;  et  lorsqu'à  la  fin  l'aliénation  éclate  dans  toutes 
ses  formes,  le  médecin  est  presque  toujours  dans  l'impossi- 
bilité de  la  guérir.  Qu'on  réfléchisse  maintenant  à  l'impor- 
tance de  reconnaître  les  premiers  symptômes  de  cette  af- 
freuse maladie  et  à  la  nécessité  d'avoir  recours  immédiate- 
ment à  un  médecin  intelligent. 

Les  diverses  aliénations  mentales  peuvent  reconnaître  des 
causes  différentes.  Plus  généralement,  elles  dépendent  d'une 
mauvaise  organisation  du  cerveau,  d'une  sorte  de  prédis- 
position que  l'on  apporte  en  naissant,  soit  héréditairement, 
soit  accidentellement.  Quant  aux  cerveaux  bien  organisés, 
les  causes  qui  en  troublent  les  fonctions  sont  les  travaux  de 
l'esprit  prolongés  ou  poussés  au  delà  de  la  puissance  cérébrale 
que  chacun  a,  ou  encore  quand  quelqu'un  se  livre  à  des  oc- 
cupations d'esprit  pour  lesquelles  il  n'est  pas  né.  Pour  les 
tètes  médiocres,  qui  forment  partout  la  très-grande  majorité 
des  humains ,  la  cause  ordinaire  du  dérangement  de  leur 
esprit  est  l'excitation  constante  de  leurs  penchants  et  de  leurs 
sentiments  par  des  impressions  souvent  répétées  qui  leur 
viennent  du  monde  extérieur.  Nous  entendons  parler  ici 
généralement  des  grands  centres  de  civilisation,  c'est-à-dire 
des  capitales  et  des  grandes  villes,  où  la  population  est 
entassée ,  et  où  toutes  les  bonnes  comme  les  mauvaises 
passions  ont  leur  grand  cours.  C'est  donc  l'excitation  à 
toutes  les  passions  qui  est  la  cause  commune  de  leur  alié- 
nation ;  c'est  l'éducation  mal  dirigée,  la  cupidité  d'acquérir, 
la  vanité  des  distinctions,  la  superstition  aveugle  et  l'atroce 
fanatisme  religieux  ou  politique  ;  c'est  l'épuisement  des  fa- 
cultés par  l'abus  de  toutes  les  fonctions  de  la  vie  matérielle; 
finalement,  il  faut  ajouter  les  lésions  de  l'encéphale,  les  ma- 
ladies et  les  malheurs  impré^Tis  qui  arrivent  à  des  per- 
sonnes douées  d'une  trop  grande  sensibilité.  Les  affections 
de  certains  organes  de  la  vie  végétative  peuvent  propager  leur 
irritation  au  cerveau,  et  donner  heu  à  une  aliénation  sym- 
pathique. 

Nous  traiterons  dans  un  autre  article  des  dispositions  né- 
cessaires pour  établir  une, bonne  maison  ou  un  hospice  pour 
les  aliénés ,  ainsi  que  des  moyens  les  plus  propres  pour  les 
guérir.  Nous  avons  visité  et  nous  connaissons  un  très-grand 
nombre  d'établissements  publics  destinés  à  recevoir  des 
aliénés.  Nous  y  avons  trouvé  généralement,  il  faut  en  con- 
venir, des  améliorations  notables  dans  leur  disposition  ma- 
térielle, comparativement  à  ce  qui  existait  autrefois;  mais 
nous  n'avons  pas  eu  à  nous  réjouir  sur  le  traitement  médi- 
cal généralement  suivi  :  presque  partout  les- fausses  doc- 
trines qui  ont  dominé  fatalement  dans  les  écoles  de  mé- 
decine ont  laissé  des  traces  inefl'açables  ;  ailleurs ,  un  grand 
nombre  de  médecins  suivent  la  routine  traditionnelle ,  et 
d'autres,  découragés  par  leurs  efforts  inutiles ,  croient  que 
ne  rien  faire,  c'est  le  meilleur  parti  à  prendre.  Nous  regar- 
dons donc  comme  indispensable  que  le  médecin  destiné 
à  la  cure  des  aliénations  mentales  soit  non-seulement  bon 
praticien  pour  le  traitement  des  maladies  communes ,  mais 
qu'il  connaisse  à  fond  la  physiologie  du  cerseau,  qui  est  la 
seule  bonne  philosophie  propre  à  le  conduire  dans  ce  la- 
byrinthe inextricable  d'idées  métaphysiques  et  d'abstractions 
que  les  mauvaises  écoles  de  philosophie  nous  ont  créées  et 
qui  se  maintiennent  toujours. 

Une  dernière  observation  nous  reste  à  fah'e.  Lorsqu'on 
croit  qu'un  aliéné,  surtout  s'il  aété  atteint  d'une  monomanie , 
est  guéri,  il  faut  s'en  méfier  et  le  surveiller  toujours,  parce 
qu'il  est  sujet  à  des  rechutes  fatales,  D'^  Fossati. 


ALIÉXÉS  (  Droit).  Le  Code,  d'accord  avec  l'Académie, 
ne  ro^arde  comme  aliénés  que  les  personnes  tiui  sont  dans 
un  état  habituel  de  démence,  de  fureur  ou  d'imbécillité.  Les 
aliènes  ne  perdent  leurs  droits  civils  et  politiques  que  par 
l'interdiction;  c'est-à-dire  qu'un  jugement  est  néces- 
saire toutes  les  fois  qu'on  veut  empêcher  quelqu'un  frappé 
d'aliénation  mentale  d'exercer  ses  droits.  Il  est  vrai,  surtout 
lorsqu'il  s'agit  de  donations  entre  vifs  et  par  testaments, 
q\ie  les  tribunaux  peuvent  toujours  annuler  ces  actes  s'il 
est  prouvé  que  le  contractant  n'avait  pas  sa  raison  quand 
ils  ont  été  faits. 

Il  semble  aussi  que,  tant  que  l'interdiction  n'a  pas  été  pro- 
noncée, l'aliéné  ne  devrait  pas  pouvoir  être  séquestré  dans 
une  maison  de  santé  ;  mais  il  n'en  est  rien ,  et  parmi  les 
malheureux  qui  se  trouvent  dans  les  maisons  de  santé,  il 
en  est  fort  peu  dont  l'état  soit  légalement  constaté.  Cela 
tient  à  ce  que  tant  que  l'on  conserve  un  espoir  de  guérison 
on  craint  de  le  faire  évanouir  par  un  procès  dont  l'aliéné 
pourrait  entendre  parler  ;  mais ,  d'un  autre  côté,  cela  peut 
devenir  une  source  d'abus.  Avant  la  loi  du  6  juillet  1838 , 
les  aliénés  étaient  presque  hors  la  loi  commune.  On  prenait 
des  précautions  pour  protéger  les  individus  et  l'ordre  public 
contre  leur  fureur;  mais,  comme  aucune  règle  fixe  n'avait 
été  établie  en  cette  matière  par  le  législateur,  il  arrivait  que 
la  sûreté  publique  n'était  point  suffisamment  garantie,  que 
la  liberté  individuelle  pouvait  être  compromise,  et  que  les 
soins  donnés  aux  malades  n'étaient  point  toujours  conve- 
nables. Depuis  longtemps  on  réclamait  contre  cet  état  de 
choses,  lorsque  le  gouvernement  présenta  un  projet  de  loi 
qui  ne  passa  dans  les  deux  chambres  qu'après  une  foule  de 
modifications  graves ,  tellement  c'était  chose  peu  facile  que 
de  trouver  un  remède  assez  puissant  pour  détruire  un  mal 
si  ancien  et  si  affligeant!  Depuis  la  loi  de  1838  le  sort  des 
malheureux  frappés  d'aliénation  mentale  est  confié  à  une 
sage  surveillance  de  la  part  de  l'autorité  publique.  Cette  loi 
est  éminemment  protectrice  de  la  liberté  individuelle ,  et 
elle  veille  constamment  à  ce  que  nul  individu  ne  puisse , 
sous  prétexte  d'aliénation  mentale,  être  privé  de  la  libre 
disposition  de  sa  personne.  Elle  pouvait  être ,  ainsi  que  l'a 
justement  fait  remarquer  M.  J.-B.  Duverger,  plus  eu  har- 
monie avec  les  dispositions  du  Code  Civil  ;  mais  il  n'en  est 
pas  moins  VTai  qu'elle  a  parfaitement  rempli  les  vœux  qui 
la  demandaient.  Aujourd'hui  les  établissements  destinés  à 
recevoir  et  à  soigner  les  aliénés  sont  surveillés  avec  une 
grande  sévérité,  et  il  n'est  plus  permis  d'y  recevoir  des  per- 
sonnes réputées  atteintes  d'aliénation  mentale  sans  les  ga- 
ranties nécessaires.  Disons  aussi  que  toutes  les  règles  pré- 
vues par  la  loi  précitée  ont  trouvé  un  excellent  commentaire 
dans  l'ordonnance  du  17  avril  1840,  qui,  entre  autres  choses, 
établit  d'une  manière  efficace  la  responsabilité  des  chefs 
ou  directeurs  des  hospices  d'aliénés. 

ALIEXES  (Maisons  et  hospices  d').  Autrefois  les  mal- 
heureux qui  avaient  perdu  la  raison  étaient  séquestrés  dans 
des  prisons  ou  des  hôpitaux ,  et  traités  comme  des  criminels. 
"  Ils  étaient  réduits  à  une  condition  pire  que  celle  des  animaux, 
a  ditEsquirol.  Partout  les  insensés,  nus  ou  couverts  de  hail- 
lons, n'avaient  que  de  la  paille  pour  se'garantir  de  la  froide  hu- 
midité du  pavé  sur  lequel  ils  étaient  étendus.  On  les  a  vus 
grossièrement  nourris,  privés  d'air  pour  respirer,  d'eau  pour 
étancher  leur  soif,  et  croup'issant  dans  l'ordure,  livrés  à  de 
véritables  geôliers.  Enfin  on  les  a  vus  dans  des  réduits  étroits, 
sales ,  infects ,  sans  lumière ,  enchaînés  dans  des  antres 
où  l'on  craindrait  de  renfermer  les  bêles  féroces  que  le  luxe 
des  gouvernements  entretient  à  grands  frais.  Et  l'on  est 
obligé  de  dire  que  ce  tableau  désolant  est  encore  vrai  dans 
beaucoup  de  localités.  Cependant  d'heureux  essais  ont  été 
tentés,  soit  par  les  gouvernements,  soit  par  des  particuliers, 
et  chez  nous  les  établissements  publics  de  la  Salpêtrière,  de 
Charenton ,  de  Bicêtre,  ceux  de  Rouen,  de  Nantes,  du 
Mans,  etc.,  offrent  des  exemples  qui  seront  utilement  imites.  » 

DICT.    DE    LA    CONVF.RS.   —  T.    I. 


ALlÉiNÉS  337 

Tout  ce  qui  a  été  (;\it  pour  améliorer  la  condition  des 
aliénés  et  le  régime  des  établissements  destinés  à  le?  rece- 
voir est  moderne ,  et  l'on  peut  presque  dire  français.  En  des 
temps  de  civilisation  barbare,  encore  peu  éloignés  de  nous, 
la  charité  chrétienne  inspira  des  sentiments  favorables  au 
sort  des  malheureux  atteints  d'aliénation  mentale;  diverses 
maisons  refigieuses  s'ouvrirent  pour  recevoir  plusieurs  de  ces 
infortunés.  Des  pauvres  furent  admis  gratuitement  dans  ces 
maisons,  et,  par  une  compensation  équitable,  les  riches  du- 
rent y  payer  une  pension  quelconque  pour  y  être  renfermés 
jusqu'au  rétablissement  de  leurs  facultés  intellectuelles.  La 
maison  des  frères  de  la  Charité,  dite  de  Saint-Maurice,  à  Cha- 
renton, devint  ainsi  un  pensionnat  de  fous  dès  l'année  16G0, 
Plus  tard ,  et  surtout  après  la  destruction  des  ordres  monas- 
tiques en  France,  diverses  spéculations  particulières  firent 
ouvrir  des  établissements  pour  le  traitement  et  la  séques- 
tration des  fous ,  et  pour  suppléer  les  hôpitaux. 

L'utilité  des  maisons  destinées  à  la  réclusion  et  au  traite- 
ment des  aliénés  est  incontestable.  Que  faire  d'un  fou  dan.s 
une  famille ,  surtout  s'il  est  furieux  ?  Comment  le  contenir 
pour  le  garantir,  lui  et  ceux  qui  l'entourent,  de  ses  déter- 
minations insensées?  Les  soins  que  demande  un  tel  être  sont 
pénibles,  et  exigent  souvent  une  sévérité  à  laquelle  des  pa- 
rents ou  des  amis  ne  peuvent  se  résoudre;  d'ailleurs,  il 
convient  communément  pour  cet  état  de  changer  ses  habi- 
tudes ;  en  un  mot ,  il  faut  un  local  approprié  à  cette  desti- 
nation. 

Les  issues  de  ces  maisons  ne  devant  pas  être  franchies  sans 
permission ,  elles  ont  plus  ou  moins  l'aspect  d'une  prison  ; 
dans  quelques-unes,  cette  apparence  est  déguisée  au  dedans, 
et  les  reclus  y  jouissent  d'une  liberté  proportionnée  à  leur 
état  mental.  Ceux  qui  sont  frappés  de  démence  et  de  fureur 
sont  isolés ,  renfermés  et  contenus  de  manière  à  être  maî- 
trisés sans  douleur.  Ceux,  au  contraire,  chez  lesquels  la  per- 
version de  l'intelligence  n'est  que  partielle  ou  sans  danger, 
jouissent  d'une  liberté  suffisante,  et  trouvent  des  distrac- 
tions dans  divers  jeux,  dans  la  lecture,  la  musique,  etc. 
Tout  enfin  est  coordonné  dans  un  but  médical  et  philanthro- 
pique. L'expérience  a  démontré  l'efQcacité  du  régime  de  ces 
maisons.  Un  certain  nombre  d'individus  y  ont  recouvré  la 
raison,  et  ceux  qui  n'ont  pu  guérir  y  ont  aji  moins  trouvé 
Tasile  le  plus  convenable  à  leur  situation.  Dans  les  cas  de 
récidive,  il  n'est  pas  rare  de  voir  les  personnes  qui  pressen- 
tent le  retour  de  l'aberration  de  leurs  facultés  intellectuelles 
s'acheminer  d'elles-mêmes  vers  un  lieu  dont  elles  ont  pu 
apprécier  les  avantages. 

«  Ces  établissements,  dit  Esquirol,  sont  des  instruments 
de  guérison,  et  entre  les  mains  d'un  médecin  habile  c'est 
l'agent  thérapeutique  le  plus  puissant  contre  les  maladies 
mentales.  Tout  y  est  à  considérer  :  situation ,  construction , 
distribution  intérieure ,  mobilier,  comme  aussi  les  employés 
et  serviteurs  qui  y  sont  attachés  et  les  chefs  qui  les  diri- 
gent. 

«  Un  asile  destiné  aux  aliénés,  ajoute  ce  savant  praticien, 
doit  être  situé  hors  des  villes ,  tant  par  des  considérations 
économiques  de  premier  établissement  et  d'entretien  que 
par  les  conditions  avantageuses  de  salubrité ,  d'étendue  et 
d'isolement  qu'il  peut  alors  réunir.  Les  constructions  pré- 
senteront un  bâtiment  central  pour  les  services  généraux 
et  le  logement  des  fonctionnaires,  puis,  sur  les  côtés,  des 
masses  isolées  pour  loger  les  malades,  en  séparant  les 
sexes  et  les  diverses  variétés  de  folie.  Chacun  de  ces  bâti- 
ments renfermera  une  cour  entourée  de  galeries;  le  troi- 
sième côté  sera  disposé  pour  les  salles  de  réunion ,  réfec- 
toires, etc.;  le  quatrième,  fermé  par  une  grille,  donnera 
sur  la  campagne  ;  la  cour  sera  plantée  avec  une  fontaine  au 
milieu.  Des  calorifères  seront  établis  pour  maintenir  partout 
une  bonne  températiu'e  et  servir  en  même  temps  au  lenou- 
vcllement  de  l'air.  Au  centre  de  ces  bâtiments  séparés  s'en 
élèveiont  d'auties,  isolés  aussi  entre  eux,  pour  les  ateliers, 

43 


ALIÉNÉS  —  ÂÎ.IGNY 


838 

les  salles  de  bains,  douches,  fumigations,  infirmeries,  etc. 
Les  habitations  des  malades  bruyants  ou  malpropres  seront 
disposées  de  manière  à  ce  qu'ils  ne  puissent  causer  aucune 
incommodité  aux  autres  malades,  et  surtout  aux  convales- 
cents ,  qui  ont  besoin  d'un  calme  parfait.  Chacune  des  cel- 
lules doit  être  également  adaptée  à  de  certaines  exigences. 
Il  faudra  daller  en  pierres  et  incliner  celles  des  aliénés  qui 
salissent,  planchéier  les  autres.  Celles  des  malades  atteints 
de  monomanie  suicide  seront  dépourvues  de  tout  ce  qui  peut 
les  aider  dans  Taccomplissement  de  leur  dessein,  et  garnies 
de  coussins  propres  à  amortir  les  chocs.  Les  rez-de-chaussée 
sont  préférables  sous  le  tni)le  rapport  du  service ,  de  la 
siuveilkmcc  et  de  la  promenade.  Quant  au  bâtiment  des 
convalescents ,  il  doit  se  rapprocher,  autant  que  possible, 
d'une  maison  ordinaire,  que  l'on  s'efforcera  de  rendre 
agréable  et  commode. 

.c  Le  ni'.tériel  consiste  en  hts ,  qu'il  faut  adapter  aux  be- 
soins des  diverses  classes  de  malades  ;  solides  et  garnis  de 
fournitures  faciles  à  renouveler  pour  ceux  qui  sont  furieux 
ou  qui  salissent ,  ils  peuvent  être  semblables  à  ceux  dont 
on  se  sert  d'ordinaire  pour  les  malades  paisibles  ;  le  linge 
de  corps  et  de  lit  doit  être  solide  et  fréquemment  renou- 
velé. Que  les  moyens  de  chauffage  soient  organisés  de  ma- 
nière à  être  efficaces  et  à  prévenir  les  abus  et  les  dangers  ; 
que  des  ateliers  soient  ouverts.  Le  travail,  qui  est  l'ordre, 
est  un  puissant  moyen  de  distraction ,  et  partant  de  guéri- 
son;  mais  aucun  n'est  préférable  au  travail  des  champs, 
qui  réunit  l'exercice  corporel  à  la  diversion  intellectuelle. 
On  en  a  tiré  un  grand  parti,  de  même  que  de  i'équitation 
et  des  exercices  gymnastiques. 

«  Le  régime  doit  être  abondant  et  salubre;  la  propreté 
dans  le  service  est  nécessaire ,  de  môme  que  la  régularité 
dans  la  distribution  des  aliments.  Il  convient  de  faire  manger 
en  communauté  tous  les  aliénés  chez  lesquels  rien  ne  s'op- 
pose à  cette  mesure. 

«  Le  personnel  se  divise  naturellement  en  administratif 
et  en  curatif,  s'il  est  permis  de  s'exprimer  ainsi  :  c'est  le 
second  qui  doit  prédominer,  représenté  par  le  médecin.  Ce- 
lui-ci doit  non-seulement  diiiger  tout  ce  qui  concerne  le  trai- 
tement ,  mais  encore  il  doit  s'entendre  avec  les  autres  chefs 
de  l'établissement,  afin  que  toutes  les  parties  du  service 
concourent  au  même  but.  Les  surveillants  et  surveillantes, 
qu'ils  appartiennent  ou  non  à  des  communautés  religieuses, 
doivent  seconder  le  médecin  et  entrer  dans  ses  vues  par  l'ac- 
tivité, la  bienveillance  et  la  fermeté.  Les  infirmiers,  dont  le 
nombre  doit  être  beaucoup  plus  grand  pour  les  aliénés  que 
pour  les  autres  malades ,  devraient  avoir  les  mômes  qualités 
que  les  surveillants ,  mais  il  est  bien  difficile  d'en  trouver  de 
semblables  :  aussi  la  surveillance  qu'on  exerce  sur  eux  doit- 
elle  être  de  tous  les  instants ,  puisqu'ils  sont  constamment 
en  contact  avec  les  malades. 

«  Qui  oserait  proposer  aujourd'hui  l'usage  des  chaînes  et 
des  moyens  de  contrainte  violents  qui  ont  produit  de  si  fu- 
nestes effets?  La  camisole  de  force,  et  surtout  la  présence 
de  personnes  intelligentes  et  robustes  qui  maintiennent  le 
malade  dans  les  moments  de  fureur,  sont  toujours  suffi- 
santes ;  et  encore  ces  moyens  de  résistance  doivent  être  or- 
donnés et  surveillés  par  le  médecin.  La  multitude  d'appa- 
reils inventés  pour  maintenir  ou  réduire  les  aliénés  fait  voir 
qu'en  général  on  s'est  trompé  sur  la  nature  de  la  maladie  et 
sur  le  traitement  qui  lui  convient.  » 

Parmi  les  établissements  d'aliénés  célèbres,  nous  citerons 
Charenton,  Bicêtre,  la  Salpêtrière,  en  France; 
Bedlam,  en  Angleterre;  la  Charité,  à  Berlin;  l'hospice 
d'Aversa,  près  de  Naples;  la  maison  d'.\vanches,  près  de 
Lausanne;  la  colonie  d'aliénés  à  Gheel,  près  d'Anvers.  Cette 
colonie,  invention  de  la  philanthropie  moderne,  offre  cela 
de  remarquable,  que  ses  aliénés,  au  nombre  de  quatre  cents 
à  cinq  cents,  sont  distribués  chez  les  habitants,  qui  en 
prennent  soin  eux-mêmes.  On  dit  que,  grâce  à  ces  .soins  et 


à  l'apparence  de  liberté  dont  jouissent  les  malades,  beau- 
coup recouvrent  la  raison. 

ALIES.  Fête  qui  se  célébrait  à  Rhodes ,  en  l'honneur 
du  soleil,  le  24  du  mois  gorpiœus,  le  boédromion  des  Athé- 
niens (septembre).  Les  jeunes  gens  s'y  livraient  des  com- 
bats ;  le  Vainqueur  recevait  une  couronne  de  peupher.  Il  y 
avait  aussi  des  concours  de  musique. 
ALIGIIIERI.  Vorjcz  Dame. 

ALIGiVAN  (  Benoît  ) ,  savant  moine  du  treizième  siècle, 
entra  jeune  encore  dans  un  monastère  de  l'ordre  de  Saint- 
Benoît,  et  y  prononça  ses  vœux.  Nommé  évêque  de  Mar- 
seille en  1250,  par  la  mère  de  saint  Louis,  alors  régente,  des 
dégoûts  qu'il  éprouva  dans  l'administration  de  son  diocèse 
l'engagèrent,  en  1239,  à  accompagner  en  Palestine  Thibaut, 
comte  de  Champagne  et  roi  de  iS'avarre.  Dans  cette  croi- 
sade, il  eut  occasion  de  rendre  de  grands  services  à  la  cause 
des  chrétiens.  Revenu  en  Europe  en  1242,  il  assista  succes- 
sivement, en  1245  au  concile  de  Lyon,  et  en  1248  à  celui 
de  Valence;  il  alla  ensuite  rejoindre  saint  Louis  en  Terre 
Sainte,  d'où  il  revint  encore  en  Europe  en  1264,  prêcher  une 
nouvelle  croisade  par  ordre  du  pape  Alexandre  IV.  Il  mou  - 
rut  en  1268.  On  a  de  lui  quelques  écrits  théologiques  que 
d'.\chery  a  insérés  dans  son  célèbre  Spicileghan. 

ALIGIVEMENT,  disposition  de  plusieurs  objets  sur 
une  même  hgne  droite.  Presque  partout  les  voies  publiques 
se  sont  formées  au  hasard  ;  puis,  avec  l'accroissement  de  la 
population,  qui  a  amené  une  augmentation  dans  la  circula- 
tion, sont  survenues  des  nécessités  nouvelles  dans  un  in- 
térêt de  sécurité  et  de  salubrité;  et  la  législation  a  dû  alors 
prescrire  partout  un  système  à^élargissement  et  (Talig^ie- 
ment  de  la  voie  publique.  —  En  France,  tout  ce  qui  re- 
garde Valirjnement  est  confié  à  des  agents  spéciaux,  appelés 
votjers,  qui  seuls  peuvent  autoriser  l'élévation  de  construc- 
tions nouvelles,  et  qui  ont  soin  de  tenir  la  main  à  ce  que  les 
entrepreneurs  se  conforment  aux  alignements  préalablement 
arrêtés  par  les  autorités,  à  l'effet  de  redresser  les  rues  exis- 
tantes, rues  dont  les  constructions  anciennes  décrivaient 
des  lignes  irrégulières,  et  où  l'alignement  se  rétablit  au  fur 
et  à  mesure  que  les  maisons,  en  vieillissant,  deviennent  su- 
jettes à  démolition  et  à  reconstruction.  Les  propriétaires 
do)it  l'on  abat  ou  l'on  recule  les  maisons  faisant  saillie  sur  la 
voie  publique,  par  suite  du  plan  d'alignement  discuté  et 
adopté  en  conseil  municipal,  ont  droit  à  une  indemnité  dont 
les  proportions  sont  fixées  par  la  loi.  —  Le  mot  alignement 
appartient  aussi  au  langage  de  la  tactique  militaire  :  un  of- 
ficier aligne  des  troupes.  La  manœuvre  par  laquelle  on  ar- 
rive à  disposer  et  mettre  un  certain  nombre  d'hommes  sur 
une  même  ligne  droite  passait  autrefois  pour  une  des  plus 
difficiles.  Aujourd'hui  le  dernier  sons-offic;er  la  dirige  tout 
au?si  bien  que  pourrait  faire  l'officier  le  plus  expérimenté.  — 
En  astronomie,  la  mcthode  des  alignements  facilite  singu- 
lièrement l'usage  du  globe  céleste,  et  consiste  à  déterminer 
la  position  des  étoiles  au  moyen  de  lignes  que  l'on  imagine 
passer  par  d'autres  étoiles  connuas.  Ainsi,  par  exemple,  l'é- 
toile polaire,  qui  occupe  à  peu  près  le  pôle  nord  de  l'axe 
autour  duquel  la  terre  opère  son  mouvement  diurne,  est  sen- 
siblement dans  le  prolongement  d'une  ligne  droite  que  l'on 
imagine  projetée  sur  la  voûte  céleste,  en  passant  par  les 
deux  gardes  de  la  Grande-Ourse  ou  du  Chariot  de  David. 
ALIGXEMEXTS.  Voyez  DniimoiEs  (  Monuments  ). 
ALIGXY  (FÉux-TnÉODORECARUELLE),  peintre  de 
paysage,  né  le  24  janvier  1798,  à  Chaumes  (  Nièvre  ),  eut 
pour  maîtres  Regnault  et  Watelet  ;  mais,  dans  la  manière 
originale  qu'il  a  su  se  faire,  il  reste  peu  de  traces  des  leçons 
qu'il  a  pu  prendre  chez  ces  doyens  de  l'école  académique. 
Il  débuta  jeune  dans  les  arts;  et  dès  1822  il  exposa  Daphnis 
et  C/iloé,  paysage  historique,  où  les  figures  ne  sei-vaient 
que  de  prétexte  aux  magnificences  de  la  nature  grecque. 
Depuis  l'année  IS'^7,  où  M.  Aligny  envoya  au  salon  Saiil 
et  la  Pijtfionisse  d'Endor,  il  est  peu  d'expositions  où  il'n'ait 


ALIGNY  —  ALLNjE.NTS 


339 


niontrô  de>  prouves  (run  taler.t  queliiucfois  sans  clianno, 
mais  toujours  distingué.  On  roniarqua  surtout  le  ^fassac^•e 
des  Druides  {\szi),  les  Carrières  de  Fontainebleau  (1S33), 
Promethée  (1837) ,  la  Campagne  de  Rome  (  1S39),  la  Vue 
de  Capri  (isil),  le  Bon  Samaritain  (1S44),  JSacc/ius  en- 
fant (1848)  et  la  Solitude  (1S51).  L'exécution  pénible  et 
un  ixni  froide  de  M.  Aligny  no  se  prête  point  à  la  peinture 
de  décor  :  aussi  a-t-on  regardé  comme  des  tentatives  mal- 
heiHOUses  les  deux  grands  panneaux  qu'il  a  peints  pour  un 
appartement,  la  Cfiasse  et  les  Fruits  (  1S48).  M.  Aligny, 
dont  la  précision  est  souvent  voisine  de  la  sécheresse ,  dc- 
Tait  réussir  davantage  dans  la  gravure  ;  et  il  exposa  ,  en 
1846,  huit  remarquaMes  eaux-fortes,  feuilles  détachées  d'un 
recueil  qu'il  a  publié  à  la  suite  d'un  voyage  en  Grèce.  Ces 
gravures  reproduisent  avec  exactitude ,  mais  sans  effet  et 
sans  poésie ,  l'aspect  des  ruines  antiques  et  des  campagnes 
athéniennes.  La  dernière  œuvre  importante  de  M.  Aligny, 
et  celle  peut-être  qui  nous  initie  le  mieux  à  ses  mérites 
comme  à  ses  défauts,  c'est  la  chapelle  des  fonts  baptis- 
mauxqu'il  a  peinte  à  l'église  Saint-Etienne  du  Monl  (1851). 
11  semble  que  ->L  Aligny  n'ait  jamais  regardé  la  nature,  tant  il 
s'étudie  à  remplacer  son  charme  pittoresque  par  la  froide 
combinaison  des  lignes  et  des  plans,  tant  il  préfère  le  style  à 
la  vérité,  à  la  couleur,  à  la  lumière.  M.  Aligny  est  d'ailleirs 
un  artiste  d'une  volonté  intelligente  et  forte  :  il  s'isole  dans  sa 
personnalité  ;  et  s'il  n'a  point  eu  de  maître ,  il  ne  laissera 
point  d'élèves. 

ALIGRE  (Famille  d').  Etienne  d'Aligre,  garde  des 
sceaux  et  chancelier  de  France  sous  Louis  XIII,  était  issu 
d'une  famille  de  la  bourgeoisie  de  la  ville  de  Chartres.  Il 
fut  d'abord  conseiller  au  grand-conseil  et  intendant  de  Charles 
de  Bourbon,  comte  de  Soissons,  qui  le  nomma  tuteur  ho- 
noraire de  son  fils.  La  réputation  qu'il  s'était  acquise  par 
ses  lumières  et  son  intégrité  le  fireiit  appeler  au  conseil 
d'État  par  le  roi  Louis  XllI.  Le  marquis  de  la  Vieuville , 
étant  parvenu  à  nuire  dans  l'esprit  de  ce  prince  au  vieux 
chancelier  de  Sillery ,  fit  donner  les  sceaux  à  Etienne  d'A- 
ligre ,  sa  créature,  et  lui  assura  quelque  temps  après  l'hé- 
ritage de  Sillery,  qui  venait  de  mourir.  Le  nouveau  chan- 
celier s'attira  la  haine  de  Gaston  d'Orléans,  par  l'arrestation 
et  la  captivité  du  maréchal  d'Ornano ,  ancien  gouverneur 
du  prince.  Des  intrigues  de  cour  lui  tirent  ôter  les  sceaux 
en  1626 ,  avec  ordre  de  se  retirer  à  sa  terre  de  la  Rivière, 
au  Perche.  Il  y  mourut    en  163.j. 

Etienne  d'Aligre  ,  fils  du  précédent,  né  en  1592,  fut  in- 
tendant en  Languedoc  et  en  Normandie ,  ambassadeur  à 
Venise,  directeur  des  finances,  doyen  des  conseillers  d'État, 
garde  des  sceaux  en  1672,  et,  deux  ans  après,  chancelier 
de  France;  dignité  dont  il  jouit  jusqu'à  sa  mort,  en  1677. 

Etienne-François  d'Aligre,  quatrième  descendant  du 
chancelier  qui  précède,  était  président  à  mortier  en  1763, 
lorsque  Louis  XV,  à  l'instigation  de  Laverdy,  lui  conféra  la 
place  éminente  de  premier  président  du  parlement  de  Paria. 
Dans  le  cours  des  deux  années  qui  précédèrent  la  révolution, 
il  adressa,  à  la  tête  de  son  corjis,  plusieurs  remontrances 
énergiques  contre  les  impôts  et  contre  les  opérations  hasar- 
deuses du  ministre  îs'ecker.  Il  se  lit  surtout  remarquer  alors 
par  son  énergiqvie  opposition  à  la  convocation  des  élats  gé- 
néraux. Le  rôle  qu'il  joua  dans  ces  circonstances  décisives 
était  trop  évident  pour  ne  point  le  compromettre  avec  l'o- 
pinion publique.  Dénoncé  pour  ce  fait  à  la  municipalité, 
puis  arrêté ,  il  faillit  périr  dans  les  premières  commotions 
populaires  dont  furent  victimes  MM.  deBerthier,  Foulon,  etc. 
Échappé  connue  par  miracle  à  ce  danger,  il  ne  s'occupa 
plus  que  des  moyens  de  quitter  la  France,  réalisa  la  plus 
grande  partie  de  ses  propriétés ,  et  gagna  d'abord  les  Pays- 
Bas,  où  il  passa  quelque  temps  à  Bruxelles  ;  puis  il  se  retira 
en  Angleterre,  où  il  n'avait  pas  moins  de  quatre  miliioiis 
et  demi  placés  sur  la  banque  de  Londres.  Une  fois  qu'il  eut 
quitté  la  l'rance,  le  premier  président  d'Aligre  ne  se  lit  plus 


remarquer  que  par  son  extrême  avarice ,  jointe  h.  une  cupi- 
dité sans  bornes,  qui  le  porta  à  se  jeter  dans  les  plus  basses 
spéculations.  Si  son  caractère  y  perdit,  en  revanche  sa 
fortune,  grossie  par  l'accunuilation  des  intérêts  et  par  de 
honteux  bénéfices,  se  tripla.  On  cite  de  son  avarice  ce  trait 
assez  piquant.  Quelqu'un  parmi  les  émigrés  venait-il  faire 
appel  à  sa  bourse  en  invoquant  de  vieux  souvenirs  d'amitié, 
le  premier  président  ne  manquait  jamais  de  lui  faire  le  plus 
souriant  accueil,  et  prenait  note  devant  lui  de  son  nom  et 
de  la  quotité  de  sa  demande;  puis  il  le  remettait  au  len- 
demain. Quand  l'emprunteur ,  exact  au  rendez-vous,  se  re- 
présentait devant  lui,  M.  d'^Vligre  lui  montrait  un  registre  con- 
tenant, disait-il,  la  note  de  toutes  lés  demandes  semblables 
qu'il  avait  reçues  :  «  Le  total  actuel  de  ces  demandes,  ajou- 
'<  tait-il,  s'élève  à  plusieurs  millions;  jugez  où  j'en  serais 
«  si  je  les  avais  accueillies  !  »  Puis  il  le  saluait  et  le  congé- 
diait. Ce  mauvais  riche  mourut  à  Brunswick,  en  1798,  lais- 
sant des  sommes  immenses  prudemment  disséminées  dans 
les  différentes  banques  de  l'Europe. 

Etienne  ,  marquis  d'Aligre,  fils  unique  du  précédent , 
et  dernier  rejeton  mâle  de  sa  famille,  naquit  à  Paris ,  îe 
20  février  1770.  Il  fut  créé  pair  de  France  le  17  août  1815. 
Rentré  en  France  en  1799,  il  employa  en  achats  d'immeubles  • 
les  capitaux  énormes  que  lui  avait  laissés  son  père,  et  il 
accepta  les  fonctions  de  chambellan  à  la  cour  de  Pauline 
Bonaparte.  S'il  n'était  pas  le  plus  riche  propriétaire  foncier 
de  la  France,  il  passait  tout  au  moins  pour  en  être  le  plus 
prudent  et  le  plus  économe.  Comme  il  n'eut  de  mademoiselle 
Aglaé  dePontcarré,  sa  femme,  morte  en  1843,  qu'une  fille, 
mariée  au  marquis  de  Pommereu,  il  obtint,  par  une  ordon- 
nance du  21  décembre  1825,  que  ses  rang,  titre  et  qualité 
seraient  transmis  au  fils  né  de  cette  union  et  à  ses  descen- 
dants en  ligne  directe  et  masculine.  Le  comte  de  Pommereu 
joignit  dès  lors  à  son  nom  celui  d'Aligre,  qu'il  est  appelé  à 
relever.  Le  marquis  d'Aligre  est  mort  en  mai  1847,  laissant 
une  fortune  évaluée  à  soixante  et  quelques  millions  ;  son  tes- 
tament ôtait  à  sa  fille  bien-aimée  Xoni  ce  que  la  loi  lui  per- 
mettait de  lui  ôter,  c'est-à-dire  la  moitié  de  ses  biens.  H  a 
institué  pour  légataires  du  reste  trois  parents  éloignés,  qu'il  ne 
voyait  pas.  Il  a  légué  cinq  millions  pour  les  diverses  commu- 
nes sur  le  territoire  desquelles  se  trouvaient  situées  ses  pro- 
priétés. Les  femmes  de  l'Opéra  n'étaient  pas  oubliées  sur  le 
testament  du  marquis,  qui  avait  la  singulière  manie  de  cacher 
dans  quelques-uns  de  ses  châteaux  des  lingots  d'or  d'une 
valeur  considérable  ;  quatre  de  ces  lingots,  qu'on  a  retrouvés, 
ont  été  portés  à  l'inventaire  pour  une  valeur  d'un  million. 

ALIMEIVTS  (  Wjrjiène  et  Physiologie  ),  de  alere, 
nourrir.  On  donne  ce  nom  aux  différents  corps  de  la  nature 
dont  l'homme  tire  sa  subsistance ,  et  qui  lui  procurent  les 
matériaux  propres  à  son  développement  et  à  sa  nutrition. 
Des  trois  règnes  de  la  nature ,  il  n'en  est  que  deux  qui 
fournissent  des  aliments  à  l'homme  ;  ce  sont  les  végétaux 
et  les  animaux  :  cpiant  aux  minéraux ,  ils  ne  lui  présentent 
que  des  condiments  et  des  médicaments.  —  Les  aliments 
peuvent  être  définis  :  des  substances  susceptibles  d'être  digé- 
rées et  servant  à  nourrir.  Ils  diffèrent  des  médicaments  en 
ce  que  ceux-ci  affectent  l'estomac  et  les  intosîins ,  sans  en 
être  eux-mêmes  attaqués ,  sans  être  digérés.  —  Plusieurs 
classifications  ont  été  proposées  pour  l'étude  des  aliments  ; 
la  plus  sinqjle  et  la  plus  pratique  est  celle  qui  distingue  les 
substances  alimentaires  en  végétales  et  animales,  et  qui , 
dans  chacune  de  ces  deux  grandes  divisions,  forme  des  grou- 
pes fondés  sur  les  principes  immédiats  (p'.i  y  prédominent  : 
ainsi  dans  les  aliments  végétaux  se  tiouvcnt  les  groupes 
suivants  :  1°  aliments  sucrés,  2°  aliments  amylacés, 
3"  aliments  mucilagincux,  4°  aliments  huileux;  tandis  que 
dans  les  substances  alimentaires  animales  se  rangent,  1"  les 
aliments  librincux,  2"  les  aliments  gélatineux,  3"  les  aliments 
j  alhumineux ,  4"  les  ali;r,enfs  gras ,  6°  les  aliments  butyro- 
caséeux    et  casécux.  Dans  la   classification  adoptée  par 

43. 


uo 


ALIMENTS 


M.  Milne-Edwards,  les  aliments  sont  considérés  sous  le  rap- 
port :  1"  des  éléments  qui  les  constituent,  2°  des  combinai- 
sons les  plus  simples  qui  les  composent,  et  quïl  appelle  prin- 
cipes alimentaires  ;  3"  de  la  combinaison  des  principes  entre 
eux  pour  former  les  aliments  que  la  nature  nous  présente 
et  qu'il  désigne  par  le  nom  d'a//7;ic;i/s  composés.  Les  élé- 
ments qui  entrent  dans  la  composition  des  substances  ali- 
mentaires sont  l'oxygène,  l'iiydrogèue ,  le  carbone,  l'azote, 
le  pliosphore,  le  chlore,  le  soufre,  le  potassium,  le  sodium, 
le  calcium,  le  magnésium,  le  silicium,  le  fer,  le  manga- 
nèse, etc.;  les  quatre  premiers  s'y  trouvent  en  grande 
proportion,  les  autres  n'y  sont  qu'en  petites  quantités  :  tous 
ces  éléments  peuvent  former  des  combinaisons  binaires,  ter- 
naires, quaternaires.  Les  corps  ternaires  sont  formés  d'oxy- 
gène ,  d'hydrogène  et  de  carbone  ;  les  quaternaires  contien- 
nent ces  mômes  éléments  unis  à  l'azote.  Parmi  les  corps 
triples  qui  peuvent  servir  d'aliments  ou  qui  entrent  dans 
leur  composition ,  se  trouvent  les  acides  organiques ,  les 
amers ,  l'alcool ,  les  huiles  essentielles ,  les  résines  et  les 
corps  gras.  Sous  le  nom  de  principes  neutres ,  M.  Milne- 
Edwards  désigne  les  corps  triples  suivants  :  le  sucre,  la 
gomme ,  le  ligneux ,  la  fécule ,  la  lichnine  et  l'énulinc. 
Quant  aux  principes  quaternaires,  ils  se  trouvent  en  abon- 
dance dans  le  règne  animal ,  et  en  moins  grande  quantité 
dans  le  règne  végétal;  ce  sont  ;  la  fibrine,  l'albumine,  la 
matière  colorante  du  sang,  la  gélatine  et  le  caséum.  Les 
aliments  composés  sont  tirés  du  règne  animal  ou  du  règne 
végétal  ;  les  premiers  sont  la  chair  des  animaux ,  leur  sang 
et  leur  lait;  les  second»»  sont  les  tiges,  les  feuilles,  les 
fleurs ,  les  fruits  et  les  racines. 

L'introduction  des  aliments  dans  les  cavités  digestives 
ayant  pour  but  la  formation  d'un  fluide  assimilable  ,  on  con- 
çoit que  les  substances  animales  qui  se  rapprochent  le  plus 
de  la  nature  de  nos  propres  tissus  devront  jouir  de  cette 
propriété  à  un  plus  haut  degré  que  les  substances  végétales, 
qui  s'en  éloignent  davantage  :  c'est  ce  qui  a  lieu  en  effet;  car, 
à  poids  égaux ,  les  matières  animales  nourrissent  mieux  que 
les  végétales;  seulement  on  peut  dire  que  ces  dernières 
sont  moins  stimulantes  que  les  premières.  Aussi,  lorsqu'un 
malade  se  trouve  dans  les  conditions  de  pouvoir  prendre 
des  aliments  solides ,  son  estomac  est  moins  fatigué  de 
l'usage  d'une  petite  quantité  de  viande  maigre,  comme  celle 
du  mouton ,  par  exemple ,  que  d'une  quantité  de  légumes 
qui  renferme  la  même  proportion  de  matière  alimentaire. 
On  doit  remarquer  qu'il  ne  suffit  pas  que  les  matériaux 
alimentaires  soient  assimilables;  il  faut  encore  que  le  peu 
de  cohésion  de  leur  tissu ,  leur  mollesse ,  les  rendent  faci- 
lement accessibles  aux  puissances  digestives  et  aux  fluides 
qui  doivent  les  pénétrer  pour  les  transformer  en  chyme  et 
en  chyle.  Aussi  plus  l'aliment  sera  tendre  et  facile  à  diviser, 
plus  les  sucs  gastriques  auront  de  prise  sur  lui,  et  plus  fa- 
cilement il  sera  digéré.  On  sait  maintenant,  d'après  des  ob- 
senations  directes  et  positives,  que  les  aliments  les  plus  di- 
gestibles pour  l'homme  sont  :  la  chair  de  veau ,  d'agneau 
et  de  volaille ,  les  œufs  frais  à  moitié  cuits ,  le  lait  de  vache, 
la  plupart  des  poissons  cuits  à  l'eau,  sans  autre  assaison- 
nement que  le  sel  et  le  persil,  quelques  poissons  à  l'huile 
ou  frits;  et  parmi  les  végétaux,  les  jeunes  asperges,  les  arti- 
chauts ,  la  pulpe  cuite  des  fraits  à  noyau  ou  à  pépins  ;  le 
pain,  le  lendemain  de  sa  cuisson,  mais  surtout  le  pain  salé,  et 
principalement  encore  le  pain  blanc;  le  riz,  la  gomme  pure, 
les  salsifis,  les  navets,  les  ponmies  de  terre  nouvelles,  etc.  Il 
faut,  au  contraire,  ranger  parmi  les  aliments  les  plus  in- 
dig&stes  :  la  chair  de  porc  et  de  .sanglier,  les  œufs  durs, 
les  salades ,  les  carottes  ,  les  assaisonnements  au  vinaigre, 
le  pain  lendre,  la  pâtisserie,  les  choux,  les  parties  tendi- 
neuses des  Viandes,  la  graisse,  le  blanc  d'œuf  quand  il  est 
concret,  les  morilles,  les  champignons,  les  truffes,  les 
pois,  les  haricots,  les  lentilles,  les  noix,  les  amandes,  les 
olives,  le  cacao,  les  raisins  secs,  etc. 


ALIMEIVTS  (Droit).  On  nomme  aliments  ce  qui  est 
nécessaire  à  la  nourriture  et  à  l'entretien  d'une  personne. 
La  valeur  qui  représente  les  aliments  est  essentiellement 
variable,  suivant  la  position  et  les  besoins  de  la  personne 
(pii  les  reçoit  et  les  facultés  de  celle  qui  les  doit.  C'est  aux 
tribunaux  qu'il  appartient  d'apprécier  toutes  ces  circons- 
tances ,  de  décider  si  la  pension  alimentaire  demandée  est 
vraiment  nécessaire,  et  d'en  régler  la  nature.  —  L'obliga- 
tion de  payer  des  aliments  dérive  principalement  de  la  nais- 
sance et  du  mariage;  elle  naît  aussi  de  services  rendus; 
quelquefois  elle  est  la  conséquence  d'un  fait  accidentel  ; 
dans  d'autres  cas ,  enfin ,  elle  est  purement  volontaire  ,  et 
c'est  alors  un  contrat  de  bienfaisance. 

Tout  individu,  à  .sa  naissance,  a  droit  à  des  aliments 
qui  doivent  lui  être  fournis  par  ses  parents  jusqu'à  ce  qu'il 
soit  lui-même  en  état  de  subvenir  à  ses  besoins  ;  ce  qui  lui 
permet  bientôt  à  son  tour  d'acquitter  la  dette  qu'il  a  con- 
tractée, en  rendant  à  ses  parents ,  dans  leur  vieillesse,  par 
une  juste  réciprocité,  les  soins  qu'il  a  reçus  d'eux  dans  son 
enfance.  Dans  l'ordre  civil,  cette  obligation  à  l'égard  des  en- 
fants est  restreinte  aux  ascendants  légitimes;  elle  ne  s'étend 
plus,  comme  autrefois  dans  quelques  provinces,  aux 
frères  et  sœurs,  oncles  et  tantes.  A  l'enfant  naturel  les  ali- 
ments ne  sont  dus  que  par  le  père  ou  la  mère  qui  l'ont  re- 
connu légalement,  et  les  enfants  incestueux  et  adultérins 
ont  également  droit  à  des  aliments  contre  leur  mère,  et 
môme  contre  leur  père  lorsqu'il  peut  être  désigné  par  la 
justice,  dans  des  circonstances  assez  rares.  Le  même  droit  à 
une  pension  alimentaire  existe  au  profit  des  enfants  aban- 
donnés ;  mais  comme  alors  il  ne  se  trouve  personne  qui 
puisse  être  spécialement  tenu  de  l'acquitter,  la  charge  retombe 
nécessairement  sur  la  société  tout  entiire ,  c'est-à-dire  sur 
l'Étal.  Lors  donc  que  le  législateur  a  prescrit  que  dans  chaque 
commune  il  fût  fait  les  fonds  nécessaires  pour  nourrir 
et  élever  les  enfants  abandonnés,  ce  n'est  pomt  un  acte 
de  pure  bienfaisance  qu'il  a  voulu  imposer,  mais  une  dette 
sacrée  qu'il  a  rappelée  au  pays. 

En  principe ,  l'obligation  de  fournir  des  aliments  est  cor- 
rélati\e  :  d'où  il  suit  que  les  enfants  doivent  eux-mêmes  des 
aliments  à  leurs  père  et  mère  et  à  leurs  autres  ascendants, 
et  qu'en  général  l'on  est  tenu  de  donner  des  aliments  à  tous 
ceux  dont  on  en  aurait  pu  exiger ,  sauf  le  cas  où  les  aliments 
ne  sont  accordés  par  justice  qu'à  titre  de  peine.  —  Par  le 
mariage,  les  époux,  outre  l'obligation  qu'ils  contractent  en- 
vers les  enfants  qui  doivent  naître  de  leur  union ,  s'engagent 
à  se  fournir  mutuellement  des  aliments.  Le  ir.ariage  a  éga- 
lement pour  effet  d'assurer  au  gendre  et  à  la  belle-fille  des 
aliments  contre  leur  beau-père  ou  belle-mère,  comme  à  ceux- 
ci  contre  leur  gendre  et  leur  fille  ;  mais  ,  comme  il  ne  s'agit 
ici  que  d'un  lien  civil ,  l'obligation  cesse  à  la  dissolution  du 
mariage  lorsqu'il  n'en  existe  pas  d'enfants,  ou  lorsque  après 
cette  dissolution  avec  enfants,  la  belle-fille,  devenue  veuve, 
convole  à  de  secondes  noces.  — Des  services  rendus  donnent 
droit  aussi  à  des  aliments  :  c'est  ainsi  que  le  donateur  qui 
s'est  librement  et  volontairement  dépouillé  en  faveur  d'un 
donataire  qu'il  a  gratifié  de  ses  biens,  a  le  droit  incontestable 
d'exiger  une  pension  alimentaire  de  celui-ci  s'il  vient  à  se  trou- 
ver dans  le  besoin.  C'est  encore  d'après  le  même  principe  que 
l'État  est  tenu  de  reconnaître  par  une  pension  alimentaire  les 
services  de  ceux  qui  lui  ont  consacré  leur  rie.  Le  créancier, 
qui  fait  incarcérer  son  débiteur,  est  soumis  à  l'obligation 
de  lui  fournir  des  aliments.  La  loi  du  2  mai  1861,  modifi.int 
l'art.  29  de  la  loi  du  17  avril  1832,  dispose  à  cet  égard  que 
les  consignations  pour  aliments  doivent  être  failes  par  pé- 
riodes de  trente  jours,  que  la  somme  ciin<ignée  doit  être 
de  45  fr.  à  Paris,  40  fr.  dans  les  villes  de  plus  de  cent  mille 
âmes,  et  35  fr.  paitout  ailleurs  pour  chaque  période;  le 
défaut  (le  consignation  préalable  de^^  aliments  emporte  la 
cessation  de  la  contrainte  par  cori)s,  qui  ne  peut  plus 
être  ultérieurement  exercée  pour  la  même  dette. 


ALIMPIUS  —  ALIZARD 


ALBIPIUS  ( Saint  ),  moine  du  couvent  des  Grottes, 
à  Kief,  qui  vivait  au  douzième  siècle,  est  le  plus  ancien 
jH'intre  do  la  Russie.  Il  avait  appris  son  art  des  Grecs ,  et 
re\er(,a  au  profit  de  son  pays  ,  en  peignant  s'atniteinent  un 
grand  nomlire  d'images  saintes  pour  les  églises.  Ce  qu'il  y  a 
surtout  de  remarquable  dans  ses  oeuvres,  c'est  la  fraîcheur  du 
coloris  et  la  durée  des  couleurs  employées  par  l'artiste ,  et 
que  le  temps  n'a  pas  pu  encore  détruire. 

ALIMUSIES  9  petits  mystères  célébrés  à  Alimus,  bourg 
de  IWtlique  près  d'Athènes.  Cérès  et  Proserpine  y  avaient 
un  tenqile, 

ALIOTH.  C'est  le  nom  que  les  Arabes  ont  donné  à  une 
étoile  de  la  Grande  Ourse. 

ALIPTIQUE  (du  grec  àkîçstv,  oindre).  Les  anciens 
donnaient  ce  nom  à  la  partie  de  l'hygiène  qui  enseignait  l'art 
d'oindre  le  coqis  pour  le  rendre  plus  vigoureux  et  plus  souple. 
Ils  appeliùent  alipte  celui  qui  était  chargé  de  frotter  d'huile 
les  athlètes,  et  aliplérion  la  salle  où  se  faisait  cette  prépara- 
tion. Comme  en  général  leurs  moyens  curatifs  étaient  très- 
simples,  ils  pensaient  que  dans  certains  cas  des  onctions 
faites  avec  des  corps  gras  ou  des  substances  médicamen- 
teuses n'étaient  pas  sans  utilité;  et  aujourd'hui  encore  le 
système  de  l'aliptique  compte  quelques  partisans. 

ALIQUAIXTE.  Sous  cette  dénomination  on  désigne  les 
parties  d'un  tout  qui ,  répétées  un  certain  nombre  de  fois  , 
ne  font  pas  le  nombre  complet,  mais  donnent  un  nombre  plus 
grand  ou  plus  petit  que  celui  dont  elles  sont  des  parties. 

ALIQUOTE.  Ce  terme  désigne  les  parties  d'un  tout 
qui ,  répétées  un  certain  nombre  de  fois ,  produisent  le  tout 
complet,  en  égalant  ce  tout  :  1,2,3,  4,6  sont  des  parties 
aliquotes  de  12,  car  tous  ces  nombres  divisent  12  sans  reste. 

ALISE  ou  ALÉSIA  (  Siège  d'),  ancienne  et  grande  ville 
gauloise,  située  sur  le  mont  Auxois  (  Côte-d'Or  ).  Vainqueur 
à  Génabum ,  à  Avaricum  et  à  Gergovie ,  César  passa  la 
Loire  près  de  Nevers,  atteignit  l'armée  de  Ver  ci  ngéto- 
rix  dans  le  pays  des  Lingons ,  et  la  défit  dans  une  bataille. 
Le  général  gaulois ,  qui  s'était  réfugié  sous  les  murs  d'Alise 
avec  80,000  hommes  d'élite,  y  fut  suivi  par  César,  qui  vint 
mettre  le  siège  devant  la  place.  Tandis  que  Vercingétorix  , 
campé  à  mi-côte ,  se  disposait  à  une  vigoureuse  résistance , 
le  général  romain  faisait  tirer  une  ligue  de  circonvallation 
de  onze  milles  d'étendue  et  fortifiait  son  camp  de  vingt-trois 
forts.  Pendant  que  les  Romains  aciievaient  ces  travaux,  un 
combat  de  c<ivalerie  s'engage  ;  les  Gaulois  sont  mis  en  dé- 
route ,  et  ne  regagnent  leur  camp  qu'avec  peine.  Vercingéto- 
rix ,  qui  sait  que  les  Romains  n'ont  pas  encore  achevé  leurs 
retranchements ,  profite  de  cette  circonstance  pour  renvoyer 
sa  cavalerie  pendant  la  nuit ,  avec  ordre  à  chacun  de  retour- 
ner dans  son  pays  pour  lui  ramener  des  renforts.  César,  ins- 
truit de  cette  résolution ,  prend  de  nouvelles  dispositions  de 
défense ,  établit  ime  ligne  de  contrevallation  garnie  de  fos- 
sés, de  terrasses'et  de  remparts.  Cependant  la  Gaule  en- 
tière s'était  levée  à  la  voix  de  Vercingétorix  ;  8,000  cava- 
liers ,  250,000  fantassins  accourent  au  secours  d'Alésia.  Mais 
les  efforts  réunis  des  assiégés  etde  leurs  auxiliaires  sont  im- 
puissants ;  300,000  hommes  viennent  se  briser  contre  les  re- 
tranchements de  César,  la  tactique  romaine  et  le  courage 
de  ses  soldats.  Vaincus  dans  trois  combats,  les  Gaulois  se 
rendent  après  sept  mois  d'un  siège  opiniâtre  (l'an  52  av. 
J.-C.  ).  La  prise  d'Alésia  fut  le  signal  de  l'asservissement  de 
la  Gaule.  La  ville  fut  détruite,  et  Vercingétorix  alla  orner 
les  triomphes  du  général  romain. 

[  La  question  de  la  position  d'Alésia  a  vivement  occupé  les 
archéologues  dans  ces  derniers  temps.  En  1855  M.  A.  Dela- 
croix, architecte  de  la  ville  de  Besançon,  chercha  à  établir 
que  l'oppidum  des  Manduhiens  qu'assiégea  César  et  où  Ver- 
cingétorix fut  vaincu  ,  était  à  Alaise  ,  en  Franche-Comté , 
au  nord  de  Salins,  et  non  à  Alise-Sainte-Reine,  sur  le  mont 
Auxoi.',  en  Bourgogne.  Il  se  basait  sur  l'inlerprélation  des 
textes  de  César,  de  l'hilarriiic  et  de  Dion  Cassiiis,  et  sur  des 


Ui 


découvertes  d'objets  d'antiquité.  M.  Quieherat  appuya  cette 
opinion  ,  que  rofutèient  M.  Rossignol  el  .M.  Dey.  M.  Lenor- 
niant,  M.  de  Saulcy  et  M.  Coyn;u  t  se  môlàrent  aussi  de  cette 
discussion.  Un  prince  de  la  maison  d'Orléans  à  qui  les  études 
de  l'antiquité  sont  familières  dit  également  son  mot  en  gar- 
dant l'anonyme.  M.  I^rnest  Desjardins  a  résumé  les  diverses 
opinions, en  se  prononçant  pour  Alaise,  tandis  que  l'Acadé- 
mie (les  inscriptions  paraît  tenir  pour  Alise.  M.  Ed.  Clerc  a 
donné  un  alhum  des  objets  trouvés  à  Alaise.  Z.  ] 

ALIS.MA,  genre  de  plantes  herbacées  ,  vivaces,  crois- 
sant dans  les  lieux  marécageux  ,  sur  le  bord  des  étangs  et 
des  rivières ,  dont  la  principale  espèce  est  le  plantain  d'eau, 
que  l'on  cultive  dans  les  bassins  des  parcs  et  des  jardins. 
C'est  une  grande  et  jolie  plante,  à  feuilles  ovales,  aii^i.ës, 
portées  sur  de  longs  pétioles,  et  dont  les  fleuns  forment  une 
sorte  de  paniculc  allongée  assez  gracieuse.  La  racine  du 
plantain  (Veau  est  considérée  dans  quelques  pays  comme 
un  renièiie  efficace  contre  Ihydrophobie. 

ALIX  DE  CHAMPAGNE,  fille  de  Thibaut  IV,  comte 
de  Champagne,  épousa  Louis  VII  ,  dit  le  Jeune ,  roi  de 
France  ,  dont  eUc  eut  Phi  lippe- A  ugus  t  e,  après  quatre 
années  d'une  union  stérile.  A  la  mort  de  son  mari  elle  vou- 
lut avoir  une  part  d'autorité  ;  mais  Philippe-Auguste  neu- 
tralisa l'une  par  l'autre  les  ambitions  rivales  de  sa  mère  et 
des  autres  princes,  et  réussit  à  échapper  à  toute  tutelle. 
Alix ,  qui  un  moment  s'était  mise ,  par  dépit ,  à  la  tète  des 
seigneurs  mécontents,  et  avait  même,  à  l'appui  de  ses  pré- 
tentions ,  invoqué  l'appui  de  Henri  II  d'Angleterre ,  céda 
bientôt  à  la  fermeté  de  caractère  déployée  par  son  fils  dans 
ces  circonstances  critiques  ;  et  elle  se  réconcilia  si  com- 
plètement avec  lui  que  ,  lorsqu'il  partit  pour  son  expédition 
en  Terre  Sainte,  Philippe-Auguste  lui  confia  la  régence  en 
même  temps  que  la  tutelle  de  son  jeune  fils  :  acte  qui  re- 
çut l'approbation  d'une  assemblée  de  grands  vassaux  con- 
voqués à  cet  effet.  Ce  fut  dans  l'exercice  de  ses  fonctions 
de  régente  qu'Alix  eut  occasion  de  déployer  la  rare  habi- 
leté de  gouverner  les  hommes  qui  a  immortalisé  son  nom. 
Elle  sut  en  effet  contenir  dans  le  devoir  les  grands  vas- 
saux de  la  couronne,  résister  aux  usurpations  de  la  cour  de 
Rome,  dominer  toutes  les  ambitions,  protéger  les  arts  et  l'in- 
dustrie, et  faire  respecter  la  justice.  Aussi,  quand  elle  mourut 
(  4  juin  1206  ),  emporta-t-elle  au  tombeau  les  bénédictions  et 
lesregrets  des  peuples;  et  l'histoire  l'a  très-justement  placée, 
avec  Blanche  de  Castille  et  Anne  de  Beaujeu,  au  rang  des 
princesses  les  plus  célèbres  dont  elle  ait  conservé  le  sou- 
venir dans  ses  annales. 

ALIZARD  (  Adolpue-Joseph-Louis  ),  chanteur  d'un 
grand  mérite,  était  né  à  Paris,  le  29  décembre  1814.  Il  perdit 
son  père  de  bonne  heure ,  et  accompagna  sa  mère  à  Mont- 
didier,  puis  à  Bcauvais,  où  elle  ouvrit  un  pensionnat  de  de- 
moiselles. Dans  ces  deux  villes  Alizard  suivit  les  cours  du 
collège,  et  se  prit  d'une  Ibite  passion  pour  le  violon,  au 
grand  regret  de  sa  mère.  Des  leçons  de  M.  Victor  IMagnien 
lui  firent  faire  des  progrès  rapides.  En  1833,  Alizard  vint 
à  Paris  dans  l'espoir  d'être  reçu  au  Conservatoire,  et  de 
trouver  une  place  dans  un  orchestre  de  théâtre.  Son  espoir 
fut  déçu,  non  qu'il  et"!!  mal  joué  son  morceau  de  concours , 
mais  parce  que  sa  tendance  à  l'obésité ,  la  brièveté  de  ses 
bras  et  la  grosseur  de  ses  doigts  ne  laissaient  pas  espérer 
qu'il  pût  jamais  faire  un  artiste  accompli.  Cependant  Alizard 
ne  perdit  pas  courage  ,  et  continua  d'étudier  sous  la  direc- 
tion d'Urhan,  qui  lui  fit  avoir  une  place  à  l'orchestre  du 
théâtre  de  la  Gaîté.  S'étant  enfin  aperçu  qu'il  avait  une  belle 
voix ,  Alizard  résolut  d'en  tirer  parti  ;  il  entra  comme 
chantre  aux  Missions-Étrangères,  puis  à  Saint-Eustache,  et 
il  fut  ensuite  reçu  dans  les  chœurs  de  i*Opéra.  En  même 
temps  il  entrait  dans  la  classe  de  chant  de  Banderali  au 
Conservatoire,  où  il  obtint  le  second  prix  au  bout  d'un  an, 
et  le  premier  l'année  suivante.  Il  débuta  alors  à  l'Opéra 
comme  sujet  le  23  juin  1837,  dans  le  rôle  de  Gessler  de  GuiL' 


342 


ALIZÂRD  —  ALLA  BREVE 


laume  Tell.  Alizard  continua  à  paraître  pendant  cinq  ans 
dans  des  rôles  secondaires,  qui  du  reste  n'avaient  jamais  été 
si  bien  rendus.  En  1842,  sentant  sa  force  et  mécontent  de 
sa  position,  il  quitta  Paris ,  obtint  un  engagement  en  Bel- 
gique et  se  rendit  en  Italie.  11  se  fit  enicndre  au  théâtre  de 
la  Scala  à  Milan  ;  mais  il  y  fut  mal  accueilli.  De  retour  en 
France ,  il  obtint  de  grands  succès  à  Marseille,  et  fut  rap- 
pelé à  Paris  avec  18,000  fr.  d'appointements.  11  fit  sa  rentrée 
en  1847  dans  le  rôle  de  Bertram  de  Robert  le  Diable, 
puis  il  joua  dans  Freijschutz,  Moïse,  les  Huguenots,  la 
Favorite,  Jérusalem,  et  il  chanta  encore  tous  ces  rôles 
comme  ils  ne  l'avaient  jamais  été.  Enfin  il  espérait  chanter 
dans  le  Prophète  un  rôle  fait  pour  lui ,  lorsqu'une  grave 
maladie  lui  enleva  la  voix.  Le  séjour  des  iles  d'Hyères  lui  fut 
ordonné.  11  s'en  trouva  bien  ,  puis  revint  à  Paris  ;  mais  une 
rechute  terrible  lui  fit  reprendre  le  chemin  de  Marseille  :  à 
peine  y  était-il  arrivé  qu'il  expira,  le  23  janvier  1850.  — 
Alizard  possédait  unemagnifiquevoixde  basse,  d'une  étendue 
de  deux  octaves,  de /a  en  fa,  parfaitement  égale,  cl  qu'il 
maniait  avec  la  môme  facilité  dans  toute  son  étendue.  La 
fermeté  de  ses  intonations  et  son  aplomb  dans  la  mesure 
étaient  on  ne  peut  plus  remarquables  ;  sa  voix,  en  dépit  de 
son  volume,  se  pliait  à  tous  les  traits  d'agilité  que  les  voix 
graves  abordent  rarement  avec  avantage.  Excellent  musi- 
cien, il  aidait  puissamment  aux  effets  d'ensemble.  L'absence 
des  avantages  physiques,  si  nécessaires  à  la  scène,  se  rache- 
tait chez  lui  par  un  talent  qui  réunissait  à  un  même  degré 
la  force,  la  chaleur,  la  giàce,  la  noblesse  du  style  et  la  jus- 
tesse de  l'expression.  Adrien  de  Lafage. 

ALIZARIi\E.  MM.  Robiquet  et  CoUin  ont  donné  ce 
nom  au  principe  colorant  rouge  de  la  racine  de  garance. 
Quan<l  on  a  isolé  cette  substance,  on  la  voit  sous  forme  de 
cristaux  d'un  rouge  orangé  ,  inodore ,  insipide ,  très-vola- 
tile ,  et  très-soluble  dans  "eau. 

ALIZÉS  (  Vents  ).  On  nomme  ainsi  des  vents  constants 
qui  soufllcnt  entre  les  tropiques  dans  l'Atlantique  et  le 
Grand-Océan.  Ils  sont  dus  à  réchaulTement  et  à  l'élévation 
de  l'air  sous  l'équateur,  qui,  se  déversant  sur  des  couches 
plus  froides  ,  se  dirige  vers  le  pôle  ;  sa  direction  est,  toute- 
fois ,  modifiée  par  la  rotation  de  la  terre  qui  lui  imprime 
un  mouvement  de  l'est  à  l'ouest.  On  ne  remarque  dans  les 
vents  alizés  que  de  petites  variations  périodiques,  occa- 
sionnées par  les  déclinaisons  du  soleil. 

ALIZIER,  arbre  de  la  famille  des  néfliers  et  des  poiriers, 
assez  commun  en  France,  et  dont  les  fruits,  quoique  acerbes, 
se  mangent  quand  on  a  le  soin ,  comme  on  fait  pour  les  nè- 
fles,dc  les  laisser  quelque  temps  sur  la  paille  où  ils  arrivent 
à  un  état  intermédiaire  entre  la  pourriture  et  la  maturité  ; 
état  que  l'on  appelle  blet.  —  Son  bois,  dur  et  incolore,  sus- 
ceptible de  prendre  la  teinture  avec  avantage,  a  une  odeur  as- 
sez agréable,  et  est  assez  recherché  par  les  tourneurs.  On  en 
fait  des  vis  de  pressoir,  des  alluchons,  des  fuseaux  pour  les 
rouagesdes  moulins,  des  flûtes,  des  fifres.  L'alizier  commun, 
fort  répandu  dans  les  bois  de  la  Haute-Marne,  dans  le  Jura 
et  les  Hautes-Alpes,  atteint  de  sept  h  dix  mètres  d'élévation. 
ALJUBAROTTA,  bourg  de  Portugal  (Estrama- 
(îure  ) ,  à  24  kilomètres  sud-ouest  de  Leiria ,  renferme  une 
population  de  2,000  habitants.  Jean  ^^  roi  de  Por- 
tugal ,  y  remporta  en  1385,  aidé  des  Anglais,  une  victoire 
sur  les  Castillans  et  les  Français  réunis. 

ALlîÉKEiXGE  ,  genre  établi  par  Tournefort ,  dont 
l'espèce  connue  sous  le  nom  vulgaire  d>>  coqucret  est  le 
type.  L'alkékenge  croit  dans  les  haies  et  dans  les  vignes,  et 
produit  un  fruit  (luclque  peu  acidulé,  contenu  dans  une 
vésicule  de  couleur  rougeâtre.  On  employait  autrefois  ces 
baies  à  préparer  des  trochiques  et  une  eau  distillée.  Elles 
ont  un  ef:ét  purgatif  et  légèrement  diurétique.  On  les  fait 
entrer,  comme  ingrédient ,  dans  la  fabrication  du  siro])  de 
rhubarbe  ou  de  chicorée  composé.  En  Espagne  et  en  Suisse, 
on  sert  dans  les  repas  le  fruit  de  l'alkékenge. 


ALIÎEA'DI   (ABOU-YoUSSOtT-YAKOCB-BEN-ISHAR.),  phi- 

loso|)he  arabe,  surnommé  le  Philosophe  par  excellence,  flo- 
rissait  sous  les  règnes  de  Mamoun  et  de  Motasem.  On  ne 
sait  ni  la  date  de  sa  naissance  ni  celle  de  sa  mort;  mais  ce 
qu'on  peut  affirmer,  c'est  qu'il   vivait  encore  en  861.  Il 
était  fils  de  Ishak-ben-Al-Sabbah ,   qui  fut  gouverneur  de 
Koufa,  sous  les  khalifes  Mahdi  et  Haroun-Al-Raschid ,  et 
descendait  de  Kenda,  une  des  familles  les  plus  illustres 
parmi  les  Arabes.  Après  avoir  achevé  ses  études  à  Bassora 
et  à  Bagdad,  il  se  mita  traduire  et  à  commenter  Aristote; 
puis  il  écrivit  sur  la  philosophie,  les  mathématiques,  la  mé- 
decine, la  politique,  la  musique,  etc.,  un  grand  nombre  de 
traités  ;  dans  un  de  ses  écrits  il  tâche  de  prouver  que  l'on 
ne  peut  comprendre  la  philosophie  sans  la  connaissance 
préalable  des  mathématiques.  Quelques  écrivains  ont  fait 
d'Alkendi  un  juif,  d'autres  en  ont  fait  un  chrétien  :  c'est  à 
la  variété  de  son  érudition  qu'il  faut  attribuer  cette  confu- 
sion; mais  on  ne  peut  douter  de  sa  qualité  de  musulman 
quand  on  a  lu   ce  qu'en  a  dit  l'historien  arabe  chrétien 
Aboulfaradj.  Il  faut  reconnaître,  il  est  vrai ,  que  ses  vastes 
études  lui  avaient  fait  embrasser  des  opinions  qui  devaient 
rendre  ses  croyances  suspectes  aux  orthodoxes-:  les  doc- 
trines émises  dans  un  de  ses  livres  furent  même  réfutées  par 
Abdallatif,  médecin  arabe  du  douzième  siècle ,  dans  un  traité 
sur  l'essence  de  Dieu  et  sur  ses  attributs  essentiels  ;  mais 
tout  cela  ne  prouve  pas  qu'Alkendi  ait  été  infidèle  au  Koran. 
ALKERMES,nom  d'une  liqueur  de  table,  fort  agréable, 
qui  se  prépare  surtout  à  Florence,  et  qu'on  obtient  en  fai- 
sant macérer  de  la  cannelle  (30  yr.),  des  clous  de  girofle 
(5  gr.)  et  de  la  vanille  (8  gr.  )  dans  2  litres  d'alcool  à  32°. 
Au  bout  de  quelques  jours  on  unit  cette  teinture  à  du  si- 
rop de  sucre.  On  y  mêle  ensuite  de  l'eau  de  rose  distillée 
(250  gr.)  dans  laquelle  on  a  fait  macérer  un  |)eu  de  coche- 
nille ou  du  kermès  (10  gr.)  avec  de  l'alun  (50  centigr.  ) 
On  ajoute  enfin  de  l'eau  de  fleurs  d'oranger  (  125  gr.).  Le 
kermès  donne  une  belle  couleur  rouge  à  celte  liqueur  et  lui 
a  valu  son  nom.  Z. 

ALK.MAER,  petite  ville  de  la  Nord-Hollande,  à  seize 
■kilomètres  au  nord  d'Amsterdam  ;  population,  9,500  habi- 
tants. Sa  principale  industrie  consiste  dans  la  fabrication 
des  parchemins,  des  toiles  à  voiles  et  du  sel  marin  ;  on  y 
f:iit  aussi  un  commerce  assez  ad  if  en  grains  et  en  fromages  ; 
l'exportation  annuelle  de  ce  dernier  article  ne  s'élève  pas 
à  moins  de  plusieurs  millions  de  kilogrammes.  Un  canal 
unit  avec  l'Yssel  cette  ville  ,  qui  est  célèbre  par  la  capitu- 
lation que  le  duc  d'York  et  d'Albany  fut  forcé  d'y  signer 
le  18  octobre  1799 ,  à  la  tête  d'une  armée  russo  britannique, 
après  avoir  été  complètement  battu  sous  ses  murs  par  une 
armée  franco-batave  aux  ordres  du  général  Brune. 

ALKAIAER  (Henri  d'),  poète  allemand,  auteur  pré- 
sumé du  Roman  du  Renard  ,  était,  à  ce  qu'il  dit  lui-même, 
maître  d'école  et  de  discipline  chez  le  duc  de  Lorraine.  On 
croit  qu'il  vivait  vers  la  fin  du  quinzième  siècle.  Des  doutes 
ont  été  élevés  sur  l'existence  et  la  réalité  d'Henri  d'Alk- 
maer.  On  a  même  prétendu  que  c'était  un  pseudonyme 
sous  lequel  se  cachait  un  poète  du  quinzième  siècle  du  nom 
de  Nicolas  Baumann,  qui  aurait  composé  cette  mordante 
satire  pour  se  venger  du  duc  de  Juliers,  dont  il  avait  à  se 
plaindre  et  dont  il  avait  quitté  le  service  pour  celui  du  duc 
de  Mecklembourg. 

ALLA  BREVE ,  A  CAPPELLA.  On  appelle  aujour- 
d'hui mesure  alla  brève  la  seule  dos  anciennes  mesures  qui 
se  .soit  conservée  dans  quelques  pièces  de  chaut  destinées  à 
l'église;  car  c'est  une  vainc  alïcclation  de  s'en  servir  dans  la 
musique  dethéâtre.  L'unité  de  celle  mesureestla^j-èt-e  ou 
carrée ,  qui  vaut  trois  semi-brèves  ou  rondes  si  la  mesure 
esta  trois  temps,  et  doux  si  !a  mesure  est  à  deux  temps. 
La  mesure  alla  brève  ;i  trois  temps  se  marque  par  un  cercle 
simple  ou  traversé  d'une  ligne  verticale;  à  deux  temps,  elle 
est  indiquée  par  un  demi-cercle  barré  ou  non ,  comme  ci- 


ALLA  BREVE  —  ALLAIiNVAL 


343 


dessus.  Si  la  bar:v  verticale  n'existe  pas,  on  bat  deux  fois 
sur  chaque  brève,  et  alors  la  mesure  se  trouve  par  le  fait 
non  plus  alla  brève,  mais  alla  semi-hrcve ,  déiioiniiiation 
qui  a  été  aussi  en  usage.  Lorsque  le  cercle  ou  le  tloini-ccrclc 
sont  barrés,  les  anciens  auteurs  disent  que  Ton  ne  doit  battre 
qu'une  fois  sur  chaque  brève;  toutefois  l'usage  a  prévalu 
de  battre  sur  chaque  semi-brève,  mais  avec  rapidité.  Cette 
mesure  et  ses  variétés  n'étant  eu  usage  qu'à  ré{|;lise,  on  l'a 
aussi  nommée  mesure  a  cappella,  mesure  de  chapelle  (  c'est 
s'exprimer  vicieusement  que  de  iVwealla  cappella),  parce 
qu'elle  s'exécute  par  les  chantres  qui  font  partie  des  cha- 
pelles-musiques attachées  aux  collégiales  ou  aux  palais  des 
souverains. 

Par  extension ,  on  a  nommé  slijle  alla  brève  celui  dans 
lequel  on  fait  surtout  usage  des  mesures  désignées  plus 
haut.  Ce  style  se  caractérise  par  l'usage  continuel  des 
formes  du  contrepoint  fugué,  et  l'on  n'y  emploie  que  des 
durées  en  rapjiort  avec  l'unité  métrique  ;  on  y  fait  par  con- 
séquent un  us;ige  fort  rare  de  la  croche,  et  l'on  en  bannit 
absolument  la  double  croche,  sauf  un  petit  nombre  de  cas 
où  elle  favorise  la  marche  mélodique.  La  cantiléne  roule 
toujours  sur  la  brève  ou  carrée ,  la  ronde  et  la  blanche. 
Voilà  pourquoi  en  France  la  musique  ainsi  composée  s'ap- 
pelait autrefois  du  gros-fa. 

L'expression  style  ou  musique  a  cappella  désigne  plus 
précisément  les  pièces  d'église  destinées  aux  voix  avec  accom- 
pagnement d'orgue  ;  par  opposition  à  la  musique  alla  Pales- 
trina ,  autrement  celle  qu'exécutent  les  voix  sans  aucun 
accompagnement  instrumental.  Adrien  de  Laface. 

ALLACCI  (Leone),  savant  laborieux  du  dix-septième 
siècle ,  qui  a  composé  la  plupart  de  ses  ouvTages  en  latin , 
et  les  a  signés  du  nom  à'Allat'ms.  Les  plus  célèbres  sont 
intitulés  :  Be  Ecclesïse  occidentalis  et  orlentalis  perpétua 
Consensione  (Cologne,  1648),  ouvrage  dans  lequel  il 
s'efforce  de  prouver  la  constante  identité  de  foi  et  de  dog- 
mes entre  l'Église  romaine  et  l'Église  grecque;  et  De  Pa- 
tria  Homeri  (Lyon  ,  1640  ).  On  y  remarque  plus  d'érudition 
que  de  critique.  Né  à  Chio,  en  1586,  il  alla  achever  à  Rome 
des  études  commencées  à  l'âge  de  neuf  ans  en  Calabre  ;  et 
on  le  voit  dès  1622  chargé  par  le  pape  Grégoire  XY  de 
transportera  Rome  la  bibliothèque  de  Heidclberg,  don  fait 
à  l'Église  par  l'électeur  de  Bavière;  plus  tard,  il  devint 
bihliotliécaire  du  cardinal  Barberini,  et  en  1661  biblio- 
thécaire du  Vatican.  Il  mourut  en  1669,  à  l'âge  de  quatre- 
vingt-trois  ans.  —  Minutieux  et  méthodique  jusque  dans  les 
plus  petits  détails ,  Allacci  s'était,  dit-on ,  servi  pendant 
quarante  années  de  la  même  plume,  et  il  éprouva  un  profond 
chagrin  lorsqu'il  perdit  ce  fidèle  instrument  de  ses  travaux. 
On  raconte  encore,  comme  un  trait  qui  prouve  l'originalité 
de  son  esprit ,  qu'mterrogé  un  jour  par  le  pape  Alexandre  VII 
sur  les  motifs  qui  avaient  pu  le  porter  à  rester  célibataire , 
sans  pour  cela  entrer  dans  les  ordres,  il  répondit  :  «  Je  ne 
me  marie  pas ,  pour  pouvoir  prendre  les  ordres  quand  je 
voudrai  ;  et  je  ne  m'engage  pas  dans  les  ordres ,  pour  pou- 
voir me  marier  si  la  fantaisie  m'en  prenait.  » 

ALLAH ,  mot  arabe  qui  signifie  Dieu ,  créateur  de 
toute  la  nature ,  le  seul  être  ,  dit  Mahomet ,  qui  existe  par 
lui-même ,  auquel  aucun  autre  être  ne  peut  être  comparé  : 
c'est  de  lui  que  toutes  les  créatures  ont  reçu  leur  existence  ; 
il  n'engendre  point  et  n'est  point  engendré  ;  il  est  le  maître 
et  seigneur  du  monde  corporel  et  intellectuel.  Dans  le  Co- 
ran ,  Mahomet  recommande  l'adoration  d'Allah  comme  le 
dogme  fondamental  de  sa  rehgion. 

Le  mot  Allah  est  composé  de  l'article  al  et  du  mot  ilah, 
qui  signifie  celui  qui  est  adoré  et  qui  doit  être  adoré. 

ALLAÏL\BAD,  c'est-à-dire  ville  de  Dieu,  nom  d'une 
province,  d'un  cercle  et  d'une  ville  de  l'Hindoustan.  La  pro- 
vince, située  entre  le  24"  et  le  26°  de  lat.  nord,  comprenait 
sur  une  superficie  d'environ  4,300  mjriamètres  carrés  ,  et 

peupicede  12milUons  d  à:p.e?,  avant  l'insurrection  de  1857. 


la  plus  grande  partie  des  dernières  conquêtes  faites  par  les 
arnî's  anglaises  dans  la  partie  nord-ouest  de  la  vallée  du 
r.engale.  Celte  province  s'étend  sur  les  deux  vallées  du 
Gange  et  du  Djumnah  ,  et  s'élève  au  nord  ouest  jusqu'aux 
eliaines  les  plus  élevées  de  l'Himalaya.  L'Allaliabad  est  en 
général  bien  cultivé,  et  son  sol  est  fertile.  Divers  district» 
(t  \illes  célèbres,  comme  Bénarès  jMirsapour,  Bundel 
Kund,  Joiianpour,  etc.,  dépendent  de  cette  province. 

Mlahabad,  son  tlief-lieu,  est  située  au  confluent  des 
deux  fleuves  sacrés,  le  Gange  et  le  Djumnah  :  aussi  cette 
cité  est  réputée  sainte,  et  des  milliers  de  pèlerins  vien- 
nent chaque  année  s'y  baigner  dans  l'eau  sacrée  et  en  em- 
portent pour  le  service  des  temples  situés  à  des  distances 
considérables.  Une  magnifique  forteresse  en  blocs  de  granit 
rouge,  construite  par  l'empereur  Akbar,  en  1583,  coniuiande 
la  navigation  des  deux  cours  d'eau  ainsi  que  la  grande  voie 
de  communication  entre  Delhi  et  Calcutta.  La  ville,  autour 
de  laquelle  les  débris  de  son  antique  splendeur  forment  une 
large  ceinture  ,  ne  comptait  déjà  plus  guère  avant  1857 
que  20,000  habitants ,  se  livrant  avec  succès  à  la  fabrica- 
tion des  étoffes  de  soie  et  de  colon,  et  très-renommés  pour 
leur  habileté  dans  les  arts  céramiques.  Les  Anglais  possèdent 
Allaliabad  depuis  1765.  Quelques  savants  y  voient  l'ancienne 
Palibotlira  des  Grecs  et  des  Romains. 

Le  4  juin  1857,  un  régiment  indien,  qui  avait  consenti  à 
marcher  contre  les  insurgés  venus  de  Delhi  vers  Ajlahabad, 
assassina  ses  officiers  et  alla  rejoindre  les  rebelles  après 
avoir  brûlé  le  terople ,  toutes  les  tiabitations  de  la  place  et 
avoir  pillé  le  trésor.  D'autres  troupes  cependant  restèrent 
fidèles  ;  le  fort  fut  gardé  par  les  troupes  anglaises ,  et  les 
Européens  durent  se  réfugier  derrière  ses  remparts.  Les 
maisons  avaient  été  abattues  par  la  canonnade ,  les  mai- 
sons des  champs  brûlées.  Près  de  .3,000  prisonniers  s'éva 
dèrent  et  commirent  toutes  sortes  d'horreurs.  * 

ALLAIIWAL  (Léonore-Christixe,  abbé  Soulas  d'), 
né  à  Chartres,  vers  la  fin  du  dix-septième  siècle,  et  mort  à 
l'Hôtel-Dieu  de  Paris,  le  2  mai  1753,  n'est  guère  connu  d« 
notre  siècle  que  par  V École  des  Bourgeois,  petite  comédie 
pleine  de-veiTcet  de  gaieté,  le  seul  de  ses  ouvrages  resté  au 
théâtre.  C'est  un  petit  tableau  de  mœurs  qui  n'est  pas  in- 
('igne  de  figurer  à  la  suite  de  Turcaret.  Elle  fut  donnée  en 
1728.  On  y  voit  l'intérieur  d'une  famille  de  traitants  et 
d'usuriers  dont  la  fille  est  sur  le  point  d'épouser  un  gi'and 
seigneur.  Ce  grand  seigneur,  le  marquis  de  Moncade,  pro- 
digue, dissipateur,  sacrifiant  tout  à  ses  plaisirs,  suit  la  mode, 
qui  commençait  à  s'accréditer  en  ce  temps-là  parmi  la  haute 
noblesse,  de  chercher  dans  les  coffres-forts  roturiers  de 
qijoi  réparer  les  ruines  de  sa  fortune,  et  d'employer  le  riche 
fumier  des  vilains  à  engraisser  des  terres  épuisées.  Le  mar- 
quis de  Moncade  a  donc  pris,  comme  il  le  dit  lui-même,  le 
parti  de  s'encanailler.  Il  fallait  voir  l'aisance,  le  laisser- 
aller  avec  lequel  le  spirituel  acteur  Fleury  rendait  ce  mé- 
lange d'impertinence  et  de  bon  ton  exquis,  le  naturel  ini- 
mitable avec  lequel  il  reproduisait  cette  image,  aujourd'hui 
perdue,  des  marquis  de  l'ancien  régime.  Il  y  a  dans  cette 
pièce  une  scène  délicieuse  et  admirablement  filée  entre 
Moncade  et  M.  Mathieu,  oncle  intraitable,  qui  s'irrite  contre 
la  folie  de  sa  sœur,  madame  Abraham,  pour  s'être  entichée 
de  noblesse ,  et  qui  prétend  dire  son  fait  au  marquis  et 
rompre  le  mariage.  Avec  ses  belles  manières  de  cour  et  au 
moyen  de  quelques  mots  de  politesse ,  Moncade  apprivoise 
M.  .Mathieu ,  et  l'amène  à  le  supplier  à  genoux  de  vouloir 
bien  épouser  sa  nièce.  Et  M.  Pot-de-Vin,  l'intendant  du 
marquis,  n'est-il  pas  encore  un  profil  spirituellement  es- 
quissé? —  Le  pauvre  d'Allainval  travaillait  à  la  fois  pour  la 
Comédie-Française,  pour  la  Comédie-Italienne  et  pour  l'O- 
péra-Comique,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  vivre  dans  la 
pauvreté  et  de  finir  par  mourhr  de  faim.  On  cite  encore  de 
lui  l'Embarras  des  Richesses,  comme  une  pièce  habile- 
ment conduite  et  heureusement  dénouée.  Elle  fut  donnée 


344 


ALLAIiNVAL  —  ALLAITEMENT 


en  1726.  Le  besoin  lui  fit  composer  aussi  des  ouvrages 
d'un  autre  genre,  tels  que  :  Anecdotes  de  Russie,  sous 
Pierre  I";  Lettres  du  cardinal  Mazarin  ;  Éloge  de 
Car,  etc.  Autald. 

ALLAITEME\T.  C'est  ralimenlalion  de  l'enfant  du- 
rant les  premiers  temps  de  son  existence  :  on  le  divise  en 
naturel  et  en  artificiel.  L'allaitement  naturel  comprend 
l'allaitement  maternel,  qui  est  fourni  par  la  mère,  et  l'allai- 
fement  étranger,  qui  est  confié  à  une  nourrice. 

A  moins  d'obstacles  résultant  de  la  santé  générale  ou  cons- 
titutionnelle de  la  mère,  de  maladies,  de  labsence  ou  de  la 
mauvaise  qualité  du  lait,  les  avantages  de  l'allaitement  ma- 
ternel sont  incontestables  pour  la  mère  et  pour  l'enfant. 
L'enfant  y  trouve  une  nourriture  appropriée  à  son  ûge,  et 
la  mère  évite  mieux  les  accidents  résultant  de  l'engorgement 
et  de  l'inHammation  aiguë  et  chronique  des  mamelles,  de  la 
fièvre  de  lait,  etc.  11  est  cependant  des  femmes  dont  le  lait 
ne  convient  pas  à  leurs  enfants  :  tel  est  celui  d'une  femme 
atteinte  de  scorbut,  de  scrofules  ou  de  phtliisie,  quoique  sou- 
vent dans  ces  deux  dernières  maladies  les  femmes  aient 
une  grande  quantité  de  lait  :  leurs  nourrissons,  gras  et  frais 
pendant  qu'ils  tettent,  dépérissent  après  le  sevrage  et  finis- 
sent toujours  par  être  affectés  des  mêmes  maladies  que 
leurs  mères.  S'il  est  un  moyen  de  les  soustraire  à  la  funeste 
hérédité  qu'ils  ont  reçue  d'elles,  c'est  de  leur  faire  teter  le 
lait  d'une  nourrice  pleine  de  santé  et  de  vigueur,  et  d'un 
tempérament  opposé  à  celui  de  la  mère.  11  en  est  de  même 
lorsque  la  mère  est  d'une  constitution  très-faible,  sans  être 
attaquée  d'aucune  maladie.  Les  médecins  ne  sont  pas  d'ac- 
cord entre  eux  sur  l'époque  à  laquelle,  après  l'accouchement, 
l'enfant  doit  être  approché  du  sein  de  la  mère  :  les  uns  ont 
fixé  ce  temps  à  cinq  ou  six  heures,  les  autres  à  un  jour,  à 
trois  jours,  ou  même  davantage.  Il  est  bon  toutefois  de  laisser 
la  mère  se  calmer  de  l'agitation  produite  par  les  angoisses 
de  l'accouchement.  L'enfant  peut,  en  général,  se  passer  de 
nourriture  dans  les  premières  lieures  de  la  vie  :  quelques 
cuillerées  à  café  d'eau  sucrée  tiède  suffisent  pour  apaiser 
ses  cris,  et  servent  à  délayer  les  mucosités  qui  obstnient 
les  premières  voies.  Si  l'enfant  saisit  le  mamelon  et  tette 
sans  répugnance,  la  mère  lui  fournit  un  aliment  approprié 
à  ses  besoins  :  c'est  un  liquide  jaunâtre,  séreux,  appelé  co- 
lostrum,  auquel  on  attribue  une  action  favorable  sur  les 
voies  digestives,  et  qui  l'aide  à  rendre  le  mcconium.  De- 
sormeaux ,  le  plus  habile -des  accoucheurs  de  notre  siècle, 
regardait  ce  liquide  si  utile  pour  l'expulsion  du  méconium, 
qu'il  voulait  que  dans  le  cas  d'allaitement  étranger  ou  arti- 
ficiel, on  y  suppléât  par  quelques  petites  cuillerées  de  sirop 
de  chicorée  composé,  étendu  de  parties  égales  d'eau,  ou  tout 
simplement  de  l'eau  miellée.  Il  est  des  cas  où,  la  faiblesse 
de  l'enfant  s'opposant  à  ce  qu'il  puisse  saisir  le  mamelon  et 
teter,  on  lui  fait  prendre  alors  avec  avantage  un  peu  de 
vin  sucré  coupé  d'eau,  quelques  cuillerées  d'une  potion  lé- 
gèrement aromatique ,  édulcorée  avec  les  sirops  d'écorce 
d'orange ,  de  menthe ,  etc.  Dans  tous  les  cas,  il  convient  de 
faire  prendre  le  sein  à  l'enfant  avant  le  développement  de 
la  fièvre  de  lait  ;  le  gonilement  qui  survient  alors  aux  ma- 
melles, et  qui  efface  la  saillie  du  mamelon,  s'oppose  à  la 
succion,  et  les  efforts  que  fait  l'enfant  déterminent  des  tirail- 
lements douloureux,  et  par  suite  des  gerçures.  En  prenant, 
au  contraire,  le  sein  de  bonne  heure,  l'enfant  y  trouve  plus 
de  facilité.  Par  cette  conduite,  on  procure  à  l'enfant  l'avan- 
tage d'exercer  de  bonne  heure  les  organes  de  la  succion,  et 
par  conséquent  de  les  foilifier,  et  de  donner  à  sa  nourriture  les 
caractères  connus  de  perfectibilité  ;  car  à  mesure  que  la  lac- 
tation s'exerce ,  le  lait  se  perfectionne,  c'est-à-iUre  qu'il 
devient  de  plus  en  plus  nourrissant.  La  mère  en  retire  elle- 
même  des  avantages  réels  :  la  mamelle  étant ,  en  effet,  dé- 
gorgée et  stimulée  à  la  fois  par  la  succion ,  .se  trouve 
préparée  de  bonne  heure  aux  fonctions  qu'elle  doit  remplir; 
le  mamelon  et  les  conduits  lactifères  sont  ramoULs  par  les 


lèvres  de  l'enfant ,  et  la  sortie  du  lait  rendue  plus  facile. 
Dans  les  premiers  temps  l'enfant  ne  tette  pas  d'une  manière 
continue  :  il  s'arrête  souvent,  et  semble  se  reposer;  mais 
par  la  suite,  devenu  plus  vigoureux,  il  s'interrompt  beau- 
coup moins  souvent.  Lorsque  l'enfant  tette  à  vide,  comme 
on  dit,  c'est-à-dire  qu'il  n'extrait  pas  de  lait  de  la  mamelle 
ou  qu'il  n'a  tiré  que  de  la  sérosité  quelquefois  sanguino- 
lente, les  mouvements  de  succion  ont  lieu  comme  lorsqu'il 
tette  réellement  ;  mais  les  mouvements  de  déglutition  n'ont 
lieu  que  d'une  manière  incomplète,  et  ne  sont  point  accom- 
pagnés du  bruissement  déterminé  par  le  passage  du  liquide 
de  la  bouche  dans  l'œsophage.  La  mère  doit  avoir  soin  de 
donner  alternativement  l'une  et  l'autre  mamelle,  afin  qu'elles 
soient  toutes  deux  également  dégorgées ,  à  moins  pourtant 
que  l'une  ne  fournisse  plus  de  lait  que  l'autre. 

La  fièvre  de  lait ,  qui  peut  manquer  complètement ,  est 
presque  toujours  légère  lorsqu'on  a  allaité  l'enfant  de  bonne 
heure,  et  n'est  point  un  obstacle  à  ce  que  l'allaitement  soit 
continué.  Y  a-t-il  convenance  à  régler  les  heures  des  repas 
de  l'enfant?  Il  est  impossible  de  rien  préciser  à  ce  sujet  : 
c'est  la  voix  de  la  nature  qu'il  faut  écouter.  Durant  les 
premiers  mois  de  la  vie  l'enfant  parait  végéter  dans  le  som- 
meil, d'où  il  n'est  retiré  de  temps  en  temps  que  par  le  sen- 
timent de  la  faim,  qu'il  exprime  par  des  cris.  Ce  sentiment 
lui-même  paraît  revenir  à  des  distances  variables ,  selon 
la  constitution  de  l'enfant  et  la  qualité  du  lait  de  la  mère  ; 
en  conséquence ,  il  doit  être  remis  à  la  mamelle  toutes  les 
fois  qu'il  s'éveille,  et  que  par  ses  cris  il  réclame  la  satisfac- 
tion de  son  appétit.  A  mesure  que  l'enfant  prend  de  la  force, 
ses  besoins  augmentent,  et  ses  repas  deviennent  de  plus  en 
plus  copieux.  Le  lait  de  la  mère  subit  aussi  des  changements 
en  harmonie  avec  ces  circonstances  ;  il  devient  de  plus  en 
plus  substantiel ,  de  moins  en  moins  séreux.  Après  le  troi- 
sième mois,  l'enfant  exerce  lui-même  sur  la  mamelle,  avec 
sa  petite  main,  une  sorte  de  compression  qui,  en  augmentant 
l'expression  du  lait ,  satisfait  à  merveille  ses  besoins.  Après 
cette  époque,  ou  même  avant,  on  rend  l'alimentation  de  l'en- 
fant plus  substantieUe  en  ajf  utant  à  la  lactation  de  petites 
crèmes  féculentes.  C'est  alors  qu'on  pourrait  à  la  rigueur 
régler  jusqu'à  un  certain  point  les  heures  de  ses  repas. 

L'allaitement  comprend  ordinairement  une  période  de 
douze  à  dix -huit  mois;  il  touche  à  son  terme  lorsque  la 
sécrétion  du  lait  diminue,  et  que  ce  liquide  redevient  séreux 
comme  dans  le  principe  ;  mais  déjà  à  cette  époque  l'enfant 
se  trouve  tellement  habitué  aux  farineux ,  qu'il  peut  se 
passer  du  lait  de  sa  mère.  Il  est  rare  cependant  qu'on  at- 
tende le  terme  de  dix- huit  mois  pour  le  sevrer.  Souvent  l'al- 
laitement est  interrompu  par  une  nouvelle  grossesse.  Cette 
circonstance  n'est  pas  toujours  un  obstacle  absolu  pen- 
dant les  trois  premiers  mois  ;  mais  une  foule  d'autres  cir- 
constances d'ailleurs  peuvent  l'empêcher. 

Lorsque  la  mère  ne  peut  s'acquitter  elle-même  delà  tâche 
d'allaiter  son  enfant,  on  confie  ordinairement  le  nouveau-né 
à  une  nourrice.  C'est  à  ce  mot  que  nous  parlerons  des 
conditions  qu'elle  doit  ollrir. 

Autrefois,  lorsque  la  mère  ne  pouvait  ou  ne  voulait  pas 
nourrir,  on  confiait  l'allaitement  à  un  animal  ;  mais  cette 
espèce  d'allaitement  est  aujourd'hui  peu  en  usage,  et  en  ce 
cas  on  se  sert  d'une  chèvre  jeune  et  de  seconde  poriée,  que 
l'on  dresse  à  cet  effet  assez  facilement. 

L'allaitement  artificiel  consiste  dans  l'administration  des 
boissons  laiteuses  à  l'aide  de  biberons,  lorsque  l'allaite- 
ment maternel  ou  d'une  nourrice  est  impossible.  Dans  plu- 
sieurs hospices  d'enfants  nouveau-nés  on  n'emploie  pas 
d'autre  nourriture.  On  avait  autrefois  une  mauvaise  opinion 
de  ce  mode  d'alimentation.  Il  ne  vaut  pas  sans  doute  l'allaite- 
ment maternel  ;  mais  l'expérience  a  prouvé  aujourd'hui  que 
les  enfants  allaités  au  biberon  viennent  bien  s'ils  reçoivent 
d'ailleurs  des  soins  convenables  et  respirent  un  bon  air,  et 
une  nuiltitude  d'enfants  élevés  de  la  sorte  pai-  leui-s  propres 


ALLAITEMENT  —  ALLÉGEANCE 


345 


mt'res  jouissent  d'une  sanle  parfaite.  Pour  l'ailaiteinent  ar- 
tificiel, on  se  sert  onlinaireinenl  du  lait  de  vache  ;  et,  s'il  est 
possitile,  on  préfère  celui  dune  vache  jeune,  bien  portante, 
nourrie  à  la  campagne ,  au  grand  air  et  d'herhes  fraî- 
ches ;  quelques  médecins  recommandent  particulièrement 
le  la't  d'ânesse ,  ou  celui  de  chèvre  lorsque  Tcnfant  com- 
Bience  à  grandir.  On  prétend  que  ce  dernier  lait  est  trop 
substantiel  pour  les  premiers  temps  de  l'arailement. 
Une  circonstance  essentielle  à  suneiller,  c'est  que  l'a- 
nimal qui  fournit  le  lait  à  l'enfant  soit  bien  portant.  Il 
faut  que  le  lait  qu'on  administre  à  l'enfant  soit  frais,  récem- 
ment trait.  On  le  coupe  d'abord  avec  de  l'eau  d'orge  légère 
ou  de  l'eau  simple  sucrée ,  dans  la  proportion  de  deux  tiers 
de  ce  liquide  et  d'un  tiers  de  lait.  Ce  mélange  doit  être  tiède, 
ce  qui  s'obtient  en  versant  de  l'eau  chaude  dans  le  lait  ;  on 
peut  aussi  le  réchauffer  au  bain-marie  :  le  mélange  doit  être 
souvent  renouvelé,  surtout  en  été.  Après  le  second  mois,  on 
rend  le  !ait  plus  nourrissant  en  diminuant  graduellement 
la  proportion  et  en  augmentant  la  consistance  du  liquide 
aqueux.  La  décoction  d'orge  germée  qui  est  sucrée  parait 
très-favorable  à  la  santé  de  l'enfant  :  aussi  la  mêle-t-on  au 
lait  avec  avantage.  Quelquefois  on  joint  au  lait  une  forte 
décoction,  d'orge  légèrement  torréfiée  comme  du  café  brûlé  ; 
cette  substance  parait  donner  à  l'enfant  de  la  fraîcheur  et 
de  l'embonpoint.  On  continue  ainsi  jusqu'à  quatre  ou  cinq 
mois  ;  on  joint  alors  l'usage  des  crèmes  farineuses  ;  on  di- 
minue le  nombre  des  repas  au  lait,  et  on  arrive  peu  à  peu  jus- 
qu'à l'époque  du  sevrage,  ou,  pour  mieux  dire,  à  l'époque 
où  l'enfant  peut  se  nourrir  d'autres  aliments  que  de  lait, 
quoique  l'usage  de  ce  liquide  soit  encore  continué  sous  forme 
de  potage  ou  d'une  manière  différente. 

ALLAX-DORV AL  (Madame).  Voyez  Dorval. 

ALLANTOÏDE  (d'à)là;,  àUâvxo;,  boyau;  eTSo;, 
forme  ).  Les  anatomistes  appellent  ainsi  une  membrane  assez 
semblable  à  un  long  boyau  et  faisant  partie  de  l'arrière-faix 
dans  la  plupart  des  mammifères.  Les  opinions  sont  encore 
partagées  sur  l'existence  de  l'allantoide  dans  le  fœtus  humain  : 
Haller,  Cuvier,  Meckel,  etc.,  l'y  admettent.  C'est  un  petit 
réservoir  membraneux,  placé  entre  le  chorion  et  l'amnios, 
ou,  suivant  M.  Velpeau,  en  dehors  du  chorion,  et  qui  com- 
munique avec  la  vessie  par  un  canal  appelé  oitraque  ;  il 
est  rempli  d'un  liquide  limpide  qu'on  a  considéré  comme 
l'urine  du  fœtus,  ou  plus  vraisemblablement  comme  un  dé- 
pôt de  matières  alimentaires;  car  dans  l'œuf  humain  rien 
ne  prouve  qu'il  communique  avec  la  vessie.  M.  Velpeau,  qui 
a  disséqué  un  grand  nombre  d'œufs ,  n'a  jamais  rencontré 
cette  communication. 

ALLAQUAIS.  Voyez  Aventuriers. 

ALLARD  (  Jean-François  ),  généralissime  de  l'armée  de 
Lahore,  né  à  Saint-Tropez  (V^r)»  en  1783.  Lors  des 
événements  de  1814  il  servait  comme  capitaine  de  cava- 
lerie dans  l'armée  française.  Aide  de  camp  du  mar.  clial 
Brune  en  1815,  il  quitta  la  France  après  l'assassinat  de 
son  général,  et  se  dirigea  sur  Livourne ,  d'où  il  comptait 
faire  voile  pour  l'Amérique.  Mais  les  conseils  d'un  ami  le 
firent  renoncer  à  ce  projet;  et  il  se  rendit  d'abord  en 
Egypte,  puis  de  là  en  Perse,  auprès  d'Abbas-.Mirza, 
qui  lui  accorda  le  grade  et  la  solde  de  colonel  dans  son 
armée.  Mais  n'ayant  pas  obtenu  de  régiment  à  commander, 
il  donna  sa  démission ,  pour  passer  dans  l'Afghanistan , 
d'où  il  gagna  le  royaume  de  Lahore.  C'était  en  I822.  11 
entra  alors  au  senice  du  célèbre  Rundjet-Singh,  dont 
il  réussit  si  bien  à  gagner  les  bonnes  grâces ,  que  ce  prince 
ne  tarda  pas  à  lui  accorder  la  confiance  la  plus  illimitée  et 
le  combla  d'honneurs  et  de  dignités.  Dans  cette  position 
il  réussit  à  faire  apprécier  l'importance  de  ses  connaissan- 
ces militaires ,  en  formant  à  la  tactique  européenne  les  po- 
pulations guerrières  au  milieu  desquelles  il  se  trouvait.  Il 
créa  en  effet  à  Lahore  une  armée  complètement  organisée 
sur  le  modèle  des  armées  <le  Napoléon ,  et  en  fut  nommé 

BICT.    DE    LA    C0>\  LR-AIIO.N.    —    i .    1. 


généralissime  par  Rundjet-Singh.  Quelque  temps  après  il 
s'y  maria  avec  une  indigène.  Cependant  l'amour  de  la  pa- 
trie ne  pouvait  point  être  éteint  dans  un  cœur  tel  que  le 
sien,  et  un  événement  comme  celui  de  la  révolution  de 
juillet  dut  lui  inspirer  le  plus  vif  désir  de  revoir  le  sol  qui 
l'avait  vu  naitre.  En  1835  il  obtint  de  Rundjet-Singh,  à 
qui  il  promit  solennellement  de  bientôt  revenir,  la  permis- 
sion de  partir  pour  la  France  avec  sa  femme  et  ses  en- 
fants. A  son  arrivée  il  fut  reçu  par  les  ministres  et  par 
le  roi  Louis-Philippe  avec  la  plus  grande  distinction ,  puis 
nommé  chargé  d'affaires  de  France  près  le  roi  de  Lahore 
avec  autorisation  de  servir  dans  ses  armées  sans  pour 
cela  perdre  ses  droits  ni  sa  qualité  de  Français.  C'est  ainsi 
qu'un  voyage  entrepris  d'abor.1  dans  un  simple  intérêt  privé 
acquit  une  importance  politique  réelle.  Il  ne  fut  pas  moins 
utile  aux  intérêts  de  la  science;  car  Allard  fit  présent  à 
la  Bibliothèque  royale  de  sa  rit  lie  collection  de  coins  et  de 
médailles.  Fidèle  à  sa  promesse,  il  repartit  en  1837  pour 
Lahore,  laissant  en  France  sa  femme  et  ses  enfants;  et  à 
son  arrivée  auprès  de  Rundjet-Singli  il  eut  occasion  de  lui 
rendre  encore  de  nombreux  et  importants  services  en  con- 
tribuant à  diriger  d'heureuses  opérations  militaires  contre 
les  Afghans.  Mais,  saisi  tout  à  coup  de  violents  vomisse- 
ments à  Pe^chauer,  il  y  expira,  le  23  janvier  1839.  Sa  veuve, 
qui  était  fille  d'un  nabab,  embrassa  la  religion  catholique 
en  1841  et  continua  d'habiter  Saint-Tropez  avec  ses  enfants, 
dans  le  cercle  de  la  famille  de  son  époux. 

ALLATIUS.  Voyez  All.vcci. 

ALLÉE  COUVERTE.  Voyez  Druidiques  (Monu- 
ments ).  ^ 

ALLÉGATIOX.  Ce  mot ,  qui  dans  le  largage  de  la 
controverse  veut  dire  citation  d'une  autorité ,  énoncé  d'un 
principe ,  d'un  fait  péremptoire ,  se  prend  le  plus  souvent 
en  mauvaise  part  dans  le  langage  de  la  conversation.  Allé- 
guer dans  ce  sens,  c'est  avancer  une  proposition  sans 
être  bien  sûr  qu'elle  soit  vraie,  et  quelquefois  même  en 
sachant  bien  qu'elle  ne  l'est  pas.  —  Le  mot  allégation 
devient  alors  synonyme  d'affirmation  dénuée  de  preuves, 
pour  ne  point  dire  complètement  fausse. 

ALLÈGE.  Dans  la  marine ,  on  donne  en  général  le 
nom  d'allégés  à  des  embarcations  de  grandeur  médiocre , 
qui  accompagnent  les  gros  bâtiments,  et  qui  sont  destinées 
à  recevoir  une  partie  de  la  charge  de  ceux-ci  dans  cer- 
taines occasions.  Dans  les  ports ,  les  allèges  senent  aussi 
à  porter  aux  gros  navires  une  partie  de  leur  armement  ou 
de  leur  chargement.  Leur  forme  varie  suivant  les  pays.  — 
En  architecture,  on  donne  le  nom  à'allége  au  mur  d'appui 
d'une  fenêtre,  moins  épais  que  l'embrasure.  —  Le  tender 
des  locoinotives  s'appelle  aussi  allège. 

ALLÉGEANCE.  En  Angleterre  on  donne  ce  nom  (dé- 
rivé d'ad  legem  )  à  la  soumission  que  le  sujet  doit  à  son 
souverain.  Il  y  a  V allégeance  naturelle,  qai  est  due  par  le 
sujet  né  dans  le  pays ,  Yallégeance  acquise,  qui  est  due 
par  l'étranger  naturalisé ,  et  Yallégeance  locale,  qui  est  due 
par  l'étranger  tant  qu'il  réside  dans  les  États  du  souverain. 
On  a  encore  établi  une  distinction  entre  Yallégeance  perpé- 
tuelle et  Yallégeance  temporaire. 

Les  Anglais  nomment  serment  d'allégeance  (oath  of 
allegiance)  celui  qu'ils  prêtent  à  leur  souverain  en  sa  qua- 
lité de  prince  et  de  seigneur  temporel;  semient  qu'il  ne 
faut  pas  confondre  avec  le  serment  de  suprématie,  qu'ils  lui 
prêtent  comme  chef  de  l'Église  anglicane.  L'établissement 
de  cet  usage  remonte  au  seizième  siècle.  Plusieurs  préten- 
dants au  trône  ayant  surgi  après  la  mort  de  la  reine  Marie, 
Elisabeth  fut  choisie,  et  le  serment  d'allégeance  fut  établi  en  sa 
faveur.  Jacques  1*''  le  modifia,  et  le  fit  prêter  non-seulement 
au  roi  régnant,  mais  encore  à  ses  héritiers.  A  la  révolution 
de  1G88  le  serment  d'allégeance  subit  de  nouvelles  altéra- 
tions :  il  enjoignit  la  fidélité  au  roi  seul,  et  autoiisa  la  dé- 
sobéissance aux  ordres  du  souverain  lorsqu'ils  se  trouve- 

44 


84G 


ALLÊGEANCT:  —  ALLEGHANYS 


raient  en  opposition  avec  les  lois  du  pays.  Les  quakers 
furent,  par  une  clause  particulière,  dispensés  de  ce  serment. 
Voici  la  formule  du  serment  d'allégeance,  introduit  en  An- 
gleterre en  1 COG  ,  à  la  suite  de  la  l'ameuse  conspiration  des 
Poudres  :  «  Je proteste  et  déclare  solennellement  dé- 
fi vant  Dieu  et  les  iiommes  que  je  serai  toujours  lidèle  et 
«  soumis  au  roi....  Je  proteste  et  déclare  solennellement 
«  que  j'abliorre,  déteste  et  condanme  de  tout  mon  cœur, 
«  comme  impie  et  hérétique,  cette  damnable  proposition, 
«  que  les  princes  excommuniés  ou  destitués  par  le  pape  ou 
«  le  siège  de  Rome  peuvent  être  légitimement  déposés  ou 
«  mis  à  mort  par  leurs  sujets,  ou  par  quelque  personne  que 
n  ce  soit.  » 

Le  serment  d'allégeance  peut  être  imposé  à  tout  individu, 
anglais  ou  étranger,  ûgé  de  plus  de  douze  ans  ;  mais  main- 
tenant on  ne  l'exige  guère  que  des  ministres  et  des  hauts 
fonctionnaires. 

ALLEGHAIXYS  (Monts).  La  chaîne  des  Alieghanys, 
qui  divise  en  deux  parties  le  territoire  de  l'Union  améri- 
caine, s'étend  à  peu  près  parallèlement  au  littoral  de  l'océan 
Atlantique ,  sur  une  longueur  d'environ  200  myriamètres. 
Elle  est  baignée  par  la  mer  au  nord  ;  c'est  elle  qui  forme  la 
côte  des  Étati  de  Massachusets  ,  de  Nevv-Hampshire  et  de 
Maine.  Au  midi  elle  s'affaisse,  et  finit  par  disparaître,  à  quel- 
que distance  du  golfe  du  Mexique,  après  s'être  épandue  en 
un  plateau  qui  couvre  une  partie  des  États  de  Tennessee 
et  de  Géorgie,  et  des  flancs  duquel  plusieurs  cours  d'eau 
miportants  sortent  pour  aller  se  décharger,  les  uns  dans 
l'Atlantique,  les  autres  dans  l'Oliio,  d'autres  enfin  directe- 
ment dans  le  golfe  du  Mexique.  La  chaîne  est  formée  d'une 
série  de  crêtes  longitudinalement  disposées,  que  séparent  de 
larges  sillons,  et  qui  s'étendent,  sauf  quelques  interruptions, 
ou  plutôt  quelques  brèches,  d'une  de  ses  extrémités  à  l'au- 
tre. On  dirait  que  ce  sont  des  rides  uniformes,  dues  à  un  re- 
dressement ou  à  un  plissement  régulier  que  les  couches  de 
la  croûte  terrestre  auraient  simultanément  éprouvé  sur  cet 
immense  espace  de  200  myriamètres,  par  l'eflet  de  la  con- 
traction que  le  refroidissement  a  pu  produire  dans  la  masse 
du  globe,  ou  par  toute  autre  cause. 

La  direction  générale  des  Alleghaays  est  du  nord-est  au 
sud-ouest;  mais  entre  ces  deux  extrémités  elle  subit  des 
inflexions  qui  modifient  l'aspect  général  de  la  ciiaîne,  le 
nombre  et  l'espacement  des  crêtes  parallèles,  et  offre  des 
angles ,  ou  plutôt  des  nœuds ,  desquels  partent  quelques  ra- 
mitications.  Elle  décrit  un  de  ces  détours,  qu'on  pourrait 
aussi  bien  qualifier  de  renflements,  dans  la  Pensylvanie,  si 
bien  que  ce  vaste  État,  qui  équivaut  à  peu  près  au  quart  de 
la  France,  est  presque  tout  entier  compris  dans  le  périmètre 
de  la  chaîne  proprement  dite.  Le  nombre  des  crêtes  paral- 
lèles varie  de  six  à  douze;  il  est  plus  habituellement  de  huit. 
Elles  changent  de  nom  suivant  les  lieux  et  suivant  les  ac- 
cidents de  terrain  qui  les  ont  réunies  ou  séparées,  La  chaîne 
occupe  une  largeur  moyenne  de  16  à  20  myriamètres. 
M.  Darby  évalue  à  6,000  ou  7,000  mètres  environ  la  lar- 
geur de  la  base  de  chaque  crête,  ce  qui  laisserait  15,000  à 
17,000  mètres  pour  largeur  moyenne  des  sillons.  Ces  sil- 
lons sont  le  plus  souvent  susceptibles  de  recevoir  une  belle 
culture;  c'est  toujours  le  cas  lorsqu'ils  reposent  sur  le  cal- 
caire bleu  de  formation  ancienne,  qui  est  abondant  aux 
États-Unis. 

D'après  la  régularité  de  configuration  qui  distingue  les  Al- 
Icghanys,  on  serait  tenté  de  croire  que  les  fleuves  et  les 
rivières  ont  dû  se  creuser  im  lit  dans  le  sens  des  sillons  qui 
séparent  les  crêtes.  1!  n'en  est  rien  cependant  :  ces  sillons  ne 
forment  pas  de  vallées,  quoique  quelques-unes  en  portent 
le  nom;  les  rivières  se  rendent  à  la  mer  en  traversant  les 
crêtes  successives.  Elles  s'y  sont  fait  jour  violemment,  sans 
doute  à  la  faveur  de  quelque  révolution  terrestre.  Les  crêtes 
présentent  ainsi  des  tranchées  larges  et  profondes,  par  où  les 
fleuves  continuent  leur  chemin  vers  la  mer,  quelquefois 


même  sans  que  leur  cours  soit  précisément  interrompu  en 
ce  point  par  des  rapides  ou  des  chutes.  L'une  des  plus  re- 
marquables de  ces  ouvertures  est  celle  d'Harper's  Ferry,  où 
le  Potomac  et  le  Schenandoah,  unissant  leurs  eaux,  ont 
forcé  la  crête  connue  sous  le  nom  de  Blue-Ridge  (  montagne 
Bleue).  Ces  brèches,  qui  offrent  ordinairement  des  sites  pit- 
toresques ,  sont  de  la  plus  grande  utilité  pour  les  commu- 
nications ;  elles  donnent  le  moyen  de  se  rendre  d'un  sillon 
à  un  autre ,  sans  avoir  à  franchir  aucun  sommet.  Le  défilé 
d'Harper's  Ferry  ,  par  exemple  ,  a  été  aussi  mis  à  profit 
par  un  canal ,  par  une  route  et  par  deux  chemins  de  fer. 

Entre  l'Hudson  et  le  milieu  de  la  Virginie ,  la  plupart  des 
fleuves  et  des  rivières  prennent  naissance  sur  les  flancs 
d'une  ciête  centrale ,  à  laquelle  on  a  donné  le  nom  d'AllC- 
ghany  ou  de  montagne  Apalache,  et  qui  a  une  hauteur  à 
peu  près  constante  de  800  à  l,000  mètres  au-dessus  de  la 
mer. 

Parmi  les  crêtes  allongées  qui ,  marchant  parallèles  les 
unes  aux  autres ,  composent  la  chaîne  des  Alleghanys  ,  on 
en  distingue ,  indépendamment  de  la  crête  centrale ,  deux  ' 
qui  renfi/rment  entre  elles  l'ensemble  de  la  chaîne  comme 
un  faisceau.  Ce  sont  le  Blue-Ridge ,  situé  à  l'est ,  et  la  crête 
de  Cumberland  ou  de  Gauley ,  placée  à  l'ouest ,  qui  du 
côté  du  nord  porte  d'autres  noms. 

Le  Blue-Ridge  forme  probablement  ce  qui  au  nord  de 
l'Hudson  est  connu  sous  le  nom  des  Green  Moiintains  ;  sur 
la  rive  droite  de  ce  fleuve,  il  constitue  les  Ilighlands , 
qui  partent  de  West-Point.  En  Pensylvanie  et,  plus  au  sud, 
en  Virginie ,  il  borde  ce  qu'on  appelle  dans  ce  dernier  État 
la  Valide  par  excellence ,  région  calcaire ,  salubre  et  fer,- 
tile.  A  partir  du  nord  jusqu'à  37°  de  latitude,  il  est  coupé 
par  tous  les  fleuves  qui  se  rendent  à  l'Océan  ;  mais  arrivé 
là ,  il  devient  la  crête  du  versant  des  eaux.  Le  large  sillon 
formant  cette  magnifique  vallée,  qui  depuis  l'Hudson  se 
continue  sans  interruption  au  travers  de  la  Pensylvanie ,  du 
Maryland  et  de  la  Virginie,  sur  un  espace  de  plus  de  600 
kilom.,  en  suivant  le  flanc  occidental  du  Blue-Ridge,  est 
borné  alors  par  un  éperon  massif  qui  rattache  la  crête 
centrale  ou  Alleghany  au  Blue-Ridge ,  ou  plutôt  qui  marque 
la  fin  de  la  crête  centrale  elle-même ,  comme  si  à  partir 
de  ce  point ,  elle  était  confondue  avec  le  Blue-Ridge.  Cet 
éperon  ,  dirigé  à  peu  près  du  nord-nord-ouest  au  sud-sud- 
est,  est  compris  entre  le  Janies-River,  qui  se  rend  dans 
l'Atlantique ,  et  le  New-River,  qui  va  se  jeter  dans  l'Oliio. 
De  là  jusqu'à  l'extrémité  méridionale  de  la  chaîne,  le 
Blue-Ridge  renvoie  à  l'Atlantique  le  Dan  ,  branche  du  Roa- 
noke ,  le  Pedee ,  la  Santee  ,  la  Savannah  ;  à  l'Ohio ,  le  iN'ew- 
River,  qui  plus  bas  prend  le  nom  de  Kanawha ,  et  le 
Tennessee ,  et ,  directement  au  golfe  du  Mexique ,  la  Cha- 
tahooch.ée  et  l'Alabama. 

La  crête  de  Cumberland ,  avec  les  crêtes  qui  se  prolon- 
gent ou  en  dépendent,  est  dans  les  États  du  Sud  plus 
massive  que  le  Blue-Ridge.  En  commençant  par  le  nn'di , 
elle  a  son  point  de  départ  à  peu  de  distance  de  la  rivière 
Tennessee,  qui  pour  se  rendre  du  plateau  du  Blue-Ridge 
à  l'Ohio  est  obligée  de  la  tourner  et  de  décrire  ainsi  un 
long  circuit;  parvenue  en  Virginie,  au  nord  de  l'éperon 
qui  joint  la  crête  Alleghany  au  Blue-Ridge,  elle  semble 
(iabord  se  confondre  avec  la  crête  Alleghany  ;  et  plus  loin, 
en  se  rapprochant  du  nord  ,  dans  la  Pensylvanie  et  dans 
l'Étal  de  >'ew-Vork,  elle  constitue  en  arrière  de  celle-ci, 
sur  quelques  points,  la  ligne  du  versant  des  eaux,  quoi- 
qu'elle ce?se  d'offrir  <les  sommets  élevés ,  et  que  sa  conti- 
nuité .soit  moins  distincte.  Ainsi ,  dans  la  Pensylvanie  et 
dans  l'État  de  New-York  elle  donne  naissance ,  d'un  côté 
à  la  Gencsee  ,  et  de  l'autre  à  la  .Susquehannah  ,  qui  s'ouvre 
un  passage  à  travers  tontes  les  crêtes  situées  entre  le  pro- 
longement du  Cumberland  et  l'Atlantique ,  tout  comme  au 
midi  le  New-River,  sortant  du  Blue-Ridge,  coupe  toutes 
les  crêtes  qui  séparent  le  Blue-Ridge  de  l'Ohio.  Cependant, 


ALLEGHANYS 

en  Pensylvanie  la  crête  AUeghany  forme  généralement  le 
partage  des  eaux. 

L'élévation  de  la  chaîne  des  Alleghanys  est  peu  considé- 
rable, nialgré  la  grande  largeur  de  la  chaîne  ;  elle  ressemble 
le  plus  habituellement,  sous  ce  rapport,  aux  Vosges  ou  au 
Jura ,  c'est-à-ilire  que  communément  les  sommets  n'y  dé- 
passent pas  1,200  ou  1,300  mètres  au-dessus  de  la  mer.  Les 
Alleghanys  ne  vont  pas  à  1,000  métrés  de  hauteur  moyenne 
pour  l'ensemble  de  chaque  créle.  Cependant  ils  offrent  au 
nord,  dans  le  Maine  et  d;ins  le  New-Hampshire ,  quelques 
limes  plus  élevées.  Ainsi  le  Mooshelock  (New-Hampshire) 
a  1,530  mètres,  le  Katahdin  (Maine)  a  1,790  mètres,  le 
mont  Washington  (  New-IIampshire  )  a  2,027  mètres.  La 
masse  de  la  chaîne  compose  une  sorte  de  plateau  assez 
e.\ha\issée  dans  la  Virginie,  le  Kentucky  et  le  Tennessee;  en 
se  rapprochant  du  nord  elle  se  déprime  ;  le  terrain  n'est 
plus  qu'à  130  mètres  environ  au-dessus  de  la  mer  aux  ap- 
proches de  l'Hudson,  dans  l'État  de  ]New-York  ;  il  s'abaisse 
même  jusqu'à  42  mètres  dans  un  défilé  long  et  étroit  qui 
court  de  THuihon  au  Saint-Laurent.  Mais  de  l'autre  côté 
de  l'Hudson ,  en  poursuivant  vers  le  nord ,  il  se  remet  de 
nouveau  à  monter,  à  ce  point  que  c'est  dans  les  latitudes 
septentrionales  que  les  sommets  atteignent  le  maximum  de 
hauteur.  Ainsi ,  le  bassin  de  l'Hudson  offre  une  passe  spa- 
cieuse, facUe  et  unique ,  à  travers  l'ensemble  de  la  chaîne. 

L'une  des  conséquences  de  la  faible  élévation  des  Alle- 
ghanys, c'est  qu'il  n'y  peut  exister  de  ces  glaciers  ou  amas 
de  neige  qui,  servant  aux  fleuves  de  réservoirs  permanents, 
les  alunentent  pendant  l'été.  C'est  une  circonstance  défavo- 
rable à  l'établissement  de  canaux  destinés  à  franchir  les 
Alleghanys  pour  reUer  les  ports  de  l'Atlantique  à  la  grande 
vallée  centrale  de  l'Amérique  du  Nord.  Il  n'y  a  que  quelques 
cimes  isolées  où  la  neige  se  conserve  pendant  l'été ,  et  elles 
sont  situées  dans  les  États  septentrionaux  du  Maine  et  de 
New-Hampshire ,  où  l'on  a  dû  peu  s'occuper  d'établir  de 
pareilles  jonctions. 

Un  autre  obstacle  à  la  création  d'artères  navigables  au 
travers  des  Alleghanys  consiste  dans  l'absence  totale  de 
lacs,  qui  caractérise  cette  chaîne  au  midi  de  l'Hudson,  c'est- 
à-dire  dans  la  seule  partie  où  il  importait  d'ouvrir  de  gran- 
des lignes.  Au  midi  du  41*'  degré  de  latitude  on  ne  trouve 
pas  un  lac  sur  le  territoire  des  États-Unis ,  à  moins  qu'on 
ne  qualifie  de  ce  nom  les  lagunes  qui  bordent  le  rivage  dans 
les  États  du  Sud.  Au  contraire,  de  l'autre  côté  de  l'Hudson,  les 
lacs  apparaissent.  Ils  sont  fort  multipliés  dans  le  Canada  et 
dans  le  Nouveau-Brunswick,  et  même  dans  l'État  du  Maine. 
Au  nord  du  42'  degré  de  latitude  c'est  à  peine  s'il  existe 
en  Amérique  un  cours  d'eau  qui  ne  sorte  d'un  lac  et  d'un 
étang. 

La  plupart  des  fleuves  qui  prennent  leur  source  dans  les 
Alleghanys  ont  leur  direction  générale  de  l'ouest-nortWouest 
à  l'est-sud-est.  Ces  fleuves  sont  fort  nombreux;  ils  pré- 
sentent des  bassins  généralement  très-exigus.  Le  plus  grand 
de  ces  bassins,  celui  de  la  Susquehannah,  n'est  que  la  moi- 
tié de  celui  de  la  Loire;  et  cependant  il  est  presque  double 
de  celui  d'Albemarle,  qui  occupe  le  second  rang,  et  qui  lui- 
même  se  Compose  de  deux  vallées  réellement  distinctes  ^ 
celles  du  Roanoke  et  du  Chowan.  Il  est  vrai  que  si  l'on 
considère  la  Chesapeake  comme  le  prolongement  de  la  Sus- 
quehannah, ce  qui  serait  raisonnable  à  plusieurs  égards,  et 
que  l'on  réunisse  au  bassin  de  la  Susquehannah  les  sur- 
faces arrosées  par  le  James-River,  l'York-River,  le  Rappa- 
hannock  ,  le  Potomac,  le  Patuxent  et  le  Patapsco,  ainsi  que 
YEastern  Shore,  on  a  un  bassin  de  17,896,900  hectares  de 
superficie ,  ce  qui  représente  le  tiers  de  la  France  ou  le 
bassm  de  la  Loire.  —  La  majorité  de  ces  fleuves  et  de  leurs 
affluents  ne  sont  navigables  que  sur  une  partie  de  leur 
cours.  La  chaîne  où  ils  prennent  leur  source  est  trop  voi- 
sine de  la  mer  pour  qu'il  en  soit  autrement.  Il  n'y  en  a 
pour  ainsi  dire  aucun  qui  à  une  distance  ordinairement 


347 


faible  de  la  mer  ne  présente  une  cataracte  ou  au  moins  un 
plan  incliné  insurmontable  à  la  navigation.  Cet  accident 
général  dans  leur  lit  paraît  occasionné  par  une  bande  con- 
tinue de  terrain  primitif ,  qui ,  avec  la  régularité  qu'on  re- 
trouve dans  les  caractères  géologiques  du  sol  des  États- 
Unis  ,  comme  dans  sa  configuration  topographique,  s'éten- 
drait, dit-on,  d'un  bout  à  l'autre  de  l'Union.  Ainsi,  en 
descendant  du  nord  au  midi ,  on  rencontre  successivement 
les  chutes  do  la  rivière  Sainte-Croix  à  Calais,  celles  du  Pe- 
nobscot  à  Bangor,  du  Kennebcc  à  Augusta ,  du  Merrimack 
à  Lowell  et  à  Haverhill,  du  Connecticut  près  de  Hartfort, 
de  la  Passaïc  à  Patterson ,  du  Raritan  près  de  New-Bruns- 
witk,  de  la  Delaware  à  Trenton,  de  Schuylkill  près  de  Phi- 
ladelphie, de  la  Brandywine  près  de  Wilmington,  de  la  Sus- 
quehannah entre  Columbia  et  la  Chesapeake,  du  Patapsco 
près  d'Ellicott's  Mills,  du  Potomac  aux  Little-Falls  et  aux 
Great-Falls,  du  Rappahannock  à  Fredericksburg,  du  James- 
River  à  Richmond,  de  l'Appomatox  à  Petersbourg,  du 
Rounoke  à  Munford,  de  la  Neuse  à  Smitlifield,  de  la  rivière 
du  cap  Fear  à  Averysboro ,  du  Pedee  près  de  Rockingham 
et  de  Sneodsboro,  de  la  Wateree  près  de  Camden,  du  Con- 
garée  à  Columbia,  du  Saluda  à  sou  confluent  avec  le  Broad- 
River,  de  la  Savannah  à  Augusta ,  de  l'Oconee  à  Milledge- 
ville,  de  l'Ocmulgee  à  Mâcon.  Cette  ligne  de  cataractes 
paraît  même  se  poursuivre  sur  le  versant  du  golfe  du  Mexi- 
que. On  en  distingue  le  prolongement  sur  le  Flint-River  à 
Fort-Lawrence,  sur  le  Chatahoochee  à  Fort-Mitchell,  sur  la 
Coosa,  près  de  sa  jonction  avec  la  Talapoosa,  sur  la  Tom- 
bigbce  ou  Tombekbee ,  dans  le  voisinage  du  fort  Saint- 
Étienne;  le  célèbre  géographe  américain  M.  Darby  pen^e 
même  l'avoir  retrouvée  à  l'ouest  du  Mississipi,  sur  la  Oua- 
chita  ou  Washita,  au-dessous  du  confluent  de  la  rivière 
Bœuf,  et  sur  la  rivière  Rouge,  aux  rapides  des  envùons 
d'Alexandiie.  Mais  du  côté  du  golfe  du  Mexique ,  suivant 
le  même  auteur ,  dans  les  États  d'Alabama ,  de  Mississipi 
et  de  la  Louisiane ,  le  banc  de  rochers  qui  coupe  ainsi  le 
cours  de  toutes  les  rivières ,  au  heu  d'être  de  nature  pri- 
mitive, comme  sur  le  versant  de  l'Atlantique ,  serait  formé 
d'un  grès  assez  tendre ,  dont  d'ailleurs  il  ne  détermine  pas 
l'âge  géologique ,  et  l'assimUation  qu'il  indique  est  proba- 
blement exagérée. 

La  ligne  des  cataractes,  qui  joue  un  grand  rôle  dans  la  con- 
figuration du  sol  américain  considéré  sous  le  rapport  de  la  na- 
vigation et  de  la  culture,  peut  et  même  doit  être  considérée 
comme  un  premier  échelon  des  Alleghanys.  Elle  a  eu  sans 
doute  pour  origine  le  même  soulèvement.  Pour  l'économiste 
et  l'ingénieur,  c'est  l'un  des  traits  les  plus  curieux  de  la  géo- 
graphie américaine.  Au  nord,  efle  est  très-voisine  de  l'Atlan- 
tique ,  puisque  là  les  montagnes  elles-mêmes  sont  baignées 
par  la  mer.  Ainsi,  les  chutes  des  fleuves  des  six  États  désignés 
sous  le  nom  général  de  la  NouveUe- Angleterre  et  des  États 
dits  du  centre  sont  fort  rapprochées  du  rivage.  Mais  quand 
on  va  vers  le  midi,  la  ligne  des  cataractes,  restant  à  peu  près 
parallèle  au  pied  des  montagnes,  s'écarte,  comme  eUes,  de  la 
mer.  Il  en  résulte  entre  les  fleuves  du  nord  et  ceux  du  midi 
une  diflérence  remarquable  sur  les  fleuves  situés  au  noid  de 
la  Chesapeake,  ainsi  que  sur  les  tributaires  de  cette  baie , 
tels  que  le  James-River  et  le  Potomac  :  la  ligne  des  cata- 
ractes marque  le  point  où  la  marée  cesse  de  se  faire  sentir. 
La  navigation  maritime  remonte  jusque  là ,  mais  s'arrête 
là.  Sur  les  fleuves  méridionaux  la  marée  cesse  d'être  sen- 
sible bien  au-dessous  de  la  ligne  des  cataractes.  Entre 
cette  ligne  et  la  ligne  de  la  marée  ils  offrent  une  naviga- 
tion naturelle ,  qui  est  cependant  fort  imparfaite  et  d'un  se- 
cours plus  que  médiocre  pour  le  commerce. 

La  ligne  des  cataractes  partage  la  région  qui  borde  l'Atlan- 
tique en  deux  parties  bien  distinctes  ,  aux  yeux  de  l'indus- 
triel et  à  ceux  de  l'homme  d'État ,  tout  comme  à  ceux  du 
géographe.  Au  bas  des  cataractes ,  de  leur  pied  à  la  mer,  les 
fleuves  sont  à  peu  près  sans  pente  et  d'une  navigation  aisée, 

44. 


348  ALLEGHANYS 

surtout  au  nord  ;  leur  eau  est  salée  ou  saumàtre ,  et  monte 
ou  descend  avec  la  marée  ;  leurs  rives  sont  plates ,  et  les 
eaux  y  ont  peu  ou  point  d'écoulement.  C'est  un  to\  sablon- 
neux ,  très-peu  fertile ,  excepté  sur  le  littoral  immédiat  des 
ruisseaux  et  des  fleuves ,  et  parsemé  de  flaques  d'eaux  sta- 
gnantes ,  d'où  s'exhalent  pendant  l'été  des  miasmes  fiévreux. 
Cette  première  zone  malsaine ,  inculte ,  couverte  de  forêts  do 
pins,  presque  inhabitable  et  inhabitée,  est  étroite  au  nord  de 
la  Chesapeake,  au-dessus  du  37<=  degré  de  latitude;  mais  elle 
occupe  un  grand  espace  au  sud,  en  Virginie,  dans  les  Caro- 
lines  et  en  Géorgie.  Entre  Charleslon  (  Caroline  du  Sud  )  et 
Augusta  (Géorgie) ,  villes  situées  sur  une  ligne  à  peu  près 
perpendiculaire  au  littoral ,  elle  n'a  pas  moins  de  deux  cents 
kilomètres  de  largeur.  Au-dessus  de  la  ligne  des  cataractes, 
h  scène  change  :  les  rivières  ne  ressentent  plus  l'action  de 
fa  marée  ;  elles  ont  beaucoup  plus  de  pente  ;  elles  en  ont 
même  trop ,  car  elles  sont  d'une  navigation  mauvaise ,  cl 
praticables  seulement  pour  de  courts  espaces  séparés  par  des 
rapides ,  des  rochers  ou  des  bancs  de  sable.  Elles  offrent  à 
l'industrie  une  force  motrice  qui  semble  inépuisable.  Le  pays 
est  ondulé  ou  môme  montagneux ,  salubre ,  cultivé  dans 
tous  les  fonds ,  richement  boisé  sur  les  croupes  et  les  cimes, 
couvert  de  villes  et  de  v  illages.  11  y  a  ainsi ,  inmiédiateraent 
au-dessus  de  la  ligne  des  cataractes,  une  admirable  zone 
qui  contourne  les  Alleghanys,  depuis  l'embouchure  du  Saint- 
Laurent  jusqu'à  celle  du  MissLssipi ,  de  Québec  à  la  Nou- 
velle-Orléans ,  et  qui ,  ayant  derrière  elle ,  au  delà  des  Al- 
leghanys ,  le  vaste  et  fertile  tenitohe  de  l'Ouest,  est  sans 
contredit  l'un  des  champs  les  plus  remarquables  et  les  mieux 
situés  pour  le  commerce  maritime  que  la  civilisation  ait 
envahis. 

La  limite  de  ces  deux  zones.  Tune  privilégiée,  l'autre  mau- 
dite ,  était  la  place  indiquée  par  la  nature  pour  recevoir  les 
centres  commerciaux  du  pays.  C'est  là  en  effet  que  sont 
posées  les  grandes  villes  des  États  de  l'Atlantique.  Plus  bas 
elles  eussent  été  plongées  dans  un  air  malsain ,  éloignées  des 
terres  cultivées ,  difficiles  à  approvisionner  et  hors  de  la 
portée  des  habitants  de  l'intérieur  ;  plus  haut ,  elles  n'eus- 
sent pas  eu  de  ports.  Les  fleuves ,  qui  en  amont  de  la  ligne 
des  cataractes  sont  pendant  uue  bomie  partie  de  l'année 
médiocrement  pourv-us  d'eau  ,  à  cause  du  peu  d'étendue  et 
de  la  pente  de  leur  cours ,  forment  en  aval  de  la  même  li- 
"ne  des  baies  ou  au  moins  des  rades  spacieuses  et  d'une 
entrée  commode ,  généralement  allongées ,  que  les  plus  forts 
navires  du  commerce  remontent  et  descendent  avec  facilité 
par  l'effet  des  vents  ou  de  la  marée  ,  ou  à  l'aide  des  remor- 
queurs à  vapeur.  Presque  toutes  les  métropoles  sont  placées 
au  sommet  de  ces  baies  ou  de  ces  bassins  :  Boston  est  sur 
les  bords  de  la  mer,  au  fond  d'une  belle  rade  ;  Ncw-Ledford , 
Portland  et  les  villes  les  plus  considérables  du  Massa- 
chuscts ,  du  New  -  Hampshire  et  du  Maine ,  sont  prcs- 
({ue  toutes  situées  de  même ,  parce  que  dans  cette  partie 
de  la  côte  la  ligne  des  cataractes  se  confond  à  peu  près 
avec  le  rivage.  Providence  est  en  tête  de  la  baie  de  Nar- 
ragansett.  New-York  est  sur  la  ligne  idéale  des  cataractes, 
fort  voisin  de  la  mer  cependant,  et  à  l'extrémité  d'une  im- 
mense rade.  Philadelphie  et  Baltimore  sont,  l'une  à  la  pointe 
de  la  baie  de  Delawaro ,  l'autre  en  tête  de  la  Chesapeake. 
Les  points  de  Richemond  sur  le  James-River  et  de  Peters- 
bourg  sur  l'Appomatox  sont  littéralement  au  pied  des  ca- 
taractes, qui  sur  l'un  et  l'autre  fleuve,  et  particulière- 
ment sur  le  second,  sont  grandioses.  Lorsqu'on  s'avance 
plus  au  sud ,  on  retrouve  au  voisinage  des  chutes  de  chaque 
rivière  lUie  ville  assez  importante,  niais  ce  ne  sont  plus  des 
ports.  La  zone  stérile  s'étant  singulièrement  élargie,  les 
baies  qui  offrent  aux  bâtiments  maritimes  une  profondeur 
suffisante  pour  leur  tirant  d'eau  s'arrêtent  avant  d'avoir  at- 
teint la  zone  de  la  culture.  Les  ports,  beaucoup  m.oins  pros- 
pères que  ceux  du  nord ,  sont  alors  à  une  assez  grande  dis- 
tance des  terres  en  produit  ;  et  pour  se  niellre  en  rapport 


—  ALLEGORIE 

avec  les  planteurs  de  coton  et  de  riz ,  ils  sont  dans  !â  nf. 
cessité  d'envoyer  au  loin  des  bateaux  à  vapeur,  quand  il  y 
a  pour  porter  ceux-ci  des  rivières  comme  la  Savannah  et 
l'Alatamaha,  ou  de  jeter  au  travers  du  désert  des  chemins 
de  fer,  comme  ceux  de  Charleston  à  Augusta  et  de  Savan- 
nah à  MAcon.  Michel  Chevalier. 

ALLÉGORIE  (  du  grec  â).),o;,  autre  ;  àyopsya) ,  je  dis  ). 
L'allégorie,  comme  l'indique l'ctymologie,  est  la  substitution 
du  langage  figuré  à  l'expression  propre,  d'un  discours  dé- 
tourné au  discours  direct.  Considérée  comme  une  simple 
figure  de  rhétorique ,  ce  n'est  donc  qu'une  métaphore  sou- 
tenue et  continuée ,  d'un  fort  bel  effet  lorsque  le  sens  en  est 
parfaitement  clair,  et  que  les  rapports,  comme  l'a  dit  La 
Harpe  après  Quintilien,  ne  sont  ni  trop  multipliés  ni  pris 
de  trop  loin.  On  donne  un  sens  plus  étendu  à  l'allégorie, 
quand  on  appelle  de  ce  nom  une  fiction  poétique  où  des 
êtres  moraux  sont  personnifiés.  Dans  l'un  et  dans  l'autre 
cas,  le  voile  de  l'allégorie  doit  être  artistement  tissu,  mais 
transparent,  et,  comme  l'a  fort  bien  dit  Lemierre,  dans 
son  poème  sur  la  pemture ,  en  personnifiant  lui-mî-me  cet 
être  de  raison  : 

L'Allégorie  habite  un  palais  diaphane. 

L'allégorie  est  aussi  ancienne  que  le  monde,  et,  comme  le 
rappelle  M.  Tissot,  «  l'allégorie  est  la  figure  universelle 
par  laquelle  le  genre  humain  tout  entier  entra  dans  l'ordre 
intellectuel  et  moral  n .  Les  sens  matériels  chez  l'homme  étant 
frappés  avant  le  sens  intellectuel ,  c'est  par  les  objets  exté- 
rieurs que  ses  idées  sont  éveillées.  Il  eut  la  connaissance 
des  premiers  avant  d'avoir  la  conscience  des  autres;  le 
besoin  fit  bientôt  naître  les  termes  nécessaires  pour  nommer 
les  objets  de  la  vie  usuelle  ;  et  quand  ce  vint  aux  choses 
de  l'esprit,  aux  abstractions,  aux  produits  de  sa  pensée, 
ne  trouvant  point  de  mots  pour  les  exprimer,  il  les  revêtit 
des  formes  vivantes ,  et  du  nom  des  objets  avec  lesquels  il 
était  déjà  familier,  ou  dont  la  vue  provoquait  en  lui  ces 
mouvements  intérieurs  de  son  organisation  intellectuelle  et 
morale.  Le  langage  primitif  de  l'homme  se  trouva  donc  ainsi 
composé  d'images ,  et  dans  l'enfancç  des  sociétés  l'allégo- 
rie, au  Ueu  d'être  un  voile,  comme  chez  les  modernes, 
fut,  au  contraire,  une  clef  et  un  flambeau  destinés  à  éclairer, 
à  expliquer,  à  rendre  sensible  enfin  ce  que  le  discours  ne 
pouvait  encore  interpréter  d'une  manière  claire  et  précise; 
ce  fut ,  en  un  mot ,  une  traduction  des  idées  de  l'homme  par 
le  secours  des  objets  matériels  de  la  nature.  De  là  l'usage 
constant  chez  toutes  les  nations  de  représenter  les  abs- 
tractions par  les  images  des  objets  corporels;  de  là  les 
formes  symboliques  du  langage  chez  les  anciens  peui)les, 
principalement  chez  les  Égyptiens,  de  qui  Pythagore  et 
d'autres  philosophes  grecs  les  empruntèrent  pour  les  adapter 
à  la  langue  et  aux  mœurs  de  leur  pays. 

Mais  bientôt  l'allégorie  disparut  du  langage  habituel 
pour  former  une  langue  à  part  et  devenir  le  partage  de 
([uelques  privilégiés  ;  elle  tomba  dans  le  domaine  de  la  re- 
ligion, qui  s'en  servit  comme  d'un  mystère  de  plus.  Les  al- 
légories antiques  parvenues  jusqu'à  nous  n'ont  pas  encore 
trouvé  leurs  égales  dans  les  littératmes  modernes  :  «  Ja- 
mais les  modernes,  dit  Voltaire,  ne  trouveront  d'allégo- 
ries plus  vraies,  plus  agréables,  plus  ingénieuses  que  celles 
des  neuf  Muses ,  de  Vénus,  des  Grâces ,  de  l'Amour,  etc., 
qui  seront  les  délices  et  l'instruction  de  tous  les  siècles.  • 

Ce  n'est  pas  seulement  par  rapport  à  leur  grand  éloigne- 
ment  que  les  anciens  hiéroglyphes,  ou  plutôt  les  allégories 
des  Égyptiens ,  des  Scythes  et  de  quelqiies  autres  peuples 
de  l'Asie ,  nous  semblent  inférieures  à  celles  de  leurs  suc- 
cesseurs; c'est  surtout  par  le  défaut  de  relation  exacte, 
et ,  par  conséquent,  de  clarté,  dont  elles  sont  quelquefois 
entacliées.  La  Harpe,  dans  son  Cours  de  Littérature ,  en 
cite  un  exemple  qui  paraîtra  sans  doute  concluant,  et  que 
nous  allons  rapporter.  Darius ,  roi  des  Perses ,  dans  son 


ALLÉGORIE  —  ALLEMAG>^E 


expéililion  contre  les  Scytlies  ,  s'étant  engagé  témcVaircmcnt 
tians  leurs  vastes  solitudes  ,  y  perdit  une  partie  de  son 
armée ,  et  y  reçut  un  ambassadeur  (pii  lui  présenta  de  leur 
part  c  inij  lUVhes ,  un  oiseau  ,  une  souris  ,  une  grenouille , 
et  se  retira  sans  rien  dire.  Un  Persan,  qui  avait  quelque 
connaissance  du  caractère  et  du  langage  de  ce  peuple , 
expliqua  ainsi  leurs  présents  :  «  A  moins  que  vous  ne  puis- 
siez voler  dans  les  airs  comme  les  oiseaux  ,  ou  vous  cacher 
sous  la  terre  comme  les  souris ,  ou  dans  les  eaux  comme 
les  grenouilles  ,  vous  n'échapperez  point  aux  flèches  des 
Scythes.  »  Il  se  trouva  qu'il  avait  bien  deviné  ;  mais  Darius 
avait  interprété  cet  emblème  d'une  manière  toute  diffé- 
rente ,  et  pourtant  tout  aussi  plausible.  Il  prétendait  que 
c'était  un  témoignage  de  la  soumission  des  Scythes,  qui 
lui  faisaient  honunage  des  animaux  nourris  dans  les  trois 
ékujienfs ,  et  lui  abandonnaient  leurs  armes. 

Les  premiers  Pères  de  l'Église,  qui  pour  la  plupart 
étaient  platoniciens ,  empruntèrent  de  leur  maître  cet  usage 
des  formes  allégoriques ,  dont  on  peut  dire  qu'ils  ont  quel- 
quefois poussé  le  goût  un  peu  trop  loin.  Les  Écritures 
offrent  elles-mêmes  beaucoup  d'allégories ,  parmi  lesquelles 
on  distingue  celles  de  Natiian  et  de  Jérémie. 

On  connaît  les  plus  célèbres  de  l'antiquité  :  Plutus,  Pro- 
méthée ,  Psyché,  etc.;  ce  sont  des  modèles  de  l'allégorie 
soutenue ,  c'est-à-dire  de  celle  qui  consiste  à  personnifier 
les  êtres  moraux ,  qui  vit  d'images  artistement  combinées , 
revêtues  de  couleurs  habilement  maniées ,  et  de  la  méta- 
phore, qui  emploie  un  langage  détourné  et  des  formes 
étrangères  pour  arriver  à  un  sens  direct  et  à  un  but  déter- 
miné. Il  n'y  a  guère  dans  la  littérature  française  d'al- 
légories parfaites  :  elles  sont  pour  la  plupart  prises  en  de- 
hors des  comparaisons  harmoniques.  Quant  aux  parades 
qui  se  jouent  sur  nos  théâtres ,  et  que  l'on  veut  bien  ap- 
peler allégories,  il  n'y  a  rien  à  en  dire.  De  tous  les  peuples 
modernes,  les  Orientaux  seuls  ont  parfaitement  compris  le 
génie  de  l'allégorie  :  leur  littérature  présente  en  ce  genre 
des  modèles  qui  pour  la  grâce,  la  vérité  et  l'imagination, 
n'ont  presque  rien  à  envier  aux  chefs-d'œuvi-e  de  la  Grèce. 

ALLEGRî  (Gr.EGORio),  chanteur  de  la  chapelle  du 
pape,  naquit  à  Rome,  en  1590,  et  mourut  dans  cette  ville, 
en  1640.  Il  était  élève  de  Nanino,  et  il  passe  encore  aujour- 
d'hui en  Italie  pour  un  des  meilleurs  compositeurs  de  son 
temps.  La  plus  célèbre  de  ses  productions  est  un  Miserere 
que  l'on  chantait  tous  les  ans  le  mercredi-saint,  à  quatre 
heures ,  dans  la  chapelle  Sixtine ,  et  auquel  on  attribuait 
im  effet  prodigieux.  On  attachait  tant  d'importance  à  cette 
composition ,  qu'il  était  défendu  de  la  copier,  sous  peine 
d'excommunication.  Mozart  prit  sur  lui  d'enfreindre  cette 
défense  :  après  l'avoir  entendue  deux  fois ,  il  en  fit  une 
copie  conforme  au  manuscrit.  En  1771  ce  Miserere  fut 
gravé  à  Londres;  en  1810  il  parut  à  Paris,  dans  la  collec- 
tion des  classiques.  Le  pape  en  envoya  une  copie  au  roi 
d'Angleterre  en  1773. 

ALLEGRI  (AisTONio).  Voyez  Couhége. 

ALLEGRO,  adjectif  italien  francisé  qui  sert  à  détermi- 
ner le  mouvement  d'un  morceau  de  musique,  et  marque 
qu'il  doit  être  exécuté  avec  une  certaine  vivacité.  C'est  le 
premier  des  trois  principaux  mouvements  ;  il  a  au-dessus  de 
lui  le  presto,  ]e  prestissimo  et  le  stretto,  indiquant  une  plus 
grande  vitesse ,  et  au-dessous  Y  allegretto ,  qui  annonce  au 
contraire  moins  de  rapidité.  Ainsi,  quoiquelemot  allegro  si- 
gnifie proprement  gai,  il  n'est  considéré  ici  que  par  rapport 
au  degré  de  vitesse  du  morceau  et  de  chacune  de  ses  parties, 
et  il  s'en  faut  qu'il  s'applique  toujours  à  des  sujets  joyeux  : 
il  convient  parfaitement  aux  situations  pathétiques  ou  bien 
respirant  l'agitation,  l'irritation,  ledésespoir,  lafureur,  etc. 
C'est  pour  cette  raison  que  l'on  ajoute  souvent  au  mot  al- 
legro un  autre  mot  qui ,  décidant  mieux  le  caractère  de 
la  composition,  aide  encore  l'exécutant  à  en  comprendre  à 
la  fois  le  mouvement  et  l'expression,  comme  c^/e^ro  j-ins^o. 


349 

comodo,  maestoso,  vivace,  agitato,  spiriioso,  etc.,  termes 
qui  s'expliquent  d'eux-mêmes.  Allegro  s'emploie  aussi  sub- 
stantivement :  un  allegro  de  Mozart ,  de  Beethoven  ;  Vallc- 
gro  de  cette  symphonie  en  est  la  partie  la  plus  brillante,  etc. 

Adrien  de  Laface. 

ALLELU-LV  ou  ALLELU-IAIl  ,  mot  hébreu  qui  si- 
gnifie louez  le  Seigneur  !  Saint  Jérôme  est  le  premier  qui 
ait  introduit  le  mot  alléluia  dans  le  service  de  l'église. 
Pendant  longtemps  on  ne  l'employait  qu'une  seule  fois 
l'année  dans  l'Église  latine ,  savoir  :  le  jour  de  Pâques  ; 
mais  il  était  plus  en  usage  dans  l'Église  grecque ,  où  on  le 
chantait  dans  la  pompe  funèbre  des  saints ,  comme  saint 
Jérôme  le  témoigne  expressément  en  parlant  de  celle  de 
sainte  Fabiole.  Cette  coutume  s'est  conservée  dans  cette 
église,  où  l'on  chante  Vallehda  même  pendant  le  carême. 
Saint  Grégoire  le  Grand  ordonna  qu'on  le  chanterait  de 
même  toute  l'année  dans  l'Église  latine ,  ce  qui  donna  lieu 
à  quelques  personnes  de  lui  reprocher  qu'il  était  trop  atta- 
ché aux  rites  des  Grecs.  Dans  la  suite,  l'Église  romaine  sup- 
primale chant  alleluiadam  l'office  de  la  messe  des  morts, 
aussi  bien  que  depuis  la  septuagésime  jusqu'au  graduel  de 
la  messe  du  samedi-saint ,  et  elle  y  substitua  ces  paroles  -. 
Laiis  tibi.  Domine,  rex  asternœ  glorix,  comme  on  le  pra- 
tique encore  aujourd'hui.  Le  quatrième  concile  de  Tolède 
en  fit  même  une  loi  expresse,  dans  le  onzième  de  ses  canons. 

ALLELUIA  {Botanique).  Nom  vulgaire  d'une  plante 
qui  appartient  au  genre  oxalide,  de  la  famille  des  géranoïdes. 
C'est  Voxalis  acetosella,  oxalide  oseille  des  botanistes  :  elle 
est  encore  connue  sous  les  noms  vulgabes  de  sûr  elle,  pain 
de  coucou,  oseille  de  bûcheron,  oseille  à  trois  feuilles. 
Cette  plante ,  qui  a  trois  à  quatre  pouces  de  haut,  et  dont 
les  feuilles  sont  alternes,  à  trois  folioles  en  cœur,  d'un  vert 
gai  en  dessus  et  rougeàtres  en  dessous ,  croit  en  abondance 
dans  toute  l'Europe  septentrionale,  dans  les  terrains  hu- 
mides ,  à  l'ombre  des  bois ,  le  long  des  haies ,  etc.  Quoique 
son  acidité  soit  plus  agréable  que  celle  de  l'oseille,  on  la 
cultive  cependant  rarement  dans  les  jardins.  On  la  mange 
cuite  ou  en  salade.  On  en  fait  un  fréquent  usage  en  méde- 
cine, oans  les  maladies  inflammatoires  et  putrides.  Elle  fleurit 
ordinairement  vers  le  temps  de  Pâque  ;  et  son  nom  à'alle- 
luia  lui  vient  de  ce  qu'à  cette  époque  on  recommence 
dans  les  églises  le  chant  à'alleluia ,  suspendu  pendant  le 
carême.  C'est  de  l'alleluia  qu'on  tire  l'oxalate  de  potasse , 
connu  dans  le  commerce  sous  le  nom  àQsel  d'oseille.  L'al- 
leluia n'est  pas  la  seule  plante  dont  on  puisse  obtenir  l'oxa- 
late de  potasse  ou  sel  d'oseille.  Thomberg  annonce  que  Voxa- 
lide  comprimée  en  fournit  davantage ,  et  Bosc  propose  la 
culture  de  Yoxalide  corniculée,  comme  plus  riche  encore 
en  sel  d'oseille. 

ALLEMAGNE ,  grande  et  fertile  contrée  de  l'Europe 
centrale,  offrant  tous  les  climats  de  la  zone  tempérée,  et  for- 
mant un  grand  nombre  d'États  unis  entre  eux  par  la  langue. 

Géographie  physique  et  politique. 

L'Allemagne  est  bornée  à  l'est  par  la  Prusse  occidentale,  le 
grand-duché  de  Posen,  la  Pologne  russe,  la  Gallicie,  à  laquelle 
a  été  réuni  le  territoire  de  la  ci-devant  ville  libre  de  Cracovie, 
et  la  Hongrie;  ùU  sud,  par  la  mer  Adriatique  et  ia  haute  Italie 
(Lombardie)  ;  à  l'ouest,  par  la  Suisse,  la  France,  la  Belgi- 
que et  la  Hollande  ;  au  nord ,  par  la  mer  du  Nord ,  le  duché 
de  Schleswig  et  la  Baltique.  Elle  est  située  entre  le  22°  30' 
et  le  36°  40'  de  longitude  orientale ,  et  entre  le  44°  et  le  55° 
de  latitude  septentrionale.  Sa  plus  grande  longueur,  du  nord 
au  sud,  est  d'environ  ic>0  myriamètres,  et  sa  plus  grande 
largeur,  de  l'est  à  l'ouest ,  d'environ  1 30  myriamètres. 

Au  point  de^Tie  géognosique,  on  la  divise  en  Allemagne  sep- 
tentrionale, centrale  et  méridionale,  ou  encore  en  basse  et 
haute  Allemagne ,  séparées  par  l'Allemagne  centrale.  L'Alle- 
magne septentrionale  ou  basse  Allemagne,  qui  a  la  forme 
d'un  triangle  isocèle,  comprend  la  Prusse,  le  Holstein,  le 


350 


ALLEMAGNE 


Hanovre,  le  duché  de  Brunswick  ,  le  grand-duché  d'Olden- 
bourg, les  principautés  de  Lippe,  elles  trois  villes  libres, 
Hambourg,  Lubeck  et  Brème.  Ces  contrées  forment  un 
vaste  territoire  plat ,  sablonneux ,  marécageux ,  qui  s'é- 
lève insensiblement  à  mesure  qu'on  avance  vers  le  sud. 
A  l'exception  du  Harz,  où  le  pic  de  Broken  s'élève  à  1,150 
mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  on  n'y  rencontre 
guère  de  plateau  atteignant  une  hauteur  de  plus  de  150 
mètres.  L'Allemagne  centrale,  bornée  à  Test  par  un  pro- 
longement des  monts  Carpathes ,  comprend  le  gi-and-du- 
ché  de  Luxembourg,  la  Hesse ,  la  Saxe,  les  duchés  d'.\n- 
halt  et  de  Nassau,  les  principautés  de  Schwartzboiirg,  de 
Reuss  et  de  Waldeck ,  et  le  territoire  de  la  ville  libre  de 
Francfort.  A  l'intérieur  elle  est  traversée  de  l'est  à  l'ouest  par 
deux  chaînes  de  montagnes  :  l'une,  de  largeur  médiocre, 
s'abaisse  et  s'efface  bientôt  ;  elle  part  du  Harz ,  comprend 
le  Wesergebirge ,  le  Siebengebirge ,  le  Wcsterwald  et 
VEifel,  et  va  se  perdre  dans  les  basses  contrées  de  l'Alle- 
magne septentrionale  ;  l'autre  commence  en  Silésie  avec  le 
Riesengebirge ,  se  continue  à  travers  la  Saxe  par  VErzge- 
birge,  en  Bavière  par  le  Fkhtelgeblrge ,  puis  par  le  Tliu- 
ringerwald,  et  aboutit  aux  monts  Rhœn,  Spessart,  Tau- 
nus  et  Vogels ,  enfin ,  par  delà  le  Rhin,  au  Hundsruck. 
Ces  chaînes  communiquent  d'un  coté  avec  les  Vosges  par  le 
Hundsruck,  et  de  l'autre  avec  les  Alpes  par  le  Schwarzivald 
et  le  Bœhmericald ,  enfin  avec  les  Carpathes  par  les  monts 
Sudètes  et  les  montagnes  de  la  Moravie.  L'Allemagne  méri- 
dionale ou  haute  .\llemagne  comprend  les  territoires  situés 
entre  les  Alpes  et  les  montagnes  de  l'Allemagne  centrale , 
l'Autriche,  la  Bavière,  le  Wurtemberg,  Bade,  les  princi- 
pautés de  Hohenzollern  et  de  Lichtenstein ,  où  l'on  rencon- 
tre les  .\lpes  rhétiennes,  du  Tyrol ,  de  Salzbourg  et  de  Sîyrie, 
plus  celles  de  la  Carinthie  et  de  la  Carniole ,  avec  des  pics 
dont  l'élévation  varie  entre  2,000  et  4,700  mètres,  avec  des 
glaciers  à  une  hauteur  de  1,000  mètres. 

Des  cinq  cents  cours  d'eau  que  l'on  compte  en  Alle- 
magne ,  soixante  sont  navigables  ;  les  plus  miportants  sont 
le  Danube,  qui  a  son  embouchure  dans  la  mer  Noire,  le 
Rhin,  l'Elbe,  la  Weser,  et  l'Oder,  qui  se  déchargent 
dans  la  mer  du  Xord  ou  dans  la  Baltique.  Le  Danube,  qui 
prend  sa  source  dans  le  Schwarzwald  (Forêt-Noire)  et 
coule  de  l'ouest  à  l'est ,  a  pour  principaux  affluents  Piller, 
le  Lech  ,  l'Altm-ulil ,  la  Nab ,  le  Regen ,  l'Isar,  l'Inn ,  l'Ems, 
et  la  .March.  Au  bassin  du  Rhin,  qui  pren  l  sa  source  au 
mont  Saint-Gothard,  appartiennent  l'Elz,  la  Kinzig,  la  Murg, 
la  Pfinz ,  le  Neckar  avec  ses  affluents ,  l'Iaxt  et  le  Kocher, 
le  Main  avec  la  Rednitz  et  la  Nedda ,  la  Nahe ,  la  Lahn ,  la 
Moselle ,  la  Wipper,  la  Ruhr  et  la  Lippe.  Le  bassin  de  TEUie, 
fleuve  dont  la  source  est  située  dans  le  Riesengebirge ,  corn- 
pren  1  la  Moldau,  l'iiger,  la  Mulde,  la  Saale  et  le  Havel  avec 
la  Sprée ,  son  affluent.  Au  bassin  de  la  Weser,  fleuve  qui 
prend  ce  nom  à  Munder,  point  où  la  Fulda  et  la  Werra  con- 
fondent leurs  eaux ,  appartiennent  l'Aller  avec  ses  affluents, 
la  Leine  et  l'Ocker,  la  Wummer  et  la  Hunte.  Le  bassin  de 
l'Oder,  qui  a  sa  source  dans  les  monts  Sudètes  de  Mora- 
vie ,  comprend  la  Neisse  de  Silésie,  la  Katzbach ,  le  Bober, 
la  Neisse  de  Lusace  et  la  Wartha  avec  la  Netze ,  son  af- 
fluent. 

On  ne  compte  en  Allemagne  qu'un  petit  nombre  de  ca- 
naux. Les  plus  importants  sont  le  canal  de  Schleswig-Hol- 
stein,  qui  met  en  communication  l'Eider  avec  la  Baltique  ;  le 
canal  de  Muhlrose,  qui  joint  la  Sprée  à  l'Oder  ;  le  canal  de 
Finow,  entre  l'0 1er  et  l'Havel,  et  le  grand  canal  de  l'Havel 
au  sud ,  le  canal  de  Vienne  et  celui  de  Ludwig. 

Cest  dans  l'Allemagne  méridionale  et  dans  l'Allemagne 
septentrionale  que  se  trouvent  situés  les  principaux  lacs , 
entre  lesquels  nous  citerons  ceux  de  Constance,  de  Chiem , 
de  Wurm,  d'Arnmer,  de  Feder,  d'.\tter  et  de  Traun,  au  sud  ; 
au  nord,  ceux  de  Fleinhuder  et  de  Dummer  ;  enfin  les  lacs 
de  Schwerhi,  de  Ratzebourg,  de  Ma'.chow,  de  Ruppin,  de 


rlau,  etc.  On  rencontre  aussi  quelques  petits  lacs  en  Bohême 
et  en  Silésie. 

Les  embouchures  de  l'Elbe,  de  l'Ems ,  de  la  Weser  et  de 
la  Trave  forment  autant  de  golfes.  Dans  l'Allemagne  mé- 
ridionale la  mer  Adriatique  en  forme  un  autre  entre  Trieste 
et  Quarnero.  Dans  le  Slcttiner-Hoff,  golfe  que  forme 
l'Oder  à  son  embouchure,  on  trouve  les  deux  îles  d'Usedom 
et  de  Wollin.  Un  peu  i)lus  au  nord,  on  rencontre  l'île  de 
Rugen,  remarquable  par  ses  roches  calcaires.  Les  îles  situées 
le  long  de  la  Frise  orientale  et  des  cotes  du  grand-duché 
d'Oldenbourg  dans  la  mer  du  Nord,  sont  insignifiantes. 

Le  climat  de  r.\lleinagne  est  tempéré  et  généralement 
sain.  Au  nord ,  et  plus  particulièrement  sur  les  côtes,  il  est 
humide  et  inconstant  ;  dans  les  parties  montagneuses  il 
est  âpre  et  même  un  peu  froid  ;  mais  au  sud  il  est  tempéré 
et  sec.  On  rencontre  déjà  dans  le  Tyrol  les  produits  par- 
ticuliers au  sol  des  contrées  du  midi ,  et  on  y  respire  l'air 
d'Italie.  Cependant,  toutes  les  espèces  d'arbres  à  fruits  cul- 
tivées en  Europe  réussissent  également  bien  au  nord.  Les 
productions  naturelles  de  l'Allemagne  sont  aussi  nombreuses 
qu'abondantes.  Le  Mecklenbourg  et  le  Ilolstein  fournissent 
une  excellente  race  chevaline.  Les  Marches  voisines  de  la 
Baltique,  et  notamment  la  Frise  orientale  ainsi  que  la  Suisse, 
offrent  une  espèce  bo^^ne  remarquable  par  sa  vigueur  en 
même  temps  que  par  l'ampleur  de  ses  formes.  On  trouve 
plus  particulièrement  dans  l'Allemagne  centrale ,  notam- 
ment en  Saxe  et  en  Silésie ,  une  remarquable  race  ovine. 
La  Westphalie  est  justement  célèbre  pour  ses  porcs , 
conmie  aussi  la  Saxe  Prussienne  et  la  Bavière.  En  fait  de 
gibier,  il  faut  citer  le  cerf,  le  chevreuil,  le  chamois,  le 
sanglier  et  le  lièvre.  En  fait  de  carnassiers ,  on  rencontre 
le  loup  dans  quelques  parties  de  la  Prusse  Rhénane ,  le 
l)Tix  dans  le  Bœlunerwald  et  l'ours  dans  quelques  contrées 
des  Alpes.  Sur  les  côtes  septentrionales  habite  le  chien  de 
mer,  et  la  loutre  dans  presque  toutes  les  parties  de  l'Alle- 
magne. En  fait  de  gibier  à  plumes,  on  peut  citer  les  per- 
drix, les  coqs  de  bruyère,  les  cailles,  les  canards  sau- 
vages ,  les  bécasses ,  les  faisans  ,  les  outardes.  L'aigle  et  le 
vautour  abondent  dans  les  Alpes.  L'élève  des  oies  et  l'édu- 
cation des  abeilles  constituent  une  industrie  particulière  au 
nord  de  l'Allemagne.  La  chasse  aux  alouettes  se  fait  sur 
une  large  échelle  en  Saxe ,  et  il  en  est  de  même  dans  le 
Thuringerwald  de  la  chasse  aux  oiseaux  en  général.  Les 
fleuves  et  les  rivières  abondent  en  poissons  de  toute  es- 
pèce :  on  rencontre  l'huître  par  bancs  sur  les  côtes  de  la 
mer  du  Nord. 

Le  règne  végétal  offre  surtout  le  blé ,  la  vigne ,  les  lé- 
gumes et  les  fruits  de  toutes  espèces ,  le  chanvre ,  le  lin , 
le  colza,  le  tabac,  le  cumm ,  l'anis,  le  fenouil.  On  ren- 
contre d'inmienses  forêts  de  pins  et  de  sapins  au  nord ,  de 
chênes  dans  l'Allemagne  centrale ,  d'arbres  à  feuilles  acicu- 
laires ,  de  mélèzes  et  de  bouleaux ,  au  sud. 

Le  règne  minéral  ne  donne  pas  un  momdre  nombre  de 
produits  :  citons  entre  autres  la  terre  à  porcelaine ,  le  co- 
balt, le  soufre,  l'ambre  jaune,  la  manganèse,  la  chaux, 
le  marbre ,  le  plâtre ,  l'albâtre ,  l'ardoise ,  la  houille ,  la 
tourbe,  le  sel,  enfin  le  mercure,  le  zinc ,  le  cuivre ,  létain, 
l'argent ,  et  surtout  le  fer  et  le  plomb.  On  ne  compte  pas 
moins  de  mille  sources  d'eaux  minérales. 

La  population  totale  de  l'Allemagne  était  évaluée  en  1852 
à  42  millions  d'habitants,  répartis  sur  une  superficie  d'environ 
11,000  myriamètres  carrés.  Dans  ce  chiffre  on  comprenait 
35  millions  d'Allemands  et  6  millions  de  Slaves.  C'est  à 
cette  dernière  race  que  se  rattachent  les  Tschèques  on  Bo- 
iiémes,  les  Kassoubes  de  la  Poméranie,  les  Wendes  de  la 
Lusace,  les  Slovaques  et  les  Croates.  Il  y  a  en  outre  400,000 
juifs ,  disséminés  dans  les  diverses  parties  du  pays  ;  et  on 
compte  en  Illyrie ,  ainsi  que  dans  le  Tyrol ,  environ  350,000 
Italiens.  Près  de  500,000  Français  et  Wallons  sont  dispersés 
dans  les  contrées  situées  à  l'ouest  du  Rliin  ainsi  que  sur 


ALLEMAGNE 


351 


divers  autres  points  de  l'Allemagne.  En  Aiitriclic  on  ren- 
contre environ  6,000  Grecs  et  Arméniens,  ainsi  qu'un  petit 
nombre  de  bohémiens  nomades.  A  part  les  juifs ,  environ 
52  millions  d'habitants  appartiennent  à  la  religion  catho- 
lique et  10  millions  à  réglise  protestante.  Le  nombre  des 
Hernhutes  est  d'environ  10,000  ;  et  on  compte  encore  quel- 
ques milliers  de  mennonites,  d'anabaptistes  et  d'autres  sectes 
chrétiennes. 

L'économie  nirale ,  l'exploitation  des  mines,  l'industrie 
manufacturière  et  le  commerce  constituent  les  principaux 
moyens  de  subsistance  des  populations  de  l'Allemagne.  L'é- 
conomie rurale  donne  d'importants  produits  et  a  atteint  un 
tel  degré  de  perfection  que  l'agriculture ,  par  exemple ,  ne 
le  cède  peut-être  qu'à  celle  de  l'Angleterre,  et  l'élève  du 
bétaU  qu'à  celle  de  la  Suisse.  Quant  à  l'industrie  des  mines, 
les  Allemands  l'emportent,  sous  ce  rapport,  sur  toutes  les 
autres  nations.  En  ce  qui  est  de  l'industrie  manufactu- 
rière ,  ils  luttent  avec  avantage ,  sinon  pour  le  caractère 
grandiiose  des  opérations ,  du  moins  pour  le  fini  et  la  soli- 
dité des  objets  fabriqués  ,  avec  les  Anglais  et  les  Français. 
Les  toiles  et  les  linges  damassés  de  la  Silésie  et  de  la  Lu- 
sace  sont  justement  renommés  ;  la  Saxe ,  la  Bohème ,  la 
Moravie  et  la  Prusse ,  les  Provinces  Rhénanes  surtout ,  se 
distinguent  par  leurs  belles  et  importantes  manufactures 
de  draps.  On  fabrique  de  la  blonde  et  de  la  dentelle  à  Neu- 
cbâtel  et  dans  l'Erzgebirge.  Neuchàtel  est  célèbre  pour  la 
fabrication  des  montres  et  horloges  ;  A'ienne,  pour  celle  des 
objets  de  quincaillerie,  de  bimbeloterie  et  de  fantaisie;  le 
Tyrol,  la  Bohême,  les  contrées  du  Harz,  la  NVestphalie  et 
les  Provinces  Rhénanes,  pour  la  préparation  des  fers  et  des 
aciers  ;  la  Bohême,  pour  ses  verres  et  ses  cristaux.  La  Prusse 
et  la  Saxe  possèdent  de  nombreuses  manufactures  d'éto.Tes 
de  soie  et  de  coton,  qui  livrent  à  la  consommation  des  pro- 
duits d'excellente  qualité  ;  et  tous  les  ans  on  expédie  en 
Amérique  et  en  Orient  pour  plusieurs  millions  de  soieries 
d'Elberfeld  et  de  cotonnades  de  l'Erzgebirge.  Le  cuivre 
est  traité  avec  une  grande  supériorité  dans  les  provinces 
du  Bas-Rhin;  "S'ienne,  Augsbourg,  Dresde,  Prague  et  Pforz- 
heim  excellent  à  trayaiUer  l'or  et  l'argent  pour  objets  de 
luxe  et  d'ornement.  La  porcelaine  de  Saxe  l'emporte  tou- 
jours, en  ce  qui  est  de  la  pâte,  sur  tous  les  produits  ana- 
logues fabriqués  dans  les  autres  pays  de  l'Europe  ;  et  sous 
le  rapport  de  la  peinture ,  celle  de  Berlin  soutient  avanta- 
geusement la  comparaison  ,  même  avec  la  porcelaine  fran- 
çaise. On  tire  des  carrières  de  Zœblitz  ,  dans  l'Erzgebirge 
saxon,  d'excellente  serpentine,  et  elles  sont  en  possession 
de  fournir  les  vases  et  ustensiles  confectionnés  avec  cette 
pierre,  dont  on  fait  usage  dans  la  plus  grande  partie  des 
pharmacies  de  l'Europe.  On  fabrique  d'excellents  creusets 
à  Passau  et  à  Grossalmerode.  La  ville  de  Nuremberg,  le 
Tyrol ,  l'Erzgebirge  Saxon  et  le  Voigtland  ont  la  spécialité 
des  jouets  et  de  la  bimbeloterie.  Le  commerce  de  l'Alle- 
magne, qu',  grâce  à  l'esprit  industrieux  des  populations,  à 
la  richesse  des  produits  de  son  sol ,  et  surtout  depuis  la 
création  du  Zollverein  ,  a  pris  d'immenses  développe- 
ments ,  est  encore  tout  particulièrement  favorisé  à  l'inté- 
rieur par  des  fleuves  (t  des  rivières  navigables,  par  de 
belles  et  nombreuses  routes ,  par  d'excellentes  communi- 
cations j)ostales ,  par  des  chemins  de  fer,  des  foires ,  de 
grandes  sociétés  corn:;.;  relaies  et  de  nombreuses  compa- 
gnies d'assurances.  !!aii  bourg  et  Trieste  sont  les  villes  de 
l'Allemagne  où  le  commerce  maritime  a  pris  les  plus  larges 
proportions  :  vienne;  t  ci'.suilc  Brème ,  Lubecli ,  Altona  , 
Emden  ,  Kicl  ,  Stettin  ,  Stralsund  ,  Rostock  et  Wismar. 
Leipzig,  Cologne,  Magdcbourg,  Berlin,  Vienne,  Elbcrfeld, 
Francfort-sur-Mainet  Francfort-sur-l'Odcr,  Breslau,  Prague, 
Botzen ,  Laibach ,  sont  des  places  do  premier  ordre  pour 
le  commerce  intérieur.  Les  blés,  le  bois,  la  laine,  la  toile, 
le  fer,  le  plomb,  le  zinc,  le  mercure,  la  verroterie,  le 
sel,  les  étoffes  do  laiiiu  cl  de  coton,  les  bCtes  à  cornes  et 


les  chevaux  constituent  les  principaux  articles  d'exportation. 

Les  Allemands  ne  le  cèdent  ù  aucune  autre  nation  pour 
ce  qvii  est  de  la  culture  des  sciences,  des  lettres  et  des 
beaux-arts;  ils  ont  plus  particulièrement  réussi  dans  les 
études  savantes  et  la  philosophie  spéculative.  Les  progiès 
qu'ils  ont  fait  faire  aux  sciences  thêologiques ,  à  la  con- 
naissance du  droit  romain,  à  la  philologie  et  à  la  méde- 
cine ,  sont  reconnus  même  par  les  nations  étrangères ,  et 
un  des  traits  de  leur  caractère  national  est  de  s'assimiler 
avec  une  facilité  extrême  tout  ce  qui  se  fait  de  bien  chez 
leurs  voisins.  Il  n'y  a  pas  en  Europe  de  pays  où  l'on  compte 
un  aussi  grand  nombre  d'établissements  ayant  pour  but  de 
propager  les  lumières  et  l'instruction  qu'en  Allemagne  ; 
vingt-trois  universités ,  quatre  cents  gymnases  et  lycées,  de 
nombreuses  écoles  normales,  une  multitude  d'établissements 
d'instruction  publique  du  premier  et  du  deuxième  degré , 
une  foule  de  sociétés  pour  la  culture  des  sciences  ou  celle 
des  beaux-arts,  contribuent  à  répandre  le  goût  des  arts  et 
des  sciences,  non  pas,  comme  en  Angleterre  et  en  France  , 
dans  les  capitales  seulement ,  mais  même  sur  les  points  les 
plus  reculés  du  pays,  et  jusque  dans  les  moindres  localités. 
Les  musées  de  Dresde,  de  Vienne,  de  Munich,  de  Berlin, 
de  Cassel,  etc.,  les  bibliothèques  de  Munich,  de  Vienne, 
de  Berlin  ,  de  Dresde,  de  Leipzig,  de  Gœttingue  ,  de  Ham- 
bourg ,  de  W'olfenbuttel ,  de  Prague ,  de  Weimar,  de  Gotha, 
de  Darmstadt,  de  Cassel,  de  Francfort,  de  Breslau,  sont 
au  nombre  des  plus  riches  de  l'Europe.  On  trouve  en  outre 
des  collections  d'antiques  à  Dresde,  à  Vienne,  à  Munich  et  à 
Berlin  ;  des  observatoires  à  Vienne  ,  à  Berlin ,  à  Prague ,  à 
Munich,  à  Breslau,  à  Leipzig,  à  Lilienthal  près  de  Gœttingue, 
et  à  Seeberg  près  de  Gotha  ;  des  collections  d'histoire  natu- 
relle à  Vienne,  à  Berlin ,  à  Gœttingue,  à  Munich,  à  Ham- 
bourg et  à  N'emvied.  L'exploitation  des  mines  a  son  école 
spéciale  à  Freyberg  ;  la  syhiculture  est  enseignée  dans  les 
académies  de  Tharand,  de  Dreizigacker,  de  Mariabrunn, 
d'Eisenach  ;  il  existe  des  instituts  d'agriculture  rationnelle 
et  pratique  à  INIcegelin  dans  la  Marche,  à  Eldena  près  Greife- 
v.'âld,  à  Schleisheim  en  Bavière,  à  Hohenheim  en  'Wur- 
temberg ,  à  Tharand  en  Saxe ,  à  Rugenwalde  dans  la  Po- 
méranie-Ultérieure ,  etc. 

Les  divisions  politiques  de  l'Allemagne  ont  beaucoup 
varié  suivant  les  époques.  L'ancienne  division  ethnogra- 
phique et  géograpliique  en  petits  districts  appelés  rjaue 
(pagi),  le  plus  souvent  renfermés  dans  des  limites  natu- 
relles et  recevant  leurs  dénominations  particulières,  tantôt 
d'un  cours  d'eau,  d'une  montagne,  ou  de  la  nature  de  leur 
sol ,  tantôt  de  la  peuplade  qui  les  habitait,  ou  encore  d'un 
homme  éminent ,  fut  la  base  des  partages  politiques  opérés 
sous  les  rois  franks  des  races  mérovingienne  et  carlovin- 
gienne.  Quand  ils  eurent  soumis  à  leur  autorité  les  peu- 
plades germaniques  fixées  dans  l'intérieur  de  l'Allemagne, 
ces  princes  établirent  dans  les  différentes  divisions  territo- 
riales déjà  existantes  des  fonctionnaires  chargés  de  ren  Ire  la 
justice  en  leur  nom,  de  recueillir  l'impôt  qui  leur  était  Au, 
de  conduire  à  la  guerre  la  partie  de  la  population  tenue  de 
prendre  les  armes ,  enfin  d'administrer  les  intérêts  particu- 
liers des  (jaue  suivant  les  usages  préexistants.  Ces  fonction- 
naires reçurent  la  dénomination  de  comtes  {Grafen  ),  etc., 
et  les  contrées  soumises  à  leur  autorité  furent  appelées 
comtés  [Grofschaften).  Mais  ces  gaue  différaient  beau- 
coup les  uns  des  auties  sous  le  rapport  du  chiffre  de  leur 
population,  qui  dépendait  du  plus  ou  moins  de  fertilité  de 
leur  sol ,  comme  aussi  sous  celui  de  leur  étcn;lue,  qui  tenait 
au  nombre  plus  ou  moins  grand  d'habitants  venus  s'y 
éiablir.  Les  termes  de  gaue  et  de  comtés  {Grafschaftcn  ) 
n'étaient  donc  pas  toujours  corrélatifs.  Souvent  plusieurs 
petits  (jnuc  étaient  réunis  sous  l'autorité  d'un  même  comte  ; 
quelquefois  aussi  un  vaste  gau ,  subdivisé  en  gaue  moin- 
dres, comprenait  plusieurs  comtés.  L'organisation  ecclésias- 
tique répondait  tout  à  fait  à  cette  prenuère  orgaiiisatiou 


352 


ALLEMAGNE 


politique  de  l'Allemagne ,  et  nous  ai<le  même  aujourd'liui  à 
nous  en  faire  une  juste  idée,  parce  qu'elle  dura  beaucoup 
plus  longtemps. 

Une  autre  division  politique  plus  générale  de  l'Allemagne, 
la  division  en  duchés ,  s'établit  lorsqu'à  la  fin  de  la  grande 
migration  des  peuples,   les  nombreuses  petites  peuplades 
germaniques  se  groupèrent  pour  former  plusieurs  grandes 
nations,  comme  les  Franks,  les  Saxons,  les  Frisons,  les 
Tburingiens ,  les  Bavarois,  les  Alemans  et  les  Souabes ,  et 
placèrent  à  leur  tête  un  chef  qui  prit  le  titre  de  duc.  Cette 
division  en  duchés  fut  à  la  vérité  détruite  par  les  rois  franks  ; 
mais  le  ])artage  des  populations  en  groupes  distincts  qui  en 
avait  été  le  résultat  continua  toujours  de  subsister.  De  môme, 
les  Saxons  et  tout  le  nord  de  l'Allemagne  gardèrent  leur 
droit  particulier,  tandis  que  le  reste  des  nations  allemandes 
adoptaient  celui  des  Franks.  Les  divisions  politiques  intro- 
duites par  Cliarlemagne,  et  consistant  en  grands  arrondisse- 
ments administratifs,  placés  sous  l'autorité  d'un  seigneur 
temporel  et  d'un  seigneur  spirituel ,  se  rattachèrent  même 
jusqu'à  un  certain  point  à  la  précédente  division  de  l'Al- 
lemagne en  duchés  ;  mais  elle  ne  put  pas  s'accorder  avec  la 
division  ecclésiastique  en  diocèses  métropolitains.  Mayence 
ayant  été  érigée  par  Boniface  en  Église  mère  de  toute  l'Aus- 
trasie  aussi  loin  qu'elle  s'étendait  alors  à  l'est ,  refusa  par 
la  suite  de  restituer  les  évêchés  de  Constance  et  de  Stras- 
bourg aux  antiques  sièges  métropolitains  de  Besançon,  dont 
dépendaient  les  églises  de  Lausanne  et  de  Bàle,  et  de  Trêves, 
dont  dépendaient  les  églises  de  Metz,  Toul  et  Verdun.  En 
revanche ,  force  lui  fut  d'abandonner  à  l'église  ripuaire  de 
Cologne,  parvenue  encore  une  fois  à  l'indépendance,  et  de 
laquelle  dépendaient  les  églises  d'Utrecht  et  de  Liège,  les 
évêchés  saxons  fondés  à  la  fin  du  huitième  siècle.  Munster, 
Osnabruck,  Minden  et  Brème  (ce  dernier  devenu  bientôt 
après  siège  métropolitain  pour  Ratzeburg ,  Sclnverin  et  Lu- 
beck  ) ,  et  de  souffrir  qu'un  siège  métropolitain  fût  érigé  à 
Salzbourg  pour  les  évêchés  bavarois  de  Regensburg  (Ratis- 
bonne),  Passau,  Freisingen  et   Brixen.  L'archevêché  de 
Mayence  s'étendit  donc,  à  partir  du  commencement  du  neu- 
vième siècle,  sur  toute  l'Alemanie  (Strasbourg,  Constance, 
Augsl)ourg,Neufchâtel  et  Coire), la Franconie orientale  (Spire, 
Worms ,  \Vuiizbourg  et  Eicbstœdt  ;  mais  Bamberg  relevait 
directement  du  saint-siège),  et  la  Saxe  méridionale  (Pader- 
bom,  Hildesheim,Halberstadt  et  Verden)  avec  les  territoires 
slaves  qui  avoisinaient  ses  frontières  et  lui  payaient  tribut. 
Quant  aux  pays  slaves,  par  suite  des  progrès  toujours  plus 
grands  de  l'élément  germanique,  on  érigea  plus  tard  à  leur 
usage  propre  des  sièges  métropolitains  à  Magdebourg,  d'où  re- 
levèrent les  sièges  de  Mersebourg,  de  Meissen,  deXaumbourg. 
Zeitz,  de  Brandenbourg  et  de  Havelberg,  ainsi  qu'à  Prague 
et  à  Olmiitz.  Là  aussi  on  imita  l'ancienne  division  territo- 
riale en  gmte,  sur  la  base  des  ziipanies  slaves  qui  y  cor- 
respondaient; et  on  groupa  un  certain  nombre  de  divisions 
de  ce  genre  sous  l'autorité  d'un  margrave  (Margraf,  comte 
de  la  marche).  Ces  fonctionnaires,  qualifiés  duces  dans  les 
anciens  documents,  ne  tardèrent  pas  non  plus  à  parvenir, 
en  raison  de  l'étendue  de  leur  juridiction,  à  exercer  une 
grande  puissance,  de  sorte  que  sous  les  derniers  Carlovin- 
giens  ils  purent  rétablir  les  duchés  qui  avaient  existé  au- 
trefois dans  les  provinces  frontières,  la  Saxe,  la  Thuringe, 
la  Bavière  et  la  Carinthie,  à  l'instar  des  ynissi  dominici 
dans  la  Franconie  orientale  et  l'Alemanie,  et  à  l'exemple  de 
ce  que  la  puissance  royale  avait  elle-même  établi  en  Lor- 
raine. Les  Othons  s'efforcèrent  vainement  d'assurer  l'imité 
ainsi  compromise  de  l'.Mlemagne  en  conférant  ces  duchés  à 
des  membres  de  leur  famille;  les  tentatives  postérieures  du 
roi  Henri  111  pour  les  réunir  de  nouveau  à  la  couronne  ne 
furent  pas  moins  inutiles  ;  et  tout  au  contraire,  sous  le  règne 
orageux  de  Henri  IV,  leurs  possesseurs  parvinrent  à  assurer 
à  leurs  familles  res[)cclives  l'hérédité  de  leurs  titres  et  do 
leur  puissance.  C'est  à  celte  même  époque  que  s'introduisit 


également  l'hértMité  des  fonctions  de  comte ,  cause  prin- 
cipale de  la  désuétude  dans  laquelle  finit  par  tomber  peu 
à  peu  la  division  politique  de  l'Allemagne  en  gaue.  En  effet , 
grâce  à  l'hérédité,  et  surtout  sous  le  règne  de  princes  faibles, 
les  divers  fonctionnaires  de  l'empire  ne  tardèrent  pas  à 
s'habituer  à  considérer  comme  leurs  propriétés  privées  des 
charges  qu'ils  avaient  jusque  alors  a  Iministrées  au  nom  du 
roi.  C'est  pourquoi,  à  leur  tour,  un  grand  nombre  de  pro- 
priétaires fonciers  cherchèrent  à  se  dérober  à  leur  juridic- 
tion en  se  plaçant  sous  la  protection  immédiate  du  chef  de 
l'empire,  pendant  que  d'autres  hommes  libres  invoquaient  la 
protection  des  villes  ou  celle  de  seigneurs  tant  spirituels  que 
temporels.  Déjà  d'ailleurs  un  grand  nombre  de  villes  s'é- 
taient séparées  de  l'union  des  gmie,  et  le  clergé  surtout 
avait  réussi  de  bonne  heure  à  affranchir  de  toute  juridiction 
temporelle  les  biens  immenses,  jusqu'à  des  comtés  tout  en- 
tiers, qu'il  tenait  de  la  libéralité  des  princes  et  des  rois,  et  les 
gauc  cessèrent  ainsi  dès  lors  de  constituer  une  division 
politique.  On  inventa  de  nouvelles  dénominations  pour  les 
subdivisions  des  souverainetés  territoriales  de  création  nou- 
velle, et  les  comtes,  de  même  que  les  dynastes  et  autres 
nobles ,  prirent  les  noms  de  leurs  principaux  châteaux  et 
autres  possessions  allodialcs.  C'est  au  onzième  sièc'e  seu- 
lement qu'on  voit  cet  usage  s'établir  en  Lorraine  ;  mais  vers 
le  milieu  du  douzième  siècle  les  gauc  tombèrent  également 
en  désuétude  dans  tout  le  reste  de  l'Allemagne.  Il  n'y  eut 
pas  jusqu'aux  quelques  districts  que  les  empereurs  eussent 
sauvés  de  ce  naufragé  général  et  qu'ils  avaient  placés  sous  la 
surveillance  supérieure  de  landgraves  (£fl?;f'5'/Y//(?n,  comtes 
du  pays)  et  de  grands  baillis  [Landvœgte,  baillis  du  pays), 
par  exemple,  la  Hesse,  la  Vetteravie,  l'Alsace,  etc.,  qui  ces- 
sèrent alors  d'être  appelés  ^oi/e  (pagi)  pour  prendre  la  qua- 
lification de  provinces,  provincix;  et  avec  le  temps  ils  se 
transformèrent,  eux  aussi,  en  souverainetés  territoriales 
indépendantes. 

Les  grandes  souverainetés  territoriales  temporelles  furent 
fondées  par  les  familles  qui ,  comme  celles  des  ducs ,  des 
comtes  palatins  et  des  margraves,  à  l'époque  de  la  décadence 
de  l'organisation  politique  par  gauc,  avaient  les  arrondis- 
sements les  plus  étendus  et  qui  y  possédaient  en  même 
temps  non-seulement  un  grand  nombre  de  propriétés  ou  allo- 
diales  ou  à  titre  rémunératoire,  mais  encore  qui  avaient  plu- 
sieurs comtés  tout  entiers  sous  leur  suiTcillance,  par  exemple 
les  Brabants  dans  la  basse  Lorraine,  les  Étichons  dans  la  haute 
Lorraine,  les  Zaehringen  dans  l'Alemanie  et  la  petite  Bour- 
gogne, les  Mérans  en  Bavière  et  en  Franconie,  les  Octen- 
burg  en  Carinthie,  les  Babenberg  en  Autriche,  les  Guelfes 
en  Bavière ,  en  Souabe  et  en  Saxe ,  et  les  Hohenstaufcn  en 
Alcmanie,  en  Franconie  et  en  Bourgogne.  La  lutte  entre  les 
deux  dernières  de  ces  puissantes  familles  amena  la  disso- 
lution de  deux  duchés ,  dont  l'un ,  la  Saxe ,  mutilé  pour 
former  ce  qu'on  appela  le  duché  de  ^Vestphalie  ,  qui  fut  at- 
tribué comme  propriété  allodiale  guelfe  à  l'électoral  de 
Cologne,  et  en  une  foule  de  tronçons, ne  fut  plus  que  no- 
minalement conféré  à  un  prince  de  la  maison  d'Ascanie  ;  et 
dont  l'autre,  la  Bavière,  passa  à  peu  près  tout  entier  sous 
les  lois  de  la  maison  de  Wifteisbach.  Lors  de  l'extinction 
de  la  famille  de  Holienstaufen ,  les  deux  autres  duchés  les 
plus  importants,  la  Souabe  et  la  Franconie,  furent  égale- 
ment démembrés.  C'est  ainsi  qu'au  milieu  du  treizième  siècle 
l'Allemagne  nous  apparaît  fractionnée  en  une  nnillitiide  de 
territoires  de  plus  ou  moins  d'étendue, dont  les  possesseurs 
spirituels  ou  temporels  obtinrent,  par  les  privilèges  que  leur 
concéda  l'empereur  Frédéric  II  en  1220  et  en  1232,  la  base 
de  leur  future  souveraineté ,  et  qui  trouvèrent  à  quelque 
temps  de  là  dans  l'interrègne  l'occasion  Aivorable  pour  la 
mieux  constituer  encore.  Que  si  depuis  celte  époque  beau- 
coup de  ces  territoires  se  trouvèrent  réunis  et  confondus 
avec  d'autres ,  par  suite  de  l'exlinclion  d'un  grand  nombre 
de  familles  ,  et  notamment  de  la  plupart  des  puissantes  mai- 


ALLEMAGNE 


353 


si.ns  princières  que  nous  avons  menlionnées  plus  haut ,  ou 
fucore  par  suite  de  consoUdalious  de  fiefs,  de  droits  de  sur- 
vivance ,  de  mariages ,  de  traités  de  succession ,  etc.  ;  si , 
par  conséipient,  le  nombre  des  seigneurs  temporels  de  l'em- 
pire se  trouva  considérablement  diminué  ,  et  si ,  en  revan- 
che ,  l'étendue  de  certains  territoires  fut  beaucoup  aug- 
mentée ;  enfin  siqiiehiucs  tiimilles,  telles  que  celles  de  Habs 
bourg,  de  Wittelsbach  et  de  Luxembourg,  qui  donnèrent  à 
l'Allemagne  des  rois  et  des  empereurs ,  purent  accroître 
singulièrement  leur  puissance  tant  qu'on  n'eut  pas  mstitué 
l'indivisibilité  des  territoires  et  le  droit  de  primogénilure , 
auxquels  ne  pouvait  que  très-imparfaitement  suppléer  l'u- 
sage qui  voulait  que  certains  membres  de  ces  Aunilles  en- 
trassent toujours  dans  l'état  ecclésiastique,  il  ne  put  point 
se  fonner  de  puissance  territoriale  prépondérante,  durable, 
et  il  n'était  pas  rare  de  voir  les  héritiers  d'une  vaste  prin- 
cipauté bien  moins  puissants  que  de  simples  comtes  à  qui  il 
avait  été  donné  de  recueillir  seuls  l'héritage  paternel.  Mais 
une  fois  que  la  Bulle  d'Or  de  l'empereur  Charles  IV  eut  fixé 
le  droit  de  successibihté  d'après  l'ordre  de  primogéniture 
dans  celles  des  parties  de  l'empire  auxquelles  était  attachée 
la  qualité  d'électeur,  on  vit  les  diverses  maisons  souve- 
raines imiter  les  unes  après  les  autres  cet  exemple  dans  leurs 
possessions  héréditaires.  Dans  la  Marche  de  Brandebourg , 
le  droit  de  primogéniture  ne  fut  introduit  qu'en  1473.  C'est 
à  cette  époque  aussi  que  l'on  vit  les  États  de  l'empire  les 
plus  faibles  s'unir  et  se  liguer  entre  eux,  afin  de  pouvoir  de 
la  sorte  faire  contre-poids  aux  grands  États.  Plusieurs  siècles 
toutefois  s'écoulèrent  encore  pendant  lesquels  beaucoup  de 
maisons  souveraines  s'obstinèrent  à  persévérer  dans  l'antique 
pratique  de  diviser  leurs  héritages ,  persuadées  qu'il  y  allait 
de  leur  grandeur  et  de  leur  éclat  de  compter  le  plus  grand 
nombre  possible  de  membres  investis  d'une  part  d'autorité 
souveraine  et  ayant  droit  de  voter  aux  diètes.  L'affaiblisse- 
ment de  puissance  territoriale  qui  en  résulta  pour  elles  les  mit 
hors  d'état  de  pouvoir  profiter  des  circonstances  favorables 
grâce  auxquelles ,  dans  le  cours  des  trois  derniers  siècles , 
d'autres  maisons  où  n'existait  plus  la  coutume  des  partages 
ont  pu  s'élever  à  la  puissance  et  à  la  hauteur  où  nous  les 
voyons  aujourd'hui ,  par  la  sécularisation  des  biens  ecclé- 
siastiques ,  par  des  médiatisations  ,  par  une  grande  vigueur 
de  conduite  dans  toutes  les  querelles  de  successions ,  etc. , 
en  général ,  en  saisissant  toutes  les  occasions  possibles  de 
favoriser  et  d'assurer  leurs  agrandissements.  La  division  de 
l'Allemagne  en  cercles  eût  peut  -  être  réussi  à  arrêter  les 
progrès  ultérieurs  de  son  incessant  fractionnement  politique, 
si  déjà  dans  les  États  territoriaux  n'avait  point  existé  à  un 
certain  état  de  développement  le  germe  de  leur  future  in- 
dépendance ,  de  même  que  dans  l'empire  existait  déjà  aussi 
le  germe  de  sa  complète  dissolution  ;  d'où  il  résulta  que  cette 
institution  ne  put  pas  produire  les  importants  résultats  que 
son  fondateur  avait  peut-être  en  vue.  En  effet,  déjà  à  cette 
époque ,  sous  prétexte  d'abolir  le  droit  du  plus  fort  et  de 
donner  à  la  justice  une  meilleure  organisation ,  le  roi  Al- 
bert II  songeait  à  donner  une  division  plus  naturelle  à 
l'Allemagne,  qu'on  se  représentait  alors  comme  composée  de 
quatre  parties,  sans  avoir  égard  cependant  aux  diversités  na- 
tionales représentées  à  l'origine  dans  les  duchés  de  nations 
(yolksherzogthûmern),  non  plus  qu'à  la  distinction  existant 
entre  les  peuples  de  droit  saxon  et  de  droit  frank.  La  mort 
l'ayant  empêché  de  réaliser  ses  projets,  l'exécution  en  fut 
essayée  à  diverses  reprises  sous  son  successeur.  Mais  ce 
fut  Maxirnilien  I"  qui  le  premier,  en  l'an  1500,  en  sa- 
chant faire  respecter  la  paix  du  pays  et  prêter  main-forte  à 
l'exécution  des  sentences  prononcées  par  le  tribunal  de  la 
chambre  impériale ,  réussit  à  établir,  sous  la  présidence  de 
l'empereur  ou  de  son  représentant,  un  comité  des  États  do 
l'empire  au  nombre  de  quatorze,  c'est-à-<lire  composé  de  tous 
les  électeurs  et  de  six  députés  à  élire  par  six  cercles  insti- 
tués à  cet  effet.  Telle  fiit  l'origine  de  ce  qu'on  appela  les  six 

DICT.    DE  LA   CONVERS.    —   T.    I. 


anciens  cercles  de  l'empire ,  ceux  de  Bavière ,  de  Souabe , 
de  Franconic,  du  Rhin,  de  Westphalie  et  de  Saxe ,  lesquels 
comprenaient  tous  les  États  réellement  liés  à  l'empire,  mais 
dont  par  conséquent  ne  faisaient  partie  ni  la  Bohême ,  ni 
la  Savoie ,  ni  la  Suisse ,  ni  la  Prusse ,  ni  la  Livonie ,  etc. , 
à  l'exception  des  domaines  de  la  maison  d'Autriche  et  des 
électorals,  parce  que  ceux-ci  ne  concouraient  point  à  l'élec- 
tion des  six  députés.  En  1512  quatre  nouveaux  cercles  fu- 
rent créés  pour  ces  derniers  pays,  à  savoir  :  le  cercle  d'Au- 
triche et  le  cercle  de  Bourgogne ,  pour  les  pays  autrichiens 
ainsi  divisés  à  cette  époque  ;  un  second  cercle  du  Rhin ,  dit 
cercle  du  bas  Rhin  ou  Rhénan  électoral ,  pour  les  quatre 
électeurs  du  Rhin,  et  un  second  cercle  saxon,  dit  Saxon  in- 
férieur, pour  la  Saxe  électorale  et  l'électorat  de  Branden- 
burg,  avec  quelques  territoires  détachés  de  ce  que  jusque  alors 
on  avait  appelé  cercle  Saxon  supérieur.  La  constitution  mi- 
litaire établie  par  l'empereur  Charles-Quint  sur  la  base  de 
cette  division,  encore  très-défectueuse  sous  le  rapport  elhno- 
gr-aphique,  et  étendue  à  des  objets  de  pure  police,  tomba  peu 
à  peu  en  décadence  sous  ses  successeurs,  jusqu'au  moment 
où  elle  disparut  complètement  avec  le  lien  commun  qui 
jusque  alors  avait  réuni  toutes  les  parties  de  l'empire.  Au- 
jourd'hui encore  il  s'agit  de  savoir  s'il  sera  possible  d'or- 
ganiser une  institution  assez  semblable,  mais  répondant 
mieux  aux  besoins  de  l'époque  en  même  temps  qu'ayant 
pour  base  les  conditions  etimographiques  et  historiques ,  et 
propre  à  transformer  une  confédération  en  un  État  fédéral 
organique.  Voyez  l'article  CoNFÉDÉnATioN  Germanique. 

Histoire. 

Les  Romains  ne  comprenaient  pas  seulement  sous  le  noni 
de  Germanie  l'Allemagne  proprement  dite,  mais  encore 
le  Danemark  ,  la  Norvège ,  la  Suède ,  la  Finlande ,  la 
Livonie  et  la  Prusse.  La  grande  migration  des  peuples  dé- 
truisit cette  antique  Germanie,  dont  le  nord  de  l'Allemagne 
actuelle  ne  formait  q\i'une  faible  partie.  Des  peuplades  slaves, 
venues  d'Orient,  refoulèrent  les  Germains  jusqu'aux  bords  de 
l'Elbe  et  de  la  Saale  et  jusqu'au?^  montagnes  qui  séparent 
d'un  côté  la  Bohême  et  de  l'autre  la  Franconie  et  la  Bavière. 
De  nouvelles  invasions  slaves  contraignirent  les  Germains 
à  se  jeter  sur  les  provinces  de  l'empire  d'Occident ,  puis  à 
le  détruire  lui-même.  C'est  au  milieu  de  ces  mouvements 
que  se  constitua  l'Allemagne  méridionale  de  nos  jours,  sur- 
tout les  parties  situées  en  deçà  du  Danube  et  du  Rhin.  La 
vie  romaine ,  qui  s'y  était  acclimatée ,  y  fut  bientôt  com- 
plètement détruite  à  la  suite  de  l'mvasion  des  Germains. 
Mais  cette  nouvelle  Germanie  resta  limitée  au  territoire 
situé  à  l'est  du  Rhin  ;  et  pendant  longtemps  encore  on  con- 
tmua  de  comprendre  dans  la  Gaule  la  contrée  située  à 
l'ouest  de  ce  fleuve,  qui  plus  tard  arriva  à  faire  partie  de 
l'Allemagne.  Cette  nouvelle  Germanie  se  constitua  vers  la 
fin  du  cinquième  siècle,  mais  sans  porter  encore  alors  la 
dénomination  A'AUemagne.  Six  nations  différentes  consti- 
tuaient la  plus  grande  partie  de  sa  population,  les  Frisons, 
les  Thuringiens,  les  Franks,  les  Alemanset  les 
Bavarois.  Il  est  bien  remarquable  que  les  destinées  de 
ces  nations  n'aient  pas  tardé  à  être  décidées  par  un  peuple 
étranger,  quoique  également  d'origine  germaine,  qu'on  ap- 
pelait les  Franks  Saliens.  En  soumettant  successivement  à 
leurs  lois  les  différentes  peuplades  germaniques  fixées  à 
l'est  du  Rhin,  les  Franks  Saliens  opérèrent  forcément  leur 
réunion  extérieure  et  groupèrent  ainsi  les  Germains  en  corps 
de  nation,  en  unité  politique,  qui  auparavant  n'avait  jamais 
existé  dans  la  réalité.  Mais  la  soumission  des  Germains 
par  les  Franks  Saliens  ne  s'opéra  que  très-lentement  et  peu 
à  peu.  Elle  commença  dans  les  premières  années  du  quatrième 
siècle,  et  ne  fut  complète  qu'au  commencement  du  neuvième. 
Les  Saxons  furent  les  derniers  d'entre  eux  à  accepter  le  joug; 
et  ce  ne  fut  que  de  l'an  772  à  l'an  804  que  les  Franks,  com- 
mandé; par  Charlem  agne,  parvinrent  à  les  dompter. 

45 


354  ALLEM 

Tous  les  Germains  dont  est  issue  la  na'.ioii  allemande  se 
trouvèrent  alors  réunis,  en  ce  sens  qnc  l'empire  des  Franks 
les  comprit  tous  sous  son  autorité.  Ce  furent  aussi  les  Franks 
qui  introduisirent  en  Allemagne  l'aristocratie  féodale.  Elle 
dominait  chez  les  Franks  Saiiens  même  de  la  Gaule,  et 
ceux-ci  Tintroduisirent  parmi  les  peuples  germains  de  l'est 
du  Rliin.  Basée  sur  la  grande  propriété  territoriale,  cette 
aristocratie  féodale  produisit  deux  effets  principaux.  D'a- 
bord, elle  limita  considérablement  le  pouvoir  de  la  royauté. 
Déjà  sous  Charlcmagne  sa  puissance  était  telle,  que  le  roi, 
ou,  comme  il  se  fit  appeler  à  partir  de  l'an  800,  l'empereur, 
ne  pouvait  rien  entreprendre  de  quelque  importance  sans 
son  consentement.  Sous  les  faibles  successeurs  de  Charle- 
raagni-  la  puissante  de  l'aristocralie  s'acrrut  si  rapidement 
que  ce  fut  elle,  et  non  plus  la  royauté,  qui  désormais  cons- 
titua réellemoutle  pouvoir  public.  Un  autre  pouvoir  que  les 
Franks  Sàliens  introduisirent  au  delà  du  Rhin,  et  qui  se 
rattachait  d'ailleurs  par  une  foule  de  points  à  l'aristocratie, 
fut  le  haut  clergé,  composé  des  archevêques  et  des  évéques. 
A  partir  du  sixième  siècle  les  évoques  étaient  déjà  en  pos- 
session, dans  le  royaume  des  Franks  de  la  Gaule,  de  grands 
fiefs,  et  faisaient  ainsi  partie  de  Taristocratie.  Les  souverains 
franks,  et  notamment  Cbarlemagne,  en  établissant  l'Église 
romaine  en  Allemagne,  paraissent  avoir  agi  sous  remf)ire  de 
cette  idée,  que  pour  maintenir  la  nouvel'e  foi  religieuse  parmi 
les  population-s  germaines,  encore  grossières  alors  et  à  peine 
an'achées  au  paganisme,  il  était  nécessaire  d'employer  des 
moyens  temporels.  Les  nouveaux  sièges  épiscopaux  furent 
en  conséquence  dotés  des  fiefs  les  plus  importants;  et  c'est 
ce  qui  explique  comme  il  se  fit  que  dans  l'empire  d'Alle- 
magne les  prélats,  à  qui  de  nouvelles  faveurs  furent  encore 
constamment  accordées,  finirent  par  se  trouver  les  membres 
presque  les  plus  puissants  de  la  si  puissante  aristocratie. 

Qu.uid  les  petits-fils  de  Ciiariemagne  se  partagèrent  IVm- 
piie  des  Franks,  Louis,  ordinairement  appelé  le  Germanique, 
reçut,  a'ix  termes  du  traité  conclu  à  Verdun  en  8'^'^,  loul  le 
territoire  situé  à  l'est  du  Rliin,  et  sur  la  rive  gauche  de 
ce  fleuve  K's  villes  de  Mayence,  de  Worms  et  de  Spire 
seulement.  Cet  État,  qu'on  peut  déjà  considérer  corame 
constituant  un  empire  allemand ,  bien  que  longtemps  en- 
core après  on  le  trouve  désigné  sous  le  nom  de  France  orien- 
tale (  Oxt-Franken),  était  compris  au  total  entre  le  Rhin, 
l'LIbe,  la  Saale  et  les  montagnes  du  Bœhmerwald.  Mais 
dans  les  contrées  voisines  du  Danube,  les  conquêtes  faites 
sur  les  Avares  par  Cbarlemagne  l'avaient  étendu  jus- 
qu'au Ra;ib,  Du  vaste  territoire  que  l'Allemagne  posséiiait 
de  ce  coté  à  la  fin  du  neuvième  siècle,  il  s'en  perdit  beau- 
coup à  la  suite  de  l'invasion  des  Magyares  ;  mais  elle  n'en 
conserva  pas  moins  aussi  une  bonne  partie  :  ce  furent  les 
contrées  postérieurement  désignées  sons  les  noms  d'Au- 
triche, de  Styrie,  de  Carinthie  et  de  Carniole.  Les  Carlo- 
viugiens  qui  régnaient  à  l'est  du  Rhin  s'emparèrent  en 
core  de  la  contrée  appelée  Lorraine  ou  Allemagne  d'outre- 
Rhin,  et  qui  était  un  démembrement  de  l'ancienne  Gaule. 
Malheureusement  leur  race,  dont  les  rejetons  allèrent  tou- 
jours en  s'affaiblissant  davantage,  ne  subsista  pas  longtemps 
encore  après  la  conclusion  du  traité  de  partage  de  Verdun. 
Louis  le  Germanique  mourut  en  876.  Après  sa  mort,  trois 
royaumespàrticuliersseconstituèrent  pendant  quelque  temps 
en  Allemagne  :  ceux  de  Saxe,  d'Alemanie  et  de  Bavière, 
pour  ses  trois  fils,  Louis,  Carloman  et  Charles.  Dès  l'an- 
née 8S2 ,  ce  dernier,  surnommé  le  Gros ,  réunissait  de 
nouveau  l'Allemagne  sous  ses  lois,  par  suite  de  la  mort 
de  ses  frères,  et  en  884  toute  la  France  elle-même.  Ctlte 
reconstitution  de  l'empire  de  Cbarlemagne  était  toutefois 
plus  apparente  que  réeib'.  Kn  887,  l'aristocratie  déposa 
Charles  le  Gros  à  la  diète  de  Trihnr,  et  il  y  eut  alors,  à  pro- 
prement parler,  deux  empires  d'Allemagne,  l'un  grand  et 
l'autre  petit.  Celui-ci  se  composait  delà  Suisse  allemande 
d'aujom-d'hui,  où  les  seigneurs  élurent  l'un  d'entre  eux ,  le 


AGNE 

fomtc  Rodolphe.  Arnoulf,  fils  naturel  de  Carloman,  fut 
>'lu  roi  dans  le  grand  empire.  Il  mourut  en  899,  après 
ime  vie  assez  insignifiante,  dont  le  seul  événement  de  quel- 
que importance  fut  une  victoire  qu'il  remporta  en  891  sur 
les  >'ormands.  Son  fils  alors  encore  en  bas  âge  ,  Louis  l'En- 
fant ,  porta  le  litre  de  roi  jusqu'au  milieu  de  l'année  911 , 
épocpie  de  sa  mort.  Avec  lui  s'éteignit  la  race  carlovin- 
gienne  en  Allemagne. 

Vers  celte  époque,  la  majorité  de  l'aristocratie,  qui  avait 
alors  jusqu'à  un  certain  point  pour  chefs  les  ducs,  semble 
avoir  conçu  le  plan  de  laisser  la  royauté  et  l'empire  s'é- 
crouler. Il  y  eut  Ueu  de  procéder  à  une  élection  générale 
d'un  roi  ;  mais  les  grands  de  la  province  de  Franconie  y  pri- 
rent seuls  part,  et  ils  choisirent  pour  roi  un  des  leurs,  Con- 
rad l^'',  dont  toutefois  l'autorité  ne  fut  pas  reconnue  dans 
toutes  les  parties  de  l'Allemagne.  A  sa  mort,  arrivée  en  l'an- 
née 919,  les  grands  de  la  Saxe  et  de  la  Franconie  élurent 
pour  roi  Henri,  duc  de  Saxe.  Henri  1"  rétabbt  l'empire 
à  peu  près  dan»  les  limites  qu'il  avait  eues  sous  les  der- 
niers Carlovingiens.  Il  eut  fallu  une  politique  d'une  ha- 
bileté consommée  et  le  travail  non  interrompu  de  plusieurs 
siècles  pour  détruire  l'essence  de  cet  empire  carïovingien 
avec  sa  constitution  aristocratique ,  et  pour  le  remplacer 
par  un  empire  véritablement  national  d'unité.  Aucun  des 
rois  de  la  maison  de  Saxe  ne  semble  avoir  eu  l'énergie  et  la 
prudence  qui  eussent  été  nécessaires  pour  arriver  à  un  sem- 
blable résultat.  A  la  mort  de  Henri,  arrivée  en  936,  l'empire 
passa  à  son  fils  Otbon  l''",  qui  en  962  obtint  la  cou- 
ronne impériale.  Indépendamment  d'une  victoire  décisive 
qu'il  remporta,  en  955,  sous  les  murs  d'Augsbourg  sur  les 
Hongrois ,  victoire  dont  le  résultat  fut  de  délivrer  à  ja- 
mais l'Allemagne  des  ravages  de  ces  redoutables  visiteurs, 
l'empire  et  surtout  le  duché  de  Saxe  furent  sous  son 
règne  considérablement  agrandis  sur  les  rives  de  l'Elbe  et 
de  la  Saale,  par  suite  de  la  vigoureuse  impulsion  qu'il  im- 
prima à  la  guerre  contre  les  Slaves ,  qu'avait  déjà  com- 
mencée Henri  \".  Othon  V  mourut  en  973.  Ses  deux  succes- 
seurs, Otbon  II,  qui  régna  jusqu'en  983,  et  Othon  III,  qui 
régna  jusqu'en  l'an  1002  ,  sont  d'une  complète  insignifiance 
historique ,  et  nous  offrent  un  nouvel  et  frappant  exemple 
de  cette  fatalité  qui  semble  condamner  les  grandes  maisons 
souveraines  à  périr  et  à  s'éteindre  dans  la  faiblesse  et  l'é- 
tiolement  complet  de  leurs  derniers  rejetons.  A  la  mort 
d'Olhon  III ,  un  collatéral  de  la  maison  de  Saxe ,  le  roi 
Henri  II ,  monta  sur  le  trône.  Ce  prince  ne  se  distingua 
que  par  ses  tendances  monacales  et  par  son  complet  as- 
servissement au  clergé,  qu'il  combla  de  richesses  en  même 
temps  qu'il  ajoutait  encore  à  sa  puissance  temporelle.  Avec 
lui  s'éteignit  en  l'année  1026  la  maison  de  Saxe,  pour  faire 
place  à  la  dynastie  franke  ou  salienne.  Consultez  Ranke, 
Annales  de.  l'Empire  d'Allemagne  soiis  la  maison  de 
Saxe  (  en  allemand  ;  Berlin,  1837-1840  ). 

Le  roi  Conrad  II  fut  le  premier  souverain  de  la  race 
salienne,  laquelle  occupa  le  frône  pendant  un  siècle  entier. 
Déjà  sous  Othon  V  l'Italie  avait  été  réunie  à  l'Allemagne; 
Conrad  II  en  fit  autimt  de  la  Bourgogne,  dont  une  très-pe- 
tite partie  seulement  était  allemande.  Mais  la  souveraineté 
ainsi  acquise  par  des  rois  allemands  sur  des  territoires  ita- 
liens et  français ,  surtout  en  ce  qui  est  de  cette  dernière  ac- 
quisition, ne  fut  guère  jamais  que  nominale.  D'ailleurs  Con- 
rad II  témoigna  de  la  ferme  volonté  de  mettre  des  digues  à 
toute  nouvelle  usurpation  de  puissance  de  la  part  de  l'aris- 
tocratie ;  mais  les  efforts  qu'il  tenta  à  cet  effet  jusqu'à  sa 
mort,  arrivée  en  1039,  restèrent  à  peu  près  sans  résultats. 
Son  fils  et  successeur  Henri  III  fit  encore  plus  explicite- 
ment connaître  quelles  étaient  ses  idées  à  l'égard  de  l'aris- 
tocratie ;  mais  sa  main  de  fer  et  son  énergie  furent  elles- 
mêmes  impuissantes  à  triompher  d'abus  trop  profondément 
enracinés.  Henri  III  mourut  en  1056,  et  la  couronne  passa 
à  son  fils  Henri  IV,  alors  encore  en  bas  âge.  Sous  le  r^e 


ALLEMAGNE 


355 


de  ce  prince  s'éUiblit,  à  partir  de  rannée  lOTô,  une  lutte  aussi 
violeuto  que  liocisive  entre  la  royauté  et  raristocratie,  soit 
que  Henri  IV  eut  véritablement  conçu  le  projet  de  forcer 
l'aristocratie  à  se  soumettre  à  son  autoiité  souveraine,  soit 
que  l'aristocratie  soupçonnât  l'existence  de  pareilles  inten- 
tions dans  l'esprit  de  ce  monarque.  Ce  fut  le  pape  Gré- 
goire VII  qui  alluma  ce  vaste  incendie,  dans  l'espoir  de 
faire  reconnaître  et  admettre  dans  l'empire ,  au  milieu  de 
la  confusion  générale  qu'il  causerait,  son  décret  relatif  aux 
investitures.  La  mort  de  Henri,  arrivée  en  IlOG,  n'apporta 
elle-même  qu'une  courte  interruption  à  cette  effroyable  lutte, 
qui  recommença  sous  son  fils  et  successeur  Henri  V,  pour 
durer  jusqu'à  la  mort  de  ce  prince ,  quoique  avec  une 
énergie  moins  sauvage.  La  race  royale  de  la  maison  de 
Franconie  s'éteignit  en  1125,  avec  Henri  V.  Le  plan  dont 
c^tte  maison  semble,  à  partir  surtout  du  règne  de  Henri  III, 
avoir  poursuivi  la  réalisation  à  l'effet  d'arriver  à  anéantir 
l'aristocratie  dans  la  forme  qu'elle  avait  alors ,  avait  com- 
plètement écboné ,  et  à  l'extinction  de  la  race  salienne  l'a- 
ristocratie semble  avoir  exercé  une  puissance  plus  étendue 
que  jamais  par  ses  principaux  représentants  ,  les  ducs ,  les 
margraves ,  les  comtes ,  les  arcbevéques  et  les  évêques.  Elle 
était  parvenue  à  se  faire  attribuer  comme  propriété  hérédi- 
taire ce  qui  précédemment  avait  été  considéré  comme  fonc- 
tion d'origine  royale,  et  elle  avait  usurpé  les  domaines 
royaux  avec  une  grande  partie  des  revenus  royaux.  A  côfé 
de  la  grande  aristocratie ,  il  s'en  était  en  outre  formé  une 
moindre  qui,  retranchée  dans  ses  châteaux,  opprimait  les  po- 
pulations des  pays  de  plaines;  et  à  ce  moment  la  liberté 
n'eut  plus  d'autre  refuge  que  dans  les  villes,  dont  l'impor- 
tance et  la  prospérité  toujours  croissantes  datent  de  cette 
époque.  Consultez  Stenzel,  Histoire  de  l'Allemagne  sous 
les  empereurs  de  la  maison  de  Franconie  (  Leipzig,  1 828  )  ; 
et  Gervais,  Histoire  j)oiitiqt(e  de  l'Allemagne  sot(s  le 
règne  des  empereurs  Henri  V  et  Lothaire  III  (  2  vol., 
Leipzig,  1842  ). 

A  partir  du  moment  où  s'éteignit  la  maison  de  Fran- 
conie ,  on  peut  considérer  l'Allemagne  comme  un  véritable 
royaume  électif  dont  disposait  la  haute  aristocratie.  Le  roi 
Lothaire,  delà  maison  de  Sup'.inbourg ,  précédemment 
duc  de  Saxe,  mort  dès  l'année  10;39,  ne  fit  sur  le  trône 
royal  de  l'Allemagne  qu'une  fugitive  et  assez  insignifiante 
apparition.  Mais  les  cent  vingt  années  qui  s'écoulèrent  en- 
suite eurent  une  grande  importance  sur  l'assiette  que  l'Alle- 
magne arriva  à  se  donner.  La  célèbre  maison  de  Hohens- 
taufen  monta  sur  le  trône  avec  Conrad  III.  Si  ce  prince 
n'est  guère  remarquable  dans  l'histoire  que  parce  qu'il  fut  la 
souche  de  sa  famille  en  même  temps  tpie  le  premier  em- 
pereur qui  organisa  une  croisade ,  en  revanche  l'empereur 
Frédéric  Barberousse,  qui  régna  à  partir  de  l'an  1152, 
'  st  une  figure  historique  de  la  plus  grande  importance.  La  fa- 
liiille  de  Hohenstaiifen  semble  avoir  compris  de  bonne  heure 
que  vouloir  fonder  en  Allemagne  une  souveraineté  véri- 
table ,  à  l'instar  de  celle  qui  commençait  à  s'établir  alors 
en  France ,  é!ait  une  entreprise  entourée  de  beaucoup  trop 
de  difficultés.  Elle  jeta  dès  lors  son  dévolu  sur  l'Italie,  et, 
dans  l'espoir  de  parvenir  à  se  constituer  un  véritable  em 
pire ,  l'empereur  Frédéric  engagea  une  lutte  acharnée  contre 
les  villes  lombardes.  A  partir  de  ce  moment,  l'Allemagne 
fut  en  quelque  sorte  abandonnée  à  elle-même  par  ses  rois  et 
par  ses  empereurs  ;  et  son  aristocratie ,  qui  dès  lors  visa  à 
jouir  d'une  autorité  souveraine  et  princière,  n'eut  plus 
d'obstacle  qui  gênât  son  ambition.  L'empereur  Frédéric , 
après  avoir  échoué  dans  ses  efforts  contre  l'Italie,  trouva 
la  mort  enCilicie,  en  1190,  pendant  une  croisade  qu'il  avait 
entreprise.  Son  fi!s  Henri  VI  hérita  pour  lui  et  sa  famille 
du  royaume  héréditaire  d'Apulie  (Naples),  et  mourut  en 
1197.  Philippe  de  Souabe,  son  frère,  obtint  bien  les  voix 
de  quelques  seigneurs;  mais  d'autres  princes  élurent  pour 
roi  Othon  IV,  de  la  maison  des  Guelfes.  La  lutte  entre  ces 


deux  rois  se  termina  en  1208,  par  Fassassinat  de  Philippe. 
Mais  Othon  IV  n'occupa  pas  le  trône  pendant  longtemps , 
car  il  en  fut  expulsé  dès  l'an  1212  par  Frédéric  II,  fils 
de  Henri  VI.  L'Italie  excita  encore  bien  autrement  la  con- 
voitise de  Frédéric  que  celle  de  ses  aïeux.  Désespérant,  sui- 
vant toute  apparence ,  de  pouvoir  jamais  parvenir  à  établir 
en  Allemagne  un  véritable  pouvoir  royal ,  et  afin  de  se  créer 
de  la  sorte  des  appuis  dans  sa  lutte  contre  l'Italie ,  il  accrut 
tellement  la  puissance  de  la  haute  aristocratie ,  qu'on  en  vit 
les  principaux  membres  devenir  alors  peu  à  peu  de  véritables 
princes.  Frédéric  II  ne  fit  que  de  rares  et  courts  séjours  en 
Allemagne.  Il  avait  laissé  parmi  les  Allemands  l'un  de  ses 
fils  comme  vice-roi.  Ce  fut  d'abord  son  aîné ,  Henri  ;  et 
quand  celui-ci ,  après  l'avoir  trahi ,  eut  été  vaincu  et  fait 
prisonnier,  ce  fut,  à  partir  de  1236 ,  le  plus  jeune ,  désigné 
dans  l'histoire  sous  la  dénomination  de  roi,  Conrad  lY.- 
iMais  ces  fils  ne  purent  non  plus  rien  faire  en  Allemagne 
qui  contribuât  à  y  fonder  un  véritable  empire ,  et  il  semble 
môme  que  jamais  pareil  projet  ne  leur  vint  à  l'esprit. 
Quant  à  Frédéric  II,  ses  efforts  pour  se  créer  une  souverai- 
neté solide  en  Italie  l'entraînèrent  dans  la  lutte  la  plus  san- 
glante non-seulement  avec  les  Guelfes ,  mais  encore  avec 
le  saint-siége,  qui  de  tous  les  États  souverains  de  l'Italie  était 
celui  qui  voulait  le  moins  entendre  parier  de  la  création 
d'un  grand  empire  italien.  Au  synode  tenu  à  Lyon  en  1246, 
le  pape  Innocent  IV  lança  môme  contre  Frédéric  II  les 
foudres  de  l'excommunication  et  fit  prêcher  en  Al'emagne 
ainsi  qu'en  Italie  la  révolte  contre  les  Hohenstaufen,  comme 
un  devoir  auquel  les  fidèles  étaient  tenus  à  l'égard  de  l'É- 
glise. Il  en  résulta  dans  l'un  et  l'autre  de  ces  pays  la  plus 
effroyable  des  confusions,  au  milieu  de  laquelle  Frédéric  II 
mourut  en  Italie,  en  1250.  Comme  Conrad  lY  se  trouvait 
dans  l'impossibilité  de  se  maintenir  plus  longtemps  en  Alle- 
magne ,  il  accourut  l'année  suivante  en  Italie  pour  s'y  con- 
server tout  au  moins  le  royaume  héréditaire  de  >'a])!cs,  dont 
le  saint-siége  était  en  train  de  s'emparer.  Mais  Conrad  IV 
y  mourut  dès  l'année  1254;  et  son  fils,  C  on  radin,  duc 
de  Souabe",  qui  en  1268  abandonna  l'Allemagne  à  l'effet 
de  veair  recueillir  son  héritage  d'Italie ,  ne  tarda  pas  non 
plus  à  y  succomber.  Avec  lui  s'éteignit  la  maison  de  Ho- 
henstaufen ,  dont  les  membres  avaient  fini  par  constituer 
une  fiimille  bien  plus  italienne  qu'allemande. 

L'époque  comprise  depuis  les  dernières  années  du  règne 
de  Frédéric  II  Jusqu'à  l'avènement  du  trône  de  Rodolphe 
de  Habsbourg  fut  pour  l'Allemagne  une  période  de  transi- 
tion, pendant  laquelle  la  puissance  royale,  quoiqu'elle  allât 
toujours  en  s'affâiblissant ,  dem.eurée  jusque  alors  au  total 
celle  qu'avaient  exercée  les  Carlovingiens ,  perdit  complète- 
ment ce  caractère  pour  faire  place  au  nouveau  pouvoir  qui 
devait  désormais  dominer  dans  l'empire,  à  la  puissance  des 
princes ,  puissance  dont  la  formation  et  les  progrès  furent 
d'ailleurs  insensibles.  C'est  cet  intervalle  que  l'histoire  dé- 
signe sous  le  nom  d'interrègne ,  parce  que  les  rois  qui  à 
ce  moment-là  occupèrent  le  trône  d'Allemagne  firent  tous 
preuve  de  la  plus  complète  nullité.  Ces  rois  furent  Henri 
Rasjje,  landgrave  de  Thuringe,  opposé  en  1246  à  Frédéric  II 
par  les  princes  ecclésiastiques  ;  Guillaume  de  Hollande,  qui 
régna  jusqu'en  1256;  Alphonse  X,  roi  de  Castille ,  et 
Richard,  comte  de  Cornouailles,  élus  à  la  mort  de  Guillaume, 
l'un  par  une  partie  des  princes ,  l'autre  par  le  reste  d'entre 
eux.  C'est  la  confusion  extrême,  résultat  de  cette  période  de 
transition,  qui  explique  plusieurs  faits  particuliers  de  l'his- 
toire de  ce  temps-là  :  par  exemple,  l'origine  des  cours  vcli- 
miques  ou  de  la  Sainte-Vehme,  de  la  Hanse  et  de  la 
ligue  des  villes  du  Rhin.  L'absence  d'un  droit  universel  et 
de  tribunaux  universels  se  fit  alors  plus  particulièrement 
sentir,  quoique  Frédéric  II  eût  institué  une  m;'gistrature  dé- 
signée sous  le  nom  de  justice  aulique,  et  chargée  de  faire 
respecter  la  juridiction  suprême  de  l'empereur.  L'absence 
de  tout  ordre  et  de  toute  sécurité  dans  les  tribunaux  fut- 

45. 


866 

cause  qu'on  vit  alors  se  réveiller  avec  une  nouvelle  fureur 
l'antique  coutume  germaine  des  guerres  privées.  Tendant 
deux  siècles  tout  entiers  l'empire  fut  constamment  en  proie 
aux  désordres  les  plus  affreux  et  le  théâtre  d'assassinats , 
de  brigandages  et  d'incendies  toujours  renaissants,  sans 
que  les  efforts  tentés  pour  y  mettre  un  terme  par  quckiucs 
princes  énergiques,  entre  autre<s  par  Rodolplic  V,  pns.*cnt 
lesempôdier,  même  moinenlanéinent. 

L'interrègne  finit  à  l'accession  au  trône  de  Rodolphe  I", 
comte  de  Habsbourg,  élu  en  1273,  après  la  mort  de  Ri- 
chard, roi  et  empereur  des  Allemands.  II  est  impossible  de 
ne  pas  reconnaître  que  de  ce  règne  date  dans  l'histoire  de  l'Al- 
lemagne une  ère  nouvelle,  encore  bien  qu'il  ne  soit  pas  très- 
facile  de  tracer  bien  exactement  la  ligne  de  démarcation  qui 
la  sépare  de  l'ère  précédente.  A  partir  de  ce  moment  la 
puissance  impériale  ne  fut  plus  guère  qu'une  ombre,  qu'un 
grand  souvenir  ;  et  l'empereur,  quoique  le  siècle  n'eilt  point 
à  cet  égard  d'idées  bien  arrêtées,  ne  fut  plus  que  le  chef  de 
la  grande  aristocratie  de  l'empire,  composée  essentiellement 
de  princes  temporels  ou  spirituels,  mais  en  partie  aussi  d'un 
certain  nombre  de  grandes  villes,  ou  plutôt  de  leurs  magistrats, 
ayant  peu  à  peu  obtenu  le  droit  d'assister  aux  diètes  et  d'y 
voter.  Des  assemblées  d'états  provinciaux  avaient  déjà  com- 
mencé sous  le  règne  des  Hohenstaufen  à  se  constituer  sur  les 
territoires  des  diffé.'-ents  princes.  Ces  assemblées  limitèrent 
l'autorité  exercée  par  les  princes  sur  leurs  territoires  respec- 
tifs, tout  comme  les  diètes  des  princes  avaient  mis  des  bornes 
à  l'exercice  de  l'autorité  impériale  dans  l'empire.  L'établis- 
sement d'innombrables  souverainetés  indépendantes  est  le  ca- 
ractère principal  de  cette  époque.  Dans  toutes  les  affaires  la 
nation  dut  obéir  aux  influences  les  plus  opposées;  mais  quel- 
quefois aussi  il  lui  arriva  d'être  complètement  abandonnée 
à  elle-même.  Les  suites  d'un  tel  état  de  choses  furent  le 
développement  déplus  en  plus  énergique  de  lindividualisone, 
dont  témoignèrent  et  la  prospérité  toujours  croissante  de 
tant  de  villes,  et  la  conquôle  de  la  Prusse,  entreprise  et  ache- 
vée dans  la  période  des  Hohenstaufen  par  les  chevaliers 
del'ordre  Teutonique,  tandis  que  d'un  autre  côté  le  sen- 
timent de  la  nationalité,  de  la  généralité  des  intérêts ,  s'af- 
faiblissait toujours  davantage  dans  les  cœurs.  L'cmpcrcnr 
Rodolphe  s'efforça  avant  tout  de  mettre  un  terme  aux  bri- 
gandages des  guerres  privées,  tout  en  sachant  mettre  à  pro- 
fit son  pouvoir  impérial  afin  de  fonder  dans  son  propre  in- 
térêt et  dans  celui  de  sa  maison  une  grande  puissance 
liéréditaire.  La  victoire  qu'il  remporta  en   1278   sur   Ot- 
locar,  roi  de  Bohême ,  lui  offrit  à  cet  effet  une  occasion 
des  plus  favorables,   attendu  qu'elle  valut  en  12â2  à  sa 
maison  l'acquisition  de  l'Autriche,  de  la  Styrie  et  de  la 
Carniole,  auxquelles  vinrent  se  joindre,  environ  une  dizaine 
d'années  plus  tard ,   le  Tyrol  et  la  Carinthie.  Rodolphe  1" 
mourut  en  1291.  Les  électeurs,  entre  les  mains  de  qui  seuls 
le  droit  d'élire  l'empereur  avait  fini  par  tomber,  étaient  peu 
disposés  à  favoriser  la  politique  de  plus  en  plus  évidente 
de  la  maison  de  Habsbourg,  et  consistant  à  ne  briguer  le 
litre  et  le  pouvoir  de  roi  que  pour  l'employer  à  son  agrandis- 
sement. Au  lieu  donc  d'élire  encore  un  Habsbourg,  ils  choi- 
sirent  le  comte  Adolphe    de  Nassau.    Celui-ci  ayant 
voulu  suivre  les  traces  de  Rodolphe ,  les  princes  lui  oppo- 
sèrent le  propre  fils  de  Rodolphe,  Albert  l'"',  dont  l'an- 
tagonisme amena  aussi,  en  1298,  la  ruine  conq)lète  d'Adolphe. 
Albert  r'  se  montra  encore  plus  avide  de  liciiesses  et  d'a- 
grandissements territoriaux  que  son  père,  et  ses  violences 
provoquèrent  la  création  de  la  Confédération  suisse.  Quand 
son  neveu,  Jean  de  Souabe,  l'eut  assassiné,  les  électeurs  rc- 
noi'.cèrent  encore  une  fois  à  la  maison  de  Habsbourg ,  et 
élurent  Henri,  comte  de  Luxembourg.  Henri  VII  obtint 
pour  son  fils  et  sa  famille  la  couronne  royale  de  Cohême,  et 
envaliil  ensuite  i'itahe  pour  y  tenter  ce  qui  avait  si  mal 
réussi  aux  Hohenstaufen  ;  mais  il  y  trouva  la  mort  en  1313, 
empoisonné  peut-Otre  par  une  main  itahenne.  La  nouvelle 


ALLEMAGNE 

élection  à  laquelle  il  fallut  alors  procéder  amena  la  division 
parmi  les  électeurs  :  les  uns  donnèrent  leurs  voix  à  Louis , 
duc  de  la  haute  Bavière  ;  les  autres,  à  Frédéric  le  Beau,  duc 
d'Autriche.  De  là  une  longue  et  sanglante  lutte  qui  se  termina 
au  profit  de  Louisle  Bavarois.  C'est  sous  son  règne  que 
la  papauté,  dont  le  siège  était  alors  à  Avignon,  fît  sa  dernière 
tentative  de  quelque  importance  pour  se  constituer  dans  l'em- 
pire d'Allemagne  une  puissance  temporelle  immédiate ,  en 
prétendant  y  exercer  le  droit  de  directe.  Louis  le  Bavarois, 
pour  avoir  combattu  une  telle  prétention,  fut  d'abord  excom- 
munié, puis  déposé  par  le  pape.  IMais  il  en  résulta  en  1 338  une 
résohition  solennelle  prise  à  Rense  par  les  électeurs  et  les 
états  de  l'empire,  qui  déclarèrent  alors  que  le  pape  n'avait 
aucun  droit  de  se  mêler  de  l'élection  du  roi  des  Allemands, 
et  que  sous  le  rapport  temporel  l'empire  d'Allemagne  était 
complètement  indépendant  du  saint-siége.  Jlalgré  cela,  il 
est  vrai,  le  pape  n'en  réussit  pas  moins,  en  1346,  à  déter- 
miner quelques  princes  à  élire  empereur  Charles  dCiMoravie, 
devenu  la  môme  année  roi  de  Bohême ,  par  suite  de  la  mort 
de  son  père  Jean  ;  mais  avant  que  la  lutte  s'engageât  Lien 
sérieusement  entre  lui  et  Louis ,  ce  dernier  mourut  en  1347. 
Charles  IV  ne  parvint  pas  cependant  aussitôt  à  se  trouver 
seul  maître  du  trône;  car  les  fils  de  Louis  lui  opposèrent 
comme  anti-roi  un  petit  prince,  le  comte  Guntherde  Schwarz- 
bourg.  Le  brave  Gunther  abdiqua  en  1349,  et  mourut  à  quelque 
temps  de  là.  Jamais  empereur  n'avait  encore  autant  que 
Charles  IV  fait  exclusivement  servir  son  pouvoir  à  l'agrandis» 
sèment  particulier  de  sa  maison.  Accroître  encore  et  faire  fleu- 
rir son  royaume  de  Bohème,  qui  maintenant  comprenait  la 
Jloravie,  la  Silésie  et  la  Lusace,  fut  le  but  principal  des  efforts 
de  toute  sa  vie ,  et  il  ne  s'inquiétait  du  reste  de  l'Allemagne 
qu'autant  que  les  intérêts  particufiers  de  sa  famille  lui  en  fai- 
saient une  inévitable  néces.sité.  C'est  aussi  dans  cette  inten- 
tion qu'en  1356  il  publia  la  célèbre  Bulle  d'or,  qui  concéda 
aux  sept  électeurs  de  ]Mayence ,  de  Trêves,  de  Cologne ,  de 
Bohême,  du  Palatinat,  de  Saxo  et  de  Brandebourg  le  droit 
exclusif  d'élire  les  empereurs,  le  droit  de  co-souveraineté  dans 
l'empire,  et  enfin  ce  qu'on  appela  le  Ji<s  de  non  appellando. 
Cette  mesure  fut  surtout  prise  pour  le  cas  où  la  maison  de 
Luxembourg  viendrait  à  perdre  encore  une  fois  le  trône  im- 
périal, et  où  il  fallait  dès  lors  que  cette  famille,  qui  po;- 
sédait  deux  électorals,  ceux  de  Bohême  et  de  Brandebourg , 
demeurât  autant  que  possible  souveraine  et  indépendante.  A 
la  mort  de  Charles  IV,  arrivée  en  1378  ,  la  dignité  impériale 
passa  à  son  fils  Wenceslas.  Celui-ci,  par  suite  de  la  tor- 
peur naturelle  de  son  esprit ,  comme  aussi  des  troubles  qui 
éclatèrent  alors  en  Bohême  à  l'excitation  de  Jean  H  us  s  et 
de  l'esprit  turbulent  dont  était  animée  la  noblesse,  ne  put 
guère  se  mêler  des  affaires  intérieures  de  l'empù-e.  A  ce  moment 
l'Allemagne  était  sur  le  point  de  se  dissoudre  pour  former 
une  chaîne  particulière  de  fédérations  et  de  confédérations. 
Un  violent  antagonisme  qui  s'établit  entre  les  fédérations  des 
villes  du  sud  et  du  centre  de  l'empire  (  Ligue  des  villes  du 
Rhin  et  de  Souabe  )  et  la  fédération  des  princes  de  ces  mêmes 
contrées ,  provoqua  une  lutte  qui  se  termina  en  1382  d'une 
manière  malheureuse  pour  les  villes,  et  empêcha  ainsi  la  dis- 
solulion  complète  de  l'empire  de  s'opérer.  En  1400  Wences- 
las  fut  déclaré  déchu  de  ses  droits  par  quelques  princes  de 
l'empire;  mais  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  en  1419,  il  n'en 
continua  pas  moins  de  porter  le  titre  de  roi  des  Allemands. 
Robert  du  Palatinat,  élu  à  sa  place,  fut  un  prince  tout  à 
fait   insi^niliant.   A    la  mort  de  Robert ,  arrivée  en  lilO, 
une  partie  des  princes  élurent  pour  empereur  le  frère  de 
Wenccslas,  Sigismond,  roi  de  Hongrie,  tandis  que  les 
autres  donnaient  leurs  suffrages  à  Jobst  de  Moravie ,  cou- 
sin de  Wenccslas.  Jobst  mourut  dès  l'an  1411,  et  Sigis- 
mond se  trouva  en  fait  le  seul  roi.  Mais  les  temps  où  il 
vécut  furent  troublés  par  les  plus  violents  orages.  Le  sy- 
node tenu  à  Kostnil/.  et  le  pape  avaient  condanmé  Huss  à 
être  brillé  \  if,  anathèmatisé  ses  doctrines  et  déclaré  héré- 


ALLEMAGNE 

tiques  ceux  qui  les  partageaient.  Sigismond ,  qui  h  la  mort 
de  Wenccslas  éleva  des  prétcnlions  au  trùuc  de  lîohi>mc , 
fut  repoussé  par  les  Imssites  exaspérés  ,  et  en  1  i20  le  pape 
prêcha  formellement  la  croisade  contre  ces  sectaires.  L'em- 
pire d'Allemagne  se  trouva  donc  entraîné ,  d'une  part  par 
l'Église,  de  l'autre  par  Sigismond,  dans  une  guerre  contre  les 
hussites  ,  qui  fut  d'autant  plus  sanglante  que  ce  n'était  au 
fond  qu'une  guerre  de  religion.  Cette  guerre  fournit  la 
preuve  manifeste  de  la  faiblesse  des  Allemands  toutes  les  fois 
qu'ils  voulaient  agir  comme  puissance  unie ,  attendu  que 
rien  dans  l'organisation  de  l'empire  ne  se  prétait  à  un  tel 
but.  L'empire  n'en  réussit  pas  moins  pourtant,  non  point,  il 
est  vrai ,  par  l'emploi  des  forces  allemandes,  mais  par  d'au- 
tres moyens,  à  anéantir  en  très-grande  partie  la  réformation 
religieuse  tentée  en  Bohème  et  à  assurer  à  Sigismond  le  trône 
de  cette  contrée.  / 

La  maison  de  Luxembourg  s'éteignit  en  1347  en  la  per- 
sonne de  Sigismond.  Albert  II,  duc  d'Autriche,  monta 
aloî-s  sur  le  trône  ;  mais  il  mourut  dès  l'an  1439.  Il  eut 
pour  successeur  un  autre  Habsbourg,  l'empereur  Frédé- 
ric m,  sous  le  règne  duquel  la  diète  de  l'empire  se  divisa 
en  ce  que  l'on  appela  les  trois  bancs  des  électeurs ,  des 
princes  et  des  villes.  On  s'y  occupa  aussi  des  mesures  à 
prendre  pour  arriver  à  la  complète  abolition  des  guerres 
privées  et  à  l'établissement  d'une  paix  perpétuelle  dans 
l'empire.  La  maison  de  Habsbourg  obtint  encore  du  vivant 
même  de  Frédéric  III,  par  le  mariage  de  son  fils  Maximi- 
lien  avec  .Marie  de  Bourgogne,  la  possession  des  provinces 
des  Pays-Bas,  agrandissement  qui  ne  laissa  pas  que  d'exer- 
cer une  grande  influence  sur  les  affaires  intérieures  dé 
l'empire.  Après  un  long  règne,  Fré>léric  abandonna,  en  149,'), 
la  couronne  impériale  à  son  fils  Max  i  mi  lien  F^  Ce 
fut  sous  le  règne  de  ce  prince  qu'en  1495,  à  la  diète  tenue 
à  W'orms,  on  décida,  après  de  longs  débats,  qu'il  fallnil 
absolument  mettre  un  terme  au\  guerres  privées,  et  que 
les  personnes  ne  relevant  pas  immédiatement  de  l'autorité 
impériale  seraient  justiciables  des  tribunaux  locaux,  tandis 
que  ceux  qui  en  relevaient  immédiatement,  c'est-à-dire  les 
princes  et  les  États,  seraient  justiciables  d'un  tribunal  auli- 
que  de  l'empire  qu'on  créerait  à  cet  effet.  X  di\  erses  repi  i- 
ses  d'ailleurs  on  proposa  dans  les  dièîes  d'aviser  aux  moyens 
d'organiser  un  gouvernement  commun  à  tout  l'empire. 
En  cela  la  pensée  des  princes  et  des  États  était  évidejument 
d'arracher  ainsi  à  l'empereur  la  puissance  qui  hii  restait 
encore,  et  d'organiser  une  manière  de  gouvernement  repré- 
sentatif ou  d'États  :  aussi  Maximilien  combattit-il  toutes 
les  propositions  faites  dans  ce  sens.  Le  gouvernement  de 
l'empire  ne  fut  vérita'olcmcnt  établi  qu'en  1520,  après  la 
mort  de  Maximilien;  mais  il  ne  fonctionna  que  pendant 
très-peu  de  temps.  L'événement  le  plus  remarquable  du 
règne  de  Maximilien  fut  l'apparition  sur  la  scène  politique 
de  Luther,  apparition  qui  eut  lieu  seulement  dans  les 
dernières  années  de  la  vie  de  ce  prince.  L'empereur  Ma^^i- 
milien  mourut  au  commencement  de  1519;  au  mois  de 
juillet  de  la  même  année,  son  petit-fils  ,  Charles  I""  comme 
roi  de  Caslille,  et  Charles-Quint  comme  empereur 
d'jUlemagne ,  fût  élu  pour  le  remplacer.  Une  des  raisons 
qui  déterminèrent  ce  choix  fut  le  besoin  qu'on  éprouvait 
dans  l'empire  d'une  protection  suffisante  contre  les  progrès 
toujours  croissants  de  la  puissance  des  Turcs;  et  cepen- 
dant ,  d'un  autre  côté ,  c'était  là  une  élection  devant  la- 
quelle devaient  à  bon  droit  hésiter  les  princes,  les  états 
et  les  villes  de  l'empire ,  en  songeant  que  Charles,  prince 
disposant  de  vastes  possessions  territoriales  ,  pouvait  tout 
aussi  bien  employer  ses  ressources  et  ses  forces  à  accroî- 
tre encore  la  puissance  impériale  et  à  soumettre  à  son  au- 
torité suprême  les  princes  et  les  états  de  l'empire.  Ils 
cherchèrent  donc  à  se  mettre  à  l'abri  d'un  tel  danger  en 
imposant  des  conditions  et  des  prestations  de  serment  au 
prince  sur  lequel  ils  arrêtaient  leurs  suffrages;  et  c'est  ainsi 


357 
qu'on  soumit  à  Charles-Quint  la  première  capitulation 
d'élection  (wahlcapitulalion).  Des  nombreuses  pos- 
sessions territoriales  dont  il  hérita,  Charles-Quint  ne  se 
réserva  que  l'Espagne,  l'Italie  et  les  Pays-Bas;  en  1522  il 
céda  à  .son  frère  cadet.  Ferdinand,  ses  États  allemands,  à 
savoir  l'^'ilriciie,  la  Slyric,  la  Carniole,  la  Carinthie,  !e 
Tyrol  et  la  lîifse  Auliiciio.  Il  se  posa  de  bonne  heure 
en  adversaire  décidé  de  la  réforraation,  qui  chaque  jour 
menaçait  de  s'étendre  et  de  se  consolider  davantage;  et  il 
l'eût  volontiers  étouffée,  si  les  nombreuses  guen-es  qu'il  eut 
à  soutenir,  tantôt  avec  la  France,  tantôt  avec  le  Turc,  lui  en 
eussent  laissé  le  temps  elles  moyens.  Les  protestants,  pres- 
sentant les  intentions  de  l'empereur,  conclurent  pour  leur 
défense  mutuelle  la  ligue  de  Schmalkalde  .  Par  les  vic- 
toires qu'il  remporta  en  1546  et  1547,  l'empereur  réussit,  il 
est  vTai ,  à  la  dissoudre  ;  et  il  s'efforça  ensuite,  au  moyen 
de  ce  qu'on  appela  l'Intérim,  à  préparer  les  voies  aux_ 
protestants  pour  rentrer  dans  le  giron  de  l'Église  romaine. 
Mais  Maurice  de  Saxe  et  ses  alliés,  qui  faisaient  cause 
commune  avec  la  France,  ennemie  jurée  de  l'empereur,  con- 
traignirent l'empereur,  contre  toute  attente,  à  abandonner  les 
projets  qu'il  avait  conçus  et  à  signer  à  Passau ,  en  1552 ,  un 
traité  de  paix  préliminaire.  A  partir  de  ce  moment  Charles- 
Quint  renonça  complètement  à  se  mêler  des  affaires  de  l'Al- 
lemagne, et  chargea  de  ce  soin  son  frère  Ferdinand,  qui  dès 
l'an  1J32  avait  reçu  le  titre  de  roi  des  Romains.  Pendant 
que  se  préparait  la  paix  de  religi  o  n,  conclue  en  1555, 
Charles-Quint  resta  complètement  étranger  aux  négcciaiions 
qui  la  précédèrent.  Au  moment  même  de  la  signer  on  re- 
çut dans  l'empire  la  nouvelle  de  son  abdication  ,  et  son 
frère,  Ferdinand  I",  monta  alors  sur  le  trône  impérial. 
La  conclusion  de  la  paix  de  religion  de  1555  termina  en 
quelque  sorte  le  premier  acte  des  événements  dont  la  ré- 
formation  fut  pour  l'Allemagne  la  cause  déterminante.  On  a 
souvent  prétendu  que  de  la  réformation  datait  l'affaiblisse- 
ment de  l'Allemagne,  attendu  qu'elle  avait  partagé  la 
nation  en  deux  camps  ennemis,  les  protestants  et  les  catho- 
liques. C'est  là  une  assertion  qui  manque  de  vérité.  La 
scission  fut  bien  moins  le  résultat  de  la  réformation  que  de 
la  résistance  opposée  à  ce  mouvement  et  des  efforts  faits  à  di- 
verses époques  pour  le  comprimer  violemment  dans  une  grande 
partie  de  l'Allemagne.  En  effet ,  au  milieu  du  seizième  siècle, 
la  plus  grande  partie,  sans  contredit,  de  la  nation  avait  en 
toute  liberté  accepté  la  reformation.  L'unité  religieuse  de  la 
nation  se  trouvait  là  où  une  incontestable  majorité  avait 
adopté  ce  changement.  La  minorité  restée  catholique,  et 
qui  ne  resta  telle  que  parce  qu'elle  y  fut  contrainte  par  les 
princes,  n'eût  point  tardé  à  se  rallier  à  la  majorité,  si  le 
catholicisme  romain  n'avait  pas  conservé  une  grande  force 
dans  l'empire  par  celte  circonstance  que  la  majorité  des 
princes  demeura  catholique.  Que  si  deux  seulement  des  plus 
puissants  princes  temporels  de  l'Allemagne ,  les  souverains 
de  l'Autriche  et  de  la  ]]a\ière,  demeurèrent  fermement  at- 
tachés au  catholicisme,  tandis  que  les  autres  embrassaient 
les  doctrines  de  Luther,  la  plupart  des  archevêques  et  des 
évèques  restèrent  fidèles  à  la  religion  catholique;  fait  d'une 
importiuice  extrême,  attendu  que  ces  prélats  étaient  en  même 
temps  souverains  temporels.  Lors  de  la  conclusion  de  la 
paix  de  religion ,  il  avait  été  stipulé ,  par  une  clause  con- 
nue sous  le  nom  de  reservatum  ecclesiastïcum, 
qu'à  moins  d'encourir  la  perte  de  leurs  principautés  tem- 
porelles, les  princes  ecclésiastiques  catholiques  ne  pour- 
raient point  embrasser  le  protestantisme.  La  paix  de  religion 
n'eut  pas  plus  tôt  été  conclue  que  les  jésuites  se  jetèrent 
sur  l'Allemagne.  Aiguillonnés  par  eux ,  les  princes ,  sur- 
tout les  princes  catholiques  ecclésiastiques ,  employèrent 
toute  leur  puissance  à  essayer  ce  qu'on  appela  la  conîre- 
réformation ,  et  (jui  consistait  à  forcer  les  fidèles  à  rentrer 
dans  le  giron  de  l'Église  catholique.  On  doit  en  outre  dé- 
plorer non-seulement  que  de  nombreuses  querelles  inté- 


3r,8  ALLEM 

rioures  soient  venues  déchirer  l'Éj^lisc  protestante,  mais 
encore  qu'à  côté  de  la  réformation  luthérienne,  c'est-à- 
dire  de  la  réformation  vraiment  nationale  en  Allemagne,  la 
réformation  franco-suisse  se  soit  également  introduite  dans 
le  pays,  et  s'y  soit  fait  un  grand  nomhre  de  partisans, 
parce  que  cette  division  eut  nécessairement  pour  résultat 
d'affaiblir  l'ensemble  de  ce  mouvement  religieux.  Les  nou- 
veaux rapports  de  l'Allemagne  commencèrent  à  se  former 
à  la  mort  de  l'empereur  Ferdinand  I"  ,  arrivée  en  i56'<.  Les 
possessions  héréditaires  de  la  maison  de  Habsbourg  pas- 
sèrent alors  à  ses  fils ,  qui  créèrent  diverses  lignes  collaté- 
rales, dont  la  réunion  ne  put  ensuite  s'effectuer  que  sous  le 
règne  de  l'empereur  Léopold.  L'empereur  Maximilien  II 
semble  avoir  personnellement  été  très-bien  disposé  en 
faveur  des  protestants.  H  accorda  en  effet  à  ceux  de  la 
Bohême  et  de  r.\utriche  la  liberté  presque  complète  de  con- 
science; tolérance  qui  eut  pour  résultat  de  faire  faire  au 
protestantisme  des  progrès  aussi  rapides  qu'extraordinaires 
dans  tous  les  États  autrichiens.  Mais  ^laximilien  II  ne  vé- 
cut que  jusqu'en  1576.  Son  fils  et  successeur,  Rodol- 
phe II,  suivit  vme  politique  diamétralement  opposée.  Les 
efforts  anti-protestants  de  cet  empereur,  à  la  cour  de  qui  le 
parti  des  jésuites  acquit  de  nouveau  une  prépondérance 
marquée,  n'eurent  cependant  d'une  part  d'autre  résultat 
que  de  contraindre  l'empereur  en  1C09  à  confirmer  solen- 
nellement, par  ce  qu'on  appela  lettre  de  majesté,  les  liber- 
tés précédemment  concédées  à  la  Bohème;  mais  dans  l'em- 
pire d'.\llemagne  ils  inspirèrent  aux  protestants  le  soupçon 
qu'ils  seraient  attaqués  par  les  catholiques  au  jour  et  à 
l'heure  que  ceux-ci  croiraient  favorables  :  quelques  inci- 
dents ,  notamment  la  manière  dont  on  en  agit  avec  la  petite 
ville  impériale  de  Donauwerth,  l'indiquaient.  En  conséquence 
plusieurs  princes  et  États  de  l'empire  conclurent  en  1G08  une 
union  à  laquelle  les  catholiques  de  leur  côté  opposèrent  une 
nnion  ou  ligue.  L'assassinat  de  Henri  IV,  roi  de  France,  qui 
venait  d'accéder  à  cette  union,  eut  pour  résultat  de  retarder 
la  lutte  pour  quelque  temps  encore.  Sur  ces  entrefaites ,  l'em- 
pereur Rodolphe  II  vint  à  mourir,  en  1G12,  et  son  frère  Ma- 
thias  fut  élu  à  sa  place.  Sous  le  règne  de  ce  prhice  la  si- 
tuation de  l'Allemagne  continua  d'être  toujours  plus  tendue. 
11  n'y  avait  pas  seulement  lutte  entre  le  catholicisme  et  le  pro- 
testantisme, mais  encore  au  sein  larme  du  protestantisme, 
où  les  luthériens  et  les  calvinistes  persistèrent  à  méconnaître 
leur  intérêt  commun  en  présence  du  catholicisme.  Les  po- 
pulations de  la  Bohême  se  révoltèrent  contre  la  maison  de 
Habsbourg,  dans  la  crainte  que  celle-ci  ne  voulût  point  lais- 
ser la  lettre  de  majesté  en  vigueur  pendant  le  temps  pro- 
mis. L'empereur  Mathias  mourut  en  1619,  au  moment  où 
ce  conflit  venait  d'éclater;  et  celui  des  membres  delà  famille 
de  Habsbourg  qui  était  animé  du  zèle  le  plus  ardent  pour 
les  intérêts  du  catholicisme  romain ,  et  qui  avait  adopte 
tous  les  principes  des  jésuites,  parvint  à  se  f;urc  élire  em- 
pereur et  roi. 

Appuyé  parla  ligue,  l'empereur  Fcrdi  nand  Ileut  à  peine 
comprimé  en  1620  l'insurrection  de  la  Bohême,  qu'on  le  ^^t 
essayer  de  mettre  à  exécution  un  double  plan.  Il  s'agissait 
pour  lui  d'anéantir  de  vive  force  la  réformation ,  et  de  pro- 
fiter de  cette  révolution  pour  accroître  et  élever  encore 
davantage  la  puissance  de  la  maison  de  Habsbourg.  En  ce 
qui  est  du  premier  de  ces  plans,  les  moyens  les  plus  vio- 
lents furent  employés  pour  le  mettre  à  exécution  dans  les 
États  héréditaires  autrichiens,  notamment  entre  les  années 
1622  et  1628  ;  de  sorte  que  toutes  traces  de  la  réforination 
y  disparurent  à  peu  près  complètement.  La  terrible  guerre 
de  Trente  Ans  éclata  dans  le  reste  de  l'Allemagne,  où 
elle  causa  les  plus  horribles  dévastations  et  dévora  près  de 
la  moitié  de  la  population.  Les  puissances  voisines  ne  pou- 
vaient voir  d'un  œil  indifférent  les  modilication.<  profondes 
que  l'empereur  Ferdinand  se  proposait  de  faire  subir  à  l'état 
de  l'Allemagne.  La  France  envisagea  le  côté  politique  de  la 


AGNE 

question ,  tandis  que  la  Suède  n'en  eut  en  vue  que  le  côté 
religieux,  encore  bien  queGustavc-.\dolphe,  qui  apparut 
en  .Mlemagne  en  1630,  semble  avoir  eu  aussi,  du  moins 
à  une  époque  postérieure,  des  arrière-pensées  politiques.  La 
mort  de  Gustave-.\dolphe ,  arrivée  en  1632,  délivra  Ferdi- 
nand II  d'un  immense  danger;  l'assassinat  de  Wallens- 
tein  ,  en  1634,  le  débarrassa  d'un  non  moindre  péril,  celui 
de  se  voir  détrôner  par  le  général  de  ses  armées,  par  l'ins- 
trument même  dont  il  s'était  servi  pour  exécuter  ses  plans. 
Une  fois  que  la  France  et  la  Suède  avaient  dû  intervenir  dans 
les  affaires  de  l'Allemagne,  il  ne  pouvait  qu'être  extrêmement 
diflicile  d'empêcher  désormais  ces  puissances  de  peser  dans 
la  balance  des  destinées  de  ce  pays.  Cependant,  après  la  vic- 
toire remportée  par  Ferdinand  II,  en  1G3'»,  dans  les  plaines 
de  Nordlingen  ,  il  eût  encore  été  facile  de  faire  la  paix  avec 
la  Suède.  L'empereur  conclut  bien,  en  1635,  avec  la  Saxe  la 
convention  de  Prague,  par  laquelle  il  sembla  renoncer  à  ses 
projets  contre  le  protestantisme  ainsi  que  sur  l'Allemagne  ; 
mais  comme  une  partie  des  protestants  persistait  à  se  dé- 
fier de  l'empereur,  et  comme  la  France,  par  des  motifs 
égoïstes,  désirait  la  continuation  de  la  guerre,  on  ne  put 
point  parvenir  à  une  pacification  générale.  Ferdinand  II 
mourut  en  1637,  et  eut  pour  successeur  son  fils  Ferdi- 
nand III,  sous  le  règne  duquel  fut  enfin  conclue  la  paix 
de  Westphalie,  aux  termes  de  laquelle  la  paix  de  reli- 
gion de  1555  fut  renouvelée  et  le  bénéfice  de  ses  prescrip- 
tions étendu  aux  calvinistes.  C'est  à  la  conclusion  de  la  paix 
de  Westphalie  que  l'histoire  de  l'Allemagne  cesse,  à  pro- 
prement parler,  d'être  une  unité.  Il  ne  restait  plus  de  l'em- 
pire que  le  nom ,  et  ce  ne  fut  que  bien  rarement  qu'il  lui 
fut  encore  donné  de  jouer  un  rôle  de  quelque  réalité.  Par 
suite  de  l'hostilité  et  de  la  scission  existant  toujours  entre  les 
catholiques  et  les  protestants,  les  princes  cessèrent  désor- 
mais d'assister  régulièrement  aux  diètes.  En  1663  on  éta- 
blit la  diète  perpétuelle  à  Ratisbonne ,  et  les  princes ,  au 
lieu  d'y  assister  en  personne,  s'y  firent  représenter  par  leurs 
envoyés.  L'Allemagne ,  en  raison  de  ce  fractionnement,  qui 
réagit  même  à  ce  point  sur  le  sentiment  national  de  ses 
habitants  qu'il  l'effaça  presque  complètement,  devint  alors 
une  arène  dans  laquelle  se  débattirent  la  plus  grande  partie 
des  intérêts  de  l'Europe.  Une  circonstance  qui  contribua 
singulièrement  à  un  tel  résultat,  ce  fut  que  tant  de  grandes 
races  princières  allemandes  possédassent  en  même  temp-, 
des  trônes  étrangers,  ou  bien  qu'elles  en  héritassent.  C'est 
ainsi  qu'en  1697  l'électeur  de  Saxe  montait  sur  le  trône  de- 
Pologne,  tandis  que  l'électeur  de  Brandebourg  prenait  en 
1701  pour  la  Prusse  le  titre  de  roi,  et  que  le  duc  de  Bruns- 
wick-Luneboiirg ,  élevé  à  la  dignité  d'électeur  en  1692 , 
était  appelé  en  1714  à  occuper  le  trône  d'Angleterre.  La 
tranquillité  dont  il  fut  donné  à  l'Allemagne  de  jouir  après 
les  dévastations  de  la  guerre  de  Trente  Ans  ne  fut  pas  de 
longue  durée.  L'empereur  Fadinand  III  mourut  en  1657, 
et  son  successeur  Léopold  P",  indépendamment  de  ses 
luttes  contre  les  Turc-,  eut  encore  à  soutenir  contre  la 
France  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne,  dans  laquelle 
l'empire  prit  le  parti  de  l'empereur,  tandis  que  les  électeurs 
de  Bavière  et  de  Cologne  embrassaient  celui  de  la  France. 
Cette  guerre,  non  moins  sanglante  et  accompagnée  d'égales 
dévastations,  durait  encore  lorsque  les  affaires  du  ^■ord  at- 
tirèrent en  1706  les  Suédois  en  Saxe.  Léopold  l" ,  mort 
en  170,'),  ne  vit  pas  se  terminer  la  guerre  de  la  succession 
d'Espagne,  son  fils  Joseph  I'^'',  non  plus;  et  c'est  seule- 
ment à  son  fils  Charles  VI  qu'il  fut  donné  de  la  finir, 
par  la  paix  de  Bade,  de  1714. 

L'intervalle  qui  s'écoula  depuis  cette  époque  jusqu'à  l'ap- 
parition de  Frédéric  le  Grand  sur  la  scène  politique  peut 
être  considéré  comme  la  période  de  la  plus  conij)!ète  annu- 
lation de  l'Allemagne  ;  d'ailleurs  il  ne  fut  signalé  non  plus 
par  aucun  événement  de  quelque  importance  véritable. 
Charles  VI  mourut  en  1740.  Comme  il  ne  laissait  point  de 


ALLEMAGNE 


359 


fils,  mais  seulement  une  fille ,  Maiie-Tliércse,  il  avait 
établi  ce  qu'où  appela  une  Prai:ma tique-Sanction  ,  en 
vertu  lie  laquelle  il  déclarait  sa  fille  seule  héritière  de  la  tota- 
lité de  la  monarchie  autrichienne.  De  ce  moment  date  l'an- 
tagonisme de  la  Prusse  et  de  l'Autriche  ,  cause  première  de 
tant  de  misères  et  de  caUmutés  pour  l'Allemagne.  Charles- 
Albert  de  Bavière,  Auguste  de  Saxe  et  l-rédéricll,  roi  de 
Prusse,  élevèrent  alors  des  prétentions  à  la  possession  de 
diverses  parties  des  États  autrichiens.  La  France,  de  son 
cûté ,  crut  voir  là  une  occasion  favorable  pour  affaiblir  l'Al- 
lemagne et  smtout  l'Autriche ,  en  même  temps  que  pour  s'a- 
grandir elle  -  môme.  Dès  1740  éclata  la  guerre  pendant  la- 
quelle on  élut  empereur  d'Allemagne,  sous  le  nom  de 
Charles  VII,  à  l'instigation  surtout  de  la  France,  Charles- 
Albert  de  Bavière,  prince  dépounu  de  toutes  les  qualités 
qui  lui  eussent  été  inthspensables  pour  jouer  un  tel  rôle. 
Mais  il  mourut  dès  l'année  1745.  Marie-Thérèse  put  termi- 
ner cette  guerre  saus  faire  aucune  concession  à  la  Saxe  ou 
à  la  Bavière  ;  toutefois  elle  dut  faire  à  la  Pmsse  le  sacrifice 
de  la  Silésie.  La  paix  se  conclut  avec  la  France  en  1748,  à 
Aix-la-Chaj)eUe ,  sans  grandes  pertes  de  territoires  pour 
rAutriche.  François  F',  époux  de  Marie-Thérèse,  avait 
été  élu  pendant  ce  temps-là  empereur  en  1745  ;  et  l'antago- 
nisme entre  la  vieille  puissance  de  la  maison  d'Autriche  et 
la  jeune  puissance  de  la  Prusse ,  qui  durait  toujours ,  attira 
encore  sur  l'Allemagne  les  inmienses  calamités  de  la  guerre 
de  Sept  ans,  laquelle  dura  de  1756  à  17C3.  On  ne  sau- 
rait saus  doute  contester  que  l'élévation  de  la  Prusse  au 
rang  de  grande  puissance  n'eût  essentiellement  contribué  à 
détruire  l'antique  assiette  de  l'empire.  On  ne  peut  pas  nier 
davantage  que  cette  destmction  fût  devenue  nécessaire  pour 
iiisufller  à  l'Allemagne  une  nouvelle  et  plus  vigoureuse  vie 
politique.  Naturellement  donc  la  rivalité  de  la  Prusse  et  de 
l'Autriche  devait  être  aussi  ardente  que  jamais ,  môme  après 
la  guerre  de  Sept  Ans.  Cepen  lant  François  I^'',  après  un  règne 
assez  insignifiant,  avait  été,  en  1765,  remplacé  sur  le  trône  par 
son  illustre  fils,  l'empereur  Joseph  II.  Le  titre  d'emperem' 
était  désormais  un  mot  à  peu  près  vide  de  .'".ens.  La  vie  de 
Joseph  II  a  donc  bien  moins  d'importance  relatiicment  à 
l'empire  que  par  rapport  aux  contrées  qui  se  trouvaient  sou- 
mises à  son  sceptre.  Il  s'efforça  d'y  créer  une  nouvelle  vie 
politique  par  la  suppression  d'un  grand  nombre  de  cou- 
vents ,  d'une  foule  d'inutiles  cérémonies  religieuses  et  du 
servage;  par  l'améUoration  de  l'administration  de  la  justice, 
•en  affranchissant  l'Église  nationale  du  joug  de  celle  de  Rome, 
en  corrigeant  le  système  d'instruction  publique ,  en  accor- 
dant aux  protestants  le  libre  exercice  de  leur  culte ,  enfin 
en  s'efforçant  de  provoquer  le  développement  de  toutes  les 
forces  actives  et  matérielles  du  pays.  En  ce  qui  est  de 
ses  rapports  avec  l'empire ,  le  règne  de  Joseph  II  n'offre 
guère  d'intérêt  qu'en  raison  des  efforts  qu'il  tenta  pour  s'a- 
grandir aux  dépens  de  la  Bavière.  Mais  ces  tentatives  fu- 
rent déjouées  par  Frédéric  II  dans  la  guerre  dite  d'un 
on  (1778-1779)  et  parla  création  de  la  confédération 
des  princes  allemands  (1785).  La  situation  générale  des 
Étals  européens  se  trouvait  singulièrement  compliquée  et 
embrouillée  par  diverses  circonstances ,  notamment  par 
l'éruption  de  la  révolution  française,  quand  Josepli  II 
mourut,  le  20  février  1790.  Son  frère  et  successeur,  Léo- 
pold  II,  eût  tout  fait  pour  éviter  une  guerre  avec  la 
France  ;  mais  à  sa  mort,  arrivée  le  l*""  mars  1792  ,  cette  ca- 
lamité était  devenue  si  inuninente,  que  l'empereur  Fran- 
çois II,  son  fils  et  successeur,  ne  put  pas  conjurer  plus 
longtemps  l'orage.  Quoique  au  début  de  la  lutte  terrible 
qui  s'engagea  alors  l'Autriche  et  la  Prusse  fissent  cause 
commune,  celle-ci  s'en  retira  en  1795  en  concluant  la  paix 
à  Bâle  avec  la  France ,  et  le  reste  du  nord  de  l'Allemagne 
ne  tarda  pas  à  imiter  son  exemple.  L'Autriche  et  le  midi 
de  l'Allemagne  durent  donc  soutenir  seuls  tout  le  poids  de 
la  guene.  Le  traité  de  p<-ix  de  Campo-Formio  en  1797,  et 


celui  de  Lunévilie  en  1801,  y  mirent  fin,  en  concédant  à  la 
France  la  possession  de  toute  la  rive  gauche  du  Rhin.  L'in- 
fluence de  la  France ,  et  surtout  de  Bonaparte ,  sur  l'Alle- 
magne ,  alla  toujours  croissant  à  partir  de  cet  instant.  En 
vertu  de  la  mesure  prise  en  1803,  et  connue  sous  le  nom 
de  sécularisation,  les  principautés  ecclésiastiques  ces- 
sèrent d'exister,  et  servirent  à  indemniser  les  princes  tem- 
porels des  pertes  de  territoire  qu'ils  avaient  dû  subir  sur  la 
rive  gauche  du  Rhin.  On  peut  dire  que  la  conscience  de 
l'inévitable  ruine  de  l'ancien  empire  fut  un  des  principaux 
motifs  qui  déterminèrent  François  II  à  ajuu.ter,  à  partir  du 
1 1  août  1804,  à  son  titre  d'empereur  d'Allemagne  celui  d'em- 
pereur héréditaire  d'Autriche.  La  ruine  complète  de  l'em- 
pire s'approchait  d'un  pas  rapide.  Dès  1805  Bade,  le^N'urtem- 
berg  et  la  Bavière  s'en  étaient  séparés  de  fïiit  en  devenant 
les  alliés  de  la  France  dans  sa  guerre  contre  l'Autriche. 

La  création  de  la  Confédération  du  Rhin  (12  juillet 
180  6)  fut  le  dernier  coup  porté  à  l'existence  de  l'antique  em- 
pire germanique.  L'empereur  François  II  renonça  a  son  titre 
d'empereur  d'Allemagne,  et  ainsi  se  trouva  aboli  jusqu'au 
nom  même  d'empire  d'Allemagne.  La  Confédération  du 
Rhin  ne  fut  pas  seulement  un  acte  important  en  ce  qu'elle 
amena  la  dissolution  de  l'empire,  mais  aussi  parce  qu'elle  eut 
pour  résultat  d'absorber  par  la  médiatisation  un  certain 
nombre  de  petits  princes  de  l'empire  et  beaucoup  d'autres 
Etats  qui  perdirent  alors  l'indépendance  dont  ils  avaient  tou- 
jours joui  pour  se  voir  incorporés  à  d'autres  Ét'its  plus  con- 
sidérables ,  et  surtout  parce  qu'elle  servit  à  répandre  et  à 
populariser  en  Allemagne  beaucoup  d'idées  et  de  principes 
que  la  révolution  française  avait  eu  mission  de  propager. 
La  Confédération  du  Rhin  ouvrit  donc  pour  l'Aliemagne  une 
nouvelle  ère  politique.  A  la  suite  de  la  guerre  malheureuse 
faite  par  la  Prusse  à  la  France  eu  1806,  guerre  que  termina  le 
traité  conclu  à  Tilsitt  les  8  et  9  juillet  1807,  la  Confédé- 
ration du  Rhin  put  encore  s'étendre  dans  le  nord  de  l'Alle- 
magne. Elle  avait  pour  mission  de  préparer  ce  pays  à  la 
domination  mimédiate  et  prochaine  de  la  France;  domi- 
nation qui  se  révéla  par  la  fondation  des  nouveaux  États 
que  Napoléon  y  créa  alors ,  à  savoir  :  le  royaume  de  \Yest- 
phalie,  composé  de  démembrements  opérés  aux  dépens  de 
la  Prusse,  de  la  Hesse  électorale,  du  Hanovre  et  du  duché  de 
Brunswick,  et  le  grand-duché  de  Berg.  La  guerre  nouvelle 
qui  éclata  entre  la  France  et  l'Autriche  en  1809  se  termina 
également,  après  une  lutte  aussi  sanglante  qu'opiniâtre,  par 
d'importantes  cessions  de  territoire  auxquelles  celle-ci  dut 
consentir,  par  le  traité  de  paix  signé  à  Vienne  le  14  oc- 
tobre 1809,  pour  fonder  un  nouvel  État  français,  le  gou- 
vernement général  d'Illyrie,  et  en  mêine  temps  pour  pro- 
curer des  agrandissements  de  territoire  à  quelques  princes 
de  la  Confédération  du  Rhin.  L'année  suivante,  Napoléon 
érigea  le  grand-duché  de  Francfort;  et,  afin  de  pouvoir 
mieux  faire  exécuter  son  système  continental,  dirigé  contre 
le  commerce  de  l'Angleterre ,  il  réunit  encore  à  la  France 
les  possessions  des  princes  d'Oldenbourg,  d'Arenberg  et  de 
Salm,  jusque  alors  membres  de  la  Confédération  du  Rhin , 
en  môme  temps  que  toute  l'étendue  de  côtes  s'élendant 
jusqu'à  l'embouchure  de  la  Trave.  Mais  la  guerre  que  Na- 
poléon fit  à  la  Russie  en  1812  brisa  sa  puissance.  Un  élan 
d'enthousiasme  vraiment  national  porta  alors  les  popula- 
tions de  la  Prusse,  de  l'Autriche,  et  successivement  de  tous 
les  États  de  l'Allemagne,  à  courir  aux  armes  pour  prendre 
part  à  la  guerre  de  la  liberté  ;  et  en  deux  campagnes  (1813 
et  1815  )  Napoléon  fut  complètement  vaincu.  Voij.  les  articles 
Mil  huit  centdocze,Mil  huit  cent  treize  (Campagnes de), 
Napoléon,  Cent-Jolrs,  Waterloo,  etc.,  etc. 

En  vertu  de  la  paix  signée  à  Paris,  la  France  dut  resti- 
tuer à  l'Allemagne  tout  ce  qu'elle  lui  avait  enlevé  de  terri- 
toires depuis  1790.  Les  grands-duchés  de  Berg  et  de  Franc- 
fort, le  royaume  de  Westphalie  et  le  gouvernement  général 
des  provinces  Illyriennes,  créations  de  Napoléon,  dispa 


360 


ALLEMAGNE 


rurent ,  et  les  souverains  allemands ,  réunis  en  congrès  à 
Vienne,  constituèrent,  le  3  juin  1815,  une  confédération 
d'États  qui  prit  le  nom  deConfédérationgermanique. 
Ce  congrès  remit  en  possession  de  leurs  États  les  princes 
que  Napoléon  en  avait  expulsés.  La  Prusse  recouvra  ses 
anciennes  possessions,  ou  obtint  des  indemnités  convenables 
pour  celles  qui  ne  lui  furent  pas  rendues.  On  lui  adjugea 
notamment  la  Poméranie  suédoise  et  la  province  Rhénane. 
On  restitua  le  Hanovre  à  l'Angleterre.  Le  Lauenbourg  échut 
en  partage  au  Danemark,  comme  indemnité  de  la  Norvège. 
Les  Pays-Bas  obtinrent  le  Luxembourg,  érigé  en  grand-duché. 
Si  la  Bavière  dut  restituer  à  l'Autriche  le  Tyrol,  le  pays  de 
Salzbourg  et  le  Vorariberg,  elle  reçut  en  dédommagement 
les  principautés  de  ^Vurtzbourg  et  d'Aschaffenbourg.  On 
arrondit  le^Vurtemberg  et  le  grand-duché  de  Bade,  en  même 
temps  qu'on  accordait  de  notables  agrandissements  aux  du- 
chés d'Oldenbourg  et  de  Weimar.  11  n'y  eut  que  le  roi  de 
Saxe  ,  prisonnier  des  coalisés ,  qui  dut  se  résigner  à  perdre 
la  moitié  de  ses  États,  attribuée  à  la  Prusse.  Les  deux  Mecklen- 
bourg,  Weimar  et  Oldenbourg  furent  en  outre  érigés  en 
grands-duchés,  en  même  temps  que  les  villes  de  Francfort, 
de  Brème,  de  Lubeck  et  de  Hambourg ,  déclarées  villes  li- 
bres, étaient  admises  à  faire  partie  des  États  composant  la 
Confédération  germanique. 

L'Allemagne  avait  donc  recouvré  ses  anciennes  limites , 
et  ses  populations  n'obéissaient  plus  qu'à  des  princes  alle- 
mands. Quoique  le  congrès  de  Vienne  eût  sanctionné  bien 
des  usurpations,  consacré  bien  des  injustices;  quoiqu'il  eût 
manqué  à  de  solennelles  promesses  et  trompé  les  espéran- 
ces les  plus  légitimes,  nous  devons  reconnaître  qu'il  lui  fut 
beaucoup  pardonné  par  les  Allemands,  à  cause  de  la  satis- 
faction qu'il  s'était  efforcé  de  donner  au  plus  cher  de  leurs 
voeux ,  celui  de  leur  unité  et  de  leur  indépendance  natio- 
nales. Quant  à  l'unité  qui  devrait  résulter  de  lois,  d'institu- 
tions, de  garanties  communes,  ce  fut  le  côté  faible  de  la 
reconstitution  de  l'Allemagne  opérée  par  le  congrès;  et  à  cet 
égard  force  est  de  reconnaître  que  l'assiette  de  l'ancien  em- 
pire germanique,  malgré  tous  ses  défauts,  était  plus  satis- 
faisante. Par  suite  des  obstacles  qui  vinrent  alors  paralyser 
toutes  les  tentatives  faites  pour  arriver  à  une  véritable  or- 
ganisation fédérative,  le  congrès  de  Vienne  dut  se  borner  à 
constituer  en  assemblée  souveraine  un  congrès  permanent 
de  plénipotentiaires  chargés  de  la  solution  de  toutes  les  gran- 
des questions  de  politique  intérieure,  en  lui  abandonnant  le 
soin  d'interpréter,  selon  les  circonstances,  les  vagues  pro- 
messes et  les  principes  mal  définis  consignés  dans  l'acte  fé- 
déral. La  plus  importante  des  questions  ainsi  ajournées  était 
celle  des  libertés  politiques  à  accorder  à  tous  les  sujets  de  la 
confédération.  La  nation  allemande  avait  été  appelée  aux 
armes  contre  Napoléon  par  ses  souverains  au  nom  de  la  liberté 
et  de  l'unité  nationales  ;  elle  ne  séparait  pas  ces  deux  idées,  et 
croyait  avoir  droit  à  ce  double  prix  de  ses  sacrifices  et  de  sa 
victoire.  On  reconnaissait  bien  qu'il  y  avait  injustice,  et  sur- 
tout danger,  à  les  lui  refuser  ;  mais  les  bonnes  intentions  des 
uns  avaient  échoué  contre  le  mauvais  vouloir  des  autres, 
et  de  l'impossibilité  de  se  mettre  d'accord  était  résulté  l'ar- 
ticle 1.3  de  l'acte  fédéral;  article  vague,  stipulant  qu'il  y 
aurait  dans  tous  les  États  allemands  des  constitutions 
d'états  territoriaux.  Aucun  terme  n'étant  fixé  pour  l'ac- 
complissement de  cette  prescription,  l'exécution  pouvait  en 
être  indéfiniment  retardée,  à  moins  que  la  diète  n'intervînt  ; 
ce  qui  n'était  guère  probable.  Si  les  princes  avaient  voulu 
prendre  à  cet  égard  l'initiative,  les  expressions  de  l'acte  fé- 
déral les  laissaient  dans  l'incertitude  sur  la  nature  des  consti- 
tutions à  établir.  Fallait-il  admettre  le  système  d'une  repré- 
sentation nationale  dans  le  sens  des  idées  modernes,  ou 
bien  suffisait-il,  pour  se  mettie  en  règle,  de  faire  revivre  les 
anciennes  assemblées  d'états  territoriaux,  où  figuraient  seu- 
lement certaines  classes  et  certaines  corporations?  L'une  et 
l'autre  de  ces  deux  interprétations  pouvaient  être  adoptées 


suivant  les  nécessités  et  les  intérêts  de  chacun.  —  Les  États 
du  nord  de  l'Allemagne,  où,  malgré  le  grand  mouvement  de 
la  période  napoléonienne ,  les  idées,  les  habitudes  et  les 
lois  étaient  restées  à  peu  près  stationnaires,  se  bornèrent  en 
général  à  conserver  ou  à  rétablir  l'ancien  ordre  de  choses, 
tandis  que  les  États  du  midi,  qui  avaient  subi  à  un  haut 
degré  l'influence  française,  se  rattachèrent  presque  tous  aux 
idées  nouvelles,  et  se  donnèrent  des  constitutions  dont  les 
bases  étaient  analogues  à  celles  de  la  Charte  française.  L'Au- 
triche seule,  en  dépit  des  intentions  presque  libérales  qu'elle 
avait  témoignées  lors  du  congrès  de  Vienne,  interpréta  l'ar- 
ticle 13  de  l'acte  fédéral  de  la  manière  la  plus  étroite,  la 
seule  qui  pût  se  concilier  avec  sa  crainte  habituelle  de  tout 
changement  et  de  tout  mouvement  politique,  et  se  contenta 
de  maintenir  dans  ses  possessions  allemandes  les  anciens 
•  tats  provinciaux,  constitués  de  façon  à  ne  gêner  en  rien 
l'action  toute-puissante  du  gouvernement. 

La  Prusse ,  qui  tenait  à  la  fois  à  l'Allemagne  du  nord  par 
la  plus  grande  partie  de  ses  possessions ,  et  à  l'Allemagne  du 
midi  par  ses  nouvelles  acquisitions  sur  le  Rhin ,  se  trouvait 
ainsi  dans  une  position  toute  particulière.  L'esprit  routinier 
et  stationnaire  des  autres  États  du  nord ,  où ,  sans  tenir 
compte  de  l'article  1 3 ,  on  avait  rétabli  le  régime  du  bon 
plaisir ,  comme  dans  la  Hesse-Électorale  et  le  Holstein  ,  ou 
bien  où  l'on  avait  remis  en  vigueur  les  anciennes  constitu- 
tions féodales  ,  comme  en  Saxe,  en  Hanovre  et  en  Mecklen- 
bourg  ;  cet  esprit,  que  le  temps  traîne  toujours  pénible- 
ment à  la  remorque  ,  n'avait  jamais  été  celui  du  gouverne- 
ment prussien.  Pendant  la  période  la  plus  malheureuse  de 
son  histoire,  depuis  la  paix  de  Tilsitt  jusqu'à  la  guerre  de 
1813,  la  Prusse  avait  travaillé  avec  une  mcroyable  ardeur  à 
la  refonte  de  sa  législation ,  avec  l'intention  bien  arrêtée 
d'arriver  à  la  création  d'un  gouvernement  représentatif. 
C'est  elle  qui  au  congrès  de  Vienne  avait  mis  en  avant 
les  idées  les  plus  libérales;  le  25  mai  1815,  c'est-à-dire 
avant  la  signature  de  l'acte  fédéral ,  le  roi  avait  même  rendu 
un  édit  où  il  promettait  à  ses  sujets  une  constitution  repré- 
sentative ,  et  convoquait  pour  le  1*''  septembre  suivant  les 
députés  de  toutes  les  parties  du  royaume ,  pour  travailler 
avec  des  commissaires  royaux  à  un  projet  de  constitution. 
On  crut  plus  tard  qu'U  serait  dangereux  d'appeler  à  délibé- 
rer en  commun  les  mandataires  de  provinces  si  différentes 
par  leurs  antécédents  et  par  leurs  mœurs  ,  dont  plusieurs 
faisaient  depuis  peu  seulement  partie  de  la  monarchie  et 
montraient  même  déjà  quelques  dispositions  hostiles.  L'as- 
semblée promise  ne  fut  donc  point  réunie.  Le  gouvernement 
prussien  recula  devant  ses  propres  engagements ,  et ,  de 
plus  en  plus  effrayé  de  la  fermentation  des  esprits ,  finit  par 
passer  du  côté  de  la  réaction  absolutiste. 

Sauf  les  constitutions  de  Nassau  et  de  Saxe-'Weimar ,  re- 
montant ,  l'une  à  1815  ,  l'autre  à  1816 ,  la  Bavière ,  le  Wur- 
temberg et  le  grand-duché  de  Bade  furent  les  seuls  États 
de  l'Allemagne  qui  ne  craignirent  point  de  donner  à  l'ar- 
ticle 13  l'application  la  plus  conforme  aux  idées  dominantes. 
Le  roi  de  Bavière  octroya  sa  charte  le  26  mai  1818,  et  le 
grand-duché  de  Bade  reçut  la  sienne  le  22  août  de  la  même 
année.  Le  Wurtemberg ,  après  une  lutte  assez  longue  entre 
le  roi  et  les  états  ,  et  qui  se  termina  par  un  compromis,  se 
donna  sa  constitution  le  25  septembre  1819.  W'eimar  seul 
avait  demandé  pour  sa  constitution  la  garantie  de  l'as- 
semblée fédérale ,  qui  l'avait  accordée  sans  difficulté  ;  les  au- 
tres États ,  n'admettant  pas  que  la  diète  eût  à  s'occuper  de 
leurs  affaires  intérieures,  crurent  devoir  se  passer  de  sa  sanc- 
tion. Mais  le  moment  n'était  pas  loin  où  cette  assemblée , 
dont  le  rôle  jusque  là  n'avait  été  que  passif,  allait  exercer 
sur  les  affaires  de  l'Allemagne  un  pouvoir  dictatorial  con- 
féré par  le  consentement  de  tous  les  membres  de  la  confé- 
dération. Expliquons  rapidement  comment  cette  unanimité 
fut  obtenue ,  et  quel  intérêt  commun  put  concilier  tant  de 
volontés  diverses. 


ALLEMAGNE 


361 


Los  traités  ôc  Vienne  et  de  Paris  n'avaient  pas  répondu 
aux  vœux  tUi  parti  patriote ,  qui  en  jîénéral  ne  voyait  de 
salut  pour  l'unité  de  rAllcmngne  que  dans  le  rétablissement 
de  la  dignité  impériale  et  dans  la  résurrection  des  vieilles  li- 
bertés gennaniques.  Mais  l'unité  de  l'Allemagne  sous  un 
cliof ,  qui  était  au\  yeux  de  ce  parti  le  premier  intériH  na- 
tional ,  ne  se  conciliait  pas  plus  avec  les  intérêts  de  l'Au- 
triche et  de  la  Prusse  qu'avec  ceux  des  autres  princes.  Les 
grandes  puissances,  tout  comme  celles  du  second  ordre,  se 
fatiguèrent  donc  promptement  des  réclamations  d'un  parti 
qu'on  trouvait  d'autant  plus  gênant  qu'on  s'était  plus  com- 
promis avec  lui  lorsqu'on  avait  eu  besoin  de  ses  services,  et 
qu'il  fallait  d'autant  moins  heurter  de  front  qu'on  ne  pou- 
vait oublier  qu'à  lui  seul  il  avait  soulevé  l'Allemagne  entière 
contre  le  joug  de  l'oppression  étrangère.  Ce  fut  sa  propre 
lassitude  qui  vint  en  débarrasser  les  gouvernements.  Les 
membres  les  plus  importants  de  ce  parti ,  découragés  par 
la  manière  dont  leurs  espérances  avaient  été  trompées ,  se 
rallièrent  à  d'autres  intérêts.  Toutefois  ,  s'il  cessa  d'exister 
comme  parti  organisé ,  son  esprit  n'en  continua  pas  moins 
de  régner  parmi  la  jeunesse  et  dans  les  universités,  où  l'on 
se  nourrissait  de  rêves  de  toute  espèce  sur  la  régénération  de 
l'Allemagne  et  la  reconstitution  future  de  l'unité  nationale. 

En  même  temps  d'ailleurs  se  forra:iit  en  Allemagne  un 
autre  parti,  qui,  loin  depi'ofesser  comme  le  parti  patriote  le 
culte  du  moyen  âge  et  des  vieilles  institutions  germaniques, 
se  rattachait  au  nationalisme  philosophique  et  politique  de 
la  fin  du  dix-huitième  siècle ,  et  adoptait  plus  ou  moins  ex- 
plicitement le  principe  de  la  souveraineté  du  peuple.  Ce 
parti ,  qui  avait  son  centre  d'action  dans  les  anciens  États 
de  la  Confédération  du  Rhin,  s'efforça  de  développer  autant 
que  possible  les  nouvelles  constitutions  dans  un  sens  dé- 
mocratique. Quelques  patriotes  de  1S13  s'y  rallièrent  dans 
l'espoir  d'arriver  à  l'unité  nationale  par  les  formes  de  l'u- 
nité moderne  ;  d'autres,  au  contraire ,  ne  trouvant  dans  ce 
parti  aucune  de  leurs  sympathies  pour  le  passé ,  et  voyant 
dans  les  idées  qu'il  professait  la  résurrection  de  l'influence 
française ,  so  rangèrent  du  côté  des  gouvernements,  dans 
l'espoir  de  les  gagner  plus  facilement  ainsi  à  leur  utopie  de 
restauration  de  l'ancien  empire  germanique.  Si  à  ces  élé- 
ments généraux  d'opposition  on  ajoute  le  mécontentement 
de  la  noblesse  médiatisée^  laquelle  ne  pouvait  se  consoler  de 
la  perte  de  son  indépendance  politique ,  les  clameurs  de 
l'Église  catholique,  restée  sans  dotation,  et  encore  beaucoup 
d'autres  griefs,  occasionnés  par  les  nouveaux  arrangements, 
on  devinera  aisément  quel  dut  être  le  désordre  qui  régna 
dans  les  idées  pendant  les  années  qui  suivirent  immédiate- 
ment l'établissement  de  la  Confédération  germanique.  La 
presse,  qui  jouissait  encore  d'une  certaine  liberté,  devint  na- 
turellement l'écho  de  toutes  ces  prétentions  si  opposées  ;  et 
alors  il  y  eut  un  incroyable  pêle-mêle  de  déclamations  pa- 
triotiques ,  de  remontrances  libérales  et  de  doléances  aristo- 
cratiques ou  religieuses.  Cette  confusion ,  qui  montrait 
clairement  combien  peu  on  devait  redouter  une  coalition 
entre  des  éléments  si  hétérogènes ,  au  lieu  de  rassurer  les 
gouvernements,  les  effraya.  Ne  sachant  d'ailleurs  comment 
satisfaire  à  tant  de  réclamations ,  dont  plusieurs  n'étaient 
que  trop  légitimes,  ils  cédèrent  à  l'instinct  de  la  peur,  et 
jugèrent  dangereux  ce  qui  n'était  qu'incommode.  Ils  se 
figurèrent  qu'ils  avaient  affaire  à  un  grand  et  puissant  parti 
révolutionnaire;  et  l'Allemagne  devint  à  leurs  yeux  le 
foyer  d'une  vaste  conspiration  ayant  pour  but  le  renverse- 
ment de  tous  les  trônes.  Cette  idée  pénétra  de  bonne  bture 
dans  les  conseils  des  princes,  et  y  domina  bientôt  à  la  suite 
d'événements  auxquels  la  frayeur  des  uns  et  la  politique 
des  autres  attachèrent  uut  importance  par  trop  exagérée. 

L'esprit  de  1813  ne  s'tlait  consen  é  avec  toute  sa  pureté 
que  dans  les  universités,  loyer  du  patriotisme  le  plus  exalté, 
où  l'on  prenait  encor*!'  au  sérieux  les  rêves  de  régénération 
germanique,  si  bien  déjoués  par  la  di!)loinatie.  On  y  avait 

niCT.    DE   L\   COSVEKSATlO.N.    —    T.   I. 


remplacé  les  associations  particulières  en  usage  parmi  les 
étudiants  par  une  association  générale  connue  sous  le  nom 
de  Bursclienscha/t ,  afin  de  substituer  au  patriotisme 
local  le  sentiment  énergique  de  l'unité  de  la  patrie  com- 
mune. On  s'inquiéta  outre  mesure  de  cette  association  ;  on 
exagéra  de  même  l'importance  et  la  gravité  d'une  manifes- 
tation faite  au  chAteau  de  Wartbourg  le  18  octobre  1817 , 
par  un  grand  nombre  d'étudiants  des  universités  d'Iéna , 
de  Halle  et  de  Leipzig  ,  à  l'occasion  du  troisième  jubilé  sé- 
culaire de  la  réformation  et  de  celui  de  l'anniversaire  de  la 
bataille  de  Leipzig. 

Des  incidents  vinrent  encore  ajouter  alors  à  l'irritation 
des  esprits.  Un  mémoire  émané  de  la  Russie ,  dans  lequel 
on  signalait  énergiquement  les  dangers  résultant  de  l'esprit 
des  universités  allemandes,  fut  présenté  à  la  fin  de  1818 
aux  souverains  réunis  au  congrès  d'Aix-la-Chapelle.  Cet 
écrit ,  tiré  d'abord  à  un  petit  nombre  d'exemplaires ,  puis 
réimprimé  à  Paris ,  et  répandu  en  Allemagne ,  y  excita  ime 
vive  indignation.  La  jeunesse  allemande  tourna  alors  toute 
sa  colère  contre  l'empereur  de  Russie.  Elle  attribua  à  l'in- 
fluence du  cabinet  russe  sur  les  divers  princes  allemands 
les  pas  rétrogrades  de  ceux-ci ,  et  jura  une  haine  à  mort  à 
ce  nouvel  ennemi  de  la  liberté  allemande.  Auguste  de  Kot- 
=  eôî<e,  devenu  conseiller  d'État  russe,  publiait  alors  à 
Manheim  une  feuille  satirique,  où  il  s'attachait  au  côté  ridi- 
cule du  patriotisme  germanique  exalté.  L'indignation  de- 
puis longtemps  excitée  dans  les  universités  par  ses  écrits  ne 
connut  plus  de  bornes  lorsqu'on  apprit  qu'il  était  en  cor- 
respondance secrète  avec  la  cour  de  Saint-Pétersbourg,  et  que 
c'était  probablement  par  ses  rapports  que  s'était  formée 
l'opinion  d'Alexandre  sur  l'état  de  l'Allemagne.  On  s'exa- 
géra hors  de  toute  proportion  l'importance' de  cet  adver- 
saire ,  et  les  imprécations  fulminées  dans  toutes  les  univer- 
sités contre  Kotzebue  fanatisèrent  à  tel  point  un  étudiant, 
nommé  Charles  Sand ,  qu'il  crut  rendre  un  grand  service  à 
sa  patrie  en  la  déli^Tant  de  cet  agent  du  despotisme  étran- 
ger, et  qu'en  effet  il  alla  le  poignarder.  Ce  crime,  approuvé 
par  les  uns,  excusé  par  les  autres ,  ne  tarda  pas  à  trouver 
un  imitateur  dans  la  personne  d'un  apothicaire ,  qui  tenta 
d'assassiner  le  président  Ibell ,  haut  fonctionnaire  du  duché 
de  Nassau.  Quoique  l'instruction  judiciaire ,  dont  les  résul- 
tats ne  furent  d'ailleurs  connus  du  public  que  longtemps 
après ,  eût  prouvé  jusqu'à  l'évidence  que  c'étaient  là  des 
crimes  isolés ,  les  gouvernements  prirent  l'alarme  et  cru- 
rent à  l'existence  d'une  autre  samte  V  e  h  m  e.  On  multiplia 
les  emprisonnements ,  les  perquisitions  ;  on  arrêta  les  plus 
exaltés  des  patriotes  de  1813  ,  et  enfin  on  réunit  à  Carlsbad 
un  congrès  de  ministres  allemands ,  afin  d'aviser  aux  me- 
sures à  prendre  contre  les  dangers  dont  l'Allemagne  était 
menacée.  —  Les  projets  arrêtés  à  cet  effet  à  Carlsbad  furent 
présentés  à  la  diète  le  20  septembre  181-9,  et  immédiate- 
ment convertis  en  décrets  fédéraux.  Ils  instituaient  une 
commission  extraordinaire  chargée  «  de  faire  en  commun 
«  des  recherches  scrupuleuses  concernant  l'origine ,  l'exis- 
«  tence  et  les  ramifications  des  menées  révolutionnaires 
«  dirigées  contre  la  constitution  et  le  repos  intérieur  de  la 
«  confédération  en  général ,  ou  de  ses  membres  en  parti- 
<'  culier.  »  Ce  tribunal,  espèce  d'inquisition  politique,  eut 
son  siège  à  Mayence ,  et  subsista  jusqu'en  1S28.  Les  rap- 
ports qu'il  fit  de  temps  en  temps  à  la  diète  n'apprirent  rien 
d'important ,  et  ses  efforts  n'aboutirent  qu'à  recueillir  force 
faits  insignifiants  et  pièces  sans  portée.  Vint  ensuite  le 
tour  des  universités.  Ces  établissements  furent  soumis  à  la 
surveillance  de  commissaires  extraordinaires ,  nommés  par 
les  souverains ,  et  munis  de  pouvoirs  très-étendus.  La  mis- 
sion de  ces  agents  était  de  veiller  à  l'exécution  des  lois  dis- 
ciplinaires en  vigueur,  et  de  rendre  un  compte  exact  de 
l'esprit  dans  lequel  les  professeurs  faisaient  leurs  cours  ; 
les  différents  cabinets  s'étant  engagés  réciproquement  «  à 
«  éloigner  de  leurs  universités  et  écoles  publiques  les  pro- 

46 


3G2  ALLEMAGNE 

•  l'esseurs  qui  s'écarteraient  de  leurs  devoirs ,  eu  abusant 
«  de  leur  inducLCC  sur  l'esprit  de  I:i  jeunesse  pour  propa- 
ger des  doctrines  pernicieuses,  contraires  à  l'ordre  et  au 


«  repos  public ,  ou  pour  saper  les  fondements  des  insti- 
«  lut'ons  existantes  ;  à  maintenir  dans  toute  leur  rigueur 
«  les  lois  contre  les  associations  secrètes ,  et  à  les  étendre 
«  particulièrement  avec  plus  de  sévérité  encore  à  l'associa- 
«  tion  connue  sous  le  nom  de  Burschcnschaft ■  » 

Un  arrêté  contre  la  presse ,  complément  oblig6  de  ces 
diverses  mesures ,  décréta  que  même  dans  les  États  où 
la  liberté  de  la  presse  existait  en  vertu  de  la  constitution 
aucun  écrit  périodique ,  et  eu  général  aucun  ouvrage  de 
moins  de  vingt  feuilles  d'impression ,  ne  pourrait  Ctrc  im- 
primé qu'avec  l'agrément  de  l'autorité.  Chaque  gouverne- 
ment était  ainsi  responsable  des  écrits  publiés  sous  sa  sur- 
Tcillance  ,  et  dans  le  cas  où  un  membre  de  la  confédération 
se  trouverait  blessé  par  des  publications  faites  dans  un 
autre  i:tat ,  il  pouvait  porter  plainte  à  la  diète ,  qui  devait 
faire  examiner  par  une  commission  récrit  dénoncé ,  et  en 
ordonner  la  suppression  s'il  y  avait  lieu.  Ces  décrets  op- 
posaient il  l'union  des  peuples ,  vainement  poursuivie  par 
les  patriotes  de  1S13  ,  Tunio-n  des  gouvernements  déléguant 
leurs  pouvoirs  à  la  dicte  ;  ils  changeaient  entièrement  la 
nature  des  rapports  existants  dans  la  confédération  ,  et  dé- 
terminaient le  caractère  jusque  là  incertain  de  cette  union. 
Les  États  secondaires ,  qui  s'étaient  montrés  si  jaloux  de 
lem-  indépendance  au  congrès  de  Vienne ,  en  firent  le  sa- 
crifice volontaire  à  l'autorité  fédérale  :  c'est  que  tous  les 
princes ,  en  lui  fivrant  leurs  universités  ,  en  mettant  leurs 
tribunaux  à  son  service ,  en  l'autorisant  à  s'immiscer  dans 
leurs  affaires  intérieures ,  sentaient  fort  bien  que,  tout  en 
s'aifaiblissant  vis-à-Yis  de  cette  autorité ,  ils  se  fortifiaient 
dans  la  même  .proportion  vis-à-vis  de  leurs  peuples. 

Les  universités ,  les  sociétés  secrètes  et  la  presse  ime 
fois  réduites  ainsi  à  l'impuissance,  restait  l'opposition  cons- 
titutionnelle des  États  ce  l'Allemagne  méridionale.  Les  dé- 
crets du  20  septembre  concernant  la  presse  lui  avaient  à  la 
Yérité  enlevé  son  point  d'appui  le  plus  puissant;  mais  cela 
ne  suffisait  ni  à  l'Autriclie  ni  à  la  Prusse.  L'existence  seule 
de  constitutions  représentatives  importunait  ces  deux  puis- 
sances. C'était  pour  elles ,  et  surtout  pour  la  i'rusie ,  dont 
les  promesses  avaient  été  si  explicites ,  un  reproche  et  une 
menace  continuels.  En  1S23  ,  le  roi  de  Prusse ,  réalisant  à 
sa  manière  l'article  13  du  pacte  fédéral,  donna  successi- 
vement à  chacune  de  ses  provinces  allemandes  des  diètes 
provinciales,  dont  les  convocations  furent  rares,  les  attri- 
butions excessivement  bornées ,  les  délibérations  sans  pu- 
blicité et  l'action  presque  nulle. 

En  1824,  la  diète  fédérale  supprima  enlièrer.ient  la  pu- 
blicité de  ses  délibérations ,  qui  jusque  là  étaient  en  partie 
arrivées  à  la  connaissance  du  public.  Elle  renouvela  dans 
la  même  année  les  décrets  de  1819,  dont  la  durée  n'avait 
pourtant  été  fixée  qu'à  cinq  ans ,  en  déclarant  :  u  que  dans 
«  un  État  fédératif  conm:ie  l'Allemagne ,  où  chaque  pays  a  sa 
«  constitution  judiciaire  propre  et  sa  police  particulière,  des 
«  lois  répressives  contre  les  délits  de  presse  seraient  sans 
«  efiicacité  ;  que  la  paix  et  l'ordre  ne  peuvent  être  assurés 
«  dans  une  semblable  union  que  par  des  lois  de  censure , 
«  c'est-à-dire  par  une  surveillance  continuelle  sur  la  presse, 
«  exercée  au  nom  de  la  confédération  par  les  autorités  lo- 
«  cales,  et,  en  cas  de  besoin,  par  l'autorité  fédérale.  »  Le 
but  qu'on  s'était  proposé  par  cette  politi(iuc  ne  fut  pourtant 
que  Ibrt  incomplètement  atteint. 

Depuis  l'époque  où  parurent  ces  décrets  jusqu'en  1830, 
le  repos  matériel  de  r.\l!emagne  ne  fut  sans  doute  point 
troublé  ;  mais  le  feu  couvait  sous  la  cendre.  Les  libér;mx 
constitutionnels ,  bien  autrement  dangereux  que  les  pa- 
triotes de  1813,  par  l'habileté  pratique  avec  laquelle  ils 
poursuivaient  un  but  nettement  arrêté ,  rongeaient  impa- 
tiemment le  douille  frein  de  la   censure  et  de  la   police. 


Obligés  d'ajourner  leurs  prétentions  et  leurs  espérances,  ils 
n'attendaient  qu'une  occasion  favorable  pour  recommencer 
la  lutte.  Les  mesures  prises  contre  la  presse ,  en  empêchant 
les  Allemands  de  s'occuper  de  leurs  propres  affaires ,  les 
poussèrent  tout  naturellement  à  s'intéresser  à  celles  de 
leurs  voisins ,  et  ramenèrent  par  là  l'infiuence  des  idées 
françaises.  Il  se  forma  en  Allemagne  des  partis  analogr.es 
à  ceux  qui  étaient  en  scène  de  l'autre  côté  du  Rhin  ;  les  ré- 
volutionnaires français  eurent  des  représentants  parmi  la 
jeunesse  des  universités  ,  qui,  en  dépit  des  lois  les  plus  sé- 
vères, continua  .à  s'organiser  en  sociétés  secrètes.  La  classe 
moyenne  elle-même ,  réduite  par  les  lois  de  censure  à  ne 
vivre,  penser  et  sentir  que  dans  les  journaux  étrangers, 
s'imprégna  peu  à  peu  des  principes  adoptés  par  la  bour- 
geoisie française,  et  appela  de  tous  ses  vœux  le  moment  qui 
lui  permettrait  de  s'élever  au  niveau  politique  de  cette  classe, 
tant  enviée.  Quant  au  peuple,  qui  alors  s'occupait  de  théo- 
ries politiques  en  Allemagne  moins  que  partout  ailleurs,  les 
souverains  de  quelques  États  parvinrent  à  se  l'aliéner,  les  uns 
par  une  mauvaise  administration ,  les  autres  par  le  maintien 
des  vieux  abus  et  de  charges  hors  de  toute  proportion  avec 
ses  ressources,  quel(}uefois  enfin  par  une  conduite  scanda- 
leuse, qui  ne  respectait  aucun  droit  ni  aucune  convenance. 
Dans  le  Ijrunswick  et  la  Ilessc-Électorale  notamment , 
l'cMaspération  produite  par  d'intolérables  vexations  était 
prête  à  éclater  à  tout  moment ,  et  les  partisans  des  inno- 
vations sentaient  bien  que  là  du  moins  l'appui  du  peuple  ne 
leur  ferait  pas  défaut.  Ce  moment  tant  désiré  vint  enfin  ;  ce 
fut  la  révolution  de  juillet  qui  en  donna  le  signal. 

Dès  le  mois  de  septembre  1830,  des  insurrections  écla- 
tèrent presque  simultanément  sur  divers  points  de  la  con- 
fédération. 

En  Saxe,  on  força  le  vieux  roi  Antoine  à  abandonner  le 
pouvoir  à  son  neveu,  le  prince  Frédéric,  qui  fut  déclaré  co- 
régcnt.  Un  ministre  haï  du  peuple  fut  remplacé  par  un 
homme  en  possession  de  la  confiance  du  peuple.  On  obtint 
le  changement  de  la  constitution  ,  la  réduction  des  impôts 
et  une  nouvelle  loi  municipale. 

Dans  le  duché  de  Brunswick,  le  peuple  chassa  de  ses 
États  le  duc  Charles ,  prince  dur,  extravagant  et  débauché , 
après  avoir  assailli  sa  voiture  à  coups  de  pierres  et  brûlé  son 
palais.  Le  prince  Guillaume ,  frère  cadet  du  duc ,  fut  appelé 
à  le  remplacer.  Ce  nouveau  souverain  renvoya  le  ministère , 
et  promit  nne  constitution  nouvelle,  qui  fut  donnée  le  12  oc- 
tobre 1832. 

La  révolution  de  Hesseavaitété  préparée,  comme  celle  de 
Brunswick ,  par  une  longue  série  d'actes  extravagants  et 
tj  ranniques.  On  demanda  la  convocation  des  États ,  la  ré- 
forme des  abus  et  le  renvoi  de  la  maîtresse  du  prince ,  à  l'in- 
(luence  de  laquelle  on  attribuait  la  plupart  des  actes  qui 
avaient  soulevé  le  peuple.  L'électeur,  n'ayant  pas  sous  la 
main  des  forces  suffisantes  pour  résister,  promit  tout  ce 
qu'on  voulut.  11  convoqua  les  états ,  qui  s'assemblèrent  le 
IG  octobre  et  rédigèrent  une  nouvelle  constitution,  qu'il  ac- 
cepta. Quelque  temps  après,  il  quitta  sa  capitale  et  finit  plus 
tard  par  remettre  les  rênes  du  gouvernement  à  son  fils. 

L'insurrection  du  Hanovre  éclata  au  mois  de  janvier  1831. 
Bien  que  réprimée,  elle  eut  pour  résultat  d'obtenir  du  sou- 
verain le  changement  des  institutions.  Il  déclara  que  les 
vœux  et  les  plaintes  du  pays  lui  avaient  été  cachés  jus- 
qu'alors, mais  que  son  intention  était  d'y  faire  droit.  Le 
comte  de  Munster,  premier  ministre,  qui  était  détesté  du 
peuple  hanovricn,  fut  destitué,  et  le  duc  de  Cambridge, 
frère  du  roi,  fut  nommé  vice-roi. 

Dans  la  même  année ,  la  seconde  chambre  de  la  Bavière 
déclara  contraire  à  la  constitution  un  édit  de  censure  rendu 
par  le  gouvernement ,  et  renversa  le  ministère  qui  l'avait  signé. 

Le  grand-duc  Léopold  de  Bade  aila  plus  loin  :  il  sup- 
prima la  censure  dans  ses  États ,  aux  applaudissements  de 
l'Allemagne  entière. 


ALLEMAGNE 


Dans  d'autres  Kl;il?,  enfin,  la  prcsfîe  rompit  violomniont 
les  liens  dans  lesquels  la  iliète  fedorale  l'avait  teiuie  en- 
clialnée,  et  ni  la  iliîtc  ni  le^  gouvernements  n'osi^rent 
pour  le  moment  arriHer  son  CsSor.  Dans  la  Davièrc  rliii- 
nane,  la  Tribune  Mlemande,  du  docteur  Wirtli,  et  le 
Messager  de  l'Ouest,  de  Siebeîipfeiffer,  attaquèrent  sans 
ménagement  le  pacte  fondamental  de  la  Confédération  ,  et 
signalèrent  celte  union  comme  une  ligue  des  princes  contre 
la  lil)erté  des  peuples. 

Les  insurrections  de  la  Saxe,  du   Drunswick  et  de  la 
Hessc-É!eclora!e  tirèrent  cependant  la  dièle  de  l'inactivité 
dans  laquelle  dix  ans  de  calme  l'avaient  tenue  plongée.  Le 
21  octobre  1830  elle  lança  un  décret  aux  termes  duquel 
tous  les  gouvernements  allemands  s'engageaient  h  se  prêter 
mutuellement  secours  poiu'  réprimer  les  mouvements  po- 
pulaires; mais  en  même  temps  on   y  exprimait  l'espoir 
que  les  gouvernements  remédieraient  palernellcment  aux 
griefs  légitimes  là  où  ils  se  produiraient  par  des  voies  lé- 
gales, et  feraient  disparaîlre  de  cette  manière  tout  pré- 
texte à  de  coupables  résistances.  Ces  paroles  conciliantes, 
auxquelles,  du  reste,  personne  ne  se  laissa  prendre,  démon- 
traient clairement  que  des  me5ure>  plus  sévères  avaient  été 
jugées  impolitiques  à  un  moment  où  une  guerre  universelle 
parai.-sait  imminente,  où  la  guerre  de  Pologne  tenait  en 
échec  la  Prusse  et  l'Autriche,  et  où  cette  dernière  puis,- 
sance  avait  à  lutter  en  Italie  contre  une  révolution  nais- 
sante. Mais  le  triomphe  du  parti  de  la  paix  en  France  et 
les  victoires  de  l'armée  russe  rendirent  courage  aux  me- 
neurs de  la  confédération.  Le  27  octobre  1831  ,   la  diète 
déclara  qu'elle  repoussait  toutes  les  adresses  touchant  des 
intérêts  généraux;  «  attendu  qu'elle  les  regardait  comme 
n  une  tentative  dangereuse  contre  l'ordre  public  et  l'au- 
a  torité  des  gouvernements,  lenlaat  à  exercer  sur  les  af- 
«  faires  communes  de  l'Allemagne  une  induencc  illégale  et 
<c  incompatible  avec  la  position  des  sujets  vis-à-vis   de 
«  leurs  souverains ,  et  des  souverains  vis-à-vis  de  la  con- 
tt  fédération.  »  L'annéesuivante  eliesupprima  plusieurs  jour- 
naux, entre  autres  la  Tribune  Allemande  et  le  Messager 
de  Vëuest.  Mais  les  rédacteur^  de  ces  deux  feuilles  refu- 
sèrent d'obéir  aux  décrets  de  la  diète,  qu'ils  signalèrent 
comme  un  attentat  à  la  constitution  bavaroise.  Traduits  en 
justice,  le  triomphe  d'un   acquittement  vint  augmenter 
l'audace  des  deux  journalistes.  Une  grande  manifestation 
populaire  ayant  été  préparée  pour  1'  '.  7  mai,  jour  anniver- 
saire delà  constitution  bavaroise,  le  docteur  Wirth  invita 
tous  les  amis  du  peuple  allemand  à  y  prendre  part.  Une 
foule  immense ,  venue  de  tous  les  pays  constitutionnels  de 
r.ij  emagne,  se  rassembla,  en  effet,  autour  des  ruines  du 
vieux  château  de  Hambach.  Celte  fête  de  Hambach  hâta 
la  promulgation  de  mesures  réaclionnaires  dont  la  diète  s'oc- 
cupait depuis  longtemps.  Ces  mesures,  publiées  le  28  juin 
1832,  enveloppèrent  dans  une  même  proscription  le  parti 
démocratique  et  le  parti  constitutionnel ,  mirent  toutes  les 
assemblées  représentatives  sous  la  surveillance  de  l'assem- 
blée fédérale,  et     rent  complétées  par  les  décrets  du  5  juil- 
let concernant  la  presse  et  les  associations.  Les  gouverne- 
ments s'engagèrent  de  nouveau  à  surveiller  les  habitants  ou 
étrangers  suspects,  à  se  communiquer  mutuellement  leurs 
découvertes  relatives  aux  associations ,  et  à  se  prêter,  en 
cas  de  besoin  ,  une  prompte  assistance.  On  renouvela  les 
décrets  de  I819relatifs  aux  universités.  Enfin,  pour  réduire 
au  silence  tous  les  journaux,  la  diète  rétablit  la  censure  dans 
le  grand-duché  de  Bade. 

Les  résolutions  de  Francfort  atteignirent  complètement 
le  but  qu'on  s'était  proposé  :  lesystème  monarchique  triompha 
partout  des  commotions  qui  l'avaient  un  moment  ébranlé.  Ce 
n'est  pas  que  le  parti  démocratique,  quoique  réduit  à  l'im- 
puissance, n'essayât  de  résister  ;  ses  partisans,  malgré  la  vi- 
gilance de  la  police,  n'avaient  pas  cessé  de  former  entre  eux 
des  sociétés  secrètes,  où  ils  continuaient  à  conspirer  pour 


363 


l'unité  de  TAIlemagne.  Le?  complots  de  ce  parti  eurent 
pourprincipal  résultat  la  déplorable  édiauffourée  dcF  ranc- 
r<'rt,  à  la  suite  de  laquelle  il  fut  écrasé  et  ses  princippux 
membres  dispersés.  Le  parti  constitutionnel,  sans  écho  dr.ns 
la  presse,  sans  appui  au  dehors ,  protesta  vainement,  à  des 
majorités  considérables,  dans  les  assemblées  représentatives 
de  lîade,  de  Wurtemberg;  et  ailleurs,  contre  les  résolutioiis 
de  la  tliète.  Nulle  part  les  gouvernements  ne  tinrent  compte 
de  ces  réclamations.  Appuyés  toujours  par  la  noblesse,  qi;i 
partout  constituait  les  premières  chambres,  ils  Tillèrer.l 
jusqu'à  interdire  l'impression  des  adresses  dans  lesquelles 
les  secondes  chambres  consignaient  ces  réclamations,  et 
dans  la  Ilesse-ltl'-ctorale  comme  dans  le  grand-duché  de 
]  liesse- Dnrmstadt,  on  prononça  deux  fois,  coup  sur  coi;p, 
la  dissolution  des  chambres.  La  Prusse  et  l'Aulriche,  prc- 
'  fitant  de  leurs  victoires  sur  les  États  conslitulionnels,  et 
'  afin  de  se  fortifier  dans  la  position  qu'elles  leur  avaient  faile 
vis-à-vis  de  ceux-ci,  songèrent  à  préparer  de  nouvelles  wc- 
sures  pour  être  ajoutées  à  celles  qui  existaient  déjà.  Un 
congrès  ministériel  fut  réuni  à  Vienne-,  en  1334,  dont  les 
conférences  eurent  pour  résultat  les  décrets  fedéracx  pro- 
mulgués à  la  fin  de  la  même  année.  Le  premier  éîublit 
un  tribunal  arbitral  (  Bundesschiedfgericht)  pour  juger 
les  différends  qui  s'élèveraient  entre  un  gouvernement  et 
ses  chambres.  En  donnant  leur  adhésion  à  l'institution  d'un 
tel  tribunal,  les  princes  constitutionnels,   pour  se  foitifier 
vis-à-vis  de  leurs  assemblées,  se  placèrent  volontairement 
sous  la  dépendance  des  deux  grandes  puissances,  lesquelles, 
n'ayant  pas  d'assemblées  représentatives,  devaient  toujours 
être  juges,  sans  jamais  être  parties.  Le  13  novembre  1834 
la  diète  enleva  aux  autorités  académiques  leur  ancienne 
juridiction  en  matière  de  police;  le   15  janvier  1835  elle 
défendit  aux  ouvriers  allemands  de  voyagerdans  les  pays  où 
étaient  tolérées  des  associations  de  nature  à  troubler  la 
tranquillité  des  autres  États;  le  18  avril  1S3G  elle  décida 
que  les  comptes-rendus  des  débats  des  chambres  ne  pour- 
raient être  reproduits  par  les  journaux  que  d'après  la  rédac- 
tion des  feuiljes  officielles.  Enfin,  par  un  décret  du  18  aoiU 
de  la  même  année ,  elle  déclara  que  toutes  les  tentatives 
contre  l'existence ,  l'intégrité  ou  la  sûreté  de  la  confédéra- 
tion seraient  poursuivies  et  punies,  dans  chacun  des  États, 
comme  si  elles  étaient  dirigées  contre  lui-même ,  et  les 
gouvernements  des  divers  États  s'engagèrent  à  se  livrer 
réciproquement  les  accusés  politiques  qui  ne  seraient  pas 
leurs  sujets. 

En  dehors  de  la  politique,  la  Prusse  avait  étendu  son  in- 
fluence au  moyen  de  l'union  douanière  ou  Zoll  v  e  re  i  n. 

Malgré  son  apparente  immobilité,  l'Allemagne  avait  subi 
de  1843  à  1847  un  travail  intérieur  qui  l'avait  préparée  à 
recevoir  le  contre-coup  des  événements  de  février  1848.  L'o- 
pinion y  avait  suivi  avec  le  plus  vif  intérêt  la  longue  lutte 
qui  s'était  engagée  en  Hanovre  entre  l'esprit  des  temps  nou- 
veaux et  le  génie  des  temps  anciens,  incarné  en  la  per- 
sonne du  souverain  de  ce  petit  royaume.  Plus  lard,  les 
efforts  tentés  en  Prusse  par  certains  prêtres  catholiques  (à 
la  tête  desquels  il  faut  citer  Jean  RongeetCzerski)  pour 
secouer  le  jong  de  la  hiérarchie  romaine  et  se  rapprocher, 
sur  divers  points  importants  de  doctrine,  des  principes  pro- 
fessés par  l'Église  protestante,  eurent  également  le  privi- 
légede  captiver  l'attention  publique.  Bientôt  on  vit  s'y  rat- 
tacher des  dissensions  religieuses  éclatant  au  sein  même  de 
l'Église  protestante,  et  provoquées  par  les  prétentions  de  l'É- 
glise officielle,  appuyées  par  un  roi  qui  attachait  un  grand 
prix  à  passer  pour  le  représentant  plus  ou  moins  infaillible 
de  l'Église  évangélique. 

Le  fait  le  plus  saillant  de  l'année  184C,  en  raison  de  la  vive 
émotion  qu'il  produisit  en  Allemagne,  fut  le  triple  mouve- 
ment insurrectionnel  qu'on  vit  éclater  presque  en  môme 
temps,  au  mois  de  février,  dans  le  grand-duché  de  Posen, 
à  Cracovie  et  en  Gallicie. 


40. 


3,54  ALLEMAGNE 

En  1847  le  roi  de  Prusse,  cédant  volontairement  à  l'es- 
prit des  temps  nouveaux,  fit  officiellement  annoncer  qu'il  se 
décidait  à  tenir,  à  trente-quatre  ans  de  distance,  les  promes- 
ses solennelles  de  son  prédécesseur  à  ses  sujets,  lorsqu'il  les 
appelait  en  1813,  au  nom  de  la  liberté,  à  briser  le  jou;;de  Pé- 
trangcr.  La  sensation  causée  par  l'annonce  de  l'octroi  pro- 
chain d'une  constitution  au  peuple  prussien  fut  immense  en 
Allemagne  ;  et  cette  démarche  si  décisive  démontra  encore 
mieux  combien  était  profond  l'antagonisme  latent  existant 
entre  les  cabinets  de  Vienne  et  de  Berlin ,  celui-ci  se  mettant 
désormais  résolument  à  la  tôte  du  mouvement  qui  entraîne 
les  sociétés  modernes  vers  de  nouvelles  destinées,  tandis  que 
l'autre  persévérait ,  sous  l'inspiration  de  M.  de  Melternich , 
dans  cet  état  de  torpeur  et  d'immobilité  qui  en  a  fait  le  repré- 
sentant des  intérêts,  des  préjugés  et  des  passions  du  vieux 
monde.  Nous  devons  dire  toutefois  que  lorsque  la  charte  tant 
de  fois  annoncée  et  promise  aux  populations  prussiennes  fut 
enfin  rendue  publique,  la  déception  fut  générale  en  Allemagne 
à  la  vue  d'un  monument  auquel  son  architecte  s'était  efforcé 
de  donner  les  proportions  heurtées,  le  plan  bizarre  et  la 
configuration  surchargée  et  embrouillée  d'une  vieille  cathé- 
drale gothique,  au  lieu  d'un  édifice  aux  proportions  simples, 
uniformes  et  grandioses,  répondant  aux  idées  comme  aux  be- 
soins de  l'époque ,  et  tel  qu'on  pouvait  d'ailleurs  l'attendre 
de  la  présence  dans  les  conseils  de  Frédéric-Guillaume  IV  de 
tant  d'hommes  d'Ktat  notoirement  dévoués  au  triomphe  de 
la  cause  du  progrès.  Nous  n'avons  pas  à  examiner  ici  l'en- 
semble et  les  dispositions  particulières  de  cette  charte,  dont 
il  sera  plus  rationnellement  question  à  l'article  spécial  con- 
sacré à  la  Prusse  dans  ce  dictionnaire;  nous  nous  bornerons 
à  constater  qu'en  dépit  de  toutes  les  précautions  minutieuses 
prises  par  le  législateur  pour  y  faire  dominer  l'élément  aristo- 
cratique, ou,  pourniieux  tlire,  nous  ne  savons  quelles  vagues 
théories  d'une  prétendue  école  historique,  trouvant  dans  le 
perfectionnement  et  l'application  des  formes  et  des  idées  du 
passé  la  meilleure  base  à  donner  aux  libertés  publiques 
comme  à  l'indépendance  nationale  de  la  Prusse,  et  aussi  à  la 
prépondérance  politique  qu'elle  est  appelée  à  exercer  en  Alle- 
magne, l'élément  populaire  n'avait  pas  tardé  à  se  faire  lui- 
même  une  part  plus  large  dans  la  distribution  des  rôles  poli- 
tiques. Aussi  le  roi  Frédéric-Guillaume  IV,  aux  prises  avec 
les  votes  et  les  discours  de  la  seconde  curie  de  la  diète  géné- 
rale du  royaume,  ne  tarda-t-il  pas  à  en  être  aux  regrets  d'a- 
voir par  trop  précipitamment  cédé  aux  vœux  et  aux  be- 
soins de  son  siècle. 

Pendant  qu'au  nord  de  l'Allemagne  l'opinion  suivait  avec 
anxiété  les  développements  pénibles  assurément ,  mais  in- 
contestables, de  l'idée  libérale  arrivant  à  pénétrer  peu  à  peu 
jusque  dans  les  conseils  du  prince ,  une  des  puissances  du 
midi ,  la  Bavière ,  scandalisait  l'Allemagne  et  l'Europe  par  le 
spectacle  étrange  qu'elle  offrait  en  ce  même  moment  à  l'ob- 
servation. Initiée  aux  bienfaits  de  la  vie  constitutionnelle  par 
le  feu  roi  Maximilicn,  la  Bavière  était  devenue  sous  le  règne 
de  son  fils  et  successeur,  le  roi  Louis,  une  monarchie  quasi 
absolue,  livrée  au  bon  plaisir  de  ministres  créatures  dévouées 
de  la  Société  de  Jésus.  On  était  parvenu  peu  à  peu  à  y  anéantir 
le  peu  de  liberté  de  la  presse  laissée  aux  populations  alle- 
mandes par  les  résolutions  de  la  diète  fédérale  de  1832; 
et  de  jour  en  jour  la  prospérité  pu'clique  et  privée  y  décli- 
nait rapidement  sous  l'action  délétère  exercée  par  la  pré- 
pondérance du  clergé  sur  la  direction  générale  des  affiiires. 
La  session  ordinaire  des  chambres  s'ouvrit  au  commence- 
ment de  l'année ,  et  tout  aussitôt  la  tribune  de  la  chambre 
élective  y  retentit  des  ()lus  énergiques  protestations  adres- 
sées de  tous  les  points  du  pays,  sous  forme  de  pétitions, 
contre  les  mesures  restrictives  apportées  par  le  pouvoir  à 
l'exercice  de  celte  précieuse  liberté,  même  dans  les  limites, 
déjà  si  restreintes,  prescrites  par  les  décisions  fédérales. 
M.  d',\bel,  ministre  de  l'intérieur,  créature  toute  dévoi;ée 
du  parti  prêtre ,  fut  à  celle  occasion  l'objet  des  plus  justes 


et  des  plus  énergiques  attaques  de  la  part  des  députés 
voués  au  triomphe  de  l'idée  de  progrès  et  de  liberté.  Ces 
protestations  seraient  sans  doute ,  comme  tant  d'autres , 
demeurées  inutiles ,  et  n'auraient  en  rien  inP.ué  sur  la  situa- 
tion non  plus  que  sur  la  direction  générale  des  affaires,  si 
un  accident  étrange  n'était  venu  leur  p-f-êter  une  portée  po- 
litique qu'elles  ne  pouvaient  réellement  pas  avoir  alors.  Une 
femme  galante ,  d'assez  bas  étage ,  à  laquelle  un  procès  ré- 
cent plaidé  aux  assises  de  Paris  avait  donné  une  certaine 
célébrité,  parce  qu'elle  y  avait  figuré  comme  maîtresse  d'une 
espèce  de  chevalier  d'industrie  tué  en  duel  par  un  individu 
appartenant  à  la  même  catégorie  sociale,  Lola  Montes, 
figurante  dans  le  corps  de  ballet  du  théâtre  de  la  Porfe- 
.Saint-.Martinà  Paris,  était  venue  au  commencement  de  l'an- 
née donner  des  représentations  chorégraphiques  à  Munich 
et  y  exécuter  quelques-unes  de  ces  danses  lascives  qui  ont  la 
propriété  de  charmer  les  générations  actuelles,  et  qu'on  décore 
de  noms  espagnols  pour  leur  donner  un  certain  vernis  de  naï- 
veté et  d'innocence  qui  doit  en  faire  le  chai-me  aux  yeux  de 
spectateurs  blasés  et  corrompus.  Le  roi  Louis  de  Bavière, 
malgré  ses  soixante  hivers  bien  comptés,  ne  put  apercevoir 
au  théâtre  les  grâces  excentriques  de  la  danseuse  parisienne 
sans  concevoir  tout  aussitôt  pour  elle  la  passion  la  plus  vive. 
Lola  Montés,  au  bout  de  quelques  mois,  ne  fut  pas  seule- 
ment la  maîtresse  avouée  du  vieux  roi,  qui  fit  pour  elle  des 
folies  qu'on  ne  pardonnerait  pas  même  à  un  mineur  récem- 
ment émancipé  ;  elle  en  arriva  à  exercer  une  influence  réelle 
sur  la  direction  des  affaires  et  à  disposer  des  portefeuilles , 
tout  comme  pouvaient  faire  de  leur  temps  à  Versailles  la  Du 
Barry  ou  la  Pompadour.  Unluxe  insolent  vint  encore  ajouter 
au  scandale,  qui  fut  porté  au  comble  quand  on  ville  roi  Louis 
donner  à  cette  prostituée  le  titre  de  comtesse  de  Lansfeldt , 
auquel  était  attaché  un  majorât  considérable,  et  en  outre  la 
faire  présenter  publiquement  à  la  cour  sous  ce  nouveau  nom. 
M.  d'Abel,  le  tout-puissant  ministre  de  l'intérieur,  après  s'ê- 
tre d'abord  complaisamment  prêté  aux  caprices  de  son  royal 
maître,  avait  fini  par  comprendre  que  la  favorite  ne  tarderait 
pas  à  le  primer  complètement ,  et  de  dépit  il  avait  remis  sa 
démission  entre  les  mainsdu  roi.  Ce  prince  eut  alors  à  recons- 
tituer un  cabinet ,  et  ne  put  nécessairement  le  recruter  que 
parmi  des  hommes  hostiles  aux  idées  et  aux  principes  qui 
pendant  si  longtemps  avaient  constamment  prévalu  dans  les 
conseils  de  la  couronne.  Cette  révolution  ministérielle ,  ce 
changement  absolu  de  système,  étaient  un  événement  des 
plus  heureux  pour  le  pays  ;  seulement  on  ne  pouvait  s'em- 
pêcher de  déplorer  qu'il  eut  été  uniquement  le  produit  d'un 
caprice  de  femm.e.  Bientôt,  par  l'in-olence  qu'elle  montra  en 
maintes  occasions ,  Lola  Montés  blessa  profondément  le 
sentiment  de  nationalité  du  peuple  bavarois,  et  de  graves 
émeutes  provoquées  par  sa  folle  conduite  exigèrent  une  ré- 
pression énergi(pie  ,  mais  bien  propre  à  irriter  encore  da- 
vantage les  rancunes  populaires.  L'année  1847  s'écoula  ainsi 
pour  l'Allemagne,  dont  l'attention  se  trouvait  partagée  entre 
la  lutte  de  l'esprit  nouveau  à  Berhn  contre  l'esprit  des 
temps  anciens,  et  les  scandales  causés  à  Munich  par  l'im- 
bécile passion  du  vieux  roi  pour  une  danseuse  des  boule- 
varts  de  Paris.  Le  triomphe  décidé  remporté  à  cette  même 
époque  en  Suisse  par  le  parti  démocratique  sur  le  parti 
aristocratique,  appuyé  des  sympathies  de  tous  les  gouverne- 
ments européens ,  ne  contribua  pas  peu  non  plus  à  donner 
en  Allemagne  une  force  nouvelle  à  l'idée  Hbérale,  qui  ne 
devait  pas  tarder,  sous  la  pression  d'événements  imprévus 
et  alors  encore  fort  peu  probables,  à  prendre  des  allures 
démocratiques  et  bientôt  même  démagogiques. 

Si  en  Bavière  force  était  restée  en  définitive  à  l'ordre 
matériel ,  il  y  régnait  par  contre  dans  les  idées  morales  une 
trop  grande  confusion  pour  que  de  nouveaux  et  prochains 
orages  n'y  fus.sent  pas  perpétuellement  à  redouter.  Les  in- 
trigues politiques,  doat  Lola  Montés  en  vint  tout  naturel- 
lement à  être  l'àme,  devaient  en  provoquer  l'explosion. 


ALLEMAGNE 

Devenue  l'objet  non  pas  seulement  du  m«^pris ,  mais  encore 
de  Texécration  des  masses,  la  favorite  avait  cherché  à  se 
constituer  dans  l'université  même,  et  parmi  les  étudiants,  un 
certain  nombre   de  défenseurs  assez    corrompus ,   malgré 
leur  jeunesse,  pour  comprendre  parfaitement  que  la  protec- 
tion de  la  maîtresse  du  roi  leur  assurerait  un  avancement 
facile  et  rapide  dans  les  diverses  carrières  auxquelles  ils  se 
destinaient  dès  lors  pour  braver  les  préjugés   et  défendre 
en  toute  occasion  la  royale  prostituée  contre  les  insultes  de 
ceux  de  leurs  camarades,  assez  arriérés  pour  croire  encore 
à  la  sainteté  obligatoire  des  lois  de  la  morale.  De  là  des 
rixes  entre  étudiants,  dans  lesquelles  Lola  Montés  eut  l'in- 
croyable impudence  de  se  porter  elle-même  au  secours  de 
ses  protégés.  Une  ordonnance  royale  prononça  le  10  fé- 
vrier 184S  la  clôture  des  cours  de  l'université  de  Munich 
pour  une  année ,  comme  punition  des  scènes  de  désordre 
dont  elle  venait  d'être  le  théâtre.  Cette  mesure  sévère,  loin 
de  calmer  l'irritation ,  l'accrut  encore ,  et  le  lendemain  les 
manifestations  prirent  un  caractère  tel  que  la  troupe  dut 
charger  les  rassemblements  pour  les  disperser.  Il  y  eut  dans 
cette  échauffourée  des  blessés  et  même  des  morts.  La  mu- 
nicipalité de  Munich  se  réunit  alors,  et  envoya  une  députa- 
tion  supplier  le  monarque  de  rapporter  son  ordonnance 
relative  à  l'université.  Cet  acte  était  la  conda'.imation  la 
plus  explicite  de  la  conduite  tenue  dans  toute  cette  affaire 
par  le  gouvernement.  Mais  le  vieux  roi  se  roitlit  contre  le 
verdict  de  l'opinion  ,  et  refusa  de  faire  droit  aux  si  justes 
remontrances  de  la  municipalité  de  sa  bonne  ville.  Cet  im- 
prudent refus  irrita  encore  davantage  les  masses,  cpii  se 
ruèrent  alors  sur  l'hôtel  habité  par  l'indigne  favorite,  et  le 
saccagèrent  de  fond  en  comble  ainsi  que  le  dépôt  de  police  et 
quelques  propriétés  particulières  voisines  du  théâtre  de  ces 
désordres.  Lola  Montés  n'échappa  même  pas  sans  peine  à 
h  fureur  populaire,  et  son  royal  amant,  qui,  probablement 
pour  lui  porter  secours ,  commit  l'imprudeace  de  se  mêler 
incognito  à  la  foule,  fut  légèrement  blessé  dans  cette  échauf- 
fourée, dont  le  résultat  fut  de  donner  à  la  morale  et  à  l'opi- 
nion publique  une  tariL've  satisfaction. 

A  quelques  jours  de  là  éclatait  à  Paris  cette  étourdissante 
révolution  de  février  que  prévoyaient  si  peu  ceux-là  même 
qui  furent  appelés  à  en  profiter  immédiatement.  Le  contre- 
coup s'en  fit  tout  aussitôt  sentir  presque  simultanément,  et 
avec  une  rapidité  égale  à  celle  du  fluide  électrique,  au  nord, 
au  midi ,  à  l'ouest  et  au  centre  de  l'Allemagne,  dont  les  po- 
pulations étaient  depuis  longtemps  mûres  pour  une  révolu- 
tion que  hâtèrent  singulièrement,  d'une  part ,  le  mouvement 
réformateur  de  la  Prusse,  et  de  l'autre  le  spectacle  de  toutes 
les  abjections  de  l'ancien  régime  que  présentait  dei)uis  une 
année  la  cour  du  roi  Louis  de  Bavière. 

Nous  aurons  à  présenter  dans  ce  dictionnaire  le  tableau 
de  ces  graves  événements  dans  les  articles  spéciaux  relatifs  à 
l'Autriche,  à  la  Bavière,  au  %Yurtemberg,  à  la 
Saxe,àla  Prusse,  au  Hanovre,  aux  grands-duchés  de 
Bade,  de  Hesse,  et  de  Nassau,  etc.,  etc.,  auxquels  nous 
renverrons  le  lecteur.  L'aspiration  des  jjopulations  alle- 
mandes à  la  grande  unité  nationale ,  depuis  plus  de  trente 
années  le  rêve  constant  de  tous  les  cœurs  généreux  et  de 
toutes  les  intelligences  élevées,  fut  la  pensée  commune  qui 
présida  à  ce  puissant  mouvement  de  rénovation  sociale. 
Mais  les  passions  mauvaises ,  les  appétits  désordonnés  de- 
vaient bientôt  le  détourner  de  ses  voies  premières.  C'était 
d'abord  le  sentiment  de  la  dignité  humaine  justement  blessée 
des  choquantes  inégalités  sociales  base  de  l'édifice  vermoulu, 
si  péniblement  relevé  par  la  coalition  européenne  en  1815, 
qui,  là  comme  ailleurs,  avait  demandé  satisfaction  à  un 
ordre  de  choses  plus  conforme  à  la  raison.  Mais  là  aussi 
des  frelons  politiques  voulurent  dévorer  en  quelques  ins- 
tants le  miel,  finit  du  travail  de  plusieurs  générations  d'a- 
beilles intelligentes  et  patientes.  Les  aventuriers  de  la  dé- 
magogie se  précipitèrent  avec  une  ardeur  sans  pareille  sur 


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la  proie  f;:c-lc  que  leur  abandonnaient  la  généreuse  con- 
fiance des  uns ,  la  sf upéfaclion  des  autres  et  bientôt  aussi 
le  découragement  fatal  de  tous. 

L'histoire  du  complet  avortement  de  cette  grande  démons- 
tration humanitaTe  formera  sans  contredit  l'une  des  pages 
les  plus  curieuses  et  en  même  temps  les  plus  instructives 
des  annales  générales  du  dix-neuvième  siècle.  Le  fait  domi- 
nant de  cette  période  si  décisive  est  incontestablement  la 
réunion  à  Francfort  d'une  assemblée  délibérante  commune 
à  l'Allemagne  tout  entière ,  et  ayant  pour  mission  de  lui 
donner  celte  unité  politique  définitive  qu'elle  cherche   inu- 
tilement depuis  si  longtemps.  La  confédération  germanique 
telle  que  le  congrès  de  Vienne  l'avait  cor.stituée  en  1815, 
avait  momentanément  disparu  sous  le  souffle  destructeur  des 
événements  dont  le  pays  tout  entier  avait  été  le  théâtre  en 
mars  1848.  Le  parlement  de  Francfort,  chargé  de  la  rem- 
placer, et  dans  lequel  l'élément  démocratique  était  prépon- 
dérant, échoua  dans  ses  efforts ,  parce  que  dès  qu'il  lui  fut 
donné  d'envisager  en  face  la  situation  générale  de  l'Alle- 
magne et  de  prendre  un  parti ,  il  se  trouva  tout  aussitôt  an- 
nulé par  les  intérêts  essentiellement  divergents  dont,  malgré 
son  origine  révolutionnaire  ,  il  se  trouvait  l'expression ,  et 
surtout  parce  que  ces  intérêts  s'y  trouvèrent  immédiatement 
en  confiit.  En  dépit  des  tendances  ouvertement  républicaines 
de  la  minorité ,  il  s'était  dès  son  début  placé  sous  l'égide 
monarchique,  et  avait  centralisé  les  pouvoirs  fédéraux  entre 
les  mains  d'un  arcldduc  d'Autriche.  Uu  instant  même ,  en 
voyant  cette  assemblée  proclamer  hautement  qu'elle  était 
prête  à  mettre  toutes  les  forces  de  la  confédération  au  ser- 
vice de  l'Autriche  pour  lui  venir  en  aide  dans  sa  lutte  contre 
les  populations  italiques ,  puis  réclamer  pour  l'Allemagne  le 
versant  italien  des  Alpes ,  et  jusqu'au  territoire  de  Venise , 
on  put  croire  qu'elle  allait  s'efforcer  de  reconstituer  le  vieil 
empire  germanique  du  seizième  siècle;  projet  qui  impliquait 
nécessairement  l'idée  de  faire  rentrer  dans  la  grande  imité 
germanique,  non  pas  seulement  la  Hollande  et  la  Suisse 
Allemande,  mais  encore  la  Lorraine  et  l'Alsace,  et  alors  on 
put  comprendre  tout  ce  qu'il  y  avait  de  chimérique  et  de 
radicalement  impossible  dans  ces  idées  de  fraternisation  entre 
les  grandes  nations  européennes  que  les  publicistes  et  les 
orateurs  de  la  démagogie  étaient  parvenus  à  mettre  à  la 
mode.  La  vieille  constitution  germanique  n'avait  été  détruite 
que  pour  tout  aussitôt  faire  poindre  les  graves  perds  qui 
résulteraient  inévitablement  pour  l'indépendance  et  la  sécu- 
rité des  autres  nations  de  l'Europe,  surtout  pour  celles  d'ori- 
gine romane,  de  la  concentration  de  toutes  les  forces  et  de 
toutes  les  ressources  des  diverses  populations  germaines  entre 
les  mains  d'un  pouvoir  unique,  que  ce  pouvoir  fût  monar- 
cliique  ou  démocratique.  Après  deux  années  d'une  existence 
orageuse,  cette  assemblée  de  Francfort,  successivement  aban- 
donnée et  reniée  par  ceux-là  même  qui  avaient  été  ses  plus 
ardents  promoteurs ,  expira  de  vieillesse  et  d'impuissance. 
Remplacée  en  1850 ,  à  la  suite  d'un  accord  intervenu  entre  la 
Prusse  et  l'Autriche,  par  un  pouvoir  centi'al  provisoire,  elle 
n'a  laissé  d'autres  souvenirs  que  ceux  qui  se  rattachent  à 
l'inutilité  de  ses  luttes  pour  constituer  la  cliimère  de  l'unité 
germanique,  et  aux  projets  révolutionnaires  des  démago- 
gues qui  croyaient  pouvoir  faire  impunément  table  rase  en 
.Allemagne  de  toutes  les  institutions  préexistantes,  détruire 
toutes  les  anciennes  divisions  politiques  indépendantes  et 
l'cconstituer  avec  toutes  ces  ruines  quelque  chose  de  plus  ou 
moins  analogue  à  l'unité  nationale  française  ou  à  celle  des 
États-Unis  de  l'Amérique  du  Nord. 

[Après  !a  chute  du  parlement  allemand,  la  Prusse  eut  d'a- 
bord la  haute  main  sur  les  affaires  d'Allemagne.  Le  28  mai 
1849  elle  émit  son  projet  de  constitution  d'un  nouvel  em- 
pire allemand.  »  La  Prusse,  qui  n'avait  pas  voulu  rece- 
voir la  couronne  d'Allemagne  des  unitaires  de  Francfort, 
dit  M.  Thomas,  se  la  donnait  à  elle-même;  l'Allemagne  se 
confédérait  ou  plutôt  elle  ('î.iit  fan. lue  sous  son  patronage; 


3C6 


ALLEMAGNE 


elle  ne  formait  plus  qu'un  Élat  purement  germanique  dans 
lequel  l'Aulriche  n'entrait  pas.  L'Autriche,  dans  ce  projet, 
fonctionnait  en  dehors  de  l'Allemagne  comme  un  corps  en- 
tièrement distinct  sur  lequel  l'Allemagne  devait  toujours 
s'appujer  vis-à-vis  de  l'étranger,  dont  elle  pouvait  se  rap- 
procher, en  traitant  de  gré  à  gré  pour  toutes  les  questions 
intérieures ,  mais  sans  jamais  dorénavant  accepter  aucune 
communauté  d'existence.  L'Aulriche  devenait  ainsi ,  au 
mépris  de  J'hisloire  ,  une  puissance  non  germanique  ;  l'Au- 
triche prolesta.  »  Des  trois  rois  signataires  de  l'union  du 
2G  mai  1849,  sur  laquelle  était  basé  le  projet  de  constitution 
du  28,  deux  se  dédirent.  La  Prusse  assembla  un  parlement  à 
Erfurt,  et  là  elle  déclara  qu'elle  acceptait  tous  les  éléments 
de  l'ancienne  fédération  et  reconnaissait  les  droits  de  l'Au- 
triche, mais  à  la  condition  que  celte  confédération  aurait 
un  nouvel  organe,  qui  ne  serait  plus  la  diète,  et  qu'elle  lais- 
serait subsister  dans  son  sein  l'union  particulière  créée  par 
la  charte  du  28  mai.  «  L'Autriche  rentrait  ainsi  dans  l'Al- 
lemagne, suivant  l'expression  de  M.  Thomas,  mais  la  Prusse 
se  réservait  le  privilège  d'avoir  sa  fédération  à  elle  au  mi- 
lieu de  la  grande;  elle  admettait  en  quelque  sorte  deux 
Allemagnes  au  lieu  d'une,  ce  qu'on  appelait  alors-  l'union 
large  ci  Vunion  restreinte.  Qu'elle  eût  beaucoup  ou  qu'elle 
eût  peu  d'oUiés,  elle  voulait  élever  cette  union  comme  un 
boulevard  contre  l'Autriche,  » 

Mais  l'Autriche  s'était  raffermie.  La  charte  du  28  mai 
1849  se  trouva  remise  en  question  au  moment  môme  où  elle 
était  exécutoire.  Le  8  octobre  1850,  à  l'ouverture  officielle 
du  Collège  des  princes ,  l'un  des  corps  politiques  érigés 
par  la  cliarte  du  28  mai,  et  déjà  qualifié  de  provisoire, 
la  Prusse  concéda  que  le  maintien  de  son  union  restreinte 
serait  subordonné  à  l'assentiment  de  l'ancien  corps  fédéral. 
C'était  reconnaître  la  nécessité  de  le  reconstituer.  L'Au- 
triche allait  plus  loin.  Elle  posait  en  droit  que  la  diète  di- 
plomatique de  Francfort,  remplacée  un  instant  par  la  diète 
parlementaire  et  révolutionnaire ,  n'avait  jamais  cessé 
d'exister,  et  elle  intervenait  les  armes  à  la  main  dans  la 
Hesseau  nom  de  celte  autorité.  Bien  plus,  elle  prétendait  en- 
trer désormais  dans  la  confédération  avec  toutes  ses  posses- 
sions. La  Russie  offrit  ses  bons  offices;  et  le  comte  de  Bran- 
debourg alla  porter  à  Varsovie  les  propositions  de  la  Prusse. 
Il  était  chargé  d'accepter  l'incorporation  de  la  monarchie 
autrichienne  tout  entière  dans  la  confédération  ;  mais  il  devait 
s'arranger  de  manièreà  en  amoindrir  les  suites  en  demandant 
entre  la  Prusse  et  l'Autriche  parité  dans  l'exercice  de  la 
présidence,  parité  dans  le  pouvoir  exécutif,  c'est-à-dire 
à  peu  près  le  renouvellement  de  l'intérim  du  30  septembre 
1849,  avec  la  liberté  de  former  des  alliances  séparées  au 
sein  de  la  fédération.  L'Autriche  refusa,  à  Varsovie,  les  pro- 
positions prussiennes,  et  ne  se  relâcha  point  des  siennes. 
Elle  ne  voulut  point  partager  le  pouvoir  exécutif,  qu'il  fallait, 
disait-el!e  «  vigoureux,  »  et  demanda  que  la  Prusse  se  désis- 
tât officiellement  de  sa  charte  du  28  mai  1849.  Quand  il 
s'agil  enfin  de  répondre  par  la  force  à  ces  dures  exigences , 
il  se  trouva  que  la  Prusse  n'était  pas  suffisamment  prête,  et 
elle  en  revint  aux  négociations.  M.  de  Manteuffel  alla  pro- 
mettre à  Oimiitz  que  l'on  ferait  ce  que  désirait  l'Autricl.o. 
Des  conférences  s'ouvrirent  à  Dresde  entre  les  principales 
puissances  allemandes.  Une  commission  proposa  de  cons- 
tituer un  gouvernement  fédéral  composé  de  neuf  membres 
ayant  onze  voix,  et  de  recevoir  dans  la  confédération  l'Au- 
triche et  la  Prusse  avec  toutes  leurs  possessions  indistincte- 
ment. Une  armée  de  125,000  hommes  toujours  prêts  devait 
être  à  la  disposition  du  pouvoir  exécutif.  Les  onze  voix 
étaient  ainsi  réparties  :  l'Autriche  et  la  Prusse,  chacune  deux 
voix;  la  Bavière,  le  Hanovre,  la  Saxe  et  le  Wurtemberg, 
chacun  une  voix  ;  la  neuvième  et  la  dixième  voix  appar- 
tenaient collectivement  à  des  Étals  .secondaires,  et  la  on- 
zième aux  plus  petits  États  allemands.  La  Prusse  n'admit 
pas  cet  arrangement  qui  avait  été  préparé  par  l'Autriche.  La 


France  et  l'Angleterre  protestèrent  contre  l'admission  de  nou. 
veaux  pays  dans  la  Confédération  germanique.  Le  roi  de 
Wurtemberg,  dans  une  lettre  rendue  publique,  denaada  une 
représentation  du  peuple  allemand  auprès  du  pouvoir  fédé- 
ral ;  une  seconde  commission  adopta  cet  avis,  après  avoir 
indiqué  cinq  propositions  destinées  à  fortifier  le  pouvoir  dans 
chaque  État  et  à  abroger  les  dernières  mesures  révolutionnai- 
res. Le  ministre  de  Prusse  demanda  un  sursis.  L'Autriche  ac- 
corda deux  voix  de  plus  aux  petits  États.  La  Prusse  n'en  vou- 
lait que  cinq,  deux  permanentes  et  trois  temporaires,  et  in- 
sista pour  avoir  la  parité  dans  l'exercice  de  la  présidence. 
On  ne  put  ainsi  s'entendre;  et  comme  on  était  d'accord  sur 
la  nécessité  de  reconstituer  un  pouvoir  central,  l'ancienne 
diète  fut  tout  simplement  reconstituée  par  le  retour  des 
envoyés  des  différents  États  à  Francfort. 

La  lutte  entre  la  Prusse  et  l'Autriche  n'existait  pas  seule- 
ment sur  le  terrain  politique.  La  Prusse  éloignait  aussi 
l'Autriche  du  marché  allemand,  en  lui  refusant  l'entrée  dans 
le  ZoUverein.  Les  quatre  royaumes,  les  deux  liesse,  Bade  et 
Nassau  se  coalisèrent,  et  la  Prusse  dut  conclure  un  traité 
de  commerce  avec  l'Autriche  pour  renouveler  son  association 
douanière.  Les  mêmes  puissances  se  réunirent,  en  1854,  dans 
des  conférences  tenues  à  Bamberg,  pcMir  appuyer  le  système 
de  neutralité  de  l'Allemagne  pendant  la  guerre  d'Orient. 
Quelques  efforts  aboutirent  pourtant  dans  les  questions  écono- 
miques. Un  projet  d"e  code  du  commerce  général  fut  mis  à 
l'étude,  des  conventions  communes  furent  conclues  relati- 
vement à  l'établissement  de  chemins  de  fer,  des  banques 
créées,  un  système  unique  de  monnaies  adopté,  une  ré- 
forme postale  préparée,  etc.  La  guerre  d'Italie  vint  encore 
montrer  l'antagonisme  des  deux  grandes  puissances  qui 
divisent  l'Allemagne.  Tandis  que  quelques  petites  puissances 
rêvaient  de  voler  au  secours  de  l'Autriche,  la  Prusse 
nfuintenait  son  système  de  neutralité ,  ne  voyant  pas  d'in- 
térêts allemands  engagés  dans  la  possession  de  la  Lom- 
bardie  par  l'Autriche,  non  plus  qu'elle  n'en  avait  vu  dans 
la  possession  du  Danube  par  la  même  puissance.  La  chambre 
des  députés  de  Prusse  a  aussi  reconnu,  en  1861,  que 
l'Allemagne  ne  devait  pas  s'opposer  à  la  reconstitution  de 
l'Italie  :  c'est  avouer  que  la  posse>sion  de  Venise  par  l'Au- 
triche n'intéresse  pas  l'Allemagne.  Cependant,  suivant  le 
ministre  Schleinitz,  «  une  alliance  intime  de  la  Prusse  avec 
l'Autriche  sera  toujours  ime  des  plus  solides  garanties  pour 
la  conservation  de  l'intégrité  du  territoire  allemand  et  de 
l'équilibre  européen.  Les  deux  États  ont  besoin  l'un  de  l'au- 
tre sous  ce  rapport,  et  nulle  autre  combinaison  ne  sau- 
rait remplacer  celte  alliance.  Mais  elle  ne  pourra  être 
utile  qu'en  tant  qu'elle  reposera  sur  une  parité  complète, 
et  que  des  deux  côtés  il  y  aura  amitié  vraie.  »  En  attendant, 
la  dièle  a  pris  quelques  mesures  pour  arriver  à  l'unité  mili- 
taire, l'Allemagne  apprête  bruyamment  ses  armes,  quoique 
décidée  sans  doute  à  attendre  les  événements  l'arme  au  pied. 
«  Ce  fut  le  dessein  de  c«ux  qui  réglèrent  les  affaires  de  l'Eu- 
rope à  la  fin  de  la  guerre  (de  1815),  disait  un  journal  anglais, 
de  créer  en  Allemagne  une  puissance  que  l'on  voulait  mettre 
dans  la  double  condition  de  ne  pouvoir  jamais  prendre 
l'initiative  de  l'attaque,  et  d'être  cependant  assez  forte  pour 
pouvoir  toujours  se  défendre.  On  voulait  faire  de  l'Allemagne 
une  messe  immense,  un  rempart  infranchissable  à  tout 
ennemi  extérieur,  un  lac  dont  les  eaux  pouvaient  être 
troublées  à  la  surface  par  le  vent,  mais  devaient  toujours 
reprendre  leur  calme  et  leur  niveau.  Dans  ce  dessein  on 
organisa  en  Allemagne  une  hiérarchie  d'États  aussi  soi- 
gneusement et  aussi  absurdement  gradués  entre  eux  que 
les  degrés  sans  fin  delà  noblesse...  Ce  plan  ingénieux  a 
réussi  sous  de  certains  rapports. La  grande  nation  allemande, 
avec  sa  littérature,  sa  civiliôalion  et  sa  valeur,  n'a  été 
remuée  par  aucune  impulsion  agressive.  Le  malheur, 
c'est  qu'avec  la  puissance  d'attaquer  les  autres  celle  de  se 
défendre  a  aus::i  disparu.  La  machine   de  l'empire    aile- 


ALLEMAGNE 


3t>7 


maïul  est  ainsi  orj;anisée  quVUo  donne,  à  cliaque  membre 
lie  la  coiifétlenlion  un  intérêt  iiuliNiiluel  el  parlienlier 
presque  loiijoiirs  op|K>sé,  soit  dans  la  réalité,  ?oit  |iliis  sou- 
Tcnl  encore  dans  la  forme,  à  celui  du  corps  entier.  » 

Des  esprits  généreux  demandent  toujours  l'unité  de  l'Al- 
lemagne, et  profitent  de  toutes  les  occasions  pour  exprimer 
leurs  sentiments  :  on  en  a  vu  un  grand  exemple  encore  à  la 
kHe  on  jubilé  de  Schi 1 1  e r  en  1S59.  Mais  la  lutte  des  inté- 
rêts et  des  puissances  arrête  toujours  ces  élans.  Une  as- 
sociation nationale  allemande  s'etant  for.mée  demanda 
l'inlervejition  de  la  confédération  dans  les  affaires  du  Hols- 
tein ,  vieille  question  sur  laquelle  la  diète  est  revenue  tant 
de  fois,  faisant  autant  de  pas  en  arrière  que  de  pas  en  avant  ; 
la  Hesse  voulut  la  dissolution  de  cette  société,  la  diète  la 
refusa,  dans  la  crainte  d'agiter  les  esprits.  C'est  ainsi  que 
rien  ne  semble  (iiiir  en  Allemagne.  Aurait-on,  par  hasard, 
eu  raison  de  dire  en  France  :  «  Les  autres  peuples  agis- 
<ent,  les  Allemands  méditent  ;  nous  vivons,  ils  pensent  j 
nous  combattons,  ils  discutent?  » 

Une  des  chansons  les  plus  populaires  de  l'Allemagne  est 
celle  de  Maurice  Arndt,  intitulée  la  Patrie  de  l'Alle- 
mand :  «  Quelle  est  la  patrie  de  l'Allemand?  se  dit  le 
poëte.  Est-ce  la  Prusse?  est-ce  la  Souabe?  sont-ce  les  rives 
du  Rhin  où  fleurit  la  vigne?  sont-ce  les  rivages  du  Belt, 
où  la  mouette  décrit  les  courbes  de  son  vol? —  Oh  non! 
oh  non!  sa  patrie  doit  être  plus  grande...  Aussi  loin  que  la 
langue  teutonne  résonne  et  élève  ses  chants  à  Dieu  dans 
le  ciel,  c'est  là  cette  patrie;  brave  Teuton,  tout  cela  est  à 
toi.  Elle  est  là,  ia  patrie  du  Teuton,  où  la  pression  de  la 
main  vaut  un  serment,  où  la  bonne  foi  brille  dans  le  clair 
regard  de  l'oeil ,  où  l'amour  siège  dans  le  cœur  qu'il  ré- 
chauffe, où  le  clinquant  des  Welches  disparaît  au  vent  de 
la  colère,  où  tout  Français  est  un  ennemi  :  voilà  cette  pa- 
trie, voilà  toute  la  terre  du  Teuton...  »  Plus  tard,  les  Alle- 
mands chantèrent  encjDre,  en  parlant  des  Français  : 

Ils  uc  t'auront   pas  le    B.bia   allemand. 

Ensuite,  il  est  vrai,  on  but  quelques  pots  à  la  fraternité 
des  peuples.  On  essaya  de  constituer  cette  grande  patrie 
allemande;  mais  il  se  trouva  que  l'union  de  la  langue  ne  suffit 
pas,  on  se  disputa,  on  se  battit  encore  une  fois  en  alle- 
mand ,  et  chaque  gouvernement  se  reforma  avec  ses  idées 
d'omnipotence,  ses  haines,  ses  rancunes.  La  patrie  de  r.\l- 
lemand,  toujours  idéale  et  poétique,  s'évanouit  comme  la 
mousse  de  la  bière.  C'est  qu'en  effet,  comme  l'a  dit  un  critique 
français,  cette  grande  patrie  de  l'Allemand,  «  elle  est  par- 
tout et  elle  n'est  nulle  part.  .Autant  de  divisions  du  territoire, 
autant  de  patries  distinctes,  unies  entre  elles  par  une  pa- 
renté douteuse.  Les  Saxons  combattent  à  léna  sous  les 
drapeaux  prussiens  ;  le  lendemain  ils  assiègent  avec  nous 
Dantzig,  où  la  Prusse  a  placé  ses  dernières  espérances.  .\ 
tous  ces  peuples  divisés  il  faut  rappeler  sans  cesse  qu'ils 
sont  les  enfants  d'une  môme  famille,  il  faut  les  rallier 
par  l'amour  d'une  commune  patrie,  et  leur  apprendre  à 
mettre  les  droits  de  l'Allemagne  avant  ceux  de  la  Souabe, 
delà  Bavière  ou  de  laFranconie...  L'Allemagne,  un  glorieux 
nom!  Qu'est-ce  que  l'Allemagne  et  où  est-elle?  C'est  le 
poète  qui  se  charge  de  réaliser  l'abstraction  patriotique; 
c'est  lui  qui  pose  les  limites  nationales  et  qui  donne  les 
signes  de  ralliement;  il  fait  plus  que  glorifier  la  patrie,  il 
la  crée  pour  ainsi  dire  ;  il  la  conçoit  et  l'enfante  par  la 
pensée.  Professeurs,  théologiens,  philosophes,  tous  unis- 
sent leurs  voix  à  celle  du  poète  :  du  haut  des  chaires  saxonnes, 
souabes  ou  prussiennes,  l'Allemagne  est  proclamée;  on  élève 
la  jeunesse  dans  l'admiration  et  l'amour  de  cette  patrie 
idéale,  on  la  lui  enseigne  d'abord,  pour  la  lui  faire  chérir 
ensuite  :  on  présente  une  idée  à  son  esprit ,  une  idée  qui 
doit  devenir  un  sentiment  pour  son  cœur.  De  là  le  caractère 
en  quelque  sorte  métaphysique  du  patriotisme  allemand.  » 
«  De  ce  que  le  patriotisme  allemand  a  été  enseigné  en  Al- 


lemagne, di.>ait  un  écrivain,  de  ce  que  des  hommes  qui  joi- 
gnaient à  un  ardent  enthousia<ime  national  l'amour   du  sa- 
vant pour  le  sujet  qu'il  s'est  choisi  ont   recherché  curieu- 
sement et  systématiquement  réuni  tout   ce  qui    leur   pa- 
raissait  être  un  titre  d'honneur  pour  la  nation  allemande, 
il  résulte  une  grande  facilité  à  se  faire  une  idée,  non  pas 
peut-être   de  ce   que  les  Allemands  sont  bien  réellement, 
mais  au   moins  de  ce  qu'ils  croient  être  :  ce  ne  sont  point 
des  sentiments  obscurs  et  d'une  analyse  difficile,  ce  sont  des 
systèmes  dcveloppcs  qu'on  a  devant  soi.  »  Par  exem[ile, 
ajoute  M.  Albert  Auhert,  il  y  a  tel  professeur  de  l'autre  côté 
du  Rhin  qui  fait  un  cours  complet  de   patriotisme  comme 
d'autres  font  un  cours  de  grammaire  ou  de  métaphysique; 
réunissez  ses  leçons,  et  vous  avez  le  recueil  de    tous  les 
préjugés  nationaux,  de  toutes  les  flatteries  adressées  à  la 
race  teutonne,  de  tous    les  éléments  enfin  dont  se  forme 
l'orgueil   germanique,   orgueil  vraiment  souverain,  moins 
arrogant  peut-être  et  moins  fastueux    que  celui  des  Espa- 
gnols, mais  beaucoup  plus  profond  et  beaucoup  mieux  rai- 
sonné. La  supériorité  de  la  race  et  l'excellence  de  la  langue, 
voilà  d'abord  les  deux  grands  litres  du  peuple  teuton,  les 
deux  caractères  dominants  auxquels  l'.AIIemagne  doit  se 
reconnaître  elle-même  et  se  distinguer  du  reste  de  la  terre. 
De   ces    premières    perfections    découlent   naturellement 
toutes  les  autres  :  avantages  politiques,  suprématie  intellec- 
tuelle, vertus  éminentes,  sans  parler  des  quahtés  de  dé- 
tail ;   l'idéal  humain ,  à  peu   de  chose  près.   Personne  ne 
conteste  l'unité  ni  l'ancienneté  de  la  race  allemande  ;  mais 
si  l'invasion  des  races  germaniques  a  renouvelé  le  monde, 
ce  n'a  été  qu'au  prix  de  cinq  ou  six  siècles  de  barbarie,  et 
dans  la  renaissance,   l'Allemagne   ne  figure  que   poiu' une 
faible  part.  L'Allemagne  regarde  la  réforme  comme  la  se- 
conde rénovation  des  destinées  humaines;  mais  si  la  ré- 
forme engendra  le  libre  examen ,  ce  n'est  qu'à  la  philoso- 
phie française,  à  Voltaire ,  à  Frédéric  II,  à  nos  assemblées 
révolutionnaires  que   l'on  doit  la  liberté  de  conscience,  la 
liberté  politique,  l'affranchissement  des  classes  opprimées. 
S'il  est  des  écrivains  qui  regardent  l'unité  de  l'Allemagne 
comme  une  chimère  ,  comme  un  mirage  trompeur  qu'elle 
poursuit  sans  y  croire,  comme  un  idéal  que  le  poète  seul 
rêve,  il  en  est  d'autres  qui  pensent  que  cette  idée  grandit 
el  gagne  du  terrain  ;  que  déjà  les  princes  doivent  compter  avec 
elle,  la  ménager,  la  flatter  même  publiquement,  tout  en  com- 
battant par  une  résistance  occulte  sa  propagation  ;  qu'elle  est 
au  fond  de  toutes  les  questions  qui  s'agitent  ;  qu'en  vain  on 
l'étouffé,  elle  couve  sous  la  cendre.  «  Le  travail  est  lent, 
disent-ilSjla  fermentation  sera  longue.  Qu'importe!  Les  Alle- 
mands ne  sont  pas  pressés  comme  nous;  ils  savent  attendre.  » 
C'estbien  ;  mais  Georges  Herweg,  dans  sa  vision  du  jugement 
dernier,  appelle  ses  compatriotes   (Véter)iels    dormeurs. 
Hoffmann  de  Fallersleben  leur  dit  dans  un^  épigramme  : 
CI  Vous  n'êtes  pas  sots,  vous  ii'êies  pas  méchants,  vous  connais- 
sez la  valeur  des  mots  liberté  et  droit;  vous  aimez  la  vérité, 
vous  haïssez  la  vaine  apparence  et  vous  êtes  partisans  de 
la  liberté  d'esprit.  En  outre,  vous  possédez  tout  sur  terre; 
vous  avez  la  santé,  le  plaisir  et  l'argent,  femmes,  enfants, 
fermes  et  maisons  de  campagne.  Une  seule  petite  chose 
vous  manque  -.  il  vous  manque  le  courage  !  »  Le  courage, 
ils  en  ont  fait  preuve  cependant,  et  contre  nous,  répond 
M.  Albert  Auhert;  remplacez  ce  mot  par  celui  d'énergie, 
de  faculté  d'agir,  le  reproche  sera  plus  juste.  Les  qualités 
essentielles  du  caractère  allemand  sont  l'humanité,  la  pa- 
tience, le  calme,  la  persévérance  laborieuse,  la  constance, 
l'amour  du  foyer  et  le  soin  extrême  de  tous  les  détails  do- 
mestiques. C'est  un  heureux   signe  chez   un   peuple  que 
cette  prétention  unanime  à  la  vertu,  et  tout  en  faisant  bon 
marché  de  ses  prétentions  exagérées  à  la  préexcellence 
dans  les  choses  de  l'esprit,  on  doit  honorer  une  nation  qui 
inscrit  sur  son  drapeau  :  Loyauté,  constance,  probité,  mo- 
ralité publique  et  privée.  Z.J 


868 


ALLEMAGNE 


Langue  allemande. 


La  langue  allemande  (die  dcutsche  Sprache)  est  une  des 
brandies  de  la  langue  germanique  primitive.  Quelques  au- 
teurs écrivent  teutsch  ,  qu'ils  font  dériver  de  tcut,  teuton  ; 
mais  il  est  plus  exact  de  le  faire  dériver  de  thciit ,  (eut , 
dlet  (peuple).  La  langue  germanique  primitive  se  divise 
en  trois  branches  :  la  branche  allemande  proprement  dite , 
la  branche  Scandinave ,  et  la  branche  anglo-saxonne  ou 
anglaise.  La  division  de  la  langue  allemande  proprement 
dite  en  haut  et  bas  allemand ,  lesquels  se  subilivisent  en 
plusieurs  autres  dialectes  provinciaux  ,  remonte  aux  temps 
les  plus  reculés.  Quelque  différents  que  soient  les  mots  et 
les  formes  grammaticales  de  ces  idiomes  particuliers ,  il  est 
aisé  de  reconnaître  qu'ils  ont  une  commune  origine. 

Lorsqu'on  parle  de  la  langue  allemande  en  général ,  on 
entend  ordinairement  par  là  celle  dont  font  usage  les  écri- 
vains et  dont  se  rapproche  le  langage  des  classes  instruites 
de  l'Allemagne  ,  lequel  est  plus  ou  moins  exempt  de  l'accent 
et  des  idiotismes  propres  au  dialecte  provincial.  La  question 
de  savoir  où  l'on  parle  l'allemand  le  plus  pur  ne  peut  guère 
être  résolue  avec  impartialité.  Suivant  Adelung ,  l'allemand 
le  plus  pur  est  celui  que  l'on  parle  dans  la  haute  Saxe ,  et 
même  seulement  en  Misnie.  Par  langue  des  écrivains  on 
entend  le  dialecte  qui  a  été  employé  depuis  Luther  par  les 
meilleurs  auteurs ,  et  admis  par  la  haute  société  de  toutes 
las  contrées  où  la  langue  allemande  est  en  usage.  C'est 
dans  le  midi  de  l'Allemagne ,  particulièrement  dans  les 
contrées  qui  avoisinent  les  basses  Alpes  et  les  Carpathes , 
de  même  que  dans  les  pays  plats  situés  au  sud-ouest  et  à 
l'est,  que  la  langue  est  le  moins  exempte  de  provincialismes, 
môme  parmi  les  classes  instruites.  Là  (dans  la  haute  Souabe, 
la  haute  Bavière  et  l'Autriche),  les  voyelles  sont  dures  et  les 
consonnes  sinianfes  ;  ici  (dans  la  NYesfphalie  occidentale,  le 
bas  Rhin ,  le  Mecklenbourg  et  la  Poméranie  )  elles  sont 
longues ,  molles  et  traînantes  :  différtînces  dues  en  grande 
partie  à  l'influence  du  chmat.  Au  centre  de  l'Allemagne ,  et 
particulièrement  dans  la  haute  Saxe ,  la  prononciation  est 
plus  exempte  de  ces  inflexions  et  plus  épurée  ;  mais  en  se 
rapprochant  des  Riesengebirge  l'accent  devient  tantôt  rude, 
tantôt  psalmodiant  et  monotone ,  et  vers  le  bas  Brande- 
bourg ,  traînant  et  languissant.  Dans  la  basse  Saxe  mé- 
ridionale (  Hanovre ,  Brunswick  ,  Gœttingue  )  la  langue 
commence  déjà  à  être  plus  pure  ;  cependant  c'est  au  delà  des 
frontières  de  l'Allemagne,  dans  la  Courlande  et  la  Finlande , 
chez  les  descendants  des  anciens  colons  allemands ,  qu'elle 
est  parlée  dans  sa  plus  grande  pureté  ,  parce  qu'aucun  pro- 
vincialisme populaire  n'est  jamais  venu  la  défigurer. 

On  ne  sait  rien  de  certain  sur  l'origine  de  la  langue  alle- 
mande; quelques  auteurs  la  font  dériver  de  l'indien,  d'au- 
tres du  persan,  d'autres  encore  lui  donnent  une  origine 
commune  avec  le  grec  ;  Morhof  a  même  été  jusqu'à  préten- 
dre que  le  grec  est  dérivé  de  l'ancien  idiome  allemand.  Des 
recherches  faites  sur  ces  deux  langues,  dit  Voss,  prouvent 
qu'elles  ont  une  origine  commune ,  et  on  découvre  même 
plus  de  douceur  dans  la  langue  teutone,  alors  qu'elle  était  en- 
core dans  l'enfance,  que  la  langue  grecque  n'en  présente  dans 
ses  premiers  monuments.  Les  plus  vieilles  traditions  rappor- 
tent que  des  hordes  d'anciens  Grecs  reçurent  du  nord  de  la 
Thrace  l'art  de  cultiver  la  terre,  et  leurs  premières  idées  mo- 
rales en  même  temps  que  le  culte  de  Bacchus.  Or,  l'histoire 
nous  montre  dans  ce  pays  des  Thraces,  appelé  plus  tard 
Scyihie,  une  race  germaine,  les  Goths  de  la  mer  Noire,  qui, 
bien  que  séparés  déjà  de  leurs  ancêtres  depuis  plus  de  dix 
siècles ,  n'en  conservaient  pas  moins  dans  les  formes  du 
langage  une  ressemblance  frappante  avec  les  Grecs.  La  lan- 
gue de  l'habitant  du  sud ,  favorisée  par  le  commerce ,  la 
beauté  du  climat  et  la  lii)erté,  parvint  à  un  haut  degré  de 
perfection.  Celle  du  nord  demeura  slationnaire,  mais  elle 
n'en  conserva  pas  moins  au  milieu  de  sa  barbarie  primitive 


un  caractère  plein  de  force  et  pur  de  tout  mélange.  Aussi 
est-elle  restée  langue  mère ,  langue  radicale,  la  seule  qui , 
parmi  les  idiomes  bâtards  de  l'Europe  asservie,  puisse  riva- 
liser avec  la  langue  grecque.  Mêla  dit  qu'une  bouche  ro- 
maine pouvait  à  peine  prononcer  les  mots  de  la  langue  des 
Germains,  et  Nazarius  assure  que  les  sons  qu'ils  produisaient 
excitaient  des  frissonnements.  Vraisemblablement  ils  se  com- 
posaient d'un  assemblage  de  consonnances  dures,  de  fortes 
aspirations  et  de  voyelles  graves.  Néanmoins,  il  ne  faut  pas 
croire  à  la  lettre  les  assertions  des  Grecs  et  des  Romains, 
déjà  amollis,  qui  appelaient  la  langue  des  Germains  rude  et 
barbare  seulement  peut-être  parce  qu'elle  leur  était  étran- 
gère. L'exemple  de  la  langue  polonaise  actuelle  nous  prouve 
que  la  répétition  fréquente  des  consonnes  ne  rend  pas  une 
langue  nécessairement  dure  ;  car  la  foule  de  consonnes  qu'elle 
contient  n'empêche  pas  que,  parlée  par  des  gens  bien  élevés, 
elle  ne  soit  encore  douce  et  sonore.  Du  reste ,  il  se  pour- 
rait que  la  langue  allemande  primitive  eût  été  plus  riche  en 
mots  servant  à  désigner  des  objets  sensibles  qu'en  expres- 
sions propres  à  rendre  des  idées  abstraites,  dont  les  Ger- 
mains, enfants  des  forêts,  s'occupaient  encore  fort  peu. 

Les  premières  traces  de  l'existence  d'une  littérature  alle- 
mande se  font  remarquer  chez  les  Goths,  qui,  chassés  de 
leurs  foyers  par  les  Huns  vers  le  milieu  du  quatrième  siè- 
cle, vinrent  s'établir  dans  les  basses  contrées  du  Danube. 
On  les  confond  souvent  avec  les  Scandinaves  ;  antérieure- 
ment ils  habitaient  la  Mœsie,  aujourd'hui  Valachie,  et  du- 
rent vraisemblablement  leur  civilisation  au  voisinage  des 
Grecs.  Ulphilas,Goth  distingué,  qui  détermina  ses  compa- 
triotes à  embrasser  le  christianisme,  vers  l'an  360,  introdui- 
sit panni  eux  l'art  de  l'écriture,  et,  après  avoir  été  nommé 
évêque,  traduisit  la  Bible.  La  plus  grande  partie  des  qua- 
tre évangélistes  et  un  fragment  de  l'Épître  aux  Romains, 
traduits  par  lui,  sont  parvenus  jusqu'à  nous.  Nous  trouvons 
dans  la  langue  dont  il  se  sert  un  mélange  du  haut  et  du  bas 
allemand  encore  en  usage  de  nos  jours  et  des  mots  étran- 
gers, peut-être  thraces,  dont  les  formes  grammaticales  ne 
diffèrent  pas  beaucoup  de  Tidiome  allemand  actuel.  Une  des 
particularités  les  plus  remarquables  de  la  langue  dont  se  sert 
Ulphilas,  c'est  qu'on  y  trouve  un  nombre  analogue  au  duel 
des  Grecs.  Les  noms  de  nombre  ains,  twai,  thrins,  etc., 
indiquent  déjà  la  transformation  du  haut  allemand  en  bas 
allemand.  On  y  trouve  aussi  beaucoup  de  mots  anglo-saxons 
encore  usités  aujourd'hui  dans  la  langue  anglaise  ;  d'ailleurs 
le  haut  allemand  y  apparaît  partout  comme  base  fonda- 
mentale. 

L'aurore  de  la  littérature  et  la  formation  de  la  langue 
ne  datent  que  du  huitième  siècle ,  de  l'époque  de  Charle- 
magne  Le  peu  de  littérature  qui  existait  avant  ce  temps 
se  composait  d'ouvrages  primitivement  écrits  en  latin  d'é- 
glise, traduits  en  slave,  où  sont  servilement  imitées  la 
construction  et  jusqu'aux  inflexions  des  mots  latins.  L'i- 
diome alors  en  usage  était  le  haut  allemand  de  nos  jours , 
mais  orthographié  d'après  la  prononciation  grossière  du  peu- 
ple. Cependant,  c'est  vers  ce  temps  que  parurent  les  chan- 
sons qui ,  pour  la  première  fois ,  donnèrent  à  la  langue  une 
allure  poétique. 

Avec  Charlemagne  (76S  à  1137)  commença  l'ère  des 
Franks,  dans  laquelle  des  choses  si  grandes  et  si  utiles  furent 
accomplies  ;  car  ce  n'est  pas  seulement  par  ses  conquêtes 
que  Charles  mérita  son  glorieux  surnom ,  mais  encore  par 
tout  ce  qu'il  fit  pour  la  civilisation.  H  imposa  des  noms 
allemands  aux  mois  et  aux  vents,  entreprit  la  rétlaction 
d'une  grammaire  allemande,  et  fit  d'incroyables  efforts  pour 
perfectionner  la  langue,  la  poésie  et  les  sciences.  Toutefois, 
les  progrès  furent  lents,  et  ne  devinrent  sensibles  que  sous 
le  règne  de  ses  successeurs. 

La  langue  ne  fit  d'ailleurs  que  peu  de  progrès  sous  les 
rois  saxons  (912  à  1024  ),  époque  à  laquelle  fleurirent  Labeo 
et  d'autres.  Parmi  tous  les  poètes  et  tous  les  écrivains  de  ce 


ALLEMAGNE 


360 


temps ,  aucun  ne  s'olant  rcncontiô  qui  fût  assez  fort  pour 
imposer  des  règles  fixes  et  certaines  à  la  lanf^ue ,  il  eu  est 
résulte  ce  manque  d'unité  et  de  régularité  en  ce  qui  touche 
riuflexion  et  la  désinence  des  mots  qui  existe  encore  au- 
jourd'hui. 11  en  fut  de  niéme  sous  les  empereurs  franks  (1024 
à  1136),  période  dans  laquelle  on  remarque  WilJeram  et 
surtout  l'auteur  anonyme  d'un  panégyrique  en  vers  d'Anno, 
évéque  de  Cologne,  mort  en  1075.  Ce  poème  annonce  l'ap- 
proche d'un  siècle  plus  brillant  pour  la  littérature  et  la 
l>oésic ,  celui  des  empereurs  de  la  maison  de  Hohenstau- 
fen,  qui  comprend  aussi  l'époque  des  MinneScrngcrs.  Les 
changements  qui  s'opérèrent  alors  dans  la  langue  sont  très- 
remarquables  ;  ils  furent  occasionnés  par  la  substitution 
du  dialecte  de  la  Souabe  à  Tidiome  frank.  Cette  nouvelle 
langue  prit  donc  les  formes  imparfaites  de  l'ancienne,  et 
les  perfectionna  selon  les  besoins  de  l'esprit  poétique  qui 
dominait  alors.  Quelques  poésies  qui  nous  sont*  restées  de 
ces  temps-là  font  voir  comment  la  langue  des  Franks  s'est 
successivement  fondue  dans  l'allemand  de  la  Souabe.  La 
difficulté  qu'elle  offre  à  la  lecture  provient  des  mots  sous- 
entendus  ou  ayant  reçu  une  autre  signification  ,  ainsi  que 
des  inllexions ,  des  dérivations  et  de  la  construction  qui  ont 
été  changées.  Peu  à  peu  l'idiome  de  la  Souabe  perdit  sa  su- 
périorité en  Allemagne,  et  presque  tous  les  autres  dialectes 
eurent  les  mêmes  dioits.  L'association  des  Meistersxnger 
ne  contribua  pas  peu  à  ce  résultat.  Sans  méconnaître  ici 
le  prix  des  descriptions  pleines  de  sentiment  qu'on  trouve 
dans  Hans  Sachs,  on  peut  dire  que  la  langue  y  a  peu 
gagné  en  richesse  et  en  expression.  L'école  de  poésie  dont 
il  fut  le  fondateur  ne  lui  a  été  favorable  que  sous  le  rapport 
de  l'unité  et  de  la  régularité.  ^lais  ces  qualités  de  la  langue 
devaient  aussi  finir  par  se  perdre.  Comme  la  lecture  de  la 
Bible  était  interdite  aux  laïques ,  et  qu'en  justice  et  dans  la 
chaire  on  se  servait  d'une  langue  morte  étrangère,  la  langue 
primitive  finit  par  dégénérer.  Cette  décadence,  toutefois, 
fut  arrêtée  par  Luther,  qui  traduisit  la  Bible  avec  un  rare 
bonheur  de  style ,  et  qui  en  corrigea  soigneusement  chaque 
nouvelle  édition  (  les  Psaumes  en  eurent  jusqu'à  sept ,  de 
lois  à  1545).  Il  lendit  en  termes  nobles  ce  qui  était  grossiè- 
rement exprimé ,  et  mit  dans  tout  leur  jour  les  mouvements 
d'éloquence  qui  s'y  trouvaient  placés  sans  ordre  et  sans 
convenance.  Dès  ce  moment  la  langue  allemande  fut  généra- 
lement usitée  dans  les  relations  usuelles  et  littéraires. 

A  ce  créateur  de  la  nouvelle  syntaxe  allemande  succé- 
dèrent presque  sans  intemiption  des  continuateurs  de  cette 
noble  tâche.  D'abord  l'énergique  Opitz,  qui  étudia  la  poésie 
à  l'école  de  l'antiquité  et  à  celle  des  poètes  étrangers  ;  le 
fougueux  maître  de  Haller,  Lohenstein,  qui,  dans  son  Ai-- 
viinius  et  Thusnelda,  ajouta  à  la  richesse  de  la  langue  par 
des  expressions  pittoresques  et  des  tournures  nouvelles;  et 
enfin  l'aimable  Hagedorn,  qui  fit  perdre  à  la  langue  alle- 
mande cette  roideur  d'école  qui  lui  était  particulière,  et  sut 
la  rendre  aussi  flexible  que  propre  aux  iiispirations  de  la  joie 
et  de  la  sagesse  de  la  vie. 

"S'ers  la  fin  du  dix-septième  siècle  la  langue  allemande  fut 
gâtée  par  l'influence  de  la  langue  française.  Cette  influence 
se  fit  encore  plus  sentir  vers  le  milieu  du  dix-huitième  siècle, 
où  la  langue  française  prévalut  presque  partout  dans  la  vie 
sociale  {voyez  l'ouvrage  intitulé  :  Tyrannie  de  la  langue 
et  de  l'esprit  de  la  France  en  Europe,  depuis  le  traité 
de  Rastadt ;\>w  Radloff,  Munich,  1814).  Le  nouveau  pu- 
risme introduit  par  Gottsclied  et  par  sa  larmoyante  école  té- 
moigna d'excellentes  intentions  ;  mais  très-certainement  si 
l'on  n'avait  jamais  eu  que  les  productions  de  l'école  de  Gotts- 
clied à  mettre  en  avant,  le  mépris  dont  le  roi  Frédéric  II 
faisait  profession  pour  la  langue  allemande,  et  qu'il  mani- 
festa dans  une  lettre  écrite  en  frança'is  {De  la  Littérature  Al- 
lemande, Berlin,  1780),  se  fût  trouvé  complètement  justifié. 
Cette  lettre  a  d'ailleurs  été  réfutée  par  l'abbé  Jérusalem  {Sur 
la  Langue  et  la  Littérature  Allemandes,  Berlin,  1781); 

DICT.    DE    L.\   CONVERS.   —  T,    I. 


par  Jean  Mœser,  sous  le  même  litre  (  Osnabruck,  1791  ),  et 
par  Wezel  {Sur  la  Langue,  lesSciences  et  le  Goût  en  Al- 
lemagne, Leipzig,  1781).  En  résumé,  on  peut  dire  que 
trois  qualités  caractérisent  surtout  la  langue  allemande  :  sa 
flexibilité ,  qui  consiste  dans  sa  force  inépuisable ,  dans  le 
secours  des  syllabes  d'inflexion  et  de  dérivation,  ain^^i  que 
dans  la  faculté  d'assembler  les  mots  pour  en  former  de 
nouvelles  significations  ;  sa  richesse,  car  le  nombre  des  mots 
dont  elle  est  composée  dépasse  de  beaucoup  celui  de  toute 
autre  langue  vivante,  et  ce  nombre  s'accroît  encore  tous  les 
jours,  en  raison  des  privilèges  illimités  concédés  à  cet  égard 
aux  écrivains,  poètes  ou  prosateurs;  enfin  son  universa- 
lité, c'est-à-dire  le  pouvoir  qu'elle  possède  d'embrasser  le 
génie  de  toutes  les  langues  cultivées ,  pour  s'approprier  ce 
qu'elles  ont  de  meilleur.  Il  n'y  a  pas  de  nation  dans  la  langue 
de  laquelle  on  ait  encore  reproduit  les  poésies  d'Homère  et 
de  A'irgile  avec  autant  de  bonheur  que  Voss,  les  dialogues 
de  Platon  comme  Schleiermacher,  les  œuvres  dramatiques 
de  Shakspeare  et  de  Calderon  comme  Scblegel ,  Cries  et 
Malsburg  ;  les  poèmes  de  l'Àrioste  et  du  Tasse  comme  Gries 
et  Streckfuss ,  le  Dante  comme  ce  dernier  et  Kannegiesser, 
Cervantes  comme  Tieck. 

La  langue  allemande  serait  plus  riche  si  les  Allanands 
n'en  avaient  pas  eux-mêmes  restreint  les  bornes.  On  doit 
vivement  regretter  que  le  haut  allemand  soit  devenu  la  langue 
des  écrivains,  à  l'exclusion  du  bas  allemand.  Qui  sait,  en 
effet,  où  auraient  conduit  les  essais  d'idylles  de  Voss  en 
plat  allemand,  les  poèmes  de  Hebel,  ceux  de  Grubel  dans 
le  dialecte  du  Wurtemberg,  et  d'autres  encore  ?  Un  diction- 
naire qui  comprendrait  l'inventaire  complet  des  richesses  de 
la  langue  allemande  devrait  contenir  tous  les  dialectes,  in- 
diquer tous  les  idiotismes  et  expliquer  tous  les  glossaires.  En 
attendant  un  travail  complet  sur  cette  importante  matière, 
on  peut  mentionner  avec  reconnaissance  les  services  rendus 
en  ce  genre,  par  Adelung ,  Campe ,  Fulda,  Kinderling, 
Voiglel,  Storcli,  Eberliard,  etc.;  leurs  essais,  malgré  des  la- 
cunes graves,  étaient  de  bons  modèles  à  suivre.  Les  frères 
Grimm  ont  dépassé  leurs   devanciers  dans    cette   voie. 

La  première  grammaire  allemande  qu'on  connaisse  fut 
composée  au  seizième  siècle,  par  Yalentin  Ickelsamer,  sous 
le  titre  de  Teutscke  Grammafica  darauss  einer  von  ihm 
selbs  mag  lesen  Icrnen  (grammaire  allemande  par  laquelle 
on  peut  apprendre  à  lire  de  soi-même).  Les  grammaires 
composées  au  dix-septième  siècle,  par  Opitz ,  Morhof,  Schot- 
tel,  etc.,  méiitent  aussi  d'être  citées.  Les  grammaires  les 
plus  récentes  qui  aient  obtenu  les  suffrages  des  juges  com- 
pétents sont  celles  d'Adelung,  de  Heynatz,  de  Moritz,  de 
Roth,  d'Hunerkoch  et  de  Grimm. 

Littérature  allemande. 

Guillaume  Schlegel  a  dit  que  les  Allemands  n'ont  pas  en- 
core de  littérature,  et  sont  seulement  sur  le  point  d'en 
avoir  une.  Mais  en  s'exprimant  ainsi  ce  critique  se  ren- 
fermait dans  le  sens  restreint  qu'a  en  français  le  mot  lit- 
térature ,  sans  y  comprendre  les  ouvrages  d'érudition  et 
de  science ,  qui  cependant  n'en  font  pas  moins  partie  de 
la  littérature  d'un  peuple.  «  Si  l'on  entend  par  littérature, 
«  continue-t-il,  une  accumulat'on  désordonnée,  incolié- 
«  rente,  de  livres  qui  ne  sont  pas  animés  d'un  esprit  com- 
'<  mun ,  qui  n'offrent  pas  même  entre  eux  l'unité  d'une 
«  direction  nationale  déterminée ,  dans  lesquels  les  traces 
«  et  les  pressentiments  d'un  meilleur  avenir  se  peidcnt 
«  presque  entièrement  dans  un  chaos  d'effoils  manques 
«  et  mal  compris,  d'absurdités  et  de  pauvretés  d'esprit  mal 
«  déguisées,  et  de  manies  baroquement  ambitieuses,  au  lieu 
«  d'une  poésie  déterminée  par  la  nationalité  et  portée  à  la 
«  perfection  dans  un  nombre  considérable  d'ouvrages  appar- 
«  tenant  à  tous  les  genres,  alors,  sans  doute,  nous  avons  une 
«  littérature  ;  car  on  a  observé  avec  raison  que  les  Allemands 
«  étaient  l'une  des  principales  puissances  écrivantes  del'Eu' 

47 


370 


ALLEMAG>K 


«  rope.  »Commecesparolesvont]usqu'ànicrre\is{enccd'iine 
unité  nationale  dans  les  pioilnclions  intellectuelles  de  l'Alle- 
magne, la  question  de  savoir  «  si  les  Allemands  possèdent 
en  ce  sens  une  lUUrature,  c'est-à-dire  un  cci-tain  nombre 
d'ouvrages  se  complétant  les  uns  par  les  autres,  formant 
dans  leur  ensemble  une  espèce  de  système,  et  dans  lesquels 
une  nation  trouve  exposés  ses  idées  et  ses  sentiments  les 
plus  chers  »  ,  cette  question  ,  disons-nous,  découle  de  cette 
autre,  qu'on  a  tant  de  fois  agitée  :  Les  Allemands  ont-ils  un 
caiactère  national  ?  Sclilegel  voudrait  «  que  ces  écrits  satis- 
fissent tellement  tons  les  besoins  intellectuels  de  la  nation, 
qu'après  des  générations,  des  siècles  entiers,  elle  y  re- 
tournât sans  cesse  avec  un  nouvel  amour  ;  »  mais  c'est  là 
une  condition  qui  se  modifie  puissamment  par  les  phases  de 
la  civilisation  et  par  les  destinées  que  subit  un  peuple.  La 
question  une  fois  ainsi  posée,  il  n'y  aurait  pas  même  de  lit- 
térature française  en  général  (  ce  que  Schlegfl  cependant  ne 
parait  point  vouloir  admettre  ),  mais  tout  au  plus  peut-être 
une  littérature  française  du  siècle  de  Louis  XIV.  Heureuse- 
ment, nous  nous  rappelons  à  ce  propos  un  jugement  remar- 
quable sur  les  Allemands,  émis  précisément  par  le  frt-re  de 
réctivain  précité,  par  Frédéric  Schlegel,  qui  les  compare 
aux  Romains.  «  Ce  qui  distingue  particulièrement  les  Alle- 
mands de  ce  dernier  peuple ,  dit-il ,  c'est  un  amour  plus 
profond  de  la  liberté  ;  elle  ne  consiste  pas  seulement  chez 
eux  dans  un  mot,  dans  une  maxime,  mais  elle  y  est  un 
sentiment  inné.  Ils  ont  pensé  trop  noblement  pour  vouloir 
imposer  à  toutes  les  nations  leurs  propres  mœurs  et  leur 
caractère;  mais  ce  dernier  n'en  poussa  pas  moins  racine 
partout  où  le  sol  ne  lui  fut  pas  complètement  contraire,  et  l'on 
vit  aussitôt  alors  un  e-prit  d'honneur  et  d'amour,  de  vail- 
lance et  de  fidélité,  s'y  développer  d'une  manière  éclatante. 
Par  cette  liberté  crigiuaire  du  sol,  qui  est  un  trait  impéris- 
sable dans  le  caractère  de  la  nation,  celle-ci  conserva  jusque 
dans  les  temps  de  repos  et  d'inaction  apparente  quelque 
chose  de  plus  primitif  et  de  plus  constamment  romantique 
que  ce  que  nous  offre  même  le  monde  fabuleux  de  l'Orient. 
Son  enthousiasme  fut  plus  joyeux,  plus  naïf,  plus  désinté- 
ressé, moins  exclusif  et  moins  destructeur  que  celui  de  ces 
admirables  fanatiques  qui  ont  embrasé  la  terre  plus  rapi- 
dement et  plus  universellement  encore  que  les  Roiiiains. 
Une  probité  sentie,  qui  est  plus  que  la  justice  de  la  loi  et  de 
l'honneur,  une  fidélité  sincère ,  et  une  bonté  d'àme  inalté- 
rable comme  celle  de  l'enfant,  tel  est  le  fond  le  plus  iutim.e, 
et,  je  l'espère,  à  jamais  indestructible,  du  caractère  alle- 
n^.and.  » 

Ces  qualités ,  qui  se  retrouvent  dans  les  ouvrages  des  Al- 
lemands, ont  dû  suffire  pour  imprimer  un  cachet  d'ensemble 
à  leur  littérature  et  lui  assigner  un  rang  à  part.  Aucune 
nation  n'a  travaillé  a'.ec  autant  d'ardeur  que  les  Allemands 
dans  toutes  les  parties  de  la  science;  aucune  autre  n'a 
exposé  sous  des  formes  développées  et  logiques  des  vues  si 
diverses  sur  la  vie  humaine  ;  aucune  n'a  montré  une  cul- 
ture d'esprit  aussi  généralement  systématique,  et  n'a  si  bien 
satisfait  aux  exigences  de  cet  esjirit  dans  toutes  les  branches 
des  connaissances  humaines.  Que  si  trop  souvent  chez  eux 
l'e-^prit  d'indépendance  a  pu  dégénérer  en  arbitraire,  en  li- 
cence ,  et  dans  la  littérature  en  manie  d'écrire  et  d'imiter, 
en  coiifïi.iion,  en  paradoxes,  en  dérèglements  de  tout  genre, 
ne  peut-on  pas  dire  que  les  autres  littératures  ne  furent 
garanties  de  ces  défauts  que  par  les  directions  exclusives 
qu'elles  adoptèrent  et  par  un  attachement  immuable  à  des 
autorités  une  fois  établies?  De  là  sans  doute  leur  cachet  plus 
particulier,  plus  national;  mais  peut-être  n'est-il  pas  beau- 
coup de  peuples  qui  eussent  pu  se  tromper  à  la  manière  des 
Allemands!  Par  contre,  leur  esprit  spéculatif,  cet  esprit 
qui  ne  peut  se  détacher  de  la  vie  et  de  ses  diverses  situa- 
tions sans  les  avoir  comprises,  les  a  rendus  plus  propies 
qi;e  d'autres  peut-être  à  la  culture  des  sciences,  encore 
bien  qu'ils  puissent  s'enorgueillir  de  posséd.r  des  ouvrages 


poétiques  d'une  profondeur  et  d'une  intimité  de  sentiment 
telles  qu'on  ne  saurait  les  rencontrer  chez  aucune  autre 
nation  ,  et  surpassant  de  beaucoup  tout  ce  qu'une  élégance 
extérieure  de  formes  peut  avoir  de  séduisant.  Aussi  bien  il 
ne  faut  pas  oublier  que  chaque  littérature  dépend  des  des- 
tinées du  peuple  auquel  elle  appartient  ;  en  elle  se  reflète  en 
quelque  sorte  sa  vie  nationale ,  car  les  périodes  littéraires  ré- 
fléchissent comme  une  image  du  caractère  et  de  la  situation 
morale  de  chaque  nation.  Or,  sous  ce  rapport  encore  la  litté- 
rature allemande  forme  un  tout  plein  d'unité  ,  quelque  <iif- 
ficile  qu'il  puisse  être  souvent  de  découvrir  les  fils  qui  lient 
les  parties  de  cet  immense  tissu. 

Le  mot  Ultérahire  supposant  nécessairement  des  monu- 
ments écrits,  nous  ne  pouvons  rechercher  avant  Charle- 
magne  les  origines  de  la  littérature  allemande.  A  la  suite  des 
terribles  bouleversements  amenés  par  la  grande  migration 
des  peuples,  les  rapports  sociaux  des  tribus  allemandes 
entre  elles  diîvinrent  alors  plus  stables,  et  leurs  habitations 
fixes  ;  des  peuples  étrangers  en  se  mêlant  à  elles  leur  com- 
muniquèrent quelques  éléments  de  leur  civilisation  :  on  ré- 
digea des  lois,  dont  les  recueils  (surtout  ceux  des  Bour- 
guignons ,  des  Alamans ,  des  Bavarois ,  des  Frisons  et  des 
Saxons  )  font  partie  des  premiers  documents  de  la  culture 
intellectuelle  allemande.  A  partir  du  huitième  siècle,  on 
voit,  grâce  aux  nobles  efforts  de  saint  Boniface,  Papôtre  de 
l'Allemagne,  le  christianisme  se  propager  de  plus  en  plus 
parmi  les  tribus  germaines  ;  et  là  comme  partout  c'est  à 
l'Église  que  l'humanité  fut  redevable  des  efforts  les  plus  fé- 
conds qu'on  ait  jamais  tentés  en  faveur  de  la  civilisation. 
Les  ecclé^iast'ques  furent  les  premiers  qui  essayèrent  d'é- 
crire dans  une  langue  encore  rude  ;  et  les  quaire  évangé- 
listes  traduits  par  l'évêque  Ulphilas  dans  l'idiome  des  Mceso- 
Goths  (vers  l'an  360  )  sont  le  plus  antique  monument  écrit 
de  la  langue  germanique. 

Les  Frauks  établis  dans  les  Gaules  fondèrent  dès  le  sixième 
siècle  des  écoles  dans  lesquelles  s'instruisirent  leurs  ecclé- 
siastiques, et  qui  furent  imitées  ensuite  chez  les  autres  tribus 
allemandes.  Cette  éducation  ,  à  la  vérité ,  se  bornait  com- 
munément à  la  lecture  ,  à  l'écriture  et  à  un  peu  de  mauvais 
latin  ;  mais  il  est  remarquable  que  la  langue  allemande  ait 
été  de  toutes  celles  de  l'Europe  moderne  la  première  à  se 
développer  comme  langue  écrite ,  et  que  seule  elle  possède 
des  essais  en  prose  antérieurs  à  Charlemagne.  Cependant  les 
plus  anciens  monuruents  de  ce  genre  ne  sont  guère  que  des 
traductions  du  latin ,  alors  la  langue  de  la  religion  et  du 
culte ,  celle  dont  se  servaient  de  préférence  les  ecclésias- 
tiques, seuls  dépositaires  de  toute  science  ;  circonstance  qui  la 
comme  partout  ailleurs  retarda  singulièrement  le  développe- 
ment de  la  langue  nationale.  Les  anciens  et  précieux  mythes 
résumés  dans  le  chant  des  Mebelungen  {iXiebelunrjenlied) 
et  dans  le  livre  des  Héros  (Hehlenbitch)  n'avaient  pas  en- 
core été  recueillis  avant  la  venue  de  Charlemagne,  et  se  trans- 
mettaient jusque  alors  de  bouche  en  bouche.  On  ne  peut  donc 
pas  dire  qu'il  existât  encore  de  httérature  dans  le  sess  que 
nous  attachons  à  ce  mot. 

La  première  période  de  la  littérature  allemande  commence 
à  Ciiaiiemagne,  et  va  jusqu'à^l'époque  des  empereurs  de  la 
tiitison  dnSouale,  ou  reilc  des  Viinnexrcnqer,  coRiprenant 
l'intervalle  de  768  à  1137.  Chariemagnc  fonda  un  grand 
nombre  d'écoles  ecclésiastiques,  telles  par  exemple  que  celles 
de  Fulda,  de  Corvey,  etc.,  d'où  sortirent  les  savants  les 
l)lus  distingués  et  les  hommes  les  plus  habiles  de  ce  temps. 
11  établit  à  sa  cour,  d'après  les  conseils  d'Alcuin,  une  espèce 
de  société  littéraire,  aux  travaux  de  laquelle  il  prit  paît  lui- 
même.  11  lit  recueillir  en  outre  beaucoup  de  documents  sur 
la  langue  allemande,  surtout  des  lois  et  des  poésies,  ordonna 
(ie  prêcher  en  allemand  et  de  traduire  du  latin  en  langue 
vulgaire  des  ouvrages  propres  à  l'enseignement  du  peuple. 
Sans  doute,  il  eût  été  à  désirer  que  ses  successeurs  conti- 
nuassent son  œuvre  civilisatrice;  mais  il  n'en  faut  pas  moins 


ALLEMAGNE 


reconnaître  que  la  scission  et  la  séparation  politiijiio  qui 
s'opi-ra  peu  de  temps  après  lui  entre  l'Allemagne  propre- 
ment ilite  et  l'empire  frank  ne  laissa  pas  que  dVtrc  tr^s-f;>- 
vorable  au  <léveIoppement  original  de  la  langue  et  de  la  ci- 
vilisation des  Allemands,  dont  les  progrès  furent  des  plus 
lapMes  ;\  partir  de  l'avènement  de  la  dynastie  de  Saxe  (919) , 
principalement  sous  le  règne  des  trois  Otlions,  et  plus  tard , 
sous  les  empereurs  de  la  maison  de  Franconic  (  1024).  Ce 
fut  la  période  des  chroniqueurs  Éginliard ,  Witicln'nd , 
Dithmar,  Lambert,  l'runo  ;  ce  fut  aussi  celle  des  piiiiosopiies, 
tels  qu'Alcuin  et  Raban-Maur  (de  770  à  S5G),  et  surtout 
des  auteurs  qui  écrivirent  en  langue  allemande,  conur.e  Ot- 
frieJ  de  ^Veissenbol;rg,  dont  la  traduction  métriipie  des 
quatre  Évangiles,  admirable  de  fidélité  et  de  concision  ,  peut 
être  regardée  comme  le  véritable  début  de  la  littérature 
nationale;  ou  encore  comme  Notker  (abbé  Saint-Gai!,  mort 
en  1022);  Willeraii)  (abbé  d'Ébersberg  en  Bavière,  mort 
en  1085),  etc. 

La  seconde  période  de  la  littérature  allemande  com- 
Rience  aux  empereurs  de  la  maison  de  Souabe  (1138),  et  va 
jusqu'à  la  réforme  de  Luther. 

L'Allemngne  n'était  plus  alors  le  pajs  sauvage  des  Ger- 
mains de  Tacite  ;  les  marais  avaient  été  desséchés  ,  les  fo- 
rêts éclaircies  ou  brûlées  ;  l'air  et  le  soleil  s'y  étaient  fait 
jour;  le  climat  et  les  habitants  s'étaient  adoucis.  Les  rela- 
tions continuelles  des  Allemands  avec  l'Italie  et  les  autres 
pays  de  l'Europe ,  leurs  fréquents  voyages  à  Rome  à  l'occa- 
sion du  couronnement  des  empereurs ,  l'initiation  à  h  con- 
naissance des  mœurs  étrangères,  résultat  des  crois  ides,  et  la 
noble  émulation  d'égaler  ce  qu'on  avait  vu  de  beau  et  de 
louable  chez  les  autres  nations ,  furent  autant  de  circons- 
tances qui  amenèrent  une  heureuse  révolution  dans  l'esprit 
des  Allemands.  Les  mœurs  et  les  manières  se  polirent  par 
les  brillants  développements  de  la  cbe^'alerie  ;  la  masse  des 
idées  s'agrandit,  les  idées,  les  sentiments  s'ennoblirent;  et 
comme  la  langue  suit  toujours  le  perfectionnement  et  les 
progrès  qui  s'opèrent  dans  la  manière  de  penser,  les  par- 
ties les  plus  policées  de  l'Allemagne  se  trouvèrent  ainsi  peu 
à  peu  en  possession  de  tous  les  éiérne.its  nécessaires  pour 
fonder  une  littérature  nationale.  C'est  en  Alamanle,  déno- 
mination qui  comprenait  la  Souabe  et  une  grande  partie  de 
la  Suisse,  que  brillèrent  les  premiers  rayons  de  cette  aurore 
littéraire  ;  et  le  dialecte  alaman  acquit ,  comme  idiome  en 
usage  à  la  cour  impériale ,  un  développement  si  supérieur 
à  celui  de  tous  les  autres ,  qu'il  devint  en  liltéra'.r.re , 
comm.c  ce  fut  aussi  plus  tard  le  cas  pour  le  haut  allemand , 
la  langue  universelle  de  l'Alicmagne.  Ce  fut  la  période  de  l;i 
oésie  chevaleresque  et  des  sWnnes.rnger,  appelée  com- 
munément période  de  Souabe.  Aux  Minncsxnrjer  succé- 
«lèrent  les  Meisterfxnger  (  maîtres  cHianteurs  ),  dont  !c 
talent,  plus  brillant,  annonçait  cependant  déjà  un  déclin. 
On  peut  dire  de  cette  poésie  romantique  ,  riche  de  vigueur 
et  d'harmonie  ,  qu'elle  ouvrit  l'ère  de  la  véritable  littératuie 
nationale.  Les  recueils  de  documents ,  de  coutumes  et  de 
lois  qui  furent  rédigés  avec  tant  de  zèle  dès  le  milieu  du 
treizième  siècle ,  et  parmi  lesquels  nous  nommerons  le 
Miroir  de  Saxe  et  le  Miroir  de  Souabe,  témoignent  en 
même  temps  du  haut  prix  qu'on  attachait  dès  lors  en  Al- 
lemagne à  l'histoire  des  mœurs  et  des  institutions  nationales. 
A  dater  du  onzième  siècle  les  Allemands  s'appliquèrent 
aussi  à  l'étude  du  droit  romain ,  en  même  temps  qu'à  celle 
de  l'histoire  spéciale  des  diverses  provinces.  A  cet  égard  on 
peut  citer  la  Chronique  de  l'évêque  Otton  de  Freisingen  et 
son  Histoire  de  Frédéric  1",  les  écrits  de  Henri  de  Herford, 
mort  en  1370  ;  de  Gobeliinus  Persona  (1420) ,  et  autres  ou- 
vrages analogues,  tous  en  latin;  la  Chronique  rimée  d'Ot- 
tocar  de  Horneck ,  né  vers  1204,  le  plus  ancien  ouvrage 
historique  d'une  certaine  étendue  qui  existe  en  langue  alle- 
mande, et  \c?,  Chroniques  i\c  Jean  do  KoMiigshofen ,  de 
Jean  Rolhe,  Jean  Shurnmaycr,  etc.,  toutes  en  allemand. 


371 


La  Chronique  universelle  de  Sébastien  Franke  est  le  pre- 
mier e^-sai  d'histoire  universelle  cpi'on  rencontre  dans  cette 
littérature. 

Les  études  philosophiques  ne  firent  pas  moins  de  pro- 
grès. Si  jusque  alors  on  s'était  borné  à  traduire  et  à  co- 
pier les  ouvrages  des  anciens  et  des  Arabes  relatifs  à  cette 
science ,  à  ce  moment  on  voulut  qu'elle  devînt  une  arme  à 
l'usage  de  la  théologie.  Entre  autres  Allemands  célèbres  dès 
!e  treizième  siècle  parmi  les  philosophes  scolastiques  ,  nous 
ciierons  le  dominicain  Albert  le  Grand,  de  Lauinge'n  sur 
le  Danube  (mort  on  1280),  qui  enseigna  la  philosophie  à 
Paris  et  dans  plusieurs  villes  de  l'Allemagne  ,  et  fit  des  rc- 
clierches  importantes  sur  l'histoire  naturelle.  Le  mystique 
JcGnFauler  (mort  en  13G1)  occupe  également  une  place 
rcîuarquable  parmi  les  écrivains  théclogiques  de  cette 
époque.  Ses  successeurs  dans  le  siècle  i^uivanl  lurent  Geiler 
de  Kaysersberg,  à  Strasbourg;  le  salirique  Sébastien  Grand 
(  né  en  1468,  mort  en  1520),  et  Thomas  Murner. 

Les  mathématiques,  l'astronomie  ,  la  mécanique ,  ne  fu- 
rent pas  cultivées  avec  moins  d'ardeur  en  Allemagne  vers 
la  (In  de  cette  période,  d'où  datent  plusieurs  des  plus  im- 
portantes inventions  des  temps  modernes.  Si  la  rareté  et  la 
ciierté  des  livres,  l'organisation  si  défectueuse  des  écoles ,  et 
le  monopole  que  les  moines  et  les  ecclésiastiques  s'effor- 
çaient de  conserver  dans  les  sciences,  avaient  jusque  alors 
singulièrement  gêné  les  développements  de  la  littérature  ; 
en  revanche,  à  partir  du  quatorzième  siècle,  les  institutions 
d'enseignement  supérieur  qu'on  fonda  partout ,  et  au  quin- 
zième siècle  l'invention  de  l'imprimerie,  exercèrent  une  in- 
fluence si  décisive  sur  la  marche  de  la  civilisation,  qu'il 
faut  dater  de  ce  moment  une  ère  nouvelle  pour  la  littérature. 
Elle  coïncide  d'ailleurs  avec  la  chute  de  l'empire  d'Orient 
(1453),  dont  les  savants  se  réfugièrent  en  Italie  et  répan- 
dirent de  là  les  semences  d'une  nouvelle  civilisation  par  la 
propagation  du  savoir  antique. 

L'esprit  de  liberté  que  l'étude  des  langues  et  des  littéra- 
tures anciennes  éveilla  dans  les  universités  contribua  puis- 
samment à  la  direction  nouvelle  que  prirent  alors  les  idées 
religieuses.  Parmi  les  hommes  qui  s'étaient  déjà  distingués 
dans  ces  études  avant  la  réformation ,  il  faut  nommer  Rod. 
Agricola  (né  en  1442,  mort  en  1485),  professeur  à  l'uni- 
versité de  Heidelberg;  Conrad  Celtes  (né  en  1459,  mort  en 
I50S),  le  premier  poëte  lauréat  qu'ait  eu  l'Allemagne  ;  This- 
torien  Jean  Tritliemius  (  né  en  1402 ,  mort  en  1516) ,  et  sur- 
tout Reuchlin  (en  latin  Capnio) ,  professeur  à  Tubingen 
(né  en  1454,  mort  en  1525);  Ulrich  de  Hutten  (né  en 
1458  ,  mort  en  1B23  )  ;  Jlélanchthon  ,  Joachim  Camerarius, 
et  le  célèbre  Érasme,  de  Rotterdam.  Le  rétablissement  de 
l'ordre  et  de  la  paix  à  l'intérieur  de  l'Allemagne  par  Maxi- 
niilien  I'"'',  ce  zélé  protecteur  des  arts  et  des  sciences ,  ainsi 
que  l'affermissement  de  la  constitution  de  l'em.pire,  et  une 
aisance  plus  générale,  ne  contribuèrent  pas  peu  aux  rapides 
progrès  que  firent  alors  les  lumières  et  la  civilisation. 

La  troisième  période  de  la  littérature  allemande  com- 
prend l'espace  de  temps  qui  va  de  la  réformation  jusqu'à 
rios  jours  et  que  nous  partagerons  en  trois  époques  :  1°  jus- 
qu'au comm.encement  de  la  guerre  de  Trente  Ans  (  ICls)  ; 
2"  jiisqu'à  la  fin  de  la  guerre  de  Sept  Ans  (  1765)  ;  3°  de  là, 
jusqu'à  notre  époque. 

1°  C'est  de  la  Saxe  électorale,  pays  si  florissant,  que 
partit  l'impulsion  puissante  qui  devait  mettre  en  action  toutes 
les  forces  intellectuelles  de  l'Allemagne  au  seizième  siècle. 
Les  vives  discussions  que  les  partisans  de  la  réformation 
eurent  à  soutenir  alors  contre  leurs  adversaires  les  portèrent 
à  faiie  des  études  profondes  en  même  temps  qu'elles  exer- 
çaient et  développaient  leur  talent.  A  Luther,  ce  t\i)e  éner- 
gique de  l'époque,  qui  prêcha  avec  tant  de  vigueur  l'indé- 
pendance de  res])rif,  et  qui  reproduisit  dans  sa  langue  les 
documents  primitifs  du  christianisiue  avec  tant  de  perfection 
qu'on  l'a  nommé  avec 'raison  le  créateur  de  la  prose  alle- 

47. 


3  7-2 


ALLE.AIAG^"E 


mande  (  quoique  quelques  traductions  de  classiques  eussent 
déjà  contribué  à  former  le  style) ,  à  Luther,  disons-nous, 
vint  s'adjoindre  le  disciple  de  Reuciilin  ,  le  savant  et  aimable 
Mélanchtlion.  Si  le  premier  agissait  plus  à  la  face  du  monde 
et  en  homme  politique ,  son  ami  travaillait  au  môme  but , 
en  silence,  par  l'amélioration  des  écoles  et  la  propagation 
des  saines  études.  Les  princes  jirotestants ,  surtout  les  élec- 
teurs et  les  ducs  de  Saxe ,  aidèrent  aux  efforts  de  ces  deux 
hommes  en  fondant  un  grand  nombre  de  bibliolbèques  et  d'é- 
coles préparatoires  pour  les  univcrsilés.  Tandis  que  dans  l'Al- 
lemagne catlioli(iue  les  progrès  de  la  science  restaient  entra- 
ves par  des  préjugés  ecclésiastiques  et  par  les  jésuites,  la 
théologie  et  la  philologie  se  prêtaient  un  mutuel  appui  dans  les 
pays  protestants,  surtout  en  Saxe  et  à  W  ittenberg ,  qui  étaient 
alors  le  foyer  scientifique  de  l'élcctorat.  Ce  fut  seulement 
après  l'établissement  dans  l'Église  protestante  d'un  dogme 
plus  positif  que  les  études  philologiques  commencèrent  à  dé- 
cliner (depuis  le  dix-septième  siècle),  et  qu'une  théologie  sco- 
lastique  et  querelleuse  reprit  alors  le  dessus ,  tenue  toutefois 
en  échec  par  la  théosophie  et  le  mysticisme.  Jlélanchlhon 
avait  tâché  de  remplacer  par  ses  excellents  manuels  la  bar- 
bare philosophie  de  l'école.  Ensuite  on  chercha  à  se  rappro- 
cher de  la  doctrine  primitive  des  péripatéticiens.  Les  mys- 
tiques s'attachèrent,  les  uns  à  la  cabalistique ,  dont  Reuchlin 
s'était  beaucoup  occupé  à  propos  de  littérature  hébraïque , 
les  autres  à  la  chimie  et  à  l'astronomie ,  qui  alors  n'étaient 
guère  autre  chose  que  de  l'alchimie  et  de  l'astrologie.  A  leur 
tête  on  rencontre  le  fameux  Paracelse,  V.  Weigel,  Jacob 
Bœhme  et  autres. 

Les  sciences  naturelles  en  général  furent  cultivées  avec 
distinction  en  Allemagne  dès  le  seizième  siècle.  11  faut 
nommer  ici  avant  tous  le  fameux  métallurgiste  George  Agri- 
cola(de  Meissen)  ,  et  Conrad  Gessner  (mort  en  15G5),  le 
père  de  l'histoire  naturelle.  Théophraste  Paracelse,  que 
nous  venons  de  citer,  imprima  une  nouvelle  direction  à  la 
chimie  (  à  partir  de  1526  ) ,  qu'il  appliqua  avec  bonheur  à  la 
médecine  ;  entre  autres  agents  puissants  de  thérapeutique 
qu'il  emprunta  à  cette  science,  nous  citerons  les  préparations 
raercurielles  et  les  opiacés.  La  médec.'ne  ainsi  que  les  mathé- 
matiques et  la  mécanique  tirent  aussi  quelques  progrès  no- 
tables vers  cette  même  époque.  Albert  Durer  écrivit  en 
langue  allemande  un  ouvrage  sur  la  perspective ,  et  l'astro- 
nomie cite  encore  avec  orgueil  les  travaux  de  Copernic  et 
de  Tycho-Brahe  ;  Kepler  vint  après  eux. 

Dans  le  domaine  de  l'histoire ,  dont  le  style  eut  de  la 
peine  à  se  former,  la  Chronique  de  Carion,  écrite  en  alle- 
mand (  1532),  excita  un  intérêt  général;  elle  fut  môme  tra- 
duite en  plusieurs  langues  ;  V Histoire  universelle  de  Sleidan, 
en  latin ,  fut  plus  applaudie  encore.  Mais  ce  fut  à  l'histoire 
spéciale  des  provinces  que  s'attachèrent  de  préférence  la 
plupart  des  écrivains.  Dès  le  milieu  du  seizième  siècle,  on 
s'appliqua  à  recueillir  les  chroniques  et  les  documents  du 
moyen  âge;  on  commença  aussi  à  étudier  l'histoire  étran- 
gère, et  les  ccnturiotevrs  de  Magdebourg  firent  preuve 
de  zèle  et  d'exactitude.  L'histoire  littéraire  fut  créée,  pour 
ainsi  dire,  par  Conrad  Gessner.  En  15G4  parut  le  premier 
catalogue  des  livres  de  la  foire  de  Francfort.  Les  relations 
personnelles  entre  les  savants  étaient  devenues  plus  fré- 
quentes et  plus  intimes  par  l'établissement  de  sociétés  sa- 
vantes, et  par  des  correspondances. 

2"  La  guerre  de  Trente  Ans  menaça  un  instant  de  détruire 
en  .\llemagne  toute  civilisation;  cependant  les  savants,  bien 
qu'enveloppés  dans  les  malheurs  publics,  et  privés  pour  la 
l)lupart  de  tout  appm  ,  surent  encore  demander  à  la  culture 
des  lettres  de  nobles  et  douces  compensations  pour  l'état 
d'indigence  complète  où  la  plupart  d'entre  eux  se  trouvaient 
réduits.  La  langue  et  la  poésie  allemandes  furent  même  per- 
fectionnées durant  cette  |)ériode  désastreuse,  d'une  manière 
sensible,  par  les  poètes  dits  de  l'école  de  Silésie  :  tels  que 
Martin  Opitz  (  1597  à  1630),  Flemming,  André  Gi7phius,  et 


autres,  ainsi  que  par  l'établissement  de  plusieurs  sociétés 
littéraires  (celle  de  l'ordre  des  Palmes,  dite  la  Fructifiante  : 
celles  de  l'ordre  des  Cygnes,  de  l'ordre  des  (leurs  des  ber- 
gers de  la  Fegnitz,  etc.  ),  qui  datent  de  cette  époque.  La  paix 
de  Westphalie  (1648)  n'en  fut  pas  moins  un  bienfait  im- 
mense pour  l'Allemagne  épuisée.  Dans  les  divers  Etats,  sur- 
tout dans  ceux  où  avait  prévalu  la  réformation,  les  princes 
se  disputèrent  dès  lors  à  l'envi  la  gloire  de  protéger  la  li- 
berté des  études  et  le  développement  de  la  pensée.  Hermann 
Conring,  Samuel  Puffendorf,  sont  de  grands  noms,  qui  doi- 
vent être  cités  ici,  de  même  qu'OKo  de  Guéricke,  qui  brille 
à  la  tête  des  [iiysiciens  allemands.  Dans  la  tliéologie  do- 
mina le  dogmatisme  le  plus  absolu ,  contre  lequel  le  pié- 
tisme  de  Spener  et  de  quelques  autres  hommes  pieux  exerça 
un  contre-poids  salutaire. 

La  littérature  allemande  avait  toujours  éti5  tellement  en- 
travée dans  ses  progrès  par  les  circonstances  politiques,  qu'à 
cette  époque  même  la  prose  n'avait  pas  encore  pu  acquérir 
une  forme  précise  et  arrêtée.  On  sentit  alors  le  besoin  d'une 
grammaire ,  et  quelques  savants ,  principalement  le  célèbre 
Daniel-Georges  Morhof  (  mort  en  1691  )  et  Juste-Georges 
Schottel,  s'efforcèrent  d'y  satisfaire.  Grâce  à  leurs  travaux , 
on  vit  la  langue  allemande  employée  depuis  Charles  Tho- 
massius  à  traiter  des  questions-scientifiques  ;  mais  elle  res- 
tait toujours  mêlée  de  mots  étrangers,  surtout  de  mots  la- 
tine et  français.  Quand  l'influence  politique  de  la  France 
s'accrut,  la  manie  d'entremêler  l'allemand  de  mots  français 
et  de  prendre  les  étrangers  pour  modèles  augmenta  encore. 
Le  plus  grand  génie  qui  apparut  alors  parmi  les  Allemands, 
Leibnitz  lui-même  (1646-1716),  aimait  mieux  s'exprimer 
en  français  que  dans  sa  langue  maternelle.  De  quelle  impor- 
tance ne  furent  donc  pas  les  efforts  de  Chrétien  de  V.'olf 
pour  faire  parler  en  allemand  à  la  philosophie  un  langage 
intelligible  !  L'.\cadémie  des  Sciences  de  Berlin ,  fondée  sous 
les  auspices  de  Leibnitz ,  effectua  de  grandes  découvertes 
dans  les  sciences  mathématiques  et  naturelles.  Partout  des 
sociétés  et  des  réunions  littéraires  se  formèrent.  La  librairie 
commença  à  devenir  une  branche  importante  de  commerce, 
et  des  instituts  critiques  s'élevèrent  comme  autant  de  tri- 
bunes en  faveur  des  sciences  et  des  arts.  La  dégénéres- 
cence du  système  de  Wolf  dans  ses  applications  aux  sciences 
amena  bientôt  un  vain  amour  des  belles-lettres.  Les  Alle- 
mands semblèrent  alors  vouloir  acquérir  ce  qui  leur  manquait 
encore,  c'est-à-dire  la  pureté  et  le  goijt  dans  leur  langue 
maternelle.  Alexandre  Baumgarten,  le  fondateur  de  l'esthé- 
tique, et  Golt>clied  (  1700-1766),  le  puriste,  qui  voulait  in- 
troduire le  goût  français  d'une  poésie  et  d'une  prose  souples 
et  flexibles  ,  mais  sans  génie  ,  furent  les  grands  promoteurs 
de  cette  révolution  intellectuelle.  L'école  de  Goltsched  (ap- 
pelée aussi  celle  de  Leipzig)  fut  puissamment  combattue  par 
celle  de  Zurich  ,  qui  avait  pour  chefs  Bodmer  et  Breitin- 
i^  e  r.  Haller.  Haiiedorn,  Gellert,  J.  -E.Schlegel,  donnèrent  à  la 
langue  nationale  plus  d'élan ,  de  facil'lé  et  de  grâce.  En 
même  temps,  la  vigueur.du  génie  allemand  était  dirigea 
vers  l'élude  de  l'anticiuilc  classique  par  des  philologues  et 
des  archéologues  (  Jean-Mathieu  Gessner,  Jean-David  Mr- 
cliaélis ,  Jean-Antoine  Ernesti ,  Christ ,  et  d'autres  ),  à  partir 
surtout  de  la  fondation  de  l'université  de  Gœttingue. 

3°  Tant  d'efforts  portèrent  leurs  fruits  quand  vint  la 
troisième  époque  de  la  période  dont  nous  parlons,  grâce  à 
Lessing,à  Klopstock,à  Viinckelmann,  à  Heyne, 
aux  deux  Stolbe  rg  ,  à  Ilerder,  à  Wieland,  à  Vo?  s, 
h  Schilleret  àGœtbe,  noms  illustres,  qui  doivent  ins- 
pirer du  respect  à  toute  nation  civilisée.  —  Le  premier  de 
ces  écrivains,  Lessing,  doué  d'un  e-prit  vaste  et  d'une 
rare  sagacité,  combattit  puissamment  le  goût  français,  en- 
core à  la  mode ,  et  fonda  une  excellente  école  de  critique. 
L'enthousiasme  de  W  in  ckel  m  ann  pour  l'antiquité  et  l'art, 
déposé  dans  un  ouvrage  immortel ,  et  jeté  connue  le  résultat 
énorme  d'une  philosoiihie  subhme  au  milieu  de  la  corrup- 


ALLEMAGNE 


3:3 


tion  et  de  la  pauvreté  du  monde  littéraire  d'alors,  est  de- 
venu iniruii  les  Allemands  le  modèle  de  ce  qu'il  y  a  de 
meilleur  et  de  plus  noble.  Klopstock,  par  ses  ouvrages 
vraiment  immortels,  éleva  la  lanjaic  et  la  poésie  allemandes 
à  une  hauteur  et  à  une  richesse  qu'on  avait  crues  impossibles 
jusque  alors.  La  littérature  anj;laise,  par  l'innuense  induence 
qu'elle  eut  sur  l'Allemagne,  coojiéra  puissannuent  à  ce  résul- 
tat, (î'est  surtout  la  traduction  des  ouvres  de  Shakespeare 
qui  donna  l'impulsion  première  à  ce  mouvement.  Les  con- 
naissances hunuiines  dans  lesquelles  les  Allemands  brillèrent 
le  plus  à  cette  époque  furent  :  1"  la  théologie  (depuis 
Michaélis  et  lirnesti,  Moslieim ,  Keiuhard ,  Schleieiiuacher, 
de  Welte  );  2"  et  surtout  la  iihilosophie  métaphysique,  par- 
tie du  domaine  de  lespril  humain  que  fécondèrent  les  vastes 
travaux  de  Jacobi ,  de  Kant,  de  Fichte,  de  Schelling,  etc.; 
3°  la  philologie  (  il  suflira  de  rappeler  les  beaux  travaux  de 
Heyne,  de  NVolf,  d'Hermann,  de  Bockh,  etc. ) ;  4°  Ihistoire, 
dans  laquelle  il  nous  suflira  encore  de  citer  les  grands  ou- 
vrages de  Jean  de  Muller,  de  ^Voltmann ,  de  Sciirockh ,  de 
Schmidt,  dEichhorn,  d'Heeren,  de  Zschocke,  de  Manso, 
de  Dohm  ,  de  Niebuhr,  de  Luden ,  de  Phster,  de  Kaumer, 
de  Ranke,  etc.  )  ;  5°  la  mythologie  (  Yoss,  Creuzer,  Kanne, 
Jtander,  Gœrres);  6°  et  enlin  la  critique. 

Essayer  d'apprécier  l'époque  la  plus  récente  de  la  littéra- 
ture allemande  est  une  entreprise  qui  a  ses  dangers  ;  car, 
quelque  brillantes  ou  insigniliantes  d'ailleurs  qu'aient  été 
ses  productions ,  nous  n'avons  peut-être  pas,  conune  con- 
temporains des  écrivains  à  qui  on  en  est  redevable,  toute  la  li- 
berté de  critique  qui  serait  nécessaire.  Aussi  bien,  n'oubliant 
pas  que  toute  littérature  réftéchit  jusqu'à  un  certain  point 
son  époque ,  nous  admettrons  d'abord  que  les  événements 
des  derniers  temps  ne  sont  pas  restés  sans  exercer  une 
grande  influence  sur  la  littérature  contemporaine.  Les  cri- 
tiques futurs ,  à  moins  que  tout  ne  nous  trompe  dans  nos 
prévisions ,  devront  faire  dater  de  l'année  1813  ,  époque  de 
la  délivrance  du  joug  étranger,  une  nouvelle  ère  pour  l'his- 
toire littéraire  du  peuple  allemand.  Aussi  remonterons-nous 
à  cette  époque  pour  chercher  l'origine  de  la  littérature  du 
jour  et  de  sa  bizarre  contexture.  De  même  que  le  malheur 
fait  rentrer  l'individu  en  lui-même,  ainsi  les  peuples  alle- 
mands ,  pendant  qu'ils  gémissaient  sous  un  joug  insuppor- 
table ,  apprirent  à  se  mieux  connaître  et  à  comprendie  ce 
que  leur  situation  avait  d'insuffisant,  mieux  qu'ils  n'auraient 
pu  le  faire  dans  une  suite  non  interrompue  d'années  de  bon- 
heur. Alors,  en  effet,  le  besoin  vaguement  senti  d'une  amélio- 
.  ration  de  leur  sort  les  réunit  tous,  d'abord  dans  un  môme  dé- 
sir, et  ensuite  dans  un  même  enthousiasme,  lorsque  l'heure 
de  la  déli>Tance  eut  sonné.  Mais  le  joug  une  fois  secoué , 
quand  on  se  demanda  et  ce  qu'on  avait  réellement  voulu 
et  ce  qu'on  avait  acquis ,  on  s'aperçut  que ,  quelque  ac- 
cord qu'on  eût  mis  à  souhaiter  un  changement ,  néanmoins 
cet  accord  n'existait  plus  pour  spécifier  la  nature  de  ce 
changement ,  et  qu'en  fait  môme  d'améliorations  les  opi- 
nions étaient  divergentes.  Il  résulta  de  là  que  tandis  que 
ceux-ci  voulaient  faire  disparaître  toutes  les  entraves  de 
l'esprit ,  ceux-là  lui  commandaient ,  au  contraire ,  de  (Ic- 
chir  aveuglément  sous  le  sceptre  du  positif,  et  que  pen- 
dant que  les  uns  évoquaient  l'esprit  d'im  système  qui  avait 
péri ,  les  autres  cherchaient  à  réaliser  quelque  chose  de 
nouveau ,  et  à  formuler  ce  qui  n'était  encore  que  vague- 
ment pressenti.  Si  d'un  côté  on  raillait  jusqu'à  l'impudeur 
tout  ce  qui  se  rattache  à  la  religion ,  de  l'autre  la  supersti- 
tion édifiait  de  nouveaux  autels  à  ses  idoles.  11  est  donc  na- 
turel de  penser  que  ce  désaccord  dans  les  opinions  a  dû 
laisser  son  empreinte  sur  le  caractère  général  de  la  littéra- 
ture ;  caractère  qui  ne  pouvait  être  que  celui  d'une  polé- 
mique aussi  vive  qu'animée.  Tous  les  effoits  tentés  pour 
empêclier,  à  l'aide  de  la  plus  odieuse  censure,  l'expres- 
sion haute  et  franche  de  l'opinion,  échouèrent  d'ailleurs  de- 
vant l'enthousiasme  <le  la  pensée ,  et  devant  la  conviction 


profonde  qu'on  s'était  faite  que  penser  n'était  point  un  pri- 
vih'ije,  mais  bii'n  un  droit  aiiparteuaal  à  chacun;  en  un 
mot.  (pie  Ci'  droit  iinprescriiililile  no  tenait  pas  seulement  à 
la  science,  mais  à  la  vie,  et  devait,  par  conséquent,  plutôt 
se  transmettre  avec  celle-ci  cpi'avec  celle-là.  Toutefois ,  un 
des  caractères  particuliers  de  cette  époque  fut  la  direction 
éminemment  pratique  de  la  littérature,  qui  s'efforça  toujours 
de  fixer  l'idée  par  le  fiiit.  Après  avoir  ainsi  établi  le  point  de 
vue  de  la  hauteur  duquel  l'état  actuel  de  la  littérature  alle- 
mande s'offre  à  nous  dans  son  ensemble ,  malgré  la  diver- 
sité de  ses  directions ,  nous  allons  passer  en  revue  chacune 
de  ses  branches  en  particulier,  et  montrer  dans  un  aperçu 
rapide  ce  qu'on  y  a  fait  de  plus  remarquable. 

Dans  la  (hcologie,  la  lutte  entre  le  rationalisme  et  le  super- 
naturalisme  a  continué  avec  non  moins  de  vivacité  que  jamais 
dans  les  écoles,  alors  que  hors  de  ces  limites  le  mysticisme 
et  le  fanatisme  ne  laissaient  pas  que  de  faire  de  nombreux 
prosélytes.  Il  ne  peut  échapper  à  l'œil  de  l'observateur  im- 
partial que  cette  tendance  d'une  grande  partie  des  con- 
temporains vers  le  mysticisme  eut  en  elle-même  quelque 
chose  de  louable,  malgré  les  abenations  grossières  d'un 
sentiment  mal  dirigé ,  et  qu'il  y  avait  toujours  du  mérite 
à  en  signaler  les  effets ,  bien  que  d'une  manière  obscuré- 
ment mystique,  comme  l'a  fait  Lwald  dans  ses  Lettres  sur 
le  77iijsticisme  ancien  et  le  mysticisme  moderne.  Lots  de 
la  réunion  des  deux  Églises  protestantes,  Schleiermaclier  ex- 
posa les  doctrines  de  l'Église  évangélique,  dans  son  Dogme 
de  la  foi  chrétienne,  de  manière  à  concilier  les  deux  opinions 
en  présence.  Les  protestants  comprirent  la  nécessité  de 
redoubler  d'efforts  et  de  vigilance  pour  combattre  le  catho- 
licisme, et  par  suite  l'urgence  de  réformer  l'Église  protes- 
tante (par  exemple,  Scluideroff,  Greiling  et  d'autres).  D'au- 
tres cherchèrent  à  perfectionner  la  science  elle-même,  par 
exemple  Gesenius,  Dretsclineider,  Umbreit,  JusW  et  Winer. 
La  théologie  pratique  ne  resta  pas  non  plus  sans  culture, 
et  des  modèles  d'éloquence  sacrée  sortirent  des  méditations 
des  Ammon,  des  Draesecke,  des  Schuderoff,  des  Tzscliir- 
ner,  etc.  Les  savantes  recherches  de  l'exégèse  menèrent  à 
une  critique  rigoureuse  qui,  chez  Strauss,  par  exemple, 
aboutit  à  tout  nier.  D'autres,  reculant  devant  une  négation 
aussi  radicale,  ont  cependant  poursuivi  la  critique  des  textes 
sacrés  et  leur  interprétation  historique.  Bunsen  montre  beau- 
coup de  tolérance  dans  son  Dieu  dans  Vhistotre.  Ewald 
manifeste  aussi  le  sentiment  de  fhumanité  dans  son  Histoire 
des  peuples  d'Israël. 

A  l'instar  de  la  théologie,  la  jurisprudence  subit ,  elle 
aussi,  l'influence  du  temps.  Non-seulement  plusieurs  ques- 
tions de  droit  de  la  plus  haute  importance,  telles  que  celles 
de  la  contrefaçon  des  livres,  de  la  liberté  de  la  presse,  de  la 
navigation  des  fleuves,  furent  soulevées  et  fortement  discu- 
tées ;  mais  l'esprit  du  siècle  réclama  en  outre  la  complète 
réforme  de  l'organisation  judiciaire,  et  surtout,  comme  base 
de  la  liberté  civile,  la  participation  du  peuple  aux  affaires 
politiques  et  la  publicité  des  débats  judiciaires.  Ici  aussi  la 
lutte  ne  tarda  pas  à  s'engager  entre  les  partisans  du  passé  et 
les  novateurs,  et  le  vieux  défaut  des  Allemands,  d'écrire 
longtemps  avant  d'agir,  eut  encore  une  nouvelle  occasion 
de  se  produire.  Parmi  les  écrits  importants  publiés  à  ce 
sujet,  nous  signalerons  l'ouvrage  de  Feuerbach  intitulé  : 
Considérations  sur  la  publicité  de  l'administration  de 
la  justice  (1821).  Cependant,  la  méthode  historique  dans 
le  droit  civil  ne  manqua  pas  non  plus  de  partisans.  Les 
travaux  de  Savigny,  Hugo,  Eichhorn,  Gceschen  et  autres, 
lui  donnèrent  un  grand  éclat,  et  la  mirent  en  grande  vogue. 
Que  si  elle  fut  employée  trop  souvent  à  faire  l'éloge  de  tout 
ce  qui  était  ancien  et  à  perpétuer  un  certain  pédantisme,  on 
ne  saurait  méconnaître  qu'elle  n'ait  conduit  à  une  intelli- 
gence plus  profonde  des  anciennes  législations  encore  exis- 
tantes, et  à  faciliter  la  tâche  d'en  séparer  les  parties  qui  ne 
conviennent   plus  à  l'époque  actuelle.  Le  développement 


374 


législatif  du  droit  criminel  fit  on  m<^mc  temp>  de  grands 
progrès,  par  les  écrits  de  Klciiisclirod,  de  reiierbadi,  de 
Grolmann  et  de  Mittermaier.  Un  grand  nombre  de  manuels 
encyclopédiques  et  méthodiques,  parmi  lesq'iels  on  dis- 
tingue ceux  de  Hugo,  de  Falck  et  de  Wening,  vinrent  en 
outre  faciliter  l'élude  de  la  jurisprudence. 

.La philosophie,  (|ui  ne  s'était  latiguée  que  trop  longtemps 
à  renverser  d'anciens  systèmes  et  à  en  produire  de  nou- 
veaux, obéit  à  la  voix  du  siècle,  et  sortit  des  bornes  de  l'é- 
cole pour  entrer  dans  la  réalité,  après  avoir  trouvé  des 
objets  dignes  de  son  activité  ilans  les  différentes  questions 
intéressant  l'Ltat  et  l'Église.  Le  formalisme  sans  vie  d'une 
école  antérieure  avait  depuis  longtemps  cessé  de  suilire,  et 
les  artiticesde  la  dialectique  ne  pouvaient  plus  convenir  à 
une  époque  qui  n'avait  appris  à  apprécier  la  spéculation  que 
dans  son  rapport  immédiat  avec  la  vie. 

Un  grand  succès  fut  presque  constamment  le  partage  des 
écrits  qui  dans  le  cbamp  de  la  politique,  et  dans  un  lan- 
gage dégagé  des  formes  de  l'école,  quoique  rédigés  en  gé- 
néral sous  l'influence  des  idées  du  moment,  combatlaient 
les  théories  particulières  à  chaque  parti. 

Tandis  qu'on  s'efforçait  d'approfondir  les  sources  de 
r/jiJ^oire  d'Allemagne,  d'autres  monuments  étaient  explorés. 
Luden  et  Pfister  ont  rendu  des  services  par  leurs  Histoires 
des  Allemands.  Pendant  que  Frédéric  Saaifeld  peignait  l'épo- 
que contemporaine,  le  moyen  âge  trouvaitdans  Henri  Luden 
un  écrivain  qui  le  représentait  sous  ses  véritables  couleurs; 
et  l'histoire  générale  devenait  l'objet  des  travaux  particu- 
liers de  Luden,  de  F.-C.  Schlos.ser  et  de  Ch.  de  Rotteck. 
^Yilken  a  réussi  à  jeter  im  nouveau  jour  sur  la  période  des 
croisades.  L'histoire  ancienne  n"a  pas  non  plus  été  négli- 
gée :  E.  Ritler,  Ranke,  Fr.  de  Raumer  s'y  sont  fait  une 
réputation  méritée.  Celle  de  l'ancienne  Grèce  fut  éclaircie 
dans  plusieurs  points  essentiels  par  Ch.-O.  MuUer  et  Fr. 
Kortum  ;  et  G.  Wachsmuth  a  su  nous  offrir,  même  après 
Mebulir,  quelque  chose  de  très-remarquable  sur  l'histoire 
primitive  des  Grecs  et  des  Romains.  Citons  encore  :  Rome 
au  7noyen  âge  de  Gregorovius  ;  le  Siècle  des  découvertes 
d'Oscar  Peschel  ;  V Histoire  de  l'Église  chrétienne  de 
Baur;  V  Histoire  d'Italie  de  Reumont  ;  les  travaux  de  Rocholz 
de  Philipson,  etc.  — La  discussion  sur  la  mythologie  des 
anciens  peuples,  qui  avait  déjà  commencé  depuis  quelque 
temps,  et  sur  le  terrain  de  laquelle  le  génie  de  Creuzer  avait 
ouvert  de  nouvelles  voies,  celte  discussion,  dans  laquelle 
beaucoup  de  personnes  n'ont  vu  autre  chose  que  la  vieille 
lutte  du  mysticisme  contre  le  sens  commun,  a  été  continuée 
par  Creuzer,  Mœser,  Ritter,  Voss,  Ilermann,  Otlion  Muller, 
Lobcck,  Baur,  Mannhardt,  Kuhn,  Albert  Weber,  Drugsh,  Jo- 
lowicz,  Haug  et  d'autres.  Il  a  été  reconnu,  toutefois,  qu'on 
avait  poussé  trop  loin  la  manie  de  rapporter  tout  ce  qui 
regarde  la  Grèce  à  une  sagesse  primitive  d'origine  indienne. 
Les  ingénieux  romans  composés  à  ce  sujet  n'ont  pas  pu  sou- 
tenir longtemps  les  inve»tigations  d'une  critique  impartiale. 

Les  sciences  purement  philologiques,  que  les  Alle- 
mands ont  toujours  cullivé&i  avec  amour,  ne  furent  pas 
négligées  pendant  qu'on  se  livrait  à  ces  recherches.  Nous 
rappellerons  ici  les  éditions  d'auteurs  anciens  données  par 
Ast  (  Platon),  Pnppo  (TImcydile  ),  Dœckh  (Pindarc),  Her- 
mann  (Sophocle),  LoftfcA- (Phrynicbus),  Z?oiA  ( Horace , 
d'après  Féa  ),  Eel,ker  (orateurs  attiques ),  Schxfer, etc.  ;  les 
traductions  de  Thierseh  (  Pindare),  de  F.  Henri  Voss 
(  Aristophane), de  Knedel  (Lucrèce), de  Schwab,  Osiander 
et  Tafet  (  tons  les  prosateurs  et  poètes  classiques  grecs  et 
romains);  les  travaux  lexicographiques  de  Jean-Georges 
Schneider,  Passow,  Lunemann  et  de  plusieurs  autres; 
la  grande  entropriiC  de  l'académie  de  Berlin,  le  Corpus 
Inscriptionum  Grxcarum,  rédigé  par  Bœckh  ;  l'excellente 
grammaire  latine  de  Charles-Louis  Schneider,  etc. 

La  philologie  allemande,  science  nouvelle,  fut  créée,  i!  y 
a  trente  ans  à  peine,  par  Jacob  Grimm.  Ce  fut  lui  qui,  par 


ALLEMAGM-: 

un  ouvrage  remarquable,  où  l'érudition  la  plus  vaste  se  cache 


sous  le  titre  modeste  de  Grammaire  Allemande,  donna 
l'impulsion  à  l'étude  sérieuse  des  anciens  monuments  litté- 
raires des  peuples  germaniques.  Grimm  réussit  là  où  avaient 
échoué  Bodmer  et  même  Lessing.  Sa  grammaire  embrasse 
l'allemand  dans  tous  ses  dialectes,  dans  tous  ses  âges,  et 
constitue  cette  vaste  langue  à  l'état  de  système  et  de  science. 
Apres  avoir  étudié  les  formes  poétiques  dans  son  opuscule 
sur  les  Meistersanger,  il  publia  les  Antiquités  du  Droit 
allemand { Deutsche Rechtsalterlhumer),  ouvrage  gigan- 
tesque, que  lui  seul  pouvait  éditer.  «Jamais  livre,  dit  M.  i\Ii- 
chelet ,  n'éclaira  plus  subitement ,  plus  profondément ,  une 
science.  Il  n'y  avait  là  ni  confu-ion  ni  doute.  Ce  n'i  tait  pas 
un  système  plus  ou  moins  ingénieux,  c'était  un  magnii'ique 
recueil  de  formules  empruntées  à  toutes  les  jurisprudences, 
à  tous  les  idiomes  de  l'Allemagne  et  du  Nord.  Nous  enten- 
dîmes dans  ce  livre,  non  les  hypothèses  d'un  homme,  mais  la 
vive  voix  de  l'antiquité  elle-même;  l'irrécusable  témoign-  ge 
de  deux  ou  trois  cents  vieux  jurisconsultes,  qui,  dans  leurs 
naïves  et  poétiques  formules,  déposaient  des  croyances,  des 
usages  domestiques,  des  secrets  môme  du  foyer,  de  la  pins 
intime  moralilé  allemande.  »  Parmi  les  travaux  que  provo- 
qua l'exemple  de  l'illustre  professeur  de  Gœttingue,  il  faut 
classer  au  preuiier  rang  V Histoire  et  la  Nouvelle  histoire 
delà  littératare poétique  des  Allemands,  par  Gervinus. 
Dans  cet  ouvrage,  l'auteur  prend  la  poésie  allemande  à  son 
berceau,  et,  la  suivant  pas  à  pas,  nous  fait  assistera  toutes 
les  phases  de  son  développement. 

Dans  l'aspiration  à  l'unité  qui  tourmente  l'Allemagne,  la 
poésie  e^t  devenue  plus  vague  et  vaporeuse  que  jamais. 

Dans  un  autre  ordre,  on  trouve  des  études  de  paysages 
en  quelque  sorte  où  se  placent  des  personnages  vivants;  c'est 
ainsi  que  MM.  Dolch,  Erdmann  et  Keil  ont  peint  les  étu- 
diants allemands ,  M.  Eichmann  les  Turcs  actuels ,  .\i.  Riehl 
le  Palatinat,  etc.  —  Les  recherches  biographiques  ont  pris 
aussi  une  grande  importance  en  Allemagne,  et  l'on  remarque 
suitout  celles  qui  se  rapportent  à  Gœthe,  Humboldt,  Schil- 
ler, Albert  le  Grand,  Bacon,  Ulrich  de  Hutten,  Souvarof,  etc. 
Enfin  les  voyageurs  ont  fourni  un  conlingent  important  : 
indiquons  les  voyages  de  Barth  en  Afrique,  de  MoUhausen 
dans  l'Amérique  du  Nord ,  de  Richard  Vendt  et  du  baron 
de  Haxthausen  en  Russie, d'Otto  Speyer  en  Italie,  de  Frank! 
à  Jérusalem.  Le  Cosmos  de  IIumboMt  a  pu  donner  une  id'e 
de  l'état  d'avancement  des  sciences  naturelles  en  Allemagne. 

Quelques  publications  d'anciens  poèmes  nationaux  et  des 
élu. les  sur  les  douzième,  treizième  et  quatorzième  siècles 
sont  encore  à  signaler,  comme  le  Comte  Rodolphe , 
poème  du  douzième  siècle,  publié  par  Guillaume  Grimm, 
avec  d'excellentes  annotations  ;  le  poème  de  Roland,  du 
môme  siècle,  publié  en  entier  parle  môme  auteur,  avec  les 
images  copiées  sur  le  manuscrit  de  Heidelberg,  et  précédé 
d'une  ingénieuse  introduction  à  l'histoire  de  la  légende  ; 
Iwein,  poème  du  treizième  siècle,  publié  par  Lachmann, 
avec  un  glossaire  de  Denecke;  les  Poésies  des  Minnesaen- 
Qcr,  les  Aiebelungen,  texte  original  et  traduction  en  alle- 
mand moderne  par  Lachmann,  Simrock,  etc.,  etc.  Nous  ter- 
minerons cette  nomenclature  par  la  Mythologie  allemande 
de  Jacob  Grimm,  V Histoire  du  Cantique  allemand  jus- 
qu'au temps  de  Luther,  par  Hoffmann,  excellent  et  con- 
sciencieux travail,  et  les  Éléments  de  la  Philologie  alle- 
mande du  môme  auteur,  recueil  bibliographique  et  critique 
des  principaux  ouvrages,  sources  et  documents  pour  servir 
à  l'histoire  de  la  littérature  allemande. 

La  littérature  indieni.e,  qui  il  y  a  peu  de  temps  encore 
n'était  connue  que  par  des  traductions,  a  été  cultivée  avec 
éclat  par  Auguste-Guillaume  Schlegel,  F.-G.-L.  Kosegarten, 
Olhon  Frank,  François  Bopp  et  L.  Dursch.  Enfin  les  tra- 
vaux de  GesLiiius,  Hamnier  et  Gœrres  dans  les  langues 
orientales  ont  doté  la  littérature  allemande  d'une  foule  d'ou- 
vrages critiiiues  et  historiques  d'une  haute    importance 


ALLER  lAGrst: 


37; 


Les  romans.  —  La  Jeune  Allemagne. 


Le  roman,  c'est  IVpopôe  de  Ui  société  niodernc,  c'est  le 
cliamp  clos  où  elle  discute  ses  intéiiHs,  où  se  trahissent  ses 
inquiétudes  et  ses  faiblesses,  oTi  se  dévoilent  ses  désirs  et  ses 
folies,  où  elle  se  livre  sans  retenue  aux  transports  de  la  vie-  i 
toire,  et  plus  souvent  aux  gémissements  de  la  défaite.  Au- 
iourd'liui  que  le  but  du  ronian  n'est  plus  uniquement  d'à-  \ 
muser,  mais  bien  plutôt  de  foire  du  prosélytisme  au  profit  ; 
de  certaines  questions  sociales  ou  politiques ,  la  question 
(l'art  a  dû  nécessairement  faire  place  à  la  question  de  ten- 
dance. Cette  observation  s'applique  surtout  au  roman  mo- 
derne allemand.  A  côté  de  la  vulgaire  foule  de  romanciers 
ne  visant  qu'à  amuser  et  émouvoir,  il  s'est  formé  en  Al- 
lemagne une  école  nouvelle,  une  dcole  de  tendance,  dont 
les  productions ,  diflérentes  de  celles  des  autres  romanciers 
quant  au  but ,  n'en  sont  pas  moins  dissemblables  quant  à 
la  conception  et  à  la  forme.  Les  coryphées  de  cette  littéra- 
ture sont  pour  la  plupart  des  ecclésiastiques ,  des  profes- 
seurs ,  de  soi-disant  socialistes ,  qui  ont  adopté  le  genre 
du  Toman  pour  développer  et  populariser  des  systèmes  ou 
des  préceptes  de  morale  chrétienne,  etc. ,  etc. ,  mieux  qu'ils 
ne  le  pourraient  sans  doute,  qui  dans  ses  sermons,  qui  dans 
sa  chaire.  Nous  ne  nommerons  ici  comme  types  de  cette 
école  que  Théodore  Mêlas,  qui  a  publié  trois  volumes  de 
romans  sur  M  architecture  chrétienne  ;V<"\esc ,  qui  dans  ses 
romans  intitulés  Hermann  et  Frédéric,  fait  de  \di  propa- 
gande protestante  ;  et  Sleffens,  professeur  à  Berlin,  qui 
épanche  dans  ses  romans  et  nouvelles,  d'ailleurs  pleins  de 
poésie,  l'exubérance  de  sentiments  et  de  ravissements  apo- 
calyptiques qu'il  lui  serait  difficile  de  concilier  avec  ses 
écrits  philosophiques.  Cette  école  ne  considère  pas  l'art 
comme  un  but,  mais  comme  un  moyen  ;  pour  elle,  l'art  ne 
trouve  pas  sa  sanctification  en  lui-même,  il  l'emprunte  uni- 
quement de  sa  tendance.  Aussi  les  caractères  que  cette  lit- 
térature nous  dépeint  ont-ils  rarement  leurs  types  dans  la 
réalité.  Ses  héros  marchent  toujours  la  tète  entourée  de 
nuages;  et  dans  les  événements  qu'elle  prépare  l'absurde 
le  dispute  sans  cesse  à  l'impossible.  Mais  peu  lui  importe 
la  vérité  de  ses  créations  ;  ce  qu'elle  veut  surtout,  c'est  ar- 
river à  ses  conclusions.  Elle  y  arrive  sans  doute,  mab  le 
plus  souvent  au  détriment  de  la  vérité  et  du  bon  sens. 

Après  la  mort  de  Gœtlie,  Tieck  fut  le  premier  représen- 
tant de  la  lilléralure  allemande.  Oiief  du  ruir.nniisme,  il  ra 
vint  le  premier  à  la  réalité,  à  son  époque,  non  sans  avoir 
contribué  de  toute  la  puissance  de  son  génie  à  fortifier  la  do- 
mination de  ce  faux  moyeu  âge  qui  avait  envahi  la  litté- 
rature entière.  Ses  contes,  animés  du  souffle  de  la  poésie  la 
plus  pure  et  la  plus  naïve,  exhalent  ce  parfum  pénétrant  des 
sombres  forêts  germaniques  qui  enivre  l'âme  et  l'attire  dou- 
cement dans  le  domaine  du  merveilleux.  Dans  ses  nouvelles 
et  ses  romans,  dont  nous  ne  mentionnerons  ici  que  la  Ré- 
volte des  Cévennes,  Tieck  a  éievé  à  la  littérature  de  son 
pays  des  monuments  qui  ne  périront  pas.  Autour  de  lui  se 
groupent,  à  des  distances  inégales,  Immennann,  WiUbald 
Alexis,  Reh/ues,  Burlen  et  Slcrnbcrg. 

Immermann,  poète  dramatique,  qui  s'est  essayé  dans  un 
roman  intitulé  les  Epigones,  appartient  par  le  fond  à  une 
école  nouvelle,  datant  de  1830,  appelée  la  Jeune  Alle- 
magne, et  dont  nous  parlerons  plus  loin. 

Dans  son  Cabanis,  W.  Alexis  revendiqua  pour  le  roman 
historirpie  allemand  le  caractère  de  l'art  national,  ce  qui  ne 
contribua  pas  moins  au  succès  de  l'ouvrage  que  l'intérêt  du 
sujet.  Parmi  les  productions  de  ce  romancier,  Rosamunde , 
Monsieur  de  Sackcn  ,  se  distinguent  par  l'habileté  qu'il  y 
déploie  à  saisir  sur  le  fait  les  ridicules  et  les  faiblesses  de 
l'époque ,  et  par  l'esprit  mordant  avec  lequel  il  flagelle  la 
corruption  de  la  vie  sociale. 

Rehfues,  pseudonyme  sous  lequel  se  cache  un  des  pre- 
miers magistrats  prussiens,  entra  dans  la  carrière  littéraire 


à  un  âge  déjà  avancé.  Son  roman  Scipio  Cicala  attira  l'at- 
tention d'un  public  d'élite  par  la  peinture  vive  et  originale 
delà  vie  italienne,  talent  dans  letpiel  cet  écrivain  ne  con- 
naît pas  de  rival.  Quelques  autres  productions,  entre  autres  le 
Siège  de  Caslcl-Gozzo  et  la  i\ouvelle  Médée,  sont  venues 
depuis  augmenter  et  consolider  sa  réputation. 

Burlen  est  appelé  en  Allemagne  Tieck  traduit  en  prose  • 
nous  ajouterons  dans  la  prose  la  plus  ennuyeuse.  Ses  ro^ 
mans  sont  des  paysages  éclairés  par  les  rayons  langoureux 
d'une  lune  blafarde;  point  de  passions,  partant  point  de 
luttes.  Tout  y  est  résignation,  paix,  repos  et  ennui  profond. 

Slernberg,  écrivain  de  qualités  brillantes,  après  avoir  sa- 
crifié passagèrement  à  l'école  de  la  Jeune  Allemagne, 
chercha  à  faire  revivre  la  littérature  de  Crébillon  fils,  à 
l'usage  des  boudoirs  allemands.  Son  Edouard  montra  tout 
ce  qu'il  avait  de  vraie  poésie  dans  l'âme.  Aujourd'hui,  le 
roman  allemand,  qui  est  surtout  cultivé  par  Mugge,  Mundt , 
Muller,  Auerbach  et  Paul  Heyse,  semble  particulièrement 
se  plaire  à  la  peinture  des  scènes  rustiques. 

L'école  de  la  Jeune  Allemagne,  ou,  si  vous  aimez  mieux 
la  littérature  du  déchirement  ( Zerrissenheitsliteratur), 
comme  on  appelle  ses  productions  au  delà  du  Rhin,  s'ins- 
pire de  l'ennui  et  du  dégoût  du  monde,  mais  surtout  du 
désir  d'une  société  nouvelle,  d'un  monde  différent  du  nôtre, 
d'une  nouvelle  terre  enfin. 

Avant  Gœthe  la  littérature  s'était  constamment  tenue  à 
l'écart,  loin,  bien  loin  du  monde  réel,  vivant  d'une  vie  idéale 
qu'elle  s'était  créée  à  l'ombre  des  grands  in-folio,  dans  le  ca- 
binet silencieux  du  savant  solitaire.  Aussi  la  poésie  de  cette 
époque  ne  respire-t-clle  que  la  mélancolie,  et  ses  désirs  sont- 
ils  tous  tournés  vers  la  foinbe.  Là  même  où  elle  s'attache 
à  la  vie,  c'est  une  vie  fadice  qu'elle  évoque.  La  piemière 
condition  de  l'art  était  alors  d'oublier  la  réalité,  pour  s'a- 
bîmer corps  et  âme  dans  un  monde  qui  n'existait  nulle  part, 
dans  un  fantôme.  Gœthe  vint  enfin  faire  cesser  cette  con- 
tradiction. Non-seulement  il  entraîna  la  poésie  dans  le  do- 
maine de  la  réalité ,  mais  de  leur  choc  même  il  fit  jaillir  un 
élément  tragique  inconnu  jusque  alors  à  la  littérature  mo- 
derne. Cet  élément,  c'est  la  lutte  de  l'individu  contre  la 
société. 

Dans  les  ouvrages  de  Gœthe ,  le  héros  est  toujours  un 
homme  dont  les  droits  personnels ,  en  conflit  avec  ceux  de 
la  société,  s'insurgent  contre  elle.  Mais  si  les  héros  de  Gœ- 
the provoquent  notre  sympathie ,  ils  ne  l'entraînent  cepen- 
dant qu'en  succombant  et  par  la  raison  même  qu'ils  suc- 
combent. C'est  cette  tendance  imprimée  par  Gœthe  à  la 
littérature  moderne,  ou  plutôt  la  fausse  interprétation  à 
laquelle  elle  donna  lieu,  qui  produisit  l'école  dont  il  est 
ici  question,  l'école  de  la  Jeune  Allemagne,  bien  que  celle- 
ci  ne  se  soit  révélée^  que  lors  des  commotions  politiques 
de  1830. 

Le  besoin  de  réformes  impérieusement  commandées  par 
le  temps  que  lesgouvernements  s'obstinaient  à  méconnaître, 
les  mesures  répressives  par  lesquelles  on  tenait  enchaînée 
toute  manifestation  libre  de  la  pensée  et  de  l'esprit  national, 
avaient  amassé  dans  les  cœurs  de  la  génération  nouvelle 
un  fonds  d'invincible  malaise  et  de  mécontentement  violent. 
A  des  espérances  d'améliorations  prochaines  continuellement 
déçues,  à  des  désirs  de  progrès  incessamment  comprimés, 
avaient  bientôt  succédé  chez  le  plus  grand  nombre  une  in- 
différence railleuse,  un  scepticisme  navrant,  auquel  une 
philosophie  mal  comprise  ajoutait  le  désenchantement  et  le 
dégoût  de  toutes  choses.  Faute  d'autre  issue,  ces  éléments 
de  fermentation, qui  menaçaient  l'AUemagned'un  bouleverse- 
ment tout  à  la  fois  politique,  religieux  et  moral,  firent  enfin 
explosion  dans  la  littérature,  par  l'organe  d'un  homme  dont 
l'ironie  amère,  la  raillerie  dissolvante,  unies  à  l'imagination 
la  plus  puissante  et  à  tous  les  charmes  de  la  poésie,  ébloui- 
rent l'Allemagne  et  la  subjuguèrent. 

Cet  homme,  ce  fut  Henri  Heine.  Son  livre  des  Reise- 


STC" 


ALLEMAGNE 


bilder  parut,  et  ce  fut  un  événement.  Tout  en  se  plaçant 
loin  des  partis  et  des  écoles,  Heine  les  domina  bientôt. 
Ses  poésies  (  Buch  cler  Lieder  ),  publiées  peu  après  et  por- 
tant à  un  plus  baut  degré  encore  rempreiiite  de  ce  caractère 
étrange ,  qui  souffre  et  qui  raille  ses  propres  souffrances , 
consolidèrent  cette  donunalion  par  l'effet  inouï  qu'elles  pro- 
duisirent sur  les  esprits.  C'est  que  dans  Heine  la  jeunesse 
allemande  s'était  reconnue  elle-même.  C'étaient  bien  là  ses 
souffrances  et  ses  désirs ,  ses  espérances  et  ses  déceptions , 
sa  sensibilité  facile  et  cette  sceptique  raillerie  qui  en  empoi- 
sonne la  source.  H  y  avait  cliez  Heine  comme  une  fureur  de 
destruction  qui  le  poussait  à  briser  les  plus  belles  créations 
de  son  imagination ,  et  cela  précisément  au  moment  où 
elles  entraînaient  nos  plus  ardentes  sympathies,  afin  de 
ne  pas  laisser  en  nous  le  moindre  doute  sur  le  néant  dont 
elles  étaient  faites.  A  une  époque  où  on  refusait  de  s'inté- 
resser à  des  productions  ne  s'inspirant  pas  de  la  situation 
du  moment ,  cette  déplorable  tendance  à  démontrer  l'im- 
puissance de  l'art  dans  sa  lutte  avec  la  réalité  matérialiste 
porta  une  rude  atteinte  à  la  littéral ure  allemande,  en  in- 
troduisant dans  l'art  même  l'élément  de  sa  propre  des- 
truction. 

Cet  élément ,  que  Heine ,  en  le  baptisant  d'après  la  source 
d'où  il  découle,  appela  lui-même  le  déchirement (Zerris- 
senheit  ),  et  auquel  nous  donnerons  le  nom  de  destruction , 
comme  infiniment  plus  approprié  à  ses  résultats ,  domina  la 
littérature  nouvelle  dont  nous  allons  marquer  les  princi- 
paux caractères.  Ce  fut  la  révolution  de  Juillet  qui  lui  ou- 
vTit  la  carrière.  On  sait  ce  que  produisit  du  Rbin  jusqu'à 
l'Elbe  la  mémorable  victoire  remportée  par  le  peuple  de 
Paris  en  1830.  La  presse,  délivrée  pour  un  moment  du  poids 
qui  l'étouffait,  éleva  vers  le  ciel  mille  cris  tumultueux.  Les 
matières  politiques  devinrent  à  l'ordre  du  jour  j  et  la  littéra- 
ture tout  entière  s'y  absorba. 

Mais  Heine  cessa  d'être  seul  le  héros  du  jour,  oh  le  trouva 
trop  poêle  :  il  dut  partager  cet  honneur  avec  Louis  Bœrne, 
critique  spirituel ,  d'une  intelligence  vive  et  fine ,  écrivain 
politique  aux  convictions  sincères ,  au  style  nerveux ,  mor- 
dant ,  unique  ;  cœur  loyal  et  chaleureux ,  rempli  d'amour 
pour  sa  patrie  et  de  sainte  indignation  contre  tous  les  abus. 
Quand  la  presse  politique  se  trouva  muselée  de  nouveau  , 
les  éléments  en  fermentation  furent  lancés  dans  d'autres 
directions,  et  il  éclata  alors  une  véritable  insurrection  lit- 
téraire. On  s'acharna  contre  toutes  les  anciennes  gloires  de 
l'Allemagne  :  universités ,  érudition ,  -vieille  poésie,  enfin 
tout  ce  qui  avait  vieilli  faute  de  ne  s'être  pas  retrempé  à  la 
source  féconde  des  idées  du  temps  ,  fut  attaqué  ,  /ooursuivi 
sans  relâche  par  l'école  nouvelle ,  qui  s'intitula  elle-même 
la  Jeune  Allemagne.  Ce  nom  lui  fut  donné  par  Wicn- 
barg,  penseur  spirituel ,  plein  de  passion  sincère,  le  seul 
talent  vrai  et  d'une  conviction  profonde  que  cette  école  ait 
produit,  qui  avait  fait  à  l'université  de  Kiel  des  leçons  har- 
dies et  brillantes  sur  l'esthétique,  où  il  avait  tracé  le  pro- 
giamme  de  la  révolution  littéraire  qui  se  préparait.  En 
publiant  sous  le  titre  de  Batailles  esthétiques  les  leçons 
qui  l'avaient  forcé  de  renoncer  à  sa  chaire,  Wienbarg  com- 
mençait en  ces  termes  :  «  C'est  à  toi ,  Jeune  Allemagne,  que 
je  dédie  ces  discours ,  et  non  pas  à  l'ancienne.  »  C'est  ainsi 
que  ce  nom  de  Jeïine  Allemagne  fut  adopté  par  tous  les 
écrivains  qui  se  rangèrent  sous  la  nouvelle  bannière. 

En  même  temps  que  les  Batailles  esthétiques  pénétraient 
dans  le  public,  Henri  Laube,  esprit  vif  et  hardi,  d'une 
invention  plus  brillante  que  profonde,  débutait  dans  le 
monde  littéraire  par  un  roman  intitulé  la  Jeune  Europe, 
dans  lequel  il  annonçait  un  monde  nouveau.  Ce  monde, 
dont  l'ancienne  Grèce,  la  révolution  française  et  les  propres 
illusions  de  l'auteur  ont  fourni  les  éléments,  n'est,  à  pro- 
prement dire,  qu'une  création  extravagante,  dont  les  têtes 
les  plus  folles  s'accommoderaient  à  peine.  Dans  tout  autre 
moment,  loin  de  produire  le  moindre  effet,  une  pareille 


production  n'eût  excité  qu'un  immense  éclat  de  rire.  Mais 
à  cette  époque,  où  la  confusion  des  idées  était  extrême,  des 
productions  comme  celle  de  Laube  devaient  profondément 
remuer  les  esprits.  De  part  et  d'autre  on  se  mit  donc  à  dis- 
cuter sérieusement  la  possibilité  d'une  nouvelle  Europe,  ou 
du  moins  d'une  nouvelle  Allemagne,  construite  sur  les  bases 
indiquées  par  Laube  et  W  ienbarg. 

La  confusion,  qui  marchait  déjà  si  bon  train,  devait 
s'augmenter  encore  par  l'arrivée  de  nouveaux  auxiliaires. 
Ce  fut  d'abord  Gutzkow,  jeune  critique  à  la  plume  acérée, 
sams  ménagement,  et  se  complaisant  dans  un  scepticisme 
froid  et  désespéré.  Après  un  livre  fin  et  spirituel,  intitulé 
Maha  Guru,  où  il  raconte  avec  un  talent  vraiment  ori- 
ginal et  plein  de  verve  satirique  les  piquantes  aventures 
d'un  dieu  indien,  il  fit  paraître  le  roman  de  Wallij  la  Scep- 
tique, mélange  de  sanglante  ironie  et  d'insolente  indiffé- 
rence, où,  sous  prétexte  d'accuser  son  siècle,  il  le  calomnie, 
à  la  façon  de  Basile,  en  se  livrant  en  même  temps  à  de 
maladroites  attaques  contre  le  christianisme,  ses  dogmes  et 
sa  morale.  Les  gouvernants  s'émurent  des  dénonciations 
réitérées  élevées  à  propos  de  cette  production  étrange  par 
■Wolfgang-."\Ienzel ,  qui  de  critique  passionné  s'était  fait  ac- 
cusateur lublic.  Le  roman  de  Gutzkow  fut  saisi,  ce  qui  en 
augmenta  le  succès,  et  l'auteur  condamné  à  troi^  mois  de 
détention  dans  la  prison  de  Manliuim  ;  condamnation  dont 
la  douceur  dut  singulièrement  mortifier  im  homme  qui 
aimait  à  se  poser  en  martyr  de  ses  opinions  et  qui  avait  écrit 
cette  phrase  :  Celui  qui  n'est  pas  accoutumé  à  l'idée  qu'on 
peut  le  guillotiner  dans  le  plus  prochain  quart  d'heure 
ne  jouera  jamais  un  grand  rôle  de  notre  temps! 

Plus  sincère  que  Gutzkow,  et  suivant  une  direction  plus 
sérieuse  que  Laube ,  Théodore  Mundt  chercha  d'abord  à 
entraîner  la  Jeune  Allemagne  vers  des  idées  jjIus  saines, 
puis  finit  par  s'y  absorber.  Frappé  de  la  stérilité  de  cette 
école,  et  croyant  sincèrement,  comme  \Vieabarg,  à  la  régé- 
nération de  l'Allemagne,  il  chercha  avec  ardeur  ce  qui 
manquait  le  plus  à  tous  ces  écrivains,  c'est-à-dire  des  prin- 
cipes nettement  conçus.  Dans  un  roman  qu'il  publia  sous  le 
titre  de  Lebenswirren ,  il  s'inspira  de  la  confusion  même 
des  idées  de  son  époque ,  qu'il  chercha  à  débrouiller  dans 
un  tableau  saisissant  et  plein  de  vérité.  Un  second  roman , 
intitulé  Madonna,  lui  servit  à  développer  ses  doctrines. 
Elles  consistent  en  un  panthéisme  à  la  fois  mystique  et  sen- 
suel, que  l'auteur  prétend  avoir  trouvé  dans  le  catholi- 
cisme ,  et  qu'il  cherche  à  concilier  avec  l'esprit  du  protes- 
tantisme. Le  scepticisme  de  la  nouvelle  école,  pour  lequel 
Mundt  avait  jusque  alors  montré  peu  de  sympathie,  éclata 
cependant  dans  un  troisième  ouvrage,  qui  rendit  cet  écri- 
vain solidaire  de  toutes  les  erreurs  de  la  Jeune  Allemagne. 
La  Mère  et  la  Fille,  roman  publié  peu  de  temps  après  le 
précédent,  est  une  violente  satire  contre  la  société. 

Le  dernier  venu  de  cette  école,  celui  dans  lequel  elle  se  ré- 
sume avec  toutes  ses  aberrations  et  toutes  ses  monstruosités, 
c'est  Ernest  Willkomm.  Le  livre  de  Willkomm  est  intitulé  : 
les  Gens  fatigués  de  l'Europe,  scènes  de  la  vie  inoderpe 
(Die  Europa  mùden,  modernes  Lebensbild).  L'auteur,  en 
voulant  peindre  la  société  de  son  époque,  a  réussi  à  atteindre 
jusqu'aux  dernières  limites  de  l'extravagance.  Willkomm, 
malgré  les  absurdes  monstruosités  qu'il  a  accumulées  à  plaisir 
dans  son  roman,  n'en  est  pas  moins  un  critique  fort  dis- 
tingué. Dans  une  revue  qu'il  dirige,  il  lutte  énergiquement 
contre  les  tendances  frivoles  des  théâtres  allemands  et  la 
décadence  de  l'art  dramatique. 

Mundt,  depuis  son  dernier  livre,  produit  d'un  accès  de 
misanthropie  auquel  des  tracasseries  littéraires  ou  autres  ne 
sauraient  servir  d'excuse,  semble  avoir  déserté  la  Jeune 
Allemagne  pour  s'inspirer  à  de  plus  nobles  sources. 

Laube,  le  seul  parmi  les  chefs  de  l'école  que  le  public 
n'ait  jamais  pris  au  sérieux,  est  rentré  dans  les  sentiers 
battus;  son  style  pimpant  et  léger  a  du  charme  pour  cette 


ALLEMAGNE 


377 


classe  de  lecteurs  qui  se  payent  de  la  fausse  monnaie  de 
Bœrne  et  de  Heine. 

>Viealiarg  se  tait ,  et  Gutzkow  a  reconnu  son  erreur,  du 
moment  oii  sa  vanité  désabusée  lui  a  eu  démontré  le  côté 
fielleux  de  tout  parti  pris.  Dans  son  roman  de  Blasedow  et 
SCS  fils,  il  est  revenu  depuis  à  la  peinture  de  caractères,  où 
il  excelle  par  un  grand  talent  d'observation. 

Voilà  donc  le  résultat  auqiiel  a  abouti  ce  grand  mouve- 
ment de  la  nouvelle  école  !  Klle,  qui  avait  voulu  d'abord 
réformer  l'Europe,  ensuite  régénérer  IWliemagne,  elle  n'a 
laissé  dans  la  IHtérature  de  son  pays  que  la  trace  de  ses  pro- 
ductions avortées  et  informes,  que  la  mauvaise  graine  de 
ses  doctrines,  qui  y  germera  longtemps  encore. 

Il  nous  reste  à  parler  des  femmes  auteurs.  La  littérature 
des  femmes  auteurs  de  l'autre  côté  du  Rhin  avait  toujours 
été  celle  du  calme,  du  repos  de  l'àme,  de  la  résignation.  Elles 
se  plaisaient  à  célébrer  les  vertus  domestiques,  le  bonheur 
du  foyer.  Aucune  d'elles  n'agita  jamais,  que  nous  sachions,  la 
question  de  l'émancipation,  ni  ne  voulut  développer,  à  l'aide 
d'une  fiction  inventée  ad  hoc ,  quelque  profonde  idée  de 
philosophie  ou  de  science  sociale.  Madame  la  comtesse  de 
lîaJin-Uahn  s'est  irritée  de  ce  calme,  peu  digne  d'une 
époque  où  il  est  convenu  que  toute  femme  ayant  le  senti- 
ment de  sa  véritable  mission  sociale  doit,  avant  tout,  pro- 
tester hautement  contre  l'asservissement  de  son  sexe.  Son 
tempérament  fougueux  s'est  indigné  de  la  paix  profonde  qui 
régnait  dans  la  littérature  de  ses  compatriotes ,  et,  animée 
d'une  sainte  colère ,  elle  y  a  porté  le  brandon  des  doctrines 
nouvelles.  3Iadame  de  Hahn-Hahn  a  composé  plusieurs  ro- 
mans, dans  lesquels  elle  prouve  victorieusement  que  l'homme 
est  indigne  de  la  femme.  De  plus ,  elle  a  la  prétention  d'a- 
voir inventé  un  genre  nouveau.  Des  romans  ! ...  elle  rougirait 
J'en  avoir  écrit.  Ulrich,  la  Comtesse  Fanstine,  Sigis- 
mund Forster,  Cécile,  et  quelques  autres  ouvrages  encore, 
sont,  selon  elle,  non  pas  des  romans,  mais  des  révélations. 
Ce  sont,  selon  nous,  de  pâles  copies  d'un  auteur  français  du 
sexe  de  madame  de  Halin-Halin ,  mais  que  c^lle-ci  est  loin 
d'égaler  en  puissance  créatrice.  Elle  se  croit  de  la  meilleure 
foi  du  monde  une  femme  extraordinaire ,  et  donnerait  tout 
pour  faire  partager  cette  opinion  au  public. 

]\Iadame  Bettina  d'Arnim  y  est  arrivée  sans  efforts,  en 
se  laissant  aller  à  sa  pente  naturelle.  Le  nom  de  madame 
d'Arnim,  ou  plutôt  celui  de  Bettina,  est  populaire  en  Al- 
lemagne. C'est  que  ce  nom  est  inséparable  de  celui  de  Goethe. 
La  source  qui  nous  révèle  cette  femme  extraordinaire,  cette 
nature  d'élite,  c'est  sa  propre  correspondance  avec  le  grand 
écrivain,  publiée  sous  le  titre  de  :  Correspondance  de 
Gœthe  avec  un  enfant.  Le  troisième  volume  de  ces  lettres 
nous  fait  connaître  la  première  jeunesse  de  madame  d'x^rnim. 
liettina  est  femme  et  sœur  de  poètes;  mais  certes  le  plus 
grand  poète  des  trois ,  c'est  elle-même.  Quelques  années 
après  la  publication  de  sa  correspondance  avec  Gœthe,  ma- 
dame d'Arnim  fit  paraître  un  livre  intitulé  GUnderodc.  C'est 
encore  un  recueil  de  lettres  échangées  entre  elle  et  une  amie 
de  couvent ,  mademoiselle  de  Giinderode.  Il  nous  apprend 
toutes  les  divagations ,  toutes  les  poétiques  folies  de  cette 
àme  mystique  qui  a  nom  Bettina.  Mais  ne  dirait-on  pas  que 
c'est  une  contagion  de  l'époque?  IMadame  d'Arnim  ,  cette 
intelligence  passionnée ,  s'est  mise ,  elle  aussi,  à  publier  un 
livre  sur  les  questions  à  l'ordre  du  jour.  Toutefois ,  hâtons- 
nous  de  le  dire,  la  politique,  les  questions  sociales,  dans  la 
bouche  de  madame  d'Arnim,  c'est  encore  de  la  poésie.  Cet 
ouvrage,  portant  pour  titre  unique  :  Ce  livre  appartient 
axi  roi,  était  dédié  au  roi  de  Prusse.  Sous  forme  d'entretiens 
entre  la  mère  de  Gœthe,  le  bourgmestre  de  Francfort  et 
un  pasteur  protestant,  l'auteur  y  traite  toutes  les  grandes 
questions  qui  agitent  les  générations  actuelles.  C'est  une 
pythonisse  sur  son  trépied  ;  elle  sonde  les  mystères  de  la 
création,  les  œuvres  de  Dieu  et  des  hommes.  IMiilosophie, 
religion,  institutions  politiques  et  sociales,  elle  passe  tout  en 

UICT.    DE    LA    CONVERSATION.    —    T.    I. 


revue;  or,  si  nous  l'en  croyons,  il  faudrait  renouveler  tout 
cela.  La  censure  de  Berlin  aurait  probablement  arrêté  les 
rêves  inspirés  de  madame  d'Arnim,  si  celle-ci  n'eût  prévenu 
les  censeurs  en  mettant  son  livre  sous  la  protection  du  roi. 
Madame  d'Arnim  n'a  pas  trouvé  d'imitateurs,  pai*  la  raison 
qu'un  genre  unique  ne  s'imite  pas. 

Madame  Palzow,  écrivain  des  plus  distingués,  se  révéla  au 
public  il  y  a  quelques  années.  Son  premier  roman,  Godwie- 
Castlc,  est  un  chef-d'œuvre  de  finesse  et  d'observation.  Ma- 
dame Palzow  excelle  surtout  dans  la  peinture  des  mœurs  de 
l'aristocratie  du  moyen  âge. 

Parmi  les  écrivains  dont  les  productions  sont  toujours 
bien  accueillies  du  public  féminin ,  il  faut  encore  citer  ici 
mesdames  Fanny  Tarnow,  Amélie  Schoppe ,  Henriette  Han- 
ke,  CaroUne  Woltmann,  Julie  Sortari,  Frédérike  Lohmann, 
Emilie  Caroli  et  Wilhelmine  Gersdorf. 

Théâtre  allemand. 

Des  représentations  improvisées  du  genre  des  marionnet- 
tes, qui  remontent  peut-être  au  treizième  siècle,  telle  est  l'ori- 
gine du  théâtre  allemand.  Les  divertissements  et  les  masca- 
rades du  carnaval  y  donnaient  lieu.  Des  histoires  bibliques 
dramatiquement  exposées  et  appelées  mystères,  des  espèces 
de  proverbes  en  action ,  dits  moralités,  qu'on  représentait 
alors  surtout  dans  les  couvents,  telles  furent  les  premières 
pièces  de  ce  théâtre.  A  partir  du  milieu  du  quinzième  siècle, 
on  voit  ces  pièces,  particulièrement  celles  du  genre  comique, 
traitées  par  Hans  Rosenbliit,  dit  Schnepperer  (  les  premiers 
jeux  de  carnaval  qui  aient  été  imprimés),  et  par  Hans  Folz; 
et  au  seizième  siècle,  par  le  fertile  Hans  Sachs  et  par  Ayrer. 
Il  est  probable  qu'elles  étaient  représentées ,  surtout  dans 
les  villes  impériales ,  par  des  amateurs,  ou  par  des  troupes 
nomades  à\iQ%Fastnachtspieler  (joueurs  de  carnaval)  qui 
ont  beaucoup  d'analogie  avec  les  proverbicrs  (Spruchspre- 
cher)  du  temps  des  Meistersxnger.  Les  traductions  des 
anciens,  deTérence  par  exemple,  qui  parurent  alors,  n'exer- 
cèrent aucune  influence  sur  les  masses,  et  ne  furent  même 
pas  représentées.  Des  divertissements  mimiques  continuèrent 
à  former,  avec  les  pièces  proprement  dites,  le  fonds  du  ré- 
pertoire. 

Au  dix-septième  siècle ,  le  théâtre  national  allemand  ne 
fit  encore  aucun  progrès.  Le^  poètes  se  bornèrent  à  tra- 
duire les  théâtres  étrangers,  mais  ils  parvinrent  à  donner 
ainsi  à  la  scène  allemande  un  ensemble  plus  réguher. 
Après  Martin  Opitz,  qui  composa  quelques  opéras  à  l'imi- 
tation des  Italiens,  par  exemple  de  la  Daphné  de  Rinuc- 
cini,  les  comédies  mêlées  d'ariettes  et  les  farces  chantées 
devinrent  plus  fréquentes.  On  trouve  cependant  déjà  au 
commencement  de  ce  siècle  des  troupes  de  comédiens  ré- 
gulièrement organisées ,  qui ,  par  la  représentation  de  pièces 
traduites  des  théâtres  étrangers ,  cherchaient  à  faire  concur- 
rence aux  joueurs  de  mystères  et  de  carnaval. 

Des  traductions  de  Guarini  introduisirent  le  genre  dit  pas- 
toral. André  Gryphius  (  né  à  Grossglogau,  en  161  G,  mort  en 
1664)  composa  dans  ce  genre  beaucoup  de  pièces  pour  le 
théâtre.  Son  style  est  souvent  ridiculement  ampoulé,  mais 
cet  écrivain  a  de  l'imagination,  et  au  total  on  peut  dire  de 
lui  qu'il  fut  utile  au  théâtre,  sous  le  rapport  de  l'exposi- 
tion dramatique  et  du  développement  des  caractères.  Les 
drames  de  Lohenstein,  emphatiques  au  delà  de  toute  ex- 
pression, n'étaient  guère  propres  à  la  scène;  ils  obtinrent 
cependant  de  grands  succès ,  et  n'exercèrent  malheureuse- 
ment qu'une  trop  grande  influence  sur  le  théâtre  allemand 
et  sur  le  goût  du  public.  C'est  de  cette  époque  que  datent 
les  grandes  pièces  héroïques ,  imitées  le  plus  souvent  du 
français  et  de  l'espagnol,  où  le  pathos  le  plus  absiude  se 
débitait  à  grands  tiraillements  de  poumons,  au  milieu  d'hor- 
ribles grincements  de  dents,  de  torsions  de  bras  et  de 
jambes,  et  d'une  effroyable  consommation  de  papier  doré 
et  d'autres  oripeaux.  Iflland  décrit  d'une  manière  piquante 

48 


378 


le  théâtre  de  cette  époque  dans  son  Essai  sur  la  Tragédie 
(  Almanach  théâtral  de  1807  ).  Il  nous  dépeint  en  ces  termes 
la  déclamation  des  acteurs  dans  ces  pièces  héroïques  et 
leurs  habitudes  hors  du  théùtre  :  «  Ils  avaient  la  bouche  tel- 
lement pleine  de  leurs  tirades  qu'il  leur  était  impossible 
de  prononcer  un  seul  mot  comme  les  autres  hommes ,  et 
leurs  regards  erraient  toujours  au  milieu  des  nuages... 
Plus  la  société  s'opiniàtrait  à  refuser  à  l'acteur  ses  droits 
civils,  et  plus  celui-ci  portait  la  tête  haute,  à  la  manière  de 
Jean-sans-Tcrre.  Il  était  très-rare  qu'on  le  vît  hors  du  théâtre 
sans  une  énorme  rapière  fièrement  appendue  à  son  côté... 
En  leur  qualité  de  héros  grecs  ou  assyriens,  ils  réunissaient 
dans  leur  costume  le  présent  au  passé.  »  Un  personnage 
inévitable  dans  ces  pièces  héroïques  était  une  espèce  de 
niais,  appelé  d'abord  Courksed,  puis  Pickelhering,  et  enfin 
IJanswursf. 

En  1G69  parut  imprimée  une  traduction  du  Polijcucfe 
de  Corneille,  qui  fut  représentée  par  une  troupe  ambulante 
dirigée  par  un  certain  Yellheim,  lequel  improvisait  aussi 
des  ballets  et  des  pavades  à  litalienne.  D'un  autre  côté,  on 
traduisit  et  représenta  fréquemment  les  pièces  de  Molière. 
Mais  les  acteurs  ne  purent  pas  perfectionner  leur  art,  à 
cause  des  errements  suivis  par  les  poètes  de  l'époque  et 
de  la  lutte  constante  qu'ils  avaient  à  soutenir  contre  l'É- 
glise. Ils  trouvèrent  toutefois  des  protecteurs  et  des  défen- 
seurs, et  les  troupes  devinrent  de  plus  en  plus  communes , 
en  môme  temps  qu'il  s'opérait  une  classification  de  rôles 
plus  précise.  Mais  pendant  les  trente  premières  années  du 
dix-huitième  siècle  les  pièces  héroïques  n'en  continuèrent 
pas  moins  à  composer  le  fonds  du  répertoire,  avec  des  opéras 
et  des  parades  improvisées ,  qui,  en  raison  des  licences  que 
pouvaient  prendre  les  interlocuteurs,  étaient  souvent  beau- 
coup plus  goûtées  du  public  que  toute  autre  espèce  de  re- 
présentations scéniques. 

En  1708  un  certain  Stranitzky  fit  jouer  à  Vienne,  où 
jusque  alors  on  n'avait  représenté  que  des  pièces  italiennes , 
une  comédie  allemande.  Il  employa  dans  celle  pièce  le  dia- 
lecte si  comique  de  la  Bavière  et  du  pays  de  Salzbourg,  et 
ti-ansforma  l'Arlequin,  qui  dans  les  pièces  ifaliemies  était 
le  comique  obligé  et  par  excellence ,  en  Hcrnsicurst  alle- 
mand. La  comédie  et  le  personnage  furent  beaucoup  goûtés 
du  public  viennois. 

Caroline  >'eiibcr,  née  à  Weissenborn ,  est  célèbre  dans 
l'histoire  du  lliéàtre  allemand  ;  elle  cumulait  à  celte  époq'.se 
les  fondions  d'actrice  et  de  directrice  de  trompe,  et  tradui- 
sait en  outre  avec  assez  de  bonheur  des  pièces  empruntées 
à  des  tliéàtres  étrangers.  Elle  joua  d'abord  à  Weissenfelset  à 
Leipzig,  puis  à  Hambourg,  et  successivement  dans  toutes  les 
contrées  de  l'Allemagne.  G  o  1 1  s  c  h  e  d  exerça  sur  elle  beauco  up 
d'influence.  Il  la  détermina  à  représenter  les  pièces  que  lui 
et  ses  amis  traduisaient  du  français ,  ainsi  que  sa  grande 
tragédie  âsCalon  moîiran(,el  se  donna  beaucoup  de  peine 
pour  substituer  sur  la  scène  une  fort  plate  correction  de  dic- 
tion ù  la  boursouflure  de  la  déclamation  d'alors. 

Au  milieu  de  cette  absence  complète  de  toute  originalité , 
il  était  impossible  qu'un  théâtre  national  naquît.  On  vil  bien 
paraître  à  cette  époque  quelques  poètes  dramatiques  doués 
de  talents  véritables  ,  mais  aucun  deux  ne  put  se  défendre 
de  sacrifier  au  goût  français.  Le  théâtre  allemand  ne  gagna  à 
leurs  travaux  que  d'acquérir  plus  de  régularité  dans  sa 
forme. 

Lessing,  par  sa  critique  et  ses  œuvres  dramatiques,  ren- 
dit des  services  autrement  grands  à  l'art  théâlral  des  Alle- 
mands. 11  détrôna  le  goiit  français,  et  appela  l'attention  pu- 
blique sur  les  chefs-d'duvre  du  théâtre  anglais.  Il  introduisit 
en  mnne  temps  au  théâtre  la  tragédie  bourgeoise,  et  essaya 
d'abolir  l'usage  de  la  versification  dans  le  drame,  lâche  dans 
laquelle  il  fut  secondé  par  Engel.  Sa  Miss  Sara  Sampson  fut 
le  modèle  de  pièces  d'un  nouvel  ordre.  Sa  Minna  de  Barii- 
hdm  est  une  composition  plus  imporlanle,  et  sou  Emilie 


ALLEMAGNE 

Galotti   fiit  un  pas  immense  fait  vers  le  perfectionnement 
de  la  tragédie. 

Ces  tentatives  trouvèrent  naturellement  une  foule  d'imita- 
teurs, et  les  tableaux  de  famille  ainsi  que  la  comédie  lar- 
moyante devinrent  bientôt  à  l'ordre  du  jour.  Engel,  Stépha- 
nie, Junger,  Hubert,  Schrœder,  Grossmann,  Wezel,  Babo, 
Ilagemeister,  et  surtout  Lcnz,  cet  auteur  si  original,  ex- 
ploitèrent ce  genre,  qui  malgré  ses  défauts  ne  laissa  pas  que 
d'amener  un  changement  avantageux  à  l'art  théâtral. 

L'apparilion  des  tragédies  bourgeoises,  ditlffiand,  comme 
Miss  Sara  Sampson  et  le  Père  de  Famille  de  Diderot, 
embarrassa  d'abord  singulièrement  les  troupes  de  comédiens, 
habituées  à  jouer  les  pièces  héroïques.  Les  acteurs  recon- 
nurent avec  effroi  qu'il  fallait  faire  parler  naturellement  les 
personnages  qui  y  étaient  introduits ,  et  que  le  poêle  em- 
pruntait à  la  nature  et  non  à  son  imagination.  Toutes  les 
tentatives  faites  pour  allier  l'enflure  au  naturel  échouèrent 
honteusement.  Celte  révolution  dans  l'art  fut,  au  reste,  se- 
condée par  l'apparition  de  quelques  artistes  véritables,  qui , 
pour  la  première  fois ,  firent  entendre  sur  les  planches  le 
langage  de  la  nature  et  de  la  sensibilité.  Dès  que  les  Alle- 
mands eurent  commencé  à  étudier  les  poètes  dramatiques 
anglais ,  ceux-ci  exercèrent  une  puissante  influence  sur  le 
théâtre  allemand.  Schrœder  est  le  premier  qui  fit  jouer  des 
pièces  de  Shakspeare  arrangées  par  lui.  La  tragédie  bour- 
geoise ne  tarda  pas  cependant  à  dégénérer  en  drame  lar- 
moyant. A  cette  époque  de  sensiblerie,  dit  encore  Iffland, 
tout  le  monde  pleurait  au  théâtre  ;  on  se  souciait  peu  d'étu- 
dier un  caractère  ;  pourvu  qu'on  penchât  la  tète  vers  la  terre, 
qu'on  soupirât  sans  cesse,  qu'on  jetât  de  temps  à  autre  les 
yeux  vers  le  ciel  et  qu'on  prît  des  attitudes  de  désespoir, 
pourvu  surtout  qu'on  versât  des  torrents  de  larmes,  on  pas- 
sait pour  un  grand  acteur.  Gœthe  et  Schiller  eux-mêmes 
payèrent  tribut  à  cette  mode;  mais  ils  rompirent  bientôt 
d'une  manière  éclatante  avec  ce  système  erroné. 

Inspiré  par  l'esprit  géant  du  poêle  anglais,  Gœthe,  dans 
son  Gœtz  de  Berlichingen, Sigrandit  le  domaine  delà  scène 
allemande ,  et  combattit  puissamment  le  genre  larmoyant, 
qui  jusque  alors  en  avait  eu  la  possession  exclusive.  Mais  alors 
arriva  l'inévitable  nuée  d'imitateurs,  qui  eurent  bientôt  pré- 
cipité le  théâtre  allemand  dans  un  autre  extrême.  On  ne  vit 
plus  de  tous  côtés ,  pendant  un  certain  temps,  que  des 
pièces  de  chevalerie,  qui  n'avaient,  comme  le  remarque 
Schlegel,  rien  d'iiistoriciue  que  les  noms  et  les  costumes  des 
personnages,  rien  de  la  chevalerie  que  les  casques,  les  écus 
et  les  longues  rapières ,  rien  du  vieux  temps  de  l'AJlemagne 
que  la  grossièreté  du  langage,  et  où  les  pensées  étaient  aussi 
communes  que  modernes. 

Dans  la  comédie,  Iffland  a  fait  école  pour  l'urbanité  du 
langage  et  l'art  du  dialogue.  Kotzebne  vise  trop  aux  coups 
de  théâtie  et  à  l'eflet  ;  on  ne  saurait  toutefois  lui  refuser  la 
connaissance  du  théâtre,  une  grant'e  entente  de  la  scène, 
une  rare  facilité  de  dialogue ,  et  beaucoup  d'esprit. 

Les  événements  politiques  des  derniers  temps  ont  influé 
de  la  manière  la  plus  m^lhcureu-e  M:r  le  théâtre  al5emand, 
qui  maintenant  en  est  réduit  le  jtlus  .souvent  à  n'offrir  à  ses 
habitués  que  des  traductions  du  français  et  de  l'anglais  ou  de 
l'espagnol.  Le  mal  en  est  même  venu  à  ce  point,  qu'il  n'y  a  pas 
de  si  méchant  vaudeville  joué  à  l'aris  qui  ne  fasse  le  tour  de 
l'Allemagne,  et  qui  n'y  obtienne  riionneur  de  plusieurs  tra- 
(ludions  et  imitations. 

L'auleur  dramatique  dont  le  public,  celui  du  nord  parti- 
culièrement, s'est  le  plus  occupé  à  une  époque,  est  Rau 
pach.  Son  nom  peut  d'autant  moins  être  passé  sous  si- 
lence que  son  plus  grand  mérite  consiste  précisément  <lans 
la  seule  qualité  requise  aujourd'hui  pour  être  admis  à  l'hon- 
neur de  la  représentation ,  c'est-à-dire  dans  l'entente  de  la 
scène.  D'ailleurs,  la  fertilité  de  Raupacli  est  si  prodigieuse, 
qu'elle  excuse  en  quelque  sorte  lesdéiaiits  et  les  côtés  faibles 
de  ses  pièces.  L'œuvre  la  plus  importante  de  cet  auteur  con- 


ALLEMAGNE 


379 


sisle  en  une  série  de  «Iramcs,  donl  la  pranile  histoire  île  la 
race  impériale  des  llolit-nstaufen  e>l  le  sujet,  lue  si  vaste 
création  ,  digne  dVlre  entreprise  par  un  génie  plus  puissant, 
lut  chez  Raiipach  moins  le  produit  d'une  inspiration  spon- 
tanée que  le  résultat  d'un  contours  (le  lirconslancesdonl  il 
a  su  tirer  prolit.  Raupach  s'était  rappelé  que,  dans  son  Cours 
de  Littérature  dratnatique ,  Frédéric  Schlegel  avait  signalé 
et  décrit  à  grands  traits  le  cùté  dramatique  de  cet  épisode  de 
l'histoire  nationale.  Au  moment  môme  où  la  mémoire  de 
Raupach  lui  rendait  ce  service,  Raumer  venait  de  publier 
sa  célèbre  Histoire  des  Jlohenstau/'en  ,  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut.  Raupach  n'eut  donc  autre  chose  à  faire  qu'à 
mettre  en  dialogue  le  récit  de  l'historien;  et  comme  il  régnait 
en  maître  absolu  sur  le  théâtre  de  Berlin ,  qui  acceptait  toutes 
ses  pièces  les  yeux  lermés ,  son  facile  talent ,  une  fois  en  be- 
sogne, se  mit  à  tailler  des  drames  par  douzaines,  qui  tous 
devinrent  populaires  dans  la  capitale  de  la  Prusse.  La  scène 
berlinoise  fut,  du  reste,  la  seule  où  ces  drames  historiques 
eurent  un  succès  franc  et  décidé.  Ce  qui  les  soutint  surtout,  ce 
fut  le  jeu  de  Lemm,  excellent  tragédien,  dont  la  mort  a 
laissé  un  grand  \ide  sur  le  théâtre  de  Berlin  et  enleva  à 
Raupach  son  meilleur  interprète.  L'École  de  la  vie ,  conte 
dramatisé  du  même  auteur,  obtint  un  vrai  succès  de  vogue , 
tant  les  émotions  y  sont  violentes.  Raupach  eut  ensuite  l'i- 
dée de  compléter  l'immortel  Tasse  de  Goethe,  par  une  tra- 
gédie intitulée  ta  Mort  dic  Tasse.  Pour  que  le  titre  fut  exact, 
cette  pièce  devrait  s'appeler  le  Tasse  mourant ,  puisque 
l'on  y  voit  le  poète,  à  demi  fou,  mourir  lentement  pendant 
cinq  actes. 

Ce  qui  frappe  particulièrement  dans  les  productions  des 
modernes ,  c'est  la  pauvreté  de  l'invention.  Pour  être  juste, 
il  faut  cependant  reconnaître  que,  de  tous  les  poètes  dont 
les  productions  alimentent  la  scène  allemande,  Raupach  est  le 
seul  chez  qui  ce  précieux  don  ne  fasse  pas  défaut.  Ses  pre- 
miers drames  se  distinguent  par  des  situations  très-habile- 
ment ménagées  ;  il  excelle  dans  l'art  de  choisir  un  sujet ,  et 
ne  manque  pas  d'esprit  dans  ses  comédies.  Ses  pièces  les 
mieux  réussies  sont:  Isidore  et  Olga,  Cardinal  et  Jésuite, 
les  Contrebandiers,  l'Esprit  du  temps ,  la  Eeïne pru- 
dente, et  II  y  a  cent  ans. 

Le  succès  qu'obtint  VÉcole  de  la  vie  de  Raupach 
engagea  le  baron  de  Mùnch-  Bellinghausen  à  choisir  pour 
sujet  de  drame ,  sous  le  pseudonyme  de  Halm ,  l'histoire  de 
la  patiente  Griseldis  ,  immortalisée  par  le  génie  de  Boccace. 
Son  drame,  parfaitement  bien  écrit,  a  eu  un  grand  suc- 
cès. On  a  parlé  de  son  Adepte,  encore  moins  de  son  Camoëns  ; 
mais  le  Gladiateur  de  Ravenne,  joué  sous  le  voile  de  l'a- 
nonyme a  enthousiasmé  l'Allemagne. 

M.  Grillparzer,  l'auteur- de  l'Aïeule,  a  fait  repré>cnter 
plus  tard  un  des  plus  beaux  drames  de  l'époque ,  le  Rêve 
est  une  vie. 

M.  Auffenberg,  le  Raupach  de  l'Allemagne  méridionale, 
s'inspirant  des  romans  de  Walter  Scott,  parvint  à  créer 
plusieurs  drames  de  mérite.  Son  Alhambra  est  une  com- 
position monstrueuse ,  qui  participe  de  tous  les  genres,  sans 
appartenir  spécialement  à  aucun.  Que  dire  d'un  ouvrage 
dramatique  en  trois  volumes? 

Parmi  les  drames  qui  ont  obtenu  des  succès ,  il  faut  citer  ; 
l'Élection  de  l'empereur,  de  Schenk;  les  Vénitiens,  de 
Rellstab;  Man/red ,  deMarbach;  Clotilde  Montalvi ,  de 
Firmmich;  les  Fils  du  Boge,  de  Reinhold. 

Charles  Immermann,  l'un  des  poètes  dramatiques  les  plus 
distingués  de  l'Allemagne,  ravi  aux  lettres  par  une  mort 
prématurée ,  ne  put  faire  accepter  au  public  de  Berlin  son 
dernier  drame ,  les  Victimes  du  Silence.  Talent  hors  ligne , 
Immermann  ne  pouvait  être  populaire  aune  époque  de  dé- 
cadence comme  celle  du  théâtre  allemand  actuel.  Tous  ses 
travaux,  tous  ses  efforts,  n'ayaient  d'autre  but  que  de  ra- 
mener la  scène  allemande  dans  une  voie  digne  d'elle.  Mais 
il  échoua  où  bien  d'autres  avaient  échoué  avant  lui. 


A  mesure,  d'ailleurs,  que  les  grandes  œuvres  tragiques 
deviennent  plus  rares  .sur  la  scène  allemande,  le  nombre  des 
bons  acteurs  diminue  en  proportion.  L'Allemagne  ne  pos- 
sède plus  aujourd'hui  un  seul  comédien  sorti  de  l'admirable 
pépinière  d'artistes  dramatiques  formée  par  Iffland  et  son 
école.  Les  anciennes  traditions  se  perdent ,  en  môme  temps 
que  les  productions  des  auteurs  modernes  n'ont  plus  le 
privili'ge  de  développer  de  nouveaux  talents.  L'acteur 
n'ayant  plus  de  caractères  originaux  à  créer,  ne  trouvant 
nulle  part  de  difficultés  à  vaincre  ,  se  laisse  aller  à  la  pente 
de  la  routine  et  néglige  jusqu'à  la  simple  diction.  D'un  autre 
côté,  le  défaut  d'interprètes  intelligents  paralyse  la  force 
créatrice  des  auteurs,  et  on  peut  dès  à  présent  prévoir  que 
le  temps  n'est  pas  loin  où  la  tragédie  originale  allemande 
aura  entièrement  disparu  de  la  scène. 

La  comédie  est  dans  un  état  plus  critique  encore.  La 
littérature  allemande  abonde,  sans  doute ,  en  pièces  qui  por- 
tent ce  titre  ;  mais  la  comédie  proprement  dite  continue  à 
faire  défaut  à  l'Allemagne.  La  seule  pièce  du  répertoire  qui 
ait  droit  à  ce  nom  est  encore  la  Minna  de  Barnhelm,  de 
Lessing.  Tous  les  autres  écrivains  qui  ont  cultivé  la  comé- 
die ont  sacrifié  leur  talent,  et  souvent  un  talent  fort  dis- 
tingué, aux  besoins  du  moment  ainsi  qu'au  mauvais  goût  du 
public.  L'habitué  du  théâtre  allemand  ,  en  général,  n'a  pas 
l'inlelligence  des  belles  situations  et  de  la  fine  observation. 
Ce  qu'il  lui  faut ,  c'est  une  bonne  grosse  plaisanterie,  le  bon 
gros  rire ,  ou  bien  du  sentimental ,  du  larmoyant ,  mais  rien 
qui  sorte  de  la  sphère  domestique.  Il  ne  sait  apprécier 
ni  la  finesse  comique  ni  la  grandeur  tragique.  D'où  il  ré- 
sulte que  la  comédie ,  ou  ce  qu'on  appelle  ainsi ,  pour  réussir 
à  la  scène ,  doit  varier  sans  relâche  de  la  bouffonnerie  à  ce 
genre  bâtard  qu'on  appelle  en  Allemagne  tableaux  de  fa- 
mille (  Familiengemaelde),  et  qu'il  ne  faut  pas  confondre 
avec  le  drame  bourgeois  français.  En  fait  de  genre  national, 
le  théâtre  allemand  n'a  produit  rien  que  l'on  puisse  opposer 
aux  comédies  anglaises ,  aux  vaudevilles  français,  voire 
même  aux  masques  italiens.  Pour  ce  qui  est  de  la  vérité, 
de  l'observation ,  de  l'esprit  et  de  l'intelligence  du  cœur  hu- 
main ,  aucun  poëte  comique  de  ce  pays  n'approche,  même 
de  loin ,  de  Molière ,  de  Shéridan  ou  de  Goldoni.  La  vie 
allemande ,  ne  dépassant  guère  le  cercle  étroit  du  foyer  do- 
mestique, donne  moins  de  prise  à  l'observation  que  celle 
des  autres  peuples;  il  y  a  d'ailleurs  dans  ce  pays  trop  de 
régions  privilégiées,  rendues  inabordables  par  la  censure  ; 
et  le  charnp  de  la  haute  comédie  y  est  tellement  circonscrit, 
que  le  talent  le  mieux  inspiré  ne  pourrait  se  mouvoir  dans 
un  cercle  si  restreint.  De  là  vient  que  la  comédie  alle- 
mande n'a  été  cultivée  par  aucun  talent  de  premier  ordre. 
Les  hommes  qui  subviennent,  sous  ce  rapport,  à  la  con- 
sommation journalière  de  la  scène,  sont  pour  la  plupart 
des  acteurs  ou  des  auteurs  très-médiocres.  Quelquefois  sans 
doute  un  homme  de  talent  consacre  à  la  prospérité  d'un 
théâtre  les  heureux  dons  naturels  qui  lui  sont  échus  en 
partage,  mais  il  est  bien  rare  qu'il  en  résulte  un  véritable 
profit  pour  l'art  même. 

Ce  que  nous  disons  là  s'applique  particulièrement  à  Rau- 
pach jdont  le  talent  comique  est  incontestable,  et  qui  pour- 
tant n'a  rien  créé  dont  l'art  ait  véritablement  profité.  L'es- 
prit qu'on  admire  dans  ses  productions  ne  brille  pas  par 
sa  propre  finesse  :  il  a  besoin  d'être  soutenu,  relevé  par  le 
geste  et  l'accent  de  l'acteur.  Les  comédies  de  Raupach  , 
aussi  bien  que  ses  drames ,  n'ont  obtenu  de  succès  que  par 
l'habileté  de  l'interprétation.  Nous  excepterons  toutefois 
son  drame  d'Isidore  et  Olga,  dont  la  valeur  poétique  est 
réelle. 

A  côté  de  Raupach ,  il  faut  nommer  Bauernfeld ,  auteur 
très-fécond ,  dont  les  comédies  brillent  par  un  style  pur,  par 
l'art  du  dialogue  et  par  d'habiles  situations.  Mais  la  force 
comique  manque  absolument  à  cet  écrivain  ,  et  l'invention 
n'est  pas  non  plus  ce  qui  le  distingue.  Nous  ajouterons  ici  les 

48. 


380 


ALLEMAGiNE 


noms  des  auteurs  comiquesdonl  les  productions  ont  le  plus 
occupe  la  scène  allemande  à  notre  époque  :  Dein- 
iianlslein  ,  auteur  du  Hans-Sachs,  directeur  intelligent  du 
Ihéûtrc  impérial  devienne;  Albini,  Tœpfer,  Charles  Le- 
brun, Cliark'S  Blum,  qui  excelle  dans  l'arrangement  des 
pièces  L'irangères  ;  Elslioltz ,  Maltitz,  et  Cosniar,  l'infatigable 
traducteur  de  MM.  Scribe,  Alexandre  Dumas  et  de  tous 
les  auteurs  Irançais  en  vogue. 

Un  genre  nouveau,  ou  plutôt  renouvelé  d'Iflland;  a  obtenu 
plus  tard  un  grand  succès  sur  le  théâtre  allemand.  Comme 
il  tient  du  diame  et  de  la  comédie,  sans  être  précisément 
ni  l'un  ni  l'autre,  il  lui  a  fallu  une  dénomination  nouvelle 
que  l'on  a  cru  avoir  trouvée  dans  le  titre  de  pièces  de  con- 
versation (  Conversationstijcke).  Le  public  adopta  ces  pièces 
avec  d'autant  plus  de  plaisir  que  tous  les  théâtres  étaient , 
quant  au  personnel,  en  parfait  étal  d'en  soigner  la  représen- 
tation. L'auteur  qui  ressuscita  ce  genre  fut  madame  la  prin- 
cesse Amélie  de  Saxe. 

C'est,  comme  nous  l'avons  dit ,  le  drame  d'Iflland,  mais 
d'un  genre  plus  relevé ,  et  tel  qu'il  convenait  de  l'écrire  pour 
la  haute  société.  La  disposition  des  pièces  de  la  princesse 
Amélie  est  en  général  très-simple  et  l'exécution  fort  habile  ;  le 
style  en  est  pur,  le  dialogue  élégant,  fin  et  spirituel.  Le  dia- 
logue est  môme,  à  proprement  parler,  toute  la  pièce  ;  l'action 
s'y  réduit  à  peu  de  chose  :  de  là  ce  nom  de  pièces  de  con- 
versation. Voilà  tout  ce  que  l'on  peut  dire  à  l'éloge  des 
comédies  de  la  princesse  de  Saxe,  productions  dont  le 
genre  est  indéterminé,  vague,  où  il  n'y  a  ni  dessin  de  carac- 
tères ni  lutte  de  passions.  Le  seul  bien  qu'elles  produisirent, 
ce  fut  d'expulser  de  la  scène  les  drames  du  genre  larmoyant 
etterriblede  madame  Charlotte  Birch-Pfeitfer;  drames  vrai- 
ment barbares ,  auxquels  le  bon  public  allemand  avait  ce- 
pendant pris  beaucoup  de  goût.  Les  pièces  de  la  princesse 
de  Saxe  qui  ontobtenu  le  plus  de  succès  sont  :  Vérité  et  Men- 
songe, la  Fiancée  de  la  Capitale,  l'Élève,  l'Oncle,  et  la 
Fiancée  du  Prince.  Elles  ont  été  traduites  en  français  par 
M.  Pitre  Chevalier. 

Un  homme  d'une  naissance  non  moins  illustre,  le  duc 
Charles  de  Meklenbourg-Strélitz ,  a  fait  repré?enter,  sous  le 
pseudonyme  de  Weisshaupt,  une  pièce  du  même  genre,  in- 
titulée :  les  Isolées,  dont  le  mérite  consiste  également  dans 
la  perfection  du  dialogue. 

Le  langage  de  la  haute  société,  disons  même  de  la  bonne 
compagnie,  a  été  rarement,  et  toujours  fort  imparfaitement, 
reproduit  dans  la  comédie  allemande.  Les  comédies  de  Kot- 
zebue ,  et  même  celles  d'Iflland,  qui  régnèrent  pendant  si 
longtemps  sur  la  scène  allemande ,  y  avaient  introduit  uu 
langage  qui  n'était,  à  vrai  dire,  celui  d'aucune  classe  de 
la  société,  une  véritable  langue  de  convention.  Les  auteurs 
dramatiques  qui  leur  succédèrent  furent  à  la  vérité  plus  na- 
turels; aucun  d'eux  ne  descendit  dans  le  dialogue  à  la  tri- 
vialité deKotzebue;  mais  peu  étaient  à  portée  d'étudier  les 
hautes  classes,  qu'ils  avaient  la  prétention  de  peindre,  et  de 
s'approprier  la  langue  qu'elles  y  parlent.  11  n'est  donc  pas  éton- 
nant que  les  personnes  d'un  goût  pur,  séduites  par  un  langage 
nouveau  pour  elles  dans  le  domaine  où  il  se  produisait,  et 
pourtant  simple ,  naturel  et  familier,  s'y  soient  laissé  pren- 
dre et  aient  passé  facilement  sur  le  reste.  On  ne  peut  cepen- 
dant nier  que  cegenre  ne  soit  un  acheminement  vers  un  avenir 
meilleur.  Les  imitateurs  ne  tardèrent  pas  non  plus  à  s'en 
emparer  ;  mais  cette  fois  ce  furent  des  imitateurs  intelligents, 
tels  que  Leutner,  dont  la  comédie  Frère  et  Sceur,  tout  en 
suivant  la  tradition,  est  bien  plus  riche  en  effets  dramatiques 
que  les  pièces  de  la  princesse  Amélie.  Devrient,  acteur  du 
théâtre  de  Berhn,  neveu  du  célèbre  Louis  Devrient,  se  ser- 
vit du  même  cadre  pour  écrire  une  comédie  intitulée  :  les 
Erreurs,  qui  mit  en  émoi  le  public  et  la  criticpie.  C'est  à  ce 
génie  qu'appartiennent  encore  VÉcole  des  Riclics  et  le 
Feuillet  blanc  dcM.  Gutzkow.  [Voyez  la  plupart  des  noms 
cités.) 


L'ancien  chef  de  fde  de  la  Jeune  Allemagne  débuta  au  théâtre 
par  un  drame ,  Richard  Savage,  dont  le  succès  fut  grand  et 
mérité.  L'auteur  s'est  inspiré  des  malheurs  de  cet  infortune 
et  vaniteux  poète  anglais,  fils  illégitime  d'une  grande  dame, 
qui  refusa  toute  sa  vie  de  le  reconnaître.  Le  Richard  Savage 
de  Gutzkow  n'est  pas  celui  de  l'histoire,  chez  lequel  la  pré- 
somi)l!on  ,  la  vaiiité  et  l'orgueil  blessé  avaient  étouffé  fout 
sentiment  filial.  Ce  pamphlétaire  se  souciait  bien  en  vérité 
de  l'amour  de  sa  mère!  Ce  qu'il  lui  fallait,  c'était  un  rang , 
des  richesses ,  un  champ  à  son  ambition  démesure^  !  Gutz- 
kow ,  en  rendant  son  héros  plus  intéressant ,  l'a  rendu  en 
môme  temps  plus  dramatique.  Il  y  a  dans  sa  pièce  des  scènes 
d'un  grand  pathétique;  le  style  en  est  fortement  coloré  et 
toujours  à  la  hauteur  du  sujet.  Ce  drame  peut  être  consi- 
déré comme  l'un  des  plus  beaux  du  théâtre  allemand  mo- 
derne. Dans  son  Patkul,  le  môme  auteur  a  représenté  les 
idées  et  les  tendances  de  notre  époque  ;  il  y  a  exprimé  des 
sentiments  de  nationalité  qui  surprennent  dans  la  bouche 
de  l'auteur  de  Wally. 

L'Allemagne ,  nous  en  avons  la  certitude ,  recèle  encore 
beaucoup  déjeunes  poètes  tout  aussi  méritants  que  ceux  que 
nous  venons  dénommer.  Leurs  efforts  réunis  parviendraient 
peut-ôtre  à  retenir  le  théâtre  sur  la  pente  funeste  où  il  s'est 
engagé,  si  les  directions  théâtrales,  au  lieu  d'encourager  les 
talents  naissants ,  ne  prenaient  pas  soin  en  quelque  sorte  de 
les  rebuter  en  leur  rendant  la  scène  fout  à  fait  inabordable. 
Le  public,  habitué  depuis  longtemps  aux  traductions  et 
à  l'imitation  des  pièces  étrangères,  leur  abandonne  à  cet 
égard  un  pouvoir  absolu.  Le  public  allemand,  celui  des 
théâtres  du  moins,  n'exige  pas  qu'on  lui  donne  des  ouvrages 
originaux.  Peu  lui  importe  l'art  national ,  pourvu  qu'on  l'a- 
muse. Ajoutez  à  cela  que  l'auteur  dramatique,  à  moins  d'être 
d'une  fécondité  prodigieuse ,  ne  trouve  pas  dans  l'exercice 
de  son  talent  les  garanties  d'une  existence  assurée.  Les 
directions  de  théâtre  n'attribuent  aux  écrivains  aucun  droit 
d'auteur  ;  elles  se  rendent  propriétaires  des  pièces  de  leur 
répertoire;  et  l'auteur,  une  fois  son  ouvrage  vendu,  ne  peut 
plus  le  retirer,  ni  prétendre  à  une  part  quelconque  de  la  re- 
cette qu'il  aura  produite.  Les  grandes  scènes  ont  pour  la 
plupart  un  tarif  d'après  lequel  elles  fixent  la  rétribution  des 
pièces ,  et  auquel  l'auteur  doit  se  conformer.  Cette  rétribu- 
tion est  d'ordinaire  si  minime,  elle  compense  si  peu  les 
vexations  et  les  dégoûts  de  foute  espèce  auxquels  tout  auteur 
doit  se  résigner  avant  d'arriver  à  la  représentation  de  ses 
ouvrages,  que  l'on  a  en  vérité  de  la  peine  à  concevoir  com- 
ment il  se  rencontre  encore  des  écrivains  dramatiques  en 
Allemagne. 

Le  droit  de  propriété  dramatique  n'a  été  fixé  par  une  loi 
qu'en  1837  ,  et  encore  en  Prusse  seulement.  Cette  loi,  fort 
imparfaite  d'ailleurs,  parce  qu'elle  ne  protège  les  auteurs 
dramatiques  que  contre  le  vol  de  leurs  manuscrits,  peut  ce- 
pendant être  considérée  comme  un  progrès,  quand  on  se 
reporte  à  l'état  de  choses  antérieur.  Elle  interdit  la  repré- 
sentation de  tout  ouvrage  dramatique  sans  l'autorisation 
préalable  de  l'auteur,  de  ses  héritiers  ou  ayant-droit ,  tant 
que  cet  ouvrage  n'a  pas  été  publié  par  la  voie  de  l'im- 
pression. L'auteur  seul  peut  accorder  cette  autorisation,  et 
après  sa  mort  ses  droits  compétent  à  ses  héritiers  ou  ayant- 
droit  pendant  l'espace  de  dix  ans.  Toute  contravention  est 
punie  d'une  amende  de  dix  à  cent  thalers  (40  à  400  francs), 
et  en  outre,  si  la  représentation  a  eu  lieu  sur  un  théâtre  per- 
manent ,  de  la  confiscation  de  la  recette  brute  de  la  soirée  , 
au  profit  de  l'auteur,  déduction  faite  d'un  tiers  pour  la  caisse 
des  pauvres. 

Une  scène  qui,  malgré  sa  position  infime,  déploie  bien 
pli.'S  p'originalité  que  maint  grand  théâtre  à  prétentions  lit- 
téraires et  artistiques,  c'est  le  théâtre  populaire  de  la  Léo- 
joldstadt,  à  Vienne.  Les  pièces  qu'on  y  joue  sont  tout  bon- 
nement des  farces  locales,  mais  d'un  genre  très-original  et 
dont  on  se  ferait  difficilement  une  idée  en  France.  C'est  un 


ALLEMAGNE 


381 


mélange  de  réalités  et  de  fictions,  de  faux  et  de  vrai,  de  mo- 
rale et  de  folie  ;  un  monde  de  fées,  de  démons,  d'enchanteurs, 
d'honnêtes  bourgeois  et  de  stupides  valets.  Ajoutez  à  cela 
des  feux  d'artifice,  des  pantomimes,  de  magnifiques  décors, 
et  vous  aurez  une  idée  de  la  récréation  favorite  du  peuple 
devienne,  récréation  à  laquelle  la  bonne  société  ne  dédaigne 
pas  de  prendre  part.  Ce  genre,  qu'on  appelle  pièces  vien- 
noises, fut  perfectionné ,  sinon  inventé,  par  un  acteur  co- 
mique du  premier  ordre,  nommé  Raiminid.  Avant  lui,  Pré- 
hauser  et  Schuster  avaient  déjà  charmé  avec  leurs  inventions 
comiques  ce  bon  peuple  viennois,  de  toutes  les  populations 
allemandes  la  plus  affamée  de  spectacles.  Mais  Raimuud 
éclipsa  bientôt  tous  ses  devanciers,  auteurs  et  acteurs,  et 
resta  jusqu'à  sa  mort  le  favori  du  public.  Cet  artiste ,  d'un 
comique  si  profond  et  si  vrai,  qui  avait  tant  de  fois  déso- 
pilé  la  rate  de  ses  compatriotes ,  se  tua  dans  un  accès  de 
délire.  Les  meilleures  pièces  de  Raimund  sont  :  le  Diamant 
du  roi  des  Esprits ,  la  jeune  Fille  du  monde  des  Fées,  le 
Roi  des  Alpes  et  le  Misanthrope.  Ce  sont  de  véritables 
drames  populaires,  mêlés,  il  est  vrai,  de  merveilleux  et  de 
fantastique,  mais  de  ce  merveilleux  naïf  auquel  on  suppose 
toujours  un  sens  profond,  et  qui  convient  si  bien  à  l'àme  rê- 
veuse du  peuple  allemand.  C'est  ce  petit  théâtre  de  la  Léo- 
poldstadt  qui  produisit  la  fameuse  Nymphe  du  Danube, 
dont  l'Allemagne  entière  fut  engouée  pendant  des  années. 

11  nous  reste  à  parler  des  auteurs  dramatiques  qui  se  sont 
volontairement  fermé  l'accès  du  théâtre  en  refusant  de  se 
plier  aux  exigences ,  aux  caprices  de  la  foule ,  et  qui  se 
contentent  pour  leurs  œu\Tes  des  suffrages  éclairés  d'un 
petit  nombre  de  lecteurs  d'élite.  En  lisant  leurs  ouviages , 
on  s'aperçoit  aisément  qu'ils  se  sont  peu  préoccupés  des 
exigences  de  la  scène ,  non-seulement  de  celle  des  théâtres 
allemands,  mais  de  la  scène  en  général,  tant  leurs  créations 
se  développent  au  delà  des  conditions  imposées  à  la  repré- 
sentation. Ce  sont  surtout  les  drames  de  Grabbe  que  nous 
avons  ici  en  vue ,  comme  les  productions  de  cette  partie  de 
la  littérature  dramatique  qui  offrent  l'originalité  la  plus  bi- 
zarre. 

GrflWe,  génie  singulier,  caractère  étrange,  allie  dans 
ses  drames  une  grande  puissance  créatrice  à  l'imagination 
la  plus  désordonnée.  A  l'âge  de  dix-neuf  ans  il  avait  déjà 
composé  un  drame  :  le  Duc  de  Gothlnnd,  œuvre  irrégu- 
lière, bizarre,  mais  qui  dénote  une  force  réelle  et  une  grande 
abondance  d'idées.  Le  malheur  de  Grabbe  fut  de  n'avoir 
pu  ni  maîtriser  les  impressions  d'une  enfance  misérable , 
ni  surmonter  les  entraves  qu'il  rencontra  plus  tard  dans  la 
vie.  Un  sentiment  de  haine,  de  rancune  contre  la  société, 
se  réfléchit  dans  tous  ses  ojuvrages.  Il  eût  voulu  que  la  na- 
tion allemande  l'adoptât  et  lui  donnât  mission  de  lui  faire 
des  chefs-d'œuvre.  «  Vous  vous  enthousiasmez  pour  des 
étrangers,  écrivait-il  ;  pourquoi  ne  pas  me  prêter  aussi  votre 
appui?  Vous  parlez  avec  idolâtrie  de  Shakspeare,  et  il  ne 
tient  qu'à  vous  de  faire  de  moi  un  Shakspeare  !  »  Il  disait 
encore  ailleurs  :  «  On  se  prend  d'enthousiasme  pour  un 
drame  comme  Faust  ;  quelle  misère!  Donnez-moi  trois  mille 
thalers  par  an ,  et  je  vous  ferai  bien  autre  chose.  «  Grabbe 
fit  autre  chose,  en  effet.  Dans  ses  drames  de  Don  Juan 
et  Faust,  Hannibal  ,  Barberousse  ,  Henri  IV,  tout  est 
colossal,  exagéré,  monstrueux.  Pour  écrite  un  drame  histo- 
rique, il  ne  se  contente  pas  d'un  fait,  d'un  événement ,  quel- 
que dramatique  qu'il  soit  :  il  lui  faut  une  époque  ,  un  peu- 
ple. S'il  peint  la  passion ,  la  vertu ,  le  vice ,  c'est  sans  tran- 
sitions, sans  nuances,  et  toujours  dans  leurs  manifestations 
les  plus  tranchées.  La  Bataille  d'Arminitcs ,  qu'il  termina 
en  mourant,  est  son  meilleur  drame.  11  laissait  inachevée 
une  épopée  dramatique  intitulée  :  Napoléon  et  les  Cent 
jours. 

Bûchner,  poète  dramatique,  enlevé  à  la  fleur  de  l'âge,  dont 
les  créations  sont  moins  gigantesques,  mais  en  revanche 
biea  autrement  à  la  portée  de  la  scène,  appartient  à  l'école 


de  Grabbe.  Son  drame  la  Mort  de  Danton  représente 
d'une  manière  saisissante  une  des  phases  les  plus  terribles 
de  la  révolution  française.  Danton  est  pour  cet  écrivain  l'ex- 
pression la  plus  parfaite  de  la  grandeur  républicaine.  Tous 
les  caractères  que  lîiichner  représente  dans  son  drame  sont 
tracés  de  main  de  maître.  Nous  devons  encore  mentionner  les 
noms  de  Daller,  de  Wiese,  de  Wilkomm,  de  Mosen,  d't/- 
chtrilz,  et  surtout  celui  de  Jlauch ,  Danois  de  naissance, 
qui ,  à  l'exemple  de  son  compatriote  Œhlenschlaeger,  s'est 
inspiré  de  la  muse  allemande.  Sa  tragédie  de  Tibère  et  son 
drame  le  Siège  de  Macstricht  ont  pris  place  à  côté  des  plus 
belles  productions  de  la  poésie  dramatique  des  allemands. 

Les  revues  et  les  recueils  consacrés  à  l'art  dramatique  qui 
se  publient  en  Allemagne  caractérisent  assez  bien  par  leur 
direction  particulière  l'état  de  schisme  où  se  trouve  aujour- 
d'hui le  théâtre  allemand.  C'est  ain?i  que  les  ouvrages 
dramatiques  destinés  à  la  représentation  scénique ,  et  nous 
comprendrons  dans  cette  catégorie  les  traductions ,  imita- 
tions, etc.,  sont  représentés  par  une  foule  de  recueils  et  de 
revues  critiques ,  dont  les  principaux  sont  VAlmanach  des 
Théâtres  de  Cosmar,  les  Annales  Dramatiques  de  Franck, 
la  Revue  des  Théâtres  de  Lehwald;  tandis  que  les  pièces 
purement  Uttéraires  ne  s'appuient  que  sur  les  Annales  de 
Willkomm,  excellent  et  consciencieux  recueil  de  littérature 
et  de  critique  dramatiques,  dont  le  titre  allemand  est  : 
Jahrbiicher  filr  Drama,  Dramaturgie  und  Theater. 

Nous  venons  d'esquisser  rapidement  l'état  actuel  du 
théâtre  en  Allemagne.  L'art  dramatique  y  subit  depuis  bien 
des  années  une  crise  douloureuse  dont  il  est  difficile  de  pré- 
■voir  le  terme,  mais  dont  les  résultats  ne  sont  malheureuse- 
ment que  trop  évidents.  Un  fait  non  moins  affligeant  qu'il 
nous  faut  constater,  c'est  la  lareté  toujours  plus  grande  des 
bons  comédiens.  L'Allemagne,  si  riche  en  institutions  mu- 
sicales, et  qui  possède,  outre  les  conservatoires  de  Vienne , 
de  Berlin,  de  Prague  et  de  Leipzig ,  un  si  grand  nombre 
d'académies  lyriques  et  de  sociétés  pour  la  propagation  du 
chant ,  n'a  pas  une  seule  école  de  déclamation  pour  former 
ses  acteurs  et  corriger  la  prononciation  vicieuse  de  la  plu- 
part d'entre  eux.  Aussi  n'est-il  pas  rare  d'entendre ,  même 
sur  des  scènes  de  premier  ordre,  tantôt  l'accent  traînant  de 
la  Saxe  se  marier  disgracieusement  à  l'âpreté  du  dialecte 
bavarois ,  tantôt  le  langage  flasque  et  efféminé  de  l'Autriche 
contraster  péniblement  avec  la  prononciation  pure  et  nette- 
ment accusée  de  l'habitant  du  nord.  La  critique ,  non  pas 
cette  critique  complaisante  qui  est  à  la  solde  des  directions , 
mais  la  critique  intelligente,  sévère  et  honnête,  lutte  depuis 
longtemps,  mais  en  vain,  contre  un  état  de  choses  qui  tend 
à  consommer  la  ruine  de  l'art  dramatique.  Nous  craignons 
bien  qu'elle  n'y  perde  ses  peines  ;  car  nous  pensons  que  pour 
relever  le  théâtre  allemand  à  une  hauteur  vraùnent  natio- 
nale, il  ne  faudrait  pas  moins  qu'un  de  ces  hasards  mysté- 
rieux qui  font  naître  les  grands  poètes ,  et  à  leur  suite  les 
grands  artistes  dramatiques. 

Influence  extérieure  de  la  littérature  allemande. 

L'influence  de  la  pensée  allemande  sur  la  littérature  des 
autres  nations  a  toujours  été,  sinon  brillante,  du  moins 
profonde  et  réelle.  Nous  ne  parlerons  pas  ici  du  mouvement 
immense  auquel  la  réforme  de  Luther  donna  l'impulsion,  ni 
des  écrits  de  ce  réformateur,  traduits  dans  toutes  les  lan- 
gues ,  et  dont  l'effet  fut  prodigieux.  Ce  sont  là  des  résultats 
qu'il  appartenait  à  l'histoire  d'enregistrer  comme  étant  plus 
particulièrement  de  son  domaine.  Depuis  cette  mémorable 
époque  jusqu'au  milieu  du  siècle  dernier,  la  littérature  alle- 
mande n'a  d'ailleurs  rien  produit  qui  représentât  digne- 
ment l'esprit  germanique.  Notre  assertion ,  qu'on  ne  l'ou- 
blie pas,  ne  s'applique  qu'aux  belles-lettres  proprement 
dites,  car  l'érudition  et  la  science  allemande  ont  toujours 
été  pleinement  appréciées  par  les  autres  peuples  de  l'Eu- 
rope. En  effet,  l'histoire  littéraire,  l'esthétique,  la  philoso- 


3S' 


ALLEMAGNE 


phie,  l'archéologie,  les  ouvrages  encyclopédiques,  etc. ,  doi- 
vent aux  Allemands  sinon  leur  origine ,  du  moins  de  grands 
développements  et  un  liant  degré  de  perfection. 

L'influence  que  Leibnilz  et  plus  tard  Kant  exercèrent 
sur  la  pensée  étrangère  ,  à  son  insu  et  presque  malgré  elle, 
fut  immense.  Mais  s'il  n'a  été  donné  à  la  littérature  alle- 
mande proprement  dite  de  franchir  les  limites  du  terroir 
originel  qu'après  la  venue  de  Gœthc  et  de  Schiller,  la 
haute  considération  qu'elle  acquit  à  cette  époque  s'est  tou- 
jours accrue  depuis ,  surtout  parmi  les  nations  qui  se  rap- 
prochent de  l'Allemagne  par  l'affinité  des  races  et  par  celle 
de  la  langue. 

La  première  qui  se  présente  à  nous  sous  ce  rapport  est 
la  nation  anglaise.  L'Angleterre,  on  ne  saurait  le  mécon- 
naître, malgré  une  résistance  quelque  peu  opiniâtre,  se  sent 
entraînée  par  une  sympathie  secrète  vers  les  idées  et  les 
spéculations  de  l'Allemagne.  Déjà  même  des  voix  s'y 
sont  élevées  contre  les  soi-disant  envahissements  de  la 
germânomanie.  Quoique  peu  fondées ,  ces  clameurs  indi- 
quent du  moins  que  l'étude  de  la  littérature  allemande  est 
de  plus  en  plus  cultivée  dans  ce  pays.  En  effet ,  la  langue 
allemande  y  marche  presque  de  pair  avec  les  langues  clas- 
siques ;  et  ce  sont  les  plus  illustres  d'entre  les  chefs  de  la  lit- 
térature anglaise  moderne ,  par  exemple  Coleridge  et  Car- 
liste, qui  ont  initié  leurs  compatriotes  aux  productions  de 
la  pensée  germanique.  Taylor  aussi  contribua  beaucoup  à 
la  connaissance  de  la  littérature  allemande,  par  son  excel- 
lent ouvrage  intitulé  :  Historic  Siirveij  o/German  Poetry. 
Si  ce  fut  jadis  l'étude  de  Shakspeare  qui  arracha  les  Allemands 
à  la  plate  imitation  des  littératures  étrangères,  et  qui  leur 
donna  l'intelligence  de  leur  propre  génie,  il  est  exact  d'ajouter 
qu'aujourd'hui  l'étude  de  Faust  est  devenue  une  source  i.".- 
tarissable  d'inspirations  pour  les  poètes  anglais.  Ce  chef- 
d'œuvTe  de  Gœthe  a  été  traduit  à  différentes  reprises,  par 
Shelley  d'abord  (mais  en  partie  seulement)  ;  vinrent  ensuite 
les  traductions  de  lord  Francis  Le  vison  Gowcr  (  1 82  5) ,  de  Syme 
et  de  Blackie  (  1834  ) ,  celles  en  prose  de  Hayward  (  troisième 
édit.,  1838)  etdeTalbot  (deuxième  édit.,  1839).  La  plus  par- 
faite de  toutes  est  celle  qui  parut  accompagnée  de  la  Fian- 
cée de  Corinthe  de  Schiller,  par  Anster  (1838) ,  puis  celles 
de  Birch ,  de  G.  Lefèvre  et  de  Lewis  Filmore.  Birch ,  Ber- 
nays  et  A.  Gurney  firent  aussi  des  tentatives  pour  repro- 
duire la  seconde  partie  de  la  tragédie  de  Faust.  Parmi  les 
ouvrages  de  Gœthe  qui  après  Fatist  ont  eu  le  plus  de 
succès, il  faut  nommer  Werther,  leTasse,  la  Chromatique, 
plusieurs  fois  reproduits  par  la  traduction ,  de  même  que  la 
plupart  de  ses  poésies  lyriques.  Après  Gœthe,  Schiller  est 
l'auteur  allemand  qu'affectionnent  le  plus  les  Anglais,  et  sur- 
tout les  Anglaises.  Tous  les  drames  de  Schiller  ont  été  tra- 
duits en  anglais,  et  même  par  divers  traducteurs.  La  pre- 
mière traduction  des  Brigands  date  de  1792.  Parmi  les 
traductions  anglaises  qu'on  a  de  ses  poésies  lyriques,  celle 
de  son  poème  la  Cloche  a  excité  une  universelle  sympathie 
en  Angleterre. 

Après  ces  deux  écrivains ,  dont  les  poésies  choisies  vien- 
nent tout  récemment  encore  d'être  traduites  par  Dwight , 
Louis  Uhland  est  de  tous  les  poètes  lyriques  de  l'Alle- 
magne celui  qui  a  le  plus  de  réputation  de  l'autre  côté  du 
détroit.  En  fait  de  productions  modernes,  le  Peter  Slemihl 
deChamisso  est  devenu  populaire.  CruiKshanken  a  publié 
une  traduction  accompagnée  d'illustrations  magnifiques  et 
devenue  célèbre  en  Europe. 

Les  travaux  de  la  philosophie  allemande  n'ont  pas  trouvé 
en  Angleterre  un  accueil  aussi  brillant  que  les  ouvrages 
dont  nous  venons  de  parler.  Quelques  écrits  de  Kant  y  ont 
cependant  été  traduits.  En  revanche ,  les  travaux  piiiiolo- 
giques  de  l'Allemagne  y  jouissent  d'un  succès  incontesté. 
La  plupart  des  grammaires,  particulièrement  la  grammaire 
hébraïque  de  Gesenius,  les  travaux  lexicographiqiies  du 
même  auteur  ,   ceux   de   iMatlhias  ,   de  Butlmann  ,  de 


Zumpt ,  ont  été  reproduits  à  l'usage  des  Anglais.  Les  ou- 
vrages d'archéologie  de  Bœckh,  d'Hermann,  d'Ottfried 
Millier,  de  Wachsmuth ,  de  Becker,  etc.,  ont  été  traduits 
avec  beaucoup  de  soin.  Les  travaux  historiques  et  d'his- 
toire littéraire  des  ^■iebuhr ,  des  Ranke,  des  Raumer,  des 
Schlosser,  des  frères  Schlegel ,  etc.,  etc.,  n'y  sont  pas  moins 
appréciés.  Parmi  les  femmes  qui  ont  contribué  à  populari- 
ser en  Angleterre  la  littérature  allemande  ,  mesdames  Sara 
Austin  et  Jameson  occupent  le  premier  rang.  Les  Voyages 
en  Allemagne  des  touristes  anglais  se  multiplient  aussi 
chaque  année.  Citons  ici  Vienna,  par  mistriss  Trollope; 
Aïistria,  par  Turnbull;  Germany  and  Bohemia ,  par 
Gleig;  Germany,  the  spirit  of  her  history ,  par  Haw- 
kins;  Austria;its  lïterary,  scientific  and  médical  insti- 
tutions, par  Wilde.  Les  revues  et  magasins  httéraires,  par- 
ticulièrement le  Foreign  quarterly  Rcvieiv,  s'occupent  aussi 
de  plus  en  plus  de  littérature  allemande ,  et  chaque  jour  la 
librairie  anglaise  publie  d'excellentes  traductions  d'ouvrages 
allemands  dans  tous  les  ordres  d'idées,  avec  de  remar- 
quables appréciations  critiques  et  biographiques  sur  les 
hommes  auxquels  on  en  est  redevable,  et  qui  pour  la  plupart 
sont  de  ceux  qui  ont  le  plus  illustré  la  littérature  allemande. 

Le  Danemark ,  plus  rapproché  de  l'Allemagne  sous  le 
double  rapport  de  la  position  géographique  et  de  l'afTinité 
d'idiome,  s'est  aussi  plus  familiarisé  avec  les  produits  de  la 
pensée  allemande.  Si  l'on  y  traduit  moins  qu'ailleurs,  c'est 
qu'en  Danemark  tout  homme  tant  soit  peu  instruit  connaît 
parfaitement  la  langue  de  Klopstock  et  de  Herder.  Non-seu- 
lement les  principaux  poètes  danois  se  sont  formés  en  Alle- 
magne, mais  un  grand  nombre  d'entre  eux,  tels  qu'Œh- 
lenschlaeger ,  Baggesen ,  Éwald ,  Frédérika  Briin ,  et  d'au- 
tres encore ,  ont  enrichi  la  littérature  allemande  elle-même 
de  productions  d'une  haute  importance.  Klopstock,  Schiller 
et  plus  récemment  Ilebel,  le  gracieux  auteur  des  Poésies 
alémanes,  avaient  trouvé  de  généreux  Mécènes  en  Dane- 
mark ,  notamment  à  la  cour  des  ducs  de  Holstein-A  u  g  u  s- 
tenburg,  maison  princière  collatérale  de  la  maison  ré- 
gnante ,  et  appelée  peut-être  quelque  jour,  par  suite  de 
l'extinction  de  la  ligne  masculine,  à  faire  rentrer  dans  la 
grande  famille  allemande,  comme  État  indépendant,  les  du- 
chés de  Schlesvvig-Holstein ,  ce  plus  beau  fleuron  de  la  cou- 
ronne de  Danemark. 

En  France,  on  peut  dire  que  ce  fut  madame  de  Staèlqui 
donna  l'impulsion  première  à  l'étude  suivie  de  la  littérature 
allemande.  Sans  doute  avant  elle  quelques  tentatives  avaient 
déjà  été  faites  pour  familiariser  l'esprit  français  avec  les 
productions  littéraires  de  l'autre  côté  du  Rhin.  C'est  ainsi 
qu'on  avait  traduit  la  Messiade.  de  Klopstock  et  plusieurs 
ouvrages  de  Gessner ,  et  qu'un  choix  assez  indigeste  de 
drames  et  de  comédies  avait  été  publié  sous  le  titre  de 
Thédtre  Allemand  etde  Aouveau  Théâtre  Allemand  (l~9ô). 
On  avait  été  même  jusqu'à  représenter  des  pièces  de  Kotze- 
biJe  sur  la  scène  française,  et  Werther  avait  produit  en 
France  presque  autant  de  sensation  que  dans  la  patrie  de 
Gœthe.  Mais  le  livre  De  VAUemagne  révéla  au  public 
français  l'existence  d'une  poésie  nouvelle;  et  en  lui  indi- 
quant les  sources  fécondes  auxquelles  s'inspire  l'esprit  ger- 
manique ,  il  excita  le  vif  désir  d'en  sonder  les  profondeurs, 
désir  qui  a  toujours  existé  depuis  chez  les  hommes  instruits, 
et  qui  n'a  pas  laissé  que  d'exercer  par  ses  résultats  une 
influence  marquée  sur  la  direction  de  leurs  travaux.  Au- 
jourd'hui ,  en  effet,  nous  voyons  en  France  tons  les  esprits 
sérieux  attacher  un  grand  prix  à  l'étude  de  l'art,  de  la  poésie 
et  de  la  science  des  Allemands. 

Que  si  l'Angleterre  songe  plutôt  à  s'approprier  par  des 
traductions  l&s  travaux  historiques  de  l'Allemagne,  on  peut 
dire  que  sa  philosophie  est  ce  qui  attire  plus  particulière- 
ment l'attention  du  public  français.  Parmi  les  hommes  dont 
leselTorts  ont  puissamment  contribué  à  populariseras  idées 
des  philosoplies  «illemands ,   il  faut  nommer  MM.  Tissot, 


ALLEMAGNE 


383 


Cardiou  dePeuhoën,  Cousin,  E.  Qiiinet,  le  liadiicknir  de 
Ficlite,  et  l'auteur  de  l'excellente  Histoire  de  la  Philoso- 
phie  nllemande  depuis  Leibuitz  jusqu'à  Hegel  (isss). 
En  1S31  on  a  va  l'Académie  des  Sciences  morales  et  poli- 
tiiliios  mettre  au  concours  l'exposition  des  divers  systèmes 
philosophiques  de  l'Allemagne  depuis  Kant.  Dans  ces  der- 
niers temps  ,  les  systèmes  de  Schelling  et  de  Hegel  ont  été 
jwpularisés  en  France  ,  soit  par  la  traduction  des  ouvrages 
de  ces  philosophes ,  soit  par  l'exposition  originale  de  leurs 
doctrines. 

Les  travaux  historiques  dont  la  France  s'est  plus  spécia- 
lement emparée  par  la  traduction  sont  ceux  de  Jean  de 
Millier ,  VHisloire  des  Ilohenstaufen  de  Raumer,  V His- 
toire de  la  Reforme  de  Marheincke,  l'Histoire  de  la 
Papauté  de  Ranke,  les  ouvrages  de  Hurter,  de  Kohl- 
rausch ,  etc. 

Quant  à  la  poésie  allemande,  la  France  s'est  bornée  pres- 
que exclusivement  à  la  période  classique,  c'est-à-dire  à  Schil- 
ler et  à  Gœthe,  dont  les  ouvrages  ont  été  reproduits  par  des 
traductions  multipliées.  Le  développement  récent  du  lyrisme 
allemand  n'a  d'ailleurs  jusque  ici  que  fort  peu  captivé  l'at- 
tention du  public  français. 

Parmi  les  travaux  importants  et  récents  spécialement 
consacrés  à  l'Allemagne,  nous  citerons  ici  les  Notices  poli- 
tiques et  littéraires  sur  V Allemagne ,  de  M.  Saint-Marc 
Giraidin  ;  les  Études  sur  F  Allemagne,  de  Î\L  A.  Michiels, 
et  l'excellent  ouvrage  de  M.  H.  Fortoul,  intitulé  de  l'Art  en 
Allemagne.  Plusieurs  écrits  périodiques,  tels  que  la  Revue 
Germanique  et  la  Revue  du  Nord ,  qui  ont  paru  pendant 
longtemps,  étaient  uniquement  consacrés  à  populariser  en 
France  les  produits  de  l'esprit  germanique.  La  Revue  des 
Deux  Mondes  a  publié  et  publie  encore  tous  les  jours  de 
conssiencieux  articles  sur  le  mouvement  intellectuel  d'au 
delà  du  Rhin.  Mentionnons  encore  les  belles  et  savantes 
leçons  de  MM.  Fauriel ,  Edgar  Qxiinet,  Ozanam  et  Philarète 
Chasles  à  la  Sorbonne  et  au  Collège  de  France ,  et  disons 
qu'en  aucun  temps  la  pensée  allemande  n'a  été  plus  digne- 
ment représentée  en  France  que  de  nos  jours. 

De  tous  les  pays  de  l'Europe  méridionale,  l'Italie  est  celui 
dont  les  rapports  avec  l'Allemagne  sont  les  plus  directs. 
Malgré  le  peu  d'homogénéité  existant  entre  le  caractère  et 
la  langue  des  deux  nations,  la  littérature  allemande  avait  su 
se  frayer  de  bonne  heure  un  chemin  jusqu'au  cœiir  de  l'I- 
talie. Elle  y  était  entrée  à  la  suite  de  Winckelmann.  La 
Messiade ,  les  Idylles  de  Gessner,  le  Musarion  de  ^Yie- 
land  y  étaient  connus  et  appréciés  dès  le  siècle  dernier. 
Mais  là  comme  ailleurs  les  noms  aujourd'hui  les  plus  po- 
pulaires sont  ceux  de  Gœthe  et  de  Schiller.  Werther  ins- 
pira à  l'illustre  Ugo  Foscolo  sa  belle  imitation  de  Jacob  Or- 
tis.  Le  Museo  Dramatico  publia  les  traductions  de  Faust 
et  de  Gœtz  de  Berlichingen,  et  les  drames  de  Schiller  ont 
eu  pour  interprètes  Ferrario,  Vergani ,  Léoni ,  L.  Maffei , 
savant  appréciateur  de  la  langue  et  de  la  littérature  alle- 
mandes, et  plus  récemment  madame  Degli  Scolari.  Les  piè- 
ces de  Kotzebiie  se  maintiennent  constamment  sur  la  scène 
italienne  à  côté  de  celles  de  Goldoni.  Un  excellent  recueil 
de  poésies  allemandes  a  été  publié  par  A.  Ballati ,  sous  le 
titre  de  Saggio  di  versi  allemanni  recati  in  versi  italiani. 
La  critique  et  la  philosophie  allemandes  pénétrèrent  en 
Italie  en  dépit  de  maint  obstacle.  En  1S33  Landonio  a  tra- 
duit le  Laocoon  de  Lessing;  et  en  183G  Paoli  a  publié  à 
MihnV Histoire  de  la  Philosophie  deTennemann.  M.  César 
Canlii  a  écrit,  sous  le  titre  de  Saggio  sulla  Literatura  Te- 
desca,  une  excellente  histoire  de  la  poésie  allemande,  dans 
laquelle  il  a  rendu  avec  beaucoup  de  sentiment  et  une  éit;- 
gance  extrême  de  poétiques  extraits  tirés  des  meilleures  tra- 
ductions de  la  muse  germanique,  depuis  les  Minnesxnger 
jusqu'à  Lliland  et  Henri  Heine. 

Parmi  les  peuples  slaves,  les  Bohêuies,  très-familiarisés 
avec  la  langue  aUemande,  sont  ceux  qui  possèdent  les  mcil-  ' 


Icures  traductions  des  chefs-d'œuvre  de  cette  littérature,  et 
les  drames  de  Schiller  sont  aussi  applaudis  sur  les  difiërents 
théâtres  de  la  liohéme  que  sur  les  scènes  allemandes. 

Ce  fut  encore  le  génie  allemand  qui  féconda  le  tardif  dé- 
veloppement de  la  littérature  en  Russie.  Lomonossow ,  le 
père  de  la  poésie  russe ,  se  forma  en  Allemagne  à  l'école  de 
Christian  SVolf;  il  s'attacha  particulièrement  à  l'imitation 
de  Giinther,  poète  de  l'école  saxonne ,  qui  florissait  au  com- 
mencement du  dix-septième  siècle.  Derzawin  popularisa  en 
Russie  le  genre  de  KIopstock,  etZukowsky  y  introduisit  la 
ballade  allemande  et  le  vers  iambique  du  drame  de  Schiller. 
La  ballade  de  Ludmilla ,  imitation  de  la  Lénore  de  Bùr- 
ger,  est  restée  populaire  en  Russie.  Huber  traduisit  le  Faust 
de  Gœthe ,  et  Bakounin  la  Correspondance  de  Gœthe  et 
de  Bettina. 

De  toutes  les  contrées  slaves ,  la  Pologne  est  celle  qui  ré- 
sista le  plus  longtemps  airs  influences  de  l'esprit  germanique. 
Cependant  l'école  romantique ,  dont  Mickiewicz  est  le  chef, 
s'y  est  développée  sous  l'inspiration  de  la  poésie  allemande 
et  anglaise.  C'est  ainsi  que  Mickiewicz  a  traduit  lui-même 
plusieurs  ballades  de  Schiller,  et  que  Kàminski  a  popularisé 
Schiller  par  des  traductions  que  la  critique  polonaise  a  pro- 
clamées autant  de  chefs-d'œuvre. 

Philosophie  allemande. 

Il  fallait  que  la  prose  eût  acquis  un  certain  degré  de  per- 
fection pour  que  la  philosophie  jetât  quelque  éclat.  Tant  que 
les  Memands  écrivirent  de  préférence  en  latin ,  ils  s'atta- 
chèrent à  la  philosophie  dominante,  à  celle  des  scolastiques, 
par  exemple,  qu'ils  combattirent  à  partir  du  quinzième 
siècle  ;  mais  plus  tard ,  grâce  à  leurs  vastes  connaissances 
dans  les  humanités ,  ils  répandirent ,  Plulippe  Melanchthon 
entre  autres,  des  opinions  philosophiques  puisées  aux  sources 
P'.;res  de  l'antiquité  classique. 

La  philosophie  allemande  se  distingue  autant  par  sa  cons- 
tante tendance  à  former  des  systèmes  et  à  déduire  des  con- 
séquences scientifiques  de  principes  simples ,  mais  larges , 
que  par  sa  direction  cosmopolite.  Elle  commence  vers  la  fin 
du  dix-septième  siècle  avec  Leibnitz,  le  premier  esprit 
véritablement  philosophique  qu'eût  encore  produit  l'Allema- 
gne. La  théorie  de  Leibnitz  sur  les  idées  innées ,  sa  mona- 
dologie  et  sa  théodicée ,  sa  tendance  vers  un  principe  su- 
prême ,  occupèrent  vivement  tous  les  esprits  spéculatifs  de 
son  temps.  H  fonda  le  réalisme  rationnel ,  opposé  au  sen- 
sualisme de  Locke ,  et  qui  s'attache  à  faire  remonter  par  la 
démonstration  toute  la  science  pliilosophique  à  des  vérités  né- 
cessaires et  innées  admises  par  la  raison.  \S'olf  appliqua 
ces  idées  à  la  forme  démonstrative  du  système  qui  domi- 
nait à  l'époque  du  règne  de  Frédéric  le  Grand.  Il  eut  le 
mérite  de  présenter  les  sciences  philosophiqnes  dans  un  en- 
semble clair  et  encyclopédique;  mais  le  principal  défaut 
de  sa  philosophie  provint  de  ce  qu'il  croyait  ne  pouvoir  trou- 
ver la  vérité  que  par  des  définitions  et  des  démonstrations 
(méthode  démonstrative).  Ses  iimonjj^rables  élèves  pous- 
sèrent cette  manie  des  formules  au  delà  de  toutes  limites 
permises.  Wolf  trouva  dans  Ch. -A.  Crusius  depuis  1747  et 
dans  J.-G.  Daries  de  redoutables  adversaires,  plutôt  cepen- 
dant dans  les  détails  que  dans  l'ensemble.  Toutefois,  parmi 
les  philosophes  de  son  école  on  en  cite  plusieurs  qui  per- 
fectionnèrent quelques  sciences  parlicubères ,  et  surtout 
la  logique  :  par  exemple,  Lambert,  Plouquet,  Reima- 
rus, Baumgarten,  etc.  Vint  ensuite  (1760-1780)  l'éclec- 
tisme philosophicpie.  Quelques  philosophes  s'attachèrent 
alors  à  Descartes ,  qui  a  fiut  de  la  séparation  du  corps  et  de 
l'esprit  un  des  caractères  fondamentaux  de  la  philosophie 
moderne;  d'autres  suivirent  les  recherches  psycholo- 
giques de  Locke ,  de  Féder ,  de  Garve ,  etc.  Excité  par  le 
scepticisme  de  Hume  et  par  YEssai  sur  VEnlcndement 
de  Locke,  l'esprit  profond  d'Emmanuel  Kant  cherclia  en- 
fin ,  à  partir  de  1780,  à  fixer  les  Iwrnes  de  l'entendement 


384  ALLEMAGNE 

humain ,  en  opposition  aux  théories  sans  limites  émises  sur 
ce  sujet  par  les  dogmatiques ,  et ,  tout  en  supposant  l'exis- 
tance  des  notions  psychologiques ,  à  examiner  la  ma- 
nière dont  procède  la  raison  dans  le  raisonnement.  Il  ar- 
riva à  ce  résultat  :  que  rentcndement  liurnain  ne  va  pas  au 
delà  de  la  conscience  et  de  la  vision  ,  qu'il  n'existe  des  lors 
point  de  connaissance  du  surnaturel  ;  mais  que  la  raison  pra- 
tique ,  qui  commande  catégoriquement ,  nous  persuade  ce 
que  la  raison  spéculative  ne  saurait  démontrer.  Reinhold 
prétendit  comprendre  la  critique  de  Kant  dans  une  théorie 
de  l'imagination ,  tentative  que  Schuize  combattit  avec  suc- 
cès par  les  armes  du  scepticisme. 

Quoique  la  différence  existant  entre  la  pensée  et  l'être 
fût  démontrée  dans  toute  son  évidence  par  cette  doctrine  , 
la  criti(iue  de  Kant  fit  naître  parmi  les  Allemands  le  goût 
d'une  méthode  philosophique  plus  libre  que  celle  qui  avait 
jusque  alors  dominé.  C'est  Kant  qui  ouvre  (1780)  l'ère 
de  la  philosophie  la  plus  récente,  fonnant  la  seconde  période 
de  la  philosophie  allemande  proprement  dite. 

F  i  c  h  t  e ,  penseur  profond  et  hardi ,  voyant  que  la  phi- 
losophie de  Kant  s'arrêtait  à  moitié  chemin  vers  l'idéalisme, 
exposa  avec  les  plus  rigoureuses  conséquences  un  système 
d'idéalisme  à  lui ,  dans  lequel  il  cherche  à  faire  dériver  toute 
science  et  toute  vérité  d'un  seul  principe ,  le  7noi.  Adhérant 
à  la  doctrine  de  la  subjectivité  de  Kant ,  l'ichte  a  fait  du  7noi, 
sujet  de  la  conscience ,  l'activité  absolue  produisant  aussi 
l'objet  ;  ce  qui,  à  proprement  parler,  détruisait  la  réalité  des 
objets. 

De  la  philosophie  de  Fichte  naquit  celle  de  Schelling, 
qui  fonda  un  nouveau  système  en  opposant  directement  à  la 
philosophie  idéale  subjective  un  idéalisme  objectif,  ou,  en 
d'autres  ternies,  une  philosophie  naturelle,  dans  laquelle  on 
s'élève  de  la  nature  jusqu'au  moi ,  de  même  que  l'on  pro- 
cède du  moi  il  la  nature  dans  la  philosophie  idéale  opposée. 
Schelling  chercha  à  unir  ces  deux  faces  de  la  philosophie 
à  l'aide  de  la  doctrine  de  l'identité ,  (pi'il  formula  plus  tard. 
Dans  celte  dernière ,  Yabsolii  est  admis  conmie  Vidcntité 
de  la  pensée  et  de  l'être,  et  l'intuition  intellectuelle  comme 
la  connaissance  de  cette  identité. 

Disciple  de  Schelling ,  Hegel  a  cherché  à  établir  un  idéa- 
lisme absolu  dans  une  méthode  strictement  dialectique ,  en 
considérant  l'idée  absolue  comme  la  raison  se  comprenant , 
en  tant  qu'absolu,  dans  son  développement  nécessaiie ,  et  en 
la  représentant  dans  son  existence  en  elle-même  (la  logi- 
que), dans  son  existence  dans  l'autre  (la  philosophie  na- 
turelle ) ,  et  enfin  dans  son  retour  en  elle-même  (  la  philo- 
sophie de  l'esprit). 

Les  systèmes  que  nous  venons  de  citer  doivent  être  re- 
gardés comme  une  série  continue  d'opinions  et  de  points  de 
vue  philosophiques.  Beaucoup  d'autres  systèmes  et  opinions 
philosophiques  furent  développés  par  leurs  auteurs,  soit  en 
opposition  à  ceux  que  nous  venons  d'exposer,  soit  en  s'at- 
tachant  à  un  de  ces  systèmes  dont  ils  rectifiaient  l'idée  fon- 
damentale ,  ou  bien  qu'ils  présentaient  dans  une  foime  plus 
parfaite.  C'est  ce  qu'on  peut  dire  de  la  nouvelle  théorie  de 
la  raison  pure  de  Fries ,  et  du  synthétisme  transcendental  de 
Krug,  oii  l'on  trouve,  liées  en  forme  systématique,  toutes 
les  doctrines  principales  de  la  critique  de  Kant. 

Bardili  chercha  de  même  à  rendre  Vabsolu  la  base  de 
toute  iihilosopliie.  11  le  trouva  dans  la  pensée ,  et  c'est  pour 
cela  qu'il  voulut  lendre  la  logique  la  source  des  connais- 
sances réelles.  J.-J.  \Yagner  et  Fschenmayer  cherchèrent,  ou 
à  rectifier  la  doctrine  de  Schelling ,  ou  à  la  perfectionner. 

Parmi  les  esprits  profonds  dont  la  philosophie  a  un  carac- 
tère tout  particulier,  et  qui  développèrent  leurs  opinions  en 
opposition  avec  celles  des  philosophes  précités,  nous  cite- 
rons Jacobi  (  Doctrinedu  Sentiment  et  de  la  Foi),  Kœppen 
et  plusieurs  de  ses  disciples  ;  viennent  ensuite  lîoulerweck, 
par  son  rationalisme,  fondé  sur  la  croyance  ;i  la  raison; 
Platner  et  Schuize  ,  par  leur  scepticisme  conditionnel ,  et 


Herbart ,  par  ses  fragments  métaphysiques  pleins  de  perspi- 
cacité, qui  semblent  pour  la  plupart  n'être  que  des  es- 
sais critiques  sur  les  différents  systèmes. 

La  majeure  partie  des  systèmes  et  des  opinions  que  nous 
venons  de  mentionner  appartiennent ,  si  on  les  considère  du 
moins  au  point  de  vue  de  leur  perfectionnement ,  aux  vingt 
premières  années  de  notre  siècle.  Une  circonstance  assuré- 
ment digne  de  remarque,  c'est  que  les  travaux  des  Allemands 
dans  les  sciences  philosophiques  aient  été  poussés  à  cette 
époque  avec  d'autant  plus  de  profondeur  et  d'étendue  que 
d'immenses  événements  politiques  se  succédaient  avec  une 
plus  étoimante  rapidité,  alors  qu'un  homme  devenu  l'ar- 
bitre des  destinées  de  l'Europe  tenait  enchaînée  dans  ses 
mains  l'indépendance  politique  de  l'Allemagne.  Les  événe- 
ments non  moins  mémorables  qui  brisèrent  l'empire  de  ce 
conquérant ,  et  les  efforts  tentés  par  les  différents  États,  dé- 
sormais affianchis  du  joug  de  l'étranger  pour  recommencer 
une  nouvelle  vie  politique  indépendante,  semblent  cepen- 
dant coïncider  avec  des  phénomènes  complètement  Jnverses 
dans  la  sphère  d'activité  de  la  philosophie  allemande.  On 
remarque  en  effet  aujourd'hui,  d'un  côté,  qu'aucune  des 
opinions  philosophiques  que  nous  avons  citées  n'est  géné- 
ralement dominante,  et  que  la  plupart  de  ceux  qui  s'occu- 
pent du  perfectionnement  et  de  la  propagation  des  doctrines 
philosophiques  adhèrent ,  soit  à  une  des  opinions  exposées 
plus  haut,  et  qui  ont  été  produites  par  la  période  récente  de 
la  philosophie  allemande,  soit  à  une  opinion  quelconque  de 
l'ancienne  philosophie  ;  qu'ils  les  développent  et  les  perfec- 
tionnent en  ce  qui  est  de  la  forme  et  du  contenu,  dans  l'ensem- 
ble et  dans  les  détails  ,  par  la  critique  ou  la  dogmatique ,  et 
qu'ils*  formulent  d'après  ces  principes  des  théories  isolées , 
par  exemple  en  morale  et  en  esthétique ,  ou  encore  qu'ils 
cherchent  à  corriger  la  base  fondamentale  psychologique 
supposée  par  Kant,  et  à  fonder  la  philosophie  sur  la  psy- 
chologie empirique,  comme  a  fait  dernièrement  le  philo- 
sophe Beneke. 

A  cette  direction  psychologique  se  rattachent  la  manière 
d'envisager  la  pliilosophie  sous  le  rapport  historique ,  et 
l'étude  de  l'histoire  de  la  philosophie.  11  est  naturel,  en  effet, 
que  la  diversité  et  la  lutte  des  opinions  spéculatives  enga- 
gent l'esprit  humain  à  récapituler  ce  qui  existait  déjà,  à  se 
livrer  à  des  considérations  sur  la  connexité  que  les  opinions 
contemporaines  peuvent  avoir  entre  elles,  sur  l'ordre  dans  le- 
quel elles  se  succèdent  les  unes  aux  autres,  ainsi  que  sur  les 
progrès  qui  ont  lieu  dans  le  développement  de  la  science. 
Mais  il  en  résulte  aussi  très-facilement  une  certaine  tiédeur, 
une  certaine  indolence,  quand  on  n'envisage  la  philosophie 
que  sous  son  rapport  historique,  surtout  là  où  fait  défaut 
une  certaine  perspicacité  de  l'esprit.  On  n'est  alors  que  trop 
porté  à  croire  qu'une  science  sur  les  principes  de  laquelle  on 
n'est  pas  encore  d'accord  depuis  plus  de  vingt  siècles  qu'on 
la  cultive  n"a  guère  de  valeur  et  de  vérités  réelles.  Cette 
opinion  s'est  en  effet  fort  accréditée  ;  et,  loin  qu'on  puisse 
!e  nier,  il  est,  au  contraire,  démontré  par  l'état  actuel  de  la 
littérature  philosophique  que  les  études  scientifiques  ten- 
dent décidément  vers  le  positif  et  l'historique  plutôt  que 
vers  tel  système  philosophique  de  préférence  à  tel  autre.  On 
pourrait  même  ajouter,  à  l'égard  de  ces  syslè;nes,  qu'il  est 
survenu  un  découragement  et  une  indifférence  propres  seu- 
lement à  favoriser  la  critique  et  l'application  des  idées  philo- 
sophiques à  certaines  sciences  isolées,  ainsi  qu'on  a  lieu  de  le 
remarquer,  surtout  dans  les  sciences  naturelles,  dans  la  mé- 
decine, la  jurisprudence  et  la  théologie.  Les  incertitudes  et 
les  vicissitudes  des  systèmes  de  la  philosophie  allemande 
ont  été  l'objet  de  critiques  ou  de  satires  plus  ou  moins  spiri- 
tuelles et  piquantes.  .\vcc  un  peu  de  bonne  foi,  force  est  bien 
pourtant  de  reconnaître  que  l'on  ne  peut  juger  sainement 
de  la  vérité  d'une  opinion  et  que  l'on  ne  peut  en  reconnaître 
clairement  l'erreur  qu'autant  qu'elle  a  revêtu  la  forme  d'un 
svstèmc  rigoureusement  déduit.  C'est  là  ce  que  s'est  efforcé 


de  faire  l'esprit  profond  des  Allemands.  Plus  il  existera  de 
systèmes,  plus  ils  difforeront  entre  eux,  et  plus  la  pi  r(;fr;\- 
lion  du  penseur  deviendra  étendue.  Aussi,  quel  profit  les 
piiiiosoplies  allemands  n'ont-ils  pas  tiré  de  ces  différents  sys- 
tèmes, et  combien  les  inconvinients  de  ce  procédé  n'ont- 
ils  pas  été  comparativement  moindres  que  ses  avantages! 
Ajoutons  que  non-seulement  les  sciences  pliilosopliiques , 
mais  encore  toutes  les  autres  en  général,  sont  redevables 
de  progrès  notables  à  cet  esprit  d'investigation  essentiel- 
lement philosophique;  qu'il  n'est  aucune  connaissance  hu- 
maine que  les  Allemands  n'aient  scientifiquement  élaborée, 
Lien  que  quelquefois  l'application  des  systèmes  dominants 
à  ces  sciences  ait  conduit  à  de  ridicules  excentricités,  à  de 
véritables  extravagances;  enfin,  qu'aucune  nation  mo- 
derne n'a  jamais  exercé  une  telle  influence  sur  la  culture 
scientifique  de  l'Europe  entière.  Henri  IIoebtel. 

Il  y  a  déjà  longtemps,  Henri  Heine  faisait  cette  remarque  "• 
«  On  n'a  qu'à  comparer  l'histoire  de  la  révolution  fran- 
çaise avec  l'histoire  de  la  philosophie  allemande  pour  croire 
que  les  Français,  qui  avaient  tant  d'occupations  réelles  pour 
lesquelles  il  leur  fallait  absolument  veiller,  nous  auraient 
priés ,  nous  autres  Allemands ,  de  dormir  pendant  ce 
tem[is-là  et  de  rêver  pour  eux,  et  que  notre  philosophie 
allemande  ne  serait  que  le  rêve  de  la  révolution  française... 
Les  Kantisles  représentent  la  Convention,  qui  renouvelle 
le  monde  ;  le  grand  moi  de  Fichte ,  niant  toutes  les  autres 
existences,  c'est  Napoléon  ;  puis  M.  Schelling  peut  figurer 
de  toutes  façons  bonnes  ou  mauvaises  la  Restauration.  « 
Le  jnême  écrivain  humourislique  ajoute  :  «  Il  vaut  mieux 
qu'un  peuple  ait  sa  philosophie  avant  sa  révolution;  les 
îi'.ts  nue  la  philosophie  a  employées  à  la  raéditution  peuvent 
èliL'  luuthées  à  plaisir  par  la  révolution,  tandis  que  la 
philosophie  n'aurait  jamais  pu  employer  les  têtes  fauchées 
parla  révolution...  Attendez  un  peu;  les  Kantisles  boule- 
verseront sans  miséricorde  ;  les  idéalistes  transcendantaux 
regarderont  le  martyre  comme  pure  apparence,  enfin  les 
philosophes  de  la  nature  s'identifieront  eux-mêmes  avec  l'œu- 
vre de  destruction...  Ce  sera  une  terrible  révolution.  »  Nous 
avons  attendu  beaucoup,  et  il  nous  semble  que  Heine  voyait 
un  peu  l'Allemagne  à  travers  Paris. 

La  philosophie  allemande  a  surtout  été  accusée  de  pan- 
théisme, système  dont  Hegel  est  le  logicien ,  et  Schelling  le 
poêle ,  suivant  la  remarque  de  M.  Baudrillart.  «  Les  opposi- 
tions de  ces  deux  esprits ,  ajoute  ce  critique ,  l'un  plein  d'é- 
lévation et  de  souffle,  l'autre  d'une  rare  vigueur,  avide  de  dé- 
ductions et  de  classifications,  poussant  jusqu'à  l'idolâtrie  le 
culte  des  notions  purement  abstraites  et  semant  sur  la  route 
de  la  métaphysique,  de  la  morale,  de  la  logique,  de  l'es- 
thétique et  de  la  philosophie  de  l'histoire,  parfois  des  vues 
aussi  fécondes  qu'originales,  et  plus  souvent  encore  des  for- 
mules vides,  ces  oppositions  se  perdent  dans  l'unité  du  ré- 
sultat ,  la  doctrine  de  l'identité  absolue.  Qu'elle  chante  des 
hymnes  ou  procède  parapophthegmes,  la  doctrine  religieuse 
des  deux  philosophes  aboutit  à  un  dieu  qui  n'a  pas  la  cons- 
cience de  !ui-même,  qui  crée  l'univers  et  l'ordre  qui  y  règne 
sans  le  savoir,  qui  successivement  devient  minéral ,  plante 
animal  et  homme ,  n'arrivant  enfin  à  débrouiller  un  peu 
sa  propre  notion  qu'avec  Spinosa  (5  La  Haye,  vers  1660  ) 
et  mieux  encore  avec  Schelling  et  Hegel,  au  commence- 
ment de  notre  siècle,  dans  deux  coins  privilégiés  de  l'Al- 
lemagne... L'humanité  s'est  toujours  refusée  à  l'honneur 
qu'on  prétend  lui  décerner  au  nom  de  la  philosophie.  H 
semble  que  sa  propre  apothéose  lui  cause  une  sorte  de  dé- 
goût et  d'effroi  ;  je  parle,  bien  entendu,  de  la  masse  seule- 
ment; car  il  y  a  toujours  des  gens  que  ce  rôle  de  dieu  séduit. 

«  Récapitulons  les  principales  phases  de  ce  drame  philo- 
sophique qui  rappelle  la  tentative  et  la  chute  de  l'antique 
Proraélhée.  Kant  a  isolé  l'homme  de  tout  rapport  avec 
la  vérité  en  soi  ;  car  son  infraction  purement  personnelle  à 
\a  logique  n'a  pas  de  valeur  scientifique  :  voilà  le  premier 

r'CT.  DE  LA  CONYERS.  —  T.  I. 


ALLEMAGNE  335 

acte.  Fichte  a  déclaré  le  mot  humain  le  seul  absolu  :  voilà 
le  second  acte.  Schelling  lui  reconnaît  le  même  caractère, 
mais  il  le  divinise  en  le  ratlacliant  à  sa  source  infinie  par 
l'élan  spontané  de  l'intuition  :  voilà  le  troisième  acte. 
Hegel  confirme  l'homme  dans  sa  divinité  à  l'aide  du  rai- 
sonnement :  voilà  le  quatrième  acte.  Mais  il  est  dans  la  na- 
ture de  tout  grand  système  d'avoir,  si  on  peut  parler  ainsi, 
un  aboutissement  pratique.  C'est  la  réalité  qui  dit  le  der- 
nier mot  de  la  logique,  et  elle  le  dit  souvent  fort  brutalement. 
Nous  touchons  ici  au  dénoûment ,  et  M.  F  e  u  e  r  b  a  c  h  ,  avec 
ses  allures  excentriques  à  la  Diderot,  n'a  plus  qu'à  entrer  en 
scène.  Il  s'annonce  lui-môme  comme  apportant  an  genre  hu- 
main la  bonne  nouvelle,  le  véritable  évangile  social,  la  phi- 
losophie de  l'avenir,  ou  autrement  V humanisme.  M.  Louis 
Feuerbach  est  hégélien  et  il  ne  l'est  pas.  Il  ne  l'est  pas  en  ce 
qu'il  rejette  les  abstractions  vides,  les  grands  mots  creux...  Il 
est  hégélien  en  ce  qu'il  accepte  la  divinité  de  l'homme  et  ne 
voit  en  Dieu  qu'une  idée.  D'où  il  conclut  que  c'est  un  non-être, 
n  La  religion ,  dit-il ,  tient  à  une  méprise  facile,  mais  dé- 
«  plorable.  Nous  sommes  portés  à  nous  dédoubler,  à  nous 
«  diviser  nous-mêmes,  puis  à  regarder  l'une  des  moitiés 
«  nées  de  cette  séparation  comme  supérieure  à  la  nature  hu- 
n  maine.  Néanmoins  cette  moitié  prétendue  supérieure  n'est 
«  rien  si  elle  n'est  la  meilleure  partie  de  notre  nature  même. 
«  Dieu  est  pour  l'homme  le  recueil  de  ses  pensées  et  de  ses 
«  sentiments  les  plus  élevés,  l'album  où  il  écrit  les  noms  des 
n  êtres  qui  lui  sont  le  plus  cliers  et  le  plus  sacrés.  »  La  doc- 
trine de  Feuerbach  peut  doncêtre  considérée  comme  un  pro- 
duit de  l'hégélianisme,  bien  qu'elle  ait  toutes  les  apparences 
d'une  réaction  anti-hégélienne  :  amie  du  réalisme ,  éprise 
du  fait ,  courant  aux  jouissances  et  réhabilitant  la  chair. 
«  Il  faut,  écrit  Feuerbach,  que  le  flegme  .scolastique  de  la 
«  métaphysique  allemande  s'imprègne  fortement  des  prin- 
«  cipes  sanguins  du  matérialisme  français.  »  1!  aspire  de 
toutes  les  manières  à  nous  convaincre  que  la  matière  est 
tout  ;  il  répète  sur  tous  les  tons  que  l'esprit  n'en  est  qu'une 
fonction  subalterne,  qu'avant  de  penser  l'homme  tette ,  et 
qu'il  n'y  a  d'autre  à  priori  que  la  faim  et  la  soif.  Matière, 
sensibilité,  réalité  sont  pour  lui  des  mots. synonymes.  Le 
moi,  ce  fameux  moi  de  Kant  et  de  Fichte,  c'est  un  corps 
qui  sait  qu'il  vit.  Critique  des  religions,  haine  aux  mé- 
taphysiques idéalistes,  protestations  ardentes  en  faveur  de  la 
morale,  amour  étalé  du  bien  public,  culte  enthousiaste  de  la 
civilisation,  ces  traits  du  matérialisme  français  repaxaissenl 
avec  Feuerbach.  Il  va  dans  cette  voie  du  matérialisme  plus 
loin  qu'on  n'était  encore  allé  peut-être.  Voulez- vous  savoir 
le  ritoyen  le  plus  efficace  de  réformer  l'espèce  humaine? 
réformez  d'abord  le  régime  alimentaire.  «  La  nourriture, 
«écrivait  Feuerbach  en  1850,  est  le  lien  qui  unit  l'unie 
«  au  corps,  le  principe  qui  identifie  les  deux  substances...  Le 
n  phosphore  est  la  matière  qui  pense  en  nous.  Plus  le  cer- 
«  veau  possède  ou  reçoit  de  phosphore ,  plus  et  mieux  il 
«  pense...  Nourrissez  donc  l'homme  de  manière  à  y  aug- 
«  menter  la  masse  de  phosphore.  C'est  l'usage  des  pommes 
«  de  terre  qui  a  amorti  le  feu  des  nations  modernes  ;  rera- 
«  plaçons  ce  tubercule'malfaisant  par  un  aliment  qui  électrise 
a  le  corps,  par  la  purée  de  pois.  Le  double  progrès  de  la 
«  science  et  de  la  société  dépend  de  la  multiplication  du  gaz 
«  phosphorique...  «Les  excès  pratiques  qui  peuvent  sortir 
de  cette  donnée  métaphysique.  Tout  le  monde  est  Dieu., 
ou  il  n'y  a  point  de  Dieu,  on  les  devinerait  aisément... 
L'égalité  dans  l'essence  divine  entraîne  l'égalité  dans  les 
jouissances  terrestres.  Que  si  l'essence  divine  disparaît  a 
son  tour  pour  ne  laisser  que  la  matière,  la  conséquence  est 
la  même.  En  vain  à  tous  ces  excès  qui  l'ont  effrayé  à  son 
tour,  M.  Feuerbach  a-t-il  essayé  d'opposer  cette  dernière 
maxime,  qu'//  «'y  a  que  l'honnête  homme  qui  ait  le  droit 
d''étre  athée.  Digue  impuissante!  Comme  c'est  le  sort  corn- 
munde  tous  les  chefs  de  doctrine  et  de  parti,  M.  Feuerbach 
a  été  débordé  par  sa  propre  école.  »  Ainsi ,  après  une  vive 

49 


ssn 

rt^action  contre  le  baron   d'Holbach,  la   pliiiosopliie  alle- 
mande retomberait  dans  les  fanges  de  Lamettrie. 

École  allemande. 

Dans  les  arts,  comme  dans  la  pliiiosopliie,  l'Allemagne 
fait  entrer  quelque  peu  d'abstraction  et  de  roideur.  Son 
école  se  rattache  au  gothique  qui  fut  cultivé  au  moyen 
âge  sur  les  bords  du  Rhin.  On  trouvera  le  commencement 
de  son  histoire  à  l'article  tcoLts  de  pkintire  (  tome  VUI, 
p.  315  et  3161.  Martin  Schœn,  Albert  Durer,  Lucas  Cra- 
n  a  c  h  et  H  ol  b  e  i  n  sont  ses  principaux  représentants.  Sous 
l'influence  de  la  réforme,  la  pratique  de  l'art  s'affaiblit 
chez  les  Allemands.  Au  commencement  du  dix-neu- 
vième siècle,  Frédéric  Overbeck  donna  le  signal  de 
la  réaction.  A  lui  se  joignirent  bientôt  Pierre  Co  rnclius, 
Guillaume  Scliadow,  Philippe  Veit,  Jules  Schnor,  Guil- 
laume Wacli,  Charles  Vogel,  Henri  Hess,  etc.  Cette  école 
cherchait  avant  tout  la  pensée,  l'expression  intime.  Corné- 
lius fonda  une  branche  de  l'école  allemande  îi  Munich  ; 
autour  de  lui  se  groupèrent  Hermann,  Kaulbach,  Gas- 
sen,  etc.  G.  Wach,  qui  avait  étudie  dans  les  atelier.s  de  Davi  1 
et  (Je  Gro.s,  devint  le  chef  des  artistes  de  Berhn,  et  eut  pour 
disciples  Bégas,  Henning ,  Alborn,  etc.  Schadow  fonda 
récoîe  dePusseldorf,  dent  sortirent  Lessing  et  Edouard 
Bendemann,  Hildebrandt,  Hubner,  Stilke,  Scliroiiter, 
Reinick,  etc.  Cornélius  est  moins  ennemi  du  clair-obscur 
et  du  coloris  qu'Overbeck  :  il  se  plaît  dans  les  sujets  com- 
pliqués ;  l'école  de  Berlin  se  tient  plus  près  de  la  réalité;  l'école 
de  Dusseldorf  est  exacte  de  dessin,  mais  froide  et  plate  de 
couleur.  «  L'Allemagne,  a  dit  M.  Théophile  Gautier,  aban- 
donnant le  fairenaif  et  minutieux,  le  naturalisme  d'Albert 
Diirer  et  de  Lucas  Cranach ,  semble  se  complaire  dans 
l'esthétique  de  l'art  ;  à  peine  si  elle  daigne  jeter  un  regard 
distrait  sur  la  nature  :  elle  ne  fait  pas  des  tableaux,  mais 
des  poèmes  ;  ce  sont  des  inventions  cycliques,  les  apoca- 
lypses des  religions,  ou  bien  encore  des  symboliques  et  des 
systèmes  philosophiques  où  les  figures  interviennent  plutôt 
comme  signes  hiéroglyphiques  que  comme  représentation 
de  l'individu.  Cette  école  toute  intellectuelle  méprise  la  cou- 
leuiv  l'habileté  de  pinceau,  l'agrément  de  la  touche.  Klle  ne 
peint  pas,  elle  écrit  l'idée.  >•  L.  L. 

ALLEMAGNE  (Mer  d'  ).  Voyez  Nord  (  Mor  .lu  ). 

ALLEMANDE  (Mythologie).  Voyez  Germanie, 
tome  X,  pag.  276-277. 

ALLEMANDE  {Musique  et  Danse).  Ce  mot  a  deux 
signilications  bien  distinctes.  11  désigne  d'abord  un  air  ins- 
trumental, originaire  d'Allemagne,  comme  l'indique  son 
nom ,  air  q\ii  se  jouait  à  quatre  temps  lents  et  est  depuis 
plus  d'un  siècle  tombé  en  désuétude.  Il  commençait  tou- 
jours au  temps  levé ,  et  l'on  en  faisait  surtout  un  fréquent 
usage  sur  le  luth.  —En  second  lieu,  il  indique  une  danse  fort 
usitée  autrefois  en  Allemagne ,  en  Suisse  et  en  France ,  et 
l'air  qui  sert  à  en  régler  les  mouvements.  Cette  danse  fort 
gaie  était  à  deux  temps  ou  à  deux-quatre,  et  ordinairement 
composée  de  trois  parties.  Elle  s'exécutait  par  autant  de 
couples  que  l'on  voulait  ;  le  cavalier  et  la  dame  se  tenant 
par  la  main  marchaient  trois  pas  en  avant  et  demeuraient 
un  pied  en  l'air,  faisant  ce  que  l'on  appelait  une  fjrève;  puis 
ils  reprenaient  de  môme  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  au  bout  de 
la  salle,  les  autres  couples  suivant  le  premier,  ce  qui  ter- 
minait la  première  partie.  Pour  la  seconde,  on  revenait  par 
le  même  procédé  au  point  d'où  l'on  était  parti ,  et  si  l'on 
voulait  en  rétrogradant  ;  enfin  pour  la  troisième  on  renou- 
velait les  mômes  pas ,  mais  en  précipitant  le  mouvement 
et  sautant  davantage.  Adrien  de  Laface. 

ALLEN  (Thomas),  mathématicien  anglais ,  né  à  Ut- 
toxeter,  dans  le  comté  de  Stalfordshire,  en  1542.  11  lit  ses 
études  au  collège  de  la  Trinité  à  Oxford,  où  il  prit  le  grade 
de  maitre-ès-arts  en  15G7.  Trois  ans  après  il  abandonna  son 
collège  et  ses  relations  pour  se  retirer  à  Glocesler-Hall,  où 


ALLEMAGNE  —  ALLEKT 


il  se  livra  à  l'élude  dans  une  retraite  absolue.  Sur  l'invita- 
tion d'Henri ,  comte  de  Northumberland ,  Allen  censentit  à 
résider  quelque  temps  dans  l'habitation  du  comte,  et  se  lia 
avec  les  mathématiciens  les  plus  distingués  de  son  temps. 
Le  comte  de  Leicesler,  qui  professait  pour  Allen  la  plus 
grande  estime,  voulut  lui  faire  don  d'un  évôché;  mais  l'a- 
mour d'Allen  pour  l'isolement  et  la  solitude  lui  fit  décliner 
cette  offre,  toute  magnifique  qu'elle  était.  Allen  forma  une 
collection  précieuse  de  manuscrits  sur  l'histoire,  l'antiquité, 
l'astronomie,  la  philoso])hie  et  les  mathématiques  ;  il  mou» 
rut  à  Glocester-Hall  en  1G32. 

ALLENT  (PiEnuE-ALEXANDRE-JosEPn,  chevalier),  né 
à  Saint-Omer,  le  9  août  1772,  d'une  famille  honorablement 
connue  dans  le  commerce ,  eut  à  peine  terminé  ses  études 
qu'il  s'engagea  comme  shnple  canonnier,  et  fit  ses  premières 
armes  au  bombardement  de  Lille,  en  1792.  11  montra  dès 
lors  une  capacité  qui  fixa  bientôt  l'attention  des  officiers  du 
génie,  et  lui  valut  l'honneur  d'être  admis  dans  l'arme  d'élite 
(lont  il  devait  devenir  l'un  des  chefs  les  plus  savants.  11  fit 
alors  successivement  ses  preuves  aux  travaux  de  défense  de 
la  Lys,  à l'Aa,  à  Saint-Venant,  aux  postes  de  la  Lys  et  au 
canal  de  jonction  ;  à  Dunkerque,  au  fort  Louis,  sur  les  cô- 
tes, à  l'armée  de  Mayence,  à  celle  du  Danube,  à  l'investis- 
sement de  Philisbourg  ;  enfin  à  la  défense  des  tètes  de  pont 
du  Rhin.  Carnot  l'appela  au  cabinet  topograpliique,  et  lui 
confia  plusieurs  missions  importantes.  —  Quand  Napoléon 
voulut  ouvrir  une  nouvelle  et  vaste  carrière  aux  travaux 
du  génie  militaire,  Allent  fut  nommé  secrétaire  du  comité 
chargé  d'examiner  les  projets  présentés  pour  un  plan  gé- 
néral de  défense ,  et  par  ses  soins  les  travaux  reçurent  une 
puissante  impulsion.  Appelé  dès  sa  création  à  faire  partie  de 
la  commission  mixte  des  travaux  publics ,  il  en  fut  pen- 
dant trente  ans  un  des  membres  les  plus  actifs.  L'empe- 
rem-,  frappé  du  savoir  et  de  la  lucidité  que  montrait  Allent 
lorsqu'il  lui  rendait  compte  des  travaux  du  comité  des  for- 
tifications, le  nomma  maître  des  requêtes  au  conseil  d'État. 
La  section  de  la  guerre  le  réclamait  plus  particulièrement; 
cependant  il  fut  attaché  au  comité  du  cô'ntentieux.  Dans 
cette  nouvelle  carrière ,  où  pendant  près  de  vingt-cinq  ans 
il  rendit  tant  de  services  à  la  France,  il  concourut  plus  rpie 
personne  peut-être  à  fonder,  à  fixer  la  jurisprudence  tlu 
contentieux  administratif  sous  le  régime  de  nos  lois  ac- 
tuelles. En  1814,  lorsque  les  armées  étrangères  marchè- 
rent sur  notre  capitale ,  Allent  acquit  de  nouveaux  titi'cs  à 
la  reconnaissance  du  pays ,  et  la  garde  nationale  de  Paris 
consen'era  longtemps  le  souvenir  de  tout  ce  qu'il  fit  pour  elle, 
soit  en  coopérant  à  son  organisation ,  soit  en  s'associant  à 
ses  périlleuses  fatigues  en  qualité  de  chef  d'état-major. 

La  Restauration  eut  le  bon  esprit  de  ne  point  négliger  une 
capacité  si  remarquable  :  dès  18 14  elle  avait  appelé  Allent 
au  conseil  d'État.  De  1817  à  1819  il  remplit  les  fonctions 
de  sous-secrétaire  d'État  au  département  de  la  guerre ,  sous 
le  maréchal  Gouvion  -  Saint  -  Cyr.  Enfin,  en  1819  il  fut 
nommé  à  la  présidence  du  contentieux  du  conseil  d'État , 
fonctions  qu'il  remplit  toujours  avec  la  même  supériorité  jus- 
qu'au 6  juillet  1837  ,  époque  de  sa  moit. 

Allent  avait  été  élu  membre  de  la  chambre  des  députés, 
le  l*"""  août  1828 ,  par  le  département  du  Pas-de-Calais. 
En  1832  il  fut  appelée  siéger  à  la  chambre  djs  pairs.  Com- 
mandeur delà  Légion  d'Honneur  et  chevalier  de  Saint-Louis , 
il  avait  constamment  refusé  les  décorations  étrangères  qui 
lui  avaient  été  offertes. 

Oa  a  d' Allent  plusieurs  ouvrages  estimés ,  notamment  un 
Essai  sur  les  Connaissances  militaires,  publié  en  1823, 
dans  la  première  édition  du  Mémorial  de  la  Guerre, 
réimprimé  en  1829,  et  traduit  en  anglais;  ce  traité  est 
un  guide  précieux  pour  les  officiers  d'état-major  ;  et  une 
Histoire  du  Corps  du  Génie ,  ou  de  la  guerre  de  siège  et 
de  l'établissement  des  frontières  sous  Louis  XIV.  Ce  bel 
ouvrage  n'a  malheureusement  pas  été  terminé.  Le  seul 


ALLENT  —  ALLEU 


387 


volume  qui  en  ait  m  le  jour  fut  publié  in-s°  en  ISO». 
AUent  est  aussi  auteur  d'un  certain  nombre  il'artieles  du 
Dictionnaire  de  la  Conversation ,  tous  relatif*  à  l'arme 
spéciale  dans  laquelle  il  avait  servi.  Panni  les  papiers  qui 
ont  été  laissés  par  M.  AUent ,  on  a  trouvé  un  Précis  histo- 
rique des  Événements  de  1S13  et  1814 ,  accompagné  de 
pièces  justificatives,  avec  la  copie  des  ordres  du  jour  et  pres- 
criptions de  l'empereur  Napoléon  et  du  gouvernement  re- 
latifs aux  opérations  militaires  aux  environs  de  Paris ,  ma- 
nuscrit précieux  qui  a  servi  à  M.  Kock  pour  son  Histoire 
de  la  Campa'jne  de  \S\A.  Champ.\cn.\c. 

ALLÉSOIR.  Voy.  Alésoir. 

ALLETZ  (  Pierkf-Kdolaro),  né  à  Paris,  le  23  avril 
179S,  était  le  tils  d'un  ancien  commissaire  de  police,  qui 
lui-même  avait  quelque  littérature.  Edouard  AUctz  étudia 
de  bonne  heure  les  belles  lettres.  Après  avoir  été  profes- 
seur de  philosophie  morale  à  la  Société  Royale,  il  entra  dans 
la  diplomatie ,  où  il  acheva  sa  carrière  :  il  est  mort  consul  à 
Barcelone,  le  16  février  1S50. 

Edouard  Alletz  est  l'auteur  de  plusieurs  ouvrages  remar- 
quidjles ,  dont  quelques-uns  ont  mérité  les  couronnes  de  l'A- 
cadémie Française.  Nous  citerons  :  Institution  du  Jury  en 
France,  poëme  (  1819);  Dévouement  des  Médecins  fran- 
çais et  des  Sœurs  de  Sainte-Camille ,  poème  couronné 
par  l'Académie  Française  (  1822)  ;  Abolition  de  la  Traite 
des  Aoirs ,  poëme  (  1823);  Walpole ,  poëme  dramatique 
en  trois  chants  (  1825);  Essai  sur  l'Homme,  ou  accord  de 
la  philosophie  et  de  la  religion  (1826);  Nouvelle  Mes- 
siade  (  1830  );  Études  poétiques  du  coeur  humain  (1832  ); 
Tableau  de  l'Histoire  générale  de  V Europe,  depuis  1814 
jusqu'en  1830  (  1834  )  ;  Caractères  poétiques  (  1834)  ;  Ma- 
ladies du  Siècle  (  1835)  ;  Lettre  à  M.  de  Lamartine  sur 
la  vérité  du  christianisme,  envisagé  dans  ses  rapports 
avec  les  passions  (1835);  De  la  Démocratie  nouvelle, 
mt  des  mœurs  et  de  la  puissance  des  classes  moyennes 
en  France  (  1837  ) ,  ouvrage  auquel  l'Académie  Française  a 
décerné  un  prix  Montyon  en  1838  ;  Aventures  d'Alphonse 
Doria  (1838);  Esquisses  poétiques  de  la  vie  (1841); 
Harmonies  de  l'intelligence  humaine  (1845),  etc.,  etc. 

AXJJBU.  Les  premiers  alleux  furent  les  terres  prises , 
occupées  ou  reçues  en  partage  par  les  Francs ,  au  moment 
de  la  conquête  ou  dans  leurs  conquêtes  successives.  Le  mot 
alod  ne  permet  guère  d'en  douter  :  il  vient  du  mot  loos 
(  sort),  d'où  sont  venus  une  foule  de  mots  dans  les  langues 
d'origine  germanique,  et  en  français  les  mots  lot ,  lote- 
rie ,  etc.  On  trouve  dans  l'histoire  des  Bourguignons ,  des 
Visigoths,  des  Lombards,  la  trace  positive  de  ce  partage  des 
terres  allouées  aux  vainqueurs.  Ces  peuples,  est-il  dit, 
prirent  les  deux  tiers  des  terres.  On  ne  rencontre  dans  l'his- 
toire des  Francs  aucune  indication  formelle  d'un  partage 
semblable;  mais  on  voit  partout  que  le  butin  était  tiré  au 
sort  entre  les  guerriers  ;  et  ce  qui  prouve  qu'on  n'en  agit 
pas  autrement  quant  aux  terres ,  c'est  qu'un  manoir  (?}ifl?j- 
sus)  s'appel-ait  originairement  loos  (sort). 

Par  la  nature  même  de  leur  origine ,  ces  premiers  alleux 
étaient  des  propriétés  entièrement  indépendantes  :  on  ne 
tenait  un  alleu ,  disait-on  plus  tard ,  que  de  Dieu  et  de  son 
épée.  Hugues  Capet  disait  tenir  ainsi  la  couronne  de  France, 
parce  qu'elle  ne  relevait  de  personne  :  ces  mots  indiquent 
clairement  des  souvenirs  de  conquête.  D'autres  propriétés, 
acquises  par  achat ,  par  succession  ou  de  toute  autre  ma- 
nière, vinrent  accroître  le  nombre  des  alleux.  Cependant  le 
mot  alode  demeura  quelque  temps  affecté  aux  alleux  pri- 
mitifs ,  et  les  formules  de  Marculf  offrent  plusieurs  traces  de 
cette  distinction  :  elles  donnent  la  véritable  explication  de 
la  terre  salique ,  qui  ne  pouvait  être  iiéritée  que  par  les 
mâles.  Selon  Montesquieu  ,  la  terre  salique  était  celle  qui 
entourait  immédiatement  la  maison  {sal,  hall)  du  chef  de 
famille.  Il  est  plus  probable  qu'on  entendait  par  terre  sa- 
liqueVMtn  originaire,  la  terre  acquise  lors  de  la  conquête, 


et  qui  avait  pu  devenir,  en  effet ,  le  principal  établissement 
du  chef  de  la  maison.  La  terre  salique  des  Francs  Saliens  se 
retrouve  en  ce  sens  chez  presque  tous  les  peuples  barbares  de 
cette  époque  :  c'est  la  terra  aviatica  des  Francs  Ripuaires, 
terra  sortis  titulo  adquisita  des  Bourguignons,  //cT?c- 
ditas  des  Saxons,  terra  paterna  des  formules  de  Marculf. 
Peu  à  peu ,  cette  distinction  s'effaça ,  et  le  trait  distinctif 
de  l'alleu  résida  dès  lors  non  plus  dans  l'origine  de  la  pro- 
priété ,  mais  dans  son  indépendance ,  et  l'on  employa  comme 
synonymes  d'alleu  les  mots  proprium,  possessio,  prx- 
dium,  etc.  Ce  fut  probablement  alors  que  tomba  en  désué- 
tude la  rigueur  de  la  défense  qui  excluait  les  femmes  de  la 
succession  à  la  terre  salique. 

Les  alleux ,  exempts  de  toute  charge  ou  redevance  envers 
un  supérieur,  étaient-ils  exempts  de  tout  impôt,  de  toute 
charge  publique  envers  l'État  ou  le  roi ,  considéré  comme 
chef  de  l'État.'  Avant  la  conquête,  les  relations  des  Francs 
entre  eux  étaient  purement  personnelles  ;  l'État ,  c'était  la 
famille ,  ou  la  tribu ,  ou  la  bande  guerrière ,  sans  que  la  pro- 
priété territoriale,  qui  n'existait  pas  encore,  fût  un  des 
éléments  de  l'ordre  social.  Après  la  conquête,  les  Francs 
devinrent  propriétaires.  Il  en  devait  résulter  cette  immense 
révolution  que  l'État  fut  formé  non  plus  seulement  des 
hommes,  mais  aussi  du  territoire,  et  que  les  relations 
réelles  se  vinssent  ajouter  aux  relations  personnelles;  mais 
ime  telle  révolution  est  nécessairement  fort  lente.  Il  s'en 
fallait  bien  que  les  Francs  comprissent  ce  que  c'est  que  l'État, 
dans  le  sens  territorial ,  et  le  Franc  propriétaire  se  crut  encore 
bien  moins  d'obligation  envers  cet  État  abstrait ,  qu'il  ne 
concevait  même  pas ,  que  le  Franc  chasseur  ou  guerrier  n'en 
avait  autrefois  envers  la  bande,  dont  il  était  toujours  maître 
de  se  séparer.  Cependant,  la  société  ne  peut  subsister  dans 
cet  état  de  dissolution  qui  naît  de  l'isolement  des  individus; 
aussi  le  système  de  la  propriété  allodiale  devait-il  disparaître 
peu  à  peu ,  pour  faire  place  au  système  de  la  propriété  bé- 
néficiaire {voyez  Bénéfice),  seul  capable  à  ce  degré  de  la 
civilisation  de  former  d'un  grand  territoire  un  État ,  et  de 
la  masse  des  propriétaires  une  société. 

Pendant  que  cette  révolution  se  préparait ,  la  nécessité  ne 
permit  pas  que  les  propriétaires  d'alleux  s'isolassent  com- 
plètement, et  imposa  aux  alleux  certaines  charges  :  1°  les 
dons  volontaires  qu'on  faisait  au  roi ,  soit  à  l'époque  des 
champs  de  mars ,  soit  lorsqu'il  venait  passer  quelque  temps 
dans  telle  ou  telle  province  ;  l'habitude  et  la  force  les  con- 
vertirent peu  à  peu  en  une  sorte  d'obligation,  dont  les  al- 
leux n'étaient  pas  exempts  ;  des  lois  en  déterminent  la  forme, 
règlent  le  mode  d'envoi ,  etc.  ;  2°  les  denrées ,  moyens  de 
transport  et  autres  objets  à  fournir,  soit  aux  envoyés  du 
roi ,  soit  au.x  envoyés  étrangers  qui  traversaient  le  pays  en 
se  rendant  vers  le  roi  ;  cette  obligation  est  peut-être  la  pre- 
mière qui  renferme  évidemment  la  notion  d'une  charge  pu- 
blique imposée  à  la  propriété  pour  un  service  public; 
?,°  le  service  militaire.  On  a  considéré  cette  obligation 
comme  inhérente  à  la  propriété  allodiale  ;  c'est  attribuer  aux 
barbares  des  combinaisons  trop  régulières  et  trop  savantes. 
Dans  l'origine,  le  senice  fut  imposé  à  l'homme  à  raison  de 
sa  qualité  de  Franc  ou  de  compagnon ,  non  à  raison  de  ses 
terres  :  l'obligation  était  purement  personnelle.  On  voit  ce- 
pendant s'introduire  par  degrés  dans  ces  convocations  mi- 
litaires une  sorte  d'obligation  légale ,  sanctionnée  par  une 
peine  contre  ceux  qui  ne  s'y  rendent  pas  ;  dans  certains  cas 
la  peine  est  infligée,  bien  qu'il  ne  s'agisse  nullement  de  la 
défense  du  territoire.  C'est  sous  Charlemagne  qu'on  voit 
clairement  l'obligation  du  service  militaire  imposée  à  tous 
les  hommes  libres,  propriétaires  d'alleux  ou  de  bénéfices, 
et  réglée  en  raison  de  leurs  propriétés.  Tout  possesseur  de 
trois  manoirs  (mansus)  ou  plus  est  tenu  de  marcher  en 
personne.  Les  possesseurs  d'un  ou  de  deux  manoirs  se  réu- 
nissent pour  équiper  l'un  d'entre  eux  à  leurs  Irais ,  de  telle 
sorte  que  trois  manoirs  fournissent  toujnnis  un  guerrier. 


388 


ALLEU  —  ALLIA 


Enfin,  les  pauvres  mêmes,  qui  ne  possèdent  point  de  terres, 
mais  sciiieincnt  des  biens  meublts  de  la  valeur  de  cinq 
solidi,  sont  tenus  de  se  réunir  au  nombre  de  six  pour 
équiper  et  faire  marcher  Tun  d'entre  eux.  Non-seulement 
les  alleux  comme  les  bénéfices ,  mais  les  propriétés  ecclé- 
siastiques mômes,  étaient  soumis  à  cette  charge.  Sous 
Charles  le  Chauve  elle  fut  restreinte  au  cas  d'une  invasion 
du  pays  par  l'étranger.  La  totalité  des  hommes  libres ,  sous 
le  nom  de  landwchr,  était  alors  tenue  de  marciier. 

L'indépendance  des  alleux,  fondée  sur  l'indépendance 
personnelle  du  possesseur,  devait  en  partager  les  vicissi- 
tudes ;  aussi  voit-on  de  très-bonne  heure  les  rois  faire  des 
Tentatives  pour  mettre  des  impôts  sur  des  hommes  et  des 
terres  qui  se  croyaient  le  droit  de  n'en  supporter  aucun.  Ces 
tentatives  amenèrent  des  révoltes  :  le  plus  faible  cède;  mais 
ces  charges  se  renouvellent  aussi  souvent  que  le  roi  est 
assez  fort  pour  écraser  les  résistances. 

Ce  serait  une  grande  erreur  de  croire  qu'après  la  conquête 
tous  les  Francs  devinrent  propriétaires ,  et  qu'ainsi  le  nom- 
bre des  alleux  se  trouva  tout  à  coup  assez  considérable  :  il 
n'y  eut  que  peu  ou  point  de  partages  individuels.  Chaque 
bande  comprenait  un  certain  nombre  de  chefs  suivis  d'un 
certain  nombre  de  compagnons  ;  chaque  chef  prit  ou  reçut 
des  terres  pour  lui  et  ses  compagnons ,  qui  ne  cessèrent  pas 
de  vivre  avec  lui.  Les  lois  sont  pleines  de  dispositions  qui 
règlent  les  droits  et  le  sort  de  cette  classe  d'hommes  ;  elles 
ordonnent  la  convocation  à  l'assemblée  publique  (placi- 
tum)  des  hommes  libres  qui  habitent  sur  la  terre  d'autrui. 
Enfin,  nous  avons  la  formule  du  contrat  par  lequel  un  homme 
se  mettait  alors  non-seulement  sous  la  protection ,  mais  au 
service  d'un  autre,  à  charge  d'être  nourri  et  vêtu,  et  sans 
cesser  d'être  libre.  Les  usurpations  de  la  force  et  les  dona- 
tions aux  églises  tendirent  encore  à  restreindre  le  nombre 
des  propriétaires;  les  faits  historiques,  les  lois,  tout  atteste 
que  du  septième  au  dixième  siècle  les  propi  iétaires  de  pe- 
tits alleux  furent  peu  à  peu  dépouillés  ou  réduits  à  la  condi- 
tion de  tributaires  par  les  envahissements  des  grands  pro- 
priétaires. Les  comtes  eux-mêmes,  les  évoques,  les  abbés, 
se  rendaient  sans  cesse  coupables  de  spoliations  semblables, 
et  les  capitulaires  abondent  en  dispositions  destinées  à  les 
réprimer.  Les  donations  aux  églises  ne  contribuèrent  pas 
moins  à  diminuer  le  nombre  des  propriétaires  d'alleux. 
Marculf  nous  a  transmis  un  grand  nombre  de  formules  di- 
verses pour  les  donations  aux  églises  ;  tantôt  on  leur  trans- 
mettait absolument  et  immédiatement  la  jouissance  aussi 
bien  que  la  propriété ,  pour  le  salut  de  son  àme,  la  ré- 
viission  de  S3s  péchés,  et  afin  de  s'amasser  des  trésors 
dans  le  ciel;  tantôt  on  se  réservait  l'usufruit  du  bien  con- 
cédé ,  qu'on  ne  possédait  plus  alors  qu'à  titre  de  bénéfice 
viager  de  l'Église.  Tant  que  dura  l'anarchie  de  l'invasion,  la 
protection  d'une  église  ou  d'un  monastère  était  presque  la 
seule  force  dont  les  petits  propriétaires  pussent  espérer 
quelque  sécurité  :  on  la  recherchait  par  des  donations.  Les 
églises  étaient  des  lieux  d'asile  :  on  les  enriciiissait  pour  les 
récompenser  du  refuge  qu'on  s'en  promettait  ou  qu'on  y 
avait  trouvé.  Les  domaines  de  certaines  églises  étaient 
exempts  de  tout  tribut  ou  redevance  envers  le  roi  :  on  don- 
nait ses  terres  à  ces  églises  en  s'en  réservant  l'usufruit, 
alin  de  participer  ainsi  a  leurs  immunités.  Enfin,  un  assez 
grand  nombre  d'églises  étaient  exemptes  et  exemptaient 
leurs  vassaux  ou  ceux  qui  cultivaient  leurs  biens  du  ser- 
vice militaire,  et  les  souverains  furent  obligés  de  réprimer 
par  des  lois  l'empressement  des  sujets  à  se  procurer  cet 
avantage.  —  Mais  une  cause  contraire  agissait  pour  créer 
de  nouveaux  alleux.  La  propriété  des  alleux  était,  dans 
l'origine  du  moins,  pleine,  perpétuelle,  et  celle  des  béné- 
fices précaire  et  dépendante.  Tant  que  dura  cette  diftcrence, 
les  possesseurs  de  bénéfices  s'efforcèrent  de  les  convertir 
en  alleux  :  les  Capitulaires  déposent  à  chatiue  pas  de  ces 
efforts.  Enfin ,  sous  Charles  le  Chauve  un  phénomène  sin- 


gulier se  présente  :  on  touche  à  l'époque  où  le  système  de 
la  propriété  allodiale  va  disparaître  devant  le  système  de  la 
propriété  bénéficiaire,  origine  et  précurseur  de  la  féodalité. 
Précisément  alors  le  nom  d'alleic  devient  plus  fréquent 
qu'il  ne  l'avait  encore  été  dans  les  lois,  dans  les  diplômes, 
dans  tous  les  monuments  :  on  le  donne  à  des  terres  qui  sont 
évidemment  des  bénéfices  ,  qui  ont  été  concédées  à  ce  titre 
et  avec  les  obligations  qu'il  imposait.  Le  mot  alleu  désignait 
encore  dans  l'esprit  des  hommes  une  propriété  plus  sûre- 
ment héréditaire  et  indépendante  :  Thérédilé  des  bénéfices 
prévalait,  et  on  les  appelait  des  alleux  pour  leur  imprimer 
ce  caractère  de  propriété  permanente  et  assurée. 

F.  Gl'IZOT,  de  l'Acad.  Françai'îe. 

ALLEVARD  (Bains  d').  Allevard,  petite  commune 
de  l'Isère,  à  35  kilom.  nord-est  de  Grenoble,  avec  2,690  lia- 
bitants,  n'a  longtemps  été  connu  que  par  ses  mines  de  fer 
carbonalé,  qui  donnent  le  meilleur  fer  de  France,  sa  fon- 
derie ,  ses  hauts  fourneaux  et  ses  belles  forges  ;  mais  une 
source  d'eau  thermale ,  qui  il  y  a  trente  ans  était  encore 
ignorée  et  se  perdait  inutilement  dans  le  torrent  du  Brédas, 
en  fait  aujourd'hui  le  rendez-vous  des  coureurs  d'eaux  mi- 
nérales aussi  bien  que  celui  des  artistes ,  des  géologues  et 
des  métallurgistes.  On  va  de  Grenoble  à  Allevard  en  cinq 
heures  environ ,  par  une  route  qui  borde  l'Isère  pendant  la 
moitié  du  (  hemin  et  qui  s'engage  ensuite  dans  la  montagne; 
la  ville  est  située  à  l'entrée  d'une  gorge  étroite  d'abord, 
mais  s'élargissant  insensiblement;  c'est  dans  la  partie  la 
plus  ouverte  de  la  vallée  qu'on  trouve  l'établissement  ther- 
mal, bâti  à  peu  de  distance  de  la  source,  au  milieu  d'un 
jardin,  où  l'on  rencontre  également  un  hôtel  confortable. 
L'eau  minérale  d'Allevard  est  une  eau  sulfureuse  à  peu  près 
froide,  plus  riche  en  principes  sulfureux  que  la  source 
voisine  d'Uriage,  mais  contenant  moins  de  sels.  Elle  est 
chauffée  pour  être  administrée  en  bains,  en  douches  et  en 
vapeur;  elle  convient  dans  les  affections  rhumatismales, 
dans  les  maladies  de  la  peau,  etc.  Quoique  cet  établisse- 
ment ne  fasse  que  de  nailre,  sa  vogue  est  déjà  consi'léra- 
ble  ;  on  y  va  chercher  non-seulement  les  bains  sulliueii\,  iuoin 
les  bains  depelillait  que  le  médecin  inspecteur  dcfés  eau\, 
IM.  rs'iepce,  y  a  établis ,  à  l'imitation  de  ceux  de  la  Suisse, 
et  qu'il  combine  avec  l'usage  de  l'eau  minérale  dans  le 
traitement  des  affections  nerveuses  et  catarrhales.  Le  petit- 
lait  est  apporté  chaque  matin  de  la  montagne,  à  dos  de 
mulet ,  par  les  bergers  faiseurs  de  fromages.  On  trouve  à 
une  faible  distance  d'Allevard  les  ruines  du  châteaic  de 
Bayard,  qui  sont  le  but  d'une  excursion  intéressante.  Toute 
celte  contrée,  du  reste,  est  du  plus  saisissant  pittoresque. 

ALLIA,  petite  rivière  du  Latium,  qui  se  perd  dans  le 
Tibre,  entre  Fidènes  et  Crustumenium ,  célèbre  par  la  vic- 
toire que  les  Gaulois  conduits  par  Brennus  remportèrent 
sur  ses  bords,  à  onze  milles  de  Rome  ,  l'an  390  avant  J.-C. 
Irrités  d'une  violation  du  droit  des  gens  commise  par  les 
trois  jeunes  Fabien  s  que  Rome  avait  envoyés  en  qurdité 
d'ambassadeurs  pour  obtenir  !a  levée  du  siège  de  Clusium, 
les  Gaulois,  n'ayant  pas  reçu  la  satisfaction  qu'ils  avaient 
justement  exigée ,  s'avancèrent  contre  les  Romains  ;  ils  les 
rencontrèrent  au  nombre  de  quarante  mille ,  sur  les  bords 
de  l'Allia ,  commandés  par  ces  mêmes  Fabiens ,  qui  pour 
comble  d'insulte  avaient  été  élevés  à  la  dignité  de  tribuns 
militaires.  Là  se  livra  une  bataille  dont  l'issue ,  causée  par 
l'ineptie  et  la  lâcheté  de  leurs  chefs ,  fut  tellement  funeste 
aux  Romains,  que  ce  jour  fatal  compta  dans  leur  calendrier, 
sous  le  nom  de  dïes  allïcnsis  ,  parmi  les  jours  néfastes. 
L'attaque  impétueuse  des  Gaulois  et  leur  aspect  terrible  je- 
tèrent l'épouvante  parmi  leurs  adversaires ,  qui  s'enfuirent 
presque  sans  combattre.  Toute  la  gauche  de  leur  armée  se 
jeta  au  travers  du  Tibre ,  et  ce  qui  ne  se  noya  pas  se  sauva 
à  Véies  sans  penser  à  Rome;  la  droite  s'enfuit  à  Rome,  et 
courut  s'enfermer  dans  la  citadelle ,  sans  même  fermer  les 
portes  de  la  ville.  —  Les  Gaulois,  élonnés  de  ne  plus  voir 


\LLIA  —  ALLIAGE 


389 


d'armée ,  et  croyant  à  une  ruse  de  guerre,  s'arrcHi-rent  deux 
jours  sur  le  champ  de  bataille ,  et  ce  ne  fut  que  le  troisième 
jour  après  l'action  qu'ils  entrèrent  dans  Rome  déserte.  La 
population  l'avait  abandonnée ,  ne  laissant  dans  ses  murs 
(juc  les  malades  et  quelques  vieillards.  Le  Capitole  fut  as- 
siégé. Après  un  assaut  inutile  contre  un  rocher  escarpé , 
les  Gaulois  convertirent  le  siège  eu  un  blocus  qui  dura  sept 
mois.  Manquant  de  vivres ,  les  assiégés  furent  obligés  de 
capituler,  et  achetèrent  la  levée  du  blocus  et  la  retraite  des 
Gaulois  au  prix  de  mille  livres  pesant  d'or  (trois  cent 
quarante  Kilogrammes  environ).  On  connaît  le  récit  de 
Tite-Live ,  l'histoire  des  sénateurs  qui  se  font  tuer  sur  leurs 
chaises  curules ,  l'épisode  de  lépée  de  Brennus  jetée  contre 
les  poids  dans  la  balance ,  et  l'aventure  de  Camille ,  qui  se 
trouve  tout  à  coup  sur  les  lieux  avec  une  armée  qui  reprend 
l'or,  et  bat  les  Gaulois.  Tout  cela  est  merveilleux  ;  mais  la 
vérité  est  que  l'or  fut  payé  et  emporté  par  les  Gaulois.  To- 
lybe ,  qui  écrivit  à  Rome  ,  et  sous  les  yeux  des  plus  grands 
personnages  de  la  république ,  qui  lui  fournirent  des  maté- 
riaux ,  tht  nettement  «  que  le  départ  des  Gaulois  fut  acheté 
au  prix  de  mille  livres dor  ».  Orose  en  dit  autant.  Suétone, 
dans  la  Vie  de  Tibère,  dit  que  Drusus  rapporta  de  la  Gaule 
l'or  donné  autrefois  aux  Sénonais  qui  assiégeaient  le  Capi- 
tole, et  qui  ne  leur  avait  pas  été  enlevé ,  comme  on  le  di- 
sait, par  Camille.  Tile-Live  lui-même  (iih.  X,  cap.  xvi)  re- 
vient à  celte  version.  G^'  G.  de  Vaido.ncoiiît. 

ALLIAGE.  Quand  deux  ou  plusieurs  métaux  sont  com- 
binés ensemble,  ils  forment  un  composé  qui  porte  le  nom 
d'alliage.  On  donne  le  nom  spécial  d'amalgames  aux 
alliages  dans  lesquels  il  entre  du  mercure. 

La  plupart  des  alliages  peuvent  être  obtenus  en  fondant 
ensemble  les  métaux  qui  les  composent  ;  mais  dans  quel- 
ques cas  des  difficultés  se  présentent ,  soit  par  le  peu  d'af- 
ûnité  de  c&s  corps  les  uns  pour  les  autres ,  soit  par  leur 
grande  différence  de  fusibilité ,  soit  par  celle  de  leur  den- 
sité. Sous  ce  dernier  rapport ,  il  arrive  même  souvent  que 
l'alliage  étant  complètement  opéré  lorsqu'on  le  coule ,  ou 
qu'on  le  laisse  refroiclir  dans  les  vases  où  il  a  été  préparé, 
il  se  sépare  en  plusieurs  couches ,  qui  renferment  des  pro- 
portions très-différentes  ;  ce  qui  otTre  fréquemment  des  in- 
convénients très-gi'aves,  auxquels  on  ne  peut  obvier  que  par 
beaucoup  de  précautions.  —  On  peut  citer  à  cet  égard  un 
fait  remarquable  :  lors  de  l'érection  de  la  colonne  de  la 
'  place  Vendôme  ,  des  canons  pris  dans  nos  campagnes  d' Al- 
lemagne furent  livrés  au  fondeur,  qui  fut  obligé ,  par  son 
traité ,  à  fournir  des  pièces  moulées  à  un  titre  déterminé  ; 
la  colonne  achevée,  des  essais  faits  sur  quelques  parties 
donnèrent  une  quantité  d'étain  beaucoup  plus  grande  que 
celle  que  devait  renfermer  l'alliage.  Le  fondeur  fut  poursuivi 
par  le  gouvernement.  Une  commission  de  chimistes ,  ayant 
analysé  un  grand  nombre  d'échantillons  pris  dans  les  di- 
verses parties  de  la  colonne ,  trouva  que  la  proportion 
moyenne  de  cuivre  était  bien  celle  que  devait  renfermer 
l'alliage;  mais  les  uns  contenaient  beaucoup  trop  de  cuivre, 
les  autres  beaucoup  trop  d'étain,  parce  que  les  alliages  n'a- 
vaient pas  été  coulés  avec  tous  les  soins  nécessaires  :  si  on 
s'était  borné  à  analyser  quelques  échantillons,  le  fondeur 
eût  certainement  été  condamné. 

La  plupart  des  métaux  étant  fondus  ou  rougis  en  contact 
avec  l'air,  en  absorbent  une  portion  d'oxygène,  et  se  con- 
vertissent en  oxydes ,  qui  forment  à  la  surface  une  couche 
plus  ou  moins  épaisse  ;  cette  couche  s'augmente  d'autant 
plus  que  l'action  de  l'air  et  de  la  chaleur  est  plus  longtemps 
continuée.  Le  plus  ordinairement  les  alliages  éprouvent 
pins  facilement  cette  altération  que  les  métaux  qui  les  com- 
posent; et  s'ils  sont  formés  de  deux  métaux  inégalement 
oxydables ,  celui  qui  l'est  le  plus  ou  qui  l'est  seul  peut  être 
entièrement  séparé  par  sa  transformation  en  oxyde.  C'est  sur 
ce  procédé  qu'est  l'ondée,  par  exemple,  la  séparation  de  l'ar- 
gent d'avec  le  plomb ,  et  c'est  encore  par  son  application 


que  dans  la  révolution ,  lorsqu'on  détruisait  les  églises  et 
qu'on  fondait  les  cloches  pour  en  faire  des  canons ,  on  sé- 
para le  cuivre  plus  ou  moins  pur  de  l'étain  qui  y  était  com- 
biné. —  Quelques  alliages  sont  même  si  combustibles  qu'ils 
brillent  aussitôt  qu'ils  sont  chauffés  jusqu'au  rouge. 

Le  point  de  fusion  des  alliages  est  souvent  très-différent 
de  celui  des  métaux  qu'ils  contiennent  ;  c'est  ce  qui  a  donné 
lieu  à  la  constatation  des  deux  lois  suivantes  :  r  un  alliage 
est  toujours  plus  fusible  que  le  métal  le  moins  fusible  qui 
entre  dans  sa  composition  ;  2°  dans  le  cas  où  les  deux  mé- 
taux constituants  se  fondent  à  des  températures  à  peu  près 
égales ,  l'alliage  entre  en  fusion  plus  facilement  que  le  métal 
le  plus  fusible.  -Les  métaux,  en  se  combinant  ensemble,  pro- 
duisent quelquefois  un  degré  de  froid  considérable  :  ainsi,  en 
mêlant  118  parties  d'étain  et  201  de  plomb,  tous  les  deux  en 
limaille,  2S4  de  bismuth  en  poudre  fine,  et  l  G 16  de  mer- 
cure, à  une  température  de  IS",  la  température  s'abaisse 
jusqu'à  10°  au-dessous  de  zéro. 

L'emploi  des  alliages  est  extrêmement  étendu ,  et  on  peut 
afTirmer  que  les  métaux  ne  sont  jamais  employés  à  l'état  de 
pureté  absolue ,  parce  que  chaque  fabrication  spéciale  exige 
des  quahtés  différentes;  pour  les  timbres  et  les  cloches 
il  faut  un  métal  très-sonore ,  et  un  métal  très-dense ,  au 
contraire ,  pour  les  bouches  à  feu  et  les  statues  (  voyez 
Bronze);  sans  les  alliages  on  ne  saurait  obtenir  la  fusihUité 
extrême  qu'exigent  la  fabrication  des  rondelles  de  sùrclé 
des  machuies  à  vapeur  et  le  plombage  des  dents;  sans  les 
alliages  on  n'aurait  pas  les  soudures  indispensables  à 
tant  d'usages  ;  le  plomb  n'acquerrait  pas  la  dureté  néces.- 
saire  pour  résister  à  une  forte  pression  sous  la  forme  de  ca- 
ractères d'imprimerie  ;  sans  les  alliages  ,  enfin ,  les  mon- 
naies d'or  et  d'argent  s'useraient  trop  vite,  et  seraient  pour 
la  cupidité  un  appât  plus  dangereux  {voyez  Titre). 

Les  alliages  fusibles  sont  tous  formés  par  l'union  du 
bismuth,  du  plomb  et  de  l'étain.  Le  bismuth  fond  à  25t5° 
du  thermomètre  centigrade ,  le  plomb  à  260 ,  et  l'étain  à 
210  :  quand  on  allie  ensemble  8  du  premier,  5  de  plomb  et 
3  d'étain,  on  obtient  un  composé  qui  fond  à  90°  environ  :  c'est 
Valliage  de  Darcet  ou  de  Rose.  Cette  facile  i'usibilité  per- 
met de  le  faire  servir  à  différents  usages  importants.  On 
l'emploie  pour  clicher  des  médailles  et  couler  des  figures 
qui  peuvent  avoir  une  grande  perfection.  Les  dentistes  s'en 
servent  avec  avantage  pour  plomber  les  dents  cariées  d'mie 
manière  beaucoup  plus  durable  que  par  l'emploi  d'une  feuille 
de  plomb.  On  se  sert  quelquefois  aussi  de  cuillers  à  café 
fabriquées  avec  cet  alliage  pour  attraper  des  personnes,  qui 
sont  surprises  de  les  voir  se  fondre  dans  leur  main  lors- 
qu'elles veulent  s'en  servir  pour  remuer  du  thé  ou  du  café 
qui  leur  est  servi.  Cet  alliage,  composé  d'autres  proportions, 
sert  à  fabriquer  les  rondelles  fusibles  pour  les  machi- 
nes à  vapeur.  —  L'alliage  de  Newton  est  composé  de  5  par- 
ties de  bismuth,  2  de  plomb,  et  3  d'étain.  Il  fond  vers 
100°  c. —  Une  petite  addition  de  mercure  rend  l'alliage  de 
Darcet  fusible  à  55°  c. 

Les  alliages  qui  s'emploient  le  plus  fréquemment  sont 
ceux  qui  servent  à  la  fabrication  des  caractères  d'impri- 
merie, du  plomb  de  chasse,  des  cloches,  des  tim- 
bales, des  canons,  du  laiton,  du  bronze,  du  chr y- 
socale,  du  similor,  du  tamtam,  du  mai  II  écho rt, 
des  diamants  de  Fahlu  n  que  l'on  fait  en  Suède,  etc. 

ALLLVGE  (Règle  d').  La  règle  d'alliage  est  ainsi 
nommée  de  l'une  de  ses  principales  applications ,  qui  con- 
siste à  déterminer  le  titre  d'un  lingot  d'or  ou  d'argent  résul- 
tant de  la  fusion  de  plusieurs  autres  dontles  poids  et  les  titres 
sont  connus.  On  voit  qu'il  faut  multiplier  le  poids  de  chaque 
lingot  par  son  titre,  faire  la  somme  des  produits,  et  diviser 
cette  somme  par  celle  des  poids  donnés  :  le  résultat  est  le 
titre  cherché. 

L'analogie  des  opérations  fait  rentrer  dans  la  règle  'i'al- 
liage  celle  qui  en  avait  été  distinguée  sous  le  nom  de  rèçle 


390 


ALLIAGE  —  ALLIER 


de  mélange,  et  qui  a  pour  but,  connaissant  le  prix  et  la 
quantité  de  plusieurs  matières,  de  déterminer  le  prix  de  l'u- 
nité du  mélange.  Il  faut  ici  multiplier  la  quantité  de  cha- 
que matière  par  son  prix,  faire  la  somme  des  produits,  et 
diviser  cette  somme  par  celle  des  quantités  données;  le 
résultat  est  le  prix  cherché.  En  comparant  cette  règle  à  la 
précédente,  il  est  facile  de  voir  que  tout  ce  que  nous  dirons 
de  la  règle  d'alliage  s'applique  aux  questions  de  mélange. 

Il  faut  considérer  dans  la  règle  d'alliage  :  1°  le  poids  de 
chaque  lingot  ;  2°  son  titre  ;  3"  le  titre  du  lingot  résultant. 
Nous  avons  supposé  qu'on  connaissait  les  deux  premiers 
éléments  et  qu'on  se  proposait  de  déterminer  le  troisième. 
On  peut  de  même  prendre  une  autre  inconnue ,  et  on  aura 
ainsi  trois  cas  à  considérer  dans  la  règle  d'alliage.  Par 
exemple,  supposons  qu'on  demande  combien  il  faut  de  gram- 
mes d'or  au  titre  de  0,875  et  de  grammes  au  titre  de  0,925 
pour  obtenir  un  lingot  de  150  grammes  au  titre  de  0,895. 
Pour  déterminer  d'abord  le  rapport  qui  existe  entre  les  deux 
^oids  cherchés,  on  calcule  la  différence  de  chacun  des  titres 
donnés  avec  le  titre  de  l'alliage.  Ici,  on  a  925  —  895  =  30  ; 
895  —  875  :=  20  ;  c'est-à-dire  que  si  l'on  prend  30 
grammes  au  titre  0,875,  il  en  faut  20  au  titre  0,925  pour 
que  le  lingot  résultant  soit  au  titre  0,895.  Il  ne  reste  donc 
plus  qu'à  partager  150  en  parties  proportionnelles  à  20  et  30, 
ce  qui  donne  pour  résultat  60  et  90. 

ALLIAIRE,  ou  VÉLAR ,  plante  de  la  famille  des  cru- 
cifères ,  qui  a  le  golit  et  l'odeur  de  l'ail  ;  elle  jouit  de  pro- 
priétés assez  énergiques,  qui  la  font  admettre  parmi  les  an- 
tiscorbutiques. L'alliaire  pousse,  sur  des  racines  vivaces  et 
annuelles,  une  tige  de  deux  à  trois  pieds,  au  sommet  de  la- 
quelle sont  des  fleurs  blanches  disposées  en  épi.  Cette  plante 
aime  les  lieux  frais  et  ombragés;  les  vaches  la  broutent, 
et  elle  communique  son  odeur  au  lait  et  au  beurre  qu'elles 
fournissent. 

ALLIANCE,  ALLIÉ  {Droit  ).  Voyez  Affinité. 

ALLIAiXCE  {Droit  international),  ligue  formée  par 
deux  ou  plusieurs  puissances.  Il  y  a  des  alliances  q/7e«5àT5 
et  défensives.  L'alliance  offensive  se  conclut  dans  l'intention 
d'attaquer  un  ennemi  commun;  dans  l'alliance  défensive, 
les  parties  contractantes  s'engagent  à  se  prêter  mutuellement 
secours  contre  les  agressions  extérieures.  Très-souvent  les 
alliances  se  font  dans  ce  double  but.  l\clativement  aux  droits 
et  aux  obligations  des  alliés  entre  eux,  et  à  leur  position  vis- 
à-vis  de  l'ennemi,  on  dislingue  trois  sortes  d'alliances  :  par  li 
première,  que  l'on  appelle  société  de  guerre,  alliance  pour 
faire  la  guerre  en  commun,  les  puissances  contractantes 
s'engagent  à  faire  la  guerre,  chacune  avec  toutes  ses  forces 
xé\xa\Q?,.V alliance  auxiliaire  n'oblige  les  alliés  qu'à  four- 
nir chacun  un  nombre  de  troupes  déterminé,  en  sorte  que 
l'une  des  puissances  est  considérée  comme  puissance  prin- 
cipale, et  l'autre  comme  puissance  secondaire.  Les  traités 
par  lesquels  une  des  puissances  contracte  seulement  l'en- 
gagement de  fournir  des  troupes  contre  le  payement  d'une 
certaine  somme,  ou  à  les  mettre  à  la  solde  d'une  autre  puis- 
sance sans  prendre  directement  part  à  la  guerre,  ou  à  four- 
nir de  simples  secours  pécuniaires,  s'appellent  traités  de 
subsides. 

ALLLVIVCE  {Histoire  religieuse).  C'est  le  nom  que 
l'on  donne  aux  pactes  que ,  suivant  la  Bible ,  Dieu  fit  avec 
(pielqui'S  hommes  justes,  et  que  les  Hébreux  désignaient  par 
le  mot  de  Bérith.  Les  Septante,  dans  leur  version,  tra- 
duisirent ce  mot  par  oi!xOr;y.o,  dont,  par  extension,  la  Vul- 
gate  a  fait  à  tort  testamentum  ;  c'est  pourtant  ce  dernior 
mot  qui  a  prévalu  :  de  là  ces  expressions  A'Ancien  et  de 
Nouveau  Testament,  pour  désigner  l'alliance  que  Dieu  con- 
tracta avec  Abraham,  alliance  qui  fut  conhrniéc  par  la  loi 
de  Moïse,  et  l'alliance  qui  eut  pour  médiateur  Jésus-Chri<f. 

Il  est  souvent  question  dans  la  IJible  de  pactes  établis, 
de  promesses  échangées  entre  Dieu  et  l'homme;  ainsi  le 
Seigneur,  parlant  à  >'oé,  lui  <iit  :  «  Je  vais  faire  mon  pacte 


avec  vous  et  avec  votre  race  après  vous  ;  mon  arc  sera  dans 
les  nuées ,  et  je  me  souviendrai  de  Valliance  éternelle  qui 
a  été  faite  entre  Dieu  et  toutes  les  âmes  vivantes  qui  animent 
toute  chair  sur  la  terre.  »  Dieu  confirma  cette  alliance  à 
Abi-aham,  et  la  renouvela  plus  tard  avec  les  Israélites  par  l'en- 
tremise de  Moïse,  à  qui  il  donna  pour  gages  les  Tables  de  la 
Loi  :  de  là  le  nom  d'^rc^e  d'alliance  donné  à  l'arche  qui 
contenait  ces  tables.  On  voit  encore ,  dans  la  Bible,  Josué, 
près  de  mourir,  faire  alliance  au  nom  du  Seigneur  avec  le 
peuple  hébreu,  et  Jonas,  Esdras  et  Néhémie  renouveler 
ai\is?,i\' alliance  du  Très-Haut  avecisrael.—  Ce  mot  revient 
non  moins  fréquemment  dans  le  Nouveau  Testament  :  Jésus- 
Christ,  célébrant  la  pûque,  prit  la  coupe  et  dit  à  ses  disciples  : 
«  Ceci  est  mon  sang,  le  sang  de  la  nouvelle  alliance.  »  Les 
apôtres  adoptèrent  le  même  terme ,  et  depuis  les  mots  de 
l'Ancien  et  Nouveau  Testament,  ancienne  et  nouvelle  «/- 
liance,  désignèrent  la  loi  de  Moïse  et  le  christianisme. 

ALLLVIVCE,  hague.  Voijez  Anxeau. 

ALLIANCE  DE  MOTS.  Réunir  deux  mots  qui 
par  les  idées  contraires  qu'ils  éveillent  semblent  s'exclure 
réciproquement  ;  faire  que  par  l'art  avec  lequel  on  a  choisi 
ces  deux  termes  et  le  sens  qu'on  leur  donne,  ils  s'adoucissent 
et  se  modifient  mutuellement  de  manière  à  présenter  réunis 
un  sens  différent  de  celui  qu'ils  auraient  eu  séparés,  c'est  ce 
qu'en  littérature  on  appelle  alliance  de  mots.  «  On  peut 
comparer,  a  dit  M.  Dupaty,  Valliance  des  mots  aux  races 
habilement  croisées  par  l'hymen ,  aux  rameaux  heureuse- 
ment unis  par  la  greffe,  et  qui  produisent  ainsi  des  fruits 
d'une  quahté  supérieure  et  différente.  »  L'alliance  de  mots 
supplée  aux  expressions  déterminées  quand  elles  nous  man- 
quent pour  peindre  notre  pensée,  et  sert  à  en  définir  toutes 
les  nuances ,  comme  l'alliance  des  couleurs  supplée  sous 
le  pinceau  du  peintre  habile  aux  tons  composés  qui  ne  lui 
sont  point  donnés  par  les  couleurs  primitives.  Il  y  a  dans 
quelques-uns  de  nos  grands  poètes  des  exemples  de  ce  que 
peut  l'habile  réunion  de  deux  mots  ;  Corneille  a  écrit  ce  vers, 
tant  admiré  par  Racine  : 

Et  monte  sur  le  faîte,  il  aspire  a  descendre. 

On  connaît  ce  vers  dans  Phèdre  : 

Déjà  de  l'insolence  heureux  persécuteur. 

Voici  encore  un  très-bel  exemple,  pris  dans  le  Glorieux  de 
Destouches  : 

J'entends,  la  i>anilé  me  déclare  a  genoux 
Qu'un   père  malheureux  n'est  pas  digne  de  vous. 

Quel  que  soit  l'attrait  de  cette  figure,  il  faut  toujours  jicn- 
ser  que  l'abus  en  serait  dangereux,  et  qu'il  faut  autre  chose 
que  la  réunion  bizarre  de  deux  tcnnes  totalement  contraires 
pour  former  une  alliance  de  mots  :  elle  exige  du  tact 
dans  le  choix,  de  la  retenue  dans  le  nombre  et  de  la  noblesse 
dans  l'emploi. 

ALLIER  (  Département  de  1').  Ce  département,  formé 
du  Bourbonnais,  est  borné  au  nord  par  ceux  de  Saône-et- 
Loire,  de  la  Nièvre  et  du  Cher;  à  l'est,  par  ceux  de  Saône- 
el-Loire  et  de  la  Loire;  au  sud,  par  ceux  de  la  Loire,  du 
Puy-de-Dôme  et  de  la  Creuse;  enfin  à  l'ouest,  par  ceux  de 
la  Creuse  et  du  Cher. 

Divisé  en  4  arrondissements,  dont  les  chefs-lieux  sont 
Mouliiis,  Gannat,  La  Palisse  et  Mantluçon,  il  compte 
26  cantons  et  317  comiiiunes.  —  Sa  populalion  est  de 
352,241  individus.  —  Il  envoie  trois  députés  au  corps  lé- 
gislatif. 3'  subdivision  de  la  19"  division  militaire,  dont  le 
quartier  général  est  à  Bourges,  il  forme  avec  les  départe- 
ments de  la  Creuse,  de  la  Loire  et  du  Puy-de-Dôuic,  le 
21*^  arrondissement  forestier,  fait  partie  du  diocèscde  Mou- 
lins, et  ressortit  à  la  cour  impériale  de  Riom  et  à  l'académie 
de  Clermont.  Il  renferme  1  lycée,  3  collèges  communaux, 
1   institution,  3  pensions  et  280  écoles  primaires. 

Sa  superficie  est  d'environ  723,981  hectares,  dont  467, e  14 


ALLIER  —  ALLLX 


391 


en  terres  labourables,  G9,751  en  prés,  9G,0SQ  en  bois, 
2*,7l4  en  lamles,  pàtis,  bruyères,  etc.,  17,075  en  vignes, 
5,970  en  elangs,  mares,  canaux  d'irrigation,  5,05G  en  ver- 
gers, pépinières  et  jardins,  3,072  en  propriétés  bâties,  518 
en  oseraies,  aulnaies,  saussaies,  etc.  On  y  compte  58,076 
maisons,  652  moulins,  104  forges  et  fourneaux,  370  fabri- 
ques et  manufactures.  —  Il  paye  2,267,205  fr.  d'impôt  fon- 
cier. 

Le  département  de  FAllier,  situé  dans  le  bassin  de  la 
Loire,  est  arrosé  par  l'Allier,  le  Clier  et  par  leurs  affluents, 
la  Cèbre,  l'Aumauce,  la  Sioule,  la  Sichon,  la  Murgon,  l'An- 
delot,  la  Queune,  le  Cliamaron  et  la  Bioudre.  L'Allier,  qui 
lui  donne  son  nom,  le  coupe  à  peu  prés  par  la  partie  cen- 
trale. Ce  département  est  parcouru  par  quelques  cbaines  de 
montagnes  peu  élevées  et  dont  les  points  culminants  n'at- 
teignent pas  700  mètres  d'altitude.  Le  noyau  de  ces  mon- 
tagnes est  granitique  ;  le  sol  des  plaines,  généralement  fer- 
tile ,  est  formé  de  dépots  d'alluvion  argileux  et  siliceux , 
mêlés  de  graviers  reposant  sur  un  fonds  argileux.  Le  pays  est 
très-boisé,  et  couvert  d'étangs  poissomicux. 

En  raison  du  grand  nombre  de  forêts  qui  en  couvrent  le 
sol,  les  animaux  sauvages  y  sont  très-multipliés ,  et  le  gi- 
bier de  toutes  sortes  très-commun.  Le  poisson  abonde  dans 
les  étangs  et  les  rivières.  On  trouve  aussi  beaucoup  de  sang- 
sues dans  les  étangs.  Les  essences  qui  dominent  dans  les 
forêts  et  les  bois  sont  le  chêne,  le  hêtre,  le  charme,  le  bou- 
leau et  le  sapin.  Le  fer,  Pantmiouie,  le  manganèse,  la 
houille,  le  granit,  le  porphyre,  le  grès,  le  quartz,  le  kaolin, 
l'argile  à  potier,  les  marbres,  la  manie,  forment  les  princi- 
pales richesses  minérales  du  département.  Le  marbre  blanc 
de  Vindelat  est  cité  pour  sa  beauté  comme  marbre  sta- 
tuaire. Ce  département  renferme  plusieurs  sources  d'eaux 
minérales,  dont  les  plus  renommées  sont  celles  de  Vichy, 
de  Xéris  et  de  Bourbon-l'Archambault. 

L'agriculture  n'a  pas  encore  fait  de  grands  progrès  dans 
l'AUier,  bien  que  la  nature  du  sol  lui  soit  favorable.  Ses 
principaux  produits  sont  les  céréales,  les  vins  et  les  bois. 
Les  vins,  sauf  les  blancs  de  Saint-Pourçain,  sont  d'une  mé- 
diocre qualité.  On  cultive  aussi  le  lin,  le  chanvre,  les  pommes 
de  terre,  les  betteraves  à  sucre,  les  noyers,  etc.  On  fa- 
brique de  l'huile  de  noix  estimée.  L'engrais  des  bestiaux 
est  la  plus  notable  branche  de  l'industrie  agricole.  Le  beurre, 
le  laitage,  le  fromage  de  chèvre  de  Jlontmarault  sont  en  ré- 
putation. La  culture  du  mûrier  et  l'éducation  des  vers  à  soie 
y  font  des  progrès  sensibles. 

Dans  le  réseau  des  chemins  de  fer  français  le  dépaitement 
de  l'Allier  doit  figurer  pour  325  kiionièlres. 

Parmi  ses  usines,  nous  citerons  les  forges  de  Tronçais, 
la  papeterie  de  Cusset,  la  manufacture  de  glaces  de  Com- 
mentry,  la  verrerie  de  Souvigny,  les  coutelleries  de  IMou- 
lins,  les  manufactures  de  porcelaine  et  de  poterie  de  Lurcy- 
Lévy,  celles  de  couvertures  de  laine  et  de  coton,  de  draps, 
les  tanneries,  les  papeteries,  les  corderies,  etc. 

Le  département  de  l'Allier  est  sillonné  par  9  routes  im- 
périales, 7  routes  départementales  et  8,401  chemins  vici- 
naux. Ses  voies  navigables  sont  l'AUier,  la  Loire ,  le  canal 
du  Berry  et  le  canal  latéral  à  la  Loire. 

Les  principales  villes  sont  :  Moulins,  chef-lieu  du  dé- 
partement. Vichy,  Bourbon-l'Archambault,  Mont- 
Luçon,  Néris-les-Bains;  Souvigny,  ville  de  2,700  ha- 
bitants, dont  l'église  gothique  servait  autrefois  de  sépulture 
aux  princes  de  Bourbon  ;  La  Palisse,  sur  la  Bèbre,  chef- 
lieu  de  sous-préfecture;  Cusset,  située  au  bord  de  l'Allier  et 
entourée  do  murailles  qui  lui  donnent  l'aspect  d'une  place 
forte  ;  Gannat,  chef-lieu  de  sous-préfecture  ;  Saint-Poitr- 
çain,  situé  dans  une  riante  vallée  où  se  tient  tous  les  ans,  vers 
la  fin  d'août,  une  foire  de  bestiaux  célèbre  dans  le  pays. 

ALLIER  (Louis)  de  HAiiTEr.ocuE,avait  pris  ce  surnom, 
qu'il  substitua  depuis  à  son  nom.  Il  n'élait  cc[)endant  point 
noble ,  comme  on  l'a  dit  et  écrit  d'après  son  assertion  ;  ni 


chevalier  de  Malle,  quoiqu'il  portât  un  ruban  noir,  qui  n'é- 
tait autre  que  celui  de  l'ordre ,  si  décrié,  si  avili ,  du  Saint- 
Sépulcre.  —  Né  à  Lyon,  en  1706,  il  eut  pour  père  un 
négociant  qui  périt,  en  1793,  avec  son  fils  aîné,  lors  du  m(S 
morable  siège  de  cette  ville.  Allier,  ayant  obtenu  i)ar  l'en 
tremise  de  son  beau-frère  Boulevard,  diverses  fonctions  dan* 
le  Levant,  profita  de  cette  faveur  pour  se  livrer  à  la  numis- 
matique, l'iiistoire  naturelle  et  la  botanique.  Il  parvint 
ainsi  à  réunir  une  riche  et  belle  collection  de  médailles 
grecques ,  qui  a  contribué  à  lui  assigner  une  place  remar- 
quable parmi  une  certaine  classe  de  savants.  Cette  collec- 
tion allait  être  publiée  lorsque  la  mort  le  surprit  en  no- 
vembre 1827.  On  prétond  que  dans  ses  dernières  années  il 
volait  jusqu'à  des  bijoux,  pour  les  échanger  contre  des 
pièces  antiques.  INIemhre  des  académies  de  Marseille  et  de 
Cambrai,  il  s'était  retiré  en  1826  de  la  Société  Asiatique, 
dont  il  faisait  partie  depuis  1822.  Afin  d'expier  les  fautes 
que  son  trop  vif  amour  pour  la  numismatique  lui  avait  fait 
commettre  contre  la  délicatesse  et  même  la  plus  simple 
probité,  il  fonda  par  son  testament  un  prix  annuel  de  400  fr. 
en  faveur  du  meilleur  ouvrage  de  numismatique ,  et  lé- 
gua à  la  Bibliothèque  Impériale  une  lessè.c  piiénicienne 
dont  il  avait  publié  la  description  en  1820 ,  et  une  médaille 
en  or,  regardée  comme  unique ,  de  Persée,  roi  de  Macé- 
doine. On  a  d'Allier  quelques  autres  opuscules  pleins  d'éru- 
dition, insérés  dans  divers  recueils.  Le  cabinet  de  cet  an- 
tiquaire, dont  Dumersan  a  juiblié  le  catalogue  avec  des  notes 
en  1829,  contenait  plus  de  5,000  médailles,  dont  325  en 
or,  et  seulement  21  fausses,  et  quarante  villes  nouvelles 
pour  la  géographie  numismatique.  Cette  collection  a  été  ven- 
due 80,000  francs  à  M.  Rollin ,  qui  en  a  cédé  une  portion 
pour  20,000  fr.  à  la  Bibliothèque  Impériale.     H.  Acdiffret. 

ALLIES  (Guerre  des).  Voyez  Guerres  sociales. 

ALLKiATOR.  Voyez  Caïman. 

ALLITÉRATION,  répétition  des  mêmes  consonnes 
ou  de  syllabes  qui  ont  le  même  son.  Quelquefois  il  en  ré- 
sulte ce  qu'on  appelle  cacophonie;  dans  certains  cas,  cette 
répétition  des  mêmes  lettres  produit  l'harmonie  imitative, 
dont  on  a  beaucoup  abusé  de  nos  jours,  et  qui  chez  cer- 
tains versificateurs  est  dégénérée  en  un  jeu  frivole  et 
puéril.  Parmi  les  exemples  d'allitérations  les  plus  connus, 
nous  citerons  ce  vers  de  Virgile,  qui  rend  si  bien  le  galop 
du  cheval. 

Quadrupcdante  piilrem  sooitu  quatlt  iingula  campum. 

et  cet  autre  vers  du  même  poëte  : 

Liictantcs  ventes  tcmpcstatesqiie  sonoras, 

dans  lequel  l'accumulation  des  s  peint  en  quelque  sorte  à 
l'oreille  les  efforts  des  vents  qui  cherchent  à  briser  leurs 
chaînes.  Dans  ce  vers  à' Andromaquc  : 

Pour  qui  sont  ces  serpents  qui  sifflent  sur  vos  têtes  ? 

le  sifflement  des  serpents  est  assez  bien  rendu.  Biirger,  dans 

ses  poésies,  offre  de  fréquents  exemples  d'harmonie  imita- 
tive. On  a  blâmé  avei;  raison,  dans  sa  Lenore,  le  hurre, 
hurre,  hop,  hop,  hop,  mais  on  ne  saurait  imaginer  rien 
de  plus  doux ,  de  plus  caressant  que  les  vers  suivants  : 

Wonne  wcht  von  Thaï  iind  Mugcl, 
Wcht  von  Flur  und  Wicsenplan^ 
Wcht  vora glattèû  VVasscrspiegel, 
Wonne  wclit  mit  wcichem   Fliigcl 
Des  Pilotcn  Wangen  an, 

ALLIX  (Jacques-Alexandue-Fkançois)  ,  heutenant  gé- 
néral, né  le  21  septembre  1776,à  Percy  en  Normandie.  Après 
avoir  servi  dans  l'armée  française  avec  un  certain  éclat,  il 
passa,  au  mois  d'octobre  1808,  au  service  du  roi  de  Westpha- 
lie  en  qualité  de  général  de  brigade.  Plus  tard  ,  après  la  re- 
traite de  Russie,  Jérôme  Napoléon,  reconnaissant  lesseiTices 
signalés  d'Allix,  hii  assigna  une  pension  de  6,000  fr.  sur  sa 


392 


ALLIX 


cassette ,  et  le  nomma  comte  de  Freudenthal,  titre  qu'il 
n'a  jamais  pris. 

A  son  retour  en  France,  Allix  fut  employé  en  qualité  de  gé- 
nc^'ial  de  brigade.  11  se  signala  pendant  la  campagne  de  1814  ; 
le  18  février  il  défendit  la  forêt  de  Fontainebleau,  et  le 
2G  du  môme  mois  la  ville  de  Sens ,  avec  peu  de  troupes. 
Quelque  temps  après  ^■apoléon  le  réintégra  dans  son  grade 
de  lieutenant  général.  Après  l'abdication  de  l'empereur,  le 
général  Allix  vécut  au  sein  de  sa  famille.  Au  mois  de  mars 
1815  il  rejoignit  Napoléon  à  Auxerre,  et  prit  le  commande- 
ment du  déparlement  de  l'Yonne.  Lors  de  la  bataille  de 
Waterloo ,  il  se  trouvait  à  Lille  en  qualité  de  président 
3'une  commission  militaire.  Après  la  bataille  il  prit  le 
conmiandcment  d'une  division,  lit  fortifier  Saint- Denis,  et 
suivit  enfin  l'armée  sur  la  Loire.  L'ordonnance  du  24 
juillet  1815  l'obligea  à  s'expatrier.  Ce  fut  pendant  son  sé- 
jour en  Allemagne  qu'il  écrivit  le  fameux  ouvrage  dans  le- 
quel il  établit  un  système  du  monde  opposé  à  celui  de  New- 
ton ;  il  explique  les  mouvements  des  corps  célestes  par  la 
décomposition  des  gaz  de  leurs  atmosphères.  En  1819  le 
roi  permit  au  général  Allix  de  revenir  en  France  ;  il  fut 
rétabli  ensuite  dans  le  cadre  des  officiers  généraux. 

Le  général  Allix  est  mort  à  son  château  de  Bosomes, 
commune  de  Courcelles  (Nièvre),  le  2G  janvier  183G. 
On  distingue  parmi  ses  ouvrages  :  Système  d'artillerie 
de  campagne  du  lieutenant  général  Allix ,  comparé 
avec  les  systèmes  du  comité  d'artillerie  de  France,  de  Gri- 
beauval,  et  de  l'an  XI  (1827)  ;  Bataille  de  Paris  en  juillet 
1830  ;  De  la  Tyrannie, -[tdx  Alfieri,  trad.  de  l'italien  (1831). 

ALLOBROGES.  Nom  d'un  ancien  peuple  de  la  G  au  le 
narbonnaise  qui  habitait  tout  le  pays  situé  entre  Genève 
et  le  Rlii^ne,  appelé  depuis  Savoie  et  Dauphiné.  Le 
nom  de  ce  peuple  reparut  dans  l'histoire  à  l'époque  de  notre 
première  révolution.  Le  roi  de  Sardaignc,  duc  de  Savoie , 
ayant  eu  la  témérité  de  se  mettre  en  éîat  d'hostilité  avec 
la  France  en  1792,  les  Savoisiens  qui  se  trouvaient  à  Paris, 
heureux  de  manifester  les  sympathies  qui  les  unissaient 
au  peuple  français,  offrirent  à  l'Assemblée  nationale  un  don 
pah-iotique.  Ils  formèrent  ensuite  un  club,  qu'ils  normnèrent 
d'abord  le  club  des  Allobroges ,  et  plus  tard  club  des  Pa- 
triotes étrangers.  Les  Savoisiens  obtinrent  de  l'Assembléo 
nationale  l'autorisation  de  former  la  légion  des  Allobroges, 
légion  qui  prit  part  à  la  journée  du  10  août. 

Cette  légion  figura  avec  lionneur  dans  l'histoire  militaire 
de  la  France  répubficaine.  F.lle  se  composait  d'infanterie,  de 
cavalerie  et  d'artillerie,  comme  d'autres  légions  organisées  à 
la  mOme  époque  après  l'insurrection  des  Savoisiens  contre  le 
roi  de  Sardaigne.  Une  assemblée  nationale  sarde  fut  convo- 
quée le  29  octobre  1792.  Cette  assemblée  vota  la  réunion  de 
la  Savoie  à  la  France.  Par  un  décret  formel  elle  avait  sub- 
stitué le  nom  d'Allobroge  au  nom  de  Savoisien. 

ALLOCATION  (en  latin  allocatio  ;  du  mot  locus,  lieu), 
terme  de  commerce  et  de  finance.  Action  de  porter  un  ar- 
ticle en  compte ,  de  passer ,  d'approuver  une  dépense ,  de 
la  mettre  en  son  lieu  et  place.  Les  allocations  du  budgt't 
devraient  être  l'objet  d'une  constante  et  vive  sollicitude  de 
la  part  des  mandataires  de  tout  pays  constitutionnel ,  la 
bonne  distribution  des  dépenses  important  au  hien-étrc  de 
l'État  en  général ,  autant  qu'aux  intérêts  des  contribuables 
en  particulier 

ALLOCUTIOX  (du  mnallociitio;  fait  de  logui,  par- 
ler, dérivé  lui-même  du  grec  \6yo;,  discours).  On  appelle 
de  ce  nom  un  discours  vif,  court  et  pressé,  adressé  par  un 
orateur  à  la  foule,  par  un  général  à  ses  troupes  au  moment 
d'un  combat.  Une  allocution  est  moins  qu'une  harangue. 
Les  allocutions  de  César  et  celles  de  Napoléon  à  leurs  sofdats 
sont  surtout  célèbres.  —  Par  extension,  les  numismates  et 
les  antiquaires  appellent  allocution  une  médaille,  un  bas- 
rc!i 's  repix^scntaiit  un  chef,  un  général  parlant  à  ses  soldats. 

ALLO WILLE  (  Famille  d'  ).  Ancienne  famille  de  la 


ALLORI 

Beaucc ,  qui  s'est  fait  remarquer  par  son  attachement  à  la 
dynastie  des  Bourbons.  Un  chevalier  d'Allonville,  maré- 
chal de  camp,  sous-gouverneur  de  l'infortuné  Dauphin 
(Louis  XVII),  fut  tué  le  10  août  1792,  en  défendant  les 
Tuileries  ;  son  frère  le  baron  d'Allonville,  maréchal  de 
camp,  périt  à  l'armée  de  Condé,  le  2  décembre  1793.  Un 
autre  frère,  après  s'être  signalé  par  sa  bravoure  et  son  ab- 
négation dans  les  rangs  des  émigrés,  mourut  à  Londres,  le 
24  janvier  1811,  couvert  de  quinze  blessures.  Ce  dernier 
était  le  père  des  deux  membres  de  la  famille  dont  nous 
avons  surtout  à  nous  occuper  ici. 

Armand-François,  comte  d'Allonville,  né  le  15  dé- 
cembre 1764,  à  Verdelet  (Seine-et-Marne),  émigra  en  1791,  fît 
la  campagne  dans  l'armée  des  princes,  obtint  le  grade  de  co- 
lonel el  la  croix  de  Saint-Louis,  et  pa.vsa  ensuite  en  Russie, 
où  il  épousa  une  petite-fille  du  maréchal  Munnich.  En 
1813  il  rédigea  sur  Louis  XVIII  un  Précis  biographique 
qu'il  adressa  aux  souverains  alliés.  Après  les  événements 
de  1815,  peu  soucieux  de  courir  la  carrière  des  places,  il 
succéda,  pour  la  rédaction  des  Mémoires  tirés  des  papiers 
d'un  homme  d'État,  à  Alphonse  de  Beauchamp.  Son  der- 
nier ouvrage  estmiltulé  Mémoires  secrets  de  1770  à  1830. 
—  Il  publia  en  1788  une  brochure  qui  ne  porte  point  son 
nom,  intitulée  :  De  la  Constitution  française  et  des  moyens 
de  la  raffermir  ;  et  en  1702  une  Lettre  d'un  Roi/aliste 
à  Malouct.  Le  Dictionnaire  de  la  Conversation  lui  doit 
dts  articles  curieux.  Il  est  mort  à  Metz  le  20  août  1853. 

Alexandre-Louis,  comte  d'Allonville,  frère  du  précé- 
dent, né  à  Paris  en  1774,  quitta  en  1791  le  collège  de  Na- 
varre, pour  suivre  son  père  dans  l'émigration.  Rentré  en 
France  en  1797,  il  suivit  en  Egypte  le  général  Dammartin, 
son  parent.  Nommé  directeur  général  des  finances  en  Ég^qite, 
il  entra  dans  l'administration  des  finances  de  la  France  à 
son  retour  en  1802.  Préfet  de  la  Creuse  en  1814,  destitué 
dans  les  Cent  Jours,  il  devint  après  la  seconde  restauration 
préfet  d'iUe-et-Vilaine ,  puis  de  la  Somme,  et  enfin  de  la 
Meurthe.  Il  fut  en  outre  appelé  au  conseil  d'État.  La  révo- 
lution de  Juillet  le  fit  rentrer  dans  la  retraite.  Il  est  mort 
vers  1845.  —  On  a  de  lui  une  Dissertation  sur  les  camps 
romains  du  département  de  la  Somme,  suivie  d'éclaii'- 
cissements  sur  la  situation  des  villes  gauloises  de  Samara- 
brive  et  Baturpancc ,  et  sur  l'époque  de  la  construction  des 
quatre  camps  romains  de  la  Somme,  1828. 

ALLOiVYME  (du  grec  ô).),o;,  autre;  6vo[xa,  nom), 
ouvTage  publié  sous  le  nom  d'un  autre.  Voyez  Anonyme  et 
Pseudonyme. 

ALLOPATHIE  (du  grec  à),).o;,  autre;  Trâ^Jo;,  souf- 
france), nom  qu'a  donné  Hahnemann  au  système  médical 
opposéàson  homœopathie,  lequel,suivant  lui, n'emploie 
en  fait  de  moyens  thérapeuthiquesque  ceux  qui  sont  capables 
de  provoquer  des  douleurs  opposées  à  celles  qui  existent , 
et  a  pour  principale  base  la  maxime  d'Hippocrate  :  Contra- 
ria contrariis. 

ALLORI  (Alexandre),  plus  connu  sous  le  nom  de 
Bronzmo,  neveu  et  disciple  d'Angelo  Bronzino,  peintre 
de  l'école  ilorentine,  s'('tait  propoi^é  Michel- Ange  pour  mo- 
dèle ;  il  se  livra  plus  particulièrement  à  l'étude  de  l'anatomie. 
On  lui  doit  un  Traité  d'Anatomie  à  l'usage  des  Peintres. 
On  voit  à  Florence,  dans  le  Musée,  un  Sacrifice  d'' Abra- 
ham, et  dans  l'église  du  Saint-Esprit  une  Femme  adultère, 
d'Alexandre  Allori  ;  ces  deux  tableaux  sont  très-estimés  des 
amateurs  italiens.  Allori  était  né  à  Florence,  en  1535;  il 
mourut  en  1G07.  —  Son  fils,  Christophe,  ne  suivit  point  la 
marche  de  son  père,  et  sortit  de  chez  lui  pour  étudier  sous 
la  direction  de  Grégoire  Pagani.  La  plupart  de  ses  produc- 
tions sont  des  paysages  ;  il  peignit  aussi  beaucoup  de  por- 
traits, surtout  pour  la  galerie  de  Florence.  Son  tableau  de 
Judith,  celui  de  Saint  Julien,  ses  copies  de  la  Madeleine 
du  Corrége,  jouissent  d'une  grande  célébrité.  Il  mourut  en 
IG21. 


ALLRUNES  —  ALLUMETTES 


ALLilUXES.  Les  anciens  Goraiaiiis  donnèrent  le  nom 
tVallruiH's  (  Alraunen  )  à  certaines  femmes  qu'ils  regar- 
daient comme  des  espèces  de  proplaMesses.  On  les  appe- 
lait aussi  Drouhdes  et  Trouthcs.  C'étaient  les  compagnes 
des  anciens  sages  qui  portaient  le  même  nom.  Parla  suite, 
les  moines  et  les  ecclésiastiques  les  regardèrent  comme  des 
magiciennes,  des  sorcières  :  un  grand  nombre  d'entre  elles 
furent  brûlées  vivantes.  Selon  une  tradition  populaire  qui 
n'es!  pas  entièrement  éteinte ,  les  allrunes  sont  des  racines 
de  forme  bumaine ,  qui  ne  croissent  que  dans  le  lii  u  des 
exécutions  publiques.  Certaines  personnes  privilégiées  peuvent 
seules  les  trouver,  à  certaines  beures,  et  sous  plusieurs 
conditions  assez  dilTiciles  à  remplir.  Entre  autres  vertus 
surnaturelles  que  les  allrunes  communiquent  à  ceux  qui 
en  sont  possesseurs,  la  faculté  de  découvrir  les  trésors  ca- 
cliés  n'est  pas  la  moins  importante. 

ALLSTON  (Washington),  peintre  américain,  né  dans 
la  Caroline  du  Sud,  en  1779.  Avant  d'arriver  jusqu'à  nous , 
une  réputation  américaine  passe  par  la  presse  anglaise  ;  et 
l'.Vngleterre,  difficilement  indulgente  pour  tout  nouveau  poète 
ou  tout  nouvel  artiste  qui  vient  de  ses  anciennes  colonies , 
ne  l'accueille  jamais  qu'avec  une  sorte  de  raillerie  ou  de 
scepticisme.  Depuis  Joël  Barlow,  auteur  de  la  Colombiade, 
qui  écrivait  avant  la  guerre  de  l'Indépendance,  jusqu'au  pro- 
fesseur Longfellow,  dont  les  derniers  vers  portent  la  date 
de  1843,  la  critique  de  Londres  et  d'Edimbourg  n'a  pu  en- 
core admettre  qu'il  y  eût  une  poésie  nationale  aux  États- 
Unis.  Ce  n'est  que  d'bier  qu'elle  convient  que  les  États-Unis 
ont  eu  un  romancier,  F.  Cooper  ;  im  orateur  moraliste , 
Clianning  ;  un  bistorien ,  Prescott.  Quant  à  la  peinture ,  on 
ne  nie  pas  le  talent  de  Benjamin  West,  mais  on  se  Mte  d'a- 
jouter qu'il  était  plus  Anglais  qu'Américain ,  et  l'on  fait  la 
même  observation  pour  Leslie ,  qui  a  illustré  Sbakspeare 
d'une  manière  originale  ;  pour  Newton  et  Cole ,  dont  les 
paysages  rivalisent  avec  ceux  de  Constable  et  de  Calcott. 
Heureusement  pour  la  peinture  américaine  qu'elle  peut  pla- 
cer au-dessus  de  tous  ces  noms  celui  de  Washington  Allston, 
qui,  né  en  Amérique,  y  a  résidé  plus  qu'en  Europe  et  y  est 
mort ,  surnommé  le  Titien  des  États-Unis.  De  bonne  beure 
Allston  eut  la  vocation  de  la  grande  peinture  ;  il  se  rendit 
en  Europe  dès  qu'il  eut  terminé  ses  cours  universitaires  au 
collège  d'Harvard.  Arrivé  à  Londres ,  il  porta  une  lettre  de 
recommandation  au  professeur  Fuseli ,  qui  lui  dit  franche- 
ment :  «  Quoi  donc,  jeime  honune,  vous  venez  ici  pour  faire 
delà  peinture  historique  !  C'est  venir  de  bien  loin  pour  mou- 
rir de  faim.  »  Allston  fut  aussi  bien  accueilli  par  B.  West  ; 
mais  il  avoue  que  les  bizarres  hardiesses  de  Fuseli  parlaient 
bien  autrement  à  son  imagination  que  la  calme  et  molle  rai- 
son de  son  compatriote.  Du  reste,  il  eut  le  bon  goût  de  n'ad- 
mirer réellement  en  Angleterre  que  sir  Josué  Reynolds.  «  Je 
pourrais  bien  découvrir  ses  défauts ,  disait-il ,  mais  j'aurais 
peur  d'être  ingrat  pour  ses  beautés  ;  »  sentiment  délicat , 
qui  n'excluait  pas  chez  lui  les  réserves  du  goût ,  car  on  lit 
aussi  dans  im  recueil  de  ses  apborismes  :  «  >'e  faites  votre 
Dieu  d'aucun  homme ,  parce  que  vous  finiriez  par  ajouter 
?es  défauts  aux  vôtres  »  :  cela  est  vrai  dans  l'art  comme  dans 
la  morale.  Au  bout  de  deux  ans  de  séjour  à  Londres ,  où  il 
exposa  trois  tableaux ,  il  vint  à  Paris  ,  et,  après  avoir  étudié 
les  trésors  du  Louvre,  que  la  conquête  meublait  alors  chaque 
année  d'un  nouveau  chef-d'œuvre ,  il  voulut  aller  en  Italie, 
et  se  fixa  quelque  temps  à  Rome.  U  y  fit  la  connaissance  du 
poète  Coleridge  et  de  Washington  Irwing.  Colcridge  revenait 
d'Allemagne  ;  il  le  présenta  à  de  jeunes  artistes  allemands  ; 
ceux-ci  les  premiers  lui  donnèrent  alors  ce  surnom  de  Ti- 
tien ,  qui  caractérise  à  la  fois  la  perfection  de  son  dessin  et 
de  sa  couleur.  AlUton  retourna  dans  sa  patrie  en  1S09,  et 
y  épousa  la  sœur  du  célèbre  docteur  E.  Clianning.  Deux  jins 
après ,  il  conduisit  sa  femme  en  Angleterre,  et  s'y  fixa  jus- 
qu'en 1818.  Quel  que  fût  son  amour  du  pays  natal,  son  am- 
bition d'artiste  le  portait  à  se  mesm-er  avec  des  concurrents 

DICT.    t)t   LA    CO.NVEKSATIO.N.    —   T.    I. 


393 

plus  forts  que  ceux  qui  lui  cédaient  en  Am.éri(iuc  des  palmes 
trop  faciles.  11  aimait  à  être  jugé  dans  les  exhibitions  an- 
nuelles de  Somersct-House ,  et  enfin  c'était  aussi  pour  lui 
un  triomphe  que  de  voir  ouvrir  à  ses  tableaux  la  galerie 
d'un  riche  amateur,  qui  les  trouvait  dignes  de  figurer  à  côté 
des  toiles  signées  de  Raphaël,  de  Michel-Ange,  du  Titien,  de 
Van  Dyck  et  de  Rubens.  La  seconde  place  dans  de  pareils 
musées  vaut  mieux  que  la  première  sur  les  murs  d'un  hô- 
tel de  Philadelphie  ou  de  Psew-York.  Mais  cette  noble  ému- 
lation une  fois  satisfaite,  Allston,  éprouvé  d'ailleurs  par  la 
mort  de  sa  femme ,  alla  consacrer  .son  pinceau  à  la  jeune 
Amérique.  Telle  était  la  réputation  qu'il  avait  laissée  à  Lon- 
dres, que  de  riches  amateurs  anglais  disputèrent  souvent  ses 
toiles  à  ses  compatriotes.  Dans  sa  carrière  de  peintre ,  il  a 
été  constamment  fidèle  au  culte  du  beau  et  du  grand,  fidèle 
à  ses  admirations  de  Raphaël,  de  ^lichel-^Vnge  et  des  maî- 
tres d'Italie.  Pour  juger  jusqu'à  quel  point  il  en  a  approché, 
U  faut  avoir  vu  son  Mort  ressuscité  par  Elisée,  fa  Déli- 
vrance de  saint  Pierre  et  son  Rêve  de  Jacob,  que  possède 
lord  Égremont  ;  le  Passage  de  l'ange  Uricl  dans  le  soleil, 
sujet  miltonien  appartenant  au  marquis  de  Stafford  ;  enfin 
Elisée  au  désert ,  qae  M.  Labouchère  lui  acheta  en  Amé- 
rique. Divers  propriétaires  de  Boston  et  de  Philadelphie  ac- 
quirent son  Saûl  et  la  Sorcière  d'Endor,  sa  Vision  de  la 
main  sanglante,  Gabriel  plaçant  ses  sentinelles  aux 
portes  d'Éden ,  la  Béatrice  du  Dante ,  etc.  Lorsqu'il  est 
mort,  le  9  juillet  1843  ,  il  terminait  sa  plus  grande  page,  le 
Festin  de  Balthazar.  —  Washington  Allston  n'était  pas 
seulement  peintre ,  il  avait  publié  en  Angleterre  même  un 
volume  de  poésies,  et  en  Amérique  un  roman,  Monaldi,  dans 
lequel  il  expose  quelques-unes  de  ses  théories  d'artiste.  On 
trouve  des  détails  biographiques  fournis  par  lui-même  dans 
un  volume  intitulé  :  Histoire  des  Arts  du  Dessin  en  Amé- 
rique, par  Dunlopp.  Amédée  Pichot. 

ALLUCHON ,  pièce  de  fonte  ou  de  bois  ne  faisant  pas 
corps  avec  les  roues  dentées  de  certains  systèmes  d'engre- 
nage, mais  s'adaptant  à  la  roue  cylindrique  pour  former  des 
dents.  Il  y  a  cette  différence  entre  les  dents  et  les  alluchons 
que  les  unes  sont  entaillées  dans  la  roue  même  et  qu'elles 
font  corps  avec  elle,  tandis  que  les  autres,  pièces  rapportées, 
peuvent  facilement  être  renouvelées  dans  les  machines  qui, 
éprouvant  beaucoup  de  frottement  et  de  pression,  s'usent  ra- 
pidement ,  et  dont  les  roues  devraient  être  sans  cela  chan- 
gées tout  entières.  Ces  alluchons  sont  toujours  destinés  à 
engrener  dans  ime  lanterne  et  s'adaptent  à  la  roue  au  moyen 
de  mortaises.  Chacun  d'eux  ne  doit  quitter  le  fuseau  qui  le 
touche  que  lorsque  le  suivant  se  trouve  en  prise.  Ils  sont 
implantés  perpendiculairement ,  soit  à  la  surface  courbe  et 
cylindrique  de  la  roue,  qu'alors  on  appelle  hérisson  ;  soit  à 
la  partie  plane  et  latérale  de  la  roue,  qui  dans  ce  cas  prend 
le  nom  de  rouet. 

ALLmiETTES,  petits  fragments  d'un  bois  très-sec, 
ou  brins  de  roseau  ,  de  chènevotte ,  de  carton,  ou  encore  de 
coton  ciré ,  portant  à  l'une  de  leurs  extrémités  ou  à  toutes 
deux  une  matière  inflammable.  Pour  fabriquer  les  allu- 
mettes en  bois ,  on  f;ùt  d'abord  sécher  au  four  de  petits 
billots  de  bois  blanc  de  la  longueur  qu'on  veut  donner  à 
l'allumette;  puis  on  les  fend  dans  la  direction  des  fibres 
du  bois  avec  un  couteau  à  main  appelé  plane ,  et  ensuite 
en  sens  transversal ,  afin  de  produire  de  petits  fragments 
carrés,  qu'un  autre  ouvrier  réunit  i)ar  paquets.  Un  troisième 
travailleur,  après  les  avoir  nivelés ,  les  passe  à  un  qua- 
trième ,  qui  les  trempe  dans  un  récipient  contenant  la  ma- 
tière inllammable ,  telle  que  du  soufre  fondu ,  etc.  On 
calcule  qu'un  ouvrier  peut  ainsi  fendre  de  quatre  à  cinq 
mille  allumettes  à  l'iieure.  —  Pendant  longtemps  on  a  fait 
usage  d'allumettes  plates ,  généralement  fabriquées  avec  du 
sa|)in  blanc  ;  mais  les  allumettes  carrées  sont  maintenant 
bien  plus  demandées  par  la  consommation ,  et  un  moyen 
mécanique ,  récemment  inventé  pour  leur  fabrication  ,  per- 


394  ALLUMETTES 

met  à  un  seul  ouvrier  d'en  fciulre  jusqu'à  00,000  ;i  l'heure. 

\.c>  allumcllcs  tlites  chimiques  mi ,  (le[uiis  quelques 
années ,  remplacé  dans  la  consommation  el  le  commerce 
les  antiques  allumettes ,  qui  n'avaient  pas  en  elles-mêmes 
une  puissance  inflammable, et  avec  lesquelles  ou  était  oldij;- 
de  recourir  soit  au  feu  du  biiquef,  soit  au  phosphore,  pour 
eu  oltenir  riullammation.  Aujourd'hui  le  simple  frotteuicnl 
suîiit  pour  produire  de  la  (lammc.  Ces  allumettes  sont  pré- 
j)arées  à  l'aide  d'un  mélange  pâteux  fait  avec  du  chlorate 
de  potasse ,  du  sulfure  d'antimoine ,  du  phosphore ,  du 
peroxyde  de  manganèse  et  de  la  gomme  en  proportion  con- 
venable. En  substituant  au  chlorate  de  potasse  le  nitre, 
on  obtient  des  allumettes  qui  par  le  frottement  s'enflam- 
meront sans  explosion  bruyante. 

A^  ant  cette  découverte ,  ce  qu'on  connaissait  de  plus 
parfait  dans  ce  genre  était  une  qualité  d'allumettes  égale- 
ment appelées  chimiques  ou  oxygénées,  qui  se  préparaient 
au  moyen  d'une  espèce  de  pàtc  faite  avec  GO  parties  de 
chlorate  de  potasse,  14  parties  de  soufre,  14  parties  de 
gomme  ,  et  une  quantité  d'eau  proportionnée  ;  il  suffisait , 
pour  produire  de  la  flamme,  de  plonger  ces  allumettes  dans 
de  l'acide  sulfurique. 

L'usage  des  allumettes  chimiques  en  vogue  aujourd'hui 
exige  de  grandes  précautions  ;  les  journaux  enregistrent 
chaque  jour  les  graves  accidents  qu'occasionne  fréquem- 
ment la  facilite  avec  laquelle  elles  s'ennaiiimenl;  le  phosphore 
qu'elles  contiennent  peut  aussi  causer  des  empoisonnements, 
mais  on  en  fait  avec  un  phosphore  amorphe  inoffensif, 

ALLURE ,  manière  d'idler  ou  de  marcher.  Ce  mot  est 
synonyme  de  démarche.  Les  allures  ont  quelque  chose 
d'habituel  ;  les  démarches,  quelque  chose  d'accidentel.  On 
dit  au  figuré  que  les  allures  doivent  être  réglées  par  la  dé- 
cence et  la  circonspection,  et  que  c'est  à  l'intérêt  et  à  la 
prudence  à  conduire  les  démarches. 

Le  mot  allure  est  aussi  un  terme  d'équitation  et  de 
manège.  Il  signifie  alors  les  différentes  manières  de  mar- 
cher du  cheval.  On  s'en  sert  encore  en  physiologie  comparée 
pour  réunir  sous  un  nom  usuel  les  diverses  sortes  de  pro- 
gressions quadrr.pédalcs  des  animaux  cpii  se  meuvent  à  la 
surface  du  sol  au  moyen  de  quatre  pieds  ou  membres , 
assez  longs  pour  que  le  ventre  ne  touche  point  la  terre  et 
ne  soit  point  employé  dans  la  locomotion.  Les  quadrupèdes, 
et  notamment  le  cheval ,  dit  Dugès ,  n'agissent  pas  d'une 
manière  uniforme  dans  leurs  différentes  allures,  et  ces 
différences  ne  sont  pas  seulement  relatives  à  la  vitesse. 
1°  Le  pas  est  l'allure  dans  laquelle  le  corps  est  porté  par 
trois  des  quatre  membres ,  tandis  qu'un  seul  se  jette  en 
avant  et  que  le  corps  s'incline  dans  ce  sens  par  la  poussée 
des  troir^  membres  appuyés  à  terre  ;  2"  dans  \c  pas  allongé 
ou  amblé,  qui  est  naturel  à  la  girafe,  à  quelques  chevaux, 
et  à  tous  quand  on  les  presse  ,  l'empreinte  du  i)ie.l  de  der- 
rière dépasse  celle  de  devant ,  ou  la  couvre ,  au  lieu  de  se 
trouver  immédiatement  après ,  comme  dans  le  pas  ordi- 
naire :  il  faut  donc  que  le  pied  antérieur  soit  parti  avant 
que  le  pied  postérieur  soit  posé  ;  3°  dans  Yamble,  troisième 
sorte  d'allure ,  les  choses  se  passent  de  même  avec  un  peu 
plus  de  vitesse ,  et  celte  différence  consiste  en  ce  que  les 
pieds  antérieur  et  postérieur  de  chaque  paire  latérale  se 
détachent  à  la  fois  et  se  posent  à  la  fois  sur  le  sol  ;  le  pas 
frappe  quatre  temps,  l'amble  n'en  frappe  que  deux;  4°  le 
trot  ne  frappe  aussi  que  deux  temps ,  mais  ce  ne  sont  pas 
les  pieds  du  même  côté  qui  posent  à  la  fois  :  ce  sont  ceux 
de  la  diagonale ,  l'antérieur  droit  et  le  postérieur  gauche , 
l'antérieur  gauche  et  le  postérieur  droit;  5"  dans  le  galop, 
on  compte  trois  temps  :  un  pour  le  pied  postérieur  gauche 
porté  seul  en  avant ,  après  que  les  trois  autres  s'enlèvent; 
un  second  pour  \i  pied  antérieur  gauche  et  le  postérieur 
droit,  qui  se  posent  ensemble;  un  troisième  enfin  pour 
l'antérieur  droit,  qui  se  pose  le  dernier;  G"  dans  le  galop 
forcé,  il  n'y  a  qjie  deux  temps  comme  dans  l'amble  et  le  j 


—  ALLUSION 

trot,  mais  ce  sont  les  deux  pieds  postérieurs  et  les  deux 
antérieurs  qui  frappent  simultanément.  —  Tous  ces  m.ou- 
vements  peuvent  être  exécutés  avec  plus  ou  rnoias  de  vi- 
tesse et  d'énergie  :  les  empreintes  des  pieds  peuvent  en 
conséquence  se  couvrir  ou  s'anticiper  plus  ou  moins ,  ou 
pas  du  tout ,  et  l'on  voit  souvent  des  chevaux  faibles  ou 
usés  prendre  des  allures  intermédiaires ,  par  exemple 
entre  le  pas  et  le  trot ,  entre  le  trot  et  le  galop.  L'amble , 
le  trot  et  le  galop  constituent  la  course ,  toujours  plus  ou 
moins  composée  de  sauts  successifs,  c'est-à-dire  d'intervalles 
où  le  corps  est  en  l'air.  Le  pas  du  lièvre  et  du  lapin ,  qui 
prennent  alternativement  leur  point  d'appui  sur  les  deux 
pattes  de  devant ,  puis  sur  celles  de  derrière ,  ne  diffère 
donc  du  galop  forcé  qu'en  ce  que  les  unes  n'abandonnent 
pas  le  sol  avant  que  les  autres  y  soient  posées.  La  grande 
longueur  des  membres  postérieurs  comparativement  aux 
antérieurs  est  cause  de  cette  singularité  ;  elle  fait  aussi  que 
dans  la  course  les  pattes  abdominales  viennent  s'étendre 
en  avant  et  en  dehors  des  antérieures.  Il  en  est  de  même 
pour  la  girafe  dans  son  galop ,  en  raison  de  la  longueur 
des  unes  et  des  autres  et  de  la  brièveté  du  tronc. 

Le  pas  de  l'homme  représente  exactement  le  pas  amblé  ; 
sa  course  représente  l'amble  des  quadrupèdes  ;  seulement, 
l'équilibre  est  moindre  chez  lui.  —  L'amble  est  l'allure  na- 
turelle de  la  girafe ,  de  l'ours  et  du  poulain.  Ce  dernier 
s'en  défait  à  mesure  qu'il  prend  des  forces.  Il  y  a  anomalie 
lorsqu'un  cheval  continue  de  marcher  l'amble,  et  qu'il  est 
dans  la  vigueur  de  l'âge.  Cette  allure ,  qui  fatigue  beau- 
coup les  épaules  du  cheval ,  est  très-douce  pour  le  cava- 
lier. La  vitesse  de  l'arable  est  à  j)eu  de  chose  près  égale  à 
celle  du  trot.  —  Les  palefrois  et  les  haquenées  des  châte- 
laines étaient  des  chevaux  que  l'on  dressait  à  marcher  l'ara- 
ble. Les  haquenées  étaient  au  moyen  âge  destinées  à  trans- 
porter les  chevaliers  mis  hors  de  combat  dans  les  tournois 
et  les  batailles.  L.  Laurent. 

ALLUSIOIV.  Ce  mot  est  dérivé  du  latin  allusio;  il  a 
pour  racine  le  verbe  ludere ,  qui  signifie  jouer.  C'est  une 
figure  de  rhétoricpie  employée  pour  désij-^ner  la  conve- 
nance et  le  rapport  d'une  personne  ou  dune  chose  à  une 
autre  ;  elle  consiste  assez  souvent  dans  l'application  per- 
sonnelle d'un  trait  de  louange  ou  de  blâme.  «  C'est  une 
balle,  a  dit  avec  esprit  et  justesse  ^L  Dupaty ,  qui,  dé- 
tournée de  la  ligne  droite ,  frappe  sur  un  corps  étranger  et 
arrive  au  but  par  ricochet.  >>  L'allusion  est  en  petit  ce 
qu'est  l'allégorie  en  gran  1  ;  celle-ci  est  un  miroir,  une  glace 
fidèle,  dont  l'autre,  en  quelque  sorte,  n'est  qu'un  frag- 
ment. L'cm[)loi  de  ces  deux  figures  exige  beaucoup  de  jus- 
tesse et  de  clarté.  Quand  ou  fait  allusion,  par  exemple,  à 
l'histoire  ou  à  la  fable,  il  faut  que  le  trait  qu'on  a  en  vue 
soit  assez  connu  pour  qu'il  puisse  être  compris  sans  effort. 
Ainsi,  quand  Voltaire  dit  dans  la  Ifenriade  (chant  vu)  : 

Ton   roi,  jeune  Liron  ,  le  sauve  enfin  la  vie; 
Il  l'arrache,  sanglant,  aux  fureurs  des  soldats. 
Dont  les  coups  redoublés  achevaient  ton  trépas. 
Tu  vis;  songe  du   moias  à  lui  rester  fidèle. 

il  faisait  allusion  à  la  conspiration  dont  le  maréchal  Biron 
se  rendit  coupable  plus  tard. 

Le  théâtre  d'Eschyle,  d'Euripide  et  d'Aristophane,  beau- 
coup plus  libre  que  le  nôtre ,  fourmille  d'allusions  aux 
événements  et  aux  hommes  de  l'époque ,  allusions  beau- 
coup moins  fréquentes  et  surtout  moins  directes  chez  nous, 
et  contre  lesquelles  la  décence  et  les  convenances  sociales, 
qui  ont  fait  de  si  heureux  progrès  dans  nos  mo'urs ,  récla- 
meraient ,  <à  défaut  de  la  censure.  Cette  arme  serait  d'au- 
tant plus  dangereuse  en  des  temps  politiques,  qu'employée 
tour  à  tour  par  les  partis,  elle  ne  pourrait  qu'exciter  leurs 
passions,  et  ferait  bientôt  dégénérer  les  jeux  de  la  scène  en 
une  arène  sanglante.  —  Quelquefois,  cependant,  au  lieu 
d'être  un  trait  de  lâcheté ,  de  basse  envie ,  de  mauvais  vou- 
loir ou  de  coupable  légèreté ,  l'allusion  dramatique  peut 


ALLUSION  —  ALLUVION 


395 


être,  au  contraire,  un  acte  tle  courage  et  de  vertu  :  telle 
est  celle  que  renferme  un  hémistiche ,  devenu  célèbre ,  de 
la  tragédie  de  Caitis  Gtvcc/ius ,  par  Joseph  Chénier,  re- 
présentée au  commencement  de  la  Terreur,  iiémisliclie  attri- 
bué souvent  depuis,  par  eneur,  à  VAmi  des  Lois  ,  comédie 
de  >r.  Lava,  représentée  dans  le  morne  temps  et  inspirée  par 
le  même  esprit.  «  Passionné  pour  les  mœurs  républicaines, 
<lit  M.  Arnault  dans  sa  notice  sur  ce  poète  paîriote ,  Ché- 
nier tendait  de  tous  sis  efforts  à  les  substituer  en  France 
au\  mœurs  monarchiques  ;  mais  il  n'était  pas  de  ceu\  qui 
voulaient  qu'on  décimât  la  société  pour  la  revivifier,  et  que, 
pour  le  faire  croître ,  on  arrosât  avec  du  sang  l'arbre  de  la 
liberté.  Des  lois,  et  nou  du  sang!  avait-il  fait  dire  à  son 
ti-ibun.  Ce  sublime  élan  lui  fat  imputé  ;\  crime.  Un  des  bour- 
reaux qui  régnaient  alors,  interrompant  l'acteur  au  moment 
où  il  prononçait  cet  hémistiche ,  osa  onlonner  qu'on  inter- 
vertît l'ordre  de  ces  paroles ,  et  que  d'un  principe  de  phi- 
lanthropie et  d'organisation  sociale  on  fit  une  niaxune  de 
meurtre  et  d'anarchie  :  Du  saug,  et  7wn  des  lois  !  s'écria- 
t-il;  et  c'était  un  législateur!  » 

Très-souvent  l'allusion ,  fidèle  à  son  étjTnologie ,  n'offre 
qu'un  simple  7>K  de  mots.  C'était  un  véritable  jeu  de  mots, 
par  exemple,  qu'on  avait  prêté  à  Molière,  en  lui  faisant 
«lire  aux  spectateurs  accourus  en  foule  pour  voir  la  deuxième 
représentation  de  son  Tar/ufe  :  «  Monsieur  le  président  ne 
veut  pas  qu'on  le  joue.  »  Il  eût  été  inligne  du  caractère  de 
c€  poète  de  se  permettre  en  public  une  aussi  grossière  injure 
envers  un  homme  dont  toutes  les  vertus  ne  pouvaient  être 
effacées  à  ses  yeux  par  une  mesure  qui  avait  été  prise  par  le 
parlement  en  corps ,  et  non  par  M.  Lamoignon  seul.  Nous 
avons  toujours  douté  de  l'authenticité  de  cette  anecdote. 
—  Une  allusion  d'un  autre  genre,  et  qui  renferme  une  louange 
aussi  fine  que  délicate,  est  celle-ci,  que  mademoiselle  de 
Scudéri  employa  dans  un  impromptu  qu'elle  fit  en  voyant 
le  prince  de  Condé  cultiver  de  ses  mains  les  fleurs  de  son 
jardin  à  Viocennes  : 

En  voyant  ces  œillets  qu'un  illustre  guerrier 
Arrose  de  la  main  qui  jjagna  des  batailles  , 
Souvicus-t(ji  q'i'Apollun  bâtissait  des  murailles, 
El  ne  t'ctonr.e  pas  que  .Mars  soit  jardiuicr. 

Mais  le  maître  en  fait  d'allusions  est  La  Fontaine ,  que 
la  nature  de  son  esprit  et  le  genre  de  littérature  qu'il  culti- 
vait appelaient  à  faire  un  emploi  fréquent  de  cette  figure.  On 
trouve  çà  et  là  répandus  dans  ses  fables  mille  traits  qui  tous 
ont  un  rapport  plus  ou  moins  direct  à  quelque  particula- 
rité de  mœurs,  de  caractère,  d'usages,  de  conditions  ou 
lie  langage,  toujours  parfaitement  appropriés  à  la  circons- 
tance dans  laquelle  il  les  met  en  lumière.  «  Il  a  fondé  paviv.i 
les  animaux ,  dit  La  Harpe  ,  des  monarchies  et  des  répu- 
bliques. Il  en  a  composé  un  monde  nouveau,  beaucoup 
plus  moral  que  celui  de  Platon....  11  en  a  réglé  les  rangs.... 
Il  a  transporté  clïez  eux  tous  les  titres  et  tout  l'appareil  de 
nos  dignités.  II  donne  au  roi  lion  un  Louvre,  une  cour  des 
pairs ,  un  sceau  royal ,  des  officiers  ,  des  courtisans ,  des 
médecins....  Jamais  il  ne  manque  à  ce  qu'il  doit  aux  puis- 
sances qu'il  a  établies  ;  c'est  toujours  nos  seigneurs  les 
ours,  nos  seigneurs  les  chevaux,  sultan  léopard,  dom 
coursier,  et  les  parents  du  loup ,  gros  juessieurs  qui 
l'ont  fait  apprendre  à  lire.  »  Et  tous  les  traits ,  toutes 
les  allusions  à  l'espèce  humaine  qui  ressortent  de  ces  assi- 
milations ,  de  ces  comparaisons  aussi  fines ,  aussi  ju.5tes  et 
aussi  profondes  qu'elles  sont  en  apparence  naïves ,  se  font 
d'autant  mieux  comprendre  et  s'insinuent  d'autant  mieux 
dans  tous  les  esprits  (ju'ils  portent  avec  eux  un  cachet  de 
bonhomie  dont  on  ne  se  défie  point ,  qu'ils  n'ont  ni  la  mor- 
gue pédantesque  d'une  li  çon  sévère ,  ni  l'ironie  sanglante 
de  la  satire,  dont  notre  vanité  et  notre  orgueil  se  révolte- 
raient également.  Edme  HÉftr.AU. 

ALLUVIOX  {Géologie),  du  latin  olluo,  je  baigne,  je 
coule.  On  nomme  ainsi  les  accroissements  lents  et  pro- 


gressifs que  reçoivent  les  bords  des  fleuves,  des  rivières  et 
de  la  mer,  par  l'accumulation  de  matières  limoneuses,  cail- 
louteuses ou  sablonneuses  que  les  eaux  y  laissent.  De 
cette  définition  il  résulte  qu'il  y  a  deux  sortes  d'alluvions, 
des  alluvions  d'eaux  douces  et  des  alluvions  7narines. 
Celles-ci  sont  généralement  connues  sous  les  noms  de  lais  et 
relais  de  la  mer.  Tous  les  cours  d'eau,  môme  les  plus 
petits,  peuvent  donner  naissance  à  des  alluvions  ;  mais  l'im- 
portance de  ces  dépôts  est  généralement  en  raison  du  vo- 
lume des  eaux  ,  de  leur  rapidité ,  et  de  la  nature  des  ter- 
rains qu'elles  baignent.  Quand  ces  terrains  sont  facilement 
désagrégeables,  elles  se  chargent  d'ime  grande  quantité  de  ma- 
tières, et  les  dépôts  qu'elles  forment  le  long  de  leur  cours 
sont  plus  considérables,  et  plus  nombreux.  Les  déborde- 
ments ,  les  inondations ,  auxquels  sont  sujets  certains  cours 
d'eau,  concourent  aussi,  par  les  matériaux  qu'ils  arrachent 
au  sol  et  aux  ouvrages  des  hommes,  à  la  production  de 
ces  formations. 

Si  l'on  suit  une  rivière  depuis  sa  source  jusqu'à  son 
embouchure,  on  remarque  que  les  matériaux  qu'elle  dépose 
chemin  faisant  sur  ses  bords  y  sont  distribués  d'après  une 
certaine  règle  ;  que  le  volume  et  le  poids  spécifique  de  ces 
matériaux  vont  graduellement  en  diminuant  depuis  le  pre- 
mier dépôt  jusqu'au  dernier;  de  sorte  que  si  celui-là  est 
composé  de  corps  volumineux  et  pesants ,  de  fragments  de 
roches,  celui-ci  ne  renferme  plus  que  des  matières  ténues  , 
des  sables  fins  et  du  limon  ;  ce  qui  s'explique  par  l'action 
de  la  pesanteur  en  opposition  avec  la  vitesse  de  l'eau.  Les 
matières  transportées,  étant  spécifiquement  plus  pesantes 
que  l'eau,  ne  peuvent  être  tenues  en  suspension  dans  celle-ci 
qu'en  vertu  de  la  puissance  de  son  mouvement,  c'est-à- 
dire  de  sa  vitesse.  Comme  l'action  de  la  pesanteur  tend  in- 
cessamment à  diminuer  l'action  de  cette  vitesse,  il  en  ré- 
sulte que  ce  sont  les  corps  les  plus  pesants  qui  se  déposent 
les  premiers.  Aussi  tout  ce  qui,  indépendamment  des  corps 
entraînés  par  l'eau,  tend  à  diminuer  la  vitesse  de  celle-ci , 
détermine  nécessairement  un  dépôt.  Voilà  pourquoi  il  se 
forme  des  alluvions  sur  les  bords  des  rivières  ,  dans  les  en- 
droits où  l'eau  rencontre  un  obstacle  qui  ralentit  son  cours. 
De  là  des  alluvions  aux  angles  rentrants  des  rivières,  op- 
posés à  des  angles  saillants.  De  là  aussi  les  bancs,  les  hauts- 
îônds,  les  barrages  si  fréquents  vers  l'embouchure  des  fleuves 
et  des  rivières  :  les  courants ,  ralentis  dans  leur  marche 
par  l'action  d'autres  courants  ou  par  les  mouvements  pé- 
riodiques ou  irréguliers  des  vagues  de  la  mer,  laissent  dé- 
poser les  matériaux  qu'ils  transportent.  Ces  dépôts  s'accrois- 
sent graduellement,  s'élèvent,  et  finissent  par  former  des 
îlots,  d.s  îles.  C'est  ainsi  que  se  sont  formés  les  deltas,  les 
plages  fertiles  à  l'embouchure  des  grands  fleuves,  comme 
ceux  du  Gange,  du  Nil,  du  Rhône,  etc. 

D'un  autre  côté,  les  matières  qui  composent  les  alluvions 
ne  sont  pas  toujours  de  la  même  nature  dans  le  même 
lieu,  ce  qui  dépend  de  diverses  circonstances.  Ainsi,  par 
exemple,  la  Seine  dépose  au-dessous  de  Paris  des  sédi- 
ments argileux  jaunâtres,  lorsque,  grossie  dans  la  première 
partie  de  son  cours,  elle  a  lavé  les  terres  argileuses  de  la 
Bourgogne  ;  tandis  que  lors  des  débordements  de  la  Jlame, 
les  sédiments  qu'elle  charrie  et  abandonne  sont  calcaires  et 
blanchâtres  comme  les  terrains  crayeux  de  la  Champagne. 

On  comprend  que  les  dépôts  d'alluvions  doivent  ren- 
fermer des  débris  de  toutes  sortes.  Aussi  y  rencontre-t-on , 
outre  des  substances  minérales,  végétales  et  animales,  des 
objets  de  l'industrie  humaine.  C'est  encore  dans  les  forma- 
tions de  cette  espèce  que  l'on  trouve  les  mines  d'or  et  de 
diamants,  qui  ne  sont  que  des  débris  que  les  eaux  ont  ar- 
rachés aux  roches  qu'elles  ont  ravinées  ou  traversées. 

Les  alluvions  marines  sont  formées  par  les  matériaux 
que  la  mer,  dans  ses  mouvements  périodiques,  apporte  sur 
le  sol  plat  de  .ses  côtes.  Elle  y  dépose  une  mince  couche  de 
vase  ou  sable,  à  laquelle  chaque  pleine  mer  vient  eu  ajouter 

50. 


396  ALLUVION 

une  nouvelle.  On  conçoit  que  ces  dépôts  doivent  s'accroitrc 
rapidement.  C'est  ce  qui  a  lieu  particulièrement  dans  la 
IloU.'inde ,  dont  presque  tout  le  sol ,  conquis  sur  la  mer,  a 
é[é  formé  de  cette  manière. 

Les  alluvions  sont  en  général  une  heureuse  acquisition 
{tour  riigriculture ,  en  ce  qu'elles  étendent  le  domaine  des 
terres  arables ,  et  qu'elles  sont  d'une  grande  fertilité  quand 
elles  ont  été  amenées  à  l'état  de  culture.  Cependant  celles 
de  la  mer  ou  dos  fleuves  à  leur  embouchure  ont  de  graves 
inconvénients.  Le  comblement  des  ports  en  est  le  résultat 
ordinaire;  elles  rendent  difficile  l'entrée  des  fleuves,  et, 
refoulant  ainsi  les  eaux  dans  les  terres,  elles  exposent  celles- 
ci  à  de  grandes  inondations. 

C'est  à  l'industrie  de  l'iiomme  de  combattre  les  inconré- 
nients  des  alluvions,  et  de  tirer  profit  des  avantages  qu'elles 
présentent. 

Un  cultivateur  intelligent  qui  veut  prendre  possession 
d'une  accrue  qui  se  forme  aux  limites  de  son  domaine  doit, 
pendant  les  basses  eaux ,  commencer  par  l'entourei  de 
j.ieux  solidement  fixés  en  terre,  et  reliés  entre  eux  par  une 
espèce  de  clayonaage ,  puis  planter  le  sol  de  végétaux  à 
racines  traçantes  ,  des  roseaux  de  marais ,  massettes  ,  ruba- 
niers,  iris,  chalets,  ou  autres  qui  soient  propres  à  retenir 
la  vase  et  à  favoriser  ainsi  l'exhaussement  du  dépôt.  De 
cette  manière  on  peut  être  sûr  que  chaque  accroissement 
d'eaux  amènera  une  quantité  considérable  de  limon,  et  qu'en 
peu  d'années  mOme  ce  terrain  deviendra  susceptible  de 
recevoir  des  plantations  productives  d'osiers  rouges  ou  de 
saules ,  auxquelles  on  pourra  substituer,  bientôt  après ,  des 
prairies  ou  des  cultures  d'une  autre  espèce.  La  fertilité  des 
terrains  d'alluvion  est  presque  inépuisable  ;  mais  à  cause 
de  leur  situation  basse  et  humide,  leur  culture  présente  des 
difficultés. 

ALLUVIOX  (  Droit  ).  La  loi  française  définit  l'allu- 
vion  :  un  accroissement  qui  se  forme  successivement  et  im- 
perce!)tiblenient  sur  les  bords  d'un  flcu-se  ou  d'une  ri- 
vière"; il  devient  la  propriété  du  riverain.  11  n'y  a  pas  d'allu- 
vion si  un  cours  d'eau  enlève  par  une  force  subite  une  par- 
tie considérable  et  reconnaissable  d'un  tliainp  riverain 
el  la  porte  vers  un  cliamp  inférieur  ou  à  la  rive  opposée. 

ALMA( Bataille  de  1').  Voyez  Inrerm.vnn. 

ALMADEX,  surnommée  de  Af.ocle,  petite  ville 
d'Espagne ,  située  tout  à  rextrémité  sud-ouest  de  la  pro- 
vince de  la  Manche ,  non  loin  des  frontières  de  l'Estrama- 
dure ,  compte  environ  dix  mille  habitants  et  est  célèbre  par 
ses  mines  de  mercure  ,  les  plus  riches  qu'il  y  ait  en  Europe, 
et  dont  l'exploitation  remonte  à  une  haute  antiquité  ,  puis- 
qu'au  rapport  de  Pline  les  Grecs  en  tiraient  déjà  du  ver- 
millon l'an  700  avant  l'ère  chrétienne.  On  calcule  que 
dans  un  espace  de  deux  cent  soixante -dix -neuf  années, 
c'est-à-dire  de  l'année  1524  à  l'année  1803  ,  les  mines  d'Al- 
niadcn  n'ont  pas  livré  à  la  circulation  moins  de  1,430,000 
quintaux  de  ce  métal,  dont  l'emploi  est  si  important  dans  les 
arts  et  l'industrie.  Dans  la  seule  année  1827  on  en  a  extrait 
22,000  quintaux  ;  et  cette  exploitation  prend  de  jour  en  jour 
une  extension  plus  développée,  en  raison  des  demandes  tou- 
jours croissantes  du  commerce.  Les  ateliers  occupent  cha- 
que jour-" environ  mille  ouvriers,  et,  malgré  l'exploitation 
active  de  plusieurs  siècles  ,  le  minéral  est  si  abondant  que 
les  travaux  n'ont  guère  encore  atteint  qu'une  profondeur 
de  trois  cents  mètres.  Les  mines  d'.Vlmaden  sont  demeurées 
la  propriété  de  l'État  ;  aussi  dans  ces  derniers  temps 
le  trésor,  à  bout  d'expédients ,  ne  s'est-il  pas  fait  faute  de 
tirer  bon  parti  des  ressources  qu'elles  lui  offraient.  Leurs 
produits,  hypothéqués  pendant  un  espace  de  temps  plus 
ou  moins  long ,  ont  donc  servi  à  diverses  reprises  de  gage 
et  de  garantie  aux  emprunts  plus  ou  moins  usuraires  que 
des  maisons  de  banque  de  Paris  ou  de  Londres  consen- 
taient à  faire  au  gouvernement  espagnol  pour  l'aider  à  tra- 
verser des  moments  de  crise. 


ALMAGRO 

ALMAGESTE  (  de  l'arabe  al,  et  du  grec  (lÉyicTTo:, 
très-grand ,  superlatif  de  lAsya;  :  le  grand  ouvrage ,  l'ou- 
vrage par  excellence  ).  Ce  nom  est  celui  de  la  traduction 
que  les  Arabes  firent  au  neuvième  siècle  de  la  Composition 
mathématique  de  Claude  Ptoléméc,  ouvrage  dans  le- 
quel se  trouve  expo^^é  le  système  astronomique  qui  a  fait 
loi  pendant  quatorze  siècles  dans  tout  le  monde  savant. 
VAlmarjesle,  qui  fait  corinaifrc  Tétat  où  était  l'astronomie 
chez  les  Grecs,  est  .suivant  Laplace ,  si  on  le  considère 
comme  le  dépôt  des  anciennes  observations ,  l'un  des  plus 
précieux  monuments  de  l'antiquité.  Le  premier  livre  en  est 
consacré  à  l'exposition  du  système  du  monde,  tel  que  l'avait 
conçu  Ptolémée ,  conformément  aux  apparences  et  au  té- 
moignage de  nos  sens.  Le  second  livre  traite  des  ascensions 
pour  les  diverses  inclinaisons  de  la  sphère  oblique  :  les 
arcs  de  l'horizon  interceptés  entre  l'équateur  el  le  point 
correspondant  de  l'écliptique ,  pour  tous  les  degrés  d'o- 
bliquité de  la  sphère,  y  sont  déterminés  par  la  grandeur 
du  plus  long  jour.  Ce  livre,  qui  est  tout  de  calcul,  com- 
prend une  table  des  ascensions  de  dix  degrés  en  dix  degrés 
des  signes,  depuis  l'équateur  ju?qu'au  climat  de  dix-sept 
heures.  Dans  le  troisième  livre  se  trouvent  exposées  les 
recherches  auxquelles  avait  donné  lieu  la  détermination 
de  la  véritable  longueur  de  l'année.  Les  quatrième ,  cin- 
quième et  sixième  livres  sont  consacrés  aux  divers  mou- 
vements de  la  lune.  Le  sixième  livre  contient  une  descrip- 
tion très-exacte  des  éclipses.  La  description  des  étoiles 
est  contenue  dans  le  septième  et  le  huitième  livre.  Les 
cinq  livres  suivants  traitent  du  mouvement  des  planètes, 
de  leurs  retours  périodiques,  de  leurs  mouvements  en  lon- 
gitude ,  de  leurs  rétrogradations ,  de  leurs  écarts  en  lati- 
tude ,  de  leurs  inclinaisons,  et  des  moyens  de  déterminer 
dans  tous  les  cas  leur  distance  au  soleil.  Dès  le  treizième 
siècle,  l'empereur  Frédéric  II  avait  fait  traduire  r^ltoc- 
geste  de  Tarabe  en  latin.  La  Composition  mathématique 
de  Ptoléméc  a  clé  traduite  du  grec  en  français  par  l'abbé 
Halma  ;  à  cette  traduction  sont  jointes  de  savantes  notes , 
dues  à  Delambrc. 

AL5ÎAGRO  (Diego  d')  ,  ainsi  nommé  de  la  ville  d'Al- 
magro,  où  il  naquit,  en  14G3  ,  de  parents  inconnus.  D'abord 
soldat  obscur,  il  servit  en  Italie  sous  les  ordres  de  Gonsalve 
de  Cordcuc ,  puis ,  comme  tant  d'autres  aventuriers  de 
celte  époque ,  s'en  alla  chercher  fortune  dans  le  Nouveau 
;Mcade,  dont  la  découverte,  assez  récente  encore,  occupait 
alors  en  Europe  toutes  les  tètes  et  enflammait  toutes  les 
imaginations.  En  1523,  Diego  d'Ahnagro,  déjà  âgé  de 
soixante-deux  ans ,  mais  connu  par  la  part  active  qu'il  avait 
prise  à  différentes  expéditions  hardies,  s'associa  avec 
François  Pizarre  et  le  prêtre  Hernando  de  Luc ,  pour  faire 
la  conquête  du  Pérou.  Pizarre  fut  chargé  des  opérations 
actives,  et  s'engagea  ,  avec  un  petit  nombre  d'hommes ,  dans 
ces  lointaines  contrées,  objet  de  la  convoitise  des  Espagnols, 
tandis  qu'Almagro  eut  pour  rôle  d'organiser  dans  la  pres- 
qu'île de  Panama  une  espèce  de  dépôt ,  de  base  d'opéra- 
tions ,  d'où  il  devait  faire  passer  à  Pizarre  des  secours  tant 
en  recrues  qu'en  munitions  et  en  matériel  de  guerre.  — 
Après  y  être  resté  près  de  douze  années  ,  Ahnagro  alla  enfin, 
rejoindre  Pizarre  sur  les  côtes  du  Pérou ,  avec  de  nouveaux 
renforts  ;  aussi  à  partir  de  ce  momci'.t  l'expédition  fut-elle 
poussée  avec  un  redoublement  de  NÏgueur  qui  amena  le 
com[)let  asservissement  de  l'empire  des  Incas.  Fourbe,  cu- 
|)ide  et  férose,  connue  tous  les  aventuriers  de  cette  époque, 
c'est  sur  Almagro  ([u'or.  fait  peser  larcsponsabiUté  du  meurtre 
inf\ime  dont  périt  victime  l'inca  Atahualpa.  Almagro^ 
poursuivant  ses  succès,  pénétra  jusque  dans  le  Chili,  et 
fut  nonuné  gouverneur  de  cette  contrée  par  l'empereur 
Cliarles  V  ,  avant  même  d'en  avoir  opéré  la  conquête.  Quand 
ils  n'eurent  plus  d'ennemis  à  combattre ,  Pizarre  et  Almagro 
tournèrent  leurs  armes  contre  eux-mêmes  ;  car  leur  sourde 
jalousie,   mal  comprimée  depuis  longtemps,  éclata  tout 


ALMAGRO  - 

aussitôt.  Ils  en  vinrent  ilonc  aux  mains  sous  les  murs  de 
Cusco,  le  15  avril  1538,  et,  dans  la  sanglante  bataille  qui 
s'engagea  alors,  Alinagro,  Agé  do  soixante-quinze  ans,  fut 
vaincu  et  fait  prisonnier.  En  vain  il  invoqua  les  souvenirs 
d'une  vieille  association  :  son  ennemi  resta  sourd  à  toutes 
ses  supplications,  et  le  fit  étrangler  dans  sa  prison  ;  après  q\ioi 
son  cadavre  fut  publiquement  décapité.  —  [.e  (ils  de  Diego 
d'.Xlmngro ,  qui  portait  le  même  nom  que  lai ,  fut  proclamé , 
par  ses  partisans  ,  gouverneur  du  Cliili ,  et  vengea  son  père 
en  assassinant  Pizarre  (  15îl  )  ;  mais  il  ne  tarda  pas  à  porter 
la  peine  de  ce  meurtre,  et  fut  mis  h  mort  au  même  lieu 
que  son  père. 

ALMAMOUX ,  septième  khalife  de  la  race  des  Abbas- 
sides,  fils  du  célèbre  IIaroun-al-Ra?chid,  né  en  l'an  78G 
de  J.-C. ,  succéda  en  l'an  81.^  à  son  frère,  Amyn  ,  sur  le 
trône  de  Bagdad.  Avant  d'arriver  au  khalifiit ,  il  s'appelait 
Mohammed.  Il  eut  d'abord  à  lutter  contre  une  foule  de  ré- 
sistances ,  à  réprimer  l'esprit  de  faction  et  à  étouffer  plu- 
sieurs rébellions ,  qui  mirent  plus  d'une  fois  en  péril  son 
pouvoir  naissant.  L'une  de  ces  révoltes  eut  pour  prétexte 
une  innovation  introduite  par  le  nouveau  khalife ,  lequel , 
.suivant  le  conseil  de  Fadel ,  son  vizir,  avait  quitté  l'habit 
noir,  couleur  des  Abbassides ,  pour  adopter  la  robe  verte , 
couleur  de  Mahomet  et  d'Ali.  Dès  qu'il  en  eut  triomphé  et 
*[ue  son  autorité  fut  affermie ,  Almamoun ,  élevé  à  l'école 
du  sage  Giafar-Ben-Yaliia,  s'illustra  par  un  système  de  nobli? 
clémence  appliqué  à  tous  ceux  qui  l'avaient  combattu  ;  il 
put  dès  lors  se  Uvrer  à  son  goût  pour  les  sciences  et  les 
lettres ,  et  sut  les  protéger  généreusement.  Cest  ainsi  que 
par  ses  ordres  un  grand  nombre  d'ouvrages  de  la  littéra- 
ture grecque  furent  traduits  en  arabe.  Mais  l'astronomie  et 
surtout  la  philosophie  furent  plus  particulièrement  les  scien- 
ces qui  se  partagèrent  ses  loisirs.  Ainsi ,  il  fit  réviser  les 
tables  astronomiques  de  Ptolémée  ;  puis ,  voulant  avoir  des 
idées  précises  relativement  à  la  grandeur  du  globe  terrestre, 
il  fit  mesurer  un  degré  du  méricUen  dans  la  plaine  de  Sin- 
gar,  en  Mésopotamie;  il  fit  en  outre  mesurer  de  nouveau 
l'obhquité  de  l'écliptiqi'.e.  N'attachant  pas  moins  d'impor- 
tance aux  sciences  morales  et  philosopliiques  qu'aux  scien-  " 
ces  exactes ,  il  alla  jusqu'à  offrir  à  l'empereur  grec  de  Cons- 
tantinople  cent  quintaux  d'or  et  une  paix  perpétuelle,  à  la 
condition  que  ce  prince  lui  céderait  pour  quelque  temps 
le  philosophe  Philon.  Avant  Almamoun ,  les  querelles  reli- 
gieuses entre  musulmans  n'avaient  guère  roulé  que  sur  la 
question  de  savoir  lequel  d'entre  les  compagnons  de  Maho- 
met avait  eu  le  droit  de  lui  succéder,  ou  bien  si  l'autorité 
suprême ,  à  la  mort  du  prophète ,  n'avait  pas  été  de  fait 
transférée  à  son  gendre  AU  et  à  ses  descendants.  Almamoun 
ouvrit  un  nouveau  champ  à  l'esprit  de  discussion  et  d'exa- 
men parmi  ses  coreligionnaires  en  appelant  leur  attention 
sur  des  subtilités  métaphysiques  relatives  à  l'essence  même 
des  révélations  que  contient  le  Koran  :  par  exemple,  sur 
la  question  de  savoir  si  ces  révélations  ont  existé  de  toute 
éternité ,  ou  bien  si  elles  ont  été  créées  au  fur  et  à  me- 
sure de  leur  manifestation  par  l'intermédiaire  du  Pro- 
phète. 

Almamoun  mourut  en  833  ,  près  de  Tarse ,  en  Cilicie ,  au 
retour  d'une  expédition  contre  l'empereur  grec  de  Constan- 
tinople ,  à  qui  il  avait  déjà  enlevé  la  possession  de  l'Ile  de 
Candie.  On  ne  peut  nier,  mal;^ré  l'éclat  de  son  règne .  que 
les  querelles  scolastiques  qu'il  fit  naître  et  favorisa  parmi 
les  musulmans  n'aient  singulièrement  contribué  à  hâter  la  j 
dissolution  de  l'empire  des  khalifes.  j 

ALMAXACII.  C'est  le  nom  vulgaire  des  calendriers  ' 
et  de  tout  ouvrage  périodique  ayant  en  tête  ou  à  leur  fin 
un  calendrier.  Suivant  les  grammairiens ,  ce  mot  vient  de 
l'arabe  ni,  et  manah,  compte.  Scaligcr  et  d'autres  le  font 
dériver  du  grec  udtva/.o;  (le  cours  du  mois)  et  de  la  par- 
ticule arabe  al.  D'autres  prétendent  qu'il  vient  du  saxon  \ 
al-m-^nght ,  contracté  de  al-moonheld,  qui  en  vieil  aile-   ' 


ALMANACH  Z9t 

I  mand  signifie  contenant  toutes  les  lunes.  Une  n«utre  opi- 
!  nion,  qui  ne  manque  pas  dune  certaine  probabilité,  at- 
'  tribue  l'origine  de  ce  mot  au  travail  d'un  moine  nommé 
,  Guinklan,  qui  vivait  en  Bretagne  au  troisième  siècle,  et 
qui  composait  tous  les  ans  un  petit  ouvrage  sur  le  cours  du 
soleil  et  de  la  lune,  et  dont  il  faisait  prendre  de  nombreuses 
copies.  Cet  opuscule  avait  pour  titre  :  D'iagonon  al  manah 
Guin/ilan,  mots  celtiques  qui  veulent  dire  :  Prophéties  du 
moine  Guinklan.  Par  abréviation,  on  nomma  par  la  suite 
te  livre  le  Moine,  ou  YŒuvre  du  moine.  Le  mot  celtique 
manah  a  passé  dans  la  langue  russe,  où  le  mot  moine  se 
rend  par  celui  de  monahh.  Gohins,  enfin,  veut  que  ce  mot 
vienne  de  ahnanha ,  qui  dans  les  langues  orientales  si- 
gnifie étrcnnes,  parce  que  les  astronomes,  en  Orient,  sont 
dans  l'usage  d'offrir  un  livre  d'éphémérides  à  leurs  princes 
au  commencement  de  chaque  année. 

Sitôt  que  les  peuples  ont  possédé  quelques  notions  d'as- 
tronomie, ils  ont  eu  des  almanachs  ;  on  en  trouve  dans  la 
plus  haute  antiquité,  chez  les  Chinois,  les  Indiens,  les  Égyp- 
tiens et  les  Grecs  ;  les  Romains  les  appelaient  fastes.  Dans 
fous  les  pays  chrétiens  ils  furent  d'un  usage  général  ;  avant 
l'invention  de  l'imprimerie,  on  les  affichait,  on  les  copiait 
dans  les  livres  d'église,  où  ils  servaient  à  indiquer  l'époque 
des  fêtes  religieuses;  ou  faisaH  aussi  des  calendriers  perpé- 
tuels, qui  pouvaient  être  con^.ulfés  pendant  très-longtemps, 
car  l'usage  des  almanachs  annuels  ne  remonte  pas  au  delà 
du  seizième  siècle,  où  l'on  voit  Rabelais  publier  YAlma- 
nach  pour  Vannée  1533,  calculé  sîir  le  viéridional  de 
la  noble  cité  de  Lyon,  et  ceux  des  années  1535,  48  et  50. 
Jusque  là  l'astrologie  ne  s'était  pas  introduite  dans  les  al- 
manachs français,  comme  autrefois  chez  les  Romains  et  les 
Anglo-Saxons ;  mais,  sous  le  règne  de  Henri  II,  Nostra- 
damus  commença,  aux  applaudissements  de  la  cour,  la 
pubhcation  de  ces  almanachs  chargés  de  prédictions  men- 
songères qui  de  nos  jours  encore  entretiennent  la  super- 
stition dans  les  campagnes.  L'impulsion  était  donnée  ;  Ma- 
thieu  Laënsberg,  dont  le  plus  ancien  almanach  connu 
remonte  à  1636,  continua  l'œuvre  de  Nostradamus.  En 
Angleterre,  vers  la  même  époque  (lGi4),  Lilly  devait  1? 
TOgue  prodigieuse  de  ses  almanachs  aux  oracles  obscurs 
et  emphatiques  qui  les  accompagnaient.  Mais  les  gouver 
nements  avaient  pris  l'éveil ,  et  en  France  on  voit  déjà 
du  temps  de  Charles  IX  apparaître  une  ordonnance  exi- 
geant avant  l'impression  de  tout  almanach  le  visa  de  l'é- 
vêque  du  diocèse.  En  1579  Henri  III  défend  d'insérer  dans 
ces  publications  aucune  prédiction  relative  aux  affaires  poli- 
tiques, défense  renouvelée  par  Louis  XIII  en  1628. 

En  Allemagne,  avant  l'invention  de  l'imprimerie,  l'alma- 
nach  s'enseignait  dans  les  écoles;  le  calendrier  avait  été 
réduit  en  une  suite  de  vers  barbares  qui  commençaient  par 
ces  mots  :  Cisio  Janus ,  et  qu'on  faisait  apprendre  par 
cœur;  les  mots  de  Cisio  James  finirent  par  devenir  syno- 
nymes d'almanach.  Mélanchthon,  ami  et  disciple  de  Luther, 
réforma  cet  almanach.  Ce  fut  un  premier  pas  dans  une  voie 
d'amélioration  ;  l'almanach  ne  fut  plus  seulement  une  indi- 
cation des  divisions  astronomiques  ou  conventionnelles  du 
temps  ;  il  sut  se  créer  une  autre  importance,  en  contribuant 
puissamment  à  l'instruction  du  peuple;  on  peut  même  dire 
que,  considérée  à  ce  point  de  vue,  l'histoire  des  almanachs 
serait  une  bonne  introduction  à  l'histoire  de  l'instruction 
des  classes  nombreuses  par  les  livres.  Au  dix-huitième  siècle 
on  commence  à  voir  paraître  en  France  des  almanachs  qui 
parlent  au  peuple  tout  à  la  fois  de  réformes  politiques ,  de 
découvertes  agricoles,  etc.  Tel  est  le  Bon  Messager  Boiteux 
{le  Bdle  en  Suisse,  créé  un  siècle  après  VAlmanach  de 
Mathieu  Laënsberg  pour  combattre  l'induence  fâcheuse  de 
ce  dernier;  c'est  ainsi  que  le  Bon  Messager  de  1788,  par 
exemple,  contient  un  résumé  curieux  de  la  situation  de 
l'Europe,  des  notices  sur  les  mœurs  des  contrées  lointaines, 
d'excellents  conseils  d'hygiène,  et  une  censure  éclairée  des 


S98  ALMANACH  - 

préventions  et  des  exceptions  civiles  «lont  les  juifs  étaient 
encore  victimes. 

Comme  ce  genre  d'ouvrages ,  en  s'adressant  à  tout  le 
monde,  exerce  une  certaine  innueftce  sur  une  partie  de  la 
population,  plusieurs  gouvernements ,  tels  que  la  Prusse  et 
la  Russie,  ont  cru  devoir  s'en  réserver  le  monopole.  En 
Angleterre,  le  droit  de  publier  les  alrnanachs  était  encore 
il  y  a  quelques  années  le  privilège  exclusif  d'une  compa- 
gnie {Slatloner's  Company),  qui  était  du  reste  sous  la 
dépendance  du  gouvernement  ;  ces  publications  étaient  en 
outre  assujetties  au  timbre. 

En  France,  l'autorité  fait  publier  Y Almanach  Impèiial , 
qui  sous  le  nom  d'Almanach  Royal  parut  pour  la  pre- 
mière fois  en  1679;  alors  il  ne  contenait,  outre  queKiues 
prédictions  et  les  phases  de  la  lune,  que  le  départ  des  cour- 
riers, les  fêtes  du  palais,  les  principales  foires  du  royaume, 
et  les  viUcs  où  l'on  battait  monnaie  ;  il  parut  sous  cette  forme 
jusqu'en  1G97,  époque  où  son  auteur,  Laurent  Iloury, 
libraire  de  Paris,  eut  l'idée  d'y  joindre  des  notices  statis- 
tiques et  la  liste  des  principaux  dignitaires  et  fonctionnaires 
de  l'État.  Louis  XIV,  singulièrement  flatté  de  cette  longue 
énumération  des  titres  et  dignités  dont  étaient  revêtus  les 
seigneurs  de  sa  cour,  si  riche  en  classifications  nobiliaires 
de  tout  genre,  renouvela  en  1699  le  privilège  de  cet  alma- 
nach, qui  dès  lors  fut  exclusivement  connu  sous  le  titre 
(VAlmanach  Royal,  et  contint  les  naissances  des  princes, 
les  noms  des  personnages  importants  dans  le  clergé,  la  robe, 
iï'pée ,  etc.  Cet  almanacli  lut  appelé  national  sous  !a  pre- 
mière république,  impérial  sous  Tenipiro, ?07/fl/sous  la  res- 
tauration, royal  et  national  après  la  révolution  de  183o, 
national  après  1848  et  impérial  depuis  1853.  Les  dif- 
férents gouvernements  étrangers  imitèrent  successivement 
l'exemple  donné  par  Louis  XIV,  et  dès  la  (in  du  dix- 
Imitième  siècle  il  n'y  eut  pas  de  si  petit  prince  d'Allemagne, 
qui  n'eût  aussi  son  Almanach  d'État >  imprimé  avec  pri- 
vilège et  autorisation  dans  sa  résidence.  VAlmanach  Royal 
de  Prusse  date  de  1700  ;  celui  de  Saxe,  de  1728;  celiù  d'An- 
gleterre, Royal  Calender,  de  1730.  —  iN'oublions  pas  VAl- 
manach  de  Gotha,  qui  se  publie  depuis  17G3,  et  qui  contient 
la  généalogie  des  souverains  et  des  princes  de  l'Europe,  des 
maisons  comtales  auxquelles  les  États  de  la  Confédération 
germanique  ont  reconnu  le  droit  de  prcnLlre  le  titre  d'illus- 
trissime, un  annuaire  diplomatique  très-étendu,  une  chro- 
nique politique  détaillée,  etc.  Enlin,  disons  qu'on  ne  compte 
pas  moins  de  trente  alrnanachs  d'État  paraissant  annuelle- 
ment, et  dont  les  principaux  sont  ceux  de  France,  de  la 
Grande-Bretagne,  de  l'Amérique  du  Nord,  d'Autriche,  de 
Prusse,  de  Russie,  etc.  La  France  eut  aussi  pendant  long- 
temps et  jusque  sous  la  restauration  un  petit  Almanach  de 
la  Cour,  toujours  richement  relié. 

Aujourd'hui  ,  parmi  les  almanachs  spéciaux  qui  se  pu- 
blient en  France,  les  plus  importants,  sont  V Annuaire  et 
Almanach  ducommerce,ou  Almanach  des  500,000  adres- 
ses (Didot-Bottin),  dont  la  grande  utilité  explique  l'im- 
mense succès,  VAlmanach  du  Bâtiment,  elc. 

D'un  autre  côté ,  la  littérature  et  la  spéculation  des  li- 
braires ont  travaillé  à  rendre  les  alm:inachs  dignes  des 
peuples  civilisés.  Pendant  longtemps  nous  avions  eu  VAl- 
manach des  Muses,  VAlmanach  des  Dames,  etc.,  où  bons 
et  mauvais  poètes  apportaient  chaque  année  le  fruit  de  leurs 
inspirations.  Les  derhières  années  de  VAlmanach  des  Dames 
offrent  une  particularité  que  nous  devons  signaler  aux  bi- 
bliographes :  lesédileurs  à  la  fin  ne  faisaient  plus  réimprimer 
qu'une  fouille,  qui,  répartie  au  commencement,  au  milieu,  à 
la  (in  d'une  année  ancienne,  changeait  les  titres,  la  table,  la 
première  pièce,  et  quelques  autres  de  l'ouvrage,  et  en  faisait 
un  livre  nouveau.  Il  a  cessé  de  paraître  vers  1S45.  Les  Alle- 
mands ont  embelli  les  almanachs  littéraires  de  gravures,  de 
musique ,  de  contes ,  et  à  leur  exemple  les  Anglais  ont 
ajouté  aux  almanachs  du  beau  monde  le  luxe  des  gi'avures 


-  ALMANZOR 

et  les  compositions  littéraires  de  leurs  meilleurs  écrivains» 
Le  môme  goût  s'est  répandu  en  France ,  et  ces  productions, 
ornées  par  les  arts ,  font  un  contraste  piquant  avec  le  Mes- 
sager Boiteux,  qui  circule  dans  les  chaumières,  tandis  que 
les  almanachs  richement  reliés  brillent  dans  les  boudoirs  et 
les  salons.  Parmi  ces  charmants  livres  de  boudoir,  on 
doit  citer  surtout  le  Forget  me  not ,  et  le  Keepsake,  pu- 
blication fort  élégante  et  ornée  des  plus  jolies  gravures  ;  ce 
genre  a  été  imité  en  France  et  dans  les  États-Unis  d'Amé- 
rique. En  Allemagne ,  la  Minerve  a  longtemps  joui  d'une 
grande  vogue  ;  dans  ce  pays  et  dans  la  Suisse ,  il  paraît 
maintenant  chaque  année  une  foule  d'almanachs  du  même 
genre.  Citons  encore  VAlmanach  de  l'Illustration,  VAl- 
manach du  Magasin  pittoresque ,  pour  leurs  jolies  gra- 
vures sur  bois. 

L'illustration  s'est  étendue  jusqu'à  ces  almanachs  qui, 
connus  sous  le  nom  à'almanachs  de  cabinet,  se  composent 
d'un  calendrier  collé  sur  une  feuille  de  carton.  Déjà  aux 
quinzième  et  seizième  siècles  on  composait  en  Allemagne 
et  en  Italie  des  almanachs  ornés  de  parties  gravées,  repré- 
sentant divers  attributs  et  sujets  historiques.  Vers  1610  cet 
usage  s'introduisit  en  France,  et  quelques-uns  de  ces  alma- 
nachs français  figurés  présentent  une  exécution  remarquable. 
En  1650  on  commença  à  leur  donner  de  grandes  dimen- 
sions, et  quelquefois  presque  toute  la  feuille  est  occupée  par 
une  estampe  :  il  ne  reste  qu'une  petite  place  à  l'almanach. 
Ces  almanachs  devinrent  raoias  nombreux  sous  Louis  XV  ; 
'"1  en  fait  encore  quelques-uns  de  nos  jours. 

Parmi  les  almanachs  utiles,  nous  devons  citer  le  Bon 
Jardinier,  qui  donne  des  conseils  pratiques  à  l'agriculteur. 

L'almanacli  étant  la  lecture  la  plus  habituelle  du  peuple, 
et  la  seule  d'une  infinité  de  gens,  les  partis  politiques,  succes- 
seurs des  partis  religieux,  ont  cherché  à  répandre  leurs  idées 
;)"r  ^e  mode  de  publication.  Sous  la  révolution  VAlmanncI, 
du  père  Gérard  mX  une  grande  vogue.  Après  la  révolution  de 
février  chaque  parti  voulut  avoir  son  organe  annuel  :  c'est 
ainsi  que  nous  avons  eu  VAlmanach  Populaire,  VAlma- 
nach Phalanstéricn ,  VAlmanach  Icarien ,  VAlmanach 
Aapolconien ,  etc.  Les  idées  religieuses  prirent  pour  or- 
ganes VAlmanach  des  Bons  Conseils,  VAlmanach  Protes- 
tant,  livre  utile,  où  l'on  trouve  la  liste  des  pasteurs  de 
France;  dans  un  autre  sens,  il  y  eut  VAlmanach  du  bon 
Catholique ,  avec  des  anecdotes  et  des  historiettes,  etc. 
Après  la  révolution  de  Juillet,  les  almanachs  subirent  une 
transformation  :  VAlmanach  de  France  prit  à  tâche  de  ré- 
pandre dans  les  campagnes  des  notions  utiles  sur  le  droit 
civil  et  politique,  sur  l'agriculture,  sur  l'hygiène,  etc.  VAl- 
manach des  Villes  et  des  Campagnes  voulut  leur  porter 
des  considérations  et  des  anecdotes  morales.  Mais  ces  essais 
plus  ou  moins  heureux  n'ont  pas  détrôné  l'ancien  almanach  : 
le  Double  ou  Triple  Liégeois,  rempli  d'anecdotes  absurdes 
et  de  prédictions  sur  le  temps,  est  encore  celui  qui  se  tire  en 
plus  grand  nombre. 

AOIAiVDIlXE ,  nom  que  l'on  donne  quelquefois  à  la 
pierre  précieuse  nommée  aussi  alabandine. 

ALMAXZA,  petite  ville  de  la  Nouvelle-Castille ,  sur 
les  frontières  du  royaume  de  Valence.  —  Le  25  avril  1707, 
pcnd;i;;l  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne,  les  Français, 
connu  m'es  par  le  maréchal  de  Bcrwick ,  y  remportèrent 
une  V  ictoiro  complète  sur  les  Anglo-Po;  tugais.  Les  résultats 
de  cette  victoire  furent  très-importants  :  elle  procura  la 
conquête  du  royaume  de  Valence ,  et  facUita  les  opérations 
militaires  de  l'armée  française  pour  l'envahissement  de 
r.\ragon. 

ALiMAXZOR,  nom  qui  s'est  introduit  dans  nos  ro- 
mans et  sur  nos  théâtres.  C'est  une  altération  du  mot 
arabe  Al-Mansour  (le  Victorieux).  Ce  surnom  a  été  donné 
à  plusieurs  khalifes ,  sultans ,  rois  et  princes ,  plus  ou 
moins  fameux  dans  les  fastes  de  divers  Etats  musulmans. 
Nous  allons  citer  les  plus  remarquables  de  ces  personnages 


ALMANZOR  - 

AL-MANSOUR  (  Aeoi-Dj\far-Adi)'Ali.aii  ),  deiixièino 
klitUifo  (le  la  race  des  Abbassides,  succéda^  l'an  75»,  à 
son  frCre  Aboul-Abbas-al-Saffah ,  qui  n'avait  ir^né  que 
quatre  ans,  et  il  affermit  sa  dynastie  en  exlorniinant  celle 
des  Oniiniades,  dont  un  rejeton,  réfugié  en  Afrique,  établit 
en  Espagne  une  puissante  et  brillante  monarchie.  Al-Man- 
sour,  en  TC2,  fonda  ISagdad,  sur  la  rive  occidentale  du 
Tigre,  avec  les  ruines  de  Séleucie  et  de  Ctésipbon,  qui 
avaient  occupé  les  deux  bords  de  ce  fleuve.  Bagdad  devint 
la  capitale  de  l'empire  musulman,  et  fut  pendant  près  de 
six  siècles  le  foyer  des  lumières ,  qui  plus  lard  se  répan- 
dirent en  Europe.  Al-Mansour  y  attira  les  savants  de  tous 
les  pays.  La  protection  et  les  encouragements  qu'il  y  ac- 
corda aux  lettres  et  aux  sciences  fut  imitée  et  surpassée 
par  plusieurs  de  ses  successeurs,  principalement  par  son 
petit-lils ,  Ilaroun-Al-Rascliid ,  et  par  son  arrière-petit-fils 
AkMamoun.  Ce  khalife  se  déshonora  par  son  avarice  et 
par  sa  cruelle  ingratitude  envers  son  oncle  Abd'  Allah  et  le 
grand  capitaine  Abou-Moslem,  qui  avaient  le  plus  contribué 
à  établir  la  domination  des  Abbassides.  Al-Mansour  les  fit 
périr  l'un  et  l'autre ,  et  s'empara  de  leurs  richesses  :  il 
mourut  lui-même  en  775. 

AL-MA>SOUR  (  ABOc-Tn\uER  Ismael),  troisième  khalife 
fathémide  d'Afrique,  succéda  en  946  à  son  père,  Kaïm.  Il 
commença  la  conquête  de  l'Egypte  sur  les  khalifes  abbas- 
sides, et  y  fonda  une  ville  qui  porte  son  nom  (  Al-Man- 
sourah  ) ,  improprement  appelée  la  Massoure  par  les  his- 
toriens de.<)  croisades,  et  fameuse  par  la  bataille  où  saint 
Louis  fut  fait  prisonnier.  Le  khalife  Al-Man;our  mourut  à 
Mohadiah,  en  953,  et  eut  pour  successeur  son  fils,  Moezz- 
Ledin-.\llah,  qui  acheva  la  conquête  de  l'Egypte,  où  il 
transféra  sa  résidence. 

AL-MA>'SOUR  (ABOU-AMER-.MonAMMF.D  Al-Mûafeut,  sur- 
nommé), l'un  des  plus  grands  capitaines  qu'ait  produits  l'Es- 
pagne musulmane,  reçut  de  ses  propres  soldats  ce  surnom 
glorieux.  Né  près  d'Algésiras,  en  930,  et  d'abord  page  du  kha- 
life Al-Hakerall,  il  finit  par  tout  gouverner  à  la  mort  de  ce 
prince,  dont  il  eut  le  fils  en  tutelle.  A  des  talents  supérieurs 
il  joignait  les  qualités  les  plus  propres  h  se  coucilier  la  bien- 
veillance de  tous  les  dépositaires  du  pouvoir.  Il  remporta 
plusieurs  victoires  sur  les  chrétiens,  enleva  Barcelone  au 
comte  Borel,  prit  et  détruisit  Saint-Jacques  de  Compos- 
telle,  porta  ses  armes  en  Afrique,  où  il  rendit  tributaires 
tous  les  princes  musulmans ,  et  les  obligea  de  faire  pro- 
noncer son  nom  dans  la  hhothbah,  ou  prière  publique,  après 
celui  du  khalife  d'Espagne.  Ayant  livré  une  bataille  san- 
glante aux  rois  de  Léon,  de  Navarre,  et  au  comte  de  Cas- 
ti:le,  à  Calatanasar,  sur  les  bords  du  Douero,  il  y  perdit 
tant  de  monde,  quoique  resté  maître  du  champ  de  bataille, 
que  le  chagrin  d'avoir,  pour  la  première  fois,  éprouvé  un 
pareil  échec  irrita  ses  blessures,  et  lui  causa  la  mort, 
le  10  août  1002,  à  Médina-Cnli.  Al-Mansour  avait  glorieu- 
sement gouverné  l'Espagne  plus  de  vingt-cinq  ans;  mais, 
en  éclipsant  son  souverain,  il  avilit  le  Khalifat,  et  prépara  la 
chute  de  la  dynastie  des  Ommiades.  Son  palais  était,  en 
quelque  soile,  une  académie,  où  il  encourageait  et  récom- 
pensait les  arts,  les  lettres  et  les  sciences,  qu'il  cultivait 
lui-même  avec  succès.  Sa  postérité  régna  depuis  à  Valence. 

AL-MANSOUR  (  Abou-Yousolf  Yacolb  ) ,  le  plus  heureux, 
le  plus  puissant,  le  plus  grand  et  le  meilleur  de  tous  les 
princes  de  ladynastiedes  Al-Mohades,  succéda,  l'an  11S4, 
à  son  père,  Yousouf,  î)lessé  mortellement  au  siège  de  San- 
tarem  en  Portugal.  Apiès  avoir  remporté  de  nombreuses 
victoires  sur  les  chrétiens  d'Espagne  et  de  Portugal,  il  mourut 
en  l'an  1199.  On  reproche  à  Yacoub-Al-Mansour,  prince 
éclairé,  juste  et  pieux,  d'avoir  violé  la  capitulation  qu'il 
avait  accordée  au  gouverneur  rebelle  de  Maroc,  et  d'avoir 
laissé  son  corps  sans  sépulture,  en  disant  qu'on  n'est  pas 
tenu  de  garder  sa  parole  à  un  homme  qui  a  violé  ses 
serments,  et  que  le  cadavre  rf'un  traître  n'exhale  au- 


ALMKNAR.\ 


39i> 


cune  mauvaise  odeur.  Toutefois,  la  honte  ou  le  regret 
d'avoir  terni  sa  réputation  par  cet  acte  de  perfidie  déter- 
mina ce  monarque  à  se  renfermer  dans  son  palais  et  à 
charger  des  soins  du  gouvernement  son  fils  Mohammed- 
Al-Nasser,  qu'il  avait  fait  reconnaître  pour  son  successeur. 
L'obscurité  qui  enveloppa  la  dernière  époque  de  sa  vie  a 
fourni  matière  à  une  prétendue  disparition  et  à  des  aven- 
tures romanesques  racontées  dans  une  Vie  d' Al-Mansour. 
Les  États  de  ce  prince  s'étendaient  depuis  Maroc  jusqu'à 
Tripoli,  et  comprenaient  la  moitié  de  la  péninsule  espa- 
gnole; il  portait  les  titres  de  khalife  et  d'émir  al-Mou- 
mcnin  (prince  des  fidèles)  :  aussi  ne  reconnaissait-il  point 
la  suprématie  des  khaUfes  abbassides  de  Bagdad.  Avec  lui 
s'éteignit  la  grandeur  des  Almohades,  dont  la  décadence 
commença  sous  son  fils  Mohammed.  H.  Audiffret. 

ALMAZAiX,  ville  de  2,000  âmes,  dans  la  Vieille-Cas- 
tille ,  à  27  kilom.  sud-ouest  de  Soria ,  et  à  laquelle  on  ar- 
rive par  un  pont  magnifique,  construit  sur  le  Duero.  Une 
de  ses  églises  croit  posséder  la  tête  du  premier  des  mar- 
tyrs ,  saint  Etienne.  Almazan  est  célèbre  par  la  paix  qui  y 
fut  conclue  en  1375,  entre  Henri  de  Transtamare,  roi  de 
Castille,  et  Pierre  IV  d'Aragon. 

AL3IEES.  On  appelle  ainsi  en  Orient  une  classe  de 
femmes  assez  semblables  aux  bayadères  de  l'Inde,  et 
formant,  comme  celles-ci,  une  espèce  de  corporation  de  dan- 
seuses ,  de  cantatrices  et  de  musiciennes,  auxquelles  l'ima- 
gination des  poètes  peut  bien  prêter  des  attraits  aussi  vifs 
que  puissants,  mais  qui  vues  de  près  n'inspirent  que 
la  pitié  et  le  dégoût.  Appelées  chez  les  grands,  elles  font 
les  délices  de  leur  société  intime  avec  leurs  danses ,  qu'elles 
savent  animer  par  le  chant  et  par  le  bruit  des  instru- 
ments ,  et  qui ,  comme  celles  des  bayadères ,  sont  plus 
que  voluptueuses.  En  effet ,  avant  de  se  livTer  à  cet  exer- 
cice, qui  finit  par  devenir  très-violent  en  raison  de  sa  durée 
et  de  sa  vivacité ,  elles  déposent  leurs  longs  voiles  ;  une 
robe  légère  cache  à  peine  leurs  charmes  ;  à  mesure  qu'elles 
se  mettent  en  mouvement ,  les  formes  et  les  contours  de 
leur  corps  se  dessinent  avec  plus  de  vérité,  et  bientôt, 
oubliant  toute  retenue ,  elles  s'abandonnent  aux  transports 
d'une  mimique  chorégraphique  dont  le  cynisme  est  parfaite- 
ment d'accord  avec  leurs  mœurs  dissolues  et  leurs  habi- 
tudes de  débauche.  Ces  sortes  de  spectacles  ont  toujours 
été  en  possession  de  charmer  les  Orientaux,  parmi  lesquels 
un  vieil  usage  veut  que  les  aimées  soient  l'âme  de  toutes 
les  fêtes  et  réjouissances  de  famille,  telles  que  celles  qui 
célèbrent  une  naissance ,  un  mariage.  Au  reste,  les  aimées 
figurent  également  dans  les  cérémonies  funèbres  ,  oii  elles 
jouent  le  rôle  de  pleureuses. 

ALMEIDA.  Une  des  plus  importantes  forteresses  du 
Portugal ,  dans  la  province  de  Beir'a ,  près  de  la  frontière 
espagnole  ;  elle  est  située  sur  la  Coa  ;  sa  population  est 
d'environ  3,000  habitants.  En  1762  les  Espagnols  s'en  em- 
parèrent ,  après  avoir  essuyé  de  grandes  pertes  ;  à  la  paix, 
la  place  fut  rendue  aux  Portugais.  En  1813,  à  l'époque  où 
le  maréchal  Ncy  se  disposait  à  pénétrer  dans  le  Portugal , 
le  général  anglais  Coco  défendit  Almeida  contre  le  maré- 
chal Masséna  depuis  le  24  juin  jusqu'au  27  août ,  où  il  fut 
obligé  de  capituler.  Lorsque  Masséna  quitta  le  Portugal , 
l'évacuation  d'Almeida  lui  coûta  un  combat  meurtrier  de 
trois  jours  contre  Wellington  ,  à  Fuentès  d'Onoro.  A 
la  suite  de  cette  action,  le  général  Brenier  fit  sauter  les 
fortifications*  d'Almeida ,  et  se  fraya  un  passage  à  travers, 
les  assiégeants.  Les  Anglais  ont  rétabli  depuis  les  fortifica- 
tions de  cette  place. 

ALME3IARA,  petite  ville  située  à  peu  de  distance  de 
Lérida ,  et  célèbre  par  le  combat  que  les  trouprs  de  Phi- 
lippe V  y  soutinrent,  le  27  juillet  1710  ,  contre  celles  de 
l'archiduc ,  son  compétiteur  au  trône  d'Espagne.  Les  Au- 
trichiens y  eurent  l'avantage  ;  cependant  l'affaire  ne  lut 
point  décisive.  Favorisées  par  la  nuit ,  les  troupes  de  Plu- 


400 


ALMENARA  —  AL-MOHADES 


lippe  V,  que  l'armée  de  rarchiduc  avait  mises  en  déroute  , 
purent  se  rallier  sous  les  miu-s  de  Lérida  ;  et  cette  affaire , 
qui  coûta  aux  vainqueurs  quatre  à  cinq  cents  hommes  ,  et 
sept  ou  huit  cents  aux  vaincus ,  fut  le  prélude  de  la  bataille 
de  Saragosse,  où  cette  fois  l'archiduc  battit  complètement 
son  rival. 

ALMICAKTARAT  ou  ALMUCANTARAÏ  Ce  mot, 
dérivé  de  l'arabe ,  désigne  des  petits  cercles  de  la  sphère 
parallèles  à  l'horizon.  Ainsi  les  nlmicanfarat*  sont  situés 
relativement  à  l'horizon  comme  les  parallèles  par  rap- 
port à  l'équateur,  et ,  de  même  que  les  centres  des  paral- 
lèles sont  sur  la  droite  qui  joint  les  pôles  de  la  sphère ,  les 
centres  des  almicantarats  sont  sur  la  verticale  qui  joint  le 
zénith  au  nadir.  Il  s'ensuit  que  tous  les  points  de  la  cir- 
conférence d'un  même  almicantarat  sont  à  la  même  hauteur 
au-dessus  de  l'horizon;  c'est  pourquoi  on  appelle  encore  ces 
cercles ,  parallèles  de  hauteur,  cercles  de  hauteur.  — 
Deux  étoiles  étant  connues ,  leur  passage  par  un  même  al- 
micantarat peut  servir  à  déterminer  l'heure. 

ALMODOVAR  (Don  Ildefonso   DtAZ    de   Rihera, 
comte  d'),  ancien  ministre  espagnol,  né  à  'Valence,  fut  élevé 
à  l'école  d'artillerie  de  Ségovie.  Lorsque  éclata  la  guerre  de 
l'Indépendance,  en  1808,  il  était  lieutenant  dans  un  régi- 
ment d'artillerie ,  et  fut  grièvement  blessé  à  la  défense  d'O- 
livenza.  Au  retour  de  Ferdinand  YII ,  soupçonné  d'être 
affilié  à  l'ordre  des  Francs-Maçons ,  il  fut  plongé  dans  les 
cachots  de  l'inquisition  h  Valence,  et  n'en  sortit  que  grâce 
à  la  révolution  de  1820.  La  contre-révolution  opérée  en  1823 
l'obligea  à  venir  chercher  un  asile  en  France  contre  la  ter- 
reur organisée  à  cette  époque  par  la  réaction  victorieuse , 
et  il    ne  rentra  dans  sa  patrie  qu'à  l'époque  où  mourut 
Ferdinand  VII.   Il   fut  alors  appelé  à  la  présidence  des 
cortès  récemment  convoquées  par  Martinez  de  la  Rosa , 
puis,  en  1834,  promu  au  grade  de  maréchal  de  camp.  Ca- 
pitaine général  de  Valence  sous  l'administration  de  To- 
reno  ,  avec  qui  il  avait  eu  antérieurement  d'assez  vives  dis- 
cussions ,  un   mouvement   populaire  le  contraignit  à   se 
mettre  à  la  tête  de  la  junte  de  cette  ville.  Comme  d'ail- 
leurs il  appartenait  à  l'opposition ,  Mendizabal  le  fit  plus 
tard  ministre  de  la  guerre  ;  fonctions  auxquelles  la  faiblesse 
de  sa  santé  ne  tarda  pas  à  l'obliger  de  renoncer.  Nommé 
député  aux  cortès  après  les  événements  dont  la  Granja  fut 
le  théâtre  en  août  1836  ,  il  accepta  encore  une  fois  le  porte- 
feuille de  la  guerre  sous  l'administration  de  Calatrava,  et 
fut  pendant  quelque  temps  président  par  intérim  du  con- 
seil des  ministres.  ]\Iais  le  mauvais  état  de  sa  santé  l'oyant 
de  nouveau  contraint  de  s'abstenir  des  fiitigues  qu'entraînent 
les  emplois  administratifs ,  il  reprit  sa  place  dans  l'assem- 
blée des  cortès.  Nommé  plus  tard  sénateur  par  la  régente, 
Espartero  l'appela  encore  une  fois,  vers  la  fin  de   181 1,  à 
la  |)résidence  des  cortès,  et  en  juin  1842  il  le  chargea  du 
porleleuille  des  affaires  élrangôres,  qu'ldiit  (iiitter  à    la 
chute  (lu  régent  Esparleroen  1843.  Le  comte  d'Almodovar, 
homme  de  manières  brillantes  et  polies,  d'un   caractère 
doux  et  conciliant ,  ne  possédait  qu'à  un  très-faible  degré 
les  qualités  qu'on  e\ige  d'un  homme  d'État.  Il  est  mort  à 
Valence  en  février  1S4G. 

AL-MOIIADES  ou  AL-MO'WAHIDES,  dérivé  du  mot 
arabe  al-mowahedoun ,  qui  signifie  ?<H/^flh-e.ç,  ceux  qui  ne 
reco7inaissent  qu'un  Dieu.  C'est  le  nom  d'une  puissante 
dynastie,  qui  a  régné  sur  toute  l'Afrique  septentrionale  (l'E- 
gypte exceptée)  et  sur  la  moitié  de  l'Espagne.  Elle  eut  pour 
fondateur  un  fanatique  novcmxé  Mohammed  Ben-Toumert, 
né  dans  les  environs  de  Sous,  en  Mauritanie,  et  qui  se  disait 
issu  de  Mahomet  par  Ali  et  Housséin.  Après  avoir  étudié  la 
philosophie  et  la  théologie  à  Ragdad,  il  revint  dans  sa  pa- 
trie, prêchant  dans  les  villages,  et  s'arrêta  dans  un  bourg 
près  de  Tlémccen,  où  il  se  lia  avec  Abd-el-Moumen,  qu'il 
associa  depuis  à  son  apostolat.  Couvert  de  haillons,  il  décla- 
mait contre  les  idolâtres  et  contre  les  chrétiens,  auxquels 


il  reprochait  le  dogme  de  la  Trinité  ;  il  s'érigeait  en  réfor- 
mateur des  mœurs  comme  des  doctrines  religieuses,  brisant 
partout  les  instruments  de  musique  et  renversant  le  vin.  De 
Fez  il  osa  venir  à  Maroc,  pour  y  propager  ses  principes  sé- 
ditieux, reprocher  au  roi  Ali  ses  défauts,  et  disputer  publi- 
quement avec  les  docteurs  de  Maroc,  qu'il  confondit  par  son 
éloquence.  Mais,  comme  il  s'attribuait  le  don  de  prophétie, 
et  qu'il  prédisait  la  chute  prochaine  de  la  dynastie  régnante 
(les  Al-moravides),  le  vizir,  démêlant  les  vues  ambi- 
tieuses de  Ren-Toumert,  conseilla  au  roi  de  le  faire  périr  ou 
de  s'assurer  de  sa  personne  ;  mais  Ali,  par  un  acte  impoli- 
tique de  clémence ,  se  contenta  de  l'exiler.  Retiré  sur  une 
montagne,  ce  fanatique  prit  le  nom  d'Al-Mohadij  (direc- 
teur ),  se  donnant  ainsi  pour  le  douzième  desimans  réputés 
légitimes  par  les  schyitcs. 

La  valeur  personnelle  n'est  pas  moins  nécessaire  que  l'é- 
loquence à  un  chef  de  parti  ;  elle  manquait  à  Mohady.  Le 
chef  de  ses  disciples,  Abd-el-!SIoumen,  possédait  cette  qua- 
lité. C'est  de  l'an  de  l'iiégire  515  (1121  de  J.-C.  )  que  date 
le  commencement  de  la  puissance  des  Almohades.  Ses  pro- 
grès furent  si  prompts ,  que  le  roi  de  ISIaroc  en  prit  enfin 
l'alarme  ;  mais  la  défaite  de  son  armée  accrut  la  force  et  l'au- 
dace des  rebelles;  des  tribus  entières  accoururent  dans  le 
camp   de   INIohady.    Craignant  que  dans  cette  muhitude 
d'hommes_il  ne  se  trouvât  des  traîtres,  il  ne  se  borna  plus 
aux  fonctions  d'apôtre,  il  osa  imiter  Dieu.  A  la  suite  d'une 
revue  générale  de  son  armée,  il  fit  passer  è  sa  gauche,  comme 
enfants  de  l'enfer,  ceux  qui  lui  parurent  suspects,  et  or- 
donna qu'on  les  précipitât  dans  un  ravin.  Quant  aux  autres, 
il  les  fit  placer  à  sa  droite  et  leur  donna  le  nom  d'/lZ-mo- 
ivahcdoun.  Après  avoir  conquis  les  provinces  voisines  de 
l'Atlas,  et  celles  du  midi  jusqu'à  Aghmat,  il  se  crut  en  état 
d'attaquer  le  roi  de  Maroc  jusque  dans  sa  capitale.  Mais  son 
armée  fut  mise  en  déroute',  et  l'un  de  ses  deux  premiervS 
généraux  fut  tué.  Mohady  était  mourant  lorsqu'il  apprit  ce 
revers  ;  il  remercia  Dieu  de  lui  avoir  conservé  Abdel-Mou- 
mcn,  et  il  exi)ira  après  avoir  déclaré  ce  dernier  émir  des 
fidèles  et  l'avoir  fait  reconnaître  pour  son  successeur.  Un 
seul  trait  donnera  une  idée  de  la  fourberie  machiavélique 
de   cet  ambitieux.   Persuadé  qu'il  avait  besoin  de  prestige 
pour  affermir  sa  puissance,  il  fit  enterrer  vivants,  après 
une  bataille,  quelques-uns  de  ses  sectateurs,  en  leur  lais- 
sant de  l'air  au  moyen  d'un  tuyau.  Il  leur  avait  préalable- 
mont  dicté  la  réponse  qu'ils  avaient  à  faire  lorsqu'on  les 
interrogerait,  et  leur  avait  promis  de  brillantes  récompenses 
s'ils  exécutaient  ponctuellement  ses  ordres.  Il  conduisit  alors 
sur  le  champ  de  bataille  les  chefs  des  tribus  et  de  l'armée, 
et  leur  dit  d'interroger  leurs  frères  morts  sur  la  réalité  de 
ses  prédictions  et  de  son  crédit  auprès  de  Dieu.  Les  hommes 
cachés  répondirent  aussitôt  :  «  Nous  jouissons  des  récom- 
penses  célestes  pour  avoir  embrassé  et  prop  gé  par  les 
armes  la  doctrine  de  l'unité  de  Dieu  :  combattez  donc,  à 
notre  exemple,  les  .■M-Moravides,  et  comptez  sur  les  pro- 
messes de  notre  maître.  »  A  peine  ces  faux  oracles  avaient 
fini  leur  rôle,  que  Mohady,  pour  prévenir  leur  indiscrétion, 
les  fit  ctoufl'er  en  bouchant  le  tuyau. 

ABn-EL-MoiMEN,  fondateur  de  la  dynastie  héréditaire  des 
Al-Mohades,  commença  son  règne  en  524  (  1120  ).  Nous  lui 
avons  consp.cré  un  article  particulier. 

YousouF  II,  fils  et  successeur  d'Abd-eî-Moumcn,  marcha 
."^ur  .ses  traces,  sans  imiter  sa  cruauhé.  11  se  distingua  par 
plusieurs  actes  de  clémence,  pardonna  généreusement  à  deux 
de  ses  frères,  qui  avaient  refusé  de  le  reconnaître,  l'un  à 
Cordoue,  l'autre  à  Rougie,  et  ne  prit  le  titre  d'émir  des 
fidèles  que  lorsqu'ils  se  furent  soumis.  Il  apaisa  la  révolte 
d'un  faux  prophète  qui  avait  fait  soulever  les  tribus  de 
Sanhadjah  et  de  Gomara.  Secondé  par  ses  frères,  il  étouffa 
tous  les  ferments  de  discorde  dans  les  diverses  parties  de 
son  empire.  En  Espagne,  Moliammed-Ren-Mandenisah,  roi 
de  Valence  et  de  Murcie,  résistait  aux  Al-Moliades,  avec  le 


secours  îles  chrétiens;  \aincu,  l'an  1165,  par  un  frère  de 
Yousouf,  il  penlit  Valence  ea  1172,  et  mourut  la  même 
année  à  Majorcpie,  où  il  s'était  retiré.  Le  monarque  africain, 
en  épousant  leur  sœur  deux  ans  après ,  obtint  des  frères  de 
cette  princesse  la  cession  d'Alicante,  Murcie,  Cartliasènc  et 
autres  places  que  leur  père  avait  possédées.  Yousouf  rem- 
porta de  grands  avantages  sur  les  chrétiens,  enleva  Tarra- 
gone  et  ravagea  la  Catalogne.  Pendant  un  séjour  de  quel- 
ques années  à  Séville,  il  y  fonda  plusieurs  monimients 
somptueux,  et  il  fit  acliever  Gibraltar.  11  périt  mallieureu- 
sementdans  une  expédition  en  Portugal,  l'an  1164,  après  un 
règne  fortuné  de  vingt-deux  ans. 

Yacoib-al-Mansoir,  son  fils,  maintint  la  gloire  des  Al- 
Mohades,  et  mourut  l'an  1199.  Voyez  Almanzor. 

Mohamed  Al-Nasseu  Ledi.n'Allao,  fils  et  successeur  de 
Yacoub,  monta  sur  le  trône  après  son  père.  Ce  prince, 
dont  les  historiens  orientaux  font  des  portraits  tout  à  fait 
contradictoires,  tant  au  moral  qu'au  physique,  paraît  avoir 
eu  pour  principal  défaut  un  caractère  faible  et  irrésolu,  qui 
le  rendit  le  jouet  de  ses  ministres.  Après  avoir  enlevé  Meha- 
diah  et  plusieurs  provinces  d'Afrique  à  Yalùa,  l'un  des  der- 
niers rejetons  de  la  race  des  Al-Moravides,  et  avoir  forcé  ce 
prince  vaincu  à  se  retirer  dans  le  Saharah ,  il  envoya  d'Al- 
ger une  puissante  flotte  qui  s'empara  des  îles  Baléares,  dont 
le  dernier  roi,  Ali,  frère  de  Yahia,  M  pris  dans  ISIajorque, 
et  misa  mort.  Ce  dernier  revers  des  Al-Moravides  fut  aussi 
le  dernier  triomphe  des  Al-Mohades.  Alphonse  VIII,  roi 
de  Castille,  fatigua  les  musulmans  d'Espagne  par  ses  incur- 
sions et  ses  ravages.  jNIohammed  ambitionna  la  gloire  d'être 
leur  vengeur  et  d'éch'pser  ses  prédécesseurs.  A  sa  voix  six 
cent  raille  hommes  accoururent  de  toutes  les  parties  de  l'A- 
frique. Il  débarque  à  Tarifa  en  1210.  La  chrétienté  s'alarme. 
Alphonse  IX,  roi  de  Léon,  vient  à  Séville  se  soumettre  au 
khalife  ;  mais  les  rois  de  Castille,  de  Navarre  et  d'Aragon, 
secondés  par  les  secours  que  Rodrigue,  archevêque  de  To- 
lède ,  leur  procure  de  France  et  d'Italie,  s'emparent  de  Ca- 
latrava.  Le  gouverneur,  qui,  abandonné  à  ses  propres  forces, 
ne  s'était  rendu  qu'à  l'extrémité,  fut  arrêté  et  mis  à  mort 
par  ordre  de  Mohanuned.  Cette  injuste  et  impolitique  sévé- 
rité excita  un  tel  mécontentement  dans  l'armée,  qu'il  fallut 
en  Ucencier  une  partie.  I\Iohammed  s'était  faiblement  dédom- 
magé par  la  prise  de  Zurita,  qui  lui  coûta  des  pertes  énormes, 
lorsqu'il  rencontra  l'armée  chrétienne  dans  les  plaines  de 
Tolosa,  en  1212.  Là  se  donna  la  fameuse  bataUle  qui  assura 
pour  jamais  aux  chrétiens  la  prépondérance  sur  les  musul- 
mans. Mohammed  y  laissa,  dit-on,  cent  cinquante  ou  deux 
cent  mille  hommes,  et  fut  contraint  de  prendre  la  fuite. 
Honteux  de  sa  défaite,  il  s'en  vengea  à  Séville  sur  les  chefs 
des  troupes  andalouses,  qui  avaient  lâché  pied,  et  il  alla  se 
plonger  dans  les  délices  de  son  palais  de  Maroc,  où  il 
mourut  l'année  suivante.  —  Après  le  règne  de  Mohammed, 
les  Al-Mohades  s'éteignirent  en  Espagne  en  1257,  et  en 
Afrique  l'an  12G9.  Édris  II  Abou-Dabbous ,  quatorzième 
prince  de  la  dynastie  des  Al-Mohades,  en  fut  aussi  le  dernier 
représentant.  Cette  dynastie  avait  régné  cent  quaranle-huit 
ans  en  Afrique,  et  environ  quatre-vingts  en  Espagne. 

H.    AUDIFFRET. 

ALMOXACID  (Bataille  d' ).  Le  11  août  1809,  Vé- 
négas,  chef  des  troupes  espagnoles,  qui  venait  d'être  battu 
dans  différentes  escarmouches ,  avait  été  forcé  de  se  replier 
sur  Almonacid  de  Zorila  (  bon  i^  d'Espagne,  à  trente  et  un 
kilomètres  sud-est  de  Guadalaxara  ) ,  où  il  avait  pris  une 
excellente  position,  lorsque  le  général  Sébastiani  vint  le 
forcer  à  la  quitter  et  battit  les  dix  mille  Espagnols  qui  la 
défendaient.  Pendant  ce  temps  toute  ia  réserve  de  l'armée 
française  était  arrivée,  et  une  attaque  générale  fut  résolue. 
Les  forces  réunies  des  Espagnols,  des  Portugais  et  dos  An- 
glais s'élevaient  à  cent  cinq  mille  hommes  :  les  Anglais  étaient 
commandés  par  Wellington  ;  les  Français  ne  comptaient  que 
quarante  mille  comballanls.  L'action  s'engagea  ;  les  positions 

DICT.   DE   LA   C0NVER8.    —   T.    1. 


AL-MOHADES  —  AL-MOR  AVIDES  401 

espagnoles  furent  abordées  et  enlevées  avec  une  rare  intré- 


pidité ;  les  Espagnols ,  chassés  dans  la  plaine,  tentèrent  ea 
vain  de  se  rallier  ;  Vénégas  eut  trois  mille  hommes  tués  et 
quatre  mille  prisonniers  ;  il  perdit  quarante  pièces  de  ca- 
non et  environ  deux  cent  cinquante  chariots  de  munitions  et 
de  bagages.  Pendant  ce  temps  Wellington,  resté  à  huit  lieues 
de  ce  champ  de  bataille,  ne  songeait  pointa  ses  alliés  et 
s'applaudissait  d'une  mince  victoire  sans  conséquence  sé- 
rieuse. —  Le  résultat  de  la  bataille  d'Almonacid  lut  la  ren- 
trée du  roi  Joseph  dans  Madrid  et  la  répression  momentanée 
de  l'insurrection  espagnole. 

AL-iMORA VIDES  ou  AL-MORABIDES,  puissante  dy- 
nastie qui  a  régné  sur  une  grande  partie  de  l'Afrique  et  de 
l'Espagne.  Ce  nom ,  emprunté  aux  Espagnols ,  dérive  du 
mot  arabe  al-morabethoun  ,  pluriel  de  morabeth  ou  ma- 
rabouth,  qui  signifie  sentinelle  et,  par  extension,  ceux  qui 
veillentà  la  gloire  de  Dieu  et  de  la  religion  {.voyez  Maraboiti) 
Les  premiers  Al-Moravides  étaient  des  Arabes  qui ,  ve- 
nus originairement  de  l'Yémen  en  Syrie ,  passèrent  ensuite 
en  Egypte ,  puis  en  Libye ,  et  s'avancèrent  jusque  dans  la 
Mauritanie  Tingitane,  où,  pour  ne  pas  se  mêler  avec  les  in- 
digènes ,  ils  s'établirent  dans  le  désert  de  Saharah ,  y  for- 
mèrent plusieurs  tribus ,  et  finirent  par  y  oublier  presque 
entièrement  les  dogmes  et  les  rites  de  l'islamisme.  Vers 
le  miheu  du  onzième  siècle ,  l'un  d'eux ,  Djauher.  entreprit 
de  ramener  ses  compatriotes  à  la  pureté  de  la  foi  musul- 
mane. De  retour  du  pèlerinage  de  la  Mecque  et  de  Médine, 
il  prit  avec  lui ,  à  Kairowan ,  un  docteur  berbère  nommé 
Abd-Allah-Ibn-Yasm,  et  l'associa  à  ses  travaux  apostoliques. 
Ils  persuadèrent  aisément  aux  Lamthouniens,  l'une  des  prin- 
cipales tribus  du  désert,  d'adopter  la  prière,  le  jeûne  et 
l'aumône ,  prescrits  par  le  Coran  ;  mais  quand  ils  voulurent 
les  détourner  du  vol,  du  meurtre  et  de  l'adultère,  ils  se  firent 
chasser.  Plus  heureux  parmi  les  autres  tribus,  non-seule- 
ment ils  les  soumirent  à  leur  doctrine ,  mais  ils  les  déter- 
minèrent à  la  propager  par  les  armes.  Abd-Allah  refusa  le 
commandement ,  parce  qu'il  était  dépourvu  de  talents  mili- 
taires ;  Djauher  s'en  excusa  par  modestie  et  désintéresse- 
ment. Les  deux  réformateurs  des  Berbères  l'offrirent  alors 
à  Abou-Bekr-lbn-Omar ,  chef  des  Lamthouniens,  à  condi- 
tion qu'il  embrasserait  la  réfoixne ,  et  que  par  son  exem- 
ple et  son  autorité  il  convertirait  les  tribus  récalcitrantes. 
Leur  espoir  ne  fut  pas  trompé  :  une  foule  de  gens  ignorants 
et  grossiers  embrassèrent  l'islamisme,  et  s'appliquèrent  avec 
succès  à  l'étude  du  droit  écrit  et  sacré.  Djauher,  jaloux  du 
crédit  de  son  collègue ,  et  regrettant  d'avoir  cédé  le  pou- 
voir à  Abou-Bekr,  entreprit  de  s'en  ressaisir  ;  il  échoua,  fut 
condamné  à  mort  dans  une  assemblée  générale ,  et  subit 
son  supplice  avec  une  résignation  exemplaire. 

Abd-Allah-Ibn-Yasin  conserva  toujours  la  prépondérance, 
comme  chef  suprême  de  la  religion  et  dépositaire  des  au- 
mônes et  des  tributs.  C'est  de  la  défaite  et  de  la  mort  du 
roi  Masoud,  de  la  tribu  des  Zénates ,  et  de  la  prise  de  Sed- 
jelmesse ,  sa  capitale  ,  l'an  448  de  l'hégire  (  1056  de  J.-C.  ), 
que  date  le  commencement  de  la  dynastie  des  Al-Moravi- 
des ;  on  les  a  aussi  nommés  Al-Molathemin  (voilés),  parce 
qu'ayant  fait  combattre  leurs  femmes  dans  un  cas  pressant, 
ils  s'étaient,  comme  elles,  couvert  le  visage,  afin  que  l'en- 
nemi ne  put  distinguer  les  deux  sexes.  Abd-Allah  était 
maître  du  désert,  de  Sous,  et  d'Aghmat,  dont  il  avait  fait  sa 
capitale,  lorsque,  blessé  dans  une  bataille  contre  la  tribu  des 
Bergavates,  il  mourut,  vers  l'an  451  (1059),  après  avoir 
confirmé  l'élection  de  son  successeur. 

Abou-Bekr-Ibn-Omar  fut  reconnu  en  qualité  ^émir  al 
moslemin  (prince  des  musulmans  ).  Il  poursuivit  ses  con- 
quêtes, reprit  Tedla  et  Sedjelmesse;  mais  des  troubles  sur- 
venus dans  le  Saharah  le  déterminèrent  à  confier  le  gou- 
vernement de  la  Mauritanie,  en  4G2  (1070),  à  son  neveu 
Yousouf-lhn-Taschfyn,  pour  aller  combattre  les  rebelles.  Il 
soumit  toutes  les  tribus  du  désert ,  et  étendit  sa  domina- 

51 


402 


AL-MORAVIDES  —  ALOÈS 


tion  jusque   sur  la  moiitagnc  d'Or  en  Nigritie.  11  périt  en 
1087,  blessé  par  une  (lèche  empoisonnée. 

Yolsoi;f-Ib\-Taschfy>,  le  plus  célèbre  et  le  plus  puis- 
sant prince  de  la  dynastie  des  Al-Moravides,  en  est  généra- 
lement regardé  comme  le  fondateur,  et  l'on  fait  même  com- 
mencer son  règne  à  l'année  1070.  Trois  ans  auparavant,  il 
avait  jeté  les  fondements  de  Maroc ,  et  travaillé  lui-même 
à  la  construction  de  la  plus  ancienne  mosquée  de  cette  ville, 
où  il  établit  sa  résidence  royale.  11  prit  Fez  en  1069,  et  mit 
fin  à  la  dynastie  des  Zenutes  ou  Zéirides ,  qui  avaient  régné 
cent  ans  sur  la  Mauritanie.  Yousouf  assiégeait  Tanger  et 
Ceuta,  lorsqu'il  fut  invité  par  Motemed-Ben-Abad,  roi  de 
Séville,  à  secourir  les  princes  musulmans  d'Espagne,  qui, 
divisés  entre  eux,  étaient  hors  d'état  de  résister  aux  chré- 
tiens. Il  difiéra  de  se  rendre  à  ses  désirs  jusqu'à  ce  qu'il  eiit 
affermi  sa  puissance  en  Afrique  ;  et  comme  la  possession 
de  Tanger  et  de  Ceuta  lui  était  nécessaire  pour  traverser  le 
détroit,  il  se  fit  aider  par  la  Hotte  du  roi  de  Séville  pour 
s'emparer  de  ces  deux  places  en  1078  et  1084.  Dans  cet  in- 
tervalle, il  poussa  ses  conquêtes  jusqu'à  TIémecen,  Oran  et 
Alger.  Cependant  la  prise  de  Tolède  par  Alphonse ,  roi  de 
Castille,  et  l'arrivée  du  roi  de  Séville  à  Ceuta,  décidèrent 
Yousouf  à  passer  en  Espagne.  Après  s'être  fait  céder  Al- 
gé>iras  par  ce  prince,  il  y  débarqua,  en  1086,  avec  une  armée 
brillante,  à  laquelle  se  joignirent  les  troupes  de  Séville  ,  de 
Murcie,  de  Grenade,  de  Valence  et  de  Badajoz,  et  il  remporta 
près  de  cette  dernière  ville  la  fameuse  victoire  de  Zaleka  sur 
les  chrétiens.  Il  retourna  aussitôt  après  en  Afrique,  laissant 
ses  troupes  en  Espagne  pour  y  aider  les  princes  musulmans  ; 
mais  la  désunion  qui  continuait  de  régner  entre  eux,  et  les 
instances  du  roi  de  Séville,  qui  n'aspirait  qu'à  réunir  sous 
sa  domination  tous  ces  petits  États,  excitèrent  l'ambition 
de  Yousouf,  et  le  rendirent  peu  délicat  sur  le  choix  des 
moyens  delà  satisfaire.  Il  revint  dans  la  Péninsule  en  1090, 
et  dans  l'espace  de  douze  ans  il  s'empara,  par  ti^ahison  el 
par  la  force  des  armes,  de  Malaga,  <ie  Grenade,  de  Murcie, 
de  Cordoue,  de  Séville,  d'Alraeria,  de  Badajoz,  de  Valence, 
en  un  mot  de  tout  ce  qui  restait  aux  musulmans  dans  la 
Péninsule,  à  l'exception  du  royaume  de  Saragosse.  Il  retint 
dans  les  fers  les  rois  de  Grenade  et  de  Séville,  et  fit  périr 
celui  de  Badajoz  ;  il  revint  pour  la  dernière  fois  en  Espagne 
en  1103,  et,  charmé  de  la  beauté  de  ses  nouveaux  États,  il 
en  visita  toutes  les  provinces  ;  mais,  affaibli  par  son  grand 
âge  et  par  les  fatigues  de  la  guerre,  il  se  fit  transporter  à 
Maroc,  où  il  mourut,  âgé  de  cent  années  lunaires,  l'an  1106. 

Ali  ,  son  second  fils,  fut  reconnu  pour  souverain  en  Afri- 
que et  en  Espagne.  Son  frère  aîné ,  Terain ,  qui  gouvernait 
l'Espagne,  obtint  plusieurs  avantages  sur  les  chrétiens.  Ali, 
lui-même  ,  enleva  au  roi  de  Castille  plusieurs  places  dans  le 
royaume  de  Tolède ,  et  s'empara  de  Coïmbre  et  de  ([uel- 
ques  autres  villes  de  Portugal.  Ses  généraux  lui  soumirent 
temporairement  Saragosse  et  les  îles  Baléares.  Ce  furent  les 
derniers  succès  de  ce  prince.  La  révolte  de  Mohammed-al- 
Muhady,qui  le  retint  en  Afrique  pendant  les  vingt-deux  der- 
nières années  de  son  règne ,  y  ébranla  la  puissance  des  Al- 
Moravides.  La  mort  de  son  frère  Teniin  l'obligea  d'envoyer 
en  Espagne  son  propre  fils  Taschfyn,  dont  la  valeur  y  sou- 
tint pendant  douze  ans  la  gloire  des  Al-Moravides.  Mais  ce 
jeune  prince,   rappelé  à   Maroc  par  son  père,  qui  luttait 
vainement  contre  la  fortune  des  Al-Mohades,  n'éprouva 
aussi  que  des  revers.  Le  chagrin  que  ressentit  Ali  de  l'issue 
malheureuse  d'une  guerre  qu'il  soutenait  depiiis  si  long- 
temps contre  les  rebelles  le  conduisit  au  tombeau ,  l'an 
1143,  après  un  rogne  de  trente-sept  ans.  Ali  fut  un  prince 
juste  et  clément  ;  mais  il  manquait  des  talents  et  de  la  fer- 
meté si  nécessaires  aux  monarques  dans  des  circonstances 
difficiles. 

TAScnFYN  fut  encore  plus  malheureux  que  son  père.  Pen- 
dant que  les  Al-Moliades  lui  enlevaient,  les  unes  après  les 
autres,  les  provinces  (le  la  Mauritanie,  ses  Étals  en  Espagne 


devinrent  la  proie  de  l'anarchie  et  furent  exposés  aux  inva- 
sions des  princes  chrétiens.  Forcé  de  laisser  la  défense  de 
Maroc  à  son  jeune  lils  Ibrahim ,  et  celle  de  Fez  à  son  frère 
Cahia ,  Taschfyn ,  au  moyen  des  secours  qu'il  reçut  de 
Bougie  et  de  Sedjelmesse ,  tenta  un  dernier  effort.  Vaincu 
près  de  TIémecen,  il  se  jeta  dans  cette  place;  mais,  informé 
qu'Oran  était  menacée,  il  vola  à  la  défense  de  cette  ville, 
d'où  il  espérait  pouvoir  faire  voile  pour  l'Espagne.  Il  y  fut 
assiégé ,  et  ayant  fait  une  sortie ,  il  tomba  avec  son  cheval 
dans  un  précipice  ou  dans  la  rner,  et  fa  tête  fut  portée  au 
vainqueur.  L'année  suivante  (114G),  Maroc  fut  pris,  et  son 
fils  Ibrahim  tomba  entre  les  mains  d'Abd-el-Moumen  ,  qui 
le  fit  périr.  En  lui  finit  la  dynastie  des  Al-Moravides,  qui  hit 
remplacée  par  celle  des  Al-Mohades. 

AL-MOWAHIDES.  Voyez  Ai.-Mohades. 

ALOÉES,  ou  AIRÉENNES,  fête  en  l'honneur  deCérès 
et  de  Bacchus.  Elle  durait  plusieurs  jours.  On  la  célébrait, 
selon  les  uns,  au  mois  de  poseldon  (décembre)  ;  selon  d'au- 
tres, au  mois  hécatombéon  (  juillet  )  ;  il  y  avait  un  jour,  sui- 
vant Corsini,oùil  n'était  permis  qu'à  des  prêtresses  d'exer- 
cer les  fonctions  sacrées.  On  portait  à  Eleusis  les  prémices 
des  aires  et  de  la  vendange ,  suivant  que  la  fête  avait  lieu 
en  juillet  ou  en  décembre;  car  il  paraît  qu'il  y  en  avait  deux. 
C'était  probablement  dans  cette  fête  qu'on  chantait  les  iules, 
ou  dérnétrales,  dont  il  est  parlé  dans  Athénée. 

ALOES  9  genre  de  plantes  de  la  famille  des  liUacées,  tribu 
des  aloénées.  On  en  compte  plus  de  trente  espèces ,  re- 
marquables en  général  par  l'épaisseur  charnue  de  leurs 
feuilles ,  par  la  forme  singulière  de  quelques-unes  d'entre 
elles,  et  surtout  par  la  beauté  de  leurs  épis  de  fleurs ,  dont 
les  couleurs  différemment  nuancées  produisent  un  très-bel 
effet  dans  un  jardin.  Les  aloès  sont  origmaires  de  l'Afrique 
et  de  l'Inde. 

On  désigne  aussi  sous  le  nom  A\doès  le  suc  épaissi  ou 
l'extrait  des  plantes  de  ce  nom,  en  particulier  celui  de  Va- 
loe  spicata  et  de  Valoe  per/oliata ,  qu'on  débite  dans  le 
commerce  pour  l'usage  de  la  médecine.  Le  suc  épaissi  ou 
l'extrait  d'aloès  est  une  substance  d'une  odeur  nauséabonde 
et  d'une  saveur  très-amère.  On  la  tirait  autrefois  des  Indes 
Orientales  et  de  l'île  de  Soccotora  ;  de  là  le  nom  di'aloès 
S2iccotrin  donné  à  la  meilleure  des  trois  espèces  connues  dans 
lo  commerce.  Aujourd'hui  l'aloès  vient  en  grande  partie  de 
l'Amérique ,  de  Bombay  et  du  Cap. 

On  emploie  différents  procédés  pour  la  préparation  de 
l'aloès  :  dans  l'un  on  exprime  tout  le  suc  de  la  plante,  après 
l'avoir  pilée  ;  on  le  laisse  déposer  dans  un  vase  pendant  une 
nuit ,  puis  on  le  décante.  On  expose  ensuite  la  portion  dé- 
cantée au  soleil  dans  des  espèces  d'assiettes,  et  on  la  réduit 
ainsi  à  consistance  d'extrait  ;  le  sédiment  du  premier  vase  est 
desséché  à  part  et  regardé  comme  un  aloès  de  qualité  infé- 
rieure ;  il  n'est  employé  que  dans  la  médecine  vétérinaire  :  on 
l'appelle  aloès  caballin.  Dans  un  autre  procédé,  on  coupe  la 
pointe  des  feuilles  de  la  plante ,  qu'on  suspend  sens  dessus 
dessous ,  et  le  suc  s'écoule  spontanément  peu  à  peu  dans 
des  vases  appropriés  ;  ce  suc  est  filtré  et  évaporé  ensuite 
à  une  douce  chaleur,  et  il  devient  peu  à  peu  si  dur  qu'on 
peut  le  réduire  en  poudre. 

La  première  qualité  d'aloès,  ou  Valoès  succotrin,  a  ime 
odeur  aromatique ,  et  est  d'un  brun  foncé  quand  il  est  en 
masse,  et  d'un  jaune  doré  quand  il  est  en  poudre;  la  se- 
conde qualité  se  reconnaît  à  sa  couleur  rouge  foncé,  qui 
se  rapproche  de  celle  du  foie  :  de  là  son  nom  d'aloès  hépa- 
tique. C'est  celui  qu'on  rencontre  ordinairement  dans  les 
pharmacies.  La  troisième  espèce ,  qui  est  très-impure ,  est 
Valoès  caballin. 

L'aloès  est  considéré  comme  une  sorte  de  gomme-résine, 
parce  que  les  principes  qui  le  composent  se  dissolvent  dans 
l'eau  bouillante  et  l'alcool.  Les  vertus  thérapeutiques  de 
l'aloès  le  font  considérer  comme  tonique,  écliauflant  et  for- 
tifiant, ainsi  qiie  tous  les  amers;  en  outre,  on  reconnaît  à 


ALOES  —  ALOPEUS 


403 


^alo^s  une  action  purgative  qui  se  dt*clare  iuiil  à  (luiiizo 
heures  après  l'ingestion  ;  quelques  médecins  lui  attribuent 
I  n  nuMne  temps  la  fiiculté  il'aiiir  sur  le  foie  et  ilo  déi^orger 
la  bi!e;  et  d'autres,  celle  d'engorger  les  vaisseaux  abdomi- 
naux, en  particulier  les  hémorrlioïdaux  et  utérins,  et  de  dé- 
gorger les  vaisseaux  céplialiques.  En  conséquence ,  on  pres- 
crit l'aloès:  1"  comme  tonH]ue  de  l'estomac,  dans  la  dys- 
pepsie ;  2°  comme  purgatif  dans  les  constipations  habituelles  ; 
3°  comme  cmménagogue  ;  4°  comme  laxatif  du  foie  dans 
l'ictère  ;  5°  comme  révulsif  ou  dérivatif  dans  les  congestions 
sanguines  du  cerveau  ,  des  yeux ,  des  oreilles ,  etc.  — 
Comme  tonique  et  stomachique  ,  l'aloés  peut  se  donner  à 
la  dose  de  deux  à  cinq  centigrammes  (un  demi-grain  à  un 
grain)  par  jour;  connue  purgatif  et  sous  (orme  pilulaire,  à 
la  dose  de  dix  à  trente  centigrammes  (deux  à  six  grains). 
On  prépare  avec  l'aloès  une  foule  d'clixirs,  de  teintures, 
de  pilules,  qu'on  débite  dans  le  commerce  sous  des  noms 
divers  :  c'est  ainsi  qu'il  entre  dans  la  composition  des 
grains  de  santé  du  docteur  Frank ,  dans  les  pilules  de 
lîontin  ,  d'Anderson  ,  etc. 

ALOÈS  (Boisd').  T'oycr- AnxLLCcnE. 

ALOÈS  PITTE ,  ou  AGAVE  PITTE.  Voyez  Agave. 

ALOGIEXS ,  hérétiques  qui ,  au  onzième  siècle  de 
l'ère  chrétienne  ,  niaient  que  Jésus-Christ  fût  le  Verbe  ;  ce 
qui  les  portait  à  rejeter  i'Évangile  de  saint  Jean  et  l'Apo- 
calypse ,  comme  faussement  attribués  à  cet  apôtre.  Leur 
nom  d'ologiens  a  été  formé  de  l'a  privatif  des  Grecs ,  et 
du  mot  loyo; ,  verbe ,  discours.  On  les  appelait  aussi  be- 
rylliciis ,  du  nom  de  Bérylle ,  évèque  arabe ,  l'un  de  leurs 
docteurs  ;  et  théodotlens  .  de  Théodote  ,  simple  corroyenr 
de  Byzance ,  qui  fut  un  de  leurs  chefs.  L'hérésie  des  soci- 
n'iens  a  beaucoup  de  rapports  avec  celle  des  aloglens. 

ALOI,  du  latin  ad  legem  (selon  la  loi),  titre  de  l'or 
et  de  l'argent.  Une  monnaie  est  de  bon  aloi  quand  la  ma- 
tière est  au  titre  de  l'ordonnance;  elle  est  de  bas  ou  de 
mauvais  aloi  quanJ  elle  n'a  pas  le  titre  qu'elle  devrait 
avoir.  —  Par  extension,  aloi  indique  aussi  la  qualité  d'une 
chose  ou  d'iuie  personne  :  on  dit  une  marchandise  de  bon 
ou  de  }nauvais  aloi ,  et  un  homme  de  bas  aloi ,  pour  un 
honuKC  d'une  extraction,  d'une  condition ,  d'une  prbfession 
vile  et  méprisable. 

ALOÏDE  (du  grec  h::>^t\,  aloès  ;  £î5o;,  ressemljlauci^), 
espèce  de  plante  du  genre  stratiofes,  qui  vit  en  Europe 
•dans  les  étangs ,  les  canaux  et  les  ri%ièrcs.  Cette  plante 
pousse  du  collet  de  sa  racine  de  longues  fibres  blanches , 
qui  paraissent  être  autant  de  tiges  souterraines ,  et  qui  ne 
sont  fixées  au  fond  des  eaux  que  par  leur  cxtréniité,  munie 
d'une  touffe  chevelue.  C'est  à  l'aide  de  ces  longues  fibres 
que  la  plante  porte  à  la  surface  ses  feuilles  réunies  en 
touffes,  longues  d'en-,  iron  un  pied,  presque  en  lame  d'épée, 
et  garnie;  à  leurs  bords  de  petites  dents  épineuses.  Du 
cenfrc  de  ces  feui:!es  s'élèvent  une  ou  plusieurs  hampes 
terminées  chacune  par  une  fieur  blanche,  pourvue 'd'une 
vingtaine  d'étamines.  Le  fruit ,  qui  est  i:ne  baie  charnue , 
mûrit  sous  l'eau.  Il  s'échappe  aussi  du  collet  de  la  racine 
des  fibres  semblables  aux  premières ,  qui  tendent  à  gagner 
le  fond  de  l'eau  pour  s'y  enraciner  et  produire  un  nouveau 
sujet.  S'il  arrive  que  les  racines  se  détachent ,  la  plante 
Hotte  à  la  surface  en  continuant  à  végéter.  L'aloide  pré- 
:  ente  en  miniature ,  au  milieu  des  eaux  ,  le  port  de  l'aloès  ; 
et  c'est  cet  aspect  qui  lui  a  valu  son  nom.  Les  anciens  lui 
attribuaient  des  vertus  vulnéraires;  mais  elle  est  inusitée 
dans  la  médecine  moderne. 

ALOïDES.  On  appelle  ainsi,  dans  la  mythologie,  Ofus 
<'.t  Éphialte,  fils  d'Iphimédée  et  d'Aloée,  son  époux,  selon 
!es  uns,  ou  de  Neptune,  selon  les  autres.  Ceux(iuiado])lent 
cette  dernière  version  disent  que  ces  fameux  géants  reriurent 
le  .surnom  d'Aloides  de  ce  f|u'ils  furent  élevés  par  Aloce 
(  Moens  ou  Aloiis  ),  fils  de  Titan  et  de  la  Terre,  qui  épousa 
leur  mère.  Fiers  de  leur  force,  Otus  et  Kphialie  entreprirent 


de  détrôner  Jr.piter,  et  pour  y  parvenir  ils  entassèrent  Ossa 
et  rélion  sur  l'Olympe.  Mars,  ayant  voulu  s'opposer  à  leurs 
projets ,  fut  blessé  par  eux  ,  et  retenu  prisonnier  dans  une 
tour  d'airain.  Jupiter  les  foudroya  et  les  précipita  dans  le 
Tartare,  félon  Homère;  Pindare  les  f;dt  tuer  à  Naxos  par 
Apollon ,  et  Pausanias  dit  qu'on  leur  éleva  un  tombeau  à 
Anthédon  en  Béotie. 

ALOm.VNClE.  Voyez  Halomancie. 

ALO\ZO.  Voyez  Alphonse. 

ALOPî-<^IE ,  chute  des  cheveux  par  l'effet  d'une  ma- 
ladie; mot  qui.  vient  du  grec  àÀwTir,? ,  rc«orrf,  parce  que 
cet  animal  perd  fréquemment  ses  poils  dans  la  vieillesse.  Il 
ne  faut  pas  confondre  l'o/o/Jecie  avec  Xa  calvitie ,qyà 
ne  doit  s'entendre  que  de  la  perte  des  cheveux  par  l'effet 
de  l'âge,  et  n'offre,  comme  on  le  pense  bien,  aucune  res- 
source. On  connaît  quelques  exemples  d'individus  affectés 
d'une  alopécie  congéniale ,  ou ,  pour  mieux  dire ,  nés  com- 
plètement dépourvus  de  poils  et  de  cheveux.  Quant  à  l'a- 
lopécie accidentelle ,  elle  n'atteint  ordinairement  que  le  cuir 
chevelu  ;  cependant  on  observe  quelquefois  aussi  la  chute 
complète  des  poils  de  toutes  les  parties  du  corps.  Saucerotte 
père  cite  l'exemple  curieux  d'un  individu  qui  se  trouva 
ainsi  complètement  dénudé  à  son  réveil,  après  s'être  couché 
bien  portant.  Les  causes  de  l'alopécie  sont  directes  ou  indi- 
rectes. Les  premières,  qui  agissent  immédiatement  sur. le 
cuir  chevelu ,  sont  les  affections  dartreuses ,  la  malpropreté, 
l'application  de  substances  irritantes  dans  le  but  de  se 
teindre  les  cheveux,  etc.  Parmi  les  secondes,  on  compte 
principalement  l'infection  syphilitique,  le  scorbut,  la  fièvre 
typhoïde ,  les  couches  laborieuses ,  les  maux  de  tète  habi- 
tuels ,  l'abus  des  plaisirs  de  l'amour,  un  état  d'épuisement 
profond.  L'alopécie  est  ordinairement  incurable  quand  les 
bulbes  sont  détmits ,  comme  à  la  suite  de  certaines  teignes  ; 
mais  s'ils  ne  sont  qu'enflammés,  les  cheveux  repoussent 
facilement,  sous  l'influence  d'un  traitement  approprié.  Si  la 
peau  est  sèche ,  écailleuse ,  il  faut  avoir  recours  à  des  cata- 
plasmes de  son ,  à  des  embrocations  avec  l'huile  d'amandes 
do-ùces.  Si,  au  contraire,  elle  est  flasque,  pâteuse,  on  em- 
ploiera un  Uniment  savonneux ,  des  décoctions  de  feuilles 
de  noyer ,  de  qv.inquina ,  de  vin  de  sauge.  Dans  les  cas  de 
maladie  générale,  il  est  évident  que  le  traitement  local 
serait  sans  aucun  effet,  si  l'on  ne  combattait  e-n  même 
temps  la  cause  première  de  l'alopécie.  A  la  suite  des  ma- 
ladies graves,  il  faut  non-seulement  rétablir  les  forces  par 
un  régime  convenable ,  mais  aussi  favoriser  la  reproduction 
des  cheveux  en  faisant  raser  la  tète  une  ou  plusieurs  fois 
à  m,esure  qu'ils  repoussent  :  c'est  le  cas  d'employer  la 
pommade  au  quinquina,  dite  de  Dupinjtrcn.  Ajoutons 
qu'on  ne  doit  ajouter  qu'une  très-médiocre  confiance  aux 
propriétés  merveilleuses  de  cette  foide  de  préparations  à 
la  faveur  desquelles  le  charlatanisme  exploite  la  crédulité 
publique.    ^  D--  Saucekotte. 

ALOPEUS.  Deux  frères  de  ce  nom  ont  acquis  une  cer- 
taine célébrité  dans  la  diplomatie  russe. 

VdAxxé,  Maximilien  Aloi-kis,  naquit  le  21  janvier  1748, 
à  \Mborg  (Finlande),  où  son  père  était  archidiacre.  Il  fit 
ses  études  à  Abo,  puis  à  Gœttingue,  pendant  les  années  1767 
et  17G8.  A  l'âge  do  vingt  ans,  il  fut  employé  au  département 
des  affaires  étrangères  à  Pétersbourg.  Le  chancelier  de  l'em- 
pire ,  comte  Ostermann,  le  nomma  directeur  de  la  chancel- 
lerie. Alopéus  conserva  cette  place  sous  le  ministère  du 
comte  Panin.  En  1788  il  fut  envoyé  comme  ministre  de  Rus- 
sie à  la  cour  d'Holstein-Eutin.  Catherine  II  le  chargea  de 
Iilusiours  missions  fort  délicates,  dont  il  s'acquitta  av>^c  ha- 
liileîé.  Ce  fut  par  ses  mains  que  passa  la  correspondance 
privée  du  grand-duc  Paul  avec  Frédéric  le  Grand.  En  1790 
il  fut  nommé  ambassadeur  à  Berlin,  où  il  resta  jusqu'en  1796  ; 
après  cola  il  passa  au  cercle  de  l'asse-Saxe  en  qualité  d'en- 
voyé de  Russie,  puis  en  la  même  qualité  près  de  la  diète 
de  Ratisbonne.  En  1802  il  fut  choisi  une  sccomic  fois  par 


404  ALOPEUS 

8?.  cour  pour  rainbassadc  de  Berlin.  En  ISOG  il  fut  en- 
voyé auprès  du  roi  de  Suède ,  pour  rcnsaj;or  à  retirer  ses 
troupes  du  dutlié  de  Laiienbourg,  puis  il  reçut  une  mission 
confidentielle  pour  Londres.  Ce  fut  là  le  terme  de  sa  car- 
rière dii)lomatique.  Pour  rétablir  sa  santé ,  il  vécut  quelque 
temps  dans  l'Allemagne  méridionale ,  et  en  dernier  lieu  à 
Francfort-sur-kvMain ,  où  il  mourut,  le  Ic  mai  1822.  Alo- 
péus  a  da  sa  fortune  uniquement  à  ses  talents ,  à  son  acti- 
vité et  à  la  fermeté  de  son  caractère.  11  a  laissé  des  mémoires 
renfermant  des  documents  importants  sur  les  grands  évé- 
nements auxquels  se  rattachent  les  travaux  de  la  diplomatie 
pendant  un  demi-siècle. 

Lavid  Aloi'Éus,  son  frère  cadet,  né  en  17G1,  se  forma 
aux  affaires  sous  sa  direction.  Après  de  bonnes  études  faites 
à  l'académie  militaire  de  Stuttgard ,  David  Alopéus  entra 
dans  la  diplomatie ,  et  fut  nommé  ministre  de  Russie  à  la 
cour  de  Gustave  IV,  roi  de  Suède.  Ce  prince  le  fit  arrêter, 
et  fit  mettre  ses  papiers  sous  scellé  au  moment  où  il  apprit 
l'invasion  de  la  Finlande  par  les  troupes  russes ,  acte  par 
lequel  l'empereur  Alexandre  voulait  le  forcer  à  donner 
son  adhésion  au  système  continental.  Élargi  quelque  temps 
après ,  il  fut  dédommagé  par  Alexandre ,  qui  lui  lit  présent 
(l'une  terre  et  le  nomma  chambellan.  Il  signa  en  1809 ,  au 
nom  de  la  Russie ,  le  traité  de  paix  de  Frédérikshamm. 
En  181 1  il  fut  envoyé  comme  ministre  à  Stuttgard,  à  la  cour 
du  roi  de  Wurtemberg.  Pendant  la  campagne  de  1814  et 
18l5.il  fut  nommé  membre  de  l'administration  centrale  des 
alliés  et  gouverneur  général  de  la  Lorraine.  Il  y  laissa  des 
souvenirs  qui  l'honorent.  Plus  tard  il  fut  envoyé  par  la 
cour  de  Russie  ambassadeur  extraordinaire  et  ministre 
plénipotentiaire  à  Berlin,  et  il  remplit  jusqu'en  1831,  époque 
de  sa  mort,  ces  importantes  fonctions.  Chargé,  après  la 
foniiation  du  royaume  de  Pologne ,  d'en  régler  les  fron- 
tières du  côté  de  la  Prusse,  il  avait  été  nommé  comte  de  ce 
royaume. 

ALOSE ,  alosa,  genre  de  poissons  de  la  famille  des  du- 
pes, de  l'ordre  des  malacoptérygiens  abdominaux,  et  qui  ne 
diffèrent,  zoologiquement  parlant ,  des  harengs  que  par  l'é- 
chancrure  du  milieu  de  la  mAclioire,  et  par  une  plus  grande 
taille  ;  sous  tous  les  autres  rapports ,  ils  ressemblent  aux 
sardines.  On  connaît  une  quinzaine  d'espèces  de  ce  genre; 
deux  seulement  appartiennent  à  nos  mers  :  Valose  com- 
mune, qui  atteint  jusqu'à  un  mètre  de  long,  et  n'a  pas  de 
dents  visibles;  Xd^finte,  qui  a  des  dents  très-marquées  aux 
deux  mâchoires.  Contrairement  aux  habitudes  des  harengs, 
qui  ne  quittent  pas  la  mer,  les  aloses,  que  l'on  trouve  sous 
toutes  les  latitudes ,  remontent  au  printemps  les  rivières, 
en  troupes  nombreuses  :  à  celte  époque  leur  chair  est  très- 
bonne  ;  mais  quand  on  les  prend  en  mer,  elle  est  sèche  et  de 
mauvais  goût.  Elles  se  pèchent  au  filet,  et  périssent  dès 
•lu'elles  sont  hors  de  l'eau.  Quand  ils  ont  frayé,  ces  pois- 
sons deviennent  malades  ,  et  meurent  la  plupart  dans  les 
neuves  avant  d'avoir  pu  rejoindre  la  mer.  Quant  à  leurs 
petits,  ils  continuent  de  croître  <iuel(iue  temps  dans  les  eaux 
•'ouccs  ;  puis  ils  gagnent  le  large  vers  le  milieu  de  la  belle 
saison.  D'  Salcerotte, 

ALOTIES.  Voyez  Alées. 

.\l>OU.\TE  ou  SINGE  HURLEUR.  Voyez  Hurleur. 
ALOUCIII,  résine  odoriférante,  qui  a  quelque  ressem- 
blance avec  la  cannelle  blanche ,  dont  elle  se  distingue 
cependant  par  la  plus  forte  grosseur  de  ses  morceaux.  Ses 
qualités  sont  une  saveur  piquante  ,  chaude,  épicée ,  une 
odeur  aromatique,  qui  dépendent  d'une  huile  volatile  qu'on 
peut  obtenir  séparément ,  par  la  distillation  avec  l'eau.  — 
L'arbre  dont  découle  cette  résine  n'est  pas,  coiiiine  on  l'a 
dit,  le  cannellier  blanc,  mais  le  wintcra  aromaika.  Cet  ai  hrc 
croît  dans  les  vallées  exposées  au  soleil  (jui  bordent  le  dé- 
troit  de  Magellan  ;  il  fut  découvert  en  \U1~  par  le  capitaine 
Winter,  dont  l'équipage  se  servit  de  l'écorce  en  guise  d'épice. 
ALOUETTE,  genre  d'oiseaux  de  l'ordre  des  passc- 


—  ALP 

reaux,  de  la  famille  des  dentirostres  de  Cuvier.  Le  plumage 
de  ces  oiseaux  est  généralement  sombre ,  teint  de  roux  ou 
de  roussâtre ,  couvert  de  mèches  plus  foncées ,  avec  les 
rectrices  latérales  bordées  de  blanc  ou  de  roux  pâle.  On 
prétend  que  toutes  ces  teintes  s'affaiblissent  à  mesure  que 
l'oiseau  vieillit,  tellement  que  les  alouettes  blanches  ne  sont 
que  des  alouettes  très-vieilles.  La  longueur  des  alouettes 
est  d'environ  six  pouces  ;  les  ailes  étendues  en  ont  douze. 
Le  mâle  est  un  peu  plus  gros  que  la  femelle;  il  s'en  dis- 
tingue par  un  collier  noir  et  par  la  longueur  de  l'ongle  pos- 
térieur. Le  chant  de  l'alouette  est  très-perçant  et  très-agréa- 
ble :  c'est  un  attribut  particulier  au  mâle.  La  femelle  pond 
ordinairement  quatre  ou  cinq  œufs  dans  un  nid  construit  à 
terre  avec  des  brins  d'herbe  sèche.  L'incubation  dure  une 
quinzaine  de  jours.  L'alouette  fait  deux  couvées  par  été 
dans  noscUmats,  et  jusqu'à  trois  dans  les  pays  chauds.  Ces 
oiseaux  se  nourrissent  de  graines  et  d'insectes;  ils  sont  sus- 
ceptibles d'une  sorte  d'éducation  :  on  a  vu  à  Paris  une 
alouette  qui  sifflait  sept  airs  difléients.  C'est  en  octobre  qu'il 
fiuit  prendre  les  mâles  dont  on  veut  perfectionner  le  chant 
dans  l'état  de  captivité.  L'alouette  vit  de  neuf  à  dix  ans,  et 
même,  dit-on,  jusqu'à  vingt-quatre.  —  Il  se  consomme  à 
Paris,  tous  les  liivers,  beaucoup  d'alouettt'*,  sous  le  nom  de 
mauviettes:  c'est  un  mets  sain  et  délicat. 

Chasse  de  Valouelte.  Le  commencement  de  l'hiver  est 
le  temps  le  plus  productif  pour  la  chasse  des  alouettes 
parce  qu'alors  elles  sont  plus  charnues  et  plus  grasses  que 
dans  toute  autre  saison.  Il  est  plusieurs  manières  de  prendre 
les  alouettes  :  la  principale,  la  chasse  au  miroir,  se  fait 
au  moyen  de  miroirs  qui  sont  mis  en  mouvement  par  un 
ressort  et  un  engrenage,  et  auxquels  on  attache  une  alouette 
vivante ,    appelée    moquette  en   termes  de  chasse ,    afin 
d'attirer  les  autres.  Quand  les  alouettes  sont  réunies  en  assez 
grande  quantité  autour  du  miroir,  on  les  abat  d'un  coup  de 
fusil,  ou  bien  on  les  prend  avec  des  nappes  ou  filets  de 
seize  à  dix-huit  mètres  de  long  sur  trois  mètres  de  haut, 
avec  des  mailles  de  trois  centimètres  de  large  ayant  la  (igure 
de  losanges.  —  On  chasse  aussi  les  alouettes  au  traîneau  : 
c'est  un  filet  long  de  vingt  mètres,  et  large  de  six  ,  que 
deux  hommes  tiennent  développé  au  moyen  de  deux  per- 
ches, et  dont  on  laisse  tialner  le  bord  intérieur,  garni  ordi- 
nairement d'épines;  on  l'abat  sur  le  gibier.  Celle  chasse  se 
fait  ordinairement  de  nuit,  et  elle  est  des  plus  abondantes, 
surtout  en  octobre  et  en  novembre.  —  La  chasse  à  la  ton- 
nelle-murée  se  fait  avec  un  filet  qui  se  compose  d'une  bourse 
maillée,  semblable  à  un  entonnoir,  dont  l'ouverture  a  au 
moins  trois  mètres  de  haut ,  et  que  l'on  tend  au  moyen  de 
piquets;  on  place  auprès  des  moquettes  pour  attirer  les 
alouettes,  que  les  oiseleurs  y  poussent  en  jetant  un  cha- 
peau. Celte  chasse  se  fait  après  le  coucher  du  soleil.  —  On 
prend  encore  les  alouettes  avec  des  collets,  des  gluaux,  etc. 
ALOYAU.  Dans  la  boucherie  et  dans  l'art  culinaire  on 
nomme  ainsi  une  pièce  coupée  vers   le  haut  du  dos  du 
bœuf.  On  distingue  plusieurs  sortes  d'aloyau  :  Valoyau  de 
première  pièce,  qui  contient  une  grande  partie  du  filet; 
Valoyau  de  seconde  pièce,  et  celui  de  troisième  pièce, 
qui  en  contiennent  moins.  L'aloyau  est  le  morceau  de  bœuf 
le  plus  recherché  après  le  filet. 

ALP  ou  ALB ,  continuation  septentrionale  de  la  Forét- 
Noire;  montagne  calcaire  d'environ  soixante  kilomètres  de 
longueur  sur  huit  à  vingt  de  largeur,  située  sur  la  frontière 
suil-est  du  Wurtemberg,  dont  la  partie  la  plus  élevée  et  la 
plus  stérile  est  appelée  l'Alp  escarpé.  Le  point  le  plus  élevé 
n'atteint  pas  mille  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer. 
Dans  le  village  de  Sirchingen,  situé  dans  ces  montagnes, 
on  remarque  une  maison  dont  la  gouttière  envoie  de 
l'eau  pluviale  d'un  côté  dans  le  Rhin  par  le  Necker,  et  do 
l'autre  dans  le  Danube.  Comme  cette  montagne  contient 
beaucoup  de  matières  calcaires,  on  y  trouve  fréquemment 
des  cavités  ornées  de  stalactites.  H  est  à  remarquer  que  la 


ALP  —  ALPES 


405 


pierre  calcaire  est  d'une  qualité  supérieure  et  se  trouve  en 
plus  grande  abondance  selon  que  la  c^irrière  se  trouve  placée 
duns  une  région  élevée.  11  y  a  peu  de  métaux  précieux 
dans  les  flancs  de  l'Alp  ;  des  sources  abondantes  fertilisent 
d'excellentes  prairies  situées  au  pied  de  la  montagne.  Le 
sommet  de  l'Alp  est  bien  boisé  ;  le  cbanvre  réussit  parfai- 
tement dans  les  vallons  élevés  ;  le  seigle  et  Tavoine ,  plus 
diUicilenient.  L'éilucation  des  moutons  y  est  trés-prolitable, 
coinme  en  général  dans  tous  les  terrains  ciilcaires. 

ALPACA  4  quadrupède  de  l'ordre  des  ruminants  et 
du  genre  lama.  Cet  animal,  qui  est  propre  au  Nouveau 
Monde,  a  en\iron  un  mèlre  de  hauteur  jusqu'au  garrot, 
sur  un  mètre  vingt  contiuii-lrc?  de  longueur.  Il  se  distingue 
du  guanaco  ou  lama  pro]>remont  dit  par  une  plus  petite  taille, 
l'absence  de  callosités  au  sternum ,  aux  genoux  et  aux 
carpes  ;  mais  ce  qui  le  fait  surtout  reconnaître  au  premier 
coup  d'u'il ,  c'est  l'abondance  et  la  longueur  des  poils  lai- 
neux qui  couvrent  les  côtés  de  son  cou  et  tout  son  corps  , 
tandis  que  la  face  n'est  couverte  que  de  poils  ras  presque 
tous  soyeux,  et  que  l'intérieur  des  cuisses  et  le  ventre  sont 
presque  nus.  La  couleur  générale  de  son  pelage  est  d'un 
brun  fauve  ,  le  dessous  du  ventre  est  blanc ,  la  tôte  et  les 
parties  internes  des  cuisses  sont  grises.  L'alpaca  est  très- 
alerte  et  très-léger,  quoique  la  masse  de  son  poil  lui  donne 
une  apparence  de  lourdeur  :  sa  laine  ,  qui  est  plus  longue 
que  celle  des  chèvTes  de  Cachemire ,  lui  est  presque  égale 
pour  la  finesse  et  le  moelleux.  L'industrie  européenne  ferait 
en  lui  une  conquête  précieuse,  si  l'on  parvenait  à  le  natura- 
liser dans  nos  climats.  Outre  son  lainage ,  qui  serait  d'un 
prix  inestimable  pour  la  confection  des  étoffes  qui  exigent 
de  longues  laines ,  l'alpaca  donnerait  une  chair  savoureuse, 
qui  ne  le  cède  en  rien  aux  meilleures  viandes  de  nos  bou- 
cheries. 

ALP- ARSLAIV ,  deuxième  sultan  de  la  dynastie  tur- 
que des  Seldjoukides ,  succéda,  l'an  1059  de  J.-C,  à  son 
père  Daoud  ,  dans  le  Khoraçan  ,  puis ,  en  1063  ,  à  son  oncle 
Thogrul-Beg ,  sur  le  trône  de  Perse.  Quoique  son  empire 
s'étendit  de  l'Euphrate  à  l'Indus  et  de  l'Oxus  au  golfe  Per- 
sique ,  il  en  recula  toujours  les  limites.  Ayant  fait  une  in- 
vasion dans  l'Arménie  et  la  Géorgie ,  habitées  par  des  chré- 
tiens ,  il  eut  à  lutter  contre  l'empereur  de  Constantinople , 
Romain  IV  ,  surnommé  Diogène.  Les  deux  armées  s'étant 
rencontrées  dans  les  plaines  de  l'Adcrbidjan  en  1070,  le 
sultan  proposa  la  paix  à  l'empereur,  qui  regarda  cette  offre 
comme  une  preuve  de  faiblesse,  et  voulut  dicter  la  loi  en 
vainqueur.  Les  négociations  furent  rompues ,  et ,  après  une 
bataille  longtemps  disputée ,  Romain-Diogène  fut  vaincu  et 
fait  prisonnier.  Alp-Arslan  se  montra  généreux  :  il  traita  ce 
prince  avec  beaucoup  d'égards ,  et  lui  rendit  la  liberté. 
Ayant  voulu  soumettre  le  Turkestan ,  berceau  de  sa  famille, 
il  éprouva  une  vigoureuse  résistance  devant  la  forteresse  de 
Derzem ,  au  delà  de  l'Oxus,  de  la  part  du  gouverneur  You- 
souf  ,qui  ne  se  rendit  qu'à  l'extrémité.  Le  sultan,  irrité,  dé- 
mentit sa  générosité  naturelle  et  en  fut  la  victime.  Il  or- 
donna d'écarteler  Yousouf  en  l'attachant  à  quatre  pieux  ; 
mais  ce  brave  Tartare,  ayant  entendu  l'arrêt  de  son  supplice, 
se  précipita  sur  Alp-Arslan ,  et  le  frappa  mortellement  de 
son  glaive.  Ce  prince ,  au  moment  d'expirer,  s'écria  que 
sa  mort  était  juste.  Il  n'était  âgé  que  de  quarante  ans  ,  et 
en  avait  régne  dix.  Sur  son  toml)cau  ,  à  Merou ,  dans  le 
Khoraçan ,  on  plaça  cette  inscription  :  «  Vous  tous  qui 
avez  vu  la  grandeur  d'Alp-Arslan  élevée  jusqu'aux  cicux, 
voyez-la  ici  ensevelie  dans  la  poussière.  » 

ALPES.  Ailp ,  alb ,  est  un  nom  gaulois  générique,  qui 
signifie  hauteur,  masse  élcr(''C ,  et  qui  s'appliquait  à  toutes 
les  hautes  chaînes  de  montagnes.  Aussi  le  retrouve-t-on 
dans  tous  les  pays  autrefois  habités  par  les  Gaulois,  depuis 
les  frontières  actuelles  de  la  France  jusqu'à  la  naissance 
des  montagnes  de  la  Macédoine.  La  chaîne  qui  porte  le 
nom  d'.\lpes  commence  à  la  mer,  auprès  de  Nice ,  court 


au  nord  jusqu'au  Valais ,  se  dirige  à  l'est  jusqu'aux  sour- 
ces de  la  Save  ,  redescend  au  sud  et  le  long  de  la  Dalma- 
tie.  qu'elle  sépare  delà  Servie,  et  où  elle  se  termine, 
après  avoir  parcouru  un  espace  de  plus  de  mille  sept  cents  ki- 
lomèlres.  La  base  de  leur  formation  est  composée  de  roches 
granitoïdes,  intercalées  de  roches  schisteuses,  micacées,  etc.; 
elles  sont  en  général  abondantes  en  cuivre ,  fer  et  plomb  ; 
il  y  a  peu  d'or,  quoicjue  les  Romains  eussent  autrefois  des 
mines  de  ce  métal  aux  sources  de  la  Sesia.  La  partie  supé- 
rieure des  Alpes,  au-dessus  de  trois  mille  cinq  cents  mètres 
d'élévation ,  est  occupée  par  des  glaciers  perpétuels.  La 
partie  inférieure ,  jusqu'à  deux  mille  mètres  ,  est  assez  gé- 
néralement boisée  ;  il  y  croît  des  sapins ,  des  mélèzes,  des 
ifs  ,  des  hêtres  et  des  chênes  ;  au-dessous  de  mille  mètres, 
on  trouve  les  châtaigniers ,  les  cerisiers,  les  noyers,  et,  sur 
le  versant  méridional,  la  vigne.  Les  plus  hauts  pics  sont  le 
mont  Blanc  et  le  mont  Rose ,  d'environ  quatre  mille  huit 
cents  mètres  ;  le  Finsterhorn ,  quatre  mille  trois  cents  ; 
l'Oertlos  ,  quatre  mille  ;  le  Schreckhorn  ,  quatre  mille  ;  le 
Wetterhorn  et  l'Iseran,  trois  mille  huit  cents  ;  le  mont  Ge- 
nèvre  et  le  grand  Saint-Bernard ,  trois  mille  six  cents  ;  le 
mont  Corvin,  trois  mille  quatre  cents. 

Les  Alpes  se  divisent  de  la  manière  suivante  :  1"  Alpes 
maritimes,  de  la  mer  au  mont  Viso  ;  2°  Alpes  cottiennes, 
du  mont  Viso  au  mont  Cenis  ;  ce  nom  leur  vient  d'un  roi- 
telet appelé  Cottius ,  à  qui  l'empereur  Auguste  laissa  un 
petit  district  dans  le  Dauphiné;  3°  Alpes  graïennes ,  du 
mont  Cenis  au  mont  Blanc  -.  on  les  a  mal  à  propos  appelées 
grecques,  par  une  équivoque  née  du  mot  Graius;  leur  nom 
signifie  Alpes  rocailleuses,  de  hraig  ou  craig ,  qui  en 
gaulois  signifie  rochers;  4°  Alpes pennines,  ou  pics  élevés, 
du  mot  gaulois  benn  on  penn,  qui  signifie  sommet,  pointe 
élevée,  entre  le  mont  Blanc  et  le  mont  Saint-Gothard ; 
b^  Alpes  lépontiques ,  ainsi  nommées  des  Lépontiens,  qui 
habitaient  les  environs  du  lac  ISIajeur  et  du  lac  de  Côme  :  elles 
s'étendent  entre  le  mont  Saint-Gothard  et  le  mont  Bernina, 
aux  sources  de  l'Adda  et  de  l'Eisach  ;  6°  Alpes  reliques  (  et 
non  rhétiques),  qui  traversaient  le  pays  des  Rettiens  (en 
gaulois  Raith  ou  Ratena,  montagnards},  qui  sont  les  mê- 
mes que  les  Étrusques ,  du  mont  Bernina  jusqu'au  mont 
Hoch-Kreutz ,  aux  sources  de  la  Drave  ;  7"  Alpes  nori- 
qzces,  carnïques  ou  juliennes ,  entre  le  mont  Hoch-Kreutz 
et  Adelsberg,  près  de  Laybach.  Les  deux  premiers  noms 
leur  viennent  des  contrées  qu'elles  séparaient  :  au  nord  , 
la  Norique ,  ou  Gaule  orientale  (  nor  ou  noir,  orient  );  au 
sud,  la  Garnie,  ou  extrême  Gaule  {harn,  coin,  extrémilé). 
Le  troisième  leur  vient  des  colonies  de  Jules-César  et  d'Au- 
guste, établies  à  Julium  Carnicum  (Zaglio),  Forxan  Julii 
(Cividad)  et  Emona  Julia  (Laybach),  et  qui  étaient  at- 
tribuées à  la  tribu  Julia;  8"  Alpes  liburniqucs  ou  illtj- 
riqiies ,  qui  s'étendent  en  Ulyrie  entre  la  Liburnie  et  la 
Pannonie  anciennes,  d' Adelsberg  jusqu'à  la  Servie.  Leur 
prolongation  s'étendait,  sous  les  noms  de  Scodrus,  Borcas 
et  Henius,  jusqu'à  la  mer  Noire  :  c'est  aujourd'hui  le  Bal- 
kan.  De  la  chaîne  principale  des  Alpes  partent  les  chaînes 
secondaires  suivantes  :  1°  Alpes  suisses  ou  bernoises,  qui 
du  mont  Saint-Gothard  viennent  reprendre  le  Jura  ;  2°  les 
Alpes  stijriennes,  qui  se  détachent  de  la  chaîne  principale 
vers  le  mont  Hoch-Kreutz ,  et  s'étendent,  sous  le  nom  de 
Taîiren,  entre  la  Murh  et  la  Drave  ;  ce  nom  (  en  gaulois  tor, 
four,  tiiir,  haut,  élevé  )  est  correspondant  à  celui  d'Alpes  ; 
3"  X&i- Alpes  grises  ou  des  Grisons,  qui  s'étendent  du  mont 
Saint-Gothard  entre  le  Rhin  et  l'Inn.  Les  montagnes  du 
Wurtemberg,  entre  le  Danube,  le  Rhin  et  le  Nccker,  connues 
sous  le  nom  de  montagnes  de  la  Forêt  Noire,  .s'appellent 
aussi  Alpes  ou  Alp  (en  allemand  Rauhe  Alb,  Alpes  sau- 
vages ).  Les  Romains  les  appelaient  le  mont  Abnoba.  Ce  nom, 
qui  doit  être  écrit  Albnoba ,  est  gaulois,  et  signifie  Alpes 
noires  ou  obscures  {Alb  noibli).  G"'  G.  de  Vaudoncouut. 
ilœurs  des  habitants.  —  Dans  les  stériles  et  sombres 


40G 


ALPES 


contrées  des  Alpes,  on  voit  un  spectacle  admirable,  rhomnie 
aux  ])risos  avec  la  nature,  luttant  contre  toutes  ses  sévérités, 
et  trioinpliant  de  ses  rigueurs  à  force  d'industrie  et  de  pa- 
tience. —  C'est  en  vain  qu'un  territoire  rebelle  n'offre  à  ses 
travaux  que  des  plans  abrupts  et  des  pontes  cs<;arpées  ; 
il  construira  en  pierre  sèche  et  en  quartiers  de  roche  des 
murs  de  soutènement  pour  conserver  le  maigre  terreau  que 
peut  fournir  le  sol ,  et  si  les  débordements  l'emportent,  il 
ira  chercher  cet  élément  au  fond  de  la  vallée,  il  le  portera 
h  la  hotte,  et  le  rétablira  sur  la  place  qu'il  occupait.  C'est 
ainsi  que  le  montagnard  crée  un  sol  fertile  au  sein  de  l'ari- 
dité et  qu'il  moissonne  dans  les  abîmes.  —  Un  précipice  le 
sépare  du  courant  d'une  fontaine:  quelques  sapins  creux, 
suspendus  dans  les  airs,  conduiront  chez  lui  ces  eaux  salu- 
taires, et  pourvoiront  aux  besoins  de  sa  maison,  de  ses 
étables,  de  ses  jardins,  de  ses  prairies;  elles  donneront  le 
mouvement  h  quelques  petites  usines  qu'il  aura  construites 
lui-même,  et  la  machine  dispendieuse  élevée  à  Marly  par 
un  grand  roi  sera  surpassée  par  l'industrie  du  simple  mon- 
tagnard. C'est  en  vain  qu'un  hiver  de  six  mois  déploie  contre 
lui  toute  son  àpreté  ;  renfermé  dans  son  établc ,  sous  un 
chaume  couvert  de  vingt  pieds  de  neige  qui  le  rendent  im- 
perméable à  l'air,  il  n'en  sentira  pas  les  atteintes;  il  vivra 
au  milieu  de  ses  troupeaux ,  dans  une  douce  température 
échauffée  par  plusieurs  centaines  de  bouches  de  chaleur.  Il 
vivra  du  lait  de  ses  brebis ,  se  nourrira  de  la  chair  de  ses 
moutons,  se  couvrira  de  leur  toison.  Tour  communiquer 
durant  riii\'ïr  avec  les  diverses  parties  de  son  établisse- 
ment, il  franchira  les  neiges,  porté  sur  de  larges  raquettes, 
ou  bien  il  creusera  sous  elles  de  longues  et  froides  galeries. 
Il  sait  glisser  à  volonté  sur  des  pentes  escarpées ,  ou  s'y 
rendre  immobile  avec  des  crampons.  C'est  avec  leur  secours 
qu'il  laboure ,  qu'il  sème  ,  qu'il  fauche  ou  qu'il  moissonne. 
—  S'il  aperçoit  sur  la  cime  des  monts  un  arbre  nécessaire  à 
ses  constructions ,  il  s'y  rend  seul  ;  il  attaque  avec  la  hache 
un  hêtre  séculaire,  immense,  au  pied  duquel  il  est  à  peine 
visible.  II  dirige  la  chute  de  ce  colosse  vers  une  pente  glacée, 
sur  laquelle  il  le  fait  glisser  jusqu'à  sa  demeure,  après  l'a- 
voir dépouillé  de  ses  branches.  Retenu  le  plus  souvent  dans 
son  étable,  il  s'y  instruit,  se  civilise,  enseigne  ses  enfants 
et  ses  serviteurs;  il  tient  école  pour  eux. 

Telle  est  la  vie  du  pasteur  du  Queyras  durant  l'hiver.  Mais 
lorsque  la  grive,  messagère  des  beaux  jours,  annonce  par 
son  ramage  le  retour  du  printemps  ;  lorsque  les  auriculaires, 
les  pensées  éperonnées ,  étalent  leurs  jeunes  corolles  sur  la 
verdure  naissante ,  que  les  béliers,  agités  parla  saison,  bon- 
dissent dans  retable,  et  que  les  abeilles  essayent  dans  les 
airs  leurs  ailes  encore  engourdies,  il  prend  part  à  l'allé- 
gresse universelle.  Il  salue  cette  Providence  qui  rend  sa  pa- 
jure  à  la  terre ,  ses  ailes  à  l'insecte ,  sa  voix  à  l'oiseau ,  le 
sentiment  d'une  existence  nouvelle  à  l'homme,  et  à  la  nature 
entière  une  jeunesse  éternelle.  Il  compte  les  agneaux  nés 
dans  son  étable  durant  l'hiver  ;  il  pèse  les  laines  que  ses 
enfants  et  ses  serviteurs  ont  fdées;  il  mesure  les  drai)s  qu'ils 
ont  fabriqués,  les  osiers  qu'ils  ont  façonnés  en  paniers  et  en 
corbeilles  ;  il  reconnaît  que  sa  fortune  s'est  accrue,  et  que 
son  industrie  a  triomphé  de  l'inclémence  de  l'air  et  de  l'â- 
preté  de  la  saison.  — Alors  il  fait  sortir  son  troupeau;  il 
monte  avec  lui  sur  le  premier  étage  de  la  montagne ,  qui  est 
déblayé  de  neige;  il  y  trouve  une  autre  maison,  ou  plutôt 
un  abri  de  printemps ,  dans  leqi;el  il  s'établit.  A  mesui  e  qi:e 
les  neiges  fondent,  il  monte  sur  des  plateaux  plus  élevés, 
jusqu'à  ce  qu'il  arrive  au  pied  du  glacier  qui  forme  la  limite 
de  son  domaine.  C'est  ainsi  que  chaque  année,  et  suivant 
la  saison,  il  visite  ses  diverses  maisons,  et  y  fait  ses  quatre 
voyages.  Monarque  pastoral,  il  a  son  Rambouillet,  son 
Compiègne,  son  Fontainebleau,  ses  équipages  et  ses  four- 
gons. Au  lieu  de  traîner  à  sa  suite  une  cour  avide,  il  pousse 
devant  lui  un  troupeau  utile.  Il  ne  craint  pas  l'envahissement 
de  ses  voisins.  Des  glaciers  et  des  déserts  le  défendent  contre 


l'ambition  des  bergers  limitrophes.  —  Lorsque  ce  berger 
descendra  à  la  ville,  vous  le  reconnaîtrez  à  son  habit  antique 
à  collet  droit  et  à  parements  fendus,  à  ses  trois  vestes,  à 
sa  culotte  courte ,  à  ses  bas  de  laine  bruns ,  à  sa  perruque 
de  laine  couverte  d'un  petit  chapeau  à  trois  cornes,  à  sa 
chaussure  ferrée ,  à  sa  taille  haute  et  ferme,  à  sa  voix  élevée, 
à  son  genou  inflexible.  —  En  le  voyant,  vous  direz  -.  Voilà  un 
homme,  un  homme  de  nature  primitive,  comme  les  rochers 
qui  l'ont  vu  naître.  Comte  Français  (Hc  Nantes). 

ALPES  (  Routes  des  ),  le  plus  durable  monument  de  sa 
puissance  et  de  sa  politique  qu'ait  élevé  Napoléon  :  elles 
consistent  en  plusieurs  voies  pratiquées  à  travers  les  Alpes, 
et  servent  aux  communications  de  la  Savoie ,  de  la  France 
et  du  pays  de  Vaud  avec  l'Italie. 

La  première  de  ces  routes  conduit  par  le  sommet  du 
mont  Cen  is ,  élevé  de  5,879  pieds  au-dessus  du  niveau  de 
la  mer,  de  la  Savoie  en  Piémont ,  en  passant  par  Lansle- 
bourg  et  Suse.  Autrefois  les  voyageurs  étaient  obligés  de 
franchir  les  hauteurs  les  plus  escarpées  à  dos  de  mulet  ou 
en  chaise  à  porteurs.  Mais  en  1803  Napoléon  y  fit  cons- 
truire en  zigzag  une  route  pour  les  voitures,  qui  a  neuf 
lieues  de  long  sur  vingt-cinq  pieds  de  large.  E!le  est  prati- 
'•able  aux  voitures,  même  en  hiver.  En  1815  seize  mille 
voilures  et  trente-quatre  mille  neuf  cents  mulefs  passèrent 
sur  (  (  lf(^  route.  Les  Français  l'ont  encore  traversciî  en  1859. 

La  seconde  conduit  à  travers  le  S  impion,  élevé  de 
10,327  pieds,  du  pays  de  Vaud  en  Piémont  par  Glus  et 
Domo  d'Ossola.  Cette  route ,  que  Napoléon  fit  construire  de 
1801  à  1805,  est  la  seule  par  laquelle  on  puisse  de  la  Suisse 
traverser  les  Alpes  ;  elle  a  quatorze  lieues  de  long  et  vingt- 
ciuq  pieds  de  brgeur.  La  pente  en  est  partout  presque  insen- 
sible ;  aussi  est-elle  praticable  aux  voitures  même  les  plus 
pesamment  chargées.  Elle  passe  cependant  par-dessus  d'af- 
freux précipices ,  au  fond  desquels  vont  s'engloutir  avec  un 
fracas  épouvantable  de  nombreux  torrents,  et  elle  traverse 
six  masses  de  rochers,  dans  lesquelles  on  a  pratiqué  des 
galeries  longues  de  plusieurs  centaines  de  pieds ,  et  éclairées 
de  distance  en  distance  par  des  ouvertures.  En  sortant  de 
ces  galeries ,  on  entre  dans  de  délicieuses  vallées,  d'où  l'œil 
découvre  de  noires  forêts  de  sapins ,  des  glaciers  et  de  hautes 
montagnes  de  neige,  dont  l'éblouissant  éclat  tranche  vive- 
ment sur  le  bleu  d'azur  du  ciel  qu'elles  semblent  menacer. 
Des  ponts  hardis  sont  jetés  çà  et  là  entre  deux  montagnes , 
au-dessus  de  précipices  dont  la  vue  glace  le  cœur.  Le  côté 
qui  regarde  Tltalie  est  plus  pittoresque  que  celui  qui  regarde 
la  Suisse  :  différence  qui  provient  sans  doute  de  ce  que  les 
rochers  y  sont  plus  escarpés  et  plus  heurtés.  C'est  du  côté 
de  ritaUe  qu'est  située  la  grande  galerie,  longue  de  six  cent 
quatre-vingt-trois  pieds  et  entièrement  taillée  dans  le  granit, 
appelée  Frissinone,  d'après  le  torrent  qui  y  forme  une  ad- 
mirable cascade.  La  route  commence  à  un  quart  de  lieue  de 
Brieg ,  et  traverse  le  pont  de  Saltina.  .\u  delà  du  village  de 
Rud ,  on  arrive  par  une  belle  forêt  de  sapins  à  la  première 
galerie,  et  de  là  à  Tersal,  en  passant  sur  un  pont  de  quatre- 
vingts  pieds  de  long.  C'est  là  que  commencent  les  précipices 
et  les  endroits  périlleux,  à  cause  des  fréquentes  avalanches; 
aussi  la  route  y  décrit-elle  de  nombreuses  sinuosités.  On 
cesse  d'apercevoir  des  arbres  à  la  galerie  des  glaciers,  et 
la  route  s'élève  ensuite  à  mille  trente-trois  toises  au-dessus 
du  lac  Majeur,  ou  environ  six  mille  pieds  au-dessus  du  ni- 
veau de  la  Hier.  .Au  point  culminant  de  la  route  est  situé  un 
hospice  pour  les  voyageurs ,  un  bureau  de  péage  pour  les 
droits  de  chaussée,  et  à  droite  dans  l'éloignement  l'ancien 
hôpilal.  A  une  demi-lieue  plus  loin  on  trouve  le  village  de 
Simplon,  élevé  de  quatre  mille  cinq  cent  quarante-huit 
pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  La  route  suit  le  cours 
de  la  Veriola  ,  peliîe  rivu're,  jusqu'à  Domo  d'Ossola.  A 
Gunt  on  trouve  une  auhcTge  ;  à  un  quart  de  lieue  plus  loin  , 
cesse  le  territoire  vai;dois',dont  une  petite  chapelle  marque 
la  limite,  et  commence  le  terriloire  italien,  dont  le  premier 


ALPES 


407 


Tillage  s'appelle  San-Marro.  Des  avalanches  cl  des  masses 
de  rocliers  détachées  par  les  pluies  endommagent  souvent  la 
roiitc,  dont  les  réparations  exigeraient  chaque  année  des 
dépenses  considérables ,  que  les  gouvernements  suisse  et 
sar'ie  ont  trop  négligées. 

Lue  troisième  route  conduit  par  le  mont  Gcnèvre, 
élevé  de  deux  mille  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mor, 
de  Briançon  (Hautes-Alpes)  à  Turin. 

Des  chemins  de  fer  traverseront  bientôt  les  Alpes. 

Nous  citerons  encore ,  parmi  les  autres  routes  remar- 
quables des  Alpes  :  1°  celle  du  Saint-Gothard,  qui 
conduit  du  canton  d'L'ri  au  canton  du  Tessin  ;  mais  comme 
elle  est  très-diflicile ,  et  même  dangereuse  en  de  certains 
emlroits,  notamment  au  pont  du  Diable  et  à  la  descente  de 
TAirolo,  on  ne  peut  y  transporter  les  marchandises  qui 
vont  de  Suisse  en  Italie  que  sur  des  bCtos  de  somme.  Cette 
route  s'élève  à  une  hauteur  de  huit  mille  deux  cent  soixante- 
quatre  pieds  ;  on  y  remarque ,  à  une  élévation  de  six  mille 
trois  cent  soixante-sept  pieds  ,  un  liospice  de  capucins  ;  — 
T  la  route  du  Grand-Saint-Bernard,  qui  conduit  du 
lac  de  Genève  en  Italie ,  et  qui  est  la  plus  directe  pour 
aller  de  Genève  à  Turin  et  à  Gènes ,  n'est  point  praticable 
aux  voitures ,  et  ne  sert  qu'aux  piétons  et  aux  bètes  de 
somme  ;  —  3°  la  grande  route  d'Inspruck  en  Italie ,  qui  tra- 
verse dans  le  Tyrol  le  mont  Brenner,  haut  de  six  mille 
soixante-trois  pieds;  —  4°  la  nouvelle  route  militaire,  cons- 
truite en  1821  par  le  gouvernement  autrichien  ,  et  qui  est 
la  plus  élevée  de  l'Europe ,  conduit  de  Bormio  dans  la  Val- 
teline,  à  travers  le  Braglio  et  le  SlUfser-Joch,  haut  de  huit 
mille  quatre  cent  pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Elle 
est  en  communication  avec  la  précitée  ;  —  5"  et  6°  la  route 
de  Bellinzona  à  Coire ,  à  travers  le  Bernardin ,  et  celle  qui 
traverse  le  Splugen,  praticable  aux  voitures  depuis  1823; 
la  première  conduisant  au  lac  de  Lugano ,  la  seconde  au 
lac  de  Corne. 

ALPES  (Département  des  BASSES-).  Formé  par  des 
parties  de  l'ancienne  Provence,  du  territoire  d'Avignon  eldu 
Comtat-Venaissin,  il  est  borné  au  nord  par  le  département 
des  Hautes-Alpes ,  à  l'est  par  le  Piémont  et  le  département 
des  Alpes-Maritimes,  au  sud  par  les  départements  du  Var 
et  des  Bouches-du-Rhône,  et  à  l'ouest  par  ceux  de  Vau- 
duse  et  de  la  Drôme. 

Divisé  en  cinq  arrondissements,  dont  les  chefs-lieux  sont 
Digne,  Barcelounette,  Castellane,  Forcalqnier  et  Sisteron  , 
il  compte  30  cantons,  255  communes  et  149,670  habitants. 
Il  envoie  un  dépulé  au  Corps  législatif.  Il  forme  avec  le 
Var,  Vaucluse  et  les  Bouches-du-Rhône,  le  vingt-sixième 
arrondissement  forestier.  Compris  dans  le  ressort  de  la 
cour  impériale  et  de  l'académie  d'Aix,  dans  le  diocèse  de 
Digne ,  il  forme  la  3*  subdivision  de  la  9"  division  mili- 
taire ,  dont  le  quartier-général  est  à  Marseille;  il  renferme 
4  collèges  communaux,  4  pensions,  499  écoles  primaires. 

Sa  superficie  est  de  682,643  hectares,  dont  306,103 
hectares  en  landes,  pâtis  ,  bruyères,  etc.;  155,393  en  terres 
labourable*;;  109,727  en  bois  ;  19,868 en  rivières,  lacs  et 
ruisseaux;  «7,505  en  prés;  13,959  en  vignes;  3,464  en 
oseraies,  aunaies  et  saussaies;  3,322  en  cultures  diverses; 
858  en  propriétés  bâties  ;  338  en  vergers,  pépinières  et  jar- 
dins; 29  en  étangs  ,  abreuvoirs,  mares,  et  canaux  d'irriga- 
tion; etc.  Il  paye  1,016,906  francs  d'impôt  foncier.  L'État  y 
recouvre,  en  1858,  3,589,975  francs  de  contributions  de  toute 
nature. 

Le  département  des  Basses-Alpes  est  situé  presque  en  to- 
talité sur  le  bassin  de  la  Durance.  Il  est  arrosé  par  celte 
rivière  et  ses  afduents  :  le  Buech ,  le  Jabron ,  l'Ausson,  la 
Largue ,  qui  la  grossissent  à  droite  ;  l'Ubaye,  la  Blanche,  la 
Sasse,  la  Vançon,  la  Bléone,  l'Asse  et  la  Vernon,  qui  la 
grossissent  à  gauche.  Une  petite  portion  du  Var,  qui  y  reçoit 
la  Colon,  arrose  la  pointe  sud-est  du  département.  Appuyé 
sur  le  versant  méridional  des  Alpes  et  couvert  de  montagnes 


dans  les  cinq  sixièmes  de  son  étendue,  le  département  des 
Basses-Alpes  présente  neuf  divisions  naturelles,  formées  par 
les  ramifications  alpines  qui  encaissent  profondément  cha- 
cun des  cours  d'eau  qui  vont  se  jeter  dans  la  Durance  ;  ce 
sont  :  le  pays  à  l'ouest  de  la  Durance,  les  vallées  de  l'Ubaye,  de 
la  Blanche,  de  la  Sasse,  de  la  Vançon,  de  la  Bléone,  de  l'Asse, 
de  la  Vernon,  et  la  vallée  du  Var.  Ce  département  présente 
d'ailleurs  d'une  manière  générale  deux  parties  fort  distinctes , 
l'une  toute  montagneuse,  et  couverte  de  neiges  pendant 
une  grande  partie  de  l'année  ;  l'autre,  formée  de  plaines  très- 
fertiles,  ornées  de  toute  la  richesse  des  cultures  méridionales  ; 
dans  celle-ci  setrouve  la  magnifique  vallée  de  Barcelounette 
avec  ses  environs.  Les  aspects  du  pays  sont  très-pittoresques 
et  on  ne  peut  plus  variés.  Les  points  culminants  des  mon- 
tagnes sont  le  grand  Rubren,  qui  a  3,342  mètres  d'altitude , 
le  grand  Bérard,  3,047  mètres,  et  le  mont  Pousenc,  2,900 
mètres. 

Les  montagnes  et  les  vallées  renferment  des  chamois,  des 
marmottes,  de  grands  oiseaux  de  proie  ;  le  loup  y  est  com- 
mun ,  le  gibier  abondant.  Les  animaux  domestiques  sont  de 
petites  races,  mais  les  chevaux  sont  renommés  pour  leur 
activité  et  leur  vigueur.  Les  lacs  et  les  rivières  sont  pois- 
sonneux. Dans  certains  cantons  on  recueille  des  truffes  es- 
timées. 

Les  principales  essences  des  forêts  sont  le  chêne,  le  hê- 
tre, le  sapin,  le  pin  et  le  mélèze.  La  flore  est  d'une  richesse 
remarquable.  On  récolte  des  plantes  aromatiques  et  médi- 
cinales. 

Il  existe  dans  ce  département  des  mines  de  plomb,  de 
bismuth ,  de  baryte ,  de  cristal  de  roche ,  des  carrières  de 
marbre,  de  granit,  de  jaspe,  et  un  grand  nombre  de  gise- 
ments houillers.  Ou  y  trouve  de  l'ambre  jaune.  Le  sol  ren- 
ferme des  mines  d'argent  qui  ont  été  autrefois  exploitées. 
On  prétend  qu'il  y  a  aussi  des  mines  d'or.  Digne  et  Gréoulx 
possèdent  des  établissements  d'eaux  thermales. 

L'art  de  l'agriculture  a  fait  peu  de  progrès  dans  ce  dépar- 
tement. Les  produits  de  l'industrie  agricole  en  font  néan- 
moins la  principale  richesse.  Cependant  les  céréales  et  les 
vins  suffisent  à  la  consommation  des  habitants.  Les  vins 
les  plus  estimés  sont  ceux  de  Mées.  Les  plantations  d'oliviers, 
d'orangers,  de  mûriers,  de  figuiers  y  sont  considérables, 
ainsi  que  celles  des  amandiers ,  des  pruniers  et  des  noyers. 
L'élève  des  moutons,  ânes  et  mulets,  l'éducation  des  abeilles 
et  des  vers  à  soie,  la  récolte  des  fruits,  de  la  cire,  du  miel, 
des  cocons ,  la  dessiccation  des  fruits,  sont  les  plus  impor- 
tantes occupations  des  habitants  de  ce  pays.  De  nombreux 
troupeaux  transhumants  viennent  chaque  été  paitre  les 
riches  prairies  naturelles  du  département. 

L'industrie  manufacturière  y  est  peu  importante.  Cepen- 
dant diverses  localités  ont  des  faïenceries ,  des  papeteries , 
des  fabriques  de  draps  communs,  des  coutelleries,  des  bon- 
neteries, des  filatures  de  soie,  des  tanneries ,  des  peausseries, 
des  huileries ,  des  distilleries  d'eau-de-vie  et  d'eaux  aroma- 
tiques. 

Les  voies  de  communication  de  ce  département  sont , 
outre  la  Durance,  qui  est  la  seule  rivière  navigable,  3  routes 
impériales,  19  routes  départementales,  et  1,179  chemins  vi- 
cinaux. La  plupart  des  transports  se  font  à  dos  de  mulet. 

Les  villes  et  les  lieux  les  plus  importants  du  département 
de^  Basses-.\lpes  sont  Digne,  son  chef-lieu;  Castellane, 
connue  aujourd'hui  par  ses  fruits  et  ses  pruneaux ,  et  que 
les  Romains  nommaient  Salina: ,  à  cause  des  eaux  salines 
qui  se  trouvent  dans  ses  environs  ;  Colmars ,  petite  ville 
sans  importance,  mais  près  de  laquelle  on  voit  une  fon- 
taine intermittente ,  dont  l'eau  coule  et  tarit  de  sept  en  sept 
minutes;  Barcelonnette ,  bâtie  en  1230  par  le  comte  Ray- 
mond Bérenger,  qui  la  nomma  Barcelonnette,  en  mémoire 
de  ses  ancêtres, originaires  de  Barcelone;  Sisteron,  dont  le 
nom  Mm  ,  Segustero ,  d'origine  celtique,  annonce  l'anti- 
quité, et  près  de  laquelle  on  lit  sur  un  rocher  une  inscrip- 


408 


ALPES  —  ALPHABET 


tion  portant  que  Dardanus  et  Newa  Gallia,  sa  femme,  ont 
établi  à  Théopolis,  aujourd'liui  le  village  de  T/iéoun,  l'u- 
sage des  voûtes;  Foical</ider,\U\e  dans  l'emplacement  où 
Claude-Tibère  Néron,  envoyé  par  César  dans  la  Gaule  Nar- 
bonnaise,  fonda  une  ville  qu'il  nomma  ForMm  Neronis  ; 
Céreste,  petit  village  à  vingt  kilomètres  de  Forcalquier,  où 
l'on  voit  un  pont  attribué  à  César,  et  un  édifice  appelé  la 
tour  (ïyEiiobnrbus;  Riez,  petite  ville  près  de  laquelle  sont 
des  restes  de  temples  anticpies.  * 

ALPES  (Département  des  HAUTES-).  Ce  département, 
l'un  des  trois  formés  par  le  Danpliiné,  est  borné  au  nord 
par  les  départements  de  l'Isère  et  de  la  Savoie,  à  l'est  par 
le  Piémont,  au  sud  par  le  département  des  Basses-Alpes, 
et   à  l'ouest  par  ceux  de  la  Drôme  et  de  l'Isère. 

Divisé  en  trois  arrondissements,  dont  les  chefs-lieux  sont 
Gap,  Driançon  et  Embrun,  il  compte  24  cantons,  189  com- 
munes, et  129,556  habitants.  Il  envoie  un  député  au  Corps 
législatif,  il  forme  avec  la  Drôme  et  l'Isère  le  14*  arrondis- 
sement forestier.  Compris  dans  le  ressort  de  la  cour  impériale 
et  de  l'académie  de  Grenoble,  et  dans  le  diocèse  de  Gap,  il 
fait  partie  de  la  22"  division  militaire,  dont  le  quartier  général 
esta  Grenoble.  Il  renferme 3 collèges,  1  école  ecclésiastique, 
440  écoles  primaires  de  garçons  et  186  de  fdies. 

La  superlicie  de  ce  département  est  de  553,481  liectares. 
11  paye  857,900  fr.  d'impôt  foncier. 

Le  département  des  Ilautes-Alpes,  situé  sur  le  versant 
occidental  des  Alpes  et  appuyé  à  leur  faîte,  e»t  entièrement 
couvert  de  montagnes  élevées.  Leur  point  culminant,  le 
pic  des  Écrins,  ou  des  Arsines,  a  4,105  mètres  d'altitude; 
la  Meidje  eu  a  3,986  ;  le  mont  Yiso,  3,838  ;  la  Rocbebrune, 
3,325;  le  mont  Tbabor,  3,180.  Le  département  se  trouve 
naturellement  divisé  en  deux  parties  par  une  des  ramifica- 
tions des  Alpes,  laquelle  sépare  le  bassin  de  la  Durance  de 
celui  de  l'Isère.  La  première  est  arrosée  par  l'Isère  et  ses 
aifluents,  la  Romanche  et  le  Drac;  la  seconde,  parla  Du- 
rance et  ses  affluents,  le  Buech,  le  Claret,  la  Guisance,  la 
Gironde,  l'Alp-Martin  ,  la  Biouse,  la  Vence,  la  Luie,  la 
Servières,  la  Guil,  la  Crévoux  et  la  Vachère.  Ces  cours 
d'eau,  presque  tous  torrentiels,  ont  creusé  dans  le  sol  une 
infinité  de  vallées  et  de  ravins.  Le  département  des  Hautes- 
Alpes,  qui  s'élève  graduellement  comme  un  immense  amphi- 
théâtre, présente  les  aspects,  les  expositions  et  les  climats 
les  plus  divers  :  sur  le  sommet  des  montagnes,  des  neiges  éter- 
nelles, des  rocs  nus  et  décharnés,  des  terrains  arides  ;  ailleurs, 
des  plateaux,  des  vallées,  des  coteaux  fertiles;  des  sites 
agrestes,  sauvages,  à  côté  de  sites  riants  et  enchanteurs. 

Ce  département  nourrit  des  ours,  des  loups,  des  loups- 
cerviers,  des  daims,  des  chamois,  des  marmottes,  etc.  Les 
oiseaux  de  proie,  le  grand  aigle  entre  autres,  y  sont  nom- 
breux. Le  gibier  est  très-  abondant.  La  végétation  est  aussi 
variée  que  le  sol  et  la  température. 

Le  déparlement  des  Hautes-Alpes  renferme  des  mines  d'or, 
d'argent,  de  cuivre,  de  fer  et  de  plomb.  On  y  exploite  du 
marbre,  du  granit,  des  pierres  lithographi(iues,  du  cristal  de 
roche,  du  porpliyre,  de  la  craie  de  Briançon,  de  l'ardoise, 
de  la  houille,  etc.  11  possède  aussi  plusieurs  sources  d'eaux 
thermales  et  minérales. 

Quoique  plus  de  la  moitié  de  la  superficie  de  ce  dépar- 
tement soit  des  terrains  incultes  et  des  rochers  stériles,  sa 
principale  industrie  est  l'agriculture,  et  surtout  l'élève  du 
bétail,  particulièrement  des  moutons  et  des  chèvres.  Il  reçoit 
chaque  été  des  troupeaux  transhumants  des  déparlements 
voisins.  La  récolte  des  céréales,  dont  le  seigle  forme  la  base, 
est  suffisante  pour  la  consommation  du  pays.  Celle  des 
vins,  dont  plusieurs  sont  estimés,  surtout  ceux  des  bords 
de  la  Durance  et  l'excellent  vin  blanc  ou  claretle  de 
Saulce,  est  peu  considérable.  On  cultive  aussi  le  lin,  le 
chanvre,  les  châtaigniers,  les  noyers  et  autres  arbres  frui- 
tiers. La  culture  du  mûrier  et  l'éducation  des  vers  à  soie  y 
ont  fait  de  grands  progrès. 


L'industrie  manufacturière  est  peu  développée.  La  pelle- 
terie a  cependant  quelque  importance.  On  fabrique  dans  les 
campagnes  des  tissus  de  soie  unis.  Les  scieries  de  planches  y 
sont  nombreuses.  La  boissellerie,  le  façonnage  des  articles 
en  bois,  occupent  aussi  un  grand  nombre  de  bras. 

Ce  département  est  traversé  par  cinq  routes  impériales, 
une  route  départementale  et  1,070  chemins  vicinaux.  Il  n'a 
pas  de  chemin  de  fer. 

Les  villes  les  plus  importantes  sont  Gap,  chef-lieu  du  dé- 
partement; Embrun  ;  Briançon;  puis  Sain(-Bonnet, 
qui  possède  une  source  d'eau  sulfureuse;  et  Serjcs,  char- 
mante petite  ville  sur  les  bords  de  la  Buech.  * 

ALPES-MARITIMES  (  Département  des  ).  Formé  de 
l'ancien  comté  de  Nice,  cédé  à  la  France  par  la  Sardaigneen 
1860,  et  de  l'arrondissement  de  Grasse  enlevé  au  département 
du  Var,  il  est  bornée  l'est  par  le  Piémont,  au  sud  par  la  Mé- 
diterranée, à  roiicst  par  les  départements  du  Var  et  des  Basses- 
Alpes.  Il  se  divise  en  trois  arrondissements,  ayant  pour  chefs- 
lieux  Nice,  Grasse  et  Piiget-Tliéniers;  il  a  25  cantons  et  148 
communes.  Il  envoie  deuxd  pûtes  au  Corps  Législatif.  Il  forme 
la  5c  subdivision  de  la  ge  division  militaire,  dont  le  quartier 
général  esta  Marseille;  il  est  du  ressort  de  la  cour  impériale 
et  de  l'académie  d'Aix.  11  forme  en  partie  le  diocèse  de 
Nice.  Cette  ville  possède  un  lycée  impérial.  Elle  est  le  chef-lieu 
de  la  34«  conservation  forestière,  qui  comprend  les  dépar- 
tements du  Var  et  des  Alpes-Maritimes.  Le  département 
des  Alpes-Maritimes  est  sillonné  par  trois  routes  impériales; 
un  chemin  de  fer  doit  relier  Nice  à  Toulon.  La  population 
de  ce  département  est  de  187,096  habitants;  sa  superficie 
de  419,638  hectares.  Son  industrie  comprend  l'éducation 
des  abeilles  et  des  vers  à  soie,  la  fabrication  d'essences  et 
de  parfums,  des  distilleries,  des  filatures  de  soie,  des  fabriques 
de  toiles;  il  a  des  moulins  à  huiles,  des  papeteries,  des  sa- 
vonneries, des  tanperies.  II  produit  des  bois  de  construction, 
des  fruits  du  midi,  des  olives,  des  fleurs,  etc.  Nice  est  re- 
nommé par  la  douceur  de  son  climat. 

Les  principales  villes  sont  Nice,  chef-lieu,  Grasse, 
An tibes.  Menton,  Puget-Tbéniers. 

Les  Alpes- Maritnnes  éiaxenl  une  ancienne  division  de  la 
Gaule,  dont  la  capitale  était  Embrun,  et  qui  répondait  à 
une  partie  du  Dauphiné,  de  la  Provence,  du  Piémont  et 
du  comté  de  Nice.  La  Convention  avait  déjà  formé,  le  27  no- 
vembre 1792,  du  comté  de  Nice,  de  la  principauté  de  Mo- 
naco et  des  pays  situés  sur  la  rive  droite  de  la  Taggia,  un 
département  français,  nommé  des  Alpes-Maritimes,  parce 
qu'il  était  traversé  par  la  chaîne  des  Alpes  que  les  Romains 
appelaient  ainsi.  Enlevé  à  la  France  en  1814,  il  avait  été 
rendu  au  royaume  de  Sardaigne,  qui  l'a  cédé  à  la  France  à 
la  suite  de  la  guerre  d'Italie.  Un  sénatus-consulte  du  12  juin 
1860  l'a  annexé  au  territoire  de  l'Empire.  Z. 

ALPILV  et  OMÉGA,  première  et  dernière  lettre  de 
l'alphabet  grec.  V Apocalypse  (I,  8)  fait  dire  à  Jésus-Cbrist 
qu'il  tst  Valpha  et  Voméga,  c'est-à-dire  le  commence- 
ment et  la  fin.  C'est  dans  ce  sens  que  cette  expression  a  été 
employée  dans  l'hymne  In  dulci jubila,  dont  les  dernières 
paroles  sont  celles-ci  :  Alpha  es  et  oméga.  Ce  signe,  a/w, 
au  moyen  âge,  était  une  espèce  d'hiéroglyphe  indiquant  le 
nom  de  la  Divinité  :  les  prédicateurs,  les  médecins  et  d'au- 
tres le  mettaient  en  tète  de  leurs  écritures,  recettes  ,  dis- 
sertation.s,  etc.  On  trouve  cette  formule  sur  le  revers  de 
quelques  monnaies  des  rois  de  France  Clovis,  Dagobert , 
Robert,  Henri  II,  Philippe  T',  et  Louis  VI. 

ALPHABET.  Ce  mot  est  formé  des  deux  premières 
lettres  des  Grecs,  alpha,  bêta.  Voltaire  l'a  beaucoup  critiqué 
comme  étant  une  partie  de  la  chose  signifiée  plutôt  qu'un 
véritable  nom.  Toutes  les  nations  qui  écrivent  leur  langue 
ont  un  alphabet,  et  on  doit  entendre  par  alphabet  d'une 
langue  la  table  des  caractères  gui  sont  les  signes  des 
sons  particuliers  concourant  à  la  composition  des  mots 
de  cette  langue.  —  Selon  Klaproth ,  l'écriture  chinoise, 


ALPHABET  — 

['indienne  et  la  sànitique  ont  donné  naissance  aux  divers 
alphabets  de  l'Europe  et  à  plusieurs  de  l'Asie.  La  Gri-cc 
et  tout  l'ancien  Occident  durent  l'alphabet,  s'il  faut  en  croire 
l'ancienne  tradition,  à  Cad  mu  s,  qui  l'avait  apporte  de 
Tyr  en  Béotie.  Aujourd'hui  la  langue  écrite  des  peuples  civi- 
lisés se  compose  des  anciens  alphabets,  qu'on  a  empruntés 
en  plus  ou  moins  de  lettres.  Les  Fran(.ais,  les  Italiens, 
les  Espagnols,  les  Anglais  et  d'autres  peuples  ont  adopté 
l'alphabet  des  Romains  ;  les  Allemands  en  ont  un  qui  leur 
appartient,  et  qu'on  nomme  aussi  gothique;  celui  des  Russes 
est  en  partie  original,  en  partie  calqué  sur  le  grec.  Voyez 

ÉCRITIRE. 

Plusieurs  conditions  sont  nécessaires  pounqu'un  alphabet 
soit  parfait  :  d'abord,  il  ne  faudrait  pas  qu'un  mémo  son 
filt  représenté  par  plusieurs  caractères,  comme  cela  se 
trouve  dans  notre  alphabet  (  c,  k,  q,  ne  doivent  être  comp- 
tés que  pour  une  même  lettre  ).  11  serait  à  désirer  ensuite 
que  les  lettres  ,  tout  en  étant  le  moins  multipliées  possible, 
exprimassent  justement  tous  les  sons  de  la  parole,  toutes  les 
nuances  de  la  prononciation,  et  que  l'alphabet  n'établit  point 
de  discordances  choquantes  entre  la  manière  d'écrire  et  la 
manière  de  parler.  L'alphabet  français  sous  ce  rapport 
est  défectueux,  en  ce  qu'Û  n'a  pas  autant  de  caractères  que 
nous  avons  de  sons  dans  notre  prononciation,  et  en  ce  que 
la  même  lettre  se  prononce  de  plusieurs  manières  ;  mais 
les  Anglais  nous  laissent  bien  loin  derrière  eux  sous  ce 
rapport. 

Le  désir  d'étendre  les  relations  parmi  les  hommes  a  porté 
bien  des  linguistes  célèbres  à  s'occuper  d'un  alphabet  uni- 
versel, qui  rendit  par  des  signes  simples  tous  les  sons  éga- 
lement simples  formant  les  différentes  langues,  et  qui  sont 
au  nombre  de  soixante-dix  ,  suivant  l'opinion  la  mieux  éta- 
blie. M.  EichhofT  pense  qu'il  n'y  en  a  qu'une  cinquantaine, 
et  Biittner  en  compte  plus  de  trois  cents.  Ce  projet  a  occupé 
plusieurs  auteurs,  notamment  Maimienx,  de  Brosses, 
Volney,  Lepsius.  Nous  doutons  qu'il  puisse  sortir  des  tra- 
vaux dirigés  dans  ce  sens  autre  chose  que  des  systèmes  in- 
génieux, sans  aucun  résultat  pratique. 

ALPIIEE ,  l'un  des  plus  grands  fleuves  de  la  Grèce , 
aujourd'hui  Roufia,  prenait  sa  source  non  loin  de  celle  de 
l'Eurotas ,  dans  l  Arcadie ,  passait  près  d'Olympie ,  et  se  Je- 
tait dans  la  mer  Ionienne.  La  fable  fait  Alphée  fils  de  l'Océan 
et  de  sa  sœur  Thétis  ;  il  devint  successivement  amoureux  de 
Diane  et  de  l'une  de  ses  suivantes ,  la  nymphe  Aréthuse  : 
Diane ,  pour  la  dérober  à  ses  transports,  changea  cette 
nymphe  en  fontaine,  et  métamorphosa  Alphée  lui-mCrae  en 
fleuve  ;  mais  elle  ne  put  empêcher  leurs  eaux  de  s'unir.  Ce 
qui  a  donné  lieu  à  cette  fable,  c'est  sans  doute  que  l' Alphée 
dans  un  endroit  de  son  cours  se  perd  sous  terre  :  d'après 
la  fable,  il  reparait  en  Sicile,  où  il  se  joint  aux  eaux  d'A- 
féthuse. 

ALPHEN  (JÉRÔME  Va.n),  poète  hollandais,  né  le  8  août 
1746,  à  Gouda,  mort  à  La  Haye,  le  2  avril  1803.  Doué  des 
plus  heureux  dons  naturels,  il  se  livra  avec  ardeur  à  l'étude 
des  sciences,  et,  sans  que  la  diversité  de  ses  connaissances 
nuisît  en  rien  à  leur  solidité ,  se  distingua  tout  à  la  fois 
comme  théologien,  comme  jurisconsulte,  comme  historien, 
comme  poète  et  enfin  comme  critique.  Le  Ciel  étoile,  can- 
tate dans  le  genre  simple  et  noble,  est  le  morceau  le  plus 
remarquable  de  ses  œuvres  poétiques,  dans  lesquelles  brille 
en  général  un  vif  et  pur  sentiment  religieux,  qui  ne  dégé- 
nère jamais  en  vague  mysticisme  :  aussi  un  grand  nombre 
de  ses  chants  religieux  ont-ils  été  adoptés  comme  cantiques 
par  les  chrétiens  évangéliques  de  sa  patrie.  Ses  odes  ont 
obtenu  moins  de  succès  qu'elles  n'en  méritaient.  Mais  son 
principal  titre  littéraire  est  très-certainement  le  recueil  de 
ses  petits  mais  inimitables  Poèmes  pour  les  enfants,  dans 
lesquels  il  a  su  reproduire  avec  une  rare  vérité  et  un  style 
aussi  simple  que  naif  les  sentiments  particuliers  h  l'enfance; 
ouvrage  dont  plusieurs  traductions  allemandes,  françaises 

DICT.   DE   LA   CONVERSATION.   —  T.    I. 


ALPHONSE  409 

et  anglaises  attestent  le  haut  mérite.  Héritier  du  dévouement 
et  de  l'attachement  dont  ses  ancêtres  avaient  toujours  fait 
preuve  envers  la  maison  d'Orange,  Alphen  se  vit  dépouiller 
en  1795  des  fonctions  de  trésorier  général  des  Pays-Bas,  et 
vécut  depuis  cette  époque  jusqu'à  sa  mort  connue  simple 
particulier  à  La  Haye. 

ALPIIITE,  farine  d'orge  grillée  et  dont  les  Grecs  se 
nourrissaient.  On  croit  que  les  anciens  s'en  servaient  pour 
faire  des  gAteaux  que  le  peuple  et  les  soldats  mangeaient 
ordinairement.  On  dirait  que  la  polenta  des  Latins  et  des 
Italiens  d'aujourd'hui  n'a  été  dans  l'origine  qu'une  imitation 
de  Valphite  des  Grecs.  Hippocrate  ordonnait  souvent  à  ses 
malades  l'alphite  sans  sel.  —  Athénée  parle  d'une  danse  de 
ce  nom,  et  qu'il  met  au  nombre  des  danses  gaies,  mais  sans 
donner  aucun  détail  à  ce  sujet.  Comme  on  faisait  sécher 
l'orge  en  la  répandant  à  terre  par  petits  tas,  peut-être  dans 
cette  danse  les  femmes  imitaient-elles  ce  mouvement. 

ALPIIITOMAKCIE  (du  grec  à),çiirov ,  farine  d'orge, 
[lavTeîa,  divination),  sorte  de  divination  au  moyen  de  la 
farine  d'orge.  Elle  se  pratiquait  en  faisant  manger  à  celui 
que  l'on  soupçonnait  d'un  crime  un  morceau  de  gâteau  fait 
avec  de  la  farine  d'orge  ;  s'il  l'avalait  sans  peine ,  il  était 
innocent  ;  le  contraire  devait  avoir  lieu  s'il  était  coupable. 

ALPHONSE,  rois  des  Asturies,  de  Castille  et  de  Léon. 

ALPHONSE  P"",  roi  des  Asturies ,  ancien  compagnon 
d'armes  et  gendre  de  Pelage,  restaurateur  de  la  monarchie 
espagnole,  succéda,  en  l'an  739,  à  son  beau-frère  Favila, 
mort  sans  laisser  de  postérité.  Surnommé  le  Catholique,  à 
cause  du  zèle  qu'il  mit  à  propager  et  à  défendre  la  foi  de 
Jésus-Christ,  il  continua  l'œuvre  de  son  beau-frère,  vain- 
quit les  Maures  en  plusieurs  occasions  et  leur  reprit  di- 
verses villes,  tant  en  Galice  qu'en  Portugal.  Il  mourut  en 
757,  en  odeur  de  sainteté,  après  un  règne  de  dix-huit  ans. 

ALPHONSE  II,  roi  des  Asturies,  surnommé  le  Chaste , 
r.ionta  sur  le  trône  en  791,  et  mourut  en  842,  sept  années 
après  avoir  abdiqué  en  faveur  de  son  fils,  Ramire. 

ALPHONSE  III ,  surnommé  le  Grand,  roi  des  Asturies 
et  de  Léon,  monta  sur  le  trône  en  8G6,  après  la  mort  de  son 
père  Ordogno.  Son  règne ,  commencé  à  l'âge  de  quatorze 
ans,  et  qui  finit  en  910,  est  une  longue  suite  de  révoltes  com- 
primées, de  luttes  et  de  victoires  remportées  sur  les  Maures. 
Il  mérita  de  ses  contemporains  le  surnom  de  Grand  par 
l'habileté  de  son  gouvernement ,  par  la  sagesse  des  insti- 
tutions dont  il  dota  le  pays,  par  son  amour  pour  les  lettres, 
et  enfui  par  l'éclat  de  ses  victoires.  —  Malgré  tant  de  titres 
à  l'affection  de  ses  sujets ,  Alphonse  III  dut  abdiquer  en 
faveur  de  son  fils  Garcie,  que  la  révolte  lui  opposa.  Il  mourut 
deux  ans  après,  à  Zamora. 

ALPHONSE  IV ,  dit  le  Moine  ou  YÀveugle,  roi  de  Léon 
et  des  Asturies ,  petit-fils  du  précédent ,  ne  régna  que  trois 
ans  (924  à  927),  et  abdiqua  en  faveur  de  son  frère,  qui 
le  fit  jeter  dans  un  couveut ,  où  il  mourut  en  932. 

ALPHONSE  V ,  roi  de  Castille  et  de  Léon ,  monta  sur  le 
trône  en  999,  et  mourut  en  1027  au  siège  de  Yiseu ,  place 
forte  de  Portugal ,  devant  laquelle  était  campée  son  armée. 
Un  matin  qu'il  faisait  à  cheval  le  tour  des  remparts,  pour 
en  découvrir  l'endroit  faible ,  une  flèche ,  lancée  du  haut 
des  murailles ,  l'atteignit  au  cœur  et  le  tua.  Il  laissa  pour 
successeur  son  fils  Bermude,  âgé  de  douze  ans. 

ALPHONSE  VI ,  roi  de  Galice ,  des  Asturies ,  de  Léon  et 
de  Castille,  était  le  second  fils  de  Ferdinand  V',  dit  le  Grand, 
lequel  partagea  ses  États  entre  ses  enfants.  Alphonse  ne 
régna  d'abord  que  sur  les  Asturies  et  le  Léon  (1065)  ;  mais, 
à  la  mort  de  son  frère  Sanche  II  (1072) ,  à  qui  la  Castille 
était  échue  en  partage ,  et  que  le  bruit  public  l'accusa  d'a- 
voir fait  assassiner,  il  ajouta  ce  royaume  à  ses  États.  Il  eut 
plusieurs  femmes,  mais  aucune  ne  lui  donna  d'héritier  mâle; 
et  il  laissa  sa  couronne  à  sa  (illc  Urraca ,  qu'il  maria  en  se- 
condes noces  à  A  I  p  h  0  n  s  e  I",  roi  d'Aragon  et  de  Navarre. 
11  mourut  en  l'an  1109.  Il  avait  affecté  pendant  quelque. 

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ALPHONSE 


temps  (le  prendre  le  titre  d'empereur,  à  l'instar  des  empe- 
reurs d'Allemagne ,  et  comme  pour  protester  contre  leurs 
prétentions  à  la  suprématie  universelle. 

ALPHONSE  VII  devint  roi  de  Castille  et  de  Léon  à  la 
mort  de  son  beau-père  Alphonse  VI.  Il  ré-n.i  d'abord  sur 
i' Aragon  sous  le  titre  d'Alphonse  I".  Voyez  ci-après  Al- 
phonse I",  roi  d'Aragon. 

ALPHONSE  VIII,  surnommé  V Empereur,  roi  de  Castille 
et  de  Léon ,  est  le  premier  des  Alphonse  des  Asturies  ,  do 
Castille  et  de  Léon  qui  mérite  sérieusement  l'attention  de 
l'histoire.  Alphonse  VHI  monta  sur  le  trône  en  1126.  Les  pre- 
mières années  de  son  règne  furent  remplies  par  des  guerres 
avec  son  beau-père ,  Alphonse  I",  le  Batailleur,  roi  d'A  - 
ragon  ,  et  par  des  luttes  furieuses  avec  les  musulmans  ; 
mais  à  la  mort  du  roi  dWragon ,  en   113'»,  Alphonse  VII 
reprit  sur  l'Aragon  toutes  les  villes  que  le  roi  défunt  lui 
avait  enlevées ,  plus  Saragosse ,  sa  capitale ,  et  ne  consen- 
tit à  les  rendre  qu'à  titre  de  fief  au  roi  Ramire  le  Moine,  que 
les  Aragonais  venaient  d'élire.  L'Aragon  devint  donc,  pour 
ce  règne  seulement,  un  fief  de  la  Castille,  de  môme  que 
la  Navarre ,  et  le  naissant  comté  de  Portugal ,  qui  allait 
bientôt  devenir  aussi  un  royaume.  Tous  ces  princes ,  hors 
d'état  de  lutter  contre  le  puissant  roi  de  Castille,  lui  prê- 
tèrent hommage,  et  Alphonse,  enivré  de  ces  conquêtes, 
plu'i  Ijrillantcs  que  solides,  se  fit  proclamer  empereur  an:; 
cortès  ou  concile  de  Léon ,  en  1135  ,  la  première  assem'oice 
politique  depuis    les   conciles  des  Goths  dont  les  actes 
nous  soient  restés.   En  1140  Alphonse  s'unit  à  Raymond, 
comte  de  Barcelone ,  successeur  de  Ramire  sur  le  trône 
d'Aragon  ,  pour  enlever  la  Navarre  au  roi  Garcie  ,   et  la 
partager  avec  son  allié  ;  mais  Garcie ,  faisant  tête  à  l'orage, 
battit  l'Aragonais,  et  força  le  roi  de  Castille  à  lui  accorder 
la  paix  ,  et  plus  tard  ,  en  1144  ,  la  main  de  sa  fille.  Une 
lutte  plus  honorable  pour  Alphonse  fut  celle  qu'il  soutint 
contre  les  Maures,  en  recalant  la  frontière  chrétienne  de- 
puis le  Tage  jusqu'à  la  Sierra-Morena.  — Alphonse ,  après 
avoir  réuni  un  instant  sous  son  sceptre  toute  l'Espagne 
chrétienne,  mourut,  le  21  août  1157.  Ses  deux  fils  se  par- 
tagèrciil   ses  États  :   l'aîné,  Sanche  1!1,  liéiita  de  la  Cas- 
tille, et  le  second,  Ferdinand  II,  du  royauim;  de  Léon.  Il 
avait  marié  sa  fille  Constance  au  roi  de  France  Louis  VII. 
ALPHONSE  IX ,  roi  de  Castille  ,  petit-fils  du  précédent, 
et  surnommé  le  Petit  Roi  (el  Rei/M/lo),  monta  sur  le  trône 
à  quatre  ans,  par  la  mort  prématurée  de  son  père  Sanch.e  le 
Re<jre/lc,  en    1158.  Sa  minorité  fut  encore  plus  orageuse 
que  celle  de  son  aïeul,  et  les  longues  querelles  des  deux  puis- 
santes maisons  des  Castro  et  des  Lara,  qui  se  disputaient  sa 
tutelle ,  ensanglantèrent  la  Castille.  L'oncle  du  jeune  roi, 
Ferdinand  II  de  Léon,  tout  en  réclamant  sa  tutelle,  s'em- 
para, sons  ce  prétexte,  des  places  fortes  de  la  Castille  qui 
étaient  le  plus  à  sa  convenance,  tandis  que  le  roi  Sanche  V 
de  Navarre,  par  un  coup  de  main  heureux,  reprenait  à  la 
Castille  toutes  les  villes  que  le  puissant  Alphonse  VIII  avait 
enlevées  à  la  Navarre  sur  la  rive  droite  de  TÈbre.  Cepen- 
dant la  vieille  loyauté  castillane  se  réveilla  peu  à  peu  en  h- 
veur  de  ce  jeune  prince,  qui,  formé  à  l'école  de  l'adversité, 
annonçait  déjà  les  vertus  d'un  roi  ;  et  la  conquête  de  Tolède, 
qu'un  coup  de  main  lui  rendit,  entraîna  la  soumission  du 
reste  de  la  Castille.  En  1170,  à  l'ùge  de  seize  ans,   Al- 
phonse  IX  épousa  la  princesse  Aliénor  d'Angleterre,  qui  lui 
apporta  en  dot  d'inutiles  préteiitions  sur  le  comté  de  Gas- 
cogne. Affermi  sur  son  trône,  Alphonse,  émancipé,  essaya 
de  reconquérir  sur  la  Navarre  les  villes  (pi'on  lui  avait  enle- 
vées, et  cette  guerre,  heureuse  pour  lui,  se  termina  en  1 177, 
par  la  médiation  de  son  beau-père,   Henri  II  d'Angleterre. 
Dès  lors,  libre  d'obéir  à  ses  inslincts   chevaleresques  et  de 
tourner  ses  armes  contre  les  infidèles,  Alphonse  leur  en- 
leva, après  un  siège  de  neuf  mois,  la  forte  ville  de  Cuença. 
Secouru  par  le  roi  d'Aragon ,  il  lui  paya  cet  appui  en  l'af- 
franchissaut  de  la  su/erainelé  de  la  Castille,  et  en  pai  ta- 


geant  d'avance  avec  lui  leurs  futures  conquêtes  sur  les  mu- 
sulmans. Depuis  cette  époque,  le  règne  d'Alphonse  IX  ne 
fut  plus,  comme  celui  de  tous  les  rois  de  Castille ,  qu'une 
croisade  continuelle.  Le  cœur  enflé  de  ses  succès,  Alphonse 
envoya  à  l'émir  almohade  Yaconb  une  lettre  de  bravades. 
Yacoub,  acceptant  le  défi,  passa  le  détroit  à  la   tête  de 
iOO,000  hommes  et  envahit  l'Andalousie.  Abandonné  par 
tous  les  rois  chrétiens  de  la  Péninsule,  occupés  de  leurs  que- 
relles entre  eux  ou  avec  le  saint-père  ,  sans  autre  allié  que 
le  roi  d'Aragon,  Alphonse  accepta  la  bataille,  et  la  perdit 
dans  les  plaines  d'Alarcos.   Les  Arabes ,  toujours  portés  à 
l'exagération,  évaluent  la  perte  des  chrétiens  à  14G,000  tués 
et  30,000  prisonniers;  mais   Alphonse   n'avait  pas  en  ba- 
taille la  moitié  de  ce  nombre.  Le  roi  de  Castille,  échappé  à 
ce  désastre  avec  quelques  cavaliers,  se  réfugia  à  Tolède,  où  le 
rejoignirent  les  débris  de  son  armée;  assiégé   dans  cette 
ville  iiar  le  vainqueur,  .\lphonse  résista  avec  courage,  et 
Yacoub,  bientôt  lassé  de  ce  siège  sans  espoir,  s'en  retourna 
en  Andalousie,  n'ayant  tiré  aucun  fruit  de  sa  victoire,  tandis 
qu'Alphonse,  sans  se  laisser  abattre  par  l'échec  d'Alarcos, 
préparait  sa  revanche  et  celle  de  la  Castille.  Les  années 
suivantes  furent  remplies  par  des  guerres  continuelles  entre 
les  rois  d'Aragon  et  de  Castille  d'une  part   et  ceux  de  Na- 
varre et  de  Léon  de  l'autre.  Cependant  Yacoub  ,  excité  sous 
main  par  le  roi  de  Navarre,  son  allié,  vint  encore  une  fois 
apporter  le  fer  et  la  flamme  sous  les  murs  de  Tolède.  Mais 
Alphonse  sut  tenir  tête  à  la  fois  à  l'invasion  chrétienne  et  à 
l'invasion  musulmane,  jusqu'à  ce  qu'une  trêve   avec  Ya- 
coub lui  permit  de   tourner  toutes  ses  forces  contre  ses 
ennemis  du  dedans.  Cette  lutte  impie,  qui  durait  depuis 
(roi;  ans,  se  termina  enfin ,  en  1 198,  par  un  mariage  entre 
A!i)!ionse  IX  de  Léon  et  sa  cousine  Bérengère,  fille  d',\l- 
|)honse  IX  de  Castille;  cette  un'on  ne  reçut  pas  l'agrément 
du  pape  Innocent  III,  cl  le  roi  de  Léon,  après  avoir  résisté 
longtemps,  dut  consentir  à  renvoyer  la  princesse  à  son  père. 
D'autres  guerres  eurent  encore  lieu  entre  la  Castille  et  la 
Navarre;  mais  ces  luttes  sans  portée  et  sans  intérêt  ne 
détournaient  pas  Alphonse  de  la  grande  pensée  qui  remplit 
tout  son  règne ,  celle  de  mettre  une  digue  au  flot  de  l'inva- 
sion afncaine,  qui,  pour  la  seconde  fois,  allait  déborder  sur 
la  Pénini^ule.  Alohammed ,  fils  de  Yacoub ,  l'émir  almohade, 
jaloux  de  la  gloire  de  son  père,  débarqua  en  Andalousie,  en 
mai  1211,  avec  400,000  hommes.  A  l'approche  de  ces  en- 
nemis, Alphonse  IX ,  qui  avait  à  cœur  de  réparer  l'échec 
d'Alarcos,  el  secondé  par  Innocent  III,  qui  fit  prêcher  une 
croisade  contre  les  infidèles,  battit  le  fds  d'Yacoub  près  des 
défilés  de  la  Sierra-?iîorena,  dans  un  endroit  appelé  las  Na- 
vas  de  Tolosa  (les  plateaux  de  Tolosa  ),  le  IG  juillet  1212. 
La  bataille  dura  tout  le  jour,  et  la  victoire  penchant  du  côté 
des  nuisulmans ,  le  généreux  Alphonse  se  préparait  à  cher- 
cher la  mort  au  plus  épais  de  la  mêlée,  lorsque  l'archevêque 
Rodrigue  de  Tolède ,  historien  de  cette  bataille ,  le   retint 
par  la  bride  de  son  cheval,  en  le  rappelant  à  ses  devoirs  de 
roi.  Bientôt  la  chance  tourna,  et  une  charge  faite  à  propos 
par  la  cavalerie  chrétienne  décida  la  bataille.  Le  cercle  de 
chaînes  de  fer  où  s'élait  retranché  l'émir  avec  sa  garde  fut 
à  la  fin  forcé ,  et  l'émir,  s'enfuyant  à  toute  bride,  ne  s'ar- 
rêta qu'à  Baeza  :  100,000  musulmans  au  moins  restèrent  sur 
le  champ  de  bataille.  Les  chrétiens  ne  firent  pas  de  prison- 
niers, ou  les  massacrèrent  tous.  Les  dépouilles  furent  im- 
menses, ainsi  que  les  provisions  trouvées  dans  le  camp  en- 
nemi ;  l'on  en  tira  en  flèches  seulement  la  charge  de  deux  mille 
mulets,  et  pendant  huit  jours  on  ne  fit  de  feu  qu'avec  le 
boi->  des  lances  et  des  flèches  brisées.  Depuis  ce  jour,  de 
l'aveu  même  des  musulmans,  leur  empire  n'alla  plus  qu'en 
déclinant  au  delà  du  délroit,  et  le  flot  qui,  parti  d'Afrique, 
montait  depuis  cinq  siècles  pour  monder  la  Péninsule  s'ar- 
rêta tout  d'un  coup  pour  rebrousser  chemin.   La  Castille, 
placée  à  l'avant-garde  de  la  chrétienté  espagnole,  recueillit 
enfin  les  avantages  d'une  position  dont  elle  n'avait  eu  que 


ALPHOINSE 


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les  dangers,  et  se  trouva  à  la  ttMe  des  monarchie^;  jK-ninsu- 
laires.  I/annoe  suivante  Alphonse  se  remit  en  catni)aj;ne, 
malgré  une  affreuse  faniiuo  qui  désolait  la  Caslille,  et  qui 
força  les  chrétiens  à  la  retraite.  Ce  prince  héroïque  mourut 
de  la  fièvre,  en  1214,  à  l'dge  de  cinquante-huit  ans. 

ALPHONSE  X,  le  Savant  (cl  Sabio)  Ferdinand  III.  di( 
le  Saint,  dans  son  long  et  glorieux  règne,  avait,  par  la  con- 
quête de  Cordoue  et  de  Séville ,  à  peu  près  affranchi  l'Es- 
pagne du  joug  des  infidèles.  Mort  en  1252,  il  laissa  à  Al- 
phonse X,  son  fils,  déjà  Agé  de  trente-un  ans,  une  tâche  dif- 
ficile :  c'était  celle  de  rétaLlir  l'ordre  dans  un  État  dont  tous 
les  ressorts,  tendus  par  cette  terrible  guene ,  allaient  se  re- 
lâcher tout  d'un  coup  ;  de  façonner  à  l'obéissance  une  no- 
blesse rebelle,  qui  ne  savait  obéir  que  sur  un  champ  de  ba- 
taille ;  d'organiser,  en  un  mot ,  après  que  l'erdinand  avait 
conquis.  —  Au  nombre  des  projets  insensés  que  conçut  ce 
roi,  curieux  mélange  d'aniour-propre,  d'hésitation  et  de  foi- 
blesse,  fut  celui  qu'il  forma  dans  l'espoir  de  se  faire  élire 
empereur  d'Allemagne,  en  vertu  des  droits  de  sa  mère  Béa- 
trix,  fille  de  Piiilippe  de  Souabe.  Mais  ses  prétentions  furent 
vivement  contrariées  par  Richard  de  Cornouailles,  frère  du 
roi  d'Angleterre.  On  dit  qu'Alphonse  X  poussa  si  loin  le 
désir  qu'il  avait  d'être  empereur  d'Allemagne ,  qu'après  l'é- 
lection de  Rodolphe  de  Habsbourg,  il  n'en  continua  pa5 
moins  à  protester,  à  porter  toute  sa  vie  le  titre  qu'il  avait 
ambitionné  et  à  revêtir  tous  ses  actes  du  sceau  de  l'empire. 
Pendant  une  partie  de  son  règne ,  ce  prince  malheureux 
s'attira  le  mécontentement  des  nobles  castillans,  dont  le 
ressentiment  contre  leur  roi  fut  tel,  qu'ils  formèrent  une  ligue 
redoutable  avec  le  Portugal,  la  Navarre,  les  émirs  de  Gre- 
nade et  de  Maroc,  dans  le  but  de  lui  arracher  la  couronne. 
Alphonse  ne  sut  opposer  à  tant  d'audace  que  faiblesse  et 
lâcheté  :  il  abdiqua  honteusement  entre  les  mains  de  ses 
ennemis  les  droits  de  sa  couronne.  Cependant,  Sanclie,  le 
second  fils  d'Alphonse,  voyant  son  père  perdre  son  empire 
et  le  territoire  de  la  Castille,  sans  cesse  envahi  par  les  mu- 
sulmans, releva  un  moment  le  courage  des  Castillans ,  fit 
armer  une  flotte,  et ,  en  présence  d'un  prochain  débarque- 
ment d'Youssouf  en  Andalousie,  organisa  sur  tous  les  points 
une  résistance  énergi(iuo.  En  effet,  aucune  ville  importante 
n'ouvrit  ses  portes  à  l'émir,  qui ,  bientôt  découragé ,  se 
relira  à  Algésiras  après  cette  campagne  sans  résultat  et  ter- 
minée par  une  trêve  de  deux  ans.  —  L'infant  don  Sanclie 
avait  sauvé  la  Castille  ;  mais,  mettant  à  haut  prix  le  service 
qu'il  venait  de  rendre,  il  exigea  que  son  père  le  reconnût, 
dans  les  cortès  de  Ségovie,  pour  son  successeur  au  trône,  au 
préjudice  des  fils  de  son  frère  défunt,  les  infants  de  la  Cerda. 
Alphonse,  toujours  extrême,  se  prononça  avec  chaleur  pour 
son  fils  contre  ses  petits-fils ,  et  fit  même  étrangler  sans 
forme  de  procès  son  frère,  don  Ferdinand  ,  qui  avait  pris 
hautement  le  parti  des  infants  (  1277}.  Alplionse,  impatient 
de  venger  son  injure  sur  les  infidèles,  vint  ensuite  assiéger 
Algésiras  à  la  tête  d'une  armée  et  d'une  flotte,  la  plus  forte 
qu'un  roi  de  CastiUe  eût  encore  équipée.  Mais  ce  siège,,  con- 
duit par  Alphonse  avec  son  imprévoyance  ordinaire,  finit 
par  une  honteuse  retraite.  —  Pendant  ce  temps  le  roi  de 
France,  Philippe,  parent  des  infants  dépossédés,  prit  haute- 
ment leur  cause  en  main,  et  la  querelle  s'envenimant  entre 
les  deux  rois ,  se  termina  par  une  guerre  dont  la  Navarre  fut 
le  théâtre  ;  ce  qui  n'empêcha  pas  Alphonse,  habitué  à  avoir 
plus  d'un  ennemi  sur  les  bras,  d'en  faire  en  même  temps 
une  autre  à  l'émir  de  Grenade.  —  L'infant  don  Sanclie,  ex- 
ploitant avec  une  odieuse  habileté  les  embarras  de  son  père 
et  son  impopularité ,  saisit  ce  moment  pour  se  révolter 
contre  lui  et  s'allier  à  l'émir  de  Grenade,  et  la  plupart  des 
villes  de  la  Castille  embrassèrent  son  parti ,  ainsi  que  le  roi 
d'Aragon  et  de  Portugal.  Les  cortès  de  Valladolid  ratifiè- 
rent l'usurpation  de  l'infant,  qui,  par  un  reste  de  scrupule, 
refusa  le  titre  de  roi  qu'elles  lui  oflraient,  et  se  contenta  de 
celui  dHn/ant  héritier.  —  Alphonse,  abandonné  par  tout  le 


monde,  n'eut  plus  qu'une  ressource;  ce  fut  de  se  jeter 
dans  les  bras  de  son  plus  redoutable  ennemi,  l'émir  Yous- 
souf.  L'émir,  réuni  à  Alphonse,  vint  assiéger  dans  Cordoue 
le  fils  rebelle;  mais  celui-ci  résista  avec  tant  de  courage, 
que  les  deux  alliés  furent  obligés  de  lever  le  siège ,  et  que 
Youssouf  repassa  en  Afrique  après  une  campagne  infruc- 
tueuse (  1282  ).  Cependant  une  réaction  s'opérait  en  Cas- 
tille en  faveur  du  malheureux  monarque,  si  durement  puni 
de  ses  fautes.  Le  pape  usa  non  de  ses  foudies ,  mais  de  son 
influence  pour  soutenir  la  cause  du  père  opprùné  contre  son 
fils  rebelle,  et  Alphonse,  en  en  appelant  à  ce  culte  de  dévoue- 
ment à  leur  roi  qui  ne  s'éteint  jamais  tout  à  fait  dans  des 
cceurs  castillans,  lança  contre  son  fils  l'anathème  paternel  à 
défaut  de  celui  de  l'Église  :  révoquant  toutes  ses  dispositions, 
il  déclara  Sanche  maudit  et  déshérité  à  Jamais ,  lui  et  ses 
descendants ,  de  la  succession  au  trône.  —  L'année  sui- 
vante, Youssouf  repassa  le  détroit  à  la  tête  de  forces  impo- 
santes, pour  défendre  la  cause  du  vieux  roi,  que  le  pape 
Martin  IV  venait  d'embrasser  ouvertement  en  lançant  contre 
le  fils  rebelle  et  ses  partisans  les  foudres  de  l'Église.  L'in- 
fant étant  alors  tombé  gravement  malade,  Alphonse,  oublieux 
des  torts  de  son  fils,  sentit  se  réveiller  pour  lui  toute  son 
affection;  mais  épuisé  lui-même  par  les  chagrins  qui, 
plus  que  les  années,  avaient  hâté  le  terme  de  ses  jours,  il  se 
mit  au  lit  pour  ne  plus  se  relever,  et  pardonna  avant  sa 
mort  au  fils  ingrat  qui  lui  avait  fait  tant  de  mal  et  à  tous 
ceux  qui  l'avaient  offensé  (1284).  Alphonse  X,  mort  à 
soixante-trois  ans,  en  avait  régné  trente-deux. 

Alphonse  n'était  dénr.é  ni  de  talents  ni  de  vertus  :  malgré 
le  ciime  inutile  autant  qu'odieux  dont  il  se  souilla,  son  ca- 
ractère était  doux  et  bienveillant;  mais  ses  vertus,  pas  plus 
que  ses  talents,  n'étaient  ceux  d'un  roi;  et  ses  faiblesses, 
qui  rappellent  celles  de  Louis  le  Débonnaire,  furent  plus 
fatales  à  la  Castille  et  à  lui-même  que  ne  l'eussent  été  des 
vices  ou  des  crimes.  Du  reste,  nul  roi  ne  mérita  mieux  le 
surnom  de  savant  (  sabio  ),  qu'il  a  gardé.  Ses  connaissances 
en  astronomie  le  rendirent  suspect  d'hérésie  aux  yeux  du 
peuple  (  voyez  Tables  Alpuonsines).  On  lui  doit  aussi  une 
chronique  rédigée  sous  son  nom  et  par  son  ordre,  sinon  par 
lui,  romanesque  compilation  où  sont  réunies  pêle-mêle  tou- 
tes les  légendes  fabuleuses  sur  les  origines  de  l'histoire  d'Es- 
pagne. Il  fonda  en  Espagne  l'étude  du  droit,  en  instituant  à 
Salamanque  plusieurs  chaires  qu'il  dota  ;  il  aida  au  dévelop- 
pement de  la  langue  nationale  en  ordonnant  que  tous  les  ac- 
tes publics  cessassent  d'être  écrits  en  latin.  Poète  aussi  bien 
que  savant,  il  a  laissé  bon  nombre  de  poésies  en  dialecte 
galicien.  Mais  le  grand  monument  de  son  règne,  ce  sont  les 
Siete  Partidas,  code  national  de  l'Espagne,  écrit  sous  la 
doid)le  inspiration  du  droit  canonique  et  du  droit  romain. 
Cette  œuvre  législative,  qufne  manque  pas  d'une  certaine 
méthode,  ne  fut  adoptée  par  la  Castille  ni  du  vivant  d'Al- 
phonse ni  après  lui,  mais  seulement  sous  le  règne  d'Al- 
phonse XI,  qui  aux  cortès  d'Alcala  de  1348  la  reconnut 
comme  code  complémentaire  du  royaume,  destiné  à  com- 
bler les  lacunes  de  la  loi  gothique  des/Mero5  nationaux  et 
de  Vordenamiento  d'Alcala. 

ALPHONSE  XI,  fils  unique  de  Ferdinand  IV,  était  âgé  de 
quelques  mois  seulement  lorsqu'il  monta  sur  le  trône,  en 
1312.  Aussi  sa  minoiité  est-elle  une  des  plus  désastreuses 
dont  fassent  mention  les  annales  de  la  Castille,  si  fertiles  en 
minorités.  Pendant  sept  ans  les  infants  don  Juan  et  don 
Pedro,  l'oncle  et  le  grand-oncle  du  roi,  et  don  Juan  de  Lara, 
contestèrent  à  la  pieuse  reine  dona  Maria,  l'aïeule  du  jeune 
roi  et  sa  providence  visible,  le  droit  de  gouverner  en  son 
nom.  La  mort  des  deux  infants,  dans  une  guerre  contre  Gre- 
nade, en  1319,  ne  fit  qu'ouvrir  la  lice  à  de  nouveaux  con- 
cuirents;  d'autres  princes  du  sang,  non  moins  ambitieux, 
s'arrachèrent  réciproquement,  les  armes  à  la  main,  la  tutelle 
du  jeune  prince  et  le  pouvoir  qu'elle  conférait.  Un  légat  en- 
voyé par  le  saint-sié^e  pour  rétablir  la  paix  dans  la  mal- 

52. 


412 


ALPHONSE. 


heureuse  Castille  édioua  dans  ses  efforts;  la  vieille  reine 
mourut  à  la  peine,  et  ravénemcnl  niènie  du  jeune  roi, 
en  132Î,  ne  mit  pas  un  terme  à  la  sanglante  anarchie  qui 
désolait  depuis  douze  ans  le  royaume.  —  Une  ligue  se  forma 
entre  deux  des  princes  du  sang,  don  Juan  le  Tortii  et  Juan- 
Maniiel,  deux  mauvais  génies  attachés  aux  destinées  de  la 
Castille;  mais  Alphonse,  on  plutôt  ses  conseillers,  car  il 
était  trop  jeune  pour  ôlre  responsable  de  ses  actions,  cou- 
pèrent court  à  la  ligue  en  faisant  mettre  à  mort,  sans  forme 
de  procès,  don  Juan  le  Torlu,  qu'il  avait  attiré  dans  le 
piège  en  lui  promettant  la  main  de  sa  sœur.  Juan-Manuel, 
redoutant  le  même  sort,  entra  en  révolte  ouverte,  et  s'allia  à 
l'émir  de  Grenade,  étemel  ennemi  de  la  Castille.  Alors  com- 
mença cette  longue  guerre  avec  l'émirat,  qui  devait  remplir 
tout  le  règne  d'Alphonse,  et  qui  rejeta  dans  l'ombre  tous  les 
événements  intérieurs  de  son  règne.  Mentionnons  seulement 
ses  amours  illicites  avec  dona  Léonor  de  Guzman,  jeune 
femme  d'une  naissance  illustre  et  d'une  rare  beauté,  qu'il 
connut  à  Séville,  en  1330;  de  cette  union  naquit  une  nom- 
breuse famille,  et  notamment  un  fds,  Henri  de  Transtamarc, 
qui  monta  plus  lard  sur  le  trône  de  Castille,  en  foulant  aux 
pieds,  pour  y  arriver,  le  cadavre  de  son  frère  Pierre  le  Cruel. 
Alphonse  combattit  les  infidèles  avec  succès,  et  remporta 
sous  les  murs  de  Tarifa  près  de  Rio  Salado,  en  13'iO,  une 
victoire  décisive.  L'année  suivante,  la  destruction  de  la  flotte 
musulniiine  vint  compléter  le  triomphe  des  chrétiens.  En 
1342  Alphonse,  poursuivant  le  cours  de  ses  succès,  mit  le 
siège  devant  Algésiras,  que  Youssouf  vint  secourir,  sans 
pouvoir  empêcher  sa  chute.  Cette  ville  ne  fut  prise  qu'après 
un  des  sièges  les  plus  mémorables.  Une  trêve  fut  conclue 
avec  l'émir  ;  mais  sans  en  attendre  la  fin  Alphonse  investit  Gi- 
braltar, en  1350.  La  peste  se  mit  dans  son  camp;  le  roi  en 
fut  atteint,  et  mourut  à  l'âge  de  cinquante  ans. 

RossEELW  Saint-Hilaip.e. 

ALPIIOXSE ,  nom  commun  à  plusieurs  rois  d'Aragon. 

ALPHONSE  I"  ,  le  Batailleur,  frère  et  successeur  de 
Pedro  1" ,  roi  d'Aragon  ,  monta  en  1104  sur  les  deux  trônes 
d'Aragon  et  de  Navarre ,  alors  réunis.  Le  roi  de  Castille  et 
de  Léon  Alphonse  VI ,  avant  de  mourir,  voulant  laisser 
un  tuteur  à  sa  fille  Urraca  et  à  son  petit-fih  Alphonse  VIII, 
seuls  héritiers  de  ses  vastes  États  ,  prit  le  parti  de  donner, 
en  1109 ,  à  Alphonse  d'Aragon ,  la  main  de  sa  fille.  Mais  le 
caractère  impétueux  d'Urraca  et  les  vieilles  rivalités  de 
l'Aragon  et  de  la  Castille  troublèrent  cette  union ,  formée 
par  le  vieux  roi  dans  la  sage  pensée  de  réunir  sous  une 
seule  main  tous  les  États  de  l'Espagne  chrétienne.  Chacun 
des  deux  époux ,  sans  chercher  à  fondre  ensemble  ces  deux 
monarchies  ,  régna  séparément  dans  ses  États  héréditaires , 
et  bientôt  on  en  vint  à  une  rupture  ouverte.  ^lais  Alphonse , 
qui  avait  pour  lui  la  force  à  défaut  du  droit ,  s'empara  de 
la  plupart  des  places  de  la  Castille ,  et  ri'nferma  Urraca 
dans  un  chàteau-foil ,  pour  mettre  fin  au  scandaleux  éclat 
de  ses  désordres.  La  reine  s'échappa  de  sa  prison  ;  puis , 
après  une  réconciliation  passagère,  suivie  d'une  nouvelle  rup- 
ture ,  le  roi  la  répudia  publiquement  à  Soria ,  et  la  renvoya 
en  Castille.  La  guerre  continua  de  plus  belle ,  et  Alphonse , 
après  avoir  battu  le  général  et  l'amant  d'Urraca,  qui  resta 
mort  sur  la  place ,  s'empara  de  Burgos  ainsi  que  de  Léon  , 
et  mit  à  feu  et  à  sang  la  malheureuse  Castille  pour  la  punir 
des  torts  de  sa  reine.  L'archevêque  de  Compostelle  ,  prenant 
le  paili  d'Urraca ,  en  appela  au  pape  de  la  querelle ,  et  fit 
tant  qu'un  concile  assemblé  à  Palencia,  en  1114  ,  annula  le 
mariage,  et  porta  ainsi  un  coup  fatal  aux  droits  d'Alphonse 
sur  la  Castille. 

Alphonse  s'en  consola  bientôt  en  commençant  contre  les 
infidèles  cette  longue  croisade  qui  lui  valut  son  sinnom  et 
dura  autant  q\ie  sa  vie.  En  1114  il  passa  l'Ébre,  limite  de 
l'Aragon  au  sud,  et  vint  assiéger  Saragosse ,  sa  future  ca- 
pitale. Ses  attaques,  renouvelées  pendant  quatre  années 
contre  le  territoire  musulman ,  aboutirent  à  une  \ictoire 


décisive,  remportée  sur  l'émir  de  Saragosse ,  Abou-Dgiafar, 
qui  y  laissa  la  vie.  Le  fils  de  ce  prince  ,  Amad-Daulat,  hérita 
de  la  couronne  de  son  père ,  mais  sous  la  suzeraineté  du 
roi  d'Aragon ,  qui  voulut  bien  tolérer  pour  le  moment  cette 
royauté  vassale.  Les  émirs  africains  et  espagnols,  convaincus 
trop  tard  du  danger  de  laisser  périr  ce  boulevard  de  l'Islam 
dans  la  Péninsule ,  essayèrent  en  vain  de  secourir  Saragosse 
et  son  digne  émir  ;  Alphonse  battit  successivement  le  wali 
de  Grenade  et  le  général  almoravide  Temin  ,  frère  de  l'émir 
de  Maroc ,  puis  poussa  avec  tant  de  résolution  le  siège  de 
Saragosse,  qu'en  UIS  la  ville,  perdant  tout  espoir  d'être 
secourue ,  fut  obligée  de  se  rendre. 

L'année  suivante  Alphonse  battit  encore  les  Almora vides, 
leur  tua  vingt  mille  hommes,  et  s'empara  de  Taragone 
et  de  Calatayud  ,  ces  deux  principales  villes  de  l'Aragon  au 
sud  de  l'Ébre.  Chaque  année  vit  ses  armes  victorieuses  s'é- 
tendre un  peu  plus  loin ,  et  en  1 1 25  il  atteignit ,  dans  Val- 
garade  {elgara,  l'invasion)  la  plus  hardie  qu'eût  encore 
tentée  un  souverain  chrétien ,  le  httoral  de  l'Andalousie,  et 
vhit,  comme  il  en  avait  fait  le  vœu  ,  manger  du  poisson  de 
la  mer  d'Afrique.  Dix  mille  chrétiens  mozarabes,  jaloux  d'é- 
chapper au  joug  musulman  ,  l'accompagnèrent  dans  sa  re- 
traite, et  s'établirent  dans  des  terres  qu'il  leur  assigna. 

Urraca  ayant  terminé  en  1126  une  vie  de  débauches  et  de 
crimes,  son  fils  Alphonse  monta  enfin  sur  le  trône,  et  s'oc- 
cupa de  reconquérir  pièce  à  pièce  son  royaume  sur  le  roi 
d'Aragon ,  maître  de  presque  toutes  ses  places  fortes.  La 
guerre  éclata  encore  une  fois ,  et  le  sang  chrétien  allait  cou- 
ler ;  mais  les  prélats  et  les  nobles  des  deux  pays  intervinrent 
à  temps ,  et  le  généreux  Alphonse  d'Aragon ,  renonçant  à 
toutes  ses  conquêtes  en  Castille,  laissa  à  son  beau-fils  la 
paisible  possession  de  sa  couronne,  et  s'en  retourna  à  sa 
croisade  contre  les  infidèles.  Après  avoir  conquis  Mequi- 
nenza  sur  l'Ébre ,  il  vint  mettre  le  siège  devant  la  ville  forte 
de  Fraga ,  en  1134.  Les  habitants  implorèrent  le  secours 
des  Almoravides  ;  et  un  corps  de  dix  mille  Africains  étant 
venu  à  leur  secours,  Alphonse,  qui  l'attaqua  avec  des  forces 
inférieures,  fut  complètement  défait,  et  périt  dans  le  combat  ; 
on  doit  le  présumer  du  moins,  car  à  partir  de  cette  époque 
il  disparait  de  l'histoire,  et  l'on  ne  sait  pas  même  si  cette 
vie  entourée  de  tant  de  gloire  a  fini  dans  un  couvent  ou  sur 
un  champ  de  bataille. 

ALPHONSE  II,  fils  de  Raymond-Bérenger  IV,  comte  de 
Barcelone  et  régent  d'Aragon,  monta  fort  jeune  sur  le  trône, 
en  1163.  Peu  d'événements  importants  signalent  ce  règne, 
assez  terne.  Le  fief  de  la  Provence,  qui  relevait  de  l'Aragon, 
fit  retour  au  roi  Alphonse  après  la  mort  de  son  cousin, 
qui  le  possédait.  Alphonse  passa  les  monts  pour  aller  re- 
cueillir ce  riche  héritage,  qu'il  lui  fallut  acheter  par  de 
longues  guerres  ;  et  dès  lors  la  puissance  de  l'Aragon,  à  l'in- 
verse de  celle  de  la  Castille,  tendit  à  franchir  les  Pyrénées 
pour  déborder  sur  le  midi  de  la  France,  et  plus  tard  sur 
l'Italie.  Mais  bientôt  Alphonse,  avec  une.prudence  au-dessus 
de  son  âge,  reconnaissant  le  danger  de  ces  possessions  trop 
lointaines ,  céda  à  son  frère  don  Pedro  la  Provence,  à  titre 
de  fief,  en  échange  de  la  Cerdagne  et  du  Narbonnais,  beau- 
coup plus  à  sa  portée.  —  Dès  lors  sa  vie,  comme  celle  de 
tous  les  belliqueux  souverains  de  l'Espagne  chrétienne,  fut 
consacrée  à  une  croisade  sans  relâche  contre  les  Maures. 
Depuis  1 168  jusqu'à  sa  mort,  il  leur  enleva  plusieurs  places 
au  sud  de  l'Ébre,  dont  la  plus  importante  était  Téruei. 
Alphonse  ayant  entrepris  un  pèlerinage  à  Compostelle,  mou- 
rut en  chemin,  en  119G,  à  l'âge  de  quarante-cinq  ans,  après 
trente-quatre  ans  de  règne.  Ce  roi,  troubadour  et  chevalier 
à  la  fois,  qui  cultivait  les  lettres  avec  succès,  et  les  proté- 
geait à  sa  cour,  a  moins  marqué  dans  l'histoire  politi(|uede 
l'Espagne  que  dans  l'histoire  littéraire  de  la  Provence,  à  la- 
quelle il  appartient  au  moins  autant  qu'à  la  Péninsule  es- 
pagnole. 
ALPHONSE  m,   lils  de  Pedro  III,  le  conquérant  de  U 


Sicile,  monta,  en  12S5,  sur  lo  trône  d'Aragon,  de  Catalogne 
et  de  Valence,  tandis  que  son  frère  cadet,  don  Jayme,  héri- 
tait, d'après  le  testament  de  son  père,  de  la  couronne  de 
Sicile.  Le  premier  acte  de  son  règne  fut  d'achever  l'expé- 
dition connncncée,  par  ordre  de  son  père,  contre  son  oncle, 
don  Jayme,  roi  de  Majorque,  et  de  lui  enlever  sa  couronne  ; 
mesure  odieuse,  mais  nécessaire  au  salut  et  à  l'unité  de 
l'Aragon.  De  retour  à  Saragosse,  Alphonse  eut  à  soutenir 
une  lutte  acharnée  avec  la  noblesse  aragonaise  :  celle-ci 
l'emporta  sur  le  roi ,  et  le  dépouilla  de  ses  plus  belles  pré- 
rogatives. Alphonse  111  fut  à  la  veille  de  se  voir  en  guerre 
avec  la  France  ;  mais  Kdouard  V,  roi  d'Angleterre,  s'en- 
tremit entre  la  France  et  l'Aragon  pour  concilier  leurs  dif- 
férends et  détourner  l'orage  prêt  à  éclater.  L'un  des  prin- 
cipaux sujets  de  la  querelle  était  la  liberté  du  fds  de  Charles 
d'Anjou,  le  prince  de  Saleme,  prisonnier  d'Alphonse  et  con- 
current de  don  Jayme  d'Aragon  au  trône  de  Sicile.  Dans 
une  entrevue  entre  Alphonse  et  Edouard,  à  Conflans,  en 
1288,  l'affaire  se  termina  par  un  compromis;  le  prince  de 
SaJerne  acheta  sa  liberté  par  une  renonciation  expresse  au 
trône  de  Sicile,  en  promettant  de  retourner  de  lui-même 
en  prison  si  le  pdpe  >'icolas  IV  et  le  roi  de  France  ne 
ratillaient  pas  le  traité.  Tous  deux,  en  effet,  protestèrent, 
et  le  pape,  excommuniant  Alphonse,  invita  le  roi  de  France, 
Philippe  le  Bel,  à  s'emparer  de  ses  États,  qu'avait  déjà  en- 
vahis l'ex-roi  de  Majorque,  soutenu  par  la  France.  Cepen- 
dant le  pape,  à  la  fin,  s'apercevant  que  ses  censures  ne  pro- 
duisaient aucun  effet  sur  Alphonse,  consentit,  d'après  les 
instances  d'Edouard,  à  un  congrès,  qui  se  tint  à  Tarascon, 
en  1291.  On  y  décida,  après  de  longs  débats,  que  l'interdit 
serait  révoqué;  que  Charles  de  Valois,  fils  du  roi  de  France, 
renoncerait  au  titre  de  roi  d'Aragon,  et  qu'Alphonse  serait 
reconnu  pour  roi  de  Majorque;  mais  qu'en  revanche  il  re- 
noncerait à  soutenir  son  frère,  don  Jayme,  sur  le  trône 
de  Sicile,  et  aiderait  même,  au  besoin,  le  prince  de  Salerne 
à  le  lui  enlever.  Alphonse  survécut  peu  à  cet  humiliant 
traité  :  il  mourut  à  Barcelone,  en  1291,  au  moment  où  il 
s'apprêtait  à  épouser  la  fdle  d'Edouard  d'Angleterre ,  son 
allié.  Alphonse  étant  mort  sans  enfants,  sa  couronne  passa 
à  son  frère  Jayme  II,  le  même  dont  il  venait  de  trahir  si 
lâchement  les  droits. 

ALPHOSE  IV,  second  fils  de  ce  roi  Jayme,  succéda  à 
son  père,  en  1327.  Son  règne,  court  et  insignifiant,  fut 
rempli  presque  tout  entier  par  ses  guerres  avec  Gênes  pour 
la  possession  de  la  Sardaigne  et  de  la  Corse,  funeste  présent 
que  le  pape  avait  fait  aux  rois  d'Aragon.  Gênes,  ayant  semé 
parmi  les  habitants  de  Pile  de  Sardaigne  la  désaflection  et 
'a  révolte  contre  le  joug  de  l'Aragon,  finit  par  envoyer  une 
Hotte  devant  Cagliari.  .Malgré  d'inutiles  victoires,  les  Arago- 
naîs,  décimés  par  le  climat  de  la  Sardaigne,  firent  des  pertes 
immenses,  et  les  Génois  dévastèrent  les  côt«s  de  Va- 
lence et  de  la  Catalogne.  Le  pape  essaya  vainement  de 
mettre  un  terme  par  son  intervention  à  cette  guerre  sans 
trêve  et  sans  merci.  Les  Génois  voulaient  être  indemnisés 
des  frais  de  la  guerre,  l'Aragon  s'y  refusait  ;  il  lut  donc  im- 
possible de  s'entendre,  et  la  guerre  recommença  avec  plus 
de  furie  que  jamais.  —  Alphonse,  pendant  ce  temps,  encou- 
ragea de  son  mieux  les  longues  discordes  qui  déchiraient  la 
Castille  sous  la  minorité  d'Alphonse  XI.  Quant  aux  affaires 
intérieures  de  son  royaume,  la  paix  qui  subsista  en  Aragon 
sous  ce  régne  si  agité  au  dehors  fut  troublée  parles  querelles 
de  son  fils  et  de  son  héritier,  don  Pedro,  avec  la  reine  Léo- 
nor  de  Castille ,  femme  d'AJphonse  IV.  Ce  prince  mourut 
à  Barcelone,  en  1336. 

ALPHONSE  V,  fils  aîné  du  roi  Ferdinand  d'Aragon,  né 
infant  de  Castille,  inaugura  son  règne  (  I4l6)  par  la  clé- 
mence, en  pardonnant  à  des  rebelles  qui  avaient  conspiré 
pour  l'écarter  du  trône,  et  en  déchirant  sans  la  lire  la  liste 
de  leurs  noms.  Puis ,  avec  une  feimeté  non  moins  rare,  il 
refusa  de  céder  aux  plaintes  et  aux  menaces  des  nobles  ara- 


ALPHONSE  413 

gonais  qui  lui  reprochaient  de  confier  à  des  Castillans  les 
emplois  de  sa  maison,  prétendant  à  ce  propos  qu'un  roi  de- 
vait avoir  le  même  droit  qu'un  particuUer  de  choisir  ses 
domestiques.  Mais  les  qualités  même  les  plus  dignes  d'élo- 
ges, portées  à  l'excès,  peuvent  devenir  des  défauts  ou  des 
crimes.  La  fermeté  d'Alphonse  dégénéra  plus  tard  en  atroces 
rigueurs,  et  la  disparition  mystérieuse,  en  1420,  de  l'arche- 
vêque de  Saragosse,  ennemi  secret  du  roi,  remplit  de  terreur 
l'Aragon  tout  entier,  et  fut  attribuée,  non  sans  vraisemblance, 
à  la  haine  du  monarque.  —  Le  caractère  d'Alphonse,  habi- 
tué à  ne  reconnaître  de  lois  que  sa  propre  volonté,  s'ac- 
commodait mal  de  la  légalité  tracassière  du  peuple  arago- 
nais  et  de  l'esprit  d'indépendance  de  sa  noblesse.  Aussi, 
abandonnant  bientôt  un  théâtre  trop  étroit  pour  lui,  passa- 
t-il  hors  de  l'Aragon  le  reste  de  sa  vie,  occupé  de  satisfaire 
en  Italie,  par  la  conquête  du  royaume  de  Naples,  l'ambition 
héréditaire  de  sa  race.  Alphonse  se  trouvait  en  14 1 7  en  Sar- 
daigne, occupé  de  réduire  cette  île,  toujours  conquise  et 
toujours  rebelle,  lorsque  la  reine  Jeanne  II  de  Naples  lui  fit 
offrir  de  l'adopter  pour  son  héritier.  Le  roi,  contre  l'avis  de 
ses  conseillers,  accepta  l'offre  et  envoya  une  flotte  pour  dé- 
livrer >'aples ,  qu'assiégeait,  avec  une  flotte  et  une  armée 
française,  le  duc  d'Anjou,  qui  prétendait  aussi  au  titre  de 
fils  adoptif  de  la  reine.  Nous  ne  raconterons  pas  en  détail 
cette  guerre  longue  et  décousue,  où  la  reine,  femme  capri- 
cieuse et  dissolue,  changeant  sans  cesse  d'affections  et  de 
parti,  finit  par  se  tourner  contre  son  fils  adoptif  et  devint 
la  plus  mortelle  ennemie  du  roi  d'Aragon.  Mais  à  la  fin  Al- 
phonse, prenant  ^'aples  d'assaut,  en  chassa  la  reine,  qui, 
s'enfuyant  à  Nola ,  appela  à  son  aide  les  Français ,  le  pape, 
les  Génois  et  le  duc  de  Milan. 

Alphonse ,  après  être  revenu  dans  ses  États  mettre  en 
ordre  les  affaires  intérieures  de  l'Aragon  (  1423) ,  après  avoir 
assis  sur  le  trône  de  Navarre  son  frère  Juan ,  songeait  à  re- 
tourner en  Italie  poursuivre  la  grande  entreprise  à  laquelle 
il  avait  voué  sa  vie.  Mais  pendant  son  absence  la  chance 
avait  tourné,  et  toutes  ses  conquêtes  lui  avaient  été  enlevées 
l'une  après  l'autre  par  les  alliés  de  la  reine.  Le  pape  l'avait 
combattu  avec  ses  armes,  c'est-à-dire  en  l'excommuniant; 
mais  Alphonse ,  sans  s'en  inquiéter  autrement ,  défendit  à 
ses  sujets  d'avoir  aucune  relation  avec  le  saint-siége.  Le 
refus  des  états  d'Aragon  de  fournir  plus  longtemps  aux  frais 
d'ime  guerre  doul  les  fruits  n'étaient  pas  pour  eux,  empê- 
cha jusqu'en  1432  Alphonse  de  recommencer  sa  croisade 
italienne.  Enfin  la  mort  du  pape  et  les  offres  /ie  la  capri- 
cieuse reine,  bientôt  lasse  du  duc  d'Anjou  comme  elle 
l'avait  été  d'Alphonse ,  le  rappelèrent  en  Italie ,  et  il  alla  dans 
son  royaume  de  Sicile  attendre  les  événements.  La  mort  du 
ducd'Anjou,  en  1443,  promptement  suivie  de  celle  de  la  vieille 
reine,  vint  lui  donner  le  signal  qu'il  attendait;  et  bien  que 
la  reine  en  mourant  eût  adopté  René  ,  le  frère  du  duc  dé- 
funt, pour  susciter  un  concurrent  au  roi  d'Aragon  ,  celui-ci 
mit  à  la  voile  avec  sa  flotte ,  et  donna  le  signal  d'une  longue 
guerre  qui  se  termina  enfin  par  une  transaction  avec  le  pape 
Eugène  111 ,  de  qui  Alphonse  consentit  à  recevoir  l'inves- 
titure de  la  couronne  de  Naples ,  à  titre  de  fief  du  saint- 
siége.  Le  pape  reconnut  en  outre  Ferdinand,  bâtard  d'Al- 
phonse, comme  son  successeursur  le  trône  de  N'aples(l443). 
En  retour,  Alphonse,  pendant  les  années  suivantes,  servit 
loyalement  la  cause  de  son  nouveau  suzerain ,  et  l'aida  à 
reconquérir  sur  ses  ennemis  une  partie  du  territoire  de 
l'Église.  Pendant  cette  longue  absence  Alphonse  avait  confié^ 
le  gouvernement  de  ses  États  d'Espagne  à  son  frère  Juan  et* 
h  la  reine  d'Aragon,  abandonnée  par  lui  pour  une  maîtresse 
italienne.  C'est  à  Naples,  sous  ce  beau  ciel,  qu'il  préférait  à 
celui  de  l'Aragon ,  et  au  milieu  des  douces  distractions  de 
l'étude  et  des  arts ,  que  s'écoula  le  reste  de  sa  ^^e.  Entouré 
de  tous  les  beaux  esprits  que  faisait  éclore  en  Italie  l'aurore 
de  la  Renaissance,  passionné  comme  eux  pour  les  études 
classiques,  qu'il  essaya  d'importer  en  Aragon ,  Alphonse 


414 

mourut  à  Naplcs  en  1458,  li^giiant  par  son  teslament  ses 
possessions  d'Espagne  avec  la  Sicile  et  la  Sardaigne  à  son 
frère  Juan  de  Navarre ,  et  Naples  à  son  (ils  naturel  Feniiuand  ; 
car  il  uc  laissait  pas  après  lui  de  fds  légitime. 

RoSSF.EtW-SMNT-HlLAIRE. 

ALPHONSE ,  rois  de  Naples.  —  Deux  princes  ont 
porté  ce  nom  sur  le  trône  de  Naples.  Le  premier  est  le 
même  qu'Alphonse  V  d'Aragon  (loye:,  ci-dessus).—  Le  se- 
cond, son  petit-fils,  monta  en  1494  sur  le  trône,  mais  ne 
sut  pas  le  défendre  contre  les  prétentions  armées  du  roi  de 
France  Charles  VIK.  iMal  secondé  par  ses  sujets,  et 
abandonné  par  ses  alliés ,  il  abdiqua  en  faveur  de  son  fils , 
Ferdinand  !"■,  sans  même  attendre  l'arrivée  de  l'armée 
française ,  puis  se  retira  en  Sicile ,  où  il  mourut  à  la  fin  de 
l'année ,  dans  le  monastère  de  Marzara ,  laissant  la  mé- 
moire d'un  prince  pusillanime ,  plus  fait  pour  porter  le  froc 
qu'une  couronne. 

ALPHONSE.  Six  rois  de  Portugal  ont  porté  ce  nom  : 

ALPHONSE  I",  fils  de  Henri  de  Bourgogne,  de  la  mai- 
son royale  de  France ,  fut  le  premier  roi  de  Portugal.  Il 
était  né  en  11  10,  et  monta  sur  le  trône  en  1139,  à  la  suite 
de  la  bataille  de  Castro-Verde ,  remportée  sur  les  Maures. 
Jusque  alors  simple  comte  de  Portugal,  ses  soldats,  dans 
l'enivrement  du  triomphe,  le  saluèrent  du  titre  de  roi.  Heu- 
reux d'abord  dans  ses  guerres  d'agrandissement  entreprises 
dans  le  Léon  et  PEslramadure,  il  fut  fait  prisonnier  à  la 
suite  d'un  siège  inutilement  mis  par  lui  devant  Badajoz,  et 
(lut  alors  restituer  au  roi  de  Léon  toutes  ses  conquêtes  pour 
obtenir  sa  liberté.  Il  mourut  en  1185,  à  Coîmbre. 

ALPHONSE  II,  dit  le  Gros,  successeur,  en  1211,  de  son 
père,  SancheP",  mourut  en  1223,  à  l'âge  de  trente-neuf  ans.  Il 
lit  rédiger  un  code  de  lois,  dans  le  nombre  desquelles^ s'en  trou- 
vait une  qui  défendait  que  les  condamnations  à  mort  fussent 
exécutées  avant  qu'il  se  fût  écoulé  vingt  jours  depuis  l'arrêt. 

ALPHONSE  III ,  second  fils  dn  précédent,  succéda,  en  124  8, 
à  son  frère  aîné  Sanche  II.  Il  mourut  en  1279,  après  avoir 
conquis  sur  les  Maures  le  royaume  des  AlgaiTes. 

ALPHONSE  rv^ ,  petit-fils  du  précédent ,  monta  sur  le 
trône  en  1325,  à  la  mort  de  son  père,  Denis  le  Libéral,  contre 
qui  il  s'était  plusieurs  fois  révolté.  Son  fils,  Pierre ,  ayant 
épousé  en  secret  la  belle  Inès  rfe  C  a  s  ^r  o ,  il  la  fit  poignar- 
der. Fils  dénaturé,  père  barbare,  il  fut  en  outre  mauvais  frère  ; 
car  il  persécuta  l'infant  Alphonse-Sanche ,  son  frère,  tant 
qu'il  vécut.  11  soutint  une  guerre  aussi  longue  qu'acharnée 
contre  son  gendre,  le  roi  de  Castille,  et  ne  se  réconcilia  avec 
lui  que  pour  marcher  de  concert  contre  les  Maures.  Il  as- 
sista à  la  fameuse  bataille  de  Tarifa,  livrée  en  1340,  et 
gagnée  par  Alphonse  XI  de  Castille,  et  mourut  en  1366, 
à  l'âge  de  soixante-dix-sept  ans. 

ALPHONSE  V,  surnommé  l'Africain,  parce  qu'il  prit  aux 
Maures  Tanger  et  quelques  autres  places  de  la  côte  septen- 
trionale de  l'Afrique,  né  en  1432,  monta  sur  le  trône  à  l'âge 
de  six  ans ,  et  fut  placé  par  les  états  du  royaume  sous  la 
tutelle  de  son  oncle  Pierre,  duc  de  Coîmbre.  Parvenu  à  sa 
majodté,  Alphonse  contraignit  son  oncle  à  prendre  les 
armes  pour  sa  défense  personnelle,  et  dans  une  rencontre  le 
tua  de  sa  propre  main.  Il  eut  de  nombreux  et  sanglants  dé- 
mêlés avec  Isabelle  de  Castille,  et  porta  la  guerre  en  Afrique. 
Fatigué  des  grandeurs,  il  abdiqua  en  faveur  de  son  fils,  et 
se  retira  dans  un  monastère,  où  il  mourut  de  la  peste, 
en  1481.  C'est  sous  le  règne  de  ce  prince  que  les  Portugais 
découvrirent  la  côte  de  Guinée,  et  y  fondèrent  leurs  premiers 
établissements. 

ALPHONSE  VI,  de  la  maison  de  Bragance,  successeur 
de  Jean  IV,  monta  sur  le  trône  en  1656.  Ses  débauches  et  le 
dérangement  de  ses  facultés  intellectuelles  le  firent  déposer 
en  1667.  Son  frère,  Pierre,  fut  nouuné  régent  à  sa  place. 
Relégué  danslllede  Terceire,  piris  à  Cintra,  où  il  resta  enfermé 
dans  un  monastère  le  reste  de  sa  vie,  il  y  mourut,  en  1683 , 
oublié  et  méprisé.  Pierre  éponsa  sa  vcu>e,  cl  lui  succéda. 


ALPHONSE  —  ALQTJIER 


ALPHONSINES (Tables).  Alphonse X,  roi  de  Cas- 
tille et  de  Léon,  se  livra  avec  ardeur  à  l'étude  de  l'astronomie. 
Les  hypothèses  embarrassées  qu'il  fallait  admettre  pour 
concilier  tous  les  phénomènes  célestes ,  lui  faisaient  dire  : 
«  Si  Dieu  m'avait  consulté  lorsqu'il  créa  l'univers ,  les 
choses  eussent  été  dans  un  ordre  meilleur  et  plus  simple.  » 
Copernic  n'avait  pas  encore  paru,  mais  on  était  déjà  vive- 
ment frappé  de  voir  la  théorie  admise  s'écarter  de  plus  en 
plus  des  observations  nouvelles.  Alphonse  X  résolut  de  cor- 
riger les  tables  de  Ptolémée,  et  dans  ce  but  dès  1248  il  réu- 
nit à  Tolède  un  grand  nombre  d'astronomes  chrétiens ,  juifs 
et  arabes ,  parmi  lesquels  on  remarquait  Ishak  Aben-Said, 
Alkabith,  Aben-Ragel,  Aben-Mousa,  Mohammed,  etc.  Après 
quatre  ans  de  travail,  les  tables  nouvelles  parurent,  et  furent 
nommées  à  juste  titre  Tables  Alphonsines.  Elles  ne  coû- 
tèrent pas  moins  de  40,000  ducats,  somme  énorme  pour 
l'époque.  Les  connaissances  astronomiques  d'alors  étaient 
insuflisantes  pour  faire  une  œuvre  exempte  d'erreurs;  les 
Tables  Alphonsines  apportèrent  cependant  de  nombreuses 
améliorations  ;  ainsi  elles  donnèrent  plus  exactement  que 
celles  qui  les  avaient  précédées  le  lieu  de  l'apogée  du  soleil, 
et  elles  déterminèrent  à  28^econdes  près  la  durée  de  Tan- 
née. Leur  première  édition  parut  en  1492;  elles  ont  été 
réimprimées  depuis. 

ALPHOS  (du  grec  â).?o?,  blanc).  On  désignait  autrefois 
sons  ce  nom  une  variété  de  la  lèpre,  caractérisée  par  des 
taches  blanches  de  la  peau.  C'est  la  lèpre  squameuse  d'Ali- 
bert.  La  maladie  appelée  au  moyen  âge  morphée  blanche 
semble  se  rapporter  à  cette  affection. 

ALPIIXI  (  Prosper  ),  médecin  et  botaniste,  naquit  à  Ma- 
rostica,  dans  l'État  de  Venise,  en  1553. 11  vécut  longtemps  en 
Egypte,  d'où  il  rapporta  des  observations  précieuses  pour  la 
science ,  et  à  son  retour,  à  l'âge  de  trente  et  un  ans ,  il  fut 
élevé  au  poste  de  médecin  "de  la  (lotte  d'André  Doria;  puis 
il  passa  à  l'université  de  Padoue,  en  qualité  de  professeur 
de  botanique.  Il  a  laissé  plusieurs  traités  estimés  sur  la  Mé- 
decine, les  Plantes,  et  YJIisioire  naturelle  de  l'Egypte, 
sur  les  Plantes  exotiques,  sur  la  Médecine  méthodique, 
et  sur  les  Pronostics  (  Deprxsagienda  vita  et  morte  œgro- 
tantiuni  ).  II  est  le  premier  qui  ait  décrit  la  plante  du  café. 
Alpini  mourut  à  Padoue,  en  1617. 

ALPISTE  ou  PHALARIDE,  genre  de  plantes  de  la  fa- 
mille des  graminées ,  dans  lequel  on  compte  une  douzaine 
d'espèces.  La  plus  importante  est  Valpiste  ou  phalaride 
des  Canaries,  dite  aussi  graine  de  Canarie,  du  pays  dont 
elle  est  originaire.  Cette  plante  est  annuelle.  Les  (leurs  sont 
disposées  en  épi  ovale.  Ses  semences  ont  servi  anciennement 
à  la  nourriture  des  habitants  des  Canaries  ;  elles  ont  encore 
aujourd'hui  la  même  destination  dans  quelques  parties  de 
l'Espagne,  où  elles  se  mangent  en  bouillie;  mais  leur  emploi 
le  pins  fréquent  s'applique  à  la  nourriture  des  oiseaux  do- 
mestiques, surtout  des  oiseaux  d'agrément,  tels  que  le  se- 
rin ,  etc.  —  On  cultive  dans  quelques  circonstances  l'alpiste 
comme  fourrage  vert,  très-hâtif;  cette  plante,  en  effet,  naît, 
vit  et  meurt  en  trois  mois.  Ce  fourrage  plaît  beaucoup  aux 
animaux.  —  La  farine  de  graine  d'alpiste  est  préférable  à 
celle  de  froment  pour  faire  la  colle  destinée  à  affermir  la 
chaîne  des  tissus  fins.  Cet  emploi  seul  en  a  rendu  en  Alle- 
magne et  en  Angleterre  la  culture  assez  considérable.  Une 
variété  de  l'espèce  alpiste-roscau  est  cultivée  comme  or- 
nement dans  les  jardins  sous  le  nom  de  ruban. 

ALQUIER  (Cuaules-Jean-Makie),  né  à  Talmont,  en 
Poitou,  le  13  octobre  1752,  fit  ses  études  chez  les  oraloriens, 
et  voulut  entrer  dans  leur  congrégation;  mais,  renonçant 
à  la  carrière  ecclésiastique  pour  celle  du  barreau,  il  était  de- 
venu successivement  avocat  du  roi  au  présidial  de  la  Ro- 
chelle, procureur  du  roi  au  tribunal  des  trésoriers  de  France, 
puis  maire  de  cette  ville,  Ior.squ'en  1789  il  fut  élu  par  le 
pays  d'Aunis  député  du  tiers-état  aux  étafs  généraux.  H 
siégea  au  côté  gauche  de  la  Constituante,  fit  partie  de  plu- 


ALQUIER  —  ALSACE 


sieurs  coniili^,  et  prononça  quelques  discours  chaleureux 
en  diverses  circonstances.  Tour  à  tour  commissaire  dans  le 
Nord  et  le  Pas-de-Calais,  président  du  tribunal  criminel  de 
Seine-et-Oise,  député  de  ce  déparlement  à  la  Convention  na- 
tionale, il  assista  au  procès  de  Louis  XYI  après  être  allé  à 
Lyon,  où  il  avait  été  envoyé  en  mission  avec  Boissy  d'An- 
nlas  et  Vitet.  11  vota  la  mort  du  roi,  mais  avec  sursis  jus- 
qu'à la  paix  générale ,  et  nagea  entre  deux  eaux  jusqu'à  la 
chute  de  Robespierre.  Alquier  fut  encore  envoyé  avec  Ri- 
chard à  l'armée  du  Nord,  d'où  il  transmit  à  l'assemblée  les 
détails  de  la  conquête  de  la  Hollande.  Membre  du  conseil 
des  anciens  en  1795,  il  y  fil  décréter  la  création  du  Conser- 
vatoire des  Arts  et  Métiers  et  la  suppression  du  clergé  régu- 
lier de  la  Belgique.  —  Depuis  l'année  1798,  si  l'on  en  ex- 
cepte le  poste  de  receveur  général  de  Seine-et-Oise,  où  il  ne 
fit  que  passer  en  1799,  la  carrière  d'.Uquier  fut  toute  diplo- 
matique. Successivement  consul  général  à  Tanger,  ministre 
plénipotentiaire  en  BaAière,  ambassadeur  à  Madrid,  il  cé^la 
ce  dernier  pojte  à  Lucien  Bonaparte  pour  aller  négocier  à 
Florence,  en  ISOl,  la  paix  avec  le  roi  de  Naples;  il  obtint 
la  cession  de  la  moitié  de  l'île  d'Elbe,  ainsi  que  le  payement 
d'une  indemnité  de  500,000  francs  pour  les  Français  qui 
avaient  été  pillés  à  Rome.  —  Ambassadeur  à  N'aples,  il  y 
provoqua  la  disgrâce  et  l'exil  du  ministre  Acton,  et  se  retira 
sans  prendre  congé  lorsqu'en  1805  Bonaparte  envoya  une 
armée  pour  y  placer  sur  le  trône  son  frère  Joseph.  Succes- 
seur du  cardinal  Fesch  à  Rome,  et  chargé  de  lever  les  ob- 
stacles qui  empêchaient  l'alliance  projetée  par  Napoléon  avec 
le  saint-siége,  il  en  reconnut  les  difficultés,  et  s'en  expliqua 
sans  défour  avec  l'empereur,  qui  le  rappela.  «  Monsieur  .A.1- 
quier,  lui  dit  Napoléon,  vous  avez  voulu  gagner  les  indulgences 
àRome.  —  Sii'e,  répondit  le  spirituel  diplomate,  jen'aijamais 
eu  besoin  que  de  la  vôtre.  "  —  Envoyé  à  Stockholm  en  1810, 
il  y  fit  adopter  le  système  du  blocus  continental  contre  l'An- 
gleterre; mais,  contrarié  par  l'influence  de  Bernadotte,  il 
se  rendit  à  Copenhague,  et  entraîna  les  Danois  dans  une 
guerre  avec  la  Suède.  Atteint  par  la  loi  du  12  janvier  1816 
contre  les  régicides,  Alquier  dut  s'expatrier;  mais  il  rentra 
en  France  le  Ujanvier  1318,  grâce  à  l'intercession  de  Boissy 
d'Anglas  et  du  maréchal  Gouvion  Saiiit-Cyr.  De  retour  à 
Paris,  il  y  vécut  dans  une  heureuse  et  paisible  retraite  jus- 
qu'à sa  mort,  arrivée  le  4  février  1826.      H.  Audiffket. 

ALQUIFOUX.  On  nomme  ainsi  dans  le  commerce  la 
galène  ou  plomb  sulfuré.  Les  femmes  de  l'Orient  le  ré- 
duisent en  poudre  fine,  qu'elles  mêlent  avec  du  noir  de  fu- 
mée pour  en  composer  une  pommade  dont  elles  se  servent 
pour  se  teindre  en  noir  les  cils  et  les  sourcils,  les  paupières 
et  les  angles  des  yeux.  Les  potiers  de  terre  l'emploient  pour 
la  couverte  des  poteries  giossières.  Ils  le  délayent  dans  l'eau, 
et  y  plongent  les  vases  qu'ils  veulent  vernisser.  AMtrifié  par 
la  chaleur  du  four,  ce  sulfure,  en  se  fondant,  se  combine 
et  adlière  à  l'argile  ;  mais  ce  mode  de  vernisser  est  dange- 
reux. 

ALRUXES.  Voyez  Allrises. 

ALSACE,  grande  et  belle  province  de  France,  qui  com- 
prend aujourd'hui  les  départements  du  Haut-Rhin  et  du 
•Bas-Rhin.  Elle  est  bornée  à  l'ouest  par  les  A'osges,  qui  la 
séparent  de  la  Lorraine,  au  sud-ouest  par  les  principautés  de 
Porentruy  et  de  Montbéliard,  au  sud  par  le  canton  de  Bàle, 
à  l'est  par  le  Rhin,  qui  la  sépare  du  Brisgau  et  de  l'Ortenau, 
et  au  nord  par  la  Bavière  rhénane  et  l'évèché  de  Spire.  Son 
étendue  est  d'environ  quarante-six  lieues  du  midi  au  septen- 
trion, et  de  huit  à  douze  de  l'orient  à  l'occident. 

L'.\Isace  était  l'ancienne  patrie  des  Triboques,  des  Séqua- 
niens,  des  Rauraques  et  des  Médiomatrices.  Ce  ne  fut  qu'au 
septième  siècle  qu'Argcnlorat,  sa  capitale,  prit  le. nom  de 
Strasbourg.  Conquise  sur  les  Celtes  par  les  Romains, 
elle  passa  sous  la  domination  des  Allemands,  et  devint  un 
des  trophées  de  la  victoire  que  Clovis  remporta  sur  eux  à 
Tolbiac  en  490.  Incoiiiorée  au  royaume  d'AusIrasie,  c<î  fui 


415 

dès  lors  qu'elle  prit  le  nom  d'Alsace,  latinisé  du  nom  tu- 
desque  Elsass,  <pii  dérive  d'Ill,  en  langue  celte  Eli  ou 
Ilell,  rivière  qui  arrose  une  partie  de  cette  province.  Fré- 
dégaire,  dont  la  chronique  se  termine  à  l'année  641,  est  le 
plus  ancien  historien  dans  lequel  on  trouve  le  nom  iïAlsa- 
lia,  orthographié  aussi  dans  des  monuments  postérieurs 
Elisatia,  Alisatia,  HeUsatia,  Helisacïa  et  Alsacia. 

Les  rois  francs  avaient  formé  de  l'Allemagne  et  de  l'Al- 
sace une  seule  province,  dont  ils  confièrent  le  commande- 
ment et  l'administration  à  un  duc.  Mais  vers  le  milieu  du 
septième  siècle ,  l'Alsace  fut  séparée  de  l'Allemagne ,  et  forma 
dès  lors  un  gouvernement  ducal ,  ou  de  premier  ordre.  Le 
premier  gouverneur  fut  le  duc  Gundon,  vers  650.  Ensuite 
nous  trouvons  :  Boniface  en  656,  Adalric ,  par  contraction 
Athic,  en  662,  .\delbert  en  600,  et  Luitfrid  en  712.  La  dignité 
ducale  en  Alsace  s'éteint  dans  la  personne  de  Luitfrid ,  en 
730.  Elle  est  rétablie  en  867  par  Lothaire ,  roi  de  Lorraine, 
en  faveur  de  Hugues ,  son  fds  naturel ,  qui  en  est  dépouillé 
en  870  par  Louis,  roi  de  Germanie.  L'Alsace  est  réunie  au 
royaume  de  Lorraine  en  895,  puis  au  royaume  de  Germanie 
en  925.  Cette  dernière  époque  fut  celle  de  la  réunion  du 
duché  de  l'Alsace  à  celui  de  Souabe,  gouvernés  par  un  même 
chef.  Voici  la  liste  de  ces  ducs  :  Burchard  1"  en  925,  Her- 
man  F""  en  926,  Ludolphe  en  949,  Burchard  JI  en  95'i,  Ot- 
ton  en  973,  Conrad  I"  en  982,  Herman  II  en  997,  Her- 
man  III  en  1004  ,  Ernest  V  en  1012  ,  Ernest  II  en  1015  , 
Herman  IV  en  1030,  Conrad  II  en  1031,  Henri  I"  en  1039, 
Otton  II  en  1045,  Otton  III  en  1047,  et  Rodolphe  de  Rhin- 
felden  en  1057.  Tous  ces  ducs  étaient  des  officiers  amovibles 
et  révocables  à  la  volonté  des  rois  francs ,  puis  des  empe- 
reurs d'Allemagne.  Leurs  successeurs,  dont  nous  allons 
parler,  furent  héréditaires,  possesseurs  de  l'Alsace  et  sou- 
verains dans  leur  gouvernement.  Leurs  noms  suivent  :  Fré- 
déric F""  de  Hohenstaufen  en  1080,  Frédéric  II  en  1105, 
Frédéric  III  en  1147,  Frédéric  IV  en  1152  ,  Frédéric  V  en 
1169,  Conrad  III  en  1191,  PhiHppe  en  1196,  Frédéric  VI 
en  1208,  Henri  II  en  1219,  Conrad  en  1235,  et  en  1254 
Conrad  V  ou  C  onr  adin,  que  Charles  d'Anjou  fit  périr  à 
Naples  sur  un  échafaud,  le  29  octobre  12GS.  Ce  prince  in- 
fortuné n'avait  que  dix-sept  ans.  Il  fut  le  de.aier  duc  d'Al- 
sace, et  le  dernier  rejeton  de  l'illustre  maison  de  Hohens- 
taufen, qui  depuis  l'année  1188  avait  porté  si.\  fois  la 
couronne  impériale. 

Lors  de  l'établissemient  du  gouvernement  ducai  en  Alsace, 
deux  comtes  provinciaux  (  landgraves  )  furent  adjoints  aux 
ducs  pour  administrer  la  justice  et  les  deniers  pubHcs.  Peu 
à  peu  ces  simples  magistratures  devinrent  aussi  héréditai- 
res, et  à  l'extinction  des  ducs,  les  comtes  ou  landgraves 
étaient  déjà  en  possession  des  droits  régaliens.  Le  landgra- 
^^at  supérieur,  ou  haute  Alsace  (  Sudgau  ) ,  qui  paraît  être 
le pagits  Suggentensis,  dont  parle  Frédégaire  sous  l'an  595, 
avait  pour  capitale  Colmar;  Strasbourg  l'était  du  land- 
graviat  inférieur,  ou  basse  Alsace  (  Nordgau  ).  Rodebert ,  qui 
vivait  en  678,  est  le  premier  connu  des  comtes  bénéficiaires 
de  la  haute  Alsace.  Ce  comté  devint  héréditaire  dans  la 
maison  de  Habsbourg  à  partir  d'Otlion  II,  comte  d'Al- 
sace en  1090.  Ses  descendants,  arcliiducs  d'Autriche,  rois 
de  Bohême  et  de  Hongrie  et  empereurs  d'.Allemagne,  ont 
porté  le  titre  de  landgraves  d'.\lsace  jusqu'à  la  paix  de  Muns- 
ter, en  lGi8,  qui  assura  à  la  France  la  possession  des  deux 
landgraviats  de  haute  et  basse  .\lsace.  Ce  dernier  comté  fut 
possédé  presque  héréditairement  dès  l'origine,  quoiqu'à  titre 
bénéficiaire,  par  les  descendants  d'Élichon ,  successeurs,  en 
670,  du  comte  Adelbert,  son  frère,  fils  du  duc  Adalric  ou 
Athic.  Hugics  V,  comte  d'Alsace  ctd'Égishem,  en  1078, 
fut  le  dernier  de  cette  race.  La  maison  de  Metz  donna  trois 
comtes,  dont  le  dernier  fut  Godefroi  H,  mort  sans  posté- 
rité, en  1178.  La  maison  de  Werd  ,  qui  en  reçut  l'investi- 
ture en  1192,  de  l'empereur  Henri,  a  gouverné  la  basse 
.\lsnce  jusqu'en  1359.  Un  traité,  ratifié  en  1393,  la  transporta 


416 


ALSACE  —  ALTAÏ 


aux  évèques  de  Strasbourg,  qui  depuis  ce  temps  ajoutaient 
à  leur  titre  celui  de  landgraves  d'Alsace. 

Un  siècle  avant  l'extinction  de  la  dignité  ducale  en  Al- 
sace, les  empereurs  d'Allemagne  faisaient  gouverner  en  leur 
nom  les  terres  immédiates  qu'ils  possédaient  dans  cette  pro- 
vince, par  des  ofliciers  nommés  landvogts,  espèce  de  pré- 
fets, toujours  choisis  parmi  les  plus  grandes  familles.  Hézel 
était  pourvu  de  cette  charge  en  1123.  Nos  rois  l'ont  con- 
servée après  la  cession  de  l'Alsace  à  la  France ,  et  le  duc  de 
Choiseul  en  était  titulaire  en  17S0.  Lnsisheim  était  le  chef- 
lieu  des  possessions  autrichiennes  dans  cette  province. 

L'Alsace  fut  cédée  à  la  France  par  le  traité  de  Munster 
en  1648.  Ce  fut  une  importante  conquête  que  celle  de  ce 
formidable  boulevard ,  que  nous  opposait  depuis  tant  de 
siècles  la  maison  d'Autriche.  Un  peuple  belliqueux ,  qui 
avait  toujours  eu  les  armes  à  la  main  pour  soutenir  des 
guerres  privées  et  des  intérêts  souvent  contraires  à  son  in- 
dépendance ,  accueilUt  avec  transport  sa  réunion  à  la  grande 
famille  française.  La  bravoure  héréditaire  des  Alsaciens  et 
leur  attachement  à  la  France,  leur  ancienne  patrie,  sont  des 
garants  plus  sûrs  pour  la  défense  de  nos  frontières  que  les 
nombreuses  places  fortes  qu'ils  peuvent  opposer  à  l'ennemi. 
Les  Alsaciens  sont  en  général  grands  et  forts.  Le  plat  alle- 
mand est  encore  la  langue  du  pays.  Les  eaux  qui  arrosent 
cette  contrée  et  les  nombreuses  et  belles  forêts  qui  la  cou- 
vrent, ainsi  que  les  mines  qui  y  abondent,  ont  concouru  à 
en  faire  une  des  plus  florissantes  provinces  de  France,  sous 
le  rapport  du  conmierce  et  de  l'industrie. 

ALSEiV.  L'une  des  plus  belles  îles  de  la  Baltique ,  siège 
d'un  évêché  et  séparée  de  la  côte  du  Schleswig  par  un  bras 
de  mer  d'une  largeur  si  exigué  qu'un  bac  établi  à  Sonder- 
bourg  ,  entre  les  deux  rives ,  permet  de  communiquer  facile- 
ment en  tout  temps  avec  le  continent.  LUe  a  environ  trente 
kilomètres  dans  sa  plus  grande  longueur,  sur  dix  de  largeur, 
et  est  célèbre  par  sa  fertilité ,  par  le  haut  degré  de  perfection 
de  sa  culture,  par  ses  sites  pittoresques  ainsi  que  par  l'aisance 
générale  qui  règne  parmi  ses  habitants.  Sonderboiirg,  petite 
ville  d'environ  2,500  âmes,  pourvue  d'un  bon  port  et  faisant 
un  commerce  de  cabotage  assez  actif,  en  est  le  chef-lieu. 
On  y  remarque  un  vieux  château  fort  auquel  se  rattachent 
de  précieux  souvenirs  historiques.  C'est  là,  en  effet,  que  le 
Néron  du  Nord  ,  Christiern  II ,  fut  détenu  pendant  plus  de 
vingt  années;  et  on  montrait  naguère  encore,  dans  le  cachot 
qui  lui  servit  si  longtemps  de  séjour,  une  table  grossière  en 
granit  dont  ce  monarque,  pendant  ses  longues  heures  de 
solitude  et  de  désœuvrement ,  avait  sensiblement  usé  la 
surface  en  y  promenant  drculairement  ses  doigts  par  ma- 
nière de  passe-temps  :  cette  table  se  trouve  aujourd'hui  au 
musée  de  Copenhague.  Les  caveaux  de  cette  vieille  cons- 
truction féodale  servent  de  sépulture  aux  \mntcs  à' A  u  g  it  s ■ 
t  en  bourg,  .\orbourg, siluéau  nord  de  l'ile.esl  bien  déclm. 
Augusienbourg,  au  centre  de  l'ile,  dans  une  situation  ravis- 
sante, est  remarquable  par  son  vaste  ciiàteau.  La  noble  fa- 
mille qui  l'habitait,  dépouillée  de  tout  ce  qu'elle  possédait, 
s'est  vue  réduite  à  demander  asile  à  l'étranger.  Les  établis- 
sements agricoles  et  le  magnilique  haras  qu'y  avait  fondés  le 
duc  Chrétien- Auguste  n'existent  plus.  Sa  bibliothèque 
a  été  dispersée ,  et  son  argenterie  transportée  à  Copenliai^ue. 
La  population  de  l'ile  d'Alsen  peutêlreévaluée  à  25,000 âmes. 
ALSTON  (CuMU.Es),  botaniste  et  médecin,  né  à  L<ldle- 
wood  (Ecosse)  en  1083,  mort  en  1760,  M  plusieurs  voyages  sur 
le  continent,  étudia  sousBoëihaave  et  professa  la  botanique 
et  la  naatière  médicale  à  Edimbourg,  dont  il  dirigea  aussi  le 
jardin  botanique.  On  lui  doit  un  Index  plantarum  prx- 
cipue  of/whialiuni  (  1740),  réimprimé  sous  le  titre  de  Tiro- 
cinhim  botanlcum  Edimbuigcnse  (1753),  et  un  Index  me- 
dicamenlorum  simpUcium  triplex  (1762).  Ses  principes 
botaniques  étaient  en  opposition  à  ceux  de  Linné,  et  il  s'obs- 
tina à  regarder  le  sexe  des  plantes  comme  une  hypothèse.  On 
a  encore  d'Alston  des  dissertations  sur  l'étain  considéré 


comme  anthelminlique,  sur  l'opium,  sur  la  chaux  vive  et 
l'eau  de  cliaux.  Ses  leçons  sur  la  matière  médicale  ont  été 
imprimées  après  sa  mort.  Mutis  lui  a  consacré  un  genre 
de  plantes  de  l'Amérique  sous  le  nom  A'alstonia.        Z. 

ALSTRCHEMER  (Jonas),  célèbre  industriel  suédois  du 
dix-huitième  siècle,  né  en  1C85  ù  Alingsas  (Westrogothie), 
mort  en  1761,  à  Stockholm,  introduisit  dans  sa  patrie  la  fa- 
brication des  draps  fins,  des  cotonnades  et  des  soieries. 
A  l'âge  de  vingt-neuf  ans  il  n'était  encore  que  simple 
commis  chez  un  marchand  de  Londres.  Le  spectacle  de  la 
grandeur  commerciale  de  l'Angleterre  lui  inspira  le  désir 
d'importer  en  Suède  ce  génie  de  l'industrie  dont  il  pouvait 
admirer  les  prodiges  et  apprécier  les  bienfaHs.  Il  eut  d'abord 
à  triompher  de  l'apathie  publique ,  puis  après  de  cet  esprit 
de  dénigrement  qui  en  tout  pays  semble  être  l'inévitable 
partage  des  novateurs  ;  mais  la  Suède  finit  par  rendre  Jusr 
tice  à  ses  patriotiques  efforts ,  et  par  comprendre  que  c'était 
au  développement  de  son  industrie,  à  l'amélioration  de  ses 
procédés  de  travail ,  à  l'élargissement  de  son  cercle  d'action 
commerciale ,  qu'elle  devait  désormais  demander  la  répara- 
tion des  profondes  plaies  causées  dans  tout  le  corps  social 
par  les  brillantes  fohes  de  Charles  XII.  Les  récompenses  ne 
manquèrent  pas  alors  à  Alstrœmer  :  il  fut  anobli ,  nommé 
membre  du  conseil  supérieur  du  commerce  et  adimis  dans 
l'Académie  des  Sciences.  En  175G  son  buste  fut  placé  dans 
la  salle  de  la  Bourse  de  Stockholm  :  honneur  dont  il  ne  jouit 
du  reste  pas  longtemps;  car  cinq  ans  après  il  mourait, 
laissant  une  belle  et  honorable  fortune  à  quatre  fds ,  qui 
furent  aussi  des  hommes  distingués.  Trois  d'entre  eux  mé- 
ritèrent d'être  nommés ,  comme  leur  père,  membres  de  l'A 
cadémie  des  Sciences;  et  l'un,  Claude  .'Vlstroemer,  bota- 
niste d'une  grande  érudition,  né  à  .Alingsas  le  9  août  173G, 
eut  l'honneur  de  voir  son  nom  donné  à  un  genre  de  plantes. 
Élève  de  Linné,  il  est  souvent  cilé  dans  les  ouvrages  de 
ce  prince  de  la  science,  comme  lui  ayant  fourni  un  grand 
nombre  de  plantes  nouvelles.  Claude  Alstrœmer  mourut  à 
Gasewadsholm  le  5  mars  1796.  On  a  de  lui  de  nombreux 
articles  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  de  Stockholm.  * 

ALSTROEMËRIE ,  nom  donné  par  Linné  ,  en  l'hon- 
neur du  savant  naturaliste  Alstrœmer,  à  un  genre  de 
plantes  de  la  famille  des  amaryllidées ,  dont  les  espèces  sont 
toutes  originaires  de  l'Amérique  méridionale.  Leur  racine 
est  fibreuse;  leur  tige  tantôt  dressée,  tantôt  volubile  et 
grimpante  ;  les  feuilles  en  sont  alternes ,  ovales  ou  lancéo- 
lées. Les  fleurs,  qui  atteignent  quelquefois  un  développement 
considérable,  sont  souvent  disposées  en  ombelle  simple.  Un 
grand  nombre  de  ces  plantes  pourrait  servir  à  l'ornement 
de  nos  serres  :  Y  alstrœmer  ia  formoslssima ,  entre  autres, 
serait  d'un  effet  superbe  par  ses  immenses  ombelles  ,  oii 
quarante  à  quatre-vingts  fleurs,  qui  divergent  d'un  centre 
commun  ,  et  qui  sont  longues  d'un  pouce  et  demi  chacune, 
étalent  de  vives  nuances  de  rouge ,  de  jaune  et  d'azur.  On 
ne  cultive  guère,  cependant ,  que  trois  de  ces  espèces  dans 
nos  jardins.  La  première,  vulgairement  désignée  sous  le 
nom  de  Us  des  Incas ,  est  Yalsfrœmerla  peregrina,  qui 
croit  naturellement  sur  les  collines  sablonneuses  du  Pérou 
et  du  Chili  ;  les  deux  autres  sont  Valstrameria  pulclirclla 
et  Valstrœmeria  ligto,  à  fleurs  rayées  et  odorantes. 

ALTAÏ ,  c'est-à-dire  Montagne  d'Or,  dénomination  que 
l'on  emploie  encore  aujourd'hui  dans  l'extension  la  plus  di- 
verse pour  désigner  les  versants  septentrionaux  du  plateau 
situé  à  l'est  de  l'Asie,  et  formant  la  frontière  qui  sépare  l'em- 
pire de  Russie  de  la  Chine.  Indépendamment  des  travaux 
particuliers  de  Schmidt ,  d'.Vbel  Rémusat  et  de  Klaproth , 
puisés  par  ces  écrivains  aux  sources  mongoles  et  chinoises, 
on  trouvera  les  renseignements  les  plus  précieux  sur  l'Altaï 
dans  les  voyages  de  Ledebour,  de  Bungc,  de  Meyer,  d'Alexan- 
dre de  Ilumboldt,  de  Hess  et  d'Ad.  Erman  ;  tandis  qu'il  se  faut 
délier  des  cartes  de  ces  contrées  publiées  jusqu'à  ce  jour,  la 
plupart  étant  excessivement  défectueuses  sous  le  rapport  des 


ALTAt  —  ALIENBOURG 

noms  et  soiis  celui  <les  indications  gt^of;raphiqiic?.  Outre  le  sys- 
tème du  Tliiàn  Stliin,  le  système  de  l'Altai,  dans  sa  plus  large 
expression  ,  comprend  les  nombreux  groupes  de  montagnes 
situés  au  nord  de  l'extrémité  de  l'Asie ,  du  9S"  au  IGO"  de 
longitude  orientale,  depuis  les  plaines  de  Dsoungari,  au  mi- 
lieu desquelles  est  situé  le  lac  de  Saïsàn  à  l'ouest,  jusqu'aux 
côtes  de  la  mer  d'Ocliolzki  à  l'est.  Les  vallées  de  Tlrtysch, 
du  Jéniséi ,  de  la  Selenga  et  de  l'Amour  fractionnent  cet 
immense  plateau ,  dans  la  direction  de  l'ouest  à  l'est,  en  trois 
groupes  principaux  :  l'Altai  proprement  dit,  le  Khang-Gaï  et 
le  Keutéi-Khàn  ou  Kliin-Gùn,  qui  se  confond  avec  le  plateau 
de  Daurie,  dont  le  Jablonoi-Starowoï  et  l'Aldàn-Chrébet  sont 
les  dernières  ramifications  vers  le  nord-est.  Dans  le  groupe 
situé  le  plus  à  l'ouest,  il  fixut  distinguer  le  Tàngnou-Oola  et 
rOulàn-Goum  de  l'Altai  proprement  dit,  dont  les  divers  em- 
branchements sont  situés  en  partie  sur  le  territoire  russe  et 
en  partie  sur  le  territoire  chinois.  Le  plateau  de  l'Altaï  chi- 
nois comprend ,  indépendamment  de  la  vallée  située  sur  la 
rive  droite  du  Haut-lrtysch,  l'Ektagh  ou  Grand-Aliaï,  dont 
les  pics  les  plus  élevés,  d'une  hauteur  de  2,800  à  3,300  mè- 
tres, atteignent  la  région  des  neiges  éternelles ,  et  dont  la 
ramification  orientale,  r.4to/-fl/iH-to/6e,  c'est-à-dire  fin 
de  l'Altaï ,  finit  par  se  perdre  dans  le  désert  de  Gobi.  — 
L'Altaï  russe ,  entre  Sémipalatinsk  et  les  sources  de  l'Ob , 
qu'on  ne  connaît  guère  que  depuis  deux  siècles,  et  qui  ri- 
valise avec  rOural  sous  le  rapport  des  richesses  métalliques  , 
a  été  colonisé  par  les  Russes,  et  forme  aujourd'hui  l'une 
des  plus  importantes  parties  de  l'immense  empire  russe. 
Indépendamment  des  contrées  limitrophes  de  la  Chine ,  il 
comprend  un  large  plateau  alpestre  ,  l'Altaï  Bjelki ,  c'est-à- 
dire  Montagne  de  JS'eige,  dont  les  pics  les  plus  élevés  attei- 
gnent une  hauteur  de  3,000  à  3,600  mètres,  et  dont  les  nom- 
breux groupes  sont  déjà  couvertsde  neiges  éternelles  par  30° 
de  latitude  ;  et  au  nord  il  touche  à  la  large  zone  de  la  région 
minière  de  l'Altaï  (  arrondissement  de  Kolywàn,  etc.,  etc.  ), 
pour  laquelle  Barnoul,  situé  au  nord,  est  un  point  impor- 
tant de  concentration.  Tandis  que  les  contrées  monta- 
gneuses et  minières  du  nord  et  du  nord-ouest  se  peuplent 
de  colons  russes,  qui  viennent  s'établir  là  pour  cultiver  le  sol 
et  travailler  aux  mines ,  la  frontière  méridionale  est  dé- 
fendue et  surveillée  par  une  série  de  petits  forts  et  de  postes 
d'observation  ;  et  au  sud-est  on  trouve  les  Kalmoucks  des 
montagnes ,  peuplade  mongole  demeurée  encore  païenne , 
vivant  sous  l'autorité  patriarcale  de  ses  Demetschas ,  les- 
quels sont  eux-mêmes  soumis  à  des  Saïssdns.  Ces  Kal- 
moucks ont  conservé  les  habitudes  de  la  vie  nomade.  L'été 
ils  transportent  leurs  tentes  dans  les  riches  prairies  qu'of- 
frent les  différentes  terrasses  formées  par  les  montagnes  ; 
l'hiver  ils  cherchent  un  abri  dans  les  fondrières  qui  se  trou- 
vent au  milieu  des  forêts. 

ALTAÏR,  ATAJR  ou  ALCAÏR.  Quelques  astronomes 
désignent  par  ces  noms  une  étoile  de  la  constellation  de 
l'Aigle;  pour  d'autres  c'est  cette  constellation  tout  entière; 
d'autres,  enfin,  appellent  ainsi  la  constellation  du  Cygne.  Ce 
sont  diverses  corruptions  de  l'arabe  al  ttaijr  (  l'oiseau  ). 

ALT A3IIRA  (  Famille  Ossorio  y  Moscoso  d'),  l'une  des 
plus  anciennes ,  des  plus  riches  et  des  plus  puissantes  mai- 
sons d'Espagne ,  dans  laquelle  la  grandesse  de  première 
classe  est  attachée  au  titre  de  comte.  A  la  fin  du  siècle  der- 
nier, le  chef  de  la  famille  d'AUamira  était  de  très-petite 
taille.  «  Mon  Dieu  !  que  tu  es  donc  petit  !  lui  dit  un  jour,  en 
riant ,  le  roi  Charles  IV.  —  Sire  ,  lui  répondit  fièrement  le 
comte ,  les  Altamira  ont  toujours  été  grands  !  » 

ALTAROCUE  (  Dcrand-Marie-Michel  ),  homme  de 
lettres,  ancien  rédacteur  du  Charivari,  est  né  à  Issoire  (  Puy- 
de-Dôme),  le  18  avril  1811.  Écrivain  assez  goûté,  et  plus 
spirituel  qu'une  physionomie  sans  distinction  ne  semble- 
rait le  dénoter,  M.  Altarociie  a  fait  paraître  :  Peste  contre 
Peste  {dans  Paris  révolutionnaire,  i?,3i),  Chansons  et  Vers 
politiques  (1835-1830, 2  vol.  in-18), Contes  démocratiques 

DICT.    DE   LA    C0NVER3.    —   T.    I. 


417 

(1837,  in-32).  Aventures  de  Victor  Augerol  (18-38,  2  vol. 
in-S");  La  Réforme  et  la  Révolution  (1841 ,  in-32)  ;  il  a 
en  outre  travaillé  au  Nouveau  tableau  de  Paris  et  à 
VAlmanach  populaire.  Déplus,  il  a  donnéà  la Porte-Saint- 
Marlin  ,  avec  M.  Laurencin,  Lestocq,  ou  le  Retour  de  Si- 
bérie {ii3ù),et]iaT[\d[ié  à  la  rédaction  d'un  grand  nombre  de 
journaux.  Sa  plume  mordante  et  satirique  s'est  surtout  fait 
remarquer  dans  le  Charivari,  dont  il  a  pendant  longtemps 
été,  avec  M.  Louis  Desnoyers,  le  principal  rédacteur;  ce 
genre  de  talent  lui  a  valu  avec  le  parquet  divers  démêlés, 
dont  le  moins  divertissant  n'est  pas  celui  qui  l'amena  en 
cour  d'assises  pour  une  chanson  qu'il  avait  bravement 
signée  comme  sienne,  et  dont  plus  tard  l'assassin  Lace- 
naire  revendiqua  la  paternité,  en  pleine  audience.  A 
propos  de  cela,  Lacenaire  rima  mèiue ,  séance  tenante,  une 
épigramme  assez  boutlonne  qui  circula  de  main  en  main  et 
fut  reproduite  par  les  journaux. 

Après  la  révolution  de  Février,  ses  antécédents  politiques 
valurent  à  M.  Altaroche  l'honneur  d'être  envoyé  par  son  dé- 
partement comme  représentant  du  peuple  à  l'Assemblée  cons- 
tituante ;  avant  cela,  il  avait  été  expédié  par  M.  Ledru-Rollin 
en  qualité  de  commissaire  dans  le  Puy-de-Dôme.  Républicain 
formaliste  dans  tous  ses  voles,  M.  Altaroche  ne  fut  pas  réélu 
à  l'Assemblée  législative.  Au  mois  d'octobre  1850  il  prit 
la  direction  de  l'Odéon.  Celle  direction  lui  fut  vivement 
disputée,  et  il  finit  par  la  perdre.  Il  obtint  ensuite  la  direc- 
tion d'un  iielit  théâtre  qu'il  nomma  les  Folies-Nouvelles  et 
qu'il  établit  sur  le  boulevard  du  Temple.  On  y  joua  des  pièces 
à  pantomime,  avec  de  la  musique  et  un  nouveau  pierrot. 
Après  six  ans  de  succès,  M.  Altaroche  céda,  au  mois  d'avril 
1859,  son  privilège  à  M.  Eugène  Déjazet,  qui  a  donné  son 
propre  nom   à  ce  théâtre.  * 

ALTDORFER  (Albert),  peintre  et  graveur,  né  en  1488 
à  Altdorf  en  Bavière,  mort  en  1538àRatisbonne.  On  compte 
d'ordinaire  cet  artiste  parmi  les  élèves  d'Albert  Durer, 
quoiqu'on  ne  puisse  affirmer  qu'il  ait  fréquenté  son  atelier. 
En  tout  cas ,  c'est  l'un  des  maîtres  les  plus  ingénieux  et  les 
plus  originaux  qui  aient  suivi  la  direction  tracée  par  Durer. 
Il  y  a  dans  ses  compositions  quelque  chose  de  romantique 
et  de  poétique ,  plein  de  charme  pour  quiconque  admet  les 
conditions  de  l'ancien  art  allemand.  Il  y  règne  pailout  la 
vie  la  plus  riche  et  aux  formes  les  plus  variées.  Les  pay- 
sages et  les  figures  en  sont  également  léchés,  pleins  de  dé- 
licatesse et  de  fini.  Son  chef-d'œuvre  est  une  Victoire  d'A- 
lexandre sur  Darius,  to'de  qui  orne  la  collection  de  Munich, 
et  qui  produit  sur  le  spectateur  l'effet  d'un  poème  héroïque 
et  romantique.  Alfdorfer,  comme  graveur,  est  compris  avec 
Aldegrever  parmi  les  artistes  désignés  sous  le  nom  de 
petits  maîtres  ;  on  l'appelle  aussi  quelquefois  le  petit  Durer. 
ALTEiVBOURGo  Jolie  viUe,  capitale  du  duché  de  S  a  x  e  - 
Altenbourg,  située  à  peu  de  distance  de  la  Pleiss,  à  en- 
viron cinq  myiiamètres  de  Leipzig ,  est  bâtie  dans  une  char- 
mante contrée,  et  compte  plus  de  15,000  habitants.  Le 
château  ducal,  construit  sur  un  rocher  de  porphyre  qui 
s'élève  en  partie  à  pic  et  domine  la  vallée ,  et  dont  les  fon- 
dations datent  vraisemblablement  du  onzième  siècle,  mais 
rebâti  et  considérablement  augmenté  au  siècle  dernier,  est 
célèbre  dans  l'histoire  comme  ayant  été  le  théâtre  de  l' en- 
lèveTtient  desprinces  commis  en  1455  parKimzde  Kau- 
fungen,  et  forme  aujourd'hui  l'une  des  plus  belles  résidences 
princièresde  l'Allemagne.  On  y  remarque  surtout  la  chapelle, 
la  grande  salle  d'armes  et  de  beaux  plafonds  peints  par  Cra 
nach.  Son  parc,  qui  occupe  toute  la  partie  ouest  de  la  mon- 
tagne, est  justement  renommé. 

La  ville  d'Altenbourg  est  le  siège  des  principales  autorités 
du  pays.  Elle  possède  un  gymnase,  établi  dans  des  bâtimeiils 
d'une  remarquable  construction  ;  un  séminaire  pédagogique, 
ayantpour  annexe  un  institut  de  sourds-muets,  fondéen  1 838  ; 
une  maison  d'éducation  et  de  retraite  pour  les  filles  nobles  pro- 
fessant la  religion  protestante,  dont  la  fondation  n-'ionte  à 


418 

Tannée  1705;  des  écoles  do  différents  defirés  pour  les  deux 
sexes,  et  un  grand  nombre  d'établissements  de  bienfaisance. 
11  y  existe  en  outre  une  bibliotiièque  publique  et  plusieurs 
sociétés  savantes.  La  fabrication  des  étoffes  de  laine  y  est 
aussi  active  que  prospère,  et  le  commerce  des  grains  et  des 
laines  brutes  s'y  fait  sur  une  très-large  échelle.  Un  chemin 
de  fer  met  Altenbourg  en  communication  avec  Leipzig, 
et  par  suite  avec  le  vaste  réseau  de  chemins  de  fer  qui  déjà 
relie  depuis  longtemps  entre  eux  tous  I&s  grands  centres  in- 
dustriels et  commerciaux  de  l'Allemagne.  — 11  est  mention 
dès  le  onzième  siècle  d'Altenbourg  dans  l'histoire  ;  et  en  1 1  ;i  i 
elle  fut  érigée  en  ville  impériale.  Les  burgraves  d'Altenbourg, 
qui  régnaient  sur  la  contrée  qu'arrose  la  Pleiss,  y  résidaient, 
comme  firent  aussi  plus  tard  les  margraves  de  Misnie.  Dans 
la  guerre  que  le  landgrave  Frédéric  V,  dit  le  Mordu,  (it  à  Al- 
bert, roi  des  Allemands  ,  il  s'empara  de  la  ville  et  du  châ- 
teau d'Altenbourg,  ainsi  que  de  toute  la  contrée  de  la  Pleiss, 
et  les  garda  à  titre  d'indemnité  ;  mais  les  burgraves  d'Alten- 
bourg s'étant  éteints  en  l'an  1320,  le  landgrave  Frédéric  II 
obtint  de  l'empereur  la  concession  du  fief.  En  1430  les 
hussites  s'emparèrent  de  cette  ville,  et  la  réduisirent  presque 
complètement  en  ruines.  En  1440  elle  passa  par  héritage 
aux  électeurs  de  Sa^e,  qui  y  tinrent  pendant  quelque  temps 
leur  cour.  De  l'an  1G03  à  l'an  1G72  elle  servit  de  résidence 
à  la  ligne  de  la  maison  Ernestine  dite  d'Altenbourg  ;  mais  à 
ce  moment  elle  cessa  d'être  le  séjour  d'une  cour ,  et  ne  le 
redevint  qu'en  1S26,  lors  du  partage  qu'amena  l'extinction 
de  la  maison  de  Saxe-Gotha. 

ALTEIVDORF,  petite  ville  de  la  Hesse  Électorale.  — 
Après  la  victoire  de  Bamberg,le  général  Kléber,  comman- 
dant une  aile  de  l'armée  de  Sambre-et-Meuse ,  passa  la  Red- 
nitz  le  C  août  1796,  et  s'avança  vers  Altendorf,où  l'ennemi 
avait  établi  un  camp.  La  cavalerie  de  la  division  Lefebvre  , 
qui  formait  l'avant-garde,  attaqua  et  culbuta  les  avant-postes 
autrichiens ,  et  alla  se  déployer  dans  la  plaine  en  présence  de 
l'armée  impériale  ,  qu'elle  mit  en  désordre  du  premier  choc. 
Pendant  que  l'aile  droite  remportait  cet  avantage,  la  gauche, 
attaquée  par  un  ennemi  beaucoup  plus  nombreux,  soutenait 
un  combat  acharné  contre  des  forces  supérieures.  Les  Fran- 
çais allaient  succomber  sous  ces  masses  compactes,  lorsqu'un 
régiment  de  cuirassiers ,  qui  venait  d'entrer  en  ligne ,  se 
précipita  avec  impétuosité  sur  les  colonnes  ennemies  et  les 
mit  en  fuite.  Cette  brillante  charge  fit  reprendre  l'avantage 
aux  Français  ;  les  Impériaux  furent  repoussés,  et  le  feu  vio- 
lent que  l'artillerie  autrichienne  dirigeait  indifféremment  au 
milieu  delà  mêlée  générale  parvint  à  peine  à  arrêter  les  com- 
battants et  à  mettre  fin  à  l'action. 

ALTEXHEIM  (  Combat  d').  Depuis  trois  mois  Turenne 
fatiguait  Montecuculli  par  de  savantes  marches  et  contre- 
marches ,  dans  le  but  de  contrarier  ses  projets  et  de  le  forcer 
à  accepter  le  combat.  C'est  ainsi  qu'il  l'attira  entre  Salzbach 
et  Altenheim,  où,  placé  dans  une  position  avantageuse,  il 
résolut  de  l'attaquer,  le  26  juillet  1675.  Toutes  ses  dispositions 
étant  prises,  Turenne  aperçoit  les  Impériaux  s'engager  dans 
des  bois  et  des  ravins.  Plein  de  confiance  dans  ses  di?;posi- 
tions  préparatoires,  il  s'écrie  :  «  C'en  est  fait,  je  les  tiens! 
n  ils  ne  pourront  plus  m'échapper,  et  je  vais  recueillir  le  fruit 
•  d'une  si  pénible  campagne.  »  11  monte  aussitôt  à  cheval , 
et,  accompagné  du  général  d'artillciie  Saint-Hilaire,  va 
reconnaître  une  batterie  ennemie,  qu'il  se  propose  d'attaquer 
la  première.  A  cet  instant,  un  boulet  de  canon  emporte  le 
bras  de  Saint-Hilaire  et  va  frapper  la  poitrine  du  maréchal, 
qui  tombe  mort  dans  les  bras  de  ses  gens  (  voyez  Tluenne). 
—  A  cette  nouvelle  l'armée  franç<iise ,  qui  allait  engager  le 
combat,  prit  le  parti  de  battre  en  retraite  vers  le  pont  d'AI- 
tenheim.  Le  lendemain,  les  Autrichiens  attaquèrent  les  Fian- 
çais,  et  un  combat  terrible  s'engagea  entre  les  deux  armées; 
les  Impériaux  y  perdirent  cinq  mille  hommes,  les  Français 
trois  mille.  Ces  derniers  se  retirèrent  après  l'action,  et  re- 
passèrent le  Rhin. 


ALTENBOURG  —  ALTENSTEIN 


ALTEXIIEYM  (Gabrielle  SOUMET,  madame  ti') 
fille  d'Alexandre  Soumet,  née  à  Paris,  le  17  mars  1814, 
épousa,  en  1834,  M.  d'Altenheym.  Digne  fille  de  son  père, 
elle  montra  dès  sa  première  enfance  un  goût  décidé  pour 
la  poésie  sérieuse.  Elle  écrivait  à  peine  que  déjà  elle  écrivait 
en  vers,  et  son  succès  dans  le  monde  fut  complet  lorsqu'elle 
y  récita,  encore  enfant,  quelques  fragments  de  ses  Filiales, 
recueil  de  pièces  diverses  réunies  sous  ce  titre,  qui  indique 
les  sujets  et  les  sentiments  des  ouvrages  dont  il  est  composé. 
Elle  le  publia  en  1838,  et  le  24  avril  1841  elle  fit  représenter 
au  Théâtre-Français  le  Gladiateur,  tragédie  en  cinq  actes, 
à  laquelle  son  père  avait  travaillé,  et  qu'ils  avaient  ensemble 
puisée  dans  Flavien,  ou  Rome  aie  quatrième  siècle, 
roman  liistorique  de  leur  ami  Alex.  Guiraud,  de  l'Aca- 
démie française.  En  collaboration  encore  avec  son  père, 
madame  d'Altenheym  a  fait  une  Jane  Greij ,  tragédie  qui  a 
été  jouée,  le  29  mars  1844,  au  théâtre  de  l'Odéon.  Elle  a  de 
plus  composé  deux  grands  opéras  en  cinq  actes  et  une  tra- 
gédie sur  un  sujet  antique ,  qui  sont  encore  dans  son  porte- 
feuille, ainsi  que  la  traduction  en  vers  des  Nuits  d'Young 
et  le  Poète,  poëme  qui  doit  faire  suite  à  Berthe  Bertha , 
autre  poème  qu'elle  a  publié  en  1842.  En  1858  elle  a  fait 
paraître  la  Croixetla  Lyre.  \.  Delaforest. 

ALTEx\KIRCIIEX  (Combats  d').  Le  31  mai  1796, 
Jourdan ,  général  en  chef  de  l'armée  de  Sambre-et-Meuse , 
rompant  l'armistice  qui  avait  été  conclu  le  1"  janvier  avec 
l'armée  autrichienne ,  et  dans  l'espoir  de  forcer  l'archiduc 
Charles  à  repasser  le  Rhin,  donna  l'ordre  à  Kléber  de 
traverser  le  fleuve  à  Dusseldorf  avec  22,000  hommes.  Klé- 
ber exécuta  ce  mouvement  avec  rapidité  ;  les  Autrichiens , 
commandés  par  le  duc  de  NYurtemberg,  se  replièrent  en  toute 
hâte  sur  le  plateau  d'Altenkirchen,  qui  avait  été  mis  par  l'en- 
nemi sur  un  pied  formidable  de  défense.  Kléber  attaque  tout 
à  la  fois  l'aile  gauche  ainsi  que  le  front  des  Impériaux.  Enfin 
une  vigoureuse  charge  de  cavalerie ,  exécutée  par  le  géné- 
ral d'Hautpoul,  culbuta  l'infanterie  ennemie.  Ce  brillant  fait 
d'armes  décida  la  victoire ,  et  força  les  Autrichiens  à  battre 
en  retraite.  Trois  mille  prisonniers,  quatre  drapeaux,  douze 
canons,  une  grande  quantité  de  caissons,  d'immenses  maga- 
sins de  vivres  tombèrent  aux  mains  des  vainqueurs.  — 
Trois  mois  après,  le  19  septembre  1796,  l'armée  de  Sambre- 
et-Meuse  ,  qui  avait  repris  le  cours  de  ses  victoires  en  Alle- 
magne ,  battue  sur  le  Danube  par  une  habile  manœuvre  de 
l'archiduc,  repassait  le  défilé  d'Altenkirchen.  Marceau 
commandait  son  arrière-garde  et  soutenait  sa  retraite ,  quand 
une  balle ,  lancée  par  un  chasseur  tyrolien,  priva  la  France 
de  ce  jeune  héros.  L'histoire  ne  saurait  trop  redire,  à  l'éter- 
nel honneur  de  Marceau ,  qu'il  fut  pleuré  par  les  deux  ar- 
mées, et  qu'elles  suspendirent  leurs  combats  pour  honorer 
son  cercueil  et  sa  mémoire. 

ALTE\STEIN ,  château  appartenant  au  duc  de  Saxe- 
Meiningen ,  situé  sur  un  plateau  du  versant  sud-ouest  des 
montagnes  de  la  Forêt  de  Thuringe,  avec  un  vaste  parc,  de 
beaux  établissements  agricoles  et  un  haras  pour  dépen- 
dances, fut  construit  en  1739,  non  loin  des  ruines  du  vieux 
château  détruit  par  un  incendie  en  1733,  et  considérable- 
ment embelli  vers  la  fin  du  dix-huitième  siècle ,  lorsque  la 
famille  ducale  le  choisit  pour  résidence  d'été.  De  l'an  724 
à  l'an  727,  Boniface,  l'apôtre  de  l'Allemagne ,  prêcha  l'Évan- 
gile à  Altenstein  ainsi  qu'à  Altenberga ,  dans  la  principauté 
de  Gotha.  Le  4  mai  1521 ,  l'électeur  Frédéric  le  Sage,  pour 
sauver  Luther,  le  fit  arrêter  à  environ  six  cents  pas  derrière 
le  château  et  conduire  à  la  Wartburg.  Les  noms  de  Hêtre 
et  de  Puits  de  Luther  perpétuent  le  souvenir  du  repos  qu'y 
prit  le  célèbre  réformateur  à  l'ombre  d'un  vieux  hêtre  et  de 
la  source  où  il  étancha  sa  soif.  Un  violent  orage  ayant  brisé 
en  1841  cet  arbre  plusieurs  fois  séculaire,  on  en  transporta 
les  débris  dans  l'église  de  Steinbach,  en  ayant  soin  d'indi- 
quer par  un  petit  monument  l'endroit  où  il  s'élevait.  Entre 
Altenstein  et  Liebenstcin,  à  Glucksbrimn,  on   découvrit 


ALTE^STKIN  —  ALTEUAMS 


419 


en  1790,  en  construisant  une  chaussée,  dans  une  vieille 
couclie  de  pierre  calcaire,  une  grotte  qui  est  au  nombre  des 
plus  remarquables  curiosités  naturelles  de  l'Allemagne  ,  et 
connue  sous  la  dénomination  de  Grotte  d'Altensteiti  ou  de 
Glucfisbrunn.  On  y  trouva  des  ossements  fossiles  d'ours, 
mais  point  de  ces  formations  de  stalactites  comme  c'a  été 
le  cas  dans  tant  d'autres  grottes.  En  revanche,  elle  est  re- 
marquable par  l'ampleur  de  ses  proportions  et  par  un  cours 
d'eau  assez  profond  pour  supporter  des  l)arques ,  coulant 
avec  une  bruyante  impétuosité  et  faisant  tourner  un  mou- 
lin à  l'endroit  où  il  arrive  à  la  clarté  du  jour. 

ALTEXSTEIX  (Charles,  baron  de  Stein  d'),  minis- 
tre d'État  prussien,  né  à  Anspach,  le  7  octobre  1770,  mort 
le  14  mai  1S40,  entra  dans  l'administration  comme  référen- 
daire à  la  chambre  des  domaines  à  Anspach,  et  y  parvint 
bientôt  au  poste  de  conseiller  des  domaines.  Une  plus  vaste 
carrière  s'ouvrit  pour  lui  en  1799  ,  lorsque,  appelé  à  Berlin 
par  le  ministre  Hardenberg,  il  fut  nommé  conseiller  minis- 
tériel rapporteur.  Quelques  années  après  il  fut  admis  à  faire 
partie  du  conseil  de  la  direction  générale  en  qualité  de  con- 
seiller supérieur  des  tinances.  Les  malheurs  de  l'année  1806 
l'amenèrent  à  Kœnigsberg,  où  il  prit  part  aux  travaux  que 
nécessita  la  nouvelle  organisation  à  donner  à  la  monarchie 
prussienne.  A  la  mort  du  baron  de  Stein  ,  il  fut  appelé  à  la 
direction  du  département  des  finances  ;  fonctions  qui  exi- 
geaient à  ce  moment  une  capacité  et  des  vertus  peu  com- 
munes ,  et  dans  l'exercice  desquelles  il  lui  fut  donné  de 
présider  à  la  transformation  totale  du  mécanisme  adminis- 
tratif et  financier  de  la  Prusse.  Il  prit  aussi  une  part  des 
plus  actives  à  la  création  de  la  nouvelle  université  (!e  Ber- 
lin. Quand  le  baron  de  Hardenberg  rentra  aux  affaires, 
en  1S12,  Altenstein  sortit  du  cabinet,  et  fut  nommé  en  1SI3 
gouverneur  civil  de  la  Silésie.  En  1815  il  dirigea  avec  Guil- 
laume de  Humboldt  les  négociations  relatives  aux  réclama- 
tions fmancières  élevées  contre  la  France ,  réclamations  qui 
avaient  échoué  l'année  précédente  et  qui  cette  fois  furent 
mieux  accueillies.  Vers  la  fin  de  1817  il  entra  dans  le  nou- 
veau cabinet  qui  se  constitua  alors ,  en  qualité  de  ministre 
de  l'instruction  publique  et  des  affaires  ecclésiastiques  ;  dé- 
partement créé  à  ce  moment ,  et  où  il  a  laissé  de  durables 
souvenirs  par  les  semces  de  tout  genre  qu'il  rendit  à  l'ins- 
truction publique,  qui,  entre  autres  services,  lui  est  rede- 
vable de  la  création  de  l'université  de  Bonn  ainsi  que  de  celle 
de  bon  nombre  de  gymnases  et  d'écoles.  En  ce  qui  touche 
les  affaires  ecclésiastiques,  il  eut  le  mérite  de  triompher  d'un 
grand  nombre  de  difticultés,  sans  cependant  réussir  à  mettre 
fin  d'une  manière  satisfaisante  poinr  toutes  les  parties  aux 
différends  qui  avaient  surgi  entre  le  saint-siége  et  le  gou- 
vernement prussien.  Le  comte  d' Altenstein  était  un  homme 
d'un  grand  savoir,  d'une  infatigable  activité ,  d'une  rare 
fermeté  de  caractère  et  d'une  remarquable  modestie. 

ALTEXZELLE ,  ancienne  abbaye  de  l'ordre  de  Cî- 
teaux,  sur  la  Mulde  de  Freiberg,  aux  environs  de  ^'os^en, 
dans  le  royaume  de  Saxe ,  fut  fondée  et  généreusement  dotée 
en  1 162  par  le  margrave  Othon  le  Riche  de  Misnie,  et  donnée 
en  1173  à  des  moines  de  l'abbaye  de  Pfordten.  L'abbaye  d'Al- 
lenzelle  fut  surtout  célèbre  au  treizième  et  au  quinzième 
sii\':le  par  le  zèle  éclairé  dont  ses  religieux  firent  preuve 
pour  les  progrès  des  sciences  et  des  lettres,  et  l'école  qui 
y  fut  annexée  dès  le  quatorzième  siècle  peut  être  considérée 
comme  le  premier  établissement  d'instruction  publique  de 
quelque  importance  qui  ait  existé  en  Saxe.  Plusieurs  reli- 
gieux de  cette  abbaye  se  sont  fait  un  nom  par  leurs  tra- 
vaux dans  les  lettres  :  par  exemple,  au  commencement  du 
treizième  siècle,  l'abbé  Liudiger,  et,  vers  la  fin  du  quinzième 
siècle ,  les  abl)és  Antoine  de  Mitw  eide  et  Léonard ,  tous 
trois  auteurs  de  sermons  en  latin.  Il  faut  encore  citer  comme 
infatigables  transcripteurs  des  (ouvres  d'autrui ,  l'abbé 
Elwrhard,  qui  vivait  vers  le  milieu  du  treizième  siècle,  et  le 
prieur  Mckiiior  Schmelzer,  qui  vivait  à  la  fin  du  quir-^-ième 


siècle.  On  doit  aussi  une  mention  toute  particulière  aux 
deux  abbés  Vincent  Gruncr  (1411-1442),  homme  d'un 
vaste  savoir,  et  qui  mérita  bien  de  l'abbaye  par  les  impor- 
tantes constructions  qu'il  y  ajouta,  et  Martin  de  Lochau 
(  1493-1522) ,  qui  ne  fonda  pas  seulement  à  Leipzig  un  sé- 
minaire pour  les  abbayes  saxonnes  de  l'ordre  de  Cîteaux , 
mais  qui ,  par  ses  nombreuses  acquisitions  ,  fit  de  la  biblio- 
thèque de  l'abbaye  d'Altenzelle  l'une  des  plus  riches  qui 
existassent  alors  en  Saxe. 

Une  circonstance  qui  n'a  pas  peu  contribué  à  donner  à 
l'abbaye  d'Altenzelle  une  importance  toute  particulière  pour 
la  Saxe ,  c'est  que  les  restes  mortels  de  tous  les  membres 
de  la  famille  du  margrave  Othon  le  Riche  jusqu'à  Frédéric 
le  Sévère  et  son  épouse  Catherine  de  Henneberg  (morte  en 
1397),  ont  été  ensevelis  dans  la  chapelle  dite  des  Princes, 
construite  dans  l'intérieur  du  couvent  par  le  margrave  Fré- 
déric le  Grave,  en  1347.  Les  annales  rédigées  dans  cette 
abbaye  sous  le  titre  de  Chronicon  Vetero-Cellense  Majus 
et  de  Chronicon  Minus,  que  Mencken  a  insérées  dans  le  re- 
cueil de  ses  Scriptores  Renan  Germanarum  (tome  II) , 
sont  d'une  certaine  importance  pour  l'histoire  particulière  de 
la  Sa.ve.  Lors  de  la  sécularisation  de  cette  abbaye,  opérée 
en  1544 ,  les  autels  et  les  vases  sacrés  en  furent  répartis  entre 
un  certain  nombre  d'églises.  Les  cloches  en  furent  données  à 
l'église  Notre-Dame  de  Dresde  ;  la  bibliothèque,  contenant 
plus  de  cinq  cents  volumes  manuscrits ,  à  l'université  de 
Leipzig ,  et  les  archives  transférées  à  Dresde.  L'église  et  la 
chapelle  des  P?-i?!ce5  y  attenante  furent  toujours  entretenue  î 
en  bon  état  jusqu'en  1599,  époque  où  la  foudre  les  réduisit 
en  cendres.  La  reconstruction  de  la  chapelle ,  projetée 
déjà  par  Jean-Georges  H,  fut  entreprise  et  terminée  en 
1787  par  Frédéric-Auguste  III.  Dans  le  cimetière,  placé  au 
milieu  d'un  beau  jardin  ,  s'élève  un  monument  en  marbre 
dont  les  inscriptions  latines  contiennent  le  nom  et  la  date 
de  la  mort  des  différents  princes  dont  les  dépouilles  mor- 
telles ont  été  recueillies  et  déposées  là  dans  cinq  sarcophages 
en  pierre. 

ALTERA  PARS  PETRI  ou  Secumla  pars  Pétri ,  et 
aussi  Rami.  On  emploie  souvent  dans  les  écoles  cette 
expression  pour  désigner  le  jugement ,  le  bon  sens ,  l'esprit, 
la  sagacité.  Quand  on  veut  faire  entendre  (pie  ces  qualités 
font  défaut  à  un  individu ,  on  dit  qu'il  lui  manque  Valteru 
pars  Pétri.  On  attribue  l'origine  de  cette  locution  au  ma- 
nuel de  logique  de  Pierre  Ramée ,  Petrus  R  a  m  u  s  .  Son 
système  de  logique  se  composait  de  deux  parties  ;  et  dans 
la  seconde,  l'auteur  traitait  de  judicio.  Par  conséquent,  le 
jugement  était  littéralement  le  sujet  du  second  livre  de  l'œu- 
vre de  Ramus,  Valtera  purs  Rami.  —  D'autres  expliquent 
cette  façon  proverbiale  de  parler,  par  l'inscription  placée  sur 
le  tombeau  de  Ramée  :  Hicjacet  Petrus  Ramus  (ci-g!t 
Pierre  Ramée  ) ,  vir  magnœ  memoriœ  (homme  d'une  grande 
mémoire,  c'est-à-dire  qui  savait  beaucoup)  expectans  ju- 
dicium  (attendant  le  jugement  dernier).  Comme  le  mot 
latin  jicdicium  signifie  aussi  jugement,  bon  sens,  sagacité, 
cette  phrase  pouvait  aussi  vouloir  dire  que,  malgré  ses  vastes 
connaissances,  le  bon  sens  lui  avait  manqué;  amphibologie 
que  Ramus  méritait  moins  que  tout  autre,  si  tant  est  qu'on 
lui  ait  réellement  fait  cette  épitaphe ,  dont  quelques  auteurs 
gratifient  aussi  le  philologue  Josiié  Barnébius. 

ALTÉRANTS,  substances  dont  les  auteurs  moderne.s 
ont  fait  une  classe  de  la  division  pharmaceutique.  L'oppor- 
tunité de  leur  emploi  est  à  peu  près  connue  ;  mais  le  secret 
de  leur  mode  d'action  est  resté  jusque  ici  inabordable.  On 
suppose  que,  pénétrant  dans  l'intimité  des  organes,  ils  agis- 
sent moléculairement  sur  les  tissus ,  dont  ils  modifient  la 
composition  et  l'exercice,  produisant  en  eux  un  mouvement 
intestin,  qui  a  pour  eflet  la  désagrégation  des  liquides, 
l'augmentation  d'énergie  des  fonctions  absorbantes ,  et  par 
cela  même  la  résolution  de  toutes  sortes  d'engorgements. 
Les  principaux  altérants  sont  l'iode ,  le  brome ,  le  mercnre 

»3. 


ALTERANiS  —  ALTEIl  EGO 


420 

el'eiTS  dérivés.  Les  préparations  arsenicales  à  doses  infinité- 
simales jouissent  encore  des  mêmes  propriétés.  On  les  ap- 
plique spécialement  à  la  guérison  des  maladies  sypliilitiiiues, 
scrofuleuses  et  cutanées  clironiques.  D''  Delasul  ve. 

ALTÉRATIO\%  cliangement  de  bien  en  mal  dans 
l'état  d'une  cliose.  Dans  toute  société ,  la  fonction  du  com- 
merce consiste  à  servir  d'intermédiaire  entre  le  producteur 
et  le  consommateur,  à  acheter  au  premier  pour  vendre  au 
second.  Rançonner  l'un  et  l'autre  en  achetant  à  bon  mar- 
ché et  en  vendant  cher,  tel  est,  on  peut  le  dire,  l'art  ou 
plutôt  le  métier  du  commerçant.  Heureux  encore  le  con- 
sommateur si  le  commerçant  eût  borné  là  son  savoir-faire  ! 
Mais  de  tout  temps,  et  sous  tous  les  régimes  sociaux  en  vi- 
gueur jusque  ici,  on  a  vu  le  commerce  chercher  une  augmen- 
tation de  gain  dans  l'altération  des  marchandises  livrées  à 
la  consommation.  Ainsi  Platon ,  dans  son  livre  de  lu  Ré- 
publique, se  plaint  des  voleries  des  marchands,  et  propose 
l'établissement  de  règlements  sévères  pour  empêcher  l'alté- 
ration des  poids  et  des  denrées.  Ainsi  Pline  nous  apprend 
que  de  son  temps  les  substances  les  plus  précieuses  étaient 
altérées  avec  une  mauvaise  foi  insigne  et  une  grande  habi- 
leté. Le  fait  de  l'altération  des  denrées  et  des  marchandises 
n'est  donc  pas  nouveau  ;  mais,  grâce  aux  progrès  delà  chimie, 
et  grâce  à  cette  libre  concurrence  tant  prônée  par  les  éco- 
nomistes de  l'école  libérale ,  ce  fait ,  il  faut  en  convenir,  n'a 
jamais  été  aussi  frcquent  que  de  nos  jours;  de  plus,  jamais 
il  ne  s'est  produit  avec  des  caractères  aussi  pernicieux.  Les 
clioses  en  sont  arrivées  à  ce  point  que ,  pour  mettre  le  pu- 
blic en  garde  contre  les  différents  genres  d'altération  que  le 
commerce  fait  subir  aux  substances  alimentaires ,  il  s'écrit 
aujourd'hui  des  volumes. 

Les  genres  d'altération  les  plus  usuels  et  les  plus  préjudi- 
ciables à  la  masse  des  consommateurs  sont  ceux  qui  por- 
tent sur  les  farines,  le  pain,  le  vin,  la  viande,  le  lait,  le 
sel ,  les  huiles ,  etc. 

On  altère  les  farines  de  froment  avec  de  la  fécule  de  pom- 
mes de  terre ,  avec  de  la  farine  de  féveroles ,  de  haricots  ou 
de  seigle.  Cette  sorte  de  fraude,  autrefois  inconnue,  a  pris,  à 
ce  qu'on  assure,  une  telle  extension  dans  ces  derniers  temps, 
qu'en  1839,  époque  où  le  prix  du  blé  était  très-élevé,  pres- 
([ue  toutes  les  farines  qui  se  trouvaient  sur  la  place  de  Paris 
se  trouvaient  ainsi  altérées. 

Une  fraude  beaucoup  moins  innocente  est  celle  qui  con- 
siste à  introduire  dans  le  pain  diverses  matières  délétères , 
telles  que  le  sulfate  de  cuivre  ,  l'alun,  le  sulfate  de  zinc,  la 
craie  (  carbonate  de  chaux),  le  plâtre,  etc.,  etc.  Ces 
fraudes  odieuses  se  commettent  fréquemment  en  Belgique 
et  dans  le  nord  de  la  France. 

Anciennement  on  ne  connaissait  guère  d'autre  manière 
d'altérer  le  via  qu'en  y  mêlant  une  plus  ou  moins  grande 
(iuantité  d'eau.  Depuis  trente  ans  il  s'est  accompli  sous  ce 
rapport  un  immense  progrès.  Aujourd'hui  on  déguise  la 
\erdeur  des  vins  de  mauvais  terroir;  on  aromatise  les  vins 
.  ommuns ,  de  manière  à  leur  communiquer  le  bouquet  des 
\  ins  de  qualité  supérieure  ;  on  modifie  leur  couleur  à  l'aide 
(le  substances  tinctoriales  ou  de  sucs  végétaux  ;  on  va  même 
jusqu'à  fabriquer  du  vin  sans  raisin ,  au  moyen  de  mé- 
langes convenables  d'eau,  de  sucre  et  d'alcool.  Bref,  il 
n'est  pas  une  denrée  que  le  conmierce  altère  aujourd'hui 
plus  que  le  vin ,  et  cette  altération  s'effectue  presque  tou- 
jours au  grand  détriment  de  la  santé  publique. 

Voici  l'origine  la  plus  commune  de  l'altération  de  la 
viande  :  comme  le  bœuf,  le  mouton  ,  le  porc,  sont  tirés  de 
pays  éloignés  des  gramles  villes ,  et  que  pour  en  avoir  un 
plus  giand  prix  les  marchands  de  bestiaux  se  hâtent  de  les 
y  faire  arriver  promptement ,  il  aiTive  que  ces  animaux  sont 
surmenés.  Alors  la  rapidité  de  la  marche  enflamme  leur 
sang  et  fait  naître  en  eux  une  lièvre  qui  rend  leur  chair 
extrêmement  malsaine.  La  seconde  cause  de  l'altération  de 
kt  viande  est  la  vétusté,  (lui  transforme  toute  viande  en  un 


aliment  essentiellement  vénéneux.  Les  accidents  qui  sont 
la  suite  de  l'ingestion  d'une  viande  altérée ,  quoique  nom- 
breux ,  sont  peu  remarqués ,  par  la  raison  quils  frappent 
sur  la  masse  du  peuple ,  qui  ne  peut  se  rendre  compte  de 
la  cause  des  maladies  qu'il  éprouve. 

Le  lait,  dont  la  consommation  est  très-considérable  dans 
les  grandes  villes ,  s'altère  le  plus  communément  avec  de 
l'eau  ;  mais  souvent  aussi ,  après  l'avoir  débarrassé  d'une 
partie  de  sa  crème,  on  y  introduit  conjointement  avec  de 
l'eau  une  émulsion  d'amandes ,  et  par  économie  une  émul- 
sion  de  graine  de  chènevis ,  qui  change  moins  la  couleur  du 
lait  que  l'eau  pure;  et  comme  ce  liquide,  ainsi  affaibli,  a 
moins  de  consistance ,  les  laitiers  y  ajoutent ,  en  outre ,  de 
la  cassonnade,  de  la  farine  crue  ou  cuite,  des  jaunes  d'oeufs, 
(;u  bien  de  la  gélatine;  et  pour  lui  donner  l'apparence  du 
lait  très-crémeux  ,  ils  le  colorent ,  soit  avec  du  safran  ou  des 
fleurs  de  souci,  soit  avec  le  jus  de  réglisse,  soit  enfin  avec 
le  suc  de  carotte  ou  la  racine  de  curcuma. 

Les  principales  altérations  du  sel  s'effectuent  :  1">  avec  de 
l'eau ,  qui  en  augmente  le  poids  ;  l°  avec  le  sel  marin  des 
salpêtrières,  qui  se  vend  moins  cher  que  le  sel  des  salines; 
3"  avec  le  sel  marin  retiré  des  soudes  de  varech  ;  4°  avec  le 
sulfate  de  soude;  5°  avec  le  sulfate  de  chaux  réduit  en  pou- 
dre fine;  6°  avec  de  l'alun;  7°  avec  de  la  terre.  Ces  diverses 
sortes  d'altérations  se  produisent  fréquemment  aujour- 
d'hui ,  et  toutes  sont  plus  ou  moins  nuisibles  au  consom- 
mateur. 

Enfin,  c'est  un  fait  reconnu  qu'il  est  fort  difficile,  pour 
ne  pas  dire  impossible ,  de  se  procurer  une  seule  sorte  d'huile 
qui  ne  soit  plus  ou  moins  altérée.  Ainsi  l'huile  d'ohve ,  qui 
est  plus  chère  que  les  autres,  se  trouve  ordinairement  mé- 
langée d'huile  de  pavot  ou  d'oeillette ,  qui  coûte  moitié  moins. 
Souvent  aussi  on  l'altère  avec  du  miel  ou  des  matières 
grasses. 

Telles  sont  les  principales  altérations  qu'a  contribué  à  dé- 
velopper dans  des  proportions  effrayantes  notre  faux  régime 
de  liberté  commerciale ,  et  contre  lesquelles  il  est  presque 
impossible  à  la  masse  des  consommateurs  de  se  prémunir. 
Le  riche  lui-même  n'est  pas  à  l'abri  des  conséquences  d'un 
tel  régime  ;  mais  c'est  surtout  le  pauvre  qui  en  est  victime, 
car  le  pauvre  court  avant  tout  après  le  bon  marché ,  et  les 
denrées  que  le  marchand  livre  à  bas  prix  sont  presque  tou- 
jours des  denrées  altérées.  P.  Forest. 

Une  lacune  qui  existait  dans  notre  législation  a  longtemps 
servi  d'encouragement  à  ces  sortes  de  falsifications; 
car  l'article  423  du  Code  Pénal,  tout  en  prévoyant  quelques 
cas,  en  laissait  un  grand  nombre  hors  de  son  atteinte.  La 
loi  du  27  mars-l^"' avril  1851  est  enfin  venue  combler  cette 
lacune ,  et  une  répression  efficace  tend  à  rendre  aujourd'hui 
moins  communes  des  altérations  trop  longtemps  tolérées. 
Elle  punit  d'une  amende  de  seize  francs  à  vingt-cinq  francs , 
et  d'un  emprisonnement  de  six  à  dix  jours,  ceux  qui  dans 
leurs  magasins ,  atehers  ou  maisons  de  commerce ,  ou  dans 
les  halles,  foires  et  marchés,  exposent  des  substances  alimen- 
taires ou  médicamenteuses  qu'ils  savent  être  falsifiées  ou  cor- 
rompues ;  l'amende  peut  même  être  portée  à  cinquante 
francs,  et  l'emprisonnement  à  quinze  jours,  si  la  substance 
falsifiée  est  nuisible  à  la  santé.  De  plus ,  les  objets  qui  cons- 
tituent le  corps  du  délit  sont  confisqués ,  et  quand  ils  sont 
nuisibles  ils  sont  détruits  et  répandus,  destruction  et  eflu- 
sion  que  le  tribunal  peut  ordonner  avoir  lieu  devant  l'éta- 
blissement ou  le  domicile  du  condamné. 

ALTER  EGO,  formule  de  style  de  la  chancellerie  du 
royaume  des  Deux-Siciles,  par  laquelle  le  roi  confiait  à  un  vi- 
caire général  de  l'empire,  ou,  en  d'autres  termes,  à  un  man- 
dataire, le  complet  exercice  de  tous  les  droits  et  préroga- 
tives de  la  royauté,  et  en  fait  ainsi  un  autre  lui-même.  Ce 
cas  s'est  présenté  à  Kaples  lors  de  l'insurrection  de  Monte- 
forte  où  le  roi  François  \''\  mort  en  1830,  fut  nommé  par 
son  père  Ferdinand,  le  G  juillet  1820,  aller  cfjo.  En  France, 


ALTER  EGO  —  ALTESSE 


421 


l'expression  usiti'e  en  pareille  occurrence  est  celle  de  lieu- 
tenant général  du  roijaitntc. 

ALTERIXAÎVCE  (Loi  d'),  principe  en  Acrlu  diKiiiel 
plusieurs  botanistes  admettent  que  tt)ule  tleur  est  formée 
d'un  certain  nombre  de  verticilles  ou  anneaux  ,  d'organes 
appendiculaires ,  et  que  les  pièces  qui  composent  chaque 
verlicille  sont  insérées  entre  celle  du  verlicille  qui  préct-de 
ou  succède  innnédiatemenf,  et  par  conséquent  alternent  avec 
elles.  —  Linné,  dans  sa  P/ij/oso;;/iie/)0/o/i/(/M(?,  semble  avoir 
soupçonné  cotte  loi  lorsqu'il  donne  pour  caractère  distinc- 
tif  à  la  corolle  d'avoir  ses  pièces  placées  entre  les  étamines, 
taudis  que  celles  du  calice  sont  placées  au-dessous  de  celles- 
ci.  De  Candolle  l'enlrevit  réellement  en  énumérant,  dans 
sa  Théorie  élémentaire ,  les  diverses  combinaisons  qu'on 
peut  trouver  dans  l'arrangement  des  organes  de  la  tleur.  Il 
remarqua  que  la  disposition  la  plus  fréquente  est  celle  où  les 
pièces  de  chaque  verticille  sont  placées  entre  celles  du  ver- 
licille précédent  ;  mais  il  se  contenta  de  cet  aperçu ,  sans 
paraître  avoir  prévu  qu'un  jour  il  acquerrait  la  valeur  d'une 
loi  générale.  En  1825  M.  Kaspail,  dans  ses  Mémoires  re- 
latifs aux  graminées ,  formula  positivement  la  loi  d'alter- 
nance ,  qu'il  regarda  comme  une  règle  fixe  pour  toute  celte 
famille.  Il  pensa  môme  qu'elle  devait  être  apphquée  à  toutes 
les  monocotylédones.  31.  Dunal,  en  1829,  adopta  complète- 
ment la  loi  d'alternance ,  et  il  peut  être  regardé  comme  ce- 
lui qui  lui  a  donné  la  plus  grande  extension.  Depuis,  !M.  Au- 
guste de  Saint-Hilaire  a,  dans  des  mémoires  sur  différentes 
familles ,  constaté  fréquemment  la  riguem'  du  précepte  en 
en  faisant  de  lumineuses  applications. 

ALTERNE,  en  botanique,  exprime  la  superposition 
alternative  des  mêmes  organes  sur  un  axe  commua.  Les 
feuilles  qui  croissent  des  deux  côtés  de  la  tige  et  des  bran- 
ches ,  et  qui  ne  sont  pas  en  face  les  unes  des  autres ,  sont 
alternes,  à  la  différence  des  feuilles  qu'on  appelle  opposées, 
et  qui  naissent  de  points  correspondants.  Les  feuilles  de 
l'érable  sont  opposées ,  celles  de  l'orme  sont  alternes.  — 
On  emploie  aussi  le  mot  alterne  pour  désigner  la  position 
alternante  de  deux  organes  de  nature  différente  ;  ainsi ,  i)ar 
exemple,  dans  le  plus  grand  nombre  des  cas,  les  pétales 
sont  alternes  aux  sépales. 

Alterne,  en  géométrie,  se  dit  des  angles  formés  par  deux 
l'gnes  droites  parallèles  avec  les  côtés  opposés  d'une  même 
sécante. 

ALTESSE.  Cette  qualification  avait  originairement  le 
sens  A' élévation ,  grandeur  suprême ,  et  était  usitée  dès  la 
plus  haute  ancienneté  parmi  les  potentats  et  les  princes  de 
l'Église.  Les  rois  de  France  de  la  première  et  de  la  seconde 
race  se  donnaient  souvent  le  titre  de  celsitude  ou  d'altesse, 
en  parlant  d'eux-mêmes.  Saint  Bernard  le  donne  à  Gauthier 
de  Bourgogne,  évêque  de  Langres.  Riais  dans  la  suite  les 
titres  de  grandeur  et  d'éminence  ont  succédé  à  celui  d'al- 
tesse, pour  les  archevêques  et  évêques  qui  n'avaient  point 
de  souverainetés.  Les  rois  de  Castille,  d'Aragon  et  de  Por- 
tugal ont  porté  le  titre  d'altesse  jusqu'au  seizième  siècle. 
Charles-Quint,  roi  d'Espagne,  le  porta  jusqu'à  son  avène- 
ment à  l'empire  (  1519).  Les  enfants  de  ce  prince  et  ceux 
de  Ferdinand  son  frère,  ainsi  que  tous  leurs  enfants  et  des- 
cendants, archiducs  d'Autriche  et  infants  d'Espagne,  prirent 
le  titre  d'altesse.  Ce  titre  fut  aussi  donné  aux  princes  Phi- 
libert et  Thomas  de  Savoie,  comme  fils  de  l'infante  Cathe- 
rine d'Autriche.  L'empereur  le  donna  à  don  Juan  d'Autri- 
che, fils  naturel  de  Philippe  IV,  roi  d'Espagne.  JVÎais  les 
grands  d'Espagne  ne  consentirent  à  lui  donner  ce  titre  qu'en 
obtenant  de  ce  prince  celui  d'exeellence.  En  France,  les 
prédécesseurs  de  Louis  XI  avaient  ordinairement  la  qualité 
d'altesse,  quelciuefois  celle  d'excellence.  Cependant  Phi- 
lippe le  Bel  se  qualifie  7ïotre  majesté  royale,  dans  une 
commission  qu'il  donne  au  bailli  de  Caen  pour  la  garde 
des  passages  de  Flandre,  datée  de  Compiègne,  ''^  vendredi 
après  la  Madeleine  (27  juillet)   131  i.  On  voit  aussi  dans 


le  Nouveau  Traité  de  Diplomatique ,  t.  'VI,  p.  81,  une 
lettre  de  l'empereur  Frédéric  IV  au  roi  Charles  VII ,  dans 
laquelle  ces  deux  monarques  se  traitent  réciproquement  de 
sérénité  (dont  on  a  fiiit  sérénissime).  Henri  V  ,  roi  d'An- 
gleterre, se  qualifiant  roi  de  France,  osa  ne  donner  au  roi 
Charles  VI  que  le  titre  de  sérénissime  piunce  dk  riuNCE , 
dans  une  assemblée  de  plénipotentiaires  tenue  à  Winches- 
ter, le  27  juillet  1415. 

Dès  que  les  rois  de  France  eurent  adopté  le  titre  de  7na- 
jesté,  celui  d'altesse  fut  donné  d'abord  à  leurs  frères  et  à 
leurs  enfants  seulement,  le  titre  d'excellence  étant  consaci'é 
dans  les  relations  diplomatiques  pour  les  autres  princes  du 
sang  royal,  qu'on  traitait  de  Vous  dans  l'usage  ordinaire. 
Cet  usage  a  duré  jusqu'en  1(562.  Le  grand  Condé  se  trouvait 
à  Rome  à  cette  époque  où  Louis  XIV ,  ne  pouvant  obtenir 
du  saint-siége  une  satisfaction  suffisante  pour  une  insulte 
faite  à  M.  de  Créquy  ,  son  ambassadeur,  se  saisissait  d'Avi- 
gnon et  du  Comlat  Venaissin,  qu'il  réunit  à  la  France.  Le 
prince  ayant  réclamé  d'Alexandre  Vil  le  titre  d'altesse, 
le  pape  le  lui  accorda ,  le  fit  couvrir  à  sou  audience,  et  lui 
fit  prendre  place  au  consistoire  au-dessus  du  dernier  car- 
dinal diacre.  Depuis  lors  tous  les  princes  du  sang  prirent  le 
titre  d'altesse,  qui  est  aussi  passé  aux  enfants  des  rois.  En 
Allemagne ,  les  princes  souverains ,  tant  séculiers  qu'ecclé- 
siastiques ,  prirent  également  le  titre  d'altesse  à  l'époque 
où  celui  de  majesté  prévalut  pour  les  rois.  Cet  usage  était 
entièrement  consacré  lors  des  conférences  de  Munsîer.  Les 
princes  investis  d'électorats  étaient  qualifiés  d'altesse  élec- 
torale. Les  autres  princes  et  évêques  souverains  avaient  le 
titre  d'altesse.  En  1637,  Louis  XIII  fit  donner  par  ses  am- 
bassadeurs ce  titre  aux  princes  d'Orange,  auxquels  on  ne 
donnait  précédemment  que  celui  d'excellence.  Mais  dans 
les  pièces  où  le  roi  stipulait,  on  ne  donnait  le  titre  d'altesse 
à  personne  :  aussi  dans  les  conférences  de  Munster  (  1644  ), 
les  plénipotentiaires  français  s'opposèrent-ils  à  ce  qu'un  dé- 
puté du  prince  d'Orange  prit  la  qualité  de  conseifier  de  son 
altesse.  Cromwell,  qui  parut  dédaigner  le  titre  de  roi  lors- 
qu'il eut  usurpé  le  pouvoir  en  Angleterre  (1649),  se  faisait 
donner  celui  d'altesse.  En  Italie,  ce  titre  ne  fut  pas  ac- 
cordé d'abord  à  tous  les  princes  jouissant  de  la  souverai- 
neté. La  république  de  Venise  ne  donnait  que  l'excellence 
au  duc  de  Parme.  Les  princes  de  Massa  et  de  la  IMirandole 
avaient  le  titre  d'altesse.  Le  connétable  Colonne  et  le  duc 
de  Bracciano  le  prenaient  en  y  ajoutant  la  qualité  de  séré- 
nissime. Les  cadets  de  ces  princes  et  de  ceux  d'Allemagne 
ne  se  qualifiaient  d'abord  que  du  titre  d'excellence ,  mais 
dans  la  suite  ils  prirent  aussi  celui  d'altesse.  Les  seuls  grands 
d'Espagne  le  refusèrent  aux  cadets  des  maisons  de  Savoie 
et  de  Médicis. 

On  voit  par  l'historique  de  cette  qualification  que, 
portée  d'abord  par  les  rois,  elle  passa  de  ceux-ci  aux  princes 
jouissant  de  la  souveraineté,  et  s'étendit  à  leurs  cadets  non 
souverains.  Depuis  on  a  donné  le  titre  d'altesse  sérénissime 
à  tous  ceux  qui  jouissent  du  titre  et  des  honneurs  de  princes, 
soit  en  France ,  soit  dans  les  pays  étrangers.  Les  maisons  de 
Lorraine-Elbeuf ,  de  la  Tom--Bouillon  ,  de  Rohan-Guémenée 
et  de  la  Trémouille  ,  ont  joui  jusqu'à  la  révolution  du  rang 
et  des  honneurs  de  princes  étrangers  à  la  cour  de  France, 
et  du  titre  d'altesse.  Les  traités  de  1814  et  de  1815  avaient 
expressément  conservé  ce  titre  au  prince  de  Talleyrand.  De 
tous  les  potentats  européens,  l'empereur  de  Turquie  est  le  seul 
qui  ait  conservé  le  titre  d'altesse  (hautesse).        Laink. 

ALTESSE  ROYALE.  Don  Ferdinand  d'Espagne,  car- 
dinal infant,  archevêque  de  Tolède,  ayant  été  nommé  gou- 
verneur des  Pays-Bas  par  le"roi  Philippe  IV,  son  frère, 
traversait  l'Italie  en  1633,  pour  se  rendre  dans  son  gou- 
vernement; se  voyant  eovironné  d'une  multitude  d'altesses 
avec  les(iuelles  il  ne  voulait  pas  être  confondu,  il  prit  le  titre 
d'altesse  roijule ,  que  lui  donna  même  le  duc  de  Savoie, 
quoi(iu'il  n'en  re<.ût  que  celui  d'altesse.  Gaston  de  France, 


422 


ALTESSE  —  ALTONA 


duc  d'Orléans,  se  trouvait  à  Bruxelles  à  l'arrivée  du  cardi- 
nal-infant. Comme  lui  fils  et  frère  de  roi,  il  n'aurait  pas 
souffert  entre  eux  de  distinction.  Il  prit  aussi  le  titre  d'al- 
tesse royale.  Telle  fut  l'origine  de  cette  qualification,  por- 
tée |iar  les  (ils  et  petits-fils  de  rois  en  l'>ance,  en  Angleterre 
et  dans  le  Nord.  A  un  degré  plus  éloigné,  les  princes  du 
sang  ne  prennent  plus  que  le  titre  d^altesse  sérénissime. 
Philippe  de  France,  duc  d'Orléans,  frère  unique  de  Louis  XIV, 
et  son  (ils  Philippe,  aussi  duc  d'Orléans,  portèrent  le  titre 
(Va  liesses  royales;  mais  les  enfants  et  descendants  de  ce 
dernier  prince  n'ont  plus  porté  que  le  titre  d'altesse 
sérénissime  jusqu'à  l'avènement  de  Charles  X,  qui  ac- 
corda à  la  hranche  d'Orléans  le  titre  d'altesse  royale,  que 
Louis  XVIII  lui  avait  refusé.  Le  duc  de  Bourbon  avait  ob- 
tenu la  môme  faveur.  Les  princes  de  Condé  et  de  Conli  n'a- 
vaient que  Valtesse  sérénissime.  —  En  Allemagne,  depuis 
1815,  les  grands-ducs  souverains  portent  le  titre  d'altesse 
royale  (kœniglithe  Hoheit).  Laink. 

On  donne  le  titre  d'a/^es^e  impériale  aux  fils  et  petits-fils 
d'empereurs.  En  France,  ce  titre  appartient  aux  membres 
de  la  famille  impériale;  les  membres  de  la  famille  de  l'em- 
pereur n'ont  (lue  le  titre  d'altesse. 

ALTliÉEf  fille  du  roi  Thestios  et  d'Eurythémis,  était 
l'épouse  d'Œnée,  roi  de  Calydon,  et  la  mère  de  Toxée,  de 
Thyrée,deClymène,  deGorgô,de  Déjanireet  de  Méléagre, 
qu'elle  eut,  dit-on ,  de  Mars.  On  sait  par  quel  artifice  elle 
prolongea  la  vie  de  ce  dernier  ;  mais  Méléagre  ayant  tué  son 
oncle,  Althée  laissa  mourir  son  fils,  et  se  tua  elle-même. 

ALTIIEN  (EuAN  ou  Jean),  propagateur  de  la  culture 
de  la  garance  en  France,  était  né  en  Perse,  en  17j  1,  dans 
un  village  resté  fidèle  à  la  religion  clirétienne.  Fils  d'un 
gouverneur  de  province  qui  avait  représenté  son  gouver- 
nement auprès  de  l'empereur  Joseph  l",  il  vil  massacrer 
son  père  et  ses  frères,  et  parvint  à  s'enfuir,  mais,  capturé 
par  un  marchand  arabe  qui  l'amena  en  Arménie,  il  y  fut 
employé  comme  esclave  à  la  culture  du  coton  et  de  la  ga- 
rance. Au  bout  de  quinze  ans  de  servitude,  il  trouva  l'oc- 
casion de  s'échapper,  se  réfugia  à  Smyrne  chez  le  représen- 
tant de  la  France,  et  s'embarqua  pour  Marseille,  on  il  arriva 
en  1739.  H  s'y  maria,  et  se  rendit  à  Versailles.  Louis  XV 
le  reçut  favorablement.  11  essaya  d'abord  la  culture  du  coton 
à  Castres,  puis  à  Montpellier,  mais  il  ne  réussit  pas,  et  se 
trouva  sans  ressources ,  après  avoir  mangé  la  dot  de  sa 
femme.  La  tradition  le  représente  alors  étamantdes  ustensiles 
de  cuisine  à  Marseille  pour  gagner  son  pain.  Quelque  tem|)s 
après  il  fulemployédans  les  établissements  levantins  existant 
à  Saint  Cliamouil,  et  il  tenta  d'y  cultiver  la  garance.  Mais 
le  cliii'.at  (lc5  montagnes  du  Forez  ne  convenait  pas  à  cette 
plante.  Allben  songea  à  Avignon,  et  obtint  quelques  lots  de 
terre  à  ensemencer.  Les  résultats  de  cette  nouvelle  cul- 
ture, commencée  en  1756,  furent  constatés  à  Avignon,  en 
1763.  Le  conseil  de  cette  ville  lui  accorda  cinq  louis  d'in- 
demnité et  un  privilège  d'exploitation  pourdix  années.  La  ga- 
rance franchit  les  limites  de  la  concession,  et  Aithen  eut  la 
joie  de  voir  sa  conquête  assurée.  Il  mourut  en  1774,  lais- 
sant deux  filles  dans  l'indigence.  Il  était  d'ailleurs  prodigue 
et  peu  régulier  dans  ses  mœurs.  Sa  seconde  fille  mourut 
en  1789  à  l'hôpilat  d'Avignon  ,  disposant  d'une  rente  de  60 
livres  et  de  ses  bardes  et  nippes.  Altlien  avait  épousé 
deux  femmes;  la  seconde  mourut  folle  dans  la  maison  de 
ro-'uvre  de  la  Miséricorde  à  Avignon.  Cette  cité  a  élevé  en 
1855  une  statue  à  Allhen,  dont  elle  conserve  le  portrait  dans 
son  musée.  L.  L. 

ALTIIORP  (  Vicomte).  Voyez  Spencer. 
ALTISE  (  d'àÀTiy.6;,  sauteur),  insecte  de  l'ordre  des 
coléoptères  tétramères,  caractérisé  par  des  antennes  in- 
sérées entre  les  yeux,  très- rapprochées  à  leur  base,  et  les 
cuisses  postérieures  très-renfiées,  propres  au  saut.  —  Vul- 
çaircment  connues  sous  le  nom  de  puces  de  jardins ,  ou 
smiteurs  de  terre,  les  altises  exercent  dans  les  potagers  '< 


•  des  ravages  immenses.  Ces  insectes  sont  en  général  très- 
petits.  On  en  connaît  un  grand  nombre  d'espèces.  C'e.st  sur- 
tout au  printeniiis  qu'on  les  rencontre,  dans  les  fieux  frais 
et  humides,  et  répandus  soit  à  l'état  de  vers,  soit  à  l'état 
d'insectes  parfaits,  sur  les  plantes  crucifères,  dont  ils  rongent 
et  criblent  les  feuilles.  Leurs  larves,  qui  se  nourrissent  de 
la  môme  manière,  font  encore  plus  de  dégâts.  On  peut 
détruire  ces  hôtes  incommodes  par  des  aspersions  d'eau  do 
chaux  éteinte,  ou  encore  en  répandant  sur  le  sol  de  la  chaux 
éteinte  pulvérisée  ;  des  cendres  non  lessivées  et  la  suie  peu- 
vent même,  jusqu'à  un  certain  point,  remplacera  chaux.  On 
les  détruit  encore  au  moyen  du  goudron  de  houille  ou  coaltar. 

ALTITUDE  (du  latin  altitudo),  terme  de  géogra- 
phie, qui  sert  à  désigner  l'élévation  d'un  point  du  globe 
terrestre  au-dessus  du  niveau  moyen  de  la  mer.  Un  lieu 
quelconque  de  la  terre  est  parfaitement  déterminé  quand  on 
coimalt  sa  latitude,  sa  longitude  et  son  altitude  ou  hauteur 
absolue.  Ces  trois  éléments  constituent  ce  qu'en  géodésie 
on  appelle  les  Uws,  coordonnées  géographiques  d'un  lieu. 
La  recherche  des  altitudes  dépend  de  calculs  trigonométri- 
ques,  souvent  d'observations  barométriques  cou)parées,  et 
forme  un  ensemble  de  connaissances  qui  a  reçu  le  nom  d'Al- 
timétrie{  mot  hybride,  formé  du  latin  altus,  haut,  et  du 
grec  ixETpov,  mesure  ).  —  A  Paris  on  a  établi  des  repères 
qui  indiquent  les  altitudes  des  points  ot'i  ils  sont  placés. 

ALTHIRCH.  Voyez  Rhin  (Département  du  Haut-). 

ALTO  (  en  latin  altus,  altitonans  )  désigne  dans  la 
musique  la  partie  qiù  se  trouve  au-dessus  de  la  teneur 
{ténor),  par  opposition  à  celle  qui  est  au-dessous,  appelée 
basse.  Par  extension,  on  a  nommé  de  même  la  voix  qui  exé- 
cute celte  partie  et  qu'en  France  on  appelle  plus  habituel- 
lement con  t  r  alto  si  elle  appartient  à  une  fenimj  ,  et 
haute-contre  si  elle  appartient  à  un  homme;  ces  voix 
occupent  le  troisième  et  le  quatrième  rang,  en  commen- 
çant par  la  voix  la  plus  aiguë.  On  appelle  aussi  alto,  alto- 
viola,  quinte  tl  viole,  l'instrument  à  cordes  et  à  archet 
générateur  de  toute  la  famille  des  violes,  et  qui  tient  le  rang 
intermédiaire  entre  \&  viol  on  et  \tvioloncelle. 

ALTOiXA,  ville  manufacturière  et  commerciale,  siéfee 
du  gouvernement  du  duché  de  Holstein,  dépendante  du 
royaume  de  Danemark,  est  bâtie  sur  les  bords  de  l'Elbe, 
et  tout  près  de  Hambourg.  Le  nom  même  d'Altona,  dérivé 
du  plat  allemand,  signifie  beaucoup  trop  près,  et  rappelle 
une  époque  où  les  habitants  de  Hambourg  ne  voyaient  pas 
sans  une  vive  jalousie  s'élever  aux  portes  mômes  de  leur 
ville  une  cité  à  laquelle  les  rois  de  Danemark  accordaient 
les  privilèges  et  les  franchises  les  plus  étendus.  On  compte 
à  Altona  32,200  habitants,  dont  2,100  juifs  allemands  et 
portugais,  et  six  églises.  Ou  y  trouve  aussi  un  gymnase, 
un  observatoire,  une  bourse  de  commerce  et  un  hôtel  des 
monnaies.  La  situation  d'Altona  est  beaucoup  plus  élevée 
que  celle  de  Hambourg,  aussi  est-elle  incomparablement 
plus  saine.  Par  contre,  elle  est  complètement  dépourvue 
de  canaux.  La  poche  de  la  baleine,  celle  du  hareng  et  les 
constructions  de  navires  s'y  font  sur  une  très-large  échelle. 
Toutes  les  religions  y  sont  également  tolérées  et  protégées. 
Vers  l'an  1500  il  n'y  avait  que  quelques  misérables  ca- 
banes sur  remplacement  qu'elle  occupe  aujourd'hui.  Elle 
fut  érigée  en  bourg  en  1604, et  en  ville  en  1664.  En  1713  elle 
fut  réduite  en  cendres  par  le  géniMal  suédois  Stcenbock. 
A  l'époque  de  la  révolution  française  elle  fui,  avec  Ham- 
bourg, l'un  des  principaux  rendez-vous  de  l'émigration 
française.  Lors  du  siège  que  Hambourg  eut  à  soutenir  eu 
1813  et  1814,  Altona  courut  de  grands  dangers,  le  maréchal 
Davoust  ayant  dû  incendier  le  faubourg  de  llamburgberg , 
qui  relie  Altona  à  Hambourg. 

Lors  du  congrès  tenu  à  Alloua  en  1687  par  les  pléni- 
potentiaires do  l'empereur  et  des  électeurs  de  Saxe  et  de 
Uraudebourg ,  on  régla  les  difficultés  pendantes  entre  le 
roi  de  Daneiiiark  et  la  maison  de  Hoistein-Gottorp  ;  et  la 


Graiule-Brclnçinp  ainsi  que  los  Étûts-Géiu^iaii\  y  ayant  ac- 
cé(i(>,  on  y  romlut  en  1689   un  traité  de  paix  formel,  en 
vertu   duquel   le  duc  de  Holstein  recouvra  ses  États  en 
même  temjis  que  ses  droits  complets  de  souveraineté.       * 
ALTO\-SlIÉE  (Edmond,  comte  d'  ),néle  2  juin  1810, 
fut  substitue  à  la  pairie  du  comte  Sliée,  son  grand-père  mater- 
nel, par  ordonnance  royale  du  11  décembre  1810,  avec  au- 
torisation pour  lui  et  ses  descendants  de  joindre  son  nom  à 
celui  de  son  aïeul  maternel.  Le  comte  WpHrj  Suée,  conseiller 
d'État, ancien  sénateiiret  préfet  du  Bas-Rhin,  avait  été  appelé 
à  la  pairie  le  4  juin  1814.  11  mourut  au  mois  de  mars  1820, 
ne  laissant  qu'imc  fille,  l^rançnise  Sliée  ,  veuve  deJacques- 
AVidfrau  ,  baron  d'.\lton ,  dont  M.  Edmond  d'Alton  Shée  est 
lelils  uni(jue.  Il  prit  séance  à  la  chambre  des  pairs  en  183C, 
et  il  y  eut  voix  délibéralive  en  1840.  M.  d'Alton-Shée  eut 
d'abord  des  opinions  politiques  peu  dessinées.  Il  commença 
par  se  poser  en  réformateur  d'abus;  puis  il  se  rapprocha  du 
parti   conservateur,  qu'il  abandonna  de  nouveau  quelque 
temps  après.  11  s'attira  quelque  notoriété  en  déclarant  à  la 
tribune  de  la  chambre  des  pairs,  dans  la  discussion  du  projet 
de  loi  relatif  au  chapitre  de  Saint-Denis  (séance  du  18  mai 
1847),  qu'il  n'était  «  ni  catholique  ni  chrétien,  »  et  se  fit  rap- 
peler à  l'ordre  pour  avoir  dit  qu'il  ne  reconnaissait  pas  pour 
catholiques  «  tous  ceux  qui,  après  avoir  passé  leur  vie  dans 
l'indifférence  religieuse  la  plus  complète ,  quand  ils  sont  dans 
une  vieillesse  qui  touche  à  l'enfance,  le  corps  usé,  l'intelli- 
gence éteinte ,  à  la  dernière  heure,  consentent  à  balbutier 
machinalement  quelques  paroles  latines  et  chrétiennes.  » 
Dans  la  séance  du  14  janvier  1848  il  excita  au  plus  haut 
point  l'indignation  de  la  noble  chambre  en  faisant  l'éloge 
de  la  Convention.  Le  23  février  il  demanda  à  interpeller  le 
ministère  sur  la  situation  présente  de  Paris;  mais  on  passa 
à  l'ordre  du  jour.  L'un  des  trois  pairs  de  France  qui  avaient 
adhéré  au  ban  q  u  et  réformiste  du  douzième  arrondisse- 
ment, dès  le  lendemain  de  la  révolution  de  février  il  se  pro- 
nonça pour  le  mouvement,  et  il  posa  sa  candidature  aux  clubs 
socialistes.  Il  avait  été  nommé  colonel  de  la  2^  légion  de  la 
banlieue  contre  Sobrier  :  mais  il  échoua  dans  sa  candidature 
à  l'Assemblée  constituante ,  et  ne  réunit  alors  que  quinze 
mille  voix.  Au  mois  de  décembre  il  devint  président  du  co- 
mité central  démocrate  et  socialiste  pour  les  élections,  et  au 
mois  de  janvier  suivant  il  fut  arrêté  et  gardé  longtemps  au 
secret.  Dans  les  réunions  électorales ,  M.  d'Alton-Shée  re- 
nouvela plusieurs  fois  la  déclaration  qu'il  n'était  pas  chré- 
tien, et  se  prononça  néanmoins  contre  les  communistes.  En 
1859  nous  le  retrouvons  président  du  comité  européen  du 
cliemin  de  fer  américain  de  Galveston  à  Houston.     L.  L. 
ALTRAIVST.^DT,  paroisse  de  la  Saxe  prussienne, 
entre   Leipzig  et   Mersebourg,    célèbre   par   le   traité  de 
paix  que  signa,  le  24  septembre  1706,  dans  le  vieux  château 
de  ce  village,  le  roi  de  Suède  Charles  XII,  avec  les  plé- 
nipotentiaires d'Auguste  II,  électeur  de  Saxe  et  roi  de  Po- 
logne, le  baron  d'Imhof  et  le  référendaire  Pfingsten.Ce  der- 
nier avait  un  blanc-seing  du  roi ,  dont  il  fit  usage  à  la  der- 
nière extrémité,  Charles  XII  n'ayant  pas  voulu  revenir  sur 
ses  conditions.  Aux  termes  de  ce  traité  Auguste  II  abandon- 
nait la  Pologne  et  la  Litliuanie ,  tout  en  conservant  le  titre 
de  roi  ;  il  renonçait  à  toute  alliance  contre  la  Suède ,  et  no- 
tamment avec  le  czar,  s'obligeait  à  livrer  le  Livonien  P  a  Ik  ul 
aux  Suédois,  consentait  à  ceque  ceux-ci  hivernassent  en  Saxe, 
et  s'obligeait  à  n'opérer  dans  les  affaires  ecclésiastiques  aucun 
changement  nuisible  aux  intérêts  de  l'ïiglise  évangélique. 
Charles  XII  n'évacua  la  Saxe  qu'au  mois  de  septembre  1707, 
après  avoir  encore  conclu  à  Altranstœdt,  un  traité  d'alliance 
avec  la   Prusse ,  et  signé  avec  l'empereur  Joseph  I*""  une 
convention  par  laquelle  le  libre  exercice  de  leur  culte  était 
assuré  aux  protestants  en  Silésie.  * 

ALTRIXGER.  T'oj/e:;  Aldringer. 
ALUOlTE,  insecte  de  l'ordre  des  lépidoptères  et  de 
la  tribu  des  tinéites,  très-commun    surtout  en    Améri- 
que. L'alucile  ,  ou  (eiyne  des  grains  ,  est  d'un  gris  brillant 


ALTONA  —  ALUMINE  423 

semé  de  taches  blancliAtres,  et  a  environ  six  millimètres 
de  longtieur.  Sa  chenille,  blanche,  lisse  et  à  tête  brune,  qui 
n'a  pas  plus  de  deux  millimètres  de  long ,  se  trouve  sou- 
vent dans  les  champs  mêmes,  011  elle  dépose  ses  œufs,  et 
plus  souvent  encore  dans  les  greniers,  où,  garantie  du  froid 
et  de  l'humidité,  elle  pullule  à  un  point  extraordinaire,  et 
fait  les  plus  grands  ravages,  pénétrant  dans  le  grain,  dont 
elle  dévore  en  très-peu  de  temps  toute  la  substance  fari- 
neuse. L'alucile  fut  observée  en  France  il  y  a  un  siècle  et  étu- 
diée d'abord  par  deux  illustres  naturalistes ,  Réaumur  et 
Duhamel  de  Monceau.  Cet  insecte  n'existait  alors  qu'aux 
environs  de  la  Charente  et  de  r,\ngoumois,  où  il  avait  été 
importé  par  un  navire  étranger.  Depuis  lors  il  s'est  pro- 
pagé surtout  dans  nos  départements  du  centre.  Ou  a  cal- 
culé qu'im  seul  couple  d'alucites  peut  produire  dans  trois 
ans  cent  mille  individus.  Le  principal  remède  contre  l'alu- 
cite  est  la  chaleur.  Une  température  de  50  degrés  centigrades 
suffit  en  effet  pour  détruire  l'alucite  contenue  dans  le  blé  à 
l'état  d'œuf,  de  larve  ou  de  chrysalide,  eî  cette  chaleur 
n'altère  en  rien  le  grain.  M.  Herpin  a  imaginé  un  appareil 
qui  utilise  la  chaleur  perdue  des  fours,  des  poêles,  etc.,  pour 
tuer  l'alucite  dans  les  greniers,  et  y  joint  un  système  de  choc 
mécanique  analogue  à  celui  d'une  machine  à  battre.    Z. 

ALUMELLE,  espèce  de  lame  de  couteau  dont  le  tran- 
chant est  aiguisé  d'un  seul  côté,  comme  le  fer  d'un  rabot.  — 
En  termes  de  marine,  les  alumelles  sont  des  lames  de 
fer  dont  on  garnit  l'intérieur  de  la  mortaise  d'un  gouvernail. 
ALUM1I\ATE,  sel  résultant  d'une  combinaison  dans 
laquelle  l'alumine  fait  fonction  d'acide.  On  cite  Valumi- 
nate  de  viagnésie,  Valumlnate  de  zinc,  Yaluminate  de 
fer.  —  Rendant  donne  le  nom  (Yaluminate  à  un  genre  de 
minéraux  dans  lequel  on  trouve  Valuminate  de  magnésie 
ou  spinelle,  appelé  aussi  rubis  balais. 

ALUMINE.  C'est  l'oxyde  d'aluminium.  L'alumine 
est  composée  de  2  équivalents  d'aluminium  et  de  3  d'oxy- 
gène (  AP  O^  ),  ou  en  poids,  de  100  d'aluminium  et  de  87,7 
d'oxygène.  Distinguée  pour  la  première  fois  par  IMargraff, 
en  1754,  l'alumine  est  blanche,  insipide,  happant  la  langue, 
douce  au  toucher  et  infusible  au  feu  de  forge.  Mais  quand 
on  la  soumet  à  l'action  du  chalumeau  à  gaz,  elle  fond  très- 
rapidement  en  globules  vitreux,  transparents,  ayant  presque 
la  densité  du  rubis.  L'alumine  est  sans  action  sur  l'oxygène 
et  sur  l'air,  ainsi  que  sur  la  plupart  des  corps  combustibles. 
Cependant,  si  l'air  est  très-humide,  elle  peut  attirer  jusqu'à 
15  pour  100  d'eau,  surtout  si  elle  aété  rougieau  feu.  L'alu- 
mine est  insoluble  dans  l'eau  ,  mais  fait  une  pâte  ductile 
avec  ce  liquide.  Elle  est,  au  contraire,  très-soluble  dans  la 
potasse etia  soude  caustiques  :  la  baryteet  la stronliane  dis- 
solvent également  l'alumine,  tandis  que  l'ammoniaque  caus- 
tique en  dissout  à  peine.  L'alumine  joue  le  rôle  de  base  relati- 
vement aux  acides  sulfurique,  nitrique,  chlorhydrique,etc., 
ainsi  qu'à  l'égard  de  la  silice.  Toutefois  elle  se  combine  avec 
certains  oxydes  métalliques,  tels  que  l'oxyde  de  zinc,  l'oxyde 
de  cobalt,  et  avec  les  alcalis  eux-mêmes,  en  jouant  alors 
le  rôle  d'acide  et  donnant  naissance  à  des  sels  appelés 
al  u  mi  nates. 

L'alumine  entre  dans  la  composition  de  toutes  les  terres 
argileuses,  qui  lui  doivent  leurs  propriétés  caractéristiques, 
ce  qui  l'avait  fait  appeler  argile  pure;  son  nom  d'alurnine 
vient  de  l'ai  un,  sel  à  base  double,  qu'elle  forme  avec  l'a- 
cide suUurique  et  la  potasse  ou  l'ammoniaque,  et  dont  on  l'ex- 
trait communément.  Elle  ne  se  rencontre  pure  que  dans  ie 
saphir  et  le  rubis.  On  obtient  l'alumine  sous  une  forme  gé- 
latineuse en  versant  de  l'ammoniaque  liquide  dans  une  dis- 
solution aqueuse  d'alun  -.  le  sulfate  d'alumine  est  seul  dé- 
composé, et  l'alumine  se  précipite  en  gelée  au  fond  du  vase. 
Quand  on  veut  l'avoir  sèche,  on  calcine  dans  on  creuset 
le  sulfate  d'alumine  et  d'ammoniaque  à  la  chaleur  rouge  : 
l'acide  et  l'ammoniaque  s'évaporent ,  pour  laisser  l'alumine 
sous  forme  de  poudre  blanche.  L'alumine  se  charge  facilement 
des  principes  colorants;  aussi  sert-elle  de  base  aux  laques 


424 


ALUMINE  —  ALUx\ 


et.iux  prér.i|Mtés  colorés.  Unie  à  la  silice,  on  l'emploie  pour 
fabriquer  les  (lOtcries. 

hcs  sels  d'aliiniine  ont  une  saveur  slypliqueet  astringente. 
Ceux  qui  sont  solubles,  comme  l'aciHate  et  le  .sulfate,  sont 
prc'Tipités  en  blanc  par  la  potasse,  et  le  précipité,  qui  est  de 
l'alumine,  se  redissout  dans  un  excès  d'alcali.  L'ammoniaque 
les  précipite  également;  mais  un  excès  d'ammoniaque  ne 
redissout  pas  le  précipité.  Les  sulfates  de  potasse  et  d'am- 
moniaque en  dissolution  concentrée  les  précipitent  à  l'état 
d'alumine,  luilin,  quand  onlescliauffe  au  chalumeau  avec  du 
nikrate  de  cobalt,  ils  prennent  une  belle  couleur  bleue. 

L'alumine  en  se  combinant  avec  l'acide  acétique  produit 
l'acétate  d'alumine,  qui  est  liquide,  incolore,  incristalli- 
sable,  très-astringent,  très-styplique,  très-soluble.  On  l'ob- 
tient en  mettant  en  contact  de  l'alumine  en  gelée  avec  l'acide 
acétique  concentré  ou  en  décomposant  l'acétate  de  baryte 
par  le  sulfate  d'alumine.  Il  n'est  employé  qu'en  teinture 
pour  fixer  les  couleurs  sur  les  toiles:  sa  solubilité  permet  de 
l'appliquera  l'état  de  dissolution  très-concentrée;  comme  il 
est  déliquescent,  il  ne  cristallise  pas  en  se  desséchant,  mais  il 
reste  en  forme  de  pâte,  et  il  n'altère  pas  les  tissus.  La  facilité 
avec  laquelle  il  abandonne  son  acide  fait  qu'il  cède  aisément 
au  tissu  soit  de  l'alumine,  soit  un  sous-sel  d'alumine  ca- 
pable de  fixer  les  matières  colorantes.  — Le  sulfate  d'alu- 
mine a  une  réaction  fortement  acide,  et  est  plus  soluble  à 
cbaud  qu'à  froid.  On  obtient  re  sel  en  traitant  l'argile  par 
l'acide  sulfurique.  L'industrie  l'emploie  à  la  place  des  aluns 
à  base  de  potasse  ou  d'ammoniaque.  Il  est  usité  depuis 
longtemps  pour  la  conservation  des  substances  animales. 

L'alumine  est  peu  employée  en  médecine  :  toutefois  elle 
a  été  administrée  avec  succès  dans  certains  cas  de  diarrhée 
et  de  dyssenterie.  Suivant  Trousseau,  ce  médicament  paraît 
convenir  plus  particulièrement  aux  enfants. 

L'alumine,  considérée  sous  le  rapport  minéralogique,  pré- 
sente plusieurs  espèces.  Beudant  donne  ce  nom  à  un  genrede 
sa  classification  qui  comprend  deux  espèces  :  1°  le  corindon 
(saphir,  rubis,  éméril);  2°  l'alumine  hydratée  ou 
gypsite.  Valmniîie  flmitée  siliceuse  est  la  pierre  pré- 
cieuse appelée  topaze. 

ALUMIXIUIM,  corps  simple,  léger  comme  le  verre, 
blanc  et  éclatant  comme  l'argent)  inaltérable  presque  à  l'égal 
de  l'or,  malléable  et  ductile  au  même  degré  que  ces  mé- 
taux précieux,  tenace  comme  le  fer  et  fusible  comme  le  cui- 
vre, que  le  moulage,  le  laminoir,  la  filière,  le  marteau 
et  la  lime  peuvent  façonner.  Sa  densité  est  de  2,56, 
sa  formule  est  Al  =  190,90.  Il  a  été  extrait  pour  la  pre- 
mière fois  de  l'alumine,  vers  1830,  parWœhler,  chimiste 
allemand,  professeur  à  Gœttingue,  qui  transformait  d'abord 
de  l'alumine  en  chlorure  d'aluminium  et  décomposait  en- 
suite ce  chlorure  par  le  potassium,  mais  il  n'avait  été  isolé 
qu'en  très-petites  quantités  et  à  un  état  d'impureté  tel  que 
de  graves  erreurs  sont  longtemps  restées  accréditées  sur  son 
compte.  Humpbry  Davy  avait  vainement  essayé  de  l'ex- 
traire de  l'alumine  au  moyen  de  la  pile.  Cepenilant  il  pa- 
rait qu'on  en  avait  tiré  par  ce  moyen  de  la  cryolite  en  An- 
gleterre. Les  expériences  de  M.  Rose  ont  démontré  la  pos- 
sibilité de  l'extraire  de  ce  minéral  à  l'aide  du  sodium.  «  Pour 
opérer  la  réduction,  dit  M.  Sainte-Claire  Deville,  ilsuffitde 
mettre  dans  un  creuset  de  porcelaine  des  couches  alternatives 
de  sodium  et  de  cryolite  pulvérisée  et  mélangée  avec  un  peu 
de  sel  marin.  On  introiluit  le  creuset  de  porcelaine  dans 
un  creuset  de  terre,  et  l'on  chauffe  au  rouge  vif  jusqu'à  fu- 
sion complète.  On  brasse  la  matière  avec  un  agitateur  en 
terre  cuite,  et  on  laisse  refroidir.  Tout  rahiminium  est  ras- 
semblé en  un  seul  culot  qu'on  trouve  au  fond  de  la  masse 
refroidie...  C'est  là  le  procédé  que  j'ai  employé  et  qui  dif- 
fère peu  de  celui  de  M.  IL  Rose.  Si  l'on  opère  dans  un 
vase  de  porcelaine,  l'aluminium  contient  du  silicium;  il 
contient  du  fer  si  l'on  opère  dans  un  creuéet  di'  fer...  Cette 
expérience  m'en  a  suggéré  d'autres  :  j'avais  souvent  et  de- 


puis longtemps  essayé  de  réduire  par  le  sodium  le  clilorure 
double  d'aluminium  et  de  sodium;  quoique  la  réaction  s'ef- 
fectue complètement,  je  n'obtenais  pas  de  culot  métallique; 
mais  il  a  suffi  d'ajouter  au  mélange  un  peu  de  fluorure  de 
calcium  pour  que  tout  l'aluminium  se  réunît  en  culots  au 
fond  du  creuset.  «  MM.  Debray  et  Paul  Morin  ont  obtenu  de 
cette  manière  de  l'aluminium  assez  pur.  Les  lluorures  alca- 
lins ,  dissolvant  l'alumine,  doivent  donc  èlre  considérés 
comme  le  meilleur  fondant  de  l'aluminium.  On  obtient  en- 
core de  l'aluminium  en  mélangeant  de  l'alumine  et  du  lluo- 
rure  de  sodium  qu'on  arrose  avec  de  l'acide  fiuorhydrique 
concentré  ;  la  masse  s'échauffe ,  on  la  sèrhe  ,  on  la  fond,  et 
on  peut  en  extraire  de  l'aluminium  comme  on  le  fait  de  la 
cryolite.  Les  travaux  de  M.  Sainte-Claire  Deville  sur  l'alu- 
minium datent  de  1853  ;  ils  lui  ont  valu  la  croix  d'honneur 
en  1853.  Sa  fabrication  manufacturière  est  aujourd'hui  as- 
.surée  :  une  usine  a   été  élevée  à  cet  effet  à  Nanterre. 

Inaltérable  par  l'air,  par  l'eau  et  par  la  vapeur  d'eau,  mémo 
à  une  température  rouge  sombre,  l'aluminium  est  encore 
inattaquable  par  l'hydrogène  sulfuré  ,  l'acide  nitrique  ,  l'a- 
cide sulfurique  à  froid.  Il  s'altère  cependant  au  contact  de 
l'eau  contenant  des  chlorures  en  dissolution,  et  l'action  du 
sel  marin,  du  vinaigrée!  des  matières  calcaires  sur  lui  peut 
laisser  des  doutes  sur  son  application  possible  aux  usages 
culinaires.  Les  produits  de  cette  altération  sont  inoffeiisifs. 

L'aluminium  donne  avec  le  cuivre  des  alliages  légers, 
très-durs  et  d'un  beau  blanc,  lorsque  le  cuivre  est  en  petite 
proportion,  et  des  bronzes  d'un  beau  jaune  d'or,  malléables, 
d'une  très-grande  résistance  et  beaucoup  moins  altérables 
que  le  bronze  ordinaire,  lorsque  la  proportion  d'aluminium 
varie  de  5  à  10  pour  100.  On  forme  également  avec  l'alu- 
minium des  alliages  d'étain,  de  zinc,  d'argent,  de  fer  et  de 
platine.  Il  donne  avec  le  fer  un  acier  comparable  à  celui  de 
Damas.  On  peut  facilement  faire  sur  le  cuivre  un  plaqué  d'a- 
luminium très-solide.  La  bijouterie  fine  s'est  emparée  de  l'a- 
luminium; il  est  aussi  facile  à  mouler,  à  estamper  qu'à  ci- 
seler. On  en  fait  des  lames  de  couteau  qui  remplacent  celles 
d'argent,  des  instruments  de  cbirurgie,  comme  sondes,  spa- 
tules, etc.  Il  est  extrêmement  sonore,  et  on  espère  l'appli- 
quer aux  cordes  d'instruments,  aux  timbres  d'appartement, 
aux  sonneries,  etc.  Comme  il  s'use  moins  que  le  bronze,  on 
l'emploie  aussi  pour  coussinets ,  glissoires  et  surfaces  de 
frottement.  On  a  même  l'espoir  d'en  faire  des  machines 
légères  que  les  aérostats  pourront  facilement  enlever.  Mal- 
heureusement son  prix  est  resté  presque  à  la  hauteur  de 
celui  de  l'argent.  L.  Louvet. 

ALUiV,  sel  très-anciennement  connu,  et  qu'on  appela 
aussi  alumine  vitriolée,  vitriol  d'argile,  vitriol  d'alu- 
mine, etc.  Les  sels  qu'on  nomme  alun  ne  sont  pas  tou- 
jours formés  des  mêmes  éléments  :  ainsi  l'alun  est  tantôt 
un  sulfate  acide  d'alumine  et  de  potasse  ,  tantôt  un  sulfate 
acide  d'alumine  et  d'ammoniaque  ,  tantôt  enfin,  et  c'est  ce 
qui  a  lieu  le  plus  souvent,  un  sulfate  acide  d'alumine,  de 
potasse  et  d'ammoniaque. 

Vnlun  à  base  de potassecrhtaWiseen  octaèdres  réguliers, 
transparents,  incolores  et  légèrement  efflorescents;  il  est 
inodore,  d'une  saveur  d'abord  douceâtre ,  puis  très-styp- 
tique;  il  rougit  la  teinture  de  tournesol.  Vingt  parties  d'eau 
dissolvent  une  partie  d'alun  cristallisé.  Le  même  liquide 
bouillant  [^ut  en  dissoudre  un  poids  égal  au  sien.  Cette 
dissolution  est  incolore,  transparente,  douée  de  la  inên)e 
saveur  que  le  sel,  et  se  comporte  avec  les  réactifs  comme  les 
autres  sels  d'alumine.  Lorsque  la  dissolution  contient  un 
excès  d'alumine,  il  cristallise  en  cubes,  ce  qui  le  fait  alors 
nommer  alun  cubique  ou  alun  alumine.  Si  on  expose 
l'alun  à  une  chaleur  de  100",  il  fond  dans  son  eau  de  cris- 
tallisation, et  forme  après  son  refroidissement  Valun  de 
roche;  à  quelques  degrés  de  plus,  il  perd  son  eau,  devient 
opaque,  et  constitue  l'aiMncaZcinf^  ou  brûlé.  Cet  alun  exige 
beaucoup  plus  d'eau  pour  se  dissoudre.  A  la  chaleur  rouge 


ALUN  —  AL  VA 


l'alim  laisse  cli'i;iger  Je  l'oxyi-rnc  et  di*  l'acide  sulfureux  et 
donne  pour  résidu  de  ralumine  et  du  sulfate  de  potasse. 
Lorsqu'on  le  calcine  avec  du  charbon ,  il  fournil  le  produit 
connu  sous  le  nom  de  pyrophore  de  Honiberg. 

L'alun  à  base  (rommoniaque  ]ou'\l  des  nitHiies  proprit'lés 
que  le  précodent  ;  ma's  il  se  reconnaît  aisément  à  Todeur 
ammoniacale  qu'il  dégage  lorsqu'on  le  traite  par  la  potasse 
ou  par  la  soude.  Sa  calcination  laisse  pour  résidu  de  l'alu- 
iiiine  parfaitement  pure. 

L'alun  à  base  de  potasse  est  formé  d'un  atome  de  sulfate 
d'alumine,  d'un  atome  de  sulfate  de  potasse  et  de  vingt- 
quatre  équivalents  d'eau.  La  composition  de  l'alun  à  base 
d'ammoniaque  est  exactement  la  même,  si  ce  n'est  que 
l'atome  de  sulfate  de  potasse  se  trouve  remplacé  par  un 
atome  de  sulfate  d'ammoniaque. 

Les  chimistes  appellent  encore  aluns  les  sels  dans  lesquels 
le  sulfate  de  soude  ou  de  magnésie  remplace  le  sulfate  de  po- 
tasse ou  d'ammoniaque,  et  même  ceux  dans  lesquels  l'alu- 
mine est  remplacée  par  des  oxydes  isomorphes  avec  elle , 
tels  que  le  peroxyde  de  fer,  le  protoxyde  de  chrome ,  et  le 
sesquioxyde  de  manganèse.  Tous  ces  sels,  en  effet,  cristalli- 
sent de  la  même  manière,  et  possèdent  sensiblement  les 
mêmes  propriétés. 

Les  aluns  naturels  sont  fort  rares.  Cependant  on  trouve 
en  abondance  dans  quelques  endroits  une  substance  miné- 
rale appelée  alunite,  ou  pierre  d'alun,  qui  est  un  sous- 
sulfate  d'alumine  combiné  avec  du  sulfate  de  potasse.  Cette 
substance  se  trouve  aux  environs  des  terrains  trachitiques, 
surtout  dans  les  parties  qui  semblent  avoir  subi  l'aclion  des 
eaux  et  qui  se  confondent  avec  des  tufs  ponceux  où  existent 
des  débris  organiques ,  par  exemple  au  mont  Dore  en  Au- 
vergne, à  Tolfa  dans  les  États  Romains,  à  Beregszaz  et  à 
Musaj  en  Hongrie,  à  Milo  dans  l'archipel  grec.  On  en  trouve 
également  dans  les  vieilles  solfatares,  et  il  s'en  forme  aujour- 
d'hui dans  celles  qui  sont  en  activité ,  par  suite  de  l'action 
des  vapeurs  sulfureuses  sur  les  roches  environnantes.  En 
Hongrie  et  dans  les  États  Romains,  on  exploite  l'alunite  pour 
en  fabriquer  de  l'alun.  L'alun  de  Tolfa  était  jadis  très-re- 
cherché, parce  qu'il  est  très-pur  et  ne  contient  point  d'oxyde 
de  fer.  Mais  aujourd'hui  ou  le  fabrique  de  toutes  pièces,  soit 
en  soumettant  à  diverses  manipulations  les  schistes  alumi- 
neux  ,  soit  en  traitant  directement  l'argile.  On  la  choisit 
aussi  exempte  que  possible  de  carbonate  de  chaux  et  d'oxyde 
de  fer,  on  la  calcine  dans  des  fours  à  réverbère ,  puis  on 
la  dissout  dans  l'acide  sulfurique.  On  mêle  ensuite  le  sul- 
fate d'alumine  obtenu  avec  du  sulfate  de  potasse ,  opération 
qui  porte  le  nom  de  brevetagc;  et  enfin  on  fait  cristalliser. 
—  L'alun  à  base  d'ammoniaque  ou  ammonalun  et  l'alun 
à  base  de  soude  ou  natronalun  sont  peu  communs  dans 
la  nature;  le  premier  se  rencontre  sons  forme  fibreuse  dans 
quelques  dépôts  de  lignites,  et  le  second,  qui  a  le  même  as- 
pect, se  trouve  dans  les  solfatares.  —  Valun  de  plume,  qui 
se  présente  sous  forme  de  petites  masses  composées  de  fila- 
ments soyeux,  parallèles,  d'un  blanc  éclatant,  et  qui  ont 
quelquefois  jusqu'à  deux  pouces  de  longueur,  et  le  beurre 
demontagne,  qui  s'est  rencontré  .sous  forme  de  petites  con- 
crétions translucides ,  d'im  aspect  gras  et  résineux,  piès  de 
Saafeld,  en  Allemagne  et  aux  bords  de  la  Mana,  en  Sibérie, 
paraissent  être  des  aluns  à  base  de  magnésie  et  d'oxyde  de 
fer.  Le  beurre  de  montagne  contient  de  la  soude  et  de  l'am- 
moniaque. —  Enfin  il  existe  dans  certaines  solfatares,  telles 
que  celles  de  Pouzzole  et  de  la  Guadeloupe  ,  une  substance 
blanche  ,  fibreuse,  soluble,  mais  non  cri;-tallisable,  qui  es! 
un  sulfate  d'alumine  hydiatc  nommé  par  Rendant  aluno- 
gètie.  >L  Boussingault  a  découvert  une  espèce  niincirale  ana- 
logue dans  les  schistes  argileux  qui  bordent  le  Rio-Saldana, 
en  Colombie.  L'alunogène  serait  une  mali  re  très-précieuse 
pour  la  fabrication  de  l'alun  si  elle  se  trouvait  en  grande 
quantité,  puisqu'il  ne  s'agirait  que  de  la  dissoudre  et  d'y  ajou- 
ter du  sulfate  de  potasse. 

D!CT.    DE    L\.   C0>VEKSAT10N.    —    T.    I. 


On  distingue  enrore  dans  le  commerce  plusieurs  sortes  d'a- 
lun, en  raison  de  ses  diverses  origines  :  par  exenijik',  Vcilun 
d'Angleterre ,  l'alun  de  Brunswick,  de  Liège,  de  Rome, 
du  Levant ,  etc. 

L'alun  est  très-employé  dans  la  teinture  comme  mordant, 
lorsqu'il  est  exempt  de  toute  trace  de  (er,  ainsi  que  dans  les 
opérations  de  mégisserie.  On  en  fait  encore  usage  dans  une 
foule  d'industries.  Ainsi  on  s'en  sert  pour  donner  au  suif  plus 
de  consistance  et  de  dureté,  pour  fabriquer  diverses  espèces 
de  laques,  pour  empêcher  le  papier  de  boire ,  pour  clarifier 
les  liquides,  pour  conserver  les  pièces  d'anatomie;  il  pré- 
serve les  peaux  et  les  fourrures  des  atteintes  des  insectes,  et 
rend  presque  incombustible  le  bois  imprégné  de  sa  disso- 
lution. 

En  médecine ,  l'alun  est  considéré  comme  un  astringent 
très-énergique  :  à  hautes  doses,  il  donne  lieu  à  des  coliques, 
des  nausées  et  des  vomissements.  On  l'emploie  avec  avantage 
dans  les  hémorrhagies  utérines  et  autres  ,  non  accompagnées 
d'inflammation,  dans  les  écoulements  atoniques  et  certaines 
diarrhées  séreuses.  A  l'extérieur,  on  s'en  sert  pour  combattre 
quelques  inflammations  de  la  conjonctive,  de  l'arrière- 
bouche  et  de  la  peau ,  quelques  ulcérations  superficielles , 
telles  que  les  aphthes,  et  enfin  les  hémorrhagies  externes.  C'est 
ainsi  que  l'inspiration  par  le  nez  d'eau  alumineuse  suspend 
et  prévient  quelquefois  les  épistaxis  rebelles  qui  se  montrent 
souvent  à  la  suite  de  la  puberté  ou  à  la  suite  d'accès  de  toux 
delà  coqueluche.  L'alun  calciné  est  très-employé  à  l'extérieur 
comme  cscarrotique  pour  réprimer  les  chairs  fongueuses. 

ALUNAGE.  On  appelle  amsi  une  opération  très-im- 
portante dans  l'art  de  la  teinture ,  et  dont  le  but  est  de  fixer 
une  couleur  sur  une  étoffe.  Pour  cela,  les  teinturiers,  avant 
de  tremper  l'étoffe  dans  le  liquide  coloré,  la  plongent  dans 
une  forte  dissolution  d'alun ,  matière  qui ,  ayant  une  grande 
affinité  pour  la  matière  colorante  et  en  même  temps  pour  les 
tissus  de  soie,  de  fil  ou  de  coton,  sert  à  fixer  cette  matière 
d'une  façon  plus  solide  sur  l'étoffe. 

ALUiVITE.  C'est  l'alumine  sous-sulfatée  alcaline ,  qu'on 
rencontre  tantôt  en  petits  cristaux  rhomboédriques ,  tantôt 
en  fibres  ténues,  dans  les  terrains  d'origine  volcanique  :  on 
l'exploite  pour  la  fabrication  de  l'alun. 

ALUiVOGÈNE.  Voyez  Alun. 

ALUTA  5  chaussure  des  anciens.  Ce  nom  désigna  d'abord 
une  peau  de  chèvre  souple ,  douce ,  ordinairement  noire  ou 
blanche.  On  s'en  servait  pour  faire  des  chaussures  ;  elle 
remplaça  les  cuirs  et  les  peaux  crues  qu'on  employait  dans 
les  commencements  de  Rome.  Cette  peau  était  apparemment 
aussi  douce  et  aussi  fine  que  nos  peaux  de  gant,  puisque 
Ovide,  dans  son  Art  d'aimer,  la  recommande  parmi  les  cos- 
métiques propres  à  conserver  la  douceur  et  la  fraîcheur  de 
la  peau  du  visage.  Il  paraît  qu'on  la  préparait  avec  de  l'a- 
lun ,  aluminata,et  que  de  là  vint  le  nom  à'aluta,  appl'qué 
à  la  peau  et  à  la  chaussure.  Cette  chaussure  renfermait  tout 
le  pied  et  montait  même  au-dessus,  où  elle  faisait  des  plis. 
Souvent  elle  allait  jusqu'au  milieu  de  la  jambe.  C'étaient 
des  espèces  de  bottines  ou  brodequins  ;  car  on  laçait  Valuta 
par  devant  avec  des  bandelettes ,  le  quartier  montant  très- 
liaut ,  conviant  le  derrière  et  en  partie  les  côtés  de  la  jambe. 
On  croit  que  cette  chaussure ,  très-usitée  à  Rome ,  venait 
des  Gaules ,  où  les  généraux  et  les  soldats  romains  en  gar- 
nison la  portaient  hal)ituellement.  Valuta  des  chevaliers 
romains  était  ordinairement  noire;  celle  des  femmes  était 
très-légère ,  très-fine ,  et  d'un  blanc  de  neige.  On  voit  dans 
Juvénal  que  souvent  on  l'ornait  sur  le  coude-pied  ou  aux 
chevilles,  de  lunules  ou  petites  plaques  rondes  en  ivoire  ou 
en  métal.  Quand  Valuta  était  très-large  et  ne  prenait  pas 
la  forme  du  pie;l ,  on  la  nommait  alula  laxior.  On  a  «ru 
reconnaître  cette  alula  dans  des  chaussures  de  rois  barbares 
ou  de  soldats  de  la  colonne  Trajane. 

ALYA,ou  ALRA  DE  TORMÉS,  petite  ville  d'Espagne, 
peuplée  de  5, .500  Ames ,  et  située  à  environ  20    kilouietres 


426  ALVA  — 

au  siid-es(  de  Salamanque,  sur  la  rive  scptenliiouale  tlu 
Tormès,  qu'on  y  passe  sur  un  pont  de  vin;;t->.ix  arches. — 
Au  quinzième  siècle ,  elle  fut  érigt'e  en  duclié  par  Henri  IV 
de  Castilie,  en  faveur  de  la  maison  d'Alvarez.  Dans  son 
voisinage,  on  remarque  un  ciiâteau  magnifique,  siège  et 
résidence  des  ducs  d'Albc.  —  Le  28  novembre  l809,  les 
Français,  commandés  par  le  général  Kellcrmann,  rempor- 
lèrcnl  dans  les  plaines  qui  l'avoisinent  une  victoire  signalée  s 
sur  l'armée  espagnole. 

ALVAREZ,  nom  d'une  ancienne  famille  espagnole  en 
faveur  de  laquelle  le  roi  de  Castilie  Henri  IV  érigea  le  duché 
d'/l/i'«  de  Tor7nès,cl  dont  les  membres  ont  porté  dif- 
férents titres,  entre  autres  celui  de  ducs  de  la  Cerda. 

ALVAREZ  (D.  José),  sculpteur  espagnol,  naquit  le 
23  avril  17G8,  à  l'riégo,  dans  la  province  de  Cordoiie.  Il 
dut,  pendant  les  premières  années  de  sa  vie,  seconder  son 
père  dans  ses  travaux  de  simple  tailleur  de  pierres.  A  Tàge 
de  vingt  ans,  il  vint  à  Grenade  pour  se  perfectionner  dans 
les  arts  du  dessin  et  suivre  les  cours  de  l'académie  de  cette 
ville,  tout  en  continuant  ses  essais  de  sculpture  et  de  mo- 
delage. En  1792  il  vint  à  Madrid  ,  et  en  1799  le  roi  d'Es- 
pagne l'envoya  à  Paris  et  à  Rome  pour  se  perfectionner  dans 
son  art.  Peu  de  temps  après  son  arrivée  à  Paris,  l'Institut  de 
France  lui  décerna  le  second  prix  de  sculpture  ,  à  défaut  du 
premier  [)rix,  que  sa  qualité  d'ttranger  ne  lui  permettait  pas 
d'obtenir.  Une  statue  deGanymède,  en  albâtre,  qu'il  exposa, 
en  1804,  à  l'Académie  de  San-Fernando,  mil  le  comble  à  sa 
réputation.  Quoique  cette  statue  lait  fait  regarder  dès  lors 
comme  le  digne  rival  de  Canova  dans  le  style  gracieux  et 
léger,  Alvarez  voulut  s'essayer  également  dans  le  genre  sé- 
vère et  hardi.  Il  prit  pour  sujet  la  mort  d'Achille;  mais  à 
peine  le  modèle  de  ce  morceau,  dans  la  composition  duijuel, 
au  dire  de  David  ,  il  avait  triomphé  de  dillicultés  presque 
insurmontables ,  était-il  terminé ,  qu'un  accident  le  brisa. 
A  Rome,  Napoléon  le  chargea  d'exécuter  des  bas-reliefs  pour 
le  palais  Quirinal ,  sur  le  monte  Cavallo.  Ce  travail  lui  valut 
l'amitié  de  Canova  et  de  Thorvvaldsen ,  ainsi  que  sa  rccep- 
liou  à  l'Académie  de  Saint-Luc.  L'un  des  derniers  mor- 
ceaux qu'il  ait  sculptés  est  un  groupe  en  marbre  qui  orne 
le  musée  royal  de  Madrid,  et  qui  représente  une  scène  de 
la  défense  de  Saragosse,  en  1808  et  1809.  Il  existe  en 
outre  beaucoup  de  bustes  sculptés  par  Alvarez.  Nommé,  en 
18 IC,  premier  sculpteur  du  roi  Ferdinand  VII,  il  ne  quitta 
l'Italie  pour  retourner  en  Espagne  qu'en  1826,  et  mourut 
en  1827,  à  Madrid.  Son  fils  aîné,  sculpteur  de  talent, 
mourut  en  1830  à  Burgos.  Un  autre  de  ses  fils,  don  Anibal 
Alvarez,  étudia  l'architecture  à  Rome  comme  pensionnaire 
du  gouvernement  d'Espagne.  * 

ALVAREZ,  général  mexicain  ,  est  né  vers  1780,  dans 
l'État  de  Guerrcro,  d'une  famdle  indienne.  Ce  chef  rusé  et 
entreprenant,  qu'on  a  surnonmié  la  Panthère  du  Sud,  se 
créa  une  sorte  de  principauté  dans  les  provinces  méridio- 
nales. Santa- Anna  ayant  pris  le  titre  de  président  à  vie, 
Alvarez  donna  le  signal  de  l'insurrection,  en  1854,  et  for- 
mula le  programme  appelé  le  plan  d'Aijutla.  D'autres 
chefs  se  joignirent  à  lui,  et  Sanla-.\nna  dut  quitter  le  pays 
(aoiU  1855).  Alvarez,  mis  à  la  tète  du  nouveau  gouverne- 
ment, prit  ComonfoTt  pour  lieutenant.  Arrivée  Mexico, 
il  abolit  les  privilèges  de  l'armée  et  des  ecclésiastiques,  et 
céda  la  place  à  Comonfort  à  la  fin  de  1855.  H  se  relira  alors 
à  Acapulco,  où  il  s'établit  dans  un  état  d'indépendance.  Z. 

ALVAREZ  DE  CASTRO  (Maruna),  né  en  1775,  à 
Osma,  était  gouverneur  du  fort  Monjuich,  avec  le  grade  do 
colonel,  lorsque  les  troupes  françaises,  aux  ordre*  du  géné- 
ral Duhesme,  s'emparèient  de  Rarcelone  (  1808  );  il  les  tint 
alors  assez  longtemps  en  échec,  grâce  à  cette  position  qui 
domine  la  ville  :  il  n'y  eut  même  ([u'un  ordre  exjirès  du  gou- 
verneur général  de  la  Catalogiie  qui  put  le  décider  à  ne  pas 
s'ensevelir  sous  les  ruines  du  fort  p'uitôl  que  de  le  rendre  à 
l'ennciiii.  Ai>rè5  avoir  fait  pendant  quelque  tcni|:s  la  guerre 


ALVIANO 

de  partisans,  Alvarez  de  Castro  fut  chargé  par  la  Junte  du 
commandement  supérieur  de  Girone.  investie  depuis  trois 
mois  par  les  Français.  La  défense  de  cette  place  fut  remar- 
quable par  l'intrépidité,  le  courage  et  le  dévouement  sans 
bornes  dont  fit  preuve  la  garnison.  Les  assiégés  résistèrent , 
en  effet,  à  tous  les  assauts,  et  ne  consentirent  à  capituler 
que  lorsqu'une  épidémie  redoutable,  suite  de  la  famine  et 
du  carnage,  fut  venue  décimer  leurs  rangs,  déjà  si  éclaircis 
par  le  feu  des  assiégeants.  Alvarez  de  Castro,  atteint  de  la 
contagion ,  aima  mieux  résigner  le  commandement  que  d'ap- 
poser sa  signature  au  bas  d'un  acte  qu'il  regardait  comme 
déshonorant,  bien  qu'il  fût  ordonné  par  les  plus  impérieuses 
nécessités.  Retenu  prisonnier  de  guerre  après  la  reddition 
de  la  place,  il  fut  conduit  au  château  de  Figuières ,  où  il 
succomba  à  la  maladie  qu'aggravait  encore  sa  patriotique 
douleur.  Quelque  temps  auparavant,  lajunte,en  récompense 
de  son  héroïque  conduite,  lui  avait  décerné  le  grade  de 
maréchal  de  camp. 

ALVEiXSLEBExX  (Aedert,  comte  d'),  né  à  Halbcr- 
stadl,  le  23  mars  179 i  .était  le  fils  aîné  du  comle  Auguste- 
Ernest  n'ALVENSEEnEN ,  jusqu'en  1823  ndnistre  du  duc  de 
Brunswick,  plus  tard  maréchal  de  la  diète  de  la  province 
de  Brandebourg,  moit  en  1827  membre  du  conseil  d'État 
prussien.  Venu  faire  ses  études  à  Berlin  en  1811,  le  comte 
d'Alvensleben  s'enrôla  volontairement  à  celle  époque  dans 
la  cavalerie  de  la  garde  royale,  où  il  ne  tarda  pas  à  élre 
promu  au  grade  d'officier;  et  il  resta  au  service  jusque  après 
la  conclusion  de  la  seconde  paix  de  Pari.s.  Il  se  consacra 
alors  avec  une  nouvelle  ardeur  à  l'étude  du  droit,  entra  en 
1817  en  qualité  de  référendaire  dans  la  magistrature,  en 
parcourut  rapidement  les  différents  degrés  hiérarchiques,  et 
il  était  déjà  parvenu  vers  la  fin  de  1827  aux  fonctions  de 
membre  du  tribunal  d'appel  de  la  proviace  de  Bianùe- 
bourg ,  quand  la  mort  inatlendue  de  son  père  lui  lit  aban- 
donner celte  carrière.  Il  pas.sa  ensuite  plusieurs  années  dans 
la  retraite,  s'occupant  de  l'administration  des  terres  que  lui 
avait  léguées  son  père,  et  aussi  de  la  gestion  des  intérêts  de 
la  compagnie  d'assurances  générales  contre  l'incendie  de 
ftlagdebourg,  dont  il  avait  été  nommé  directeur  général. 
Mais  les  services  qu'il  avait  rendus  comme  fonctionnaire 
public  ,  le  tact  infini  qu'il  avait  déployé  en  toutes  occasions, 
et  aussi  la  connaissance  approfondie  qu'il  avait  montrée  de 
la  situation  et  des  besoins  du  pays,  le  mettaient  trop  en  re- 
lief pour  qu'à  i:n  moment  donné  la  couronne  ne  réclamât 
pas  son  concours.  Eu  1832  il  lut  appelé  au  Conseil  d'État, 
avec  le  titre  de  conseiller  intime  de  justice.  Nommé  en  1834 
second  député  à  la  confrreiice  ministérielle  de  Vienne  ,  il  y 
déploya  tant  d'habileté  et  de  sagacité,  qu'il  unrita  non- 
seulement  la  gratitude  toute  particulière  de  son  souverain, 
mais  encore  l'alfectucuse  estime  de  tous  les  min.'slres  avec 
lesquels  il  eut  à  négocier.  Le  2  novembre  1834,  à  la  mort 
de  Maassen,  on  lui  confia  l'intérim  du  portefeuille  des 
finances.  Crée  en  183G  ministre  d'État,  il  fut  appelé  ,  l'année 
suivante,  à  la  direction  générale  des  bâtiments  et  de  l'industrie 
manufaclurièie  et  commerciale.  Il  prit  une  part  active  à  la 
création  el  à  l'organisation  du  Zollverein.  Sur  sa  de- 
mande, le  roi  le  déchargea,  le  l^mai  1842  ,  du  portefeuille 
des  finances.  Le  comte  d'Alvensleben  a  représenté  la  Prusse 
aux  conférences  de  Dresde,  en  1850.  En  1854,  il  fi;t 
nommé  membre  à  vie  de  la  chambre  des  Seigneurs,  et  dé- 
coré en  185G  de  l'ordre  de  r.\igle  noir.  Il  est  mort  le  2  mai 
1858  à  Berlin.  * 

ALVIAJVO  (  Bautiiélemy).  VAlvlane,  général  des  Vé- 
ni liens  pendant  la  guerre  à  laquelle  donna  lieu  la  ligua  de 
Cambrai,  commandait  leur  armée  lorsqu'elle  fit,  en  1508, 
dans  les  Alpes  JuUennes  celle  glorieuse  campagne  d'hiver 
dans  laquelle  les  troupes  de  l'empereur  Maximilien,  com- 
mandées par  le  ducde  Brunswick,  furent  délTa\les  jusqu'au 
dernier  homme,  si  l'on  en  croit  les  historiens  du  temps. 
L'année  suivante,  il  voulait  altaqucr  et  battre  en  détail  Ici 


coafédcrés;  la  circonjpecliou  Ju  sénat  île  Venise,  qui  lui 
interdit  PolTensive,  fut  cau^e  tic  la  perte  de  la  bataille  livrée 
à  Ghiora  d'Adda ,  le  14  mai  1509  (vorjcz  Acnadei.).  11  y 
eut  dix  mille  tués,  et  Alviano  lut  lui-même  blessé  au  visage. 
Fait  prisonnier  par  Louis  XII,  il  n'obtint  sa  liberté  qu'en 
1513,  lorsque  les  Vénitiens  s';\llièrcnt  aux  Français.  11  con- 
(juit  sur  le  duc  de  Milan  Drescia  et  IJergame.  1 1  pouvait,  en 
évitant  le  combat ,  faire  prisonnière  l'armée  espagnole  aux 
ordres  deCardonne,  enfermée  dans  un  délilé  à  Creazzo,  près 
de  Vicence;  mais  il  eut  l'imprudence  d'ofl'rir  la  bataille,  et 
fut  battu.  Cependant  il  se  releva  bientôt  de  cet  échec  par 
la  conquête  de  Crémone  et  de  Lodi ,  avec  une  élite  de  trois 
cents  hommes ,  en  attaquant  à  l'improviste  les  Suisses ,  qui 
comptaient  déjà  sur  le  triomphe  ,  et  qui  crurent  avoir  toute 
l'armée  vénitienne  sur  les  bras.  Il  contribua  à  la  victoire  de 
François  V  à  Marignan  (  14  septembre  1515  ).  L'Alviane 
survécut  peu  à  cette  glorieuse  journée ,  et  mourut  de  mala- 
die, le  7  octobre  suivant.  Les  A'énitiens  donnèrent  une  pen- 
sion à  son  fds ,  et  marièrent  ses  filles.  A  l'exemple  de  la  plu- 
part des  princes  et  des  gueniers  de  ce  siècle,  l'Alviane  aimait 
et  cultivait  les  lettres  ;  il  fonda  une  académie  à  Pordenone, 
lH)tug  du  Frioul ,  qui  lui  appartenait.        Cli.  Du  Rozom. 

ALVIXCZY  (  Joseph,  baron  d'  ) ,  né  en  1726 ,  d'une 
famille  noble  de  la  Transylvanie ,  entra  au  service  à  l'âge  de 
quinze  ans,  et  fit,  en  qualité  de  capitaine  de  grenadiers ,  la 
guerre  de  Sept  .Vns,  pendant  laquelle  il  reçut  de  graves  bles- 
sures ,  qui  lui  valurent  sa  promotion  au  grade  de  major.  A 
la  conclusion  de  la  pa»x ,  toute  son  activité  se  concentra  sur 
les  perfectionnements  à  iiilTOtbiire  dans  la  manœuvre  des 
troupes  autrichiennes;  puis  la  guerre  de  la  succession  de 
Bavière  lui  offrit  une  nouvelle  occasion  de  se  distinguer  et 
de  mériter  un  assez  rapide  avancement.  —  En  17S9,  investi 
du  commandement  de  l'une  des  divisions  de  l'armée  auti'i- 
chienne  aux  ordies  du  feld-mai échal  Landon  dans  la  cam- 
pagne contre  les  Turcs,  l'enqjcreur  Joseph  II  lui  conféra  le 
grade  de  feld-marécbal-lieulenant ,  bien  que  l'assaut  qu'il 
avait  été  chargé  de  diriger  contre  Belgrade  n'eût  point  amené 
la  reddition  de  cette  place.  Quelque  temps  après,  il  reçut  la 
mission  de  faire  rentrer  dans  le  devoir  les  habitants  de  Liège, 
révoltés  contre  l'empereur  et  contre  l'évèqiie  de  leur  ville. 
On  sait  que,  grâce  à  l'intervention  d'une  armée  française , 
l'Autriche  perdit  les  Pays-Bas  à  peu  près  vers  la  même  épo- 
fpie.  Le  rôle  d'Alvinczy  dans  la  campagne  qui  s'ouvrit  alors 
fut  presque  toujours  malheureux.  Cependant  il  n'en  conserva 
jias  moins  la  réputation  d'un  officier  de  haute  distinction  , 
d'un  tacticien  consommé  :  aussi ,  après  le  désastre  que  l'ar- 
mée autrichienne  essuya  en  Italie,  sous  les  ordres  de  Beau- 
lieu,  songea-t-on ,  dans  le  conseil  aidique,  à  opposer  la 
vieille  tactique  et  l'expérience  d'Alvinczy  à  l'impétuosité  de 
Ronaparte.  Les  premiers  actes  de  son  nouveau  comman- 
dement eurent  d'assez  heureux  résultats;  quelques  combats 
partiels,  à  la  Scalda ,  àBassano,  à  Vicence,  totirnèrent  à 
son  avantage  ;  mais  deux  grandes  batailles  qu'il  perdit  suc- 
cessivement,  l'une  à  Aréole,  l'autre  à  Rivoli,  anéan- 
tirent son  armée.  A  cette  occasion ,  au  lieu  de  s'en  prendre 
au  génie  tout-puissant  du  jeune  vainqueur,  à  la  vieillesse 
d''Alvinczy  et  à  son  impuissance  contre  \m  talent  évidem- 
ment supérieur,  on  l'accusa  d'incapacité  et  même  de  trahi- 
son ;  mais  l'empereur,  dont  autrefois  Alvinczy  avait  dirigé 
les  premières  études  militaires ,  ne  tint  aucun  compte  de  ces 
accusations  perfides ,  et  ne  se  ressouvint  que  de  ses  anciens 
et  glorieux  services.  Il  lui  confia ,  par  forme  d'indemnité , 
en  179S,  le  commandement  supérieur  de  la  Hongrie,  où  il 
eut  à  s'occuper  de  la  réorganisation  de  l'armée,  et  dix  ans 
plus  tard  il  le  nomma  même  feld-maréchal.  —  Alvinczy 
mourut  en  1810 ,  sans  laisser  d'héritiers  de  son  nom. 

ALXIXGER  (  Je  v>-Baptistp:  d'  ) ,  poète  allemand,  né 
à  Vienne  le  2i  janvier  1755,  fut  initié  de  bonne  heure  à 
l'étude  de  l'antiquité  par  le  célèbre  FcKliel ,  ce  qui  ne  l'em- 
pêcha pas  d'étudier  en  même  temps  le  droit.  Promu  au  titre 


ALVIANO  —  AMADIS  427 

de  docteur  dans  cette  faculté ,  il  avait  obtenu  le  titre  d'agent 


auliipie ,  lorsque  la  mort  prématurée  de  ses  parents  le  mit 
en  possession  d'une  fortune  considérable.  Aussi  désormais 
n'c\erça-t-il  plus  la  profession  d'avocat  que  pour  défendre 
gratuitement  les  pauvres.  Ses  Poëmes  ,  publiés  en  1780  à 
Halle,  en  17S4  à  Leipzig,  au  profit  des  hôpitaux  de  Vienne, 
et  en  1788  à  Klagenfurt ,  lui  firent  un  nom  par  l'agréable 
facilité  en  môme  temps  que  par  la  douce  sentimentalité  qui 
y  rognent.  Ses  poëmes  de  chevalerie,  Doolin  de  Maijence 
(  1787  )  et  BUomhérïs  (  1791  ),  furent  encore  mieux  accueil- 
lis. 11  s'y  montre  l'imitateur  de  Wieland,  et  il  y  produit  tout 
l'effet  que  peuvent  produire  le  soin  et  le  travail  à  défaut 
d'inspiration.  Une  autre  collection  de  poëmes  qu'il  publia 
en  179i  fut  sensiblement  moins  bien  accueiUie.  Il  tra- 
duisit aussi  le  Xurna  PompïUus  de  Florian  (  2  vol.,  Lei- 
psig  ,  1792  ).  Comme  homme,  Alxinger  jouissait  de  l'estime 
do  tous ,  et  il  était  recherché  dans  le  inonde  ;  il  fut  anobli 
par  l'empereur  en  1794 ,  mais  il  mourut  dès  le  1^""  mai  1797. 

ALYATTE.  Deux  rois  de  Lydie  ont  porté  ce  nom. 
—  L'un,  fils  d'Ardysus,  de  la  race  des  Héraclidcs,  régna 
de  l'an  761  à  l'an  74S  avant  Jésus-Christ.  —  Le  second ,  fils 
de  Sadyatte,  de  Iafamillede3/er?n?iflrfe5,régnaderan  610 
à  l'an  559  avant  J.-C.  Ilfutlepère  deCre'5?<5.  Hérodote  fait 
mention  du  tombeau  de  ce  roi  de  Lydie  comme  d'un  monu- 
ment de  proportions  gigantesques  et  comparable  aux  édi- 
fices élevés  par  les  Babyloniens  et  les  Égyptiens.,  Suivant  lui, 
ce  mausolée ,  situé  à  peu  de  distance  du  lac  de  Gygès ,  n'a- 
vait pas  moins  de  433  mètres  de  diamètre. 

AL'VPIl'S  n'Ai  EX  \M)RiF. ,  philosophe  renommé  et  ex- 
cellent logicien,  qui  vivait  au  temps  de  Jamblique;  il  n'avait 
pas  deux  pieds  de  haut.  On  rapporte  que  ce  nain  savant 
louait  Dieu  de  n'avoir  chargé  son  âme  que  d'une  si  petite 
portion  de  matière  corruptible. 

ALYPTîQUE.  Yoijez  Aliptique. 

AMADÉISTE,  nom  que  prit  une  congrégation  reli- 
gieuse qui  fut  fondée  vers  le  milieu  du  quinzième  siècle , 
par  le  moine  franciscain  portugais  Amédée-Jean  Menez , 
et  qui  subsista  jusque  sous  le  pontificat  de  Pie  V. 

AMADIS,  nom  célèbre  dans  les  fastes  poétiques  de  la 
chevalerie.  Le  roman  qui  nous  raconte  les  aventures  des 
héros  de  ce  nom  en  mentionne  quatre,  dont  le  plus  célèbre, 
qui,  du  reste,  sert  de  souche  aux  trois  autres,  s'appelle 
Amadis  des  Gaules  ou  de  Gaule,  généralement  suinommé, 
d'après  ses  armoiries  et  l'emblème  de  son  bouclier,  le  Che- 
valier du  Lion.  Il  était  connu  dans  ses  excursions  du  dé- 
sert sous  celui  de  Beau  Brun  ,  ou  plutôt ,  d'après  le  texte 
original ,  de  Bel-Tenchros ,  le  beau  Ténébreux. 

Les  amours  et  les  prouesses  de  ce  vaillant  chevalier 
sont  entassés ,  avec  une  prolixité  parfois  fatigante ,  dans 
un  roman  fameux  dont  l'origine  n'est  pas  connue  positive- 
ment, et  que  les  Espagnols,  les  Portugais  et  les  Français 
ont  tour  à  tour  revendiqué.  Toujours  est-il  que,  d'après  le 
roman,  c'est  en  Espagne  qu' Amadis  des  Gaules,  ce  preux 
si  brillant ,  mena  sa  carrière  aventureuse,  et  accomplit  ses 
exploits  fabuleux.  Il  est  poiu-  ce  pays  ce  que  le  roi  Ar- 
thur avec  sa  Table  Ronde  est  pour  l'Angleterre,  ou  ce 
que  Charlemagne  et  ses  douze  paladins  sont  dans  les 
traditions  de  France.  Y  a-t-il  dans  tous  ces  récits  quelques 
fondements  historiques,  ou  Amadis  des  Gaules  n'est-il,  ainsi 
que  ceux  de  sa  race  supposée,  qu'un  personnage  purement 
et  tout  à  fait  imaginaire?  C'est  ce  qu'on  ne  saurait  dire, 
et  on  se  contente  d'applaudir,  comme  si  elles  étaient  vraies, 
aux  mille  actions  extraordinaires  qui  remplirent  la  vie  de  ces 
aventuriers.  Les  quatre  premiers  livres  du  roman  sont 
seuls  consacrés  à  l'histoire  du  principal  héros,  que  l'on  fait 
naître  enfant  de  l'amour  de  Périon,  roi  fabuleux  de  France, 
et  d'Éliscne,  fille  de  Havintes,  roi  de  Bretagne  ;  les  autres  livres 
s'occupent  de  son  fils  Espiandian,  du  chevalier  Florisando, 
de  Florisel,  et  de  trois  autres  Amadis,  dont  chacun  est 
connu  so'.is  une  désignation  différente.  Ainsi  le  premier  est 

5'i. 


428 


AMADIS  —  AMAIGRISSEMENT 


Amadis  de  Grèce,  arricre-petit-fils  d'Amadis  des  Gaules, 
par  son  père  Lisnart  ;  sa  mère  était  Olonéria,  fille  d'un  em- 
pereur de  Trébisondc.  Il  eut  pour  arrière-petit-fils  Amadis 
de  l'Astre  ou  de  l'Étoile.  Le  dernier,  enfin ,  est  Amadis 
de  Trébisondc,  fils  de  Roger  de  Grèce,  surnommé  le  Bien- 
Aimé. 

11  y  a  dans  le  roman  d'Amadis,  qui  dans  l'original  es- 
pagnol contient  treize  livres ,  une  immense  différence  entre 
les  premiers  et  ceux  ([ui  suivent.  On  sait  que  Cervantes, 
dans  sa  fameuse  revue  de  la  bibliotlièque  de  don  Qui- 
chotte, fait  grâce  aux  quatre  premiers  ,  exclusivement  con- 
sacrés à  Amadis  dos  Gaules,  comme  étant  la  première  mais 
aussi  la  seule  et  meilleure  composition  de  ce  genre  que  l'Es- 
pagne ait  produite  ,  tandis  qu'il  condamne  au  feu  tous  les 
autres. 

Quelques-uns  désignent  comme  étant  l'auteur  des  quatre 
premiers  livres  l'écrivain  portugais  Vasco-Lobeira ,  qui  vi- 
vait au  commencement  du  quatorzième  siècle;  d'autres  sup- 
posent qu'ils  ont  été  composés  par  une  dame  portugaise , 
d'ailleurs  inconnue  ;  d'autres  encore  les  attribuent  à  l'infant 
don  Pedro ,  fils  de  don  Jean  1*'' ,  roi  de  Portugal.  D'autres 
ont  voulu  que  Corée  de  Paris  en  fût  l'auteur.  Le  comte  de 
ïressan  a  clierché  à  accréditer  l'opinion  que  l'honneur  de 
l'invention  est  due  à  un  troubadour  français  de  l'école  de 
Ruslicicn  de  Puice,  auteur  de  presque  tous  les  romans  de 
la  Table-Ronde ,  écrits  du  temps  de  Philippe-Auguste  (  de 
1180  à  1223).  On  donne  comme  l'auteur  du  cinquième  livre, 
renfermant  les  aventures  d'Esplandian ,  fils  ahié  d'Amadis , 
Garcias  Ordonnez  de  Montalbo ,  réviseur  de  l'ancienne  édi- 
tion ;  le  sixième  livre,  par  Pelage  de  Ribera,  contient  les  ex- 
ploits du  chevalier  Florisando;  le  septième,  ceux  d'un  in- 
connu, et  le  huitième,  par  F.  Diaz,  les  exploits  de  Lisnart; 
le  neuvième  et  le  dixième,  les  hauts  faits  de  Florisel,  l'Amadis 
de  la  Grèce,  et  du  chevalier  Anaxante;  les  onzième  et 
douzième ,  les  expéditions  chevaleresques  de  Rogel  et  d'A- 
gésilas  ;  le  treizième ,  celles  de  Silvio  de  la  Silva.  C'est  là 
que  s'arrête  l'original  espagnol.  Vinrent  ensuite  les  traduc- 
tions françaises ,  qui  depuis  la  version  de  îsicolas  d'IIer- 
beray,  seigneur  des  Essars  (en  l.î40),  portèrent  ce  roman 
jusqu'à  vingt-quatre  livres.  Le  quatorzième  et  le  dix-septième 
contiennent  les  exploits  de  Sphéraraont  et  d'Amadis  de 
l'Étoile;  enfin,  le  dix-huitième  jusqu'au  vingt-quatrième,  les 
aventures  des  autres  descendants  d'Amadis  des  Gaules  et 
d'Amadis  de  Trébisondc. 

Les  diverses  parties  de  ce  poëme,  qu'on  trouve  rarement 
en  entier,  n'ont  pas  toutes  le  même  mérite.  Routerwek  dit 
avec  raison  des  quatre  premiers  livres  :  «  Ce  tableau  si 
grandiose  de  l'héroïsme  et  de  la  fidélité ,  où  la  récompense 
accordée  par  lamour  n'est ,  il  est  vrai ,  pas  toujours  sé- 
vèrement mesurée,  mais  où  rien  cependant  ne  blesse  l'oreille 
la  plus  chaste,  ce  tableau ,  peint  avec  les  couleurs  de  l'en- 
thousiasme et  de  l'exaltation,  mais  présenté  avec  une  naï- 
veté véridique  et  le  goût  le  plus  pur,  mérita  de  son  temps 
les  hommages  qu'on  lui  rendit  encore  beaucoup  de  siècles 
aj)rès.  "  Les  livres  qui  suivent  n'ont  pas  le  même  mérite 
esthétique  (pii  distingue  les  quatre  premiers  livres.  Parmi 
les  imitations  allemandes  de  ce  roman ,  ou  mieux  de  ce 
cycle  de  romans,  il  n'en  est  pas  une  qui  mérite  d'être  citée , 
car  le  nouvel  Amadis  de  Wieland  n'a  rien  de  commun  avec 
ces  anciens  Amadis,  que  le  titre  et  le  nombre  daventures 
que  court  le  héros.  M.  Creusé  de  Lesser  a  donné  une  édi- 
tion de  ce  roman  abrégé  sous  la  forme  d'un  poème  en  vingt 
chants,  en  Ksi.'î. 

AMADOU.  On  appelle  ainsi  une  substance  végétale 
spongieuse,  souple,  destinée  à  prendre  feu  par  le  seul  con- 
tact d'une  étincelle,  et  qui  se  prépare  ordinairem-ent  avec 
différentes  espèces  de  champignons  du  genre  bolet,  parti- 
culièrement avec  celui  qui  porte  le  nom  (ïamadouvier. 
Pour  amener  à  l'état  d'amadou  ce  bolet,  qui  est  de  consis- 
tunce  demi-ligneuse,  on  le  dépouille  de  son  écorce,  dont  la 


dureté  est  beaucoup  plus  considérable  ;  puis  on  le  coupe  en 
morceaux  plats  de  différentes  épaisseurs,  qu'on  fait  d'abord 
tremper  dans  l'eau ,  et  qu'on  bat  ensuite  sur  un  billot  de 
bois  avec  un  maillet  de  fer,  en  ayant  soin  de  les  frotter  de 
temps  en  temps  entre  les  mains,  pour  en  détacher  les  fibres 
ligneuses  réduites  en  parcelles  par  la  percussion.  Lorsque  les 
morceaux  sont  devenus  excessivement  souples  et  doux  au 
toucher,  on  les  f.iit  sécher.  Le  bolet  ainsi  préparé  se  nomme 
(irjaric  des  cliirvrfjiens ,  et  est  employé  pour  ariêter  les 
liémorrhagies  produites  par  les  ouvertures  de  petits  vaisseaux, 
par  exemple,  celles  qui  suivent  l'application  des  sangsues. 
Pour  le  convertir  en  amadou  ,  on  le  fait  alors  macérer,  ou 
même  bouillir,  à  deux  ou  trois  reprises ,  dans  un  soluté 
aqueux  de  nitrate  de  potasse  (  sel  de  nitre  ) ,  ou  de  chlorate 
de  potasse  ;  après  quoi  on  le  fait  sécher,  et  on  le  bal  de  nou- 
veau sur  le  billot;  enfin  on  le  serre  dans  un  endroit  sec  et 
où  il  puisse  être  à  l'abri  du  contact  de  l'air  humide. 

Le  genre  bolet  n'est  pas  seul  en  possession  de  fournir 
la  substance  dont  nous  nous  occupons  :  toutes  les  matières 
végétales  de  structure  celluleuse ,  tenaces  et  douées  de  la 
propriété  de  se  feutrer,  peuvent  senir  également  à  fabri- 
quer de  l'amadou  ;  et  en  effet  on  a  employé  à  cet  objet  la 
base  de  quelques  espèces  du  genre  vesse-loup ,  arrivées  à 
leur  parfaite  maturité,  telles  que  la  vesse protée,  la  vesse 
ciselée,  la  vesse  gigantesque  ,  etc.  On  en  fait  en  diverses 
contrées  avec  quelques  Ileurs  de  la  famille  des  composées  : 
ainsi  en  Espagne  on  en  prépare  avec  de  Vatractylide  gom- 
mi/ère ,  de  la  gnaphale  d'' Italie,  et  de  Yéchinope  à  feuilles 
Apres.  Au  Mexique  on  en  fait  avec  le  duvet  de  Vandro- 
machia  igniaria,  et  à  l'iie  de  France  avec  le  liber  du/cM5 
terehrata.  Enfin ,  il  n'est  pas  rare  de  voir  les  gens  de  la 
campagne  préparer  une  sorte  d'amadou  en  faisant  brûler 
du  vieux  linge  et  l'étouffant  avant  qu'il  soit  entièrement 
consumé.  P.-L.  Cottereau. 

AMADOUVIER.  Voyez  Rolet  et  Amadou. 

AMAIGRÏSSEIIÎEIMT,  maigreur,  émaciation ,  dont 
les  derniers  degrés  sont  la  consomption  et  le  marasme.  On 
désigne  par  ce  mot  la  diminution  graduelle  qui  s'effectue 
dans  le  volume  du  corps,  par  déperdition  successive  du 
tissu  graisseux,  et  probablement  des  autres  éléments  cons- 
titutifs des  divers  organes.  —  L'amaigrissement  diffère  de 
Vatrophie  en  ce  que  celle-ci  n'affecte  qu'un  partie  cir- 
conscrite de  l'économie.  L'amaigrissement  peut  dépendre  de 
circonstances  physiologiques,  ou  dériver  de  causes  morbides, 
ce  qu'il  importe  beaucoup  de  distinguer.  C'est  ainsi  que  l'em- 
bonpoint chez  les  enfants  disparaît  par  le  fait  de  l'accrois- 
sement du  corps,  et  que  l'affaissement  des  tissus  est  un  ré- 
sultat naturel  de  la  vieillesse.  La  chaleur  et  la  sécheresse  de 
l'atmosphère  produisent  l'amaigrissement  chez  les  individus 
qui  passent  du  nord  dans  les  contrées  méridionales,  ou 
même  par  le  simple  changement  des  saisons.  L'alimentation 
insuffisante  est  la  cause  la  plus  directe  de  l'amaigrissement  ; 
on  a  constaté  que  l'usage  prolongé  des  acides  produit  ce  ré- 
sultat, observation  dont  la  coqueilerie  s'est  impi-udemment 
emparée,  au  risque  de  graves  accidents,  dont  les  exemples 
ne  sont  pas  rares.  Les  exercices  violents  et  répétés,  les  pro- 
fessions pénibles,  les  habitudes  vicieuses ,  et  surtout  l'abus 
des  plaisirs  vénériens;  les  travaux  intellectuels  prolongés  , 
les  i)assions  concentrées,  comme  l'ambition,  la  haine,  la  ja- 
lousie, chez  ces  individus  dont  r«Hie  consume  son  enveloppe, 
telles  sont  les  causes  physiologiques  accidentelles  de  l'amai- 
grissement. 11  existe  en  outre  des  causes  permanentes;  c'est 
ainsi  que  certains  individus  sont  naturellement  de  consti- 
tution sèche ,  quel  que  soit  du  reste  leur  genre  de  vie  :  la 
maigreur  est  l'apanage  ordinaire  des  tempéraments  dits 
nerveux  et  bilieux.  Un  préjugé  vulgaire  fait  envisager  la 
maigreur  constitutionnelle  comme  une  garantie  de  la  santé, 
erreur  démontrée  iiar  la  susceptibilité  de  ces  individus  à 
contracter  des  irritations  locales.  On  a  pu  voir  à  Paris  un 
homme  objet  d'une  triste  curiosité,  et  qu'on  désignait  sous 


AMAIGRISSEMENT  —  AMALFI 


429 


le  nom  de  squelette  vivant.  Ce  iiialhouroux  ,  mort  depuis 
en  An^loterro,  à  l'âge  de  vinj;t-deii\  ans  jouissait,  dit-on, 
d'une  parlaile  santé,  bien  que  son  corps  fiU  prosijue  dia- 
phane ;  le  lait  est  qu'il  était  en  proie  à  une  lésion  chronique 
de-s  intestins,  au  point  que  son  estomac  ne  pouvait  admettre 
et  digérer  qu'une  demi-tasse  de  bouillon  par  jour. 

Les  causes  morbides  de  l'amaigrissement  comprennent 
pres(iue  toutes  les  maladies  ;  cependant  on  peut  établir  une 
échelle  des  degrés  diniluence  exercée  par  les  divers  organes, 
selon  que  ceux-ci  ont  des  connexions  plus  ou  moins  direc- 
tes avec  la  nutrition  :  c'est  ainsi  (pie  les  maladies  des  or- 
ganes de  la  digestion  et  de  la  respiration,  qui  fournissent  les 
aliments  à  la  vie,  amènent  plus  directement  la  maigreur  que 
celles  des  viscères  qui  président  à  la  circulation  et  aux  sen- 
sations. Les  maladies  qui  entraînent  des  évacuations  abon- 
dantes, telles  que  le  choléra,  la  suelte,  la  dyssenterie,  pro- 
duisent un  amaigrissement  rai)ide.  Forget. 
AMAi;  ou  .\M.\GER.  Voyez  Copenhague. 
AMALAIAIC  ,  roi  des  Visigoths  ou  Gothsde  l'ouest, 
né  en  502,  épousa  en  52G  Clotihie,  lille  de  Clovis  ,  qui  était 
aussi  zélée  catholique  qu'il  était  ardent  arien.  Ce  mariage 
fut  la  cause  de  sa  querelle  avec  Childebert,  son  beau- 
frère,  dans  laquelle  il  per.lit  la  vie  en  531. 

AMALASONTE  ,  fille  de  Théodoric  ,  roi  des  Ostro- 
golhs,  épousa  en  515  Eulharic  Cilicus,  de  la  souche  royale 
(les  A  maies.  Ce  prince  mourut  sans  régner,  laissant  un 
fils,  Athalaric,  qui  à  la  mort  de  Théodoric ,  en  526  ,  lui  suc- 
céda sous  la  tutelle  de  sa  mère.   Amalasonte  choisit  pour 
ministre  Cassiodore ,  et  voulut  faire  élever  son  (ils  à  la  ma- 
nière des  Romains  ;  mais,  persuadés  qu'un  prince  accoutumé 
à  trembler  sous  la  férule  d'un   maitre  n'aurait  jamais 
le  courage  d'af/ronter  les  épées  yutes,  ses  sujets  exigè- 
rent le  renvoi  des  précepteurs  d'Alhalaric,  et  les  rempla- 
cèrent par  irois  jeunes  officiers ,  qui  plongèrent  leur  royal 
élève  dans  la  dibauche.  Athalaric  ne  put  ré-ister  longtemps  : 
il  mourut  en  534 ,  à  pleine  âgé  de  dix-sept  ans.  Amalasonte 
épousa  Théodat,  son  cousin,  prince  d'un  caractère  vil  et 
lâche,  et  d'une  avarice  insatiable.  Il  ne  lui  fut  pas  plus  tôt 
uni  qu'il  la  fit  étrangler.  Le  meurtre  d'Amalasonte  servit  de 
prétexte  à  la  guerre  que  Justinien  déclara  aux  Ostrogoths. 
i\3L\LEC,  AMALÉCITES.   Le  nom  d'Amalec  est 
commun  à  deux  personnages  mentioimés  dans  la  Bible.  Le 
plus  ancien  était  fils  de  Cham  ;  l'autre  avait  pour  père  Éli- 
phaz,  fils  d'Ésaii.  C'est  celui-ci  qu'on  regarde  ordinairement 
comme  la  tige  des  Amalécites  ;  mais  leur  puissance ,  déjà 
fort  grande  au  temps  d'Abraham  ,  suppose  une  origine  plus 
ancienne,  et  fait  présumer  que  le  véritable  père  de  ce  peuple 
est  le  petit-fils  de  Noé.  —  Les  Amalécites  habitaient  l'Ara- 
bie Déserte,  entre  la  mer  Morte  et  la  mer  Rouge  ;  ils  erraient 
entre  Schour  et  l'Havilah  ;  car ,  à  l'exception  d'Amalec ,  la 
même  que  Pétra,  suivant  Josèphe,  les  Amalécites  ne  possé- 
daient aucune  ville  :  ils  vivaient  sous  des  tentes ,  ou  cher- 
chaient un  refuge  dans  les  cavernes  qui  bordent  la  nier 
Rouge.  A  leur  sortie  d'Ég)  pte ,  les  Israélites  furent  attaqués 
à  Réphidim ,  dans  le  désert ,  par  les  enfants  d'Amalec ,  for- 
mant une  armée  nombreuse.  Ce  combat  eut  cela  de  particu- 
lier, selon  le  récit  de  la  Genèse,  que  la  victoire  restait  aux 
Israélites  tant  que  Moïse  tenait  ses  bras  en  l'air,  et  qu'ils 
étaient  battus  dès  que  la  fatigue  forçait  Moise  à  quitter  cette 
posture  de  suppliant.  Cette  attaque  perfide  et  lâche  des  Ama- 
lécites contre  un  peuple  fugitif  et  pris  au  dépourvu  devait 
(aire  naître  et  graver  profondément  dans  des  cœurs  orien- 
taux une  haine  d'extermination.  Point  de  salut  pour  Aina- 
lec  !  Ce  cri,  qui  retentit  souvent  dans  l'Écriture,  devait 
recevoir  son  accomplissement.  Sous  les  juges ,  les  Amalé- 
cites, quoique  réunis  aux  Jladianites  et  aux  Moabites ,  sont 
défaits  par  Aod,  qui  tue  de  sa  main  leur  roi  Églon  ;  et  Gé- 
déon  détniit  une  ligue  nouvelle  de  Madian  et  d'Amalec. 
Saiil  les  avait  battus  ;  il  perdit  son  trône  pour  avoir  épargné 
leur  roi  Agag.  Pendant  le  règne  de  David ,  les  Amalécites 


envahissent  et  pillent  Tsiglag,  lieu  où  le  roi  d'Israël  avait 
renfermésesfemmeset  ses  richesses;  David  accourt,  arrache 
aux  enf.uils  d'Amalec  leur  butin,  les  disperse,  les  pour- 
suit et  les  extermine  sur  leur  propre  territoire.  —  Depuis 
cet  événement  l'Écriture  ne  parle  plus  historiquement  du 
peuple  amalécite.  E.  Lavignë. 

AXIALES  {Alliai  un  g  en),  djnia.stie  qui  a  régné  sur  les 
Goths  depuis  les  temps  fabuleux  de  leur  histoire  jusqu'au 
milieu  du  sixième  siècle  de  l'ère  chrétienne.  Dès  la  première 
de  ces  époques  ils  étaient  déjà  divisés  en  Visigoths  et  Ostro- 
goths, et  c'est  aux  derniers  qu'appartenaient  les  Amales.  Leur 
historien ,  Jornandés ,  parle  d'un  demi-dieu  appelé  Gaptus  et 
de  son  fils  Harmal ,  qu'on  suppose  avoir  été  contemporain 
de  Domitien  et  des  Antonins ,  avant  que  les  Goths  eussent 
quitté  les  bords  de  la  Baltique  pour  ceux  du  Borysthènc. 
Augis ,  fils  d'IIalmal ,  ayant  reçu  le  surnom  d'Amala ,  est 
reconnu  pour  le  fondateur  de  cette  maison  vers  le  règne 
d'Alexandre-Sévère;  et  Jornandés  lui  donne  une  longue 
suite  de  rois ,  qu'il  serait  cependant  difficile  de  rattacher  à 
tous  les  événements  qui  ont  signalé  leurs  guerres  incessantes 
avec  les  Romains.  Nous  nous  bornerons  à  copier  leurs  noms. 
Après  Augis-Amala ,  ce  sont  Isarna ,  Ostrogotha ,  Unilt , 
Athal,  AchiuK,  Ansila  et  ses  trois  frères,  Ediulf,  Wuldulf 
et  Heimanrich,  Wandalar,  fils  de  Wuldulf,  ^Yinithar,  Théo- 
domir  et  ses  deux  frères  Walamir  et  >Yidimir,  enfin  Théo- 
doric le  Grand  et  sa  fille  4?nfl/flson^e,  avec  qui  s'é- 
teignit cette  dynastie,  en  534.  On  attribue  à  Ostrogotha  le 
passage  du  Danube  et  l'invasion  de  la  Dacie  et  de  la  Jloesie , 
au  temps  de  l'empereur  Philippe,  l'an  243.  Sous  Herman- 
rich ,  les  Goths  ravagèrent  la  Thrace  et  autres  provinces  de 
l'empire.  On  fait  régner  ce  prince  sur  la  Scythie  et  sur  la 
Germanie  entière  au  temps  de  Valens.  Les  noms  des  autres 
rois  dont  parle  Tbistoiie  des  Gotbs  appartiennent  à  la  maison 
des  Baltes ,  qui  régna  chez  les  Visigoths,  et  qui  disputa  sans 
cesse  aux  Amales  la  conduite  de  la  nation  entière.  Voyez 
Baltes  et  Goths. 

Les  Nibelungen  citent  les  Amales  Walamir,  Widimir  et 
Théodomir,  comme  les  héros  les  plus  braves  et  les  plus  estimés 
du  roi  des  Huns,  Etzel  ou  Attila.  Walamir  et  Théodomir 
(  appelé  dans  le  Livre  des  Héros  Ditraar  )  perdirent,  selon 
jfornandès  ,  en  458,  une  bataille  contre  l'empereur  Léon,  à 
la  suite  de  laquelle  Théodomir  envoya  son  fils  Théodoric  , 
alors  âgé  de  sept  ans,  devenu  plus  tard  roi  des  Ostrogoths, 
au  vainqueur  à  Constantinople ,  comme  gage  de  la  paix. 
C'est  là  la  véritable  histoire  ;  mais  le  chantre  des  Nibelungen 
présente  ce  Théodoric  comme  compagnon  d'armes  du  roi 
Etzel,  qui  l'a  tellement  pris  en  affection,  que  pour  la  moitié 
de  son  empire  il  ne  voudrait  pas  se  passer  de  lui. 

AMALFI.  La  ville  d'Araalfi,  située  dans  la  partie  cité- 
rieure  du  royaume  de  JN'aples ,  et  qui  ne  compte  pas  aujour- 
d'hui trois  mille  habitants ,  a  été  autrefois  une  ville  très- 
florissante,  et  a  pi-is  une  grande  part,  dans  le  moyen  âge, 
aux  événements  qui  agitèrent  les  républiques  italiennes. 
Comme  beaucoup  de  villes  maritimes  de  l'Italie ,  qui  depuis 
sont  devenues  célèbres,  Amalfi  ne  date  que  de  l'époque  où 
commença  à  déchoir  l'exarchat  de  Ravenne.  «  Cependant , 
dit  M.  de  Sismondi ,  les  Amalfitains  prétendaient  êtte  issus 
d'une  colonie  romaine  :  ils  assuraient  que  leurs  ancêtres, 
envoyés  par  le  grand  Constantin  à  Byzance,  avaient  fait 
naufrage  à  Raguse  et  séjourné  longtemps  en  lllyrie  ;  qu'ils 
avaient  traversé  ensuite  l'Adriatique,  et  qu'ils  s'étaient  éta- 
blis à  Meifi ,  dans  la  Pouille ,  où  ils  avaient  séjourné  long- 
temps encore;  qu'enfin  ils  avaient  quitté  cette  province  pour 
chercher  un  pays  où  ils  pussent  vivre  entièrement  libres, 
et  qu'alors  seulement  ils  avaient  bâti  sur  le  golfe  de  Salerne 
une  ville  à  laquelle  ils  avaient  donné  le  nom  de  leur  da-nière 
habitation.  Leur  petit  État  était  composé  de  quinze  on  seize 
villages  et  chùleaux  situés  autour  de  la  capitale,  sur  le  pen- 
chant des  montagnes  qui  forment  à  l'occident  le  golfe  de 
I  Salerne.  Les  uns  sont  resserrés  entie  la  mer  et  les  rochers, 


'ISO 


AMALFI 


et  leurs  habitants  piofifcnt  de  quelque  rade  ou  de  fiuelquc 
poit  pour  s'adonner  à  la  pôclie  et  au  commerce;  les  autres 
■demeurent  suspendus,  comme  l'aire  d'un  aigle,  àmi-cùte  des 
monts,  dont  le  pied  est  baigné  par  la  mer;  on  ne  les  voit 
qu'à  moitié  au  milieu  des  bois  d'oliviers  qui  couvrent  tout 
ce  district.  Les  branches  dorées  des  orangers  qui  entourent 
leurs  maisons  blanchies  attirent  cependant  de  loin  les  regards 
et  indiquent  l'habitation  de  propriétaires  riches  et  indus- 
trieux; tandis  que,  de  l'autre  côté  de  ce  magnifique  golfe, 
les  temples  majestueux  de  Tastum  s'élèvent  seuls  au  milieu 
d'une  plaine  déserte  et  désolée ,  que  la  liberté  n'a  plus  visi- 
tée depuis  deux  mille  ans.  » 

Quoi  qu'il  en  soit  des  prétentions  des  Amalfitains  touchant 
leur  origine,  ils  surent  se  rendre  célèbres  de  bonne  heure. 
En  8:i") ,  Sicard,  prince  de  Bénévent ,  attaqua  Amalfi ,  pilla 
ses  églises,  et  emmena  ses  habitants  à  Salerne,  afin  qu'ils  fc 
confondissent  avec  son  peuple.  Mais  Sicard  ayant  été  tué  à 
la  chasse,  les  Amalfitains  coururent  aux  vaisseaux  qui  étaient 
dans  le  port ,  les  chargèrent  des  dépouilles  des  maisons  et 
des  temples  de  Salerne,  et  retournèrent  ainsi  chargés  de 
butin  à  leur  ancienne  patrie.  C'est  à  dater  de  cette  époque 
qu'ils  recouvrèrent  leur  entière  liberté,  et  commencèrent  à 
se  gouverner  eu  république;  car  auparavant  ils  recevaient 
leurs  gouverneurs  de  JNaples,  dont  ils  relevaient.  Après  être 
\lela  sorte  redevenus  libres,  les  Amalfitains  se  soumirent  à 
im  magistrat  annuel,  élu  par  les  suffrages  du  peuple,  qu'ils 
appelèrent  tantôt  comte  ,  maître  des  soldats,  ou  duc.  Sous 
le  gouvernement  de  ces  chefs ,  la  république  d'Amalfi  cou- 
vrit la  mer  de  ses  vaisseaux  ;  elle  répandit  dans  tout  l'Orient 
sa  monnaie ,  connue  sous  le  nom  de  tari ,  et  elle  s'acquit 
une  réputation  brillante  de  sagesse ,  de  courage  et  de  vertu. 
Ses  lois  sur  le  trafic  maritime,  coimues  sous  le  nom  de  Tables 
Ainalfitaïnes,  ont  servi  de  base  au  droit  des  gens  en  cette 
matière ,  de  fondement  à  la  jurisprudence  du  commerce  et 
des  mers;  elles  acquirent  dans  la  Méditerranée  le  même 
crédit  que  celles  des  Rbodiens  avaient  eu  anciennement,  et 
,qu'on  accorda  plus  tard  sur  l'Océan  à  celles  d'Oléron. 

La  prospérité  d'Amalfi  alla  toujours  croissant  jusque 
vers  11.35.  A  cette  époque,  Amalfi  fut  forcée  de  prendr-e 
part  à  la  querelle  de  Roger  contre  les  Napolitains  et  les 
l'isans;  elle  fournit  à  Roger  ses  galères  et  ses  meilleurs  sol- 
dats, et  resta  elle-même  sans  défense.  Alzoprado  et  Cane, 
consuls  de  Pise,  en  ayant  été  informés,  tentèrent  sur  elle 
un  coup  de  main,  et  la  pillèrent.  Deux  ans  plus  tard,  les  Pi- 
sans,  après  avoir  délivré  Naples,  assiégée  par  Roger,  s'em- 
parèrent d'.\malfi.  —  "  La  cité,  dit  M.  de  Sismondi,  se 
soumit  à  eux  avec  empressement;  mais  les  châteaux  de 
Scala  et  de  Scalella,  qui  dépendaient  d'elle,  ayant  fait  résis- 
tance, fur-ent  emportés  de  vive  force  et  livrés  au  pillage.  Cet 
échec  compléta  la  ruine  de  la  république  d'Amalfi.  Dès  lors 
cette  ville  et  son  duché  n'ont  cessé  de  déchoir.  A  cette  épo- 
que la  cité  seule  comptait  50,000  habitants.  Elle  avait  eu 
des  comptoirs  dans  tous  les  ports  de  Sicile ,  d'Kgyi)te,  de 
Syrie  et  de  Grèce  ;  ils  furent  tous  abandonnés,  surtout  de- 
puis que,  vers  l'an  1350,  les  rois  de  Naples  eurent  aboli  les 
formes  républicaines  de  son  administration  intérieure.  Ce- 
pendant devix  hommes  nés  dans  Amalfi  contribuèrent  encore 
à  illustrer  cette  ville  après  qu'elle  eut  perdu  son  ancienne 
puissance  :  ce  furent  Flavio  Gioia,  qui,  en  1320,  inventa  ou 
perfectionna  la  boussole,  et  Mas  Agnello,  le  chef  fameux  de 
la  sédition  de  JN'apIes,  en  lGi7.  »  C'est  aussi  à  Amalfi  que  les 
Pisans  découvrirent,  en  1135,  les  Pandcctcs  de  Justinirn, 
dont  la  connaissance  se  répandit  alors  dans  toute  l'Italie. 

De  Fr.iF.ss-Cor.oNNA. 

AMALGAIVLVTIOIV.  C'est  l'opération  métallingique 
qui  consiste  soit  à  combiner  le  mercure  avec  un  autre  métal, 
soit  à  extraire,  par  le  moyeu  du  mercure,  l'or  et  l'argent  de 
leurs  gangues.  Le  procédé  d'extiaction  des  métaux  piétieux 
par  la  combinaison  du  meicuic  avec  leurs  gangues,  prati- 
qué déjà  en  Amérique  dès  1557,  fut  perfectionné  en  {CAO 


■  AMA>DE 

par  Alonzo  Barba  et  par  de  Born  en  1780.  C'est  dans  les 
mines  d'argent  qu'il  s'exécute  dans  l'Amérique  méridionale. 
En  Europe  l'amalgamation  ne  se  fait  pas  de  la  même  ma- 
nière ;  ainsi  le  grillage  préalable  du  minerai  dans  des  four- 
neaux à  réverbère,  qui  serait  très-difficile  et  coûteux  dans 
les  localités  de  l'Amérique,  précède  chez  nous  toute  autre 
opération  ;  on  convertit  ensuite  l'argent  en  un  muriate,  que 
l'on  décompose  par  l'action  combinée  du  mercure  et  du 
cuivre  ou  du  fer.  Le  régule  d'argent  qui  résulte  de  cefle  dé- 
composition s'amalgame  avec  le  mercure.  Les  minerais  ar- 
gentifères qui  se  prêtent  le  mieux  à  cette  opération  sont 
ceux  d'une  nature  poreuse  et  pyriteuse.  Il  y  a  l'amalgama- 
tion/roi(/c  et  l'amalgamation  chaude;  la  température  à 
laquelle  on  opère,  suivant  qu'elle  est  au-dessus  ou  au  ni- 
veair  de  la  température  atmosphérique,  établit  cette  dis- 
tinction. Un  des  plus  curieux  ateliers  d'amalgamation  est 
celui  de  Freiberg,  dans  le  royaume  de  Saxe. 

AIVLVLGAAIE.  En  s'unissant  avec  d'autres  métaux,  le 
mercure  forme  des  combinaisons  qui  prennent  le  nom  spé- 
cial A'' amalgames.  Ces  alliages,  toujours  plus  fusibles  que 
les  métaux  unis  au  mercure ,  deviennent  mous  ou  liquides 
quand  ils  renferment  un  excès  de  mercure.  La  facilité  avec 
laquelle  le  mercure  se  volatilise  étant  supérieure  à  celle  de 
toutes  les  substances  métalliques ,  fournit  le  moyen  de  l'en 
séparer  lorsqu'on,  a  atto'nt  le  but  qu'on  avait  en  vue.  —  C'est 
au  moyen  d'un  amalgame  qu'orr  retire  en  général  les  métaux 
précieux  de  leurs  gangues  (  voijez  Amalg.vm.vtiox  );  Vamal- 
fjame  d'or  donne  le  moyen  de  dorer  le  bronze  et  l'argent 
(  imyez  Dorure  )  ;  Yamalgame  d'étain  sert  à  étamer  les 
glaces;  enfin  Yamalgame  de  bismuth,  introduit  dans  de 
petits  vases  en  verre  bien  secs ,  liquéfié  par  la  chaleur  et 
promené  sur  toutes  les  parois,  leur  donne  un  tain  très-bril- 
lant. L'amalgame  de  bismuth  se  forme  très-facilement  en 
faisant  fondre  une  partie  de  bismuth  à  la  plus  douce  cha- 
leur possible,  en  y  versant  quatre  parties  de   mercure  et 
en  agitant  avec  une  tige  de  fer.  L'amalgame  de  cuivre  peut 
donner  une  espèce  lie  mastic  qui  prend  facilement  tor.fes  les 
formes. 

AM  ALTHÉE,  selon  la  Fable ,  est  le  nom  d'une  chèvre 
de  Crète  qui  allaita  Jupiter  lorsque  sa  mère  l'eut  caché  dans 
cette  île  pour  le  dérober  aux  poursuites  de  Saturne.  Ju- 
piter, en  reconnaissance  de  ce  bon  office,  la  plaça  dans  le 
ciel  avec  ses  deux  che^Teaux,  et  donna,  suivant  Ovide, 
une  de  ses  cornes  aux  nymphes  qui  avaient  pris  soin  de  son 
enfance ,  en  y  attachant  la  vertu  de  produire  ce  qu'elles  dé- 
sireraient. C'est  la  corne  d'abondance  célébrée  par  les 
poètes.  —  La  sibylle  de  Cumes ,  nommée  Hiéropliile  ou  Dé- 
moidiile,  portait  également  le  nom  d'.\malthée.  —  C'est  aussi 
le  titre  d'un  excellent  recueil,  ou  musée  de  la  mythologie,  de 
l'art  et  des  monuments  des  arts  du  dessin  chez  les  anciens, 
publié  en  Allemagne  par  le  professeur  Bœttiger,  et  dont 
il  a  paru  ti'ois  volumes  de  1824  à  1825. 
A^IALUIVGEIV  (  Amehingen  ).  Voyez  Amales. 
AMAIV,  interjection  arabe  qui  signifie  grâce ,  merci , 
quartier.  On  dit  par  extension  implorer  l'aman ,  c'est-à- 
dire  demander  grâce. 

AÎ\IAIV,  Amalécite,  favori  d'Assuénis,  roi  de  Perse, 
dont  pnrle  le  livre  d'Estlier,  ennemi  des  Juifs  et  de  Mardo- 
clice,  o[  qui  fut  pendu  à  la  potence  mêmeqir'il  avait  fait 
préparer  p.onr  ce  dernier.  Voyez  Estuer. 

AMAIVDE.  En  botanique,  on  donne  ce  nom  génériqire 
à  l'ensemble  des  oi'ganes  contenus  dans  l'épisperme. 
L'amande  est  la  partie  essentielle  de  la  graine  féconde, 
puisque  c'est  elle  qui  renferme  le  rudiment  du  nouvel  être. 
L'amande  se  compose  de  deux  parties  :  l'endosperme, 
et  l'embryon. 

Amande  est  aussi  le  nom  du  fruit  de  l'amandier.  On 
en  distingue  deux  espèces  :  les  amandes  douces  et  les 
amandes  aml'res ,  qui  sont  produites  par  deux  variétés  du 
même  arbi'e.  Trois  piépaiations  d'amandes  douces  sont  em- 


AMANDE  —  AMAUANTIi: 


ployées  en  inétletiue  de  nos  jours  :  l'eau  ,  riiuile  et  le  sirop  : 
Veau  tt'dnunulfs  douces  était  préparée  autrefois  conjointe- 
ment à  l'eau  de  poulet.  On  farcissait. d'amandes  entières  le 
ventre  d'un  poulet,  et  on  le  faisait  bouillir  comme  un  véri- 
table pot  au  l'eu.  On  obtenait  de  la  sorte  une  tisane  muci- 
tegineu-^e,  rafraîchissante  et  légèrement  nourrissante.  Une 
eau  plus  usitée  de  nos  jours  est  Ycmitlsion  (Vamatulcs 
douces  :  on  la  prépare  en  pilant  dans  un  mortier  de  marbre 
les  amandes  privées  de  leur  épidémie  et  en  délayant  le  tout 
avec  une  certaine  quantité  d'eau  ,  qu'on  fait  passer  ensuite 
à  travers  un  filtre  ;  cette  eau  est  blanche  comme  du  lait  ; 
aussi  l'appelle-t-on  lait  d'aviaudcs.  On  l'édulcorcà  volonté, 
et  on  ajoute  quelquefois  un  certain  nombre  d'amandes 
amères  dans  la  préparation  pour  renq)lir  certaines  indica- 
tions thérapeutiques.  Dans  quelques  pays  on  prépare  l'eau 
des  amandes  par  infusion,  après  avoir  torréfié  les  amandes 
comme  du  café.  On  prescrit  ainsi  les  amandes  torréfiées 
aux  convalescents,  soit  entières,  soit  en  potage,  après  avoir 
été  pulvérisées  et  mélangées  avec  de  l'orge.  On  sait  d'ail- 
leurs que  l'art  culinaire  a  de  nos  jours  inventé  une  sorte  de 
potage  dit  aux  amaudes.  —  h  huile  d'amandes  douces 
existe  en  grande  quantité  dans  ces  fruits,  et  est  employée  à 
une  foule  d'usages  en  médecine,  tant  à  l'intérieur  qu'à  l'ex- 
térieur. —  Le  sirop  d'amandes  douces  se  prépare  à  l'aide 
de  l'émulsion  de  ces  fruits  et  de  la  décoction  d'orge  :  on 
l'appelle  communément  sirop  d'orgeat.  —  Les  parfumeurs 
vendent  sous  le  nom  de  pûtes  d'amandes  le  parenchyme 
des  amandes  qui  ont  déjà  servi  à  l'expression  de  l'huile  :  ce 
parenchyme  est  desséché  et  réduit  en  farine. 

L'analyse  chimique  a  montré  dans  les  amandes  amères 
à  jieu  près  les  mêmes  principes  que  dans  les  amaudes 
douces,  plus  une  huile  vénéneuse  et  une  certaine  proportion 
d'acide  hydrocyanique,  qu'on  retire  principalement  de  leur 
épidémie.  On  sait  depuis  la  plus  haute  antiquité  que  les 
amandes  amères  sont  un  poison  pour  la  plupart  des  ani- 
maux. Chez  l'homme  bien  portant  les  effets  vénéneux  des 
amandes  amères  et  de  leur  huile  essentielle  ont  été  observés 
plusieurs  fois,  et  leurs  véritables  contre-poisons  sont  les  re- 
mèdes stimulants,  tels  que  l'ammoniaque,  l'eau-de-vie,  le 
camphre,  la  cannelle,  etc.  Les  amandes  amères  sont  em- 
ployées quelquefois  en  médecine.  On  sait  que  les  confiseurs 
mettent  de  l'amande  amère  dans  les  macarons ,  et  qu'il  est 
quelquefois  arrivé  des  accidents  par  l'usage  de  ces  bonbons, 
lorsque  la  proportion  d'amande  était  trop  considérable  et 
que  les  individus  qui  les  avaient  mangés  étaient  des  enfants 
à  jeun.  Ce  moyen,  d'ailleurs,  est  excellent  pour  combattre 
certaines  phlogoses  sourdes  de  l'estomac  connues  sous  le 
nom  de  dyspepsies  :  aussi  les  grands  mangeurs  et  les  grands 
buveurs  trouvent  dans  les  bonbons  d'amandes  amères  un 
correctif  efficace  de  leurs  excès  gastronomiques.  Une  prépa- 
ration plus  régulière  des  amandes  amères  est  l'émulsion 
qu'on  mitigé  par  un  mélange  d'amandes  douces  et  qu'on 
édulcore  avec  du  sirop. 

AMA3ÎDIER ,  arbre  de  moyenne  grandeur,  à  racines 
pivotantes ,  dont  les  fleurs  précèdent  les  feuilles  et  parais- 
sent en  mars ,  ce  qui  les  expose  quelquefois  à  être  gelées. 
11  aime  la  chaleur  et  se  plaît  dans  les  terres  légères  et  pier- 
reuses; les  terres  fortes  lui  sont  nuisihles,  à  moins  qu'il 
n'ait  été  greffé  sur  prunier.  On  le  multiplie  par  semence , 
comme  l'abricotier.  11  y  en  a  plusieurs  variétés,  dont  on  peut 
faire  trois  divisions.  La  première  fournit  les  amaudes  douces, 
qu'on  distingue  en  grosses,  petites,  à  coque  dure  ;  amande 
princesse  ou  des  dames,  amande  sultane,  et  amande 
pistache ,  toutes  trois  à  coque  tendre.  On  classe  dans  la 
deuxième  les  amandes  amères,  dans  lesquelles  on  en  trouve 
de  petites ,  de  moyennes  et  de  grosses ,  à  coque  plus  ou 
moins  dure.  La  troisième  division  comprend  l'amandier-pô 
cher,  espèce  d'hj  bride  du  pêcher  et  de  l'amandier.  —  Les 
amandes  ainères  sont  pour  les  volatiles  un  poison ,  dont  le 
toutic-poison  est  l'huile  d'amandes  douces. 


431 

AM AlXDIiVE ,  matière  azotée  qui  se  retrouve  dans  les 

amandes  et  dans  quelcpies  autres  semences.  L'amandine 

extraite  de  l'amande  douce  couipiend ,  selon  ISL  Dumas  ; 

carbone,  50,9;  liydrogène,  6,7;  azote,  18,9;  oxygène,  23,5. 

AMA!\IT1A^E  ,  principe  actif  toxique  des  c  h  a  m  p  i  - 
{".nous. 

AMAR  (André),  né  à  Grenoble,  vers  1750,  était  avocat 
au  parlement  de  Danpliiné  et  avait  acheté  la  cliarge  de  tré- 
sorier de  France,  qui  conférait  la  noblesse,  lorsque  la  révo- 
lution de  1789  éclata.  Amar  accueillit  d'abord  assez  mal 
ce  mouvement  ;  mais  il  en  prit  son  parti,  et,  nommé  membre 
-ie  la  Convention,  il  siégea  à  la  Montagne.  11  vota  la  mort 
de  Louis  XVI ,  sans  appel  et  sans  sursis;  il  appuya  la  créa- 
tion du  tribunal  révolutionnaire,  et  dénonça  avec  fureur  le 
général  Kellermann.  11  est  surtout  connu  par  le  fameux 
rapport  qu'il  (it ,  le3  octobre  1793,  contre  les  Girondins. 
Ce  fut  encore  lui  qui  fit  le  rapport  contre  Bazire ,  Chabot , 
Fabre  d'Églantine ,  etc.  Puis  on  le  retrouve  proscrivant  et 
mettant  hors  la  loi  Robespierre  lui-même.  D'accusateur, 
Amar  devint  à  son  tour  accusé.  Il  le  fut  à  plusieurs  reprises  ; 
et  traduit  avec  Babeuf  et  ses  complices  à  la  haute  cour  de 
Vendôme  ,  il  fut  renvoyé  devant  le  tribunal  criminel  de  la 
Seine ,  qui  cessa  les  poursuites.  Obscur  et  ignoré  sous  le 
gouvernement  impérial ,  il  dut  à  sa  non-activité  pendant  les 
Cent  Jours  de  ne  pas  être  condamné  à  l'exil.  Il  mourut  à 
Paris  en  1816.  Louis  Dubois. 

AMAR-DURI"V1ER  (Jeax-Acgustin),  né  à  Paris,  en 
;76j,  entra,  au  sortir  de  ses  études,  dans  la  congTégatioa 
de  la  Doctrine  chrétienne ,  et  y  professa  les  humanités  jus- 
qu'à la  (in  de  1791.  H  se  trouvait  à  Lyon  chargé  d'une 
éducation  parliculière,  à  ré()oque  du  siège  de  cette  ville. 
Il  dut  d'échapper  à  la  mort  à  un  membre  de  cette  commis- 
sion qu'il  avai.t  obligé  autrefois.  Proscrit  néanmoins, il  ne 
revint  à  Lyon  qu'après  la  chute  de  Robespierre ,  et  reprit 
alors  les  foncions  de  l'enseignement ,  qu'il  cumula ,  en 
1802,  avec  la  place  de  conservateur  de  la  bibliothèque 
Mazarine  à  Paris.  Au  rétablissement  de  l'université  il  devint 
un  des  professeurs  les  plus  distingués  des  lycées,  fut  chargé 
de  la  chaire  de  rhétorique  au  collège  Henri  IV,  et,  sur  la 
lin  de  sa  carrière,  passa  inspecteur  honoraire  des  études 
de  l'Académie  de  Paris.  11  mourut  en  1837.  Amar  a  com- 
posé de  nombreux  ouvrages  pour  la  jeunesse.  On  lui  doit 
en  outre  un  Cours  complet  de  Rhétorique.  Il  s'est  aussi 
essayé  dans  la  poésie  et  dans  le  genre  dramatique.      * 

AMARAKTE  (du  grec  à  privatif;  [xaoav/w,  je  flétris; 
âv6o? ,  (leur  :  ileur  qui  ne  se  flétrit  pas  ),  gf'nre  de  plantes, 
type  primitif  de  lafamilledes  amaranthacées,dont  les  (leurs 
polygames  monoïques,  fort  petites,  sont  plus  ou  moins  rou- 
gcâtres,  et  agrégées  en  paquets  aux  aisselles  des  feuilles 
supérieures,  ou  disposées  en  longues  grappes  pendantes. 
Leurs  tiges  sont  cannelées,  leurs  feuilles  alternes,  lancéolée.' 
et  glabres.  On  en  compte  une  quarantaine  d'espèces,  la  plu 
part  indigènes  dans  la  zone  équatoriale.  Plusieurs  des  exo 
tiques  son-t  cultivées  pour  l'ornement  des  jardins.  Les  es 
pèces  d'Europe  ont  le  port  peu  gracieux  et  l'aspect  généra 
lement  livide;  mais  leurs  feuilles  peuvent  être  mangées  en 
guise  d'épinards.  L'amarante  tricolore  a  les  feuilles  grandes, 
panachées  de  vert ,  de  jaune  et  de  rouge.  Elle  est  originaire 
des  Indes;  on  la  connaît  aussi  sous  le  nom  vulgaire  d'^erèe 
de  jalousie.  L'amarante  à  /leurs  en  queue  a  les  grappes 
de  fleurs  cylindriques ,  très-longues  et  pendantes  ;  ce  qui 
lui  a  fait  donner  vulgairement  les  noms  de  queue  de  re- 
nard ,  de  discipline  des  religieuses.  Elle  vient  aussi  des 
Indes.  L'amarante  sangtcine,  or\g\nà\re  àeBàhama,  a  les 
feuilles  vertes  à  la  base  et  rouges  au  sommet.  Les  ama- 
rantes conservent  longtemps  leur  couleur  après  la  dessic- 
cation. On  peut  en  faire  dessécher  naturellement  ou  au 
four  les  sommités  fleuries;  l'hiver  suivant,  en  les  faisant 
tremper  dans  de  l'eau  ,  elles  reprennent  leur  fraîcheur,  et 
■■    peuvent  être  employées  à  orner  les  cheminées. 


432 


AMARANTE  —  AMAS 


L'amaranle  des  jardiniers ,  plus  connue  sous  les  noms 
decrêle  de  coq,  passe-velours,  a  été  ranj^ée  par  les  bota- 
nistes dans  un  autre  genre.  C'est  sans  doute  là  l'espèce  dont 
parient  les  anciens  et  que  les  poètes  ont  cili-e  dans  leur.* 
vers.  L'amarante  était  pour  eu\  le  symbole  de  l'immorta- 
lité, elle  était  consacrée  aux  morts;  on  la  poitaiteii  signo 
de  deuil  dans  les  fêtes  funèbres,  et  on  la  plantait  sur  les 
tombeaux.  —  C'est  une  des  Heurs  que  les  poètes  ont  aujour- 
d'iiui  à  disputer ,  dans  le  concours  des  Jeux  floraux,  à 
Toulouse,  où  Vamaranle  d'or  est  le  prix  de  l'ode. 

AMARANTE  (Bois  d').  Bois  exotique  qu'on  emploie 
principalement  à  la  marqueterie  et  aux  ouvrages  de  tour.  On 
ne  s'en  sert  en  France  que  depuis  l'exposition  de  1827.  11 
nous  vient  de  Cayenne,  et  l'on  croit  qu'il  est  le  produit  de 
l'Iresia  caleslis  de  Linné.  On  en  distingue  de  deux  sortes  : 
le  dur,  qui  l'est  en  effet  considérablement,  avec  un  grain 
fin,  très-serré,  quelquefois  avec  des  fibres  longitudinales, 
mais  le  plus  souvent  à  fibres  entrelacées  ;  celte  dernière  va- 
riété est  difficile  à  casser  et  à  fendre.  Sa  couleur  est  d'un 
rouge  vineux  très-prononcé,  ou  violacée,  qui  au  poli  prend 
le  beau  brun  rougeâtre  moiré.  Le  bois  d'amarante  nous  vient 
ordinairement  en  poutres  de  5  à  6  mètres  de  long  sur  25  à  40 
centimètresd'équarrissage.  Vamaranle  teridredoil  provenir 
d'une  espèce  très-voisjue  de  l'autre,  s'il  est  autre  chose 
qu'une  simple  variété.  Il  est  composé   d'un  aubier  jaune 
pâle,  veiné  de  noir;  au  centre,  les  fibres  sont  longitudinales 
et  faciles  a  séparer.  La  couleur  de  cette  partie  centrale  est  le 
rouge  vineux,  passant  par  le  poli  au  brunâtre. 
AMARAPOURA.  Voyez  Ava. 
AMARI  (Michel),  né  à  Palermele  7  juillet  1806,  élait 
employé  du  gouvernement  sicilien  quand  son  père,  impliqué 
dans  une  conspiration  en  1822,  fut  condamné  à  mort,  peine 
commuée  en  trente  ans  de  prison.  Le  jeune  Amari  dut  sub- 
venir par  son  travail  aux  besoins  de  sa  mère  et  de  sa  famille. 
Devenu  suspect  lui-môme  en  1837,  il  fut  appelée  Naples, 
où  il  publia, Z,a  Guerra  del  Vespro  Sïciliano  (1842).  Me- 
nacé de  poursuites,  il  se  retira  en  France.  La  révolution  de 
1848  le  ramena  en  Sicile,  où  on  lui  confia  la  vice-présidence 
du  comité  révolutionnaire.  Élu  député  au  parlement  sici- 
lien,  puis  chargé  du  ministère   des  finances,    il  vint  en 
mission  à  Paris,  où  il  fit  paraître  :  La  Sicile  et  les  Bourbons 
(1849).   La  cause  sicilienne  ayant  succombé,  il  se  fixa  à 
Paris.  11  y  a  publié,  sous   les  auspices  de  M.  le  duc   de 
Luynes,  une  Histoire  des  Musulmans  de  Sicile  et  une 
carte  comparée  de   la  Sicile  moderne  avec  la   Sicile  du 
douzième  siècle.  Z. 

AMARI  (Emeric),  né  à  Palerme  en  1810,  fonda  dans  celle 
ville,  en  1838,  \e  Journal  de  statistique,  et  devint  succes- 
sivement professeur  de  droit  pénal  à  Palerme  (18îl),  direc- 
teur de  l'hospice  des  aliénés,  puis  directeur  du  pénitencier 
(1842).  Il  prit  part  à  l'agitation  de  la  Sicile  en  1847  ,  et  fut 
enfermé  le  11  janvier  1848  dans  la  citadelle  de  Palerme. 
Après  le  triomphe  de  l'insurrection  il  fit  partie  du  comité 
révolutionnaire,  et  fut  nom.mé  député  au  parlement  sicilien. 
Envoyé  en  mission  auprès  du  roi  CharlQ«-Albert  et  du  duc 
de  Gênes,  qui  avait  été  élu  vice-roi  de  Sicile,  il  ne  revint 
dans  son  pays  que  pour  assister  à  sa  chute,  et  se  relira 
dans  les  Étots  sardes.  11  a  encore  été  élu  député  en  1861. 
On  lui  doit  un  Essai  sur  la  théorie  du  progrès.  Z. 
AMARILLAS  (Marquis  de  las).  Voijez  Giron. 
AMARI>IER,termede  marine.  Amajiner  un  navire  , 
c'est  prendre  possession  d'un  bâtiment  ennemi  qu'on  vient 
de  capturer  ;  c'est  le  pourvoir  de  marins,  faire  passer  à  son 
bord  une  partie  des  vainqueurs,  et  en  déplacer  la  totalité  ou 
le  plus  grand  nombredes  prisonniers  pour  les  mettre  dans  le 
navire  capteur.  Le  chef  de  l'équipage  transporté  dans  le  nu- 
y'iKamariné  reçoit  le  titre  de  capitaine  de  prise.  —  Aina- 
riner  un  équipage,  ou  un  homme,  c'est  l'habituer  à  la  mer. 
AMAROU,  poêle  éroliq.ue  indien,  auteur  de  cent 
poèmes  contenus  dans  un  recueil  qui  a  pour  titre  .4»ia- 


roû-Shatacam ,  ou  Centurie  d^Atnarou.  Nons  ne  possé- 
dons sur  l'époque  où  vécut  ce  poète  que  des  notions  vagues 
et  incertaines.  A  en  juger  par  le  goût  qui  préside  à  ses 
œuvres  charmantes,  par  l'exquise  pureté  du  style,  on  a 
quelque  raison  de  cro  re  qu'elles  parurent  dans  les  plus 
beaux  jours  de  la  littérature  des  Indous,  époque  coïncidant 
avec  le  commencement  de  l'ère  chrétienne.  C'est  à  M.  de 
Chézy  que  nous  devons  la  connaissance  des  poésies  d'A- 
niarou.dont  cinquante  et  une  ont  été  publiées  par  lui  sous  le 
pseudonyme  d'Apudy,  dans  une  superbe  édition  où  se  trou- 
vent à  la  fois  le  texte,  la  traduction,  des  notes  et  un  com- 
mentaire. Il  avait  déjà  paru  à  Calcutta,  en  1819,  une  édition 
devenue  fort  rare ,  qui  contenait  seulement  le  texte  et  la 
glose  .sanscrite.  V Amaroû-Skalacam  embrasse  l'histoire 
merveilleuse  de  l'Amour  :  on  y  trouve  retracées  par  le  poète, 
sous  les  formes  les  plus  séduisantes,  les  délices  et  les 
peines  dont  Kama ,  le  dieu  d'amour  à  l'arc  qui  lance  des 
fleurs,  abreuve  les  mortels. 

AMARRE,  AMARRER,  AMARRAGE,  termes  de  ma- 
rine, dérivés  du  latin  mare,  maris,  mer.  L'amarre  est  un 
câble,  une  corde  destinée  à  attacher  un  vaisseau,  une 
barque,  au  rivage.  Les  amarres  d'un  vaisseau  sont  tous 
les  câbles  par  lesquels  un  vaisseau  est  retenu  au  bord. 
On  peut  amarrer  un  vaisseau  de  diverses  manières,  avec 
quatre  amarres  de  l'avant,  ou  en  patte  d'oie  avec  trois  câ- 
bles do  l'avant  :  dans  ces  deux  cas,  on  éviic,  c'est-à-dire 
que  le  vaisseau  se  répand  sur  son  câble  à  l'appel  de  l'an- 
cre, dans  la  direction  de  la  force  qui  sollicite  ce  mouve- 
ment. On  amarre  à  quatre  amarres,  dont  deux  par  devant 
et  deux  par  derrière ,  ou  avec  une  croupière  frappée  sur  le 
câble  de  derrière  :  dans  ces  deux  cas,  on  n'évite  pas.  Enfin  , 
on  peut  amarrer  avec  une  embos?ure  :  c'est  une  manœuvre 
militaire.  —  Vamarrage ,  ou  action  d'amarrer,  est  la  jonc- 
tion ,  l'union  de  deux  objets  par  le  moyen  d'une  corde  à 
deux  bou.ts,  qui  entourent  les  objets  en  sens  opposé  l'un  de 
l'autre,  et  viennent  ensuite  nouer  ensemble. 

AMARYLLIS  (du  grec  àaaQvc7ucù,  je  brille),  genre  de 
plantes  type  de  la  famille  des  amaryllidées,et  composé  d'une 
soixantaine  d'espèces,  originaires  pour  la  plupart  de  l'Amé- 
rique méridionale,  et  quelques-unes  du  cap  de  Bonne-Espé- 
rance ou  de  la  Chine.  V amaryllis  jaune,  indigène  en  Eu- 
rope, fait  l'ornement  des  parterres  au  moi<  de  septembre.  Sa 
fleur  est  solitaire ,  en  forme  de  cloche,  d'un  beau  jaune.  Le 
lis  de  Gucrnesey  ou  amaryllis  ^rcnc^ieMne  fut  apporté  du 
Japon  à  Guerncsey  par  un  vaisseau  qui  fil  naufrage  sur  les 
côtes  de  France.  Ces  plantes  réussirent  si  bien  à  Guernesey, 
qu'elles  y  sont  devenues  une  branche  de  commerce.  Le  lis 
de  Guernesey  produit  en  octobre  une  ombelle  de  belles  fleurs 
d'un  rouge  vif,  paraissant  parsemées  de  points  d'or  au  soleil. 
Vamaryllis  ou  lis  de  Saint-Jacques  est  la  plus  brillante 
espèce.  Elle  vient  du  Mexique;  la  couleur  de  sa  fleurest  d'un 
rouge  velouté  tirant  sur  le  carmin;  et  lorsque  le  soleil  l'é- 
claire,  elle  paraît  parsemée  d'un  salile  d'or;  mais  cette  belle 
fleur  ne  dure  guère  qu'un  jour.  Vamaryllis  à  longues 
feuilles  produit  dans  les  serres  chaudes,  au  milieu  de  l'hi- 
ver, une  ombelle  de  dix  à  vingt  fleurs,  d'un  pourpre  foncé, 
d'une  odeur  agréable.  Pour  Vamaryllis  rose,  voyez  Bell.v- 

UONE. 

AMARYNTHE,  bourg  de  l'Ile  d'Eubée,  prèsd'Érétrie, 
où  Ion  rendait  un  culte  particulier  à  Diane.  On  finit  par 
comprendre  toute  l'île  sous  cette  dénomination,  et  l'on 
donna  le  nom  à'amarynthies  ou  amarysies  aux  fêtes  et 
aux  jeux  célébrés  en  l'honneui  de  cette  déesse. 

AMAS.  En  géologie,  c'e4  un  gisement  de  matière.?  miné- 
rales, intercalées  en  mas.ses  plus  ou  moins  irrégulières  dans 
les  autres  terrains.  Des  couches  très-renflées  dans  leur  centre, 
et  amincies  vers  leurs  extrémités,  sont  aussi  désignées  sous 
le  nom  d'fl?nrt5.  Les  géologues  allemands  ont  distingué  ce 
gisement  en  amas  verticaux  (  blocs  ou  amas  debout  )  et 
en  amas  horizontaux  (blocs  ou  amas  coucbés).  Les  sub- 


AAIAS  —  AIMAUROSE 

stances  métalliR^ros  qui  sont  plus  fiviiuoinnient  tlisposccs  en 
amas  sont  le  fer  oxytlulé,  le  cuivre  pyriteux,  la  bliMulc  ou  le 
zinc  sulfuré,  la  galène  ou  sulfure  de  plomb,  et  le  cinabre 
ou  sulfure  de  mercure. 

AMASI  AS ,  fils  de  Joas ,  septième  roi  de  Juda,  succéda 
à  son  père  Tan  830  avant  J.-C,  à  l'i^ge  de  vingt-cinq  ans. 
Lorsqu'il  sentit  le  sceptre  affermi  dans  ses  mains,  il  livra 
au  dernier  supplice  les  meurtriers  de  son  père;  mais  il  ne 
fit  point  mourir  leurs  enfants.  Animé  de  désirs  belliqueux,  il 
marcha  avec  400,000  combattants  contre  les  Iduméens,  en 
tailla  dix  mille  en  pièces  dans  la  vallée  des  Salines,  et  en  pré- 
cipita dix  mille  autres  du  haut  d'un  rocher.  Tout  enflé  de 
sa  Tictoire,  il  ne  se  contenta  pas  de  sacrifier  aux  dieux  des 
vaincus,  mais  il  envoya  à  Joas ,  roi  d'Israël ,  cette  espèce 
de  défi  ironique  :  «  Venez,  et  voyons-nous  l'un  l'autre.  » 
Joas  répondit  à  sa  provocation  par  cette  dédaigneuse  para- 
bole, d'une  couleur  si  orientale  :  «  Le  chardon  du  Liban 
envoya  vers  le  cèdre  qui  est  au  Liban,  et  lui  fit  dire  :  Don- 
nez-moi votre  fille,  afin  que  mon  fils  l'épouse;  mais  les  bétes 
de  la  forêt  du  Liban  passèrent  et  foulèrent  aux  pieds  le  char- 
don. »  Pour  lo  malheur  d'Amasias,  la  parabole  s'accomplit. 
Les  deux  rois  s'étant  rencontrés  près  de  Bethsamès,  le 
provocateur  fut  défait  et  amené  captif  à  Jérusalem,  Amasias 
remonta,  après  la  mort  de  Joas,  sur  le  trône  de  Juda. 
Quinze  ans  plus  tard,  une  conjuration  s'étant  formée  contre 
lui  à  Jérusalem,  il  s'enfuit  à  Lacliis,  où  il  fut  assassiné,  l'an 
806  avant  J.-C. 

AMASIS  ou  AMOSIS,  noms  parfaitement  identiques, 
et  qui  ont  le  même  sens,  Aah-3Iès  ou  bien  Aah-Mos,  en- 
gendré du  dieu  Lune.  Deux  rois  d'Egypte  portèrent  ce  nom  : 
l'un  fut  le  premier  roi  de  la  dix-huitième  dynastie;  l'a;  tre 
Pharaon  du  môme  nom  peut  être  considéré  comme  le  der- 
nier roi  de  la  vingt-sixième  dynastie. 

Le  premier  régna  vers  l'an  1840  av.  J.-C.  11  passa  sa 
vie  à  combattre  les  pasteurs  ou  étrangers  barbares,  qui  oc- 
cupaient la  basse  Egypte  depuis  leur  invasion.  Il  parvint  à 
les  enfermer  dans  un  camp  fortifié,  et  mourut  peu  de  temps 
après.  Amasis  est  inscrit  dans  les  annales  égyptiennes 
comme  un  des  sauveurs  de  l'Egypte,  et  celui  dont  les  efforts 
contribuèrent  le  plus  à  la  restauration  de  la  monarchie,  de 
'a  religion  et  des  lois  de  ce  pays.  Le  prénom  royal  et  officiel 
de  ce  Pharaon  le  qualifiait  de  Soleil,  Seigneur  de  la  vigi- 
lance; il  le  mérita  par  sa  persévérance  à  poursuivre  la 
horde  barbare  qui  dominait  dans  sa  patrie.  Le  nom  d'Amasis 
subsiste  sur  plusieurs  monuments  élevés  durant  son  règne. 

Le  second  Amasis  ou  Amosis,  d'origine  plébéienne ,  fut 
envoyé  par  le  roi  Apriès  contre  une  armée  révoltée ,  qui  le 
proclama  roi.  Parvenu  ainsi  au  trône  (an  570  avant  J.-C), 
il  rendit  son  royaume  florissant.  Memphis  et  Sais  furent 
particulièrement  embellies.  11  fit  tirer  des  carrières  de  Syène 
le  fameux  temple  de  Néith  d'un  seul  bloc  de  granit,  et  Hé- 
rodote raconte  que  deux  mille  mariniers  employèrent  trois 
années  à  le  transporter  à  Sais.  Polycrate,  tyran  de  Samos, 
entretint  des  relations  avec  Amasis,  ainsi  que  Solon.  Il 
régna  quarante-quatre  ans,  et  laissa  pour  successeur  son  fils 
Psamminite,  qui  fut  détrôné  par  Cambyse  après  six  mois 
de  règne. 

AMATEUR.  On  désigne  sous  ce  titre  ceux  qui  aiment 
les  beaux-arts  sans  les  exercer  ou  en  faire  profession.  Les 
académies  de  peinture  l'accordent  comme  une  distinction 
aux  individus  qu'elles  s'associent ,  non  en  qualité  d'artistes , 
mais  comme  attachés  aux  arts  par  leurs  connaissances  ou  par 
leur  goût.  Mais  dans  le  monde  cette  qualification  se  donne 
ou  se  prend  avec  moins  de  formalité  ;  on  la  prodigue  môme 
avec  si  peu  de  sobriété,  qu'elle  ne  désigne  trop  souvent  qu'un 
ridicule ,  qu'une  prétention  ,  ou  tout  au  moins  qu'une  mé- 
diocrité. Combien  d'ignorants  connaisseurs  qui  se  disent 
amateurs  par  cela  seul  qu'ils  ont  quelque  accointance  avec 
des  artistes!  Ils  s'imaginent  qu'il  n'y  a  qu'à  donner  le  bras  à 
un  artiste  et  à  posséder  quelque  peu  le  jargon  du  métier 

DICT.    DE   LA   CONVERS.    —  T.   I. 


433 

pour  passer  pour  un  amateur,  et  s'intituler  pompeusement 
protecteur  des  beaux-arts.  Les  véritables  amateurs  sont 
ceux  qui,  dominés  par  une  inclination  naturelle,  fixent  leur 
prédilection  sur  un  art  qui  devient,  pour  ainsi  dire,  l'objet  de 
leur  culte,  de  leur  admiration ,  et  en  même  temps  de  leurs 
travaux  ;  ceux  qui  par  des  lectures,  des  observations  et  des 
travaux  suivis,  par  des  notions  sérieuses  acquises  dans  une 
vie  retirée,  par  un  jugement  sain,  et  par  le  secours  de  collec- 
tions faites  avec  ordre  et  intelligence,  ont  joint  aux  lumières 
qui  se  rapportent  aux  arts  l'érudition  historique  qui  instruit 
de  leur  marche  et  de  leurs  progrès. 

Mais  le  mot  amateur  ne  s'entend  pas  seulement  du  con- 
naisseur; il  se  dit  aussi  de  celui  qui  pratique  un  art  sans  pré- 
tention, en  s'amusanl  et  par  manière  de  passe-tem[)s.  Il 
s'emploie  dans  ce  sens  à  propos  de  tous  les  arts.  On  fait  de 
la  peinture,  de  la  musique,  on  joue  la  comédie  en  amateur, 
lorsque  sans  être  artiste  on  se  livre  à  la  pratique  des  arts  que 
nous  venons  de  citer.  % 

Enfin  on  appelle  amateur  tout  individu  ayant  un  goût 
marqué  pour  quelque  chose  :  il  y  a  des  amateurs  de  jardins, 
des  amateurs  de  tulipes,  des  amateurs  de  gibier,  etc. 

AMATHO.\TE,  aujourd'hui  Limisso,  ville  de  l'ilede 
Chypre,  sur  la  côte  méridionale,  d'abord  habitée  par  les 
Phéniciens,  puis  par  les  Grecs,  et  qui  reçut  son  nom  d'A- 
mathus,  fils  d'Hercule.  Elle  avait  été  consacrée  à  Vénus  par 
les  habitants ,  qui  lui  avaient  érigé  un  temple  superbe.  Des 
étrangers,  dit  la  Fable,  lui  ayant  été  sacrifiés  par  eux, 
cette  déesse,  pour  leur  témoigner  l'horreur  que  lui  inspirait 
un  pareil  culte,  les  métamorphosa  en  taureaux. 

AAIATI, ancienne  famille  de  Crémone,  qui  fabriqua  dans 
le  seizième  et  le  dix-septième  siècle  des  violons  qu'on  regarde 
encore  de  nos  jours  comme  les  meilleurs,  à  cause  de  leur 
son  plein,  et  qu'on  paye  fort  cher.  Cependant  les  rensei- 
gnements manquent  sur  cette  famille  d'artistes  célèbres.  On 
sait  seulement  que  Nicolas  Amati  fut ,  au  seizième  siècle,  le 
fondateur  de  l'établissement,  que  son  frère  André  le  seconda 
dans  ses  travaux ,  et  que  Charles  IX  leur  fit  faire  vingt-quatre 
instruments,  chefs-d'œuvre  de  lutherie,  consistant  en  six 
dessus,  six  quintes,  six  tailles  et  six  basses  de  violon.  Après 
la  mort  d'André,  Jérôme  Amati  ,  son  fils  aîné,  lui  succéda. 
Jérôme  continua  la  fabrication  des  violons  sur  les  mômes  prin- 
cipes. Il  eut  pour  élève  le  célèbre  Stradivarius. 

AMATI  (Carlo),  professeur  d'architecture  à  l'aca- 
démie de  Milan,  né  à  Monza  le  19  juin  1776,  mort  le 
23  mai  1852,  avait  été  chargé  par  Napoléon,  «n  1806,  de 
continuer  la  façade  du  dôme  de  Milan,  d'après  les  plans 
de  J.  Pellegrini.  11  a  publié /t?î^ic/ii^a  di  Milano  {Mlhïi, 
1822).  C.  L. 

AMAUROSE  (du  grec à(i.aup6;,  obscur),  espèce  par- 
ticulière de  cécité ,  vulgairement  désignée  sous  le  nom  de 
goutte  sereine,  et  qui  est  due  à  une  lésion  de  l'appareil 
nerveux  de  la  vision  ,  soit  qu'elle  affecti;  le  nerf  optique, 
soit  qu'elle  ait  son  siège  dans  la  partie  correspondante  du 
cerveau,  ou  môme  dans  la  rétine  seulement.  Ces   lésions, 
de  natures  très-variées ,  et  qu'on  n'admet  souvent  que  par 
induction,   reconnaissent  des  causes  diverses.   Les  plus 
communes  sont  :  des  inflammations  fréquentes  des  parties 
profondes  de  l'œil  ;  les  commotions  de  la  tète,  par  suite  de 
coups  ou  de  chutes;  une  application  soutenue  de  la  vision 
sur  de  petits  objets,  ou  l'impression  prolongée  d'une  vive 
lumière,  d'un  feu  de  forge,  de  la  neige,  d'un  sable  brû- 
lant, de  gaz  irritants;  une  congestion  sanguine  du  cerveau; 
la  compression  exercée  par  une  tumeur,  une  névrose,  etc. 
L'amaurose   a  souvent  des  signes  précurseurs.  Si  quel- 
quefois cette  cruelle  maladie  apparaît  spontanément,  plus 
souvent  elle  s'annonce  par  une  thminution  graduelle  des 
fonctions  visuelles,  ou  par  une  exaltation  de  la  sensibilité  de 
cet  organe.  Les  malades  aperçoivent  des  mcuches  volantes, 
des  étincelles,  ou  voient  les  objets  plus  sombres,  entourés 
de  cercles  lumineux  ;  ils  présentent  les  aberrations  de  la  vue 

55 


434 

qui  ont  été  désignées  sous  les  noms  à'amblyopie,àlié- 
viéralopie,  de  nyctalopie.  Cependant  l'examen  de 
l'ûLtl  n'oiVre  aucune  particularité  caractéristique  :  la  pupille  a 
souvent  perdu  de  sa  mobilité,  ma\s,pas  ^oiyoMrs;  elle  est  fré- 
quemment dilatée,  mais  dans  d'autres  cas  elle  est,  au  con- 
traire, contractée.  Les  luimeurs  de  l'œil  sont  presque  tou- 
jours transparentes.  Inutile  de  dire  que  les  amauroses  com- 
pliquées d'inflammation  ou  de  toute  autre  affection  présen- 
tent les  signes  qui  caractérisent  ces  maladies.  Ajoutons  qu'à 
nne  période  avancée  le  regard  de  Tamaurotique  est  em- 
preint d'un  caractère  d'hébétude  caractéristique,  et  que  l'af- 
fection débute  dans  la  très-grande  majorité  des  cas  par  un 
œil,  l'autre  ne  se  prenant  que  plus  ou  moins  longtemps  après. 

Le  traitement  de  l'amaurose  présente  des  indications  très- 
iWverses ,  suivant  qu'elle  est  simple,  sympathique  ou  or- 
ganique. Le  traitement  de  l'amaurose  simple  varie  selon 
qu'elle  s'accompagne  d'exaltalion ,  d'irritabilité  ou  d'affais- 
sement, de  torpeur  dans  l'organe  affecté.  Dans  le  premier 
cas ,  des  évacuations  sanguines  générales  ou  locales ,  sur- 
tout quand  il  y  a  douleurs  de  tète,  des  applications  calman- 
tes, des  boissons  tempérantes,  des  purgatifs  salins,  sont 
indiqués ,  particulièrement  au  début.  Dans  le  second  cas , 
on  recourra  de  préférence  aux  vésicatoires  volants  placés 
successivement  autour  de  l'orbite ,  et  saupoudrés ,  s'il  le 
faut,  de  poudre  de  strychnine  (méthode  dont  l'auteur  de 
cet  article  a  retiré  de  notables  succès) ,  à  des  collyres  légè- 
rement stimulants ,  à  l'électro-puncture.  Quand  on  soup- 
çonne une  lésion  organicjue ,  un  séton  à  la  nuque ,  la  cauté- 
-isation  du  sommet  de  la  tète  selon  le  procédé  du  docteur 
Gondret ,  sont  plus  particulièrement  recommandés.  Enfin , 
dans  le  cas  d'amauroses  entretenues  sympathiquement  par 
une  affection  éloignée ,  par  des  vers ,  par  la  suppression 
d'une  évacuation  habituelle,  etc.,  il  est  clair  qu'il  faut  son- 
ger avant  tout  à  se  débarrasser  de  la  cause  indirecte  du  mal 
par  un  traitement  spécialement  dirigé  contre  elle.  —  Mal- 
heureusement, rien  n'est  souvent  plus  obsciu:  que  les  causes, 
soit  éloignées,  soit  prochaines ,  auxquelles  on  peut  attribuer 
le  développement  de  l'amaurose  :  aussi  son  traitement  fait- 
il  ,  dans  une  foule  de  cas,  le  désespoir  de  la  médecine  ocu- 
laire. D''  Salceuotte. 

AMAURY  F"",  roi  de  Jérusalem,  succéda  en  1162,  à 
l'âge  de  vingt-sept  ans,  à  son  père  Baudouin  III.  Dès  le  com- 
mencement de  son  règne  il  eut  à  soutenir  une  guerre  contre 
le  khalife  d'Égjpte,  qui  finit  par  solliciter  son  alliance  contre 
Xour-Eddin,  sultan  d'Alep.  Amauiy  revint  de  cette  expédi- 
tion comblé  de  richesses  et  de  gloire;  mais  son  génie  entre- 
prenant lui  suggéra  la  pensée  de  s'emparer  de  l'Égjpte ,  dont 
il  n'avait  pu  voir  sans  envie  la  fertilité  et  les  trésors.  Il 
obtint  d'abord  quelques  succès;  pr.is,  ayant  consenti  à  des 
négociations  que  son  adversaire  eut  l'art  de  faire  traîner  en 
longueur  jusqu'à  la  conclusion  d'une  alliance  avec  le  sultan 
dAlep,  il  ne  put  résister  aux  forces  combinées  de  ces  deux 
ennemis,  et  il  revint  dans  ses  États  avec  la  honte  qui  accom- 
pagne toujours  les  entreprises  injustes,  surtout  quand  le 
succès  ne  vient  pas  les  couronner.  .S  a  ladin  menaça  bientôt 
son  royaume;  mais  il  mourut  en  1173,  avant  de  voir  l'assu- 
jettissement de  Jérusalem. 

AMAURY  II ,  de  Lusignan ,  d'abord  roi  de  Chypre,  1 194 , 
devint  roi  de  Jérusalem  après  son  mariage  avec  Isabelle, 
veuve  de  Henri,  comte  de  Champagne,  dernier  titulaire  de 
ce  royaume ,  redevenu  la  proie  des  musulmans.  Il  ne  fut  roi 
de  Jérusalem  que  de  nom,  n'ayant  jamais  pu  y  pénétrer,  et 
il  mourut  à  Ptolémaïs,  en  1205. 

AMAURY  DE  Chartoes  naquit  dans  le  pays  de  ce  nom, 
au  village  de  Bène ,  sur  la  fin  du  douzième  siècle.  Il  se  livra 
avec  ardeur  à  l'étude  de  la  philosophie  et  de  la  théologie,  et 
tomba  dans  le  panthéisme.  Au  rapport  de  Gerson  (Œuv., 
t.  IV ,  p.  826 ,  édit.  de  Dupin  ) ,  il  disait  que  tout  est  Dieu , 
que  Dieu  est  tout,  que  le  Créateur  et  la  créature  ne  sont 
qu'une  même  chose.  On  a  cherché  s'il  puisa  cette  doctrine 


AMAUROSE  —  AMAZONES 


dans  la  secte  ù&?>  réalistes  ou  dans  Érigène  Scot,  ou 
dans  Straton  de  Lampsaque ,  ou  dans  Aristote  commenté  par 
quelques  Arabes  ;  il  serait  possible  qu'il  l'eût  prise  dans 
tous;  cartons  enseignent  l'unité  de  substance,  ou  pro- 
fessent des  principes  qui  vont  à  l'établir.  —  Transportant 
ses  idées  dans  la  religion,  Amaury  n'y  voyait,  comme  dans 
la  nature,  qu'une  succession  de  formes.  S'il  reconnaissait  en 
Dieu  la  Trinité ,  il  prétendait  que  la  loi  mosaïque  était  le 
règne  du  Père;  la  loi  chrétienne  jusqu'au  douzième  siècle, 
le  règne  du  Fils  ;  qu'alors  les  sacrements  devaient  cesser  pour 
faire  place  à  un  culte  purement  spirituel ,  qui  serait  le  rè- 
gne du  Saint-Esprit.  On  voit  par  là  que  ca'taincs  cireurs 
et  extravagances  de  nos  jours  n'ont  pas  précisément  le 
mérite  de  la  nouveauté.  —  Amaury,  dit-on,  se  rétracta,  et 
mou I  ut  de  chagrin  et  de  dépit.        Bordas-Demoulin. 

A.MAZIGHS.   Voyez  Bereehs. 

AMAZOXES  (  du  grec  à  privatif,  et  [aoiÇô;  ,  mamelle). 
Les  traditions  fabuleuses  de  l'antiquité  parlent  de  femmes 
guerrières ,  vivant  seules ,  bannissant  les  hommes  de  leur 
société,  et  seperpétuantpar  des  unions  momentanées  qu'elles 
allaient  former,  à  certaines  époques,  chez  les  peuplades  voi- 
sines. Les  enfants  m;\les  qui  provenaient  de  ces  mariages 
éphémères  étaient  voués  à  la  mort,  ou  renvoyés  sur  la  fron- 
tière du  peuple  où  vivaient  leurs  pères.  Quant  aux  filles, 
elles  étaient  accoutumées  de  bonne  heure  aux  exercices  de 
la  guerre  et  de  la  chasse  ;  et  afin  de  les  rendre  plus  aptes 
au  maniement  des  armes,  à  l'usage  de  l'arc  et  du  pelte,  on 
leur  brûlait  le  sein  droit  dès  l'âge  de  huit  ans;  c'est  de  là 
qu'elles  s'appelaient  Amazones.  Leur  vêtement  ordinaire 
consistait  en  peaux  de  bêtes  tuées  par  elles  à  la  chasse  ; 
leur  costume  de  guerre  était  un  corselet,  composé  de  pe- 
tites écailles  en  fer  ou  autre  métal  plus  précieux.  L'arc ,  la 
javeline ,  la  hache ,  le  pelte ,  sorte  de  bouclier,  étaient  leurs 
armes.  Elles  portaient,  en  outre,  un  casque  orné  de  plumes 
flottantes,  et,  sous  cette  tenue  fière  et  mai'tiale ,  combat- 
taient à  cheval  presque  toujours. 

Les  légendes  ordinaires  font  mention  de  deux  peuples 
d'Amazones  :  les  Amazones  africaines  et  les  Ainazones 
asiatiques.  Les  premières ,  quoique  connues  beaucoup  plus 
tard  que  les  autres,  sont  les  plus  anciennes.  Après  avoir , 
soii--  la  conduite  de  Myrina,  leur  reine,  subjugué  les  .\tlantes , 
les  Numides,  les  Éthiopiens  et  les  Gorgones,  et  fondé  une 
ville  au  bord  du  lac  Tritonis,  elles  furent  exterminées  par 
Hercule. 

Les  Ai7iazones  d'Asie  sont  plus  célèbres  encore.  Leur 
origine,  d'après  les  légendes  mythologiques,  remonte  à  l'ex- 
temiination  de  la  race  sarmate  mâle  par  les  habitants  des 
territoires  environnants,  qui  s'étaient  coalisés  pour  mettre 
un  terme  aux  rapines  qu'ils  avaient  longtemps  supportées. 
Brûlant  de  venger  leurs  époux,  les  femmes  sarmates  pri- 
rent les  aimes  ,  et  se  livrèrent  aux  plus  sanglantes  repré- 
sailles. Encouragées  par  leurs  victoires,  elles  se  constitué  - 
rent  en  société  civile  et  guerrière ,  et  allèrent  s'établir  au 
Pont-Euxin,  sur  les  deux  rives  du  fleuve  Thcrmodon.  Por- 
tant la  guerre  dans  toute  l'Asie,  elles  conquirent  des  pays 
considérables  en  Mysie,  en  Lydie,  et  ailleurs,  et  bâtirent 
Smyme  et  Éphèse.  Mais  les  excursions  qu'elles  tentèrent 
dans  la  Syrie  furent  le  commencement  de  leurs  échecs  et 
de  leur  décadence.  Vaincues  par  Hercule  et  Thésée,. elles 
cherchèrent  en  vain  à  se  relever  ;  leur  éclat  s'éteignit  tout 
à  fait  après  la  mort  de  Penlhésilée,  leur  reine,  tuée  par 
Achille  au  siège  de  Troie;  à  partir  de  cette  époque,  l'his- 
toire ne  fait  plus  mention  de  leur  race.  Les  plus  fameuses 
héroïnes  dont  les  exploits  ont  été  racontés  sont  :  la  reine 
Lampète,  qui  fonda  Éphèse;  Sphione,  qui  félicita  Jason  de 
sa  bienvenue  dans  l'empire  des  Amazones  ;  la  reine  Ména- 
lippe,  qui  donna  sa  ceinture  à  Hercule;  Antiope,  qui,  vain- 
cue par  Thésée,  devint  son  épouse;  Ocyale,  qui  disputa  le 
prix  de  la  course  aux  jeux  d'Alcinoûs  ;  et  Thélestris ,  qui 
rendit  une  visite  à  Alexandre. 


AMAZO.NES  —  AMBASSADEUR 


•135 


Quelques  auteurs  citent  encore  i\i:s  Aviazoncs  sci/thcs , 
hranchc  des  Amazones  asiatiques.  KUes  firent  d'abord  la 
^^uerre  aux  Scythes ,  leurs  voisins  ;  puis  elles  s'unirent  à 
eux  ,  et  iH'nétrèrent  plus  avant  dans  la  Sarniatie  ,  où  elles 
pactagèrent  avec  leurs  maris  les  fatigues  de  la  chasse  et  de 
la  guerre. 

Des  géographes  avaient  donné  le  nom  de  pays  des  Ama- 
zones à  une  grande  contrée  de  l'intérieur  de  r.\uiériquc 
uiéridiouale  où  le^  premiers  voyageurs  prétendaient  avoir 
rencontré  un  peuple  d'Amazones  {voyez  l'article  suivant). 
La  géographie  moderne  a  rectilié  cette  erreur ,  et  le  pays 
des  Amazones  n'existe  plus  guère  sous  cette  dénomination 
que  sur  d'anciennes  cartes,  qui  donnent  ce  nom  à  une  par- 
lie  du  Brésil  et  du  Pérou. 

Al^IAZOXES  ^  Fleuve  des).  C'est  le  plus  grand  fleuve 
du  monde  :  il  traverse  d'occident  en  orient  toute  l'Amé- 
rique méridionale.  Les  Indiens  l'appellent  Guicna;  les  Es- 
pagnols et  les  Portugais,  Arellana  ou  Maraùon;  les  autres 
Européens  lui  conservent  le  nom  de  fleuve  des  Amazones. 

Il  prend  sa  source  sous  12"  de  latitude  méridionale,  au 
lac  de  Llauricocha,  dans  les  Andes  du  Pérou,  à  3,000  mètres 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Après  avoir  coulé  d'abord 
au  nord,  il  se  dirige  à  Jaen  vers  lest,  ne  tarde  pas  à  de- 
venir navigable,  et  se  grossit  en  route  d'une  foule  d'af- 
fluents, dont  plus  de  soixante  sont  plus  considérables  que  le 
Rhin  et  le  Danube.  Dans  son  cours  supérieur  il  porte  le  nom 
de  Toungouragoua ;  on  l'appelle  ensuite  Maraùon  jusqu'à 
Tabalinga,  et  à  partir  de  là  on  le  désigne  sous  le  nom  de 
fleuve  des  Amazones.  A  250  lieues  de  son  embouchure,  sa 
largeur  varie  d'une  demi-lieue  à  deux  lieues  ;  près  de  son 
embouchure  elle  est  de  50  lieues  marines.  Sa  profondeur, 
qui  varie  de  30  à  40  brasses,  ternie  moyen,  est  de  lOO 
brasses  à  son  embouchure.  Toute  l'étendue  du  fleuve  est 
parsemée  d'une  multitude  d'iles  :  celle  de  Cuviana  et  celle 
de  Machiana  sont  redoutées  des  navigateurs,  à  cause  de  ieurs 
nombreux  souvenirs  de  naufrages.  L'ile  du  IMarajo  sépare 
r.\mazone  du  Rio-Para  ;  elle  a  environ  150  lieues  de  tour  : 
on  y  élève  de  nombreux  troupeaux  de  chevaux ,  de  mulets 
et  de  bœufs  appartenant  aux  brésiliens.  «  C'est  depuis 
celte  île  jusqu'au  cap  Nord,  a  dit  M.  Lacordaire,  que  le  flux 
de  la  mer  offre  un  teiTible  phénomène  connu  dans  le 
pays  sous  le  nom  de  pororoca.  Pendant  les  trois  jours 
les  plus  voisins  des  pleines  et  des  nouvelles  lunes,  temps  des 
plus  hautes  marées,  la  mer,  au  lieu  d'employer  près  de  six 
heures  à  monter,  comme  à  l'ordinaire,  parvient  en  une 
ou  deux  minutes  à  45  pieds  de  hauteur.  La  pororoca  s'an- 
nonce par  un  bruit  effrayant ,  qui  s'entend  d'une  ou  deux 
lieues  de  distance.  A  mesure  que  le  flot  approche,  le  bruit 
augmente,  et  bientôt  ou  voit  une  lame  d'eau  de  douze  à 
quinze  pieds  de  hautesir,  puis  une  autre,  puis  une  troisième  et 
quelquefois  une  quatrième  qui  se  suivent  de  très-près, 
et  qui  occupent  toute  la  largeur  du  canal.  Cette  lame 
avance  avec  une  rapidité  prodigieuse,  en  balayant  tout  ce 
qui  se  trouve  sur  son  passage.  De  grands  espaces  de  ter- 
rain ,  des  arbres  immenses  sont  emportés.  Partout  où  elle 
passe,  rien  ne  peut  résister  à  son  impétuosité.  Les  embarca- 
tions n'ont  d'autres  moyens  de  salut  qu'en  mouillant  dans 
un  enJroit  où  il  y  a  beaucoup  de  fond ,  et  avec  de  longs  câ- 
bles. »  —  On  s'aperçoit  à  80  lieues  de  distance  du  déverse- 
ment du  fleuve  des  Amazones  dans  l'Océan;  il  produit  un 
courant  qui  repousse  les  navires  au  large.  Sa  force  est  telle 
qu'il  diminue  le  goût  salé  des  eaux  de  la  mer.  —  A  l'aide  de 
ses  affluents ,  le  fleuve  des  Amazones  joint ,  de  l'est  à 
l'ouest,  l'océan  Atlantique  au  Pérou,  et,  du  nord  au  sud  , 
les  provinces  du  Brésil  central  à  celles  de  la  Colombie 
septentrionale.  Près  de  deux  cents  rivières,  la  plupart  aussi 
larges  que  nos  fleuves  d'Europe,  se  jettent  dans  son  lit.  Les 
confiées  qu'il  parcourt  sont  les  plus  fertiles  et  les  plus 
belles  de  l'Amérique  méridionale ,  inalheiireusement  encore 
inhabitées  pour  la  plupart  ;  mais  le  jour  n'est  peut-être  pas 


éloigné  où  le  fleuve  des  Amazones  sera  plus  important  en- 
core pour  cette  partie  du  monde  que  ne  l'est  le  Mississipi 
pour  r.Vmérique  du  iV)rd. 

Le  nom  de  fleuve  des  Amazones  a  été  donné  à  ce  fleuve 
parce  qu'Orellana ,  qui  le  premier  l'a  descendu ,  prétend , 
dans  sa  relation ,  avoir  eu  à  combattre  une  multitude  de 
femmes  armées  qu'il  trouva  sur  ses  bords  ;  en  souvenir  des 
Amazones  de  l'antiquité,  il  donna  ce  nom  au  fleuve  nou- 
vellement découvert.  On  ne  croit  plus  guère  aujourd'hui  à 
l'existence  de  ces  femmes  guerrières ,  quoique  La  Conda- 
mine  ait  essayé  de  la  démontrer  par  toutes  sortes  d'argu- 
ments. —  11  serait  trop  long  de  donner  le  nom  de  fous  les 
voyageurs  qui  ont  exploré  les  rives  de  l'Amazone,  et  le 
titre  de  leurs  relations.  Bornons-nous  à  dire  que  ce  fut 
"S'incent-Yanez  Pinzon  qui  le  premier  découvrit,  en  1499, 
l'embouchure  de  l'Amazone. 

AMBARVALES  ou  ARVALES  (du  latin  arva,  champs; 
amhire,  aller  autour),  prêtres  chargés  à  Rome  de  présider 
la  fête  des  A mbar val i es.  Aulu-Gelie  et  Pline  rapportent 
qu'Acca-Laurentia,  mère  adoptive  de  Romulus,  laissa  douze 
enfants  mâles ,  qui  conservèrent  l'usage  de  faire  chaque 
année  un  sacrifice  sur  les  champs  de  leur  mère.  Après  la 
mort  de  l'un  de  ces  enfants ,  Romulus  voulut  le  rempla- 
cer, et  se  fit  initier  parmi  eux.  11  institua  dans  la  suite  un 
collège  de  douze  prêtres  nommés  fratres  ambarvules ,  ou 
arvales ,  destinés  à  perpétuer  le  sacerdoce  dont  il  avait 
lui-même  o.crcé  les  fonctions.  Ces  prêtres  étaient  nommés 
à  vie,  et  ils  choisissaient  eux-mêmes  leurs  collègues  parmi 
les  familles  les  plus  distinguées.  La  marque  de'leur  dignité 
était  une  couronne  d'épis  liée  d'un  ruban  blanc. 

AMBARVALIES,  fêtes  romaines,  consacrées  à  Cérès, 
qui  étaient  célébrées  au  mois  de  juiflet  pour  appeler  sur 
les  moissons  la  protection  de  cette  déesse.  Après  des  liba- 
tions de  lait ,  de  vin  et  de  miel ,  on  promenait  autour  des 
champs  une  truie  pleine ,  ou  une  génisse ,  précédée  d'un 
homme  couronné  d'une  branche  de  chêne  ,  et  qui  dansait 
en  chantant  à  la  louange  de  Cérès  des  hymnes  auxquels 
tous  les  assistants  répondaient  par  de  grands  cris.  Ces  fêtes 
se  célébraient  en  famille  ;  mais  à  la  fin  du  mois  de  mai 
il  y  avait  déjà  eu  les  Ambarvalics  publiques;  dans  celles- 
ci,  suivant  Strabon,  on  allait  en  procession,  en  dehors  de 
Rome,  jusqu'au  sixième  mifle,  et  les  prêtres  amb arva- 
les, suivis  d'habitants  des  campagnes,  ornés  dé  feuiUage, 
sacrifiaient  à  Cérès  un  porc ,  une  brebis  et  un  taureau ,  au 
milieu  des  prières  et  des  cantiques.  A  part  le  sacrifice,  ces 
fêtes  rappellent  celle  que  PP-glise  catholique  célèbre  sous  le 
noxade  Rog  at  ions. 

AAIBASSADEUR ,  ministre  public  qu'une  puissance 
envoie  à  ime  puissance  étrangère  pour  la  représenter  auprès 
d'elle  en  vertu  d'un  pouvoir,  de  lettres  de  créance 
ou  de  quelque  commission  qui  fasse  connaître  son  caractère. 

L'origine  de  ce  mot  a  été  très-discutée  et  est  demeurée 
incertaine.  Scaliger,  Saumaise  et  Spielmann  la  trouvent  dans 
un  mot  celte  ;  Lindenbrog,  Paul  j\Iéi-ula  et  Vendelin,  dans  im 
mot  gaulois  ;  Albert  Acharise  le  fait  venir  du  latin  ambu- 
lare,  se  promener  ;  d'autres  lui  cherchent  une  racine  hébraï- 
que. Si  nous  ne  sommes  pas  fixés  sur  ce  point ,  nous  savons 
du  moins  que  ce  terme  est  fort  ancien ,  qu'il  se  retrouve 
dans  la  loi  salique  et  dans  celle  des  Bourguignons ,  avec 
des  significations  différentes  et  variées  suivant  les  époques. 

Les  ambassades  ont  dû  commencer  avec  les  relations  des 
premiers  peuples  entre  eux.  On  les  retrouve  dès  la  plus 
haute  antiquité.  Athènes  et  Spaite  florissantes  se  plaisaient 
à  entendre  les  ambassadeurs  des  nations  voisines  recher- 
cher leur  protection  et  leur  alliance.  A  Rome  les  ambassa- 
deurs étrangers  étaient  introduits  au  milieu  du  sénat,  pour 
lui  exposer  l'olijet  de  leur  mandat.  Cicéron  dit  qu'ils  étaient 
revêtus  d'un  caractère  sacré. 

Après  la  chute  de  l'empire  romain,  dès  les  premiers  temps 
du  moyen  âge ,  on  retrouve  ciiez   tous  les  peuples  nou- 


4  36  AMBASSADEU 

veaux  des  ambassadeurs  sous  le  nom  de  legati ,  oratores. 
Mais  il  ne  s'agit  toujours  que  de  siinplcs  envoyés  tempo- 
raires et  non  permanents,  et  ce  n'est  que  dans  les  temps 
modernes  que  les  nations  européennes  conmicncèrent  à  en- 
tretenir des  ambassadeurs  à  résidence  fixe. 

Dans  le  langage  de  la  diplomatie,  le  titre  d'ambassadeur 
n'est  donné  qu'aux  agents  de  l'ordre  le  plus  élevé  et  chargés 
de  représenter  la  personne  même  de  leur  souverain.  Un 
caractère  d'inviolabilité  est  partout  alladu'  au  titre  d'am- 
bassadeur; inviolabilité  si  grande  autrefois,  que  non-seu- 
lement elle  le  garantissait  de  toutes  poursuites  lorsqu'il 
avait  commis  quelque  crime,  mais  encore  s'étendait  jusqu'à 
sa  famille,  à  toutes  les  personnes  attachées  à  sa  maison, 
et  jusqu'à  sa  demeure  même,  qui  était  considérée  comme 
lieu  d'asile.  D'après  le  droit  international  moderne,  un 
ambassadeur  peut  être  aujourd'hui  poursuivi  comme  un 
simple  particulier  étranger  pour  tous  les  actes  qualifiés 
crimes  par  la  loi  de  tous  les  jiays  ;  et  dans  ce  cas  son  titre 
ne  le  garantit  pas.  Mais  il  ne  saurait  être  r.cherché  pour 
les  actes  défendus  seulement  par  les  lois  politiques  ou  par 
les  coutumes  du  pays  où  il  est  envoyé.  Montes(|uieu,  dans 
V Esprit  des  Lois ,  est  d'avis  qu'on  ne  peut  arrêter  un  am- 
bassadeur pour  dettes;  mais  l'opinion  contraire  a  prévalu, 
et  l'ambassadeur  est  soumis  maintenant  à  la  saisie  et  à  la 
contrainte  par  corps,  sauf  l'inviolabilité  des  archives.  Un 
sénatus-consulte  a  placé  les  ambassadeurs  français  sous 
la  juridiction  de  la  haute  cour  de  justice. 

On  appelle  ambassadeurs  ordinaires  ceux  qui  doivent 
résider  dans  le  pays  où  on  les  envoie,  et  ambassadeurs 
extraordinaires  ceux  qui  vont  remplir  seulement  une 
mission  spéciale  et  temporaire.  Le  nom  d'ambassadeur  est 
aussi  pris  très-souvent  comme  terme  générique,  et  s'applique 
aux  autres  agents  diplomatiques,  envoyés  extraordi- 
naires ,  ministres  plénipotentiaires  ,  chargés  d'affaires,  rési- 
dents; ceux-ci  jouissent  d'ailleurs  des  mêmes  immunités 
que  les  ambassadeurs.  La  mission  des  ambassadeurs , 
comme  en  général  de  tous  les  agents  diplomatiques,  est  de 
veiller  à  faire  respecter  la  vie,  la  liberté  et  les  propriétés  de 
leurs  nationaux,  et  de  s'opposer  à  toute  violation  du  droit 
des  gens  à  leur  égard.  En  certains  pays,  comme  en  Orient, 
ils  ont  même  toute  juridiction  sur  eux  à  l'exclusion  de  la 
justice  indigène.  Us  doivent  en  outre  protection  à  toutes 
autres  personnes  que  leurs  nationaux,  lorsqu'elle  est  ré- 
clamée justement.  L'article  48  du  Code  Civil  a  donné  aux 
agents  diplomatiques  en  général  le  caractère  d'ofliciers  de 
l'État  civil. 

AJVIBERG ,  petite  ville  de  Bavière ,  à  60  kilom.  nord- 
ouest  de  Ratisbonne ,  et  ancienne  capitale  du  haut  Palatinat. 
Elle  est  située  sur  la  rivière  de  Vils ,  au  milieu  de  forges 
nombreuses.  Cette  ville,  qui  contient  une  population  de 
près  de  8,000  habitants,  est  bien  bàlie.  Ses  anciennes  forti- 
fications ont  été  changées  en  promenades  publiques.  Elle 
est  le  siège  de  la  cour  d'appel  du  cercle; elle  possède  un 
gymnase  ,  im  séminaire  théologique  ,  une  bibliothèque  pu- 
blique ,  un  arsenal ,  une  manufacture  d'armes  à  feu  qui 
donne  chaque  année  douze  mille  fusils  de  bonne  fabrique. 
On  remarque  parmi  ses  édifices  le  Château-Royal ,  l'église 
de  Saint-Martin,  Tliôtel  de  ville,  le  temple  protestant,  et 
l'église  de  Notre-Dame  de  Bon  Secours,  où  des  fidèles  se 
rendent  chaque  année  en  pèlerinage.  La  ville  d'Ambcrg  est 
tristement  célèbre  dans  notre  histoire  militaire,  par  l'échec 
qu'y  subirent  nos  armes  le  24  août  1796,  lors  delà  victoire 
de  l'archiduc  Charles  d'Autriche  sur  le  général  Jourdan. 

AMBERGEH  (  Christophe  ),  peintre  allemand  du  sei- 
lième  siècle,  né  à  Nuremberg,  s'établit  dans  la  suite  à 
Augsbourg,  où  il  lit,  en  1530,  le  portrait  de  l'empereur 
Charles-Quint,  qui  le  récompensa  généreusement,  et  se 
plaisait  à  le  comparer  au  Titien.  Ce  portrait  se  trouve  à 
présent  dans  la  galerie  royale  de  Berlin.  Amberger  a  repré- 
senté l'histoire  de  Joseph  en  douze  tableaux,  que  l'on  «-e- 


R 


AMBIGU 


garde  comme  son  chef-d'œuvre.  Disciple  de  Holbein  le 
jeune ,  il  imita  sa  manière  et  sut  se  faire  un  nom  par  la 
correction  de  son  dessin ,  la  bonne  disposition  de  ses  figures 
et  le  mérite  de  la  perspective.  La  galerie  de  Munich  possède 
encore  plusieurs  de  ses  ouvrages.  Amberger  mourut  vers 
15C8,  à  Augsbourg. 

AMBElVr  (JoAcnisi  ),  né  en  1804  à  Chillas  (Lot),  sorti 
de  l'école  militaire  en  1824,  a  fait  plusieurs  campagnes  en 
Espagne,  en  Belgique  et  en  Algérie,  et  a  voyagé  en  Europe 
et  en  Amérique.  Élu  représentant  du  Lot  en  1848  et  1849, 
il  résigna  son  mandat  pour  rentrer  dans  le  service  actif, 
fut  nommé  colonel  en  1850  et  général  de  brigade  en  1857. 
Il  a  écrit  dans  différents  journaux  et  on  lui  doit  plusieurs 
ouvragçs  militaires,  comme  Esquisses  historiques  et  cri- 
tiques  de  l'armée  française  (1837);  Soldat  :  études  mo- 
rales de  la  carrier  des  armes  (1855);  Éloge  du  ma- 
réchal Monccij  (1842);  Duplcssis-Mornay  {Wil  );  le 
Comte  Gtiibert  (  185G),  elc.  Z. 

AMBIDEXTRE  (du  latin  omto,  deux,  et  dexlcra, 
main  droite)  se  dit  de  celui  qui  se  .sert  avec  une  égale 
facilité  de  sa  main  droite  et  de  sa  main  gauche.  On  em- 
pêche souvent  les  jeunes  enfants  de  se  servir  indifférem- 
ment de  leurs  deux  mains  :  on  a  tort.  Il  serait,  au  contraire, 
à  souhaiter  que  la  qualité  représentée  par  le  mot  ambidextre 
fût  plus  commune  qu'elle  ne  l'est  ;  car  il  y  a  une  foule  de 
cas  qui  exigent  que  certains  actes  soient  également  accomplis 
par  les  deux  mains.  L'enfant  a  une  égale  propension  à  se 
servir  de  ses  deux  mains.  Seulement  il  ne  faut  pas  le  laisser 
substituer  l'usage  exclusif  de  la  main  gauche  à  celui  ('e  la 
main  droite,  comme  le  font  les  gauchers. 

A:IIBIGU,  AMBIGU-COMIQUE.  Le  mot  ambigu, 
qui  signifie  douteux  ,  incertain  ,  équivoque  ,  est  employé 
substantivement  pour  désigner  les  repas  qui  ne  sont  ni  dé- 
jeuner, ni  souper,  parce  qu'on  y  sert  tous  les  mets  à  la  fois. 
C'est  par  un  motif  à  peu  près  semblable  qu'un  théâtre  de 
Paris ,  sur  lequel  ont  paru  des  marionnettes  ,  des  enfants , 
des  adultes,  et  où  l'on  a  représenté  des  comédies,  des  pro- 
verbes, des  parades,  des  opéras  comiques,  des  vaudevilles, 
des  pantomimes,  des  drames  et  des  mélodrames,  a  reçu  le 
nom  d'Ambigu-Comique,  qu'on  aurait  pu  également  donner 
à  bien  d'autres  spectacles.  C'est  à  Audinot  père  que  ce 
théâtre  doit  sa  fondation.  Cet  acteur,  ayant  quitté  la  Comédie- 
Italienne,  obtint  la  direction  de  la  troupe  de  Versailles; 
avec  les  fonds  que  lui  avança  le  prince  de  Conti,  et  les  se- 
cours d'Arnoult ,  ancien  menuisier,  homme  d'esprit  et  in- 
dustrieux ,  qu'il  avait  connu  chez  son  Mécène ,  il  établit  à 
la  foire  de  Saint-Germain  ,  en  1769 ,  un  spectacle  de  ma- 
rionnettes ,  où  il  fit  jouer  une  pantomime  intitulée  les  Co- 
médiens de  bois  ,  qui  attira  tout  Paris.  C'était  un  acte  de 
vengeance  d'Audinot  ;  chacune  de  ses  bamboches  offrait  la 
caricature  très-ressemblante  de  l'un  des  principaux  acteurs 
et  actrices  de  la  Comédie-Italienne.  Le  gentilhomme  de  la 
chambre ,  distribuant  des  grâces ,  était  représenté  par  Poli- 
chinelle. 

Malgré  l'autorisation  qu'Audinot  avait  obtenue  l'année 
précédente  du  Ueutenant  général  de  police  Sartines ,  les 
trois  grands  spectacles  de  Paris  s'étaient  coalisés  contre 
lui ,  sous  prétexte  de  maintenir  leurs  privilèges  respectifs  ; 
l'Opéra  lui  interdit  le  chant ,  les  danses  et  un  orchestre  ; 
les  comédiens  français  lui  défendirent  la  déclamation ,  et 
la  Comédie-Italienne  lui  prohiba  les  ariettes  et  les  vaude- 
villes. Pour  ne  point  heurter  ces  puissances  dramatiques , 
il  avait  imaginé  ses  acteurs  de  bois  ;  ce  qui  fit  cesser  les 
plaintes,  sans  remplir  ses  vues,  parce  que  sa  loge  ne  pou- 
vait contenir  qu'environ  quatre  cents  personnes ,  et  le  prix 
des  places  les  plus  chères  n'étant  que  de  24  sous ,  les  re- 
cettes n'allaient  guère  qu'à  300  francs.  Il  ne  laissa  pas  néan- 
moins de  faire  d'assez  gros  bénéfices  dans  cette  entreprise 
pour  être  en  état,  la  même  année,  de  faire  bâtir  une  salle 
sur  le  bo'devard  du  Temple.  On  lui  permit  de  joindre  à  ses 


AMBIGU 


437 


marionnettes  un  nain  à?,é  de  quinze  ans  et  haut  <le  dix-litiit 
pouces ,  qui  imitait  parfaitement  les  lazzis  du  eélèbre  Car- 
lin. Il  y  ajouta  encore  sa  fille  Kulalie  ,  qui  à  l'Age  de  sejt 
ou  huit  ans  venait  de  déployer  à  Versailles ,  et  dans  des 
soirées  particulières ,  un  talent  précoce  pour  le  chant ,  la 
danse  et  la  déclamation  ,  et  deux  autres  enfants  ,  les  sœurs 
Colombe,  qui  se  distinj^uèrent  depuis  à  la  Comédie-I(a- 
lienne ,  l'une  comme  cantatrice  ,  l'autre  par  son  jeu  piquant 
et  sa  tournure  agaçante.  L'ouverture  de  ce  théAtre  eut  lieu 
le  9  juillet ,  et  la  foule  continua  de  s'y  porter,  quoique  la 
gêne  imposée  à  l'entrepreneur  relativement  à  ses  critiques 
des  autres  spectacles  dût  ôter  beaucoup  de  l'intérêt  du 
sien.  Les  succès  d'.\udinot  lui  suscitèrent  un  rival,  qui  dès 
le  mois  d'octobre  établit  près  du  Louvre  une  nouvelle 
salle ,  où  il  osait  parodier  le  grand  parodiste  des  autres 
théâtres.  Ce  spectacle  ne  put  se  soutenir.  Audinot ,  crai- 
gnant pour  le  sien  le  même  sort ,  obtint  la  permission  de 
substituer  à  ses  acteurs  de  bois  une  troupe  de  petits  enfants 
qu'il  dressait  pour  la  danse  et  la  comédie ,  et  qui  par  leurs 
grâces  naïves  ne  pouvaient  manquer  d'intéresser  le  public. 
La  nouvelle  salle  ouvrit ,  eu  avril  1770,  par  la  panfo- 
mnne  il\icis  et  Galathée  et  une  pièce  de  marionnettes  ,  le 
Retour  de  Polichinelle  de  l'autre  monde.  Audinot  donna 
à  son  théâtre  le  nom  d'Ambigu-Comique ,  et  mit  sur  le  ri- 
deau d'avant-scène  ce  calembour  latin  :  Sicitt  infantes  au- 
di  710S.  Des  annonces  étaient  distribuées  à  tous  les  passants 
pour  exciter  leur  curiosité.  Deux  auteurs  disgraciés  comme 
lui  du  Théâtre-Italien,  Moline  et  Pleinchêne,  lui  consacrèrent 
le  frait  de  leurs  veilles.  Tout  Paris  s'y  donna  rendez-vous , 
et  l'abbé  Delille  put  dire  : 

Chez  Audinot  l'enfance  attire  la  vieillesse. 

D'ailleurs ,  comme  les  scènes  épisodlques  et  les  petites 
comédies  que  ses  deux  auteurs  lui  donnèrent,  grâce  à  la 
jalouse  susceptibilité  des  grands  spectacles ,  contenaient 
plus  de  gravelures  que  de  morale  ,  les  fdles  s'y  portaient 
en  foule ,  et  y  attiraient  les  oisifs ,  les  provinciaux  et  les  li- 
bertins. Les  femmes  de  la  cour  même  ne  dédaignaient  pas 
de  s'y  montrer.  Les  succès  de  l'entrepreneur  sui'passèrent 
bientôt  ceux  qu'avait  naguère  obtenus  le  singe  de  Nicolet. 
Audinot  donnait  aussi  des  pantomimes  historiques  et  roma- 
nesques de  sa  composition ,  genre  de  pièce  peu  connu  alors 
dans  la  capitale ,  et  des  ballets  arrangés  par  Ferrère.  La 
vogue  dont  il  jouissait  éveilla  l'envie.  Un  arrêt  du  conseil , 
en  novembre  1771 ,  le  réduisant  à  sa  première  institution 
de  spectacle  populaire,  lui  interdit  les  danses,  et  diminua  son 
orchestre.  La  défense  ayant  été  bientôt  levée  par  le  crédit  de 
M.  de  Sartines ,  Audinot  agrandit  sa  salle  en  1772.  Les  ma- 
rionnettes y  parurent  pour  la  dernière  fois  dans  le  Testa- 
ment de  Polichinelle. 

En  1775 ,  l'Écluse  ayant  établi  le  théâtre  des  Variétés- 
Amusantes  à  côté  de  l'Ambigu,  cette  concurrence  excita  l'é- 
mulation d'Audinot.  Il  s'associa  avec  Arnoult ,  perfectionna 
ses  pantomimes ,  et  gagna  tellement  les  bontés  du  public  , 
que  les  trois  grands  spectacles  en  prirent  de  nouveau  l'a- 
larme. Pour  apaiser  l'Opéra  ,  il  s'engagea ,  par  un  traité 
du  1^""  mai  1780,  à  lui  payer  12  francs  par  représentation  de 
jour  et  G  francs  pour  chacune  de  celles  de  nuit,  et  à  ne  faire 
exécuter  sur  son  théâtre  aucun  air  de  ballet  ou  d'ojjéra  qui 
n'eût  au  moins  dix  ans  d'ancienneté.  Quant  aux  deux  au- 
tres spectacles,  il  stipula  avec  eux  qu'aucune  pièce  dialo- 
guée  ou  chantante  ne  serait  jouée  à  l'Ambigu  sans  avoir 
été  dégradée  ou  décomposée  par  un  comédien  français  ou 
italien.  Cette  censure  maladroite  ne  tourna  qu'à  l'avanlagc 
d'Audinot;  car  les  ouvrages  ainsi  mutilés  en  devenaient 
meilleurs.  D'autres  charges  pesaient  encore  sm*  l'entre- 
preneur :  outre  le  quart  des  recettes  pour  les  pauvres ,  il 
était  en  déboursé  de  .300,000  fr.  pour  diverses  salles  qu'il 
avait  été  obligé  d'élever  depuis  son  premier  établissement. 
Malgré  ces  vexations,  il  prospérait  de  plus  en  plus ,  quoi- 


(pi'il  en  fût  pou  digne.  Toujours  persécuté  par  l'Académie 
Royale  de  musique,  il  consentit  par  un  nouveau  sacrifice , 
le  5S  aoilt  17s4  ,  à  lui  payer  le  dixième  de  chaque  repré- 
sentation ,  le  quart  pour  les  pauvres  déduit.  Mais  le  15 
septembre  l'administration  de  ce  théâtre  ,  retirant  à  Audi- 
not et  à  Arnoult  le  privilège  de  l'Ambigu-Comique  ,  le  céda, 
avec  un  bail  de  quinze  ans  à  partir  du  1""  janvier  1785  , 
aux  sieurs  Gaillanl  et  Dorfcuille  ,  fondateurs  du  théâtre 
des  Variétés  au  Palais-Royal.  Audinot  fit  sa  clôture  par 
les  Adieux  de  l' Ambigu-Comique ,  de  Gabiot  de  Salins, 
son  souffleur;  pièce  qui  fit  beaucoup  de  sensation,  et  où  l'on 
remarqua  ce  vers,  auquel  il  ne  manquait  que  d'être  vrai  : 

A  l'or  de  l'intrigant  l'honnête  homme  vendu. 

Il  parut  à  cette  occasion  une  foule  de  mémoires  qui  amu- 
sèrent quelque  temps  la  capitale.  Nicolet,  qui,  se  trouvant 
dans  la  même  catégorie  qu' Audinot,  aurait  dû  faire  cause 
commune  avec  lui ,  se  joignit  à  ses  ennemis ,  et  fit  publier, 
par  un  auteur  forain,  I^arisau,  ci-devant  répétiteur  de  l'Am- 
bigu, un  mémoire  qu'on  appela  le  Coup  de  pied  de  Vâne. 

Expulsé  de  sonliiéàtre,  Audinot  en  prit  un  an  bois  de 
Boulogne,  où  il  fit  exécuter  le  Barbier  de  Scoille  avec  la 
musique  de  Paisiello ,  qu'on  ne  put  entendre  que  plus  tard 
à  Paris,  par  suite  des  discussions  de  rivalité  entre  l'Aca- 
démie Royale  de  musique  et  la  Comédie-Italienne.  Enfin  , 
par  l'entremise  de  M.  de  Sartines ,  Audinot  et  Arnoult  trai- 
tèrent ,  le  14  octobre  1785,  avec  les  privilégiés  pour  la  ré- 
trocession de  leur  bail,  et  rouvrirent  l'Ambigu-Comique 
le  27.  Dans  un  prologue,  l'Impromptu  du  moment, 
Gabiot  avait  très-bien  exprimé  la  joie  des  acteurs  de  ce 
spectacle  de  se  revoir  sous  leurs  anciens  directeurs ,  et  la 
reconnaissance  de  ceux-ci  pour  le  public,  dont  l'aflluenee 
les  dédommageait  des  tracasseries  qu'ils  avaient  éprouvées. 
En  1786  ils  firent  reconstruire  entièrement  leur  salle  dans 
la  forme  où  elle  est  restée  jusqu'à  l'incendie  qui  l'a  consumée 
en  1827.  Ils  passèrent  tout  le  temps  de  la  reconstruction 
tant  aux  foires  Saint-Germain  et  Saint-Laurent  qu'aux 
salles  des  Variétés-Amusantes  et  des  Élèves  de  l'Opéra.  L'i- 
nauguration du  nouveau  théâtre  se  fit  le  30  septembre 
1786,  par  un  prologue  de  Gabiot,  l'Emménagement. 

L'administration  sociale  d'Audinot  et  Arnoult  continua 
de  réussir  jusqu'à  la  révolution.  Elle  en  ressentit  les  contre- 
coups, en  raison  de  la  multiplicité  des  théâtres  que  cette 
époque  vit  éclore ,  et  du  mauvais  goût  qui  s'y  introduisit. 
Les  enfants  qui  originairement  et  depuis  avaient  formé  la 
troupe  de  l'Ambigu  étaient  devenus  hommes ,  et  plusieurs 
l'avaient  quitté ,  entre  autres  Mayeur  de  Saint-Paul,  acteur 
et  auteur  spirituel,  qu'Audinot  n'avait  pas  su  conserver; 
Bordier,  qui,  ayant  passé  aux  Variétés  du  Palais-Royal, 
était  allé  se  faire  pendre  à  Rouen  en  1789  ;  Michot  et  Damas, 
qui  se  sont  distingués  sur  la  scène  française;  la  fameuse 
Julie  Diancourt,  qui  jouait  la  pantomime  avec  tant  d'âme  et 
de  vérité,  et  qui  partit  pour  Marseille  en  1790,  avec  le  dan- 
seur Bithmer;  enfin,  mesdemoiselles  Chevigny  et  Miller, 
célèbres  danseuses  de  l'Opéra,  surtout  la  seconde,  plus 
connue  sous  le  nom  de  madame  Gardel.  L'Ambigu  était 
regardé  comme  une  pépinière  de  talents  supérieurs.  Il  avait 
donné  l'exemple  de  ce  luxe  de  décors  et  de  costumes  qui 
depuis  a  plus  contribué  aux  succès  dramatiques  que  l'esprit 
des  auteurs.  11  avait  le  premier  naturalisé  la  pantomime, 
genre  auquel  il  devait  principalement  sa  richesse,  sa  gloire, 
et  l'honneur  de  réunir  des  spectateurs  de  meilleure  compa- 
gnie. La  Belle  au  bois  dormant,  les  Quatre  fils  Aijnion, 
Dorothée,  le  Vétéran,  V Héroïne  américaine,  le  Baron 
de  Trenck,  le  Capitaine  Cook,  le  Masque  de  fer.  Her- 
cule et  Omphale,  la  Forêt  Noire,  et  tant  d'autres,  lui 
formaient  un  abondant  répertoire,,  que  variaient  agréable- 
ment de  jolies  comédies,  telles  que  la  Musicomanie,  Fron- 
tin ,  le  Quaker,  la  Matinée  du  Comédien  de  Persépolis, 
le  Marchandd'espoir,  les  Deux  Frères,  l'Orgueilleuse,  cic. 


438 


AMBIGU  —  AMBIORIX 


Audinot  avait  conservé  Talon  et  sa  femme,  acteurs  pleins 
(le  naturel  ;  Magne-Saint-Aubin ,  auteur  de  pièces  épiso- 
diques ,  où  il  jouait  plusieurs  rôles  comiques.  11  avait  acquis 
Dorvigny ,  le  père  des  Janot  et  d'une  foule  de  proverbes 
dramatiques  ;  Tliiémet,  qui  s'est  rendu  fameux  par  ses  scènes 
de  ventriloquie ,  etc.  Mais  tout  cela  ne  put  le  sauver  de 
quelques  malencontres.  La  discorde  se  mit  entre  lui  et  Ar- 
noult,  dont  les  manières  dures  et  grossières  repoussaient 
les  auteurs. 

En  1793  les  deux  associés  se  séparèrent ,  et  cédèrent  le 
restant  de  leur  bail,  qui  était  d'environ  cinq  ans,  à  quel- 
ques acteurs  de  leur  théâtre,  dont  l'icandevin  était  le  chef. 
Sous  cette  direction  rAiiibigu  marcha  rapidement  vers  sa 
décadence ,  malgré  la  vogue  momentanée  qu'obtinrent  les 
Diableries  et  deux  pièces  de  Cuvelier,  VEnJant  du  Mcd- 
heur,  pantomime,  et  C'est  le  diable,  ou  la  Bohémienne, 
pantomime  dialoguée,  ou  premier  mélodrame  qui  ait  paru 
sur  les  boulevards.  Le  genre ,  le  titre  même  de  ces  pièces 
monstrueuses,  furent  bientôt  imités  sur  les  autres  petits  théâ- 
tres. Les  romans  d'Anne  Radcliffe  avaient  mis  à  la  mode  les 
spectres  et  les  revenants.  L'.\mbigu ,  qui ,  pour  soutenir  la 
concurrence  dans  ce  genre ,  avait  renoncé  aux  pièces  comi- 
ques qui  variaient  le  spectacle  d'Audinot ,  acheva  de  s'é- 
craser, et  fut  forcé  de  fermer  sur  la  fin  de  1799. 

Le  bail  d'Audinot  finit  au  1"  janvier  1800.  Resté  seul 
propriétaire  de  la  salle ,  il  la  loua  à  une  nouvelle  adminis- 
tration ,  qui  se  soutint  à  peine  quelques  mois ,  quoiqu'elle 
eût  eu  le  bon  esprit  de  revenir  au  genre  comique.  Enfin, 
un  acteur  qui  s'était  fait  une  grande  réputation  à  la  Gaîté 
par  le  rôle  de  madame  Angoi ,  Labenette-Corsse ,  ancien 
directeur  du  théâtre  des  Variétés  à  Bordeaux,  traita,  la 
même  année,  de  l'entreprise  de  l'Ambigu  a^ec  Audinot, 
qui  mourut  le  21  mai  1801.  Corsse  montra  ce  que  peuvent 
le  bon  ordre  et  l'activité,  réunis  aux  talents  et  aux  con- 
naissances administratives.  Avec  des  acteurs  médiocres, 
mais  jeunes  et  dociles,  et  un  répertoire  où  les  pièces  à  ma- 
chines ne  furent  qu'accessoires ,  il  releva  l'Ambigu  de  ses 
ruines,  lui  rendit  les  beaux  jours  de  l'administration  d'Au- 
dinot, et  le  soutint  durant  quinze  ans  dans  un  état  constant 
et  brillant  de  prospérité.  Les  ouvrages  les  plus  remarquables 
qu'il  y  fit  représenter  furent  :  Madame  Ancjot  au  sérail 
de  Constantinople,  A'oiirjaJiad  et  Chérédin,  la  Bataille 
de  Pullava,  Dago,  la  Femme  à  deux  Maris,  le  Jugement 
de  Salomon,  Hariadan  Barberousse,  Monsieur  Botte,  etc. 
On  y  joua  aussi  des  opéras-comiques  et  des  vaudevilles. 
Corsse  cessa  de  paraître  sur  la  scène  en  ISOS,  et  mourut 
en  décembre  1815 ,  laissant,  dit-on,  trois  à  quatre  millions 
de  fortune. 

Audinot  fils,  propriétaire  de  l'Ambigu  ,  en  devint  le  di- 
recteur. Il  prit  d'abord  pour  associée  madame  Puisaye,  qui 
l'avait  été  de  Corsse.  En  1S23  il  forma  une  nouvelle  so- 
ciété avec  >L  Franconi  jeune,  et  en  1825  avec  M.  Senepart. 
11  mourut  le  14  juin  1826,  à  quarante-huit  ans,  et  un  an 
après ,  jour  pour  jour,  son  théâtre  fut  détruit  par  le  feu. 
Malgré  le  succès  des  Macchabées,  de  Calas,  des  Mcxicai)is, 
de  Thérèse ,  malgré  le  zèle  d'Audinot,  son  administration 
ne  fut  pas  heureuse.  Depuis  le  décret  impérial  de  1807, 
l'Ambigu  n'avait  eu  d'autre  rival  que  le  théâtre  de  la  Gaîté. 
La  Restauration  avait  ressuscité  le  théâtre  de  la  Porte  Saint- 
Martin  ,  et  autorisé  l'établissement  de  plusieurs  autres  spec- 
tacles. Le  public,  d'ailleurs,  était  blasé.  La  vogue  d'un 
ouvrage  dramatique  en  couvrait  à  peine  les  frais.  Ce  fut  dans 
ces  circonstances  que  la  veuve  .Vudinot  et  Senepart  firent 
bâtir  le  nouveau  théâtre  de  l'Ambigu  sur  un  plan  plus  vaste, 
et  par  conséquent  beaucoup  plus  dispendieux  (jue  celui  de 
l'ancien. 

La  nouvelle  salle  fut  élevée  sur  le  boulevard  Saint-Martin, 
au  coin  de  la  rue  de  Rondy,  sur  les  dessins  de  MM.  Hiltortet 
Lccomte.  L'inauguration  eut  heu  le  7  juin  182S,  en  présente 
de  la  duchesse  de  Rerry.  Mais  les  beaux  jours  de  l'Ambigu 


étaient  passés.  Dans  l'espace  de  dix  ans  la  direction  passa 
dans  une  foule  de  mains ,  et ,  malgré  les  efforts  de  Frederick 
Lemaître ,  Bocage ,  Guyon,  Francisque  aîné,  et  de  mesdames 
Dorval,  Théodorine,  etc.,  le  théâtre  tomba  en  faillite. 

Le  4  mai  1841,  après  une  fermeture  de  quelques  moLs, 
l'Ambigu  s'ouvTit  sous  la  direction  de  M.  Antony  Béraud, 
qui ,  grâce  surtout  à  Frédéric  Soulié  et  à  Alexandre  Dumas , 
obtint  quelques  succès  à  ce  théâtre,  succès  que  la  révolution 
de  février  vint  du  reste  interrompre.  Nous  citerons  parmi 
les  pièces  jouées  depuis  la  révolution  de  juillet  :  Gaspardo 
le  Pécheur,  Lazare  le  Pâtre,  les  Bohémiens,  les  Étu- 
diants,  Paris  la  nuit,  le  Fils  du  Diable,  et  surtout  la  Clo- 
scrie  des  Genêts,  de  Frédéric  Soulié,  et  les  Mousquetaires 
d'Alexandre  Dumas ,  qui  eurent  un  succès  prodigieux.  De- 
puis 1843,  nous  citerons  le  Juif  errant ,  qui  a  eu  un  certain 
succès  de  décorations.  Parmi  les  acteurs  qui  ont  laissé  un 
nom  sur  cette  scène,  il  nous  suffira  de  nommer  MM.  Saint- 
Krnest,  Mélingue,  Lacressonnière,  MM'"*'  Guyon  et  Jouve 
A.MBIGUITÉ.  Voyez  Éqcivoqce. 
AMBIORIX  était  chef  ou   roi  d'une  moitié  du  pays 
dcsÉburons,  peuple  de  la  Gaule  Belgique  (pays  de  Luxem- 
bourg), tandis  que  Cativolque  gouvernait  l'autre  moitié. 
A  ces  deux  noms  se  rattache  le  souvenir  de  l'échec  le  plus 
grave  que  César  ait  reçu  dans  la  guerre  des  Gaules.  Voici 
dans  quelles  circonstances.  —  Après  sa  seconde  expédition 
en  Bretagne  (Angleterre) ,  César,  rentré  dans  la  Gaule  Bel- 
gique, avait  été  forcé,  à  cause  de  la  rareté  des  blés,  de  distri- 
buer son  armée  en  plusieurs  corps  et  de  les  envoyer  en 
quartiers  d'hiver  sur  différents  points.  Une  légion  et  cinq 
cohortes,  commandées  par  Titurius  Sabinus  et  Aurunculeius 
Cotta,  campaient  dans  le  pays  des  Éburons.  Le  nouveau 
plan  de  César,  qui  jusque  là  avait  tenu  son  armée  concentrée 
en  un  seul  quartier  d'hiver,  inspira  aux  peuples  de  cette 
partie  de  la  Gaule  l'idée  de  profiter  de  l'isolement  des  légions 
et  de  les  accabler  avant  qu'elles  pussent  se  réunir.  Le  si- 
gnal en  fut  donné  par  Ambiorix  et  Cativolque.  Ils  vinrent 
subitement  attaquer  Sabinus  et  Cotta  dans  leur  camp.  Ils 
fuient  repoussés.  Alors  .\mbiorix  ,  usant  d'artifice,  fait  de- 
mander une  entre^■ue  à  Sabinus.  Il  parvient  à  persuader  à 
l'imprudent  lieutenant  que  «■  s'il  l'a  attaqué  la  veille ,  c'est 
contraint  par  ceux  de  sa  nation ,  lesquels  ne  pouvaient  souf- 
frir que  les  Romains  prissent  l'habitude  de  s'établir  dans 
leur  pays;  mais  qu'après  avoir  rempli  son  devoir  envers 
ses  compatriotes,  il  voulait  reconnaître  les  bons  offices 
qu'il  avait  reçus  de  César  en  donnant  à  Sabinus  le  conseil 
de  quitter  le  camp  tandis  qu'il  en  était  temps  encore ,  et  de 
se  replier  sur  le  corps  d'armée  le  plus  voisin  ;  que  toute  la 
Gaule  était  en  armes ,  et  que  des  secours  arrivaient  du  côté 
du  Rhin;  qu'il  offrait  à  Sabinus  le  libre  passage  à  travers 
le  pays  des  Éburons.  »  Sabinus,  quoique  l'avis  lui  vînt  d'un 
ennemi,  et  malgré  les  représentations  de  son  collègue  Cotta, 
fait  les  préparatifs  de  départ  ;  et  le  lendemain  l'armée  s'en- 
gage dans  une  vallée ,  aux  deux  extrémités  de  laquelle  ap- 
paraissent bientôt  les  troupes  d'Ambiorix.  Vainement  la  lé- 
gion, pour  se  mieux  défendre,  abandonne  ses  bagages  et  se 
range  en  cercle ,  faisant  tète  de  tous  côtés  à  l'ennemi  ;  une 
manœuvre  habile  d'Ambiorix  rend  inutile  la  valeur  des  Ro- 
mains. Alors  Sabinus,    voyant  tout  espoir  perdu,  envoie 
demander  à  Ambiorix  la  vie  sauve  pour  ses  soldats  et  pour 
lui.  Arrivé  auprès  du  chef  éburon,  il  est  enveloppé  et  tué 
avec  ses  principaux  officiers ,  dont  il  s'était  fait  suivre.  Le 
reste  de  l'armée  meuit  en  combattant,  sauf  un  petit  nom- 
bre ,  qui  regagnèrent  le  camp  vers  la  nuit ,  et  qui ,  désespé- 
rant de  se  pouvoir  défendre ,  se  donnèrent  la  mort. 

On  peut  être  curieux  de  savoir  comment  César  se  vengea 
de  ce  désastre.  Il  y  mit  une  ardeur  et  un  acharnement  qui 
prouvent  qu'il  avaît  ressenti  la  blessure  à  la  fois  en  Romain 
et  en  général  h;d)ilué  ;»  vaincre.  Où  la  victoire  était  impos- 
sible, à  cause  de  la  ])etilesse  de  la  nation  éburonne,  et 
parce  qu'Ambiorix  se  dérobait  sans  cesse ,  il  employa  tous 


1 


AMBIORIX  —  AMBITION 


439 


les  moyons  de  destruction  qiic  lui  pernioltait  le  droit  de  la 
guerre  et  que  lui  suggéra  la  vengeance.  Mais  dans  celte 
guerre  d'extermination  le  chef  éburon  Ambiorix  grandit 
de  tout  ce  que  sembla  perdre  César. 

Près  du  territoire  des  Éburons  étaient  les  Ménapes  (la 
Flandre  française  ) ,  que  défendaient  de  vastes  forêts  et  des 
marais  immenses.  Seuls,  dans  toute  la  Gaule  Belgique,  ils 
n'avaient  jamais  envoyé  de  députés  ni  demandé  la  paix.  Des 
liens  d'hospitalité  les  unissaient  à  Ambiorix.  Pour  lui  couper 
toute  retraite.  César  marche  contre  les  Ménapes  avec  cinq 
légions.  Ceux-ci  se  réfugient  dans  leurs  marais  et  leurs  bois. 
César  incendie  les  maisons,  enlève  les  bestiaux,  fait  une  mul- 
titude de  prisonniers.  Enfm,  ils  se  soumettent.  César  se  fait 
donner  des  otages,  et  déclare  qu'il  les  traitera  en  ennemis 
si  les  Ménapes  reçoivent  sur  leur  territoire  Ambiorix  ou 
quelqu'un  de  ses  ofiiciers. 

C'est  encore  en  partie  pour  fermer  à  Ambiorix  tout  refuge 
chez  les  Germains  qu'il  passa  le  Rhin  une  seconde  fois. 
Après  une  courte  et  stérile  campagne,  il  coupa  son  pont  et 
revint  sur  .-Vmbiorix.  Il  envoya  sa  cavalerie  en  avant  pour 
le  poursuivre.  On  marchait  en  silence ,  et  sans  feux ,  pour 
n'éveiller  aucun  soupçon.  Peu  s'en  fallut  qu'on  ne  l'attei- 
gnît. ■  Mais  pendant  un  combat  qui  se  donna  dans  un  défilé, 
non  loin  de  sa  maison ,  qui  était  située  au  milieu  des  bois , 
quelqu'un  des  siens  le  mit  sur  un  cheval  et  le  fit  sauver. 

Écïiappé  à  César,  et  incapable  de  rien  tenter  de  nouveau, 
il  fit  dire  aux  Éburons  que  chacun  eût  à  pourvoir  à  sa  sûreté, 
et  se  réfugia  à  l'extrémité  de  la  forêt  des  Ardennes ,  avec 
un  petit  nombre  de  cavaliers.  César  y  accourut  de  sa  per- 
sonne. La  guerre  dans  ces  forêts  était  ditTicile  et  périlleuse. 
L'ennemi  n'opposait  aucune  masse  armée;  mais  du  fond 
d'un  ravin,  d'un  marais,  d'un  vallon  couvert ,  de  petits  déta- 
chements harcelaient  les  Romains,  et  leur  faisaient  perdre 
du  monde.  César  brûlait  de  se  venger,  mais  il  ne  voulait  pas 
que  ce  fût  au  prix  du  sang  romain.  Il  convia  donc  tous 
les  peuples  voisins  au  pillage  des  Éburons.  Ce  fut  comme 
une  curée  à  laquelle  accoururent  de  toutes  parts  Gaulois  et 
Germains.  Il  vint  d'au  delà  du  Rhin  jusqu'à  deux  mille  ca- 
valiers sicambres,  qui  en  courant  le  pays  faillirent  emporter 
de  vive  force  le  camp  d'un  des  lieutenants  de  César  {voyez 
Quintus  CicÉRO^f). 

Tout  fut  pillé  ou  incendié.  Les  orages  et  les  pluies  gâtè- 
rent le  peu  de  blé  qui  n'avait  pas  été  consommé  par  une  si 
grande  multitude.  Mais  on  ne  vint  pas  à  bout  de  prendre 
Ambiorix.  Les  prisonniers  qu'on  faisait  croyaient  l'avoir 
vu  ;  à  les  entendre,  il  était  là,  à  peu  de  distance  de  l'armée  : 
on  courait  dans  la  direction;  beaucoup,  pour  gagner  la  fa- 
veur de  César,  faisaient  des  efforts  au-dessus  de  la  nature 
humaine.  Mais  Ambiorix  se  dérobait  à  toutes  les  poursuites, 
changeant  chaque  jour  de  cachette,  et  c'est  ainsi  qu'il  par- 
vint à  gagner  d'autres  contrées,  sans  autre  escorte  que  quatre 
cavaliers,  les  seuls  auxquels  il  pût  confier  sa  vie.  —  Un 
jonr,  César  apprit  qu'il  avait  repam  dans  son  pays.  Il  acheva 
de  tout  y  détruire  ,  voulant  le  rendre  si  odieux  aux  siens 
qu'il  lui  fût  impossible  d'y  remettre  le  pied.  Ambiorix  lui 
échappa  encore,  et  put  mourir  libre;  mais  le  nom  des 
Éburons  fut  dès  lors  effacé  de  la  Gaule  ,  et  remplacé  par 
celui  des  Tongres,  peuple  qui  vint  s'établir  sur  leurs  ruines. 
D.  >'ISARD,  de  l'Acad.  Française. 

AMBITIOIV  (du  latin  ambire,  briguer),  passion  qui 
nous  porte  avec  excès  à  nous  élever.  L'ambition  diffère  de 
Vé7nulatio7i  en  ce  que  celle-ci  consiste  à  se  distinguer 
parmi  ses  égaux ,  tandis  que  l'ambition  est  un  désir  immo- 
déré et  sans  cesse  renouvelé  d'agrandir  notre  condition. 
L'ambition  implique  nécessairement  l'égoisme;  car  non- 
seulement  l'ambitieux  ne  veut  du  pouvoir  que  pour  lui  seul 
et  n'est  préoccupé  que  du  soin  de  son  élévation ,  mais  la 
nature  même  de  sa  passion  exige  qu'il  lui  sacrifie  ses  sem- 
blables, puisqu'ils  sont  pour  ainsi  dire  les  matériaux  qui  lui 
servent  à  élever  l'édifice  de  sa  puissance ,  et  qu'il  faH  en- 


tièrement abstraction  de  leur  liberté,  pour  ne  considérer  en 
eux  que  des  instruments  passifs  de  ses  desseins  et  de  sa 
grandeur.  Sans  aller  chercher  l'exemple  vulgaire  des  rois, 
qui  font  couler  sans  scrupule  le  sang  et  l'or  de  leurs  sujets 
pour  marcher  à  la  conquête  d'autres  peuples,  qu'ils  foulent 
avec  non  moins  de  cruauté  et  d'indifférence,  ne  voyons-nous 
pas  tous  les  jours  des  hommes  se  frayer  un  chemin  à  un 
poste  émincnt  à  travers  des  iniquités  de  toute  espèce,  ren- 
verser sans  pitié  ceux  qu'ils  rencontrent  sur  leur  passage, 
jouer  et  trahir  un  ami ,  flatter,  pour  les  dominer  un  jour, 
ceux  qui  se  trouvent  placés  plus  haut,  et  briser  ensuite, 
quand  ils  sont  les  plus  forts,  ces  instruments  maladroits  de 
leur  puissance?  Souvent  l'ambitieux  prend  le  masque  de  la 
bienveillance  ;  il  est  obligeant ,  empressé  ;  mais ,  ne  vous  y 
trompez  pas ,  l'égoisme  le  plus  profond  est  caché  sous  ce 
masque  hypocrite  :  il  a  calculé  toutes  ses  actions ,  spéculé 
sur  son  dévouement ,  et  sait  ce  que  les  services  qu'il  rend 
doivent  lui  rapporter  un  jour.  Si  l'ambitieux  qui  veut  par- 
venir se  montre  si  oublieux  des  dioits  et  des  intérêts  de 
ses  semblables,  l'ambitieux  parvenu  à  la  puissance  ne  les 
respecte  pas  davantage.  Il  ne  connaît  d'autres  lois  que  ses 
désirs;  la  résistance  à  sa  volonté  devient  un  crime.  Le  pou- 
voir a  tant  de  charmes  pour  lui  que,  non  content  de  l'exer- 
cer, il  veut  encore  le  faire  sentir  à  ceux  sur  lesquels  il 
l'exerce;  lors  môme  qu'il  ne  rencontre  pas  d'opposition  de 
leur  part ,  il  veut  qu'ils  sachent  bien  et  qu'ils  n'oublient 
jamais  qu'ils  sont  les  plus  faibles  et  dans  sa  dépendance  ;  il 
aime  à  appuyer  le  joug  sur  les  têtes  déjà  courbées  sous  lui, 
et  ressemble  à  ces  animaux  qui  se  plaisent  à  laisser  vivre 
pour  la  tourmenter  la  proie  dont  ils  se  sont  emparés. 
Quelle  autre  .raison  peut-on  donner  des  caprices  sanglants 
de  ces  empereurs  romains  qui ,  au  faite  de  la  puissance,  se 
livraient  sans  motif  à  des  actes  inou'is  de  cruauté,  si  ce 
n'est  qu'ils  ne  voulaient  pas  laisser  ignorer  aux  peuples 
qu'ils  étaient  les  maîtres  absolus  de  leurs  destinées?  Cette 
nouvelle  forme  d'égoïsme,  qui  se  présente  sous  des  traits  si 
hideux,  a  reçu  le  nom  de  tyrannie. 

L'ambition  a  cela  de  commun  avec  les  autres  passions 
qu'elle  se  promet  le  bonheur  et  ne  l'atteint  jamais.  L'ambi- 
tieux, quelle  que  soit  sa  place,  se  trouve  toujours  déplacé  ; 
il  ne  recule  devant  rien  pour  arriver  à  ses  fins,  sacrifiant  sou- 
vent sou  caractère  et  toujours  son  repos  Plusieurs  vont  à 
leur  but  sans  nul  choix  des  moyens ,  quelques-uns  par  de 
grandes  choses,  et  d'autres  par  les  plus  petites  :  ainsi  telle 
ambition  passe  pour  vice  et  crime  ;  telle  autre,  pour  force 
d'esprit  et  vertu.  Bacon  établissait  une  juste  distinction  : 
«  Il  y  a  trois  sortes  d'ambition,  disait-il  :  la  première,  c'est  de 
gouverner  un  peuple  et  d'en  faire  l'instrument  de  ses  des- 
seins ;  la  seconde,  c'est  d'élever  son  pays  et  de  lui  assurer  la 
suprématie  sur  tous  les  autres  ;  la  troisième  enfin,  c'est  d'é- 
lever l'humanité  tout  entière ,  en  augmentant  le  trésor  de 
ses  connaissances.  »  De  tout  temps  les  moralistes  se  sont 
élevés  contre  l'ambition.  La  Bruyère  a  dit  :  «  L'esclave  n'a 
qu'un  maître,  l'ambitieux  en  a  autant  qu'il  y  a  de  gens  utiles 
à  sa  fortune.  »  Voltaire  dépeint  admirablement  cette  pas- 
sion dans  deux  vers  de  la  Henriade  : 

L'Ambition  sanglante  ,  inquiète,  égarée, 

De  trônes,  de  tombeaux ,  d'esclaves  entourée. 

Et  La  Fontaine  a  dit  dans  Daphné  : 

One  vous  vous  tourmentez,  mortels  ambitieux. 

Désespérés  cl  furieux , 
EuDcmis  du  repos,  ennemis  de  vous-mêmes  ! 

Cependant  la  race  des  ambitieux  est  impérissable  ;  car  le 
désir  de  la  prééminence  semble  inhérent  à  la  nature  hu- 
maine. —  Les  Romains  avaient  élevé  un  temple  à  rAmbition; 
et  ils  le  lui  devaient  bien  :  ils  la  représentaient  avec  des 
ailes  et  les  pieds  nus;  ingénieuse  allégorie  du  contraste 
perpétuel  que  présente  l'ambition ,  l'étendue  et  la  grandeur 


440  AMBITION 

(le  ses  desseins ,  les  fatigues  et  la  misère  que  le  plus  sou- 
vent cllft  recueille.  Edme  Héreau. 

AMBLE.  l'oyes  Alluiie. 

AMBLYOPIE  (.luRrecà(i6).û:,faii)ie;  &']>,  œil),  affar- 
blissement  de  la  vue,  qui  ne  constitue  pas  par  lui-mCuie  une 
affection  propre  de  l'œil,  mais  qui  n'est  ordinairement  que 
le  premier  degré  de  V ainatirose.  Elle  esi  diurne  quand 
les  malades  ne  voient  bien  que  dans  un  demi-jour,  ou 
pendant  la  nuit  {nyctalop'ie)  ;  nocturne,  quand  ils  cessent 
de  voir  à  rapproche  du  crépuscule  (hémcralopie).  Llle  est 
quelquefois  la  suite  de  veilles  prolongées,  ou  d'h-ibitudes 
funestes  chez  les  jeunes  gens.  D'  SAUCF.noTTE. 

AMBOIIVE,  île  des  Indes  oi-ien(ales,  située  près  de  l'é- 
quateur,  par  3°  47'  de  latitude  septentrionale,  et  par  125°  33' 
de  longitude  orientale,  fait  partie  de  l'archipel  des  Molu- 
ques.  Celte  colonie  hollandaise,  qui  a  environ  70  kilomètres 
de  longueur  sur  22  de  largeur,  ast  séparée  par  un  isthme 
étroit  en  deux  presqu'îles  appelées  IJitore  et  Lcijthnore 
Elle  a  surtout  de  l'importance  comme  centre  principal  delà 
culture  du  giroflier  ;  et  dans  l'intérêt  même  de  cette  culture, 
on  l'a  divisée  en  cinq  districts,  placés  chacun  sous  la  sur- 
veillance d'un  directeur  qui  préside  aux  plantations,  à  l'en- 
tretien et  à  la  récolte.  On  estime  que  le  produit  annuel  de 
cette  industrie  varie  de  125  à  150  mille  kilogrammes.  —  Le 
chef-lieu  de  l'ile,  nommé  aussi  Amholne  ou  Ambon ,  est  la 
résidence  du  gouverneur  général  des  lies  Moluques  et  le 
siège  d'un  commerce  fort  actif.  C'est  une  jolie  petite  ville , 
située  sur  une  vaste  baie ,  protégée  par  le  fort  Victoria ,  et 
peuplée  de  15,000  habitants.  —  Le  nom  de  l'île  d'Amboine 
sert  aussi  à  désigner  le  groupe  d'îles  qui  l'entoure  et  qui  se 
compose ,  indépendamment  d'.\mboine ,  de  deux  îles  plus 
considérables,  appelées  Bouroet  Céram,  et  de  huit  autres  îles 
de  moindre  importance  :  le  tout  formant  un  gouvernement 
hollandais  d'ime  superficie  d'environ  27  myriamètres  carrés, 
avec  45,000  habitants. 

AJ\IBOISE,  petite  ville  du  déparlement  d'Indre-et-Loire, 
située  sur  la  rive  gauche  de  la  Loire,  à  20  kilomètres  est  de 
Tours.  Elle  est  très-ancienne  ;  la  tradition  en  fait  remonter 
la  fondation  à  Ccsar.  Grégoire  de  Tours  en  fait  mention  au 
sujet  de  saint  Martin,  de  Clovis  et  d'Alaric,  qui  eurent, 
dit-il,  une  entrevue  dans  l'ile  qui  est  près  d'Amboise  ;  il  parle 
môme  du  pont  de  bateaux  que  le  Viens  Ambaciensis  possé- 
dait dcjà  surletleuve.  .\u  neuvième  siècle,  un  seigneur  nommé 
Adelandes  la  reçut  en  fief  de  Charles  le  Chauve.  Elle  fut  prise 
et  ruinée  par  les  Normands  en  882,  réparée  depuis  par  Foul- 
ques, comte  d'Anjou,  passa  en  la  possession  des  cointes  de 
Berry,  et  fut  ensuite  pendant  plus  de  cinq  cents  ans  l'apanage 
d'une  des  plus  illustres  familles  de  France,  qui  en  avait  pris  le 
nom  d'Amboise,  et  sur  laquelle  elle  fut  confisquée  le  8  mai  1431, 
parce  que  Louis,  son  seigneur,  avait  pris  le  parti  des  Anglais. 
Elle  fui  dis  lors  réunie  au  domaine  de  la  couronne,  .\mboise 
est  célèbre  surtout  par  la  conjuration  qui  porte  son  nom; 
^n  y  fabrique  aujourd'hui  des  aciers  cémentés ,  des  râpes , 
des  aiguilles  à  coudre,  etc.,  très-estimées  dans  le  commerce. 

On  y  admire  les  restes  d'un  ancien  château  fort  dont 
l'origine  remonte  au  cinquième  siècle.  Saint  Baud,  évêque 
de  Tours,  en  540,  en  était  seigneur.  Charles  VIII,  qui  y 
naquit  en  1440,  et  y  mourut  d'apoplexie  le  7  avril  1498, 
le  fit  reconstruire  par  dos  artistes  italiens.  Il  fut  achevé  par 
Louis  XII  et  François  l*^"".  Entre  autres  curiosités,  il  est 
flanqué  au  nord  et  au  midi  de  deux  tours  dans  l'intérieur  des- 
quelles on  peut  monter  en  voiture  jusqu'au  sommet.  L'ordre 
de  Saint -Michel  y  fut  institué,  le  1"'  août  1469,  par 
Louis  XI.  De  nos  jours  ii;  château  d'Amboise  a  été  tiré  de 
l'oubli  dans  lequel  il  était  resté  depuis  des  siècles,  par  le 
choix  qu'en  fit  le  gouvernement  pour  servir  de  résidence 
à  l'émir  A  b  d  -  e  1  •  K  a  d  e  r. 

AiMBOISE  (Conjuration  d').  Cet  événement  fut  le  pré- 
lude et  la  cause  de  guerres  civiles  qui  ont  ensanglanté  la 
France  pendant  plus  de  cinquante  ans.  L'ambition  effrénée 


—  AMBOISE 

des  Guises  ne  tendait  à  rien  moins  qu'au  trône  :  il  ne  leur 
manquait  que  le  titre  de  roi.  Le  cardinal  de  Lorraine  aspi- 
rait à  la  tiare.  La  conjuration  d'Amboise  eut  pour  but  d'ar- 
racher le  jeune  roi ,  François  II,  et  la  reîne-rnère ,  Cathe- 
rine de  Médicis ,  à  la  domination  des  Guises  ;  de  s'assurer 
des  deux  frères  ,  et  de  ramener  le  roi  et  sa  famille  à  Paris. 

Barri  de  La  Renaudie,  dit  Laforét ,  noble  périgourdin 
fut  le  chef  ostensible  de  cette  conjuration.  Homme  d'au- 
dace et  de  courage ,  il  avait  toutes  les  qualités  qui  caracté- 
risent un  chef  de  parti.  La  conjuration  fit  de  rapides  pro- 
grès, et  compta  de  nombreux  partisans  dans  la  capitale  et 
dans  toutes  les  provinces.  Le  prince  de  Condé,  chef  du 
parti  de  la  réforme,  n'avait  pas  osé  se  mettre  ostensible- 
ment à  la  tète  des  conjurés ,  dont  il  jiartageait  les  opinions 
et  les  vœirx.  Une  grande  partie  de  la  noblesse,  et  tous  les 
protestants ,  et  même  les  catholiques  à  qui  la  tyrannie  était 
également  insupportable,  se  rallièrent  aux  conjurés.  Tout 
semblait  leur  promettre  un  succès  assuré.  Une  première 
réunion  eut  lieu  à  Nantes  en  15G0.  La  Renaudie  y  exposa 
franchement  son  plan  ;  il  rappela  tous  les  crimes  des  Guises, 
la  nécessité  d'affranchir  le  roi  et  la  France  de  leur  tyran- 
nie. Il  insista  sur  le  danger  qui  menaçait  la  vie  du  roi,  que 
les  Guises  tenaient  en  chartre  privée.  «  Nous  ne  pouvons 
pas ,  dit-il  en  terminant ,  sans  manquer  à  ce  que  nous  de- 
vons au  prince,  à  la  France,  à  notre  fidélité,  à  notre  reli- 
gion ,  hésiter  à  exposer  nos  vies  et  nos  biens  pour  détour- 
ner les  maux  qui  menacent  le  monarque ,  et  éloigner  de  la 
cour  les  Guises  ,  qui  lui  fendent  des  embûches  et  à  toute 
la  famille  royale.  Or,  afin  que  vous  ne  croyiez  pas  que  vous 
agissez  en  cela  contre  votre  conscience ,  je  veux  bien  pro- 
tester le  premier,  et  prendre  Dieu  à  témoin ,  que  je  ne  pen- 
serai ,  ne  dirai ,  ni  ne  ferai  jamais  rien  contre  le  roi ,  contre 
la  reine  sa  mère ,  contre  les  princes  ses  frères ,  ni  contre 
ceux  de  leur  sang  ;  qu'au  contraire ,  je  défendrai  leur  majesté 
et  leur  dignité,  et  en  même  temps  l'autorité  des  lois  et  la 
liberté  delà  patrie ,  contre  la  tyrannie  de  quelques  étrangers.  « 

Tous  les  conjurés  présents  adhérèrent  par  serment  à  cette 
profession  de  foi  politique.  Il  fut  convenu  qu'un  grand 
nombre  de  citoyens ,  sans  armes  et  non  suspects ,  se  ren- 
draient à  la  cour,  présenteraient  au  roi  une  requête  pour 
réclamer  la  liberté  de  conscience;  qu'en  même  temps  un 
corps  de  cavaliers  choisis  se  rendrait  à  Blois,  où  était  le  roi  ; 
que  leur  entrée  dans  la  ville  serait  protégée  par  d'autres 
conjurés,  et  qu'on  présenterait  au  roi  une  seconde  requête 
contre  les  Guises ,  et  que  si  ces  princes  refusaient  de  s'é- 
loigner de  la  cour  et  de  rendre  compte  de  leur  administra- 
tion ,  on  aurait  recours  à  la  voie  des  armes  ;  que  le  prince 
de  Condé,  qui  jusque  là  avait  voulu  qu'on  tùt  son  nom, 
se  mettrait  à  la  tête  des  conjurés.  Le  15  mars  1560  fut 
fixé  pour  l'exécution.  —  Avant  de  se  séparer,  les  conjurés 
indiquèrent  les  provinces  dans  lesquelles  chacun  d'eux  de- 
vait agir. 

Le  complot  fut  révélé  aux  Guises  par  d'Avenelles ,  avocat 
à  Paris.  Ils  se  transportèrent  de  Blois  à  Amboise  avec  le 
roi.  D'Avenelles  continua  ses  relations  avec  les  conjurés,  et 
sur  ses  indications  plusieurs  furent  arrêtés.  On  soupçonnait 
les  trois  Châtillons,  Coligny ,  Dandelot  et  le  cardinal  Odet, 
leurfière,  d'être  de  la  conjuration.  Les  Guises  redoutaient 
leur  infiuence  ;  Us  déterminèrent  la  reine-mère  à  les  inviter 
à  se  rendre  à  Amboise  pour  les  consulter;  ils  s'y  rendi- 
rent. Coligny  appuya  la  proposition  d'une  amnistie,  de- 
mandée par  le  chancelier  Olivier,  et  la  garantie  de  la  li- 
berté de  conscience.  Cette  proposition  fut  convertie  en 
édit.  Mais  ce  n'était  qu'un  piège.  Les  Guises  ne  voulaient 
que  gagner  du  temps ,  et  ils  se  hâtèrent  de  lever  et  de  réu- 
nir une  grande  quantité  de  troupes.  Les  conjurés  ne  s'abu- 
sèrent point  sur  leur  situation  ,  et  firent  aussi  leurs  disposi- 
tions pour  se  rendre  maîtres  d'Amboise.  La  Renaudie  devait 
se  rendre  la  veille  de  l'exécution  à  Noisay,  village  voisin 
d'Aralioise.  Castelnau  et  Mazère  devaient  le  rejoindre;  d'au- 


AMBOISE 
(res  rendez-vous  avaient  été  as>ij:nés  aii\  autres  conjiins. 
Les  Guises,  instruits  Je  tout  par  d'Aveneilos,  ne  donnèrent 
pas  à  ces  divers  détachements  le  temps  de  se  réunir.  Us 
avaient  disposé  leurs  troupes  par  petites  colonnes;  ils  (lient 
attaquer  et  prendre  les  conjurés  isolément  :  Castelnau  fut 
arriMé  et  pris  à  Noisay  ,  les  autres  ailleurs.  La  Renaudie  fut 
rencontre  dans  la  forêt  de  Chùteau-Renard  par  l'ardaillan, 
et  tué  d'un  coup  de  pistolet  par  le  valet  de  ce  seigneur. 

Tous  les  conjurés  montrèrent  le  plus  grand  courage  dans 
les  attaques  et  sur  les  échafauds.  Vainement  les  chanceliers 
Olivier,  L'Hôpital  et  d'autres  magistrats  recommandables 
s'opposèrent  à  ces  nombreuses  exécutions.  Les  Guises  ré- 
pondaient qu'il  fallait  un  grand  exemple,  et  que  la  sûreté 
de  la  personne  du  roi  exigeait  la  plus  impitoyable  sévé- 
rité. Castelnau ,  entendant  prononcer  le  jugement  qui  le 
déclarait  criminel  de  lèse-majesté ,  s'écria  :  ><  Je  suis  inno- 
cent de  ce  crime  ;  je  n'ai  point  à  nie  reprocher  d'avoir  at- 
tenté à  la  personne  du  roi,  de  la  reine  sa  mère,  de  la 
jeune  reine  (Marie  S  l  uart),  des  fils  de  France,  ni  des 
princes  du  sang...  Si  c'est  un  crime  de  lèse-majesté  d'avoir 
pris  les  armes  contre  des  étrangers,  infracteurs  de  nos  lois 
et  usurpateurs  de  l'autorité  souveraine,  qu'on  les  déclare 
donc  rois.  C'est  à  ceux  qui  me  survivront  à  prendre  garde 
qu'ils  ne  ravissent  la  couronne  aux  princes  du  sang  royal. 
La  mort  va  me  délivrer  de  cette  crainte,  je  ne  dois  plus 
tourner  mes  pensées  que  vers  une  meilleure  vie.  »>  Après 
sa  mort ,  on  trouva  sur  lui  le  pian  d'une  conspiration  contre 
les  Guises,  et  une  protestation  des  conjurés,  portant  que 
la  personne  du  roi  leur  serait  toujours  sainte  et  respec- 
table. Tous  les  condamnés  firent  la  même  déclaration  sous 
la  hache  des  bourreaux.  Villemongey,  trempant  ses  mains 
dans  le  sang  de  ses  compagnons,  dont  les  cadavres,  en- 
core palpitants,  couvraient  l'échafaud,  et  les  élevant  vers 
le  ciel  :  n  Voilà,  dit-il,  voilà,  ô  Dieu  très-bon  et  tout- 
puissant,  le  sang  innocent  de  ceux  qui  sont  à  vous,  et  dont 
vous  ne  laisserez  pas  la  mort  impunie,  » 

AMBOISE  (Édit  d').  Voyez  Édit. 

AMBOISE  (Georges  d'),  cardinal-archevêque,  premier 
ministre  deLouisXII,  naquit  en  1460,  au  château  de  Cliau- 
mont-sur-Loire.  Destiné  à  l'Église  eomme  cadet  de  famille 
noble,  il  obtint  dès  l'âge  de  quatorze  ans  le  titre  d'évéquede 
Montauban,  grâce  au  crédit  dont  son  aîné  jouissait  auprès  de 
Louis  XI.  Introduit  à  la  cour,  cet  enfant-évèque  devint  au- 
mônier du  roi  ;  et  si  la  cour  de  Louis  XI  n'était  pas  précisé- 
ment une  école  où  le  jeune  prélat  put  se  former  à  la  vertu, 
du  moins  y  apprit-il  à  se  bien  conduire  et  à  ne  parler  qu'à 
propos.  Il  se  lia  de  bonne  heure  avec  le  duc  d'Orléans  , 
gendre  du  roi.  A  la  mort  de  Louis  XI,  le  duc  d'Orléans  et 
Anne  de  Beaujeu  se  disputèrent  la  régence.  Le  duc  eut  le 
dessous,  et  fut  obligé  de  se  réfugier  auprès  du  duc  François  II 
de  Bretagne.  Un  complot,  dont  Araboise  était  l'âme  et  qui  avait 
pour  but  de  déterminer  le  jeune  roi  Charles  VIII  à  s'échapper 
du  honteux  esclavage  où,  lui  disait-on,  le  détenait  la  dame  de 
Beaujeu,  ayant  été  découvert,  Amboise  fut  arrêté  et  resta  plus 
de  deux  ans  emprisonné.  Il  revint  en  grâce ,  lorsque  le  duc 
d'Orléans  eut  réussi  à  faire  conclure  le  mariage  du  roi  avec 
l'héritière  de  Bretagne,  et  fut  nommé  d'abord  archevêque 
de  Xarbonne ,  puis  archevêque  de  Rouen  peu  de  temps  après 
que  le  duc  dOrléans  eut  obtenu  le  gouvernement  de  Nor- 
mandie. H  n'est  qualifié  que  prêtre  dans  son  acte  d'élec- 
tion ;  ce  qui  fait  voir  évidemment  qu'il  n'avait  été  sacré  ni 
évoque  de  Montauban  ni  archevêque  de  iS'arbonne.  Le 
duc  d'Orléans  le  fit  nommer  en  même  temps  lieutenant 
général  de  la  Normandie ,  et  se  reposa  sur  lui  de  tous  les 
soins  de  son  gouvernement.  Lors  de  l'expédition  de 
Charles  VIII  en  Italie,  on  reprocha  à  d'Amboise  d'avoir  aban- 
donné son  diocèse  pour  suivre  le  duc  d'Orléans  par  delà  les 
monts.  Charles  VIII  étant  mort,  en  1498,  sans  laisser  de 
descendance,  la  couronne  de  France  passa  au  duc  d'Orléans, 
qui  prit  le  nom  de  Louis  XII,  et  qui  n'eut  rien  de  plus  pressé 

DICT.    DE   LA   C0.NVKr.SATI0>.    —   T.   1. 


441 

,  que  de  nommer  d'Amboise  son  premier  ministre.  Celui-ci 
apporta  dans  l'administration  générale  du  royaume  les  bonnes 
intentions  et  les  vues  éclairées  dont  il  avait  fait  preuve  dans 
le  gouvernement  d'une  province.  Il  diminua  les  dépcn.ses  et 
les  iujpôts,  et  s'attacha  à  opérer  d'utiles  réformes  judiciaires. 
Un  des  premiers  actes  politiques  de  l'archevêque  fut  de 
faire  casser  en  cour  de  Rome  le  mariage  de  Louis  XII  avec 
Jeanne  de  France,  troisième  fille  de  Louis  XI,  Alexandre  VI 
se  prêta  à  tout  ce  qu'on  lui  demanda;  et  Louis  XII  put 
épouser  la  veuve  de  Charles  VIII ,  Anne  de  Bretagne.  A 
cette  occasion  d'Amboise  reçut  le  chapeau  de  cardinal. 

Quand  le  bon  ordre  fut  rétabli  et  assuré  dans  toutes  les 
partiesdu  royaume,  Louis  XII  reprit  l'exécution  de  ses  pro- 
jets en  Italie,  où  il  se  fit  encore  accompagner  par  son  ministre, 
à  qui  il  avait  fait  donner  par  le  pape  le  titre  de  légat.  Le 
Milanais  une  fois  conquis,  d'Amboise  fut  chargé  de  l'orga- 
niser. Par  son  conseil,  le  roi  fonda  à  Milan  une  chaire  de 
théologie,  unechaire  de  droit  et  une  chaire  de  médecine,  aux- 
quelles furent  appelés  les  professeurs  alors  les  plus  en  re- 
nom ;  et  plus  tard  il  confia,  aussi  d'après  son  avis  ,  le  gou- 
vernement du  Milanais  à  Trivulce.  D'Amboise  n'eut  pas  plus 
tôt  repas.sé  les  monts,  qu'une  insurrection  éclata  à  Milan  ; 
il  lui  fallut  revenir  sur  ses  pas  et  châtier  les  rebelles.  Le  pays 
pacifié,  il  revint  en  France,  où  il  fut  pour  les  courtisans  tour 
à  tour  un  objet  d'adulation ,  de  haine  et  de  jalousie  ;  mais 
fort  de  l'affection  du  roi,  l'habile  ministre  triompha  de  toutes 
les  cabales  qu'on  avait  montées  contre  lui,  et  dans  lesquelles 
le  maréchal  de  Gié  et  la  reine  avaient  trempé. 

On  a  reproché  au  cardinal  d'Amboise  le  traité  de  Blois 
(1503),  par  lequel  le  roi  donnait  la  seule  fille  qu'il  eût 
d'Anne  de  Bretagne  au  prince  qui  depuis,  sous  le  nom  de 
Charles-Quint,  fut  si  terrible  à  la  France  et  à  l'Europe.  Mais 
ce  traité  était  en  grande  partie  l'œuvre  d'Anne  de  Bretagne 
elle-même,  à  laquelle  le  roi  ne  savait  rien  refuser.  D'ailleurs, 
le  cardinal  parvint  à  le  rompre,  après  avoir  assuré  la  succes- 
sion intacte  sur  la  tête  de  François,  duc  de  Valois,  fils  du  comte 
d'Angouléme,  et  avoir  employé  les  députations  des  villes 
à  vaincre  l'obstination  de  la  reine.  La  plus  grande  faute  qu'on 
puisse  lui  reprocher,  c'est  non  pas  d'avoir  eu  l'ambition  de 
devenir  pape,  ambition  fort  légitime,  mais  de  l'avoir  laissé 
paraître.  A  la  mort  d'Alexandre  VI,  il  aurait  certainement  vu 
ses  souhaits  s'accomplir,  s'il  avait  été  plus  hardi  et  moins 
crédule.  Il  avait  des  trésors;  l'armée  qui  était  en  marche 
surNaples,  se  trouvait  aux  portes  de  Rome.  Mais  les  cardi- 
naux italiens  lui  persuadèrent  d'éloigner  cette  armée,  afin 
que  son  élection  (il  croyait  en^être  sûr)  parût  plus  libre  et 
en  fût  plus  valide.  D'Amboise  retira  ces  troupes ,  et  alors 
le  cardinal  de  La  Rovère  fit  élire  Pie  III,  qui  mourut  au  bout 
de  vingt-sept  jours.  Après  quoi  le  cardinal  fut  élu  lui-même , 
sous  le  nom  de  Jules  II.  Pendant  ce  temps-là,  les  pluies 
vinrent  empêcher  les  Français  de  passer  le  Garillan  et  fa- 
voriser Gonzalve  de  Cordoue,  qui  reprit  Xaples.  Ainsi  le 
cardinal  d'Amboise  perdit  à  la  fois  la  tiare  pour  lui-même  et 
Naples  pour  son  roi. 

Au  commencement  de  1504,  la  famine  et  les  épidémies 
ravagèrent  la  France.  Les  mesures  judicieuses  prises  par 
d'Amboise  pour  faire  venir  des  grains  de  l'étranger,  pour 
prévenir  les  accaparements  de  la  spéculation  et  ceux  de  la 
peur,  empêchèrent  de  trop  ressentir  les  suites  de  la  famine. 
Ce  fut  en  revenant  de  l'Italie,  où  les  Génois  rebelles  ve- 
naient d'être  châtiés,  que  le  cardinal  tomba  malade  et  mou- 
lut, à  Lyon,  à  l'âge  de  cinquante  ans,  d'une  goutte  remontée. 
Louis  XII  lui  fit  faire  des  obsèques  magnifiques.  On  déposa 
son  cœur  et  ses  intestins  au  couvent  des  Célestins  de  Lyon , 
tandis  que  son  corps  était  transporté  en  grande  pompe  et 
enseveli  dan?  la  cathédrale  de  Rouen,  où  son  neveu,  qui 
fut,  lui  aussi,  archevêque  de  Rouen,  lui  fit  élever,  en  1522, 
un  tombeau  en  marbre.  On  raconte  que  le  cardinal,  à  son 
lit  de  mort,  répétait  souvent  au  frère  infirmier  :  «  Frère 
Jean,  que  n'ai-je  toujours  été  frère  Jean  1  » 


4  43  AMBOISE  —  AMBRE 

Sans  avoir  été  précisément  un  homme  de  gi'nie,  d'Ainboise 


fut  un  sage  administrateur  et  un  liabiie  politique.  Comme  il 
laissait  un  héritage  évalué  à  plus  de  onze  millions,  somme 
vraiment  énorme  pour  l'époque,  ses  ennemis  l'accusèrent 
d'avarice  el  de  cupidité  et  de  n'avoir  pas  toujours  employé 
des  moyens  bien  licites  pour  s'enrichir.  Quoi  qu'il  en  ait 
pu  élre  de  ces  accusations,  il  mérita  de  partager  avec 
Louis  XII  le  beau  surnom  de  père  du  peuple.  Consultez 
Lcgendrc,  lie  du  Cardinal  d'Amboise  {Rouan,  172i)- 

AMBOJSE,  nom  d'une  famille  française  originaire  de  la 
ville  d'Aniboise,  de  laquelle  elle  tira  son  nom,  et  issue  de 
Jean  d'AsiBoisE ,  chirurgien  en  grande  réputation  au  sei- 
zième siècle,  attaché  en  cette  qualité  à  la  personne  du  roi 
Charles  IX,  et  qui  mourut  laissant  trois  lils,  Adrien,  Fran- 
çois et  Jacques.  L'aîné,  Adrien,  mort  évôtpie  de  Trégiiier, 
en  1616,  est  auteur  d'une  tragédie  intitulée  Uoloferne 
(Paris,  1680).  Le  second,  François,  né  à  Paris,  eu  1350, 
mort  en  1620 ,  enseigna  d'abord  les  belles-lettres  au  collège 
deXavarre,  puis  sefit  recevoir  avocat,  et  suivit  le  duc  d'An- 
jou ,  depuis  Henri  lll,  en  l'ologne.  A  son  retour  en  France, 
il  fût  nommé  d'abord  maître  des  requôles,  puis  conseiller 
d'État.  Ou  a  de  lui  :  Dialogue  et  Devis  des  damoiselles 
pour  les  rendre  vertueuses  et  bienheureuses  en  la  vraye 
et  parfaite  amitié  {Vnrk,  1581);  Les  Néopolitains  ,  co- 
médie françoise  fort  facétieuse,  sur  le  sujet  d'une  his- 
toire d'îin  Espagnol  et  d'un  François  (  1 5S4  )  ;  et  uns  édi- 
tion des  œuvres  d'Ahailard.  Il  traduisit  aussi  de  l'italien 
d'Orlensio  Lando  Regrets  facétieux  et  plaisantes  haran- 
gues funèbres  sur  la  mort  de  divers  animaux  (1576  ), 
et  de  Piccolomini  Notable  Discours,  en  forme  de  dia- 
logue, touchant  la  vrayeet  parfaite  amitié  (Lyon,  1577). 
Le  troisième  des  fils  de  Jean  d'Amboise,  Jacques,  fut  chirur- 
gien, comme  son  père,  se  fit  recevoir  licencié  en  médecine, 
et  devint  en  1594  recteur  de  la  Faculté  de  Paris,  en  même 
temps  qu'il  était  proclamé  docteur  en  médecine.  On  a  de 
lui  Veux  Seclio  arthridi  purgatione  commodior  (Paris, 
1594  ).  Il  mourut  à  Paris,  en  août  1606,  et  succomba,  à  ce 
qu'il  paraît ,  aux  suites  d'une  épidémie. 

Un  littérateur  du  môme  nom,  Michel  d'AMBOisE,  dit  le 
Seigneur  de  Chevillon,  et  surnommé  l'Esclave  fortuné, 
parce  que  c'est  la  dénomination  sous  laquelle  il  se  désigne 
comme  auteur  du  plus  grand  nombre  de  ses  ouvrages,  né 
à  Naples,  vers  le  commencement  du  seizième  siècle  ,  et  mort 
en  1547,  était  le  fils  naturel  de  Charles  Cbaumont  d'Am- 
boise, amiral  de  France  et  lieutenant  général  de  Charles  VIII 
en  Italie.  On  a  de  lui  beaucoup  de  productions  légères, 
tant  en  prose  qu'en  vers,  mais  qui  pour  les  amateurs  n'ont 
plus  depuis  longtemps  d'aufre  mérite  que  leur  extrême 
rareté.  Xous  ne  citerons  que  les  Complaintes  de  l'Esclave 
Fortuné,  avec  vingt  éjntres  et  trente  rondeaux  d'amour 
(Paris;  goiliique,  sans  date)  :  La  Panthaire  de  l'Esclave 
Fortuné,  etc.  (Paris,  1530)  ;  Les  Épitres  vénériennes  de 
l'Esclave  iodané, privé  de  la  cour  d'amour  (Paris,  1532). 
Il  est  en  outre  l'atileurdu/î/rtsoH  de  la  dent,  qui  se  trouve 
dans  le  recueil  intitulé  Blasons  anatomiqaes  des  parties 
du  corps  féminin  (Lyon,  1536). 

AMIiÔX  (du  grec  à[j.6aîv£tv,  monter),  vieux  mot  qui  dé- 
signe tout  ce  qui  s'élève  circulairemeut  au-dessus  d'une  sur- 
face plane.  Les  anatomistes  appelaient  jadis  ainsi  leshourre- 
lets  fibro-cartilagineux  qui  entourent  les  cavités  articulaires 
des  os.  Eu  termes  de  marine,  c'est  un  bordage  de  chêne 
qu'on  applique  à  la  couverture  d'un  vaisseau  entre  les  fils. 

On  appelle  aussi  ambon,  ou  j«&e, une  espècede  tribune 
placée  dans  les  anciennes  églises  entre  le  chœur  et  la  nef; 
on  y  montait  des  deux  côtés  par  un  escalier.  Les  prêtres  y 
chantaient  autrefois  \(ti  matines  aux  fîtes  solennelles,  et 
ils  y  lisaient  au  peuple  l'épître  et  l'évangile;  quelquefois 
même,  dans  les  premiers  temps  du  christianisme,  on  y 
prêchait.  Au  moyen  âge  on  y  réserva  des  places  pour  les 
seigneurs  et  leur  famille,  et  insensiblement  l'ambon  devint 


dans  quelques  églises  une  sorte  de  nef  interniédiaire ,  poui 
les  gentilshommes,  entre  les  prêtres  et  les  \ilains. 

A  Constantinople,  l'ambon  de  Sainte-Sopiiie  a  servi  de 
(rône  à  plusieurs  empereurs ,  qui  s'y  sont  placés  lors  de  leur 
couronnement  pour  être  de  là  mieux  aperçus  de  la  foule. 
Cet  ambon  ,  décrit  par  Paul  le  Silentiaire,  était  revêtu  de 
matières  précieuses,  et  sa  magnificence  était  remarquable. 
En  France,  on  cite  comme  un  chef-d'œuvre  d'élégance  et 
de  liardiesse  celui  que  possède  l'église  Saint-Étienne-du- 
Mont,  à  Paris,  et  dont  l'achèvement  remonte  à  l'an  1600. 
On  est  frappé  de  la  délicatesse  des  sculptures  de  cet  ambon, 
el  surtout  de  la  hardiesse  de  ses  deux  escaliers  en  spirale. 

AMlîOiV  {Géographie).  roye:;AMBoixE. 

AMBRAS  ou  AMRAS,  ancien  ch;\teau  seigneurial,  situé 
dans  le  Tyrol ,  sur  les  bords  de  l'Inn ,  aux  environs  d'Ins- 
pruck,  autrefois  résidence  des  puissants  comtes  d'Andechs 
et  utilisé  aujourd'hui  comme  caserne,  devint  en  1563  la 
propriété  de  l'archiduc  Ferdinand  II,  qui  y  résidait  le  plus 
souvent,  avec  sa  première  épouse,  la  belle  Piiilippine 
Wciser.  Il  y  réunit  de  précieuses  collections  de  livres, 
d'armures,  d'objets  d'art,  de  tableaux,  d'antiquités,  etc., 
qui,  à  l'extinction  de  la  ligne  tyrolienne  des  ducs  d'Autriche, 
furent  pour  la  plus  grande  partie  transportées  à  Vienne, 
comme  propriétés  particulières  de  la  couronne.  L'impéra- 
trice Marie-Thérèse  fit  don  de  la  bibliothèqiie  presque  tout 
entière  à  l'université  d'Inspruck.  5,580  éditions  rares  et  538 
manuscrits  enrichirent  la  bibliothèque  de  la  cour,  en  même 
temps  que  les  monnaies  et  les  médailles  les  plus  précieuses 
venaient  augmenter  la  collection,  déjà  si  riche,  du  cabinet 
des  médailles  de  Vienne.  Lorsqu'en  1805  le  Tyrol  passa 
sous  la  domination  de  la  Bavière,  la  galerie  d'objets  d'art 
du  château  d'Ambras  fut  placée  à  l'étage  inférieur  du  palais 
du  Belvédère,  à  Vienne.  Outre  69  manuscrits  du  plus  grand 
prix,  elle  renferme  une  foule  d'armures  de  toute  beauté, 
les  sculptures  sur  boisd'A.  Colin  d'Anvers,  etc.,  et  un  grand 
nombre  de  vieux  tableaux  allemands,  notamment  1,200  por- 
traits, dont  48  à  l'Iuiile  par  Lucas  Cranach  fils  et  repré- 
sentant des  princes  de  la  maison  de  Saxe.  Les  plus  impor- 
tantes de  ces  toiles  ont  été  popularisées  par  des  fac-similé 
au  trait.  Le  conservateur  de  toute  la  collection,  Primisser, 
en  a  aussi  publié  la  description  détaillée  (Vienne,  1819).  O'-i 
voit  encore  aujourd'hui  au  château  d'Ambras  quelques  objets 
d'art,  des  armures,  des  portraits,  et  surtout  des  souvenirs 
de  Pliilippine  Welser. 

AMBRE  (en  \sA.\n  amharum ,  du  mot  arabe  ambar). 
On  a  donné  en  français  ce  nom  à  plusieurs  substances 
très-différentes ,  en  ajoutant  pour  chacune  d'elles  une  épi- 
tlièfe  servant  à  les  distinguer.  Ainsi,  on  a  appelé  ambre  blanc 
tantôt  une  espèce  de  succin  de  couleur  blanche  transparente, 
tantôt  la  cétine  ou  blanc  de  baleine;  ambre  jaune,  le 
succin;  ambre  liquide,  le  styrax  liquide  ;  am&re  noir, 
quelquefois  le  jayet,  d'autres  fois  le  lad  anum;  enfin  , 
ambre  gris,  la  substance  qui  va  seule  faire  l'objet  de  cet 
article. 

L'ambre  gris  est  une  matière  solide,  opaque,  en  masses 
irrégulières,  de  forme  globuleuse,  d'une  consistance  ana- 
logue à  celle  de  la  cire ,  à  cassure  grenue  ou  offrant  des 
couches  concentriques;  d'une  couleur  gris  noirâtre,  veinée 
de  taches  blancjaunàtre;  d'une  saveur  fade  et  grasse;  d'une 
odt'ur  forte  et  suave  lorsqu'on  le  chauffe  ou  qu'on  le  frotte  ; 
d'un  poids  spécifique  plus  léger  que  celui  de  l'eau  ;  suscep- 
tible de  se  ramollir,  de  se  fondre ,  de  se  volatiliser  par  l'ac- 
tion delà  chaleur,  et  de  s'enfiammerpar  le  contact  d'un  corps 
en  ignition;  insoluble  dans  l'eau;  soluble  en  partie  dans 
l'alcool ,  l'éther  et  les  huiles;  formant  une  espèce  de  savon 
avec  les  alcalis  caustiques.  Des  opinions  très-nombreuses 
ont  été  émises  sur  l'origine  de  cette  substance.  Aujourd'hui 
on  s'accorde  généralement  à  considérer  l'ambre  gris  comme 
unbézoar<l  ou  concrétion  morbide  formée  dans  les  intestins, 
et  particulièrement  le  cœcum,  de  certains  cétacés,  notam- 


AMBRE  —  AMBROISE 


445 


ment  le  cachalot  viacrocéphale,  le  nuMnc  qui  fournit  le 
blanc  (le  baleine.  En  effet ,  les  pOclieurs  b;»kiniers  en  ont 
assez  souvent  trouvé  dans  le  ventre  des  cachalots  qui  sont 
maigres,  engourdis  et  languissants.  Cette  matière,  soit  lors- 
qu'elle est  contenue  dans  les  intestins  de  ces  animaux,  soit 
au  moment  où  elle  est  rejetée  au  dehors ,  est  très-mollasse  ; 
et  se  rapporte  tout  à  fait ,  pour  la  couleur  et  l'odeur,  aux 
excréments  naturels  des  baleines;  mais  exposée  à  l'air, 
elle  ne  tarde  pas  à  perdre  ces  qualités  désagréables  et  à  re- 
vêtir les  propriétés  que  nous  avons  indiquées  plus  haut. 

L'ambre  gris  se  trouve  ordinairement  dans  la  mer  ou  sur 
les  rivages  qu'elle  baigne ,  spécialement  aux  environs  de  Ma- 
dagascar, de  Sumatra,  des  Moluques,  et  sur  les  côtes  du 
Japon,  delà  Chine,  de  Coromandel, d'Afrique  et  du  Brésil; 
on  en  a  même  rencontré  dans  le  golfe  de  Gascogne.  Le 
poids  des  boules  d'ambre  varie  depuis  quelques  onces  jus- 
qu'à deux  cents  livres  et  plus;  mais  les  masses  les  plus 
grosses  ne  peuvent  guère  avoir  été  produites  par  un  seul 
cachalot;  il  est  plus  probable  que,  liquides  d'abord,  elle.s 
se  sont  ensuite  réunies  et  agglutinées. 

L'ambre  gris  offre  presque  toujours  des  fragments  de  sè- 
che, des  portions  de  coquille  et  d'autres  corps  étrangers  qui 
en  altèrent  la  pureté.  En  outre  ,  il  est  sujet  à  de  fréquentes 
sophistications,  comme  toutes  les  substances  d'un  prix 
élevé.  Ses  propriétés  médicamenteuses  sont  celles  de  toutes 
les  substances  aromatiques  en  général ,  c'est-à-dire  qu'il  est 
excitant  et  antispasmodique;  cependant,  de  nos  jours  il 
est  bien  peu  usité  en  médecine.  On  s'en  sert  beaucoup ,  au 
contraire,  dans  la  préparation  des  parfums;  son  odeur  suave 
se  développant  par  son  mélange  avec  les  autres  matières 
odorantes ,  on  le  fait  entrer  dans  un  grand  nombre  de  cos- 
métiques. On  lui  a  aussi  attribué  une  action  aphrodisiaque 
marquée ,  et  à  ce  titre  on  l'a  fait  entrer  dans  uoe  foule  de 
préparations  pharmaceutiques,  telles  que  la  poudre  d'ambre 
de  Mesné ,  la  poudre  joviale  de  Nicolas  de  Salerne,  l'essence 
royale,  l'essence  d'Italie,  etc.  P.-L.  Cottereau. 

AMBRÉIXE ,  substance  blanche,  nacrée.,  inodore ,  fu- 
sible à  30°,  qu'on  retire  par  le  refroidissement  de  la  liqueur 
obtenue  en  traitant  l'ambre  gris  par  l'alcool  bouillant. 
Composée  de  83,37  de  carbone,  13,62  d'hydrogène,  et  3,31 
d'oxygène,  elle  se  dissout  dans  l'éther  et  les  huiles.  En  trai- 
tant l'ambréine  par  l'acide  nitrique,  on  obtient  l'acide  a»i- 
bréique,  qui  est  sans  saveur,  d'une  faible  odeur,  et  qui  se 
présente  sous  forme  de  tablettes  jaunâtres,  fusibles  à  100°. 

AMBRETTE,  graine  de  la  ketmie  odorante,  dont 
l'odeur  participe  de  celle  du  musc  et  de  celle  de  la  vanille. 
C'est  surtout  de  la  Martinique  que  nous  arrive  ce  produit, 
vulgairement  appelé  graine  de  musc.  Quand  on  poudrait 
les  cheveux ,  l'usage  en  était  commun  pour  parfumer  la 
poudre  ;  aujourd'hui ,  l'ambrette  ne  sert  plus  guère  que 
pour  quelques  compositions  de  parfumerie. 

AMBROISE  (Saint),  l'un  des  plus  célèbres  père.s  de  l'É- 
glise, naquit  vers  l'an  340,  et  probablement  à  Trêves,  où  son 
père ,  en  qualité  de  préfet  des  Gaules ,  faisait  sa  résidence 
iiabituelle.  Sa  mère  était  une  chrétienne  pleine  de  ferveur, 
et  sa  sœur  prit  le  voile  des  mains  du  pape  Libère.  Ambroise, 
qui  avait  suivi  la  carrière  du  barreau  à  Milan ,  s'y  distingua 
tellement  que  Petronius  Probus,  alors  préfet  d'Italie  et 
d'Iilyrie,  après  l'avoir  fait  revêtir  du  titre  de  consul  par 
l'empereur  Valentinien ,  lui  fit  confier  le  gouvernement  de 
la  Ligurie  et  de  la  province  Emilia ,  c'est-à-dire  de  la  haute 
Italie  etde  Milan.  Il  reçut  en  partant  cette  instruction  :  «  Allez 
et  agissez,  non  pas  en  juge,  mais  en  évêque  :  modérez  la  ri- 
gueur des  lois  romaines.  Point  de  tortures ,  surtout  point 
de  condamnations  à  mort!  Soyez  indulgent  et  secourable  au 
peuple  !  »  Il  suffit  de  comparer  ces  nouveaux  principes  de 
gouvernement  avec  l'idéal  du  proconsul  romain  que  Tacite 
trace  dans  son  Éloge  d'Agricola,  pour  comprendre  la  brusque 
transition  qui  fit  passer  Ambroise  des  fonctions  de  préfet  à 
celles  d'évéque.  La  douceur  et  l'humanité  déployées  par 


Ambroise  dans  l'exercice  de  ces  fonctions  lui  concilièrent  au 
plus  haut  degré  l'estime  et  l'attachement  delà  population  de 
Milan.  Cette  villeétait  à  ce  moment  en  proie  aux  troubles  causés 
par  la  querelle  de  l'arianisme.  A  la  mort  de  l'évoque  Auxence 
(  374  ),  qui  lui-même  partageait  l'hérésie  d'Arius,  les  deux 
partis  se  disputèrent  vivement  l'élection.  On  allait  en  venir 
aux  mains  dans  l'église  môme  où  elle  devait  avoir  lieu.  Am- 
broise s'y  rendit,  et  parla  en  cette  circonstance  à  la  foide 
comme  il  convenait  à  son  premier  magistrat,  désireux  de 
rétablir  la  tranquillité  publique.  Aussitôt  une  voix  inconnue, 
celle  d'un  enfant,  dit-on,  propose  pour  terminer  le  diffé- 
rend de  nommer  Ambroise  évêque  ;  et  tous ,  catholiques  et 
ariens,  de  se  ranger  aussitôt  à  cet  avis  et  d'acclamer  évêque 
leur  préfet,  qui,  encore  simple  catéchumène,  offrait  aux 
deux  partis  toutes  garanties  d'équitabie  impartialité.  Am- 
broise repoussa  longtemps  l'honneur  qu'on  voulait  lui  con- 
férer et  dont  il  ne  se  reconnaissait  pas  digne.  Pour  se  faire 
regarder  comme  indigne  des  fonctions  dont  on  le  mena- 
çait, il  eut  même  recours  à  divers  artifices  assez  singuliers, 
comme  par  exemple  de  faire  condamner  quelqueamallieureux 
à  la  torture  et  de  faire  venir  chez  lui  des  femmes  de  mau- 
vaise vie.  Le  peuple  ne  fut  point  dupe  de  ces  stratagèmes, 
et  s'écria  :  \ous  prenons  ton  péché  sur  nous!  Ambroise 
alla  jusqu'à  quitter  la  ville  ;  mais  l'ordre  formel  de  l'empe- 
reur l'y  rappela  bientôt.  Il  se  fit  alors  baptiser,  et  huit  jours 
après  il  recevait  la  consécration  épiscopale.  L'Église  célèbre 
encore  chaque  année  le  7  décembre  le  souvenir  de  cet  évé- 
nement. 

Dès  lors  l'arianisme,  qui  avait  envahi  presque  tout  le  nord 
de  l'Italie,  compta  un  redoutable  adversaire  de  plus;  car 
l'imagination  tendre  et  vive  d'Ambroise  devait  naturelle- 
ment pencher  vers  les  dogmes  mystérieux  proclamés  par 
le  concile  de  Kicée.  Il  fit  don  de  tout  ce  qu'il  possédait  aux 
pauvres  et  à  son  église.  Une  partie  de  ses  nuits  était  em- 
ployée à  l'étude  de  l'Écriture  et  des  Pères;  et  toutes  ses 
journées  étaient  consacrées  à  l'accomplissement  de  ses  de- 
voirs épiscopaux  ,  à  consoler  les  affligés ,  à  visiter  les  ma- 
lades, à  secourir  les  malheureux.  Saint  Augustin,  qui  se 
fit  baptiser  par  lui,  nous  le  montre  trouvant  à  peine  au  milieu 
de  cette  vie  si  laborieuse ,  si  obsédée ,  le  peu  d'instants 
nécessaires  pour  prendre  ses  repas,  lire  à  la  hâte  quelques 
pages  et  méditer  sur  sa  lecture.  On  venait  du  fond  de  la 
Mauritaine  et  de  la  Thrace  chercher  auprès  de  lui  un  refuge 
contre  les  malheurs  du  temps  ;  et  il  n'était  pas  de  sacrifices 
qu'il  ne  s'imposât  pour  secourir  les  fugitifs.  Les  partisans  de 
l'ancien  culte  profitèrent,  en  l'an  383,  d'unedisette  qui  affligea 
l'Italie  pour  demander  la  restitution  de  ses  biens  et  de  ses 
honneurs  au  sacerdoce  païen  et  le  rétablissement  de  l'autel 
de  la  Victoire  au  sommet  même  du  Capitole.  Ce  vœu,  que  le 
préfet  de  Rome  appuyait  de  son  éloquence ,  embarrassait  la 
faible  cour  impériale.  L'évêque  de  Rome ,  Damase ,  n'y  ré- 
sistait qu'en  silence.  De  là  entre  les  deux  prélats  une  lutte 
éloquente  et  passionnée,  qui  se  termina  à  la  gloire  d'Am- 
broise, et  que  les  vers  de  Prudence  ont  immortalisée. 

Une  première  fois,  lorsque  le  jeune  Gratien  élait  mort  as- 
sassiné, à  Lyon ,  Ambroise  avait  réussi  par  une  démarche 
personnelle,  tentée  auprès  de  Maxime,  à  l'empêcher  de  pé- 
nétrer en  Italie.  Mais  trois  ans  après,  à  la  suite  des  troubles 
de  toutes  espèces  provoqués  par  les  sympathies  avouées  de  la 
cour  impériale  pour  l'arianisme  et  ses  partisans,  Maxime 
jugea  le  moment  favorable  pour  ajouter  l'Italie  à  ses  autres 
possessions.  Il  feignit  de  prendre  la  défense  d'Ambroise  et 
de  la  foi  catholique.  La  cour  alors  eut  encore  une  fois  re- 
cours à  l'intervention  du  pieux  évêque  de  Milan.  Mais 
Maxime  refusa  cette  fois  de  se  laisser  fléchir.  Il  ne  voulut 
même  point  accorder  d'audience  à  Ambroise.  Il  franchit  les 
Alpes;  et  Ambroise  ayant  à  son  tour  refusé  d'entrer  en  rap- 
port avec  les  évoques  qu'il  menait  à  sa  suite,  parce  qu'ils  s'é- 
taient tout  récemment  associés  à  la  sanglante  exécution  de 
quelques  hérétiques ,  le  tyran  en  prit  prétexte  pour  envahir 

i6. 


444 


AMBROISE  —  AMBROISIE 


l'Italie  et  se  déclarer  aussi  bien  contre  Ambroise  que  contre 
Valentinien  et  sa  mère,  qui  fuient  réduits  à  s'enfuir  en  Orient. 
Cependant,  Tiiéodose  arriva  en  Italie,  renversa  l'usurpa- 
teur et  replaça  la  Péninsule  sous  l'autorité  de  la  famille  de 
Valentinien.  A  Milan  il  fut  reçu  par  le  peuple  et  par  l'é- 
véque  comme  un  libérateur.  Mais  deux  ans  après  on  apprit 
dans  cette  ville  le  massacre  de  Tliessalonique  qu'avait  or- 
donné Tbéodose,  et  que  Rufin,  son  ministre,  avait  impitoya- 
blement exécuté.  Ce  fut  un  coup  terrible  pour  l'àme  douce  et 
compatissante  d'Ambroise,  qui  déjà  quelques  années  aupara- 
vant, à  propos  d'une  révolte  des  liabitants  de  la  même  ville, 
était  intervenu  en  leur  faveur  et  avait  obtenu  de  Théo- 
dose qu'il  leur  fit  grâce.  Dans  sa  douleur,  le  pieux  évéque 
n'bésita  [icint  à  écrire  à  l'empereur  une  lettre  où  il  lui  re- 
présentait, dans  les  termes  de  la  plus  toucliante  éloquence, 
iVnormilé  du  forfait  commis  par  son  ordre,  et  dont  la  res- 
nonsabili'.é  devant  Dieu  retombait  sur  lui-même,  et  lui 
(lisait  qu'im  pareil  pécbé  ne  se  pouvait  effacer  que  par 
des  larmes.  Il  terminait  en  ces  termes  :  «  Je  n'ai  contre  toi 
"  nulle  baine;  mais  tu  me  fais  éprouver  une  sorte  de  ter- 
«  reur.  Je  n'oserais  en  ta  présence  offrir  le  saint  sacrifice  : 
»  le  sang  d'un  seul  bonime  justement  versé  me  l'interdirait, 
«  le  sang  de  tant  de  victimes  innocentes  me  le  permet-il  ?  Je 
«  ne  le  crois  pas...  » 

Tbéodose,  en  dépit  de  cette  lettre  par  laquelle  îe  pieux 
évéque  avait  voulu  lui  épargner  la  bonté  d'un  affront  public, 
persista  à  se  rendre  à  l'église  avec  fout  son  cortège.  Mais  il 
fut  arrêté  sur  le  seuil  même  du  temple  par  Ambroise,  qui 
alors  lui  reprocha  publiquement  son  crime  et  lui  demanda 
s'il  oserait  de  ses  mains  encore  teintes  de  ce  sang  innocent 
toucher  au  corps  sacré  de  Jésus  et  recevoir  l'hostie  divine 
dans  cette  bouche  qui  avait  ordonné  tous  ces  massacres. 
Tbéodose  invoqua  eu  balbutiant  l'exemple  de  David  pour 
excuse.  «  Vous  l'avez  imité  dans  son  crime,  répliqua  l'é- 
vêquc;  imitez-le  dans  sa  pénitence.  »  Confondu  par  ce  noble 
courage,  l'empereur  se  retira,  et  peu  de  jours  après  parut 
un  édit  ordonnant  de  laisser  toujours  désormais  s'écouler 
un  intervalle  de  trente  jours  entre  une  condamnation  à  mort 
et  l'exécution  de  la  sentence:  ce  ne  fut  du  reste  qu'après 
lui  avoir  inlligé  une  pénitence  de  huit  mois,  que  l'évoque 
consentit  à  lui  administrer  la  communion.  Théodose,  dé- 
sormais réconcilié  complètement  avec  Ambroise,  ne  tarda 
pas  à  s'en  retourner  en  Orient.  Il  ne  revint  en  Italie  que 
pour  y  livrer  au  polythéisme  une  dernière  et  suprême  ba- 
taille, à  propos  de  l'insurrection  d'Arbogaste,  guerrier  d'une 
tribu  franqueau  service  de  l'empire,  devenu  comte  du  palais 
et  général  de  l'armée  des  Gaules,  qui  prodama  empereur  un 
rhéteur  de  ses  amis  appelé  Eugène,  en  annonçant  haute- 
ment l'intention  de  rétablir  l'autel  de  la  Victoire  sur  le  Ca- 
pitule et  de  restaurer  l'ancien  culte.  C'est  à  Aquilée  que 
l'armée  d'.Arbogaste  et  d'Eugène  fut  taillée  en  pièces  par 
Théodose,  qui  peu  de  temps  après  tomba  malade  à  Milan 
où  il  expira.  Son  oraison  funèbre  fut  prononcée  par  Am- 
broise ,  qui  d'ailleurs  survécut  peu  au  glorieux  défenseur  de 
la  vraie  foi.  Il  mourut  en  397,  après  vingt-trois  ans  d'épis, 
copat.  La  meilleure  édition  de  ses  ouvrages ,  où  il  a  beau- 
coup imité  les  écrivains  de  l'Église  grecque,  est  celle  qu'en 
ont  donnée  les  Bénédictins  (2  vol.,  Paris,  1690).  On  lui  at- 
tribue ordinairement  le  cantique  Ambro-sien,  si  généralement 
counu  sous  le  nom  de  Te  Deum;  mais  il  est  prouvé,  que  ce 
niagnifique  chant  fut  composé  un  siècle  plus  tard.  Le  rite 
dit  Ambrosien  n'a  reçu  ce  nom  qu'en  raison  des  quel- 
ques modifications  qu'y  introduisit  saint  Ambroise  ;  il  est 
demeuré  jusqu'aujourd'hui  en  usage  dans  l'église  de  Milan. 
Un  commentaire  sur  les  Épitres  de  saint  Paul ,  attribué 
autrefois  à  saint  Ambroise,  est  plus  vraisemblablement 
l'œuvre  d'un  diacre  romain  appelé  Hilaire. 

AMBROISE ,  archevêque  de  Moscou,  originaire  de  Né- 
jine,  gouvernement  de  Tchernigof ,  né  en  1708,  s'appelait 
André  Sertis.  Son  père  était  interprète  de  l'ataman  des 


Kozaks  de  la  Petite-Russie.  Son  oncle  Kamenski,  morne  du 
couvent  des  Souterrains,  à  Kief,  le  fit  entrer,  fort  jeune, 
au  séminairede  ce  monastère.  Puis  il  allaétudier  à  l'académie 
théologique  de  Lernherg  et  au  séminaire  de  Saint-Alexandre- 
^e\vsky  à  Saint-Pétersbourg,  dont  il  fut,  en  1735,  un  des 
professeurs  les  plus  distingués.  Devenu  moine,  en  1739, 
il  changea  de  nom,  suivant  l'usage,  et  se  fit  appeler  Am- 
broise. Préfet  des  études  de  l'académie  de  Saint-Alexandre, 
archimandrite  du  célèbre  couvent  de  la  Nouvelle-Jérusa- 
lem ,  à  Vosnésensk,  sacré,  en  1753,  évêque  d'abord  de  Pé- 
réiaslavl ,  puis  de  Kroutitzy,  ou  des  Éniinences,  près  de 
Moscou,  il  fut  promu,  en  1761,  à  la  dignité  d'archevêque 
de  cette  capitale,  qu'il  conserva  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  le 
16  septembre  1771.  U  était  membre  du  saint  synode  de- 
puis 1748.  Doué  d'un  grand  zèle  et  de  vertus  vraiment  chré- 
tiennes, il  fonda  plusieurs  établissements,  construisit  ou  ter- 
mina plusieurs  monastères  ou  églises,  signala  sa  bienfaisance 
envers  l'hospice  des  enfants  trouvés,  cultiva  les  lettres, 
les  sciences  tbéologiques ,  et  laissa  ,  outre  un  grand  nombre 
de  traductions ,  des  sermons  et  une  liturgie. 

Sa  mort  fut  tragi(|ue.  En  1771  la  peste,  apportée  de 
Bender  par  les  troupes  victorieuses  de  Catherine  II,  faisait 
de  grands  ravages  à  Moscou ,  où  elle  moissonna  près  de 
cent  mille  habitants.  Le  peuple,  exaspéré,  voyant  l'inefficacité 
de  l'art  des  médecins,  invoqua,  avec  une  ardeur  fanatique, 
les  secours  de  la  religion.  Aujourd'hui  on  attribue  encore 
des  cures  miraculeuses  à  la  Vierge  dite  d'Ibérie  (  Ivers  Kàia 
Boyemater),  dont  la  chapelle  est  entre  la  cité  et  le  Krem- 
lin. Souvent  même  on  voit  des  dévots  se  jeter  à  plat  ventre 
poirr  qu'elle  passe  sur  eux  quand  on  la  porte  chez  des  ma- 
lades. Autour  d'elle  s'entassait  alors  la  population  entière  de 
Moscou.  C'était  fournir  un  nouvel  aliment  à  la  contagion, 
qui  ne  fit  bientôt  qu'empirer.  Ambroise,  plus  éclairé  que 
son  troupeau,  osa,  de  nuit,  enlever  la  statue.  Alors  le  dé* 
sespoir  du  peuple,  privé  de  son  Paltadium,  fut  extrême; 
il  accusa  l'archevêque  de  sacrilège ,  et  se  porta  en  foule 
vers  sa  demeure.  U  l'y  chercha  en  vain  :  Ambroise  s'était  re- 
tiré au  monastère  de  la  Vicrfje  du  Don ,  en  dehors  de  la  ca- 
pitale. La  multitude  le  suit,  et  enfonce  les  portes.  Le  prélat 
s'était  caché  dans  le  sanctuaire  de  l'église,  où  les  prêtres 
seuls  ont  le  droit  d'entrer.  Un  enfant  montre  sa  retraite 
aux  furieux,  qui,  le  trouvant  en  oraison  au  pied  de  l'autel, 
l'en  arrachent  et  le  traînent  à  la  porte  du  temple,  où  ils  vont 
l'égorger,  quand  Ambroise  supplie  qu'on  le  laisse  commu- 
nier encore  une  fois  avant  de  comparaître  devant  Dieu. 
On  lui  accorde  cette  grâce,  on  assiste  même  avec  calme  à 
la  cérémonie  ;  mais  quand  elle  est  achevée,  on  l'emporte 
hors  de  l'église ,  où  on  le  massacre  impitoyablement.  Il 
n'existait  plus  quand  la  garde  arriva.  Les  principaux  cou- 
pables furent  empalés. 

AJMBROISIE  (du  grec  à  privatif,  ppoTÔ;,  mortel  ).  C'é- 
tait ,  selon  la  mythologie  des  Grecs  et  des  Romains,  la  nour- 
riture des  dieux,  et  elle  avait  la  propriété  de  rendre  immortel 
celui  qui  en  goûtait.  Les  poètes  sont  peu  d'accord  sur  la 
nature  de  cette  substance;  selon  les  uns,  elle  était  liquide  ; 
Sapho  et  Alcman  en  font  un  breuvage  délicieux  ;  selon  les 
autres,  au  contraire,  et  c'est  l'opinion  commune,  l'ambroisie 
est  un  aliment  solide.  Homère  en  fait  tantôt  une  liqueur 
rouge,  et  tantôt  un  parfum;  il  nous  peint  Junon  oignant  son 
corps  de  la  divine  ambroisie ,  quand  elle  veut  ramener  à  elle 
son  volage  époux  au  moyen  de  toutes  les  séductions  de  la 
beauté.  Suidas  était  d'avis  que  c'était  une  nourriture  sèche; 
et  Ibycus,  cité  par  Athénée,  prétend  que  l'ambroisie  est 
neuf  fois  plus  délicieuse  que  le  miel ,  et  qu'en  mangeant  du 
miel  on  éprouve  la  neuvième  partie  du  plaisir  que  fait 
éprouver  l'ambroisie.  Quoi  qu'il  en  soit ,  les  poètes  accor- 
dent tous  à  cette  substance  une  odeur  délicieuse  et  une  ex- 
quise saveur.  Le  scoliaste  de  Callimaque  dit  qu'elle  coula 
pour  la  première  fois  d'une  des  cornes  de  ia  chèvre  Amallhée, 
en  même  temps  que  de  l'autre  sortit  le  nectar.  Virgile 


AMBROISIE  —  AMBROSIEN 


445 


a  écrit  dans  ses  vers  qu'en  s'approcliant  de  la  chevelure  de 
Vénus  on  respirait  un  parfum  divin  d'ambroisie.  —  L'am- 
broisie possédait  encore  d'autres  dons  merveilleux;  elle 
consenait  les  corps  morts,  et  guérissait  les  blessures.  Apol- 
lon s'en  servit  pour  préserver  de  la  corruption  le  corps  de 
Sarpédon ,  tué  au  siège  de  Troie  ;  et  Vénus  guérit  les  bles- 
sures de  son  lils  Énée  eu  versant  sur  ses  plaies  quelques 
gouttes  de  ce  suc  précieux. 

AMBROISIE,  ou  THÉ  DU  MEXIQUE.  Voj/es  Ansérine. 

iVMBROISlENXE  (  DibliotUéque),  ainsi  nommée  en 
riionneur  de  saint  Ambroise ,  patron  de  Milan ,  par  son  fon- 
dateur Federico  Borromeo.  Ce  cardinal ,  si  célèbre  par  son 
amour  pour  les  arts,  fit  construire,  en  1G09,  un  local  spécial 
propre  à  recevoir  le  vaste  dépôt  scientifique  qu'il  destinait  à 
tHre  public ,  et  qu'il  forma  en  envoyant  dans  toutes  les  parties 
de  l'Europe ,  et  jusqu'en  Asie,  des  savants  en  réunir  à  ses  frais 
les  divers  éléments.  Plus  tard  ,  l'acquisition  des  manuscrits 
de  Pinelli  vint  encore  augmenter  Timportance  de  la  biblio- 
thèque Ambroisienne.  Borromeo  avait  Tintention  d'y  ad- 
joindre  un  collège  de  seize  savants,  qui  auraient  été  chargés 
de  présider  à  la  mise  en  circulation  des  ouvrages  dont  elle  se 
composail,  et  de  lionner  aux  lecteurs  tous  les  renseignements 
dont  ils  pourraient  avoir  besoin.  Mais  le  manque  de  fonds  a 
obligé  de  limiter  le  collège  à  deux  membres  qui  portent  le 
titre  de  Doctores  bïblïothecx  Ambrosïanx.  —  La  Biblio- 
thèque Ambroisienne  contient  plus  de  soixante  raille  volumes 
imprimés  et  quinze  mille  manuscrits.  Parmi  les  nombreuses 
curiosités  qui  s'y  trouvent,  nous  citerons,  indépendam- 
ment àei palimpseste»  publiés  par  Mai,  Castiglione  et 
Mazzuccbelli,  et  d'un  grand  nombre  de  manuscrits  encore 
inédits,  un  Virgile  sur  les  marges  duquel  Pétrarque  a  ins- 
crit une  note  commémorative ,  relative  à  sa  première  en- 
trevue avec  Laure.  A  la  bibliothèque  est  jointe  une  galerie 
d'arts,  dans  laquelle  on  admire  les  tableaux  de  Breugliel ,  de 
Barocci ,  de  Luini,  d'Albert  Durer,  le  carton  de  Y  École  d'A- 
thènes de  Raphaël  et  les  Études  de  Léonard  de  Vinci,  ainsi 
que  les  premières  copies  de  la  Cène  de  ce  grand  artiste.  Des 
douze  volumes  d'écrits  de  la  main  de  Léonard  de  Vinci  don- 
nés à  cet  établissement  par  Galeazzo  Arconato,  il  ne  s'en 
trouve  plus  qu'un  seul,  le  plus  intéressant,  il  est  vrai,  sous 
le  rapport  des  dessins  ;  les  autres  sont  à  Paris. 

AMBROi\S.  Comme  ce  peuple,  avec  les  Tigurins,  ac- 
compagna les  Cimbres  et  les  Teutons  dans  leur  grande  irrup- 
tion en  Gaule  et  en  Italie,  et  partagea  aussi  leur  défaite  non 
loin  d'Aix,  Cluver,  Plantin,  Tschudiet  d'autres  critiques  le 
considèrent  comme  l'une  des  quatre  prétendues  peuplades 
helvétiques.  Selon  eux ,  le  pays  des  Ambrons  avait  pris  son 
nom  de  la  rivière  d'Emme ,  et  ils  le  placent  dans  la  contrée 
de  la  Saane,  de  l'.Aar  et  de  la  Reuss,  ou  môme  immédiate- 
ment dans  le  territoire  de  Berne.  Pester  le  cherche  aux  en- 
virons d'Embrun,  Oudin  dans  la  Bresse,  Lindenbrog  sur  le 
Bas-Rhin,  près  d'Emmerich ,  et  un  autre  écrivain  jusqu'en 
Bavière.  Mais  ils  ne  retournèrent  point  chez  eux,  comme  le 
fnrent  les  Tigurins,  pour  défendre  leur  patrie,  lorsque  le 
consul  Cassius  franchit  les  monts  et  parut  sur  les  bords  du 
lac  Léman ,  et  celte  circonstance  rend  tout  au  moins  dou- 
teuse leur  origine  helvétique. 

AMBROSIEX  (  Chant  et  Rit  ).  L'Église  de  Milan  a 
joui  jusqu'à  ce  jour  du  privilège  de  ne  point  se  régler  ab- 
solument sur  celle  de  Rome  pour  quelques  pratiques  litur- 
giques ,  peu  essentielles  au  fond ,  mais  que  cette  Église  a 
toujours  tenu  à  conserver  en  les  couvrant  du  nom  de  saint 
Ambroise.  Ces  différences  se  remarquent  dans  les  textes 
de  l'office  autant  que  dans  le  cérémonial.  Sans  parler  des 
premières,  qui  sont  assez  nombreuses,  nous  indiquerons 
seulement  quelques-unes  de  celles  (ju'on  remarque  dans  le 
cérémonial.  L'Église  ambrosienne  a  conservé  le  baptême 
par  immersion;  le  carême  commence,  non  au  mercredi 
des  cendres,  mais  seulement  à  la  quadragésime ;  il  n'y  a 
pas  de  messe  pour  les  vendredis  de  carême;  le  vendiedi 


saint  on  lit  les  quatre  passions  ;  on  ne  fait  jamais  d'office 
de  saints  le  dimanche  ;  l'évangile  se  dit  au  bas  du  chœur 
sur  un  pupitre  élevé,  et  après  qu'à  trois  reprises  on  a  de- 
mandé le  silence  par  les  formules  suivantes  :  Parcite  fa- 
bulis,  silentium  habete,  liabete  silentium;  il  y  a  plu- 
sieurs transpositions  dans  les  prières  de  la  messe;  aux 
messes  solennelles,  vingt  vieillards,  dix  de  chaque  sexe,  ap- 
pelés V École  de  saint  Ambroise,  font  l'offrande  du  pain  et 
du  vin,  etc.,  etc. 

Il  est  fort  vraisemblable  que  la  plupart  de  ces  usages 
existaient  avant  saint  Ambroise.  Quelques  écrivains  ont 
même  attribué  à  saint  Barnabe  ce  que  l'on  donne  ordi- 
nairement à  saint  Ambroise  ;  mais  on  peut  croire  qu'avant 
celui-ci  toute  la  liturg'e  ainsi  que  le  cérémonial  étaient 
fort  simples  et  offraient  souvent  de  l'incertitude.  Saint  Am- 
broise disposa  tout  ce  qui  concernait  cette  matière  en  un  en- 
semble complet,  dont  on  n'eut  plus  à  s'écarter  ;  il  composa 
plusieurs  pièces  faisant  partie  de  l'office  divin,  ou  leur  don- 
na une  rédaction  plus  nette  et  plus  élégante.  On  lui  attribue 
particulièrement  des  p  r  é  f  a  c  e  s  de  messes  dans  lesquelles 
est  exposé  en  peu  de  mots  l'objet  de  la  fête  que  l'on  célèbre. 
Lorsque  saint  Grégoire  fit  la  môme  opération  pour  l'É- 
glise de  Rome,  il  emprunta  au  rit  ambrosien ,  qui  récipro- 
quement se  modifia  plus  ou  moins  depuis  lors  en  raison  des 
décisions  grégoriennes  ou  par  d'autres  motifs  ;  il  s'est  con- 
servé jusqu'à  nos  jours,  en  dépit  des  efforts  faits  à  plusieurs 
époques  pour  l'anéantir. 

Il  eut  d'abord  à  résister  aux  attaques  d'.\drien  I^'',  qui, 
voulant  établir  l'unité  de  rit  dans  toutes  les  églises,  se  servit 
à  cet  effet  du  bras  tout-puissant  de  Charlemagne,  qu'il  avait 
couronné  empereur,  et  qui  le  seconda  d'une  ardeur  bien  peu 
digne  de  ses  lumières,  en  faisant  brûler  tous  les  livres  du  rit 
ambrosien  qui  purent  se  rencontrer.  Cette  persécution  se 
ralentit  cependant  :  un  seul  missel,  dit-on,  avait  été  sauvé, 
et  il  servit  d'original  aux  copies,  et  par  suite  aux  éditions 
qui  s'en  sont  faites.  Quant  au  Rituel  ou  cérémonial,  on  n'en 
retrouva  plus,  et  les  prêtres  de  Milan  en  rédigèrent  un  d'après 
leurs  souvenirs,  trop  récents  pour  avoir  pu  s'effacer.  Depuis 
Charlemagne,  de  nombreux  efforts  furent  faits,  au  douzième 
siècle  par  JNicolas  II ,  et  au  milieu  du  quinzième  par  Eu- 
gène IV,  pour  abolir  le  rit  ambrosien  ;  ils  échouèrent  devant 
la  fermeté  du  clergé  milanais,  secondé  en  cette  occasion  par 
le  peuple,  qui  n'eût  pas  hésité  à  se  révolter  si  les  règles  po- 
sées par  le  saint  que  les  Milanais  vénèrent  comme  leur  patron 
eussent  été  entamées.  Enfin,  une  bulle  d'Alexandre  VI  dé- 
clara en  1497  que  l'église  de  Milan  conserverait  ses  anciens 
usages  sans  être  désonnais  inquiétée.  Quinze  ans  avant  cette 
déclaration ,  avait  paru ,  en  1482,  la  première  édition  du  Mis- 
sel ambrosien. 

On  confond  souvent  le  chant  ambrosien  avec  le  rit , 
et  l'on  suppose  que  dans  la  discussion  avec  Rome  le  chant 
était  le  point  important.  D'après  cela,  on  fait  saint  Ambroise 
auteur  du  chant  de  l'Église  milanaise  ;  on  dit  qu'il  l'avait 
composé  d'après  certaines  règles  établies  par  lui-même;  et 
tout  en  avouant  que  ce  chant  ne  différait  pas  sensiblement 
du  chant  grégorien ,  on  regarde  saint  Ambroise  comme  un 
personnage  musical.  Voici  seulement  ce  qu'on  peut  dire 
de  positif  à  cet  égard  :  Deux  écrivains  contemporains  de 
saint  Ambroise,  et  qui  avaient  eu  avec  lui  des  relations  in- 
times et  fréquentes,  Paulin,  son  biographe,  et  saint  Augustin, 
nous  apprennent  que  du  temps  de  la  persécution  de  l'impé- 
ratrice Justine ,  il  introduisit  dans  l'église  de  Milan  l'usage 
du  chant  des  antiennes,  des  psaumes  et  des  hymnes 
à  la  manière  des  Orientaux.  Le  motif  qu'en  donne  saint 
Augustin  est  digne  de  remarque  :  «  Ce  fut,  dit-il,  afin  que  le 
peuple  ne  se  consumfd  pas  de  tristesse  et  d'ennui.  »  Saint 
Ambroise  dans  une  de  ses  lettres  confirme  lui-môme  ces  té- 
moignages. Il  n'est  pas  douteux  cependant  qu'avant  lui  le 
chant  proprement  dit  ne  fût  en  usage  dans  toutes  les  paities 
de  l'Occident  qui  avaient  accepté  le  christianisme;  en  ce  qui 


446  AMBROSIEN  — 

concerne  la  ville  de  Milan,  on  attribue  à  INIiroclès,  son 
sixième  évèquc  (  ou  son  septième  en  comptant  saint  Bar- 
nabe), riionneur  de  l'y  avoir  introduit;  il  ne  peut  donc  être 
ici  question  que  de  l'introduction  du  chant  à  la  manière 
orientale,  qui,  réglé  par  saint  Atlianase,  se  rapprochait 
beaucoup  du  discours  et  se  chantait  par  versets  alternatifs 
d'un  chœur  à  l'autre ,  soit  que  le  second  chœur  répétât  ce 
qu'avait  dit  le  premier,  soit  qu'il  poursuivît  avec  d'autres 
paroles ,  mais  sur  la  môme  mélodie.  C'est  ainsi  que  doivent 
être  entendus  les  passages  de  Paulin  et  de  saint  Augustin  , 
qui,  malgré  leur  simplicité,  prêtent  à  de  nombreux  commen- 
taires ,  mais  n'admettent  réellement  d'autre  résultat  positif 
que  celui  (luc  nous  venons  de  signaler.  Ce  chant  alternatif 
ne  s'appli(i:iait  pas  seulement  aux  psaumes,  mais  à  des  hym- 
nes m:  tn(iiics  dont  la  composition  a  été  attribuée  à  saint 
Ambroise.  Rien  n'autorise  à  supposer  qu'il  ait  jamais  ré- 
digé lui-même  un  nu'ssel  et  un  antiphonaire  proprement  dits, 
ni  surtout  qu'il  en  ait  composé  et  nott;  ia  mélodie.  Les 
pièces  qui  forment  ces  livres  n'ont  dû  être  rassemblées  que 
plus  tard,  et  l'on  n'a  pas  remarqué  que  si  elles  offrent  quel- 
ques dissemblances  avec  le  chant  grégorien ,  cela  tient  sur- 
tout à  ce  que,  les  textes  n'étant  pas  les  mêmes,  la  mélodie 
devait  également  varier  :  le  seul  caractère  qui  la  distingue 
est  d'être  moins  chargée  de  notes  que  le  chant  de  Rome , 
et  c'est  sans  doute  pour  cela  qu'au  onzième  siècle  le  cé- 
lèbre Gui  d'Arezzo  en  vantait  ia  parfaite  douceur.  Quel- 
ques autres  différences  assez  sensibles,  mais  peu  nombreuses, 
se  remarquent  dans  certaines  formules  très-courtes  qui  se 
reproduisent  fréquemment  dans  roflîce  catholique,  et  dans 
la  manière  de  soutenir  la  voix  pour  les  évangiles,  leçons,  etc.; 
mais  ceci  n'a  musicalement  aucune  importance.  En  général, 
on  peut  dire  que  l'on  ne  distingue  plus  aujourd'hui  le  chant 
ambrosien  du  grégorien  que  par  la  diversité  d'une  partie 
des  textes  auxquels  s'appliquent  l'un  et  l'autre.  La  mélodie 
de  chacun  d'eux  est  exactement  de  la  môme  couleur  ;  et  il  n'y 
a  pas  lieu  de  s'étonner  de  cette  uniformité,  puisque  les  com- 
positeurs des  deux  antiphonaires  ont  travaillé  sur  le  même 
fonds  commun,  c'est-à-dire  sur  le  diagramme  musical  des  an- 
ciens Grecs  et  ses  morcellements.  11  faut  d'ailleurs  observer 
que  l'antiphonaire  milanais,  tel  qu'il  est  aujourd'hui,  est  loin 
de  ressembler  complètement,  non  pas  seulement  à  celui  qui  a 
pu  servir  quelque  temps  après  saint  Ambroise,  mais  au  plus 
ancien  manuscrit  que  l'on  en  connaisse,  et  qui  ne  remonte  pas 
au  delà  de  la  fin  du  neuvième  siècle.  La  seule  innovation  on 
musique  ecclésiastique  qui  puisse  être  attribuée  à  l'illustre 
évoque  de  Milan  est  donc  l'introduction  dans  l'Église  ocà- 
A<in{a\Q  àut\\aiX\i  antiphoniqueon  alterné,  et  celle  d'hymnes 
mesurées  et  rhythmées  poétiquement  d'après  les  principes  des 
anciens,  circonstance  qui  se  reproduisait  sans  doute  dans  la 
cantilènc.  Le  ciiant  alterné  se  répandit  promptement  dans 
les  églises  et  les  monastères  ;  les  hymnes  paraissent  n'avoir 
été  adoptées  que  plus  tard,  et  ne  l'avoir  pas  été  universelle- 
nnent  jusqu'au  douzième  siècle.  Aujourd'hui  les  hymnes  et 
le  chant  antiphon"que  existent  dans  toute  la  catholicitc'. 

Adrien  de  L.\fagf:. 
AMBRUGEAC  (Famille  d').  La  maison  deValon,  sei- 
gneurs, puis  comtes  d'Ambrugeac ,  établie  en  Limousin  de- 
puis le  quinzième  siècle,  est  originaire  du  Quercy.  Jacques 
DE  Yalo.n  ,  ayant  iiérité  par  mariage  de  la  terre  d'Ambru- 
geac, obtint  du  roi  Charles  VII,  en  144'»,  la  permission  d'en 
fortifier  le  château,  où  quelques  années  après  sa  famille  fixa 
sa  résidence.  Depuis  lors,  les  rejetons  de  cette  maison  ont 
été  tour  à  tour  connus  sous  les  noms  de  Valon  et  d'Ambru- 
geac, jusqu'au  commencement  du  siècle  dernier,  époque  où 
la  souche  s'étant  divisée  en  deux  branches,  le  cliâteau  et  le 
nom  d'Ambrugeac  restèrent  à  l'aînée ,  qui  s'établit  en  Au- 
vergne ;  la  cadette  est  aujourd'hui  représentée  par  le  comte 
de  Valon,  ancien  député.  —  François  de  Valon,  seigneur 
p'AMr.RiCEAC,  zélé  partisan  de  Henri  IV,  reçut  le  plus  ho- 
norahle  témoignnge  de  son  dévouement  dans  la  lettre  que  le 


AMBULANCE 

liéros  béarnais  écrivait  au  seigneur  de  Lubersac,  où  illui 
disait  :  Il  D'Ambrugeac  m'est  venu  joindre  avec  tous  les 
«  siens,  châteaux  en  croupe,  s'il  eût  pu.  »  —  Louis-Alexan- 
dre-Marie DE  Valo.n,  comte  u'Ambrugeac  ,  pair  de  France, 
né  en  1771,  entra  au  service  à  l'ûge  de  quinze  ans  dans  la  ca- 
valerie. Éloigné  de  sa  patrie  par  les  événements  de  la  révo- 
lution, il  rentra  en  France  en  1810,  et  fit  deux  campagnes 
sous  le  duc  de  Bellune ,  en  qualité  de  chef  de  bataillon.  Son 
dévouement  aux  Bourbons  pendant  les  Cent  Jours  lui  valut  le 
grade  de  m:\rechal  de  camp.  11  siégea  à  la  chambre  des  dé- 
putés comme  représentant  de  la  Corrèze,  de  1815  à  1823, 
et  fut  à  cette  dernière  époque  créé  pair  de  France,  après 
avoir  commandé  une  brigade  en  Espagne  ;  ce  qui  lui  valut 
aussi  le  grade  de  lieutenant  général.  Il  est  mort  au  mois  de 
mars  1844.  —  Alexandre-Charles-Louis  de  Valon  ,  comte 
d'Ambrugeac,  frère  aîné  du  précédent,  né  en  1770,  à 
Paris,  fit  la  campagne  des  princes ,  passa  au  service  de  l'Es- 
pagne, et  mérita  en  1814,  par  son  zèle  pour  la  cause  royale, 
le  brevet  de  maréchal  de  camp  et  d'officier  de  la  Légion 
d'Honneur.  Il  est  mort  au  mois  d'octobre  1343. 

AMBULANCE  (dérivé  du  latin  ambulare,  marcher). 
Ce  mot  comprend  les  établissements  temporaires  et  mo- 
biles, formés  sur  le  champ  de  bataille,  disposés  de  manière 
à  suivre  l'armée  ou  la  division  d'armée  à  laquelle  ils  appar- 
tiennent ,  et  où  sont  transportés  les  blessés,  afin  de  recevoir 
les  premiers  secours  de  la  chirurgie. 

Les  ambulances  peuvent  être  regardées  comme  une  créa- 
tion entièrement  moderne.  La  chirurgie  militaire  ne  fut 
autrefois  qu'un  art  grossier,  à  l'exercice  duquel  personne 
ne  se  livrait  d'une  manière  spéciale ,  et  que  tout  le  monde 
pratiquait  lorsque  s'en  présentait  l'occasion.  Dans  cet 
état  de  choses ,  le  guerrier  blessé  implorait  le  secours  d'un 
ami  ou  de  quelques  frères  d'armes.  Toutefois  il  exista, 
à  cette  époque  reculée,  des  hommes  qui,  avec  un  peu  de 
dextérité  acquise  par  l'habitude,  furent  propres  au  traite- 
ment des  blessm'es;  il  est  vrai  que  chez  les  anciens  celles-ci 
ne  consistaient  presque  jamais  qu'en  plaies  faites  par  des 
armes  piquantes  ou  tranchantes ,  ou  en  des  contusions  plus 
ou  moins  étendues  ;  dès  lors  on  conçoit  que  des  gens  ha- 
bitués à  panser  des  plaies  aient  pu  être  très-utiles.  Mais 
l'invention  de  la  poudre  à  canon  et  les  mutilations  pro- 
duites par  les  projectiles  qu'elle  met  en  mouvement  ren- 
dirent la  pratique  de  la  chirurgie  plus  difficile,  et  les  secours 
plus  indispensables,  afin  de  remédier  aux  lésions  qui  se 
multiplièrent  durant  les  combats.  Les  instnunents  et  les 
approvisionnements  étaient  imparfaits,  et  il  fallait  souvent 
abandonner  les  blessés,  faute  de  secours,  aux  soins  gros- 
siers des  habitants  des  lieux  près  desquels  le  combat  avait 
été  li%Té. 

Ce  n'est  qu'au  temps  de  Henri  IV  que  l'on  trouve  les 
premières  traces  de  l'établissement  régulier  d'une  chirurgie 
militaire  ;  encore  le  grand  Ambroise  Paré  n'avait  aucun  grade 
dans  l'armée,  et  il  ne  dut  qu'à  son  génie  l'autorité  que 
reconnurent  en  lui  tous  ses  confrères.  Cependant  sous 
Louis  XIII  un  chirurgien-major  fut  attaché  à  chaque  régi- 
ment; on  créa  des  ambulances  yî.rc5 ,  et  d'autres  que  l'on 
nomma  ambulantes.  La  pesante  organisation  de  ces  der- 
nières en  fit  pendant  longtemps  un  objet  d'ostentation  et 
d'étalage,  bien  plus  qu'un  moyen  positif  de  soulagement  et 
de  salut.  Toujours  séparées  des  combattants  par  l'intei-po- 
sition  d'un  immense  train  de  bagages,  de  munitions  et  de 
vivres,  ces  lourdes  masses  ne  s'approchaient  jamais  de  la 
ligne  de  bataille  et  ne  pouvaient  donner  que  des  secours 
tardifs.  Ce  n'est  que  de  nos  jours  que  ces  créations  ont  été 
convenablement  perfectionnées  et  mises  en  état  d'efTcctuer 
tout  le  bien  que  l'on  était  en  droit  d'en  attendre. 

En  entrant  en  campagne,  une  armée  doit  pouvoir  se 
suffire  à  elle-même,  et  trouver  dans  ses  propres  ressources 
tout  ce  qui  est  nécessaire  à  ses  besoins. 

On  a  créé  deux  espèces  d'ambulances,  que  l'on  a  dési- 


AMBULANCE  —  AME 

gnées  sous  les  noms  d'ambulance yîac  ou  dite  de  rcserce  , 
et  d'ambidance  légère  ou  volante.  La  première  peut  rester 
à  quelque  distance  en  arrière  avec  les  trains  d'équipages  ; 
elle  doit  renfermer  les  objets  nécessaires  à  l'approvisionne- 
m.entde  l'ambulance  légère,  et  ceux  dont  il  faudra  se  servir 
pour  l'établissement  dos  bôpitau\  temporaires  que  les  be- 
soins obligent  souvent  de  créer.  La  seconde,  ou  l'ambulance 
volante,  doit  suivre  immédiatement  les  corps  d'armée  et 
contenir  tout  ce  qui  est  nécessaire  à  la  formation  instanta- 
née des  ambulances  proprement  dites  sur  le  cbamp  de 
bataille,  et  qui  suivent  la  ligne  des  combattants. 

Autrefois,  les  cliirurgiens ,  laissés  en  arrière,  n'arrivaient 
souvent  sur  le  terrain ,  avec  ce  qui  leur  était  nécessaire ,  que 
le  lendemain  du  combat  et  même  plus  tard.  Percy  a  ima- 
giné de  placer  des  chii-urgiens ,  au  nombre  de  six,  sur  une 
voiture  très-légère,  analogue  aux  caissons  d'artillerie  connus 
sous  le  nom  de  nirtz,  et  formés  d'une  caisse  peu  profonde, 
peu  large ,  mais  fort  allongée.  Elle  reçoit  dans  ses  comparti- 
ments les  instmments  de  chirurgie,  les  appareils  et  les  mé- 
dicaments ;  lorsqu'elle  est  fermée ,  elle  présente  une  espèce 
de  banquette  où  les  jeunes  chirurgiens  s'asseyent  l'un  der- 
rière l'autre.  Leur  chef  est  à  cheval ,  pour  pouvoir  se  déta- 
cher et  aller  reconnaître  les  points  du  champ  de  bataille  où 
il  est  besoin  de  faire  arriver  des  secours.  On  conçoit  facile- 
ment que  ce  petit  chariot ,  attelé  de  quatre  chevaux ,  doit  se 
porter  avec  une  extrême  rapidité  partout  où  il  est  nécessaire 
de  le  conduire. 

L'ambulance  que  j'ai  proposée  me  parait  plus  active.  Tous 
les  chirurgiens  sont  à  cheval  ;  ils  ont  à  l'arçon  d,e  la  selle , 
et  dans  une  valise,  des  moyens  de  pansement  déjà  fort 
abondants;  ils  portent  dans  une  petite  giberne  leurs  instm- 
ments les  plus  usuels ,  les  plus  indispensables.  A  leur  suite 
marche  un  nombre  relatif  de  petits  caissons  à  deux  roues , 
attelés  de  deux  chevaux ,  où  peuvent  être  placés  commodé- 
ment un  ou  deux  blessés,  et  qui,  dans  les  circonstances 
ordinaires,  portent  le  matériel  de  l'ambulance.  Ce  moyen  de 
secours  offre,  avec  la  même  célérité  que  celui  de  Percy, 
l'avantage  de  se  diviser  et  subdiviser  de  la  manière  la  plus 
commode  j  ce  que  l'on  en  détache  peut  se  rejoindre  promp- 
tement  et  sans  peine. 

Dans  les  guerres  de  montagne ,  les  chevaux  et  les  mulets 
de  bat  sont  indispensables  et  doivent  remplacer  les  cais- 
sons. 11  faut  entasser  dans  les  paniers  recouverts  de  cuir, 
dont  les  chevaux,  sont  charges,  des  caisses  de  linge,  d'ins- 
tmments  et  de  médicaments ,  enfln  les  instruments  de  chi- 
rurgie choisis  parmi  ceux  que  l'expérience  a  fait  connaître 
les  plus  utiles. 

Quelquefois  le  chiiurgien  d'armée  est  obUgé  de  remédier 
à  des  accidents  graves ,  sans  avoir  aucune  des  choses  habi- 
tuellement employées;  c'est  dans  ces  circonstances  qu'il 
doit  savoir  mettre  à  profit  tous  les  objets  qui  se  trouvent 
sous  sa  main.  Maintes  fois  nous  avons  employé  la  fdasse , 
le  coton  ou  la  mousse  pour  remplacer  la  charpie  de  toile  ;  le 
parchemin,  le  papier  ou  diverses  étoffes,  pour  remplacer 
les  bandes  et  les  compresses  dans  le  pansement  des  plaies 
de  tout  genre.  C'est  enfm  grâce  aux  efforts  des  chirurgiens 
militaires  que  l'art  peut  maintenant,  ainsi  qu'on  l'a  dit,  lut- 
ter de  vitesse  avec  la  mort  elle-même.      Baron  Lafjif.y. 

AMBURBIALES  ou  AMBURBIES  (  de  ambire,  se 
promener  autour,  et  iirbs,  ville),  fêtes  romaines,  instituées 
comme  les  Ambarvalies  enl'lionneur  de  Ccrès,  mais  qui 
différaient  de  ces  dernières  en  ce  que ,.  au  lieu  d'aller  pro- 
cessionnellement  le  long  ou  aïitour  des  champs,  on  faisait  le 
tour  des  murs  de  la  ville  en  les  purifiant  par  le  soufre  et 
l'encens.  Elles  avaient  encore  plus  pour  but  général  de  dé- 
tourner les  maux  qui  auraient  pu  aflliger  la  république, 
que  de  demander  spécialement  aux  dieux  la  prospérité  des 
récoltes.  — Les  Grecs  avaient  aussi  des  es|>èces  iVAmbur- 
biales,  instituées  par  Épiinénide  de  Crète ,  et  qui  consis- 
taient à  abandonner  une  brebis  blanche  et  une  brebis  noire, 


447 

qu'un  homme ,  diargé  de  les  suivre ,  immolait  à  l'endroit  où 
elles  se  couiiiaient. 

iVMClIASPANDS  ou  AMHOUSPANDS.  Ce  sont  dans 
la  religion  des  Parsis  les  sept  chefs  suprêmes  du  monde 
des  bons  génies.  Ormuzd,  source  suprême  de  la  création, 
est  le  premier  de  tous.  Ahrimane,  le  chef  suprême  du 
monde  des  mauvais  génies ,  lui  est  opposé.  Le  second  Am- 
chaspand,  Bahmnn,  en  zend  Vahumano ,  reçoit  les  plus 
grands  honneurs  après  Onnuzd ,  par  l'intelligence  duquel  il 
voit.  Le  lis  blanc  lui  est  consacré  ainsi  que  le  fabuleux 
oiseau  Aschozesclit ,  qui  ne  voit  que  le  bien  et  anéantit  les 
magiciens.  Son  adversaire  est  Akuman,  l'auteur  de  la 
guerre,  de  la  haine  et  de  l'envie.  Le  troisième  se  nomme 
Ardibehescht  ;  c'est  lui  qui  envoie  la  lumière  au  monde. 
Son  adversaire  est  surtout. iHf/er,  source  de  la  tristesse  et  de 
la  perte  des  âmes.  Le  quatrième  est  Schariver,  qui  donne 
la  fortune  et  la  richesse.  Sabel  lui  est  opposé.  Le  cinquième 
Amchaspand,  du  sexe  féminin,  est  Sapandomad,  reine  de  la 
pureté,  fille  d'Ormuzd;  son  adversaire  est  Tcirmad.  Le 
sixième  est  Khordad  ou  Averdad,  qui  préside  aux  saisons  • 
il  a  Tarikh  pour  adversaire.  Le  septième  est  Amerdad,  en 
zend  Emerctebbi ,  qui  préside  aux  biens  de  la  terre  ;  il  a 
pour  adversaire  Zaratsch.  Plutarque  (  de  Isid.  et  Osirid. 
c.  47  )  donne  le  nom  de  dieux  aux  six  Amcliaspands  coopé- 
rateurs  et  premiers  ministres  d'Ormuzd.  Selon  lui,  le  pre- 
mier est  dieu  de  la  bienveillance  ;  le  second ,  dieu  de  la  ■ 
vérité;  le  troisième,  dieu  de  la  bonne  foi;  le  quatrième 
dieu  de  la  sagesse  ;  le  cinquième ,  dieu  des  richesses  ■  le 
sixième,  dieu  de  la  satisfaction  que  donne  une  bonne  con- 
duite. Les  Amcliaspands  ont  pour  ministres  les  Izeds 
vaillants  et  héroïques  guerriers  qui  combattent  bravement 
contre  les  Darvaudset  leurs  suppôts.  Ce  sont  eux  qui  dé- 
fendûent  le  cîel  quand  Ahrimane  et  les  principaux  Dews 
tentèrent  pour  la  seconde  fois  de  l'escalader.  Parmi  eux 
Mithra  est  le  premier  vizir;  comme  il  doit  tout  voir  et  tout 
entendre,  il  a  mille  oreilles  et  autant  d'yeux.  A.  Savagnek. 
AiiE.  Qu'est-ce  que  lame?  peut-on  en  pénétrer  la  na- 
tm-e?  est-elle  distincte  de  la  matière?  Si  l'on  admet  qu'elle 
est  distincte  du  corps  qu'elle  habite,  comment  expliquer 
l'union  et  les  relations  des  deux  substances  ?  Si  Tànie  est 
distincte  du  corps,  quand  celui-ci  périt,  lui  survit-elle 
pour  ne  périr  jamais  .^  Telles  sont  les  questions  que  se  pose 
incessamment  l'esprit  humain  depuis  qu'il  est  devenu  pour 
lui-même  un  objet  de  contemplation  et  d'étude ,  questions 
qui  ont  reçu  des  solutions  si  dilférentes ,  ont  donné  lieu  à 
des  théories  si  belles  ou  si  étranges,  à  de  si  brillantes  hypo- 
thèses ,  à  de  si  funestes  erreurs.  Écoutons  Pascal ,  il  nous 
dit  :  «  L'homme  est  à  lui-même  le  plus  prodigieux  effet 
«  de  la  nature  ;  car  il  ne  peut  concevoir  ce  qu'est  un  corps, 
«  encore  moins  ce  qu'est  un  esprit ,  et  moins  qu'aucune 
«  chose  comment  un  coq^s  peut  être  uni  à  un  esprit;  et  ce- 
«  pendant  c'est  son  propre  être.  )-•  Si  j'ai  bieu  compris  le 
sens  de  cette  phrase  éloquente,  qu'expliqueraient  au  be- 
soin d'autres  passages  du  même  auteur,  écrits  dans  le 
même  esprit ,  et  que  Voltaire  a  parfaitement  commentés 
dans,  son  Dictionnaire  })fiUosophique ,  l'homme  doit  dé- 
sespérer de  résoudre  jamais  de  tels  problèmes,  et  sur  tous 
ces  points  sa  raison  est  condamnée  à  d'éternelles  ténèbres. 
Faut-il  donc  en  croire  Pascal?  faut-il  reléguer  ces  questions 
avec  celles  de  la  quadrature  du  cercle  et  du  mouvement 
perpétuel?  A  la  vue  des  grands  génies  dont  elles  ont  été  re- 
cueil ou  le  désespoir,  en  présence  des  erreurs  et  des  contra- 
dictions qu'elles  ont  enfantées ,  devons-nous  les  considérer 
comme  une  arène  sans  cesse  ouverte,  où  tous  les  cham- 
pions abattus  l'un  par  l'autre  n'ont  d'autre  perspective 
qu'une  défaite  assurée?  Ou  bien,  s'il  nous  répugne  d'abdi- 
quer tout  à  fait  notre  raison  et  de  nous  abêtir,  comme  Je 
conseille  Pascal ,  nous  contenterons-nous  d'exposer  les  dif- 
férents systèmes  des  piiilosoplies ,  en  laissant  le  choix  et 
sans  nous  prononcer  absolument,  trouvant  du  bon  partout 


448 


AME 


et  la  vérité  nulle  part ,  ahisi  que  semble  procéder  la  nou- 
velle école  pliilosopliiqiic?  Telle  n'est  pas  notre  pensée.  Ami 
du  dogmatisme,  et  d'un  dogmatisme  positif,  nous  croyons 
fcruieincnt  que  sur  plusieurs  points ,  et  les  plus  importants, 
l'on  peut  arriver  maintenant  à  se  former  des  convictions 
fortes  et  sincères;  nous  pensons  que  les  progrès  récents  de  la 
psychologie  ont  projeté  sur  ces  questions  les  plus  vives  lu- 
mières ,  et  le  spectacle  seul  de  l'histoire  philosophique  nous 
prouve  que  l'esprit  humain  ne  doit  pas  s'arrêter,  si  l'on 
considère  quel  pas  immense  a  fait  la  solution  de  ces  ques- 
tions depuis  Empédocle  jusqu'à  Le'buitz. 

Nous  exposerons  d'abord  dogmatiquement  les  solutions 
qui  peuvent  être  données  des  points  principaux  du  problème  ; 
nous  présenterons  ensuite  les  théories  les  plus  importantes 
des  philosophes  sur  le  môme  objet. 

Qu'est-ce  que  l'àme?  Si  l'on  ne  demande  qu'une  définition, 
nous  répondrons  que  l'àme  est  ce  qui  sent,  pense  et  veut  ; 
que  c'est  le  sujet  commun  de  toutes  les  modifications  affec- 
tives ,  intellectuelles  et  volontaires  que  la  conscience  nous 
révèle,  et  qu'elle  nous  montre  réunies  dans  un  principe  un, 
identique,  et  dont  fous  ces  phénomènes  ne  sont  que  les 
modes  divers,  les  développements,  les  manifestations  (  voyez 
Facultés  de  l'ame).  Jusqu'ici  la  question  ne  rencontre  pas 
de  difficultés  sérieuses.  Depuis  Descartes,  l'autorité  de  la 
conscience  est  devenue  si  imposante,  et  comme  méfh.ode 
philosophique,  et  comme  motif  de  certitude ,  que  mainte- 
nant on  ne  fait  qu'énoncer  une  vérité  tri^^ale  en  disant  que 
l'être  qui  souffre  ou  jouit  est  le  même  que  celui  qui  connaît 
ou  qui  veut.  On  est  donc  d'accord  pour  attribuer  tous  les 
phénomènes  de  la  conscience  à  un  même  principe,  et  ce 
principe,  c'est  le  moi,  c'est  l'àme.  On  n'élève  pas  non  plus 
de  dispute  sur  le  nom ,  qui  du  reste  est  plus  ancien  que  la 
philosophie ,  et  qui  depuis  que  les  hommes  parlent  sert  à 
désigner  le  sujet  commun  des  phénomènes  affectifs ,  intel- 
lectuels et  volontaires.  Mais  quelle  est  la  nature  de  ce  prin- 
cipe? Est-il  distinct  de  la  substance  matérielle.'  Ici  commen- 
cent véritablement  la  discussion  et  les  difficultés.  La  question 
a  été  ainsi  posée  de  très-bonne  heure,  de  trop  bonne  heure 
même,  puisqu'on  a  voulu  raisonner  sur  ce  qu'on  ne  connaissait 
encore  qu'imparfaitement.  Chose  étrange!  le  bon  sens  pro- 
clamait la  différence  des  deux  principes,  sans  la  prouver,  il 
est  vrai.  Il  se  remit  de  ce  soin  aux  philosophes,  qui  prirent 
donc  pour  point  de  départ  la  distinction  de  l'àme  et  de  la  ma- 
tière, et  qui,  tout  en  cherchant  à  l'expliquer,  arrivèrent  à  des 
conclusions  ou  imaginèrent  des  hypothèses  qui  la  détruisirent. 
Mais  le  problème  était  toujours  là,  et  le  sens  commun  récla- 
mait, ne  pouvant  placer  le  sentiment,  la  pensée,  au  nombre 
des  propriétés  de  la  matière,  et  réciproquement  ne  pouvant 
attribuer  les  qualités  de  la  matière  à  lame ,  admettre  par 
exemple  qiie  la  pensée  est  ronde  ou  carrée.  Le  besoin  d'une 
solution  satisfaisante,  les  progrès  de  l'analyse  et  un  examen 
plus  éclairé  des  deux  ordres  de  phénomènes,  ont  enfin  con- 
duit à  des  conclusions  assez  rigoureuses  pour  ré.sister  à  toute 
sérieuse  objection. 

On  est  parti  de  ce  point  de  vue  parfaitement  juste,  que  les 
substances  ne  peuvent  être  connues  en  elles-mêmes,  qu'elles 
ne  peuvent  être  appréciées  que  par  les  modes  au  moyen  des- 
quels elles  se  manifestent  à  nous  ;  que  si  les  modes  ou  qualités 
de  ces  substances  peuvent  se  concilier,  se  convenir,  il  n'y  a 
pas  de  raison  pour  nier  l'homogénéité  des  substances  ;  que 
si,  au  contraire,  les  modes  observés  dans  chaque  sub- 
stance se  repoussent  et  s'excluent  tellement  qu'ils  ne  pour- 
raient coexister  dans  un  même  sujet,  la  différence  des  sub- 
stances est  par  là  même  démontrée.  Or ,  l'examen  des 
qualités  constitutives  de  chaque  substance  conduit  promp- 
tement  à  reconnaître  leur  incompatibilité,  et  par  conséquent 
la  distinction  des  substances  elics-mêmcs. 

1°  La  matière  est  étendue.  Quelque  ténu  que  vous  sup- 
posiez un  corps,  vous  ne  pouvez  pas  ne  pas  admettre  qu'il  se 
compose  de  parties,  séparablesounon,  peu  importe;  qu'il  a 


plusieurs  faces,  par  exemi)le,  etc.  Vous  ne  pouvez  concevoir 
une  molécule  comme  un  point  indivisible  et  inétendu  ;  car  si 
la  molécule  n'était  qu'un  point  sans  étendue ,  la  réunion  de 
points  sans  étendue  ne  pourrait  jamais  constituer  l'étendue. 
Or  c'est  la  propriété  essentielle  sous  laquelle  se  manifestent  à  - 
nous  tous  les  corps.  Lemode  constitutif  de  l'àme  est  la  pensée. 
Ici  apparaît  la  première  incompatibilité  entre  les  deux  sub- 
stances. La  pensée  suppose  dans  l'àme  l'unité,  la  simpli- 
cité, et  la  simplicité  exclut  évidemment  l'étendue.  Qu'est-ce, 
en  effet,  que  penser,  sinon  réunir  et  combiner  des  idées  ?  Pour 
que  plusieurs  idées  soient  ainsi  réunies,  c'est-à-diie  présentes 
à  la  fois  à  la  pensée,  il  faut  que  ce  qui  réunit  ces  éléments 
le  fasse  en  un  point  indivisible,  simple ,  non  composé  de 
parties.  Car  supposer  la  pensée  étendue,  c'est  supposer  ses 
éléments  épars ,  correspondant  chacun  à  chaque  partie  de 
son  étendue.  Or,  chacun  de  ces  éléments  ayant  une  existence 
distincte,  étant  lui-môme ,  ci  rien  que  lui-même,  ignorerait 
éternellement  les  autres  ;  et  par  là  se  trouverait  détruite ,  im. 
possible,  cette  coexistence  dans  un  môme  point  des  éléments 
du  jugement,  cette  vue  d'ensemble,  cette  unité  de  la  pensée, 
qui  est  un  fait  irrécusable.  Condillac,  qui  a  fourni  tant 
d'armes  au  matérialisme  par  sa  théorie  de  la  sensation,  a  lui- 
même  donné  de  cette  vérité  une  démonstration  très-rigou- 
reuse, que  nous  reproduirons  ici,  en  l'abrégeant  toutefois  : 
«  Dire  qu'une  substance  compare  deux  sensations  (idées), 
c'est  dire  qu'elle  a  en  même  temps  deux  sensations.  Dire 
que,  de  ces  deux  sensations,  l'une  est  dans  le  point  A,  et 
l'autre  dans  le  point  B,  c'est  dire  que  l'une  est  dans  une  sub- 
stance et  l'autre  dans  une  autre  substance.  Dire  que  l'une 
est  dans  une  substance  et  l'autre  dans  une  autre  substance, 
c'est  dire  qu'elles  ne  se  réunissent  pas  dans  une  même  sub- 
stance; dire  qu'une  même  substance  ne  les  a  pas  en  même 
temps,  c'est  dire  qu'elle  ne  peut  les  comparer.  Il  est  donc 
démontré  que  l'àme ,  étant  une  substance  qui  compare,  n'est 
pas  une  substance  cemposée  de  parties,  une  substance  éten- 
due :  elle  est  donc  simple.  »  Ce  raisonnement  acquiert  encore 
plus  de  force  si  l'on  ne  se  borne  pas  au  fait  du  jugement, 
mais  si  l'on  envisage  tous  les  éléments  que  la  conscience  em- 
brasse à  la  fois,  tous  ces  phénomènes  si  multiples  et  si  divers 
qu'elle  résume  en  elle,  ces  idées  de  qualités  opposées  qu'elle 
conçoit  en  même  temps,  ces  dépositions  simultanées  de  sens 
différents ,  ces  désirs  contraires  qui  viennent  se  heurter 
dans  l'àme,  ces  fluctuations  de  la  volonté,  toutes  modifi- 
cations qui  viennent  se  réunir  et  comme  se  fondre  au  foyer 
commun  de  la  conscience,  dont  l'unité  brille  d'autant  plus 
que  les  faits  qu'elle  saisit  à  la  fois  sont  plus  nombreux  et 
plus  variés. 

2"  La  force  qui  pense  ne  présente  pas  seulement  le  ca- 
ractère de  simplicité,  d'unité,  qui  la  distingue  de  la  matière; 
elle  présente  aussi  celui  d'identité .  et  s'en  sépare  à  ce  nou- 
veau titre.  Notre  corps  présente  une  sorte  d'identité  trom- 
peuse, résultant  de  sa  forme,  qui  apparaît  toujours  à  peu 
près  la  même.  Mais  on  sait  qu'il  n'est  qu'une  collection 
harmonieuse  de  parties  qui  à  chaque  instant  s'en  échappent 
et  disparaissent  pour  faire  place  à  des  parties  nouvelles,  et 
que  les  molécules  dont  notre  corps  se  compose  actuelle- 
ment ne  sont  plus  les  mômes  que  celles  qui  le  composaient 
il  y  a  quelques  années.  Cette  substitution  incessante  des 
parties  nouvelles  aux  parties  anciennes  détruit  donc  l'iden- 
tité véritable  de  cette  étendue  que  nous  appelons  notre 
corps.  Quoi  de  plus  évident,  au  contraire,  que  l'identité 
réelle  du  moi ,  de  ce  sujet  de  tous  les  sentiments,  de  toutes 
les  pensées,  de  toutes  les  volitions,  qui,  malgré  l'incessante 
mobilité  de  ses  phénomènes,  persiste  immobile,  invariable, 
toujours  le  même?  Cette  identité  n'est-elle  pas  attestée  à  la 
fois  et  par  la  mémoiie  et  pai'  la  raison?  N'ai-je  pas  l'iné- 
branlable conviction  que,  malgré  toutes  les  phases  par 
lesquelles  mon  existence  a  passé,  je  suis  demeuré  le  même 
être,  la  même  personne?  Le  souvenir  implique  si  bien  la 
croyance  à  l'identité  du  moi,  que  dire  qu'on  se  souvient 


AME 


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de  tel  fait ,  c'est  dire  qu'on  reconnaît  ce  fait  pour  avoir  oit' 
déjà  perçu  par  le  m«?me  moi  (si  je  puis  parler  ainsi),  auquel 
il  se  retrace  aujourd'hui.  De  quoi  se  compose  la  mémoire, 
sinon  de  l'ensemble  des  connaissances  qui  sont  venues  suc- 
cessivement prendre  domicile  dans  la  même  intelligence, 
et  constituer  sa  richesse?  Et  quand  je  pourrais  craindre  la 
perte  de  cette  faculté,  quand  le  passé  viendrait  à  disparaître 
pour  moi ,  la  raison  ne  m'oblige-t-elle  pas  d'admettre  que 
je  ne  cesserai  malgré  tout  d'être  le  même ,  et  que  celui  qui 
a  momentanément  perdu  le  souvenir  de  ses  actions  passées 
est  toujours  celui-là  même  par  qui  elles  ont  été  accomplies? 

3°  Outre  que  la  matière  est  étendue,  elle  est  inerte ,  ce 
qui  ne  veut  pas  dire  immobile,  mais  indifférente  au  mouve- 
ment et  au  repos ,  ou  encore  incapable  de  changer  par 
elle-même  d'état,  si  ce  n'est  par  l'action  d'une  cause  étran- 
gère. Si,  en  effet,  un  corps  n'est  sollicité  à  se  mouvoir  par 
aucune  force  environnante,  si  on  le  suppose  isolé,  aban- 
donné à  lui-même,  on  peut  aflirmer  sans  crainte  qu'il  res- 
tera dans  le  même  état,  et  que  de  lui-même  il  n'en  pourra 
changer.  Ce  qui  pense,  au  contraire,  est  doué  d'une  activité 
propre,  qui  par  elle-même,  et  sans  y  être  sollicitée  par 
aucune  cause  étrangère,  détermine  certains  mouvements, 
certains  changements  imputables  à  elle  seule.  Quand  j^' 
marche,  le  mouvement  que  je  produis  n'a  d'autre  cause 
que  moi-même  ;  et  si  l'on  objecte  que  c'est  un  motif  indé- 
pendant de  ma  volonté  qui  influe  sur  elle  et  me  détermine  à 
marcher,  je  répondrai  en  m'arrêtant. 

4°  Ceci  nous  conduit  naturellement  à  présenter  cette  in- 
compatibilité de  l'activité  propre  et  de  l'inertie  sous  un  nou- 
veau point  de  vue,  en  montrant  dans  la  matière  l'obéissance 
passive,  fatale ,  aux.  impulsions  qu'elle  reçoit ,  et  dans  l'àme 
une  complète  liberté.  La  matière,  en  effet,  est  une  esclave  ; 
elle  obéit  fatalement  et  à  son  insu  aux  impulsions  qui  lui 
sont  communiquées  ;  si  on  la  voit  résister  à  la  force  qui  la 
sollicite ,  c'est  peur  obéir  à  vme  force  plus  puissante  que  la 
première  ;  en  un  mot,  elle  ne  s'appartient  pas.  Elle  suit  en 
aveugle  la  force  qui  lui  commande ,  continuant  son  mouve- 
ment si  cette  force  continue  son  action,  l'interrompant  si 
cette  action  est  interrompue.  Est-il  besoin  de  faire  ressortir  ici 
le  contraste  entre  cette  fatalité  à  laquelle  est  soumise  la  ma- 
tière, et  la  liberté ,  le  plus  glorieux  attribut  de  l'àme  hu- 
maine? Si  deux  motifs  d'une  inégale  puissance  sollicitent  en 
même  temps  notre  activité ,  la  conscience  ne  nous  atteste- 
t-elle  pas  que  nous  pouvons  nous  déterminer  pour  le  plus 
faible ,  et  que ,  tout  en  cédant  à  l'une  des  forces  qui  nous 
sollicitent ,  nous  avons  pu  lui  résister,  et  sommes  constam- 
ment demeurés  maîtres  de  notre  action?  Voyez  le  malheu- 
reux qu'on  entraîne  au  supplice  :  son  corps  est  forcé  de  céder 
à  l'impulsion  qu'il  subit  ;  mais  son  àme  n'est-elle  pas  libre 
en  ce  moment  de  maudire  ses  bourreaux  ou  de  prier  pour 
eux? 

5°  La  matière  et  l'âme  présentent  encore  un  contraste 
remarquable  si  l'on  compare  entre  eux  les  procédés  par 
lesquels  nous  arrivons  à  la  connaissance  de  l'une  ou  de 
l'autre.  Comment  connaissons-nous  les  qualités  de  la  ma- 
tière? En  nous  mettant  en  conununication  par  nos  organes 
avec  le  monde  extérieur.  Si  nous  voulons  étudier  un  corps 
et  ses  propriétés ,  il  faut  que  nous  dirigions  sans  cesse  la 
perception  externe  vers  l'objet  de  notre  étude;  en  un  mot, 
c'est  au  moyen  des  organes  de  relation  et  par  leur  intermé- 
diaire seulement  que  nous  arriverons  à  connaître  les  qua- 
lités des  corps.  Voulons-nous,  au  contraire,  étudier  les  phé- 
nomènes de  l'àme ,  ce  n'est  point  aux  sens  que  nous  avons 
recours,  mais  à  la  réflexion,  à  cette  faculté  qui  nous  permet 
de  nous  replier  sur  nous-même ,  pour  assister  au  drame 
invisible  et  silencieux  qui  s'accomplit  au  sein  de  la  cons- 
cience. 11  y  a  plus ,  si  nous  voulons  mieux  saisir  ce  qui  se 
passe  sur  ce  théâtre  intime,  il  faut  nous  isoler  complètement 
du  monde  extérieur,  nous  dérober  aux  perceptions  trans- 
mises par  les  organes,  nous  recueillir  et  uous  réfugier  pour 

DICT.   DE  LA  CO.NVERS.  —  T.   1. 


ainsi  dire  au-<le<lans .  de  nous-même.  Niera-t-on  que  les 
deux  ordres  de  faits  ne  soient  atteints  par  des  procédés  en- 
tièrement opposés  ?  Ne  taxerait-on  pas  à  bon  droit  de  folie 
celui  qui  s'armerait  d'une  loupe  et  d'un  scalpel  pour  décou- 
vrir dans  le  cerveau  les  opérations  de  la  pensée ,  les  senti- 
ments, les  volitions?  Et  serait-il  moins  insensé  celui  qui 
rentrerait  en  lui-même  et  interrogerait  sa  conscience  pour 
connaître  les  phénomènes  de  la  matière?  Or,  si  dans  les 
deux  cas  les  facultés  qui  agissent  sont  si  différentes  que  l'ac- 
tion de  l'une  entrave  et  exclue  l'action  de  l'autre,  n'est-on 
pas  fondé  à  considérer  aussi  comme  entièrement  distincts  les 
faits  qu'elles  sont  chargées  de  connaître? 

6°  L'àme  se  distingue  encore  de  la  matière  par  les  résultais 
scientifiques  auxquels  aboutit  l'étude  de  chacun  des  deux 
principes.  Où  aboutit  l'étude  du  corps  humain?  A  la  physio- 
logie ,  à  la  connaissance  de  chaque  organe ,  de  ses  fonctions, 
de  son  but,  de  ses  relations  avec  les  autres  organes.  Poussez 
la  physiologie  aussi  loin  que  le  permettront  les  procédés , 
les  appareils  que  peut  inventer  la  science  :  vous  pourrez 
connaître  plus  complètement  les  organes  et  leurs  fonctions, 
mais  vous  serez  enfermé  dans  le  cercle  des  phénomènes  or- 
ganiques ,  appartenant  à  la  matière  et  explicables  par  ses 
lois.  Où  aboutit  l'étude  de  l'àme?  A  la  psychologie,  c'est-à- 
dire  à  la  connaissance  des  lois  de  l'entendement ,  de  la  vo- 
lonté et  des  affections  ;  puis  à  l'ontologie ,  à  la  morale ,  qui 
ont  la  psychologie  pour  base ,  comme  la  physiologie  a  l'ana- 
tomie  pour  fondement.  Or,  la  psychologie  se  distingue  pro- 
fondément de  l'anatomie  et  de  la  physiologie ,  autant  par  la 
nature  des  phénomènes  dont  elle  s'occupe  que  par  les  théo- 
ries qui  reposent  sur  la  connaissance  de  ces  phénomènes. 
Qu'ont  de  commun  l'ostéologie ,  la  myologie ,  la  splancb- 
nologie,  etc.,  avec  l'idéologie,  l'esthétique,  le  droit  na- 
turel ,  etc.  ?  is'on-seulement  la  physiologie  ne  nous  dit  pas 
un  mot  de  ces  dernières  théories ,  mais  il  lui  est  interdit  de 
s'en  occuper,  sous  peine  de  n'être  plus  elle-même  et  d'ab- 
diquer sa  méthode  et  l'objet  de  son  étude ,  aussi  bien  qu'il 
est  interdit  à  la  psychologie  de  parvenir  avec  sa  méthode  à 
la  connaissance  du  moindre  des  phénomènes  organiques.  Ce 
ne  sera  jamais  d'un  amphithéâtre  de  dissection  que  pourra 
sortir  un  traité  de  morale  ,  pas  plus  que  les  méditations  de 
Descartes  eussent  jamais  pu  enfanter  une  théorie  physiolo- 
gique. Ces  deux  sciences  sont  donc  parfaitement  tranchées , 
parfaitement  indépendantes  l'une  de  l'autre.  Or,  un  tel  con- 
traste dans  les  résultats  de  l'étude  des  deux  ordres  de  phé- 
nomènes ne  témoigne-t-il  pas  à  lui  seul  du  contraste  qui 
sépare  ces  phénomènes  eux-mêmes  et  leur  principe? 

7°  Mais  ce  n'est  pas  seulement  de  la  substance  étendue 
que  l'âme  se  distingue  :  elle  se  distingue  encore  des  forces 
qui  vivent  avec  elle  dans  le  corps ,  ou  plutôt  qui  sont  la  vie 
du  corps  auquel  elle  est  unie.  C'est  pour  nous  une  incon- 
testable vérité  qu'à  l'existence ,  à  la  nutrition  et  aux  fonc- 
tions de  chaque  organe,  préside  une  force  qui  le  constitue,  le 
maintient ,  le  vivifie.  Car,  puisque  l'organe  persiste  pendant 
un  certain  laps  de  temps ,  ayant  même  forme ,  même  mode 
de  vie ,  mêmes  fonctions ,  et  que  cependant  les  molécules 
dont  il  est  composé  ne  restent  pas  les  mêmes ,  mais  qu'elles 
cèdent  leur  place  à  d'autres  qui  seront  remplacées  à  leur 
tour,  il  faut  bien ,  pour  expliquer  l'unité  même  temporaire 
de  forme ,  de  vie  et  de  fonctions ,  au  milieu  de  ce  change- 
ment incessant  de  parties  ;  il  faut  bien ,  dis-je ,  admettre 
l'existence  d'une  force  qui  constitue  et  maintienne  cette 
unité,  et  qui  soit  distincte  des  molécules  qu'elle  s'agrège. 
De  même  pour  les  plantes,  de  même  pour  tout  corps  or- 
ganisé. Or,  je  dis  que  ces  forces  organiques  dont  l'harmonie 
constitue  la  vie  du  corps  sont  complètement  distinctes  de 
la  force  pensante  de  l'àme.  Mais  comment  l'âme  peut-elle 
s'en  distinguer?  Nous  pourrions  d'abord  répondre  qu'elle 
s'en  distingue  par  les  fonctions  mêmes  qu'elle  accomplit, 
et  qui  n'ont  rien  de  commun  avec  les  fonctions  de  la  vie 
organique.  La  connaissance  du  vrai,  l'amour  du  beau ,  la 


450 


AME 


pratique  du  bien ,  n'ont  rien  de  conaniun  avec  la  digestion , 
la  sécrétion  des  humeurs,  la  circulation  du  sang,  etc., 
toutes  fonctions  qui,  malgré  leur  diversité,  ne  supposent 
jamais  que  de  la  matière  mise  en  mouvement.  Mais ,  dira- 
t-on ,  du  moment  où  vous  supposez  dans  l'organe  une  force 
distincte  de  la  matière,  cette  force  a  une  analogie  de  nature 
avec  l'àme,  parce  qu'elle  est  immatérielle,  par  cela  qu'elle 
est  une  force.  Cette  force  pourrait  donc  avoir  des  attribu- 
tions doubles  :  par  les  unes  elle  présiderait  à  la  vie  du 
corps,  par  les  autres  aux  opérations  de  l'esprit,  en  sorte 
que  la  force  qui  digère  pourrait  être  la  force  qui  pense. 
Heureusement,  nous  possédons  un  moyen  d'échapper  à 
cette  confusion.  La  force  qui  pense  se  connaît.  L'un  de  ses 
attributs  essentiels ,  c'est  d'avoir  conscience  d'elle-même.  Il 
existe  une  relation  si  intime  entre  les  phénomènes  de  l'àme 
et  la  conscience  qu'elle  en  a,  qu'il  n'y  a  pas  de  hardiesse  à 
avancer  qu'une  modification  dont  elle  n'a  pas  conscience 
ne  saurait  lui  appartenir.  Qu'un  sentiment ,  qu'une  idée , 
qu'une  volition  apparaisse,  la  conscience,  l'âme  s'écrie 
aussitôt  :  Ce  sentiment ,  cette  idée ,  cette  volition ,  c'est  moi- 
même  sentant ,  pensant  et  voulant.  Qu'elle  vienne  à  ap- 
prendre qu'auprès  d'elle  circule  un  liquide  coloré  en  rouge 
dans  des  vaisseaux  artériels  et  veineux  ;  la  force  qui  fait 
circuler  ce  liquide ,  ce  n'est  pas  moi ,  dit-elle  encore.  Le 
raisonnement  me  révèle  bien  l'existence  de  ces  faits  ,  mais 
la  conscience  est  muette  à  leur  égard.  Je  n'en  ai  pris  con- 
naissance que  comme  j'ai  pris  connaissance  des  courants 
invisibles  qui  sillonnent  les  entrailles  de  la  terre;  mais  je 
ne  suis  pas  avertie  à  chaque  instant  des  modes  de  cette 
circulation  comme  je  suis  avertie  à  chaque  instant  des 
modes  de  mon  existence ,  des  sentiments  et  des  idées  qui 
se  succèdent  dans  mon  sein.  Or,  je  ne  reconnais  pour  miens 
que  ces  faits  intimes  par  lesquels  je  me  sens  vivre  pour 
ainsi  dire,  et  qui  constituent  ainsi  ma  vie  et  mon  être;  je 
n'appelle  moi  que  ce  dont  je  suis  avertie  unmédiatement  et 
incessamment  par  ma  conscience.  Ce  qui  ne  m'est  révélé 
que  par  ma  raison ,  ce  que  je  ne  connais  ainsi  que  de  loin 
et  comir.e  par  ouï-dire,  sans  le  saisira  tous  les  moments  et 
dans  toutes  les  phases  de  son  existence,  je  l'appelle  non- 
moi;  je  n'ai  pas  d'autre  signe,  il  est  vrai ,  pour  distinguer 
le  moi  du  non-moi  ;  mais  si  cela  ne  suffit  pas ,  si  le  cri  de  la 
conscience  n  ■  doit  pas  être  écouté ,  dès  lors  ces  idées  de 
moi  et  de  non-moi  ne  sont  plus  qu'une  illusion  et  une  ab- 
surde cliimère.  Oui ,  l'ùme  ignore  complètement  tous  les 
phénomènes  de  la  vie  organique  ;  ils  s'accomplissent  tous 
sans  elle  ,  malgré  elle  et  à  son  insu.  Comment  l'àme,  dont 
l'essence  est  de  se  connaître,  serait-elle  aussi  complètement 
étrangère ,  au  point  de  vue  de  la  conscience ,  à  toutes  les 
modifications  delorganisme,  si  elle  était  cette  même  force 
en  vertu  de  laquelle  l'organisme  est  modifié  ? 

11  y  a  plus,  non-seulement  tout  ce  qui  constitue  son  do- 
maine est  réuni  par  la  conscience  sous  une  même  unité ,  et 
séparé  ainsi  de  tout  ce  qui  n'est  pas  elle,  mais  tous  ces 
phénomènes ,  qu'elle  sait  lui  appartenir,  se  distinguent  en- 
core de  ceux  qui  ne  lui  appartiennent  pas ,  en  ce  qu'elle 
exerce  sur  eux  son  empire,  par  la  raison  qu'ils  sont  elle- 
même,  tandis  qu'elle  ne  peut  en  exercer  directement  au- 
cun sur  ceux  d'une  force  qui  lui  est  étrangère,  par  la  raison 
qu'ils  ne  lui  appartiennent  pas  et  qu'elle  ne  les  connaît  pas. 
L'àme  peut  modifier  ses  pensées ,  passer  d'une  opération  à 
une  autre,  écarter  cette  idée  pour  s'occuper  de  celle-là, 
changer  à  chaque  instant  ses  déterminations,  et  même  à 
l'égard  des  faits  affectifs ,  qui ,  tout  en  lui  appartenant, 
semblent  se  soustraire  à  une  réaction  de  sa  part,  elle  peut 
influer  sur  eux  de  fa^on  à  les  modifier,  commander  à  sa 
haine,  imposer  silence  à  ses  passions,  lutter  contre  la  dou- 
leur, y  faire  diversion  par  la  pensée  :  témoin  Posidonius , 
témoin  les  premiers  chrétiens  et  leur  sérénité  au  milieu  des 
tortures.  Si  les  phénomènes  de  l'organisation  étaient  aussi 
bien  le  fait  de  l'âme,  pourquoi  donc  n'aurait-elle  sur  eux 


aucun  empire?  pourquoi  ne  pourrait-elle  diminuer  la  vi- 
tesse du  sang ,  activer  ou  arrêter  la  sécrétion  des  himieurs, 
comme  elle  peut  changer  le  cours  de  ses  pensées  et  modi- 
fier ses  déterminations?  Mais,  dira-t-on,  cet  empire  existe 
sur  les  organes  de  la  locomotion  :  ainsi,  je  veux  lever  mon 
bras,  et  mon  bras  se  lève.  Ici,  la  force  qui  pense  semble 
bien  se  confondre  avec  la  force  musculaire.  Nous  répon- 
drons que  des  faits  incontestables  viennent  ici  déposer 
contre  cette  prétendue  identité.  Si  la  force  qui  veut  était  la 
même  que  celle  qui  permet  au  bras  ses  mouvements ,  com- 
ment se  ferait-il  que  dans  certaines  circonstances  ma  vo- 
lonté commande  et  n'est  pas  (béie?  En  effet,  l'organe  lo- 
comoteur a  pu  perdre  son  énergie  et  se  refuser  à  tout  mou- 
vement. Mais  si  ma  volonté  se  confondait  avec  la  force  mus- 
culaire qui  en  ce  moment  ne  peut  agir,  ma  volonté  serait 
également  inerte.  Or,  c'est  précisément  le  contraire  qui  ar- 
rive; son  énergie,  loin  d'être  éteinte,  a  dû  même  s'accroître 
en  raison  de  l'obstacle.  Si  donc  elle  a  conservé  son  énergie, 
elle  se  distingue  par  là  même  de  la  force  qui  a  perdu  la 
sienne.  Si  elle  ordonne  et  que  ses  ordres  ne  soient  pas  écou- 
tés ,  c'est  une  preuve  irrécusable  qu'il  y  a  là  deux  forces , 
l'une  chargée  de  commander,  l'autre  d'obéir. 

Notre  démonstration  pourrait  paraître  incomplète  si  nous 
négligions  de  répondre  aux  objections  spéciales  du  matéria- 
lisme et  de  lever  les  principales  difficultés  qu'il  nous  op- 
pose. Ce  sera  pour  nous  une  occasion  de  faire  apprécier  les 
fondements  de  cette  doctrine.  Or,  la  première  objection  qui 
se  présente  naturellement,  et  semble  faire  suite  aux  ré- 
flexions qu'on  vient  de  lire,  est  celle-ci  :  «  Les  opérations 
«  et  les  états  de  l'àme  sont  intimement  liés  aux  modifications 
«  du  cerveau.  L'âme  croît  et  se  développe  avec  lui.  Dans 
"  l'état  de  surexcitation  de  cet  organe,  la  pensée  aussi  est 
n  surexcitée,  et  cet  état  se  manifeste  chez  elle  par  l'efîer- 
«  vescence  ou  le  désordre  des  idées.  Si  le  cerveau  est  pa- 
«  ralysé,  l'action  de  la  pensée  l'est  aussitôt;  si  la  paralysie 
«  est  partielle,  la  pensée  est  paralysée  elle-même  dans 
«  quelques-unes  de  ses  facultés.  La  force  qui  f..it  vivre  le 
«  cerveau  est  donc  la  même  que  la  force  qui  pense.  »  Cette 
objection,  qui  repose  sur  la  correspondance  des  états  du 
cerveau  et  des  modifications  de  l'âme,  échappe  à  l'argument 
qui  distingue  l'âme  de  la  matière  par  la  contradiction  entre 
la  simplicité  et  l'étendue.  En  efTet,  elle  ne  parle  que  de 
forces,  mais  point  de  molécules,  et  compare  deux  choses 
qui  ne  paraissent  pas  inconciliables.  Néanmoins,  remarquons 
d'abord  qu'elle  est  réfutée  a  priori  par  les  démonstrations 
précédentes  ;  car  elle  n'infirme  en  aucune  manière  le  raison- 
nement par  lequel  nous  avons  distingué  la  force  qui  pense 
de  toute  force  organique.  Du  moment,  en  effet,  que  les  phé- 
nomènes dont  l'àme  a  conscience  sont  les  seuls  qui  lui  ap- 
partiennent, ceux  qui  se  manifestent  dans  le  cen'eau  ne 
sauraient  lui  appartenir,  pas  plus  que  ceux  de  tout  autre 
organe,  et  doivent  être  rapportés  à  une  force  étrangère. 
L'àme,  loin  d'avoir  le  moindre  empire  sur  les  modifications 
de  cet  organe,  les  ignore  d'une  ignorance  absolue  ;  que 
dis-je?  la  science  elle-même  déclare  que  c'est  l'organe  qui 
lui  est  le  moins  connu.  Ajoutons  que  la  force  qui  fait  vivre 
le  cerveau  se  présente  avec  tous  les  caractères  qui  cons- 
tituent les  forces  organiques.  C'est  toujours  un  appareil 
pourvu  de  nerfs,  de  vaisseaux,  se  développant  et  se  nour- 
rissant de  la  même  façon  que  tous  les  autres,  soumis  aux 
lois  fatales  de  la  matière  organisée  et  n'ayant  que  cela  de 
[articulier  qu'il  est  dans  une  relation  plus  directe  avec  la 
force  qui  pense.  Mais  venons  maintenant  à  cette  corres- 
pondance entre  les  états  de  l'âme  et  du  cerveau,  qui  fait  la 
base  de  l'objection,  et  demandons-nous  si  elle  prouve  l'iden- 
tité des  deux  forces.  Tout  ce  qu'elle  prouve,  c'est  la  relation 
de  dépendance,  que  nous  ne  prétendons  nullement  nier, 
car  nous  n'avonsjamais  eu  l'intention  de  nier  les  faits.  Nous 
convenons  sans  peine  que  la  nature  a  établi  entre  la  force 
qui  pense  et  le  cerveau  (  ou  son  prolongement  )  des  rapports 


AME 


451 


tds  que  l'action  de  l'une  est  enlitremcnt  liée  à  l'action  de 
l'autre.  Mais  cette  dépendance  prouve-t-elle  l'identité?  Kt  de 
ce  que  riioninie  ne  peut  se  rendre  compte  de  la  relatidu  qui 
unit  deux  forces  entre  elles,  doit-il  pour  cela  les  confoncbe? 
N'avons-nous  pas  tout  à  l'Iieure  parfaitement  distingué  la 
force  qui  veut  de  la  force  locomotrice,  malgré  la  relation 
évidente  où  elles  sont  l'une  avec  l'autre?  Ne  distinguons- 
nous  pas  les  forces  organiques  entre  elles,  malgré  la  dépen- 
dance mutuelle  où  elles  se  trouvent  ?  La  force  qui  digère 
n'est-elle  pas  distincte  de  la  force  circulatoire,  quoique  la 
première  ne  puisse  fonctioimer  sans  la  seconde?  Pourquoi 
quand  nous  avons,  d'ailleurs,  des  preuves  irrécusables  de 
la  non-identité  de  la  force  qui  pense  et  de  toute  force  or- 
ganique, admettrions-nous  l'identité  de  l'àmc  et  du  cerveau, 
par  cela  seul  que  l'àme  est  unie  à  l'autre  par  un  rapport  do 
dépendance?  Il  faudrait  alors  reconnaître  l'identité  de  la  lu- 
mière et  de  la  vision,  puisque  la  vision  ne  s'exerce  qu'au 
moyen  de  la  lumière.  On  voit  où  entraînerait  une  pareille 
prétention. 

Vient  maintenant  l'objection  des  phrénologistes ,  bien 
que ,  de  l'aveu  même  de  ses  fondateurs ,  Gall  et  Spurzheim , 
la  pbrénologie  ne  prouve  rien  contre  la  spiritualité  de  l'àme. 
Mais  de  nombreux  partisans  de  ce  système  ont  cru  y 
trouver  des  amies  en  faveur  du  matérialisme.  Or,  c'est  à 
ceux-là  que  nous  répondrons  en  ce  moment.  «  La  masse 
i<  cérébrale ,  disent-ils ,  malgré  son  apparente  uniformité , 
«  manifeste  à  l'observateur  attentif  des  développements  dis- 
«■  tincts  qui  ont  leur  situation  propre  et  bien  déterminée ,  et 
«  qui  répondent  chacun  à  une  faculté,  à  un  penchant.  C'est 
«  ce  que  prouvent  les  expériences  faites  sur  un  grand 
«  nombre  d'individus  qui  avaient  vécu  sous  l'iniluence  d'un 
n  même  penchant  prédominant,  et  dont  l'appareil  enccpha- 
«  lique  présentait  le  même  développement  prédominant,  placé 
«  dans  la  même  région  du  cerveau.  La  coïncidence  entre 
«  les  facultés  et  les  divers  développements  cérébraux  étant 
«  ainsi  établie,  ces  organes  partiels  étant  évidemment  le 
«  siège  et  la  condition  d'existence  et  d'action  de  nos  fa- 
«  cultes,  il  suit  de  là  qu'il  n'est  pas  nécessaire  d'aller  cher- 
«  cher  le  principe  de  ces  facultés  ailleurs  que  dans  ces 
»  organes  mêmes.  »  Nous  pourrions  répondre  à  cette  ob- 
jection par  une  fin  de  non  recevoir  tirée  de  l'état  actuel  de 
la  pbrénologie,  des  nombreux  démentis  qu'elle  reçoit  cha- 
que jour,  des  contradiclions  qui  régnent  ntre  les  laits  sur 
lesquels  elle  s'appuie,  du  désaccord  qui  existe  entre  tous 
ses  adeptes,  puisque  sur  trente-cinq  organes  il  y  en  a 
trente  environ  qui  sont  un  sujet  de  contestation  entre  les 
chefs  de  la  pbrénologie.  Mais  nous  n'aurons  pas  besoin  de 
recourir  à  ce  moyen  de  réfutation,  qui  serait  dans  notre 
(h-oit  ;  nous  accordons  à  la  pbrénologie  de  n'être  pas  une 
hypothèse ,  nous  l'admettons  comme  une  science  régulière- 
ment constituée,  et  nous  supposons  démontrée  par  des  faits 
toujours  concordants  la  coïncidence  entre  cliaque  fticulté 
et  chaque  portion  respective  du  cerveau.  Que  prouverait 
cette  relation?  Rien  autre  chose  que  ce  lien  de  dépendance 
que  nous  avons  reconnu  nous-même  avoir  été  étabU  par  la 
nature  entre  le  principe  pensant  et  les  forces  de  l'orga- 
nisme ,  mais  nullement  l'identité  du  cerveau  et  de  la  force 
pensante,  et  toutes  les  raisons  que  nous  avons  données 
contre  cette  identité  subsisteraient  intactes. 

Spurzheim  a  dit  :  «  On  ne  saurait  expliquer  la  connais- 
»  sance  simple  du  moi  par  la  structure  et  les  fonctions  du 
«  système  sensible,  tandis  que  les  spiritualistes  ont  une  expli- 
H  cation  qu'ils  peuvent  faire  valoir  dans  toutes  les  circons- 
n  tances.  »  Cet  aveu  est  précieux  dans  la  bouche  de  l'oracle 
de  la  plu'cnologie  ;  mais  nous  n'en  avons  pas  besoin ,  c"r  la 
pbrénologie  ajouterait  elle-même  une  force  nouvelle  aux 
preuves  de  la  distinction  des  deux  principes.  En  effet, 
puisque  les  ap|)areils  cén-braux  sont  multiples  et  distincts  les 
ins  des  autres,  cette  multiplicité  des  organes  encéplialiqucs 
fat   encore  mieux  ressortir  la  différence  qui  existe  entre 


cette  multitude  de  forcée  divisées  et  la  force  pensante  une 
et  identique,  qui  résume  en  elle  toutes  les  facultés,  les  con- 
naît toutes  pour  ses  propres  modes,  les  surveille  toutes ,  et 
exerce  sur  toutes  son  influence.  Si  l'on  n'aihnettait  pas  cette 
force  une  et  simple,  si  l'on  n'admett^iit  qu'une  pluralité  d'or- 
ganes, représentant  autant  de  facultés,  conunent  expliquer 
alors  la  liberté ,  cette  activité  intelligente ,  maîtresse  d'elle- 
même  ,  parce  qu'elle  se  connalt,réagissant  sur  ses  facultés , 
en  réglant  l'action  et  les  gouvernant  comme  une  sorte  de 
providence?  Que  devient  cette  unité  et  cette  libellé  de  di- 
rection avec  un  assemblage  d'organes  s'ignorant  les  uns  les 
autres,  obéissant  chacun  à  une  impulsion  fatale  et  recevant 
la  loi  du  plus  fort' L'empire  sur  soi-même,  l'éducation, 
sont-ils  possibles  avec  un  pareil  système?  Et  que  devient 
aussi  la  personnalité  humaine,  et  la  responsabilité?  Or,  les 
phrénologistes  n'ont  point  la  prétention  de  supprimer  les 
faits  constitutifs  de  la  nature  humaine,  la  conscience  et  la 
liberté,  quoiqu'ils  n'aient  pas  encore  trouvé  d'organes  qui  y 
correspondent.  Ils  seront  donc  obligés  d'admettre  avec  nous 
que  ces  appareils  cérébraux  qui  coïncident  avec  chaque 
faculté  ne  sont  tout  au  plus  pour  elles  que  des  conditions 
actuelles  de  développement  et  d'exercice,  mais  ne  sont  pas 
ces  facultés  elles-mêmes,  qui  résident  dans  le  moi,  et  qui, 
tout  en  étant  le  rayonnement  multiple  de  l'àme,  en  sont  in- 
séparables, et  ne  cessent  d'appartenir  à  un  centre  commun, 
de  sa  nature  un  et  indivisible.  Nous  n'avons  nullement  l'in- 
tention de  nier  qu'il  existe  dans  chacun  de  nous  des  pré- 
dispositions ,  des  aptitudes ,  des  penchants  dominants,  avec 
lesquels  nous  naissons,  et  que  la  nature  a  pu  détemiiner  en 
les  plaçant  sous  l'influence  de  forces  organiques  particu- 
lières. C'est  seulement  ce  dernier  point  que  pourrait  étabbr 
la  pbrénologie  ;  mais  en  cela  elle  n'aura  réussi  qu'à  cons- 
tater un  fait,  que  la  psychologie  a  reconnu  bien  avant  elle , 
et  dans  ce  fait  il  n'y  a  rien  qui  puisse  détruire  le  fait  de  la 
réaction  libre  de  l'àme  sur  ses  aptitudes,  sur  ses  penchants, 
et  du  gouvernement  de  ses  facultés  par  elle-même.  Or, 
c'est  ce  fait  incontestable  qui  prouve  l'existence  d'une  force 
ayant  conscience  d'elle-même,  libre  dans  ses  déterminations, 
et  se  distinguant  par  là  de  toute  force  organique. 

Voici  une  autre  objection,  ou  plutôt  une  autre  hypothèse 
du  matérialisme,  car  remarquons  ,  en  passant,  que  ce  n'est 
pas  autrement  qu'il  procède  :  «  La  pensée  n'est  pas  le  ccr- 
«  veau ,  mais  le  résultat  de  son  action  et  du  mouvement  de 
«  ses  fibres.  L'analyse  des  facultés  prouve  que  tous  les  faits 
«  qu'on  nomme  spirituels  sont  réductibles  à  la  sensation. 
«  Or,  la  sensation  est  le  résultat  d'une  impression  faite  sur 
«  le  cerveau,  en  vertu  de  l'organisation  de  cet  appareil.  Ces 
«  impressions,  ces  modifications  qu'il  reçoit,  se  transfor- 
«  ment  en  sensations,  les  engendrent  ;  celles-ci,  à  leur  tour, 
«  engendrent  les  idées ,  les  volitions ,  et  la  réunion  de  tous 
«  ces  faits  constitue  ce  qu'on  appelle  âme.  L'âme  n'a  donc 
<c  qu'une  réalité  abstraite  et  idéale;  c'est  un  mot  qui  sert 
«  à  rassembler  sous  un  même  chef  des  modifications  d'une 
«  nature  analogue ,  dont  le  sujet  véritable  et  vivant  n'est 
«  que  le  cerveau  lui-môme ,  dont  elles  sont  en  quelque 
«  sorte  le  produit  chimique.  »  Telle  était  la  psychologie  do- 
minante au  dix-huitième  siècle ,  entée ,  comme  on  ie  voit , 
sur  le  système  de  Condillac,  et  continuant  cette  œuvre  d'i- 
magination par  une  autre  hypothèse,  celle  de  la  transforma- 
tion de  l'impression  cérébrale  en  sensation.  Cette  explication 
ne  manque  pas  de  simplicité,  et  c'est  par  ce  côté  qu'elle  fut 
séduisante.  Convenons  toutefois  qu'elle  n'était  pas  heureuse, 
et  qu'elle  n'eût  pas  eu  tant  de  retentissement ,  qu'elle  n'eût 
pas  fait  tant  de  prosélytes,  et  n'aurait  pas  été  adoptée  par 
des  hommes  d'un  mérite  aussi  éminent  que  Voltaire ,  Di- 
derot, Helvétius,  d'Holbach,  Lamettrie ,  etc.,  et,  plus  près 
de  nous,  par  Cabanis,  Destutt  de  Tracy,  Broussais,  etc.,  si 
elle  n'eût  pas  été  favorisée  ou  plutôt  inspirée  par  la  réac- 
tion génétiile  et  violente  de  celte  époque  contre  les  dogmes 
leligreux ;  réaction  qui  la  port;iit  à  la  dcstmction  de  tout 

57. 


452 


AMR 


dogme  philosophique  qui  avait  le  malheur  de  prêter  au 
christianisme  le  raoimhe  appui.  Cette  objectiou ,  lue  de 
sang-froid  et  après  les  travaux  larges  et  sérieux  du  dix-neu- 
vième siècle ,  n'a  plus  guère  qu'un  intérêt  historique ,  et 
ue  soutient  pas  l'examen.  La  théoiie  des  sensations  de  Con- 
dillac,  sur  laiiuelle  elle  repose  ,  est  jugée  depuis  longtemps, 
et  ce  ne  serait  pas  d'ailleurs  ici  le  lieu  de  la  réfuter.  Mais, 
dussions-nous  l'adopter,  aucun  esprit  de  bonne  foi  ne  sau- 
rait en  faire  sortir  cette  enormité  que  la  pensée  est  un  pro- 
duit chimique  du  cerveau  et  le  résultat  de  son  organisation. 
Dire  que  les  sentiments,  les  idées,  les  voUtions,  n'ont  quHin 
sujet  nominal,  c'est  fermer  les  yeux  aux  enseignements  les 
plus  élémentaires ,  aux  vérités  les  plus  triviales  de  la  psy- 
chologie ;  c'est  faire  de  toutes  nos  sensations  autant  de 
tnoi  divers  et  épars  ;  c'est  nier  la  conscience ,  la  personne 
immaine  ;  c'est  se  renier  soi-même.  Mais  qui  pourrait  auto- 
riser à  admettre  cette  transformation  d'une  moditication 
)rgaiiiciue  en  un  fait  de  conscience?  Et  quand  il  ne  répu- 
gneiait  pas  au  bon  sens  que  le  mouvement  de  quelques  fi- 
bres put  engendrer  les  facultés  sublimes  de  l'esprit  et  leurs 
œuvres  immortelles,  quand  il  ne  s'indignerait  pas  à  cette 
pensée  que  la  vertu ,  la  vertu  trois  fois  sainte ,  n'est  que 
l'émanation  de  quelque  fluide  sécrété  par  le  cerveau,  de 
quel  droit  avancerait-on  que  l'organe  le  plus  parfait,  le  plus 
merveilleusement  construit,  puisse  produire  autre  chose 
que  des  phénomènes  d'étendue  et  de  mouvement  ?  Que  dé- 
couvrons-nous ,  en  elTet ,  dans  toute  espèce  de  corps  or- 
ganisé ?  Des  phénomènes  de  cette  sorte  ;  or  de  l'étendue  et 
du  mouvement  il  ne  peut  sortir  autre  chose  que  du  mou- 
vement et  de  l'étendue  ,  il  n'en  peut  sortir,  à  plus  forte  rai- 
son ,  des  faits  incompatibles  avec  l'étendue ,  il  n'en  peut 
sortir  la  pensée.  «  Dieu ,  dit  Hobbes ,  et  Locke  après  lui ,  a 
pu  donner  à  la  matière  cette  propriété.  »  C'est  faire  inter- 
venir bien  inutilement  la  Divinité  au  secours  d'une  hypo- 
thèse que  la  raison  condair.ne;  car,  par  cela  même  qu'il  y 
a  incompatibiUté  essentielle  entre  l'étendue  et  la  p.nsce, 
Dieu  lui-même  n'a  pu  faire  que  la  pensée  fût  le  produit  de 
l'étendue.  Dieu  n'a  pu  vouloir  que  les  choses  qui  s'excluent 
se  concilient ,  que  les  vérités  éternelles  puissent  cesser 
d'exister  :  car  ce  n'est  pas  borner  la  puissance  divine  que 
de  lui  refuser  le  pouvoir  d'engendrer  l'absurde.  Or,  l'ab- 
surde existerait  si  au  nombre  de  ses  propriétés  l'étendue 
«n  avait  une  qui  exclut  l'étendue  elle-même. 

Quelle  raison  pourrait  donc  autoriser  maintenant  à  faire 
sortir  la  pensée  du  cerveau  comme  résultat  de  son  organi- 
sation ?  tist-ce  parce  qu'un  grand  nombre  de  ses  phéno- 
mènes se  produisent  à  la  suite  de  phénomènes  organiques  ? 
Faudrait-il ,  en  raison  de  celte  concomitance ,  confondre  ce 
que  les  raisonnements  les  plus  solides  ont  prouvé  être  dis- 
tinct ?  La  forte  qui  pense  ne  saurait-elle  par  sa  nature  même 
être  indépendante  de  l'organisation  ?  Nous  avons  un  puissant 
motif  de  penser  le  contraire.  Autour  de  nous ,  il  est  vrai , 
il  n'existe  pas  d'êtres  pensants  qui  ne  soient  en  même  tenq)s 
unis  à  des  appareils  organiques  ;  mais  nous  savons  et  notre 
raison  nous  impose  l'obligation  d'admettre  que  nul  être  or- 
ganisé ne  peut  exister  sans  qu'une  pensée  ait  présidé  à 
son  organisation ,  et  que  celle-ci  est  inévitablement  l'œuvre, 
le  résultat  de  la  force  intelligente  qui  l'a  conçue  et  accom- 
plie. Comment  donc  ne  pourrait-on  concevoir  la  pensée 
indépendante  de  l'organisation,  quand  on  est  forcé  d'avouer 
qu'elle  a  dû  nécessairement  la  précéder  dans  l'ordre  des 
temps?  La  pensée  dans  lliomme  est,  si  l'on  veut,  bornée, 
imparfaite  ;  mais  elle  a  un  lien  évident  de  nature  et  d'homo- 
généité avec  la  pensée  divine  ;  et  si  la  pensée  divine  a  pré- 
sidé et  par  conséquent  préexisté  à  toute  organisation  ,  pour- 
<luoi  la  pensée  humaine  ,  qui  est  évidemment  d'une  essence 
homogène,  aurait-ille  besoin  pour  exister  de  résulter  de 
l'organisation?  Cette  considération  nous  a  semblé  une  in- 
duction très-forte  en  faveur  de  l'indépendance  essentielle 
de  l'àmc  à  l'égard  de  la  matière  organisée. 


Nous  dirons  peu  de  mots  d'une  autre  objection,  tirée  da 
l'àme  des  animaux ,  et  qui  avait  néanmoins  si  sérieusement 
embarrassé  Descartes ,  que  cet  irmnortel  génie  s'égara  au 
point  de  voir  dans  les  animaux  de  pures  machines,  de  véri- 
tables automates  ,  croyant  compromettre  la  question  de  la 
destinée  humaine  s'il  accordait  aux  animaux  la  moindre 
analogie  avec  notre  âme.  Nous  répondrons  à  cette  objection 
à  l'article  Ame  des  Bêtes.  11  suffit  pour  la  réfuter  d'admettre 
que  les  animaux  sont  doués  d'une  force  analogue  à  l'âme 
humaine  ;  car  il  serait  déraisonnable  de  leur  refuser  le  sen- 
timent ,  la  connaissance  et  l'activité  ;  mais  ,  tout  en  faisant 
cette  concession  obligée,  il  faut  reconnaître  en  même  temps 
que  l'animal,  dépourvu  de  réflexion  et  de  liberté ,  et  par 
consé(pient  incapable  de  mériter,  n'a  aucun  droit  à  un  état 
meilleur. 

Mamtenant  que  nous  avons  répondu  aux  objections  les 
plus  sérieuses  contre  la  spiritualité  du  principe  pensant ,  il 
ne  sera  pas  sans  intérêt  de  citer  les  principales  opinions  des 
philosophes  anciens  et  modernes  sur  la  nature  de  l'âme  hu- 
maine :  cet  aperçu  historique  prouvera  que  si  le  matéria- 
lisme a  eu  ses  représentants  à  toutes  les  époques,  le  spiri- 
tualisme a  toujours  grandi  malgré  leurs  efforts  ;  que  d'âge 
en  âge  il  s'est  entouré  de  plus  vives  lumières ,  et  que  les 
travaux  philosophiques  ont  constamment  contribué  à  élargir 
et  à  consolider  ses  bases. 

La  philosoi)hie  débuta  par  le  matérialisme ,  et  y  demeura 
jusqu'à  Anaxagore  ;  mais  ce  fut  un  raatériahsme  indécis  et 
qui  s'ignorait  lui-même ,  puisqu'il  ne  connaissait  pas  son 
contraire.  Appliquée  tout  entière  à  l'explication  de  la  nature 
extérieure ,  la  philosophie  ne  sortait  pas  de  ses  quatre  élé- 
ments ,  et  ne  pouvait  concevoir  encore  l'âme  autrement  que 
sous  une  forme  matérielle.  En  général ,  ce  fut  comme  une 
substance  éthérée  ou  ignée  que  les  premiers  philosophes 
conçurent  l'âme  ;  uon  qu'ils  la  confondissent  avec  son 
enveloppe  grossière ,  car  ils  parlaient  déjà  de  son  immor- 
talité (l'hérécyde ,  de  l'écol»  ionique,  né  600  ans  avant  J.-C, 
est  le  premier,  selon  Cicéron  ,  qui  ait  enseigné  l'éternité  des 
âmes  )  ;  mais  ils  ne  trouvaient  pas  d'autre  moyen  de  la  dis- 
tinguer du  corps  que  de  lui  attribuer  la  nature  de  ce  qu'il  y 
a  de  plus  subtil  dans  la  matière. 

Pythagore ,  le  moins  matérialiste ,  si  l'on  peut  parler 
ainsi ,  des  philosophes  des  premiers  âges  ,  place  dans  le  feu 
la  source  de  la  chaleur,  de  la  vie  et  de  l'âme.  Celle-ci,  éma- 
nation du  feu  central ,  est  un  composé  d'éther  chaud  et 
froid.  Ce  qui  ne  l'empèclie  pas  d'être  aussi  un  nombre ,  une 
hai-monie  ,  mais  un  nombre  qui  se  meut.  Cette  étincelle  de 
feu  divin  est  ce  qui  rapproche  l'homme  des  dieux.  Ses  deux 
facultés  sont  l'intelligence  ou  la  raison  ,  et  la  volonté  ou  les 
appétits  (les  désirs).  L'intelligence,  la  plus  pure  émanation 
de  l'âme  du  monde,  étant  la  partie  la  plus  noble  de  l'homme, 
a  son  siège  dans  le  cerveau  ;  mais  les  appétits  ont  leur  siège 
dans  le  cœur.  Du  reste,  les  âmes  des  hommes ,  comme  celles 
des  animaux ,  sont  impérissables  anisi  que  l'âme  du  monde, 
d'où  elles  émanent ,  et  après  la  mort  vont  habiter  d'autres 
corps,  soit  d'hommes,  soit  d'animaux  :  de  là  le  système  de 
la  m  et  cm  psycose. 

Heraclite ,  que  l'on  rattache  à  l'école  ionique ,  professa 
néanmoins  sur  l'àme  les  mêmes  doctrines  que  Pythagore , 
sauf  celle  de  la  métempsycose  ;  mais  il  chercha  à  expliquer 
comment  la  raison  vient  habiter  dans  l'homme.  La  raison 
étant  la  plus  pure  émanation  de  la  substance  ignée ,  rayonne 
de  toutes  parts  et  remplit  l'espace.  L'homme ,  placé  sous 
l'influence  de  cette  émanation  ,  la  saisit  et  se  l'approprie  par 
l'aspiration.  On  ne  dit  pas  comment  Heraclite  expliquait 
l'absence  de  la  raison  tliez  les  animaux,  qui  respirent 
comme  nous. 

L'éculc  atomistique,  qui  prit  naissance  à  la  même  époque, 
eut  cela  de  remarquable  qu'elle  servit  de  point  de  départ  au 
véritable  matérialisme,  puisque  Épicure,  environ  deux 
siècles  après ,  ne  fit  que  développer  et  formuler  avec  plus 


AME 


453 


d'exactitiulc  les  opinions  de  Lcucippe  et  de  Démocrite  ,  et 
qu'il  en  tira  la  preuve  qucràme  est  matérielle  et  périssable. 
Selon  Démocrile,  en  effet ,  la  pensée  se  compose  d'atomes 
conune  tout  le  reste ,  mais  des  atomes  les  plus  déliés ,  les 
plus  ronds ,  les  plus  polis  et  les  plus  mobiles  ;  c'est  à  quoi 
l'on  doit  attribuer  la  rapidité  de  la  marche  des  idées.  Épicure 
ajouta  que  les  atomes  n'ont  point  la  propriété  de  penser 
originellement ,  mais  que  cette  propriété  ne  résulte  que  de 
leurs  combinaisons.  11  plaça  le  siège  de  la  pensée  et  des 
passions  dans  la  poitrine .  et  répandit  la  sensibilité  dans 
tout  le  corps.  Les  a  ornes  dont  l'àme  est  composée  étaient, 
selon  lui ,  un  mélange  de  matière  ignée  et  de  matière 
aérienne,  combinée  avec  la  partie  la  plus  spiritueuse  du  sang. 
L'àme ,  selon  Epicure,  est  donc  matérielle,  et,  comme  telle, 
condamnée  à  périr  avec  le  corps.  Elle  est  matérielle ,  puis- 
qu'elle met  le  corps  en  mouvement ,  et  qu'elle  reçoit  les 
impressions  qu'il  lui  communique  ;  ce  qui  ne  pourrait  exister 
si  elle  était  d'une  autre  nature  que  le  corps.  Tel  est  le  rai- 
sonnement que  le  poète  commentateur  d'Epicure  a  exprimé 
dans  ce  vers  : 

Tangpre  cuim  aul  langi,  nisi  corpus ,  Dulla  potest  res. 

Mais  revenons  aux  temps  qui  ont  précédé  Socrate.  — 
Anaxagore ,  de  Clazoniènes  ,  est  le  premier  qui  ait  saisi  la 
véritable  natui'e  de  l'àme  ;  on  pourrait  l'appeler  le  père  du 
spiritualisme.  Selon  lui ,  l'àme  de  l'homme  et  celle  des  ani- 
maux provenant  de  l'àme  du  monde ,  sont  de  môme  nature 
que  celle-ci.  Or,  l'essence  de  l'àme  du  monde  est  l'intelli- 
gence ,  qui  est  la  source  des  êtres  intelligents.  Cette  intel- 
ligence est  en  même  temps  une  force  créatrice  et  purement 
spirituelle  ,  qui  a  formé  et  régularisé  l'univers  ,  au  moyen 
de  la  matière ,  qui  elle-même  est  éternelle  et  inaltérable. 
La  difiérence  qui  existe  entre  l'àme  du  monde  et  l'àme  des 
hommes  tient  au  degré  de  complication  de  la  matière  à  la- 
quelle elles  sont  unies.  L'âme  de  l'homme  est  impérissable 
conune  celle  du  monde. 

On  dit  qu' Anaxagore  compta  Socrate  parmi  ses  disciples, 
malgré  le  peu  de  respect  avec  lequel  ce  dernier  parle  des 
écrits  qu'avait  laissés  le  philosophe  de  Clazomènes.  Quoi 
((u'il  en  soit,  Socrate  embrassa  ses  doctrines  sur  Dieu  et 
sur  l'homme.  Mais  ennemi  des  discussions  ontologiques,  et 
pressé  d'en  venir  à  ce  qu'il  regardait  comme  la  véritable  On 
de  la  philosophie ,  la  morale ,  il  s'inquiéta  peu  de  la  sub- 
stance de  l'àme  ;  il  ne  s'occupa  que  de  sa  nature  active  et  de 
sa  destinée.  Partant  de  cette  vérité,  que  l'homme  ne  peut 
se  connaître  qu'en  rentrant  en  lui-même,  c'est  dans  son  àme 
même  qu'il  lut  les  glorieux  attributs  qui  la  distinguent  et 
les  preuves  de  sa  nature  divine  et  de  sa  destinée  immortelle. 
On  a  reproché  à  Socrate  de  n'avoir  pas  poussé  son  analyse 
assez  loin  pour  donner  à  toutes  ses  doctrines  une  base  plus 
scientifique.  Mais  il  laissa  ce  soin  au  plus  célèbre  de  ses 
disciples,  au  divin  Platon,  si  toutefois  on  peut  appeler  main- 
tenant scientifiques  les  théories  de  ce  philosophe.  Selon 
Platon,  la  matière  et  l'esprit  sont  distincts  et  tous  deux  éter- 
nels. Mais  le  monde  a  été  formé  par  l'esprit,  qui  a  combiné 
la  forme  avec  la  matière.  Le  monde  se  compose  aussi  d'êtres 
sphituels ,  mais  unis  à  des  corps  ;  ainsi  la  Divinité  est 
une  âme  sans  corps,  et  l'homme  un  corps  et  une  âme  réunis. 
L'àme  humaine  est  un  produit  de  l'intelligence  absolue; 
elle  se  manifeste  par  les  idées ,  les  sentiments  et  les  désirs , 
mais  tous  les  désirs  et  tous  les  sentiments  n'ont  pas  leur 
source  en  elle.  Ils  appartiennent  à  une  autre  force ,  que 
Platon  nomme  animale  ou  irraisonnable ,  et  qui  est  unie  à 
l'àme  raisonnable;  celle-ci  réunit  dans  la  conscience  les 
effets  et  les  variations  de  cette  âme  animale,  et  les  convertit 
en  sensations  et  en  désirs.  De  là  dans  l'àme  même  deux 
sortes  d'intelligences  :  l'une  ,  l'intelligence  ignoble  ou  em- 
pirique; l'autre,  l'intelligence  noble  ou  rationnelle.  C'est 
cette  dernière  qui  seule  rapproche  l'homme  de  la  Divinilé; 
et  en  effet  elle  en  porte  l'immortelle  empreinte,  puisqu'on 


trouve  en  elle  la  notion  de  la  réalité  absolue ,  et  les  idées , 
types  éternels  des  choses  et  principes  de  nos  connaissances, 
auxquels  nous  ne  faisons  que  rapporter  par  la  pensée  tous 
ces  phénomènes  divers  que  nous  présentent  les  objets  indi- 
viduels dans  le  monde  de  l'expérience.  On  voit  par  là  que 
l'existence  de  la  raison  dans  l'homme  fournit  à  Platon  sa 
principale  preuve  en  faveur  de  la  spiritualité  de  l'àme.  Il 
tira  aussi  de  son  indépendance  la  preuve  de  son  unité  :  car, 
dit-il ,  si  elle  dépendait  de  parties  composées  et  préexis- 
tantes, la  nature  de  ces  éléments  déterminerait  son  action, 
au  lieu  que  nous  voyons  l'indépendance  présider  à  ses 
actes.  L'âme  a  préexisté  à  son  union  au  corps  ;  car  les  im- 
pressions reçues  par  les  sens  ne  servent  qu'à  réveiller 
en  elle  le  souvenir  des  idées  reçues  avant  la  vie.  Mais  si 
l'âme  préexistait  à  la  vie,  elle  doit  aussi  lui  survivre.  Aucun 
philosophe  n'avait  encore  formellement  posé  le  dogme  de 
l'immoilalité  de  l'âme  ;  Platon  le  fit  dans  le  Phèdre ,  dans 
la  République ,  et  surtout  dans  le  Phédon.  Et  en  effet 
comment  n'aurait-il  pas  admis  la  survivance  de  l'âme ,  lui 
qui  la  considérait  comme  une  parcelle ,  pour  ainsi  dire ,  de 
la  Divinité,  comme  le  Verbe  incarné,  et  qui  lui  accordait  les 
attributs  d'immutabilité  et  d'indépendance?  On  pourrait 
s'étonner  qu'au  nombre  de  ses  arguments  en  faveur  de  l'im- 
mortalité de  l'âme  il  n'ait  pas  fait  valoir  celui  qui  repose 
sur  le  principe  du  mérite  et  du  démérite,  argument  qui  est 
au  fond  de  toutes  les  intelligences ,  et  dont  le  christianisme 
a  fait  sa  base.  Mais  Platon  ne  s'explique  pas  catégori- 
quement sur  l'état  où  sera  l'âme  immédiatement  après  la 
mort;  il  a  seulement  indiqué  son  opinion  dans  un  mythe 
emprunté  à  quelque  tradition  orientale ,  où  il  cherche  à 
rendre  compte  de  l'association  de  l'âme  avec  le  corps.  «  Les 
âmes ,  raconte-t-il ,  avant  cette  vie ,  habitaient  chacune  une 
étoile;  leurs  désirs,  indignes  de  la  spiritualité,  les  firent 
reléguer  dans  des  corps  matériels ,  d'où  elles  doivent  passer 
dans  d'autres  plus  grossiers  encore  lorsqu'elles  continuent 
toujours  de  s'abaisser  au-dessous  de  leur  dignité.  Mais 
il  arrive  enfin  un  temps  où  elles  sortent  de  cet  abaisse- 
ment ;  et  quand  elles  ont  remonté  ainsi  par  degrés  à  leur  an- 
cienne noblesse,  elles  retournent  à  leur  demeure  primitive.  » 
Il  y  a  peut-être  beaucoup  de  vérité  au  fond  de  cette  fable. 
Aristote,  qui  suivit  pendant  vingt  ans  les  leçons  de  Platon, 
modifia  peu  son  système ,  si  l'on  a  égard  moins  aux  mots 
qu'aux  choses  ;  mais  l'importance  qu'il  donna  a  ix  phéno- 
mènes matériels  et  d'autres  raisons  encore  furent  cause 
que  les  péripatéticiens  qui  lui  succédèrent  fuient  tous  maté- 
rialistes. Voici,  au  reste,  quelle  était  sa  psychologie.  L'enté- 
léchie  est  le  principe  existant  par  lui-même  du  mouvement; 
elle  est  éternelle,  immuable,  et  entièrement  distincte  de  la 
matière.  Au-dessous  de  cette  entéléchie  absolue  existent  des 
entéléchies  ou  âmes ,  soit  dans  les  plantes ,  soit  dans  les 
animaux.  L'âme  ou  entéléchie  humaine  est  triple,  c'est-à-dire 
se  compose  de  trois  puissances  principales  :  l'âme  végétative, 
l'âme  sensitive,  l'âme  raisonnable.  Les  deux  premières  ap- 
partiennent au  corps,  la  dernière  est  un  produit  immédiat  de 
la  substance  divine,  une  émanation  de  la  Divinité.  L'âme 
végétative  réside  dans  les  organes ,  et  son  agent  est  la 
chaleur.  L'àme  sensitive ,  ou  puissance  de  sentir,  commune 
aux  hommes  et  aux  animaux ,  est  plus  perfectionnée  dans 
l'homme  ;  le  sentiment  est  le  résultat  de  l'organisation  ,  ou , 
pour  nous  servir  de  la  langue  d'Aristote ,  une  forme  du 
coi-ps  organisé;  l'imagination  et  la  mémoire  en  dépen- 
dent ,  car  par  sentiment  Aristote  entend  les  sensations  et 
les  perceptions.  Le  siège  de  l'âme  sensitive  est  dans  le  cœur, 
car  c'est  à  la  propagation  du  sang  dans  tout  le  corps  que 
celui-ci  doit  de  sentir  dans  toutes  ses  parties  :  le  c(ri;r  est 
donc  le  sensorium  commune.  Les  sensations  et  les  idées 
engendrent  la  volonté,  qui  met  le  corps  en  action  par  le  moyen 
d'une  substance  élhérée  unie  au  sang,  la  même  que  les  es- 
prits animaux  de  Descaries  et  de  Malebranche.  La  chaleur, 
le  princii)al  agent  de  la  force  sensitive,  provient  de  la  ma- 


4.S4 


AME 


tière  du  €iel  répandue  dans  l'univers.  Les  forces  sensitives 
sont  donc  des  émanations  des  corps  célestes.  Mais  la  pensée,  ou 
lame  raisonnable,  n'est  pas  originellement  propre  au  corps; 
elle  y  vient  du  dehors ,  et  l'homme  la  reçoit  par  l'acte  de 
la  respiration.  L'âme  sensitive,  étant  le  principe  de  la  forme, 
de  l'organisation  du  corps,  périt  avec  lui;  tandis  que  l'âme 
pensante,  indépendante  du  corps  et  pouvant  exister  à  part, 
est ,  comme  la  source  d'où  elle  provient,  éternelle  ,  impé- 
rissable; elle  existe  comme  étincelle  absolue  de  la  Divinité. 
Mais  comme  l'âme  sensitive  périt,  la  mémoire,  la  cons- 
cience périssent  aussi  :  la  personnalité  est  donc  détruite  à 
la  mort.  Ainsi ,  quand  une  âme  raisonnable  se  combine 
de  nouveau  avec  un  corps  humain,  elle  l'élève  au  rang 
d'animal  raisonnable ,  sans  pour  cela  qu'elle  puisse  se  sou- 
venir de  sa  préexistence. 

Psous  remarquerons  d'abord  que  le  spiritualisme  d'Aris- 
lotc  n'était  pas  très-conséquent  ;  car  ce  philosophe  admettait 
l'hypothèse  d'Heraclite,  et  il  est  difficile  de  concevoir  la 
raison  comme  quelque  chose  d'immatériel,  si  elle  est  reçue 
par  voie  d'absorption.  Ensuite,  comment  concilier  l'unité  de 
l'âme  avec  l'existence  de  l'âme  sensitive  et  de  l'âme  pen- 
sante dans  un  même  sujet  :  l'une  chargée  de  donner  les 
sensations  et  les  perceptions  ;  l'autre,  de  révéler  les  formes 
qui  Servent  à  généraliser  les  données  de  l'âme  sensitive? 
Aristote  ne  voyait-il  pas  qu'en  accordant  à  une  force  cor- 
porelle le  pouvoir  d'imaginer  et  de  se  souvenir,  il  ôtait  à 
l'âme  soff  unité?  De  plus,  son  étornelle  dualité  de  la  forme 
et  de  la  matière,  qu'il  appliquait  à  tout,  eut  pour  consé- 
quence de  faire  considérer  l'âme  comme  une  abstraction 
plutôt  que  comme  une  réalité  vivante  et  distincte.  En  effet, 
selon  lui,  l'âme  sensitive  n'était  que  la  forme  du  corps  or- 
ganisé, et  celui-ci  la  matière.  Les  sensations  et  les  percep- 
tions, à  leur  tour,  étaient  la  matière  dont  les  idées  fournies 
par  la  raison  étaient  la  forme  ;  en  sorte  qu'en  fin  de  compte, 
l'âme  était  au  corps  ce  que  l'empreinte  est  à  la  cire.  Mais 
quand  la  cire  sera  fondue,  que  deviendra  l'empreinte?  Aussi 
Diccarquc ,  plus  explicite,  déduisit  nettement  des  principes 
posés  par  son  maître  la  matérialité  de  l'âme.  Si  l'on  peut 
accuser  Platon  d'avoir  trop  divinisé  l'âme  humaine,  on  peut 
reprocher  à  Aristote  de  l'avoir  trop  animalisée,  qu'on  me 
passe  cette  expression.  Ce  dernier  craignit,  il  est  vi'ai,  de 
s'égarer  en  prenant  l'absolu  pour  point  de  départ,  et,  ja- 
loux de  suivre  une  méthode  plus  exacte  et  plus  analytique, 
il  partit  des  faits,  ce  qui  était  bien  ;  mais  il  ne  sut  pas  les 
analyser  de  manière  à  aboutir  à  la  synthèse  hardie  de  Pla- 
ton, et  les  défauts  de  son  analyse,  qu'on  crut  exacte,  eurent 
le  matérialisme  pour  conséquence. 

Malgré  la  vive  impulsion  spiritualiste  que  Platon  avait 
imprimée  aux  esprits,  on  vit  apparaître  peu  de  temps  après 
lui,  dans  le  monde  philosophique,  une  contradiction  étrange  : 
je  veux  parler  du  stoïcisme.  Quoi  de  plus  contradictoire,  en 
effet,  que  l'ontologie  des  stoïciens  avec  leur  morale,  dont  les 
principes  sublimes  surpassèrent  en  noblesse  et  en  vérité 
tout  ce  qui  parut  sur  la  terre  avant  le  christianisme  ?  Par 
une  monstraeuse  inconséquence,  les  héritiers  directs  de  So- 
trate,  les  auteurs  de  la  plus  admirable  tliéorie  du  devoir, 
les  adorateurs  les  plus  intelligents  de  la  vertu,  furent  ma- 
térialistes. Selon  eux,  la  matière  existe  de  toute  éternité,  et 
tout  ce  qui  existe  sort  du  sein  de  la  matière.  La  matière  ren- 
fenne  deux  principes,  l'un  passif,  l'autre  actif;  ce  dernier  est 
corporel  comme  l'autre,  mais  il  a  en  propre  le  mouvement, 
qu'il  communique  à  la  partie  passive.  Le  principe  actif  c'est 
Dieu  ;  il  possède  le  sentiment  et  la  pensé',  puisqu'il  a  créé 
des  êtres  possédant  ces  qualités.  L'àme  de  l'homme  se  dis- 
tingue du  corps  en  tant  qu'elle  émane  du  principe  actif,  dont 
elle  partage  la  substance  :  c'est  un  feu  subtil  etéthéré.  ;Mais 
en  tant  ([u'imlividualito,  elle  est,  comme  le  coiiis,  périssable 
et  n\turt  avec  lui.  Zenon  avait  cru  peut-être  grandir  et  en- 
noblir la  vertu  en  lui  ôtant  tout  espoir;  il  ne  vit  pas  qu'il  la 
rendait  vaine  et  impossible  :  elle  n'était  plus  qu'un  nom, 


comme  le  dit  Brutus  en  expirant  à  Philippes.  On  peut  dire 
que  le  stoïcisme  y  périt  avec  lui  ;  car  le  néostoïcisme,  qui 
reparut  avec  Sénèque,  abandonna  les  doctrines  ontologiques 
du  stoïcisme  ancien,  pour  se  rattacher  à  celles  de  Platon,  et 
peut-être  à  celles  du  christianisme,  dont  quelques  rayons 
avaient  dû  arriver  jusqu'à  lui. 

Au  reste,  la  question  de  la  nature  de  l'âme  ne  fut  plus 
un  sujet  de  discussion  jusqu'à  la  renaissance  de  la  philoso- 
phie chez  les  modernes  ;  car  après  la  chute  des  Grecs  la 
philosophie,  réfugiée  à  Alexandrie,  ne  s'occupa  plus  que  de 
recherches  sur  la  nature  divine,  ou  sur  les  moyens  d'entrer 
en  communication  avec  la  Divinité.  Puis  vint  la  scholas- 
tique  du  moyen  âge,  ce  long  sommeil  de  la  philosophie,  qui 
emprunta  sa  méthode  à  Aristote  et  ses  dogmes  à  la  théo- 
logie chrétienne,  dont  elle  n'était  que  la  servante,  ancïlla 
titeologix.  Que  devint  le  spiritualisme  pendant  ce  laps  de 
temps  immense  qui  s'écoula  depuis  Platon  jusqu'à  Descar- 
tes? Il  devint  une  religion.  Le  cbristianisme  recueillit  ce 
dogme  précieux,  et,  unissant  ce  qui  devait  être  uni,  la  mo- 
rale sublime  du  stoïcisme  à  la  psychologie  de  Platon,  il  trans- 
mit aux  âges  modernes  ces  doctrines  épurées,  en  les  plaçant, 
pour  les  soustraire  aux  tempêtes  qui  bouleversaient  le 
monde,  sous  l'égide  tutélaire  de  la  foi. 

Quand  Descartes  eut  paru ,  et  qu'il  eut  rallumé  le  flam- 
beau de  la  philosophie ,  les  recherches  recommencèrent , 
et ,  comme  on  devait  le  prévoir,  le  matérialisme  et  le  spi- 
ritualisme se  trouvèrent  de  nouveau  en  présence.  Le  réno- 
vateur fut  spiritualiste.  Suivant  lui,  l'âme  humaine  jouitd'une 
existence  propre ,  absolue  et  indépendante;  ses  fonctions 
sont  de  sentir,  de  connaître ,  de  penser  et  de  vouloir.  Ainsi, 
ce  n'est  pas  le  corps  qui  sent ,  mais  l'âme ,  et  c'est  l'âme 
qui  constitue  la  substance  proprement  dite  de  l'homme. 
Voilà  l'unité  de  l'âme  proclamée ,  voilà  l'homme  débarrassé 
de  ces  deux  ou  trois  âmes  dont  l'avaient  affublé  les  anciens. 
L'âme  trouve  en  elle  d'abord  l'idée  d'elle-même ,  puis  celle 
de  Dieu,  de  l'être  en  soi,  possédant  toutes  les  perfections, 
enfin  les  vérités  nécessaires.  Toutes  ces  idées  sont  innées , 
puisqu'elles  ne  peuvent  venir  du  dehors.  Descartes  s'occupa 
aussi  beaucoup  de  l'organisme  ;  dans  son  traite  De  Homme 
lit  machina ,  il  décrivit  une  machine  qui  produirait  exacte- 
ment les  mêmes  effets  que  le  coi-ps  huiuain  si  on  pane- 
nait  à  la  vivifier.  11  assignait  pour  siège  au  principe  de  la 
vie  la  glande  pinéale ,  d'où  les  esprits  vitaux  se  répandent 
dans  tout  le  corps ,  et  vers  laquelle  ils  refluent  ensuite  ;  il 
plaçait  aussi  l'âine  dans  le  même  organe,  parce  que,  la 
glande  occupant  le  centre  de  l'encéphale ,  c'est  de  là  qu'il 
est  le  plus  facile  à  l'âme  de  régir  les  esprits  vitaux,  et  de  là 
le  corps.  Mais  ces  bypothèses  de  la  glande  pinéale  et  des 
e?prils  vitaux  sont  ayijourd'hui ,  et  avec  raison ,  reléguées 
dans  l'empire  des  chimères.  Descartes  se  posa  le  premier 
le  problème  de  l'influence  réciproque  des  deux  substances, 
pioblème  qui  n'avait  pas  préoccupé  les  anciens  philosophes, 
parce  qu'ils  n'admettaient  pas  un  contraste  aussi  prononcé 
ciiîre  le  corps  et  l'âme.  Mais  Descartes  jugeait  trop  pro- 
fonJe  l'opposition  des  deux  principes  pour  qu'ils  pussent 
avoir  dïectemrnt  action  l'un  sur  l'autre;  il  se  contenta 
(l'aihneltre  une  simple  association  des  deisx  substances,  et 
fit  intenenir  la  Divinité  pour  expliquer  leur  réciprocité  d'ac- 
tion. Ainsi,  toutes  les  fois  que  le  corps  reçoit  une  modifi- 
cation. Dieu  ,  qui  à  chaque  instant  de  la  durée  conserve 
l'existence  du  corps  et  de  l'âme ,  prête  à  celle-ci  son  as- 
sistance, et  produit  dans  l'âme  une  modification  corres- 
pondante. Quant  à  l'âme ,  elle  a  action  sur  le  corps  au 
moyen  des  esprits  animaux,  sur  lesquels  elle  a  pouvoir,  d 
qui  sont  ses  agents  pour  faire  exécuter  au  corps  les  mou- 
vements qu'elle  a  pensés.  On  a  condamné  justement  cette 
hypothèse  sti'rile  de  l'assistance  divine;  car  c'est  un  moyen 
fort  peu  philosopiiique  d'expliquer  ce  qu'on  ne  comprend 
l)oint ,  et  qu'on  pourrait  employer  à  chaque  difficulté  qui  se 
présenterait ,  ce  qui  ne  ferait  point  avancer  la  science. 


AME 


4  Sa 


Celte  teiulance  de  Descaites  à  Hùre  participer  directe- 
ment la  Divinité  à  nos  actes  fut  fatale  à  Malebranche,  qui 
ne  s'en  tint  pas  au  spiritualisme,  et  ne  crut  pouvoir  expli- 
quer les  nïvstères  de  1  ame  humaine  sans  recourir  à  une 
sorte  de  panthéisme,  qui,  j'aime  à  le  croire,  n'étiiit  pas 
dans  sa  pensée.  Puisque  les  êtres  créés  sont  bornés,  dit-il , 
et  qu'ils  ne  contiennent  pas  tous  les  (Mres  connnc  Dieu , 
que  cependant  l'Ame  humaine  peut  arriver  à  la  connais- 
sance d'une  infinité  d'êtres  et  môme  de  l'Être  infini,  ce  n'est 
pas  en  elle  qu'elle  les  voit ,  puisqu'ils  n'y  sont  pas  ;  ce  ne 
peut  être  qu'en  Dieu ,  qui  est  si  étroitement  uni  à  nos  âmes 
par  sa  présence,  qu'on  peut  dire  qu'il  est  le  lien  des  esprits, 
comme  l'espace  est  le  lien  des  corps.  Ainsi ,  selon  Male- 
branche ,  nos  idées ,  nos  connaissances  ne  sont  point  le 
propre  de  l'àme ,  mais  elles  appartiennent  à  Dieu  ,  qui  nous 
en  fait  part  parce  que  nous  sommes  en  lui.  C'est  donc  Dieu 
qui  pense  en  nous ,  et  voilà  la  pensée  divine  tout  douce- 
ment substituée  à  la  pensée  humaine.  De  même  pour  l'ac- 
tivité :  Dieu  est  l'auteur  de  tous  nos  mouvements ,  c'est  lui 
qui  agit  en  nous  ;  car  les  créatures  n'ont  par  elles-mêmes 
aucune  force  ;  toute  force  réside  en  Dieu.  C'est  Dieu  évi- 
demment qui  nous  meut  vers  le  bien  général  ;  et  quand 
notre  mouvement  est  dirigé  vers  un  bien  particulier,  ce 
en  quoi  consiste  toute  la  liberté ,  selon  Malebranche ,  ce 
mouvement  n'en  est  pas  un  à  proprement  parler  :  c'est 
l'âme  qui  se  repose  et  s'arrête  en  chenùn.  D'ailleurs,  puis- 
que l'âme  ne  possède  pas  de  force  qui  lui  soit  propre,  quand 
la  force  empruntée  qui  l'anime  vient  à  interrompre  son 
mouvement  vers  le  bien  général,  comment  attribuer  à 
l'homme  cette  interruption ,  à  moins  de  lui  accorder  en 
même  temps  une  force  propre,  capable  de  réagir  sur  la 
force  qui  le  pousse  ?  Or,  c'est  ce  que  n'accorde  point  Male- 
branche. On  conçoit  aisément  qu'il  ait  adopté  le  système  de 
l'assistance  divine  pour  expliquer  la  réciprocité  d'action 
des  deux  substances  ;  car  si  Dieu  pense  et  agit  en  nous , 
à  plus  forte  raison  doit-il  être  l'auteur  de  cette  mystérieuse 
influence  d'un  principe  sur  l'autre.  En  effet ,  selon  Male- 
branche ,  le  commerce  de  l'âme  et  du  corps  est  un  mira(  le 
continuel.  C'est  Dieu  qui  à  l'occasion  de  certaines  modi  i- 
cations,  soit  corporelles ,  soit  spirituelles,  produit  des  mo;]'- 
fications  correspondantes  dans  le  principe  opposé.  Le  corps 
et  l'âme  ne  sont  donc  que  des  occasions  des  modifications 
produites,  Dieu  seul  en  est  la  cause  :  et  de  là  le  système 
de  l'assistance  divine  se  transforma  en  celui  des  causes  oc- 
c-asionnelles.  Ainsi  Malebranche  enchérit  sur  Descartes,  et 
refuse  à  l'âme  toute  influence  sur  le  corps.  Nous  verrons  que 
Leibnitz  a  poussé  les  choses  plus  loin. 

Le  panthéisme  de  Spinosa  est  plus  avoué  que  celui  de 
Malebranche.  Les  êtres  créés  n'étant  que  des  modes  de  la 
substance  unique ,  qui  est  à  la  fois  étendue  et  pensée ,  l'âme 
humaine  n'est  qu'un  mode  de  la  substance  divine  en  tant 
que  substance  pensante.  Mais,  de  même  que  Dieu  est  à  la 
fois  l'étendue  et  la  pensée,  de  même  l'individualité  humaine 
est  à  la  fois  âme  et  corps ,  c'est-à-dire  que  l'âme  et  le  corps 
ne  sont  qu'une  même  chose ,  envisagée  sous  ses  deux  as- 
pects. En  effet ,  l'idée  directe  et  immédiate  d'une  chose 
individuelle  est  l'esprit  on  l'àme  de  cette  chose ,  et  la  chose , 
comme  objet  direct  et  immédiat  de  cette  idée ,  se  nomme  le 
corps.  D'où  il  suivrait,  selon  Spinosa ,  que  l'âme  n'est  autre 
chose  que  l'idée  que  le  corps  a  de  lui-même.  Mais  ici  se 
présentait  une  difficulté  grave  ;  car  il  se  trouve  précisément 
que  ce  qui  pense  dans  l'homme  ignore  l'organisme,  ou  du 
moins  n'en  a  en  aucune  façon  la  connaissance  directe.  Ce 
qui  s'accorde  fort  mal  avec  la  définition  de  Spinosa ,  qui 
prétend  que  l'âme  d'une  chose ,  c'est  la  connaissance  directe 
«le  cette  chose.  Aussi  essayait-il  de  tourner  cette  <lif(iculté 
en  disant  que  l'âme  peut  n'avoir  pas  conscience  de  son 
corps  ;  qu'elle  en  prend  connaissance  au  moyen  des  qualités 
que  le  corps  reçoit  des  choses  situées  au  dehors  de  lui ,  car 
le  corps  ne  pounait  ni  exister  ni  être  conçu  jouissant  d'une 


existence  réelle    sans  ses  relations  réciproques  avec  les 
choses  extérieures. 

Détournons  les  yeux  de  ces  ridicules  et  misérables  subti- 
lités ,  pour  les  reporter  sur  un  système  qu'on  peut  accuser 
d'exagération,  mais  dont  on  ne  peut  s'empêcher  d'admirer  la 
sublime  hardiesse  :  je  veux  parler  des  monades  de  Leibnitz.  Il 
n'evistedans  l'univers,  selon  Leibnitz,  que  des  forces,  des 
unités  :  il  les  appelle  monades.  Dieu,  la  monade  des  monades, 
éternel,  infini,  un  et  triple,  connaît  seul  distinctement  ce 
<iue  les  autres  monades  n'aperçoivent  que  plus  ou  moins  con- 
fusément, c'est-à-dire  l'ensemble  de  l'univers.  Au-dessous  de 
cette  unité ,  qui  contient  toutes  les  perfections ,  existent  les 
monades  inférieiu-es ,  tirées  du  néant  par  la  puissance  de  la 
monade  infinie,  et  impérissables,  ou  du  moins  ne  pouvant 
cesser  d'exister  que  par  l'annihilation.  Toutes  sont  douées  de 
perception ,  mais  à  des  degrés  différents ,  et  sont  comme  des 
miroirs  qui  réfléchissentrunivers  plus  ou  moins  obscurément. 
La  monade  pure,  l'atome,  n'a  qu'une  perception  indistincte, 
sans  conscience,  analogue  à  celle  qui  existerait  en  nous 
quand  nous  sommes  dans  un  état  de  stupeur.  Mais  quand  la 
monade  est  douée  de  conscience  ou  de  la  connaissance  ré- 
flexive  de  son  état  intérieur,  la  monade  est  une  âme  comme 
celle  des  animaux.  Si  à  la  perception  et  à  la  conscience  se 
joint  la  raison ,  la  monade  est  im  esprit.  Dans  le  monde 
actuel,  ces  monades  spirituelles  se  trouvent  toujours  placées 
au  centre  d'une  agrégation  de  monades  pures,  qui  constituent 
le  corps  de  cette  monade  centrale.  Quand  une  agrégation 
de  monades  pures  n'a  pas  un  centre  avec  lequel  soient  en 
rapport  les  diverses  parties  de  l'ensemble,  el^e  forme  ce  que 
l'on  appelle  un  corps  inorganique.  Leibnitz  n'est  point  idéa- 
liste ,  car  il  admet  une  réalité  extérieure  ;  il  tombe  encore 
moins  dans  le  panthéisme,  car  il  sépare  nettement  l'univers 
créé  du  créateur.  Son  système  est  un  spiritualisme  outré , 
en  ce  qu'il  prête  une  âme  à  la  molécule,  quoiqu'il  ne  se  serve 
pas  du  mot  ;  la  perception,  en  effet,  quelque  obscure  qu'elle 
soit ,  est  la  perception ,  c'est-à-dire  un  fait  qui  ne  peut  être 
que  le  mode  d'une  force  intelligente ,  quel  que  soit  le  degré 
de  cette  intelligence.  Cette  monade  pxire  est-elle  étendue  ou 
ne  l'est-elle  pas?  Si  elle  est  étendue,  elle  ne  peut  réunir 
plusieurs  perceptions ,  et  d'ailleurs  elle  n'est  plus  monade  ; 
si  elle  n'est  pas  étendue,  comment  expliquer  la  matière? 
comment  concevoir  qu'une  réunion  de  substances  inétendues 
puisse  fermer  de  l'étendue?  L'hypothèse  des  monades  pures 
me  parait  donc  insuffisante  pour  expliquer  la  matière.  Mais 
elle  est  beaucoup  plus  inoffensive  que  celle  que  tenta  Leibnitz 
pour  expliquer  le  commerce  de  l'âme  et  du  corps  :  je  veux 
parler  de  l'hypothèse  de  l'harmonie  préétablie ,  qui  ruine  la 
liberté.  Comment  supposer  en  effet  que  Dieu  ait  créé  à  l'a- 
vance toutes  les  âmes  avec  toutes  leurs  déterminations,  tous 
leurs  actes,  pour  les  mettre  en  harmonie  avec  les  corps,  dont 
il  a  déterminé  aussi  tous  les  mouvements?  comment,  dis-je, 
faire  une  telle  supposition  sans  voir  que  la  suite  de  nos  dé- 
terminations étant  ainsi  préétablie ,  il  n'y  a  plus  de  liberté 
pour  l'homme?  On  ne  conçoit  pas  ce  qui  a  pu  faire  adopter 
à  Leibnitz  cette  hypothèse,  quand  il  trouvait  dans  son  pro- 
pre système  une  explication  beaucoup  plus  favorable  du  com- 
merce de  l'âme  et  du  corps.  Où  gît  en  effet  la  difficulté  du 
problème?  Dans  l'opposition  de  nature  des  deux  substan- 
ces. Mais  précisément  Leibnitz  n'admet  pas  cette  opposition 
dénature,  et  la  monade  pure  ne  dilTère  à  ses  yeux  de  la 
monade  pensante  que  par  ledegré  de  clarté  dans  la  perception, 
mais  non  par  son  essence.  Leibnitz  avait  donc  trouvé  (son 
hypothèse  des  monades  admise)  la  seule  solution  possible 
du  problème;  et  il  est  encore  moins  excusable  d'avoir  eu 
recours  à  une  supposition  qui  porte  atteinte  au  fait  sacré  de 
la  liberté  humaine. 

Nous  aurions  encore  à  citer  ici  un  autre  abus  du  spiri- 
tualisme, l'animisme,  qui  consiste  à  regarder  l'âme  non- 
seulement  comme  le  principe  (lu  sentiment  et  de  la  pensée , 
mais  encore  comme  la  force  (pii  préside  aux  fonctions  de 


456 


AME  —  AMÉDÉE 


tous  les  organes  ;  ce  qui  revient  à  substituer  l'âme  à  la  force 
organique ,  à  l'inverse  des  matérialistes ,  qui  substituent  la 
force  organique  à  l'ûme. 

Nous  ne  rappellerons  pas  les  doctrines  des  matérialistes 
modernes  ,  que  nous  avons  suffisamment  fait  connaître  en 
lélutant  leurs  objections  dans  la  première  partie  de  cet  ar- 
ticle ;  mais  nous  ne  terminerons  point  cet  aperçu  sans  men- 
tionner une  doctrine  qui ,  sans  Ctre  neuve  ,  a  été  nouvelle- 
ment émise,  et  qui  s'appuie  de  l'autorité  de  quelques  graves 
penseurs.  On  peut  lire  dans  un  ouvrage  de  M.  BordasDe- 
moulin  ,  couronné  par  l'Académie  :  «  La  physiologie  sera 
«  contrainte  d'avouer  que  la  pensée  revient  à  une  substance 
«  différente  du  corps  ;  et  la  philosophie ,  que  la  nutrition  et 
«  la  sensation  reviennent  à  une  substance  différente  de  l'es- 
«  prit.  Connaître,  raisonner,  se  résoudre  librement,  est  aussi 
"  étranger  à  l'organisme,  que  digérer,  sécréter,  imaginer 
«  l'est  au  moi  ;  »  et  plus  loin  :  «  Descartes  croit  que  sentir 
«  et  imaginer  appartiennent  à  l'âme,  parce  qu'ils  se  rencon- 
«  trent  en  elle,  comme  entendre  et  vouloir  :  ils  s'y  rencon- 
"  trent  en  effet,  en  tant  qu'elle  en  prend  connaissance  ;  mais 
<i  la  preutu  qu'ils  n'ont  point  leur  siège  dans  l'àme,  c'est 
«  qu'ils  se  montrent  hors  d'elle  dans  les  songes ,  pendant 
n  que  sa  puissance  de  comprendre  et  de  vouloir  est  sus- 
ci  pendue.  »  L'auteur  s'appuie  d'un  passage  de  Maine  de 
Biran  qui  contient  en  effet  la  même  opinion.  M.  P.  Leroux  , 
de  son  côté ,  a  soutenu  que  la  mémoire  peut  être  le  fait  du 
corps.   On  voit  que  celte  doctrine  n'est  autre  chose  que 
l'âme  sensitive  d'Aristote;  c'est  une  sorte  de  compromis 
entre  le  matérialisme  et  le  spiritualisme.  Accordez-moi  la 
raison  et  la  liberté  ,  et  je  vous  accorde  la  sensation  et  l'i- 
magination. C'est  l'idéal  de  l'éclectisme.  Nous  ne  saurions 
donner  à  notre  réponse  tout  le  développement  qu'elle  semble 
comporter  sans  excéder  les  bornes  qui  nous  sont  pres- 
crites. Nous  dirons  seulement  que  d'abord  cette  opinion  n'est 
et  ne  sera  jamais  qu'une  hypothèse;  car  conunent  savoir 
que  le  coi-ps  sent  et  imagine  ?  Aucun  fait  ne  peut  autoriser 
cette  induction  ,  et  il  serait  tout  aussi  difficile  d'expliquer 
comment ,  à  la  suite  des  faits  de  relation  ,  des  sensations  ou 
des  perceptions ,  quelque  confuses  quelles  soient,  se  pro- 
duisent dans  le  cerceau  ,  qu'il  est  difficile  de   l'expliquer 
pour  l'âme.  Mais  de  plus ,  les  données  les  plus  simples  de 
l'observation  interne  détruisent  cette  hypothèse.  C'est  évi- 
demment le  moi  qui  souffre  et  qui  jouit;  il  ne  fait  pas  que 
prendre  connaissance  de  la  douleur  ou  de  la  jouissance. 
Autrement  ,  quand  mon  corps  est  malade ,  je  saurais  qu'il 
souffre ,  je  ne  souffrirais  pas  moi-même.  En  outre ,  de  ce 
que  je  souffre  à  l'occasion  du  désordre  qui  trouble  mon  orga- 
nisme, il  ne  s'ensuit  pas  que  l'organisme  en  souffre  à  ma  ma- 
nière; ses  fonctions  sont  troublées,  voilà  tout  ce  que  j'en  sais 
et  ce  que  j'en  puis  savoir  :  il  y  a  mieux,  de  graves  désordres 
peuvent  exister  dans  tel  ou  tel  organe,  sans  que  l'àme  en  soit 
avertie  par  la  douleur;  et  quand  celle-ci  vient  enfin  annoncer  le 
mal,  il  n'est  quelquefois  plus  temps  d'y  porter  remède.  Ainsi, 
non-seulement  c'est  l'âme  seule  qui  sent ,  en  tant  que  par 
sentir  on  entend  éprouver  du  plaisir  ou  de  la  douleur; 
mais  l'âme  ne  sait  môme  pas  ce  qu'éprouve  le  corps ,  ce 
qui  se  passe  dans  l'organisme,  à  plus  forte  raison  si   la 
force  organique  souffre  ou  jouit  comme  elle.  Que  dirai-je 
des  passions  ?  Ne  serait-il  pas  étrange  de  les  attribuer  à  un 
autre  sujet  qu'à  l'âme?  Si  ce  n'était  pas  l'âme  qui  sentit 
leurs  aiguillons,  qui  espérât jOMJr  de  l'objet  désiré,  d'où 
lui  viendrait  cette  ardeur  à  se  porter  vers  cet  objet  ?  Mel- 
trait-elle  un  pareil  empressement  à  faire  seulement  les  af- 
faires  du  corps?   Puis,  si  vous  vouliez  retirer  à  l'àme  le 
pouvoir  de  sentir  à  l'occasion  des  modifications  organiques, 
il  faudrait  lui  retirer  aussi  toute  autre  espèce  de  sentiments  : 
car  le  sentir  est  un  ;  il  ne  varie  que  d'intensité  ou  de  durée, 
selon  la  cause  qui  l'excite.  La  joie  qui  transportait  Archi- 
mède  après  la  solution  d'un  problème  n'était  pas  née  à  la 
suite  d'une  modification  organique  ;  elle  était  néanmoins 


un  plaisir.  Pourquoi  donc  accorderait-on  à  l'àme  tel  senti- 
ment, et  lui  refuserait-on  tel  autre,  quand  la  conscience 
nous  atteste  que  c'est  l'àme  qui  les  éprouve  tous  et  que 
tous  ces  sentiments  sont  en  outre  réunis  par  une  évidente 
homogénéité  ?  Quant  au  pouvoir  d'imaginer,  c'est-à-dire  de 
se  représenter ,  de  concevoir  quelque  chose  ,  n'est-ce  pas 
également  à  l'àme  qu'il  appartient?  Je  vois  ou  je  conçois 
deux  arbres ,  et  en  même  temps  je  juge  qu'ils  sont  égaux 
ou  inégaux  :  dira-t-on  que  c'est  le  corps  qui  imagine  les 
arbres,  et  l'àme  qui  perçoit  seulement  le  rapport  entre  eux  ? 
Mais  si  l'àme  ne  percevait  elle-même  les  termes,  comment 
pourrait-elle  percevoir  le  rapport?  Elle  perçoit  les  termes, 
dira-t-on,  puisqu'elle  prend  connaissance  de  ce  que  le  corps 
a  imaginé.  A  quoi  bon  alors  l'hypothèse  du  corps  qui  ima- 
gine ,  quand  surtout  elle  n'est  appuyée  sur  rien  ?  Je  me 
trompe  :  on  a  parlé  des  songes.  Mais  est-ce  donc  au  corps 
qu'il  faut  attribuer  les  songes ,  puisqu'ils  ne  sont  qu'une 
reproduction  confuse  des  perceptions  de  la  veille  ?  Et  com- 
ment l'àme  se  rappellerait-elle  les  songes ,  si  ce  n'était  pas 
dans  son  sein  qu'ils  se  passent  ?  Les  facultés  les  plus  im- 
portantes ,  il  est  vrai ,  sont  comme  engourdies  pendant  le 
sommeil ,  mais  il  est  faux  de  dire  qu'elles  ne  s'exercent 
plus.  Qui  n'a  entendu  des  personnes  rêver,  comme  on  le 
dit,  tout  haut?  Or,  leurs  discours  n'accusent-ils  pas  l'exer- 
cice du  raisonnement.^  Reconnaissons  donc  comme  appar- 
tenant à  l'âme  tout  ce  que  la  conscience  saisit,  tout  ce 
qu'elle  embrasse  dans  sa  puissante  et  incontestable  unité. 
Croyons  aux  dépositions  de  ce  témoin  infaillible,  et  dans 
toutes  les  questions  de  son  ressort  ne  rejetons  pas  les  déci- 
sions souveraines  de  cet  arbitre,  sous  peine  d'être  en  désac- 
cord avec  l'évidence  et  le  genre  humain.      Ç.-M.  Paffe. 

ÂME  (  Maladies ,  Médecine  de  I'  ),  MÉDECINE  PSY- 
CHIQUE ,  PSYCHLATRIE.  Si  le  corps  a  ses  affections , 
l'âme  peut  avoir  aussi  ses  dérangements.  Les  anciens  re- 
gardaient la  philosophie  comme  le  véritable  remède  de 
l'àme.  Son  but  doit  être,  en  effet,  de  lui  procurer  cet  état  de 
paix  qui  par  analogie  constitue  sa  santé.  —  Dans  ces  der- 
niers temps  on  a  compris  sous  le  nom  de  maladies  de 
l'âme  les  aliénations  mentales,  et  on  a  fait  une 
branche  spéciale  de  l'art  de  guérir  de  la  médecine  à  appli- 
quer à  ces  maladies.  Les  affections  cérébrales  aemandent 
effectivement  une  médication  particulière.  —  On  pourrait 
encore  appeler  maladies  de  l'àme  ces  affections  qui  semblent 
n'avoir  aucun  rapport  avec  nos  organes,  comme  le  chagrin, 
l'ennui ,  etc.,  et  qui ,  sans  dégénérer  en  folie ,  peuvent  con- 
duire à  la  désorganisation  de  notre  être,  par  la  consomption, 
la  phtliisie  ,  etc. 
ÂME  DES  BÊTES.  Voyez  Bêtes  (Ame  dec). 
AIME  (Grandeur  d').  Voyez  Grandei;r  d'ame. 
Â!\1E  (Musique).  C'est  le  nom  d'un  petit  cylindre  de  bois 
placé  entre  la  table  et  le  fond  d'un  instrument  à  cordes  pour 
faire  communiquer  les  vibrations  de  ces  parties  et  les  main- 
tenir toujours  à  la  même  élévation.  La  beauté  des  sons  dé- 
pend en  grande  partie  de  la  manière  dont  /'«/«cest  placée. 
AMÉDÉE.  La  maison  de  Savoie  compte  neuf  princes 
de  ce  nom  : 

AMÉDÉE  F"",  fils  d'Humbert  aux  Blanches  Mains,  mort 
vers  1060,  est  nommé  dans  les  diplômes  comte  de  Maurienne. 
AMÉDÉE  II,  neveu  d'Amédée  1",  était  fils  d'Odon,  qui 
avait  épousé  Adélaïde,  héritière  des  marquis  de  Suze.  Il 
augmenta  considérablement  ses  possessions  de  Savoie  en  y 
joignant  l'héritage  de  sa  mère,  qui  comprenait  presque  tout 
le  Piémont.  On  le  fait  régner  de  1060  à  1072. 

AMÉDÉE  III,  premier  comte  de  Savoie  (  1103  —  1148). 
Ce  fut  l'empereur  Henri  V  qui  l'éleva  à  la  dignité  de  comte 
de  l'empire.  L'aînée  de  ses  sœurs,  Adélaïde,  épousa  le  roi 
de  France  Louis  le  Gros.  L'an  1146  il  prit  la  croix  dans 
un  voyage  qu'il  fit  à  Metz ,  et  l'année  suivante  il  |)artil 
avec  le  roi  pour  la  Terre  Sainte,  où  son  aveugle  témérité 


AMÉDÉE  —  AMÉLIE 


raillit  causer  la  ilcstruction  do  TaniuV.  A  son  rcloiir  en  Eu- 
rope, ayant  abordé  à  Mcosie  en  Chypre,  il  y  mourut,  le 
1"  avril  114S. 

AMtnÉE  IV  (  1233—1253).  En  ménageant  le  pape  In- 
nocent IV  et  en  s'efforçant  de  le  réconcilier  avec  l'empereur, 
il  resta  fidèle  à  Frédéric  II ,  qui  par  reconnaissance  érigea 
le  pays  de  Chablais  et  d'Aoste  en  duché,  et  nomma  Amédéc 
vicaire  de  l'empire  en  Lombardie  et  en  Piémont. 

AMÉDtE  V,  dit  le  Grand  (  12S5 — 1323),  fut  un  prince 
lellement  belliqueux ,  qu'au  dire  de  quelques  écrivains  il 
lit  jusqu'à  trente-deux  sièges.  11  prit  parti  pour  les  Gibelins 
dans  leiu-  lutte  contre  les  Guelfes,  .\nssi  l'empereur  Henri  VII 
lui  donna-t-ill'investiturc  du  comté  de  Savoie,  des  duchés 
de  Chablais  et  d'.Voste,  de  plusieurs  autres  seigneuries ,  et 
le  créa-t-il,  lui  et  ses  successeurs,  princes  de  l'empire,  l/an 
1315  Amédée  vole  au  secours  dos  chevaliers  de  Saint-Jean 
de  Jérusalem,  délivre  l'ilc  de  Rhodes  et  force  les  Turcs  à  se 
retirer.  Ce  fut,  dit-on,  en  mémoire  de  cette  expédition 
qu'aux  aigles  que  ses  prédécesseurs  avaient  toujours  portées 
dans  leurs  armoiries  il  substitua  l'écusson  des  Hospitaliers 
de  Saint-Jean.  Le  roi  de  France  Louis  X  étant  mort  sans 
laisser  d'enfants,  mais  seulement  la  reine  enceinte,  Amédée 
conseilla  à  Philippe  le  Long,  frère  du  monarque,  de  s'emparer 
de  l'autorité  ,  sans  plus  attendre.  Philippe,  devenu  roi,  re- 
connut cet  avis  en  donnant  au  comte  de  Savoie  la  terre  de 
Maulevrier,  en  >'ormandie. 

AMÉDÉE  VI,  dit  le  Comte  Verd,  du  vêtement  avec  le- 
quel il  parut  dans  les  joutes  brillantes  données  par  lui  en 
134S  (1343 — 1383  ),  cherchant  à  s'étendre  dans  le  Piémont, 
acquit  de  la  France  les  seigneuries  de  Faucigny  et  de  Gex. 
Il  fut  un  auxiliaire  utile  pour  son  parent  Jean  Paléologue , 
empereur  de  Constantinople ,  devint  l'arbitre  des  diffé- 
rends qui  divisaient  l'Italie,  et  en  1382,  par  un  traité  con- 
clu avec  Louis  d'Anjou,  obtint  qu'il  lui  abandonnerait  le 
Piémont.  De  son  mariage  avec  Bonne  de  Bourbon ,  il  ne 
laissa  qu'un  fds,  qui  suit  : 

AMÉDÉE  VII ,  dit  le  Bouge,  à  cause  de  la  couleur  de 
ses  cheveux  (  1383 — 1391  ),  se  distingUiû  en  F'iandre,  sous 
les  drapeaux  de  la  France,  et  agrandit  ses  États  par  l'ad- 
jonction des  villes  de  Barcclonnette,  de  Vintimille  et  de  Nice. 

AMÉDÉE  VIII,  dit  le  Pacifique,  fils  du  précédent  et 
premier  duc  de  Savoie  (  1391—1451  ),  fit  en  1401  l'acqui- 
sition du  comté  de  Genevois,  qui  lui  fut  cédé  par  Odon  ou 
Otton,  sire  de  Villars.  En  1417  l'empereur  Sigismond,  étant 
à  Montluel,  érigea  la  Savoie  en  duché.  L'année  suivante 
Ainédée  succéda  à  Louis  de  Savoie,  comte  de  Piémont,  dé- 
cédé sans  enfants,  et  se  fit  céder  en  1419,  par  la  mère  et 
tutrice  de  Louis  III  d'Anjou,  roi  de  Naples,  la  ville  de  Nice, 
qui  s'était  déjà  donnée  à  lui,  Villefranche  et  toute  cette  côte 
de  la  mer.  —Veuf  depuis  Tan  1428,  et  dégoûté  du  monde, 
il  se  retira,  en  1438,  au  prieuré  de  Ripaille,  qu'il  avait 
fondé  près  de  Thonon,  et  qu'il  rendit  fameux  par  sa  vie 
voluptueuse.  Après  avoir  créé  l'université  de  Turin ,  il  ins- 
titua l'ordre  àcïAnnonciade,  simple  réforme  de  celui 
du  Collier,  établi  en  1362  par  le  comte  Amédée  VI.  Ayant 
chargé  du  gouvernement  son  fils  aîné,  il  prit  l'habit  d'ermite, 
qu'il  échangea  contre  la  tiare  de  souverain  pontife,  le  con- 
cile de  Bàle  ayant  jeté  les  yeux  sur  lui  pour  le  faire  pape  à 
la  place  d'Eugène  IV,  qu'il  avait  déposé.  Amédée,  après  une 
longue  hésitation,  accepta  cette  dignité,  et  prit  le  nom  de 
Félix  V;  mai  ayant  lutté  neuf  ans  contre  son  compétiteur 
Eugène,  il  abdiqua  en  1440,  et  retourna  dans  sa  solitude. 
Ce  pape  déchu  mourut  le  7  janvier  1451  à  Genève. 

AMÉDÉE  IX,  dit  le  Bienheureux  (  14G5— 1472  ).  La  fai- 
bles e  de  sa  complexion  le  força  de  remettre  la  régence  de 
ses  États  à  la  duchesse  Yolande,  son  épouse,  fille  du  roi 
Charles  VII  ;  ce  qui  excita  la  jalousie  de  ses  frères  et  occa- 
sionna des  troubles  et  une  guerre  civile.  Amédée  dut  son  sur- 
nom à  sa  charité  envers  les  pauvres  et  à  sa  piélé. 

AJMEILIIOAÎ  (  Hubf.kt-Pascal),  de  l'Académie  deslns- 

DlCr.    DE   LK   CONVERSATION.    —   T.    I. 


457 

criptions  et  Belles-Lettres,  conservateur  de  la  bibliotlièque 
de  la  ville  de  Paris  à  sa  fondation ,  puis  bibliothécaire  de 
l'Arsenal,  naquit  à  Paris,  le  5  août  1730,  et  y  mourut,  le  23 
novembre  ISU.  H  fut  distrait  de  ses  études  par  la  révolu- 
tion, dont  il  devint  un  zélé  partisan.  Quels  que  soient  les  re- 
proches qu'on  puisse  lui  adresser  pour  la  part  active  qu'il 
prit  aux  diverses  commissions  executives  chargées  d'effacer 
et  de  détruire  les  emblèmes ,  images  ,  inscriptions  ou  attri- 
buts qui  rappelaient  la  royauté,  on  doit  lui  tenir  compte  du 
zèle  qu'il  apporta  à  protéger  contre  le  vandalisme  quelques 
monuments,  entre  autres  la  Porte  Saint-Denis,  et  à  remettre 
en  ordre  toutes  les  richesses  bibliographiques  des  couvents 
supprimés,  dont  la  garde  lui  avait  été  confiée  pendant  la  Ter- 
reur. Élu,  dès  sa  création,  membre  de  Tlnstitut,  il  en  sui- 
vit toujours  assidûment  les  séances,  et  enrichit  de  ses  nom- 
b.'-eux  travaux  la  collection  des  mémoires  de  cette  société 
savante.  Il  concourait  en  môme  temps  très-activement  à  la 
rédaction  du  Magasin  Encyclopédique  de  Milhn.  Parmi  les 
ouvrages  non)breux  qu'il  a  laissés,  les  deux  plus  importants 
sont  :  {'Histoire  du  Commerce  et  de  la  Navigation  des 
Égyptiens  sous  le  règne  des  Ptolémées  (  Paris,  1766,  in-8"), 
et  les  derniers  volumes  de  X Histoire  du  Bas-Empire  de 
Lebeau.  Le  style  d'Ameilhon  a  moins  d'éclat  que  celui  de 
Lebeau ,  mais  il  est  plus  conforme  à  la  gravité  historique. 
Dacier  a  fait  son  éloge  au  nom  de  l'Académie  des  Inscrip- 
tions et  ^Belles-Lettres.  Ch.Du  Rozom. 

AMELIE  ,  reine  de  Prusse.  Voyez  Louise. 

AMELIE  (Anne),  duchesse  de  Saxe-Weimar,  née  le 
24  octobre  1739,  était  fille  du  duc  Charles  de  Brunswick- 
Wolfenbuttel.  Pendant  la  dernière  moitié  du  dix-huitième 
siècle  elle  devint  la  reine  et  l'àme  d'une  cour  qui  rappelait 
celle  du  duc  de  Ferrare ,  embellie  par  la  présence  du  Tasse 
et  d'Arioste.  Seule  elle  accorda  aux  savants ,  aux  littéra- 
teurs, aux  artistes,  une  protection  qu'ils  cherchaient  en 
vain  auprès  des  autres  souverains  d'Allemagne.  Elle  fit 
plus  :  veuve,  en  1758,  à  l'âge  de  dix-neuf  ans,  après  deux 
ans  de  mariage,  du  duc  Ernesl-Auguste-Constantin,  elle  sut, 
par  une  sage  administration ,  effacer  les  traces  de  la  guerre 
de  Sept  Ans,  épargner  des  sommes  considérables  sans  oppri- 
mer le  peuple,  et  le  garantir  de  la  famine  qui  désola  la 
Saxe  en  1773.  Ayant  pourvu  à  ces  besoins  urgents,  elle 
fonda  de  nouveaux  établissements  d'instruction  publique, 
et  perfectionna  ceux  qui  existaient.  Elle  nomma  Wieland 
gouverneur  de  son  fils ,  depuis  grand-duc ,  et  attira  à  Wei- 
mar  les  hommes  les  plus  distingués  de  l'Allemagne,  Herder, 
Goethe,  Seckendorf,  Knebel,  Bœttiger,  Bode  et  Musœus. 
Schiller  n'y  pamt  que  dans  les  dernières  années.  Ce  qui 
prouve  que  c'étaient  plus  les  rares  qualité.0  d'esprit  et  de 
cœur  de  cette  princesse  que  son  rang  et  sa  puissance  qui 
avaient  rassemblé  à  Weimar  plus  d'b.ommes  de  mérite 
qu'on  n'en  eût  pu  trouver  réunis  dans  .•>.ucun  grand  État  con- 
temporain, c'est  que  cette  société  d'élite  lui  resta  fidèle  alors 
même  qu'elle  eut  remis,  en  1775,  le  gouvernement  entre  les 
mains  de  son  fils.  Son  château  de  Weimar,  et  ses  maisons 
de  plaisance  de  Tieffurth  et  d'Ettersbourg,  furent  constam- 
ment autant  de  lieux  de  rendez-vous  pour  tous  les  savants 
et  tous  les  voyageurs  de  mérite.  Un  séjour  qu'elle  fit  avec 
Girthe  en  Italie  augmenta  encore  son  goût  pour  les  arts. 
Mais  la  bataille  d'Iéna  (14  octobre  1806)  vint  briser  son 
cœur,  et  elle  mourut  six  mois  après,  le  10  avril  1S07. 

AMÉLIE,  reine  de  Grèce.  Voyez  Othon  l"  et  Grèce. 

AMÉLIE  (Marie-Prédérique-Acgcste),  duchesse  de 
Saxe,  sœur  aînée  des  rois  de  Saxe  Frédéric-Auguste  II  et 
Jean,  est  née  le  10  août  1794.  Elle  reçut  une  éducation 
brillante,  et  accompagna  son  oncle  Antoine  et  son  père, 
le  duc  Maxirailien,  dans  plusieurs  voyages  en  Italie,  en 
France  et  en  Espagne.  En  1829  elle  composa,  sous  le 
pseudonyme  à' Amélie  Heyler,  une  pièce  de  théâtre  intitu- 
lée le  Jour  du  Couronnement,  et  en  1830  une  seconde, 
pièce,  ayant  pour  titre  Mcsrou.  Ces  deux  ouvrages  en  vers. 


458 


AMELIE  —  AMENAGEMENT 


et  dont  le  lieu  de  la  scène  est  en  Orient ,  appartii'nncnt  com- 
plètement au  genre  fantastique ,  et  furent  représentés  avec 
succès  sur  le  théâtre  de  la  cour  à  Dresde.  En  1833  elle 
adressa  au  théâtre  de  la  cour ,  à  Berlin  ,  la  comédie  de 
Mensonge  et  Vérité ,  sans  que  personne  put  soupçonner 
quels  étaient  le  nom  et  la  position  sociale  de  l'auteur.  Re- 
présentée, à  l'occasion  de  la  fètc  du  roi  de  Prusse,  sur  le 
théâtre  de  la  cour ,  cette  pièce  obtint  devant  le  public  d'é- 
lite rassemblé  pour  cette  représentation  de  légitimes  applau- 
dissements. Un  succès  plus  brillant  encore  était  réservé  à 
la  comédie  de  l'Oncle ,  qui  ne  tarda  pas  à  être  jouée  sur 
tous  les  théâtres  de  l'Allemagne.  La  Fiancée  du  Prince, 
VHôte,  l'Anneaude  Mariage  ,  le  Cousin  Henri ,  le  Beau- 
Père,  la  Demoiselle  de  Campagne,  V Héritier  du  Majo- 
rât ,  etc.,  sont  autant  de  drames  et  de  comédies  du  môme 
auteur  ,  que  la  faveur  publique  accueillit  partout  où  on  les 
représenta.  Dans  ces  pièces ,  qui ,  à  peu  d'exceptions  près , 
ont  pour  but  de  peindre  les  mœurs  bourgeoises  ,  la  prin- 
cesse Amélie  de  Saxe  a  fait  preuve  d'une  rare  entente  de 
la  scène ,  d'une  profonde  connaissance  du  cœur  humain , 
d'une  tendance  morale  qui  devient  de  plus  en  plus  étrangère 
aux  auteurs  dramatiques  ,  de  beaucoup  d'esprit  et  de  cha- 
leur de  cœur;  on  regrette  seulement  de  ne  pas  y  voir  do- 
miner davantage  l'élément  comique.  L'auteur  invente  et  dis- 
pose son  sujet  avec  autant  de  bon  sens  que  de  simplicité  ;  le 
plus  souvent  son  but  est  de  nous  montrer  le  triomplie  d'une 
nature  pure ,  mais  inculte  ,  peut-être  mêm:'  sauvage  ,  sur 
les  brillants  dehors  que  donne  une  éducation  mondaine  ,  et 
sur  les  prétentions  de  l'orgueil  aristocratique.  Sans  re- 
chercher le  pathétique  et  les  scènes  déchirantes,  la  prin- 
cesse Amélie  sait  plaire  et  toucher;  elle  cherche  plutôt  à 
peindre  les  caractères  de  ses  personnages  quà  éblouir  l'au- 
dftoire  par  de  brillantes  et  vaines  déclamations.  —  Le 
théâtre  de  la  princesse  Amélie  a  été  publié  à  Dresde,  au 
profit  d'une  association  de  charité,  sous  le  titre  û''Essais 
originaux  pour  la  scène  allemande.  M.  Pitre-Chevalier 
a  traduit  en  français  une  partie  des  pièces  de  la  princesse 
Amélie;  d'autres  ont  été  imitées  et  transportées  sur  nos 
scènes  de  tliéâtre.  On  assure  qu'elle  est  aussi  auteur  d'un 
certain  nombre  de  morceaux  de  musique  sacrée  et  de 
partitions  d'opéra  qui  ont  été  exécutés  dans  le  corde  in- 
time de  la  famille  royale  de  Saxe.  Une  maladie  des  yeux 
ayant  atteint  la  princesse  Amélie,  elle  a  dû  subir  en  1855 
une  oiiération  qui  lu  a  heureusement  rendu  la  vue.        * 

AMELOT  DE  LA  IlOUSSAYE  (  AcuuiAM-Niro- 
LAs),  né  à  Orléans,  en  lévrier  1(534  ,  fut  cl'abord  ,  en  IGG'J, 
secrétaire  de  légation  du  président  Saint-André ,  ambassa- 
deur de  France  a  Venise,  et  habita  avec  lui  quelque  temps 
cette  ville.  Il  se  consacra  ensuite  à  l'étude  de  la  politique, 
de  rhi<;toire,  de  la  morale,  de  la  philosophie,  et  passa  une 
grande  partie  de  sa  vie  à  composer  des  ouvrages  et  à  faire 
des  traductions;  ce  qui  ne  l'aurait  pas  euq^èché  de  mourir 
de  faim  si  la  main  d'un  abbé  de  ses  amis  ne  filt  souvent 
venue  à  son  secours.  Il  s'éteignit  malheureux  à  Paris,  le 
8  décembre  170G.  j\melota  traduit,  entre  autres  ouvrages,  le 
P/j«ce,  de  Machiavel,  avec  des  notes,  1683  et  1GS6,  m-l?.;  et 
pour  justifier  l'auteur  il  prétend  que  son  œuvre  n'est  qu'une 
satire  dirigée  contre  la  politique  italienne  du  temps  ;  VHis- 
toire  de  Venise,  de  Marc  VeUèrus,  avec  des  notes,  1705, 
3  vol.  in-1?, ,  publication  qui  devint  l'objet  de  réclamations 
fort  vives  de  la  part  du  sénat  de  Venise,  et  fit,  dit-on,  enfer- 
mer l'auteur  à  la  Bastille;  V Histoire  du  Concile  de  Trente, 
de  fra  Paolo  Sarpi,  version  française  peu  fidèle,  publiée  sous 
le  pseudonyme  de  La  Mothe  Josseval  ;  les  Annaies  de  Tacite, 
avec  des  notes,  1G92  et  1735,  10  vol.  in-12  :les  quatre  pre- 
miers seuls,  les  meilleurs,  sont  de  lui.  11  a  composé  en  outre 
une  Histoire  de  Guillaume  de  Aassau,  175'i,  2  vol.  in-n, 
publié'  après  sa  mort,  et  laissé  des  Mémoires  historiques , 
politiques,  critiques  cl  littéraires,  1722, 1737,  1742,  3  vol. 
iu-12.  Le  père  Niceron  conteste  qu'il  soit  l'auleiu-  de  ce 


dernier  livre  posthume,  confus,  incohérent,  plein  d'erreurs, 
disposé  par  ordre  alphabétique,  et  n'arrivant  pas  au  milieu 
de  l'alphabet.  Quoi  qu'il  en  soit,  Amelot  ne  mérite  pas  l'ou- 
bli dans  lequel  il  est  tombé  de  nos  jours.  Son  style  est  dur 
sans  doute,  mais  l'exactitude  de  sa  narration  et  la  solidité 
de  son  jugement  font  aisément  passer  sur  ce  défaut. 

AMELUNGS.  Voyez  Am.\les. 

AMEN,  mot  hébreu  qui  exprime  une  affirmation ,  telle 
que  :  oui ,  assurément ,  vraiment,  et  qui  a  passé  du  lan- 
gage religieux  des  juifs  dans  celui  des  chrétiens.  Les  juifs, 
dans  leurs  synagogues ,  confirment  par  ce  mot  la  bénédiction 
prononcée  à  la  fin  de  la  cérémonie  religieuse.  Dans  la  réu- 
nion des  premiers  chrétiens  aussi,  l'assemblée  terminait 
avec  cette  formule  la  prière  récitée  par  le  plus  ancien  de  la 
communauté  ou  l'instituteur.  Encore  aujourd'hui  on  clôt 
les  prières  et  les  sermons  par  ce  mot. 

AMÉ.\AGEMEIVT.  Dans  la  sylviculture,  ce  mot  dé- 
signe l'ordre  et  l'usage  adopté  par  un  propriétiire  de  forêts 
pour  la  coupe  des  bois,  taillis,  baliveaux  et  futaies.  L'amé- 
nagement des  bois  est  sans  contredit  la  partie  la  plus  dif- 
ficile et  la  plus  importante  de  la  science  forestière.  Une  mul- 
titude de  considérations  doivent  guider  dans  l'établissement 
d'un  aménagement.  11  faut  en  effet  reconnaître  la  .situation 
de  la  forêt,  la  constitution  du  sol,  les  essences  dominantes, 
leur  âge,  leur  croissance ,  leur  durée ,  celles  dont  il  convient 
de  favoriser  la  multiplication  par  rapport  au  terrain,  à  la 
consommation  du  pays,  aux  industries  locales  et  aux  cons- 
tructions de  tous  genres;  la  distance  des  ports  de  mer,  des 
routes  ,  canaux  et  rivières  (lottabics  et  navigables ,  et  les  dé- 
bouchés que  l'on  peut  établir.  On  doit,  en  outre,  s'assurer  de 
rinfluence  que  peut  avoir  la  forêt  sur  la  salubrité  générale  et 
le  régime  des  cours  d'eau. 

L'aménagement  consiste  à  reconnaître  les  cantons  qu'on 
peut  laisser  croître  en  futaie,  ceux  qui  ne  conviennent  qu'aux 
taillis,  et  les  coupes  autour  desquelles  il  serait  avantageux 
de  conserver  des  bordures  ;  l'âge  auquel  il  convient  de  régler 
la  coupe  des  uns  et  des  autres ,  pour  en  obtenir  le  degré 
d'accroissement  convenable  et  le  plus  haut  prix  du  bois.  En 
principe,  le  meilleur  aménagement  est  celui  qui,  sans  diminuer 
les  ressources  futures,  satisfait  aux  besoins  actuels  en  même 
temps  qu'il  procure  aux  propriétaires  le  revenu  le  plus  élevé. 
Le  point  le  plus  important  est  de  reconnaître  l'âge  où  les  bois 
atteignent  leur  maximum  de  maturité.  Pour  déterminer 
avec  précision  la  valeur  de  chaque  pousse  annuelle ,  on  a 
pris  le  parti  de  peser  chacune  de  ces  pousses,  et  l'on  a  trouvé 
qu'elles  suivaient  une  échelle  ascendante ,  suivant  le  carré 
du  diamètre  des  tiges.  Mais  ce  moyen  nécessitant  un  abat- 
tage et  offrant  beaucoup  de  difficultés ,  Depertuis  trouva  plus 
expédient  de  prendre  pour  base  la  longueur  des  jets  de  cha- 
que année.  Il  divisa  les  bois  en  cinq  classes ,  en  commençant 
par  les  mauvais  .sols ,  qui  ne  produisent,  en  quinze  ou  vingt 
ans,  qu'un  taillis  de  six  à  neuf  pieds,  et  il  conseilla  de  le 
couper  à  cet  âge ,  où  il  cesse  de  croître.  Quant  aux  sols  qui 
à  vingt-cinc|  ans  produisent  des  taillis  de  quarante  «à  cin- 
quante pieds ,  et  qui  croissent  encore ,  il  conseilla  de  le.s 
couper  à  quarante  ou  cinquante  ans.  Le  terme  moyen  entre 
les  deux  extrêmes  est  de  vingt-cinq  à  trente  ans:  c'est  à  cet 
âge  qu'on  devrait  exploiter  les  bois  de  première  qualité,  et 
en  conséquence  celui  qui  possède  un  taillis  de  mille  hectares 
ne  devrait  couper  chaque  année  que  trente-trois  ou  qua- 
rante hectares.  Comme  il  est  prouvé  que  de  vingt  à  trente 
le  bois  donne  un  produit  double  de  celui  qu'il  a  acquis  du- 
rant les  vingt  premières  années  ,  on  est  assuré  de  trouver 
pour  un  taillis  de  trente  ans  un  prix  double  de  celui  qu'on 
obtiendrait  à  vingt. 

L'ordonnance  de  IGG!)  prescrivit  aux  particuliers  d'ob- 
server dans  la  coupe  de  leurs  bois  un  certain  aménagement  ; 
ainsi  ils  étaient  obligés  de  réserver  par  ai-pent  une  certaine 
quantité  de  baliveaux;  mais  le  nouveau  Code  Forcstiern'a 
pas  renouvelé  ces  prescriptions ,  et  chacun  est  libre  mainte- 


nant  do  suin-e  pour  ses  coupes  l'onlie  et  les  usages  qui  lui 
conyionnont.  Les  bois  de  l'Etat  et  les  bois  drs  caunmuus 
sont  seuls  soumis  d'après  ce  Code  à  la  nôcessiti'  d'un  ann-no- 
genieiit  régi»?  par  des  décrets  Impériaux .  L'e\  ploil.dion  se  fait  : 
1°  en  jardinant,  c'est-à-dire  en  enlevant  les  arbres  qui  dé- 
|H.'rissent  ;  2°  par  zones,  dans  lesquelles  on  abat  tous  les 
arbres,  sauf  quelques  porte-graines;  3"  à  blanc  ou  à  coupe 
pleine,  avec  repeuplement  artilîciel  ;  i° par  la  méthode  aile- 
mande,  qui  n'est  autre  que  le  rt^ensemencement  naturel  des 
forêts.  Elle  consiste  à  exploiter  delinitivement  une  forêt  que 
l'on  a  laissée  croître  en  futaie,  après  une  durée  qui  varie  de 
cent  à  deux  cents  ans ,  suivant  l'essence  ,  la  nature  du  sol, 
ou  le  climat.  On  établit  dins  les  forets  une  coupe  qui  reçoit 
le  nom  de  coupe  sombre  ;  elle  consiste  à  disposer  les  réser- 
ves sur  le  sol  de  telle  sorte  qu'on  obtienne  la  régénération 
parfaite  de  la  forêt  par  semences.  Cette  régénération  ob- 
tenue, on  éclaircit  la  réserve,  afin  de  faciliter  la  croissance 
des  jeunes  plants.  La  coup;^'  faite  dans  ce  but  porte  le  nom  de 
coupe  secondaire.  Enfin,  lorsque  la  jeune  forêt  s'est  déve- 
loppée ,  on.  la  découvre  absolument  par  l'extraction  des  fu- 
taies restantes.  Cette  opération  porte  le  nom  de  coupe  défi- 
nitive. La  forêt  ainsi  régénérée  et  livrée  à  elle-même  offi'e 
alors  ce  que  l'on  appelle  en  langage  forestier  l'état  de  fourré. 
Vingt  ans  après  on  commence  à  pratiquer  des  éclaircies  pé- 
riodiques, qui  consistent  à  extrairli;  les  brins  rabougris,  traî- 
nant sur  le  sol ,  parasites  en  un  mot  ;  opération  qui  a  pour 
but  de  concentrer  les  sucs  nourriciers  et  de  préparer  l'état 
des  futaies  ;  elle  se  renouvelle  de  vingt  en  vingt  ans  jusqu'au 
terme  de  l'exploitation. 

L'aménagement  des  bois  a  été  établi  pour  régulariser  les 
revenus  ammels  :  aussi  le  Code  Civil,  art.  390,  ordonne-t-il 
à  l'usufruitier  de  se  conformer  à  l'aménagement  réglé  par  le 
propriétaire.  La  même  injonction  est  faite  au  mari  pour  la 
coupe  des  bois  de  sa  femme  pendant  la  communauté. 

AMÉNAGEMENT  (Droit  féodal).  V.  BiensCommlnaux. 

AMENDE  (du  latin  e»ie«c/are,  corriger),  peine  pécu- 
niaire imposée  par  la  loi  à  raison  d'un  crime,  d'un  délit  ou 
d'une  contravention,  et  qui  fut  en  usage  dès  les  temps  les 
plus  reculés,  et  souvent  excessive  cliez  les  Grecs  et  les  Ro- 
mains. Miltiade  mourut  en  prison  faute  d'avoir  pu  actpiitter 
l'amende  énorme  qui  l'avait  frappé.  Les  peines  pécu- 
niaires ctaieut  à  proprement  parler  le  seul  mode  de  pénalité 
connu  des  nations  germaniques.  Tous  les  crimes  ft  les  délits 
--j  rachetaient  par  une  composition  proportionnée  à  l'im- 
portance des  faits  et  à  la  personne  de  l'offenseur  et  de  l'of- 
fensé. Le  plus  souvent  le  tiers  de  la  composition  demeurait, 
sous  le  nom  de  fredum,  à  l'autorité  qui  avait  rétabli  la  paix. 

Telle  est  sans  doute  l'origine  de  l'amende  dans  notre 
législation.  L'ancien  droit  français  ne  se  fit  pas  faute  de 
multiplier  les  amendes  ;  et  dans  le  dernier  état  de  la  juris- 
l)rudence,  en  1789 ,  on  distinguait  deux  grandes  classes  d'a- 
mendes :  celles  qui  étaient  fixées  par  ordonnance ,  celles 
qui  étaient  arbitraires.  Les  premières  étaient  particulière- 
ment celles  qui  concernaient  les  délits  commis  dans  les  forêts, 
à  la  pèche ,  à  la  chasse  ;  celles  qui  punissaient  les  plaideurs 
acharnés  lorsqu'ils  se  pourvoyaient  en  appel  par  requête 
civile  ou  autrement  ;  celles  encourues  pour  contraventions 
aux  règlements  concernant  l'administration  et  la  régie  des 
fermes,  etc.  Elles  appartenaient  tantôt  au  roi,  tantôt  au 
fermier  général  ;  quelquefois  elles  recevaient  d'autres  desti- 
nations. Les  amendes  arbitraires  étaient  celles  que  pronon- 
çaient les  juges,  tant  en  matière  civile  (pi'en  matière  criminelle, 
et  dont  ils  fixaient  à  leur  gré  le  montant.  Ces  amendes , 
profits  accessoires  de  la  justice,  faisaient  partie  du  domaine 
et  appartenaient  au  roi  dans  toutes  les  cours  et  juridictions. 
On  distinguait  encore  les  amendes  de  police ,  dont  partie 
scnait  à  rémunérer  les  employés  de  ce  service  public  ;  les 
amendes  pour  contraventions  aux  règlements  des  manufac- 
tures, dont  partie  était  distraite  au  profit  des  inspecteurs  de 
ces  manufactures,  et  partie  au  profit  des  hôpitaux. 


AMÉNAGE^^ENT  —  AMENDE  4ô9 

.\vijourd'hui  les  amendes  sont  prononcées ,  tantôt  seules 
tantôt  accessoircmi'ut  à  une  peine  plus  grave.  Sous  h  Code 
pénal  de  1791 ,  il  ne  pouvait  être  prononcé  d'amende  pour 
crime  emportant  peine  afflictive  ou  infamante;  mais  cette  dis- 
position a  (té  abrogi'e.  Il  n'y  a  plus  d'amendes  arbitraires;  la 
ipiutit('  en  est  maintenant  réglée  par  la  loi ,  sans  autre  lati- 
tude que  celle  du  maximum  et  du  minimum.  Cependant  elles 
sont  dans  certains  cas  proportionnelles  au  dommage  causé. 
De  ce  que  les  amendes  sont  considérées  comme  des  peines, 
il  résulte  qu'il  n'appartient  pas  aux  tribunaux  d'en  faire  la 
remise  ni  d'ordonner  que  le  produit  d'une  amende  sera 
consacré  en  tout  ou  en  partie  aux  pauvres  d'une  commune  ; 
car  c'est  au  chef  de  l'État  qu'il  appartient  de  faire  remi^o 
d'une  peine ,  et  la  loi  seule  peut  ordonner  la  destination  des 
différents  produits  du  domaine  national.  Néanmoins  la  loi 
accorde  parfois  une  partie  de  l'amende  aux  communes  où 
le  délit  a  été  commis.  Il  résulte  aussi  de  leur  caractère  de 
pénalité  que  les  amendes  sont  personnelles,  et  qu'elles  s'étei- 
gnent au  décès  du  condamné ,  sans  que  ses  héritiers  aient  la 
charge  de  les  payer.  Il  en  résulte  encore  que  la  responsa- 
bilité civile  des  pères  et  des  maîtres  ne  s'étend  pas  à  la  con- 
damnation à  l'amende  prononcée  contre  leurs  enfants  ou 
domestiques. 

L'amende  n'est  pas  toujours  une  peine  ;  on  en  prononce 
en  matière  civile,  dans  divers  cas  :  par  exemple,  contre  ceux 
qui  avant  d'entamer  un  procès  refusent  de  se  présenter  en 
conciliation  devant  le  juge  de  paix  ;  contre  ceux  qui,  après 
avoir  été  condamnés  par  un  premier  jugement,  en  demandent 
la  révision  par  appel,  tierce-opposition,  requête  civile,  .re- 
cours en  cassation  :  si  l'appel  est  admis  on  restitue  l'amende. 

Cependant  l'amende  a  le  caractère  d'une  peine,  même  dans 
certaines  matières  spéciales,  telles  qu'en  matière  de  pêche, 
en  matière  forestière,  en  matière  de  loteries  clandestines. 
La  cour  de  cassation  a  jugé  aussi  en  principe  que  les  amendes 
pour  contraventions  aux  lois  fiscales  avaient  le  caractère 
de  peines  comme  dans  toute  autre  matière  ;  toutefois,  en 
matière  de  douanes  et  de  contributions  indirectes,  on  les 
considère  plutôt  comme  mesures  civiles. 

Les  amendes  ne  produisent  pas  d'intérêts.  Lorsqi'il  y  a 
concurrence  de  l'amende  avec  des  restitutions  et  des  dom- 
mages-intérêts, ces  dernières  condamnations  sont  prélevées 
les  premières  sur  les  biens  du  condamné.  Tous  ceux  qui 
sont  condamnés  pour  un  même  crime  ou  pour  un  même  délit 
sont  tenus  solidairement  des  amendes. 

Les  amendes  sont  recouvrées  par  les  soins  de  l'adminis- 
tration de  l'enregistrement,  par  voie  de  contrainte  par  corps  ; 
et  en  cas  d'insolvabilité,  elles  sont  remplacées  par  un  em- 
prisonnement d'un  an  s'il  s'agit  d'un  crime ,  de  six  mois  s'il 
s'agit  d'un  délit  (Code  Pénal,  art.  52  et  53).  En  matière  fo- 
restière, les  condamnés  à  l'amende  ne  peuvent,  malgré  leur 
insolvabilité  constatée,  être  mis  en  liberté  qu'après  quinze 
jours  lorsque  les  condamnations  n'excèdent  pas  quinze 
francs,  qu'au  bout  d'un  mois  lorsqu'elles  s'élèvent  de  15  à 
50  francs,  et  qu'au  bout  de  deux  mois  lorsqu'elles  vont  au 
delà  de  cette  dernière  somme  ,  quelle  que  soit  la  quotité  de 
ces  condamnations. 

Les  amendes  se  prescrivent  comme  les  peines  corporelles, 
c'e.st-à-dire  par  vingt  ans  s'il  s'agit  d'un  crime,  par  cinq  ans 
s'il  s'agit  d'un  délit,  et  par  deux  ans  s'il  s'agit  d'une  contra- 
vention. (Coded'Instr.  crim.,  art.  G35  àG39.) 

L'article  51  de  la  loi  du  22  frimaire  an  vu  établit  que  les 
amendes  en  matière  d'enregistrement  seront  prescrites  par 
deux  ans  lorsque  les  actes  qui  auraient  donné  lieu  à  ces 
amendes  auront  été  enregistrés  sans  qu'il  ait  été  fait  pen- 
dant ce  délai  aucune  poursuite  pour  en  obtenir  le  payement; 
mais  les  amendes  pour  contravention  au  droit  de  timbre  ne 
se  prescrivent  que  par  tiois  ans  :  on  sait  qu'en  ce  cas  l'a- 
mende se  prélève  sans  jugement  préalable. 

Les  délits  désignés  par  la  loi  comme  punissables  d'a- 
mendes sont  si  nombreux,  que  la  nomenclature  en  serait 

53. 


460  AMENDE  — 

trop  longue  et  déplac<5e  dans  un  ouvrage  tel  que  celui-ci. 
Nous  nous  contenterons  d'indiquer  ceux  qui  reviennent  le 
plus  fréquemment  dans  les  jugements  de  nos  tribunaux  civils 
et  criminels.  Des  amendes  sont  prononcées  :  contre  les  offi- 
ciers de  l'état  civil  pour  contravention  aux  formalités  à  ob- 
server dans  la  rédaction  des  actes  de  leur  ressort  ;  contre 
les  conservateurs  des  hypothèques  qui  ne  se  sont  pas  con- 
formés aux  dispositions  de  la  loi  ;  pour  défaut  de  respect  à 
l'audience  du  juge  de  paix;  contre  les  huissiers,  greffiers, 
notaires  en  contravention  ;  pour  contravention  aux  lois  de 
douanes  ;  pour  délit  de  presse  ;  pour  défaut  de  signature  dans 
les  journaux  ;  pour  contravention  aux  lois  sur  le  timbre  ; 
pour  défaut  du  nom  de  l'imprimeur;  pour  outrages  à  la  mo- 
rale publique  et  à  la  religion  ;  pour  offense  envers  la  per- 
sonne du  chef  de  l'État;  pour  émission  de  fausse  monnaie; 
pour  concussions  commises  parles  fonctionnaires  publics  ; 
contre  l'usure  ;  pour  délit  de  chasse  et  contravention  au 
port  d'armes;  pour  délit  de  pêche;  contre  les  jurés  qui  re- 
fusent de  siéger  ;  contre  les  témoins  défaillants  devant  lis 
juges,  etc. 

Le  minimum  des  amendes  pour  de  simples  contraventions 
de  police  est  d'un  franc;  le  maximum  ne  peut  excéder 
quinze  francs.  Le  minimum  des  autres  amcndus  est  de  seize 
francs  ;  le  maximum  peut  être  porté  à  vingt  mille  francs,  et 
même  à  plus. 

Des  amendes  ruineuses  ont  été  quelquefois  prononcées 
contre  la  presse. 

Comme  mode  de  pénalité,  les  amendes  présentent  certains 
avantages  :  elles  n'enlèvent  pas  le  condamné  à  ses  affaires, 
à  sa  famille;  elles  ne  le  mettent  pas  en  contact  avec  des  cri- 
minels dangereux.  ISIais ,  poiu-  que  cette  pénalité  soit  juste  , 
l'amende  doit  être  proportionnée  aux  moyens  du  coupable  : 
aussi  en  Angleterre  l'amende  est-elle  le  plus  souvent  arbi- 
traire. D'un  autre  côté,  l'effet  moral  des  peines  pécuniaires 
est  trop  souvent  nul. 

iVMEXDE  OOXORABLE.  C'était  une  punition  infa- 
mante ,  une  espèce  de  réparation  publique,  particulièrement 
usitée  en  France,  et  à  laquelle  on  condamnait  non-seulement 
les  crùninels  delèse-majesté  ,  mais  encore  ceux  qui  s'é- 
taient rendus  coupables  d'un  scandale  public  ,  tels  que  les 
séditieux ,  les  sacrilèges ,  les  faussaires  ,  les  banqueroutiers 
frauduleux ,  les  calonmiateurs ,  les  usuriers ,  les  blasphéma- 
tairs ,  etc.  Sous  les  rois  de  la  première  race ,  tout  individu 
convaincu  de  quelque  crime  considérable  était  condamné  à 
parcourir  une  certaine  distance  nu ,  en  chemise ,  portant  i:n 
ciiien  ou  une  selle  de  cheval  sur  les  épaules.  C'est  là,  dit-on, 
l'origine  de  la  coutume  de  faire  amende  honorable  en  che- 
mise, avec  quelque  marque  ignominieuse. 

On  distinguait  deux  sortes  d'canciides  honorables  :  Tune 
simple  ou  sèche,  l'autre  in  fujuris.  La  première  était  une 
réparation  imposée  à  celui  qui  avait  fait  ou  dit  quelque  chose 
contre  l'honneur  d'une  personne.  Le  condamné  devait  dire 
dans  la  chambre  du  conseil,  tète  nue,  à  genoux,  et  sans  au- 
cune marque  d'ignominie,  qu'il  <■  avait  faussement  dit  ou  fait 
quelque  chose  contre  l'aiitorilé  du  roi  ou  contre  Thonneur 
de  quelqu'un  ;  ce  dont  il  demandait  pardon  à  Dieu,  au  roi  et 
à  la  justice  ».  La  formule  était  la  même  pour  l'amende  ho- 
norable infiijuris ,  et  les  formahtés  à  observer  différaient 
peu.  Le  coupable  était  à  genoux  ,  eu  chemise,  la  corde  au 
cou  ,  une  torche  à  la  main,  et  conduit  par  le  bourreau.  Si  ce- 
lui qui  devait  faire  amende  honorable  refusait  d'obéir,  il 
pouvait  être  condamné  à  une  plus  forte  peine,  au  fouet,  au 
pilori,  aux  galères,  et  (pielquefois  même  à  la  mort. 

L'autorité  ecclésiastique  ne  pouvait  soimicttre  son  justi- 
ciable à  l'amende  honorable  dans  un  lieu  public.  Celait  or- 
dinairement dans  une  église.  Notre  histoire  nous  montre 
deux  princes  forcés  de  subir  cette  humiliante  punition  : 
Louis  le  Débonnaire,  en  8:5:î,  etlwijmond  VII,  comte  de 
Toulouse,  en  1207.  L'amende  honorable  n'était  souvent  ([uc 
le  prélude  de  la  peine  capitale  ou  des  galères.  Dans  certains 


AMENDEMENT 

cas  le  condamné  portait  devant  et  derrière  lui  un  écriteau 
indiquant  la  nature  de  son  crime. 

Faire  amende  honorable  à  quelqu'un,  c'était  lui  faire 
une  réparation  publique  en  justice,  ou  en  présence  de  per- 
sonnes choisies  à  cet  effet ,  des  injures  qu'on  lui  avait  dites, 
ou  des  mauvais  traitements  qu'on  lui  avait  faits. 

L'ordonnance  de  1670,  article  25,  déclarait  qu'après  la 
peine  de  mort  l'amende  honorable  était  une  des  plus  rigou- 
reuses punitions.  Cette  ordonnance  la  mettait  au  nombre  des 
peines  afflictives.  L'amende  honorable  a  été  abolie  par  l'ar- 
ticle 35  du  titre  l'^"'  de  la  première  partie  du  Code  Pénal 
du  25  septembre  1791. 

Pour  voir  de  frappants  exemples  de  la  manière  dont  la 
justice  séculière  appliquait  la  peine  de  l'amende  honorable, 
il  faut  plus  i>articulièrement  lire,  dans  le  recueil  des  Causes 
célèbres,  les  procès  du  faux  Martin  Guerre,  d'Urbaift 
G  r  a  n  d  i  e  r,  de  la  marq  lise  de  B  r  i  n  v  i  1 1  i  e  r  s ,  de  la  belle 
Épicière,  de  Lebrun  et  de  Gau  f  ridy. 

Dans  la  liturgie,  Vamende  honorable  est  un  acte  reli- 
gieux consistant  priucipaleinonten  une  prière  plus  ou  moins 
longue  dans  laquelle  le  prêtre,  en  son  nom  et  en  celui  des 
fidèles^  demande  pardon  à  Dieu  des  injures  faites  à  son  nom 
par  les  blasphémateurs  et  les  sacrilèges.  Il  existe  dans  les 
livres  de  piété  plusieurs  formules  iïamende  honorable. 
Dans  quelques  égli.-cs,  on  fait  amende  honorable  en  cer- 
taines circonstances,  comme  au  salut  qui  a  lieu  le  dernier 
jour  de  l'année,  dans  l'oraison  dite  des  Quarante-Heures, 
dans  les  prières  de  la  Réparation  le  vendre.li  après  l'octave 
du  Saint-Sacrement,  etc.  Cuampacnac. 

A3ÎEi\'DEMEiXT  (  Droit  parlementaire).  Ce  mot  s'en- 
tend d'une  modification  proposée  ou  faite  à  un  projet  de  loi. 
Il  semble  que  toute  assemblée  délibérante  ait  le  droit  incon- 
testable de  n'accepter  qu'en  parfaite  connaissance  de  cause 
les  propositions  qui  lui  sont  faites,  et  par  conséquent  de  les 
amender,  c'est-à-dire  de  les  corriger  dans  les  parties  qui  lui 
semblent  défectueuses.  Cependant  cette  faculté  n'a  pas  tou- 
jours été  reconnue.  Nos  anciens  parlements  étaient  tenus 
d'enregistrer  en  bloc  les  cdits  que  le  monarque  leur  en- 
voyait, et  leur  résistance  était  toujours  vaincue  dans  un  lit 
de  justice.  L'Assemblée  constituante  et  la  Législative  amen- 
dèrent les  premières  leurs  propres  résolutions,  c'est-à  dire  les 
propositions  de  leurs  membres  ou  de  leurs  commissions.  La 
Convention  alla  jusqu'à  amender  les  dispositions  même  de 
projets  de  loi  tout  entiers  adoptés  la  veille.  Sous  la  constitu- 
tion directoriale  de  l'an  III ,  l'initiative  des  résolutions  ap- 
partenait à  chacun  des  conseils  des  Cinq  cents  et  des  An- 
ciens. Ils  étaient  juges  d'appel  l'un  de  l'autre;  mais  il  fal- 
lait accepter  en  masse  ou  refuser  sans  amendement.  La  cons- 
titution consulaire  de  l'an  YIII  établit  am  tout  autre  ordre  de 
choses.  Les  lois  élaborées  an  sein  du  conseil  d'État  étaient 
portées  au  Tribunal ,  qui  nommait  des  orateurs  pour  sou- 
tenir concurremment  avec  les  orateurs  du  gouvernement 
ou  combattre  le  projet  de  loi  devant  le  Corps  législatif.  Celui- 
ci  adoptait  sans  discussion.  .\  la  suppression  du  Tribunal,  il 
n'y  eut  même  plus  de  semblant  d'opposition.  Cependant,  vers 
la  fm  de  l'empire,  le  Corps  législatifélait  divisé  en  commissions 
qui  examinaient  les  projets  de  loi,  et  qui  pouvaient  proposer 
en  comité  secret  des  amendements,  (;ue  l'empereur  acceptait 
ou  rejetait  à  volonté.  Le  droit  d'amendement  fut  ainsi  res- 
treint dans  la  Charte  de  1814  :  ■<  Aucun  amendement  ne 
peut  êtie  l'ait  à  une  loi  s'il  n'a  élé  proposé  ou  consenti  par 
le  roi,  et  s'il  n'a  élé  renvoyé  et  discuté  dans  les  bureaux.  » 
Mais  les  chambres  ne  tinrent  point  compte  de  cette  restric- 
tion, et  ne  demandèrent  jamais  le  consentement  du  roi  ni  ne 
renvoyèrent  dans  les  bureaux  les  modilicalions  proposées.  La 
Charte  de  1S:50  donna  le  droit  d'i  nitiative  aux  chambres, 
et  par  conséciuent  le  droit  d'aniondement.  Sous  la  constitu- 
tion de  1848,  ce  droit  appartenait  essentiellement  à  l'as- 
semblée; cependant  son  règlement  exigeait  certaines  forma- 
lités, pour  éviter  toute  surprise  on  loule  perte  de  temps. 


'a^IENDEMENT  —  AMÉNITÉ 


461 


Aujoiîîd'liui  le  Corps  T.i'iiislal'l  prociVo  à  pou  pns  comm<^ 
au  lcinii>  «iii  premier  Knipire  :  aiicmi  aniouileiiuMit  ne  peut 
V  ôlre  adopte  s'il  Ji'a  été  acce|ité  par  le  Conseil  d'État. 

Une  nouvelle  niodilicalion  iiroposée  à  un  aniendenienl 
s'appelle  sous-amcndemcnt. 

l'Iusieui-s  amendements  sont  restés  célèbres;  on  leur  a 
donné  le  nom  de  leur  auteur  :  par  exemple,  ceux  de  Mailhe 
à  la  Convention,  de  15oin  sous  la  roMauralion,  de  Grévy 
relatif  à  l'article  45  de  la  constitution  de  ISiS,  de  Tinguy 
qui  a  imposé  aux  journalistes  l'obligation  de  signer  leurs 
articles,  etc. 

Dans  le  parlement  britannique,  les  deux  chambres  nom- 
ment respectivement  des  commissaires  qui  s'entendent  sur 
la  rédaction  des  amendements. 

AMEXDEMEXT  (Aghcullure).  On  comprend  sous 
ce  nom  toute  modification  apportée  à  la  constitution  intime 
du  sol  par  des  mélanges,  des  additions,  des  soustractions 
môme  de  substances  minérales,  dans  le  but  de  lui  faire 
éprouver  une  amélioration  pfiysiquc,  bien  distincte  de  l'amé- 
lioration chimique,  que  procurent  les  engrais ,  et  de  l'amé- 
lioration mécanique,  que  l'on  obtient  par  les  labours,  etc. 
Il  faut  aussi  se  garder  de  confondre  les  amendements  avec 
les  stimulants,  autre  classe  de  substances  qi'.i  jouent  un 
rôle  tout  différent,  et  n'agissent  ni  comme  de  véritables  en- 
grais ni  comme  de  simples  amendements. 

Un  mot  sur  la  constitution  ordinaire  du  sol  arable  suffira 
pour  faire  voir  les  propriétés  de  chaque  amendement  et  le 
but  qu'il  atteint.  Le  sol  est  composé  de  silice,  d'argile,  de 
calcaire,  d'oxyde  de  fer  et  de  manganèse,  de  différents  sels, 
et  de  débris  organiques  en  décomposition.  Il  estditsi7jcez<:r, 
argileux,  calcaire,  suivant  que  ces  différents  éléments 
prédominent.  L'analyse  chimique  du  sol  et  celle  des  cendres 
de  végétaux  qu'il  produit  spontanément  feront  connaître  sa 
constitution  dune  manière  positive.  On  saura  l'élément  qui 
manque  à  la  culture  de  telle  ou  de  telle  plante,  et  il  suffira 
de  le  donner  au  terrain  pour  la  lui  faire  produire.  Quoique 
ces  analyses  n'aient  pas  été  exécutées  ni  même  entreprises 
systématiquement,  ou  est  parvenu  à  établir  un  certain 
nombre  de  préceptes  rationnels. 

Le  terrain  siliceux  ne  retient  pas  assez  l'humidité,  laisse 
trop  rapidement  l'eau  s'écouler  et  s'évaporer ,  entraînant 
avec  elle  les  principes  fertilisants.  De  plus,  il  ne  peut  sup- 
porter des  cultures  fréquentes  ;  et  étant  très-poreux,  très- 
léger  et  bon  conducteur  de  la  chaleur,  il  rend  trop  sensibles 
aux  végétaux  les  influences  du  froid  et  du  chaud.  On 
change  les  conditions  peu  favorables  de  ce  terrain  en  l'a- 
mendant avec  de  l'argile  ;  elle  augmente  la  consistance  d'une 
terre  trop  légère ,  trop  perméable ,  lui  communique  la  fa- 
culté de  mieux  retenir  l'eau  nécessaire  à  la  végétation ,  et 
surtout  augmente  sa  puissance  en  lui  donnant  aussi  cette 
autre  faculté  de  retenir  les  engrais.  Comme  les  espèces  de 
sol  où  l'argile  serait  utile  manquent  aussi  la  plupart  du  temps 
de  calcaire,  on  emploie  de  préférence  des  marnes  argi- 
leuses et  calcaires,  qui  ont  en  outre  l'avantage  de  se  diviser 
beaucoup  plus  facilement.  On  doit  répandre  sur  le  terrain 
l'argile  réduite  en  poudre.  Du  reste,  elle  n'améliore  vérita- 
blement qu'autant  qu'elle  a  été  exposée  pendant  plusieurs 
années  aux  intluences  de  l'air  :  elle  se  divise  alors  plus  faci- 
lement et  se  mêle  mieux  au  sol. 

Le  terrain  argileux  a  l'inconvénient  de  retenir  l'eau  trop 
longtemps,  sans  lui  permettre  de  s'écouler  et  de  s'évaporer. 
A  une  température  sèche,  il  se  durcit  trop  et  empoche  les 
racines  des  plantes  de  pénétrer  dans  le  sol  ;  il  se  fendille, 
et  devient  presque  impénétrable  par  l'eau,  et  surtout  par 
l'air  et  les  gaz.  On  conçoit  d'après  cela  que  Tintroduction 
du  sable  dans  l'argile,  en  maintenant  ses  parties  à  distance 
et  en  les  empêchant  d'adhérer  les  imes  aux  autres,  de  se 
durcir  et  de  se  contracter,  augmente  la  (acuité  absorbante 
du  terrain,  ainsi  (pie  sa  peiméahililé.  Les  amendements  si- 
liceux doivent  être  répandus  sur  le  sol  avant  les   labours 


destinés  à  l'ensemencement  des  céréales.  On  les  mélange 
dabord  avec  une  couche  peu  épaisse  de  sol  à  l'aide  de 
l'instrument  appelé  cjctirpateur  ;  puis  on  augmente  pro- 
gressivement la  profondeur  des  labours.  Toutefois  le  sable 
est  rarement  employé  comme  amendement,  tant  à  cause  du 
prix  de  transport  en  quelques  endroits  que  par  la  diflicuUé 
de  l'incorporer  au  sol  avec  nos  moyens  ordinaires.  On  em- 
ploie quchpiofois  l'argile  calcinée  au  moyen  de  l'écobuage. 
On  remarque  qu'après  sa  calcination  au  rouge,  cette  sub- 
stance devient  poreuse,  sans  ténacité,  et  ne  retient  plus  l'eau  : 
aussi  rend-elle  alors  le  sol  plus  meuble  et  plus  perméable. 
Un  sol  calcaire,  surtout  quand  c'est  avec  l'argile  que  la 
chaux  se  trouve  combinée ,  est  des  plus  propres  à  la  végé- 
tation. Cependant,  si  le  sol  est  calcaire  par  excès ,  tel  que 
le  sont  les  terrains  formés  de  marnes  ou  de  craies  pures ,  il 
offrira  trop  de  légèreté  et  de  porosité.  L'air  y  pénètre  aisé- 
ment ,  mais  l'eau  s'en  échappe  avec  une  égale  facilité.  Une 
terre  de  cette  nature  est  alternativement  inondée  et  dessé- 
chée ,  au  grand  détriment  de  la  végétation.  L'addition  d'une 
certaine  quantité  d'argile ,  selon  la  prédominance  de  la 
chaux,  paraît  être  le  meilleur  amendement  de  ces  sortes  de 
terrains  ;  car  la  proportion  la  plus  avantageuse  qu'on  ait  re- 
conniie  pour  former  un  bon  sol  calcaire  est  une  quantité 
d'argile  égale  à  celle  de  la  chaux  carbonatée. 

Quant  aux  amendements  calcaires,  le  plâtre ,  les  diffé- 
rentes sortes  de  chaux,  etc.,  ce  sont  des  stimulants,  ainsi 
que  les  diverses  espèces  de  cendres  et  les  amendements 
salins. 

Vhumiis  fCeiiç.  décomposition  végétale  qui,  superposée 
et  mêlée  aux  terres  proprement  dites ,  fouf nit  aux  plantes 
une  grande  partie  de  leur  nourriture ,  et  qui  constitue  la  ri- 
chesse du  sol ,  peut  cependant  se  rencontrer  en  trop  grande 
quantité  ou  sans  être  suffisamment  élaboré ,  comme  cela 
arrive  dans  les  sols  tourbeux  et  dans  les  sols  marécageux 
qui,  après  leur  dessèchement,  ne  sont  pas  immédiatement 
proiires  à  la  culture  des  céréales  :  par  exemple ,  si  la  tourbe 
et  les  débris  végctanx  ne  sont  pas  mêlés  à  une  quantité 
suffisante  de  terre  siliceuse ,  calcaire  et  argileuse. 

Nous  avons  indiqué  les  amendements  propres  à  chaque 
espèce  de  terrain  ;  mais  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  qu'il 
est  fort  rare  de  trouver  dans  une  couche  inférieure  du  sol 
l'espèce  de  terre  même  dont  on  a  besoin  pour  opérer  l'a- 
mendement de  celle  qui  se  trouve  à  la  surface.  Alors  le  plus 
souvent  on  procède  par  un  défoncement  régulier  fait  par 
fossés  ouverts,  dans  lequel  on  fouille  la  terre  du  fond  pour 
l'étendre  à  la  surface  ;  quelquefois  on  n'a  besoin  que  d'un 
labour  simple ,  mais  plus  profond.  Lorsque  l'on  doit  aller 
chercher  au  loin  la  terre  destinée  à  l'amélioration,  ou  si  l'on 
doit  la  tirer  d'une  grande  profondeur,  cette  opération  peut 
devenir  trop  coûteuse,  quoiqu'on  ait  vu  des  terres  amendées 
donner  une  augmentation  de  vingt-cinq  à  trente  pour  cent 
dans  les  récoltes  et  compenser  amplement  les  dépenses. 

AMEIVER,  ternie  de  marine,  qui  désigne  la  manœuvre 
par  laquelle  on  abaisse  des  voiles ,  des  vergues ,  des  mâts  : 
dans  ce  sens,  c'est  l'opposé  de  hisser.  —  Amener  son  pa- 
villon, c'est  le  retirer  pour  se  rendre  à  l'ennemi. 

AMENITE.  L'aménité  est  une  de  ces  choses  délicates 
qu'il  est  difficile  de  bien  définir  et  qui  menacent  à  chaque 
instant  de  s'évanouir  sous  l'analyse.  C'est  une  qualité  tout 
extérieure  sous  certains  rapports ,  tout  intérieure  sous  d'au- 
tres, mais  toujours  revêtue,  par^e,  ornée,  dans  sa  manifes- 
tation, de  grands  agréments,  d'une  grâce  qui  plaît,  d'un 
charme  qui  séduit  sans  éblouir.  —  L'aménité  d'un  lieu  a 
pour  source  l'ensemble  doux  et  harmonieux  des  aspects 
qu'il  présente.  IMais  la  douceur  et  l'harmonie  des  objets  n'y 
sont  pas  tout.  Une  parure  élégante,  qui  plaise  par  sa  simpli- 
cité même,  et  dont  la  grâce  riante  et  pure  flatte  agréable- 
ment la  vue,  entre  nécessairement  dans  le  tableau.  —  Du 
sens  propre  ce  mot  jjasse  aisément  au  style  figuré,  et  se  dit 
du  caractère,  de  la  manière  d'être  d'un  homme,  comme  du 


4C2 


AMENITE  —  AMENORRHEE 


caractère  et  de  la  manière  d'être  d'un  paysage.  Dans  ce 
sens,  Yaménité  eslhicn  plus  que  l'affabilité  :  celle-ci  se  laisse 
aborder  facilement ,  celle-là  se  communique  gracieusement. 
Si  elle  cessait  d'être  doucement  séduisante  et  gracieuse  du 
fond  du  cœur,  elle  ne  serait  plus  elle-même.  Elle  est  si  puis- 
sante, qu'elle  est  l'homme;  et  comme  le  style  aussi  est 
l'homme,  il  réfléchit  naturellement  l'aménité  de  l'homme. 
On  dit  donc  îtn  style  plein  d'amdnilé.  .Mais  d'où  vient  l'a- 
ménité du  style?  De  celle  de  l'homme,  sans  doute.  Toute- 
fois, il  ne  suffit  pas  d'avoir  de  l'aménité  dans  le  caractère 
pour  en  avoir  dans  le  style,  par  la  môme  raison  qu'il  ne 
su(fit  pas  qu'il  y  ait  de  l'aménité  dans  un  paysage  pour  qu'il 
y  en  ait  dans  le  tableau  qui  le  représente.  Le  Créateur  a 
le  secret  de  l'aménité  d'un  lieu  ;  le  véritable  artiste,  celui  de 
l'aménité  d'un  tableau  ;  le  grand  écrivain  ,  celui  de  l'aménité 
d'un  style.  Qui  a  celui  de  l'aménité  de  l'homme?  L'intelli- 
gence infinie  est,  parmi  les  intelligences  finies,  celle  qui  sur- 
prend le  mystère  à  force  d'analyse.  Quiconque  aura  sur- 
pris ce  mystère  devra  le  divulguer  ;  car  l'aménité ,  c'est  la 
plus  délicieuse  chose  dans  les  rapports  des  hommes.  Les 
femmes  le  pensent.  Elles  ont  eu  longtemps  le  privilège  de 
l'aménité  sans  le  savoir;  les  flatteurs  leur  disent  qu'elles  le 
possèdent  encore,  et  qu'il  est  devenu  un  monopole  de  leur 
se.ve,  grâce  à  la  sécheresse  des  mœurs  politiques  du  jour. 
On  s'est  toujours  plu  à  calomnier  les  mœurs  du  jour,  et, 
quoi  qu'on  en  dise,  l'aménité  n'est  pas  devenue  étrangère  aux 
nôtres  :  les  caractères  de  l'espèce  humaine  sont  indestruc- 
tibles; or  la  douce  bonté,  la  gracieuse  politesse,  ces  riantes 
fleurs  du  sentiment,  sont  un  de  ces  caractères.    Matter. 

iVMÉNOPIIIS.  Trois  rois  dÉgypte  de  la  dix-huitième 
dynastie  portèrent  ce  nom,  que  les  Égyptiens  écrivaient  Amé- 
nothph  et  Amcnôph. 

AMÉNOPHIS  F",  fils  et  successeur  d'Araasis  \",  qui 
avait  enfermé  les  Pasteurs ,  conquérants  de  l'Egypte ,  dans 
un  camp  retranché,  nommé  Aouaris,  les  expulsa  en  Syrie  au 
moyen  de  la  capitulation  qu"'il  leur  accorda.  Par  l'effet  de 
ces  circonstances ,  le  règne  d'Araénophis  I"  devait  Jeter  un 
grand  éclat.  Le  trône  légitime  fut  relevé,  la  restauration  fut 
opérée  dans  les  différentes  branches  de  radiiiinistralion  ; 
tous  les  efforts  furent  réunis  pour  rétablir  les  lieux  saints, 
les  édifices  publics,  la  police  des  cités,  l'influence  des  lois , 
des  coutumes  et  des  croyances  nationales ,  l'entretien  si  né- 
cessaire des  canaux  et  de  tous  les  travaux  publics.  Le  nom 
d'Aménophis  l"  subsiste  encore  sur  un  grand  nombre  de 
monuments  contemporains  de  son  règne ,  et  sur  un  plus 
grand  nombre  de  ceux  qui  furent  consacrés  à  la  mémoire 
de  ce  grand  roi  par  ses  successeurs.  Ce  nom  est  aussi  inséré 
dans  les  litanies  des  rois;  sur  une  foide  de  bas-relief»,  l'i- 
mage de  ce  Pharaon  est  placée  au  milieu  de  celles  des 
dieux.  Une  statue  d'Aménophis  l" ,  divinisé,  orne  le  musée 
de  Turin.  Aménophis  avait  succédé  à  son  père,  l'an  1S22 
avant  J.-C;  il  mourut  après  un  règne  de  trente  ans. 

AMÉXOPHIS  II,  sixième  roi  de  la  dix-huitième  dynastie, 
fut  fds  de  Thoutmosis  III  ou  Mœris,  et  régna  dès  l'année  1723 
avant  J.-C.  Son  nom  se  lit  encore  sur  un  grand  nombre  de 
monuments  élevés  par  ses  ordres,  surtout  en  Nubie.  11  con- 
courut à  accroître  la  splendeur  de  Thèbes ,  notamment  par 
l'édification  des  propylées  et  des  colosses  de  Karnac.  Une 
statue  colossale  de  ce  prince,  en  granit  rose  et  monolithe  , 
est  au  niusée  de  Turin.  Il  mourut  après  un  règne  de  vingt- 
cinq  ans  dix  mois ,  vers  l'an  1697  avant  J.-C.  Ileutpour  suc- 
cesseur Thoutmosis  IV,  père  d'Aménophis  III,  qui  suit. 

AMÉNOPHIS  III,  petit-fils  d'Aménophis  II,  succéda  à  son 
père,  vers  l'an  1687.  11  fut  un  des  princes  les  plus  illustres 
parmi  les  races  royales  égy])tiennes ,  et  des  plus  connus 
parmi  les  populations  occidentales  ;  c'est  le  Memnon  des 
Grecs ,  le  roi  à  la  statue  parlante ,  dont  les  merveilles  ont 
ému  les  vulgaires  esprits.  On  racontait ,  même  en  Egypte , 
les  miracles  de  sa  naissance  ;  il  fiit  annoncé  à  sa  mère  par 
les  dieux ,  doté  et  élevé  par  leur  plus  efficace  protection. 


On  peut  encore  admirer  en  Egypte  les  prodiges  de  sa  vie. 
Le  palais  de  Thèbes ,  qui  porte  vulgairement  ce  nom  chez 
les  anciens ,  chez  les  modernes  le  nom  de  Memnonium, 
et  le  palais  de  Louqsor,  dépendant  de  la  même  capitale , 
sont  des  ouvrages  réellemont  merveilleux  du  règne  et  de 
la  puissance  d'Aménophis  III.  Ce  qui  est  encore  certain, 
c'est  l'éclat  des  victoires  remportées  par  Aménophis  III  en 
Asie  et  en  .\frique ,  sur  ses  voisins  et  sur  les  ennemis  de 
l'Egypte  ;  ses  palais  à  Thèbes  sont  encore  décorés  des  ta- 
bleaux des  combats  qu'il  leur  livra,  et  les  inscriptions  qui 
les  accompagnent  renferment  les  noms  des  peuples  vaincus. 
Des  stèles  de  grandes  proportions ,  des  oMlisques ,  des 
édifices  élevés  dans  les  villes  principales  de  l'Egypte ,  attes- 
tent aussi  la  gloire  de  son  règne.  On  voit  à  Paris ,  au 
Louvre ,  la  partie  inférieure  d'une  statue  colossale  en  granit 
rose  de  ce  ntême  roi ,  recueillie  dans  les  ruines  de  Thèbes , 
et  un  grand  nombre  de  monuments  de  moindres  proportions, 
qui  rappellent  son  nom  et  les  actions  principales  de  sa  vie. 
Il  mourut  après  un  règne  de  trente  ans  et  cinq  mois  ,  vers 
l'an  1G57  avant  J.-C. 

AMEXORRIIÉE  (de  à  privatif,  et  des  mots  |jiT]v,mois, 
f ew ,  je  coule),  absence  ou  suppression  par  une  cause 
morbide  de  l'évacuation  périodique  du  sexe.  Telle  est  l'in- 
fluence de  cette  fonction  sur  la  santé  de  la  femme  que  ses 
dérangements,  bien  que  ne  constituant  pas  de  maladies  dis- 
tinctes, deviennent  presque  toujours  la  cause  d'affections 
plus  ou  moins  graves.  Que  l'on  considère  donc  l'aménorrhée 
comme  cause  ou  comme  complication  de  maladies,  toujours 
est-il  qu'elle  fournit  des  indications  particulières  à  l'homme 
de  l'art,  et  mérite  toute  l'attention  des  malades. 

Les  suppressions  subites  sont  ordinairement  le  résultat 
d'une  vive  émotion,  de  l'impression  d'un  air  froid,  de  l'im- 
mersion d'une  partie  du  corps  dans  l'eau  froide,  de  l'inges- 
tion de  boissons  à  la  glace  ,  etc.  Quand  elles  s'établissent 
lentement,  elles  sont  la  plupart  du  temps  occasionnées  par 
une  maladie  chronique  qui  a  produit  l'appauvrissement  di: 
sang,  comme  la  phthisie  pulmonaire,  ou  profondément  altéré 
le  tissu  de  la  matrice,  comme  le  cancer  de  cet  organe. 

L'aménorrhée  développée  brusquement  s'accompagne  com- 
munément d'un  sentiment  de  pesanteur  avec  gonflement 
douloureux  du  bas-ventre,  coliques  utérines,  et  symptômes 
généraux  plus  ou  moins  développés,  selon  le  tempérament 
et  l'état  de  santé  habituel  du  sujet.  Les  symptômes  locaux 
sont  moins  marqués  quand  la  suppression  s'établit  len- 
tement. On  voit,  dans  la  plupart  des  cas,  ces  différents 
phénomènes  se  manifester  avec  plus  d'intensité  à  l'époque 
où  les  règles  avaient  coutume  de  paraître,  et  diminuer  dans 
l'intervalle. 

La  première  chose  à  faire  est  de  remonter  à  la  cause 
de  la  maladie ,  de  l'écarter  ou  de  la  combattre ,  en  se  con- 
formant aux  indications  qui  se  présentent.  Ainsi,  l'aménor- 
rhée a-t-elle  succédé  à  un  refroidissement,  l'usage  de  bois- 
sons chaudes  et  légèrement  sudorifiques  ,  le  séjour  au  lit 
conviendront  spécialement;  reconnaît-elle  pour  cause  une 
vive  émotion  de  l'âme,  des  calmants,  des  antispasmodiques , 
seront  conseillés.  CJiez  les  personnes  sanguines,  une  sai- 
gnée sera  presque  toujours  nécessaire.  Ce  n'est  que  chez  les 
sujets  lymphatiques,  appauvris,  que  l'on  pourra  employer 
avec  sécuiité  les  excitateurs  de  l'utérus  et  les  toniques 
(amers,  ferrugineux,  etc.  ).  Chez  les  sujets  à  fibre  molle  ,  à 
chairs  flasques,  à  mouvements  lents,  j'ai  triomphé  en  peu 
de  temps  d'aménorrhées  rebelles  à  l'aide  du  seigle  ergoté. 
Ajoutons  qu'on  est  généralement  trop  porté  dans  le  monde 
à  recourir  à  cette  classe  de  moyens  excitants  qui  peuvent, 
dans  beaucoup  de  circonstances,  avoir  les  effets  les  plus 
désastreux  s'ils  sont  appliqués  sans  intelligence.  A  peine 
est-il  nécessaire  de  dire  qu'aux  maladies  locales  qui  peuvent 
précéder  et  déterminer  l'aménorrhée ,  il  faut  o|)poser  un 
traitement  spécial  approprié  à  leur  nature,  et  qu'il  serait 
aussi  inutile  que  dangereux  de  vouloir  rétablir  les  règles 


AMÉNORRHÉE 

diez  une  malade  «*puis.(5e  par  une  maladie  chronique,  avant 
d'avoir  fourni  à  l'économie  des  matériaux  suflîsants  pour  la 
réparation.  Disons  enfin,  pour  terminer,  que  la  premiiVe 
idée  qui  doit  se  présenter  à  l'esprit  quand  il  s'agit  d'une  amé- 
norrhée, c'est  la  plus  naturelle,  celle  d'une  grossesse  ;  qu'eu 
cas  de  doute,  on  doit  se  contenter  de  satisfaire  aux  indica- 
tions les  plus  pressantes,  de  manière  à  ne  nnire  ni  à  la  mère 
ni  à  l'enfant,  sans  s'en  rapporter  uniquement  aux  dénégations 
des  femmes,  qui  en  pareille  circonstance  trompent  sou- 
vent de  très-bonne  foi  leur  médecin.  D'  Saiceuotte. 

AMEXTACÉES  (du  latin  amentum,  chaton).  Nom 
d'une  famille  de  plantes  dans  laquelle  sont  compris  tous  les 
genres  dont  les  lleurs,  ordinairement  unisexuces ,  sont  dis- 
posées en  chaton.  L'ccorce  de  la  plupart  dos  amentacées 
contient  une  grande  quantité  d'.icide  gallique  et  de  tannin,  ce 
qui  la  rend  précieuse  aux  tanneurs  et  aux  fabricants  d'encre. 
Les  feuilles  sont  alternes,  planes,  simples,  ordinairement 
pétiolées  et  traversées  par  une  nervure  longitudinale.  Les 
fleurs  ordinairement  fort  petites,  de  peu  d'apparence,  d'une 
couleur  lierbacée,  sont  disposées  autour  d'un  fdet  fomianl 
une  espèce  d'épi  appelé  chaton.  A  cette  famille  appartien- 
nent diverses  espèces  de  bouleaux,  de  hêtres,  de  saules,  de 
chênes,  de  châtaigniers,  d'ormes,  etc.,  etc. 

^UIEXTHES,  AMENTHISou  AAIENTI.  C'était  le  nom 
du  royaume  des  morts,  de  l'enfer  chez  les  Égyptiens.  L'éty- 
mologie  de  ce  mot,  employé  d'abord  par  Plutavque,  remon- 
terait, suivant  Jablonsky,  au  copte,  et  signifierait  dans  cette 
langue  ombre,  obscurité.  Osiris  passait  pour  le  dieu  de  l'A- 
menthis ,  qui  était  situé  dans  la  montagne  sacrée  de  l'Occi- 
dent. Les  rois  et  les  citoyens  n'y  obtenaient  une  demeure 
pour  l'éternité  qu'après  avoir  subi  un  jugement  sur  leur 
\ie  entière.  A  ce  mot  d'Amenthis  ne  se  rattachait  une  id.  c 
ni  de  prison  ni  de  supplices  :  c'était  le  séjour  des  âmes  qui 
avaient  quitté  la  vie  terrestre  et  allaient  habiter  soit  les  lieux 
réservés  aux  bons,  soii  ceux  où  les  méchants  étaient  châties. 
Après  avoir  quitté  leur  habitation  terrestre ,  les  âmes  se 
présentaient  successivement  aux  divinités  qui  avaient  l'A- 
menthis  dans  leurs  attributions  ;  elles  arrivaient  ensuite  de- 
vant le  juge  suprême,  Osiris,  qui,  assis  sur  son  trône,  pesait 
dans  une  balance  les  bonnes  et  les  mauvaises  actions  du  dé- 
funt, et  prononçait  ensuite  sa  sentence,  assisté  de  vingt-deux 
jurés,  de  la  déesse  Justice  et  Vérit'-,  et  du  dieu  Thôth,  son 
scribe  divin.  Si  le  défunt  obtenait  un  verdict  bienveillant,  il 
était  conduit  dans  des  lieux  de  délices  d'une  éternelle  lu- 
mière, 011,  sous  la  forme  de  travaux  agricoles,  il  cultivait  le 
champ  de  la  vérité  et  adorait  Dieu,  le  père  des  hommes.  Là 
les  âmes  se  baignaient,  mangeaient  et  folâtraient  dans  l'eau 
céleste  et  primordiale.  L'âme  condamnée,  au  contraire,  était 
jetée  dans  la  région  des  ténèbres  éternelles,  divisée  en  soixante- 
quinre  zones,  où  les  coupables  subissaient  divers  supplices, 
type  antique  de  l'enfer  du  D;inte,  aux  tourments  variés  :  on 
en  voyait  de  liés  à  des  poteaux,  tandis  que  les  gardiens  ])raR- 
dissaient  perpétuellement  des  glaives  sous  leurs  yeux  ;  d'au- 
tres suspendus  la  tète  en  bas,  ou  marchant  en  longues  files, 
après  avoir  eu  la  tète  tranchée  ;   d'autres,  les  mains  liées 
derrière  le  dos,  traînant  par  terre  leur  cœur  arraché  de  leur 
[loitrine  ;  d'autres  bouillant  dans  de  gran;les  chaudières  sous 
l'orme  hum.aine,  sous  forme  d'oiseau,  ou  bien  seulement  avec 
une  tête  et  pas  de  cœur.  La  plus  grande  Ucatitude,  la  re- 
compense des  rois  justes  et  bons,  élait  de  voir  Dieu  ;  les 
âmes  coupables  ne  contemplaiimt  pas  sa  figure  et  n'enten- 
daient pas  sa  parole.  Du  re-te,  cette  diversité  de  supplices 
pour  les  méchants  ou  cette  béatitude  pour  les  bons  est  une 
preuve  palpable  de  la  pureté  du  dogme  égyptien. 
J.-J.  Champollion-Ficeac. 
AMEB)  ce  qui  a  une  saveur  rude  et  désagréable,  comme 
celle  de  l'absinthe  ou  de  l'aloès.  Voyez  Amers. 
AAIER  DE  WELTHER.  Voyez  Indigo. 
xVxMÉRICAlXE  (Race).  Voyez  R\ces  humaines,  In- 
diens et  AMÉlilQlE. 


-  AMERIQUE  463 

-VMERIGO  VESPUCCI.  Voyez  Vespcce  ( Amélie). 

-V-MÉUIQUE.  Le  continent  de  l'hémisphère  occidental' 
le  Nouveau  >f.uhle,  l'Occid.nt  de  notre  globe  terrestre  en 
opposition  tranchée  avec  l'Orient,  avec  l'ancien  monde,  frac- 
tionné en  trois  parties,  est  baigné  à  l'ouest  par  le  Grand-Océan 
ou  mer  l'ac^lique,  à  l'est  par  l'océan  Atlantique,  et  au  nord 
par  les  eaux  de  la  mer  Polaire  arcti(iue.  Par  la  presqu'île 
deTschouktschcn,qui  s'avance  dans  le  détroit  de  Bering  il 
se  rapproche  au  nord-oue>t  du  continent  asiatique,  dont  le 
sépare  alors  une  distance  d'environ  sept  myriamèlre.s  seule- 
ment, et  au  nord-est,  par  le  Groenland,  de  l'île  d'Islande 
dt'pcnlance  de  l'Europe,  dont  il  n'est  guère  éloigné  que  de 
SO  myriainètros.  Au  cap  Saint-Charies,  il  n'est  qu'à  400  my- 
liamètresdela  pointe  sud-ouest  de  r.\ngleterre.  .\u  sud-est 
une  distance  do  400  myriamètres  le  s 'pare  sans  discontinuer 
des  parties  les  plus  occidentales  de  l'Afrique  ;  tandis  qu'il 
est  encore  six  et  même  huit  fois  plus  éloigné  dcS  côtes  sud- 
est  de  l'Asie  et  de  la  Nouvelle-Hollande. 

Les  points  extrêmes  de  ce  continent  sont  :  au  nord,  le  cap 
d'Elson,  situé  par  71°  1/3  de  latitude  nord  et  138°'  2/3  de 
longitude  ouest  -,  au  sud,  le  cap  Forward,  situé  par  53°  55'  de 
la'.itude  sud  et  53°  2C'  de  longitude  ouest  ;  à  l'ouest,  le  cap 
du  Prince  de  Galles,  situé  par  fi5°  2 '3  de  latitude  nord  et 
150°  2/3  de  longitude  ouest;  à  l'est, le  cap  Saint-Roch  ,  si- 
tué par  5°  de  latitude  sud  et  17°  1/2  de  longitude  ouest.  Celte 
situation  donne  àl'Aniérique  une  étendue  méridienne  caracté- 
ristique, à  travers  toutes  les  zones,  même  dam  la  zone  gla- 
ciale du  sud,  si  on  comprend  comme  prolongement  de  cette 
partie  du  monde  l'archipel  antarctique  de  la  Patagonie. 

L'océan  Atlantique,  par  la  force  dissolvante  de  ses  cou- 
rants, a  creusé  au  milieu  de  !a  côte  orientale  de  l'Amérique  les 
profondes  baies  du  golfe  du  Mexique  et  de  celui  des  Ca- 
raihii  ;  d'où  il  est  résulté  que  ce  continent  s'est  trouvé  divisé 
en  deux  parties  affectant  l'une  et  l'autre  la  figure  triangulaire, 
et  réunies  seulement  à  l'ouest  par  l'espèce  de  digue  qu'y 
forme  l'isthme  de  Panama,  loque!  n'a  guère  plus  de  six  my- 
riamètres de  largeur,  tandis  qu'à  l'est  les  îles  des  Antilles, 
appelées  aussi  (nJes  occidentales,  semblent  être  autant  d'as- 
sises d'un  pont  qui  aurai  mis  autrefois  en  communication 
entre  elles  les  deux  grandes  masses  du  continent.  Dans  sa 
plus  grande  étendue  l'Amérique  a  une  longueur  d'envi- 
ron 1,500  myriamètres,  tandis  que  sa  plus  grande  largeur 
(entre  le  cap  du  Prince  de  Galles  et  le  cap  Charles)  est  de 
G  lO  myriamètres.  On  évalue  le  développement  total  de  ses 
côtes  à  G, 956  myriamètres,  comprenant  une  superficie  de 
364,650  myriamètres  carrés  ;  elle  serait  même  de  plus  de 
385,000  myriamètres  si  on  y  comprenait  les  archipels  voisins. 

Les  côtes  orientales  de  l'Amérique  répondent  assez  exacte- 
ment par  leur  configuration  à  celles  du  continent  situé  en 
face,  à  l'est ,  par  exemple ,  le  littoral  arrondi  de  l'Amérique 
du  Sud,  au  littoral  de  l'Afrique  ;  et  r.\mcrique  du  Nord  op- 
pose aux  échancrures  du  continent  européen  la  terre  de 
Melvill* ,  le  Labrador ,  la  Nouvelle-Ecosse  ou  Acadie ,  le 
Alaryland,  la  Floride,  et  plus  loin  encore  au  midi  l'Yucatan. 
Les  côtes  occidentales  de  l'Amérique  du  Sud  n'oft'rant  que 
des  courbures  unies ,  et  l'Amérique  du  Nord  présentant  à 
l'ouest,  par  la  Californie,  la  presqu'île  de  Tschougatchen  et 
Aliaska,  les  traces  d'un  violent  déchirement,  il  existe  dans 
la  configuration  desdeux  parties  du  continent  américain  une 
constante  opposition  dont  participe  tout  l'archipel  voisin. 

Ce  n'est  qu'à  de  grandes  distances  qu'on  rencontre 
quelques  îles  le  long  des  côtes  orientales  et  occidentales  de 
r.\mériqueduSud,par  exemple  ;  à  l'ouest,  les  îles  Gallopa- 
gos  (sous  l'équateur),  Saint-Ambroise,  Saint-Félix  et  Juan- 
Fernandoz;  dans  l'océan  Atlantique,  Fernando  de  Noronlia, 
Trinidad  et  Coloinbus.  .\u  contraire,  l'extrémité  sud  de  la 
Piitagonie  est  briSLC  en  un  nombreux  archipel  de  rochers. 
C'est  là  qu'on  trouve  les  îles  Chiloé,  les  îles  Chonas,  Cam- 
pana,  Aladre-dc-Dios,  etc.,  sur  la  côte  occidentale,  où  elles 
lo.  nu  ni  l'archipel  de  Patagonie  ;  et  au  sud,  séparées  du  con- 


4G4  AMERTOiT 

tinent  par  le  détroit  de  Magellan,  l'archipel  de  la  Terre  de 
l'eu,  avec  la  Terre  méridionale  du  Roi  Charles,  la  Terre  des 
Ltat-;,  Navarin,  Host  ■,  Desolacion  et  les  Ermites,  dont  le 
caj)  Horn  forme  la  plus  méridionale  ;  enfin  un  peu  plus  loin  à 
l'est,  les  lies  Falkland  ou  Malouincs,  avec  la  Terre  de  Mai- 
don,  et  Contl  ou  Solidad.  Quelques  degrés  plus  loin  encore 
au  sud,  on  rencontre  les  premières  traces  d'une  terre  po- 
laire antarctique,  dont  les  contours  ne  sont  pas  bien  exacte- 
ment connus,  mais  qui  ont  déjà  été  signalées  dans  plusieurs 
voyages  de  découvertes. 

L'Ami'rique  du  Nord  est  bien  autrement  riche  en  îles,  de- 
puis les  plantureuses  Iles  des  Indes  occidentales  du  sud  jus- 
(ju'aux  montagnes  de  glace  du  nord.  Les  Indes  occidentales 
forment  trois  groupes  principaux,  les  gr..ndes  et  les  petites 
Antilles  et  les  îles  Ualiama  ou  Lucajes,  offrant  un  port  com- 
mercial à  tous  les  pavillons  de  la  terre  ,  et  une  terre  colo- 
niale à  chacune  des  principales  puissances  maritimes  de 
rEurojje.  Les  jdus  importantes  des  petites  Antilles  sont  Cu- 
raçao et  Margarita,  comme  îles  sous  le  vent  ;  Trinidad,  Ta- 
bago,  Granada,  Saint-Vincent,  Sainte-Lucie,  la  Barbade,  la 
Martinique ,  la  Dominique,  la  Guadeloupe ,  Antigoa,  Saint- 
Barthélémy  et  les  Vierges  danoises,  Sainte-Croix  et  Saint- 
Thomas  ,  comme  îles  sur  le  vent.  Les  grandes  Antilles  sont 
la  Jamaïque,  Cuba,  Haïti  ou  Saint-Domingue  et  Porto-Rico, 
séparées  du  continent ,  d'une  part  par  le  détroit  d'Yucatan  , 
et  de  l'autre  par  celui  de  la  Floride  ;  et  parmi  les  iles  Lu- 
cayes  au  sol  hérissé  de  dunes ,  les  plus  considérables  sont 
Inagiia,  Aklin,  Guanahani  ou  San-Salvador ,  Eleulhera  et 
Abaco.  Au  riche  archipel  des  Antilles  de  la  côte  orientale  de 
l'Amérique  centrale  sont  opposées  les  misérables  îles  du 
groupe  de  Revilla-Gigedo,  sur  la  côte  occidentale  ;  aux  îles 
basses  et  longues,  aux  bancs  et  aux  dunes  qui  s'étendent  le 
long  des  côtes  de  la  Floride,  les  îles  et  les  rescifs  de  la  mer 
Vermeille  et  de  la  côte  occidentale  de  la  vieille  Californie , 
tandis  ([ue  les  îles  Bermudes  s'éloignent  davantage  de  la 
côte  orientale.  De  même  qu'à  l'est  Terre-Neuve,  Antikasti, 
l'ile  du  Prince  Edouard  et  le  cap  Breton  apparaissent  comme 
les  fragments  brisés  et  détachés  d'un  ancien  plateau  qui 
s'avançait  dans  le  golft'  Saint-Laurent,  à  l'ouest  de  Quadra- 
Vancouver  ,  l'île  de  la  Reine  Charlotte  ,  l'île  du  Prince-de- 
Galles,  Sitka  et  Kodjak  semblent  une  ligne  de  récifs  placés 
là  pour  protéger  la  côte  occidentale.  Si  à  l'est  Southampton 
et  Mansfield  ferment  au  nord  la  profonde  baie  d'Hudson , 
l'archipel  des  Aléoutionnes  ceint  au  sud  la  mer  de  Bering  sur 
la  côte  occidentale,  où  il  forme  conme  une  longue  série  de 
rochers  et  de  volcans  servant  successivement  de  points  de 
passage  pour  gagner  l'Asie,  tandis  qu'on  rencontre  dans  l'in- 
térieur même  de  la  mer  de  Bering  l'archipel  de  Pribiloff, 
Nuniwak  ,  le  groupe  de  Saint-Matthieu  et  Saint-Laurent.  Si 
les  découvertes  faites  en  1839  par  Dease  et  Simpson  ont  eu 
pour  résultat  de  mieux  faire  connaître  les  côtes  septentrio- 
nales de  l'Amérique  que  les  cartes  jusqu'alors  existantes,  les 
courageux  efforts  de  tant  de  hardis  navigateurs  qui  ont  tenté 
d'explorer  les  mers  polaires  n'ont  encore  pu  dégager  d'une 
manière  bien  précise  Farchipel  Arctique  des  terrasses  de 
glaces  qui  l'enveloppent.  En  effet,  la  configuration  des  côtes 
des  îles  situées  autour  de  la  baie  de  Baffin,  comme  le  Groen- 
land, North-Devon  et  la  Terre  de  Baffin,  n'est  guère  connue 
que  partiellement  :  et  il  en  est  de  même  des  îles  Cockburn, 
Bothia-Félix,  North-Somersct,  les  plus  septentrionales  des 
îles  Georges  (  Bathurst  et  Melvillc  ),  de  la  Terre  de  Banks 
et  de  la  Terre  de  Victoria. 

On  retrouve  les  mêmes  contrastes  entre  l'Amérique  du 
Nord  et  l'Améritiue  du  Sud  en  ce  qui  est  du  nombre  et  de 
l'imporlaïue  de  leurs  baies  et  de  leurs  golfes  respeclifs;  car 
(a  baie  de  Hiidson,  le  golfe  Saint-Laurent,  la  baie  de  Fiindy, 
le  détroit  de  Norton,  la  baie  de  Bristol,  la  mer  Vermeille, 
les  baies  de  Campêclie,  d'Honduras  et  de  Guatemala,  qu'on 
rencontre  dans  l'Amérique  du  Nord,  ne  sont  pas  à  comparer 
aux  petites  et  basses  baies  de  rAmérique  du  Sud,  dont 


les  plus  importantes  sent  le  golfe  de  Daricn  et  celui  de 
Maracaïbo,  la  baie  de  Tous  les  Saints,  la  baie  de  Saint-Mat- 
thieu et  la  baie  de  Saint-George,  et  les  golfes  de  Guaiteca  , 
de  Guyaquil ,  de  Choco  et  de  Panama  (  voyez  ci-après  les 
articles  Améuiqle  du  Nord  et  Amkriqie  du  Sld). 

A  la  différence  du  continent  africain  ,  des  contrées  plates 
et  unies  occupent  près  des  deux  tiers  de  la  superficie  de 
l'Amérique.  Mais  on  y  remarque  aussi  une  succession  uni- 
forme entre  les  hautes  et  les  basses  terres ,  puisque  le  sys- 
tème du  plateau  des  Cordillères  et  des  Andes  se  prolonge  le 
long  de  la  côte  occidentale  sur  une  base  d'environ  110,000 
myriamètres  carrés  embrassant  le  nord  et  le  sud  du  continent 
et  s'abaissant  successivement  à  l'est  en  plaines  à  perte  de  vue 
dans  lesquelles  on  ne  rencontre  plus  que  çà  et  là  quelques 
groupes  isolés  de  montagnes.  L'abaissement  de  150  à  200  mè- 
tres que  présente  le  sol  de  l'ûsthme  de  Panama  forme  aussi 
une  division  naturelle  entre  le  système  des  Cordillères  du 
nord  et  celui  des  Cordillères  du  sud.  Si  au  midi  (en  Pata- 
gonie  et  au  ChiH)  des  pics  volcaniques  et  couverts  de  neiges 
éternelles  répondent  à  ceux  qu'offre  au  nord  Guatemala  ;  si 
dans  l'une  et  l'autre  de  ces  contrées,  ce  sont  les  groupes  du 
centre  qui  atteignent  la  plus  grande  éh'vation ,  et  si  encore , 
en  avançant  plus  au  nord ,  ces  groupes  s'étendent  en  ter- 
rasses où  la  présence  continuelle  de  chaînes  de  montagnes 
limite  extrêmement  la  formation  des  plateaux  ,  des  diffé- 
rences bien  caractéristiques  n'en  distinguent  pas  moins  les 
Andes  du  nord  de  celles  du  sud.  Les  Cordillères  de  r.\mé- 
rique  méridionale  s'abaissent  jusqu'aux  rives  de  la  mer  ou 
bien  jusqu'à  d'étroites  plaines  en  terrasses  escarpées  et  de 
peu  de  largeur  ;  elles  offrent  de  bien  plus  nombreux  fraction- 
nements par  chaînes,  renfermant  les  masses  les  plus  élevées 
de  toute  r.\mérique,  et  n'envoient  vers  les  basses  terres  de 
l'est  que  de  courtes  ramifications.  Au  contraire,  les  Cordil- 
lères de  l'Amérique  du  Nord  constituent  à  l'ouest  des  pla- 
teaux élevés  bien  autrement  étendus ,  comme  pour  favoriser 
un  plus  grand  développement  de  cours  d'eau.  Leurs  arêtes 
sont  d'ailleurs  moins  verticales,  mais  aussi  plus  basses ,  et 
elles  envoient  à  l'est  des  ramifications  plus  étendues  et  allant 
toujours  en  s'aplatissant.  Les  dénominations  des  groupes 
particuliers  des  Andes  de  l'AmÂ-ique  du  Sud  sont  en  général 
empruntées  aux  pays  où  ils  sont  situés;  c'est  ainsi  que  du 
sud  au  nord  on  trouve  successivement  les  Cordillères  de  Pa- 
tagonie,  du  Chili,  du  Pérou  ,  de  Quito  et  de  la  Nouvelle- 
Grenade.  Trois  plateaux ,  ceux  du  Pérou ,  de  Quito  et  de 
Santa-Fé  de  Bogota,  appuient  leur  base  sur  les  assises 
mime  du  système  ;  et  une  foule  de  cimes  s' élevant  majes- 
tueusement vers  le  ciel,  telles  que  le  pic  de  Sorate,  le  plus 
élevé  de  toute  l'Amérique  ,  l'Illimanni ,  le  Chimborazo  ,  le 
Cotopaxi,  le  pic  de  Tolima,  dominent  des  chaînes  couvertes 
de  neiges  éternelles.  Au  nord  de  l'abaissement  du  sol  qu'offre 
l'isthme  de  Panama  s'élèvent  les  Cordillères  de  l'Amérique 
du  Nord  sous  la  dénomination  unique  de  Cordillères  de 
Guatemala,  du  Mexique,  de  Sonora,  de  Cordillères  occiden- 
tales, centrales  ou  orientales,  comprenant  le  plateau  d'A- 
naliuac,  celui  du  Nouveau-Mexique  et  les  plaines  de  l'Orégon, 
et  dominées  par  des  pics  couverts  de  neiges,  comme  le  Po- 
pocatépetl,  l'Orizaba,  le  pic  de  Saint-James,  etc.  Les  groupes 
isolés  de  montagnes,  sans  rapport  immédiat  avec  le  sys- 
tème des  Cordillères ,  qui  en  général  ne  s'élèvent  pas  au  delà 
des  limites  des  montagnes  moyennes,  et  qui ,  sauf  quelques 
exceptions ,  forment  des  chaînes  s'étendant  parallèlement 
aux  côtes  où  elles  viennent  expirer,  sont  dans  l'Amérique  du 
Nord  le  système  des  Apalaches  ou  des  monts  Aile  ghany  s; 
dans  l'Amérique  du  Sud,  les  contrées  montagneuses  du  Brésil, 
le  plateau  de  la  Guyane ,  les  montagnes  des  côtes  de  Ve- 
nezuela et  la  masse  de  montagnes  de  la  Sierra-Nevada  de 
Santa-Marta.  De  même  que  les  Cordillères  forment  à  l'ouest 
une  suite  non  interrompue  de  montagnes,  à  l'est,  sauf  quel- 
ques rares  exceptions ,  la  grande  vallée  de  l'Amérique  ne 
subit  pas  non  plus  de   solution  de  continuité  depuis  les 


AMÉRIQUE 


côtes  (le  la  mer  Arctique  jusqu'à  rcxtrcmité  méridionale  de 
la  Patagonie. 

Si  rabaissement  que  le  sol  (éprouve  à  l'istlimc  de  Panama 
ili>ise  les  Andes  en  deux  systèmes  ,  de  môme  une  division 
naturelle  existe  entre  les  pays  de  plaines,  suivant  qne  le  sol 
s'incline  vers  le  golfe  du  Mexique  ou  vers  le  golfe  des  Ca- 
raîl>es.  Si  les  plaines  de  l'Amérique  du  Sud  occupent  les  trois 
quarts  de  leur  continent,  celles  de  l'Amérique  du  Nord  oc- 
cupent la  moitié  du  leur,  et  on  ne  saurait  méconnaître  la 
similitude  qu'établit  entre  elles  leur  groupement  borizontal. 
L  s  étroites  plaines  des  côtes  du  Mexique  répondent  aux 
steppes  de  la  Patagonie;  les  savanes  du  Mississipi ,  aux 
pampas  du  Parana,  du  Paraguay  et  du  Rio  de  la  Plata;  de 
même  que  là  les  Apalaches  et  ici  les  cbaîncs  de  montagnes 
du  Brésil  peuvent  être  considérées  comme  des  solutions  de 
continuité  placées  dans  les  mômes  conditions  ;  et  on  trouve 
ici  comme  là  au  nord  les  plus  grandes  superficies  planes  :  au 
nord,  les  régions  arctiques,  qu'on  peut  estimer  à  55,000  my- 
riamètres  carrés;  au  sud,  les  llanos  du  fleuve  des  Amazones  et 
lie  rOrénoque,  quioccupent  une  superficie  d'enviroo  82,500 
myriamètres  carrés.  Ces  comparaisons  ne  peuvent  cependant 
se  rapporter  qu'à  la  situation  et  non  point  à  la  nature  des 
plaines;  car  les  plus  saillants  contrastes  existent  entre  les 
plaines  arctiques  et  celles  du  Maranon.  C'est  ainsi  que  les  pâtu- 
rages à  perte  de  vue  des  plaines  de  l'Amérique  diffèrent  com- 
plètement des  plaines  de  toutes  les  autres  parties  du  monde, 
et  sont  le  théâtre  d'une  vie  toute  pailicuïière  et  toute  ori- 
ginale. 

Par  suite  de  ses  points  de  contact  si  nombreux  avec 
l'Océan ,  des  sources  intarissables  que  les  Andes  récèlent 
dans  leurs  flancs,  avec  des  plaines  immenses  où  règne  la  pins 
brillante  végétation  et  eu  communication  facile  avec  la  mer, 
les  proportions  grandioses  de  sa  constitution  hydrographique 
doivent  naturellement  être  un  des  traits  caractéristiques  du 
Nouveau-Monde.  Le  développement  complet  des  cours  d'eau 
doit  cependant  y  faire  défaut ,  attendu  que  les  montagnes  et 
les  vallées  y  sont ,  pour  ainsi  dire,  juxtaposées ,  et  que  les 
points  de  transition  des  unes  aux  autres  ou  manquent  com- 
plètement ou  sont  trop  brusques.  Tantôt  la  partie  supérieure 
d'un  cours  d'eau  est  située  dans  les  régions  les  plus  élevées 
des  montagnes ,  et  alors  les  transitions  n'y  sont  pas  assez 
ménagées  pour  éviter  des  sauts,  des  cataractes  qui  les  inter- 
rompent tout  à  coup  là  où  ils  atteignent  la  région  des 
plaines;  tantôt  c'est  la  mer  elle-même  qui  s'avance  jusqu'au 
pied  des  montagnes  pour  les  receroùr  immédiatement,  sans 
laisser  même  entre  la  région  des  plateaux  et  la  côte  la  plus 
étroite  zone  de  plaines.  L'Amérique  est  la  terre  par  excellence 
des  bifurcations,  et  à  l'époque  des  pluies  le  nombre  s'en  accroît 
encore  notablement.  Le  Cassiquiari  en  est  le  plus  remar- 
quable exemple,  comme  communication  naturelle  entre  l'Oré- 
noque  et  le  Rio-Negro  ou  fleuve  des  Amazones.  L'Amérique 
du  Sud  est  la  contrée  du  globe  où  l'on  rencontre  les  plus 
grands  cours  d'eau  :  c'est  ainsi  que  le  Maraîion ,  sur  un  par- 
cours de  511  myriamètres,  présente  une  superficie  totale 
de  48,620  myriamètres  carrés,  et  que  la  Plata  ,  jusqu'à 
Ja  source  de  Parana ,  a  un  parcours  de  330  myriamètres  et 
présente  une  superficie  de  39,600  myriamètres  carrés,  pen- 
dant que  le  plus  grand  cours  d'eau  de  l'Amérique  septen- 
trionale, leMississipi,  à  partirde  sa  source  dans  le  Missouri, 
n'a  sur  un  développement  de  511  myriamètres  de  parcours 
qu'une  superficie  de  29,700  myriamètres  carrés,  et  qu'en 
revanche  le  Saint-Laurent,  sur  un  parcours  de  322  myria- 
mètres, présente  une  superficie  carrée  de  34,265  myriamètres. 
Par  contre,  de  toutes  les  parties  de  la  terre  c'est  l'Amé- 
rique du  Nord  qui  présente  la  plus  grande  masse  de  lacs  ou 
mers  intérieures  (mais  non  pas  les  plus  vastes).  En  effet, 
les  cinq  lacs  qui  alimentent  le  fleuve  Saint-Laurent  ont  à  eux 
seuls  une  superficie  totale  de  2,530  myriamètres  carrés  ,  et 
1rs  ùinombrables  lacs  des  plaines  arctiques  occupent  une 
r^'iperficie  qu'il  n'a  pas  encore  été  possible  de  déterminer.  Au 

DlCf.    DE   LA.   CO.NVEUS.,    —   T.    L, 


465 

nord  comme  au  sud ,  dans  les  pampas  comme  dans  le^ 
savanes,  dans  les  llanos  et  les  selvas  comme  dans  les 
plaines  arctiques,  les  riches  et  puissants  cours  d'eau  jouent  un 
rôle  de  la  plus  haute  importance,  attendu  qu'ils  constituent 
le  seul  moyen  de  communication  existant  dans  ces  immenses 
régions.  Sans  eux  ,  elles  seraient  pour  la  plupart  inhabita- 
bles, dans  la  zone  glaciale  polaire  comme  sous  la  brûlante 
ceinture  des  tropiques.  On  ne  voit  sur  aucun  point  de  l'A- 
mérique de  vastes  superficies  frappées  de  stérilité  comme  en 
Afrique,  pas  même  là  où  la  lîature  du  sol  semblerait  auto- 
riser à  penser  qu'elles  existent  ;  en  effet,  dans  les  steppes  pro- 
fondes de  la  Patagonie,  de  même  que  dans  celles  de  l'Orégon 
et  des  plateaux  supérieurs  de  l'Amérique  du  Nord,  on  ren- 
contre des  parties  de  territoire  fécondées  soit  par  des  cours 
d'eau,  soit  par  des  lacs,  quoique  jusqu'à  ce  jour  on  n'en  ait 
que  peu  tué  parti  ou  bien  qu'ils  soient  encore  imparfaite- 
ment connus.  La  pente  de  l'ouest  n'a  aucune  importance  en 
comparaison  de  celle  de  l'est;  extrêmement  limitée  dans 
l'Amérique  du  Sud ,  elle  est  plus  considérable  dans  l'Amé- 
rique du  Nord,  en  raison  des  distances  diverses  qui  sépa- 
rent les  chaînes  les  plus  hautes  des  côtes.  Là  où  le  fond  des 
embouchures  de  fleuves  est  solide  s'établissent  des  golfes- 
mais  là  où  se  trouve  un  fond  plus  mouvant  on  voit  se  former 
des  délias  et  des  lagunes.  Voici  les  prmcipaux  cours  d'eau 
de  l'Amérique  :  le  Mackensie  au  nord  ;  les  affluents  de  la  baie 
d'Hudson ,  tels  que  le  Churchill ,  le  Nelson ,  la  Sevem  et 
l'Albany,  le  Saint-Laurent ,  le  Mississipi ,  le  Rio-del-Norte , 
le  fleuve  de  la  Jladeleine ,  l'Orénoque ,  le  Maranon  ou  fleuve 
des  Amazones,  le  Paranahyba ,  le  San-Francesco ,  le  Rio  de 
la  Plata ,  le  Colorado  et  le  Cusu-Leuwu  à  l'est  ;  et  à  l'ouest 
de  l'Amérique  septentrionale  le  Fraser,  laCaledonia,  la  Co- 
lombia  et  le  Colorado. 

L'Amérique  n'occupe  qu'un  treizième  de  l'équateur,  et  là 
même  où,  en  raison  de  sa  situation  climatologique^  on  de- 
vrait croire  à  l'existence  des  chaleurs  qu'on  éprouve  en 
Afrique,  le  clmiat  est  comparativement  plus  froid,  et  il  ofTre 
aussi  un?  beaucoup  plus  grande  himiidité.  C'est  la  consé- 
quence des  nombreux  points  de  contact  du  sol  avec  l'Océan, 
de  l'extrême  richesse  des  cours  d'eau  intérieurs  et  des 
vents  dominants;  de  ces  circonstances  résultent  les  pro- 
portions grandioses  qu'y  atteint  le  règne  végétal,  ainsi  que 
la  configuration  et  la  nature  du  sol.  Les  limites  de  la  zone  des 
pluies  s'étendent  en  Amérique  hors  de  toute  proportion ,  en- 
core bien  qu'elles  n'impliquent  pas  toujours  la  présence  de 
chaleurs  tropicales.  Sous  toutes  les  zones ,  la  végétation  dé- 
ploie une  richesse  extraordinaire ,  depuis  l'humble  mousse 
du  nord  jusqu'au  majestueux  bananier  des  tropiques.  Les  gi- 
gantesques montagnes  des  Cordillères  s'élèvent  dans  toutes 
les  zones  au  delà  de  la  région  des  neiges.  Des  côtes  arides  et 
désertes  du  Pérou,  sous  le  soleil  dévorant  des  tropiques,  on 
aperçoit  à  l'horizon  de  nombreux  pics  couverts  de  neiges  et 
de  glaces  éternelles.  Des  plaines  de  l'équatorial  Quito,  où  le 
règne  végétal  atteint  des  proportions  colossales ,  on  s'élève  à 
des  hauteurs  où  on  ne  rencontre  plus  d'autre  être  vivant  que 
le  condor  planant  au-dessus  des  glaciers  et  des  plaines  de 
neige.  Au  Pérou  la  culture  des  céréales  ne  cesse  qu'à  une 
élévation  de  4,000  mètres;  à  Quito  elle  cesse  à  3,000 
mètres.  Le  nord  et  le  sud  de  l'Amérique  ont  les  mêmes 
heures  de  la  journée;  mais  l'arrivée  des  saisons  n'y  est  pas 
uniforme,  anomalie  qu'expliquent  les  vents  généralement 
dominants  sur  tel  ou  tel  point,  diverses  influences  exercées 
par  l'Océan ,  et  la  situation  des  Cordillères ,  qui  produit  de 
telles  irrégularités  atmosphériques,  que,  par  exemple,  sur  la 
côte  orientale  du  Brésil  la  saison  des  pluies  dure  de  mars  à 
septembre ,  tandis  qu'au  Pérou  et  sous  la  même  latitude 
elle  dure  de  novembre  à  mars.  Sous  la  zone  des  tropiques 
les  époques  de  pluie  et  de  sécheresse  touchent  aux  points 
extrêmes;  mais  par  delà  les  tropiques  la  transition  entre  les 
saisons  se  fait  insensiblement,  jusqu'à  ce  que  la  nature  gla- 
ciale de  la  zone  polaire  ne  pennettc  plus  que  d'épiiémèrcs 

59 


466  AMERIQUE 

existences  végétales,  résultat  d'un  court  réveil  succédant  au 
lu:)g  sommeil  d'un  hiver  presque  sans  fin. 

Quand  on  parcourt  l'Amérique  dans  la  direction  du  nord 
au  sud,  à  travers  ses  différents  climats,  voici  les  phénomènes 
qui  frappent  surtout  l'observateur.  Depuis  les  côtes  septen- 
trionales, où  manque  toute  espèce  de  végétation,  jusqu'à  une 
ligne  coupant  les  côtes  occidentales ,  par  60"  de  latitude  nord 
et  la  côte  orientale  par  50"  de  lati  tude  nord ,  ligne  sous  laquelle 
le  mois  le  plus  chaud  atteint  +  13°  R.  et  le  mois  le  plus  froid 
—  8"  R.  de  température  moyenne,  on  passe  des  régions  cou- 
vertes d'humbles  mousses  et  liciiens  à  celles  des  végéLiux 
ligneux  dont  la  plupart  produisent  des  baies,  pour  ren- 
contrer, d'abord  rares  et  rabougris,  puis  groupés  en  petits 
bouquets  de  bois,  des  pins  sauvages,  des  pins,  des  sapins 
et  des  bouleaux  qui  annoncent  la  région  des  arbres.  Ces  vé- 
gétaux développent  leurs  formes  les  plus  vigoureuses  dans 
une  zone  plus  méridionale,  s'étendant  à  peu  près  jusqu'au  40" 
de  latitude  septentrionale,  et,  dans  ces  limites  équatoriales, 
atteignant  pendant  les  mois  les  plus  chauds  de  l'année  -[• 
20"  R.  et  pendant  les  plus  froids  -{-  1°  R.  comme  tempé- 
rature moyenne.  Dans  cette  région  les  arbres  sujets  à  la 
chute  périodique  de  leur  feuillage,  comme  le  chêne,  le 
hêtre,  l'érable,  le  tilleul,  l'orme,  le  châtaignier ,  etc.,  for- 
ment d'immenses  forêts;  et,  au  lieu  desmonotones  bruyères 
de  l'ancien  monde,  les  herbes  les  plus  diverses  couvrent  des 
plaines  immenses,  à  l'ouest  du  Mississipi  surtout,  tindis 
qu'à  l'est  de  ce  fleuve  les  blés  et  les  plantes  alimentaires  de 
l'Europe  occupent  une  place  dans  la  culture  du  sol  là  où  il  est 
cultivé,  et  qu'on  y  voit  réussir  tous  les  arbres  à  fruits  de  l'Eu- 
rope, et  même,  dans  le  sud,  jusqu'à  la  vigne.  Quand  on  atteint 
la  zone  des  pluies,  on  traverse  d'abord  une  région  de  transition 
pour  entrer  dans  la  contrée  qui  s'étendjusqu'au25''de  latitude 
septentrionale  et  qui  présente  le  vrai  caractère  tropical.  Grâce 
à  la  minime  différence  existant  entre  les  points  extrêmes  de 
la  température  moyenne  de  l'année,  laquelle  dans  les  mois  les 
plus  chauds  s'élève  à  -f-  21"  R.,  et  dans  les  mois  les  plus  froids 
à  -J-  15"  R.,  la  végétation  la  plus  magnifique  s'y  développe. 
Alors  apparaissent  les  arbres  au  feuiljjige  persistant,  tels 
que  les  orangers,  les  lauriers,  les  oHviers  ;  alors  surgissent  de 
nouvelles  formes  végétales  avec  les  magnoliers,  les  tulipiers, 
les  platanes  et  les  pahniers  nains.  Outre  le  froment ,  ou  y 
cultive  le  maïs  et  le  riz,  et,  dans  les  plantations ,  la  canne 
à  sucre ,  le  coton  et  le  tabac ,  tandis  que  les  patates  et  le 
manioc  offrent  comme  aliments  leurs  farineuses  racines.  A 
partir  du  25"  de  latitude  septentrionale  jusqu'au  tropique  du 
Sud,  la  région  des  bananiers  et  des  plantes  tropicales  oc- 
cupe une  zone  qui,  sous  l'équateur,  atteint  une  température 
moyenne  de  24"  R.  dans  les  mois  de  l'année  les  plus  chauds, 
et  de  19°  R.  dans  les  plus  froids,  et  où  le  monde  végétal 
revêt  les  formes  les  plus  luxuriantes  et  les  plus  gigantesques. 
La  canne  à  sucre ,  le  coton  et  le  café  y  croissent  dans  les 
parties  inférieures  des  montagnes,  tandis  que  dans  les 
parties  du  sol  de  niveau  avec  la  mer  ils  sont  remplacés  par 
les  racines  d'ignames,  les  ananas,  les  bananiers,  les  arbres  à 
melon ,  à  pain,  à  vache,  les  palmiers  à  cocos,  etc.  D'impé- 
nétrables forêts  renferment  les  essences  d'arbres  les  plus  di- 
vers ,  dont  quelques-uns  atteignent  les  proportions  les  plus 
gigantesques,  et  toutes  produisent  les  bois  les  plus  précieux, 
comme  l'acajou,  le  gayac,  les  bois  de  Campêche,  de 
Brésil,  etc.,  etc.  Dans  l'Amérique  du  Sud  surtout  de  ma- 
gnifiques espèces  de  palmiers  représentenlla  nature  tropicale 
dans  sa  plus  grande  richesse.  D'épaisses  forêts  de  china- 
rindes  ombragent  les  terrasses  des  montagnes  de  Quito. 
Les  cactus  développent  leurs  formes  les  plus  bizarres  sur 
les  plateaux  du  Mexique,  tandis  que  dans  les  steppes  dessé- 
chées et  bridantes  ils  remplacent  l'aloès  d'Afrique  comme 
nourriture  végétale  pour  les  animaux  languissants.  Les  fou- 
gères y  parviennent  aux  proportions  des  arbres,  les  herbes  à 
une  hauteur  incroyable ,  et  le  gazon  y  est  remplacé  par  un  im- 
pénétrable tissu  de  plantes  rampantes  témoignant  d'une  na- 


ture à  la  fois  sauvage  et  grandiose,  qui  offre  encore  à 
l'homme  d'innombrables  dons  ,  painii  lesquels  nous  nous 
bornerons  à  citer  ici  la  vanille,  le  cacao,  etc.  La  zone  méri- 
dionale des  fruits  et  des  protéacées  tropicaux  ,  s'étendant 
jusqu'au  40°  de  latitude  sud,  offre  encore  aux  limites  po- 
laires une  température  moyenne  de  4-  17°  R.  pour  les  mois  les 
plus  chauds  et  de  -f-  9"  R.  pour  les  mois  les  plus  froids.  Les 
palmiers ,  les  mûriers  et  l'indigotier  croissent  encore  dans 
les  contrées  qu'arrose  la  Plata  inférieure ,  tandis  que  des 
chardons  aussi  grands  que  des  arbres  couvrent  les  plaines 
des  pampas,  que  les  côtes  occidentales  du  Chili  sont  ca- 
ractérisées par  de  beaux  araucarias  et  autres  protéacées 
par  des  hêtres  et  des  chênes ,  par  la  pomme  de  terre  et 
l'arum,  et  que  la  vigne,  l'olivier,  l'oranger,  le  chanvre , 
le  lin ,  le  tabac ,  le  maïs ,  l'orge  et  le  froment  introduits 
par  les  Européens  rappellent  les  cultures  particulières 
au  vieux  monde.  La  limite  méridionale  de  la  saison  des 
pluies  s'étend  jusqu'au  48''  degré  de  latitude  méridionale,  où 
l'heureuse  température  moyenne  de  +  12°  R.  pour  les  mois 
les  plus  chauds  et  de  -\-  3"  R.  pour  les  mois  les  plus  froids 
permet  de  cultiver  tous  les  grains  de  l'Europe,  les  protéa- 
cées antarcli(iiies  et  mCme,  dans  les  régions  bien  abritées 
de  la  côte  occidentale ,  !a  vigne  ainsi  que  les  fruits  les  phjs 
délicats.  Dans  la  zone  méridionale  de  la  température  variable, 
l'extrémité  méridionale  offre  en  moyenne  les  minimes  diffé- 
rences de  -\-  4°  R.  pour  les  mois  les  plus  chauds  et  —  3"  R. 
pour  les  plus  froids.  Mais  de  la  diminution  de  la  chaleur 
des  étés  ne  tarde  pas  à  résulter  un  rapide  changement  dans 
les  formes  et  les  produits  du  règne  végétal,  qui  n'offre  plus 
bientôt  qu'un  petit  nombre  d'essences  d'arbres ,  générale- 
ment des  hêtres  et  des  bouleaux,  et  qui  s'abaisse  graduellement 
jusqu'à  la  formation  inférieure  des  mousses  et  des  fougères. 
Que  si,  à  partir  do  la  zone  équatoriale  du  continent  jusqu'à 
ses  eKtrémités  polaires ,  on  voit  de  plus  en  plus  s'effacer  et 
disparaître  le  caractère  gigantesque  et  luxuriant  de  la  vé- 
gétation, il  en  est  de  môme  quand  on  s'élève,  sous  les 
tropiques ,  des  basses  régions  des  côtes  aux  sommets  des 
montagnes  couvertes  de  neiges  éternelles ,  en  traversant  les 
régions  diverses  qu'on  a  l'habitude  de  diviser  en  trois 
groupes  principaux  désignés  sous  les  noms  de  terra  ca- 
iiente,  templada  etfria.  Le  groupe  intermédiaire  comprend 
les  contrées  où,  à  l'abri  d'un  printemps  presque  éternel,  on 
rencontre  de  verdoyantes  prairies,  des  arbres  vigoureux  cou- 
verts du  plus  beau  feuillage  en  même  temps  que  les  formes 
fantastiques  et  gigantesques  du  monde  tropical;  contrées  aux- 
quelles la  nature  a  prodigué  tous  ses  dons  et  qui  sont  aussi 
les  plus  agréables  et  les  plus  saines  de  toute  l'Amérique. 

Si  en  raison  de  son  climat  l'Amérique  l'emporte  sur  tou- 
tes les  autres  parties  du  monde  sous  le  rapport  du  dévelop- 
pement grandiose  de  la  vie  végétale  et  même  sur  l'Afrique 
comme  gigantesque  serre  chaude  équatoriale ,  elle  ne  pré- 
sente pas  la  même  richesse  en  ce  qui  est  du  règne  animal, 
encore  bien  qu'à  cet  égard  elle  offre  à  l'observateur  use 
physionomie  toute  particulière.  Si  le  jaguar  et  le  kougouar 
de  l'Amérique  n'ont  pas  la  majesté  du  lion  et  du  tigre  de 
l'Afrique ,  si  le  tapir  ne  rappelle  que  de  loin  l'éléphant  ou 
l'hippopotame ,  si  le  lama  ne  saurait  soutenir  la  compa- 
raison avec  le  chameau ,  l'Amérique  possède  en  revanche 
beaucoup  d'autres  espèces  d'animaux  qui  lui  sont  propres. 
Ainsi ,  des  espèces  particulières  d'ours  et  de  rennes , 
des  bœufs  bisons  et  moschus,  des  écureuils  et  des  zibe- 
lines habitent  les  plaines  et  les  rochers  arctiques.  Le  cerf 
de  Virginie ,  le  mouton  sauvage  de  la  Californie ,  le  chien 
de  Terre-Neuve ,  appartiennent  à  l'Amérique  septentrionale. 
Les  animaux  particuliers  à  l'Amérique  centrale  et  méri- 
dionale sont  l'aj  ou  le  paresseux,  le  fourmilier,  les  ar- 
madilles,  le  condor,  qui  habite  les  régions  les  plus  éle- 
vées des  Andes ,  les  plus  belles  espèces  de  perroquets  et 
de  singes  dans  les  forêts,  le  colibri,  au  plumage  d'un  éclat 
métallique,  le  scarabée  du  Brésil,  l'araignée  des  buissons  et 


AMK 

i'araignée  volante  de  la  Guyane,  les  serpents  ii  sonnettes 
sur  les  bonis  des  cours  d'eau,  l'anguille  tre»d)lante  des  eaux 
équatoriales,  et  les  essaims  de  niousquites  dans  les  vastes 
plaines.  Des  troupeaux  entiers  de  chevaux ,  d'ànes  et  de 
mulets  sauvages,  de  bêtes  à  cornes  ,  de  poules  et  de  din- 
dons, animaux  primitivement  introduits  par  les  Européens 
et  passés  à  l'état  sauvage,  errent  dans  les  plaines. 

Quand  on  considère  ce  qui  est  connu  du  règne  animal  de 
l'Amérique,  on  remarque  que  les  classes  du  degré  infé- 
rieur de  développement  y  sont,  toutes  proportions  gardées, 
beaucoup  plus  nombreuses  que  dans  les  autres  parties  de 
la  terre.  Par  exemple  un  regard  d'investigation  jeté  sur  la 
constitution  physique  des  monticules  qui  bordent  les  côtes 
du  Chili  et  des  îles  voismes,  et  dont  la  hauteur  est  souvent 
de  deux  cents  mètres,  nous  révèle  l'existence  d'innombrables 
espèces  d'oiseaux  de  mer  ;  car  ces  monticules  ne  sont  que  des 
amas  de  fiente  desséchée  que  viennent  déposer  k\  des 
myriades  d'oiseaux  qu'on  voit  passer  quelquefois  pendant 
trois  heures  sans  interruption  au-dessus  de  sa  tète  en 
formant  un  essaim  de  plusieurs  centaines  de  mètres.  Les 
mêmes  rapports  existent  en  Amérique  entre  les  trois  rt'gnes 
de  la  nature  que  dans  les  classes  du  monde  animal.  En 
effet  le  règne  végétal  offre  déjà  bien  autrement  de  richesses 
et  de  grandeur  que  le  règne  animal ,  tandis  que  les  richesses 
du  règne  minéral  y  sont  voisines  ik  la  profusion.  11  n'y  a 
pas  d'autre  contrée  de  la  terre  qui  produise  autant  d'ar- 
gent ,  et  il  en  est  peu  qui  sous  le  rapport  de  la  production 
de  l'or  puisse  rivaliser  avec  les  régions  équatoriales  de 
l'Amérique ,  de  môme  quil  en  est  peu  d'aussi  riches  en 
diamants  et  autres  pierres  précieuses  que  le  Brésil ,  la  Nou- 
velle-Grenade,  le  Chili  et  le  Pérou.  L'Oural  seul  peut  riva- 
liser aved'Amérique  pour  la  production  du  platine.  Au  com- 
mencement du  dix-neuvième  siècle ,  sur  le  produit  total 
des  mines  de  r.\mérique,  de  l'Europe  et  du  nord  de  l'Asie, 
l'Amérique  seule  figurait  pour  80  pour  100  dans  la  pro- 
duction de  l'or,  et  pour  91  pour  100  dans  la  production  de 
l'argent.  11  est  vrai  de  dire  que  depuis  lors  l'abandon  dans 
lequel  est  tombée  l'exploitation  des  mines  à  la  suite  des  ré- 
Tolutions  politiques  dont  le  Nouveau-Monde  a  été  le  tliéâtre, 
avait  sensiblement  changé  ces  rapports  dans  la  production 
des  métaux  précieux  ;  mais  la  découverte  et  l'exploitation 
encore  toutes  récentes  des  mines  d'or  de  la  Californie  a  dû 
les  rétablir.  On  a  calculé  qu'avec  tout  l'argent  extrait  depuis 
trois  cents  ans  des  mines  de  l'Amérique  on  arriverait  à 
construire  une  sphère  de  85  pieds  de  diamètre. 

La  diniinution  qu'on  a  lieu  d'observer  dans  la  richesse  et 
la  quantité  des  degrés  supérieurs  des  formes  du  développe- 
ment pliy.sique  en  Amérique  se  fait  également  sentir  dans 
les  races  aborigènes.  En  effet  sous  le  rapport  de  la  force 
et  du  nombre  l'homme  y  est  encore  de  beaucoup  inférieur 
au  monde  animal.  On  peut  douter  que  l'Amérique ,  comme 
individu  terrestre  isolé,  ait  produit  de  son  propre  sein  une 
race  particulière  d'hommes ,  bien  moins  parce  que  la  race 
primitive  y  porte  l'empreinte  visible  du  type  caractéristique 
de  la  race  asiatique ,  que  parce  que  la  nature  de  ce  conti- 
nent ,  d'une  part  en  raison  de  son  type  sauvage ,  de  l'autre 
en  raison  de  l'absence  défont  appui  vigoureux,  paraît  avoir 
été  peu  proi)re  à  élever  une  race  encore  mineure,  et  parce 
qu'elle  présente,  au  contraire,  tous  les  caractères  d'une  terre 
destinée  à  être  colonisée.  Quoi  qu'il  en  soit,  qu'on  accorde  à 
l'Améri(iue  son  Adam  à  la  peau  cuivrée  ou  bien  qu'on  fasse 
provenir  ses  habitants  aborigènes  d'une  race  asiatique  se 
perdant  <lans  la  nuit  des  temps,  quand  les  Européens  dé- 
couvrirent pour  la  première  fois  l'Amérique ,  ils  y  tiouvè- 
rent,  indépendamment  des  peuplades  mongoles  des  régions 
polaires,  une  population  essentiellement  américaine.  Ces 
Imbilants  aborigènes,  ainsi  qu'on  les  appelle  peut-être  à 
tort,  avaient  les  cheveux  noirs,  lisses  et  roides,  la  barbe 
épaisse,  le  front  bas  et  déprimé,  les  os  de  la  joue  sailli'.nts 
connue  ceux  des  Mongols  et  la  peau  cuivrée.  Mais  le  type 


RIQUE  467 

de  leur  physionomie,  leur  nez  aquilin  et  leur  stature 
moyenne ,  quelquefois  aussi  fort  élevée ,  rappelaient  la  race 
caucasienne.  Depuis  Christophe  Colomb  une  fouie  d'Euro- 
péens appartenant  à  toutes  les  nations  sont  venus  s'établir  en 
Amérique.  Le  souffle  de  leur  activité  a  frappé  de  moit  ces 
races  aborigènes,  et  cela  d'autant  plus  rapidement  que  la  fai- 
blesse de  la  nature  américaine  lit  bientôt  éprouver  le  besoin 
d'introduire  dans  ce  nouveau  continent  la  race  vigoureuse  du 
nègre,  pour  l'employer  aux  travaux  de  la  culture,  et  d'y 
transplanter  ainsi  la  race  noire  en  même  temps  que  la  race 
blanche  pour  les  juxtaposer  à  la  race  cuivrée.  De  l'union 
de  ces  trois  races  différentes  sont  provenus  des  métis  dé- 
nommés suivant  la  diversité  de  leur  origine,  et  parmi  les- 
quels les  Espagnols  ont  établi  les  onze  degrés  suivants  :  les 
.Vesfisos ,  enfants  d'un  Européen  et  d'une  Indienne  ;  les 
Qiiaternos ,  enfants  d'un  Européen  et  d'une  métisse  ;  les 
Ochavones,  enfants  d'un  Européen  et  d'une  Qiiarterana  ; 
les  Pulchuelches ,  enfants  d'un  Européen  et  d'une  Ocha- 
vona  (  les  enfants  d'un  Européen  et  d'une  pulchnelcha 
sont  assimilés  de  tous  points  aux  Européens  )  ;  les  Mulatos 
(  mulâtres  )  ,  enfants  d'un  Européen  et  d'une  négresse  ;  les 
Quinterones ,  enfants  d'un  Européen  et  d'une  mulâtresse; 
les  Saltatras ,  enfants  d'un  quarteron  et  d'une  Euro- 
péenne; les  Calpanmulatos,  enfants  d'un  mulâtre  et  d'une 
Indienne;  les  Chinos ,  enfants  d'un  calpanmulâtre  et  d'une 
Indienne  ;  enfin  les  Zambos ,  enfants  nés  d'un  nègre  et 
d'une  Indienne.  On  appelle  Créoles  les  habitants  du  Nou- 
veau-Monde descendant  de  pères  et  de  mères  européens 
unis  en  légitime  mariage. 

On  peut  évaluer  la  population  totale  de  l'Amérique  à 
50  millions  d'âmes.  C'est  à  peu  près  un  dix-huitième  de  la 
population  totale  de  la  terre ,  tandis  que  sa  superficie  repré- 
sente le  dixième  de  la  superficie  du  globe.  Cette  faiblesse 
comparative  de  la  population,  qui  ne  donne  que  cent  trente- 
deux  habitants  par  myriamètre  carré,  ne  l'emporte  que  sur 
celle  de  l'Australie,  qui  est  encore  six  fois  moindre  ;  relative- 
ment à  la  population  de  l'Afrique ,  elle  est  comme  1  à  3  ; 
relativement  à  celle  de  l'Asie  comme  1  à  7  ;  enfin ,  relative- 
ment à  celle  de  l'Europe,  comme  1  est  à  20.  Comme  diver- 
sités de  races,  ces  50  millions  d'babitants  se  subdivisent  en 
20  millions  de  Caucasiens,  8  millions  de  Nègres,  13  millions 
et  demi  d'Américains  et  9  millions  et  demi  de  I\Iétis;  enfin, 
sons  le  rapport  religieux,  en  44  millions  de  chrétiens  et  5  1/2 
millions  d'idolâtres.  L'histoire  de  la  population  aborigène  de 
l'Amérique  est  enveloppée  d'une  mystérieuse  obscurité.  Les 
investigations  de  la  science  moderne  ne  projettent  que  bien 
peu  de  lumières  sur  l'époque  qui  précéda  la  domination 
des  Européens.  Dans  l'Ancien -Monde,  la  civilisation  se 
développa  entre  la  zone  torride  et  la  zone  glaciale  de  l'hé- 
misphère septentrional  ;  elle  s'établit  .sur  les  plateaux  peu 
élevés  et  dans  les  vallées  dominées  par  des  plateaux  de  pre- 
mier ordre  qu'habitaient  des  peuplades  barbares,  en  prenant 
sa  direction  de  l'est  à  l'ouest.  Il  en  fut  tout  autrement  en 
Amérique.  Les  seules  irniptions  dont  fasse  mention  l'bis 
toire  y  furent  le  fait  de  peuples  civilisateurs ,  qui  s'avancè- 
rent du  nord  au  sud  en  suivant  le  plateau  des  Arid;  s.  La  civi- 
lisation aborigène  partit  à  la  fois  de  trois  points  centraux.  Les 
hautes  plaines  du  Pérou  ,  de  Cundinamarca  et  du  Mexique 
formèrent  autant  de  foyers  pour  la  civilisation  du  conti- 
nent. Les  Péruviens ,  sous  les  Incas,  fils  du  Soleil ,  leurs 
souverains  et  en  même  temps  leurs  grands  prêtres,  se 
laissèrent  enchaîner  par  la  douce  religion  de  .Manco  Ca- 
pac ,  et  constituèrent  une  nation  paisible  mais  sans  énergie. 
Les  Toltèques  et  les  Aztèques  du  plateau  d'Anabuac  furent 
gouvernés  plus  politiquement  et  plus  militairement  par  les 
caciques  ;  tandis  qu'au  centre,  entre  le  Pérou  et  le  Mexique, 
les  Muyscas  obéissaient  dans  Cundinamarca  à  un  chef  spi- 
rituel et  à  un  chef  temporel.  Tous,  depuis  le  lac  (ie  Titicaca 
.jii.squ'à  Mexico,  se  livraient  à  la  pratique  de  i'archilec- 
lure,  des  métiers  et  des  arts;  ils  ont  laissé  des  traces  d'une 

;VJ. 


468  AMÉRIQUE 

civilisation  à  eux  i)roi»rc,  mais  ils  demeurèrent  toujours 
étrangers  aux  soins  qu'exige  lY-lèvc  des  troupeaux.  Dans 
l'isthme  de  Panama ,  des  peuplades  sauvages  et  guerrières 
interrompent  le  Uiéùlre  d'activité  des  nations  civilisées,  tandis 
que  dans  les  zones  tempérées  des  Andes,  au  nord  et  au  sud, 
on  trouve  des  nations  servant  de  i)oint  de  transition  entre 
une  civilisation  déjà  avancée  et  les  hordes  sauvages  des 
vallées.  Au  sud,  c'est  le  peuple  guerrier  et  hospitalier,  agri- 
culteur et  pasteur  des  Araucans,  lesquels  habitaient  les  vallées 
alpestres  du  Cliili;  au  nord,  dans  les  plaines  élevées  de  l'O- 
régon,  ce  sont  des  populations  à  moitié  mongoles,  comme 
les  Wakash  à  Vancouver ,  ne  vivant  que  des  produits  de 
leur  chasse  et  de  leur  pèche ,  mais  qui  avaient  déjà ,  avec 
un  gouvernement  régulier,  une  langue  assez  bien  formée, 
qui  savaient  travailler  le  fer  et  le  cuivre ,  et  qui  présentent 
de  nombreux  monuments  d'une  civilisation  particulière. 
La  race  silencieuse,  Iroide,  triste,  insensible  des  Indiens 
(  nom  (jiii  leur  vient  de  ce  que  lors  de  la  découverte  de  l'A- 
ménipie  on  crut  d'abord  avoir  trouvé  la  voie  la  plus  courte 
por.r  arriver  aux  Grandes  Indes),  liabilc  les  vallées  et 
les  plateaux  peu  élevés  ;  sauvages  aborigènes ,  qui  parcou- 
rent ces  vastes  solitudes  en  se  livrant  à  la  chasse  et  à  la 
pèche ,  ayant  bien  quelque  idée  de  Dieu  et  de  l'immortalité 
de  Pâme,  mais  étouffant  les  inspirations  de  l'adoration  pure 
àe  Dieu  sous  les  pratiques  les  plus  diverses  de  l'idolâtrie, 
et  dont  les  sens  extérieurs  sont  arrivés  à  un  degré  de  finesse 
presque  incroyable,  parce  que  leur  existence  ne  se  com- 
pose guère  que  d'une  succession  d'occupations  corporelles. 
Comme  les  résultats  obtenus  jusipi'à  ce  jour  par  les  re- 
cherches philologiques  ne  suffisent  pas  à  beaucoup  près  pour 
grouper  les  peuples  en  familles,  en  branches  et  en  rameaux 
de  familles,  la  division  géographûpie  demeure  toujours  pro- 
Tisoirement  celle  qu'il  convient  le  mieux  d'appliquer  aux 
différentes  populations  américaines,  parmi  lesciuelles  nous 
établirons  en  conséquence  les  classifications  suivantes  :  1°  le 
f,'roupe  des  peuples  polaires,  à  sa'çoir  :  les  Es((ulmaux  du 
Groenland  jusqu'au  détroit  de  Bering,  et  au  nord-ouest  les 
Tschoucktsches,  les  Aléoutes,  les  Konœges,  les  Kénaizes,  les 
Ougascbtinioutes  et  les  Tscboiigatscbes  ;  2"  le  groupe  du 
nord-ouest  ou  Colombien  ,  entre  les  plaines  déseiles  de  la 
Californie,  les  montagnes  Rocheuses  et  le  grand  Océan,  à  sa- 
voir :  les  Koliousches,  les  Têtes-Plates ,  les  Sopounisches ,. 
les  Slouacous,  les  Schoschones  ou  Indous-Serpenls,  etc.  ; 
.'^"  le  grand  groupe  oriental  ou  atlantiiiue  de  l'Amérique  du 
Nord  comprenant  par  conséquent  h;  vaste  espace  rpii  s'étend 
entre  les  montagnes  Rocheuses  et  l'océan  Atlantique ,  le 
golfe  du  .Mexique  elles  cotes  Arctiques,  grou[)e  aujourd'hui 
brisé  et  limité  dans  son  expansion  par  l'émigration  des  Eu- 
ropéens. On  y  distingue  neuf  nations,  à  savoir  ;  a,  lesAtha- 
pescofs,  habitant  au  nord  d'une  ligne  à  tirer  depuis  la  source 
de  l'Athaiiescof  jiiscpi'à  l'embouchure  du  Nelson  et  com- 
prenant diverses  races  d'Indiens  distinguées  chacune  par  un 
surnom;  b,  les  Algonquins-Lenapes,  habitant  le  lerritoire 
compris  entre  l'Athapescol  et  l'emhouc'linre  du  Saint-Lau- 
rent, parmi  lesquels  on  distingue  les  Knislinos,  les  Algon- 
quins, les  Chipijcways,  les  Lénapes,  et  même  les  Delawarcs 
ainsi  que  les  <Ierniers  débris  des  INIoiiicans  au  sud-est;  c,  les 
Iroquois  et  lc>  Hurons,  aux  environs  des  lacs  Ontario  et 
Erié;  (/,  les  Sioux,  entre  le  Mississi|)i,  le  Missouri  et  les 
montagnes  Rocheuses,  parmi  lesquels  on  distingue  les  Assi- 
niboins,  tes  Mandanes  et  les  Osages  ;  e,  les  Chicasas  et  les 
Chactas,  à  l'est  du  Das-Mississi|)i  ;/,  les  Clierokees,  sur  les 
rives  du  Tenessee  supérieur;  g,  les  Natchcz,  sur  les  rives 
du  Ras-Mississipi  ;  h,  lesCreekset  les  Séminoles,  à  partir 
de  l'extrémité  septentrionale  de  la  Floride  jusqu'aux  nioiils 
Apalaches;  i ,  les  Pieds-Noirs  et  les  Pawnies,  etc.,  à  l'ouest, 
entre  Arkansas  et  Yellovv-Stone;  k,  enlin  lesCumaïuhes,  au 
sud  d'Arkansas;  '»"  le  groupe  du  Noiiveau-Me\i(pie  et  «le 
la  Californie,  sur  les  plateaux  du  Nouve;ni-.Me\i(pie  dont  les 
plaines  s'étendent  à  l'ouest  jusqu'aux  côtes  de  la  Calilbrnie 


groupe  comprenant  les  Apaches,  etc.,  etc.  ;  5"  le  groupe  de 
l'Amérique  centrale  comprenant  :  a,  les  Mexicains  propre- 
ment dits  ou  Aztèques,  sur  le  plateau d'Anahuar  (Aztèques, 
loltèques,  Chichimèques,  Akolhues,  etc.),  parlantla  langue 
aztèque  et  les  idiomes  qui  en  dérivent  ;  0,  les  peuples  non 
aztèques,  au  nord  et  au  sud,  établis  près  des  précédents  et 
quelquefois  même  au  milieu  d'eux ,  par  exemple  les  Otlio- 
mis,  les  Tarasques,  les  Totonaques,  lesMistèques,  lesGoui- 
ches,  etc.  ;  6"  le  groupe  septentrional  de  l'Amérique  du  Sud, 
au  nord  du  fleuve  des  Amazone§  ,  à  savoir  :  «,  Les  Ca- 
rad)es,  peuplade  dominante  (les  Caraïbes  des  Antilles 
n'existent  plus  depuis  longtemps)  et  les  Guaraunos,  les 
Cbaymas,  les  Pariagotes,  les  Coumanagotes ,  les  Guayanos, 
les  iamanaques,  les  Aravaques  et  autres  peuplades  ayant  une 
grande  affinité  avec  les  Caraïbes  ;  b,  les  Ottomaques  ;  c,  les 
Salivas,  sur  les  bords  de  l'Orénoque;  d,  les  Yarouras,  au  nord 
du  Meta  inférieur;  e,  les  Maypoures,  sur  les  rives  de  l'Oré- 
noque supérieur  et  cent  vingt-deux  autres  nations,  distinguées 
par  autant  de  langues  différentes  ayant  chacune  plusieurs 
dialectes  ;  1"  le  groupe  péruvien  ,  à  savoir  :  a ,  le  peufile  des 
Incas,  dont  la  langue  dominante  est  le  quichua  avec  ses 
cinq  principaux  dialectes;  b,  les  nations  fixées  sur  l'U- 
cayale,  par  exemple  les  Panos;  c,  les  Indiens-Chiquitoset 
Moxos ,  qui  habitent  le  haut  et  le  bas  Madeira  ;  d,  les  peu- 
ples de  Chaco,  à  l'ouest  du  Paraguay  (les  Guayacoures,  les 
Abipons,  etc.  );  8°  le  groupe  brésilien,  depuis  l'embouchure 
de  la  Plata  jusqu'au  fleuve  des  Amazones,  et  comprenant  : 
a,  les  Guaranis,  groupe  principal  subdivisé  à  l'infini  avec 
les  langues  les  plus  diverses  (les  Guaranis  du  sud  ,  de  l'est, 
de  l'ouest,  les  Omagouas,  les  Tocantines,  les  Mouras,  les 
Rororos,  les  Xavantes ,  les  Xérentes ,  les  Guyapos,  les  Roto- 
cudos,  etc.  )  ;  i,  les  Charruas  sur  les  rives  de  l'Uruguay  ;  c,  les 
Guayanas,  sur  les  bords  du  Parana,  et  cinquante  et  une  au- 
tres nations  avec  des  langues  différentes,  mais  encore  presque 
inconnues;  9"  le  groupe  méridional  de  l'Amérique  du  Sud,  à 
partirdu  30"  degré  de  latitude  sud  jus(prà  l'extrémité  méridio- 
nale du  continent,  et  compienant  un  grand  nombre  de  races 
différentes  :  par  exemple,  les  Gauchos,  les  Puelches,  les 
Araucans  ou  Molouques ,  les  Tehouelhets  ou  Patagons ,  les 
Houiliches  et  les  Pescbérbés  ou  Yakanakous.  Si  les  connais- 
sances qu'on  possède  au  sujet  des  races  indiennes  sont  encore 
fort  incomplètes,  on  peut  cependant  évaluer  le  nombre  de 
leurs  langues  à  quatre  cent  cinquante  et  celui  de  leurs  dialectes 
à  deux  mille.  En  général,  on  peut  considérer  les  peuples  chas- 
seurs de  l'Amérique  du  Nord  comme  l'emportant  sous  le  rap- 
port du  développement  intellectuel  sur  les  peuples  pécheurs 
de  l'Amérique  du  Sud;  et  l'on  est  en  droit  d'espérer  que  l'esprit 
investigateur  des  liuropéens  saura  suivre  les  traces  d'une 
obscure  époque  antérieure  et  primitive  qu'on  rencontre  dis- 
persées sur  tous  les  points  de  l'Américpie,  depuis  les  ruines 
de  villesqu'on  trouve  sur  les  bords  de  l'Ohio  jusqu'aux  figures 
sculptées  sur  les  rochers  des  montagnes  de  Pariuia,  et  re- 
construire ainsi  quelques  jours  une  histoire  complète  de  l'A- 
mérique, qui  manque  encore  à  ce  moment. 

Depuis  trois  cent  cinquante  ans,  l'Amérique  a  complète- 
ment changé  de  physionomie  sous  le  rapport  ethnogra- 
phique. Les  Européens  l'envahirent,  soitcomme conquérants, 
soit  comme  colons,  et  des  mgres  y  arrivèrent  comme 
esclaves.  Les  Espagnols  et  les  Poitugais  s'emparèrent  de 
l'Amérique  du  Sud  et  du  Mexique,  les  Français  et  les  An- 
glais de  l'Amérique  du  Nord,  encore  bien  que  les  premiers 
n'aient  pas  tardé  à  se  voir  obligés  de  céder  la  place  aux 
seconds.  Les  Russes  se  sont  fixés  à  l'extrémité  nord-ouest. 
Les  Antilles  .sont  devenues  un  sol  commun  pour  six  nations 
européennes  et  pour  un  peuple  nègre,  et  la  Guyane  un  pays 
de  colonies  pour  la  France,  l'Angleterre  et  la  Hollande.  C'est 
dans  la  péninsule  Ibérique  et  la  Grande-Rretagne  que  surgit 
l'idée  de  faire  de  rAméri((ue  une  nouvelle  Europe,  de  la  con- 
quérir, de  la  civiliser  et  de  la  convertir  au  christianisme.  Les 
l^pagtiols  conquirent  et  occupèrent  les  hauts  plateaux  des 


Andes  ainsi  que  les  parties  (U^jJi  civilisées  île  rAniériqne  ; 
comme  ils  ne  pouvaient  ni  expulser  ni  anéantir  la  population 
qu'ils  y  trouvaient,  ils  s'établirent  au  milieu  d'elle,  et  firent 
des  iiabitants  aborigènes  leurs  travailleurs  et  leurs  sujets.  Les 
l'ortiigais  au  sud  et  les  Anj^lais  au  nord  colonisèrent  les  cotes, 
refoulèrent  les  indigènes  dans  l'intérieur  des  terres  des  nou- 
veaux litats,  plus  empreints  au  sud  d'éléments  américains  et 
beaucoup  moins  au  nord,  mais  dans  lesquels  on  suivit  deux 
voies  de  développement  essentiellement  opposées.  Les  uns  s'é- 
taient lixés  dans  un  pays  dont  le  climat  et  le  sol  étaient  sem- 
blables à  ceux  de  leur  patrie  ;  les  autres  avaient  fait  choix  des 
régions  équinoxiales,  régions  auxquelles  ils  n'étaient  pas  ha- 
bitués, et  prirent  des  esclaves  nègres  pour  les  cultiver.  Dé  la 
sorte  s'établit  une  division  naturelle  des  divers  éléments  de 
la  population  du  sol  américain.  Dans  l'Amérique  du  Nord,  la 
partie  sud-est  devint  européenne,  et  les  populations  indiennes 
durent  se  retirer  à  l'ouest.  Dans  l'Amérique  du  Sud,  au  con- 
traire, elles  se  trouvèrent  cernées  de  toutes  parts,  et  ne  purent 
communiquer  librement  avecl'Océan  qu'en  Patagonieoudans 
les  delt;is  de  l'Orénoque  et  du  fleuve  des  Amazones.  L'Amé- 
rique centrale  et  la  partie  ouest  de  l'Amérique  du  Sud  furent 
des  pays  où  les  Emopéens  et  les  bidigènes  se  confondirent. 
Les  rives  orieutales,entre  le  35°  de  latitude  nord  et  le  35"  de 
latitude  sud,  devinrent  des  pays  européens  avec  des  esclaves, 
et  au  delà  de  ces  parallèles ,  des  pays  également  européens, 
mais  sans  esclaves.  L'Amérique  européanisée  présente  par 
conséquent  trois  castes ,  les  Européens,  les  indigènes  et  les 
esclaves.  Leur  couleur  établit  entre  elles  des  divisions  bien 
tranchées  ;  mais  les  barrières  sociales  qui  en  résultent  n'ont 
pas  partout  la  même  force.  En  effet,  l'Espagnol  et  le  Portu- 
gais s'allient  avec  une  grande  facilité  avec  les  indigènes, 
tandis  que  l'Anglo-Aniéricain  établit  entre  lui  et  celte  race 
"une  rigoureuse  ligne  de  démarcation  ;  dans  les  Antilles  les 
blancs  et  les  noirs  s'allient,  mais  sans  se  confondre.  L'in- 
fluence des  blancs  agit  d'une  manière  prépondérante  sur  le 
développement  des  rapports  sociaux  ;  car  en  raison  de  la 
supériorité  de  ses  facultés  intellectuelles  le  blanc  domine 
l'apathique  indigène ,  le  nègre  sensuel  et  opprimé,  de  même 
que  le  mulâtre  à  l'esprit  actif  et  entreprenaiit  ;  mais  il  élève 
peu  à  peu  ces  castes  inférieures  à  son  degré  de  civilisation  et 
d'instruction.  La  civilisation  des  blancs  d'Ibérie  n'étant  pas 
la  même  que  celle  des  blancs  d'Angleterre  ,  cette  différence 
a  produit  deux  éléments  opposés  agissant  sur  le  développe- 
ment des  destinées  de  l'Amérique.  Les  Espagnols  et  les  Por- 
tugais arrivaient  du  midi  de  l'Europe,  pays  d'origine  romane, 
catholique  et  soumis  au  pouvoir  absolu.  Ils  abandonnaient 
leur  patrie,  attirés  par  les  trésors  du  Nouveau-Monde,  et  s'é- 
tablissaient sous  un  climat  nouveau  pour  eux,  qui  en  dévo- 
rait un  grand  nombre,  qui  énenait  les  uns  et  enivrait  les 
autres.  L'immense  Océan  par  ses  nombreux  et  rapides  cou- 
rants contraires,  opposait  de  grandes  difficultés  au  retour 
en  Europe  et  isolait  les  colons  de  leur  patrie.  La  force  fut 
employée  pour  contraindre  l'indigène  à  embrasser  extérieu- 
rement le  catholicisme,  mais  rarement  on  réussit  à  convertir 
son  cœur.  La  civilisation ,  déjà  amollie  et  languissante  sur  le 
sol  natal^ne  put  pas  jeter  de  solides  racines  sur  cette  terre 
étrangère.  Le  gouvernement  laissa  à  dessein  le  peuple  dans 
l'ignorance ,  en  même  temps  que  des  lois  égoïstes  entra- 
vaient le  commerce,  l'industrie  et  les  rapports  des  diverses 
populations  entre  elles.  C'est  ainsi  que  le  colon  fut  condamné 
à  périr  avec  l'indigène,  l'indigène  avec  le  colon,  et  que  sur 
les  ruines  des  colonies  se  constituèrent  divers  États  indé- 
pendants, la  [)lupart  avec  la  forme  républicaine ,  mais  quel- 
ques-uns aussi  comme  monarchies.  Toutefois,  rien  dans  ces 
bouleversements  sociaux  n'annonça  m\  peuple  digne  de  la 
liberté;  et  des  guéries  continuelles  signalèrent  seules  im  ré- 
gime et  une  existence  politiques  essentiellement  éneivés. 

Il  en  fut  tout  autrement  dans  l'Amérique  anglaise.  Le 
colon  britannique  arriva  comme  représentant  de  l'Europe 
germanique,  modérée,  protestante,  industrieuse,  libre  et 


AMÉRIQUE  4G9 

morale ,  dans  une  contrée  analogue  à  celle  où  il  avait  vu 
le  jour.  11  n'y  rencontrait  ni  or  ni  argent,  mais  un  sol  qui 
n'attendait  que  les  bras  du  travailleur  pour  le  récompenser 
amplement  de  ses  peines.  11  y  constitua  des  communes  libres, 
fonda  toutes  les  institutions  sur  la  religion ,  et  resta  sans  se 
mêler  avec  la  race  indigène  non  plus  qu'avec  la  race  nègre. 
Les  rapports  avec  la  mère-patrie  étaient  faciles  pour  lui ,  et 
ne  tar<lèrent  pas  à  prendre  une  grande  activité  en  ce  qui 
louche  rintelligcnce  connue  en  ce  qui  regarde  le  commerce. 
Ce  que  les  colons  avaient  apporté  de  la  mère-patrie  avec  eux 
en  fait  d'institutions  sociales  jeta  bientôt  de  profondes  racines 
sur  le  sol  américain,  y  prit  un  accroissement  rapide,  et,  grâce 
à  une  protection  libre  et  intelligente,  prospéra  là  même  où 
une  autre  nature  semblait  prescrire  de  nouvelles  lois.  Plus 
tard,  la  plus  grande  partie  des  colons  anglais  formèrent  une 
nation  libre,  et  constituèrent  une  puissante  fédération  d'É- 
tats républicains  ayant  pour  base  l'égalité  des  classes  de  la 
société.  Non -seulement  l'Amérique  se  trouva  en  mesure  d'ap- 
provisionniT  l'ancien  monde  de  métaux  précieux  et  de  den- 
rées coloniales;  mais  encore  il  lui  fut  donné  de  réagir  puis- 
samment sur  lui  par  de  nouvelles  théories  politiques.  C'est 
ainsi  que  s'est  formé  un  actif  antagonisme  entre  l'Amé- 
rique romane  et  l'Amérique  germaine;  cependant  il  est  un 
point  important  de  la  vie  sociale  à  l'égard  duquel  leur  po- 
sition est  identique ,  nous  voulons  parler  de  l'absence  de 
classes  privilégiées.  En  effet,  une  nouvelle  patrie ,  une  nou- 
velle nature  y  appelaient  une  rupture  complète,  absolue,  avec 
le  passé  et  exigeaient  la  communauté  du  présent  pour  at- 
teindre un  môme  avenir.  Ce  caractère  fondamental  de  la 
civilisation  américaine  joue  un  rôle  important  dans  l'his- 
toire politique  d'un  monde  nouveau ,  appelé  à  recevoir  des 
développements  tout  particuliers,  et  qu'on  ne  peut  pas  encore 
considérer  comme  ayant  accompli  ses  destinées.  A  l'époque 
de  leur  affranchissement  les  colons  n'avaient  parmi  eux  ni 
familles  princières  pour  occuper  des  trônes,  ni  aristocrates 
pour  s'emparer  du  pouvoir  suprême  ;  des  républiques  démo- 
cratiques devaient  donc  nécessairement  se  constituer  parmi 
eux.  Ces  républiques  devaient  aussi  être  représentatives,  car 
leurs  territoires ,  qui  dépassaient  en  étendue  la  plupart  des 
royaumes  de  l'Europe,  étaient  trop  considérables  pour  que 
les  droits  de  la  souveraineté  publique  pussent  être  exercés 
autrement  que  par  délégation.  Les  nouveaux  États  suivirent 
deux  voies  différentes;  ou  bien  ils  se  constituèrent  en  répu- 
bliques fédératives ,  lorsqu'il  s'agissait  de  rattacher  les  unes 
aux  autres  des  populations  différant  d'origine ,  de  besoins  et 
d'intérêts,  ma'.s  comptant  un  grand  nombre  d'hommes 
éclairés ,  comme  ce  fut  le  cas  dans  l'Amérique  du  Nord  ;  ou 
bien  on  vit  s'établir  des  républiques  ayant  pour  base  l'unité, 
l'indivisibilité  et  la  centralis.*tion  du  pouvoir.  C'est  ce  qui 
arriva  parmi  les  peuples  espî.gnols ,  qui  appartenaient  à  la 
même  race  et  n'avaient  jamais  possédé  de  liberté  politique 
dans  la  mère-patrie.  L'exemple  des  États-Unis  séduisit  leurs 
voisins  du  sud  (  Mexique  et  Guatemala),  qui  adoptèrent  bien 
les  formes  moites  de  la  constitution  américaine,  mais  sans 
pouvoir  s'iîn  assimiler  l'esprit;  circonstance  qui  provoqua 
des  dissensions  et  des  guerres  civiles,  et  qui  établit  en  Amé- 
rique entre  le  fédéralisme  et  l'uni  tari  sme  un  antagonisme 
non  moins  violent  qu'entre  la  royauté  et  la  souveraineté  du 
peuple  en  Europe.  La  base  première  d'une  république  est  la 
vertu  ;  par  conséquent,  lorsqu'un  peuple  est  aussi  profon- 
dément  démoralisé,  aussi  ignorant,  aussi  étranger  à  la  vie 
politique  que  le  sont  les  Espagnols  de  l'Amérique,  la  tran- 
quillité publique  doit  y  être  incessamment  troublée  et  la  li- 
berté dégénérer  bientôt  en  licence.  Les  guerres  civiles  ne  sont 
pas  moins  fatales  aux  républiques  unitaires  qu'aux  républi- 
ques fédératives,  et  font  tôt  ou  tard  tomber  les  unes  et  les 
autres  sous  le  joug  du  despotisme  militaire.  Ces  luttes  d?  la 
vie  politique  ont  déjà  désolé  les  républiques  américaines 
ou  bien  elles  les  (h'cliircnt  au  moment  où  nous  écrivons  ;  là 
où  elles  sonnneillent  encore  sous  le  faible  abri  de  la  monar- 


-170 

chie,  on  peut  dire  qu'elles  n'altendcnt  que  le  premier  choc 
pour  éclater.  L'histoire  des  États  de  l'Amcrique  ne  datant 
que  d'hier,  il  est  encore  impossible  de  prédire  d'une  manière 
bien  certaine  les  destinées  d'une  société  si  jeune  qui  s'est 
trouvée  trop  à  l'étroit  dans  le  vieux  monde  monarchique, 
dans  les  veines  de  laquelle  bat  l'élément  républicain  et  dont 
l'idéal  promet  le  libre  développi  ment  de  l'individu. 
"Voici  les  Étals  indépendants  de  l'Amérique  : 
1°  Les  États-  Unis  de  l'Amérique  du  Nord,  augmentés 
de  plusieurs  accessions  et  menacés  d'une  dislocation  par 
la  sé|)aration  des  États  à  esclaves;  2'^  le  Mexique-  3"  les 
États  indépendants  de  l'Amérique  Cmtrale  ou  Cew^ro- 
Américains,  à  savoir  :  Guatemala ,  San-Sal- 
vador,  Aicaragua,  Cùsla-Rica  ei  Honduras- 
4"  la  république  de  Venezuela;  5"  la  N  ou  vel  Ic-Gre- 
nade;  G"  l'Equateur  ;  7°  le  Pérou;  8'  la  Bolivie- 
9'Me  Chili;  10"  le  pays  libre  des  Araucans;  li'  les 
États  de  la  Plata,  ou  république  Argentine;  12"  !a  ré- 
publique de  1' Ur  uguay  ;  13°  celle  du  Paraguay;  U" 
l'empire  du  Brésil;  15°  Haïti;  16°  la  Patagonie. 
Voici  les  colonies  européennes  : 

1°  L'extrémité  nord-ouest  de  l'Amérique,  la  presqu'île 
des  Tschouksclics  et  celle  des  Tscliougatsches,  Aliaska  les 
Aléou  tiennes  et  quelques  îles  voisines,  sont  des  posses- 
sions russes;  2°  l'Amérique  polaire,  les  terres  de  la  baie 
d'il ud son,  le  Haut  et  le  Bas-Canada,  le  Nou veau- 
Bruns  wick,  la  Nouvelle-Ecosse,  Terre-Neuve 
les  Bermudes,  les  tucayes,  diverses  petites  An  tilles' 
comme  la  Trinité,  Tabago,  Grenade,  Saint-Vin- 
cent, etc.,  la  Jain  ^ïque,  le  district  forestier  de  Bal  ise 
la  côte  des  Mosqu  [tos  (qui  s'est  placée  sous  la  protec- 
tion britannique),  la  Guyane  anglaise  elles  îles  Falk- 
1  and,  appartiennent  à  l'Angleterre;  3°  le  G roen land, 
Sain  te- Croix,  Saint-Thomas  et  Saint-Jean  (petites  An- 
tilles), sont  au  Danemark;  4°  Curaçao  et  la  Guyane 
hollandaise  sont  à  la  Hollande;  5°  la  Guadeloupe 
et  la  Martinique  (.Antilles),  la  Guyane  française, 
Sainl-Pierre  et  Miquelon,  appartiennent  à  la  Fiance, 
qui  a  pris  possession  de  l'île  Clipperton  en  1858;  6° 
Cuba  et  Porto-Rico  sont  à  l'Espagne;  7°  Saint- 
Barthélémy  (petites  Antilles)  est  à  la  Suède. 

La  gloire  d'avoir  le  premier  découvert  l'Améiique  appar- 
tient au  Génois  Christophe  Colomb,  qui,  après  avoir  couru 
de  grands  dangers,  aborda  le  7  octobre  1492  à  Guanahani, 
une  des  îles  Bahama ,  à  laquelle  11  donna  le  nom  de  San- 
Salvador.  Cependant  la  première  découverte  de  ce  nouveau 
continent  remonte  jusqu'au  milieu  du  moyen  âge  ,  attendu 
qvie  dès  l'an  895  des  Normands  partis  d'Islande  avaient  si- 
gnalé la  terre  polaire  septentrionale  appelée  le  Groenland , 
€t  qu'en  l'année  982  les  Islandais ,  sous  la  conduite  d'É- 
rick  le  Rouge,  introduisirent  le  christianisme  sur  la  cote 
orientale  ;  ensuite  les  découvertes  se  succédèrent  les  unes 
aux  autres.  En  l'an  1001,  l'Islandais  Biœrn  découvrit  le 
Vinland  dans  la  direction  du  sud-ouest.  (.Consultez  l'ou- 
vrage de  Wilhelmi,  intitulé  :  Island,  Hvritramanaland , 
Grœnland  und  Vinland  [  Heidelberg,  1842  ].)  Plus  tard, 
les  frères  Niccolo  et  Antonio  Zeni,  qui  entreprirent  pendant 
les  années  1.388  et  1390  une  expédition  dans  l'océan  Atlan- 
tique du  Nord,  furent  jetés  sur  les  côtes  de  la  probléma- 
tique Frieslanda  (vraisemblablement  les  îles  Faroei),  et 
aperçurentensuite  une  partie  de  l'Amérique  du  nord-est,  qu'ils 
nommèrent  Drogno  (la  Nouvelle-Ecosse).  Mais  ces  décou- 
vertes n'exercèrent  aucune  iniluence  sur  celle  que  fit  Chris- 
tophe Colomb  en  1492  ;  en  effet,  elles  étaient  complètement 
oubliées  et  étaient  d'ailleurs  toujours  restées  inconnues  djins 
les  pays  méridionaux.  Malgré  cela,  le  nouvel  hémisphère  ne 
fut  pas  dénommé  d'après  Chri.«tophe  Colomb,  mais  bien 
d'après  Améric  Vespuce,  qui  n'y  aborda  pourtarit  pour 
la  première  fois  qu'en  1501. 
M.  Alexandre  de  llum'.mMt,  dans  ses  Recherches  cri- 


AMÉRIQUE  —  AMÉRIQUE  DU  NORD 

tiques  sur  le  développement  historique  des  connais- 
sances  géographiques  du  Nouveau-Monde ,  étabht  que 
c'est  en  Allemagne  où  pour  la  première  fois  le  nouveau 
monde  découvert  par  Christophe  Colomb  reçut  le  nom  d'^- 
mérique.  Le  hasard  ayant  fait  arriver  en  Allemagne  un 
exemplaire  de  l'ouvrage  écrit  en  latin  dans  lequel  Améric 
Vespuce  a  raconté  l'histoire  de  ses  voyages  en  Amérique , 
Martin  Waldseemuller,  de  Fribourg  en  Brisgau,  le  traduisit 
sous  le  pseudonyme  de  Ylacomilus,  pour  un  libraire  de 
Saint-Dié  en  Lorraine.  Cette  traduction  eut  un  immense 
succès  ;  car  c'était  le  premier  ouvrage  qui  donnât  quelques 
renseignements  sur  le  Nouveau-Monde ,  dont  la  découverte 
encore  récente,  préoccupait  alors  si  vivement  tous  les  esprits. 
Les  éditions  s'en  succédèrent  donc  avec  une  extrême  rapi- 
dité ;  et  ce  fut  Waldseemuller  qui  proposa  de  donner  à  la 
nouvelle  terre  le  nom  (ÏAmerica  en  l'honneur  de  l'auteur 
dont  il  s'était  fait  l'interprète  parmi  ses  compatriotes.  Ce 
nom  se  trouve  déjh  inscrit  sur  une  carte  jointe  à  une  édition 
de  la  Géographie  de  Ptolémée  publiée  en  1522  à  Metz; 
tous  les  savants  ne  tardèrent  pas  à  l'adopter  ;  de  sorte  que 
les  Espagnols  durent  à  la  fin  faire  comme  tout  le  monde. 

Pour  les  découvertes  ultérieures,  royes  les  articles 
Voyages  et  Nokd  (Expéditions  au  pôle).  On  doit  à  Al.  de 
Ilum  holdt  de  savantes  investigations  sur  l'Amérique 

AMÉRIQUE  CENTRALE.  Voyez  Centro-Améri- 
CMNs  (États  ). 

AMÉRIQUE  DUIVORDou  SEPTENTRIONALE.  La 
moitié  septentrionale  du  continent  de  l'hémisphère  occi- 
dental (roj^ez  Amérique)  forme  presque  un  triangle  à  angles 
droits  de  188,000  myriamètres  carrés  de  superficie,  et  elle 
est  bornée  au  nord-ouest  par  l'océan  Pacifique,  au  nord-est 
par  l'océan  Atlantique,  an  norJ  par  la  mer  Glaciale  du  Nord. 
Son  développement  de  côtes  comprend  4,160  myriamètres, 
dont  1,556  sur  la  côte  occidentale  baignée  par  l'océan  Paci- 
fique, 2,079  sur  la  côte  orientale  baignée  par  l'océan  Atlan- 
que  et  .525  myriamètres  sur  la  côte  septentrionale,  baignée 
par  la  mer  Glaciale.  Les  côtes  sont  découpées  par  un  grand 
nombre  de  golfes  et  de  baies ,  formant  une  grande  quan- 
tité de  caps  et  de  presqu'îles.  Les  plus  importantes,  parmi 
celles-ci,  sont  le   Labrador,  entre  la  baie  d'Hudson  (le 
I)lus  grand  golfe  qu'il  y  ait  au  nord  de  l'Amérique  septen- 
trionale) et  la  baie  de  Saint-Laurent;  la  Nouvelle-Ecosse, 
entre  la  baie  de  Saint-Laurent  et  la  baie  de  Fundy  ;  la 
Floride,  entre  l'océan  Atlantique  et  le  golfe  du.Me.xique 
(  le  plus  grand  golfe  qu'il  y  ait  au  sud  de  l'Amérique  sep- 
tentrionale );l'Yucatan,  entre  le  golfe  du  même  nom  et  la 
merdes  Antilles;  la  Californie,  entre  le  golfe  du  même 
nom  etl'océan  Pacifique;  et  enfin  la  grande  presqu'île  du  nord- 
ouest  ,  entre  l'océan  Pacifique ,  la  mer  du  Kamtschatka  et 
la  mer  Glaciale  du  Nord ,  laquelle  à   son  tour  forme  plu- 
sieurs autres  prescpi'iles  moindres,  dont  la  plus  importante 
est  celle  d'.\laschka.  La  configuration  du  sol  est  surtout  dé- 
terminée par  deux  grandes  chaînes  de  montagnes ,  les  Cor- 
dillères et  les  monts  Alleghanys.  Les  Cordillères,  qui, 
par  l'isthme  de  Panama ,  communiquent  avec  celles  de  l'A- 
mérique du  Sud  ,  traversent  l'Amérique  dans  toute  sa  lon- 
gueur, d';'.bord  dans  la  direction  du  sud-est  au  nord-ouest, 
occupent  presque  tout  le  pays  situé  entre  l'océan  Paci- 
fique et  la  mer  des  Antilles  avec  le  golfe  du  Mexique ,  et 
en  général  affectent  la  forme  de  plateaux  ;  mais  dans  le 
Nouveau-Mexique  elles  prennent  avec  la  forme  de  chaînes  la 
direction  du  sud  au  nord,  se  courbent  d'abord  un  peu  vers 
le  nord-ouest  dans  le  territoire  de  l'Orégon,  pour  se  pro- 
longer dans  cette  direction  ,  sous  le  nom  de  montagnes  Ro- 
cheuses, vers  la  mer  Glaciale,  à  travers  des  contrées  encore 
à  peu  près  inconnues.  L'Amérique  du  Nord  est  partagée  par 
les  Cordillères  en  deux    parties  inégales  :  le  pays  situé  à 
l'ouest,  et  cel;ii  qui  se  trouve  à  l'est.  Celui-ci  se  compose 
do  contrées  aifectant  la  forme  de  plateaux  et  encore  assez 
peu  connues  {voi/ez  les  articles  C.vlifornie  et  Orégox  ),  où 


AMÉRIQUE  DU  NORD 


471 


les  Cordillères  s'abaissent  à  l'ouest ,  et  que  limite  uni-  im- 
mense plaine  rocheuse,  interrompue  seulement  par  quelques 
étroit:;  ot  profonds  bassins  de  fleuves  avec  des  plateaux  de 
la  nature  des  ste|ipes ,  au  pied  des  Cordillères ,  dont  la  lar- 
geur varie  à  l'iuliiii,  et  à  l'ouest  de  ces  montagnes  ,  le  long 
des  côtes  de  la  mer  Pacifique.  La  contrée  située  à  l'est  des 
Conlillères  forme  au  nord  une  plaine  immense ,  sauvage  , 
interrompue  seulement  par  quelques  crêtes  basses  et  quel- 
ques rangées  de  rochers,  s'étendan't  au  nord  jusqu'à  la  mer 
Glaciale ,  à  l'est  jusqu'à  la  baie  d'Hudson ,  et  au  nord  des 
lacs  c^inadiens  jusqu'aux  montagnes  de  Labrador,  qui 
forment  l'angle  nord-est  de  l'Amérique  du  Nord  ;  enfin  au  sud, 
jusqu'aux  contrées  où  le  Mississipiet  le  Missouri  prennent  leur 
source.  Cette  contrée  est  surtout  remarquable  par  cette  cir- 
constance ,  qu'en  raison  de  l'extrême  irrégularité  de  sa  con- 
figuration superficielle,  qui  empêche  le  développement  régu- 
lier de  ses  nombreux  cours  deau  ,  elle  renferme  une  grande 
quantité  de  lacs  d'étendui.^  diverse.  Leurs  eaux  trouvent  leur 
écoulement  en  partie  dans  la  Mackensie,  qui  a  son  embou- 
chure dans  la  mer  Glaciale ,  en  partie  dans  le  Churchill,  qui 
se  jette  dans  la  baie  d'Hudson  ';  et  en  partie  dans  les  lacs 
du  Canada.  Elles  comraimiqueiit  entre  eues  d'une  manière  si 
singuUèrement  compliquée,  que  si,  comme  on  le  prétend, 
elles  se  reliaient  encore  à  l'ouest  au  Colombia  et  au  Tacutsche- 
Tessé,  il  en  résulterait  qu'il  existe  une  communication  par 
eau  entre  la  mer  Arctique ,  la  mer  Atlantique  et  la  mer 
Pacifique.  Au  sud  de  cette  contrée  rocheuse  s'étendit  les 
terrasses  du  bassin  du  Mis  sis  s  ipl  et  de  ses  affluents  le 
Missouri  et  l'Ohio,  centre  de  l'Amérique  du  Nord.  Ce 
territoire  consiste  en  un  immense  bassin  avec  une  vaste 
plaine  au  milieu ,  qui  s'étend  en  pente  douce  depuis  la  plaine 
rocheuse  du  Nord,  entre  les  Cordillères  et  les  Alleghanys , 
jusqu'au  golfe  du  Mexique ,  et  à  l'ouest ,  au  pied  des  Cor- 
dillères, forme  un  haut  plateau  désert  et  pierreux  se  prolon- 
geant à  Test  jusqu'au  Mississipi ,  en  plaines  basses ,  cou- 
vertes au  nord  de  forêts  vierges,  au  sud  de  savanes  et ,  le 
long  du  fleuve  et  de  la  mer,  de  bas-fonds  marécageux.  Au 
contraire ,  la  côte  orientale  du  Mississipi  se  compose ,  au 
nord ,  d'un  terrain  accidenté  et  fertile ,  couvert  encore  en 
partie  de  forêts  vierges ,  qui  va  toujours  en  s'élevant  jus- 
qu'aux monts  Alleghanys ,  et,  au  sud,  d'une  vallée  extrême- 
ment téconde.  Dans  la  plaine  des  cotes  du  Mississipi ,  plu- 
sieurs fleuves ,  provenant  les  uns  des  Cordillères ,  les  au- 
tres des  Alleghanys  du  Sud,  vont  en  outre  se  jeter  dans  le 
golfe  du  Mexique.  Le  plus  important  est  le  Rio  del  Norte, 
qui ,   dans  son   cours   supérieur,  forme  la  vallée  la  plus 
étendue  des  Cordillères  de  l'Amérique  du  Nord ,  et  qui  en 
baigne  le  pied  oriental  dans  son  cours  inférieur.  Les  monts 
Alleghanys,  qui  se  prolongent  du  sud-ouest  au  nord-est , 
limitent  le  ten  itou'e  du  Mississipi  à  l'est.  Entre  leur  ver- 
sant sud-est    et  l'océan  Atlantique  s'étend  la  teiTasse  des 
côtes  de  l'Atlantique,  de  toute  l'Amérique  du  Nord  la  contrée 
la  plus  favorable  à  la  culture.  A  l'exception  de  quelques 
pallies  sablonneuses  des  côtes,  elle  présente  l'aspect  d'une 
plaine  vaste  et  fertile ,  s'élevant  par  ondulations  successives 
jusqu'aux  monts  Alleghanys.  C'est  au  sud ,  là  où  elle  se 
confdnd  avec  la  plaine  du  Mississipi ,  qu'elle  a  le  plus  de 
largeur  ;  puis  elle  va  toujours  en  se  rétrécissant  davanlage 
vers  le  nord  ,  jusqu'à  ce  qu'enfin  au  nord  de  l'Hudson  les 
montagnes  qu'elle  renferme  se  prolongent  jusqu'à  la  mer,  où 
eUvS  forment  une  côte  rocheuse,  découpée  de  la  manière  la 
plus  accidentée.  Au  contraire,  la  plaine  qui  regarde  le  sud 
va  toujours  en  s'aplatissant  davantage,  et  finit  par  devenir 
sablonneuse  et  marécageuse.  Aussi ,  au  Ueu  de  ports ,  y 
trouve-t-on  des  lagunes  ensablées ,  plus  particulièrement  à 
l'extrémité  sud-ouest  de  la  contrée ,  dans  la  presqu'île  de  la 
Floride.  Jusqu'au  fleuve  Saint-Jolm ,  tous  les  cours  d'eau 
de  cette  terrasse  bien  arrosée  proviennent  des  monts  Alle- 
ghanys ,  dont  la  plupart  traversent  les  différentes  chaînes 
pour  former  des  vallées  accidentées.  Les  contrées  qui  se 


rattachent  au  bassin  du  Saint-Laurent  et  les  cinq  grands  lacs 
intérieurs  qui  lui  servent  de  réservoirs  forment  la  cinquième 
partie  de  l'Amérique  du  Nord  (  voyez  l'article  Canada  ).  Ces 
lacs  d'eau  douce,  qu'alimentent  les  eaux  de  nombreux  af- 
fluents et  celles  des  lacs  du  plateau  arctique  ,  occupent  en- 
semble une  superficie  de  TSM  myriamètres  carrés  ;  ils  sont 
situés  en  terrasses  les  uns  au-dessus  des  autres  et  déversent 
leurs  eaux  l'un  dans  l'autre  en  toirents  rapides  et  en  cata- 
ractes, par  exemple  celle  du  Niagara,  jusqu'au  moment 
où  ils  atteignent  les  basses  terres  du  Canada ,  entre  les  ver- 
sants nord-ouest  des  Alleghanys  et  la  partie  orientale  du 
plateau  arctique,  qui  s'abaisse  ici  dans  la  direction  du  sud-est. 
Leurs  eaux  trouvent  alors  un  écoulement  plus  facile  et  plus 
calme  dans  le  large  lit  du  Saint-Laurent,  lequel  va  se  jeter 
dans  le  golfe  du  même  nom. 

Le  climat  de  l'Amérique  du  Nord ,  qui  comprend  toutes 
les  zones ,  a  ceci  de  particulier,  à  l'exception  de  la  minime 
portion  de  territoire  placée  sous  les  tropiques ,  qu'il  est  gé- 
néralement plus  froid  que  celui  de  l'Europe ,  et  surtout  à 
l'est  des  Cordillères  plus  rigoureux  ,  en  ce  sens  que  les  étés 
y  sont  beaucoup  plus  chauds  et  les  hivers  beaucoup  plus 
froids  ,  et  que  la  température  moyenne  de  l'année  y  est  au 
total  beaucoup  moins  élevée  qu'à  l'ouest  de  ces  montagnes, 
sur  le  versant  qui  regarde  l'océan  Pacifique.  Les  vents  du 
nord-ouest ,  qui  y  soufflent  pendant  la  plus  grande  partie  de 
l'année,  en  sont  la  principale  cause.  Ils  doivent  en  effet , 
pour  atteindre  les  contrées  situées  à  l'est  des  Cordillères, 
traverser  les  plaines  arides  de  la  partie  nord-ouest  de  l'A- 
mérique du  Nord  et  les  contrées  baignées  par  la  mer  Arc- 
tique ;  d'où  il  résulte  qu'en  été  ils  sont  moins  chargés  d'hu- 
midité ,  tandis  qu'en  hiver,  traversant  les  régions  glacées 
de  la  mer  Glaciale  et  les  lacs  mtérieurs  de  l'Amérique  du 
Nord,  ils  produisent  un  refroidissement  sensible  de  l'atmos- 
phère. Sur  la  côte  occidentale,  au  conti'aire ,  ils  n'arrivent 
qu'après  avoir  traversé  l'océan  Pacifique ,  dès  lors  après 
s'être  chargés  d'humidité  ;  circonstance  à  laquelle  il  faut  at- 
tribuer le  climat  plus  tempéré  de  ces  contrées.  Indépen- 
damment des  vents,  ce  sont  surtout  les  courants  de  la  mer, 
notamment  le  courant  arctique,  lequel  se  dirige  vers  Terre- 
Neuve  ,  qui  contribuent  à  l'inégalité  de  la  température.  Il  en 
résulte  dès  lors  que  les  lignes  isothermes  de  l'Amérique  du 
Nord  fléchissent  sensiblement  dans  la  direction  de  l'ouest  à 
l'est  et  du  nord  au  sud  ;  c'est-à-dire  que  les  contrées  du  ver- 
sant occidental  situées  au  nord  ont  dans  l'année  la  même 
température  moyenne  que  les  contrées  du  versant  oriental 
situées  beaucoup  plus  au  sud  ;  différence  qui  est  d'autant  plus 
sensible  qu'on  se  rapproche  davantage  du  nord ,  et  qui  di- 
minue en  proportion  qu'on  avance  vers  l'équateur.  Il  résulte 
encore  de  cette  différence  de  température  que  le  côté  occi- 
dental de  l'Amérique  du  Nord  est  cultivable  et  couvert  de 
végétation  à  un  degré  bien  plus  rapproché  du  cercle  polaire 
arctique  que  le  versant  oriental ,  où  ,  par  56°  de  latitude , 
le  sol  ne  dégèle  en  été  qu'à  trois  pieds  de  profondeur ,  de 
même  que  la  rive  septentrionale  du  lae  Huron ,  placée  sous 
la  même  latitude  que  Venise,  reste  couverte  de  neiges  pen- 
dant six  mois  de  l'année ,  quoique  pendant  les   trois  mois 
d'été  la  chaleur  y  atteigne  en  moyenne  21°  R.  On  peut  donc 
admettre  que  toutes  les  contrées  de  l'Amérique  du  Nord  si- 
tuées au  nord  d'une  ligne  à  tirer  depuis  le  55°  de  latitude 
septentrion  le  sur  la  côte  occidentale ,  jusqu'au  50°  de  lati- 
tude septentrionale  sur  la  côte  orientale ,  et  même  encore 
quelques  parties  situées  au  sud  de  cette  ligne ,  sont  im- 
propres à  la  culture  des  céréales  de  l'Europe,  puisque  déjà 
même  les  contrées  à  l'est  et  au  sud  du  golfe  Saint-Laurent, 
par  exemple  Terre-Neuve,  le  Nouveau-Brunswick  et  la  Nou- 
veîle-Écosse,  sont  fameuses  par  leur  climat  âpre  et  nébuleux, 
qui  ne  permet  déjà  plus  la  moindre  culture  à  Terre-Neuve. 
La  population  totale  de  l'Amérique  du  Nord  s'élève  à  vingt- 
neuf  millions  d'âmes.  Sur  ce  nombre ,  on  compte  sept  mil- 
Uons  d'Indiens  et  de  métis,  et  pas  tout  à  fait  trois  millions  et 


472  AMERIQUE  DU  NORD 

demi  de  nègres  et  de  mulâtres,  dont  deux  millions  et  demi  sont 
esclaves.  Le  reste  de  la  population  est  d'origine  européenne. 
Les  États  particuliers  de  l'Amérique  du  Nord  sont,  au  sud  : 
les  États  indépendants  de  IWmérique  centrale,  la  république 
du  Mexique  avec  1' Vucatan,  et  les  États-Unis  ;  sur 
la  côte  occidentale  le  territoire  de  l'Orégon  ;  sur  la  côte 
nord-ouest ,  les  établissements  russes  (  voye:,  Nolvkl-Ar- 
CHAJSCELSR  )  ;  Ics  posscssions  britanniques ,  qui  ,  outre  l'é- 
tablissement d'Honduras  sur  la  C(Jte  occidentale  de  T Vu- 
catan et  les  Bermudes,  comprennent  tout  le  reste  de 
l'Américpie  du  Nord,  par  conséquent  toutes  les  contrées  si- 
tuées au  nord  des  États-Unis  et  à  Test  des  possessions  russes, 
composées  des  gouvernements  du  Canada,  du  Nou  veau- 
Brun  s  wick  ,  de  la  Nouvel  Ic-Écosse  avec  le  cap  Breton, 
de  nie  du  Prince-Edouard,  de  Terre-Neuve  avec  le 
Labrador,  des  terres  baignées  par  la  baie  d'IIudson 
avec  la  Nouvelle-Galles;  enfin,  le  Groenland  avec 
les  établissements  danois. 

AMÉRIQUE  DU  SUD  ou  MÉRIDIONALE.  La  moitié 
méridionale  de  l'Amérique  forme  un  triangle  à  angles 
presque  droits  d'environ  170,550  myriamètres  carrés ,  dont 
l'bypoténuse ,  allant  presque  exactement  du  nord  au  sud 
dans  le  méridien  de  53°  de  longitude  occidentale ,  aboutit  au 
nord  au  cap  Galinas,  par  12°  1/2  de  latitude  septentrionale, 
et,  au  sud  ,  au  cap  Forward  ,  situé  presque  sous  le  54°  de 
latitude  méridionale,  tandis  que  les  deux  perpendiculaires  se 
réunissent  au  cap  Saint-Rocli,  par  17°  1/2  de  longitude  occi- 
dentale et  5°  de  latitude  méridionale.  Ce  triangle ,  qu'au 
nord -ouest  l'isthme  de  Panama  joint  à  l'Amérique  du 
Nord,  est  baigné  sur  toute  sa  longueur  occidentale,  qui  est 
d'environ  700  myriamètres,  parle  grand  Océan ,  et  sur 
ses  côtés  sud-est  et  nord-est  par  l'océan  Atlantique.  Comme 
la  configuration  de  l'Amérique  du  Sud  est  uniforme  et 
massive,  comme  elle  manque  à  peu  près  de  toute  échancrure 
maritime ,  attendu  qu'elle  ne  présente  que  des  courbures  et 
des  coupures  de  côtes  comparativement  petites ,  rien  qui 
approche  des  vastes  baies  ni  des  grands  golfes  de  l'Amérique 
du  Nord ,  le  développement  total  de  ses  côtes  ne  comprend 
qu'environ  2,380  myriamètres,  dont  1,505  sur  l'océan  Atlan- 
tique et  875  sur  la  mer  Pacifique.  La  configuration  du  sol 
est  surtout  déterminée  par  les  Conlillères  des  Andes  et  par 
txois  groupes  de  montagnes  compU  tcment  distincts  :  le  haut 
pays  du  Brésil,  le  plateau  de  la  Guyane,  et  les  montagnes  des 
côtes  de  Venezuela  avec  la  petite  Sierra-Nevada  de  Santa- 
Mai-ta.  Les  Cordillères  traversent  toute  l'Amérique  du 
Sud  ,  dans  la  direction  du  sud  au  nord  ,  et  sur  sa  rive  oc- 
cidentale ,  où  elles  forment  une  longue  cliaîne  occupant  une 
superficie  de  31,000  myriamètres  carrés;  elles  suivent  d'ail- 
leurs toujours  de  fort  près  la  côte  parallèlement  à  la  mer  et 
en  constituant  en  même  temps  une  crête  longue  et  élevée, 
qui  ne  subit  de  solution  de  continuité  qu'à  l'isthme  de  Pa- 
nama, où  existe  un  profond  abaissement  du  sol,  pour,  à  partir 
de  ce  point,  se  continuer  dans  la  direction  du  nord  à  travers 
toute  l'Amérique  siptentrionalc.  Le  haut  pays  du  Brésil ,  au 
contraire ,  situé  sur  le  versant  sud-est  de  l'Amérique  méri- 
dionale avec  son  centre  placé  à  peu  près  entre  le  10°  et  le 
30°  de  latitude  méridionale,  le  20°  et  le  40°  de  longitude 
orientale ,  est  le  plus  considérable  des  systèmes  isolés  de 
l'Amérique  en  ce  qui  touche  l'extension  superficielle ,  la- 
quelle est  de  y,900  myriamètres  carrés.  Il  se  compose  d'un 
plateau  de  300  à  700  mètres  d'élévation  qui ,  à  partir  des 
côtes  de  l'océan  Atlantique,  pénètre  profondément  à  l'ouest 
dans  linlérieur  des  terres,  sans  cependant  avoir  de  commu- 
nication avec  les  Cordillères ,  ni  même  sans  en  être  la  pre- 
mière assise,  attendu  qu'il  en  est  séparé  par  de  vastes  plaines, 
vers  lesquelles  il  s'abaisse  insensiblement  sur  chacun  de  ses 
versants.  Sur  ce  plateau  s'élèvent  plusieurs  chaînes  de  mon- 
tagnes, courant  toutes  dans  une  direction  plus  ou  moins  pa- 
rallèle à  la  côte  du  Brésil  et  séparées  les  unes  des  autres  par 
de  hautes  yallées,  encore  bien  que  de  nombreuses  commu- 


—  AMERIQUE  DU  SUD 


nications  transversales  existent  entre  elles  au  moyen  d'em- 
branchements {voyez  l'article  Brlsil).  Le  plateau  delà 
Guyane  ou  le  mont  Parime,  situé  sur  la  côte  nord-est  de 
l'Amérique  du  Sud,  entre  l'équateur  et  le  8°  de  latitude  sep- 
tentrionale et  les  35°  à  50"  de  longitude  oci  idenfale,  séparé  en 
outre  du  pays  haut  du  Brésil  par  les  plaines  du  Maranon, 
occupe  une  superficie  d'environ  6,325  myriamètres  carrés, 
et  se  compose  également  d'un  système  de  plusieurs  chaînes 
parallèles,  courant  surtout  dans  la  direction  de  l'est-sud-est 
à  l'oucst-nord-ouest ,  et  séparées  les  unes  des  autres  par  de 
longues  et  étroites  vallées,  qui  s'élèvent  à  partir  des  côtes  de 
la  Guyane  sur  l'océan  Atlantique,  pour  de  même  s'abaisser 
en  profondes  vallées  de  l'autre  côté  continental,  de  sorte  que 
ces  montagnes  se  trouvent  complètement  isolées,  comme 
celles  du  Brésil.  Leur  dévation  va  toujours  en  augmentant 
à  partir  des  côtes  ;  de  sorte  que  les  chaînes  occidentales , 
au  milieu  desquelles  se  trouve  la  montagne  la  plus  haute  de 
tout  ce  plateau,  le  pic  Diuda,  haut  de  2,566  mètres,  attei- 
gnent en  moyenne  1,066  mètres  de  hauteur.  Le  plateau  des 
côtes  de  Venezuela,  au  contraire,  n'est  qu'une  continua- 
tion orientale  de  la  Cordillère  orientale  de  la  Nouvelle- 
Grenade,  et  est  formée  par  deux  chaînes  parallèles  très- 
rapprochées  l'une  de  l'autre,  qui  se  détachent  par  51°  1  2  de 
longitude  occidentale  de  la  Sierra-Nevada  de  Mérida  et  se 
prolongent  le  long  delà  côte  septentrionale  de  l'Amérique  du 
Sud  sur  la  mer  des  Caraïbes,  jusqu'au  gouffre  du  Dragon ,  à 
l'extrémUé  nord-ouest  de  l'île  Trinidad.  Toute  cette  mon- 
tagne n'occupe  guère  qu'une  superficie  d'environ  6050  my- 
riamètres carrés  ;  elle  s'élève  dans  la  SoUa  de  Caraccas  jus- 
qu'à une  hauteur  de  2,700  mètres,  et  s'abaisse  abruptement 
au  nord  vers  la  mer,  tandis  qu'elle  se  perd  insensiblement 
au  sud  dons  la  plaine  de  l'Orénoque  qui  la  sépare  du  plateau 
de  la  Guyane.  La  Sierra-Nevada  de  Santa-Marta,  enfin,  se 
compose  d'un  petit  groupe  isolé  n'occupant  pas  en  superficie 
plus  de  55  myriamètres  carrés,  situé  entre  l'embouchure  du 
fleuve  de  la  Madeleine  et  l'embouchure  du  lac  de  Maracaïbo, 
et  s'élevant  du  fond  de  la  vallée  profonde  qui  l'entoure  pour 
former  une  masse  compacte  de  montagnes ,  dont  quelques- 
unes  atteignent  une  élévation  de  6,000  mètres. 

Les  vallées  et  les  plaines  de  l'Amérique  du  Sud  occupent 
bien  autrement  de  superficie  que  ses  montagnes.  En  effet , 
tandis  que  celles-ci  n'ont  en  total  que  41,250  myriamètres 
de  superficie ,  celles-là  en  occupent  ime  de  135,300  myriamè- 
tres carrés.  Sauf  les  très-petites  plaines  de  côtes  qui  se  trou- 
vent disséminées  au  bas  du  versant  occidental  des  Cordillè- 
res, toutes  ces  plaines  sont  situées  sur  le  versant  oriental 
de  cette  montagne,  où  elles  s'étendent  le  long  de  toute  sa 
base,  depuis  l'extrémité  méridionale  de  ce  continent  jusqu'à 
l'embouchure  de  l'Orénoque,  à  l'extrémité  nord-est  de  la  Cor- 
dillère de  l'Amérique  du  Sud  :  de  telle  sorte  qu'après  avoir 
séparé  cette  montagne  des  deux  grands  groupes  isolés  de  l'A- 
mérique méridionale ,  le  plateau  du  Brésil  et  le  plateau  de  la 
Guyane,  entre  lesquels  elles  se  prolongent  dans  la  direction 
de  l'ouest  à  l'est  jusqu'à  l'océan  Atlantique ,  elles  se  divi- 
sent en  trois  parties  principales,  répondant  aux  grands  bas- 
sins de  fleuves  qui  existent  dans  l'Amérique  du  Sud.  Les 
Il  an  os  de  l'Orénoque  sont  la  vallée  la  plus  septentrionale 
de  ces  plaines.  Ils  occupent  une  superficie  de  8,800  myria- 
mètres carrés ,  sur  la  rive  gauche  de  l'Orénoque ,  entre  le 
plateau  de  la  Guyane  et  la  Cordillère  orientale  de  la  Nou- 
velle-Grenade avec  la  montagne  de  Venezuela ,  s'étendent 
depuis  le  point  de  partage  du  Maranon  au  sud-ouest  jusqu'à 
la  côte  de  l'océan  Atlantique  au  nord-est,  et  constituent 
ainsi  toute  la  vallée  du  bassin  de  l'Orénoque.  Dans  la 
partie  sud-ouest,  cette  plaine  aboutit  immédiatement  à 
l'autre  grande  vallée  de  l'Amérique  du  Sud ,  les  plaines  du 
Maranon ,  dont  elle  n'est  séparée  par  aucune  montagne , 
mais  seulement  par  un  faible  exhaussement  du  sol  qui 
établit  bien  le  point  de  partage  entre  l'Orénoque  et  le  Ma- 
ranon, mais  qui   à  un  moment  donné  disparaît  si  com- 


AMERIQUE  DU  SUD 

pK^tement  qu'il  en  résulte ,  au  moyen  d*un  partage  en  four- 
chette, une  conununication  naturelle  des  eaux  entre  le  Ma- 
ranon  et  l'Orénoque.  Ce  grand  bassin  du  Manuioii ,  qui 
comprend  les  diflerentes  vallées  du  domaine  de  ce  fleuve , 
occupe  l'immense  espace  de  79,750  myriamètres  carrés  de 
superficie  entre  le  plateau  de  la  Guyane  au  nord  et  le  pays  de 
montagnes  du  Brésil  au  sud ,  et  entre  les  Cordillèresà  l'ouest 
et  l'océan  Atlantique  à  l'est ,  en  allant  toujours  s'abaissant 
insensiblement  depuis  le  pied  des  Cordillères.  De  mCme 
que  la  plaine  de  l'Orénoque  n'est  séparée  dans  sa  partie 
sud-est  du  bassin  du  MaraSon  que  par  un  soulèvement  du 
sol  presque  insensible,  de  mi^me  le  bassin  du  Maranon  n'est 
séparé  dans  sa  partie  sud-est  extrême  de  celui  de  la  Plata 
que  par  un  soulèvement  également  imperceptible  du  sol  de 
l'immense  plaine  qui  s'étend  entre  la  partie  occidentale  du 
pays  de  montagnes  du  Brésil  et  les  Cordillères,  comme  une 
espèce  de  plateau  inférieur.  Les  plaines  ou  pampas  de  la 
Plata,  qui  s'étendent  au  sud  de  cette  plate  élévation  du  sol, 
en  formant  également  la  vallée  de  son  bassin ,  entre  les 
Cordillères  et  la  partie  méridionale  du  plateau  du  Brésil  jus- 
qu'à l'océan  Atlantique  au  sud-est,  forment  la  troisième  et 
la  plus  méridionale  des  grandes  vallées  de  l'Amérique  Méri- 
dionale, à  laquelle  se  rattaclie  plus  loin  au  sud  le  grand 
steppe  de  Patagonie,  avec  lequel  elle  comprend  une  su- 
perficie de  41,800  myriamètres  carrés.  Mais  le  steppe  de 
Patagonie ,  qui  à  l'est  va  depuis  le  pied  des  Cordillères  jus- 
qu'à l'oa'an  .\tlantique ,  s'étend  au  sud  depuis  le  Rio  Co- 
lorado jusqu'à  l'extrémité  méridionale  de  l'hémisphère.  In- 
dépendamment de  ces  trois  grandes  vallées  principales  en 
rapport  l'une  avec  l'autre,  l'Amérique  méridionale  en  compte 
encore  deux  autres  complètement  isolées  :  celle  qui  se 
trouve  à  l'embouchure  du  fleuve  de  la  Madeleine  ,  entre 
les  Cordillères  et  la  Nouvelle-Grenade ,  les  golfes  de  Darien 
et  de  Maracaibo ,  et  renfermant  la  Sierra-Kevada  de  Santa- 
Marta,  laquelle  occupe  une  superficie  de  3,740  myriamètres 
carrés  ;  et  la  grande  vallée  de  la  Guyane,  avec  une  super- 
ficie de  1,210  myriamètres  carrés,  et  s'étendant  au  nord-est 
du  plateau  de  la  Guyane  le  long  de  la  mer  Atlantique ,  où 
elle  forme  une  étroite  ceinture  de  côtes. 

Les  principaux  systèmes  hydrographiques  de  l'Amérique 
méridionale  ont  été  indiqués  en  môme  temps  que  ses  trois 
principales  vallées.  Ils  consistent  en  celui  de  l'Orénoque , 
celui  du  Maraîion  et  celui  de  la  Plata.  Indépendamment  de 
ces  grands  fleuves,  nous  devons  encore  mentionner  le  fleuve 
de  la  Madeleine,  qui  prend  sa  source  dans  la  Nouvelle-Gre- 
nade, sur  le  nœud  montagneux  de  los  Pastos,  coule  du  sud 
au  nord  entre  la  Cordillère  centrale  et  la  Cordillère  orien- 
tale, et  se  jette  dans  la  mer  des  Caraïbes,  après  un  parcours 
de  105  myriamètres  ,  après  avoir  reçu,  à  son  entrée  dans  la 
vallée,  les  eaux  de  la  rivière  appelée  Cauca,  qui  prend  sa 
source  aux  mêmes  lieux  que  lui  et  coule  da^is  la  même  di- 
rection à  travers  la  vallée  séparant  les  Cordillères  centrales 
des  Cordillères  occidentales;  le  Paranaiba,  au  Brésil,  qui 
prend  sa  source  dans  la  Serra  dos  Vertentes  sur  le  plateau 
brésilien,  et  va  se  jeter  dans  l'océan  Atlantique,  après  avoir 
coulé  dans  la  direction  du  nord-est  ;  le  San-Francisco,  autre 
cours  d'eau  du  Brésil ,  prenant  sa  source  dans  la  Serra- 
Negra  du  pjateau  brésilitn,  parcourant  la  vaste  vallée  qui 
s'étend  entre  la  Serra  do  Espinhaço  et  la  Serra  dos  Ver- 
lentes,  jusqu'au  moment  où  il  brise  la  terrasse  de  la  côte  en 
décrivant  à  l'est  une  courbe  pour  aller  se  jeter  dans  l'océan 
Atlantique  après  un  parcours  de  182  myriamètres;  enfin  le 
Rio  Colorado  et  le  Rio-Negro,  tous  deux  prenant  leur  source 
sur  le  versant  oriental  des  Cordillères  du  Chili  et  se  diri- 
geant au  sud-est,  qui  parcourent  la  plaine  de  Patagonie  et 
vont  se  jeter  dans  l'océan  Atlantique.  Sur  toute  la  côte  occi- 
dentale de  l'Américiue  du  Sud  on  ne  rencontre  pas  un  seul 
fleuve  de  quelque  iniporfancc.  Kn  fait  de  lacs,  il  n'y  a  guère 
que  ceux  de  Maracaibo  et  Tilicaca  qui  méritent  d'être  men- 
tioimés.  Le  premier,  lac  d'eau  douce  qui  couvre  une  super-  | 

lllLÏ.    UL    LA    OO.NVLKîAllO.N.    1.    U 


473 

ficie  de  275  à  333  myriamètres  carrés,  est  situé  au  nord  de 
la  Cordillère  orciilentalc  cl  à  l'ouest  des  côtes  de  Venezuela, 
dans  la  partie  occidentale  du  territoire  de  cetîe  république, 
et  se  relie  par  un  large  chenal  au  golfe  de  Maracaibo,  dans 
la  mer  des  Caraïbes.  Le  second,  dont  la  superficie  est  de  137 
myriamètres  carrés ,  est  situé  dans  le  haut  Pérou  ,  sur  les 
frontières  de  la  république  actuelle  du  Pérou  et  de  la  Bo- 
livie ,  sur  un  plateau  qu'entourent  les  pics  les  plus  élevés 
des  Cordillères,  à  une  élévation  de  3,980  mètres  au-dessus 
du  niveau  de  l'Océan.  Les  eaux  en  sont  salées ,  n'ont  point 
d'écoulement  et  sont  sans  communication  avec  la  mer.  Il  n'y 
a  qu'un  très-petit  nombre  d'îles  qui  dépendent  de  l'Amérique 
du  Sud.  Les  plus  considérables  sont  les  Gallopagos  dans 
le  Grand-Océan,  les  îles  Fa Ikland  dans  l'océan  Atlan- 
tique, et  la  Terre  de  Feuà  l'extrémité  méridionale  de 
l'Amérique ,  dont  elle  n'est  séparée  que  par  le  détroit  de 
Magellan ,  et  qui  forme  le  prolongement  insulaire  le  plus 
méridional  des  Cordillères. 

Le  climat  de  l'Amérique  du  Sud  est  dans  son  genre  aussi 
varié  que  celui  de  l'Amérique  du  Nord.  Si  celui  de  la  Terre 
de  Feu  peut  presque  être  appelé  un  climat  glacial,  et  si  dans 
les  montagnes  la  chaleur  diminue  à  mesure  que  le  sol  s'é- 
lève pour  atteindre  l'extrême  âpreté  de  la  nature  des  Alpes, 
en  revanche  la  chaleur  tropicale  la  plus  excessive  règne  sur 
les  côtes  sablonneuses  ou  désertes  de  l'Océan,  demêraeque 
dans  les  vallées  situées  sous  les  tropiques ,  et  plus  particu- 
lièrement sur  les  côtes  de  la  mer  des  Caraïbes  et  sur  celles 
de  la  Guyane;  circonstance  qui  rend  ces  deux  dernières 
contrées  les  plus  malsaines  de  toute  l'Amérique  du  Sud.  11 
ne  règne  pas  moins  de  contrastes  dans  son  système  d'irri- 
gation .  En  effet ,  tandis  que  la  côte  occidentale ,  baignée 
par  le  Grand- Océan,  de  même  que  les  plaines  situées  au 
delà  des  tropiques  à  l'est  des  Cordillères,  souffrent  en  gé- 
néral de  la  sécheresse ,  et  que  là  où  un  système  d'irriga- 
tion artificielle  ne  vient  pas  en  aide  à  la  végétation ,  elles 
participent  de  la  nature  des  steppes  ou  présentent  même 
tous  les  caractères  des  déserts,  les  parties  de  territoire 
placées  sous  les  tropiques ,  à  l'est  des  Cordillères ,  par 
suite  des  pluies  tropicales  qui  y  tombent  régulièrement,  et 
de  l'abondante  irrigation  qui  en  résulte ,  et  aussi  en  raison 
du  sol  généralement  gras  et  riche  en  humus  des  plaines 
et  même  des  montagnes,  appartiennent,  sauf  de  rares 
exceptions ,  aux  contrées  de  la  terre  où  la  végétation  se 
montre  le  plus  luxuriante.  Les  productions  naturelles  de 
l'Amérique  du  Sud  sont  donc  et  beaucoup  plus  nombreuses 
et  beaucoup  plus  abondantes  que  celles  de  l'Amérique  du 
Nord.  On  peut  dire  qu'en  ce  qui  est  des  trois  règnes  de  la 
nature,  l'Amérique  du  Sud  appartient  également  aux  con- 
trées du  globe  les  plus  riches  et  les  plus  favorisées.  Les 
habitants  de  l'Amérique  du  Sud,  au  nombre  d'environ 
16,500,000,  sont  de  races  diverses ,  en  partie  indiens 
ou  aborigènes,  en  partie  colons  émigrés  européens,  et 
en  partie  nègres.  Les  premiers,  avec  les  métis,  sont  au 
nombre  de  plus  de  6,000,000;  les  nègres  avec  les  mu- 
lâtres, au  nombre  de  3,700,000.  On  évalue  celui  des  blancs 
ou  créoles,  mais  parmi  lesquels  il  y  a  beaucoup  de  sang- 
niêlés,  à  environ  0,000,000  d'âmes.  Deux  peuples  européens- 
se  sont  plus  particulièrement  partagé  l'Amérique  du  Sud,. 
les  Espagnols  et  les  Portugais  :  les  premiers  s'établirent  sur 
la  côte  occidentale,  et  les  seconds  sur  la  côte  orientale. 
Quoique  la  domination  de  leur  mère-patrie  y  ait  cessé  de- 
puis plusieurs  années ,  le  caractère  de  ces  deux  peuples 
n'en  est  pas  moins  resté  vivement  accusé  dans  la  langue 
comme  dans  les  mœurs  du  pays;  et,  à  l'exception  des  pos- 
sessions relativement  sans  importance  des  Anglais,  des 
Hollandais  et  des  Français,  l'Amérique  méridionale  tout 
entière  peut  encore  être  divisée  aujourd'hui  en  partie  espa- 
gnole et  en  partie  portugaise.  Celle-ci  constitue  l'empire  du 
Brésil;  l'autre  se  composedes  républiques  de  la  Nouvelle- 
Gr€;.nade,  de  Venezuela,  de  l'Equateur,  qui  formaient 


474  AMERIQU 

autrefois  ensemble  la  république  de  Colombie;  et  en 
outre  (lesrépubliquesduPérou,  (le  la  Bolivie,  du  Chili, 
des  Provinces  unies  ou  union  de  la  Plat  a,  de  l'Uruguay 
et  du  Paraguay. 

Il  n'existe  point  d'histoire  de  l'Amérique  du  Sud  avant  la 
découverte  de  cet  hémisphère  par  les  Espagnols,  à  l'excep- 
tion de  celle  du  Pérou  sous  les  Incas,  attendu  que  tout 
le  reste  du  pays ,  habité  par  des  peuplades  indiennes ,  était 
demeuré  à  l'état  sauvage.  Cette  iiistoire  ne  commence 
qu'avec  les  découvertes  et  les  conquêtes  de  Colomb,  de 
Cabrai,  de  lialboa,  de  Diaz  de  Solis,  de  Magellan, 
de  P  i  z  a  r  r  e,  d' Almagro  et  d'Orelianos,  et  de  la  prise  de  pos- 
session du  sol  par  les  Espagnols  et  les  Portugais,  qui  en  fut 
le  résultat.  Depuis  lors  les  différentes  colonies  espagnoles 
portèrent  pendant  trois  siècles  le  lourd  joug  de  la  mère- 
patrie  ,  et  il  n'y  avait  rien  de  plus  oppressif  que  les  rap- 
ports de  dépendance  dans  lesquels  elles  se  trouvaient  vis-à- 
vis  de  l'Espagne.  C'est  ainsi  que  les  fonctions  publiques  et 
les  hautes  dignités  ecclésiastiques,  interdites  même  aux 
créoles ,  n'étaient  accessibles  qu'aux  seuls  individus  qui 
avaient  vu  le  jour  en  Espagne,  et  qui  abusaient  à  l'envi  de 
leur  privilège  pour  s'enrichir.  Le  commerce  y  était  soumis 
aux  plus  gênantes  entraves  ;  car  les  productions  des  colonies 
ne  ^louvaient  être  vendues  qu'à  des  Espagnols,  et  on  ne  pou- 
vait introduire  dans  les  colonies  d'auttes  marchandises '([ue 
celles  qui  étaient  expédiées  d'Espagne;  prohibitions  grâce 
auxquelles  la  contrebande  devait  nécessairement  y  prendre 
chaque  jour  de  plus  grands  développements.  La  culture  du 
tabac  constituait  un  monopole  royal,  et  se  trouvait  principa- 
lement entre  les  mains  des  Espagnols.  Il  était  interdit  de  cul- 
tiver dans  les  colonies  divers  produits  particuliers  à  la  mère- 
patrie,  notamment  la  vigne,  etc.  Les  marchandises  d'Eu- 
rope, qui  ne  pouvaient  être  importées  qu'à  bord  de  navires 
espagnols,  étaient  frappées  de  dfoits  de  douane  excessifs.  La 
plus  dure  oppression  pesait  sur  les  Indiens ,  surtout  dans 
les  districts  de  montagnes,  où  déjà  peu  de  temps  après  la 
conquête  ils  avaient  été  condamnés  à  exécuter  les  travaux 
les  plus  rudes  dans  les  mines.  L'agriculture  elle-même- était 
interdite  dans  ces  districts,  afin  qu'aucune  autre  occupation 
ne  vînt  distraire  leurs  habitants  de  l'exploitai  ion  des  veines 
mctalhfères  du  sol.  Il  était  en  outre  défendu  d'établir  des 
manufactures  dans  les  colonies ,  politique  dont  le  résultat 
était  d'y  étouffer  toute  industrie  dans  son  germe.  En  raison 
de  l'extrême  dissémination  de  la  population  sur  d'immenses 
territoires  ,  il  n'avait  pas  été  diflicile  aux  Espagnols ,  sauf 
quelques  dangereuses  insurrections,  qu'ils  réuSsirent  à  com- 
primer ,  de  bannir  toute  agitation  de  ce  pays  à  l'aide  d'un 
très-petit  nombre  de  soldats,  dételle  sorte  que  la  guerre  de 
la  succession  d'Espagne  et  môme  la  guerre  d'indépendance 
des  États-Unis  de  l'Amérique  septentrionale  n'apportèrent 
aucune  modification  à  l'état  de  l'Amérique  du  Sud  depuis  le 
seizième  siècle.  Les  conquêtes  faites  dans  le  Nouveau-Monde 
par  les  Espagnols  furent,  en  effet,  réunies  dès  l'année  1510 
par  Charles-Quint  à  la  couronne  de  Castille.  L'Amérique 
espagnole,  en  y  comprenant  la  vice-royauté  du  Mexique, 
occupait  au  temps  de  la  plus  grande  prospérité  de  la  mo- 
narchie une  superficie  d'environ  129,2ô0myriamètres  carrés, 
avec  une  population  de  près  de  J7  millions  d'habitants.  Jus- 
qu'en ISIO  le  pouvoir  législatif  sur  cet  immense  territoire 
fut  exercé  par  le  conseil  suprême  des  Indes,  qui  siégeait  à 
Madrid  ;  mais  la  puissance  executive  appartenait  à  des  gou- 
verneurs, investis  en  Amérique  des  pouvoirs  du  roi,  à  quatre 
vice-rois  et  à  cinq  capitaines  généraux  ,  dont  la  juridiction 
n'avait  d'ailleurs  aucune  connexité  sous  le  rapport  adminis- 
tratif. Les  revenus  de  la  couronne  étaient  évalués  en  moyenne 
à  180  millions  de  francs,  et  provenaient  en  grande  partie  de 
l'exploitation  des  mines.  Le  commerce  avec  ses  colonies  , 
dont  étaient  exclus  tous  les  étrangers ,  était  une  source  de 
profits  immenses  pour  l'Espagne.  Elle  y  importait  année 
•commune  pour  plus  de  300  millions  de  marchandises,  et 


E  DU  SUD 

en  tirait,  à  peu  près  pour  200  millions  de  produits'du  sol 
Des  neuf  gouvernements  que  comprenait  l'Amérique  espa- 
gnole, la  N'ouvelle-Espagne  ou  le  Mexique  et  la  capitainerie 
générale  de  Guatemala  appartenaient  à  l'Amérique  septentrio- 
nale. La  capitainerie  générale  de  la  Havane,  composée  de 
l'île  de  Cuba  et  de  la  Floride,  et  la  capitainerie  générale 
de  Porto-Rico ,  comprenant  l'île  du  même  nom,  la  partie 
espagnole  de  Saint-Domingue  (  voyez  Haïti  )  et  les  deux 
îles  Vierges  espagnoles ,  faisaient  partie  des  Indes  occi- 
dentales. Voici  quels  étaient  les  gouvernements  situés  dans 
r Aniérique  méridionale  :  1°  la  vice-royauté  de  la  Nou- 
velle-Gienade.  Les  premiers  établissements  espagnols  y 
dataient  de  1510.  Quand  ce  pays  eut  été  complètement  dé- 
couvert et  conquis,  en  1536,  l'administration  supérieure  en 
fut  confiée  en  1547  à  un  capitaine  général,  et  en  1718  à  un 
vice-roi.  2°  La  capitainerie  générale  de  Caracas  (  voyez 
CoLoiiBiK  et  Vénézléla).  Après  avoir  été  conquise  et  colo- 
nisée par  les  Espagnols,  cette  contrée  fut  concédée,  en  1528 
par  l'empereur  Charies-Quint,  à  titre  de  fief  de  Castille,  à  la 
famille  Welser,  d'Augsbourg,  en  payement  d'une  dette  con- 
tractée par  ce  prince  avec  cette  puissante  maison  de  banque. 
Mais  elle  la  perdit  dès  l'an  1550,  à  cause  de  l'abus  oppressif 
qu'elle  y  faisait  de  son  pouvoir;  ensuite  de  quoi  un  fonc- 
tionnaire de  la  couronne  y  fat  envoyé  avec  le  titre  de  capi- 
taine général.  3°  La  vice-royauté  du  Pérou.  4°  La  capitai- 
nerie générale  du  Chili,  contrée  découverte  en  1535  par  les 
Espagnols,  et  soumise  dès  l'an  1557,  à  l'exception  du  pays 
des  beUiqueux  Araucos.  5° La  vice-royauté  de  Buénos- 
Ayres  ou  Rio  de  la  Plata,  avec  les  provinces  de  Bu  en  os- 
A  y  r  e  s,  du  P  a  r  a  g  u  a  y  et  de  la  Plata,  et  qui  formait  la 
plus  vaste  des  colonies  espagnoles  de  l'Amérique  du  Sud. 
Le  premier  qui  découvrit  cette  contrée  fut  l'Espagnol  Juan 
Diaz  de  Solis,  en  1517.  Plus  tard,  en  1526,  le  Vénitien  Sé- 
bastien Cabot,  au  service  du  roi  d'Espagne,  remonta  le 
fleuve  de  la  Plata,  qu'il  nomma  Rio  de  la  Plata,  c'est-à-dire 
rivière  d'argent,  parce  que  les  Indiens  avec  lesquels  il  entra 
en  relation  sur  ses  rives  lui  apportèrent  beaucoup  d'argent 
provenant  de  Test  du  Pérou,  et  parce  qu'il  soupçonna  l'exis- 
tence dans  cette  contrée  de  riches  veines  argentifères.  Ce  ne 
fut  qu'en  1553  que  les  Espagnols  y  fondèrent  un  établisse- 
ment fixe.  Ils  construisirent  ensuite  Buénos-Ayres,  siège  du 
capitaine  général,  quoique  sous  le  rapport  administratif  ce 
pays  dépendit  du  Pérou.  Par  suite  du  monopole  exercé  par 
la  mère-patrie,  qui  n'expédiait  qu'une  flotte  par  an  dans  les 
eaux  de  la  Plata,  Buénos-Ayres  resta  pendant  quelque 
temps  fort  peu  connu  de  l'Europe.  Mais  la  contrebande  ne 
tarda  pas  à  exploiter  cette  riche  colonie  ;  en  conséquence,  en 
174S,  les  Espagnols  y  permirent  l'arrivée  de  ce  qu'on  appela 
les  vaisseaux  de  registre ,  et  qui,  pourvus  d'une  licence  du 
conseil  suprême  des  Indes,  purent  entrer  dans  les  eaux  de 
la  Plata  indifféremment  à  toutes  les  époques  de  l'année. 
Buenos  -.\yres  devint  alors  en  peu  de  temps  une  importante 
place  de  commerce.  Le  gouvernement  espagnol  ayant  dé- 
claré ports  francs  en  1778  sept  ports  de  la  monarchie  et 
cinq  autres  en  1785,  le  commerce  de  la  péninsule  avec 
Buénos-Ayres  et  avec  les  ports  de  la  mer  Pacifique  ne  se 
trouva  plus  limité  à  la  seule  place  de  Cadix.  Tout  le  terri- 
toire de  la  Plata  fut  en  même  temps  érigé  en  vice-royauté  ; 
et  par  suite  de  l'adjonction  qui  y  f\it  faite  des  districts  pé- 
ruviens de  Potosi,  de  Changata,  de  Porco,  d'Oruro,  de  Chu- 
quito,  de  la  Paz  et  de  Coranzas,  Buénos-Ayres,  considérée 
jusque  alors  uni([uement  comme  une  colonie  agricole ,  se 
trouva  posséder  des  mines  d'une  grande  richesse.  Cette 
vice-royauté  comprenait  :  a,  le  gouvernement  de  Buénos- 
Ayres;  b,  Las  Charcas  ou  le  Potosi,  colonisé  d'abord  par 
Pizarre  en  1533,  avec  Chuquisata  pour  chef-lieu,  et  Potosi, 
fondé  en  1547  ;  c,  le  Paraguay,  contrée  durement  tiaitée  par 
les  conquérants  espagnols,  jusqu'au  moment  oii,  en  1056,  les 
jésuites  en  obtinrent  la  direction  suprême  ;  d,  le  Tucuman, 
découvert  par  les  Espagnols  en  1543,  conquis  en  1549; 


ami'rique  du  sud 


e,  enfin  Cujo  ou  le  Cliili  oriental,  conquis  en  1 500,  et  remar- 
quable par  les  monuments  de  IVpoque  de  la  domination  des 
Incas  qui  s'y  sont  conservés. 

Les  événements  qui  firent  enfin  perdre  à  l'Espagne  ses 
colonies  furent  la  suite  du  système  colonial  si  oppressif  qui 
vient  d'être  esquissé ,  qui  n'avait  d'autre  base  qu'un  égoïste 
esprit  de  monopole  agissant  uniquement  dans  les  intérêts  de 
la  mére-patrie ,  et  que  son  extrême  injustice  avait  depuis 
longtemps  rendu  odieux.  L'arbitraire  le  plus  illimité  régnait 
d'ailleurs  dans  toutes  les  parties  du  système  administratif, 
comme  aussi  dans  la  distribution  de  la  justice.  Le  baut 
clergé  seul  jouissait  de  quelque  indépendance  ;  mais  le 
clergé  inférieur,  recruté  dans  les  classes  bourgeoises ,  et  le 
plus  souvent  composé  d'indigènes ,  n'avait  aucun  espoir  de 
voir  quelque  jour  sa  position  s'améliorer  ;  aussi  contribua- 
t-il  de  la  manière  la  plus  extivc  à  la  lutte  entreprise  par  les 
populations  des  colonies  pour  reconquérir  leur  indépen- 
dance. L'instruction  publique,  <iui  se  trouvait  aux  mains  des 
prêtres,  et  qui  précédemment  avait  été  placée  sous  la  direc- 
tion et  la  siu-veillance  suprêmes  des  jésuites ,  était  organisée 
de  manière  à  favoriser  avant  tout  les  intérêts  de  l'Église ,  et 
le  gouvernement  ne  négligeait  rien  pour  qu'il  en  fût  toujours 
ainsi.  Les  établissements  supérieurs  d'instruction  publique, 
les  universités,  en  général  ricbement  dotées ,  de  Lima ,  de 
Mexico ,  de  Santa-Fé  ,  de  Caracas  et  de  Quito ,  de  môme 
que  les  écoles  préparatoires  existant  dans  d'autres  villes , 
ne  jouissaient  de  quelque  liberté  d'enseignement  qu'en  ce 
qui  toucbe  l'étude  des  langues  anciennes,  ou  encore  des 
sciences  n'ayant  aucun  rapport  immédiat  avec  la  religion  ou 
la  politique.  La  philosophie  d'Aristote,  les  mathématiques, 
les  sciences  naturelles ,  la  médecine ,  la  jurisprudence ,  la 
minéralogie  et  même  les  beaux-arts  ne  laissèrent  pourtant 
pas ,  en  dépit  d'un  enseignement  décrépit ,  d'exercer  une 
heureuse  influence  sur  l'éducation  des  classes  blanches  su- 
périeures. L'Amérique  espagnole  put  donc  se  glorifier  au 
dix-huitième  siècle  d'avoû:  donné  le  jour  à  quelques  hommes 
qui  se  firent  un  nom  distingué  dans  les  sciences.  C'était 
principalement  dans  ce  qui  avait  trait  à  la  foi  religieuse  et 
aux  différentes  branches  des  sciences  politiques  que  pré- 
valait un  système  méticuleux  de  tutelle  et  de  restriction  ; 
mais  les  lumières  répandues  à  la  suite  de  voyages  faits  à 
l'étranger,  les  relations  commerciales ,  surtout  celles  avec 
l'Angleterre  ,  la  France  et  les  États-Unis,  et  la  contrebande 
des  livres  éclairèrent  beaucoup  de  têtes  parrm'  les  créoles, 
et  répandirent  des  semences  qui  plus  tard ,  lorsque  l'an- 
tique tyrannie  espagnole  s'écroula ,  produisirent  des  fruits 
merveilleux. 

Depuis  longtemps  les  créoles  sentaient  tout  ce  qu'avait 
d'ignominieusement  oppressif  le  joug  qu'on  faisait  peser  sur 
eux.  En  1750  un  Canadien,  appelé  Léon,  organisa  à  Caracas 
une  conspiration  qui  fut  découverte,  et  qui  lui  coûta  la  vie. 

En  1780  un  descendant  des  Incas,  José  Gabriel  Tupac 
Amaru ,  se  mit  à  la  tête  du  peuple  au  Pérou  ;  après  avoir 
inutilement  demandé  quelque  adoucissement  au  joug  écra- 
sant imposé  aux  Indiens ,  il  recourut  avec  ses  partisans  à 
l'emploi  des  armes.  Ce  fut  le  signal  d'un  soulèvement  général 
des  Indiens,  qui  réclamèrent  l'abolition  des  corvées  pour 
les  travaux  des  mines  et  de  toutes  les  iniques  mesures  lé- 
gislatives qui  faisaient  peser  sur  eux  la  plus  dure  des  oppres- 
sions. Une  guerre  dévastatrice  éclata  alors  sur  divers  points 
du  Pérou.  Tupac  Amaru  ,  qui  avait  pris  les  insignes  de  la 
dignité  impériale,  fut,  il  est  vrai,  fait  prisonnier,  et  le  gouver- 
nement espagnol  le  fit  périr  au  milieu  des  plus  cruelles  tor- 
tures ;  mais  les  Indiens  se  réunirent  encore  sous  la  conduite 
de  son  frère  Diego  Christoval  et  de  son  neveu  André.  Déjà 
ils  avaient  réussi  à  profondément  ébranler  la  domination 
espagnole  ;  mais  après  quelques  années  de  lutte,  leurs  chefs, 
séduits  par  des  promesses  aussi  brillantes  que  solennelles, 
consentirent  à  faire  leur  soumission  ,  ce  qui  n'empêcha  pas 
le  gouvernement  espagnol  de  les  envoyer  au  supplice. 


475 

En  1797  on  découvrit  encore  à  Caracas  une  conspiration 
tramée  par  quelques  créoles  et  quelques  Espagnols  pour 
opérer  une  révolution,  et  l'un  des  chefs  du  complot,  Espaûa, 
dût  payer  de  sa  vie  la  part  qu'il  y  avait  prise. 

Quand  la  guerre  éclata  de  nouveau,  en  1806,  entre  l'Angle- 
terre et  l'Espagne,  Francisco  IM  i  rand  a  se  rendit  à  Venezuela 
avec  l'assistance  de  l'Angleterre  à  l'effet  d'y  combattre  pour 
l'indépendance  de  l'Amérique  du  Sud ,  et  plus  tard  le  gou- 
vernement anglais  essaya  aussi  de  renverser  la  domination 
espagnole  à  Buénos-Ayres  ;  mais  l'une  et  l'autre  de  ces  ten- 
tatives demeurèrent  infructueuses. 

Cependant  les  habitants  des  colonies  acquéraient  de  plus 
en  plus  le  sentiment  de  leur  force  ;  et  le  désir  d'améliorations 
dans  leur  situation  politique  se  manifesta  avec  d'autant  plus 
de  vivacité ,  que  le  gouvernement  de  la  mère-patrie  faisait 
preuve  de  plus  de  faiblesse  dans  ses  rapports  avec  la  France. 
On  en  eut  la  preuve  lorsqu'à  Bayonne  la  famille  royale  eut 
abdiqué  la  couronne  d'Espagne  et  des  Indes.  Tous  les  vice- 
rois  et  capitaines  généraux  des  colonies,  à  l'exception  de 
celui  du  Mexique ,  se  soumirent  aux  décrets  de  Napoléon  ; 
mais  le  peuple  s'y  opposa ,  et  brûla  publiquement  les  pro- 
clamations faites  au  nom  du  nouveau  gouvernement.  Tous 
les  efforts  que  Napoléon  tenta  ensuite  pour  gagner  à  ses 
intérêts  les  populations  de  l'Amérique  échouèrent,  en  dépit 
de  ses  brillantes  promesses,  notamment  de  celle  de  droits 
politiques.  A  Caracas,  dès  le  mois  de  juillet  1808,  le  peuple 
se  déclara  en  faveur  de  Ferdinand  VII.  Des  juntes  s'éta- 
blirent à  Montevideo,  à  Mexico,  à  Caracas  et  dans  d'autres 
grandes  villes,  et  se  mirent  en  communication  avec  la 
junte  de  Séville.  Mais  la  plupart  des  gouverneurs  espagnols, 
au  lieu  de  diriger  un  tel  mouvement  avec  sagesse,  s'oppo- 
sèrent aux  premières  manifestations  d'indépendance  des  po- 
pulations américaines.  En  1809  le  vice-roi  de  la  Nouvelle- 
Grenade  ayant  employé  la  force  pour  dissoudre  la  junte  de 
Quito,  et,  au  mépris  de  l'amnistie,  ayant  fait  arrêter  un  grand 
nombre  de  patriotes,  dont  beaucoup  furent  égorgés  dans  les 
prisons,  ces  événements  décidèrent  le  soulèvement  des  co- 
lonies, auquel  ne  contribuèrent  pas  peu  d'ailleurs  la  per- 
suasion qu'on  eut  en  Amérique,  après  la  prise  de  Séville, 
que  l'Espagne  était  désormais  irrévocablement  soumise  à  la 
puissance  de  Napoléon  et  le  désir  qu'éprouvèrent  alors 
toutes  les  classes  de  la  population  d'échapper  au  sort  de  la 
mère-patrie.  Caracas  et  l'île  Sainte-Marguerite  donnèrent  le 
signal.  En  1810  la  junte  de  Caracas  s'empara  du  pouvoir,  et 
prit  le  titre  de  junte  supérieure ,  mais  tout  en  continuant  à 
exercer  le  pouvoir  souverain  au  nom  de  Ferdinand  VIL  Les 
fonctionnaires  supérieurs  furent  déposés  comme  suspects. 
Dès  la  même  année  les  juntes  de  Buénos-Ayres ,  de  Bogota 
et  du  Chili  imitèrent  l'exemple  de  celle  de  Caracas.  Dès  1809 
un  gouvernement  nouveau  s'était  établi  à  l\Iexico  au  nom  de 
Ferdinand  VII.  Le  vice-roi ,  qui  penchait  pour  le  parti  des 
amis  de  l'indépendance,  avait  été  assailli  par  les  vieux  Espa- 
gnols et  traité  comme  traître.  Le  nouveau  vice-roi,  Vénégas, 
s'efforça,  à  la  tète  du  parti  hispano-européen,  de  maintenir  le 
pays  sous  l'obéissance  du  gouvernement  des  certes  de  Cadix  ; 
mais  les  persécutions  dont  les  libéraux  devinrent  l'objet  de 
sa  part  ne  firent  que  hâter  l'explosion  de  la  révolution.  Au 
mois  de  septembre  1810  une  insurrection  formidable  éclata 
sous  la  direction  du  curé  de  Dolores ,  Miguel  Hidalgo  y 
Castello ,  homme  plein  de  talents  et  chéri  des  Indiens.  Elle 
se  propagea  si  rapidement ,  que  bientôt  Hidalgo  se  trouva  à 
la  tête  de  bandes  armées  assez  nombreuses  pour  qu'il  osât 
marcher  sur  la  capitale.  C'est  ainsi  que  dès  les  premières 
années  de  la  révolution  de  l'Amérique  du  Sud  différents 
mouvements  insurrectionnels  éclatèrent  '  à  la  fois  sur  les 
points  les  plus  oppœés ,  et  se  prêtèrent  un  appui  mutuel. 
Les  mesures  adoptées  par  les  Cortès  de  Cadix  ne  firent 
qu'exciter  davantage  les  colonies  à  combattre  pour  leur 
indépendance.  Sans  doute,  dès  le  mois  d'octobre  1810,  cette 
assemblée  avait  proclamé  l'égalité  civile  des  Américains ,  et 

60. 


476  AMERIQUE  DU  SUD 

leur  avait  accordé ,  comme  aux  habitants  de  la  péninsule ,  le 
droit  d'ôtro  représentes  et  d'envoyer  aux  cortès  un  député  par 
50j000  âmes.  Mais  lorsqu'il  s'agit  de  procé<ler  à  l'applica- 
tion de  cette  mesure,  les  cortès  virent  que  d'après  cette  pro- 
portion les  représentants  américains  seraient  beaucoup  plus 
nombreux  que  les  représentants  espajçnols  :  elles  décrétèrent 
en  conséquence  qu'aucun  individu  de  race  américaine  ne 
pomait  jouir  des  droits  politiques,  être  représentant  ni 
même  représenté ,  esi)érant  ainsi  assurer  la  prépondérance 
aux  députés  espagnols.  Alors  ce  fut  encore  de  Caracas  que 
partit  le  signal  pour  la  lutte  de  l'indépendance.  Miranda  y 
arbora  ,  vers  la  lin  de  1810 ,  l'étendard  de  la  liberté  ;  et  au 
mois  de  juillet  1811  le  congrès  de  Venezuela  proclamait 
l'indépendance  des  sept  États-Unis  de  Caracas,  de  Cumana, 
de  Varinas,  de  Barcelona,  de  Mérida,  de  Truxillo  et  de  Mar- 
garita.  En  même  temps  il  annonça  une  constitution  calquée 
sur  celle  des  États-Unis  de  l'Amérique  du  Nord.  Depuis  l'in- 
suiTcction  qui  avait  éclaté  à  Buénos-Ayres  en  mai  1810,  l'es- 
prit d'indépendance  ne  s'était  pas  développé  avec  moins  d'é- 
nergie dans  les  provinces  de  la  Plata ,  où  le  peuple ,  sous  le 
rapport  de  la  civilisation  et  du  caractère  moral ,  l'emportait 
sur  la  plupart  des  populations  hispano-américaines,  et  d'où 
aussi  les  idées  de  liberté  et  d'indépendance  se  propagèrent 
rapidement  dans  les  autres  colonies.  C'est  à  Mexico  seule- 
ment que  les  premières  tentatives  des  amis  de  l'indépen- 
dance avaient  été  suivies  d'insuccès.  Hidalgo,  qui  manquait 
d'armes  et  de  munitions ,  abandonna  tout  à  coup  la  route 
de  la  capitale  pour  battre  en  retraite.  Le  vice-roi  rejeta 
toutes  les  propositions  d'acconunodement  qui  lui  furent 
faites ,  et  Calleja ,  commandant  en  chef  des  forces  espa- 
gnoles ,  mettant  à  profil  l'hésitation  d'Hidalgo ,  attaqua  et 
battit  les  patriotes  mexicains  au  mois  de  mai  1811.  Hidalgo, 
fait  prisonnier  par  trahison,  mourut  sur  l'échafaud.  Les  ré- 
voltantes cruautés  commises  par  les  vainqueurs  ravivèrent 
le  feu  de  l'insurrection.  En  vain  l'Angleterre,  au  moment 
où  elle  avait  contracté  alliance  avec  les  cortès ,  s'était  ef- 
forcée de  maintenir  les  colonies  espagnoles  sous  l'autorité 
delà  mère-patrie  et  dès  1810  avait  émis  le  vœu  de  voir  les 
juntes  américaines  se  rattacher  aux  cortès.  En  1811  les 
cortès  acceptèrent  bien  l'offre  de  médiation  faite  par  la 
Grande-Bretagne  dans  leur  différend  avec  les  colonies  ; 
mais  elles  rejetèrent  ses  propositions,  de  même  que  celles 
des  députés  américains  venus  négocier  une  réconciliation 
avec  l'Espagne ,  notamment  la  concession  de  la  liberté  du 
commerce  que  l'Angleterre  stipulait  pour  l'Amérique  et  pour 
elle-même.  Le  vieil  esprit  de  monopole  au  profit  de  la  mère- 
patrie,  qui  dominait  parmi  les  cortès,  déjoua  tous  les  efforts 
des  négociateurs.  La  régence  de  Cadix,  après  avoir  déclaré 
la  côte  de  Venezuela  en  état  de  dIocus,  envoya  des  renforts 
en  troupes  fraîches  à  la  Vera-Cruz ,  à  Caracas ,  à  Monte- 
Video  et  sur  d'autres  points  encore ,  à  l'effet  de  soumettre 
les  colonies  par  la  force  des  armes.  Elle  fit  preuve  en  toute 
occasion  de  la  haine  la  plus  violente  pour  les  Américains , 
et  les  généraux  espagnols  dans  le  Nouveau-Monde  furent  les 
premiers  à  donner  l'exemple  de  la  violation  des  traités  et 
des  plus  révoltantes  cruautés  exercées  à  l'égard  des  prison- 
niers. Les  atrocités  commises  au  Mexique  par  Calleja ,  par 
le  général  Monteverde  à  Caracas,  par  le  général  Guyenoche 
au  Pérou,  où  une  insurrection  avait  éclaté  dès  1809,  et  l'ap- 
probation donnée  à  toutes  ces  horreurs  par  la  régence  et  les 
cortès  de  Cadix ,  aigrirent  tellement  les  Américains  qu'on 
iSll  toutes  les  colonies  se  déclarèrent  indépendantes  de  la 
mère-patrie.  Les  juntes  américaines  défendirent  résolument 
leur  indépendance  ;  et  depuis  lors  la  lutte  se  continua  long- 
temps encore  sur  quatre  points  principaux ,  à  Caracas  et 
dans  la  Nouvelle-Grenade,  à  Buénos-Ayres  et  au  Chili  qui  l'a- 
voisino,  au  Mexique,  et  plus  tard  au  Pérou.  On  y  vit  le  plus 
souvent  de  petites  armées  combattre  sur  d'immenses  surfaces 
de  terrain  avec  un  acharnement  sauvage  pour  ou  contre  la 
cause  de  l'indépendance,  jusqu'à  ce  que  la  lutte  se  termin<i 


AMESTRIS 


en  1824  ,  par  une  bataille  décisive  qui  fonda  à  jamais  l'in- 
dépendance politique  des  nouveaux  États  (  voyez  les  arti- 
cUs  C0L0.MB1E ,  Union  de  la  Plata  ,  Chili  ,  Mexique  et 
Pliiou  ).  —  On  trouvera  l'historique  de  l'autre  partie  princi- 
pale del'Amérique  du  Sud,  des  colonies  portugaises,  àl'article 
llnÉsiL. 

AMERS,  SDbstances  ainsi  nommées  à  cause  de  leur  sa- 
veur. Elles  constituent  avec  les  ai^tringents  la  classe  des 
médicaments  toniques.  Quelques-unes  jouissent  de  pjoprié- 
lés  purgatives  :  la  rhubarbe,  l'aloès,  la  coloquinte,  etc.;  mais 
alors  on  les  range  parmi  les  purgatifs  et  non  parmi  les 
amers.  Les  amers  ont  pour  effet  de  raffermir  la  fihre  orga- 
nique ,  d'augmenter  la  consistance  des  tissus  et  de  favoriser 
ainsi  les  mouvements  circulatoires  et  la  résolution  des  mala- 
dies. Leur  action  est  en  général  lente  et  insensible.  A  quoi 
doivent-ils  de  produire  celle  action  .'  On  l'ignore  ;  toutefois, 
on  suppose  que  c'est  en  se  combinant  moléculairement  avec 
le»  différentes  parties  de  notre  organisme.  Les  plus  em- 
l>loyés  d'entre  les  toniques  amers  sont  :  la  gentiane ,  le  hou- 
blon ,  le  trèfle  d'eau  ,  l'absinthe ,  la  centaurée  ,  la  pensée  sau- 
vage, le  Colombo ,  le  quassia  amara,  la  chicorée ,  le  lichen 
(l'Islande.  Les  uns  contiennent  du  tannin,  les  autres  des  ex- 
traits, qui  en  sont  les  parties  actives.  Ils  conviennent  spécia- 
lement aux  constitutions  molles  et  lymphatiques,  dans  les 
cachexies ,  contre  le  scorbut,  les  scrofules,  les  affections  cu- 
tanées, etc.  D''  Delasiauve. 

En  tnarine,  on  donne  le  nom  d'amers  à  certains  objets  re- 
marqués sur  une  côte,  soit  qu'ils  s'y  trouvent  naturellement, 
comme  un  rocher,  un  arbre,  etc.,  soit  qu'ils  y  aient  été 
placés  à  dessein,  comme  une  tour,  une  colonne,  un  moulin. 
Ce  sont  là  pour  les  navigateurs  comme  autant  de  jalons  qui 
leur  tracent  la  route  à  suivre  en  entrant  dans  une  baie,  un 
port,  un  chenal,  ime  passe,  afin  d'éviter  lesécueils  et  les 
brisants.  On  doit  au  reste  éviter  de  choisir  des  arbres  pour 
amers;  car  ou  ne  peut  pas  compter  sur  leur  durée. 

AMÉRYTES.  C'est  le  nom  d'une  de  ces  petites  dynas- 
ties qui  s'élevèrent  en  Andalousie  sur  les  débris  de  la  mo- 
narchie des  Ommiades.  Les  Amérytes  descendaient  du  cé- 
lèbre Abou- Amer-Mohammed- A 1  m  a  n  z  o  r.  Ils  régnèrent  à 
Valence  de  l'an  1031  jusqu'au  commencement  du  douzième 
siècle. 

AMES  (Fishër),  célèbre  orateur  américain,  naquit  à 
Dedham  (Massachusets)  le  9  avril  1758.  Fils  de  Nathaniel 
Ames,  médecin  qui  publia  [fendant  quarante  ans  un  alma- 
nach  populaire,  il  prit  ses  grades  à  l'université  de  Harvard 
et  exerça  la  profession  d'avocat.  H  se  fit  connaître  par  quel- 
ques articles  de  journaux ,  fut  élu  membre  de  l'assemblée 
de  sa  province  en  1788,  puis  envoyé  au  congrès.  Son  élo- 
quence le  fit  surnommer  par  ses  compatriotes  le  Burke 
américain.  L'effet  d'un  de  ses  discours  fut  tel  qu'un  des 
membres  de  l'assemblée  se  défendit  de  voter  sous  l'impres- 
sion de  ce  qu'il  venait  d'entendre.  Sa  santé  s'étant  altérée, 
Ames  se  retira  des  affaires  publiques.  Dans  sa  retraite  il 
essaya  de  combattre  par  des  écrits  les  principes  révolution- 
naires qui  prévalaient  en  France.  Il  mourut  le  4  juillet  1808. 
C'était  un  homme  ardent  et  religieux.  Il  disait  qu'il  est  im- 
possible dêtre  éloquent  sans  lire  la  Bible.  Le  docteur  Kirk- 
land  publia  en  1809  les  Œuvres  de  Fisher  Ames,  avec  un 
portrait  el  une  biographie  de  l'auteur.  Ses  Essais  sur  Vin- 
fluence  de  la  démocratie  ont  été  réimprimés.  Z. 

ÂMES  ( Transnugration  des).  T'oyes  Métempsycose. 

AMESTRIS,  femme  de  Xerxès,  roi  de  Perse.  Ce  prince, 
étant  devenu  éperdument  amoureux  d'Artaynte,  femme  de 
son  frère  Masiste,  voyant  ses  feux  dédaignés  et  voulant 
toutefois  arriver  à  satisfaire  sa  passion,  maria  la  fille  de  Ma- 
siste à  l'héritier  présomptif  de  la  couronne,  à  Darius,  son  fils. 
Mais  ArtajTite  persista  dans  son  inexorable  rigueur.  Alors 
le  roi  .séduisit  sa  belle-fille.  Celle-ci  lui  demanda,  en  preuve 
de  son  amour,  une  robe  magnifique  qu'Amestris  avait  bro- 
dée pour  lui.  Xerxès  se  rendit  ù  ses  désirs,  et  l'impitidente 


AMESTRIS  —  AMEUBLEMENT 


477 


s'en  para.  La  reine  furieuse  contre  Artayntc,  saisit  une  oc- 
casion solennelle,  où,  suivant  un  antique  usage,  le  roi  devait 
lui  accorder  tout  ce  qu'elle  lui  demanderait,  pour  obtenir 
qu'elle  lui  fût  livrée.  Dès  qu'elle  l'eut  en  son  pouvoir,  elle 
lui  fit  couper  le  n  z,  les  oreilles,  les  paupières,  la  langue  et 
le  sein,  et  ordonna  que  ces  tristes  débris  fussent  jetés  au\ 
chiens.  Masiste  voulut  se  venger,  mais  des  cavaliers  en- 
voyés contre  lui  le  massacrèrent.  Amestris  offrit  alors  en 
sacrifice  aux  dieux  infernaux  ,  qui  l'avaient  si  bien  servie, 
quatorze  jeunes  nobles  qu'elle  fit  enterrer  vivants. 

Une  autre  Amestris,  fille  d'Oxathre,  et  fille  du  roi  Darius, 
fut  d'abord  mariée  par  Alexandre  à  Cratère  ;  elle  épousa  en- 
suite Lysimaque  :  quelques  auteurs  lui  attribuent  la  fonda- 
lion  d'Ame>tris  en  Paphlagonie,  aujourd'hui  Amassérah. 

AMÉTHYSTE  (du  grec  «(iéSycTo;,  qui  n'est  pas  ivre). 
Les  anciens  avaient  ainsi  appelé  cette  pierre,  parce  qu'ils 
croyaient  que,  portée  au  doigt  ou  bien  suspendue  au  cou, 
elle  avait  la  propriété  de  préserver  de  l'ivresse,  ou  du  moins 
d'atténuer  les  effets  ordinaires  de  libations  trop  abondantes. 
Les  riches  «e  faisaient  faire  des  coupes  d'améthyste,  et  l'art 
ie  la  gravure  en  rehaussait  encore  la  valeur  intrinsèque  par 
la  délicatesse  el  le  fini  des  ornements  emblématiques  dont  il 
s'efforçait  de  les  enrichir.  On  attribue  au  célèbre  graveur 
sur  pierres  fines  Dioscorides  une  tête  qu'on  dit  être  celle 
de  Mécène ,  el  qui  orne  un  des  plus  beaux  échantillons  d'a- 
méthyste qui  existent.  —  Chez  les  Juifs ,  l'amélhyste  était 
une  des  douze  pierres  dont  était  composé  le  pectoral  du 
grand  prêtre,  sur  lequel  elle  occupait  le  neuvième  rang.  — 
Longtemps  regardée ,  même  par  les  naturalistes ,  comme 
une  pierre  précieuse,  l'améthyste  n'est  pas  autre  chose 
qu'une  variété  de  quartz  ou  de  cristal  de  roche  coloré  en 
violet  plus  ou  moins  foncé.  Quand  sa  couleur  est  belle,  elle 
a  de  l'éclat  et  par  suite  de  la  valeur.  Comme  on  s'en  sert 
pour  orner  l'anneau  des  évêques ,  on  l'appelle  quelquefois 
aussi  pierre  d'évêque.  L'améthyste  est  assez  commune  en 
Sibérie,  en  Allemagne  et  en  Espagne ,  où  on  la  rencontre  en 
général  dans  les  montagnes  qui  ont  des  filons  métalliques. 

L'amélhyste  dite  orientale  n'est  point  un  quartz ,  mais 
un  corindon  hyalin  violet.  Elle  se  distingue  facilement  de 
l'améthyste  occidentale  ou  quartz  hyalin  violet,  par  sa 
nuance  pourprée,  par  sa  dureté,  et  par  sa  pesanteur  spéci- 
fique qui  est  quatre  fois  celle  de  l'eau  ,  tandis  que  la  densité 
du  quartz  hyalin  violet  n'est  que  2,7  environ. 

AMÉTHYSTE  (Fausse).  l'oye-;  Fluorine. 

AJUEUBLEMEKT  ,  nom  que  l'on  donne  à  la  réunion 
de  meubles  nécessaires  ou  superflus  que  renferme  un  appar- 
tement. Il  faut  une  suite  de  pièces  composant  un  apparte- 
ment complet  pour  employer  le  mot  ameublement  :  quand 
il  est  question  du  pauvre,  on  dit  ses  meubles,  et  non  son 
ameublement.  On  se  sert  encore,  avec  plus  de  justesse,  du 
mot  ameublement  quand  il  s'agit  d'un  hôtel  ou  d'un  palais. 

Les  anciens  nous  ont  laissé  peu  de  renseignements  sur 
leurs  ameublements.  Dans  la  Bible,  comme  dans  les  poèmes 
d'Homère ,  il  n'est  guère  question  que  de  lits ,  de  tables, 
de  coffres,  de  lampes,  de  tentures  attachées  en  draperies 
sur  les  parois  des  murailles.  Il  est  vrai  que  ces  meubles 
sont  incrustés  d'or,  d'ivoire ,  de  pierres  précieuses ,  et  que 
les  tentures  sont  teintes  dans  la  pourpre.  Mais  il  ne  faut 
pas  plus  se  laisser  séduire  par  ce  luxe  des  Orientaux,  si 
poétique  et  tant  vanté,  que  par  celui  qu'étalent  les  grands 
seigneurs  de  Pologne  et  de  Russie ,  dont  les  maisons  sont 
si  incommodes  à  habiter,  et  qui  à  côté  d'un  salon  rempli 
de  marbres  et  de  bronzes  d'Italie  occupent  une  chambre  à 
coucher  sans  rideaux  et  laissent  dormir  leurs  gens  à  terre. 
On  peut  en  dire  autant  de  ces  magnifiques  ameublements  des 
harems  de  la  Turquie  et  de  l'Inde,  où  les  diamants,  les  perles, 
les  broderies,  sont  prodigués  et  se  résument  en  quelques 
portières,  des  divans  et  quelques  carreaux  ;  mais  le  prix  des 
tapis  qui  recouvrent  les  planchers  donne  un  aspect  de 
somptuosité  à  ces  demeures  où  l'on  passe  le  temps  à  ra- 


conter des  fables,  h  entendre  les  pendules-serinettes  de 
Paris ,  à  s'engraisser  de  pilau  ou  à  dormir. 

Les  Chinois  nous  semblent  être  le  peuple  de  l'Asie  qui  a 
le  plus  multiplié  et  le  plus  diversifié  les  objets  dont  se  com- 
pose un  ameublement.  Mais  en  Europe  ce  sont  les  Anglais 
qui  l'emportent  pour  la  commodité,  la  recherche,  l'élégance 
et  la  magnificence.  Les  hôtels  de  Londres ,  et  surtout  les 
chùtcaux  répandus  dans  les  différents  comtés  de  l'Angle- 
terre ,  sont  des  musées  où  les  productions  des  arts  et  de 
l'industrie  de  toutes  les  parties  du  monde  sont  rassemblées, 
afin  que  dans  les  plus  petits  détails  le  bien-être  que  peut 
comporter  la  vie  matérielle  se  trouve  joint  aux  satisfac- 
tions de  l'intelligence  ;  car  les  livres  précieux  ne  couvrent 
pas  moms  les  rayons  de  la  bibliothèque,  les  cartons  de 
dessin  ne  chargent  pas  moins  les  consoles ,  que  les  por- 
celaines du  Japon  n'encombrent  les  vaisselliers.  Un  ordre 
extrême  a  pour\'u  à  cet  ameublement  et  y  veille  sans  relâche, 
j  Un  noble  duc  de  Leinster,  ennuyé  de  ce  que  ses  gens  cas- 
saient de  faïence  et  de  verreries ,  les  fit  manger  à  l'office  et 
à  la  cuisine  dans  des  assiettes  d'argent,  et  boire  dans  des 
gobelets  du  même  métal.  Ce  n'est  que  lorsqu'il  lui  est  im- 
possible d'y  atteindre  que  l'Anglais  se  refuse  ces  sortes  de 
jouissances,  dont  un  des  grands  inconvénients  est  de  le  rendre 
exigeant,  malheureux  et  insupportable  lorsqu'il  sort  de  son 
pays.  La  France,  malgré  les  immenses  progrès  qu'elle  a  faits 
en  ce  genre  depuis  le  commencement  du  siècle,  diffère  pres- 
que autant  de  l'Angleterre  que  lltalie  et  i'Ëspagno  diffèrent 
de  la  France. 

Sous  le  règne  de  Louis  Xrv,  temps  de  créations  et  de 
perfectionnements,  on  n'avait  imaginé  que  fort  peu  de  chose 
pour  la  commodité  et  l'agrément  des  habitations.  Madame 
de  Sévigné  recommande  à  sa  fille ,  qui  vient  de  Grignan 
passer  l'hiver  à  Paris,  d'apporter  une  tapisFcrie  pour  tendre 
la  chambre  où  elle  doit  loger.  A  l'exemple  du  grand  roi,  on 
comptait  pour  rien  ce  qui  n'avait  que  la  commodité  pour 
objet.  C'est-ainsi  que  madame  de  Maintenon,  vieille,  malade, 
souffrant  du  froid  dans  sa  vaste  chambre  à  Versailles,  ne 
pouvait  s'y  entourer  de  paravents,  parce  que,  disait  Louis,  les 
paravents  dérangeaient  la  symétrie.  Les  tapisseries ,  même 
celles  des  Gobelins,  passèrent  de  mode  au  dix-huitième 
siècle  ;  on  y  substitua  les  tentures  en  damas,  lampas  et  au- 
tres étoffes  fabriquées  à  Lyon  ;  les  canapés  ,  les  fauteuils, 
les  voyeuses,  devant  être  semblables  aux  tentures,  les 
dames  ne  travaillèrent  plus  à  leur  ameublement ,  comme 
elles  s'en  étaient  fait  im  mérite  jusque  alors.  Les  métiers  à 
faire  le  petit  et  le  gros  point  furent  relégués  dans  les  garde- 
meubles  ,  et  on  remplaça  ces  massives  machines  par  un 
léger  métier  à  broder  et  par  un  piano  ;  car  le  temps  que 
demandait  la  façon  d'un  ameublement  de  salon  commen- 
çait à  se  diviser  entre  diverses  études.  La  mode  la  plus 
raisonnable  fut  celle  de  boiser  les  appartements  ;  au  moyen 
d'une  peinture  blanche  vernie,  de  quelques  sculptures  légè- 
rement dorées  et  de  hautes  glaces,  on  eut  des  appartements 
fort  élégants ,  fort  gais ,  qui  laissaient  au  goût  le  choix  da 
leur  ameublement. 

Tout  fut  grec ,  tout  fut  romain  à  la  suite  de  notre  révo- 
lution de  1789;  les  gens  du  monde  ne  décidèrent  plus  de  la 
mode:  ils  s'en  rapportèrent  aux  artistes.  Ceux-ci,  sans 
considérer  que  les  anciens  vivaient  très-peu  chez  eux,  firent 
exécuter  des  ameublements  de  belles  mais  de  tristes  for- 
mes :  ce  goût,  que  l'on  appelait  sévère,  fut  poussé  jusqu'à 
la  manie  :  on  aurait  volontiers  fait  souper  les  Parisiens 
couchés  comme  chez  Lucullus ,  et  sons  des  portiques  ouverts 
comme  à  Milet  ou  à  Corinthe.  Le  gothique  vint  plus  tard  à 
la  mode.  Le  goût  est  plus  sage  aujourd'hui ,  mais  moins  pur; 
car  les  formes  contournées,  recoquillées ,  à  la  Louis  XV t 
s'éloignent  du  beau  en  ameublement  comme  les  tableaux  de 
Boucher  s'en  éloignent  en  peinture. 

On  ne  peut  guère  citer  les  ameublements  de  l'Italie  et  à<6 
l'Espagne ,  où  l'on  imite  les  modes  ou  françaises  ou  an- 


478 


AMEUBLEMENT  —  AMIABLES 


glaises,  quand  on  ne  se  borne  pas  aux  nattes ,  aux  fauteuils 
de  rotin  et  au  petit  nombre  de  meubles  nécessaires  dans  les 
climats  chauds.  On  pourrait  citer  l'Allemagne  comme  un 
modèle  d'économie  en  fait  d'ameublements  :  il  suffit  de 
Toir  les  appartements  des  archiduchesses  à  Vienne  pour 
concevoir  l'idée  de  la  simplicité  et  de  l'indifférence  de  cette 
cour  quand  il  ne  s'agit  que  de  luxe.  Au  reste ,  la  somptuosité 
et  la  recherche  dans  les  ameublements  annoncent  toujours 
une  vanité  et  un  penchant  à  la  mollesse.  Autant  le  bon  goût 
et  une  propreté  exquise  doivent  se  remarquer  dans  un  ameu- 
blement, autant  il  est  ridicule  d'y  déployer  de  la  magni- 
ficence quand  on  ne  peut  en  justifier  l'obligation.  Tel ,  à 
Paris ,  après  avoir  fait  décorer  à  grands  frais  un  apparte- 
ment ,  en  avoir  fait  admirer  l'ameublement  à  ses  amis ,  a 
été ,  le  soir  môme  où  il  devait  l'occuper,  coucher  dans  une 
prison  pour  dettes. 

Comme  on  donne  le  nom  d'ameublement  à  tout  ce  que 
renferme  une  maison ,  depuis  la  batterie  de  cuisine  jusqu'aux 
sofas ,  lustres  ,  torchères  et  décorations  decliemim'es ,  on  peut 
appliquer  à  l'ameublement  ce  précepte,  trop  souvent  oublié, 
de  la  méthode  lancastérienne:  que  chaque  chose  ait  une  place, 
et  que  chaque  chose  soit  à  sa  place.  C"*^  de  Bradi. 

AMEUBLISSEjVIENT.  En  terme  d'agriculture ,  c'est 
une  opération  qui  a  pour  but  de  rendre  les  terres  plus  lé- 
gères ,  plus  meubles ,  plus  mobiles ,  c'est-à-dire  plus  aptes  à 
permettre  aux  racines  des  végétaux  de  s'étendre  dans  tous 
les  sens,  et  à  laisser  aux  eaux  un  libre  passage;  ce  à  quoi 
l'on  parvient  en  les  labourant ,  en  brisant  les  mottes  à  l'aide 
de  la  pioche ,  en  enlevant  les  pierres ,  en  mêlant  au  sol  des 
substances  étrangères,  comme  du  sable,  delà  marne,  du 
fumier,  de  la  cendre ,  etc. 

AAIEUBLISSEMEIVT  (Clause  d'),  terme  de  droit, 
qui  désigne  une  des  modifications  les  plus  importantes  que 
peut  subir  la  communauté  légale  dans  le  mariage.  Si  les 
époux  peuventrestreindre  l'étendue  légale  de  la  communauté 
par  la  réalisation  ou  la  stipulation  de  propre ,  ils  peuvent 
aussi  l'élargir,  et  de  même  qu'ils  peuvent  exclure  de  leur 
société  tout  ou  partie  de  leurs  meubles  qui  de  droit  commun 
y  entreraient ,  de  même  ils  peuvent  y  faire  entrer  tout  ou 
partie  de  leurs  inuneubles  qui  en  principe  en  sont  exclus. 
Toute  clause  dont  tel  est  l'objet  se  nomme  clause  d'ameu- 
blissement. 

Le  mot  ameublisseinent  ne  doit  pas  se  prendre  à  la 
lettre.  Il  signifie  non  pas  que  les  immeubles  seront  réputés 
meubles ,  mais  tout  simplement  qu'ils  leur  ressembleront 
en  ce  qu'ils  entreront  dans  la  communauté.  L'ameublisse- 
ment  est  général  quand  il  comprend  l'universalité  des  im- 
meubles, et  particulier  quand  il  ne  comprend  que  certains 
immeubles  spécialement  désignés.  Il  est  déterminé  quand 
l'époux  a  déclaré  ameublir  et  mettre  en  communauté  un  tel 
immeuble  en  tout,  ou  jusqu'à  concurrence  d'une  certaine 
somme.  Il  est  indéterminé  quand  l'époux  a  simplement  dé- 
claré apporter  en  communauté  ses  immeubles ,  jusqu'à  con- 
currence d'une  certaine  somme  (  Code  Napoléon ,  art.  150G). 
L'effet  et  la  portée  de  chacun  de  ces  ameublissements  sont 
fixés  par  les  articles  1507  et  I50S  du  CoJe  Napoléon. 

AMHARA  (Royaume  d').  Voyez  Gondar. 

AMIIERST  (William  PITT,  comte  d'),  né  en  1773  , 
héritade  son  oncle,  le  général  baron  Ambeist  de  Holmesdale. 
Celui-ci  commanda  deux  fois  en  chef  les  forces  de  terre  de 
la  Grande-Bretagne,  et  reçut  en  17761e  titre  de  baron,  qu'il 
transmit  à  sa  mort,  en  1797,  à  son  neveu,  qui  fut  lui-même 
créé  comte  en  1826.  Élevé  à  l'école  du  ministre  Pitt,  lord 
Amherst  se  conduisit  dans  tous  les  emplois  qui  lui  fuient 
confiés  d'après  les  principes  les  plus  rigoureux  du  torysme. 
Peu  après  son  retour  d'une  mission  diplomatique  dans  la 
haute  Italie,  la  Compagnie  des  Indes,  reconnaissant  la  né- 
cessité d'envoyer  une  ambassade  à  la  Chine,  pour  mettre 
un  terme  aux  difficultés  et  aux  entraves  que  le  commerce 
anglais  avait  sans  cesse  à  combaltre  d;ms  ce  pays,  le  choisit 


pour  son  ambassadeur;  it  quitta  l'Angleterre  en  1S16,  ac- 
compagné d'une  suite  nombreuse. 

Le  gouvernement  anglais  ne  pouvait  choisir  un  moment 
plus  inopportun  pour  une  semblable  entreprise.  Non-seule- 
ment la  Chine  était  alors  agitée  par  des  dissensions  intes- 
tines ,  mais  l'empereur  était  lui-même  violemment  irrité 
contre  les  Européens,  par  suite  d'un  attentat  à  sa  propre 
vie  dont  on  accusait  les  missionnaires ,  et  pour  lequel  un 
évêque  catholique  avait  déjà  été  exécuté.  La  suite  ne  jus- 
tifia que  trop  les  craintes  que  l'état  des  choses  faisait  naître 
pour  le  succès  de  l'ambassade.  Les  officiers  chinois  affec- 
tèrent la  plus  grande  hauteur  envers  l'envoyé  de  la  Grande- 
Bretagne.  Des  questions  d'étiquette  l'empêchèrent  d'arriver 
jusqu'à  la  résidence  de  la  cour,  et  il  dut  s'en  retourner  sans 
avoir  atteint  le  but  de  son  voyage.  A  peine  était-il  parti  que 
l'empereur  ,  dans  un  édit  impérial ,  rejeta  la  faute  sur  ses 
mandarins,  qui,  disait-il,  ne  l'avaient  pas  suflisamment  in- 
formé de  ce  qui  s'était  passé. 

A  son  retour,  lord  Amherst  fit  naufrage,  mais  parvint 
toutefois  heureusement  à  Batavia  avec  la  grande  chaloupe 
du  vaisseau.  Il  eut  à  Sainte-Hélène  un  long  entretien  avec 
Napoléon,  et  revmt  en  Angleterre  en  1817,  sans  avoir  été 
plus  heureux  dans  sa  mission  que  lord  Macartney  vingt- 
trois  ans  auparavant.  Il  n'a  pas  publié  la  relation  de  son 
voyage;  mais  le  capitaine  Élie  et  le  médecin  de  l'expédition 
Abel  en  ont  donné  chacun  à  part  quelques  fragments. 

Sa  nomination  au  poste  important  de  gouverneur  gé- 
néral des  Indes  orientales,  qui  eut  lieu  en  1823,  prouve 
qu'il  sut  faire  apprécier  les  difficultés  qui  s'étaient  oppo- 
sées à  la  réussite  de  sa  mission.  Il  sut,  dans  ce  nouveau 
poste,  s'acquitter  de  ses  fonctions  à  la  grande  satisfaction  du 
ministère,  bien  qu'on  l'ait  accusé  d'une  trop  grande  Févé- 
rité.  Ces  plaintes  étant  parvenues  à  Canning,  ce  ministre 
répondit  :  '<■  Il  me  paraît  aussi  incroyable  que  lord  Amherst 
soit  devenu  un  tyran  ,  que  si  l'on  me  disait  que  son  séjour 
dans  les  Indes  Ta  changé  en  tigre.  »  Ce  fut  sous  son  admi- 
nistration qu'eut  lieu  la  guerre  des  Anglais  contre  le  puis- 
sant empire  des  Birmans.  Lorsque  lord  Benlinck  fut  nommé 
en  1828  pour  lui  succéder,  lord  Amherst  revint  en  Anglr- 
tefie,  où  il  remplit  les  fonctions  de  chambellan  du  roi 
Georges  IV,  Il  est  mort,  le  13  mars  1857  ,  à  Knolc. 

AMHERSTIA  ,  arbre  de  la  famille  des  légunùneuses, 
et  qui  est  une  des  plus  magnifiques  productions  végétales  que 
l'on  connaisse.  M.  Wallich ,  directeur  du  jardin  botanique 
de  Calcutta ,  l'a  découvert  dans  le  pays  des  Birmans ,  qm' 
l'appellent  thoka;  le  nom  d^amherstia  lui  a  été  donné  en 
l'honneur  de  lord  Amherst.  Cet  arbre  a  quarante  pieds  de 
haut,  une  large  cime  et  un  feuillage  touffu.  Ses  rameaux 
mollement  inclinés  dans  leur  premier  âge  se  redressent  plus 
tard  pour  s'arrondir  en  arcs.  L'infiorescence  forme  des 
grappes ,  axillaires ,  pyramidales ,  pendantes ,  qui  atteignent 
jusqu'à  trois  pieds  de  longueur,  sur  un  pied  et  demi  de  dia- 
mètre à  la  base.  Qiaque  fleur  est  de  la  longueur  de  la  main, 
sur  deux  pouces  de  large;  les  pédoncules,  les  bractées,  les 
calices  et  les  pétales ,  sont  colorés  de  l'écarlate  le  plus  écla- 
tant, et  sur  ce  fond  le  pétale  supérieur  offre,  vers  la  partie 
inférieure  de  son  limbe,  un  disque  blanc,  et  vers  son  sommet 
une  grande  tache  jaune  bordée  d'un  cercle  purpurin. 
iVJMIIOUSPAXDS.  Voyez  Amchaspands. 
AMIABLE,  AMIABLEMENT.  Amiable  signifie  doux, 
gracieux  ;  de  là  vient  la  locution  adverbiale  à  l'amiable,  et 
l'adverbe  aimablement ,  qui  veulent  dire  par  voie  de  dou- 
ceur et  de  conciliation  ,  sans  procès.  Une  contestation  vidée 
à  l'amiable  est  celle  qui  se  termine  sans  l'intervention  dé  la 
justice;  une  vente  à  l'amiable  est  celle  qui  est  faite  de  gré 
à  gré,  par  opposition  à  la  vente  faite  par  autorité  de  justice 
ou  par  la  voie  des  enchères.  —  Pour  ce  qu'on  entend  par 
amiable  compositeur,  voyez  AiiniTKE. 

iVML\BLES  (  Nombres  ).  Deux  nombres  sont  dits  amia- 
bles lorsque  chacun  d'eux  est  égal  à  la  somme  des  parties 


AMIABLES  —  AMICT 


479 


aliquotes  de  Taiitre.  On  n'en  connaît  jusqu'ici  que  trois  pai- 
res :  2Si  et  220;  17,29G  et  18,U5;  0,363,538  et  9,437,05G. 
Ces  nombres  ont  été  traités  par  Rudolff,  Descartes,  Schooten. 
C'est  ce  dernier  qui  leur  a  donné  le  nom  d'amiables ,  dans 
ses  Esercitationes  Mathematic.r,  sec.  9. 

AML-VIMTE  (du  grec  [naiveiv,  gûter,  avec  l'a  privatif; 
c'est-à-dire  incormplible).  On  appelle  ainsi  une  variété 
del'asbeste,  VasbesteJIexiblc  d'Haiiy.  Cette  substance,  à 
laquelle  on  a  encore  donné ,  en  raison  de  ses  propriétés  ou 
de  ses  usages,  les  noms  de  byssits  minéral,  Un  fossile,  lin 
minéral,  lin  incombustible,  lin  des  funérailles,  eic,  est 
de  nature  pierreuse,  et  formée,  suivant  le  chimiste  Cliene- 
vix,  de  silice ,  de  magnésie  et  d'un  peu  de  ciiaux,  d'alumine 
et  de  fer,  c'est-à-dire  des  élonicnts  des  pierres  les  plus  dures 
et  les  plus  réfractai  res ,  tandis  que  par  la  disposition  de  ses 
molécules  on  la  prendrait  pour  un  composé  de  fibres  végé- 
tales :  elle  est  disposée  en  filaments  très-déliés  et  très-sou- 
ples, d'un  aspect  soyeux,  d'une  couleur  ordinairement 
Manche  et  nacrée,  quelquefois  grise,  brune,  verte  ou  noire. 
Sounuse  à  l'action  du  feu,  elle  paraît  s'y  embraser;  néan- 
moins, elle  en  est  retirée  sans  avoir  éprouvé  de  perte  sen- 
sible ,  et  de  l'état  d'incandescence  elle  repasse  bientôt  à  la 
teinte  qui  lui  est  naturelle. 

L'amiante ,  que  sa  structure  particulière  a  fait  confondre 
parfois  avec  Vahtn  de p hune,  a  été  jadis  employée  en 
médecine  comme  moyen  topique  contre  la  gale  et  la  para- 
lysie; mais  depuis  longtemps  elle  a  cessé  de  figurer  comme 
médicament.  Dans  les  arts,  au  contraire,  elle  est  d'un  usage 
assez  fréquent.  Ainsi,  c'est  avec  elle  que  l'on  garnit  l'inté- 
rieur de  ces  petits  flacons  qui  contiennent  l'acide  sulfurique 
destiné  à  enflammer  les  allumettes  oxygénées  ;  dans  certains 
pays,  elle  sert  à  fabriquer  de  la  poterie  légère  et  des  four- 
neaux très-solides.  ]Mais  son  emploi  le  plus  curieux  est  sous 
forme  de  tissus.  L'art  de  filer  et  de  tisser  cette  matière  était 
déjà  connu  dans  l'antiquité.  Pline  fait  mention  de  linge,  usité 
pour  le  service  des  tables,  que  l'on  nettoyait  en  le  jetant  au 
feu ,  et  de  tuniques  d'amiante  dans  lesquelles  on  brûlait  les 
corps  de  personnages  distingués,  afin  de  pouvoir  obtenir 
leurs  cendres  sans  aucun  mélange  avec  celles  provenant  du 
bois  dont  le  bûcher  était  composé.  Il  paraît  même  que  les 
anciens  étaient  parvenus  à  fabriquer  des  tissus  de  cette  na- 
ture d'une  dimension  assez  grande  ;  on  en  a  la  preuve  dans 
un  morceau  de  toile  d'amiante  de  5  pieds  3  pouces  sur 
environ  5  pieds,  que  l'on  trouva  en  1702  à  Rome,  dans  une 
urne  cinéraire,  et  que  le  pape  Clément  XI  fit  déposer  dans 
la  bibliothèque  du  Vatican ,  où  il  est  encore.  On  en  faisait 
aussi  des  mèches  pour  les  lampes  sépulcrales,  et  de  nos 
jours  on  s'en  est  servi  également  pour  la  fabrication  des 
veiUeuses.  Les  tissus  d'amiante  sont  loin  assurément  d'avoir 
la  finesse  des  toiles  ordinaires.  Cependant,  au  commence- 
ment de  ce  siècle,  madame  Perpenti  de  Côme  est  arrivée, 
à  l'aide  de  procédés  très-simples,  à  fabriquer  avec  cette 
pierre  des  toiles  assez  fines ,  des  dentelles  grossières  et  du 
papier;  voici  en  peu  de  mots  sa  manière  d'opérer.  L'amiante 
est  débarrassée  par  le  lavage  des  matières  terreuses  qu'elle 
contient  ;  puis,  lorsqu'elle  est  parfaitement  sèche,  elle  est  par- 
tagée en  petites  touffes  qui  sont  grattées  et  frottées  légèrement  ; 
elle  est  alors  tirée  par  ses  deux  extrémités,  et,  par  cette  der- 
nière manipulation,  on  voit  se  développer  un  grand  nombre 
de  fils  extrêmement  fins,  qui  offrent  une  particularité  très- 
remarquable,  c'est  une  longueur  de  cinq  à  dix  fois  plus  con- 
sidérable que  celle  du  morceau  dont  ils  sont  extraits.  Ceux 
de  ces  fils  qui  sont  les  plus  déliés  et  les  plus  étendus  sont  tra- 
vaillés sur  un  peigne  à  trois  rangées  d'aiguilles,  de  la  même 
manière  qu'on  le  ferait  si  l'on  avait  à  préparer  de  la  soie 
ou  du  lin,  et  l'on  s'en  sert  ensuite  pour  la  fabrication  des 
divers  tissus.  Les  fils  les  plus  courts  et  les  débris,  réduits 
en  pâte,  comme  cela  se  fait  avec  les  chiffons,  sont,  après 
une  addition  d'une  quantité  convenable  de  colle  ou  de 
gomme,  convertis  en  un  papier  qui  pourrait  devenir  bien 


précieux  pour  la  conservation  des  annales  des  sciences  et 
des  arts,  car  il  est  incombustible;  et  en  écrivant  dessus 
avec  une  encre  composée  de  manganèse  et  de  sulfure  de  fer, 
la  couleur  des  caractères  tracés  serait  pareillement  en  état 
de  résister  à  l'action  du  feu.  La  bibliothèque  de  l'Institut  de 
France  possède  un  ouvrage  imprimé  en  1807,  à  Milan,  sur 
du  papier  de  cette  espèce,  fabriqué  par  l'auteur  du  procédé. 

Suivant  :M.  Sage,  on  fabrique  en  Chine  avec  l'amiante  des 
feuilles  de  papier  de  six  mètres  de  long  et  même  des  étoffes 
en  pièces. 

L'amiante  se  trouve  dans  les  fentes  des  rochers  qui  ren- 
ferment de  la  magnésie  ;  on  la  rencontre  surtout  dans  les 
Pyrénées ,  en  Corse ,  en  Savoie ,  en  Sibérie ,  au  Brésil ,  etc.  ; 
la  plus  belle  vient  de  la  Tarentaise ,  et  cependant  les  tissus 
fabriqués  en  Sibérie  sont  ceux  qui  peuvent  le  mieux  sou- 
tenir la  comparaison  avec  les  toiles  de  nature  végétale. 

P.-L.    COTTEREAU. 

AMIBES  et  AMIBIENS.  Ces  noms,  qui  signifient  êtres 
changeant  de  forme  à  chaque  instant  (du  grec  à\i.oi6y\ , 
permutation  ) ,  sont  donnés  le  premier  à  un  genre  d'infu- 
soires ,  et  le  deuxième  à  la  famille  constituée  par  ce  seul 
genre.  Ses  caractères  sont  :  animaux  microscopiques  homo- 
gènes ,  glutineux ,  prenant  à  chaque  instant  des  formes  va- 
riables par  l'extension  et  la  rétraction  de  leur  corps,  mou- 
vement lent.  Les  amibes,  qu'on  nomme  aussi  pro^^es ,  vivent 
dans  les  infusions  non  putrides  et  dans  la  vase.  L.  Laurent, 

AMIGI  (Giovanm-Battista)  ,  astronome  et  physicien 
italien,  est  né  à  Modène  en  1784.  Il  reçut  sa  première  édu- 
cation dans  sa  ville  natale,  et  étudia  à  Bologne  les  mathé- 
matiques et  les  sciences  naturelles.  En  1807  il  entra  au 
service  en  qualité  d'ingénieur  architecte,  puis  devint  profes- 
seur de  géométrie  et  d'algèbre  au  lycée  de  Modène,  fonc- 
tions qu'il  conserva  lors  du  rétablissement  de  l'université  de 
cette  ville.  Déchargé  de  l'obligation  de  faire  son  cours,  en 
1825,  il  n'eut  plus  chaque  année  qu'à  présenter  un  rapport 
sur  les  progrès  de  la  physique  et  de  l'astronomie.  En  1831 
il  succéda  à  L.  Pons  comme  directeur  de  l'observatoire  de 
Florence.  M.  Amici  unit  les  connaissances  les  plus  variées 
tt  les  plus  profondes  au  génie  de  l'invention  et  à  une  rare 
habileté  mécanique.  Ses  télescopes  et  ses  microscopes,  ses 
sentants,  la  chambre  claire,  ou  caméra  liicida,  qu'il  a  si 
singulièrement  perfectionnée ,  sont  appréciés  par  tous  les 
savants.  Il  a  apporté  de  grands  perfectionnements  à  la  cons- 
truction du  microscope  à  réflexion ,  et  s'est  livré  avec  cet 
instrument  à  des  observations  du  plus  haut  intérêt  sur  la 
structure  et  la  circulation  de  la  sève  dans  quelques  plantes, 
telles  que  la  chara  vulgaris,  la  caulinia  fragilis ,  etc.  Les 
mémoires  et  notices  qu'il  a  publiés  à  ce  sujet  ont  paru  dans 
les  Memorte  dclla  Sociela  Italiana  (vol.  18  et  19),  et 
sont  accompagnés  de  magnifiques  gravures  explicatives , 
dont  les  dessins  sont  la  reproduction  la  plus  exacte  de  la 
nature,  grâce  à  l'ingénieux  appareil  adapté  par  l'auteur  au 
microscope  dioptrique.  Il  a  aussi  construit  de  remarqua- 
bles microscopes  dioptriques.  On  lui  doit  encore  un  appareil 
pour  observer  la  polarisation  de  la  lumière  et  des  observa- 
tions sur  les  étoiles  doubles,  sur  les  satellites  de  Jupiter, 
sur  les  diamètres  du  soleil,  sur  les  infusoires,  la  fécondation 
des  plantes,  etc.  Son  fils,  Vincent  kma,  professeur  de  ma- 
thématiques à  Pise,  l'a  aidé  dans  ses  travaux.  Z. 

AMICT,  linge  dont  les  prêtres  se  couvrent  le  cou,  et 
dont,  suivant  le  pape  Benoît  XIV,  l'usage  ne  remonte  pas 
au  delà  du  huitième  siècle.  Cependant  on  a  prétendu  trouver 
dans  Vamict  une  imitation  de  l'éphod  du  grand-prêtre  des 
Juifs.  —  Vamict  se  plaça  d'abord  sur  l'aube ,  ainsi  que  cela 
s'observe  encore  dans  le  rite  ambrosien.  L'aube  était  alors 
sans  col  et  évasée  par  le  haut.  —  Le  cardinal  Bona  a  dit 
que  de  son  temps  (dix-seplième  siècle)  on  ornait  l'amict  de 
franges  d'or  et  d'argent  ;  mais  il  réprouve  cet  usage,  comme 
contraire  à  l'antiquité.  La  prière  que  fail  le  prêtre  en  re- 
vêtant ïamict   signifie  bien  clairement  que  c'est  sur  la 


480 


AMICT  —  AMIENS 


tête  qu'on  le  metlait  :  Tmpone,  Domine,  capili  meo,  etc; 
et  le  prêlre  exact  met  d'abord  l'amict  sur  sa  tête  en  récitant 
la  prière,  puis  le  rabat  sur  le  cou  et  les  épaules. 

AIVIIÛIXE,  principe  que  l'on  trouve  dans  l'amidon  et 
les  fécules.  Pour  l'extraire,  on  dissout  une  |«rtiede  fécule 
en  la  teniint  un  quart  d'heure  dans  cent  fois  son  poids  d'eau 
bouillante.  Ou  décante  la  liqueur,  on  la  (illre,  on  la  fait 
évaporer  en  y  produisant  une  légère  cbullition;  on  la  passe 
avec  expression  au  travers  d'une  toile  pour  en  séparer  une 
matière  insoluble  {Vamidin) ,  et  l'on  amène  la  liqueur  à 
siccilé  après  l'avoir  passée  quatre  fois,  à  divers  intervalles, 
à  travers  la  toile.  Ce  moyen  donné  par  M.  Guérin  fournit, 
d'après  lui ,  de  l'amidine  ,  complètement  soluble  dans  l'eau 
froide.  L'amidine  résiste  aux  actions  dissolvantesde  l'alcool 
et  de  l'étber;  l'iode  colore  en  bleu  sa  .solution  aqueuse; 
l'acide  nitri(pie  la  change  successivement  en  acide  oxal hydri- 
que et  en  acide  oxalique,  mais  jamais  il  n'y  produit  d'acide 
mucique,  ce  qui  suffit  pour  la  distinguer  de  la  gomme. 
L'acide  sulfurique  la  noircit;  une  eau  aiguisée  de  quelques 
centièmes  d'acide  sulfurique,  et  favorisée  dans  son  action 
par  une  chaleur  prolongée,  la  transforme  en  sucre  de  raisin. 
En  arrêtant  l'opération  lorsque  la  dissolution  dans  l'acide 
sulfurique  n'a  pas  dépassé  +  96»,  et  que  cependanl  clic  ne 
bleuit  plus  par  l'iode,  on  obtient  la  dextrinc.    Cour». 

AMIDOIV  (du  grec  à[i.u).ov,  farine).  L'amidon  ou  fécule 
amylacée  est  une  substance  blanche,  brillante,  formée  de 
grains  pulvérulents  qui,  examinés  au  microscope,  offrent  un 
orifice  qu'on  nomme  le  hile.  D'une  consistance  cornée  à  la 
circonférence ,  ces  grains  ont  moins  de  cohésion  au  centre  ; 
mais  la  substance  intérieure  n'est  pas  liquide ,  comme  l'a- 
vaient prétendu  plusieurs  observateurs.  L'amidon  existe 
dans  un  grand  nombre  de  végétaux  ;  on  le  rencontre  prin- 
cipalement dans  les  racines,  les  semences,  les  tubercules, 
les  bulbes,  les  fruits,  et  il  reçoit  des  noms  différents  suivant 
le  végétal  qui  fa  produit  :  c'est  ainsi  qu'on  réserve  générale- 
ment le  nom  d'amidon  à  celui  que  l'on  retire  des  céréales; 
que  l'on  nomme  fécule  celui  qui  provient  des  pommes 
de  terre;  arrow-root ,  celui  que  donnent  le  maranta 
indica  et  le  viaranta  amndinacea ;  tapioca ,  celui  que 
l'on  extrait  du  manioc;  sagou,  celui  que  l'on  prépare  avec 
la  moelle  d'une  espèce  de  palmier  •,tnuHne,  celui  qui  pro- 
vient des  racines  de  l'année',  du  topinambour,  des  dah- 
lias ,  etc. ;  lichenine ,  celui  que  l'on  retire  de  quelques 
espèces  de  lichens.  Ces  différentes  sortes  d'amidon  ont  la 
même  composition  chimique,  mais  leurs  formes  et  leurs  di- 
mensions varient  beaucoup. 

On  a  évalué  les  quantités  d'amidon  contenues  dans  di- 
verses substances  amylacées  :  les  haricots  renferment, 
terme  moyen,  37  pour  100  d'amidon;  les  lentilles,  40 
pour  100;  la  farine  de  froment,  65  pour  100;  le  seigle,  45 
pour  100;  l'avoine,  36  pour  100  ;  l'orge,  38  pour  100  ;  la  fa- 
rine de  maïs,  77  pour  100  ;  les  pommes  de  terre,  33  pour  100  ; 
les  betteraves,  12  pour  100. 

L'amidon  est  sans  odeur  ni  saveur,  insoluble  dans  l'eau 
froide,  dans  l'alcool,  dans  l'éther,  ainsi  que  dans  les  huiles 
fixes  et  volatiles.  11  est  composé  de  44,9  de  carbone,  G,t 
d'hydrogène,  49  d'oxygène,  et  d'un  certain  nombre  d'équi- 
valents d'eau.  Lorsqu'on  le  chauffe  dans  le  vide  à  120",  l'a- 
midon ne  conserve  qu'un  seul  équivalent  d'eau,  et  sa  for- 
mule est  alors  C'M190î',H0.  Si  l'on  élève  la  température  à 
200  ou  220",  il  se  convertit  en  une  matière  gommeuse  et 
soluble  dans  l'eau  qu'on  nomme  dextrine.  Si  l'amidon 
est  mis  en  contact  avec  une  quantité  d'eau  considérable , 
l'action  de  la  chaleur  produit  des  eflétstout  différents,  les 
grains  éprouvent  un  gonflement  da  à  l'absorption  du  li- 
quide ;  à  100"  l'amidon  occupe  un  volume  vingt-cinq  ou  trente 
fois  plus  considérable,  et  la  masse  acquiert  une  consistance 
épaisse.  C'est  de  Ve7npois.  Une  eau  légèrement  alcaline 
produit  le  même  effet  avec  plus  d'énergie  encore ,  an  point 
d'augmenter  soixante-dix  et  soixante-quin/e  fois  le  volume 


des  grahis  amylacés.  Si  l'on  élève  encore  la  température  du 
mélange  dans  une  marmite  de  Papin,  l'amidon  se  desa. 
grège  toujours  davantage,  et  forme  à  150°  un  liquide  trans- 
parent, espèce  de  sirop  qu'on  peut  fdtrer  en  l'étendant  d'eau. 
En  refroidissant ,  ce  liquide  lai-se  déposer  l'amidon  sous 
forme  de  grains  d'une  ténuité  extrême  et  parfaitement  uni- 
formes ;  remarquable  transformation ,  fait  observer  M.  Du- 
mas ,  qui  ramène  toutes  les  fécules  à  un  même  état.  Vers 
160°  l'amidon  éprouve  un  nouveau  changement,  et  se  con- 
vertit en  dextrine.  Si  l'on  va  jusqu'à  180°,  on  obtient  de 
notables  proportions  de  glucose. 

Mis  en  contact  avec  une  solution  d'iode,  l'amidon  prend 
une  magnifique  couleur  bleue,  qui  diminue  d'intensité  à 
mesure  que  la  température  s'élève  ;  à  80  ou  85°,  elle  a  com- 
plètement disparu  ,  mais  elle  revient  par  le  refroidissement. 
L'iode  est  le  réactif  le  plus  sensible  pour  déceler  la  pré- 
sence de  l'amidon  ;  il  devient  précieux  pour  suivre  les  di- 
verses périodes  de  sa  décomposition.  La  teinte  est  d'autant 
plus  bleue  que  l'amidon  est  moins  désorganisé  ;  elle  tire  au 
rouge  à  mesure  que  la  désagrégation  avance.  L'action  di- 
recte de  la  lumière  solaire  détniit  la  couleur  de  l'iodure  d'a- 
nu'don.  Lorsque  l'amidon  est  parfaitement  sec ,  l'iode  ne  le 
colore  pas  ;  mais  il  est  absorbé,  et  il  suffit  d'humecter  faible- 
ment les  grains  pour  faire  apparaître  la  couleur.  Cette  réac- 
tion de  l'iode  sur  l'amidon  a  été  découverte  par  MM.  Colin 
et  Gaultier  de  Claubry.  M.  P.edwood  s'en  est  seni  pour  dis- 
tinguer l'amidon  de  froment  de  l'amidon  de  pommes  de  terre  : 
le  premier,  broyé  avec  de  l'eau,  donne  un  liquide  qui  après 
la  fiUration  ne  se  colore  pas  en  bleu ,  comme  le  second , 
par  la  teinture  d'iode,  mais  en  jaune  ou  en  rouge  pâle. 
M.  Harting  s'en  est  également  servi  pour  distinguer  l'amidon 
du  ligneux  ou  cellulose  qui  forme  les  parois  des  cellules  ou 
des  utricules  végétaux  et  a  avec  lui  une  grande  analogie  de 
composition.  Le  ligneux  ne  se  colore  jamais  par  l'iode  seul 
comme  l'amidon  ;  il  faut  un  mélange  d'acide  sulfurique  et 
de  teinture  d'iode  pour  obtenir  une  coloration  bleue. 

Les  acides  minéraux  affaiblis  dissolvent  complètement 
l'amidon  ;  la  plupart  des  acides  organiques  agissent  de  la 
même  manière,  sauf  l'acide  acétique.  Cette  propriété  excep- 
tionnelle de  l'acide  acétique  fournit  un  moyen  facile  de  re- 
connaître si  un  vinaigre  est  falsifié  par  des  acides  mi- 
néraux. Traité  par  l'acide  nitrique  fumant,  l'amidon  se 
décompose  ;  puis ,  si  l'on  y  ajoute  de  l'eau ,  il  se  dépose  une 
matière  blanche,  qui  n'est  autre  chose  que  du  fulmi coton. 
Ladiastase ,  substance  azotée  qui  se  trouve  dans  l'orge 
germée,  convertit  l'amidon  en  globules  amylacés  semblables 
à  ceux  que  l'action  de  l'eau  et  de  la  chaleur  produit  dans  la 
marmite  de  Papin;  l'amidon  se  transforme  ensuite  com- 
plètement en  dextrine ,  et  ensuite  en  sucre  de  raisin. 

En  médecine  l'amidon  n'est  presque  pas  employé  à  l'état 
de  pureté;  on  s'en  sert  seulement  dans  quelques  cas,  sous 
forme  de  lavement  ;  plusieurs  tisanes  cependant ,  comme 
celles  d'orge ,  en  contiennent,  et  les  fécules  qu'on  prescrit 
pour  aliments  à  certains  malades  ne  sont  que  des  composés 
amylacés.  On  fait  quelquefois  des  cataplasmes  amidonnés,  et 
aujourd'hui  on  se  sert  de  l'amidon  dans  le  traitement  des 
fractu  res  pour  coller  les  bandes  de  l'appareil  inamovible. 
En  industrie ,  l'amidon  de  blé  sert  aux  fabricants  d'indienne 
pour  épaissir  les  mordants  ;  ce  qu'il  fait  mieux  que  la  gomme. 
On  l'emploie ,  ainsi  que  la  fécule  de  pommes  de  terre,  pour 
donner  plus  de  lustre  et  d'apprêt  aux  toiles  de  lin,  de 
chanvre  et  de  coton.  Autrefois  on  consommait  une  grande 
quantité  d'amidon  pour  poudrer  les  cheveux.  Les  confi- 
seurs s'en  servent  pour  la  composition  des  dragées,  et  il  sert 
à  la  préparation  de  la  colle  de  pâle. 

AMIEXS  (Samarobriva,  puis  Atnbianum  ),  chef-lieu 
du  déparieraent  de  la  Somme,  ancienne  capitale  de  la 
Picardie,  sur  la  Somme,  à  126  kilom.  nord-ouest  de  Pa- 
ris, peuplée  de  56,58;  habitants ,  avec  un  évêché  siiffra- 
gant  de  Reims  et  une  église  consistoriale  de  calvinistes,  une 


AMIFNS  - 

acadt^mic  «nivorsilairc ,  un  lyo«^o,  une  cour  iuipériale  pour 
les  lit-parlements  île  la  Sounne,  de  l'Aisne  et  de  l'Oise,  un  tri- 
bunal et  une  eliainbrc  de  commerce ,  une  bourse,  une  école 
secondaire  de  médecine  et  de  pharmacie ,  un  sénûnaire  dio- 
césain (à  Saint-Aclieul),  une  école  normale  juimaire  dépar- 
tementale ,  une  école  modèle  d'enseignement  mutuel ,  une 
académie  littéraire,  un  musée  de  peinture,  une  Liblio- 
Uièque,  un  jardin  botanique ,  une  salle  de  spectacle  ,  etc. 
Amiens  a  élevé  des  statues  à  C.resset  et  à  Pierre  Ttirmile. 
Une  loterie  l'a  aidé  à  construire  le  Musée  Napoléon,  dont 
l'État  a  fourni  le  terrain. 

Cette  ville  est  agréablement  située  dans  un  pays  fertile. 
Colbert  y  établit  des  manufactures  considéiabks  de  draps, 
casimirs,  velours,  moijuetles,  étoffes  de  laine,  toiles,  in- 
diennes, tapis  et  toiles  peintes.  Aujourd'hui  on  y  fabrique 
surtout  des  alépines,  des  satins  de  laine,  des  étoffes  de  poil 
de  chèvre,  des  escols ,  des  camelots ,  des  napolitaines,  des 
peluches,  des  pannes,  des  velours  d'Utreclit  et  des  velours 
de  coton,  du  linge  damassé,  du  Casimir,  dont  cent  trente  mille 
pièces  sont  annuellement  vendues,  de  la  bonneterie,  des 
tulles,  des  cordes  et  cordages,  d^s  cardes,  des  cuirs  vernis 
et  lies  produits  chimiques.  Il  y  a  aussi  dans  cette  ville  de 
nombreuses  filatures  de  laine  et  de  coton,  des  imprimeries 
sur  étoffes,  des  teintureries,  des  moulins  à  foulon,  des  tan- 
neries ,  des  corroieries,  des  brasseries.  Le  mouvement  indus- 
triel y  est  considérable,  et  il  s'y  fait  un  commerce  important 
en  laines,  grains,  graines,  huiles  et  produits  manufacturés. 
Les  pâtés  d'Amiens,  dont  on  fait  une  assez  grande  consom- 
mation en  Angleterre,  sont  très-renommés. 

Amiens  est  une  des  principales  stations  du  chemin  de  fer 
du  Nord,  près  de  la  mer,  entre  Rouen  et  Lille ,  entre  Paris 
et  Calais ,  entre  Reims  et  Boulogne.  Amiens  communique 
en  outre  par  de  bonnes  routes  avec  la  contrée  environnaate, 
et  par  son  canal  et  celui  de  Saint-Quentin  avec  le  bassin 
de  l'Escaut,  l'Oise,  le  bassin  de  la  Seine  et  la  mer. 

Cette  ville,  jadis  très-forte,  aujourd'hui  démantelée,  a  vu 
ses  remparts  abattus  faire  place  à  des  boulevards  que  bor- 
dent de  fraîches  et  élégantes  habitations.  Son  inoffensive  ci- 
tadelle a  seule  été  respectée ,  mais  le  temps  s'acliariie  à  la 
détruire.  Amiens  se  divise  en  haute  et  basse  ville.  La  haute 
ville  ades  rues  larges  ,  bien  percées,  mais  rarement  bien  ali- 
gnées, bordées,  cependant,  par-ci  par-là,  de  belles  maisons. 
La  ville  basse  est  celle  de  César  ;  et  la  tradition  raconte  des 
prodiges  de  la  manufacture  d'armes  qu'y  avait  fondée  le  con- 
quérant romain  :  c'est  encore  la  petite  Venise  de  Louis  XI, 
ainsi  nommée  de  ce  que  la  Somme  s'y  ramifie  en  onze  bras 
qui,  se  rejoignant  et  se  séparant  de  nouveau,  forment  une 
infinité  d'îles  unies  par  des  ponts  en  pierre;  là  les  rues  sont 
étroites,  les  constructions  vieilles,  sans  être  antiques;  et 
très-peu  ont  ce  parfum  de  moyen  âge  si  prisé  de  nos  jours. 
Le  moyen  âge,  c'est  à  la  cathédrale  qu'il  faut  l'aller  deman- 
der ;  elle  vous  le  rendra  dans  toute  sa  magnificence,  d'après 
l'admirable  plan  de  Robert  de  Luzarcbes,  avec  des  piliers 
d'un  .seul  jet,  à  baguettes  et  à  filets  carrés  alternativement, 
soutenant  des  voûtes  terminées  en  ogives,  dont  les  arceaux  se 
croisent  diagonalement,  avec  aussi  des  effets  éblouissants 
de  lumière  et  d'ombre,  résultant,  dans  les  diverses  parties 
de  l'édifice,  des  dimensions  bien  proportionnées  de  hauteur 
et  de  largeur  des  ailes  et  de  la  nef.  La  légèreté  et  la  har- 
diesse de  cette  église  ne  nuisent  ni  à  sa  force  ni  à  sa  solir 
dite  ;  après  six  siècles  et  demi,  elle  atteste  encore  le  génie 
de  l'architecte  qui  l'a  construite.  C'est  un  musée  où  les  iiu- 
mitables  boiseries  des  quinzième  et  seizième  siècles  ,  les  ri- 
«hes  autels  de  marbre  du  dix-septième,  les  grilles  de  fer  du 
dix-huitième,  les  sculptures  d«  Blassetet  de  ses  successeurs 
se  disputent  l'admiration  des  curieux. 

Après  cet  édifice,  on  n'ose  plus  en  nocîjncr  d'autre.  L'hôtel 
de  ville  est  très-mal  situé ,  la  façade  en  est  à  peine  conve- 
nable; mais  il  possède  quelques  bons  tableaux..  La  salle  de 
spectacle  est  d'un  dessin  gracieux ,  l'hOtiil  de  la  préfecture 

DICT.    DE   LA    CO.NVCRS.    —   T.    I. 


AMILCAR 


481 


petit,  mais  d'un  style  p.pvéahlc;  la  bibliothèque,  élégant  h\\- 
lice,  contient  45,000  volumes;  dans  la  ville,  la  caserne  de 
cavalerie,  la  halle  au  blé,  l'abattoir;  hors  des  murs,  la  ma- 
gnifique i)romenadc  de  la  Ilautoye,  le  vaste  cimetière  de  la 
Madi'leine,  dessiné  et  planté  avec  beaucoup  d'art,  sont  di- 
gnes de  l'importance  du  chef-lieu  de  la  Somme. 

Cette  ville  est  fort  ancienne  :  Jules-César  y  tint  une  as- 
semblée générale  des  Gaules.  Antonin  et  Marc-Aurèle  l'aug- 
mentèrent. Lors  de  l'invasion  des  barbares,  elle  fut  prise  par 
les  Alains,  par  les  Vandales  et  par  les  Francs.  Mérovée  y  fut 
élu  roi,  Clodion  y  résida,  Attila  et  les  Normands  la  rava- 
gèrent; Charles  VII  la  vendit  pour  400,000  écus  d'or  au  duc 
de  Bourgogne  ;  Louis  XI  la  racheta  pour  le  même  prix. 
Enlevée  par  les  Espagnols,  elle  leur  fut  reprise  par  Henri  IV, 
qui  fit  bâtir  sa  citadelle.  Enfin  la  France  et  l'Angleterre  y 
signèrent  en  1802  le  fameux  traité  d'Amiens.  * 

AAIIENS  (Paix d').  L'empereur  Paul  de  Russie  ayant 
décidé,  en  1800,  la  Prusse,  le  Danemark  et  la  Suède  à  réta- 
blir la  neutralité  armée  du  Nord ,  en  représaille  de  ce  que  l'An- 
gleterre avait  refusé  de  rendre  à  l'ordre  de  Malte  l'ile  diî  ce 
nom,  dont  il  était  grand-maître  ,  Pitt  mit  embargo  sur  les 
vaisseaux  de  ces  quatre  puissances,  qui,  de  leur  côté,  fer- 
mèrent le  continent  européen  au  commerce  anglais,  ce  qui 
assura  dans  le  parlement  la  majorité  à  l'opposition.  Cette 
circonstance,  jointe  au  refus  du  roi  d'approuver  l'émanci- 
pation de  l'Irlande  catholique,  fut  cause  que  le  ministère  de 
Pitt  tomba,  et  que  l'orateur  Addington  remplaça  Pitt  en  qua- 
lité de  premier  lord  de  l'échiquier.  Le  nouveau  ministère, 
dans  lequel  Havvkesbui^  était  chargé  des  affaires  étrangères, 
entama  sur-le-champ  des  négociations  de  paix.  Les  préli- 
minaires furent  signés  à  Londres  le  1^*^  octobre  1801,  et 
la  paix  définitive  fut  signée  à  Amiens  le  27  mars  1802,  entre 
la  France,  la  Grande-Bretagne,  l'Espagne  et  la  république  Ba- 
tave,  représentées  par  Joseph  Bonaparte,  lord  Cornwallis, 
le  chevalier  d'Azara  et  x^t.  Schimmelpennink.  L'Angleterre 
conserva  de  ses  conquêtes  l'île  de  Ceyian  et  celle  de  la  Tri- 
nité ;  les  ports  du  cap  de  Bonne-Espérance  lui  restèrent 
ouverts.  La  France  rentra  en  possession  de  ses  colonies,  et 
eut  l'Araowari,  dans  la  Guyane,  pour  frontière  du  côté  du 
Brésil.  La  république  des  Sept-Ues  l'ut  reconnue  ;  ]\Ialto  re- 
tourna sous  la  dépendance  de  l'ordre.  L'Espagne  et  la  ré- 
publique Batave  rentrèrent  en  possession  de  toutes  leurs  co- 
lonies, à  l'exception  de  celles  de  Ceyian  et  de  la  Trinité.  Les 
Français  devaient  évacuer  Rome,  Naples  et  l'île  d'Elbe.  La 
maison  d'Orange  devait  être  dédommagée.  Enfin  l'intégrité 
de  la  Porte,  telle  qu'elle  était  avant  la  guerre,  fut  reconnue. 
Ces  considérations  engagèrent  le  sultan  Selim  à  accéder  for- 
mellement, le  13  mai  1802,  au  traité  d'Amiens.  IMais  cette 
paix  fut  bientôt  désapprouvée  en  Angleterre,  où  on  s'in- 
quiétait de  voir  le  premier  consul  préparer  une  grande  ex- 
pédition contre  Saint-Domingue,  et  vouloir  établir  dans  tous 
les  ports  d'Irlande  des  consulats  français.  D'un  autre  côté, 
l'Angleterre  refusait  d'évacuer  Malte  et  l'Egypte,  sous  le 
prétexte  que  la  France  menaçait  ce  dernier  pays,  ce  que  le 
rapport  précipité  de  Sébastiani  sur  sa  mission  en  Egypte 
rendait  assez  probable.  Le  10  mai  1803  la  cour  de  Londres 
présenta  son  ultimatum  pour  concilier  tous  les  nouveaux 
différends  entre  les  deux  États;  elle  demanda  une  indemnité 
pour  le  roi  de  Sardaigne,  la  cession  de  l'île  Lampeduse  et 
l'évacuation  des  républiques  Batave  et  Helvétique.  Ces  con- 
ditions ayant  été  repoussées  par  le  gouvernement  français, 
la  cour  de  Saint-James  déclara  de  nouveau,  le  18  mai  1803, 
la  guerre  à  la  France. 

AMILCAR,  ou  IIAMILCAR,  nom  commun  à  plu- 
sieurs généraux  carthaginois.  Le  premier,  fils  de  Magon, 
fat  vaincu  en  Sicile  par  Gélon,  l'an  480  avant  J.-C,  le 
jour  môme  de  la  bataille  de  Salamine,  et  ses  compatriotes 
en  firent  un  demi-dieu.  Trois  autres  Ainilcars  furent  contem- 
porains d'Alexandre  et  d'Agathocle.  Le  cinquième,  surnommé 
Barca  ou  Barcus,  moins  célèbre  par  ses  exploits  que  pour 

01 


482 


AMILCAR  —  AMIRAUTE 


avoir  donni^  le  jour  à  Annibal,  naquit  h  CarUir.yo,  d'une 
funiille  qui  priHendait  descendre  des  anciens  rois  de  Tyr. 
Malf^ré  sa  jeunesse,  la  r(''pul)li(iue  lui  confia  le  commandement 
de  son  armée  de  Sicile,  (jui  se  trouvait  alors  daiis  une  posi- 
tion criti(iue.  Amilcar,  avant  de  se  rendre  à  sa  destinat'on, 
dirij^ea  sa  flotte  vers  l'Italie,  dont  il  ravagea  les  côles,  ar- 
riva en  Sicile  cliarg;';  de  butin ,  battit  les  alliés  des  Romains, 
et  reprit  sur  eu\-m(>ine'<  l'avantage,  qu'il  conserva  pendant 
cinq  ans;  mais  l'amiral  llannon  ayant  perdu  une  grande 
bataille  navale  contre  le  consul  Lutatius,  les  Cartliaginois  se 
virent  contraints  de  proposer  la  paix.  Amilcar,  chargé'  des 
négociations,  signa  avec  indignation  un  traité  qui  mettait  sa 
patrie  sous  la  dépendance  de  lîome.  De  retour  en  Afrique, 
il  dé'fit  les  mercenaires  et  les  Numides  coalisés  contre  Car- 
Ihage,  dont  ils  faisaient  déjà  le  sié'ge  ;  il  prit  Utiquc  et  Hip- 
pone,  et  rétablit  le  calme  et  la  prépondérance  de  sa  patrie 
dans  toute  l'Afrique.  Néanmoins  le  parti  d'IIannon  l'accusa 
de  la  trahir  ;  n)ais  le  sénat  n'osa  point  condamner  un  homme 
aussi  populaire  :  il  l'envoya  en  Esp;igne  à  la  tôte  d'une 
armée.  C'est  en  jtartant  pour  cette  expédition  qu'il  fit  jurer 
à  son  lils  .Vnnibal,  Agé  de  neuf  ans,  une  haine  éternelle  aux 
Hon^ains.  Pendant  les  n(!uf  ans  qu'il  commanda  en  Espagne, 
Amilcar  soumit  plusieurs  peuples,  enrichit  sa  patrie  de  leurs 
dépouilles,  et  fonda  liarclno  (Barcelone);  enfin,  l'an  228 
avant  J.-C,  il  fut  tué  à  la  tête  de  ses  troupes ,  dans  une  ba- 
taille ([u'il  livrait  aux  Vcctons,  peuple  de  la  Lusitanie  (Por- 
tugal). Un  sixième  .-Imi/car,  (ils  de  Bomilcar,  fut  vaincu  par 
les  Sci[iioMS,  et  tué  (juinze  ans  plus  tard  devant  Crémone. 

AMIOT.  Valiez  km QT. 

A.MIil.'VL  (de  l'arabe  em;r,  commandant).  En  France 
c'est  le  titre  du  premier  grade  de  la  marine  militaire;  vien- 
nent ensuite  le  grade  de  vicc-umiral,  puis  celui  de  contre- 
amiral.  Le  titre  d'amiral  est  assimilé  à  celui  de  maréchal 
de  iTance  ;  le  grade  de  vice-amiral  correspond  à  celui  de  gé- 
néral de  division  ;  le  grade  de  contre-amiral  à  celui  de  gé- 
néral de  brigade.  La  loi  du  17  juin  1841  fixe  le  nombre  des 
amiraux  à  deux  en  temps  de  paix,  trois  en  temps  de  guerre  ; 
le  nombre  des  vice-amiraux  est  de  dix  ;  celui  des  contre- 
amiraux,  de  vin^t,  sans  compter  ceux  du  cadre  de  réserve. 

Le  titre  d'amiral  fut  employé  au  douzième  siècle  par  les 
Siciliens  et  les  Génois,  qui  le  donnèrent  aux  commandants 
de  leurs  Hottes.  Il  est  mamlenant  en  usage  dans  tous  les 
pays,  excepté  en  Turquie,  où  le  chef  de  la  tlotle  s'appelle 
kapudan-pacha.  Sous  l'ancien  régime,  la  dignité  d'amiral 
était  une  des  premières  de  la  couronne.  De  si  grandes  préro- 
gatives y  étaient  attachées  que  Richelieu  la  fit  supprimer, 
en  1627;  mais  Louis  XIV  la  rétablit  en  1GC9,  en  se  réser- 
vant toutefois  le  choix  et  la  nomination  des  otficicrs.  Néan- 
moins encore  à  la  révolution  les  attributions  de  l'amiral 
étaient  des  plus  importantes.  La  justice  était  rendue  en  son 
nom  dansles  sièges  de  l'amirauté.  C'était  l'amiral  qui  don- 
nait les  congés,  passe-ports,  commissions  et  sauf-conduits 
aux  capitaines  des  bâtiments  particuliers  armés  en  guerre, 
et  qui  contresignait  les  brevets  des  officiers  militaires  et 
civils  de  la  marine.  Le  dixième  de  toutes  les  prises  qui 
étaient  faites  sur  mer  et  sur  les  grèves,  des  rançons  et  des 
représailles  appartenait  à  l'amiral,  dont  le  revenu  comprenait 
également  le  tiers  de  tout  ce  qu'on  tirait  de  la  mer  ou  qu'elle 
rejetait,  le  droit  d'ancrage,  tonnage  et  balise,  et  enfin  les 
amendes  prononcées  par  les  sièges  de  l'amirauté.  En  175i)  le 
duc  de  Penlhièvre  renonça  d('(initivement  à  ces  derniers 
droits,  et  reçut  l.-)0,000  livres  par  an  comme  indemnité. 

La  dignité  d'amiral  disparut  avec  la  monarchie  de 
Louis  XYI  ;  mais  Napoléon  la  ré'tablit  et  en  décora  Murât. 
Au  retour  des  Bourbons,  le  duc  d'Angouléme  reçut  à  son  toiu- 
le  titre  d'amiral.  Sous  la  Restauration  comme  sons  l'Empire, 
les  prérogatives  de  cette  charge  étaient  bornées  à  la  com- 
munication des  ordres  royaux  et  au  contre-seing  des  brevets 
et  commissions  des  officiers  de  la  marine.  Après  IS.^O  le 
litre  d'amiral  cessa  d'être  purement  honorifique ,  et  l'ordon- 


nance du  U--  m:us  1S3I  en  fit  le  plus  haut  grade  effectif  de 
notre  armée  navale. 

La  dignité  de  grand  amiral  en  Angleterre  était  réservée 
anciennement  aux  parents  les  plus  proches  du  monarque; 
cependant  cet  usage  s'est  perdu,  et  maintenant  les  fonctions 
de  ce  haut  emploi  sont  exercées  par  une  commission  dont  les 
membres  portent  le  titre  de  lords  de  V  amirauté. 

On  reconnaît  le  grade  des  officiers  généraux  qui  montent 
les  vaisseaux  de  guerre  au  mût  qu'occupe  un  pavillon  carré 
de  la  couleur  nationale.  L'amiral  porte  ce  pavillon  en  tète  du 
grand  mût,  le  vice-amiral  le  place  en  tète  du  mât  de  misaine; 
le  contre-amiral  en  tète  du  mût  d'artimon. 

Le  vaisseau  amiral  est  celui  sur  lequel  est  arboré  le  pa- 
villon amiral.  —  Dans  chaque  port  c'est  à  bord  de  Vamiral 
que  se  tiennent  les  conseils  de  guerre,  et  que  sont  exécutées 
leurs  sentences  ;  c'est  là  que  les  officiers  vont  subir  leurs 
arrêts,  et  que  les  soldats  sont  retenus  en  prison. 

AAIÎRÂNTE,  titre  de  l'un  des  anciens  grands  officiers 
de  la  couronne  de  Castille ,  répondant  à  celui  de  grand 
amiral  en  France.  Cette  dignité ,  qui  dans  les  derniers  temps 
ne  s'accordait  qu'à  un  infant  d'Espagne,  avait  fini  par  n'être 
plus  qu'honorifique.  Autrefois  elle  confé'i  ait  des  privilèges  fort 
étendus  et  une  influence  réelle  :  aussi  les  rois  de  Castille , 
pour  diminuer  cette  influence,  avaient-ils  divisé  la  dignité  et 
créé  deux  amirautés  :  l'un  était  désigné  sous  le  nom  d'amj- 
rante  de  Séville,  et  l'autre  sous  celui  à' amirauté  de  Cas- 
tille. 

AMIRAJVTES  (Iles).  Cest  un  groupe  de  douze  Ilots 
mal  peuplés  ou  inhabités ,  situés  dans  l'océan  Indien ,  et 
faisant  partie  de  l'archipel  des  Seychelles,  entre  le  5°  1' 
et  le  G"  13'  de  latitude  méridionale ,  et  entre  le  51°  21'  et  le 
52°  50'  de  longitude  orientale. 

AJVIIRAUTÉ  s'entend  également  de  la  charge  d'amiral, 
de  sa  juridiction,  et  du  siège  où  s'exerce  cette  juridiction.  En 
Angleterre  on  appelle  en  outre  de  ce  nom  l'administration 
générale  de  la  marine.  C'était  autrefois  en  France  une  ju- 
ridiction spéciale  attachée  au  service  de  mer  et  qui  jugeait 
des  contestations  de  la  marine  et  du  commerce. 

Cette  institution  a  subi  de  nombreuses  modifications  en 
France.  Lors  de  sa  création ,  elle  était  une  juridiction  qui 
connaissait  des  contestations  en  matière  de  marine  et  de 
commerce  de  mer,  tant  au  civil  qu'au  criminel.  Ce  tribunal 
statuait  sur  tous  les  délits  et  différends  qui  arrivaient  sur  les 
mers ,  sur  tous  les  actes  de  commerce ,  sur  tons  les  faits 
de  piraterie  et  autres  de  ce  genre.  11  comprenait  des  sièges 
de  deux  natures  ;  les  uns  étaient  des  sièges  généraux  d'ami- 
rauté, les  autres  des  sièges  particuliers.  Les  premiers  étaient 
au  nombre  de  trois  en  tout ,  dont  un  à  la  table  de  marbre 
de  Paris ,  un  autre  à  celle  de  Rouen ,  et  l'autre  à  Rennes  : 
leurs  appels  se  relevaient  aux  parlements  dans  le  ressort  des- 
quels ils  étaient  situés.  Les  sièges  particuliers  de  l'amirauté 
étaient  établis  dans  tous  les  ports  et  havres  du  royaume. 
Ils  ne  jugeaient  au  souverain  que  jusqu'à  cinquante  livres.  — 
L'amiraulé  se  composait  de  l'amiral  de  France,  qui  en  était 
le  chef  ;  d'un  lieutenant  général,  d'un  lieutenant  particulier, 
d'un  lieutenant  criminel,  de  cinq  conseillers,  d'un  procureur 
du  roi,  de  trois  substituts,  d'un  greffier  et  de  plusieurs  huis- 
siers. —  Cette  juridiction  spéciale  et  exceptionnelle ,  qu'il 
ne  faut  pas  confondre  avec  le  conseil  d'amirauté  actuel,  a 
été  supprimée  par  la  première  Constituante. 

En  Angleterie  l'amirauté  constitue  toujours  une  juridic- 
tion spéciale  chargée  de  connaître  de  toutes  les  causes  ma- 
ritimes, non-seulement  en  matière  civile,  mais  encore  en 
matière  criminelle.  Cette  confusion  des  pouvoirs  et  une 
compétence  aussi  étendue,  dans  un  pays  religieux  obser- 
vateur de  la  loi  commune ,  ne  s'expli(iuent  que  par  l'in- 
(luence  extraordinaire  que  la  marine  britannique  exerce  sur 
la  gloire  et  la  prospérité  du  Royaume-Uni.  Il  n'en  est  pas 
moins  vrai,  toutefois,  que  la  cour  du  banc  de  la  Reine 
a  un  peu  lin)ité  par  des  empiétements  successifs  la  compé- 


AMIRAUTÉ  —  AMMI 


Içnrp  (le  «Ito  juridiclion.  Ainsi,  les  cours  d'amirauk^,  qui 
pronoiH'aient  jadis  sur  le  lait  et  le  droit,  tant  au  civil 
qu'au  criminel,  sans  intervention  de  jurés,  ne  le  peuvent 
plus  aujourd'hui.  Maintenant,  d'après  deux  statuts,  l'un  de 
Itenri  Vlll,  l'autre  de  Georges  II,  dans  toutes  les  affaires  au 
grand  criminel,  le  juge  d'amirauté  ne  fait  que  présider  la  cour, 
qui  est  en  outre  composée  de  plusieurs  juges  de  ^Yestmins- 
ter,  et  le  point  de  fait  est  toujours  décidé  par  le  jury.  Pour 
les  affiiires  civiles ,  au  contraire ,  ou  pour  de  légers  délits , 
la  cour  d'amirauté,  jugeant  comme  cour  d'équité,  statue 
sans  jurés.  —  Il  est  à  remarquer  aussi  que  la  procédure  con- 
tinue à  avoir  lieu  au  nom  de  l'amiral ,  et  non  pas  au  nom 
du  souverain.  Avec  les  cours  d'amirauté,  il  existe  en  .\ngle- 
terre  des  cours  de  vice-amirauté,  mais  seulement  pour  les 
colonies  et  les  établissements  anglais  d'outre-mer. 

Dans  la  Grande-Bretagne,  l'administration  de  la  ma- 
rine appartient  aux  lords  de  l'amirauté  ;  le  ministre  de 
la  marine  porte  le  titre  de  premier  lord  de  Vamirauté. 

AMIRAUTÉ  (  Conseil  d'  ).  Ce  conseil  se  compose  du 
ministre  de  la  marine  et  des  colonies,  président,  de  cinq 
membres  titulaires,  d'un  secrétaire  et  de  trois  membres  ad- 
joints. Leurs  fonctions  ne  sont  que  temporaires.  Les  mem- 
bres adjoints  ont  seulement  voix  consultative.  Ce  conseil 
donne  ses  avis  sur  les  mesures  générales  qui  ont  rapport  à 
r.idministralion  de  la  marine  et  des  colonies,  à  l'organisa- 
tion de  l'armée  navale,  au  mode  d'approvisionnement ,  aux 
constnictious  navales,  aux  travaux  maritimes ,  à  l'emploi 
des  forces  navales  en  temps  de  paix  et  de  guerre.  Son  avis 
préalable  est  demandé  pour  tout  projet  de  loi ,  décret,  arrêté 
ou  règlement,  sans  que  cet  avis  puisse  lier  le  ministre, 
seul  responsable.  Chaque  année,  d'après  les  rapports  et  les 
propositions  des  inspecteurs  généraux ,  des  préfets  mari- 
times ,  etc.,  le  conseil  d'amirauté  dresse  les  tableaux  géné- 
raux, par  grades,  des  officiers  de  tous  corps  susceptibles 
d'être  avancés  au  choix ,  ou  d'être  promus  dans  un  grade 
quelconque  de  la  Légion  d'Honneur.  En  cas  seulement  de 
services  extraordinaires  ou  de  missions  spéciales,  le  ministre 
peut  inscrire  d'office  sur  ce  tableau.  —  Les  attributions  du 
conseil  d'amirauté  ont  été  fixées  en  dernier  lieu  par  un  dé- 
cret du  président  de  la  République,  du  16  janvier  1850.  Ce 
conseil  avait  été  créé  le  4  août  1824.  Le  nombre  de  ses 
membres  fut  successivement  augmenté.  Ils  étaient  nommés 
par  le  roi  et  n'vocables.  Un  arrêté  du  gouvernement  piovi- 
soire,  en  date  du  3  mai  1848,  étendit  les  attributions  du  con- 
seil d'aniirauté;  mais  le  dernier  décret  l'a  ramené,  à  peu  de 
chose  près ,  aux  premières  conditions  de  son  existence. 

AMIRAUX!-:  (  lie  de  1'  ),  grande  île  de  l'Amérique  du 
IVord ,  dans  l'océan  Pacifique ,  sur  la  cote  occidentale , 
entre  l'archipel  du  Roi  Georges  et  le  continent,  par  137°  10' 
et  137°  48'  de  longitude  ouest  et  57°  2'  et  58°  24' de  lati- 
tude nord.  Découverte  par  Vancouver,  appartenant  aux  An- 
glais ,  parsemée  de  forêts  et  habitée ,  elle  a  240  kilom.  de 
périmètre,  100  kilom.  de  long  sur  30  de  large. 

AMIRAUTÉ  (  Iles  de  1'  ),  groupe  de  20  à  30  îles  de 
l'Australie  ,  situées  au  nord-ouest  de  la  Nouvelle-Guinée  , 
presque  toutes  habitées ,  et  offiant  des  parties  bien  cul- 
tivées. La  plus  grande  a  100  kilom.  de  long.  Découvertes 
par  les  Hollandais  en  IGIG,  visitées  parCarteret  en  1707  , 
les  Français  envoyés  à  la  recherche  de  Lapcyrouse  y  abor- 
dèrent en  1793.  Elles  produisent  beaucoup  de  noix  de  coco, 
de  bétel,  de  tortues ,  et  la  pêche  y  est  très-abondante.  Les 
habitants  ont  la  peau  d'un  noir  peu  foncé  ;  leur  physio- 
nomie est  assez  agréable ,  et  diffère  peu  de  celle  des  Eu- 
i"opépns.  L'usage  du  fer  n'y  est  pas  inconnu. 

AMIS  (  lies  des  ).  Voyez  Tonga. 

AMIS  (  Société  des  ).  Voijez  Qlakrrs. 

AMITIÉ.  Platon  définissait  l'amitié  :  une  bienveillance 
réciproque  qui  rend  deux  êtres  également  soigneux  du  bon- 
heur l'un  de  l'autre,  et  .Aristote  disait  :  «  L'amitié  est  connue 
«ne  àme  en  deux  corps.  »  —  <>  En  l'ainilié,  dit  .Montaij^nc,  les 


483 

ûmes  se  mêlent  et  confondent  l'une  et  l'autre  d'un  mélange 
si  universel  qu'elles  eflaccnt  et  ne  retrouvent  plus  la  cou- 
ture qui  les  a  jointes.  » 

On  ne  saurait  mieux  faire  comprendre  ce  que  c'est  que 
l'amitié,  qu'en  la  distinguant  de  la  sociabilité  et  de  l'a- 
mour. La  sociabilité  est  une  disposition  naturelle  au  rap- 
prochement de  l'homme  à  l'homme ,  et  son  premier  effet 
est  de  fonder  la  société  humaine  ;  l'amour,  créant  des  rap- 
ports d'un  sexe  à  un  autre,  a  pour  but  de  conserver  l'es- 
pèce. L'amitié  au  contraire  ne  peut  se  définir  que  négative- 
ment ;  elle  ne  se  ressemble  même  pas  le  plus  souvent.  On 
aimera  un  ami  pour  sa  bravoure  et  son  intrépidité ,  un 
autre  pour  sa  timidité  et  sa  douceur.  La  diversité  de  goûts, 
d'habitudes,  de  caractères  même,  non  plus  que  la  dif- 
férence de  position ,  ne  font  point  obstacle  à  l'amitié  ;  elle 
est  tout  indulgence,  tout  sacrifice,  tout  abnégation.  Mais 
elle  a  besoin  d'être  sanctionnée  par  l'estime.  Voltaire  a 
dit  d'elle  :  «  C'est  un  mariage  de  l'ûme  entre  deux  hommes 
vertueux  ,  car  les  méchants  n'ont  que  des  complices  ;  les 
voluptueux  ont  des  compagnons  de  débauche  ;  les  inléi-es- 
sés  ont  des  associés  ;  les  politiques  assemblent  des  factieux  • 
le  commun  des  oisifs  a  des  liaisons  ;  les  princes  ont  des 
courtisans  ;  les  hommes  vertueux  ont  seuls  des  amis.  » 

On  n'a  jamais  fait  une  peinture  plus  touchante  et  plus 
vTaie  de  l'amitié  que  cet  hommage  de  Montaigne  au  sou- 
venir de  La  Doétie  :  «  Si  on  me  presse  de  dire  pourquoi  je 
l'aimais,  je  sens  que  cela  ne  peut  s'exprimer  qu'en  répon- 
dant :  Parce  que  c'était  lui,  parce  que  c'était  moi...  Les  plai- 
sirs même,  au  lieu  de  me  consoler,  me  redoublent  le  regret 
de  sa  perte  ;  nous  étions  à  moitié  de  tout ,  il  me  semble 
que  je  lui  dérobe  sa  part.  » 

L'amitié  établit  en  outre  une  sorte  de  contrat  tacite  entre 
deux  amis  véritables,  assurance  mutuelle  de  constance  et 
de  solide  union  ;  cet  engagement  est  même ,  à  proprement 
parler,  l'élément  constitutif  de  l'amitié  ,  car  au  début  elle 
ne  se  commande  pas  plus  que  l'amour.  On  aime  une  per- 
sonne pour  ses  quaUtés  aimables,  à  cause  du  plaisir  qu'elles 
nous  font.  C'est  d'abord  une  passion  égoïste ,  qui  semble 
devoir  s'éteindre  lorsque  ces  qualités  passent  ou  cessent  de 
nous  plaire.  Mais  un  engagement  moral  intervient  bientôt , 
que  nous  nous  faisons  un  devoir  de  respecter.  Les  qualités 
qui  nous  avaient  séduit  peuvent  disparaître,  l'amitié  ne  s'ef- 
facera pas,  etle  dévouement  en  sera  pur  et  désintéressé,  puis- 
qu'il sacrifie  la  passion. 

L'amitié  des  femmes  a  un  charme  plus  doux  que  celle 
des  hommes;  une  femme  à  trente  ans  devient  une  excellente 
amie  pour  l'homme  qu'elle  estime.  Quant  à  l'amitié  entre 
femmes,  on  l'a  déclarée  impossible  :  c'est  aller  trop  loin  ;  mais 
il  faut  convenir  qu'elle  est  rare,  quoiqu'on  en  cite  des  exemples 
fameux.  N'oublions  pas  l'amitié  que  l'on  porte  aux  animaux, 
car  c'est  véritablement  là  de  l'amitié  ;  et  ce  que  nous  aimons 
en  eux  c'est  encore  les  qualités,  voire  les  défauts  de  nos  sem- 
blables. 

Les  Grecs  et  les  Romains  ont  élevé  des  autels  à  l'Amitié; 
Oreste  et  Pylade  en  sont  les  sjTnboles  dans  la  mjlhologie. 
Cicéron  a  écrit  un  célèbre  traité  sxir  VAviitié,  qu'il  a  mis, 
sous  forme  de  dialogue ,  dans  la  bouche  de  Lœlius  et  de  ses 
gendres  Fanniuset  Q.  Mutins,  à  cause  de  l'étroite  amitié 
qui  unissait  le  premier  à  Scipion. 

AMMAIV  est  une  dignité  dans  la  Suisse  et  dans  la  haute 
Allemagne,  qui  correspond  à  celle  de  bailli,  de  prévôt  et 
de  maire.  Le  grand-prévôt  d'une  province  est  nommé  land- 
(unman. 

AMMI  ou  VISNAGE ,  genre  de  la  famille  des  ombel- 
lifères,  très-voisin  du  genre  carotte,  dont  il  ne  diffère  que 
par  le  fruit.  Une  des  espèces ,  Vammi  visnage,  a  des  (leurs 
blanches  formant  des  ombelles  composées  de  rayons  nom- 
breux; cesravons  sont  employés  en  Turquie  comme  cure- 
dents;  ils  communitpient  à  la  bouche  un  goût  agii'ahle,  et 
coriigent  l'haleine  fétide.  Vammi  à  larges  feuilles,  qui 


484  AMMI  - 

croit  en  France  sur  le  bord  des  champs,  e?.t  aromatique,  acre 
et  i>i(iii;inteaii  goût, et  passe  pouremménagofpie  et  diurétique. 
AMMIEi\-MARCELLIA',liistorien  latin,  né  à  An- 
t'oclie,  dans  le  quatrième  siècle,  et  mort  à  Rome  en  :i90, 
(it  longtemps  la  guerre  en  Euroi)e  et  en  Asie,  sous  Cons- 
tance ,  Julien  et  Valens.  Après  la  mort  de  ce  dernier,  il 
renonça  au  métier  des  armes ,  et  se  retira  à  IJome ,  on  il 
écrivit  une  Histoire  des  Empereurs  en  trente-un  livres ,  dont 
nous  n'avons  que  les  di\-lmit  derniers.  11  annonce  lui-même 
dans  son  épilogue  qu'elle  commençait  à  la  mort  de  Domilien, 
cl  se  terminait  à  lamorl  de  Valens.  Écrivant  dans  une  langue 
(|ui  n'était  pas  la  sienne,  Ammien-Marcellin  n'est  pas  exempt 
de  reproche  dans  son  style,  mais  la  pensée  et  l'expression 
en  sont  naïves  et  annoncent  de  la  bonne  foi.  Son  impartia- 
lité envers  les  chrétiens  est  un  puissant  argument  en  faveur 
des  louanges  qu'il  donne  à  l'empereur  Julien.  Sa  description 
de  la Germanieancienne est  celled'untémoin oculaire.  Il  avait 
aussi  écrit  un  ouvrage  en  langue  grectiue  sur  les  historiens 
et  les  orateurs  de  la  Grèce,  dont  il  reste  un  fragment  qui 
parle  de  Thucydide.  La  meilleure  édition  d'Ammien  est 
celle  dite  variorum ,  avec  les  notes  de  Wagner  (Leipzig, 
J80H,  15  vol.  in-8"). 
AÎDÎODYTE.  Voijez  Équille. 

AMMOM,  HAMMO.N,  AMOUN,  ou  AMMOUS,dieu 
égyi)lien  ou  libyen ,  dont  le  principal  attribut  consistait  en 
des  cornes  de  bélier.  Il  était  célèbre  par  ses  oracles  et  par 
les  magnifiques  temples  qui  lui  étaient  consacrés.  Les  Grecs 
faisaient  dériver  son  nom  d'à\i\LOi,  sable,  supposant,  ou  que 
le  dieu  enfant  avait  été  trouvé  dans  le  sable,  entre  Cartliage 
et  Cyrcne,  ou  que  par  là  on  avait  voulu  seulement  designer 
son  plus  illustre  temple ,  situé  dans  une  oasis  de  la  Libye. 
Quelques-uns  voyaient  en  lui  un  lils  de  Triton;  d'autres,  un 
iiu  de  Jupiter  et  d'une  brebis  rencontrée  seule  avec  l'enfant 
dans  une  forêt.  Une  troisième  version  représentait  Bacchus 
dans  son  expédition  des  Indes,  épuisé  de  soif  et  de  chaleur, 
invoquant  le  secours  de  Jupiter,  près  de  Xerolybia.  Le  père 
des  dieux  se  serait  montré  alors  sous  la  forme  d'un  bélier, 
qui,  après  avoir  gratté  le  sable,  en  aurait  fait  jaillir  une 
fontaine,  et  aurait  disparu  aussitôt.  Bacchus,  ayant  reconnu 
que  ce  bélier  n'était  autre  que  Jupiter,  lui  aurait  rendu  un 
culte  divin  et  élevé  un  temple.  Selon  Diodore  de  Sicile,  Am- 
mon  aurait  été  roi  de  Libye;  Rliéa,  sœur  de  Saturne,  sa  femme, 
et  Amalthée,  son  amante.  Ce  serait  d'elle  qu'il  aurait  eu 
15acchus,  architecte  de  ce  fameux  temple  où  A77inion  trans- 
mettait ses  oracles,  non  par  des  paroles,  mais  par  des  signes 
de  ses  prêtres.  11  y  était  représenté  sous  la  figure  d'un  bélier, 
ou  sous  celle  d'un  homme,  avec  la  tête  ou  les  cornes  de  cet 
animal.  Soit  que  son  culte  ait  été  importé  de  INIeroé  ou  d'É- 
Ihiopie  en  Egypte,  soit  que  de  l'Egypte  il  ait  passé  dans 
ces  contrées,  il  est  certain  qu'il  était  répandu  dans  toute 
l'Afrique.  Les  Égyptiens  voyaient  en  lui  le  symbole  de  la 
création  ,  le  créateur  de  toutes  choses,  le  dieu  des  dieux,  la 
source  de  la  vie. 

Nous  avons  parlé  de  son  principal  temple,  situé  dans 
l'oasis  de  la  Marmarique,  en  Libye,  et  dont  l'oracle  était  un 
des  plus  célèbres  de  l'antiquité.  Quand  le  dieu  était  consulté, 
on  descendait  sur  une  nacelle  dorée  sa  statue,  toute  couverte 
d'émeraudes  et  de  pierres  précieuses.  Le  temple  .=ie  trouvait 
dans  une  forteresse,  entourée  d'une  triple  muraille  et  des 
habitations  des  prêtres,  qui  luttaient  d'opulence  avec  les 
plus  riches  princes  du  temps.  Hérodote,  Arrien  et  Quinte- 
(Jurce,  qui  en  parlent,  font,  en  outre,  mention  d'une  source 
(lu  voisinage,  tiède  le  matin,  froide  à  midi,  chaude  le  soir, 
bouillante  à  minuit.  On  connaît  le  sort  malheureux  de  l'ex- 
pédition que  Cambyse  dirigea  vers  cette  oasis,  et  l'on 
trouve  dans  les  historiens  d'Alexandre  le  récit  de  la  visite 
qu'y  fit  ce  conquérant  pour  se  faire  proclamer  par  l'oracle  fils 
»le  Jupiter-Ammon.  Le  voyageur  Belzoni  a  cru  retrouver 
cette  oasis  sacrée  dans  celle  qui  porte  aujourd'hui  le  nom  de 
ahcuh  ou  Sijouak. 


AMiMON 

Après  ce  temple,  on  ne  doit  point  omettre  celui  de  Thèbes, 
dans  la  haute  llgypte,  qui  valut  à  cette  ville  le  nom  de 
No-Ainmon  que  les  Grecs  traduisent  par  Diospolis.  Là  aussi 
il  y  avait  une  statue  couverte  de  pierres  précieuses  et 
promenée  dans  une  riche  nacelle.  Le  bélier  étant  sacré  pour 
les  Thébains,  ils  s'abstenaient  de  le  tuer,  se  contentant 
d'en  immoler  un  chaque  année  à  la  fête  du  die/i,  pour  re- 
vêtir la  statue  de  sa  peau. 

Nous  retrouvons  Jupiter-Ammon  à  Thèbes  en  Béotie,  où 
les  Grecs  rapportaient  à  son  culte  l'origine  de  l'oracle  de 
Delphes.  Ils  donnaient  aussi  le  nom  d'Ammon  à  une  fête 
athénienne  qui  fut  célébrée  pour  la  première  fois  sous  le 
règne  de  Thésée. 

AlMAÎOX,  né ,  ainsi  que  son  frère  Moab,  du  commerce 
incestueux  de  Loth  avec  ses  fdles,  fut  le  père  d'un  grand 
peuple,  connu  sous  le  nom  d'Ammonites,  comme  son 
frère  fut  la  souche  des  INIoabites. 

AMJIOJV  (CnRisTopHE-FRÉDÉRic  d'),  premier  prédica- 
teur de  la  cour  à  Dresde,  l'un  des  théologiens  les  plus  dis- 
tingués et  l'un  des  orateurs  sacrés  les  plus  ingénieux,  de  notre 
siècle,  était  né  le  IC  janvier  1766,  à  Baireuth.  Après  avoir  fait 
ses  études  à  Erlangen,  il  fut  nommé  en  1789  professeur 
agrégé  de  pliilosophie ,  et  en  1792  professeur  titulaire  de 
théologie  et  prédicateur  de  l'Université.   En    1794   il  fut 
appelé  en  la  même  qualité  et  avec  le  titre  de  conseiller  de 
consistoire  à  Gœttingue  ;  mais  en  1804  il  revint  reprendre  ses 
fonctions  à  Erlangen,  où  plus  tard  il  obtint  la  cure  de  la  A'ew- 
stadt,  et  où  il  fut  nommé  surintendant,  puis,  en  ISIO,  con- 
seiller ecclésiastique.  En  1813  il  accepla  à  Dresde,  en  rempla- 
cement de  Reinhard,  les  fonctions  qu'il  occupait  encore  à  sa 
mort,  arrivée  en  1850.  Après  avoir  refusé  à  diverses  reprises 
les  offres  des  plus  hautes  dignités  ecclésiastiques  qui   lui 
furent  faites  par  d'autres  souverains,  il  (ut  nonuné,  en  1831, 
par  le  roi  de  Saxe,  membre  du  conseil  d'État  et  du  ministère 
des  cultes  et  de  l'instruction  publique ,  conseiller  intime  ec- 
clésiasli(jue,  et  enfin  vice-président  du  consistoire  supérieur. 
Dans  ses  preuiiers  ouvrages  exégétiques ,  Ammon  s'était 
rattaché  aux  principes  de  Heyne,  d'Eichhorn  et  de  Koppe, 
qui  avaient  transformé  la  science  de  l'interprétation  en  phi- 
losophie de  l'interprétation,  devenue  de  plus  en  plus  scep- 
tique et  négative,  et  ne  laissant  plus  subsister  du  texte  de 
la  Bible  que  Tinterprète  avec  ses  opinions  in  lividuelles. 
Ammon  choisit  donc  les  principes  de  la  philosophie  de  Kant, 
comme  le  remède  le  plus  énergique  à  employer  contre  les 
entraînements  du  scepticisme  biblique ,  et  sa  morale  ainsi 
que  sa  dogmatique  sont  fondées  sur  le  principe  de  la  raison 
pratique.  Au  total ,  il  est  resté  fidèle  aux  principes  de  celte 
philosophie,  qui  plus  que  tout  autre  système  atteint  le  but 
suprême  de  la  véritable  théologie,  à  savoir  :  l'union  de  la 
science  et  de  la  foi.  Ses  opinions  religieuses  ont  pour  prin- 
cipe que  la  vérité  n'existe  ni  dans  le  sentiment,  ni  dans 
la  fornnile ,  ni  dans  la  lettre ,  mais  dans  la  connaissance  de 
l'être  vivant  conforme  aux  lois  de  l'esprit.  Par  conséquent 
il  professe  en  théologie  naturelle  le  théisme ,  et  en  théologie 
chrétienne  l'union  intime  de  Dieu  avec  Jésus-Christ;  en 
morale,  il  croit  que  le  bien  suprême  provient  de  Dieu  et  de 
sa  grâce.   Adversaire  du   supernaturalisme  en  tant  que  foi 
en  la  révélation  sans   science,  et  du  rationalisme  comme 
science  sans  foi,  .\mmon  rejette  également  ces  deux  systèmes, 
et  se  déchire  en  faveur  d'une  sorte  de  supernatnralisme 
rationnel ,  dans  lequel  la  foi  commence  là  où  cesse  la  science. 
C'est  en  ce  sens  qu'il  |)rit  la  paiole  en  1817,  à  propos  des  dis- 
cussions soulevées  par  les  thèses  de  Hermès ,  et  Schleier- 
macher  lui  reprocha  à  celte  occasion  la  trop  grande  habileté 
de  ses  échappatoires.  Quand  il  fut  (lucstion  de  la  fusion  des 
deux  Églises  protestantes,  au  sujet  de  laquelle  il  avait  eu 
en  1818  l'occasion  d'exprimer  {xdjliquement  sou  opinion 
avant  tous  autres,  ce  ne  fut  pas  la  réunion  en  elle-même 
qu'il  blâma,  mais  la  confusion  polili(iue  des  ûi^xw  Eglises 
p.our  ne  plus  f^rncr  qu'un  tout  en  conlùiuelle  l'cnncntatior>. 


A^niON  —  AMMONIAQUE 


redoutant  qu'elle  eût  pour  conséquence  d'iUirauler  la  base 
nii'ine  du  protestantisme,  défavoriser  le  mysticisme  par  l'iu- 
diflerenlisme,  et  de  fuiir  par  faire  naître  de  nouvelles  sectes 
dans  l'Église  évangelique.  On  trouve  dans  tous  les  ouvrages 
et  dans  tous  1er.  sermons  d'Anunon  la  preuve  de  ses  sagaces 
études  et  l'humble  aveu  des  limites  de  l'esprit  humain  qui 
conduit  à  la  foi.  Son  humanité  et  la  tolérance  qu'il  témoigna 
à  l'cgard  de  tous  ceux  qui  ne  pensaient  pas  comme  lui 
prouvent  encore  qu'il  était  animé  du  véritable  esprit  chré- 
tien. Profondément  versé  non-seulement  dans  les  langui  s 
classiques  de  l'antiquité,  mais  encore  dans  les  langues  orien- 
tales et  dans  les  langues  modernes  ,  il  possédait  d'ailleurs  un 
inépuisable  trésor  de  coimaissances.  l'eu  d'hommes  avaient 
à  un  aussi  haut  degré  que  lui  le  don  de  comprendre,  de 
distinguer  et  d'exposer,  et  d'arriver  au  cceur  en  convainquant 
l'intelligence.  Son  principal  ouMage  a  pour  titre  Contimta- 
tion  du  c/iristia)iisme  comme  religion  ïiniverse/le.  11  y 
démontre  que  le  but  suprême  de  la  théologie  doit  être  de 
mettre  la  religion  chrétienne  constamment  en  rapport  avec 
les  progrès  de  la  science.  C'est  dans  ce  livre  ,  ainsi  que  dans 
son  Manuel  de  Morale  chrétienne,  qu'il  a  surtout  déployé 
la  richesse  de  ses  connaissances  et  la  profondeur  de  son  ju- 
gement. On  a  en  outre  de  lui  un  grand  nombre  d'ouvrages 
de  théologie,  de  morale  et  de  controverse. 

Son  lils  aîné,  Frédéric-Guillaume  d'Amjion,  néen  1795, 
professeur  de  théologie  à  l'Université  d'Erlangen,  s'est  éga- 
lement fait  un  nom  par  la  publication  de  divers  ouvrages 
théologiques.  Son  fds  cadet ,  Frédéric-Auguste  d'Amiion  , 
né  en  1799,  médecin  particulier  du  roi  de  Saxe,  est  célèbre 
par  les  études  toutes  spéciales  auxquelles  il  s'est  livré  au 
sujet  de  la  cécité  et  de  toutes  les  maladies  de  l'œil.  Nous 
citerons  surtout ,  comme  productions  qui  lui  assurent  un 
nom  durable  dans  la  science,  ses  Expositions  cliniques 
des  maladies  et  des  vices  de  conformation  de  Vœil  hu- 
main, des  paupières  et  des  glandes  lacrymales,  suivies 
d'observations  et  de  recherches  particulières  (Berlin,  1838; 
3  vol.  in  fol.)  ;  De  Genesi  et  usu  maculx  lutex  in  relina 
oculi  humani  ohvix  (SVeÀmRr,  1830);  Maladies  chirur- 
gicales congénioles  chez  l'homme  (Berlin,  1840). 

AMMOA'ÉEXS  (Terrains).  Les  terrains  crétacé,  néo- 
eomien,  jurassique,  liasique ,  triasique,  et  pénéen,  dont 
l'ensemble  forme  la  classe  des  terrains  secondaires,  ont  aussi 
reçu  des  géologues  le  nom  à'avDnonéens,  parce  qu'ils  con- 
tiennent un  grand  nombre  de  ces  coquilles  fossiles  appelées 
ammonites. 

AiniOXÉES  et  A]\mOXITES.  Le  premier  de  ces 
noms  a  été  donné  par  Lamarck  à  une  famille  de  mollusques 
dont  on  ne  connaît  que  les  coquilles,  qu'on  ne  trouve  plus 
qu'à  l'état  fossile,  et  qui  sont  répandues  avec  profusion  dans 
les  couches  de  l'écorce  du  globe  terrestre,  depuis  les  terrains 
de  transition  jusque  dans  les  deniiers  terrains  secondaires, 
y  compris  la  craie  tufeau.  On  les  trouve  principalement  dans 
les  couches  calcaires  exploitées  comme  pierres  à  bâtir. 
M.  Rang  place  la  famille  des  amraonées  dans  l'ordre  des 
siphonifères,  classe  de  mollusques  céphalopodes,  entre  les 
naulilacés  et  les  péristellés.  Cette  famille  comprend  les  gen- 
res ammonite,  scaphite,  créocératite,  hamite  et  baculite.  Le 
genre  ammonite  est  nommé  vnlgairement  corne  d'Ammon,  à 
cause  de  sa  ressemblance  avec  les  conies  de  bélier,  attribut 
de  Jupiter-Ammon.  Ces  coquilles,  dont  l'étude  est  du  plus 
grand  intérêt  en  géologie,  ont  été  l'objet  de  recherches  nom- 
breuses, qu'on  doit,  dans  ces  derniers  temps,  à  MM.  Rei- 
necke,  de  IJuch,  de  Munster  et  de  Blainville.  —  Les  carac- 
tèies  de  la  famille  des  ammonées  sont  :  coquille  s[)irale  ou 
droite,  polylhalame,  cloison  découpée,  cavité  supérieure  à  la 
dernière  cloison  très-grande  et  engainante,  siphon  marginal, 
animal  inconnu.  L.  Laurent. 

AMMOMAC  (Gaz,  Sel).  Foyes  Amiiomaoie. 

A.'\UÏ0A'!.\QUE.  On  fait  venir  ce  nom  de  l'oasis  dAni- 
uwn,  d'où  l'on  tirait  dans  l'anLiquilé  du  chlorhvdrate  d';;n' 


485 

moniaqne.  D'autres  prétendent  que  l'ammoniaque  était  de- 
puis fort  longtenqis  connue  des  Arabes,  et  qu'ils  l'ont  ainsi 
appelée  à  cause  de  l'analogie  que  son  odeur  présente  avec 
celle  de  la  gonnne  du  même  nom. 

C'est  un  gaz  incolore,  transparent,  dune  saveur  caustique, 
caractérisé  par  une  odeur  forte  et  pénétrante.  Respiré  à 
l'état  pur,  ce  gaz  irrite  vivement  la  muqueuse  des  fosses  na- 
sales et  la  conjonctive,  i)roduit  le  larmoiement  et  (pielquefois 
réternument.  Sa  densité  est  0,5912,  et  par  conséquent  c'est 
après  l'hydrogi'ne  le  gaz  le  plus  léger.  L'ammoniaque  n'est 
pas  im  gaz  permanent  ;  un  froid  de  52°  la  liquéfie,  sous  la 
pression  ordinaire;  par  la  compression,  Faraday  l'a  liqué- 
fiée à  10"  au-dessus  de  zéro.  L'ammoniaque  est  le  seul 
gaz  qui  jouisse  de  propriétés  alcalines  ;  ainsi  elle  verdit  le 
sirop  de  violettes,  et  ramène  au  Itleu  la  teinture  rougie  de 
tournesol.  C'est  là  ce  qui  l'avait  fait  nommer  alcali  vo- 
latil ;  la  plus  forte  chaleur  ne  décompose  pas  l'ammonia- 
que ;  mais  elle  ne  résiste  pas  à  l'action  d'une  série  d'étincelles 
électriques,  et  elle  double  alors  de  volume  :  ainsi  100  vo- 
lumes de  gaz  ammoniac  donnent,  l'opération  faite,  200  vo- 
lumes de  gaz.  Or,  si  l'on  ajoute  dans  l'eudiomètre  à  ces 
200  volumes  de  gaz  75  volumes  d'oxygène,  et  qu'on  y  fasse 
passer  l'étincelle  électricpie,  il  ne  reste  que  50  volumes; 
225  volumes  ont  disparu  à  l'état  d'eau,  l'oxygène  y  entre 
pour  le  tiers  (  75  vol.  )  et  l'hydrogène  pour  les  deux  tiers 
(  150  vol.  ).  Les  50  volumes  qui  restent  sont  de  l'azote  pur. 
Donc  200  volumes  de  gaz  ammoniac  se  composent  de  150 
volumes  d'hydrogène  et  de  50  volumes  dazote.  De  là  la 
formule  AzH^. 

L'oxygène  et  l'air  ne  décomposent  l'ammoniaque  qu'à  une 
haute  température  ;  il  en  résulte  de  l'eau,  une  petite  quan- 
tité d'acide  nitrique  et  de  l'azote  libre.  Le  charbon  végétal 
absorbe  jusqu'à  90  fois  son  volume  de  ce  gaz.  Le  chlore 
enlève  l'hydrogène  à  l'ammoniaque  ;  il  se  produit  du  sel 
ammoniac  et  de  l'azote  pur.  L'iode  décompose  aussi  l'am- 
moniaque, et  donne  naissance  à  un  liquide  visqueux, 
d'aspect  métallique  (  iodure  d'ammoniaque),  qui  en  con- 
tinuant d'absorber  du  gaz  ammoniac  perd  son  éclat  et  sa 
viscosité.  Si  l'on  verse  de  l'eau  sur  ce  composé,  il  se  pro- 
duit aussitôt  une  matière  brune  particulière,  Vazotide 
d'iode,  qui  par  la  dessiccation  acquiert  la  propriété  de  détoner 
violemment.  Si  l'on  fait  passer  l'ammoniaque  à  travers  un 
tube  de  porcelaine  chauffé  au  rouge,  il  n'y  a  pas  décom- 
position lorsque  le  tube  est  vernissé  et  bien  poli;  mais  si  on 
y  place  des  fragments  de  n'importe  quelle  substance  étran- 
gère, il  y  a  décomposition  complète  de  l'ammoniaque  ;  et 
quand  on  vient  à  examiner  les  fragments  de  fer,  cuivre, 
platine,  etc. ,  placés  dans  le  tube,  on  constate  qu'aucune  com- 
binaison n'a  eu  lieu,  mais  que  leurs  molécules  ont  éprouvé 
seulement  une  sorte  de  déplacement ,  par  exemple  que  lo 
cuivre  ,  de  malléable  qu'il  était ,  est  devenu  cassant.  Gay- 
Lussac  donnait  à  ce  phénomène  le  nom  (Tact ion  de  pré- 
sence, et  Berzelius  l'appelait  ;j/(e?;o?HèHe  catalytique. 

L'ammoniaque  s'unit  à  divers  oxydes  métalliques.  Les 
composés  qu'elle  forme  avec  l'argent,  l'or  et  le  platine  sont 
fulnn'nants.  Le  premier  détone  avec  une  violence  extuême 
par  le  choc  et  même  par  le  simple  frottement  :  la  chaleur  le 
décompose ,  mais  avec  moins  de  violence.  Le  second  se  dé- 
compose avec  détonation  par  le  choc  ou  par  une  chaleur 
de  100°.  Le  troisième  résiste  au  frottement,  au  choc  et  à 
l'électricité;  mais  il  se  décompose  violemment  à  214". 

L'ammoniaque  possède  comme  toutes  les  bases  la  pro- 
priété de  se  combiner  avec  les  acides  pour  former  des  com- 
posés salins.  Les  hijdracidcs  (  acide  chlorbydrique,  brom- 
hydrique,  suHliydrique,  etc.  )  peuvent  se  combiner  à  l'état 
anhydre  avec  le  gaz  ammoniaque  desséché.  Il  en  résulte 
des  composés  qui  jouent  pour  la  plupart  le  rôle  de  bases. 
Mais  pour  que  les  oxacides  (  acide  sulfurique,  phospho- 
rique ,  etc.  )  puissent  produire  des  .sels  ammoniacaux  ,  la 
Iiréscncc  d'uu  équivalent  d'eau  est  absolument  uécessairc 


486 


AMMOiMAOUE 


Ce  fait  remarquable  a  doiiié  lion  k  la  (liéorîe  de  Vammo- 
n  ium.  Ampère  a  proposé  de  considérer  les  produits  ammo- 
niacaux comme  étant  for.ms  [lar  une  espèce  de  métal  com- 
posé, Vammonium.  C'est  une  des  plus  belles  pensées  que 
cet  homme  illustre  nous  ait  léguées.  Suivant  cette  théorie, 
l'ammoniaque  AzH^  se  convertit  au  contact  d'un  acide  hy- 
draté en  une  oxybase  analogui'  à  la  potasse  ou  à  la  soude. 
Dans  cette  action  un  é{[uivalent  d'eau  IIO  se  porte  sur 
AzU^  pour  former  AzH'^O,  c'est-à-dire  de  l'oxyde  d'am- 
monium dont  le  radical  AzII^ ,  amnionium,  est  analogue  au 
potassium  et  au  sodium.  On  comprend  alors  pourquoi  les 
iiydracides  n'ont  pas  besoin  de  l'intervention  de  l'eau  pour 
se  combiner  avec  l'ammoniaque.  On  invoque  encore  à  l'appui 
de  cette  théorie,  qui  est  cependant  loin  d'être  généralement 
adoptée,  les  analogies  qu'on  remar(]iie  entre  les  combinai- 
sons que  l'ammoniaque  humide  produit  avec  le  soufre  et 
celles  que  la  potasse  forme  avec  ce  môme  corps,  et  enfin  le 
fait  que  l'alun  à  base  d'ammoniaque  offre  la  même  cristal- 
lisation et  contient  le  même  nombre  d'équivalents  d'eau 
que  l'alun  à  base  de  potasse.  D'après  l'ancienne  théorie, 
l'ammoniaque  est  ww  hydrobase  qui  se  comporte  différem- 
ment avec  les  hydracides  et  les  oxacides.  La  théorie  de 
l'annnonium  présente  au  moins  l'avantage  d'assimiler  l'am- 
moniaque aux  autres  alcalis  et  de  n'en  point  faire  une  ex- 
ception singulière. 

Le  gaz  ammoniac  se  dégage  souvent  en  abondance  des 
fosses  d'aisances,  surtout  dans  la  chaude  saison,  à  l'approche 
d'un  temps  pluvieux  ;  il  se  forme  aussi  dans  la  putréfac- 
tron  de  presque  toutes  les  matières  organiques ,  mais  alors 
il  est  presque  constamment  mêlé  à  d'autres  gaz ,  comme  à 
l'hydrogène  sulfuré  ,  l'azote  ,  l'hydrogène  carboné  ,  l'acide 
carbonique ,  qui  se  dégagent  en  même  temps.  L'oxydation 
du  fer  au  contact  de  l'eau  et  de  l'air  atmosphérique  donne 
également  lieu  à  un  dégagement  d'ammoniaque.  A'auquelin, 
Uulong  et  M.  Chevalier  ont  constaté  sa  présence  dans  la 
rouille  du  fer. 

Si  la  quantité  d'ammoniaque  est  assez  faible  pour  que 
.sa  présence  ne  soit  jias  constatée  par  l'odorat ,  on  la  dé- 
couvre en  approciiant  de  la  matière  à  analyser  une  tige  de 
verre  trempée  dans  de  l'acide  chlorhydrique  concentré.  A 
l'instant  il  se  produit  des  vapeurs  épaisses  de  chlorure 
d'ammonium  qui  se  déposent. 

On  prépare  depuis  longtemps  en  Egypte  l'ammoniaque, 
ou  plut(')t  le  sel  ammoniac,  en  calcinant  les  fientes  des  cha- 
niKuix.  On  la  relire  maintenant  des  eaux  qui  proviennent 
de  la  distillation  qu'on  fait  subir  à  la  houille  pour  produire 
le  gaz  de  l'éclairage.  On  l'obtient  aussi  en  grand  en  distillant 
par  la  chaux  les  urines  et  les  matières  putréfiées.  L'ammo- 
niacpae  se  dégage  dans  des  flacons  pleins  d'acide  chlorhy- 
drique ou  d'acide  sulfurique  étendu.  A  la  fin  de  l'opération 
les  flacons  sont  remplis  de  chlorure  d'ammonium,  ou  de 
sulfate  d'ammoniaque  qui  cristallisent.  On  obtient  ensuite 
facilement  l'ammoniaque  à  l'état  de  gaz  en  traitant  le 
chlorure  ou  le  sulfate  par  la  chaux  ou  la  potasse,  et  l'on  re- 
cueille le  gaz  ammoniac  sur  du  mercure,  car  il  se  dissout 
dans  l'eau.  Dans  les  lahoratoireson  décompose  parla  chaux 
un  sel  ammoniacal,  ordinairement  le  chlorliydrate. 

L'azote  et  l'hydrogène,  éléments  de  l'ammoniaque,  ne 
se  combinent  pas  directement.  L'intervention  de  l'électri- 
cité est  nécessaire,  ainsi  que  la  présence  d'une  certaine 
quantité  d'acide  chloihydrique  ,  ou  d'acide  sulluriciue. 

Le  gaz  ammoniac  est  éminemment  soluble  dans  l'eau  ;  en 
effet,  elle  en  absorbe  environ  six  cent  soixanfe-diK  fois  son 
volume,  presque  la  moitié  de  son  poids, à  la  température 
ordinaire.  Cette  dissolution,  qu'on  nommait  autrefois  alcali 
volatil  Jluor,  qu'on  nomme  aujourd'hui  ammoniaque  li- 
quide, est  limpiile,  incolore,  d'une  saveur  ûcre  et  brillante, 
ramènir  au  bleu  le  papier  rougi  de  tournesol ,  verdit  le 
sirop  de  violettes  ,  sature  complètement  les  acides  et  forme 
avec  eu\  des  sels  généralement  crista'.lisahles.   Lorsiju'on 


chauffe  l'ammoniaque  liquide ,  elle  laisse  se  dégager  la  pins 
grande  partie  du  gaz.  Pour  préparer  l'ammoniaque  liquide, 
on  se  sert  de  l'appareil  de  Woolf.  On  introduit  un  mé- 
lange de  quatre  parties  de  chlorhydrate  d'ammoniaque 
contre  cinq  parties  de  chaux  vive  dans  une  cornue  de 
fer  à  laquelle  on  adapte  un  tube  de  Welter.  Le  premier 
llacon  ,  que  l'on  nonune  flacon  de  lavage,  contient  un  lait 
de  chaux  destiné  à  retenir  l'acide  carbonicpie  qui  se  dé- 
gage d'ordinaire  dans  la  calcination.  On  met  de  l'eau 
dans  les  autres  flacons  jusqu'au  tiers  seulement,  car  l'eau 
augmente  des  deux  tiers  de  son  volume  eu  se  saturant 
de  gaz.  L'ammoniaque  liquide  est  précipitée ,  comme  la 
potasse,  en  jaune  orangé,  parle  perchlorure  de  platine, 
lille  donne  avec  le  sulfate  d'alumine  de  l'alun,  et  ce  der- 
nier précipité  ne  se  forme  d'ordinaire  qu'à  la  longue.  L'a- 
cide tartrique  concentré  ne  précipite  la  dissolution  d'am- 
moniaque que  lorsque  celle-ci  est  très-concentrée. 

L'ammoniaque  est  une  base  aussi  énergique  que  les 
oxydes  des  métaux  alcalins.  Les  sels  ammoniacaux  sont  in- 
colores ,  à  moins  que  l'acide  ne  soit  coloré  ;  ils  ont  tous 
une  saveur  piquante ,  cristallisent  presque  tous ,  et  se  dé- 
composent par  l'action  du  feu.  Tous  se  dissolvent  dans  l'eau, 
mais  ils  ne  sont  précipités  de  leurs  dissolutions  ni  par  les 
carbonates  de  potasse  ,  de  soude  et  d'ammoniaque ,  ni  par 
les  sulfhydrates,  ni  par  le  cyanhydrate  de  potasse.  Le  chlo- 
inire  de  platine ,  au  contraire  ,  y  détermine  un  précipité 
jaune,  et  le  sulfate  d'alumine  un  précipité  cristallin.  Tri- 
turés avec  de  la  potasse  ou  de  la  soude,  ils  dégagent  tous  de 
l'ammoniaque.  l'iusieurs  de  ces  sels,  et  particulièrement  le 
chlorhydrate,  le  carbonate  et  l'acétate,  possèdent  la  propriété 
remarquable  de  dissoudre  et  de  faire  cristalliser  d'autres  sels 
très-peu  solubles  dans  l'eau ,  comme  les  sulfates  di'  barjie, 
de  chaux,  de  plomb  ;  il  f;)ut  pour  cela  opérer  à  la  tempéra- 
ture de  60  à  70".  Le  chlorhydrate  d'ammoniaque ,a\'>\i^\é 
vulgairement  sel  ammoniac  ,  est  blanc,  d'une  saveur  fraî- 
che et  piquante,  très-soluble  dans  l'alcool.  11  est  également 
soluble  dans  moins  de  .3  parties  d'eau  à  15°,  et  plus  soluble 
encore  dans  l'eau  bouillante.  11  entre  en  déliquescence  à 
96°  de  l'hygromètre  ;  il  cristallise  en  longues  aiguilles ,  lé- 
gèrement flexibles  qui  se  groupent  en  forme  de  barbes  de 
plume.  Soumis  à  l'action  du  feu,  il  fond  dans  son  eau  de 
cristallisation,  puis  bout  et  se  sublime  sous  fonne  de  va- 
peurs blanches.  Ce  sel  résulte  de  la  combinaison  directe 
de  l'acide  avec  la  base.  Sa  formule  est  AzH-iCl.  Traite  par 
l'acide  sulfurique ,  il  dégage  l'acide  chlorhydrique;  chauffé 
avec  le  même  acide  et  avec  du  peroxyde  de  manganèse ,  il 
dégage  du  chlore.  11  précipite  le  nitrate  d'argent;  le 
précipité  noircit  à  la  lumière,  et  ne  se  dissout  que  dans  l'am- 
moniaque. ÎN'ous  parlerons  plus  loin  de  son  eniploi  dans  les 
arts  ;  on  le  vend  dans  le  commerce  sous  forme  de  pains 
moulés  dans  des  vases  sphériqucs,  convexes  d'un  coté,  con- 
caves de  l'autre  et  percés  au  milieu.  La  fabrication  du  sel 
ammoniac  est  une  industrie  importante.  Il  existe  tout  formé 
dans  la  nature,  dans  les  laves  des  volcans  en  activité,  dans 
les  fissures  des  houillères  en  combustion. 

Il  y  a  plusieurs  carbonates  auunoniacaux.  Le  plus  im- 
portant est  le  sesquicarbonate  d'ammoniaque,  souvent 
appelé  alcali  volatil  concret,  et  improprement  cor^oHo^e 
d'ammoniaque.  Le  sulfate  d'ammoniaqiie  se  trouve  dans 
la  nature  combiné  avec  le  sulfate  d'alumine,  et  dans  ce  cas 
il  constitue  \'ahin  à  base  d'ammoniaque.  La  suljhy- 
drate  d'ammoniaque  n'existe  qu'en  dissolution  dans  l'eau. 
Quand  on  essaye  de  l'en  séparer,  il  ahandoime  de  l'ammo- 
niaque, et  f~ecor\\ciX\tvn  sul/hyd rate  d'ammoniaque  hy- 
drosnlfurp,  un  des  gaz  délétères  des  fosses  d'aisances.  Le  suif- 
hydrate  d'ammoniaipie  est  un  des  réactifs  que  la  chimie  J 
emploie  le  plus  souvent.  La  liqueur  fumante  de  Boy  le  | 
est  le  suiriiydrate  d'ammoniafiue  sulfuré  à  l'éîat  «le  dissolu- 
tion aqueuse.  Le  nitrate  d'ammoniaque  cristallise  on  longs 
prismes  incolores ,   striés  :  sa  saveur  est  pi(iuanîe  ;   il  est 


AMMONIAQUE  —  AMMONIUS 


très-soluble  ilans  IVaii  et  y  il«5termiui^  un  abaissomiMit  no- 
table (!e  lempiM-iluiv.  On  l'appelait  autrefois  n'itrum flnin- 
vuiiis,  parce  cpi'il  bnlle  avec  flamme.  Cliauffé  à  200°,  il  s;^ 
décompose  en  eau  et  en  proto\\iIe  d'azote.  Lcjluorhijdrafe 
tV ammoniaque  est  très-soluble  dans  l'eau.  On  s'en  sort  pour 
graver  sur  verre.  Nous  avons  parlé  de  VaccHate  d'animo- 
niaque  à  l'article  Acétate. 

L'anunoniaque  et  quelques-uns  de  ses  composés  sont  d'un 
usage  fréquent  dans  la  médecine  ,  dans  l'industrie  et  dans 
l'agriculture. 

Introduite  dans  l'estomac  ou  injectée  dans  les  veines  à  l'état 
de  concentration  ,  l'ammoniaque  liquide  agit  comme  un  poi- 
son irritant  très-énergique  ;  elle  cause  la  mort ,  soit  par 
son  action  sur  le  système  nerveux ,  et  particulièrement  sur 
la  moelle  vertébrale ,  soit  en  produisant  une  inllammation 
locale  que  suit  bientôt  l'irritation  sympatiiique  du  cerveau. 
L'eau  vinaigrée  est  le  meilleur  contre-poison  de  l'ammonia- 
que. Appliquée  sur  la  peau,  l'ammoniaque  peut,  suivant  la 
durée  du  contact,  la  dose  et  le  degré  de  concentratioa,  pro- 
duire ou  la  rubéfaction,  ou  la  vésication,  ou  la  cautérisation. 
On  emploie  l'ammoniaque  à  l'usage  externe  pour  faire  des 
vésicatoires  extemporaires.  La  préparation  ammoniacale 
qui  remplit  le  mieux  cet  objet  est  la  pommade  ammoniacale 
de  Gondret ,  formée  de  deux  parties  d'ammoniaque  très- 
concentrée  et  d'un  mélange  d'uue  partie  d'axonge  et  d'une 
partie  de  suif  fondus  à  une  douce  chaleur.  C'est  un 
puissant  résolutif,  qui  produit  une  vésication  par  un  con- 
tact peu  prolongé.  On  l'emploie  surtout  dans  l'amaurose 
pour  cautériser  le  cuir  chevelu.  L'ammoniaque  est  la  base 
des  liniments  volatils  usités  contre  les  engorgements  indo- 
lents et  les  douleurs  rhumatismales  chroniques.  On  admi- 
nistre l'ammoniaque  comme  stimulant  interne  diflïïsible. 
On  ne  la  donne  que  par  gouttes  dans  une  potion  appropriée; 
son  effet  est  rapide  ,  mais  ne  dure  pas.  Elle  absorbe  instan- 
tanément le  gaz  acide  carbonique ,  qui  quelquefois  distend 
l'estomac ,  par  exemple ,  chez  les  animaux  herbivores  af- 
fectés de  météorisme.  C'est  surtout  un  puissant  sudorifi- 
que,  et  cette  propriété  la  rend  précieuse  dans  une  foule  de 
circonstances.  On  l'emploie  avec  succès  contre  la  morsure 
des  insectes  et  autres  animaux  venimeux,  particulièrement 
la  vipère.  Douze  gouttes  d'ammoniaque  concentré  dissi- 
pent l'ivresse. 

Le  sel  ammoniac  est  un  stimulant  :  introduit  à  haute 
dose  dans  les  voies  digcstives,  il  peut  causer  l'empoisonne- 
ment. Pour  l'usage  intérieur,  on  le  prescrit  à  la  dose  de  trente 
ou  quarante  grains  par  jour  dans  une  tisane  appropriée  ;  il 
a  été  employé  comme  fondant  ;  on  l'a  vanté  dans  les  phleg- 
raasies;  on  le  dit  encore  diurétique,  antiputride,  et  on  lui 
attribue  une  action  spéciale  sur  le  système  lymphatique.  On 
l'emploie  plus  fréquemment  à  l'extérieur,  dissous  dans  l'eau, 
1  ou  2  gros  par  litre.  On  s'en  est  servi  comme  gargarisme 
dans  l'angine  pituiteuse  ;  il  entre  dans  des  collyres  excitants  ; 
on  l'applique  comme  résolutif  sur  le  sein  ou  les  testicules  en- 
gorgés, sur  les  chairs  contuses,  les  membres  fracturés,  etc. 

Dans  les  arts  on  emploie  l'ammoniaque  liquide  pour  dé- 
gi'aisser  les  étoffes,  nettoyer  l'argenterie.  Elle  sert  encore  à 
conserver  la  substance  nacrée  tirée  des  écailles  de  l'ablette 
que  l'on  fait  servir  à  la  fabrication  des  peiles  fausses.  Le  sel 
ammoniac  est  généralement  employé  pour  désoxyder  les  mé- 
taux ;  les  chaudronniers  s'en  servent  pour  décaper  le  cuivre, 
et  l'emploient  pourl'étamage  et  la  soudure.  Le  sulfate  d'am- 
moniaque entre  dans  la  fabrication  de  l'alun,  et  le  phosphate 
d'ammoniaque  rend  incombustibles  les  étoffes  (pie  l'on  a 
plongées  dans  sa  dissolution.  Ce  phénomène  s'explique  aisé- 
ment :  le  sel  est  décomposé  parla  chaleur,  l'ammoniaque  se 
dégage,  et  il  reste  sur  le  tissu  une  légère  couche  vitreuse 
d'acide  pyrophosphorique. 

L'agriculture  emploie  beaucoup  les  produits  ammoniacaux, 

à  cause  de  l'azote  qu'ils  renferment  ;i  l'état  de  combinaison. 

En  IS'iO,  M.  Adolphe  NVurlz  a  découvert  des  composés 


487 

qu'il  a  nommés  ammoniaques  nouvelles,  parce  qu'ils  con- 
tiennent le  radical  de  l'ammoniaque  (  AzH'  )  ,  plus  les  élé- 
ments du  méthylène  (C'II'),  de  l'élhylène  (CHI^  )  ou  du 
valérène  (C'"II'"  ).  M.  Wùrtz  a  donc  nommé  ces  produits 
mélhylammoniaque,  éthylammoniaque  et  valéranuuoniaque. 
Ces  substances  présentent  les  caractères  alcalins  de  l'am- 
moniaque. 

A.\LVIOI\IAQUE  (Gomme).  La  plante  qui  produit  cette 
gomme-résine  est  indigène  d'Afrique  et  des  Indes.  Wil- 
denow  et  Jackson,  dans  son  Tableau  du  Maroc,  l'ont  décrite 
différemment.  Cette  substance  a  une  odeur  fétide,  une  sa- 
veur amère;  elle  est  soluble  dans  l'eau,  l'alcool,  l'étber,  les 
solutions  alcalines  et  le  vinaigre.  Elle  est  composée  de 
70  parties  de  résine,  de  13  dégomme  et  de  4  insolubles. 
C'est  un  stimulant  à  l'intérieur,  et  à  l'extérieur  un  topique 
efficace  pour  le  traitement  des  tumeurs  indolentes. 

AMMONITE.  Voijez  Ammonées. 

AMMOÎVITES,  descendants  d'Ammon,  fds  né  du 
commerce  de  Loth  avec  sa  seconde  fille.  Ils  habitaient  à 
l'est  de  la  demi-tribu  de  Manassé,  et  avaient  pour  capitale 
Rabbath-Ammon ,  au  delà  du  Jourdain.  Ils  furent  conti- 
nuellement en  guerre  avec  les  Israélites.  Jephté ,  Saùl  et 
David  les  défirent  tour  à  tour,  et  Joab  les  anéantit. 

iVMMOXIUIVl.  Si  l'on  taille  dans  un  morceau  de  sel 
ammoniac  sublimé  une  petite  coupelle,  qu'après  l'avoir  hu- 
mectée on  y  place  un  globule  de  mercure ,  et  qu'on  fasse 
agir  une  pile  voltaïque  en  plaçant  la  coupelle  sur  une  lame 
de  platine  mise  en  communication  avec  le  pôle  positif,  tandis 
que  le  mercure  communique  avec  le  pôle  négatif,  on  voit  ce 
métal  augmenter  de  cinq  ou  six  fois  son  volume  et  se  trans- 
former eu  une  masse  d'un  blanc  d'argent  et  d'une  consistance 
molle.  Soumis  à  la  distillation,  ce  singulier  produit  se 
décompose  en  mercure,  en  gaz  ammoniac  et  en  hydrogène. 
Grave  l'a  solidifié  à  l'aide  d'un  mélange  d'éther  et  d'acide 
carbonique.  11  se  contracte  alors,  et  se  conserve  sans  altéra- 
tion sensible.  Il  est  cassant,  d'un  giis  foncé,  et  a  presque 
entièrement  perdu  son  éclat  métallique.  Il  se  décompose 
dès  qu'il  fond.  On  a  cru  voir  dans  ce  composé ,  découvert 
par  Seebeck  en  1808,1a  preuve  de  l'existence  d'un  radical 
métallique  non  isolé,  analogue  au  potassium  et  au  sodium. 
En  conséquence ,  on  a  donné  à  ce  radical  hypothétique  le 
nom  à' ammonium,  et  au  composé  celui  à'amaUjame 
d'ammonium.  L'ammonium  ne  serait  point  un  corps  simple 
comme  le  potassium  et  le  sodium,  mais  un  composé  d'azote 
et  d'hydrogène,  AzH^ ,  et  serait  aux  métaux  alcalis  ce 
que  le  cyanogène  est  au  chlore,  à  l'iode,  au  brome,  etc. 
Voyez  Ammoniaque. 

AIOIOAIUS,  nom  commun  à  plusieurs  savants  grecs, 
et  surtout  à  des  philosophes  appartenant  à  l'école  d'A- 
lexandrie. Les  principaux  sont  :  l"  Amjiomcs  d'Alexandrie , 
péripatéticien  du  premier  siècle,  qui  s'honorait  d'avoir  eu 
Plutarque  pour  disciple;  —  2°  le  plus  célèbre  de  tous,  Ammomus 
Saccas,  né  dans  la  pauvreté,  forcé  d'abord  de  se  faire  por- 
tefaix pour  vivre  (d'où  le  surnom  de  Saccas  ou  Sacco- 
phore),  et  qui  passe  pour  avoir  fondé,  vers  Tan  is.3  de  J.-C, 
l'école  néo-platonicienne  à  Alexandrie  {voyez  école  d'A- 
lexandkie).  Il  chercha  toute  sa  vie  à  concilier  Platon  et 
Aristote,  ne  laissa  aucun  écrit,  mais  forma  des  disciples 
distingués,  tels  que  Plotin,  Longin  et  Origène.  Les  Alexan- 
drins, dans  leur  polémique,  l'ont  souvent  opposé  h  Jesus- 
Chrrst  ;  d'où  est  venue  l'opinion  générale  qu'il  aurait 
quitté  la  religion  du  fils  de  Marie  pour  retourner  au  paga- 
nisme. —  3°  Ammonius,  fils  d'Hermeas,  philosophe  néo-plato- 
nicien, disciple  de  Proclus,  vivant  aux  cinquième  et  sixième 
siècles,  et  qui  a  laissé  de  bons  commentaires  sur  plusieurs 
ouvrages  d'Aristote.  —  4"  Ammomls  le  grammairien,  qui 
vécut  à  Alexandrie  au  quatrième  siècle,  et  a  laissé  un  Dic- 
tionnaire des  Synonymes,  .souvent  puliiié.  —  .')"  Enfin  Anir 
7nonius  le  lithotoine,  chirurgien  d'Alexandrie,  qui  a  fait  le 
promiei"  l'opéialioii  de  la  pierre. 


488 


AMNKSIE  —  AMNISTIE 


AMNÉSIE  (du  grec  à  privatif,  et  de  [AvyiTi:,  poiie  de  la 
mémoire).  Quelques  nosolof^istes,  et  eu  paiiiciilier  Sauvages, 
en  ont  fait  un  genre  de  maladie.  D'autres,  au  contraire,  ne 
l'ont  considérée  que  connue  un  symptôme  qui  se  rencontre 
dans  diverses  affections.  Ce  phénomène  offre  des  particu- 
larités curieuses.  Non-seulement  l'absence  de  mémoire  peut 
exister  à  différents  degrés,  depuis  le  plus  simple  affaiblisse- 
ment jusqu'à  l'abolition  complète ,  mais  souvent  aussi  elle 
est  partielle.  Certains  faits  restent  gravés  dans  la  mémoire; 
il  en  est  d'autres  ([u'clle  est  impuissante  à  retenir.  Ceux-ci , 
par  exemple,  oublient  les  noms,  les  lieux  ou  les  personnes  ; 
ceux-là  ne  se  souviennent  (jue  des  choses  de  leur  enfance 
ou  de  celles  qui  ont  (ait  époque  dans  leur  existence.  On  en 
voit  chez  qui  les  impressions  reçues  sont  aussitôt  effacées. 
Cependant,  mais  par  exception  rare ,  chez  quelques-uns  de 
ces  derniers,  il  arrive  que,  sur  les  faits  immédiatement  en 
rapport  avec  leurs  facultés  ou  leurs  habitudes ,  la  mémoire 
soit  assez  durable  pour  ne  pas  leur  interdire  les  distractions 
elles  occupations  auxquelles  ils  ontroutumede  se  livrer.  La 
perte  de  la  mémoire  est  un  des  signes  les  plus  caractéristiques 
delà  démence,  l'un  des  premiers  surtout  qui  annoncent  cette 
dégénération  de  l'intelligence.  Le  plus  souvent  alors  elle 
est  étendue  ,  et  devient  complèttï  si  elle  ne  l'est  pas  dans  le 
principe.  C'est  à  la  suite  d'attaques  de  paralysie  ou  de  ma- 
ladies graves  qu'on  observe  plus  particulièrement  les  pertes 
partielles  dont  j'ai  parlé  plus  haut.  Les  idiots  ont  en  gé- 
néral une  mémoire  bornée;  c'est  pour  cela  que,  même  à 
ceux  auxquels  on  reconnaît  une  apparence  d'intelligence,  il 
est  si  (liflicile  d'apprendre  quelque  chose.  L'amnésie,  sui- 
vant qu'elle  est  plus  ou  moins  prononcée,  entraîne  nécessai- 
rement l'incohérence  ou  la  nullité  des  idées.  Aussi  les  dé- 
ments sont-ils  comme  de  grands  enfants,  sans  énergie  et 
sans  volonté.  11  en  est  de  même  de  bon  nombre  de  vieil- 
lards ,  chez  qui  la  faiblesse  des  impressions  émousse  la  vi- 
vacité des  sentiments  moraux,  des  affections  et  des  instincts. 
—  On  connaît  à  peu  près  les  conditions  dans  lesquelles  se 
produit  l'amnésie.  Je  viens  d'en  énumérer  une  partie;  mais 
qnantaux  modifications  intimes  qui  président  à  sa  formation, 
c'est  vainement  que  jus([u'ici  on  a  cherché  à  en  pénétrer  le 
mystère.  D''  Delasiauve. 

AMiMOMAXCIE  (du  grec  â|iviov  ,  amnios;  [ictvxcîo!, 
divination).  Sorte  de  divination  qui  consistait  à  pi'édire  l'a- 
venir d'un  enfant  par  l'examen  de  la  disposition  de  l'am- 
ni os  au  moment  de  la  naissance.  Quand  cette  membrane 
enveloppait  la  tête,  c'était  un  heureux  présage  ;  et  c'est  de  là 
que  vient  le  proverbe  :  Il  est  né  coiffé,  en  parlant  d'un 
homme  à  qui  tout  réussit. 

AMXIOS.  C'est  le  nom  donné  à  une  des  membranes 
qui  environnent  le  fœtus  dans  le  sein  maternel  et  de  toutes 
la  plus  interne  et  la  plus  rapprochée  de  lui.  Elle  est  lisse, 
transparente  et  très-mince  comme  les  membranes  séreuses. 
M.  Serres  la  considère  comme  une  véritable  séreuse,  qui  selon 
lui  se  réiléchit  sur  la  peau  du  fœtus,  de  la  même  manière 
que  la  plèvre  le  fait  sur  les  poumons.  Ce  savant  anatomiste 
affirme  même  que  l'embryon  lors  des  premiers  mois  de  la 
grossesse  est  en  dehors  de  la  membrane  amnios  et  en  partie 
recouvert  par  elle.  On  ne  sait  pas  positivement  si  cette 
membrane  reçoit  les  vaisseaux  de  la  mère  ou  du  fivtus  ;  il 
est  probable  qu'elle  en  reçoit  de  l'un  et  de  l'antre.  C'est  l'am- 
nios  qui  produit ,  par  exhalation,  le  fluide  abondant  dans 
lequel  llolte  le  fo'tus.  On  l'appelle  eau  de  l'omnios  ;  il  est 
d'autant  plus  abondant  par  rapport  au  fcetus  qu'on  se  rap- 
proche davantage  de  la  fonnation  de  l'cruf.  Cette  humeur 
est  d'abord  claire  et  transparente;  plus  tard,  elle  devient 
légèrement  visqueuse,  et  se  charge  plus  ou  moins  de  flo- 
cons lactescents.  Une  remarque  assez  singulière,  c'est  que 
le  Uuide  amniotique  rougit  la  teinture  de  tournesol  et  ver- 
dit le  sirop  de  violette.  Lors  de  1  '  a  c  c  o  u  c  h  e  m  e  n  t ,  l'anmios 
une  fois  rompu,  l'utcTus,  moins  distendu  et  moins  rempli, 
revient  sur  lui-niOme  en  se  contractant  fortement ,  et  l'ex- 


pulsion de  l'enfant  par  les  voies  naturelles  devient  irrésis- 
tible. 

AMXîSTIE  (du  grec  à|xvr,cTÎa .  oubli).  L'amnistie  est 
un  acte  du  pouvoir  souverain,  qui  a  pour  objet  de  faire 
oublier  un  crime  ou  un  délit.  Proprement,  l'amnistie  est  un 
pardon  général  accordé  avant  jugement  à  des  individus  ipii 
ont  pris  part  à  des  crimes  ou  délits  spécifiés  ;  par  extension, 
c'est  un  acte  de  clémence  qui  proclame  l'oubli  des  crimes 
ou  délits  commis,  par  toute  une  classe  de  coupables ,  que 
ceux-ci  soient  àéjh  condamnés  ou  seulement  accusés.  Les 
am.nisties  sont  générales  ou  partielles,  selon  qu'elles  com- 
prennent tous  les  coupables  d'une  catégorie  de  crimes  ou 
qu'elles  en  exce|)tent  un  certain  nombre.  L'amnistie  peut 
s'appliquer  à  toutes  les  espèces  de  crimes  ou  délits  ;  mais 
l'histoire  s'occupe  surtout  des  amnisties  pour  crimes  poli- 
tiques. Les  souverains  les  accordent  ordinairement  à  l'occa- 
sion de  quelque  événement  heureux  ou  de  leur  avènement. 

Dans  les  monarchies,  le  droit  d'amnistier  semble  résulter 
du  droit  de  faire  grâce.  Sous  la  constitution  de  1848,  le 
président  de  la  Piépubliqiie  [louvalt  faire  grAce  après  avis  du 
Conseil  d'État;  mais  il  ne  pouvait  inoclanier  une  amnistie 
sans  le  concours  de  l'Assemblée  nationale.  La  constitution  de 
1852  a  rendu  le  droit  d'amnistie  à  l'empereur. 

Les  criminalistes  font  une  distinction  entre  amnistie  et 
grâce.  <'  L'amnistie  diffère  de  la  grâce,  a  dit  la  cour  de  cas- 
sation dans  un  arrêt  du  1 1  juin  1823,  en  ce  que  l'etTet  de  la 
grâce  est  limité  à  tout  ou  partie  des  peines,  tandis  que  l'am- 
nistie emporte  abolition  des  délits,  des  poursuites  ou  des 
condamnations,  tellement  que  les  délits  sont,  sauf  l'action 
civile  des  tiers,  comme  s'ils  n'avaient  jamais  existé.  »  — 
«L'amnistie  prévient  la  condamnation,  ajoute  M.  Dupin  ; 
la  grâce  fait  remise  de  la  condamnation  prononcée.  L'amnis- 
tie arrête  le  juge  ;  la  grâce  n'arrête  que  le  bourreau,  le  geô- 
lier et  le  percepteur.  »  —  De  ce  que  l'amnistie  abolit  le  crime, 
il  est  bien  entendu  qu'un  second  délit  commis  après  le 
premier  ne  peut  donner  lieu  à  l'application  des  peines  de  la 
récidive.  Le  condamné  amnistié  est  habile  à  déposer  en  jus- 
tice ;  enfin  l'amnistie  accordée  au  coupable  emporte  de 
plein  droit  l'amnistie  du  complice. 

«  L'amnistie,  adit  M.  de  Peyronnet,  est  souvent  un  acte  de 
justice,  quelquefois  un  acte  de  prudence  et  d'habileté.  » 
Lorsque  les  passions  ont  mis  un  terme  au  combat  qu'elles 
s'étaient  livré,  il  y  a  ordinairement  des  vainqueurs  et  des 
vaincus.  Si  le  vainqueur  fst  clément,  s'il  est  généreux,  il 
amnistiera ,  car  il  y  a  dans  l'amnistie  un  air  de  générosité 
et  de  force  qui  impose  aux  imaginations  populaires  et  met 
son  auteur  en  renom.  C'est  ce  qui  arrive  toutes  les  fois 
qu'il  y  a  eu  un  grand  coup  à  frapper,  le  lendemain  de  la  ba- 
taille. Bien  qu'on  l'ait  emporté  sur  son  adversaire,  si  cet 
adversaire  est  puissant,  on  est  entraîné  trop  loin  en  voulant 
poursuivTe  sa  vengeance.  Il  y  a  trop  de  coupables  après 
une  guerre  civile  pour  que  la  loi  du  plus  fort  elle-même  ne 
se  sente  fléchir  à  l'aspect  de  l'horrible  tâche  qui  lui  reste  à 
remplir.  Ne  vaut-il  pas  mieux  dans  ce  cas  s'exjjoser  en  par- 
donnant quelle  cherciier  la  tranquillité  dans  une  dure  répres- 
sion qui  ne  l'assure  pas  toujours  et  produit  souvent  de 
nouveaux  attentats?  L'histoire  no\is  prouve  que  de  pareilles 
considérations  n'ont  pas  été  sans  effet,  à  travers  les  siècles, 
soit  sur  les  triompliateurs  d'un  jour,  soit  chez  les  despotes 
les  plus  absolus,  soit  sur  les  grandes  assembléesdiliherantes. 

Les  Athéniens  furent   les  premiers  qui  employèrent  le 
terme  d'amnistie.  Ils  appelèrent  ainsi  la  loi  que  fit  rendre 
ïhrasybule  lorsqu'il  rétablit  le  gouvernement  démocra- 
tique à  Athènes.  Celte  loi  portait  qu"aucun  citoyen  ne  pour- 
rait être  recherché  ni  puni  pour  la  conduite  qu'il  avait  pu        i 
tenir   dans  les  troubles  causés   par  le  gouvernement  des       I 
trente  t\rans.  A  Rome  bien  souvent  les  partis  cpii  déchi-        * 
raient  la  n'-puhliiiue,  las  de  se  massacrer,  mettaient  bas  les 
armes  et  s'aumistiaient. 

Après  de  grandes  secousses  politi(iues,  l'oubli  du  passé  est 


A:\INîSTTE  —  AMORCE 


489 


une  ilos  ba>e>  tic  la  paix;  mais  trop  souvent  la  fureur  des 
partis  a  en  nnours  aux  amnisties  pour  mieux  assurer  ses 
vengeances.  L'amnistie  accordée  en  15'Oaux  huguenots  fut 
suivie,  deux  ans  après,  de  la  Saint-IJartiiélemi. 

l'arnii  les  aiuuisties  célèbres  dans  l'histoire,  nous  citerons 
celle  qui  fut  accord(-e  par  le  traité  de  Tassaw.  La  campagne 
de  l'électeur  Maurice  de  Saxe  y  est  qualifu'e  de  simple  excr- 
rice  militaire.  Par  1'  traité  de  Munst.r  il  fut  également  ac- 
conlé  une  amnistie  pleine  et  entière,  dont  l'ext'cution  trouva 
de  grands  obstacles.  Charles  II,  rétabli  sur  le  trône  d'An- 
gleterre ,  publia  une  amnistie  générale  ;  le  parlement  en 
excepta  les  régicides,  c'est-à-<lire  les  juges  de  Charles  1". 
La  révolution  française  est  riche  en  amnisties.  Le  parti  vic- 
torieux promettait  à  ses  adversaires  l'entier  oubli  du  passé 
en  le  réclamant  pour  lui.  Après  la  première  restauration,  il 
n'était  guère  possible  au  nouveau  gouvernement  d'accorder 
une  amnistie  entière  ;  il  se  borna  à  déclarer  (  article  1 1  de 
la  charte  constitutionnelle  )  que  nul  ne  pouvait  être  pour- 
suivi pour  opinions  politiques.  Malgré  son  abdication ,  Na- 
poliHîn,  à  son  retour  de  TUe  d'Elbe,  considéra  tous  ceux  qui 
avaient  coopéré  au  renversement  du  trône  impérial,  en  1S14, 
comme  criminels  d'État,  et  leur  accorda  une  amnistie  pleine 
et  entière,  dont  il  n'excepta  que  treize  des  plus  compro- 
mis, tels  que  le  prince  de  Talleyrand,  le  duc  de  Dalberg, 
Bourrienne,  etc.  A  la  seconde  restauration  l'amnistie  en 
faveur  de  ceux  qui  avaient  pris  part  à  l'usurpation  de  Na- 
poléon ne  fut  publiée  que  le  12  janvier  1816.  Ney,  Labé- 
doyère,  Lavalette,  Bertrand,  Rovigo  et  d'autres  personnages 
de  marque  en  furent  exceptés.  L'ordonnance  du  24  juillet 
1815  les  avait  placés  sous  le  coup  d'une  enquête  judiciaire. 
Les  régicides  et  les  membres  de  la  famille  Bonaparte  furent 
exilés  de  France.  Le  roi  se  réservait  en  outre  l;i  faculté  de 
bannir  du  royaume,  dans  l'espace  de  deux  mois,  le  maréchal 
Soult,  Bassano,  Vandamme,  Carnot ,  Hullin,  Merlin,  etc. 

Sous  le  gouvernement  de  Louis- Plnlippe  une  grande  am- 
nistie politique  fut  proclamée  en  1837,  à  l'occasion  du  ma- 
riage du  ducd'Orléans.  Sous  la  république,  de  1848  à  1851, 
il  n'y  eut  pas  d'amnistie;  il  n'y  eut  que^des  grâces  nom- 
breuses. Un  décret  du  16  aoàt  1859,  rendu  par  l'empereur, 
à  son  retour  de  la  guerre  d'Italie,  accorda  amnistie  pleine  et 
entière  à  tous  les  individus  condamnés  pour  crimes  et  dé- 
lits politiques  ou  soumis  à  des  mesures  de  sûreté  générale.  * 

AilXOX  ,  fils  aine  de  David  et  d'Achinoam,  devint  si 
éperdument  amoureux  de  sa  sœur  consanguine,  Taraar,  fille 
de  David  et  de  Maacha,  mère  d'Absalon,  que,  feignant  d'être 
malade,  et  refusant  toute  nourriture,  il  l'atlira  dans  le  lieu  le 
plus  secret  de  son  appartement  et,  sans  égard  pour  ses 
plaintes  et  ses  larmes,  assouvit  sur  elle  sa  brutale  passion. 
Puis  il  conçut  pour  elle  une  haine  plus  violente  encore  que 
l'amour  qu'il  lui  avait  porté.  Il  l'accabla  d'injures,  il  la  fit 
traîner  par  un  domestique  hors  de  sa  maison.  David,  qui  ai- 
mait Amnon,  laissa  son  crime  impuni.  Absalon  au  contraire, 
à  la  nouvelle  du  double  affront  fait  à  sa  sœur,  fut  pénétré  de 
l'indignation  la  plus  vive  ;  néanmoins  il  dissimula  pendant 
deux  années  entières.  Au  bout  de  ce  temps,  à  l'occasion  de 
la  tonte  des  troupeaux,  époque  de  solennité  chez  les  Hé- 
breux, il  invita  son  frère  au  festin  d'usage,  épia  son  aban- 
don aux  plaisirs  de  la  table,  et  lorsqu'il  s'aperçut  que  le  vin 
avait  troublé  sa  raison,  le  fit  massacrer  par  des  hommes 
aposlés  pour  cet  acte  sauvage  de  vengeance  préméditée. 
David  apprit  cet  événement  avec  douleur,  mais  sans  cour- 
roux :  père  tendre  jusqu'à  la  faiblesse,  parent  trop  débon- 
naire ,  il  avait  pardonné  à  son  fils  aîné  son  double  outrage  à 
sa  sœur,  il  pardonna  de  même  à  son  fils  puîné  le  meurtre  de 
son  frère.  Ce  drame  intérieur  se  passait  l'an  1030  avant  J.-C. 

AMODIATION  (  du  latin  modius,  boisseau  ).  Action 
de  louer  une  terre  pour  une  certaine  quantité  de  boisseaux 
de  blé.  C'était  un  terme  usité  dans  les  anciennes  coutumes , 
comme  synonyme  de  bail  à  ferme  d'une  terre,  en  grains  ou 
en  argent,  mais  plus  généralement  de  bail  donné  sous  la 

LlCï.    UL    LA    I.U.N'.  tli   .^iiO.N.    —    1.    I. 


condition  de  prestation  en  nature.  Aujourd'hui  le  ir.ot  nmo- 
diatinii  n'est  plus  que  synonyme  de  location. 

AAIOME,  AMOMÉES.  L'amome  est  un  genre  de  plantes 
type  de  la  famille  des  nmomces ,  dont  toutes  les  espèces 
sont  exotiques,  originaires  de  l'Inde,  de  l'Afrique  et  de  r.\- 
mérique  méridionale ,  et  en  général  herbacées  et  vivaces. 
Les  principales  espèces  sont  Yamotne  zingiber,  qui  produit 
le  gingembre;  Xamome  de  Madagascar ,  qui  donne  lo 
cardamome,  et  enfin  celle  qui  donne  les  grainesde 
paradis. 

La  famille  des  amomées,  qui  n'est  autre  que  le  groupe  des 
scitaminvcs  de  Linné,  des  cannées  oa  balisiers  de  Jussicu, 
des  driinijrrhizées  de  Ventenat ,  a  aussi  porté  le  nom  de 
zingibéracccs,  à'alpiniacces,  etc.  On  connaît  environ  deux 
cents  espèces  d'amomées,  divisées  en  deux  tribus;  la  pre- 
mière est  celle  des  cannées  ,  qui  ont  une  seule  anthère  ,  un 
style  libre,  et  dont  les  graines  sont  dépourvues  d'endosperme. 
Parmi  les  quatre  ou  cinq  genres  qui  y  sont  compris ,  on 
distingue  le  canna  Lambcrti  et  le  canna  iridiflora,  qui 
sont  de  superbes  fleurs;  le  maranta  et  le  phrynium  ,  dont 
plusieurs  espèces  contiennent  dans  leurs  racines  une  fécule 
alimentaire  et  nous  fournissent  l'arrow-root.  —  La  se- 
conde tribu  est  celle  des  scitaminées,  qui  ont  pour  traits 
communs  une  anthère  double  et  un  style  long,  flexible,  sup- 
porté entre  les  lobes  de  l'anthère.  Dans  cette  tribu  se  ran- 
gent onze  ou  douze  genres ,  parmi  lesquels  il  nous  suffit  de 
nommer  :  ïamome  ;  Vhedychium,  dont  une  espèce,  V/iedy- 
chiuin  coronarium,  à  fleurs  grandes  et  embaumées,  mais 
éphémères,  est  pour  les  femmes  malaies  un  emblème  d'incons- 
tance ;rfl/p(Hi«,  et  surtout  Valpinia  nutans,  qui  avec  r(//pj- 
nia  magnifica  se  distingue  par  l'élégance  et  la  beauté  des 
fleiu-s;  enfin  le  globba,  dont  une  espèce  { le  globba  saltato- 
ria  )  présente  dans  sa  fleur  l'image  d'une  danseuse. 

AMOXTOXS  (Gcillacme),  physicien  remarquable, 
naquit  à  Paris  suivant  les  uns,  en  JN'ormandie  suivant  les 
autres,  le  31  août  1663.  Étant  encore  enfant ,  il  contracta, 
à  la  suite  d'une  maladie ,  une  surdité  qui  le  priva  presque 
entièrement  de  la  conversation  des  honunes.  Il  chercha  une 
consolation  dans  l'étude,  et  s'appliqua  avec  succès  à  la  géo- 
métrie et  à  la  mécanique  ;  il  trouva  dans  ces  travaux  tant 
de  charme ,  qu'on  prétend  qu'il  ne  voulut  essayer  aucun 
remède  pour  son  infirmité,  soit  qu'il  la  jugeât  incurable, 
soit  qu'elle  favorisât  le  genre  d'études  auquel  il  s'adonnait, 
en  permettant  à  son  attention  de  n'être  pas  distraite.  Il 
écrivit  un  traité  de  ses  expériences  sur  une  nouvelle  clep- 
sydre, et  sur  les  baromètres,  les  thermomètres  et  les  hygro- 
scopes,  ainsi  que  divers  articles  àsmlQ  Journal  des  Savants. 
En  1687  il  présenta  à  l'Académie  des  Sciences  un  nouvel 
hygroscope,  qui  eut  l'approbation  générale.  Mais  une  de  ses 
plus  remarquables  découvertes  fut  celle  qui  consistait  à  com- 
muniquer à  de  grandes  distances  dans  un  court  espace  de 
temps;  il  imagina  pour  cela  des  échanges  de  signaux  entre 
des  personnes  qui  s'éloignaient  les  unes  des  autres  de  façon 
à  ne  s'apercevoir  qu'à  l'aide  de  lunettes.  Amontons  peut 
donc  être  considéré  comme  l'inventeur  du  télégraphe,  dont 
l'usage  n'a  cependant  été  introduit  qu'un  siècle  environ  après 
sa  mort.  Il  fut  reçu  en  1699  mi'mbro  de  l'Académie  Royale, 
et  c'est  là  qu'il  écrivit  sa  Nouvelle  Théorie  du  Frottement, 
où  il  traita  avec  bonheur  une  branche  importante  de  la  mé- 
canique. Il  mourut  d'une  inflammation  d'entrailles,  le  1 1  oc- 
tobre 1705,  à  peine  âgé  de  42  ans.  Ses  œuvres  sont  renfer- 
mées dans  les  divers  volumes  des  Mémoires  de  l'Académie 
des  Sciences,  des  années  1698  à  1705.  Fontenelle  a  fait  un 
brillant  éloge  du  mérite  d'Amontons. 

AiîORCE ,  appât  dont  on  se  sert  pour  prendre  du  gi- 
bier, du  poisson.  —  En  termes  de  pyrotechnie,  c'est  la 
poudre  à  canon  que  l'on  met  dans  le  bassinet  des  armes  à 
feu,  ou  la  mèche  soufrée  qu'on  attaciie  aux  grenades,  bom- 
bes, etc.,  ou  à  des  saucisses  avec  lesquelles  le  feu  prend  aux 
mines.  La  longueur  de  ces  mèches,  on  le  conçoit  facilement, 

C2 


490 


AMORCE 


AMORTISSEMENT 


est  Jans  ces  deux  cas  proporlionnr'C  au  tcmp";  nrcessaire 
an  mineur  pour  se  mettre  à  l'abri  des  suites  de  l'explosion , 
et  à  la  l)omb(!  |)our  parcourir  le  trajet  qu'elle  est  présumée 
devoir  faire,  alin  de  n'éclater  qu'à  l'inî^tant  où  elle  touciiera 
la  terre.  —  Le  système  des  fusils  à  percussion  ayant  généra- 
lement remplacé ,  dans  les  armées  comme  à  la  chasse,  l'an- 
cien fusil  à  batterie ,  on  emploie  aujourd'hui  i)Our  amorce 
nne  certaine  quantité  de  poudre  fulminante  fixée  au  fond 
d'une  petite  capsule  de  cuivre  très-mince,  qu'on  place  sur 
la  cheminée  du  fusil ,  c'est-à-dire  sur  un  cône  tronque  qui 
est  percé  au  fond. 

A.MOHETî'll  (CuMii.Ks),  né  à  One;;lia,  le  13  mars 
1741,  mort  à  Milan  le  24  mars  181G.  Fils  d'un  négociant,  il 
entra  dans  l'ordre  des  Auguslins  en  1757,  et  obtint  sa  sécu- 
larisation en  1772.  Il  fut  nommé  alors  professeur  de  droit 
canon  à  Parme,  et  devint  en  I7u7  un  des  conservateurs  de 
la  nibliotliè(pie  Ambi osienne.Trè.N-versédans  les  lauf^iies  mo- 
derne?, membre  du  conseil  «lis  mines,  delà  .SocJ^'^e ;;a;?-(0- 
tir/ue  ,  de  riustitut  national  d'Italie,  de  la  Société  Italienne 
et  de  la  Société  d'Ëncourai;eu)ent  fiour  les  sciences  et  les 
«rts,  il  rendit,  comme  miuéralot^isle  surtout,  de  trcs-gramls 
services  à  sa  patrie.  Outre  les  nombreux  mémoires  et  opus- 
cules sur  cet  obji't  spécial  de  ses  études  qu'il  a  donnés  aux 
divers  recueils  scientiliques  et  littéraiies  de  l'Italie,  il  a 
publié  en  langoe  italienne  un  Voyage  de  Milan  aux  trois 
lacs  de  Corne. ,  de  Liigano  et  Majeur {^YÛAn,  180.î,  in-4") , 
et  en  français  un  Guide  des  Étrangers  dans  Milan  et  les 
environs  decelte  ville.  On  lui  doit  encore  des  éditions  du 
Premier  Yoijage  autour  du  ??i07irfe,par  Pigafetta,  du 
Traité  sur  la  A'avigation,  du  même  auteur,  et  du  Voyage 
de  [''errer  Maldonado  à  Vocénn  Atlantique  et  à  la  mer 
Pacifique,  par  le  nord-ouest  ;  le  Codice  diplomatico 
Sant-.imbrosiuno  ,  avec,  un  éloge  du  père  Fumagalli  ;  un 
Mémoire  sur  la  vie  et  les  œuvres  de  Léonard  de  Vinci; 
eidiu   un  livre    Délia  rab'lomanzia,  etc.  * 

AMOIUTES,  EMORITES,  ou  AMORRHÉENS,  descen- 
dants d'Amor,  fils  de  Chaoaan,  une  des  plus  importantes 
peuplades  primitives  de  la  Palestine  avant  la  conquête  de 
ce  pays  par  les  Hébreux.  Il  en  est  souvent  question  dans 
les  livres  de  Moïse,  et  ce  nom  lui  sert  quehiuefois  à  désigner 
les  Chananéens  en  général.  Une  partie  de  ce  peuple  habitait 
le  pays  qxii  fut  occupé  plus  tard  par  la  tribu  de  Juda,  entre 
la  mer  Morte  et  la  Méditerranée ,  sur  les  montagnes,  où  l'on 
cite  cinq  de  ses  royaumes,  Jérusalem,  llebron,  Jarmuth, 
J.acbis,  Eglon.  Us  se  mêlèrent  avec  le  temps  aux  Israélites. 
Une  autre  partie  demeurait  de  l'autre  côté  du  Jourdain,  où 
l'Arnon  les  si'parait  dos  .Moabites;  elle  se  divisait  en  deux 
royaumes,  celui  deSihon,  roi  d'Hesbon,  et  celui  d'Og,  roi 
de  I5asau.  l'iusieurs  de  ces  cantons  furent  conquis  par  les 
Animo7ïit  es.  Ces  Aiuorites,  ayant  refusé  le  passage  aux 
Hébreux,  furent  passés  au  lil  de  l'épt'e,  et  leur  territoire  fut 
assigné  aux  tribus  do  Gad ,  de  Ruben  et  de  Manassé.  Us 
étaient  en  général  d'une  stature  élevée.  Og ,  véritable  géant , 
suivant  l'Ecriture,  couchait  dans  un  lit  de  neuf  coudées  de 
long  sur  quatre  de  large;  il  vécut  neuf  cents  ans.  Les  eaux 
du  déluge  n'avaient  [)as  cte  assez  profondes  pour  l'en- 
gloutir. 

A.MOROS  Y  OXDÉAA'O  (Don  Euancisco),  né  à  Va- 
lence (Espagne),  le  19  février  1770,  d'une  famille  noble,  lit 
avec  distinction  les  campagnes  de  1792  et  1793,  et  par- 
vint, en  moins  de  trois  ans,  au  grade  de  major  général.  Le 
traité  de  Râle  ayant  mis  lin  à  la  guerre,  Amoros  s'occupa 
des  moyens  d'améliorer  diverses  branches  du  système  admi- 
nistratif en  Espagne,  et  lit  agréer  le  plan  d'un  ministère  de 
l'intérieur  (]ui  y  était  encore  à  créer.  Une  pension  de  vingt 
mille  réaux  fut  sa  récompense.  On  le  chargea  en  même 
temps  de  la  formation  à  Madrid  d'un  établissement  militaire 
selon  la  méthode  de  l>estaloz/i.  Knfin,  en  1SÛ7,  l'éducation 
de  l'infant  don  Vincent  de  Paul  lui  fut  conliée.  11  réunis- 
sait les  titres  de  colonel,  de  régidor  de  San-Lucar  et  de  membre 


du  conseil  royal  des  Indes.  Rien  ne  stnv.blait  devoir  limiter 
sa  fortune  politique,  lorsque  l'avènement  de  Ferdinand  VU 
amena  pour  lui  Flieure  de  la  disgri'ico.  Il  fut  arrêté,  mais  , 
sur  la  recommandation  de  l'infant  don  Antonio,  il  recouvra 
bientôt  la  liberté. 

Xonnné  membre  de  ces  certes  de  Rayonne  qui  appelèrent 
n;i  trône  d'Espagne  Joseph,  un  des  frères  de  Napoléon,  Amo- 
r:K  fut  fait,  par  le  nouveau  roi,  conseiller  d'État,  intendant 
fjcnéraldela  police,  et  commissaire  royal  dans  les  provinces 
de  Rurgos  et  de  Guipuscoa.  Trois  ans  après  (  1812),  lors  de 
l'insurrection  générale  des  Espagnols  contre  Joseph,  il  fit  de 
vains  efforts  pour  organiser  des  comi)agnies  de  gardes  natio- 
n.des,  et  appeler  tous  les  citoyens  aux  armes.  En  I8i4,  le  re- 
tour de  Ferdinand  VII  le  força  à  se  réfugier  en  France,  où  il 
prit  part  à  la  rédaction  du  I\'ain  Jaune,  et  publia  en  espa- 
gnol et  en  français  des  représentations  à  ce  prince  sur  las 
ix'rsécutions  auxquelles  sa  femme  était  en  butte ,  et  sur  sa 
propre  conduite  dans  les  convulsions  politiques  de  .sa  patrie. 

Pendant  les  Cent-Jours,  Amoros  lit,  tant  pour  son  conq)te 
qu'au  nom  des  Espagnols  réfugiés,  des  olires  de  service  à  l'ex- 
roi  Joseph,  et  annonça  dans  le  Nain  /flî(«e  qu'il  venait  d'en- 
trer dans  la  garde  nationale  de  Paris.  Apiès  la  seconde  res- 
tauration, il  renonça  à  la  politique,  poi;r  ne  s'occuper  que 
de  faire  adopter  par  le  gouvernement  français  les  institu- 
tions gynmastiques  dont  il  avait  fait  d'heureux  essais  en  Es- 
pagne. Il  eut  beaucoup  d'obstacles  et  de  préventions  à 
vaincre  ;  mais  il  sut  en  triompher,  et  plusieurs  ministres  se 
firent  un  devoir  d'encourager  ses  efforts.  11  fut  nomme  suc- 
cessivement officier  de  la  Légion  d'honneur,  inspecteur  des 
gynmases  militaires,  directeur  du  gymnase  normal  mili- 
taire qu'il  avait  fondé  place  Dupleix  ,  à  Paris,  et  du  gym- 
nase civil  orthoscmati(iue  de  la  rue  Jean-Goujon,  aux 
Champs-Elysées,  lequel  était  également  de  sa  création.  Il  a 
publié  en  Espagne  deux  Mémoires  sur  la  fièvre  jaune, 
Iilusieurs  Discours  sur  différents  objets  d'utilité  pu- 
lilique,  un  grand  nombre  de  mémoires  sur  l'éducation.  En 
France,  outre  les  écrits  politiques  dont  nous  avons  parlé, 
o!i  a  de  lui  plusieurs  Discoi/r5,  Pétitions,  et  Mémoires  sur 
\-,\^\xïrï-iii[(\\xfi,w\  Recueil  de  Cantiques  (texte  et  musique), 
et  ioii  Manuel  d'Éducation  physique,  gymnastique  et 
inarale,  qui  a  obtenu  un  des  prix  de  l'Institut ,  et  a  été 
adopté  par  le  conseil  supérieur  de  l'instruction  publique 
pour  les  écoles  primaires.  Les  contrariétés  sans  nombre  qui 
a\aient  accueilli  le  colonel  Amoros  à  son  entrée  dans  sa 
nouvelle  camère,  et  qui  avaient  paru  le  respecter  durant 
les  nombreuses  années  où  ,  heureux  et  considéré,  il  faisait 
j(;i:ir  la  France  de  sa  précieuse  importaiion,  se  sont  tout 
à  coup  réveillées  sur  ses  vieux  jours,  et  lui ,  longtemps  sr 
pi,  in  de  force,  d'intelligence  etd'activilé,  est  mort,  en  1848, 
repoussé  sans  pitié  des  créations  utiles  dont  il  avait  doté 
notre  patrie,  victime  nouvelle  de  l'oubli  et  de  l'ingratitude 
des  honmies. 

AMOROSO  (  en  italien  amoureusement  ).  Ce  mot 
indique  dans  la  musique  que  l'on  doit  jouer  sur  im  mou- 
vciuent  lent  et  avec  une  expression  tendit  et  légèrement 
pussionnée. 

AMORPIÏE  (  du  grec  à  privatif,  |jiop;vi,  forme  ).  Ce 
mot  s'appliipie  dans  les  sciences  naturelles  a  ce  qui  n'a  point 
une  forme  bien  déterminée,  bien  distincte. 

AMORP.IIÉEA'S.  Voyez  Asioiuti-s. 

AMORTI SSEMEA'T  (  Ancien  Droit  ).  C'était  une  per- 
mission spéciale  que  le  souverain  accordait  aux  gens  de 
mainmorte  de  posséder  des  immeubles.  L'amorti.sse- 
ment  était  accorde  par  le  roi ,  qui  en  percevait  le  bénéfice 
au  nom  de  l'Etat;  et  si  l'immeuble  amorli  était  inféodé  ou 
accensé  de  njanière  que  plusieurs  seigneurs  eus.sent  à  exercer 
des  droits  dont  la  concession  d'amortissement  pouvait  les 
priver,  l'acquéreur  était  obligé  de  leur  jiayer  une  iiidem- 
nilé,  outre  Famortissement  qui  était  ilù  au  roi.  Ce  droit  d'a- 
mortissement s'éleva  jusiju'au  liei-s  de  l'immeuble  amorlk 


AMOUTISSEMEINT 


401 


LorsqiM*  ce  droit  fut  nlioli ,  en  ITS'.i ,  avec  tous  les  autres 
«Iro-ts  féodaux ,  il  était  taulcU  lu  sixième  ou  du  cinquiéuie 
de  la  propriété  amortie ,  tantôt  d'une  ou  plusieurs  années 
des  revenus  de  cette  propriété.  Originairement  l'amortisse- 
nient  avait  été  gratuit.  Saint  Louis  passe  pour  en  avoir  fait 
le  premier  l'objet  d'un  droit  liscal.  Les  écoles,  les  maisons 
do  charité,  cimetières  publics,  teirains  destinés  à  leur  cons- 
truction, ou  à  la  création  de  rues,  de  places,  etc.,  étaient 
exemptés  du  droit  d'amortissement. 

AAIORTISSEMEXT  (Finances  ).  On  nomme  ainsi 
un  fonds  destiné  à  éteindre ,  à  amorCir  des  actions  ,  des 
rentes ,  des  obligations.  C'est  ainsi  que  lorsqu'un  État  em- 
prunte, ou  lorsqu'une  grande  ailministration  s'établit  pour 
exploiter  une  branche  de  revenus  dont  elle  n'a  la  propriété 
que  pour  un  temps,  il  est  d'usage,  à  côté  des  intérêts,  de 
stipuler  la  création  d'un  fonds  spécial ,  destiné  ,  au  moyen 
de  sa  capitalisation ,  à  reconstituer  le  capital  primitif.  Ainsi 
lors(ju'on  cherche  à  établir  la  durée  de  concession  qu'il  est 
juste  d'accorder  à  une  compagnie  de  chemin  de  fer ,  on 
compte  d'abord  les  intérêts  du  capital  à  avancer  par  e!ie  ; 
puis,  d'après  la  somme  qui  reste  sur  les  bénéfices  probables, 
on  voit  combien  il  faudra  de  temps  pour  reconstituer  le  ca- 
pital entier  :  cet  excédant  de  bénéfices,  les  intérêts  payés , 
forme  le  fonds  d'amortissement. 

Pour  éteindre  les  emprunts  publics  ,  on  a  généralement 
recours  à  un  système  d'annuités  qui  peut  subir  différentes 
modifications.  Le  mode  le  plus  simple  serait  d'ajouter  quelque 
chose  à  l'intérêt,  comme  un  pour  cent,  par  exemple,  et 
de  déclarer  qu'au  bout  d'un  certain  temps  l'action  serait 
amortie,  c'est-à-dire  annulée  ;  cela  ne  serait  que  juste ,  en 
effet ,  puisque  si  le  créancier  avait  placé  chaque  année  ce  un 
pour  cent  à  intérêt  composé,  il  se  retrouverait  à  la  fin  avoir 
reconstitué  son  capital  ;  mais  ces  placements  continuels  ne 
con%  iennent  pas  en  général  aux  rentiers ,  et  on  ne  se  sert 
guère  de  ce  mode  d'amortissement. 

On  a  aussi  imaginé  de  rembourser  tous  les  ans  un  certain 
nombre  de  billets ,  et  alors  on  ne  donne  annuellement  à 
chaque  billet  non  racheté  que  le  simple  intérêt  de  l'argent 
représenté  par  lui.  En  général,  le  sort  désigne  chaque  année 
les  numéros  des  actions  ou  obligations  à  amortir,  c'est-à- 
dire  à  rembourser  celle  année-là.  Tantôt  l'obligation 
amortie  est  annulée  et  ne  rapporte  plus  rien,  tantôt  l'action 
remboursée  reste  représentée  par  ime  action  de  jouis- 
sance qui  continue  à  recevoir  les  intérêts  de  la  somme 
avancée.  D'autres  fois  on  ne  sert  aux  billets  non  rachetés 
qu'un  intérêt  inférieur  au  taux  du  crédit  (soit  trois  pour 
cent  au  lieu  de  quatre  pour  cent  ),  et  on  emploie  l'excédant 
à  former  des  lots  ou  primes  à  gagner  chaque  année,  soit 
entre  les  billets  rachetés  cette  année-là,  soit  indistincte- 
ment entre  tous  les  billets  existant  encore  dans  les  mains 
des  préleurs.  C'est  ainsi  que  la  ville  de  Paris  paye  tous  les 
ans  des  rentes  ou  obligations  pour  emprunts  contractés 
antérieurement  ;  et  elle  affecte  des  primes  particulières  à 
un  certain  nombre  de  ces  obligations  que  le  sort  désigne. 

L'État  n'emploie  pas  ce  mode  pour  amortir  sa  dette. 
Il  prend  sur  l'impôt  une  somme  constante  et  supérieure  à 
l'intérêt  de  la  somme  empruntée.  Comme  chaque  titre  de 
rente  ne  reçoit  annuellement  que  l'intérêt  de  la  portion  de 
capital  qu'il  représente ,  la  dotation  de  l'amortissement  est 
emjtloyée  à  racheter  chaque  année  un  certain  nombre  de  ces 
renies.  En  outre,  la  caisse  d'amortissement  reçoit ,  au 
lieu  et  place  des  créanciers  de  l'État,  le  payement  annuel 
de  toutes  les  rentes  précédemment  rachetées  par  elle.  Ainsi, 
elle  agit  sur  la  place  ,  non-seulement  avec  sa  dotation  fixe, 
mais  encore  avec  l'intérêt  des  rentes  qu'elle  a  rachetées  et 
dont  elle  reçoit  le  prix  annuel.  Elle  peut  de  cette  façon 
racheter  au  pair,  en  trente-six  ans  et  demi ,  une  rente  émise 
au  taux  de  cinq  pour  cent.  Autrement ,  et  si  la  caisse  n'a- 
gissait ([u'avec  ce  qu'on  apiielle  sa  dotation  fixe,  c'est-à-dire 
avec  un  pour  ct.'nt  du  capital  emprunté ,  elle  ne  rachèterait 


la  rente  qu'en  cent  ans ,  quel  que  M  d'aiih-urs  le  taux  de 
l'emprunt. 

Ce  qui  distingue  ramorlissem«'^nt  dont  nous  jiarlons  des 
autres  modes  de  remboursement  par  annuités,  c'est  que  le 
gouvernement  ne  rachète  pas  chaque  année  telles  actions  dé- 
terminées par  voie  d  i  sort,  mais  simplement  les  actions  qui 
se  présentent  à  la  Course.  Cela  est  avantageux  aux  porteurs 
de  rentes ,  par  la  raison  que  l'époque  de  remboursement  ne 
se  trouve  fixée  d'une  mamère  absolue  pour  aucun  d'eux ,  et 
qu'au  contraire  elle  est  en  cfuclquc  sorte  abandomiée  à  leur 
convenance.  A  la  vérité,  si  le  gouvernement  était  dans  la 
position  et  avait  la  volonté  sérieuse  d'amoitir  complètement 
sa  dette ,  ce  mode  serait  vicieux ,  comnie  on  l'a  très-juste- 
ment observé  ;  car  les  porteurs  d'actions  pourraient,  d'après 
la  loi  actuelle,  consener  indéfiniment  leurs  titres ,  c'est-à- 
dire  leurs  créances,  ou  du  moins  ne  s'en  dessaisir  rju'à  un 
prix  excessif.  Une  autre  particularité  de  l'amortissement  est 
de  rembourser  chaque  année  au  prix  courant  de  la  rente , 
et  non  pas  d'après  sa  valeur  primitive  à  l'époque  de  i'em- 
prunt. 

Employé  pour  la  première  fois ,  en  1G65 ,  par  les  états  de 
Hollande,  l'amortissement  fut  bientôt  introduit  à  Rome,  en 
Espagne,  puis  en  Angleterre  en  17 IG.  En  France,  un  édit 
de  1740  créa  aussi  une  caisse  d'amortissement,  qu'on  es- 
saya vainement  de  renouveler  en  1705  et  en  17S4;  mais 
nulle  part  ces  essais  ne  réussirent.  Telle  qu'elle  a  été  com- 
prise depuis ,  celte  institution  est  l'ouvrage  du  docteur 
Priée  :  cet  Anglais  démontra  qu'en  employant  un  pour  cent 
du  capital  de  la  dette  à  son  rachat  au  cours  de  la  place ,  et 
en  cumulant  successivement  l'intérêt  de  la  portion  de  dette 
rachetée ,  la  dette  entière  se  trouverait  liquidi'e  en  trente- 
cinq  ans.  De  là  une  illusion  vraiment  nationale ,  dont  pro- 
fitèrent le  célèbre  Pitt  et  ses  successeurs  pour  tenir  tête  à 
la  France ,  tourner  le  grand  obstacle  du  blocus  continental, 
et  en  faire  sortir  même  une  activité  et  une  prospérité  in- 
dustrielle toute  nouvelle.  Et  tout  ce  prestige  était  fondé  sur 
la  bonhomie  la  plus  étrange  d'un  philosophe  calculateur! 
On  demeure  surpris  en  effet  de  voir  à  quoi  se  réduit  cette 
efficacité  prétendue  de  l'amortissen-.ent  à  intérêts  composes. 
Dans  le  système  de  Pricc ,  ce  sont  les  contributions  publi- 
ques qui  fournissent  ces  fonds  que  la  caisse  d'am.ortissement 
accumule  dans  une  véritable  progression  composée.  Mais 
qu'importent  les  propriétés  de  l'intérêt  composé,  si  les  revenus 
de  la  caisse  ne  provieanent  pas  d'une  nouvelle  source  de 
richesses ,  et  ne  sont  plus  grands  que  parce  que  les  contri- 
buables y  versent  plus  d'argent?...  Qu'est-ce  en  effet  qu'un 
amortissement  qui  prend  l'Angleterre  avec  une  dette  de  six 
milliards  et  la  laisse  avec  une  dette  de  vingt  milliards  ;  et 
la  France  avec  une  de  trois,  et  ne  l'erapOche  point  d'atteindre 
à  plus  de  liuit.^ 

Pour  prouver  l'inutilité  de  l'amortissement  des  économis- 
tes ont  prétendu  que  l'achat  de  deux  ou  trois  cent  au'lle  fr. 
de  rentes  chaque  jour  parla  caisse  d'amortissement  ne  pou- 
vait avoir  une  grande  infiuence  sur  des  opéraraiion  de  80 
millions  qui  s'effectuent  journellement  sur  les  mêmes  va- 
leurs, rien  qu'à  la  bourse  de  l^aris.  On  a  également  démontré 
ipie  dans  l'intervalle  de  1816  à  1831 ,  sur  une  émission  de 
136  millions  de  renies,  il  n'en  avait  élé  racheté  que  58;  qu'à  . 
peu  près  dans  le  même  espace  de  temps  la  caisse  avait  cons- 
titué le  trésor  en  perte  de  106  millions  par  ses  opérations 
de  rachat;  et  que  les  deux  tiers  des  sommes  perçues  parcelle 
caisse  avaient  été  entièrement  absorbés  par  les  frais  de  per- 
ception et  parles  bénéfices  de  l'agiotage.  Quelques-uns  consi- 
dèrent l'amortissement  comme  un  leurre,  dont  le  premier  elfet 
a  élé  de  rendre  les  gouvernements  moins  circonspects  en  fait 
d'emprunts  et  les  particuliers  plus  confiants  dans  leurs 
prêts  par  la  promesse  de  bénéfices  plus  grands  en  raison 
d'une  liipiidation  certaine.  En  tout  cas,  celte  instilulion  a 
porté  le  crédit  pubHc  à  sa  plus  haute  expression  en  lavorisant 
lasuhslitulion  des  emprunts  perpétuels  aux  emprunts  tempo- 

62. 


492  AMORTISSEME?JT 

raires.  D'autres  ont  pensé  que  l'État,  employant  avec  sagesse 
les  fonds  empruntés  ù  des  taii\  raisonnables,  n'aurait  jamais 
trop  de  dettes, dès  lors  productives,  et  que  leur ^ortissenieiit 
serait  une  véritable  perte  de  capital.  Quoiqu'il  en  soit,  l'An- 
gleterre a  aboli  l'amortissement  forcé  en  1829.  Elle  n'a- 
mortit plus  chaque  année  que  pour  une  somme  équivalente 
à  l'excédant  de  receltes  conslalé.  Kn  l'rance,  déjà  le  con- 
sulat, à  la  vue  des  prétendus  bienfaits  de  cette  institu- 
tion ,  avait  aflecle  des  fonds  à  ramortissemeul  de  sa  dette; 
mais  ces  fonds  avaient  été  détournés  bientôt  de  leur  des- 
tination spéciale,  et  ce  ne  fut  ipi'en  I«10  et  18l7  que  la 
cai>se  d'amortissement  reçut  une  organisation  comiilèie  et 
régulière.  L'amortissement  fut  suspendu  en  I8i8.  Depuis 
lois  l'État  di'livre  à  la  caisse  d'amortisseuient  des  bons  du 
trésor  pour  une  somme  égale  à  sa  dotation,  et  lui  sert,  aussi 
en  bons  du  trésor,  l'intérêt  des  rentes  qu'elle  possède.  A  la 
tin  de  chaciuc  semestre  on  capitalise  ces  bons  du  Trésor  ea 
nouvelles  renies  ,  dont  les  intérêts  sont  de  nouveau  pajés 
lie  la  même  manière.  Ces  fonds  fictivement  accrus  montè- 
renten  dix  années,  de  I8'i8  à  18,')8,  à  12;i,C8G,2C2  fr.  Lne 
loi  du  19  juin  1857  a  fait  consolider  an  nom  de  la  caisse 
d'amortissement  les  fonds  restés  disponibles  sur  la  dotation 
de  l'flj  niée,  dont  le  capital  a  été  allccté  à  la  réduction  de  la 
dette  llottanle.  Une  (larlie  de  la  dotation  de  la  caisse  d'a- 
mortissement (40  millions)  a  été  portée  en  argent  aux 
budgets  de  1859  et  1860;  mais  la  giu'rre  d'Italie,  les  ré- 
formes douatiières  et  les  réductions  d'impôts  sur  dilférents 
produits  ont  forcé  de  renoncer  encore  à  l'amortissement. 
Néanmoins,  dans  tous  les  derniers  emprunts  une  somme  d'un 
centième  a  été  stipulée  pour  fonds  d'amortissement.       Z. 

A^!OI\TISSEAlEi\T  (  Caisse  d'  ).  En  1814  la  France , 
envahie  et  vaincue ,  épuisée  par  le  sacrifice  des  dernières 
ressources  de  sa  richesse  et  de  sa  force ,  surchargée  des 
dettes  du  passé ,  menacée  des  réclamations  et  des  préten- 
tions de  tous  les  peuples  qu'elle  avait  dominés  dans  le 
long  cours  de  ses  victoires,  ne  désespéra  pas  de  sa  fortune 
sous  un  gouvernement  qui  promettait  de  consacrer  les 
grands  principes  de  stabilité,  de  lidélité  aux  engagements 
et  de  respect  pour  tous  les  droits. 

La  charte  disait  :  Toute  espèce  d'engagement  pris  par 
VÉtat  avec  ses  créanciers  est  inviolable.  La  loi  de 
finances  du  23  septembre  1814  prescrivit  la  liquidation,  et 
j)romit  le  payement  de  tout  l'arriéré  des  dépenses  des  gou- 
vernements antérieurs.  Les  traités  de  paix  imposèrent  aux 
jours  de  nos  revers  la  dette  de  nos  années  de  succès.  L'im- 
pôt ne  pouvait  suffire  à  de  telles  charges  :  il  fallut  recourir 
au  crédit ,  tout  ébranlé  qu'il  était  par  la  pesanteur  de  si 
grands  désastres. 

Antérieurement  à  la  Restauration ,  la  dette  inscrite  s'éle- 
vait en  rentes  5  pour  100  (tiers  consolidé)  à    63,307,637  f. 

On  dut  y  ajouter  pour  la  liquidation  de 
l'arriéré  des  exercices  antérieurs  à  1815.  .  .     31,541,889 

Pour  le  remplacement  des  biens  ruraux 
des  communes,  dont  le  gouvernement  s'était 
emparé  en  1813 2,631,303 

Pour  acquitter  les  engagements  imposés 
par  les  puissances  étrangères 05,844,187 


Total 193,325,016  f. 

Ces  dettes  du  passé  s'accrurent  d'une  ins- 
cription de  rente  de 1,499,654 

pour  payer  les  dettes  contractées  par  le  roi 
dans  l'exil. 

La  dette  reconnue  et  inscrite  au  grand- 
livre  fut  donc  en  rentes  5  pour  100  de.  .  .  .  194,824,670  f. 

«  Ce  n'était  pas  assez,  disait  M.  Goudchaux  le  11  mars 
1849,  à  l'Assemblée  nationale,  ce  n'était  pas  assez. pour  re- 
lever le  crédit  de  l'Etat  d'avoir  proclamé  la  fidélité  à  tous  les 
engagements  contractés  par  les  précédents  gouxernemcnts. 


de  procéder  à  une  liquidation  sévère ,  mais  équitable ,  de 
toutes  les  dettes  du  passé  ;  il  fallait  encore  trouver  un  moyen 
de  témoigner  au  public,  par  des  opérations  matériellement 
effectuées  chaque  jour,  que  le  gouvernement  avait  lui-même 
la  plus  grande  foi  dans  la  valeur  des  effets  publics ,  et 
qu'il  ne  craignait  pas  de  consacrer  les  revenus  les  plus 
nets  de  la  France  à  racheter  ceux  qui  existaient  déjà  comme 
ceux  qu'il  allait  être  bientôt  obligé  de  créer  encore.  C'est 
cette  pensée  courageuse  et  habile  qui  dicta  la  loi  organique 
du  28  avril  1816.  » 

La  caisse  d'amortissement  fut  fondée,  placée  sous  la  sur- 
veillance d'une  commission  choisie  entre  des  candidats  pré- 
sentés par  les  deux  chambres  législatives ,  et  confiée  à  la 
direction  d'un  fonctionnaire  indépendant,  choisi  par  le  roi, 
et  personnellement  responsable  de  sa  gestion.  Par  cette 
grande  loi  de  finances  de  1816,  la  caisse  d'amortissement 
fut  dotée  d'un  revenu  annuel  de  20,000,000  fr.  qui  devaient 
être,  ainsi  que  les  arrérages  des  rentes  ultérieurement  ra- 
chetées, employés  en  achats  de  rentes.  Ces  rentes  ne  pou- 
vaient, dans  aucun  cas,  rentrer  dans  la  circulation;  elles 
ne  pouvaient  être  annulées  qu'aux  époques  et  pour  les  quan- 
tités qui  seraient  déterminées  par  une  loi.  Enfin,  l'ar- 
ticle 115  portait  :  //  ne  pourra  dans  aucun  cas,  et  sous 
aucun  prétexte,  être  porté  atteinte  à  la  dotation  de 
la  caisse  d'amortissement. 

La  loi  de  finances  du  25  mars  1817  compléta  l'organisa- 
tion de  notre  système  de  crédit,  et  porta  à  quarante  mil- 
lions le  montant  de  cette  dotation  annuelle.  Les  bois  de 
l'État  furent ,  en  outre ,  affectés  à  la  caisse  d'amortisse- 
ment. Grâce  à  tant  de  garanties  morales  et  positives ,  et 
sur  la  foi  de  l'ordre ,  de  la  paix  et  de  la  liberté ,  le  crédit, 
ainsi  restauré  en  France ,  se  développa  rapidement  d'année 
en  année.  L'action  continue  de  l'amortissement ,  dont  des 
rachats  journaliers  augmentaient  la  force  progressive  par 
une  capitalisation  d'arrérages,  toujours  réunie  à  sa  dota- 
tion première ,  prêtait  un  appui  chaque  jour  plus  actif  et 
plus  secourable  à  l'élévation  de  nos  fonds  publics.  Les  né- 
gociations de  rentes  entreprises  par  le  gouvernement ,  et 
péniblement  conclues  ea  1816  et  1817  aux  prix  de  56,  57  et 
58  pour  100,  se  réalisèrent  en  1818  à  66  et  67  fr.,  en  1821 
à  87  fr.  7  c,  en  1823  à  89  fr.  55  ç.  ;  en  1824  le  cours  du 
5  pour  100  avait  dépassé  le  pair. 

Le  ministre  qui  dirigeait  alors  les  finances  comprit  que 
l'action  de  la  caisse  d'amortissement  allait  être  nécessaire- 
ment interrompue;  il  prépara  une  loi  pour  la  réduction  de 
l'intérêt  de  la  dette  publique. 

En  1825  la  somme  des  rentes  inscrites  se  trouvait  aug- 
mentée de  4,000,000  de  rentes ,  montant  de  l'emprunt  con- 
tracté pour  faire  face  aux  dépenses  de  la  guerre  d'Es- 
pagne ;  elle  avait  été  réduite  par  quelques  annulations  de 
rentes  prononcées  législativement  ;  le  grand-livre  était  dé- 
finitivement chargé  de  197,085,973  fr.  de  rentes;  mais  la 
caisse  d'amortissement ,  au  moyen  de  sa  dotation  annuelle, 
de  l'emploi  cumulé  des  arrérages  des  rentes  rachetées  et 
du  produit  des  ventes  de  forêts  jusqu'à  concurrence  «le 
87,585,694  fr.  94  C,  avait  acquis  et  possédait  37,070,107  fr. 
de  rentes ,  en  sorte  que  la  dette  négociable  de  l'État  n'é- 
tait plus  que  de  160,015,866  fr.  de  rentes. 

La  loi  du  1""  mai  1825  ordonna  que  les  sommes  affectées 
à  l'amortissement  ne  pourraient  plus  être  employées  au 
rachat  des  rentes  dont  le  cours  serait  supérieur  au  pair; 
que  les  propriétaires  d'inscriptions  de  rentes  5  pour  100 
auraient,  dans  des  délais  fixés,  la  faculté  de  les  convertir 
en  inscriptions  de  rentes  3  pour  100  au  taux  de  75  fr.  ou 
de  4  1/2  pour  100  au  pair;  que  toutes  les  rentes  qui  se- 
raient acquises  par  la  caisse  du  22  juin  1825  au  22  juin 
1830  seraient  rayées  du  grand -livre  et  annulées  au  profit 
de  l'État. 

L'exécution  de  cette  loi  et  de  la  loi  d'indemnité  jusqu'à 
la  (in  de  juillet  1830  produisit  les  résultats  suivants  : 


La  lU'tle  inscrite  encore  négociable  était  rWuite  au  ?.?. 
juin   18'K>  à  la  somme  de 1G0,0(5,80()  f. 

La  conversion  réduisit  les  fonds  ô  p.  1 00  de    ?>  1 ,72.3,950 
Restaient l'iS.î'J  1,910 

Des  annulations  partielles  ordonnées  \o- 
gislalivement  dans  ce  même  intervalle  de 
temi)s    avaient   fait  rayer 1,168,524 

La  dette  en  5  pour  100  ne  montait  donc  plus 
qua 127,123,3Sr. 

Mais  le  grand-livre  avait  été  chargé,  pour 
l'indenuiilé  des  conliscations  faites  sur  les 
émigrés,  en  inscriptions  de  rentes  3  pour  100, 
de 


25,995,310 

par  suite  de  la  conversion  en  3  pour  1 00,  de.  .    24 ,459,035 
en  4  1/2  pour  100,  de 1,034,704 

Un  emprunt  autorisé  par  la  loi  du  1 9  juin 
1828,  et  négocié  au  commencement  de  1830 
pour  une  somme  de  80,000,000,  en  rentes 
4  pour  100,  au  cours  de  102  fr.  07  cent.,  avait 

fait  ajouter  à  la  dette  réduite 3,134,950 

181,747,445 

Pendant  cette  môme  période  de  temps, 
du  22  juin  1825  au  31  juillet  1830  ,  les  cours 
des  rentes  5  pour  100,4  l/2et4,  s'étaient  pres- 
que constamment  maintenus  au-dessus  du 
pair,  et  la  caisse  d'amortissement  avait  ra- 
cheté principalement  des  rentes  3  pour  100, 
jusqu'à  la  concurrence  de 16,763,067 

La  dette  exigible  et  négociable  n'était  donc 
plus  que  de 164,984,378  f. 

Ainsi ,  cette  action  continue  du  rachat  des  rentes  par  la 
caisse  d'amortissement,  en  même  temps  quelle  assurait  cha- 
que jour  aux  porteurs  des  rentes  de  l'État  un  acheteur  sérieux 
qui  soutenait  les  cours,  diminua  l'importance  des  nou- 
velles valeurs  émises.  La  dette  primitive  de  194,824,670  fr. 
se  trouvait  ,  au  bout  de  quatorze  années,  réduite  de 
29,940,292  fr.,  et  dans  le  tours  de  ces  mêmes  années 
l'administration  des  finances  du  royaume  avait  pu  cepen- 
dant ,  au  moyen  de  négociations  de  nouvelles  rentes,  payer 
toutes  les  dépenses  de  la  guerre  d'Espagne ,  acquitter  l'in- 
denmilé  des  émigrés ,  pourvoir  enfin  aux  hais  de  la  guerre 
de  jMorée  et  de  la  grande  expédition  d'Alger.  La  dernière 
négociation  de  rentes  s'était  laite  au-dessus  du  pair,  à  l'in- 
térêt de  4  pour  100  ,  et  la  caisse  d'amortissement  restait  pro- 
priétaire de  37,813,080  fr.'de  rentes,  les  rentes  rachetées  par 
elle  depuis  le  22  juin  1825  ayant  été  annulées  au  fur  et 
à  mesure  des  achats ,  conformément  à  la  loi  du  1'^''  mai , 
jusqu'à  concurrence  de  16,020,094  fr. 

La  révolution  de  1830  fit  éclater  une  crise  financière  me- 
naçante; les  londs  publics  éprouvèrent  une  dépréciation 
considérable;  le  cours  de  toutes  les  rentes  descendit  au- 
dessous  du  pair  ;  le  5  pour  100  ne  l'atteignit  et  ne  reprit  son 
niveau  que  vers  le  milieu  de  l'année  1833.  Pendant  les  an- 
nées 1831  et  1832,  trois  nouveaux  emprunts  contractés 
ajoutèrent,  en  rcntes5  pour  100,  15,779,010  fr.  à  la  dette  ins- 
crite; mais  dans  le  cours  de  ces  trois  années,  depuis  le 
1*"'  août  1830  jiisfiu'à  la  fin  de  1833  ,  la  caisse  d'amortisse- 
ment avait  racheté  12,5'j8,G50  fr.  de  rentes  de  diverses  na- 
tures. 

L'accroissement  de  la  dette  pendant  ces  années  ora- 
geuses ne  l'ut  doue  (pie  de  3,230,300  fr.  de  rentes,  et  par 
suite dequelques  anniilalions  partielless'élevantà452,217  fr., 
le  montant  total  de  la  dette  inscrite  élait  au  T""  juin  1833 
de  107,702,527  Ir. 

La  rente  5  pour  100  ayant  été  ramenée  au  pair,  et  l'amor- 
tissement ne  pouvant  plus,  aux  termes  de  la  loi  de  1825,  agir 
SIM'  cette  valeur,  il  parut  nétessaite  de  déterminer  le  paitage 
et  l'application  des  ressources  de  l'amortissement  entre  les 


AMORTISSEMENT  499 

différents  fonds  publics.  C'est  ce  que  fit  la  loi  du  10  juin  1833. 

Cette  loi  fixa  ,  conformément  aux  lois  antérieures ,  la  do- 
tation annuelle  de  la  caisse  d'amortissement  à  la  somme  de 
44,010,463  fr.,  et  ordonna  que  cette  dotation  serait,  ainsi 
que  les  rentes  amorties,  repartie  au  marc  le  franc  et  pro- 
portionnellement au  capital  nominal  de  chaiiue  espèce  de 
dette,  entre  les  rentes  5,  4  1/2,4  et  3  pour  100,  restant  à 
racheter. 

Elle  ajoutait  que  les  divers  fonds  d'amortissement  ainsi 
répartis  seraient  employés  au  rachat  des  rentes  dont  le 
cours  ne  serait  pas  supérieur  au  pair;  qu'à  l'avenir  tout 
empnnit  serait  doté  d'un  fonds  d'amortissement  qui  ne  poiu- 
rait  être  au-dessous  de  1  pour  100  du  capital  nominal  des 
rentes  créées;  qu'enfin  les  fonds  d'amortissement  apparte- 
nant à  des  rentes  dont  le  cours  dépasserait  le  pair  seraient 
mis  en  réserve  et  ne  seraient  payables  cha(pie  jour  à  la 
caisse  d'amortissement  qu'en  un  bon  du  Trésor  portant 
intérêt. 

Les  lois  des  27  et  28  juin  1833  prescrivirent  l'annula- 
tion et  la  radiation  sur  le  grand-livre  de  32  millions  des 
rentes  5  pour  100,  possédées  alors  par  la  caisse  d'amortis- 
sement. 

Sous  l'empire  do  cette  loi  nouvelle,  et  jusqu'au  31  dé- 
cembre 1848,  la  caisse  d'amortissement,  dont  la  dotation 
se  trouva  presque  constamment  réduite,  par  suite  de  l'élé- 
vation des  cours ,  à  des  versements  en  numéraire  pour  les 
seuls fondsaflectes au rachatdcs rentes 4  et  3 pour  100, acquit, 
au  cours  de  la  Bourse,  avec  publicité  et  concurrence, 
14,588,876  fr.  de  rentes.  Le  ti'ésor,  en  vertu  des  lois  de 
finances,  disposa  des  fonds  de  la  réserve  de  l'amortissement, 
soit  pour  pourvoir  pendant  certaines  années  aux  dépenses 
du  budget,  soit  pour  payer  des  travaux  extraordinaires,  soit 
enfin  pour  éteindre  ses  anciens  découverts.  Les  bons  remis 
à  la  caisse  d'amortissement ,  qui  représentaient  les  fonds 
réservés ,  furent  à  diverses  époques  cousoUdés  en  rentes  3 
et  4  pour  100.  Du  l"juillet  1833  au23  février  1848  il  avait  été 
inscrit  au  grand-Uvre  de  la  dette  publique,  par  suite  d'em- 
prunts faits  aux  caisses  d'épargne  et  de  trois  emprunts  négo- 
ciés en  1841,  1844  et  1847,  une  somme  de  rentes  4  et  3  pour 
100  de  21,618,011  fr.,  déduction  faite  des  rentes  acquises  par 
la  caisse  d'amortissement.  La  somme  totale  des  rentes  dues 
fut  donc  augmentée  depuis  le  l''''juiUet  1833  de  7,462,261  fr., 
et  s'élevait  ainsi  au  moment  de  la  dernière  révolution  à 
175,224,788  fr. 

Les  opérations  de  la  caisse  d'amortissement  cessèrent  en- 
tièrement au  14  juillet  1848.  Pendant  les  trente-deux  an- 
nées de  son  activité,  depuis  le  1^""  juin  1816,  cette  caisse 
avait  reçu  de  l'État,  parle  montant  intégral  de  ses  dotations 
annuelles,  I,4l2,ti92,404  fr.  60  centimes,  et  par  le  produit 
des  ventes  de  bois,  en  vertu  de  la  loi  25  mars  1817,  déduc- 
tion laite  des  primes  et  frais,  83,565,338  fr.  98  cent.; 
somme  totale,  1,496,157,743  fr.  58  c.  Dans  l'emploi  de  ces 
subsides  et  par  l'accumulation  des  arrérages  des  rentes  ra- 
chetées malgré  l'annulation  de  48  millions  de  ces  rentes, 
la  caisse  d'amortissement  avait  racheté  80,950,700  fr.  de 
rentes  qui,  au  prix  de  rachat,  ont  lihérc  la  iMance  de 
1,033,47^,090  fr.  00  cent.  La  caisse  avait  de  plus  mis  à  la 
disposition  du  trésor,  de  1833  à  1848,  sur  les  fonds  ré- 
servés, 1,016,693,856  fr.  27  c. 

Ces  iumienses  résultats  pourront  sans  doute  faire  mieux 
connaître  l'iniluence  que  l'élabli.ssement  fondé  en  1816  a  eu 
sur  l'alfermissement  de  notre  crédit  public ,  l'efficacité  des 
secours  qu'il  a  apiiortés  dans  les  jours  difficiles,  comment 
enfin  .son  action  puissante  a  soulagé  l'avenir  du  fardeau  des 
charges  qui  lui  étaient  léguées  par  les  malheurs,  les  désor- 
dres ou  les  besoins  successifs  du  pays.  L'appréciation  des 
situations  que  la  caisse  d'amortissement  a  traversées,  et  le 
succès  de  ses  opérations  dans  les  diverses  périodes  de  son 
existence,  nous  semblent  démontrer  que  c'est  bien  jjIus  la 
sagesse,  la  loyauté,  laju.sticcdes  gouvernements,  que  la  ba- 


401 

lance  des  recettes  et  des  besoins,  qui  constituent  la  puissance 
et  l;i  foiliiiie  des  nations.  Hki'.uyf.r,  .incit-n  df-imté. 

A3I(>S,  le  troisième  des  douze  pelils  prophètes,  pauvre 
bercer,  gardait  son  troupeau  sur  la  colline  de  Thi-cué,  voi- 
sine de  Jérusalem,  quand  l'esprit  d'en-haut  l'éclaira.  C'était 
vers  850  avant  J.-C,  sous  le  règne  d'Osias,  roi  de  Juda,  et 
de  Jéroboam  II,  roi  d'Israël.  Amos  prophétisa  dans  Bélhel , 
siège  principal  de  l'idolûtrie,  annonçant  à  Jéroboam  la  ruine 
de  sa  maison  et  la  captivité  de  tout  Israël  s'il  persistait  à 
adorer  les  idoles.  Irrité  de  ces  menaces,  Amasias,  prêtre 
païen,  l'accusa  de  chercher  à  soulever  le  peuple,  et  Amos 
dut  s'éloigner  ;  mais  ce  ne  fut  pas  sans  avoir  prédit  à  son 
dénonciateur  que  sa  femme  se  prostiluerait  au  milieu  deSa- 
marie,  que  l'ennemi  égorgerait  .•■•es  (ils  et  ses  tilles,  et  que 
lui-môme  expirerait  sur  une  terre  profane,  loin  du  tombeau 
de  ses  pères.  Voilà  tout  ce  qu'on  sait  de  la  vie  du  berger 
inspiré.  Sa  prophétie,  en  neuf  chapitres,  est  d'un  style  clair, 
pur,  mais  rude  parfois,  abondant  du  reste  en  images  em- 
j. mutées  à  la  vie  pastorale  primitive.  Le  sixième  chapitre, 
on  il  s'élève  contre  le  luxe  et  les  voluptés  de  Saïuaric,  suKi- 
rait  pour  le  classer  parmi  les  bons  écrivains  hébreux. 

AMOSIS.  Voyez  Amasis. 

A  MOU.  Voyez  Djihoun, 

AMOUR  (  Physiologie),  sentiment  de  plaisir,  le  plus 
universel  dans  la  nature  parmi  tous  les  êtres  organisés,  et 
qui ,  se  développant  au  plus  haut  degré  de  leur  vie ,  préside 
à  leur  reproduction,  crée,  enrichit ,  renouvelle  sans  cesse 
la  scène  du  monde.  C'est  une  flamme  qui  consume  l'exis- 
tence pour  la  transmettre  à  d'autres  êtres.  Aimer  n'est  que 
la  contraction  du  verbe  animer  ;  l'amour  est  la  manifesta- 
tion de  ïàme  ou  du  principe  qui  vivilie.  Les  minéraux , 
tous  les  corps  inanimés  et  inorganiques,  peuvent  bien  mani- 
fester des  affinités,  des  attractions  chimiques  entre  leurs  élé- 
ments moléculaires  ;  les  seuls  êtres  organisés  peuvent  aimer, 
parce  que  seuls  ils  se  reproduisent.  Les  plantes,  comme  les 
animaux,  possédant  des  sexes,  montrent  cette  invincible 
pente  à  s'unir  pour  se  propager  :  c'est  un  besoin  instinctif, 
spontané,  ou  rendu  impérieux  par  l'attrait  des  voluptés. 
Ainsi,  les  végétaux  et  les  animaux  agames  ou  sans  sexe  ap- 
parent et  connu,  tels  que  des  zoophytes,  des  algues,  ne  se 
reproduisent  guère  que  par  des  bourgeons,  des  boutures,  ou 
prolongements  des  parties ,  lesquels  se  détachent  d'une  tige 
maternelle.  Ce  mode  de  génération ,  n'étant  qu'une  exten- 
sion de  l'accroissement  ou  de  la  nutrition,  ne  suppose, 
n'exige  point  dans  ces  êtres  le  sentiment  de  l'amour,  même 
chez  ceux  qui  présentent,  comme  les  polypes,  hydres,  etc., 
des  traces  de  sensibilité.  D'autres  êtres,  les  cryptogames , 
tels  que  les  mousses ,  les  fougères,  parmi  les  plantes ,  et 
plusieurs  helminthes  ou  vers  chez  les  animaux,  décelant  à 
peine  quelques  organes  sexuels  indistincts  sur  le  môme  indi- 
vidu, se  reproduisent  avec  cette  froide  insensibilité  qui  ne 
constitue  qu'un  acte  machinal  ou  purement  organique. 

Parmi  les  végétaux  et  les  animaux  hermaphrodites , 
c'est-à-dire  qui  réunissent  sur  le  même  individu  les  parties 
sexuelles  màies  et  femelles ,  le  sentiment  de  l'amour  doit 
rester  toujours  imparfait.  Eu  effet ,  par  le  rapprochement 
continuel  des  sexes,  et  d'après  cette  facilité  de  satisfaire 
à  la  loi  de  la  reproduction ,  tout  désir  est  assouvi  aussitôt 
qu'il  naît.  La  plante  hermaphrodite  voit  le  lit  nuptial  de 
ses  (leurs  devenir  l'innocent  thcàtie  de  ses  pudiques  jouis- 
sances. Cependant  beaucoup  d'espèces  de  (leurs  manifes- 
tent, dans  leurs  étamines  surtout,  des  mouvements  spon- 
tanés vers  le  pistil  pour  l'acte  de  la  fécondation.  Plusieurs 
auteurs  ont  présumé  que  ces  organes  si  délicats  n'étaient 
pas  exempts  peut-être  d'une  ex(iuise  impression  de  |)lai- 
sir,  s'il  est  vrai  que  l'irritabilité  dts  libres  végétales  connue 
des  animales  dérive  d'une  obscuie  sensibilité. 

]\Iais  à  mesure  ([ue  la  séparation  des  sexes  se  prononce 
davantage  sur  deux  individus  différents,  éloignés  ,  le  be- 
soin du  concours  rcproduclil  devient  d'autant  plus  vif  ou 


AMOPvTISSr.MKAT  —  AMOUR 


plus  enflammé ,  par  cela  seul  qu'il  est  plus  rare  et  plus 
difficile.  Par  cette  combinaison  même ,  les  sexes  disjoints, 
aspirant  à  se  réunir,  ne  pouvai<'nt  atteindre  ce  but  de  leurs 
désirs  qu'au  moyen  de  la  locomotion  (  à  moins  que  la  na- 
ture ne  prit  soin  de  disperser  par  les  vents  le  pollen  fécon- 
dateur du  rnâle  sur  les  i)ieds  des  plantes  fem(!lles,  comme 
ce  fait  s'opère  chez  les  végétaux  dioïques).  Indépendamment 
de  la  locomotion  chez  les  animaux  à  sexes  séparés,  il  fal- 
lait des  sens  pour  se  reconnaître  en  chaque  espèce.  De  là 
tous  les  appareils  de  la  sensibilité  qui  distingui-nt  les  ani- 
maux les  plus  parfaits.  De  là  tous  les  modes  de  l'amour 
et  de  ses  jouissances.  On  comprend  ainsi  comment  les 
races  les  plus  sensibles  dans  le  règne  animal  sont  les  plus 
agitées  de  la  passion  de  l'amour,  surtout  par  l'éloignement, 
la  difficulté  des  rapprochements  entre  les  sexes.  Chez  les 
insectes,  et  d'autres  animaux  articulés  des  classes  infé- 
rieures ,  la  vie  est  courte  ;  l'amour  n'a  qu'une  rapide  et 
unique  époque  ;  c'est  plutôt  un  instinct  spontané  qui  at- 
tire ces  êtres,  et  la  mort  succède  aux  jouissances  ,  chez  les 
raûles  principalement.  Les  animaux  vertébrés  à  sang  froid 
ont  des  amours  languissantes  et  prolongées,  ou  qui  s'atta- 
chent plutôt  à  des  oeufs,  comme  chez  les  poissons,  qu'aux 
femelles  elles-mêmes.  Les  reptiles  ont  des  accouplements 
pendant  des  jours  entiers,  ainsi  que  la  plupart  des  mollus- 
ques, dont  les  uns  sont  androgynes  et  s'unissent  dans  des 
accouplements  réciproques  ,  et  dont  les  autres  ne  présen- 
tent qu'un  sexe.  Bien  que  l'antiquité  ingénieuse  ait  fait 
naître  Aphrodite  de  l'écume  des  ondes ,  et  consacré  les 
coquillages  marins  ,  si  féconds  ,  si  variés  dans  leurs  modes 
de  reproduction,  à  cette  mère  des  amours,  la  froideur  de 
leur  sensibilité  semble  éteindre ,  sous  une  bave  épaisse , 
leurs  voluptés. 

Chez  les  êtres  d'un  sang  ardent,  tels  que  les  oiseaux, 
l'amour  brille  de  tout  son  éclat;  il  s'échauffe  de  tous  les 
feux  qu'entretient  en  eux  leur  vaste  appareil  respiratoire; 
mais ,  excepté  chez  les  pigeons,  les  perroquets  et  la  famille 
des  picoïdes,  les  autres  races  volages  ne  considèrent  point 
la  polygamie  comme  un  cas  pendable.  C'est  cependant  chez 
les  espèces  qui  se  marient  en  quelque  sorte ,  comme 
les  colombes,  que  se  voient  les  attentions  délicates  du  mâle 
pour  la  femelle  et  pour  couver  à  son  tour  ;  le  sentiment 
s'exalte  dans  le  regret  du  veuvage,  et  la  maternité  tire  de 
l'amour  sa  plus  tendre  mélancolie  : 

Qualis  populea  mœrens  Pliilumcla  sub  urubra, 
Aiuissos  queritur  fœlus  ,  elc. 

Les  mammifères,  moins  ardents  sans  doute,  portent  plus 
loin  toutefois  les  sentiments  amoureux,  parce  qu'il  se  joint 
aux  délices  maternelles  l'allaitement,  ou  des  contacts  sensi- 
tifs  plus  multipliés.  Déjà  paraissent  des  liaisons  sociales  entre 
les  sexes  et  une  jeune  famille;  déjà  s'enlacent  les  individus 
par  mille  agaceries  et  les  jeux  de  la  coquetterie  chez  certaines 
femelles,  comme  on  voit  des  préférences,  des  jalousies, 
susciter  des  querelles  entre  les  mâles.  L'amour  enlin  tient 
une  plus  grande  place  dans  le  drame  de  leur  existence,  et 
revient  à  des  époques  plus  fréquentes,  surtout  chez  les 
espèces  les  mieux  nourr  les. 

On  peut  remercier  la  nature  d'avoir  créé  l'espèce  humaine 
pour  l'amour  au  delà  de  toutes  les  autres  races  d'animaux. 
Indépendamment  de  la  nudité  de  sa  peau,  qui  lui  donne  \n\ 
contact  universel  et  une  exquise  sensibilité,  l'homme  est 
impressionnable  surtout  par  le  cœur  et  par  l'esprit  :  il 
admire  la  beauté,  il  s'émeut  au  charme  de  la  voix  et  du 
chant;  il  s'enivre  de  toutes  les  jouissances  morales  comme 
de  toutes  les  émotions  physiques  ;  sa  sociabilité,  les  rapports 
multipliés  du  langage,  la  variété  des  passions  et  des  intérêts 
qui  en  émanent,  les  liens  de  consanguinité  de  sa  famille, 
tout  en  fait  le  plus  aimant  ou  le  plus  tendre  s'il  écoute  les 
impressions  de  sa  nature,  mais  aussi  le  plus  déchiré  dans 
ses  affections  et  dans  ses  regrets.  Ainsi ,  l'étendue  de  son 


AMOUR 


49b 


système  nerveux  sensitif  est  une  source  inépuisable  et  de 
voluptés  et  de  douleurs,  par  une  sorte  de  contre-poids  iné- 
vitable. 

L'ainonr  devient  donc  le  tour;iient  comme  les  délices  de 
l'existence  humaine.  Il  captive  la  vie  entière  de  la  femme, 
soit  comme  vierge  encore,  défendant  son  cœur  contre  les 
tempêtes  des  passions ,  soit  comme  épouse ,  soit  comme 
mère  inquiète  pour  ses  enfants.  Heureuse  encore  dans  ses 
peines,  si  elles  servent  sa  tendresse,  une  mère  est  tout  sa- 
crilic*,  et  elle  devient  l'être  le  plus  sublime  de  la  création  ; 
c<ir  le  propre  de  l'amour  est  de  s'immoler,  il  vit  dans  ce 
qu'il  adore.  Porté  au  plus  haut  degré,  c'est  moins  l'union 
ties  corps  que  celle  des  âmes  en  une  seule  confusion  né- 
cessaire pour  la  transfusion  de  la  vie  dans  un  nouvel  être. 
Selon  la  belle  fable  de  Platon,  dans  l'origine,  les  deux  sexes 
réunis  vivaient  satisfaits  ;  depuis  que  Jupiter  les  divisa,  cha- 
cun aspire  à  ressaisir  ce  qui  lui  manque,  afin  de  reconstituer 
cette  unité  primordiale  qui  forme  l'espèce  complète.  De 
même,  en  physique,  chaque  aimant,  chaque  pile  électrique, 
présente  deux  pôles  opposés,  et  cependant  nécessaires  Tun  à 
l'autre  pour  établir  l'équilibre  et  l'unité.  La  polarisation  est 
plus  forte  à  mesure  qu'elle  devient  plus  considérable. 

C'est  ainsi  que  l'amour  s'exalte  et  s'enflamme  par  les  dif- 
ficultés, et  se  nourrit  de  contrastes.  Les  individus  trop  ana- 
logues entre  eux  luttent  ou  sont  rivaux,  tandis  que  l'attrac- 
tion naît  des  contraires  entre  l'homme  et  la  femme.  L'har- 
monie du  mariage  résulte  de  qualités  concordantes,  quoique 
diverses,  comme  celle  des  voix  dans  un  concert.  De  même 
en  chimie  les  corps  de  la  nature  la  plus  contrastante ,  tels 
que  l'acide  et  l'alcali ,  constituent  les  combinaisons  les  plus 
intimes. 

On  peut  dire  qne  tout  l'univers  est  ainsi  soumis  à  la  loi 
de  l'amour  et  de  la  haine,  ou  de  l'attraction  et  de  la  répul- 
sion :  loi  de  polarité  dans  les  grandes  masses  inorganiques, 
ainsi  que  dans  les  molécules  imperceptibles;  loi  de  repro- 
duction et  de  destruction  dans  la  nature  organisée,  loi  de 
société  et  de  ruine  dans  le  monde  moral  et  intellectuel  ;  ce 
qui  constitue  le  cercle  éternel  des  destinées ,  clrcuius 
xteitii  motus.  J.-J.  Virey. 

AiMOUR  {Morale).  Après  Dieu,  l'amour  est  la  plus 
grande  chose  qui  ait  un  nom  dans  la  langue  humaine.  Con- 
sidéré dans  toute  l'étendue  de  sa  signification  et  .sous  diffé- 
rents aspects,  soit  métaphysiques  ou  religieux,  soit  physiolo- 
giques ou  humanitaires,  l'amour  est  cette  puissance  universelle 
et  intime,  mystérieuse  et  infinie,  qui  anime  tous  les  êtres  de 
la  création,  qui  féconde  et  vivifie  tous  les  germes  de  la  nature, 
qui  préside  à  la  reproduction  des  espèces  et  à  l'harmonie 
des  sociétés  et  des  mondes. 

Tous  les  phénomènes  de  la  vie  organique ,  toutes  les  ten- 
dances de  la  vie  morale,  dcmontit-nt  la  prévoyance  et  la 
sagesse  de  Dieu,  dont  l'amour  est  la  plus  belle  manifestation. 
C'est  l'amour  qui  relie  les  sociétés  humaines,  c'est  lui  qui  crée 
la  famille,  qui  charme  et  e'.'.îlicliit  le  foyer  domestique  ;  sans 
lui,  la  patrie,  l'humanité,  Dieu,  ne  sont  plus  que  des  mots 
vides  de  sens.  L'amour  est  la  base  de  toutes  les  religions, 
de  toutes  les  vertus,  de  toute  sociabilité,  de  toute  morale; 
c'est  ainsi  que  je  comprends  ces  simples  et  sublimes  paroles 
de  l'Évangile  :  «  Aimez  Dieu  par-dessus  toutes  choses;  ai- 
mez votre  prochain  comme  vous-mêmes.  —  Tous  les  hommes 
sont  frères.  » 

Ainsi  l'amour  peut  être  défini  (si  une  définition  est  pos- 
sible) :  un  mouvement  sympathique  qui  nous  iwrte  veis  une 
cliose  ou  divine,  ou  idéale,  ou  humaine. 

Le  cœur  de  l'homme  est  un  foyer  toujours  actif,  d'oii 
rayonnent  incessamment  une  foule  d'affections  diverses,  qui 
se  développent  à  mesure  que  ses  facultés  grandissent,  que 
ses  relations  sociales  se  multiplient,  et  qui  président  à  son 
bonheur  moral  dans  toutes  les  jjhases  de  son  existence. 

Enfant,  il  sourit  dtjà  aux  caresses  de  sa  mère,  et  c'est  dans 
s«n  sein  qu'il  épanche  ses  joies  naïves  et  ses  premières  dou- 


leurs. Vient  la  puberté  :  arbitre  de  son  sort,  l'homme  songe 
à  se  donner  une  compagne  dévouée,  qui  consente  à  partager 
avec  lui  les  voluptés  de  la  vie  intime,  les  charges  et  les  de- 
voirs de  la  vie  sociale,  et  dès  lors  son  cœur  s'abandonne  aux 
émotions  enivrantes  d'un  amour  que  son  imagination  avait 
rêvé  longtemps  avant  de  le  connaître.  Bientôt  une  jeune  fa- 
mille se  groupe  autour  de  lui  :  nouvelles  sources  d'affections, 
de  soins,  de  sollicitudes  !  Ce  n'est  pas  tout,  l'homme  s'élève 
par  degrés  à  un  ordre  de  sentiments  supérieurs  qui  par- 
ticipent à  la  fois  du  cœur  et  de  l'intelligence;  son  ûme,  na- 
turellement expansive,  semble  se  répandre  sur  tout  ce  qui 
l'environne  et  en  quelque  sorte  vouloir  franchir  le  temps  et 
l'espace.  L'amour  de  l'estime,  de  la  gloire,  de  la  liberié,  lui 
fait  rechercher  les  actions  utiles ,  grandes,  généreuses.  L'a- 
mour de  la  patrie  le  rend  capable  de  tout  sacrifier  au  bon- 
heur ou  à  la  gloire  de  ses  concitoyens.  L'amour  de  l'huma- 
nité le  pousse  à  étendre  sa  sollicitude  jusque  sur  l'avenir,  et 
à  préparer  les  perfectionnements  des  générations  futures. 
Enfin, l'amour  des  beautés  infmiesde  la  création  et  des  mer- 
veilles de  son  être,  joint  à  la  conscience  de  sa  force  et  de  sa 
dignité  propres,  élève  son  cœur  et  sa  pensée  à  la  conception  du 
Créateur  et  à  l'amour  de  Dieu  lui-même.        Aug.  Husson. 

L'amour  est  ce  feu  paisible  et  fécond,  cette  chaleur  des 
cieux  qui  anime  et  renouvelle,  qui  fait  naître  et  fleurir,  qui 
donne  les  couleurs,  la  grâce,  l'espérance  et  la  vie.  Lors- 
qu'une agitation  jusque  là  inconnue  étend  les  rapports  de 
l'homme  qui  essaye  la  vie,  il  place  son  existence  dans  l'a- 
mour, et  dans  tout  il  iie  voit  que  l'amour  seul  !  Tout  autre 
sentiment  se  perd  dans  ce  sentiment  profond;  toute  pensée 
y  ramène  ,  tout  espoir  y  repose. 

Une  voix  lointaine ,  un  son  dans  les  airs ,  le  frémisse- 
ment des  branches ,  tout  l'annonce ,  tout  l'exprime ,  tout 
imite  ses  accents  et  augmente  les  désirs.  La  grâce  de  la  na- 
ture est  dans  le  mouvement  d'un  bras;  l'harmonie  du 
monde  est  dans  l'expression  d'un  regard.  C'est  pour  l'a- 
mour que  la  lumière  du  matin  vient  éveiller  les  êtres  et  co- 
lorer les  cieux  ;  pour  lui  les  feux  du  midi  font  fermenter 
la  terre  humide  sous  la  mousse  des  forêts  ;  c'est  à  lui  que 
le  soir  destine  l'aimable  mélancolie  de  ses  lueurs  mysté- 
rieuses. 

Le  silence  protège  les  rêves  de  l'amour  ;  le  mouvement 
des  eaux  pénètre  de  sa  douce  agitation  ;  la  fureur  des  vagues 
inspire  ses  efforts  courageux ,  et  tout  commandera  ses  plai- 
sirs quand  la  nuit  sera  douce ,  quand  la  lune  embellira  la 
nuit,  c(uand  la  volupté  sera  dans  les  ombres,  et  la  lumière 
dans  la  solitude  ! 

Heureux  celui  qui  possède  ce  que  l'homme  doit  chercher, 
et  qui  jouit  de  tout  ce  que  l'homme  doit  sentir!  Celui  qui 
est  homme  sait  aimer  l'amour,  sans  oublier  que  l'amour 
n'est  qu'un  accident  de  la  vie;  et  quand  il  aura  ses  illu- 
sions, il  en  jouira,  il  les  possédera,  mais  sans  oublier  que 
les  vérités  les  plus  sévères  sont  encore  avant  les  illusions 
les  plus  heureuses. 

Celui  qui  est  homme  sait  choisir  ou  attendre  avec  pru- 
dence, aimer  avec  continuité,  se  donner  sans  faiblesse 
comme  sans  réserve  ;  l'activité  d'une  passion  profonde  est 
pour  lui  l'ardeur  du  bien,  le  feu  du  génie;  il  trouve  dans 
l'amour  l'énergie  voluptueuse,  la  mâle  jouissance  du  cœur 
juste,  sensible  et  grand;  il  atteint  le  bonheur  et  sait  s'en 
nourrir...  Je  ne  condamnerai  point  celui  qui  n'a  pas  aimé, 
mais  celui  qui  ne  veut  pas  aimer.  Les  circonstances  dé- 
terminent nos  affections,  mais  les  sentiments  expansifs  sont 
naturels  à  l'homme,  dont  l'organisation  morale  est  parfaite. 
Celui  qui  est  incapable  d'aimer  est  nécessairement  inca- 
pable d'un  sentiment  magnanime,  d'une  affection  sublime. 
11  peut  être  probe,  bon,  industrieux,  prudent;  il  peut  avoir 
des  qualités  douces,  et  même  des  vertus  par  réflexion  ;  mais 
il  n'est  pas  homme ,  il  n'a  ni  âme  ni  génie.  Je  veux  bien 
le  connaître,  il  aura  ma  confiance,  et  jusqu'à  mon  estime^ 
mais  il  ne  sera  pas  mon  ami.  Cœurs  vraiment   sensible* 


496  AMOUR  —  AM 

qu'une  deslinée  siiiistie  a  conipiiinés,  qui  vous  Mûmera  de 
n'avoir  point  aiiné  ?  Tout  senliiucnt  géuércux  vous  était  na- 
turel, le  feu  des  passions  était  dans  votre  iiiàle  intelligence; 
l'amour  lui  était  nécessaiie,  il  devait  ralinienter;  il  eût 
achevé  de  la  lonuer  pour  de  grandes  choses  ;  mais  rien  ne 
vous  a  élé  donné,  et  le  silence  de  l'amour  a  commencé  le 
néant  oii  s'éteint  votre  vie.  De  Sknancolr. 

AMOUR  (  Psychologie).  C'est  le  premier  élan  de  l'ûme 
vers  les  objets  qui  sont  pour  elle  un  élément  de  plaisir.  Ce 
qu'il  y  a  de  plus  remarquable  dans  l'amour,  c'est  qu'il  peut 
prendre  deux  caractères  distincts  et  tout  à  fait  différents. 
Il  peut  devenir  intdressé  ou  désintéressé ,  ou,  si  l'on  aime 
mieux,  perso)iiiel  ou  impersonnel.  L'amour  à  son  origine 
n'a  point  encore  de  caractère  déterminé.  L'homme  com- 
mence par  aimer  tout  ce  qui  lui  agrée ,  par  cela  seul  qu'il 
y  trouve  son  bien.  Ainsi  il  aimera  la  vérité  au  même  titre 
qu'un  mets  agréable,  parce  qu'il  trouve  du  plaisir  à  con- 
naître comme  il  en  trouve  à  savourer.  Mais  quand  ses  fa- 
cultés sont  parvenues  à  «m  certain  développement,  qui  lui 
permet  de  se  distinguer  de  ce  qui  n'est  pas  lui ,  d'avoir  une 
conscience  plus  vive  de  sa  personnalité,  et  de  considérer 
scpaiément  le  moi  et  les  objets  de  sa  sympathie,  alors  ses 
afit'ctions  piennent  une  direction  mieux,  déterminée,  et  se 
partagent  en  deux  sortes  de  sentiments  bien  distincts,  selon 
qu'elles  ont  le  înol  ou  le  non-moi  pour  objet.  Voici  la  rai- 
sou  de  ce  partage ,  de  celte  différence  :  l'amour  ne  peut  se 
développer  dans  le  cœur  sans  engendrer  un  sentiment  de 
Itienreillancc  pour  l'objet  qui  a  été  la  source  du  plaisir 
<le  l'àme.  Ce  sentiment  de  bienveillance  caractérise  alors 
l'amour;  il  semble  se  confondre  avec  lui;  c'est  une  forme 
nouvelle  qu'il  a  subie.  Or,  c'est  ce  sentiment  de  bienveil- 
lance qui  ea  se  partageant  donne  lieu  aux  affections  inté- 
ressées ou  désintéressées.  En  effet ,  quand  l'houmie  s'est 
isolé  à  ses  yeux  de  ce  qui  nest  pas  lui,  il  y  a  pour  lui  deux 
choses  bien  distinctes  dans  l'univers  :  son  être ,  sa  per- 
sonne, son  individu;  puis  les  autres  êtres,  les  autres  per- 
soimes,  les  autres  individualités.  Or,  il  ne  peut  pas  se  con- 
sidérer comme  sujet  de  son  bien-être  sans  s'aimer,  sans 
être  animé  pour  lui-même  d'un  vif  sentiment  de  bienveil- 
lance; c'est-à-dire  qu'il  veut  son  bien,  le  bien  des  facultés 
qui  le  constituent  :  ses  affections  prennent  alors  le  caractère 
de  personnelles,  d'intéressées,  parce  que  c'est  sa  personne, 
son  intérêt  propre  (ju'elles  ont  pour  but;  et  elles  reçoivent 
des  noms  différents ,  selon  le  côté  particulier  de  l'individu 
vers  lecpiel  elles  seront  dirigées.  Ainsi,  l'amour  que  Tiiomme 
aura  [lour  son  intelligence  sera  V  amour-propre ,  Yor- 
(j  ueil;  celui  qu'il  aura  pour  le  bien  de  son  activité,  de  sa 
puissance,  sera  l' a  m  bit  ion  ,  V  amour  des  richesses ,  etc.  ; 
celui  qu'il  aura  pour  le  développement  de  ses  facultés  af- 
fectives sera  lAsensuaiité,  Vamour  du  plaisir.  Toutes 
ces  passions  intéressées  constituent  l'égoisme. 

Mais  quand  riionnne,  au  lieu  de  se  considérer  lui-même 
comme  sujet  de  ses  affections,  envisage  les  êtres  (jul  sont 
en  dehors  de  lui,  et  les  envisage  comme  l'objet  de  ses  sen- 
timents, de  ses  sympathies,  connue  la  source  des  plaisirs 
qu'il  a  ressentis  de  leur  part,  l'amour  ([u'il  va  éprouver  pour 
eux  va  aussi  prendre  le  caractère  de  la  bienveillance;  mais 
ctlte  bienveillance  sera  toute  relative  à  eux ,  c'est-à-dire 
qv'e  dans  ce  cas  l'affection  qu'il  leur  porte  cousisteia  à 
vouloir  leur  bien ,  sans  aucune  considi  ration  personnelle. 

L'àme,  en  effet,  stMubie  alors  s'oublier  et  sortir  d'elle-même 
pour  se  préoccuper  des  intérêts  de  l'objet  aimé.  Elle  vit 
|).)ur  ainsi  ilire  en  lui,  fait  cause  couuuune  avec  lui,  s'inté- 
resse à  son  bien-être,  comme  elle  s'intéresserait  au  sien 
propre;  elle  a  iveilement  changé  de  rôle.  Voilà  jwunpioi  les 
affections  sont  dites  alors  impersonnelles  ou  désintéressées. 
Telles  sont  l'amour  filial,  l'amour  des  parents  pour  leurs 
enfants,  Vamour  d'un  amant  pour  son  amante,  l'ami- 
tié, l'amour  de  la  patrie,  l'amour  de  l'humanité  ou  la 
philanthropie,  l'amour  du  vrai,  du  beau  ou  du  bien 


OUR-PROPRE 

que  l'homme  peut  considérer  en  eux-mêmes  counne  la  fin 
glorieuse  de  ses  faculté-,  ;  enfin  l'amour  de  Dieu,  qui  est  la 
source  et  la  substance  du  beau,  du  vrai  et  du  bien. 

C.-M.  Paffe. 

AMOUR  { Mythologie).  Foyes  Cupidon. 

AMOUR  (  Géographie),  fleuve  qui  se  jette  dans  l'océan 
Pacifique  ou  plutôt  dans  la  Manche  de  Tarrakaï.  Il  est 
formé  par  la  réunion  du  Kheroulun  ou  Argoun  avec  l'Onon 
ou  .Scheika.  Son  aflliient  principal  est  le  Soungari.  Il  est 
navigable  dans  toute  son  étendue.  Le  nom  d'Amour  lui  est 
donné  par  les  Tongouses  ;  les  Mandchous  le  nomment 
Sakhalian-Oula  et  les  Chinois  He-Loung-Kiang.  L'Onon 
vient  de  la  Mongolie  chinoise ,  l'Argoun  coule  sur  le  terri- 
toire russe.  Après  leur  réunion  ,  ces  deux  rivières,  coulant 
de  l'ouest  à  l'est,  arrosent  Yaksa,  Mariinsk,  postes  russes  et 
Nicolaiewsk ,  à  32  kilomètres  de  la  mer.  Depuis  ce  point 
l'Amour  a  de  2  à  4  kilomètres  de  large  et  de  40  à  60  mètres 
de  profondeur.  Malheureusement  son  embouchure  est  ob- 
struée par  des  barres,  son  cours  est  embarrassé  d'îles  nom- 
breuses, et  se:^  eaux  sont  gelées  sept  ou  huit  mois  de  l'année. 
Les  Russes  se  sont  établis  à  Yaksa  ou  Albasin  au  commen- 
cement du  dix-septième  siècle  ;  ils  y  eurent  des  combats  fré- 
quents avec  les  Chinois.  Par  un  traité  signé  avec  la  Chine 
près  de  Nertschinsk,  en  1689,  la  Russie  renonça  à  la  fron- 
tière de  l'Amour;  mais  peu  à  peu  les  Russes  se  rapprochè- 
rent de  ce  fleuve,  et  en  1847  ils  s'y  trouvaient  revenus. 
L'empereur  îNicolas  fonda  la  ville  de  iS'icolaiewsk  sur  l'A- 
mour, dont  pluMcurs  expéditions  scientifiques  explorèrent 
le  cours  et  le  bassin.  L'empereur  Alexandre  II  fortifia  les 
stations  russes  le  long  du  fleuve.  La  Chine  envoya  à  Nico- 
laiewsk un  ambassadeur  chargé  de  sommer  les  Rus.ses  d'é- 
vacuer celte  contrée;  iuais  les  dispositions  hostiles  de  la 
Russie,  quand  il  allait  avoir  la  guerre  avec  la  France  et 
l'Angleterre,  adoucirent  l'empereur  de  la  Chine,  et  le  28 
mai  1858  un  ambassadeur  chinois  signa  avec  le  général  Mou- 
rawielf  un  traité  par  lequel  l'Amour  sert  en  grande  partie  de 
limite  aux  empires  de  Russie  et  de  Chine.  Les  Chinois  peu- 
vent y  naviguer,  coinme  les  Russes  peuvent  naviguer  sur 
rOussouri  et  le  Soungari.  A  350  kilomètres  de  son  embou- 
chure, l'Amour  se  rapproche  de  00  kilomètres  de  la  haie 
de  Castries,  où  les  jtlus  grands  navires  trouvent  un  abri 
sur.  Les  Russes  ont  élevé  sur  cette  baie  le  fort  Alexan- 
drowsk,  qui  abritera  bientôt  une  ville  et  qui  sera  mise  en 
communication  avec  l'Amour  au  moyen  d'un  chemin  de 
fer.  Une  compagnie  s'est  formée  pour  la  navigation  de  l'A- 
mour. De  la  houille  a  été  découverte  dans  le  bassin  de  ce 
fleuve.  Blahowestschinsk  a  été  fondé  près  de  l'endroit  oii  la 
Séja  confond  ses  eaux  avec  r.\inour,  et  une  colonie  de  quinze 
mille  Cosaque,s  a  été  envoyée  sur  les  bords  de  ce  fleuve , 
qui  appellent  encore  des  colons  de  touj  les  pays.       Z. 

AMOUREUX,  AMOUREUSE,  rôles  de  théâtre. 
Voyez  Jel'ne  pr.RMir.R,  Jfxne  puemièbe. 

AMOUR-PROPRE,  AMOUR  DI2  SOL  Lai.ssant  de 
côté  la  remarque  de  Hume  sur  l'espèce  de  non-sens  produit 
par  l'alliance  forcée  de  ces  deux  expressions,  amour  eXpro- 
prc ,  que  l'usage  a  visiblement  dénaturées  par  un  amalgame 
stérile,  prenons  ce  mot  tel  quel,  com.me  le  seid  du  voca» 
bulaire  «pu  tienne,  eu  attendant  nueux,  la  place  de  ce  sen- 
timent assez  déplorablement  b  iptisé ,  et  considérons  «le 
priiiuî  alturd  l'amour-propre  comme  un  ressort  d'activité 
qui  lie  se  développi;  «[ue  dans  le  monle,  et  qui  se  rouille 
dans  la  soliliuie.  L'amour-propre  n'est  jamais  putemenl 
personnel;  il  demande  un  théâtre,  un.  auiiit"ire,de  l'action 
au  dehors ,  «les  ju;;es  ;  il  demande  surtout  des  ménagements, 
des  transactions,  des  bravos.  L'amour-propre  n'a  pas  besoin 
d'être  sociable,  mais  il  est  éminemment  social.  C*e,sl  à  son 
origine  le  producteur  le  plus  énergique  des  petite,-,  qualités 
et  des  petits  défauts ,  l'agent  qui  travaille  le  nifiins  pour  la 
gloire  et  le  plus  pour  la  gloriole.  Il  proc«\lc  por  cascades, 
de  la  ville  au  bourg,  du  village   au  iianicau;  la  livrée  du 


AMOUR-PROPRE 

laquais  le  met  dans  sa  propre  estime  fort  au-dessus  de  l'ar- 
tisan qui  n'a  qu'une  veste  :  c'est  naturel,  et  c'est  petit. 
L'aniour-propre  est  petit ,  la  vanité  est  lière,  l'orgueil  seul 
est  grand.  L'amour-propre  ne  dfmanderait  pas  mieux  que 
de  devenir  de  l'orguiMi ,  mais  l'orgueil  ne  redescend  ja- 
mais si  bas.  Ce  qui  distingue  expressément  l'amour-propre 
de  l'amour  de  soi ,  l 'est  qu'il  détermine  quelquefois  des  lios- 
lilités  contre  son  propre  repos.  L'amour  de  soi  n'inspire  pas, 
comme  l'amour-propre,  l'obstination  des  procès  avec  la 
presque  certitude  de  les  perdre;  il  ne  fait  pas  germer  les 
contrariétés  mesquines  de  la  jalousie  pour  des  bagatelles  et 
pour  des  gens  qui  n'en  valent  pas  la  peine.  Les  lièvres  de 
l'amour-propre  sont,  au  contraire,  fréquentes;  il  va  mCme 
jusqu'à  croire  qu'on  s'occupe  très- volontiers  de  lui,  parce 
qu'il  prend  lui-môme  cette  fatigue.  Il  prête  sa  préoccupation 
aux  antres,  et  voilà  pourquoi  il  est  démesuré  chez  un  au- 
teur. Quelques  découvertes  que  l'on  ait  faites  dans  le  pays 
de  rumour-pro|)re,  a  dit  La  Rocliefoucault ,  il  y  reste  encore 
bien  des  lerres  inconnues.  A.  Urcker. 

AMOVIBILITÉ.  Voyez  Inamovibilité. 
AMPELIDÊES  (du  grec  âiiueXo;  ,  vigne) ,  famille  de 
plantes  qui  renferme  la  vigne  et  des  végétaux  sarmenteux 
s'accroclianl  aux  corps  environnants  à  l'aide  de  vrilles  op- 
posées aux  feuilles,  qui  sont  alternes  et  stipulées  :  les  fleurs  en 
grappes  ou  en  tliyrses  ont  un  calice  très-court;  le  fruit  est 
une  baie  monosperme  ou  pol  y  sperme  ;  les  graines  renferment 
à  la  base^d'nn  endosperme  corné,  un  embryon  dressé. 

AMPERE  (.\ndré-Marie),  né  à  Lyon  le  22  janvier 
1775,  mort  à  Marseille  le  10  juin  1836,  l'un  des  premiers 
mathématiciens  de  notre  époque,  commença  par  professer 
à  l'école  centrale  du  Rhône.  Ses  goûts  le  portèrent  aussi  à 
l'étude  de  la  botanique,  de  la  chimie  et  de  la  physique.  Ainsi 
l'on  trouve  parmi  ses  mémoires  des  recherches  sur  les 
propriétés  d'un  système  de  pendule,  qui  contenaient  en 
gerrne  la  démonstration  du  mouvement  de  la  terre  donnée 
plus  tard  par  M.  Foucault.  A  la  création  de  l'université. 
Ampère  fut  nommé  inspecteur  général  des  études.  La  pre- 
mière classe  de  l'Institut  l'admit  dans  sa  section  de  mé- 
canique. Professeur  d'analyse  mathématique  à  l'École 
polytechnique,  il  fut  obligé  de  quitter  sa  place  d'inspecteur 
général,  et  appelé  à  celle  de  professeur  de  physique  au 
Collège  de  France.  Les  fonctions  d'inspecteur  général  lui 
furent  ensuite  rendues.  Il  était  en  outre  membre  de  la  So- 
ciété royale  de  Londres,  du  conseil  d'administration  de  la 
Société  d'Encouragement,  du  Bureau  consultatif  des  arts  et 
métiers.  Dès  1802  il  publiait  à  Lyon  ses  Considéradons  su?- 
la  théorie  mathématique  du  /e?/,  ouvrage  destiné  à  prouver 
qu'une  ruine  certaine  est  la  suite  infaillible  de  la  passion  du 
jeu ,  et  dont  l'Institut  disait ,  dans  son  rapport  sur  les  pro- 
grès des  sciences,  «  qu'il  serait  bien  capable  de  guérir  les 
joueurs,  s'ils  étaient  un  peu  plus  géomètres.  »  Nommons 
encore  ses  Recherches  sur  l'application  des  formules  gé- 
nérales du  calcul  des  variations  aux  problèmes  de  la 
mécanique  ;  tous  ses  beaux  mémoires  publiés  dans  les  An- 
nales de  Chimie,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  Philo- 
matique  et  dans  les  Mémoires  de  l'Institut;  enlin  ses  Con- 
sidérations générales  sur  les  Intégrales  des  Équations 
aux  différentielles  partielles,  insérées  au  tome  X  du 
Journal  de  l'Ecole  polytechnique  (  mai  1815). 

Ampère  a  écrit  des  mémoires  importants  sur  divers  points 
de  la  théorie  atomislique,  qui  a  si  puissamment  coopéré  à 
l'avancement  de  la  chimie;  le  premier  il  donna  une  classiQ- 
calion  chimique  où  les  corps  simples  étaient  disposés  en 
familles  naturelles,  classification  adoptée  par  Beudant  dans 
son  Traité  de  Minéralogie  :  quoiqu'on  puisse  lui  reprocher 
de  tro{)  s'attacher  aux  caractères  physiques,  elle  n'eu  res- 
tera pas  moins  comme  un  monument  important  dans  l'his- 
toire de  la  science.  La  nomenclature  qu'ila  suivie  dans  cette 
classilication  se  fait  remar(iuer  par  sa  régularité.  Lorsque  ! 
Œrstedt  eut  découvert  Télectro-magnélisme,  Ampère  fut  \ 

DICT.    ne    L\   CONVF.RS.  —   T.  I- 


—  AMPHIAR.\US  497 

un  des  premiers  à  s'occuper  de  celte  branche  de  la  science 
eu  France  ;  par  de  nomlireuses  et  savantes  expériences,  il  en 
fonda  la  théorie,  et  imagina  des  appareils  curieux.  En 
1834  Ampère  résuma  les  travaux  de  toute  sa  vie  en  \t\\- 
h\'n\\\{  V Essai  sur  la  philosophie  des  sciences,  ou  Ex- 
position analytique  d'une  classification  naturelle  de 
toutes  les  connaissances  humaines,  dont  une  seconde 
édition  a  paru  en  1838. 

AMPÈRE  (  Jean-Jacqif.s-Antoine),  son  fils,  professeur 
d'histoire  de  la  littérature  française  au  Collège  de  France, 
membre  de  l'Académie  des  Inscriptions  depuis  1842  et  de 
l'Académie  Française  depuis  1847, est  né  à  Lyon,  le  12  anù* 
1800.  Ses  classes  achevées,  il  s'occupa  de  littérature,  étudia 
les  littératures  étrangères  et  fit  cause  commune  avec  les 
novateurs  romantiques.  De  1828  à  1830,  il  particijia  à 
la  rédaction  de  la  Revue  française ,  fondée  par  M.  Gui- 
zot,  puis  à  celle  du  National.  Introduit  dans  le  cercle 
de  M^ifi  Récamier  par  Ballanche ,  il  .s'y  lia  avec  Chateau- 
briand, dont  il  a  décrit  plus  tard  les  funérailles.  Au  com- 
mencement de  1830  il  ouvrit  un  cours  de  littérature  à  l'A- 
thénée de  Marseille;  après  la  révolution  de  juillet,  il  vint  à 
Paris,  et  suppléa  M.  Fauriel  et  M.  Villemain  à  la  Faculté  des 
lettres.  En  1833,  il  succéda  à  Andrieux  au  Collège  de 
France.  Entraîné  par  .son  govit  pour  les  voyages,  il  a  suc- 
cessivement visité  la  Scandinavie,  l'Allemagne,  l'Italie, 
la  Grèce,  l'Egypte,  les  États-Unis,  etc.  Parmi  ses  ou- 
vrages ,  qui  pour  la  plupart  ont  paru  d'abord  dans  la  Re- 
vue des  Deux  Mondes  nous  citerons  :  De  l'ancienne  litté- 
rature Scandinave  (  1832)  ;  Essai  sur  la  vie  et  les  écrits 
d'Holberg  (  1S32);  Sigurd  (  1832)  ;  Delà  littérature  fran- 
çaise dans  ses  rapports  avec  les  littératures  étrangères 
au  moyen  âge  (1833);  Histoire  des  Lois  par  les  mœurs, 
en  deux  parties, la  première  ayant  pour  objet  l'Orient  et  la 
Grèce,  et  la  seconde  Rome  (  1833)  ;  Ancienne  poésie  Scan- 
dinave (1833);  Littérature  et  voyages  (1833);  Portraits 
de  Rome  à  différents  âges  (1835);  Histoire  littéraire 
de  la  France  avant  le  douzième  siècle  (1836);  Des  Bardes 
chez  les  Gaulois  et  les  autres  nations  celtiques  (  1836); 
Antiquités  de  la  Perse  (1836);  Ausone  et  saint  Paulin 
(1837);  De  la  Chevalerie  (1838);  Du  Théâtre  chinois 
(1838);  Des  Castes  et  de  la  transmission  héréditaire 
des  professions  dans  l'ancienne  Egypte  (1848)  ;  La  Grèce, 
Rome  cl  Dante  (1848)  ;  Ballanche  (1848)  ;  Vhistoire  Ro- 
maine à  h'ome (iShb) ;  Promenade  en  Amérique:  Étais- 
Unis  ,  Cuba,  Mexique  (1855,  2  vol.  in-8");  Philippe 
de  Girard  (1857)  ;  César,  scènes  historiques  en  vers  (1859)  ; 
Alexis  de  Tocqiceville  {lSà9)  ;  ele.  ■  Z. 

AMPFING  ou  AMPFINGEN,  village  de  Bavière ,  à  dix 
liiomètres  ouest  de  Mtihldorff,  peuplé  de  470  habitants. 
Le  28  septembre  1322  Louis  de  Bavière  y  remporta  sur  Fré- 
déric d'Autriche  une  victoire  dont  le  souvenir  est  consacré 
sur  le  lieu  même  par  un  monument.  Le  l""  décembre  1800 
les  Autrichiens  y  attaquèrent  les  Français  commandés  par 
Morea  u  ,  qui  y  commença  cette  savante  retraite  que  cou- 
ronna la  victoire  de  Hohenl in d en. 

AMPHIARAiJS,  fils  d'Hypermnestreet  d'Oïclée,d'Ar- 
gos,  selon  les  uns,  d'Apollon  selon  d'autres.  Les  dieux  l'a- 
vaient créé  devin.  Lorsque  Adrasle  ,  roi  de  cette  ville,  eut,  à 
la  prière  de  Polynice,  déclaré  la  guerre  à  Thèbes,  Amphia- 
raiis,  qui  avait  épousé  Ériphyle,  sœur  de  ce  piince,  et 
qui  n'osait  lui  refuser  son  assistance,  se  cacha  pour  n'y 
point  prendre  part,  les  dieux  lui  ayant  révélé  qu'il  y  pé- 
rirait. Trahi  par  sa  femme,  il  partit  et  montra  du  couragti 
dans  plusieurs  combats.  Avant  de  se  mettrcen  route,  il  avait 
fait  jurer  à  son  fils  AIcméon  de  le  venger  sur  sa  propte 
mère.  Ses  pressentiments  ne  tardèrent  pas  à  se  réaliser;  dana 
une  défaite  qu'essuyèrent  les  assiégeants ,  la  terre  s'ouvrit 
sous  lui  et  l'engloutit  avec  son  char.  Après  sa  mort,  on  cé- 
lébra, à  Oropus,  des  fêtes  en  son  honneur,  qu'on  apixj- 
lait  Ampniarea;  non  loin  de  celte  ville  s'élevait  un  temple 

oà 


19S  AMPHIARAUS 

qui  lui  (^tait  consacré  et  dont  l'oracle  jouissait  d'un  grand 
renom. 

AMPIIIIilE  (  du  grec  àiiç: ,  des  deux  côtés  ,  double- 
ment, et  pio;,  vie,  existence).  Ce  terme  désigne  en  effet 
une  double  vie,  et  s'ajjjjlique  à  certains  genres  d'animaux 
aquatiiincs  qu'on  croit  ca[)aLlcs  d'exister  à  peu  prt\s  égale- 
iiieiit  sous  les  eaux  ou  dans  l'air,  h  leur  gré.  Pour  cet  effet, 
il  faudrait  qu'ils  possédassent  en  môme  temps  et  un  appareil 
pulmonaire,  afui  d'asjiirer  l'air  atmosphérique,  et  des  bran- 
chies pour  aspirer  l'eau  ;  il  serait  nécessaire  pareillement 
<|uc  le  mode  de  circulation  du  sang  se  prôtùt  à  celte  double 
fonction. 

La  plupart  des  animaux  auxquels  on  attribue  la  qualité 
d'amphibies  ne  le  sont  réellement  pas;  cependant  il  en 
existe  de  véritables  ;  et  de  plus,  tous  les  animaux  aspirant 
l'air  ont  commencé  à  l'état  fœtal  par  respirer  un  liquide  tel 
<iuc  celui  de  l'amnios.  C'est  ainsi  que  les  larves  de  plusieurs 
insectes,  comme  des  cousins,  des  libellules  ,  des  phryganes, 
des  éphémères ,  etc.,  portent  des  feuillets  branchiaux  pour 
vivre  suus  l'eau  pendant  leur  premier  ûge;  puis  elles  s'en 
dépouillent,  et  viennent  respirer  l'air  par  leurs  trachées,  de 
même  que  les  autres  insectes  aériens.  Tout  le  monde  sait 
aussi  que  les  têtards  de  grenouilles  et  les  larves  des  sala- 
ir.andreo  ont  de  véritables  branchies  aquatiques  dans  la 
lircmière  période  de  leur  existence ,  correspondant  à  lélat 
de  fd'tus,  mais  quêteurs  poumons  ne  se  développent  dans 
leur  cavité  tboracique  qu'ensuite  et  à  mesure  que  leurs  bran- 
chies s'atrophient.  Ce  cliaugement  dans  le  mode  respiiatoire 
ne  s'opère  (pie  par  la  déviation  de  la  circulation,  lors(|ue 
les  artères  branchiales  s'obstruent,  et  les  artères  pulmonaires 
obtiennent  plus  d'accroissement  par  un  autre  balancement 
dans  les  forces  organiques.  Alors,  privée  de  l'activité  de  ses 
branchies,  la  larve  s'accoutume  à  recevoir  de  l'air,  et  elle 
sort  des  eaux  pour  prendre  la  vie  terrestre.  Les  lois  curieuses 
de  ces  tiausformations  ne  se  bornent  point  à  ces  seuls  ap- 
pareils :  le  système  digestif  éprouve  également  ses  méta- 
morphoses ,  puisque  telle  espèce  qui  vivait  de  substances 
"Végétales  sous  les  eaux  ne  subsistera  désormais  que  d'ali- 
ments animaux,  ou  vice  vcrscî.  C'est  à  cette  époque  aussi 
de  mutation  que  ces  insectes  développent  des  ailes  ,  et  que 
la  jeune  grenouille ,  perdant  sa  queue  natatoire  de  pois- 
son ,  voit  grandir  ses  pattes  pour  sauter  gaiement  dans  les 
prairies.  Ces  animaux  ne  sont  donc  point  absolument  am- 
phibies en  môme  temps;  car  après  leur  métamorphose  ils 
périraient  sous  l'eau  ,  comme  avant  ils  mouraient  hors  de  ce 
liquide. 

Cependant ,  il  est  d'autres  espèces  qu'on  peut  eonsidéj-er 
comme  réellement  amphibies.  On  connaît  plusieurs  crabes 
de  mer  qui  se  peuvent  tenir  sous  l'eau  ,  qu'ils  resi)irent  au 
moyen  de  leurs  branchies  ;  puis  ils  sortent  en  longues  bandes 
sur  la  grève  sablonneuse,  et  s'avancent  dans  les  leires  j)our 
quêter  leur  proie  :  tels  sont  les  tourlourous  et  autres  gécar- 
cins.  De  même  plusieurs  mollusques  univalves  ,  les  bnlim.es 
et  planorbes,  quoique  aquatiques,  respirent  l'air  à  la  sur- 
face des  eaux.  Chez  eux,  on  observe  en  elVet,  au  lieu  des 
branchies,  une  bourse  pulmonaire  tapissée  d'un  lacis  de 
vaisseaux  rampants  qui  s'imprègnent  d'air  atmosphérique. 
La  cavité  renfermant  les  branchies  des  crabes  terrestres  est 
tapissée  d'une  membrane  vasculaire  semblable  et  faisant  l'of- 
fice des  vésicules  pulmonaires.  On  peut  donc  dire  que  ces  es- 
pèces de  crustacés  ont  en  même  temps  des  branchies  conte- 
nues dans  un  poumon ,  et  qu'ils  sont  de  vrais  amphibies. 

Linné  avait  formé  de  la  classe  des  reptile^s  sa  classe  des 
amphibies,  et  môme  il  y  avait  joint  des  poissons  cailila- 
gineux  qui,  comme  les  raies,  les  squales,  portent,  au  lieu  de 
branchies  mobiles,  des  bourses  fixes  avec  des  ouvertures 
aux  côtés  du  cou.  Ces  poissons  ne  meurent  jjas  Unit  de 
suite  hors  de  l'eau,  non  plus  que  les  anguilles  et  d'autres 
espèces;  l'air  humide  entretient  quelque  temps  leurs  or- 
tjanes  respiratoires.  Mais  quoifpie  les  tortues,   les  lézards 


—  AMPHIBIENS 

aciuatiques,  les  serpents  deau,  les  salamandres  et  triton?, 
puissent  plonger  longtemps,  ces  animaux  n'ont  que  des  pou- 
mons pour  respirer  l'air.  Les  sirènes,  les  axolotis,  les  tri- 
tons, comme  les  larves  de  salamandres,  portent  des  houppes 
branchiales  pour  respirer  l'eau  ;  leurs  poumons ,  ou  ne  se 
développent  jamais  parfaitement  chez  les  uns,  ou  ne  jouent 
que  plus  tard  leur  rôle.  On  peut  toutefois  les  considérer 
comme  de  vrais  amphibies  ;  il  y  a  des  preuves  que  les  pou- 
mons et  les  brancb.ies  existant  simultanément  peuvent  per- 
mettre à  l'animal  de  respirer  l'air  et  l'eau. 

Ce  même  titre  a  été  donné  à  plusieurs  marnrnifôres  aqua- 
tiques autres  que  les  cétacés  :  par  exemple  aux  phoipies, 
aux  manatis  et  vaches  marines,  etc.  Ces  gros  et  huileux 
animaux  habitent  les  rivages  des  fleuves  et  des  mers;  ils 
peuvent  plonger  pendant  longtemps,  mais  ils  n'ont  jamais 
que  des  poumons.  Tout  ce  qui  peut  contribuer  à  suspendre 
quelques  minutes  leur  respiration,  ce  sont  de  vastes  sinus 
veineux  et  plusieurs  méandres  ou  lacis  de  vaisseaux  appar- 
tenant au  système  de  la  veine  cave.  Pendant  que  la  respira- 
tion est  arrêtée  dans  l'action  de  plonger,  le  sang  veineux,  au 
lieu  d'aborder  dans  la  cavité  droite  du  cœur  pour  être  lancé 
dans  le  poumon,  se  détourne  et  s'amasse  dans  ce»  sinus 
veineux  ;  il  ne  reprend  son  cours  qu'au  moment  où  l'animal 
relève  la  tête  hors  des  ondes.  Ce  mécanisme  de  la  circula- 
tion veineuse  a  été  pareillement  remarqué  chez  les  oiseaux 
aquatiques,  tels  que  les  pingouins  plongeons,  et  même  les 
cygnes,  oies  et  canards.  Peut-être  que  cette  accumulation  t\\\ 
sang  veineux,  ou  le  ralentissement  de  la  circulation  qui  en 
résulte,  contribue  à  la  production  de  la  graisse,  si  aboudaule 
chez  la  plupart  de  ces  animaux  plongeurs.  Elle  sert  égale- 
ment à  les  défendre  contre  l'action  délayante  de  l'eau ,  et 
allège  le  poids  de  leur  corps. 

On  peut  dire  de  plusieurs  plantes  aquatiques  qu'elles  sont 
amphibies  :  souvent  une  partie  de  leur  tige  ou  de  leur  feuil- 
lage reste  submergée,  tandis  que  leurs  sommités  et  surtout 
leurs  fleurs  sortent  de  l'eau,  afin  d'accomplir  leur  reproduc- 
tion. Cependant  le  pollen  des  anthères,  chez  les  fleurs  aqua- 
ti(iues,  est  visqueux  ou  gluant,  afin  de  n'être  pas  enlevé  par 
le  lavage  ;  d'ailleurs,  la  fécondation  ne  s'opère  qu'à  l'abri  de 
l'eau ,  comme  on  l'observe  dans  le  nénuphar,  le  potamo- 
gdton,  etc. 

Enfin ,  dans  le  monde  on  qualifie  d'être  amphibie  celui 
qui,  passant  d'une  opinion  à  l'autre,  d'une  condition  à  un 
état  opposé,  cherche  à  se  soustraire  à  leurs  charges;  mais 
en  jouant  ce  double  rôle ,  ou  en  nageant  entre  deux  eaux , 
quicoiu[ue  n'est  d'aucun  bord  est  pour  l'ordinaire  répudié 
par  tous  les  partis.  J.-J.  Virey. 

AIMPHIBIEIVS.  Il  ne  faut  pas  confondre  les  animaux 
désignés  sous  ce  nom  avec  ceux  qu'on  appelle  amphibies. 
Les  amphibiens  ont  été  élevés,  par  de  IJlainville,  au  rang 
d'une  classe  intermédiaire  entre  celle  des  reptiles  écailleux 
ou  scutifères  et  celle  des  poissons  ou  squammifères.  Le 
nom  d'amphibiens  est  ici  employé  pour  signifier  que  les 
animaux  de  cette  classe  peuvent  respirer  l'eau  au  moyen 
de  branchies,  pendant  leur  jeune  âge  ou  toute  la  vie ,  et  en 
même  temps  l'air  au  moyen  de  poumons.  Sous  ce  rapport 
les  amphibiens,  qui  comprennent  les  genres  grenouille,  «cra- 
paud,  salamandre,  etc.,  se  distiuguent  1°  des  trois  premières 
classes  des  animaux  vertébrés  (mammifères,  oiseaux,  rep- 
tiles )  que  nous  avons  proposé  de  grouper  sous  le  nom  com- 
mun de  vertébrés  aérobiens,  c'est-à-dire  ne  respirant  que 
l'air  au  moyen  de  poumons,  et  2°  de  la  classe  des  poissons,  qui 
forment  le  grand  groupe  des  vertébrés  hydrobiens,  puis- 
qu'ils ne  respirent  que  l'eau  au  moyen  de  branchies.  —  M.  de 
Blainville  divise  la  classe  des  amphibiens  en  trois  ordres, 
qui  sont  :  1°  les  batraciens,  que  nous  avons  proposé  de 
nommer  pseudocliéloniens ;  2°  les  pseiidosauricns,  vulgai- 
rement lézards  d'eau  ;  et  "i"  \e?> pseudophidiens  ou  fauxser- 
l)ents.  Les  noms  donnés  à  ces  trois  ordres  d'amphibiens 
indiquent  lem- analogie  de  forme  avec  celles  des  trois  ordres 


AMPHIBIENS  —  AMPHICTYONS 


490 


«11*  iTi>ti!cs  h  pcaii  écailleuse,  savoir  :  les  cliélouions  ou  lor- 
liies,  les  Siluriens  ou  lézards,  et  les  opliiiliens  ou  serpents. 

L.  Lal'rent. 

AMPHIBIOLITIIES.  Pétrifications  contenant  des 
parties  d'animaux  ampliibies;  et  sous  ce  dernier  nom  Ton 
r(>ni|)rend  les  espèces  de  reptiles  qui  fréquentent  les  eaux. 
Ce  sont,  pour  la  plupart,  de  grands  sauriens  de  la  famille 
des  crocodiles,  tels  que  des  ga\ials  trouvés  sur  les  côtes 
de  Normandie,  et  désignés  par  Geoffroy  Saint-Hilairc  sous 
les  noms  génériques  de  tcleosoiiriis  et  de  steneosaurus. 
D'autres  ont  également  été  trouvés  à  l'état  fossile,  en  An- 
gleterre, par  M.  Conybeare.  La  forme  des  ossements  de  leur 
crâne  diflère  en  quelques  points  de  celle  des  crAnes  des  ga- 
vials actuellement  connus  :  les  fosses  temporales  des  pre- 
miers sont  généralement  plus  grandes  que  celles  des  se- 
conds ;  néanmoins,  Geoffroy  Saint-Hilaire  est  porté  à  croire 
que  ceux-ci  descendent  de  ces  anciens  animaux  perdus.  — 
D'autres  reptiles  de  taille  gigantesque  ont  été  trouvés  à  l'état 
lossile,  et  constituent  les  amphibiolitlies, telles  que  le  geo- 
saunts,  de  Sœmmcring,  les  ??if(7ff/05ai<rMS  de  Buckland, 
Vigua7wdon  de  Mantell,  etc.  L'animal  fossile  de  Macstriclit, 
que  Faujas  avait  rendu  fameux,  parait  aussi  appartenir  aux 
iguanes,  sous  le  nom  de  mosasaunts.  —  Les  ichthyo- 
saurus  à  grosse  tête,  \e plesiosmirus  à  tête  petite 
sur  un  long  col  de  serpent,  se  rapprociuiient  de  l'organisa- 
tion des  poissons.  Les  Hecherc/ics  de  l'illustre  Cuvier  sw  les 
ussements  fossiles ,  2^  édition,  donnent  des  renseignements 
multipliés  sur  ces  amphibiolitlies.  J.-J.  Virey. 

AMPHIBOLE,  nom  sous  lequel  Haiiy  comprend,  dans 
la  minéralogie,  trois  substances  qui  faisaient  autrefois  partie 
du  scliorl,  la  trémoUte ,  Wictinotc  et  la  hornblende.  Ces 
minéraux  rayent  le  verre  et  les  feldspaths,  et  sont  rayés 
par  le  quartz;  leur  pesanteur  spécifique  est  de  2,8  à  3,45. 
L'analyse  démontre  que  l'amphibole  est  un  silicate  de  chaux, 
de  magnésie  et  d'oxyde  de  fer,  contenant  quelques  traces 
d'alumine.  —  On  peut  rapporter  toutes  les  variétés  d'am- 
phiboles à  trois  espèces,  dont  une,  la  trémolite,  comprend  les 
variétés  à  bases  terreuses,  qui  sont  en  général  sans  couleur  ; 
une  autre,  Yamphibole  proprement  dit,  se  compose  de  toiites 
les  variétés  à  bases  terreuses  et  métalliques  dans  lesquelles 
le  protoxyde  de  fer  ou  de  manganèse  entre  en  quantité  no- 
table avec  la  chaux  et  la  magnésie,  et  qui  présentent  une 
couleur  verte  plus  ou  moins  fon&'e.  Cette  espèce  se  divise 
ru  deux  sous-espèces  :  Yactinole  et  la  hornblende.  Une 
troisième  espèce,  Vanthophijllile ,  comprend  les  variétés  à 
basps  de  fer  et  de  magnésie,  sans  chaux.  —  On  rapporte  à 
la  trémolite  une  partie  des  substances  filamenteuses  vul- 
gairement connues  sous  le  nom  à'am'iunlt. 

L'amphibole  forme  souvent  des  roches  très-considérables  ; 
il  abonde  surtout  dans  les  terrains  anciens  et  volcaniques, 
et  se  trouve  d'ailleurs  disséminé,  et  mélangé  avec  d'autres 
minéraux,  entre  autres  avec  le  basalte. 

On  emploie  des  roches  amphiboliques  pour  obtenir  par 
la  fusion  des  verres  noirs  ou  verts  ,  quelquefois  panachés, 
quelquefois  lithoides,  dont  on  a  fabriqué  des  boutons  à  fort 
bas  prix,  des  dessus  de  table,  et  autres  objets  d'un  aspect 
assez  agréable. 

AMJPHIBOLIQUES  (Roches).  Ces  roches  sont  com- 
posées d'amphibole,  de  feldspath,  et  souvent  encore  de  mica 
et  d'alumine.  Elles  présentent  plusieurs  variétés  :  les  rfi or  i- 
tcs,  résultant  de  l'association  de  l'amphibole  et  du  feldspath, 
soit  intimement,  soit  en  grains  cristallins,  soit  en  gros  cris- 
taux \V  opliite,  qui  est  une  roche  verdàtre,  compacte,  com- 
posée de  fehLspalh  et  d'amphibole  ;  enfin  les  t  r  a pp  s,  qu\  sont 
parmi  les  roches  amphiboliques  ce  que  les  basaltes  sont 
parmi  les  roches  pyro\éniques.  Le  trapp  appartient  aux 
terrains  primitifs,  et  forme  la  dernière  couche  connue  après 
le  granit  qui  le  recouvre. 

À.MPIIIBOLOGIE  (du grec  àiJLç-.go/.ovîa,  ambigu;  dé- 
livc  de  à(j.îi,  des  deux  côtés;  pà>.).u,  jeter,  et  li^o:,  parole), 


double  sens  qui  résulte  moins  de  l'ambiguïté  des  mots  en 
eux-mêmes  que  de  leur  conslruclion.  C'est  aussi  un  vice  du 
discours  ,  rendu  obscur  par  le  choix  d'une  ou  de  plusieurs 
expressions  qui ,  présentant  un  double  sens,  peuvent  être 
jirises  en  deux  sens  opposés.  Le  genre  de  construction 
grecque  et  latine  que  la  grammaire  élémentaire  appelle  que 
retranché  prête  singuUèrement  à  cette  défectuosité  du 
discours. 

On  donne  ordinairement  pour  modèle  d'amphibologie  la 
réponse  que  fit  l'oracle  à  Pyrrhus  lorsque  ce  prince  alla  le 
consulter  sur  l'issue  de  la  guerre  qu'il  se  proposait  de  dé- 
clarer aux  Romains  : 

Aio  le,  ^iîûciJii,  Romanos  viucere  passe. 

Ce  qui  signifie  à  volonté  :  ou  Pyrrhus  vaincra  les  Romains, 
ou  les  Romains  vaincront  Pyrrhus.  La  facilité  avec  laquelle 
les  langues  anciennes  admettaient  l'amphibologie  était  d'un 
grand  secours  aux  oracles  :  la  plupart  de  leurs  réponses  of- 
frent un  double  sens,  en  sorte  que,  quel  que  fût  l'événement, 
l'oracle  se  trouvait  l'avoir  toujours  prédit. 

Quoique  notre  langue  s'énonce  communément  dans  un  ordre 
(pii  semble  prévenir  toute  amphibologie  ,  nous  n'en  avons 
cependant  que  trop  d'exemples,  surtout  dans  les  transac- 
tions, les  actes,  les  testaments,  etc.  ^'os  qui,  nos  que,  nos  »/, 
soyi,  sa,  se,  donnent  encore  fréquemment  lieu  à  l'aiiipliibologie. 
Cehii  qui  écrit  s'entend,  et  par  cela  seul  il  croit  qu'il  sera 
entendu  ;  mais  celui  qui  lit  n'est  pas  dans  la  même  dispo- 
sition d'esprit.  On  ne  saurait  donc  trop  s'attacher  à  éviter 
toute  phrase  à  double  sens  dans  le  discours. 

La  langue  philosophique  emploie ,  à  son  tour,  le  mot  am- 
phibologie dans  un  sens  analogue  à  celui  qu'il  a  en  matière 
grammaticale.  Elle  s'en  sert  pour  désigner  une  proposition  qui 
présente  un  sens  ,  non  pas  obscur,  mais  douteux  et  double. 
Aristote,  dans  son  traité  des  Réfutations  sophistiques , 
compte  l'amphibologie  âu-aomhre  des  sophismes. 

AMPHICTYOjX,  fils  de  Deucalion  et  de  Pyrrha,  obtint 
l'Orient  dans  le  partage  des  États  de  son  père,  régna  aux 
Tliermopyles,  et  après  la  mort  de  Cranaiis,  vers  l'an  l  iy? 
avant  J.-C.  s'empara  de  l'Attiqne,  où  il  exerça  pendant 
dix  ans  sa  domination.  Selon  Justin,  c'est  à  lui  qu'Athènes 
dut  son  nom,  et  c'est  par  lui  qu'elle  fut  consacrée  à  Minerve. 
On  le  regarde  comme  le  fondateur  de  l'amphictyonie  des 
Thermopyles. 

AMPHICTYO!VIE,nora  donné  à  plusieurs  associations 
politiques  et  religieuses  ,  établies  dans  l'origine  auprès  des 
temples  de  la  Grèce,  afin  de  veiller  au  bon  ordre  dans  les 
fêtes  et  d'empêcher  toute  rixe  entre  les  peuples  qui  les  fré- 
quentaient. Chaque  État  voisin  y  envoyait  des  députés.  Les 
plus  célèbres  amphictyonies  étaient  :  celle  d'Argos,  près  du 
temple  de  Junon  ;  desThermopyles,  près  celui  de  Cérès,  et  de 
Delphes,  près  de  l'oracle  d'Apollon.  Plus  tard  ces  dernières 
se  confondirent,  et  formèrent  le  conseil  des  amphictyons. 

AiMPUICTYOXIS,  surnom  donné  à  Cérès,  d'un  tem- 
pie  qui  lui  était  consacré  au  lieu  où  s'assemblaient  les  Am- 
phictyons. 

AMPIIICTYOXS  (Conseil  des), assemblée  générale  de 
la  Grèce,  composée,  dans  l'origine,  de  douze  députés  repré- 
sentant autant  de  peuples  confédérés  du  nord  de  cette  contrée, 
et  se  réunissant  deux  ibis  l'année,  au  printeiBps  à  Dclpiies, 
et  en  automne  à  .Anthéla  près  des  Tliermopyles,  pour  dé- 
cider de  la  paix  ou  de  la  gueire;  leurs  décrets  étaient  res- 
pectés à  l'égal  des  ordres  divins.  Le  droit  de  représentation 
à  la  diète  ampliictyonique  s'étendit  dans  la  suite  à  divers 
peuples  de  la  Grèce  méridionale  et  asiatique.  Quoique  lo 
nombre  des  députés  fût  indéfini,  le  conseil  ampliictyonique 
ne  se  composait  en  réalité  que  de  vingt-quatre  membres, 
douze  volants  appelés  pylagores,  douze  ne  votant  pas,  nom- 
més///tVonnîmons.  Les  assemblées  des  amphictyons  atti- 
raient un  nombreux  concours  de  curieux.  Elles  s'ouvraient 
l'ar  des  sacrifices  et  de  pompeuses  cérémonies.  Ce  conseil, 

03. 


AOO 

qui  jonc  un  si  beau  r61e  dans  Thistoire  de  l'antiquité,  était 
|)Our  les  diverses  nations  qu'il  représentait  comme  un  gou- 
vernement fédératif  chargé  de  défendre  la  religion  de  toutes 
et  le  droit  public  de  chacune.  Souvent  il  se  constituait  en 
trihimal,  et  jugeait  en  cette  qualité  non-seulement  des  causes 
f  iviles  et  criminelles,  mais  môme  des  contestations  sérieuses 
élevées  entre  certaines  cités,  entre  certains  peuples.  Si  les 
villes,  si  les  nations  même ,  condamnées  par  un  arrêt  des 
Amphictyons,  n'obéissaient  pas,  l'assemblée  était  en  droit 
d'armer  contre  les  rebelles  toute  la  confédération  et  de  les 
exclure  de  la  ligue  amphictyonique.  Le  conseil  des  Amphic- 
tyons a  eu  la  gloire  de  survivre  à  l'asservissement  de  la 
Grèce  par  les  Romains. 

AMPIIIGÈIVE.  Cette  substance,  qui  est  un  silicate  d'a- 
lumine et  de  potasse,  est  infusible  au  chalumeau,  raye  dif- 
ficilement le  verre,  et  a  pour  forme  primitive  le  cube  :  sa 
cassure  est  raboteuse,  quelquefois  légèrement  ondulée,  avec 
un  ccrtiiin  luisant.  On  en  connaît  plusieurs  variétés  de  cou- 
leurs. Les  amphigèncs  transparents  sont  rares;  le  plus  sou- 
vent ils  ne  sont  que  translucides,  et  fréquemment  tout  à  fait 
opaques.  L'amphigène,  connu  pendant  longtemps  sous  la 
d('nomination  de  grenat  blanc,  se  trouve  particulièrement 
dans  les  roches  de  la  Somma  au  Vésuve.  Une  circonstance 
très-remarquable,  c'est  que  presque  toujours  au  centre  des 
crislaux  d'aropbigène  on  trouve  un  noyau  d'une  matière 
étrangère  :  le  pyroxène. 

AMPIÏIGOURI  (  du  grec  à[x?t,  de  part  et  d'autre ,  et 
xOxXo;,  cercle  ),  discours,  écrit  burlesque,  inintelligible, 
fait  à  dessein  ;  espèce  de  poème  dont  les  mots  ne  présentent 
que  des  idées  sans  ordre ,  comme  une  foule  de  poèmes  sé- 
rieux. Les  amphigouris  de  Scarron  sont  célèbres,  celui  sur- 
tout qui  commence  par  ces  vers  : 

Uu  jour  qu'il  faisait  nuit,  je  dormais  éveillé,  cîc. 

Cette  qualification  s'applique  aussi  à  un  écrit,  à  un  dis- 
cours dont  les  phrases,  contre  l'intention  de  l'auteur,  ne 
présentent  que  des  idées  sans  suite,  n'ayant  aucun  sens  rai- 
sonnable. 

AMPIIIMACRE  (  du  grec  à[t?{,  des  deux  côtés ,  et 
(«.axpô;,  long).  On  donne  ce  noi.-i,  dans  les  versifications 
londées  sur  la  quantité,  à  un  pied  de  trois  syllabes,  com- 
posé d'une  brève  entre  deux  longues  :  cfj(ji\iy.r,z,fœminâm. 
Les  vers  alcaiques,  glyconi(iues,  asclépiades,  etc.,  se  termi- 
nent souvent  par  un  amphimacre,  qui  se  change  alors  en 
dactyle,  grâce  à  la  tolérance  qui  permet  en  ce  cas  à  la  der- 
nière syllabe  du  vers  de  devenir  brève  de  longue  qu'elle 
était  : 

Crescentem  sequitur  cura  pecuniam. 

AMPHION,  célèbre  musicien  grec,  né  des  rapports 
d'Antiope,  femme  de  Lycus,  roi  de  Thèbes ,  avec  Jupiter, 
ou  plutôt  avec  Épapbus  ou  Épopée ,  roi  de  Sicyone ,  fut , 
ainsi  que  son  frère  Zéthus,  exposé  dès  sa  naissance  sur  le 
mont  Cithéron,  recueilli  et  élevé  par  des  bergers.  Devenus 
grands,  les  deux  frères  vengèrent  sur  Lycus  les  mauvais 
traitements  éprouvés  parleur  mère,  s'emparèrent  de  Thèbes, 
et  y  régnèrent  conjointement.  Ils  y  firent  fleurir  les  arts. 
Amphion  surtout  excellait  dans  la  musique.  11  avait,  disaient 
les  poètes,  reçu  d'Apollon  une  lyre  d'or,  au  son  de  laquelle 
il  construisit  Thèbes;  les  pierres,  sensibles  à  la  douceiir  de 
ses  accords,  accouraient  d'elles-mômes  se  placer  les  unes 
sur  les  autres  ;  ce  qui,  historiquement  parlant,  signifie  qu'il 
fit  entourer  de  murs  cette  ville,  jusque-là  ouverte  de  tous 
côtés.—  Amphion  ayant  épousé  Niobé ,  tille  de  Tantale,  en 
eut  quatorze  enfants,  qui  furent  tous  tués  à  coups  de  flè- 
ches par  Apollon  et  par  Diane.  Après  cette  perte  ci-uelle,  il 
se  donna  la  mort.  Suivant  d'autres,  il  l'aurait  reçue,  dans 
une  sédition,  de  la  main  du  peuple,  qui,  mécontent  de  son 
gouvernement,  aurait,  à  sa  place,  porté  Laïus  sur  le  trône. 

AMPIÏIPODES,  animaux  qui  appartiennent  à  la  classe 
des  crustacés  et  qui  ont  les  yeux  sessiles ,  les   mandibules 


AMPHICTYONS  —  AMPHITHÉÂTRE 


munies  d'une  palpe  presque  toujours  distincte  du  lliorâ^t 
le(iuel  se  divise  en  sept  segments,  dont  chactm  porte  en  gé- 
néial  une  paire  de  pattes.  L'abdomen,  très-développé,  se 
compose  aussi  de  sept  segments,  et  ils  respirent  au  moyen 
de  vésicules  membraneuses  placées  à  la  base  des  pattes  tho- 
raciques.  La  plupart  de  ces  crustacés  habitent  les  eaux  sa- 
lées. Tous  sont  de  petite  taille  et  d'une  couleur  uniforme 
tirant  sur  le  rougeàtre  ou  le  verdàtre.  Parmi  eux  nous  ne 
citerons  que  les  crevettes. 

AMPHISBÈIVE  (du  grec  à(/.çî,  de  deux  côtés;  paîvt-.v, 
marcher),  genre  de  serpent  dont  la  queue  et  la  tête  ont  la 
môme  forme  et  le  même  volume,  et  peuvent  être  prises  l'une 
pour  l'autre  au  premier  abord.  On  croyait  que  cet  animal 
pouvait  se  diriger  à  volonté  en  avant  et  en  arrière,  et  c'est 
ce  qui  lui  a  valu  son  nom. 

La  plupart  des  amphisbènes  sont  propres  à  l'Amérique, 
et  on  en  connaît  cependant  un  d'Afrique  et  un  d'Europe. 

AMPHISCÎEXS,  ASCIENS.  Amphrscicns  {ûu  grec 
àixiî,  autour,  et  de  av.'.i.,  ombre)  est  un  terme  employé  pur 
les  anciens  géographes  pour  désigner  les  habitants  de  la 
zone  torride,  parce  qu'ils  ont  leur  ombre  dirigée  vers  le 
midi  quand  le  soleil  est  au  nord  de  l'équateur,  et  vers  le 
nord  pendant  les  six  autres  mois  de  l'année.  On  les  appelait 
encore  asciens  (de  à  privatif  et  crx-.i),  c'est-à-dire  snns 
ombre,  parce  que  deux  fois  par  an ,  le  soleil  se  trouvant 
directement  au-dessus  de  leurs  têtes,  ils  n'ont  pas  d'ombre 
à  midi ,  ce  qui  ne  peut  arriver  dans  les  zones  tempérées  et 
glaciales,  où  le  soleil  n'atteint  jamais  le  zénith.  Ceux  qui 
habitent  les  limites  de  la  zone  torride ,  précisément  sous  les 
tropiques,  ne  sont  asciens  qu'une  fois  l'année,  savoir  : 
ceux  de  l'hémisphère  boréal,  au  solstice  d'été,  et  ceux  de 
l'hémisphère  austral,  au  solstice  d'hiver.  Les  plus  voisins 
des  tropiques  sont  asciens  à  des  jours  d'autant  plus  rap- 
prochés qu'ils  habitent  plus  près  de  ces  cercles;  enfin,  sous 
l'équateur  cela  arrive  aux  équinoxes. 

A.^IPHITHÉÂTRE  (du  grec  àfiçi,  tout  autour,  et  bza- 
Tfov.(héâtre).  C'était  chez  lesanciens  un  grand  édifice,  de  fo'me 
ronle  ou  ovale,  destiné  au  combat  des  gladiateurs,  des  bêtes 
féroces,  et  aux  représentations  dramatiques.  Le  prcuu'er  nni- 
philiiéâtre  que  l'on  vit  à  Rome  fut  celui  de  Jules  Ct'sar,  qui 
fut  construit  l'an  707  de  Rome;  il  était  de  bois,  et  ne  servit 
que  pour  la  circonstance  qui  l'avait  fait  élever.  F:n  72,s  fut 
érigé  par  les  ordres  d'Auguste  le  premier  amphithéâtre  de 
pierre  ;  mais  le  plus  célèbre  de  tous  fut  celui  que  commi  nça 
Ve>pasien,  et  qui  fut  inauguré  par  Titus,  l'an  de  Rome  s.i.J 
(SO  de  J.-C.  ).  Ce  bâtiment  colossal  avait  1,01'.?  pieds  de  cir- 
conférence et  quatre-vingts  arcades;  il  pouvait  contenir  cent 
vingt  mille  spectateurs.  Ses  ruines  sont  connues  aujourd'hui 
sous  le  nom  de  Colisée.  —  On  voit  aussi  à  Nîmes  les 
ruines  d'un  amphithéâtre  qui  attestent  la  grandeur  et  la 
solidité  des  constructions  romaines. 

L'araphilhéàtre  d'Arles,  également  de  construction  ro 
maine,  quoique  moins  bien  consente  que  celui  de  Mines, 
est  digne  aussi  d'attention.  —  Nous  avons  encore  en  France 
ceux  d'Autun  et  de  Fréjus.  —  Outre  les  précédents,  h^ 
principaux  amphithéâtres  dont  les  ruines  puissent  être  tfu- 
diées  avec  utilité  sont  ceux  d'Albe,  d'Otricoli  (  en  Ombrie),  dï 
Pouzzoles,  de  Capoue,  de  "S'érone,  de  Pœstum,  de  Syracuse, 
d'Agrigente,  de  Catane,  d'Argos,  de  Corinthe,  et  d'Hipeila 
(en  Espagne). 

La  place  réservée  au  mil-cu  de  ces  vastes  édifices  servait 
aux  combats  et  s'appelait  crcne,  parce  qu'.  Ile  était  couverte 
d'un  sable  fin  (  arcna  )  ;  elle  était  ceinte  ,  dans  toute  sa  cir- 
conférence ,  d'un  large  mur,  haut  de  12  ;i  15  pieds.  Le  |)re- 
mier  rang  de  sièges  élevé  sur  ce  nmr  s'appelait  podium  ;  à 
partir  de  ce  lieu,  trois  autres  rangs  de  sièges  s'élevaient  en 
gradins  jusqu'au  sommet  de  l'édifice,  et  étaient  coupés  par 
des  allées  circulaires  nommées  prsccinctioncs  ou  baltei 
(baudriers,  dont  elles  affectaient  la  forme).  Des  escaliers 
pratiqués  de  distance  en  distance  entre  ces  étages  s'ap5>e 


AMPHITHÉÂTRE  —  AMPLIFICATION 


501 


lalent  5cnte  (échelles),  et  l'espace  compris  entre  eux  ai- 
nci  (coins),  à  cause  de  leur  lonne  angulaire.  Autour  de 
l'an^nc  étaient  des  voûtes  {cavccvj  peu  élevées,  diuis  les- 
quelles se  tenaient  les  };ladiateurs  et  étaient  enfennées  les 
b(Mes  féroces  qui  devaient  combattre,  ou  retenue  l'eau  qui 
devait  changer  l'arène  en  un  lac  pour  les  naunuuliies  ou 
joutes  navales.  Une  porte  particulière,  nommée  liOithieiisis 
(porte  de  mort),  senaità  enlever  les  gladiateurs  qui  étaient 
luis  hors  de  combat  ;  et  celles  par  où  entraient  et  sortaient 
les  spectateurs  étaient  pratiquées  dans  le  mur  extérieur,  et 
avaient  la  désignation  de  vomitoria.  L'amphithéâtre  était 
découvert;  mais  quand  on  avait  à  préserver  l'assemblée  de 
la  ])luie  ou  d'une  chaleur  excessive,  on  tendait  au-dessus 
d'dle  un  ciel  composé  de  toiles  et  quelquefois  même  d'é- 
toiles de  soie  et  de  pourpre  brochées  d'or.  On  ne  se  plaçait 
point,  du  rc'ite,  indistinctement  dans  ra!iij)liithé;\tre  :  chaque 
condition  avait  son  quartier,  ctineus^  et  des  maîtres  de  cé- 
rémonies {designaiores  )  étaient  chargés  d'assigner  à  chacun 
sa  place.  Celle  des  ambassadeurs  étrangers  était  marquée 
dans  l'endroit  appelé  podium,  où  était  élevé  le  Irône  de 
l'empereur.  Derrière  les  sénateurs,  qui  occupaient  ensuite  les 
premières  places ,  étaient  les  chevaliers ,  sur  quatorze  rangs  ; 
l>uis  venait  le  peuple,  qui  s'asseyait  sur  des  degrés  de  pierre. 

Chez  les  modernes  l'amphithéâtre  est  un  lieu  élevé  vis- 
à-vis  de  la  scène ,  et  ,  en  termes  de  médecine  ou  d'anato- 
mie  ,  un  lieu  où  le  professeur  donne  ses  leçons  ,  fait  ses  dé- 
monstrations,  et  où  les  élèves  cherchent ,  au  moyen  du 
scalpel ,  à  suqirendre  les  secrets  de  la  vie  dans  des  veines, 
des  artères  et  des  membres  où  elle  ne  circule  plus.  —  Un 
amphithéâtre,  dans  un  parc  ou  jardin,  e<t  uiip  décoration 
de  gazon  formée  de  gradins,  et  destinée  à  recevoir  des  vases 
de  (leurs. 

A3iPHITRITE ,  fille  de  l'Océan  et  de  Thétys  selon 
les  uns,  de  >"érée  et  de  Doris  suivant  d'auti^es.  >'eptune  en 
étant  devenu  épris,  elle  se  cacha  pour  se  dérober  à  ses  pour- 
suites. Un  dauphin  que  le  dieu  avait  envoyé  à  sa  recljerche 
la  lui  ramena  :  pour  prix  de  ce  service ,  il  fut  placé  parmi 
les  constellations.  En  sa  qualité  de  reine  des  mers ,  on  la 
représente  sur  une  conque  traînée  par  des  dauphins  et  ac- 
compagnée des  Néréides,  ou  bien  à  cheval  sur  un  dauphin, 
un  trident  à  la  main.  Elle  fut  mère  de  Triton  et  de  plusieurs 
nvmphes. 
"  AMPHITRYON,  fils  d'Alcée,  roi  deTirynthe,  et  petit- 
fils  de  Persée,  épousa  la  querelle  d'Électryon ,  son  oncle  , 
roi  de  Mycènes,  contre  les  Théléboens,  qui  avaient  tué  ses 
fils  ,  et  devint  son  gendre,  à  condition  de  n'accomplir  le 
mariage  qu'après  être  revenu  vainqueur  ;  mais  pendant  son 
absence  Jupiter  prit  ses  traits ,  se  présenta  aux  yeux  d'Alc- 
mène  ,  et  à  son  retour  Amphitryon  apprit  qu'il  avait  eu 
le  maître  des  dieux  pour  riva! ,  et  que  sa  femme  donnerait 
le  jour  au  grand  Hercule.  Plus  tard ,  ayant  tué  par  mal- 
heur Électryon  ,  il  fut  obligé  de  fuir  sa  patrie ,  se  retira  à 
Thèbes  avec  Alcmène ,  auprès  de  Laïus  ,  et  commanda  les 
Thébains  dans  plusieurs  expéditions.  Ce  fut  dans  une  de  ces 
guerres  qu'il  périt  à  côté  d'Hercule,  qu'il  avait  adopté  et 
reconnu  pour  son  fils.  —  L'aventure  d'Amphitrj'on  a  fourni  à 
Plante  et  à  Molière  le  sujet  d'excellentes  comédies.  —  Chez 
nous,  celui  qui  donne  à  dJner  reçoit  de  ses  convives  le 
nom  d'amphitryon,  par  allusion  à  ces  vers  de  la  pièce  de 
Molière  : 

Le  vôrit'iblc-Amphilrvon 

Est  l'Amphitryon  où  l'oo  dîne. 

Poui-tant,  avant  Molière ,  Rotrou  avait  dit  dans  ses  Dcïcx 
Sosies  : 

Foin  d'un  Amphitryon  où  l'on  ne  dîne  pas! 

AiMPIlORE  iamphora).  Bien  que  l'amphore  ne  fût  pas 
une  mesure  hébraïque,  ce  mot  est  souvent  u>ité  dans  l'Écri- 
liirc  sainte  jwur  désigner  un  vase  à  mettre  de  l'eau  ou  des 
licjiieurs.  Daniel  parle  de  six  amphores  t.e  vin  offertes  par 


jour  au  dieu  Bélus.  Ailleurs ,  c'est  un  homme  portant  une 
jarre  pleine  d'eau  :  amphormn  aqux  portans.  —  Chez  les 
Grecs  et  les  Romains  on  appelait  ainsi  un  vaisseau  de  terre 
destiné  à  luesurer  ou  à  contenir  les  choses  sèches  ou  liquides. 
Ce  vase,  de  forme  ordinairement  sphérique  à  la  fois  et 
ovoïde,  avait  de  chaque  côté  deux  anses  qui  servaient  à  le 
porter  plus  facilement.  De  là  vient  qu'Homère  l'appelle  àji- 
çiiofsû;.  —  L'amphore  romaine  ou  quadrantal  était  d'un 
pitd  cubique,  et  contenait  2  urnes  8  congés  48  setiers,  ce 
qui  équivalait  à  25  litres  89  centilitres  de  nos  mesures.  — 
3s  litres  83  centilitres  de  nos  mesures  égalent  le  contenu  du 
mctrclcs  ou  amphore  attique.  —  Vamphora  capitolina , 
dont  on  conservait  le  modèle  au  Capitole,  et  qui  contenait 
trois  boisseaux,  était  employée  à  mesurer  le  froment  et  les 
choses  sèches.  Elle  n'était,  du  reste,  que  la  vingtième  partie  du 
ciilpus.  —  Enlin,  on  donnait  aussi  Ip  nom  d'juniilioip  aux 
grands  vases  dans  lesquels  on  laissait  vieillir  les  vins.  Il  est 
question  chez  Suétone  d'une  amphore  de  vin  bue  à  un  seul 
repas  avec  l'empereur  Tibère,  par  un  certain  homme  qui  bri- 
guait la  questure.  L'année  du  consulat  sous  lequel  la  liqueur 
a\ait  été  recueillie  était  inscrite  sur  cliaque  amphore  : 

G  nata  nieciim  consnle  Manlio. 

—  A  Venise,  on  désigne  par  le  mot  ampfwre  une  mesure  de 
lifjuide  beaucoup  plus  grande  que  les  précédentes. 

Lu  botanique,  on  a  donné  ce  nom  à  la  cavité  qui  se  trouve 
dans  chaque  coque  d'une  espèce  de  fruit  appelé  pyxide. 

AMPLEXICAULE  (  du  latin  amplecti,  embrasser; 
eau  lis ,  tige  )  se  dit  des  feuilles ,  des  bractées ,  des  pétioles , 
des  pédoncules  qui,  s'élargissant  à  leur  base,  embrassent  la 
tige  sans  l'entourer  complètement  :  telle  est  la  feuille  du  pa- 
vot blanc.  On  dit  qu'un  de  ses  organes  est  semi-amplexï- 
caule,  lorsque  ayant  la  même  disposition  relativement  à  la 
lige,  il  ne  l'embrasse  que  dans  la  moitié  de  la  circonférence. 

AJlIPLIATiOX.  En  termes  d'administration  et  de  fi- 
nances, c'est  la  copie,  le  double  qu'on  retient  d'une  quit- 
tance, d'un  procès-verbal,  d'un  acte  administratif  quel- 
conque, pour  le  produire  quand  besoin  en  sera.  —  Enfermes 
de  pratique,  on  appelle  ainsi  une  ou  plusieurs  copies  d'un 
contrat  dont  on  dépose  la  grosse  chez  un  notaire  pour  en 
délivrer  des  expéditions  ou  ampliations  aux  parties  inté- 
ressées. On  voit  que  dans  ces  deux  acceptions  ce  mot  est 
synonyme  de  duplicata. 

Dans  l'ancienne  jurisprudence  romaine,  Vampliafion 
équivalait  à  ce  que  nous  appelons  aujourd'hui  im  plus  arn- 
ple  informé.  Si  une  affaire  paraissait  avoir  besoin  d'éclair- 
cissements plus  complets,  les  juges  exprimaient  à  cet  égard 
leur  opinion  en  inscrivant  sur  une  espèce  de  bulletin  les 
lettres  initiales  des  deux  mots  non  liquct  (  cela  n'est  pas 
clair),  et  l'affaire,  renvoyée  alors  indéfiniment,  ne  revenait 
au  prétoire  qu'après  plus  ample  informé.  Dans  notre  an- 
cienne jurisprudence,  on  appelait  lettres  d'ampliafion 
celles  que  l'on  obtenait  en  petite  chancellerie  pour  être  au- 
torisé à  articuler  de  nouveaux  moyens  omis  dans  des  lettres 
de  requête  civile  précédemment  obtenues.  L'usage  en  fut 
aboli  par  l'ordonnance  de  1C67. 

Ampliation  est  encore  un  terme  de  chancellerie,  et  plus 
particulièrement  de  la  chancellerie  romaine  :  un  bref  ou  une 
bulle  d'ampliation  est  un  bref  d'augmentation. 

AMPLIFÎCATIOX  (Rhélorique),  du  latin  ajnpli- 
ficatio ,  fait  lïaniplus ,  ample,  vaste,  étendu.  On  désigne 
sous  ce  nom  le  développement  d'un  sujet  que  traite  un 
auteur,  un  orateur,  ou  qu'on  donne  à  traiter  à  un  écolier. 
Par  suite,  ce  mot  se  prend  aussi,  en  mauvaise  part,  pour 
exagération.  «  On  prétend  ,  dit  Voltaire  ,  que  c'est  une  belle 
figure  de  rhélori(iue;  peut-être  devrait-on  plutôt  l'appeler 
un  défaut.  Quand  on  dit  tout  ce  qu'on  doit  dire,  on  u'ani- 
pliCe  pas,  et  quand  on  l'a  dit,  si  on  amplifie,  on  dit 
trop.  »  Il  ajoute,  avec  raison,  cpi'au  lieu  de  donner  des 
prix  dans  les  collèges   aux  élèves  (jui  font  le  mieux  les 


502 


AMPLIFICATION  —  AMPOULÉ 


ampli fiailions  sur  un  sujet  donné,  il  faudrait  plutôt  cou- 
rouniT  celui  qui  aurait  resserré  ses  idées,  ses  pensées,  dans 
le  moins  de  mots  possible.  «  L'amplification,  la  déclamation, 
l'exagération,  dit-il  plus  loin,  furent  de  tout  temps  les  dé- 
fauts des  Grecs ,  excepté  de  Démosthène  et  d'Aristote.  » 
Parmi  nous ,  comme  du  temps  de  Voltaire ,  la  plupart  des 
oraisons  funèbres,  des  sermons,  des  discours  d'apparat, 
des  barangues,  des  discours  législatifs,  sont  des  amplifica- 
tions fatigantes  et  inutiles,  des  lieux  communs  cent  et 
cent  fois  répétés.  Règle  générale  :  celui  qui  possède  le  mieux 
un  sujet  n'est  pas  toujours  celui  qui  peut  le  mieux  le  dé- 
velopper et  l'étendre ,  mais  celui  certainement  qui  saura 
le  mieux  le  résumer. 

A.MPLIFICATIO\  (  Optique  ).  Ce  mot  désigne  le 
pouvoir  qu'ont  les  lunettes  de  faire  voir  les  objets  plus 
grands  qu'à  la  vue  simple,  et  ce  pbénomène  lui-même. 
D'après  la  construction  des  lunettes,  on  comprend  que 
l'amplification  linéaire  est  d'autant  plus  grande  que  le  foyer 
de  l'oculaire  est  plus  court  en  comparaison  de  celui  de 
l'objectif. 

Amplificntion  se  dit  encore  de  l'augmentatioR  apparente 
des  corps  lumineux  comparés  à  des  corps  obscurs  ou  moins 
lumineux.  Ainsi ,  deux  ou  trois  jours  avant  ou  après  sa  con- 
jonction, la  lune  se  voit  encore  tout  entière;  mais  la  pariie 
directement  éclairée  par  le  soleil  semble  déborder  le  reste, 
qui  n'est  éclairé  que  par  réflexion. 

AMPLITUDE.  En  astronomie ,  on  entend  par  ampli- 
tude ortive  ou  orientale  d'un  astre  l'arc  de  l'iiorizon 
compris  entre  le  point  où  se  lève  cet  astre  et  l'orient  vrai  ; 
pareillement,  l'amplitude  occase  ou  occidentale  est  l'arc  de 
l'horizon  compris  entre  le  point  où  se  couche  l'astre  et  l'oc- 
cident vrai.  En  mer,  on  se  sert  de  l'amplitude  pour  déter- 
miner la  déclinaison  de  l'aiguille  airnantoc.  Au  moyen  de 
l'amplitude,  on  a  inniiédialement  l'azimut,  qui  en  est  le 
complément.  —  Ce  mot  est  encore  usité  en  balistique,  en 
physique  et  en  maihémaliques.  Ainsi  on  appelle  amplitude 
du  jet  la  ligne  droite  qui  joint  le  point  de  départ  d'un 
boulet  ou  de  tout  autre  projectile  au  point  ou  il  va  tomber. 
—  L'amplitude  des  oscillations  d'im  pendule  désigne  leur 
grandeur  angulaire. 

AllPOL'LE  La  Sainte).  Le  mot  ampoule,  ou  ampoullc 
(ampulla),  est  dérivé  de  ample  (amplunt,  vas)  ou  d'am- 
pla  olla  ,  jiuiple  vase.  Il  se  retrouve  dans  l'ancien  mot 
ampel,  lanqw,  du  dialecte  alémanique.  En  général,  c'e^t 
une  fiole,  un  vase  (ineiconque,  et  plu>  spécialement  un 
A  use  d'église,  contenant  Tluiile  du  saint  chrême.  La  suinte 
ampoule  de  lîeims  était  jadis  une  très-petite  fiole  en  verre 
blanchâtre,  datant  d'une  haute  antiquité  ;  elle  avait  40  mil- 
limètres de  haut,  sa  circonférence  était  de  15  millimètres 
au  cou  et  .'.0  à  la  base.  Le  baume  qu'elle  contenait  était  roux, 
peu  liquide  et  sans  transparence.  Conservée  à  Reims,  rlans 
l'abbaye  de  Saint-Remi ,  elle  était  placée  dans  un  précieux 
reliquaire  enfermé  <lans  le  tombeau  de  saint  Rémi;  les  ciels 
du  tombeau  étaient  déposées  dans  la  chambre  même  du 
prieur  de  l'abbaye.  Lorsque  pour  un  sacre  on  avait  besoin 
de  la  sainte  ampoule ,  le  prieur  lui-même  apportait  le  re- 
liquaire, suspendu  à  son  cou  ;  quatre  des  plus  hauts  sei- 
gneurs étaient  livrés  à  l'abbaye  pour  otages ,  et  faisaient 
serment  de  réintégrer  la  sainte  ampoule  aussitôt  après  le 
sacre.  Le  cheval  que  montait  le  prieur,  le  dais  sous  lequel 
il  se  plaçait  lors  de  la  procession  qui  conduisait  la  sainte 
ampoule  de  l'abbaye  à  la  cithédrale,  et  les  guidons  des 
qiwtre  otages  restaient  à  l'abbaye;  ces  quatre  guidons  or- 
naient le  tondjcau  de  saint  Rcmi  jus(iu'au  sacre  suivant. 
Quant  an  baume,  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'étonner  qu'il  ait 
duré  longtemps,  puisque  l'cvêque  consécrateur  n'en  prenait 
qu'avec  tme  aiguille  d'or,  placée  dans  le  reliquaire  à  côté 
<le  la  sainte  ampoule ,  et  mêlait  cette  parcelle  avec  du  saint 
chrême,  pour  faire  au  roi  les  onctions  d'usage  dans  ce  cé- 
rémonial. 


Au  .sujet  de  la  miraculeuse  origine  de  la  sainte  ampoule , 
il  existe  deux  versions  qui  semblent  se  contredire.  L'une, 
celle  de  Hincmar,  rapporte  que  lors  du  baptême  de  Clovià 
par  saint  Rémi ,  le  clerc  qui  portait  le  saint  chrême  ne 
pouvant,  à  cause  de  la  foule,  entrer  dans  l'église,  saint 
Rémi  leva  les  veux  au  ciel ,  et  une  colombe,  plus  blanche 
que  la  neige ,  parut ,  portant  à  son  bec  une  fiole  remplie 
d'un  baume  céleste.  Suivant  l'autre  version ,  la  sainte  am- 
poule aurait  été  apportée  par  un  ange.  Ce  qu'il  y  a  de 
plus  étonnant,  c'est  que  ni  Grégoire  de  Tours,  ni  Frédé- 
gaire,  ni  Avitus,  ni  Elodoard,  ne  parlent  de  ce  miracle. 
Saint  Rémi  lui-même,  dans  son  testament,  n'en  dit  mot. 
ÎSL  Tarbé,  dans  son  ouvrage  sur  les  Trésors  de  l'église 
de  Reims ,  rapporte  que  «  ce  ne  fut  qu'au  couronnement  de 
Louis  VII  qu'on  parla  pour  la  première  fois  de  la  sainte  am- 
poule ». 

Dans  son  ancien  reliquaire ,  elle  était  portée  par  une  co- 
londie  en  or,  avec  un  bec  et  des  pieds  en  corail  ;  autour  rc^ 
gnait  un  encadrement  dentelé  et  carré,  placé  dans  une  pièce 
ronde  en  vermeil ,  ciselée ,  enrichie  de  quatre-vingt-quatre 
pierres  précieuses  de  diverses  couleurs.  Une  chaîne  en 
argent  était  fixée  à  ce  reliquaire,  et  servait  à  le  suspencLe  au 
cou  lorsqu'on  le  transportait  pour  le  sacre. 

La  saute  ampoule  n'est  pas  mentionnée  dans  l'inventaire 
des  châsses  fait  à  Reims  le  13  novembre  1702.  Peut-être 
cet  oubli  la  fit-elic  conserver  encore  quelque  temps  après  la 
fermeture  des  églises.  Quoi  qu'il  en  soit,  Philippe  Ruhl,  <lé- 
piiîé  à  la  Convention,  en  mission  dans  la  Marne,  ayant 
appiis  qu'elle  existait  entre  les  mains  (ie  M.  Seraine,  curé 
de  Saint-Remi,  lui  en  fit  demaniler  la  remise,  la  brisa  à 
coups  de  Mirirteau,  en  présence  du  peuple,  sur  les  degrés 
(bi  piédestal  de  la  statue  de  Louis  XV,  et  envoya  le  reli- 
quaire à  la  Convention.  —  Mais  au  moment  où  M.  Seraine 
s't'tait  vu  obligé  de  livrer  la  sainte  ampoule,  il  avait  cru 
devoir  en  retirer  queUpies  parcelles  de  baume,  qu'il  j)artagea 
avec  M  Philippe  Ilourelle,  alors  officier  municipal,  ancien 
maipiillier  de  la  paroisse.  Depuis,  des  enquêtes  lurent  faites 
poui-  constater  l'authenticité  de  ces  reliques. 

Ces  parcelles  furent  réunies  le  11  juin  1819,  dans  une 
petite  boite  en  argent  doublée  d'une  étolfe  de  soie.  En  is2ô, 
pour  le  sacre  de  Charles  X,  elles  furent  déposées  dans  nue 
nouvelle  ampoule  en  cristal ,  qui  fut  elle-même  mise  dans 
un  coffret  en  vermeil ,  véritable  chef-d'œuvre  de  ciselure  , 
enriciii  de  pierres  précieuses ,  avec  un  couvercle  en  cristal 
suinionté  de  la  coloud)e  traditionnelle.  La  façon  seule  de 
ce  coll'ret  avait  coûté  22,300  francs  ;  il  est  placé  sur  un 
socle  aussi  en  orfèvrerie ,  orné  sur  les  faces  principales  de 
deux  bas-reliels  représentant  le  baptême  de  Clovis  et  le  sacre 
de  Louis  XVI.  \  l'un  des  bouts  sont  les  armes  de  France; 
à  l'autre ,  celles  de  la  ville  et  du  chapitre  de  Reims  ;  au 
milieu,  celles  du  i)ape.  Sur  la  plinthe  et  sur  diverses  parties 
du  socle  sont  répartis  des  médaillons  ciselés  représentant 
le^  rois  de  France.  Ducues.ne  aîné. 

AMPOULE  (Pathologie),  petit  amas  de  sérosités  qui 
a  lieu  entre  le  derme  et  l'épiderme,  et  se  manifeste  d'ordi- 
naire à  la  paume  des  mains  et  aux  pieds,  à  la  suite  de  tra- 
vaux pénibles  ou  de  marches  forcées.  On  guérit  ces  petits 
accidents  en  perçant  la  cloche  pour  faire  écouler  le  liquide 
et  en  y  appliquant  une  compresse  d'eau  blanche.  Il  se  faut 
garder  d'eidever  l'épiderme.  On  prévient  les  ampoules  des 
pieds  quand  on  a  de  longues  marches  à  faire  en  les  en- 
duisr.nt  d'im  corps  gras. 

A:IîPOULÉ  ^Style).  Ce  n'est  pas  un  style,  c'est  une 
maladie  du  style  ,  une  tumeur  vide  et  creuse ,  qui  se  gonlle 
de  mots,  faute  d'idées.  Rien  n'est  plus  contraire  au  goût  et 
à  l'esprit  français.  Il  repousse  instinctivement  cette  manière 
enflée,  grosse  de  vent,  semblable  à  ces  cloches  qui  se  for- 
ment sur  le  corps  humain  aux  dépens  de  l'épidennc.  L'art 
d'écrire  ne  connaît  pas  de  lléau  plus  éloigné  de  nolic  goût 
naiional.  ^■os  maurs  sociales,  notre  facilité  do  coiiuncice, 


AMPOUr.É  —  AMPUTATION 


r.iiM<'ni1('-  qiic  n(»iis  apjxirtons  dans  nos  relations  n\or  nos 
sonililalilts  et  <|iie  nous  exigeons  d'eux.  re{)Oiissent  bien 
loin  toute  idée  d'or;;iieilleuse  emphase,  et  livrent  au  ridicule 
public  ces  grands  mots  dont  les  vastes  re|)lis  enveloppent 
de  petites  choses.  Aussi  le  style  ampoulé  ne  fut-il  en  (jnelque 
faveur  parmi  nous  qu'aux  époques  de  désori^anisation  so- 
ciale. Vers  la  fin  du  monde  romain ,  la  contagion  d'un  mau- 
vais goût  à  la  (ois  emphatique  et  prétentieusement  piiéril  a 
laissé  trace  chez  Sidoine  Apollinaire  et  Ausone.  A  la  renais- 
s;uice  des  lettres,  lorsque  la  société  française,  déchirée 
par  les  guerres  religieuses,  nageait  dans  des  flots  de  sang, 
Ronsard  et  ses  amis  inventèrent  le  pcdantisme  emphatique 
d'un  style  plus  latin  que  français.  C'est  leur  manie  collé- 
giale et  emphatique  que  Rabelais  raille  si  plaisanunent  lors- 
qu'il fait  parler  son  écolier  limousin.  Ce  personnage  ne 
connaît  pas  de  soirée,  mais  un  diliicule,  et  h  ville  de  Paris 
est  pour  lui  Vurbe  qu'on  vocite  Lutèce;  au  lieu  de  se  pro- 
mener, il  déambule  par  des  compiles  de  l'iirhe ,  et  il  s'/n- 
gvrgite  l'éloquence  latiale.  Le  Gascon  Dubartas  fut  de 
tout  le  seizième  siècle  l'auteur  le  moins  avare  de  périphrases 
et  de  grands  mots  suspendus  entre  la  trivialité  et  l'emphase. 
On  se  rappelle  sa  magnifique  description  d'un  cheval  qui 
galope ,  en  quarante  vers  ;  «  dont  il  ne  vint  à  bout ,  dit  la 
«  chronique,  qu'en  galopant  à  travers  la  chambre  et  sur 
«  ses  meubles  pendant  un  jour  entier;  »  et  son  flot  floflot- 
tant,  destiné  à  exprimer  la  succession  des  vagues.  Son 
soleil  emperruqué  de  rais  (couronné  de  rayons)  et  duc 
des  chandelles  (conducteur  des  étoiles)  est  passé  en 
proverbe.  Ce  mélange  de  vulgarité  et  de  violence  dans  l'ex- 
pression ne  pouvait  convenir  à  un  peuple  d'une  grande 
vivacité  dans  les  actes,  mais  d'un  extrême  bon  sens  dans 
l'esprit,  raisonnable  jusqu'à  l'ironie,  et  plus  prompt  à  s'a- 
muser des  ridicules  qu'à  pardonner  aux  excès. 

De  la  fin  du  seizième  siècle  au  commencement  du  dix- 
neuvième,  c'est-à-dire  pendant  le  règne  triomphal  de  la  so- 
ciété française,  qui  faisait  l'éducation  de  l'Europe  du  Nord, 
l'emphase  perdit  tout  crédit.  On  aperçoit,  vers  1650,  les 
dernières  traces  de  cette  maladie  chez  deux  hommes  de  mé- 
rite, Cyrano  de  Bergerac,  qui  voyagea  dans  la  lune  pour  se 
donner  ses  coudées  franches,  et  chez  Brébeuf,  homme  d'ail- 
leurs d'un  talent  très-distingué.  Conspué  pendant  cette  épo- 
que toute  française,  le  style  ampoulé  reparaît  tout  à  coup, 
timide  encore,  aux  approches  de  la  révolution.  Alors  l'é- 
quilibre social  se  détruit;  le  faisceau  va  se  rompre;  les 
hurlements  du  style  recommencent.  Diderot  et  l'abbé  Ray- 
nal  en  sont  les  premiers  organes.  Après  1790,  les  digues  sont 
rompues,  et  un  mélange  de  toutes  les  emphases  classiques  et 
étrangères  déborde  et  se  précipite  sur  l'idiome  français.  En 
relisant  le  Moniteur,  on  s'étonne  de  ces  paroles  de  mélo- 
drame qui  couvraient  des  actes  tour  à  tour  grandioses  et 
effrénés  ,  tant  de  vide  dans  les  mots,  tant  de  terrible  réalité 
dans  les  faits.  Je  ne  sais  si  depuis  cette  époque  nous  pouvons 
nous  croire  radicalement  guéris.  Sous  l'Empire,  !M.  de  >îar- 
changy,  écrivain  que  l'on  estimait  assez,  osait,  sous  les  yeux 
des  critiques  du  temps,  transformer  un  potage  en  bouillon 
aux  yeux  d'or,  qui  rit  dans  le  vermeil.  Sous  la  Restaura- 
tion, un  autre  écrivain  célèbre,  au  lieu  de  dire  les/o;e/5, 
parlait  des  cathédrales  verdoyantes  de  la  nature,  et  ne 
croyait  pas  trouver  pour  exprimer  le  mot  Dieu  de  plus  belle 
périphrase  que  celle-ci  : 

Fécond  ci'libalaire  endormi  sur  les  mondes. 

Depuis  cette  époque,  le  style  ampoulé  a  fait  de  grands 
progrès,  et  toute  la  répugnance  instinctive  du  goût  national 
n'a  pas  réussi  encore  à  l'expulser  définitivement  du  bar- 
reau, du  théâtre,  des  assemblées  publiques,  et  nièuie  de  la 
chaire.  Le  go)ivernement  constitutionnel,  dont  le  résultat 
aurait  dû  être  de  nous  ramener  à  une  simplicité  plus  bour- 
geoisement naïve ,  exhaussa  tous  nos  cothurnes,  et  agrandit 
toutes  les  bouches  de  nos  orateurs.  Au  lieu  de  rejeter  les 


503 

mots  longs  d'une  fnise  {{),  et  dVtre  plus  modestes  en 
promesses  (?.)  et  plus  fertiles  en  actes,  nous  avons  redou- 
blé d'emphase  et  de  solennité.  Tas  de  question  de  patente, 
de  droit  de  visite  ou  d'incompatibilité  qui  portée  à  la  tribune 
ne  s'agrandit  et  ne  se  gonflât  démesurément.  Ce  lut  une  de» 
marques  les  plus  tristes  de  la  transtormation  que  le  régime 
tniistitiitioiniel  a  subie  en  se  naturalisant  parmi  nous. 

L'ampoule  ressemble  à  l'emphase,  mais  elle  la  dépasse. 
L'emphase  est  moins  creuse  et  plus  solide.  Thomas,  écrivain 
emphatique,  ne  manque  ni  de  raison  ni  de  force  ;  il  exagère 
la  sensibilité  et  la  grandeur  dont  il  a  le  sentiment.  Raynal, 
interrompant  ses  Annales  des  deux  Indes  pour  apostropher 
en  soixante  lignes,  au  milieu  d'un  livre  grave,  le  territoire 
d'Anjinga,  qui  a  vu  naître  Éliza  Draper,  oITre  le  type  complet 
du  style  ridicule  et  ampoulé.  Philarète  Cuasles. 

AlilPUTATIOIV  (  du  verbe  latin  amputare ,  retran- 
cher, enhver).  En  chirurgie,  on  entend  par  là  toute  opé- 
ration qui  consiste  à  séparer  pour  toujours ,  au  moyen  de 
l'instraraent  tranchant,  un  organe  ou  une  partie  d'organe 
saillant  du  reste  du  corps.  Aussi  peut-on  dire  amputation  du 
sein ,  de  la  mâchoire ,  de  la  langue ,  des  amygdales ,  du 
col  de  l'utérus ,  des  organes  génitaux  de  l'homme ,  etc. 
C'est  un  titre  cependant  qu'on  a  généralement  réservé  pour 
l'ablation  d'une  portion  plus  ou  moins  étendue  de  toute 
l'épaisseur  d'un  membre. 

Dernière  ressource ,  moyen  extrême  de  la  chirurgie,  l'am- 
putation ne  doit  être  pratiquée  qu'en  désespoir  de  cause. 
Déjà  grave  par  elle-même,  elle  a  encore  comme  conséquence 
nécessaire  la  mutilation  du  sujet.  En  présence  des  cas  qui 
semblent  la  réclamer,  l'homme  de  l'art  ne  doit  point  oublier 
que  le  but  de  la  chirurgie  est  de  conserver ,  non  de  dé- 
truire; mais  les  malades  ont  besoin  de  savoir,  à  leur  tour, 
qu'il  vaut  mieux  sacrifier  unepartie  que  de  perdre  le  tout,  et 
vivre  avec  trois  membres  que  mourir  avec  quatre. 

La  fâcheuse  nécessité  d'amputer  les  parties  malades  a  dil 
être  sentie  de  tout  temps.  La  première  idée  s'en  perd  d'ail- 
leurs dans  l'histoire  la  plus  reculée.  Il  paraît  qu'on  ne  s'y 
décidait  autrefois  que  très-rarement.  Connaissant  mal  la 
circulation  du  sang,  les  anciens  ne  savaient  point  se  mettre 
en  garde  contre  les  hémorrhagies  ;  et  comme  l'amputation 
entraîne  toujours  la  division  de  quelques  vaisseaux  impor- 
tants, ils  devaient  être  continuellement  arrêtés  par  la  crainte 
de  cet  accident  dès  qu'il  s'agissait  de  retrancher  une  partie 
vivante  du  corps.  D'un  autre  côté,  avant  la  découverte  de  la 
poudre  à  canon,  les  guerres  des  peuples,  moins  meurtrières 
de  leur  nature ,  devaient  rendre  l'amputation  moins  fré- 
quemment nécessaire  qu'elle  ne  l'est  devenue  depuis. 

Les  anciens  avaient  senti  de  bonne  heure  le  besoin  de 
diviser  les  tissus  au-dessus  des  parties  mortifiées;  mais, 
toujours  épouvantés  par  l'hémorrhagie,  ils  étaient  parvenus 
à  faire  de  l'amputation  ime  opération  si  redoutable ,  que 
beaucoup  d'entre  eux  préféraient  abandonner  le  malade  à 
une  mort  certaine.  Les  uns  commençaient  par  lier  les  vais- 
seaux ,  en  traversant  toute  l'épaisseur  du  membre  avec  un 
fil ,  ou  bien  par  étrangler  le  membre  lui-même  tout  entier, 
et  l'asperger  d'eau  froide.  L'opération  étant  terminée,  ils 
brûlaient  la  surface  du  moignon  avec  un  fer  rouge.  D'autres 
faisaient  l'incision  des  parties  molles  avec  un  couteau  rougi 
à  blanc,  et  cautérisaient  ensuite  avec  de  l'huile  bouillante. 
Mais  à  partir  du  seizième  siècle  la  pratique  chirurgicale  a 
complètement  changé  de  face  sur  ce  point,  et  depuis  lors 
l'amputation  des  membres  est  devenue  beaucoup  moins 
dangereuse. 

Les  cas  qui  réclament  l'amputation  méritent  une  atten- 
tion toute  particulière,  et  ils  deviendront  de  moins  en  moins 
nombreux,  à  mesure  que  la  médecine  fera  des  progrès, 
que  l'art  de  bien  traiter  les  maladies  se  répandra  davantage. 

(1)  Projicitampnllasetsesquipedalia  verba.        (Horace.) 

(2)  Quid  tanto  fcret  hic  promissor  hiatu?  {1DE.U.  ) 


504 


AMPUTATION 


Pour  juslifiL-r  une  aniputalion  ,  il  ne  suffit  pas  que  le  mal 
qui  la  réclame  ne  puisse  f;uérir  d'une  autre  manière,  il  faut 
encore  qu'on  puisse  l'enlever  en  totalité,  et  qu'il  y  ait  des 
cîiances  raisonnables  de  sauver  la  vie  du  sujet.  Lorsque  c'est 
pour  une  affection  cnncéreitse  qu'on  opt;re,  il  importe  de 
s'assurer  qu'il  n'en  existe  aucun  germe  dans  les  viscères.  Si 
donc  des  ganglions  dégénérés  se  remarquent  à  la  racine  des 
membres,  si  la  teinte  de  la  peau,  l'état  de  la  respiration  , 
des  digestions ,  si  le  moindre  symptôme  indique  que  le 
mal  ne  .soit  pas  borné  à  l'extérieur,  l'amputation  serait  inu- 
tile, ne  ferait  que  hâter  le  développement  de  lésions  ana- 
logues à  celle  (ju'on  se  propose  d'enlever.  11  en  est  de  même 
elle/,  les  sujets  affectés  de  pulmonie  ou  d'une  lésion  orga- 
nique du  coeur,  du  foie,  de  l'estomac,  des  organes  génito- 
urinaires,  d'un  épuisement  profond,  d'ulcérations  nom- 
breuses et  anciennes  dans  les  intestins. 

La  prudence  ne  permet  point  d'amputer  un  membre  affecté 
de  cànc  scro/uleiise  ou  syphilitkjue ,  si  d'autres  organes 
sont  déjà  le  siège  de  gontlement,  de  douleurs,  et  des  pre- 
miers symptômes  de  maladies  semblables. 

l'our  ce  qui  est  des  scrofules,  cependant,  on  a  dès  long- 
temps remarqué  que  l'ablation  d'une  partie  importante  du 
corps  était  souvent  suivie  d'un  changement  avantageux  à 
la  constitution  du  malade  ;  que  la  faiblesse  est  souvent 
remplacée,  après  la  guérison,  par  les  apparences  de  la  force 
et  de  la  santé  la  plus  florissante.  C'est  d'ailleurs  un  effet 
facile  .'i  comprendre  ;  une  suppuration  abondante,  des  dou- 
leurs longups,  une  articulation  désorganisée  forment  une 
cause  perpétuelle  de  maladie  qui  tend  continuellement  à 
détériorer  les  fonctions,  et  ne  peut  manquer  d'entretenir 
un  trouble  assez  considérable  pour  entraver  les  développe- 
ments des  ressources  naturelles  de  l'organisme.  Celte  cause 
naturelle  de  souffrances  et  de  dangers  étant  enlevée,  il  est 
tout  simple  que  la  santé  se  rétablisse  ensuite. 

Il  est  bon  de  remarquer  aussi  que  la  faiblesse  oit  se 
trouvent  les  malades  ne  contre-indique  pas  toujours  l'opé- 
ration. Ce  n'est  pas  chez  les  sujets  les  plus  forts,  les  mieux 
constitués  que  les  amputations  réussissent  le  mieux  ;  un 
certain  degré  d'épuisement,  déterminé  par  de  longues  dou- 
leurs, la  diarrhée  elle-même,  quand  aucune  lésion  interne 
ne  l'entretient,  sont  en  général  une  condition  plutôt  avan- 
tageuse que  nuisible  :  il  semble  dans  le  premier  cas  que 
l'organisme,  jouissant  de  toute  son  intégrité,  se  révolte 
contre  la  mutilation  dont  il  vient  d'être  l'objet  ;  tandis  que 
dans  le  second  l'affection  contre  laquelle  il  avait  épuisé  ses 
ressources  étant  enlevée,  il  n'ait  plus  qu'à  s'occiqier  de  faire 
disparaître  les  désordres  secondaires  qu'il  n'avait  pu  pré- 
venir. 

Les  soins  ,  soit  physiques,  soit  moraux,  qu'on  doit  pro- 
diguer au  malade ,  les  préparations  qu'il  convient  de  lui 
faire  subir  avant  une  amputation,  sont  les  mêmes  que  pour 
toute  opération  grave,  que  pour  les  opérations  que  réclament 
les  anévTysmes,  par  exemple,  et  ils  varient  selon  une  inti- 
nité  de  circonstances. 

Tous  les  temps,  toutes  les  saisons,  toutes  les  heures  du 
jour  ou  de  la  nuit,  peuvent  être  adoptes  pour  la  pratique 
des  amputations,  ainsi  que  pour  toutes  les  opérations  d'ur- 
gence. Cependant ,  on  préfère  généralement  le  malin  quand 
il  est  permis  de  temporiser,  et  cela  par  la  raison  qu'il  est 
plus  facile  de  surveiller  le  malade  pendant  le  reste  de  la 
journée  que  si  on  l'avait  opéré  à  l'entrée  tle  la  nuit. 

Les  instruments  nécessaires  pour  prati(iuer  les  amputa 
tions  les  plus  compliquées  sont  un  totuuiciuet,  un  garot,  i!;ie 
pelote  à  manches,  ou  autres  ohjets  propres  à  suspendre  mo- 
mentanément le  cours  du  sang  dans  le  membre;  des  cou- 
teaux de  diverses  longiuMus;  un  bistouri  droit,  un  bistouri 
convexe;  une  scie  avec  des  lames  de  rechange,  des  piiue- 
à  disséquer,  des  ciseaux  courbes  ou  droits,  des  tenailles  in- 
cisives, des  érignes,  des  aiguilles  à  sutiuT,  un  tinnculum  ; 
pour  le  pansement  on  a  besoin  de  lils  cirés  simples,  doubles, 


triples,  quadruples,  dont  on  forme  des  ligatures  de  longueur 
et  de  grosseur  diffi  rente  ,  des  bandelettes  agglutinatives,  de 
la  char[)ie  brute,  en  boulettes  et  en  plumasseaux  ,  des  com- 
presses longuettes ,  carnes,  et  d'autres  formes  encore  ;  des 
bandes  de  toile  et  quelquefois  de  laine;  il  faut,  en  outre  , 
avoir  de  l'agaric,  des  éponges,  de  l'eau  tiède  et  de  l'eau 
froide  dans  des  vases  différents,  un  peu  de  vin,  de  vinaigre, 
d'eau  de  Cologne,  une  lumière ,  du  feu  dans  un  réchaud  et 
quelques  cautères,  en  supposant  qu'il  soit  utile  d'en  f;ure 
usage. 

On  a  cherché  longtemps  les  moyens  de  pratiquer  les  am- 
putations sans  causer  de  douleurs ,  mais  tous  ces  moyens 
étaient  dangereux  ou  inutiles;  ce  n'est,  disait-on  encore  il 
y  a  quelques  années,  que  par  son  adresse,  ses  connaissances 
ou  le  choix  bien  entendu  des  instruments  que  le  chirurgien 
doit  prétendre  à  diminuer  ou  à  rendre  moins  longues  les 
douleurs  qu'entraîne  l'ablation  des  membres.  Il  est  vrai  ce- 
pendant qu'un  bistouri  chauffé  à  la  température  naturelle  du 
corps  fait  moins  souffrir  les  malades  pendant  la  division  des 
tissus  vivants  qu'un  instrument  froid.  Aujourd'hui  nous 
n'en  sommes  plus  là,  par  bonheur  :  avec  l'éther  ou  le  chlo- 
roforme, bien  employé,  la  douleur  peut  être  supprimée 
pendant  les  amputations ,  ainsi  qu'il  sera  dit  au  mot  Éthé- 

RISATION. 

Les^  aides  doivent  avoir  un  rôle  distinct  et  bien  déterminé! 
d'avance  :  l'un  est  chaigé  de  compruiier  l'artère  ;  on  choisit 
en  général  pour  cet  objet  le  plus  fort,  le  plus  grand,  ou 
celui  qui  possède  le  plus  de  sang-froid  et  de  connaissances; 
un  second  embrasse  le  membre  du  côté  de  sa  racine,  pour 
relever  les  chairs  ;  le  troisième  soutient  et  embrasse  la  partie 
qu'on  veut  enlever;  un  quatrième  est  chargé  de  présenter 
les  instruments  à  mesure  qu'ils  deviennent  nécessaires;  d'au- 
tres s'emparent  des  diverses  parties  du  corps  dont  les  mou- 
vements pourraient  nuire  pendant  l'opération. 

Avant  de  porter  le  couteau  sur  les  tissus  vivants,  il  faut 
s'être  mis  en  garde  contre  Vhémorrhagie.  Longtemps  on  a 
eu  recours,  pour  atteindre  ce  but,  à  la  compression  circu- 
laire du  membre.  Peu  à  peu  le  lien  circulaire  s'est  perfec- 
tionné entre  les  mains  des  chirurgiens  français.  On  com- 
mença d'abord  par  le  séparer  du  trajet  de  l'artère ,  à  l'aide 
d'une  compresse  plus  ou  moins  volumineuse;  puis  on  le 
transforma  en  véritable  garot,  au  moyen  d'un  petit  bâton- 
net qui  devait  augmenter  ou  diminuer  à  volonté  la  compres- 
sion du  vaisseau  pendant  l'opération.  Ce  garot  est  encore  en 
usage  aujourd'hui;  mais  pour  empêcher  la  peau  d'être 
pincée,  et  pour  diminuer  autant  que  possible  la  compression 
sur  les  points  de  la  circonférence  du  membre  qui  ne  cor- 
respondent pas  à  l'artère,  on  applique  au  préalable,  sur 
cette  dernière,  une  compresse  pliée  en  plusieurs  doubles, 
une  bande  roulée,  ou  toute  autre  pelote  solide,  tandisqu'une 
plaque  de  corne,  légèrement  concave,  est  appliquée  au-des- 
sous de  la  partie  du  lien  qui  doit  être  tordu,  à  l'opposite  du 
membre. 

Le  tourniquet  a  rendu  l'emploi  du  garot  beaucoup  plus 
rare.  Une  fois  appliqué,  on  peut  l'abandonner  à  lui-même, 
tandis  que  le  garot  a  besoin  d'être  surveillé  ou  maintenu  jus- 
qu'à la  fin  de  l'opération. 

Lorsqu'on  ne  peut  disposer  que  d'un  petit  nombre  d'aides, 
ou  quand  ces  aides  ne  sont  pas  assez  instruits  pour  mériter 
la  plus  entière  confiance,  dans  les  campagnes,  par  exemple, 
et  (pielquefois  aux  armées,  lorsqu'une  circonstance  impré\Tie 
vient  à  nécessiter  l'amputation  d'un  membre,  le  garot,  pou- 
vant être  fahiiqué  sur-le-champ  et  partout,  forme  une  res- 
souice  précieuse.  Le  tourniquet,  si  on  peut  se  le  procurer, 
aura  plus  d'avantages  encore;  mais  dans  tout  autre  cas  c'est 
sur  la  main  d'un  aide  qu'il  faut  compter;  seulement,  lors- 
que l'artère  se  trouve  située  dans  une  excavation  profonde, 
il  est  bon  de  se  servir  d'une  sorte  de  cachet  de  bureau 
garni  d'une  pelote;  de  cette  manière,  la  douleur  qu'on  f<it 
éprouver  au  malade  est  moins  vive,  la  rétraction  des  mus- 


AMPUTATION 


i05 


des  n'est  aucunement  g^née,  l'opératenr  agit  librement  et 
IHHit  s'approdior  de  la  racine  «les  ineinl)res,  autant  que  la 
nature  du  mal  l'exiye. 

Il  y  a  deux  manières  générales  de  traiter  les  plaies  après 
Tamputation;  tantôt  on  en  rapproche  les  lèvies  le  plus  exac- 
tement possible,  et  on  tâche  de  les  maintenir  dans  le  con- 
tact le  plus  parlait;  tantôt  au  contraire  on  les  laisse  écartées, 
on  place  entre  elles  des  corps  étrangers  et  différentes  pièces 
de  pansement.  Dans  le  premier  cas,  on  cherche  à  obtenir 
ce  qu'on  appelle  la  rcunion  immcdiate  ou  par  première, 
intention  ;  dans  le  second,  on  favorise  la  suppuration,  et  la 
guérison ,  la  cicatrisation  ne  s'obtient  que  médiatement  ou 
par  seconde  intention,  y>àr  riUinion  médiate. 

Le  malade  reporté  dans  son  lit  doit  y  être  placé  à  l'aise; 
un  cerceau  est  chargé  de  soutenir  le  poids  des  couvertures, 
de  les  empêcher  de  porter  sur  le  moignon,  qui ,  d'autre  part, 
repose  mollement  sur  un  coussin  ou  drap  plié  en  fanon. 

On  tient  habituellement  le  moignon  dans  la  demi-flexion 
afin  que  les  muscles  en  soient  relàciiés,  et,  selon  quelques 
personnes,  aussi  pour  diminuer  la  tendance  des  fluides  à 
se  porter  vers  la  plaie. 

Une  cuillerée  ou  deux  de  vin  pur  peuvent  être  utiles  pour 
diminuer  la  torpeur  ou  l'abattement  momentané  ordinaire- 
ment produit  par  l'opération.  Le  reste  du  jour  on  donne 
par  cuillerée  une  potion  calmante,  légèrement  anti-spas- 
modique,  de  l'infusion  de  tilleul,  de  violette,  de  coquelicot, 
édulcorées  avec  quelque  sirop,  pour  tisane. 

Kxcepté  chez  les  sujets  aiïaibiis  par  de  longues  souffrances, 
la  diète  la  plus  rigoureuse  est  de  rigueur  aux  yeux  de  la 
plupart  des  chirurgiens.  11  est  tout  au  plus  permis  d'accor- 
der quelques  bouillons  coupés  jusqu'à  ce  que  la  réaction  gé- 
nérale se  soit  opérée  ;  en  général  je  suis  moins  sévère ,  et 
je  donne  volontiers  quelques  aliments  dès  les  premiers  jours 
aux  amputés.  Le  régime  des  amputés  est  d'ailleurs  le  même 
que  pour  les  maladies  aiguës  et  toutes  les  opérations  ma- 
jeures. Lorsque  le  malade  est  robuste ,  sanguin ,  que  l'opé- 
ration a  été  pratiquée  pour  une  lésion  récente,  qu'il  ne  s'est 
pas  écoulé  une  grande  quantité  de  sang ,  le  refoulement  des 
fluides  étant  à  craiiidre,  on  a  beaucoup  parlé  de  l'importance 
d'en  diminuer  la  masse  pour  prévenir  les  inflammations  in- 
ternes et  les  dangers  de  la  réaction  géJiérale. 

Le  premier  pansement  ne  doit  avoir  lieu,  dans  les  cas 
ordinaires,  qu'au  bout  de  soixante-douze  heures,  de  quatre 
jours  même.  Les  malades  le  redoutent  beaucoup  en  général. 
Autrefois  il  avait  effectivement  quelque  chose  de  redoutable 
pour  eux  :  aucunes  précautions  n'étaient  prises  pour  pré- 
venir les  adhérences  de  la  charpie  ou  des  compresses  avec 
le  fond  ou  les  bords  de  la  solution  de  continuité,  quoiqu'on 
eût  recours  à  ce  pansement  le  lendemain  ou  le  second  jour 
de  l'opération ,  avant  que  la  suppuration  fût  établie,  par 
conséquent;  on  comprend  donc  qu'aujourd'hui  encore  les 
gens  du  monde  en  soient  presque  aussi  effrayés  que  de 
l'amputation  elle-même.  Sous  ce  rapport,  il  faut  le  dire,  les 
malades  sont  agréablement  trompés  ;  les  linges  ou  les  ban- 
delettes enduits  de  cérat  rendent  toujours  très-facile  la  sépa- 
ration des  autres  pièces  de  l'appareil.  Au  bout  de  trois  ou 
quatre  jours,  les  humidités,  le  suintement  naturel  de  la  plaie, 
ont,  de  leur  côté,  détruit  les  adhérences  qui  auraient  pu  sus- 
dler  quelques  tiraillements,  et  le  premier  pansement  ne  doit 
pas  entraîner  notablement  plus  de  douleur  que  les  suivants. 

Il  est  de  règle  de  nettoyer  le  moignon  le  troisième,  le 
quatrième  ou  le  cinquième  jour,  comme  dans  le  cas  précé- 
dent, et  <le  renouveler  ensuite  chaque  jour  le  pansement. 

Les  ligatures  ne  tombent  ordinairement  qu'à  partir  du 
kuitièmc  ou  dixième  jour.  Il  serait  dangereux  de  chercher 
à  les  faire  tomber  plus  tôt.  Mais  aussi  dès  qu'elles  tardent 
davantage ,  il  n'y  a  pas  d'inconvénient  à  les  tirer  doucement 
chaque  fois  qu'on  renouvelle  l'appareil. 

Les  accidents  auxquels  l'amputation  des  membres  peut 
donner  lieu  sont  graves  et  nombreux.  Les  uns  surviennent 

DICT.LE    LA   CO^VEUSATION.    —   T.    I. 


au  moment  même  de  l'opération,  et  les  autres  plus  ou  moins 
longtemps  après. 

Hémorrliagics.  Chez  les  sujets  affaiblis  la  perte  du  sang 
est  de  nature  à  faire  naîfre  immédiatement  les  dangers  les 
plus  inquiétants.  Elle  a  queI([uefois  lieu  avant  qu'on  ait  pu 
lier  les  vaisseaux,  soit  parce  que  le  tourniquet  s'est  re- 
lâché ou  déplacé,  soit  parce  que  l'aide  exécute  mal  la  com- 
I)ression,  soit  aussi  parce  qu'on  éprouve  des  difficultés  inac- 
coutumées à  saisir  les  artères.  Du  reste ,  il  faut  bien  se 
garder  de  ranger  parmi  les  hémorrhagies  le  suintement  qui 
manque  rarement  d'imbiber,  de  tacher  l'appareil ,  l'alèse  et 
quelquefois  même  toute  l'épaisseur  des  coussins  dès  le  pre- 
mier ou  le  second  jour.  Quand  même  ce  serait  du  sang  pur, 
et  non  de  la  sérosité  sanguinolente ,  on  ne  doit  nullement 
s'en  eflVayer  alors,  à  moins  que  le  malade  n'ait  ressenti 
quelque  alfaiblissement.  Règle  générale,  tant  que  la  force  du 
pouls  se  maintient,  que  la  pâleur  du  visage  n'augmente  pas, 
les  ablutions  froides  et  le  tourniquet  suffisent,  si  on  croit 
devoir  tenter  quelque  chose. 

Conicité  du  moignon.  Suite  presque  inévitable  de  l'am- 
putation autrefois,  la  conicité  du  moignon  est  devenue  très- 
rare  aujourd'hui.  Quelle  qu'en  soit  la  cause,  la  saillie  de 
l'os,  après  les  amputations,  est  toujours  un  inconvénient 
fâcheux  ;  quand  elle  est  légère  néanmoins  et  sans  dénudation, 
quand  elle  est  simple,  il  ne  faut  pas  y  toucher.  La  nature 
perfectionnera  son  ouvrage,  finira  par  déplacer  la  cicatrice 
en  ramenant  la  peau  sur  le  sommet  de  l'os  ;  s'il  retrouve 
de  l'embonpoint,  le  malade  voit  d'ailleurs  assez  souvent 
cette  conicité  disparaître  en  partie  et  ne  pas  s'opposer  à 
l'emploi  des  moyens  qui  ont  pour  but  de  suppléer  au 
membre;  lorsqu'elle  est  plus  considérable,  il  n'y  a  que 
l'exfoliation  naturelle  ou  la  résection  qui  puisse  en  débar- 
rasser l'amputé. 

L'exfoliation,  extrêmement  lente  à  s'effectuer,  puisqu'il 
lui  faut  trente,  quarante,  soixante  jours,  et  quelquefois 
même  jusqu'à  trois  ou  quatre  mois  pour  se  compléter,  n'en 
doit  pas  moins  être  abandonnée  à  la  nature,  excepté  dans  un 
petit  nombre  de  cas  ;  le  fer  rouge ,  les  caustiques ,  le  nitrate 
de  mercure ,  par  exemple ,  ne  la  hâtent  presque  en  aucune 
manière;  il  vaut  mieux  se  contenter  d'efforts  légers,  renou- 
velés à  chaque  instant  sur  l'escarre ,  aussitôt  qu'elle  devient 
mobile,  à  moins  qu'on  ne  se  décide  à  en  faire  la  résection. 

La  résection  est  une  opération  simple ,  mais  quelquefois 
dangereuse  et  même  mortelle.  Il  faut  la  pratiquer  assez  haut 
pour  ne  pas  être  obligé  d'y  revenir,  pour  ne  pas  craindre 
une  seconde  conicité. 

La  pourritzire  d'hôpital,  suite  assez  fréquente  des  am- 
putations, est  une  des  complications  les  plus  tckcheuses  qui 
puissent  survenir.  Dès  qu'elle  s'est  emparée  du  moignon, 
qu'elle  envahit  les  téguments,  les  muscles  à  une  certaine 
distance,  que  l'os  se  dénude,  et  que  les  topiques,  la  teinture 
diode,  le  fer  rouge  ou  les  caustiques  ont  été  vainement  es- 
sayés ,  l'amputation  au-dessus  de  l'articulation  voisine,  ou, 
si  la  chose  n'est  pas  possible,  simplement  au-dessus  des  li- 
mites du  mal,  est  une  dernière  ressource  à  lui  opposer. 

A  la  suite  de  la  réunion  primitive  surtout,  Yinjlammation 
s'empare  quelquefois  du  périoste,  qui  suppure  et  se  durcit. 
L'os  alors  se  dénude  et  ne  tarde  pas  à  se  nécroser. 

Le  gonflement  inflammatoire  du  moignon  se  présente 
tantôt  sous  la  forme  d'un  érysipèle,  tantôt  avec  les  carac- 
tères d'un  phlegmon.  Dans  le  premier  cas,  si  la  peau  seule 
est  affectée ,  les  bandelettes  emplastiques  en  sont  souvent 
la  cause,  soit  parce  qu'on  les  a  trop  serrées,  soit  parce 
qu'elles  renferment  une  trop  forte  proportion  de  matières 
irritantes  :  alors  il  suffit  ordinairement  de  les  enlever,  et 
d'envelopper  pendant  quelques  jours  la  surface  enflammée 
de  cataplasmes  émoUients.  Dans  le  second  cas ,  l'accident 
est  beaucoup  plus  grave ,  et  mérite  la  plus  sérieuse  atten- 
tion. La  phlegmasie  se  porte  rapidement  au  loin  ;  les 
muscles,  la  peau,  sont  bientôt  disséqués  par  le  pus;  les 

fj'i 


506 


AMPUTATION 


tissus  Rotis-ciilanés ,  les  traînées  cellulaires  plus  profondes 
vont  quelquefois  jusqu'à  se  moitilier,  et  ne  tardent  pas  à 
se  détacher  par  lambeaux;  une  lièvre  ataxique  ou  ady- 
namlqiie  survient,  et  met  le  malade  dans  le  plus  immi- 
nent péril.  La  réunion  après  la  suppuration  est  rarement 
suivie  d'accidents  pareils.  Dès  que  ces  symptômes  s'an- 
noncent, ils  doivent  être  combattus  avec  énerj;ic.  On  les 
calme  quelquefois  en  mettant  à  nu  toute  la  surface  de  la 
plaie,  pour  la  panser  à  plat ,  ou  bien  en  couvrant  le  moi- 
gnon de  sanj^sues,  puis  de  cataplasmes  ;  mais,  quand  ces 
moyens  restent  sans  succès,  ou  quand  il  est  trop  tard  pour 
en  faire  l'application,  je  ne  connais  rien  de  plus  efficace  que 
les  incisions  profondes  et  multipliées.  En  supposant  que  le 
mal  redevienne  local,  après  avoir  fait  naître  de  nombreux 
phénomènes  généraux,  il  en  résulte  souvent  une  dénudalion 
de  l'os,  des  trajets  (istuleux,  une  conicité  du  moignon  qu'on 
ne  peut  guérir  que  par  une  seconde  amputation. 

Infection  purulente;  Phlébite.  Souvent  les  veines  elles- 
mêmes  s'enflamment ,  soit  seules,  soit  avec  les  parties  envi- 
ronnantes. Ici ,  comme  partout  ailleurs ,  la  phlébite  est  ex- 
cessivement dangereuse.  Les  symptômes  d'adynamie,  de 
putridité,  d'ataxie,  qu'elle  ne  tarde  pas  à  faire  naître,  sont 
presque  toujours  suivis  de  la  mort;  en  sorte  que  c'est  un  des 
accidents  les  plus  redoutables  qui  puissent  se  manifester  après 
les  amputations.  Les  dangers  qu'elle  entraîne,  attribués,  jus- 
qu'à ces  derniers  temps,  à  la  propagation  de  l'inflammation 
vers  le  cœur,  dépendent  d'une  tout  autre  cause.  Le  mélange 
du  pus  avec  le  sang ,  son  transport  dans  les  organes  en  don- 
nent une  explication  beaucoup  plus  satisfaisante,  ainsi  que  je 
crois  l'avoir  formellement  exprimé  le  premier,  en  1S24,  1825, 
1820,  et  surtout  en  1827.  La  résorption  purulente  est  un 
autre  accident,  dont  les  dangers  sont  exactement  semblables. 

Cystite.  On  est  souvent  obligé  de  sonder  les  opérés,  prin- 
cipalement après  l'amputation  des  membres  abdominaux , 
et  ceci  tient  quelquefois  à  l'indammation  de  la  vessie. 

Après  l'ablation  d'un  membre,  le  moignon,  qui  avait  d'a- 
bord maigri,  devient  ensuite  le  siège  d'une  nutrition  plus 
active,  augmente  de  volume,  et  finit,  au  bout  d'un  temps 
variable,  par  se  mettre,  sous  ce  rapport,  sur  la  même  ligne 
à  peu  près  que  le  point  correspondant  de  l'autre  membre. 

Les  amputés  prennent  fréquemment  d'ailleurs  un  embon- 
point remarquable.  Ils  acquièrent  un  smxroît  réel  d'énergie 
dans  les  organes  de  la  digestion,  de  la  reproduction.  Les 
fluides  vivifiants,  obligés  de  circuler  dans  nn  cercle  pli» 
étroit,  augmentent  l'activité  de  toutes  les  fonctions,  de 
même  que  l'intensité  d'une  lumière  devient  de  plus  en  plus 
vive  à  mesure  qu'on  resserre  l'espace  qu'elle  éclaire  ;  ils 
tendent  à  revêtir  le  caractère  du  tempérament  sanguin. 

Les  efforts  salutaires  de  la  nature  pour  remédier  au  trop 
plein  de  l'économie,  en  pareil  cas,  se  manifestent,  selon 
i'àge  et  le  sexe,  par  des  épistaxis ,  des  hémorrbagies ,  des 
menstrues  plus  abondantes,  la  fréquence  des  selles,  une 
transpiration  et  des  sécrétions  plus  copieuses.  Aussi  est-il  bon 
de  saigner  de  temps  en  temps  les  sujets  qui  ont  subi  l'am- 
])utation  d'un  membre,  ou  de  retrancher  au  moins  le  quart 
de  leur  nourriture  pendant  la  première  année,  et  qu'ils 
s'abstiennent  des  exercices  violents. 

Les  précautions  dont  on  entouie  un  amputé  avant,  pen- 
dant et  après  l'opération,  sont  d'ailleurs  le  meilleur  moyen 
d'en  prévenir  les  suites  fâcheuses.  Je  vais  donc  les  résumer 
ici  en  peu  de  mots. 

Avant  l'opération,  il  faut  avoir  égard  à  l'ûge,  au  sexe,  au 
moral,  à  l'état  général  de  la  .santé.  Chez  un  enfant,  les 
iiH'nagemenls  préalables  n'ont  jias  besoin  d'être  portés  aussi 
loin.  Connue  les  amputations  réussissent  bien  chez  eux, 
comme  les  meilleures  raisons  possibles  n'ont  que  peu  de 
prise  sur  leur  intelligence,  on  ne  doit  pas  craindre  d'em- 
jiloycr  la  force  pour  les  maintenir.  A  moins  d'urgence,  on  ne 
doit  pas  aijii)wter  les  (enmies  aux  approches  des  règles  ni 
pendant  la  i^rosscssu.  i.eur  scnsibllile  naturelle  cxi;;e  qu'on 


les  encourage  avec  plus  de  soin  encore  que  les  hommes. 
Le  tout  est  de  les  décider  :  car  il  est  à  remarquer  qu'une 
fois  la  détermination  prise ,  elles  supportent  généralement 
avec  une  grande  résolution  l'opération  la  plus  grave  et  la 
plus  douloureuse. 

Un  adulte  qui  jouit  de  sa  raison  ne  doit  jamais  être  am- 
puté de  force,  il  faut  qu'il  y  consente  de  son  plein  gré.  Le 
premier  rôle  du  chirurgien  est  de  lui  en  montrer  l'utilité,  et 
non  de  la  lui  imposer  par  violence.  .\ux  malades  calmes  et 
résignés  on  peut  dire  le  jour  et  l'heure  de  l'opération  ;  il 
vaut  quelquefois  mieux  les  prendre  en  quelque  sorte  à  l'ini- 
proviste  quand  ils  sont  pusillanimes  ou  très-impressionnables. 
On  cache  soigneusement  à  ces  derniers  tout  ce  que  l'opé- 
ration peut  avoir  d'inquiétant.  Il  est  permis  de  parler  aux 
autres  de  la  douleur,  de  quelques-uns  des  accidents  qui 
pourraient  survenir,  s'ils  ne  se  soumettaient  pas  strictement 
aux  prescriptions  qui  vont  leur  être  faites.  Dans  tous  les 
cas,  le  mieux  est  de  les  entretenir  le  moins  possible  de  pa- 
reils objets.  Aucune  conversation  relative  à  des  malades  qui 
auraient  eu  à  se  repentir  d'opérations  semblables  ne  doit  être 
tenue  près  d'eux. 

Si  la  maladie  est  ancienne  et  douloureuse,  le  régime  ne 
sera  que  légèrement  modifié  la  veille  de  l'opération.  Dans  le 
cas  contraire  on  diminue  par  degrés  la  quantité  des  aliments, 
de  manière  à  ne  donner  que  des  potages  les  deux  derniers 
jours.  Si  le  ventre  était  resserré,  on  administrerait  un  léger 
purgatif  ou  quelques  lavements  laxatifs.  Les  vésicatoires,  les 
cautères  de  '  précaution  ne  sont  utiles  que  lorsqu'il  s'agit 
d'enlever  une  maladie  très-ancienne,  ou  de  tarir  une  longue 
suppuration;  à  moins  qu'il  n'y  ait  de  la  fièvre,  la  saignée  est 
inutile,  attendu  que  l'opération  peut  exposer  par  elle-même 
le  malade  à  perdre  beaucoup  de  sang. 

Pendant  lopération,  il  ne  doit  y  avoir  dans  la  chambre 
que  des  figures  calmes  ;  les  personnes  susceptibles  de  se 
trouver  mai,  ou  dont  la  mobilité  des  traits  pourrait  trahir  les 
craintes,  en  seront  exclues,  de  même  que  toutes  celles  qui , 
par  imprudence  ou  autrement ,  seraient  de  caractère  à  tenir 
des  propos  inconsidérés,  à  chuchoter  autour  du  lit  de  dou- 
leur. Il  convient,  au  surplus,  que  le  lieu  où  se  pratique 
l'opération  soit  bien  aéré,  bien  éclairé,  et  suffisamment  large 
pour  que  l'air  y  circule  librement.  Une  température  d'envi- 
ron 15°  est  ce  qu'il  y  a  de  mieux  en  pareil  cas.  Du  reste,  il 
ne  faut  pas  que  des  courants  d'air  puissent  tomber  sur  le 
malade,  dont  les  yeux  seront  couverts  en  outre  d'une  pièce 
do  linge  flottant. 

Le  malade  qu'on  ampute  doit  exhaler  librement  ses  plaintes 
et  ne  pas  se  contraindre.  Il  en  est  qu'on  doit  engager  à  crier, 
comme  il  en  est  d'autres  dont  il  importe  de  modérer  l'agita- 
tion. Je  n'aime  point  ces  malades  qui  mangent  leurs  dou- 
leurs pendant  qu'on  les  ampute.  Toutes  choses  égales  d'ail- 
leurs, l'excès  contraire  est  d'un  moins  mauvais  augure. 

Après  l'opération,  si  le  malade  est  très-affaibli ,  on  peut 
lui  donner  une  cuillerée  de  vin  sucré  ou  d'eau  rougie;  l'eau- 
(!e-vie,  le  vinaigre,  l'eau  de  Cologne  ne  lui  seront  mis  sous 
le  nez  que  s'il  menace  de  se  trouver  mal.  Alors  il  est  bon 
de  lui  tenir  la  tête  basse,  et  d'attendre  quelques  minutes  avant 
de  le  changer  de  lit. 

Quand  il  est  convenablement  nettoyé,  on  lui  passe  une 
cheniise,  après  quoi  on  le  place  dans  le  lit  du  coucher,  l'our 
cela,  une  personne  forte  le  prend,  du  côté  sain,  par-dessous 
les  épaules  d'une  main,  et  par-dessous  les  jarrets  ou  le  siège 
de  l'autre,  de  manière  à  ne  lui  imprimer  aucune  secousse,  au- 
cun ébranlement.  Une  alèse,  pliée  en  quatre,  et  un  coussin 
mollet  garnissent  le  nouveau  lit,  vis-à-vis  du  moignon,  et  le 
malade  doit  être  place-  sur  le  dos,  la  tête  mo<lérément  élevée. 

là  on  doit  le  laisser  tranepiille,  éviter  de  le  faire  parler,  et 
rester  près  de  lui  pour  surveiller  les  suites  de  l'opéralion. 
Le  moignon  est  cpiehiuefois  tourmenté  de  soid)resauts, 
contre  lesquels  il  faut  se  tenir  en  garde.  Une  bride  en  linge, 
fixée  l'.ar  .ses  extrémités  au  bord  du  coussin  ou  du  matelas. 


AMPUTATION  —  AMSTERDAM 


507 


apr6s  avoir  rroisi*  la  parlie,  suffît  dans  certains  cas  pour 
les  arrêter.  Aiitrenioiit,  un  aide  on  la  garde  doit  les  inodc^rcr 
chaque  fois  en  comprimant  la  racine  dn  moii^non  avec  une 
certaine!  force  an  moyen  de  la  main.  Une  cuillerée  de  potion 
c;Umante  on  anli-spasmodiiiue  sera  donnée  d'heure  eu  heure, 
si  le  malade  est  agite  on  ne  s'endort  pas.  On  ne  lui  oiïrira 
de  la  tisane  qu'en  petite  quantité,  pour  apaiser  sa  soif,  et 
non  à  titre  de  médicament.  En  général,  il  est  inutile  défaire 
chaulfer  ses  boissons. 

L'appareil  se  teint  naturellement  en  rouge  au  bout  de 
quelques  heures,  ou  dn  moins  avant  la  fin  du  second  jour. 
Les  gens  du  monde  auraient  tort  de  s'en  effrayer  ;  c'est 
l'eflVt  d'un  suintement  presque  inévitable.  On  ne  s'en  occu- 
perait que  s'il  survenait  trop  vite,  et  de  manière  à  tra- 
verser bientôt  et  coussins  et  matelas.  Alors  l'hémorrhagie 
serait  évidente  et  nécessiterait  qu'on  avertit  sans  retard  le 
chii-urgien.  En  attendant,  une  compression  assez  forte  «le- 
vrait  être  exercée,  vers  la  racine  du  membre,  sur  le  trajet 
de  l'artère.  Les  malades  qu'on  ampute  pour  des  lésions  an- 
ciennes, se  trouvant  ainsi  débarrassés  d'une  cause  perpé- 
tuelle de  souffrances,  sont  généralement  plus  à  leur  aise 
le  lendemain  que  la  veille  de  l'opération.  Le  dévoiement, 
dont  quelques-uns  pouvaient  être  affectés,  se  suspend  d'or- 
dinaire pour  trois,  quatre  ou  cinq  jours.  11  est  rare  qu'on 
soit  obligé  de  les  saigner.  On  peut  leur  accorder  dès  le 
premier  jour  un  léger  potage;  chez  les  autres,  une  saignée 
le  soir,  sil  y  a  de  la  fièvre,  et  une  autre  le  lendemain,  peu- 
vent être  fort  utiles.  A  ceux-là  on  ne  permet  que  des  bouil- 
lons ou  de  très-faibles  soupes  jusqu'au  premier  pansement. 

Pour  les  garde-robes  et  les  urines,  il  faut  avoir  un  vase 
plat  et  un  urinai,  qui  puissent  être  glissés  sous  le  malade 
sans  le  déplacer.  Au  bout  de  cinq  à  six  jours ,  si  tout  va 
bien,  on  diminue  un  peu  la  sévérité  du  régime.  On  passe, 
par  degrés,  des  potages  aux  œufs  à  la  coque,  aux  viandes 
blanches,  aux  poissons  légers,  et  de  là  aux  côtelettes,  etc., 
à  l'eau  rougie,  puis  au  vin  pur. 

Tant  que  les  fds  ne  sont  pas  tombés,  les  mouvements  du 
moignon  sont  à  craindre.  Après,  on  aide  le  malade  à  se 
pencher,  à  se  tourner,  tantôt  dans  un  sens,  tantôt  dans  un 
autre.  Son  linge  doit  être  changé  toutes  les  fois  qu'il  com- 
mence à  se  salir.  Aussitôt  que  la  plaie  est  en  pleine  voie  de 
cicatrisation,  il  est  bon  de  placer  chaque  jour  l'amputé,  une 
heure  ou  deux,  sur  un  fauteuil  à  roulettes.  On  l'accoutume 
ainsi  à  pouvoir  se  lever  et  à  marcher  sans  inconvénient  plus 
tôt  que  si  on  n'avait  pas  pris  cette  précaution. 

Les  premières  fois  que  le  malade  sort  de  son  lit,  il  tend 
à  se  trouver  mal.  Cela  n'a  rien  d'inquiétant,  et  dépend  de  la 
position  verticale  qu'il  reprend  après  l'avoir  abandonnée 
plusieurs  semaines.  Enfin,  quand  la  cicatrice  est  faite,  il 
faut  encore  tenir  le  moignon  enveloppé  pendant  quelque 
temps,  et  le  prémunir  contre  l'action  des  corps  extérieurs. 
11  est  temps  alors  de  songer  aux  machines  capables  de  rem- 
placer en  partie  le  membre  perdu  ,  sil  en  est  susceptible, 
et  qui  ont  été  portées  de  nos  jours  à  un  extrême  degré  de 
perfection. 

J'oubliais  de  dire  que  beaucoup  d'amputés  croient  pen- 
dant longtemps  éprouver  des  douleurs  dans  la  partie  dont 
ils  ont  été  privés  par  l'opération,  et  que  ces  douleurs,  tout 
à  fait  nerveuses  ou  imaginaires,  ne  doivent  les  tourmenter 
en  aucune  façon.  VelI'KAU,  de  i'Acad.  des  Scienres. 

AMRAS.  Vof/cz  Ameuas. 

A.MRI,  ou  ffamri,  général  d'Élah,  roi  d'Israël,  apprit, 
an  siège  de  Ghibbelhon,  que  Zambri ,  commandant  de  la 
cavalerie,  avait  assassiné  son  maître,  et  s'était  emparé  du 
trône.  Aussitôt  il  lève  le  siège,  se  fait  proclamer  roi  par  son 
armée,  et  court  attaquer  le  légicide  dans  Thersali,  alors  ca- 
pitale du  royaume  d'Israël.  Investi  dans  son  palais,  Zambri 
est  forcé  de  s'y  brûler  avec  toute  sa  famille  :  il  n'avait  régné 
que  sept  jours.  Cependant  un  autre  compétiteur  se  lève  en 
face  d'Anni  :  c'était  Thibni,  (ils  de  Ghinath.  Ces  deux  rivaux 


se  disputaient  la  couronne  depuis  quatre  ans ,  lorsque  la 
mort  vint  délivrer  Amri  de  son  concurrent,  et  lui  assurer  la 
souveraineté  surtout  Israël.  11  bâtit  Samaric  et  v  transporta 
le  siège  de  son  empire;  mais  il  fut  exterminé  avec  toute  sa 
race  en  punition  de  son  impiété.  11  avait  régné  douze  ans. 
A3II10U  (iBN-AL-Ass),  fils  d'une  prostituée,  fut  l'un 
des  plus  habiles  et  des  plus  heureux  capitaines  des  coimnen- 
cements  de  l'islamisme.  11  embrassa  avec  une  ardeur  ex- 
trême la  rehgion  de  Mahomet ,  pour  laquelle  il  avait  d'abord 
manifesté  une  vive  répugnance,  et  fut  chargé  par  le  khalife 
Omar  d'envahir  l'Egypte  à  la  tête  d'une  armée  peu  nom- 
breuse. La  complète  réussite  de  celte  expédition  est  demeurée 
le  principal  titre  de  gloire  d'Amrou.  Fait  prisonnier  par  les 
Grecs  à  Alexandrie,  quand  la  hache  du  bourreau  était  déjà 
levée  sur  sa  tête,  il  ne  dut  la  vie  qu'à  l'inspiration  d'un  es- 
clave fidèle  qui  lui  donna  un  soufflet  afin  qu'on  ne  vit  en  lui 
qu'im  subalterne.  Ce  stratagème  le  fit  renvoyer  sain  et  sauf. 
D'après  le  témoignage  d'historiens  dignes  de  foi,  il  paraît 
que  ce  ne  fut  que  sur  le  commandement  exprès  d' Omar  que 
fut  incendiée  la  bibliothèque  d'Alexandrie,  dont  Amrou 
ne  voulut  point  disposer  sans  l'ordre  formel  du  khalife. 
C'est,  du  reste,  un  point  historique  encore  fort  controversé 
parmi  les  savants.  Quoi  qu'il  en  soit,  par  sa  conduite  sa^e 
ferme  et  habile,  il  sut  gagner  l'afTection  des  Égyptiens."'li 
fit  creuser  un  canal  que  les  Turcs  ont  laissé  détruire,  unis- 
sant, par  le  Nil,  la  mer  Rouge  à  la  Méditerranée.  Sauf  un  court 
intervalle,  pendant  lequel ,  à  la  mort  d'Omar,  le  nouveau 
khalife,  Othman,  le  rappela,  peut-être  par  défiance,  il  con- 
serva son  gouvernement  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  en  G63 
A:\ÏSCnASPAA'DS.  Vofje-.  Amcuaspands. 
AMSTEilUAM,  capitaledu  rovaumedes  Pays-Lasdans 
la  province  de  la  Hollande  septentrionale,  à  l'embouchure 
de  l'Ye,  partagée  par  deux  bras  de  l'Amstel  et  par  plusieurs 
canaux  en  90  îles  ,  communiquant  les  unes  avec  les  autres 
par  290  ponts ,  et  généralement  bitic  en  forme  de  croissant, 
sur  pilotis ,  n'était  encore ,  au  commencement  du  treizième 
siècle,  qu'un  village  de  pêcheurs,  propriété  des  seigneurs 
van  Amstel.  Par  suite  de  l'accroissement  de  sa  population  , 
l'ancien  village  obtint,  vers  le  milieu  de  ce  siècle,  les  droits 
et  les  privilèges  de  ville.  En  1296  les  Kennemers,  ses  voisins, 
l'attaquèrent  pour  tirer  vengeance  de  la  part  prise  par  Gys- 
brecht  van  Amstel  au  meurtre  du  comte  Floris  de  Hollande  ; 
ils  la  dévastèrent,  et  en  expulsèrent  même  une  partie  de  la 
population.  Plus  tard,  celte  ville  passa  avec  ÏAmstelland 
(  territoire  riverain  de  l'Amstel  )  sous  l'autorité  des  comtes 
de  Hollande,  qui  lui  accordèrent  de  nombreux  privilèges.  Le 
changement  survenu  dans  sa  situation  politique,  quand  elle 
cessa  d'appartenir  à  de  simples  seigneurs  pour  passer  sous 
les  lois  des  comtes  souverains  du  pays,  fut  l'origine  première 
de  sa  prospérité,  qu'acheva  de  consolider  la  révolution  qui 
brisa  le  joug  de  l'Espagne  sur  ces  contrées;  et  bientôt  elle 
figura  au  premier  rang  des  cités  commerciales  des  Pays-Bas- 
Unis.  Dès  l'an  t5S5,  quand  Anvers  eut  été  replacé  sous  l'au- 
torité  du  roi  d'Espagne ,  et  lorsque  le  commerce  immense 
dont  cette  place  était  le  centre  se  transporta  en  grande  par- 
tie à  Amsterdam ,  il  fallut  agrandir  considérablement  la  ville 
à  l'ouest;  et  on  y  comptait  déjà  100,000  habitants  en  1622. 
Mais  ces  développements  si  rapides  excitèrent  la  jalousie  et 
la  convoitise  de  ses  voisins.  En  15S7  Leicester  tenta  de  s'en 
emparer  par  trahison ,  et  le  prince  d'Orange,  Guillaume  II, 
en  1650,  par  surprise.  La  prudence  des  deux  bourgmestres, 
Hoolt  et  Dicker,  déjoua  ces  tentatives.  A  la  suite  de  la  guerre 
que  la  Hollande  soutint  contre  r.\ngleterre  au  dix-septième 
siècle ,  le  commerce  d'Amsterdam  déclina  tellement  qu'en 
1653  on  ne  comptait  pas  dans  la  ville  moins  de  quatre  mille 
maisons  vides.  Mais  il  ne  tarda  pas  à  se  relever. 

Les  bourgmestres  d'Amsterdam  jouissaient  dans  les  états 
généraux  d'une  considération  telle  qu'ils  purent  pendant 
tout  le  dix-huitième  siècle  y  lutter  d'infincDCC  contre  le  sta- 
fhouder  héréditaire.  A  celte  époque,  si  brillante,  de  son  liis- 


508 


AMSTEKDAM 

toire ,  Amsterdam  était  parvenue  h  un  dcgr*^  de  richesse  au- 
quel aucune  autre  ville  d'Europe  n'avait  alors  rien  à  comparer. 
La  réputation  de  probité  et  d'économie  des  Hollandais  contri- 
bua singulièrement  aux  développements  du  commerce  d'Ams- 
terdam ,  qui  devint  le  grand  marché  de  tous  les  produits  de 
l'Orient  et  de  l'Occident,  et  dont  le  port  était  constamment 
encombré  de  vaisseaux.  La  guerre  que  les  Provinces-Unies 
durent  soutenir  contre  l'Angleterre  en  1781  et  1782  causa 
des  pertes  incalculables  an  commerce  d'Amsterdam  ;  toute- 
fois il  lui  fut  encore  une  fois  donné  de  se  relever  des  suites 
de  cette  redoutable  crise.  Mais  à  la  suite  du  changement  de 
gouvernement  arrivé  en  1795,  sa  prospérité  alla  désormais 
toujours  en  déclinant.  La  réunion  forcée  de  la  Hollande  à  la 
France  lui  porta  le  dernier  coup ,  en  raison  de  l'obligation 
où  se  trouva  alors  la  Hollan<le  d'épouser  les  intérêts  français 
dans  toutes  les  guerres  que  la  France  eut  à  soutenir  contre 
les  autres  puissances.  Le  roi  Louis  Bonaparte  s'efforça  pour- 
tant de  vivilier  le  commerce  de  la  Hollande  à  l'aide  de  di- 
verses mesures  assez  habilement  combinées  :  c'est  ainsi  qu'en 
1808  il  transféra  à  Amsterdam  le  siège  du  gouvernement. 
Mais  Napoléon  n'en  convoita  dès  lors  que  plus  ardemment  la 
possession  de  la  Hollande;  et  l'hostilité  qu'il  témoigna  à  son 
frère  entraîna  pour  le  pays  de  notables  préjudices.  L'absorp- 
tion de  la  Hollande  par  la  France  en  18  tO  acheva  la  ruine 
du  commerce  extérieur  d'Amsterdam ,  en  même  temps  que 
l'introduction  du  monopole  du  tabac  au  profit  du  nouveau 
gouvernement  et  l'organisation  du  service  administratif  dési- 
gné sous  le  nom  de  droits  réunis,  exerçaient  la  plus  désas- 
treuse influence  sur  le  commerce  intérieur  du  pays.  Ce  ne 
fut  qu'à  partir  de  1813  que  le  commerce  reprit  à  Amsterdam 
une  grande  activité.  Les  immenses  capitaux  possédés  par  les 
grandes  et  anciennes  maisons  de  cette  place,  la  solidité  des 
transactions  dont  elle  était  redevenue  le  théâtre  ,  l'habile 
intelligence  avec  laquelle  s'y  fait  la  commission,  et  une  foule 
d'institutions  propres  à  aider  le  commerce  et  à  donner  de  la 
sécurité  à  ses  opérations,  lui  ont  fait  regagner  tous  .ses 
avantages  sur  d'autres  grands  centres  commerciaux. 

Du  côté  du  port,  la  ville,  en  raison  de  ses  nombreux  clo- 
chers ,  présente  un  aspect  des  plus  pittoresq\ies.  Du  haut 
du  pont  de  l'Amstel,  qui  n'a  pas  moins  de  220  mètres  de 
long,  de  même  que  de  la  porte  de  l'est,  on  jouit  d'un  coup 
d'œil  magnifique.  Amsterdam  était  jadis  une  place  forte  de 
premier  rang,  défendue  par  vingt-six  bastions  et  par  des 
ouvrages  qu'on  pouvait  inonder  à  volonté.  Aussi  Louis  XIV 
lui-même  estima-t-il  dangereux  de  l'attaquer.  Cependant  en 
1787,  après  la  prise  des  villages  retranchés  qui  l'avoisinent, 
elle  dut  ouvrir  ses  portes  à  une  armée  pnissienne  assez  peu 
nombreuse.  Par  suite  des  progrès  qu'a  faits  l'art  de  la  guerre, 
on  ne  peut  plus  aujourd'hui  défendre  Amsterdam  qu'en  inon- 
dant toute  la  contrée  qui  l'avoisine;  mais  il  ne  faut  pas 
qu'un  hiver  comme  fut  celui  de  1794  à  1795  rende  inutile  ce 
moyen  de  défense.  La  gelée  étant  venue,  en  eflèt,  solidifier 
la  masse  d'eau  amenée  ainsi  autour  de  la  ville ,  Pichegru 
put  facilement  s'en  emparer  le  19  janvier  1795.  Du  côté  de 
Harlem,  Amsterdam  est  couverte  par  l'écluse  de  Halfwegen, 
et  à  l'est  par  la  forteresse  de  Naarden.  Dans  le  demi-cercle 
que  décrivent  du  côté  de  la  terre  les  délimitations  de  la  ville, 
les  canaux  des  Princes,  de  l'Empereur  et  des  Seigneurs  for- 
ment avec  le  Cengel  un  grand  nombre  de  demi-cercles  moin- 
dres, aboutissant  tous  à  l'Amstel  ou  au  golfe  del'Ye. 

Parmi  les  édifices  publics,  l'ancien  hôtel  de  ville,  construit 
de  1C48  à  1655,  sous  la  direction  de  l'architecte  Jacob  van 
Kampen ,  est  surtout  célèbre.  C'est  dans  les  caves  de  cet 
édifice  qu'est  déposé  le  trésor  de  la  Banque.  Ce  magnifique 
bâtiment,  élevé  sur  13,159  pilotis,  a  94  mètres  de  long,  78 
mètres  de  large  et  38  mètres  de  haut.  La  tour  ronde  dont  il 
est  surmonté  s'élève  encore  à  70  mètres  au-dessus  du  faite. 
Plusieurs  peintres  et  sculpteurs  nationaux  du  dix-septième 
siècle  ont  contribué  à  en  décorer  l'intérieur.  Aussi  le  patrio- 
tisme hollandais  fut-il  vivement  irrité  de  voir,  en  ISOH,  le  roi 


Louis  Bonaparte  faire  choix ,  pour  y  établir  sa  demeure,  de 
cet  édifice,  où  on  avait  transféré  précédemment  le  muséum 
de  la  maison  de  Plaisance  appelée  le  Mis,  et  située  près  de 
La  Haye,  et  des  valets  en  livrée  occuper  les  salles  où  les 
membres  du  vénérable  corps  municipal  se  réunissaient  au- 
trefois pour  délibérer  sur  les  intérêts  communs  de  la  cité. 
On  ne  saurait  disconvenir  toutefois  que  la  salle  du  trône  qui 
fut  alors  construite  pour  approprier  l'édifice  à  sa  nouvelle 
destination ,  ne  soit  peut-être  la  plus  belle  qui  existe  en  Eu- 
rope. Aujourd'hui  encore,  quand  le  roi  des  Pays-Bas  vient  à 
Amsterdam,  c'est  là  qu'il  demeure.  Les  autorités  municipales 
siègent  dans  l'édifice  appelé  autrefois  Maison  des  Princes. 
La  vieille  Bourse,  construite  de  IGOSà  1613,  et  sous  laquelle 
l'Amstel  vient  se  jeter  dans  le  Damràck ,  a  été  abattue  ré- 
cemment et  remplacée  par  une  construction  nouvelle.  L'hôtel 
do  la  Compagnie  des  Indes ,  les  chantiers  de  construction  de 
l'État  et  les  magasins  de  la  Kattenburg  sur  l'Ye,  servent  au- 
jourd'hui aux  besoins  du  commerce  et  de  la  navigation.  En 
1 820  la  population  d'Amsterdam  n'était  que  de  180,000  âmes  ; 
elle  est  aujourd'hui  de  222,600  habitants,  dont 47, 000  catho- 
liques ,  37 ,000  luthériens,  2,000  anabaptistes,  22,000  juifs 
allemands  et  2,500  juifs  portugais ,  800  remontrants,  etc. 

Parmi  les  causes  de  la  prospérité  du  commerce  d'Ams- 
terdam ,  nous  mentionnerons  le  grand  nombre  de  ses  chan- 
tiers de  construction  et  de  ses  fabriques  de  toiles  à  voiles, 
de  cordages  et  de  tabac,  ses  ateliers  de  polissage  et  de  taille 
de  diamants,  ses  manufactures  de  draps,  de  pluches  et  d'é- 
toffes de  soie,  ses  fabriques  d'orfèvrerie,  de  céruse,  de  pro- 
duits chimiques,  ses  raffineries  de  sucre,  ses  brasseries  et 
ses  distilleries  de  genièvre.  Enfin ,  l'exportation  des  grains  et 
des  produits  coloniaux  constitue  encore  un  des  éléments  les 
plus  importants  de  ses  relations  commerciales. 

Le  b'i  édifice  appelé  Trcppenhmis ,  où  se  Tàssemh\ent 
l'Académie  des  Beaux-Arts  et  l'Académie  des  Sciences ,  la 
société  Félix  meritis,  fondée  par  le  commerce,  la  société 
Doctrina  et  amicitia,  la  société  Tôt  nut  van  t'AUgemeen, 
l'excellent  Musée  de  Lecture ,  différentes  associations  musi- 
cales, les  théâtres  hollandais,  français,  allemand,  le  jardin  bo- 
tanique dépendant  de  VAthenasum  illustre,  un  jardin  zoo- 
logique à  l'instar  de  celui  de  Londres,  et  des  écoles  latines 
justement  célèbres,  témoignent  du  goût  des  habitants  d'Ams- 
terdam pour  les  arts ,  les  lettres  et  les  sciences.  L'hôpital  de 
la  Vieillesse,  différentes  maisons  de  refuge  et  d'oi-phelins , 
des  établissements  pénitentiaires,  une  école  de  navigation , 
de  nombreuses  sociétés  de  bienfaisance  pour  l'entretien  de 
divers  établissements  et  institutions  de  charité,  enfin  la  foule 
d'églises ,  de  temples  et  de  synagogues  qu'on  rencontre  dans 
cette  ville,  prouvent  en  oulre  combien  est  vif  et  profond  dans 
la  population  le  sentiment  de  la  bienfaisance  de  même  que 
l'esprit  religieux.  On  compte  à  Amsterdam  dix-huit  églises 
catholiques,  dix  églises  réformées  hollandaises ,  une  fran- 
çaise, une  anglaise,  une  église  grecque  et  jusqu'à  une  église 
arménienne.  La  plus  belle  église  est  la  A'ieuwe-Kerk  (la  nou- 
velle église  ou  église  Sainte-Catherine)  sur  la  digue.  Elle  ren- 
ferme les  tombeaux  de  Buyter,  de  Van  Galen  et  de  Vondel. 
Son  orgue  et  sa  chaire  sont  généralement  admirés.  Dans 
VOudc-Kerk  (vieille  église  ou  église  Saint- Nicolas),  on  a  élevé 
des  monuments  à  la  mémoire  de  Heemskerk,  de  van  def 
Zaan,  de  Sweerts  et  de  van  der  Huist,  héros  célèbres 
dans  les  annales  maritimes  de  la  nation.  L'église  de  l'Ouesl 
a  une  tour  de  toute  beauté.  En  dépit  de  tant  d'avantages , 
Amsterdam  otïre  le  grave  inconvénient  d'une  température 
extrêmement  humide,  et  de  miasmes  méphitiqiies  exhalés  en 
été  par  l'eau  stagnante  de  ses  canaux.  On  y  souffre  aussi  du 
manque  de  bonne  eau  potable  ;  et  ses  maisons,  généralement 
très-hautes  et  très-étroites,  sont  fort  incommodes. 

La  construction  au  canal  de  le.  Nouvelle-Hollande,  i\o\\i 
les  premiers  travaux  remontent  à  l'année  1820,  a  remédie  à 
deux  graves  inconvénients  que  présentait  le'  port  d'Ams- 
terdam :  la  nécessité  où  l'on  était  précédemment,  en  raison  «te 


AMSTERDAM  —  AMURATH 


509 


Texistonce  i»  TiMitréo  ilu  port  il'iin  banc  de  sable  appelé  Pnm- 
p»5,  d'alléger  dune  partie  de  leur  cargaison  les  navires  à  fort 
tirant  d'eau  pour  leur  en  permettre  l'accès  ;  et  les  dillkullés 
qu'olfre,  par  des  vents  contiaires,  la  navigation  du  Zuyderaée, 
en  raison  du  peu  de  profondeur  de  ses  eaux.  Ce  canal ,  ()ui 
met  Amsterdam  en  communication  directe  avec  la  mer  d'Al- 
lemaune  et  qui  aboutit  au  port  de  Nieuvve-Diep,  a  huit  niMres 
soixante-six  centimètres  de  profondeur  sur  quarante-deux 
mètres  de  largeur  là  où  il  a  les  moindres  proportions,  et  pré- 
sente un  développement  total  d'environ  huit  kilomètres.  Il  est 
partage  par  deux  écluses  assez  grandes  pour  (ionner  pas- 
sage a  des  vaisseaux  de  ligne,  lieux  grands  reinDrcjneurs  à 
vapeur  font  francliir  en  dix-liuit  heures  ce  canal  aux  na- 
vires marchands  avec  leur  chargement  complet.  Consultez 
Nieuwenhuys,  Proeve  eener  geneeskundige  plaats-be- 
schrijving  (ter  sttid  Amslcrdam  (4  vol.,  1S2C),  et  Geys- 
heeik,  Tableau  statistique  et  histor  que  d'Amsterdam. 

.tVAIULETTE  (du  btin  amoliri,  écarter,  détourner;  ou 
de  l'arabe  hamalecth,  attache,  objet  suspendu).  C'est  un 
pa'servatif  imaginaire  quelconque  ,  auquel  la  crédulité  ou 
la  superstition  attribue  la  puissance  d'écarter  les  dangers  , 
les  sortilèges,  ou  les  maladies.  Il  semble  que  la  nature  hu- 
maine se  prête  merveilleusement  en  tout  pays  à  la  confiance 
dans  ces  objets  de  culte  ou  de  vénération ,  et  il  n'est  donné 
qu'à  peu  d'esprits  de  se  dégager  complètement  d'une  pareille 
faiblesse. 

Les  peuples  sauvages  américains ,  les  nègres ,  les  insu- 
laires de  la  mer  du  Sud ,  ont  leurs  amulettes ,  consistant  en 
quelques  pierres  taillées  et  polies ,  en  un  morceau  d'or,  un 
fruit  sec,  une  représentation  grossière  d'homme,  de  divi- 
nité ,  une  figure  obscène ,  ou  dans  certain-s  caractères  ma- 
giques ou  mystiques.  Les  fétiches,  les  grigris  des  nègres, 
les  manitous  des  sauvages  du  nord  de  l'Amérique,  les  pa- 
piers mystérieux  des  Chinois,  la  plupart  des  dieux  de  l'ancien 
paganisme ,  ceux  que  le  lamisme  et  le  bouddhisme ,  dans 
les  Indes ,  le  Thibet ,  la  Tartarie ,  proposent  à  ladoration 
des  peuples,  les  animaux  sacrés  de  l'antique  Egypte,  les 
anneaux  magiques,  et  mille  autres  objets  i|ue  les  curieux 
amassent  dans  leurs  collections,  sont  aussi  de  prétendus 
préservatifs.  Tous  les  peuples  ont  donc  usé  d'amulettes  ; 
c'est  un  phénomène  observé  sur  tout  le  globe.  11  y  en  a  eu 
Bon-seulement  parmi  les  Égyptiens,  mais  parmi  les  Hébreux, 
les  Grecs,  les  Romains,  parmi  tous  les  peuples  de  l'anti- 
quité, parmi  les  chrétiens,  parmi  les  mahométans.  L'as- 
trologie du  moyen  âge  en  multiplia  l'usage.  Si  le  grand  lama 
envoie  des  sachets  de  ses  excréments  aux  potentats  de 
l'Asie,  qui  les  portent  avec  respect  en  amulettes,  ailleurs 
on  en  peut  citer  d'autres  espèces  :  la  poudre  de  crapaud  ,  la 
ràpure  de  crine  humain,  l'ongle  d'tlan,  des  araignées,  etc., 
portés  en  sachets,  ont  guéri,  dit-on,  des  fièvres  ou  d'autres 
maladies. 

Eh  !  pourquoi  non,  si  l'on  a  une  foi  vive?  Le  nîot  abra- 
cadfli^r a,  décomposé,  a  pu  agir  sur  l'imagination,  et  l'on 
a  lu  dans  Montaigne  comment  il  s'y  prit  avec  un  anneau 
prétendu  constellé  pour  guérir  un  paysan  nouvellement 
marié  qui  se  croyait  ensorcelé  :  on  lui  avait  noué  V  aigui  l- 
lette,  selon  la  superstition  de  ce  temps.  Un  Turc  attache 
à  la  doublure  de  son  doliman  des  versets  du  Coran,  et  le 
juif  se  munit  prudemment  en  voyage  de  phylactères  ou 
maximes  de  r.\ncien  Testament  pour  échapper  aux  voleurs. 
De  peur  que  les  chiens  ne  soient  atteints  de  la  rage,  on 
les  marque  au  front  d'un  fer  rouge  représentant  le  cornet 
de  saint  Hubert.  Un  derviche ,  un  marabout ,  drlivre , 
moyennant  finance,  à  un  Aral)e,  à  un  Turc,  telle  sentence 
du  Coran  propre  à  faire  réussir  ses  projets  :  si  ceux-ci  man- 
quent, c'est  la  faute  de  l'homme  qui  aura  oubhé  queicjue 
pratique  ou  simagrée  ;  la  relique  est  toujours  infaillible. 
Une  petite  image  de  saint  iNicolas  garantit  le  soldat  russe 
de  la  mort. 

Les  médecins ,  qui ,  plus  que  tous  les  autres  hommes , 


ont  besoin  de  soutenir  l'imagination  des  malades  contre  un 
grand  nombre  d'affections  ,  usaient  jadis  de  certaines  pres- 
criptions, préservatifs,  ou  talismans  :  les  religions  ne  dé- 
daignent pas  ces  pratiques ,  car  la  foi  est  capable  de  trans- 
porter des  montagnes.  Si  vous  détrompez  tel  esprit  faible 
des  vertus  d'un  sachet  de  son  apothicaire,  la  fièvre  va  la 
reprendre,  et  vous  pouvez  n'avoir  aucun  autre  procédé 
pour  retremper  son  àme  abattue  par  la  crainte  ou  le  déses- 
poir. Pensez-vous  communiquer  autrement  de  la  vigueur 
à  telle  constitution  d('bile,  éimisée  de  souffrances  et  de  cha- 
grins? Si  tel  talisman,  par  lui-même  insignifiant,  possède 
aux  yeux  d'un  hypochondriaque  ou  d'une  femme  délicate , 
des  propriétés  victorieuses  que  nul  autre  médicament  ne 
saurait  égaler,  vous  vous  privez  d'un  agent  tout-puissant , 
vous  coupez  la  racine  de  l'espérance  et  de  la  guérisou. 

Il  y  a ,  il  y  aura  toujours  des  esprits  faibles  :  pour  eux 
les  amulettes  seront  nécessaires,  ou  plus  efficaces,  du  moins, 
que  tout  autre  remède.  C'est  le  charme  de  l'impuissance  et 
le  secret  des  esprits  supérieurs  ;  ils  opèrent  avec  prestige , 
non  moins  que  les  charlatans.  ÎNIahomet  fit  ainsi  des  mira- 
cles. Le  magnétisme  a  ses  amulettes  :  possunt  quia  passe 
videntur.  Combien  de  maladies  morales  ou  mentales  ne 
sauraient  être  guéries  que  par  des  moyens  superstitieux  ! 
C'est  enlever  à  la  médecine  son  plus  puissant  levier  que  de 
détromper  le  malade  de  la  vertu  de  plusieurs  remèdes. 

On  demande  s'il  est  utile  que  les  hommes  soient  trompés 
pour  leur  avantage.  Sans  doute ,  si  cet  avantage  ne  peut 
être  obtenu  par  une  autre  voie.  La  multitude,  toujours  igno- 
rante, sera  toujours  la  proie  des  superstitions.  Les  charla- 
tans, soit  politiques,  soit  religieux  ou  autres,  peuvent  en 
profiter,  nous  le  savons  ;  voilà  l'unique  danger  de  ces  pra- 
tiques ,  et  ce  qui  les  fait  répudier  comme  trop  susceptibles 
d'abus.  Cependant  papiers ,  monnaies  ,  signes  représentatifs 
de  puissance,  de  croyances  ,  de  supériorités  morales,  etc., 
tout  est  amulette  parmi  nous.  On  a  besoin  de  foi  en  quel- 
que chose  pour  vivre  heureux  :  le  désenchantement  de  tout 
serait  la  mort.  J.-J.  Vikey. 

AMUILVTII,  ou  plutôt  Motirad ,  mot  arabe  qui  si- 
gnilic  dcsiré.  L'empire  Othoman  a  eu  quatre  sultans  de 
ce  nom. 

AMiJRATH  1",  fils  du  sultan  Orkhan ,  parvint  à  l'empire 
en  "Cl  de  l'hégire  (  1360  de  J.-C.  ),  à  l'âge  de  quarante  et  un 
ans.  il  organisa  la  fameuse  milice  des  janissaires,  insti- 
tuée par  Orkhan,  et  se  rendit  la  terreur  des  princes  grecs  et 
ctuétiens.  Les  Othomans ,  maîtres  d'une  grande  partie  de 
l'Asie  Mineure,  convoitaient  le  continent  d'Europe,  .\nmrath 
se  rendit  maître  d'Andrinople,  où  il  transféra  le  siège  de 
son  empire.  Les  peuples  voisins  de  l'Albanie  et  de  la  Macé- 
doine, alarmés  de  ses  progrès,  formèrent  contre  lui  une 
ligue  offensive  ;  mais  elle  fut  anéantie  dans  une  seule  vic- 
toire qu'il  remporta  en  13S9,  à  Keoss-Ova  ou  Cassovie, 
contre  les  Boulgares,  les  Serviens  et  les  Hongrois.  11  con- 
templait ses  sanglants  trophées  au  milieu  du  champ  de  ba- 
taille ,  lorsqu'un  prisonnier  chrétien ,  ranimant  ses  forces , 
s'élança  sur  lui  et  l'étendit  roide  mort.  11  eut  pour  succes- 
seur Davezid  ou  Bajazet. 

AMURATH  H,  fils  et  successeur,  en  824  (1412  de  J.-C), 
de  Mahomet  1"",  se  vit  disputer  l'empire  par  un  imposteur 
qui,  se  faisant  passer  pour  Mustapha,  fils  de  Bajazet,  était 
parvenu  à  s'emparer  de  presque  toute  la  Turquie  d'Eu- 
rope. Mais  le  manque  de  foi  de  cet  aventurier  envers  les 
Grecs,  ses  alliés ,  le  précipita  du  faite  de  ses  prospérités ,  et 
Amurath  le  lit  pendre.  Celui-ci  attaqua  vainement  Constan- 
tinoplc.  11  lut  plus  heureux  dans  ses  guerres  contre  les  Vé- 
nitiens, auxquels  il  prit  Thessalonique  en'l429,  et  contre 
les  Serviens,  qu'il  subjugua,  malgré  les  exploits  du  fiimeux 
Huniade,  Vciivode  de  Transylvanie,  leur  général,  qui  dé- 
fendit avec  gloire  et  succès  la  ville  de  Belgrade.  La  viola- 
tion par  les  chrétiens  d'une  trêve  de  dix  ans,  qu'il  avait 
conclue  avec  Ladislaf ,  roi  de  Hongrie,  fut  le  prélude  d'une 


510  AMrRATII  —  AMUSEMENTS  DE  L'ESPRIT 

guerre  lorriblc  et  d'une  grandi;  l)ntaillo  livue  à  Varna  le 
10  novend)rc  1444,  dans  laquctllc  Ladislaf  iHîrit  sous  les 
coups  des  janissaires ,  en  combattant  corps  a  corps  Aniu- 
ratl) ,  qu'il  avait  rencontré  dans  la  nu-lée.  Par  un  bizarre 
caprice,  il  descend  tout  à  coup  du  tnJiie  en  1445,  et  remet 
les  rênes  de  l'empire  aux  mains  inexpérimentées  de  son  lils 
M  ail  omet  II ,  à  peine  ûgé  de  quinze  ans.  Le  désordre  et 
la  confusion  que  ce  jeune  prince  ne  sait  pas  réprimer  (  lui 
(jui  devait  plus  tard  faire  trembler  la  cbrétienté)  forcent 
Amurath  à  ressaisir  le  pouvoir  souverain  après  moins  de 
quatre  mois  d'abdication.  Une  révolte  des  janissaires ,  qui 
venaient  de  dévaster  Andrinople ,  fut  comprimée  par  sa  pré- 
sence. H  fut  moins  heureux  dans  son  expédition  contre  le  fa- 
meux Scander-Beg,  prince  d'iipire  et  d'Albanie,  qui  avait 
secoué  le  joug  de  la  Porte.  Quelques  succès  partiels,  que  lui 
vendit  chèrement  Iluniade,  ne  le  dédommagèrent  point  de 
cette  guerre  malheureuse.  Il  mourut  en  1451,  à  Andrinople. 

AMUP.ATH  III,  fils  aîné  de  Sélim  II,  annonça  son  avè- 
nement, en  1573,  par  le  massacre  de  ses  cinq  frères ,  dont 
le  plus  âgé  avait  à  peine  huit  ans.  Ce  prince  était  très-belli- 
queux ,  quoiqu'il  ne  fit  jamais  la  gui-iTe  en  personne  ;  ses 
armées  reconquirent  Tauris  avec  trois  provinces  sur  les 
Persans,  subjuguèrent  les  Maronites  du  mont  Liban,  et  le 
rendirent  maître  de  l'importante  place  de  Raab,  en  Hon- 
grie. Amurath  III  mourut  le  17  janvier  1595,  détesté  de 
ses  sujets ,  et  universellement  méprisé  pour  sa  cruauté  et  ses 
débauches.  C'est  à  lui  que  les  Othomans  doivent  de  pos- 
séder à  Constantinople  le  Sandja-ChériJ,  étendard  du  Pro- 
phète, qui  appartenait  aux  sultans  mamelouks  d'Égjpte. 

AMUR.\TH  IV,  né  en  1609,  devint  empereur  des  Turcs 
en  1G23.  X  peine  âgé  de  quinze  ans,  et  au  milieu  des  conjonc- 
tures les  plus  difficiles ,  il  trouva  dans  l'énergie  de  soit  ca- 
ractère une  ressource  non  moins  puissante  que  celle  des 
armes  pour  se  faire  redouter  de  ses  ennemis  et  de  ses  su- 
jets rebelles.  La  conquête  de  la  Babylonie ,  qu'il  consomma 
en  1G38  sur  les  Persans,  lui  eût  acquis  une  gloire  durable 
si,  après  le  troisième  siège  de  Bagdad,  il  n'eût  souillé  sa 
victoire  par  le  massacre  de  30,000  Persans  qui  avaient  mis 
bas  les  armes,  et  par  celui  de  la  population  entière,  sans 
distinction  de  sexe  ni  d'âge.  Ce  fut  le  premier  sultan  (jui 
osa  porter  le  mépris  pour  les  préjugés  de  son  peuple  jus- 
qu'à autoriser  par  un  édit  l'usage  du  vin.  C'était  une  ma- 
nière de  justilier  les  honteux  excès  qu'il  faisait  de  celte 
boisson  avec  .ses  favoris.  Cependant,  malgré  ses  vices, 
malgré  sa  cruauté,  et  quoique  sa  mort,  arrivée  le  8  fé- 
vrier lfi40,  à  trente  et  un  ans,  fût  causée  par  un  de  ses 
excès  d'ivresse,  il  fut  regretté  de  ses  sujets,  à  cause  de  la 
terreur  salutaire  que  son  seul  nom  inspirait  aux  concus- 
sionnaires et  aux  prévaricateurs. 

AMUSEMENTS  DE  L'ESPRIT.  Kous  comprenons 
BOUS  ce  titre  tout  ce  que  les  Romains  entendaient  par  leur 
Nugx  dijficiles,  riens  difficiles,  bagatelles  difficiles  ;  mais 
nous  attachons  à  cette  partie  de  la  littérature  plus  d'impor- 
tance et  de  gravité  que  n'en  comporte  la  définition  latine. 
Nous  avouons  même  que  nous  sommes  vivement  blessé 
de  l'espèce  de  dédain  que  l'on  affiche  pour  ces  exercices  in- 
téressants de  l'intelligence  humaine;  blessé  au  cœur,  parce 
que  nous  avons  passé  toute  notre  jeunesse  à  les  méditer, 
«■t  (pi'il  est  cruel  de  voir  frapper  de  nifnlité  les  objets  de  nos 
('tildes  les  plus  consciencieuses;  blessé ,  parce  que  nous 
tii)u\onsdaus  re.\))loilation  de  la  littérature  contemporaine 
une  foule  de  branches  auxquelles  la  définition  s'adapterait 
bien  plus  mrrveilleusenienl  qu'à  î\o<iacrosticfic.<; ,  à  nos  lo- 
Oogrip/ics,  à  nos  énigmes  bien  aimées ,  et  cpi'il  est  dur  de 
voir  le  mépris  tomber  sur  des  têtes  chéries  lorsqu'il  y  a 
pour  lui  large  place  ailleurs. 

Hélas!  nous  n'ignorons  pas  que  ces  j.-'ux  de  l'esprit  sont 
tombés  dans  l'outrage  et  l'oubli;  le  Mercure  a  disparu  de- 
puis longtemps,  et  avec  lui  son  charmant  cortège  d'énig- 
mes, de  charades  et  de  logogriphes.  Leur  hère  le  JlcOus   \ 


soûl  est  resté  parmi  nous,  grâce  à  l  ''Illustration  et  .î  bien 
d'autres  joutniiiix  illtisires  et  illustrés,  pour  le  menu 
plaisir  des  gens  qui  n'ont  rien  à  faire  et  des  provinciaux. 
L'acrostiche  ne  se  réveille  que  sous  la  plume  de  l'écolier 
qui  fêti!  les  verdis  de  son  père,  de  son  aïeul  ou  de  son  pé- 
dagogue; le  calembour  tomba,  après  la  retraite  d'Odry, 
dans  l'héritage  exclusif  d'un  écrivain,  porteur  d'un  nom  il- 
lustre, aussi  aveugle  qu'Honièreet  plus  voyageur  que  Byron  ; 
mais  ce  peu  clairvoyant  lutta  en  vain  contre  l'indillérence  du 
siècle,  siècle  impie,  qui  a  laissé  mourir  une  seconde  fois 
M.  de  Bièvre,  qui  rirait  au  nez  du  Sphinx,  et  qui  n'aurait 
jias  un  Qildipe,  si  le  Sphinx  revenait  avec  une  énigme  et  la 
peste!  A  peine  nous  reste-t-il  en  France  quelques  héritiers 
de  ces  merveilles  qui  se  perdent,  hommes  rares,  obscurs 
et  modestes,  que  vous  coudoyez  dans  la  rue  sans  les  voir, 
et  que  vous  ne  saluez  pas.  Jeune  homme!  c'est  par  celte 
indifférence  coupable  que  s'explique  la  décadence  littéraire 
vers  laquelle  nous  marchons  à  grands  pas  ;  c'est  elle  qui 
me  donne  le  secret  des  horreurs  dont  le  drame  et  le  roman 
nous  inondent.  Le  règne  du  simple  et  du  vrai  s'est  évanoui 
avec  celui  de  l'acrostiche  et  du  rébus.  Tout  se  lie,  tout  se 
tient  ;  dès  que  le  rire  se  fit  prier,  les  larmes  devinrent  diffi- 
ciles ;  dès  (jue  ces  rieyis  charmants  cessèrent  d'amuser  le 
public,  le  public  ne  pleura  plus  à  Racine.  Nous  livrons  à 
l'examen  de  nos  lecteurs  cette  proposition ,  qui  semble 
paradoxale ,  que  le  temps  et  l'espace  ne  nous  permettent 
pas  de  développer. 

Nous  raconterons  dans  des  articles  séparés  les  caprices 
gracieux  de  cette  littérature  innocente  et  candide,  et  il  ne 
nous  serait  pas  difficile  de  démontrer  la  haute  supériorité  de 
ces  futilités  apparentes  sur  les  chefs-d'œuvre  de  notre  grave 
et  sérieuse  époque.  Las  de  meurtres ,  d'incestes  et  d'adul- 
tères, en  vous  rappelant  ces  jeux  innocents  de  l'intelligence, 
nous  voiUoiisque  vous  pleuriez  avec  nous  les  jours  où  l'es- 
prit humain,  se  plaisant  à  d'aimables  tours  de  force,  se  pliait 
à  toutes  les  folies  de  l'art,  souple  comme  Mazurier,  habile 
comme  madame  Saqui  sur  le  lil  d'archal  ou  la  corde  roide. 

Pourquoi  faut-il  que  l'ordre  alphabétique  nous  force  à 
vous  renvoyer  aux  mots  Acrostiche  ,  Ajnagp.amme  ,  AMPnr- 
couRi,  genre  Bcrlesque,  Charake,  Calembour,  Quolibet, 
Con  A  l'ane,  Énigme,  Symbole,  Devise,  Emblème,  Rébus, 
Vers  MACARONiQUES,  numéraux,  entrelardés, Tautogram- 
MES,  Écno,  Rime  batelée,  brisée,  consonnée,  empékière, 
Équivoque,  Bouts  Rimes,  Sonnets,  Triolets,  etc. ,  etc., 
nous  aurions  fait  passer  sous  vos  yeux  à  la  suite  les  uns  des 
autres  tous  ces  aimables  amusements ,  et  il  vous  en  serait 
resté  des  impressions  douces,  joyeuses,  riantes,  sans  amer- 
tume aucune  pour  le  cœur  qui  les  a  reçues.  En  les  compa- 
rant à  celles  que  vous  puisez  chaque  jour  dans  la  lilté- 
rature  actuelle,  vous  verriez  si  elles  ne  sont  pas  cent  fois 
I)féférables  aux  sensations  âpres,  rudes  et  violentes  des 
conceptions  de  notre  temps.  Voulez-vous  en  juger  sur  un 
échantillon,  lisez  seulement  ces  petites  pièces  où  la  poésie, 
non  contente  de  parler  à  l'esprit  et  au  co'ur,  a  voulu  peindre 
aux  yeux  ;  voyez-la  se  façonner  en  losanges,  se  couler  en 
verre  et  en  bouteille,  se  mouler  en  croix. 

Panard  a  fait  une  chanson  en  losange  qui  a  bien  douze 
couplets;  voici  le  premier  : 

Tes 

Attraits 

Pour  jamais. 

Belle     Elvire , 

M'out    su    réduire 

Sons  ton  doux  empire  : 

Conlcnt   quand   je  le  vol. 

Mon   ardeur    pour    toi 

Est    cxliôine. 

De  ini'iue 

Aimc- 

Mui. 

L.i  poésie  française  s'est  essayée  dans  ce  genre  avec  beau* 


AIMUSEMENTS  DE  L'ESPRIT  —  AMUSEMENTS  DES  SCIENCES 


511 


cvtuj»  (U'  succès.  Le  m^^mc  Panard  a  fait  deux  couplets  fort 
délicats ,  l'un  sur  la  bouteille ,  l'autre  sur  le  verre.  îNous 


les  livrons  ici 
nos  lecteurs  : 


l'un  en  regard  de  l'autre ,  à  la  curfosité  de 


Nous  ne  pouvons  rien  trouver  sur  la  terre 

Qui  soit  si  bon   ai  si  beau  que  le  Terre  : 

Du  tendre  amour  berceau  rharinant , 

C'est  toi ,  champêtre  fougère  , 

C'est  toi  qui  sers  à  faire 

L'Iieureux  instrument 

Où  souvent  pétille , 

Mousse  et  brille 

Le  jus  qui  rend 

Gai  ,  riant , 

Content. 

Quelle    douceur 

Il  porte  au  cœur! 

Tôt, 

Tôt, 

Tôt, 

Qu'on  m'en  donne , 

Qu'on  l'entonne  ! 

Tôt, 

Tôt, 

Tôt, 

Qu'on  m'en  donne! 

Vite  et  comme  il  faut 

L'on  y  voit   sur  ses    flots  chéris 

Najjer   l'allégresse   et   les   ris. 


Que  mon 

Flacon 

Me  semble  bon! 

Sans    lui 

L'ennui 

Me  nuit. 

Me   suit. 

Je      sens 

Mes  sens 

Mourants, 

Pesants. 

Quand    je    la     tien  , 

Dieux  !    que  je  suis  bien  ! 

Que   son    aspect    est    agréable 

Que  je  fais  cas  de  ses  divins  présents! 

C'est  de  son  sein  fécond,  c'est  de  ses  heureux  flancs 

Que     coule     ce     nectar     si     doux,    si     délectable, 

Qui    rend   tons   les    esprits,  tous    les   cœurs   satisfaits. 

Cher    objet    de    mes    vœux ,    tu    fais   toute  ma    gloire. 

Tint  que  mon  cœur  vivra,  de  tes  charmants  bienfaits 

Il       saura       conserver       la        fidèle        mémoire. 

Ma    muse    à    te    louer    se     consacre   à    jamais. 

Tantôt  dans  un  caveau,  tantôt  sous  une  treille. 

Ma  lyre,  de  ma  voix  accompagnant  le  son. 

Répétera  cent  fois  cette  aimable  chanson  : 

Règne  sans  fin,  ma  charmante  bouteille; 

Règne  sans  cesse ,  mon  cher  flacon. 


Connaissez-vous  beaucoup  de  produits  de  la  musc  con- 
temporaine aussi  agréables  que  ceux-là? 

Voyez  encore,  dans  une  autre  langue,  jusqu'où  la  poésie 
pousse  la  complaisance.  Que  de  clarté,  de  prt'cision,  d'i- 
mages animées  et  poétiques ,  dans  la  pièce  suivante,  en 
dépit  des  embanas  de  la  dilficulté  vaincue  : 

Trépida 

Fnigilis 

Reaque 

tlouiinis 

Anima, 

Necss  in  a-vida  barathra  ,   scderis  onere  ruerat. 

Pia   remédia  reperiet   amor  :  obit  homo  Deus  ! 

Macula  luitur  :  bomiois  anima  cruce  redimitur. 

Solita 

Spolia 

Repelit 

Rutilus 

Ciiluber  : 

Rjbidus 

Inhiat, 

Gemitat, 

Ululât; 

Locaqae 

Picea , 

Olida 

Spalia 

Peragrat 

Vacuus. 

At  liomo 

Supera 

Poterit 

L)t  amet 

l'eterc 

Solyma , 

Sedct  ubi  Dcas , 

Dominus    ubi    lacilior 

Buna  rclribuit  inopibus  ;  ubi 

Tcnuia  leviaque,  crucis  ope,  cumulât 

Mérita  :  neque  gravia  strepere  tonitriia  ])alitur. 

Dans  l'espoir  de  jeter  du  ridicule  sur  ces  futilités  brillanles 
qu'on  appelle  des  amuseîtients  de  l'esprit,  on  a  laronté  sou- 
vent la  manière  dont  Alexandre  récompensa  ce  co;  lier  qui 
avait  appris,  après  bien  des  soins  et  des  peines,  à  louriier  un 


cliar  sur  la  tranche  d'un  écu.  Que  fit-il?  Il  le  lui  donna... 
C'est  qu'en  vérité  Alexandre  le  Grand  ne  pouvait  pas  trouver 
de  cadeau  plus  riche  à  lui  faire.  Jules  Sandeau. 

AMUSEMENTS  DES  SCIENCES.  Tout  en  traitant 
de  hautes  questions  spéculatives  ou  d'utilité  pratique,  le 
savant  rencontre  quelquefois  des  combinaisons  singulières , 
dont  le  mécanisme ,  ordinairement  fort  simple ,  produit  des 
résultats  qui  aux  yeux  du  vulgaire  prennent  l'aspect  du 
merveilleux.  Dans  les  sciences  physiques ,  surtout ,  il  est 
une  foule  de  cas  où  les  propriétés  particulières  des  corps 
présentent  de  curieuses  applications.  Dans  l'antiquité,  les 
prêtres  païens ,  ayant  arraché  quelques  secrets  à  la  nature , 
s'en  firent  une  arme  pour  maîtriser  la  multitude  ignorante  ; 
plus  tard,  les  augures  s'appuyaient  sur  de  prétendus  pro- 
diges qu'ils  exécutaient  adroitement,  à  l'aide  de  quelques 
connaissances  en  physique.  De  nos  jours,  on  voit  encore 
sur  les  places  publiques  quelques  physiciens  saltimbanques, 
des  tireurs  de  cartes  exécutant  des  tours  dont  les  bases  re- 
posent sur  certains  calculs  qui  ne  les  trompent  jamais  ;  nous 
ne  parlons  pas  de  la  prestidigitation.  Tout  cela  n'est 
plus  qu'un  amusement  pour  les  badauds  qui  encombrent  les 
quais  ;  mais  autrefois  la  population  regardait  les  charlatans 
comme  des  sorciers,  et  plus  d'un  a  été  brûlé  pour  avoir 
employé  les  quelques  dispositions  mathématiques  de  son 
esprit  à  des  jeux  inutiles,  dont  l'étrangeté  le  faisait  supposer 
en  relation  avec  le  diable. 

Donnons  un  exemple  d'un  amusement  arithmétique  :  pen- 
sez un  nombre,  triplez-le ,  ajoutez-y  12  ,  prenez  le  tiers 
du  total,  retranchez  le  nombre  pensé,  il  reste  4.  La  clef 
est  facile  à  saisir;  en  général ,  toutes  les  fornudes  d'algèbre 
peuvent  fournir  des  applications  analogues. 

En  voici  encore  un  autre.  La  grande  aiguille  d'une  montre 
est  sur  midi  ;  celle  des  heures  sur  trois  heures  ,  quelle  heure 
sera-t-il  quand  la  pi'emière  de  ces  aiguilles  passera  sur  l'autre? 
On  sait  que  l'aiguille  des  miimtes  va  douze  fois  plus  vite  que 
celle  des  heines  :  divisez  donc  l'avance  15  qu'a  la  petite 
aigin'lle  par  11  ,  quantité  que  l'autre  gagne  sur  elle  par  mi« 
nute,  et  multipliez  le  quotient  1  -^,  par  12,  le  produit  10  -^ 
^  ous  apprendra  que  la  grande  aiguille  passera  sur  l'autre  h 
l()  minutes  v;  de  minute  après-midi. 

Aux  anmsemeuts  scicnlilique:  d'un  ojdic  un  peu  plus  clc- 


612 


AMUSEMKNTS  DES  SCIENCES  _  AMYCLÉE 


Té,  se  rapportent,  en  matliéniatiqiies,  lecarré  niagi(iue, 
les  nombres  amiables,  etc.  ;  en  perspective,  l'anamor- 
pliose;  en  mécanique,  les  automates;  en  pliysique  ,  la 
fontaine  de  Héron,  à  jamais  illustrée  par  les  Confessions 
de  Jean-Jacques;  en  cliimie,  l'encre  sympathique;  et 
cent  autres  ([ui ,  offrant  un  véritable  intérêt ,  comme  ceux 
(jne  nous  venons  de  citer,  trouveront  leurs  places  respec- 
tives dans  des  articles  spéciaux. 

AMUSETTE,  pièce  de  canon  qui  lançait  des  boulets 
d'une  livre,  et  dont  on  se  servait  dans  les  guerres  de  mon- 
tagnes. On  peut  la  transporter  et  la  faire  manœuvrer  très- 
facilement  et  avec  beaucoup  de  prestesse.  Le  maréciial  de 
Saxe  s'en  servait  souvent  ;  le  comte  Lippe-lîuckeburg  y  fit 
faire  quelques  améliorations  importantes  et  les  introduisit 
dans  l'armée  portugaise  :  chaque  peloton  avait  une  aumsette 
qui  é'tait  servie  par  cinq  hommes.  Le  duc  de  Saxe-Weimar 
nmnit  également  ses  cliasseurs  d'amusettes  en  1798.  Au- 
jourd'hui ,  on  ne  s'en  sert  plus  chez  aucune  nation. 

AMUSSAT  (Jea.n-Zlléma),  un  des  chirurgiens  les 
plus  habiles  de  la  génération  qui  a  succédé  au  célèbre  Du- 
puytren,  naquit  à  Saint-Maixenl  (Deux-Sèvres),  le  21  no- 
vembre 179G.  Venu  à  Taris  après  d'iniparlailes  études, 
vers  les  dernières  années  dereiniiire,  il  était  chirurgien 
sous-aide  dans  l'armée  dès  iSli.  Il  étudia  ensuite  son  art 
sous  le  (ameux  Boyer;  en  1S16  il  était  externe  à  l'hôpital 
de  la  Charité.  Mal  servi  par  les  concours,  la  vive  amitié  de 
^L  Lsquirol  l'institua  interne  au  grand  hospice  de  la  Sal- 
pètrière  ,  où  il  passa  studieusement  plusieurs  années.  Il  fut 
ensuite  aide  d'anatomie  ou  sous-prosecteur  à  la  Faculté.  Dès 
cette  première  époque  ,  il  man'festa  sa  grande  aptitude  pour 
la  chirurgie  par  des  dissections  délicates  et  par  diverses 
inventions  d'instruments.  C'est  ainsi  qu'en  t817  il  inventa 
le  rachitome,  instrument  commode  et  ingénieux,  ayant 
pour  objet  de  mettre  à  nu  la  moelle  épinière  dans  son  canal  ; 
et  l'on  doit  dire  que  cette  invention  lavorisa  les  expériences 
de  pliysiologie  et  les  recherches  médicales  dont  cette  moelle 
nerveuse  devint  ensuite  l'objet,  .\mussat  prit  également 
uise  part  glorieuse,  sinon  initiale,  à  la  mémorable  décou- 
verte de  la  lilhotiitie.  M.  Ler.oyd'EtioUes,  .iel8i7  a  1822, 
proposa  en  effet,  plusieurs  instruments  pour  broyer  les  cal- 
ciiLs  de  la  vessie  dans  l'organe  méuie.  Cepemlant  ime  difli- 
cuUé  arrêtait  M.  Le  Roy  -.  ses  instruments,  pins  gros  que 
les  sondes  ordinaires,  étaient  courbes  comme  elles,  et  cette 
circon.stanceen  rendait  riiitroduction  fort  difficile,  pour  ne 
pas  dire  impraticable.  C'est  ici  que  le  génie  inventif  de 
M  Amussat  vint  en  aide  au  premier  inventeur.  M.  Amussat 
prouva  en  effet,  au  mois  d'avril  1822,  qu'il  était  possiblede 
pénélrer  avec  des  sondes  toutes  droites.  Il  est  vrai  que  ce 
fait  avait  été  connu  et  publié  autrefois  par  d'autres  auteurs 
(outre  autres  par  Santarelli),  mais  on  l'avait  oublié,  et 
M.  Amussat  l'ignorait.  A  partir  de  1822  M.  Le  Roy  d'É- 
liolies  et  M.Civiale  purent  introduire  des  instruments  droits 
dons  la  ve.^sie  et  y  broyer  des  calculs.  Ajoutons,  au  reste, 
afin  d'être  entièrement  véridique ,  que  l'idée  mère  de 
l'invention  a  pour  premier  auteur  M.  Le  Roy  d'Étiolles  ; 
M.  Amussat  lut  celui  dont  les  recherches  la  rendirent  pos- 
sible, et  M.  Civiale  celui  qui,  le  premier  et  le  plus  heureux, 
la  prati(pia  avec  succès  sur  l'homme  vivant.  Voilà  quel  est 
entre  ces  trois  hommes  le  juste  partage  d'une  découverte 
impérissable. 

M.  Amussat  réalisa  plusieurs  autres  inventions.  Ce  fut  lui 
qui  lit  connaître  la  possibilité  d'arrêter  les  hémorragies  en 
tordant  les  artères  et  les  veines ,  et  un  de  ceux  qui  firent  le 
mieux  coimaitre  h  (piels  signes  on  peut  juger  que  de  l'air 
s'est  dangereusement  introduit  dans  les  veines  durant  les 
opérations.  H  serait  trop  long  d'énumérer  tous  ses  travaux, 
parmi  les(iuels  il  en  est  plusieurs  d'anatomicpies.  Jedirai  donc, 
pour  .'bréger,  que  cet  habile  opé'ateur  dans  l'espace  de  vingt 
années  a  poblié  trente  et  un  mémoires  originaux,  inventé 
environ  trente  instruments  nouveaux  ,  entrepris  plusieurs 


cours  publics ,  un,  entre  autres,  à  l'Athénée;  qu'il  a  de  plus 
reçu  de  l'Académie  des  Sciences  quatre  prix  différents, 
s'élevant  ensemble  à  15,000  francs.  M.  Amussat  ne  fut 
reçu  docteur  en  chirurgie  qu'en  1S2G  ,  et  il  était  membre  de 
l'Académie  de  Médecine  dès  1825,  époque  où  les  élections 
n'étaient  plus  faites  que  par  scrutin  individuel,  et  non  dèg 
lors  par  fournées,  ce  qui  rendait  cette  distinction  d'une 
obtention  plus  difficile  et  plus  honorable.  Il  fut  le  seul 
membre  de  ce  corps  savant  dont  l'admission  précédât  le 
doctorat  ;  dérogation  aux  règlements  que  justifiait  le  grand 
mérite  du  candidat. 

M.  Amussat  a  été  le  seul  de  nos  chirurgiens  en  renom 
qui  n'ait  pas  eu  d'emploi  dans  les  hôpitaux  de  la  ville.  Il 
s'en  dédommagea  en  instituant  chez  lui  une  sorte  de  cli- 
nique  qu'on  pouvait  appeler  domestique.  Dans  sa  maison 
même,  à  jour  fi\e  et  sur  convocations  expresses,  des  étu- 
diants et  des  médecins,  la  plupart  étrangers,  se  réunissaient 
pour  assister  à  des  opérations  sur  des  malades,  à  des  essais 
sur  des  animaux  vivants.  Cette  clini(pie  était  essentiellement 
expérimentale.  Personne  n'opérait  avec  plus  d'habileté  que 
Amussat,  personne  n'avait  plus  de  prudence,  quant  aux 
suites,  plus  de  ressources  s'il  survenait  des  accidents,  l'ar  mal- 
heur, trop  attentif  aux  suggestions  d'une  physiologie  insuffi- 
sante dans  ses  vues,  Amussat  croyait,  comme  le  docteur  Alex. 
Thierry,  qu'on  pouvait  rendre  la  chirurgie  entièrement  ex- 
pf'Timentalc,  en  essayant  sur  des  animaux  toute  opération 
qu'on  projette  de  réaliser  sur  l'homme.  Sans  contredit,  s'il 
ne  s'agissait  que  de  voir  couler  le  sang  et  d'en  fermer  les  is- 
sues en  liant  ou  tordant  les  vaisseaux  d'où  ce  sang  s'échap- 
pe; s'il  n'importait  que  de  voir  palpiter  les  chairs,  que  de 
faire  naître  des  douleurs  et  d'en  voir  ou  d'en  entendre  les 
témoignages ,  que  d'interpréter  des  cris  ou  d'assister  à  des 
coux^iilsions ,  l'analogie  serait  grande  à  tous  ces  égards  entre 
l'homme  et  les  animaux ,  et  l'on  pourrait  augurer,  d'après 
ces  derniers,  quels  résultats  l'honmie  lui-même  doit  espérer 
ou  craindre  dans  des  cas  analogues.  Mais,  sans  même  parler 
des  différences,  pourtant  très-importantes,  de  conformation 
et  de  stiiicture,  il  est  pour  l'espèce  humaine  une  classe  de 
causes  et  de  souffrances  dont  les  autres  êtres  n'offrent  au- 
cune trace.  Indépendamment  des  douleurs  physiques,  que 
l'homme  partage  avec  les  animaux,  l'homme  seul  craint  les 
suites  et  la  ri-pétition  de  ces  douleurs;  il  s'exagère  le  danger 
actuel  et  redoute  le  lendemain; il  craint  la  mort  et  les  suites 
même  de  la  mort,  et  il  reçoit  le  contre-coup  des  inquiétudes 
qu'il  inspire  à  des  amis  ou  à  des  proches;  d'innombrables 
sollicitudes  de  sentiment,  de  conscience  ou  de  fortune  vien- 
nent compliquer  tout  ce  que  la  douleur  matérielle  a  de 
poignant.  Osez  donc,  après  cela,  comparer  la  même  opération 
dans  les  deux  classes  d'êtres,  et  vous  croire  autorisé  à  l'ef- 
fectuer chez  Thomme  parce  qu'elle  aura  réussi  sur  un  cheval 
ou  sur  un  cochon  d'Inde! 

Amussat  est  mort  à  Passy  le  14  mai  1856.  C'était  un  chi- 
rurgien du  premier  ordre,  profondément  dévoué  à  son  art, 
un  accoucheur  très-habile,  un  opérateur  justement  célèbre. 
Sa  prédilection  pour  la  nouveauté  et  son  zèle  ardent  pour  le 
progrès  lui  ont  parfois  attiré  bien  des  tribulations.  Et,  par 
exemple,  combien  de  tourments,  combien  de  reproches  pas- 
sionnes ne  lui  ont  pas  suscités  ses  opérations  sur  des  louches 
et  surtout  ses  essais  sur  des  bègues  :  il  eut  alors  le  malheur, 
pour  les  derniers,  de  perdre  un  opéré  sur  quatre-vingt-seize, 
et  la  malveillance  des  rivaux  repandit  le  bruit  mensonger 
de  catastrophes  effrayantes.  D""  Isid.  Bourdon. 

AMYCLÉE,  ville  de  Laconîe,  sur  les  bords  de  l'Euro- 
tas,  à  vingt  stades  de  Sparte,  où  résidait  Tyndare  et  où  Leda, 
son  épouse,  mit  au  monde  les  jumeaux  Castor  et  Clytem- 
nestre,  Pollux  et  Héléna,  enfants  qu'elle  eut  de  Jupiter.  A 
une  époque  iiwins  reculée,  Amyclée  élait  si  soutent  at- 
taquée par  les  Spartiates,  qu'attenilu  la  terreur  qu'ils  inspi- 
raient, un  décret  défendit,  sous  les  peines  les  plus  .sévères, 
de  prononcer  leur  nom.  Il  en  résulta  qu'un  jour  les  Spar- 


AMYCLÉE  -  AMYOT 


liâtes  sVtnnt  rtVllemcnt  pri^sonti%  sous  ses  murs ,  nul  n'osa 
e«  pirveuir  son  voisin,  et  nue  la  ville  fut  rava^jee  de  Ibiul 
en  comble.  De  \^  le  proverbe  ancien  :  C'est  faute  de  parler 
çiiWmijcleea  péri.  Apollon  y  avait  un  temple  ct^lèbre. 

Inc  autre  Amt/clée ,  colonie  de  la  précédente,  nommée 
aujourd  hui  Spcrlonga,  et  située  entre  Caiète  et  Tcrracine, 
mérita,  pour  ses  doctrines  pytliagoiiciennes,  d'être  appelée 
par  Virgile  la  muette  : 

Tacitis  rcgnavit  Amvclis. 

AMYGDALES,  glandes  ainsi  nommées  du  nom  grec  de 
Yainande,  àix"jyôà)>T],  à  cause  de  la  ressemblance  qu'elles 
présentent  avec  ce  fruit.  Ce  sont  deux  follicules  muqueux 
situes,  l'un  à  droite,  l'autre  à  gauche,  au  fond  de  l'arrière- 
bouclic,  entre  les  piliers  antérieurs  et  postérieurs  du  voile 
(lu  palais,  sur  lesquels  ils  font  saillie.  Ils  portent  égale- 
meiil  le  nom  de  tonsilles.  Les  amygdales  paraissent  desti- 
nées à  fournir  la  matière  muqueuse  qui  enduit  et  humecte  le 
pharynx,  et  à  concourir  ainsi  à  la  déglutition.  —  Cet  organe 
semble  assez  peu  nécessaire,  puisque  l'ablation,  qu'il  faut 
quelquefois  en  faire,  ne  produit  aucun  résultat  fâcheux  ni 
même  sensible  ;  il  est  cependant  sujet  à  un  assez  grand  nom- 
bre d'affections,  dont  la  plus  ordinaire  est  l'inflainmation, 
désignée  vulgairement  sous  le  noia  d'esq  uina7icie,  et 
que  la  médecine  moderne  appelle  angine  tonsillaire. 

AMYGDALIN  (  Savon  ) ,  du  grec  àfj-yyôâXTi ,  amande. 
C'est  un  savon  médicinal  qui  se  prépare  en  combinant 
l'huile  d'amandes  douces  avec  la  soude.  Il  est  solide,  blanc, 
opaque,  assez  consistant,  d'une  odeur  faible,  d'une  saveur 
légèrement  alcaline  et  d'une  pesanteur  spécifique  plus  grande 
<iue  celle  de  l'eau.  Il  est  très-soluble  dans  l'eau,  l'alcool,  et 
l'élher.  Exposé  à  l'air,  il  perd  de  son  poids,  se  dessèche  et 
s'altère.  On  le  prépare  en  faisant  agir  210  parties  d'huile 
d'amandes  douces  sur  100  d'une  dissolution  de  soude  à  36°  ; 
on  agite  ce  mélange ,  et  on  le  coule  dans  des  moules,  quand 
il  a  acquis  la  consistance  du  beurre.  Administré  à  l'intérieur, 
ce  savon  excite  les  organes  digestifs ,  et  paraît  surtout  agir 
comme  diurétique,  sans  accélérer  la  circulation.  Son  usage 
ne  doit  pas  être  longtemps  continué  ;  car  il  affaiblit  tous  les 
(issus.  On  l'emploie  pour  combattre  les  engorgements  des 
viscères  abdominaux,  les  tumeurs  scrofuleuses,  la  jaunisse, 
les  calculs  biliaires,  les  constipations  habituelles,  etc.  Ainsi 
que  les  autres  préparations  alcalines  il  est  très-avantageux 
«ians  le  traitement  de  la  gravelle.  Sa  dissolution  dans  l'eau 
est  très-utile  dans  le  cas  d'empoisonnement  par  les  acides, 
pour  neutraliser  ces  substances.  On  se  sert  aussi  de  ce  mé- 
<licamcnt  à  l'extérieur,  comme  excitant,  dans  les  cas  d'en- 
gorgement glanduleux  ou  de  tumems  indolentes.  Dans  ces 
cas,  on  le  dissout  dans  l'eau  et  mieux  dans  l'alcool  pour 
s'en  servir  en  lotions,  en  fomentations  et  en  frictions. 

A.AÏY'GDALITE.  Voyez  Esquinancie. 

AMYLACEE  (  Fécule  ).  Voyez  AjimoN. 

AMY'OT  (Jacoles)  ,  naquit  à  Melun,  le  2S  octobre  1513. 
Son  père,  pauvre  artisan,  dont  on  ignore  au  juste  la  pro- 
fession, ne  put  lui  faire  donner  qu'une  instruction  élémen- 
taire fort  restreinte,  et  il  partit  pour  Paris  avec  seize  sous  dans 
.sa  bourse.  Là  une  dame  le  chargea  de  conduire  ses  fils  au 
<;ollége.  Sa  mère,  Marguerite  des  Amours,  lui  envoyait  cha- 
<pie  semaine  un  pain  par  les  bateliers  de  Mclun.  L'étude  était 
sa  passion  favorite  et  l'occupation  de  tous  ses  instants;  il 
passait  les  nuits  à  travailler  et  les  jours  à  suivre  les  cours 
de  grec,  de  latin,  de  mathématiques,  sous  les  plus  habiles 
professeurs.  Puis  il  alla  étudier  le  droit  civil  à  l'université  de 
Bourges,  avec  un  jeune  Parisien,  son  ami,  qui  devint  plus 
tard  une  des  illustrations  du  barreau  de  la  capitale.  L'abbé 
de  Saint-Ambroise  lui  confia  l'éducation  de  ses  neveux,  et  lui 
fit  obtenir  une  chaire  de  grec  dans  la  même  université.  Il  lit 
ensuite  l'éducation  du  (ils  de  Rochetel  de  Sacy,  beau-frère  (!<■ 
Morvilliers.  Ainyot,  heureux  du  présent,  ne  songeait  pas 
alors  à  son  avenir.   Courges  était  sa  patrie  d'adoption.  Les 

IHCr.   ut    LA   COiXVtUS.    —   T.    I. 


513 

soins  (lu'il  donnait  à  ses  élèves,  les  travaux  du  professorat, 
ne  l'empêchaient  point  de  se  livrer  à  ses  études  favorites,  et 
à  la  traduction  des  auteurs  grecs.  Son  début  dans  la  carrièie 
littéraire  fut  la  traduction  de  Tlu'agène  et  Chariclre.  Il  jiu- 
blia  ensuite  une  partie  des  Hommes  Illustres  de  Plutarque, 
qu'il  dédia  à  François  Y'^.  Ce  prince  l'engagea  à  continuiv 
cette  import;intc  traduction,  et  lui  donna  l'abbaye  de  Bello- 
zane. 

Amyot  désirait  depuis  longtemps  visiter  l'Italie  pour  y  con- 
sulter les  manuscrits  de  la  bibliothèque  du  Vatican  ;  IMorvil- 
liers,  ambassadeur  à  Venise,  l'emmena  avec  lui,  et  facilita 
de  tout  son  pouvoir  ses  savantes  investigations.  Odet  de 
Selves  et  le  cardinal  de  Tournon,  ce  dernier  résident  à 
Rome,  le  chargèrent  de  présenter  au  concile  de  Trente  une 
éneigique  protestation  contre  les  prétentions  de  la  cour  pa- 
pale à  une  puissance  universelle,  illimitée.  Avant  son  dé- 
part de  Paris ,  il  s'était  engagé  à  remettre  au  souverain 
pontife  cette  lettre  singulière  de  L'Hôpital,  qui  est  devenue 
historiijue.  Amyot  n'était  déjà  plus  un  homme  ordinaire,  il 
avait  pris  rang  parmi  les  savants  et  les  hommes  d'État  de  l'é- 
poque. Son  élévation  avait  été  rapide,  mais,  toujours  simi>le 
dans  ses  mœurs  et  dans  ses  goûts,  toujours  modeste,  il  n'é- 
tait pas  ébloui  par  l'éclat  de  ses  succès.  Il  obtint  les  emplois 
les  plus  importants  sans  avoir  jamais  eu  la  pensée  d'en  sol- 
liciter aucun. 

Une  circonstance  tout  à  fait  imprévue  lui  donna  accès  dans 
le  palais  des  rois.  Henri  II  était  allé  visiter  Marguerite  de 
Valois  dans  son  duché  de  Berri.  Amyot,  que  ses  ennemis 
accusaient  d'hérésie,  avait  été  obligé  de  chercher  un  asile 
chez  un  seigneur  retiré  dans  ses  terres  et  moitié  par  re- 
connaissance, moitié  par  goût,  il  donnait  des  leçons  à  ses 
fils.  Le  roi  s'arrêta  dans  ce  château;  il  était  accompagné  de 
L'Hôp'tal,  alors  chancelier  de  la  duchesse.  Amyot  présenta 
au  prince  des  vers  grecs  de  sa  composition.  «  C'est  du  gicc, 
dit  le  roi;  à  d'autres!  »  Et  il  remit  le  papier  à  L'Hôpital,  à 
qui  cette  langue  était  familière.  La  réponse  du  chancelier 
fut  un  hommage  aux  talents  du  savant  et  spirituel  hellé- 
niste. Henri  II  ne  l'oublia  point,  et  bientôt  Amyot  fut  ap- 
pelé à  la  cour  et  nommé  précepteur  des  fils  du  roi.  Ayant 
achevé  sa  traduction  des  hommes  illustres  de  Plutarque,  il 
la  dédia  au  monarque.  Celle  des  Œuvres  morales  ne  fut  ter- 
minée que  sous  Charles  IX,  auquel  il  la  dédia  en  1500.  Ce 
prince  et  ses  frères  appelèrent  toujours  Amyot  leur  maître. 

Dès  le  lendemain  de  son  avènement,  Charles  le  nomma 
son  grand-aumônier,  et  de  plus  conseiller  d'État  et  conser- 
vateur de  l'Université  de  Paris.  La  reine  douairière  s'opposa 
vivement  à  sa  nomination  à  la  grande-aumônerie.  Le  jeune 
prince,  pour  la  première  fois  peut-être,  résista  aux  volontés 
de  sa  mère.  Elle  fit  venir  alors  Amyot  pour  obtenir  son  dé- 
sistement. Dès  qu'elle  l'aperçut  :  «  J'ai  lait,  lui  dit-elle,  bon- 
«  qucr  les  Guises  et  les  Châtillons,  les  connétables  et  1rs 
«  chanceliers,  les  rois  de  Navarre  et  les  princes  de  Condé, 
«  et  je  vous  ai  en  tête,  petit  prestolet!  »  Amyot  assura  vai- 
nement la  reine-mère  qu'il  avait  refusé  cette  dignité.  Il  ne 
put  l'apaiser  par  sa  tranquille  résignation.  «  Si  vous  ac- 
ceptez, ajouta-t-elle,  vous  ne  vivrez  pas  vingt-quatre  heu- 
res. »  Amyot  insista  de  nouveau  auprès  de  Charles  pour  lui 
faire  accepter  sa  démission.  Le  roi  fut  inllexihle.  Alors  il 
cessa  de  paraître  à  la  cour;  le  monarque  le  fit  chercher, 
mais  inutilement.  La  reine-mère  fut  obligée  de  céder.  Elle 
en  fit  elle-même  jjiévenir  Amyot. 

Charies  lui  donna,  en  1570,  les  abbayes  de  Roche,  près 
d'Auxerre,  de  Saint-Corneille  à  Compiègne,  et  enfin  l'évêché 
d'Auxerre.  L'étude  était  pour  lui  plus  qu'une  distraction, 
c'était  un  besoin.  H  composa,  à  la  sollicitation  de  la  du- 
chesse de  Savoie  ,  les  vies  d'Épaininondas  et  de  Scipion  , 
qui  manquaient  aux  (puvrcs  de  Plutarque.  11  traduisit 
Daphnis  et  C/</of',  de  Longus,  sept  livres  de  Diodoie  de 
Sicile,  et  quelques  tragédies  grecques.  Mais  il  était  tiop  ins- 
truit, trop  vertueux,  pour  n'être  pas  tolérant.  Les  ligueurs 


514 


AMYOT  —  AMYRAUT 


l'accusèrent  de  favoriser  les  protestants  de  son  diocèse ,  et 
même  d'hérésie.  Il  nVchappa  an  massacre  de  la  Sainl-Bar- 
théleiiiy  que  parce  que  Charles  IX  l'avait  fail  provenir 
du  daiifier  <)Mi  le  inena^:iit.  Canûné  alorsà  Auxerre,  il  ne  re- 
parut a  la  tour  que  sous  le  règne  de  Henri  111,  et  à  de 
rares  intervalles,  lorsijue  fcs  devoirs  comme  graud-aumtjiiier 
l'y  obligeaient.  Il  logeait  au\  Quinze -Vingts.  En  fondant 
Pordre  rlii  Saint-Esprit,  Henri  III  prêta  serment  entre  les 
mains  d'Amyot,  en  qualité  de  grand-innître,  dans  l'église 
des  Grands-Augnslins;  puis  il  lui  conféra  cet  ordre,  et 
affecta  celle  décoration  à  la  charge  de  grand-aumônier, 
dispensant  ceux  qui  lui  succéderaient  dans  ces  fonctions  de 
(aire  preuve  de  noblesse. 

Amyot  rendit  un  grand  service  aux  lettres,  en  détermi- 
nant Henri  III,  en  lâ75,  à  former  une  bibliothèque  d'ou- 
vrages grecs  et  latins.  Il  eut  souvent  recours  à  cette  riche 
«olleition  pour  perfectionner  ses  ouvrages.  Ce  fui  la  prin- 
cipale occupation  de  sa  vieillesse  à  Paris  et  dans  .son  dio- 
cèse. Il  avait  assisté  aux  états  de  Blois.  Depuis,  sa  vie  fut 
.souvent  en  danger.  Un  jeune  ligueur,  nommé  Férous,  du 
village  d'Egriselle  ,  près  d'Auxerre  ,  lui  mil  une  arme  sur  la 
gorge  en  pleine  place  de  la  cathédrale.  Un  autre  jour,  un 
émissaire  du  gardien  des  cordeliers  excita  la  populace  contre 
Amyot,  qu'il  appelait  un  méchant  lionmie  ,  pire  que  Henri 
de  Valois.  Les  ligueurs,  qui  étaient  nombreux  et  turbulents 
dans  son  diocèse,  ne  cessèrent  de  le  i)oursuivre.  Sa  sûreté 
exigeait  qu'il  s'en  éloignât;  mais  Amyot  tenait  plus  à  ses 
devoirs  qu'à  la  vie,  et  dès  1589  il  renonça  à  la  charge  qui 
l'appelait  à  la  cour,  et  ne  sortit  plus  de  son  diocèse.  Il 
ne  conserva  de  ses  grands  benolices  que  l'abbaye  de  Saint- 
Corneille,  à  Compiègne.  11  visitait  souvent  le  collège 
d'Auxerre,  qu'il  avait  fait  bâtir,  et  qu'il  avait  doté  à  ses  dé- 
pens. Il  mourut  dans  celte  vdle,  le  G  février  1393.  Ses  ou- 
vrages l'ont  placé  au  premier  rang  des  auteurs  du  sei- 
zième siècle  ,  si  fécond  en  écrivains  illustres  dans  tous  les 
genres.  Plularque  n'a  jamais  eu  de  plus  fidèle  interprète 
qu'Amant. 

A.\lYOT  ou  A. MIOT  (Joseph),  jésuite,  né  à  Toidon 
en  17 18, mort  à  Pékin  en  1793.  C'est  en  1750  qu'il  arriva  à 
Macao,  d'où  il  se  rendit  l'année  suivante,  par  ordre  de  l'em- 
peieur,  à  Pékin,  qu'il  ne  quitta  [dus.  De  persévérantes  études 
lui  rendirent  familières  les  langues  chinoise  et  tatare,  ce 
qui  lui  facilita  les  moyens  de  remonter  aux  sources  mêmes 
pour  connaître  la  Chine  à  fond.  La  plupart  de  ses  travaux, 
qui  traitent  des  antiquités,  de  l'histoire ,  de  la  langue ,  de 
l'écriture,  des  arts,  de  la  musique,  de  la  tactique  militaire 
des  Chinois,  ainsi  qu'une  Biographie  de  Confucius  et  une 
Grammaire  tatare-manlchou ,  se  trouvent  dans  les  Blé- 
moires  concernant  Vhistoire,  les  sciences  et  les  arts  des 
Chinois,  dont  le  dixième  volume  indique  en  quatorze 
colonnes  sa  part  à  ce  recueil.  Il  a  écrit,  en  outre,  VEloge 
delà  ville  de  liloukdcn,  publié  par  de  Guignes,  et  le  Dic- 
tionnaire tatare-manlchou,  publié  par  Langlès. 

Déjà  connu,  en  outre,  par  les  chapitres  qu'il  avait  fournis 
aux  Lettres  édifiantes  des  missionnaires,  il  était,  quelques 
années  avant  la  révolution,  en  correspondance  avec  M.  Berlin, 
minisire  d'Etat,  ancien  directeur  de  la  compagnie  des  Indes. 
Aidé  de  son  ami,  le  père  Cibor,  il  transmettait  à  son  opu- 
lent protecteur  de  curieux  mémoires  et  y  joignait  de  nom- 
breuses lij-ures  coloriées.  La  seule  partie  des  arts  et  mé- 
tiers avait  fini  par  comprendre  plus  de  quatre  cents  sujets. 
M.  Berlin  se  proposait  de  publier  cette  collection  ;  mais 
la  marche  rapide  des  événements  ne  le  lui  permit  pas.  Lors 
de  la  vente  du  cabinet  de  ce  ministre,  en  1810,1a  plus 
grande  partie  des  manuscrits  et  des  dessins  fut  acquise  par 
Nepveu,  libraire;  ils  ont  servi  à  composer  la  Chine  envii- 
niature  et  d'autres  petits  ouvrages  in-18. 

La  corresjwndance  du  père  Amyot  etdu  père  Cibor  était 
d'ailleurs  fort  incomplète.  Tolérés  seulement  à  Pékin  après 
LA  iti'slruction  de  leur  ordre,  et  lorsque  le  christianisme  se 


trouvait  à  la  veille  de  persécutions  sanglantes,  ils  évitaient, 
malgré  les  incessantes  recommandations  de  leur  protecteur, 
tout  détail  de  nature  à  les  comj)rometlre,  gardaient  surtout 
un  silence  obstiné  sur  les  dillérenles  sectes  chinoises  el 
sur  les  formes  du  culte,  mais  laissaient  entendre  qu'on  n'a- 
vail  là-dessus  en  Europe  que  des  notions  incomplètes  et  er- 
ronées. Retenus  en  quelque  sorte  captifs  à  Pékin,  les  mis- 
sionnaires cherchaient  toutes  les  occasions  de  s'en  éloigner, 
et  quelques-uns  s'échappaient  sous  des  déguisements.  Le 
père  Amyot  avait  cependant  imaginé  un  moyen  de  mettie 
iM.  Berlin  à  portée  de  recueillir  verbalement  ce  qu'il  di'si- 
rail.  Deux  jeunes  Chinois,  Ko  et  Yang,  avaient  été  choisis 
par  lui  entre  plusieurs  néophytes  et  envoyés  en  France 
pour  y  faire  leur  éducation.  De  retour,  ils  correspondirent 
à  leur  tour  avec  le  minisire.  11  est  bon  cependant  d'avertir 
que  les  lettres  signées  Fanr/ pourraient  bien  avoir  été  écrites 
sous  la  dictée  du  père  Amyot,  et  celles  de  Ko  conçues  et 
écrites  par  le  père  Cibor,  qui  a  expliqué  lui-même  clairement 
la  nécessité  de  ces  pseudonymes. 

De  graves  dissensions,  dernier  écho  des  douloureuses 
q\icrelles  qui  s'étaient  élevées  dans  le  dix-huitième  siècle 
au  sujet  des  cérémonies  chinoises,  régnaient  alors  parmi  les 
missionnaires  européens.  Le  père  Cibor,  délesté  de  tous, 
et  n'ayant  pour  appui  que  le  père  Amyot,  mourut  l'àme  na- 
vrée ,  le  3  août  1780.  Son  inhumation  lut  l'occasion  d'un 
grand  scandale.  Le  père  Sallusli,  dominicain  italien,  envoyé 
avec  de  pleins  pouvoirs  par  la  Propagande,  excommunia 
deux  néophytes  et  deux  jésuites  qui  avaient  assisté  aux  fu- 
nérailles de  celui  qu'il  appelait  un  «  réprouvé,  partisan  déclaré 
des  innovations  les  plus  dangereuses.  »  Une  maladie  grave 
avait  retenu  Amyot  chez  lui.  Sallusli  fut  pourtant  rappelé, 
et  ie  père  Amyot  vécut  paisiblement  avec  un  petit  nombre 
d'anciens  confrères;  mais  leur  présence  n'était  tolérée  a  la 
cour  de  l'empereur  Kien-Long  qu'en  raison  du  besoin  qu'on 
y  avait  de  leurs  connaissances,  du  reste  très-superficielles, 
en  a.-tronomie.  C'est  qu'ils  livraient  régulièrement  à  l'édi- 
teur de  l'almanach  impérial  les  calculs  des  éclipses,  et  les 
heures  précises  du  lever,  du  coucher  et  du  passage  au 
méridien  des  diverses  planètes ,  à  quoi  les  astrologues 
chinois  ajoutaient  quelques  prédictions  bigarres.  Un  élevé 
du  père  Amyot  avoua  plus  tard  à  M.  Barrow  qu'il  copiait 
ces  renseignements  dans  la  Connaissance  des  temps. 

Parmi  les  nombreux  dessins  envoyés  en  France  par  les 
missionnaires,  on  remarque  une  représentation  fort  exacte 
de  V hortensia,  fleur  alors  encore  inconnue  en  l^urope  et 
importée  quelques  années  plus  tard  seulement  par  lord 
Macartney.  C'est,  croyons-nous,  à  l'hortensia  que  le  père 
Amyot  voulait  donner  par  reconnaissance  le  nom  de  fleur 
Berlin.  En  marge  de  la  lettre,  le  minisire  écrivit  de  .sa 
main  celle  apostille  un  peu  brusque  :  «  Que  veut-il  dire 
avec  sa  Jleur  Berlin?  Est-ce  que  celte  plante  n'a  pas  déjà 
un  nom  chinois.' »  Breton. 

A.MYI\AUT  (Moïse),  célèbre  théologien  protestant, 
né  à  Courgneil,  en  Touraine,  en  1596,  fit  son  droit  à  Poitiers 
et  ses  études  théologiques  à  Saumur,  sous  Cameron.  Mi- 
nistre à  Saint-Agnan,  dans  le  Maine,  il  succéda  à  DaHlé 
à  Saumur  et  fut  député  d'Anjou  au  synode  de  Charenton 
en  1C3I.  Ce  synode  le  chargea  de  faire  en  cour  des  remon- 
trances sur  les  manqtiements  à  l'édit  de  Nantes.  Richelieu 
voulait  que  la  pétition  fût  présentée  par  les  députés  à 
genoux  ;  Amyraut  obtint  qu'ils  ne  fussent  pas  soumis  à  cet 
usa^e  humiliant,  et  le  cardinal  se  montra  satisfait  de  la  ha- 
rangue d'Amyrant.  Son  livre  sur  ta  Prédestination  lui  attira 
de  graves  difficultés  avec  ses  coreligionnaires.  Cependant  il 
assista  encore  à  plusieurs  synodes,  et  mourut  à  Saumur  ie 
8  janvier  1C64.  Il  était  parvenu  à  obtenir  l'estime  des  car- 
dinaux Richelieu  et  Mazarin,  des  maréchaux  La  Meilleraye 
et  de  Brézé,  de  plusieurs  évéques  et  archevêques.  Il  posait 
pour  principe  la  .soumission  aux  puissances  de  la  terre,  el 
pensait  qu'on  ne  devait  opposer  à  la  persécution,  que  U 


AMYRAUT  —  ANABAPTISTES 


51 


patience,  les  larmes  c\  les  ptii^res.  Ses  ouvrages,  très-nom- 
breux, sont  devenus  très-rares;  on  en  trouve  la  liste  com- 
plète dans  la  France  protestante  de  MM.  Ilaag.  Citons 
seulement:  Traité  des  religions  {iù3[);  Discours  sur 
l'état  des  fidèUs  après  la  mort  (1046),  composé  pour 
consoler  sa  femme  de  la  mort  de  leur  fille;  Apologie  pour 
ceux  de  la  religion  (  1647)  ;  Discours  de  la  souveraineté 
des  rois  (1630);  Morale  chrétienne  (IG.'i'î-iOCO)  ;  Du  règne 
de  mille  ans  (1654)  ;  Discours  sur  tes  songes  (1659)  ;  De 
mysterio  Trinitatis  (16G1);  Vie  de  François  de  La  ^oue 
(I6f>l  );de5  sermons;  des  paraphrases  de  l'Écriture,  etc.    Z. 

AXA,  terminaison  ialine  (jui,  ajoutée  au  nom  propre 
d'une  personne,  indique  un  recueil  de  se~s  pensées  détachées, 
de  ses  observations  et   d'anecdotes  recueillies  par  elle  ou 
sur  elle.  Ana  se  dit  aussi  d'un  recueil  de  saillies,  de  propos 
de  société,  de  dictons,  de  bons  mots,  etc.  Aux  seizième  et 
dix-septième   siècles  les   ana   llorissaient   dans  le   monde 
savant.  «  Segraisiana ,  a  dit  M.  Edouard  Thierry ,  est  un 
adjectif  latin,  comme  Virgilien,  Cicéronien   sont   devenus 
des   adjectifs  français.   Au  dix-septième  siècle,    les  amis 
d'un   homme  célèbre  recueillaient  après  sa  mort  ce  qu'ils 
avaient  retenu  de  lui  dans  leurs  entreliens  mutuels ,  quel- 
ques vives  ou  justes  réparties,  un  petit  nombre  d'anecdoles, 
principalement  des  solutions  données  sur  certains  points 
obscurs  de  bibliographie  et    de  critique.    Cela  s'appelait 
Carpenteriana,  Huetiana,  Vnlesiana,  comme  on  tût  dit 
Fragments  recueillis  du  savant  31.   Charpentier,  du  docte 
évêque  d'Avranthes,  et  de  M.  Adrien  de  Valois,   historio- 
graphe de  France.  C'était  l'érudilion  que  l'on  recherchait 
d'abord  dans  les  ana ,  ce  furent  ensuite  les  bons   mots  et 
les  anecdotes.  Le  temps  lit   son  triage  accoutumé  :  il  mit 
d'un  côté    les    maussades  et   ennuyeux    ana ,  le  Perro- 
niana,  le  I^audacana,  le  Sorberiana ,  que  sais-je  encore? 
de  l'autre  les  ana  conteurs  et  amusants,  le  Segraisiana, 
YArlequiniana,  le  Santoliana  et  le  reste.  Les  premiers 
disparurent   dans  un   tel  oubli ,   que  le  nom  resta   tout 
entier  aux  autres;  mais  il  finit  par  perdre  sa  significalion 
véritable.  Et  un  ana  ne  fut  plus  qu'un  recueil  de  facéties 
à  la  douzaine,  de  soi-disant  bons  mots  et  de  plaisanteries 
hors  de  mise.  Il  y  eut   le  Revolutiana,  le  Parisiana,  le 
Feminiana,  le   Gastronomiana  ,  le   Facetiana,  Vlvro- 
gniana;  j'en  passe,  et  des  meilleurs.  Anas  eî  almanachs 
rimaient  trop  bien  pour  ne  pass'associer  ensemble.  Aujour- 
d'hui les  almanachs  sont  plus  dédaigneux  et  ne  veulent  plus 
même  emprunter  aux  anas;  je  n'y  vois  pas  grand  mal.  En 
1842  il  a  paru  un  recueil ,  VEncyclopediana,  com[)ilé  d'ail- 
leurs avec  goiit  et  qui  est  un  excellent  répertoire  des  plus 
fines  saillies  anecdotiques  ;  mais  le  titre  est  pris  à  contresens. 
De  même  que  le  Bievriana  veut  dire  le  recueil  descaleu)- 
bours  de  M.  de  Bièvre,  V Encyclopediana  voudrait  dire 
un  choix  de  traits  ingénieux,  d'opinions  curieuses  extraites 
de  l'Encyclopédie,  et  ne  peut  pas  signilier  l'Encyclopédie 
des  ana.  «  Citons  encore  le  Menagiana,  le  Scaligerana, 
le  Thiiana,  VAnonymiana,  le  Boursautiana,  le  l'uretie- 
riana,  etc.  Les  Anglais  ont  un  Baconiana ,  les  Allemands 
le  Taubmaniana ,  \es  Hanoh  le   rj/c/ioHîflno,  les  Améri- 
cains le  Wnshingtoniana.  On  a  publié  à  Dresde  un  Livret 
des  Ana  et  à  UruxeWesune Bibliographie  des  Ana.  Les  an- 
ciens avaient  aussi  leurs  ana.  Les  Memorabilia  de  Xéno- 
phon,  les  Vies  des  Philosophes,  par  Diogène  de  Laerle,  les 
iYHî/5a^/('7?/<'sd'Aulu-Gelle  abondent  en  mots  ingénieux  ou 
piquants,  en  maximes  chatoyantes  ou  gracieuses.  Quintilien 
rapporte  qu'un  affranchi  avait  recueilli  tous  les  profios  facé- 
licux  de  son  maître;  un  affranchi  deMécène  avait  également 
noté  les  bons  mois  de  ce  spirituel  protecteur  des  Muses.  Z. 

AI^ABAPTISTES  (  du  grec  àva,  de  nouveau  ;  ^ir.-io, 
je  baptise).  C'est  ainsi  qu'on  désigne  les  chrétiens  qui,  re- 
jel;i!it  le  baptême  des  enfants,  limitant  aux  adultes  les 
bienfaits  de  ce  sacrement,  et  dès  lors  soumettent  à  un  nou- 
veau baplême  tous  les  chrétiens  qui  embrassent  les  opinions 


de  leur  secte,  encore   bien  qu'ils  aient  été  déjà  baptisés 
dans  leur  enfance.  Cette  dénomination  leur  fut  imposée  par 
leurs  adversaires  dès  leur  première  apparition,  au  seizième 
siècle;   mais  ces  sectaires  l'ont  toujours  repoussée.  Il  faut, 
dans  leur  histoire,  soigneusement  distinguer  les  jiériodes  et 
les  partis.  A  l'origine  tous  ceux  qne  l'on  avait  compris  d'a- 
bord sons  le  nom  de  Rebaptisants  se  bornaient  à  défen- 
dre la  doctrine  du  baplême  des  adultes.  Celui  des  enfants, 
qui  n'avait  point  été  en  usage  dans  les  teiryps  les  plus  re- 
culés de  riiglise  primitive,  avait  déjà  été  combattu  au  moyen 
lige  par  Jeim  \V  i  c  1  e  f  et  par  quelques  sectes  hérétiques,  pai 
exemple  les  pétrobrusiens,  les  cathars,  les  picards,  etc.,  en 
I   Suisse   et  en  France.  Quand  la  réformation  vint  présinlet 
j   la  Bible  comme  la  source  unique  de  la  foi  des  chrétiens,  on 
i   vit  des  sectaires  s'efforcer  de  combattre  le  baptême  des 
;   enfants  comme  une  pratique   contraire  aux  .saintes   Écri 
j   turcs.  Ils  élevèrent  la  voix  en  Suisse  peu  de  temps  après  la 
I   venue  de  Zwingle;  et  leurs  doctrines  eurent  encore  plus  dt 
î   retentissement  en  Allemagne,  surtout  en  Saxe,  quand  les 
î   fanatiques  de  Zwickau,  INicolas  Storch  et  Marc  Tlioma' 
j   tous  deux  teinturiers  en  drap,  et  trois  hommes  plus  instruits, 
j   Marc  Stubner,  Martin  Ceilarius  et  Thomas  Munzer,  fc 
I   chargèrent  de  les  propager.  En  même  temps  que  ces  fana- 
I    tiques  s'abandonnaient  à  l'illusion  de  parvenir  à  fonder  sur  la 
i   terre  un  royaume  céleste,  ils  se  vantaient  d'être  l'objet  de 
I   révélations  particulières,  soumettaient  à  la  formalité  d'un 
i   nouveau  baptême  tous  ceux  qui  adoptaient  leurs  doctrines 
j  et  ne  contribuaient  pas  peu  à  provoquer  la  guerre  dite  des 
I  Boures  ou  des  paysans.  Indépendamujent  de  leurs  idées 
particulières  sur  le  baptême,  que  suivant  eux  les  laïques 
sont  toujours  parfaitement  aptes  à  conférer,  ils  refusaient 
d'admettre  l'enseignement  de  l'Église,  ainsi  que  sa  juridiction 
hiérarchique,  prétendant  introduire  parla  une  complète  éga- 
lité parmi  tous  les  chréliens.  L'autorité  supérieure  s'elforça 
bientôt  de  combattre  par  des  mesures  rigoureuses  les  progrès 
de  plus  en  plus  visibles  qu'ils  firent  à  partir  de  l'année  1524, 
particulièrement  parmi  les  classes  inférieures,  sur  les  bords 
du  Rhin,  en  Westphalie,  en  Holstein  et  en  Suisse. 

En  Allemagne,  les  empereurs  et  les  diètes  impériales  ren- 
dirent dès  1325  des  ordonnances  contre  les  anabaptistes, 
avec  la  peine  de  mort  pour  sanction;  et  elles  furent  exé- 
cutées dans  un  grand  nombre  de  cas.  Il  en  lut  de  même  en 
Suisse.et  dans  les  Pays-Bas.  Le  landgrave  de  Hesse  fut  alors 
le  seid  souverain  qui  se  contenta  de  les  faire  emprisonner 
et  catéchiser.  En  dépit  de  toutes  les  mesures  pri.ves  pour 
combattre  les  progrès  des  anabaptistes,  on  voyait  incessam- 
mentseformer  de  nouveaux  rassemblements  de  ces  sectaires, 
provoqués  sur  divers  points  par  les  prédications  d'apôtres 
ambulants. 

La  ville  de  Munster,  en  \Yestphalie,  fut  le  principal 
théâtre  de  l'activité  des  anabaptistes;  c'est  là  qu'ils  s'effor- 
cèrent de  réaliser  leurs  rêves  d'un  règne  visible  de  Jésus- 
Christ  sur  la  terre.  Melchior  Hoffmann,  pelletier,  originaire 
de  la  Souabe,  fut  le  premier  qui  prêcha  la  doctrine  tl'un 
nouveau  royaume  de  Sion ,  à  Iviel  en  1527,  a  Emden  en 
1528,  d'où  il  serendità  Strasbourg,  où  il  muurut  en  prison 
en  1540  (consultez  Khron,  Histoire  des  Anabaptistes^ 
Leipzig,  175S).  Avant  de  quitter  Emden,  il  y  établit 
comme  évêques  de  la  nouvelle  communauté  Jean  Trypmaker 
et  Jean  Matlhiesen,  boulanger  d'Harlem.  Pendant  que  les 
partisans  d'Hoffmann  attendaient  de  Strasbourg  la  nouvelle 
de  la  fondation  d'un  nouveau  royaume  de  Sion,  Trjpmaker 
avait  quitté  la  Frise  pour  se  rendre  à  Amsterdam,  à  l'elfet 
d'y  prêcher  les  nouvelles  doctrines;  mais  il  expia  son  en- 
treprise sur  le  gibet,  à  La  Haye.  Aussitôt  qu'Hoffmann  en  fut 
informé,  il  conseilla  par  écrit  à  ses  disci[>les  de  suspendre 
les  baptêmes.  Ce  conseil  plut  médiocrement  à  Mattliiesen, 
érigé  en  second  évèquc,  et  qui  visait  à  devenir  chef  de  parti. 
Dans  ce  but  il  enrôla  douze  apôtres,  dont  deux  se  rendirent 
à  Munster,  où   ils  trouvèrent  de   liinaiiques  cooperatour.s. 

C6. 


.01 G 


ANABAPTISTES 


<)nns  les  bourgeois  Knippcnloiiing  et  Krcchling,  ainsi  que 
dans  U'  prCtre  Rotlimann,  qui  jusipie  alors  pourtant  avait  tou- 
jours (ait  preuve  de  sagesse  et  de  niodi-ration.  Cette  vilie 
l'ut  pour  la  première  fois  le  tliéûtre  de  sanglants  désordres, 
<|uand  deux  autres  envoyés  de  Mattiiiesen,  Jean  lîockhold 
ou  liockelson,  tailleur  de  Leydc,  et  (Jerrit  Kippenhroek , 
vulgairement  appelé  Gerrit  le  Relieur,  y  arrivèrent  d'Ams- 
terdam  ;  et  ces  troubles  ne  cessèrent  ipie  lorsque  Mattliiesen 
s'y  (ut  rendu  de  sa  personne.  Les  fanaticiues,  dont  le  nombre 
s'aecroissait  cliaCiUc  jour,  envahirent  riiùtel  de  ville,  et 
obtinrent  de  vive  lorce ,  vers  la  lin  de  Tannée  153:i,  un 
traité  qui  eût  pu  assurer  à  chacun  des  deux  partis  en 
présence  le  libre  exercice  de  leur  culte.  ]Mais  bientôt,  ren- 
forcés par  une  nombreuse  populace  accourue  des  villes  voi- 
sines, ils  ne  tardèrent  pas  à  employer  la  force  ouverte  jiour 
se  rendre  complètement  maîtres  de  la  ville.  Maîthiesen  y 
entra  en  prophète,  et  détermina  le  peuple.à  lui  livrer  son  or, 
son  argent  et  tout  ce  (pi'il  avait  de  plus  précieux  pour  dé- 
.sormais  être  le  bien  commun  de  tous,  ainsi  qu'à  brûler  tous 
les  livres,  à  l'exception  de  la  liible;  mais  il  fut  tué  dans  une 
sortie  faite  contre  Tévêque  de  Munster,  qui  assiégeait  la 
ville,  lîockhold  et  Knippcnloiiing  se  proclamèrent  alors  pro- 
phètes. On  déiruisit  les  églises,  et  on  institua  douze  juges 
pour  présider  aux  douze  tribus,  comme  dans  Israël.  Toute- 
fois, cette  forme  nouvelle  de  gouvernement  ne  tarda  pas, 
elle  aussi,  k  être  rejeîée,  attendu  que  Jean  Bockhold  se  fit 
proclamer  roi  de  la  nouvelle  Sion  sous  le  nom  de  Jean  de 
Leyde.  A  partir  de  cette  époque- (15^4)  Munster  devint  le 
théâtre  de  tous  les  déportemeuls  d'un  fanatisme  sauvage,  de 
la  débauche  la  plus  immonde  et  de  la  cruauté  la  plus  ef- 
frénée, jusqu'à  ce  que  plusieurs  princes,  faisant  cause  com- 
mune aveclévcque,  s'emparassent  de  cette  ville,  le  24  juin 
1535,  et  missent  ainsi  fin  a  la  puissance  des  anabaptistes,  dont 
les  principaux  chefs  périrent  dans  les  supplices.  Cepen- 
dant non-seulement  sur  le  nombre  de  vingt-cinq  apôtres  que 
Jean  liockhold  avait  déterminés  à  quitter  Munster  pour  aller 
prêcher  au  loin  la  foi  nouvelle ,  il  y  en  eut  qui  réussirent  en 
divers  lieux  à  faire  des  prosélytes,  mais  encore  d'autres 
iTpôIres,  complètement  indépendants  de  ceux  de  .Munster, 
l'taient  allés  prêcher  ailleurs  la  foi  à  un  nouveau  royaume 
de  chrétiens  irréprochables,  et  y  avaient  fait  aussi  des  pro- 
sélytes. Ceux-ci  conlamnaient,  il  est  vrai,  la  polygamie,  la 
conmiunauté  des  biens  et  les  cruautés  qui  avaient  été  pra- 
ti(]uét'S  à  INIunstcr  par  leurs  coreligionnaires  contre  les 
hommes  qui  ne  partageaient  pas  leurs  idées  religieuses; 
n)ais  ils  continuaient  à  prêcher  toutes  les  doctrines  des  ana- 
baptistes primitifs,  et  en  outre  quelques  idées  à  eux  sur 
l'iiîcarnation  de  Jt;sus- Christ.  (Consultez  Y  Histoire  des 
Anahaptisles  de  Munslcr,  d'après  le  manuscrit  latin  de 
Jîermann  de  Kerscnbroek,  1771,  in-4",  en  allemand;  et 
Hast,  Histoire  des  Anabaptistes  jusqu'à  lu  chute  de  la 
secte  à  Munster,  Munster,  is.îo.) 

Après  Uoffman,  celui  de  ses  adhérents  qui  fit  le  plus  parler 
de  lui  fut  le  nommé  David  Joris,  peintre  sur  veire,  né  à  Délit, 
en  1501  ,  et  qui  fut  rebaptise  eu  1534.  Il  se  lit  un  grand 
nombre  de  partisans  par  ses  ouvrages  de  théosophie,  oii  il  té- 
moigne d'une  puissante  imagination,  ainsi  que  par  ses  efl'orts 
pour  réunir  et  concilier  les  partis  acharnés  qui  déchiraient  la 
secte  des  anabaptistes.  On  étudia  suilout  son  Livre  de  Mi- 
racles, pid)lic,  eu  1 545,  à  Deventer  ;  et  on  le  regarda  lui-même 
conmie  un  nouveau  Messie.  Après  avoir  beaucoup  vaiié  dans 
fies  opinions,  il  erra  longtemps  de  côté  et  d'autre  jusqu'à  ce 
qu'enlin  pour  éviter  les  peisécutions  il  vint  s'établir  comme 
bourgeois,  en  1544,  sous  le  nom  ilcjean  de  Bruges,  à  Baie, 
où  il  mourut  en  1550,  après  avoir  mené  une  vie  bouorabie 
dans  la  conunuuaulé  des  réformés.  Ce  ne  (ut  qu'en  1 55;)  qu'on 
<iécouvrit  son  hérésie ,  qu'il  avait  pris  le  i)lus  grand  soin  à 
«lissimuler.  .Mais  alors  le  conseil  de  Bàle  lit  faire  le  procès  à 
sa  mémoire,  l'ar  suite  de  la  condauuialion  cpii  fut  prononcée, 
ou  exhuma  son  cadavre  cl  ou  suspendit  ses  ossements  au 


gibet.  D'antres  prophètes  continuèrent  encore  à  apparaître 
jusqu'au  milieu  du  seizième  siècle  parmi  les  anabapiisies,  h 
troubler  la  tranquillité  publique  et  par  suite  à  augmenter  le 
noud)re  des  martyrs  de  cette  secte.  C'est  ainsi  que  dans  le 
nombre  des  hérétiques  que  le  duc  d'Albe  fit  périr  de  la  main 
du  bourreau  dans  les  Pays-Bas,  il  se  trouvait  beaucoup  d  a- 
nabaplistes. 

Il  est  incontestable  que  Menno  eut  quelques  rapports 
avec  ces  anabaptistes  tant  qu'ils  se  bornèrent  à  rejeter  le 
baptême  des  enfants;  mais  ses  ouvrages  prouvent  qu'il 
les  combattit  dès  qu'ils  recoururent  à  l'emploi  des  armes 
pour  propager  leurs  doctrines  et  qu'ils  empiétèrent  sur  les 
droits  du  pouvoir  temporel.  .Son  zèle  prudent  et  rélléchi 
réussit  à  réunir  en  coiumunautés  bien  organisées  les  ana- 
baptistes alors  dispersés  en  divers  lieux,  qui  prirent  d'abord 
d'après  lui  le  nom  ûe  Mennoni tes,  et  formèrent  une 
association  religieuse  particulière  et  indépendante  au  nord  de 
l'Allemagne,  dans  les  Pays-Bas  surtout;  association  dans  le 
sein  de  laquelle  étaient  imitées  toutes  les  pratiques  de  l'an- 
tique Église  apostolique.  Seulement  Menno  ne  put  empêcher 
que  le  schisme  n'éclatât  jusqu'au  sein  même  de  sa  secte  dès 
l'année  1554  sur  la  question  de  savoir  quel  degré  de  sévérité 
il  fallait  apporter  dans  l'excommunication.  Les  plus  rigo- 
ristes estimaient  que  tout  manquement  aux  lois  de  la  mo- 
rale et  aux  prescriptions  de  Tliglise  devait  être  puni  par  l'ex- 
communication. Les  plus  indulgents  ne  voulaient  en  général 
appliquer  cette  peine  qu'en  cas  de  désobéissance  opiniâtre  et 
absolue  aux  prescriptions  de  l'Écriture  sainte.  Ils  ajoutaient 
que  cette  peine  devait  non-seulement  être  précédée  de  plu- 
sieurs admonestations  et  exhortations,  mais  encore  n'en- 
traîner aucune  conséquence  hors  de  l'église.  Les  deux  opi- 
nions n'ayant  pas  consenti  à  se  faire  réciproquement  sur  ce 
point  la  moindre  concession,  il  eu  résulta  les  deux  grandes 
sectes  principales  entre  lesquelles  se  partagent  aujourd'hui 
encore  les  anabaptistes.  Les  indulgents  furent  désignés  sous 
le  nom  de  Waterlccnder,  à  cause  du  pays  qu'ils  habitaient, 
le  Waterland ,  près  du  Pampuse  dans  la  Hollande  septen- 
trionale, et  non  loin  de  Franeker;  tandis  que  les  rigoristes, 
composés  en  général  de  Frisons  habitant  la  ville  d'Emdea 
et  ses  environs,  de  réfugiés  flamands  et  d'Allemands,  se  dé- 
signa'ent  eux-mêmes  par  la  dénomination  de  reine,  mot 
allemand  par  lequel  ils  entendaient  dire  les  Bienheureux, 
les  Exacts.  Après  la  mort  de  Menno,  arrivée  en  1556,  les 
Exacts  se  partagèrent  en  trois  sectes ,  dont  celle  que  for- 
mèrent les  Flamands  persévéra  dans  l'extrême  rigueur  de  ses 
opinions  à  l'égard  de  l'excommunication.  Les  Frisons  du 
moins  ne  l'appliquaient  pas  à  des  communautéi  tout  entières, 
et  ne  prétendaient  pas  qu'elle  dût  entraîner  pour  les  indivi- 
di;s  qui  en  étaient  frappés  la  destruction  de  tous  les  rapports 
dt;  famille.  Les  Allemands  ne  différaient  des  Irisons  que  par 
le  soin  plus  rigoureux  qu'ils  mettaient  à  éviter  toute  espèce 
de  luxe.  A  la  secte  des  Allemands  appartenaient  les  anabap- 
tistes du  Holsteiu,  de  la  Prusse  ,  de  Dantzig,  du  Palatinat 
du  Uhin,  de  Juliers,  de  l'Alsace  et  de  la  Suisse  ,  ainsi  que 
ceuxquijusqu'arépo(]uedelaguerrede  Trente  Ans  existèrent 
en  si  grand  nombre  en  Moravie.  Par  ce  qu'on  appela  le  Concept 
de  Cologne,  formule  de  foi  (jui  y  fut  délibérée  et  adoptée  en 
1591 ,  ils  se  réunirent  par  la  suite  aux  Frisons,  mus  sur- 
tout par  ce  motil  que  leur  scission  religieuse  nuisait  aux 
transactions  commerciales.  Les  anabaptistes  rigoureux,  qui 
avaient  conservé  sans  acce|)tion  d'origine  la  dénomination 
lie  Jlamands ,  finirent  par  se  réunir  à  ces  Frisons  et  Alle- 
mands-unis, dans  un  synode  tenu  à  Harlem,  en  U;i0,  par 
leurs  docteurs  respectifs,  en  reconnaissant  les  cinq  articles 
de  foi  pour  livres  symboliques  de  leur  parti.  Celte  fusion 
neut  cependant  pas  pour  résultat  de  détruire  parmi  eux 
toute  espèce  de  schisme  et  de  division  ;  au  contraire,  il  .se 
forma  encore  alors  des  sectes  particulières,  désignées  sous 
le  nom  de  janjacobistes  et  iVuhen-aUistvs,  ou  anciens_/?rt- 
mands.  Ces  derniers,  iiidepcntlaunuenl  de  la  Frise,  se 


ANÂBÂPTISTKS 


S17 


sont  répandus  en  Lithuauie  et  dans  los  environs  de  Dant- 
lig,  et  les  anabaptistes  de  la  Gallicio  i)artaf;ent  lenrs  doc- 
trines. Cette  secte  comprend  en  outre  les  anabaptistes  de 
Dantzig,  dénomination  sons  laquelle  on  désigne  quelques 
communautés  existant  tant  à  Dant/.ii;  qu'à  îMarienliouri;  et 
dans  la  Prusse  orientale  et  occidentale.  Il  faut  reconnaître 
d'ailleurs  que,  malgré  leurs  tendances  controversistes  et 
leur  esprit  querelleur,  les  anabaptistes  se  distinguaient  par 
la  pureté  de  leurs  nio-urs,  par  leurs  habitudes  d'ordre  et 
d'économie  et  par  leur  génie  cmineunnent  industrieux  et 
commercial.  Ils  étaient  parvenus  à  un  état  d'aisance  qui 
leur  permit,  lors  des  guerres  de  la  liberté,  de  faire  des 
avances  d'argent  au  prince  Guillaume  d'Orange.  Par  suite 
de  l'esprit  de  tolérance  qui  fut  l'àme  du  nouvel  État  desi- 
gné sous  le  nom  de  Provinces-Unies,  ils  ne  tardèrent  pas 
non  plus  à  obtenir  liberté  complète  pour  l'exercice  de  leur 
culte. 

Le  schisme  qiii  éclata  en  1CG4  dans  la  communauté  des 
WatcrLrnder,  des  Flamands,  des  Grisons  et  des  Allemands 
unis  d'Amsterdam,  en  raison  des  tendances  (pii  se  manifes- 
tèrent chez  une  certaine  partie  d'entre  eux  vers  des  opi- 
nions plus  indépendantes,  fut  d'ime  liante  importance  pour 
toute  la  secte  des  anabaptistes  ;  c'est  d'ailleurs  presque  le  seul 
qui  ait  eu  pour  cause  des  divergences  d'opinions  relative- 
ment aux  questions  dogmatiques.  De  bonne  heure  les  Wa- 
lerlxyider  s'étalent  fait  remarquer  par  des  opinions  plus 
larges  en  matière  de  foi,  ainsi  qu'on  peut  le  voir  par  la  con- 
fession de  lâSl ,  qui  fut  presque  universellement  adoptée  et 
qui  était  l'œuvre  de  Hans  de  Rys  (  l'un  de  leurs  plus  célè- 
bres docteurs ,  d'.Ukemar  )  et  de  Lubbert  Gerrits  (  d'Ams- 
terdam ).  Il  était  dès  lors  inévitable  que  l'arnrinianisme 
(  voyez  Remontrants  )  exerçât  de  l'influence  sur  eux.  Galé- 
nus  de  Haen,  médecin  et  docteur  des  anabaptistes  d'Ams- 
terdam, devint  le  chef  des  indépendants;  tandis  que  Samuel 
Apostool,  également  médecin  et  docteur  de  la  communauté, 
se  plaçait  à  la  tête  des  vieux  croyants.  La  question  de  sa- 
voir à  laquelle  des  deux  sectes  devaient  revenir  les  proprié- 
tés religieuses  qui  avaient  jusque  alors  appartenu  à  la  com- 
munauté, fut  décidée  par  le  gouvernement  hollandais  au  pro- 
fit des  galéni.stes.  Comme  l'église  des  galénistes  était  située 
près  d'une  brasserie  ayant  pour  enseigne  un  agneau  (  en 
allemand  et  en  hollandais,  Lamm),  on  les  smnomma  les 
lammisfes.  Les  partisans  d'Apostool  firent  construire  à 
leurs  frais  un  édifice  particulier  pour  leur  servir  de  temple  : 
et  comme  on  y  sculpta  pour  symbole  une  image  du  so- 
leil (  en  allemand  Sonne  ),  ils  reçurent  de  là  le  surnom  de 
sonnistes.  Quoique  à  l'origine  ces  dénominations  ne  s'ap- 
pliquassent qu'à  la  conmninauté  d'Amsterdam  ,  elles  en 
Tinrent  peu  à  peu  à  être  d'un  usage  général  pour  désigner  les 
deux  grands  partis  existants  parmi  les  indulgents,  et  auxquels 
se  rattachèrent  successivement  tous  les  anabaptistes  appar- 
tenant à  cette  secte.  Les  deux  communautés  d'Amsterdam 
formèrent  un  centre  autour  duquel  vinrent  se  grouper  les 
débris  épars  des  anciens  partis,  de  sorte  qu'à  la  fin  du  dix- 
huitième  siècle  il  n'y  avait  plus  dans  les  Pays-Bas  que  deux 
espèces  d'anabaptistes.  En  1800  ces  deux  communautés 
opérèrent  leur  fusion,  si  bien  qu'aujourd'hui,  à  l'excepliou 
des  communautés  dissidentes  de  l'île  d'Ameland  et  des  vil- 
lages d'Aalsmeer  et  de  Balk ,  tous  les  anabaptistes  ne  for- 
ment qu'une  seule  et  môme  secte  chrétienne.  La  diver- 
gence dans  la  direction  tliéologique  provoquée  par  le  schisme 
de  1664  se  fit  encore  sentir  plus  tard.  Les  sonnistes  pro- 
fessaient l'attachement  le  plus  absolu  pour  les  anciennes 
confessions  rédigées  conformément  aux  doctrines  de  Menno 
(motif  pour  lequel  ils  prirent  la  dénomination  de  menno- 
nitcs  ),  oljservaient  strictement  l'interdiction  du  serment 
et  s'abstenaient  du  service  militaire  de  même  que  de  toutes 
fondions  publiques.  Dans  le  parti  des  Itimmistcs,  au  con- 
traire, on  ne  taida  )ias  à  voir  dominer  une  direction  et  une 
tendance  philosophi(pies.  Ils  s'appropiièrent  les  conquêtes 


faites  par  la  nation  anglaise  dans  le  domaine  de  la  philoso- 
phie et  de  lathéolog'e,  et  arrivèrent  ainsi,  de  même  que  par 
le  vif  intérêt  dont  ils  firent  ])reuve  pour  les  arts  et  les 
sciences  en  général,  comme  aussi  par  leur  grande  aisance  et 
leur  réputation  méritée  de  bienfaisance,  à  exercer  une  cer- 
taine direction  sur  les  tendances  intellectuelles  du  public 
hollandais.  Depuis  isil  la  fondation  à  Amsterdam  d'une  as- 
sociation universelle  des  anabaptistes  dut  resserrer  plus 
étroitement  les  liens  qui  unissent  entre  elles  les  diverses 
communautés  de  cette  secte,  tout  en  laissant  à  chacune 
sa  complète  indépendance  en  ce  qui  touche  le  dogme, 
le  culte  et  les  affaires  domestiques.  Les  anabaptistes  comp- 
tent aujourd'hui  en  Hollande  cent  vingt-quatre  communau- 
tés avec  cent  trente  prêtres,  et  par  suite  de  l'esprit  de  tolé- 
rance qui  est  la  base  de  la  constitution  hollandaise,  ils 
jouissent  de  droits  égaux  à  ceux  de  toutes  les  autres  confes- 
sions. Les  anabaptistes  d'Allemagne,  où  ils  sont  nombreux  , 
surtout  dans  les  provinces  Rhénanes,  dans  la  Prusse  orien- 
tale, dans  la  Suisse  (  on  en  trouve  également  en  Alsace  et 
en  Lorraine),  ont  conservé  une  ressemblance  extrême  avec 
les  anciens  mennonites;  et  leur  culte  ne  diffère  que  très-peu 
des  formes  de  celui  de  l'église  protestante.  —  Consultez  Rei- 
niz  et  WadzecU,  Documents  relatifs  aux  communautés 
mennonites  qui  existent  en  Europe  et  en  Amérique 
(  2  vol.,  en  allemand ,  Berlin  ,  1829  ). 

La  secte  des  Baptistes  se  forma  en  Angleterre,  en  dehors 
de  tonte  communauté  de  croyance  avec  les  descendants  des 
anciens  anabaptistes.  Ceux  d'entre  eux  qui  abandonnèrent  le 
continent  pour  se  réfugier  en  Angleterre  furent  persécutés 
sous  Henri  VllI  et  ses  successeurs.  Elisabeth  elle-même 
prononça  la  peine  du  bannissement  contre  tous  les  anabap- 
tistes. Ce  ne  fut  qu'au  commencement  du  dix-septième  siècie 
que  les  baptistes  de  la  Grande-Bretagne  fondèrent  leurs  pre- 
mières communautés,  composées  pour  la  plupart  de  trans- 
fuges du  presbytériainsme.  Aussi  dès  l'an  1630  environ  se 
divisèrent-ils  en  particular  ou  antinomian  baptists  de- 
meurés complètement  fidèles  à  la  doctrine  de  Calvin , 
môme  à  l'égard  du  dogme  de  la  prédestination,  et  en  gênerai 
ou  univcrsal,  ou  encore  arminian  baptists,  qui  sur  ce 
dogme  se  séparèrent  de  la  doctrine  de  Calvin  et  donnèrent 
accès  dans  leurs  communautés  à  l'indifférence  en  matière  de 
distinction  qui  était  propre  aux  remontrants ,  ainsi  qu'à 
quelques  opinions  sociniennes.  En  1671  un  certain  Francis 
Bampfield  fonda  encore  une  troisième  secte  parnu"  les  bap- 
tistes en  substituant  la  célébration  du  samedi  à  celle  du  di- 
manche, d'où  l'on  donna  le  surnom  de  sabbatharicns  à  ses 
adhérents.  Cette  secte  n'existe  plus  guère  aujourd'hui  que 
dans  l'Amérique  septentrionale.  Tous  les  baptistes  n'ont 
adopté  des  dogmes  particuliers  aux  anabaptistes  que  le  rejet 
du  baptême  des  enfants  et  l'usage  de  baptiser  les  adultes.  Ils 
leur  confèrent  ce  sacrement  en  les  soumettant  par  trois  fois 
à  une  immersion  totale,  lis  regardent  le  serment,  le  service 
militaire  et  les  fonctions  publiques  comme  conciliables  avec 
la  foi.  Sous  le  rapport  de  l'esprit  et  du  cuite  ils  ne  diffèrent 
en  rien  des  autres  dissidents  de  la  Grande-Bretagne ,  avec 
qui  ils  obtinrent  en  1689  le  bénéfice  de  la  liberté  de  cons- 
cience. Au  commencement  du  dix-neuvième  siècle  les  trois 
sectes  de  baptistes  comptaient  en  Angleterre  deux  cent  qua- 
rante-sept communautés.  Celle  des  trois  qui,  malgré  la  sé- 
vérité de  sa  discipline  ecclésiastique ,  est  arrivée  peu  à  peu 
à  être  la  plus  nombreuse,  est  la  secte  des  particular  bap- 
tists, qui  vers  le  milieu  du  dix-huitième  siècle  introdui- 
sirent l'usage  du  chant  dans  leur  culte.  (  Consultez  Crosby, 
History  ofthe  English  Baptists  from  the  rcform  to  the 
rcign  of  Xlcorgcs  /'■'",  4  vol.,  Londres,  1738;  et  Freiney,  A 
History  of  the  English  Baptists,  2  vol.,  Londres,  isil.) 

Les  baptistes  sont  aussi  très-répandus  dans  l'Amc'rique 
du  Nord,  où  beaucoup  de  mennonites  vinrent  s'établir  et 
fonder  dos  communautés  particulières  dans  le  cours  du  dix- 
scplièmc  siècle.  En  1842  leur  nombre  atteignait  déjà  le  chif- 


518 

fre  de  six  millions  d'âmes,  dont  la  très-grande  majorité  se 
rattache  à  la  secte  des  particulnr  baptists.  Parmi  les  des- 
cendants des  anciens  anabaplistes  on  compte  aussi  les  ditn- 
/ie;'.ç,  descendants  d'anciens  réfugiés  allemamis,  ctqui  en  1840 
possédaient  cinquante  églises  en  Amérique.  En  ce  qui  touche 
le  haptfme  des  adultes,  ils  sont  donipelers ,  c'est-à-dire 
qu'ils  pratiquent  l'immersion  totale.  Ils  ne  diflèrent  de  doc- 
trines avec  les  baplistes,  qu'en  ce  que,  à  l'instar  des  anciens 
anabaptistes,  ils  estiment  qu'il  est  illicite  de  faire  des  procès, 
de  porter  les  armes,  de  s'exercer  à  l'escrime,  de  jurer  et 
de  i)r?ter  à  intérêt.  Le  point  dominant  de  leur  foi  religieuse 
consiste  à  dire  que  la  félicité  dans  l'autre  monde  ne  peut 
s'acquérir  que  par  des  expiations  et  par  rabstincncc.  Dans 
leurs  assemblées,  où  les  deux  sexes  ne  se  réunissent  qu'une 
fois  par  semaine,  le  jour  du  sabbatli,  chacun  peut  prier  et 
parlera  haute  voix.  Ils  n'a(bninistrent  la  communion  que 
de  nuit,  et  y  joignent  des  agapes  où  ils  se  lavent  mutuelle- 
ment les  pieds  (.'t  se  donnent  le  baiser  de  la  fraternité.  Celui 
d'entre  eux  qui  contracte  mariage  cesse  par  là  d'appartenir 
aux  frères  et  sœurs  en  état  de  perfection.  Les  époux  ne  sont 
plus  que  des  parents  de  la  communauté.  Ils  peuvent  habiter 
les  loralités  voisines;  et  ce  sont  ]c^ parfaits  qui  se  ciiargent 
de  l'éducation  de  leurs  enfants.  Les  richesses  considérables 
de  la  coiniimnauté,  ([u'accroit  incessamment  le  produit  du 
travail  de  tous  ses  membres,  servent  à  l'entretien  des  pa- 
rents et  des  parfaits.  —  Il  faut  encore  mentionner  les  chris- 
tians,  qui  ne  comptent  pas  moins  de  mille  églises  dans  l'A- 
mérique du  Nord. 

AIVABAS  (du  grec  àva6a{v£iv,  grimper),  genre  de 
poissons  qui ,  d'après  G.  Cuvier,  ne  comprend  qu'une  seule 
espèce,  et  qui  apiiartient  au  groupe  des  poissons  pharyn- 
giens labyrinthilormes.  Toutecette  i'amille  est  ainsi  nommée 
parce  qu'en  partie  leurs  os  pharyngiens  supérieurs  sont  di- 
visés en  petits  feuillets  irréguliers ,  interceptant  des  cellules 
dans  lesquelles  il  peut  séjourner  de  l'eau,  qui  roule  sur  les 
branchies  et  les  himiecte  pendant  que  le  poisson  est  à  sec  ; 
ce  qui ,  ajoute  G.  Cuvier,  permet  à  ces  poissons  de  se  rendre 
à  terre ,  d'y  ramper  à  une  distance  souvent  assez  grande 
des  ruisseaux  et  des  étangs  où  ils  vivent;  propriété  singu- 
lière ,  qui  n'a  point  élé  ignorée  des  anciens,  et  qui  a  fait 
croire  au  peuple  de  l'Inde  que  ces  poissons  tombent  du 
ciel.  —  L'anabas,  qu'on  nomme  en  langue  îamouleou  ma- 
labare  pané-éré  (monteur  aux  arbres),  est  l'espèce  dont 
les  labyrinthes  du  pharynx  sont  portés  au  plus  haut  degié 
decomplication.  C'est  probablement  à  cette  particularité  d'or- 
ganisation que  ce  poisson  doit  de  s'élever  à  plusieurs  pieds 
au-dessus  de  l'eau  en  grimpant  le  long  des  arbres ,  ce  qui 
résulte  des  observations  de  MM.  Daldorf  et  John,  qui  ont 
ré-sidé  longtemps  à  Tranquebar.  Ce  poisson  se  trouve  dans 
l'Inde  et  dans  les  îles  de  son  arcliipel;  sa  chair,  qui  abonde 
en  arêtes,  quoique  de  très-mauvais  goût,  est  cependant 
estimée  dans  certaines  contrées.  Les  jongleurs  s'en  servent 
pour  atuuser  le  peuple.  L.  Lâchent. 

AIVABLEPS  (du  grec  àvaêXsuw  ,  je  regarde  en  liant), 
nom  donné  par  Artedi  à  une  espèce  de  poissons  qui  offrent 
une  particularité  d'organisation  q\ii  les  distingue  de  tous  les 
autres  animaux  vertébrés,  et  qui  consiste  en  ce  que  leurs 
yeux  ont  une  double  prunelle,  ce  qui  leur  donne  la  faculté 
d'avoir  ([uatre  champs  de  vision  ,  dont  deux  supérieurs  et 
deux  latéraux.  On  avait  d'abord  cru  que  l'anableps  avait 
quatre  yeux,  deux  sur  clia(iue  côté.  C'est  en  ce  sens  qu'il 
Hiut  interpréter  l'épithète  tctrophthalmus ,  qui  lai  avait 
été  donnée  par  IJIoch.  Ce  poisson  appartient  à  la  famille  des 
cyprino'idcs ,  ordre  des  malacoptérygiens  abdominaux.  Il 
est,  dit-on,  d'une  très-grande  fécondité,  et  vit  dans  les  ri- 
vières de  la  Guyane.  On  le  connaît  à  Cayenne  sous  le  nom 
de  gros-o'i.  Sa  chair  v  est  très-estimée.        L.  Lalhext. 

Ai\ACA.Ml»TÏQUE.  Ce  mot, dérivé  de  àvaxâiXTVTw ,  je 
réiléchis,  s'applique  en  optique  et  en  acoustique  à  la  ré- 
flexion des  rayons  de  la  lumière  ou  à  celle  des  ondes  so- 


ANABAPTISTES  —  ANACHRONISME 


nores.  En  optique,  ce  terme  a  été   remplacé  par  celui  de 
catoptriquc. 

Ai\ACAUDE  ou  NOIX  D'AC.UOU.  Voijez  Acajou. 
AiXACHARSIS  le  jeu.ne,  fils  de  Gnurus,  roi  de  Scy- 
thie,  voyagea  dans  les  pays  civilisés  de  l'Europe,  pour  s'ins- 
truire et  cultiver  son  esprit.  Vers  l'an  592  avant  J.-C, 
il  vint  à  Athènes,  et  se  lia  avec  h-s  jjIus  grands  hommes  de 
l'époque,  particulièrement  avec  Solon  et  Crésus.  De  retour 
dans  sa  patrie,  il  chercha  à  y  introduire  les  mœurs  et  le 
culte  de  la  Grèce,  ce  qui  lui  valut  l'inimitié  du  roi  son  frère 
et  la  mort.  Bien  qu'il  ne  fût  pas  Grec  de  naissance,  on  le 
compte  généralement  au  nombre  des  sept  sages  de  la  Grèce. 
Le  premier,  il  a  comparé  les  lois  aux  toiles  d'araignées ,  qui 
ne  prennent  que  les  mouches.  Il  s'étonnait  de  ce  que  dans 
le  gouvernement  d'Athènes  les  sagas  ue  fissent  que  pro- 
poser, tandis  que  les  fous  décidaient. 

L'abbé  Harthélemy  a  mis  en  scène  un  personnage  ima- 
ginaire de  ce  nom  dans  son  célèbre  Voyage  du  jeune  Ana- 
c/iarsis.  Cet  Anacharsis,  qu'il  suppose  avoir  vécu  du  temps 
de  Philippe  et  d'Alexandre ,  est  censé  être  un  descendant 
du  lils  do  Gnurus. 

iVNACIIORÈTE,  substantif  grec  formé  du  verbe  àva- 
ywpÉo),  aller  à  l'écart,  vivre  dans  la  retraite.  On  appelle 
ainsi  un  ermite,  un  solitaire,  un  homme  retiré  du  monde 
par  motif  de  religion,  et  (pii,  déterminé  à  fuir  toute  dis- 
traction incompatible  avec  la  vie  contemplative  et  les  pra- 
tiques de  la  pénitence,  livré  aux  méditations  religieuses, 
aux  jeûnes,  aux  macérations,  vit  seul,  afin  de  ne  s'occuper 
que  de  Dieu  ,  auquel  il  s'est  voué  tout  entier.  Ce  genre  de 
vie  a  toujours  été  connu  dans  l'Orient.  Saint  Jean-lJaptiste, 
dès  son  enfance,  se  retira  dans  le  désert,  et  y  vécut  jusqu'à 
l'âge  de  trente  ans  ;  mais  saint  Paul  de  ïlièbes  en  Egypte 
est  regardé  comme  le  premier  ermite  ou  anachorète  du 
christianisme.  Il  se  retira  dans  le  désert  de  la  Thébaïde 
Tan  250,  pendant  la  persécution  de  Décius  et  de  Yalérien  ; 
bientôt  il  y  fut  suivi  (lar  saint  Antoine  et  par  d'autres,  qui 
vécurent  en  commun  et  furent  nommés  cénobites .  Cet 
exemple  fut  suisi  même  par  des  femmes  :  quelques-unes 
s'enfoncèrent  dans  les  déserts  pour  éviter  les  dangers  du 
siècle;  d'autres  se  renfermèrent  dans  des  cloîtres  pour  y 
vivre  ensemble  sous  une  même  règle.  Ce  fut  l'origine  do 
l'état  monastique. 

ANACHRONISME  (du  grec  àva,  en  arrière  de,  contre, 
et  ypovô;,  temps).  Par  là  on  entend  généralement  toute 
erreur  de  date  contre  la  chronologie;  mais  l'étymologie  de 
ce  mot  en  restreint  la  signification  à  l'erreur  qui  i)lace  un 
fait  avant  sa  venue.  Charles  Nodier ,  dans  son  Examen 
critique  des  Dictionnaires,  se  plaint  de  cette  définition, 
et  demande  comment  on  nommera  la  faute  qui  consisterait 
à  placer  un  fait  dans  un  temps  postérieur  à  celui  où  il  est 
arrivé.  Il  ne  pouvait  ignorer  cependant  qu'il  y  a  une  ex- 
pression pour  rendre  ce  sens  :  c'est  parachronismc,  fait 
de  Ttapà,  au  delà,  et  de  xpovà;.  Prochronisme,  fait  de  Ttpo, 
avant,  et  de  xpovè;,  a  la  même  signification  qu'anachro- 
nisme. Enfin,  il  existe  un  mot  pour  rendre  en  général  une 
erreur  en  chronologie  :  c'est  métachronisme,  dont  la  tète 
[xeià  est  une  préposition  qui  marque  simplement  le  dépla- 
cement. 

Il  y  a  des  anachronismcs  tellement  consacrés  par  l'usage, 
que  les  savants  eux-mêmes  sont  obligés  de  s'y  soumettre. 
Telle  est  l'erreur  accréditée  par  Virgile,  qui  rend  contempo- 
rains Énée  et  Didon,  quoiqu'ils  aient  vécu  à  deux  cents  ans 
de  distance.  Telle  est  la  tradition  qui  place  la  naissance  de 
Jésus-Christ  en  l'an  4004  du  monde  et  754  de  Rome,  tandis 
qu'elle  doit  être  reportée,  selon  les  uns  à  l'an  749,  selon  les 
autres  à  l'an  751. 

L'anaclironi>me  ne  consiste  pas  seulement  dans  la  trans- 
position de  dates  de  tel  ou  tel  événement.  On  en  commet 
aussi  en  prêtant  à  une  ('poque  les  nueurs  et  les  usages  d'une 
autre ,  en  attribuant  à  un  personnage  des  idées  qui  n'ont 


ANACHRONISME  —  ANACREON 


519 


pu  ètro  les  siennes,  un  langage  qu'il  n'a  i)ii  tenir,  des  actions 
qui  lui  sont  éti  augures. 

AJV'ACLASTIQUE  (du  grec  àvà,  dereclief;  x),âw,  je 
brise).  Ce  mot  est  employé  dans  les  anciens  auteurs  pour 
désigner  la  partie  de  l'optique  qui  a  pour  objet  les  rélrac- 
tions  de  la  lumière,  et  qu'on  appelle  aujourd'hui  diop- 
trique.  On  se  sert  quelquefois  du  mot  anaclasfiqiie  adjec- 
tivement :  c'est  ainsi  qu'on  dit  le  point  anaclaslique,  pour 
désigner  le  point  où  un  rayon  de  lumière  se  rofractc. 

AIVACLET.  L'un  des  deux  papes  de  ce  nom ,  disciple 
de  saint  Pierre,  mourut  de  la  mort  des  martyrs,  en  92  ; 
c'est  tout  ce  que  l'histoire  nous  apprend  de  certain  sur  lui. 
—  L'autre  était  petit-fils  d'un  juif  baptisé.  11  s'appelait  d'a- 
bord Pierre  (fe  LÉON.  11  fut  successivement  écolier  à  l'Univer- 
sité de  Paris,  moine  à  l'abbaye  de  Cluni,  cardinal  et  légat 
du  pajw  en  France  et  en  Angleterre.  En  1130  il  fut  élu  pape 
en  opposition  à  Innocent  II ,  qu'il  obligea  à  se  réfugier  en 
France.  Rome,  Milan  et  la  Sicile  étaient  pour  Anaclet.  C'est 
de  lui  que  Roger  de  Sicile ,  qui  avait  épousé  sa  sœur,  ob- 
tint le  titre  de  roi.  Anaclet  se  maintint  contre  l'empereur 
Lothaire  II ,  malgré  les  actes  des  conciles  de  Reims  et  de 
Pise,  malgré  les  foudres  do  saint  Bernard  ,  et  il  mourut  à 
Rome,  le  7  janvier  113S.  11  n'a  jamais  figuré  dans  l'histoire 
ecclésiastique  que  comme  antipape. 

A\ACOLl]TIIE,  ligure  de  mots,  espèce  d'ellipse,  ve- 
nant d'àvaxoÀo'jûo; ,  qui  n'est  pas  compagnon ,  qui  ne  se 
trouve  pas  dans  la  compagnie  de  celui  avec  lequel  l'analogie 
voudrait  qu'il  se  trouvât.  Au  II'  livre  de  l'Éneide,  Panthée, 
prêtre  d'Apollon,  rencontrant  Énée  pendant  le  sac  de  Troie, 
lui  dit  qu'llion  n'est  plus;  que  des  milliers  d'ennemis  en- 
trent par  les  portes  en  plus  grand  nombre  qu'on  n'en  vit 
autrefois  venir  de  Mycènes  : 

Pnrtis  alii  bipatentibus  adsuiit 

Millia  quot  magnis  nunquani  'vendre  Mjrcenis. 

On  ne  saurait  faire  la  constniction  sans  dire  :  Ain  ad- 
sunt  TOT  quot  nunquam  venerc  Mycenis. 

Ainsi  tôt  est  Vanucolutlic,  le  compagnon  qui  manque.  Il 
en  est  de  même  de  tantum  sans  quantum,  de  tamen  sans 
quanquam.  En  français,  au  lieu  de  dire  :  il  est  là  où  vous 
allez ,  on  dit  :  il  est  où  vous  allez  ;  —  là  est  r««flco- 
luthe  :  c'est  dire  une  figure  par  laquelle  on  sous-entend  le 
corrélatif  d'un  mot  exprimé;  ce  qui  ne  doit  jamais  avoir 
lieu  que  lorsque  l'ellipse  ne  blesse  point  l'usage  et  peut  être 
aisément  suppléée.  Dcmxrsais. 

A\' ACRÉOîV ,  célèbre  poète  grec ,  né  à  Tcos  en  lonie, 
Horissait  vers  l'an  530  avant  J.-C.  Platon  le  fait  descendre 
d'une  des  plus  illustres  familles  de  la  Grèce ,  et  place 
même  le  dernier  roi  d'Athènes,  Codrus,  au  rang  de  ses  an- 
cêtres. Étant  fort  jeune  encore,  il  suivit  avec  ses  parents  une 
colonie  des  Téiens,  qui  pour  échapper  au  joug  des  Perses 
émigra ,  dans  la  59*^  olympiade ,  à  Abdère,  sur  les  côtes 
de  Thrace.  Polycrate  ,  tyran  de  Samos  ,  et  Hipparque ,  fils 
de  Pisistrate  ,  tyran  d'Athènes,  furent  heureux  de  compter 
parmi  les  poètes  dont  ils  s'entouraient  le  chantre  célèbre  des 
Amours  et  des  Grâces.  Quelques  auteurs  rapportent ,  au 
sujet  de  sa  liaison  avec  le  premier,  une  anedocte  qui  prou- 
verait qu'elle  n'a  pu  être  aussi  intime  qu'on  l'a  prétendu  : 
ils  racontent  qu'ayant  reçu  de  lui  une  somme  assez  consi- 
dérable ,  à  condition  qu'il  habiterait  son  palais  ,  Anacréon 
se  liàta ,  le  lendemain  même  de  ce  marché ,  de  lui  reporter 
l'argent  ([ii'il  avait  accepté,  disait-il,  trop  légèrement,  le  con- 
jurant de  lui  rendre  sa  liberté,  et  avec  elle  ses  chansons  et 
sa  gaieté.  C'est  la  fable  du  Savetier  et  du  Financier,  de 
La  Fontaine.  Il  paraît  certain,  malgré  ce  récit,  qu'il  passa  à 
Samos,  aiipiès  de  Polycrate,  les  plus  belles  années  de  sa  vie, 
vivant  dans  son  intimité,  au  milieu  des  plaisirs  d'une  cour 
voluptueuse.  .Après  la  mort  de  ce  (irince,  il  s'embarcpia  pour 
Athènes,  sur  une  galère  à  cinquante  raines  que  lui  avait  en- 
voyée Hipparque;  ce  fut  à  sa  cour  qu'il  connut  Simonide  de 


Céos,  autre  grand  lyrique  ionien  qui  devait  lui  Kurvi\re  et 
lui  consacrer  une  double  épitaphe.  Ils  bercèrent  ensemble 
ce  peuple  enthousiaste  et  léger,  mais  ami  du  repos  avant 
tout  et  redoutant  les  orages  de  la  démocratie.  Anacréon , 
(piand  Hipparque  fut  tombé  sous  le  poignard  d'Harmodius 
et  d'Aristogiton ,  quitta  Athènes  et  retourna  à  Téos  :  au 
bout  de  quelques  années,  une  révolution  vint  l'obliger  à 
échanger  pour  la  seconde  fois  ce  séjour  contre  celui  d'Ab- 
dère,  où  il  mourut  suivant  les  uns;  mais,  s'il  faut  en  croire 
les  vers  de  Simonide,  ce  fut  à  Téos,  où  il  était  retourné  de 
nouveau,  qu'il  expira,  ;i  l'ûge  de  quatre-vingt-cinq  ans, 
étranglé  par  un  pépin  de  raisin. 

Les  Téiens  gravèrent  son  image  sur  leurs  monnaies,  et 
les  Athéniens  lui  élevèrent  une  statue  sur  l'Acropole,  à  côté 
de  celles  de  Périclès  et  de  Xantippe;  cette  statue  le  repré- 
sentait couronné  de  roses,  sous  la  figure  d'un  vieillard  chan- 
tant dans  l'ivresse,  et  tenant  ce  luth  dont  il  tirait ,  dit-on  ,  de 
si  doux  accords. 

«  Ses  poésies  sont  enchanteresses ,  a  dit  un  de  ses  bio- 
graphes ;  grâce,  mollesse,  enjouement,  variété,  coloris,  tout  y 
est  inimitable;  c'est  le  chantre  du  plaisir  par  excellence. 
Yénus  et  la  volupté,  le  vin  et  Bacchus,  Silène  et  les  Dryades, 
voilà  son  univers.  Il  n'a  d'autres  passions  que  la  gaieté,  l'in- 
souciance et  la  paresse ,  d'autre  ambition  que  le  sourire. 
Il  a  vécu  couché  sur  un  lit  de  feuilles  odorantes ,  buvant 
et  chantant  ;  c'est  en  buvant  et  en  chantant  encore  qu'il  des- 
cend aux  enfers  pour  y  danser  avec  les  morts.  Ses  poésies 
ne  sont  point  des  rêves  d'imagination,  des  fictions  inventées 
à  plaisir;  non,  leur  supériorité  c'est  qu'elles  sont  l'histoire 
de  sa  vie.  Bien  différent  de  ces  faux  poètes  qui  parlent  tou- 
jours de  leur  culte  sans  idole,  épicuriens  sans  soif  et  sans 
amours,  qui  disent  à  jeun  l'ivresse,  à  jeun  aussi  la  volupté, 
lui,  s'il  célèbre  le  vin,  c'est  qu'il  chancelle;  s'il  célèbre  Vénus, 
c'est  qu'il  a  dénoué  la  ceinture  de  sa  maîtresse.  Vrai  poète, 
il  n'a  chanté  que  le  vin  et  l'amour,  parce  qu'il  n'a  vécu  que 
pour  l'amour  et  le  vin.  C'est  le  roi  des  riants  convives. 

«  Son  style  réunit  deux  qualités  qui  vont  rarement  en- 
semble :  la  concision  et  la  légèreté  ;  son  talent  est  irrépro- 
chable. Malheureusement,  on  ne  peut  pas  en  dire  autant  de 
ses  mœurs,  et  les  trois  noms  de  Cléobule,  de  Smerdias  et  de 
Batylle  imprimeront  toujours  une  tache  à  celui  d'Anacréon. 
Mais  quant  à  la  réputation  du  poète ,  elle  est  grande  comme 
celle  de  Pindare  et  d'Homère  ;  comme  celle  de  Pindare  et 
d'Homère,  elle  est  indestructible.  Avec  ces  deux  grands 
génies  Anacréon  partage  la  gloire  d'avoir  donné  son  nom  à 
son  genre  de  poésie;  c'est  de  tous  les  triomphes  le  plus 
sublime.  « 

Les  anciens  possédaient  de  lui  cinq  livres  de  poésies,  en 
pur  dialecte  ionien  ,  non  moins  variées  par  le  fond  que  par 
la  forme ,  des  hymnes  ,  des  élégies ,  des  ïambes  ,  outre  ses 
chansons  baciiiques  et  erotiques.  A  ce  dernier  genre  ap- 
partiennent les  cinquante-cinq  petites  pièces  connues  sous 
le  nom  d'Odes  d'Anacréon,  publiées  pour  la  première  fois 
en  1554,  à  Paris,  par  les  soins  d'Henry  Estienne,  d'après 
deux  manuscrits  que  le  hasard  avait  fait  tomber  entre  ses 
mains,  et  qui  ne  nous  ont  pas  été  conservés.  De  là  d'abord 
quelcpies  soupçons,  qui  se  sont  évanouis  quand  elles  ont 
été  retrouvées ,  avec  un  meilleur  texte  et  une  disposition 
différente,  à  la  suite  de  l'Anthologie  de  Constantin  Céphalas, 
dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  Palatine  à  Heidelberg, 
transporté  à  la  Vaticane  de  Rome,  et  publié  dans  cette  der- 
nière ville  en  1781. 

Un  juge  très-compétent,  M.  Guigniaut,  a  prétendu  «  qu'à 
de  très-rares  exceptions  près ,  ces  chansons  anacréontiques, 
de  mérites  fort  divers,  ne  sont  que  des  imitations  d'Ana- 
créon ,  faites  à  des  époques  différentes ,  beaucoup  même 
dans  les  premiers  siècles  de  notre  ère.  La  plupart,  dit-il,  ne 
manquent  ni  d'esprit,  ni  de  finesse,  ni  d'une  certaine  naï- 
veté; mais  l'inspiration  poétique  n'y  apparaît  que  de  loin 
en  loin  ;  la  langue  n'y  est  plus  l'ancien  ionien,  et  la  niesiii-e 


520 


du  vers  y  est  souvent  m^gligi'c  à  Pcxcès.  Ces  i)roi!u(li.)iis, 
agréables  en  elles-mèines ,  sont  i)eii  dignes  ilii  grand  maître 
dont  elles  ont  usuipé  le  nom.  On  n'en  saurait  dire  autant 
des  épigrammes  d'Ana(;réon ,  insérées  par  Méléagre  dans 
son  Anthologie.  Le  caractère  de  ces  compositions,  d'une  sim- 
plicité parfaite ,  garantit  l'authenticité  de  la  plupart.  » 

L'édition  la  plus  généralement  estimée  de  ce  qu'on  est 
convenu  d'appeler  les  œuvres  d'Anacréon  est  celle  de 
I5runck  (Strasbourg,  in- 1  G,  1780).  De  Saint-Victor  en  a  re- 
produit le  texte  en  regard  de  sa  traduction,  publiée  en  1810 
in-S".  Indépcndanmient  de  cette  version  ,  le  grand  poète  de 
Téos,  on  du  moins  ce  (pi'on  lui  attribue,  a  été  fréquemment 
interjirété  dans  toutes  les  langues,  et  notanunent  en  français, 
par  madame  Dacier  et  par  Gail  eu  prose;  par  Longepierre, 
de  la  Fosse,  C.acon,  de  Saint-Victor,  Veissier- Descombes 
et  I\L  Henry  Vesseron  en  vers.  Plusieurs  de  ces  odes  ont 
môme  été  mises  en  musique  par  Mébnl,  Chérubini  et  d'au- 
tres compositeurs. 

A\ACRÉOi\'TIQUE  (Littérature),  genre  de  poésie 
dont  Anacréon,  de  Téos,  a  créé  le  modèle.  La  plupart  de 
ses  odes  sont  en  vers  de  sept  syllabes ,  ou  de  trois  pieds  et 
demi,  spondées  ou  ïambes,  quelquefois  anapestes.  Nos 
poètes  français  ont  également  employé  pour  cette  ode  les 
\ers  de  sept  et  de  huit  syllabes ,  qui  ont  moins  de  noblesse, 
ou  ,  si  l'on  veut,  d'emphase  que  les  vers  alexandrins,  mais 
l>Ius  de  douceur  et  de  mollesse.  Avant  et  après  Anacréon , 
<i"autres  poètes  grecs  ont  célébré  l'amour,  ses  peines ,  ses 
délices  :  mais  seul  il  a  consacré  tous  ses  chants  à  cette 
volupté.  H  a  eu  encore  d'heureux  imitateurs  parmi  les  La- 
tins ;  et  en  tète  il  faut  inscrire  Horace  ,  Catulle  .  TihuUe, 
Properce,  Gallus,  etc.  ;  mais  pour  le  léger  Catulle  lui-!nème 
l'amour  mêle  toujours  quelque  amertume  aux  plus  douces 
jouissances;  pour  Anacréon  seul  c'est  un  messager  de 
plaisir,  qui  n'a  jamais  vu  passer  un  nuage  sur  le  front  de  son 
maître  ;  ils  boivent  et  chantent  ensemble  ,  ils  se  couronnent 
ensemble  de  roses.  Parmi  les  odes  anacréontiques  d'Horace, 
on  en  cite  particulièrement  deux  :  O  mutre  pulchra  Jilia 
pulcIiriorleX  Lijdia,  die  pero??i72P5.' Mais  Horace  travaille 
beaucoup  son  style,  dont  la  perfection  même,  en  constatant 
l'inconcevable  méritede la difliculté  vaincue,  laisse  apercevoir 
la  trace  des  efforts.  Anacréon,  plus  simple,  ne  livre  au 
lecteur  que  les  fruits  heureux  d'une  inspiration  soudaine;  il 
prend  sa  lyre,  et  s'abandonne  à  sa  riante  imagination.  Horace 
conserve  toujours  malgré  lui  quelques  paillettes  de  gravité 
romaine  ;  il  philosophe  sur  la  mort  :  Anacréon  joue  avec  elle. 

Les  odes  anacréontiques  d'Horace  manquent  de  ce  charme 
qui  touche  dans  Tibulle  et  dans  notre  Parny  ;  jamais  elles 
ne  firent  verser  une  larme.  Ln  lisant  Anacréon  on  oublie 
tout  pour  se  mettre  à  la  place  d'un  homme  aussi  heureux. 
On  a  comparé  aussi  Panard,  Collé  et  Dcsaugiers  à  Anacréon  ; 
mais  leur  ivresse  n'est  pas  de  bon  ton  comme  celle  de  leur 
modèle  ,  on  cherche  vainement  le  verecunclum  JUicvImm 
à  leur  table.  C'est  un  vrai  poète,  ils  ne  sont  que  d'admira- 
bles chanteurs;  et,  malgré  l'opinion  contraire  de  VEnchj- 
clopédie  du  dix-huitième  siècle,  nous  persistons  à  croire 
que  toutes  les  bonnes  chansons  ne  sont  pas  autant  d'odes 
anacréontiques.  Kn  dépit  de  ces  maîtres  de  la  science,  ja- 
mais nous  ne  nous  résignerons ,  non  plus ,  à  voir  dans  La 
Mothe  un  rival  heureux  d'.\nacréon  et  à  proclamer  ses 
odes  anacréonticpies  des  chefs-d'œuvre  d'esprit,  de  badi- 
nage  léger  et  de  morale  épicurienne. 

«  Nous  possédons,  a  dit  l'académicien  Tissot,  qui  était 
l'élève  de  Delille,  de  charmantes  pièces"  anacréontiques 
qui ,  sans  conserver  à  nos  yeux  le  prix  qu'un  hymne  du 
vieillard  de  Téos  devait  avoir  pour  les  Grecs  ,  nous  plaisent 
par  la  fidèle  image  d'un  modèle  quelquefois  embelli.  D'au- 
tres, telles  que  les  stances  de  Voltaire  :  Si  vous  voulez 
que  f aime  encore,  et  ceFles  de  Chauliou  sur  la  solitude, 
nous  révèlent  ce  (p.i'on  chercherait  en  vain  dans  les  amours 
des  pocles  anciens.  Le  Oon  Vieillard  de  Ccrangcr  est  une 


ANACRÉON  —  ANAGNOSTKS 

pièce  achevée ,  prouvant  aux  plus  incrédules  combien  on 


jieut  étendre  les  contpiêtes  de  ce  genre  de  poésie  .sans  le 
dénaturer.  Voltaire  a  prétendu  que  nous  avions  en  français 
cent  chansons  supérieures  aux  odes  d'Anacréon  ;  ce  juge- 
ment,  rrot  à /)/?«  d'j/H  égard,  n'enlève  rien  à  la  gloire 
du  vieillard  de  Téos.  Même  dans  ses  pièces  les  plus  légères, 
Anacréon  donne  des  exemples  utiles  aux  poètes.  » 

De  ce  qui  précède  il  résulte  que  le  classique  profes- 
seur, saisi  dès  les  bancs  du  collège  d'un  profond  respect 
pour  celui  qu'il  appelle  un  des  plus  grands  maîtres  en  poésie, 
se  sent  mal  à  l'aise  quand  il  se  voit  forcé,  par  le  tour  tyran- 
nique  de  sa  propre  phrase,  de  justilier  cet  enthousiasme 
traditionnel.  Jules  Janin,  lui,  n'y  met  pas  tant  de  façons  : 

«  Parce  qu'il  avait  existé,  dit-il,  à  Téos,  dans  llonie, 
540  ans  ùvant  .L-C,  un  poète  qui  aimait  le  vin  et  les 
femmes,  et  qui  a  chanté  tout  ce  qu'il  aimait  en  quelques  odes 
d'une  simplicité  pleine  de  grâce,  nos  poètes  français,  bien 
longtemps  après  Anacréon,  inventèrent  une  chose  qui  ne 
ressemble  pas  plus  à  Anacréon  que  le  peintre  Boucher  ne 
ressemble  au  Titien;  cette  chose,  ils  l'appelèrent  :  genre 
anacréontiqite.  Anacréon  ,  dont  le  mètre  est  si  exact  et  la 
grâce  si  peu  verbeuse,  Anacréon,  qu'on  dirait  échappé,  tout 
amoureux  et  tout  ivrogne  qu'il  est,  <le  quelque  école  poétique 
de  Sparte ,  ne  se  doutait  pas  que  tant  d'années  après  sa 
mort,  il  donnerait  naissance  a  cette  détestable  école  de 
poi'sie,  toute  remplie  de  (leurs,  de  bergers,  de  jiarfums,  de 
guirlandes  de  roses,  de  petits  dieux  aux  yeux  bandés,  aux 
ailes  étendues.  Si  on  avait  expliqué  à  Anacréon  ce  que  c'é- 
tait au  juste  que  le  genre  anacréontique,  il  aurait  fait 
une  ode  à  coup  sur  pour  démontrer  qu'on  devait  donner  à 

ce  très-détestable  genre  un  autre  nom  que  le  sien 11  faut 

lire  Anacréon,  quand  on  sait  le  grec.  11  faiit  écrire  comme 
lui,  quand  on  a  sa  passion  et  son  style.  Il  faut  se  méfier, 
en  tout  temps,  en  fout  lieu,  en  tout  pays,  en  toute  circons- 
tance, en  peinture,  en  poésie,  en  musi(iue ,  partout  et  tou- 
jours, du  genre  anacréontique.  » 

AiVACYCLIQUE,  terme  de  littérature  ancienne,  se 
disait  de  quatre  ou  six  vers  latins,  dont  les  mots  des  deux 
ou  trois  premiers  se  trouvaient  dans  les  derniers,  mais 
placés  en  sens  inverse,  le  premier  devenant  le  dernier. 

AiNADEMATA,  ANADESME.  On  donnait  ce  nom, 
chez  les  Grecs,  à  toutes  les  bandelettes,  à  tous  les  liens  qui 
servaient  à  contenir  ou  à  orner  la  chevelure.  D'après  l'cpi- 
tliète  qu'Homère  applique  à  la  coiffure  d'Andromaque,  il 
paraîtrait  que  c'était  une  bandelette  tressée  ou  une  natte. 

AIVADYOMEIVE.  Ce  surnom,  sous  lequel  Vénus  a  été 
célèbre  dans  l'antiquité,  rappelle  la  naissance  de  cette  déesse 
essuyant  ses  cheveux  en  sortant  de  l'écume  de  la  mer 
qui  l'avait  formée.  C'est  ainsi  que  l'a  représentée  le  peintre 
Apelle.  Selon  quelques  auteurs,  ce  fift  Campaspe ,  maîtresse 
d'Alexandre,  qui  lui  servit  de  modèle;  d'autres  prétendent 
que  ce  fut  Phryné.  On  raconte  qu'aux  fêtes  de  Neptune  cette 
courtisane  se  dépouilla  de  ses  vêtements  devant  toute  l'assem- 
blée, et  se  baigna  dans  la  mer  pour  donner  à  l'artiste  une  idée 
de  Vénus  sortant  de  l'onde.  Ce  tableau  fut  rapporté  à  Rome 
sous  Auguste,  qui,  d'après  le  témoignage  de  Pline,  le  consacra 
dans  le  temi>le  de  César ,  son  père.  Parmi  les  poètes  qui 
ont  célébré  les  beautés  de  ce  chef-d'œuvre,  Antipater  de  Si- 
don  est  celui  qui  en  a  Hiit  la  description  la  plus  animée.  La 
voici  telle  qu'on  la  trouve  dans  l'Anthologie  :  «  Voyez  l'œuvre 
admirable  cn'ée  par  le  pinceau  d'Apelle!  Voyez  la  belle  Cy- 
pris  s'élançapt  du  sein  des  Ilots  pourprés  !  Elle  porte  la  main 
à  sa  chevelure,  d'où  l'eau  ruisselle,  et  presse  l'onde  écumeuse 
do  ses  boucles  humides.  Pallas  elle-même  et  l'orgueilleuse 
épouse  de  Jujutcr  disent  en  la  voyant  :  «  Maintenant  nous 
«  ne  te  disputons  plus  le  prix  de  la  beauté.  »  Le  Titien  a 
traité  le  même  sujet. 

AIV.XGXOSTES,  nom  emprunté,  sans  altération,  au 
grec  (àvayvwrrTv;;).  Il  désignait  chez  les  P,(niiains  cer  es- 
claves, iwur  la  plupart  Irès-ir.struils  cl  d'un  prix  élevé,  qui 


ANAGNOSTES 

iluraiit  los  repas  ou  on  tl'autres  moments  faisjiient  la  lecture 
à  leurs  maitros  et  aux  liotesde  ces  deniieis.  Lorsque  Autiste 
s'éveillait  iH>nilant  la  nuit  et  ne  pouvait  pas  se  rendormir,  il 
appelait  souvent  près  de  lui  (Suétone,  OctaiK,  7S)  de  ces 
leclorcs,  comme  il  les  ajipellc,  et  de  ces  conteurs  {/ahula- 
tures).  Ce  fut  l'empereur  Claude  surtout  qui  mit  les  ana- 
{^nostes  en  faveur  ;  \cf'/abulatorcs  se  sont  peut-être  conservés 
en  Italie  jusqu'aux  temps  modernes  dans  les  novcllalori, 
célébrés  particulièrement  par  madame  de  Staël  {Corinne,  n, 
234  et  suiv.  ). 

AXAGOGIE  (du  grec  àvi,  en  haut,  en  arrière  de,  re- 
tour, et  âyîiv,  conduire,  rappeler  ) .  Les  Anagogies  étaient  dans 
l'antiquité  des  fêtes  qu'on  célébrait  à  Éryx,  en  l'honneur  de 
Vénus,  émigrée  eu  Libye,  pour  invoquer  son  retour. 

En  langage  mystique,  c'est  un  état  d'extase,  de  ravissement 
de  l'àme  vers  les  choses  célestes,  ou  le  moyen  d'élever  l'es- 
prit à  cet  ordre  d'idées. 

Enfin  c'est  l'interprétation  figurée  d'un  fait  ou  d'un  texte 
de  la  Bible,*  pour  signifier  les  choses  du  ciel.  Dans  ce  sens, 
K»s  biens  temporels  promis  aux  observateurs  de  la  Loi  sont 
l'emblème  des  biens  éternels  réservés  à  la  vertu  dans  la  vie 
future. 

AA'AGRAAIME  (du  grec  àvà,  en  arrière,  et  Ypàiip.ot, 
lettre),  transposition  arbitraire  des  lettres  d'un  nom  de  ma- 
nière à  leur  faire  former  par  leur  nouvelle  combinaison  un 
sens  avantageux  ou  désavantageux  à  la  personne  dont  le  nom 
fournit  matière  à  l'anagramme.  Amsi,  Vanagramme  de  lo- 
gica  est  caligo,  celle  de  Lorraine  est  alérion,  et  l'on  dit  que 
c'est  pour  cela  que  la  maison  de  Lorraine  porte  des  alérions 
dans  ses  armes.  C'est  Calvin  qui  fut  l'introducteur  de  Vana- 
gramme en  France.  A  la  tète  de  ses  Institutions,  imprimées 
à  Strasbourg  en  153S,  il  prit  le  nom  A^ilcuinus,  qui  est  l'a- 
nagramme de  Calvinus.  Ou  trouve  aussi  dans  François  Ra- 
belais plusieurs  exemples  d'a?ifl9JY/m?«e5  :  lui-même  se  re- 
vêt du  pseudonjTne  Alcoj'ribas  iW/.s/er,  composé  exactement 
des  mômes  lettres.  Mais  ce  fut  Dorât,  poète  français,  qui 
mit  ce  genre  en  honneur  sous  le  règne  de  Charles  IX. 

On  a  accusé  les  anciens  de  n'avoir  pas  cultivé  l'ana- 
gramnie  :  c'est  une  infâme  calomnie ,  qui  doit  retomber  sur 
les  modernes.  Lycophron,  qui  vivait  du  temps  de  Ptolémée 
Philadelphe,  quelques  cents  ans  avant  la  naissance  de  Jésus- 
Christ,  a  obtenu  des  succès  éclatants  dans  Vanagramme; 
et  nous  les  citerions  avec  joie,  s'ils  ne  compromettaient  pas 
quelques  dames  de  Philadelphie,  près  desquelles  ils  valurent 
au  poète  des  succès  plus  éclatants  encore. 

Que  manque-t-il  à  la  gloire  de  l'anagramme?  Lorsque 
Pilate,  interrogeant  Jésus-Clirist ,  lui  fit  une  question  que 
le  latin  rend  par  ces  mots  :  Quid  est  veritas  ?  la  réponse 
du  Christ  est  dans  la  même  langue  :  Est  vir  qui  adest.  C'est 
une  anagramme  parfaite.  Belle  est  encore  celle  qu'on  a  ima- 
ginée sur  le  meurtrier  de  Henri  lil,  frère  Jacques  Clément, 
et  qui  porte  :  Cest  l'enfer  qui  m'a  créé.  Les  cabaiisles 
parmi  les  juifs  l'emploient  fréquemment.  De  Pierre  de  Ron- 
sard on  a  fait  rose  de  Pindare  ;  de  Vermiettes,  pseudonyme 
de  J.-B.  Rousseau  rougissant  de  sou  père  le  savetier.  Tu  te 
renies;  de  révolution  française,  un  Corse  la  finira ;de  La- 
martine, enfin,  montant  au  pouvoir  en  1S48 ,  mal  t'en  ira. 

Le  vers  rétrograde  est  aussi  une  espèce  d'anagramme. 
On  trouve  dans  une  vieille  Bible,  en  marge  de  l'endroit  où 
la  Genèse  parle  du  sacrifice  deCain  et  d'Abel,  ce  vers  hexa- 
mètre, que  l'on  met  dans  la  bouche  du  dernier  : 

Sacrum  pinguc  tlubo,  ncc  macruiD  sacrificabo. 

Gain  réjwnd  en  retournant  ce  vers,  qui  devient  pentamètre 

Sacrificabo  macrum,  ncc  tialio  pingnc  sacrum. 

Rachct  a  composé,  sous  le  titre  d'anagrammeana,  un 
poème  de  douze  cents  vers,  dont  chacun  contient  une  ana- 
gramme. Jules  SvNnr.xL'. 

AIVAIS (Mademoiselle).  Voyez  Aubekt  (.\nais). 

DICT.    l)L    LA   CO.>\UibArio;..  1.    1. 


-  AN.\LOGIK  521 

•WAI.CniE,  espèce  de  sihcafe  fusible  au  chalumauicn 
im  verre  incolore  etplus  ou  moins  transparent.  Tous  ces  cris- 
taux, même  ceux  cpii  sont  diaphanes,  n"ac(iuièrent  au  moyen 
du  frottement  qu'une  très-l'aible  vertu  electri(pic  :  à  défaut 
de  caractère  plus  tranché,  Hauy  a  tiré  de  celui-ci  le  nom  du 
minéral  dérivé  de  à^alxi;,  corps  faible,  sans  vigueur.  Ce 
nom  lui  convient  aussi  sous  le  rapport  de  la  dureté,  car  il 
peut  à  peine  rayer  le  verre.  Ce  minéral  se  trouve  en  abondance 
dans  les  roches  basaltiques  de  l'Ecosse  et  des  Hébrides,  et 
dans  celles  des  îles  Cyclopes,  près  de  la  Sicile.  H  se  ren- 
contre encore  dans  des  amygdaloïdes  aux  États-Unis  et  dans 
le  i'yrol. 

AIVALECTES  (du  grec  àvxliwta,  je  ramasse).  On  ap- 
pelle ainsi  des  fragments  choisis  d'un  auteur,  ou  une  collec- 
tion de  morceaux  de  divers  auteurs.  Le  père  Mahillon  a 
publié,  sous  le  titre  A'Analectes,  une  collection  de  manus- 
crits qui  n'avaient  pas  encore  été  imprimés,  et  Rrunck,  une 
anthologie  curieuse.  —  C'était  aussi  chez  les  anciens  le  nom 
qu'on  donnait  aux  restes  des  rei)as,  à  ce  qui  tombait  à  terre, 
et  plus  spécialement  aux  esclaves  chargés  de  les  recueillir 
et  de  balayer  la  salle  du  festin. 

AXALEIMME  ou  ANALÈME  ^du  grec  àvâ),£ij.aa,  hau- 
teur; fait  du  verbe  àva).aix6ivto,  prendre  d'en  haut).  On  ap- 
pelle ainsi ,  en  astronomie,  la  projection  orthographique  de 
tous  les  cercles  de  la  sphère  sur  le  plan  du  méridien.  L'ana- 
lemme  sert  à  trouver  la  hauteur  du  soleil  à  une  heure  quel- 
conque par  une  opération  graphiijue.  On  peut  encore  l'em- 
ployer pour  déierminer  le  temps  du  lever  et  du  coucher  du 
soleil  pour  une  latitude  et  un  jour  déterminé.  —  On  appelle 
aussi  mialemme  l'instrument  nommé  autrement  trigone 
des  signes. 

ANALEPTIQUES  (du  grec  àvâ),r,'V.:,  r.ftablissement  ), 
substances  le  plus  souvent  alimentaires ,  quelquefois  médir 
camenteuses ,  auxquelles  on  attribue  la  propriété  de  contri- 
bi:er  au  rétablissement  des  forces  altérées  par  les  maladies. 
Le  nombre  des  substances  propres  à  préparer  ce  résultat  est 
extrêmement  considérable.  Nous  citerons  en  première  ligne 
les  vins  généreux,  les  compositions  dites  cordiales,  les  bons 
consommés,  les  œufs  ,  les  viandes  blanches  et  gélatineuses  ; 
mais  il  est  vrai  de  dire  qu'on  considère  suitout  comme 
analeptiques  certaines  fécules  nutritives ,  comme  le  salçp, 
lesagoUjletapioka,  certaines  gelées  aromatiques,  ou  des 
chocolats  auxquels  on  associe  des  médicaments  stimulants 
ou  toniques.  En  général,  l'action  des  analeptiques  est 
douce  et  fortifiante  :  c'est  ce  qui  explique  la  préférence 
de  leur  emploi  dans  tous  les  cas  où  à  la  débilité  de  la  cons- 
titution se  joignent  la  faiblesse  et  la  susceptibilité  des  or- 
ganes digestifs,  qui  ne  pourraient  tolérer  des  aliments  plus 
solides.  Df  Delasiacve. 

AXALOGIE  (du grec àvcz/.oYta, rapport,  ressemblance), 
mot  qui  sert  à  désigner  les  rapports  que  certaines  choses 
ont  entre  elles,  quoiqu'elles  diffèrent,  d'ailleurs,  par  des 
qualités  qui  leur  sont  particulières. 

On  établit  un  raisonnement  par  analogie  quand  on  l'é» 
t.-ii)Iit  sur  des  rapports  de  similitude  qu'on  remarque  entre 
deux  ou  plusieurs  choses.  Chaque  science  possède  ses  ana- 
logies, ses  raisonnements  fondés  sur  les  rapports  que  nous 
venons  de  définir;  les  scolastiques  en  distinguent  de  trois 
sortes  :  analogie  d^inégalité ,  analogie  d'attribution  ,  ana- 
logie de  proportion.  — La  métaphysique  et  la  philosophie, 
en  général,  n'ont  presque  pas  d'auties  fondements  que  des 
inductions  produites  par  analogie. 

Mais  pour  que  des  raisonnements  de  cette  nature  ne 
conduisent  pas  au  sophisme  et  à  l'erreur,  au  lieu  de  mener 
à  la  vérité  qu'on  poursuit ,  on  ne  saurait  trop  s'assurer  d'a- 
vance de  la  similitude  exacte  des  rapports  sur  lesquels  on 
s'appuie.  Quand  Condillac  disait  :  «  Souvent  le  fil  de  l'a- 
nalogie est  si  fin  qu'il  nous  échappe ,  »  il  savait  parfaite- 
ment quelles  monstrueuses  erreurs  est  quelquefois  suscep- 
tible d'culanler  l'illusion  des  faustes  analogies.  Les  «««/»►- 


522. 


ANALOGIE  —  ANALYSE 


ffii^s  si  gracieusement  décrites  par  Foiirier  entre  les  amours 
«tes  fleurs  et  les  passions  humaines  sont-elles  autre  chose 
que  (le  charmantes  rôveries  ,  et  aboutissent-elles  à  une  con- 
clusion réellement  sérieuse? 

En  pliysique,  pour  parvenir  à  certaines  démonstrations, 
on  procWe  également  par  analo-ie;  c'est  par  ce  moyen 
qu'on  est  panenu  à  détruire  les  erreurs  jjopulaires  sur  le  phé- 
nix, la  piene  philosoi)halc,  et  tant  d'autres  créations  fautas- 
tiques  édoscs  dans  le  cerveau  des  poêles,  et  qui  sont  en- 
core pour  certains  esprits  des  croyances  difliciles  à  ébranler. 
En  grammaire ,  l'analogie  est  un  rapport  d'approxima- 
tion entre  une  lettre  et  une  autre  lettre,  entre  un  motet 
un  autre  mot,  ou  enfin  entre  une  expression ,  im  tour,  une 
phrase ,  et  d'autres  semblables.  Elle  est  d'un  grand  usage 
j)our  arriver  à  des  inductions  plus  ou  moins  heureuses 
sur  les  déclinaisons  ,  les  genres  et  les  autres  accidents  des 
mots.  Le  mot  doux  se  rapporte ,  dans  le  sens  propre ,  à 
nn  cor|«  dont  la  saveur  est  agréable  à  un  palais  ennemi 
des  àcretés.  C  elte  qualification  a  insensiblement  embrassé 
bien  d'autres  acceptions  diverses,  et,  d'analogie  en  analogie, 
on  est  arrivé  à  dire  un  doux  caractère,  connue  on  dit  un 
breuvage  doux. 

En  rhétorique,  Vmialogieciu  style  en  lui-même  n'est  autre 
chose  que  l'unité  de  ton  et  de  couleur  dont  il  est  suscep- 
tible. C'est  encore  moins  par  la  diversité  des  tons  que  par 
l'incertitude  et  la  variation  continuelle  de  leurs  limites,  qu'il 
est  difficile  d'observer  en  écrivant  une  parfaite  analogie  de 
style. 

En  médecine ,  on  se  sert  de  ce  mot  pour  exprimer  la 
connaissance  de  l'usage  des  diverses  parties,  de  leur  struc- 
ture, et  de  leurs  relations  entre  elles,  eu  égard  à  leurs  fonc- 
tiojis.  C'est  à  l'analogie  que  l'on  doit  l'utilité  de  la  saignée 
Jans  différentes  maladies  inflammatoires  et  éruptives  ;  c'est 
par  analogie  que  l'on  a  reconnu  les  effets  de  diiïérentes  pré- 
parations chimiques  tirées  du  mercure ,  de  l'antimoine  et 
du  fer. 

En  mathématiques,  analogie  indique  la  similitude  de 
rai)port  qui  existe  entre  les  deux  termes  d'une  proportion. 
AiXALYSE  (Logique),  mot  grec,  composé  de  àvà  et 
À-jo),  délier,  résoudre  :  littéraleuicnt,  la  résolution,  la  décom- 
position d'un  corps,  d'une  chose,  dans  ses  principes,  ses 
éléments,  d'un  tout  en  ses  parties. — En  logique,  c'est 
Texamen  de  la  proposition  dans  son  ensemble.  Elle  consi- 
dère plus  les  idées  que  les  mots,  et  sert  ou  à  découvrir  la 
Térité,  ou  à  trouver  le  moyen  d'exécuter  ce  qu'on  se  pro- 
pose. On  l'appelle  aussi  méthode  de  résolution.  En  gé- 
Béral ,  il  y  a  cette  différence  entre  Vanalijse  et  la  sijn- 
thèse,  que  la  première  remonte  de.?  conséquences  aux 
princi|)es,  des  effets  aux  causes,  tandis  que  la  seconde  des- 
cend des  princijjes  aux  coiisé(piences  et  des  causes  aux 
effets.  L'analyse  est  la  seule  méthode  qui  puisse  donner  de 
l'évidence  à  nos  raisoimcments.  Elle  a  cet  avar.tage  sur  la 
synthèse,  qu'elle  n'offre  jamais  (pie  peu  d'idées  à  la  fois  et 
toujours  dans  la  gradation  la  plus  simple,  n  Pour  parler 
d'une  manière  à  se  faire  entendre,  dit  Condillac,  il  faut 
considérer  et  rendre  les  idées  dans  l'ordre  analytique,  qui 
décompose  et  reconqiose  chaque  pensée.  » 

AXALYSE  { Littérature).  On  verra  plus  loin  que  l'a- 
nalyse, en  chimie,  sert  à  trouver  les  éléments  d'un  corps,  et 
met  à  découvert  les  différents  principes  qui  entrent  dans 
sa  conqiosilion.  Du  même  l'analyse  littéraire  a  pour  Imt  de 
ramener  un  produit  intellectuel  à  sa  composition  piimitive. 
I..a  UK'ditation,  ce  puissant  agent,  ré(iuit  un  ouvrage  à 
son  iilée-mère.  Le  débarrassant  d'ahoid  de  tous  les  orne- 
ments de  style,  elle  permet  de  distinguer  la  fable  dans  tous 
ses  détails,  mais  rien  (|ue  la  (able  ;  puis  elle  élimine  succes- 
sivement les  divers  incidents,  les  artifices  par  lesquels 
fauteur  a  su  nous  attendrir  ou  nous  r(''jonir,  exciter  le  rire 
»>ii  la  terreur,  les  dévelo|)pemenls  qui  lui  ont  servi  à  cap- 
tiver notre  attention,  ;i  la  mainteiKr  et  à  V'augmentcr  pen- 


dant un  certain  nombre  d'actes  ou  de  chants ,  et  par  ces 
éliminations  on  arrive  à  l'idée  première,  à  la  pensée  créa- 
trice qui  a  inspiré  et  soutenu  le  travail  de  l'écrivain.  Cetic 
dissection  nous  fait  assister  en  quelque  sorte  au  travail  du 
génie  ,  et  nous  permet  de  saisir  ses  procédés ,  de  nous  les 
approprier. 

Hien  de  plus  utile  que  l'ancilyse  :  seule  elle  peut  nous 
initier  à  la  connaissance  complète  des  grands  maîtres;  c'est 
le  (lambeau  qui  doit  éclairer  notre  route,  si  nous  ne  voulons 
nous  exposer  à  bien  des  erreurs  et  peut-être  à  plus  d'ime 
chute.  Par  l'analyse ,  pénétrant  dans  le  secret  de  la  compo- 
sition littéraire ,  nous  voyons  comment  l'homme  de  gf'nie 
sait  disposer  de  ses  ressources,  de  quelle  manière  il  combine 
telle  et  telle  pensée  pour  produire  tel  effet;  comment  sou- 
vent une  idée  en  fait  jaillir  une  autre  ;  par  l'analyse  nous 
découvrons  l'art  avec  lequel  il  groupe  ses  sentiments ,  les 
rapproche,  les  éloigne,  les  modifie  les  uns  par  les  autres, 
et  produit  de  tant  d'éléments  hétérogènes  un  tout  si  simple, 
qu'il  nous  transporte  d'admiration.  C'est  en  quelque  sorte 
une  leçon  prati(pie  que  nous  recevons  des  Corneille ,  des 
Racine,  des  INÎolière,  des  Bossuel,  des  Montesquieu;  nous 
assistons,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  à  l'élucubration  de 
leur  cerveau,  à  l'enfantement  progressif  de  leurs  chefs- 
d'œuvre. 

Mais  pour  être  fructueuse ,  une  analyse  a  besoin  d'être 
faite  autrement  que  la  plupart  de  celles  qu'on  nous  donne 
chaque  jour  sous  ce  nom  dans  les  journaux  ,  et  qui  souvent 
méritent  tout  au  plus  le  nom  d'extraits  ,  indignes  rapsotlies 
formées  de  deux  ou  trois  haillons  de  pourpre  coupés  sans 
intelligence  et  réunis  par  quelques  plirases  banales.  Pour 
faire  ime  bonne  analyse ,  il  faudrait  presque  être  en  état  de 
faire  le  travail  original,  ou  du  moins  il  faut  une  intelli- 
gence droite  et  sûre,  une  érudition  solide,  profonde  et  va- 
riée, une  critique  éclairée  et  bienveillante,  un  goût  délicat  et 
éprouvé  ,  de  vastes  connaissances  en  tout  genre  ;  car  en  re- 
tournant le  mot  de  Montesquieu  qui  sert  d'épigraphe  à  ce 
dictionnaire ,  on  peut  dire  :  «  Celui-là  seul  abrège  tout ,  qui 
voit  tout.  »  A.  Feillet. 

AXALYSE  (Grammaire).  C'est  une  méthode  par  la- 
quelle on  décompose  chaque  i)hrase  ,  afin  de  découvrir  les 
rapports  que  ses  divers  membres  ont  entre  eux,  faisant 
subira  chaque  mot  qui  la  compose  l'application  des  règles 
grammaticales  qui  le  concernent ,  et  celle  des  diverses  com- 
binaisons d'accord  et  de  régin)e  dont  il  est  susceptible  ,  in- 
diquant tour  à  tour  le  rang  de  chaque  partie  du  discours , 
la  fonction  qu'elle  remplit  dans  la  phrase  dont  on  s'occuj)?, 
et  rendant  compte  de  la  manière  dont  chacune  de  ces  par- 
ties est  grammaticalement  écrite. 

AXALYSE  (Mathématiques).  L'analyse  s'emploie  en 
mathématiques  pour  la  résolution  des  problèmes  et,  dans 
certaines  conditions ,  pour  la  démonstration  des  théorèmes. 
C'est  un  puissant  moyen  d'investigation  ,  de  recherche ,  de 
découverte;  tandis  que  lasynthèse  est  plutôt  une  mé- 
thode de  transmission ,  d'enseignement.  L'analyse  va  de 
l'inconnu  au  connu;  un  principe  étant  énoncé,  elle  le  vérifie 
et  le  classe  innuédiatement  au  rang  des  vérités  ou  des  er- 
reurs. La  synthèse,  au  contraire,  marchant  du  connu  à  l'in- 
connu ,  cherche,  par  des  conséquences  successives,  ;i  dé- 
duire des  vérités  nouvelles  de  celles  qui  sont  d(^jà  démonfr('e.s. 
C'est  à  l'emploi  de  la  méthode  analytique  que  les  derniers 
siècles  sont  redevables  des  innnenses  jjrogrèsde  la  science; 
l'analyse  a  servi  à  fonder  la  mécanique  céleste  ;  de  nos 
jours  elle  a  lévélé  à  un  de  nos  astronomes  l'existence  d'ime 
planiste  jusque  alors  ignorée  ,  et  elle  lui  a  permis  de  calculer 
d'avance  l'orbite  de  cet  astre  inaper(,'u  et  de  prétlire  le  lieu 
oii  il  devait.se  trouver  ii  une  épocpie  donnée.  11  est  vrai  que 
les  anciens  connaissaient  l'analy.se  comme  forme  logiipie 
de  raisonnement  ;  ils  l'appli(piaient  quelcpiefois  aux  cons- 
tructions de  la  g(-omé(rie;  mais  il  leur  manipiait  un  in^- 
iiii;iunl  (p>i  permit  de  l'emplover  toujours.  Cet  in^truiiioiit 


AiNALYSK  —  ANANAS 


ailmirnhlo,  cVsl  l'alç^Mirc,  dont  les  progrès  dans  l'oii- 
jn'iu'  turent  bien  plus  lents  (jue  eeux  de  la  géométrie. 
L'application  d e  l'a  1  g î> b r e  à  1  a  g é o m é t r i e ,  de- 
venant une  niélliode  générale  entre  les  mains  de  Descartes, 
fut  le  triomphe  de  Tanalyse.  C'est  ce  qui  explique  conmient 
il  s'est  établi  dans  le  langage  une  sorte  de  confusion  entre 
ces  mots,  algibre  et  auahj&e,  de  sorte  qu'on  a  impropre- 
ment donné  les  noms  A'aïialijse  mfniitisimalc  à  l'algèbre 
transcendante ,  de  fji*oinctr\e  analijt'ique,  iVaiialijse  ap- 
pliquée à  la  géométrie  et  à  la  méi'aniqne  soumises  au  calcul 
algébrique;  on  a  oublié  que  dans  l'algèbre  mCme  souvent 
la  synthèse  est  emjiloyée  comme  méthode  de  démonstration. 
Cela  n'empêche  pas  de  conserver  le  titre  iVanalystes  aux 
hommes  qui  chaque  jour  enrichissent  la  science  de  leurs 
nouvelles  découvertes;  car  leur  fécondité  tient  à  l'emploi 
que  leur  génie  sait  faire  de  l'analyse. 

ANALYSE  (Chimie).  Quand  les  chimistes  veulent 
déterminer  la  nature  d'une  substance,  soit  animale,  soit  vé- 
gétale, soit  minérale,  c'est  par  l'analyse  (pi'ils  y  parviennent. 
L'analyse  est  donc  un  mode  d'opération  qui  consiste  à  dé- 
composer en  ses  éléments  un  corps  ou  un  assemblage  de 
corps  quelconque.  On  distingue  l'analyse  en  qualitalive 
et  quantitative.  La  première  ne  s'occupe  que  de  constater 
simplement  les  différentes  espèces  de  substances  existant 
dans  un  corps  composé  donné  ;  la  seconde  a  pour  objet  de 
constater  la  quantité  ou  le  poids  de  chacune  des  substances 
indiquées  par  l'analyse  qualitative. 

Les  principaux  agents  de  l'analyse  sont  le  calorique,  l'é- 
lectiicité,  et  différents  réactifs  donnant  naissance  à  des 
précipités  insolubles,  ou  du  moins  très-jx^u  solidiles,  exacte- 
ment connus  et  dt'terminés.  Ainsi,  par  exemple,  quand 
on  veut  doser  l'acide  sulfurique ,  on  se  sert  d'une  dissolution 
de  baryte;  le  précipité  qu'on  obtient  est  du  sulfate  de  baryte 
insoluble,  qu'on  ramasse  sur  le  fdtre;  après  l'avoir  lavé  et 
séché,  on  le  pèse.  Or,  sachant  que  telle  quantité  de  sulfate 
neutre  de  baryte  contient  tant  de  baryte  et  tant  d'acide 
sulfurique,  on  a  nécessairement  la  quantité  d'acide  sulfu- 
rique qu'on  cherche.  Pour  doser  l'acide  chlorhydritiue,  on 
se  sert  du  nitrate  d'argent;  et  si  la  haryle  et  le  sel  d'argent 
servent  à  doser  l'acide  sulfurique  et  l'acide  chlorhydrique , 
ces  deux  acides  servent  réciproquement  à  doser,  l'un  la 
baryte ,  l'autre  l'argent.  L'analyse  qui  procède  par  le  moyen 
du  calorique  s'appelle  analyse  par  voie  sèche  ;  celle  qui 
procède  par  le  moyen  des  réactifs  sur  les  substances  en  dis- 
solution, s'appelle  analyse  par  voie  humide.  La  dernière 
donne  généralement  des  résultats  plus  nets  et  plus  exacts 
que  la  première. 

Les  arts  et  l'agriculture  tirent  tous  les  jours  un  grand 
parti  de  semblables  opérations ,  qiii  leur  procurent ,  ou  des 
moyens  nouveaux,  ou  des  substances  qu'il  était  quelquefois 
difficile  d'obtenir  ou  dont  le  prix  était  trop  élevé  pour  qu'on 
pilt  en  faire  usage.  Un  exemple  suffira  pour  démontrer  l'u- 
tilité de  l'analyse  chimique  :  l'agriculture  se  sert  avec  beau- 
coup d'avantage,  dans  quelques  circonstances,  de  marnes 
pour  amender  divers  terrains;  il  existe  deux  espèces  de 
marnes,  qui  ne  peuvent  être  en!i)loyfces  dans  les  mêmes  cir- 
constances, et  dont  l'usage  pourrait  même  devenir  très- 
préjudiciable  si  on  les  substituait  l'une  à  l'autre.  La  marne 
argileuse  nuirait  dans  une  terre  forte,  tandis  qu'elle  serait 
utile  dans  un  terrain  léger;  et,  inversement,  une  marne 
calcaire  pourrait  devenir  nuisible  dans  nne  teiTe  légère,  et 
amenderait  favorablement  une  teiTe  forte.  Des  personnes 
qui  ne  savaient  pas  distinguer  la  nature  d'une  marne  qu'elles 
trouvaient  dans  un  terrain ,  connaissant  l'avantage  que  l'on 
avait  tiré  de  l'emploi  de  cette  substance,  ont  souvent  em- 
ployé l'une  pour  l'autre,  et  ont  ainsi  obtenu  de  très-mauvais 
résultats.  Si  elles  avaient  analysé  ces  substances,  elles  au- 
raient évité  des  fautes  qiii ,  non-seulement  conduisent  immé- 
diatement à  des  pertes,  mais  souvent  aussi  dégoûtent 
d'autres  personnes  de  tenter  des  améliorations. 


523 


L'analyse  est  la  base  do  la  clrm^,  puisque  toute  opéra- 
tion chimique  donne  heu  à  des  décompositions.  Son  appli- 
cation est  très-étendue  ;  elle  donne  à  l'industrie  les  moyens 
de  recon-iaîlre  la  nature  des  mat('riaux  qu'elle  emploie,  elle 
indique  aux  sciences  la  composition  des  corps  sur  lesquels 
elles  opèrent;  elle  fournit  enfin  à  la  justice  la  révélation 
d'une  foule  de  crimes  et  elle  en  arrache  même  le  secret  au 
tombeau. 

Ai\'A?.ï.  Voj/pz  Annam. 

Ai\  AXÎORPIIOSE  (du  grec  àvi,  de  nouveau,  derechef, 
et  aof  çoaiç,  formation  ).  Ce  terme  de  perspective  désigne  une 
copie  déligsuée  d'un  objet,  copie  faite  de  telle  sorte  qu'elle 
parait  ceiiendant  conforme  à  l'objet,  loiscpi'on  .la  regarde 
d'un  point  de  vue  déterminé.  C'est  ainsi  qu'un  artiste  qui 
peint  une  fresque  sur  une  surftice  courbe,  ne  conseive  pas 
aux  diverses  parties  de  son  O'uvre  les  proportions  qu'elles 
auraient  sur  une  surface  plane  comme  les  toiles  des  tableaux 
ordinaires;  s'il  a  fait  d'abord  un  mo<lèle  sur  toile,  la  fres- 
que qu'il  peint  ensuite  est  une  sorte  d'anamorphose  du  mo- 
dèle. 

Pour  obtenir  une  anamorphose  quelconque  par  un  procédé 
mécanique,  on  perce  les  contours  de  l'objet  servant  de  pro- 
totype, avec  une  pointe  très -fine  ;  on  place  une  bougie  der- 
rière cet  objet  et  l'on  marque  sur  la  surface  qu'on  a  choisie 
les  points  où  tombent  les  rayons  lumineux  que  les  trous 
laissent  passer.  On  peut  faire  un  assez  grand  nombre  de  trous 
pour  qu'il  soit  facile  d'achever  le  dessin.  En  plaçant  ensuite 
l'œil  au  point  où  se  trouvait  le  foyer  lumineux ,  l'anamor- 
phose aura  l'apparence  du  prototype  ;  l'illusion  sera  encore 
plus  complète  si  on  isole  l'anamorphose  des  objets  envi- 
ronnants, en  la  regardant  par  une  petite  ouverture  pratiquée 
dans  un  corps  opaque. 

Jl  existe  une  foule  d'autres  manières  d'obtenir  des  ana- 
morpl-.oses.  On  peut  employer  les  différentes  sortes  de  mi- 
roirs qîii,  ayant  la  propriété  de  rendre  difformes  les  objets 
qu'on  leur  expose,  peuvent  par  conséquent  faire  paraître 
naturels  des  objets  difformes.  C'est  ainsi  que  sont  faites  en 
général  les  anamorphoses  destinées  à  l'amusement  des  enfants. 
Ce  sor.t  de  petites  images  difformes,  peintes  sur  des  mor- 
ceaiix  de  carton  ;  on  n'a  qu'à  les  placer  à  la  distance  voulue 
d'un  miroir  cylindrique  ou  conique  pour  voir  apparaître 
dans  celui-ci  des  figures  régulières. 

D'Alembeil  expose  encore  un  autre  moyen  de  faire  des 
anamorphoses.  Mais  ces  dernières  ne  prennent  l'apparence 
qu'on  veut  leur  donner  (jue  lorsqu'on  les  regaide  à  travers 
un  verre  polyèdre,  c'est-à-dire  taillé  à  facettes.  La  réfraction 
des  rayons  lumineux  détruisant  dans  ce  cas  une  partie  du 
dessin,  et  ne  permettant  de  voir  que  la  réunion  de  points 
disséminés  sur  la  surface  du  tableau,  il  s'ensuit  qu'on  peut 
entourer  ces  points  d'une  peinture  qui  dénature  le  sujet. 

C'est  ainsi  qu'on  voyait  autrefois  à  Paris  ,  dans  le  cloître 
des  Minimes ,  deux  anamorphoses  telles  qu'en  les  regardant 
directement,  on  n'apercevait  qu'une  espèce  de  [laysage, 
tandis  qu'autrement  elles  représentaient,  l'une  la  ^ladeleine, 
l'autre  saint  Jean  écrivant  sou  évangile.  C'était  l'ouviage  du 
P.  Nicéron,  qui  a  fait  sur  ce  sujet  un  traité  intitulé  :  7'hau- 
mnturgus  opticus.  On  trouve  aussi  dans  le  tome  IV  des 
Mémoires  de  l'Académie  impériale  de  Saint-Pétersbourg , 
la  description  d'une  anamorphose  semblable  faite  par  Lut- 
man,  en  l'honneur  de  l'empereur  Pierre  II. 

Al^ANAS,  plante  vivace  de  la  famille  des  broméliacées 
introduite  en  Europe  en  1090,  de  l'Amérique  méridionale, 
où  elle  est  abondamment  cultivée  pour  son  fniit,  qui,  réu- 
nissant tout  à  la  fois  le  parfum  de  la  fraise,  de  la  pêche, 
de  la  pomme  de  reinette  et  de  la  Iraraboise,  est  sans  con- 
tredit le  plus  délicieux  de  tous  les  fruits.  Non  moins  re- 
marrpiable  par  la  beauté  et  l'élégance  de  son  feuillage  que 
par  l'ensemble  de  la  plante  entière  ,  l'ananas  qui  a  accompli 
toutes  les  périodes  de  son  accroissement  se  compose  d'ua 
faisceau  de  feuilles  radicales,  belles,  longues,  très-noin- 


524 


ANANAS  —  ANANIAS 


bieuscs,  (livcrgontps,  roitles ,  creusées  en  goutfit-re,  onli- 
nairement  de  couleur  veite  ou  {glauque ,  quelquefois  rougc- 
violelte  ou  rose,  longues  de  0"',:'..'>  à  1"',  larges  de  0"',06 
à  0™,08,  et  ordinairement  armées  à  leurs  bords  d'épines 
I)lus  ou  moins  prononcées.  Du  centre  de  ce  premier  groupe 
de  feuilles  naît  une  tige  droite,  charnue,  robuste,  qui 
s'élève  à  la  hauteur  de  0"',35  à  0"',70  et  se  termine  par  un 
second  et  beaucoup  pins  petit  faisceau  de  ku\Ue>  :  ce  second 
groupe  de  feuilles  est  appelé  la  couronne.  Entre  ces  deux 
faisceaux,  sur  la  tige,  et  immédiatement  sous  la  couronne, 
il  naît  une  grande  quantité  de  fleurs  sessiles  bleues ,  très- 
rapprochées,  serrées  et  agglomérées,  dont  les  ovaires  se 
soudent  ensemble  à  mesure  que  la  floraison  cesse ,  transfor- 
ment ainsi ,  et  au  fur  et  à  mesure  que  la  floraison  s'achève  , 
cette  agglomération  de  fleurs  bleuâtres  en  une  masse  ayant, 
selon  les  variétés  de  l'ananas ,  la  forme  conique ,  pyrami- 
dale, ovale  ou  globulaire,  de  couleur  ordinairement  jaune 
ou  de  diverses  autres  couleurs  ;  contenant  une  pulpe  blan- 
châtre, sucrée,  consistante,  de  la  plus  agréable  acidité, 
du  goilt  le  plus  exquis,  de  l'odeur  la  plus  suave,  appelée 
le  fruit  de  l'ananas. 

Ce  fruit ,  qui  est  du  poids  de  trois  à  six  kilogrammes , 
et  qui  a  depuis  22  jusqu'à  44  centimètres  de  longueur  sur 
16  à  27  de  diamètre  dans  les  contrées  intertropicales,  n'avait 
pendant  longtemps  pu  être  obtenu  parmi  nous  d'un  poids 
ni  d'un  volume  aussi  considérables  ,  ni  d'aussi  bonne  qualité 
que  dans  son  pays  originaire.  Mais  les  amateurs  et  les  cul- 
tivateurs de  la  France  et  de  r.\ngleterre  sont  parvenus  à 
surmonter  toutes  les  difficultés  à  cet  égard,  et  obtiennent 
à  présent  d'aussi  beaux  et  d'aussi  bons  fruits  d'ananas  à 
Paris  et  à  Londres  que  ceux  des  terres  les  plus  fertiles  de 
r.\mériquc  méridionale,  où  l'ananas  est  un  objet  de  grande 
culture:  bien  plus,  la  mviltiplication  de  l'ananas  par  le? 
graines  que  contient  son  fruit  a  donné  naissance  h  de  nou- 
velles variétés  déjà  très-distinctes  par  leurs  feuilles,  et  qui, 
devant  nécessairement  présenter  des  différences  dans  leurs 
fruits,  promettent  ainsi  d'inévitables  conquêtes,  peut-être 
inconnues  en  Amérique  même,  où  l'habitude  de  multiplier 
l'ananas  par  ses  semences  est  tombée  en  désuétude. 

On  possède  aujourd'hui  cinquante-six  variétés  de  l'ana- 
nas, mais  toutes  ne  sont  pas  également  bonnes  :  les  plus 
estimées  sont  :  Vananas  de  la  Martinique  ou  commun  ,  le 
plus  recherché  par  les  confiseurs;  l'ananas  Providence; 
Yananas  Cayenne  à  feuilles  lisses,  dont  le  fruit  pyramidal 
est  très-gros  et  très-bon  ;  Vayianas  Olaïti  ;  Yananas  Enville, 
auquel  se  rapportent  quatre  sous-variétés  dont  les  fruits 
sont  généralement  très-volumineux;  Vannnas  pain  de 
sucre,  ainsi  nommé  à  cause  de  sa  forme;  Yananas  reine 
Pomaré ,  qui  odrc  un  gros  fruit  de  la  forme  et  de  la  saveur 
de  celui  de  l'ananas  commun  ,  etc. 

On  multiplie  l'ananas  par  graines,  œilletons  et  couronnes  : 
ks  graines  seront  semées  dans  la  terre  de  bruyère  en  pots,  et 
les  pots  placés  sur  une  couche  dont  l'intérieur  ait  .'{0  à  3G°  de 
chaleur,  le  pot  sera  couvert  d'une  cloche,  protégée  par  un 
abri  léger  quelconque,  qui  puisse  modérer  l'action  trop  vive 
de  la  lumière  et  des  rayons  solaires;  la  graine  étant  petite  ne 
sera  recouverte  <iue  de  (pielques  lignes  de  terre.  Les  u'illetons 
et  couronnes  seront  plantés  en  pots  ou  en  pleine  terre  ,  sous 
châssis,  dans  un  lit  de  terre  composé  ainsi  qu'il  suit  :  terre 
franche,  une  partie;  terre  de  bruyère,  trois  parties;  ter- 
reau une  partie,  et  ce  lit  fait  sur  une  couche  de  ,'JO  à  3('>" 
de  chaleur,  il  est  indifférent  que  celte  couche  soif  faite  de 
tan,  de  hlière,  de  feuilles,  de  mousse  ou  de  toute  autre  ma- 
tière, pourvu  qu'elle  produise  30  ou  40°  de  chaleur  :  plus 
la  couche  sera  réchauffée  ou  renouvelée  souvent,  plus  elle 
approchera  d'une  chaleur  constante  et  égale  de  3G'%  plus  il 
montera  d'ananas  à  fruit  :  il  en  monte  à  fruit  au  quatorzième 
mois,  au  quinzième,  et  même  beaucoup  plus  tôt;  mais  si 
on  n'est  pas  pressé  d'ol)lenir  des  fruits,  on  ])eut  ne  pas  ré- 
cliauft'er  ni  renouveler  les  couches,  les  ananas  y  viennent 


également  très-bien  à  une  chaleur  de  10  à  12°  et  au-des- 
sous; ils  ne  donneront  pas  de  fruits,  mais  ceux-ci  ne  se- 
ront que  retardés,  et  dès  qu'on  voudra  les  mettre  à  frait, 
on  leur  procurera  une  température  de  30  à  40°  de  chaleur 
à  leurs  racines.  Comme  à  cette  époque  il  leur  faut  plus  de 
nourriture,  on  les  placera  dans  une  terre  composée  ainsi 
qu'il  suit  :  terre  franche  ,  trois  parties  ;  terreau  consommé, 
une  partie  ;  terre  de  bruyère,  une  partie. 

La  tige  de  l'ananas  ne  produit  ordinairement  qu'un  fruit 
et  qu'une  couronne  ;  cependant  il  arrive  quelquefois  qu'un 
ananas  cultivé  en  pleine  terre  de  couche ,  ou  dont  les  ra- 
cines sorties  du  pot  ont  vécu  aux  dépens  de  la  terre  de 
couche,  produit  jusqu'à  huit  à  dix  petits  fruits,  placés  im- 
médiatement sous  le  fruit  principal,  et  surmontés  d'autant 
de  petites  couronnes.  Un  ananas  dans  cet  état  est  une  plante 
superbe  et  du  coup  d'œil  le  plus  riche.  Quelquefois  ce  phé- 
nomène se  produit  à  la  partie  inférieure  de  la  tige,  tout  près 
du  collet  des  racines ,  d'où  l'on  voit  sortir  une  multitude  de 
petits  ananas  surmontés  d'autant  de  très-petites  couronnes, 
sans  que  ce  luxe  de  production  ait  nui  au  développement 
du  fruit  principal. 

L'ananas  est  essentiellement  une  plante  de  culture  sous 
verre ,  et  doit  en  toute  saison  être  placé  le  plus  près  possible 
des  vitraux ,  soit  qu'on  le  cultive  en  serre  chaude,  en  demi- 
serre,  en  bâche,  dans  de  grands  châssis  dits  à  ananas,  ou 
dans  des  coffres  à  melons.  Ce  soin  de  placer  l'ananas  le  plus 
près  possible  des  châssis  vitrés  est  surtout  indispensable 
quand  il  est  en  fleurs  et  que  le  fruit  s'avance  vers  la  matu- 
rité; à  cette  dernière  époque  il  faut  être  aussi  prodigue  d'ar- 
rosements  que  de  chaleur,  et  il  n'est  pas  moins  important , 
pour  avoir  de  beaux  fruits ,  de  placer  les  ananas  à  une 
grande  distance  et  dans  le  volume  d'air  le  plus  considérable 
possible. 

Les  ananas  sont  quelquefois  attaqués  par  la  cochenille  des 
serres  ou  pou  d'ananas,  qui  se  loge  à  l'aisselle  des  feuilles. 
On  fait  cesser  les  ravages  de  cet  insecte  en  le  touchant  avec 
(le  rbuile.  C.  Tollaîîd  aîné. 

On  rapporte  que  ce  fut  en  1733  que  Louis  XV  et  sa  cour 
savourèrent  les  deux  premiers  ananas  qui  fussent  parvenus 
à  maturité  sous  notre  climat ,  où  cette  plante  était  cepen- 
dant cultivée  depuis  IGCO.  Du  reste  ,  jusqu'en  1700,  on  ne 
voyait  d'ananas  que  dans  les  jardins  royaux  et  chez  quelques 
gi'ands  seigneurs.  Leur  culture ,  iniparfaite  et  entourée  de 
mystères,  ne  faisait  guère  de  progrès;  elle  fut  même  oubliée 
pendant  la  révolution  et  l'empire  ;  mais  Edi ,  jardinier  au 
château  de  Choisy-le-Roi  sous  Louis  XVI,  en  avait  gardé  la 
tradition.  Quand,  sous  Louis  XVIII,  il  fut  appelé  au  po- 
tager de  Versailles,  pour  diriger  les  cultures  forcées,  il 
initia  dans  celle  des  ananas  des  élèves  qui  bientôt  surpas- 
sèrent leur  maitre.  Enfin,  depuis  1830  l'usage  du  thermo- 
siphon a  donné  des  résultais  qu'il  nous  semble  difficile  de 
dépasser. 

L'ananas  figure  sur  nos  tables  sous  forme  do  gelée,  de 
crèmes,  de  glaces,  et  principalement  en  une  sorte  de  salade 
dans  laquelle  on  emploie  le  rhum  ou  le  vin  blanc,  surtout 
celui  de  Champagne.  Le  suc  de  ce  fruit,  soumis  à  la  fermen- 
tation ,  donne  une  boisson  alcoolique  très-agréable ,  mais 
qui  pioduit  aisément  ri\Tesse.  On  prépare  encore  avec  ce 
suc  une  sorte  de  limonade  dont  l'usage  est  heureusement 
indiqué  contre  les  fièvres  putrides  ou  ataxiques.  Coupé  par 
tranches  et  saupoudré  de  sucre,  l'ananas  constitue  dans  cet 
état  un  aliment  diététique  très-convenable  après  les  maladies 
graves  et  notamment  las  inllainniations  des  voies  digeslives. 

On  donne  enciue  le  nom  A'ananas  à  l'une  des  six  classes 
auxquelles  on  a  rapporté  toutes  les  espèces  de  fraisiers. 

AA'AMAS  ou  ANAME.  Il  est  fait  mention  dans  l'É- 
criluro  de  jjhisieurs  personnages  de  ce  nom.  Le  premier 
est  celui  dont  l'ange  Raphaël,  parlant  a  Tobie,  si-  disait  le 
fils;  le  second,  surnommé  Sydrac,  est  un  de  ces  jeunes 
Hébreux  qui,  pour  n'avoir  pas  voulu  adorer  la  statue  de 


ANANIAS  —  ANARCHIE 

N.ibiK  lindonosor,  furent  joti'S  dans  une  foiiinuise  ardente  et 
sauves  iniractileuseinent  par  la  protection  de  Dieu;  le  Iroi- 
siènie,  j>arfun>eur  de  la  Iribu  de  Benjamin,  làtit  «ne  partie 
des  murs  de  Jérusalem  ;  le  (iuatrit''me  est  celui  qui,  aver, 
sa  femme  Sapliira ,  fut  frappé  de  mort  aux  pieds  tle  saint 
Pierre,  pour  avoir  voulu  tromper  cet  apôtre  sur  le  .prix  de 
vente  de  leur  champ,  alin  des'en  réserver  une  partie,  tandis 
qu'ils  devaient  en  apporter  la  totalité  .i  la  masse  commune 
des  fidèles  :  cet  événement  remplit  l'Église  de  crainte  (l'an  3.) 
lie  J.-C.  );  le  cinquième  fut  un  des  soixante-douze  disciples 
à  qui  le  Seigneur  révéla  la  conversion  de  saint  Paul,  et  (|ui 
vint  lui  imposer  les  mains  et  lui  rendre  la  vue  (  au  3.i 
de  J.-C.)  :  il  fut  lapidé  dans  l'église  qu'il  avait  i-taldie  à 
Damas  ;  le  sixième  tut  fait  souverain  pontife  des  Juifs,  l'an  40 
de  J.-C.  Accusé  par  Cumanus,  gouverneur  de  Judée  pour 
les  Romains,  d'avoir  voulu  soulever  sa  nation,  il  fut  envoyé, 
chargé  déchaînes,  à  Rome,  mais  parvint  à  se  justiûer  auprès 
de  IVmpereur  Claude.  A  son  retour,  il  persécuta  les  clirétiens, 
traduisit  saint  Paul  devant  le  grand-conseil  des  Juifs,  et  le 
(it  souflleter  pour  lui  avoir  parié  avec  trop  de  liberté. 
«  Dieu  te  jinnira,  muraille  blanchie!  »  lui  dit  l'apôtre  ;.  effec- 
tivement, quelques  années  après  ,  Ananias  fut  dépouille  de 
sa  dignité  par  Agrippa  II  et  massacré  dans  sa  propre  mai::on 
par  des  séditieux  qui  avaient  à  leur  léte  son  lils  Éléazar. 

A\.\PA,  ville  fortitiée  et  commerçante,  sur  la  mer 
Xoire,  dans  le  Caucase  russe,  avec  un  bon  port  et  8,000  ha- 
bitants. Souvent  prise  et  incendiée  par  les  Russes  dans  leurs 
guerres  contre  les  Turcs,  elle  leur  fui  définitivement  ad- 
jugée  par  le  traité  d'Andrinople,  avec  tout  le  littoral  depuis 
l'embouchure  de  Kouban  jusqu'au  fort  Saint-Nicolas.  Pen- 
dant la  guerre  d'Orient,  et  lorsque  l'escadre  alliée  eut  dé- 
truit la  marine  et  les  établissements  militaires  de  la  mer 
d'Azof,  il  (ut  décidé  qu'on  se  transporterait  sur  la  côte  de 
Circassie  et  qu'on  attaquerait  simultanément  par  terre  et 
par  mer  Soudjak  et  Anapa.  Les  Russes  n'attendirent  pas 
cette  attaque,  ils  brûlèrent  eux-mêmes  ces  deux  villes,  dé- 
trui>irent  leurs  fortifications  et  se  retirèrent  sur  la  ligne  du 
Ki'iiban,  au  mois  de  juin  is.iô.  Les  Circassiens  oixupèrent 
aussitôt  Anapa.  Sefer-Pacha  s'y  établit  en  maître  indépen- 
dant. Après  la  conclusion  de  la  paix,  les  Russes,  comman- 
dés par  le  général  Mourawief,  reprirent  celte  ville,  à  la  suite 
d'une  lutte  assez  vive,  et  repoussèrent  toutes  les  tentatives  que 
lirent  les  Circassiens  pour  s'en  ressaisir,  II5  travaiPèrent  avec 
une  grande  activité  à  relever  Anapa  et  ses  fortifications,  dont 
le  nouveau  tracé  agrandit  la  ville  du  côté  de  la  plaine  , 
en  même  temps  qu'une  jetée  parallèle  au  littoral  dut  rendre 
le  mouillage  meilleur  dans  le  port.  Une  série  d'ouvrages 
extérieurs  ajouta  encore  à  la  force  de  la  place.  Les  monu- 
ments publics  furent  bien  vile  relevés  ;  un  aqueduc  fut  cons- 
truit pour  amener  de  l'eau  à  Anapa,  et  les  anciennes  sources 
furent  déblayées.  Pendant  ces  travaux,  il  fallut  souvent  tc- 
pousser  les  Circassiens,  qui  harcelaient  les  travailleurs  et 
enlevaient  des  convois.  La  vijle  relevée  contient  une  gar- 
nison de  douze  mille  hommes  organisés  en  colonie  militaire. 
Anapa  est  un  d.e.s  trois  ponts  de  la  rner  Noire  ouverts  au 
commerce  par  la  Russie.  2. 

AX.\I*ESTK  (  du  grec  svaTraîw,  je  frappe  à  contre- 
temps), sorte  de  pied,  composé  de  deux  brèves  et  d'une 
longue,  usité  dans  la  poésie  grecque  et  latine;  les  mots 
Sapiens  ,  lëgërcnt,  y^îsïoy;,  sont  des  anapestes.  L'anapeste 
n'étant  qu'un  dactyle  renversé,  on  lui  donnait  aussi  le 
nom  à'atitidaclyle,  àvTioixr'jAo; ,  parce  que  lorsque  les 
Grecs  chantaient  des  vers  anapestiques  en  dansant,  ils 
frappaient  la  terre  d'une  manière  contraire  à  celle  dont  ils 
battaient  la  mesure  pour  des  poésies  où  dominait  le  dactyle. 
On  a  remarqué  que  la  langue  française  a  peu  de  dactyles 
et  beaucoup  d'anapestes.  Lully  semble  s'en  être  aperçu  un 
des  premiers,. et  son  récitatif,  observe  .Marmonlel,  a  souvent 
la  raacclie  de  ^-.e  dactvle  renversé. 
A^APCSTîQUE,  se  dit  du  vers  dans  lequel  entre 


525 

l'anapeste.  Nous  retrouvons  dans  Ausone,  Sénèqne,  Ûoèce, 
Plaute,  ïerentianus  Maurus  ,  plusieurs  variétés  du  vers 
anapeslique;  il  y  a  Vanapestiqiie  monomètre,  le  dimèlre, 
\c  dimètre  catalectique,  Vanapestique  (eiramèire.el  ar- 
chébuiique. 

Aûdâx  nïmïûm  qui  frëtS  primûs 
natè  tara  fragïli  pêrfïda  rûpll. 

.Ces  deux  vers  de  Sénèqne  sont  anapestiques  dimèfres. 

AIVAPIIORE  (d'àvaç;=ça),  je  pose  de  nouveau),  figure 
de  rhétorique  consistant  à  répéter  le  même  mol  au  com- 
mencement de  plusieurs  phrases  ou  des  divers  membres 
d'une  même  période;  répétition  très-propre  soit  à  impres- 
sionner vivement  l'esprit,  soit  à  fixer  ratlentiôn  sur  les 
mêmes  idées,  les  mômes  objets,  en  l'y  ramenant  à  plusieurs 
reprises.  En  voici  un  exemple  tiré  de  Virgile,  égl.  Uf,  v.42  : 

Hic  gelidi  fontes,  liic  mollia  prata,  Lycori, 
Hic  neuius,  lilc  ipso  tecum  coiisuraerër  aevo. 

Corneille,  dans  les  imprécations  de  Can)ille,  nous  offre  un 
exemple  remarquable  de  l'emploi  de  cette  figure  : 

Borne,  l'unique  objet  de  mon  ressentiment  ; 
Rome,  à  qui  vient  ton  bras  d'immoler  mon  amant  ; 
Rome,  qui  t*a  vu  naître,  etc. 

AXAPHRODISIE  ,  mot  composé  du  grec  à  privatif, 
et  'Aipoô'.Tr, ,  Vénus,  et  signifiant  l'imperfection  du  pou- 
voir générateur  ou  l'abolition  de  l'appétit  vénérien,  impuis- 
sance plus  commune  chez  l'homme  que  chez  la  femme,  et 
qui  provient  tantôt  d'une  conformation  vicieuse  des  parlie~s, 
cas  où  la  guérison  offre  peu  de  chances  de  succès  ,  tantôt 
d'une  faiblesse  normale  ou  bien  momentanée,  el  que  plu- 
sieurs causes  contraires  peuvent  également  produire.  Le 
plus  souTent  l'anaphrodisie  provient  de  l'abus  des  facultés 
génératrices  ,  de  l'exercice  prématuré  des  organes  génitaux, 
et  surtout  des  excès  de  la  masturbation.  La  continence 
conduit  quelquefois  aussi  aux  mêmes  résultats,  ainsi  qu'on 
l'a  fréquemment  observé  chez  les  individus  qui  ne  vivaient 
que  pour  l'étude  ou  lacontempiation,  et  chez  lesquels  l'exer- 
cice continu  des  facultés  intellectuelles  absorbait  toute  vie 
extérieure.  Le  repos,  l'abstinente,  sont  les  meilleurs  moyens 
curatifs  de  l'anaphrodisie  provenant  d'atonie  ;  et  les  suites 
graves  que  peut  avoir  l'emploi  des  divers  aphrodisia- 
ques vantés  par  le  charlatanisme  pouc  réveiller  des  or- 
ganes condamnés  par  la  nature  ou  par  la  vieillesse  doivent 
inspirer  ane  salutaire  répugnance  pour  des  remèdes  qui  ne 
peuvent  satisfaire  le  penchant  aq  libertinage  qu'aux  dé- 
pens de  la  santé.  ' 

AÎVARCHIE  (àsyr,,  gouvernement,  avec  l'a  privatif), 
c'est  l'absf nce  de  gouvernement,  la  confusion  des  pouvoirs, 
le  trouble  et  le  désordre  érigés  en  système  par  l'audace  de 
factieux  corrupteurs,  ou  par  la  faiblesse  d'un  peuple  cor- 
rompu. Telle  est  l'opinion  générale  qu'on  se  fait  de  l'anar- 
chie. Lorsque  l'autorité  a  cessé  d'exister,  que  la  liberté  <\es 
citoyens,  I3  sûreté  des  propriétés  sont  méconnues,  alors  les 
passions  desjiommes ,  abandonnées  à  elles-mêmes,  enfantent 
le  désordre,  c'est-à-dire  le  bouleversement  de  toutes  les  ga- 
ranties qu'on  est  en  droit  d'attendre  d'une  organisation  ré- 
gulière quelconque.  A  peine  enfanté,  le  désordre  étend  son 
empire  sur  la  société  et  la  pousse  sans  pitié  sur  la  pente 
horrible  du  chaos.  De  tous  les  maux  politiques,  celui-là  est 
le  plus  cruel,  le  plus  effrayant  dans  ses  résultats. 

Mais  l'anarchie  ne  se  traduit  pas  toujours  en  un  fait  ma- 
tériel. Souvent  elle  renonce  à  l'empire  des  choses  et  des 
homme?.,  pour  s'introduire  dans  le  domaine  des  idées.  Alors 
elle  éclate  parla  divergence  des  doctrines  sociales,  politiques 
et  religieuses;  alors  la  terre  assiste  à  un  spectacle  effrayant  : 
les  intelligences  les  plus  élevées  comme  les  plus  modestes 
affirment  alternativement  les  principes  les  plus  contraires, 
sans  aucun  égard,  sans  aucun  respect  pour  leur  passé,  et 
cela  dans  le  seul  espoir  de  donner  à  leur  vanilo  inqnitls 


526 


ANARCHIE  —  ANASTASE 


une  1).ho  plus  soliiic,  après  s'Alrc  m(^n.iî;i^.  l'appui  (l(;s  cote- 
ries ou  des  lac.lioiis.  A  une  i^poijiie  aussi  inallictiieuse,  plus 
(le  critérium  possible,  puisiiue  le  seul  ciiteriuin  aux  yeux 
de  tliacun  est  son  intéiiH  propre.  L'anarcliie  a  ainsi  deux 
laces  :  elle  est  ou  le  icVsultal  di's  passions  foiij;ueuses  ou 
mauvaises,  ou  le  produit  de  certaines  idées  qu'aucun  souffle 
n'a  iriesurées.  Lile  est  par  besoin  sanglante,  elle  est  par 
{,'ortt  d(!structive  de  tout  ordre  éta[)li.  C'est  dans  ce  dernier 
sens  qu'est  prise  en  général  l'expression  si  usitée  de  doc- 
trines undichiquas. 

Toutefois,  si  ces  doctrines  sont  une  calamité  par  rapport 
aux  personnes  qu'elles  heurtent  sur  leur  passage,  elles  peu- 
vent, il  faut  en  convenir,  exercer  une  heureuse  inlluence  sur 
ia  marche  de  la  sociét*);  car  alors  ou  elles  deviennent  une 
occasion  heureuse  de  développement  |)our  les  doctrines 
vivantes,  ou  elles  leur  ouvrent  d'ahondante.s  sources  oii 
elles  peuvent  librement  s'améliorer  et  même  se  transfor- 
mer. Dès  lors  elles  ne  sont  plus  anarchiques  qu'à  la  sur- 
face :  au  fond  vous  les  trouverez  parfaitement  affirmatives 
<le  l'ordre  et  de  l'harmonie  :  leur  seul  défaut  aux  yeux  de 
l(>uis  ennemis  est  d'émouvoir,  d'ébranler  trop  fortement  ce 
(pii  est,  Vordre  existant. 

Dans  tous  les  cas,  l'anarchie,  quels  que  soient  ses  résultats, 
ne  s'elait  pas  jusciu'à  ce  jour  arrogé  le  droit  de  prétendre 
aux  l;onneurs  d'une  théorie  pratique  et  humanitaire.  lille  n'est 
point  organisatrice  de  sa  nature;  son  rôle,  s'il  n'est  pas 
précisément  celui  du  mat,  n'est  pas  non  plus  exclusivement 
celui  du  bien  ;  elle  effraye  plus  les  hommesen  masse  qu'elle 
ne  les  émeut  favorablement.  Et  cependant,  malgré  ce  carac- 
tère bien  tranché,  il  s'est  trouvé  à  notre  époque  un  homnje  , 
grand  penseur,  grand  écrivain,  mais  poussant  l'amour  du 
paradoxe  jus()u'à  ses  dernières  limites,  qui,  jouant  sur 
l'origine  du  mot  anarchie  (ava-ap/r;,  AN-\r,cuii:),  a  pré- 
tendu que  les  sociélés  modernes  n'arriveraient  à  l'ajiogée 
de  leur  perfection  que  le  jour  où  l'absence  complète  d'au- 
toiitése  manifesterait  chez  elles.  C'est-à-dire  que  n'y  ayant 
plus  de  gouvernement  supérieur,  l'administration  existe- 
rait de  fait  dans  tous  les  membres,  et  que  chacun  aiderait 
à  la  marche  de  la  société  suivant  ses  facultés.  Cette  préten- 
tion a  paru  ridicide,  surtout  parce  que  l'auteur  a  cru  pou- 
voir se  permettre  de  lui  donner  purement  et  simplement 
pour  éti({U(tte  le  mol  anarchie,  s,ynonyme  de  désordre  et  de 
chaos.  Il  a  été  plus  loin  encore  :  ardent  à  la  polémique,  il  s'est 
mis  à  saper  vigoureusement  l'État  par  sa  base,  et  pour  lui 
substituer  quoi?  l'anarchie,  toujours  l'anarchie  :  l'anar- 
chie avec  une  organisation ,  il  est  vrai ,  qu'il  appellera  gou- 
vernement proviseur.  11  est  facile  en  effet  à  ceux  qui  lisent 
les  Confessions  d'un  rr^volntionnaire  de  se  convaincre 
que,  Frotéo  insaisissable,  l'auteur  vous  échappe  dès  que 
vous  croyez  le  tenir,  et  que  dans  cet  ouvrage  ce  n'est  pas 
un  anarchiste  qui  parle,  tant  s'en  faut,  mais  un  simple  ami 
des  séries,  des  administrations,  des  compétences,  des  assem- 
blées, un  ami  du  pouvoir  enfin.  Seulement  M.  Proudhon 
poursuit  sans  pitié  la  gramle  croisade  qu'il  a  entreprise 
contre  les  institutions  existantes,  pour  se  réserver  l'orgueil- 
eux  plaisir  d'en  ressusciter  bientôt  d'analogues. 

La  double  école  de  publicistes  qui  a  précédé  et  suivi  la 
révolution  de  1789  a  cru,  ou  du  moins  a  cherché  à  faire 
croire  que  l'anarchie  était  inhérente  au  gouvernement  de- 
mocrati(|ue.  Hien  dans  l'histoire  ne  justifie  une  pareille  as- 
sertion. Dans  toutes  les  espèces  de  gouvernements  possi- 
bles, depuis  le  plus  despotique  jusqu'au  plus  (lopulaire,  vous 
en  trouverez  qui  ont  fomenté  et  produit  l'anarchie;  vous 
en  trouverez  môme  souvent  qui  eu  ont  été  les  déplorables 
victimes.  Et  cela,  par  une  raison  bien  simple -.  c'est  que 
tous  les  gouvernements,  au  rieu  de  courir  au-devant  des 
besoins  des  peuples  et  de  les  prévenir,  au  lieu  de  répandre 
la  lumière  et  de  travailler  à  adoucir  les  pas>ions,  n'ont  ja- 
mais pris  aucun  souci  des  rac^s  souffrantes  et  dévlierilées, 
ont  craint  de  voir  l'homme  éclairé  plier  moins  docilement 


la  léte  sous  le  joug,  et,  s'enveloppant  d'égoisme  et  de  ppur, 
ont  cherché  leur  salut  dans  un  isolement,  dans  im  vide 
qui  ne  peut  être  jamais  pour  eux  que  le  sinistre  asant- 
coureur  d'une  chute  certaine.  Louis  Nvkr. 

iVi\ASAIlQUE  (d'âva,  autour,  et  ^âp?,  chair),  by- 
dropisie  ou  amas  de  sérosité  occupant  le  tissu  cellulaire  «lui 
est  sous  la  peau,  d'oii  résulte  uu  gonflement  général  du 
corps.  Quand  elle  se  borne  à  l'un  de  nos  organes,  on  la 
désigne  sous  lenom  d'cerf6??ifi.  Le  doigt  appuyé  sur  un  des 
points  (|u'occupe  l'épanchement  perçoit  une  sensalion  d'em- 
pâtement, et  laisse  quelque  temps  sa  marque.  La  peau  est 
froide,  décolorée,  ou  chaude,  tendue,  selon  que  la  maladie 
est  de  nature  sthénique,  c'est-à-dire  avec  excès  de  ton, 
ou  as/héniqiie  ,  avec  défaut  d'action. 

L'aiiasarque  reconnaît  fréquemment  pour  cause  nn  ob- 
stacle à  la  circulation;  aussi  se  montre-t-elle  dans  la  der- 
nière période  des  maladies  du  cœur.  Ou  la  voit  souvent 
aussi  succéder  à  des  phlegmasies  de  la  peau ,  notamment 
à  la  scarlatine,  surtout  quand  le  malade  s'est  exposé  tro() 
tôt  h  l'action  d'un  air  froid  et  huuu'de.  Elle  est  aussi  le 
résultat  fréquent  de  maladies  chroniques  qufout  appauvri 
le  sang  et  épuisé  les  forces,  celles  surtout  qid  sont  accom- 
pagnées d'Iiémorrhagies.  On  l'a  vu  se  déclarer  subitement 
à  la  suite  de  la  suppression  d'une  évacuation  habituelle  ,  de 
dartres  anciennes,  etc.  Les  saisons  pluvieuses  et  froides, 
les  appartements  humides  et  obscurs ,  un  régime  aqueux, 
débilitant,  le  tempérament  lymphatique,  y  prédisposent 
particulièrement. 

Le  traitement  de  l'anasarque  offre  deux  indications  à 
remplir  :  1°  détruire  les  causes  présumées  ou  constatées 
de  la  maladie;  2°  évacuer  la  sérosit(!  amassée  dans  le  tissu 
cellulaire,  soit  en  lui  procurant  directement  une  issue  à 
l'aide  de  scarifications  pratiiiuées  sur  la  peau  ,  soit  en 
provoquant  jiar  ime  uiéilicalion  convenable  des  évacuations 
artificielles  |iar  les  urines  ou  par  les  selles,  lesquelles  met- 
tent ordinairement  fin  à  l'anasarque,  pour  im  temps  au 
moins,  si  cette  hydropisie  n'est  pas  sous  l'influence  d'une 
cause  organique  de  nature  incurable.  Ajoutons  que  les  sca- 
rifications ont  l'inconvénient  de  déterminer  fréquemment 
des  érysipèles  très-douloureux  et  très-graves  des  parties 
oadématiées;  aussi,  quand  la  distension  île  la  peau  est  telle 
qu'elle  menace  de  se  rompre,  il  faut  avoir  soin  de  les  faire 
très-superficielles  et  à  distance  les  unes  des  autres. 

D"'  S\LCEI10TTK. 

AXASTASE.  C'est  le  nom  de  deux  empereurs  d'O- 
lient.  —  Le  premier,  né  à  Dyrrachiun»  vers  430,  était  un 
des  officiers  de  son  prédécesseur  Zenon  ,  chargé  de  faire 
observer  le  silence  dans  le  palais,  circonstance  à  laquelle 
il  dut  le  surnom  de  Silentialre.  Lorsque  Zenon,  détesté 
de  ses  sujets,  eut  perdu  la  vie  on  491,  Ariane,  sa  veuve, 
que  la  plupart  des  historiens  accusent  de  cette  mort,  en- 
treprit de  faire  franchir  à  Anastase  la  dislance  qui  le  sépa- 
rait du  trône.  Et  cependant  il  n'était  rien  moins  que  jeune 
et  beau  ;  il  avait  soixante  et  un  ans,  la  tète  presque  chauve, 
un  œil  noir  et  l'autre  bleu,  ce  qui  le  fit  surnommer  Di- 
core.  Quarante  jours  après  la  mort  de  Zenon  il  épousa 
Ariane.  Estim;^,  au  commencement  de  son  règne,  pour  sa 
piété  et  sa  justice,  il  ne  tarda  pas  à  se  faire  détester  pour 
sa  violence  et  son  avarice.  Partisan  des  cutycbéens,  il  per- 
sécuta les  catholiques;  mais,  pendant  qu'il  ne  s'occupait 
que  de  questions  religieuses  et  attirait  sur  sa  tète,  de  la 
part  du  pape  Symmaque,  la  première  excommunication 
qui  ait  frappé  un  prince,  les  Perses  et  les  Bulgares  rava- 
geaient ses  provinces,  et  il  n'obtenait  leur  retraite  qu'à  prix 
d'or.  Il  mourut  en  518  ,  à  quatre-vingt-huit  ans ,  frappé 
de  la  foudre  ou  d'apoplexie.  11  avait  aboli  les  combats  du 
cirque  où  des  hommes  luîtaient  contre  des  animaux  féroces. 

En  713,  Textinction  de  la  famille  d'Héraclius  dans  la 
persoime  du  second  Justinien  et  la  déposition  de  Philippe 
Bardanes  laissaient  Constantinoplc  sans  empereur.   Arie- 


AXASÏASE  —  ANATIIEME 


527 


niius ,  socrt'fairc  d'Etat ,  homme  généralement  estimé , 
ri'iii\fl  K's  sulTinges,  et  reçut  la  eouronne  des  mains  du  pa- 
triarrlie  ,  le  î  juin  ,  sous  le  nom  d'Anastasc  [1.  Son  premier 
soin  fut  de  punir  les  auteurs  de  l'attenlat  eommis  sur  son 
priNieeesseur.  L'ordre  qu'il  apporta  dans  les  finances,  son 
amour  pour  le  travail  et  la  justice,  pouvaient  retenir  l'em- 
pire sur  le  penchant  de  sa  ruine;  il  était  dipne  du  trône; 
mallieureusement  le  peuple  n'était  plus  digne  d'un  tel  em- 
pereur. En  716  une  sédition  éclate  sur  la  Hotte.  Les  mu- 
lins  massacrent  leur  général ,  et  ayant  forcé  un  receveur  des 
impt'its  à  accepter  le  sceptre  sous  le  nom  de  Théodose  III, 
ils  l'obligent  à  entrer ,  à  leur  tête ,  dans  Constantinople. 
Anastase,  abandonné  de  ses  troupes,  se  fait  conduire  en 
babit  de  moine  au  nouvel  empereur,  qui  lui  laisse  la  vie. 
Cependant ,  le  vaincu ,  moins  sage  dans  l'exil  que  sur  le 
trône,  ourdit  une  trame  pour  recouvrer  sa  grandeur  passée. 
Léon  111,  risaurien,  qui  a  renversé  le  faible  Tliéodose,  en 
est  instruit  et  fait  décapiter  les  principaux  complices  d'A- 
nastase.  Lui-même  est  livré  au  vainqueur  par  les  Bulgares 
effrayés,  et  a  la  tète  tranchée  ,  en  719. 

AXASTASE.  Il  y  a  eu  quatre  papes  de  ce  nom.  Le 
premier,  élu  en  398 ,  succéda  à  Sirice ,  réconcilia  les  (ieux 
Lglises  d'Orient  et  d'Occident,  condamnâtes  origénistes, 
et  mourut  en  402,  après  avoir  occupé  le  saint-siége  pendant  un 
peu  plus  de  trois  ans,  laissant  à  ses  successeurs  l'exemple 
d'une  vie  sans  reproche.  —  Anastase  II, élu  le  28  novem- 
bre 496,  eut  à  combattre  l'arianisme,  que  protégeait  l'em- 
pereur d'Orient  Anastase  F%  et  il  lui  écrivit  à  cet  effet  en 
faveur  de  la  religion  catholique;  il  écrivit  aussi  à  Clovis 
pour  le  féliciter  de  sa  conversion  ,  et  mourut  deux  ans  après 
son  avènement.  —  Aaastase  III ,  élu  en  911 ,  après  Ser- 
gius  III,  ne  régna  que  jusqu'en  913.  —  Anastase  IV  s'ap- 
pelait Conrad ,  et  fut  évèque  de  Sabine.  Il  était  Romain; 
élu  pape  le  9  juillet  1153,  après  Eugène  III,  et  dans  un 
âge  très-avancé  ,  il  n'occupa  qu'un  an  et  cinq  mois  le  siège 
de  saint  Pierre.  C'était,  dit  Fleury  ,  un  vieillard  de  grande 
vertu  et  de  grande  expérience  dans  les  affaires  de  la  cour 
de  Rome.  11  se  distingua  par  sa  charité  et  ses  abondantes 
aumônes  pendant  une  cruelle  famine.  —  Pour  Anastase 
anti-pape,  en  855,  voyez  Benoit  m. 

AXASTASE  (Saint),  Persan  du  pays  de  Rasech, 
s'appelait  Magundat  avant  son  baptême.  Il  servpit  dons  les 
troupes  de  Chosroès  ;  s'étant  converti  au  christianisme ,  il 
alla  prêcher  l'évangile  en  Assyrie,  où  il  souffrit  le  martyre 
en  028.  —  Un  autre  saint  Anastase,  élevé  en  5G1  sur  le  siège 
d'Antioche ,  s'attira  les  persécutions  des  empereurs  .Justi- 
nien  et  Justin  le  jeune  pour  avoir  combattu  les  hérétiques. 
Rappelé  par  Maurice,  il  mourut  paisiblement  dans  son  dio- 
cèse, après  avoir  composé  plusieurs  ouvrages  de  théologie 
et  de  piété.  —  Un  troisième  saint  Anastase  ,  surnommé  le 
Sinaïte  ,  parce  qu'il  était  moine  du  Sinai ,  sortit  souvent 
de  sa  solitude  pour  combattre  les  acéphales ,  les  sévériciis 
et  les  théodosiens  d'Egypte  et  de  Syrie.  Il  vivait  encore 
en  678 ,  et  est  auteur  de  divers  ouvrages  ascétiques  qoi 
respirent  tous  la  plus  affectueuse  i)iété. 

ANASTASE,  dit  le  i?(?);/o//icc«<re,  abbé  et  bibliothécaire 
de  l'Église  romaine,  vivait  dans  le  neuvième  siècle ,  et  as- 
sista en  809  au  huitième  concile  de  Constantinople  ,  dont  il 
traduisit  les  «c/p.ç  en  latin.  11  est  auteur  du  i(^ej'/>0Ji///?- 
eolis,  qui  contient  la  vie  des  papes  depuis  saint  Pierre,  im- 
primé au  Vatican,  1718,  et  d'une  Histoire  Ecclésiastique , 
qui  se  trouve  dans  la  By/.antine. 

AJXASTASI  (  BuATANOFSRi  ),  l'un  des  plus  célèbres  pn'-- 
dicatcurs  russes  du  dix-huitième  siècle,  naquit  en  1761 
<lans  un  village  près  de  Kicf,  de  parents  pauvres  et  de  condi- 
tion obscure,  fit  ses  études  au  séminaire  de  Pén-jaslawl ,  et 
ne  tarda  pas  à  être  attaché  à  un  établissement  analogue,  en 
qualité  de  professeur  de  poésie  et  de  rhétorique.  En  1790 
l  «'lubrassa  l'état  monasti(|ue ,  devint  alors  archimandrite 
de  lAusiem-s  monastères,  et  en  1796  de  ce!ui  de  Novos- 


pask ,  à  Moscou.  Ce  fut  l'époque  la  plus  brillante  de  sa  car- 
rière ;  car  ce  fut  celle  où  il  fit  le  plus  souvent  entendre  la 
parole  divine  dans  les  temples.  Par  l'éclat  de  son  style,  par 
la  richesse  de  ses  images ,  par  la  vivacité  de  son  dthit ,  il 
eut  bientôt  accpiis  la  réputation  de  grartd  prédicateur.  Admis 
au  nombre  des  membres  de  l'Académie  impériale  de  Saint- 
Pétersbourg  ,  il  fut  nommé  en  1797  évêque  de  la  Russie 
Blanche,  archevêque  en  1801,  et  en  1805  membre  du  sy- 
node. C'est  revêtu  de  cette  dignité  qu'il  mourut  en  1810,  à 
Astrakan.  11  existe  deux  éditions  de  ses  sermons ,  l'une 
faite  à  Saint-Pétersbourg,  l'autre  à  Moscou  :  ce  sont  des 
modèles  d'éloquence  sacrée ,  et  les  prédicateurs  du  rite  grec 
les  consultent  et  les  étudient  aussi  souvent  que  son  Trac- 
tatus  de  Concinnum  Bispositionibus  (  Moscou  ,  1806  ). 

ANASTOMOSE  (du  grec  àvaaTÔfjLojai;,  abouchement). 
On  appelle  ainsi,  en  anatomie,  la  communication  entre  deux 
vaisseaux  qui  ne  proviennent  pas  d'un  même  tronc ,  com- 
munication dont  le  but  est  de  favoriser  le  passage  des 
fluides  do  l'un  dans  l'autre ,  comme  d'une  artère  avec  une 
artère ,  d'une  veine  avec  une  ve'ne ,  ou  bien  d'une  artère 
avec  une  veine.  C'est  la  connaissance  des  anastomoses 
qui  a  donné  l'idée  de  placer  des  ligatures  sur  les  lro>nc.s 
artériels,  loin  des  tumeurs  anévrysmale-,dans  le  traitement 
des  anév  r  ysmes;  elle  est  indispensable  au  cliirurgiei» 
qui  veut  pratiquer  cette  opération. 

ANASTROPIiE  (du  grec  àva-jTp^sw,  je  renverse, 
fait  de  àvà,dans,  et  (jTpÉçw,  je  tourne).  Voyez  Hypeubate. 

AIVATHEME  (du  grec  àvaf)ÔLi.a),  offrande  et  primi- 
tivement chose  mise  à  part,  Si'-parée,  placée  en  haut. 
Comme  on  suspendait  à  la  voûte  ou  aux  murs  des  tem- 
ples les  offrandes  à  la  divinité ,  ou  qu'on  les  exposait  sur 
des  autels  à  la  vue  du  public ,  les  auteurs  profanes  les  dé- 
signent sous  le  nom  d'anathèmes. 

Par  catachrèse,  et  en  vue  de  la  victime  expiatoire  dévouée 
aux  dieux  infernaux  ,  le  mot  anathème  signifie  aussi  chose 
exécrée  ou  exécrable,  dévouée  à  la  destruction  ou  à  la  haine 
publique,  hostie  expiatoire.  Dans  le  langage  biblique,  être 
voué  à  l'anathème,  c'est  être  voué  à  la  destruction,  à  l'ex- 
termination. Moïse,  dans  l'Exode  (xxii,  19  selon  l'hébreu) 
voue  à  l'anathème ,  c'est-à-dire  à  la  mort,  les  adorateurs 
des  faux  dieux.  L'Église  a  fait  de  ce  mot  le  synonyme 
d'exécration  et  de  malédiction.  Ses  conciles  se  sont  beaucoup 
servis  de  l'anathème ,  et  plusieurs  de  leurs  décrets  et  de 
leurs  canons  sont  conçus  en  ces  termes  :  Si  quelqu'un 
nie  telle  vérité,  qu'il  soit  anathème,  c'est-à-dire  qu'il  soit 
séparé  de  la  communion  des  firlèles  et  voué  au  malheur 
éternel.  Les  hérétiques  qui  altéraient  lesvérités  de  la  foi  ont 
encouru  bien  souvent  des  anathèmes ,  et  c'est  ainsi  qu'ils 
ont  été  exterminés ,  détruits ,  livrés  aux  flammes  ,  et  en 
quelque  sorte  anéantis.  —  Il  y  a  deux  espèces  d'anathèmes; 
les  uns  judiciaires  ,  et  les  autres  abjuratoires.  Les  premiers 
ne  peuvent  être  prononcés  que  par  un  concile  ,  un  pape , 
un  évéquc  :  ils  diffèrent  de  l'excommunication  en  ce  que 
l'individu  qui  en  est  fVappé  est  retranché  du  corps  des 
fidèles ,  même  de  leur  commerce  ,  et  livré  à  Satan.  Les 
anathèmes  abjuratoires  sont  synonymes  A' abjuration . 

On  sent  combien  les  hommes  ont  pu  abuser  de  ce  droit, 
qui  est  quelquefois  sorti  de  la  juridiction  ecclésiastique.  On 
lit  dans  l'abbé  Leheuf  { tom.  iti ,  pag.  449)  que  Charles  V 
ayant  fait  bâtir  le  collège  de  Mailre-Gervais,  dit  aussi  No~ 
tre-Dame  de  Bayeux,  et  l'ayant  consacré  à  l'étude  de  l'as- 
troloyie,  désira  voir  confirmer  celte  fondation  par  le  pape 
Urbain  V,  qui  ne  lit  pas  difficulté  de  lancer  l'anathème 
contre  ceux  qui  oseraient  enlever  de  ce  collège  les  livres  et; 
les  instrumenlsque  le  fondateur  y  avait  placés.  C'était  mettre 
sous  la  protection  de  l'Eglise  une  science  vaine  et  impie, 
que  plusieurs  conciles  ont  condamnée  couune  telle ,  et  iiiler- 
vertir  l'ordre  de  la  juridiction  ecclésiastique  en  appelant  se* 
foudres  au  secours  d'une  institution  contre  laquelle  elles  au^ 
raient  dû  être  au  contraire  dirigées. 


528 


ANATOCISME  —  ANATOMIE 


AIVATOCISME  ,  mot  vieilli  et  presque  inusit.' ,  qui 
sert  a  dési^^ner  une  tonveiitiou  en  vertu  de  laquelle  les 
inli^rôts  d'une  somme  sont  capitalisés  et  produisent  eux- 
mêmes  un  intérêt.  Autrefois  ce  contrat  était  considéré 
couune  usuraire,  et  la  léj^islation  le  proscrivait  formelle- 
ment; l'ordonnance  du  mois  de  mars  1G79  faisait  défense 
expresse  aux  né-^ociants,  marchands  et  tous  autres,  de 
prendre  l'intérêt  de  l'intérêt ,  sous  queliiue  prétexte  que  ce 
fiU ,  et  spécialement  de  comprendre  l'intérêt  avec  le  prin- 
cipal dans  les  lettres  ou  billets  de  change  ou  autres  actes. 
L'article  1 154  du  Code  Civil  autorise  l'anatocisme  en  disant  : 
«  Les  intérêts  échus  des  cajiitaux  peuvent  produire  intérêts, 
ou  par  une  demande  judiciaire,  ou  par  une  convention 
KI)éciale,  pourvu  que,  soit  dans  la  demande,  soit  dans  la 
convention ,  il  s'agisse  d'intérêts  dus  au  moins  pour  une 
année  entière.  » 

ANATOLE  (Saint),  évêque  de  Laodicée,  en  Syrie, 
au  troisième  siècle,  né  à  Alexandrie,  en  Egypte,  de  pa- 
rents pauvres,  vers  l'an  230,  étudia  avec  succès,  dans  sa 
jeunesse,  la  physique,  la  philosophie,  les  mathématiques, 
l'astronomie .  la  granunaire  et  la  rhétorique.  l'rofessant  la 
philosophie  dans  sa  ville  natale,  il  se  rangea  du  côté  des 
partisans  des  doctrines  d'Aristote ,  en  opposition  aux  doc- 
trines de  Platon ,  et  pendant  qiielques  années  exposa  le  sys- 
tème du  fondateur  de  l'école  péripatéticienne  dans  des  cours 
I)ublics ,  faits  dans  une  cité  qui  était  alors  un  grand  centre 
d'activité  intellectuelle  et  connue  le  foyer  des  études  phi- 
losophiques. Député,  en  l'an  270,  au  synode  d'Antioche, 
il  lit  preuve  dans  cette  assemblée  de  sentinients  religieux, 
unis  à  une  science  si  étendue  ,  qu'il  fut  élu  évêque  de  Lao- 
dicée. Il  est  auteur  d'un  grand  nombre  d'ouvrages ,  dont 
quelques  fragments  seulement  sont  parvenus  jusqu'à  nous. 

Il  ne  faut  pas  confondre  saint  Anatole ,  philosophe  jiéri- 
patéticien,  avec  un  philosophe  platonicien  du  même  nom, 
son  conten)porain ,  qui  hit  le  maître  de  Jaaiblique. 

Un  patriarche  de  Constantiiiople  du  même  nom  est  resté 
célèbre  par  les  effoils  infructueux  qu'il  tenta  au  concile 
tenu  vers  le  milieu  du  cinquième  siècle ,  à  Chalccdoine , 
poin-  faire  proclamer  par  cette  assembli'e  la  suprématie  de 
son  siège  sur  les  autres  sièges  épiscopaux  de  la  chrétienté , 
prétentions  qui  furent  victorieusement  repoussées  par  les  lé- 
gats du  pape  saint  Léon. 

ANATOLIE.  Nom  du  pachalick  ou  eyalet  de  l'Asie 
Mineure  le  plus  rapproché  de  Constanlinople,  et  qu'on 
donne  souvent  aussi  a  toute  l'Asie  Mineure.  Il  est  dérivé 
du  grec  âvato/.yi,  qui  signifie  levant,  et  que  les  Turcs 
prononcent /l?iO(/o/(.  L'Analolie  proprement  dite ,  formée 
de  la  portion  occidentale  de  l'ancienne  Asie  Mineure,  s'é- 
tend du  24°  13'  au  30°  longitude  est,  et  est  subdivisée  en 
dix-huit  sandjacks  ou  livas.  Kutaijcli  en  est  le  chof-lieu  ; 
Brousse  et  S my me  en  sont  les  villes  les  plus  impor- 
tantes. 

ANATOMIE  (du  grccàvà,  à  travers  ;  Té[ji.vw,  je  coupe). 
Dans  son  acception  ordinaire,  l'anatomic  est  l'art  d'exa- 
miner les  corps  animaux  au  moyen  de  la  dissection,  pour 
reconnaître  la  structure  et  les  fonctions  de  toutes  leurs  jiar- 
ties,  et  montrer  à  peu  près  de  quoi  dépendent  la  vie  et  la 
santé.  —  Dans  un  sens  plus  général ,  l'anatomie  est  la 
science  de  l'organisation  de  tous  les  êtres,  soit  animaux, 
soit  végétaux  ,  dont  elle  isole  les  éléments,  afin  de  les  étu- 
dier sous  tous  les  rapports  :  nombre,  forme,  situation, 
connexion,  structure. 

L'anatomie  prend  différents  noms,  suivant  les  olijets 
qu'elle  étudie  et  le  but  de  ses  éludes.  On  la  divise  d'abord 
naturellement  en  anatomie  animale,  zootomie;  et  en 
anjfomie  végétale, /)//y/o^o?Hie  ou  organographic 
vt'gctale. 

L'anatomie  animale  se  subdivise  elle-même  en  plusieurs 
branches.  Celle  (|ui  compare  l'organisation  des  divers  ani- 
maux s'ap|)clle  anatomie  covipari'c.  L'anatomie  des 


animaux  domestiques  prend  quelquefois  le  nom  d'anato- 

inie  vctèrinuire. 

L'anatomic  humaine  ou  anthropotomie,  à  cause  de  sa 
haute  importance,  se  présente  sous  diflérents  points  de  vue. 
Quand  elle  étudie  isolément  les  divers  organes ,  qu'elle  en 
décrit  la  forme,  la  situation,  les  rapports,  elle  prend  le 
nom  (Vanalomic  descriptive.  On  peut  suivre  dans  cette 
élude  deux  méthodes  différentes,  étudier  successivement  les 
divers  appareils  physiologiques,  ou  bien  étudier  dans  chaque 
région  du  corps  la  situation  respective  de  toutes  les  par- 
ties qui  s'y  rencontrent,  ce  qui  constitue  une  application 
des  plus  importantes  pour  le  chirurgien ,  et  s'appelle  ana- 
toinic  chirurgicale ,  ou  iopogruphique,  ou  encore  anato- 
mie (les  régions. 

Le  corps  humain  étant  un  composé  de  solides  et  de  flui- 
des, on  divise  l'anatomie  humaine,  la  seule  dont  nous  ayons 
à  nous  occuper,  en  anatomie  des  solides  et  en  anatomie 
des  fluides. 

Les  solides  du  corps  humain  sont  :  1°  les  os,  qui  prêtent 
appui  aux  autres  parties  du  corps;  2°  \escartilages , 
beaucoup  plus  mous  que  les  os,  et  par  suite  flexibles  et  élas- 
tiques ;  3°  les  ligaments,  plus  flexibles  encore,  et  qui 
unissent  les  extrémités  des  os  les  unes  aux  autres  ;  4°  les 
membranes ,  ou  tissus  de  substance  cellulaire  minutieu- 
sement entrelacée  et  condensée;  5°  Vd  substance  cellulaire, 
formée  de  fibres  et  de  matière  animale  unies  d'une  manière 
plus  lâche;  G"  \?i.  graisse  ou  substance  adipeuse,  huile  ani- 
male, contenue  dans  les  cellules  de  la  membrane  cellulaire  ; 
7°  les  muscles,(\n\  sont  des  paquets  de  fibres, doués  de  la 
faculté  de  se  contracter  :  en  langage  vulgaire,  ils  forment  la 
chair  de  tout  animal  -jS,"  les  tendons,  cordons  durs  et  sans 
élasticité  qui  lient  les  muscles  ou  puissances  motrices  aux  os 
instruments  du  mouvement;  9°  les  viscères ,  qui  sont  dif- 
férents organes  adaptés  dans  réconomie  animale  à  différents 
usages  ,  et  contenus  dans  les  cavités  du  corps  ,  telles  que 
la  tête,  la  poitrine,  l'abdomen  et  le  pelvis;  10°  les  glan- 
des, organes  qui  sécrètent  ou  séparent  divers  fluides  du 
sang;  11"  les  vaiss eaux,  canaux  se  divisant  en  bran- 
chcset  transmettant  le  sang  ainsi  que  d'autres  lluides  ;  12"  la 
substance  cérébrale, qui  compose  le  cerveau  et  la  moelle 
épinière  et  qui  est  une  espèce  particulière  de  matière  ani- 
male molle;  13°  les  nerfs ,  formés  par  la  réunion  de  cor- 
dons blancs  fibreux ,  se  rattachant  par  une  extrémité  au 
cerveau  ou  à  la  moelle  épinière,  et  de  là  répandus  dans 
toutes  les  autres  parties  du  corps  pour  recevoir  les  impres- 
sions des  corps  extérieurs,  ou  pour  transmettre  les  ordres  de 
la  pensée  et  produire  ainsi  le  mouvement  musculaire. 

Les  lluidos  du  corps  humain  sont:  1  °  le  5  «Jij/,  qui  circule 
à  travers  les  vaisseaux  ou  veineux  ou  artériels  et  nourrit  tout 
l'organisme;  2"  la  lymphe,  qui  débarrasse  le  sang  des  ma- 
tériaux appauvris  ;  3"  le  chyle,  chargé  de  renouveler  le  sang  ; 
4"  la  sueur,  sécrétée  par  les  vaisseaux  de  la  peau;  5°  la 
matière  sébacée,  sécrétée  i)3r  les  glandes  de  la  peau  ;  6°  I'm- 
rine,  sécrétée  i)ar  les  reins;  7°  le  cérumen,  sécrété  par 
les  glandes  de  l'oreille  externe;  S"  les  larmes ,  par  les 
glandes  lacrymales;  9°  la  sa/ j  rp,  par  les  glandes  s  a- 
livaires;  10"  le  mucus,  par  des  glandes  dans  diverses 
parties  du  corps,  et  par  différentes  membranes  ;  1 1°  le  liquide 
séreux,  par  les  membranes  tapissant  des  cavités  circons- 
crites; 12°  le  suc  pancréatique,  par  le  pancréas;  13°  la 
bile,  parle  foie;  14°  le  suc  gastrique,  par  l'es- 
tomac; \h°  Yhuile,  par  les  vaisseaux  de  la  membrane 
.idipcuse;  16°  la  synovie,  \\diV  les  surfaces  internes  des 
jointures  à  l'eflet  de  les  lubrifier;  17°  le  sperme^  parles 
testicules;  18°  le  lait,  par  les  glandes  mammaires. 

La  description  anatomique  du  corps  se  trouve  technique- 
ment classée  sous  les  divisions  suivantes  :  1"  Ostéologie,o\\ 
description  de  la  nature  ,  de  la  forme  et  des  usages  des  os; 
2"  Syndesmologie,  on  description  de  la  liaison  des  os  par /es 
ligaments  et  de  la  structure  des  joiulures ;  'i"  Mijot'ogie, 


on  clude  des  forces  mol  rires  ou  niiisrles;  'i"  .lHf7io/fw/r,  ou 
(iescriiitiou  dos  ^ais^eaux  sorvaut  à  rcnlretiou  de  l'orga- 
niiiiie ,  à  labiorption  et  au  déplacement  des  parties  super- 
flues ;  5°  Adcnologie,  ou  exposé  des  glandes  dans  lesquelles 
diverses  liqueurs  sont  séparées  du  sant;  ;  6"  Splaiic/niotogie, 
ou  description  des  dilïcrents  viscères  servant  à  des  buts  va- 
riés et  dissemblables  dans  récononiie  animale  :  elle  fait  aussi 
connaître  les  organes  des  sens,  de  la  voi\  et  de  la  j;éii6- 
ration;  7°  yévrologie,  titre  sous  letiuel  il  faut  comi)rendre 
la  connaissance  des  nerfs. 

Les  fonctions  exercées  par  les  animaux,  et  que  la  physio- 
logie a  pour  objet  d'expliquer,  peuvent  être  classées  ainsi  : 
1  °  ÏAdigesti0  7i,  ou  conversion  des  matières  étrangères  eu 
une  substance  propre  à  la  nourriture  du  corps;  2°Vabsorp- 
tion,  acte  par  lequel  les  parties  nutritives  sont  enlevées 
et  conduites  dans  le  svstème  vasculaire  et  par  lequel  les 
parties  usées  de  notre  corps  sont  éloignées  ;  3°  la  rcspira- 
t  ion,  ou  régénération  du  fluide  nutritif  pari"  action  de  l'atmo- 
sphère; 4"  la  circulation,  ou  distribution  de  la  matière 
convertie  à  chaque  partie  de  l'animal,  pour  réparer  ses  forces 
et  les  augmenter  :  on  appelle  ainsi  ce  procédé ,  à  cause  du 
mode  suivant  lequel  il  est  eflectuo  dans  la  généralité  des 
animaux;  5°  lasccre7Jon,  fonction  qui  a  peur  but  de  sé- 
parer des  fluides  circulants  des  matériaux  divers,  dont  les  uns 
sont  destinés  à  être  éliminés  complètement,  tandis  que  les  au- 
tres ont  à  concourir  à  divers  actes  de  l'économie;  6°  ïir- 
ritabilité,  par  laquelle  les  fibres  vivantes  se  contractent, 
par  laquelle  l'absorption  et  la  circulation  s'effectuent ,  et 
qui  s'exerce  d'une  manière  frappante  par  les  effoi-ts  occa- 
sionnels des  forces  musculaires  ;  enfin  1°  la.  génération, 
par  laquelle  de  nouveaux  êtres  semblables  à  leurs  parents 
sont  formés  et  produits. 

L'ensemble  des  organes  qui  concourent  à  une  même  fonc- 
tion prend  le  nom  d'appareil.  Les  organes,  chacun  en  par- 
ticulier, sont  composés  d'un  certain  nombre  de  tissus  élé- 
mentaires, disséminés  dans  les  diverses  parties  du  corps, 
et  dont  chacun,  envisagé  dans  son  ensemble,  prend  le  nom 
de  système  :  tels  sont  les  systèmes  cellulaire,  vasculaire, 
subdivisé  en  artériel,  veineux,  capillaire,  lymphatique  ; 
imisculaire,  nerveux  ;  muqueux,  cutané,  osseux,  carti- 
lagineux, ligamenteux,  épidermique,  systèmes  qu'on  peut 
réduire  à  trois  tissus  générateurs  :  cellulaire,  musculaire 
et  nerveux.  On  peut  rattacher  encore  à  l'anatomie  humaine 
Y embryotomie  ou  embryogénie ,  étude  de  la  vie  fœtale  qui 
constitue  aussi  une  des  branches  de  l'anatomie  comparée, 
ainsi  que  la  tératotomie  ou  tératologie ,  étude  des  mons- 
truosités. 

Vanatomie physiologique  étudie  à  la  fois  les  organes  et 
les  fonctions  qu'ils  exécutent.  Enfin  l'anatomie  descriptive 
s'appelle  anatomie  pittoresque  ou  plastique,  quand  elle 
est  étudiée  par  les  artistes. 

Lorsque  l'anatomie  fait  abstraction  des  organes  pour  ne 
considérer  que  les  tissus  élémentaires  qui  les  forment  par 
diverses  combinaisons,  elle  reçoit  le  nom  à'' anatomie  géné- 
rale. Cette  branche  de  la  science  a  été  créée  par  Bichat; 
l'application  du  microscope  lui  a  l'ait  faire  d'immenses  progrès. 

Mais  l'anatomie  n'étudie  pas  seulement  les  organes  à 
l'état  de  santé,  elle  s'occupe  aussi  des  altérations  qui  sont 
amenées  par  différentes  causes  ;  elle  reçoit  alors  le  nom  d'a- 
natomie  pathologique. 

Comme  le  fait  observer  Fontenelle  ,  l'astronomie  et  l'ana- 
tomie sont  les  sciences  qui  nous  offrent  le  spectacle  le  plus 
frappant  des  deux  plus  importants  attiibiits  de  l'Être  su- 
prême :  la  première,  en  effet,  remplit  l'esprit  de  l'idée  de  son 
immensité ,  par  l'étendue ,  les  distances  et  le  nombre  des 
corps  célestes;  la  seconde  nous  étonne,  par  l'intelligence  ad- 
mirable et  l'art  merveilleux  qu'il  a  déployés  dans  la  variété 
et  la  délicatesse  du  mécanisme  animal.  On  a  appelé  assez 
souvent  le  conis  humain  du  nom  de  microcosme  (petit 
monde),  comme  différant  moins  du  système  universel  de  la 
liiCT.  DH  LA  ca\\i;i;s.  —  T.  I. 


AXATOMTE  520 

natun*  dans  la  symétrie  et  le  nombre  do  ses  parties  (pie 
dans  leur  grandeur.  L'excellent  traité  de  C.alien  sur  l'usage 
des  membres  est  un  véritable  hymne  à  la  louange  du  Créa- 
teur. Cicéron  insiste  plus  sur  la  structure  et  l'économie  des 
animaux  que  sur  toutes  Tes  autres  productions  de  la  nature, 
quand  il  vent  prouver  l'existence  des  dieux  par  l'ordie  et  la 
beauté  de  l'univers.  Il  serait  trop  long  de  citer  ici  tons  les 
passages  que  pourraient  nous  fournir  les  physiciens ,  les  phi- 
losophes et  les  théologiens  qui  ont  considéré  la  structure  et 
les  fonctions  des  animaux ,  pour  reporter  de  là  leurs  re- 
gards vers  le  Créateur.  C'est ,  en  effet ,  un  spectacle  qui  doit 
nous  inspirer  la  foi  la  plus  respectueuse.  On  a  dit  que 
l'homme  ne  pouvait  pas  porter  la  main  à  sa  tète  sans  trouver 
dans  ce  si  simple  mouvement  assez  de  preuves  pour  lui  dé- 
montrer l'existence  de  Dieu  ;  et  l'on  a  eu  raison. 

L'utilité  la  plus  directe  de  l'anatomie  est  incontestable- 
ment pour  ceux  qui  sont  appelés  à  être  les  gardiens  de  la 
santé  de  leurs  semblables  ;  car  cette  science  est  la  base  néces- 
saire ,  indispensable ,  de  toutes  les  branches  de  l'art  de 
guérir.  Plus  nous  arrivons  à  mieux  connaître  notre  struc- 
ture intérieure,  et  plus  nous  avons  lieu  de  penser  que  si  nos 
sens  étaient  plus  subtils  et  notre  intelligence  pins  vaste , 
nous  pourrions  connaître  beaucoup  de  sources  de  la  vie  qui 
nous  sont  maintenant  cachées.  La  plus  grande  sagacité 
dont  nous  serions  doués  nous  permettrait  dès  lors  de  dé- 
couvrir les  véritables  causes  et  la  véritable  nature  des  ma- 
ladies; et  il  nous  serait  possible,  par  conséquent,  de  con- 
server la  santé  à  une  foule  de  patients ,  que ,  dans  l'état 
actuellement  borné  de  nos  connaissances ,  nous  déclarons 
être  affectés  de  maladies  incurables.  ,\vec  une  connaissance 
plus  intime  de  l'anatomie  du  corps  humain,  nous  arriverions 
sans  doute  à  décousrir  les  causes  môme  des  maladies,  et 
nous  les  détruirions  avant  qu'elles  eussent  le  temps  d'im- 
planter leurs  racines  dans  l'ensemble  de  la  constitution. 
C'est  là,  à  dire  vrai,  un  degré  de  science  auquel  nous  ne 
devons  point  espérer  de  pouvoir  jamais  atteindre.  jMais ,  as- 
surément aussi,  il  nous  reste  encore  bien  des  progrès  à  faire; 
donc  tâchons  d'avancer  le  plus  qu'il  nous  sera  possible. 
Que  si  nous  réfléciùssons  que  la  santé  et  la  maladie  sont 
en  état  constant  d'antagonisme,  nous  ne  pouvons  douter 
que  l'étude  de  l'état  naturel  du  corps  qui  constitue  l'une 
ne  soit  la  voie  la  pins  naturelle  pour  arriver  à  connaître 
l'autre.  Il  n'y  a  parmi  les  médecins  que  les  empiriques  les 
plus  illettrés  qui  puissent  révoquer  en  doute  ce  que  nous 
venons  de  dire  de  l'utilité  de  l'anatomie.  Quand  ils  disent 
qu'une  étude  superficielle  de  cette  science  suffit  à  un  mé- 
decin, ils  n'ont  d'autre  but  que  de  décourager  les  antres 
de  la  poursuite  d'une  connaissance  qu'ils  ne  possèdent  pas 
eux-mêmes,  et  dont,  par  conséquent,  ils  ne  sauraient  appré. 
cier  l'importance. 

Chacun  avouera  que  l'anatomie  est  la  base  même  de  la 
chimrgie.  En  effet,  la  dissection  est  seule  capable  de  nous 
apprendre  quand  on  peut  opérer  sur  un  corps  vivant  avec  li- 
berté et  célérité,  quand  on  ne  doit  se  hasarder  qu'avec  la  plus 
grande  circonspection  et  la  plus  grande  délicatesse  d'opéra^ 
tion  ;  quand  enfin  il  faut  à  tout  prix  s'abstenir.  Elle  instruit  la 
tête,  donne  à  la  main  de  la  dextérité  ,  et  familiarise  le  cœur 
avec  une  espèce  d'inhumanité  nécessaire  pour  pouvoir  faiie 
usage  d'instruments  tranchants  sur  des  créatures  qui  sont  nos 
semblables.  S'il  était  possible  de  douter  des  avantages  que  la 
chirurgie  tire  de  la  connaissance  de  l'anatomie,  nous  ne  tar- 
derions pas  à  nous  former  à  cet  égard  une  conviction  pro- 
fonde, rien  qu'en  comparant  la  pratique  de  nos  jours  avec 
celle  des  anciens,  et  en  faisant  l'histoire  des  progrès  qu'elle  a 
faits  dans  ces  derniers  temps.  On  prouverait  qu'ils  sont  gé- 
néralement dus  à  une  connaissance  plusexacte  des  membres 
qu'elle  concerne.  Entre  les  mains  d'un  bon  anatomiste,  la 
chiiurgie  est  un  art  salutaire,  iiresque  ilivin  ;  prati(iuée  |)ar 
un  homme  qui  ignore  la  structure  du  corps  humain,  cliâ 
devient  souvent  barbare  et  cruelle. 

C7 


530 


ANATOMIE 


Ce  n'est  pas  sans  quelque  raison  qu'on  a  comparé  un  mé- 
decin à  un  général  d'armée.  Le  corps  de  l'Iiommc,  lorsqu'il 
est  en  proie  à  une  maladie,  ressemble,  en  elfet,  à  un  pays  que 
ravagerait  la  guerre  civile  ou  une  invasion.  Le  médecin  est, 
ou  du  moins  devrait  être,  le  dictateur,  le  général  en  chef 
chargé  du  commandement  suprême  et  de  diriger  toutes  les 
opérations  défensives.  Tout  général,  en  effet,  doit  posséder, 
s'il  m'est  permis  de  parler  ainsi,  l'anatomie  et  la  physiologie 
tlu  pays  qu'il  occupe,  c'est-à-dire  connaître  à  fond  la  topo- 
graphie, lacs,  rivières,  marches,  montagnes,  précipices, 
plaines,  bois,  routes,  défilés,  forteresses,  villes  et  fortifica- 
tions, et  se  rendre  un  compte  exact  de  l'influence  des  élé- 
ments de  population  qu'il  rencontre.  Que  ce  général  d'armée 
soit  bien  instruit  sur  tous  ces  points,  il  aura  mille  occasions 
de  tirer  avantage  de  ces  connaissances;  si  elles  lui  sont 
étrangères,  il  sera  constamment  exposé  à  commettre  quel- 
que fatale  et  irréparable  erreur. 

L'absence  de  documents  nous  laisse  dans  une  obscurité 
profonde  en  ce  qui  touche  l'origine  de  la  science  anatomique  ; 
mais  il  est  permis  de  conclure  avec  quelque  apparence  de 
raison  que,  comme  la  plupart  des  autres  connaissances  hu- 
maines, elle  n'a  pas  eu  de  point  de  départ  bien  précis.  Attri- 
buer sérieusement  l'invention  de  l'agriculture,  de  l'archi- 
tecture, de  l'astronomie,  de  la  navigation,  de  la  mécanique, 
de  la  physi([ue,  de  la  chirurgie  ou  de  l'anatomie  à  un  homme, 
à  un  pays,  plutôt  qu'à  d'autres,  ou  encore  à  une  époque 
subséquente  plutôt  qu'à  quelque  ère  antérieure,  serait  trahir 
une  grande  ignorance  de  la  nature  humaine.  Autant  vau- 
drait supposer  qu'il  fut  un  temps  oii  l'horaine  était  dénué 
d'appétits  instinctifs,  dépourvu  de  la  faculté  d'observer  et 
de  réfléchir,  et  qu'à  un  moment  donné  il  eut  le  bonheur  de 
trouver  le  moyen  de  soutenir  son  existence  en  prenant  de 
la  nourriture.  De  pareilles  notions,  en  effet,  ont  toujours 
existé  et  existeront  toujours  dans  toutes  les  parties  du  monde 
liabité. 

Les  premiers  hommes  durent  acquérir  de  bonne  heure 
quelques  connaissances  relatives  à  la  structure  de  leur 
propre  corps,  surtout  en  ce  qui  touche  les  parties  externes, 
et  même  quelques  parties  internes,  telles  que  les  os,  les  ar- 
ticulations et  les  nerfs,  qui,  dans  le  corps  vivant,  se  trou- 
vent exposés  à  l'examen  des  sens.  Ces  notions  grossières 
durent  graduellement  être  améliorées  par  les  mille  accidents 
auxquels  le  corps  est  exposé,  par  les  nécessités  de  la  vie  et 
par  les  diverses  coutumes,  cérémonies  et  superstitions  de 
chaque  nation.  C'est  ainsi  que  l'observation  des  corps  tués 
par  la  violence,  que  les  soins  donnés  aux  blessés  et  à  une 
foule  de  maladies,  que  les  différentes  manières  de  mettre  à 
mort  des  criminels,  que  les  cérémonies  funèbres  et  une  foule 
d'autres  circonstances  encore,  durent  donner  aux  hommes 
des  notions  de  jour  en  jour  plus  précises  sur  eux-mêmes, 
d'autant  que  la  curiosité  et  l'égoïsme  étaient  de  puissants 
stimulants  pour  les  porter  à  l'observation  et  à  la  réflexion. 

La  brute  a  tant  d'affinité  avec  l'homme  en  ce  qui  est  de 
la  forme,  des  mouvements  et  des  sens  extérieurs  ;  les  moyens 
d'existence,  la  génération  de  l'espèce,  les  effets  de  la  mort 
sur  le  corps,  paraissent  si  semblables  chez  l'un  et  chez 
l'autre,  que  non-seulement  il  était  évident,  mais  encore  iné- 
vitable, qu'on  en  tirerait  cette  conclusion,  que  leurs  corps 
sont  à  peu  près  formés  sur  le  même  modèle.  Il  était  si  aisé 
de  se  procurer  des  occasions  d'observer  les  corps  des  ani- 
maux, elles  se  présentaient  si  nécessairement  dans  le  cours 
ordinaire  de  la  vie,  que  le  chasseur  en  tirant  parti  de  sa 
proie,  le  prêtre  en  faisant  ses  sacrifices,  l'augtu-e  en  se  livTant 
à  ses  pratiques  de  divination,  enfin  le  boucher  lui-même  et 
ceux  que  la  curiosité  pouvait  jiorter  à  assister  à  ses  opéra- 
tions, durent,  chacun  en  ce  qui  le  concernait,  apporter  cha- 
que jour  quelque  notion  particulière  et  nouvelle  à  l'ensemble 
dis  connaissances  anatomiqnes  déjà  acquises.  C'est  ainsi  que 
n.ius  voyons  les  insulaires  de  l'Océanie, quoique  abandonnés 
à  leurs  propres  observations,  et  sans  autre  secours  que  leur 


f  propre  raisonnement,  posséder  néanmoins  une  certaine  quan. 
I  tité  de  notions  imparfaites,  grossières  même  ,  si  l'on  veut, 
j  relatives   à   l'anatomie  et  à    la  physiologie.  Les    poèmes 
(  d'Homère  nous  prouvent  également  qu'une  certaine  somme 
j  de  connaissances  relatives  à  la  structure  interne  du  corps 
I  humain  était  déjà  répandue  de  son  temps  (  roir  par  exemple 
'  Y  Iliade,  liv.  v,  vers  305  et  suivants).   Mais  l'anatomie 
proprement  dite,  c'est-à-dire  la  connaissance  de  la  structure 
du  corps,  obtenue  au  moyen  de  dissections  faites  expressé- 
j  ment  dans  ce  but,  est  d'une  bien  plus  récente  origine. 
j       La  civilisation  et  le  progrès  en  tout  genre  durent  nalu- 
I  rellement  commencer  dans  des  pays  fertiles,  sous  d'heureux 
j  climats  où  l'homme  a  du  loisir  pour  réfléchir,  où  il  éprouve 
I  du  penchant  pour  le  plaisir.  11  semble  néanmoins  que  les 
moeurs,  les  superstitions  et  le  climat  des  pays  orientaux  fu- 
I  rent  aussi  défavorables  à  l'anatomie  pratique  qu'ils  prédis- 
posaient naturellement  à  l'étude  de  l'astronomie,  de  la  géo- 
métrie, de  la  poésie  et  de  tous  les  arts  de  la  paix.  Sous  ces 
chaudes  latitudes,  les  coq^s  des  animaux  tombent  si  rapide- 
ment en  putréfaction ,  que  leurs  premiers  habitants  durent 
éviter  les  travaux  toujours  si  répugnants  de  l'anatomie  avec 
une  horremr  non  moins  vive  quo  celle  qu'éprouvent  encore 
aujourd'hui  leurs  descendants  pour  ces  sortes  d'études.  Et, 
dans  le  fait,  rien  dans  les  écrits  des  Grecs,  des  Juifs  ou  des 
Phéniciens ,  ne  nous  apprend  que  l'anatomie  ait  été  parti- 
culièrement cultivée  par  aucune  de  ces  nations.  Les  progrès 
de  l'anatomie  aux  premiers  âges  du  monde  furent  surtout 
empêchés  par  le  préjugt-,  alors  généralement  répandu,  que 
de  l'attouchement  d'un  cadavre  résultait  une  souillure  mo- 
rale. L'usage  d'embaumer  leurs  morts  n'avait  nullement  ré- 
concilié les  Égj'ptiens   avec  la  pratique   des  dissections. 
L'homme  qui  dans  cette  opération  était  chargé  de  pratiquer 
l'incision  au  moyen  de  laqueile  les  viscères  étaient  extraits 
du  corps  s'enfuyait  aussitôt,  poursuivi  par  les  imprécations 
des  assistants,  qui  le   considéraient  comme  ayant  violé  le 
corps  d'un  ami.  La  loi  religieuse  des  Juifs  était  à  cet  égard 
d'une  sévérité  extrême.   «  Quiconque,  dit  le  législateur  des 
Hébreux,  touche  le  corps  d'un  homme  mort  et  ne  se  purifie 
pas  souille  le  tabernacle  du  Seigneur  ;  et  cette  âme  sera 
retranchée  d'Israël.  » 

En  remontant  jusqu'à  l'enfance  de  notre  art,  nous  ne  pou- 
vons pas  aller  dans  l'antiquité  plus  loin  que  l'époque  des 
philosophes  grecs  ;  et  nous  voyons  qu'ils  considéraient  l'a- 
natomiecomme  unebranchedes  sciences  naturelles. Les  écrits 
de  Platon  nous  apprennent  qu'il  n'était  pas  sans  avoir  étudié 
l'organisation  et  les  fonctions  du  corps  humain.  Hippo- 
crate,  qm  vécut  environ  quatre  cents  ans  avant  Jesus- 
Clirist,  et  qui  fut  reconnu  comme  le  dix-huitième  descen- 
dant d'Esculape,  fut  le  premier  qui  établit  une  séparation 
entre  l'étude  de  la  philosophie  et  celle  de  la  physique,  et  qui 
se  voua  exclusivement  à  cette  dernière.  Quoiqu'il  ait  été  de 
mode  pendant  deux  siècles  d'exalter  les  connaissances  des 
anciens  en  anatomie,  nous  devons  avouer  que  les  descriptions 
d'Hippocrate,  à  l'exception  de  celles  qui  ont  trait  aux  os, 
sont  incorrectes,  imparfaites,  quelquefois  extravagantes,  trop 
souvent  inintelligibles.  Après  Hippocrate  l'anatomie  lit  de 
grands  progrès.  Aristotene  s'est  pas  moins  immortalisé  par 
ses  immenses  travaux  en  histoire  naturelle  que  comme  fonda- 
teur de  la  philosophie  péripatéticienne,  qui  pendant  près  de 
deux  mille  ans  a  tenu  le  sceptre  des  intelligences  dans  Je 
monde  savant.  Hérophileet  Érasistrate,  de  l'École 
d'Alexandrie,  sont  particulièrement  célèbres  dans  l'his- 
toire de  l'anatomie.  Ils  paraissent  avoir  été  les  premiers  qui 
se  soient  livrés  à  des  dissections  sur  le  cadavre  humain.  On 
prétend  que  Ptolémée  Piiiladelphe  et  son  prédécesseur,  se 
plaçant  au-dessus  du  préjugé  et  des  scrupules  religieux  qui 
défendaient  de  toucher  des  cadavres,  livraient  aux  médecins 
les  corps  des  criminels  suppliciés.  Si  l'on  doit  s'en  rapporter 
au  témoignage  de  quelques  auteurs,  Hérophile  et  Érasistrate 
disséquèrent  même  plusieurs  de  ces  malheureux  tout  vi- 


AîSATOMIE 


iSl 


vants.  11  y  a  dans  ce  (ail  quelque  chose  qui  n^volte  si  profon- 
ilcinent  les  plus  simples  sentiments  d'Iiuuianite,  que  nous 
aimons  à  n'y  voir  que  l'exagération  des  rumeurs  répandues 
alors  à  l'occasion  de  la  dissection  des  corps  humains,  inno- 
vation qui  devait  blesser  bien  des  susceptibilités.  Les  ou- 
vrages de  ces  deux  anatomistes  ne  sont  pas  parvenus  jusqu'à 
nous  ;  les  notions  que  nous  possédons  sur  les  progrès  qu'ils 
ont  fait  faire  à  l'anatomie  sont  puisées  dans  quelques  extraits 
et  notices  que  Galien  a  insères  dans  ses  ouvrages ,  et  qui 
suUisent  pour  nous  prouver  qu'ils  avaient  uge  connaissance 
assez  juste  et  assez  complote  de  la  structure  du  corps  hu- 
main. 

11  est  impossible  de  faire  mention  d'un  seul  nom  romain 
dans  cette  esquisse  de  l'histoire  de  l'anatomie  ;  car  Pline  et 
Celse  ne  firent  que  compiler  les  Grecs. 

Les  dogmes  religieux  furent  assurément  cause  des  lents 
progrès  de  la  science  chez  les  peuples  de  l'antiquité.  On 
croyait  que  les  âmes  de  ceux  qui  n'avaient  pas  reçu  la  sé- 
pulture erraient  cent  ans  sur  les  bords  du  Styx.  Quiconque 
ai)ercevait  un  cadavre  était  tenu  de  le  recouvrir  de  terre , 
et  s'il  négligeait  de  s'acquitter  de  ce  devoir,  il  lui  fallait , 
pour  expier  son  crime  ,  offrir  des  sacrifices  à  Cérès.  11  était 
interdit  au  grand  pontife  non-seulement  de  toucher  un 
cadavre,  mais  même  de  le  voir  ;  et  les  llamines  de  Jupiter 
ne  pouvaient  pas  aller  là  où  se  trouvait  un  lomheifti. 
Ceux  qui  avaient  assisté  à  des  funérailles  étaient  purifiés 
par  les  mains  du  prêtre  au  moyen  d'une  aspersion  d'eau  ; 
et  la  maison  du  défunt ,  elle  aussi ,  était  purifiée  de  la  même 
manière.  Si  quelqu'un,  dit  Euripide  dans  Iphigénie ,  a 
souillé  ses  mains  par  un  assassinat,  en  touchant  un  cada^TC 
ou  une  femme  en  couches ,  les  autels  des  dieux  lui  sont 
interdits. 

11  n'y  eut  pas  d'anatomiste  ni  de  physiologiste  depuis 
Ilérophile  et  Erasistrate  jusqu'à  Galien.  On  pense  généra- 
lement que  les  sujets  de  ses  travaux  anatomiques  étaient 
des  animaux  ;  et  il  résulte  évidemment  de  quelques  passages 
que  ses  descriptions  sont  faites  d'après  des  singes.  Le  fait 
est  qu'il  ne  dit  jamais  expressément  avoir  disséqué  des  sujets 
humains,  bien  qu'il  dise  avoir  vu  des  squelettes  humains. 
Il  doit  être  regardé  comme  le  premier  qui  ait  placé  la  science 
anatomique  à  un  rang  distingué  parmi  les  connaissances 
humaines  ;  et  à  cet  égard  il  mérite  toute  notre  reconnais- 
sance, car  pendant  environ  dix  siècles  ses  ouvrages  fu- 
rent la  seule  source  à  laquelle  les  hommes  purent  puiser 
quelques  notions  anatomiques. 

A  la  mort  de  Galien  la  science  déclina  tout  aussitôt;  ses 
successeurs  se  contentèrent  de  le  copier,  et  il  n'y  a  pas  de 
preuves  qu'il  y  ait  eu  dissection  d'un  corps  humain  depuis 
Galien  jusqu'au  règne  de  l'empereur  Frédéric  II.  Les  Arabes 
n'allèrent  pas  plus  loin  en  anatomie  que  Galien,  et  sup- 
pléèrent par  la  lecture  de  ses  ouvrages  aux  dissections  que 
leur  croyance  religieuse  les  empêchait  de  faire.  La  prise  de 
Constantinople  par  les  Turcs  et  les  grandes  découvertes  du 
quinzième  siècle  contribuèrent  puissamment  à  répandre 
dans  les  diverses  parties  de  l'Europe  les  arts  des  anciens. 
On  posséda  ainsi  une  source  de  connaissances  à  laquelle  jus- 
qu'alors on  n'avait  encore  pu  puiser  que  par  l'intermédiaire 
des  médecins  arabes.  C'est  aux  Italiens  que  nous  sommes 
reilevables  de  la  restauration  de  l'anatomie.  Mais  les  pre- 
miers qui  se  signalèrent  dans  cette  voie  avaient  un  respect 
aveugle  pour  les  œuvres  de  Galien,  en  même  temps  que  les 
préjugés  généralement  répandus  à  cette  époque  sur  le  res- 
pect dû  aux  morts  rendaient  impossible  tout  progrès  de  la 
science.  Nous  pouvons  citer  comme  exemple  un  décret  du 
pape  Boniface  VIII,  défendant  de  pré|)arer  les  ossements 
Iiuinains  ,  décret  qui  arrêta  dans  ses  recherches  Mundini , 
lequel  en  1315  avait  fait  à  Cologne  la  première  dissec- 
tion publique  d'un  corps  humain. 

l'arini  les  cJixonstaiices  qui  contrihiicient  à  la  restaura- 
lion  de  l'anatomie ,  il  faut  tenir  compte  de  l'assislance  qu'elle 


obtint  des  grands  peintres  et  sculpteurs  de  ce  Icmps.  Michel- 
Ange  disséqua  des  hommes  et  des  animaux  pour  apprendre 
à  connaître  les  muscles  cachés  sous  la  peau.  Il  existe  à  la 
Bibliothèque  Impériale  une  collection  de  dessins  anatomi- 
ques exécutés  vers  cette  époque  par  Léonard  de  Vinci ,  et 
accompagnés  de  notes  explicatives.  Hunter  n'hésite  pas  à 
rendre  hommage  à  la  précision  et  à  l'exactitude  des  notions 
anatomiques  que  ces  esquisses  font  supposer,  et  il  ne  craint 
pas  de  proclamer  Léonard  de  Vinci  comme  le  plus  grand 
anatomiste  de  cette  époque.  Vers  le  milieu  du  seizième  siècle 
parut  l'illustre  V  e  s  a  1  e ,  qui  enseigna  le  premier  que  la  dis- 
section était  un  mode  bien  préférable  pour  arriver  à  la 
connaissance  de  l'anatomie  que  l'étude ,  jusque  alors  tant 
préconisée ,  des  ouvrages  de  Galien.  Ses  immenses  recher- 
ches sur  la  structure  de  l'homme  et  des  animaux  l'amenè- 
rent à  découvrir  les  erreurs  de  Ga'lien ,  qu'il  signala  avec 
courage,  démontrant  par  diverses  parties  de  ses  œuvres  que 
ce  grand  médecin  n'avait  décrit  le  corps  de  l'homme  que 
d'après  des  dissections  d'animaux.  Les  vives  controverses 
qui  s'élevèrent  à  celte  occasion  ouvrirent  une  nouvelle  ère 
dans  l'histoire  de  l'anatomie.  Il  y  aurait  de  l'injustice  ici  à 
passer  sous  silence  les  noms  de  Fallopeetd'Enstachi, 
contemporains  de  Vesale ,  qui ,  eux  aussi ,  contribuèrent 
beaucoup  par  leurs  travaux  et  par  leurs  observations  aux 
progrès  de  l'anatomie.  Les  planches  dessinées  et  gravées 
par  le  dernier  sont  exécutées  avec  un  soin  et  une  précision 
qu'on  admirerait  même  de  la  part  d'un  anatomiste  contem- 
porain. 

En  1628  l'immortel  Harvey  publia  sa  découverte  de  la 
circulation  du  sang,  qui  non-seulement  jeta  une  nou- 
velle et  utile  lumière  sur  des  faits  anatomiques  qui  étaient 
déjà  incontestablement  acquis  à  la  science,  mais  encore 
ouvrit  la  voie  à  une  foule  de  recherches  ultérieures. 

Les  occasions  de  disséquer  devenant  plus  nombreuses, 
on  décou\Tit  les  erreurs  commises  presque  à  chacune  des 
pages  des  oeuvres  de  Galien ,  et  on  commença  à  ne  plus 
étudier  l'anatomie  que  sur  le  sujet  même.  Ici  nous  ne  de- 
vons pas  omettre  de  tenir  compte  de  l'influence  que  les 
écrits  du  grand  Bacon  exercèrent  sur  l'étude  des  sciences 
naturelles  et  sur  les  divers  modes  d'action  de  la  pensée. 
La  philosophie  d'Aristote  fut  à  ce  moment  renversée  du 
piédestal  élevé  qu'elle  avait  occupé  si  longtemps,  et  fit  place 
à  la  seule  méthode  offrant  à  la  fois  de  la  sécurité  et  de  la 
solidité ,  celle  de  l'observation ,  de  l'expérience  et  de  l'in- 
duction. C'est  à  cette  époque  que  furent  fondées  en  Italie 
l'Académie  del  Cimento,  à  Londres  la  Société  Royale, 
et  à  Paris  l'Académie  des  Sciences.  Depuis,  l'important 
principe  qui  rejette  toute  hypothèse  ou  connaissance  géné- 
rale, jusqu'à  ce  qu'un  nombre  suffisant  de  faits  aient  été 
vériliés  par  une  observation  attentive  et  de  judicieuses  ex- 
périences, a  pris  de  jour  en  jour  plus  de  crédit.  Anatomistes 
et  physiologistes ,  tous  à  partir  de  ce  moment  ont  cherche 
à  se  distinguer  par  la  patiente  observation  de  la  nature 
même  et  par  la  description  précise  des  phénomènes  qu'ils 
obseiTaient. 

Après  la  découverte  de  la  circulation  du  sang,  il  était 
naturel  que  la  seconde  question  dont  la  solution  occuperait 
les  intelligences  fût  celle  des  voies  suivies  par  les  parties 
nutritives  des  aliments,  à  partir  des  viscères  jusqu'aux 
vaisseaux  sanguins.  Le  nom  d'Aselli,  médecin  italien,  est 
devenu  illustre  par  la  découverte  des  vaisseaux  qui  amènent 
le  chyle  des  intestins.  Pecquet  découvrit  le  canal  thora- 
cique  ou  tronc  commun  de  tous  les  vaisseaux  chylifères, 
conduisant  le  chyle  dans  la  veine  sous-clavière.  La  décou- 
verte (les  vaisseaux  1  y  m  p  h  a  t  i  q  u  e  s  suivit  bientôt  celles  des 
chylifères  et  du  canal  thoraci(iue.  Rudbeck,  Suédois  de 
naissance,  est  généralement  reconnu  comme  ayant  décou- 
vert ces  vaisseaux;  cependant  cet  honneur  lui  fut  disputé 
par  un  savant  Danois,  Bartholin.  Leeuwenhoeck 
chercha  à  connaître  la  structure  exacte  du  corps  humain 

67. 


533 

à  l'aide  du  nucroscope  ;  il  démontra  la  circulation  du  sang 
dans  les  ]>arties  transparentes  des  animaux  vivants  ;  le  pre- 
luer  il  observa  les  globules  rouges  du  sang  et  les  animal- 
cules du  sperme.  Malpighi  dirigea  particulièrement  son 
attention  sur  les  glandes  ou  organes  sécrétoires  du  corps. 

Vers  cette  ('•pofjiie  Tanatomie  lit  deux  pas  immenses,  par 
Tinvention  des  injections  et  par  la  méthode  des  prépara- 
tions anatomiqucs.  T^ous  en  sommes  redevables  aux  Hol- 
landais, pailiculièrement  à  Swammerdam  et  à  Ruysch. 
iJès  que  Tanatomie  fut  ainsi  devenue  une  science  claire  et 
évidente,  elle  fut  étudiée  et  enseignée  chez  les  dil'férentes 
nations  de  Tliurope  par  une  foule  de  professeurs,  pleins  de 
/61e  et  de  talent.  Les  i)rt-jugés  relatifs  à  la  dissection  ayant 
en  grande  partie  disparu,  les  diflicullés  qui  s'opposaient 
autrefois  aux  rcciierches  anato'niques  ont  cessé  d'exister; 
vX  il  est  maintenant  généralement  aisé  de  se  procurer  au- 
tant de  sujets  qu'en  exigent  les  travaux  anatomiques. 
A  cet  égard,  dans  la  plupart  des  pays  de  r[;urope,  peut- 
(•Ue  môme  dans  tous ,  les  gouvernements  ont  pourvu  aux 
besoins  des  anatomistes.  11  n'y  a  plus  aujourd'hui  que 
l'Angleterre  où  il  soit  encore  difficile  et  coûteux  de  se  pro- 
curer les  moyens  d'instruction  nécessaires  à  l'étude  de 
l'anatomie  pratique;  aussi,  tandis  que  les  autres  nations 
enrichissent  à  l'envi  la  science  des  plus  splendides  ouvrages, 
on  ne  saurait  citer  que  bien  peu  de  noms  anglais  dans  les 
annales  de  celte  science. 

11  nous  faudrait  trop  de  temps  et  trop  de  place  pour  si- 
gnaler ici  en  détail  les  travaux  et  les  découvertes  de  tous  les 
liomraes  éminents  qui  se  sont  immortalisés  pendant  le  siècle 
dernier  dans  l'anatomie.  Nous  nous  bornerons  à  dire  som- 
mairement qu'il  n'y  a  point  de  partie  du  corps  lunnain  qui 
n'ait  été  complètement  et  minutieusement  examinée  et  dé- 
crite ,  et  que  des  gravures  aussi  exactes  qu'élégantes  les  ont 
toutes  reproduites.  Les  os  et  les  muscles  ont  été  décrits  et 
représentés  de  la  manière  la  plus  exacte  par  Albinos,  Che- 
selden,  Sue  et  Cowper.  Le  système  vasculaire  a  été  illustré 
par  un  magnifique  ouvrage  de  l'immortel  Halier.  ^Valker  et 
Meckcl  de  Berlin,  ainsi  que  Scarpa  h  Pavie,  ont  fait  preuve 
d'autant  de  zèle  que  de  soins  pour  découvrir  et  suivre  la  dis- 
tribution des  nerfs  les  plus  importants ,  et  pour  les  repré- 
senter à  l'aide  de  gravures  (idèles.  Cruikslxank  s'est  distingué 
par  un  excellent  ouvrage  sur  le  système  absorbant  ;  et  l'on 
doit  à  Jlascagni  un  remarquable  travail  sur  les  vaisseaux 
absorbants  ,  orné  de  planches  magnifiques.  En  Angleterre , 
Ilunter,  à  qui  l'anatomie  doit  plus  qu'à  tout  autre,  a  publié, 
avec  de  superbes  gravures  explicatives ,  une  iiistoire  com- 
plète de  l'œuf  humain  et  des  changements  que  subit  l'utérus 
après  avoir  reçu  cet  œuf  dans  ses  cavités.  S'icq  d'Azyr  a  re- 
présenté avec  une  élégance  sans  rivale  La  structure  du  cer- 
veau, dans  un  volume  in-folio,  orné  de  planches  que  nous 
n'hésitons  pas  h  proclamer  tout  à  la  fois  comme  un  des  plus 
magnifiques  nionuments  de  l'art  et  comme  un  chef-d'a>uvre 
de  la  science  anatomique.  Quelques  parties  des  plus  impor- 
tants organes  ont  aussi  été  expliquées  par  Sœmmering , 
aux  travaux  de  qui  l'anatomie  est  redevable  de  tant  de  pro- 
grès. Nous  nous  bornerons  à  citer  ici  ses  deux  admirables 
dissertations  sur  l'anatomie  de  l'o'il  et  sur  celle  de  l'oreille. 
11  y  aurait  aussi  de  l'injustice  à  ne  pas  faire  mention  des 
beaux  travaux  entrepris  sur  les  mêmes  sujets  par  Zinn,  Cas- 
sebohm  et  Scarpa.  —  Jlorgagni,  professeur  d'anatomie  à 
l'adoue,  a  publié  au  dix-huitième  siècle  sur  l'anatomie  mor- 
bide im  ouvrage  d'une  haute  utilité.  En  Angleterre ,  IJailie 
a  suivi  les  mêmes  voies,  mais  en  traitant  son  sujet  d'une 
façon  différente.  Lieutaud ,  Portai ,  Sandifort,  Laennec,  Cru- 
veilhier,  Lobstein  et  Andral  ont  fait  aussi  faire  de  grands  pro- 
grès à  cette  partie  de  la  science.  —  ^Vinsl()\v,  Sabatier,  et 
Bichat,  le  créateur  «le  l'anatomie  générale,  sont  les  auteurs 
des  systèmes  anatomiques  les  plus  approuvés  en  Fiance; 
ceux  qui  ont  le  plus  de  vogue  en  Allemagne  sont  dus  à 
Scemmerini;  et  à  liiidehrand.  \V.  L,\\VKi:xct;. 


ANATOMIE  —  ANATOMIE  COMPARÉE 

ANATOMIE  COMPARÉE.  Cesl  la  science  de  l'or- 
ganisation  des  animaux;  elle  expose  les  différences  et  les 
analogies  que  présentent  les  systètTics  organiques  dans  toute 
la  série  animale.  L'anatomie  comparée  a  servi  de  base  à  la 
classification  des  animaux  la  plus  généralement  adoptée 
de  nos  jours.  C'est  la  source  solide  et  féconde  où  la  physio- 
logie a  puisé  ses  théories  les  plus  évidentes;  car  c'est  par  elle 
seule  que  l'on  obsene,  que  l'on  compare,  que  l'on  juge  les 
différentes  modifications  d'un  organe  remplissant  une  fonc- 
tion analogue  «u  semblable  dans  toute  l'échelle  des  êtres. 

L'anatomie  comparée  nous  fait  reconnaître  tout  d'abord 
que  les  fonctions  se  perfectionnent  à  mesure  que  les  orga- 
nismes se  comphquent,  et  qu'elles  se  simplifient  à  mesure 
qu'ils  deviennent  plus  élémentaires.  Un  rapide  coup  d'œil 
jeté  sur  Icsoiganes  des  animaux  et  sur  les  fonctions  que  ces 
organes  sont  appelés  à  remplir  suffira  pour  donner  une  idée 
générale  de  cette  science  immense  par  son  but  et  ses  ré  • 
sullf.ts. 

La  respiration  ne  s'effectue  pas  de  la  même  façon  chen 
tous  les  animaux  :  tantôt  elle  se  fait  par  la  surface  du  corps, 
sans  avoir  d'appareil  distinct,  comme  chez  les  zoophytes  ; 
tantôt  elle  a  lieu  par  des  <rac/i  ces,  sortes  de  vaisseaux  qui 
transportent  l'air  dans  toutes  les  parties  du  corps;  tantôt  elle 
s'opère  par  des  branchies ,  espèce  de  franges  lamellaires, 
ou  bien  enfin  par  des  poum  on  s  compressibles  et  exten- 
sibles à  volonté.  La  respiration  branchiale  est  propre  aux 
animaux  qui  vivent  dans  l'eau  ;  ceux-là  seuls  ont  la  respi- 
ration pulmonaire  qui  sont  le  plus  élevés  dans  la  vie  animale. 
A  la  respiration  pulmonaire  se  rattache  une  fonction  des 
plus  importimtes ,  la  voix  que  produit  un  appareil  parti- 
culier nommé  glotte.  Cet  appareil  est  tantôt  à  la  base  de 
la  langue,  chez  les  mammifères  et  les  reptiles;  tantôt  il  est 
à  l'extrémité  antérieure  du  tube  aérien,  chez  les  oiseaux. 

La  circulation  présente  aussi  des  dilïérences  notables; 
quelques  animaux  n'en  ont  pas ,  comme  les  zoophjles  et  les 
insectes;  elle  est  tantôt  complète,  quand  tout  le  sang  vei- 
neux traverse  l'organe  respiratoire  avant  de  retourner  aux 
artères,  comme  chez  les  mammifères ,  les  oiseaux,  les  pois- 
sons et  certains  inoliusques  ;  tantôt  incomplète ,  quand  une 
partie  du  sang  veineux  repasse  aux  art  ères  sans  traverser 
l'organe  de  la  respiration.  Le  c  œ  u  r,  organe  de  l'impulsion 
du  sang ,  éprouve  aussi  de  nombreuses  modifications.  Quand 
la  circulation  est  incomplète ,  il  n'y  en  a  qu'un  ;  quand  elle 
est  complète ,  quelquefois  aussi  il  n'y  en  a  qu'un ,  placé 
tantôt  à  l'origine  de  l'artère  branchiale,  comme  chez  les  pois- 
sons ;  tantôt  à  l'origine  de  l'aorte ,  comme  chez  les  limaçons  ; 
mais  il  y  en  a  le  plus  souvent  deux, ordinairement  réunis, 
comme  chez  l'homme,  quelquefois  séparés,  connue  chez  la 
sèche. 

La  digestion  ne  varie  pas  moins.  Chez  les  zoophytes  lo 
tube  digestif  n'est  qu'un  sac  à  une  seule  ouverture,  qid  sert  à 
la  fois  à  prendre  les  aliments  et  à  rejeter  les  excréments. 
Dans  tous  les  autres  animaux  le  tube  digestif  a  deux  ouvertures, 
mais  quelquefois  il  décrit  des  circonvolutions  considérables , 
qui  en  augmentent  singulièrement  l'étendue ,  et  quelquefois 
aussi  il  présente  des  dUatations,  de  capacité  et  de  nombre 
variables.  Litchyle,  produit  de  la  digestion ,  transsude  du 
tube  digestif  chez  les  zoophytes  et  les  insectes ,  qui  sont  dé- 
pourvusde  circulation,  ou  bien  il  est  recueilUpardes  vaisseaux 
particuliers  qui  le  versent  dans  le  sang.  Ce  dernier  liquide 
est  tantôt  rouge,  chez  les  vertébrés  ;  tantôt  incolore,  blanc  et 
bleuâtre.  Les  mammifères  ont  le  chyle  laiteux  ;  les  oiseaux , 
les  reptiles  et  les  poissons  l'ont  incolore  comme  la  lymphe. 

Le  système  nerveux  offre  trois  grandes  différences  : 
tantôt  il  est  renfermé  dans  un  étui  osseux  au-dessus  du 
tube  digestif,  comme  dans  tous  les  vertébrés;  ou  bien  il  est 
placé  au-dessous  du  tube  digestif  et  renfcnué  dans  la  même 
cavité,  comme  chez  les  mollusques  et  les  articulés  ;  ou  bien, 
enfin,  il  est  confondu  avec  les  autres  tissus,  comme  chez  les 
zoophjles.  Les  oigancs  des  sens  existent  chez  tous  les  ver- 


ANATOMIE 

l('br(% ,  mais  avec  tics  difTérences  infinies  dans  leur  do2.\é  de 
porfiTlion  ;  la  vue  et  l'ouïe  manquent  aux  zooph}1es,  à  plu- 
sieurs vers  articulés,  à  certains  mollusques. 

Le  système  de  locomotion  présente  é4:;alement  deux  dif- 
férences capitales  :  les  os  forment  un  squelette  intérieur  que 
font  mouvoir  des  muscles  placés  à  Tontour,  et  les  animaux 
qui  en  sont  pourvus  sont  appelés  vcrftbrcs  ;  ou  bien  il  n'y  a 
pas  de  squelette  intérieur,  et  les  invcrtc'brés  sont  tantôt 
mous  conune  les  vers ,  tantôt  pourvus  de  pièces  écailleuses, 
qui  forment  une  sorte  de  squelette  extérieur,  comme  les 
crustacés  et  les  insectes ,  tantôt  enfin  renfermés  dans  une 
coquille  de  substance  calcaire,  que  sé'crète  leur  peau. 

Les  organes  de  la  génération  n'offrent  pas  moins  de  va- 
riations. Chez  les  zoophytes  le  petit  croit  sur  le  corps  de  l'a- 
dulte à  la  façon  d'un  bourgeon ,  et  s'en  sépare  quand  il 
peut  vivre  d'une  vie  propre.  Dans  les  autres  animaux  la  re- 
production s'effectue  au  moyen  d'organes  particuliers ,  qui 
constituent  les  sexes.  Ceux-ci  sontle  plus  souvent  séparés , 
quelquefois  réunis  chez  le  même  individu,  comme  dans  les 
mollusques  :  c'est  V hermaphrodisme.  Dans  ce  cas 
quelques-uns  peuvent  se  féconder  eux-mêmes ,  tandis  que 
d'autres  ont  besoin  d'un  accouplement  réciproque.  Le  pro- 
duit de  la  génération  est  tantôt  un  embryon,  qui  se  fixe  aux 
parois  de  l'utérus  de  la  mère:  c'est  la  génération  y  ivij)  are; 
ou  bien  c'est  un  germe  qui  en  est  entièrement  séparé,  et  qui 
est  renfermé  dans  une  coque  au  milieu  dune  substance  qui 
lui  sert  de  nourriture  :  c'est  la  génération  ovipare,  ^"'oublions 
pas  que  quelques  animaux  ovipares,  tels  que  la  vipère,  pro- 
duisent des  petits  vivants  ;  mais  il  est  facile  de  s'assurer 
(ju'il  y  a  eu  des  œufs  couvés  et  éclos  dans  le  cco-ps  de  la 
mère,  d'où  le  nom  d'oro  y  tri/)  ores,  donné  aux  animaux 
qui  présentent  cette  particularité.  En  outre  quelques  anhuaux, 
comme  les  insectes,  les  grenouilles  et  les  sala- 
mandres, éprouvent  des  métamorphoses  singulières  en 
passant  à  l'état  adulte. 

Après  avoir  signalé  les  différences  capitales  qui  existent 
dans  les  animaux  à  leur  état  de  développement ,  il  reste  à 
parler  d'une  importante  partie  de  l'anatomie  comparée.  La 
science  de  l'organisation  recherche  encore  les  dissemblances 
et  les  rapports  que  des  individus  d'une  même  espèce,  d'un 
même  sexe  ou  de  sexes  différents  présentent  aux  différents 
âges,  aux  différentes  époques  de  la  vie;  elle  suit  les  chan- 
gements de  forme  de  l'enibryon  ;  elle  constate  l'apparition 
successive  ou  simultanée,  constante  ou  transitoire  de  cer- 
tains organes.  Cette  science  porte  le  nom  à'' embryo- 
génie,  elle  a  jeté  la  plus  vive  lumière  sur  des  phénomènes 
demeurés  obscurs  jusque  alors,  \t?,monstruosités ,  et  a 
créé  une  nouvelle  science ,  la  tératologie. 

L'anatomie,  après  avoir  comparé  l'organisation  chez  tous 
les  êtres  animés  et  ses  diverses  formes  à  ses  diverses  pé- 
riodes, prend  le  nom  à^SLncXom\Q  philosophique ,  trans. 
ccndante  et  spéculative  quand  elle  étudie  l'organisation 
en  elle-même  pour  en  expliquer  les  lois.  Cuvier,  dans  ses 
Considérations  suri' économie  animale,  qu'il  mit  en  tête  de 
ses  Leçons  d'anatomie  comparée,  exposa  clairement  la  prin- 
cipale loi  de  l'anatomie  philosopliique ,  la  loi  des  conditions 
d'existence.  «  Dans  l'état  de  vie ,  disait-il ,  les  organes  ne 
sont  pas  simplement  rapprochés,  mais  ils  agissent  les  uns 
sur  les  autres,  et  concourent  tous  à  un  but  commun.  Les 
modifications  de  l'un  d'eux  exercent  une  induence  sur  celles 
de  tous  les  autres.  C'est  sur  cette  dépendance  mutuelle  des 
fonctions  et  ce  secours  qu'elles  se  prêtent  léciproquement 
que  sont  fondées  les  lois  qui  déterminent  les  rapports  de 
leurs  organes ,  et  qui  sont  d'une  nécessité  égale  à  celles  des 
lois  mathématiques.  Tout  être  organisé  forme  un  ensemble, 
un  système  unique  et  clos,  dont  les  parties  se  correspon- 
dent mutuellement ,  et  concourent  à  la  même  action  défi- 
nitive par  une  réaction  réciproque.  Par  consécpienl  chacune 
d'elles,  prise  séparément,  indique  et  donne  toutes  les 
autres.  Ainsi ,  si  les  intestins  d'un  animal  sont  organisés  de 


COMPARÉE  533 

manière  ;\  ne  digérer  que  de  la  chafr  et  de  la  chair  récente, 
il  faut  aussi  que  ses  mâchoires  soient  construites  pour  dé- 
vorer une  proie  ,  ses  griffes  pour  la  saisir  et  la  déchirer,  ses 
dents  pour  la  couper  et  la  diviser;  le  système  entier  de  ses 
organes  du  mouvement  pour  la  poursuivre,  et  pour  l'at- 
teindre ;  ses  organes  des  sens  pour  l'apercevoir  de  loin  ;  il 
faut  même  (pie  la  nature  ait  placé  dans  son  cerveau  l'instinct 
nécessaire  pour  savoir  se  cacher  et  tendre  des  pièges  à  ses 
victimes.  Telles  sont  les  conditions  générales  du  régime 
Carnivore;  tout  animal  destiné  pour  ce  régime  les  réunira 
infailliblement,  car  sa  race  n'aurait  pu  subsister  sans  elles  ; 
mais  sous  ces  conditions  générales  il  en  existe  de  particu- 
lières, relatives  à  la  grandeur,  à  l'espèce,  au  séjour  de  la 
proie  pour  laquelle  l'animal  est  disposé,  et  de  chacune  de  ces 
conditions  particulières  résultent  des  modifications  de  détail 
dans  les  formes  qui  dérivent  des  conditions  générales  :  ainsi 
non-seulement  la  classe,  mais  l'ordre,  mais  le  genre,  et 
jusqu'à  l'espèce  se  trouvent  exprimés  par  la  forme  de  chaque 
partie.  En  effet,  pour  que  la  mâchoire  puisse  saisir,  il  lui  faut 
ime  certaine  forme  de  condyle  ,  un  certain  rapport  entre  la 
position  de  la  résistance  et  celle  de  la  puissance  avec  le 
point  d'appui,  un  certain  volume  dans  le  muscle  crota- 
phite,  qui  exige  une  certaine  étendue  dans  la  fosse  qui  le 
reçoit  et  une  certaine  convexité  de  l'arcade  zygomatique 
sous  laquelle  il  passe  ;  cette  arcade  zygomatique  doit  aussi 
avoir  une  certaine  force  pour  donner  appui  au  muscle  mas- 
séter.  Pour  que  l'animal  puisse  emporter  sa  proie  il  lui  faut 
une  certaine  vigueur  dans  les  muscles  qui  soulèvent  sa  tète, 
d'où  résulte  une  forme  déterminée  dans  les  vertèbres  où  ces 
muscles  ont  leurs  attaches  ,  et  dans  l'occiput  où  ils  s'insè- 
rent. Pour  que  les  dents  puissent  couper  la  chair,  il  faut 
qu'elles  soient  tranchantes  et  qu'elles  le  soient  plus  ou  moins 
selon  qu'elles  auront  plus  ou  moins  exclusivement  de  la 
chah:  à  couper.  Leur  base  devra  être  d'autant  plus  solide 
qu'elles  auront  plus  d'os  et  de  plus  gros  os  à  briser. 

0  Toutes  ces  circonstances  influeront  aussi  sur  le  dévelop- 
pement de  toutes  les  parties  qui  servent  à  mouvoir  la  mâ- 
choire. Pour  que  les  griffes  paissent  saisir  cette  proie,  il 
faudra  une  certaine  mobiUlé  dans  les  doigts,  une  certaine 
forme  dans  les  ongles ,  d'où  résulteront  des  formes  déter- 
minées dans  toutes  les  phalanges ,  et  des  distributions  né- 
cessaires de  muscles  et  de  tendons  ;  il  faudra  que  l'avant- 
bras  ait  une  certame  facilité  à  se  tourner,  d'où  résulteront 
encore  des  formes  déterminées  dans  les  os  qui  le  compo- 
sent. Mais  les  os  de  l'avant-bras ,  s'arliculant  sur  l'huméms , 
ne  peuvent  changer  de  forme  sans  entraîner  des  change- 
ments dans  celui-ci.  Les  os  de  l'épaule  devront  avoir  un 
certain  degré  de  fermeté  dans  les  animaux  qui  emi)loient 
leurs  bras  pour  saisir,  et  il  en  résultera  encore  pour  eux  des 
formes  particulières  :  le  jeu  de  toutes  ces  parties  exigera 
dans  tous  leurs  muscles  de  certaines  proportions,  et  les  im- 
pressions de  ces  muscles  ainsi  proportionnés  détermineront 
encore  plus  particuhèrement  les  formes  des  os.  —  En  uu 
mot,  la  forme  de  la  dent  entiaine  la  forme  du  condyle,  celle 
de  l'omoplate,  celles  des  ongles,  tout  comme  l'équation 
d'une  courbe  entraine  toutes  ses  propriétés  ;  et  de  même 
qu'en  prenant  chaque  propriélé  séparément  pour  base  d'une 
équation  particulière,  on  retrouverait  et  l'équation  ordi- 
naire et  toutes  les  autres  propriétés  quelconques,  de  même 
l'ongle,  l'omoplate,  le  condyle,  le  fémur  et  tous  les  autres  os 
pris  séparément,  donnent  la  dent  ou  se  donnent  récipro- 
quement ;  et  en  commençant  par  chacun  d'eux ,  celui  qui 
posséderait  rationnellement  les  lois  de  l'économie  organique 
pourrait  refaiie  tout  l'animal.  »  C'est  par  cette  voie  que  Cu- 
vier paiTint  à  retrouver  des  espèces  et  des  genres  entiers 
fossiles  qui  avaient  disparu  de  la  surface  de  la  terre  de- 
puis les  derniers  cataclysmes  et  qu'il  a  créé  la  l'aléon- 
tologie. 

Après  avoir  reconnu  les  Umiles  assez  étendues  que  la  loi 
des  conditions  d'exislcnce  a  posées  pour  les   différeutei 


combinaisons  organiques,  nous  ne  nous  arrêterons  pas  à 
analyser  un  certain  nombre  de  principes  théoriques,  qui  bien 
que  dus  à  de  grands  esprits  sont  plutôt  l'œuvre  de  l'idéo- 
logie que  de  l'anatomie  philosophique.  Cependant  le  prin- 
cipe des  connexions  et  celui,  plus  général  et  plus  hypo- 
thétique encore,  de  la  répctilion  des  organismes  doivent 
Ctre  exposés  ici.  Le  premier,  formulé  par  Geoffroy  Saint- 
Hilaire,  repose  sur  la  dépendance  mutuelle,  nécessaire  et 
par  conséquent  invariable  des  parties.  Dans  beaucoup  de 
circonstances  il  est  incontestable  en  application  comme  en 
théorie.  Ainsi  les  organes  des  sens  se  rattachant  par  les 
nerfs  qui  les  constituent  au  centre  principal  du  système  ner- 
veux ,  on  arrive  avec  certitude  de  l'œil  au  cerveau  par  le  nerf 
optique.  Mais  il  abandonne  souvent  l'anatomiste ,  surtout 
lorsqu'il  cherche  à  le  reconnaître  dans  le  dédale  des  ani- 
maux invertébrés. 

La  loi  des  répétitions  organiques  a  pour  base  ce  principe 
que  chaque  partie  de  l'univers  est  faite  sur  le  modèle  du  tout , 
et  chaque  division  de  la  partie  sur  le  modèle  de  celle-ci  ;  cette 
hypothèse ,  qui  part  d'une  pensée  vraie  et  sublime ,  l'unité 
de  plan  et  de  pensée  créatrice ,  a  donné  naissance  à  Yhy- 
pothèse  du  développement  graduel  et  successif  des  or- 
ganismes, principe  fondamental  de  Vembryog énie.  Le 
spectacle  surprenant  des  métamorphoses  qu'éprouvent  les 
reptiles  batraciens  et  les  insectes  a  fait  admettre  dans  cette 
science  que  les  fœtus  des  animaux  supérieurs  passent  par 
tous  les  degrés  inférieurs  de  l'organisation,  à  partir  de  celle 
du  polype,  avant  d'atteindre  leur  perfection  organique.  Des 
faits  positifs  sont  venus  contredire  cette  prétendue  loi,  quoi- 
que la  doctrine  des  monstruosités  par  défaut  lui  doive  un 
singulier  attrait  de  probabilité. 

L'anatomie  comparée  a  été  connue  dès  une  haute  anti- 
quité ;  les  prêtres  de  Thèbes  et  de  Memphis  avaient  certai- 
nement des  notions  sur  cette  partie  de  la  science  anato- 
mique.  Mais  il  faut  aller  jusqu'à  Aristote  pour  trouver  dès 
connaissances  scientifiques  bien  établies.  Son  premier  livre 
d'histoire  naturelle  est  un  véritable  traité  d'anatomie  comparée, 
et  la  science  regarde  cet  homme  universel  comme  son  fon- 
dateur. Érasistrate  étudia  aussi  l'anatomie  comparée  ainsi  que 
plus  lard  Galien,  mais  en  la  rapportant  à  celle  de  l'homme. 
Quand  la  science  anatomique  fut  retrouvée  au  quatoi-zième 
siècle,  les  travaux  de  Vesale,  de  Colombus,  de  Bérenger,  de 
Carpi  et  d'Harsey  enrichirent  son  domaine  d'un  grand 
nombre  de  faits  nouveaux.  Depuis  cette  époque  elle  marcha 
de  front  avec  l'anatomie  de  l'homme.  Stenon ,  Malpighi , 
Ruysch  et  Swammerdam  étudièrent  les  insectes  et  leurs  mé- 
tamorphoses ;  Redi  et  Leeuwenhoeck  découvrirent  un  monde 
nouveau  au  moyen  du  microscope  ;  Haller,  Spallanzani  ap- 
pliquèrent l'anatomie  comparée  à  la  physiologie.  Depuis 
Daubenton,  Buffon  et  Vicq-d'Azyr  elle  forme  une  branche 
essentielle  de  l'histoire  naturelle  générale.  Cuvier  non-seu- 
lement la  porta  au  plus  haut  degré  de  développement  et  de 
clarté ,  mais  encore  il  en  a  le  premier  fait  l'application  rai- 
fionnée  à  la  géologie.  Parmi  les  élèves  et  les  successeurs  de 
Cuvier  il  faut  citer  Blumenbach,  Etienne  Geoffroy  Saint-Hi- 
laire,  de  Diain^^lle,  MM.  Duméril,  Carus,  Meckel,  Duvernoy, 
Serres,  Isidore  Geoffroy  Saint- Hilaire,  etc.,  etc.  —  Consultez 
Cuvier,  Leçons  d'Anatomie  comparée;  Hollard,  Précis 
d'Anatomie  comparée. 

AIVATOMIE  VÉGÉTALE.  Voyez  Organographie. 

AJVATOMIQUES  (Préparations).  On  donne  ce  nom 
aux  pièces  d'anatomie  normale  ou  pathologique  conservées 
par  un  procédé  quelconque.  L'art  d'apprêter  ces  pièces  est 
du  plus  haut  intérêt,  son  but  étant  de  soustraire  à  la  des- 
truction les  objets  dont  la  préparation  est  difficile ,  et  dont 
l'étude  ne  peut  être  faite  que  sur  les  pièces  naturelles ,  ou 
de  perpétuer  des  cas  rares  dont  la  simple  description  ne 
donnerait  qu'une  idée  imparlaite,  en  un  mot,  de  suppléer 
Je  cadavre. 

Cet  art  a  subi  des  pcrfectioimemcnts  en  rapport  avec  les 


ANATOMIE  CO?JPARÉE  —  ANATOMIQUES 


progrès  de  l'anatomie ,  qui  en  est  l'objet ,  et  de  la  chimie , 
qui  en  est  le  moyen.  On  cite  les  belles  injections  de  Ruysch, 
anatomiste  hollandais ,  qui ,  vers  la  fin  du  dix-septiènve 
siècle ,  trouva  le  moyen  de  conserver  à  la  mort  les  appa- 
rences de  la  vie ,  au  point  que  Pierre  lé  Grand  baisa ,  dit- 
on  ,  le  cadavre  d'un  enfant  qui  semblait  lui  sourire.  Faisant 
la  part  de  l'exagération,  nous  devons  regretter  qu'un  si 
beau  secret  soit  perdu.  Parmi  les  modernes,  INIM.  Chaus- 
sier,  Duraéril,  Breschet,  J.  Cloquet,  se  sont  particuliè- 
rement occupés  de  cet  objet. 

Lorsqu'on  veut  ne  conserver  des  pièces  d'anatomie  que 
pendant  un  temps  limité,  le  plus  simple  et  le  meilleur 
moyen  est  de  les  plonger  dans  de  l'alcool  à  22  degrés; 
mais  nous  devons  plus  particulièrement  nous  occuper  ici 
des  procédés  relatifs  à  la  conservation  indéfinie  et  la  plus 
longue  possible.  La  première  condition  qui  se  présente  est 
relative  au  choix  du  sujet  :  ainsi ,  pour  la  préparation  du 
squelette,  on  préfère,  en  général,  les  cadavres  d'individus 
grêles ,  secs  et  d'un  âge  avancé  ;  pour  les  nerfs  et  les  vais- 
seaux, on  choisit  des  sujets  jeunes,  des  femmes  maigres  sur- 
tout; on  conçoit  que  les  individus  de  formes  athlétiques, 
adonnés  pendant  leur  vie  aux  exercices  du  corps,  offriront 
un  système  musculaire  mieux  dessiné ,  etc.  Par  rapport  au 
temps  qui  convient  pour  faire  ces  préparations ,  le  froid 
vif  et  l'extrême  chaleur,  avec  sécheresse  de  l'atmosphère , 
seront  favorables  à  la  conservation  des  tissus  exposés  à  la 
putréfaction. 

Les  procédés  de  conservation  des  pièces  anatomiques  né- 
cessitent quelques  opérations  préliminaires  telles  que  la  dis- 
se c  t  i  o  n  des  parties  à  préparer,  les  injections  détersives 
ou  conservatrices,  Vinsufjlalion,  par  laquelle  on  gonfie  d'air 
les  organes  creux,  comme  le  poumon,  le  tube  digestif,  etc., 
les  lavages  purificateurs  ou  consen'ateurs,  la  macération, 
qui  n'est  qu'un  lavage  prolongé,  et  qui  quelquefois  a  pour 
but  de  dissoudre,  au  moyen  de  certains  ingrédients,  les  par- 
ties environnant  les  tissus  qu'on  veut  isoler;  c'est  ainsi 
qu'un  organe  mou  dont  les  vaisseaux  sont  injectés  de  ma- 
tière solide ,  plongé  dans  une  solution  d'acide  chlorhydri- 
que,  se  trouve  bientôt  réduit  à  son  squelette  vasculaire  : 
cette  opération  a  reçu  le  nom  de  corrosion.  Les  moyens  sus- 
énoncés  peuvent  servir  au  dégraissage,  qu'on  obtient  plus 
particulièrement  par  des  lotions  alcalines  ;  on  maintient  les 
parties  isolées  ou  distendues  au  moyen  de  l'insuDlation ,  ou 
du  tamponnement  avec  du  crin,  de  la  laine  ou  même  du 
plâtre  pour  les  organes  creux  ;  on  fixe  les  muscles,  les  nerfs, 
les  vaisseaux,  avec  des  rouleaux  de  carte,  des  bâtonnets, 
des  épingles,  etc. 

La  dessiccation  est  un  moyen  de  conservation  puissant 
et  général  ;  souvent  on  la  fait  précéder  de  l'immersion  dans 
l'alcool,  les  huiles,  les  dissolutions  de  sels  métalliques  ou 
alcahns;  le  tannage  et  la  saturation  de  sublimé  corrosif 
sont  les  moyens  de  dessiccation  les  plus  avantageux.  La 
dessiccation  simple  s'opère  à  l'air  libre,  à  l'étuve,  au  bain  de 
sable,  au  moyen  des  poudres  absorbantes,  etc.  :  l'étuve 
à  45  ou  55°  est  le  meilleur  procédé. 

La  pièce  anatomique  ,  convenablement  préparée  et  des- 
séchée, doit  être  préservée  de  l'humidité  et  des  insectes, 
qu'on  éloigne  au  moyen  du  sublimé  corrosif,  de  l'arsenic 
et  du  camphre,  tandis  qu'on  prévient  les  effets  de  l'humidité 
au  moyen  des  vernis  gras  :  le  vernis  d'huile  de  lin  cuite  avec 
de  la  litharge  est  celui  qui  paraît  mériter  la  préférence.  Avant 
de  l'appliquer ,  ce  qui  se  fait  à  l'aide  d'un  pinceau,  il  faut  que 
la  pièce  soit  exactement  desséchée.  La  préparation  ainsi 
terminée,  on  la  dispose  sur  une  base,  dans  un  cadre,  sous 
im  bocal,  etc. 

Ces  préparations  sèches  sont  beaucoup  plus  longues  et 
plus  difficiles  à  faire  que  celles  qui  consistent  à  ccnsenerles 
pièces  d'anatomie  dans  les  liquides,  tels  que  l'alcool  simple  ou 
chargé  de  sels,  les  solutions  aqueuses  et  salines,  les  huiles, 
les  acides.  Dans  tous  les  cas,  avant  d'immcriicr  les  tissus,  iJ 


ANATOAIIQUES 

convient  de  les  soiimettro  au  lavage;  ensuite  on  les  place 
dans  des  v;\5es  de  verre  j'i  large  ouverture ,  suspendus  dans 
le  liquide  conservateur,  soit  au  moyen  d'un  fil  passi^  dans  un 
anneau  fixé  au  couvercle ,  soit  h  l'aide  de  supports  conve- 
nablement disposes.  I-e  moyen  le  plus  convenable  est  une 
ampoule  de  verre  qui  surnage,  et  h  laquelle  la  pièce  est  sus- 
pendue. Les  vases  sont  bouchés  et  lûtes  avec  soin  pour 
pi-éveuir  IVvaporalion  des  liquides. 

Le^prcparationsniiatomiques  artificielles  retracent  jus- 
qu'à rillusion  la  plus  complète  les  formes  organiques,  et  sont 
«l'un  usage  indispensable  pour  quiconque  étudie  sérieuse- 
ment l'anatomie,  sans  pouvoir  cependant  remplacer  les 
pénibles  et  repoussants  travaux  de  dissection.  Cet  art  est  né 
en  Italie.  Cigolien  fut  l'inventeur  à  la  fin  du  seizième  siècle; 
on  s'est  tour  à  tour  servi  de  la  cire,  du  plâtre  et  du  carton- 
pierre,  et  l'on  a  créé  de  véritables  chefs-d'œuvre  d'exacti- 
tude. M.  .\uzoux  est  parvenu  à  faire  un  homme  artificiel 
de  cent  vingt-neuf  pièces,  qui  se  démontent  à  volonté;  mais 
cette  anatomie  élastique  a  été  encore  sui-passee  par 
le  procéilé  de  M.  F.  ïhibert ,  qui  au  moyen  du  carton-pàte 
semble  ^re  arrivé  aux  dernières  limites  de  la  perfection. 

D''   FORCET. 

A]\\\XAGORAS,  ou  AN.\XAGORE,  philosophe  de 
la  secte  ionienne,  naquit  à  Clazomène,  la  première  année 
de  la  70^  olympiade,  cinq  cents  ans  avant  J.-C.  Fils  de  pa- 
rents puissants  et  riches ,  il  renonça  aux  honneurs  et  à  la 
fortune  pour  se  livrer  entièrement  à  l'étude  des  sciences  et  de 
la  philosophie.  Il  prit  d'abord  des  leçons  d'Anaximène, 
et,  après  une  absence  de  vingt  années,  consacrées  à  visiter 
l'Egypte  et  les  autres  pays  où  les  lumières  avaient  pé- 
nétré, il  vint  s'établir  à  Athènes,  oîi  il  ouvrit  la  première 
école  de  philosophie,  et  eut  pour  disciples  et  pour  amis 
Périclès,  Euripide  et,  selon  quelques-uns.  Soc  rate. 
L'étude  approfondie  qu'il  avait  faite  de  la  nature ,  ses  con- 
naissances en  astronomie  et  tù  physique ,  qui  ne  dépas- 
saient pas  cependant  de  beaucoup  celles  des  philosophes  de 
son  temps,  et  au  moyen  desquelles  il  s'attachait  à  expliquer 
d'une  manière  naturelle  les  phénomènes  que  le  peuple  re- 
gardait comme  un  effet  de  la  colère  des  dieux  ,  tels  que  les 
éclipses  et  les  tremblements  de  terre ,  le  firent  accuser  d'im- 
piété et  condamner  à  mort  par  les  Athéniens ,  la  seconde 
année  delà  87*  olympiade.  Périclès,  qui  régnait  alors ,  eut 
beaucoup  de  peine  à  le  soustraire  à  celte  sentence;  il  sortit 
d'Athènes,  et  alla  s'établir  à  Lampsaque,  où  il  mourut 
trois  ans  après,  à  l'âge  de  soixante-douze  ans.  On  institua 
en  l'honneur  de  sa  mémoire  des  jeux  nommés  Ânaxagories. 

L'histoire  a  conservé  le  souvenir  de  quatre  autres  person- 
nages du  même  nom  :  1°  d'un  des  premiers  rois  d'Argos, 
(ils  d'Argus,  sous  le  règne  duquel  s'introduisit  le  culte  de 
Dacchus;  2°  d'un  statuaire,  natif  d'Égine ,  qui  florissait 
vers  l'an  475  avant  J.-C.  ;  3°  d'un  orateur ,  disciple  de 
Socrate;  4°  d'un  grammairien  du  troisième  siècle,  disciple 
de  Zénodote. 

AXAXAXDRIDE,  poète  comique  grec,  qui  vivait  vers 
l'an  350  av.  J.-C,  était  originaire  de  l'ile  de  Rhodes.  Son 
premier  succès  dramatique  <late  de  Tan  376  av.  J.-C,  et  on 
ne  lui  attribue  pas  moins  de  soixante  pièces  de  théâtre,  dont 
plusieurs  obtinrent  un  grand  succès.  Toutefois,  il  n'y  a  que 
trente-cinq  de  ces  ouvrages  dont  les  titres  nous  soient  par- 
venus. 

Suidas  rapporte  que  cet  auteur  fut  le  premipr  qui  sur  la 
scène  grecque  donna  une  grande  inq)ortance  aux  rôles  d'a- 
moureuses. 11  parait  qu'il  n'hésitait  pas  à  mettre  en  scène 
les  hommes  qui  par  un  motif  ou  un  autre  s'étaient  attiré 
son  animadversion  ;  c'est  ainsi  qu'il  livra  aux  huées  de  la 
foule  le  divin  Platon  et  deux  orateurs  alors  célèbres,  Callis- 
trate  et  Ménalope.  Il  composa  aussi  des  poésies  dithyram- 
biques, et  Aristote  faisait  grand  cas  de  lui.  D'ailleurs,  il 
affectait  de  ne  jamais  retoucher  ceux  de  ses  ouvrages  qui  n'a- 
vaient point  réussi,  lien  vendait  le  manuscrit  aux  parfumeurs 


-  ANAXIMÈNE  535 

pour  en  faire  des  sacs  et  des  cornets,  et  ne  voulait  plus  eu 
entendre  parler.  On  ignore  l'époque  de  sa  mort;  et  il  serait 
difficile  de  dire  sur  quoi  se  fondent  les  auteurs  qui  disent 
qu'il  fut  condamné  par  les  Athéniens  à  mourir  de  faim. 

11  y  eut  aussi  un  roi  deSparte  de  ce  nom  A' Anaxandride. 

AMAXARQUE.d'Abdère,  rangé  iiaruii  les  Élcatiques 
pfitjsicicns ,  (ut  plus  fameux  par  la  licence  de  ses  mœurs 
que  par  ses  ouvrages.  Contemporain  d'Alexandre,  il  sut 
s'attirer  la  faveur  de  ce  prince,  qu'il  chercha  à  corrompre 
par  la  flatterie.  Après  la  mort  de  son  protecteur,  une  tem- 
pête jeta  Anaxarque  sur  les  côtes  de  l'île  de  Chypre,  où  il 
tomba  entre  les  mains  du  tyran  Nicocréon ,  uont  il  avait 
autrefois  sollicité  la  perte  auprès  d'Alexandre.  Le  tyran  le 
fit  piler  dans  un  mortier  ;  ce  malheureux  mourut  avec  une 
fermeté  digne  d'un  plus  honnête  homme  ;  on  dit  même 
qu'il  se  coupa  la  langue  avec  les  dents ,  et  qu'il  la  cracha 
au  visage  de  son  bourreau.  Ces  faits  sont  très-douteux  ;  on 
raconte  les  mômes  choses  de  la  mort  de  Zenon  l'Éléatique. 

AJVAXIjVLAJVDRE,  fils  de  Praxiades,  né  à  IVIilet, 
vers  la  42*  olympiade  (620  avant  J.-C.  ),  fut  parent,  ami  et 
disciple  de  Thaïes ,  que  tous  les  anciens  regardent  comme 
le  chef  de  l'école  ionienne.  Un  des  premiers ,  il  enseigna 
publiquement  la  philosophie,  et  il  écrivit  sur  cette  manière. 
Au  moyen  du  gnomon,  dont  Diogène  Lacrce  lui  at- 
tribue l'invention ,  il  précisa  plus  exactement  les  solstices 
et  les  équinoxes  ;  le  premier  cadran  solaire  qui  ait  été  fait 
fut  construit  et  installé  par  lui  sur  une  place  de  Lacédé- 
mone.  Pline  prétend  aussi  qu'il  fut  le  premier  qui  dressa 
une  carte  géographique,  et  qui  traça  sur  un  globe  sphérique 
les  divisions  de  la  terre  et  de  Peau.  Il  se  servit  de  figures 
pour  rendre  les  propositions  géométriques  plus  compré- 
hensibles ;  il  découvrit  ou  enseigna  du  moins  l'obliquité  de 
l'écliptique.  Il  considère  l'infini  comme  le  principe  de  toutes 
choses ,  dont  tout  procède  et  vers  lequel  tout  revient.  Selon 
les  uns,  il  pensait  que  la  terre  est  ronde,  selon  les  autres, 
qu'elle  a  la  forme  d'un  cylindre  ;  elle  occupe  le  centre  de 
l'univers ,  ce  qui  fait  qu'elle  se  soutient  à  la  même  place  ; 
le  ciel  est  composé  de  chaud  et  de  froid  ;  le  soleil  est  au 
plus  haut  des  espaces  célestes ,  la  lune  au-dessoiis ,  les 
étoiles  plus  bas.  Le  soleil,  la  lune,  les  étoiles,  sont  des 
roues  ou  des  sphères  concaves,  du  centre  desquelles,  par  un 
trou  qui  s'y  trouve ,  s'échappe  le  feu  dont  elles  sont  rem- 
plies ;  la  roue  du  soleil  est  vingt-huit  fois  j)lus  grande  que 
celle  de  la  terre,  et  celle  de  la  lune,  dix-neuf  fois  seule- 
ment ;  quelquefois  le  tro«  s'obstrue ,  ou  se  bouche  :  de  là 
les  éclipses,  partielles  ou  totales  ;  l'obliquité  delà  lune  pro- 
duit ses  différentes  phases  ,  et  son  entier  renverseniput  la 
lune  nouvelle  ;  etc.  La  mer  est  la  portion  de  l'humide  pri- 
mitif que  le  feu  n'a  pas  desséchée.  Les  premiers  animaux 
sont  nés  de  l'humidité ,  les  hommes  ont  donc  commencé 
par  être  poissons  ou  par  vivre  dans  le  ventre  des  poissons. 
il  croyait  encore  le  nombre  des  mondes  infini  ;  suivant  lui 
ces  mondes  naissent  et  meurent  à  de  longs  intervalles  ;  ce^ 
mondes  sont  les  dieux  ,  lesquels,  par  conséquent,  ne  son 
point  immortels.  Ils  sont  engendrés  et  détruits  éternelle- 
ment par  les  forces  créatrices  et  destructives  du  froid  el 
du  chaud,  agissant  dans  le  sein  de  l'infini.  Primitivement 
la  terre  avait  eu  autour  d'elle  une  enveloppe  de  feu,  sem- 
blable à  l'écorce  autour  de  l'arbre,  produite  par  l'action  de 
ces  forces  ;  un  jour,  cette  écorce  s'est  rompue,  et  le  soleil , 
la  lune,  les  étoiles,  ont  été  formés  de  ses  éclats.  —  Anaxi- 
mandre  mourut  à  l'âge  de  soixante-quatre  ans ,  vers  le 
commencement  delà  58"  olympiade  (556  avant  J.-C). 

ANAXIMÈA'E  ,  de  Milet,  fils  d'Eurystrate  ,  fiorissait 
vers  la  cinquante-huitième  olympiade  (  556  avant  J.-C.  ).  11 
était  disciple ,  et  même  l'ami ,  selon  Siraplicius  ,  d'An  ax  i  - 
mandre.  Parménide  fut  aussi  son  maître.  Anaxagore  et 
Diogène  d'Apollonie  furent  disciiiles  d'Anaximène.  Il  en- 
seigna la  science  de  la  nature,  et  se  servit  avec  beaucoup  de 
simplicité  du  dialecte  ionien  ;  on  trouve  dans  Diogène  deux 


536 


ANAXIMÉNE  —  ANGELOT 


lettres  (rAnaximt''nc  h  Pythagore.  D'.'iprès  Pline,  il  inventa 
le  gnomon,  que  crautros  attribuent  à  son  maître.  Voici 
quelques-unes  des  opinions  qu'on  lui  prêle  :  L'air  est  le 
principe  des  choses ,  principe  divin  ,  infini ,  sans  cesse  en 
mouvement.  Il  est  invisible ,  et  se  manifeste  par  le  froid  et 
le  chaud,  l'humidité  et  le  mouvement;  il  se  condense  et  se 
dilate  ;  le  feu,  les  nuages,  la  terre,  l'eau,  ne  sont  que  l'air  à 
des  degrés  de  condensation  différents;  la  dilatation  peut  le 
faire  repasser  par  ces  divers  états  et  retourner  à  l'état  na- 
turel ;  le  froid  et  le  chaud  sont  les  agents  de  ces  transfor- 
mations. Le  cercle  extérieur  du  ciel  se  compose  de  terre;  la 
terre  est  plate  comme  un  disque,  et  soutenue  par  l'air.  Anaxi- 
mène  assigne  au  soleil ,  à  la  lune  ,  aux  étoiles ,  nne  forme 
analogue;  le  cours  du  soleil  produit  les  saisons.  Quand  une 
.sécheresse  prolongée  ou  des  pluies  opiniâtres  viennent  à 
fendre  la  terre  ou  à  la  ranioUir,  des  parties  considérables  de 
son  écorce  s'effondrent  et  s'engouffrent  dans  ses  cavités; 
ce  sont  les  trembJements  de  terre.  On  retrouve  dans  Stobée 
quelques  maximes  morales  de  ce  philosophe ,  disséminées 
Và  et  là. 

AJVAXIMEXE  ,  de  Lampsaque ,  fds  d'Aristoclès ,  fut 
disciple  de  Diogène  et  précepteur  d'Alexandre  le  Grand , 
auprès  de  qui  il  intervint  en  faveur  de  ses  compatriotes , 
dont  celui-ci  avait  résolu  la  perte,  pour  les  punir  de  lui 
avoir  fait  une  résistance  longue  et  opiniâtre  dans  le  siège  de 
leur  ville,  qu'il  avait  entrepris  en  personne  à  la  tète  de  son 
armée.  En  le  voyant  venir  à  lui ,  le  vainqueur,  irrité ,  de- 
vinant quel  était  l'objet  de  sa  mission ,  jura  de  ne  point  lui 
accorder  la  grâce  qu'il  lui  demanderait ,  ce  qu'entendant 
Anaximène,  il  eut  l'heureuse  idée  de  retourner  sur-le-champ 
sa  proposition  et  de  le  prier  de  lui  accorder  la  destruction  de 
Lampsaque  ,  et  d'en  réduire  les  habitants  en  esclavage  ,  et 
par  cette  feinte  préserva  cette  ville  de  sa  perte,  et  ses  compa- 
triotes du  carnage  dont  ils  étaient  menacés.  Anaximène  avait 
écrit  la  vie  de  Philippe  et  d'Alexandre,  avec  une  histoire  de 
la  Grèce  en  12  volumes  ;  mais  ces  ouvrages  ont  été  perdus. 

AIVAXYRIDES  ,  nom  donné  aux  pantalons  larges , 
longs  et  plissés  qu'on  voit  sur  les  monuments  grecs  et  ro- 
mains, aux  Phrygiens,  aux  Perses  et  autres  peuples  de  l'O- 
rient, lis  descendent  jusqujà  la  cheville,  et  souvent  ils  sont 
fixés  autour  de  la  jambe  par  des  cordons.  Il  y  a  des 
anaxyrides  tout  d'une  pièce  avec  le  vêtement  intérieur,  qui 
forme  une  espèce  de  gilet.  Des  figures  phrygiennes  en  por- 
tent qui  ont  dans  toute  la  longueur  des  cuisses  et  des  jam- 
bes des  ouvertures  sur  le  devant,  garnies  de  petites  agrafes 
ou  de  boutons.  Les  prêtres  des  Hébreux  portaient  des  anaxy- 
rides en  toile  de  lin  rouge,  piquée  avec  soin. 

ANCELOT    (  JACQUES-ARSi^XE-POLYCARPr.-FRANÇOlS)  , 

membre  de  l'Académie  Française ,  fut  un  des  jeunes  au- 
teurs de  la  restauration  qui  se  distinguèrent  le  plus  par  leurs 
succès  dramati(pies.  INé  le  9  février  1794,  au  Havi-e,  sa  fa- 
mille le  destinait  à  la  carrière  de  l'administration  de  la  ma- 
rine; mais  dès  son  enfance  on  entrevoyait  en  lui  des  symp- 
tômes de  vocation  littéraire.  Il  commença  ses  études  au 
collège  de  sa  ville  natale,  et  les  termina  à  celui  de  Rouen. 

Son  père,  greffier  du  tribunal  de  commerce  du  Havre, 
élait  passionné  pour  Racine  ,  dont  les  œuvres  se  reprodui- 
saient dans  sa  bibliothèque  sous  tous  les  formats  ;  c'est  dans 
Racine  que  le  jeune  Arsène  avait  donc  appris  à  lire;  et 
dès  l'âge  de  neuf  ans  il  le  savait  par  cœur,  pouvant,  sans  hé- 
siter, donner  toujours  la  réplique  à  son  père.  Il  fut  d'abord 
attaché  au  service  de  la  marine  au  Havre,  puis  employé  de 
troisième  classe,  sous  la  direction  de  son  oncle,  préfet  mari- 
time à  Rochefort  en  1813,  et,  enfin,  commis  au  ministère 
de  la  marine  à  Paris  en  janvier  1815. 

Cependant,  dès  l'âge  de  dix-sept  ans  son  goût  pour  la 
poésie  s'était  révélé  par  plusieurs  essais,  tels  qu'une  comédie 
en  trois  actes  et  en  vers,  ayant  pour  titre  l'Eau  bénite  de 
Cour  ;  mais,  dans  une  traversée  qu'il  faisait  h  cette  époque, 
cette  première  œuvre  dramatique  tomba  littéralement  dans 


l'eau.  Lcrite  de  nouveau,  elle  ftit  jetée  an  feu  par  un  oncle 
de  l'auteur.  Deux  ans  après ,  il  composa  une  tragédie  en 
cinq  actes  et  en  vers,  intitulée  Warbeck;  et  pour  que  cette 
nouvelle  production  ne  finit  pas  comme  la  précédente,  par 
une  noyade  ou  un  auto-da-fé ,  il  la  composa  toute  de  mé- 
moire; pas  un  vers  ne  fut  confié  au  papier.  Warbeck  fut 
récité  le  19  mars  1816  par  l'auteur  au  comité  du  Théâtre- 
Français,  qui  l'accueillit  avec  faveur;  mais  bientôt  M.  An 
celot,  qui  travaillait  avec  ardeur  à  sa  tragédie  de  Louis  IX, 
devint  plus  sévère  pour  son  premier  ouvrage,  et  le  jugea 
indigne  de  la  représentation.  Le  pauvre  Warbeck  fut  oublié 
le  jour  de  la  réception  de  Louis  IX. 

C'est  à  l'âge  de  vingt-cinq  ans,  le  5  novembre  1819, 
qu'il  lit  représenter  ce  dernier  ouvrage  à  la  Comédie-Française. 
C'était  le  premier  auquel  il  attachait  son  nom.  Il  obtint 
un  brillant  succès.  On  y  trouve  une  versification  facile,  beau- 
coup de  traits  heureux  ,  une  étude  sérieuse  de  l'époque  qu'il 
avait  à  peindre.  C'est  resté  ce  que  l'auteur  a  fait  de  mieux. 
Le  caractère  du  renégat  Raraiond,  mis  en  regard  de  celui 
du  saint  roi ,  en  qui  la  piété  n'altère  jamais  le  courage,  offre 
une  opposition  dramatique  habilement  saisie.  La  pièce  eut 
quarante  représentations  consécutives;  elle  a  été  reprise 
deux  fois,  et  est  restée  au  répertoire.  Louis  XVIII  accorda 
une  pension  de  deux  mUle  francs  sur  sa  cassette  particulière 
au  jeune  commis  de  marine  qui  venait  de  débuter  avec  tant 
d'éclat  dans  la  carrière  littéraire.  C'était  l'époque  où  un 
autre  enfant  du  Havre ,  Casimir  Delavigne ,  préludait  à  de 
nombreux  triomphes  pai-  un  succès  plus  brillant  encore,  en 
faisant  représenter  sa  tragédie  des  Vêpres  siciliennes  au 
théâtre  de  l'Odéon.  On  vit  à  cette  occasion  les  partis  poli- 
tiques faire  invasion  dans  la  littérature.  L'opinion  libérale 
ayant  adopté  l'auteur  des  Messénienncs ,  l'opinion  royaliste 
s'empara  de  M.  Ancelot,  et  l'on  chercha  de  part  et  d'autre  à 
amoindrir  le  mérite  des  deux  rivaux. 

La  seconde  tragédie  de  .Aï.  Ancelot,  le  Maire  du  Palais, 
représentée  le  15  avril  1823,  n'obtint  pas,  tant  s'en  faut,  un 
succès  égal  à  celui  de  Louis  IX.  Aussi  l'auteur  la  retira- 
t-il  après  sept  représentations  assez  agitées,  et  Louis  XVIII 
s'empressa-t-il  de  lui  adresser  la  décoration  de  la  Légion- 
d'Honneur  comme  ticlie  de  consolation.  Mais  l'année  sui- 
vante, le  5  novembre  1S24  ,  dans  sa  tragédie  de  Fiesque, 
empruntée  à  Schiller,  il  prit  sa  revanche,  et  déploya  des 
ressomces  nouvelles  qu'on  ne  lui  soupçonnait  pas  encore. 
Une  action  vive,  des  caractères  bien  tracés,  des  détails  in- 
génieux, assurèrent  à  cet  ouvrage  quarante  représentatioDS 
consécutives  à  l'Odéon.  Transporté  au  Théâtre-Français,  U 
n'y  réussit  pas  moins  ;  et  ce  succès  n'a  fait  que  se  confirmer 
à  toutes  les  reprises. 

Outre  les  œu\Tes  que  nous  venons  de  citer,  M.  Ancelot 
avait  fourni  plusieurs  articles  signés  de  lui  aux  Annales  de 
la  Littérature  et  des  Arts ,  qui  parurent  de  1820  à  1823; 
il  s'était,  de  plus,  associé,  en  1822  et  1823,  à  la  rédaction 
de  la  Foudre,  journal  politique  fondé  en  1820  par  MM.  Cy- 
prien  Bérard  et  Armand  Dartois.  Lui-même  enfin  rédigea 
le  Réveil,  feuille  qui,  avec  les  mêmes  intentions,  eut  moins 
de  vigueur  et  de  durée  que  la  précédente.  On  regretta  alors 
qu'un  homme  du  talent  d'Ancelot  prêtât  son  appui  à  des 
journaux  aussi  violeuls. 

En  1826  il  accompagna  en  Russie  l'ambassadeur  extraor- 
dinaire de  France,  M.  le  maréchal  duc  de  Raguse,  chargé 
d'aller  assister  au  couronnement  de  l'empereur  Nicolas,  et 
chanta  celle  solennité  dans  une  ode,  fort  médiocre,  imprimée 
à  Moscou.  A  son  retour",  il  publia  la  relation  de  son  voyage , 
lettres  en  prose  et  en  vers  adressées  à  son  ami  Saintine, 
sous  le  titre  de  Six  7nois  en  Russie.  Des  observations  fines, 
des  détails  de  mieurs  agréablement  reproduits  ont  fait  lire 
ce  volume  avec  plaisir.  On  y  a  surtout  remarqué  deux 
chants  dithyrambiques  intitulés  :  La  Montagne  des  Moi- 
neaux et  le  Champ  de  Bataille  de  Lutzen.  H  est  hono- 
rable jiour  M.  Ancelot  d'avoir  fait  ciilcndic  dans  une  cour 


A?ÎCELOT 


537 


étrangère  des  accents  consacrés  h  la  gloire  de  cette  belle 
armée  trançaisc  dont  les  drapoaux  victorieux  lloltèrent 
sur  les  l»ords  de  la  Moskowa  et  sur  le  palais  des  czars.  Un 
Russe,  M.  deTolstoy,  a  publié  contre  cet  ouvrage  une  critique 
mordante,  ayant  pour  titre  :  SiJC  vwis  sujyisctit-ils  pour 
contiaitre  un  pays  ? 

M.  Ancelot  avait  fait  paraître  dans  l'intervalle  un  poème 
en  si\  chants  :  Marie  de  Brabant ,  dans  lequel ,  par  une 
îunovation  que  le  succès  a  justifiée,  il  a  marié  les  formes  de  la 
Iragétlie  à  celles  de  l'épopée.  Il  voulut  bientôt  s'exercer  en 
prose  dans  un  roman  de  mœurs,  qu'il  intitula  :  V Homme  du 
Monde.  S'il  y  a  dans  l'intrigue  une  partie  romanesque  qui 
semble  chargée  ,  le  récit,  tout  parsemé  de  traits  satiriques, 
n'en  annonce  pas  moins  une  grande  connaissance  du  cœur 
humain,  et  l'on  y  reconnaît  encore  les  portraits  piquants  de 
quelques  originaux  qui  posaient  alors  dans  les  salons  de  Paris. 
M.  Ancelot  céda  ensuite  à  la  tentation  de  mettre  son  roman 
en  drame  avec  la  collaboration  de  son  ami  Saintine ,  et 
l'ouvrage  obtint  à  l'Odéon  un  brillant  succès,  que  justifient, 
du  reste,  la  hardiesse  des  situations  et  l'intérêt  puissant  qui 
règne  dans  la  pièce. 

Mais  bientôt  il  revint  à  la  tragédie,  et  donna  successive- 
ment Olga,  ou  l'Orpheline  Moscovite,  le  15  septembre  1828, 
et  Elisabeth  d'Angleterre,  le  4  décembre  1829.  Le  public 
accueillit  ces  ouvrages  avec  un  peu  de  celte  faveur  sym- 
pathique qu'il  prodiguait  jadis  à  pleines  mains  à  leurs  aînés. 
Depuis  dix  ans  qu'il  s'était  lancé  dans  la  carrière  littéraire, 
M.  Ancelot  avait  encore  produit  deux  vaudevilles  en  un 
acte  :  les  Brigands  des  Alpes  et  le  Roi  de  Village,  l'un 
avec  M.  Saintine,  l'autre  avec  M.  Carmouche  ;  trois  opéras  : 
l'a  Grille  du  Parc,  avec  M.  Saintine  ;  les  Pontons  de  Cadix, 
avec  M.  Paul  Duport,  et  Pharamond ,  pour  le  sacre  de 
Charles  X ,  avec  MM.  Guiraud  et  Soumet;  un  drame  avec 
M.  Mazères,  l'Espion  ;  un  autre  à  lui  seul ,  le  Mariage  d'A- 
mour, et  enfin  une  comédie  en  trois  actes,  l'Important. 

Ces  travaux   variés  avaient  valu  à  M.  Ancelot  une  re- 
lommée  littéraire  justement  acquise ,  une  place  de  con- 
servateur honoraire  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal  en  1823, 
et   plus  tard    celle,   plus  lucrative,  de  bibliothécaire   du 
roi  Charles  X.  Mais  survint  la  révolution  de  juillet ,  qui  lui 
lit  perdre  presque  tous  les  avantages   de  fortune  dont  il 
était  redevable  à  la  restaui'ation ,  sa  pensio»  de  2,000  fr.,i' 
sa  place  au  ministère  de  la  marine,  sa  bibliothèque.  Alors 
il  lui   fallut,  comme  il  le  disait  gaiement  lui-même,  tra- 
vailler j)/-o  famé,  après  avoir  tra\a\l\é  prof ama.  Il  prit 
courageusement  son  parti,  devint  un  des  pourvoyeurs  fé- 
conds des  théâtres  secondaires  ,  fit  plus  de  cinquante  vau- 
devilles, souvent  seul,  quelquefois  avec  ;MM.  Paul  Duport, 
de  Comberousse ,  Saintine,  Paul  Foucher,  Anicet  Ijomgeois, 
Ilipp.  Auger,  Jacques  et  Etienne  Arago  et  beaucoup  d'autres, 
six  drames  et  une  comédie  en  deux  actes,  et  dépensa  là  en- 
core une  facilité  de  travail ,  un  fonds  de  saillies  spirituelles, 
une  ingénieuse  activité  qu'on  regrettait  de  ne  pas  voir  ap- 
pliqués à  des  œuvres  plus  durables.  Nous  n'essayerons  point 
d'énumérer  ici  toutes  ces  pièces,  de  genres  si  divers,  qu'il 
a  semées  partout  durant  vingt  années,  et  qui  ont  été  plus 
productives  pour  sa  fortune  que  pour   sa  gloire.  On  y  re- 
trouve cependant  toujours  l'homme  d'esprit  et  de  tact,  lors 
même  qu'il  abuse  beaucoup  trop  de  la  scandaleuse  chro- 
nique du  dix-huitième  siècle.  Qu'il  nous  suffise  de  citer 
Lcontine,  qui  a  eu  quatre-vingts  représentations ,  la  Fête 
de  ma  Femme,  qui  en  a  eu  cent,  et  puis  la  Jeunesse  de  Ri- 
chelieu, Dieu  vous  bénisse,  le  Favori,  la  Coter  de  Ca- 
therine II,  le  Régent,  Père  et  Parrain,  le  Fils  de  .\mo», 
les  Liaisons  dangereuses ,  une  Dame  de  l'Empire,  etc. 
Toutefois ,  on  lui  reprochait  d'user  dans  des  genres  in- 
férieurs  un  talent  qui  naguère  avait  brillé  sur  de  plus 
hautes  scènes.  On  lui  alléguait  comme  preuve  de  son  im- 
puissance à  remonter  à  son  point  do  départ  son  Roi  J'ai . 
néant,  tragédie  en  cinq  actes  et  en  vers ,  tombée  pour  ne 

l)ltT.    Dt    LA    C0.NVtliSAT10.>.    —   T.    l. 


se  plus  relever,  dès  sa  première  représcnfalion  ,  le  20  août 
1830,  au  théâtre  de  l'Odéon.  A  ces  crititiucs  M.  Ancelot 
opposa  une  réponse  péremptoire,  en  faisant  jouer  au 
Théâtre-Français,  le  29  octobre  1838  ,  sa  tragédie  de  Maria 
Padilla,  dont  la  vigueur,  Tbivention,  le  style  ferme  et 
correct  et  les  beaux  vers  rappellent,  à  dix-neuf  ans  de 
distance,  le  Louis  /A' du  jeune  poète. 

Depuis  longtemps  M.  Ancelot  briguait  un  fauteuil  à 
l'Académie  Française.  11  s'était  présenté  une  première  fois, 
en  1828,  en  concurrence  avec  M.  Lebrun,  pour  le  fau- 
teuil de  Lally-Tollendal,  et  il  avait  obtenu  treize  voix;  sa 
seconde  candidature  eut  lieu  en  mai  1830,  en  concurrence 
avec  M.  de  Pongcrville ,  et  il  en  réunit  seize.  Enfin ,  il  se 
présenta  une  troisième  fois  ,  en  février  1841 ,  pour  succéder 
à  M.  de  Bonald,  et  il  fut  élu  par  vingt  suffrages.  L'année 
suivante,  il  publiait  ses  Épitres  familières . 

Devenu  directeur  du  Vaudeville,  M.  Ancelot,  souvent  si 
heureux ,  pour  ses  propres  ouvrages,  sur  cette  scène  et  sur 
d'autres  encore,  vit,  malgré  sa  lutte  prolongée  contre  la  mau- 
vaise fortune ,  malgré  les  efforts  inouïs,  mais  trop  systéma- 
tiquement solitaires,  d'une  muse  gracieuse  qui  le  touchait  «le 
près,  sa  barque  s'abimer,  un  soir,  sous  les  innocentes  épi- 
grammes  d'Arnal,  dans  les  flots  de  l'indifférence  publique. 
Dans  le  prolog'je  de  ses  Emprunts  aux  salons  de  Paris,  il 
prétendait  qu'on  ne  mourait  que  de  vieillesse  ou  de  chagrin. 
Il  mourut  pourtant  le  7  septembre  185».  li  avait  encore 
écrit  un  conte  amusant  sur  sa  maladie,  quelques  jours  au- 
paravant. M.  Legouvé  fils  lui  a  succédé  à  l'Académie.        * 

AXCELOT  (Marguerite  [dite  ViRCiNre ]  CHARDON' , 
madame),  épouse  du  précédent,  peintre  et  auteur  drama- 
tique, née  à  Dijon,  le  15  mars  1792.  Nous  empruntons 
ce  préambule  à  M.  Quérard  ,  qui  prétend  avoir  eu  soas  les 
yeux  un  acte  de  l'état  civil  concernant  cette  dame.  M.  Plii- 
larète  Chasîes ,  plus  galant,  l'a  fait  naître  vers  l'année  1809 
seulement ,  d'une  ancienne  famille  parlementaire,  et  l'unit 
dès  sa  première  jeunesse  avec  M.  Ancelot ,  dont  les  succès 
précoces  coïncidèrent ,  dit-il,  avec  leur  alliance. 
Laissons  parler  maintenant  madame  Ancelot  elle-même  : 
«  Élevée  à  Dijon  ,  où  je  suis  née ,  et  où  ma  famille  est 
ancienne  et  considérée ,  ma  mère  m'amena ,  h  douze  ans, 
achever  mon  éducation  à  Paris.  J'ai  étudié  la  peinture , 
parce  que  mon  goût  m'y  portait.  A  l'âge  de  quinze  ans,  je  pei- 
gnais quelquefois  sept  ou  huit  heures  par  jour,  composant 
de  petits  tableaux  de  genre ,  sachant  de  l'art  tout  ce  qui  ne 
s'apprend  pas,  mais  ignorant  beaucoup  de  ce  que  les 
maîtres  enseignent.  Depuis,  j'ai  écrit,  de  même,  par  goût, 
par  passion,  mais  toujours  sans  projet,  sans  calcul,  aimant 
les  lettres  et  les  arts ,  comme  j'aùne  mes  amis,  pour  eux- 
mêmes...  Aussi  je  n'ai  jamais  éprouvé  de  mécomptes,  ni 
jamais  ressenti  d'envie  contre  personne.  Ce  que  j'ai  fait  en 
peinture  et  en  littérature  m'a  rendue  plus  indulgente  pour 
les  ouvrages  des  autres ,  plus  enthousiaste  de  leurs  talents, 
plus  sympathique  à  leurs  succès. 

«  Je  ne  sais  vraiment  pas  comment,  avec  le  caractère  ti- 
mide que  le  ciel  m'a  donné ,  il  m'est  arrivé  que  j'aie  pu 
faire,  dans  ma  vie,  des  choses  qui  sont  très-téméraires.  J'ai 
mis  des  tableaux  à  l'exposition  de  peinture ,  j'ai  fait  jouer 
des  comédies  au  Théâtre-Français,  tout  cela  avec  mon  nom. 
La  bienveillance  m'a  toujours  accueillie,  il  est  vrai,  et  j'ai 
eu  du  bonheur  partout  ;  mais  je  l'attribue  plus  à  l'indul- 
gence des  autres ,  qu'à  mon  mérite ,  à  moi. 

«  Quand  M.  Ancelot  se  mit  à  faire  des  ouvrages  pour  des 
théâtres  secondaires  ,  je  commençai  à  m'amuser  à  arranger 
avec  lui  quelques  petftes  pièces  :  je  travaillai  bientôt  à  des 
pièces  plus  importantes,  et  j'en  fis  quelques-unes  moi  seule... 
Je  n'ai  eu  qu'à  me  louer  de  la  bonté  qui  a  protégé  un  nom 
de  femme;  la  presse  ne  m'a  pas  été  hostile,  et  des  honmies 
d'un  graud  talent  m'ont  été  favorables...  » 
A  cela  M.  Quérard  répond  : 

«  iSous   sotriiajtons  rpie  cette  explication   persuaae  va. 

68 


^38  ANGELOT  - 

ass^'z  grand  nombre  d'incrédule»,  qni,  tout  en  reconnaissant 
beaucoup  d'esprit  à  madame  Ancelot,  n'en  considèrent  pas 
moins  les  productions  dramatiques  jouées  et  imprimées  sous 
son  nom  comme  étant  de  son  mari.  Comment  se  fait-il 
que  les  mêmes  contradicteurs  ne  disent  point  que  M.  An- 
celot ait  mis  la  main  aux  charmants  tableaux  de  madame 
qu'on  a  admirés  aux  expositions  de  peinture?  » 

Parmi  ces  tableaux,  M.  l'hilarèto  Chasles  en  cite  un  qui 
fut  remar(pié  au  salon  de  1828,  et  qui  représentait  Vne 
Lecture  de  M.  Ancelot.  Il  y  avait  dans  cette  page,  si  l'on 
en  croit  le  critique,  une  pureté  et  une  giàce  exquises.  En 
1S32  fut  représentée  au  Vaudeville,  qui  trônait  alors  rue 
de  Cliartrcs,  une  comédie  en  un  acte,  mêlée  de  chants, 
intitulée  :  Reine,  Cardinal  et  Page.  La  pièce  fut  jouée  et 
imprimée  sous  le  nom  de  M.  Ancelot  ;  mais  des  indiscrets  de 
coulisses  trahirent  le  secret  de  la  comédie,  et  c'est  à  partir 
de  celte  éi>oque  que  madame  Ancelot,  surmontant  sa 
frayeur,  consentit  à  laisser  paraître  son  nom  sur  raftiche. 
Depuis ,  les  applaudissements  du  public  ont  dû  dissiper  en- 
tièrement les  craintes  du  trop  timide  auteur. 

Le  premier  pas  étant  fait,  madame  Ancelot  donna  succes- 
sivement au  Théâtre-I'^rançais  trois  comédies  en  prose  :  Un 
Mariage  raisonnable,  en  un  acte,  le  4  novembre  1835;  Marie, 
ou  les  trois  Epoques,  en  trois  actes,  le  11  octobre  1836,  et  le 
Château  f/c  ?/irt  7\'/èce,  en  un  acte,  le  8  août  1837.  Made- 
moiselle Mars  jouait  dans  ces  trois  pièces  :  le  succès  fut  com- 
plet, et  la  province  ne  manqua  pas  d'admirer  après  Paris. 
Isabelle,  ou  Deux  Jours  d'Expérience,  en  trois  actes,  jouée 
le  14  mars  t838,  ne  réussit  pas  aussi  bien;  le  principal  rôle 
était  confié  à  mademoiselle  Plessy. 

Plus  fard,  sur  des  théâtres  secondaires,  madame  Ancelot 
a  fait  jouer  Juana,  ou  le  projet  de  vengeance;  Pierre  le 
Millionnaire;  Un  Jour  de  Liberté,  sujet  emprunté  au  Der- 
nier oblat  de  madame  Charles  Raybaud  ;  La  rue  Quincam- 
poix;  Cécile  Lebrun,  Les  Femmes  de  Paris,  et  beaucoup 
d'autres  pièces  qui  ont  pourvu  presque  exclusivement  aux 
besoins  du  Vaudeville  tant  que  M.  Ancelot  en  a  été  directeur; 
peut-être  même  n'oiitellespas  été  étrangères  à  la  clmte  de 
ce  théâtre.  Un  seul  talc-nt  ne  pouvait  en  effet  prétendre  à 
défrayer  une  scène  de  ce  genre,  dont  la  diversité  est  l'élé- 
ment, quand   surtout  ce    talent,  fm,  spirituel,  gracieux, 
manque  d'entrain  et  cesse  rarement  d'être  froid  et  maniéré. 
M.  Philarète  Chasles  attribue  encore  à  madame  Ancelot 
deux  ou  trois  romans  ,  dont  il  ne  donne  pas  les  titres,  mais 
qui  se  recommandent,  selon  lui,  par  un  style  tout  féminin, 
plein  de  souplesse,  d'abandon,  de  grâce  ,  digne  enfin  des 
Gralïigny  et  des  Tencin.  ÎNous  regrettons  de  ne  pas  les  con- 
naître autrement.  En  I8j7,  M""'  Ancelot  a  fait  paraître  Les 
Salons  de  Paris ,  foyers  éteints ,  ouvrage  dans  lequel  elle 
fait  riiistoire  des  salons  contemporains.  En  1859  M™*  Rose 
Chéri  a  repris  au  théâtre  du  Gymnase  la  pièce  de  Marie,  ou 
les  Trois  Époques.  * 

AiXCEMS,  ville  de  France  (Loire-înférienre),  à  40 
kilomètres  de  Nantes ,  sur  la  rive  droite  de  la  Loire ,  et  sur 
le  chemin  de  fer  d'Angers  à  Sainl-N'azaire,  peuplée  de  4,198 
liahilants,  a  donné  son  nom  à  un  combat  livré  en  1793  entre 
l'armée  royale  de  la  Vendée  et  l'armée  républicaine.  La  pre- 
mière, battue  par  la  seconde,  à  Laval  et  au  Mans,  manœu- 
vrait dans  le  lut  de  repasser  la  Loire  et  de  se  réunir  sur  un 
point  donné.  Vivement  poursuivie,  elle  fut  atteinte  par 
AVestermann  en  avant  d'Ancenis  ,  le  15  décembre.  Après 
im  combat  de  plusieurs  heures  et  quelques  tentatives  déses- 
pérées ,  les  généraux  La  Rochejaquelein  et  Sfofllet  ordon- 
nèrent la  retraite,  qui  s'effectua  en  désordre  dans  la  direc- 
tion de  Niort.  Pressée  de  toutes  parts,  cette  armée,  naguère 
gi  (ière  dôses  succès,  abandonna  une  partie  de  son  artillerie, 
ses  radeaux  et  quelques  bagages. 
AXCÊTRES.  Voyez  Aïelx.  ^ 

A\'CI!K  (du  grec  ây/.w,  je  serre).  On  emploie  ce  mot 
pour   dési^jner  une  ou  ilcux  iictites  lames  de  roseau  fort 


ANCHISE 
aminci  ou  de  métal  qui,  placées  à  l'endroit  où  un  tube  d'in». 
trumentà  vent  reçoit  l'air  (pii  doit  le  faire  résonner,  forment 
un  obstacle  à  son  passage  et  empêchent  la  colonne  de  s'y  in- 
troduire tout  entière  :  la  résistance  opposée  par  l'anche  pro- 
duit en  celle-ci  des  vibrations  qui  modifient  le  son  au  mo- 
ment où  il  entre  dans  le  tube.   Ces  modifications  ont  lieu 
d'une  part  en  raison  de  la  force  et  de  la  qualité  de  la  matière 
qui   entre  dans  la  composition  de  l'anche,  et  de  l'autre 
en  raison  de  la  pression  plus  ou  moins  forte  exercée  sur  elle 
par  les  lèvres  de  l'exécutant  ou  par  tout  autre  moyen.  La 
qualité  de  la  matière  détermine  le  t  i  m  b  r  e  ou  s  o  n ,  la  pres- 
sion décide  du  flegré  qu'il  occupe  sur  l'échelle.  L'anche  peut 
être  fixe  ou  libre.  Dans  le  premier  cas  l'extrémité  longitudi- 
nale opposée  à  celle  où  s'introduit  l'air  et  les  extrémités  la- 
térales portent  soit  sur  le  corps  même  du  tube  creusé  et  dis- 
posé en  conséquence,  comme  dans  la  clarinette  et  cer- 
tains tuyaux    d'orgue,    soit   sur  une  anche  jumelle   à 
laquelle  elle  est  fixée,  comme  pour  le  haut  bois  et  le 
basson.  Dans  le  second  cas,  l'anche  n'est  fixée  que  par 
son  extrémité  longitudinale ,  et ,  s'adaptant  à  la  cavité  du 
tube ,  sans  que  ses  bords  la  dépassent ,  elle  résonne  dans 
toute  la  partie  libre  de  sa  surface.  C'est  ce  système  de". 
anches  libres  qui  a  produit  tous  les  instruments  modernes 
reposant  sur  la  même  base  et  auxquels  on  a  donné  les 
noms  d'accordéon,  philharmonica,  mélodium,  etc. 
L'orgue  admet  les  anches  fixées  et  les  anches  libres,  et  tire 
un  excellent  parti  des  unes  comme  des  autres  pour  les  jeux 
de  hautbois,  de  cromorne,  de  clairon,  de  trompette,   de 
bombarde,  de  voix  humaine,  etc.,  qui  dans  ce  vaste  instru- 
ment forment  la  série  des,  j eux  d'aJiches,  par  opposition  aux 
jeux  à  bouches.  Ici  chaque  anche  n'ayant  d'influence  que 
pour  un  ton   unique,  leur  volume  fait  le  diapason  des 
tuyaux.  Pour  donner  à  l'accord  toute  sa  perfection ,  un  fil 
de  métal,  appelé  rasette,  porte  sur  l'anche  du  côté  où  elle 
est  fixée  :  en  l'avançant  plus  ou  moins,  on  diminue  ou  l'on 
augmente  le  nombre  des  vibrations  et  par  conséquent  le 
degré  d'aiguïté  ou  de  gravité  du  son  que  l'on  met  ainsi   en 
rapport  exact  avec  la  longueur  du  tube  sonore.  La  connais- 
sance de  l'effet  des   anches  remonte  à  la  plus  haute  anti- 
quité, et  l'on  en  trouve  les  premiers  rudiments  dans  la  double 
fente  pratiquée  sur  un  tube  de  paille  au-dessous  d'un  nœud  ; 
la  partie  détachée  du   tube,  et  qui  par  sa  partie  supérieure 
lui  reste  adhérente,  est  une  anche  véritable.  Les  instruments 
à  vent  les  plus   usités  chez  les    anciens   étaient  à  anche. 
L'anche  libre,  employée  dans  nos  instruments  seulement  de- 
puis une  trentaine  d'années,  était  connue  chez  les  Chinois  dès 
l'époque  de  leurs  premiers  empereurs.     Adr.  de  Lai-ace. 

ANCHILOPS  (dugrecâyxi,  proche  de;  w-i,  œil), 
petite  tumeur  située  vers  le  grand  angle  de  l'œil ,  ou  devant 
ou  à  côté  du  sac  lacrymal.  On  distingue  ranc/?«Zo/).s  inflam- 
matoire, petit  phlegmon  rouge,  douloureux,  dont  la  marche 
aiguë  se  termine  presque  toujours  par  une  suppuration  ;  et 
Vatichilops  enkysté,  tumeur  arrondie,  dure,  ordinaire- 
ment indolente ,  sans  changement  de  couleur  à  la  peau, 
qui  se  développe  d'une  manière  insensible  et  ne  cause 
d'autre  incommodité  que  de  gêner  le  mouvement  des 
paupières.  Quelquefois,  à  la  longue,  cette  tumeur  s'en- 
flamme, s'ouvre,  et  donne  lieu  ainsi  à  un  petit  ulcère.  Voyez 

ÉCILOI'S. 

AIXCIIISE,  prince  troyen  ,  fils  de  Capys  et  de  Thémis, 
fille  d'Ilus,  par  laquelle  il  descendait  de  Tros,  fondateur  de 
Troie.  Vénus,  ravie  de  sa  beauté  ,  lui  aijparut  sur  le  mont 
Ida,  ou,  selon  d'autres,  sur  les  bords  du  Simoïs,  sous  la 
forme  d'une  bergère  phiygienne ,  se  livra  à  ses  embrasse- 
ments,  et  lui  donna  Énée.  Celui-ci  sauva  le  vieillard  de  l'in- 
cendie de  Troie,  en  le  portant  sur  ses  épaules  jusqu'aux 
vaisseaux.  Anchise  mourut  pendant  son  voyage  en  Sicile,  où 
son  fils,  aidé  d'Aceste,  roi  de  cette  contrée,  lui  érigea  un  tom- 
beau sur  le^  mont  Éryx  ,  et  institua  en  son  honneur  des 
jeux  annuels.  D'autres  disent  quil  fui  frappé  de  la  loudrt 


ANCniSE  —  ANCIENS  ET  MODERNES 


.39 


par  Jupiter,  parce  quêtant  ivre  il  avait  divulgiu'  le  secret 
de  ses  intimiti^  avec  Vénus. 

AA'CIIOIS,  petit  poisson  de  10  h  11  centimètres,  t^TC 
d'un  genre  de  la  famille  des  cliipéoules,  caractérisé  par  la 
saillie  de  sonethmoïde.  11  en  existe  des  espèces  nombreuses, 
soit  sur  les  côtes  d'Amérique,  soit  sur  celles  du  Malabar  et 
de  Coromandel.  Les  pécbes  que  l'on  en  fait  dans  ces  parafes 
sont  abondantes  et  productives  pour  le  commerce  d'expor- 
tation. Sa  tète  est  assez  grosse  ;  son  museau ,  prolongé  par 
le  développement  de  l'ethiuoide  ,  est  saillant,  et  dépasse  de 
beaucoup  la  mâchoire  inférieure  ;  la  gueule  et  les  ouïes  sont 
très-fendiies ,  le  dos  arrondi ,  le  ventre  comprimé ,  et  un  peu 
tranciiant  ;  quand  le  poisson  est  vivant,  sa  couleur  est  ver- 
diltre-clair  sur  le  dos,  et  argentée  sur  le  ventre;  mais  aussi- 
tôt après  sa  mort ,  le  vert  du  dos  devient  bleu ,  et  cette 
teinte  fonce  de  plus  en  plus  jusqu'à  noircir  presque  entiè- 
rement. 

La  préparation  de  l'anchois  est  d'un  usage  fort  reculé  ; 
elle  était  connue  des  Grecs  et  des  Romains. 

On  en  prend  chaque  année,  pendant  le  printemps  et  une 
partie  de  l'été ,  des  quantités  innombrables  sur  les  côtés  de 
la  Hollande,  et  surtout  dans  tout  le  littoral  de  la  Méditer- 
ranée. La  pèche  se  fait  ordinairement  pendant  les  nuits  les 
plus  obscures,  avec  quatre  bateaux  dont  un  porte  la  rissole, 
immense  filet  de  40  brasses  de  longueur  au  moins,  sur  8  à 

10  mètres  de  hauteur,  à  mailles  très-serrées,  et  les  autres, 
nommés  fas tiers,  portent  des  réchauds  à  feu.  Les  barques 
vont  à  deux  lieues  au  large  environ  ;  les  fastiers  allument 
alors  des  feux  alimentés  par  des  petites  branches  bien 
sèches  de  pin  ,  afin  de  produire  la  plus  vive  clarté  possible 
pour  attirer  le  poisson;  à  un  signe  convenu,  le  bateau  qui 
porte  le  filet  s'approche  et  le  jette  à  l'eau  ,  en  le  faisant 
traîner  de  manière  à  envelopper  tout  le  poisson  qui  suit  les 
barques  illuminées.  Le  feu  est  subitement  éteint,  et  les 
bandes  effarouchées  vont  se  prendre  dans  les  mailles  qui  les 
entourent  à  leur  insu. 

L'anchois  frais  se  mange  frit,  mais  il  est  peu  estimé,  et  on 
sale  la  presque  totalité  de  la  pêche.  D'abord  on  leur  coupe 
la  tète,  on  enlève  les  viscères  ainsi  que  la  vésicule  du  fiel, 
qui  est  d'une  amertume  insupportable.  Le  poisson  ainsi  vidé, 
est  lavé  à  l'eau  de  mer  à  plusieurs  reprises,  puis  alité , 
c'est-à-dire  placé  dans  de  petits  tonneaux,  dans  une  dis- 
position telle  qu'il  y  ait  alternativement  un  lit  d'anchois  et 
un  lit  de  sel  ;  le  sel  est  écrasé  en  poudre  très-fine  et  rougi 
avec  une  argile  particulière.  Ainsi  préparés ,  ces  poissons, 
après  trois  saumures  successives  et  indispensables ,  se  trou- 
vent confits;  leur  chair,  devenue  piquante,  est  un  assaison- 
nement recherché  pour  la  cuisine  provençale,  et  figure 
comme  hors-d'œuvie  sur  nos  tables  les  mieux  servies. 

AXCICO.  Foyer-  Anzico. 

AXCIEWETÉ.  Vo!/ez  Avancement.  ^ 

AA'CIEXS  (Conseil  des).  Voi/ez  ConseiYdes  Anciens. 

ANCIENS  ET  MODERiVES.  Les  anciens  sont-ils 
supérieurs  aux  modernes,  ou  les  modernes  sont-ils  supé- 
rieurs aux  anciens?  Cette  question  a  divisé  bien  des  fois  les 
écrivains,  et  a  donné  lieu  à  des  querelles  de  plume  d'une  vi- 
vacité extrême;  et  pourtant  rien  de  plus  vrai,  si  l'on  en  fait 
l'application  aux  anciens  et  aux  modernes,  que  cette  remarque 
de  Platon,  traduite  par  le  poêle  Théophile  :  «  ^i  les  uns  ni 
les  autres  ne  sont  ni  tout  à  fait  géants  ni  tout  à  fait  nains.  » 

11  y  avait  entre  eux  un  milieu  à  tenir;  il  fallait  savoir  mar- 
cher entre  le  mépris  et  l'admiration,  entre  le  blasphème  et 
l'idolâtrie.  Du  reste,  cette  querelle  n'est  pas  nouvelle;  elle 
éclata  à  Rome  sous  Auguste  :  les  Latins  se  disputèrent  pour 
les  Grecs  comme  nous  devions  nous  disputer  nous-mêmes, 
plus  tard,  pour  les  uns  et  pour  les  autres.  Pline  le  jeune 
se  défend  d'être  idolâtre  de  tout  ce  qui  n'est  ni  de  son 
siècle  ni  de  sa  patrie.  Phèdre  tourne  en  ridicule  certains 
artistes,  certains  écrivains,  qui,  pour  tromper  le  public, 
mettent  en  tête  de  leurs  œuvres  des  noms  grecs  fort  connus. 


Elle  était  grande  en  France  soiis  le  règne  de  Louis  XIV, 
l'adoration  des  anciens,  et  d'autant  plus  grande,  daiitunt 
plus  difficile  à  détruire,  qu'elle  est  fondée  en  partie;  il 
y  avait  même  danger  à  entreprendre  de  l'affaiblir.  Un  tel 
projet  demandait  beaucoup  de  circonspection  ;  il  ne  fallait 
pas  renverser  les  autels  des  anciennes  divinités;  il  suffisait 
de  déterminer  les  honmiages  qu'on  leur  doit  et  d'en  éla- 
guer les  abus.  C'était  à  des  hommes  de  talent,  de  génie,  à 
entreprendre  celte  croisade  contre  de  vieilles  idées.  Il  arriva 
malheureusement  le  contraire.  L'élite  des  écrivains  du  siècle 
de  Louis  le  Grand  fut  pour  les  anciens  ;  les  modernes  n'eu- 
rent en  général  pour  eux  que  des  auteurs  dt'criés  ou  du 
moins  médiocres.  Le  premier  qui  osa  entrer  en  lice  fut  l'abbé 
Boisrobert,  célèbre  par  sa  faveur  auprès  du  cardinal 
de  Richelieu,  à  qui  il  servait  de  jouet.  De  ses  dix-huit 
pièces  de  théâtre  il  n'en  est  pas  une  qu'on  lise  aujourd'hui. 
Il  attribua  ses  mauvais  succès  à  la  grande  admiration  qu'on 
avait  pour  les  anciens,  et  leur  déclara  la  guerre.  C'étaient 
suivant  lui  des  hommes  inspirés  quelquefois  par  le  génie , 
mais  constamment  privés  de  goût  et  de  grâce.  Homère  lui- 
même  ne  lui  apparaissait  dans  le  lointain  que  comme  un 
chanteur  de  carrefour  débitant  ses  vers  à  la  canaille. 

Cette  idée  fut  saisie  par  un  autre  protégé  de  Richelieu, 
Desmaretsde  Saint-Sorlin,  un  des  principaux  collabo- 
rateurs de  Mrame,  la  célèbre  tragédie  du  cardinal-ministre. 
C'était  une  des  plus  extravagantes  imaginations  de  son  temps. 
11  jugeait  ses  deux  épopées  de  Clovis  et  de  la  Madelaine  su- 
périeures à  \ Iliade  et  à  YOdyssée,  et  ne  se  croyait  guère 
flatté  quand  on  feignait  de  lui  donner  la  préférence  sur  le 
poète  grec.  Un  troisième  écrivain,  de  plus  de  mérite,  Charlat 
Perrault,  gardait  encore  le  silence.  Mais  les  sollicita- 
tions intéressées  de  Saint-Sorlin  le  déterminèrent  à  se  laisser 
mettre  à  la  tête  du  nouveau  parti.  Comment  résister  à  une 
épitre  dans  laquelle  Saint-Sorlin  lui  représentait  la  France 
éplorée  implorant  à  genoux  son  appui  ? 

Viens  défendre,  Perrault,  la  France  qui  l'appelle.' 

Certes  Perrault  n'était  pas  le  plus  ferme  soutien,  le  pre- 
mier génie  de  la  nation  ;  mais  à  défaut  de  talents  supérieurs 
il  avait  l'amour  et  souvent  l'instinct  du  beau,  et  il  fut  à 
son  époque  plus  utile  aux  lettres  et  aux  arts  que  beaucoup 
d'auteurs  en  renom.  Ne  connaissant  d'ailleurs  ni  la  haine 
ni  la  jalousie,  il  se  recommandait  par  un  zèle  à  foute  épreuve 
pour  ses  amis  et  par  une  franchise  qui  ne  se  démentit  jamais. 

Ce  fut  en  1687  qu'il  lut  pour  la  première  fois,  à  l'Aca- 
démie Française,  des  fragments  d'un  poème  sur  le  Siècle  de 
Louis  le  Grand,  dans  lequel  il  proclamait,  sans  balancer, 
les  modernes  supérieurs  aux  anciens,  mettait  au-<lessus  du 
grand  poète  grec  non-seulement  nos  premiers  écrivains, 
mais  les  Scudéri,  les  Chapelain,les  Cassagne,  et  ju- 
geait les  poèmes  à'Alaric,  de  la  Pucelle,  du  Moïse  sauvé, 
des  chefs-d'œuvre  en  comparaison  des  rapsodies  d'Homère. 

Boileau  se  crut  personnellement  offensé  dans  ce  fac- 
tum;  toutefois,  il  prit  sur  lui  de  ne  pas  éclater  d'abord, 
il  commençait  à  être  dégoûté  de  la  satire  ;  mais  le  savant 
prince  de  Conti  le  menaça  d'aller  écrire  sur  son  fauteuil 
académique  ces  trois  mots  :  Ta  dors,  Brutus  !  Pour  le  coup 
c'en  était  trop  ;  Despréaux  n'y  tint  plus,  il  se  leva  indigné , 
et  dit  que  c'était  une  honte ,  une  infamie  d'attaquer  de  la 
sorte  les  grands  hommes  de  l'antiquité.  Racine  félicita 
l'auteur  de  la  manière  dont  il  avait  soutenu  son  paradoxe. 
Perrault,  blessé  de  ce  mot,  et  ne  voulant  laisser  aucun  doute 
sur  sa  pensée  intime,  publia,  de  1G88  à  1696,  4  volumes 
in-12  intitulés  Parallèle  des  anciens  et  des  modernes.  C&%i 
un  livre  médiocre,  dont  les  idées  saines  sont  délayées  dans 
des  attaques  irréfléchies,  décousues,  noyées  au  fond  de  so- 
porifiques dialogues  entre  un  président  (jui  défend  les  an- 
ciens, un'abbé  et  un  chevalier  qui  soutiennent  les  modernes. 
Cet  ouvrage,  fort  peu  lu,  n'en  produisit  |)as  moins  un  grand 
scandale.  Le  procès  littéraire  en  suspens  l'ut  porté  au  tribu- 


140 


ANCIENS  ET  MODERNES 


naJ  (In  public.  Tous  les  (écrivains  do  rF.uropc  s'entrèrent  en 
juges;  chaque  natidli  eut  son  clief  de  parti  :  en  Italie,  Paul 
i56ni  se  prononçait  pour  les  modernes ,  ne  voyant  rien  de 
comparable  à  Guichardin,  à  Dante,  à  Arioste,  à  T.isse.  Les 
Anglais  faisaient  le  môme  honneur  h  leurs  écrivains  ;  et 
notre  spirilnel  Saint-Évrcmond,  retiré  alors  àLondres,  y 
plaidait,  do  son  mieux,  la  cause  des  nôtres  et  des  leurs. 

Ainsi  Perrault ,  pour  Tencourager,  comptait  au  moins 
quelques  suffrages;  mais  son  triomphe  était  surtout  hors 
«le  sa  patrie  ;  il  n'avait  encore  pour  le  soutenir  en  France 
d'autre  écrivain  de  renom  que  Fontenelle.  Cependant,  il 
laut  le  dire.  Racine ,  Boileau  ,  tous  ceux  qui  le  combattaient 
s'abusaient  étrangement;  ils  n'ouvraient  les  yeux  que  sur 
les  beautés  de  <létails  des  anciens  et  les  fermaient  sur  Ten- 
scnible  Les  défenseurs  de  Perrault  faisaient  de  leur  coté 
tout  le  contraire,  et  n'avaient  pas  plus  raison;  ils  se  préva- 
laient des  vices  qu'on  remarque  dans  l'ensemble,  pour  ne 
pas  rendre  justice  aux  détails.  Ainsi ,  de  part  et  d'autre  le 
problème  était  mal  posé- 

Toutefois,  les  auteurs  de  la  querelle  commençaient  à 
éprouver  le  besoin  d'y  mettre  un  terme  après  douze  ans  de 
combats  ;  ils  étaient  las  de  prêter  à  rire  au  public  :  des  amis 
communs  s'interposèrent,  et  la  paix  fut  conclue.  Boileau  la 
célébra  en  ces  termes  : 

Tout  le  trouble  pocliqire 
A  l'aris  s'en  va  cesser  ; 
Perrault,  l'anti-pindariqHe, 
Et  Despréaux,  l'iiomérique. 
Consentent  à  s'embrasser. 

Les  chefs  de  parti  réconciliés,  le  feu  de  la  querelle  faillit 
se  ranimer  entre  la  célèbre  madame  Dacier  et  La  Mothe, 
qui  s'était  permis  les  vers  suivants  : 

Croit-(}n  la  nature  bizarre 
Pour  nous  aujourd'hui  plus  avare 
Que  pour  les  (7rccs  et  les  Romains  ? 
De  nos  aines  mère  idolâtre, 
!S'cst-elle  plus  que  la  mdrâtre 
Du  reste  grossier  des  humains! 

La  docte  dame  manqua  à  toutes  les  convenances  en  défen- 
dant sa  traduction  de  Y  Iliade,  qu'elle  croyait  excellente 
parce  qti'elle  était  peut-être  moins  mauvaise  que  celle  de  son 
antagoniste,  qui  ne  savait  pas  un  mot  de  grec.  Ce  qu'il  y  a 
de  pasitif,  c'est  que  ni  l'une  ni  l'autre  n'est  supportable.  L'ar- 
deur de  la  dispute  lui  inspira  xmfactum  intitulé  de  la  Cor- 
ruption du  goût,  écrit  en  langage  des  halles  et  dont  chaque 
ligne  distille  la  haine  et  le  fiel.  La  Mothe  pour  représailles 
ne  se  permit  aucune  injure,  et  donna  l'exemple  d'une  discus- 
sion modérée ,  fine ,  délicate.  Tous  les  gens  de  lettres  furent 
encore  partagés.  Ceux  qui  avaient  déjà  écrit  pour  les  anciens 
écrivirent  de  nouveau  pour  Homère.  Fénelon,  ami  de  La 
Mothe,  n'osa  pas  l'approuver  complètement.  Fontenelle 
lui-même  n'embrassa  pas  ouvertement  son  parti.  Ses  récents 
démêlés  avec  Racine  et  Boileau  l'avaient  dégoûté  de  la  po- 
lémique. Il  se  contenta  d'efllemer  la  question  agitée,  de 
dire  des  choses  obligeantes  aux  deux  combattants  et  de  les 
désigner  sous  le  nom  de  Y  esprit  et  du  savoir.  Mais  La  Jlotlie 
eut  pour  lui  la  marquise  de  Lambert  et  les  abbés  Terrasson, 
de  Pons  et  Cartaud  de  la  Vilate.  «  Le  grec,  dit  ce  dernier, 
avait  produit  de  singuliers  effets  dans  la  tête  de  cette  dame  ; 
il  y  avait  dans  sa  personne  un  grotesque  assemblage  des 
faiblesses  de  son  sexe  et  de  la  férocité  des  enfants  du  Nord. 
11  sied  aussi  mal  aux  femmes  de  se  hérisser  d'une  certaine 
érudition  que  de  porter  vioustaches.  Madame  Dacier  est 
peu  propre  à  faire  naître  une  passion.  Son  extérieur  a  l'air 

poudreux  d'une  vieille  bibliothèque » 

D'autres  écrivains  prodiguèrent  encore  des  louanges  à  La 
Mothe,  et  attisèrent  le  feu  de  la  discorde.  La  querelle  se 
généralisa  bientôt ,  au  point  qu'on  en  joua  les  auteurs  sur 
plusieurs  théâtres  de  Paris.  On  vit  se  tlisi)uter  dans  une 
tragi-comédie  [nad-une  Dacier,  mère  de  VIliade,  IcBon  Goût 


amant  de  V Iliade,  et  Vilinde,  amante  du  Bcm  Goût,  d'un-^ 
part,  et  Chapelain,  père  de  la  Pucelle,  la  Pucelle,  amante 
de  La  Mothe,  La  IMothe,  ainant  de  la  Pucelle  et  Fontenelle, 
confident  de  La  Mothe,  de  l'autre.  On  donna  au  théâtre  de 
la  Foire  Arlequin  défenseur  d'Homère.  Dans  cette  farce 
Arlequin  tirait  respectueusement  Y  Iliade  d'une  châsse,  et, 
prenant  successivement  par  le  menton  les  acteurs  et  actrices, 
il  la  leur  donnait  à  baiser  en  réparation  de  tous  les  outrages 
faits  à  Homère.  On  fit  aussi  une  caricature  rejnésentant  un 
âne  qui  broutait  Y  Iliade,  avec  ce  vers  au  bas,  contre  la  tra- 
duction de  La  Mothe,  qui  avait  réduit  ce  poème  à  douze 
chantjs  : 

Douze  livres  mangés  et  douze  estropiés. 

Fourmont  l'aîné  tenta  vainement,  dans  son  Examen  paci- 
fique, de  concifier  les  esprits.  Il  s'était  trop  prononcé  pour 
Homère  et  contre  La  Mothe  pour  réussir.  Valincour,  le  sage 
Valincour,  l'ami  des  artistes  et  de  la  paix ,  mit  un  terme  ii 
toutes  ces  plaisanteries.  Il  vit  ceux  qui  en  étaient  l'objet , 
leur  parla,  les  rapprocha.  La  paix  fut  signée  et  l'acte  rendu 
solennel  dans  un  repas  qu'il  leur  donna  et  auquel  assistait 
madame  de  Staal  :  «  J'y  représoiitais ,  dit-elle,  la  neutralité. 
On  but  à  la  santé  d'Homère  ;  et  tout  se  passa  bien.  »  Quoique 
dans  le  cours  de  cette  dispute,  madame  Dacier  se  fût  mise 
fort  à  son  aise  et  eût  pu  exhaler  tout  son  ressentiment  à  sa 
guise ,  elle  en  conserva  un  fonds  de  chagrin  qui  abrégea  ses 
jours. 

Cette  querelle ,  amortie  pornr  la  seconde  fois  après  de  longs 
combats  de  plume  et  des  flots  d'encre  versés  de  part  et 
d'autre,  se  réveilla,  pour  la  troisième  fois,  un  siècle  plus 
tard,  non  moins  irritante,  et  il  ne  fallut  rien  moins  que 
l'intervention  puissante  de  Voltaire  pour  rétablir  dereclief 
la  paix  entre  les  parties  belligérantes.  La  lutte  des  roman- 
tiques et  des  classiques  sous  la  restauration,  lutte  à  laquelle 
la  question  des  anciens  et  des  modernes  était  loin  d'être 
étrangère ,  ne  fut  que  le  contre-coup  lointain  de  ces  hosti- 
lités, la  quatrième  phase  de  cette  guerre  qui  sera  éternelle 
et  ne  s'assoupira  jamais  que  pour  se  réveiller  à  une  époque 
plus  ou  moins  prochaine.  Longtemps  le  romantique  a  do- 
miné dans  notre  littérature  et  dans  nos  arts.  Le  vent ,  de- 
puis la  Lucrèce  de  M.  Ponsard  et  la  Cifjuë  de  M.  Augier, 
a  sauté  inopinément  du  côté  d'un  néo-classique  qu'on  ose 
à  peine  délînir.  Celte  réaction  subite  durera-t-elle?  Entre 
les  extravagances  des  uns  et  le  replacage  des  autres  il  y  a 
peut-être  un  chemin  à  suivre  avec  succès  :  In  ynedio  stat 
virtus.  H.  Rigault  a  pris  l'histoire  de  la  querelle  des  an- 
ciens et  des  modernes  pour  le  sujet  d'une  thèse  remarquable. 
A  propos  de  cette  dispute  des  anciens  et  des  modernes , 
^L  P. -F.  Tissût,  de  l'Académie  Française,  après  avoir  mis 
sous  les  yeux  des  lecteurs  moins  les  circonstances  du  procès 
que  quelques  opinions  que  son  bon  sens  et  son  expérience 
lui  dictent  sur  le  fond  de  la  querelle,  termine  ainsi  son  cons- 
ciencieux travail  :  «  Héritiers  des  richesses  intellectuelles  de 
nos  pères ,  placés  avec  le  fanal  de  leur  génie  sur  la  route  des 
lumières  et  dans  des  temps  de  liberté  pour  la  j)ensée ,  nos 
grands  littérateurs,  nos  grands  poètes,  nos  grands  artistes 
sont  et  doivent  être  par  la  nature  même  des  choses  autant 
au-dessus  de  leurs  immortels  prédécesseurs  que  la  civilisa- 
tion actuelle  est  au-dessus  de  la  civilisation  d'autrefois.  En 
élevant  ainsi  les  renommées  modernes,  nous  ne  rabaissons 
nullement  les  renommées  anciennes  :  nous  ne  faisons  que 
signaler  une  conséquence  de  la  marche  progressive  de  l'hu- 
manité. Les  espriî.s  supérieurs  que  nous  honorons  aujour- 
d'hui,  sans  oublier  le  culte  do  ceux  des  autres  âges,  ont 
marché  avec  elle  ou  l'ont  devancée ,  voilà  le  secret  de  leur 
supériorité  :  si  le  monde  était  resté  slationnaire  dans  son 
ignorance,  il  n'aurait  pu  ni  les  entendre  ni  les  suivre,  et  leur 
génie  se  serait  arrêté  lui-même,  découragé  par  la  certitu<le 
de  ne  pas  trouver  d'écho  au  milieu  d'une  société  immobile.  » 
A\CÏE\TESTAMEMT.  J'oyc:  Dibli;,  Ai.UANcii.elc. 


ANCILES  —  A^XKARSV.F.T\D 


.';41 


AXCILES,  Iwiidicrs  sacrt^s,  conscm^s,  an  nombre  de 
doii/t»,  dans  le  temple  de  .Mars,  à  Rome,  et  dont  s'ar- 
maient K'ij  Saliens,  prêtres  de  ce  dieu.  Vo;/cz  S.vliens. 

AACILLOX  4  famille  distinguée  de  Met/.,  qui,  par  suite 
de  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  vint  s'établir  en  Puisse, 
où  plusieurs  de  ses  membres  ont  acquis  >ine  grande  et  juste 
considération.  —  David  .\Ncii.t,ON,  né  en  1GI7,  à  IMctz,  où 
son  père  était  jurisconsulte,  fut  élevé  chez  les  jésuites,  qui 
firent  tout  pour  le  déterminer  à  quitter  l'itgli-se  réformée 
pour  l'Église  catholique.  Il  étudia  la  théologie  à  Genève,  et 
la  professa  ensuite  à  C'harenton,  à  Meaux  et  enfin  dans  sa 
ville  natale.  Après  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  il  se 
rendit  d'abord  à  Francfort,  et  plus  tard  devint  pasteur  de  la 
colonie  française  de  Hanau,  d'où ,  en  IGSC  ,  il  fut  appelé  en 
la  même  qualité  ;\  Berlin.  Il  mourut  dans  cette  ville,  en  1692. 
—  Son  fds ,  Chmles  Ancillo.n,  né  à  Metz,  le  2S  juillet  1G59, 
mort  à  Berlin,  le  5  juillet  1715,  exer(,!ait  la  profession  d'a- 
vocat dans  sa  ville  natale  au  moment  de  la  révocation  de 
l'édit  de  Nantes;  et  il  y  jouissait  d'une  considération  telle 
qu'il  fut  du  nombre  des  députt-s  envoyés  à  cette  occasion 
à  la  cour.  Le  seul  résultat  de  cette  démarche  fut  de  faire 
accorder  au\  huguenots  de  ISIetz  quelques  facilités  de  plus 
qu'à  ceux  des  autres  parties  du  royaume.  Il  se  retira  à  Ber- 
lin, où  l'électeur  ne  tarda  pas  à  le  nommer  juge  et  directeur 
de  la  colonie  française  fondée  par  les  réfugiés.  Chargé  plus 
tard  d'une  mission  diplomatique  en  Suisse ,  il  entra  en  Hi95 
au  service  du  margrave  de  Bade-Durlach.  Mais  au  bout  de 
quatre  ans  il  revint  à  Berlin ,  où  le  roi  le  nomma  son  histo- 
riographe et  lui  confia  en  outre  la  direction  de  la  police. 
Parmi  les  nombreux  ouvrages  qu'on  a  de  lui,  nous  citerons  : 
L'irrévocabiUté  de  l'Édit  de  Nantes  ( Amsterdam,  1688); 
Histoire  de  l'établissement  des  Français  réfugiés  dans 
les  États  de  Brandebourg  (Berlin,  1690  )  ;  et  Histoire  de 
la  vie  de  Soliman  II  (Rotterdam,  1706).  —  Louis-Fré- 
déric  Ajscillon  ,  petit-fils  du  précédent ,  et  qui  s'est  égale- 
ment fait  connaître  par  plusieurs  ouvrage»  relatifs  à  l'his- 
toire, à  la  politique  et  à  la  philosophie,  né  à  Berlin,  en  1740, 
mourut  dans  cette  ville  en  1814,  avec  le  titre  de  pasteur  de 
la  communauté  française  et  de  conseiller  du  consistoire  su- 
périeur. 

Le  fds  de  ce  dernier,  Jean-Pierre^ Frédéric  Ancillon, 
né  à  Berlin,  le  .30  avril  1767,  mort  dans  la  même  ville,  le 
19  avril  1837,  avec  le  titre  de  minisire  secrétaire  d'État  au 
département  des  affaires  étrangères ,  commença  sa  carrière 
en  1790  comme  prédicateur  de  l'Église  française  de  Berlin, 
après  avoir  terminé  ses  études  théologiques  à  Genève  et 
avoir  fait  un  court  séjour  à  Paris.  En  1792  il  fut  nommé  en 
môme  temps  professeur  d'histoire  à  l'école  militaire  de 
Berlin,  puis  membre  de  l'Académie  des  Sciences  dont  il 
remplit  les  fonctions  de  secrétaire  pour  la  classe  des  sciences 
morales  et  philosophiques  de  1810  à  1814,  et  historio- 
graphe royal.  Il  dut  ce  dernier  titre  à  la  grande  réputation 
qu'il  avait  acquise  comme  liistoiien  par  la  publication  de 
son  Tableaic  des  révolutions  du  système  jioli tique  de 
V Europe  (4  vol.,  Berlin,  1803),  ouvrage  dans  lequel  il 
apprécie  d'une  manière  aussi  sure  que  lumineuse  les  évé- 
nements des  temps  modernes  jusqu'à  la  fia  de  la  guerre  de 
la  succession  d'Espagne.  Au  mois  d'août  1810  il  renonça 
à  ses  fonctions  de  prédicateur  et  de  professeur,  pour  com- 
mencer une  nouvelle  carrière  politique  en  qualité  d'insti- 
tuteur du  prince  royal  de  Prusse.  La  gravité  des  circons- 
tances au  milieu  desquelles  la  Prusse  se  trouva  placée,  j)ar 
suite  des  guerres  de  l'Indépendance,  développa  rapidement 
en  lui  une  capacité  politique  fruit  de  longues  et  patientes 
études,  mais  qui  n'avait  point  encore  eu  ju.sque  alors  d'oc- 
casions de  se  manifester.  En  1814  il  renonça  à  ses  fonc- 
tions d'historiographe  pour  entrer,  en  qualité  de  conseiller 
intime  de  légation  en  activité  de  service,  au  ministère  des 
affaires  étrangères ,  [)lac(';  alors  sous  la  direction  immédiate 
du  chanceher  d'État  prince  ilc  Haidenberg.  Il  fut  l'un  des 


membres  les  plus  actifs  du  nouveau  conseil  d'Étal  institué 
en  1817  et  du  comité  spécial  créé  dans  son  sein  pour  l'é- 
tude de  toutes  les  questions  relatives  à  l'introduction  d'as- 
semblées d'états  dans  les  diverses  parties  de  la  monarchie 
prussienne;  et  en  cette  qualité  il  fit  constanunent  preuve 
d'une  grande  indépendance  de  caractère  et  d'une  absence 
complète  de  préjugés,  s'efforçant  dès  lors  de  concilier  les 
intérêts  du  trône  avec  ceux  des  peuples  par  un  large  déve- 
loppement de  la  liberté  intellectuelle  et  civile,  mais  dirigé 
de  telle  sorte  cependant  que  la  loi  reste  toujours  toutc-puis- 
saute  pour  tenir  la  multitude  en  bride.  Aussi,  tandis  (jue  les 
uns  lui  reprochaient  de  ne  point  être  assez  homme  de  pro- 
grès ,  les  autres  l'accusaient  de  faire  à  l'esprit  du  siècle  des 
concessions  beaucoup  trop  larges.  Quand  le  comte  de  Bern- 
storff  prit  le  ministère  des  affaires  étrangères,  Frédéric 
Ancillon  fut  spécialement  chargé  par  le  nouveau  ministre  de 
la  direction  de  la  section  politique.  Il  se  trouvait  par  con- 
séquent à  la  tête  de  la  division  la  plus  importante  de  ce  dé- 
partement quand  éclata  la  révolution  de  juillet  1830.  Il 
était  facile  de  prévoir  à  quel  point  de  vue  il  se  placerait 
pour  apprécier  cet  immense  événement  en  lisant  le  dernier 
grand  ouvrage  qu'il  ait  écrit,  intitulé  :  Zur  Vermittelung 
der  Extrême  in  den  Mcinungen  (Essai  de  médiation  des 
extrêmes  dans  les  opinions  ),  et  qui  avait  paru  peu  de  temps 
seulement  auparavant.  Le  premier  volume,  qui  contient  des 
considérations  générales  sur  Thistoire  et  la  politique ,  avait 
été  publié  à  Berlin  en  1828  ;  le  second,  où  il  traite  des  rap- 
ports delà  philosophie  avec  la  poésie,  parut  en  1831. 
Comme  ses  opinions  s'accordaient  complètement  avec  celles 
de  son  souverain ,  la  paix  de  l'Europe  ne  fut  pas  troublée 
malgré  tant  d'éléments  de  fermentation.  En  mai  1831  il  fut 
nommé  conseiller  intime  en  exercice  et  administrateur  de 
la  principauté  de  Keufchatel  et  de  Valengin ,  puis ,  trois 
mois  plus  tard,  secrétaire  d'État  pour  les  affaires  éti-angères. 
L'année  suivante  la  direction  définitive  de  ce  département 
lui  fut  confiée  en  même  temps  qu'il  recevait  le  titre  de 
ministre  d'État.  Cependant  M.  de  Bernstorff  jusqu'à  sa 
mort ,  arrivée  le  28  mars  1833,  continua  à  prendre  une  part 
active  et  directe  à  toutes  les  négociations  relatives  à  la 
confédération  Germanique.  Le  maintien  delà  paix  de  l'Eu- 
rope, de  l'ordre  à  l'intérieur  et  de  l'indépendance  réci- 
proque des  différents  États  dans  leurs  affaires  intérieures , 
fut  constamment  le  but  des  efforts  politiques  d'Ancillon  ; 
et  sous  ce  rapport  la  part  qu'il  prit  aux  conférences  te- 
nues à  Vienne  en  1834  ne  contribua  pas  peu  à  le  lui  faire 
atteindre.  Il  naourut,  après  une  courte  maladie,  avec  la 
conscience  d'avoir  été  pour  beaucoup  dans  la  tranquillité 
dont  il  fut  donné  à  l'Europe  de  jouir.  Quoique  ministre, 
tout  son  genre  de  vie  était  resté  d'une  simplicité  extrême.  Il 
avait  été  marié  à  trois  reprises,  sans  avoir  jamais  eu  d'enfants. 
AKCKARSV^RD  (Charles-Henri,  comte  d'),  autre- 
fois chef  de  l'opposition  en  Suède,  né  en  1782  à  Sveaborg, 
est  le  fils  aîné  du  comte  Ï^Iicbel  Anckarsvaerd,  mort  en  1839 
à  l'âge  de  quatre-vingt-dix  ans,  qui  se  distingua  d'une  ma- 
nière toute  particulière  dans  la  guerre  de  Finlande  de  1783 
à  1792,  et  de  simple  sergent  devint  général,  comte  et  ma- 
réchal de  la  diète  du  royaume.  Son  fils,  dont  l'avancement 
fut  rapide,  entra  au  service  en  qualité  de  major  et  comme 
aide  de  camp  du  comte  d'Armfelt  dans  la  guerre  de 
Norwége  de  1808.  Celui-ci  ayant  peu  de  temps  après  résigné 
son  commandement,  il  remplit  les  mêmes  fonctions  auprès 
de  son  successeur  le  comte  de  Cederstrœm.  Vers  la  fin  de 
cette  campagne,  entraîné  par  Adiersparre  dans  la  révolution 
de  1809,  il  fut  employé  par  lui  à  soulever  le  peuple  contre 
le  gouvernement.  Ce  mouvement  insurrectionnel  ayant 
réussi,  la  part  active  qu'il  y  avait  prise  fut  récompensée  par 
sa  promotion  au  grade  de  colonel.  A  l'ouveiturede  la  cam- 
pagne de  1813  contre  les  Français,  il  suivit  en  Allemagne 
le  prince  royal  en  qualité  d'aide  de  camp.  Ici  se  place  la 
circonstance  qui    décida  de  toute  sa  vie.  Dans  une  lettre 


542 


ANCKARSV^RD 


AN CONE 


adressée  au  prince  royal,  et  qu'il  livra  lui-même  à  la  publi- 
cité, mais  seulement  vingt  ans  plus  tard,  il  se  prononça  de  la 
manière  la  plus  énergique  contre  l'appui  que  k-  Suède  prêtait 
à  la  Russie  dans  sa  lutte  contre  la  France.  Cette  lettre  ne 
fut  pas  plus  tôt  entre  les  mains  du  prince  royal  que  celui- 
ci  faisait  savoir  à  Anckarsvœrd  que  ce  qu'il  avait  désormais 
de  mieux  à  faire  était  de  donner  sa  démission.  Anckars- 
\8erd  obéit,  brisa  son  épée,  et  se  retira  en  Suède  pour  y 
vivre  en  simple  particulier  dans  sa  terre  de  Carlslund  en 
Néricie.  Sa  carrière  parlementaire  ne  date  que  de  l'année 
1817.  Élu  membre  de  la  diète,  il  s'y  posa  en  adversaire  du 
gouvernement,  d'abord  sous  la  bannière  du  comte  de 
Schwérin,  et. plus  tard  comme  chef  de  l'opposition  nationale. 
Pour  jouer  un  tel  rôle  il  était  admirablement  secondé  par 
un  extérieur  mâle  et  imposant ,  par  une  voix  puissante  et 
par  une  éloquence  ardente,  alors  même  qu'il  se  livrait  à 
l'improvisation  ;  mais  il  manquait  d'éducation  première , 
de  connaissances  statistiques ,  de  profondeur  de  vues  et  de 
calme.  Trop  .souvent  entraîné  par  la  haine  personnelle  et 
mal  déguisée  qu'il  avait  vouée  au  souverain,  et  par  l'em- 
portement naturel  de  son  caractère ,  il  lui  arrivait  de  dé- 
passer les  limites  des  convenances,  et  nuisait  à  la  cause  dont 
il  était  le  défenseur,  surtout  par  ses  attaques  irréfléchies 
contre  le  bien  de  même  que  contre  le  mal ,  du  moment  où 
le  gouvernement  se  trouvait  en  jeu.  Peu  à  peu  cependant 
il  acquit  plus  de  modération  et  de  circonspection  ;  et  son 
action  sur  la  diète  eut  alors  été  très-grande ,  si  le  zèle  de 
bon  nombre  de  ses  anciens  ainis  politiques  ne  s'était  pas 
singulièrement  refroidi.  Aussi  bien  il  manquait  de  constance 
et  de  persévérance.  Dans  la  diète  de  1S29  la  présidence  du  co- 
mité de  constitution  lui  ayant  été  refusée ,  il  quitta  subite- 
ment l'assemblée  en  déclarant  que  désormais  toute  résistance 
aux  volontés  du  pouvoir  était  inutile,  expression  qui  souleva 
contre  lui  de  toutes  parts  l'orage  le  plus  violent.  On  l'accusa 
hautement  de  trahir  la  cause  de  la  liberté.  11  n'y  eut  pas 
jusqu'au  comte  d'Adlersparre  avec  qui  il  n'engageât  une  dis- 
cussion des  plus  amères ,  à  la  suite  de  laquelle,  en  1833,  il 
lit  imprimer  ses  Principes  politiques,  ouvrage  dans  lequel 
il  exposait  franchement  sa  vie,  ses  actes  et  ses  principes,  et 
s'extlisait  d'avoir  abandonné  le  théâtre  des  délibérations  pu- 
bliques ,  alléguant  qu'il  n'y  avait  pas  de  réforme  à  espérer 
tant  que  dureraientles  circonstances  où  se  trouvait  la  Suède. 
11  fit  paraître  ensuite,  en  société  avec  le  jurisconsulte  Richert, 
un  projet  d'amélioration  de  la  représentation  nationale,  qu'il 
reproduisit  lorsqu'on  1S39  il  eut  été  appelé  de  nouveau  à  la 
présidence  du  comité  de  constitution.  Mais  les  opinions 
qu'ils  y  émettaient  ne  trouvèrent  point  d'écho ,  et   furent  |   ne  tarda  pas  à  se  manifester  entre  l'empereur  Paul   et  les 


élégant,  et  se  présente  avantageusement  dans  les  parterres, 
dans  les  gazons  des  jardins-paysages,  et  partout  où  l'on  veut 
obtenir  sans  culture  obligée  une  sorte  de  petit  buisson  (leuri. 
Ses  fleurs  sont  inodores.  De  nos  bestiaux,  la  brebis  et  la 
ch.èvre  sont  les  seuls  qui  broutent  l'ancolie.  —  On  en  cultive 
principalement  deux  variétés  :  Vancolie  du  Canada,  à 
fleurs  d'un  beau  rouge  safran,  délicate  ;  Vancolie  de  Sibérie, 
à  fleurs  solitaires  d'un  beau  bleu  :  la  première  ne  réussit 
qu'à  l'ombre  et  en  terre  de  bruyère  ;  l'autre  peut  se  semer  en 
pleine  terre  ordinaire.  Louis  Du  Bois. 

AXCÔIVE,  ancien  clief-lieu  de  la  délégation  du  même 
nom  dans  les  Klals  de  l'Église  et  de  la  Marche  tl'Ancône, 
bâtie  sur  le  promontoire  situé   le  plus  au  nord-est  de   la 
côte  Adriatique,  et  siège  d'un  évêché,  compte  24,000  habi- 
tants ,  dont  5,000  juifs ,   et  fut  vraisemblablement  fondée 
par  des  réfugiés  syracusains.  Elle  possède  un  bon  port,  dont 
il  est  fait  mention,  ainsi  que  de  la  ville  elle-même,  dans  les 
plus  anciens  écrivains.  En  1732  elle  fut  érigée  en  port  franc, 
et  reçoit  en  moyenne  onze  cents  navires  par  an.  Le  com- 
merce, surtout  avec  Venise,  ïrieste  et  la  Grèce,  et  l'indus^ 
trie  manufacturière  y  ont  acquis  de  grands  développements. 
Les  céréales  et  les  étoffes  de  soie  et  de  coton  constituent  les 
principaux   articles  d'exportation.  L'empereur  Trajan  en- 
toura le  port  de  quais  en  marbre,  et  le  pape  Benoit  XIV  fit 
reconstruire  la  digue  qui  s'avance  à  plus  de  sept  cents  mè- 
tres dans  la  mer.  Pour  conserver  la  mémoire  de  ces  bien- 
faits, les  habitants  ont  élevé  en  l'honneur  de  ces  deux  princes 
l'arc  de  triomphe  en  marbre  blanc  qu'on  voit  encore  aujour- 
d'hui sur  le  môle.  L'église  principale,  placée  sous  l'invoca- 
tion de  saint  Cyriaque,  a  été  construite  sur  l'emplacement 
même  qu'occupait  autrefois  un  temple  dédié  à  Vénus.  La 
bourse  et  le  grand  élablissemcnt  de   quarantaine  sont  en- 
core à  citer  parmi  les  édifices  publics  que  renferme  celte 
ville.  Fortifiée  dès  la  plus  hante  antiquité  ,  assiégée,  prise  et 
détruite  ton'  à  tour  par  les  Romains,  les  Lombards  et  les 
Sarrasins,  Ancône  parvint  à   se   relever  de  ses  ruines  et 
même  à  se  constituer  en  république  indépendante;  mais  en 
1532  le  pape  Clément  VII  réussit  à  s'en  emparer  par  surprise, 
et  il  l'annexa  alors  avec  son  territoire  aux  États  de  l'Église. 
Le  siège  d'Ancôneentrepris  de  concert, en  1799,  par  les  Russes 
et  les  Autiichiens ,  et  pendant  lequel  la  garnison  française, 
commandée  par  le  général  Meunier,  opposa  la  plus  longue  et 
la  plus  courageuse  résistance,  e-t  remarquable  par  cette  par- 
ticularité que  lors  de  l'assaut  des  Autrichiens  ayant  abattu 
le  drapeau  que  les  Russes  avaient  les  premiers  planté  sur 
les  remparts,  ce  fait  fut  l'origine  delà  mésintelligence  qui 


repoussées  comme  trop  aristocratiques.  Force  lui  fut,  au  con 
traire,  de  se  rallier  à  un  projet  ultradémocratique  ayant  pour 
but  d'opérer  un  changement  dans  la  représentation  par  or- 
dres ,  projet  qui  finit  par  l'emporter  dans  la  diète.  Les  autres 
plans  qu'il  avait  proposés  pour  restreindre  l'exercice  de  la 
puissance  et  de  la  prérogative  royale  échouèrent  également. 
Malgré  ces  défaites  parlementaires ,  le  comte  d'Anckarsvœrd 
n'a  pas  laissé  que  d'exercer  toujours  une  grande  influence 
sur  la  diète  ;  la  plus  grande  partie  des  membres  de  l'ordre 
des  paysans  votait  toujours  avec  lui. 

ANCOLIE,  plante  de  la  famille  des  helléboracées  à  ra- 
cine vivace  et  fibreuse,  produisant  plusieurs  rameaux,  à  la 
sommité  desquels  se  développent  des  fleurs  très-agréables, 
en  mai  et  juin  :  les  feuilles  sont  trois  fois  ternées  ;  les  fleurs 
sont  pendantes,  attachées  à  un  calice  coloré  comme  elles,  se 
composant  de  pétales  allongés  en  comcts  à  la  base,  offrant 
des  variétés,  les  unes  simples,  les  autres  doubles.  Originaire 
de  nos  bois  et  de  nos  crêtes  de  fossés,  l'ancolie,  qui  y  est 
bleue  et  simple,  a  donné  dans  nos  jardins  de  charmantes  va- 
riétés bleues,  violàtres,  blanches,  rouges,  roses,  et  même  pa- 
nachées agréablement  de  blanc  et  de  rouge  ou  de  violet.  Le 
port  de  cette  jolie  plante,  dont  le  feuillage  est  bien  découpé, 
bien  groupé,  d'un  vert  d'abord  tendre,  puis  foncé,  est  fort 


coalisés.  Depuis  1815  il  n'y  a  plus  que  la  citadelle  d' An- 
cône  qui  soit  fortifiée. 

En  1831  les  troupes  autricliiennes  ayant  occupé  lesMar- 
clies  romaines  insurgées,  le  ministère  français  que  présidait 
Casimir  Périer  résolut  de  détruire  par  un  hardi  coup  de 
main  l'influence  autrichienne  dans  les  États  de  l'Église.  Une 
escadre  française  vint  mouiller  à  l'huproviste  dans  les  eaux 
(i'Ancône.  Dans  la  nuit,  quinze  cents  hommes  débarquèrent 
et  s'emparèrent  immédiatement  d'Ancône,  sans  rencontrer 
de  résistance,  le  22  février  1832.  Le  lendemain  23  une  ca- 
pitulation mit  la  citadelle  en  leur  pouvoir.  Le  général  Cu- 
bières  remplaça  le  colonel  Combes  dans  le  commande- 
ment de  la  place.  Malgré  toutes  les  protestations  du  saint- 
sié^e,  les  Français  continuèrent  à  occuper  militairement 
Ancône  jusqu'en  décembre  1838,  époque  où  ils  évacuèrent 
le  territoire  pontifical  en  même  temps  que  les  troupes  au- 
trichiennes. Pendant  toute  la  durée  de  l'occupation  ,  l'auto- 
rité civile  avait  d'ailleurs  continué  à  être  exercée  par  les  re- 
présentants du  saint-siége. 

Après  le  renversement  du  gouvernement  pontifical  en  1849, 
Ancône  reconnut  la  république.  Elle  fut  attaquée  le  24  mai 
par  les  Autrichiens,  qui  venaient  de  prendre  Bologne;  le 
1 2  juin  la  garnison  fit  une  sortie ,  qui  ne  réussit  point ,  et  la 


ANCONE  —  ANCRE 


543 


ville  fut  forcée  de  capituler  le  19.  Zaïnbci^aii  y  commandait. 
Les  Autricliiens  occupèrent  Ancône  cl  les  Marches  jusqu'à 
la  guerre  d'Italie  en  »85i).  Les  progrès  des  Français  les  obli- 
gèrent alors  à  se  retirer.  A  la  tin  de  juin  les  habitants  d'An- 
cône  offrirent  les  clefs  de  leur  ville  à  l'amiral  Jurien-La- 
gravière,  qui  les  refusa.  L'autorité  du  pape  y  fut  relablic, 
mais  une  sourde  agitation  y  régnait.  Les  troupes  sardes 
vuirent  bloquer  Anciine.  Le  général  de  Lamoricière,  à 
la  tête  des  troupes  pontilicalos,  essaya  de  secourir  cette 
ville  le  18  septembre  1S60;  il  échoua,  et  le  29  la  garnison 
d'Ancône  dût  céder  la  place  au  général  Fanti.  La  ville  en 
profita  pour  voter  sou  annexion  à  la  Sardaigne  le  4  no- 
vembre 1860.  En  1851  le  pape  avait  concédé  un  chemin  de 
fer  d'Ancône  à  Rome.  En  1S55  il  avait  dû  rendre  à  son  port 
la  franchise  qu'il  lui  avait  enlevée  cinq  ans  auparavant.  Z. 

ANCRE,  ANCRAGE  (du  latin  anchora,  dérivé  de  ày- 
xùÀo; ,  courl)e,  crochu).  Une  ancre  est  un  instrument  de 
fer  qui,  étant  jeté  au  fond  de  la  mer,  s'y  accroche  et  sert 
h  retenir  les  bâtiments.  Dans  sa  forme  la  plus  ordinaire, 
l'ancre  se  compose  d'une  tige  ou  verge  terminée  par  deux 
liras  armés  de  plaques  triangulaires  qui  ont  reçu  le  nom  de 
pattes.  Le  poids  des  ancres  pour  les  différents  vaisseaux  est 
proportionné  à  leur  tonnage.  La  règle  ordinaire  est  de  prendre 
pour  le  poids  de  la  maîtresse  ancre  (la  principale  du  bâti- 
ment )  un  nombre  de  quintaux  métriques  égal  au  quarantième 
de  celui  des  tonneaux  de  charge;  ainsi,  dans  un  bâtiment  de 
mille  tonneaux  elle  doit  peser  vingt-cinq  quintaux  métriques. 
Chaque  navire  a  aussi  plusieurs  ancres  de  poids  divers; 
mais  la  maîtresse  ancre  appelée  encore  grande  ancre  et 
autrefois  ancre  de  miséricorde,  est  gardée  en  réserve  dans 
la  cale.  Quand  on  \eut  jeter  l'ancre,  ou,  en  terme  de  ma- 
rin, mouiller  !  on  la  dégage  de  l'appareil  qui  la  tient  sus- 
pendue au  flanc  du  navire,  et  l'ancre  descend  en  entraînant 
son  câble  ;  ensuite  le  navire  s'éloigne  le  plus  possible,  de 
manière  à  ce  que  le  câble  étant  lendu ,  la  patte  de  l'ancre 
s'engage  solidement.  Alors  on  est  à  l'ancre  ou  au  mouil- 
lage. Enfin  on  dit  jeier  un  pied  d'ancre  pour  dire  qu'on 
mouille  pour  un  instant  une  ancre  légère  ;  laisser  tomber 
une  ancre,  pour  exprimer  qu'on  mouille  provisoirement 
où  l'on  est,  en  attendant  le  vent  ou  la  marée. 

L'ancrage,  qu'on  appelle  plus  souvent  mouillage,  est  le 
lieu  oij  l'on  peut  ancrer.  Pour  qu'un  ancrage  soit  bon,  il  faut 
qu'il  soit  à  l'abri  des  vents  du  large  et  que  le  fond  en  soit 
bien  net.  L'flJicrflje  désigne  encore  le  droit  que  l'on  paye 
pour  ancrer,  et  auquel  sont  soumis  les  vaisseaux  qui  vien- 
nent mouiller  dans  les  ports  et  rades  où  il  est  établi.  On 
joint  assez  ordinairement  à  ce  droit  celui  qui  est  destiné  à 
l'entretien  des  phares  voisins. 

ANCRE  {Géographie).  Foj/es  Albert. 

AIVCRE  (  CoNCiNO  CoNciNi ,  plus  connu  sous  le  nom  de 
maréchal  d'  ) ,  né  à  Penna ,  selon  les  uns ,  à  Florence  suivant 
les  autres,  était  petit-fils  dun  secrétaire  d'État  du  grand-duc 
Côme  et  fils  d'un  simple  notaire.  Dès  sa  jeunesse  il  se  livra 
à  toutes  les  débauches  imaginables,  mangea  son  bien,  et  mé- 
rita par  son  inconduite  que  les  pères  défendissent  à  leurs  en- 
fants de  le  fréquenter.  N'ayant  plus  de  quoi  vivre  ,  il  se  di- 
rigea vers  Rome,  où  il  servit  de  croupier  au  cardinal  de 
Lorraine  ;  mais  il  ne  voulut  pas  le  suivre ,  et  revint  en  Tos- 
cane. C'était  au  moment  où  l'on  formait  à  Florence  la 
maison  de  Marie  de  Médicis,  mariée  à  Henri  IV.  Il  s'y  fit 
recevoir  eu  qualité  de  gentilliomme  suivant ,  et  accompagna 
cji  1600  la  nouvelle  reine  à  Paris.  Celle-ci  avait  pour  femme 
de  chambre  et  confidente,  Éléonora  Dori,  dite  Galigai  (  voyez 
l'article  suivant),  fille  de  sa  nourrice, soubrette  petite,  brune, 
agréable,  mais  d'une  maigreur  excessive.  Concini,  qui  ne 
manquait  pas  d'esprit,  s'attacha  à  elle,  et  par  mille  petits 
soins  sut  la  déterminer  à  l'épouser.  La  reine  consentit  à  ce 
mariage ,  auquel  le  roi  résista  longtemps. 

Le  premier  pas  était  fait  ;  notre  Italien  avança  rapidement  : 
il  obtint  presque  coup  sur  coup  la  charge  de  premier  maître 


d'hôtel  et  de  premier  (Vîuyer  de  la  reine.  Il  connaissait  d'ins- 
tinct tous  les  moyens  de  panenir  à  la  cour  :  le  roi  et  la  reine 
n'avaient  point  de  secret  pour  lui  ;  Henri  IV  était  infidèle  et 
jaloux;  la  reine,  prude  et  galante;  elle  avait  besoin  de 
couvrir  d'un  voile  impénétrable  ses  secrètes  inclinations  : 
Concini  était  le  discret  médiateur  de  leurs  querelles  conju- 
gales. Dans  la  position  avantageuse  qu'il  s'élait  faite,  il  |)o!i- 
vait  prétendre  a  tout  :  aussi  ne  lai.ssa-t-il  échapper  aucune 
occasion  de  s'élever  et  de  s'enrichir.  Habile  écuyer,  danseur 
gracieux,  causeur  aimable,  joueur  hardi,  il  possédait  tout  ce 
qu'il  faut  pour  plaire  et  pour  intéresser  dans  une  cour  plus 
occupée  de  plaisirs  que  d'affaires.  Il  n'élait,  du  reste,  ni 
sans  mérite  sérieux,  ni  sans  qualités  réelles;  il  avait  du  ju- 
gement, un  cœur  généreux  ;  il  était  d'un  accès  facile;  sa 
conversation  pétillait  de  saillies  et  de  gaieté.  Il  se  fit  tout 
d'abord  aimer  du  peuple  par  des  spectacles,  des  fêtes,  des 
tournois,  des  carrousels ,  dans  lesquels  il  brillait. 

La  mort  de  Henri  IV  ne  fit  qu'accroître  son  influence;  la 
régence  de  Marie  de  Médicis  ouvrait  une  voie  plus  large  à 
sonambition;  il  fut  fait  premier  gentilhomme  de  lachamhre, 
et  obtint  les  gouvernements  de  Montdidier,  de  Roye,dePé- 
ronne,  puis  enfin  le  gouvernement  le  plus  importimt  du 
royaume,  celui  de  Normandie.  Il  acheta  alors  le  marquisat 
d'Ancre,  etfutcréé  maréchal deFrance,  quoiqu'il  n'eùtjamais 
tiré  l'épée  sur  un  véritable  champ  de  bataille;  il  ne  passait 
pcis  même  pour  brave,  témoin  sa  querelle  avec  iJellegarde,  à 
la  suite  de  laquelle  il  alla  se  cacher  dans  l'Iiôîel  de  Rambouil- 
let. De  sa  faveur  au  suprême  pouvoir  il  n'y  avait  qu'un 
pas.  Concini  le  franchit,  grâce  à  la  reine  ;  il  devint  ministre, 
quoiqu'il  fût  étranger  et  qu'il  n'eût  jamais  étudié  les  lois  du 
royaume  qu'il  était  appelé  à  gouverner.  Richelieu,  qui  n'é- 
tait alors  que  l'obscur  évêi|ue  de  Luçou  ,  s'attacha  comme 
une  ombre  à  l'heureux  favori;  il  montrait  pour  les  deux 
époux  le  plus  ardent  dévouement;  son  respect  allait  jusqu'à 
l'enthousiasme.  Le  chevalier  de  Luynes,  encore  moins 
connu  que  Richelieu,  se  distinguait  par  une  plus  humble 
servilité  parmi  les  courtisans  des  favoris  de  la  reine  régente. 

Tant  de  faveurs  successives  enllèrent  le  cœur  de  Concini; 
il  devint  fier  et  hautain.  Les  ministres  de  Henri  IV  furent 
disgraciés  et  remplacés  par  de  ses  créatures;  les  princes  du 
sang  eux-mêmes  furent  éloignés  de  la  cour.  Il  leva  à  ses  dé- 
pens un  corps  de  sept  mille  hommes  pour  maintenir  contre 
les  mécontents  l'autoiité  du  jeune  Louis  XIII  ou  plutôt  la 
sienne.  Ce  n'élait  pas  assez  :  il  voulut  s'assurer  de  la  per- 
sonne du  roi  en  lui  ôtant  la  liberté  qu'il  avait  d'aller  visiter 
ses  belles  maisons  des  environs  de  Paris,  et  réduisit  ses  dé- 
lassements à  la  seule  promenade  des  Tuileries.  Louis  XIII 
ne  tarda  pas  à  sentir  le  poids  du  joug  que  lui  imposait,  sans 
bruit,  l'ambitieux  maréclial.  Il  avisa  avec  le  chevalier  de 
Luynes,  celui  de  ses  gentil,-;hommesen  qui  depuis  peu  il  eût 
le  plus  de  confiance,  à  divers  moyens  de  sortir  desclavaga. 
Luynes  oublia  qu'il  devait  au  maréchal  d'.\ncre  son  exis- 
tence politique;  il  lui  fut  facile  d'obtenir  sur  le  fils  l'em- 
pire que  le  maréi;lial  avait  sur  la  mère.  Élevé  à  la  dignité  de 
connétable ,  il  n'eut  plus  qu'un  désir,  se  débarrasser  du 
maréchal  d'Ancre  et  s'emparer  de  son  immense  fortune. 

Cependant  le  maréchal  d'Ancre  avait  pris  des  précautions. 
Il  avait  fait  fortifier  les  places  de  son  gouvernement.  Il  avait 
même  le  projet  de  se  retirer  en  Toscane  et  d'y  transporter 
ses  richesses.  Il  eût  peut-être  exécute  ce  dessein,  s'il  n'avait 
éprouvé  l'ambition  de  s'allier  à  la  famille  de  Vendôme  :  il 
aspirait  à  la  main  de  l'héritière  de  cette  maison ,  et  espérait 
faire  casser  son  mariage  avec  Éléonora  :  celle-ci  l'avait  pé- 
nétré ,  et  le  desservit  de  tout  son  pouvoir.  Le  maréchal  resta 
donc  à  la  cour. 

Sur  ces  entrefaites,  il  avait  été  résolu  entre  le  roi  et  do 
Luynes  que  lorsque  Concini  viendrait  au  Louvre,  de  Luynes 
le  mènerait  dans  le  cabinet  d'armes ,  et  que  le  baron  de 
Vilry,  capitaine  des  gardes  du  corps,  excculerait  sur  la  pes- 
sonne  du  maréchal  l'ordre  qu'on  lui  donnerait. 


;44 


ANCRE 


Le  24  avi-n  1617  le  marécliul  sorlll  de  son  hôtel ,  sur  les 
dix  licurcs,  iH)ur  se  reiiOre  au  Louvre  ;  il  était  accompagné 
(le  cin(iuante  à  soixante  personnes.  Le  baron  de  Yitry ,  qui 
avait  placé  des  soldats  en  vedettes  et  qui  attendait  dans  la 
salle  des  Suisses ,  averti  que  Conciui  était  au  pont-tonrnant 
du  château,  s'avança  à  sa  rencontre,  et,  portant  la  main  sur 
«;on  bras  droit  :  «  Le  roi ,  lui  dit-il ,  m'a  ordonné  de  m'em- 
parer  de  votre  personne.  »  Et  le  maréchal ,  étonné  de  cette 
brusque  apostrophe ,  poilant  la  main  à  la  garde  de  son 
épée,  soit  pour  se  défendre,  soit  pour  se  rendre  prison- 
nier, s'écria  :  «  De  moi?  — Oui,  de  vous!  »  repartit  Vitry; 
et  le  saisissant  de  plus  près,  il  lit  signe  à  ceux  qui  le  sui- 
vaient Tous  lâchèrent  a  l'inslaut  leurs  pistolets;  Concmi 
tomba  sur  ses  genoux ,  frappé  de  plusieurs  balles  qui  l'a- 
vaient blessé  mortellement ,  et  Yitry  d'un  coup  de  pied 
rétendit  par  terre. 

Son  corps  avait  été  enlevé  et  enterré  secrètement  dans 
l'église  de  Saint-Germain  l'Auxerrois  ;  mais  dès  le  lende- 
main il  fut  déterré  par  une  multitude,  ivre  de  fureur  et 
de  vin ,  traîné  sur  une  claie  dans  les  rues  jusqu'au  Pont- 
Neuf  ,  où  on  le  pendit  par  les  pieds  à  une  potence ,  puis 
on  le  coupa  par  morceaux ,  on  jeta  ses  entrailles  dans  la 
rivière ,  et  ses  restes  sanglants  furent  brûlés  devant  la 
statue  de  Henri  IV.  Un  misérable  poussa  la  férocité  jusqu'à 
faire  cuire  son  cœur  sm-  des  charbons,  et  à  le  dévorer  pu- 
bliquement. Ce  qui  expliquait,  sans  la  justifier,  cette  atroce 
vengeance  populaire ,  c'étaient  les  exactions  dont  Concini 
s'était  rendu  coupable.  On  trouva  des  valeurs  en  papier 
pour  1,985,000  livres  dans  ses  poches  et  pour  2,200,000 
dans  sa  petite  maison,  sommes  énormes  pour  le  temps.  Le 
parlement  procéda  contre  sa  mémoire,  qui  fut  déclarée 
infâme.  Galigaï,  sa  femme,  ne  fut  pas  plus  épargnée'  :  con- 
damnée comme  sorcière ,  elle  fut  décapitée  ef  puis  brûlée 
en  place  de  Grève. 

Comblé  d'honneur  par  la  reine  Marie  de  Médicis,  après 
l'assassinat  de  Henri  IV,  le  maréchal  d'Ancre  n'avait  pas 
manqué ,  comme  tant  d'autres ,  d'être  accusé  de  compUcité 
dans  cet  odieux  forfait  ;  mais  rien  n'est  moins  prouvé  que 
cette  accusation ,  et  nous  sommes  sur  ce  point  de  l'avis  de 
Voltaire  et  d'Anquctil,  malgré  les  on  dit  des  Mémoires  de 
Sullij,  par  l'Écluse,  de  Y  Histoire  de  France  de  Mezeray , 
des  lissais  sur  Paris,  de  Sainte  Foix,  de  la  Biographie 
(le  Henri  IV  par  Buri ,  et  des  réflexions  Mstoriqxies 
dont  Legouvé  a  fait  suivre  sa  tragédie  de  la  Mort  de  Hen  ri  IV. 

Le  maréchal  laissait  un  fils  âgé  de  dix  ans.  Ce  malheureux 
enfant  errait  éploré  dans  les  appartements  du  Louvre.  Par- 
tout il  était  repoussé  avec  la  plus  impitoyable  brutalité. 
Un  seul  courtisan  hasarda  quelques  paroles  en  sa  faveur  au- 
près de  la  jeune  reine  Anne  d'Autriche.  Cette  princesse  le  fit 
venir...  Ou  lui  dit  que  cet  enfant  dansait  avec  grâce,  et,  sur 
l'ordre  de  la  reine,  des  musiciens  furent  appelés  et  l'orphelin 
en  pleurs  fut  obligé  de  danser.  La  reine  lui  fit  donner  un  peu 
de  confitures.  Ce  seultrait  peint  la  sensibilité  d'Anne  d'Au- 
triche et  les  mœurs  de  la  cour  de  Louis  XIll.  Ce  pauvre 
enfant  fut  déclaré  par  arn'^t  du  parlement  ignoble  et  inca- 
pable  de  tenir  aucun  état  dans  le  roijaiinie.  On  n'est 
l)lus  étonné  dès  lors  de  voir  le  capitaine  Vitry ,  encore  tout 
couvert  de  sang,  récompensé  par  le  bdton  de  maréchal  de 
t'rauce,  et  le  favori  de  Luynes  mis  en  possession  de  l'opu- 
lente succession  de  la  victime.         Dufey  (de  l'Vonne). 

AiXCRE  (ÉLÉo^oRA-DoRI  GALIGAÏ,  marquise  n'), 
épouse  du  précédent,  née  à  Florence,  dut  sa  fortune  au 
bavard  qui  lit  choisir  sa  mère,  femme  d'un  pauvie  menui- 
sier, pour  nourrice  de  Marie  de  Médicis.  Elle  suivit, 
en  (juaUté  de  femme  de  chambre,  cette  princesse  à  Paris, 
quand  elle  épousa  Henri  IV,  en  1600,  et  prit  bientôt  sur 
l'espiit  de  sa  maîtresse  un  entier  ascendant,  Concini ,  qui 
ù\n\l  aussi  accompagné  Marie  de  Médicis  en  France,  était 
retourné  en  Itahe  après  les  cérémonies  du  mariage.  Lléo- 
uora,  qui  l'aimait,  le  pressa  de  revenir;  ils  se  marièrent 


peu  après  son  retour.  L'amour  n'avait  sans  doute,  du 
inoins  de  la  part  de  Concini,  aucune  part  à  cette  union  ; 
Éléonora  était  loin  d'être  belle;  mais,  adroite,  insinuante, 
elle  cachait  sous  des  dehors  chétifs,  sous  une  petite  taille, 
sous  un  visage  pâle  et  maigre ,  sous  un  état  presque  conti- 
nuel de  maladie ,  l'âme  la  plus  énergique,  l'intelligence  la 
plus  vive,  et  une  ambition  qui  ne  le  cédait  en  rien  à  son 
esprit.  Elle  savait,  tout  à  la  fois,  amuser  sa  maîtresse  en  la 
mettant  au  fait  des  médisances  de  la  cour,  entretenir  la 
brouille  dairs  l'auguste  ménage,  vendre  les  intérêts  de  la 
France  aux  Espagnols,  et  maintenir  son  crédit  contre  toutes 
les  intrigues  et  nrême  contre  les  ordres  fomiels  de  Henri  IV. 
Simple  femme  de  chambre,  elle  se  vit  bientôt  l'égale  des 
dames  les  plus  quaUfiées;  toute  la  cour  était  à  ses  pieils; 
Éléonora  disposait  de  la  reine  :  Marie  était  jalouse  ;  Henri 
ne  lui  fournissait  que  trop  souvent  l'occasion  de  brouil- 
leries  domestiques;  aussi  étaient-ils  presque  toujours  en 
querelle.  Éléonora  et  son  mari  avaient  basé  leur  plan  d'é- 
lévation et  de  fortune  sur  la  mésintelligence  du  roi  et  de 
la  reine ,  dont  ils  étaient  en  quelque  sorte  les  médiateurs. 
La  mort  de  Henri  FV  vint  ajouter  encore  à  leurs  préten- 
tions et  à  leur  orgueil.  Éléonora  pouvait  tout  sur  Marie  de 
Médicis,  et  IMarie  de  Médicis  était  régente.  Cette  soubrette 
orgueilleuse  réussissait  pourtant  à  tenir  au  dehors  son 
influence  dans  l'ombre,  à  s'écHpser  en  public  pour  laisser 
tous  les  honneurs  du  pouvoir  au  maréchal  son  mari  ;  mais, 
en  même  temps  qu'elle  se  montrait  habile  au  delà  de  toute 
expression  à  maîtriser  l'esprit  faible  de  la  reine  de  tout 
l'ascendant  d'tine  dme  forte,  elle  cédait  à  huis  clos  a 
toutes  les  faiblesses  de  la  plus  ridicule  superstition.  Elle  ne 
se  laissait  voir  que  voilée  pour  se  préserver  du  mauvais  ml. 
Au  Louvre,  en  petit  comité,  elle  régnait  despotiquement , 
et  ne  se  contraignait  pas  même  à  l'égard  du  jeune  roi. 
Un  jour  qu'il  s'amusait  à  de  petits  jeux  dans,  son  ajiparte- 
ment ,  placé  au-dessus  de  celui  de  la  maréchale ,  elle  lui 
envoya  dire  :  «Qu'il  fît  moins  de  bruit,  qu'elle  avait  la 
migraine.  »  La  réponse  de  Louis  XIIF  fut  laconique  :  «  Si 
votre  chambre  est  exposée  au  bruit,  Paris  est  assez  grand 
pour  que  vous  en  puissiez  trouver  une  autre.  »  Louis  XIII 
n'oubha  jamais  ce  trait  d'insolence  de  la  favorite  de  sa 
mère.  Le  châtiment  se  fit  attendre,  mais  il  fut  terrible. 
Marie  de  Médicis  défendit  sa  favorite  contre  son  lils  lui- 
même,  et  c'est  à  ces  querelles  intérieures  qu'il  faut  attri- 
buer l'antipathie  de  Louis  XIII  pour  sa  mère.  Le  jeune  roi 
n'osait  rien  tenter  contre  Éléonora  et  son  époux  la  reine 
étant  à  la  cour.  11  résolut  donc  de  l'éloigner,  et  profita  de 
son  absence  pour  se  défaire  du  maréchal  par  un  assassinat. 
(  Voijez  l'article  précédent.  ) 

Avant  ce  terrible  événement,  Éléonora  avait  rompu  avec 
son  époux  :  tourmentée  par  des  vapeurs,  elle  était  devenue 
insupportable  à  tout  ce  qui  l'entourait.  Elle  savait  que  son 
mari  comptait  sur  sa  mort  prochaine,  et  qu'il  était  décidé 
à  faire  casser  son  mariage  si  elle  pouvait  survivre  au  mal 
qui  la  dévorait.  Elle  savait  qu'il  aspirait  à  un  autre  hymen 
et  ne  prétendait  à  rien  moins  qu'à  s'allier  à  l'une  des  plus 
illustres  maisons  de  France.  11  était  maréchal,  gouverneur 
d'une  grande  province;  sa  fortune  était  immense;  il  ne  pou- 
vait éprouver  un  refus.  Accablée  de  douleur  et  dévorée  do 
jalousie,  elle  ne  tenait  plus  à  la  vie  que  par  le  sentiment  de 
ses  souffrances. 

Marie  de  Médicis  avait  pu  consentir  à  vivre  séparée  d'elle; 
elle  ne  devait  pas  hésiter  à  la  sacrifier  aux  ombrageuses 
exigences  de  Louis  XIII  et  de  son  favori.  Concini  a  péri 
sous  le  fer  dun  assassin,  et  Éléonora  apprend  la  mort  de  son 
époux  par  l'assassin  lui-même,  par  le  baron  de  Vitry,  qui 
vient  l'arrêter  en  plein  Louvre  pour  la  conduire  à  la  Bas- 
tille. On  ne  lui  permet  pas  même  d'embrasser  sa  fille  et  son 
fils  ;  elle  ne  doit  pas  les  revoir.  Éléonora  n'a  plus  qu'un  espoir  : 
élevée  avec  la  reine  Marie,  nourrie  du  même  lait,  sa  com- 
pagne inséparable  depuis  le  berceau,  coiilidente  de  tous  ses 


ANCRK  - 

f  ecrets,  elle  coinple  sur  sa  piiissaiilc  protorlion  contre  ses  en- 
nemis. Marie  l'a  tant  ainioe  !  Klconura  vena  bientiM  s'éva- 
nouir cette  dernière  illusion.  A  la  première  nouvelle  de  la 
mort  (lu  maréchal  on  demande  à  la  reine  c|uel  moyen  on 
emploiera  pour  annoncer  à  sa  veuve  le  fatal  événement  : 
«  J'ai  bien  autre  chose  à  quoi  penser,  répond  la  Médicis  ;  si 
on  ne  peut  lui  dire  cette  nou\eIlc,  qu'on  la  lui  chante.  » 
Cette  princesse,  sollicitée  de  protéger  Éléonora,  qu'on  vient 
de  conduire  à  la  liastille,  répond  encore  :  «  Je  suis  assez 
embarrassée  de  moi-même  :  qu'on  ne  me  parle  plus  de  ces 
gens-là  ;  je  le-s  ai  avertis  du  malheur  où  ils  se  sont  précipités. 
Que  ne  suivaient-ils  mes  avis  !  » 

Éléonora  était  «  accusée  de  judaïsme,  d'avoir  sacrifié  un 
coq  suivant  le  rit  de  la  synagogue  ;  de  magie ,  de  sortilège, 
d'avoir  ensorcelé  la  reine,  d'avoir,  dans  ses  cachettes,  des 
talismans,  des  figures  de  cire,  des  symboles,  des  écrits  mer- 
veilleux ;  d'avoir  fait  venir  d'Italie  des  moines ,  de  s'être 
enfermée  secrètement  avec  eux  pour  des  opérations  de 
magie  ;  d'avoir  exorcisé  avec  eux,  la  nuit ,  dans  des  églises , 
d'y  avoir  fait  tuer  un  coq  et  des  pigeons,  dont  le  sang  et 
le  corps  devaient ,  sacrilège  exécrable ,  servir  à  raffermù" 
sa  santé  ébranlée.  »  Elle  ne  répondit  aux  questions  qui  lui 
furent  adressées  sur  ces  inculpations  absurdes  qu'avec  l'ac- 
cent de  l'indignation  et  du  mépris ,  et  quant  au  reproche 
d'avoir  ensorcelé  la  reine-mère  et  aux  moyens  qu'elle  aurait 
employés  pour  y  parvenir,  elle  répondit  «  n'avoir  employé 
que  le  pouvoir  ordinaire  et  naturel  qu'a  un  gâiie  supérieur 
sur  un  esprit  médiocre  ».  Interrogée  sur  la  mort  d'Henri  IV, 
elle  s'expliqua  sur  toutes  les  questions  avec  une  fermeté  et 
une  précision  qui  étonnèrent  ses  juges.  On  lui  demanda 
«  d'où  elle  avait  reçu  aAis  d'avertir  le  roi  de  se  garder  du 
péril  ;  pourquoi  elle  avait  dit  avant  l'événement  qu'il  ar- 
riverait bientôt  de  grands  changements  dans  le  royaimie; 
pourquoi  elle  avait  empêché  de  rechercher  les  auteurs  de 
l'assassinat  ».  Ellesatistit  àtoutes  ces  interpellations  en  niant 
certaines  circonstances,  en  expliquant  les  autres  de  manière 
à  écarter  tout  soupçon  contre  elle-même ,  et  surtout  contre 
la  reine-mère,  qu'on  voulait  impliquer  dans  cette  affaire. 
Éléonora  fit  preuve  d'une  grande  générosité  et  d'un  grand 
dévouement  pour  sa  bienfaitrice  ;  elle  avait  ainsi  expié  tous 
les  torts  de  sa  vie. 

En  somme  on  écartait ,  dans  ce  procès ,  tout  ce  qu'il  y 
avait  de  réellement  grave,  tout  ce  qui  pouvait  justifier  une 
condamnation ,  comme  les  actes  nombreux  de  cupidité  de 
la  favorite,  ses  concussions  flagrantes,  ses  intelligences  avec 
l'étranger  ;  et  les  juges  s'arrêtaient  précisément  à  tout  ce 
que  la  cause  présentait  d'absurde.  De  Luynes  ,  ses  frères  et 
deux  personnes  de  qualité,  parmi  lesquelles  on  a  supposé  le 
duc  de  Bellegarde,  sollicitaient  avec  instance  une  con- 
damnation. Cinq  juges  s'abstinrent  de  voter;  le  rapporteur 
Deslandes  déclara  qu'il  ne  pouvait  conclure  contre  l'accusée. 
Enfin,  le  8  juillet  1617,  au  moment  où  l'arrêt  allait  être 
prononcé,  Éléonora  demanda  à  rester  couverte  de  ses  coiffes 
pendant  sa  lecture  ;  on  refusa  d'obtempérer  à  ce  vœu  ,  et 
ce  fut  la  tète  découverte  qu'elle  dut  ouïr  la  sentence,  «  qui, 
après  l'avoir  déclarée  atteinte  et  convaincue  du  crime  de 
lèse-majesté  divine  et  humaine ,  la  condamnait  à  avoir  la 
tête  tranchée,  être  son  coi-ps  ard,  brusié  et  réduit  en  cen- 
dres, jetées,  puis  après,  au  vent  ».  La  malheureuse,  qui 
s'attendait ,  tout  au  plus ,  à  l'exil ,  s'écria  en  entendant  cet 
arrêt  :  Oimè  poveretta!  Puis  elle  prétendit  qu'elle  était 
enceinte  ;  mais  elle  se  rétiacta  dès  qu'un  des  juges  lui  eut 
rappelé  qu'elle  avait  repoussé  la  responsabilité  des  fautes 
de  Concini,  en  alléguant  que  depuis  deux  cns  elle  vivait 
fort  mal  avec  son  mari  et  n'exerçait  plus  d'influence  sur 
lui.  L'abattement,  le  désespoir  étaient  passés;  elle  avait 
pu  pleurer;  elle  avait  repris  tout  son  courage;  elle  accep- 
tait sa  destinée  avec  une  admirable  résignation.  «  Jamais 
dit  un  témoin  oculaire,  je  ne  vis  personne  qui  eut  un 
visage  plus  résolu  à  la  mort.  « 

DICT.    DE   LA   CONVURS.  —  T.    I. 


AXCYRE 


â4S 


Quand  ,  le  jour  même  de  b  condamnation  ,  elle  sortit  do 
la  Conciergerie  pour  monter  sur  la  fatale  charrette,  elle  dit 
doucement  à  la  vue  de  la  foule  :  «  Que  de  peuple  pour  voir 
une  pauvre  afiligée  !  »  Et  faisant  claquer  l'ongle  de  son  pouce 
sur  ses  dents  :  «  lîah  !  ajoule-t-elle  ,  je  me  soucie  aussi  peu 
de  la  mort  que  de  çà  !  »  La  foule  était  morne  et  silencieuse. 
A  la  haine  avait  succédé  la  pitié,  et  Éléonora  ne  (ut  point 
abattue  à  l'aspect  de  l'échafaud  et  du  bûcher  ;  elle  ne 
montra  ni  audace  ni  frayeur.  C'était  la  tranquille  rési- 
gnation d'une  Ame  forte  cédant  à  sa  destinée.  Elle  avait 
survécu  à  sa  fille ,  qui  était  morte  peu  de  temps  après 
l'assassinat  du  maréchal.  Cette  fin  prématurée  ne  parut 
point  naturelle.  Son  fils,  dégradé  de  sa  noblesse,  comme 
nous  l'avons  vu  à  l'article  de  son  père,  se  retira  à  Florence  : 
une  rente  de  quatorze  mille  éc.is ,  dont  le  capital  avait  été 
placé  dans  cette  ville  par  Concini ,  fut  l'unique  débris  qu'il 
recueillit  de  son  immense  fortune.  Le  frère  de  Galigaï ,  ar- 
chevêque de  Tours  et  abbé  de  Marmoutiers ,  se  démit  de 
ces  deux  grands  bénéfices ,  et  alla  finir  ses  jours  en  Italie. 
DiFEY  (de  l'Yonne). 
AJVCUS  MARCIUS  fut  le  quatrième  roi,  ou  iilutùt  le 
quatrième  héros  de  l'épopée  de  Rome.  11  était  fils  de  Nurua 
Marcius,  gendre  du  roi  Numa,  sous  lequel  il  avait  été  le 
premier  des  grands  pontifes.  Ancus  réunissait,  selon  les 
légendes,  les  qualités  qui  avaient  illustré  Romulus  et  ^tima  : 
il  fut  grand  capitaine,  comme  le  premier;  législateur  et 
religieux,  comme  son  aïeul.  L'an  r.'iO  avant  J.-C.  il  fit  la 
guerre  aux  Véiens.  aux  Latins,  aux  Fidéuates,  au\  Volsques, 
aux  Sabins,  sur  lesquels  il  conquit  plusieurs  villes,  agrandit 
le  territoire  de  Rome,  qu'il  recula  jusqu'à  la  mer,  établit  le 
premier  pont  permanent  sur  le  Tibre,  joignant  le  Janicule  à 
la  \iUe,  renferma  dans  l'enceinte  de  la  capitale  les  monts  de 
Mars  et  Aventin,  et  fonda  la  colonie  d'Ostie,  à  l'embouchure 
du  ficuve.  Mais  le  principal  titre  d'Ancus  à  la  vraie  gloire  fut 
d'aAoir  été  l'organisateur  ou  plutôt  le  créateur  de  la  plèbe 
de  Rome,  cette  commune  longtemps  exclusivement  com- 
posée de  cultivateurs  laborieux,  probes  et  vaillants,  la  gloire 
et  l'ornement  des  beaux  siècles  de  la  république. 

Les  rois  Romulus  et  Tullus  Hostilius  avaient  conquis  des 
villes  dont  le  teiTitoire  avait  été  réuni  à  celui  de  Rome,  et 
la  population  forcée  de  venir  habiter  la  ville  victorieuse,  où, 
par  sa  position  même,  elle  était  obligée  de  subir  la  clientèle 
ou  le  servage  de  l'aristocratie  patricienne,  et  ne  formait  pas 
une  corporation  organisée  qui  eût  ses  magistrats,  ses  lois 
et  ses  droits.  Ancus  créa  cette  corporation  en  faisant  distri- 
buer aux  citoyens  des  peuples  vaincus  les  terres  qu'il  avait 
conquises,  et  en  leur  assignant  pour  habitation  dans  Rome 
les  vallées  non  encore  occupées,  entre  les  monts  Aventin, 
Cœlius  et  Palatin,  où  ils  se  bâtirent  de  nouvelles  demeures. 
Là  ils  furent  organisés  en  une  corporation  libre  ,  mais  pri- 
vée encore  des  droits  actifs  de  la  cité,  qui  restèrent  au  pa- 
triciat. 

Ancus  régna  vingt-quatre  ans;  l'histoire  se  tait  sur  le 
genre  de  sa  mort  et  sur  le  sort  de  ses  fils,  qui  ne  lui  succé- 
dèrent pas.  Il  y  a  ici  dans  les  annales  do  Rome  une  lacune 
d'environ  trente  ans,  qui  dut  être  remplie  par  le  règne  d'au 
moins  deux  princes  étrusques  conquérants.  Les  annales  des 
pontifes  l'ont  fait  disparaître,  en  prolongeant  outre  mesure 
les  règnes  des  cinquième  et  sixième  rois ,  et  en  donnant  une 
fausse  origine  au  premier  desTarquins.  C'est  également  ainsi 
qu'elles  ont  effacé  la  domination  réelle  de  Porsenna,  après 
la  prise  de  Rome.  Le  général  G.  de  Vaudoncourt. 

AXCYllE,  aujourd'hui  Angouri,  Angora,  Angourich, 
Engcnir  ou  Eiicora/i,  ville  de  l'Asie  jMineure,  primitive- 
ment capitale  des  Tectosages,  «ne  des  trois  grandes  tribus 
gauloises  de  la  Galatie,  au  nord-est  du  lac  de  Cenascis,  de- 
vint sous  ISéron  capitale  de  toute  la  Galatie ,  et  fut  posté- 
rieurement le  chef-lieu  de  la  Galatie-Salutaire.  Caracalla  lui 
avait  donné  le  nom  ôWnlonine.  Il  y  fut  tenu,  en  31.'),  un 
concile,  qualifié  aussi  saint  synode,  dans  lequel  il  fut  qucs- 


546 


ANCYRE  —  ANDELOT 


tion  des  pénitences,  des  fonctions  cléricales  et  du  célibat  des 
prêtres.  Très  de  cette  ville,  Bajazet,  sultan  des  Turcs  ot- 
tomans, fut  vaincu  et  pris,  en  1402,  par  ïamerlan,  (jui 
l'enferma  dans  une  cage  de  fer  et  le  traîna  ainsi  à  la  suite 
de  son  armée.  On  retrouve  de  nos  jours  dans  cette  ville 
et  aux  environs  bon  nombre  de  ruines,  entre  autres,  du 
côté  de  la  porte  de  Smyrne,  celles  d'un  temple  d'Auguste, 
dans  lequel  on  lit  le  testament  de  ce  prince  sur  six  colonnes, 
inscription  connue  sous  le  nom  de  monument  (ÏAncyre. 

ANDALOUSIE  {Andalucia) ,  ancienne  division  poli- 
tique d'Espagne,  formant  aujourd'hui  le  ressort  d'une  capi- 
tainerie générale.  Son  nom,  dérivé  de  VandaUiia ,  parait 
avoir  pour  origine  le  séjour  passager  qu'y  tirent  les  Vandales 
avant  leur  émigration  en  Afrique.  C'est  la  BéUque  des  an- 
cien», et,  outre  le  peuple  que  nous  venons  de  citer,  elle  a 
été,  avant  eux  ou  plus  tard,  successivement  lia'oitée  par 
tes  Phéniciens,  les  Carthaginois,  les  Romains,  les  Gotlis, 
les  Visigoths,  les  Suèves,  les  Alains  et  les  Maures  d'Afri- 
que. Située  sur  la  Méditerranée  et  sur  l'Océan ,  dans  le  plus 
beau  climat  du  monde ,  entre  le  36"  et  le  3s"  de  latitude 
nord ,  elle  comprend  ce  que  sous  la  domination  des  Maures 
on  appelait  les  quatre  royaumes  de  Jaen,  Cordoue,  Grenade 
et  Séville,  royaumes  à  cette  époque  si  peuplés,  si  éclairés 
et  si  riches.  Elle  se  divise  maintenant  en  cinq  intendances 
civiles  :  Séville,  Huelva,  Cadix,  Cordoue  et  Jaen. 

L'Andalousie,  dont  Séville  est  la  capitale,  est  bornée 
au  nord  par  l'Estramadure  et  la  Manche ,  à  l'est  par  les 
provinces  de  Murcie  et  de  Grenade ,  au  sud  par  cette  der- 
nière et  le  détroit  de  Gibraltar,  à  l'ouest  par  le  Portugal. 
S'il  est  dans  l'Europe  chrétienne  ime  contrée  qui  mieux 
que  toute  autre  ait  conservé,  en  dépit  des  siècles,  sa 
physionomie  propre  et  résisté  à  l'esprit  d'imitation ,  c'est 
l'Andalousie,  contrée  moins  originale  encore  par  l'aspect 
des  lieux  et  par  ses  produits  naturels  que  par  le  caractère 
et  les  mœurs  de  ses  habitants.  Celte  originalité  tient  à  trois 
causes  principales,  le  climat,  la  nature  du  pays  et  sur- 
tout le  séjour  de  huit  siècles  qu'y  ont  fait  les  Arabes.  De 
ce  contact  est  résulté  dans  les  mœurs ,  dans  les  habitudes, 
dans  le  sang  même ,  un  élément  oriental  qui  ne  s'effacera 
pas  de  si  tôt. 

Les  Andalous  sont  passionnés  pour  la  danse,  passion  qui, 
chez  eux,  ne  le  cède  qu'à  l'amour  des  combats  de  taureaux. 
Que  quelqu'un  s'avise  de  racler  une  guitare,  qu'un  autre 
fasse  bruire  des  castagnettes  ou  un  pandcro  (  tambour  de 
basque),  et  voilà  le  bal  engagé,  avec  son  interminable  série 
de  cachuchaSyàe  boléros,  de  fandangos ,  de  seguedillas; 
mais  la  corrida,  la  ioromaquia  ont  pour  ces  natures 
avides  d'émotion  des  attraits  plus  séduisants  encore.  C'est 
en  Andalousie  qu'on  trouve  les  plus  belles  races  de  taureaux 
et  de  chevaux  de  rEspag.ne  ;  c'est  là  que  naissent  les  meil- 
leurs toreadores.  Romero,  Ortiz,  Montés  étaient  Andalous. 

Arrosée  par  le  Guadalquivir,  qui  la  traverse  dans  toute 
sa  longueur,  et  par  la  Guadiana,  qui  la  sépare  du  Portugal, 
l'Andalousie  est  la  plus  fertile  province  d'Espagne.  Ses  su- 
perbes plaines,  ou  vegas,  ressemblent  à  de  vastes  jardins  : 
on  y  récolte  du  blé,  de  Torge,  d'excellents  légumes,  du 
coton,  de  la  cire,  de  la  cochenille,  du  sucre,  du  miel, des 
huiles,  des  oranges,  des  citrons,  des  figues,  des  amandes 
et  les  vins  délicieux  de  Xérès,  IMalaga  et  Pajarète.  Outre 
de  beaux  pâturages,  qui  tapissent  leurs  versants,  les  monta- 
gnes recèlent  dans  leurs  entrailles  des  mines  qui  tentèrent 
la  convoitise  des  Phéniciens,  des  Carthaginois,  des  Romains, 
mais  dont  on  n'extrait  plus  aujourd'imi  que  du  plomb ,  de 
la  soude,  du  mercure,  du  cuivre,  du  fer,  de  l'aimant  et 
quelques  pierres  fines.  Là  paissent  de  magnifiques  trou- 
peaux de  mérinos ,  dont  les  fines  toisons  enrichiraient  tout 
autre  peuple  ;  mais  l'.\ndalou  est  paresseux  et  pauvre  :  l'in- 
«lustrie  que  lui  avait  léguée  l'Arabe  a  disparu ,  et  il  reste 
à  peine  quelques  tracer,  de  ses  merveilles  d'agriculture  et 
de  jardinage. 


Plusieurs  chaînes  sillonnent  le  territoire  de  l'Andalousie; 
les  plus  remarquables  sont  la  Sierra  Morena  (la  Cordil- 
lère-Sombre),  la  Sierra  de  Grenade  et  la  Sierra  Nevada 
(la  Cordillère  Neigeuse).  Certains  de  leurs  massifs  attei- 
gnent la  limite  des  neiges  perpétuelles ,  et  pourtant  il 
fait  généralement  chaud  dans  cette  capitainerie,  et  l'on  com- 
pare le  climat  d'Ecija  à  celui  du  Sénégal.  Ce  sont  des  co- 
teaux africains  couverts  de  myrtes ,  de  térébinthes,  de  len- 
tisques,  de  palmiers,  d'agaves  et  de  bananiers.  La  genette, 
le  caméléon ,  le  porc-épic ,  le  singe  viennent  encore  témoi- 
gner d'une  intime  ressemblance  avec  la  plage  algérienne;  et 
le  proverbe  castillan  répète  :  «  Ici  il  faut  marcher  la  nuit 
et  dormir  le  jour.  » 

L'Andalousie,  qui  compte  à  peine  1,200,000  habitants, 
disséminés  sur  une  surface  de  440  kilomètres  de  long  sur 
2G0  de  large  (70,000  kilomètres  carrés),  en  possédait  au- 
trefois presque  autant  dans  le  moindre  de  ses  quatre  royaumes 
Les  villes  principales  de  cette  capitainerie  sont  Séville 
Cadix,  Cordoue,  Jaen,  Alméria,  Grenade,  Malaga  et  Huelva. 
Son  commerce  maritime  est  en  décadence  depuis  la  perte 
de  la  plupart  des  colonies  américaines  de  l'Espagne  et  depuis 
les  guerres  intestines  qui  ont  ••avagé  son  territoire  européen. 
ÂIVDAMAJV  (lies  d').  Archijjcl  de  quatre  îles  principa- 
les, de  huit  moindres  et  de  plusieurs  îlots  ou  rochers.  Les 
trois  plus  grandes  forment  la  prétendue  île  grande  Anda- 
vwn  des  géographes;  l'autre,  la  plus  méridionale,  est 
connue  sous  le  nom  de  petite  Andaman.  L'Ile  Barren,  qui 
est  déserte ,  est  remarquable  par  son  volcan.  Le  groupe 
entier  est  situé  dans  le  golfe  du  Bengale ,  entre  le  cap  >'e- 
grais,  dans  l'empire  Birman,  et  l'extrémité  nord-ouest  de  l'île 
de  Sumatra,  par  90  et  92"  de  longitude  orientale  et  10  et  13" 
de  latitude  méridionale.  On  y  trouve  beaucoup  de  bois  rares 
et  les  principaux  arbres  fruitiers  des  climats  tropicaux  ;  les 
singes  et  les  perroquets  y  abondent;  et  l'on  recueille  beaucoup 
de  coquillages  sur  les  côtes ,  entrecoupées  de  baies.  Les 
étabHssements  que  les  Anglais  y  avaient  tentés  en  171)1  ont 
été  abandonnés,  à  cause  de  l'insalubrité  du  sol,  proihiite 
par  huit  mois  de  pluie  presque  continuelle.  Après  l'insur- 
rection des  Indes  de  1857,  les  Anglais  transportèrent  aux 
îles  d'Andaman  lesCipayes  révoltés  auxquels  ils  firent  grâce 
delà  vie.  Ces  îles,  que  les  Arabes  ont  connues  dès  le  neuvième 
siècle,  sont  habitées  par  une  race  de  nègres  anthropopha- 
ges paraissant  se  ratiacher  par  leur  langue,  qui  n'a  aucun 
rapport  avec  les  dialectes  indiens  ou  indo-chinois,  à  la  grande 
famille  des  nègres  océaniens  répandus  dans  la  Nouvelle-Gui- 
née et  jusqu'à  la  terre  de  'Van-Diémen.  Les  voyageurs  n'en 
évaluent  pas  du  reste  le  nombre  à  plus  de  deux  ou  trois 
mille.  Rusés  et  vindicatifs,  fourbes  et  cruels,  ces  sauvages, 
qui  sont  à  peine  vêtus ,  se  nourrissent  de  coquillages  et  d« 
poissons,  mais  ne  dédaignent  ni  les  serpents  ni  les  lézards, 
ni  les  rats,  et  sont  remarquables  par  leur  laideur  autant 
que  par  l'état  d'abrutissement  complet  dans  lequel  ils  vivent, 
sans  témoigner  le  moindre  désir  d'en  sortir. 

AIVD^VNTE  (participe  présent  du  verbe  italien  andare, 
aller).  Ce  mot  placé  en  tète  d'un  morceau  de  musicpie  in- 
dique le  second  des  trois  principaux  mouvements ,  savoir 
le  m  0  u  V  e  m  e  n  t  modéré,  tendant  à  la  lenteur  et  tenant 
le  milieu  entre  Vallegro  et  le  largo.  On  emploie 
aussi  ce  terme  substantivement  pour  désigner  le  morceau 
même  qui  doit  être  exécuté  andante,  et  l'on  dit  Vandante 
d'un  air,  d'une  symphonie,  etc.  On  a  même  pris  l'habitude 
à  l'égard  de  la  musii[ue  instrumentale  d'appeler  andante  le 
second  mouvement  de  la  symphonie,  du  quatuor,  du  duo, 
de  la  sonate,  etc.,  parce  qu'il  est  toujours  plus  lent  par  rap- 
port au  premier,  qui  est  toujours  un  allegro. 

Le  diminutif  de  l'andante  est  Yanduntino,  qui  s'exécute 

avec  un  peu  plus  de  rapidité,  mais  toujours  sans  vitesse. 

AXDELOT  ou  ANDELAU  (Traité  d').  Andelot  est  un 

petit  bourg  de  Prance,  sur  le  Rognon,  dans  la  Haute-Marne, 

situé  à  16  kilomètres  nord-est  de  Chaurnont  et  peuplé  de 


ANDELOT 

1,100  liabMants;  il  est  cc^lèbrc  jiar  le  traité  qui  y  fut  signé 
en  5!>7  entre  CliiklelHHt  11,  roi  d'Austrasie,  Urunehaiit,  nu'^rc 
tle  ce  prince,  et  Contran,  roi  de  l^iirgo^nie,  son  oncle.  Les 
«leux  rois ,  un  instant  divisés,  se^  réconcilièrent,  se  garan- 
tirent aide  et  protection  juutiicllcs,  k  se  rendirent  réciproque- 
ment les  leudes  qui,  à  la  larcur  des  désordres  du  temps, 
avaient  passé  d'un  royaume  dans  l'autre.  Ce  qui  rend  sur- 
tout ce  traité  remarquable ,  c'est  qu'on  y  trouve  les  pre- 
niifîres  traces  de  l'iiérédité  dos  fiefs;  c'est  le  premier  pas 
fait  dans  cette  voie  qui  aboutit  au  système  féodal.  Grégoire 
de  Tours  nous  a  conservé  ce  traité  en  entier  (IX,  20). 

ANDELYS(Les),  ville  du  département  de  l'Eure,  fonnée 
de  la  réunion  de  deux  petites  villes ,  le  Grand- Andelij  et 
le  PctU-Andehj ,  chef-lieu  de  l'arrondissement  de  ce  nom, 
à  24  kilomètres  de  Rouen ,  près  de  la  rive  droite  de  la 
Seine;  population  5,026  habitants.  On  y  fabrique  des 
draps  fins  et  de5  casimîrs ,  de  la  bonneterie  de  coton , 
des  lacets  et  des  ganses  de  soie ,  etc.  Son  principal  com- 
merce consiste  en  bestiaux ,  grains ,  laines ,  toiles ,  écailles 
d'ablettes  ponr  perles  fausses,  etc.  —  Le  Grand-Andely 
doit  son  origine  à  une  abbaye  de  filles,  fondée  en  511  par 
Clotilde,  épouse  de  Clovis.  Les  Normands,  remontant  la 
Seine,  dans  leurs  excursions,  la  détruisirent,  à  la  lin  du 
neuvième  siècle.  C'est  là  qu'Antoine  de  Bourbon,  père 
de  Henri  IV,  blessé  mortellement  au  siège  de  Rouen,  rendit 
le  dernier  soupir,  en  1562.  Là  naquit  aussi,  en  1594,  le 
grand  peintre  Nicolas  Poussin,  dont  cette  ville  possède 
aujourd'hui  la  statue.  —  Le  Petit-Andely,  situé  sur  la  rive 
droite  de  la  Seine,  à  un  kilomètre  au  sud-ouest  du  grand 
Andely ,  est  dominé  par  des  ruines  intéressantes,  que  les 
archéologues  vont  souvent  visiter.  Ce  sont  celles  du  fameux 
Château-Gaillard,  bâti  par  Richard  Cœur  de  Lion  et  déman- 
telé par  ordre  de  Louis  XIIL 

ANDERLOIXI  (Piétro),  graveur  célèbre,  né  le  12  oc- 
tobre t7&4,  à  Santa-Eufemia,  dans  le  Bressan,  suivit  la 
carrière  de  son  père,  Faustino,  et  se  consacra  à  un  art  dont 
il  devint  un  des  premiers  maîtres.  Dès  l'âge  de  douze  ans 
il  étudia  l'architecture  sous  Paolo  Talazzi;  jmis,  indécis 
encore  entre  la  peintiu-e  et  la  gravure ,  il  se  décida  pour 
cette  dernière,  d'après  les  conseils  de  son  père ,  qui  le  fit 
travailler  avec  lui  auxplanches^u  Traité  de  l'Anévrisnie  de 
Scarpa,  travail  au  moyen  duquel  il  acquit  cette  facilité  de  bu- 
rin qui  le  rend  surtout  remarquable.  A  vingt  ans  il  entra  dans 
l'atelier  de  Longhi,  où  il  demeura  neuf  ans.  Ses  rapides  suc- 
cès lui  valurent  deux  fois  le  prix  au  grand  concours ,  et 
quand  il  ne  douta  plus  du  degré  de  supériorité  de  son  ta- 
lent ,  il  se  décida  à  publier  quelques  œuvres  sous  son  nom. 
Les  amis  des  arts  admirent,  outre  ses  portraits  deCanova 
et  de  Pierre  le  Grand ,  son  Moïse  et  sa  fille  de  Jéthro 
d'après  le  Poussin  ;  sa  Vierge ,  d'après  Raphaël ,  et  son 
œuvre  capitale,  sa  Femme  adultère  du  Titien.  Il  était  de- 
puis 1831  directeur  de  l'école  de  gravure,  de  Milan,  lorsqu'il 
mourut  le  13  octobre  1849.  —  Faustino  Andeki.oni,  son 
frère,  est  auteur  d'un  portrait  de  Herder,  d'une  Madeleine 
d'après  Le  Corrége,  d'une  Sainte  Famille  d'après  Le  Pous- 
sin, d'ime  Mater  amabilis  d'après  Sasso-Ferato ,  etc. 

ANDERIVACH,  petite  ville  de  la  province  rhénane  de 
Prusse,  dans  le  cercle  de  Coblent/.,  située  à  13  kilomètres  de 
cette  ville,  sur  la  rive  gauche  du  Rhin ,  à  peu  de  distance  de 
l'embouchure  de  la  Nette.  Les  Romains ,  qui  y  avaient  cons- 
truit un  château  fort,  l'appelaient  Antunnacinim  ante  Ne- 
tam;  elle  devint  ensuite  la  résidence  des  rois  mérovingiens; 
puis ,  sous  la  domination  des  électeurs  de  Cologne ,  l'une 
des  plus  florissantes  cités  des  bords  du  Rhin.  La  toiu-  gi- 
gantesque qui  s'élève  à  l'extrémité  nord  de  cette  ville, 
chef-d'd'uvre  de  l'art  ancien  de  la  fortification,  sa  vieille  et 
magnifique  église,  dont  la  tour  du  chœur  est  de  construc- 
tion carlovingienne,  ses  vénérables  murailles  et  ses  portes 
gothiques,  donnent  à  Andernach  un  cachet  de  moyen  âge 
tout  particidier.  Les  seuls  débris  bien  authentiques  de  ses 


ANOERSON 


647 


anciennes  constructions  romaines  sont  peut-être  les  statues 
placées  sous  la  porte  du  Rhin.  Sons  ses  murs  fut  livrée,  en 
S76 ,  une  mémorable  bataille,  où  Charles  le  Chauve  fut  dé- 
fait par  les  fils  de  Louis  le  Germanique. 

Cette  ville  compte  3,200  habitants;  elle  est  le  centre  d'un 
commerce  de  cuirs,  de  grains  et  de  vins  assez  cactif  ;  mais  sa 
principale  industrie  consiste  dans  l'exploitation  des  meules 
du  Rhin,  production  volcaniquedont  les  auteurs  romains  font 
déjà  mention,  et  qui  s'expédient  non-seulement  pour  la  Hol- 
lande et  pour  l'Angleterre  ,  mais  jusqu'en  Amérique  et  aux 
grandes  Indes ,  et  du  trass ,  espèce  particulière  de  tuf  vol- 
canique qu'on  tire  des  carrières  voisines ,  et  qui,  pilé  et  mêlé 
dans  une  proportion  convenable  avec  de  la  chaux,  produit 
un  mortier  résistant  à  l'eau  et  formant  une  pierre  nouvelle 
extrêmement  durable.  La  Hollande ,  à  cause  de  ses  nom- 
breuses constructions  hydrauliques,  est  le  principal  marché 
du  trass  d' Andernach. 

ANDERSEN  (Hans-Christivn),  l'un  des  littérateurs 
danois  contemporains  les  plus  remarquables,  est  né  en  1805, 
à  Odensée,  en  Fionie.  11  s'est  essayé  avec  un  égal  succès  dans 
divers  genres ,  et  est  auteur  de  nombreux  romans  qui  tous 
ont  été  traduits  en  allemand ,  ainsi  que  de  divers  djames  et 
vaudevilles ,  représentés  avec  succès  sur  le  théâtre  de  Co- 
penhague. 

Fils  d'un  pauvre  cordonnier,  Andersen ,  pour  paiTenir  à 
faire  son  éducation  littéraire ,  a  eu  à  lutter  contre  tous  les 
obstacles  dont  le  talent  triomphe  quand  il  est  uni  à  une 
volonté  ferme ,  à  une  persévérance  que  rien  n'abat  ni  ne 
décourage.  Protégé  par  Baggesen ,  il  s'était  d'abord  destiné 
à  la  scène  ;  mais  le  directeur  du  grand  théâtre  de  Copenhaguo 
s'opposa  à  ses  débuts ,  prétendant  qu'il  était  trop  maigre. 
W  songea  alors  à  tirer  parti  d'une  voix  assez  fraîche,  et  déjà 
il  donnait  quelques  espérances  comme  chanteur,  lorsqu'une 
maladie ,  en  lui  enlevant  la  voix,  vint  détruire  l'avenir  qu'il 
entrevoyait  conome  récompense  d'un  travail  opiniâtre  ;  il  lui 
fallut  recommencer  toute  sa  carrière. 

Œhlenschlager,  Œrstedt,  Ingemann,  d'autres  encore,  qui 
avaient  reconnu  en  lui  de  rares  dispositions  pour  la  poésie , 
s'entremirent  généreusement  pour  lui  faire  obtenir  du  gou- 
vernement les  moyens  d'aller  perfectionner  ses  études  en 
Allemagne ,  en  France  et  en  Italie.  Au  retour  de  ce  voyage , 
entrepris  dans  les  années  1833  et  1834,  il  publia  sous  le 
titre  à' Improvisatoren ,  un  poème  qui  brille  par  un  coloris 
chaudement  itahen ,  et  qui  renferme  les  tableaux  les  plus 
suaves  et  les  plus  charmants  de  la  vie  des  hommes  du  Nord. 
Cette  œuvre  fut  le  fondement  d'une  réputation  qui  n'a  fait 
que  s'accroître  depuis ,  et  est  devenue  populaire  dans  toute 
la  Péninsule  Scandinave. 

ANDEUSON  (Laurent)  ou  ANDREJE,  né  en  Suède, 
en  1480,  de  parents  pauvres,  entra  dans  les  ordres,  et  plus 
tard  contribua  à  intioduire  dans  sa  patrie  la  réforme  leli- 
gieuse  opérée  par  Luther  en  Allemagne.  Devenu  chancelier 
de  Gustave  Wasa,  il  fit  déclarer  en  1527,  par  la  diète  de 
Westéras ,  ce  prince  chef  de  l'Église  de  Suède.  Compromis 
plus  tard  dans  une  conspiration  contre  la  vie  du  roi,  dont  il 
aurait  été  instruit  et  qu'il  aurait  négligé  de  révéler,  il  fut 
condanmé  à  mort,  peine  qui  fut  commuée  en  une  forte 
amende,  moyennant  le  payement  de  laquelle  Anderson  put 
désormais  vivre  dans  la  retraite.  Il  mourut  en  1552.  Ander- 
son avait  acquis,  dans  ses  voyages  à  l'étranger,  des  connais- 
sances très-variées  ;  et  il  avait  mérité  par  la  finesse  de  son 
esprit  le  surnom  d'Érasme  suédois.  Sa  traduction  de  la 
Bible  en  langue  suédoise,  publiée  dès  1526,  est  regardée 
comme  un  chef-d'œuvre. 

ANDERSOIV.  Plusieurs  écrivains  étrangers  ont  porté  ce 
nom.  Adam  Anderson,  qui  a  vécu  dans  le  siècle  dernier, 
apubiiéune  histoire  assez  estimée  du  commerce  de  la  Grande- 
Bretagne,  ouvrage  qui  a  eu  les  honneurs  d'une  seconde  édi- 
tion en  1801.  —  /fl?Hes  Anderson,  né  en  1739,  mort  en  1808, 
s'est  rendu  célèbre  par  ses  ouvrages  agronomiques,  dont  le 


54  s 


ANDKRSON  -  ANDORRE 


iiiérite  engajîoa  la  Soci(''(i5  Royale  de  Londres  à  appeler  rail- 
leur dans  son  sein.  L'Ecosse,  où  il  était  né,  non  loin 
(rj'.dimboiug ,  lui  dut  aussi  Tainélioralion  des  pêcheries 
qu'on  trouve  sur  sa  côte  septentrionale.  —  Georges  Anderson, 
né  en  Allemagne  dans  les  premières  années  du  dix-septième 
siècle,  exécuta  pour  le  compte  du  duc  de  Ilolstein  différents 
voyages  en  Orient,  en  Chine,  au  Japon,  dont  la  relation  a 
été  publiée  par  Olivarius,  eu  1CC9,  à  Schleswig. 

AI\DEltSOi\  (CuAitM;s-JEAN),  voyageur  suédois  dans 
l'intérieur  de  l'Atriiiue,  a  %isilé  le  pays  des  Ovanipos,  re- 
connu le  lac  Niiaiiii,  et  découvert  la  rivière  Birihi  en  18j4. 
Son  voyage  a  été  imprimé.  H  ei-t  retourné  dans  le  même 
pays  en  1838  et  a  parcouru  la  rivière  Cuuèae.  Z. 

ANDES.  Voyez.  Coiîdillèues. 

AI\UOC!DE,  orateur  et  général  athénien.  Il  appar- 
tenait à  une  illustre  f;miillc,  et  son  père  se  nonimait  Léo- 
goras.  Son  bisaïeul,  appelé  aussi  Léogoras,  avait  commandé, 
avec  Chabrias,  les  troupes  envoyées  par  les  Athéniens 
contre  Pisistrate.  Ké  en  4G8  av.  J.-C,  Andocide  fut,  dans 
sa  première  jeunesse,  l'un  des  négociateurs  de  la  paix  de 
trente  ans  qui  précéda  la  guerre  du  Péloponnèse  ;  plus  tard, 
il  commanda,  avec  Glaucon,  la  flotte  que  les  Athéniens 
envoyèrent  au  secours  de  Corcyre,  menacée  par  les  Corin- 
thiens. Lorsque  Alcibiade  fut  accusé  d'avoir  profané  les 
mystères  d'Eleusis  et  renversé  les  statues  de  Mercure,  An- 
docide fut  impliqué  dans  ce  procès  criminel,  et  ne  se  tira 
d'embarras  qu'en  dénonçant  lés  coupables.  Phoiius  rapporte 
que  parmi  eux  était  son  père  Léogoras,  mais  que,  grâce  à 
son  talent  d'orateur,  il  parvint  à  le  sauver.  Cet  auteur  est 
celui  qui  nous  donne  le  plus  de  notions  sur  la  vie  d'Ando- 
cide,  qui  se  livra  au  commerce  et  se  rendit  à  Salamine  au- 
près du  roi  Évagoras,  auquel,  dit-on,  il  livra  la  fille  d'Aris- 
tide, après  l'avoir  enlevée  d'Athènes.  11  rentra  dans  sa  patrie 
pendant  la  tyrannie  des  Quatre  cents,  fut  mis  en  prison,  et 
réussit  à  s'évader.  Les  Trente  l'exilèrent  une  seconde 
fois,  et  il  ne  revint  que  quand  le  peuple  eut  repris  le  dessus. 
L'accusation  d'impiété  fut  renouvelée  ;  mais  il  ne  fut  point 
condamné.  On  prétend  qu'il  mourut  dans  l'exil,  n'ayant 
o9é  revenir  d'une  ambassade  à  Sparte,  dans  laquelle  il  avait 
échoué. 

Nous  avons  quatre  discours  attribués  à  cet  orateur; 
deux  seulement  paraissent  lui  appartenir  :  l'un  est  relatif 
aux  mystères  d'Eleusis  et  à  son  procès  ;  le  second  a  trait  à 
sa  seconde  rentrée  à  Athènes.  Dans  son  Histoire  de  la  Lit- 
térature grecque,  Schœll  n'élève  point  ('.e  doute  sur  l'au- 
thenticité des  troisième  et  quatrième  discours  ;  cependant, 
il  est  évident  que  le  troisième  a  été  prononcé  par  un  autre 
Andocide,  puisqu'il  qualifie  de  son  aïeul  le  négociateur  du 
traité  dont  nous  avons  parlé.  Le  quatrième  discours,  contre 
Alcibiade,  au  sujet  de  l'ostracisme,  est  attribué,  par  Taylot, 
à  Phajax  ;  Scho'll  le  revendique  pour  Andocide,  mais  il 
nous  paraît  mal  fondé  dans  cette  prétention.  L'abbé  Auger 
a  traduit  les  discours  de  cet  orateur;  on  en  trouve  le 
texte  dans  les  Oratorcs  Grœci  de  Henri  Etienne,  et  dans  la 
collection  de  Reiske.  Ils  sont,  au  fond,  peu  remarquables 
comme  pièces  d'éloquence ,  mais  écrits  avec  simplicité,  quel- 
quefois même  avec  goût  ;  ils  doivent  être  considérés  plutôt 
comme  renseignements  historiques.  De  Golbcuy. 

AXDORUE  (République  d'),  petit  État  de  l'Europe, 
dans  l'ancien  comté  de  Ccrdagne,  jjortant  le  titre  de  vallées 
et  souverainetés  de  l'Andorre,  est  composé  de  deux  val- 
lées des  Pyrénées  situées  entre  Foix  et  Urgel.  C'est  un  pays 
neutre,  arrosé  pai'  l'Ondino  et  l'Embalira ,  affluent  de  la 
Sègre,  et  jeté  sur  les  cdiilins  de  la  France  et  de  l'Espagne, 
au  sud  du  département  de  l'Ariége.  Il  s'étend  entre  la  42" 
V.2'  et  le  42"  43'  de  latitude,  et  le  0°  40'  et  1°  3'  de  longi- 
tude ouest;  sa  superficie  totale  est  de  493  kilomètres;  sa  po- 
pulation était  de  18,000  habitants  en  1830. 

On  ])ense  généralement  que  son  nom  vient  tYAn'dor, 
An'Uior,  ouAiùlur,  radicaux  qui  dénotent  une  haute  an- 


tiquité. And,  en  effet,  dont  les  ItaUens  et  les  Espagnol  onl 
fait  leur  verbe  andar  (marcher),  exprime  l'idée  de  mou- 
vement ,  tandis  que  les  terminaisons  celtiques  dor,  tàor, 
dur  (porte,  entrée,  camp,  — montagne,  —  eau)  s'appli- 
quent à  l'action  d'une  marche ,  d'une  course ,  d'une  inva- 
sion ,  d'un  établissement.  Selon  cette  étymologie  les  An- 
dorri  ou  Andorrisx,  comme  les  appellent  les  écrivains  an- 
ciens, appartiendraient  à  des  nations  fugitives,  qui  des  ri- 
vages ibériens  seraient  venues  chercher  un  refuge  dans  les 
Pyrénées.  Or,  Pline  signale  les  Andorrisx  comme  des  peuples 
habitant  les  environs  de  Cadix,  où  ses  commentateuis  ne 
les  retrouvent  plus.  Les  Vrgi,  ceux  d'Urgel,  qui  paraissent 
avoir  suivi  la  même  direction  vers  le  nord,  sont  représentés 
comme  vivant,  avant  leur  émigration,  sur  les  confins  de  la 
Bétique  et  de  la  Tarragonaise.  Qu'en  conclure?  C'est  que  les 
Andorrans  et  ceux  d'Urgel  sont  les  descendants  des  races 
hispaniques  dont  parlent  Pline  et,  après  lui ,  plusieurs 
géographes. 

Sous  Charlemagne,  en  785,  les  habitants  du  pays  d'An- 
dorre mettent  généreusement  à  la  disposition  de  ce  prince 
leurs  personnes  et  leurs  biens ,  au  moment  où  il  va  en  Es- 
pagne guerroyer  contre  les  Visigoths,  et  le  grand  empereur, 
jaloux  de  récompenser  tant  de  dévouement,  leur  octroie  de 
nombreuses  franchises ,  celle,  entre  autres,  de  s'administrer 
eux-mêmes.  Il  leur  accorde  une  grande  charte,  dont  l'original 
est  religieusement  conservé  dans  Y  armoire  de  fer  du  grand 
conseil  d'Andorre. 

L'Andorre  se  trouva  placé  plus  tard  sous  la  dépendance 
delà  vicomte  de  Castclbon  ou  du  pays  d'Urgel.  L'évcquede 
ce  diocèse  et  le  comte  de  Foix  le  possédaient  par  indivis,  en 
vertu  d'une  décision  arbitrale  rendue  en  1273  en  présence 
de  Pierre  d'Aragon,  qui  en  garantit  l'exécution.  Cette  con- 
vention fut  exécutée  jusqu'à  la  réunion  du  comté  de  Foix  à  la 
France  par  Henri  IV  ;  et  les  rois  ses  successeurs,  à  quelques 
concessions  près,  conservèrent  leur  autorité  sur  ce  tenitoire, 
jusqu'en  1790,  époque  où  les  droits  qu'il  payait ,  ayant  été 
considérés  conmie  féodaux ,  cessèrent  d'être  acquittés.  De- 
puis, le  gouvernement  français  a  maintenu  cette  république 
dans  son  entière  indépendance ,  état  politique  que  n'a  mo- 
difié en  rien  l'établissement  des  diverses  constitutions  sous 
lesquelles  a  vécu  l'Espagne. 

Aux  ternies  de  la  convention  de  1278,  l'Andorre  payait 
480  livres  par  an  à  l'évêque  d'Urgel  et  le  double  au  pays  de 
Foix.  Moyennant  cet  abonnement ,  il  avait  le  droit  de  tirer 
tous  les  ans  de  ce  dernier  pays  dix-huit  cents  charges  de 
seigle,  pesant  vingt  et  un  mille  six  cents  myriagrammes, 
plus  un  certain  nombre  de  têtes  de  bestiaux  de  toute  espèce, 
comme  aussi  d'y  porter  et  d'en  extraire  sans  droit  toutf 
marchandise  non  prohibée,  de  même  que  le  produit  de  se; 
mines.  Il  ne  payait  donc  pas  d'imposition  proprement  dite, 
affermant  ses  montagnes  pour  y  faire  paître  du  bétail,  et  lo 
produit  de  cette  ferme  suffisant  à  couvrir  toutes  ses  charges. 
Sa  justice,  sa  police,  ses  finances  étaient  sous  la  surveil- 
lance de  l'intendant  du  Roussillon. 

Aujourd'hui,  sous  l'empire  de  l'ancienne  constitution,  mo- 
difiée seulement  dans  quelques  dispositions  secondaires,  la 
république  se  compose,  comme  autrefois,  de  six  commu- 
nautés :  Canillo ,  Encamp,  Ordino ,  la  Massane ,  Andorre-la-^ 
Vieifle,  capitale  du  pays,  et  Saint-Julien,  subdivisées  en  cin- 
quante-quatre villages  ou  hameaux  ,  formant  un  petit  État 
politique ,  gouverné  par  ses  propres  magistrats ,  et  ne  rele- 
vant que  pour  le  spirituel  de  l'évêcpie  d'Urgel,  son  voisin. 
L'administration  appartient  à  un  conseil  souverain,  formé  de 
vingt-quatre  consuls,  quatre  par  communauté.  Ce  conseil  ou 
sénat  se  réunit  cinq  fois  par  an,  davantage  même  si  c'est 
nécessaire.  A  sa  tête  il  place  pour  un  temps,  qu'il  fixe,  deux 
syndics  ,  dont  les  fonctions  consistent  à  convoquer  les  as- 
semblées et  à  gérer  les  affaires  publiques.  Au  nombre  des 
modifications  introduites  dans  l.i  constitution  de  la  répu- 
blique, modifications  qui  ne  sont  que  régulatiices  des  rap- 


ANDORRE  —  AKDRADA 


549 


ports  qu'elle  entrelient  avec  les  deux  nations  limitrophes  , 
la  France  et  TLspagne,  mentionnons,  en  passant  celles  qui 
ont  trait  à  l'élection  tles  magistrats  et  à  la  cotisation  annuelle 
payée  aux  ileux  puissances  protectrices.  Ainsi ,  les  anciens 
Iroits  du  comte  de  loix  et  de  levéque  d'irgel  sont  repré- 
sentés de  nos  joiu-s  par  la  France  et  l'Espagne  dans  la  nomi- 
nation des  doux  viguiers,  qui  sont  chargés  de  rendre  la  jus- 
tice et  dont  les  fonctions  sont  entièrement  gratuites.  Celui 
que  nonnne  l'évoque  d'Lrgel  ne  peut  être  qu'un  Andorran; 
l'autre  est  im  Français ,  auquel  1  investiture  est  donnée  par 
le  préfet  de  l'Ariége.  Celte  charge  est  ordinairement  dé- 
volue au  juge  de  paix  du  canton  d'Ax.  Quant  aux  rede- 
vances que  l'Andorre  payait  jadis  au  comte  de  Foix ,  elles 
ont  été  transformées  en  une  modeste  taxe  annuelle  de  960 
francs  dont  la  république  s'acquitte  envers  la  France,  et 
moyennant  laquelle  elle  est  affranchie  de  tous  droits  de 
douane ,  à  l'entrée  et  à  la  sortie  des  grains,  autres  denrées, 
bestiaux  et  mules  dont  elle  fait  un  grand  commerce. 

Un  des  caractères  dislinctife  ùe  cette  démocratie  patriar- 
cale ,  qui  dure  depuis  dix  siècles,  c'est  la  simplicité  de  son 
administration  politique ,  civile  et  judiciaire.  Ses  revenus 
consistent  dans  le  produit  de  la  ferme  des  pâturages  com- 
nnmaux  et  d'mi  impôt  personnel  et  foncier  presque  insen- 
sible. Le  budget  est  ordinabemenî  volé  par  le  grand  conseil 
en  une  séance.  Ses  articles  sont  peu  nombreux.  Outre  les 
taxes  annuelles  payées  à  la  France  et  à  l'Espagne,  on  n'y  voit 
figurer  que  quelques  minimes  dépenses ,  comme  l'entretien 
des  constructions  publiques  et  des  armes,  la  réparation  des 
meubles  et  de  la  garde-robe  du  grand  conseil,  les  frais  de 
bureau  et  le  traitement  de  deux  ou  trois  modestes  fonc- 
tionnaires ,  au  plus ,  les  grandes  fonctions  étant  toutes  gra- 
tuites. Le  budget  voté,  la  répailition  entre  les  diverses 
communautés  en  est  immédiatement  faite  par  le  conseil  sou- 
verain. Si ,  dans  l'intervalle  des  séances ,  qui  ont  toujours 
lieu  le  dimanche  ou  jours  fériés ,  le  conseil  perd  un  de  ses 
membres ,  la  communauté  à  laquelle  il  appartient  pourvoit 
immédiatement  à  son  remplacement  sur  le  simple  avis  des 
syndics.  Les  membres  du  grand  conseil  sont  d'une  exacti- 
tude ponctuelle  à  leure  réunions.  Ils  discutent  peu,  et  sont 
ordinairement  unanimes  dans  leurs  décisions.. 

Les  travaux  de  radministration  civile  se  bornent  à  consi- 
gner les  naissances ,  les  mariages  et  les  décès  sur  des  re- 
gistres spéciaux.  Tout  leur  code  civil  ne  s'étend  guère  au 
delà  de  ces  trois  grands  actes  de  la  vie  humaine.  Ils  sont 
assez  heureux  pour  ne  connaître  ni  notaires ,  ni  avoués  ,  ni 
avocats ,  ni  huissiers,  ni  procédures,  ni  papier  ti.Tibré  ;  pres- 
que toutes  les  transactions  y  ont   heu  sur  parole  ;  car  les 
mœurs  y  sont  irréprochables  et  les  propriétés  religieusement 
respectées.  Rarement  la  répression  légale  devient  nécessaire, 
et  alors  encore  la  peine  se  réduit  communément  aux  pro- 
portions exiguës  d'une  correction  de  simple  pohce.  La  jus- 
tice civile  est  rendue  en  premier  ressort  pr.r  les  baijles , 
espèce  de  juges  de  paix.  En  cas  d'appel  on  a  recours  à  im 
juge  inamovible  ,  pris  alternativement  en  France  et  en  Es- 
pagne. Les  causes  criminelles  sont  jugées  par  les  deux  vi- 
guiers, assistés  de  deux  membres  du  coi'.seil  souverain  et  du 
juge  inamovible  dont  il  vient  d'être  question.  L'ancienne 
justice  criminelle,  qui  punissait  les  deux  plus  grands  crimes 
du  code  andorran,  le  meurtre  et  la  trahison,  parle  fouet, 
l'envoi  au  bagne  de  Barcelone  et  le  bannissement ,  est  tom- 
bée en  désuétude,  et  la  tradition  ne  conserve  à  cet  égard 
la  mémoire  que  d'une  seule  application  de  la  loi  depuis  des 
siècles.  Napoléon  ,  traversant  les  Pyrénées  pour  se  rendre 
en  Espagne,  s'arrêta  à  .\ndorre  ;  il  apposa  sa  signature  au  bas 
de  l'original  de   la  grande  charte,  au-dessous  de  celle  du 
premier  des  Carlovingiens ,  et  accepta  les  fonctions  de  pro- 
tecteur delà  république.  Il  lui  promit  même  un  code  complet 
des  lois  écrites.  Les  graves  événements  de  son  règne  ne  lui 
ayant  pas  permis  de  tenir  parole,  les  habitants  y  ont  pourvu 
en  promulguant,  en  novembre  184G,  un  code,  d'une  grande 


simplicité,  comprenant  en  cent  aiticles  toutes  les  lois  civiles 
et  criminelles  des  vallées  et  souverainetés  de  l'Andorre. 

Parmi  ces  dernières ,  une  disposition  mérite  d'être  signa- 
lée. Quand  la  pcùie  de  mort  a  été  prononcée  contre  un  ha- 
bitant du  pays,  la  sentence,  pour  être  apphquée,  doit  être 
raliliée  par  les  vingt-quatre  représentants  des  communautés 
siégeant  au  conseil  souverain  convoqués  spécialement  à  An- 
dorre-la-Vieille.  On  emploie  pour  l'exécution  de  pareils  ar- 
rêts un  n-.oyen  tout  à  fait  en  rapport  avec  la  nature  du  pays. 
A  peu  de  distance  de  la  route  de  Catalogne,  il  existe  un  pré- 
cipice affreux  dont  l'œil  ne  peut  mesurer  la  profondeur.  Le 
condamné  est  conduit  là ,  les  yeux  bandés  ;  et  le  bourreau 
le  précipite ,  en  présence  de  tous ,  dans  le  silencieux  abîme. 
Malgré  nos  fréquentes  commotions  politiques,  les  Andor- 
rans n'ont  jamais  manqué  de  renouveler  chaque  année  les 
témoignages  de  leurs  bonnes  relations  avec  nous.  Ainsi  trois 
députés  de  la  répubhque  se  rendent ,  au  jour  fixé ,  dans  le 
village  français  de  Siguer,  où  ils  sont  accueillis  par  les 
membres  du  conseil  municipal ,  qui  leur  font  prêter  serment 
de  fidélité  à  la  France. 

La  population  d 'Andorre-la-Vieille ,  capitale  de  la  répu- 
blique, est  de  2,000  âmes.  Dans  les  parties  basses  seulement 
on  trouve  des  terres  labourables  et  même  des  vignobles.  Pos- 
sesseurs surtout  de  belles  forets  et  d'excellents  pâturages , 
les  Andorrans  font ,  comme  nous  l'avons  dit ,  un  grand  com- 
merce de  bestiaux ,  notamment  de  mulets.  L'industrie ,  pour- 
tant ,  ne  leur  est  pas  tout  à  fait  étrangère  :  il  y  a  une  mine  ' 
de  fer  à  Ransol ,  et  quatre  forges  à  Encamp,  à  Ordino ,  à 
Serra  et  à  Caldès,  qui  possède,  en  outre,  des  eaux  thermales 
abondantes.  La  langue  parlée  est  le  catalan  ;  l'espagnol  est 
la  seule  écrite.  ILs  sont  tous  fervents  catholiques. 

La  répubhque  vit  avec  l'Europe  entière  dans  une  stricte 
neutralité  politique  ;  elle  ne  saurait  être  impliquée  sous  au- 
cun rapport  dans  des  guerres  étrangères  ;  elle  n'est  assujettie 
ni  à  des  levées  arbitraires  d'argent,  ni  à  des  levées  d'hommes 
quelconques,  tout  citoyen  possédant  son  fusil  et  étant  de 
droit  soldat  pour  sa  défense  depuisseize ans  jusqu'à  soixante. 
Un  capitaine  nommé  pour  un  an  par  le  conseil  souverain 
préside  dans  chaque  communauté  aux  exercices  militaires  , 
et  les  viguiers  seuls  ont  le  droit  d'appeler  la  nation  aux 
armes. 
AA'DOUILLER.  Voyez  Bois  (Zoologie). 
ANDRADA.  Ce  nom  a  été  porté  par  plusieurs  Portu- 
gais, dont  les  plus  connus  sont  :  Antonio  (/'Andrada  ,  mis- 
sionnaire jésuite,  né  vers  l'an  1580,  mort  en  1632,  quipar- 
courat  l'Asie ,  et  pénétra  un  des  premiers  dans  le  Thi- 
bet  (  1624  ).  Son  voyage  dans  cette  contrée  panit  à  Lisbonne 
en  1626,  et  fut  traduit  en  français  dès  1628.  —  Hyacinthe- 
Freire  de  Andf.ada,  né  à  Béjà,  en  1597,  mort  en  1G57,  abbé 
de  Sainte-Marie-des-Champs.  Il  est  auteur  de  la  Vie  de 
doti  Juan  de  Castro ,  un  des  chefs-d'œuvre  de  la  littérature 
portugaise ,  et  de  plusiem's  poésies  latines  pleines  de  grâce 
et  d'élégance. 

De  nos  jours ,  ce  nom  a  dû  quelque  illustration  à  trois 
frères,  José-Bon ifacio,  Antonio-Carlos  et  Martin-Fran- 
cisco  DE  Andrada,  nés  à  Santos,  dans  la  province  brési- 
lienne de  San-Paolo ,  ayant  fait  leurs  études  à  l'université 
portugaise  de  Coimbre,  s'étant  distingués,  le  premier  dans 
les  sciences  naturelles  et  la  poésie ,  le  second  dans  la  phi- 
losophie et  le  droit,  le  troisième  dans  les  mathématiques, 
et  ayant  tous  les  trois  joué  des  rôles  importants  dans  les 
événements  qui  ont  amené  l'indépendance  du  Brésil ,  la  sé- 
paration de  cette  ancienne  colonie  de  sa  métropole  portu- 
gaise, et  le  couronnemeiit  de  l'empereur  don  Pedro. 

José-Boni(;icio ,  élu  membre  de  l'Académie  des  Sciences 
de  Lisbonne,  avait  été  choisi  par  elle  pour  parcourir  les  di- 
vers États  de  l'Europe  et  y  faire  des  études  aux  frais  du 
gouvernement  portugais.  11  avait  occupé  à  son  retour  phi- 
sieurs  postes  importants,  fondé  une  chaire  de  métallurgie 
à  Coimbre,  une  chaire  de  chimie  à  Lisbonne  ;  et  combattu 


650 


ANDRADA  —  ANDRAL 


contre  les  Français  lors  de  l'invasion  de  la  péninsule  hispa- 
nique. Rentre  au  Brésil  en  1819,  il  s'était  retiré  dans  sa 
ville  natale ,  malgré  les  efforts  du  roi  Jean  VI  pour  le  rete- 
nir près  de  lui ,  à  Rio  de  Janeiro. 

Sur  ces  entrefaites,  Antonio-Carlos,  compromis  en  1817 
à  Pemambuco  dans  une  conspiration  libérale  au  moment  où 
il  se  disposait  à  aller  représenter  ses  concitoyens  au\  cortès 
de  Lisbonne ,  ne  sortait  des  prisons  de  Rahia  que  pour  pro- 
clamer dans  l'assemblée  portugaise  l'indépendance  du  Brésil 
et  demander  ses  passeports,  quand  on  exigea  son  serment  à 
une  constitution  étrangère  qu'il  désavouait  comme  oppres- 
sive pour  sa  patrie. 

Cependant,  en  septembre  1821,  arrivait  à  Rio  de  Janeiro 
un  décret  des  cortès,  rappelant  le  prince  don  Pedro  en  Eu- 
rope. A  cette  nouvelle,  le  fèu  mal  assoupi  de  l'indépendance 
nationale  éclata  partout,  et  principalement  à  San-Paolo. 
José-Bonifacio  et  Martin-Francisco  dirigeaient  le  mouve- 
ment populaire,  et  le  l*""  janvier  1822  une  députation  de 
Santos,  conduite  par  le  premier,  remettait  à  don  Pedro  une 
adresse  rédigée  par  l'aîné  des  d'Andrada  comme  vice-pré- 
sident du  conseil  municipal ,  pour  conjurer,  au  nom  de  tous, 
le  prince  royal  de  ne  pas  quitter  le  Brésil.  Cédant  à  cette 
pression  et  à  un  manifeste  de  la  municipalité  de  Rio  de  Ja- 
neiro, qui  lui  annonçait  qu'aussitrtt  après  son  départ  le 
Brésil  proclamerait  son  indépendance,  don  Pedro  se  décida 
à  rester.  Sept  jours  après  il  forma  un  nouveau  ministère ,  et 
plaça  à  sa  tête  José-Bonifacio ,  en  lui  contiant  les  porte- 
feuilles de  l'intérieur,  de  la  justice  et  des  affaires  étrangères. 
-■Martin-Francisco  fut  appelé  au  ministère  des  finances. 

La  séparation  d'avec  le  Portugal  ayant  été  arrêtée  et  le 
manifeste  de  l'indépendance  nationale  brésilienne ,  œuvre  de 
José-Bonifacio,  propagé  à  l'intérieur  et  au  dehors,  don  Pedro 
prit,  le  27  septembre  1822,  le  titre  d'empereur  constitu- 
tionnel et  de  défenseur  perpétuel  du  Brésil.  C'était  surtout 
sous  l'influence  active  des  d'Andrada  que  tous  ces  grands 
événements  s'étaient  accomplis.  Les  ennemis  de  leur  talent 
et  de  leur  patriotisme  ne  leur  pardonnaient  pas  un  succès 
aussi  prompt.  La  calomnie  agit  si  bien,  qu'elle  leur  eut  bien- 
tôt ravi  la  confiance  du  nouvel  empereur,  qui  leur  devait  sa 
couronne.  Prévenus  à  temps,  ils  envoyèrent  leur  démission, 
qui  fut  acceptée.  INIais  les  murmures  et  les  menaces  du 
peuple  devinrent  si  énergiques,  si  significatifs,  que  cinq 
jours  après  ils  étaient  glorieusement  réintégrés  à  leurs  postes. 

Sur  ces  entrefaites ,  Antonio-Carlos ,  élu  membre  de  l'as- 
semblée nationale,  était  chargé  par  elle  de  formuler  le  ser- 
ment qui  devait  assurer  à  don  Pedro  et  à  sa  dynastie  le  trône 
constitutionnel  du  Brésil. 

Bientôt,  cependant,  attaqués  avec  un  nouvel  acharne- 
ment par  les  chefs  du  parti  portugais,  leurs  ennemis  per- 
:5onnels  et  ceux  du  Brésil ,  les  d'Andrada  quittèrent  volon- 
tairement une  seconde  fois  le  pouvoir,  pour  aller  siéger  à 
l'assemblée  sur  les  bancs  les  plus  avancés  de  l'opposition. 
Les  nouveaux  ministres ,  accusés  ,  sur  la  motion  d'Antonio- 
Carlos  ,  de  mesures  attentatoires  à  la  liberté ,  furent  mandés 
à  la  barre.  La  chambre  venait  de  se  déclarer  en  permanence 
le  11  novembre  1823,  lorsque  l'empereur,  poussé  à  bout  par 
.son  perfide  entourage,  fit  entourer  d'un  cordon  de  troupes 
la  salle  des  séances  et  prononcer  la  dissolution  des  cortès. 
Les  d'Andrada  ayant,  avec  d'autres  députés,  protesté  contre 
cette  violence  inconstitutionnelle,  furent  envoyés  en  France, 
où  ils  résidèrent  quelque  temps  à  Talence,  aux  environs  de 
Bordeaux. 

Ils  étaient  depuis  plusieurs  années  de  retour  au  Brésil, 
lorsque  éclata  le  soulèvement  général,  à  la  suite  duquel  don 
l'edro,  partant  pour  la  France,  fut  forcé  d'abdiquer  en 
faveur  de  son  fils  enfant,  qu'il  confia  à  José-Bonifacio, 
riiouune  le  plus  honnête  et  le  plus  savant  qu'il  connût, 
disait-il,  en  l'investissant  des  fonctions  de  gouverneur  et  de 
tuleur  <lu  jeune  prince;  mais  l'assemblée  des  rcprésenlants 
(cfusu  de  'e  reconnailre  en  cette  double  qualité;  et  ils  ren- 


trèrent tous  trois  alors  dans  la  vie  privée ,  étrangers  dé- 
sormais à  toute  ambition  politique ,  et  voués  exclusivement 
au  culte  des  sciences.  Là  ils  se  sont  successivement  éteints, 
en  commençant  par  l'aîné,  victimes  déplorables  de  l'ingra- 
titude des  gouvernements  et  des  peuples. 

AJVDR  AL.  Deux  médecins  contemporains,  le  père  et  le 
fils,  ont  porté  ce  nom  avec  éclat. 

ANDRAL  (Gcillalmk),  né  à  Espédaillac  (Lot),  en  1769, 
mort  à  Paris  le  5  février  1853.  Arrière-pelit-fils,  fil,s  et  père 
de  médecin  ,  digne  représentant  d'une  ancienne  famille  qui 
a  fourni  sans  interruption  sept  générations  de  docteurs,  lia 
renouvelé  un  exemple  qu'on  ne  retrouve,  dans  les  annales 
de  la  médecine ,  qu'aux  époques  primitives  de  l'art,  au  temp.s 
d'ilippocrate ,  où  le  dépôt  des  connaissances  médicales  se 
conservait  exclusivement  dans  quelques  familles;  c'est  un 
véritable  souvenir  des  Asclépiades,  qui  nous  a  été  rendu  au 
dix-ntuvi.ème  siècle.  —  Dès  le  commencement  de  sa  car- 
rière, M.  Andral  fut  jeté  dans  la  médecine  militaire  par  les 
preuiières  guerres  de  la  révolution  :  à  vingt  ans  il  était  déjà 
médecin  de  l'armée  des  Pyrénées-Orientales.  En  l'an  VIII  il 
fut  envoyé  avec  le  même  titre  au  camp  d'Amiens,  puis  il 
passa  avec  les  troupes  de  ce  camp  en  Toscane, où  il  rem- 
plit les  fonctions  de  médecin  en  chef  de  l'armée  d'obser- 
vation ;  le  peu  de  loisirs  que  la  victoire  lui  laissait  n'étaient 
point  perdus  pour  la  science  :  il  composa  à  cette  époque 
une  notice  sur  les  plantes  grasses  artilicielles  et  sur  le  Mu- 
séum d'histoire  naturelle  de  Florence;  plus  tard,  à  la  disso- 
lution de  celle  armée,  M.  Andral  resta  en  exercice  près  des 
troupes  françaises  stationnées  en  Élrurie ,  et  les  nombreux 
services  qu'il  rendit  dans  ce  poste  lui  valurent,  en  1803,  sa 
nomination  de  médecin  des  Invalides. 

Murât  avait  distingué  M.  Andral  au  quartier  général  de 
Florence;  quand  il  fut  sur  le  trône  de  Naples,  il  l'appela 
dans  son  royaume  en  1809,  et  le  nomma  premier  médecin 
de  la  cour  de  Naples,  médecin  en  chef  de  l'hôpital  et  de  la 
garde  royale,  inspecteur  général  du  service  de  santé  civil  et 
militab'e,  et  commandeur  de  l'ordre  de  Deux-Siciles  ;  la 
santé  de  la  princesse  Caroline  lui  avait  été  spécialement 
confiée  quelque  temps  auparavant  par  Napoléon  lui-même. 
Dans  le  peu  d'années  qu'il  resta  à  Naples,  M.  Andral  vit 
naître  et  mourir  une  dynastie.  11  partagea  la  mauvaise 
comme  la  bonne  fortune  de  son  royal  client.  Quand  la 
reine  de  Naples  défendit  elle-même  sa  couronne  les  armes 
à  la  main ,  elle  lui  donna  la  garde  de  ses  enfants,  et  le 
chargea  de  les  conduire  à  Gaète.  Les  Anglais  bloquèrent 
bientôt  cette  place,  et  le  médecin  fut  obligé  cette  fois  de 
faire  la  guerre.  La  résistance  ne  pouvait  cependant  être 
longue  :  il  fallut  parlementer  avec  les  Anglais.  M.  Andral 
s'embarqua  pour  revenir  en  France  :  à  Toulon,  Murât  lui 
remit  pour  Napoléon  des  dépêches  importantes  :  il  était  en 
route  quand  il  apprit  la  défaite  de  \Vaterloo. 

Lorsque  l'Académie  de  IMédecine  fut  organisée,  la  haute 
position  médicale  de  31.  Andral,  les  services  réels  qu'il 
avait  rendus  dans  la  carrière  où  s'illustraient  en  même 
temps  Desgenettes  et  Larrey  ,  quelques  travaux  lus  dans 
les  sociétés  savantes  de  France  et  d'Italie ,  et  entre  autres 
un  mémoire  remarquable  sur  l'ictère,  tels  étaient  les  titres 
qui  lui  assuraient  une  place  dans  cette  assemblée.  Plus  tard 
il  était  nommé  médecin  de  la  maison  de  Saint-Denis,  mé- 
decin consultant  du  roi  Louis  XVllI,  et  chevalier  de  la  Lé- 
gion d'Honneur.  —  En  1832,  quand  vintie  choléra,  M.  An- 
(Iral  ne  se  relira  pas  de  ce  champ  de  bataille ,  moins 
brillant  et  plus  terrible  que  ceux  où  il  avait  autrefois 
porté  les  secours  de  son  art,  il  s'offrit  poiu-  être  membre 
de  la  commission  sanitaire  du  premier  aiiondissement ;  et 
alors  on  put  encore  apprécier  son  dévouement  à  la  chose 
publiqiie  et  son  attachement  inébranlable  aux  devoirs  du 
médecin.  Il  fut  noiimié  officier  de  la  Legi>ju  d'honneur  au  mois 
de  nisrs  1851. 
ANDi'.AL  (  Gaisuiei.  ) ,  fils  du  précédent,  no  ù  Paris,  le 


AÎS'DRAL  —  ANDRÉ 


561 


f.  novembre  1797,  passa  II  seconde  partie  de  son  enfance 
en  Italie,  avec  son  père  ;  il  termina  ses  études  au  lycée 
Louis-le-Grand.  En  isai  il  était  reçu  docteur,  et  deux 
années  ne  s'étaient  pas  écoulées  qu'il  était  nommé  membre 
de  l'Académie  de  Médecine  et  professeur  agrégé  à  la  Faculté 
de  Paris,  après  un  brillant  concours.  A  peine  Agé  de  trente 
ans,  il  occupait  dans  cette  faculté  la  chaire  de  professeur 
d'hygiène,  il  était  chargé  d'un  senice  dans  un  grand  hôpi- 
tal(la  Pitié), il  avait  conquis  une  haute  position  de  praticien, 
et  s'éfait  fait  déjà,  par  ses  écrits,  un  nom  dans  le  monde 
médical. 

La  vie  de  M.  Andral  est  toute  dans  ses  ouvrages  et  dans 
son  enseignement.  Le  père  a  vécu  surtout  à  une  époque 
agitée  et  fiévreuse  où  l'homme  de  l'art  se  servait  plus  du 
bistouri  ou  même  de  l'épée  que  de  la  plume  ;  le  fils  appar- 
tient à  un  temps  de  calme  et  de  repos,  où  la  science  peut 
poursuivre  ]>aisiblement  ses  progrès  incessants.  Ses  écrits 
sont  nombreux.  11  se  fit  connaître  d'abord  par  plusieurs  mé- 
moires de  thérapeutique,  de  médecine  comparée,  de  patholo- 
gie, etc.;  puis  parurent  à  peu  près  simultanément,  de  1823 
à  1831,  la  Clinique  médicale  et  le  Précis  d'Anatomie  pa- 
thologique. Le  premier  de  ces  ouvrages  ,  qui  eut  quatre 
éditions,  et  qui  est  traduit  dans  presque  toutes  les  langues , 
fit  une  Yéritable  révolution  :  il  ébranla  les  doctrines  absolues 
de  Broussais,  et  ramena  dan  s  les  voies  de  la  saine  obsen^ation 
les  esprits  que  ce  génie  exclusif  avait  entraînés  au  delà  des 
limites  du  vrai  ;  dans  le  second  M.  Andral  n'avait  pour  modèle 
que  le  traité  incomplet  de  Bailie  ;  il  n'eut  pas  de  peine  à  sur- 
l.asser l'auteur  anglais,  et  son  livre  est  encore  aujourd'hui 
celui  où  Tanatomie  pathologique  peut  être  le  mieux  étudiée, 
et  qui  est  le  plus  estimé  même  en  Angleterre.  —  Comme 
écrivain,  l'auteur  de  la  Clinique  s'était  placé  à  la  tête  de 
l'école  française,  qui,  forte  de  l'impulsion  donnée  par  Bi- 
chat,  Laennec,  etc.,  régit  le  monde  médical;  mais  ce  qui 
a  popularisé  surtout  les  doctrines  de  la  Faculté  de  Paris-, 
ce  qui  les  répand  et  les  vivifie  en  Angleterre ,  en  Allemagne 
et  jusqu'en  Amérique,  ce  qui  a  continué  la  supériorité  re- 
connue de  notre  école  dans  la  médecine  proprement  dite, 
c'est  l'enseignement  si  fécond  de  M.  Andral,  qui,  après 
l'hygiène,  a  professé  la  pathologie  interne  (  de  1830  à  1838), 
et  qui  depuis  1839  occupe  la  chaire  de  patliologie  générale. 
Le  caractère  saillant  de  ce  dernier  cours,  c'est  son  univer- 
salité :  tantôt  c'est  un  emprunt  (ait  aux  sciences  physiques, 
c'est  l'indication  des  nombreux  points  de  contact  des  phé- 
nomènes qui  se  découvrent  dans  le  monde  organisé  avec 
ceux  que  l'on  observe  dans  le  monde  inorganique  ;  tantôt 
c'est  une  application  hardie  et  sage  à  la  médecine  des  pro- 
grès de  la  chimie  moderne  ;  tantôt  enfin  im  examen  élo- 
quent, à  travers  les  siècles,  des  systèmes  qui  ont  agité  la 
science,  un  retour  au  passé  pour  éclairer  le  présent  et  les 
compléter  l'un  par  l'autre. 

Tant  de  travaux  importants,  auxquels  il  faut  ajouter  des 
annotations  à  l'ouvrage  de  Laennec,  dignes  de  l'immortel 
inventeur  de  l'auscultation ,  et  des  recherches  aussi  neuves 
qu'intéressantes  sur  les  altérations  du  sang  dans  les  ma- 
ladies, l'éclat  d'un  double  enseignement  théorique  et  pra- 
tique à  la  Faculté  de  Médecine,  à  l'hôpital  de  la  Charité,  ou- 
vrirent à  M.  Andral  les  portes  de  l'Académie  des  Sciences  : 
il  y  entra  en  1843. 

M.  Andral  père  était  venu  à  Paris  à  pied  et  un  bâton  à  la 
main,  comme  Dupuytren,  comme  Boyer  et  Dubois,  comme 
plus  d'un  professeur  actuel  de  la  Faculté  de  Paris.  Pour 
M.  Andral  fils,  les  ressources  paternelles,  les  profits  d'une 
clientèle  promptement  faite,  son  alliance  avec  la  fille  distin- 
guée du  doyen  de  nos  publ'cistes  et  de  nos  philosophes, 
Boyer-Collard,  lui  assurèrent  de  bonne  heure  cette  indépen- 
dance si  nécessaire  aux  hommes  de  science.  Médecin  dex  rois 
et  de  l'ouvrier,  des  riches  et  du  pauvre,  membre  de  l'Ins- 
titut etdc  presque  toutes  les  sociétés  savantes,  commandeur 
de  la  Légion  d'Honneur,  jouissant  en  France  et  à  l'étranger 


(le  la  plus  haute  renommée  scientifique,  aimé  comme  homme 
et  admiré  comme  écrivain  et  comme  professeur,  M.  Andral 
occupe  sans  contredit,  dans  la  sphère  médicale,  la  position 
la  plus  élevée;  et  cette  position,  en  même  temps  qu'elle  est 
pour  lui  une  récompense,  est  pour  ceux  qui  le  suivent  dans 
la  carrière  un  encouragement,  puisqu'elle  est  due  unique- 
ment à  l'alliance  d'un  grand  talent  et  d'un  beau  caractire. 
D"^  Henri  Roger,  médecin  des  liApitaux. 
ANDRÉ  (  Saint),  frère  de  saint  Pierre,  premier  disciple 
de  Jésus-Christ.  L'un  et  l'autre  étaient  de  Belhsaide,  et  exer- 
çaient la  profession  de  pêcheurs  à  Capharnaùm.  André  s'at- 
tacha d'abord  à  saint  Jean-Baptiste;  il  fut  le  premier  disciple 
que  se  choisit  Jésus-Christ,  et  assista  aux  noces  de  Cana, 
quoique  saint  Épiphane  dise  le  contraire.  Les  deux  fi'ères 
étaient  occupés  à  pêclier  lorsque  le  Sauveur  leur  promit  de 
les  faire  pécheurs  d'hommes,  s'ils  voulaient  le  suivre.  A 
l'instant  ils  quittèrent  leurs  filets,  et  s'attachèrent  irrévoca- 
blement à  sa  personne.  Jésus-Christ  ayant  formé  l'année 
suivante  le  collège  des  apôtres ,  ils  furent  placés  à  la  tête 
de  leurs  collègues ,  et  eurent  peu  de  temps  après  le  bonheur 
de  recevoir  leur  divin  maître  cliez  eux,  à  Caphainaiim. 
André  ne  parait  plus  dans  l'Évangile  que  pour  indiquer  les 
cinq  pains  et  les  deux  poissons  dont  cinq  mille  personnes 
vont  être  miraculeusement  nourries  et  pour  interroger  Jé- 
sus-Christ sur  l'époque  de  la  ruine  du  temple.  Les  événe- 
ments qui  lui  sont  relatifs  commencent  à  devenir  incertains 
après  la  mort  de  son  maître.  Il  porta  la  lumière  de  l'Évan- 
gile dans  la  Scythie  et  la  Sogdiane,  selon  les  uns,  dans  la 
Grèce  seulement,  suivant  d'autres  ;  l'opinion  la  plus  générale 
est  qu'il  fut  crucifié  à  Patras,  en  Achaïe.  Les  peintres  dessinent 
sa  croix  d'une  façon  toute  différente  de  celle  de  Jésus-Christ  et 
la  représentent  en  forme  d'X.  Les  Russes  le  vénèrent  comme 
l'apôtre  qui  lein*  apporta  la  foi,  et  les  Écossais  comme  le 
patron  de  leur  pays.   Dans  les  premiers  temps  de  l'Église, 
on  lui  attribua   faussement  un  Évangile.   Les   actes  qui 
portent  son  nom  ne  sont  également  pas  de  lui. 

Deux  autres  saints  sont  connus  sous  ce  même  nom.  Le 
premier,  né  àAvelino,  dans  le  royaume  de  Naples,  en  1556, 
et  mort  dans  la  capitale  de  ce  royaume,  en  1G08,  fut  cano- 
nisé en  17 12  par  le  pape  Clément  XI.  On  a  de  lui  des  Œuvres 
t /géologiques  et  morales,  et  des  Lettres,  qui  ont  été  recueil- 
lies, les  premières  en  5  vol.,  les  autres  en  2  vol.  in-4",  de 
1732  à  1734.  —  Le  second,  qui  était  archevêque  de  Crète, 
et  qui  mourut  en  720,  dans  un  monastère  de  Jérusalem,  où 
il  s'était  retiré,  a  laissé  quelques  ouvrages,  publiés  par  le  père 
Combefis ,  avec  ceux  de  saint  Amphiloque  (  1C44,  in-folio). 
ANDRÉ  (Ordre  de  SAINT- ),  ordre  russe,  créé  en  1698 
par  Pierre  le  Grand,  en  l'honneur  de  l'apôtre  des  Moscovites. 
C'est  le  plus  ancien,  le  plus  estimé  de  tous  ceux  de  ce  pays, 
où  il  n'est  généralement  accordé  qu'à  de  hauts  mérites,  à 
d'éclatantes  actions,  mais  parfois  aussi,  il  faut  bien  le  dire,  à 
une  faveur  signalée.  L'ordre  de  Saint-André,  recherché  en 
public,  n'est  à  la  cour  qu'une  décoration  de  famille;  les 
princes  du  sang  impérial  le  reçoivent  à  leur  baptême,  et  le 
collier  en  est  offert  à  l'impératrice  dans  la  solennité  de  son 
couronnement.  Sa  mai  que  distinctive  est  une  citàxen  forme 
d'X,  émaillée  d'azur,  portant  l'image  du  martyre  de  saint 
André  et  surmontée  d'une  couronne  impériale.  Sur  le  revers 
apparaît  une  aigle,  aux  ailes  éployées,  avec  le  nom  du 
saint,  et  ces  mots  en  russe  :  Pour  lafai  et  la  fidélité.  Le 
collier  se  compose  alternativement  de  la  croix  de  l'ordre  et 
de  la  couronne  impériale.  En  costume  de  ville,  le  ruban  est 
bleu,  comme  celui  de  l'ordre  du  Saint-Esprit. 

ANDRÉ.  Trois  rois  de  Hongrie  de  la  dynastie  de» 
Arpades  ont  porté  ce  nom. 

ANDRÉ  1",  compétiteur  de  PïeTre  l",  MV Allemand , 
dut  se  réfugier  en  Russie  (1044).  Rappelé  trois  ans  après, 
à  la  suite  de  l'expulsion  de  Pierre  par  les  magnats,  il  régna 
assez  paisiblement  jusqu'en  lOCl.  Quoique  cousin  de  saint 
Etienne,  l'apôtre  de  la  Hongrie,  il  n'était  monté  sur  le 


ss^ 


ANDRl 


trône  qu'à  la  condition  de  ne  point  favoriser  les  i^rogrès  du 
christianisme  et  de  respecter  l'ancien  culte  païen  de  ses 
sujets.  Il  ne  s'en  déclara  pas  moins  pour  la  nouvelle  reli- 
gion, et  voulut  la  faire  embrasser  de  vive  force.  Le  mé- 
contentement général  qui  en  résulta  le  porta  à  essayer  de 
prendre  des  mesures  pour  assurer  de  son  vivant  la  paisible 
transmission  de  la  royauté  à  son  lils  Salomon,  qu'il  fit 
couronner,  quoiqu'il  n'eftt  encore  que  cinq  ans ,  et  qu'il 
eût  été  formellement  stipulé  que  ce  serait  son  frère  Bêla  qui 
lui  succéderait.  11  en  résulta  une  guerre  civile.  Bêla  appela 
à  son  secours  le  roi  de  Pologne,  et  André  1*%  fait  prisonnier 
dans  une  bataille  décisive  qui  se  livra  bientôt  après  sur  les 
rives  de  la  Tbeiss,  mourut  de  chagrin  et  de  misère  après 
avoir  vu  son  frère  le  remplacer  sur  le  trône  dont  il  avait 
voulu  l'exclure. 

ANDRÉ  II,  fils  de  Bêla  III,  surnommé  le  Iliérosohjmi- 
tain,  à  cause  de  la  valeur  qu'il  déploya  dans  une  expédi- 
tion en  Terre  Sainte,  régna  de  1205  à  1235.  Au  retour  de  la 
croisade ,  il  trouva  son  royaume  dans  le  plus  grand  dé- 
sordre, et,  dans  l'espoir  d'y  mettre  un  ternie,  publia  dans 
la  diète  de  1222  sa  fameuse  Bulle  d'or,  acte  qui  ajoutait 
encore  aux  privilèges  déjà  si  nombreux  de  la  noblesse  et  du 
clergé. 

ANDRÉ  III,  dernier  roi  de  sa  race,  dit  le  Vénitien, 
parce  qu'il  était  né  à  Venise,  d'Etienne  de  Hongrie,  fils  pos- 
thume d'André  II  et  de  Thomassine  Morasini ,  succéda  à 
Ladislas  III,  et  régna  de  1290  à  1300.  Il  eut  pour  concur- 
rent au  trône  Charles-Martel,  fils  de  Charles  II,  roi  de 
Naples ,  avec  qui,  de  guerre  lasse,  il  fut  obligé  de  partager 
la  Hongrie. 

Un  autre  André,  roi  de  Hongrie,  fils  de  Charles  II,  et 
frère  de  Louis  le  Grand,  ne  régna  que  peu  de  temps.  Il 
n'avait  encore  que  dix-neuf  ans  lorsqu'il  mourut  (1345), 
étranglé  par  les  amants  de  sa  femme,  Jeanue,  tille  de  Robert, 
roi  c!e  Naples. 

AiVDRÉ  (Yves)  naquit  à  Châteaulin,  près  deQuimper, 
le  22  mai  1G75.  Le  13  décembre  1693  il  entra  chez  les  jésui- 
tes. Pendant  ses  études  de  théologie  au  collège  de  Clermont, 
aujourd'hui  Lycée  Louis-le-Grand,  à  Paris,  il  se  mit  en  rela- 
tion avec  IMalebranclie ,  dont  il  adopta  les  opinions  ;  ce  qui 
lui  attira  de  longues  tracasseries,  et  parait  1  avoir  fait  re- 
léguer successivement  à  La  Flèche,  à  Hesdin,  à  Amiens,  à 
Rouen ,  à  Alençon ,  à  Arras ,  encore  à  Amiens ,  et  enfin , 
vers  1726  ou  1729,  à  Caen,  comme  professeur  de  mathé- 
matiques. Il  cessa  d'enseigner  en  1759,  et  mourut  dans  cette 
ville,  le  22  février  1764,  âgé  de  quatre-vingt-neuf  ans. 

Eu  1741  il  avait  publié  un  Essai  sur  le  Beau,  composé 
de  quatre  traités  ou  discours,  sur  le  beau  en  général  et  en 
'particulier ;  sur  le  beau  visible&i?,nx  le  beau  dans  les 
mœurs;  sur  le  beau  dans  les  pièces  d'esprit;  sur  le  beau 
viusical.  Vingt-deux  ans  après,  1763,  il  en  donna  une  se- 
conde édition,  augmentée  de  six  discours,  sur  la  mode,  sur 
le  décorum,  sur  les  grâces,  sur  l'amour  du  beau  ou  le 
pouvoir  de  l'amour  du  beau,  sur  le  cœur  humain  ,  sur 
Yamour  désintéressé.  Tous  les  discours  de  YEssai  sur  le 
Beau  avaient  été  lus  à  l'Académie  de  Caen.  Ceux  qui  aiment 
le  style  académique  le  trouveront  dans  cet  ouvrage  avec  des 
finesses  et  une  élégance  rares.  Les  deux  discours  sur  Ya- 
mour désintéressé,  qui  le  terminent,  furent  écrits  pour 
prouver  que  l'amour  pur  doit  être  ré^lé  par  la  raisou ,  et 
non  par  le  plaisir  ;  ce  qui  est  vrai.  Mais  c'est  à  tort  que 
Bossuet  et  Malebranche  sont  accusés  d'enseigner  le  con- 
traire ,  et  s'ils  avaient  encore  vécu ,  ils  auraient  été  bien 
étonnés  de  s'entendre  traiter  d'épicuriens. 

En  1766  parurent,  par  les  soins  de  l'abbé  Guyot,  4  vo- 
lumes d'œuvres  posthumes.  Les  deux  premiers  contiennent 
nn  Traité  de  l'homme  selon  les  différentes  merveilles  qui 
le  composent.  Ce  sont  dix-huit  discours  pareillement  lus  à 
l'Académie  de  Caen.  Ils  roulent  sur  le  corps,  l'àme,  l'union 
de  l'àme  avec  le  corps,  l'homme  en  société,  la  libcrlé,  la 


ANDREiE 

parole ,  la  mémoire ,  les  passions ,  les  sens ,  la  raison ,  la 
nature  des  idées,  le  raisonnement,  la  conscience,  l'iiabitufle. 
Dans  les  deux  derniers  volumes  se  trouvent  quel<]ues  dis- 
cours sur  des  sujets  analogues ,  entre  autres ,  sur  l'idée  de 
Dieu,  sur  la  nature  de  l'entendement  divin,  sur  la  nature 
de  la  volonté  de  Dieu.  Presque  partout  André  cherche  à 
développer  les  idées  de  Malebranche  touchant  la  présence 
de  la  sagesse  divine  dans  l'onivers  ou  les  merveilles  des 
cr&itures,  et  à  peindre  en  détail  ce  que  Malebranche  avait 
jeté  à  grands  traits  dans  ses  Entretiens  sur  la  Métaphy- 
sique et  sur  la  Religioii. 

Sous  le  titre  à'Œuvres  philosophiqxies  du  père  André, 
M.  Cousin  a  réimprimé  Y  Essai  sur  le  Beau  et  onze  discours 
choisis  dans  les  œuvres  posthmnes.  Le  tout  est  précédé  d'une 
introduction  où  il  analyse  des  manuscrits  récemment  décou- 
verts par  MM.  Leglay,  Jlancel,  Trébutien,  et  Leflaguaià, 
MM.  Charma  et  Mancel  ont  publié  en  1858  la  correspon- 
dance d'André  avec  Malebranche ,  Fontenelle  et  d'autres 
personnages  importants.  La  vie  inédite  de  Malebranche, 
qu'.André  avait  composée,  n'a  pu  être  retrouvée;  on  croit 
cependant  qu'elle  existe  encore.  André  était  plutôt  un 
homme  d'esprit  qu'un  penseur.  Bordas-Demoulin. 
AI\DîlE  (Noël,  dit  le  p.ère  ).  Voyez  Chrysologue. 
AIVDRÉ  (Le  petit  père).  Voyez  Bolllanger. 
AiXDRÉ  (Jean),  né  en  1062  à  Paris,  et  mort  en  1753 
dans  la  même  ville,  entra  de  bonne  heure  dans  l'ordre  des 
dominicains;  ce  qui  ne  l'empôcha  point  de  cultiver  la  pein- 
ture àRome  sous  Carie  Maratte.  Le  couvent  de  son  ordre  à 
Lyon  avait  de  lui  un  immense  tableau  représentant  Jésus- 
Christ  citez  le  Pharisien,  et  le  couvent  des  Lazaristes  de 
Paris,  Saint  Vincent  préchant  aux  pauvres.  A  Bordeaux 
on  voyait  de  lui  dans  le  couvent  de  son  ordre  deux  grandes 
toiles,  Les  î\lo(es  de  Cana  et  La  Multiplication  des  pains. 
Ai^DllÉ  (CHArvLEs),néà  Langrcs,  en  1722,  et  longtemps 
perruquier  à  Paris ,  pisse  bien  à  tort  pour  l'auteur  dune 
tragédie,  dont  le  véritable  père  était  l'une  de  ses  pratiques, 
du  nom  de  Dampierre.  Elle  avait  pour  titre  :  Le  Tremble- 
ment de  terre  de  Lisbonne  (Paris,  1756,  in-8°),  et  le 
prétendu  auteur  la  dédiait  à  Voltaire,  qu'il  appelait  «  Mon- 
sieur et  cher  confrère;  »  ce  qui  prêta  beaucoup  à  rire  aux 
plaisants  de  l'époque. 

Autres  temps,  autres  mœurs!  Aujourd'hui  le  meilleur 
poète  ro;«fln  que  possède  la  France,  Jasmin,  naît  coiffeur 
et  poète,  a  le  bon  esprit  de  rester  poêle  et  coiffeur,  met  à 
leur  place  les  mauvais  plaisants,  titrés  ou  non,  et  n'a  nulle- 
ment besoin  de  collaborateurs  pour  ses  ouvrages, 

AÎVDRÉ  (Jean,  dit  le  Major),  né  en  Angleterre  en  1741, 
était  aide  de  camp  de  sir  Henri  Clinton  et  adjudant  général 
de  l'armée  anglaise  pendant  la  guerre  de  l'indépendance  da 
l'Amérique.  Envoyé  à  Ar  no  Id  pour  s'entendre  avec  lui,  il 
fut  pris  le  23  septembre  1780,  jugé  et  pendu  comme  espion 
le  2  octobre.  Il  mourut  avec  courage,  et  un  monunienl  lui 
a  été  érigé  dans  l'abbaye  de  Westminster.  Z. 

A?«DRÉ  DEL  SARTO.  Voyez  Sakto. 
ANDREA.  Voyez  Anderson. 

AIXDREiï].  Ce  nom  a  été  illustré  en  Allemagne  par  un 
théologien  d'une  haute  influence  et  par  un  pcëte  original , 
son  petit-fils. 

Jacques  Andre-î:,  naquit  le  25  mars  1528,  à  "Waiblingen, 
en  Wurtemberg ,  d'un  père  forgeron.  Il  avait  d'abord  lui- 
même  appris  le  métier  de  charpentier,  qu'il  abandonna  pour 
étudier  la  philosophie ,  la  théologie  et  les  langues  à  Stutt- 
gard  et  à  Tubiugen.  Attaché,  peu  de  temps  après  avoir-  ter- 
miné ses  études  théologiques,  à  la  personne  du  duc  de  Wur- 
temberg, il  prit,  à  partir  de  1557  jusqu'au  moinent  de  sa 
mort,  arrivée  en  1590,  unepart  importante  à  toutes  les  affaires 
des  protestants  en  Allemagne,  publia  plus  de  cent  cinquante 
écrits  qui  ont  encore  aujourd'hui  ime  valeur  réelle  pour 
celui  qui  désire  connaître  l'histoire  de  cette  grande  époque, 
et  fut  un  des  auteurs  de  la  cit\i:hv&  J'ormulc  de  concorde 


ANDRE.^  —  ANDRIEUX 


553 


rétlijîêo  en  1577  dans  le  monastère  de  Borgon,  comme  traité 
de  pacification  entre  les  divers  partis  divergents. 

Jean-Valentin  Andreic,  l'un  des  écrivains  allemands 
les  plus  originaux  du  seizième  siècle,  appelé  par  llerder  la 
rose  qui  fleurit  au  milieu  des  c/ianlous,  naquit  à  Herren- 
berg,  en  Wurtemberg,  l'an  1  jSG.  Après  avoir  tait  ses  études 
à  Tubingne,  voyagé  en  Allemagne,  en  Suisse,  en  Italie,  en 
France,  il  fut  successivement  revêtu  de  diverses  fonctions 
religieuses.  Surintendant  général,  et  abbé  d'Adelsberg,  pro- 
fondément atlligé  de  voir  les  jirincipes  de  la  religion  chré- 
tienne servir  d'aliment  aux  vaines  discussions  de  la  théo- 
logie ,  et  la  science  en  proie  à  la  vanité ,  il  s'occupa  sans 
rchlche  des  moyens  de  ramener  l'une  et  l'autre  à  leur  vé- 
ritable destination,  la  morale  et  la  bienfaisance.  On  ne  sait 
pas  au  juste  s'il  fut  le  fondateur  ou  seulement  le  régéné- 
rateur de  l'ordre  des  rose-croix ,  mais  on  no  peut  lui 
contester  une  certaine  tendance  au  mysticisme.  Quoi  qu'il 
en  soit ,  Andreae  était  sans  contredit  un  homme  d'esprit  et 
de  courage ,  qui  joignait  à  une  érudition  peu  commune  un 
zèle  brûlant  pour  le  bien  et  la  vérité.  Constamment  il  pour- 
suivit' le  vice  dans  tous  les  rangs  do  la  société ,  tantôt  sous 
le  voile  diaphane  de  la  plaisanterie ,  tantôt  armé  d'une  sé- 
vérité extrême  et  le  foudroyant  de  ses  sarcasmes  amers.  Il 
a  beaucoup  écrit,  et  le  plus  souvent  dans  un  langage  bizarre. 
Ses  ouvrages,  qui  ne  sont  en  général  que  de  courts  et  mor- 
dants pamphlets,  ne  s'élèvent  pas  à  moins  de  cent,  parmi 
lesquels  nous  citerons  en  première  ligne  son  Menippus,  son 
Satijricorum  Dialogorum  Centuria,  collection  de  cent  dia- 
logues pétillants  de  malice,  de  gaieté,  pleins  de  bonnes  et 
utiles  vérités  épigrammatiquement  présentées.  Herder,  dans 
ses  Zerstreuten  Blattern  (  5"^  volume  ) ,  a  traduit  quel- 
ques passages  de  la  Mythologia  Christiana  d'Andreœ.  On 
a  sa  vie  écrite  par  lui-même  (  édition  de  Winterthur,  1799  )  ; 
et  Hossbach  a  publié  sur  lui  et  son  siècle  un  ouvrage  plein 
de  faits  curieux.  Prédicateur  de  la  cour  de  Stuttgard  de- 
puis 1639,  il  y  mourut  revêtu  de  cette  dignité,  le  27  juin  1G54. 

AXDKÉOSSY  (François),  né  à  Paris,  en  1633  et 
mort  en  16S8,  à  Castelnaudary,  mathématicien  et  ingénieur, 
est  regardé  maintenant  comme  le  premier  auteur  du  canal 
de  Languedoc,  malgié  l'opinion  contraire  du  maréchal  de 
Vauban,  de  d'Aguesseau,  Basville,  Ilezons,  intendants  de  la 
province,  de  Colbert,  sous  le  ministère  duquel  s'exécuta  ce 
magnifique  ouvrage,  malgré  la  voix  publique,  malgré  la 
tradition,  malgré  l'inscription  de  1667,  gravée  sur  l'écluse  de 
Toulouse ,  où  Riquet  est  représenté  comme  l'inventeur  du 
projet.  Cette  gloire  en  effet  semblait  être  assurée  à  R  i  q  uet, 
lorsqu'un  officier  général ,  distingué  par  ses  connaissances  , 
ses  talents  et  le  rang  qu'il  occupait,  vint  la  lui  disputer  et 
la  réclamer  pour  son  bisaïeul  (  Voye:^  l'article  suivant).  11 
publia  à  ce  sujet  diverses  pièces  dans  son  Histoire  du 
Canal  du  Midi.  VHistoire  du  Canal  du  Languedoc  par 
M.  de  Caraman  traite  aussi  de  cette  question ,  qui  se  trouve 
approfondie  enfin  dans  l'Histoire  du  Corps  du  Génie,  par 
M.  Allent.  On  doit  encore  à  François  Andréossy  une  carte  du 
canal  de  Languedoc  (3  feuilles  in-folio,  1669).  Cet  ingénieur 
était  d'une  famille  originaire  d'Italie.  11  voyagea  dans  ce  pays 
pour  perfectiormer  ses  connaissances  en  hydraulique,  et  de- 
vint directeur  particulier  du  canal  après  la  mort  de  Riquet. 

AIVDREOSSY  (Antoine-François,  comte),  général 
français ,  arrière-petit-fils  du  précédent,  né  à  Castelnau- 
dary, le  C  mars  1761,  et  mort  à  Montauban,  le  16  sep- 
tembre 1828,  était  lieutenant  d'artillerie  en  1781,  et  .se 
distingua  en  cette  qualité  au  siège  de  Mantoue  dans  le  com- 
mandement d'une  chaloupe  canonnière ,  et  plus  tard  lors 
de  l'expédition  d'Egypte ,  époque  à  laquelle  il  se  (it  con- 
naître par  plusieurs  écrits  sur  les  mathématiques  ,  et  devint 
membre  de  l'Institut  national  du  Caire.  Après  le  traité  d'A- 
miens ,  il  fut  nommé  ambassadeur  à  Londres,  ensuite  'a 
Vienne,  puis  enfin  à  Constanlino[»le.  En  1S14  le  roi  le 
rappela  de  ce  poste.   Pendant  les  cent-joivrs  il  reprit  du 

DICT.    UE    LA    CO.NVEIl-^^ATIO.N.    —   T.    1. 


service  sous  Napoléon,  et  fut  l'un  des  commissaires  envoyés 
;\  la  rencontre  des  alliés.  Depuis ,  nommé  membre  de  l'A- 
cadémie des  Sciences,  il  se  condamna,  à  leur  profit,  à  la 
plus  profonde  retraite,  dont  il  ne  se  décida  à  sortir  que  pour 
aller  représenter  le  département  de  l'Aude  à  la  Chambre 
des  Députés.  Outre  son  Histoire  du  Canal  du  Midi,  on  lui 
doit  plusieurs  ouvrages  importants,  parmi  lesquels  nous 
citerons  particulièrement  un  Voyage  à  l'embouchure  de  la 
mer  Noire  ;  un  Essai  sur  le  tir  des  projectiles  creux;  un 
Mémoire  sur  la  direction  générale  des  subsistances  mi- 
litaires, et  un  autre  sur  les  Marchés  Ouvrard. 

AIVDRIEUX  (Bertrand),  graveur  en  médailles,  né  à 
Bordeaux  en  1761,  et  mort  à  Paris  en  1822,  est  regardé 
comme  le  restaurateur  de  cet  art,  fort  déchu  depuis  le  règne 
de  Louis  XFV.  11  était  membre  de  l'Académie  des  Beaux- 
Arts  de  Vienne,  graveur  du  cabinet-  du  roi,  chevalier  de 
l'ordre  de  Saint-INIichel.  On  lui  doit  la  plupart  des  médailles 
frappées  sous  les  premières  années  de  la  restauration ,  di- 
vers modèles  de  billets  de  la  banque  de  France,  et  une  foule 
de  vignettes  qui  ont  enrichi  la  typographie.  Pendant  qua- 
rante ans  on  a  vu  sortir  de  son  burin  ,  aussi  fécond  que 
brillant,  de  nombreuses  productions,  qui  ont  pris  rang  parmi 
les  chefs-d'œuvre  de  la  numismatique ,  et  dont  le  musée 
monétaire  et  la  Bibliothèque  Impériale  se  sont  enrichis. 

AIVDRIEUX  (François-Guillaume-Jean-Stanislas), 
l'un  des  quarante  de  l'Académie  Française ,  né  à  Strasbourg, 
le  6  mai  1759,  après  avoir  fini  ses  études  à  l'âge  de  dix- 
sept  ans ,  fut  placé  par  ses  parents  chez  un  procureur,  où  il 
s'appliqua  sérieusement  à  l'étude  du  droit  et  de  la  jurispru- 
dence. Il  avait  prêté  son  serment  d'avocat  en  1 78 1 ,  et  se 
préparait  à  soutenir  sa  thèse  de  docteur ,  lorsqu'on  lui  pro- 
posa de  l'attacher  au  duc  d'Uzès  en  qualité  de  secrétaire. 
Il  accepta  ;  mais ,  sentant  que  cette  existence  précaiie  ne 
pouvait  lui  convenir,  il  reprit  son  stage  vers  la  fin  de  1785, 
et  allait  être  inscrit  en  1789  au  tableau  des  avocats,  lorsque 
l'ordre  fut  dissous  par  les  événements  de  la  révolution. 
Devenu  successivement  chef  de  bureau  à  la  liquidation 
générale,  juge  à  la  cour  de  cassation,  député  au  corps 
législatif  et  membre  du  tribunat,  d'où  il  fut  éliminé  pour 
son  indépendance ,  il  porta  dans  ses  différents  emplois  de 
l'exactitude,  du  zèle,  de  l'intelligence,  l'amour  de  ses  de- 
voirs ,  et ,  comme  il  le  dit  lui-même ,  la  volonté  constante 
de  faire  le  bien.  Il  remplit  des  fonctions  importantes ,  qu'il 
n'avait  souvent  ni  désirées  ni  demandées,  et  qu'il  ne  regretta 
point,  et  il  en  sortit  aussi  pauvre  qu'il  y  était  entré,  n'ayant 
pas  cru  qu'il  lui  fut  permis  d'en  faire  des  moyens  de  fortune 
et  d'avancement.  Voué ,  depuis,  entièrement  à  l'étude  des 
lettres ,  qui  lui  avaient  valu  déjà  de  doux  loisirs ,  et  à  la 
France  im  conteur  et  un  poète  dramatique  de  premier 
ordre ,  il  professa  pendant  douze  ans  la  grammaire  et  les 
belles-lettres  à  l'École  Polyteclmique ,  et ,  sur  la  présenta- 
tion du  Collège  de  France,  de  l'Académie  Française  et  du 
ministre  de  l'intérieur,  il  fut  nommé  en  1814  à  la  chaire  de 
littérature  française  au  Collège  de  France ,  où  de  nombreux 
auditeurs  n'ont  jamais  cessé  d'applaudir  à  ce  choix.  On  a 
dit  de  lui  ingénieusement  que,  malgré  la  faiblesse  de  sa  voix, 
il  parvenait  à  se  faire  entendre  à  force  de  se  faire  écouter.  Il 
devint  en  1829  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  Française. 

A  sa  joUe  comédie  des  Etourdis ,  qui  a  opéré  en  Fiance 
le  retour  du  bon  goût  et  sur  la  scène  celui  du  vrai  comique^ 
il  faut  ajouter  Anaximandrc,  la  Suite  du  Menteur,  Mo- 
lière avec  ses  ainis,  le  Trésor,  le  Vieux  Fat,  la  Comé- 
dienne et  le  Manteau,  qui  se  trouvent  avec  quelques  autres 
ouvrages  dramatiques,  une  Notice  sur  lavieet  lesouvrages 
de  Cotliii  d'IIarleville,  une  Dissertation  sur  le  Promé- 
thée  enchaîné  d'Eschyle,  des  Fables ,  des  Contes  et  des 
Poésies  Jugilives,  dans  le  recueil  de  ses  œuvres,  publiées 
en  ISQ.!,  en  6  vol.  in-18. 

La  musc  aimable  de  M.  Andrieux  semble  être  inspirée 
par  les  Grâces ,  qu'il  a  si  bien  peintes  dans  sa  comédis 

7a 


AiNDRIEUX  —  A^^DROCLES 


<yAnax'imandre.  On  peut  iltrc  que  ccl  hommage  lui  a  porté 
bonlieur,  et  (juY'llcs  l'ont  pris  sous  sa  protection.  C'est  un 
ÀG  nos  auteurs  (lui  ont  le  mieux  paré  (le  tons  les  charmes 
de  l'esprit  les  conseils  de  la  raison ,  conseils  qui  ont  une 
double  force  quand  ils  sortent  de  la  bouche  d'un  homme 
joignant  l'exemple  au  précepte.  Beaucoup  d'actes  de  sa  vie 
doivent  être  ajoutés  à  ses  écrits  conmie  honorant  également 
sa  mémoire.  Nous  nous  contenterons  de  consigner  ici  qu'il  a 
contribué,  en  grande  partie,  à  l'adoption,  dans  les  mines 
d'Anzin,  de  la  fameuse  lampe  de  Duvy,  qui  a  préservé  les 
malheureux  ouvriers  de  tant  de  désastres.  —  M.  Andrieux 
futuni  d'wne  étroite  amitié  avec  CoUind'Harleville  et  Picard, 
ses  rivaux  de  talent  et  de  gloire.  11  est  mort  à  Paris,  le 
10  mai  1833. 

AA^DRIXOPLE  (  en  turc  Edrench  ),  la  seconde  capitale 
de  l'empire  olhoman ,  dans  l'ancienne  Thrcice ,  aujourd'hui 
Romnéiie,  à  177  kilom.  nord-ouest  de  Constanlinoplc ,  fut 
fondée  par  l'empereur  Adrien,  sur  la  rive  droite  de  l'Hi'brus 
(aujourd'hui  Maritza},  rivière  navigable  à  l'endroit  où  s'é- 
levait précédemment  Uscadamali.  Ce  prince  lui  donna  son 
nom  (Adrianopolis),  et  en  fit  la  capitale  de  la  province 
Hœmi  Mons.  Pour  lui  donner  l'apparence  d'une  origine 
grecque,  les  écrivains  byzantins  la  nomment  Arestia  ou 
Arestias.  Bâtie,  comme  Rome,  sur  sept  collines  p(îu  élevées, 
elle  n'a  guère  moins  d'étendue  eue  Constantinople  ;  parmi 
ses  80,000  habitants  on  compte  20,000  Grecs  placés  sous 
l'autorité  d'un  archevêque.  Elle  contient  deux  sérails  (palais), 
quarante  mosquées ,  dont  les  plus  magnitiques  sont  celles 
de  Sélim  II  et  de  Mourad  II,  vingt-quatre  viédrcsses 
(  écoles  supérieures  ),  un  aqueduc  et  vingt-deux  bains  ;  quatre 
cent  cinquante  beaux  jardins  bordent  les  rives  de  la  Ma- 
ritza, et  le  village  de  Uisekcl,  situé  à  peu  de  distance  de  là, 
est  un  véritable  jardin  de  roses.  Cette  ville  possè  le  d'impor- 
tantes fabriques  de  laine  et  de  soie,  et  fait  en  outre  un 
commerce  considérable  d'opium  et  d'huile  de  roses.  La 
meilleure  qu'on  connaisse  est,  en  effet,  celle  qui  se  prépare 
dans  ses  environs. 

Fortifiée  avec  soin,  Andrinople  résista,  au  quatrième  siècle, 
aux  attaques  dont  elle  fut  l'objet  de  la  part  des  Gollis.  Prise 
en  1360  par  le  sultan  Mourad  l",  elle  servit  de  résidence 
aux  souverains  turcs  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  maîtres  de 
Constantinople.  Un  incendie  a  dévoré  son  palais  en  1858. 
Pendant  la  guerre  de  1829  entre  les  Turcs  et  les  Russes  , 
Andrinople,  quoique  bien  fortiflée  et  occupée  par  une  gar- 
nison nombreuse,  fut  prise  sans  la  moindre  résistance,  le  20 
août,  par  le  général  piebitsch.  Cet  important  succès  de 
l'armée  russe  força  enfm  le  sultan  Mahmoud  à  accéder  à 
des  négociations  pour  la  paix  ,  qui,  par  les  conseils  des  au- 
tres puissances,  mais  surtout  grâce  aux  dispositions  toutes 
pacifiques  de  l'empereur  de  Russie  ,  Nicolas,  dont  le  roi  de 
Prusse  se  porta  l'interprète  par  l'entremise  de  son  envoyé,  le 
lieutenant  général  de  Muflling,  aboutirent,  le  14  septembre, 
à  la  conclusion  d'un  traité  de  paix  définitive  auquel  les  con- 
ventions de  Boukarest  et  d'Akjermann  servirent  de 
base.  En  vertu  de  l'article  16  de  ce  traité,  la  Porte  recouvra 
la  Valachie  et  la  Moldavie,  ainsi  que  toutes  les  conquêtes 
laites  par  les  Russes  en  Bulgarie  et  en  Roamélie.  Le  Prutli 
et  la  rive  droite  du  Danube  à  partir  de  son  embouchure 
servirent  de  ligne  de  démarcation  en  Europe  aux  posses- 
sions respectives  des  deux  parties  contractantes,  en  même 
temps  que  les  Russes  gardaient  les  territoire^  et  places 
dont  ils  s'étaient  emparés  en  Asie.  Les  Russes  obtinrent 
en  outre  le  droit  de  commercer  librement  dans  toutes  les 
parties  de  l'empire  ottoman,  la  libre  navigation  du  Danube, 
de  la  mer  Noire  cl  de  la  Méditerranée  et,  comme  toutes 
les  puissances  amies  de  la  Porte,  le  libre  passage  deà  Dar- 
danelles. Les  constitutions  de  la  Servie,  de  la  Valachie  et  de 
la  Moldavie  reçurent  un  caractère  indépendant  ;  et  la  Porte 
reconnut  l'existence  politique  de  la  Grèce.  Une  indemnité  de 
1.500,000  ducats  fut  accordée  à  la  Russie  pour  les  dilfércntes 


pertfs  qu'elle  avait  éprouvées  depuis  1800;  une  autrui  in- 
demnité, de  dix  millions  de  ducats  ,  qui  avait  été  stipulée 
pour  rembourser  à  cette  puissance  les  frais  de  la  guerre, 
fut  postérieurement  réduite  à  sept  millions.  La  paix  d'An- 
drinople  contribua  à  consolider  l'influence  de  la  Russie  à 
Constantinople,  de  même  que  sa  prépondérance  dans  l'est 
de  l'Europe  et  dans  l'Asie  centrale.  * 

AIVDRISCUS.  Quinze  ou  seize  ans  après  la  défaite  et 
la  prise  de  Persée,  dernier  roi  de  Macéiloine,  un  individu 
nommé  Andriscus,  né  à  Adramyttium,  ville  de  l'Asie  Mi- 
neure, s'avisa  de  se  faire  passer  pour  un  fils  de  ce  prince, 
né  d'une  concubine ,  et  prit  le  nom  de  Philippe.  Comptant 
sur  .sa  ressemblance  avec  celui  qu'U  disait  être  son  père ,  il 
entra  dans  la  Macédoine,  alors  tributaire  de  Rome,  espé- 
rant en  soulever  les  peuples.  Trompé  dans  cette  espérance, 
il  se  réfugia  près  de  Démétrius  Soter,  roi  de  Syrie,  qui  avait 
épousé  une  sœur  de  Persée.  Mais  son  imposture  ayant  été 
reconnue,  il  fut  livré  aux  Romains,  qui  le  mirent  en  prison. 

Bientôt  la  négligence  de  ses  gardes  lui  ayant  fourni  l'oc- 
casion de  s'échapper,  il  parvint  à  se  réfugier  en  Thrace , 
où  il  réussit  à  se  faire  des  partisans  et  à  lever  une  forte 
armée,  à  la  tète  de  laquelle  il  attaqua  la  Macédoine  ,  alors 
dégarnie  de  troupes,  s'en  rendit  maître  et  s'y  fit  reconnaître 
roi.  Bientôt  même  il  songea  à  s'agrandir,  et,  profitant  de 
ses  premiers  succès,  attaqua  la  Thessahe,  qu'il  conquit  en 
partie.  Rome  avait  déjà  l'éveil  ;  aussi  un  commissaire  du 
sénat,  Scipion  Nasica,  arrivé  sur  les  lieux,  réunit  promp- 
tement  des  troupes,  et  refoula  Andriscus  en  Macédoine.  La 
môme  année  (de  Rome  598),  le  préteur  Juventius  Thalna 
fut  envoyé  d'Italie  pour  soumettre  de  nouveau  la  Macé- 
doine. Présomptueux  et  ignorant,  Juventius  se  fit  battre  et 
tuer  ;  son  armée  fut  dispersée ,  et  Andriscus  recouvra  ses 
conquêtes.  Les  Romains  songèrent  alors  à  frapper  de  ce  côté 
un  coup  décisif  :  ils  lui  dépêchèrent  Cœcilius  Méte  11  us,  qui, 
non  .sans  éprouver  une  énergique  résistance ,  le  battit  deux 
fois  et  le  contraignit  à  chercher  un  asile  auprès  d'un  des 
princes  de  Thrace,  qui  commit  la  lâcheté  de  le  livrer  au 
préteur  romain.  Conduit  à  Rome,  il  y  fut  mis  à  mort. 

AIVDRO  ou  ANDROS,  île  de  l'Archipel  grec,  la  plus 
septentrionale  des  Cyclades,  par  22°  40'  long,  est  et  37° 
50'  latit.  nord ,  est  séparée  de  la  côte  méridionale  de  l'île 
d'Eubée  ou  de  Négrepont  par  le  canal  de  Silota.  Elle  a  en- 
viron 1 50  kilomètres  de  tour  et  quatre  myriamètres  carrés 
de  superficie.  Ses  15,000  habitants,  répartis  en  quarante 
villages,  sont  en  possession  de  fournir  aux  Européens 
établis  à  Constantinople,  à  Smyrne  et  autres  villes  du  Levant, 
des  serviteurs  des  deux  sexes.  Andro  est  couverte  de  mon- 
tagnes ;  ses  plaines  et  ses  vallées  sont  fertiles  en  vin,  en  blé, 
en  huile ,  en  soie ,  en  oranges  et  autres  fruits.  Il  y  a  aussi 
de  bons  pâturages  et  beaucoup  de  ruches.  Le  chef-lieu  de  l'île, 
qui  porte  le  même  nom ,  est  le  siège  d'un  évêché,  et  compte 
5,000  habitants.  Pourvue  d'une  bonne  rade  et  d'un  petit 
port ,  cette  ville,  située  sur  la  côte  orientale  de  l'île ,  est  le 
centre  dun  commerce  actif. 

ANDROCLÈS.  Voici  une  bien  vieille  histoire,  que 
d'année  en  année  se  passent  toutes  les  Morales  en  action 
qui  s'impriment  en  France  et  à  l'étranger.  Elle  charmera 
nos  petits-fils ,  comme  elle  a  charmé  nos  grands-pères.  C'est 
sur  la  foi  d'Api  on  qu'un  de  ces  honnêtes  recueils  raconte 
l'aventure.  On  la  trouve,  dit-il,  dans  le  cinquième  livre  des 
mémoires  de  cet  écrivain  sur  l'Egypte  :  .Egyptiaca.  Malheu- 
reusement si  nous  connaissons  beaucoup  Apion,  sur  la  foi 
de  tous  les  biographes ,  il  faut  avouer  qu'il  n'en  est  pas  de 
même  de  ses  livres ,  q\ie  tous  les  biographes  disent  perdus. 
A  son  défaut,  Aulu-Gelle  vient  heureusement  à  notre  aide; 
Aulu-Gelle  ramasse,  comme  on  sait,  beaucoup  de  fragments 
d'auteurs  anciens,  et  aulivTe  V ,  ch.  14,  de  son  recueil ,  nous 
découvrons  le  récit  attribué  à  Apion  sur  Androclès.  Le  voici  ; 
mais  d'aboid  prévenons  clinritablement  nos  lecteurs  qu'A- 
pion  était  si  vantard ,  si  fanfaron  ,  si  menteur,  que  Tibcre 


ANDROCLÈS 
le  traitatt  sans  pitié  de  cymbale  retentissante  (ctjmbalitm 
inundi).  Toutelois  notre  narrateur  invoque  ici  une  circons- 
tance décisive  en  sa  faveur  :  il  n'a  lu  ni  entendu  raconter  le 
trait  en  question  ;  il  en  a  été  témoin  à  Rome.  A  la  bonne 
heure  !  Voilà  ce  qui  s'appelle  parier.  Lisons  et  croyons  : 

«  On  allait  donner  au  Ciriiue  le  spectacle  d'un  grand 
combat  d'animaux,  dit  Aulu-Gelle,  ou  plutôt  Apion.  J'y 
cours.  Les  barrières  levées ,  Taréne  se  couvre  d'animaux 
haletants ,  monstres  furieux ,  d'une  taille  et  d'une  férocité 
extraordinaires.  On  voyait  surtout  bondir  de  gigantesques 
lions  ,  et  l'un  d'eux  attirait  plus  particulièrement  les  regards 
par  sa  stature,  ses  élans  vigoureux,  ses  muscles  gonflés , 
sa  crinière  flottante  et  ses  sourds  mugissements.  Un  fré- 
missanent  mianime  parcourut  tous  les  gradins  à  sa  vue. 
Parmi  les  malheureux  condamnés  à  disputer  leur  vie  à  la 
rage  de  ces  animaux  affamés,  s'avan(,ait  un  certain  Andio- 
clès ,  qui  avait  été  autrefois  en  Afrique  esclave  d'un  pro- 
consul. Dès  que  !e  lion  l'aperçut,  il  s'arrêta  stupéfait,  marcha 
à  lui  d'un  air  bienveillant  et  soumis  ,  agita  sa  (lueue  comme 
un  chien  qui  retrouve  son  maître,  entoura  de  ses  moelleux 
replis  l'homme  à  demi  mort  de  frayeur,  et  lécha  humble- 
ment ses  pieds  et  ses  mains.  Les  caresses  de  l'horrible 
animal  rappelèrent  Androclès  à  la  vie  ;  ses  yeux  éteints 
s'entr'ouvrirent  peu  à  peu  ;  ils  rencontrèrent  ceux  du  lion. 
Alors  s'oi)éra  miraculeusement  entre  la  victime  et  le  roi  des 
forêts  une  de  ces  reconnaissances  inattendues  que  nul  ne 
comprend;  et  ils  échangèrent  les  témoignages  les  plus 
sympatiiiques  de  joie ,  de  bonheur,  d'attachement  sincère. 

<t  Et  Rome  entière  à  ce  spectacle  poussa  des  cris  d'ad- 
miration ,  et  César  appela  l'esclave,  et  lui  dit  :  «  Pourquoi 
es-tu  le  seul  que  la  fureur  de  ce  lion  ait  épargné?  »  — 
«  Voici  mon  aventure ,  seigneur,  lui  répondit  Androclès. 
Pendant  que  mon  maître  gouvernait  l'Afrique  en  qualité  de 
proconsul,  les  traitements  injustes  et  cruels  auNquels  j'étais 
en  butte  de  sa  part  me  déterminèrent  à  prendre  la  fuite. 
Pour  échapper  aux  poursuites  du  dominateur  du  pays,  je 
m'enfonçai  dans  le  désert.  Les  arJeurs  mtolorables  du  soleil 
parvenu  au  milieu  de  sa  carrière  me  tirent  chercher  une 
retraite  :  j'avisai  un  antre  profond  et  ténébreux  ;  mais  à 
peine  y  étais-je  entré ,  que  je  vis  venir  à  moi  ce  lion ,  qui 
s'appuyait  douloureusement  sur  sa  patte  ensanglantée.  La 
violence  de  sa  douleur  lui  arrachait  d'affreux  rugissements. 
L'aspect  de  cet  animal  féroce  me  glaçA  d'abord  d'épou- 
vante; mais  à  peine  m'eut-il  aperçu,  qu'il  s'avança  vers 
moi  avec  douceur,  me  montra  sa  blessure,  et  parut  implorer 
mon  assistance.  J'arrachai  une  grosse  épine  enfoncée  entre 
ses  griffes  ;  j'osai  même  presser  sa  plaie  et  en  exprimer 
tout  le  sang  corrompu  qu'elle  contenait,  puis  je  la  lavai 
soigneusement.  Le  lion,  soulagé,  se  coucha  à  mes  pieds,  et 
s'endormit  profondément.  Depuis ,  nous  avons  vécu  trois 
ans  en  bonne  intelligence  dans  cette  caverne;  il  s'était 
chargé  de  ma  nourriture  ;  il  allait  à  la  chasse  pour  nous 
deux,  et  m'apportait  les  meilleurs  morceaux,  que  je  faisais 
rôtir  aux  rayons  brûlants  du  soleil.  Las  pourtant  de  ce 
genre  de  vie,  je  résolus  un  jour  de  m'y  soustraire,  et, 
profitant  d'un  moment  où  il  était  allé  chasser,  je  m'éloignai 
de  la  caverne ,  et  tombai ,  après  trois  jours  de  marche  , 
entre  les  mains  des  soldats.  Ramené  d'Afrique  à  Rome,  je 
comparus  devant  mon  maître ,  qui  me  condamna  à  être 
dévoré.  Mon  vieil  ami,  plus  reconnaissant  que  bien  des 
hommes,  m'a  reconnu.  Vous  savez,  seigneur,  le  reste.  » 

«  A  ces  mots  l'enthousiasme  de  la  foule  éclata  en  cris 
redoublés  ;  elle  demanda  la  vie  de  l'esclave,  elle  demanda 
qu'on  lui  rendît  son  lion  ;  ses  va-ux  turent  exaucés ,  et 
longtemps  on  vit  dans  la  ville  immortelle  Androclès  se  pro- 
mener tenant  en  laisse  son  libérateur,  que  les  dames  ro- 
maines couvraient  de  fleurs  sur  son  passage.  » 

Tel  est  ie  récit  d'Apion  ,  ou  plutôt  d'Aulu-Gelle.  11  parais 
sait  fabuleux  il  y  a  trente  ans.  Grâce  aux  prodiges  journa- 
liers  des  Carters,  des  Van-Amburg  et  de  tous  les  autres 


-  AINDROIDE  sr>h 

dompteurs  d'animaux  qui  pullulent,  il  y  aurait  extrava- 
gance aujourd'hui  à  refuser  d'ajouter  une  foi  complète  à 
cette  simple  et  naïve  historiette. 

AiXDKOGYlVE  (du  grecàvr-p,  àv5p6;,  homme,  et  de 
YUV7Î,  femme).  Ce  terme  s'emploie  en  zoologie  pour  dési- 
gner certains  animaux  qui  réunissent  les  deux  sexes,  mais 
chez  qui  l'acte  de  la  géuérafion  ne  peut  cependant  s'accom- 
plir que  par  l'accouplement  de  deux  individus  qui  se  fé- 
condent nuituellement,  et  c'est  ce  qui  fait  que  Vandrogynisme 
difi'ère  de  Vh  ermaphrodisme.  Ainsi  les  huîtres,  les  mou- 
les ,  et  en  général  les  mollusques  bivalves  ,  qui  semblent  se 
féconder  eux-mêmes,  sont  hermaphrodites  ;  au  contraire,  les 
univalves,  tels  que  limaçons,  buccins,  cornets,  bulinies, 
cyprées,  ou  encore  quelques  annélides  apodes,  les  sang- 
sucs  ,  les  vers  de  terre  sont  androgynes.  —  lin  botanique 
on  établit  une  division  analo-îue  en  nommant  androgynes 
les  plantes  qui  ont  à  la  fois  des  fleurs  m;\les  et  des  fleurs 
femelles  sur  le  même  individu ,  tandis  que  les  plantes  her- 
maphrodites présentent  les  deux  organes  sexuels  sur  un 
même  périanthe  :  ce  second  cas  est  le  plus  fréquent  ;  on 
trouve  des  exemples  du  premier  dans  le  noyer  et  dans  toutes 
les  plantes  que  Linné  avait  réunies  d'après  ce  caractère  ,  en 
une  seule  classe ,  la  monoécie. 

Vandrogynisme  constitue  aussi  un  mythe  de  l'antiquité 
dont  on  trouve  des  traces  dans  IMoise  et  dans  Platon.  Les 
anciens  imaginaient  que  l'honmie  et  la  fennne,  incomplets 
aujourd'hui ,  et  se  cherchant  l'un  l'autre ,  ne  foriuaient  dans 
le  principe,  qu'un  môme  être,  double  dans  sa  fornie,  mais 
unique  dans  son  consentement  et  son  activité  ,  et  que  cet 
être,  séparé  en  deux  postérieurenient  à  sa  création  première, 
a  par  là  domié  lieu  à  l'espèce  humaine  telle  qu'elle  est 
aujourd'hui.  _ 

ANDROIDE  (du  grec  àvi^p,  àvôpo;,  homme,  et  de  slSor, 
forme),  automate  à  figure  humaine,  q\ii,  au  moyen  de 
ressorts ,  exécute  quelques-unes  des  actions  particulières  à 
l'homme. 

Les  poupées  mécaniques  qui  courent  autour  d'une  table, 
en  remuant  la  tête,  les  yeux,  les  mains,  étaient  des  petits 
androides  communs  chez  les  Grecs,  d'où  plus  tard  ils  furent 
apportés  chez  les  Romains.  De  semblables  figiuines  ser- 
vaient anciennement  à  faire  des  miracles;  mais  aujourd'hui 
qu'on  ne  croit  plus  guère  aux  sorciers,  ces  innocents  com- 
plices des  magiciens  d'autrefois  sont  devenus  des  jouets 
dont  on  amuse  les  enfants. 

Le  premier  androïde  qui  ait  acquis  quelque  célébrité 
est  attribué  à  Albert  le  Grand,  qui  non-seulement,  dit-on, 
lui  avait  octroyé  le  don  du  mouvement ,  mais  môme  celui 
de  la  parole.  On  rapporte  que  Thomas  d'A(xuin ,  en  aper- 
cevant cet  automate,  fut  tellement  effrayé,  qu'il  le  brisa 
en  morceaux ,  ce  qui  arracha  à  Albert  cette  exclamation  de 
regret  :  Periit  opiis  triginta  annorum  ! 

Il  paraîtrait  que  Descartes ,  voulant  prouver  démonstra- 
tivement  que  les  bêtes  n'ont  point  d'ûme ,  avait  construit 
un  automate  auquel  il  avait  donné  la  figure  d'une  jeuni! 
fille,  et  qu'il  l'appelait  en  plaisantant  sa  .////e  Franchie. 
Dans  un  voyage  sur  mer,  on  eut  la  curiosité  d'ouvrir  la 
caisse  dans  laquelle  Francinc  était  enfermée,  et  le  capitaine, 
surpris  des  mouvements  de  cette  machine,  qui  se  remuait 
comme  si  elle  eût  été  animée,  la  jeta  dans  la  mer,  craignant 
que  ce  fût  quelque  instrument  de  magie. 

Les  plus  parfaites  et  les  plus  célèbres  ligures  en  ce  genre 
furent  sans  contredit  le  Auteur  et  le  joueur  de  tambourin  de 
Vaucanson.  Le  premier  de  ces  automates  fut  construit 
et  exposé  à  Paris,  en  1738;  il  fut  l'objet  d'un  mémoire  que 
l'auteur  adressa  à  l'Académie  des  Sciences,  mémoire  qui  lui 
attira  d'unanimes  éloges.  Nous  ne  placerons  pas  dans  cet 
article  les  détails  du  mécanisme  ingénieux  décrit  par  Vau- 
canson (voir  les  Mémoires  de  l'Académie  des  Sciences, 
1738);  nous  nous  contenteroas  de  rappeler  que  le  Auteur, 
copié  d'appcs  une  statue  de  Coysevox  ,  exécuta-t  divers 

70. 


556  ANDROÏDE  — 

morceaux  de  musique  avec  une  étonnante  perfection.  Ce 
clief-d'œuvre  passa  en  Allemagne  ;  on  en  a  lait  beaucoup 
d'imitations. 

Vaucanson  a  été  imité  en  apparence  par  un  Hongrois ,  le 
baron  Wolfgang  de  Kempelen,  qui  construisit  en  17C0  un 
androïde  joueur  d'échecs.  Apporté  en  178:$  en  Angleterre, 
il  y  demeura  exposé  près  d'un  an ,  puis  il  fut  acheté  par 
le  grand  Frédéric,  et  resta  bientôt  démonté  et  comme  enfoui 
dans  un  coin  de  son  palais,  jusqu'à  ce  que  jS'apoléon,  amené 
par  la  victoire  à  Berlin,  lit  remonter  la  machine,  et  lutta 
avec  elle.  Depuis  cette  époque ,  le  joueur  d'échecs  a  recom- 
mencé ses  voyages  dans  les  diverses  capitales  d'Europe. 

On  a  été  longtemps  sans  comprendre  le  mécanisme  de 
ce  dernier  androïde.  Les  observateurs  étaient  convaincus 
qu'une  simple  machine  ne  pouvait  pratiquer  un  jeu  qui  est 
entièrement  du  ressort  de  l'intelligence.  Enfin,  on  sut  plus 
tard  qu'un  homme  était  caché  dans  la  table  sur  laquelle 
était  posé  l'échiquier;  les  pièces  fortement  aimantées  fai- 
Mient  mouvoir  de  petites  bascules  en  fer  placées  sous  cette 
table,  et  indiquaient  au  directeur  le  coup  qui  venait 
d'être  joué,  coup  qu'il  reproduisait  aussitôt  sm-  un  échiquier 
de  voyage;  puis,  après  avoir  calculé  sa  riposte,  il  la 
faisait  exécuter  par  l'androïde ,  au  moyen  de  ressorts  qui 
faisaient  mouvoir  les  bras  et  les  doigts  du  prétendu  joueur. 
De  nos  jours  enfin ,  tout  le  monde  a  pu  voir  à  Paris 
deux  androïdes  fort  curieux,  appartenant  à  M.  Côte;  le 
plus  remarquable  des  deux  exécutait  sur  le  piano  des  airs 
ravissants.  Ce  sont ,  comme  ceux  de  Vaucanson ,  de  véri- 
tables automates,  tandis  que  l'ouvrage  du  baron  de  Kem- 
pelen, n'agissant  que  sous  une  impulsion  étrangère,  ne 
mérite  pas  ce  nom. 

ANDROMAQUE,  fille  d'Éétion,roi  de  Thèbes,  en 
CiUcie,  et  femme  d'Hector,  fils  de  Priam.  Sa  beauté,  ses 
vertus ,  son  amour  conjugal  et  maternel  ont  été  successive- 
ment immortalisés  par  Homère,  par  Virgile  et  par  Racine; 
mais  il  ne  faut  pas  toujours  se  fier  aux  poètes  pour  écrire 
l'histoire.  En  vain  Racine,  dans  sa  belle  tragédie,  nous  la 
représente-t-il  inébranlablement  fidèle  à  son  époux,  alors 
môme  qu'il  n'est  plus  ;  nous  la  voyons,  dans  le  partage  dos 
prisonniers  qui  a  lieu  après  la  prise  de  Troie,  échoir  à  ce 
même  Pyrrhus  auteur  de  tous  ses  maux,  et  qui  vient  de 
faire  précipiter  son  fils ,  son  cher  Astyanax,  du  haut  d'une 
tour.  Elle  le  suit,  toute  résignée,  en  Épire,  et  se  soustrait  si 
peu  à  ses  embrassements ,  qu'elle  lui  donne  bientôt  trois 
enfants  pour  remplacer  l'orphelin  qu'elle  pleure  et  qu'il  a 
tué  :  à  savoir  :  Molossus,  Piélus  et  Pergame.  Plus  tard, 
Pyrrhus  lui-même  s'en  dégoûte,  et  il  la  passe  à  Hélénus, 
frère  d'Hector,  dont  elle  a  promptement  un  cinquième  fils , 
Cestrinus.  Suivant  Pausanias,  elle  se  serait  réfugiée  enfin 
dans  l'Asie  Mineure,  avec  Pergame,  le  plus  jeune  des  en- 
fants qu'elle  avait  eus  de  Pyrrhus. 

ANDROMÈDE,  fille  de  Céphée,  roi  d'Ethiopie,  et  de 
Cassiopée.  La  mère  et  la  fille  étaient  d'une  rare  beauté.  La 
première  ayant  osé  prétendre  que  la  seconde  surpassait  en 
beauté  les  Néréides,  et  même  la  reine  des  dieux,  les  diesses 
offensées  demandèrent  vengeance  à  leur  père ,  qui ,  après 
avoir  inondé  les  États  de  Céphée,  suscita  un  affreux  monstre 
marin  qui  menaçait  de  tout  détruire.  L'oracle,  consulté, 
répondit  que  la  colère  de  Neptune  ne  s'apaiserait  que 
lorsque  Céphée  exiKtserait  sa  fille  à  la  voracité  du  monstre. 
Les  Éthiopiens  le  forcèrent  d'exécuter  la  volonté  du  dieu , 
et  l'innocente  Andromède  fut  liée  à  un  rocher.  Persée,  qui 
revenait  sur  le  cheval  Pégase  de  son  expédition  contre  les 
Gorgones,  aperçut  Andromède,  fut  ému  d'amour  et  de  pitié, 
et  s'engagea  à  tuer  le  monstre  si  l'on  voulait  lui  donner  la 
main  de  la  princesse.  Le  père  le  lui  ayant  promis,  il  pétrifia 
le  monstre  en  lui  montrant  la  tète  de  Méduse ,  et  épousa 
Andromède,  dont  il  eut  plusieurs  enfants,  entre  autres  Sthé- 
lénus  et  Électnon.  En  mémoire  des  hauts  faits  de  Persée, 
Pallas  changea  Andromède  en  constellation. 


ANDROUET 

ANDROMÈDE  (Astronomie),  constellation  de  l'hé- 
misphère boréal,  comprenant  vingt-sept  étoiles  visibles  à 
l'œil  nu ,  les  seules  que  Ptolémée  ait  connues.  Depuis,  et 
avec  les  progrès  de  l'optique ,  leur  nombre  a  été  porté  à 
quarante-sept  par  Hevelius,  et  à  soixante-six  par  Flam- 
steed.  La  place  qu'occupe  cet  ensemble  d'étoiles  présente 
une  heureuse  concordance  avec  les  faits  mythologiques  : 
séparée  de  Céphée  par  la  voie  lactée ,  elle  a  la  constellation 
de  Persée  au-dessous  de  l'étoile  y  de  son  pied  austral.  Elle 
est  encore  bornée  par  Cassiopée  et  par  Pégase. 

ANDRONIC  I-IV,  empereurs  de  Constantinople. 
Voyez  CoMNKNE  et  Paléologce. 

ANDRONICIENS,  hérétiques  du  deuxième  siècle,  ap- 
partenant à  la  secte  des  sévériens.  Suivant  eux,  la  par- 
tic  supérieure  des  femmes  était  l'œuvre  de  Dieu ,  la  partie 
inférieure  celle  du  diable. 

ANDRONICUS  LIVÎUS,le  père  de  la  poésie  épique 
et  dramatique  parmi  les  Romains ,  Grec  rie  naissance  et 
originaire ,  à  ce  qu'on  suppose  ,  de  Tarente  ,  fut  plus  tard 
l'affranchi  de  Marcus  Livius  Salinator,  dont  il  éleva,  dit- 
on  ,  les  enfants ,  et  vécut  vers  le  milieu  du  troisième  siècle 
avant  J.-C.  11  composa  d'après  les  modèles  grecs ,  dans  une 
langue  encore  grossière  et  inculte,  et  en  vers  saturnins 
faits  d'après  un  vieux  rhjlhme  romain ,  outre  une  traduc- 
tion de  VOdyssée  et  quelques  autres  poésies  épiques ,  un 
grand  nombre  de  tragédies,  qui  furent  représentées  à  Rome. 
Les  fragments  que  nous  en  possédons  ont  été  réunis  dans 
les  collections  d'Estienne  et  de  Maltaire ,  ainsi  que  par 
Bothe,  dans  ses  Poetx  scenici  Latini  (5  vol.,  Halber- 
stadt,  1823),  et  publiées  à  part  par  Diinzer  (Cologne,  1835). 
Consultez  Osann ,  De  Livii  Andronici  Vita,  dans  les  Ana- 
lecta  Critica  (Berlin ,  1816),  et  Dœllin,  De  Vita  Livii  An- 
dronici (Dorpat,  1833). 

ANDROPHORE  (  du  grec  àv^p ,  àvôpô; ,  homme ,  et 
de  çôpo;,  qui  porte).  Ce  nom  a  été  donné  par  quelques 
botanistes  aux  faisceaux  formés  par  la  soudure  des  filets  des 
étamines  entre  eux.  Suivant  que  ces  filets  sont  groupés  en 
un ,  deux  ou  plusieurs  androphores ,  les  végétaux  sont 
raonadelphes ,  comme  les  m.alvacées ,  diadelphes  ,  comme 
presque  toutes  les  légumineuses  papilionacées ,  ou  polya- 
delphes  ,  comme  l'oranger  et  le  ricin.  —  iM.  de  Mirbel  em- 
ploie aussi  le  mot  androphore  comme  synonyme  de  Jilet 
staminal. 

ANDROUET  (Jacques)  ,  surnommé  Du  Cerceau,  de 
l'enseigne  qui  pendait  à  la  porte  de  sa  maison ,  savant  ar- 
chitecte protestant  du  seizième  siècle.  La  Croix  du  Maine  le 
dit  Parisien;  d'autres  biographes  le  font  naître  à  Orléans. 
Selon  du  Verdier,  il  habitait  Montargis ,  où  s'était  retirée 
la  célèbre  Renée  de  France ,  dont  le  château  était  devenu 
l'asile  des  protestants  persécutés.  D'Angerville  rapporte  qu'il 
fut  au  nombre  des  architectes  français  qui ,  à  la  demande 
du  cardinal  d'Armagnac ,  obtinrent  d'être  envoyés  en  Italie 
pour  s'y  perfectionner  par  l'étude  des  monuments  antiques. 
Lesauteursde  la  France  protestante  {consc\ei\c\e\i\Teca(A, 
auquel  nous  empruntons  les  principaux  matériaux  de  cet 
article),  pensent  qu'il  s'agit  ici  de  son  fils,  qui  portait 
aussi  le  prénom  de  Jacques.  Dès  1579 ,  dans  la  dédicace ,  à 
Catherine  de  Médicis ,  de  son  second  volume  des  plus  ex- 
cellents bâtiments  de  France,  Androuet  se  plaint  de  ce 
que  la  vieillesse  ne  lui  permet  plus  de  «  faire  telle  diligence 
qu'il  eiit  fait  autrefois  ».  IMJL  Haag  pensent  aussi  que  ce  fut 
le  fils  qui  devint  architecte  de  Henri  II!  (si  tant  est  qu'il  en 
ait  eu  le  titre  officiel  ),  et  que  c'est  lui  qui ,  en  cette  qualité, 
fut  chargé  en  1.^78  de  la  construction  du  Pont-Neuf  à  Paris. 
La  Croix  du  Maine  est  muet  à  cet  égard  ;  mais  un  contem- 
porain, l'Estoile,  dit  positivement  dans  son  Journal  de 
Henri  III  :  «En  ce  même  mois  (mai),  à  la  faveur  des 
eaux  qui  alors  commencèrent  et  jusquesà  la  Saint-Martin 
continuèrent  d'être  fort  basses  ,  lut  connnencé  le  Pont-Neuf, 
de  pierre  de  taille ,  qui  conduit  de  Nesie  à  l'École  de  Saint- 


ANDROUET  —  ANDUJAR 


Gcmiain ,  soiis  l'ordonnance  du  jeune  du  Cerceau.  »  Les 
pierres  civiles  tirent  sus|>endro  ce  prand  travail,  qui  ne 
fut' repris  qu'en  lOOi,  sous  la  direction  de  Guillaume  Mar- 
chand. 

Selon  d'.Vngerville,  Henri  rv  ayant  chargé ,  en  1596, 
Androuet  de  continuer  la  galerie  du  Louvtc  ,  les  troubles 
religieux  le  forcèrent  h  quitter  le  royaume  avant  d'avoir 
achevé  cet  ouvrage.  L'Estoile  sert  encore  à  rectifier  cet 
anachronisme.  «  En  ce  temps-là,  dit-il  (décembre  1585), 
beaucoup  de  la  religion ,  pour  sauver  leurs  biens  et  leurs 

vies ,  se  font  catéchiser  et  retournent  à  la  messe  ; 

d'autres  va,  de  bas  tenants,  qui  tiennent  ferme  et  aban- 
donnent tout.  Fut  de  ce  nombre  André  Cerceau ,  excellent 
architecte  du  roi ,  lequel  aima  mieux  quitter  Tamitié  du  roi 
et  renoncer  à  ses  promesses  que  d'aller  à  la  messe,  et, 
après  avoir  laissé  sa  maison,  qu'il  avait  nouvellement  bâtie 
au  Pré-aux-Clercs ,  il  prit  congé  du  roi,  le  suppliant  «  ne 
trouver  mauvais  qu'il  fust  aussi  fidèle  à  Dieu  qu'il  l'avoit 
été  et  le  seroit  toujours  à  sa  majesté.  « 

Le  château  des  Tuileries  ,  avant  que  Henri  IV  songeât  à 
l'agrandir,  n'était  composé  que  du  pavillon  du  milieu  et  des 
deux  corps  de  logis  latéraux,  avec  terrasse  sur  le  jardin, 
chacun  terminé  par  un  pavillon.  Du  Cerceau  douna  le  dessin 
des  augmentations,  et  en  dirigea  les  travaux ,  à  la  suite  des- 
quels la  façade  se  trouva  telle  qu'elle  est  aujourd'hui.  On 
commença  aussi  la  grande  galerie  du  Louvre ,  où  l'œuvre 
de  Du  Cerceau  qui,  selon  d'Angerville ,  s'arrête  au  premier 
avant-corps ,  présente  une  décoration  formée  de  grands  pi- 
lastres composites  accouplés ,  soutenant  des  frontons  tour 
à  tour  triangidaires  et  mi-circulaires.  On  doit  encore  pro- 
bablement faire  honneur  au  même  architecte  de  la  totalité , 
ou  d'une  grande  partie  au  moins,  des  édifices  qu'on  attribue 
à  son  père ,  tels  que  les  hôtels  de  Carnavalet  (  embelli  des 
sculptures  de  Jean  Goujon) , des  Fermes,  deBretoiivilliers, 
de  Sully,  de  ]\Iayenne ,  etc.  «  Du  Cerceau,  dit  en  finissant 
d'Angerville,  a  été,  ainsi  que  ses  Jils ,  ua  des  meilleurs  ar- 
chitectes de  son  temps;  mais  Jacques  a  de  beaucoup  sur- 
passé son  frère ,  auquel  il  a  survécu.  Kul  n'a  dessiné  tant  de 
bâtiments  anciens  et  modernes.  Il  a  fait  de  grands  mor- 
ceaux d'architecture ,  des  termes ,  des  jeux  de  perspective , 
des  vases  et  des  buffets  d'eau.  » 

Tous  les  biographes  font  mourir  Du  Cerceau  à  l'étranger; 
ils  ne  savent  ni  où  ni  en  quelle  année.  La  Croix  du  Jlaine 
se  tait  à  cet  égard,  et  pourtant  la  forme  de  son  article,  où 
il  est  dit  que  Androuet  a  été  l'un  des  plus  savants  archi- 
tectes de  son  temps  et  qu'il  florissait  en  1570 ,  semble  in- 
diquer clairement  que  le  grand  artiste  ne  vivait  plus  à  l'é- 
poque où  il  écrivait  sa  notice. 

AIVDRY  (  Cil\rles-Lolis-François  ) ,  médecin  célèbre, 
né  à  Paris,  en  1741.  Son  père,  droguiste  du  quartier  des  Lom- 
bards, le  laissa  par  sa  mort  héritier,  dès  sa  jeunesse,  d'une 
fortune  assez  ronde  de  six  à  huit  mille  francs  de  rente.  Andry 
fit  d'excellentes  études.  —  >'ommé  médecin  en  chef  d'un  des 
hôpitaux  de  la  ville,  et  mis  au  nombre  des  premiers  mem- 
bres de  la  Société  royale  de  Médecine  créée  par  Sénac,  An- 
dry  se  montra  presque  aussi  désintéressé  que  l'avait  été 
Fagon  dans  le  siècle  précédent.  11  s'était  prescrit  la  règle  de 
donner  aux  malades  dénués  le  dixième  de  ses  revenus  et  l'en- 
tière rétribution  de  ses  sinécures;  mais  ce  dixième  annuel 
diminua  peu  à  peu  avec  le  principal,  et  il  lui  fallut  restreindre 
ses  écuries  à  l'époque  où  ses  occupations  auraient  exigé  qu'on 
les  agrandît.  Andry  mourut  le  8  avril  1829,  à^é  de  quatre- 
vingt-huit  ans.  Bien  que  sans  ambition  et  sans  brigue,  il  fut  un 
des  quatre  médecins  consultants  de  l'empereur,  et  LouisXVl  1 1 
décora  sa  poitrine  du  grand  cordon  noir,  insigne  de  l'ordre 
de  Saint-Michel.  —  Andry  se  montra  un  des  premiers  par- 
tisans de  Jenner  et  un  des  plus  zélés  promoteurs  de  la  vac- 
cine; mais  il  fut  un  des  antagonistes  de  Mesmer.  Il  fit  partie 
de  la  fameuse  commission  instituée  par  l'ordie  de  Louis  .\Vi 
iwur  contrôler  les  jongleries  scandaleuses  de  la  place  Ven- 


557 


dôme.  Trop  occupé  pour  écrire,  il  a  cependant  laissé  quel- 
ques bons  ouvrages  :  un  sur  la  rage,  qui  eut  plusieurs  édi- 
tions et  fut  traduit  à  l'étranger;  un  sur  les  effets  théra- 
peutiques de  l'aimant,  et  un  Traité  de  Matière  Médicale. 
Il  composa  même  un  volume  sur  le  jardinage,  mais  avec 
la  prudence  de  déguiser  le  nom  de  l'auteur  sous  l'ana- 
gramme de  Randij.  Andry,  encore  jeune,  avait  publié  l'é- 
loge du  docteur  Sanchez,  praticien  de  mérite,  qui  lui  avait 
légué  quelques  volumes  et  ses  manuscrits. 

Un  autre  Andry  (Mcolas),  né  à  Lyon,  en  1668,  et  qui 
mourut  à  Taris,  la  même  année  où  naquit  le  précédent,  fut 
tour  à  tour  philosophe,  théologien,  médecin,  professeur  au 
Collège  royal  de  France  ou  de  Cambray,  rédacteur  du  Jour- 
nal des  Savants,  etc.  Aussi  intrigant  et  avide  que  notre 
Andiy  fut  modeste  et  généreux,  il  fut  doyen  de  la  Faculté, 
qu'il  tyrannisait  ;  il  l'eût  même  déconsidérée  par  ses  que- 
relles scandaleuses,  si  cette  compagnie  n'eût  pris  le  parti 
de  l'évincer  du  décanat,  qu'il  déshonorait.  Parfaitement  en 
cour,  où  lui  donnaient  accès  un  feint  dévouement  et  quelques 
talents,  il  y  dénonçait  ses  collègues,  qui  pensaient  l'avoir 
pour  appui,  et  osait  dénaturer  leurs  délibérations,  afin  de 
rehausser  son  zèle  personnel  et  de  concentrer  en  lui  toute 
faveur.  Il  publia  plusieurs  libelles  contre  Hecquet,  Lemery, 
J.-L.  Petit,  et  contre  Geoffroy,  qui  lui  succéda.  Toutefois,  et 
au  milieu  de  tous  ses  pamphlets,  il  composa  quelques  bons 
ouvrages,  soit  sur  l'orthopédie  (  le  meilleur  de  tous  ) ,  sîir 
la  peste,  sur  les  aliments  et  le  régime  du  carême,  sur  le 
thé,  et  sïir  la  génération  des  vers  datïs  le^orps  humain, 
dernier  ouvrage,  qui  eut  du  succès  et  plusieurs  éditions.  Les 
nombreux  ennemis  d' Andry  ne  manquèrent  pas  de  l'appeler 
doctor  Vermiculosus.  Isid.  Bocrdon. 

AiVDRYANE  (Alexandre),  Français  longtemps  pri- 
sonnier au  Spielberg,  né  vers  1798,  avait  quitté  son  pays 
pour  se  retirer  à  Genève,  où  il  rencontra  Buonarotti  et  rêva 
l'affranchissement  de  l'Italie.  Il  se  rendit  à  Milan  à  la  fin  de 
1822.  Arrêté  et  implii|né  dans  le  procès  des  sociétés  secrètes, 
il  fut  condamné  à  mort  avec  Confalioneri  ;  mais  l'empereur 
d'Autriche  leur  fit  remise  de  cette  peine  et  les  condamna  à 
passer  le  reste  de  leurs  jours  au  Spielberg.  Il  s'y  trouva  avec 
Silvio  Pellico  et  Maroncelli.  Sa  belle-sœur,  M^e  An- 
dryane,  qui  n'avait  cessé  ses  démarches,  obtint  enfin  sa  grâce 
en  1832  ;  il  revinten  France,  où  il  a  fait  paraître  \è?,Memoires 
d'un  prisonnier  d'État  au  Spielberg  (  1837-1838).    Z. 

AIVDLIJAR, ville  d'Espagne,  près  de  Jaen,  sur  le  Gua- 
dakjuivir,  où  l'on  fabrique  de  la  faïence,  des  poteries  et 
surtout  des  alcarazas.  Elle  a  pris  rang  dans  l'histoire, 
par  l'ordonnance  qu'y  rendit,  le  8  août  1823,  le  duc  d'An- 
goulême,  commandant  en  chef  de  l'armée  française. 
A'oyant  que  la  junte  de  régence  instituée  pour  concilier  les 
esprits  était  trop  passionnée,  il  se  retira  à  Andujar,  où  il  publia 
cette  ordonnance  par  laquelle  il  interdisait  aux  autorités  es- 
pagnoles de  faire  aucune  arrestation  sans  l'autorisation  du 
commandant  des  troupes  françaises,  et  enjoignait  l'élargisse- 
ment de  toutes  les  personnes  arrêtées  arbitrairement  et  pour 
des  motifs  politiques.  Cette  ordonnance  plaçait  en  outre  les 
journaux  et  les  journalistes  sous  la  surveillance  des  com- 
mandants français.  Cette  ordonnance  était  donc  faite  dans 
un  sens  presque  libéral;  aussi  les  absolutistes  jetèrent-ils 
les  hauts  cris.  La  régence  de  Madrid  protesta  en  masse.  Dans 
cette  capitale  l'ordonnance,  déjà  livrée  à  l'impression,  en 
fut  même  tout  à  coup  retirée.  On  crut  \\n  instant  avoir 
perdu  le  fruit  de  l'expédition  d'Espagne,  et  M.  de  Chateau- 
briand ,  en  écrivant  à  M.  de  Talaru,  ambassadeur  de  France, 
ne  lui  cachait  pas  ses  tristes  pressentiments  à  cet  égard; 
mais  si ,  d'un  côté  ,  l'ordonnance  contrariât  les  sentiments 
de  vengeance  des  ultra-royalistes,  de  l'autre,  elle  avait  l'as- 
sentiment des  libéraux  et  de  ceux  qui  comprenaient  que 
la  modération  était  le  meilleur  parti  à  suivre.  En  effet,  les 
esprits  .se  calmèrent,  et  l'ordonnance,  mise  en  vigueur, 
témoigna  du  progrès  qu'avaient  fait  les  idées  modérées  dans 


âôS 


ANDLJAll  —  ANE 


l'esprit  même  de  ceux  que  l'on  aurait  pu  en  croire  le  plus 
éloignés.  L'opinion  publique  sut  gré  d'ailleurs  au  duc  d'An- 
goulême  de  cet  acte  de  libéralisme ,  qui  valut  à  son  auteur 
le  surnom,  passablement  emphatique,  de  héros  pacificateur 
d'Andujar.  De  Fiukss-Colo.nna. 

AJXE  (du  latin  asinus),  mamniiftre  de  l'ordre  des 
pachydermes,  famille  des  solipèdes  ;  c'est  en  un  mot  une 
espèce  du  genre  cheval.  Sa  voix  a  un  son  très-rauque ,  ce 
qui  tient  à  deux  petites  cavités  particulières  situées  au  fond 
du  larynx  de  l'animal.  Son  cri  s'appelle  braire.  L'àne  se 
trouve  encore  aujourd'hui  à  l'état  sauvage  dans  les  steppes 
<le  la  Tartarie.  Là  sa  grandeur  est  celle  d'un  cheval  de 
moyenne  taille  ;  ses  oreilles  sont  moins  longues  que  celles 
de  nos  ânes  domestiques;  ses  jambes  sont  plus  longues  et 
plus  fines  ;  son  pelage  est  gris  et  quelquefois  d'un  jaune 
brunâtre.  Ces  animaux  vivent  par  troupes  innombrables; 
ils  courent  avec  une  rapidité  qui  défie  celle  des  meilleurs 
chevaux  persans.  Les  Kahtiouks  leur  font  la  chasse.  L'àne 
domestique  a  les  formes  plus  lourdes.  Originaire  des  pays 
chauds,  il  dégénère  dans  les  contrées  du  nord,  et  cesse  même 
de  se  reproduire  vers  60='  de  latitude.  La  durée  de  la  ges- 
tation de  l'ânesse  est  de  onze  mois.  Lu  général  elle  ne  met 
bas  qu'un  petit  à  la  fois.  Le  croisement  du  cheval  et  de 
l'ànesse  produit  une  espèce  hybride  nommée  mulet.  La 
France  possède  deux  races  d'ânes  :  celle  du  Poitou  a  le  poil 
laineux  et  long ,  la  race  de  Gascogne  a  le  poil  ras  et  une 
robe  brune  ou  bai-brun.  On  évalue  le  nombre  des  ânes  en 
France  à  quatre  cent  vingt  mille.  Quoique  chétifs  en  général 
dans  les  pays  septentrionaux,  ces  animaux  n'en  rendent  pas 
moins  d'immenses  services ,  et  ils  portent  des  fardeaux  consi- 
dérables. Leur  sobriété  est  très-grande  ;  leur  patience  est  ex- 
trême, mais  leur  entêtement  est  devenu  proverbial.  Le  pied 
de  l'âne,  plus  sûr  que  celui  du  cheval ,  le  rend  précieux  dans 
certaines  localités.  Sa  vue,  son  ouïe,  son  odorat  sont  aussi 
plus  développés  que  chez  le  cheval.  La  peau  de  l'âne  est 
recherchée  pour  sa  dureté  et  sou  élasticité.  On  en  fait  des 
tambours ,  des  cribles  et  des  cuirs  connus  sous  le  nom  de 
peau  de  chagrin. 

[Si  la  chèvre  est  la  vache  de  la  pauvre  femme,  l'âne  est  la 
monture  du  pauvre  homme,  et  il  ne  fait  jamais  de  dommage. 
Cependant  les  habitants  de  la  campagne  ne  cessent  de  le  frap- 
per, en  alléguant  que  cette  bête  est  la  bètedu  bonDieu,etqni 
n'a  été  créée  et  mise  au  monde  que  pour  travailler  et  pour  souf- 
frir; et  quand  vous  leur  demandez  pourquoi  ils  la  frappent  si 
brutalement ,  ils  vous  répondent  :  C'est  l'usage.  —  Dégrader 
de  sa  noblesse  originelle  une  race  entière  d'animaux,  l'acca- 
bler de  coups  et  de  misère  et  lui  reproclier  les  vices  que  nous 
lui  avons  donnés  en  la  tenant  dans  une  servitude  avilissante, 
c'est  là  sans  doute  une  chose  odieuse,  et  que  l'on  ne  peut  obser- 
ver ailleurs  que  chez  les  ânes.  Voyez,  vous  dit-on,  combien 
ces  bêtes  sont  abjectes,  indociles,  exténuées,  rogneuses.  J'en 
conviens  ;  mais  qui  est-ce  qui  les  a  faites  ainsi ,  si  c«  n'est 
vous-mêmes?  Sortez  du  lieu  où  vous  les  tenez  en  esclavage; 
allez  dans  leur  patrie  originelle,  examinez  l'àne  du  désert  li- 
vré à  l'état  naturel,  ou  retenu  dans  les  liens  d'une  domes- 
ticité honorable  et  soigneuse;  voyez  sa  taille  élevée,  sa  tête 
haute ,  son  poil  doux  et  luisant ,  ses  yeux  pleins  de  feu , 
ses  allures  vives  et  pourtant  assurées,  son  attitude  fière  et 
non  dépourvue  d'une  certaine  grâce,  voilà  l'àne  de  la  na- 
ture. Osez  actuellement  lui  comparer  votre  baudet,  tel  que 
votre  avarice  et  votre  dureté  nous  l'ont  fait.  —  Les  guer- 
riers arabes  font  leurs  tournées  et  leurs  patrouilles  montés 
sur  des  ânes,  et  ils  ne  se  servent  de  chevaux  qu'à  la  guerre 
ou  les  jours  de  parade.  On  compte  jusqu'à  quarante  mille 
de  ces  serviteurs  dans  la  seule  ville  du  Caire;  ils  y  servent 
pour  parcourir  la  ville,  comme  les  carrosses  de  place  en  Eu- 
rope. Les  plus  belles  Circassiennes,  revêtues  de  leur  voile,  ne 
dédaignent  pas  ces  montures.  Quoiqu'ils  aient  les  jambes  in- 
finiment plus  comtes  (pie  les  dromadaires,  ils  trottent  aussi 
vite  qu'eux.  Dans  les  Iles  de  Malte  et  de  Sardaigne,   où 


l'on  a  conservé  et  élevé  avec  soin  des  races  pures,  l'âne 
est  souvent  le  rival  heureux  du  clieval.  On  connaît  de  ré- 
putation les  ânes  d'Arcadie  ;  les  poètes  n'ont  pas  cru  dépla- 
cées les  fleurs  qu'ils  ont  jetées  sur  eux.  Dans  l'île  de  Madiné, 
où  la  transmigration  des  âmes  est  reçue  comme  dogme, 
on  rend  à  l'âne  une  sorte  de  culte.  La  croyance  religieuse 
de  ces  insulaires  est  que  les  âmes  des  héros  morts  au  ser- 
vice de  leur  patrie  vont  animer  le  corps  de  ces  quadrupèdes. 

Ce  qui ,  dans  la  préoccupation  de  nos  esprits ,  porte  an 
véntable  préjudice  à  l'âne,  c'est  que  nous  ne  voulons  ja- 
mais le  considérer  tout  siujplement  comme  un  âne.  IN'ous 
sommes  toujours ,  et  à  notre  insu ,  portés  à  le  comparer  au 
cheval.  Il  en  diffère  par  une  tête  plus  grosse,  des  yeux 
plus  écartés  l'un  de  l'autre,  des  lèvres  plus  épaisses  ,  une 
queue  plus  plate ,  moins  longue ,  plus  dépouillée  :  par  des 
oreilles  plus  longues ,  et  par  une  voix  qui  passe  un  peu 
trop  subitement  d'une  octave  à  l'autre.  Ce  n'est  que  par  ces 
accessoires  et  non  par  aucune  disposition  intérieure  et  orga- 
nique que  l'âne  difR-re  du  cheval  ;  et  ce  qui  prouve  mieux 
qu'aucun  discours  la  fraternité  des  deux  races ,  c'est  que  le 
cheval  étalon  regarde  les  ânesses  avec  amour,  et  que  les  ju- 
ments, abandomiant  la  fierté  de  leur  rang ,  ne  se  dérobent 
point  aux  empressements  d'un  animal  à  longues  oreilles , 
comme  ces  châtelaines  des  temps  chevaleresques ,  qui  se 
dépouillaient  de  leurs  vertugadins  quand  le  vilain  parais- 
sait. Cependant  une  sorte  de  fatahté  malheureuse  semble  s'ap- 
pesantir sur  l'âne,  parce  que  dans  l'échelle  des  quadru- 
pèdes il  est  le  second  et  non  pas  le  premier. 

L'âne  n'est  pas  un  enfant  bâtard  ;  il  porte  un  sang  pur, 
et  sa  noblesse  est  aussi  ancienne  que  celle  des  coursiers  les 
plus  fameux.  Les  Égyptiens  lui  en  voulaient  beaucoup , 
parce  qu'ils  accusaient  les  Juifs  de  l'adorer.  Cette  haine  passa 
des  hommes  aux  bêtes ,  et ,  comme  entre  toutes  les  sectes 
il  n'en  est  aucune  qui  abhorre  plus  les  juifs  que  la  secte 
chrétienne,  il  est  possible  que  ce  préjugé ,  transmis  de  siècle 
en  siècle ,  nous  inspire  de  l'aversion  pour  la  bête  maudite, 
moins  en  qualité  d'hommes  qu'en  qHalité  de  chrétiens,  et 
il  faut  que  cette  aversion  soit  bien  puissante,  puisque  la  croix 
de  la  rédemption  qu'elle  porte  sur  son  dos  n'a  pu  l'effacer. 

Les  païens  dédiaient  l'âne  à  Priape,  comme  dieu  des 
cyniques ,  et  l'on  ne  peut  s'empêcher  de  convenir  qu'il  y  a 
des  rapports  entre  le  dieu  et  la  bête.  Mais  pourquoi  dédier 
l'âne  à  Silène ,  quand  on  sait  quil  est  le  plus  sobre  des 
animaux?  La  peinture,  inspirée  par  la  religion,  a  vengé 
cet  animal  ;  il  est  entré  comme  partie  intégrante  dans  le  do- 
maine des  beaux-arts  ;  il  ne  figure  pas  seulement  dans  le 
genre  et  dans  le  paysage ,  il  appartient  à  l'histoire ,  et  pour 
donner  du  prix  à  un  Téniers  ou  à  un  Dorniniquin ,  il  n'est 
rien  tel  qu'un  âne. 

Donnez  à  l'âne  la  même  éducation  et  les  mêmes  soins 
qu'au  cheval ,  et  j'ose  assurer  qu'il  le  surpassera  de  beau- 
coup ,  parce  qu'il  apporte  en  naissant  de  plus  hautes  dispo- 
sitions. Le  jeune  ânon  est  plein  d'esprit,  de  gaieté,  de  gen- 
tillesse, et  même  de  grâce.  Si  vous  paraissez  dans  votre 
basse-cour,  un  instinct  secret  l'avertit  que  vous  êtes  son 
maître ,  et  il  quitte  le  pis  de  sa  nourrice  pour  venir  vous 
rendre  hommage.  Si  vous  êtes  à  table  dans  votre  château, 
et  qu'il  en  trouve  la  porte  ouverte,  il  vient  en  homme  de 
bonne  compagnie  se  placer  à  vos  côtés ,  et  ce  qu'il  de- 
mande ,  ce  n'est  pas  une  auge  ou  un  râtelier,  c'est  un  cou- 
vert. Avec  l'âge  il  perd  sa  gaieté,  il  devient  méditatif;  mais 
ce  qu'il  perd  en  gentillesse  il  le  gagne  en  profondeur.  Nous 
avons  vu  à  Paris  un  âne  savant  qui  résolvait  les  équations 
du  quatrième  degré  connue  s'il  avait  eu  l'ambition  d'être 
admis  à  l'École  Polytechnique. 

Quant  aux  affections  domestiques  et  aux  vertus  morales, 
nul  n'en  est  doué  plus  libéralement  que  lui.  On  a  vu  des 
ânesses  mourir  de  chagrin  parce  qu'on  leur  avait  enlevé 
leur  ânon.  D'autres  alïror.lent  les  incendies,  et  vont  se 
rémiirdans  retable  à  leur  enfant  qui  périt  dans  les  llamnies. 


ANE  —  ANEMIE 


659 


Onnnîo  il  a  roroille  fine  et  le  flair  excellent,  il  retrouve 
et  roiouiuiit  son  maître  au  milieu  d'une  foire  ou  dans  une 
ville  habitée  par  une  population  nombreuse.  Il  le  flaire, 
il  le  sent,  et  court  à  lui  quoiqu'il  Tait  souvent  excédé  de 
coups.  Si  l'âne  est  rétif,  c'est  (ju'ou  le  blesse  dans  les  ha- 
bitudes qu'on  lui  a  données  étant  jeune,  et  qu'il  ne  com- 
prend pas  le  caprice  qui  porte  sou  maître  à  s'en  écarter; 
s'il  se  couche  sur  le  ventre  quand  on  le  charge  trop,  c'est 
qu'il  n'a  (jue  ce  moyen  de  vous  faire  comprendre  que  vous 
l'iiccal.lez.  Si  le  mâle  est  lascif,  c'est  que  sa  femelle  entre 
en  chaleur  huit  jours  après  la  mise  bas  et  s'y  maintient 
pre<;que  toute  Tannée.  Cette  pauATe  béte ,  qui  dans  l'état 
sauvaiie  ou  dans  l'état  d'une  domesticité  tolérable  vit  au 
delà  de  trente  ans ,  vit  à  peine  chez  nous  douze  à  qiùnze 
ans  ;  et  à  cet  âge  on  traite  le  mâle  de  vietix  grison  et  la  fe- 
melle de  vieille  bourrique;  les  coups  et  les  mépris  ne  leur 
manquent  pas  â  tous  deux.  C'est  ainsi  qu'un  peuple  civi- 
lisé traite  ses  vieux  seniteurs. 

L'âne  vit  presque  de  rien,  et  il  sert  tout  le  jour.  Le  paysan 
qui  a  sa  vache  et  sou  âne  se  trouve  ainsi  placé  entre  sa 
nourrice  et  sa  monture.  11  porte  l'engiais  de  son  étable  et 
la  litière  qu'il  a  fécondée  sur  le  champ  du  pauvre  homme; 
il  en  rapporte  les  récoltes  diverses  dans  ses  granges  ;  il  va 
et  vient  sans  cesse,  porte  le  grain  au  moulin ,  les  fruits  au 
marché ,  le  bois  à  la  maison ,  ainsi  que  les  glanées  durant 
la  moisson ,  les  paquets  de  foin  durant  la  fenaison ,  le 
chaume  des  jachères ,  les  joncs  des  marais  et  les  mauvaises 
herbes  qui  croissent  le  long  des  chemins.  Soit  que  vous  lui 
mettiez  la  selle,  le  bât,  les  crochets,  les  hottes,  les  pa- 
niers, les  échelles ,  il  ne  se  refuse  à  rien ,  si  ce  n'est  au  mors, 
contre  lequel  il  a  une  grande  répugnance.  Lorsqu'il  est  en 
route ,  il  ne  vous  demande  d'autre  grâce  que  celle  de  le 
laisser  brouter  cliemin  faisant  quelques  sonmiités  de  char- 
dons, quelques  boutures  de  saule,  quelques  bourgeons 
d'orme  ou  de  peuplier ,.  ou  bien  de  boire  une  gorgée  dans 
l'eau  trouble  qu'il  fait  jaillir  sous  ses  pieds  ;  et  si  vous  lui 
permettez  de  se  rouler  un  instant  sur  le  gazon ,  vous  aurez 
contribué  au  premier  de  ses  plaisirs  ,  à  la  plus  suave  des 
voluptés  qui  lui  soit  pemiise  dans  ce  bas  monde.  Voilà 
comme  il  passe  son  temps  à  la  campagne.  Mais  à  la  ville 
d'autres  devoirs  l'appellent.  Dès  les  premiers  jours  de  mai, 
TOUS  voyez  de  grami  matin  le  pavé  de  Paris  couvert  d'â- 
nesses ,  pharmaciennes  agrégrées ,  qui  vont  frapper  à  la 
porte  de  tous  les  malades.  Elles  peitnettent  à  la  chèvre  de 
se  mêler  avec  elles ,  et  il  est  aujourd'hui  bien  établi  que  les 
docteurs  de  la  Faculté ,  tout  fourrés  qu'ils  sont  d'hermine, 
ont  moins  de  succès  que  ces  nouveaux  officiers  de  santé , 
revêtus  de  peaux  d'âne  ou  de  chèvre. 

Gardons-nous  donc  de  juger  lâne  comme  une  béte  mau- 
dite de  Dieu ,  parce  que  Dieu,  lors  de  la  création,  ne  maudit 
aucun  de  ses  ouvrages,  et  parce  que  les  vices  qu'il  peut 
avoir  proviennent  non  du  Créateur,  mais  de  nous-mêmes. 
Nous  ne  pouvons  pas  plus  juger  l'âne  sur  ceux  que  nous 
voyons  et  que  nous  accablons ,  que  nous  ne  pouvons  juger 
les  paisibles  habitants  du  Sénégal  sur  les  nègres  de  la  Ja- 
maïque. —  Dieu  a  créé  l'âne  libre,  sobre,  patient,  laborieux, 
Jidèle  ;  l'homme  a  fait  les  baudets  rétifs,  indociles  ,  vindica- 
tifs ;  il  leur  a  donné  ses  vices ,  et  il  ne  leur  a  emprunté  au- 
cune de  leurs  vertus.      Comte  Français  (  de  >"antes  ).] 

AXECDOTE  (du  grec  à  privatif,  et  éxôoto;,  publié) , 
ce  (pii  n'a  pas  encore  été  publié ,  mis  au  jour.  Nous  atta- 
chons ordinairement  à  ce  mot  l'idée  d'un  récit  court  et 
amusant,  d'un  trait  remarquable  ou  spirituel ,  d'un  événe- 
ment extraordinaire  ou  ridicule ,  connu  ou  non  connu ,  pu- 
blié ou  non  publié  ;  de  là  est  venue  l'obligation  d'y  ajouter 
le  mot  inédile  quand  on  veut  exprimer  l'idée  que  rendait 
seule  la  première  acception  du  mot  anecdote.  La  défmit'on 
de  cette  idée  est  d'autant  plus  diflicile,  qu'elle  comprend 
beaucoup  de  choses  différentes  :  souvent  le  mot  anecdote 
est  pris  comme  synonyme   d'a?J«.    Lorsqu'une  anecdote 


contient  des  délails  inconnus  sur  un  événement  intéressant, 
ou  sur  la  vie  d'une  personne  remarquable ,  ou  lorsqu'elle 
prend  une  tournure  spirituelle,  elle  peut  amuser  en  société; 
mais  cela  dépend  aussi  de  la  manière  dont  elle  est  racontée, 
et  surtout  si  elle  l'est  à  propos  ;  en  pareil  cas ,  il  peut  ar- 
river qu'une  anecdote  déjà  racontée  plusieurs  fois  fasse  une 
impression  encore  plus  agréable.  On  appelle  par  plaisanterie 
colporteur  d'anecdotes  celui  qui  à  la  moindre  occasion 
vous  importune  de  toutes  celles  que  sa  mémoire  lui  fournit  ; 
et  chasseur  d'anecdotes,  particulièrement  les  voyageurs  qui 
mêlent  à  leurs  descriptions  toutes  sortes  de  récits  menson- 
gers ou  insignifiants. 

L'histoire  trouve  un  puissant  auxiliaire  dans  l'anecdote. 
Nous  prenons  plaisir  bien  souvent  à  connaitre  les  petits 
motifs  et  les  petites  causes  des  événements  plutôt  que  les 
événements  eux-mêmes.  Delà  notre  goût  pour  les  Mé- 
moires, genre  de  littérature  intime  qui  nous  explique  bien 
des  mystères  du  cœur  humain. 

«  Je  n'aime  dans  l'histoire  que  les  anecdotes,  dit  M.  Mé- 
rimée ,  et  parmi  les  anecdotes  je  préfère  C'>lles  où  j'imagine 
trouver  une  peinture  vraie  des  mœurs  et  des  caractères  à  une 
époque  donnée.  Ce  goût  n'est  pas  très-noble  ;  mais,  je  l'a- 
voue à  ma  honte,  je  donnerais  volontiers  Thucydide  pour 
des  mémoires  authentiques  d'Aspasie  ou  d'un  esclave  de 
Périclès  ;  car  les  mémoires,  qui  sont  des  causeries  familières 
de  l'auteur  avec  son  lecteur,  fournissent  seuls  ces  portraits 
i  de  V homme  qui  m'amusent  et  qui  m'mtéressent.  Ce  n'est 
point  dans  Mézerai,  mais  dans  Montluc,  Brantôme,  d'Au- 
bigné,  Tavannes,  La  Noue,  etc.,  etc.,  que  l'on  se  fait  une 
idée  des  Fra)içais  au  seizième  siècle.  Le  style  de  ces  au- 
teurs contemporains  en  apprend  autant  que  leurs  récits.  « 

Mais  la  plupart  du  temps  ces  petits  récits  sont  faits  h 
plaisir.  «  Je  crois  peu  aux  anecdotes ,  et  moins  encore  à 
celles  de  mon  temps  qu'à  celles  de  l'antiquité ,  disait  un  gé- 
néral de  l'empire  ;  les  anecdotes  ne  sont  le  plus  souvent 
que  des  fictions  qui  dénaturent  l'histoire  pour  faire  ou  dé- 
faire des  réputations  ;  tous  ces  grands  mots  qu'on  prête  à 
tels  et  tels  n'ont  jamais  été  dits  par  eux,  et  pourtant  ils  ont 
été  si  souvent  répétés ,  qu'ils  se  sont  incorporés  à  l'histoire, 
à  tel  point  qu'il  serait  impossible  de  les  en  détacher.  Men- 
songes que  tout  cela.  »  Aussi  un  vétéran  du  journalisme , 
Bertin  l'aîné  ,  faisait-il  avec  raison  cette  recommandation  à 
ses  collaborateurs ,  à  propos  des  bons  mots  attribués  aux 
personnages  historiques  :  «  Il  n'est  pas  absolument  néces- 
sane  qu'un  fait  soit  vrai  ;  mais  il  faut  toujours  qu'il  soit 
vraisemblable.  » 

ANÉLECTRIQUE  (du  grec  àvà,  à  travers,  et  du 
français  électricité).  En  physique  on  divise  les  corps  en 
idio-électriques  et  en  anélectriques  :  les  premiers  sont 
susceptibles  de  prendre  l'électricité  par  le  frottement  direct; 
les  autres  n'acquièrent  la  vertu  électrique  que  lorsqu'on  les 
met  en  contact  avec  d'autres  corps  préalablement  frottés. 
L'ambre ,  la  gomme  laque  ,  les  résines,  le  soufre,  le  verre 
rentrent  dans  la  première  catégorie.  Dans  la  seconde,  on 
trouve  les  métaux,  l'eau  et  en  général  les  substances 
humides.  —  Les  corps  anélectriques  sont  meilleurs  con- 
ducteurs que  les  corjjs  idio-électriques. 

AIVTÉMIE  (du  grec  à  privatif,  et  a'ua,  sang) ,  mot  qui 
désigne  en  médecine  un  état  particulier  de  l'appareil  circu- 
latoire, dans  lequel  le  sang,  rare  ou  appau^Ti,  n'exerce  plus  sur 
l'organisme  la  môme  induence  vivifiante.  C'est  l'opposé  de 
\3i pléthore.  L'anémie  est  idiopathique  lorsque  les  causes 
qui  l'ont  produite  ont  agi  directement  sur  le  sang  comme 
une  alimentation  insuffisante,  l'inspiration  d'un  air  vicié, 
la  privation  de  lumière  solaire,  etc.  Elle  estsymptomatique 
lorsqu'elle  résulte  d'une  hémorragie,  lorsque  l'assimilation 
des  aliments  est  empêchée  par  quelque  altération  de  l'ap- 
pareil digestif,  lorsqu'une  affection  pulmonaire  ne  permet 
pas  au  sang  de  s'oxygénei-  complètement,  enfin ,  lors(]n'ell6. 
accompagne  une  lésion  organi(pie  du  cœur.  L'ancmie  se  c*t 


500 


ANEMIE  —  A^ES 


racJérise  par  une  respiration  diificile,  des  palpitations,  de  la 
faiblesse,  de  ressouffleitient  ;  la  peau  acquiert  une  coloration 
d'un  blanc  jaune,  les  traces  des  veines  disparaissent  de  la  peau, 
et  l'on  n'observe  plus  aucune  trace  de  vaisseaux  sanguins, 
même  dans  les  parties  qui  en  sont  le  plus  douées,  comme 
les  lèvres,  les  yeux,  la  langue.  Tous  ces  organes  sont  pâles 
et  décolorés.  Après  la  mort  on  ne  retrouve  dans  les  veines  et 
les  artères  qu'un  liquide  séreux  ,  peu  abondant  et  sans  cou- 
leur. Les  remèdes  les  plus  efficaces  contre  l'anémie  sont  les 
préparations  ferrugineuses,  les  toniques,  les  amers  et  les 
analeptiques,  avec  une  alimentation  appropriée. 

ANÉAIO.MÈTRE  (  du  grec  àv£;j.c; ,  vent,  et  ixèTpov, 
mesure  ) ,  instrimient  qui  sert  à  mesurer  la  vitesse  et  la 
force  du  vent.  Cette  force  se  mesure  par  le  temps  qu'il  met 
à  parcourir  un  espace  donné ,  et  réciproquement  sa  vitesse 
peut  s'apprécier  par  la  force  avec  laquelle  il  pousse  un  corps 
qui  est  opposé  perpendiculairement  à  sa  direction.  C'est  sur 
<:e  double  i>!incipc  qu'est  fondée  la  construction  de  l'anémo- 
mètre. Plusieurs  auteurs  se  sont  occupés  de  cette  partie  de 
la  physique,  si  intéressante  pour  la  navigation.  Mariolte, 
Hiiygens,  Célidor  et  lîouguer  ont  dressé  des  tables  où  les 
degrés  de  force  des  vents  qui  frappent  une  surface  d'une 
grandeur  déterminée  sont  comparés  avec  une  suite  régu- 
lière de  poids  d'égale  impulsion.  Le  premier  de  ces  auteurs 
avait  connnencé  ses  expériences  sur  la  vitesse  du  vent  au 
moyen  d'une  plume  lancée  dans  l'air,  et  dont  il  calculait  la 
marche  par  l'espace  qu'elle  avait  parcouru  dans  un  temps 
donné  ;  mais  on  sent  combien  cette  méthode  était  impar- 
faite. Wolf ,  en  1708,  imagina  un  anémomètre  composé  de 
quatre  petites  ailes  de  moulin  à  vent  communiquant  avec 
un  cadran  gradué  au  moyen  d'axes  et  d'une  roue  dentée, 
liregnin,  en  1780  ,  donna  un  instrument  analogue  en  met- 
tant les  ailes  du  moulin  après  un  axe  vertical.  On  a  depuis 
construit  un  anémomètre  à  ressort,  qui  consiste  en  une 
plaque  soudée  au  bout  d'un  axe  à  crémaillère  et  entrant 
dans  une  boite  par  la  force  du  vent  qui  frappe  dessus,  en 
pressant  sur  un  ressort  à  boudin,  pendant  qu'un  cliquet  en- 
grené dans  le  cran  de  la  crémaillère  l'empôche  de  revenir 
au  dehors.  Lind  a  fait  un  anémomètre  qui  consiste  en  un 
tube  deux  fois  recourbé  et  en  partie  rempli  d'eau.  Une  de 
ces  courbures  lui  fait  présenter  son  ouverture  au  vent  dont 
la  force  en  s'engoufirant  dans  l'instrument  chasse  l'eau  dans 
la  seconde  branche,  il  existe  encore  un  grand  nombre  d'a- 
némomètres, tous  plus  ou  moins  défectueux  ;  nous  citerons 
seulement  celui  de  Delamanon,  qui  se  composait  de  tuyaux 
rendant  des  sons  particuliers  selon  les  soupapes  que  le 
vent  pouvait  soulever. 

AJV'EMOIXE  (du  grep  àvefioç,  vent),  genre  de  plantes 
de  la  famille  naturelle  des  renonculacées,  qui  se  rencontre 
dans  toute  la  zone  tempérée.  L'anémone  se  plaît  dans  les 
régions  élevées  exposées  au  vent  et  aux  orages.  Elle  croit 
particulièrement  sur  les  Alpes. 

Vancmone  pulsatiUe,  vulgairement  coquelourde  ou 
herbe  du  vent,  croît  aux  bords  des  prairies  sèches  et  élevées. 
Sa  lleur,  violette,  est  velue  en  dehors  ;  les  semences  sont 
hérissées  d'aigrettes  velues;  ses  feuilles,  très-àcres,  soulèvent 
l'épiderme  de  la  peau  lorsqu'elles  sont  appliquées  dessus,  et 
produisent  ainsi  l'effet  d'un  léger  vésicatoire  :  propriété 
dont  jouissent,  du  reste,  presque  toutes  les  plantes  de  la  même 
famille.  Vancmone  des  Alpes  a  sa  fleur  blanche  nuancée 
d'un  rose  tendre. 

Ce  genre  renferme  plusieurs  espèces  recherchées  pour 
l'ornement  des  parterres.  La  plus  importante,  Vancmone 
des  fleuristes ,  a  fourni  par  la  culture  plus  de  trois  cents 
variétés,  toutes  à  fleurs  doubles,  de  formes,  nuances  et 
couleurs  différentes.  Ce  grand  nombre  de  variétés  a  donné 
lieu  dans  les  collections  à  la  classification  suivante  :  auc- 
vioncs  de  nommées ,  anémones  premier  émail,  anémones 
deuxième  émail ,  anémones  troisième  émail,  anémones- 
pavots.  Les  anémones  dénommées  sont  celles  qui,  possé- 


dant toutes  les  attributions  qui  constituent  une  belle  ané- 
mone ,  reçoivent  à  cause  de  cela  un  nom  particulier.  Les 
anémones  premier  émail  se  composent  de  plantes  extraites 
des  anémones  dénommées  choisies  de  manière  à  produire 
le  plus  beau  coup  d'œil  :  il  doit  s'y  trouver  beaucoup  de 
fleurs  cramoisies,  pourpres,  rouges  panachées  de  blanc,  et 
agates  panachées  de  rouge  et  de  blanc.  Cette  division,  qui 
ne  tolère  rien  d'inférieur,  est  connue  aussi  sous  les  noms 
(ï anémones  premier  ordre,  première  beauté,  premier 
mélange,  premier  assortiment.  Les  anémones  deuxième 
émail  renferment  les  couleurs  bleues  extraites  des  anémones 
dénommées,  auxquelles  on  adjoint  les  doubles  emplois  du 
premier  émail.  Les  anémones  troisième  émail  admettent 
les  couleurs  bizarres  prises  dans  les  anémones  dénommées 
et  les  doubles  emploi*  du  deuxième  émail  et  souvent  du 
premier  émail.  Les  anémones-pavots  sont  les  anémones  à 
fleurs  simples,  que  plusieurs  amateurs  recherchent,  à  cause 
de  la  richesse  des  couleurs  et  du  bel  effet  qu'efles  font  plan- 
tées en  massif;  elles  sont  aussi  cultivées  dans  le  seul  but 
d'en  recueillir  les  graines,  qu'on  sème  pour  obtenir  des  va- 
riétés nouvelles.  —  Vous  vous  rappelez  sans  doute  l'amateur 
de  tulipes  du  caustique  La  Bruyère;  l'amateur  d'anémones 
ne  lui  cède  eu  rien  :  la  culture  h.  laquelle  il  se  voue  est 
pour  lui  un  art,  et  il  a  inventé  une  langue  spéciale  pour  dé- 
signer les  diverses  parties  de  sa  plante  de  prédilection. 
Ainsi ,  aux  yeux  du  connaisseur  une  anémone  n'est  belle 
qu'autant  qu'elle  réunit  les  qualités  suivantes  :  pampre 
(  feuillage)  épais,  bien  découpé,  d'un  beau  vert  ;/a?!e  (invo- 
lucre)  éloignée  de  la  fleur  du  tiers  de  la  longueur  de  la 
baguette  (tige),  qui  doit  être  haute,  ferme  et  droite;  man- 
teau (réunion  des  sépales  extérieurs)  épais,  arrondi,  d'une 
couleur  franche,  avec  le  limbe  et  la  culotte  (l'onglet)  d'une 
autre  couleur  ;  les  sépales  formant  le  cordon  (  rang  immé- 
diat après  le  manteau)  courts,  larges,  arrondis,  surtout 
d'une  couleur  tranchante;  les  béquillons  (ovaires  exté- 
rieurs avortés ,  changés  en  sépales)  nombreux,  peu  pointus, 
en  accord  avec  la  panne  ou  peluche  (ovaires  du  centre, 
changés  en  sépales  ),  qui,  à  son  tour,  doit  être  proportionnée 
de  manière  à  ce  que  l'ensemble  de  la  fleur  présente  un  disque 
bombé  dont  la  largeur  soit  au  moins  de  cinq  à  six  centi- 
mètres. 

L'anémone  double  se  multiplie  par  ses  pattes  (racines), 
qu'on  plante  en  automne  et  qu'on  couvre  pendant  les  froids 
de  l'hiver,  ou  bien,  et  c'est  l'usage  le  plus  général,  au  prin- 
temps, dans  une  terre  franche,  très-substantielle,  mêlée  de 
terreau  consommé.  L'anémone  simple  se  multiplie  par  ses 
pattes,  comme  la  précédente,  et  par  la  semaison  de  ses 
graines  au  printemps,  à  l'ombre,  dans  une  terre  très-douce, 
avec  la  précaution  de  ne  couvrir  les  semences  que  d'une 
couche  très-légère  de  terre.  On  peut  conserver  les  pattes 
d'anémones  quinze  ou  vingt  mois  sans  les  planter. 

AAÉi^IOXE  DE  MER.  Voijez  Actixie. 

AJVÉAÏOSCOPE  (du  grec  àvsfio;,  vent,  et  axoTriai, 
j'examine  ) ,  mstrument  qui  sert  à  indiquer  la  direction  du 
vent.  Le  plus  simple ,  le  plus  ancien  et  le  plus  commode 
de  ces  instruments  est  sans  contredit  la  (yirowe^^e.  Quel- 
quefois on  prolonge  jusque  dans  l'intérieur  d'une  chambre 
l'axe  d'une  de  ces  machines,  et  on  y  adapte  une  aiguille, 
qui  donne  la  direction  du  vent  sur  une  rose  des  vents  peinte 
au  plafond. 

AlVÉMOSCOPIE  (du  grec  âv£[Ao;,  vent,  et  ffzoïtÉw,  je 
discerne  ) ,  sorte  de  divination  par  l'inspection  des  vents. 

ÂNES  (  Fête  des).  C'était  une  représentation  de  la  fuite 
de  la  Vierge  Marie  en  Egypte.  On  croit  «pie  celte  fête  est 
originaire  de  Vérone  en  Italie.  La  tradition  disait  que  l'âne 
qui  avait  porté  Notre-Seigneur  à  son  entrée  à  Jérusalem 
n'avait  pas  voulu  vivre  en  cette  ville  après  la  passion  de 
son  divin  écuyer;  qu'il  avait  marché  sur  la  mer,  aussi 
endurcie  que  sa  corne;  qu'il  avait  pris  son  chemin  par 
Chviirc,  Rhodes,  Candio,  .Malte  cl  la  Sicile,  et  que  de  là  ii 


ANES  —  ANET 


501 


avait  mis  piinl  h  terre  ;\  AquiUH' ,  et  s'était  établi  à  Vérone , 
où  il  vécut  trés-lon^tomps.  Les  prétendues  reliques  de  cet 
Ane  étaient  conservées  à  Vérone ,  sous  la  {^arde  d'un  cou- 
vent de  moines.  C'est  dans  cette  ville,  dit-on  ,  que  la./VYe 
des  Anes  fut  établie  ;  de  là  elle  se  répandit  dans  les  diffé- 
rents diocèses  de  la  naive  chrétienté  du  moyen  Age.  En 
lYance,  on  la  célébra  d'abord  à  Reauvais.  On  choisissait  une 
jeune  fille  bien  apparentée,  la  plus  belle  qui  se  put  trouver; 
on  la  faisait  monter  sur  un  ;\nc  richement  enharnaché  ;  on 
lui  mettait  entre  les  bras  un  joli  enfant  -.  elle  figurait  ainsi 
la  Vierge  et  le  divin  i:nfant  qui,  du  fond  d'une  crèche,  avait 
sauvé  le  monde.  Dans  cet  état ,  suivie  de  l'évôquc  et  du 
clergé,  elle  marchait  en  procession  depuis  la  cathédrale  jus- 
qu'à une  autre  église ,  entrait  dans  le  sanctuaire  avec  sa 
modeste  monture ,  allait  se  placer  prés  de  l'autel ,  du  côté 
de  l'Évangile,  et  aussitôt  la  messe  commençait.  Vlntroit , 
le  Kyrie,  le  Gloria,  le  Credo,  tout  ce  que  le  chœur  chante 
était  terminé  par  ce  refrain  hiJtan,  hihan.  La  prose  exal- 
tait les  belles  qualités  de  Tanimal.  Elle  avait  été  composée, 
à  ce  que  l'on  croit,  par  Pierre  de  Corbeil,  moine  et  arche- 
vêque de  Sens.  On  y  remarquait  ce  passage  : 

Orieatis  partibiis 
Adveiitavit  asioiis 
Pulchcr  et  fortissimus. 

Chaque  strophe  finissait  par  cette  invitation  : 

Lez  ,  sire  asnc,  car  chantez, 

Belle  bouclie  rechignez  ; 

Oo  aura  du  foin  assez 

Et  de  l'avoine  à  plantez  (  en  abondance  ). 

On  l'exhortait  enfin,  en  faisant  devant  lui  mie  génuflexion  , 
à  oublier  son  ancienne  nourriture,  et  le  dur  chardon,  pour 
répéter  amen ,  amen  à  sa  manière.  Le  prêtre ,  au  lieu 
de  Vite,  viissa  est,  chantait  trois  fois  Hihan,  hihan ,  hi- 
lian,  et  le  peuple  répétait  hihan.  Ainsi  se  terminait  le 
saint  sacrifice,  puis  l'âne,  la  jeune  fille  et  son  cortège  retour- 
naient dans  le  même  ordre  au  lieu  du  départ  de  la  céré- 
monie. Ch.  l)u  RozoïR. 

AIXESSE  (  Lait  d'  ).  Ce  lait  n'est  en  réputation  en  France 
que  depuis  François  \",  et  voici  comment  l'usage  s'en  est 
introduit  :  ce  monarque  se  trouvait  très-faible  et  très-in- 
commodé  ;  les  médecins  ne  purent  le  rétablir.  On  parla  au 
roi  d'un  juif  de  Constantinople  qui  avait  la  réputation  d'être 
très-habile  médecin.  François  V  ordonna  à  son  ambassa- 
deur en  Turquie  de  faire  venir  à  Paris  ce  docteur  Israélite, 
quoi  qu'il  put  en  coûter.  Le  médecin  juif  arriva  ,  et  n'or- 
donna pour  tout  remède  que  du  lait  d'ànesse.  Ce  remède 
doux  réussit  très-bien  au  roi ,  et  tous  les  courtisans  des 
deux  sexes  s'empressèrent  de  suivre  le  même  régime,  pour 
peu  qu'ils  crussent  en  avoir  besoin.  Un  malade  guéri  par 
l'usage  de  cette  nouniture  saine  et  restaurante  crut  devoir 
exprimer  sa  reconnaissance  par  le  quatrain  suivant  : 

Par  sa  bonté,  par  sa  substance, 
D'une  ânesse  le  lait  m'a   rendu  la  santé. 
Et  je  dois  plus,  en  cette  circonstance. 
Aux  ânes  qu'à  la  Faculté. 

Yoijez  L\iT. 

AA'ESTHÉSIE  (du  grec  à  privatif,  et  aîo-eri^îti;,  sen- 
timent), espèce  de  résolution  des  nerfs,  accompagnée  de 
la  privation  de  tout  sentiment ,  ou  impuissance  de  perce- 
voir l'action  des  objets  extérieurs.  Cet  état  ne  dure  ordi- 
nairement que  peu  de  temps,  et  lorsqu'il  se  prolonge,  il 
pagne  le  plus  souvent  les  nerfs  moteurs,  c'est-à-tlire  que 
l'extinction  de  la  sensibilité  amène  la  cessation  du  mouve- 
ment et  de  la  nutrition  du  membre  qui  en  est  atteint.  Ce 
mot  s'emploie  surtout  en  parlant  de  l'état  d'insensibilité 
produit  artificiellement  par  l'éther  ou  le  chloroforme. 

Voyez  ÉTUF.I'.lSATiON. 

[  C'est  un  éclatant  service  rendu  à  la  science  et  à  l'hu- 
manité d'avoir  fait   connaître  un  moyen  à  peu  près  infail- 

DICT.     DE   LA    fONVCns.    —    T.    I. 


lible  ,  OU  qui  du  moins  réussit  dans  la  g<?néralité  des  cas, 
de  rendre  l'homme  momentanément  insensible  à  la  douleur, 
d'anéantir  chez  lui  pour  quelques  minutes  ou  même  pour 
un  temps  plus  long ,  une  seule  fois  ou  successivement  à  plu- 
sieurs reprises,  la  conscience  des  impressions  extérieures, 
le  sentiment  du  moi ,  sans  doute  en  portant  atteinte  au 
principe  de  la  vie,  mais  en  ne  causant  qu'une  perturbation 
momentanée,  fugace,  après  laquelle  toutes  les  fonctions  ren- 
trent dans  leur  rhythme  naturel.  Que  si  l'on  a  eu  à  enre- 
gistrer quelques  exemples  d'une  issue  funeste  de  l'anes- 
thésie  ainsi  produite  artificiellement ,  il  a  fallu  en  accuser 
tantôt  l'emploi  de  procédés  défectueux ,  tantôt  l'inhabileté 
ou  l'imprévoyance  de  l'expérimentateur,  ou ,  de  la  part  do 
la  victime ,  une  malheureuse  idiosyncrasie  particulière,  une 
de  ces  anomalies  constitutionnelles  qui  prédisposent  aux 
événements  les  plus  inattendus  et  les  plus  improbables, 
d'après  les  lois  connues  de  l'économie  de  l'homme  et  des 
animaux  ;  et  hûtons-nous  d'ajouter  que  les  cas  bien  avérés, 
trop  déplorables  assurément ,  des  funestes  effets  des  agents 
anesthésiques  chez  l'homme  ,  sont  jusqu'à  présent  en  nom- 
bre infiniment  minime ,  eu  égard  au  nombre  prodigieux  des 
expérimentations  qui  ont  été  faites. 

La  question  de  l'anesthésie  produite  par  les  inhalations 
d'éther  ou  par  celles  du  chloroforme  (  et  peut-être  décou- 
vrira-t-on  d'autres  agents  anesthésiques  ayant  la  même 
puissance,  et  possédant  même  ime  innocuité  encore  plus 
grande  ) ,  cette  question ,  disons-nous ,  intéresse  à  un  haut 
degré  à  la  fois  la  physiologie ,  la  chirurgie  et  la  médecine 
proprement  dite.  Elle  touche  à  cette  dernière,  qui  a  déjà 
tiré  quelque  parti  des  moyens  anesthésiques  dans  la  théra- 
peutique de  certaines  maladies ,  notamment  dans  celles  dont 
la  douleur  est  le  principal  symptôme.  Avec  l'éther  ou  le 
chloroforme,  la  chirurgie  a  perdu  beaucoup  de  ce  qu'elle 
avait  de  cruel  ;  ses  procédés  sont  moins  effrayants;  elle  n'a 
plus  à  lutter  contre  l'extrême  pusillanimité  de  quelques  in- 
dividus. La  physiologie  ayant  eu  à  étudier  le  véritable  ca- 
ractère et  le  siège  de  l'action  produite  sur  les  organes  cen- 
traux du  système  nerveux  par  l'éther  ou  par  le  chloroforme, 
ses  investigations ,  auxquelles  M.  Flourens  a  pris  une  si 
grande  part,  n'ont  pas  été  sans  fruit  pour  l'analyse  du  cer- 
veau. 11  se  peut  que  de  nouveaux  et  d'importants  résultats 
nous  soient  encore  réservés.  La  physiologie  a  d'ailleurs  été 
le  point  de  départ  de  tout  ce  qui  s'est  dit  et  de  tout  ce  qui 
a  été  fait  relativement  à  l'éther  et  au  chloroforme.  L'anes- 
thésie produite  par  le  premier  de  ces  agents,  et  observée  for- 
tuitement, est  le  grand  fait  physiologique  d'où  sont  découlées 
tant  et  de  si  belles  applications  pratiques.         D''  Roux.] 

ANET  (Château  d').  Anet  est  im  joli  petit  village  de 
l'Ile-de-France,  à  trois  lieues  nord-nord-est  de  Dreux ,  situé 
au  milieu  d'une  vallée  qu'arrosent  l'Eure  et  la  Vègre ,  et  en- 
vironné de  toutes  parts  des  paysages  les  plus  frais.  Au  mi- 
lieu de  cette  nature  riche  et  plantureuse  s'éleva  jusqu'à  la 
fin  du  dix-huitième  siècle  un  château  aussi  remarquable 
par  l'élégance  et  la  perfection  de  détail  avec  lesquelles  il 
était  bâti  que  par  la  position  qu'il  occupait.  C'était  l'œuvre 
de  deux  architectes  célèbres,  Philibert  et  Jean  De  Lorme, 
qui,  pour  obéir  aux  ordres  de  Henri  II,  avaient  prodigué 
dans  cette  royale  demeure  toutes  les  merveilles  du  luxe 
unies  à  l'art  le  plus  parfait. 

Avant  que  cette  transformation  eût  eu  lieu ,  le  château 
d'Anet  était  une  vieille  forteresse  féodale ,  habitée  depuis 
le  douzième  siècle  par  des  barons  puissants  :  Anet  avait  fait 
partie  du  douaire  assigné  à  Marie  de  Brabant ,  seconde  femme 
de  Philippe  le  Hardi.  En  1318,  Louis,  comte  d'Évreux , 
frère  de  Philippe  le Lel ,  en  était  propriétaire;  le  fameux 
roi  de  Navarre  Charles  le  Mauvais  était  en  possession 
d'Anet  vers  I3'i0.  Il  en  avait  augmenté  les  foilifications, 
que  Charles  V,  n'étant  que  régent,  donna  l'ordre  de  dé- 
truire. Charles  Vil,  pour  reconnaître  les  services  que  lui 
avait  rendus  Pierre  de   Crezé ,  l'un  des  piincipauv  capi- 

71 


AM:T  —  ANi:VRISME 


taiiu'sqiii  P;ii(lèrciit  en  144'»  à  chasser  les  Anglais  de  la  Noi- 
liiaiidic,  lui  donna  la  sei.sneiirie  d'Anct  avec  io  vieux 
donjon  féodal.  Piene  de  I5ie/.é  fui  tué  h  la  bataille  de  Mont- 
lliéiy  ,  cri  1405,  et  le  cluUcaii  devint  la  propriélé  de  son 
(ils  Jacques.  Ce  dernier  avait  épousé  Charlotte  de  France, 
lilled'AgnèsSorel  et  de  Charles  VII.  Eniporlé  par  la  jalousie, 
il  tua  sa  femme  dans  le  chAtcau  même  d'Anet.  Son  (ils, 
Louis  de  IJrezé,  épousa  en  secondes  noces,  le  29  mars  1314, 
la  fille  du  seigneur  de  S;'.int-Vallier,  la  célèbre  Binne  de 
Poitiers.  Louis  de  Brezé  étant  mort  en  1531,  Diane  de 
Poitiers ,  malgré  le  rôle  important  qu'elle  jouait  à  la  cour, 
ci-ut  devoir  se  retirer  à  son  chûtcau  d'Anct.  Elle  le  quittait 
encore  quelquefois  pour  venir  au  Louvre  ou  h  Saint-Ger- 
main. A  la  mort  de  François  1'"'^,  Diane  se  vit  bientôt  élevée 
au  premier  rang,  et  recueillit  tout  d'abord  sans  partage  les 
faveurs  de  Henri  IL  Le  donjon  goUiiqucet  le  vieux  manoir 
féodal  ne  convenaient  plus  ;\  la  maîtresse  du  roi  de  France, 
et  les  frc^rcs  De  Lorme  élevèrent  un  peu  plus  loin  cette  de- 
meure célèbre,  dont  les  débris  parvenus  jusqu'à  nous  font 
encore  notre  admiration. 

Le  château  d'Anct  présentait  dans  son  ensemble  tout  ce 
que  l'art  de  la  renaissance  a  de  parfait,  d'élégant  et  d'harmo- 
nieux. Le  portique,  morceau  acb.evé  di;  sculpture  et  de  mé- 
cnni(iue  ;  la  galerie,  les  fenêtres  ornées  de  superbes  vitraux,  le 
grand  escalier,  l'intérieur  des  appartements,  décorés  de  sculp- 
tures dues  au  ciseau  de  Jean  Cousin  et  de  Jean  Goujon;  les 
tapisseries,  les  meubles,  tout  concourait  à  faire  de  celte  de- 
meure un  palais  enchanté,  dont  un  contemporain  seul  au- 
rait pu  donner  une  description  complète.  La  principale 
cour  du  cliilt^au  d'Anet  formait  un  carré  long  d'une  pro- 
portion agréable ,  régulièrement  décoré  à  ses  quatre  faces 
par  des  colonnades  d'ordre  dorique ,  formant  nue  galerie 
composée  de  vingt-quatre  colonnes.  La  façade  principale, 
<'<)ini)osée  de  trois  ordres  d'architecture  l'un  sur  l'autre, 
d'un  style  pur,  d'un  beau  dessin ,  et  ornée  de  sculptures 
|iar  Jean  Goujon,  servait  d'entrée  dans  fintérieur  du  châ- 
teau. Ceite  façade,  que  M.  Leno'r  sauva  de  la  destruction, 
fut  j)lacée  par  lui  dans  la  première  cour  du  JNÎusée  des  Mo- 
luuneids  français.  Elle  se  trouve  aujourd'hui  à  droite  dans 
l.i  grande  cour  du  palais  des  Heaux-Aits.  Le  chiffre  de 
lleiui  11  s'y  voyait  partout  mêlé  à  celui  de  Diane,  formé  de 
plusieurs  croissants,  au  milieu  d'attributs  singuliers  faisant 
allusion  aux  amours  de  ces  deux  personnages.  La  chapelle 
renfermait  aussi  des  objets  précieux  de  peinture  et  de  sculp- 
ture. 

Après  la  mort  de  Diane  de  Poitiers,  le  château  d'Anet 
devint  la  propriété  de  Louise  de  Erezé,  sa  fdle  aînée,  qui 
avait  épousé  Claude  de  Lorraine,  duc  d'Aumale,  pair  de 
iM-auce  et  grand  veneur.  Celle-ci  fit  élever  à  sa  mère  le 
beau  mausolée  qui  décora  longtemps  la  grande  chapelle  du 
chAteau;  le  sarcophage  de  marbre  noir,  supporté  par  quatre 
8phinx  et  orné  d'allégories,  d'arcs  brisés  et  de  fièchcs  rom- 
pues, était  siu monté  de  la  statue  de  Diane  de  Poitiers, 
sculptée  en  marbre  blanc,  par  Boudin.  Diane  était  repré- 
.sentée  à  genoux ,  de  grandeur  naturelle.  Charles  de  Lor- 
raine ,  lils  de  Louise  do  Brezé ,  devint  après  sa  mère  posses- 
seur du  château  d'Anet;  il  le  céda  par  créance  à  Marie  de 
Luxembourg,  douairière  du  duc  de  Mercceur,  Philippe- 
l'Emmanuel,  dont  la  fille  unique  épousa  le  fameux  duc  de 
Vendôme,  lils  natiuol  de  Henri  IV  et  de  Gabriel  d'Es- 
Irées.  Ce  dernier  lit  d'assez  grands  changements  dans  la 
disposition  générale  du  château  d'Anet;  ces  changements 
n'ajoutèrent  rien  à  la  beauté  de  cette  domeuie.  Après  la 
mort  du  duc  de  Vendôme,  la  princesse  de  Coiiti,  la  duchesse 
du  Maine,  le  prince  de  Don)bes,  le  comte  d'Eu  et  Louis  XV 
furent  successivement  propriétaires  du  clultcau  d'Anet. 
Louis  XV  le  donna  au  duc  de  l'cnlhièvre,  qui  le  po.ssédait 
au  moment  011  la  révolution  de  17S!)  éclata.  Le  chùteau 
d'Anct  l'ut  alors  vendu  et  démoli  pièce  à  pièce,  i»  l'excep- 
tion de  la  porte  d'cntn'e,  d'un  bâtiment  c'jn::-truil  par  le  iluc 


de  Verdôme  et  de  la  chapelle.  GrAce  au  zèle  actif  de 
!iil.  Lonoir,  le  charmant  porticjue  dont  nous  avons  parlé  ne  fut 
jias  détruit.  11  a<;heta  aussi  le  tombeau  de  Diane  de  Poi- 
tiers, qui  orna  pendant  quelques  années  le  jardin  du  Mu- 
sée des  Monuments  français.  Le  comte  Adolphe  de  Caraman, 
propriétaire  actuel  des  débris  du  château  d'Anet,  lesconserve 
avec  une  pieuse  sollicitude,  et  il  en  a  fait  une  restauration 
aussi  complète  que  possible.  Le  Rocx  de  Lincy. 

AIVÉVRISI\IE  ou  ANÉVRYSArc  (  du  grec  àvEupûvw, 
je  dilate).  «  On  donne  le  nom  d'ané\Tisme,  dit  M.  Vel- 
peau ,  à  toute  tiuneur  contre  nature  formée  par  du  sang  et 
se  continuant  avec  l'intérieur  d'une  artère.  Si  l'artère  est 
simplement  dilatée  sans  être  rompue  ou  divisée,  on  dit 
qu'il  existe  un  anévrisme  vrai.  Dans  le  cas  contraire,  c'est- 
à-dire  quand  l'artère  est  réellement  déchirée  ou  perforée, 
la  tumeur  prend  le  nom  d'anévrisme  faux.  Si  la  perfora- 
tion s'est  opérée  sans  violence  extérieure ,  l'anévrisme  est 
appelé  spontané.  C'est  un  anévrisme  accidentel  lorsqu'une 
blessure  en  a  été  le  point  de  départ.  Ici  l'anévrisme  est 
faux  piimitif  s'il  survient  aussitôt  après  la  blessure,  ou  si 
le  sang  s'infiltre  au  lieu  de  se  rassembler  en  dépôt  autour 
de  l'artère.  llest/aî<x  circonscrit  ou  coH.s^c»///quand  il  se 
montre  plus  tard  et  sous  la  forme  d'une  tumeur  très-limitée, 
d'une  espèce  de  kyste.  Quelquefois  aussi  l'artère  blessée 
s'ouvre  par  le  côté  dans  une  veine,  et  cela  constitue  ['ané- 
vrisme variqueux  si  les  deux  vaisseaux  restent  accolés,  ou 
une  varice  anévrismale  quand  un  sacplein  de  sang  s'établit 
entre  la  veine  et  l'artère  sans  cesser  de  communiquer  avec 
l'une  et  avec  l'autre.  Enfin  un  dernier  genre  d'anévrisme 
est  celui  qu'on  peut  désigner  par  le  terme  de  varice  ar- 
térielle, parce  qu'alors  l'artère  est  dilatée,  flexueuse,  bos- 
selée, comme  pliée  en  zigzag  à  la  manière  des  veines 
variqueuses.  » 

On  emploie  aussi  le  nom  d'anévrisme  en  parlant  des  dila- 
tations, avec  ou  sans  hypertrophie,  des  cavités  du  c  œ  u  r  ; 
mais  dans  le  langage  scientifique  cette  expression  n'est  usi- 
tée que  dans  les  cas,  fort  rares,  où  il  se  produit  une  dilata- 
tion sans  hypertrophie.  Nous  n'aurons  donc  à  parler  ici  que 
de  l'anévrisme  des  artères. 

Les  anévrismes  vrais  sont  aussi  très-rares.  «  Les  autres,  dit 
M.  Velpeau,  se  développent  par  un  mécanisme  (acileà  con- 
cevoir. Dans  l'anévrisme  spontané,  par  exemple,  l'artère  ma- 
lade, altérée  d'une  manière  quelconque  sur  l'un  de  ses  points, 
se  rompt  incomplètement  par  l'effort  du  sang,  et  une  poche 
dont  le  volume  augmente  par  degrés ,  ne  tarde  pas  à  se 
former  sur  la  perforation.  Lorsque  dans  l'anévrisme  acci- 
dentel ,  résultant  d'une  piqûre  de  canif,  de  bistouri,  d'épée, 
de  pointe  de  couteau ,  de  lancette ,  le  sang  s'échappe  et  s'in- 
tiltre  entre  les  muscles  ou  sous  la  peau,  c'est  que  la  direc- 
tion de  la  plaie  ou  quelque  autre  oljstacle,  l'empêciic  d'être 
lancé  au  dehors ,  et  l'on  a  l'anévrisme  diffus  ou  par  infil- 
tration. S'il  <levient  circonscrit  ou  consécutif,  c'est  que  la 
membrane  qui  entoure  l'artère  a  pu  se  cicatriser  au  point 
de  suspendre  l'hémorragie,  mais  de  manière  à  être  soule- 
vée plus  tard  comme  dans  l'anévrisme  spontané.  Enfin,  l'a- 
névrisme variqueux  tient  à  ce  que  le  côté  de  la  veine  op- 
posé à  l'artère  s'étant  cicatrisé,  force  le  sang  qui  s'échappe 
de  celle-ci  par  la  blessure  à  circuler  dans  celle-là.  C'est  une 
cloison  qui  se  trouvant  percée  entre  deux  canaux  permet 
auxlluides  qui  les  traversent  de  passer  de  l'un  dans  l'autre.  » 
On  distingue  encore  les  anévrismes  en  internes  et  en  ex- 
ternes. Les  anévrismes  internes  sont  ceux  qui  se  dévelop- 
pent dans  les  cavités  splanchniques,  c'est-à-dire  à  l'intérieur 
du  ciàne,  de  la  poitrine,  du  ventre.  Les  anévrismes  externes 
sont  ceux  qui  affectent  les  artères  sur  lesquelles  il  est  possible 
d'agii'  par  les  moyens  chirurgicaux,  comme  à  la  face,  au 
cou,  aux  membres.  Les  plus  communs  sont  les  anévrismé.s 
du  jarret,  de  l'aine  et  surtout  lu  pli  du  bras.  Ici  leur  cause 
ordinaire  est  la  saignée;  ailleurs  ils  dépendent  presque 
toujours  d'une  blessure  accidentelle.  Quelquefois,  cependant. 


ANÉVRISMi:  —  ANGE 


l'aniS'iisme  sponlané  survient  d\mc  maiiiÎTO  mtVnniqno,  h 
l'occasion  il'iin  oflort  violent  ou  de  la  distension  snbitc  d'un 
niemliie;  mais  le  plus  souvent  l'action  de  celte  cause  est 
lasorisi^e  i>ar  un  agent  pathologique  dos  artères,  qui  a  dt^jà 
diminué  la  résistance  et  l'extensibilité  de  leur  tissu,  et 
aui^inenté  leur  fragilité  :  telles  sont  l'ossilication  de  leur 
inenilirane  interne,  ses  diverses  dégénérescences,  cl  enfin 
les  ulcérations  dont  cette  membrane  peut  devenir  le  siéj^e. 

Les  phénomènes  morbides  qui  résultent  des  anévrisu)es 
varient  suivant  respècc  particulière  d'affection ,  suivant  le 
volunie  de  la  tumeur,  qui  atteint  en  moyenne  la  grosscm* 
d'un  œuf,  mais  qui  peut  aller  bien  au  delà  et  selon  le  vais- 
seau et  le  lieu  du  vaisseau  qu'elle  occupe. 

Le  diagnostic  de  l'anévrisme  est  généralement  d'une  dif- 
ficulté extrême;  cependant  l'auscultation  est  venue 
ajouter  aux  moyens  de  diagnostic.  Ces  tumeurs  sont  ordi- 
nairement accompagnées  de  battements  qui  correspondent  à 
ceux  du  pouls  ou  du  cœur  et  d'un  certain  mouvement  de 
«lilatation  ou  d'expansion.  En  appliquant  l'oreille  dessus 
on  y  entend  assez  souvent  un  bruit  semblable  à  celui  d'un 
soulllet,  ce  qui  est  un  des  caractères  principaux  de  l'ané- 
vrisme variqueux.  En  général  les  tumeurs  anévi'ismales  ne 
sont  point  douloureuses  ni  rouges.  La  p?au  ([ui  les  recouvre 
prend  plutôt  une  teinte  tirant  sur  le  livide.  Leur  consis- 
tance est  plus  grande  que  celle  des  abcès.  En  les  compri- 
mant avec  lenteur  et  d'une  manière  égale  on  en  dimijuia 
parfois  sensiblement  le  volume.  La  compression  de  l'artère 
au-dessus  arrête  les  battements  et  les  bruits ,  tandis  qu'au- 
dessous  elle  les  augmente.  Néanmoins  ces  signes  ne  sont 
pas  toujours  assez  tranchés  pour  que  le  chirurgien,  même 
le  plus  exercé,  ne  soit  pas  quelquefois  embarrassé  sur  la 
nature  d'une  tumeur  anévTismalc. 

Les  anévTismes  forment  une  maladie  grave,  alors  môme 
que  le  vaisseau  affecté  est  accessible  aux  moyens  cliirurgi- 
caux.  Quand  un  anévrismc  est  abandonné  à  lui-même ,  sa 
terminaison  est  presque  toujours  funeste.  Néanmoins  on  a 
des  exemples  de  guérison  spontanée  d'anévrismes.  Celle-ci 
s'opère  ordinairement  par  roblitération  complète  du  vais- 
seau, le  cours  du  sang  étant  alors  entièrement  intercepté 
par  la  présence  des  caillots  sanguins  qui  remplissent  la 
cavité  de  la  tumeur;  dans  quelques  cas,  plus  rares  encore, 
les  caillots  laissent  un  étroit  passage ,  par  où  le  liquide 
sanguin  circule  connue  à  l'état  normal. 

Les  moyens  thérapeutiques  usités  contre  l'anévrisme  se 
distinguent  en  moyens  locaux  et  en  moyens  généraux.  Ces 
derniers  agissent  indirectement  sur  la  maladie  par  l'inter- 
médiaire de  la  circulation  générale,  en  diminuant  la  quan- 
tité du  sang,  ainsi  que  la  force  et  la  fréquence  des  pulsations 
«lu  creur,  et  en  favorisant  de  cette  manière  la  formation 
de  caillots  dans  la  tumeur;  ce  sont  les  saignées,  le  repos 
ai)3olu ,  une  diète  sévère ,  etc.  ;  ils  constituent  le  traitement 
dit  de  Valsalva,  et  sont  les  seuls  praticables  dans  les  ané- 
vrismes  internes  :  dans  les  anévrismes  externes,  ils  secon- 
dent efficacement  l'action  des  moyens  locaux.  Dans  l'apph'- 
cation  de  ceux-ci,  on  se  propose,  soit  de  déterminer  la 
coagulation  du  sang,  soit  d'intercepter  son  cours  à  l'aide 
de  procédés  mécaniques.  Pour  favoriser  la  coagulation ,  on 
emploie  quelquefois  avec  succès  les  topiqîics  réfrigérants,  la 
glace,  etc.  On  a  aussi  proposé  ou  essayé,  dans  ce  but, 
divers  procédés  plus  au  mohis  rationnels;  nous  citerons  l'i- 
<!ée  inc/'nieuse  de  Pravaz,  qui  conseille  de  coaguler  le  sang 
à  l'aide  de  l'électro-puncture,  c'est-à-dire  à  l'aide  d'aiguilles 
unplantées  dans  la  tumeur  et  sur  lesquelles  on  fait  arriver 
un  courant  électrique.  Mais  la  compression  et  la  ligature 
sont,  en  général,  les  seuls  moyens  réellement  efficaces.  La 
compression  se  pratique  tantôt  sur  la  tumeur  elle-même, 
tantôt  au-dessus  ou  même  au-dessous.  La  ligature  se  place 
ordinairement  au-dessus  du  sac  anévrismal  sans  toucher  à 
lanévrisme,  c'est  la  méthode  d'Anel;  mais  lorsque  ce  pro- 
cédé est  inapplicable,  on  lie  l'artère  au-dessous  :  c'est  la 


mélhixlc  de  Bra^dor;  enfin,  dans  une  autre  mélhod»;,  on  lie 
le  vaisseau  au-iîessus  et  au-dessous  de  la  tumeur,  (|u'on  a 
vidée.  Aussitôt  après  l'opération,  le  sang  cesse  de  pénétrer 
dans  le  membre  au-dessous  de  l'anévrisme  par  l'artère 
étranglée  ;  mais  une  foulede  petites  branches  «jui  naissent  do 
la  partie  supérieure  du  vaisseau  s'anastoniosaut  avec  des 
branches  semblables  de  la  partie  inférieure  permettent  à  la 
circulation  de  se  rétablir  presque  iuuuédiatement.  Le  calme 
de  l'esprit,  la  tranquillité  du  corps,  l'immobilité  de  la  partie 
sont  surtout  nrcessaires  après  l'opération.  La  sévérité  du 
régime  doit  être  très-grande.  Une  fois  les  ligatures  tombées 
la  plaie  ne  tarde  pas  à  se  fermer  ;  mais  le  membre  reste  en- 
core longtenq)s  avant  de  reprendre  son  embonpoint  et  su 
force  primitive. 

ANFOSSI  (Pasquale),  né  à  Naples,  en  1729,  reçut  des 
leçons  de  violon  au  conservatoire  de  sa  ville  natale,  et  étudia 
la  composition  sous  Sacchini  et  Piccini  ;  ce  dernier  lui  té- 
raoigua  de  l'amitié ,  et  lui  procura ,  en  1771,  un  engagement 
de  compositeur  au  théâtre  dclle  Dame,  à  Rome.  Sa  position 
ne  s'en  étant  pas  améliorée,  son  protecteur  lui  trouva 
d'autres  engagements.  11  en  profita  pour  faire  représenter, 
en  1773,  l'Inconnue  pcrséailce,  qui  obtint  un  succès 
complet,  ainsi  que  la  Fintagïardlniara,  q-.ril  donna  l'année 
suivante,  avec  \Avaro,  il  Gcloso  di  cimento  et  plusieurs 
autres  i>ièccs  ;  mais  son  grand  opéra  de  VOlympïadc  ayant 
éprouvé  en  177G  une  chute  complète,  le  chagrin  qu'il  en 
éprouva  le  décida  à  quitter  l'Italie.  11  vint  à  Paris,  décoré 
du  titre  pompeux  de  professeui'  au  conservatoire  de  Venise, 
et  fit  représenter  au  grand  Opéra  son  Incomme  persécuiée, 
arrangée  sur  des  paroles  françaises;  mms  cette  gracieuse  et 
délicate  partition  n'obtint  pas  le  succès  qu'elle  méritait.  11 
passa  alors  en  Angleterre  (  1783) ,  oii  il  fut  nommé  direc- 
teur du  théâtre  italien  de  Londres.  Il  revint  à  Rome 
en  1787 ,  et  y  fit  représenter  plusieurs  ouvrages  dont  le 
succès  lui  fit  oublier  ses  infortunes  d'autrefois,  et  lui  méritai 
l'estime  dont  il  jouit  jusqu'à  samort,  arrivée  en  1795.  llavait 
obtenu  en  1789  les  honneurs  d'un  triomphe  musical,  il  y 
a  dans  la  musique  d'Aufossi  beaucoup  de  réminiscences  de 
Sacchini  et  de  I^iccini ,  à  l'école  desquels  il  s'est  fonné. 
Mais  il  se  distingue  particulièrement  par  le  goût ,  le  senti- 
ment musical,  et  l'art  de  développe!'  les  idées.  Plusieurs 
fmales  de  ses  opéras  sont  des  modèles  en  ce  genre.  Sa  fé- 
condité prouve  qu'il  travaillait  facilement.  Nous  mention- 
nerons encore  Antigone,  Démétrlus,  il  Pazzie  de'Gelosi, 
il  Curioso  indiscreto,  t  Viaggiatori  felici,  qui  sont  au 
rang  de=;  meilleures  productions  dans  le  genre  comique.  Il  a 
en  outre  composé  plusieurs  oratorio  et  plusieuis  Psaumes 
sur  des  poèmes  de  Métastase. 

ANGE  (en  grec  àYysXo?,  messager),  substance  incor- 
porelle, intelligente,  supérieure  à  l'àme  de  l'homme,  mais 
créée ,  inférieure  à  Uieu,  et  (ju'on  a  coutume  de  représenter 
sous  une  forme  humaine,  avec  des  ailes.  Ces  êtres  tiennent 
le  premier  rang  entre  les  créatures  de  l'Éternel  ;  et  ils  ont 
été  reconnus  chez  tous  les  peuples  comme  des  intermédiaires 
entre  l'homme  et  la  Divinité.  Au  christianisme  seul  n'appar- 
tient donc  pas  exclusivement  la  croyance  aux  anges.  La 
Chine,  l'Inde,  l'Egypte  en  étaient  imbues  bien  avant  la  venue 
de  Jésus-Christ.  11  en  est  question  dans  quatre  chapitres  du 
Shasta  :  les  Vcdaheila  Zend-Avesta  entrent  dans  de  grands 
détails  à  ce  sujet,  et  les  Perses  ont  eu,  comme  les  chré- 
tiens, la  doctrine  de  l'ange  gardien  et  du  mauvais  ange. 

La  tradition  hébraïque  primitive,  en  revanche,  nous  édifie 
peu  quant  à  l'origine  des  anges.  Les  livres  de  Moïse  gardent 
un  silence  presque  absolu  sur  ces  messagers  du  ciel.  Ce  n'est 
qu'à  de  rares  intervafies  que  le  législateur  du  peuple  juit 
s'occupe  des  ministres  des  vengeances  deJéhovah,  sans  tou- 
tefois ni  les  définir  ni  raconter  leur  histoire.  Nous  ap|)re- 
nons  seulement  qu'un  ange  s'est  présenté  à  Abraham , 
qu'un  ange  a  lutté  avec  Jacob,  qu'un  ange  a  arrêté  Balaam, 
qu'un  aiige  a  accompagné  ïobie,  qu'un  ange  se  tient  ùux 

71. 


504  ANGE 

abords  drt  l'arbre  de  lasdcnce.  Mais  de  leurs  noms  rien;  rien 
dans  les  livres  de  Moise,  rien  dans  les  annales  des  Juges, 
rien  dans  les  psaumes  de  David ,  ni  dans  les  cantiques  de 
Saloinon  sur  leur  liif^rarchie,  ni  sur  le  terrible  combat  cé- 
leste qui  fait  la  base  de  la  cosmog  mie  cbnHienne ,  cl  divise 
depuis  qu'il  a  eu  lieu  ces  bautes  intelligences  en  bons  nnges 
ou  simplement  anges  et  en  mauvais  anges,  diables  ou  dé- 
vions. 

Et  pourtant ,  h  l'exception  des  Saduct-ens,  tous  les  Juifs 
ailmettaient  l'existence  des  anges,  môme  les  Samaritains  et 
les  Caraites,  ce  que  démontrent  Abusaïd,  auteur  d'une 
version  arabe  du  Pentateuiiue.et  Aaron,  juif  caraite,  auteur 
d'un  commentaire  sur  le  même  livre.  Cela  bien  constaté,  il 
est  de  notre  devoir  de  reconnaître,  toutefois,  que  les  anges 
rejouèrent  un  rùle  bien  défini  dans  les  cérémonies  religieuses 
de  l'antique  Israël  qu'après  la  captivité  de  ce  peuple  à  Ba- 
bylone.  On  ne  sait  où  Maïmonide  a  pris  que  l'ancienne  tra- 
dition juive  comptait  dix  degrés  ou  ordres  d'anges. 

Le  livre  apocrv'plie  d'Énocb  nous  offre  sur  les  anges  un 
curieux  passage,  qui  a  inspiré  un  des  plus  gracieux  poèmes 
anglais  modernes,  les  Amours  des  Anges  de  sir  Tbomas 
Moore  :  «  Le  nombre  des  liommes  ,  dit  Énocb ,  s'étant 
prodigieusement  accru,  ils  eurent  de  très-belles  filles  :  les 
anges ,  les  brillants,  egregori ,  en  devinrent  amoureux ,  et 
furent  entraînés  dans  une  multitude  d'erreurs.  Ils  s'a- 
nimèrent entre  eux;  ils  se  dirent  :  «  Choisissons-nous  des 
femmes  parmi  les  filles  des  bommes  de  la  terre.  »  Mais 
.Semiades,  leur  prince,  répliqua  :  «  Je  crains  que  vous 
n'osiez  pas  pousser  à  bout  votre  dessein  ,  et  que  Je  ne  de- 
meure seul  chargé  du  crime.  »  Tous  répondirent  :  «  Jurons 
d'exécuter  notre  projet,  et  vouons-nous  à  l'analhème  si  nous 
y  manquons.  »  Et  ils  le  jurèrent,  et  ils  lancèrent  au  ciel  des 
impréciitions,  et,  au  nombre  de  deux  cents,  ils  s'éloignèrent 
ensemble ,  du  temps  de  Sared ,  et  ils  gravirent  le  mont 
Hermonien,  ainsi  appelé  à  cause  de  leur  serment;  voici 
les  noms  des  principaux  :  Seraiaxas,  Atarculph,  Araciel, 
Chobabriel,  HosarapsicJi,  Zaciel,  Parmar,  Thausael,  Samiel, 
Tiriel,  Sumiel.  Eux  et  les  autres  prirent  des  femmes  en 
l'an  1170  de  la  création,  et  de  ce  commerce  naquirent  trois 
genres  d'hommes.  » 

Mais  c'est  à  partir  seulement  de  la  captivité  de  Babylone 
que  nous  apprenons  d'Isaïe  que  Dieu  est  porté  sur  des  nuées 
de  chérubins,  que  des  séraphins  chantent  ses  louanges, 
qu'un  ange,  nommé  Michel,  défait  un  ange  déchu,  qui  n'est 
autre  que  le  démon,  et  qui  s'appelle  Asmodce.  Que  con- 
clure de  tout  cela,  sinon  que  le  dogme  des  anges,  qui  existait 
de  temps  immémorial  chez  les  mages  de  Cbaldée ,  s'est  in- 
troduit à  cette  époque  chez  les  Hébreux ,  pour  y  acquérir 
peu  à  peu  les  développements  que  nous  lui  connaissons  ? 
Daniel  parle  de  l'ange  Michel,  de  l'ange  Gabriel  ;  mais  Da- 
niel n'a-t-il  pas  été  élevé  par  les  Chaldéens?  n'a-t-il  pas 
vécu  delà  vie  des  courtisans  au  palais  du  roi  de  Babylone? 
Uriel  et  Jérémie,  anges  tous  deux,  ne  sont-ce  pas  deux  noms 
ignorés  des  Juifs  avant  leur  exil,  et  le  Thalmud  ne  déclare- 
t-il  pas  positivement  que  ces  personnages  nouveaux  vien- 
nent de  la  Cbaldée?  Inutile  de  prolonger  celte  énumération, 
quand  nous  savons  par  Zoroastre,  dont  les  livres  précèdent 
d'un  bon  nombre  de  siècles  la  première  prédication  de 
l'Évangile,  que  les  Juifs  et,  après  eux,  les  chrétiens  se  sont 
complètement  approprié  sous  ce  rapport  la  doctrine  chal- 
déenne.  La  vous  trouverez  encore  Dieu  le  père  sous  le  nom 
d'Ormuzd,  Lucifer  sous  le  nom  d'Ahriman  et  les  légions  sa- 
crées se  bataillant  entre  elles  sous  une  foule  de  qualifica- 
tions bizarres.  Là  vous  verrez  enfin  le  chef  des  démons  des- 
cendre du  ciel  sur  la  terre  sous  la  forme  d'une  couleuvre, 
et  répandre  dans  l'univers  la  désolation  du  mal. 

Quelles  que  soient,  du  reste,  les  distinctions  qui  doivent 
exister,  on  le  pense  bien  ,  entre  le  dogme  de  la  Cbaldée  et 
celui  du  christianisme  relativement  aux  anges,  n'oublions 
(xis  de  retracer  ici  que  la  doctrine  calholicpie,  comme  celle 


de  Zoroastre,  rapporte  l'origine  du  mal  parmi  les  hommes  à 
la  cluite  des  esprits  célestes.  Il  serait  néanmoins  diflicile 
de  préciser  exactement  le  nombre  des  anges  déchus.  L'o- 
pinion reçue,  s'appuyant  sur  l'Apocalypse  de  saint  Jean,  pense 
que  le  démon  n'entraîna  avec  lui  que  le  tiers  des  intelli- 
gences bienheureuses.  Quant  aux  classifications  méthodiques 
(ju'on  a  établies  dans  la  troupe  des  anges ,  elles  ne  reposent 
pour  la  plupart  que  sur  des  noms  génériques  trouvés  dans 
les  livres  des  prophètes  et  dans  quelques  épitres  de  saint 
Paul.  Il  serait  difficile  d'être  plus  précis  à  l'égard  de  leur 
nature,  car  il  y  a  dissentiment  complet,  sur  ce  point  comme 
sur  beaucoup  d'autres,  entre  les  Pères  de  l'Église.  Saint  Clé- 
ment d'Alexandrie,  Origène,  Césaire,  Jean  de  Thessalonique 
et  ïertuUien  prétendent  que  les  anges  sont  des  êtres  cor- 
porels. Saint  Athanase,  saint  Cyrille ,  saint  Basile  et  saint 
Jean  Chrysostome  les  regardent  comme  de  purs  esprits,  et 
ce  sentiment,  émis  par  le  concile  de  Latran,  en  1225,  a  été 
depuis  adopté  par  l'Église  entière.  Pour  elle  il  n'y  a  que  trois 
sortes  de  créatures  :  les  créatures  spirituelles,  les  créatures 
matérielles,  et  les  créatures  qui  participent  des  unes  et  des 
autres.  Les  premières  forment  les  anges,  les  secondes  la 
nature  physique  et  animale,  les  troisièmes  le  genre  humain. 
Elle  rend  un  culte  particulier  aux  trois  anges  Michel,  Ba- 
phael  et  Gabriel,  et  croit,  d'après  le  même  concile,  que 
tous  les  anges  ont  été  créés  bons,  que  quelques-uns  seule- 
ment sont  déchus  depuis  leur  révolte ,  doctrine  entièrement 
opposée  au  manichéisme.  Les  anges  déchus  sont  condanmés 
au  feu  éternel  ;  leur  supplice  n'aura  pas  de  fin.  «  Leur  crime 
est  d'autant  plus  irrémissible,  dit  saint  Grégoire,  que  n'ayant 
pas  l'attache  de  la  chair ,  il  leur  était  plus  facile  de  persé- 
vérer. » 

Les  auteurs  ecclésiastiques  divisent  tous  les  anges  restés 
fidèles  à  Dieu  en  trois  hiérarchies,  et  chaque  hiérarchie  en 
trois  chœurs  ou  ordres.  La  première  comprend  les  sern- 
phins,  les  chérubins  et  les  trônes;  la  seconde,  les  domina- 
tions, les  vertus  qUcs  puissances  ;  la  troisième  et  dernière, 
les  principautés,  les  archanges  et  les  anges.  Voici  main- 
tenant leurs  divers  attributs,  d'après  saint  Denys  l'Aréopa- 
gite  :  les,  séraphins  excellent  par  l'amour,  les,  chérubins  par 
le  silence,  et  c'est  sur  les  trônes  que  règne  la  majesté  divine. 
Les  dominations  ont  pouvoir  sur  les  hommes ,  les  vertus 
recèlent  le  don  des  miracles,  les  puissances  s'opposent  aux 
démons,  les,  principautés  veillent  sur  les  empires;  enfin 
les  archanges  et  les  a7iges  sont  les  messagers  de  Dieu,  avec 
cette  seule  différence  que  les  missions  les  plus  importantes 
sont  dévolues  aux  premiers. 

Le  nombre  des  anges  est  incalculable.  «  Des  milliers  de 
milliers  d'anges  le  servaient ,  dit  Daniel ,  et  mille  milliers 
d'anges  l'assistaient.  »  Jésus,  s'adressant  à  l'apôtre  qui  a  tiré 
l'épée  pour  le  défendre ,  lui  dit  :  »  Croyez-vous  que  je  ne 
puisse  pas  prier  mon  Père  et  qu'il  ne  m'enverrait  pas  plus 
de  douze  légions  d'anges?  »  La  fonction  principale  des  anges 
est  exprimée  par  le  nom  même  à' envoyé  qu'ils  ont  reçu .  Outre 
les  missions  confiées  à  Baphael  et  à  Gabriel ,  nous  voyons 
d'autres  anges  arrêtant  le  bras  d'Abraham,  qui  va  sacrifier 
son  fils,  prédisant  à  Sara  qu'elle  sera  mère,  consolant  Agar 
dans  le  désert  et  lui  indiquant  une  source  pour  ranimer  Is- 
mael  mourant,  luttant  avec  Jacob  pour  éprouver  sa  force, 
sauvant  Loth  de  l'incendie  de  Sodome,  secourant  Machabée 
au  milieu  du  combat,  délivrant  saint  Pierre  de  son  cachot, 
apportant  sur  leurs  ailes  le  prophète  Hahacuc  à  Daniel  plongé 
dans  la  fosse  aux  lions.  Enfin,  les  Livres  saints  nous  parlent 
des  fonctions  diverses  que  rempliront  les  anges  au  joiu-  du 
jugement  dernier  ;  mais  indépendamment  de  ces  missions 
extraordinaires  que  Dieu  leur  confie,  lorsqu'il  le  juge  con- 
venable, il  a  placé  auprès  de  chaque  fidèle  un  bon  ange 
chai-gé  de  le  conseiller  et  de  le  protéger.  C'est  pourquoi  on 
le  nomme  ange  gardien.  Ces  anges,  qui  occupent  le  dernier 
rang  dans  la  hiérarchie  céleste,  forment  la  chaîne  divine  qui 
unit  la  créature  au  Créateur.  Ces  gardiens  que  nous  recevons 


ANGE  — 

en  naissant  selon  saint  JtVônip,  aprt'>slc  baptrmc  seulement 
suivant  Ori^ènc,  nous  excitent  à  choisir  le  bien  et  à  éviter 
le  mal;  nous  soutiennent  dans  les  moments  de  tentation; 
nous  i)réservent  dans  le  danger,  otïrent  nos  prières  à  Dieu 
et  prient  aussi  pour  nous.  A  la  mort  dos  justes,  ils  s'em- 
parent de  leurs  imes  pour  les  porter  au  ciel  ou  dans  le  pur- 
gatoire. La  croyance  aux  anges  gardiens  a  été  unanimeu'.ent 
admise  par  l'Église,  qui  ne  prononce  pas,  cependant,  d'a- 
nathème  contre  ceu\  qui  la  rejettent.  11  est  même  probable, 
à  en  croire  certains  théologiens,  que  les  fidèles  ne  jouissent 
pas  seuls  du  privilège  d'en  avoir  et  que  chaque  homme  en 
général  a  le  sien.  Une  opinion  qui  est  aussi  fort  générale, 
c'est  que  chaque  nation  ,  chaque  pays,  chaque  église,  chaque 
communauté,  chaque  élément,  chaque  astre  même  et  chaque 
étoile  a  son  ange  particulier,  présidant  à  ses  mouvements 
et  à  sa  conservation  :  c'est  à  ce  titre  que  l'archange  Michel 
est  regardé  comme  l'ange  tutélaire  de  la  France. 

ANGE  {i\umismafique).  Voyez  Ancei.ot. 

ANGE,  nom  d'une  famille  qui  a  occupé  le  trône  de 
Constantinople.  Elle  ceignit  le  diadème  en  1185,  dans  la  per- 
sonne (Tisane  PAxce,  deuxième  du  nom,  successeur  d'An- 
dronic  Comnène,  qui  avait  ordonné  sa  mort  et  fait  périr 
sa  famille.  II  fut  même  porté  au  palais  impérial  à  l'instant 
où  on  le  conduisait  au  supplice.  Prince  faible  et  superstitieux, 
détourné,  par  un  prétendu  prophète,  de  la  bonne  voie  dans 
laquelle  il  était  d'abord  entré,  il  se  rendit  odieux  à  force  de 
débauches,  et  fut  détrôné,  en  1195,  par  Alexis  l'Angf,  son 
frère,  qui  lui  lit  crever  les  yeux;  mais  un  autre  Alexis,  son 
fds,  appela  à  .son  secours  les  croisés  :  rétabli  sur  le  trône 
en  1204,  il  fut  .six  mois  après  détrôné  de  nouveau  et  rois  à 
mort,  avec  son  (ils,  par  Alexis  Du  cas. 

AIVGE  (Frère  ou  Père).  T'oyfC  Joveise- 

AXGELI  (FiLippo),  peintre  paysagiste,  né  à  Rome,  vers 
la  fin  du  seizième  siècle ,  et  mort  en  1645,  à  Florence,  où 
l'avait  attiré  la  généreuse  protection  que  le  grand-duc  de  Tos- 
cane, Cosme  II,  accordait  à  tous  les  artistes,  est  célèbre  pour 
avoir  le  premier  soumis  la  composition  des  paysages  aux 
règles  d'une  exacte  perspective.  Ses  tableaux  sont  devenus 
rares  :  aussi  les  amateurs,  quand  ils  en  rencontrent,  les 
paient-fls  des  prix  fous. 

AIVGEH  (  L'  ) ,  est  au  nombre  de  ces  singuliers  per- 
sonnages que  les  rois,  les  princes  et  quelques  grands  sei- 
gneurs avaient  l'usage  de  conduire  à  leur  suite  sous  le  nom 
ilefousen  titre  d'office  {Voi/cz  Cqvr  [Fous  de]  ).  L'An- 
geli  fut  l'un  des  derniers  revêtu  de  ce  singulier  emploi,  qu'il 
exerça  durant  le  règne  de  Louis  XIII  et  dans  les  premières 
années  du  règne  de  Louis  XIV.  Il  avait  commencé  par 
sui'sre,  comme  valet  d'écurie,  le  prince  de  Condé  dans  ses 
campagnes  de  Flandre.  Ce  prmce  l'ayant  conduit  à  la  cour, 
le  donna  au  roi,  qui  le  lui  demanda.  L'Angcli  ne  tarda  pas 
à  faire  une  fortune  assez  rapide,  ce  qui  faisait  dire  à  Mari- 
gny,  le  chansonnier  :  «  De  tous  les  fous  qui  ont  accompagné 
M.  le  prince  en  Flandre,  L'Angeli  lui  seul  a  fait  fortune.  » 
;Suivant  quelques  auteurs,  il  aurait  amassé  une  somme  de 
vingt-cinq  mille  écus,  rien  qu'avec  les  présents  que  chacun  lui 
faisait,  d'après  les  bons  mots  qui  lui  sont  attribués.  C'est 
principalement  par  les  traits  satiriques  qu'il  savait  lancer  à 
propos  que  L'Angeli  mérita  quelque  réputation.  Se  trouvant 
un  jour  au  diner  du  roi  avec  le  comte  de  Nogent,  il  dit  à 
ce  seigneur  :  «  Couvrons-nous  ,  cela  ne  tire  pas  à  consé- 
quence pour  nous  deux.  »  Ménage  prétend  que  cette  rail- 
lerie abrégea  les  jours  du  comte  de  logent ,  ce  qui  nous 
parait  lûen  hasardé.  M.  de  Beautru  n'aimait  pas  L'Angeli, 
«lit  aussi  le  même  écrivain,  parce  que  ce  dernier  se  faisait 
toujours  un  plaisir  de  le  railler.  Un  jour  que  L'Angeli  était 
dans  une  compagnie  où  il  y  avait  déjà  quelque  temps  qu'il 
faisait  le  fou,  M.  de  Beautru  vint  à  entrer;  sitôt  que  L'An- 
geli l'eut  aperçu  ,  il  lui  dit  :  «  Vous  venez  bien  à  propos 
pour  me  seconder;  je  me  lassais  d'être  seul.  »  lîoileau  a 
contribué  pour  une  grande   part  à  illustrer  le  nom  de  ce 


ANGELOT  sfi.-i 

personnage  facétieux  ;  dans  sa  première  satire ,   il  a  dit  : 

l'n  poêle  à  la   cour   t'init  j.mlis  i\c  mode, 
M.iis  lies  fous  .iiijoiiril'liiii  c'est  le  pliis  incommode, 
F.t  IVspril  le  plus  beau,  l'auteur  le  pins  pnli 
N'y   parviendra  jamais  au  sort  de  l/ANGEi.r. 

Et  dans  sa  huitième  satire,  en  parlant  d'Alexandre  ; 

Ce  fongueux  L'Anjeli,  qui,  de  sanp;  alléré, 
Mailrc  du  monde  entier  s'y  trouvait  trop  serré. 

LeRodx  dëLincy. 

ANGÉLIQUE.  Cette  plante,  dont  le  nom  vient  des 
qualités  éminentes  qu'on  lui  a  attribuées ,  appartient  à  la 
famille  des  ombellilères.  Elle  est  vivace,  et  croît  naturelle- 
ment en  diverses  régions  de  la  France  et  de  l'Europe.  Les 
racines  sont  blanches  à  l'intérieur,  brunes  au  dehors,  char^ 
nues ,  fusiformes,  très-rameuses  ;  la  tige  est  cylindrique  , 
d'une  odeur  et  d'une  saveur  aromatique  agréables,  tandis 
que  les  racines  sont  Acres  et  amères.  Si  on  incise  la  tige  ou 
la  racine  sur  la  plante  vivante,  il  en  découle  un  suc  lai- 
teux, qui  se  sèche,  se  concrète  et  (orme  une  gomme-résine 
jouissant  à  un  haut  degré  des  mêmes  vertus  que  les  j)arties 
dont  elle  découle.  Les  graines  sont  courtes ,  obtuses  et 
bordées  d'ailes  membraneuses.  Les  fleurs  en  ombelles, 
doubles  au  sommet  de  la  tige  ,  sont  de  couleur  verdàtre. 
Sa  tige  robuste,  droite,  qui  s'élève  à  la  hauteur  de  deux 
mètres,  et  qui  s'accompagne  d'un  feuillage  é^ais,  nombreux 
et  du  plus  beau  vert,  en  ferait  encore  une  de  nos  plus  belles 
plantes  d'ornement ,  si  ses  propriétés  médicinales  et  ali- 
mentaires ne  l'eussent  appelée  à  de  plus  importantes  desti- 
nations. On  cultive  l'angélique  dans  les  lieux  humides  de 
nos  jardins ,  sur  les  bords  des  fossés  et  des  étangs.  En 
Norwége,  en  Laponie,  en  Islande,  les  habitants  l'emploient 
dans  leur  alimentation  et  la  font  entrer  dans  leur  médecine 
domestique.  Nos  confiseurs  en  font  des  sucreries  délicieuses. 
L'angélique  est  cordiale ,  stomachique ,  carminalive  et 
vermifuge.  Elle  jouit  de  propriétés  excitantes  très-pronon- 
cées ,  que  l'on  met  à  profit  dans  toutes  les  maladies  dans 
lesquelles  une  impression  stimulante  peut  être  utile.  Ou 
l'administre  avec  avantage  conti  e  la  dispepsie ,  les  vomis- 
sements spasmodiques ,  les  coliques  flatulentes;  on  l'emploie 
aussi  dans  l'aménorrhée ,  la  chlorose ,  les  catarrhes  chro- 
niques. L'angélique  entre  dans  une  foule  de  médicaments 
composés  (eau  de  mélisse  des  carmes,  la  tliériaque  céleste,  le 
baume  du  commandeur,  etc.  ).  On  fait  avec  la  tige  une  con- 
serve qu'on  administre  avec  succès  dans  les  convalescences. 

ANGÉLIQUES,  hérétiques  des  premiers  siècles  de 
l'Église ,  dont  parlent  saint  Augustin  et  saint  Epiphanc  ; 
mais  ces  deux  auteurs  ne  sont  point  d'accord  sur  l'origine 
de  ce  nom.  Le  premier  les  nomme  ainsi  parce  qu'Ds  pré- 
tendaient mener  une  vie  angélique ,  le  second  parce  qu'ils 
attribuaient  aux  anges  la  création  du  monde,  et  qu'ils 
leur  rendaient  un  culte  divin.  Cette  hérésie  pourrait  même 
remonter  jusqu'au  temps  des  apôtres,  sous  le  nom  d'angé- 
lolàtrie ,  puisque  saint  Paul ,  dans  son  épitre  aux  Colos- 
siens,  tait  mention  du  culte  superstitieux  des  anges.  C'est 
dans  le  troisième  siècle  surtout  que  la  doctrine  des  angéliques 
fit  des  progrès  rapides.  Ils  se  répandirent  dans  la  Pisidie 
et  dans  la  Phrygie,  y  fondèrent  des  oratoires ,  prêchant  que. 
Dieu  étant  invisible  et  incompréhensible,  on  ne  pouvait 
atteindre  jusqu'à  lui  que  par  l'entremise  des  anges.  Ces  pau- 
vres gens  soutenaient  qu'ils  les  voyaient  fort  bien.  Le  con- 
cile de  Laodicée,  tenu  vers  l'an  362,  ne  fut  point  de  cet  avis; 
et  parmi  les  soixante  canons  émanés  de  ce  concile  il  en 
est  un  qui  frappe  les  angéliques  d'anathème  et  qui  leur  dé- 
fend d'ériger  des  oratoires  aux  anges.  L'Église  est  devenue 
à  cet  égard  plus  tolérante. 

ANGELOT  ou  AXGE ,  espèce  de  monnaie  qui  avait 
cours  en  France  vers  1240  ,  et  valait  un  écu  d'or  fin.  Il  y  a 
eu  des  angelots  dediverspoidsetde  divers  prix.  Usportaicnt 
l'image  de  saint  Michel,  tenant  une  épée  à  la  main  droite. 


500 


ANGELOT 


et  à  la  gauche  un  écu  charçc*  de  trois  fleurs  de  lis,  ayant  h 
ses  pieds  un  serpent.  On  en  frappa  sous  Pliilippc  de  Valois. 
11  y  en  eut  d'autres  sous  Henri  VI,  roi  d'Angleterre  :  ceux-ci 
avaient  l'empreinte  d'un  ange  portant  les  écus  de  France  et 
d'Angleterre.  Us  valaient  quinze  sous  ,  pesaient  44  î  grains 
de  marc  de  Paris,  se  composaient  de  23  4  d'argent  fin 
et  de  î  d'aloi,  et  avaient  été  frappés  pendant  que  les  Anglais 
étaient  maîtres  de  Paris. 

AIVGELUS,  prière  instituée  par  l'Église  catholique  pour 
honorer  le  mystère  de  l'Incarnation.  Par  ce  mot  seul 
elle  rappelle  la  venue  de  l'ange  Gabriel  vers  Marie ,  la  sa- 
lutation qu'il  adressa  à  cette  vierge  immaculée  et  la  rédemp- 
tion du  genre  humain.  Elle  est  appelée  Angélus  parce  qu'elle 
commence  par  ce  mot.  Elle  se  compose  de  ([uatrc  versets  et 
de  quatre  répons,  dont  trois  sont  tirés  de  l'Évangile,  de 
trois  Ave,  Maria  tt  d'une  oraison  par  laquelle  on  demande 
h  Dieu  sa  grâce  et  le  salut  éternel  par  les  mérites  de  Jésus- 
Christ.  Les  chrétiens  ont  dû  se  complaire  à  répéter  souvent 
ces  paroles,  qui  révèlent  de  si  divins  mystères  ;  elles  entre- 
tiennent dans  l'espérance  des  biens  éternels.  Nul  doute , 
quoique  l'on  n'en  connaisse  point  la  date,  que  l'Angelus, 
depuis  bien  lonr^tcmps  ,  a  élc  sonné  au  point  et  à  la  chute 
<Ui  jour  ])our  encourager  l'homme  à  commencer  ses  travaux 
et  le  bercer  de  douces  pensées  an  moment  de  se  livrer  au 
sommeil.  Ce  fut  pour  rappeler  aux  fidèles  les  dangers  que 
Mahomet  II  ht  courir  à  la  chrétienté  qu'un  pape  ordonna  les 
coups  de  cloche  du  milieu  du  jour,  que  l'on  appelle  V An- 
gélus de  midi. 

Les  souverains  pontifes  ayant  accordé  à  ceux  qui  réci- 
tent cette  prière  un  grand  nombre  d'indulgences,  on  a 
donné  à  cette  prière  le  nom  de  pardon ,  témoin  ces  vers 
du  Lïttrin  : 

Quoi  !  le  pardon  sonnant  te  retrouve  en  ces  lieux  ? 

Anciennement  le  coup  de  l'Angelus  réglait  les  habitudes 
de  la  vie  dans  les  cités ,  comme  il  les  règle  encore  dans  les 
campagnes  ;  et  il  est  des  pays  où  le  son  de  cette  cloche  réunit 
dans  un  même  esprit  tous  ceux  qui  l'entendent  résonner. 
Les  Italiens  et  les  Espagnols  mettent  une  plus  grande  impor- 
tance que  les  Français  à  la  récitation  de  V Angélus.  Vous 
lirez  au  sujet  des  premiers  l'anecdote  suivante  dans  le 
Ménagiana  : 

«  Deux  Français  se  cherchaient  en  vain  sur  la  place  du 
Vieux-Palais,  à  Florence,  à  cause  de  la  multitude  qui  entou- 
rait un  baladin;  YAngclus  vint  à  sonner  :  aussitôt  les  Ita- 
liens de  se  mettre  tous  à  genoux,  et  les  deux  Français,  se 
voyant  seuls  debout ,  se  reconnurent  et  se  retrouvèrent.  » 

Quant  aux  seconds,  voyez  sur  la  plage  de  Cadix,  au  cou- 
clier  du  soleil ,  une  foule  élégante  et  nombreuse  se  presser, 
s'îigiter  gaiement  en  rcppirant  l'air  frais,  après  une  journée 
bridante  ;  mais  l'Angelus  sonne  :  aussitàt  les  femmes  abais- 
sent leurs  mantilles,  les  hommes  se  découvrent  la  tite; 
tous  demeurent  inuiiobiles  jusque  après  la  récitation  de  la 
salutation  angélirjue.  Dès  que  la  prière  est  terminée ,  on 
s'incline  vers  les  amis  ou  les  inconnus  auprès  desquels  on 
se  trouve  placé,  on  se  dit  bonsoir  réciproquement,  et 
l'on  reprend  le  cours  de  sa  promenade.  Il  y  a  dans  cette 
coutume  queltpie  chose  d'aimable  et  de  fraternel,  qui  rappelle 
l'égalité  et  la  charité  chrétiennes  i)resque  autant  que  le  pour- 
rait faire  un  long  sermon  sur  ces  vertus.  Voyez  Ave  Mahia. 
Comtesse  de  Bradi. 

Al\GEiXl\ES  (  Maison  d'  ).  Cette  famille  remontait  à  la 
fin  du  treizième  siècle  ;  elle  i)rit  son  nom  d'un  domaine  situé 
dans  le  Perche.  Le  premier  dont  il  soit  fait  mention  dans 
riiistoire  est  Robert  u'A\i;ennes,  seigneur  de  Rambouillet 
et  de  MaroUes  :  son  petit-fils  périt  à  Azincourt,  en  1415. 
Jacques  n'ANCENNKS  fut  un  des  favoris  de  François  F"'  et 
de  ses  successeurs;  il  devint  lieutenant  général  des  ar- 
mées et  gouvernetu'  de  Melz  ;  il  cul  neuf  liis,  parmi  lesquels 
onchstingiie  C/^«?7r5,  cardinal  de  Rambouillet,  évOquo  du 


-  ANGERS 

Mans  (15.10-87),  un  des  représentants  de  la  France  au 
concile  de  Trente  et  auprès  de  Grégoire  XI H  ;  il  a  laissfe  des 
Mvmoires.  —  Claude,  évêquc  dcNoyon,  puis  du  Mans,  ar- 
dent défenseur  des  libertés  gallicanes  à  rassemblée  du  clergé 
à  Paris  en  1585.  11  fut  chargé  d'annoncer  à  Sixte  V  l'as- 
sassinat du  duc  de  Guise  et  du  cardinal  de  Lorraine.  — 
Cette  famille  était  depuis  longtemps  en  possession  du  mar- 
quisat de  Maintenon,  lorsqu'elle  le  vendit  à  la  célèbre  Fran- 
çoise d'Aubigné,  depuis  madame  de  Maintenon.  — La 
maison  d'Angennes  s'éteignit  en  la  personne  de  Charles 
d'Angennes  ,  marquis  de  Rambouillet ,  tué  au  siège  d'Arras , 
maréchal  de  camp ,  ambassadeur  en  Piémont  et  en  Espagne; 
il  avait  épousé  la  belle  Catherine  de  Vivonne ,  dont  il  eut  la 
célèbre  Julie-Lucine  d'Angennes  ,  remarquable  par  son 
esprit  et  ses  vertus.  —  Louis  XIV  la  nomma  gouvernaiite 
des  enfants  de  France,  et  la  chargea  de  l'éducation  du  Dau- 
phin (  1661  )  jusqu'au  moment  où  il  passa  entre  les  mains 
de  son  mari  ,  le  duc  de  M  on  tau  si  er.  Avant  leur  mariage 
ce  seigneur  lui  avait  adressé,  sous  le  nom  de  Guirlande  de 
Julie,  une  offrande  poétique,  composée  de  fleurs  dessinées 
par  le  peintre  Robert  et  de  madrigaux  dus  aux  beaux-esprits 
du  temps  et  écrits  par  le  calligraphe  Jarry.  Cette  guiriande  fit 
beaucoup  de  bruit  à  cette  époque.  C'est  chez  la  mère  de 
celte  .Julie  que  se  rassemblait  la  société  dite  de  l'iiôtel  de 
Rambouillet.  A.  Feillet. 

AIVGERMANRJLAND.  Voijez  Scède. 

Ar\JGEROi\A,  la  déesse  de  la  crainte  et  de  l'inquiétude  : 
elle  faisait  naître  ces  sentiments,  mais  savait  aussi  en  af- 
franchir ceux  qui  l'imploraient.  On  la  représentait  ou  la 
bouche  close  ou  le  doigt  appuyé  sur  la  bouche.  A  Rome, 
sa  statue  était  placée  sur  un  autel ,  dans  le  tem])le  de  Vo- 
lupia,et  l'on  y  célébrait  en  son  honneur,  le  21  décembre, 
une  fête  nommée  angeronalia. 

ANGERS,  ancienne  capitale  de  l'Anjou,  aujourd'hui 
chef-lieu  du  département  de  Maine-et-Loire,  est  .situé 
dans  une  plaine,  un  peu  au-dessous  du  coniluent  de  la 
Mayenne  et  de  la  Sarthe ,  à  270  kilomètres  sud-ouest  de 
Paris.  L'ardoise  y  est  employée  à  profusion  dans  tous  les 
édifices,  d'où  lui  est  venu  son  nom,  tiré  d'un  mot  celtique 
qui  signifie  noir,  la  Ville-Noire  :  car  non-seulement  les  toits 
en  sont  couverts ,  mais  plusieurs  maisons  en  sont  entière- 
ment construites  ;  il  en  est  de  même  des  murs  entourant 
d'immenses  propriétés.  Ces  pierres  donnent  à  la  ville,  sur- 
tout quand  on  y  arrive  de  Nantes ,  en  remontant  la  Loire , 
un  caractère  étrange,  qui  est  loin  de  déplaire,  mais  qui  eu 
rend  l'aspect  triste  et  sévère. 

Angers  a  de  beaux  boulevards,  et  des  maisons  récemment 
construites  sinon  avec  beaucoup  de  goût ,  du  moins  avec 
un  étalage  de  luxe  peu  commun  :  les  pilastres  corinthiens 
([ui  y  sont  prodigués  flanquent  avec  prétention  les  angles 
de  plus  d'un  édifice  ordinaire.  La  cathédrale,  conmiencéc 
en  1225,  est  très-remarquable  :  elle  porte  le  nom  de  Sainl- 
Jlaurice  ;  son  portail  est  orné  de  statues  de  chevaliers,  repré- 
sentant les  anciens  comtes  d'Angers. 

Cette  ville  est  fort  ancienne.  Elle  était  la  capitale  dcSilH- 
degavi  avant  la  conquête  de  César,  qui  lui  donna  ou  lui 
laissa  donner  le  nom  de  Juliomagus.  Childéric  la  conquit 
au  profit  des  Francs.  Elle  fut  pendant  le  neuvième  siècle 
dévastée  par  les  Normands.  Jean  sans  Terre  l'entoura  pour  la 
première  fois  de  murailles  vers  12'J0.  Louis  VIII  les  abattit, 
Louis  IX  les  releva.  Ce  dernier  prince  termina  le  château 
commencé  par  PhlUppe-Auguste.  Ce  château  futpris,  en  1585, 
par  les  calviniste;^.  Assiégé  successivement  par  les  Francs, 
les  Normands,  les  Bretons  et  les  Anglais,  Angers  fut  vainement 
attaqué  en  1793  par  les  Vendéens  {voyez  l'article  suivant). 
Six  conciles  s'y  sont  réunis  en  455,  1055,  1279,  1366,  1448 
et  1583.  A  la  prière  de  son  frère  Charies,  comte  d'Anjou  , 
Louis  IX  y  avait  établi  une  universili-,  et  Louis  XIV  y  fonda 
en  1685  une  Académie  des  belles  lelîres. 

Le  16  mai  1850,  à  midi,  par  une  pl!iietorrenlielle,le  3*  ba- 


ANGERS  ■ 

laillon  (lu  11^  léj^.T  approchait  ir.\n!;oi*,  précAli^  <1c  la 
musique,  du  lieutonanl-colond  ot  <lc  son  rlu^f  de  bataillon  , 
tou'î  (kniv  à  cheval.  L'autorité  locale,  craignant  qu'il  ne  fût 
l'objet  d'une  ovation  po])ulairc ,  décida  qu'il  arriverait  par 
le  pont  de  fer  de  la  IJasse-Chaine,  au  lieu  de  traverser  le 
pont  de  pierre  (jui  est  au  centre  de  la  ville  ;  mais  à  peine 
l'avant-i;arde  et  la  musique  venaient-elles  de  le  franchir, 
(lue  les  colonnes  de  la  culée  de  droite'oscillirent  et  s'abî- 
mi'rent  avec  un  horrible  fracas.  Les  cûbles  de  la  culée  de 
pauche  ayant  tenu  ferme,  le  tablier  se  trouva  former  une 
rampe  escarpée,  sur  laquelle  glissèrent  des  compagnies  en- 
tières, écrasant  de  leur  poids  les  pelotons  tombés  dans  la 
Maine.  Malgré  le  temps  alïreiix  qu'il  taisait,  de  promiils  se- 
cours arrivèrent.  Losdeux  ofliciers  supérieurs  furent  sauvés; 
mais  deux  cents  militaires  <le  tout  grade  périnnt.  En  1855,  une 
insurrection  socialiste  éclata  dans  les  ardoisières  :  quatre 
ou  cinq  cents  individus,  appartenant  pour  la  plupart  à  la  so- 
ciété secrète  la  M  a  r  i  a  n  n  e ,  entrèrent  à  Angers  avec  des  ar- 
mes et  en  chantant  la  Marseillaise.  Elle  fut  au.<sitôt  réprimée, 
et  donna  lieu  à  de  nombreuses  condamnations. 

Celte  vLlle  est  le  siège  d'un  évoque  suffragant  de  Tours, 
dont  le  diocèse  comprend  le  département  de  Maine-et- 
Loire  ;  elle  a  une  cour  impériale  pour  les  déparlements  de 
Maine-et-Loire,  Mayenne  et  Sarlhe,  un  tribunal  et  une  ciiam- 
bre  de  commerce,  un  lycée,  une  école  secondaire  de  mé- 
decine, une  école  normale  primaire  départementale,  une 
école  d'arts  et  métiers,  un  séminaire  diocésain,  une  biblio- 
thèque de  2S,000  volumes,  un  beau  musée  de  tableaux, 
un  cabinet  d'histoire  naturelle,  un  jardin  botanique,  etc. 

L'industrie  y  est  active.  On  y  fabrique  des  toiles  à  voile, 
de  la  corderie,  des  lainages,  des  bougies.  Il  y  a  des  lilatures 
de  coton  et  de  laine,  des  moulins  à  farine  et  à  huile,  des 
tanneries,  des  chamoiseries,  des  imprimeries,  de  beaux 
jardins-pépinières,  et  dans  l'arrondissement  de  magniti- 
ques  carrières  produisant  IQO  millions  d'ardoises  par  an  et 
occupant  3,000  o^ivriers.  I|  s'y  fait  un  important  commerce 
en  grains,  farine ,  chanvre,  lin,  graines  de  fourrage,  légumes 
secs,  vins,  ardoises,  bois  et  huiles;  un  chemin  de  fer  la 
jelie  à  la  capitale  et  à  Nantes.  Elle  a  50,726  habitants.     * 

AÎVGËIIS  (Combat  d').  L'armée  royale  de  l'Ouest,  qui 
venait  d'éprouver  plusieurs  défaites,  à  la  fin  de  1793,  re- 
passa la  Loire,  et  se  dirigea  vers  Angers,  dans  le  dessein  de 
s'emparer  de  cette  ville  et  d'assurer  sur  ce  point  le  passage 
du  fleuve.  Quatre  raille  républicains,  commandés  par  les 
généraux  Danican  et  Boucret,  formaient  la  garnison  de  celte 
ville.  A  l'approche  de  l'armée  vendéenne,  la  garde  nationale 
prit  les  armes  et  se  joignit  aux  troupes  de  ligne.  Le  6  dé- 
cembre 1793,  à  onze  heures  du  matin,  les  royahstes  attaquè- 
rent les  faubourgs  d'Angers  et  s'en  emparèrent.  Depuis  la 
porte  Saint-Aubin  jusqu'à  la  Haute-Chaîne,  vin^gt  pièces  d'ar- 
tillerie garnissaient  les  remparts,  que  protégeaient  des  sacs 
remplis  de  terre.  La  troupe  de  ligne  occupait  tous  les  re- 
tranchements, et  les  habitants  avaient  demandé  les  postes  les 
plus  périlleux.  Partageant  le  danger  commun  ,  les  femmes 
leur  portaient  des  munitions  sous  le  feu  le  plus  violent ,  et 
secouraient  les  blessés.  Les  assiégés  résistèrent  avec  énergie 
à  de  vigoureuses  attaques.  Le  combat  dura  tout  le  jour,  et 
.<e  renouvela  le  lendemain  avec  la  même  opiniâtreté.  Ce- 
pendant la  longue  résistance  des  républicains  avait  décimé  les 
Vendéens  et  ralenti  leur  ardeur.  Après  d'inutiles  cllorts  et 
trente  heures  d'une  lutte  opiniâtre,  ils  battirent  en  retraite,  et 
se  dirigèrent  sur  la  Flèche,  laissant  sur  le  champ  de  bataille 
trois  chinons  et  trois  cents  morts. 

AiVGIiVE  (  de  cnjcre,  suffoquer),  inflammation  de  la 
membrane  muqueuse  qui  tapisse  rarrière-bouche,  ou  le 
c<.mmencement  du  canal  aérifère.  Elle  prend  ordinairement 
le  nom  de  la  partie  qu'elle  affecte  spécialement,  d'où  les 
dénominations  d'angine  pharyngoe,  lanjngée,  tonsillaire, 
sui'.aut  qu'elle  envahit  le  pharynx,  le  larynx  ou  les  ton- 
«Ues  (amygdales).  Dans  ce  dernier  cas,  la  ma'adic  ne  se 


-  ANGINE  567 

borne  plus  \  la  membrane  muqueuse,  elle  occupe  la  subs- 
tance même  de  ces  glr.ndes. 

Ces  diverses  formes  de  l'angine  reconnaissent  à  peu  pros 
les  mêmes  causes  :  c'est  le  plus  souvent  l'impression  du 
froid  sur  une  partie  quelconque  du  corps,  l'action  de  va- 
peurs ou  de  substances  irritantes  sur  ces  muqueuses,  le  ré- 
sultat sympathique  d'une  affection  de  la  matrice;  clic  ac- 
compagne constamment  la  scarlatine. 

L'angine  gutturale  (  qui  s'accompagne  presque  toujours 
de  la  phlogose  des  amygdales  )  a  pour  signes  principaux  : 
une  déglutition  douloureuse,  difficile,  quelquefois  môme  im- 
possible. En  faisant  ouvrir  la  bouche  autant  que  cela  est 
possible,  et  en  abaissant  la  langue  avec  le  manche  d'une 
cuiller,  on  constate  une  vive  rougeur  de  la  muqueuse  af- 
fectée et  un  gonflement  plus  ou  moins  considérable  de  la 
luette  et  des  amygdales,  qui  finissent  souvent  par  se  toucher 
et  par  boucher  complètement  l'arrière-bouche.  Aussi  à  ce 
degré  a-t-on  ru  souvent  des  malades  suffoqués.  Plus  souvent 
la  maladie  décroît  d'elle-même,  ou  bien  l'individu  est  subi- 
tement soulagé  par  la  rapturc  d'un  abcès  dans  les  tonsillcs. 
On  dit  alors  qu'il  y  a  esq  uinancie.  Quelquefois  des  aph- 
thes  recouvrent  les  parties  malades  ;  ou  bien,  et  notamment 
dans  la  scarlatine,  ce  sont  des  membranes  glaireuses  ou  sem- 
blables à  une  couenne  ;  c'est  ce  qu'on  appelle  angine  couen- 
ncuse.  Elle  est  improi)rement  dite  gangreneuse  quand  ces 
membranes  sont  grisâtres,  et  qu'il  s'en  échappe  une  matière 
sanieuse,  fétide.  Ces  deux  dernières  formes  s'accompagnent 
ordinairement  d'un  assez  grand  danger.  La  durée  de  l'angine 
gutturale  varie  depuis  quelques  jours  jusqu'à  deux  ou  trois 
semaines.  Fréquemment  rinflammation  des  amygdales  passe 
à  l'état  chronique,  et  il  en  résulte  une  gêne  permanente  de 
la  respiration,  qui  a  pour  effet  chez  les  enfants  en  bas  âge 
certaines  déformations  de  la  poitrine,  dont  on  méconnaît  le 
plus  souvent  la  véritable  cause. 

Le  traitement  de  l'angine  varie  selon  le  degré  d'intensité 
de  la  maladie.  Quand  elle  est  légère,  ime  tisane  délayante, 
des  bains  de  pied  à  la  moutarde,  des  cataplasmes  autour  du 
cou,  quelques  gargarismes  éraolhents,  suffisent  pour  en  ar- 
rêter les  progrès.  Quand  elle  est  intense,  accompagnée  de 
fièvre,  il  faut,  selon  les  circonstances,  pratiquer  une  ou  deux 
saignées,  faire  une  ou  plusieurs  applications  de  sangsues. 
L'émétique  peut  être  utile  quand  il  y  a  complication  d'em- 
barras gastrique.  Une  ponction  est  parfois  nécessaire  en  cas 
d'abcès;  enfin,  on  se  trouve  assez  fréquenament  obligé,  dans 
l'état  chronique,  d'enlever  une  partie  des  amygdales  indu- 
rées et  gonflées.  Dans  la  forme  couenneuse,  gangreneuse, 
on  a  recours  à  des  cautérisations  pratiquées  à  l'aide  d'un 
pinceau  imbibé  d'une  solution  caustique. 

Vangine  laryngée  diffère  de  l'angine  gutturale  en  ce 
qu'elle  n'offre  pas  la  même  difficulté  dans  la  déglutition  ; 
mais  il  y  a  toux ,  enrouement  ou  extinction  de  voix  plus  ou 
moins  complète  ;  la  douleur  a  son  siège  dans  le  larynx  lui- 
même,  et  l'on  n'observe  pas,  en  faisant  ouvrir  la  bouche 
au  malade,  les  signes  propres  à  l'inflammation  de  l'arrière- 
bouche.  Celte  affection ,  plus  grave  chez  les  enfants  que 
chez  les  adultes,  à  cause  de  l'étroitesse  du  passage  ouvert 
à  l'air  chez  ces  derniers,  accompagne  fréquemment  la 
broncliite ,  la  rougeole,  la  phthisie  pulmonaire  ;  elle  précède 
assez  souvent  le  croup.  Son  traitement  ne  diffère  pas  es- 
sentiellement de  celui  que  nous  venons  d'indiquer  pour 
l'angine  gutturale. 

Ancixe  de  poitiune.  Cette  maladie,  qui  n'a  de  commun 
avec  la  précédente  que  le  nom ,  est ,  à  proprement  parler, 
une  névralgie  très-douloureuse  du  cœur,  s'étendant  com- 
munément à  tout  le  côté  de  la  y)oitrine  et  jusque  dans  le 
bras  correspondant,  avec  un  senlimonl  d'anxiété  et  de  suf- 
focation insupportables.  A  un  haut  degré,  refroidissement 
des  extrémités  ,  altération  des  traits  ,  arrêt  de  la  circulation, 
mort  en  quelques  heures.  Celtiî  affection  se  montre  ordinai- 
remeat  chez  Ici  personnes  alLeip.tes  d'inie  lésion  organique 


568 


ANGINE  —  ANGLE  FACIAL 


du  cœur.  Une  forte  application  de  sangsues,  secondée  par  des 
révulsifs  aux  extrémités  et  par  l'administration  intérieure  de 
calmants  unis  à  des  antispasmodiques,  constituent  la  base  du 
traitement  ordinairement  prescrit.  D""  Saucerotte. 

ANGIO-LEUCITE.  Voijc.z  Eléphantiasis. 

AIVGIOLOGIE  (  du  grec  àyyeXov ,  vaisseau  ;  l6yoç , 
discours),  partie  de  l'anatomie  ([ui  traite  de  l'usage  des 
vaisseaux  composant  l'appareil  de  la  circulation.  On  en 
distingue  trois  sortes  différentes  :  les  artères,  \esvei- 
71  es  et  \e<i  vaissemix  lymphatiques;  et  ils  sont  si  nom- 
breux, qu'il  serait  impossible  d'enfoncer  une  aiguille  dans 
une  partie  quelconque  du  corps  sans  en  intéresser  quelqu'un. 

ANGI VILLER  (  Cu\rles-Claude  LA  BILLAIIDRIE , 
comte  d'),  de  l'Académie  des  Sciences,  de  celle  de  peinture 
et  de  sculpture,  ordonnateur  général  des  bâtiments  du  roi, 
jardins,  arts,  académies  et  manufactures  royales,  jouit  d'une 
grande  influence  sous  Louis  XVI ,  qui  le  consultait  môme  sur 
le  choix  de  ses  ministres.  Par  ces  atlTibutions ,  qui  répon- 
daient à  celles  d'intendant  de  la  liste  civile,  il  exerçait  sur  les 
gens  de  lettres  et  sur  les  artistes  un  patronage  dont  ceux-ci 
eurent  constamment  à  se  louer.  C'est  à  lui  qu'on  doit  l'idée 
d'avoir  réuni  au  Louvre  cette  foule  de  travaux  de  sculpture 
et  de  peinture  qui  font  la  gloire  de  la  nation.  Il  continua 
l'œuvic  du  comte  de  Biiffon  dans  les  accroissements  que  ce 
grand  naturaliste  avait  donnés  au  Jardin  des  Plantes.  Bien 
qu'il  eût  pris  part  à  l'élévation  de  Turgot  au  ministère ,  et 
qu'il  fût  un  économiste  ^élé ,  personne  ne  fut  plus  opposé  à 
la  révolution  de  17S'J.  Accusé  à  la  séance  du  7  novembre 
par  Charles  de  Lanieth  de  multiplier  les  dépenses  et  d'en 
présenter  un  emploi  exagéré  ,  il  fut,  le  15  juin  1701 ,  sur  le 
rapport  de  Camus ,  atteint  par  un  décret  qui  prononçait  la 
saisie  de  ses  biens.  H  partit  alors  pour  l'émigration ,  et , 
après  avoir  résidé  quelque  temps  en  Allemagne ,  se  rendit 
en  Russie,  où  l'impératrice  Catherine  II  lui  accorda  une 
pension.  Il  mourut  à  Alloua,  en  181(X 

Le  comte  d'Angiviller  avait  épousé  une  veuve  célèbre  par 
sa  beauté  et  son  esprit,  madame  Marchais ,  née  de  la  Borde, 
dont  il  est  tant  parlé  dans  la  Correspondance  de  Grimjn 
et  dans  les  Mémoires  de  Murmontcl.  Admise,  dès  1748, 
dans  l'intimité  de  madame  de  Pompadour,  elle  jouait  la 
comédie  sur  le  théâtre  des  petits  apparlements ,  et  parve- 
nait à  amuser  l'ennuyé  Louis  XV.  Étant  madame  Marchais, 
son  salon  réunissait  tout  ce  que  la  cour  avait  de  plus  ai- 
mable ,  les  arts  et  la  littérature  de  plus  distingué  :  Buffon , 
Thomas,  Laharpe,  Ducis,  l'abbé  Maury,  Marmontel,  etc.  , 
s'honoraient  d'être  de  ses  amis.  Devenue  madame  d'Angi- 
viller, sa  maison  fut  plus  que  jamais  le  rendez-vous  de  celle 
société  d'élite.  Pendant  le  consulat  et  l'empire,  c'était  une 
petite  vieille  réfugiée  à  Versailles,  laide,  grotesque;  mais 
sous  son  enveloppe  ridicule,  on  trouvait,  dit  le  duc  de  Levis, 
un  esprit  supérieur,  un  jugement  aussi  sain  que  prompt , 
de  la  chaleur  sans  enthousiasme,  du  piquant  sans  aigreur, 
du  savoir  sans  pédanterie,  une  amabilité  égale  et  soutenue; 
on  ne  se  lassait  point  de  l'entendre.  Grâce  à  quelques  sa- 
crifices qu'elle  avait  faits  aux  mo'urs  du  jour,  sous  la  Teneur 
envoyant  par  exemple ,  un  jour,  le  buste  de  Marat  à  la 
société  populaire  du  chef-lieu  de  Seinc-et-Oise ,  elle  avait 
traversé  heureusement  la  révolution,  et,  sans  perdre  aucune 
de  ses  habitudes  excentriques,  elle  mourut  dans  celte  ville 
le  14  mars  180S,  à  l'âge  de  quatre-vingt-quatre  ans.  Ducis, 
qui  habitait  aussi  Versailles,  lui  resta  fidèle  jusqu'au  dernier 
soupir.  Les  pauvres  eurent  sujet  de  la  regielter,  car  ses  bien- 
faits soutenaient  plus  de  trente  familles.    Ch.  nu  Rozoir. 

ANGLAISE.  Nom  d'une  danse  originaire  d'Angleterie, 
comme  son  nom  l'indique,  et  qui  a  cessé  d'être  en  usage, 
sauf  dans  quchiues  provinces  éloignées  du  pays  qui  l'a  vue 
naître.  Le  galop  actuel  peut  en  donner  une  certaine  idée. 
Dans  cette  danse  le  caractère  du  rhythme  nujsical  était  le 
retour  fréquent  et  presque  continuel  de  la  croche  pointée 
sui\  ie  de  la  ilouble  croche  dans  la  mesure  à  deux-ipiahe.  On 


a  q\ieIqnefois  composé  des  anglaises  purement  instrumen- 
tales. 11  est  assez  digne  de  remarque  que  les  Anglais,  dont  le 
maintien  est  grave  et  composé,  et  dont  les  mouvements  sont 
lents  et  compassés,  aient  possédé  des  danses  qui  pour  la  grâce 
et  la  vivacité  ne  le  cèdent  à  celles  d'aucun  autre  peuple. 

ANGLE  (  du  latin  angulus  ).  Ce  terme  de  géométrie 
désigne  l'inclinaison  d'une  droite  sur  une  autre,  qu'elle  ren- 
contre. Le  point  de  rencontre  est  le  sommet  de  l'angle;  les 
droites  en  sont  les  côtés.  La  grandeur  de  l'angle  ne  dépend 
nullement  de  la  longueur  de  ses  côtés ,  mais  seulement  de 
la  différence  de  leurs  directions.  Lorsque  les  deux  côfés  sont 
perpendiculaires,  l'angle  reçoit  le  nom  d'angle  droit,  et  c'est 
ce  qu'on  appelle  dans  les  arts  angle  d'équerre.  Vangle  aigu 
est  plus  petit  que  l'angle  droit  ;  Vangle  obtus  est  plus  grand. 
La  grandeur  des  angles  se  mesure  sur  le  papier,  au  moyen 
d'un  instrument  appelé  rapporteur  ;  sur  le  terrain,  on  se 
sert  du  graphomctre.  —  Les  angles  dont  nous  venons  de 
parler,  ayant  pour  côtés  des  droites ,  se  nomment  angles 
rcctïUgnes,  pour  les  distinguer  des  angles  qui  ont  pour  côtés 
des  lignes  courbes  et  qu'on  appelle  angles  curvilignes; 
panni  ceux-ci  les  plus  remarquables  sont  les  angles  sphé- 
riqxies,  formés  par  l'intersection  de  deux  grands  cercles  d'une 
sphère.  Du  reste,  pour  évaluer  un  angle  curviligne,  on  me- 
sure l'angle  rectiligne  formé  par  les  tangentes  menées  jjar 
le  sommet  à  chacun  des  côtés.  —  Vangle  dièdre  est  formé 
par  l'inclinaison  de  deux  plans  qui  sont  h?,  faces  de  l'angle, 
tandis  que  leur  intersection  en  est  Varéte.  Enfin,  Vangle  so- 
lide ou  2^olijèdre  est  formé  par  la  rencontre  de  plusieurs 
plans  en  un  môme  point ,  comme  cela  a  lieu  an  sommet 
d'une  pyramide.  — L'angle  sous  lequel  on  voit  un  objet  est 
celui  qui  a  pour  sommet  l'œil  de  l'observateur  et  dont  les 
côtés  passent  par  les  extrémités  de  l'objet;  il  reçoit  le  nom 
d'angle  optique  ou  angle  visuel.  —  Pour  les  expressions  : 
angle  d'incidence,  de  réflexion,  de  réfraction,  de  pola- 
risation, horaire,  etc.,  voyez  les  mots  iNcmESCE,  Ré- 
flexion, etc.  —  Pour  les  angles  en  fortification,  voyez 
Fortification. 

ANGLE  FACIAL.  C'est  une  opinion  reçue  chez  tous 
les  hommes  que  l'intelligence  d'un  animal  dépend  du  vo- 
lume de  son  cerveau.  Camper  et  les  anatomistes  modernes 
ont  proposé  un  moyen  fort  simple  pour  évaluer  ce  volume. 
Il  consiste  dans  l'observation  de  l'ouverture  d'un  angle 
formé  par  deux  lignes  imaginaires  tirées ,  l'une  du  point  le 
plus  saillant  du  front,  au  bord  des  dents  incisives  supé- 
rieures ;  l'autre ,  de  ce  dernier  point ,  et  passant  par  le  con- 
duit auriculaire  :  cet  angle  s'appelle  facial.  Plus  l'angle 
facial  est  aigu,  plus  le  cerveau  de  l'animal  est  censé  petit. 
Cette  vérité  est  confirmée  par  un  gi-and  nombre  d'observa- 
tions. L'homme,  le  plus  intelligent  des  êtres  créés,  est  auss'i 
celui  qui ,  toutes  proportions  gardées ,  a  reçu  de  la  nature  le 
cerveau  le  plus  volumineux ,  ou ,  pour  parler  autrement , 
l'homme  est  de  tous  les  animaux  celui  dont  l'angle  facial 
est  le  i)lus  grand.  L'ouvertaie  de  cet  angle  diminue  à  me- 
sure qu'on  s'éloigne  de  l'homme  et  qu'on  s'approche  des 
animaux  qui  occupent  les  derniers  degrés  de  l'échelle.  Chez 
les  reptiles  et  les  poissons,  la  tête  est  formée  presqu'en  to- 
talité par  deux  mâchoires  horizontales  ;  aussi  la  capacité  du 
crâne  de  ces  animaux  est-elle  fort  petite,  ainsi  que  leur  in- 
telligence. 

Les  artistes  de  la  Grèce ,  qui ,  comme  on  sait ,  étaient 
doués  au  plus  haut  degré  du  sentiment  du  beau  et  des  con- 
venances ,  ont  donné  à  la  tète  de  leurs  dieux  un  angle  facial 
très-ouvert,  et  qui  approche  en  général  de  l'angle  droit. 
Les  Européens,  étant  sous  beaucoup  de  rapports  les  plus 
habiles  des  hommes,  ont  aussi  l'angle  facial  plus  ouvert  que 
les  autres  peuples,  comme  on  le  voit  parles  rapports  qui 
suivent  :  V Apollon  du  Belvédère  a  un  peu  plus  de  00°  ;  dans 
les  i)lus  belles  tètes  des  Européens ,  on  trouve  de  80  à  85°  ; 
chez  les  individus  de  la  race  mongole,  75";  chez  les  nè- 
gres,  de  70  à  72";  l'orang-outang  a  07",  le  sapajou  65", 


ANGLE  FACTAL 

les  joniiff*  niandrillos  'il",  les  cliiciK-màliii^  ''iT,  le  rlie- 
v;il  :>;>'.  Ce  (Icrnior  cliilTic  iiuli<iiit'rait  que  le  clicval  doit 
<^tri'  un  fk's  nnimauv  les  plus  slupides,  et  néanmoins  il  est 
«loué  «le  beaucoup  d'intellipence  ;  d'où  il  faut  eonclnic  que 
l'angle  faeial  est  ini  moyen  peu  fidèle  |>our  évaluer  le  vo- 
liimedu  cerveau  dans  les  animaux  :  les  analomistesen  donnent 
pour  raison  principale  la  saillie,  quelquefois  très-grande,  des 
sinus  frontaux  (cavilés  creusées  dans  l'os  du  Iront  ),  et  qui,  ne 
logeant  aucune  portion  du  cerveau,  dont  une  cloison  osseuse 
les  sépare,  peuvent  donner  le  clian<;o  sur  son  volume  réel. 

On  doit  à  Cnvier  e.nc  règle  cjui  semble  plus  exacte  :  elle 
consiste  à  comparer  l'clendue  interne  du  crâne  à  celle  de  la 
face,  en  mesurant  comparativement  les  aires  de  leurs  ca- 
vités dans  une  coupe  vertical^  et  longitudinale  de  la  tète.  Il 
résulte,  d'après  ce  procédé,  que  dans  l'Européen  l'aire 
lie  la  coupe  du  crûne  est  quadruple  de  celle  de  la  face,  en 

'y  comprenant  point  la  mâcboire  inférieure  :  dans  le  nègre, 
l'aire  de  la  face  augmente  an  moins  d'un  cinquième;  dans  les 
sapajous,  elle  est  la  moitié  de  celle  du  crûne  ;  eniin,  dans  les 
animaux  inférieurs  aux  quadrumanes,  l'aire  de  la  coupe  du 
cn\ne  est  moins  grande  que  l'aire  de  la  face.    Teyssldke. 

AI\GLEMOi\T  (ÉDOUARD-HuBF-r.T-SciPiON  n'),  né  à 
ront-.\udenier  (  Eure)  le  28  décembre  1798,  entra  d'abord 
dans  l'administration  de  la  marine  et  suivit  ensuite  la  car- 
rière des  lettres.  Venu  à  Paris,  il  y  publia,  en  1825,  un  vo- 
lume d'odes,  qui  fut  suivi  de  Le  Cachemire,  comédie  en 
cinq  actes,  en  vers  (avec  M.  Lesguillon),  et  d'un  poème, 
Berthe  et  Robert.  Il  mit  en  français  l'opéra  de  Tancrède  de 
Rossini  (avec  M.  Lesguillon)  pour  l'Odéon,  et  donna  peu 
après  les  Légendes  françaises  ,  puis  Paul  l^r^  drame,  à 
l'Ambigu  (  avec  M.  Th.  Mmet  ).  Il  a  encore  fait  imprimer  le 
Duc  d  Enghien,  bistoirc-drame,  eti'è/en'?îrt<;e.ç  (  en  vers).  Z. 

ANGLEMOi\T  (Alexandre  PRIVAT  d'),  un  des  écrir 
vains  de  ce  qu'on  est  convenu  d'ajjpeler  la  Bohême 
littéraire,  était  né  à  Sainte-Rose  (Guadeloupe),  vers  1815, 
d'une  famille  de  couleur,  il  perdit  jeune  ses  parents,  elfut 
envoyé  par  son  frère  à  Paris,  où  il  fit  ses  études  au  collège 
Henri  IV;  i!  prit  ensuite  des  inscriiitions  à  l'école  de  mé- 
decine, et  puis  se  jeta  dans  la  petite  littérature.  On  a  dit  que 
comme  Mercier,  Privât  écrivait  ses  articles  avec  ses  jambes  : 
ses  Petits  Métiers  et  se»  Industries  inconnues,  montrent 
bien  «  les  dessous  de  Paris.  »  Mm  cette  vie  de  boliême  tue 
les  plus  forts  ;  après  un  hiver  j-assé  à  la  Charité,  Privât  dut 
encore  entrer  à  rhô|iital  La  Rito-sière;  il  eu  était  à  peine 
sorti  qu'il  dut  aller  à  la  maison  de  sanlé  municipale,  «  cet 
hôpital  de  la  Société  des  gens  de  lettres,  »  où  il  mourut  le 
18  juillet  1859.  Ses  principaux  articles  ont  été  réunis  avec 
quelques  pièces  inédites  sous  ces  titres  :  Paris-anecdote  tt 
Paris  inconnu,  avec  une  notice  par  M.  Delvau.      Z. 

ANGLES  (  Ethnographie).  Voyez  Anglo^Saxons. 

A\GLES  (Charles-Grégoire),  né  en  1730,  con- 
seiller au  parlement  de  Grenoble,  se  montra  fort  opposé  à 
la  première  révolution  française ,  et  se  réfugia  en  Savoie 
<lès  qu'elle  éclata.  Arrêté  au  moment  où  ii  essayait  de  ren- 
trer en  France,  et  détenu  longtemps  dans  les  prisons  de 
l'Isère,  il  allait  être  traduit  devant  la  commission  révolu- 
tionnaire d'Orange,  quand  Rol)espierre  tomba.  Sous  l'em- 
pire, il  lut  nommé  maire  du  village  de  Vognes,  où  il  était 
né,  puis  membre  du  corps  législatif  en  1813,  conseiller  de 
préfecture  en  1815,  et  enfin  premier  président  de  la  cour 
royale  de  Grenoble.  Député  de  l'Isère  lors  des  élections  de 
s<.'(itembre  1815,  ii  présida  la  chambre,  comme  doyen  d'âge, 
à  l'ouverlure  de  cinq  sessions  successives.  Il  occupait  le 
lauteuil  lors  des  orageux  débats  qui  tirent  exclure  de  l'as- 
semblée le  conventionnel  Grégoire.  Assis  an  coté  droit. 
Angles  appuya,  du  reste  ,  toutes  les  lois  suspensives  cie  la  li- 
berté. Il  ne  luti)as  réélu  eu  1822,  et  mourut  le  5  juin  1823. 

ANGLES  (Jules),  fils  d'u  |irccédenl,  né  à  Grenoble, 
en  1780.  fut  d'abord  <lostiné  à  l'état  militaire ,  et  entra  à 
l'École  polytechnique.  Venu  à  Brest  pour  s'y  faire  recevoir 

DICT.    DE   LA    CONVEUSATIO.M.    —    X.    I. 


ANGLESEY 


5GU 


dan-^  l'arlillerie  di'  marine,  il  fut  présenté  à  l'amiral  Morani 
de  Galles,  dont  il  «'pousa  la  fille.  I^a  grande  fortune  qu'elle 
apportait  à  son  Uîari  lui  servit  d'échelon  pour  parvenir  aux 
plus  hauts  om|)lois.  Recommandé  à  Napoléon,  il  devint  au- 
diteur au  conseil  d'État  en  1806,  intendant  en  Silésic,  puis 
à  Salzbourg  et  à  Vienne,  commissaire  du  gouvernement 
français  près  de  la  régence  d'Autriche,  comte  de  l'empire, 
maître  des  requêtes  et  directeur,  en  l80i),  du  iroisiènn;  ar- 
rondissement de  la  police  impériale  comprenant  les  dépar- 
tements au  delà  des  .Mpes. 

L'année  1814  le  retrouve  ministre  de  la  police  du  gouver- 
nement provisoire,  sous  le  titre  de  commissaire  chargé  de 
ce  département.  Il  poursuit  aussitôt,  sans  pitié,  les  pam- 
phlets, placards,  affiches,  feuilUîs  publiques  dirigés  contre 
les  puissances  coalisées,  et  rétablit  le  7  avril  la  censure  des 
journaux.  RI  aub  reui  I ,  qui  pi  étendait  avoir  été  chargé 
d'assassiner  l'empereur,  reçut  de  lui  ses  instructions. 

Le  ministère  provisoire  de  la  police  ayant  été  .supprimé 
le  l3  mai  et  remplacé  par  une  simple  direction  générale, 
confiée  au  comte  Beugnot,  Angles,  qui  avait  été  nommé 
conseiller  d'Élat,  resta  sans  fonctions  actives  jusqu'au 
20  mars.  Forcé  alors  de  quitter  la  France  ,  il  se  rendit  à 
Gand  avec  un  passe-port  du  duc  d'Otrante  ,  redevenu  mi- 
nistre de  la  police  ;  le  rétablissement  du  pouvoir  royal  après 
Waterloo  le  rappela  à  Paris.  Decazes,  ayant  été  chargé 
h  son  tour  du  [)ortefeuille  de  la  police,  en  confia  la  préfec- 
ture à  Angles,  nommé  ministre  d'État  en  septembre  1815. 
La  police,  non  contente  de  pourvoir  aux  subsistances, 
d'empêcher  les  rixes  entre  les  bonapartistes  et  les  militaires 
de  l'armée  d'occupation  ,  de  réprimer  les  libelles,  de  saisir 
les  conspirateurs,  voulut  encore  prévenir  les  complots,  et 
inventa ,  pour  y  mieux  réussir,  les  agents  provorat<;urs. 
Cç  fut  ainsi  que  \es  patriotes  de.  islG,  Pleigi.iier,  Tolleron 
et  Carbonneau  ,  portèrent  leurs  tètes  sur  l'échafaud;  et  ce- 
pendant, les  ullra-royalistes,  peu  reconnaissants,  accusèrent 
Angles  d'avoir  favorisé  l'évasion   de  Lavalclle. 

Ces  tristes  préoccupations  politiques  ne  l'euipôclièrent 
pas  de  (jonner  ses  soins  ^  d'utiles  établissements  munici- 
paux ;  il  créa  le  conseil  dç  salubrité,  auquel  i]  appela  des 
îiommes  de  mérite  et  qu'il  présidait  souvent  ;  il  créa  le  dis- 
jiensaire  des  filles  publiques;  çnfin  il  ouvrit  et  réglementa 
les  abattoi  rs  de  Parjs. 

L'assassinat  du  duc  de  Rerry  (13  février  i820)  fit  ac- 
cuser de  négligence  les  agent?  du  comte  Angles,  qui  dut, 
à  cette  occasion,  donner  des  explications  à  la  Chambre  des 
pairs.  Au  mois  d'avril  de  cette  même  année  éclata  un  nou- 
veau complot.  Il  s'agissait  de  cette  pitoyable  affaire  du 
bossu  Gravier,  accusé  d'avoir  fabriqué  le  pétard  trouvé  sous 
les  croisées  de  la  duchesse  de  Berry,  alors  enceinte  du  duc 
de  Bordeaux.  Dans  une  adresse  aux  chambres  ,  l'avocat 
Robert  accusa  le  préfet  Angles  de  s'être  prodigieusement 
enrichi;  et  à  la  tribune  M.  Duplessis  de  Grénédan  renou- 
vela celle  accusation  ,  à  l'occasion  du  domaine  de  Cornillon, 
qu'Angles  avait  acheté  500,000  fr.,  et  pour  l'embellissement 
duijuel  il  avait  fait  des  dépenses  royales.  Ces  accusations 
obligèrent  Angles  père  de  prendre  la  plume  pour  la  défense 
de  son  fils.  Le  moment  vint,  en  décembre  1821 ,  où,  par 
suite  de  l'invasion  du  côté  droit  dans  le  ministère.  Angles 
(lut  quitter  son  poste.  Retiré  dans  sa  propriété  de  Cor- 
nillon, il  y  mourut  le  6  janvier  1828.        Cli.  Du  Rozoir. 

Ai\'(iLESEY  (Henri  William  PAGET,  comte  n'UX- 
HRIDGE,  marquis  d'  ),  né  le  17  mai  1768,  était  le  fils  aîné 
du  colonel  comte  d'Uxbridge,  qui  se  distingua  dans  la  guerre 
d'Améiifiue.  Élevé  à  Oxford  ,  il  entra  dans  l'armée  au  début 
des  gueires  de  la  révolution  française ,  et  fit  la  campagne 
de  1793  à  1794  en  Flandre,  à  la  têle  d'un  régiment  qu'il 
avait  formé  lui-même.  Nommé  aucomuiandementsupérieur 
di!  la  cavalerie  dans  la  guerre  dont  la  péninsule  espagnole 
devint  plus  tard  le  théâtre  (  ii  portait  alors  le  nom  de  loid 
Paget),  il  se  distingua  d'une  manière  toute  parlicuiière  eu 

72 


570 


ANOLESKY  —  ANGLETERRE 


couvrant  l.i  leiraife  du  gémirai  Mooro  ol  à  l'affaire  de  l!c- 
navente,  où  il  fit  prisonnier  le  général  Lefebvrc-Desnouettcs. 
Après  la  mort  de  son  père,  il  hérita  du  titre  de  cointe  d'Ux- 
bridgc.  A  la  bataille  de  Waterloo,  où  il  commandait  toute  la 
cavalerie  anglaise ,  il  eut  une  jambe  emportée.  A  son  retour 
en  Angleterre,  un  vote  unanime  du  parlement  lui  décerna  le 
titre  de  marquis  d'Anglesetj,  à  titre  de  récompense  pour  sa 
belle  conduite  au  champ  d'honneur.  Sous  l'administration 
de  Canning,  il  devint  membre  du  cabinet,  et  il  fut  envoyé 
en  Irlande  connue  vice-roi ,  en  189.S  ,  dans  un  moment  où 
rirritation  réciproque  des  partis  était  à  son  comble.  Jus- 
(ju'alors  adversaire  de  l'émancipation  des  catholiques  ,  il  re- 
connut bientôt  que  la  tranquillité  du  pays  ne  pouvait  être 
assurée  qu'en  donnant  une  juste  satisfaction  aux  réclama- 
tions des  catholiques  ;  et  c'est  dans  ces  idées  qu'il  atbninistra 
le  pays.  11  fut  rappelé  en  1829  pcir  ^Yellington;  mais  lord 
Grey  ne  fut  pas  plus  tôt  ministre  dirigeant  qu'il  s'empressa  de 
lui  confier  le  gouvenicraent  de  l'Irlande,  où  la  fausse  poli- 
tique suivie  par  les  tories  avait  provoqué  une  confusion  telle 
qu'il  ne  fallut  rien  moins  que  l'énergie  et  la  loyauté  de  son 
caractère  pour  détourner  l'orage  qui  menaçait  à  tout  moment 
d'éclater.  Le  marquis  deNormanby  prit  sa  place  en  1833. 
Appelé  à  remplacer  lord  Hill  comme  colonel  des  grenadieis 
à  cheval  de  la  garde  (horse  guards)  vers  la  fin  de  1842,  le 
marquis  d'Anglesey  fut  nommé  feld-raaréchal  en  octobre 
184G.  Il  est  mort  le  27  avril  1854. 

ANGLETERRE  (i'Mg'^anrf),  tire  son  nom  des  A  n  g  1  e  s , 
qui  joints  aux  Saxons  la  conquirent  au  cinquième  siècle.  Cette 
contrée  de  l'Europe ,  qui  fait  partie  des  îles  Britanniques , 
forme  une  division  administrative  et  politique  du  royaume 
uni  de  la  Grande-Bretagne  et  d'Irlande,  auquel  elle 
donne  vulgairement  son  nom.  Sa  capitale,  Londres,  est 
aussi  la  capitale  de  tout  l'empire  britannique.  Sa  langue  est 
parlée  dans  les  trois  royaumes  réunis,  aux  États-Unis,  etc. 

Description  géographique. 

L'Angleterre  est  bornée  au  nord  par  l'I'J  c  o  s  s  e ,  à  l'est  par 
la  mer  du  Nord ,  au  sud  par  la  mer  de  la  Manche  (  En- 
glish  Channel),  h.  l'ouest  par  l'océan  Atlantique  et  la  mer 
d'Irlande  ou  canal  de  Saiut-Gcoiges.  Elle  est  située  entre 
le  49"  57'  et  le  55°  47'  de  latitude  nord  et  le  Q"  15'  à  8"  1' 
à  l'est  de  Paris.  Sa  plus  grande  longueur  du  nord  au  sud 
est  de  570  kilom.,  et  sa  plus  grande  largeur  de  l'est-à  l'ouest, 
de  420  kilom.  ;  sa  superficie  est  de  1,2S7  myriamèlres  carrés. 
La  partie  méridionale  de  l'Angleterre  ne  présente  que  des 
collines  assez  basses  ;  mais  au  nord  et  sur  les  côtes  oc- 
cidentales le  sol  est  généralement  montagneux.  Les  princi- 
pales chaînes  de  montagnes  sont  au  nombre  de  quatre  :  on 
les  désigne  sous  les  noms  de  Penuines ,  Cumbriennes,  Cam- 
briennes,  et  Devoniennes.  La  première  chaîne  s'étend  de- 
puis les  monts  Cheviots,  frontières  de  l'Ecosse,  jusqu'au- 
près de  Derby,  et  traverse  les  comtés  de  Northumberland,  de 
Durham  et  d'York. 

La  seconde  chaîne  est  entrecoupée  de  vallées  étroites 
dont  les  fonds  sont  occupés  par  des  lacs;  elle  renferme 
quelques-uns  des  plus  hauts  reliefs  de  l'Angleterre ,  et  s'é- 
•lend  dans  les  comtés  de  Cumberland  ,  de  Westmoreland  , 
et  de  Lancashire.  Les  Cambriennes  traversent  les  comtés 
de  l'ouest  et  se  terminent  au  pays  de  Galles ,  où  se  trouve 
le  point  culminant  de  tout  le  royaume ,  le  Snowdon,  qui  est 
élevé  de  1 190  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Enfin 
les  Devoniennes  situées  au  sud-ouest  de  l'ile  se  terminent 
«a  cap  Einistère. 

Quant  à  la  constitution  géologique  du  sol  de  l'Angle- 
terre ,  les  Cambriennes  sont  formées  de  terrains  primitifs 
ou  de  transition  ;  on  trouve  le  granit  dans  le  Cornouailles  et 
le  Cumberland,  mais  dans  ce  dernier  comté  et  dans  le 
pays  de  Galles  il  est  généralement  recouvert  par  une 
couciie  d'ardoise  schisteuse.  La  côle  orientale,  au  contraire, 
«st  pre&que  entièrement  de  formation  secondaire;  elle  s'é- 


tend en  plages  basses  et  sablonneuses  ou  s'élève  en  roches 
crayeuses  ,  analogues  à  celles  de  la  côte  opposée  de  France 
ou  de  Belgique.  La  côte  méridionale  offre  des  roches 
crayeuses  jusqu'à  l'île  de  Wight,  où  elles  sont  remplacées  par 
les  terrains  inférieurs  jusqu'au  cap  Finistère ,  où  commence 
le  granit.  Les  couches  minérales  de  l'Angleterre  ont  beau- 
coup d'étendue  et  une  grande  importance.  Les  meilleures 
qualités  de  houille  se  trouvent  sur  la  côte  nord-ouest ,  et 
surtout  dans  le  comté  de  Durham.  A  l'autre  extrémité  de 
l'Angleterre,  c'est-à-dire  au  sud-ouest,  l'étain ,  le  plomb, 
le  cuivre  se  trouvent  môles  au  granit  de  Cornouailles. 
La  couche  la  plus  riche  est  cette  immense  veine  de  houille  et 
de  fer  mélangés  qui  traverse  les  comtés  du  centre  depuis  le 
pays  de  Galles  jusqu'à  Leeds.  Cette  présence  simultanée  du 
minerai  et  du  combustible  a  singulièrement  favorisé  les 
immenses  progrès  de  l'industrie  anglaise. 

Les  cours  d'eaux  sont  nombreux  en  Angleterre  ;  mais  peu 
d'entre  eux  ont  une  étendue  considérable.  Les  plus  impor- 
tants sont  : 

La  Tamise,  dont  les  principaux  affluents  sont  la  Colne, 
la  Charwell ,  la  Tharae  ;  la  Severn ,  le  plus  grand  fleuve  de 
l'Angleterre,  qui  traverse  les  vallées  de  Montgomery,  de  Cole- 
brook ,  d'Evesham  et  de  Gloccster,  et  se  jette  dans  la  mer 
d'Irlande  :  ses  principaux  affluents  sont  la  Morda ,  la  INIon 
et  l'Avon  ;  l'Humber,  qui  n'est  à  proprement  parler  qu'une 
vaste  embouchure  où  aboutissent  en  même  temps  plusieius 
rivières  qui  fertilisent  le  centre  et  le  nord  de  l'Angleterre  ;  il 
est  formé  par  l'union  de  l'Ouse  et  du  Trent  ;  la  INIersey,  dont 
le  cours  est  très-borné  et  l'embouchure  très-large  :  elle  verse 
ses  eaux  dans  la  mer  d'Irlande;  ses  affluents  sont  l'Irwel 
et  le  Weaver. 

Aucun  pays  n'a  un  plus  grand  nombre  de  canaux ,  ni  de 
plus  magnifiques.  Les  quatre  grands  ports  de  l'Angleterre , 
Londres,  Hull,  Liverpool  et  Bristol,  communiquent 
entre  eux  et  avec  les  principales  villes  de  l'intérieur,  malgré 
les  chaînes  de  montagnes  qui  les  séparent.  Les  canaux  de 
l'AngleteiTe  forment  quatre  systèmes  principaux ,  celui  de 
Manchester,  celui  de  Liverpool,  celui  de  Londres,  et  celui 
de  Birmingham. 

L'Angleterre  possède  également  le  plus  magnifique  réseau 
de  chemins  de  fer  que  l'on  ait  encore  construit.  Parmi  ses 
principales  lignes  nous  mentionnerons  seulement  le  railway 
de  Douvres  à  Lancaster,  qui  porte  différents  noms  entre 
les  villes  principales  qu'il  traverse  :  la  section  de  Londrt^ 
à  Birmingham  est  la  plus  importante ,  le  Great- Western 
rail-road ,  de  Londres  à  Bristol ,  etc. 

Les  lacs  ne  sont  pas  nombreux  en  Angleterre  ;  ils  appar- 
tiennent à  la  région  montagneuse  de  la  chaîne  cambrienne  ; 
les  principaux  sont  le  Winander,  le  plus  grand  de  tous,  le 
Conniston  et  le  Derwent,  célèbre  par  le  phénomène  de  l'île 
Lord-Island,  qui  monte  à  la  surface  du  lac  et  s'enfonce  dans 
ses  profondeurs  alternativement. 

La  côte  occidentale  de  l'Angleterre  est  profondément  dé- 
coupée par  les  golfes  que  forme  l'embouchure  de  la  Mersey 
et  de  la  Severn  ;  la  côte  orientale  en  présente  aussi  plusieurs 
formés  par  l'embouchure  de  la  Tamise  et  de  l'Humber.  La 
côte  méridionale  n'a  d'autre  golfe  que  l'embouchure  de 
l'Exeter. 

Les  îles  qui  se  rattachent  géographiquement  à  l'Angleterre 
sont  au  sud-est  l'archipel  des  Scilly  ou  Sorlingues,  l'Ile 
de  Wi  ght  en  face  Portsmouth,  l'île  de  M  an,  l'île  d'Angle- 
sey, dans  la  mer  d'Irlande. 

Le  climat  de  l'Angleterre  est  humide  et  variable;  on  y  jouit 
rarementd'un  ciel  serein,  et  cependant  il  n'est  point  insiUubre. 
Dans  peu  de  contrées  les  hommes  parviennent  à  im  âge 
aussi  avancé  et  atteignent  une  aussi  haute  stature  qu'en  An- 
gleterre. Le  chaud  et  le  froid  y  sont  très-modérés,  et  l'hiver  y 
est  plus  doux  que  dans  tout  autre  pays  siluéà  une  latitude 
égale  et  même  inférieure.  Les  gelées  dment  rarement  plus 
de  vingt-quatre  heures ,  et  la  neige  ilisparaît  en  peu  de  jours. 


ANGLETERRE 


571 


Les  vents  dominants  sont  ceux  iroiiost  ot  de  siul-ouest.  Le  sol 
est  d'une  grande  fertilité,  et  présente  la  plus  riche  verdure.  11 
existe  cependant  encore  deux  millions  huit  cent  mille  hec- 
tares de  hruyéres  et  de  landes  incultes.  Ses  produits  sont  d'ex- 
ceilents  bestiaux ,  plus  beaux  et  plus  vigoureux  peut-être 
qu'en  aucun  autre  endroit  du  monde  :  ces  bestiaux  consistent 
surtout  en  très-bons  chevaux  et  en  moutons,  dont  la  toison 
approche  le  plus  de  la  belle  laine  d'Espagne.  On  y  trouve  des 
porcs  en  quantité,  des  chiens  d'une  race  grande  et  forte, 
beaucoup  de  volaille ,  et  principalement  des  oies ,  qui  pèsent 
jusqu'à  trente  livres.  11  y  a  aussi  une  grande  abondance  de 
poissons,  de  saumons,  d'huîtres  et  de  homards.  On  n'y  ren- 
contre presque  point  de  quadrupèdes  carnassiers  et  très- 
|)eu  d'oiseaux  de  proie.  Les  loups  et  les  ours  ont  disparu  de 
l'Angleterre  depuis  le  neuvième  siècle.  Le  renard  est  assez 
commun  ;  les  daims,  les  chevreuils  et  les  cerfs  ne  se  rencon- 
trent plus  que  dans  les  parcs  enclos.  Les  chevaux  anglais  ont 
une  célébrité  universelle  ;  la  race  n'est  pas  indigène ,  on  l'a 
perfectionnée  par  le  croisement  avec  des  étalons  arabes.  On 
cultive  en  Angleterre  du  blé,  beaucoup  de  froment,  peu  de 
seigle,  d'excellente  orge,  des  légumes  exquis,  du  lin,  très-peu 
<le  chanvre ,  et  une  assez  grande  quantité  de  houblon,  de 
safran,  de  réglisse,  de  rhubarbe,  des  fruits  du  plus  gros  vo- 
lume, mais  aqueux.  Au  Ueu  du  vin,  qu'on  ne  saurait  obtenir 
à  cause  des  pluies  fréquentes  et  de  la  constante  rareté  du 
soleil,  on  prépare  de  la  bière  et  du  cidre.  La  disette  du  bois 
de  chauffage  est  suppléée  par  la  richesse  des  mines  de  cliar- 
bon  de  terre;  mais  on  ne  manque  pas  de  bois  de  charpente  ; 
aucun  pays  de  l'Europe  ne  fournit  de  l'étain  en  aussi  grande 
abondance  ni  d'une  aussi  bonne  qualité.  L'Angleterre  pro - 
duit  de  plus  beaucoup  de  plomb  et  de  cuivre,  une  grande 
quantité  de  fer,  de  la  plombagine ,  du  crayon  noir  ou  gra- 
phite ,  de  l'arsenic ,  du  zinc ,  de  l'antimoine ,  du  cobalt ,  de 
la  calamine,  la  meilleure  terre  à  foulon,  de  la  terre  à  por- 
celaine ,  de  la  terre  à  potier,  de  la  terre  de  pipe ,  du  sel , 
qui  ne  suffit  cependant  pas  aux  besoins  de  la  consommation  ; 
d'excellente  pierre  à  bâtir,  du  soufre,  du  vitriol,  de  l'alun, 
des  ardoises,  de  la  craie,  de  l'albâtre ,  du  porpliyre,  du 
marbre,  des  pierres  à  feu  et  des  eaux  minérales. 

Le  recensement  de  1851  a  donné  17,905,831  habitants  à 
l'Angleterre,  en  y  comprenant  le  pays  de  Galles,  dont 
8,754,554  du  sexe  masculin  et  9,151,277  du  sexe  féminin. 
En  outre,  la  population  des  îles  se  monte  à  142,916,  dont 
66,511  du  sexe  masculin  et  76,405  du  sexe  féminin.  Les  An- 
glais sont  une  race  d'hommes  belle  et  vigoureuse.  Les  Gal- 
lois sont  les  restes  des  anciens  Bretons ,  qui  se  sont  main- 
tenus presque  sans  mélange  dans  le  pays  de  Galles  et  dans 
l'île  de  Man.  Ils  se  distinguent  par  leur  hospitalité ,  leur 
cordialité  et  leur  sociabilité ,  des  Anglais  proprement  dits  , 
qui  sont  froids,  réservés,  peu  sociables  ;  mais  ils  sont  igno- 
rants, superstitieux  et  pauvres.  Leur  langage  est  l'ancien 
liipnri,  que  parlent  encore  les  habitants  de  la  Bretagne  :  ce- 
pendant le  patois  de  l'île  de  Mona  ou  de  Man  est  un  dia- 
lecte de  l'irlandais ,  mêlé  seulement  de  beaucoup  de  mots 
anglais,  normands  et  italiens.  Le  kymri  diffère,  au  contraire, 
du  dialecte  irlandais  ou  celtique,  ou  de  la  langue  erse, 
en  ce  qu'il  présente  beaucoup  plus  de  racines  allemandes. 
Les  îles  normandes  sont  peuplées  de  Français,  qui  parlent  un 
français  corrompu. 

La  religion  dominante  en  Angleterre  est  celle  de  la  haute 
Église  anglicane  :  la  famille  régnante  et  les  principaux 
employés  de  l'État  doivent  la  professer.  Cependant,  depuis 
rémancipation,Ies  catholiques  et  les  dissidents  siègent 
au  parlement  comme  les  anglicans.  Au  reste,  toutes  les  autres 
croyancas  jouissent  d'une  entière  tolérance.  On  y  voit  par 
conséquent  des  catholiques,  des  luthériens,  des  indépendants, 
«les  arminiens,  des  ariens,  des  socinicns,  des  quakers, 
des  méthodistes,  des  mennonites,  des  hernutes  et  des  juifs. 

L'Angleterre  est  par  excellence  la  terre  de  l'industrie.  La 
moitié  des  habitants  vit  du  travail  des  ûdjriques ,  de  la  ri- 


chesse et  des  dépenses  des  classes  élevées.  Le  connncrcc  des 
colonies  et  des  autres  pays,  l'opulence  des  manufacturiers,  les 
machines,  appliquées  à  tous  les  genres  de  métiers  i)ourépar- 
gner  des  millions  de  bras  et  vendre  les  produits  aux  étran- 
gers à  un  moindre  prix  que  l'on  ne  pourrait  les  obtenir 
partout  ailleurs,  ont  élevé  l'industrie  au  plus  haut  degni  do 
perfection  et  de  progrès.  Les  fabriques  les  plus  importantes 
sont  celles  des  tissus  de  coton  ;  celles  des  étoffes  de  laine, 
auxquelles  ne  peut  suftire  l'immense  quantité  de  laine  re- 
cueillie dans  l'intérieur  du  pays  ;  enfin ,  les  fabriques  de 
cuir,  de  fer,  d'acier,  de  fil  d'arcbal,  de  cuivre,  d'éfain,  de 
porcelaine  et  de  faïence  ,  de  verre ,  de  soie ,  de  toile ,  de 
lin  et  de  papier.  Les  cuirs  et  les  aciers  ne  trouvent  peut- 
être  dans  aucun  autre  pays  du  monde  rien  qui  les  égale  en 
perfection  et  en  beauté.  On  y  fabrique  également  bien 
les  navires  en  fer,  les  voitures  en  fer  et  les  ponts  en  fer  ; 
les  plus  belles  plumes  d'acier,  les  chaînes  de  montre  et 
d'horloge  et  les  meilleurs  instruments  pour  les  mathéma- 
tiques ,  la  chirurgie ,  l'optique  et  la  physique.  Les  ouvrages 
en  fonte  de  fer  ;  les  grandes  fabriques  d'acier  fondu  et  les 
fabriques  de  fer  laminé  jouissent  d'une  réputation  méritée. 
Les  quincailleries  de  Birmingham  sont  les  plus  recherchées 
dans  la  Grande-Bretagne  et  au  dehors.  Parmi  les  fabriques 
de  porcelaine,  celles  deWedgwood  sont  les  plus  re- 
nommées. L'art  de  la  verrerie  y  est  poussé  au  plus  haut 
degré,  surtout  pour  les  objets  de  luxe  en  cristal.  Les  raffi- 
neries de  sucre,  les  brasseries  et  les  distilleries  d'eau-de-vie 
sont  aussi  très-florissantes.  Des  ports  placés  dans  les  situa- 
tions les  plus  avantageuses  fournissent  à  tous  les  besoins  du 
commerce  et  de  l'industrie.  La  Bancjue  de  la  Grande-Bre- 
tagne, celles  des  provinces,  qui  sont  en  grand  nombre,  les 
sociétés  d'assurance,  que  l'on  trouve  dans  toutes  les  villes 
importantes,  favorisent  les  rapports  avec  toutes  les  nations 
commerçantes  du  globe.  De  toutes  les  sociétés  de  commerce, 
celle  des  Indes-Orientales  est  la  plus  importante. 
Londres  fait  à  lui  seul  presque  un  tiers  de  tout  le  com- 
merce de  l'Angleterre;  viennent  ensuite Liverpool ,  Bristol, 
Hull ,  etc. 

L'Angleterre  proprement  dite  se  divise  en  quarante  shircs 
ou  comtés  ;  le  pays  de  Galles  en  forme  douze  autres.  Il  faut 
ajouter  à  cette  (Ûvision  administrative  l'île  de  !\lan  et  les 
îles  Normandes,  situées  dans  la  Manche,  qui  ont  une  super- 
ficie de  vingt-trois  milles  carrés  de  quinze  au  degré.  Ces 
comtés  sont  dans  l'Angleterre  proprement  dite  :  Bedford, 
Berk  ,  Buckingham ,  Cambridge  ,  Chester ,  Cornwall ,  Cum- 
berland.  Derby,  Devon,  Dorset,  Duriiam,  Essex,  GIou- 
cester,  Hereford,  Hertford,  Huntingdon,  Kent,  Lancasler, 
Leicester,  Lincoln,  Middlesex,  Monmoutb,  Norfolk,  North- 
ampton,  Northumberland ,  Nottingham,  Oxford,  Rutland, 
Shrop,  Somerset,  Southampton,  Stafford,  Suffolk,  Surrey, 
Sussex,  Warwick,  Westmoreland,  Witt,  Worcester,  York  ; 
dans  la  principauté  de  Galles  :  Anglesey,  Brecknock,  Caer- 
marthcn,Caernanon,  Cardigan, Denbigh,  Flint,  Glamorgan, 
Merioneth,  Montgomery,  Pembroke,  Radnor. 

Chaque  comté  se  subdivise  en  districts ,  qui  portent  le 
nom  de  hundred  dans  la  ])Iupart  des  comtés  anglais ,  do 
ward  dans  les  comtés  de  Durhani,  Westmoreland  ,  Cinn- 
berland  et  Northumberland,  de  wapenlake  dans  les 
comtés  de  Lincoln ,  York  et  Nottinglianî ,  et  de  canlre/J 
dans  ceux  du  pays  de  Galles.  Il  existe  en  outre  dans  les 
comtés  de  York,  Lincoln,  Sussex  et  Kent  quelques  autres 
subdivisions,  désignées  sons  le^  noms  de  rUIing,  de  part, 
de  râpe ,  et  de  lathe.  Toutes  ces  divisions  comprennent 
en  outre  chacune  un  grand  nombre  de  parish  (paroisses). 

Quelques  grandes  cités  ont  rang  de  comté,  et  possèdent 
une  administration  intérieure  indépendante;  certains  terri- 
toires et  beaucoup  de  villes  et  villages  jouissent  de  privi- 
lèges analogues.  Enlin,  cinq  villes,  Douvres,  Sandwich  , 
Bomney,  Hastings  ctHjlhe,  forment  avec  quelques  autres 
une  province  ap[)clée  lcsCiu<i-porls,  ayaut  également  ses 

72. 


672 


jtiivili'ges.  Trois  coinli5s,  ceux,  ilc  Duiiiain  ,  Clit-ster  et  Lan- 
caster,  portaient  encore  avant  Georges  IV  le  litre  de  comtés 
palatins,  et  avaient  leur  parlement  particulier. 

Les  principales  villes  de  l'Angleterre  sont  :  Londres,  capitale 
du  royaume-uni,  Liverpool,  Manchester,  Birmingham,  Leeds, 
Sheflield ,  Dristol ,  Oxford,  Camhridge,  IJath,  l'iymouth , 
Portsmouth,  Hull,  Kcwcaslle,  Douvres,  fsorwich,  ralmoiith, 
yarmoutli,  W'akelield ,  Halifax ,  Nollinghain,  Warwick  ,etc.; 
ces  villes  ont  chacune  un  article  dans  notre  ouvrage. 

Kous  ferons  connaître  à  l'article  GRANDt-ERETACNE  les 
mœurs  du  peuple  anglais ,  son  génie  et  son  caractère  na- 
tional ,  ainsi  que  les  institutions  (jui  le  régissent.  Nous  y 
donnerons  également  un  aiiorçu  sUilistique  du  commerce  et 
de  l'industrie  britanniques.  Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  donner 
ici  le  résumé  historique  des  temps  où  l'Angleterre  tbrmait 
un  royaume  sé[)arc ,  et  à  tracer  le  tableau  général  do  la 
langue,  de  la  littérature ,  de  la  philosophie,  et  des  progrès 
dans  les  beaux-arts  et  les  sciences  de  ce  grand  peuple ,  qui 
étend  aujourd'hui  son  immense  influence  sur  le  monde  entier. 

Uistoiic. 

L'Angleterre  fut  connue  des  Phéniciens.  Ses  plus  anciens 
habitants  paraissent  avoir  appartenu  à  cette  race  gaélique 
qui  à  une  ('poque  très-reculée  occupa  toute  l'Europe  occi- 
dentale. Plus  tard  u!ie  invasion  de  Kymris  vint  se  super- 
poser à  la  race  primitive  et  pure,  apportant  avec  elle  le 
rc'gime  des  castes  elle  culte  druidique.  Ces  deux  peuples  se 
confondirent,  et  Tile  entière  prit  le  nom  de  Bretagne,  du  nom 
de  la  tribu  kymrienne.  Nous  renvoyons  le  lecieur  à  l'ar- 
ticle BuETAONF,  pour  riiisloirc  plus  déîaillée  de  l'Angleterre 
avaiit  et  |)eni!:uit  la  domination  romaine,  et  au  mot  Hfp- 
TMicuiE  pour  celle  de  la  conqu(^le  ang'o-saxonne. 

lleriforces  successivement  par  de  nouvelles  bandes  de 
leurs  compatriotes,  les  Anglo-Saxons  contraignirent 
les  Drclons  à  leur  céder  le  sol  :  ce  ne  fui  toutefois  qu'après 
que  ceux-ci  se  furent  longtemps  et  vaillauuDent  défendus 
sous  leur  roi  Arthur.  Le  petit  nombre  de  Bretons  qui 
restèrent  dans  l'île  se  réfugièrent  en  Cambrie  (aujourd'hui 
le  pays  de  Galles  )  ;  la  plus  grande  partie  d'entre  eux  se 
rt  tirèrent  dans  l'Armoiiiiue,  contrée  inaritiine  de  la  Gaule, 
qui  depuis  lors  prit  le  nom  de  Bretagne. 

Les  Bretons  avaient  été  convertis  de  bonne  heure  au  chris- 
tianisme ;  dès  le  troisième  siècle  une  hiérarchie  régulière 
existait  dans  le  pays,et  des  couvents  s'y  étaient  élevés  en 
grand  nombre.  Mais  l'hérésie  du  nioiue  Pelage  au  cin- 
quième siècle  avait  séparé  les  Bretons  schismatiques  de 
riiglisc  de  Rome.  Cette  circonstance  favorisa  beaucoup  la 
conipiète  des  Angîo-Saxons  ;  car  le  légat  du  pape  se  mit  à 
leur  tête  pour  exterminer  ces  hérétiques.  A  dater  de  l'an  SUS 
la  rehgion  chrétienne,  préchée  par  le  morne  Augustin, 
avait  pénétré  parmi  les  Anglo-Saxous. 

Les  Anglo-Saxons  fondèrent  sept  petits  États,  dont  les 
chefs  prirent  le  titre  de  rois  :  une  confédération  unissait  ces 
i:iats  entre  eux,  et  des  assemblées  générales  se  tenaient  pour 
traiter  les  affaires  d'intérêt  général.  Ces  royaumes,  qui  for- 
maient riicptarchie,  étaient  ceux  de  Kent,  Sussex,  West- 
sex  ,  Essex  ,  Northumberlaud ,  Estanglie  ,  Mercie ,  avec  la 
Wcstanglie.  Egbert  le  Grand,  roi  de  Westsex ,  réunit, 
en  S'27,  sous  son  sceptre  ,  tous  ces  petits  États,  sous  le  nom 
«r.\ngleterre  (  Anglïa  ).  Ses  successeurs  furent  contraints  à 
payer  un  tribut  annuel  considérable  (danegeld)  aux 
Normands,  ou,  comme  on  les  appelait  alors,  aux  Danois, 
qui,  eux  aussi,  à  leur  tour,  avaient  touché,  dans  leurs 
courses  maritimes,  les  côtes  d'Angleterre,  et  s'étaient  em- 
parés d'une  jnu-tie  du  pays.  Alfred  le  Grand  réveilla  le 
courage  de  sa  nation,  attaqua  les  Danois,  les  expulsa  de 
l'île,  leur  lit  méine,  par  la  suite,  la  guerre  sur  mer,  et  se 
maintint  dans  la  possession  de  son  royaume.  Sa  mort,  arri- 
vée en  'J02,  fut  un  grande  perte  pour  l'Angleter.'e ,  qui 
se  trouva  livrée  à   ses  ennemis,   contre  lesquels  da  rois 


ANGLETERRE 

aussi  faibles  qu'l^douard  l'Ancien,  Adelsfan,  Edmond, 
Édred,  et  Edouard  le  ]\lartyr  ne  pouvaient  point  la  dé- 
fendre ;  aussi  l'Angleterre ,  attaquée  de  nouveau  par  les 
Danois,  fut  conquise  par  le  roi  Sué  non  (Swen),  venu  pour 
venger  ses  compatriotes  établis  dans  le  pays,  qui  avaient 
été  massacrés  par  l'ordre  d'Éthelred  H,  en  100?..  Pendant 
quarante  ans  les  Danois  se  maintinrent  dans  la  posses- 
sion de  r.Angleterre  sous  leur  roi  Canut  le  Grand  et 
ses  fds;  mais  en  1401  ils  durent  y  renoncer,  le  prince 
anglo-saxon  Edouard  le  Confesseur  étant  devenu  maître 
du  trône,  grûce  à  la  valeur  de  Godwin.  Ce  fut  lulouard 
qui,  ras.seuiblant  certaines  lois  des  Saxons  et  des  Danois, 
en  fit  une  sorte  de  code,  qu'on  appela  le  droit  commun 
{common  law).  Ce  prince  étant  mort,  en  1066,  sans  lais- 
ser (le  ))osférité,  la  race  <les  rois  anglo-saxons  s'éteignit, 
et  la  nation  appela  au  trône  Harald,  comte  de  Westsex, 
qui  était  alors  le  seigneur  le  plus  puissant  de  l'Angleterre. 
Mais  Guillaume,  duc  de  Normandie,  qui  n'avait,  par  une 
parenté  très-éloignée,  que  des  droits  fort  incertains  à  la 
couronne,  débarqua  en  Angleterre,  à  la  tête  de  60,000 
hommes,  et  se  rendit  maître  du  royaume,  le  14  octobre  106G, 
par  la  victoire  de  Ilastings,  où  Harald  succomba. 

Guillaume  distribua  toutes  les  charges  importantes  de 
l'État  à  ses  compatriotes.  Différentes  révoltes,  qui  eurent 
lieu  alors  de  la  part  des  Anglais  mécontents,  lui  servirent 
de  prétexte  pour  exercer  sa  domination  avec  la  plus  grande 
rigueur.  Il  introduisit  en  Angleterre  le  système  féodal ,  qui 
y  avait  été  inconnu  jusque  alors,  et  surchargea  les  habitants 
d'impôts.  En  qualité  de  duc  de  Normandie,  Guillaume  était 
vassal  du  roi  de  France  ;  mais  par  sa  conquête  il  l'égalait 
en  puissance  :  aussi  le  suzerain  ne  tarda-t-il  pas  à  devenir 
jaloux  de  son  vassal ,  et  bientôt  éclatèrent  ces  guerres  entre 
la  France  et  l'Angleterre  qui  durèrent  plus  de  quatre  cents 
ans.  En  1086  fut  rédigé  le  Doomesday-Book  (Livre  du  ju- 
gement dernier),  actedéfinitif  de  la  dépossession  des  Saxons, 
([ui  régularisa  l'impôt  et  la  propriété.  Guillaume  mourut  en 
1087,  après  avoir  habilement  gouverné  l'Angleterre,  tout 
en  ayant  fait  pe.ser  sur  elle  un  sceptre  de  fer. 

Ses  successeurs  furent  d'abord  son  second  (ils,  Guil- 
laume II,  qui  gouverna  avec  le  même  despotisme,  puis  son 
troisième  fils,  Henri  1".  Celui-ci,  qui  avant  son  avène- 
ment au  trône  d'Angleterre  avait  contraint  par  la  force  son 
frère  aîné,  Robert,  à  lui  céder  la  souveraineté  de  la  Nor- 
mandie ,  rendit  aux  Anglais  quelques-unes  de  leurs  libertés, 
quoique  du  reste  il  sacrifiât  tout  à  sa  cupidité  et  à  son  am- 
bition. N'ayant  point  de  postérité  mâle,  il  fit  reconnaître  par 
la  nation,  comme  héritière  de  la  couronne,  sa  lilleMathilde, 
mariée  àGodefroi,  comte  d'Anjou,  ce  qui  fit  tomber  le  droit 
de  succession  au  trône  sur  la  ligne  féminine.  Cet  événement 
occasionna ,  par  la  suite,  des  perturbations  fréquentes ,  et 
on  vit,  à  de  courts  intervalles ,  i)lusieurs  dynasties  se  suc- 
céder dans  la  possession  du  trône.  Cependant,  malgré  cette 
disposition,  à  la  mort  de  Henri  V,  en  1133,  ce  fut  le  fils  de 
sa  sœur  Adèle,  Etienne,  comte  de  Blois,  que  la  nation 
proclama  roi  d'Angleterre.  Etienne  eut  pour  successeur,  en 
1154,  le  fils  de  Mathilde,  Henri  II,  comte  d'Anjou,  nommé 
Plantagenct. 

Cet  Henri  fut  un  des  plus  puissants  rois  de  son  temps  : 
outre  la  Normandie,  son  héritage  du  côté  de  sa  mère,  il 
avait  aussi,  du  côté  de  son  père,  r.\njou,  le  IMaine  et  la  Tou- 
raine;  puis,  par  son  mariage  avec  Eléonore  de  Guienne, 
femme  répudiée  de  Louis  VII,  roi  de  France,  il  avait  acquis 
encore  la  Guienne,  le  Poitou  et  d'autres  provinces  ;  il  pos- 
sédait ainsi  plus  du  quart  de  la  France,  l'n  pareil  état  de 
cho.ses  (lut  naturellement  augmenter  la  jalousie  qui  exis- 
tait dé'jà  entre  les  deux  couronnes  de  France  et  d'.\ngleterre, 
et  donna  lieu  à  de  fréquentes  guerres.  Henri  II  ne  mourut 
qu'en  1189.  Le  glorieux  règne  do  ce  jtrince  fut  signalé  par  sa 
lutte  avec  Thomas  Beckot,  la  conciuêle  de  l'Irlande  et 
la  révolte  de  ses  lils. 


Sou  li!s  «t  succossoiir  Richartl  Cœur  tic  Liou,  aiusi 
suruouimo  à  cause  du  courage  qu'il  montra  dans  les  croi- 
sades, fut  l'idole  de  la  nation  :  aussi  lors  de  sa  captivité  en 
Autriche  on  fondit  jusqu'aux  vases  d'église  pour  payer  sa 
rançon ,  portée  à  150,000  marcs  d'argent.  Durant  l'absence 
de  Richard  de  grands  troubles  avaient  éclaté  en  Angleterre, 
et  il  était  survenu  une  guerre  mallieureuse  avec  la  l'rance; 
son  frère  Jean  lui  succéda,  au  détriment  d'Arthur,  en  1  l!)i). 
C'était  un  prince  faible;  dans  une  lutte  contre  la  l'rauce,  il 
perdit  la  Normandie  et  d'autres  provinces  ;  par  suite  de  dis- 
cussions qu  il  eut  avec  la  cour  de  Rome ,  il  fut  obligé,  pour 
obtenir  son  pardon,  de  se  soumettre  à  de  grandes  lumiilia- 
tions.  Ses  sujets  le  contraignirent,  en  1215,  à  leur  octroyer 
la  grande  charte  {magna  charta),  base  fondamentale  des 
franchises  des  trois  ordres  de  la  nation  et  de  la  liberté  des 
citoyens.  Celte  charte  fut  plus  tard  conlirmée  et  étendue  par 
plusieurs  rois.  De  nouveaux  démêlés  étant  survenus  entre 
le  roi  et  les  grands  de  son  royaume,  ceux-ci  dépossédèrent 
Jean  de  sa  couronne,  et  le  forcèrent  de  s'enfuir  en  Ecosse,  où 
il  mourut  en  1210.  Sou  fils,  Henri  III,  eut  un  règne  long, 
mais  plein  de  troubles,  (jue  ses  fautes  suscitèrent.  C'est  sous 
Jean-sans-Terre,  en  12G5,  que  fut  instituée  la  chambre  basse 
du  parlement  ou  chambre  des  coimnunes. 

Edouard  V,  (ils  de  Henri  III,  succéda  à  son  père.  C'est 
du  règne  de  ce  prince  que  date  la  soumission  du  pays  de 
Galles  (  12S2).  11  eutàsoutenir  une  guerre  contre  l'hil  ppe 
le  i]el,  et  mourut  en  1307,  dans  une  expédition  contre  112- 
cossc.  Le  fail>!e  Edouard  II  lui  succéda,  et  fut  déposé  en 
1327,  par  acte  du  parle:iieuL  11  eut  pour  successeur  le  prince 
«leGalles,  qui  monta  sur  le  trône  sous  le  nom  d'Edouard  III 
(  1 327  à  1377  ),  et  fut  l'un  des  rois  les  plus  puissants  de  l'An- 
jjletcrre.  Il  secoua  le  joug  temporel  du  pape,  et  conquit  une 
grande  partie  de  la  Franco.  Ce  fut  après  celte  conquête  qu'il 
prit  le  titre  de  roi  de  France ,  que  ses  successeurs  ont  con- 
servé jusqu'en  ISOl.  Edouard  poursuivit  le  cours  de  ses  vic- 
toires jusqu'à  sa  mort  ;  mais  le  fruit  en  fut  presque  aussitôt 
perdu  sous  le  règne  de  son  successeur  Richard  II.  Ce 
prince  était  fils  du  fameux  Edouard,  dit  le  Prince  Noir, 
qui  gagna  la  bataille  de  Poitiers.  Pendant  sa  minorité  éclata 
la  révolte  de  Watt-  T  y  le  r.  Richard,  qui  maintes  fois  avait 
attaqiui  les  droits  de  la  nation,  perdit  !a  couroiîne  et  mourut 
en  prison,  en  1399.  Des  tentatives  de  réforme  eurent  lieu  sous 
son  règne,  et  V\'iclef  produisit  sa  doctrine,  qui  devait,  par 
une  fifiation  naturelle,  donner  naissance  à  celle  de  Jean  Huss 
et  à  celle  de  Luther. 

Henri  IV ,  petit-fils  d'Edouard  II ,  étant  monté  sur  le  trône, 
on  vit  commencer  la  querelle  sanglante  qui  dura  un  siècle  , 
entre  les  familles  de  Lancaster  et  d'York  ,  toutes  deux 
issues  d'Edouard  II ,  et  qui  se  disputèrent  la  succession  à  la 
couronne.  Cette  longue  querelle  est  connue  sous  le  nom  de 
guerre  de  la  P.ose  rouge  et  de  la  Rose  blanche,  parce  que  la 
famille  de  Lancaster  portait  dans  ses  armes  une  rose  rouge 
et  celle  d'York  une  rose  blanche.  Ces  luttes  sanglantes  pa- 
ralysèrent les  efforts  des  armées  anglaises ,  qui ,  victorieuses 
à  AzincourtsousHenriV,  et  maîtresses  de  Paris,  avaient 
déjà  conquis  la  moitié  de  la  France.  La  minorité  de  H  e  n  r  i  VI 
favorisa,  pendant  un  certain  temps,  les  prétentions  de  la  fa- 
mille d'York ,  que  l'on  vit  monter  sur  le  trône  d'Angleterre 
et  en  redescendre  à  plusieurs  reprises. 

Depuis  la  bataille  de  Saint- Alhan ,  en  1455,  où  se  ren- 
contrèrent pour  la  première  fois  les  armées  d'York  et  de 
Lanca-ster,  jusqu'à  la  bataille  de  TewKesbury,  où  les  Lancas- 
triens  furent  complètement  détruits,  ce  furent  entre  les 
deux  partis  d'innombrables  combats.  Leduc  d'Vork  y 
perdit  la  vie.  L'ambitieuse  Marguerite  d'Anjou,  fenune  de 
l'imbécile  Henri  VI,  se  signala  par  son  héroïsme  et  sa  cons- 
tance dans  les  reveis.  Le  fils  du  duc  d'York  lut  couronné 
sous  le  nom  d'Edouard  IV.  Ce  prince ,  après  avoir  pacifié 
l'Angleterre,  mourut  en  1  i83,  laissant  le  trône  à  son  fils  mi- 
aeur  Edouard,  sous  la  tutelle  de  son  oncle  le  duc  de  Glo- 


ANGLETERKE  573 

cester.  Celui-ci  ne  recula  jias  devant  le  meurtre  de  deux 


innocentes  victimes  pour  régner  à  leur  place.  Richard  III 
ne  jouit  pas  longtemps  des  fruits  de  son  forfait;  il  mourut  au 
bout  de  deux  ans  (  li.S5). 

Henri  VII ,  comte  de  Richmond,  de  la  famille  de  Lan- 
caster, s'élant  emparé  delà  couronne,  en  l'iSS  ,  s'en  assura 
la  possession  en  conciliant,  par  son  mariage  avec  Elisabeth, 
de  la  famille  d'Vork,  les  intérêts  des  deux  maisons.  Après 
avoir  apaisé  plusieurs  révoltes  suscitées  par  quelques  chefs 
de  l'ancien  parti  de  la  Rose  blanche,  mécontents  du  nouvel 
ordre  de  choses,  il  fit  jouir  l'Angleterre  d'une  constante 
trantpùllité  :  aussi,  en  reconnaissance  des  bienfaits  de  son 
règne ,  on  le  surnomma  le  Salomon  anglais.  Avec  Iih  com- 
nu-nce  la  race  des  monarques  anglais  de  la  maison  de 
Tudor  {nom  porté  par  le  grand-père  de  Henri) ,  qui  finit, 
en  1003,  avec  Elisabeth.  Son  fils,  Henri  VIII,  roi  cruel 
et  voluptueux  ,  entreprit  au  dehors  des  choses  impoitantes  , 
mais  presque  toujours  sans  succès.  Lors  de  la  lutte  qui  s'é- 
leva entre  Charles-Quint  et  François  T',  il  aurait  pu  exercer 
une  grande  influence  sur  les  destinées  de  ces  deux  monar- 
ques ,  en  ciualité  de  médiateur,  s'il  eilt  été  doué  d'un  ca- 
ractère moins  versatile ,  et  s'il  eût  moins  écouté  les  conseils 
de  son  premier  ministre  ,  le  cardinal  "Wolsey  ,  qui  n'était 
guidé  que  par  son  intérêt  personnel ,  et  passait  d'un  parti  à 
l'autre,  au  gré  de  son  ambitioji  et  de  sa  cupidité. 

La  réforme  opérée  dans  les  Eglises  d'Allemagne  fit  une 
grande  sensation  en  Angleterre  :  malgré  les  défenses  les 
plus  expresses ,  les  écrits  de  Luther  y  furent  lus  avec  avi- 
dité. Henri  VIII,  dont  l'esprit  était  cultivé,  et  qui  possé- 
dait des  connaissances  en  théologie ,  entreprit  la  défense  de 
l'Église  romaine  ,  sur  les  sept  sacrements  ,  dans  un  ouvrage 
que  Luther  réfuta  avec  véhéinence.  Le  pape  Léon  X,  vou- 
lant témoigner  à  Henri  VIII ,  toute  la  satisfaction  que  lui 
avait  causée  cet  ouvTage ,  lui  conféra  le  titre  de  défenseur 
de  la  foi ,  titre  que  de  nos  jouis  encore  les  rois  d'Angle- 
terre ,  quoique  protestants ,  tieiment  à  honneur  de  porter. 
L'autorité  exercée  jusque  alors  en  Angleterre  par  le  pape 
avait  été  très-grande ,  et  la  valeur  des  sommes  d'argent 
envoyées  en  offrandes  de  ce  pays  à  Rome  tous  les  ans  avait 
été  très-considérable;  mais  cela  changea  lorsqu'en  1534 
Henri  rompit  sou  alliance  avec  le  saint  -  siège ,  parce 
que  !e  pape,  qui  craignait  le  ressentiment  de  l'empereur, 
n'avait  point  voulu  sanctionner  le  divorce  de  Henri  VIII 
et  de  Catherine  d'Aragon ,  ^larente  de  Charles-Quint. 
Henri  VIII  refusa  alors  toute  obéissance  au  pape ,  sup- 
prima successivement ,  en  Angleterre ,  un  grand  nombre 
de  couvents  et  d'abbayes ,  et  se  déclai'a  chef  suprême  de 
l'Église  dans  son  royaume,  tout  en  laissant  intacts  les  prin- 
cipaux dogmes  de  l'Église  romaine.  La  Réforme  trouva  alors 
un  grand  nombre  de  partisans ,  et  la  diversité  des  croyances 
ainsi  que  la  confiscation  des  biens  ecclésiastiques  donnèrent 
lieu  à  une  infinité  de  troubles.  Henri  essaya,  comme  son 
père  l'avait  déjà  fait,  d'augmenter  la  puissance  royale.  11 
créa  la  première  flotte,  après  avoir  fait  construire  le  premier 
vaisseau  de  ligne  anglais;  mais  pour  équiper  cette  Hotte  il 
dut  prendic  à  sa  .solde  des  marins  des  villes  anséatiques , 
des  Génois  et  des  Vénitiens,  qui  avaient  alors  le  plus  d'ex- 
périence dans  l'art  de  la  navigation.  11  établit  l'office  de  l'a- 
miiauté,  et  assigna  des  traitements  fixes  aux  officiers  et  aux 
soldats  de  marine. 

A  sa  mort,  arrivée  en  1547,  on  vit  successivement  ré- 
gner se.s  trois  enfants.  l'^doua  rd  VI ,  d'un  caractère  doux, 
se  montra  grand  ami  de  la  Réforme ,  et  fonda  l'Église  an- 
gficane.  Il  niourut  en  excluant  ses  deux  sœurs  du  trône  etea 
y  appelant  sa  parente  lady  Jane  Grey.  Cependant  I\larie 
réclama  ses  droits,  fut  proclamée  reine,  et  Jane  Grey  eut  la  tête 
tranchée  (  1553).  Marie  montra  des  dispositions  religieuses 
toutes  différentes  de  celles  d'Edouard,  et,  dans  le  but  d'a- 
voir un  appui  solide  à  l'étranger,  elle  épousa  Philippe  II, 
roi  d'Espagne.  Ce  mariage,  qui  n'eut  pour  aucune  des  deu\ 


574 


AiNGLETERRE 


panies  contractantes  les  avantages  qu'elles  en  avaient  es- 
pérés, excita  en  Angleterre  un  méconlentement  général,  et 
occasionna  une  guerre  avec  la  France ,  dans  laquelle  l'An- 
gleterre perdit,  en  1558,  Calais,  le  seul  reste  de  ses  anciennes 
possessions  sur  le  continent.  Marie  mourut  cette  même  an- 
née ,  détestée  de  son  peuple  à  cause  des  fréquentes  exécu- 
tions qu'elle  avait  ordonnées  dans  le  but  d'arrêter  les  pro- 
grès de  la  Réforme. 

Elisabeth,  fdle  d'Anne  de  Boulen,  sortant  de  la  prison 
où  plus  d'une  fois  ses  jours  avaient  été  en  danger,  lui  suc- 
céda. Depuis  longtemps  déjà  toutes  les  espérances  de  la 
nation  s'étaient  portées  vers  elle  ,  et  elle  sut  les  réaliser.  Par 
l'impulsion  qu'elle  donna  au  commerce  et  par  l'habileté  avec 
laquelle  elle  proûta  des  circonstances ,  elle  éleva  l'État  à  une 
grandeur  jusque  alors  inconnue,  et  posa  les  bases  de  la  pré- 
pondérance future  de  l'Angleterre.  Elle  apaisa  les  difTérents 
partis,  et  consolida  la  réforme  par  l'organisation  de  l'iLglise 
Anglicane  ou  épiscopale  telle  qu'elle  existe  encore  au- 
jourd'hui. Elle  donna  de  grands  encouragements  à  l'indus- 
trie, protégea  les  manufactures  de  laine,  et  accueillit  avec 
faveur  les  étrangers  que  l'intolérance  rehgieuse  forçait  de 
quitter  le  continent.  Afin  de  s'instruire  par  elle-même  des 
besoins  de  la  nation ,  elle  fit  de  fréquents  voyages  dans 
l'intérieur  du  royaume.  En  fournissant  des  secours  aux  pro- 
testants de  Franc*  et  aux  Trovinces-Unies  contre  l'Espagne, 
elle  acquit  une  grande  influence  à  l'étranger.  Sa  position 
vis-à-vis  de  l'Espagne  la  mit  dans  la  nécessité  d'entretenir 
une  marine  plus  considérable  que  celle  de  ses  prédécesseurs, 
et  en  1603  la  flotte  d'Angleterre  se  composait  déjà  de 
quarante-deux  vaisseaux  ,  montés  par  huit  mille  cinq  cents 
marins.  Les  marins  anglais  les  plus  célèbres  de  cette  époque 
furent  Drake,  le  premier  navigateur  après  Magellan,  qui 
fit  un  voyage  autour  du  monde,  et  Walter  Raleigh,  qui 
fonda  la  première  colonie  anglaise  dans  l'Amérique  septen- 
trionale. Philippe  II,  roi  d'Espagne,  qu'Elisabeth  avait 
irrité  de  plus  d'une  manière ,  arma  inutilement  contre  elle , 
en  15SS,  la  grande  flotte  à  laquelle  le  pape  avait  donné  le 
nom  d'invincible  Armada.  Plus  de  la  moitié  de  cette 
flotte  fut  anéantie  par  des  tempêtes ,  sans  qu'elle  eût  à  sou- 
tenir un  combat  naval  en  règle.  Elisabeth  souilla  son  règne 
par  l'exécution  de  Marie  Stuart,  reine  d'Ecosse.  Le  sup- 
plice du  comte  d'Essex  en  assombrit  la  fin. 

A  sa  mort ,  en  1603 ,  s'éteignit  la  rac«  des  souverains  de 
la  maison  de  Tudor.  Quelque  temps  auparavant ,  elle  avait 
désigné  pour  lui  succéder  au  trône  Jacques  ,  roi  d'Ecosse. 
C'était  l'unique  rejeton  de  la  maison  des  Stuarts ,  le  fils  de 
Marie  Stuart  et  le  plus  proche  parent  d'Elisabeth.  Son 
aïeule  ,  Marguerite,  était  fille  de  Henri  VII,  roi  d'Angleterre 
et  grand-père  d'ÉUsabeth.  Alors  on  vit  s'opérer  d'une  ma- 
nière paisible  ce  grand  événement  que  de  longues  guerres 
sanglantes  n'avaient  pu  effectuer  :  la  réunion  de  l'Ecosse  et 
de  l'Angleterre  sous  le  même  sceptre.  Ici  finit  l'iiistoire  de 
l'Angleterre  proprement  dite  et  commence  celle  de  la 
Grande-Bretagne  :  nous  renvoyons  le  lecteur  à  cet 
article. 

Chronologie  des  rois  d'Angleterre. 

DYNASTIE   SAXONNE. 

Edmond  1" 941 

Edred...... 946 

Ed wi  n ,  .  956 

Edgar 959 

Édoaard  II,  le  Martyr 975 

Ethelr«d  II 978 


Egbert  le  Grand 827 

Kthelwolf 838 

Ethelbald  et  Elbelbert  ....  8ô8 

Etlielred  l«f 866 

Alfred  I'',  Je  (7ra»id 871 

Edouard  l'^,  l'ylncien 9(/0 

Adelstan 925 


DYNASTIE   DANOISE. 


Suetion  ou  Swen,  roi  de  Da- 
nemark     1014 

Canut  l", /e  Grand 1015 


(Edmond  II,  Irenstde,  con- 
jointement avec  Canut  ).  1016 

llarald  \" 1(U57 

Hardi  Canut 1039 


DYNASTIE   NORMANDS. 


Guillaume  I*' ,  le   Conqué- 
rant   1066 

Guillaume  II, /e/iottr 1087 

Henri  1" 1100 


(  Etienne  ,  comte  de  Blols  , 
fils  d'Adèle ,  fille  de  Gnil- 
laume  1") 1136 


DYNASTIE  ANGEVINE. 


Henri  11 ,  Plantagenet 1154 

Richard  l"  ,  Caur  de  Lion.  1189 

Jean  sans  Terre 1199 

Henri  III 1216 

Edouard  1"  (1V«) 1272 

Edouard  II 1307 


Edouard  III 1327 

Richard  11 1377 

Henri  IV,(i«iancas/er....   1399 

Henri  V 1413 

Henri  VI 1432 


DYNASTIE  D  YORK. 


Edouard  IV 1461 

Edouard  V 1483 


(Richard  III,  duc  de  Glo- 
ce»ter) 1483 


DYNASTIE  DE  TUDOR. 


(JaneOrey) 1553 

Marie 15-53 

Éliiabetb 1558 


DYNASTIE   SA.XONNE. 


Edouard  111: /e  Con/«î6'ur.    lOl:.' |  llarald  11 lOCC 


Benri   VII,  doc    de    Rich- 

mond 1485 

Henri  Vlll 1509 

Edouard  VI 1547 

DYNASTIE  DES  STUARTS. 

Jacques  1"  d'Ecosse 1603. 

Pour  la  suite,  voyez  Gra>de-Bp.etag>e. 
Langue  et  Littérature. 

Langue  anglaise.  La  langue  anglaise,  avant  d'être  ce 
qu'elle  est ,  a  parcouru  des  phases  successives,  dont  elle  a 
conservé  les  traces.  Elle  n'a  presque  rien  emprunté  à  l'an- 
cien idiome  gallois;  mais  les  dialectes  parlés  encore  au- 
jourd'hui par  les  habitants  de  la  principauté  de  Galles,  du 
comté  de  Comouailles ,  des  montagnes  de  l'Ecosse  et  de 
quelques  parties  de  l'Irlande ,  dialectes  qui  diffèrent  fort  peu 
entre  eux ,  ne  sont  pas  autre  chose  que  les  langues  gaélique 
et  kymrienne,  conservées  à  deux  mille  ans  de  distance  sans 
altérations  notables.  L'invasion  romaine  n'eut  aucune  in- 
fluence sur  la  formation  postérieure  de  la  langue  anglaise , 
si  ce  n'est  que  les  conquérants  introduisirent  dans  l'admi- 
nistration de  la  justice  leur  langue  en  même  temps  que  leur 
jurisprudence.  Les  mots  romains  qui  se  trouvent  en  grande 
quantité  dans  la  langue  anglaise  lui  sont  venus  plus  tard , 
de  la  France;  cependant  l'alphabet  date  de  l'époque  ro- 
maine. 

La  langue  anglaise  ne  commence  donc  qu'avec  les  Anglo- 
Saxons,  vers  450.  Les  Anglo-Saxons  refoulèrent  les  popula- 
tions celtes  et  leur  idiome  dans  les  hautes  terres  ;  leur 
propre  langue  devint  bientôt  la  langue  dominante,  grâce  au 
puissant  élément  de  propagation  qu'elle  trouva  dans  le  chris- 
tianisme ,  introduit  par  Augustin  à  la  fin  du  sixième  siècle. 
L'anglo-saxon  devint  alors  la  langue  de  l'Église  ;  on  s'en 
servit  pour  l'enseignement  dans  les  écoles  de  Westminster, 
de  'VN'orcester  et  d'York.  L'invasion  des  Danois  vers  l'an 
780  n'eut  pas  pour  résultat  d'introduire  en  Angleterre  une 
autre  langue ,  mais  seulement  quelques  mots  nouveaux , 
ayant  d'ailleurs  beaucoup  d'affinité  avec  l'anglo-saxon.  11 
n'en  fut  pas  de  même  pour  la  conquête  normande.  Les 
compagnons  de  Guillaume  imposèrent,  de  par  leur  épée,  la 
langue  fran>,aise  comme  langue  de  la  cour  des  rois,  des  tri- 
bunaux et  des  affaires.  Toutefois,  l'anglo-saxon  n'en  resta 
pas  moins  l'idiome  dominant  panni  les  classes  inférieures. 
Trois  siècles  ne  s'étaient  pas  écoulés  que  les  deux  langues  ri- 
vales s'étaient  mêlées  et  confondues  pour  former  la  langue 
anglaise.  Edouard  III  (1327-1377)  fit  de  ce  parier  bâtard 
la  langue  de  sa  cour  en  même  temps  que  la  langue  natio- 
nale. L'élément  germanique  et  l'élément  roman  y  entrèrent 
en  une  proportion  à  peu  près  égale.  L'anglais  eut  bientôt  fait 
de  rapides  progrès,  n'ayant  aucun  scrupule  de  prendre  ce  qui 
lui  convenait  partout  oii  il  le  trouvait.  Pour  exprimer  de  nou- 
velles idées,  il  s'enrichit  d'einpmnts  faits  à  la  France  et  à 
l'Italie;  pour  les  arts  et  les  sciences,  il  puisa  abondanimentaux 
sources  grecques  ;  pour  le  commerce  et  l'industrie,  il  emprunta 
à  toutes  les  langues  de  l'univers,  et  devint  de  h  sorte  une  des 


ANGLETERRE 


575 


langues  les  plus  riches  qui  existent,  en  même  temps  que  ses 
poètes,  ses  orateurs,  ses  écrivains  en  faisaient  une  des 
mieux  formtîes  et  des  mieux  cultivées  ,  et  que  le  génie  na- 
tional du  peuple  anglais  la  rendait  une  des  plus  énergiques. 

L'anglais  a  la  structure  logique  par  excellence.  Le  genre 
des  substantifs  dépend  du  genre  des  objets  qu'ils  représen- 
tent ;  la  déclinaison  n'a  que  deux  cas ,  le  nominatif  et  le 
génitif;  encore  ce  dernier  ne  diffère  de  l'autre  que  par  l'al- 
dition  d'une  apostrophe  et  d'une  5  comme  désinence.  Les 
adjectifs  sont  invariables  et  n'éprouvent  d'autre  nwdifica- 
tion  que  les  différents  degrés  de  comparaison.  Le  pronom 
seul  a  les  trois  genres  et  se  déchue.  Le  système  de  conju- 
gaison ne  présente  que  deux  temps,  le  présent  et  l'imparfait  ; 
tous  les  autres  se  forment  en  ajoutant  des  auxili;iires.  La 
construction  des  mots  est  directe,  sauf  l'attribut  que  Ton  place 
constamment  avant  le  substantif  qu'il  modifie. 

11  règne  encore  beaucoup  d'incertitude  dans  l'orthographe  ; 
la  prononciation  offre  un  son  qui  u'existe  pas  dans  notre 
langue,  le  th,  et  qui  semble  être  identique  au  6  grec  ;  elle  est 
rapide,  et  passe  très-vite  sur  les  syllabes  qui  ne  sont  pas  ac- 
centuées. C'est  ce  qui  faisait  ilire  à  Voltaire  que  les  Anglais 
gagnaient  deux  heures  par  jour  en  engloutissant  la  moitié 
de  leurs  paroles. 

Presque  aussi  flexible,  quoique  moins  universelle,  que  le 
grec  et  l'allemand ,  bien  plus  simple  dans  la  constniction, 
avec  des  formes  grammaticales  d'une  telle  facilité  que  les 
autres  langues  ne  peuvent  lui  être  comparées ,  joignant  à 
ces  avantages  une  des  prononciations  les  plus  difficiles 
qu'on  puisse  imaginer,  ce  n'est  pas  précisément  une  langue 
harmonieuse,  quoiqu'elle  soit  agréable  et  sonore  quand  elle 
est  bien  parlée.  Byron  a  dit  de  sa  langue  maternelle  : 

Like  our  harsh  northern,  wistling  grunting  giUtiiral, 
Which  we're  obliged  to  hiss,  and  spit,  and  sputter  ail  (i). 

La  langue  écrite  est  la  véritable  langue  anglaise,  et  c'est 
à  Londres  et  à  Dublin  qu'on  la  parle  le  plus  purement.  Il 
existe  presque  autant  de  dialectes  en  Angleterre  qu'il  y  a 
de  comtés ,  et  partout  le  peuple  a  un  patois  à  lui.  Ce  qwi 
distingue  les  Écossais ,  indépendamment  de  leur  pronon- 
ciation traînante ,  c'est  qu'ils  entremêlent,  en  parlant,  des 
mots  qui  leur  sont  propres  et  des  mots  purement  anglo- 
saxons. 

La  principale  différence  qu'il  y  ait  entre  la  langue  qu'on 
parle  aux  États-Unis  et  celle  qu'on  parle  en  .\ngleterre  ne 
tient  pas  seulement  à  moins  de  grâce  et  de  délicatesse  dans 
la  prononciation ,  mais  encore  à  l'emploi  d'expressions  et 
de  formas  contraires  au  génie  de  l'idiome.  La  prononcia- 
tion n'étant  que  bien  rarement  assujettie  à  des  règles  fixes, 
varie  même  à  Londres  et  à  DubUn,  et  se  modifie  souvent  au 
gré  de  la  mode.  Ae  pas  tenir  compte  des  caprices  de  la 
mode  est  peut-être  bien  de  fort  mauvais  ton ,  unfashio- 
nable ,  mais  nous  persistons  à  croire  que  le  pronouncing 
I>ictioïiary  de  John  Walker  fera  toujours  autorité  contre 
elle.  Aussi  est-ce  la  prononciation  indiquée  dans  cet  ou- 
vrage qui  est  toujours  adoptée  dans  les  nombreux  diction- 
naires composés  pour  faire  comiaître  l'anglais  aux  autres  na- 
tions. 

Le  domaine  de  la  langue  anglaise  s'est  agrandi  dans  d'in- 
croyables proportions,  et  s'étend  encore  tous  les  jours.  C'est 
la  langue  des  immenses  possessions  britanniques,  et  le 
commerce  et  les  missions  la  portent  sur  tous  les  autres 
points  du  globe.  L'omnipotence  de  l'Angleterre  sur  mer  en  a 
fait  la  véritable  langue  maritime  ;  elle  est  aussi  fort  ré- 
pandue en  Hanovre ,  en  Portugal ,  au  Brésil  et  en  Russie. 

Litlérature  anglaise.  La  littérature  anglaise  commence 
assez  pauvrement,  pendant  l'obscure  période  qui  précéda  et 
suivit  l'invasion  romaine ,  par  quelques  fragments  de  poèmes 

(I)  Comme  notre  baragnaio  da  nord  ,  rude  et  i;uttural ,  à  grogne- 
ments aigus,  qu'avec  peine  nous  sifllflus  et  nous  cracLiins  en  bre- 
douillant. 


composés  par  des  poètes  gallois  ;  mais  pendant  la  période 
anglo-saxonne  jusqu'à  l'arrivée  des  Normands  elle  est  plus 
riche  qu'on  ne  l'avait  cru  jusqu'à  ce  jour.  Le  premier  voluino 
de  la  Biographia  britannicn  Literaria,  entreprise  par  la 
Rotjal  Society  of  Litcrature  de  Londres  et  publiée  par 
Thomas  Wright,  prouve  incontestablement  qu'il  existait 
alors,  outre  la  traduction  de  la  Bible  et  de  quelques  livres 
de  religion,  des  productions  littéraires,  par  exemple,  le 
chant  <le  Beowulf,  le  fragment  de  Judith ,  la  paraphrase  de 
la  Genèse  de  Ceadmon  ,  les  ouvrages  de  Bède,  de  saint 
Duncan  et  du  roi  Alfred,  la  Chronique  anglo-saxo.nne  et 
le  récit  du  voyage  de  Wulfstan  (  voyez  l'article  Anglo- 
Saxoxs).  On  sait  que  sous  les  Normands  la  langue  fran- 
çaise fut  celle  de  la  cour,  et  que  la  langue  anglo-saxonne 
continua  d'être  celle  du  peuple  :  la  môme  division  se  lit 
dans  les  productions  de  la  Uttérature.  Tandis  que  les  trou- 
vères, maîtres  en  poésie  ,  charmaient  les  grands,  que  les 
jongleui-s ,  habiles  à  chanter  les  vers  des  poètes,  récitaient 
des  poèmes  chevaleresques  et  des  fabhaux  dans  le  langage 
du  nord  de  la  France,  le  peuple  conservait  ses  ménestrels 
errants,  et  avec  eux  ses  traditions  héroïques  et  ses  ballades 
nationales.  Elles  ont  été  réunies  par  Ritson ,  English  me- 
trical  Romances  (2  vol.,  Londres,  1S02  )  ;  par  Ewans,  Old 
Ballads  (4  vol.,  1810);  par  Ellis,  Spécimens  of  early 
English  metrical  Romances  (3  vol.,  1811  ),  et  par  Percy, 
Reliques  ofancient  English  Poetry  (3  vol.,  181?}.  Mais  de 
même  que  les  deux  langues  se  confondirent  pour  former  la 
langue  anglaise,  les  deux  éléments  poétiques  se  confondi- 
rent aussi  pour  constituer  la  poésie  anglaise  nationale. 

Geoffroy  Chaucer  (1328-1400),  son  premier  représen- 
tant, est  à  cause  de  cela  communément  surnommé  le 
père  de  la  poésie  anglaise.  Cependant  ses  productions 
étaient  bien  plus  propres  à  charmer  les  gens  de  la  cour  qu'à 
plaire  au  peuple.  Les  poètes  de  quelque  renom  qui  vin- 
rent après  lui  furent  ^Yyat,  Surrey,  Borde,  Heywood, 
Sackville  et  Tye,  qui  mit  en  vers  l'histoire  des  apôtres; 
S  penser,  qui  florissait  vers  la  fin  du  seizième  siècle, 
auteur  du  Shepherd's  Calendar  et  de  la  Fairy  Queen,  fut 
un  poète  plem  d'imagination  ;  on  l'a  souvent  comparé  à 
l'Arioste.  A  peu  près  à  la  môme  époque  parut  Shakspeare. 
Depuis  lui  jusqu'à  M  il  ton  il  n'y  a  guère  que  la  mélanco- 
lique Davideis  de  Cowley  qui  mérite  d'être  citée.  En  re- 
vanche, le  Paradise  lost  (  Paradis  perdu  )  de  Milton,  épopée 
religieuse  pleine  de  vigueur  et  de  lyrisme,  alors  môme  qu'elle 
affecte  le  ton  didactique,  passe  pour  le  chef-d'œuvre  ini- 
mitable de  la  poésie  anglaise  :  son  Paradise  regained  est 
moins  classique,  lient  pour  successeur  Dry  d  en ,  chef 
d'une  école  nouvelle  de  poètes ,  dont  la  verve  a  été  moins 
hardie,  et  qui  se  sont  particulièrement  laissé  influencer  par 
le  goût  français.  La  poésie  de  Dryden  excelle  dans  la  narra- 
tion et  dans  la  satire;  elle  est  fine,  délicate,  attrayante, 
parfois  piquante  et  mordante  ;  ses  vers  et  son  langage  sont 
presque  toujours  harmonieux  et  doux.  Pope  fut  plus  spiri- 
tuel, plus  correct,  plus  brillant  que  lui ,  dans  l'ode ,  l'hymne, 
l'élégie ,  l'idylle ,  la  satire  et  l'épigramme.  Après  lui  vien- 
nent l'érudit  Addison;  Gay,  l'aimable  fabuliste;  Thom- 
son, le  peintre  heureux  delà  nature;  Swift,  esprit  mor- 
dant, humoriste  ingénieux;  Young,  poète  emphatique  et 
religieux  ;  Ramsay,  le  poète  populaire  écossais  ;  et  Bruce. 
Depuis  le  milieu  jusqu'à  la  fin  du  dix-huitième  siècle ,  on 
vit  fleurir  A  kenside,  poète  didactique  ;  l'élégiaque  Tho- 
mas Gray;  l'ingénieux  Goldsmith;  l'humoriste  Arms- 
trong;  le  lyrique  Penrose;  etBurns,  au  génie  si  original. 
Pendant  toute  cette  période,  depuis  ÉUsabeth  jusqu'à  Geor- 
ges I^*^,  l'épopée  et  le  drame  arrivèrent  seuls  à  la  perfection. 
On  traduisait  en  vile  prose  les  poèmes  romantiques  de  la 
chevalerie ,  et  la  ballade  dut  se  réfugier  en  Ecosse.  Un  timide 
bon  sens,  un  ton  de  plaisanterie  souvent  insipide,  rempla- 
cèrent l'imagination  et  l'enthousiasme.  L'influence  française, 
introduite  en  Angleterre  à  la  suite  des  Shiarts,  énerva  et 


57G 


A^■GLETERR^: 


alTadit  la  poésie,  mit  la  forme  au-dessus  du  fond,  bafoua 
la  religion  et  corromiiit  les  mœurs.  C'est  au  dix-neuvième 
siècle  seulement  qu'il  fut  donné  de  briser  les  cliaîncs  de 
Técole  française ,  de  rétablir  rimagination  dans  ses  droits  et 
de  faire  une  juste  part  à  la  forme  et  au  fond.  11  en  résulta 
une  vie  uouvelle  pour  la  poésie  nationale,  à  laquelle  on 
a  peut-être  à  tort  assigné  deux  directions  pailiculières,  celle 
de  l'élément  romantique  et  celle  de  l'élément  sentimental. 
IJyron,  Thomas  iMoore  et  Shelley  furent  les  chefs  do 
la  première  de  ces  écoles;  Wordsworth,  Coleridge, 
Sou  t  h  cy  et  John  W  il  son,  ceux  de  la  seconde.  Le  puis- 
sant génie  poéticjue  de  lîyron  s'annonça  dans  son  Childc- 
Harold,  la  tendre  mélodie  de  Moore  dans  Lulla-Rookh,  la 
passion  impétueuse  de  Shelley  dans  des  tragédies  qui  ne 
sont  pas  faites  pour  la  scène.  Wordsvvorlh,  le  poêle  des 
ballades  lyriques  et  des  chants  légers  et  gracieux,  fut,  en 
dépit  de  son  extrême  simplicité  de  pensée  et  d'expression  , 
un  csjirit  poétique  riche,  profond,  mais  qui  n'est  pas  tou- 
jours maître  de  son  imagination.  Coleridge,  avec  la  profonde 
connaissance  <lu  cœur  humain  qu'il  possède,  se  complaît 
trop  souvent  dans  la  peinture  du  terrible,  et  tombe  parfois 
dans  l'étrangeté.  Southey ,  esprit  moins  exalté ,  excelle  à 
reproduire  les  scènes  paisibles  de  la  nature  et  les  tableaux 
simples  d'imagination  ;  mais  il  confond  souvent  le  clin- 
quant avec  l'or  pur.  "NVilson  s'inspire  de  préférence  des  sen- 
timents populaires  et  des  délices  de  la  solitude.  D'autres 
poètes  en  renom  se  rattachèrent  plus  ou  moins  à  ces  deux 
écoles.  Ainsi  Walter  Scott,  qui  chanta  la  chevalerie 
dans  son  Lay  of  the  last  Minslrcl ,  appartient  à  l'école 
romantique,  et  Th.  Campbell  avec  ses  Pleasurcs  of 
Hope  à  l'école  sentimentale.  On  doit  encore  mentionner 
Georges  Crabbe,  Samuel  R  ogers,  Leigh-Hunt,  Barry- 
Comwall  (  voyez  Proctou),  Bernard  Barton  ,  James  ^lont- 
gomery,  Polloc'v,  John  C lare,  James  IIogg,ditle  berger 
d'Eltrick;  Allan  Cunniugham,  Watts,  llerwey,  William 
llowitt,  Hood,  Jilliott,  Drimer  {Uarold  de  Buriin, 
1S35)  ,  Willis  (  Melanie,  and  other  poems ,  1335),  INicoll 
(  Poems  and  Lyrics,  1830),  Chester  (  The  Lay  o/the  lady 
Ellen,  183G),  Crockcr,  le  poète  de  la  nature  {Kingley 
Vale,  1837  ),  Herbert,  auteur  du  beau  poème  épique  Altïla 
(  1838),  Morris  [Lyra  urbanica,  1840),  Bulwer  (Eva, 
and  other  poems,  18i2),  Powell,  Macanlay,  A.  Tenu  y- 
s  o  n  ,  Merivale,  etc.  Les  femmes  de  ces  derniers  temps  ont 
aussi  leur  part  de  renommée  :  il  faut  citer  Felicia  M  e  m  a  n  s  . 
Laititia  Landon  {the  Wow  of  the  Peacock,  and  other 
poems,  1S35),  Eumieliue  Wortley ,  Louisa  Twamiey, 
Elisa  Cook,  Elisabeth  Barrett  {the  Seruphim,  1840)  et 
Mary  Clialenor. 

La  prose  en  Angleterre  se  forma  plus  tard  que  la  poésie; 
elle  connnença  par  la  traduction  de  la  liible  et  de  quelques 
classiques  grecs  et  latins  ;  cependant  elle  ne  date  guère  que 
du  milieu  du  quatorzième  siècle:  les  historiens  Samuel  Da- 
niel et  Walter  F%aleigh  peuvent  Cire  considérés  comme 
les  premiers  qui  s'élevèrent  au-dessus  du  style  des  simples 
chroniqueurs.  Habingdon  et  Mil  ton  dans  leurs  ouvrages 
historiques,  Phil.  S  i  d  n  e  y  dans  ses  dissertations,  et  H  o  b  b  e  s 
dans  ses  ouvrages  philosophiques,  parvinrent  à  im  plus 
haut  degré  de  perfection.  Vers  la  fin  du  dix-septième  siècle, 
Tillotson,  l'orateur  sacré  ,  W'ill.  Temple,  l'écrivain  po- 
litique, Locke  le  philosophe,  et  l'ingénieux  S  h  aftesbur  y, 
dans  ses  investigations  philosophiques,  toujours  brillantes 
d'esprit  et  d'imagination,  tirent  faire  de  nouveaux  progrèsàla 
prose.  Les  journaux  hebdomadaires  publiésau  commencement 
du  dix-huitième  siècle,  par  exemple  the  Tatler  (  1709),  the 
Spectator  (  1711  )  et  the  Guardian  (  1713),  ne  contribuèrent 
pas  peu  non  plus  à  ce  résultat,  de  même  que  Johnson, 
Moore,  Hawkesworth,  mais  surtout  Addison  par  la  part 
importante  qu'il  jtrit  à  la  rédaction  du  Spectator  et  eu  re- 
voyant les  arlicles  fournis  à  ce  recueil  par  d'autres  écri- 
vains.  Bienlùl  chaque  espèce  de  style  eut  son  législateur 


particulier  :  le  satirique,  dans  S  w  if  l;  le  didactique,  dans 
IIutcheson,John  Brownet  Adam  Smith;  l'épistolaire, 
dans  lady  Montagne,  C  h  esterfield  et  Junius;  celui 
du  roman,  dans  itichardson,  Fielding,  Sterne, 
S  m  o  1 1  e  t  et  G  0 1  d  s  m  i  t  h  ;  celui  de  la  critique,  dans  Samuel 
Johnson;  celui  de  l'histoire,  dans  Hume,  Robertson  et 
Gibbon.  Edmond  Burke,  dans  ses  écrits  politiques, 
donna  des  modèles  achevés  de  la  langue  classique.  A  cet 
égard ,  l'époque  récente ,  et  môme  l'époque  actuelle ,  n'ont 
en  rien  modifié  cet  état  de  choses.  Le  style  germano-anglais 
deCarlyle  n'est  qu'une  bizarre  tentative,  qui  n'a  eu  ni 
succès  ni  imitateur.  Ce  n'est  guère  que  dans  le  roman  que 
l'on  tolère  le  mélange  de  mots  et  de  phrases  empruntés 
aux  langues  étrangères,  au  français  surtout;  d'où  est 
résulté,  à  l'imitation  de  la  conversation  du  monde  fas- 
hionable,  un  genre  sans  nom  comme  sans  consistance. 

Pour  fixer  le  point  de  départ  de  la  liltérature  savante , 
nous  prenons  l'époque  où  un  négociant,  nommé  Williajii 
Caxton,  de  retour  d'un  long  voyage,  introduisit  l'im- 
priuîerie  en  Angleterre,  et  fit  ses  premiers  essais  à  West- 
minster, vers  1474.  Si  cette  épotjue,  qui  coïncide  avec 
celle  des  trente  ans  de  luîtes  entre  les  maisons  d'York  et 
de  Lancaster,  dut  être  extrêmement  défavorable  au  réveil 
du  goût  pour  les  lettres  et  leur  culture,  le  développement 
du  génie  national ,  une  fois  que  la  plus  grande  partie  de  la 
noblesse  normande  eut  péri  sur  les  champs  de  bataille ,  lui 
ouvrit  une  carrière  plus  vaste  et  plus  féconde. 

La  liltérature  de  l'Angleterre  est  redevable  au  vieil  esprit 
saxon  de  ses  progrès  et  de  ses  plus  riches  productions.  Par 
l'éloquence  de  la  chaire,  la  seule  qu'ait  connue  l'.Vngleterre 
jusque  vers  la  fin  du  dix-huitième  siècle  ,  il  eut  une  grande 
influence  sur  la  littérature  nationale.  Le  règne  d'Elisabeth 
fut  l'âge  d'or  de  l'éloquence  sacrée.  La  philosophie,  les  ma- 
thématiques et  riiistoire  furent  cultivées  avec  ardeur;  on 
réunit  de  nombreuses  collections  en  même  temps  qu'on 
cultivait  avec  le  plus  grand  soin  les  sciences  appliquées  aux 
arts  et  à  l'industrie.  Consultez  Gray,  Historical  Sketch  oj 
the  origin  qf'english  prose  literature  and  its  progresses 
(  Londres,  1835).  Cette  tendance  se  conserva  pendant  tout  le 
dix-huitième  siècle. 

Sans  doute  les  guerres  civiles  sous  Charles  l",  le  triom- 
phe des  puritains  et  les  dix  ans  de  règne  de  Cromwell  em- 
pêchèrent les  progrès  de  l'art  et  de  la  science  ;  mais  l'es- 
prit public  y  gagna  une  énergie  et  une  vitalité  d'où  sorti- 
rent les  principes  de  droit  politique  auxquels  la  révolution 
de  1688  vint  donner  une  dernière  et  solennelle  sanction.  A 
partir  de  ce  moment,  la  vie  intellectuelle  du  peuple  anglais 
put  se  développer  librement,  et  l'influence  française,  qui 
continua  encore  de  la  menacer  pendant  quelque  temps,  ne 
put  paiTcnir  à  entamer  le  genre  intime  de  la  littérature  an- 
glaise. Le  dix-neuvième  siècle  ne  demeura  point  en  arrière 
de  ce  mouvement.  C'est  de  cette  époque  que  date  la  créa- 
tion, si  importante  pour  la  littérature,  de  diverses  sociétés 
ayant  pour  but  de  protéger  les  arts  et  les  sciences ,  les 
unes  fondées  au  moyen  de  secours  accordés  par  le  gou- 
vernement ,  les  autres  ne  subsistant  que  par  les  contribu- 
tions volontaires  de  leurs  membres.  La  Royal  Society  de 
Londres  publie  chaque  année  le  recueil  de  ses  mémoire.s 
sons  le  titre  .de  Philosophicnl  Transactions;  il  en  est  de 
même  de  celle  qui  existe  à  Edimbourg,  et  qui  comprend 
deux  classes ,  celle  des  sciences  et  celle  de  belles  let- 
tres. Les  sociétés  savantes  de  création  plus  moderne  imi- 
tent plus  ou  moins  cet  exemple,  nofannnent  la  Société 
d'Histoire  Naturelle  de  Werner  de  Londres,  la  Société  Géo- 
logique et  d'histoire  naturelle  de  Cambridge,  les  Sociétés 
d'ilorticulture  de  Londres  et  d'Edimbourg,  la  Société  d'His- 
toire Naturelle  de  Glasgow,  les  Sociétés  Linm-enne,  d'I'nfo- 
mologie,  de  Zoologie,  d'Astronomie,  de  Géographie  et  dWr- 
chilecture  de  Londres.  Il  faut  y  ajouter  les  lectures  |iopu- 
.  laires  sur  diverses  branches   de  la  science  ,  tenues  dans 


A.\GLETER1\E 


577 


rr.el(Tues  associations  particiiliiTos  de  Lomlros  it  rendues 
inibli«iiies  par  la  voie  de  l'impression,  comme  funt  la  Hoyal 
Institution,  au  moyen  du  journal  qu'elle  publie  sous  le 
tilrede  Journal  0/  Science,  I.itcraturc  and  t/w  Arts ,  de 
même  <pie  la  London  Institution  et  la  Royal  Societij  0/ 
I.itcrature ,  laquelle  déceraecn  outre  des  me*lailles  d'hon- 
neur et  des  prix  annuels;  la  Socicttj /or  the  Dijjusion  of 
uscj'ul  Knowledge ,  t\\n  puMie  des  traités  rédigés  pour  le 
peuple  et  relatifs  aux  niatliémaliques,  aux  sciences  natu- 
relles, à  la  tcclinoloiiie,  à  l'iiistoire,  etc.,  sous  le  titre  de  : 
Liàranj  o/tise/nl  Knowledge  ;  eniin,  \a  British  Associa- 
tion/or the  Advanccment  0/  Science,  dont  l'activilé,  au- 
tant du  moins  quon  en  peut  juger  par  ce  qu'elle  public,  ne 
répond  pas  aux  riches  moyens  dont  elle  dispose  ,  mais  qui 
ne  laisse  pas  pourtant  que  de  concourir  puissannnent  aux 
progrès  des  sciences.  11  faut  citer  les  infatigables  publica- 
tions des  journaux  et  des  recueils  scientifiques ,  surtout  de 
ceux  qui  soi:t  plus  spécialement  consacrés  à  la  critique  ,  et 
qui,  en  attachant  un  grand  prix  à  la  forme  dans  l'apprécia- 
tion des  ouvrages  scientifiques  à  laquelle  ils  se  livrent,  pro- 
pagent l'élégance  d  u  style.  Tous  les  recueils  périodiques  anglais 
s'occupent  plus  ou  moins  de  critique  et  de  sciences,  et  il  n'en 
existe  pas  de  purement  littéraires.  Les  plus  influents  et  les 
plus  estimés  sont  aujourd'hui,  en  première  ligne,VEdinburgh 
Review,  et  son  rival  le  Quaterly  Review,  qui  se  publie  à  Lon- 
dres;  celui-là  Ubéral  et  wbig  dans  ses  opinions  et  ses  ten- 
dances, celui-ci  tory  et  ultra-conservateur.  D'ailleurs  dans  l'un 
et  dans  l'autre  la  critique  est  acerbe,  sévère,  mais  savante, 
surtout  dans  le  domaine  des  sciences  politiques,  et  le  style  en 
est  d'une  remarquable  élévation.  Entre  ces  deux  revues  se 
place  le  West7ninster  Review ,  organe  en  quelque  sorte  du 
juste-milieu,  visant  avant  tout  à  la  solidité  dans  ses  produc- 
tions, et  atteignant  son  but.  Le  Foreign  and  Colonial  Qua- 
terly Review  est  l'habile  interprète  de  la  littérature  étrangère, 
en  même  temps  qu'il  traite  et  expose  avec  sagacité  fout  ce  qui 
se  rapporte  aux  intérêts  coloniaux.  Les  journaux  hebdoma- 
daires the  Literary  Gazette  et  the  Athenxum  sont  moins 
des  recueils  de  critique  proprement  dite  que  des  comptes- 
rendus;  mais  ils  abondent  en  faits  et  en  nouvelles  de  l'in- 
térieur et  de  l'extérieur  relatives  aux  sciences  et  aux  lettres. 
Le  3rirror,  rédigé  depuis  longues  années  avec  un  grand  suc- 
cès, se  borne  à  publier  chaque  semaine  des  extraits  de  ce 
qui  a  pam  de  nouveau  ;  mais  ces  choix  sont  généralement 
faits  avec  le  plus  grand  tact.  Ce  sont  les  dernières  discus- 
sions religieuses  et  ecclésiastiques  qui  ont  donné  naissance 
au  recueil  intitulé  :  the  Chtirch  of  England  Quaterly  Re- 
view ,  chargé  de  défendre  les  intérêts  et  les  doctrines  de 
l'Église  officielle  contre  le  catholicisme  et  le  puseysme,  qui 
s'en  rapproche  beaucoup,  et  qui  compte  au  nombre  de  ses 
collaborateurs  de  redoutables  combattants  armés  jusqu'aux 
dents.  En  tète  des  magazines,  recueils  mensuels  de  contenu 
varié,  il  faut  placer  le  Gentleman's  Magazine,  qui  fait  au- 
torité en  matière  d'archéologie.  Le  Monthly  Magazine, 
malgré  la  couleur  bien  tranchée  qu'il  a  adoptée  en  politique 
et  en  religion,  est  un  recueil  estimable.  The  New  Monthly 
Magazine,  jadis  son  rival,  mais  qui  aujourd'hui  vit  en  paix 
avec  lui,  amuse  par  la  richesse  et  la  diversité  de  sa  rédaction.  Il 
a  pour  concurrent  The  Metropolitan  Magazine.  VEdin- 
burgh  Magazine  de  Blackwood  est  un  recueil  autrement 
important.  Sa  critique  est  d'un  grand  poids.  En  politique , 
il  appartient  à  l'opinion  tory.  Le  Magazine  for  Town  and 
country  de  Fraser,  comprenant  presque  tout  dans  son 
large  cadre,  s'occupe  d'histoire ,  de  dramaturgie,  de  poésie 
et  de  satire,  de  politique  et  de  querelles  théologiques  ;  rare- 
ment il  lui  arrive  d'être  partial,  et  le  plus  souvent  il  appré- 
cie d'un  point  de  vue  essentiellement  cosmopolite.  Le  Colo- 
nial  Magazine,  le  Freemason's  Quaterly  Review,  The 
Lancet,  Art  journal,  (ttc,  sont  des  recueils  consacrés  à  des 
sciences  ou  à  des  questions  toutes  spéciales  qu'on  y  trouve 
souvent  traitées  avec  une  grande  supériorité  de  talent.  On 
iiifiT.  ni;  1.A  coNVEi'.s.  —  T.  r. 


doit  encore  mentionner  ici  le  Wee^hj  Magazine,  qui  paraît 
depuis  1813.  TheAnnual  llegisterct  the  New  Annnal  Ke- 
gister,  quoique  différant  au  point  <lc  vue  des  appréciations 
critiques,  présentent  annuellement  le  tableau  de  tout  ce  que 
la  librairie  anglaise  a  publié  dans  le  cours  de  l'année  et  en 
y  ajoutant  des  observations  souvent  d'un  grand  prix.  Ces 
deux  recueils  sont  tout  naturellement  les  meilleurs  siip|>lé- 
ments  qu'on  puisse  désirer  pour  les  encyclopédies  existantes. 
Ces  ouvrages  si  utiles,  devenus  même  si  indispensables  de 
nos  jours,  ne  manquent  pas  non  plus.  Parmi  les  plus  an- 
ciennes il  nous  faut  mcnlionner  V Universal  English  Dic- 
tionary  of  Arts  and  Sciences,  d'abord  de  Ilarris,  puis  de 
Chaiiibers  ,  et  en. dernier  lieu  de  Rees  (  9  vol.,  Londres, 
1704-17SG  ) ,  et  dans  les  temps  plus  rapprochés  de  nous, 
the  English  Encyclopedia  (  10  vol.,  Londres,  1800);  the 
Cyclopcdia  (39  vol.,  Londres,  \%Q2-\9,'ïO);Y  Encyclopedia 
Metropolitana,  or  Universal  Dictionary  of  Knowledge  (\q 
Smcdioy  (14  vol.,  Londres,  1829-1832)  ;  \à  Cabinet  Cyclo- 
pcdia de  Lardncr(133  vol.,  Londres,  1830-1833);  la  Po^ 
pular  Encyclopedia  (ieïihckic  (5  vol., Edimbourg,  1835); 
VEd!nbui-ghEncyclopedia(\KBrev/iteT(-i'ixo\.,Éi\iw.br)mii 
1810-1829),  etVEncyclopedia  Britannica  commencée  par 
Tytler,  terminée  par  ^'apier  (31  vol.,  Edimbourg,  1771- 
1842).  Les  noms  les  plus  célèbres  dans  les  sciences  et  les 
lettres  figurent  au  bas  des  articles  du  plus  grand  nombre 
de  ces  recueils  encyclopédiques. 

Les  études  philologiques ,  notamment  celles  qui  ont  trait 
aux  langues  grecque  et  romaine,  fleurirent  en  Angleterie  à 
pariir  du  seizième  siècle,  et  ont  de  temps  à  autre  donné  les 
résultats  les  plus  importants,  grâce  aux  travaux  des  Mait- 
taire,  des  Toup,des  Barker,  des  Baxter,  desBentley, 
de  Gatacker ,  de  Gale ,  de  Hudson ,  de  Creecli ,  de  Wake- 
field,  de  Daves,  de  Pearce,  de  Hearne,  de  Wasse,  de 
Barnes ,  de  Clarke ,  de  Johnson ,  d'Upton ,  de  Heath  ,  de 
Musgrave,  de  Tyrwhitt,  de  Porson,  de  Butler,  de  Blom- 
field,  de  Gaisford,  de  Dobree,  de  Monk,  d'ElrasIey,  de 
Knight  et  d'Arnold,  savant  éditeur  de  Thucydide.  Mais  l'é- 
tude des  langues  orientales,  qui  a  pris  de  tels  développements 
dans  ces  derniers  temps,  est  surtout  redevable  de  beaux  tra- 
vaux à  des  philologues  anglais.  C'est  ainsi  que  Swinion  s'est 
occupé  du  palmyrénien  et  du  phénicien  ;  Wilkins  ,  Woide, 
Pearson,  et  Taltam  du  copte;  Channing,  White,  Joncs, 
Davy  et  Lee,  de  l'arabe;  Gladwin,  Lumsden  ,  Kichardson, 
Wilkins,  Priée  et  Stuart,  du  persan;  Marsden,  du  malais; 
MoiTison,  Davis ,  Tboms  et  Staunton,  du  ch'mois  ;  Cole- 
brooke,  Carey,  Wilson,  Haughton,  Morton,  Shakspeare, 
Michael,  Anderson,  Campbell,  Morris,  Kennedy  et  Caila- 
way,  du  sanscrit  et  des  autres  langues  indiennes.  Voyez 
l'article  Orientale  (Littérature). 

La  direction  éminemment  pratique  du  caractère  national 
anglais  se  manifeste  surtout  dans  les  travaux  dont  a  été  l'ob- 
jet h  philosophie ,  science  qui  en  raison  mèaie  de  sa  na- 
ture ne  peut  arriver  à  une  certaine  élévation  qu'à  la  condi- 
tion ,  pour  ceux  qui  la  cultivent ,  de  scruter  opiniâtrement 
le  domaine  de  la  pensée.  La  culture  des  sciences,  qui  en  An- 
gleterre et  en  Ecosse  survécut  longtemps  à  la  civilisation , 
fut  favorisée  au  huitième  et  au  neuvième  siècle  par  le  roi 
Alfred  ;  cl  plusieurs  savants  célèbres  à  la  cour  des  rois 
franks,  tels  qu'Alcuin  et  plus  tard  Erigène  Scof,  étaient 
veims  d'Angleterre.  A  l'époque  où  domina  la  philosophie 
scolastique,  plusieurs  Anglais  se  distinguèrent  aussi  connue 
théologiens  philosophes,  par  exemple  Anselme  de  Can- 
terbury,  Bob.  PuUeyn,  Jean  de  Salisbury,  plus  tard 
Alexandre  de  Haies,  Jean  Duns  Scot ,  William  d'Oc- 
cam,  son  disciple  ,  et  Roger  Bacon,  ce  génie  si  ori- 
ginal. Après  la  renaissance  des  études  classiques,  Bacon  de 
Vénilam  donna  une  nouvelle  direction  aux  investignlions 
scientifiques,  et  aborda  une  carrière  dans  laquelle  les  An- 
glais ont  persisté  depuis  à  le  suivre.  La  scolastique  continua 
de  régner  à  Oxford,  tandis  que  le  m-oplafonismc  prév.ilid  à 


.78 


ANGLETERRE 


Cambridge.  Thomas  Gale  confondit  ces  deux  écoles  philoso- 
phiques en  l(;(i7  pour  les  appliquer  ;\  la  théologie,  et  Henri 
More  (mort  en  1C87),  à  la  prétendue  science  cabalistique. 
Cudworth  fut  un  néoplatonicien;  Ho bb es  s'appliqua 
surtout  au  di'oit  public  et  à  la  j)olili(iue,  et  eut  pour  adver- 
saires Algernon  Sidney  et  James  H arring ton.  Tout  ten- 
dait à  l'empirisme,  quand  parut  Locke,  qui  donna  une  di- 
rection précise  parmi  ses  compatriotes  aux  investigations 
relatives  aux  dernières  bases  du  savoir  humain ,  direction 
qui  consolida  le  sensualisme  et  pendant  le  dix-huitième 
siècle  prépara  les  voies  au  matérialisme  et  au  scepticisme , 
de  sorte  que  la  métaphysique,  méconnue  par  l'école  de  Locke 
<st  même  comme  science  véritable  par  Newton,  fut  complè- 
tement mise  de  côté.  L'idéalisme  de  Derkeley  ne  fut  qu'un 
fait  isolé  et  passager.  En  revanche,  les  philosophes  mora- 
listes et  les  théologiens  anglais,  notamment  Samuel  Clarke, 
F.  Hutcheson,  D.  Smith,  Rich.  Priceet  Ad.  Fcrguson,  s'ef- 
forcèrent de  défendre  la  morale  et  la  religion  contre  les  at- 
taques des  matérialistes  et  des  libres  penseurs.  Les  Écossais 
J.  Beattie,  J.  Oswald  et  Thomas  Reid  prirent  à  partie  le 
scepticisme  de  Hume,  Reid  surtout,  qui,  en  s'efforcant  de 
déterminer  les  loisauxquelles  obéit  l'esprit  intelligent,  ramène 
les  facultés  de  Tàme  à  un  petit  nombre  de  lois  simples  prou- 
vées par  les  faits,  dont  l'examen  aboutit  ;i  un  fait  général, 
n'admettant  pas  d'autre  explication  que  celle  qui  le  définit  un 
des  attributs  de  notre  nature  ,  et  trouvant  dès  lors  les  der- 
niers motifs  de  notre  foi  à  l'existence  d'un  monde  extérieur 
dans  un  sentiment  commun  participant  de  l'instinct.  Tous 
les  philosophes  spéculatifs  de  l'Angleterre  se  sont  rattachés 
à  l'une  ou  à  l'autre  des  écoles  fondées  par  Locke  et  par 
Reid.  Le  système  de  ce  dernier  reçut  de  nouveaux  dévelop- 
pements sous  le  nom  de  métaphysique  écossaise ,  à  la  suite 
des  travaux  de  Dugald  Stevvart.  Les  métaphysiciens  anglais 
adoptèrent  pour  la  plupart  les  doctrines  de  Hartley,  qui 
suit  la  bannière  de  Locke.  Les  doctrines  de  ICant  n'obtinrent 
jamais  grand  succès  en  Angleterre,  et  on  s'en  est  toujours  fort 
peu  occupé  dans  ce  pays.  En  1838  ,  cependant,  un  anonyme 
fit  paraître  unetraduction  de  la  Critic/uc  de  la  Raison  pure , 
et  en  1836  K.  Semple  traduisit  la  Mvtaphijsïque  des  Mœurs. 
Tous  les  autres  systèmes  spéculatifs  qui  se  sont  produits 
récemment  en  philosophie  n'ont  d'ailleurs  eu  que  fort  peu 
de  retentissement  en  Angleterre.  Dans  la  philosophie  mo- 
rale on  n'est  pas  revenu  dans  ces  derniers  temps  aux  bases 
suprêmes  de  h  moralité ,  et  on  s'est  borné  à  rester  dans  le 
cercle  de  l'expérience  psychologique ,  par  exemple  Paley, 
Gisborne,  Abercromby  et  ISIackintosh.  La  théorie  philoso- 
phique du  gofit,  que  les  Anglais  appellent  j9AJ/050^Ay  o/cri- 
licism,  n'a  pas  abandonné  non  plus  ce  cercle  des  investiga- 
tions psychologiques,  pas  plus  Kniglit  qu'Alison  ou  Beattie; 
IJugald  Stewart  est  le  seul  qui  se  soit  livré  à  une  étude  plus 
approfondie  de  ces  questions.  Des  traductions  du  Plan  de 
Tenneman  et  de  V Histoire  de  la  Philosophie  de  Ritter 
ont  fait  pénétrer  en  Angleterre  quelques  idées  sur  les  travaux 

uxquels  les  Allemands  se  sont  livrés  au  sujet  de  l'histoire 
de  la  philosophie. 

On  peut  dire  que  les  écrivains  anglais  se  sont  bien 
moins  distingués  par  leurs  travaux  relatifs  à  la  théologie  en 
général  q\ie  par  leurs  recherches  sur  la  philosophie.  On  pos- 
sède toutefois  d'excellents  recueils  de  sermons.  Les  plus 
anciens  sont  ceux  de  Tillotson,  de  Sherlock,  Secker,  Jor- 
tin  ,  Sterne,  Wliitc  et  Blair;  parmi  les  plus  récents,  on  peut 
citer  ceux  de  Havcrlield  ,  Howell,  Evans  et  Sewell.  On  doit 
encore  une  mention  spéciale,  en  raison  du  but  que  l'auteur  s'y 
est  proposé,  au  Discourse  on  Natural  Theologij  de  Broug- 
bam  (Londres,  1835),  et  îi  la  Natural  Theologij  de  Paley 

(nouvelle  édition,  par  Brougham  et  Bell ,  Londres  ,  183G). 

La  jurisprudence  se  borne  tellement  en  Angleterre  à  la 

connaissance  du  droit  national ,  lequel  se  compose  exclusi- 

^ement  de  la  législation  parlementaire  et  de  décisions  déjà 

ieii>iues  sur  certaines  questions  de  droit,  qu'on  peut  i  peine 


ranger  parmi  les  sciences  la  littérature  jurisprudentielle  de 
l'Angleterre.  Elle  se  borne  à  peu  de  chose  près  à  des  col. 
lections  de  lois ,  à  des  questions  spéciales  de  droit  et  à  l'in- 
dication de  ressources  et  de  moyens  pratiques.  L'ouvrage 
de  Wills  :  On  the  nationale  of  circvmstancial  Evidence 
(  Londres,  1838),  fait  exce|>lion.  Citons  dans  la  philoso- 
phie politique  le  Traité  de  la  liberté  par  M.  Mill. 

C'est  tout  récemment  seulement,  c'est-à-dire  depuis  1832, 
à  la  suite  de  la  publication  de  la  Cfjllopedia  of  Pructical 
Medicine,  que  la  médecine  a  commencé  à  agir  en  prenant 
pour  point  de  départ  une  base  scientifique.  Jusqu'à  ce  mo- 
ment elle  était  demeurée  toute  pratique.  Les  anciens  ou- 
vrages des  plus  célèbres  médecins  anglais,  comme  Aber- 
crombie  et  Gooch,  sont  tous  écrits  au  point  de  vue  pratique; 
et  il  en  est  de  même  des  écrits  plus  récents,  publiés  par 
les  plus  célèbres  chirurgiens  anglais,  comme  .\bernethy, 
Cooper  et  Brodie.  La  nouvelle  direction,  au  contraire,  a 
été  suivie  par  Grant  [Comparative  Anatomy,  Londres, 
1835);  Rostock  { Historij  of  Medicine,  Londres,  1835); 
Clark  [Trcatise  on  Pulmonurij  Consumption,  Londres, 
1835);  Copland  {Dictionary  of  pructical  Medicine)] 
Todd  {Cijclopedia  of  Anatomy  and  Physiology,  Londres, 
1835  ),  Scudamore  (  The  Goût  )  ;  Combe  (  Physiology  of  Di- 
gestion );  Johnson  {Economy  of  Health,  Londres,  1H36); 
Millengen  {Curiosities  of  Médical  Expérience)  et  Verity 
(  Changes  produced  in  the  nervoiis  System  by  civilisa- 
tion, Londres ,  1839). 

Parmi  les  sciences  politiques ,  ce  sont  surtout  l'économie 
nationale  et  la  science  de  l'administration  qu'ont  fait  pro- 
gresser les  travaux  d'Adam  Smith,  de  Ricardo,  de  Mal- 
thus  et  de  Mac- Cu  Hoc  h.  Ce  dernier  s'est  rendu  à  bon 
droit  célèbre  par  ses  Principles  of  political  Economy 
(Londres,  1831  ),  et  par  son  précieux  Dictionary  of  Com- 
merce and  Navigation  (1832).  Porter,  en  se  senant  des  tra- 
vaux et  de  l'autorité  de  ses  devanciers ,  a  conduit  ce  sujet 
jusqu'à  nos  jours,  dans  un  livre  aussi  lumineux  que  travaillé 
avec  soin,  qu'il  a  publié  sous  le  titre  de  the  Progress  ofthe 
Nation  (Londres,  1836-1843). 

Les  mathématiques  supérieures ,  l'astronomie  notam- 
ment ,  ont  trouvé  en  Angleterre  de  dignes  représentants 
dans  Ferguson,  Bradley  {Pructical  Geometry,  1835),  Madie 
[Popular  Mathematics,  1837),  Herschel,  Airy,  Challis, 
Dunlop,  South  et  Brinkley. 

Herschel  nous  fait  parfaitement  apprécier  l'état  actuel  des 
sciences  naturelles  en  Angleterre  daiiis  A preliminar y  Dis- 
course on  the  study  of'natural  philosophy ,  (\\xi  fait  partie 
de  la  Cabinet  Cyclopedia  de  Lardner. 

La  physique  est  redevable  d'importants  progrès  aux  ob- 
servations sur  les  oscillations  du  pendule  de  Kater,  aux 
recherches  sur  la  vapeur  et  les  gaz  de  Dal  ton  et  d'Ure,  au 
développement  des  lois  du  rayonnement  de  la  chaleur  de 
Les  lie,  à  la  Théorie  de  la  lumière  de  Herschel,  aux  ob- 
servations sur  la  polarisation  de  la  lumière  de  Brewster, 
et  aux  efforts  faits  par  Young  pour  expliquer  ce  phénomène 
par  la  théorie  de  l'ondulation,  enfin  aux  Eléments  ofPhysic 
{  Londres,  1837  )  de  Webster. 

Dans  le  domaine  de  làchimie  ont  d'abord  brillé  les  noms 
de  Pott,  de  Priestley,  de  Black  et  de  Cavendish, 
puis  ceux  de  Humpb.ry  D  a  v  y ,  Brande,  Dalton ,  W  o  1 1  a  s  t  o  n , 
Faraday,  Ure  (Dictionary  of  Chemistery,  Glasgow, 
1823  ),  Graham  et  Hume  (  Chemical  Attraction,  1842  ). 

Vhisfoire  naturelle  est  loin  d'avoir  fait  en  Angleterre 
autant  de  progrès.  On  n'y  a  attaché ,  n'importe  d'ailleur.s 
pour  quel  motif ,  que  peu  d'importance  aux  nouvelles  théo- 
ries qui  modifiaient  considérablement  la  science,  et  qui.  par 
suite  des  nombreuses  découvertes  faites  sur  le  continent,  de- 
venaient partout  dominantes.  L'ignorance  que  l'on  reproche 
encore  aujourd'hui  aux  naturalistes,  anglais  relativement 
aux  productions  de  ce  genre  de  littérature  à  l'étranger 
est  cause  que  l'Angleterre  était  restée  au  commencement 


ANGLETERUE 


579 


de  ce  siècle  fort  en  arrière ,  sous  ce  rapport,  dfs  Allemands 
et  des  Français.  D'un  tôté,  par  nonclialaiico,  ilii  l'autre, 
par  suite  iruii  st'utiment  de  religiosité  fort  mal  compris, 
on  se  raltailiait  avec  roideur  aux  anciennes  tiioorits.  ^ulle 
parlée  que  l'on  appelait  la  physico-théologie  n'atlominé  aussi 
longlemps  qu'en  Angleterre,  où  de  nos  jours  encore  on  voit 
paraître  des  ouvrages  rigoureusement  scientiliques  tout  ba- 
rioles de  considérations  pieuses,  et  il  n'y  a  pas  de  pays  au 
monde  où  il  soit  moins  iirudont  à  un  homme  exerçant  des 
fonctions  publiques  ou  bien  jouissant  d'une  certaine  réputa- 
tion d'entrer  en  lutte  avec  l'autorité  de  la  Bible  en  dévelop- 
pant des  laits  d'histoire  naturelle.  Les  géologues  surtout  sont 
obligés  d'user  d'\ine  prudence  extrême  et  de  détours.  Il  n'y  a 
pas  si  longlempsque  le  savant  Bucklaml  fut  (orcé,  parsuile 
de  circonstances  demeurées  inconnues,  de  p\iblier  le  désaveu 
de  ses  propres  doctrines  ,  désaveu  qui  ne  saurait  avoir  été 
sincère,  et  consistant  en  efforts  malheureux  faits  pour  mettre 
d'accord  l'histoire  de  la  création  d'après  la  lîible  avec  l'état 
actuel  des  sciences.  Une  des  causes  qui  se  sont  en  outre  op- 
posées en  Angleterre  aux  développements  utiles  de  l'histoire 
naturelle  supérieure,  c'a  été  l'éloignement  des  savants  pour 
ce  genre  de  spéculation  auquel  on  est  redevable  de  tant  de 
résultats  réels.  11  est  rare ,  en  conséquence ,  de  rencontrer, 
môme  chez  les  meilleurs  auteurs  qui  aient  écrit  sur  cette 
science,  un  système  philosophique  rigoureusement  déduit. 
Aux  c<iuses  qui  ont  entravé  le  développement  des  sciences 
naturelles  dans  ce  pays,  il  faut  encore  ajouter  la  manie,  plus 
n'-pandue  en  Angleterre  que  partout  ailleurs,  qui  pousse  une 
foule  de  gens  inoccupés  et  vivant  d'une  fortune  indépendante 
à  s'occuper  en  amateurs  des  sciences  naturelles  et  à  former 
des  collections ,  ce  qui  oblige  les  sociétés  savantes  à  insérer 
dans  leurs  mémoires  les  élucubrations  de  leurs  riches  Mé- 
cènes. Aussi  peut-on  dire  que  le  mérite  delà  littérature  scien- 
tifique anglaise  consiste  plutôt  dans  l'accumulation  d'une 
quantité  presque  incroyable  de  matériaux  tirés  de  toutes  les 
parties  du  monde  ,  et  dans  leur  reproduction  presque  tou- 
jours remarquable  au  moyen  des  arts  du  dessin,  que  dans 
l'utilisation  même  de  ces  matériaux  et  dans  leur  critique. 

La  botanique  est  une  science  en  grande  faveur,  et  que 
favorise  l'existence  d'un  grand  nombre  de  jardins  particu- 
liers d'une  richesse  extrême.  Cependant,  c'est  encore  bien 
plus  comme  science  systématique  que  comme  botanique 
physiologique ,  science  à  laquelle  peu  de  personnes  s'intéres- 
sent en  Angleterre,  et  dans  laquelle  Robert  Brown  et 
John  Lindley  sont  les  seuls  qui  aient  fait  de  grands  travaux. 
En  revanche,  la  littérature  anglaise  est  d'une  ricbesse  ex- 
trême en  ouvrages  de  luxe  du  domaine  de  la  botanique  des- 
criptive ;  soit  en  Flores ,  telles  que  celles  de  l'Inde  et  du 
Nepaul,  par  Wallich  ;  de  Java,  par  Horsfield;  soit  en  mo- 
nographies ,  telles  que  celles  des  cincbona  et  des  pins ,  de 
Lambert ,  et  des  scitaminées  de  Roscoe ,  des  orchidées  de 
Lindley  ou  de  Bateman  ,  des  fougères  de  Greville  ;  soit  en- 
core en  collections ,  telles  que  le  Botanïcal  Magazine, 
recueil  commencé  en  1774,  parW.  Curtis,  et  continué  de 
nos  jours  par  Hooker,  lequel  contient  plus  de  3,000  plan- 
ches ,  et  une  foule  d'autres  par  Andréas  ,  Sweet ,  Loudon  et 
Loddiges.  Indi'i)en(hmmient  des  noms  que  nous  venons  de 
citer ,  il  faut  encore  mentionner,  comme  ayant  bien  mérité 
de  cette  partie  de  la  science ,  ceux  de  G.  Don,  Adr.  Hardy- 
!lawoi-th,  Lewis  Weston  Dillwyn,  Dawson  Turner,  John 
BellciiileuGawkr,  J.  blockhouse,  David  Don,  G.-A.  'Walker- 
Arnolt,  G.  Bentham,   Paxloii  rt  Fortune. 

Dans  le  domaine  de  la  zoologie  les  Anglais  ne  manquent 
pas  non  plus  sans  doute  d'ouvrages  de  luxe,  comme  par 
exemple  les  splendides  monographies  des  kangourous  et  des 
oi.seaux  de  la  Kouvelle-Hollande  par  John  Gould,  VEnlomo- 
iogic  Oii/annif/iie  de  Curtis,  les  œuvres  ornilhologiques  de 
Swainson,  les  Oiseaux  d'Australie,  par  Lewin,  la  Zoologie 
de  l'Afrique  méridionale,  par  André  Smith,  etc.;  mais  c'est 
seulement  depuis  une  vingtaine  d'aiinces  qu'on  a  vu  se  pro- 


duire et  dominer  d;uis  les  ouvrages  de  premier  ordre  un 
esprit  rigoureusement  scienlilique,  dont  sont  complètement 
dé|iourvus  la  jdupart  des  nombreux  correspondants  des  re- 
cueils zoologiques.  La  voie  suivie  avec  tant  de  succès  autre- 
fois par  Hunter  demeura  déserte  et  abandonnée  pendant 
longtemps  ;  cependant  l'.^ngleterre  possède  aujourd'hui  dans 
le  domaine  del'anatomie  comparée  des  savants  qui,  comme 
R.  Owen ,  par  exemple,  peuvent  à  tous  égards  soutenir  la 
comparaison  avec  les  i)lus  célèbres  savants  du  continent,  et 
qui  se  sont  fait  un  nom  durable  pour  l'importance  de  leurs 
travaux  et  de  leurs  découvertes.  L'entomologiste  Mac-Leay 
a  fiiit  preuve  d'un  esprit  éminemment  ph'dosophique.  Le 
système  qu'il  a  imaginé  repose ,  il  est  vrai ,  sur  des  nom- 
bres ,  et  a  été  mal  compris  et  tourné  en  ridicule  par 
beaucoup  de  ceux  qui  sont  venus  après  lui,  comme  R.  Swain- 
son ;  mais  cela  n'empêche  pas  qu'il  ne  soit  encore  aujour- 
dliui  en  grand  crédit.  Yarrel  par  ses  oiseaux  et  poissons  de 
la  Grande-Bretagne,  Richardsonpar  sa  zoologie  de  l'Amérique 
du  Nord,  G.-R.  Gray  par  ses  travaux  sur  les  reptiles  et  les 
animaux  de  l'Inde ,  W.  Kirby  et  W.  Spence,  comme  ento- 
mologistes ,  G.  Johnston,  C.  Forbes  et  Flemming  par  leurs 
recherches  sur  les  animaux  marins  inférieurs ,  Darwin , 
C.-Q.  Waterlioasc ,  J.-C.  Gray,  J.  Reeves,'.T.  Bell,  J.-O. 
Wetswood,  etc.,  ont  prouvé  dans  ces  dernières  années  par 
leurs  ouvrages  combien  ils  avaient  à  cœur  de  fonder  en  An- 
gleterre une  zoologie  scientifique  ;  mais  la  plupart  des  zoo- 
logistes anglais  se  bornent  à  d'arides  systèmes  ,  et  à  publier 
des  monographies  ;  ce  à  quoi ,  à  dire  vrai ,  ils  sont  invités 
d'un  côté  par  l'action  des  sociétés  savantes ,  et  de  l'autre  par 
l'énorme  quantité  de  matériaux  tirés  des  pays  étrangers. 
L'Angleterre  ne  manque  pas  non  plus  de  recueils  périodiques 
consacrés  à  la  culture  de  l'histoire  naturelle.  Les  meilleurs 
sont  le  Magazine  for  ISatural  Jfistory,  rédigé  par  Ilooker  et 
Jardine,  et  les  ouvrages  de  la  Société  Zoologique  de  Londres 
et  de  Dublin.  Parmi  les  productions  les  plus  récentes ,  on 
distingue  surtout  la  Naturalist's Library  de  Jardine,  à  cause 
du  soin  tout  particulier  avec  lequel  elle  est  rédigée.  La  partie 
zoologique  de  la  Cyelopedia  de  Lardner,  qui  a  pour  auteur 
Swainson ,  est  presque  complètement  sans  valeur  ;  mais  la 
plupart  des  articles  fournis  à  la  Cyelopedia  of  Anatomy 
and  Physiology  et  au  Dictionary  of  Arts  and  Sciences 
(Londres ,  1842  ),  par  R.  Owen,  sont  excellents. 

La  minéralogie  et  la  géognosie  sont  bien  jusqu'à  un  cer- 
tain point  des  sciences  nouvelles  en  Angleterre  ;  mais  aussi 
elles  n'en  sont  cultivées  qu'avec  plus  d'ardeur  et  sont  même 
devenues  aujourd'hui  à  la  mode.  L'oryctognosie ,  science 
aride  et  exigeant  une  foule  de  notions  préalables ,  est  bien 
moins  cultivée  que  la  géologie.  Celle-ci,  qui,  à  dire  vrai,  oc- 
cupe davantage  l'imagination,  est  originaire  d'Ecosse,  où 
Ilutton  {Tfieory  of'the  Earth,  2  vol.,  Edimbourg,  1795) 
fonda  le  système  de  la  formation  de  la  terre  par  l'action 
réunie  de  l'eau  et  du  feu.  Le  système  scientifique  de  Werner 
trouva  dans  l'Écossais  J  a  m  e  s  o  n  un  redoutable  adversaire  ; 
et  bientôt  il  se  forma  h  Edimbourg  une  école  particulière 
très-induente.  La  diffusion  toujours  croissante  des  principes 
de  cette  science  eut  pour  résultat  de  faire  créer  des  chaires 
spéciales  de  géologie  dans  les  universités  anglaises,  en  même 
temps  que  les  sociétés  géologiques,  qui  se  créèrent  tant  à 
Londres  que  dans  les  provinces,  virent  s'accroître  rapide- 
ment le  nombre  de  leurs  membres,  et  commencèrent  à  rendre 
publics  leurs  travaux.  Les  efforts  de  ces  sociétés,  les  sacri- 
fices faits  par  quelques  riches  particuliers  et  souvent  aussi 
les  secours  accordés  par  le  gouvernement,  eurent  pour 
résultat  de  faire  singulièrement  avancer  cette  branche  de 
l'histoire  naturelle.  Il  n'y  a  pas  de  pays  au  monde  qui  pos- 
sède une  aussi  grande  (pianlité  de  monographies  géognos- 
liqiies  de  ses  diverses  ])rovinces  que  l'Angleterre;  à  cet 
égard  nous  rappellerons  les  travaux  d'IJenri  T.  Delabêche, 
J.-C.  Portlock,  John  PhiUips,  Connybearc,  IMartcll  Sedg- 
wick,  Bimbury,  Buckland,  Lyell,  etc.  On  a  des  reclierclies 

7J. 


580 


ANGLETERRE 


gi'ognostiqucs  sur  l'Ecosse  par  Jamcson,  Hibbert,  Mac- 
Ciillocli,  Hall  et  Mackensic;  sur  l'Islande,  par  le  même 
Mackensic;  sur  la  Russie,  par  Poulli>f,  et  tout  récemment 
par  Marchison  ;  sur  la  France,  par  Scrcpe  ;  sur  l'Aménipie 
(lu  Sud  et  la  Polynésie,  par  Darwin.  Les  colonies  anglaises  de 
l'Inde,  de  l'Amérique  du  Nord,  de  l'Africpie  et  des  lies  l'al- 
kland,  ont  également  été  l'objet  de  rechcrclies  géognostiques. 
Les  pétrifications  dont  abonde  l'Angleterre,  plus  particulière- 
ment celles  de  formation  crayeuse,  ont  donné  lieu  à  de  nom- 
breux travaux,  notamment  de  la  part  do  Parkenson  (1804- 
1822),  de  Buckland  (Orgnnic  Remahis,  Londres.,  1823), 
IMantcl,  Conybeare,  Sowerby  etR.  Owen.  Les  opinions  des 
(.géologues  anglais  ne  sont  point  généralement  adoptées  sur  le 
continent;  mais  leurs  travaux  méritent  d'autant  plus  notre 
reconnaissance  que  les  discussions  mêmes  qu'ils  ont  provo- 
quées ont  contribué  à  élargir  le  cercle  de  la  science.  Dans 
le  grand  nombre  de  manuels  de  géognosie  que  possède 
l'Angleterre,  nous  mentionnerons  ceux  de  Delabôche  (  Geo- 
lorjical  Manual,  3'  édit.,  Londres,  1841  );  Ch.Lyell(Pnn- 
ciplcsof  Geology,  4  vol.,  6"  édit.,  Londres,  1842),  et  I3ac- 
kewell  {Introduction  to  Gcologij ,  Londres,  1828).  Les 
Transactions  et  les  Procecdings  de  la  Société  Géologique 
britannique  sont  indispensables  à  tout  homme  qui  s'occupe 
de  géologie. 

Dès  le  dix-luiitième  siècle  on  peut  citer  les  historiens  an- 
glais comme  modèles  pour  la  manière  d'écrire  V histoire.  Les 
grandes  histoires  universelles  de  Guthrie  et  de  Gray  sont 
particulièrement  estimées.  Les  productions  les  plus  distin- 
guées, au  point  de  vue  du  style  et  des  investigations,  qui  pa- 
rurent ensuite,  furent  les  Histoires  d'Amérique  et  d'Ecosse 
par  Robert  son,  d'Angleterre  par  H  u  m  e ,  d'Angleterre  , 
de  Rome  et  de  la  Grèce  par  Goldsmitli ,  de  la  république 
romaine  par  Ferguson,  delà  décadence  de  l'empire  ro- 
main par  Gibbon,  delà  Grècepar  Gillies  et  par  Mitford. 
Après  l'excellente  Constitutiomial  History  of  Englan(Jt  de 
llallam  (3"  édit.,  Londres,  1832)  parut  l'ouvrage  de  Pal- 
grave,  The  Rise  and  Progrcss  of  English  Commonwealth 
(  Londres,  1832),  qui  fait  si  bien  connaître  l'origine  et  le  dé- 
veloppement des  institutions  politiques  de  l'Angleterre.  L'é- 
poque la  plus  rapprochée  de  nous  ne  manque  pas  non  plus 
d'honorables  tentatives  faites  pour  explorer  le  domaine  des 
sciences  historiques  ;  mais  la  plupart  de  ceux  qui  se  sont  oc- 
cupes de  riiistoire  d'Angleterre,  tels  que  Smoll  et,  Turner, 
Falgrave,  Lingard,  Fox,  Godwin,  Mahon,  Southey,  Mac- 
kintosh,  Williams  (The  Seven  Ages  of  England,  Londres, 
ls;5G),  Wade  {British  History,  Londres,  1839),  ou  bien  de 
celle  d'Ecosse,  comme  Scott,  Tytler,  Maxwell  [Charles' s  ex- 
pédition toScotland,  1745;  Ëdinb.,  1841),  ou  de  l'Irlande, 
(ommc  O'  Driscol,  Lenioet  More,  ont  encouru  le  reproche 
fondé  d'avoir  employé  leur  plume  tantôt  dans  un  but  poli- 
tiijiip,  tantôt  dans  un  intérêt  religieux.  Macaulay,  dans 
sou  Histoire  d'Angleterre  Aft^uh  Jacques  II,  n'est  peut- 
être  pas  plus  impartial,  mais  il  est  du  moins  toujours  vrai,  et 
il  est  aussi  attachant  que  libéral.  Il  y  donne  aux  Anglais 
une  grande  peinture  de  la  vie  de  leurs  ancêtres.  Les  ouvrages 
sur  l'histoire  des  possessions  britanniques  «lans  les  Indes 
composés  par  Mill,  Malcolm,  Glei;;  {History  of  British 
fndiu,  Londres,  1835)  et  Johnson,  ont  obtenu  un  succès 
mérité.  On  estime  aussi  tout  particulièrement  les  His- 
toires des  colonies  anglaises  par  Montgomery  et  par  Martin, 
de  la  guerre  d'Espagne  (  1807-1814  )  par  Soutisey  et  Kapier, 
delà  révolution  française  par  Alison  (1S35),  Lahaume  (1S3G) 
etCarlyle  (is37),de  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne  par 
Mahon,  de  l'Espagne  sous  Philippe  IV  et  de  Charles  II  par 
Dunlop,  Ihe  Conquest  nf  Florida  by  IJernando  de  Soto, 
parTh.  Irwing  (1835), //;e  History  of  Ferdinand  and  Jsa- 
l/ell  ofSpain ,  par  Prcscott  (1838),  de  l'Europe  moderne  par 
.Inlm  Russell,  de  rAllcmagne  par  Greenwood  et  par  Strang 
(!837),  de  l'Europe  au  temps  de  la  révolution  française  par 
AlisoH,  du  Brésil  par  Armitage,  de  la  Cliinc  par  Gutziaff, 


d'Athènes  par  Bulwer,  de  l'empire  romain  par  Knighllev, 
delà  révolution  belge  par  White  (1835),  des  Etats-Unis 
de  l'Amérique  du  Xord  par  Graham  (1827-1835),  de  la  Ré- 
formation par  Stebbing  (1830);  Qiieen  EUzabeth  and  her 
Times,  par  Wright  (1838)  ;  The  Aormans  in  Sicily,  par 
Knight  (  1838  )  ;  les  Memoirs  ofthe  Life  and  Character  of 
Henri  V,  par  Tyler  (  1838);  History  ofthe  Irish  nebeliton 
of  1798,  par  Harwood  (  1844  ),  et  en  général  les  Prohtsiones 
historicx  de  Duke  (1837).  Citons  encore  parmi  les  histo- 
riens contemporains  Grote  et  Carlyle.  Une  incroyable  quan- 
tité d'ouvrages  de  plus  ou  moins  d'étendue,  mais  dont  la 
[ihipart  rentrent  plutôt  dans  la  catégorie  des  Mémoires,  ont 
été  provoqués  par  les  événements  accomplis  dans  l'Afgha- 
nistan, pendant  les  guerres  de  la  Chine  et  l'insurrection  de 
rin(h;  ;  dans  le  nombre  on  doit  signaler  surtout  les  Disas- 
ters in  Afghanistan,  par  lady  Sale  (  Londres,  1843). 

l>armi  les  motifs  qui  ont  contribué  à  rendre  la  littérature 
anglaise  l'une  des  plus  riches  en  biographies  que  l'on  con- 
naisse, il  faut  ranger  en  première  ligne  un  sentiment  louable 
de  respect  et  de  reconnaissance  pour  la  mémoire  des  hommes 
qui  ont  bien  mérité  de  leurs  semblables.  Si  l'on  est  en  droit 
de  dire  qu'il  a  été  réuni  bien  plus  de  matériaux  qu'on  n'en 
a  réellement  su  utiliser,  il  y  a  de  nombreuses  et  honorables 
exceptions  à  faire.  Nommons  d'abord  parmi  les  recueils  bio- 
graphiques, la  ^io^rapAia  Britannica,  le  General  Biogra- 
phical  Dictionary  de  Aikin (Londres,  17i)9-l815,  lOvol.), 
et  celui  de  Chalmers  (  39  vol.,  Londres,  1812-1817),  l'En- 
glish  Cyclopxdia  et  les  Men  of  the  Time.  Comme  biogra- 
phies, il  faut  citer  celles  d'Erasme,  par  Jortin;  de  Jo/inson 
par  iioswell;  de  Ciccron,  par  Middleton;  de  Milton  et  de 
Cooper,  par  Hayley  ;  de  Locke,  par  King  ;  de  Laurent  de  Mé- 
dias et  de  Léon  X,  par  Roscoe  ;  de  Hume,  par  Ritchie  ;  de 
Washington,  par  IMarshall;de  Byron  et  de  Fitz-Geratd , 
par  Moore  ;  de  Moi'e,  par  Cayley  ;  de  Newton,  par  Brewster  ; 
de  Marlborough,  par  Coxe;  de  Jacques  II,  par  Clarke;  de 
Charles  /'"'",  par  Disraeli;  de  Napoléon,  par  Scott  ;  de  Bent- 
ley ,  par  Monk  ;  de  Nelson,  par  Southey  ;  les  Peintres,  les 
Sculpteurs  et  les  Architectes  célèbres  de  la  Grande-Bre- 
tagne, par  Cunningham  ;  les  Écossais  illustres,  par  Chambers, 
dans  son  Scotish  Biographical  Dictionary  ;  de  Christ.  Co- 
lomb, par  Irwing;  de  mistress  Siddons,  par  Campbell;  des 
Reines  d'Angleterre,  par  Agnès  Strickland;  de  Walter 
Scott,  par  Lockhart  ;  de  Coleridge,  par  Gillmann  ;  de  Felicie 
Hemuns,  par  Chorley  ;  et  de  Humpliry  Davy,  par  Davy.  En 
1835  ont  paru  les  biographies  de  lord  Bolingbrocke ,  par 
Cook  ;  de  Haie,  par  W'illiams  ;  de  l'évêque  i/e6er,parTaylor  ; 
du  général  Picton,  par  Robinson  ;  de  Georges  III ,  par  Ho- 
ving  ;  de  Kean,  pai-  Cornwall  ;  de  James  Mackintosh,  par  Mac- 
kintosh;  de  Runjet  Singh,  par  Prinsep  ;  et  de  Coivper,  par 
Southey  ;  en  1830,  celles  de  Joshua  Reynolds,  par  Beechey  ; 
d'Edouard,  le  Prince  Noir,  par  James;  de  lord  Clive,  par 
Malcoira  ;  des  hommes  d'État  anglais  célèbres,  par  Forster  ;  de 
William  Temple,  par  Courtenay  ;  de  John  Jebb,  par  Forster  ; 
de  John  Selden,  par  Jolmson  ;  des  hommes  d'État  étrangers, 
par  James;  en  1837,  celles  du  comte  Howe,  parBarrow;de 
Chatterton,  par  Dix;  d'Edouard  Cohn,  par  Johnson;  de 
Gn/dsmith,  par  Prior;  de  Jefferson,  par  ïucker  ;  de  John 
Sinclair,  par  Sinclair;  de  Charles  Lamb,  par  Talfourd;  en 
IS38,  celles  des  Reines  d'Angletene  du  douzième  siècle,  par 
iîannah  Sinclair  ;  de  Joseph  H  oit,  par  Croker;  de  Grimaldi, 
par  Dickens;  de  John  earl  of  Saint-Vincent,  parBrenton; 
de  Nathaniel  Boivditch,  par  Young;  de  Jenner,  par  Baron , 
et  Wilberforce's  Life  by  his  Sons  ;  en  1840,  Memoirs  ofthe 
princess  Daschkow  ei  iMemoirs  ofthe  Life  of  Sam.  Ro- 
milly,  by  his  sons  ;  en  1841,  celles  de  L.-C.  Landon,  par 
Blanchard  ;  et  de  Pétrarque,  par  Campbell  ;  en  1842,  celle  de 
Susannci?/(7?îii/T,parLonsdaleet  Maxwell;  en  1843,  Robert 
Pollock,  par  Pollock;  Wilkie,  par  Cunningham  ;  Memoirs 
of  Charles  Mathews,  by  his  icife  (WiS-lSii);  A9,lky  Coo- 
per, par  Cooper ,  etc.,  etc. 


AMILKTKURE 


iS» 


Bioii  que  la  passion  di-s  voyages,  qui  osl  parliculiore  aux 
Anglais,  riiabitude  où  ils  sont  d'ericr  sous  toutes  les  zones 
et  <ie  vivre  nu  iniliou  de  tous  les  peuples,  jointes  ;\  la  manie 
de  rétrivasserie,  (jui  est  la  maladie  du  dix-neuvième  siècle , 
fassent  déjà  prévoir  que  les  rccifs  de  voijoges  ainsi  que  les 
dcsciipdous  de  pays  et  les  peintures  des  mœurs  cfran- 
gères  doivent  constituer  une  partie  considérable  de  la  litté- 
rature anglaise ,  on  iieut  dire  à  cet  égard  que  les  ouviages 
dece  genre  qui  ont  paru  depuis  une  trentaine  d'années  dépas- 
sent les  limites  de  limaginalion.  Sans  doute  il  y  a  beaucoup 
de  fatras  dans  tout  cela ,  beaucoup  d'ivraie  et  peu  de  bon 
gniin  ;  mais  il  y  a  justice  à  reconnaître  que,  si  réduite  qu'elle 
soit,  la  quantité  de  ce  bon  grain  ne  permet  que  de  présenter 
en  aperçu,  et  de  la  manière  la  p!js  succincte,  comme  une  es- 
pèce d'inventaire  sommaire  des  viclicsses  de  cette  nature  qui 
encombrent  les  rayons  des  bibliothèques.  ÏNous  ne  remon- 
terons pas  plus  haut  qu'à  la  publication  des  voyages  de  Parry 
et  de  l'rankliu  au  polc  nord  (  ils  ont  été  abrégés  en  1830)  et 
à  celle  du  voyage  des  frères  Beecliey  sur  la  côte  septen- 
trionale de  l'Afrique  (1828).  ^■ous  mentionnerons  ensuite 
en  fait  de  publications  de  ce  genre  :  en  1829 ,  les  voyages 
(le  Ward  et  de  Hardy  au  Mexique ,  d'Everest  en  Norvège 
et  en  Laponie  ,  de  Macrarlane  et  de  Frankland  à  Constanti- 
nople,  de  Mignan  en  ClialJée  ;  en  is.'tl ,  le  voyage  de  Bee- 
cbey  dans  la  mer  PacUique  ;  en  1 832  ,  les  voyages  de  Skinner 
et  de  ^lundy  aux  Indes,  de  Carie  à  Terre-Neuve,  et  les  des- 
criptions de  l'Orient  de  Carne;  en  1833,  les  voyages  de 
-Malcolm  et  de  Fraser  en  Perse;  en  1834,  les  voyages  de 
lîoteler  à  travers  l'Afrique  et  l'Arabie  ;  de  Pringle ,  de  Moodie 
et  de  Steedeman  au  sud  de  l'Afrique;  en  1835,  Visit  to 
Alesandria,  Damascus  and  Jérusalem ,  par  Hogg;  Alger 
et  la  Berberie  par  Lord  ;  les  voyages  de  Sliireff ,  de  mistress 
l'uttler,  d'Abdy  et  de  Latrobe  dans  l'Amérique  du  Nord, 
Yisit  to  Iceland  pur  Barrow  ,  Scandinavian  Sketches 
par  Breton,  Résidence  in  C/^ûm  par  Abeel,  Voyages  en 
JloUande  et  en  Belgique  par  Clausade,  A  steam  Voyage 
doicn  tlie  Danube  par  Quin ,  Travels  in  Ethiopia  par 
Hoskin ,  les  voyages  autour  du  inonde  par  Holman  et  par 
Wi'.son,  A  summer  Ramble  in  Syria  par  Monro,  le  second 
voyage  de  découvertes  de  Ross,  Exeursion  in  the  Medi- 
tcrranean  par  Temple ,  Sketch  qf  Bernnida  par  Harriet 
Lloyd,  Scènes  and  characterislics  qf  Hindostan  par  Em- 
ma lîoberts,  et  Résidence  in  the  V.'est-Indies  par  Madden; 
en  IS3C,  les  voyages  à  la  côte  d'Afrique  par  Isaac ,  Im- 
pressions of  America  par  Power,  les  voyages  au  pôle  nord 
de  Back  et  de  King,  Manners  and  Ciistoms  of  the  modem 
Egyptiens  par  Lnne ,  les  voyages  de  Gardiner  au  pays  de 
Zo-  lou,  dans  le  sud  de  l'Afrique,  de  Temple  en  Grèce  et  en 
Turquie,  de  Leake  au  nord  de  la  Grèce;  Visit  to  some parts 
of  Uaiti  par  Hanna,  Journey  overland  to  India  par 
Skinner,  le  voyage  autour  de  l'Irlande  par  Barrow ,  Rési- 
dence in  Koordistan  par  Rich,  Résidence  in  Norwuy  par 
Laing,  Rambles  in  .1/c.rico  par  Latrobe,  le  voyage  de  Smytli 
et  Lowe  de  Lima  à  Para;  en  1837,  Expédition  in  the 
interior  qf  Africa  parLaird  et  Oldfield,  Society  in  America 
par  miss  Harriet  Mailineau,  Rise  and  progress  of  the  bri- 
t'sh  power  in  India  par  Auber,  Letters  from  the  South 
par  Campbell,  les  voyages  de  Spencer  en  Circassie,  City  of 
the  Sultan  par  miss  Pardoe, Excursions  en  Grèce  par  Co- 
clirane.  Excursions  in  the  Abruzzi  par  Craven  ,  Rambles 
in  Egypt  and  Candia  par  Scott,  Résidence  in  Grecce  and 
Turiicy  par  Hen'é,  the  West-Indies  par  Halliilay ,  Visit  to 
the  greal  Oasis  of  the  Libyan  désert  par  Hoskins,  Modem 
India  par  Spiy,  Turkey,  Greece  and  Malta  par  Slade;  en 

1838,  les  voyages  de  Wellsted  en  Arabie,  Vienne  and  the 
Austrians  par  mistress Trollope,  Damascus  and  Palmyra 
par  Addison,  Men  and  things  in  America  par  Tliomason, 
voyage  autour  du  raondeparRuslienberg,S/j;  Years  in  Jlis- 
cay  par  Bacon,  et  Tîie  Spirit  qf  the  East  par  L'rqtiliart; 
en    1839,    Domestic  Scènes  in    llnssia    par    Yenai'ie , 


Six  Years  résidence  in  Algiers  par  mistress  Broughton , 
\  oyage  à  travers  le  Connauglit  par  Otway ,  Ruenos  Ayrcs 
par  Parisli,  et  les  Voyages  de  IMurray  dans  l'Amériqiie  du 
Nord;  en  1840,  les  Voyages  de  Geramb  en  Palestine,  en 
Egypte  et  en  Syrie,  Austria  par  Turnbull,  Eleven  Years 
in  Ceylon  par  Forbes,  Travels  to  the  City  of  the  Caliphs 
par  \Vellstcd,  les  voyages  de  Southgate  en  Arménie  et  dans 
le  Kourdistan,  de  Fraser  dans  le  Kourdistan,  Manners  and 
Customs  of  the  New  Zcalanders  par  Polack  ,  Séjour  en 
Circassie  par  Bell ,  A  Winter  in  the  West  Indies  par 
Gurney,  The  City  ofthe  Magyars  par  miss  Pardoe,  Ireland 
par  M.  et  madame  Hall;  en  1841,  Patchicock  par  Basil 
Hall,  Notes  on  the  United-States  of  North  America  par 
Combe,  Jea:,'?.";  par  Kennedj-,  A  Summer  in  tcestcrn  France 
par  mistress  Trollope,  les  Voyages  de  Stephen  dans  l'Amé- 
rique centrale,  au  Chapas  et  dans  l'Yucatan,  de  Barrow 
en  Lombardie,  en  Tyrol  et  en  Bavière,  Fersia  par  Fowler, 
The  Canadas  par  Bonnycastle,  et  North  West  and  Wes- 
tern Australia  par  Gray;  eu  1842,  Manners,  customs 
and  condition  ofthe  North  American  Indians  par  Catlin, 
New  Zealand ,  South  Australia  and  Nevj  South  Wales 
par  Jameson,  Visit  to  the  United-States  par  Sturge, Voyage 
et  séjour  au  Caboul  par  Burne,  Greece  revisiled  and 
Sketches  ni  lou-er  Egijpt  par  Garston ,  The  Hungaria7i 
Castles  par  miss  Pardoe,  Missionary  Labours  in  Southern 
Africa , voyage  dans  le  pays  de  Kashmir  par  Vigne,  New- 
Foundland  in  1 842  par  Bonnycastle ,  Voyage  daiis  le  Be- 
loudchistaa ,  l'Afghanistan  et  le  Pundschab  par  .Masson 
A7nerica7i  Notes  par  Dickens,  et  Résidence  on  tlie Mcsquito 
Shore  par  Young;  en  1843  ,  Life  in  Mexico  [lar  madame 
Calderon  de  la  Barca ,  Change  for  the  American  Notes , 
Expédition  to  the  Niger,  par  Mac  William  ,  Discoveries 
on  the  north  Coast  of  America  par  Simpson,  Ceylon  par 
Campbell;  en  1844,  the  Highlunds  of  ^Ethiojiia  par 
Harris.  Indiquons  encore  les  voyages  de  Liviiigstoue , 
Taylor,  Tennent,  Maciure,  Kane,   etc.,  etc. 

[  Place  au  géant  littéraire  de  la  Grande-Bretagne  et  de 
l'Europe,  au  roman  !  Là  se  réfugient  tous  les  talents  avides 
de  gloire;  toutes  les  étincelles  éparses  de  style  et  de  sensi- 
bilité se  groupent  et  se  pressent  autour  de  ce  dernier  sanc- 
tuaire. Qu'est-ce  que  le  roman.'  Une  forme;  pas  même  une 
forme,  un  prétexte,  un  mot,  une  excuse.  Il  a  tout  absorbé; 
les  plus  bassesintelligences  s'emparent  de  lui,  les  plus  hautes 
descendent  jusqu'à  lui.  A  une  certaine  époque  toutes  les 
idées  se  rédigeaient  en  drame  ,  parce  que  le  drame  est  ac- 
tion, et  que  l'Europe  agissait,  brandissant  l'épée,  arborant 
la  croix,  chantant  des  sérénades.  Plus  tard,  l'action  s'é- 
tant  affaiblie  et  le  rêve  dominant,  vous  avez  vu  s'étendre  le 
sceptre  du  roman,  qui  est  le  rêve.  Son  procédé  ductile  se 
prête  à  tout.  On  l'a  vu  histoire,  on  l'a  vu  économie  poli- 
tique, on  l'a  vu  satire  et  biographie  ;  il  deviendra  palingéné- 
sie,  utopie,  industrie,  commerce,  politique.  Entassez  toutes 
ces  vapeurs,  amenez  ces  nuages,  colorez-les  de  mille  arcs- 
en-ciel,  anime/.-les  de  tous  les  prismes;  à  travers  ces  lueurs 
équivoques  et  ces  ombres  rayonnantes,  montrez-nous  des 
villes,  des  harems,  des  salons,  des  ermitages,  des  héros  et 
des  armures;  indiquez,  à  travers  ces  voiles,  je  ne  sais  quels 
systèmes,  dont  le  soleil  lointain  rayonne  et  s'évanouit  tour 
à  tour;  faites  passer  sous  l'o-il  du  lecteur  le  vieux  Paris,  le 
vieux  Londres,  les  Flandres  insurgées,  les  républiques  ita- 
liennes. Rien  de  plus  séduisant  pour  une  époque  incertaine, 
qui  ne  se  connaît  i)as  elle-même,  qui  adopte  tous  les  prin- 
cipes, rejette  toutes  les  croyances,  se  joue  de  toutes  les  clar- 
tés et  de  toutes  les  ombres,  et  trouve  une  volnplé  dans  ce 
crépuscule  coloré  qui  l'environne.  —  Le  roman  a  débuté 
dans  les  premières  années  du  seizième  siècle  par  des  imi- 
tations en  prose  d'anciens  poèmes  héroïques,  du  cycle  do 
Charlemagne  et  de  ses  paladins,  du  roi  Arliuir  et  de  la 
Table-Ronde  ;  il  a  continué  de  se  développer  justpi'à  nos  jours 
en  affeitaiU  les  formes  les  plus  diverses.  H  se  produisit  d'à  - 


S82  ANGLI 

l)ord  sous  la  forme  de  nouvelles  traduites  de  l'italien  par 
Spenser  et  par  Aphra  Baher.  11  sVIeva  ensuite  jusqu'à 
la  tendance  morale  dans  le  Rob'inson  Cnisoé,  de  Daniel 
<le  Foë  (1719).  Puis  il  se  transforma  en  satire,  et  prit 
Swift  pour  interprète;  Richard  son  en  lit  rcs[)ion  do  la 
vie  de  famille.  Sous  la  plume  de  l'iclding  il  représenta 
honnêtement  ce  (pie  sont  les  liommcs,  comment  ils  pensent 
et  comment  ils  aj^issent;  sous  celle  de  Sterne  il  devint  nV 
veur et  sentimental.  Horace  Waipole,  (Uns, le  Château d'O- 
traiite,  lui  donna  les  allures  les  plus  hardies,  tandis  que  la 
puissante  imagination  (l'Anne  Hadcliffe  s'en  servait  pour 
entasser  montagnes  sur  montagnes,  événements  incroyables 
sur  conq)lications  impossibles. 

L'école  de  Walter  Scott,  résurrection  colorée  de  l'his- 
toire, genre  borné  d'ailleurs,  perdit  sa  première  vogue 
après  la  mort  du  maître.  Ses  imitateurs  avaient  pris  l'om- 
bre pour  la  proie  et  le  costume  pour  le  héros.  Ce  fracas 
d'armures,  ce  rayonnement  de  lances,  ces  sculptures  de 
boiseries,  ces  inventaires  de  mobiliers,  lassèrent  bient(jt  la 
patience;  tous  les  vieux,  meubles  rentrèrent  au  magasin. 
James,  auteur  de  Darnley,  Delorme,  Philippe-Auguste, 
a  inventé  des  ressorts  dramatiques  et  suivi  avec  fidélité  les 
documents  de  l'histoire.  On  regrette  de  ne  pas  trouver  chez 
lui  cette  variété  de  figures  et  cette  intéressante  année  de 
personnages,  bien  étu(iiés  et  bien  compris,  qui  font  des  œu- 
vres de  \N  aller  Scott  un  monde  réel,  vivant  et  animé.  Ho- 
race Smilh,  auieur  de  Brumbletijc  Hall,  jette  plus  de 
mouvement  dans  ses  tableaux  ;  mais  le  soin  minutieux  a^  ec 
lequel  il  en  termine  les  détails  nuit  à  l'intérêt  et  à  la  sim- 
plicité de  l'ensemble.  Le  génie  épique  de  Scott,  ce  miroir 
vaste  et  lumineux,  n'a  pas  reparu  depuis  sa  mort.  —  En 
revanche,  le  roman  s'est  subdivisé  à  l'infini  :  à  côté  du 
roman  historique,  il  faut  nommer  et  compter  le  roman  mi- 
litaire, maritime,  fashion.ible,  bourgeois,  écoaomique,  po- 
litique, facétieux,  populaire.  Nous  n'approuvons  point  ce 
morcellement,  commode  pour  l'écrivain,  incomplet  dans  son 
résultat,  et  qui  ne  présente  qu'une  seule  facette  du  monde. 
Pourquoi  rétrécir  le  champ  de  l'observation?  L'auteur  de 
Don  Quicho/te  esquissait  le  paysan  et  le  grand  d'Espagne, 
les  haillons  de  l'un,  le  velours  de  l'autre,  et  sous  foutes  les 
étoffes  il  sentait  le  cœur  battre.  Voici  Jlarryat,  qui  peint 
les  navires  et  les  équipages;  Gleig,  les  soldats;  lord  Nor- 
man b  y,  les  salons  ;  H  o  o  k,  les  bourgeois  ;  miss  M  a  r  t  i  n  e  a  u, 
les  ouvriers  ;  Galt ,  les  membres  du  parlement  ;Dickens,Ies 
escrocs  et  les  cochers  de  fiacre;  Hood,  les  commis  et  les 
bonnes  d'enfants;  miss  iMitford,  les  épiciers  de  village  et  les 
renliexs  retires.  C'est  une  interminable  série  de  monogra- 
phies exécutées  avec  une  patience  chinoise;  le  travail  d'une 
analyse  faite  à  la  loupe,  sur  tous  les  pores  et  tous  les  sillons 
<|u:  se  croisent  à  l'épiilerme  de  la  société.  On  peut  classer 
cette  foule  d'atomes  en  deux  vastes  divisions  :  les  romans 
(pii  prétendent  initier  le  lecteur  au  monde  comme  il  faut,  la 
])lupart  émanent  de  plumes  roturières  ;  et  ceux  qui  repro- 
duisent les  mo-urs  du  peuple,  la  lionne  compagnie  s'en 
amuse,  l'aiierons-nous  des/(/.s/;;o»r??;?(?.s  novels,  avec  leur 
soie  et  leur  velours,  leurs  grimaces  d'élégance,  leur  code  d'éti- 
quette, leurs  gants  jaunes,  leur  babil  sur  le  turf  et  sur  la 
plus  légitime  manière  de  tenir  sa  fourchette  et  de  se  pré- 
senter dans  un  salon?  Ward,  Lister,  lord  Norinanhy,  mis- 
Iress  Gore,  joignent  à  ces  enseignements  des  observations 
assez  délicates.  La  bourgeoisie  enrichie  lève  les  yeux  avec 
envie  vers  ces  régions  du  privilège  ;  elle  tente  d'imiter  l'art 
de  se  taire  spirituellement  et  de  poser  avec  grâce;  elle 
achète  des  hôtels,  loue  des  valets,  nage  dans  l'or  et  le  ri- 
dicule, et  se  laisse  peindre  par  un  homme  d'esprit  qui  aime 
trop  la  caricature,  Théodore  Hook,  auteur  des  SayDigs  and 
JJoings,  talent  ^if,  mordant,  qui  défend  la  cause  conser- 
vatrice, connue  le  font  d'ailleurs  la  plupart  des  talents  en 
Angleterre.  Il  réussit  à  produire  la  classe  aspirante,  cette 
classe  de  chrysalides,  suspendue  encore  entre  le  commerce 


iTERRE 

auquel  elle  doit  sa  fortune,  et  la  noblesse  dont  elle  espère 
le  baptême.  Pendant  ce  temps,  la  vieille  Angleterre,  l'An- 
gleterre de  la  campagne,  demeure  intacte;  elle  travaQle, 
laboure  ou  sommeille  dans  ses  petits  villages  fleuris  et  mous- 
sus, sous  les  ombres  modestes  de  ses  collines  vertes,  et 
sous  la  protection  de  ses  clochers  normands.  Marie  Howitt 
et  miss  IMitford  redisent  ces  labeurs  et  ce  repos  ;  leurs  pa^es 
ont  en  général  plus  de  charme  et  de  valeur;  leur  analyse 
s'adresse  à  des  détails  moins  fugitifs  et  plus  touchants.  Les 
Provincial  Sketcfics,  ouvrage  anonyme,  offrent  dans  ce 
genre  une  raillerie  originale  et  très-acérée.  Mais  le  cri  de  la 
réforme  se  fait  entendre  ;  une  foule  abusée  imagine  que  le 
mécanisme  social  peut  se  réparer  comme  une  horloge  :  miss 
;\Iartineau  prend  la  plume,  et  rédige,  en  forme  de  contes 
les  dogmes  de  la  statistique,  science  positive,  qui  réduit  les 
chimères  à  l'état  solide  et  enferme  des  données  vagues  dans 
des  chiffres  d'airain.  Quelques-uns  raillent  les  nouveaux  tra- 
vers nés  de  ces  erreurs  :  cette  jalousie  donnée  pour  sublime 
et  ce  fanatisme  de  la  matière,  et  cette  théologie  du  chiffre, 
et  ce  mysticisme  de  l'or.  L'Écossais  Galt,  en  deux  excel- 
lents petits  pamphlets  costumés  en  romans ,  frappe  l'in- 
différence des  uns,  la  cupidité  et  l'envie  des  antres.  Des 
sentiments  ou  des  idées  que  la  société  anglaise  jette  an  vent 
de  l'observation,  rien  ne  se  perd  ;  tout  se  tourne  en  roman, 
môme  le  calembour.  Il  arriva  ensuite  un  certain  honmi»; 
d'esprit,  qui  se  nommaitHood,etquitravailla  constamment 
dans  ce  genre  singulier,  à  raison  de  six  volumes  p-ir  année, 
de  douze  contes  par  volume  et  de  deux  calembours  par 
ligne  ;  /)(/?(S^er  infatigable,  (\m  n'étuil  condamné  à  ce  métier 
par  aucun  édit  du  parlement,  il  en  fit  en  vers,  il  en  (it  eu 
prose,  il  les  déclama,  il  les  invent;),  ii  les  rêva, il  les  im- 
prima, il  les  dessina,  il  les  grava  et  les  lithogripUia  lui- 
même.  Dans  cet  atelier  hnmense  du  roman,  tout  se  forge  à 
neuf  :  une  perpétuelle  fournaise  bruit  ;  toutes  les  réalités  de- 
viennent fictions,  et  toutes  les  fictions  réalités.  —  Les  mé- 
langes de  Southey  publiés  sous  ce  titre  :  Tfie  Doctor, 
ressemblent  un  peu  aux  Petits  Mélanges  tires  d'une 
grande  bibliothèque,  par  Charles  Nodier,  il  y  a  cependant 
chez  l'écrivain  anglais  moins  d'ordre,  plus  de  bizarrerie, 
des  coudées  plus  franches,  un  ton  plus  étrange,  une  indé- 
pendance plus  réelle.  Malgré  nos  airs  de  liberté  et  de  ca- 
l)rice,  nous  sommes  toujours  parfaitement .  soumis  aux 
lisières  monarchiques  ;  la  convenance  nous  reste,  faute  de 
vertu  ;  une  béquille,  faute  de  force.  Pour  le  savoir  et  l'es- 
prit fin,  brillant,  la  malice  secrète,  les  jouissances  d'érudit, 
le  carnaval  des  vieux  livres,  la  joie  causée  par  une  citation 
inattendue,  le  bon  style,  la  bonne  grâce,  le  bon  sens  sati- 
rique et  doux,  les  deux  écrivains  se  valent.  Southey  a  osé, 
dans  son  livre  de  mélanges,  tout  ce  que  Charles  Nodier  avait 
tenté  dans  son  Roi  de  Bohème,  roman  qui  a  passé  pour 
fou  et  qui  ne  l'est  pas.  On  trouve  dans  le  Docteur  toutes 
sortes  de  choses  :  la  friperie  des  citations,  la  biographie,  le 
conte  pour  rire,  l'anecdote,  la  dissertation,  le  portrait,  la 
poésie  ,  la  nouvelle ,  le  sermon  s'y  coudoient.  Quelques 
chapitres  ont  deux  lignes,  d'autres  ont  cent  pages.  Le  vieil- 
lard, qui  s'amusait,  n'a  oublié  ni  la  postface,  qui  est  à  la 
tète;  ni  la  préface,  qui  est  à  la  queue;  ni  V interface,  qui 
occupe  le  centre.  Vous  rencontrez  aussi  des  préludes,  des 
interludes,  sous-chapitres,  intcrcalations,  et  autres  fo- 
lies, que  je  ne  vous  donne  point  |)our  des  modèles,  mais  qui 
ont  peu  d'importance,  et  qui  ne  sont  après  tout  que  l'en- 
veloppe de  l'ouvrage.  Soulevez  cette  enveloppe,  vous  trou» 
verez  un  trésor  de  citations  ravissantes,  extraites  de  poètes 
oubliés,  de  prosateurs  inconnus,  d'écrivains  fantastiques, 
une  guirlande  de  ces  fleurs  que  le  temps  ne  fane  pas,  la 
quintes-sence  de  trente  mille  volumes,  tout  le  portefeuille  du 
vieux  savant,  et  d'un  savant  à  l'âme  poétique,  vidé  pour 
nos  menus  plaisirs.  Quel  écrivain,  si  misérable  et  si  cliétif, 
n'a  pas  produit  un  jour  quelques  lignes  heureuses  ou  bril- 
lantes? L'océan  de  l'oubli  les  recouvre;  les  Ilots  des  âges 


ANGLETERKE 


jSÔ 


passent  sur  ces  perles  ensevelies;  le  patienl  et  juste  Snutiiey 
a  plongé  dans  les  proromleiirs  pour  les  en  tirer.  Il  a  joint  ;\ 
ces  débris  des  souvenirs  personnels,  des  fantaisies  baroques, 
une  certaine  dose  de  jeu\  de  mots,  une  espèce  d'histoire  qui 
ne  commence  pas  et  ne  tiuit  jamais,  trois  ou  quatre  per- 
sonnages qui  tombent  des  nues;  et  le  singulier  mélange 
a  réussi,  quoique  sous  le  voile  de  l'anonyme.  Citerons-nous 
encore  parmi  les  héros  du  roman  :  \V.  Ilanison  Ainsworth, 
qui  a  vouhi  fondre  le  roman  comique  et  les  souvenirs  de 
l'histoire;  NVard  ,  subtil  et  ingénieux;  la  satirique  mistress 
Trollope,  lady  Cliarlotte  Bury,  mistress  Norton ,  mistress 
Gore,  Pélégante  miss  Landon;  M"""  Samieson,  qui  écrit  avec 
grâce  et  qui  possède  le  sentiment  des  arts;  lady  Bles- 
sington,  l'amie  de  BjTon,  celle  qui,  en  trahissant  ses  se- 
crètes confilences,  a  le  mieux  éclairé  cette  singulière  àme 
de  poète,  de  héros,  de  coquette  et  de  fat?  >omnierons-nous 
aussi  mistress  Hall, , \ilan  Cunningham,  le  second  Grattan, Dis- 
raeli jeune,  M"""Slielle_\  ?  Ilfaut  juiniire  à  tons  ces  noms  ceux 
deThac  k  e  ra  y,  de  mistress  Broute,  de  lady  Mo  rgan,  de 
Morier,  deL  and  or,  de  Cha  mier,  de  Reade,  deKing'^- 
ley,  de  Mnif  Beeclier-Sto  we,  etc.  Le  roman  est  tour  à 
tour  le  gémissenifut,  l'hymne,  le  bruit,  la  leçon,  le  mur- 
mure. I.-  >  llet  et  l'éclat  de  rire  qui  émanent  detous  les  mou- 
vements de  la  société  anglaise.    Philarète  Chasles.  ] 

Théâtre. 

Comme  chez  toutes  les  nations  chrétiennes  de  l'Europe , 
les  premières  productions  de  Vart  dramatique  en  An- 
gleterre ont  leurs  sujets  choisis  dans  l'Ancien  et  le  Nou- 
veau Testament  ;  elles  conservèrent  cette  forme  depuis  le 
douzième  siècle  jusqu'au  règne  de  Henri  VI.  On  les  appe- 
lait pièces  de  miracles  {miracles  ou  plaijs  qf  miracles). 
A  l'origine  elles  se  bornaient  à  des  histoires  de  la  Bible 
mises  en  dialogues ,  en  conservant  souvent  les  expres- 
sions textuelles  des  saintes  Écritures.  ]Mais  peu  à  peu  on  y 
ajouta  des  ornements  fournis  par  l'imagination  ;  et  comme 
le  plus  souvent  elles  étaient  composées  par  des  gens  d'É- 
glise, c'étaient  eux  aussi  qui  ordinairement  se  chargeaient 
de  les  représenter.  A  cet  effet ,  on  se  servait  d'un  écha- 
faudage en  bois,  quelquefois  mobile  et  porté  sur  des  roues, 
divisé  en  deux  compartiments.  La  partie  inférieure  servait 
de  vestiaire  aux  acteurs  ;  la  partie  supérieure ,  ouverte  de 
tous  côtés ,  était  la  scène.  Les  miracles  durent  céder  la 
place  aux  moralités  (  morals  ou  moral  plaijs  ),  c'est-à-dire 
à  des  drames  dans  lesquels  figuraient  des  caractères  allé- 
goriques ,  abstraits  ou  symboliques  ,  avec  une  intrigue  des- 
tinée à  être  un  enseignement  ayant  pour  but  l'amélioration 
de  la  conduite  des  hommes.  Ces  pièces  eurent  pour  point 
de  départ  les  ornements  ajoutés  par  l'imagination  aux  mi- 
racles ,  lesquels  à  l'origine  consistaient  en  personnifications 
abstraites,  par  exemple  de  la  vérité,  delajustice,  de  la  paix,  de 
la  pitié ,  plus  tard,  de  la  mort  et  de  son  père,  le  péché  ;  et,  par 
la  suite ,  en  caractères  réels.  Pour  raviver  l'intérêt  épuisé, 
John  Heywood  composa  vers  1525  une  espèce  de  pièces 
qui  servirent  de  transition  à  la  comédie,  et  qu'il  appela 
intermèdes  (  interludes  );  ce  qui  les  caractérisait  surtout, 
c'était  un  grand  fonds  de  gaieté  jointe  h  une  satire  amère. 
Quand  bientôt  après  elles  affectèrent  des  tendances  favo- 
rables au  protestantisme,  Henri  VllI,  prince  aux  idées  mal 
arrèlées ,  défendit  sous  des  peines  sévères ,  et  en  vertu 
d'un  premier  acte  du  parlement,  rendu  en  1543  au  sujet 
de  la  scène  et  des  représentations  dramatiques  ,  de  rien 
chanter,  rimer  ou  représenter  de  contraire  aux  doctrines 
de  l'Église  romaine.  Edouard  VT  supprima  celle  interdic- 
tion en  1347;  mais  la  reine  Marie  la  remit  en  vigueur 
en  155:5;  et  comme  il  arrivait  souvent  qu'on  éludait  la  loi, 
elle  finit  par  prohiber  toute  espèce  «le  représentation  drama- 
tique. La  reine  Elisabeth  brisa  ces  entraves.  Son  goût  pour 
le  théâtre  fut  bientôt  partagé  par  les  gran  Is  de  son  royaume  ; 
et  il  ne  s'écoula  pas  grand  temps  sans  que  le  pays  fût  tel- 


lement rempli  de  comédiens  ambulants,  qu'en  157?.  on  jugea 
nécessaire  de  les  astreindre  ;\  ne  donner  de  représentations 
qu'avec  l'autorisation  préalable  de  deux  juges  <le  paix.  Celte 
circonstance  détermina  le  comte  de  Leicesler  â  s'employer 
pour  faire  obtenir  à  ses  comédiens  les  premières  lettres 
patentes  royales  en  date  du  10  mai  1575,  et  en  vertu  desquelles 
ils  furent  autorisés,  jusqu'à  ordre  contraire ,  à  représenter 
des  comédies ,  des  tragé<lies ,  des  intermèdes  et  des  pièces 
à  spectacle  ,  «  tant  pour  l'agrément  de  Sa  Majesté  que  pour 
le  divertissement  de  ses  sujets  » ,  dans  toutes  les  villes 
grandes  ou  petites  et  dans  tous  les  bourgs  d'Angleterre. 
C'est  dans  ce  document  qu'on  daigne  pour  la  première  fois 
faire  mention  des  comédies  et  des  tragédies  ;  car,  quoiqu'il 
en  existât  depuis  longtemps  ( les  premères  sont  cependant 
de  beaucoup  antérieures  aux  secondes  ),  elles  n'avaient  pas 
encore  réussi  jusque  alors  à  remplacer  sur  la  scèneles  morali- 
tés elles  intermèdes (»joro/5  and  inferludes).  Ellesy  parvin- 
rent à  l'aide  du  drame  historique  ou  romantique  (  histonj  ou 
chronicle  histonj),  dont  le  contenu  con.sistait  en  fragments 
de  vieilles  chroniques  ou  bien  en  événements  complètement 
exposés  et  racontés  ,  mais  toujours  sans  le  moindre  respect 
pour  la  chronologie,  pas  plus  que  pour  la  connexion  histo- 
rique intime.  Ralph  Royster  Doysfer,  la  comédie  la  plus 
ancienne  de  ce  genre,  date  du  règne  d'Edouard  VI,  peut-être 
même  de  celui  de  son  père.  La  plus  ancienne  tragédie ,  au 
sujet  de  laquelle  on  ne  possède  d'ailleurs  que  très-peu  de  ren- 
seignements, Romeo  and  Juliet,  date  probablement  de  1 560. 
Le  premier  sujet  historique  qu'on  ait  représenté  sur  la 
scène  d'après  des  formes  régulières,  Ferrex  et  Porrex,  date 
de  1561.  Julius  C;isar,  la  plus  ancienne  tentative  qui  ait 
été  faite  pour  dramatiser  en  anglais  un  événement  de  l'his- 
toire romaine,  parut  presque  immédiatement  après.  Depuis 
cette  époque  jusque  vers  1570  les  anciennes  moralités  et 
les  premiers  essais  tentés  dans  le  genre  de  la  comédie ,  delà 
tragédie  et  de  l'histoire,  se  partagèrent  la  faveur  publique. 
On  vit  ensuite  se  produire  des  pièces  du  genre  de  A  Knack 
to  Know  a  Knave ,  où  il  était  difficile  de  ne  pas  reconnaître 
une  certaine  tendance  à  confondre  et  à  réunir  les  quatre 
genres ,  et  alors  les  moralités  durent  disparaître  du  réper- 
toire. Le  goût  public,  qui  déjà  s'occupait  de  purifier  le  lan- 
gage, se  déclara  d'une  manière  décidée  pour  un  genre  plus 
compréhensible  de  représentations  dramatiques,  ainsi  qu'en 
témoigne  une  pièce  représentée  en  1579,  Scliool  of  Abuse, 
dont  l'auteur,  Stephen  Gosson,  après  avoir  d'abord  travaillé 
pour  la  scène,  figura  ensuite  parmi  les  adversaires  les  nlus 
acharnés  du  théâtre.  Les  pièces  qui  avaient  vaincu  et  ex- 
pulsé du  théâtre  les  moralités  s'en  disputèrent  bientôt  entre 
elles  la  possession  exclusive.  Dans  une  tragédie  de  l'année 
1590,  A  Warningfor/air  v:omen,  dont  le  sujet  est  l'assas- 
sinat d'un  marchand  de  Londres  par  sa  femme,  de  compli- 
cité avec  son  amant,  la  tragédie ,  l'histoire  et  la  comédie 
paraissent  personnifiées  et  se  disputer  chacune  la  préémi- 
nence et  la  possession  de  la  scène.  Mais  les  athlètes  chargés 
de  la  défense  de  chacun  de  ces  trois  genres  étant  de  force  à 
peu  près  égale ,  il  n'y  eut  ni  victoire  ni  défaite  décisive.  La 
défense  faite  par  le  lord-maire  aux  comédiens  de  LeicesteF 
de  donner  de  leurs  représentations  dans  la  Cité  et  l'interdic- 
tion sévère  [)rononcée  contre  toute  espèce  de  spectacle  par 
ce  magistrat  eurent  pour  résultat,  de  1576  à  1580,  l'établis- 
sement en  dehors  des  limites  de  la  Cité  de  trois  théâtres,  qui 
furent  à  Londres  les  premiers  édifices  spécialement  desti- 
nés à  la  représentation  d'ouvrages  dramatiques.  A  cette 
époque  Londres  devint  le  foyer  de  l'art  dramatique  en  An- 
gleterre, comme  il  l'est  toujours  re.sté  depuis  ;  aussi  l'iiis- 
toire  du  théâtre  de  Londres  est-elle  celle  du  théâtre  anglais, 
lin  15S:5  la  reine  l'iisabetli  attacha  exclusivement  à  son 
service  douze  comédiens,  qu'on  appela  dès  lors  the  Queen's 
players  ;  circonstance  qui  ne  contribua  pas  peu  à  relever 
l'art  dramatique  et  la  considération  des  acteurs.  On  ne  man- 
quait ])as  plus  alors  de  mimes  intelligents  que  de  bons  dra- 


684 


AiSGLETERRE 


mafurges.  CIiii4oi;Iie  Marlow  fui  !c  prcuier  qui  fit  usago 
(ians  ses  drames  de  rïamlic  non  rimé ,  tandis  que  jusque  alors 
ia  prose  ou  le  vers  rimé  avaient  seuls  été  en  possession  de 
la  scène.  De  1587  à   159:;  il  fit  représenter  Tamburla'mc 
tlie  Great,   Tragical  Jlislonj  of  the  life  and  death  of 
doctor  Faustus,  Massacre  at  l'avis,  Jew  of  Malta  et  The 
troublesome  reign  and  lamenlnble  death  of  Edouard  IL 
11  y  avait  beaucoup  de  boime^  choses  dans  ces  divers  ou- 
vrages; mais  aussi  ils  éU'.ic:it  défigurés  par   Temphase  et 
par  la  basse  farce,  de  même  qu'il  n'y  régnait  ni  unité  de 
lieu  ni  unité  de  temps.  On  a  conservé  de  Robert  Greene, 
mort  en  septembre  1592  :  The  His/ory  o/ Orlando  furioso, 
oup  ofthe  (welve  peers  of  France;  Honourable  IJisfory 
of/riar  Bacon  and/tiar  Dongay  ;  Scottish  history  a f  Ja- 
mes l  V;  George  Greene,  thepinner  ofWaliPfield;  et  Thecn- 
inkal  History  of  Alphonsus,  king  of  Aragon.  Il  avait  en 
général  de  vives  et  gracieuses  saillies,  mais  chez  lui  l'in- 
vention est  pauvTe;  son  style  est  facile,  mais  ses   ïambes, 
harmonieux  d'ailleurs ,  sont  souvent  pédantesques  et  dé- 
nués de  goût.  Alexandre  Lily,  auteur  de  Alexander  and 
Campaspc,  pièce  historique,  de  Sappho  and  Phao,  pièce 
du  genre  de  l'idylle,  à'Endymion,  pièce  mythologique,  et 
de  Molher  Bombic ,  pièce  comique,  fut  contemporain  de 
R.  Greene.  Il  vécut  de  1554  à  1598.  C'était  un  savant  ingé- 
nieux ,  mais  un  poète  s'adressant  trop  à  l'intelligence.  Ses, 
penstes  ne  sont  pas  moins  recherchées  que  son  stjle.  Cepen- 
dant il  a  de  l'importance  dans  l'histoire  du  théâtre  anglais, 
parc!  qu'il  fut  le  créateur  d'un  style  plus  rafliné,  malgré 
toute  sa  recherche  ;  parce  que  les  drames  qu'il  écrivit  pour 
les  divertissements  de  la  cour  nous  servent  à  apprécier  le 
goût  qui  dominait  alors,  et  parce  qu'il  eut,  comme  poète 
à  la  mode  ,  des   imitateurs ,    mOme  parmi   les   meilleurs 
esprits.  Dans  l'espoir  de  lui  enlever  la  faveur  d'Elisabeth , 
Georges  Peelc,  mort  eu  lô9S,  composa  The  Arraignment 
of  Paris.  Cette  tentative  n'ayant  pas  réussi  au  poète,  il  écri- 
vit pour  la  scène  publique  The  Battle  ofAlcazar  et  Famous 
Chronicle  of'Edwardl.  Ce  damev  ouvrage  est  la  première 
chronicle  history  qu'on  eût  encore  écrite  en  ïambes   non 
runes.  II  y  fait  preuve  d'une  imagination  gracieuse,  son 
style  est  plein  de  goût  et  sa  versification  harmonieuse;  mais 
il  manque  de  vérital,lc  originalité,  et  les  facultés  supérieures 
de  l'invention  lui  font  défaut.  Un  écrivain  de  moins  de  goût 
que  lui  incontestablement ,  mais  en  revanche  doué  de  bien 
autrement  de  vigueur,  ce  fut  Thomas  Kyd ,  auteur  de  Je- 
ronime  et  de  The  spanish  Tragedy  ;  cette  dernière  pièce, 
seconde  partie  de  la  première,  est   beaucoup  meilleure. 
Kyd  ne  fut  pas  non  plus  exempt  de  contre-Feus  et  de  ri- 
dicule; mais  on  peut  dire  qu'en  sonome  il  fait  preuve  de 
sensibihté  et  d'énergie,  et  qu'il  sait  exciter  Tintérèt.  Tho- 
mas Lodgc  (  155G-1G16),  dont  les  poésies  pastorales  et  les 
poèmes  lyriques  ont  été  jugés  dignes  en  1819  d'une  nou- 
velle édition ,  est  autrement  poète  que  lui.  L'un  de  ses  meil- 
leurs ouvrages  est  le  drame  historique  intitulé  :  The  Wounds 
of  Civil  War,  liveUj  setforih  in  the  true  tragédies  of 
Marius  and  Sylla.  Thomas  îs'ash  surpassa,  sous  le  rapport 
de  l'esprit  et  de  la  satire ,  tous  ceux  de  ses  contemporains 
que  nous  venons  de  nommer,  mais  il  leur  resta  inférieur 
comme  pocîo.  La  farce  qu'il  composa  sous  le  titre  de  The 
Islc  of  Dogs  fut  cause  qu'on  le  mit  en  prison.  Son  meilleur 
ouvrage ,  Dido  qiiecn  of  Carthage,  fut  écrit  en  société  avec 
Marlow.  Enfin ,   nous  devons    encore  mentionner  Henry 
CheîUe,  qui  com;)Osa  trente-huit  drames,  dont  quatre  seule- 
ment sont  parvenus  jusqu'à  nous,  et  encore  sur  ce  nombre 
n'y  en  a-t-il  qu'un  seul,  Hoffnian,  or  a  revenge  of  afa- 
ther,  tragédie  pleine  de  sang  et  de  meuilre,  qu'on  puisse 
lui  attribuer  en  toute  certiluJe. 

Tels  furent  les  principaux  prédécesseurs  immédiats  et 
les  conlenqiorainsde  Shakspeare,  qui  arriva  bien  on  ;58(i 
ou  1587  de  Slralford-sur-l'.^von  à  Londres,  mais  qui  n'é- 
crivit pas  de  di'amcs  originaux  avant  l'année  l59:i,  et  qui 


jusqu'à  ce  montent  ne  s'occupa,  indépendamment  des  fra. 
vaux  de  sa  profession  de  comédien,  que  du  soin  d'arranger 
pour  la  scène  d'anciennes  compositions  dramaiiques.  Il 
prouva  la  force  de  son  génie  en  ne  se  laissant  point  entraîner 
par  le  torrent  qui  l'entourait;  et  le  principal  .service  qu'il 
rendit  au  théâtre  anglais ,  ce  fut  de  le  purifier  de  toutes  sco- 
ries et  d'ouvrir  les  voies  aux  progrès  du  goût  national.  Il 
trouva  une  scène  et  un  drame  déjà  e.xistants,  mais  où  domi- 
naient le  faux  ^t  l'impossible,  en  fait  de  mise  en  scène  coni.nie 
dans  l'expression  des  sentiments  tendres,  et  aussi  dans 
la  peinture  de  toutes  les  atrocités.  S'il  l'emporta  sur  ses  ri- 
vaux, c'est  qu'il  était  avant  tout  le  poète  de  la  nature,  et  qu'il 
la  transporta  sur  la  scène.  Ses  ouvrages  ,  sans  avoir  pour 
eux  l'appui  d'un  vif  intérêt  ou  de  la  passion,  ont  survécu 
pendant  plusieurs  siècles  à  toutes  les  nuances  du  goût  et  à 
toutes  les  révolutions  qui  se  sont  eCfectuées  dans  les  mœurs. 
Chaque  génération  les  a  transmis  à  celle  «pii  la  suivait ,  et 
chacune  les  a  reçus  de  celle  qui  la  précédait;  toutes  lui  ont 
tressé  de  nouvelles  couronnes,  parce  qu'il  sut  transporter  l'i- 
magination la  plus  hardie  dans  le  domaine  de  la  nature,  et  la 
nature  dans  les  régions  de  l'imagination  situées  au  delà  de 
la  réalité;  parce  que  dès  lors  chacun  de  ses  drames  offre  l'i- 
mage fidèle  de  l'existence,  chacune  de  ses  figures  une  indivi- 
dualité organisée  pour  la  vie.  Il  s'ensuit  que,  bien  que  les 
ouvrages  dramatiques  de  Shakspeare  soient,  pour  se  confor- 
mer à  l'usage,  divisés  en  comédies,  en  histoires  et  en  tra- 
gédies, ils  n'ont,  à  bien  prendre,  rien  qui  les  puisse  faire  clas- 
ser plutôt  dansl'unde  cesgenresque  dans  l'autre,  attendu  que 
chacun  d'eux  est  formé  et  modelé  sur  l'état  réel  de  la  vie  et 
du  monde,  où  le  bien  et  le  mal,  la  joie  et  la  douleur,  se  mê- 
lent en  gradations  sans  nombre.  Par  conséquent  toutes  ses 
pièces  ^ont  pariagées  entre  les  caractères  sérieux  ou  gais, 
et,  suivant  que  l'intrigue  se  déroule,  provoquent  la  gravité  et 
la  tristesse,  la  gaieté  et  les  rires. 

Les  successeurs  de  Shakspeare,  pas  plus  que  ses  contem- 
poiains,  ne  purent  jamais  atteindre  la  hauteur  à  laquelle  il 
s'était  élevé.  Georges  Chapman  (  1557-1634  )  écrivit  di.\-sept 
drames,  dont  un  seul.  Les  Larmes  de  la  Veuve,  a  suiTécu. 
Thomas  Hey  wood,  qui  naquit  sous  ÉUsabeth  et  mourut  sous 
Charles  F"^,  fut  plus  heureux.  Sur  les  deux  cent  vingt  ou- 
vrages qu'il  avait  composés,  il  s'en  est  conservé  vingt-quatre. 
^\a.\s  il  n'a  qu'un  médiocre  talent,  et  une  versification  facile 
ne  compense  pas  la  faiblesse  de  son  invention.  C'est  déjà 
faire  un  magnifique  éloge  de  Ben  Johnson  (1574-1C37), 
que  de  pouvoir  rappeler  qu'il  obtint  l'estime  de  Shakspeare, 
et  que  sa  première  comédie,  Every  man  in  his  humour, 
ainsi  que  sa  première  tragédie ,  Sejanus,  furent  mises  en 
scène  par  Shakspeare  lui-même.  On  doit  aussi  une  mention 
spéciale  à  son  Catilina.  Cependant  ce  n'était  point  encore 
là  un  poète  dans  toute  la  force  du  terme.  Son  esprit  sagace 
mettait  en  œuvre  ce  que  lui  fournissait  son  érudition,  avec 
beaucoup  plus  de  succès  dans  la  comédie  que  dans  la  tra- 
gédie. Mais  trop  souvent  il  confond  la  satire  avec  l'esprit  ; 
sa  science  l'entraîne  et  lui  fait  commettre  dans  la  disposition 
de  ses  plans  des  fautes  que  l'inteUigence  sans  l'imagination 
est  impuissante  à  justifier.  Francis  Beauraont  (  1586-1G15) 
et  John  Flctcher  (  1576-1C55)  firent  preuve  de  plus  de  talent 
dramatique  et  comprirent  mieux  les  effets  de  théâtre.  Le 
premier  inventait,  le  second  exécutait;  celui-ci,  après  la  mort 
de  son  collaborateur,  s'associa  Shirley.  Les  cinquante  ou- 
vrages dramatiques,  tragédies,  drames,  comédies,  produits 
de  cette  association  littéraire,  obtinrent  dans  les  ma.sscs  une 
faveur  à  laquelle  ne  parvinrent  jamais  les  productions  de 
Shakspeare.  Us  étaient  plus  unis,  plus  faciles  à  comprendre, 
plus  sensuels,  par  conséquent  plus  dans  les  goûts  de  la  foule. 
Cependant  on  a  souvent  été  ti-op  loin  dans  les  reproches 
d'obscénité  qu'on  leur  a  adressés.  Ce  qui  prouve  qu'ils  n'é- 
taient pas  dénués  de  mérite,  c'est  qu'un  grand  nombre 
d'entre  eux,  aprè^  avoir  seulement  subi  quelques  relouches 
insignifiantes ,  se  sont  maintenus  au  répertoire.  Toutefois, 


ANGLEÏKRUK 

ceci  ne  s'applique  qu'aux  conuilies ,  otumcs  jiloincs  d'es- 
|)rit  et  d'humour  en  quelques  parties  et  de  beaucoup  su- 
périeures dans  leur  genre  aux  tragédies.  11  n'en  est  pas  ainsi 
de  P.  Massinger,  qui  le  plus  souvent  seul,  mais  quel- 
quefois en  société  avec  Dekker,  Rowley  et  Midiiicton,  aborda 
les  trois  espèces  différentes  de  drames  et  les  fit  représenter 
avec  succès  sur  la  scène.  La  tragédie  fut  le  genre  dans  lequel 
il  brilla  le  plus.  H  y  a  de  beaux  et  d'énergiques  passages  dans 
son  Duke  qf  Milan  ;  et  aux  qualités  que  possédèrent  à  di- 
vers degrés  les  poètes  que  nous  venons  de  citer  avant  lui  il 
imit  un  dialogue  vif  et  naturel ,  un  style  lleuri,  des  images 
lieureiTses,  et  une  peinture  aussi  délicate  que  fidèle  des  divers 
sentiments  du  cœur.  La  scène  anglaise  était  dans  cet  état  flo- 
rissant quand  des  tempêtes  plus  fortes,  plus  puissantes  que 
toutes  les  forces  et  que  tout  l'esprit  de  l'hounne  s'élevèrent 
à  l'horizon  de  l'Angleterre  ;  elles  curent  bientôt  bouleversé 
et  détruit  l'échafaudage  sur  lequel  se  développait  et  gran- 
dissait l'art  dramatique.  La  peste  qui  éclata  au  printemps 
de  1636  fut  suivie  des  calamités  de  la  guerre  civile,  provoquée 
par  l'imprudence  de  Charles  l".  A  la  date  du  mois  de  sep- 
tembre 1C42  ,  le  parlement  ordonna  la  suspension  sur  tous 
les  points  du  royaume  de  toute  espèce  de  représentation  dra- 
matique tant  que  durerait  l'époque  de  troubles  et  de  désola- 
tion où  on  se  trouvait  ;  et  en  jetant  les  yeux  sur  l'histoire  de 
ces  temps  calamiteux,  et  sur  les  éléments  puritains  du  par- 
lement, on  partagera  difficilement  l'opinion  de  ceux  qui  at- 
tribuent surtout  aux  obscénités  des  représentations  drama- 
tiques le  grand  courroux  de  Crorawell  à  l'endroit  du  théâtre. 
Si  cette  haine  pour  l'art  dramatique  s'accordait  jusqu'à  un 
certain  point  avec  les  sombres  inspirations  du  fanatisme  alors 
dominant,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'au  fond  la  politique 
y  entrait  pour  beaucoup,  et  qu'on  voulait  enlever  ainsi  aux 
acteurs  toute  occasion  de  se  servir  de  leur  influence  sur  l'es- 
prit des  masses  pour  leur  inculquer  des  idées  et  des  principes 
en  opposition  avec  ceux  que  voulait  faire  prévaloir  un  parle- 
ment puritain.  Il  y  a  dans  ce  fait  une  preuve  irrécusable 
de  l'importance  à  laquelle  la  scène  était  déjà  parvenue  en 
Angleterre  et  de  l'inlluence  qu'elle  exerçait  sur  le  peuple. 
Aussi  bien,  pour  obtenir  la  clôture  absolue  des  théâtres,  il  fallut 
qu'un  nouvel  acte  du  parlement  intervînt,  à  la  date  du  22  oc- 
tob'-e  1647,  et  menaçât  de  la  prison  les  contrevenants  tout 
comme  des  malfaiteurs  ou  des  filous. 

L'art  dramatique  sommeilla  alors  jusqu'à  la  restauration 
de  la  royauté  par  Charles  II,  le  29  mai  1660.  Une  des 
premières  mesures  de  son  gouvernement  fut  l'octroi  de  deux 
lettres  patentes  autorisant  la  création  de  deux  troupes  de 
comédiens,  l'une  au  profitde  sir  William  Davenant(1605- 
1668  ),  l'autre  en  faveur  de  Henri  Killigrew  et  de  leurs  hé- 
ritiers ou  ayant  droit.  Comme  Killigrew  s'établit  dans  le 
théâtre  royal  de  Drury-Lane,  ses  comédiens  prirent  le  titre 
de  t/ie  King's  servants;  et  comme  Davenant  entreprit 
d'exploiter  le  théâtre  du  Duc  à  Lincoln's-Inn-Field,  sa 
troupe  reçut  la  qualification  de  Diike's  company.  Drury- 
Lane  a  conservé  jusqu'à  nos  jours  ses  lettres  patentes  ,  son 
nom  et  sa  réputation  de  théâtre  national ,  tandis  que  le 
théâtre  de  Lincoln's-Inn-Field  a  transmis  son  privilège  et  sa 
renoinmée  à  Covent-Garden.  Une  autre  innovation  plus  im- 
portante, qui  eut  lieu  sous  le  règne  de  Charles  H,  ce  fut  celle 
qui  s'opéra  dans  les  rôles  de  fenuiies,  qui  jusqu'à  ce  moment 
n''avaient  jamais  eu  d'autres  interprèles  que  des  honnnes  ou 
(les  enfants,  et  qui  lurent  alors  confiés  à  des  femmes.  Mais 
le  ton  licencieux  e-i  usage  à  la  cour,  et  (pii  passa  bientôt 
dans  l'ait,  nuisit  singulièrement  aux  progrès  de  l'art  dra- 
matique. En  outre  Davenant,  dont  les  receltes  baissaient  par 
suite  des  elToris heureux  faitspar.son  concurrent  Ivilligrew, 
afin  d'attirer  le  public  dans  sa  salle  ,  recourut  à  l'emploi 
de  moyens  bien  propres  à  corrouq)re  le  goût,  jusrpie  alors 
classicpie,  du  pays.  Il  donna  accès  sur  son  théâtre  à  des 
pièces,  à  des  spectacles  et  à  des  ouvrages  en  vers  mis  en 
musi(iue,  aiipelés  depuis  opéras  dramatiques  ,  qu'il  moula 

DiCT.    DE    L\    CO.NVtliSAXlO.N.    —    T.    1. 


585 


avec  la  mise  en  scène  la  plus  riche  et  les  accessoires  les 
plus  brillants,  secondé  d'ailleurs  par  d'habiles  chanteurs  et 
par  des  danseurs  d'une  grande  agilité.  —  Consultra  à  cet 
égard  Ilogarth,  Memo'irs  of  (lie Musical  Drama  (Londres, 
1S;5S).  — Il  a  continué  à  en  être  ainsi  jusqu'au  moment  oii 
nous  écrivons,  et  de  celte  époque  date  le  commencement 
de  la  décadence  du  théâtre  anglais.  John  Dryden  (1631- 
1701),  avec  ses  opéras,  ses  comédies  et  ses  tragédies  au 
nombre  de  trente  environ,  nous  fournit  un  exemple  de  la 
corruption  du  goût  du  public.  Thomas  Otway  (16.'>1-I6S5) 
essaya  vainement  de  lutter  contre  le  torrent  dans  sa  Prc- 
served  Venicc ,  son  Orphun,  etc.;  et  Nath.  Lee  ne  fut  pas 
plus  heureux  avec  ses  tragédies  Nero,  The  Princcss  of 
Cleve,  Thcodosiîis  et  Alcxander  the  Great.  Plus  tard,  il  est 
vrai,  latragélie,  par  une  tenue  plus  digne,  par  une  ten- 
dance pins  morale ,  réussit  à  reprendre  faveur  dans  l'opi- 
nion ;  mais  en  revanche  elle  affecta  les  formes  roides  et 
compassées  de  la  tragédie  française,  et  lui  emprunta  son  en- 
flure et  SCS  déclamations.  Le  Cato  d'Addison,  pièce  qui 
dut  surtout  son  immense  succès  au  parti  whig,  dans  le  sens 
duquel  le  poète  secrétaire  d'État  composa  son  ouvrage,  est 
un  exemple  à  l'appui  de  ce  que  nous  venons  de  dire.  On  en 
peut  dire  autant  de  la  glaciale  Sophonisbe  de  Thomson  et 
des  créations  de  Young,  de  Glover,  de  Masson,  tous  imita- 
teurs malheureux  de  la  tragédie  antique  mal  comprise.  Ni- 
colas Rowe,  mort  en  1718,  voulut  revenir  aux  traditions 
premières.  Ce  qu'il  écrivit  dans  cet  esprit  porte  l'empreinte 
d'un  sentiment  intime  et  profond.  Mais,  seul  contre  tous,  il 
ne  put  l'emporter,  et  son  exemple  ne  trouva  pas  d'imi- 
tateurs. Georges  Lillo  (  1693-1739  )  prit  une  voie  plus  heu- 
reuse, dans  ses  tragédies  bourgeoises  et  domestiques,  George 
Barnewelt ,  AU  for  Love,  Arden  of  Feversham,  Silva, 
Marius  et  Elmerik;  mais  son  rôle  s'est  borné  à  joncher  de 
fleurs  la  route  qui  menait  à  la  décadence  et  à  la  ruine  du 
théâtre  anglais.  Avant  que  les  poètes  dramatiques  se  missent 
à  exploiter  le  genre  bourgeois  et  de  famille  ,  il  faut  dire 
encore  qu'ils  ne  brillaient  pas  précisément  par  la  délica- 
tesse et  la  moralité  de  leurs  productions.  Depuis  le  roi 
Charles  II  jusqu'au  règne  de  la  reine  Anne,  l'immoralité  de 
la  comédie  alla  toujours  croissant,  jusqu'à  ce  qu'enfin  elle 
atteignit  son  apogée  à  la  fin  du  dix-septième  siècle.  Quand 
on  annonçait  alors  une  pièce  nouvelle,  toute  femme  honnête, 
avant  d'aller  la  voir  représenter,  devait  s'informer  si  elle 
n'aurait  pas  trop  à  y  rougir  ;  et  quand  par  hasard  la  curio- 
sité l'emportait  sur  la  pudeur,  elle  n'y  assistait  jamais  que 
masquée.  Cet  usage  devint  si  général,  qu'il  n'y  eut  plus  que 
des  prostituées  qui  osassent  paraître  au  théâtre  sans  masque. 
Il  ne  pouvait  effectivement  en  être  autrement  quand  il  s'a- 
gissait d'aller  voir  des  pièces  comme  les  Cocus  de  Londres, 
London  Cuckolds,  au  reste  l'une  des  plus  indécentes  du  ré- 
pertoire. Il  nous  suffira  de  mentionner,  dans  cette  période  et 
dans  les  commencements  de  la  suivante  ,  les  œuvres  d'Al- 
phara  Behn,  mort  en  1689  (Thefeigned  Courtesans,  1679), 
de  Suzanne  Centlivre  (1667-1723  ),  de  Colly  Cibber 
(1671-17.^7),  de  W.  Congreve  (  1670-1729),  de  George 
Farquhar  (1678-1707),  do  John  Gay  (I6Sa-1732),  et 
surtout  The  Beggar's  Opéra,  toutes  restées,  sauf  quelques 
exceptions,  en  grand  crédit  dans  l'esprit  du  public  anglais. 
A  la  mort  de  la  reine  Anne,  la  transmission  de  la  cou- 
ronne d'Angleterre  à  la  maison  de  Hanovre,  représentée  par 
Georges  V ,  amena  diverses  modifications  quant  aux  rap- 
ports extérieurs  du  théâtre,  qui,  en  portant  un  notable  pré- 
judice aux  intérêts  du  directeur  du  théâtre  de  Lincoln's-lnn- 
Field ,  le  déterminèrent  à  aviser  au  moyen  de  se  récupéi  er 
de  SOS  pertes.  Il  le  trouva  <lans  une  innovation  puérile,  qui 
déshonore  encore  la  scène  anglaise  pendant  plusieurs  se- 
maines a|)rès  les  fêles  de  Noèl.  La  musique,  la  danse  et  le 
chant  avaient  autrefois  expulsé  la  mimique  de  la  scène.  Puis 
la  nuLsique  et  le  chant  élaienl  devenus,  au  conunencemont 
du  siècle,  la  propri"'!'!  exclusive  de  l'Opéra  Italien,  réceulft 

74 


586 


ANGLETERRE 


importation  de  l'étranger.  Il  ne  restait  donc  jiliis  à  la  dispo- 
sition du  directeur  de  Lincoln's-Inn-1'ield  d'autre  ressource 
que  la  danse.  C'est  alors  (jue,  privé  de  raccompagneinent 
musical ,  il  imagina ,  pour  lui  prêter  plus  d'attrait,  d'embellir 
l'art  chorégraphique  par  des  gestes.  Puis  on  broda  sur  un 
canevas  léger  une  action  qui  s'adaptait  j)lus  ou  moins  bien 
aux  contorsions  de  ses  cloicns.  L'innovation  reçut  le  nom 
pompeux  de  pantomime.  C'est  là  ce  qu'on  appelle  en 
.\nglelerre  la  pantomime  de  Noël,  chrisimas-punlomime, 
dont  or  rattiiche  à  tort  l'origine  aux.  farces  en  usage  autre- 
fois à  l'occasion  de  cette  grande  solennité  chrétienne ,  et 
dont  le  caractère  s'est  sin.^iulierement  modifié,  surtout  de- 
puis la  mort  des  deux  Grimaldi,  père  et  fils,  qui  n'ont  pu  être 
rempiacf's,  mais  dont  l'usage  s'est  constamment  maintenu 
jusqu'à  ce  jour  sur  les  théâtres  de  Londres.  Le  changement 
survenu  dans  la  dynastie  ne  fut  point  favorable  au  drame. 
Les  quatre  rois  du  nom  de  George,  pas  plus  ([ue  Guillaume  IV, 
ne  tirent  rien  pour  le  favoriser;  et  la  reine  Victoria  elle- 
même  ne  lui  a  témoigné  que  de  l'indifférence,  en  compa- 
raison de  la  vive  sympalhie  qu'elle  montre  pour  l'Opéra 
Italien.  Malgré  cela,  les  poètes  ne  lui  ont  point  manqué. 
Henri  Fielding  (1707-1754)  augmenta  le  répertoire  de 
vingt-huit  pièces,  dont  le  quart  est  à  peine  connu  aujour- 
d'hui, à  part  la  tragédie  burlesque  Thom  Tlnnnb  et  deux 
farces  :  The  mock  Doctor  et  The  intrhjuing  Chamber- 
maid.  David  Garrick,  le  célèbre  acteur  (1719-1777), 
n'attacha  jamais  une  grande  importance  au  plan  et  à  l'exé- 
cution de  ses  comédies  ;  en  revanche,  il  excella  dans  l'art  de 
tracer  des  portraits  avec  une  gaieté  tout  à  fait  originale.  Ri- 
chard Cumberland  (1732-1811)  écrivit  des  ouvrages 
dans  un  style  plein  de  bonne  humeur  et  de  gaieté,  mais  que 
dépare  la  sécheresse  de  cœur  de  l'homme  du  monde.  George 
Colman  (1733-1794)  traça  les  caractères  de  ses  vingt-six 
pièces  de  théâtre  d'une  manière  en  général  fidèle  à  la  na- 
ture; et  c'est  là  son  principal  mérite.  Sheridan  se  mo.ntre 
dans  SCS  comédies  railleur,  homme  de  cour,  orateur,  bel 
esprit  et  poète  léger,  en  même  tçnips  qu'il  y  fait  preuve 
d'une  profonde  connaissance  du  cœur  humain.  La  meilleure 
de  toutes  est  son  École  de  Médisance,  School  for  Scandai. 
A  cette  époque  la  tragédie  sérieuse  n'eut  que  de  faibles  re- 
présentants. On  ne  peut  guère  citer  dans  ce  genre  que  le 
Gambler  de  Moore,  œuvre  aux  caractères  bien  tracés  et 
aux  situations  fortes,  ainsi  que  la  Virginia  de  Francisca 
Brooke,  morte  en  1789,  production  pleine  de  chaleur  et  de 
passion.  Aaron  Hill  (1G84-1749)  a  aussi  laissé  en  ce  genre 
quelques  productions  correctes,  mais  où  la  passion  fait  défaut. 
Les  aspirations  immenses  et  toujours  déçues  du  dix-neu- 
vième siècle,  la  prompte  satiété  qu'inspire  le  nouveau,  et 
cependant  la  demande  continuelle  dont  il  est  partout  l'objet, 
.vullisent  pour  expliciuer  connnent  il  se  fait  qu'en  Angleterre 
aussi  l'art  dramatique  aille  toujours  en  dégénérant  davan- 
tage. Singulière  époque  que  la  nôtre  !  Shakspeare,  en  dépit 
de  toute  sa  richesse  et  de  sa  magnificence,  interprété  par 
des  acteurs  de  premier  ordre,  ne  peut  aujourd'hui  faire  ce 
qu'on  appelle  en  termes  de  coulisses  chambrée  complète, 
remplir  la  salle,  malgré  les  efforts  tentés  à  diverses  reprises 
par  Macready  pour  rendre  au  drame  véritable  l'empire  de 
ia  scène  anglaise.  Cette  déplorable  situation  de  l'art  drama- 
licpie  chez  nos  voisins  tient  surtout  à  ce  que,  lorsque  les  plus 
grands  talents  poétiques  de  l'Angleterre  se  sont  attachés  au 
drame  et  ont  produit  de  remarquables  ouvrages,  le  public  ne 
leur  a  pas  plus  témoigné  de  reconnaissance  qu'il  ne  leur  ac- 
cordait d'encouragements ,  et  (pie  dès  lors  ils  ont  dii  re- 
noncer à  la  scène.  Kn  première  ligne  nous  devons  citer  ici 
l'Écossaise  Johanna  lîaillie,  qui  en  1802  fit  paraître  une 
■érie  de  tragédies  dont  chacune  a  pour  but  la  peinture 
d'une  de  nos  passions ,  puis  des  comédies  composées  dans 
la  même  donnée.  Ce  qu'il  y  a  de  nécessairement  restreint 
dans  un  pareil  plan  est  à  peine  sensible,  tant  l'auteur  porte 
avec  grâce  cl  légèreté  des  chaînes  qu'il  s'est  lui-même  im- 


posées. Que  si  elle  se  trompa  en  écrivant  ses  tragédies  dans 
le  style  des  ancisns  poètes  anglais,  son  erreur  ne  laissa  pas 
que  de  rendre  un  grand  service  au  théâtre  et  à  la  langue. 
Samuel  Coleridge  (  1773-1834),  Maturin ,  connu  surtout 
par  son  Bertram  and  Manuel,  Barry  Cornwall  (voyez  l'ar- 
ticle Puoctor)  et  m  ilman  écrivirent  pour  le  théâtre  plutôt 
dans  l'esprit  que  dans  le  style  des  anciens  classiques  ,  restant 
dès  lors  à  une  grande  distance  derrière  eux,  mais  atteignant 
honorablement  le  but  qu'ils  s'étaient  proposé ,  sans  toute- 
fois pouvoir  échapper  au  reproche  d'imitation.  Byron  de- 
meura exempt  de  toute  imitation,  comme  le  lui  ordonnaient 
ia  liberté  et  l'indépendance  naturelles  à  son  génie.  Il  est  vrai 
qu'il  n'écrivit  rien  pour  le  théâtre,  parce  que  le  public  des 
théâtres  l'avait  blessé.  Cependant  ses  drames  manquent  en 
général  d'effet  et  aussi  de  caractères  nettement  accusés. 
Cela  n'empêcha  point  qu'en  1836  son  drame  de  Manfred 
obtint  sur  les  planches  de  Drury-Lane  un  succès  d'enthou- 
siasme. Si  Byron  n'('crivit  point  pour  la  scène  et  ne  laissa 
rien  qui  lui  convienne ,  il  faut  moins  en  accuser  son  irrita- 
bilité que  celle  du  public ,  bien  plus  vive  encore  et  bien 
plus  redoutable.  Walter  Scott  a  donné  aussi  au  théâtre 
Halidon  Hall.  Cette  pièce  est-elle  bonne  ou  mauvaise  ?  Peu 
importe.  Toujours  est-il  que  Walter  Scott  ne  méprisait  pas 
le  théâtre  autant  qu'on  l'a  dit. 

[ Qu'est-ce  que  le  théâtre  anglais  de  nos  jours?  Écoutez 
V Edinbiirgh  Rcview  :  «  ^'otre  théâtre  touche  à  la  dernière 
crise  de  sa  longue  agonie.  On  sacrifie  tout  à  un  ou  deux 
rôles  créés  par  les  acteurs  à  la  mode ,  et  dans  les  pièces 
qui  réussissent  vous  ne  découvrez  que  ridicule  affectation, 
exagération  sentimentale ,  gémissements  éternels ,  fureurs 
absurdes;  aucune  vraisemblance  et  nulle  précision  dans  le 
dessin  des  caractères.  Les  fournisseurs  habituels  se  conten- 
tent d'arranger  des  farces  ou  des  vaudevilles  français.  Quant 
aux  premiers  noms ,  ils  échangent  mutuellement  leurs  éloges 
intéressés ,  et  doivent  leur  réputation  à  ce  trafic  :  l'inspi- 
ration leur  vient  des  coulisses  et  non  de  la  nature  ;  jamais 
une  pensée  nouvelle  et  vigoureuse  ne  se  fait  jour  à  travers 
leurs  œuvres.  »  L'ancienne  ennemie  de  V Edinburgh  Review, 
la  Quart erly  Review,  proclame  aussi  hautement  la  décadence 
du  drame  anglais,  qui  compte  aujourd'hui  deux  écrivains 
en  renom  :  Sheridan  K  n  o  vv  1  e  s  et  Lytton  B  u  1  w  e  r,  et 
deux  ou  trois  jeunes  candidats  au  même  genre  de  renom- 
mée :  Talfourd,  auteur  de  la  tragédie  grecque  d'/o?!  ; 
Taylor,  auteur  d'Artevelde;  Harness  et  Brovving.  —  Des 
romans  bien  ou  mal  versifiés ,  tels  sont  ces  drames.  La 
vérité  est  immolée  à  l'analyse,  la  situation  au  coup  de 
théâtre,  l'intérêt  à  l'imbroglio,  quelquefois  l'action  au  mys- 
ticisme. Une  prétendue  pièce,  intitulée  Paracelse ,  ne  con- 
tient qu'une  rêverie  en  cinq  actes  sur  les  sciences  occultes 
et  les  aspirations  de  l'âme  vers  l'idéal.  Bonjour  et  Adieu , 
titre  affecté  d'une  tragédie  sentimentale,  n'offre  qu'une 
nouvelle  dialoguée  écrite  d'un  .style  fleuri  et  quelquefois 
touchant.  Talfourd ,  dans  son  Ton ,  que  les  critiques  ont 
porté  aux  nues ,  et  dont  le  sujet  est  à  peu  près  celui  d'.l- 
tlialie,  essaye  de  raviver  la  simplicité  grecque  :  effort  perdu, 
tentative  littéraire  qui  ne  peut  avoir  de  résultat  [topulaire 
au  milieu  de  la  complication  d'intérêts  qui  précipitent  et 
remuent  la  nouvelle  Europe  chrétienne.  VArtevelde  de 
Taylor,  œuvTe  laborieuse  et  estimable,  manque  d'intérêt 
scénique.  Sheridan  Knowles,  longtemps  acteur,  a  exploité 
son  expérience,  f;d)riqué  des  drames  incidentes,  et  excité 
l'intérêt  par  un  appel  quelquefois  poétique,  souvent  exagéré, 
aux  douleurs  et  aux  passions  de  la  vie  domestique.  Virgi- 
nius,  VÉpoxise,  le  Bossu,  la  Fille,  ont  obtenu  des  lueurs 
de  succès.  Tout  ce  (pii  reste  de  vie  au  théâtre  britannique 
se  lésume  chez  cet  écrivain,  dont  le  style  a  de  la  douceur 
sans  fermeté ,  et  dont  les  plans  incohérents  et  invraisem- 
blables, enchaînant  une  nmllitu<le  <le  péripéties  inutiles  ou 
inattendues,  ne  semblent  qu'un  prcIcNte  offert  à  la  verve 
larmoyante  d'une  poésie  sans  virilité.  Une  des  conles  les 


ANGLETERRE 


587 


plus  vibrantes  de  rintelligence  et  de  rame  anglaises  rc'sonne 
cependant  sous  sa  main  ;  il  cherche ,  à  l'instar  de  Words- 
worth ,  la  terreur  et  la  pitié  près  du  foyer  domestique;  il 
les  puise  d;uis  les  sentiments  et  les  amours  de  la  famille , 
quelquelois  entraîné  vei-s  la  mollesse  emphatique  de  Kotze- 
hue,  souvent  aussi  pathétique  et  simple,  mais  rappelant 
prescpie  toujours  la  forme  élégante  et  un  peu  l;\che  de  Beau- 
mont  et  l'ietcher,  ces  deux  auteurs  peu  connus  en  France, 
écrivains  remarquables ,  qui  continuèrent  Shakspeare  avec 
])lus  de  fécondité  dans  la  diction  ,  moins  de  profondeur  dans 
la  pensée ,  moins  de  sérieux  dans  l'observation  ;  chantres 
plus  passionnés  que  profonds  ,  plus  fleuris  que  graves , 
plus  ingénieux  que  convaincus,  l^ersonne,  aujourd'hui, 
pas  même  M.  Edouard  Lytton  Bulwer,  dont  la  Lyon- 
naise (  lady  of  Lions  )  a  eu  quelque  succès ,  ne  rentre  fran- 
chement dans  la  voie  de  l'observation  shakspearienne , 
la  seule  qui  puisse  renouveler  le  drame  britannique.  De- 
puis Chaucer  jusqu'à  Spenser,  et  depuis  Bacon  jusqu'à 
Walter  Scott,  l'originalité  anglaise  n'a  qu'une  source,  l'é- 
tude des  caractères  humains  ;  à  elle  seule  s'attache  Shaks- 
peare, dont  La  Bruyère  est  l'expression  philosophique  cl 
diminuée ,  et  qui  ne  néglige  pas  l'analyse  dans  la  peinture 
même  de  la  passion  et  de  ses  orages  ;  de  là  sont  éclos  Mac- 
beth ,  Hamlet ,  Yago  ,  Desdémone ,  même  Béatrix ,  même 
la  nourrice  de  Juliette ,  les  êtres  les  plus  complets  dont  la 
philosophie  ait  fait  présent  à  l'imagination.  La  Grande- 
Bretagne  admire  encore  Ben-Johnson ,  chercheur  minutieux 
des  singularités  et  des  phénomènes  humains.  Jamais ,  quoi 
qu'elle  ait  pu  faire,  elle  n'a  sincèrement  applaudi  à  la  pas- 
sion pure,  telle  que  le  doux  et  profond  Racine  la  déve- 
loppe ;  son  drame  à  elle ,  c'est  la  vaste  critique  de  l'huma- 
nité. Elle  l'a  saluée  tour  à  tour  chez  Ben-Johnson,  Massiuger, 
Dekker,  Buckhigham ,  Sheridan  ;  répudiant  sur  la  scène 
Dryden  et  Rowe  et  le  doux  Otway ,  que  l'on  joue  à  i)eine 
deux  fois  par  année.  Changerez-vous  le  génie  des  nations  ? 
Jamais.  Walter  Scott,  élève  de  Shakspeare,  a  conquis  la 
gloire  par  cette  lucide  intelligence  de  tous  les  intérêts ,  de 
toutes  les  âmes,  de  toutes  les  faiblesses,  qu'il  a  portée  à 
.son  tour  dans  le  roman.  M.  Buhver  n'a  dû  la  renommée  de 
Pelham  et  de  Maltravers  qu'à  la  sagacité  méditative  dont 
il  a  souvent  fait  preuve.  Pourquoi ,  lorsque  le  fond  de  l'es- 
prit national  subsiste ,  le  drame  se  détache-t-il  de  cette 
racine  de  tout  succès?  Avec  des  incidents  romanesques  et 
un  dialogue  sentimental ,  il  ne  parviendra  point  à  vaincre 
l'indifférence  d'un  peuple  de  négoce,  d'affaires,  de  laheur, 
qui  redoute  surtout  la  puérilité,  qui  s'est  habitué  à  l'ana- 
lyse, dont  la  discussion,  l'examen  et  l'enquête  constituent 
la  vie  commune,  et  qui  se  laissera  toujours  dominer  par 
les  vues  de  son  esprit  beaucoup  plus  que  par  l'impétuosité 
de  ses  passions.  Philarète  Chasles.] 

Nous  ajouterons  encore  quelques  détails  tout  matériels. 
Les  échafaudages  en  bois  dont  nous  avons  parlé  au  début 
de  cet  article  se  constnùsaient  d'ordinaire  dans  la  cour  de 
quelque  grande  auberge.  La  cour  servait  de  paiterre,  les  fe- 
nêtres figuraient  les  loges,  et  les  corridors  en  saillie  tenaient 
lieu  de  galerie.  Des  tapisseries ,  des  tapis  suspendus  rempla- 
çaient la  toile  et  les  coulisses,  et  Inigo  Jones,  né  en  1572, 
fut  le  premier  qui  peignit  des  décorations.  Jusque  alors  une 
inscription  placée  sur  une  planche  indiquait  aux  .specta- 
teurs ce  que  le  théâtre  était  censé  représenter,  ou  bien  en- 
core l'acteur  les  en  prévenait  d'avance.  Dans  l'une  des  plus 
anciennes  pièces  historiques ,  .Çe/iHizw  ,  emperor  of  the 
Turks,  qui  fut  imprimée  en  \W.)'i ,  le  héros  porte  le  cadavre 
de  son  père  vers  le  temple  de  Mahomet;  et  l'acteur  chargé 
du  rôle  doit  s'interrompre  pour  dire  au  public  :  Supposez 
ici  le  temple  de  Mahomet.  Jusqu'en  1590,  le  pri.\  des  der- 
nières places  fut  d'environ  10  centimes,  et  celui  des  jdus 
chères  de  1  fr.  50  centimes,  valeur  actuelle.  Les  représen- 
tations commençaient  à  trois  heures  de  l'après-midi,  et  ne 
se  prolongeaient  pas  plus  de  deux  heures.  Pendant  leur 


durée,  les  spectateurs joua'ent  aux  cartes,  mangeaient,  bu- 
vaient ou  fumaient  à  volonté.  Sous  le  règne  de  Jacques'  I" 
les  trois  théâtres,  construits  à  l'origine  sur  les  limites  d.' 
Il  Cité,  comptaient  déjà  quatorze  rivaux.  Aujourd'hui  la 
nombre  des  théâtres  de  Londres  est  de  vingt-deux.  11  v  a 
quatre-vingts  ans  on  n'aurait  pas  trouvé  de  théâtre  dans  mu; 
seule  ville  de  province,  et  on  y  rencontre  encore  aussi  peu  de 
troupes  permanentes  qu'à  Londres  même.  D'ordinaire  en 
effet,  les  troupes  de  comédiens  se  réunissent  à  l'ouverture  de 
ce  qu'on  appelle  en  Angleterre  la  saison  ;  et  une  fois  qu'elle 
est  finie,  elles  se  séparent.  Toute  représentation  théâtrale  est 
interdite  dans  les  villes  universitaires  d'Oxford  et  de  Cam- 
bridge. Parmi  les  artistes  dramatiques  dont  l'Angleleiro; 
s'enorgueillit,  il  faut  citer  Ga  rric  k,  Edmoml  Kean, 
John  et  Charles  Kern  b  le,  Cooke,  Lewis,  W.  Macready, 
MM'ues  Betterton,  Borry,  Leigli,  Butler,  Montford,  Brace- 
girdle,  Siddons,  Farren  et  Jordan.  Jusqu'à  l'année  170S, 
époque  où  Owen  Swiney  prit  des  mains  des  poètes  Con- 
grève  et  Vanbrugh  la  direction  de  Drury-Lane  et  du 
théâtre  de  Hay-Markel,  les  acteurs  et  les  actrices  n'avaient 
encore  jamais  eu  de  gages  Qxes.  Le  produit  de  la  recette, 
déduction  faite  des  frais,  était  partagé  en  vingt  parts, 
dont  dix  appartenaient  au  directeur  et  les  dix  autres  àl.t 
troupe.  C'est  dans  les  ouvrages  originaux  de  Shelone,  Stee- 
vens,  Chalmers  et  Collier  qu'on  trouvera  les  renseigne- 
ments les  plus  certains  sur  les  développements  du  théâtre 
anglais.  On  consultera  aussi  avec  fruit  Ilavvkins,  The  Origin 
oj  the  English  Drama  (3  vol.,  Oxford,  1773  ). 

Beaux-Arts. 

L'AngleteiTe,  si  riche  sous  tant  de  rapports,  est  vraiment 
pauvre  en  fait  de  beaux-arts.  La  divine  étincelle  qui  seule 
fait  les  grands  artistes  semble  s'être  éteinte  dans  l'humide 
climat  de  la  Grande-Bretagne.  On  ne  cite  presque  aucun 
peintre  anglais,  aucun  statuaire,  aucun  graveur  sur  pierre 
ou  sur  métaux,  aucun  compositeur  de  musique  appartenant 
à  cette  nation,  qui  se  soit  fait  un  nom  européen.  Peut-être 
les  productions  les  phis  remarquables  de  l'art  anglais  sont- 
elles  encore  celles  de  l'architecture.  —  On  rencontre  de 
tous  côtés  sur  le  sol  de  la  Grande-Bretagne  de  ces  my.stérieu.ses 
constructions  que  la  science  appelle  des  monuments  pé- 
lasgiques ,  et  une  grande  quantité  de  monuments  druidiques. 
Quelques  tours  grossières  etinforraes,  attribuées  aux  Bretons, 
sont  les  seuls  vestiges  d'une  architecture  militaire  dans  ces 
temps  reculés.  Les  Romains,  au  contraire,  ont  laissé  de  nom- 
breuses traces  de  leur  domination ,  entre  autres  la  fameuse 
muraille  qui  servit  à  arrêter  les  invasions  des  Pietés.  Un 
mélange  confus,  bizarre  et  fantastique  de  figures  d'animaux 
paraît  avoir  dominé  dès  l'époque  saxonne  dans  rornemen- 
tation.  L'invasion  noiTnande  eut  pour  résultat  d'introduire 
de  l'autre  côté  du  détroit  l'architecture  du  nord  de  la  France. 
On  serait  cependant  tenté  de  croire  qu'elle  s'y  abâtardit, 
lorsqiie  l'on  compare  ces  édifices  lourds,  surchargés  de  dé- 
tails capricieux  et  de  mauvais  goût ,  avec  les  élégantes  et 
grandioses  constructions  de  la  Normandie.  L'infériorité  de 
l'Angleterre  fut  encore  plus  manifeste  pendant  la  période 
gothique ,  où  le  sentiment  de  la  forme  échappa  complète- 
ment aux  artistes  anglais.  Leurs  églises  n'offrent  rien  qui 
se  puisse  comparer  aux  riches  clôtures  des  chœurs  non  plus 
qu'à  la  guirlande  des  chapelles  basses  qu'on  trouve  dans  les 
cathédrales  du  continent.  On  y  rencontre  uniformément  une 
chapelle  qui  forme  le  fond  du  vaisseau  et  qui  e.st  éclairée 
par  une  fenêtre  énorme.  Le  cintre  des  voûtes  dégénéra  ra- 
pidement, pour  tomber  dans  le  genre  maniéré.  Des  orne- 
ments de  tout  genre  seipentent  en  dentelures  le  long  des 
arcades,  et  se  répètent  d'une  manière  riche,  mais  uniforme, 
autour  du  jiortail  et  des  fenêtres.  Le  style  anglais  en  effet 
jette  p:.rtout  l'ornement  à  profusion,  afin  de  n'avoir  pas  a 
sculpter  de  figures,  genre  où  il  a  la  conscience  de  son  inféiio- 
rité.  Quand  on  considère  du  dehors  une  cathédrale  anglaise, 


588 


ANGLETERRE 


on  se  prend  involontairement  à  la  comparer  à  un  cluUcau 
fort.  Los  (5f;lises  sont  basses,  mais  longues,  et  ont  trois  ou 
tont  au  moins  deux  nefs  transversales.  Au-tlessus  de  l'une 
d'elles  s'élève  la  grande  tour  du  milieu ,  le  plus  souvent 
garnie  de  créneaux  comme  l'église  elle-môme;  ce  qui  lui 
donne, l'aspect  d'un  cliiteau  féodal.  Les  tours  du  portail, 
lorsqu'il  en  existe ,  ne  sont  rien  à  côté  de  celle-ci.  Dans 
toutes  les  tours  des  églises  d'Angleterre,  le  carré  ne  se  trans- 
forme jamais  en  octogone,  comme  dans  celles  du  continent, 
où  ce  changement  produit  un  si  bel  effet;  mais  elles  ont  un 
grand  avantage  sur  celles-là ,  c'est  qu'ordinairement  elles 
sont  entièrement  achevées;  elles  le  doivent  aux  dimensions 
exiguës  et  peu  élevées  des  constructions;  il  n'est  jamais 
arrivé  en  Angleterre  de  voir  le  portail  et  ses  tours  absorber 
les  fonds  destinés  à  l'édifice  entier.  Si  l'architecture  reli- 
gieuse manque  de  grandeur ,  celle  des  châteaux  semble  être 
arrivée  aux  limites  de  la  perfection  :  aussi  comme  en  France 
elle  a  souvent  influé  sur  celle  des  églises. 

Les  plus  remarquables  cathédrales  de  l'Angleterre  sont  : 
dans  le  style  qui  précéda  le  gothique ,  celles  de  Norwich , 
de  Rochester,  de  Fly ,  et,  sous  quelques  rapports  aussi,  celles 
de  Winchester  et  de  Durham  ;  et  en  fait  de  style  gothique, 
celles  de  Westminster,  d'York,  de  Canterbury,  de 
Salishury  et  de  Lincoln  ,  ainsi  que  les  chapelles  de  W' indsor 
et  de  King's  collège  à  Camlwidge.  Le  magnifique  château 
de  Windsor  tient  le  premier  rang  parmi  les  châteaux  go- 
thiques. Vers  la  fin  du  quinzième  siècle ,  le  style  gothique 
devint  fastueux  et  surchargé  en  Angleterre  comme  partout 
ailleurs,  et  peut-être  môme  là  plus  qu'ailleurs.  On  a  donné 
par  flatterie  à  ce  genre  bâtard  le  nom  de  Jlorid  gothic  du 
roi  Henri  VII.  La  chapelle  de  Westminster  est  le  plus  beau 
modèle  de  ce  style. 

D'innombrables  constructions,  exécutées  après  la  fia  des 
guerres  de  la  Rose  blanche  et  de  la  Rose  rouge,  firent  pré- 
valoir pour  longtemps  cette  profanation  du  style  gothique  ; 
et  de  même  qu'en  France  le  style  de  la  Renaissance  est 
redevenu  à  la  mode  de  nos  jours,  on  est  également  revenu 
en  Angleterre ,  après  bien  des  tâtonnements  dans  le  do- 
maine du  classique,  au  gothique  de  l'époque  postérieure  : 
c'est  ce  style  que  l'on  a  adopté  pour  le  nouveau  palais  des 
deux  chambres  du  parlement.  On  ne  saurait  nier  d'ailleurs 
que  le  style  profane  l'emporte  en  valeur  intrinsèque  sur  le 
style  fleuri  gothique  religieux ,  et  qu'il  ne  manque  même 
pas  crunc  majesté  grave  et  pitlorescpie.  L'intérieur  des  sal- 
les d'armes  dans  les  châteaux,  les  hôtels  de  ville  et  les  col- 
lèges (il  en  est  plusieurs  qui  datent  du  seizième  siècle)  pro- 
duit le  plus  grand  effet  par  l'aspect  pittoresque  de  la  char- 
pente saillante  du  plafond.  L'époque  de  la  Renaissance  an- 
glaise, à  partir  de  la  moitié  du  seizième  siècle,  n'est  pas  non 
jiliis  à  dédaigner,  et  d'ailleurs  les  romans  de  Walter  Scott 
l'ont  popularisée  sur  le  continent.  Mais  dès  lors  l'Italie 
commence  à  exercer  sur  l'Angleterre  une  influence  telle, 
•lu'il  ne  saurait  plus  désormais  être  question  d'une  archi- 
tecture anglaise  proprement  dite. 

Inigo  Jones  (1575-1655),  l'architecte  du  p  lais  de 
Whitehall ,  continua  fidèlement  la  tradition  de  Palladio. 
ChristopheWren  (  16.32-1723  ),  qui  construisit  une  immense 
quantité  d'édifices  superbes,  surtout  après  le  grand  incendie 
qui  en  1666  dévora  une  partie  de  la  ville  de  Londres,  et  qui 
jouit  d'une  grande  réputation  pour  avoir  été  l'architecte  des 
églises  Saint-Paul  et  Saint-Étienne  de  Londres ,  du  palais 
d'IIampton-Court,  et  du  77/efl/r!/?n  d'Oxford,  suivit  complè- 
tement, lui  aussi,  la  direction  imprimée  à  l'art  par  les  ar- 
chitectes italiens  et  français  ses  contemporains;  il  ne  man- 
que pas  d'ailleurs  de  noblesse  et  de  «-vérité  dans  les  propor- 
tions et  dans  l'ordonnance  de  ses  plans.  Les  con.^trurtions 
élevées  après  lui  sont  en  général  de  l'effet  le  plus  lueJiocre. 
Vers  la  fin  du  di.v-lmitième  siècle,  quand  le  style  classi(iue 
l'emporta  sur  le  style  rococo,  l'Angleterre  ne  put  érhnpper  à 
l'influence  de  ce  mouvement.  Les  Antiquifies  of  Al/iens  et 


les  Antiquities  qf  Atlica  de  Stuart  excitèrent  un  véritable 
enthousiasme  pour  le  style  grec,  dont,  en  dépit  des  condi- 
tions si  peu  favorables  du  climat  de  l'Angleterre ,  on  fit 
alors  un  fréquent  usage,  et  qu'on  n'a  cependant  pas  encore 
su  y  employer  dans  la  mesure  qui  convient  aux  pays  du 
Nord.  Le  style  profane  gothique,  redevenu  tout  récemment 
à  la  mode,  est  appliqué  aujourd'hui  avec  beaucoup  d'habi- 
leté et  même  d'originalité,  quoique  sous  ce  rapport  Londres 
n'offre  que  peu  de  ressources ,  attendu  que  les  grands  pro- 
priétaires ne  considèrent  leurs  demeures  de  ville  que  comme 
de  simples  pied-à-terre  et  réservent  tout  leur  luxe  pour  leurs 
habitations  de  campagne. 

La  peinture,  ne  commença  à  jeter  quelque  éclat  en  An- 
gleterre que  vers  le  milieu  du  dix-huitième  siècle.  Au  moyen 
âge,  elle  y  fut  cultivée  sans  doute,  comme  les  autres  arts 
qui  s'y  rattachent,  mais  cependant  avec  bien  moins  de  succès 
qu'en  Italie,  en  France  ou  en  Allemagne.  Au  treizième  siècle, 
sous  le  règne  de  Henri  III  ,  on  exécuta  quelques  grandes 
peintures  murales  ;  et  dans  les  chartes  et  documents  du  qua- 
torzième siècle  il  est  souvent  mention  de  tableaux  repré- 
sentant des  saints.  Dans  l'église  de  Slien  on  voyait  un  ta- 
bleau d'autel  du  quinzième  siècle  avec  les  portraits  de  Henri  V 
et  des  membres  de  sa  famille ,  et  un  grand  nombre  de  livres 
de  cette  époque  sont  ornés  de  miniatures.  L'essor  brillant 
que  la  peinture  prit  alors  en  Italie  et  en  Allemagne  réagit 
visiblement  sur  la  culture  des  arts  en  Angleterre  ,  sans  ce- 
pendant y  provoquer  rien  d'origmal  ;  et  quand  arriva  la 
reformation,  la  plus  grande  partie  des  tableaux  alors  exis- 
tants furent  détruits ,  en  même  temps  qu'on  perdait  l'occa- 
sion de  faire  servir  la  peinture  à  la  représentation  des  su- 
jets religieux.  Longtemps  déjà  avant  la  Réformation,  comme 
aussi  jusque  vers  la  fin  du  dix-septième  siècle,  ce  fut  pres- 
que exclusivement  grâce  à  des  étrangers  que  la  peinture  jeta 
quelque  éclat  en  Angleterre  :  par  exemple,  sous  Henri  VII, 
le  Flamand  Mabuse;  sous  Henri  VIII,  Gérard  Horenbout 
et  le  peintre  d'histoire  et  de  portraits,  Hans  Holbein  le 
jeune,  Aflemand  de  nation,  qui  exerça  également  une  grande 
influence  sur  tous  les  autres  arts,  et  qui ,  indépendamment 
d'une  innombrable  quantité  de  portraits,  exécuta,  dit-on,  des 
séries  complètes  de  sujets  historiques  ;  sous  la  reine  Marie , 
Antoine  Moor;  Federigo  Zucchero  ,  Lucas  de  Heere  et  Cor- 
nélius Katel ,  sous  Elisabeth ,  dans  les  dernières  années  du 
règne  de  laquelle  on  vit  aussi  pour  la  première  fois  quelques 
Anglais  ,  tels  que  Hilliard  et  Oliver,  se  faire  une  réputation 
dans  la  peinture  en  miniature.  La  peinture  sur  verre  fut 
souvent  pratiquée  par  des  artistes  anglais,  mais  plutôt  comme 
métier  que  comme  art.  Jacques  I"  appela  en  Angleterre  le 
Hollandais  IMylens,  et  protégea  la  peinture,  comme  fit  aussi 
Charles  r%  qui  enrichit  considérablement  les  collections 
commencées  par  Jacques,  et  qui  accueiUit  avec  distinction  à 
sa  cour  d'abord  Rubens,  puis  Van  Dyck.  L'activité  brillante, 
mais  de  courte  durée ,  qu'il  fut  donné  à  cet  artiste  de  dé- 
ployer comme  peintre  du  roi,  semble  avoir  suffi  pour  assurer 
pour  toujours  en  Angleterre  la  prééminence  du  portrait  sur 
la  peinture  historique.  George  Jameson ,  autre  élève  de  Ru- 
bens ,  le  premier  artiste  qui  se  soit  fait  une  grande  réputa- 
tion conmie  portraitiste,  et  qui  exerçait  son  art  en  Ecosse, 
fut  le  contemporain  et  presque  le  rival  de  Van-Dyck.  William 
Dohson,  qui  se  forma  lui-même  par  l'étude  des  œuvres  de 
Van-Dyck,  date  de  la  même  époque. 

La  proscription  qui,  sous  le  règne  des  puritains,  frappa  tous 
les  tableaux  d'église,  limita  désormais  la  grande  peinture 
au  portrait.  Aussi,  après  la  mort  prématurée  de  Van-Dyck, 
sir  Peter  Lely,  dont  le  véritable  nom  était  Peter  Van  (1er 
Faas ,  originaire  de  Su'tt  en  Westplialle,  obtint-il  toute  la 
faveur  d'une  cour  dont  il  flattait  les  moeurs  perverties.  Chez 
lui  le  faire  de  Van-Dyck,  qu'il  vise  manifestement  à  imiter, 
est  trop  cherché,  et  dégénère  en  maniéré.  Il  eut  pour  rival  et 
pour  successeur  Gottfrie<l  Knellcr,  de  Lubeck,  qui,  comme 
peintre  du  roi  Charles  II,  tint  une  véritable  fabrique  depor- 


ANGLETERRE 


589 


Irnits.  Quoiqirils  aionl  eu  liion  moins  de  réput.ilion,  les  por- 
Irails  de  Jonatlian  Ricliardsoii  leur  étaient  bien  supérieurs. 
C'est  seulement  des  premières  années  du  dix-huitiéme 
siécleqiie  date  en  Angleterre  ce  qu'on  appelle  la  peinture  his- 
torique ,  laquelle  pourtant  ne  consistait  guère  alors  qu'en 
scènes  mythologiques  et  en  froides  allégories  dépourvues 
souvent  de  goût.  Sir  James  Ti\ornhill,  né  en  1676,  mort 
en  1734,  qui  peignit  la  coupole  de  Saint-Paul  et  la  salle 
d'armes  de  Greenwieh,  fut  le  premier  qui  mit  ce  genre  en 
renom.  Ses  compositions  et  ses  ligures  ne  manquent  pas  de 
vie,  mais  son  stjle  est  dépourvu  de  noblesse,  et  son  coloris 
terne  et  uniforme.  Il  ne  fonda  point  d'école,  et  ne  laissa  pas 
non  plus  de  successeurs  de  quelque  importance.  William 
Hogarth  (lGii7-l7Gi)  doit  élre  considéré  comme  le 
premier  peintre  originpl  qu'ait  produit  l'Angleterre ,  quoi- 
»|u'il  rit  exercé  son  talent  dans  un  tout  autre  genre.  11  excella 
en  eflet  dans  la  peinture  satirique  des  mœurs  de  son  temps 
et  des  vices  inhérents  à  Ihumanité,  et  fut  le  créateur  de  la 
caricature  anglaise ,  qui  après  lui  a  pu  devenir  plus  mor- 
dante, plus  acerbe,  plus  variée,  mais  qui  ne  sera  jamais  ni 
plus  vraie  ni  plus  naturelle.  Assez  peu  remarquable  comme 
peintre ,  mais  graveur  ingénieux,  il  fut  le  premier  qui  im- 
prima à  la  peinture  anglaise  cette  tendance  à  rendre  exac- 
telnent  la  nature  qui  la  caractérise,  et  que  le  génie  particulier 
de  la  nation  anglaise  a  depuis  lors  considérablement  déve- 
loppée. Sir  Joshua  Reynolds  (1723-1792),  au  contraire, 
fit  de  la  peinture  en  grand  artiste,  et,  sans  s'écarter  trop  de 
la  réalité ,  sut  donner  à  son  pinceau  cette  touche  idéale  sans 
laquelle  l'art  n'existe  point.  Cet  artiste ,  qui  s'était  formé 
en  Italie,  surtout  par  l'étude  des  grands  maîtres  de  lécole 
vénitienne,  fut  nommé  président  de  l'Académie  Royale  des 
Beaux-Arts,  instituée  en  1768,  et  influa  sur  les  développe- 
ments de  l'art  tout  autant  par  son  exemple  que  par  ses  écrits. 
Il  peignit  presque  exclusivement  des  portraits,  toujours 
avec  beaucoup  de  naturel  et  de  grâce,  en  même  temps  qu'a- 
vec un  coloris  plein  de  force  et  de  vérité  ;  il  s'efforça  d'ail- 
leurs de  faire  prévaloir  le  principe  d'après  lequel  on  doit  con- 
centrer tout  l'effet  sur  le  sujet  principal  et  négliger  les  acces- 
soires ,  même  comme  exécution.  Ce  système,  qui  produisit 
souvent  des  effets  bizarres  et  maniérés,  et  dans  lequel  on 
trouve  plutôt  un  pinceau  ingénieux  que  la  vérité  de  la  nature, 
a  fait  école  parmi  le  plus  grand  nombre  des  peintres  anglais 
modernes.  En  même  temps  que  Reynolds ,  en  peignant  des 
portraits ,  acquérait  une  grande  réputation  et  une  grande 
fortune,  il  exaltait  dans  ses  discours  académiques  (à  la  pu- 
blication desquels  Burke  ne  resta  probablement  pas  étranger) 
le  mérite  des  grands  maîtres  italiens,  de  Michel- Ange,  de 
Raphaël,  du  Titien ,  du  Corrége,  et  il  excitait  ainsi  parmi  les 
artistes  le  goût  pour  la  grande  peinture  historique,  pour  la- 
quelle l'Angleterre  a  toujours  montré  au  fond  assez  d'indif- 
férence. Il  faut  reconnaître  d'ailleurs  que  s'il  a  rendu  d'im- 
portants services  à  l'art,  ses  écrits  propagèrent  des  idées 
erronées ,  dont  l'influence  sur  la  peinture  anglaise  se  fait 
encore  sentir  aujourd'hui.  On  a  cependant  de  lui  quelques 
bons  ouvrages  dans  le  genre  historique,  entre  autres  quelques 
portraits  de  la  galerie  de  Shakspeare.  Ses  rivaux,  dans  le 
portrait,  furent  Allan  Ramsay  et  Georges  Romney,  ainsi  que 
Thomas  Gainsborough  (1727-1788),  artiste  d'un  grand  mé- 
rite ,  dont  le  paysage  était ,  à  bien  dire,  la  spécialité. 

On  doit  citer  comme  le  plus  remarquable  paysagiste  que 
l'Angleterre  ait  produit  à  cette  époque  Richard  Svilson, 
imitateur  de  Claude  Lorrain.  Seulement  il  partage  par  mal- 
heur le  défaut  de  tant  de  paysagistes  anglais,  qui  reprodui- 
sent le  ton  et  le  coloris  des  tableaux  de  Claude  Lorrain  et  du 
Poussin  tels  qu'ils  sont  aujourd'hui,  c'est-à-dire  obscurcis 
par  les  ombres  qui  ont  poussé  depuis  deux  cents  ans  qu'ils 
existent.  Le  quaker  américain  Benjamin  West  (  1738-1820), 
qui  se  rendit  d'abord  célèbre  comme  peintrxî  d'histoire,  bien 
qu'il  manquât  de  génie  créateur,  succéda  à  Reynolds  dans 
les  fonctions  de  président  de  l'-Vcadémic.  Il  mérita  de  l'art 


anglais  moins  par  ses  propres  ouvrages  que  par  sa  sollici- 
tude jiour  la  prospérité  de  l'Académie  et  par  la  part  qu'il 
prit  à  la  fondation  delà  Firitisli  I)isritu(io>i.  Les  expositions 
organisées  par  ces  deux  institutions  ont  extrêmement  favo- 
risé la  propagation  du  goût  des  arts  parmi  le  public  anglais , 
en  même  temps  qu'elles  excitaient  l'émulation  des  artistes. 
Ses  contemporains  Bar  ry,  Opie,  II.  Fussly,  Northcote,  Rom- 
ney, W'right,  Copley,  ne  rendirent  pas  avec  plus  de  bonheur 
que  lui  la  forme  extérieure ,  et  n'étudièrent  pas  mieux  les 
sujets,  mais  ils  lui  furent  quelquefois  supérieurs  par  la  cha- 
leur et  l'imagination.  Un  caractère  commun  à  tous  les  ar- 
tistes que  nous  venons  de  nommer ,  c'est  la  faiblesse  du 
dessin  et  l'exagération  de  l'héroïque  comme  du  sentimental. 
Leurs  œuvres  n'ont  pas  d'ailleurs  le  caractère  général  d'une 
école.  Fussly  fut  incontestablement  le  plus  important  d'entre 
eux,  et  n'influa  pas  peu  sur  ses  contemporains  par  ses  scènes 
fantastiques  ,  dans  le  nombre  desquelles  nous  rappellerons 
son  célèbre  Cauchemar.  A  cette  même  époque  brillait  comme 
peintre  de  marines  Ph.-J.  Loutherbourget  G.  Morland, 
le  premier  qui  traita  des  scènes  de  la  vie  commune  à  la  ma- 
nière de  Teniers  et  d'Ostade. 

La  sympatlde  du  public  anglais  pour  la  peinture  d'histoire 
fut  surtout  développée  par  la  galerie  de  Shakspeare  qu'entre- 
prit John  Boydell,  et  par  l'essor  que  prit  tout  à  coup  l'art 
de  la  gravure  en  Angleterre. 

On  sait  en  effet  qu'à  l'exception  de  R.  Strange,  qui  travailla 
d'après  d'anciens  maîtres ,  les  principaux  graveurs  anglais, 
tels  que  Bartolozzi,  Woollett ,  Sharp,  Sberwin,  Meddi- 
man ,  J.  et  C.  Heath,  Earlom  et  Fittler,  travaillèrent  d'après 
les  tableaux  des  maîtres  anglais.  Il  faut  cependant  ajouter 
que  lagravme  au  pointillé,  introduite  en  Angleterre  par  Bar- 
tolozzi ,  eut  pour  résultat  de  propager  une  quantité  énorme 
des  plus  mauvais  ouvTages,  et  d'habituer  le  goût  du  public 
aux  fades  représentations  de  scènes  domestiques  et  senti- 
mentales. Vers  le  milieu  du  dix-huitième  siècle  la  peinture 
sur  verre  prit  aussi  un  grand  essor  en  Angleterre,  grâce  aux 
travaux  de  Jarvis  et  d'Eginton,  sans  réussir  toutefois  à  égaler 
les  couleurs  si  belles  des  anciennes  verrières  qu'on  admire 
dans  plusieurs  cathédrales  d'Angleterre.  La  peinture  de  pa- 
norama fut  aussi  cultivée  alors  avec  succès  par  R.  Barker, 
mort  en  ISOG. 

L'école  de  David ,  qui  de  France  étendit  son  influence 
sur  presque  toute  l'Europe,  n'en  exerça  que  très-peu  sur 
l'Angleterre.  Il  n'y  eut  qu'un  très-petit  nombre  d'artistes, 
tels  que  Westall,  qui  dans  la  peinture  historique  s'abandon- 
nèrent à  sa  manière  finie  et  léchée  ainsi  qu'à  ses  effets  de 
théâtre.  D'autres  artistes,  plus  récents,  tels  que  Hilton  Etty  et 
Briggs,  adoptèrent  une  voie  plus  indépendante,  sans  cependant 
laisser  après  eux  rien  de  bien  remarquable.  Stothard  fut  un 
artiste  d'une  imagination  aussi  vive  que  féconde.  Ilaydon 
ne  répondit  pas  aux  grandes  espérances  qu'il  avait  fait  con- 
cevoir. 

Depuis  1830  John  Martin  surtout  a  fait  sensation  par  ses 
compositions  colossales,  par  exemple  la  Chute  de  Babel,  le 
Déluge,  le  Festin  de  Balthasar,  le  Dernier  jour  de  Pom- 
péi,  etc.,  qui  tous  impressionnèrent  vivement  le  public  par 
le  grandiose  rare  de  leurs  proportions  et  par  des  effets  de 
lumière  tout  à  fait  nouveaux.  Cependant  cette  direction  de 
l'art,  avec  ces  colossales  masses  architecturales,  qui  se  réi)è- 
tent  partout,  et  avec  ces  innombrables  petites  ligures  non 
susceptibles  d'expression  en  raison  de  l'extrême  exiguïté  do 
leurs  proportions,  a  déjà  vécu.  Danby,  imitateur  de  Mar- 
tin ,  n'a  aucune  importance. 

Ce  qui  a  toujours  manqué  en  Angleterre  à  la  peinture 
d'histoire ,  ce  sont  les  encouragements  de  grands  travaux 
publics  à  exécuter;  et  force  lui  a  été  de  se  borner  aux 
besoins  des  convenances  domestiques,  et  souvent  aux  caprices 
de  ceux  qui  lui  faisaient  des  commandes.  L'Église,  appelée 
autrefois  à  fournir  l'occupation  la  plus  grandiose  à  la  peinture 
historicpie,  renonça  en  Angleterre,  à  partir  de  la  Réfornu- 


590 


ANGLKTERRE  —  ANGLICANE 


tion,  à  avoir  rien  de  commun  avec  les  arts.  Il  faut  pour- 
tant nommer  actuellement  M.M.  AnsJeil ,  Maclise,  Paton , 
O'Neil,  I-Mcy,  Foggo,  Cross,  Cope,  Armitage,  K.-M.  Ward, 
Millais,  W.  Himt,  Frost,  Ilook,  Cooper,  dont  l'exposition 
(le  l83r>  nous  a  montre'  les  œuvres.  Cet  éloif^nement  pour 
la  peinture  iiistorique  a  fait  prendre  une  (iliis  jjrande  impor- 
tante au  genre  anecdoli(iue  et  au  portrait.  Celui-ci  a  eu 
d'ailleurs  un  représentant  ingénieux  en  sir  Thomas  Law- 
rence (  1779-1830  ),  appelé  à  présider  l'Académie  après 
la  mort  de  West.  Sans  doute  cet  artiste  possédait  à  un 
plus  liaut  degré  encore  que  Reynolds  le  talent  d'une  com- 
position naïve  et  spirituelle;  mais  il  exagère,  jusqu'à  la  plus 
choquante  incorrection,  le  principe  de  négliger  fous  lesacces- 
soires,  et  le  plus  souvent  il  vi.se  trop  aux  effets  qui  sont  le 
produit  du  caprice.  Sa  manière,  qui  n'a  que  l'apparence  de 
la  facilité,  a  fait  une  foule  d'imitateurs  sans  mérite.  Il  eut 
pour  rivaux  John  Jackson  et  Georges  Dawe.  On  doit  encore 
citer  comme  portraitistes,  Th.  Piiilipps,  M. -A.  Shee,  H.  Ho- 
ward, W.  Bfcchey,  James  Ward,  R.  Rothwell,  H.-W. 
Pickersgill,  W.  Hobday,  Grant. 

Uavid  Wilkie  s'est  fait,  comme  pein^ffl  de  genre,  la 
réputation  la  mieux  méritée,  autant  par  son  ingénieuse 
imagination  que  par  son  exécution  naturelle,  vigoureuse  et 
achevée.  Ch.-R.  Leslie  s'est  distingué  par  la  gaieté  comique 
de  son  invention  non  moins  que  par  la  supériorité  avec  la- 
quelle il  exécute  ce  qu'il  a  conçu.  On  doit  ensuite  une  men- 
tion à  C.-A.  Chalon,  à  W.  Mulready  et  à  Landseer,  qui 
s'est  aussi  fait  un  nom  comme  peài^re  d'animaux,  mais 
surtout  à  Charles-Lock  Eastlake  ,  supérieur  pour  la  pu- 
reté du  dessin  et  la  beauté  du  coloris,  et  que  ses  tableaux 
de  Ramlits  italiens  ont  rendu  célèbre  à  bon  droit.  Viennent 
ensuite  Webster,  Frith,  Egg,  Lance.  Le  paysage  peut 
aussi  nous  olfrir  quelques  artistes  d'un  mérite  réel,  par 
exemple  Calcott  et  Danby  pour  les  marines,  et  Glover  pour 
les  groupes  d'arbres.  Turuer  et  Hàvell,  au  contraire,  sont 
maniérés  et  grêles. 

L'aquarelle  a  pris  de  grands  développements  en  Angle- 
terre :  Copley-Fielding,  Wild,  Prout,  Rob.son,  j;iastineau, 
Turner,  Essex,  Nash,  Cattermole,  Lewis  ,  Haag,"Corbould, 
W.  Hunt,Topbam,  Warren,  Fielding,  Callow,  llarding,  Tay- 
1er,  Tliorburn,  etc.,  se  sont  distingués  dans  ce  genre.  On  cite 
parmi  les  peintres  en  miniature  Engleheart,  Harding,  New- 
ton, Robertson,  Douglas  et  Davis. 

Au  total,  on  peut  dire  que  la  peinture  anglaise  de  genre 
présente  bien  plus  de  médiocre  et  de  mauvais  que  de  bon,  et 
même  que  parmi  les  premiers  maîtres  il  n'en  est  qu'un  fort 
petit  nombre,  tels  que  Wilkie,  Pliilipps,  Calcott,  qui  soient 
exempts  de  manière  et  d'affectation. 

La  peinture  de  genre  est  d'ailleurs  celle  qu'on  cultive  le 
plus  généralement  en  Angleterre,  mais  le  plus  souvent  elle 
y  est  traitée  de  la  manière  la  plus  triviale;  c'est  ainsi  que  en 
fait  de  paysages  les  artistes  se  contentent  presque  généra- 
lement de  reproduire  des  vues.  On  apprécie  bien  plus  une 
touche  (ine  et  spirituelle  que  la  noblesse  de  l'invention  ou 
que  la  vérité,  la  simplicité  et  le  naturel  de  l'exécution, 
quoiqu'il  n'y  ait  là  au  fond  que  le  caprice  sans  portée  d'un 
talent  disposant  ses  procédés  techniques  de  manière  à 
frapper  les  sens  au  lieu  de  chercher  à  parler  à  l'àme.  Il  est 
impossible  de  rien  produire  de  bon  et  de  durable  dans  une 
direction  pareille.  Le  goût  public  se  fixe  toujours  sur  des 
sujets  fades  et  de  la  vie  commune.  Aussi  les  collections  de 
vieux  tableaux  ,  si  riches  et  si  nombreuses  qu'elles  soient 
dans  la  capitale,  et  la  Galerie  nationale  de  Londres  n'ont- 
elles  en  définitive  que  très-faiblement  contribué  à  propager 
et  à  améliorer  le  sentiment  du  beau.  L'art  s'est  mis  au  service 
du  luxe  de  l'aristocratie.  En  fait  «le  grands  ouvrages,  il  n'a 
produit  que  des  collections  complètes  de  portraits  des  grandes 
familles  patriciennes,  surtout  force  ladies  avec  mesdemoi- 
selles leurs  filles,  messieurs  leurs  fils  et  leurs  king-Charles 
par-dessus  le  marché.  Or  ces  <iaraes  permettent  qu'on  les 


embellisse  tellement  et  d'une  manière  si  affectée,  que  les  ar- 
tistes qui  exploitent  ce  genre  lucratif  ont  reçu  le  sobriquet  de 
lady-menders,  ce  qui  veut  dire  raccommodeurs  de  dames. 
Grâce  surtout  à  F  la  x  m  a  n ,  la  sculpture  a  fait  beaucoup 
de  progrès  en  Angleterre.  Outre  Nollekens,  C  h  antrey, 
Westmacott  et  Wyat,  nous  devons  encore  signaler, 
Macdonald,  Hoilins,  Carew,  John  Bell,  Baily,  Ambuclii,Mac- 
dovvell,  Marshall,  Gotf,  Gibsou,  Campbell,  Miller. 

Aux  noms  de  graveurs  que  nous  avons  déjà  <  ités,  il  faut 
encore  ajouter  ceux  de  Pether,  Dixon,  Browne,  Greene,  Hol- 
loway,  Webber  {  célèbre  surtout  par  ses  planches  d'après 
les  cartons  de  Raphaël  ),  Landseer,  Freeman,  Burnet,  Wil- 
liam et  Edouard  Finden,  Cooke,  Goodall,  John  et  Henr)' 
Le  Keux,  qui  a  tiré  un  parti  des  plus  lieureux  de  la  gra- 
vure sur  acier,  genre  d'origine  anglaise.  Les  gravures  an- 
glaises sur  acier  qui  représentent  des  paysages  et  dont  l'Eu- 
rope a  été  inondée  pendant  quelques  années,  en  dépit  de 
l'élégance  de  leur  exécution,  pèchent  trop  .souvent  par 
l'absence  complète  de  vérité,  surtout  en  ce  qui  regarde  la 
touche  des  arbres.  Le  ciel  y  est  aussi  d'ordinaire  beau- 
coup trop  surchargé  de  nuages,  d'effets  atmosphériques  et 
d'effets  de  lumière. 

La  gravure  sur  bois  est  parvenue  en  Angleterre  à  une 
liauleur  de  perfection  jusque  alors  inconnue,  grâce  aux  tra- 
vaux de  Thomas  Bewick,  qui  la  ressuscita  en  1775,  et  de 
ses  successeurs  Th.  Ilood,  Harvey,  Sears,  Tabagg,  Branstone, 
Clennell,  Nesbit,  Green,  Jackson,  Linton,  Thompson,  etc. 
D'innombrables  ouvrages  illustrés ,  c'est-à-dire  ornés  de 
gravures  sur  bois,  notamment  le  Penny  Magazine,  Vltlus- 
trated  London  News,  et  bien  d'autres,  ont  donné  le  signal 
sur  le  continent  à  des  opérations  de  librairie  analogues. 
Les  développements  techniques  de  la  lithographie  ont  été 
les  mômes  en  Angleterre  qu'en  France,  et  la  manière 
riche  d'effets  dont  sont  traitées  quelques  planches  an- 
glaises a  engagé  quelques  lithographes  du  continent  à  en 
imiter  les  procédés.  Les  collections  lithographiées  de  vues 
architecturales  d'Angleterre  et  de  Belgique  par  Haglie  et 
Nash  méritent  d'être  citées  avec  éloge  pour  leur  irréprocha- 
ble exécution.  Nommons  encore,  parmi  les  lithographes  an- 
glais, Giles,  Maguire,  Lane,  Linnell.  — Consultez  Alian  Cun- 
ningham,  Lives  of  British  Painters ,  Sculptors  and 
Architects  (5  vol.,  Londres,  1829),  et  Hamillon,  The 
EnglishSckool,  a  séries  of  the  most  approved  produc- 
tions in  painting  and  sculpture  (Londres,  1830);  Pas- 
savant, Kunstreise  durch  England  und  Delgien  (  Francf., 
1833),  et  Waagen,  Kunstiverke  und  Kûnstler  in  En- 
gland  (2  vol.,  Berlin,  1838). 

En  musique  les  Anglais  n'ont  jamais  rien  pu  produire  de 
grand.  C'est  dans  le  pays  de  Galles  que  s'est  maintenue  le 
plus  longtemps  l'ancienne  musique  des  Bretons,  laquelle,  de 
môme  que  l'ancienne  musique  des  Écossais,  a  d'ailleurs  quel- 
que chose  d'assez  original.  Dans  ces  derniers  temps,  le  seul 
virtuose  anglais  qui  se  soit  fait  une  réputation  européenne 
a  été  le  pianiste  F  i  e  1  d .  En  revanche,  il  n'y  a  pas  de  pays 
au  monde  où  tout  ce  qui  tient  aux  arts  mécaniques  ait 
atteint  un  aussi  haut  degré  de  perfection  qu'en  Angleterre. 
Quand  l'esprit  de  calcul  domine,  l'imagination  n'a  plus  à 
jouer  qu'un  rôle  secondaire. 

ANGLETERRE  (Nouvelle-). T'oyez  Nouvelle-Angle- 
terre. 

ANGLICANE(Église),appclée  aussi  .F? //5e  .Épiscopaie, 
Haute  Église,  est  la  religion  de  l'État  dans  le  royaume- 
uni  de  la  Grande-Bretagne  et  d'Irlande.  Le  souverain  en 
est  le  cbef  suprême  ;  c'est  lui  qui  convoque  et  proroge  les 
assemblées  du  clergé.  L'Église  Anglicane  est  gouvernée  par 
trois  archevêques  et  vingt-cinq  évoques.  L'archevêque  de 
Cantorbery  porte  le  titre  de  primat  du  royaume-uni;  il  a 
le  privilège  de  couronner  les  rois  et  les  reines,  et  a  vingt 
et  un  évêques  suffragants:  ceux  de  Londres,  Oxford,  Bristol, 
Rochester,  Winchester,  Lincoln ,  Norwich,  Salisbury,  Ély, 


ANGLICANE  - 

Exeter,  Chichester,  BaHi-ct-Wells ,  Worccster,  Coventry- 
et-Liclilield  ,  Hercfonl,  Llamlafl",  Saint-David  ,  Saint-Asapii, 
liangor,  Glocester  et  rctcrboroui;li.  Les  quatre  autres  evù- 
chés  sout  sous  la  juridiction  de  rarchevéque  d'York ,  qui 
iwrte  le  titre  de  primat  d'Angleterre;  ce  sont  :  Sodor-et- 
Man,  Carlisle,  Durham,  Chester.  Les  archevi'ques  et  les 
évéques  sont  désignés  par  le  souverain,  qui  envoie  au  doyen 
et  au  chapitre  ce  que  l'on  appelle  un  congé  d'clhe  par  lequel 
il  indique  la  personne  à  nounnor.  L'évi^que  de  Londres ,  en 
tant  que  chef  spirituel  de  la  capitale ,  a  le  pas  sur  les  autres 
évoques;  celui  de  Durham  vient  après,  comme  chef  d'un 
diocèse  qui  constituait  un  comté  palatin  ;  celui  de  Wincliester 
est  le  troisième;  les  autres  prennent  rang  à  l'ancienneté  du 
sacre.  Les  archevêques  et  les  évéques  (  à  part  celui  de  Sodor 
et  de  Man  )  siègent  à  la  chambre  haute  comme  lords  spi- 
rituels. Les  archevêques  ont  le  titre  de  Grdce  et  de  Très- 
Récércnd  père  en  Dieu  par  la  divine  Providence  ;  on 
donne  aux  évéques  celui  de  Vraiment  Révérend  pare  en 
Dieu  par  la  permission  divine.  Quand  on  donne  l'inves- 
titure à  un  archevêque,  cela  s'appelle  Vclever  au  trône; 
on  installe  les  évéques.  Un  chapitre  ou  conseil  de  l'é- 
Têque,  composé  d'xin  doycti  et  de  plusieurs  chanoines,  est 
attache  à  chaque  cathédrale.  Après  le  doyen  viennent  les 
archidiacres,  qui  sont  au  nombre  de  soixante  et  ont  pour 
fonctions  de  réformer  les  abus  et  d'investir  de  leurs  béné- 
fices ceux  qui  y  sont  appelés.  La  classe  la  plus  nombreuse 
et  la  plus  méritante  du  clergé  se  compose  des  rectors,  vi- 
cars,  curâtes,  et  dcacons.  On  appelle  ^flrsoH  l'ecclésias- 
tique en  pleine  possession  de  tous  les  droits  d'une  église 
paroissiale;  si  les  dîmes  sont  la  propriété  d'un  laïque  qui 
dispose  de  la  cure ,  le  paisoyi  a  le  nom  de  vicar ,  sinon  il 
est  rector.  Le  curate,  qui  correspond  à  peu  près  au  vicaire 
français,  dépend  du  parson  pour  son  salaire ,  et  se  trouve 
sous  ses  ordres.  Les  fonctions  du  deacon  (  diacre  )  se  bor- 
nent à  baptiser,  à  faire  les  lectures  à  haute  voix,  et  à  ser- 
vir le  prêtre  quand  il  donne  la  communion.  L'assemblée  du 
clergé,  q\ii  est  la  plus  haute  cour  ecclésiastique,  n'a  été  ap- 
pelée par  le  gouvernement  à  s'occuper  d'aucune  affaire  de- 
puis 1717. 

La  forme  du  culte  est  déterminée  par  une  Uturgie  ;  les 
points  de  doctrine  sont  renfermés  dans  trente-neuf  articles. 
Les  cinq  premiers  contiennent  une  profession  de  foi  recon- 
naissant la  Trinité,  l'incarnation  de  Jésus-Christ,  sa  des- 
cente aux  enfers ,  sa  résurrection ,  la  divinité  du  Saint- 
Esprit.  Les  trois  suivants  ont  rapport  à  la  canonicité  de 
l'Écriture.  Le  huitième  reconnaît  le  Symbole  des  Apôtres , 
celui  de  >'icée  et  celui  de  saint  Athanase.  Les  suivants 
contiennent  la  doctrine  du  péché  originel,  de  la  justilica- 
tjon  par  la  foi  seule ,  de  la  prédestination ,  etc.  Le  dix-neu- 
vième et  les  suivants  déclarent  que  l'Église  est  l'assemblée 
des  lidoles,  et  qu'elle  ne  peut  rien  décider  que  par  l'Écri- 
ture. Le  vingt-deuxième  rejette  la  doctrine  du  purgatoire, 
des  indulgences ,  du  culte  rendu  aux  images  et  de  l'invo- 
cation des  saints.  Le  vingt-troisième  décide  que  ceux-là 
seuls  qui  auront  été  légitimement  appelés  aux  fonctions 
du  ministère  sacré  peuvent  prêcher  et  administrer  les  sa- 
crements. Le  vingt-quatrième  exige  que  l'anglais  soit  seul 
employé  dans  la  liturgie.  Le  vingt-cinquième  et  le  vingt- 
sixième  déclarent  que  les  sacrements ,  bien  qu'administrés 
par  des  hommes  pervers,  sont  des  signes  eflicaces  de  la 
grâce  divine  qui  excitent  et  affermissent  notre  foi.  D'après 
le  vingt-septième,  le  baptême  est  un  signe  de  régénération 
et  le  sceau  de  notre  adoption,  par  lequel  nous  recevons  de 
Dieu  un  surcroît  de  grâce  ;  selon  le  vingt-huitième  article, 
dans  la  cène,  le  pain  est  le  corps  du  Christ;  le  vin  est 
son  sang,  mais  seulement  spirituellement  et  selon  la  loi 
(  article  29  ).  La  communion  doit  être  administrée  sous  les 
deux  espèces  (article  .30  ).  Le  vingt-huilième  condamne  en- 
core l'adoration  et  l'élévation  de  l'hostie,  ainsi  que  la  doc- 
tiiue  de  la  transsubstantiation  ;  le  trente  et  unième  rejette 


ANGLOMANIE 


591 


comme  blasphématoire  le  sacrifice  de  la  messe  ;  le  trente- 
deuxième  permet  au  clergé  de  se  marier  ;  le  suivant  main- 
tient le  principe  de  l'excommunication.  Les  autres  traitent 
de  la  suprématie  du  souverain,  condamnent  les  anabap- 
tistes ,  etc. 

L'Église  Anglicane  ne  s'est  établie  que  lentement  et  par 
degrés;  elle  conserva  d'abord  une  grande  '•essemblaïue 
avec  l'Eglise  Romaine,  tant  pour  la  doctrine  que  pour  les 
rites.  Lorsfjue  le  parlement  eut  déclaré  Henri  VIII  seul 
chef  de  l'Église,  et  que  l'assemblée  du  clergé  anglais  eut  dé- 
cidé que  l'évêque  de  Rome  n'avait  pas  plus  de  juridiction 
en  Angleterre  qu'aucun  autre  évèque  étranger,  on  décida 
que  les  articles  de  foi  de  la  nouvelle  ÉgUse  consisteraient 
dans  l'Écriture  et  les  trois  symboles ,  des  apôtres ,  de  Ni- 
cée  ,  et  de  saint  Athanase;  le  dogme  de  la  présence  réelle, 
lo  culte  des  images,  l'invocation  des  saints  subsistaient  tou- 
jours. Sous  Edouard  VI  la  nouvelle  liturgie  fut  composée 
en  anglais ,  et  remplaça  l'office  de  la  messe  ;  les  dogmes  fu- 
rent rédigés  en  quarante-deux  articles.  Ce  ne  fut  que  sous 
le  règne  d'Elisabeth  que  l'Église  d'Angleterre  fut  définitive- 
ment constituée.  Comme  la  réforme  n'avait  pas  été  radicale, 
il  se  produisit  une  foule  de  dissensions  (  voyez  Pit.itains, 
Dissidents  ).  Mais  une  hiérarchie  épiscopale  était  plus  fa- 
vorable aux  vues  des  souverains  que  la  constitution  toute 
républicaine  des  presbytériens,  et  cette  maxime  fut 
adoptée  :  «  Qui  rejette  l'évêque,  rejette  le  roi.  » 

Quand  les  théologiens  anglais  revinrent  du  synode  de 
Dordrecht,  le  roi  et  la  majorité  du  clergé  épiscopal 
penchèrent  pour  les  opinions  d'A  rmi  ni  us  ,  qui  ont  pré- 
valu depuis  sur  le  calvinisme  dans  le  clergé  d'Angleterre. 
Les  tentatives  de  Laud  ,  archevêque  de  Cantorbery ,  pour 
réduire  toutes  les  églises  d'Angleterre  sous  l'autorité  des 
évéques  lui  coûtèrent  la  vie ,  et  le  parlement  abolit  le  gou- 
vernement épiscopal,  qui  fut  rétabli  à  la  restauration. 
En  1662  l'acte  d'uniformité  vint  exclure  de  toute  fonc- 
tion cléricale  ceux  qui  refusaient  d'observer  les  rites  et 
de  souscrire  à  la  doctrine  de  l'Église.  Sous  le  règne  de  Guil- 
laume III  les  divisions  entre  les  partisans  de  l'épiscopat 
donnèrent  naissance  aux  deux  partis  appelés,  l'un  la  haute 
Église,  composée  de  ceux  qui  n'avaient  pas  voulu  prêter 
serment  à  la  nouvelle  dynastie,  et  l'autre  la  basse  Eglise.  Le 
développement  de  la  liberté  civile  et  religieuse  depuis  tan- 
tôt deux  siècles  a  clos  bien  des  controverses  de  cette  na- 
ture. L'émancipation  des  cathohques ,  cet  acte  de 
tardive  réparation  ,  et  le  nombre  toujours  croissant  des  dis- 
sidents, n'ont  pu  qu'augmenter  cette  tendance  générale,  bien 
que  le  rétablissement  d'une  hiérarchie  catholique  en  An- 
gleterre par  le  pape  Pie  IX,  Vagression  papale,  comme  on 
a  appelé  cet  acte,»oit  venu  dernièrement  réveiller  les  vieilles 
passions  et  donner  à  l'Église  Anglicane  l'appui  tumultueux, 
de  démonstrations  populaires.  On  reproche  à  l'Église  épis- 
copale son  intolérance,  qui  a  causé  tant  de  maux,  et  ses 
richesses  disproportionnées.  Le  revenu  du  clergé  de  l'An- 
gleterre et  du  pays  de  Galles  seulement  dépasse  170  mil- 
lions de  francs.  Ce  clergé  a  des  privilèges  exorbitants, 
singulières  anomalies  au  milieu  d'un  peuple  libre  ;  il  a  con- 
servé depuis  le  moyen  âge  jusqu'à  une  époque  encore  peu 
éloignée  de  la  nôtre  le  droit  de  lever  des  dîmes  en  nature  ; 
mais  un  acte  du  |)aiiement  a  donné  depuis  aux  paroissiens 
la  faculté  de  les  convertir  en  rentes  perpétuelle.^. 

AJXGLOAÏAJVIE.  L'anglomanie  est  l'imitation  exagé- 
rée des  idées,  des  coutumes  et  des  manières  anglaises  ;  elle  a 
eu  chez  nous  ses  vicissitudes,  liées  aux  événements.  Sa  pre- 
mière apparition  en  France  date  dudix-lmltième  siècle;  elle 
est  née  sous  la  Régence ,  qui  fut ,  on  le  sait ,  une  réaction 
contre  le  règne  de  Louis  XIV.  Rien  n'était  plus  naturel.  Au 
temps  où  Charles  II  était  à  la  solde  de  Louis  XlV  ,  et  ou 
l'ambassadeur  de  France  ,  lîariilon  ,  pensionnait  les  princi- 
paux membres  du  parlement,  l'imitation  des  moiies  et  de  la 
littérature  françaises  prévalait  à  Londres ,  et  l'on  pailait 


592 


ANGLOMANIE  —  ANGLO-SAXONS 


français  à  White-Hall.  Un  peu  plus  tard,  Louis  XIV,  dans 
les  dernières  périodes  de  son  règne,  avait  rencontré  dans 
Guillaume  III  le  plus  redoutable  et  le  plus  constant  de  ses 
adversaires  ;  les  idées  et  les  mœurs  anglaises  devaient  être 
peu  en  faveur  à  Versailles,  tandis  que,  même  après  la  révo- 
lution de  1CS8,  même  sous  la  reine  Anne,  pendant  les  pre- 
mières années  du  dix-huitième  siècle,  la  littérature  del'/Vn- 
gleterre  réfléchissait  encore  le  génie  de  la  France.  Mais 
Louis  XIV  mort,  tout  à  coup  le  ressort  qui  comprimait  les 
esprits  se  détend  ;  le  siècle ,  avide  d'indépendance  et  de 
nouveautés,  interroge  avec  un  intérêt  curieux  une  nation  qui 
a  devancé  la  France  dans  la  vie  politique.  Forte  d'une  dou- 
ble révolution,  maîtresse  de  tout  penser  et  de  tout  dire  sur 
les  matières  politiques  et  religieuses,  l'Angleterre  avait 
con(juis  en  1688  la  liberté  légale  de  la  presse  et  le  droit 
illimité  de  discussion.  Là  s'était  réfugié  le  libre  penser , 
banni  de  notre  pays. 

Quoi  donc  d'étonnant  si  la  France  se  mit  à  son  tour  à 
réfléchir  le  génie  de  l'Angleterre  ?  Le  gouveniement  donna 
lui-même  le  signal  de  cette  conversion  :  l'alliance  anglaise 
devint  la  base  de  la  politique  extérieure  du  régent.  Déjà 
lord  Bolingbrokc,  réfugié  en  France,  avait,  par  son  es- 
prit et  ses  succès  comme  homme  du  monde,  autant  que  par 
sa  réputation  dliomme  d'État,  préparé  la  fusion  des  idées 
entre  les  deux  pays.  Bientôt  la  littérature  seconda  le  mou- 
vement de  la  politique.  Les  deux  plus  beaux  génies  de  la 
France  au  dix-huitième  siècle,  Voltaire  et  Montesquieu, 
furent  les  premiers  patrons  des  idées  anglaises.  De  1727  à 
1730,  Voltaire  séjourna  en  Angleterre  ;  le  voyage  qu'y  fit 
Montesquieu  tomba  à  la  môme  époque.  Cette  contrée  fut 
pour  eux  une  école  où  l'un  étudia  la  liberté  politique ,  et 
l'autre  le  scepticisme.  La  philosophie  et  la  liberté  anglaises 
ont  laissé  leur  empreinte  sur  les  travaux  de  ces  deux  grands 
écrivains.  Les  premières  importations  de  l'esprit  britan- 
nique nous  arrivèrent  par  les  Lettres  philosophiques  deXol- 
taire  sur  les  Anglais  ;  puis  il  fit  connaître  en  France  les  ou- 
vrages de  Locke ,  il  popularisa  le  système  de  Newton  ;  en- 
lin,  dans  ses  tragédies  de  Zaïre,  de  la  Mort  de  César,  il 
naturalisa  sur  notre  scène  les  beautés  dramatiques  de 
Shakspeare ,  dont  il  mitigeait  la  hardiesse  pour  les  adapter 
au  goût  français. 

Plus  tard.  Voltaire  voulut  résister  à  cette  invasion  de  la 
littérature  anglaise  ;  on  sait  avec  quel  dépit  et  quelle  fureiu* 
il  se  déchaîna  contre  Letourneur  et  sa  traduction  de  Shak- 
spoare.  Mais  c'était  lui  qui,  dans  sa  jeunesse,  avait  donné  le 
signal  de  radmiration  pour  les  mœurs,  les  idées  et  les  pro- 
ductions de  la  Grande-Bretagne  ;  c'était  lui  qui,  à  son  retour 
de  Londres,  dans  ses  vers  sui'  la  mort  d'Adrienne  Lecou- 
vreur,  s'écriait  : 

Quoi  !  n'est-ce  donc  qu'en  Angleterre 

Que  les  mortels   osent  penser  ? 
O  riv:ile  d'Alhène,  6   Londre,  heureuse  terre  ! 
Ainsi  que  des  tyrans,   vous  avez  su  chasser 
Les  préjugés  honteux  qui  vous  livraient  la  guerre. 
C'est  là  qu'on  suit  tout  dire   et  tout  récompenser,  etc. 

Montesquieu,  à  son  tour ,  glorilia  la  constitution  anglaise 
par  la  belle  exposition  qu'il  en  lit  dans  l'Esprit  des  Lois. 
l'eu  d'années  après,  la  grande  vogue  des  romans  de  Ri- 
chardson,  propagés  par  l'enthousiasme  contagieux  de  Di- 
derot, contribua  à  initier  davantage  le  public  français  au 
secret  des  mcrurs  de  la  vieille  Angleterre.  La  guerre  de 
Sept  Ans,  si  désastreuse  pour  nos  armes,  tout  en  ranimant 
les  vieilles  animosités  nationales  ,  ne  brisa  pas  les  liens  in- 
tellectuels qui  s'étaient  déjà  formés  entre  les  classes  éclai- 
rées des  deux  peuples.  C'est  à  cette  époque  que  J.-.T.  P.ous- 
seau  lui-même,  dans  sa  Nouvelle  Hcloisc,  donnait  le  beau 
rôle  à  mylord  Edouard ,  dont  le  caractère  généreux  et  li- 
bre de  préjugés  olfrait  un  idéal  de  noblesse  et  d'indépen- 
dance. 
La  littérature  anglaise,  à  son  tour,  subissail  lo  réaction 


des  idées  françaises  :  tous  les  écrivains  de  la  nouvelle  école 
historique,  Hume,  Robertson,  Gibbon,  sont  franchement 
disciples  de  Voltaire.  De  son  côté,  notre  société  imite  nos 
voisins;  le  théâtre  de  l'époque  en  offre  des  traces.  Ainsi  en 
17G3,  après  le  rétablissement  de  la  paix,  Favart  lait  repré- 
senter l'Anglais  à  Bordeaux,  et  en  1772  on  donne  à  la  Co- 
médie-Française une  pièce  de  Saurin  'mt\tu\ée  l' Anglomane. 

L'insurrection  des  colonies  américaines  ne  fit  que  hâter 
les  progrès  de  l'anglomanie.  Malgré  la  guerre  qui  ne  tarda 
pas  à  éclater  entre  les  deux  gouvernements,  malgré  la  re- 
vanche que  la  France  avait  à  prendre  sur  sa  rivale ,  l'élo- 
quence des  grands  orateurs ,  Chatam ,  Fox ,  Burke,  Sheri- 
dan  ,  Pitt,  et  l'importance  des  questions  débattues  par  eux, 
fixèrent  l'attention  du  monde  entier  sur  la  tribune  britan- 
nique. Il  est  aisé  de  concevoir  que  l'admiration  légitime  ait 
pu  devenir  de  l'engouement ,  et  que  les  vrais  enthousiastes 
aient  amené  à  leur  suite  des  fanatiques  ridicules.  Le  senti- 
ment de  cette  exagération  maniaque  était  sans  doute  pré- 
sent à  l'esprit  de  Louis  XVI ,  lorsqu'il  demanda  à  M.  de 
Lauraguais  ce  qu'il  était  allé  faire  à  Londres  ;  celui-ci  ré- 
pondit ;  «  Apprendre  à  penser —  Les  chevaux  .'  »  reprit 

brusquement  le  roi ,  qui  avait  parfois  de  ces  boutades. 

Bien  que  l'anglomanie  ait  pu  prêter  à  rire ,  il  n'en  est 
pas  moins  vrai  que  les  libres  penseurs  en  philosophie  et  en 
religion  ,  dont  l'Angleterre  nous  a  fourni  les  modèles  ,  ont 
amené  les  libres  penseurs  en  politique.  D'ailleurs ,  travers 
pour  travers ,  mieux  vaut  encore  Vanglomanie  que  Yan- 
glophobie.  Aussi,  depuis  la  seconde  moitié  du  dix-huitième 
siècle ,  l'échange  des  idées  n'a  pas  cessé  entre  les  deux  pays. 
Les  guerres  du  consulat  et  de  l'empire  ont  provoqué  une 
recrudescence  momentanée  des  vieilles  antipathies  natio- 
nales; mais  de  longues  années  de  paix  ont  adouci  ce  levain. 
Les  usages  de  la  société  anglaise  et  les  mots  de  sa  langue 
ont  peu  à  peu  envahi  nos  salons.  Que  les  dandys  du  Jockey- 
Club  se  passionnent  pour  les  exercices  du  sport ,  qu'ils  se 
ruinent  en  paris ,  ou  qu'ils  se  cassent  le  cou  à  la  course  au 
clocher,  on  peut  leur  pardonner  ces  ridicules  innocents , 
en  faveur  des  liens ,  chaque  jour  plus  nombreux  et  plus 
étroits,  qui  rapprochent  les  deux  peuples.  Poursuivre  l'ex- 
tinction des  haines  nationales  est  aujourd'hui  un  devoir 
pour  tout  homme  sensé  :  travaillons  donc ,  sans  cesse ,  à 
cimenter  l'entente  cordiale  entre  les  deux  peuples  ;  ce  sera 
à  la  longue  le  moyen  le  plus  sûr  de  la  maintenir  entre  les 
gouvernements.  Artaud. 

AKGLO-SAXOIVS.  Les  Angles  étaient  une  petite  peu- 
plade germanique  qui  habitait ,  il  y  a  quatorze  siècles ,  à  la 
droite  de  l'Elbe,  la  partie  de  la  Chersonèse  cimbrique  dési- 
gnée de  nos  jours  sous  le  nom  de  Schleswig-Holstein.  On 
trouve  encore  aujourd'hui  leurs  descendants  entre  Flensbourg 
et  Schlesvvig.  Tacite  est  le  premier  qui  fasse  mention  des 
Angles  ;  il  les  représente  comme  formant  avec  quatre  autres 
peuplades,  au  nombre  desquelles  sont  les  Tliuringes  et  les 
Hérules,  une  confédération  qui  possédait  en  commun  lelem- 
l)Ie  de  Hertha ,  situé  dans  l'ile  de  Riigen.  Ptolémée  est  le 
premier  qui  fasse  mention  des  Saxons,  qu'il  place  à  l'extré- 
mité méridionale  de  la  Chersonèse  cimbrique ,  oii ,  selon 
Tacite  ,  étaient  les  Fosi.  Malgré  l'apparente  différence  des 
noms ,  les  Saxons  et  les  Fosi  étaient  le  même  peuple ,  ap- 
pelé Saxons  par  les  Germains  et  Fosaides  par  les  Kimres  ou 
Belges.  Desroclies  ,  dans  son  Histoire  des  Pays-Bas,  rap- 
porte deux  vers  franco-teutons ,  qui  indiquent  que  le  nom 
de  Saxons  était  dérivé  de  celui  des  épées-poignards  qu'ils 
portaient,  et  qui  t*n  germain  s'ap|)elaient  saclisen  (l).  Ce 
nom  était  donc  purement  épitliéli(|ue ,  et  paraît  avoir  été 
celui  de  la  ligue  des  cinq  peuples  dont  parle  Tacite,  et  (\u\ 
appartenaient  à  la  tribu  suévique,  de  même  que  celui  île 

(1)  C^ts  deux  vers  sont  : 

\'on  deii  Mt'ztern  aiso  Wah^iii  , 
Wurden  sic  gelieisen  Sarhsiti. 

A  cause  des  couteaux  qu'ils  portaient,  ils  furent  oppelcs  S.i^cns. 


ANGLO-SAXONS  —  ANGO 


593 


Franc  appartenait  à  une  ligiie  formée  do  iicuplados  de  la 
tribu  alleinanique  ou  slavonnc.  Le  nom  kymre  de  IVpée- 
I>oignard ,  appelée  sac/ts  en  germanique,  était  J'oss.  Cette 
seeonde  etyniologic  e\pli(iue  comment  Tacite  a  pu  appeler 
l'osi  ceux  que  Ptolémeo  nomme  Saxons. 

Au  commencement  du  cinquième  sièc  le.  les  Bretons,  tour- 
meiités  par  les  incursions  continuelles  des  Pietés  et  des  Calé- 
doniens ,  furent  abandonnés  par  les  Romains ,  qui ,  sous  la 
domination  des  lAches  enfants  de  Thmlose ,  ne  pouvaient 
plus  se  défend) e  eux-mêmes.  Alors  Vortigern,  leur  roi,  ap- 
pela à  son  secours  les  Angles ,  les  Saxons  1 1  les  Jutes  ,  qui  le 
<lélivrèrent  des  l'ictes ,  et  à  qui  il  permit  d'habiter  Tile  de 
Tanet ,  à  l'emboucbure  de  la  Tamise.  D'autres  colonies  vin- 
rent successivement  s'établir  sur  les  côtes,  et  bientôt  ces  nou- 
veaux venus  se  trouvèrent  assez  loris  pour  conspirer  contre 
kurs  alliés,  les  attaquer  par  surprise  et  les  chasser  successi- 
V  ement  de  rintérieur  de  l'Ile.  Les  Jutes,  habitants  du  Jutland, 
occupèrent  l'ile  de  W'ight,  Kent  et  une  partie  deWestscx.  Les 
Saxons  prirentEssex,  Susses,  Westsex,  les  plus  riches  pro- 
vinces deTile  ;  les  Angles  eurent  pour  leur  part  l'Anglie  orien- 
tale et  occidentale,  la  iMercie,  et  le  >"orthumberland.  Les  con- 
quérants fondèrent  sept  royaumes,  que  l'on  désigne  sous  le 
nom  d'H  eptarchie,et  appelèrent  de  leur  nom  Angleterre 
(  England  )  la  partie  méritlionale  de  la  Grande-Bretagne. 

Le  premier  roi  d'Angleterre,  Egbert,  qui  avait  réuni  sur 
sa  tète  les  sept  couronnes  anglo-saxonnes,  abolit  le  titre 
lie  bretwalda ,  qui  jusque  alors  avait  servi  à  désigner  le  roi 
chargé,  surtout  dans  les  guerres  communes,  de  la  di- 
rection suprême  des  dilTéreuts  États.  La  constitution  des 
Anglo- Saxons  qu'Alfred,  leur  plus  grand  roi,  ne  créa 
sans  doute  pas  et  qu'il  ne  lit  que  rétablir  en  partie  ou  bien 
qu'améliorer,  avait  les  mêmes  bases  que  celle  des  autres 
tribus  germaines.  Chez  les  Anglo-Saxons  toutefois,  qui 
conservèrent  leur  caractère  germain  dans  sa  pureté  ori- 
ginelle plus  longtemps  que  les  autres  pyiples  de  même 
origine ,  elle  resta  plus  indépendante  que  parmi  les  tribus 
qui  eurent  des  rapports  plus  étroits  avec  les  Romains.  A 
la  tête  de  la  nation  était  le  roi,  qui  avait  remplacé  le  duc 
germain,  et  dont  les  fds  ainsi  que  les  proches  parents  for- 
maient seuls  un  corps  particulier  de  noblesse  désigné  sous 
le  nom  d'yEthelinges.  Une  noblesse  domestique  et  féodale 
se  forma  successivement  parmi  les  hommes  de  l'entourage 
iflimédjat  du  roi,  et  constitua  deux  classes  :  ses  compagnons 
les  plus  inrpoTtauts ,  qualifiés  à'ealdormen  (  earl,  dérivé 
d'caldor,  ancien  ) ,  parmi  lesquels  le  roi  distribuait  les 
charges  de  la  cour  et  choisissait  les  chefs  de  ses  districts 
les  plus  considérables  ;  puis  ceux  d'une  moindre  importance, 
désignés  souvent  sous  le  nom,  à  bien  dire  plus  général, 
de  thegen  ou  thane ,  possesseurs  d'une  certaine  partie  du 
sol  et  astreints  au  service  militaire.  Les  hommes  libres  com- 
posant l'immense  majorité  de  la  nation ,  parmi  lesquels 
les  Bretons,  qui  n'avaient  pas  été  réduits  à  l'esclavage,  occu- 
paient le  dernier  rang ,  étaient  qualifiés  de  ceorle  ,  et  se  pla- 
raient  le  plus  ordinairement  sous  la  protection  d'un  homme 
considérable  {hlaford,  d'oii  le  mot  lord).  Le  nombre  des 
serfs  {(heow)  était  peu  considérable.  Toutes  les  classes 
étaient  partagées  par  des  gradations  de  droit ,  et  surtout 
du  wehrgeld  ou  impôt.  Dans  les  grands  districts  appelés 
sfiircs,  ou  comtés ,  il  existait  de  petits  cercles  de  communes , 
appelés  dizaines,  et  composés  de  la  réunion  de  dix  pères  de 
familles  libres ,  dont  les  membres  répondaient  en  justice  les 
uns  pour  les  autres.  Dix  divines  fonnaient  une  centaine 
(kundrede  ) ,  au-des.sus  de  laquelle  se  trouvait  encore  placée 
la  juridiction  du  comté  présidé  par  rc«/f/o;v)i(7;).  Dans  toutes 
les  affaires  de  quelque  importance  celui-ci  ne  pouvait  prendre 
de  décision  qu'avec  l'assentiment  d'une  assemblée  (  ge- 
mole  )  des  hommes  les  plus  importants  (  c'est-à-dire  des 
plus  sages  parmi  les  thanes  et  les  représentants  des  loca- 
lités, tunscipes)  de  son  comté,  qui  se  tenait  tous  les  six 
mois  et  remplaçait  l'ancienne  assemblée  du  peuple.  Le  roi      à  ferme 

BICT.    DE    LA    CO.X\F.liS.    —   T.    I. 


aussi  convoquait  un  wifenagemote  ou  micelgemote,  c'est-à- 
dire  grande  assemblée  des  évêques  et  des  laïques  les  plus 
importants.  (Consultez  Schmidt,  les  Luis  des  Anglo- 
Sajcons,  texte  original  avec  traduction  allemande  en  regard 
[Leipzig,  18.32].) 

Le  christianisme ,  prêché  pour  la  première  fois  vers  la 
fin  du  sixième  siècle  par  Augustin  ,  premier  archevêque 
de  Cantorhery,  envoyé  comme  missionnaire  parle  pape 
Grégoire  !•"■,  à  la  cour  d'Athelbert,  roi  de  Kent  et  époux 
de  Berthe,  issue  du  sang  des  rois  chrétiens  des  Franks ,  se 
propagea  rapidement  parmi  les  Anglo-Saxons. 

Le  clergé  anglo-saxon  ne  se  distingua  pas  moins  que  le 
clergé  écossais  par  son  instruction  et  par  son  zèle  pour 
les  sciences.  On  doit  surtout  citer  à  ce  sujet  Bède  le  Véné- 
rable. Des  prêtres  anglo-saxons  et  écossais  ne  tardèrent  pas 
à  aller  porter  les  lumières  du  christianisme  sur  le  continent 
parmi  les  populations  de  l'Allemagne. 

La  langue  anglo-saxonne,  que  la  langue  latine  ne  sup- 
planta point  comme  langue  d'église,  est  une  branche  de 
la  famille  des  langues  germaines.  Elle  parvint  rapidement  à 
un  haut  degré  de  perfection  ;  elle  fut  pendant  six  siècles 
cultivée  par  une  foule  de  chroniqueurs ,  de  théologiens , 
de  poètes,  dont  les  nombreux  écrits  forment  avec  la  collec- 
tion des  lois  un  important  monument  d'une  littérature 
déjà  avancée.  Cette  langue  parait  avoir  été  beaucoup  plus 
sonore  que  l'anglais  actuel.  Celui-ci  a  fait  des  mots  ]i!eins 
et  harmonieux  willa,  xirna ,  noma ,  les  termes  sourds  de 
iiame  (nème),  our  (aour),  icill  (ouil).  Le  rliyîhme 
de  la  poésie  saxonne ,  comme  du  reste  celui  de  tous  les 
idiomes  gothiques,  ne  consiste  pas  dans  la  mesure  des  syl- 
labes ni  dans  la  connaissance  des  rimes ,  mais  dans  l'allité- 
ration. L'anglo-saxon  est  l'objet  d'un  chapitre  particulier  dans 
la  grammaire  allemande  de  J.  Grimm.  Léo  a  publié  en 
allemand  un  bon  livre  de  lecture  sous  le  titre  Aa  Échantil- 
lons philologiques  d'ancien  saxon  et  d'anglo-saxon 
(Halle,  1838).  Mais  Benjamin  Thorpe  est  de  tous  les 
philologues  celui  qui  s'est  occupé  avec  le  plus  de  succès 
de  la  langue  des  Anglo-Saxons.  Elle  forme  l'élément  alle- 
mand de  la  langue  anglaise  actuelle ,  sur  lequel  l'élément 
roman,  introduit  plus  tard  par  les  Normands,  finit  par  l'em- 
porter, de  telle  sorte  que  les  quatre  cmquièmes  des  mots 
de  la  langue  actuelle  lui  appartiennent. 

Parmi  les  nombreux  débris  de  la  littérature  anglo-saxonne, 
encore  inédits  pour  la  plupart,  on  remarque  surtout  comme 
monuments  de  la  poésie  les  ouvrages  suivants  :  Para- 
phrase de  la  Genèse  par  Caedmon  (  publiée  par  Thorpe , 
Londres,  1832  ) ,  l'ouvrage  le  plus  ancien  de  toute  la  litté- 
rature anglo-saxonne  ,  et  qui  date  vTaisemblablement  du 
septième  siècle;  puis  Beovnilf,  ancienne  épopée  nationale 
(publiée  par  Kemble,  Londres,  1S33;  2^  édition,  1837)  da- 
tant du  huitième  siècle  ;  et  enfin  deux  poèmes  de  la  mémo 
époque,  dont  les  sujets  sont  eniptxintés  à  la  légende  :  André 
et  Élène  (  publiés  par  J.  Grimm  ;  Cassel,  1840  ). 

AJXGO  ou  ANGOT  (  Jf.vn  ) ,  Dieppois  de  la  fin  du  quin- 
zième siècle  ,  et  qui  vécut  aussi  au  commencement  du  siècle 
suivant,  était  le  fils  unique  d'une  famille  peu  aisée;  il 
reçut  pourtant  une  bonne  éducation  à  peu  de  frais,  sa 
ville  natale  prodiguant  alors  à  tous  ses  enfants  les  bienfaits 
d'une  instruction  presque  gratuite.  Bientôt  il  puisa  dans 
les  entretiens  de  .ses  compatriotes  le  goût  des  voyages ,  et 
trouva  l'occasion  d'exercer  l'activité  de  son  esprit  et  de  tra- 
vailler à  sa  fortune.  Il  était  fort  jei;ne  lorsqu'il  [lartit  pour 
les  côtes  d'Afrique  ,  et  alla  visiter  celles  des  grandes  Indes, 
d'abord  comme  simple  officier,  puis  comme  capitaine.  Ces 
voyages  lui  fournirent  les  moyens  de  faire  rapidement  une 
grande  fortune  ;  il  voulut  en  jouir  à  son  aise ,  renonça  aux 
fatigues  et  aux  dangers  de  la  mer,  et  comme  armateur  se 
livra  à  des  entreprises  qui  lui  finent  profitables.  En  même 
temps,  et  pour  donijer  de  l'aliment  a  .son  activité,  il  prit 
énérale  les  revenus  de  [)lusieurs  seigneuries   du 


i94 


ANGO  —  ANGORA 


[)ays  Pi  <le  la  vicomte*  do  Dù?ppfi  ,  qui  apparfon.^if  ;i  l'ar- 
<  licvr<iiit'  tic  Pioiien.  CYtail  en  ir>'.>0.  11  avait  depuis  qiiel- 
<|iic  temps  aciielc  aussi  la  charge  de  contrôleur  au  grenier 
,1  K('l  de  D'oppe.  Son  mérite  incontestable  le  fit  bien  ac- 
cueillir il  la  cour.  A  beaucoup  d'esprit  nature! ,  perfec- 
tionné par  1  élude  et  les  voyages,  il  joignait  im  jugement 
sain  ,  de  belles  manières ,  un  caractère  gai ,  franc  et  ouvert. 
L'n  des  premiers  usages  qu'il  fit  de  son  opulence  fut  de 
se  faire  bâtir  dans  sa  ville  natale ,  qu'il  continua  d'habiter, 
une  demeure  .splendide,  à  la  décoration  de  laquelle  il  appela 
les  meilleurs  artistes  de  l'époque.  Pendant  l'un  des  voyages 
que  François  l"  fit  en  Normandie ,  il  descendit  chez  Ango , 
ot  admira  son  hôtel,  qui  avait  déjà  excité  la  surprise  du 
cardinal  l'iirbcrini ,  quelque  habitué  qu'il  filt  aux  men'eilles 
de  ritalie.  .\ngo  tint  à  honneur  de  se  charger  seul  des  frais 
(le  réception  du  monarque  ;  il  multi[)lia  les  décorations 
h's  plus  élégantes,  les  arcs  de  triomphe,  les  tapisseries,  les 
lahlcaux  ;  il  fit  ployer  ses  tables  sous  le  poids  de  sa  vaisselle 
d'argent  ciselé,  de  ses  mets  les  plus  exquis  ,  de  ses  vins  les 
plus  rares;  et  puis,  pour  distraire  son  hôte  royal  par  une 
promenade  en  mer,  il  mit  à  sa  disposition  une  flottille  de 
^ix  bâtiments  légers  de  la  plus  gracieuse  élégance.  Sensible  à 
tant  d'attenlions  ,  François  s'empressa  de  nommer  le  géné- 
reux armateur  gouverneur  de  la  ville  et  du  cliàtoau  de 
Dieiipe,  et  lui,  ne  voulant  pas  rester  eu  arrière  avec  le  roi, 
(jui  rêvait  alors  des  entreprises  belliqueuses ,  mit  plusieurs 
de  ses  navires  à  sa  disposition. 

Les  Portugais  ayant,  en  pleine  paix,  capturé  un  des  vais- 
seaux du  capitaine  dieppois ,  la  vengeance  suivit  de  près 
cet  acte  déloyal.  11  équipa  dix-sept  bâtiments,  et,  profitant 
de  l'absence  des  flottes  portugaises,  occupées  dans  les  Indes, 
il  fit  bloquer  le  port  de  Lisbonne  et  ravager  à  l'embouchure 
du  Tage  tout  ce  qui  se  trouva  à  proximité.  Ango  ne  cessa 
.ses  hostilités  que  lorsque  le  roi  de  Portugal  eut  fait  partir 
pour  Paris  un  ambassadeur  chargé  de  demander  la  paix  au 
roi  de  France ,  qui  le  renvoya  à  Dieppe,  pour  qu'il  s'abou- 
chât avec  l'auteur  de  l'expédition. 

François  lui  avait  fait  délivrer  des  lettres  de  noblesse  avec 
le  titre  de  vicomte.  Cette  nouvelle  faveur  redoubla  son  zèle. 
Il  prit  une  grande  part  aux  armements  contre  l'Angleterre,  et 
rendit  beaucoup  de  services  à  son  bienfaiteur  et  à  la  France 
Malheureusement  tant  de  dépenses  ,  la  mauvaise  issue  de 
plusieurs  spéculations,  le  défaut  de  remboursement  des 
prcls  considérables  qu'il  avait  faits  au  gouvernement ,  ame- 
nèrent .sa  ruine,  et  le  forcèrent  de  quitter  son  magnifique 
liôlel  pour  se  retirer  dans  une  maison  de  campagne  qu'il 
avait  fait  construire  à  deux  lieues  de  Dieppe.  Ce  fut  là  qu'il 
inoumt,  en  15.51,  accablé  dechagi'in  et  jalousé  de  ses  com- 
liatriotes ,  qui  ne  lui  avaient  jamais  pardonné  sa  vanité  et 
son  luxe.  Louis  Du  Bois. 

A\GOÏSSE  (du  latin  nngustia,  resserrement).  C'est 
le  plus  haut  degré  de  la  peur  et  de  la  terreur,  résultant  soit 
de  la  vue  du  danger,  soit  de  la  conscience  qu'on  a  de  sa 
faiblesse  et  de  l'impossibilité  où  l'on  est  de  s'y  soustraire  ; 
sentiment  qui  produit  à  la  région  épigastrique  une  oppres- 
sion ou  un  resserrement.  Quand  cet  état  se  prolonge,  la 
respiration  se  ralentit,  la  circulation  s'embarrasse,  quelque- 
fois même  elle  cesse.  Les  pieds  restent  attachés  à  la  terre  ; 
puis  ,  par  un  effet  contraire,  les  organes  contractiles,  la  ves- 
sie et  le  rectum,  se  relâchent  au  point  de  ne  pouvoir  plus 
retenir  les  matières  qu'ils  renferment.  Si  les  angois.ses  se 
font  sentir  trop  fréquemment ,  ainsi  qu'il  arrive  dans  les 
grandes  commotions  i)olitiques,  elles  peuvent  produire  des 
maladies  du  cieur  et  des  gros  vaisseaux  sanguins;  mais 
quelquefois  aussi  elles  ne  sont  qu'un  symptôme  de  maladie, 
comiiic  dans  le  casd'hypochondrie  ,  de  rage,  de  folie  et  de 
<ei1aines  peurs  graves,  où  le  patient  est  en  (iroic  à  la  terreur 
«iiie  lui  inspirent  des  dangers  purement  imaginaires. 

.WGOL.'V,  royaume  d'Afrique  ,  dans  la  Mgrilie  méri- 
dionale ,  s'etcndant  sur  la  côlo  d'Afrique  du  cap  Lopez  à 


Saint-Philippe  de  Denguela.  Sa  longueur  est  de  .5G0  kilora. 
de  l'est  à  l'ouest;  sa  largeur,  do  100  kilom.  du  nord  au  sud; 
sa  population  est  d'environ  2  milhons  d'habitants.  Il  sa 
compose  des  provinces  de  Loanda,  Finso,  Ilamba,  Ikollo, 
Ensaka,  Massingan,  Kmbaca,  et  Colamba,  gouvernées  par 
des  chefs  ou  sovascs  qui  reçoivent  leur  autorité  du  roi. 
Saint-Martin  de  Loanda,  bâtie  sur  une  colline  au  bord  de 
la  mer,  en  est  la  capitale.  C'est  un  pays  montagneux,  arrosé 
par  le  Danda,  le  Benga,  et  le  Coanza  ,  lequel  est  navigable 
dans  la  partie  inférieure  de  son  cours  ;  il  possède  une  riche 
végétation  tropicale;  le  dattier  et  autres  palmiers  ,  le  bana- 
nier, le  cocotier,  l'ananas ,  l'oranger,  y  croissent  en  abon- 
dance ;  on  y  trouve  aussi  du  riz ,  du  miel ,  de  la  cire ,  des 
arbres  à  gomme ,  des  arbres  résineux ,  des  cannes  à  sucre , 
du  maïs,  du  millet,  du  poivre,  des  légumes  variés.  Le  fer 
y  abonde  dans  les  marécages  et  le  limon  des  rivières;  le 
sel  y  est  extrait  des  sources  salées  et  des  bancs  de  sel 
gemme.  La  température  de  l'intérieur  est  très-chaude,  mais 
saine,  parce  qu'elle  est  tempérée  par  des  brises  et  des  vents 
réguliers.  Les  habitants,  qui  sont  noirs,  se  distinguent  de 
la  race  nègre  par  des  caractères  physiques  qui  leur  sont 
propres.  Leur  religion  est  le  fétichisme ,  auquel  ils  sont  re- 
venus après  avoir  été  convertis  en  grand  nombre  par  les 
jésuites.  Le  roi  d'Angola  tait  sa  résidence  sur  un  rocher 
presque  inaccessible,  qui  a  sept  lieues  d'étendue,  et  dans  le- 
quel il  a  pratiqué  un  vaste  entrepôt  de  vivres,  fourrages, 
munitions  et  or  pour  plusieurs  années,  ce  qui  le  met  com- 
plètement à  l'abri  de  toute  surprise  de  la  part  de  ses  en- 
nemis. 

AXGOLA  (  Gouvernement  d'  ) ,  province  coloniale  du 
Portugal,  sur  la  côte  occidentale  d'Afrique,  dans  la  Guinée 
inférieure;  le  Benguela,  quelques  forts  du  Congo,  divers 
établissements  et  plusieui's  factoreries ,  possédés  dans  le 
royaume  d'Angola  par  les  Portugais ,  qui  s'y  adonnaient 
jadis  à  la  traite  des  esclaves  ainsi  qu'à  la  pèche  des  perles, 
forment  dans  leur  ensemble  ce  qu'on  appelle  îe  gouverne- 
ment ,  ou  plutôt  la  capitainerie  générale  dWngola  et  de 
Congo,  divisée  en  quafi-e  districts,  Sernebi,  Quitama,  Ove- 
nedo  et  Dembi.  La  capitale  est  Loanda.  Les  premières  fac- 
toreries furent  fondées  en  1485.  Elles  exportent  aujourd'hui 
de  l'or,  de  l'ivoire  ,  de  la  gomme,  des  drogues  médicinales, 
du  fer,  du  cuivre,  de  la  cire,  du  miel,  du  punent,  de  l'huile 
de  palmier,  etc.  La  population  entière  est  évaluée  approxi- 
mativement à  400,000  habitants,  dont  12,000  blancs.  L'au- 
torité immédiate  des  Portugais  ne  s'exerce  en  général  que 
dans  un  petit  rayon  autour  de  ces  établissements. 

AjVGOX,arme  d'hast,  en  usage  dans  le  moyen  âge. 
C'était  une  espèce  de  javelot  à  trois  lames  :  l'une  droite, 
large ,  tranchante ,  et  quelquefois  losangée;  les  deux  autres 
recourbées  en  dehors;  une  clavette  unissait  étroitement  ces 
trois  lames.  L'angon  s'appelait  aussi  ancort ,  rançon ,  cor- 
secqiie  ou  corsèque.  —  Une  autre  sorte  d'angon  était  égale- 
ment en  usage  chez  les  Francs.  Le  fer  de  celui-ci  avait 
quelque  rapport  avec  celui  de  la  hallebarde  et  quelque  res- 
semblance avec  la  Heur  de  lis,  telle  qu'on  la  représente  dans 
les  anciennes  armoiries.  C'est  à  cette  dernière  qu'on  appli- 
quait quelquefois  le  nom  de  rançon.  L'angon  servait  à  deux 
usages  didércnts  :  ou  il  était  employé  comme  pique,  ou 
on  le  lançait  comme  javelot.  C'était  l'arme  la  plus  noble 
des  Français  :  le  fer  de  sa  lance  figurait  ilans  les  armoiries 
des  princes,  des  barons  et  des  chevaliers  du  moyen  âge. 
C'est  à  la  représentation  de  cette  lance  qu'on  attribue  l'ori- 
gine des  fleurs  de  lis  et  leur  introduction  dans  l'art  hé- 
raldique. 

A\^GORA,  V.incijre  des  anciens,  ville  de  40,000  âmes, 
située  à  l'extrémité  orientale  de  l'evalct  d'.\nado!i,  dans 
les  plateaux  montagneux  de  r.\sie  Mineure.  On  y  trouve 
des  espèces  particulières  de  chèvres,  de  chats,  et  de  lapins  à 
poils  loi.gs  et  soyeux ,  connus  sous  le  nom  (Wtngoras.  Son 
comm  rcc  cour-iste  en  poil  de  chèvre,  opium,  fruits,  reieJ 


ANGORA  —  ANCOULÈME 


cl  t  ire;  file  fabiiiiiic  des  (issus  avec  le  poil  de  ses  c/ièvres. 

AA'GUSTUUA.  Voyez  CaDvn-l5oLiVAi«. 

AXGOULKME,  ancienne  ville  de  France,  située  snr 
une  nionta^ae ,  au  jiied  de  laquelle  coule  la  Charente ,  est  le 
clief-lieu  ilu  département  de  ce  nom ,  après  avoir  été  loni;- 
teiiips  la  capitale  de  l'Angouniois.  ;iso  kilomètres  la  séparent 
de  Paris,  et  00  de  la  nier.  Sa  population  est  de  2':?, SU  habi- 
tants. Elle  a  un  port  sur  la  Charente  au  faiibouru;  de  PHou- 
ineau.  Le  poète  Ausone  est  le  premier  qui  ,  au  quatrième 
siècle,  fasse  mention  de  cette  ville,  qu'il  appelle  Incitlisitw. 
Elle  est  désignée  sous  le  nom  de  Civitas  t'colismensiiimdnm 
la  Notice  des  Gaules ,  et  devient  tour  à  tour  Encjolisma , 
Sculismn ,  AVo/za/ho,  dans  les  monuments  postcrieurs.  Elle 
tomba,  pendant  le  règne  d'Honorius ,  sous  la  domination  des 
Wisigoths ,  auxquels  elle  fut  enlevré  par  Clovis  après  la 
victoire  de  Vouillé.  Les  Normands  la  ravagèrent  au  neuvième 
siècle.  Elle  fut  rebâtie  audixième.  SousCbarlesV,  elle  chassa 
sa  garnison  anglaise,  service  que  ce  roi  récompensa  par  le 
privilège  de  la  noblesse  pour  ses  maires,  écbevins  et  conseil- 
lers. Ce  droit  fut  supprimé  en  1007,  et  rétabli  ensuite,  mais 
pour  le  maire  seulement.  En  1568  elle  avait  été  ravagée  par 
les  calvinistes.  Plus  de  cinquante  ans  auparavant ,  Fran- 
çois r""  l'avait  érigée  en  duché,  en  faveur  de  sa  mère.  Cédée, 
de|)uis ,  en  engagement,  à  Charles  de  Valois  ,  elle  fut  réunie 
à  la  couronne  en  1710.  Louis  XIV  en  fit  l'apanage  du  duc 
de  Herri ,  et  les  princes  de  la  maison  royale  la  consei-vèrent 
jusqu'en  1S30.  Sous  la  restauration,  la  charge  de  grand 
amiral  ayant  été  donnée  au  duc  d'Angoulème,  on  crut  devoir 
placer  dans  la  ville  dont  il  portait  le  nom  la  pépinière  de 
nos  futurs  Jean  Bart,  et,  par  suite  de  cet  te  bizarre  combinaison 
courtisanesque,  l'école  de  marine  se  trouva  au  centre  des 
terres,  sur  le  sommet  d'une  montagne.  Elle  a  été  transférée 
à  Brest ,  sur  un  bâtiment  de  guerre,  depuis  1830  ,  et  l'an- 
cien édifice  abrite  depuis  1841  le  collège  royal,  devenu  lycée. 
Un  chemin  de  fer  unit  Angouléme  à  Paris  et  à  Bordeaux, 

Le  siège  episcopal  d'Angoulènio  date  du  troisième  siècle. 
Il  est  suffragantde  Bordeaux,  et  a  pour  diocèse  le  départe- 
ment de  la  Charente.  Cette  ville  a  été  longtemps  la  résidence 
des  comtes ,  d'abord  gouverneurs,  puis  souverains  du  pays. 
Elle  possède  un  tribunal  de  commerce,  un  séminaire  dioci^ 
sain,  une  école  normale  pi  imaire  d.'partementale,  un  cabinet 
de  physique  et  de  chimie,  une  bibiiolbèque  de  16,000  vo- 
lumes, des  distilleries  d'eau-de-vie,  des  fabriques  d'horlo- 
gerie de  précision,  des  faïenceries,  des  manufactures  de 
tissus  (le  laine,  et  dans  ses  environs  des  papeteries  renom- 
mées, une  poudrerie  de  l'État,  et  la  fonderie  de  Ruelle  pour 
les  canons  de  la  marine.  C'est  l'entrepôt  d'un  commerce 
très-actif  en  eaux-de-vie,  vins,  sel  et  denrées.  Là  s'ali- 
mentent Bordeaux  et  plusieurs  départements  du  midi.  On 
visite  à  Angouléme  la  cathédrale,  qui  est  remarquable,  un 
nouveau  quartier  très-beau,  le  pont  sur  la  Charente,  les 
restes  des  anciennes  fortilications  et  d'un  vieux  château  ,  les 
fpiatre  rampes  qui  conduisent  à  la  ville,  et  la  belle  prome- 
nade en  terrasse  de  Beaulieu. 

AiXGOULÈME  (Comtes  et  ducs  d').  Le  premier  comte 
béneiiciaire  d'.Angoulème,  ou  plutôt  de  l'Angouniois,  fut 
■]'nr[)ion,  que  Louis  le  Débonnaire  investit  de  cette  dignité 
en  ^39,  et  qui  fut  tué  dans  un  combat  contre  les  Normands, 
le  i  octobre  <S6:î.  Emenon,  son  frère  et  son  successeur,  ne  lui 
ayant  survécu  que  trois  ans,  Charles  le  Chauve  donna  l'inves- 
litiire  de  l'Angoumois  et  du  Périgordà  un  seigneur  puissant, 
nommé  Wulgrln,  son  parent,  qui  fut  père  d'Alduin  T"'',  comte 
d'Angouirine  en  bsC. 

(iuillaiime  T"",  son  (ils  et  son  successeur  en  016,  fut  sur- 
nommé Taillefer  (  Secfor  fcrri  ),  à  la  suite  d'ime  bataille 
rvrée  aux  Norîiiauils,  dans  latpuUe,  armé  d'une  épée  a|)- 
peiée  ciiiin,  labricpiée  i)ar  l'iirti^-le  \V;.land(îr,  il  lendit  d'un 
seul  coup  et  jissiiu'a  la  ceinlnie  Storis,  chef  de  ces  bar- 
bares. C'esl  l'originc!  du  nom  de  Taillefer  adopté  pai-  sa  pos- 
térité. Un  fait  qui  n'est  pas  moins  extraordinaire,  et  dont 


595 

toutes  les  chronicpses  rendent  témoignage,  c'est  que  la 
force  prodigieuse  de  ce  comte  et  sa  valeur  passèrent  comme 
héritage  à  tous  ses  descendants. 

.\ruaud  Mauzer,  son  tils  naturel  (  il  n'en  eut  pas  de  légi- 
times), reconquit  l'héritage  de  son  père  sur  les  enfants  d'Ar- 
naud iiouralion ,  comte  de  Périgord ,  qui  s'en  étaient  em- 
pares. Guillaume  Taillefer  II,  qui  prit  possession  du  pouvoir 
en  0S7,  eut  deux  fds,  Alduin  II  et  Geofroi  Taillefer,  comtes 
d'Angoulème  en  1028  et  1032.  Les  enfants  du  premier  furent 
exclus  de  sa  succession  par  Geofroi,  et  se  retirèrent  en  Péri- 
gord, dans  les  biens  d'Alaaz  de  Fronsac,  leur  mère.  En  1181 
s'éteignit  cette  race  des  Taillefer,  entièrement  dépouillée  par 
r.\ngleterre,  contre  laquelle  elle  avait  soulevé  presque  tous 
les  grands  vassaux  de  la  Guienne,  à  l'instigation  du  roi 
Philippe-Auguste. 

Hugues  X  de  Lusignaii,  comte  de  la  Marche,  mari  d'Isa- 
belle d'Angoulème,  hérita  de  ce  comté  en  1201  ,  et  fut  le 
fondateur  d'une  seconde  race,  laquelle  s'éteignit  en  1303 
dans  son  arrière-petit-tils  Hugues  Xlll  de  Lusiguan.  Cepen- 
dant Guy  de  Lusignan,  son  frère,  s'empara  de  son  héritage, 
dont  il  avait  été  expressément  privé  par  le  testament  de  Hu- 
gues XIII  pour  lui  avoir  fait  la  guerre.  Le  roi  Philippe  le 
Bel,  ayant  à  venger  ce  grief  et  à  punir  la  défection  de  Guy 
de  Lusignan,  qui  venait  de  livrer  Cognac  et  Merpins  aux 
Anglais ,  confisqua  sur  lui  les  comtés  de  la  I\îarche  et  d\\n- 
goulème. 

Ce  dernier  comté  (érigé  en  duché  au  mois  de  février  151  j) 
devint  successivement  l'apanage  de  Louis  d'Orléans,  Jean 
d'Orléans  son  fils,  en  1407;  Charles  d'Orléans,  fils  de  Jean, 
en  14G7  ;  Louise  de  Savoie,  sa  veuve,  mère  du  roi  Fran- 
çois F'',  morte  en  1531;  Diane  de  F'rance,  tille  naturelle 
du  roi  Henri  II,  en  1582;  Charles  de  Valois,  fds  naturel  do 
Charles  IX  et  de  Marie  Touchet,  en  1619;  Louis-Emmanial 
de  Valois  ,  son  fils,  en  1650 ,  tous  deux  auteurs  de  curieux 
mémoires;  et  Marie-Françoise,  fille  de  Louis-Emmanuel, 
son  héritière,  en  1653  ,  alors  mariée  avec  Louis  de  Lorraine, 
duc  de  Joyeuse,  morte  sans  postérité,  le  4  mai  1696,  épo- 
que de  la  réunion  définitive  du  duché  d'Angoulème  à  la  cou- 
ronne. 

AJXGOULÈrtlE  (Duc  et  duchesse  d').  Marie-Thérèse, 
cette  femme  que  Frédéric  II  seul  empêcha  d'être  le  plus 
gi-and  roi  de  soji  époque,  avait,  comme  toutes  les  âmes 
douées  de  génie,  une  vive  impatience  du  présent,  une  ar- 
dente curiosité  de  l'avenir.  Elle  donna  asile  dans  sa  cour 
à  Gassner,  que  la  singularité  de  ses  opinions  et  la  témérité 
de  ses  prophéties  avaient  fait  exiler  de  partout.  Aussi,  il 
arriva  qu'un  jour,  lui  présentant  sa  belle  enfant ,  que  toute 
la  cour  saluait  déjà,  elle  demanda  à  ce  Gassner  quel  serait 
l'avenir  de  cette  jeune  vie;  mais  quand  elle  ^it  la  pâleur 
de  l'illuminé,  elle  devint  pâle  à  son  tour,  et  répéta  sa  question 
d'une  voix  altérée.  »  il  est  des  croix  pour  toutes  les  épaules,  » 
répondit  Gassner. 

Lorsque  plus  tard  cette  enfant,  devenue  Marie- Antoi- 
nette, échangea  son  haut  titre  d'aichiduchesse  pour  celui 
de  dauphine  de  France,  lorsque  plus  tard  encore  elle  monta 
sur  le  trône  où  s'étaient  assis  Henri  IV  et  Louis  XIV,  et 
loi'sque  après  huit  ans  d'une  union  stérile  elle  mit  au  monde 
une  nouvelle  Marie-Thérèse,  celui  qui  eut  rappelé  les  si- 
nistres iirophéties  de  Gassner  eOt  pas<é  pour  un  (ou  ou  pour 
un  méchant.  Et  cependant ,  déjà  à  cette  épo(iue  tous  les 
malheurs  de  Marie-.Antoinette  CeniuMitaient  en  germe  au 
fond  de  la  nature  française;  et  ces  malheurs,  la  pauvre  reine 
les  léguera  à  sa  fille.  A  la  considérer  de  sang-froid,  on  ren- 
contre peu  d'existences  aussi  constamment  persécutées  et 
aussi  )!atlL'umient  supportées  que  celle  de  madame  d'An- 
goulèine.  Une  p''ison,  le  Tein|ile,  fut  son  premier  asile;  car 
ce  fut  à  l'âge  où  l'on  commence  à  cominendre,  à  l'agi;  oii 
un  jialais  eût  pu  iiaraître  beau,  à  l'âge  oii  cliaipie  nom 
n'arrive  plus  à  l'esprit  comme  un  son,  mais  coinnie  un  ("ail, 
qu'elle  entra  dans  la  prison  do  sa  mère.  Dans  celle  prison. 


i,96  ANGOULÊME 

il  y  eut  pottr  elle  comme  pour  toute  sa  famille  d'odieux 
gardiens,  de  féroces  menaces.  Sans  doute  toutes  ces  'nfor- 
tiincs  n'cillèient  \ms,  aboutir  à  l'écliafaud ,  et  en  cela  II  y 
en  a  qui  pensent  que  madame  d'AngouUHne  fut  moins  à 
plaindre  que  sa  mère.  Mais  depuis  ce  10  août,  oii  elle  de- 
vint prisonnière,  jusqu'au  jour  où  elle  remplaça  la  captivité 
par  l'exil ,  que  d'agonies  répétées  elle  souffrit  pour  la  mort 
de  chaque  tête  de  sa  famille  !  Ces  trois  morts  successives 
Unirent  de  grands  malheurs  et  commencèrent  ceux  de  ma- 
dame d'Angouléme.  Oui  sans  doute  elle  dut  frémir  d'être 
as;;(ïz  jeune  pour  ne  pas  pouvoir  être  accusée  et  livrée  à  la 
hache,  lorstpi'elle  apprit  conmient  le  cordonnier  Simon 
tuait  son  frère,  qui  mourut  près  d'elle  avec  l'épine  du  dos 
cariée,  parce  que  son  instituteur  trouvait  plaisant  d'insulter 
le  (ils  des  rois  comme  le  font  les  marquis  aux  laquais  de 
comédie.  A  de  pareils  malheurs  il  ne  faut  pas  de  chute 
royale  pour  être  profonds,  il  ne  faut  pas  de  contrastes  pour 
être  sentis.  Harengère  ou  princesse ,"  conmiencer  par  voir 
tuer  son  père,  sa  mère,  sa  tante  et  son  frère,  et  attendre, 
c'est  arriver  trop  vite  aux  limites  les  plus  reculées  de  la 
souffrance. 

A  cette  époque  la  trahison  de  Dumouricz  sauva  la  vie  à 
Madame;  car  il  est  assez  facile  de  prévoir  ce  que  lût  de- 
venue la  malheureuse  fille  de  Louis  XVI  si  Ton  n'avait  eu 
besoin  de  sa  tête  pour  racheter  celles  de  BeurnonvUle,  La- 
marque,  Camus  et  Bancal,  que  Dumouriez  avait  livrés  à 
Clairfayt.  Avant  de  sortir  du  Temple,  elle  écrivit  sur  ses 
murs  ces  mots  tout  chrétiens  :  «  O  mon  Dieu,  pardonnez 
a  ceux  qui  ont  fait  mourir  mes  parents  !  »  et  elle  quitta  la 
Trance.  Ainsi ,  l'exil  fut  le  premier  bonheur  de  cette  jeune 
princesse.  Ce  fut  à  Vienne  qu'elle  commença  à  rencontrer 
des  regards  amis.  A  Vienne ,  on  pensa  à  la  marier  à  un  ar- 
chiduc; mais,  soit  ménagement  pour  cette  hardie  république 
qui  s'était  assez  bien  défendue  pour  faire  craindre  qu'elle 
n'attaquât,  soit  peut-être  que  cette  union  ne  parût  pas  assez 
profitable  à  une  cour  qui  s'est  fait  du  mariage  de  ses  princes 
une  ressource  politique,  ces  velléités  d'hymen  avec  l'infor- 
tune n'eurent  pas  de  suite,  et  la  petite-fille  de  Marie-Thé- 
rèse alla  rejoindre  à  Mittau  le  chef  de  sa  famille.  Là,  elle 
é|)ousa  le  duc  d'Angoulême,  son  cousin.  Si  ce  mariage  ne 
fut  i)as  d'une  haute  politique,  il  fut  à  coup  silr  d'une  heu- 
reusedjgnité.  Déjàles  secours  que  les  Courbons  exilés  avaient 
été  demander  à  leurs  frères  en  royauté  ne  leur  venaient 
plus  que  tardifs  et  incomplets  ,  si  même  ils  ne  leur  étaient 
refuses.  Louis  X.V1I1  comprit  qu'il  ne  pouvait  demander 
pour  sa  nièce  un  mari  à  la  bienfaisance  étrangère;  il  voulut 
«pie  celui  qui  portait  toutes  les  espérances  d'avenir  de  sa 
famille  prit  aussi  le  fardeau,  et  peut-être  un  jour  la  conso- 
lation de  tous  les  malheurs  soufferts  ,  et  il  confia  la  fille  de 
îNlarie- Antoinette  à  l'héritier  le  plus  probable  du  trône  de 
France. 

.\vant  d'aller  plus  loin,  disons  un  mot  de  M.  d'Angou- 
lême. Né  loin  du  trône,  où  les  malheurs  de  sa  fomille  sem- 
blèrent devoir  l'appeler  ensuite ,  jusqu'il  l'époque  où  il  épousa 
sa  cousine ,  sa  vie  s'était  bornée  à  la  roide  éducation  d'un 
fils  de  France ,  à  avoir  dit  un  mot  aimable  à  .Al.  de  Suffren, 
dont  les  courtisans  pussent  faire  extase;  il  avait  accompagné 
son  père  dans  son  émigration  ,  il  avait  appris  à  Turin  les 
mathématiques  d'une  manière  assez  passable  pour  sembler 
surprenante  dans  un  prince  de  ce  temps-là;  et  dans  le 
conuuaiidement  d'un  petit  corps  d'émigrés  il  avait  montré 
un  peu  de  ce  courage  des  Bourbons,  que  depuis  Henri  IV 
les  Condé  semblaient  avoir  gardé  pour  eux;  mais  rien  n'avait 
percé  au  delà  d'une  obéissance  facile  aux  intérêts  de  sa 
lamille,  rien  de  personnellement  hardi,  rien  d'aventureux, 
lion  de  ce  qui  fait  gagner  un  bâton  de  maréchal  quand  on 
est  né  sous-lioutenant,  rien  de  ce  qui  fait  ressaisir  un  t;ône 
(|uand  on  l'a  laissé  échapper.  Après  ce  que  nous  avons  dit 
(le  madame  d'.Angoulême ,  ce  jugement  sur  son  mari  doit 
uous  être  permis,  l'our  une  femme,  le  malheur  est  une 


destinée  à  laquelle  il  sufïit  qu'elle  se  soumette  avec  dignité 
pour  être  à  la  hauteur  de  son  rôli!  :  pour  un  homme,  c'est 
un  ennemi  avec  lequel  il  doit  se  battre  le  front  haut  et  la 
main  haute ,  et  tant  pis  i)our  lui  s'il  est  vaincu  ! 

A  partirde  cetteépoque,  la  vie  demadamed'Angoulême,  la 
vie  de  son  mari  et  des  débris  de  sa  famille  s'agite  et  treiid)le 
au  soiiflle  de  Napoléon.  La  fortune  de  Napoléon  ramène 
Louis  XVIII  et  sa  nièce  de  Mittau  à  Varsovie  ;  triste  voyage, 
commencé  le  9.1  janvier,  sous  un  souvenir  de  mort,  nou- 
velle épreuve  où  le  malheur  quitta  sa  dignité  pour  s'atta- 
quer misérablement  à  madame  d'Angoulême ,  passa  de  l'àme 
au  corps,  et  infligea  le  froid  et  la  faim  à  l'orpheline  de 
Louis  XVI  et  de  Marie-Thérèse  ;  basse  misère ,  qu'on  a 
honte  de  rencontrer  dans  cette  puissante  infortune  !  Puis , 
le  roi  de  Prusse  voulut  s'essayer  à  être  maître  chez  lui ,  et 
bientôt  après  il  transmettait  humblement  aux  Bourbons  le 
désir  qu'avait  le  vrai  maître  de  son  royaume  de  ne  plus  les 
voir  à  Varsovie.  Alexandre  leur  rouvre  les  portes  de  Mittau, 
croyant  son  empire  de  cinquante  millions  d'hommes  assez 
vaste  pour  y  offrir  un  asile  à  trois  exilés.  Quelques  années 
se  passent ,  et  l'empereur  de  toutes  les  Bussies  faisait  dire 
tout  bas  à  l'oreille  de  Louis  XVIII  que  sa  présence  sur  le 
continent  offusquait  les  yeux  de  cet  homme  qui ,  d'un 
coup  d'oeil,  voyait  à  la  fois  le  monde  entier  et  chaque  point 
de  tout  ce  monde.  Enfin  Louis  XVIII ,  fatigué  de  ces  ser- 
vilités ,  dont  les  ricochets  lui  arrivaient  à  chaque  défaite , 
alla  demander  asile  à  l'Angleterre.  Il  le  trouva,  cet  asile 
honorable ,  en  1 S09 ,  dans  ce  pays  qui  seul  échappa  à  la 
dévorante  conquête  de  Napoléon. 

Là ,  à  Hartwell ,  la  duchesse  d'Angoulême  garda  une  re- 
traite absolue,  et  ne  montra  qu'une  fois  sa  mauvaise  fortune 
à  la  curiosité  de  la  cour.  Heureusement  pour  les  Bourbons, 
la  fortune  de  celui  qui  les  avait  éloignés  de  leur  héritage 
ne  dura  pas  assez  longtemps  pour  pousser  de  profondes 
racines  au  sol  de  France  ;  elle  remplit  si  rapidement  sa  course, 
et,  partie  de  si  bas ,  elle  atteignit  si  vite  son  apogée  et  son 
déclin,  qu'elle  n'eut  pas  le  temps  de  mûrir  une  légitimité 
éclose  pourtant  aux  rayons  du  soleil  d'Austerlitz.  Napoléon 
fut  vaincu  ,  et ,  quoi  qu'en  aient  pu  dire  les  flatteurs  d'alors, 
la  France  fut  vaincue  encore  plus  que  lui.  Ce  fut  donc  en 
mettant  le  pied  sur  la  couronne  militaire  de  la  France,  dont 
les  cendres  étaient  brûlantes ,  que  les  Bourbons  atteignirent 
leur  vieille  couronne  :  ce  fut  là  leur  premier  tort  ou  leur 
premier  malheur.  Alors  fut  dit  un  mot  dont  les  phraseurs 
politiques  firent  grand  bruit,  et  qui  eut  beaucoup  de  succès 
à  ce  moment  où  le  gouvernement  par  le  c<rur  était  une  rage 
pour  tout  le  monde.  Chacun  des  princes  revenus  avait  eu 
son  à-propos  admirable  et  plein  d'effusion.  Louis  XVIII  eut 
beaucoup  de  ces  bonheurs ,  ]M.  le  comte  d'.\rtois  en  trouva 
quelques-uns  de  passables ,  et  il  n'est  pas  jusqu'à  M.  le  duc 
d'Angoulême  qui  n'ait  à  revendiquer  le  sien.  Celui  de  ma- 
dame d'Angoulême  fut  noble  et  beau. 

Union  et  oubli  !  avait-elle  dit  :  oui,  pour  elle,  pour  elle 
seule  ;  et  cette  conduite  était  généreuse  et  convenante.  Mais 
à  ceux  qui  gouvernaient  pour  elle ,  ce  n'était  pas  oubli 
qu'il  fallait  dire,  c'était  souvenir,  souvenir  d'un  peuple 
qui  avait  dévoré  la  royauté ,  le  clergé  et  la  noblesse ,  parce 
que  ces  trois  pouvoirs  le  pressaient  insupportablement;  sou- 
venir de  cette  propriété  nationale  appelée  la  nation,  qui, 
comme  le  trône  de  Napoléon ,  n'avait  pas  encore  sa  pres- 
cription, et  qu'on  laissait  incertaine,  flottante  et  alarmée; 
souvenir  de  cette  égalité  à  s'élever  (jue  la  réiuiblique  et 
l'empire  avaient  fait  entrer  dans  les  droits  et  les  habitudes 
du  peuple;  souvenir  de  celle  Con-^lituanle  et  de  cette  Con- 
vention ,  qui  avaient  soumis  audacieusement  tous  les  faits , 
toutes  les  idées  ,  toutes  les  existences  ,  même  celle  de  Dieu  , 
au  régime  des  discussions  parlementaires  et  publiques.  Voilà 
les  souvenirs  qu'il  fallait  garder,  afin  de  n'être  pas  en  dé- 
sharuionie  avec  la  l'rance,  alin  de  ne  pas  être  rejeté  par  elle, 
comme  une  matière  hétérogène,  à  sa  première  cbullition. 


ANGOULKMÎ-: 

Mais  les  cris  de  quelques  milliers  de  foniines ,  mais  le  res- 
pect qu'imposait  h  toute  la  populatiou  la  vue  de  madame  la 
duchesse  d'Anj;oul(>me ,  fureiil  pris  pour  cette  coniiance  de 
la  uatioii  en  la  lionne  loi  et  la  force  de  ceux  (pii  r^ïjlent  ses 
destinées  ,  et  qui  l'ail  le  veritalilo  amour  du  peuple,  amour 
qui  ertt  sauvé  >apoléon ,  et  ne  Pcilt  ]>as  délaissé,  même 
tlans  le  malheur,  si  la  nation  eût  toujours  été  convaincue, 
comme  elle  le  l'ut  quelque  tenqis,  (lue  rien  ne  pouvait  le 
sépiirer  d'elle ,  et  qu'il  n'avait  pas  une  pensée  personnelle. 
Mais  ce  sentiment  de  méliance ,  qu'on  jeta  si  adroitement 
parmi  les  autres  revers  de  Napoléon ,  s'établit  de  prin)e 
abord  entre  les  Bourbons  et  la  France.  Jamais  on  n'avait 
accusé  l'empereur  d'avoir  un  autre  trésor  que  celui  de  son 
peuple  :  il  y  puisait  modestement  et  avec  ordre  ;  il  eût  pu  le 
faire  plus  largement  qu'on  n'en  eût  point  pris  d'ond)rage , 
parce  qu'on  savait  qu'il  faisait  bourse  commune  avec  la 
nation.  Dés  les  premiers  temps  les  Rourbons  iurent  ac- 
cusés de  thésauriser  à  part ,  d'amasser  à  l'étranger.  Ce  n'é- 
tait que  ce  que  la  nation  leur  avait  alloué ,  sans  doute  ; 
n'importe,  ce  soupçon  sépara  les  intérêts  pécuniaires,  et 
puis  ceux  de  gloire  et  de  puissance  le  furent  bientôt  :  et  le 
20  mars  arriva. 

A  cette  grande  époque  il  y  avait  un  rôle  digne  à  jouer  pour 
toute  cette  famille,  forte  de  deux  vieillards  que  l'adversité 
avait  dû  rendre  expérimentés,  et  de  deux  hommes  assez 
jeunes  pour  tirer  le  sabre  contre  un  homme  et  six  cents 
soldats.  Une  femme ,  madame  d'Angouléme ,  fut  seule  à  la 
hauteur  de  sa  nouvelle  infortune;  elle  seule  lit  un  effort 
pour  relever  cette  royauté ,  qui  s'en  alla ,  honteuse  et 
fuyarde,  redemander  à  l'étranger  une  seconde  invasion  du 
pays ,  une  nouvelle  humiliation  à  se  faire  reprocher  un 
jour.  M.  le  duc  d'Angouléme  ne  manqua  pas  sans  doute  à 
ce  courage  vulgaire  qui  consiste  à  jeter  sa  poitrine  devant 
une  balle;  mais  ce  n'est  pas  avec  un  pareil  enjeu  qu'on 
gagne  une  couronne ,  et  il  y  a  longtemps  qu'en  France  cette 
vertu  n'est  plus  estimée  que  cinq  sous  par  jour.  Aussi  il 
arriva  que  M.  le  duc  d'Angoulèiiie  fut  vaincu  et  attrapé 
par  le  moindre  des  généraux  de  Bonaparte,  et  renvoyé  si 
humainement  à  l'étranger  que  c'était  à  en  mourir  de 
tjonte.  Pendant  ce  temps,  madame  d'Angouléme,  que  la 
nouTelle  du  débarquement  de  Napoléon  avait  surprise  à 
Bordeaux,  y  tentait  une  résistance  qui  paraissait  devoir 
trouver  un  grand  auxiliaire  dans  les  opinions  exaltées  des 
habitants.  Population,  troupes,  sympathie ,  obéissance,  elle 
invoqua  tout  pour  la  défense  de  cette  royauté  perdue.  Agis- 
sant de  sa  personne,  parlant  de  sa  personne,  elle  fit  plus 
qu'une  femme  ne  pouvait  faire,  moins  que  n'eût  dil  faire 
un  homme. 

Un  général  d'une  renommée  secondaire  et  d'un  mérite  de 
premier  ordre  avait  été  envoyé  à  l'encontre  de  madame  d'An- 
gouléme. Clauzel  était  un  adversaire  trop  supérieur  pour 
qu'il  y  eût  chance  pour  elle.  En  cette  circonstance,  conmie 
en  beaucoup  d'autres ,  les  opinions  de  la  famille  des  Bour- 
bons la  perdirent.  L'aspect  des  victoires  et  de  la  guerre  de 
Napoléon  avait  persuadé  aux  exilés  d'Hartwell  que  tons 
les  hommes  qui  faisaient  mouvoir  ce  grand  empire  étaient 
des  rouages  insensibles  et  seulement  habilement  engrenés; 
que  celui  qui  avait  commandé  un  régiment  n'entendait  pas 
à  autre  chose ,  et  qu'un  général  de  division  de  l'empire 
était  un  soldat  qui  avait  la  voix  plus  forte  qu'un  autre, 
voilîi  tout.  Dans  cette  confiance,  madame  d'Angouléme 
compta  numériquement  les  soldats  qui  étaient  autour  d'elle, 
les  volontaires  royaux  qui  juraient  de  vaincre  ou  de  mourir, 
et  elle  attendit  de  pied  ferme  le  général  Clauzel ,  qui  s'a- 
vançait à  petites  journées  seul  dans  sa  voiture,  et  qui  ne 
prit  qu'à  quelques  postes  de  Bordeaux  une  escorte  de  trois 
ou  quatre  gendarmes  pour  ne  pas  élre  une  seconde  fois 
arrêté  comme  il  l'avait  éfé  à  Angoulcme. 

Mais  à  ce  moment  fut  commise  cette  faute  qui  pordit  alors 
les  CourbonSjCt  qui  les  a  perdus  depuis.  On  s'étîiitpo-^é  en  prin- 


i97 


(ipe  politique  que  l'année  était  esscnlieliement  obéissante, 
et  qu'il  n'y  avait  (pie  des  ordres  à  lui  cIouîut.  On  trancha 
eu  conséquence  du  commandement ,  et  l'on  ne  fut  pas  peu 
surpris  de  trouver  que  l'opinion  du  soldat  entrait  pour 
quelque  chose  dans  son  obéissance;  et  puis  il  arriva  que 
ces  hommes  ,  rentres  ou  attachés  à  la  suite  des  Bourbons, 
établirent  la  séparation  d'une  façon  stupide  entre  la  force 
militaire  et  madame  d'Angouléme.  Dans  les  conseils  qui 
eurent  lieu,  ce  ne  fut  envers  le  général  Decaen  et  les  autres 
oKiciers  supérieurs  que  des  propos  conmie  ceux-ci  :  «  l'os 
soldats  obeiront-ils?  Le  mauvais  esprit  de  votre  armée  nous 
fait  craindre  une  trahison.  »  Ft  puis ,  dés  que  ces  officiers 
étaient  partis,  c'était  :  ..  Les  hordes  de  rebelles  nous  aban- 
donnent; les  pillards  de  Buonaparte  sont  des  traîtres.  »  Et 
tous  ces  propos ,  qu'on  croyait  bien  enfermés  dans  les  sa- 
lons de  la  préfecture ,  s'en  allaient  retentir  dans  les  casernes. 
Faut-il  donc  tant  s'étonner  que  lorsque  madame  d'Angou- 
léme se  rendit  aux  casernes  ,  elle  ait  trouvé  un  accueil  si 
froid  ?  Elle  ne  savait  pas  qu'elle  était  coupable  aux  yeux  de 
ses  soldats  de  toutes  les  sottises  de  son  entourage. 

Pendant  le  peu  de  jours  que  durèrent  ces  tentatives  de 
résistance,  un  homme  devenu  depuis  d'une  haute  impor- 
tance, M.  de  Martignac,  fut  à  plusieurs  fois  député  vers  le 
général  Clauzel.  Il  le  trouva  à  Cubzac  avec  quelques  hom- 
mes, et  sans  autre  armée  que  celle  qu'on  voulait  lui  opposer. 
Clauzel  fit  prier  madame  d'Angouléme  de  vouloir  bien  se 
retirer.  Il  s'offrit  à  entrer  dans  la  ville  seul ,  et  à  l'accom- 
pagner jusqu'au  vaisseau  qu'elle  choisirait.  Cette  invitation 
parut  une  dérision  à  MM.  les  grands  soutiens  de  madame 
d'Angouléme;  ils  parlèrent  de  l'enthousiasme  de  la  ville  et 
de  l'obéissance  à  laquelle  on  saurait  bien  forcer  la  troupe 
de  ligne.  Le  général,  sans  s'émouvoir,  renouvela  avec  ins- 
tance sa  demande ,  suppliant  les  émissaires  royalistes  de 
pouiToir  au  salut  de  madame  la  duchesse.  M.  de  Martignac 
lui  demanda  enfin  pourquoi  il  paraissait  si  pressé;  le  gé- 
néral lui  répondit  :  «  C'est  que  vous  êtes  aveugles  et  sourds, 
et  que  vous  ne  voyez  ni  n'entendez  rien  de  ce  qui  s'agite 
sous  vos  yeux  et  à  vos  oreilles  !  Cependant ,  de  ce  côté  de 
la  Garonne,  il  me  semble,  moi,  que  je  vois  et  que  j'entends 
l'orage  qui  vous  menace.  »  M.  de  Martignac  sourit  encore. 
«  Vous  en  doutez  ?  dit  le  général  ;  eh  bien  !  suivez-moi.  » 
Ils  descendirent  tous  deux  sur  le  bord  de  la  Garonne;  par 
ordre  du  général ,  un  sapeur  coupa  une  longue  branche  de 
saule;  un  soldat  y  attacha  son  mouchoir  de  couleur,  et, 
comme  par  enchantement ,  un  vaste  drapeau  tricolore  se 
hissa  au  haut  du  château  Trompette  et  domina  tout  Bor- 
deaux. Voilà  ce  que  ne  comprirent  jamais  les  Bourbons, 
qu'il  y  a  une  sympathie  qu'il  faut  acquérir  atout  prix; 
voilà  le  sentiment  sur  lequel  avait  compté  le  général  Clauzel, 
et  qui  fit  qu'il  entra  seul  dans  Bordeaux  pendant  que  ma- 
dame d'Angouléme  s'embarquait  au  milieu  d'une  foule  de 
courtisans  qui  parlaient  de  mourir  pour  elle. 

Depuis  ce  départ,  depuis  cet  exil,  un  second  départ,  un 
second  exil  sont  venus  aflliger  cette  princesse  infortimée. 
Absente  de  Paris  lorsque  les  ordonnances  de  juillet  furent 
rendues ,  on  ne  peut  lui  en  imputei'  la  moindre  part  ;  et  ce- 
pendant, pour  être  vrai  dans  cette  circonstance,  il  faut  dire 
que  peut-être  de  tous  les  membres  de  la  famille  royale 
madame  d'Angouléme  fut  toujours  la  plus  impopulaire. 
D'où  pouvait  venir  cette  disposition  fôcheuse  contre  une 
femme  à  qui  l'on  ne  refusait  aucune  vertu?  Ceci  est  un  de 
ces  secrets  de  l'antipathie  des  nations  ,  aussi  inexplicables 
que  ceux  des  antipathies  physiques.  Était-ce  que  l'on  ne  pût 
pardonner  à  madame  d'Angouléme  d'être  peut-être  la  seule 
à  avoir  raison  contre  la  France  ?  Quel  motif  caché  pro- 
duisait donc  cette  cruelle  méliance?  Était-ce  ce  qu'avait  fait 
madame  d'Angouléme?  Non,  c'était  plutôt  ce  qu'elle  n'avait 
pas  fait ,  ce  qu'elle  ne  faisait  pas.  C'était  de  ne  pas  avoir 
arrêté  sa  voiture,  sinqilc  et  sans  gardes,  à  la  |)orte  «l'un 
magasin,  d'un  ba/.ai';  c'étail  de  ne  pas  s'élre  montrée  sou- 


598 

vent  à  un  spectacle  ou  à  un  conccrl,  de  ne  pas  avoir  dis- 
puté à  (juclques  bourgoois  un  talileaii  du  salon,  de  ne  pas 
s'être  passionnée  pour  un  livre  ou  une  musique  ;  c'était  enfin 
pour  ne  pas  avoir  aimé,  pour  ne  s'être  pas  amusée  et  oc- 
cupée de  ce  quaime  et  de  ce  qui  amuse  et  occupe  le  peuple 
français. 

En  effet,  le  duc  d'Ani;oult:mc  fait  la  guerre  d'Espagne , 
guerre  impopulaire  si  jamais  il  en  fut;  il  la  termine,  quelle 
iju'elle  soit ,  sinon  d'une  façon  conforme  à  nos  vœux  poli- 
tiques, du  moins  d'une  manière  satisfaisante  pour  nos 
armes,  et,  de  cette  guerre  inqmpulaire ,  le  duc  d'Angou- 
lêrne  revient  populaire  autant  qu'il  [teut  l'être,  parce  que 
les  Français  aiment  la  guerre  avant  tout,  et  qu'avant  tout 
ils  aiment  à  être  vainqueurs ,  n'importe  comment.  Il  arriva 
donc  que  le  peuple,  ne  voyant  pas  à  madame  d'Angoulème 
ses  affections  et  ses  préférences ,  lui  en  supposa  de  toutes 
contraires.  Le  progrès  effrayant  des  prétentions  ecclésias- 
tiques lui  fut  surtout  attribué  :  de  tous  ceux  qui  contribuè- 
rent par  leur  imprudence  à  amener  le  renversement  de  la 
branche  aînée  des  Bourbons,  le  clergé  est  le  plus  coupable. 
Ce  qui  manqua  en  définitive  à  madame  d'Angoulème,  ce  fut 
cette  affabilité  alerte  et  le  sourire  sur  les  lèvres ,  qui  se 
permet  souvent  une  impolitesse  et  la  répare  par  une  fami- 
liarité. La  bienveillante  réception  de  cette  princesse,  grave, 
austère  et  mêlée  de  tristesse,  semblait  un  ressentiment 
invincible  de  ses  douleurs,  et  on  ne  lui  pardonna  pas  d'en 
faire  souvenir  ceux  qui  voulaient  les  avoir  oubliées,  et  ceux 
tpii  ne  les  avaient  pas  vues.  Était-ce  la  faute  de  madame 
la  duchesse  d'Angoulème,  qui  se  taisait?  était-ce  la  faute 
de  la  nation,  toute  renouvelée  depuis  les  exécutions  de  93.' 
Ce  n'était  la  faute  de  personne;  mais  entre  madame  d'An- 
goulème et  le  peuple  français,  il  en  était  comme  entre  .^.eux 
iiommes  dont  l'un  a  proiondément  offensé  l'autre;  il  se 
peut  que  l'intérêt,  la  politique,  ou  le  hasard,  les  rapprochent 
et  les  forcent  de  vivre  ensemble,  il'  n'en  restera  pas  moins 
l'injure  entre  eux,  et,  quelque  mine  qu'ils  se  fassent,  ils 
ne  [)Ourront  jamais  se  regarder  qu'à  travers  un  souvenir 
pénible.  Pour  qu'il  n'en  ïùt  pas  ainsi  il  eût  fallu  que  ma- 
dame d'Angoulème,  facile,  étourdie,  aimant  le  plaisir,  cou- 
rant les  spectacles,  les  bals,  attestât  par  mille  actions  légères, 
par  une  conduite  inconsidérée,  qu'il  ne  lui  restait  plus  rien 
au  ca-ur  de  triste  ni  d'amer  :  une  faiblesse,  et  peut-être 
elle  était  adorée  des  Français.  Sans  doute  c'est  un  malheur 
que  l'antipathie  d'un  peuple ,  mais  c'est  aussi  une  haute 
consolation  que  la  vertu.  Jules  Jamn. 

Lor.is-ANTuiNE  de  Bourbon,  duc  d'Angoulème,  et  plus 
tard  dauphin  de  France,  fils  du  comte  d'Artois  depuis 
Charles  X,  et  de  Marie-Thérèse  de  Savoie,  était  né  à  Ver- 
sailles, le  6  aoat  1775.  MAKiE-ïnF.Ki:si:-Cu.uîi.oTTF.  de  France, 
fille  de  Louis  XVI  et  de  Marie-Antoinette,  naquit  le  19  dé- 
cembre 1778,  à  Versailles.  Le  titre  de  M/dome  royale  lui 
fut  donné  au  Ixirceau.  Elle  épousa  son  cousin  à  Mittau,  le 
10  juin  1799. 

A  la  suite  de  la  révolution  de  juillet,  la  famille  royale 
déchue  s'embarqua  à  Cherbourg.  Elle  fut  froidement  reçue 
en  Angleterre,  et  alla  habiter  le  château  de  Holyrood,  en 
Ecosse.  Le  duc  et  la  duchesse  d'Angoulème  avaient  échangé 
leur  titre  contre  celui  de  comte  et  de  comtesse  de  Marnes. 
Mais  le  climat  de  l'Ecosse  ne  convenait  pas  à  la  duchesse  : 
elle  repartit  avec  le  prince  son  époux  pour  le  continent , 
fut  accueillie  à  Vienne  comme  archiduchesse;  et  bientôt  la 
famille  royale  était  réunie  en  Bohên.e,  à  Prague,  i)uis  au  châ- 
teau de  Goritz  en  lUyrie,  oii  le  vieux  Charles  X  s'éteignait 
au  mois  de  novembre  ls;i(;.  Huit  ans  après,  le  3  juin  lSi4, 
le  duc  d'Angoulème  suivait  sou  père  au  tombeau.  L'au- 
to|)sie  lit  reconnaître  qu'il  était  mort  d'un  cancer  au  pylore. 
Son  corps  l'ut  déposé  dans  la  chapelle  du  couvent  des 
Franciscains,  situé  sur  uwr.  hauteur  à  l'ouest  delà  ville,  dans 
le  cave.\u  où  dormait  déjà  son  père. 

Par   son   testament    l'ex-Uauphin    laissait   une   forlimc 


ANGOULÉME  —  ANGRA 


de  6,250,000  fr.  11  léguait  2.), 000  fr.  aux  pauvres,  et  von 
lait  que  i)areille  somme  filt  consacrée  à  faire  dire  des  messes 
pour  le  repos  de  son  àme.  Il  y  avait  d'autres  legs  pour 
22,000  fr.  H  laissait  le  reste  de  sa  fortune  à  la  duchesse, 
voulant  qu'à  sa  mort  les  deux  tiers  en  revinssent  au  comte 
de  Chambord ,  et  l'autre  tiers  à  .Mademoiselle.  Puis,  dans 
cette  pièce,  datée  de  1840,  il  demandait  pardon  à  sa  femme 
de  tous  les  chagrins  qu'il  aurait  pu  involontaiiement  lui 
causer,  et  exprimait  le  désir  d'être  enterré  avec  la  plus 
grande  simplicité,  là  où  il  rendrait  le  dernier  soupir.  Pré- 
voyant le  cas  d'une  troisième  restauration ,  il  priait  la  du- 
chesse de  ne  pas  oublier  ceux  qui  avaient  toujours  été  bien- 
veillants pour  lui. 

Chateaubriand  ilisait  del'ex-dauphin  onze  ans  auparavant, 
en  décembre  1833  :  ■•  Je  passe  à  dix  heures  du  soir  devant 
Buschirad,  dans  la  campagne  muette,  vivement  éclairée  de 
la  lune.  J'aperçois  la  masse  confuse  de  la  villa,  du  hameau 
et  de  la  ruine  qu'habite  le  dauphin  ;  le  reste  de  la  famille 
royale  voyage.  Un  si  profond  isolement  me  saisit;  cet 
homme  a  des  vertus  :  modéré  en  politique,  il  nourrit  peu 
de  préjugés  ;  il  n'a  dans  les  veines  qu'une  goutte  de  sang 
de  saint  Louis,  mais  il  l'a;  sa  probité  est  sans  égale,  sa 
parole  est  inviolable  comme  celle  de  Dieu.  IN'aturcllement 
courageux,  sa  piété  filiale  l'a  perdu  à  Rambouillet.  Brave  et 
humain  en  Espagne,  il  a  eu  la  gloire  de  rendre  un  royaume 
à  son  parent,  et  n'a  pu  conserver  le  sien.  Louis-Antoine, 
depuis  les  journées  de  juillet,  a  songé  à  demander  un  asile 
en  Andalousie  :  Ferdinand  le  lui  eût  sans  doute  refusé.  Le 
mari  de  la  lille  de  Louis  XVI  languit  dans  un  village  de 
Bohème  ;  un  chien,  dont  j'entends  la  voix,  est  la  seule  garde 
du  prince  :  Cerbère  aboie  ainsi  aux  ombres  dans  les  ré- 
gions de  la  mort,  du  silence  et  de  la  nuit.  « 

M""^  la  duchesse  dWngoulème  est  moi  le  le  19  octobre  1851, 
à  Frolisdorff,  en  Illyrie,  dans  les  bras  du  comte  et  de  la 
comtesse  de  Cliambonl.  On  a  fait  paraître  en  1858  les  Mé- 
vioireade  Marie-Thérèse,  duchesse  d'Angoulème;  c'est  un 
récit  de  bi  captivité  du  Trmple  déjà  imprimé  en  1823.  L.  L. 

ANGOUAIOIS,  province  de  France,  comprise  aujour- 
d'hui dans  le  département  de  la  Charente,  était  bornée 
au  nord  i)ar  le  Poitou  ,  à  l'est  par  le  Périgoril ,  au  sud  et  à 
l'ouest  par  la  Soinlonge.  Elle  tirait  son  nom  d'Angoulème, 
sa  capitale.  La  Charente  et  d'autres  rivières  moins  consi- 
dérables, telles  que  la  l'ouvre,  la  Tardoire,  le  Baudiac  et  la 
Sonne,  arrosaient  ce  pays ,  dont  la  superficie  était  évaluée  à 
3,900  kiloni.  environ. 

Du  temps  de  César  l'Angoumois  était  habité  par  les  Agé- 
sinates.  Il  fut  compris  sous  Honorius  dans  la  seconde  Aqui- 
taine. Les  Vandales  el  les  Alains  le  ravagèrent.  Puis  les 
Wisigolhs  en  firent  la  conquête  sur  les  Romains,  et  il  passa 
plus  tard  sous  la  domination  des  Francs,  par  suite  de  la  ba- 
taille de  Vouillé.  Voyez  Axcoulême  (Comtes  et  ducs  d'). 

AA'GilA  ,  capitale  des  A  ç  o  r  e  s ,  sur  la  côte  méridionale 
de  l'ile  Terceira,  ville  de  18,000  âmes,  assez  bien  bâtie, 
avec  de  grandes  rues  et  de  belles  fontaines,  une  citadelle 
et  des  fortifications  considérablement  accrues  dans  ces  der- 
niers temps,  un  port  peu  sur,  une  académie  militaire  et 
divers  établissements  scientifiques  et  littéraires.  C'est  la 
résidence  du  capitaine  général  et  de  l'évêque  de  ce  petit 
archipel.  C'est  aussi  le  lieu  de  relâche  ordinaire  des  navires 
portugais  qui  se  rendent  au  Brésil  ou  dans  les  grandes  Indes. 
Il  s'y  fait  une  grande  exportation  de  vin,  froment,  nùel  et 
lin.  Celte  ville  ser\it  de  refuge,  jusqu'à  la  prise  de  Porto, 
à  la  régence  conslilutionnclle  instituée  par  l'empereur 
doui  Pedro,  quand  il  armait  pour  renverser  dom Miguel,  son 
Irèrc,  du  trône  de  Portugal ,  et  y  f.iire  asseoira  sa  place  sa 
lilie  do!)a  .Maria.  11  s'y  publia  alors  un  journal,  intitulé 
la  Chronique  de  Terceira,  qui  se  fil  remarquer  i)ar  la  su- 
périorité, non-seulement  de  sa  ri'daclion ,  mais  même  de 
ses  procédés  tyi)ograplii<pies.  Ou  conserve  à  .vngra  la  célèbre 
coiilevrine  deMalaca,  qui  portait  une  charge  de  soi\aute 


ANGRA  —  ANGUILLE 


.'.99 


livres  (le  balle;;,  et  dont  il  est  si  souvent  question  dans  Pliis- 
toire  (les  Indes. 

AXGRIVARII  (les),  peuplade  teutonne  qui  habitait 
entre  le  \Ve<er  et  l'Kuis,  pri's  des  Suives,  des  Catles,  des 
Cliaures,  et  dont  le  territoire  comprenait  une  partie  de  la 
principauté  de  Minden  et  de  rc'vèché  d'Osnabruck,  les  com- 
tés de  Tecklenbourg  et  de  Ravensberg,  et  une  partie  du 
comté  de  Scliaumbonri;.  La  petite  ville  actuelle  <le  Tecklen- 
bourg est,  dit-on ,  l'antique  Tczelin,  leur  capitale.  Les  .An- 
grivarii  prirent  part  aux  luttes  soutenues  par  les  autres 
nations  germaniques  à  différentes  époques  contre  la  puis- 
sance romaine  ;  ils  entrèrent  également  dans  la  grande  ligue 
saxonne  ,  et  furent,  ainsi  que  les  Saxons,  vaincus ,  soumis 
et  convertis  par  Charlemagne. 

AIVGUIER  (Fn ANçois  et  Michei,  ),  sculpteurs.  Ces  deux 
frères  étaient  nés  à  lùi,  le  premier  en  ino»,  le  .second 
en  1G14.  Leur  pèreétait  menuisier.  François  eut  d'abord  pour 
maître  Carron  d'.-Vbbeville ,  sculpteur  et  architecte.  11  vint 
ensuite  a  Paris,  dans  l'atelier,  très-fréquenté  alors,  de 
Simon  Guillain,  puis  il  alla  voyager  en  Angleterre  et  en 
Italie.  Pendant  le  séjour  qu'il  fit  à  Rome,  il  se  lia  étroite- 
ment avec  le  Poussin,  Mignard  ,  Stella  et  Dufresnoi.  A  son 
retour,  Louis  XIII  le  logea  au  Louvre,  lui  confia  d'impor- 
tants travaux  ,  et  le  chargea  de  la  garde  des  antiques.  On 
assure  que  lors  de  la  formation  de  l'Académie  de  Peinture , 
iJ  refusa dy  occuper  un  fauteuil. 

Les  (Tuvres  principales  de  François  Anguier  étaient  dis- 
séminées dans  les  églises  de  Paris.  On  citait  de  lui  le  tom- 
beau du  cardinal  de  Benille,  dans  l'église  de  l'Oratoire, 
rue  Saint-Honoré  ;  une  statue  de  Henri,  duc  de  Rohan- 
Chabot,  dsLTïf,  celle  des  Célestins  ;  le  mausolée  de  Henri, 
duc  de  Montmorency ,  décapité  à  Toulouse,  en  1632,  dans 
l'église  des  religieuses  de  la  Visitation,  à  .Moulins.  Aux 
pieds  du  duc  était  sa  femme,  Maric-Félicie  des  Ursins ,  en 
jiartie  voilée;  aux  côtés  du  monument,  les  statues  à'' Hercule 
ou  de  la  Valeur,  de  la  Libéralité ,  de  la  Noblesse  et  de  la 
Piété.  François  Arguier  décora  aussi  de  statues  le  mau- 
solée de  la  famille  de  Thou ,  à  Saint-An(lrc-{les-Arcs,  et 
le  tombeau  du  commandeur  de  Sovvré,  à  Saint-Jean-de- 
Latran.  On  regardait  comme  le  meilleur  de  ses  ouvrages  le 
monument  à  la  mémoire  de  Henri  I'',  duc  de  Longue- 
ville ,  descendant  du  comte  de  Danois  ,  fils  naturel  du  duc 
d'Orléans,  as.sassiné  en  1407  ,  à  Paris.  Ce  monument,  élevé 
dans  l'église  des  Célestins  ,  se  comnosTiit  d'un  obélisque  et 
de  quatre  statues.  En  1651  ,  il  sculpta  pour  Reims  deux 
anges  en  argent  portant  la  tête  de  saint  Rémi.  Une  grande 
pesanteur  est  le  défaut  capital  des  œuvres  de  cet  artiste,  qui 
mourut  à  Paris,  le  S  aoi^t  1060,  à  soixante-cinq  ans. 

Comme  son  frère,  Michel  Anguier  fut  élève  de  Guillain; 
mais  avant  de  venir  à  Paris  il  avait,  dès  l'âge  de  quinze  ans, 
exécuté  dans  sa  ville  natale,  où  il  ne  trouvait  ni  maîtres  ni 
modèles,  quelques  ouvrages  pour  l'autel  de  la  congréga- 
tion des  Jésuites.  De  l'atelier  de  Guillain  il  s'élança  vers  l'I- 
talie ,  sans  autre  ressource  que  son  talent.  A  son  arrivée  à 
Rome,  où  il  travailla  dix  ans,  il  iit  quelques  bas-reliefs 
sous  les  yeux  de  l'Algarde,  se  consacra  à  l'élude  de  l'an- 
tique, et  fut  employé  aux  sculptures  de  la  basilique  de 
Saint-Pierre ,  de  celle  de  Saint-Jean  des  Florentins  et  de 
plusieurs  palais  particuliers. 

Revenu  en  France  en  1051 ,  avec  un  talent  supérieur  à  celui 
de  son  frère ,  Michel  Anguier  se  vit  souvent  contrarié  par 
les  troubles  politiques,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  d'exécuter 
divers  travaux  ,  entre  autres  une  statue  de  Louis  XlIT , 
plus  grande  que  nature ,  qui  fut  coulée  en  bronze  et  érigée 
à  Nart)onne.  Anne  d'Autriche  le  chargea  de  la  décoration 
de  ses  apparlemcnts  au  vieux  Louvre  et  d'une  grande 
partie  des  sculptures  du  Val-dc-Grâce.  Le  groupe  de  la  Na- 
tivité, placé  sur  le  muitre-aulel,  passait  pour  son  chcT- 
d'œuvre. 
Michel  fut  reçu  en  1G68  à  l'Académie  de  ppinlure,  dont 


i!  devint  rectetu-  en  tOTl.  F,n  lG7'i  il  termina,  sur  les  des- 
sins de  Lebrun ,  les  bas-reliefs  de  la  porte  Saint-Denis,  com- 
mencés par  Girardon.  11  lit  aussi  de  grands  travaux  pour 
plusieurs  églises  de  Paris.  Ou  avait  de  lui  une  Apparition 
de  Jésus-C/irist  à  saint  Vcnis ,  tians  la  chapelle  basse  de 
Saint-Denis  de  la  CliAtrc,  église  détruite  en  ISIO;  des  sta- 
tues de  saint  Jean  et  de  saint  Benoît  pour  les  Filles-Dieu 
un  crucifix,  en  marbre,  de  sept  pieds,  pour  la  Sorbonne, 
et  un  en  bois  pour  Saint-Roch.  Michel  Anguier  mourut 
!e  11  juillet  lOSO,  à  l'Age  de  soixante-quatorze  ans,  et  fut 
eut  'rré  près  de  son  frère  aîné,  à  Saint-Rocb,  sa  paroisse. 
H  mérite  une  place  parmi  les  bons  si;ulpteurs  du  siècle  de 
Louis  .\  IV. 

AXGUÏLLE.  Les  anguilles  forment  un  groupe  parti- 
culier parmi  les  poissons  ajjodes,  c'est-à-dire  dépourvus  de 
nageoires  ventrales.  Files  sont  longues  et  minces,  couvertes 
d'écaillés  profondément  enfoncées  dans  la  peau  ,  et  ont  des 
dents  tranchantes  et  aiguës.  Leur  couleur  varie  suivant 
l'âge,  et,  à  ce  qu'il  parait,  suivant  la  qualité  des  eaux  où 
elles  vivent.  Celles  qui  habitent  les  eaux  liinj)ides  ont  le  dos 
verdàtre  rayé  de  brun ,  et  le  ventre  argenté ,  tandis  que 
celles  que  l'on  pêche  dans  la  vase  sont  d'ordinaire  brun 
noirâtre  en  dessus  et  jaunâtres  en  dessous.  La  forme  de  leur 
museau  varie  aussi  ;  et  ces  différences  caractérisent  quatre 
espèces  distinctes,  vulgairement  désignées  sous  les  noms 
d^inguille  vernianx ,  A^angxiille  long-bec,  éCangitille 
plat-bec  et  (ïaugiiillepimpcriiaux  Les  anguilles  ont  long- 
temps passé  pour  androgynes;  mais  elles  frayent  connue 
d'autres  poissons ,  et  pour  cela  elles  descendent  vers  l'em- 
boucliure  des  lleuves.  Files  atteignent  quelquefois  une  lon- 
gueur d'un  et  même  de  deux  mètres.  Ce  sont  alors  des 
espèces  de  monstres  hideux  à  voir  ,  dont  les  mouvements 
tortueux  rapi'ellent  ceux  des  serpents,  moins  la  souplesse 
de  ces  derniers.  La  mucosité  dont  se  couvre  leur  peau ,  en 
général  de  couleur  triste,  est  véritablement  dégoûtante. 
Cette  mucosité  les  fait  échapper  tacitement  des  mains  lors- 
qu'on veut  les  tenir.  Les  mœurs  de  l'anguille  sont  d'ailleurs 
analogues  à  sa  tournure  suspecte  :  nageant  avec  autant  de 
facilité  en  arrière  qu'en  avant ,  le  plus  souvent  rampant  au 
fond  des  mares  sur  la  vase  qu'elle  sillonne  ;  nocturne,  sau- 
vage ,  vorace ,  elle  se  vautre  dans  la  boue  ,  qui  semble  être 
son  élément ,  afin  d'y  passer  la  saison  froide ,  ou  pour  y 
surprendre  sa  proie.  Pendant  une  grande  partie  de  sa  vie , 
elle  habite  les  eaux  douces ,  et  fréquente  les  étangs  et  les 
mares  aussi  bien  que  les  rivières.  Lorsqu'elle  ne  se  tient  pas 
enfoncée  pendant  le  jour  dans  la  vase,  elle  se  cache  dans 
des  trous  qu'elle  se  creuse  près  du  rivage.  Ces  trous  sont 
quelquefois  très-vastes  et  logent  un  grand  nombre  d'indi- 
vidus à  la  fois;  leur  diamètre  est  petit,  et  ils  s'ouvrent  au 
dehors  par  leurs  deux  extrémités ,  ce  qui  permet  à  l'animal 
de  fuir  plus  facilement  lorsque  quelque  danger  le  menace. 
Quand  la  saison  est  très-chaude,  et  que  l'eau  stagnante  des 
étangs  commence  à  se  corrompre ,  l'anguille  quitte  le  fond, 
et  se  cache  sous  les  herbes  du  rivage,  ou  même  se  met  en 
voyage  pour  aller,  à  travers  les  terres,  chercher  une  localité 
plus  favorable.  Elle  peut  en  effet  ramper  sur  le  sol  à  la  ma- 
nière des  .serpents,  et  rester  longtemps  à  l'air  sans  périr. 
C'est  ordinairement  pendant  la  nuit  qu'elle  fait  ces  voyages 
singuliers  ;  et  quand  la  sécheresse  est  extrême,  elle  s'enfonce 
dans  la  vase  pour  y  rester  enfouie  jusqu'à  ce  que  l'eau  soit 
revenue.  D'aillems  ces  animaux  ne  voyagent  pas  toujours 
seulement  pour  passer  d'un  étang  à  un  autre;  comme  leur 
chair  prend  facilement  le  goût  des  lieux  qu'ils  fréquentent, 
il  est  à  croire  qu'ils  ne  sont  pas  inditVérents  à  la  nature  des 
eaux  qu'ils  peuvent  rencontrer.  C'est  probablement  pourquoi 
on  les  voit  souvent  remonter  certains  ruisseaux  ou  rivières 
en  troupes  innombrables. 

Les  anguilles  se  trouvent  dans  toutes  les  eaux  douces  de 
l'univers  :  le  Gange  en  fournit  ;  des  voyageurs  en  ont  trouvé 
dans  l'ilo  de  France ,  où  elles  deviennent  énormes.  Le  Vc^ja 


600 


ANGUILLE  —  AINGUSTURE 


eu  est  tout  ron;pli.  Les  lacs  de  la  Prusse  Ducale  prissent 
pour  louruir  les  ]ilus  grosses.  L'Islande  et  le  Kanistcliatka 
en  ont  également.  Nos  mares  en  sont  abondamment  peu- 
pK'Cs.  Pour  peu  qu'on  creuse  un  puits  ou  môme  un  trou 
<Ians  les  landes  du  midi  de  la  France,  et  qu'il  s'y  rassemble 
quelques  [)intes  d'eau ,  des  anguilles  ne  tarderont  pas  à  s'y 
montrer.  Elles  s'cni'onccnt  dans  le  sol  humide,  si  cette  eau 
vient  à  s'évaporer,  pour  reparaître  dès  ((u'elle  revient.  Les 
anguilles  d'Angleterre  |)6sent  fréipiemnient  neulkilogrammes. 
Les  femelles  produisent  des  œufs,  qui  éclosent  dans  leur 
corps  ;  et  conune  les  anguilles  peuvent  produire  de  tels  petits 
plusieurs  fois  par  an ,  et  qu'elles  sont  douées,  dit-on  ,  d'une 
grande  longévité,  leur  multiplication  est  extraordinaire,  et 
on  les  verrait  remplir  les  eaux  si  les  brochets,  les  loutres, 
les  hérons  et  les  cigognes  n'en  détruisaient  une  immense 
quantité.  A  leur  tour,  les  anguilles  détruisent  beaucoup  de 
poissons.  Elles  vivent,  dans  leur  jeunesse,  de  larves,  de 
lombrics  et  autres  faibles  animaux  ;  puis  elles  attaquent  les 
petits  poissons  et  les  grenouilles  ;  enlin ,  elles  finissent  par 
se  jeter  sur  les  carpes,  et  même,  dit-on,  sur  les  jeunes  ca- 
nards ,  qu'elles  saisissent  par  les  pattes  quand  ils  nagent , 
et  qu'elles  noient  à  la  façon  des  crocodiles,  pour  s'en  re- 
paître ensuite  sous  les  eaux. 

On  pêche  l'anguille ,  tantôt  à  la  ligne ,  tantôt  à  l'aide  de 
filets  et  de  nasses.  Dans  le  nord  de  l'Allemagne,  cette  poche 
se  fait  sur  une  assez  grande  échelle ,  pour  qu'on  en  puisse 
saler  et  fumer  l'es  produits.  La  chair  de  l'anguille,  très-sa- 
voureuse quand  elle  est  fraîche,  n'est  pas  aussi  indigeste 
qu'on  veut  bien  le  dire.  La  peau  de  ce  poisson  sert  à  une 
foule  d'usages  dans  la  technologie  pratique. 

Les  noms  d'anijuilles  du  vinaigre,  de  la  colle,  etc.,  ont 
été  donnés  à  certains  animalcules  microscopiques ,  parce 
(juc  la  forme  très-mince  et  très-allongée  de  leur  corps  offre 
de  la  ressemblance  avec  le  poisson  que  nous  venons  de 
décrire.  Confondus  d'abord  avec  les  vibrions,  ces  vers 
nématoides  ont  été  réunis  depuis  en  un  .seul  genre ,  auquel 
M.  Ehrenberg  a  donné  le  nom  d'aïujuillule.  Les  sexes  sont 
séparés;  l'ovaire  des  femelles  contient  des  œufs,  qui  chez  la 
plupart  éclosent  à  l'intérieur  du  corps  de  la  mère.  Une  es- 
I)èce  remarquable,  étudiée  par  Baiier  sous  le  nom  de  vibrio- 
tritici,  et  qui  se  trouve  dans  le  blé  niellé,  jouit  de  la  pro- 
priété de  se  dessécher  entièrement  sans  perdre  la  vie.  On 
en  trouve  des  amas  considérables  dans  l'intérieur  de  ces 
grains  de  blé ,  où  elles  remplacent  la  fécule.  Ces  anguillules 
ofirent  l'apparence  de  fibrilles  sèches,  jaunàties  et  cas- 
santes ;  mais ,  humectées  avec  de  l'eau  ,  elles  se  gonflent  peu 
il  peu  et  ne  tardent  pas  à  remplir  les  fonctions  de  la  vie. 
Quelques-uns  de  ces  phénomènes  avaient  (rappé  iS'eedham, 
à  ([ui  Voltaire  n'épargna  pas  la  raillerie.  De  nombreux  tra- 
vaux ont  été  faits  depuis  sur  ce  sujet,  et  nous  en  parlerons 
en  traitant  de  la  génération  spontanée. 

ANGUILLE  DE  MER.  Voyez  Congre. 

ANGUILLE  DE  HAIE  ou  ANGUIS.  Voijez  Orvet. 

ANGUILLE  DE  SABLE.  loz/es  Équille. 

ANGUILLE  ÉLECTRIQUE.  Voyez  Gymnote. 

ANGUILLULE.  Voyez  A.nguille. 

ANGUS.  Voyez  Foiifak. 

ANGUSTICLAVE ,  LATICLAVE.  Les  Romains 
entendaient  par  cltivi  des  bandes  d'étoffe  de  couleurs  dif- 
férentes du  fond,  appliquées  sur  les  vêtements,  soit  comme 
ornements,  soit  connue  marciues  distinctives.  On  appli- 
quait ces  clavi  sur  la  funicpie  pour  établir  des  distinctions 
de  classes.  Mais  ces  divisions  légales  n'étaient  pas  nom- 
breuses. Il  n'y  avait  donc  dans  le  costume  (pie  Vanyasli- 
clave  et  le  laticlave.  Le  premier  se  composait  de  deux 
bandes  étroites  de  pourpre  placées  sur  le  devant  de  la  tu- 
nique ;  elles  partaient  des  épaules  et  allaient  juscpi'au  bas. 
Le  laticlave  était  formé  d'une  bande  sur  la  poitrine.  C'était 
la  marque  distinctive  des  sénateurs;  il  n'était  permis  (ju'à 
tux  de  le  porter.  Le  laticlave  se  plaçait  sous  la  loge ,  sans 


ceinture,  mais  on  le  ceignait  avec  le  manteau  militaire,  ou 
pcnulii.  On  ornait  de  clavi  d'autres  vêtements.  Il  y  avait 
des  seivieltes  et  des  nappes  qui  en  avaient.  La  pointa  n'é- 
tait même  qu'une  lacerne  bordée  de  daves.  L'angusticlave 
à  bandes  de  pourpre  était  en  usage  en  Grèce,  chez  les  gens 
riches.  Les  autres  [mrtaient  des  tuniques  à  bandes  blanches. 
A  Sparte,  les  bandes  de  pourpre  étaient  interdites.  L'angus- 
ticlave à  Tarente  était  d'étoffe  légère  transparente. 

ANGUSTURE,  nom  que  l'on  donne  dans  le  commerce 
à  l'écorce  du  eu  s  paria  ou  bonplandia.  Les  Indiens 
appellent  cet  arbre  cuspa.  La  désignation  d'ccorce  d'an- 
r/7«,s#H;v^  vient  (les  i;spngnols,  et  dérive  du  nom  de  la  viiled  An- 
goiîtma  ou  Saint-Thomas,  voisine  du  dc'troit  de  rOrenoque, 
où  celti'  r.iil)>tajicc  (ait  un  objet  de  connnerce.  Cette  écorce 
tient  aujourd'hui  un  rang  éminent  dans  la  matière  médicale. 
Conune  amer  aromalique,  elle  agit  à  la  manière  des  toni- 
ques et  comme  stimulant  puissamment  les  organes  de  la  di- 
gestion. Elle  excite  l'appétit ,  chasse  les  vents ,  et  combat 
l'acidité  résultant  de  la  dyspepsie  ;  c'est  un  remède  très- 
efficace  dans  le  dian  liée  qui  provient  de  la  faiblesse  des  in- 
testins ,  ainsi  que  dans  la  dyssenterie;  elle  offre  le  singulier 
avantage  de  ne  pas  fatiguer  l'estomac  à  la  manière  du  quin- 
quina; mais  elle  ne  guérit  pas,  comme  ce  dernier,  les  fièvres 
intermittentes. 

Malheureusement  il  se  rencontre  dans  le  connnerce  une 
fatisse  anyiisturc,  peu  discernable  à  l'aspect  et  par  ses  ca- 
ractères extérieurs.  Elle  provient  du  brucea  antidysscn- 
terica,  et  l'usage  de  celle-ci  peut  être,  dans  certains  cas, 
très-dangereux.  On  y  a  récemment  découvert  un  principe 
immédiat  des  végétaux  {\hbriccine)  fort  analogue  à  ki 
strychnine,   et  qui  est  un  poison  violent. 

Les  premiers  échantillons  d'angusture  furent  apportés  de 
la  Dominique  en  Angleterre,  en  1778,  et  l'on  supposa  que 
l'arbre  qui  la  fournissait  était  indigène  de  l'Afrique  ;  mais 
de  nouvelles  importations  de  la  Havane  ont  fait  connaître  , 
ce  qui  a  été,  au  surplus,  confirmé  par  les  voyages  de  Hura- 
boldt  et  de  Bonpiand ,  que  ce  produit  appartenait  à  l'A- 
mérique. L'écorce  de  la  véritable  angusture  est  en  mor- 
ceaux de  différentes  longueurs,  dont  plusieurs  sont  presque 
plats ,  et  d'autres  en  tuyaux  imparfaits  de  toutes  grosseurs. 
L'odeur  de  cette  écorce  n'est  pas  forte ,  mais  elle  est  toute 
particulière;  la  saveur  est  amère,  légèrement  aromatique  et 
durable;  elle  laisse  un  sentiment  de  chaleur  et  d'irritation 
dans  la  gorge.  Les  morceaux  sont  couverts  d'un  épidémie 
rnince,  blanchâtre,  ridé;  la  surface  interne  est  lisse,  d'un 
jaime  brunâtre  ,  et  la  substance  intermédiaire  d'une  couleur 
fauve  irrégulière  et  d'une  teinture  compacte  ;  cette  écorce 
rompt  court,  et  offre  une  cassure  serrée  et  résineuse;  elle 
se  pulvérise  facilement,  et  donne  une  poudre  qui,  étant 
triturée  avec  de  la  chaux ,  exhale  une  odeur  ammoniacale. 
—  .^L  de  Humboldt  nous  apprend  que  les  capucins  de  Ca- 
talogue ,  qui  possédaient  les  missions  de  Carony ,  prépa- 
raient avec  grand  soin  un  extrait  de  cette  écorce,  qu'ils 
distribuaient  ensuite  à  tous  leurs  couvents  de  la  Catalogne. 

L'extrême  importance  qu'il  y  a  à  ne  pas  confondre  clans 
l'emploi  médical  \7l  fausse  anyusturc  a.\cc  la  vraie  a  fait 
nuilliplierles  recherches  sur  les  caractères  de  la  fausse  an- 
gusture ,  et  on  a  vraiment  sujet  de  s'étonner  des  genres  dis- 
parates (le  plantes  auxquelles  plusieurs  auteurs  ont  cru  pou- 
voir rapporter  celte  dernière.  Les  uns  ont  dit  que  c'était 
l'écorce  du  magnolia  glauca,  ce  qui  n'est  guère  probable 
d'après  les  propriétés  délétères  qii'ellc  a  manifestées  dans 
beaucoup  de  cas;  d'autres  l'ont  attribué  au  strychnos  co- 
lubrina,  et  d'autres  encore  au  strychnos  nux  vomica. 
L'une  ou  l'autre  de  ces  deux  dernières  opinions  est  plus  sou- 
tenable  ;  car  la  fausse  angusture  est  bien  évidemment  un 
poison  du  genre  des  strychnos,  dnVupastientc.  Au  surplus, 
(|ueile  (jue  soit  la  piaule  (jui  fournit  la  fausse  angusture, 
connue  elle  doit  être  absolument  bannie  de  la  matière  mé- 
dicale ,  la  seule  chose  essentiellement  utile  est  de  s'assurer 


ANGUSTURE  —  ANHALT 


Q'i'on  a  affaire  à  rangiiMurc  vrnii>.  Les  rt^actifs  cliiiniiiics 
olfri'iit  vies  iiioyeus  nomlneux  cl  certains  de  distinguer  les 
deux  an>;iistures.  Pki.ovzf.  père. 

AAIIALT  {Duchés  d'  ).  Ce  pays,  qui  doit  son  nom  an 
château  d'Anhait  (om  hollz,  pris  du  bois),  ainsi  appelé 
de  ce  qu'il  était  situe  dans  la  forêt  de  llarzi^erode,  où  l'on  ne 
distingue  plus  que  ses  ruines,  se  compose  aiijour  l'hui  des 
deux  i]ac\us,i.VÀiihal(-Dessau-Jùrt/ien,eti\\iii/iuU-liern- 
bourg,  ayant  ensemble  une  superficie  d'environ  ?,200  kilo- 
mètres carrés,  et  une  population  de  tG8,32:)  unies,  réparties 
comme  suit  :  Anhalt-Uessau-Kœtlien,  1374  kilomètres  carrés, 
114,830  habitants;  Anlialt  -  Bornbonrg,  820  kilomètres 
carrés,  et  53,4"5  habitants.  Le  duché  d'Anhalt-Kœllien  a 
été  réuni  en    1863  an  duché  d'Anhalt-Dessau. 

Le  pays  d'Anhait,  situé  au  nord  de  l'Allemagne,  dans  la 
vallée  de  l'Elbe,  est  prestpie  entièrement  entouré  par  le  ter- 
ritoire prussien  îles  provinces  de  Brandebourg  et  de  Saxe,  à 
l'exception  d'une  étroite  pointe,  où  il  conline  avec  le  duché 
de  Brunswick.  Ltibe,  la  Muldeet  la  Saale,  qui  reçoivent 
la  NVipper,  la  Bode  et  la  Selke,  en  sont  les  principaux  cours 
d'eau.  Le  sol  en  est  généralement  plat,  sauf  une  petite  par- 
tie occidentale  du   duché  de  Bernbourg,  dans  laquelle  se 
prolongent  les  ramillcations  du  bas  Harz.  A  l'exception  de 
la  partie  la  plus  septentrionale,  il  est  partout  d'une  grande 
fertilité,  et  l'on  y  cultive  avec  succès  le  froment,  le  chanvre, 
le  colza,  les  pommes  de  terre,  le  tabac,  le  houblon,  des  ar- 
bres fruitiers  de  toute  espèce,  et  même,  sur  quelques  points, 
la  vigne.  L'élève  des  botes  à  cornes  et  à  laines  y  est  faite 
sur  une  large  échelle.  Le  duché  de  Dernbourg  seul  est  riche 
en   productions    minérales.   L'industrie   manufacturière   y 
est  moins  avancée   que  ragrictiiture.   Le  commerce  y  est 
très-actif.  Le  chemin  de  fer  de  Magdebourg  à  Leipzig  se 
croise  à  Kœthen  avec  le  chemin  de  fer  de  Berlin  à  Anhalt. 
Les  habitants  appartiennent  pour  la  plupart  à  l'Églisa 
évangélique.  En  î8i8,  ils  formèrent  des  assemblées  consti- 
tuantes, et  les  princes  accordèrent  des  institutions  libérales. 
En  1851,  le  duc  d'Anhalt-Dessau  abolit  la  constitution  qu'il 
avait  cédée.  Le  duc   d'Anhalt-Bernbourg   garda  en    1850 
une  constitution    qui  consacrait    une  monarchie  représen- 
tative et  donnait  un  député   nommé  à  l'élection    directe 
par  3,000  habitants.    Déjà,   en    1848,   les  habitants  des 
trois  duchés  avaient  désiré  une  constitution  commune;  en 
1859   une  patenle  des   deux   ducs   l'octroya.  D'après  cet 
acte ,  les  deux  duchés   sont    représentés  par    une    diète 
commune,  composée  de  douxe  députés  de  l'ordre  équestre, 
de  douze  députés  des  villes,  et  de  douze  députés  des  cam- 
pagnes. Les   familles   nobles  nomment  les  premier*  ;   les 
bourgmestres  de    Dessau,  Zerbst,  Kœthen  et  Bernbourg 
sont  les  députés  des  villes  ,  avec  huit  membres  nommés  par 
les  conseils  municipaux;  les  maires  des  communes  rurales 
nomment  les  députés  des    campagnes.  Les  vingt-quatre 
d.  putes  d'Anhalt-Dessau-Kœthen   forment  séparément   la 
diète  spéciale  de  ce  duché  ;  les  dpuze  autres  forment  sépa- 
rément la  dièfe  d'Anhalt-Bernbourg.  Ces  deux  diètes  ne  se 
réunissent  que  pour  s'occuper  des  lois  modifiant  la  cons- 
titution,   établissant  de  nouveaux  impôts    ou    relatives  au 
droit  de  propriété.  Les  diètes  spéciales  votent  les  budgets. 
Les  unes  et  les  autres  doivent  être  réunies  au  moins  tous 
les  trois  ans.   Elles  ont  le  droit  de  présenter  des  vœux  et 
des  propo^^itions.   La  jouissance  de  certains   domaines  et 
privilèges,  le    droit  de  convoquer  les  états  et  de  diriger  les 
institutions  communes  aux  duchés,  constituent  le  xciiiorat 
de  la  maison   d'.\nlialt.  Il  passe  toujours  au  plus  Agé  des 
ducs  régnants.  En  ce  qui  touche  l'administration   civile  et 
judiciaire,  il  n'y  a  pour  les  duchés  qu'un  seul  et   même 
conseil  ressortissant,  ainsi  que  les  maisons  (Mincièros  de 
Schvvartzbourg,  à   un  tribunal   supérieur  d'appel  établi  à 
Zerbst.  Les  rapports  diplomatiquesdesdeux  maisons  d'Anhait 
avec  les  princes  étrangers  ont  également  lieu  par  l'inter- 
médiaire d'un  seul  et  même  représentant  :  ces  relalioas  sont 
nier.  DK  LA  (;o.^vtl;SvTlo^.  —    r.   i. 


COI 


permanenl.-s  avec  la  Prusse,  avec  rAufriche  et  la  diète 
fédérale,  dans  les  délibérations  de  laquelle  elles  partagent 
une  voix  avec  les  duchés  d'Oldenbourg  et  de  Schwartzbo'urg. 

A.MÏ ALT  (Maison  d').  Le  premier  domaine  do  lamaî- 
son  d'Anhait  lut  Ballenstedt  avec  le  terriloire  qui  en  dépend, 
el  riiistoiiecite  l';sicodeBallens(edt,qui  vivait  vers  l'an  940 
comme  la  souche  de  celte  famille  et  la  tige  des  Ascaniens 
(  voyez  Ascanie).  Ce  comte  hérita,  en  l'an  1031,  de  sa  mère 
llilda,  issue  des  margraves  de  l'ouest,  de  biens  immenses 
situés  entre  l'Elbe  et  la  Saale,  et  fut,  dir-on,  l'undes  princes 
les  plus  riches  de  .son  siècle.  Un  de  ses  descendants ,  le 
comte  Othon,  père  d'Albert  l'Ours,  qui ,  sous  le  règne  de 
l'empereur  fleuri  V,  avait  pendant  quelque  temps  été  duc 
de  Saxe,  joignit  à  ses  possessions  héiéditaiiesd'Aschersl(-ben 
et  de  Ballenstedt,  comme  chef  de  la  maison  d'Ascauie,  une 
partie  de^  terres  de  la  maison  de  Billung,  dont  hérita  sa 
femme  Elike,  fille  ainée  du  duc  Magnus  de  Saxe,  de  la  dy- 
nastie des  Billung,  mort  en  l'an  11(J6  sans  laisser  de  descen- 
dants mâles.  Cet  héritage  fut  l'origine  de  luttes  et  de  guerres 
aussi  longues  qu'opiniâtres  entre  la  maison  d'Ascauie  et  la 
maison  des  Guelfes,  parce  que  Wiilfide,  fille  cadette  du 
duc  Magnus,  avait  apporté  à  son  époux,  le  duc  Henri  le 
Noir  de  Bavière,  l'autre  partie  des  terres  allodiales  de  la 
maison  de  Billung,  et  qui  en  était  aussi  la  partie  la  plus  con- 
sidérable. Cet  Othon  prit  le  premier  le  titre  de  comte  d'As- 
canie  et  d'Aschersleben.  Son  (îls,  Albert  1  '  0  u  r  s  ,  qui  ac- 
quit en  1134,  la  Lausilz  et  la  marche  de  SoUwedel,  et  qui 
l'accrut  encore  de  la  marche  centrale  à  la  suite  de  guerres 
heureuses  contre  les  Wendes,  devint  premier  margrave  de 
Brandebourg,  et  arrondit  encore  ses  possessions  par  l'ac- 
quisition d'Orlamunde,  de  Plautzkau  et  de  propriétés  im- 
portantes en  Thuringe. 

Albert  l'Ours  est  incontestablement  l'une  des  plus  grandi  s 
figures  historiques  de  tout  le  moyen  ûge.  Il  mourut  le  18  no- 
vembre 1 170.  De  ses  sept  fils,  deux,  Siegfried  et  Henri ,  em. 
brassèrent  l'état  ecclésiastique.  L'aîné,  Othon,  succéda  à 
son  père  dans  la  marche  de  Brandebourg  et  dans  la  marche 
de  la  Saxe  septentrionale;  Hermann  hérita  du  comté  d'Orla- 
munde. Albert  eut  en  partage  les  domaines  d'Aschersleben  et 
de  Ballenstedt;  mais  il  mourut  sans  laisser  de  postérité  ; 
Dietrich  hérita  du  comté  de  Werben ,  provenant  des  biens 
allodiaux  de  la  maison  de  Billung  ;  et  enfin  Bernliard  eut 
pour  sa  part  Anhalt.  Othon  et  Hermann  moururent  sans 
postérité,  et  Bernhard  devint  la  souche  de  la  maison  d'An- 
hait actuelle.  U  fut  l'ennemi  déclaré  de  Henri  le  Lion  : 
aussi,  quand  on  partagea  les  domaines  de  ce  prince,  reçut- 
il  (1180)  la  partiequi  lui  en  avait  été  promise;  d'où  il  prit 
dès  lors  le  titre  de  duc  de  Saxe,  Il  mourut  en  1212.  Ses 
terres  furent  partagées  entre  ses  enfants,  dont  l'aîné,  qui 
prit  le  premier  le  titre  de  prince,  eut  pour  sa  part  Ascliers- 
leben  et  les  domaines  de  la  maison  d'Anhait.  Le  puîné,  Al- 
bert, eut  pour  la  sienne  la  Saxe. 

C'est  avec  ce  Henri  que  commence  l'histoire  bien  authen- 
tique du  pays  d'Anhait,  qui  pour  la  première  (ois  apparaît 
comme  État  indépendant.  A  sa  mort,  arrivée  en  1251, 
Henri  laissa  trois  fils  :  1°  Henri  II,  dit  le  Gros,  qui  eut 
pour  sa  part  dans  l'héritage  paternel  Ascliersleben  ,  le  Harz 
et  les  domaines  de  Thuringe,  et  fut  la  souche  de  la  ligne 
d'Aschersleben,  qui  fleurit  jusqu'en  1315  ;  2°  Bermiard  , 
qui  hérita  de  Bernbourg  et  de  Ballenstedt,  et  devint  ia 
souche  de  la  vieille  ligne  de  Bernbourg,  laipielle  sub- 
sista jus(pi'en  l'an  1408  ;  3'  Siegkried,  lequel  eut  en  par- 
tage Dessau,  Kœllien ,  Koswig,  eS  Roslau  ,  et  fut  la  souche 
d'une  troisième  ligne,  qui  en  1307  augmenta  ses  posses- 
sions de  la  seigneurie  de  Zerbst,  en  1370  du  comté  de 
Lindau ,  et  qui  en  1390  se  subdivisa  à  son  tour  en  deux 
branches,  celle  de  Zerbst,  éteinte  en  1526,  et  celle  cfe  Des- 
sau, aujourd'hui  subsistante. 

Les  (irinces  les  plus  remarquables  de  ces  différentes  li- 
gnes furent:  1°  dans  la   ligue  d'Aschersleben,  Henri  iî^ 

7t; 


602  ANH 

dit  le  Gros ,  déjà  mentionné ,  célèbre  par  la  lutte  qu'il  sou- 
tint avec  le  duc  de  Brunswick  contre  la  Misnie;  et  ses 
deux  (ils,  HiiSRi  111  et  Othon  \" ,  ce  dernier  illustre  sur- 
tout par  SCS  guerres  contre  le  Brandebourg  et  le  Brunswick  ; 
2"  dans  la  vieille  ligne  de  Bernbourg  ,  Bcmhard  VI ,  le 
plus  célèbre  de  tous,  qui  en  1426  unit  ses  forces  à  celles 
de  la  ville  de  Magdebourg  pour  combattre  les  hussites , 
mais  en  (jui  s'éteignit  la  ligne  dont  il  était  le  représentant; 
.■4°  dans  la  vieille  ligne  de  Zerbst,  son  fondateur,  Sieg- 
nuF.D  1",  connu  dans  l'histoire  par  sa  grande  piété,  et  dont 
le  fils,  Aluekt  V",  mort  en  131G,  proscrivit  l'usage  de  la 
langue  slave  devant  les  tribunaux  ;  puis  les  fils  de  celui- 
ci,  AlueiîtH  et  Waldem.uî  r'';dans  les  lignes  collatérales, 
^VoI.^■cANC,  et  Georges,  né  en  1507  et  mort  en  1553  ,  à  qui 
Luther  confia  les  fonctions  de  coadjuteur  évangélique  de 
Mersebourg. 

La  réunion  des  différentes  possessions  de  la  maison  d'An- 
balt  sur  une  môme  tête  eut  lieu  en  1570,  sous  le  règne  de 
JoAciiiM-liiiNEST,  mort  en  158C.  Ce  prince  donna  au  pays 
une  nouvelle  organisation  judiciaire  et  administrative,  et  fut 
le  premier  qui  introduisit  l'usage  de  convoquer  régulière- 
ment l'assemblée  des  états  du  pays.  11  eut  sept  fils ,  dont 
deux  moururent  avant  lui  ;  les  cinq  autres  se  partagèrent 
en  1G03  l'héritage  paternel. 

L'aîné,  Jean-Georges,  eut  pour  sa  part  Dessau;  le  puîné, 
CiiuisriAN,  Bernbourg;  le  quatrième,  Rodolphe,  Zerbst;  le 
cinciuième,  Louis,  ICœthen.  Le  troisième.  Au glste, renonça 
à  sa  part  moyennant  le  payement  d'une  somme  de  300,000 
thalers,  et  à  la  condition  qu'en  cas  d'extinction  de  la  des- 
couilance  directe  de  l'une  de  ces  quatre  lignes ,  lui  ou  ses 
descendants  lui  succéderaient.  Le  cas  prévu  se  présenta  dès 
l'an  IG65  ,  et  les  fils  d'Auguste  héritèrent  à  ce  moment  des 
domaines  et  souveraineté  de  la  ligne  de  Kn-then.  Ce  fut 
ainsi  (jue  la  maison  d'Anbalt  se  trouva  divisée  en  quatre 
l)r;!nches  collatérales  :  1°  la  maison  de  Dessau  ;  2°  la  mai- 
son de  Bernbourg;  3°  la  maison  de  Zerbst,  qui  s'éteignit 
dans  la  personne  du  prince  Frédékic-Alcuste  ,  en  1793  , 
époqiic  où  ses  domaines  firent  retour  aux  trois  autres  lignes, 
tandis  que  la  seigneurie  d'Ievc;-  passait  à  l'impératrice  Ca- 
Ihcrine  H  de  Russie,  et  plus  tanî  à  la  maison  de  lloWtein- 
Gottorp,  brandie  d'Oidenbourij  ;  4''eurm  la  maison  de  Kœ- 
tlien,  éteinte  en  1847. 

A  la  fin  du  seizième  siècle,  les  différents  princes  de  la 
maison  d'Anbalt  embrassèrent  la  religion  réforuiée,  et 
en  IGOO  se  (irent  admettre  dans  l'union.  A  l'effet  d'éviter 
des  movcellemenîs  ultérieurs  de  leurs  États  reipectifs  ,  les 
différentes  lignes  de  cette  maison  introduif-ircnt  successi- 
vement, dans  la  seconde  moitié  du  dix-septième  siècle,  le 
droit  de  primogéuiture  pour  le  partage  des  héritages. 

Kn  ISOC  im  décret  de  l'empereur  François,  en  date  du 
13  avril,  accorda  aux  princes  de  h  maison  de  Bernbourg 
le  titre  de  ducs.  En  1S07  les  trois  mai^•o!ls  entrèrent  dans 
la  Confédération  du  Rhin,  à  titre  de  princes  souverains  et 
indépendants;  celle  de  Dessau  conservant  le  titre  de  prince, 
et  celle  de  Ka'uica  prenant  le  titre  de  duc.  En  1814  elles 
firent  partie  de  la  Conlédération  germanique,  et  toutes  trois 
en  1828  accédèrent  à  l'union  des  douanes  allemandes. 
En  1836  les  trois  ducs  régnants  s'entendirent  pour  fonder 
un  ordre  de  chevalerie  commun  k  leurs  trois  maisons,  sous 
la  dénomination  d'ordre  ûWlOcrt  l'Ours.  Il  est  partagé  en 
trois  classes;  le  doyen  des  ducs  régnants  en  est  de  droit  le 
grand-maître. 

Ligne  d'Anhalt-Desscnt.  — Jean-Georces I",  mort  en 
1G1S,  eut  pour  successeur  son  fils  aîné  Jean-Casimii!  ,  mort 
en  IGGO;  lepuiné,  GEoncr.s-AuiDEnT,  eut  en  partage  Wd-rlitz, 
([ui  ;\  sa  mort,  arrivée  en  lG'i3,  fit  retour  à  la  maison  de 
Dessau.  Sous  le  règne  de  Jean-Casimir  le  pajs  d'Anbalt 
eiit  horriblement  à  souffiir  des  dévastations  ([ui  furent  la 
suite  de  la  guerre  de  Trente  Ans.  Son  fils  et  successeur, 
Je.v>-Geokces  II,  bon  prince  et  général  de  talent,   mort  en 


lLT 

1G93,  construisit  le  chûteau  de  iSischwitz,  qu'il  appela  Ora- 
nienbaum ,  ainsi  que  la  petite  ville  qui  s'éleva  peu  à  peu 
sous  ses  murs,  en  l'iionneur  de  son  épouse,  née  princesse 
d'Orange.  Il  eut  pour  successeur  son  fils  Léopoi.d,  si  célèbre 
sous  le  nom  de  viexix  Dessmi.  Le  fils  aîné  de  Léopold , 
Guillaume-Gustave  ,  qui ,  par  son  mariage  secret  avec  la 
fille  d'un  brasseur  ,  devint  la  souche  des  comtes  d'Anbalt , 
mourut  en  1747,  avant  son  père,  lequel  eut  pour  successeur 
son  fils  cadet ,  Léopold-Maxisiilien.  Celui-ci  ,  comme  ses 
frères  Dietrich  (mort  en  17G9),  Eugène  et  Maurice,  se  dis- 
tingua au  service  de  Prusse  pendant  la  guerre  de  Sept  Ans, 
et  mourut  en  1751.  Il  eut  pour  successeur  son  fils  cadet, 
LÉopoLD-FKÉni'iuc-FRA.NÇois;  son  (ils  aine  était  mort  en 
1814.  ALéo|)old  succéda,  en  1817,  son  petil-fils  Frédéric- 
Léopold,  né  le  t"  octobre  1794,  m;irié  en  18 18  avec  la  prin- 
cesse Frédériqae,  fille  du  prince  Louis  de  Prusse,  morte  • 
en  1850.  Le  fils  unique  et  héritier  du  duc,  Léopold-Frt'di'ric- 
Fraiiçois-^Jicolas,  né  en  1831,  a  épou-é  en  185i  une  princesse 
de  Saxe-Altenbourg,  dont  il  a  <leux  fils  et  une  fille.  Des  trois 
frères  du  duc  Léopold,  Gt'OiHes-Bernard,  né  en  1796,  Fré- 
déric-Au.i;uste,  né  en  1799,  et  Guillaume-Woldemar,  né  en 
1807,  le  premier  a  épousé  morganaliquement  la  comtesse 
de  Reina,  née  Erdniannsdorf;  le  second  a  épousé  la  fille  du 
landgrave  Guillaume  de  Ilesse-Cassel;  le  troisième  a  épousé 
morganatiqui'uient  une  baronne  de  Stolzenberg. 

Ligne  cPAhlialt-Iiernbourg.  — Christiam  r'"",  mort  en 
1630,  fut  longtemps  éloigné  de  ses  États.  Partisan  de  Frédéric 
le  Palatin,  sous  lequel  il  fut  gouverneur  de  Prague ,  il  dut 
prendre  la  fuite  en  IG20  et  errer  dans  diverses  contrées 
jusqu'à  ce  que  la  S  ixe  et  le  Brandebourg  eussent  réussi  à  le 
réconcilier  avec  l'empereur.  Il  eut  pour  successeurs  ses  fils 
CiiRisTi,\a\-  II,  mort  en  1G56  ,  et  Frédéric,  mort  en  1G70, 
lesquels  partagèrent  leurs  domaines  entre  les  lignes  de 
Bernbourg  et  de  Harzgerode;  mais  cette  dernière  s'étant 
éteinte  en  1709,  dans  la  personne  de  Guillaume,  fils  de 
son  fondateur,  mort  sans  laisser  de  descendance,  ses  do- 
maines iirent  retour  à  la  branche  de  Bernbourg.  A  Chris- 
tian II  de  Bernbourg  succéda  son  fils  Victor-Amédée,  mort 
en  1718  :  ce  fut  lui  qui,  en  1677,  introduisit  le  droit  de 
primogéniture  comme  devant  ôtre  à  l'avenir  le  fondement 
du  droit  de  succession  dans  la  maison  d'Anhalt  ;  cependant 
à  sa  mort  il  laissa  encore  à  son  fils  cadet  le  bailliage  d'Hoym 
et  d'autres  seigneuries  ;  mais  sous  la  suzeraineté  de  Bern- 
bourg. Il  eut  pour  successeur  à  Bernbourg  son  fils  aîné 
CnAKLES-FRÉDÉRic,  mort  en  1721  :  ce  prince  avait  épousé 
en  secondes  noces  la  fiUe  du  chancelier  d'État  Nussler,  que 
l'empereur  éleva  à  la  dignité  de  comtesse  de  IJallens/.edt, 
sans  que  les  enfants  nés  de  cette  union  pussent  avoir  des 
droits  de  succession  à  la  principauté  de  leur  père,  à  la  mort 
duquel  ils  prirent  le  titre  de  comtes  de  Bicrenfeldt.  Il  eut 
pour  successeur  son  fils  aîné,  issu  de  son  premier  mariage, 
Victor-Frédéric,  mort  en  1765,  et  auquel  succéda  son  fils, 
Alexis-Frédéric -Christian.  Ce  prince  divorça  en  1817 
d'avec  la  princesse  ?,înrio-Frédéri(iue  de  Iles-^e,  et  épousa 
en  1813  une  demoiselle  de  Sonnenberg,  qui  prit  le  titre  de 
madame  de  Hoym.  Cette  dame  étant  ven.se  à  mourir  dans 
l'année,  il  s'unit,  également  en  mariage  morganaticpie,  à  sa 
sœur,  qui  se  fit  aussi  appeler  madame  de  Hoym.  11  est 
mort  en  lS3't.  Son  fils  unique  Ai.exaxdue-Ciiarles,  né  en 
1805,  lui  a  succédé;  il  est  marié  depuis  1S34  avec  la  prin- 
cesse Frédérique  de  Holstein-Scnderbourg-Gluksbourg; 
mais  cette  union  est  juscpi'a  présent  demeurée  stérile  .  et 
cette  ligne  menace  de  s'éteindre. 

Ligne  d'Anhalt- Kœihen.  —  Louis,  son  fondateur,  eut 

pour  successeur,  en  1G50,  son  fils,  alors  encore  mineur, 

Guillaume-Louis,  lequel  mourut  en  16G5,  «ins  laisser  «le 

descendance.  Kdllien  passa  donc ,  aux  termes  de  l'arrangc- 

}  ment  conclu  en  1603  entre  les  cinq  fils  de  Joacliim-Erncst, 

I  an\  descendants  du  prince  Auguste,  son  troisième  lils,  les 

'  princes   Lererkciit   et  E.mmvnuel,   qui  avaient    iiérité  de 


ANIULT    -  AIVIMAL 


603 


leur  père  (Ui  bailliage  de  PiotzRau,  cédé  à  son  frère  par 
Cliristian  île  Beriibouri; ,  et  ([ui  <)ès  lors  lit  de  nouveau  re- 
lonr  à  la  maison  do  Hernbonrj^.  Lebereclit  niouriit  sans  en- 
fants, CI)  IC69,  et  Emmanuel  en  1G70.  Il  eiil  pour  siia-es- 
seur  son  (ils  posthume,  Emmamtl-Lebf.ukciit,  (]ui  ne  pnt 
gouverner  qu'à  partir  de  1092.  Ayant  atxordé  an\  protes- 
tants le  libre  exercice  de  leur  culte  dans  ses  Étals,  il  s'at- 
tira par  cet  acte  de  tolérance  une  foule  de  tracasseries 
qu'auj;inenta  encore  son  rnariaL'e  avec  Gisèle-Agnès  dn 
Rath.  Il  mourut  en  1704,  et  eut  pour  successeur  son  lils 
aine,  LÉ0P0I.D,  mort  en  1728,  et  son  fds  puîné,  Auguste- 
Louis,  mort  en  t755.  Le  lils  et  successeur  de  ce  dernier, 
CuAiîLES-G(.or>CES-LEPEKEcnT,  feld-marcclial  au  service 
de  l'empire,  mourut  à  Semlin ,  dans  la  guerre  contre  les 
Turcs.  Sou  fils  et  successeur,  AucusTE-CnuisTiAN-Fr.ÉnÉRic, 
quitta  le  service  d'Aulriclio  en  1797  avec  le  titre  de  (eld- 
marèclial.  Grand  admirateur  de  Napoléon  ,  il  voulut  tout 
organiser,  en  1810,  dans  son  petit  État,  sur  le  modèle 
de  l'administration  intérieure  de  la  France.  Il  commença 
donc  par  le  diviser  en  deux  départements,  que  plus  tard  il 
lui  fallut  refondre  en  un  seul,  créa  un  conseil  d'État,  in- 
troduisit dans  les  tribunaux  le  Code  Napoléon,  et  institua 
en  1811  nu  ordre  du  .Mérite  militaire.  Ces  maladroites  imi- 
tations ne  lui  survécurent  pas,  et  il  mourut  en  1812.  Il  eut 
pour  successeur  le  fils,  encore  mineur,  de  son  frère,  Louis, 
mort  en  1818,  en  qui  celte  branche  s'est  éteinte.  Les  do- 
maines de  la  mai.son  d'Anhalt-Kœthen  ont  alors  passé  à  une 
branche  collatérale,  celle  d'Anhalt-Kœthen-Pless,  repré- 
sentée par  Ferdi.nand,  général  au  service  de  Prusse.  C'est 
ce  prince  qui  en  1825  embrassa  avec  éclat  à  Paris  la  re- 
li';ion  catholique,  de  cnurert  avec  son  épouse;  conversion 
qui  fit  beaucoup  de  bruit  à  l'éfioque  où  elle  s'opéra.  Le  nou- 
veau duc  bâtit  à  Kœthen  une  église  catholique,  ety  fonda 
un  couvent  des  frères  de  la  Miséricorde ,  ainsi  qu'une 
toule  d'institutions  contraires  à  l'esprit  du  temps,  mais  qui 
n'ont  eu  aucun  résultat  politique.  Ce  prince  mourut  sans 
héritiers  directs  en  1830.  Son  frère  Henri,  né  le  30  juil- 
let 1778,  lui  suQpéda;  Louis,  frère  puîné  de  ce  prince,  étant 
mort  sans  enfants,  en  1842,  quand  le  duc  Henri  mourut,  le 
23  novembre  1847,  sa  branche  s'éteignit.  11  avait  épousé  en 
1830  Anguste-FrMériqiie- Espérance,  lille  de  Henri  XLIV, 
prince  de  Reuss-Schieiz-Kœstritz.  Ses  États  ont  été  réunis 
à  ceux  de  la  branche  d'Anhalt-Dessau  en  1853. 

AXJîîXGA.  Cet  oiseau,  de  l'ordre  des  palmipèdes,  ha- 
bite les  contrées  les  plus  chaudes  et  les  mieux  arrosées  des 
deux  continents.  Les  aidiingas  ont  des  membranes  aux 
pieds  comme  les  canards,  et  cependant  ils  perchent  sur 
les  arbres  élevés  et  y  établissent  leurs  nids.  Ils  ne  marchent 
jamais  sur  la  terre,  et  s'ils  quittent  les  arbres,  c'est  ponrse 
jeter  à  l'eau.  Ces  oiseaux  sont  remarquables  surtout  par  leur 
cou  long  et  grêle  et  la  petitesse  <le  leur  tête,  ce  qui  leur 
donne  l'apparence  d'un  serpent  enté  sur  le  corps  d'un  oi- 
seau, d'autant  plus  ipi'ils  imprimera  à  ce  coudes  mouve- 
ments parfaitement  semblables  à  ceux  d'une  couleuvre.  Les 
anhingas  se  nourrissent  de  poisson.  Leur  peau  est  très- 
é[)aisse;  leur  chair  a  un  goût  d'huile  désagréable. 

ANHYDRE  (du  grec  à  privatif,  et  <i6a)p,eau).  Ce  mot 
est  appliqué  en  chimie  pour  désigner  tout  corps  qui  ne  con- 
licnl  [las  d'eau.  En  minéralogie,  ou  s'en  sert  en  parlant  de 
tout  minéral  privé  naturellement  d'eau   de  ciistalli.sation. 

AI^'HYDRiTE,  chaux  snliatce  anhydre. 

AI\1,  genre  d'oiseau  de  l'ordre  des  pics.  Les  anis  vi- 
vent lians  !es  climats  les  plus  chauds  du  nouveau  continent; 
ils  sont  .si  faibles  qu'ils  peuvent  diflicilenicnt  soutenir  le 
vent;  le-s  ouragans  en  font  périr  un  gian;l  nombre.  Leur 
naturel  est  très-pacifique  et  liès-aimaiit;  le  même  nid  sert 
Ô  plusieurs  femelles  à  la  fois:  les  dernières  venues  l'agran- 
dissent pendant  que  les  autres  couvent  leurs  œufs."  Quand 
les  petits  sont  éclos,  ils  reçoivent  indistinctement  des  soins 
de  toutes  les  mères;  les  frères  restent  toujours  unis,  soit 


en  volant,  soit  en  .se  reposant.  L'amour,  la  jalousie,  la  faim, 
rien  n'est  capable  de  troubler  l'admirable  accord  qui  règne 
sans  cesse  parmi  eux. 

AI\1,  ville  de  l'Arménie  ottomane,  sur  les  bords  de  l'Ar- 
patchaï,  ancienuH  capitale  de  rArmcnie,  prise  en  1045  par 
les  Grecs,  et  reprise sureux  par  Alp-Arslan  en  107l,  a  été  dé- 
truite en  1313  par  un  tremblemeut  de  terre.  On  y  voit  des 
ruines  curieuses.  Le  palais  des  anciens  rois  d'Arménie,  orné 
de  sculptures  et  <le  mosaïques,  est  bien  conservé.  Les  Turcs 
ont  augmenté  les  fortifications  de  cette  ville,  située  sur  la 
frontière  russe.  * 

AMAI\  (  Détroit  d').  Foyes  Bering  (  Détroit  de  ). 

Al\lCH  (PiEiiRE),  né  en  1723  à  Ober-Perfuss ,  près 
d'Inspruck  ,  travailla  aux  champs,  à  l'exemple  de  son  père, 
jusqu'à  l'âge  de  vingt-huit  ans;  mais  dès  sa  première  jeu- 
nesse il  avait  montré  du  gofit  pour  les  sciences.  Les  jé- 
suites d'Lisprucls  lui  donnèrent  des  leçons  de  mécanique  et 
de  mathématiques,  et  il  parvint  à  construire  un  globe  céleste, 
un  globe  terrestre  et  divers  instruments  de  mathématiques. 
L'impératrice  Marie-Thérèse,  à  qui  ses  maîtres  le  recom- 
mandèrent, chargea  Anich  de  dresser  une  carte  du  Tyrol 
septentrional.  La  superstition  de  ses  compatriotes  rendit 
ce  travail  fort  difficile.  Enfin  la  carte  fut  achevée,  mais 
on  la  trouva  trop  grande  à  Vienne,  et  Anich  dut  la  réduire 
en  neuf  feuilles.  Quoiqu'il  s'appliquât  avec  beaucoup  d'assi- 
duité à  ce  nouveau  travail,  il  mourut  avant  de  l'avoir  achevé, 
le  f""  septembre  1766.  La  carte  parut  en  1774  ,  sous  ct5 
titre  :  Tyrolis  Chorographice  deUneata  à  Petro  Anich 
et  Dlasio  H ueber  curante  Ign.  We'mhart.  .  * 

ANICROCHE,  royes  Difficulté. 

ANSL,  nom  que  l'on  donne  aux  Antilles  à  l'indigotier 
franc.    Voyez  Lndigotier. 

ANSLLEROS,  nom  donné  en  Espagne,  pendant  la 
révolution  de  1820,  aux  hommes  modérés  du  parti  qui  avait 
provoqué  et  amené  le  retour  du  système  représentatif  et 
proclamé  le  rétablissement  de  la  constitu'.ion  des  certes.  Ils 
avaient  le  plus  d'influence,  occupaient  les  principales  places, 
dirigeaient  l'assemblée  et  avaient  à  leur  tète  Arguelles, 
Marti  nez  de  la  Rosa,  Morillo  et  San-Marliu. 

ANIMAL  (du  latin  anima,  vie,  souille).  Au  [uemier 
aspect,  rien  ne  semble  plus  facile  que  de  définir  l'animal  : 
être  organi.sé ,  individuel,  qui  .se  meut  et  qui  sent,  vc^ut  ou 
."^e  détermine.  Certes,  un  quadrupède,  un  oiseau,  un  reiilile, 
un  poisson  ,  un  insecte,  etc.,  sont  bien  évidemment  des  ani- 
maux ;  ils  se  meuvent ,  ils  sont  sensibles  et  jouissent  d'une 
sphère  d'activité  spontanée, quoiqu'à divers  degrés;  mais  un 
colimaçon,  une  hnilre,  un  vermisseau,  sont  beaucoup  moins 
sensibles,  moins  animaux.  Enfin,  les  eaux  contiennent  une 
foule  d'éires  ambigus  et  de  formes  assez  bizarres,  par  exemple 
des  oursins  et  des  étoiles  de  mer,  des  anémones  et  orties 
marines;  les  coraux  sont  habités  par  de  petits  êtres,  et  les 
inlu.sions  aqueuses  fourmillent  de  produits  microsco(»i- 
ques  dans  lesquels  on  découvre  bien  un  mouvement  spon- 
tané ,  qui  paraît  dépendre  d'une  volonté  pour  se  détourner 
des  obstacles,  mais  dans  lesquels  on  reconnaît  à  peine  les 
indices  d'une  sensibilité  plus  ou  nioins  obscure.  So!il-ce 
encore  des  animaux?  En  suivant  notre  principe,  que  la 
seule  sensibilité  constitue  Vessence  de  l'animalité,  ils 
sont  donc  animaux,  s'ils  sentent.  Mais  en  poussant  nos 
recherches  plus  loin,  nous  trouverons  d'autres  ôlres  qui  se 
meuvent  comme  s'ils  sentaient.  Ainsi,  la  plante  sensitive 
{mimosa  jmdica)  ferme  .sou  feuillage,  plie  .ses  rameaux 
lorsqu'on  la  touche.  Une  dame  anglaise  a  trouvé ,  près  des 
rives  du  Gange,  une  espè'ce  de  ?^,xMom[hedysarumgirans) 
dont  les  petites  feuilles  s'agitent  continuellement  d'elles 
.seules  lorsqu'il  fait  chaud  ,  comme  pour  s'éventer.  D'au- 
tres plantes  manifestent  aussi  quelques  mouvements  quand 
ou  touche  certaines  parties,  telles  que  leurs  étamines,  dans 
le  biopfiytum  {averrhoa  carambola  ),  Voxalis  sensiiiva, 
plusieurs  cassiu,  etc.  Cependant  ce  sont  évidemment  des 

7C. 


fiOt 

idanles  par  leur  conformation .  D'autres  productions ,  telles 
(jne  (les  conlerves ,  des  treincUes,  des  c/iarn,  paraissent 
jouir  (1(!  quelque  inobilitc'"  ;  on  connaît  surtout  le  mouve- 
ment spontané  des  oscillaires  (oscillafoires  de  Vaiiclier), 
espiVes  de  conferves  qui  s'a^iitent ,  non  quand  on  li'S  tou- 
elie,  mais  d'elles  seules,  dans  les  temps  chauds.  Différentes 
plantes  d'ailleurs exée\itent  des  mouvementstrès-apparents, 
qu'on  attribue  à  rirritai)ililé,  c'est-à-dire  à  la  contraction 
de  leurs  (il)res.  11  y  a  des  feuilles  et  des  ileurs  qui  se  closent, 
soit  par  l'absence  delà  lumière,  soit  pardes  contacts  qui  les 
blessent  ;  les  directions  des  tiges,  des  racines ,  des  feuilles, 
le  déploiement  de  certaines  parties,  surtout  des  organes  de 
reproiluction,  et  leurs  fonctions  manifestent  chez  ces  êtres 
des  actes  de  vie  analogues  à  ceux  des  animaux. 

Mais  où  cesse  le  végétal  et  oii  commence  l'animal?  Dans 
cet  examen,  il  s'agit  d'abord  de  déterminer  si  \ç.mouvcment 
est  le  caractère  distinctif  de  l'animalité,  ce  qui  ne  saurait 
élre,  puisque  tant  de  plantes  en  offrent  des  exemples.  En- 
suite il  faut  considérer  ce  qu'est  la  sensibilité  en  elle- 
même  :  c'est  la  faculté  d'éprouver  du  plaisir  et  de  la  dou- 
leur. Peut-on  dire  de  ces  plantes  qui  se  meuvent  à  quelque 
occasion,  qu'elles  ressentent  du  plaisir  et  de  la  douleur, 
qu'elles  ont  la  conscience  de  ces  impressions  ?  Rien  ne  le 
démontre.  11  n'est  permis  qu'aux  poêles  de  i)lacer  des 
dryades  dans  les  chênes  et  de  prêter  une  âme  au  narcisse 
s'admirant  dans  le  cristal  des  fontaines.  Les  causes  du  mou- 
vement <les  plantes  paraissent  fort  différentes  de  celles  de 
la  sensibilité  animale.  Le  vtgétal  n'a  point  <le  volonté  :  il 
n'agit  qu'en  automate,  et  ne  se  meut  qu'autant  que  le  dé- 
ploiiMiienl  de  son  organisation  ou  les  circonstances  de  sa  vie 
le  forcent.  L'animal,  an  contraire,  si  imparfait  qu'il  soit, 
riant  sensible  ilans  ses  diverses  parties  charnues,  veut  ou 
aspir-  à  sou  bien,  et  fuit  le  mal. 

Si  l'on  convient  généralement  que  les  plantes  ne  sentent 
pas,  quoiqu'il  soit  difficile  d'expliquer  comment  plusieurs 
d'entre  elles  se  replient  lorsqu'on  les  touche,  tous  les  ani- 
maux ont-ils  la  sensibiUlé?  Si  cela  n'est  point  douteux  pour 
les  espèces  les  plus  perfectionnées,  dont  le  système  nerveux 
est  apparent,  comme  dans  tous  les  vei'tébrés  et  chez  les 
mollusques,  les  crustacés,  les  insectes,  les  vers,  comment 
sentiront  les  zoophytes,  sans  système  nerveux  apparent?  Ils 
manquent  d'une  tête,  d'un  cerveau  ou  centre  sensitif, 
comme  en  ont  les  précédents;  mais  ils  palpent,  ils  éprou- 
vent les  impressions  du  tact  ;  leur  chair  est  contractile  ou 
irritable,  comme  l'est  encore  la  qiieue  du  lézard  récemment 
séparée  du  tronc.  Ainsi  l'influence  du  cerveau  n'est  point 
indispensable  pour  constituer  la  sensibilité  dite  organique.  Il 
suffit  qu'il  puisse  exister  des  molécules  ner^•euses  très-fines 
pour  animer  les  tissus.  Ce  n'est  pas  la  conscience  ni  la  con- 
naissance d'une  impression  qui  détermine  la  contraction 
des  organes  animaux,  mais  le  sentiment  local  suffit  pour 
opérer  involontairement  même  des  mouvements  musculaires. 
Un  zoophyte  peut  donc  sentir  un  contact,  sans  cerveau, 
quoiqu'il  ne  puisse  pas  connaître  les  rapports  ni  les  juger. 
On  doit  donc  convenir  que  la  sensibilité  est  l'essence  de 
l'animalité,  et  non  pas  seulement  Virritabilité  des  libres, 
comme  l'ont  dit  Ilaller  et  ses  sectateurs,  puisque  les  végé- 
taux possèdent  celle-ci,  et  qvi'ellc  est  indispensable  à  tout 
être  vivant.  Aucune  fonction  d'organe,  en  effet,  ne  pourrait 
s'exécuter  dès  l'état  de  graine  ou  d'oeuf  et  d'embryon,  sans 
le  jeu  de  celte  irritabilité  mise  en  action  dès  la  naissance. 

L'animal  est  un  être  actif;  la  plante,  un  corps  passif.  Au- 
cune plante  ne  peut  sortir  d'elle-même  du  sol  dans  lequel 
elle  a  pris  naissance;  l'animal  change  de  place,  les  espèces 
les  [ihis  sédentaires  ont  pu  s'étendre  ailleurs.  Une  plante, 
étant  insensible,  ne  peut  pas  se  mouvoir;  car  comment 
agir  lorsqu'on  n'a  ni  sens  pour  se  diriger,  ni  instinct  pour 
giuder  ses  actions,   ni  faculté  de  connaître?  Ne  pouvant, 

in.me  l'animal,  chercher  au  loin  sa  nourriture,  il  faut  qu'elle 


AMMAL 

soient  placés  à  l'evtérieur.  Afin  de  se  trouver  en  contact 
plus  immédiat  avec  l'aliment  ;  il  faut  que  ses  racines  s'éten- 
dent sous  la  terre,  ses  feuilles  dans  les  airs,  et  que  la  ma- 
tière alimentaire  pénètre  ou  soit  absorbée  par  tous  les  po- 
res. Tout  au  contraire,  l'animal  étant  sensible,  jouissant  de 
la  faculté  de  se  mouvoir,  et  ayant  des  sens,  il  peut  distin- 
guer ce  qui  lui  convient  de  ce  qui  lui  est  nuisible;  il  n'a 
donc  pas  besoin  que  l'aliment  vienne  le  trouver;  il  faut  au 
contraire  qu'il  aille  le  saisir.  Si  les  organes  digestifs  de  l'a- 
nimal eussent  été  placés  à  sa  circonférence  comme  dans  les 
plantes,  ils  l'eussent  empêché  de  se  mouvoir  :  il  n'eût  pas 
pu  recevoir  une  assez  grande  quantité  de  nourriture  à  la  fois. 
Il  aurait  fallu  d'ailleurs  qu'il  fût  plongé  au  milieu  de  ses 
aliments  pour  les  absorber  de  tous  côtés,  ainsi  que  les  plantes, 
ce  qui  était  incompatible  avec  la  mobilité  et  la  .sensibilité, 
et  ces  deux  fonctions  de  la  vie  extérieure  n'eussent  pas  pu 
s'exécuter.  La  nature  a  donc  dû  placer  à  l'intérieur  du  corps 
des  animaux  leurs  viscères  digestifs,  et  à  l'extérieur  les 
organes  des  sens  et  de  la  locomotion. 

Ainsi,  la  position  des  organes  de  nutrition,  centrale  chez 
les  animaux  et  extérieure  chez  les  végétaux,  constitue  en- 
core une  différence  capitale.  On  a  dit,  en  effet,  que  l'animal 
à  cet  égard  était  une  plante  retournée.  Les  racines  suçantes 
des  végétaux  sont  plantées  dans  la  terre,  celles  des  animaux 
sont  dans  leurs  viscères  intérieurs  et  leur  estomac.  Cet  ar- 
rangement diminuant  l'étendue  des  organes  digestifs  chez 
les  animaux,  il  doit  être  compensé  par  la  qualité  plus  sub- 
stantielle des  matières  nutritives.  On  observe  aussi  que  les 
animaux  prennent  des  aliments  beaucoup  plus  riches  en 
parties  restaurantes  sous  un  petit  volume ,  afin  de  se  mou- 
voir plus  facilement.  Les  carnivores  surtout  ayant  besoin 
d'une  agilité  extrême ,  leurs  aliments  de  chair  contiennent 
beaucoup  de  matière  nutritive,  proportionnellement  à  leur 
masse.  Ce  sont  aussi  les  animaux  les  plus  perfectionnés 
dans  leur  classe.  Leur  organisation  est  plus  sensible,  leur 
substance  mieux  élaborée  ;  ils  jouissent  au  plus  haut  degré 
des  qualités  essentielles  à  tout  animal.  Leur  vie  est  plus 
énergique,  leur  intelligence  en  général  plus  étendue.  IL  en 
est  ainsi  des  autres  espèces  qui  se  substant«nt  d'aliments 
très-nutritifs,  de  grains  ou  semences,  d'œufs ,  de  matières 
très-élaborées ,  tandis  que  les  races  d'animaux  herbivores 
ont  besoin  de  vastes  conduits  pour  contenir  une  grande 
masse  d'aliments  végétaux  peu  substantiels  ;  aussi,  les  ru- 
minants et  autres  espèces  lourdes  et  stupides  traînent  leur 
grosse  panse  et  de  larges  intestins.  Donc,  à  mesure  que  les 
organes  de  la  vie  rc^c/fl/ii'e  acquièrent  de  la  prépondérance 
dans  l'économie  animale,  les  organes  de  la  vie  sensitive  se 
dégradent  et  s'affaiblissent. 

Le  tissu  des  végétaux ,  formé  d'éléments  plus  simples , 
môme  chez  les  arbres  ornés  des  parties  les  plus  diverses, 
n'est  guère  composé  que  de  fibres  entrelacées  de  lamelles 
celluleuses ,  constituant  des  rayons  médullaires  et  des  tra- 
chées. Toute  la  complication  organique  se  manifeste  au  de- 
hors, ce  qui  fait  que  l'anatomie  végétale  interne  se  réduit  à 
peu  de  chose.  On  ne  peut  trouver  que  dans  les  organes  ex- 
térieurs des  caractères  suffisants  pour  leur  classification 
(excepté  la  division  générale  en  végétaux  acotylédones,  mo- 
nocotylédones  et  dicotylédones).  Parmi  les  animaux  |a 
complication  des  organes  est  bien  plus  considérable,  surtout 
à  l'intérieur.  Aussi  leur  anafomie  fournit  des  caractères  ex- 
cellents pour  leur  distribution  méthodique.  Formé  à  l'inté- 
rieur d'organes  pour  ainsi  dire  végétatifs  et  peu  .sensibles 
(tels  que  ceux  de  la  nutrition  ) ,  l'animal  est,  au  contraire, 
revêtu  extérieurement  d'organes  sensibles  et  mobiles  ou 
éminemment  animalisés.  Or,  les  animaux  ne  diffèrent  guère 
entie  eux  que  par  cette  écorce  d'animalité ,  moins  parfaite 
à  mesure  qu'on  descend,  depuis  l'homme  jusqu'à  l'animal- 
cule microscopique.  Dans  ces  dernières  classes  on  ne  trouve 
même  que  les  parties  les  plus  essentielles  de  la  vie  végéta- 


la  trouve  autour  d'elle;  il  faut  que  ses  organes  de  nutrition  [  tive  et  quelques  indices  légers  d'animalité.  On  peut  é'..:lusr 


ANIMAL 


605 


ninsi  combien  un  i^trc  so  montre  plu's  rn'imaî  <\\\m\  aiilic 
1111  s'oloii;!U'  le  plus  de  lolat  végétal.  Plus  celte  enveloppe 
«l'animalité  sera  considérable  dans  un  être,  plus  il  sera  élevé 
dans  l'éclielle  de  l'animalité.  L'homme,  par  sa  nature,  est 
plus  éloigné  des  végétaux  que  tout  le  reste  du  régne  animal. 
L'essence  de  l'animalité  consistant  dans  l'appareil  ner- 
veux sensitif  principalement,  tout  animal  jouit  d'un  ou  plu- 
sieui's  sens.  Le  toucli>  r  est  conuuun  à  toutes  les  espèces 
d'animaux.  Cûuiiue  le  goût  est  une  modilication  ou  espèce 
de  toucher  plus  intime,  qu'il  est  nécessaire  pom-  connaître 
la  nature  des  aliments ,  les  distinguer  du  poison ,  il  parait 
être  aussi  généralement  répandu  que  le  toi.cher  dans  tout 
le  règne  animal.  Les  autres  sens  sont  moins  héquents  ; 
ainsi  l'odorat,  qui  existe  encore  chez  les  insectes ,  ne  pa- 
rait pas  connu  des  mollusques ,  des  vers ,  des  zoophytes. 
L'ouïe,  qu'on  retrouve  chez  les  crustacés  encore,  et  peut- 
être  parmi  d'autres  articulés,  n'a  point  d'organes  connus 
dans  toute  la  foule  des  animaux  inférieurs  ,  ni  même  de  la 
plupart  des  mollusques.  Beaucoup  d'animaux  de  presque 
toutes  les  classes,  excepté  des  oiseaux  et  des  poissons,  man- 
quent'd'organes  de  la  vue.  Enfin,  le  sensorium  commune, 
qui  recueille  toutes  les  sensations  particulières  et  les  peut 
comparer,  ou  un  vrai  cerveau,  qui  est  l'organe  central  de 
la  volonté  et  de  l'intelligence,  ne  se  trouve  quecîiezles  ani- 
maux céphalés ,  et  surtout  dans  la  grande  division  des  ver- 
tébrés. 

Une  autre  différence  entre  l'animal  et  le  végétal  est  que  le 
premier  absorbe  par  la  respiration  (  au  moyen  de  poumons, 
ou  par  des  brancliies ,  ou  par  des  trachées,  etc.  )  l'oxygène 
de  l'air  atmosphérique,  ou  celui  dissous  dans  les  eaux,  chez 
les  races  aquatiques.  C'est  le  stimulant  indispensable  de  sa 
vie.  Plus  l'animal  respire,  plus  il  présente  d'intensité  dans 
son  existence,  ou  de  vivacité  et  de  clialeur.  comme  le  prou- 
vent les  oiseaux ,  les  espèces  à  sang  chaud ,  comparées  à 
celles  dont  le  sang  est  froid ,  ou  qui  respirent  moins.  Le 
végétal,  au  contraire,  absorbe  l'acide  carbonique  de  l'air  ou 
celui  qui  se  trouve  dissous  dans  les  eaux  ;  il  rejette  beaucoup 
d'oxygène ,  surtout  à  la  lumière ,  pour  s'emparer,  soit  du 
carbone,  soit  aussi  de  l'hydrogène  de  l'eau  ;  tandis  que  les 
animaux  rejettent  du  gaz  acide  carbonique  formé  ou  dé- 
veloppé dans  l'hématose,  par  la  séparation  d'une  portion  du 
carbone  de  leurs  aliments.  Donc ,  les  végétaux  restituent  à 
Pair  atmosphérique  l'oxygène  qu'y  puisent  '.es  animaux. 
La  respiration  de  ceux-ci  est  une  combustion  ;  le  procédé 
des  plantes  est  une  désoxydation.  C'est  ainsi  que  s'établit 
une  circulation  générale  dans  les  divers  éléments  de  notre 
globe.  Voyez  Ain. 

Enfin ,  les  animaux  présentent  tous  une  organisation  spé- 
ciale ;  tous  sont  pourvus  dune  bouche  ou  orifice  par  où 
pénètrent  les  aliments,  et  dun  estomac  pour  les  recevoir. 
On  a  considéré  plusieurs  anin)alcules  infusoires  comme 
agastriques  ou  sans  estomac.  Cependant  les  obsenations 
modernes  d'Elirenberg,  qui  a  coloré  ces  animalcules ,  prou- 
vent qu'ils  ont  des  cavités  absorbantes.  Plusieurs  zoophytes 
n'ont  pas  seulement  ime  bouche ,  mais  beaucoup  de  suçoirs, 
comme  les  rhizostoraes  ou  les  astomes;  il  est  même  des  es- 
pèces d'animaux  parenchymateux ,  qui  n'ont  point  d'orifice 
buccal  connu ,  et  qui  ne  vivent  peut-être  que  par  absorption 
des  liquides  nutritifs  dans  lesquels  ils  se  trouvent;  tels  sont 
des  vers  et  des  productions  coraliigènes  fixées  dans  un  lieu 
natal.  Mais  à  ces  diversités  près,  l'animal  se  nourrit  par  le 
centre  et  développe  ses  facultés  à  l'extérieur;  la  plante,  au 
contraire ,  se  nourrit  par  la  circonférence.  Elle  se  détruit 
d'abord  par  le  centre;  les  ani.maux,  au  contraire,  se  décom- 
posent plutôt  par  la  circonférence.  En  sorte  que  les  organes 
nutritifs ,  chez  les  uns  comme  chez  les  autres,  restent  tou- 
jours Ici  (leiiiiers  vivants. 

L'animal ,  d'après  toutes  ces  considérations,  peut  donc 
être  défini  :  nn  corps  organisé ,  sensible,  volonluiremcnt 
mobile  ,qui  est  pourvu  d'un  organe  central  de  digestion. 


Une  autre  loi  romarqualile  est  que  les  organes  sexuels  ou 
de  reproduction  tombent  chaque  année  dans  les  végétaux, 
tandis  qu'ils  persistent  chez  les  animaux  pendant  toute 
leiu'  vie. 

Dans  tous  les  êtres  organisés ,  les  parties  les  plus  émi- 
nemment compliquées  ou  douées  de  plus  de  perfection  soiit 
jilncées  siuiout  vers  les  régions  supérieures  ou  antérieures 
de  l'individu  :  tels  sont  les  organes  de  la  frnctilication  et 
de   la  llorai.son  chez  les  plantes;  chez  la  phi|)art  des  ani- 
maux au  contraire  ce  sont  le  cerveau  et  la  moelle  é|iinièrft, 
ou  les  principaux  troncs  nerveux,  qui  occupent  cette  place  : 
ces  appareils  d'organes  impriment  le  mouvement  à  toute 
la  machine,  ils   en  sont   la    portion   la    plus  délicate,  la 
mieux  élalioree.   Chez  les  végétairx,  le  maxinuun  de  leur 
élaboration  vitale  aboutit  à  la  génération,  à  ileurir  et  fructi- 
(ier.  Ils  piésenlent  leurs  lleui's  et  leurs  fruits  avec  orgueil, 
pour  ainsi  dire ,  comme  ce  qu'ils  ont  de  plus  parfoit.  C'est 
là  leur  tête  et  leur  visage  ;  ils  n'ont  pour  langage  et  pour 
action  principale  qu'à  faire  l'amour.  Chez  les  animaux  ,  au 
contraire ,  ce  sont  le  cerveau ,  le  système  nerveux  et  les 
principaux  sens  qui  se  rassemblent  à  la  tête  et  au-devant 
de  l'individu ,  avec  sa  bouche.  L'animal  semble  donc  de- 
mander surtout  à  sentir,  à  connaître ,  à  se  nourrir,  tandis 
que  ses  organes  sexuels  sont  reculés  ordinairement  à  \me 
extrémité  opposée  et  dérobés  même  à  la  vue.  Si  les  végé- 
taux font  parade  de  leurs  amours  ,  les  animaux  les  sous- 
traient le  plus  souvent  dans  l'ombre  du  mystère ,  et  avec 
pudeur  chez  plusieurs  espèces.  Ils  ne  vivent  pas  tout  entiers 
pour  la  reproduction,  comme  les  végétaux,  quoique  avec 
des  organes  sexuels  permanents  ;  mais  ils  ont  des  époques  de 
rut  ou  de  chaleur.  Ainsi  la  nature  a  créé  l'animal  plus  spé- 
cialement pour  sentir,  exercer  une  vie  active  par  le  moyen 
du  système  nerveux  ;  elle  a  formé  le  végétal ,  au  contraire , 
pour  fleurir  et  fructifier. 

Plus  un  animal  deviendra  sensible ,  nerveux ,  intelligent, 
plus  il  sera  parfait  ;  tel  est  l'homme  surtout.  Plus  un  végé- 
tal déploiera  ses  facultés  propagatrices,  ou  produira  des 
fruits  abondants  et  savoureux,  plus  il  atteindra  le  faîte  de 
la  perfection  qui  lui  est  propre.  C'est  donc  seconder  le  vœu 
de  la  nature,  suivre  la  route  de  ses  impulsions  les  plus 
nobles ,  accomplir  ses  volontés ,  remplir  enfin  ses  propres 
destinées  sur  la  terre,  que  d'accroître  dans  l'homme  et  dans 
les  animaux  domestiques ,  par  l'éducation,  les  facultés  in- 
tellectuelles ,  la  sensibilité  et  toutes  les  qualités  qui  perfec- 
tionnent les  êtres.  Eh  !  ne  portons-nous  pas  notre  admira- 
tion et  le  tribut  de  notre  estime  au  vrai  mérite ,  à  tout  ce 
qui  s'élève  à  des  facultés  ou  des  vertus  plus  achevées  ou  su- 
blimes, soit  chez  l'homme,  soit  dans  les  autres  êtres  animés  ! 
Nous  tracerons  encore  un  autre  caractère  distinctif  entre 
la  plante  et  l'animal  à  l'égard  de  leur  station.  D'ordinaire, 
la  plante  s'élève  verticalement ,  parce  qu'elle  est  enracinée 
dans  le  sol;  l'animal ,  ou  du  moins  la  plupart  des  animaux 
se  posent  horizontalement,  par'ce  qu'ils  marchent,  volent, 
rampent  ou  nagent.  Il  en  résulte  encoi'e  que  la  structure  de 
la  plante  devra  présenter  des  foi'mes  circulaires  ,  rayon- 
nantes ,  émanant  d'un  centre.  Telles  sont  la  plupart  des 
fleurs  régulières  (et  les  urégrdières  ne  sont  telles  que  par 
l'inégal  accroissement  de  quelque  partie ,  ou  l'avortement 
de  quelque  autre).  Les  animaux,  au  conlrair-e,  piendr-ont 
prescpie  tous  des  formes  symétriques,  ou  seront  composés 
de  deux  moitiés  pareilles,  accolées  dans  leirr-  longueur.  Cet 
accolement  est  si  réel,  dans  l'homme  lui-même,  que  sou- 
vent une  moitié  du  cor  ps  tombe  malade ,  ou  hémiplégique, 
et  l'autre  reste  saine.  Cet  accolement  s'est  opéré  parcntre- 
cr'oisement,  puisque  les  lésions  d'un  côté  du  cerveau  se  font 
sentir  aux  nerfs  des  meinhr'es  du  côté  ojiposé,  et  l'on  voit 
les  nerfs  opticjues  se  croiser  manifestement,  chez  les  poissons 
surtoul.  Ce  ([rri  devient  non  moins  remarquable  est  que  la 
forme  raycmnanie  chez  les  plantes  rassemble  les  deux  sexes 
sru-  le  mêiric  individu ,  savoir,  la  partie  femelle  au  centre 


606  ANIM 

médullaire,  ol  les  organes  mâles  dans  la  partie  ligneuse  et 
corticale  ([ui  l'environne.  Les  animaux  de  formes  circulaires 
ne  montrent  point  de  sexes  distincts,  à  la  vérité,  mais  ils 
doivent  ("ire  constitués  de  ces  deux  genres,  jjuisqu'ils  sont 
hermaphrodites,  et  se  rrproduisent  d'eux  seuls  sans  accou- 
plement. L'hermaphrodisme,  chez  tous  les  Ctrcs  organisés, 
concourt  avec  la  forme  rayonnante,  de  telle  sorte  qu'on  n'a 
jamais  trouvé  de  zoophyte  présentant  des  sexes  séparés.  Ces 
deux  éléments  de  reproduction  semblçntdonc  ôtre  tellement 
fondus  et  pétris  ensemble  dans  l'organisation  des  radiaires, 
que  toutes  leurs  parties  ont  la  faculté  de  reproduire  des  in- 
dividus semblables  à  eux,  des  bourgeons  à  la  manière  des 
végétaux  hermaphrodites.  Il  n'en  est  point  ainsi  des  ani- 
maux symétriques.  Les  plus  réguliers  (  les  vertébrés,  les  ar- 
ticulés) portent  toujours  leurs  sexes  séparément,  im  sur 
chaque  individu  ;  mais  les  animaux  irréguliers,  les  turbines, 
ou  mi'me  les  bivalves  (  rarement  réguHers),  sont  herma- 
phrodites. Donc,  la  loi  de  symétrie  des  organes  doubles 
correspond  exactement  à  celle  de  la  division  des  sexes  chez 
les  animaux.  Parmi  les  plantes,  comme  elles  n'offrent  ja- 
mais que  des  formes  plus  ou  moins  circulaires  ou  rayon- 
nantes, l'hermaphrodisme  est  la  loi  générale;  le  petit  nombre 
de  végétaux  dioïques  que  Ion  observe  ne  doivent  cette 
unité  d'un  sexe  sur  la  môme  tige  qu'à  l'avortement  de  l'autre 
sexe;  l'un  s'enrichit  aux  dépens  de  l'autre,  qu'il  absorbe. 
En  effet,  ces  végétaux  deviennent  quelquefois  d'eux-mêmes 
monoïques,  par  une  abondante  nourriture  ou  la  culture, 
comme  dans  les  saules ,  les  genévriers ,  etc.  Ceux-ci  sont 
parfois  mâles  une  année  et  femelles  une  autre.  Ainsi ,  la  loi 
constante  de  la  dioicité  des  sexes  appartient  spécialement 
aux  animaux  symétriques,  mais  l'hermaphrodisme,  ou  l'état 
monoïque,  aux  plantes  et  aux  animaux  de  forme  rayonnante 
comme  elles. 

Le  tissu  des  animaux  diffère  de  celui  des  plantes ,  et  la 
nature  de  leurs  fibres  présente  en  chacun  de  ces  règnes  un 
caractère  particulier.  L'animal  a  de  !a  chair ,  la  plante  n'a 
qu'une  organisation  fibreuse  ou  celluleuse ,  moins  souple, 
moins  extensible ,  peu  ou  point  contractile.  Cette  différence 
lient  à  un  mode  particulier  d'assimilation  des  nourritures 
chez  les  animaux  et  à  leur  élaboration  organique.  La  plante, 
en  effet ,  subsiste  d'éléments  plus  smiplcs  que  ne  fait  l'a- 
nimal ;  elle  peut  vivre  d'eau ,  d'air ,  de  carbone  divisé  ou 
du  détritus  des  matières  organiques ,  fumier ,  terreau  ,  etc. 
Elle  est  donc  formée  de  principes  peu  compliqués.  L'analyse 
chimique  n'y  rencontre  d'ordinaire  que  trois  éléments ,  le 
carbone ,  \  hydrogène  et  Voxijgène  ;  elle  n'offre  que  peu 
ou  souvent  point  d'azote  dans  sa  composition.  Prenant  les 
[)lus  simples  éléments  de  la  natm-e ,  le  végétal  ne  leur  im- 
prime qu'un  i)remier  degré  de  combinaison  ;  aussi  ne  par- 
vient-il qu'à  une  organisation  peu  complexe.  L'animal,  au 
contraire,  tire  sa  première  nourriture  des  plantes  (sinon 
d'autres  anin\aux);  il  peut  donc  pousser  la  composition 
])lus  loin,  par  le  mouvement  organique  et  les  combinaisons 
de  la  vie.  Aussi  la  chimie  trouve  dans  les  tissus  ani- 
maux, outre  les  trois  principes  communs  aux  végétaux,  -Je 
l'azote  en  abondance,  ou  même  du  phosphore  et  d'autres 
éléments  combinés.  11  paraît  que  c'est  au  moyen  de  la  res- 
piration ou  de  l'air  atmosphérique  que  le  simple  herbivore, 
tel  que  le  bœuf ,  s'incorpore  l'azote  qui  constitue ,  à  pro- 
prement parler,  la  chair ,  la  matière  animalisée.  C'est  en 
dépouillant  cette  chair  d'azote  (en  la  faisant  macérer  da:!S 
l'acide  nitrique),  qu'elle  retourne  à  l'état  végétal.  11  faut 
observer  cependant  que  plusieurs  végétaux  naissent,  connr.e 
k's  byssus,  certains  champignons,  des  sphérics ,  etc.,  sur 
des  matières  animales.  Les  engrais  animalisés,  les  terrains 
saturés  de  débris  d'animaux  excitent  le  développement  ra- 
pide i!e  beaucoup  de  plantes.  Il  est  plusieurs  de  celles-ci , 
comme  les  criici/ùrcs ,  les  c/mmpiynons ,  eic,  qui  con- 
tiennent abondamment  de  l'azote,  cl  il  parait  bien  que  les 
vé"étaux  riches  en  nitrc,  comme  ceux  des  genres  helian- 


AL 

Unis  et  solanum,  s'emparent  d'une  portion  azotée  des  ter- 
rains où  ils  croissent.  Mais  on  peut  en  conclure ,  an  con- 
traire, que  la  malière  azolée  des  engrais  n'entre  qu'impar- 
failement  dans  l'économie   végétale,   puisipi'elie  sert  plu- 
tôt à  la  production  du  salpêtre,  tandis  que   les  animaux 
absorbent  l'azote  et  se  rassimilenl  abondamment.  Les  vé- 
g('!laux  ne  prennent  donc  les  éléments  des  engrais  que  dé- 
sagrégés, ou  les  décomposent,  s'ils  sont  trop  animalisés. 
Ix'S  végétaux  siu'.plilient  la  nourriture  à  leur  niveau,  tandis 
que  les  animaux  la  surcompo.sent  pour  l'élever  à  leur  état 
de   complication.  Cc()endant ,  le  lissu  vi-gétal  possède  déjà 
l'irritabilité,  ou  plutôt  l'excitabilité,  outre  celle  que  mani- 
festent beaucou|i  d'étamines.  Les  plantes  ont  des  maladies, 
des  ulcères,  des  feuilles  uiorliliéesel  d'autres  trop  excitées, 
crispées  par  certains  stimulants;  jes  végétaux  les  plus  exci- 
tables devancent  les  autres  en  feuillaison  ,  en  fioraison,  etc. 
Les  piqûres  (les  cynips  et  autres  insectes,  et  le  venin  qu'ils 
injectent  dans  la  plaie  d'un  arbre,  produisent  des  galles,  des 
afilux  de  .'-éve.  S'il  exivte  ime  diflérence,elle  n'est  que  dans 
la  seule  sensibilité  (jii'éprouve  l'animal,  tandis  que  la  planta 
manifeste  une  irritabilité  simplement  organique.  La  chair  a 
une  vie  i)lus   développée  dans  ses  facultés  que  n'en  a  le 
bois  ou  le  tissu  végétal,  et  cette  différence  tient  i)rol)ablo- 
ment  à  la  nature  chimique  plus  compliquée  de  la  chair  que 
ne  l'est  le  ligneux;  celui-ci  manque,  en  effet,  du  principe 
animalisant,  mal  à  propos  nommé  azote  ou  sans  vie.  La 
plante  ne  vivant  que  d'éléments  faiblement  élaborés  ,  sa  vie 
et  ses  organes  sont  peu  compliqués ,  ont  peu  de  propriétés 
spéciales;  mais  l'animal,   se  nourrissant  de  substances  déjà 
préparées  par  la  végétation,   élève  la  combinaison  orga- 
nique plus  haut ,  lui  imprime  des  qualités  plus  actives,  la 
conlractilité  musculaire ,  \si  sensibilité  nerveuse. 

Le  propre  de  l'animalité  consistant  dans  les  facultés  de 
scnlir  et  de  se  mouvoir,  ou  dans  la  sensibilité  nerveuse  et 
la  contractilité  musculaire,  il  s'ensuit  que  les /oHC^ioHS 
animales  seront  celles  propres  à  l'appareil  nervoix  et  au 
système  locomoteur.  Celui-ci  est  formé  de  la  chair  des 
muscles  et  du  squelette  osseux  ;  son  jeu  est  fondé  sur  une 
mécaniqvie  très-ingénieuse  de  cordes  fibreuses  ou  charnues , 
ou  tendineuses,  soutenues  et  fixées  par  des  points  d'appi!i 
qui  sont  les  os  vertébrés  (  ou  les  coques  calcaires  des  Cius- 
tacés,  des  coquillages,  à  l'extérieur  de  ces  annnaux,  ou  l'en- 
veloppe cornée  des  insectes).  Les  fonctions  sensoriales  sont 
ou  extérieures,  comme  celles  de  nos  cinq  sens,  ou  internes, 
comme  celles  des  appétits,  des  désirs  ou  des  passions,  et 
celles  du  centre  cérébral,  qui  peuvent  réagir  sur  l'économie, 
comme  on  en  voit  des  exemples  dans  les  effets  des  pas- 
sions et  de  l'imagination.  Les  fonctions  animales  sont  inter- 
mittentes ou  interrompues  par  le  sommeil  (car  celles  qui 
s'exercent  encore  dans  les  songes  sont  dues  à  des  réveils 
partiels  du  centre  cérébral  ). 

Dans  l'acception  commune,  on  désigne  souvent  comme 
fonctions  animales  celles  qui  émeuvent  surtout  les  brutes  : 
tels  sont  les  appétits  de  nourriture  ou  de  propagation  ;  néan- 
moins, ces  fonctions  appartenant  à  tout  être  organisé  et  aux 
végétaux  même ,  puisqu'ils  aspirent  à  se  nourrir  et  à  se  re- 
produire ,  ce  sont  plus  réellement  des  fonctions  organiques. 
La  première  fonction  de  tout  ind'vidn  vivant  est  la  nutri- 
tion ,  ce  qui  con)prend  les  actions  subséquentes  et  pour 
ainsi  dire  de  détail,  telles  qiie  la  mastication  pour  plusieurs 
animaux  ,  la  succion  pour  d'autres  et  Vabsorption  chez  les 
plantes;  ensuite  la  f//yp,';//o?i  stomacale,  intestinale,  la  chy- 
Uficalion  ou  la  séparation  des  molécules  nutritives  de  la 
masse  d'alimenls  pris.  Le  chyle  versé  dans  le  sang  ou  dans  le 
liquide  qui  en  tient  lieu  ,  co;;une  la  sévc  du  végétal,  il  s'o- 
père une  autre  fonction ,  celle  de  la  circulation  sanguine 
dans  l'animal,  séveuse  dans  la  plante ,  enfin  Vli&matose  ou 
l'élaboration  du  liquide  réparateur  de  l'économie.  .Mais  bien 
que  celte  circulation  soit  complète  dans  plusieurs  espères 
(celles  à  sang  chaud),  elle  n'est  que  partielle  dans  les  races 


ANIMAL 


607 


plus  imparfaites.  De  im^mc  la  r>éve  dans  les  arbres  ne  pré- 
sente point  une  eirciilalion  réi^iili^re ,  ni  in/^nie  un  mouve- 
ment periinncnt ,  ou  é;ml ,  juiisque  le  froid  et  la  elialeur  on 
font  varier  raction,  de  miMue  que  le  froid  suspend  la  circu- 
lation cliez  les  animaux  qui  s'engourdi?sent  en  hiver.  A  la 
suite  de  C'tte  distrihiition  du  s;hi^  ou  de  la  sève,  s'opère 
l'assimilation  ou  la  vc^paralion  des  o.'-ganes  ;  enlin  s'exécu- 
tent dans  des  appareils  parlieurers  noiumés  glandes  les  sé- 
vtrlious  de  liqueurs  spéciaies,  bile,  lail,  urine,  salive,  etc.; 
los  ercrcfions,  qui  rejettent  le  superflu  ou  les  parties  nui- 
sililes  à  l'économie ,  et  celles  qui  s'usent  par  le  mouvement 
de  la  vie  C'est  le  (K  tritus  des  organes. 

Le  corps  des  aniunux  présente  ui'.e  température  qui  les 
fait  résister  jusqu'à  certain  point  h  la  congélation  dans  les 
faisons  rigoureuses  et  sous  les  cl"mats  froids.  Tous  les 
animaux  et  nièuic  les  végétaux ,  soit  par  l'action  de  leur 
organisme,  qui  enlret^eut  un  certain  développement  du  ca- 
lorique, à  cause  des  iVoîfcments,  soit  par  l'effet  des  com- 
binaisons cliim'ques  ou  vitales,  conservent  plus  longtemps 
la  fluidité  de  leurs  humeurs  par  un  gnmd  froid  que  les 
mêmes  substances  à  l'état  de  mort ,  ou  hors  du  corps  vivant. 
On  a  VI!  des  thenr.omètres ,  dans  le  cœur  d'un  arbre,  mar- 
quer encore  q^ielques  degrés  au-dessus  de  zéro  dans  les 
gelées  d'hiver.  On  sait  que  des  salamandres  et  des  poissons 
pris  dans  la  g'ace  n'ont  pas  été  totalement  congelés  et  ont 
l)u  être  rendus  à  !a  vie.  Toutefois,  les  animaux  à  sang  froid, 
c'est-à-dire  tous  les  vers,  les  insectes,  les  crustacés,  les  mol- 
lusques, et  même  les  poissons,  les  reptiles,  n'offrent  guère 
plus  de  chaleur  que  celle  du  milieu  dans  lequel  ils  subsistent. 
Aussi  la  plupart,  éprouvant  le  froid  actif  de  l'hiver,  s'engour- 
dissent et  passent  presque  à  l'état  de  mort.  Dans  cette  saison 
au  contraire  les  oiseaux  et  les  mammifères  (à  peu  d'excep- 
tions prés)  ont  un  sang  chaud ,  ardent ,  et  leur  corps  pré- 
sente au  tact  une  chale;!r  qui  s'élève  de  32  h  SCi  degrés.  La 
différence  de  cette  température  est  surtout  attribuée  h  l'acte 
de  la  respiration.  Cien  qu'on  ait  contesté  dans  ces  derniers 
temps  que  les  poumons  soient  le  foyer  unique  de  la  chaleur 
animale ,  il  n'en  est  pas  moins  évident  que  ce  sont  les  ani- 
maux doués  de  poumons  celhileux  qui,  recevant  abon- 
damment du  sang  par  r.ne  circulat'on  complète ,  développent 
le  plus  de  chaleur  animale.  Sans  doute  le  grand  développe- 
ment du  système  nerveux  peut  a\issi  concourir  à  la  caiori- 
fication ,  et  il  y  en  a  des  preuves,  puisque  les  membres 
paralysés  et  insensibles  deviennent  froids;  mais  la  source 
du  calorique  est  d'autant  plus  abondante  que  l'aniuial  jouit 
d'une  respiration  plus  étendue.  Les  oiseaux  en  offrent  la 
preuve.  Ainsi ,  plus  un  animal  respire  largement  ou  absorbe 
de  l'oxygène  atmosphérique,  plus  il  est,  pour  ainsi  parler, 
en  combustion  flagrante,  plus  il  jouit  ù'adivité  vitale, 
d'une  grande  intensité  d'existence ,  de  force  et  de  moî)ilité. 
Les  oiseaux  .sont  en  général  ardents  eu  amour,  très-pétulants 
et  actifs;  leur  vie  est  longue,  leur  digestion  rapide,  leur 
croissance  prompte;  ils  ont  des  passions  et  une  sensibilité 
très-rcmarcpiables.  Au  contraire ,  les  poumons  làclics  ou 
vésiculeux  des  reptiles,  qui  ne  reçoivent  qu'une  portion  du 
sang  veinei'.x  de  l'anima!,  absorbent  peu  d'oxygène;  ces 
animaux  sont  la  phipait  lents  et  engourdis  ;  il  faut  qu'ils  se 
rcciiauffent  au  soleil  pour  vivre  pleinement  ou  pour  se  livrer 
à  leurs  amours.  Les  mammifères  hibeniants,  ou  qui  s'en- 
gourdissent par  la  froidure ,  tels  que  les  loirs  ,  les  marmottes , 
les  porcs-épics,  etc.,  n'entrent  dans  cette  toiyiciir  qu'autant 
que  'eur  re?]i!ration  s'nflaiblit,  s'éteint,  et  ne  fournit  plus  la 
source  ardenlc  de  la  chaleiu-  animale.  Cela  est  si  remar- 
qnab'e  que  les  habilants  des  pays  chauds  ne  présentent  pas 
plus  de  cî'.aleur  «nimale  que  les  hommes  des  climats  froids. 
On  voit,  au  cnulraire,  ceux-ci,  respirant  un  air  dense  et 
riche  en  oxygène,  manife-ler  une  vigueur  et  une  aciivilé 
plus  fortes ,  avoir  un  aj-pélit  [lius  vif,  et  le;u-  ardeur  airo-:- 
reuse  ou  guerrière  n'est  point  engourdie.  Tous  ces  fnits 
concourent  donc  à  démontrer  que  la  respiration  c-t  la  pr;!i- 


cipale  somre  de  la  chaleur  animale,  et  que  celle-ci  atig- 
nieute  ou  diminue  en  raison  de  cette  fonction  parmi  tous 
les  animaux.  Les  mouvements  de  l'organisme  s'accroissent 
pareillement,  et  concourent  à  développer  aussi  de  la  chaleur 
animale. 

La  nutrition  est  encore  une  sojirce  de  chaleur;  car,  après 
avoir  été  bien  repu  ,  le  corps  reprend  de  la  vigueur  et  de 
l'action.  Certaines  boissons  stimulantes,  conmie  les  spiri- 
tueux, raniment  pronqjtement  la  chaleur  animale  en  aug- 
mentant le  jeu  des  organes  internes.  Chacun  sait  combien 
le  jnouvement  musculaire  développe  de  chaleur;  au  con- 
traire, le  repos ,  le  sommeil,  la  langueur  des  fonctions,  cau- 
sent le  refroidissement. 

Nous  avons  déjà  indiqué  la  distinction  de  la  vie  en  deux 
genres  :  i^la  vie  végétative,  interne,  primordiale,  dite 
organique  par  Bichat;  2°  la  vie  externe,  sensitive,  ou  ani- 
male, qui  n'appartient,  en  effet,  qu'aux  animaux,  tandis  que 
la  vie  organique  ou  végétative  est  commune  à  tous  les  êtres 
organisés,  et  la  seule  qui  puisse  convenir  aux  plantes.  La 
vie  végétative  étant  essentielle  à  tout  être,  préside  sans 
cesse  à  son  organisation,  à  sa  nutrition,  à  l'élaboration  des 
aliments  et  à  l'accroissement,  comme  à  foutes  les  excrétions 
et  expulsions  ou  renouvillements  des  parties,  enfin  à  la  re- 
production des  individus.  Cette  vie  végétative  ne  peut  point 
être  suspendue  (h  moins  que  le  froid,  l'engom-dissement,  etc  , 
n'arrêtent  le  mouvement  végétal  dans  l'iruf,  la  graine  ou 
l'embryon ,  ou  dans  la  plante  et  l'animal  torpide ,  pendant 
l'hiver).  Elle  persiste  pendant  le  sommeil;  sa  diminution 
cause  l'atrophie,  la  vieillesse,  tandis  que  son  développement 
fait  la  vigueur  du  jeune  âge.  Au  contraire,  la  vie  animale 
n'ag'tque  pendant  l'état  de  veille  des  animaux  uniquement; 
elle  consiste  dans  la  mobilité  musculaire  ou  contracfililé  des 
fibres,  et  surtout  dans  la  sensibilité,  la  faculté  d'être  im- 
pressionné, soit  physiquement  par  les  organes  des  sens  ex- 
térieurs, soit  moralement  par  les  émotions  internes  des  pas- 
sions, des  sentiments,  des  idées.  L'animal  dormant  n'exerce 
alors  que  les  facultés  végétatives  internes  :  on  peut  dire 
en  ce  sens,  avec  Buffon,  que  la  plante  ressemble  à  un  ani- 
mal dormant;  mais  l'animal  éveillé  est  un  végétal,  plus  la 
sensibihté ;  la  mobilité  n'en  devient  qu'une  conséquence, 
puisque  nous  avons  vu  le  mouvement  suivre  l'état  de  la 
sensibilité. 

Les  fonctions  extérieures  de  sensibilité  nerveuse  et  de 
mobilité  musculaire ,  qui  mettent  en  rapport  l'animal ,  par 
ses  sens  et  ses  mouvements,  avec  le  monde  externe,  ne 
peuvent  s'exercer  siuis  rehiche.  Elles  s'épuisent  chaque  jour; 
leur  fatigue ,  leur  Inîermission  nécessaire  cause  le  sommeil, 
repos  réparateur  des  forces  animales.  L'homme  ou  l'animal 
endormi  perdant  en  ces  instants  la  sensibilité  et  le  mouve- 
ment, rentrent  dans  la  seule  vie  interne  ou  organique;  ils 
ne  sont  donc  plus  animaux,  ce  sont  momentanément  des 
plantes.  L'instinct  domine  la  vie  végétative  ,  la  volonté  ou 
les  fonctions  cérébrales  impriment  l'action  à  la  vie  animale. 
Dans  la  veille  celle-ci  prend  l'empire  ou  la  supériorité, 
mais  pendant  le  sommeil  la  vie  végétative  acquiert  plus 
de  prépondérance. 

En  résumant  tout  ce  qui  précède,  nous  voyons  que  les 
caractères  qui  distinguent  l'animal  de  tous  les  autres  êtres 
en  font  une  créature  toute  spéciale ,  et  comme  un  centre 
d'action.  Par  sa  mo'oililé  et  sa  sensibilité,  l'animal  entre  en 
com.Tiunication  avec  notre  univers;  il  réfléchit  comme  im 
miroir,  dans  ses  sensations  et  ses  idées  (chez  l'homme, 
chef  et  roi  de  toute  l'animalité),  toute  la  nature;  il  emploie 
à  sa  vie  presque  tous  les  éléments  ;  il  parcourt  toute  la 
surface  du  globe;  l'un  sillonne  les  ondes,  l'autre  fend  les 
airs  ou  bondit  sur  la  terre.  La  progression  toujours  crois- 
sante des  fixultés  intellectuelles  des  animaux,  ainsi  que  la 
complication  d(;  leur  structure  organique,  à  mesure  qu'on 
remonte  l'écluîHe  des  espèces  de  ce  règne,  est  l'acte  le  plus 
u'.orveillcux  de  la  puissance   créatrice  et  intelligente  qui 


608 


gouverne  le  monde.  Qui  n«  voit ,  en  effet,  se  développer 
successivement  dans  les  moindres  espèces  de  vers,  d'insectes, 
un  système  nerveux  simple,  ensuite  divisé  en  .nœuds  ou 
ganglions  en  même  nombre  (pic  les  articulations  de  l'ani- 
mal, ou  épars  chez  les  mollusques  en  masses  faiblement 
associées,  puis  recevoir  une  forme  plus  symétrique  dans 
\e  canal  osseux  des  vertèbres  et  le  crûne  des  poissons  ;  enlin 
grossir  de  plus  en  plus,  se  renfler  en  cerveau,  à  mesure 
qu'on  remonte,  par  les  reptiles,  les  oiseaux,  à  la  classe  des 
mammitères;  recevoir  enfin  son  plus  vaste  développement 
au  sommet  de  réclielie  organique,  à  la  tète  du  premier  des 
êtres,  à  j-honune,  fleur  terminale  du  grand  arbre  de  la  vie? 

Et  à  mesure  que  s'accroît  ce  système  nerveux ,  qu'il  se 
déploie  dans  l'intérieur  des  animaux  progressivement  j)lus 
compliqués,  il  projette  à  la  circonf('Mcnce  du  corps  despro- 
longe:ncnts  ou  rameaux  pour  ouvrir  de  nouveaux  sens,  de 
nouvelles  portes  de  communication  avec  l'univers  extérieur. 
.Aussi,  à  mesure  que  les  animaux  obtieiment  un  plus  grand 
nombre  de  sens  et  un  système  nerveux  cérébral  plus  com- 
pliqué, la  sphère  de  leurs  sensations  perçues,  des  idées  (jui 
en  résultent,  s'étend  et  s'amplifie.  Les  plus  simples  animaux 
végètent  en  eux-mêmes  par  l'instinct,  d'autres,  plus  com- 
pliqués, s'épanouissent  davantage  ;  riiomme  produit  sa  sen- 
sibilité presque  tout>^  au  dehors.  11  pousse  l'étendue  de  ses 
recherches  ou  de  sa  curiosité  au  delà  des  astres  et  à  l'in- 
finité des  espaces  et  des  temps.  Quelques  pas  au  delà ,  il 
voudrait  s'élancer  jusqu'à  la  suprême  intelligence  de  Dieu. 

Chaque  animal  a  donc  son  propre  monde  intellectuel  en 
harmonie  avec  ses  organes  et  ses  facultés.  Il  ne  voit  pas  l'u- 
nivers d'une  égale  dimension  ni  sous  le  même  aspect  qu'une 
autre  créature  plus  ou  moins  accomplie  que  lui.  Il  s'a- 
vance sur  la  voie  de  l'humanité,  de  même  que  les  élé.ments 
intellectuels  de  riionune  existent  déjà  ébauchés  dans  des 
êtres  inférieurs  à  nous.  Ainsi,  chaque  espèce  d'animal  s'é- 
tablit ,  par  son  propre  arbitre ,  la  mesure  et  la  règle  de  tout 
ce  qui  l'environne.  J.-J.  Vinicv. 

Classification  des  animaux.  L'immense  quantité  d'es- 
pèces dont  se  compose  le  règne  animal  fit  sentir  de  bonne 
heure  la  nécessité  d'une  classification  méthodique  ,  devant 
servir  de  base  à  la  science  zoologiqae.  IVIais  les  connais- 
sances anatomiques  et  physiologiques  étaient  trop  bornées 
lors  des  premières  tentatives  de  ce  genre  pour  qu'on  ob- 
tînt autre  chose  qu'un  simple  catalogue  divisé  en  classes 
arbitraires.  .Ainsi  Aristote  rapporte  d'abord  tous  les  animaux 
à  deux  grands  embranchements  :  les  animaux  ayant  du  sang 
(  vertébrés  de  Cuvier)  et  ceux  qui  en  sont  privés  (  animaux 
à  sang  blanc  de  Linné).  Dans  le  premier  embranchement 
le  philosophe  de  Stagyre  place  tous  les  quadrupèdes ,  les 
cétacés ,  les  oiseaux ,  les  poissons  et  les  serpents ,  mais 
dans  un  ordiemal  déterminé  ;  le  second  est  nettement  par- 
tagé en  quatre  subdivisions  :  les  mollusques  (.\ristote  ne 
i]orme  ce  nom  qn'k  no&  mollusques  nus),  les  crustacés, 
les  testacés  (où  il  réunit  nos  mollusques  teslucés  et  nos 
ichinodermes)  ,  et  les  insectes. 

Linné  conserva  la  division  primaire  d'Aristote ,  en  chan- 
geant les  anciens  noms  en  ceux  (^animaux  à  san'j  rouge 
et  animaux  à  sang  W«?ic  ;  on  peut  former  de  ses  classes 
le  tableau  suivant  : 


Slammiféres    {quadrupèdes  vivipares  et 

cétacés  ). 
Oiseaux. 
.\ni|)liil)ie3     (  quadrupèdes    ovipares    et 

serpents  ]. 
Poissons. 
Insectes  {  tons  les  articules  pourvus  de 

niemlircs  ). 
Vers. 


Nous  ne  nous  arrêterons  pas  siu-  lesdélails  de  cette  clas- 
sification ,  qui  a  dû  être  piofondément  nioililiée  dejjuis. 
Cejtcnd.inl  nous  devons  faire  remar([uer  (pi'il  ne  faut  pas 


ANIMAL 

prendre,  dans  ce  tableau,  le  mot  amphibie  avec  sa  signifi- 
cation primitive.  Avant  Linné  on  désignait  sous  ce  nom  les 
êtres  les  plus  disparates  ;  on  voyait  réunis  dans  cette  caté- 
gorie le  castor,  l'hippopotame ,  le  lamantin ,  la  tortue ,  le 
crocodile,  la  grenouille  ;  et  certains  auteurs  y  joignaient 
encore  l'ordre  entier  des  oiseaux  palmipèdes ,  tels  que  les 
canards  et  les  cygnes.  Linné  fit  cesser  ce  monstrueux  as- 
semblage ,  et  forma  sa  troisième  classe  par  le  rapproche- 
ment naturel  des  serpents  et  des  quadrupèdes  ovipares , 
amphibies  ou  non.  La  dénomination  n'était  pas  exacte,  puis- 
qu'elle reposait  sur  un  caractère  n'appartenant  qu'à  l'ordre 
des  batraciens  ;  du  reste,  on  en  peut  dire  autant  de  celle  de 
reptiles  ,  qui  lui  a  été  substituée  et  qui  ne  convient  qu'au 
seul  ordre  des  ophidiens. 

Quoi  qu'il  en  soit,  on  reconnaît  immédiatement  la  parenté 
de  cette  classification  avec  celle  des  plantes  du  même  au- 
teur. Pour  les  végétaux,  Linné  forme  des  classes  artificielles, 
c'est-à-dire  que ,  posant  en  principe  que  tel  organe  ,  celui 
de  la  génération  par  exemple ,  est  le  plus  essentiel,  il  réunit 
tous  les  végétaux  qui  se  ressemblent  par  cet  organe,  s'inqiiié- 
tant  peu  de  l'énorme  dissemblance  qui  .souvent  se  trouve 
dans  tout  le  reste.  Le  règne  anima!  était  plus  connu  q-ic  le 
règne  végétal  ;  aussi  ces  oppositions  sont-elles  moins  frap- 
pantes. Mais  en  zoologie ,  comme  en  botanique ,  la  classifi- 
cation linnéenne,  qui  du  reste  offre  de  grands  avantages 
pour  l'étude,  ne  peut  être  considérée  que  comme  un  système 
très-ingénieux  sans  doute ,  mais  ne  répondant  pas  au  besoin 
d'une  classification  naturelle. 

Quelle  que  soit  en  effet  l'opinion  à  laquelle  on  s'arrête 
sur  la  continuité  ou  la  discontinuité  de  la  série  animale, 
on  n'en  sent  pas  moins  l'utilité  d'une  classification  natu- 
relle, d'une  méthode  qui  permette  de  placer  chaque  être 
entre  les  deux  que  nos  observations  peuvent  faire  accepter 
pour  son  supérieur  et  son  inférieur  immédiats.  On  com- 
prend que  pour  arriver  à  ce  classement  on  ne  peut  se 
borner  à  comparer  un  seul  organe  dans  toute  récheile  ani- 
male. La  complication  du  problème  est  teile,  que  les  natu- 
ralistes n'ont  pu  encore  parvenir  à  une  solution  satisfai- 
sante. Nous  ne  pouvons  qu'exposer  les  tentatives  faites  par 
les  successeurs  de  Linné. 

La  division  adoptée  par  Cuvier  admet  quatre  embran- 
chements : 


1°  Vertébrés 


9."  .Aiollusques. 


Mammifères. 
Oiseaux. 
Ilcptilcs. 
l'oissons. 
'  Céphalopodes. 
Ptéropodes. 
Gastéropodes, 
-acéphales. 
Branchiopodes. 
C.irrliopodes. 


3°  Articulés. 


4°  Rayonnes. 


'  Annélides 
Crustacés. 
Arachnides. 
Insectes. 

'  Échinodermes. 
I  Intestinaux. 

Acalephes. 
I  Polypes. 
,  Infusoires. 


Le  premier  embranchement  est  le  même  que  celui  de 
Linné.  L'homme  et  les  animaux  qui  le  composent  ont  le 
cerveau  et  le  tronc  principal  du  système  nerveux  renfermés 
dans  une  enveloppe  osseuse ,  se  composant  du  cràiie  et  des 
vertèbres  ;  à  cette  charpente  osseuse  s'articulent  des  côtes, 
et ,  au  plus,  quatie  membres  ;  un  système  musculaire  revêt 
les  os  qu'il  fait  agir.  Tous  ont  un  sang  rouge ,  un  cœur 
musculaire ,  une  bouche  à  deux  mâchoires  horizontales , 
les  organes  de  la  vue,  de  Touïe,  de  l'odorat  et  du  goût 
placés  à  la  région  antérieure  de  la  tête  ;  les  sexes  sont  tou- 
jours .séparés.  Les  rnollusques  n'ont  point  de  squelette; 
leurs  muscles  .sont  attachés  à  la  peau,  enveloppe  générale, 
m()i|e  et  contractile,  dans  laquelle  se  [iroduisent,  en 
beaucoup  d'espèces,  des  coquilles  formées  pai'  concrétion  et 
addition  superposée.  Leur  système  nerveux  se  compose  de 
ganglioiis  réunis  par  des  filets  nerveux,  et  dont  les  prin- 
cipaux tiennent  lieu  «le  cerveau.  On  ne  trouve  plus  guère 
outre  le  sens  du  toucher,  commun  à  tous  les  aniiuaux  , 
que  celui  du  goût ,  quelquefois  de  la  vue ,  et  plus  laiemcnî 


ANIMAL 


fiOQ 


de  rouie  (  Jans  la  famille  des  ccpfm'opodcs  seulement  ).  Le 
sysîèiiie  île  circulation  est  coiii[)let ,  et  il  y  a  des  organes 
particuliers  pour  la  respiration.  Les  ardculvs  présentent 
un  système  nerveux  consistant  eu  un  double  cor(!(>n  (|ui 
règne  de  la  tète  à  l'anus  et  le  long  du  ventre  ,  portant  des 
nu'uds  ou  ganglions ,  d'espace  en  espace  (  correspondant 
aux  divisions  du  corps  de  l'animal).  Le  prenner  des  j^an- 
glions  placé  sur  ro^sopliapc  ,  et  nonuné  le  cerveau,  n'est 
guère  plus  considérable  que  les  autres.  Tous  ces  animaux 
ont  une  peau  plus  ou  moins  solide,  quelquefois  cornée,  à 
laquelle  s'attaclient  des  muscles  intérieurs.  Il  y  a  souvent 
des  membres  articulés,  et  en  plus  grand  nombre  que  cbez  les 
vertébrés  ;  mais  en  d'autres  espèces  il  n'y  en  a  point.  Plu- 
sieurs articulés  ont  des  \aisseaux  fermés ,  d'autres  se  nour- 
rissent par  imbibition  ;  les  premiers  respirent  par  des  or- 
ganes spéciaux  ou  brancliies  ;  les  derniers  ont  des  trachées 
ou  vaisseaux  aériens  dispersés  dans  tout  le  corps.  On  ne 
trouve  encore  l'ouïe  que  dans  une  seule  famille ,  les  crus- 
tacés ;  le  goût  et  la  vue  sont  assez  généralement  répandus; 
les  mâchoires ,  quand  elles  existent ,  sont  toujours  ]ilacées 
latéralement.  Les  rayomiants  sont  formés  sur  un  plan  tout 
durèrent  des  précédents  ;  car,  au  lieu  d'avoir  leurs  organes 
des  sens  et  du  mouvement  placés  aux  deux  côtés  d'un  axe, 
symétriquement ,  ils  les  ont  autour  d'un  centre ,  ce  qui  leur 
donne  la  forme  et  la  disposition  circulaire  des  fleurs.  Ils 
ne  possèdent  ni  organes  de  sens  particuliers  ni  systèmes 
de  nerfs  distincts;  quelques-uns  (les  échinodc.rmcs)  ont  à 
peine  des  vestiges  de  circulation,  et  des  organes  respiratoires 
placés  presque  toujours  à  la  surface  du  corps.  La  plupart 
n'ont  qu'un  sac  qui  sert  également  d'entrée  pour  les  aliments 
et  d'issue  pour  les  excréments  ;  enfin,  les  dernières  familles 
ne  montrent  cpi'une  cellulosité  pulpeuse,  homogène,  con- 
tractile et  sensible. 

La  classe  des  mammifères  (première  des  vertébrés) 
contient  huit  ordres  :  bimanes  (homme),  quadrumanes 
{ûn^G.),  carnassiers  (chat),  etc.  De  même  toutes  les  classes 
qui  composent  les  divers  embranchements  dont  nous  venons 
d'exposer  rapidement  les  caractères  distinctifs  se  subdivi- 
sent à  leur  tour  en  ordres,  genres ,  espèces  et  variétés. 

Lamarck  suit  une  autre  marche  que  Linné  et  Cuvier.  — 
Dans  son  Introduction  à  VHistoire  des  Animaux  savs 
vertèbres,  il  passe  du  simple  au  composé,  et  il  en  résulte 
un  certain  avantage,  il  importe  peu ,  sans  doute ,  de  com- 
mencer par  riiomme  en  descendant  jusqu'à  l'animalcule 
microscopique ,  ou  de  suivre  la  gradation  inverse  ,  quand 
on  est  d'accord  sur  les  principes  généraux ,  savoir,  que  la 
nature  s'avance  nécessairement  du  simple  au  composé  ,  et 
qu'elle  n'a  pas  dil  commencer  par  notre  espèce  avant  tous 
les  autres  êtres ,  animaux  et  végétaux.  C'est  pourquoi  il  est 
inexact  de  représenter  le  règne  animal  comme  émanant  de 
l'homme,  dont  la  noble  figure  aurait  d'abord  été  dégradée 
en  singe  difforme,  puis  en  ignoble  quadrupède,  transformée 
en  oiseau ,  ensuite  rabaissée  au  reptile ,  au  poisson  ;  elle 
descendrait  successivement  l'échelle  de  la  perfection  ,  ou  se 
dévalerait  jusqu'aux  plus  vils  et  plus  imparfaits  des  êtres, 
perdant  peu  à  peu  ses  sens,  ses  membres ,  se  réduisant  enfin 
à  l'état  de  polype ,  d'animalcule  privé  de  tout  organe , 
excepté  de  la  laculté  de  digérer.  Telle  est  la  fausse  idée 
qu'on  a  établie  en  supposant  que  le  règne  animal  se  dé- 
grade par  des  décurtulions  successives ,  comme  s'expri- 
mait Linné. 

L'unique  mérite  de  Lamarck  n'est  pas  d'avoir  introduit 
un  changement  dont  les  conséquences  sont  si  importantes. 
En  passant  du  simple  au  composé,  en  tirant  ses  grands 
caractères  du  développement  de  la  vie ,  dans  l'idée  où  il 
était  que  celle-ci  devient  plus  éminente  en  raison  de  la 
complication  <les  organes ,  Lamarck  a  encore  saisi  les  pro- 
gressions des  organes  <;t  de  la  vie  qui  en  résulte  avec  luic 
admirable  saiiacité.  Divisant  d'abord  les  animaux  en  ver- 
tébrés ou  intelligents ,  et  en  invertébrés ,  comprenant  les 
DICT.  IIE  i.A  co.Nvi:ns.  —  T.  I. 


nnininux  sensibles  et  apnt/iiques,  il  ariive  à  donner  un 
ordre  présumé  de  la  formation  des  animaux  ,  offrant  deux 
séries  séparées  et  subrameuses,  et  dont  voici  le  tableau 
synopticiue  : 


Apatliiqucs. 


SliRIK  PES  lN\KTICULi;S.       SKRtE    DES    ARTICULÉS. 

Jiifdsiiires, 
l'..ljp.-.,. 

Ascidiens.  |  Uadiaires. 


Conrhifcres,  Annéliiles. 


lipj/.oaires. 
liisertrs 


I        Arucbiiides, 
Cnislaccs. 
Cirrhipcdes. 


Intelligents 


Poissons, 
Ueplilcs, 


On  sentira  mieux  encore  la  supériorité  de  la  méthode  i]a 
Lamarck  quand  on  se  sera  bien  pénétré  des  (ondilious 
d'un  bonne  classification. 

Depuis  Cuvier  il  s'est  produit  un  grand  nombre  de  nié-r 
thodes  de  classification  nouvelles;  nous  n'exposerons  quQ 
les  deux  principales,  qui  sont  dues,  l'une  à  M.  Duméril , 
l'autre  à  de  Blainvilie. 

Méthode  de  M.  Buméril. 

Tivipares,  ayant  ries  mamelles.  IManimif.re^, 

l  couverts     de 
sans  mamelles,  j     plumes.  .  .  Oiseaux. 
(  (  sans  plumes.   Ueplile,-.. 

,  à  branchies,  au  lieu  de  poumons l'oisMins 

,  inarticulés Mollusques, 

/  munis        de 

I    membres.    .  Crustacés. 

1  sans      mem- 

\  I     bres Vers. 

ayant  des  membres  et  des  nerfs.   Insectes. 
(  sans  membres  ni  nerfs Zoopliytes. 

La  classification  de  De  Blainvilie  offre  plus  de  différence 
avec  celle  de  Cuvier;  voici  ses  principales  divisions  : 


à  poumons , 


munis  de 
vaisseaux 
et  de  nerfs, 

sans  vais- 
seaux , 


articulés  , 


SOUS-REGNES. 


Zygomorphes. 


Actinomorpbes. 


Ostéozoaires. 
(  rerlébràs.  ) 


Entomo)!oaires. 

(Articulés.  ) 


Malaco^oaires. 
{Mollusques.  ) 


Artinozoaires. 
{/Coophtjtes.  ) 


CL.\SSES. 

Pilifères.  {Mamtni/ères.) 

Penniferes.   '.^  Oiseaux.  ) 

Ptcrodactj  Jes. 

.Scutiferes.  { Itepliles.) 

Ichtliyosaiiriens. 

Nudipelliferes.  (Amplilbiens.) 

lirancbifires,   (  {>ois!ioiis.  ) 

Hexapodes, 

Octppodes. 

Décapodes. 

Hétéropodes. 

Tétradécapodes. 

IMyriapotles. 

Cliétopcdes, 

Malenlomopodes. 

Malaiopodes. 

Apodes. 

Céplialés. 

Céphalidés. 

Acéphales. 

Arrbodermaires. 

Aracbnodermaires. 

Zoanthaircs. 

Polypiaires. 

Zoophytaires, 

Thétydés. 

Spougités. 


nétéromorphes 

Cette  dernière  méthode  se  rapproche  plus  que  les  précér 
dentés  du  but  que  se  proposent  les  naturalistes ,  savoir 
rétablissement  d'une  classification  naturelle.  Le  règne 
animal  y  est  partagé  en  trois  sous-règnes  dont  les  noms 
dé.signenl  îrois  manières  d'être  à  l'une  desquelles  on  pci.'t 
rappoiler  tout  animal.  Il  en  est  de  même  dans  les  subdi^ 
visions  de  ces  sous-iègiies.  De  plus,  la  iionieiK lature  oflV» 

77 


GIO 


ANIMAL  —  ANIMALISATION 


une  régularité  qui  simplifie  sinj^ulièrement  l'élude  de  la 
science.  Nous  rcgrellous  de  ne  pouvoir  développer  entière- 
ment cette  ingénieuse  classification.  Nous  renvoyons  pour 
les  détails  aux  IJulIcthts  de  la  Société  Philo7natiquc 
f  année  1816)  et  à  l'article  Animal  du  Supplément  au  dic- 
tionnaire des  Sciences  Aatiireltes  (  1 8-'«0),  où  l'auteur  expose 
lui-même  les  principes  qui  l'ont  guidé. 

Il  nous  reste  à  parler  de  la  répartition  géographique 
du  règne  animal  sur  la  surface  terrestre.  Cette  dispersion 
des  races  d'animaux  sur  le  gloljc  est  un  résultat  de  leur 
faculté  locomotrice.  Toutefois,  chaque  famille  ou  chaque 
espèce  conserve  son  habitation  native.  Ainsi  Ruffon  a  fait 
voir  qu'aucun  des  manuuif.res,  ni  même  des  oiseaux,  entre 
les  tropiques  n'était  commun  à  l'ancien  et  au  nouveau 
monde.  Il  en  est  de  môme  pour  les  reptiles  et  les  insectes. 
Quoique  les  poissons  puissent  traverser  les  mers  en  tout 
sens,  cependant  chaque  famille  ou  tribu  affectionne  cer- 
tains parages  ou  telle  température.  Il  y  a  des  {joissons  ac- 
ronlnuiés  à  des  mers  glaciales,  et  d'autres  à  l'océan  des  tro- 
piques. De  même,  la  Nouvelle-Hollande,  Madagascar,  lîornéo, 
Java,  j)ré>entent  des  espèces  d'animaux  et  de  plantes  unicpie- 
inent  propres  à  ces  contrées,  et  qui  y  sont  autoclithoncs,  ou 
formi'es  dès  l'origine.  Les  grands  animaux  herbivores  ha- 
bitent où  la  terre  est  riche  en  productions  végétales,  comme 
sous  les  tropiques.  Là  se  multiplient  aussi  les  grands  car- 
nivores. Les  petits  animaux,  la  menue  racaille,  pour  ainsi 
parler,  des  rongeurs,  des  rats,  des  loirs,  espèces  dormeuses 
et  hibernantes,  vont  se  tapir  dans  leurs  grottes  souterraines 
sous  les  zones  froides.  Le  nombre  des  animaux  à  sang  froid 
diminue  beaucoup  parmi  les  terres  glacées  ou  voisines  des 
I)Ales  ;  au  contraire ,  le  règne  animal  brille  de  toute  sa  fé- 
condité ,  de  l'éclat  de  ses  couleurs,  de  l'énergie  de  ses  fa- 
cultés sous  les  cieux  brûlants  des  tropiques.  Les  oiseaux  aqua- 
tiques et  les  autres  animaux  de  l'Océan  peuplent  abondam- 
ment toutes  les  contrées  maritimes,  à  cause  de  l'uniformité 
de  la  lempérature  des  eaux.  Les  races  d'animaux  les  plus 
grasses  fréquentent  de  préférence  les  climats  froids;  la  graisse 
et  l'huile  les  défendent  contre  la  rigueur  des  hivers.  Si 
rhomme  et  plusieurs  animaux  rendus  domestiques  sont 
cosmopolites ,  d'autres  espèces  ne  peuvent  se  perpétuer 
que  sous  certaines  conditions  de  vie  :  ainsi  les  singes, 
les  perroquets,  etc.,  ne  snbsislcraicnt  pas  à  l'état  sau- 
vage hors  des  régions  chaudes  de-i  tropiques,  comme 
l'ours  polaire,  le  renne  et  d'autres  espèces  septentrionales , 
périssent  sous  des  cieux  ardents.  11  y  a  de  même  une  foule 
de  poissons  et  de  coquillages  qui  ne  supportent  que  l'eau 
douce  des  lleuves  ou  des  lacs,  tandis  que  d'autres  n'aiment 
que  les  eaux  salées  de  l'Océan.  D'ailleurs,  certaines  nour- 
ritures étant  appropriées  à  chaque  espèce ,  tel  insecte  ne 
trouverait  pas  dans  une  autre  localité  le  genre  de  végétal 
•pi'il  dévore,  et  le  ver  à  soie  amène  jiartout  avec  lui  la 
culture  du  mûrier.  Le  fourmilier  est  approprié  aux  lieux  où 
se  midtiplient  des  fourmis. 

Il  y  a  donc  appropriation  des  espèces  les  unes  par  rap- 
port aux  autres,  comme  les  animaux  sont  entés,  pour  ainsi 
parier,  sur  le  règne  végétal.  Telle  sorte  de  dents,  telle  dis- 
])()silion  des  estomacs,  tel  genre  de  griffe  ou  de  pied  est  cor- 
respondant avec  tel  genre  de  fruit  ou  de  graines  :  ainsi  le 
bec-croisé  (loxin  enucleator)  se  trouve  constitué  pour 
vivre  dans  les  forêts  d'arbres  conitères ,  comme  tel  cor- 
moran, ou  oiseau  nageur,  pour  pécher  le  poisson.  Ces  rap- 
ports entre  les  êtres  manifestent  un  dessein,  une  prévision, 
dans  les  productions  naturelles,  non  moins  que  l'œil  et 
''oreille  sont  en  relation  merveilleuse  avec  la  lumière  et  les 
onles  sonores  de  l'air. 

iXJVIMAL  (Règne).  Voyez  Rtc^R. 

Aj\LVL\LCULES.  Ce  nom,  qui  signifie  animal  très- 
petit,  sert  à  désigner  tous  les  animaux  qui  se  dérobent  à  la 
vue  simple,  ou  qui  ne  peuvent  être  vus  distinctement  qu'au 
■ioveo  du  microscope  simple  ou  composé.  Quoique  les  dif- 


férentes classes  d'animaux  vertébrés  (mammifères,  oîseiux, 
reptiles,  amphibiens  et  poissons),  renferment  un  certain 
nombre  d'espèces  remarquables  par  une  taille  excessivement 
petite,  et  qui  seraient  relativement  des  animalcules  par 
rapport  aux  espèces  de  taille  gigantesque ,  on  ne  les  désigne 
cependant  jamais  sous  ce  nom,  en  raison  de  ce  que  les  plus 
petits  animaux  vertébrés  sont  toujours  visibles  à  l'œil  nu. 
—  Il  n'en  est  pas  de  même  à  l'égard  des  diverses  classes 
d'animaux  articulés  (insectes,  arachnides,  crustacés,  an- 
nélides  et  vers),  chez  lesquelles  on  trouve  des  espèces  nor- 
malement microscopiques  à  leur  état  parfait  et  lorsque  les 
individus  ont  atteint  le  maximum  de  leur  taille.  C'est  en  efiét 
dans  ces  diverses  classes  d'animaux  articulés  qu'ont  été  ré- 
partis les  animaux  microscopiques  ou  in/usoires ,  par 
les  zoologistes  qui  n'admettent  plus  ce  groupe  d'animal- 
cules comme  une  classe  à  part. 

On  retrouve  encore  parmi  les  mollusques  et  les  zoophytcs 
des  espèces  à  peine  visibles  à  l'œil  nu,  et  qui  mériteraient 
encore  le  nom  (Yanimalciiles  ou  (Taniinaux  microscopi- 
ques. Cette  dénomination  n'a  donc  point  une  valeur  scien- 
tifique exacte,  et  il  est  probable  qu'on  l'abandonnera  com- 
plètement en  zoologie. 

Ce  caractère  d'extrême  petitesse  existe  également  pour 
toutes  les  espèces  animales  à  leur  origine  première,  soit  dans 
l'œuf,  comme  germe,  soit  lors  de  la  première  apparition  de 
leur  embryon  ;  et  sous  ce  rapport  les  germes  des  espèces 
de  la  taille  la  plus  forte  sont  alors  des  animalcules ,  non- 
seulement  sous  le  rajiport  de  leur  extrême  petitesse ,  mais 
encore  sous  celui  de  la  simplicité  de  leur  organisation  ,  qui 
doit  ultérieurement  s'accroître  et  se  compliquer  pendant  le 
développement  embryonicn  et  après  la  naissance.  C'est  en 
ce  sens  qu'on  a  donné  le  nom  d'homoncîile  au  germe  de 
l'embryon  humain,  et  qu'on  pourrait  former  des  noms  iden- 
tiques pour  signifier  les  germes  embryonnaires  invisibles  à 
l'œil  nu  de  toutes  les  espèces  animales,  ce  qui  ne  ferait  que 
surcharger  inutilement  le  langage  usuel  et  zoologique. 

Enfin  suivant  une  troisième  acception,  mais  qui  nous  pa- 
raît arbitraire,  le  mot  animalcule  signifierait  plutôt  l'infé- 
riorité et  la  simplicité  des  organismes  animaux  que  la  peti- 
tesse de  leur  taille.  Dans  cette  manière  de  voir,  les  animal- 
cules ne  seraient  point  des  animaux  proprement  dits ,  et, 
suivant  les  uns,  feraient  encore  partie  du  règne  animal,  ou, 
suivant  d'autres,  devraient  être  réunis  à  certains  végétaux 
microscopiques  doués  de  mouvement ,  pour  constituer  un 
règne  intermédiaire  aux  vrais  animaux  et  aux  végétaux. 
Dans  cette  dernière  acception ,  il  faudrait  tracer  la  Ugne 
de  démarcation  entre  les  animaux  et  les  animalcules ,  et 
entre  ces  derniers  et  les  végétaux  microscopiques  qui  se 
meuvent  réellement  à  certaines  éjwques  de  leur  existence  , 
ce  qui  présente  de  grandes  difficultés. 

Dans  l'état  actuel  des  sciences  zoologiques,  le  mot /rnJnjrt/- 
cules  n'est  plus  employé  que  comme  synonyme  d'animaux 
microscopiques  à  organisation  très-simple .  ou  d'infusoires 
homogènes;  et  l'étude  spéciale  de  ces  derniers  animaux  est 
faite  de  nos  jours  avec  toutes  les  précautions  convenables 
au  moyen  desquelles  on  peut  arrivera  ne  point  les  confondre 
ni  avec  les  animaux  microscopiques  des  classes  supérieures, 
ni  avec  les  végétiux  également  microsco) piques  et  raotiles, 
ni  avec  des  parcelles  vivantes  et  en  mouvement  du  corps 
des  animaux  plus  élevés,  ni  avec  les  zoospermes  (  prétendus 
animalcules  spermatiques),  ni  enfin  avec  des  corpuscules  de 
poudies  organiques  ou  inorganiques  qui,  suspendus  dans  un 
liquide,  ont  un  mouvement  continuel  de  titubation,  lorsque 
leur  épaisseur  n'est  que  de  1/500  de  millimètre  et  au-dessous. 
Ce  sont  ces  mouvements,  découverts  par  M.  Robert  Lrown, 
qui  avaient  fait  croire  à  l'existence  d'animalcules  dans  le 
pollen  et  dans  le  latex.  L.  Lalkf.nt. 

AXIMALISATIOX.  C'est  le  passage  ou  la  transfor- 
mation d'une  substance  simple,  d'une  nourriture  toute  végé- 
tale à  un  état  plus  composé  pour  devenir  chair,  tissu  sen» 


AIS'IMALISÂTION 

siMeotinilaMo  comme  le  corps  animal.  En  cfTot,  la  nature, 
(I;iiis  ses  oli'inenfs  les  plus  bruts  ou  d'abord  inorganiques  , 
e^t  constitut^e  de  miniVaiix  ,  terres ,  pieiTes ,  métaux  ,  etc. , 
ne  jouissant  pas  de  centralisation  ou  de  vie.  Le  règne  véi;ë- 
tal,  s'emi«rant  de  plusieurs  principes,  carbone,  hydroj^ène, 
eau,  les  combine  par  cette  force  or^ianisatrice  qui  constitue 
les  plantes  avec  divers  degrés  d'élaboration  depuis  le  cham- 
pignon jusqu'à  Tarbre.  Enfin ,  ces  composés  déjà  moins 
simples  sont  absorbés  par  les  animaux  comme  nourriture; 
et,  passant  dans  des  filières  encore  plus  compliquées,  ils  ar- 
rivent ,  par  l'accession  de  l'azote  ,  à  l'état  de  combinaison 
jouissant  de  la  mobilité  contractile,  comme  le  muscle,  et 
de  sensibilité ,  comme  le  nerf.  Nous  avons  vu  à  l'article 
Animal  conmient  les  animaux  s'assiiuilant  davantage  les 
principes  azotés  différaient  des  végétaux,  qui  en  contiennent 
pourtant  aussi.  Mais  tous  les  animaux  n'offrent  pas  cette 
animalisation  au  nu^me  degré. 

Les  tissus  des  animaux  sont  d'autant  plus  gélatineux  , 
comme  les  zoopbytes,  que  ces  animmix-plantcs  respirent 
faiblement  ;  ils  n'offrent  qu'une  pâture  légèrement  nutritive 
aux  races  supérieures.  Ainsi,  nous  n'olitenons  qu'une  géla- 
tine peu  substantielle  des  buîtres  ,  moules  et  autres  coquil- 
lages ,  ou  même  des  crustacés  ,  qui  ne  donnent  point  une 
robuste  alimentation.  Les  invertébrés  sont  donc,  à  cet  égard, 
inférieurs  aux  animaux  vertébrés.  Le  genre  de  nourriture 
de  chaque  animal  concourt  pareillement  à  cette  animalisa- 
tion de  ses  chairs.  Ainsi,  il  est  évident  que  le  bœuf  herbivore 
aura  des  chairs  moins  azotées  que  le  Carnivore  ;  les  humeurs 
(  lait,  .sang,  graisse,  etc.  )  des  ruminants  seront  plus  douces, 
moins  putrescibles  ,  moins  ammoniacales  ou  plus  mangea- 
bles ,  que  les  viandes  fétides  des  races  carnassières ,  dont 
nous  repoussons  l'usage.  Les  mangeurs  ne  sont  pas  mangés  ; 
tout  retombe  sur  ces  êtres  timides,  ces  pjihagoriciens  de  la 
nature,  sans  cesse  victimes  des  violents ,  proie  des  féroces, 
comme  dans  le  monde  dit  humain. 

Cependant  la  nourriture  de  chair  ne  suffit  pas  pour  don- 
ner à  un  animal  cet  excès  d'azote  qui  rend  ses  tissus  ti'ès- 
putrescibles ,  s'il  ne  s'y  joint  encore  une  haute  élaboration 
organique.  Les  animaux  à  sang  chaud ,  à  respiration  pul- 
monaire complète  (  ayant  un  cœur  avec  deux  ventricules  et 
deux  oreillettes  ) ,  comme  les  mammifères  et  les  oiseaux , 
exhalent  beaucoup  d'acide  carbonique  et  d'eau,  produits  for- 
més aux  dépens  du  carbone  et  de  rhydrog'''ne  de  leurs  ali- 
ments. De  là  suit  que  l'azote  devient  prédominant,  et  peut 
être  aussi  absorbé  dans  l'acte  respiratoire.  Il  n'en  est  pas 
autant  chez  les  poissons  respirant  seulement  l'eau  aérée ,  à 
l'aide  de  branchies ,  et  chez  la  plupart  des  insectes  respi- 
rant par  des  trachées.  Dans  toutes  ces  races  inférieures , 
les  humeurs  réparatrices  restent  moins  dépouillées  d'une 
surabondance  de  carbone  et  d'hydrogène,  ou  moins  azotées. 
Ces  animaux  sont  donc  faiblement  animalisés  ;  leurs  chairs 
nourrissent  peu  .sous  un  môme  volume.  Les  poissons  ,  quoi- 
que se  sustentant  d'autres  poissons  dont  ils  se  repaissent , 
n'offrent  point,  comme  les  mammifères  et  les  oiseaux  carni- 
vores ,  des  chairs  fétides  et  répugnantes  (  car  nous  man- 
geons les  brochets ,  les  perches  et  autres  piscivores  ) , 
tandis  que  le  loup  ne  mangerait  pas  du  loup,  ni  le  lion  de 
la  chair  du  lion,  etc.  Aussi  l'excès  de  l'animalisalion,  par 
un  régime  trop  exclusivement  carnivore,  cause  des  affec- 
tions malignes  ou  putrides,  dans  lesquelles  l'instinct  na- 
turel appelle  les  noimitures  et  les  boissons  végétales  comme 
pour  rétrograder. 

Le  rehaussement  de  l'animalisation  ou  de  l'organisme 
en  général  dépend  donc  de  deux  causes:  1°  nourriture  ani- 
male substantielle;  2°  élaboration  plus  perfectionnée  par 
l'acte  de  la  respiration.  C'est  pourquoi  les  espèces  à  sang 
chaud  ou  les  hauts  vertébrés  offrent  l'animalisation  la  plus 
complète,  la  plus  perfectionnée.  Cela  se  manifeste  surtout 
parle  développement  de  leur  appareil  nerveux  ou  de  la  sen- 
sibilité et  des  facultés  intellectuelles  et  instinctives.  En  effet, 


—   ANIMAUX 


fîll 


or  observe  (iiie  ces  (pialités  sont  incomparablement  plus  pcr- 
'ectionnées  chez  les  êtres  à  respiration  complète,  et  surtout 
dans  les  races  carnivores ,  que  parmi  les  espèces  stupldes  de 
poissons  et  de  baveux  mollusques  sous  les  eaux.  Les  con- 
ditions de  l'animalité  et  de  la  sensibilité  sont  donc  puis- 
sanmienl  avivées  par  tout  ce  qui  peut  accroître  l'animali- 
sation. ^  j.-j.  A^inEv. 

AXI^IALITE.  La  définition  de  ce  mot  n'est  pas  difficile, 
puisqu'il  exprftne  tout  ce  qui  a  trait  à  l'ensemble  des  êtres 
(jui  constituent  le  règne  animal  comparé  aux  végétaux  et  aux 
corps  bruts;  mais  la  définition  de  la  chose  présente  ,  il  faut 
Lieu  l'avouer,  les  plus  grandes  difficultés.  L'animalité,  en 
tan!  que  chose  créée,  comprend  l'ensemble  de  tous  les  êtres 
.lui  furmeut  le  domaine  du  règne  animal  ;  mais  crii  s'arrête  le 
iègiie  animal.'  Où  tracer  la  ligne  de  démarcation  entre  les 
animaux  les  plus  inleriein's  et  les  végétaux.' 

Si  l'homme  moral  et  intellectuel  peut  se  placer  en  dehors 
et  au-dessus  de  tout  le  règne  animal ,  Tlionmie  physique 
n'en  forme  pas  moins  la  limite  suprême  de  l'animalité.  Aris- 
tote,  considérant  tous  les  êtres  vivants,  c'est-à-dire  les  ani- 
maux et  les  végétaux ,  comme  di's  êtres  animés  à  divers 
degrés,  les  avait  réunissons  le  nom  comman  de  <\i'jy_io.. 
De  nos  jours,  on  a  cru  pouvoir  distinguer  les  animaux 
des  végétaux,  soit  en  refusant  à  ces  derniers  le  sentiment 
et  le  mouvement,  soit  en  considérant  les  zoophytes  comme 
des  animaux  apathiques,  c'est-à-dire  simplement  irritables  et 
déjà  Insensibles.  Or  les  résultats  des  investigations  les  plus 
récentes  démontrent  que  les  animaux  les  plus  simples  jouis- 
sent encore  d'une  sensibilité  et  d'une  motilité  soit  rapide,  soit 
lente,  et  que  les  deux  grandes  propriétés  caractéristiques  des 
animaux  en  gi^néral  y  sont  confondues  en  une  seule  ,  qu'on 
nomme  irritabilité.  Dans  ces  derniers  animaux,  de  môme 
que  dans  tous  les  végétaux ,  on  ne  peut  découvrir  le  moin- 
dre indice  de  l'existence  du  système  nerveux.  En  outre, 
les  végétaux  dont  l'organisation  est  la  plus  coini)le\e  don- 
nent des  preuves  évidentes  d'une  irritabilité  qu'on  a  dési- 
gnée sous  le  nom  de  sensitivité.  Enfin,  les  plantes  dont  la 
structure  est  la  plus  sim[)le  nagent  comme  les  embr\ons 
des  éponges,  se  meuvent  au  moyen  de  cils  vibratiles  pour 
se  diriger  vers  les  lieux  les  plus  favorables  à  leur  végéta- 
tion, ainsi  que  cela  aété  constaté  pour  lesalgiieset  lescon- 
ferves.  L.  Lâchent. 

ANIMAUX  (Condamnations,  excommunications  contre 
des  ).  Pendant  une  assez  longue  période  du  moyen  âge ,  cette 
pensée  fut  généralenaent  répandue  de  soumettre  à  l'action 
de  la  justice  tous  les  faits  condamnables  de  quelqne  être 
qu'ils  provinssent.  La  philosophie  s'empara  plus  lard  du 
côté  ridicule  qu'avait  cet  usage  de  la  justice  humaine  et  di- 
vine, elle  n'en  vit  pas  le  côté  moral.  Le  supplice  d'un  porc 
pendu  pour  avoir  dévoré  un  enfant,  témoigne  du  moins  d'un 
grand  respect  pour  la  vie  de  l'homme;  l'autu-da-fé  <run  mu- 
let et  de  son  maître,  en  156ô,  pour  un  crime  qu'on  ne  peut 
désigner,  indique  aussi  nne  grande  horreur  du  vice.  On  a  re- 
levé des  actes  d'exconummication  lanci'S  contre  les  animaux 
et  insectes  nuisibles  ,  notamment  les  anathènies  de  l'évêque 
de  Laon ,  en  1120,  contre  les  chenilles  et  les  mulots  (|ui 
consternaient  ses  paroissiens  ;  l'excommunication  des  grands 
vicaires  d'Autun  contre  les  cliarançons,  en  1488;  celle  des 
sangsues  par  l'évêque  de  Lausanne,  en  l.")54,  parce  qu'elles 
détruisaient  les  poissons,  etc.  JL  Berryat-Saint-Prix  a  pré- 
senté à  la  Société  des  antiquaires  vn  relevé  des  jugements 
prononcés  contre  les  animaux  :  il  en  compte  quatre-vingt- 
dix,  dont  trente-sept  apjiai  tiennent  au  dix-septième  siècle, 
et  un  seul  au  dix-huitième.  W.-A.  D. 

ANIMAUX  (Peinture  d').  De  tous  temps  les  artistes 
se  sont  plu  à  reproduire  ces  compagnons  de  l'homme.  On 
en  voit  sur  les  bas-reliefs  anti'jutîs,  ou  en  trouve  dans  la  sta- 
tuaire des  anciens,  et  certainement  ils  en  mettaient  dans  leurs 
l>eintures;  mais  en  général  ces  animaux  étaient  subordonnés 
a  l'homme  :  ils  cumbaîtaicnt,  ils  conduisaient  des  chars,  ils 

77. 


t!J2 


AiMiVL.UX    —  ANIiMISTES 


cliassaienf.  Plus  tar.l,  ils  ornèrent  seulement  la  deineure  lie 
leurs  mallres.  Chaque  peuple  leur  donna  qwelipie  cliosc  de 
lui:  raniiu.il  <'>t  IioiiIkhiiuk!  dicz  les  [x-intrcs  tlaïuands,  plein 
fie  fini  (Iii'Z  les  Maliens,  sundpre  (liez  les  Ks|)annols  ,  [)lein 
(le  uiof;:ue  tliez  les  An};lais,di;  longue  chez  les  Français. 
l)f  nos  jours,  on  a  inia!;in('!  de  faire  des  animaux  le  sujet  en 
(piclipie  sorte  unicpie  ou  ()rin(ip.il  du  tableau.  On  leur  a 
l>ri'té  nos  passions,  nos  senliuuMits,  notre  pli\sioiiomie  (jour 
ainsi  dire.  L'An;;lelerre  compte  de  bons  peintres  (r.mim;iux, 
M.  La  n  d  see  r  notauuuflut.  Noms,  nous  citons  M"*  Rosa 
Honheur,  MM  Hrascavsal,  Philippe  Rousseau  ,  Deciimps. 
On  sait  avec  quel  suc(-i'*s  M.  Dedreux  a  peint  les  chevaux  , 
M.  Jadin  les  chiens,  M.  Couturier  les  poules,  M.  Brendel 
les  moutons,  M.  Trojon  les  vaches,  M.  Salmon  lesdindons. 
Enfin,  pour  qu'il  n'y  ait  pas  de  jaloux ,  M.  Hedouin  a  été 
surnoruiné  le  Hapliaël  des  cochons.  L.  L. 

iV\l MA IJ\  (Acclimatation  des).  Foyes  Acclimatation. 

AMMAUX  DOMESTIQUES.   Voyez  Domesticité 

ntS  AMMVL'X. 

AIVIMISTES,  philosophes  et  mc^decins  expliquant  par 
rinlervention  d'une  ûme  {anima)  les  actes  de  la  vie  chez 
riiomme  ,  les  animaux  ,  et  môme  jusqu'aux  fonctions  les 
plus  merveilleuses  de  la  vt^s<^talion.  Les  plus  anciens ,  tels 
que  Pythagore  et  les  platoniciens  (  même  les  plus  récents 
ou  les  néoplatoniciens  de  l'école  d'Alexandrie),  ont  re- 
monté plus  haut ,  en  admettant  pour  cause  première  une 
âme  (lu  monde ,  de  laquelle  les  nôtres  et  celles  de  tous  les 
êtres  animés  extraient  leur  origine  ou  ne  sont  que  des  rayon- 
nements. Cette  doctrine  (  sorte  de  panthéisme  )  appartient 
surtout  à  la  théologie  antique  des  Hindous,  selon  laquelle 
toutes  les  créatures  sont  des  produits  de  Brahma ,  qui  les 
n  tirées  de  son  sein ,  et  dans  lequel  toutes  doivent  rentrer  à 
la  mort.  Ap|>ortées  de  l'Inde  et  de  l'Orient  par  \es  commu- 
nications des  voyageurs  de  l'Europe  occidentale  avec  les 
brahmanes ,  dés  la  plus  haute  antiquité  ,  ces  opinions  s'é- 
taient aussi  infiltrées  jusque  dans  la  religion  druidique  des 
Celtes  et  des  Gaulois.  Nous  lisons  dans  Virgile  que  même 
les  abeilles  liraient  leurs  instincts,  comme  particules,  de 
cette  grande  source  divine. 

Ce  sentiment  fut  tellement  empreint  dans  les  croyances 
philosophiques ,  que  les  savants  y  eurent  recours  sous  d'au- 
tres dénominations  :  car  qu'est-ce  que  Adi  forme  ou  Ycnergie 
distincte,  selon  Aristote,  de  la  matière  elle-même  ,  sinon 
nn  esprit  moteur  et  formateur.^  Pareillement,  ce  qu'Hippo- 
crate  célèbre  sous  le  nom  de  ndture,  laquelle  est  ins- 
truite d'elle  seule  et  dirige  la  vie  animale ,  ne  peut  s'ex- 
pliquer que  par  une  sorte  d'ûme.  Aussi  Galicn ,  traitant  de 
la  formation  du  fa-tus,  en  attribue  la  vivification  et  l'orga- 
nisation à  cette  âme  nutritive  et  végétative  qu'il  nomme 
demiourgos  (  Sr.fi-.ovpYÔ;  ) ,  sorte  d'émanation  de  la  grande 
ame  du  monde  ;  comme  le  pensait  aussi  Platon  ,  qui  reçut 
cette  théorie  pythagoricienne,  puisée  aux  sources  du  Gange. 
De  là  surtout  les  idV'es  si  répandues  parmi  les  néoplatoni- 
ciens et  les  sectes  gnostiques  des  valentiniens  ou  autres  qui 
llorissaient  à  l'origine  du  christianisme,  parmi  les  essé- 
niens,  les  thérapeutes,  avec  Plotin ,  Porphyre,  Jani- 
hiique,  etc.,  jusqu'à  l'exaltation  religieuse.  Ils  mêlaient  la 
médecine  magique  ou  d'incantation  à  la  théosophie.  Plu- 
sieurs pensaient  s'élever  à  l'union  hypostatique  avec  Dieu  , 
comme  les  fakirs  de  l'Inde.  Car  si  le  demiourgos ,  fils  d'.4- 
cnmot/i  (  ou  de  l'àme  du  monde  )  selon  eux ,  crée  les  êtres, 
il  tend  à  les  ramener  à  son  origine  par  les  éons  ou  zep/ii- 
rots  (émanations  divines)  vers  cette  existence  meilleure  et 
parfaite.  Il  réunit  alors  la  créature  à  son  créateur.  D'après 
les  basilidiens,  lus  gnosliques,  en  elTet,  l'homme,  partici- 
pant à  la  semence  de  lasupiêu'.e  sagesse  ,  contient  un  germe 
.«spirituel ,  qui  doit  se  di'iiloyer  et  fleurir  un  jour.  Tel  est 
au<si  le  verbe  ini-tirui'  et  éternel  en  nous,  dont  parle  saint 
.tean  ;  ses  as|)iralions  ou  in^pir;il:ons  procurent  la  pléniludc 
d'une  salisf.ittion  pure ,  nue  jouissance  intime  cl  extatique 


aux  esprits  pénétrés  de  cette  divine  alliance  ,  comme  par 
une  génération  toute  céleste. 

Toutefois  ,  en  écartant  les  exaltations  mystiques  de  ces 
imaginations  orientales  ou  de  la  théosophie ,  les  médecins 
et  autres  savants  ,  voulant  remonter  à  la  source  des  forces 
qui  constituent  l'homme  et  les  êtres  animés  ,  ont  eu  recours 
tantôt  à  la  mécanique  et  aux  ressorts ,  conmie  dans  une 
montre,  ou  aux  ferments  chimiques,  etc.,  tantôt  au  pneuma 
(TTVïOaa) ,  à  un  esprit,  un  air,  un  feu  intelligent  et  direc- 
teur de  l'organisation.  Mais  l'évidence  d'une  prédisposition 
intelligente  et  d'une  autocratie  savante  dès  les  premiers 
mouvements  du  firtus ,  comme  dans  l'instinct  inné  des 
brutes»  a  bientôt  ramené  ces  physiologistes  vers  l'idée  néces- 
saire d'une  Ame  primitive ,  apportant  avec  elle  ses  propen- 
sions naturelles  et  jusqu'aux  mœurs  instinctives  de  leurs 
parents  par  une  filiation  ou  transmigration  des  esprits  non 
moins  que  du  corps. 

Avant  que  G.-E.  Stahl,  savant  médecin  de  Halle,  eût 
au  dix-septième  siècle,  fondé  sa  brillante  théorie  de  l'ani- 
misme ,  déjà  Swammerdam  ,  habile  anatomiste  hollandais, 
et  l'ingénieux  Français  Claude  Perrault  (  quoique  dénigré 
par  lioileau  ) ,  furent  les  doctes  prédécesseurs  de  cette 
doctrine ,  savoir  :  que  l'àme  prédispose  et  organise  toutes 
les  parties  de  l'embryon  naissant ,  pour  un  but  unique  et 
salutaire ,  la  vie  de  l'individu ,  et  pour  l'exercice  de  se-i 
membres  avec  toutes  ses  fonctions  ,  selon  l'espèce,  le  genre 
d'existence  auquel  il  est  destiné ,  enfin  pour  résister,  jus- 
qu'à certaines  limites  ,  aux  maladies  ,  aux  accidents  aux- 
quels il  peut  être  assujetti  dans  le  cours  de   sa  carrière. 

^lais ,  reprochait-on  à  ce  système ,  l'àme  intelligente  en 
nous  ne  connaît  pas  naturellement  ce  corps  qu'on  dit  qu'elle 
a  organisé.  11  y  a  plus  :  combien  d'opérations  intérieures, 
sans  conscience ,  toutes  spontanées  <!ans  nous ,  et  même 
d'actes  opposés  à  notre  volonté  ?  Il  n'est  donc  pas  présu- 
mable  qu'en  supposant  déjà  toute  savante  cette  autocratie, 
cette  âme  structrice  et  si  habile  architecte  de  sa  propre 
maison ,  elle  opère  cependant  des  actions  involontaires , 
contraires  même  à  ses  volontés,  à  ses  désirs,  à  sa  liberté. 
Or,  Stahl  et  ses  partisans ,  qui  ont  développé  profondé- 
ment sa  thèse ,  établissent  des  distinctions  déjà  pressenties 
par  les  platoniciens.  H  y  a ,  disent-ils ,  diverses  fonctions 
dans  l'àme ,  la  végétative ,  la  passionnée  ,  qui ,  n'intéressant 
point  les  facultés  intellectuelles  ,  s'accoutument  originaire- 
ment à  opérer  avec  spontanéité  la  digestion,  la  circula- 
tion ,  même  la  respiration  ;  comme  par  l'habitude  deveime 
nature  le  pianiste  agite  ses  doigts  sur  son  piano  sans  y 
faire  attention  désormais.  Cependant  nous  pouvons  res- 
saisir jusqu'à  certain  point  cette  volonté  primitive ,  dans 
l'acte  respiratoire  par  exemple.  Dans  la  plupart  des  ma- 
ladies ,  selon  les  animistes  ou  vitalistes  (  car  ceux-ci  as- 
similent à  l'àme  la  force  vitale  ,  comme  le  fait  l'école  de 
médecine  de  Montpellier  ) ,  il  faut  la'sser  beaucoup  agir 
d'elle-même  cette  nature,  ou  tout  au  plus  l'aider  dans 
ses  efforts  presque  toujours  tendant  vers  un  b  t  salu- 
taire. Le  corps ,  ou  les  organes ,  d'après  ces  anim'stes , 
n'est  donc  pas  la  principale  chose  à  considérer,  mais  plutôt 
les  allures  de  cette  force  vitale  qui  le  meut  ;  aussi  les 
sciences  physiques  ,  anatoniiques  ,  chimiques  (  b'en  que 
Stahl  fût  im  profond  ch'iniste  pour  son  siècle  ) ,  ont  peu 
fieuri  parmi  les  écoles  vitalistes.  Celles-ci  sont  plutôt  psy- 
cholog-ques  ou  philosophiques ,  comme  celles  des  anciens 
pnemnatistes. 

C'est  aux  animistes  aussi  qu'on  doit  les  notions  les  plus 
parfaites  sur  la  distinction  entre  les  êtres  organises  (oa 
dont  les  organes  concourent  à  un  même  but  )  et  les  masses 
biTjtes  ou  minérales  non  individuelles ,  inertes  [lar  elles- 
mêmes.  Les  seuls  êtres  organisés  possèdent  ce  principe  cen- 
tral de  mouvement  qui  fait  nourrir,  accroître,  engendrer, 
puis  laisse  périr  l'agrégat  individuel  ai^vt^i  un  cercle  donné 
d'existence.  Eux  seuls  peuvent  posséder  la  vie,  l'àme. 


ANIMISTES  —  AJS'ISSON-DUPERRON 

H  existe  ainsi ,  selon  les  animisfcs ,  une  portion  de  l'irae 
^estant  cacliée  ou  secrète  en  nous,  qui  constitue  la  dualité 
des  facultés,  et  qui,  d'elle  seule,  agit  dans  nos  entrailles; 
nous  n'avons  d'elle  connaissance  que  par  des  sensations  obs- 
cures, UKiis  elle  peut  s'insurj^er  dans  les  passions,  allumer 
involontairement  l'amour,  la  colère,  etc.,  agiter  tel  organe, 
le  foie,  les  nerfs,  les  libres,  par  des  spasmes  ou  mouvements 
toniques ,  soit  i>our  le  développement  des  âges,  soit  pour  le 
salut  de  Pétre  malade,  même  jusque  dans  le  transport  du 
délire.  La  tiévre,  les  hcmorrbagies,  les  crises,  sont  d'utiles 
tendances  de  cette  âme  vers  la  santé,  etc.  11  faut  le  plus 
souvent  calmer  ses  fureurs  :  c'est  V  arc  fiée  àe  van  Helmont. 

Les  médecins  animistes  ou  vitalistes,  quoiqu'à  différents 
degrés,  comme  les  anciens  hippocratistes,  les  pneumatistes, 
n'ont  jamais  cessé  d'exister.  En  effet,  il  est  impossible 
de  bannir  l'intersention  de  la  nature  dans  la  physiologie , 
car  en  aucun  temps  les  sciences  physiques,  mécaniques, 
chimiques,  ne  suffisent  pour  expliquer  la  vie.  Quand  on 
demande  fa  cause  primordiale  de  l'organisation  ,  il  faut 
bien  recourir  à  cette  force  motrice  ou  énergie  antérieure, 
comme  pour  la  cause  première  du  monde.  La  vitalité  géné- 
rale ou  le  mouvement  spontané  de  la  matière  ne  rendrait 
pas  raison  des  appropriations  de  la  forme  de  chaque  espèce 
pour  un  but  :  ce  qui  fait  le  désespoir  des  atoraistcs  et  des 
mécaniciens.  11  y  a  donc  nécessité  d'une  intelligence  pri- 
mordiale pour  disposer  les  oi-ganes  et  les  générations  à  venir^ 
régler  les  métamorphoses,  etc.  J.-J.  Virey. 

AA'IO,  appelé  aujourd'hui  par  antiphrase  Teverone 
(grand  Tibre),  augmentatif  de  Tevere,  Tibre.  Cette  petite 
rivière,  qui  prend  sa  source  près  de  Felettino,  dans  les 
États  romains ,  sur  les  confins  du  royaume  de  Naples , 
sépare  la  Sabine  du  Latium,  forme  à  Tivoli  une  belle  cas- 
ca:le  et  des  cascatelles,  et  va  se  jeter  dans  le  Tibre  à  6  ki- 
lomètres environ  au  nord-est  de  Rome.  Camille  y  battit  les 
Gaulois  en  367.  L'Anio,  peu  considérable  par  lui-même,  doit 
sa  réputation  à  la  cascade  de  Tivoli,  qui  n'a  pourtant 
qu'une  hauteur  de  cinquante  pieds,  et  est,  par  conséquent, 
infiniment  moins  belle  que  celle  de  Terni  (la  caduta  délie 
Marmori).  Cependant  elle  a  l'avantage  d'être  placée  j^rès 
du  temple  charmant  dit  de  la  Sibylle,  rotonde  d'architec- 
ture grecque  autrefois  consacrée  à  Vcsta  ;  de  toucher  à  la 
ville  de  TivoH ,  et  de  porter  à  quelques  pas  ses  eaux  dans 
un  gouffre  tippelé  Grotte  de  Neptune,  d'où  elles  reparais- 
sent au  jour  près  d'un  couvent  que  Ton  croit  bâti  sur  les 
ruines  de  la  maison  de  campagne  d'Horace.  Près  de  là  les 
cascatelles,  ou  petites  cascades,  tombent  du  haut  d'un 
coteau  011  fut  placée  la  maison  de  campagne  de  Mécène , 
et  produisent  un  effet  très-pittoresque. 

Le  président  Dupaty  peint  ainsi  le  Teverone  et  sa  mer- 
veille :  «  L'Anio  arrive  lentement  sur  un  lit  égal  et  uni, 
en  baignant  d'un  côte  une  ville  étalée  sur  ses  bords,  et 
de  l'autre  de  grands  arbres  qui  balancent  sur  lui  leur  om- 
brage; il  s'avance  ainsi ,  cahne,  majestueux,  paisible.  Sou- 
dain, entrant  dans  une  fureur  inexprimable,  il  se  brise  tout 
entier  sur  des  rocs;  il  écume,  il  rejaillit,  il  retombe  en 
bouillons  impétueux  qui  se  heurtent,  qui  se  mêlent,  qui 
sautent;  il  remplit  un  moment  un  vas*e  rocher,  l'entr'ouvre 
et  se  précipite  en  grondant.  Où  est-il  donc.'...  Mais  j'en- 
tends rnugir  encore  ses  flots  ;  je  demande  à  les  revoir  :  on 
me  conduit  à  la  Grotte  de  Neptune.  Là,  une  montagne 
de  roche  s'avance  sur  un  abîme  épouvantable,  se  creuse, 
Vi  voilte  et  se  soutient  hardiment  sur  deux  énormes  arcades. 
A  travers  ces  arcades,  à  travers  plusieurs  arcs-en-ciel  qui  les 
cintrent  en  se  croisant,  à  travers  les  plantes  et  les  mousses, 
j'aperçois  de  nouveau  ces  flots  furieux  qui  tombent  encore 
sur  des  pomtes  de  rochers  où  ils  se  brisent  encore,  sautent 
de  l'un  à  l'autre,  secombattent,  se  plongent,  disparaissent  :  ils 
sont  enfin  dans  l'abîme.  »  (Lett.  LTV.)  L.  Dubois. 

A\1S  (pimpinctla  anisum).  Linnéclasfe  cette  plante 
dans  la  pcntandric  digynie.  Elle  appaiiicnt  à  la  famille  des  , 


Ct3 


ombellifères  de  Jussieu.  Ses  caractères  sont  une  racine  fi- 
breuse, une  tige  fistuleuse pubescente,  des  feuilles  alternes, 
amplexicaules,  des  petites  fleurs  blanches  disposées  en  om- 
belles doubles  terminales,  un  fruit  ovoide  composé  de  deux 
petites  graines  d'un  gris  verdàtre  convexes,  cannelées  .sur 
le  dos.  L'anis  réussit  assez  bien  dans  nos  provinces  méri- 
dionales; mais  sa  culture  en  grand  a  lieu  en  Espagne,  et 
surtout  aux  Échelles  du  Levant.  Cette  plante  demande  une 
ferre  légère,  sablonneuse,  et  malgré  cela  bien  amendée, 
enfin  une  exposition  très-chaude.  —  La  semence  seule  de 
l'anis  est  employée  en  médecine  ;  elle  est  réputée  carmina- 
tive,  stomachique  et  apéritive  :  par  conséquent,  elle  échauffe 
un  peu  ,  réveille  faiblement  les  forces  vitales  ,  favorise  la 
digestion,  lorsque  l'estomac  est  faible  ;  ses  propriétés  les 
plus  certaines  sont  d'augmenter  sensiblement  chez  les  nour- 
rices et  les  femelles  des  animaux  la  quantité  de  lait  qui  leur 
est  nécessaire,  et  dont  cette  semence  facilite  en  même  temps 
la  digestion  chez  les  enfants.  On  l'emploie  aussi  pour  aide' 
l'expectoration  des  matières  muqueuses  dans  l'asthme  hu- 
mide et  dans  la  toux  catarrhale  ancienne,  et  sous  forme  de 
cafoplasmes  elle  peut  contribuer  à  la  résolution  des  tumeurs 
inflammatoires.  Les  graines  de  l'anis  sont  l'objet  d'un  com- 
merce étendu.  Les  confiseurs  en  font  un  grand  usage.  On  en 
fait  des  bonbons,  de  l'anisette,  dans  certains  pays  on  en  met 
dans  le  pain  ,  dans  le  fromage.  Enfin  Tanis  fait  partie  d'un 
grand  nombre  de  médicaments  composés. 

AXiS  (Boisd').   Voi/ez  Badiane. 
AXIS  ÉTOILE  DE  LA  CHIXE.  Vo>jez  Badiane. 
AXISETTE,  liqueur  de  table  labriquée    avec  l'anis 
doux  d'Italie.  Elle  se  prépare  par  infusion  et  par  distillation. 
Vanisettede  Bordeaux  et  celle  de  la  Martinique  .-ont  par- 
ticulièrement estimées. 

AXÏSOCYCLE  (  du  grec  àvwou,  inégal ,  et  de  xOxXo;, 
cercle  ) ,  machine  de  guerre  employée  autrefois  par  les  By- 
zantins pour  lancer  des  flèches.  Sa  construction  et  ses 
moyens  de  destruction  offraient  beaucoup  de  rapport  avec 
l'arbalète  de  trait.  Elle  était  de  forme  spirale,  à  peu  près 
semblable  au  ressort  d'une  montre,  et  c'est  de  cette  forme 
que  lui  vient  son  nom.  Par  un  mécanisme  très-simple,  elle 
lançait  en  se  débandant  des  flèches,  des  dards  ou  des  ja- 
velots. 
AXISODOX'.  yoijez  ANOPLoruERitM. 
AXISSOX-DUPERROX,  famille  originaire  du  Dau- 
phiné,  qui  a  fourni  quelques  hommes  distingués  à  la  magis- 
trature et  à  l'imprimerie. 

Charles  Anisson,  religieux,  faisait  partie  de  l'ambassade 
envoyée  à  Rome  en  1595  pour  la  réconciliation  de  Henri  IV 
avec  le  saint-siége. 

Laurent  Anisson,  son  neveu  ,  libraire  et  échevin  à  Lyon 
en  1670,  a  fait  jiaraître  en  27  volumes  in-folio  une  Biblio- 
Iheca  maxima  veterum  Patrum. 

Jean  Anisson,  fils  aîné  du  précédent,  fut  appelé  en  1690 
aux  fonctions  de  directeur  de  l'Imprimerie  royale,  alors  éta- 
blie au  Louvre.  11  eut  la  gloire  d'être  l'éditeur  du  célèbre 
Glossaire  de  Du  Cange,  que  tous  les  autres  imprimeurs  re- 
fusaient d'imprimer,  et  d'aider  même  l'auteur  dans  ses  re- 
cherches et  ses  travaux. 

En  1707  il  se  démit  de  ses  fonctions  de  directeur  de 
l'imprimerie  du  Louvre  eu  faveur  de  son  beau-frère,  Ri- 
gaud;  et  en  17l3il  fut  chargé  d'uneinission  à  Lcmires  rela- 
tivement à  l'interprélation  de  quelques  clauses  du  traité  de 
commerce  intervenu  a  la  suite  du  traité  d'Utrecht.  Il  avait  été 
nommé  conseiller  honoraire  au  parlement  et  chevalier  de 
l'ordre  de  Saint-Michel. 

Jacques  Amsson,  frère  du  précédent,  était  échevin  à  Lyon 
en  1710.  Avec  l'autorisation  du  roi,  il  prit  le  nom  de  Du- 
pcrron,  qui  était  celui  d'uu  domaine  dont  il  avait  fait  l'ac- 
quisition. 

Louis-Laurent  Anisso.n,  fils  de  Jean  Anisson,  succéda 
comme  directeur  do  l'imprimerie  du  Louvre  a  R'gauil,  et 


614 

eut  liii-inûmc  pour  successeur,  en  1733 ,  son  frère  Jacques. 
Ét'icnnc-Alcxandic-Jcnqucs  AiMsso.\-DLPt;niiON,  fils  de 
Jacques,  né  à  Paris  en  1748,  succéda  en  17S8  couinie 
directeur  do  i'Inii)rinieric  royale  à  son  jière,  dont  il  était 
depuis  lonj;(cnips  survivancier.  Pour  se  confornier  à  un  dé- 
cret de  l'Assemblée  nationale,  il  lit  dresser  et  déposer  aux 
Archives  un  inventaire  détaillé  de  tout  le  matériel  de  l'Im- 
primerie royale,  devenue  alors  Imprimerie  nationtilc. 
Après  le  10  août  il  perdit  sa  |)lace,  et  crut  se  mettre  à  l'abri 
des  persécutions  en  allant  se  réfugier  au  fond  d'une  campa- 
};ne;  mais,  dénoncé,  il  fut  arrêté  au  mois  de  ;;crminal  an  ii, 
et  commit  l'im|>rudence  de  faire,  pour  recouvrer  sa  liberté, 
de  grands  sairilices  pécuniaires  dont  profitèrent  stoïquement 
les  autorités  constituées  de  Ris  et  de  Corbeil,  les  deux  com- 
munes sur  lesquelles  s'étendait  sa  propriété.  Ce  moyen  ,  qui 
avait  du  bon,  fut  cependant  ce  qui  le  perdit;  traduit  devant 
le  tribunal  révolutioiinairc,  il  périt  sur  l'écliafiiud  au  mois  de 
lloréal,  et  le  riche  mobilier  de  l'Imprimerie  nationale,  devenu 
en  grande  partie  sa  pro|)ricté,  fut  confisqué. 

Dans  un  mémoire  lu  il  rAcadéinie  des  Sciences  et  inséré 
dans  le  recueil  des  savants  étrangers ,  il  s'était  fait  gloire 
d'avoir  inventé  la  presse  à  un  coup.  Jlalbeureusement  pour 
lui  la  priorité  en  était  incontestablenifut  acquise  depuis  plus 
de  six  ans  à  MM.  Didot,  qui  dès  1777  avaient  imprimé  avec 
une  presse  semblable  le  Daphnis  et  Chloé  de  Villoisou, 
comme  il  appert  d'une  note  de  VÉpitre  sicr  les  Progrès  de 
r Imprimerie ,  imprimée  à  la  suite  d'un  Essai  de  Fables 
nouvelles  de  Didot  tils  aîné,  1786. 

Le  comie.  Alexandre-Jacques-Laurent  Anissom-Duper- 
noN,  fils  du  précédent,  né  à  Paris,   le  26  octobre  1776, 
remplit  diflérentes  missions  en  Italie  sous  le  gouvernement 
impérial,  et  devint  plus  tard,  successivement,  auditeur  au 
conseil  d'État,  inspecteur  général  de  l'Imprimerie  Impériale, 
membre  de  la  commission  du  sceau  ,  maitre  des  requêtes 
en  service  extraordinaire  et  directeur  général  de  l'Iiiipri- 
merie  Royale  sous  la  restauration.  Il  obtint,  en  outre,  la 
jouissance  gratuite  du  magnifique  matériel  de  cet  établisse- 
ment et  de  l'immense  local  où  il  est  situé ,  à  la  charge  seu- 
lement d'entretenir  l'un  et  l'autre  à  ses  frais ,  de  sorte  qu'il 
se  trouva  imprimeur  pour  son  propre  compte  et  en  situa- 
tion de  faire  les  fournitures  de  travaux  considérables  sans 
avoir  à  supporter  la  charge  des  intérêts  de  l'énorme  capital 
que  représentaient  le  matériel  et  les  bâtiments  mis  à  sa  dis- 
position. Les  iinitrimeurs  brevetés  de  Paris  élevèrent ,  en 
1816  ,  de  vives  réclamations  à  ce  sujet ,  prétendant  que  les 
avantages  concédés  à  .M.  Anisson-Duperron  équivalaient  à 
un  privilège  exclusif,  et  lui  donnaient  la  faculté  d'exercer, 
au  détriment  des  imprimeries  particulières ,  un  monopole 
dont  le  gouvernement  faisait  les  frais.  Le  député  Roux  du 
Cliàtelet  signala  lui-même  cette  disposition  à  la  chambre 
comme  onéreuse  pour  l'État  ;  mais  pendant  plusieurs  an- 
nées ,  de  part  ni  d'autre ,  on  ne  put  en  obtenir  la  révoca- 
tion.  Il  y  avait  cependant,  peut-être,   des  moyens  moins 
pr('ju(lic,iables  à  la  typograiihie  française  et  au  trésor  d'in- 
denuiiser  M.  Anisson-Dupciron  des  pertes  que  la  révolution 
lui  avait  fait  éprouver.  Kniin,  l'Imprimerie  Royale,  passant 
sous  la  direition   de  M.  de  Villebois  en    18'i3,    fut  admi- 
nistrée, comme  jadis,  pour  le  compte  du  gouvernement.  Anis- 
son-Duperron ,  nommé  député  d'Vvetot  (Seine-Inférieure) 
en  1830,  fut  constamment  réélu  jiis(pi'en  18i2.  Le  9  juillet 
I8i5  le  roi  le  créa  pair  de  France.  Il  siégeait    encore  à  la 
révolution  de  février.  Il  est  mort  subitement  à  Dieppe,  le 
3  septcinbn;   18.i2.  Il  a  puiiliê  i|ui-!(pips  lirocliures.       * 

ANJOU  (  province,  comté ,  puis  duché  d'  ),  Pagus  An- 
degavensis  ,  ou  Adicacensis  oijcr  ou  tractus  ,  ancienne 
province  de  France,  composant  en  grande  partie,  les  dépar- 
tements de  Main  e-et-Loi  re  et  de  la  S  art  h  e,  avait  pour 
bornes  au  nord  le  Maine,  ;i  l'est  la  'l'ouraino,  au  sud-o.st  le 
Sauinurois,  au  sud  le  Poitou,  et  ;i  l'ouest  la  Bretagne.  Son 
étendue  était  de  30  lieues  de  longueur  sui-  20  de  laigcur. 


ANISSON-DUPERRON  —  ANJOU 

On  y  com])tait  environ  37  forêts  et  jusqu'à  '»9  rivières.  Los 
seules  naviga'ules  étaient  la  Loire,  la  Vienne,  la  Toué ,  la 
Mayenne,  le  Loir  et  la  Sartlie.  Angers  était  la  capitale  de 
celte  province;  les  autres  villes  de  quelque  importance  étaient  : 
Baugé,  Brissac  (ancien  duché-pairie),  Cbàteau-Gontier,  la 
F 1  è  c  il  e  ,  le  Pont-de-Cc,  Chollet,  Craon,  première  baronnie 
d'.\njou;  Cbâfeauneuf,  Candé,  Ségré,  Reaupréau,  S  au  mur, 
.Montsoraux,  Montreuil-BcUay  et  Fontevrau  d,oii  Robert 
<l'Arbrissel  fonda,  vers  l'an  1099,  une  célèbre  abbaye  do 
filles  chef  d'ordre. 

Du  temps  de  César  PAnjou  était  habité  par  les  Andes  ou 
Andegavi ,  qui  ont  donné  leur  nom  à  cette  province.  A 
peine  ce  conquérant  les  eut-il  soumis  qu'ils  tentèrent  de 
secouer  le  joug  des  Romains.  Mais  ayant  échoué  dans  le 
siège  de  Poitiers  ,  leur  armée  fut  détruite  au  passage  de 
la  Loire  par  Fabius,  lieutenant  de  César.  Lors  de  l'irruption 
des  barbares  dans  les  provinces  de  l'empire,  sous  Honorius, 
l'Anjou  faisait  partie  de  la  3°  Lyonnaise.  Les  Visigoths  et 
e!i^\uite  les  Francs  s'établirent  dans  une  partie  de  ce  pays. 
.T^g-dius,  chef  de  la  milice  romaine  dans  les  Gaules,  appela 
à  son  secours  Odoacrc,  roi  des  Saxons,  auquel  le  comte  Paul, 
successeur  d'.'Egidius ,  céda  les  îles  delà  Loire  ainsi  que  la 
ville  d'.\ngcrs,  pour  gage  de  sa  fidélité  et  de  ses  services. 
Cdoacre  y  fit  cantonner  son  armée ,  mais  ce  fut  pour  peu 
de  temps,  car  Childéric,  à  la  tête  des  Francs,  tailla  en  pièces 
les  Romains  et  les  Saxons,  tua  de  sa  proi)re  main  le  comte 
l'aul,  et  s'empara  de  l'Anjou. 

Sous  les  Carlovingiens,  cette  province  fut  divisée  en  deux 
comtés.  Le  comté  d'Outre-Maine,  ou  la  marche  Angevine, 
situé  au  delà  de  la  rivière  de  Maine  ou  Mayenne,  avait 
Cliàteauneuf  pour  capitale;  Angers  était  celle  de  l'autre 
con;té  d'.\njou  ,  formé  du  territoire  en  deçà  de  la  même  ri- 
vière. En  850,  le  roi  Charles  le  Chauve  donna  le  comté 
d'Outre-Maine  à  Robert  le  Fort,  pour  le  défendre  contre  les 
Bretons  et  les  Normands.  Tué  par  ces  barbares  à  BrLsserte, 
en  8G6,  Robert  eut  pour  successeur  dans  ce  département  et 
dans  le  duché  de  Fiance,  Eudes,  son  iils,  qui  parvint  en- 
suite à  la  couronne. 

Incklcer,  fils  de  Tertulle,  sénéchal  du  Gûtinais,  et  petit- 
fils  de  Torquat,  paysan  qui  vivait  de  la  chasse  et  de  fruits 
sauvages,  reçut  <lu  roi  Charles  le  Chauve,  vers  l'an  870, 
l'investiture  du  comté  d'Anjou  d'en  deçà  de  la  Mayenne. 
Adèle,  comtesse  de  Câlinais,  que  le  roi  Louis  le  Bègue  lui 
fit  épouser  en  878,  acheva  d'élever  ce  fondateur  d'une  race 
nouvelle  au  niveau  des  princes  les  plus  puissants  de  F^rance. 
Les  descendants  d'Ingelger  se  montrèrent  dignes  de  la  for- 
tune qi:e  leur  avait  léguée  leur  père.  Foulques  \",  son  fils 
et  son  successeur  en  888,  réunit  en  un  seul  gouvernement 
les  deux  comtés  d'Anjou.  FouLnur.sII,  son  fils,  comte  d'.-Vn- 
jou  en  938  ,  devait  être  un  prince  bien  téméraire  ou  bien 
puissant,  si,  comme  on  l'assure,  en  répondant  à  une  raille- 
rie du  roi  Louis  d'Outremer,  il  osa  lui  dire  :  qu''un  roi  il- 
lettré était  un  âne  couronné.  Geoffroi  F"",  son  fils,  comte 
d'.\njou  en  959,  surnommé  Grisegonelle  de  la  couleur  de 
sa  tunique,  secourut  Lothaire  contre  Othon  ,  roi  de  Ger- 
manie, qui  menaçait  Paris.  En  récompense  de  ses  services, 
Giisegonelle  reçut  du  roi  Lothaire  l'inléodation  au  comté 
d'.\njou,  pour  lui  et  ses  successeurs,  de  la  charge  de  séné- 
chal de  France,  alors  la  première  dignité  militaire  de  la 
couronne.  Fin  980  le  comte  d'Anjou  battit  Conan  le  Tort, 
comte  de  Rennes,  et  il  conquit  la  villeetle  territoire  de  Lou- 
dun  sur  Guillaume  Fier  à  Bras,  comte  de  Poitiers,  en  985. 
F'oir.QUES  m,  surnommé  Xerra  ou  le  Noir,  prince  qui 
ternit  la  plus  rare  valeur  i)ar  la  violence  et  la  fourberie,  suc- 
céda à  GeolTroi  l''"^  son  père  en  987.  Il  fut  heureux  dans 
toutes  ses  guerres  contre  ses  voisins.  Sa  puissance  était  si 
redoutable  que  le  roi  Robert  n'osa  pas  tirer  vengeance  du 
meurtre  de  Hugues  de  Béarnais,  son  favori,  que  Foulques 
fit  poignarder  à  la  chasse  sous  les  yeux  mêmes  du  monar- 
que. Les  abbayes  de  Bcaulicu,  de  Saint-Nicolas  et  du  Ron- 


ANJOU  —  ANKAllSTRŒM 

ccral  d'Angers,  tloivcnl  ItMir  fonilalion  aii\  remords  de  ce 
prince  sanguinaire.  Les  froquenîs  pèlerinages  qu'il  fit  h  la 
Terre  Sainte  pour  les  apaiser  lui  ont  fait  donner  le  surnom 
Ac  Jérosolymitain.  Au  retour  de  son  dernier  voyage,  il 
mourut  à  Metz,  le  21  juin  1040,  laissant  ses  Ktats  il  (".koi- 
moi  II,  surnommé  Martel,  son  fils.  Celui-ci  les  accrut  de 
la  ville  de  Toui-s  et  d'une  partie  de  la  Touraine,  que  lui 
donna  Henri  T"",  roi  de  France.  Mais  une  révolte  contre  c« 
prince  lui  coula  les  villes  d'Alençon  et  de  Domfront.  La 
guerre  opiniâtre  qu'il  fit  ensuite  à  Thibaut,  comlc  de  Blois, 
«  ut  plus  de  succès,  sans  qu'il  en  liràt  plus  d'avantages.  Ce 
comte,  qui  tut  le  dernier  de  la  race  d'ingclger,  fut  aussi  le 
seul  à  qui  la  fortune  se  montra  constanunent  contraire.  Il 
finit  ses  jours  en  labbaye  de  Saint-Nicolas  d'Angers,  le  14 
novembre  lOGO. 

Lnnengarde  d'.\njou,  fille  de  Foulques  Nerra,  avait  été 
mariée  à  Geoiïroi  Ferréol,  comte  de  Cliàteau-Landon  ou 
du  Gàtinais.  KUe  en  eut  deux  fils,  Geoffroi  III  et  Foll- 
QiES  IV  le  Ricbain,  à  qui  le  partage  des  États  du  comte 
Geoffroi  Martel,  leur  oncle ,  mit  les  armes  à  la  main  l'un 
contre  l'autre,  jusqu'à  ce  que  Foulques  le  Ricliain  eût  dé- 
pouillé entièrement  son  frère,  à  l'instigation  de  la  fameuse 
Bertiatle  de  Montfort,  qui  des  bras  de  l'oulques  était  pas- 
sée, par  un  enlèvement  concerté,  dans  ceux  du  roi  Philippe. 
Le  comte  d'.\njou  dtclara  la  guerre,  en  1 103,  à  Geoffroi  IV, 
son  propre  fils,  issu  d'un  premier  mariage  avec  Ermen- 
garde  de  Bourbon -l'Arcliambaud,  qu'il  voulait  priver  de 
ses  avantages  au  profit  de  Foclques  V,  issu  de  Bertrade 
de  .Montfort.  Le  succès  ne  couronna  pas  cette  odieuse  ini- 
quité. Les  triomphes  de  Geoffroi  le  réconcilièrent  avec  son 
père,  qui  perdit  en  lui  son  plus  ferme  appui,  lorsqu'il  fut 
tué  au  siège  de  Coadé  en  1106.  Foulques  V,  dit  le  Jeune, 
comte  d'Anjou  en  1109,  s'iUnstra  par  la  bataille  rangée 
qu'il  gagna  sous  les  murs  d'.\lençon,  en  1118,  contre  le  roi 
d'Angleterre  et  les  comtes  de  Blois.  Ce  comte  déploya  une 
grande  magnificence  dans  un  voyage  qu'il  fit  à  la  Terre 
Sainte  en  tl20.  Plus  tard,  il  contribua  à  chasser  les  Impé- 
riaux de  la  Champagne,  et  commanda  l'avant-garde  de  l'ar- 
mée française  dans  l'expédition  de  Louis  le  Gros  en  Auver- 
gne. En  1129  Foulques  passa  à  la  Terre  Sainte,  où,  veiTf 
«l'Eremberge,  comtesse  du  Maine,  il  épousa  en  secondes 
noces  Mélissende,  fille  aine  de  Baudoin  II,  roi  de  Jéru- 
salem, et  fut  créé  comte  de  Ptolémakie  et  de  Tyr.  Deux  ans 
après  il  succéda  à  son  beau-père  sur  le  trône  de  Jérusalem, 
régna  jusqu'en  1144  avec  gloire,  et  laissa  ce  trône  à  ses  fils 
issus  du  second  lit,  Baudoin  III  et  .\maury.  Le  pre- 
mier mourut  sans  enfants  en  1162.  Amaury  laissa  le  trône 
à  son  fils  Baudoin  IV  ;  la  lèpre  emporta  ce  prince  en  1186. 
Baudoin  de  Monforrat,  fils  de  Sibylle  d'Anjou,  sœur  de  Bau- 
doin IV,  lui  succéda  sur  le  trône  de  Jérusalem. 

Geoffroi  V,  dit  PI  an  ta  genêt  (parce  qu'il  ornait  son 
risque  d'un  genêt),  surnom  que  sa  race  a  immortalisé  dans 
l'histoire,  fils  aîné  de  Foulques  V  et  d'Eremberge  du  Maine, 
.succéda  à  son  père  dans  le  comté  d'Anjou,  en  1128.  Comme 
mari  de  Mathilde  d'Angleterre,  fille  du  roi  Henri  F'',  il  se 
porta  pour  héritier  de  ce  monarque  en  11. 35.  Mais,  prévenu 
par  Etienne,  comte  de  Boulogne,  qui  se  fit  reconnaître  roi 
d'Angleterre,  et  par  Thibaut,  cornte  de  Blois,  que  la  Nor- 
mandie appela  pour  la  gouverner,  il  se  vit  forcé  de  recourir 
aux  armes  pour  conquérir  son  héritage.  A  sa  mort,  en  1151, 
il  était  possesseur  de  cette  province.  La  couronne  d'Angle- 
terre revint  à  Henri  II,  son  fils,  qui  se  fit  couronner  à  West- 
minster le  19  décembre  1 1 54.  La  postérité  de  celui-ci  a  régné 
331  ans,  et  a  donné  quatorze  rois  à  l'.^ngleterre. 

Le  comté  d'Anjou  resta  attaché  à  la  couronne  d'Angle- 
terre, sauf  l'hommage  dû  aux  rois  de  France  jusqu'en  1246, 
où  Louis  IX  en  investit  son  frère  Charles,  cornte  de  Pro- 
vence ,  qui  fut  ensuite  roi  de  Naples.  L'aînée  des  filles  de 
Charles  II,  roi  de  Naples,  fils  de  Charles  F'',  nommée  Mar- 
guerite, porta  on  dot,  en   1290,  les  comtés  d'Anjou  et  du 


615 

Maine  h  Charles  ,  comte  de  Valois,  fils  puîné  du  roi  Phi- 
lippe le  Hardi.  Ces  provinces  passèrent  au  roi  Philippe  de 
Valois,  issu  de  leur  mariage,  puis  au  roi  Jean,  qui  en  1356 
en  investit  Louis,  son  second  fils,  avec  titre  de  duché-pairie. 
Ré4;ent  du  royaume  pendant  la  minorité  du  roi  Charles  VI, 
son  neveu,  il  racheta ,  par  d'éminents  services  rendus  à  la 
France  durant  la  guerre  contre  les  Anglais,  le  juste  reproche 
qu'on  lui  avait  fait  d'avoir  épuisé  le  trésor  pour  se  mettre, 
en  état  de  prendre  possession  du  royaume  de  Naples ,  que  la 
reine  Jeanne  T''  lui  avait  transmis  en  l'adoptant  pour  son 
héritier.  Louis  d'Anjou  mourut  de  chagrin  à  Biseglia,  près  de 
Bari,  le  20  septembre  1384.  Lolis  II,  son  fils,  lui  succéda  dans 
'e  duché  d'Anjou  et  les  comtés  du  Maine  et  de  Provence. 
Après  plusieurs  expéditions  en  Italie,  il  mourut  à  Angers,  le  29 
avril  1417.  Loiis  III,  son  fils  aîné,  mourut  à  Cosenza,  le  15 
novembre  1434,  au  moment  de  voir  couronner  ses  desseins. 
Son  frère,  René  d'Anjou  ,  à  qui  l'histoire  a  conseiTé  avec 
un  respect  religieux  le  surnom  de  bo7i  roi  René,  que  lui 
donnaient  ses  contemporains,  lui  succéda  dans  ses  États  et 
dans  ses  droits  au  trône  de  Sicile.  Ce  prince,  né  en  1409, 
après  avoir  perdu  Naples  et  l'Aragon ,  fut  encore  dépouillé 
de  son  duché  d'Anjou  par  le  roi  Louis  XL  II  mourut  à  Aix, 
le  10  juillet  1480.  René  laissait,  outre  Nicolas,  duc  de  Lor- 
raine, Yolande  d'Anjou,  mariée  à  Ferri  II  de  Lorraine, 
comte  de  Vaudcmont ,  et  ^larguerite  d'Anjou ,  femme  de 
Henri  VI ,  roi  d'Angleterre.  Celte  seconde  maison  d'Anjou 
s'éteignit  en  1481,  dans  la  personne  de  Charles  d'Anjou  ,  roi 
titulaire  de  Naples,  de  Sicile  et  de  Jérusalem,  comte  du 
jMaine,  fils  de  Charles  d'Anjou,  comte  du  Maine,  frère  du 
roi  René. 

Dès  l'année  1474  le  roi  Louis  XI  s'était  en  quelque  sorte 
saisi  du  duché  d'Anjou ,  en  mettant  garnison  dans  la  capi- 
tale. Il  le  réunit  définitivement  à  la  couronne  en  1480,  mal- 
gré les  réclamations  du  duc  de  Lorraine.  Depuis  cette 
époque  l'Anjou  ne  fut  plus  qu'un  titre  d'apanage  réservé 
aux  fils  puînés  de  nos  rois.  Les  quatre  fils  du  roi  Henri  II 
ont  porté  successivement  ce  titre ,  ainsi  que  deux  fils  de 
Louis  XIV  (morts  jeunes).  Philippe  V,  roi  d'Espagne,  et 
Louis  XV  étaient  titrés  ducs  d'Anjou  avant  leur  avènement 
au  trône.  Le  second  fils  de  Louis  XV,  mort  en  bas  ;'ige  en 
1733,  porta  encore  ce  titre.  LaLné. 

AJV JOU  (  Fka.nçois,  duc  d'  ) ,  quatrième  fils  de  Henri  II, 
né  en  1554,  porta  d'abord  le  titre  de  duc  d'Alençon.  11  assista 
dans  sa  jeunesse  au  siège  de  La  Rochelle.  A  la  mort  de 
Charles  IX,  à  l'instigation  du  parti  dit  des  politiques,  le 
duc  d'Alençon  tenta  d'écarter  du  trône  son  frère  Henri  III, 
alors  roi  de  Pologne  ;  mais  ses  desseins  échouèrent,  et  son 
favori  La  Mole  fut  décapité.  Après  avoir  passé  quatre  ans  en 
prison,  le  duc  d'Alençon  fut  mis  en  liberté,  et  se  plaça  à  la 
tète  de  la  noblesse  prolestante  du  royaume.  Cependant  il  ne 
tarda  pas  à  faire  sa  paix  avec  la  cour,  et  reçut  en  apanage  le 
Berri,  la  Touraine  et  l'Anjou.  La  guerre  civile  recommença 
en  1576,  et  cette  fois  le  duc  d'.\njou  combattit  ses  anciens 
alliés ,  et  leur  prit  la  Charité-sur-Loire  et  Issoire  en  Au- 
vergne. L'année  suivante  les  Flamands,  révoltés  contre 
Philippe  II,  l'appelèrent  à  leur  secours;  de  brillants  succès 
disposèrent  si  bien  les  esprits  en  sa  faveur  qu'il  fut  reconnu 
souverain  des  Pays-Bas.  Il  faillit  alors  é])ou.-er  la  reine 
Elisabeth.  î\Iais  sa  fortune  ne  fut  pas  de  longue  durée;  il 
Toulut  confisquer  les  libertés  de  la  nation  qui  l'avait  t  lu.  Une 
insurrection  générale  éclata  aussitôt;  les  écluses  qui  re- 
tiennent les  eaux  sont  ouvertes  et  ces  riches  provinces  ne 
sont  plus  qu'une  mer  immense  ;  F'rançois,  contraint  d'opérer 
une  retraite  précipitée,  perdit  la  plus  grande  partie  de  son 
armée.  Le  ciiagrm  qu'il  en  ressentit  abrégea  ses  jours  ;  il 
mourut  le  10  juin  1584. 

AXKARSTKOE^M  (  Jeax-Jacqles),  l'assassin  du  roi 
de  Suède  Gustave  111,  né  en  1761,  fils  d'un  lieutenant- 
colonel,  fut  admis  à  la  cour,  dans  sa  première  jeunesse,  en 
qualité  de  page,  et  entra  ensuite  dans  les  rangs  de  l'arméî. 


RI  6  a:<IvArstrœm 

Mais  (lès  l'année  l7S3il  aban<lonna  la  carric-re  militaire,  où 
déjà  il  était  parvenu  an  grade  de  capitaine,  et  se  retira  alors 
à  la  campagne,  où  il  se  maria.  A  un  caractère  violent  il 
joignait  des  mœurs  rudes  et  grossières,  et  témoignait  d'une 
hostilité  systérnati<iue  à  l'égard  de  toutes  les  mesures  adop- 
tées i)ar  le  roi ,  surtout  quand  elles  avaient  pour  but  de 
mettre  des  limites  à  la  puissance  du  sénat  et  de  Taristocratie. 
Par  suite  d'intrigues  auxquelles  il  prit  jiai  t  dans  l'île  de  Goth- 
land,  il  fut  impliqué,  en  1790,  dans  un  procès  de  lèse-ma- 
jesté ;  mais,  faute  de  preuves  sullisantes,  la  justice  dut 
prononcer  son  acquittement.  La  liaine  personnelle  qu'il  avait 
vouée  au  roi  s'accrut  encore,  à  cause  de  la  sévérité  avec  la- 
quelle on  en  agit  avec  lui  pendant  l'instruction  de  son  procès. 
11  revint  dans  cette  même  année  1790  à  .Stockholm,  où  il 
prit  part,  avec  le  général  de  Peehlin,  les  comtes  Horn  et 
Ribhing,  le  baron  Bielke,  le  lieutenant-colonel  Liijeliorn  et 
d'autres  encore,  à  un  complot  ayant  pour  but  d'attenter  à 
la  vie  du  roi.  .\nkarstrœm  réclama  l'honneur  d'être  chargé 
de  l'exécution  de  la  sentence  de  mort  prononcée  contre 
Gustave;  mais  Ribbing  et  Horn  le  lui  disputèrent.  On  con- 
vint de  s'en  rapporter  au  sort,  et  le  sort  décida  en  faveur 
d'Ankarstrœm.  En  1792,  le  roi  ayant  convoqué  la  diète  du 
royaume  à  Gellè ,  les  conjurés  s'y  rendirent ,  dans  l'espoir 
d'exécuter  leur  projet;  mais  ils  n'en  trouvèrent  pas  l'occa- 
sion. Il  leur  fallut  attendre  jusqu'au  15  mars,  où  l'on  savait 
que  le  roi  irait  au  bal  masqué.  Ankarstrœm  tira  un  coup  de 
pistolet  au  roi,  (ju'il  blessa  mortellement.  Reconnu  et  arrêté, 
il  avoua  son  crime,  mais  se  refusa  courageusement  à  ré- 
véler les  noms  de  ses  complices.  Condamné  à  mort  le  29 
avril  1792,  il  fut  d'abord  fouetté  de  verges  pendant  plusieurs 
jours  de  suite,  puis  conduit  en  charrette  à  l'échafaud.  Pen- 
dant tout  le  trajet  il  fit  preuve  d\i  plus  grand  calme,  et 
jusqu'au  dernier  moment  se  vanta  de  son  crime  comme 
d'un  acte  glorieux. 

AXKYLOSE  (  du  grec  ày/.O/o;,  courbe  ).  Les  méde- 
cins donnent  ce  nom  à  une  maladie  des  articulations  ,  con- 
sistant en  une  roideur  qui  s'oppose  aux  mouvements  natu- 
rels à  ces  parties ,  comme  si  les  os  n'étaient  plus  que  d'une 
seule  pièce.  C'est  une  ossification  des  jointures ,  produite 
tantôt  par  l'Age,  tantôt  par  une  disposition  particulière,  et 
qui  les  rend  inunobiles.  Il  y  a,  du  reste,  des  degi'és  dans 
cette  maladie,  qui  peut  être  complète  ou  incomplète. 
Quand  elle  est  complète  ou  vraie,  c'est-à-dire  lorsque  toutes 
les  articulations  s'ossilient ,  et  que  le  patient  est  pour  ainsi 
dire  pétrifié  de  son  vivant ,  il  est  sans  doute  inutile  de  dire 
que  l'art  n'a  point  de  ressources  pour  combattre  une  pa- 
reille affection.  Tout  ce  qu'il  peut  faire,  c'est  de  la  diriger 
dans  le  sens  le  moins  iftcommode  :  par  exemple ,  si  c'est 
aux  membres  inférieurs  qu'elle  se  fixe ,  on  cherchera  à  la 
diriger  dans  le  sens  de  l'extension  ;  si  c'est  aux  membres 
supérieurs,  dans  celui  de  la  flexion.  Quand  elle  est  incomplète 
ou  fausse,  elle  est  causée  par  l'épaississement  de  la  sy- 
novie dont  les  articulations  sont  enduites.  A  la  suite  d'in- 
flammations aiguës  et  chroniques,  ce  liquide  s'endurcit 
quelquefois  comme  du  plâtre,  et  colle  les  os  ensemble.  Les 
cas  les  plus  ordinaires  se  pré.sentent  en  effet  à  la  suite  de 
plaies,  de  contusions,  de  luxations  ou  bien  de  rhumatismes 
aigus  ou  chroniques  ;  souvent  aussi  après  une  longue  inac- 
tion à  laquelle  un  membre  s'est  trouvé  condamné  par  .suite 
d'une  fracture  ou  d'un  accident.  Le  remède  à  appliquer  alors 
dépend  des  causes  qui  ont  amené  l'ankylose;  on  peut  dire 
cependant  en  général  que  les  bains  tièdes,  les  fomenta- 
tions émollientes ,  les  douches  de  vapeur  simples  et  com- 
posées, les  tractions  modérées,  sont  avantageuses  pour 
rendre  aux  articulations  leur  élasticité  première.  Laléno- 
1 0  m  i  e  et  l'extension  forcée  ont  été  employées  aussi  dans  ces 
-ilerniers  temps. 

AX\  A  PEREX  A'  \,  nymphe  du  fleuve  Numicus,  dont 
le  cuite  parmi  les  Latins  remontait  à  une  haute  anti- 
quité. Plus  tsrd ,  quand  le  peuple  romain ,  pour  se  dérober 


—  ANNALES 

à  la  tyrannie  des  patriciens,  se  vit  forcé  de  se  retirer  sur 
le  mont  Sacré ,  il  crut  voir  cette  nymphe  dans  une  vieille 
femme  qui  avait  apporté  secrètement  des  vivres  au  camp  ; 
et,  de  retour  dans  la  ville,  on  institua  en  son  honneur 
une  fête  qui  tombait  le  15  mars.  A  une  époque  postérieure 
on  confondit  cette  Anna  Perenna  avec  .\nne,  sœur  de  Uidon  ; 
et  on  imagina  la  légende  suivante  :  Lorsque  Uidon  eut  mis 
fin  à  ses  jours,  Hiarbas  s'empara  de  Carthage  ;  et  sa  sœur 
Anne  fut  forcée  de  prendre  la  fuite.  D'abord  elle  se  réfu- 
gia auprès  du  roi  Battus,  dans  l'ile  de  Malte;  mais  elle  n'y 
fut  pas  longtemps  en  sûreté,  son  frère  Pygmalion ,  roi  de 
Tyr,  ayant  menacé  Battus  de  la  guerre.  Elle  prit  donc  de 
nouveau  la  fuite,  et  après  une  foule  de  traverses,  arriva 
en  vue  des  côtes  du  Latium.  A  peine  y  fut-elle  débarquée 
que  son  bâtiment,  demeuré  à  l'ancre,  s'engloutit  et  dis- 
panit  dans  les  flots.  Énée,  qui  était  déjà  roi,  l'aperçut,  et 
.\chates  accourut  bien  vite  lui  ajiprendre  quelle  était  l'é- 
trangère. Il  l'accueillit  dans  son  palais  avec  un  empresse- 
ment tel ,  qu'elle  ne  tarda  pas  à  y  exciter  la  jalousie  de  La- 
vinie,  qui  songea  à  se  débarrasser  d'elle  à  tout  prix  et  même 
par  le  meurtre.  Didon  apparut  alors  en  songe  à  sa  sœur, 
et  l'instruisit  des  dangers  qui  la  menaçaient.  Anne  prit  aus- 
sitôt la  fuite;  mais,  par  suite  de  l'obscurité  de  la  nuit ,  elle 
tomba  dans  le  lleuve  ÎSumicus ,  où  elle  se  noya  ;  et  Enée , 
s'étant  mis  le  lendemain  matin  à  sa  recherche,  entendit 
sortir  du  fleuve  une  voix  qui  lui  .••.p[irit  qu'Anne  était  de- 
venue nymphe  du  Numicus,  sous  le  nom  d'Anna  Perenna. 

Une  fois  passée  ainsi  demi-déesse ,  Anna  Perenna  prit  la 
vie  du  bon  côté ,  et  joua  force  tours  aux  immortels.  Par 
exemple,  ayant  un  jour  promis  à  Mars  de  le  réconcilier  avec 
Minerve ,  et  même  de  lui  faire  obtenir  ses  faveurs  ,  elle  prit 
la  grave  figure  de  la  déesse  de  la  sagesse ,  et ,  à  l'aide  de 
ce  déguisement ,  reçut  les  embrassements  du  fils  de  Jupiter. 
Anna  Perenna  devint  donc  la  divinité  tutélaire  des  joyeux 
vivants  :  aussi  sa  fête,  qui  attirait  une  foule  immense  au 
Champ  de  Mars ,  et  dont  Ovide  nous  a  laissé  une  descrip- 
tion envers  pleine  de  grâce,  était-elle  l'une  des  plus  gaies 
de  Rome.  Ordinairement  on  prédisait  à  celui  qui  faisait 
des  libations  en  l'honneur  d'Anna  Perenna  autant  d'an- 
nées à  vivre  encore  qu'il  pourrait  vider  de  coupes  à  l'inten- 
tion d'une  nymphe ,  véritable  type  de  la  bonne  fille  de 
notre  Béranger.  De  là  cette  expression  proverbiale  :  Com~ 
mode  perennare,  qui  revient  à  cette  formule  philosophique 
si  vantée  aujourd'hui  dans  im  certain  monde  :  Faire  la  vie 
courte  et  bonne. 

Aj\'iVABERG,  ville  de  Saxe,  située  dans  l'Erzgebirge, 
près  du  Bilberg,  a  un  lycée,  une  bibliothèque  de  15,000 
volumes,  plusieurs  beaux  édifices,  entre  autres  l'église  de 
Sainte-Anne,  bâtie  de  1499  à  1525  :  c'est  un  des  temples  pro- 
testants les  plus  richement  décorés  qui  existent.  Fondée  par 
le  duc  Albert,  en  1496,  elle  possède  644  maisons,  avec  8,000 
habitants,  qui  longtemps  ont  vécu  presque  exclusivement 
du  produit  de  leurs  mines;  mais  insensiblement  sa  fabrica- 
tion de  dentelles,  de  passementerie,  de  rubanerie,  de  tulles, 
de  gazes ,  de  soieries ,  de  mérinos  ,  de  tricots ,  ses  teintu- 
reries, ses  brasseries  ont  pris  la  place  de  cette  branche  d'in- 
dustrie, devenue  beaucoup  moins  lucrative.  Les  mines  en 
question  sont  d'étain ,  de  fer,  d'argent  et  de  cobalt. 

AjVXALES.  On  a  longtemps  confondu  les  annales 
avec  l'histoire,  les  chroniques,  les  fastes;  mais  la 
valeur  respective  de  ces  mots  est  aujourd'hui  parfaitement 
déterminée.  On  appelle  annales  la  simple  relation  das  évé- 
nements faite  année  par  année  sans  les  rattacher  les  uns 
aux  autres  dans  les  périodes  qui  les  embrassent.  Tacite 
donnait  le  nom  d'annales  au  récit  des  siècles  passés ,  et  ré- 
senait  le  nom  d'histoire  pour  les  faits  contemporains  ;  mais 
Aulu-Gelle  jtense  que  l'histoire  et  les  annales  diffèrent  entre 
elles  connue  le  genre  et  l'espèce ,  et  définit  celles-ci  à  peu 
près  connue  on  l'entend  généralement  à  présent.  L'opinion 
de  cet  écrivain  ne  fait  d'ailleurs  que  reproduire  celle  de 


ANNALES • 

Cicéron.  Celui-ci  ajoutait  mi*me  que  l'histoire  avait  dû  coiti- 
nicncor  par  une  collection  d'annales.  Ce  sont  en  effet  à 
proprement  parler  les  documents  de  l'iiisfoire.  L'annaliste 
enregistre  les  faits  sans  se  préoccuper  d'autre  chose  que  de 
l'exactitude  et  de  l'ordre  chronologique;  l'œuvre  de  l'his- 
torien est  d'un  ordre  plus  élevé.  A  l'aide  d'une  philosophie 
éclairée  ,  d'une  critique  impartiale  et  sévère ,  il  groupe  les 
faits,  en  montre  l'enchaînement ,  apprécie  les  hommes  et 
les  choses ,  et  de  la  science  du  passé  fait  l'enseignement 
de  l'avenir.  Quoi  qu'en  ait  dit  Yollaire  ,  toutes  les  nations 
ont  eu  des  annales. 

Les  plus  anciennes  annales  sont  celles  de  la  Chine;  elles 
remontent  jusqu'au  régne  de  Fohi,  l'an  3.131  avant  l'ère  chré- 
tienne, ou  plusieurs  siècles  avant  le  déluge.  Chez  les  égyp- 
tiens leurs  prêtres  étaient  chargés  d'écrire  les  annales.  Hé- 
rodote et  Diodore  de  Sicile  les  consultèrent  avec  le  plus 
grand  profit.  Le  même  usage  existait  chez  les  Hébreux  et  les 
Chaldéens,  qui  écrivaient  sur  des  briques  cuites  leurs  obser- 
vations astronomiques.  Les  fameux  marbres  du  comte  d'A- 
rundel ,  découverts  dans  lîle  de  Paros  au  commencement 
du  dix-huitième  siècle,  contenaient  les  annales  des  Athé- 
niens. A  Piome  c'était  le  grand  pontife  qui  était  chargé  de 
rédiger  les  mmales  oufastcs.  Les  Péruviens,  qui  ne  connais- 
saient point  l'écriture ,  enregistraient  les  faits  de  leur  histoire 
au  moyen  de  cordelettes  nouées.  Voltaire  fait  observer  à  ce 
propos  qu'avec  ce  procédé  ils  ne  pouvaient  guère  entrer 
dans  de  grands  détails;  cette  critique  est  plus  spirituelle  que 
juste,  puisque  ces  nœuds  formaient  pour  eux  un  véritable 
alphabet.  Les  Mexicains  se  servaient  pour  le  même  objet 
de  plumes  de  différentes  couleurs  figmant  de  véritables 
tableaux.  Les  nations  modernes  doivent  les  plus  beaux  tra- 
vaux de  leurs  historiens  aux  humbles  écrits  des  moines  , 
ces  annalistes  du  moyen  âge.  Parmi  ceux-ci  Grégoire  de 
Tours,  Saxo  Grammaticus,  Adam  de  Brème  et  Nestor  mé- 
ritent d'être  cités  plus  particulièrement. 

ANXAM  ou  AIVÀ.M ,  empire  de  la  côte  orientale  de 
la  presqu'ile  de  l'Inde  qui  s'est  formé  vers  le  milieu  du  dix- 
huitième  siècle  des  royaumes  de  Tonkin  et  de  la  Cochin- 
chine,  jadis  séparés  et  pour  la  plus  grande  partie  soumis  à 
la  Cliine ,  de  certaines  portions  de  l'ancien  royaume  de 
Camboge,  ainsi  que  de  Champa  et  du  territoire  de  I\Ioï. 
On  évalue  sa  superficie  totale  à  environ  cinq  mille  trois  cents 
myriamètres  carrés.  11  est  borné  au  nord  par  les  provinces 
chinoises  de  Kouaoung  ,  Kouangsi  et  Junnm ,  à  l'ouest  par 
le  territoire  de  Laos,  par  Siam  et  un  reste  de  Camboge ,  au 
sud  et  à  l'est  par  la  mer  de  la  Chine  méridionale.  Le  i\Iay- 
kaung  le  parcourt  du  nord  au  sud ,  et  forme  à  son  embou- 
chure un  immense  delta.  Le  plus  grand  fleuve  qu'on  y 
trouve  ensuite  est,  au  nord-est,  le  SangKoï.  Une  des  chaînes 
de  montagnes  malaies  s'étend  à  travers  la  partie  septentrio- 
nale d'Annam  jusqu'aux  frontières  occidentales  du  pays, 
dont  elle  occupe  au  sud  l'intérieur,  en  n'envoyant  çà  et  là 
(jue  quelques  ramifications  latérales  vers  la  côte  dont  le  sol 
est  presque  constamment  plat.  La  chaleur,  qui  devrait  être 
pour  le  climat  d'Annam  le  résultat  de  sa  situation  tropicale , 
entre  le  tropique  du  Cancer  et  le  neuvième  parallèle ,  est 
tempérée  par  l'induence  rafraîchissante  de  la  mer  dune  ma- 
nière aussi  agréable  que  favorable  à  la  plus  magnifique  vé- 
gétation. Tout  ce  pays  est  sujet  aux  moussons.  Celle  du  sud- 
ouest,  qui  règne  d'avril  à  octobre,  y  amène  les  pluies;  celle 
du  nord-est ,  qui  souffle  d'octobre  à  avril ,  y  produit  la  sé- 
cheresse. Mais  la  partie  nord-ouest  est  exposée  aux  terri- 
bles dcvastidions  des  typhons,  ouragans  particuliers  aux 
mers  de  la  Chine.  Le  règne  minéral  y  offre  ,  outre  les  mé- 
taux précieux,  du  cuivre,  du  fer  et  de  l'étain.  Kn  fait  de 
produits  du  règne  végétal,  il  faut  mentionner  le  riz,  le  maïs, 
la  racine  d'yam,  un  grand  nombre  d'arbres  à  fruits  et  d'é- 
pices.  Le  commerce  recherche  jilus  particulièrement  la  can- 
nelle, le  poivre,  le  coton,  le  bois  d'aloès  à  cause  de  son  par- 
tum  et  les  bois  de  charpente  d'Annam.  On  trouve  en  outre 

UICT.    UE    LA   l,O.N\tK;vnI;!.N.    —    T.    1. 


AX>'AT!:S  617 

dans  l'intérieur  du  pays  l'arbre  à  vernis  et  l'arbre  à  gomme 
putte.  Le  règne  animal  présente  surtout  de  beaux  élépliants, 
des  tigres ,  des  rhinocéros ,  des  chèvres  musquées  et  des 
bufllcs;  mais  les  chevaux  y  sont  d'une  très-petite  race.  La 
cullure  de  la  soie  y  est  extrêmement  florissante. 

Les  habitants,  désignés  sous  le  nom  générique  d'Anna- 
mites, sont  pour  la  plus  grande  partie  d'origine  mongole, 
et  c'est  seulement  vers  le  sud  qu'on  les  trouve  mélangés  de 
Malais.  Ils  se  distinguent  entre  tous  les  autres  peuples  de 
l'Asie  par  leur  taille  exiguë  et  ramassée,  par  la  beauté  de 
leurs  formes  et  la  rondeur  de  leurs  têtes.  Les  voyageurs 
s'accordent  à  représenter  le  caractère  général  de  cette  na- 
tion conmie  gai,  bon  et  affable.  La  plupart  des  tribus  font 
profession  de  bouddhisme;  mais  il  en  est  aussi  qui  profes- 
sent la  religion  de  Cmfucius.  Leurs  prêtres  {talapoins) 
lonacnt  une  classe  inférieure  et  peu  estimée.  La  langue  des 
Annainitesest  monosyllabique,  et  ressemblepour la  construc- 
tion comme  pour  le  caractère  à  celle  des  Chinois.  Ils  n'ont 
point  de  littérature  pro[)re.  En  ce  (pu  touche  le  développement 
industriel  dos  Annamites,  on  reconnaît  partout  chez  eux 
l'influence  chinoise,  de  même  qu'une  aussi  grande  aptitude 
que  les  Chinois  à  tous  les  travaux  d'arts,  quoiqu'ils  ne  l'exer- 
cent pas  au  même  degré.  D'ailleurs,  malgré  les  nombreux 
éléments  de  richesse  fournis  par  le  sol,  le  commerce  y 
est  sans  activité  et  se  borne  à  quelqties  relations  avec  la 
Cliine ,  Siam  et  les  ports  anglais  du  détroit  de  Malakka.  Le-s 
principales  villes  commerciales  de  l'empire  d'Annam  sont 
Kan.gkao,  Saïgoun,  capitale  du  Camboge,  iNathrang , 
IMiouyen,  Qouinhone  ,  Faïfo  ,  Hue,  capitale  de  la  Cocliin- 
cliine ,  et  Kéclio ,  capitale  du  Tonkin. 

Le  gouvernement  d'Annam  est  basé  sur  le  despotisme  le 
plus  absolu.  L'empereur,  père  de  tous  ses  sujets,  en  est  aussi 
le  souverain  maiire.  Il  reçoit  d'ordinaire  l'investiture  de 
l'empereur  de  la  Chine,  bien  qu'il  roit  complètement  in- 
ilèpendant.  Le  nom  d'.4HHrt»n  veut  dire  le  Sud  paisible.  En 
1831 ,  l'empereur  d'Annam,  dont  le  père  avait  autrefois  sol- 
licilé  l'alliance  de  la  France,  se  mit  à  persécuter  les  chré- 
tiens. Depuis,  un  grand  nombre  de  missionnaires  subirent 
le  martyre.  La  France  réclama  à  plusieurs  reprises  ;  enfin,  en 
1858,  elle  entreprit,  de  concert  avec  l'Espagne,  une  expé- 
dition contre  cet  empire  {voyez  Coculnchine].  * 

AIWAPOLIS.  Il  y  a  deux  villes  de  ce  nom  dans  l'A- 
mérique du  Nord.  —  L'une,  bâtie  sur  les  bords  de  la  Foun- 
dibay,  est  une  place  forte  du  gouvernement  anglais  de  la 
Nouvelle-Ecosse.  Elle  est  peuplée  île  1,200  habitants.  Jus- 
qu'en 1710  elle  avait  porté  le  nom  de  Port-Royal,  et  avait 
appartenu  aux  Français.  Prise  d'assaut  celte  année-là  par 
les  Anglais,  elle  reçut  des  vainqueurs  le  nom  iV Anyiapolis , 
en  l'honneur  de  leur  reine  Anne; et  le  traité  de  paix  d'U-- 
trecht  en  consacra  solennellement  la  cession  à  l'Angleterre 
par  la  France.  Une  rivière  du  même  nom,  qui  se  jetff  dans 
la  baie,  a  un  cours  extrêmement  rapide,  et  rend  l'entrée 
de  son  port  assez  dangereuse  aux  bâtiments  d'im  fort  ton- 
nage. —  L'autre  <4«napo/t5,  capitale  de  l'État  de  Maryland, 
est  bâtie  sur  une  presqu'île  à  l'embouchure  de  la  Severn  dans 
la  baie  de  Chesapeake.  Sa  population  est  de  3,000  âmes,  et 
elle  possède  un  théâtre ,  ainsi  qu'une  banque.  Son  liôlel'de 
ville  est  un  des  plus  beaux  édifices  de  ce  genre  en  Amérique. 
AVIVATES,  revenus  annuels  que  le  pape  prélève  sur 
chaque  prébende  dont  il  donne  l'investiture.  On  distinguait 
quatre  espèces  d'annates  :  l'annate  proprement  dite  était 
celle  qu'on  percevait  sur  tous  les  bénéfices ,  à  l'exception 
des  évêchés  et  des  bénéfices  consistoriaux  ;  Yarinnte  com- 
mune était  la  redevance  payée  ,  conformément  à  im  ancien 
règlement,  par  les  évêchés  et  les  bénéfices  consistoriaux. 
La  moitié  du  produit  était  attribuée  exclusivement  au  pape  ; 
l'autre  moitié  revenait  au  sacré-collége.  On  appelait /)^^(/e 
(iniirdecxtWo.  qui  consistait  dans  une  légère  fraction  addition- 
nelle à  l'annate  <les  évêchés  et  des  bénéfices  consistoriaux  ; 
elle  était  distinéc  à  quelques  officiers  du  j'ape.  Ijilin,  use 

7» 


GIS 


ANKE 


biillt;  Ju  pnjw  Paul  11  ayant  ordonné  que  iwnrles  l)(5néfices 
unis  à  (juelque  communauté,  les  annatcs  seraient  payées  de 
quinze  ans  en  quinze  ans,  cette  dernière  annate  fut  nommée 
unnatc  de.  quinze  ans. 

Le  concile  de  liàle  avait  ûié  aux  souverains  pontifes  le 
«Iroit  d'annates,  (pii  leur  fut  rendu  par  les  concnrdata  tjcr- 
manica.  Ce  droit  date  du  quatorzième  siècle.  11  existe  dans 
la  chancellerie  de  la  cour  [lontiiicale  de  Rome  une  taxe  gé- 
nérale des  revenus  de  tontes  les  préhendes.  —  Ce  (ut 
Jean  XXII  qui  introduisit  les  Annatcs  en  France,  vers  1320; 
IJonil'ace  IX  conlirma  ce  droit  par  une  sentence  décrétale. 
Clément  VII  ordonna  que  la  moitié  du  revenu  de  tous  les 
bénéfices  de  France  serait  réservée  au  sié^c  papal  et  à 
l'entretien  des  cardinaux.  Une  ordonnance  de  Charles  VI, 
de  Tan  i:;S5,  abolit  pour  la  première  fois  cette  coutume, 
qui  lut  à  i)lusieurs  fois  remise  en  vigueur ,  puisque  saint 
Louis ,  par  l'article  5  de  la  célèbre  Piaguiaticiue,  prononça 
contre  elle  une  abolition  qui  fut  renouvelée  par  un  arrêt  du 
parlement,  le  11  septembre  1406.  Des  lettres  patentes  l'a- 
vaient rétablie  en  lôG2,  et  elle  avait  subsisté  jusqu'à  l'épo- 
que (le  la  révolution  franvaise ,  lorsque  les  lois  des  11  août 
et  21  septembre  178'.)  viiuent  prononcer  l'abolition  délinitive 
de  ce  droit  en  France.  Voijcz  Biens  Ecci.F.siAsriQUii:s. 

Depuis  le  concorilut  du  18  germinal  an  X  on  paye  tou- 
jours une  certaine  somme  à  la  cour  de  Rome,  pour  l'expédi- 
tion des  bulles  des  ecclésiastiques  promus  à  des  archevêchés, 
à  des  évéchés,  ou  au  cardinalat. 

Ai\i\E  (Sainte),  fille  de  Matban,  prêtre  de  Bethléem, 
de  la  l'ainille  d'.Varon,  ayant  épousé  saint  Joachim,  devint 
mère  de  la  sainte  Vierge,  après  vingt-deux  ans  de  stérilité. 
Ce  sont  les  seuls  détails  cpie  l'on  possède  sur  cette  sainte, 
dont  le  nom  hébraïque,  Cliannah,  signilie  r/racicuse.  Des 
auteurs  sacrés  prétendent  qu'elle  se  remaria  deux  fois ,  la 
première  avecCléophas,  dont  elle  eut  une  fdlenommée  Marie, 
femme  d'Alphée,  et  mère  de  saint  Jacques  le  Mineur;  la  se- 
conde avec  Salomé,  dont  elle  eut  une  autre  ."^îarie,  qui  épousa 
Zébédée  et  le  rendit  père  de  saint  Jacques  le  Majeur  et  de  saint 
Jean  l'Évangéliste.  La  mémoire  de  sainte  Anne  fut  honorée 
en  Orient  des  les  premiers  siècles  du  christianisme.  L'em- 
pereur Justinien  plaça  sous  son  invocation  plusieurs  églises 
qu'il  avait  fondées.  Sa  fête  ne  s'introduisit  que  beaucoup 
plus  laid  en  Occident ,  oii  eile  n'était  pas  encore  célébrée 
nu  temps  de  saint  Bernard.  Le  jour  qui  lui  est  consacré  varie 
avec  les  diocè;^es,  et  se  trouve  le  23 ,  le  26  ou  le  28  juillet. 
On  assure  qu'en  710  son  corps  fut  apporté  de  la  Palestine  à 
Constanlinople,  et  plusieurs  églises  se  glorifient  de  posséder 
de  se;  reliques  ;  mais  ces  prétentions  ne  sont  pas  plus  justi- 
fiées que  les  autres  récits  consignés  dans  les  légendes  rela- 
tives à  celte  sainte. 

AiWE  (Ordre  de  SA1ISTE-).  Cet  ordre  russe ,  aujour- 
d'hui très-commun,  appartenait  primitivement  au  Holstein. 
11  avait  été  loadé,  le  3  février  17:îr),  par  Charle.s-Frédéric, 
duc  de  llolstein-Gottorp,  en  l'honneur  de  la  duchesse,  son 
s^pouse,  Anne,  fille  de  Pierre  le  Grand  et  de  l'impératrice 
Anne  Ivaiiovna,  alors  régnante.  Il  passa  en  Russie  avec 
Pierre  Fudorovitcli,  fils  du  duc,  et  nous  trouvons  dès  1742 
l'impératrice  Llisabeth  le  conférant  au  fils  du  lèld-maréclial 
Chérémelief.  Cependant,  il  continuait  à  être  considéré 
comme  ordre  étranger.  Sous  Catherine  II  le  grand-duc  Paul 
i-n  ét;iit  le  dispensateur.  Ce  ne  fut  que  lorsqu'il  parvint  réel- 
lement à  l'empire,  en  17i)«,  (pi'il  l'admit  au  nombre  des  ordres 
russes.  An  commencement  l'ordre  de  Sainte-Anne  n'avait 
qu'une  seule  classe,  (îe  quinze  chevaliers  ;  maintenant  il  se  di- 
vise en  quatre  classes  et  même  en  cinq  si  l'on  fait  entrer  en 
ligne  decouqite  celle  des  simples  soldats,  qui  reçoivent  une 
décoration  modiliéc.  La  croix  est  rouge  et  émaillée.  On  la 
suspend  à  un  ruban  également  rouge,  liseré  de  jaune.  Au 
milieu  de  la  plaque,  que  Ton  porte  à  droite,  se  dessine  une 
«Toix  rouge,  avec  cctic  devise  :  Amanlibus  intlalcm,  jas- 
iUïam,Jid(.'m. 


ANXE  COAÏ^^E^^!:,  fillc  de  l'empereur  de  Constant}- 

no[)le  Alexis  Comnène  V^.  Voyez  Com.^ène. 

ANXE  DE  DEAUJEU,  fille  de  Louis  XI,  épouse  du 
seigneur  de  Heaujeu.  l'oyes  Beaujeu. 

ANNE  DE  BRETAGNE ,  reine  de  France.  —  Fille 
unique  de  François  H  ,  duc  de  Bretagne  ,  et  de  Marguerite 
de  Foix,  elle  naquit  à  Nantes,  le  2G  janvier  147C.  Elle 
n'avait  (pie  cinq  ans  lorsqu'elle  fut  fiancée  eu  1480  à 
Edouard ,  prince  de  Galles  ,  fils  d'Edouard  IV  ,  roi  d'Angle- 
terre ;  ce  jeune  prince  ne  comptait  que  neuf  ans.  Il  fut 
assassiné  deux  ans  après  par  le  duc  de  Glocester,  son  oncle, 
qui  s'empara  du  trône,  et  prit  le  nom  de  Richard  111.  La 
petite  princesse  Anne ,  reine  future  de  l'Angleterre ,  se 
trouva  ainsi  veuve  h  sept  ans. 

Le  duc  François  II  confia  son  éducation  à  la  dame  de 
Laval,  qui  se  montra  digne  de  ce  choix.  Aune  pouvait  pré- 
tendre auï.  plus  brillantes  alliances.  A  peine  àgce  de  treize 
ans,  elle  se  vit  recherchée  par  plusieurs  princes,  entre  lesquels 
on  distinguait  Alain,  sire  d'Albret,  le  duc  d'Orli'ans,  qui 
fut  depuis  le  roi  Louis  Xll,  Maxiinilien  d'Autriche,  roi  des 
Romains,  héritier  présomptif  de  l'Empire,  et  le  jeune  comte 
de  Richmond ,  dernier  rej^jîon  de  l'illustre  et  malheureuse 
maison  de  Lancastre.  Le  duc  d'Orléans  ,  premier  prince  du 
sang  de  la  mai.son  de  France,  ne  dut  qu'à  lui-même  la 
préférence  sur  tous  ses  rivaux.  11  était  aimé.  Cette  albance 
entrait  parfaitement  dans  les  convenances  et  surtout  dans 
les  affections  du  duc  François,  ami  de  tous  les  ennemis  de 
la  famille  régnante  de  France.  Si  Anne  n'avait  consulté  que 
son  cœur,  le  duc  d'Orléans  l'eût  dès  lors  emporté  ;  mais 
l'ambition,  le  vœu  des  états  de  Bretagne,  l'extrême  désir 
qu'éprouvait  la  princesse  de  perpétuer  la  souveraineté  de 
Bretagne  dans  sa  maison  firent  tourner  la  chance  en  faveur 
de  l'archiduc  Maximilien,  (pii  l'épousa  par  procureur, 
en  1490.  Cette  seconde  alliance  eut  le  .sort  delà  première; 
elle  resta  sans  elfet,  et  la  Bretagne  échappa  à  la  maison 
d'Autriche. 

Après  le  traité  de  Coiron  et  la  mort  du  duc  François , 
Anne  se  trouva  maîtresse  de  sa  principauté  et  de  son  cu-ur. 
Le  duc  d'Orléans  fut  encore  contraint  de  sacrifier  ses  plus 
chères  espérances  :  Charles  VIII,  qui  avait  fait  S(>s  disposi- 
tions pour  se  rendre  maitre  de  la  Bretagne,  demanda  la 
main  de  la  princesse  Anne.  La  réunion  de  la  Bretagne  à  la 
l'rance  fut  une  des  conditions  de  ce  mariage.  La  paix  de 
cette  province  et  de  la  France  en  devint  l'heureux  résultat. 
Le  contrat  et  la  célébration  nuptiale  curent  lieu  à  Langeai 
en  Touraine,  le  16  décembre  1491.  La  noblesse  de  Bretagne 
aurait  préféré  lui  donner  pour  époux  l'arcliiduc  Maximilien; 
nuiis  en  refusant  Charles  VIII  Anne  eiit  exposé  cette  belle 
province  à  être  conquise  et  morcelée. 

Ce  mariage  rendit,  aux  Bretons  la  paix  et  l'espoir  d'un 
meilleur  avenir.  Anne,  après  la  célébration  nuptiale,  ac- 
compagna son  époux  au  Plessis-lès-Tours,  où  ils  séjournè- 
rent quel(iue  temps;  chaque  jour  élait  marqué  par  de  nou- 
velles fêles.  Leur  marche  de  Tours  à  Paris  fut  triomphale, 
La  cérémonie  du  sacre  de  la  jeune  reine  fut  célébrée  à  Saint- 
Denis  ,  le  8  février  1492.  «  Il  la  faisait  bon  voir,  dit  Saint- 
Gelais,  historien  contemporain;  car  elle  était  grande,  belle, 
jeune  et  pleine  de  si  bonne  grâce  (pie  l'on  prenait  plaisir  à 
la  regarder.  On  ne  lui  reprochait  tout  bas  qu'un  léger  défaut 
physique  ;  elle  éiait  un  peu  boiteuse.  »  Le  lendemain  elle 
fit  son  entrée  à  Paris  ,  et  prit  le  titre  de  reine-duche.sse.  Elle 
ne  vit  pas  sans  chagrin  beaucoiq)  de  Bretons  dans  le  cortège 
et  dans  les  groupes  qui  se  pressaient  sur  son  passage.  La 
réunion  de  la  Bretagne  à  la  France  élait  consommée  ;  mais 
tout  ce  qui  rappelait  cet  événement  lui  élait  pénible.  Elle 
considérait  toujours  ;es  Bretons  comme  une  nation  étran- 
gère à  la  France,  et  toute  sa  conduite  fut  la  conséquence 
de  celle  conviction. 

Cependant  la  mort  du  dauphin  son  fils  avait  rapproché  le 
duc  d'Orléans  du  IriJne.  La  joie  <i!t'il  laissa  éclater  à  cette 


ANNE 
occasion  (<fait  une  insulte  h  la  douleur  d'une  mère.  Peut- 
*tre  la  roine  se  fromiia-t-cllc  sur  les  Ti^ritables  intentions 
du  duc ,  plus  calant  qu'ambitieux.  Mais  Anne  ne  savait 
aimer  ni  hair  faililemcnt.  Mlle  cmiiloya  tout  son  ascendant 
sur  le  roi  pour  lui  rendre  le  duc  d'Orlc^aus  suspect.  Les 
choses  en  vinrent  au  point  que  le  duc  so  crut  obli-ié  de  se 
justilicr.  On  l'accusait  d'atleuter  aux  droits,  à  rautoritiS  du 
roi ,  et  de  conspirer  dans  son  gouvernement  de  Normandie. 
Anne  triompha  ,  et  le  duc  fut  obligé  de  quitter  la  cour  et 
sou  gouvernement,  et  de  se  retirer  à  Rlois.  Il  ne  dt^pendit 
pas  de  la  reine  qu'il  ne  fiU  exilé  plus  loin.  Quoi  qu'il  en  soit, 
il  ne  reparut  plus  à  la  cour  tant  que  Charles  VIII  vécut. 
KUe  avait  gouvenié  le  royaume  avec  une  grande  habileté 
pendant  l'expédition  de  ce  prince  en  Italie. 

A  la  mort  si  prompte  de  son  époux ,  Anne  parut  incon- 
solable ,  et  pendant  les  deux  premiers  jours  elle  refusa  de 
prendre  aucune  nourriture.  L'ambition  eut  du  reste  une 
grande  part  à  cette  douleur,  trop  fastueuse  pour  avoir  un 
autre  motif.  Elle  se  voyait  descendre  du  plus  beau  trône  de 
l'Europe.  Elle  pleurait  le  plus  débonnaire  des  époux  ,  elle  qui 
était  plus  roi  que  lui  et  qui  pouvait  l'être  longtemps  encore; 
car  il  n'avait  que  vingt-sept  ans.  Enlin  elle  perdait  à  la  fois 
et  le  trône  royal  de  France  et  le  trône  ducal  de  Bretagne  ! 
Reine  et  duchesse ,  elle  n'était  plus  qu'une  douairière  sans 
pouvoir.  Ce  duc  d'Orléans,  qu'elle  haïssait  autant  qu'elle 
l'avait  aimé,  devenait  son  seigneur  et  maître  :  à  lui  cette 
belle  couronne  pour  laquelle  elle  avait  fait  le  sacrifice  de  ses 
plus  chères  affections.  Et  pourtant  .\nne  n'avait  que  vingt- 
sept  ans  ,  et  jamais  elle  n'avait  été  plus  belle. 

Ambitieuse  et  vindicative ,  elle  était  au  fond  plus  dévote 
que  pieuse;  le  goût  des  innovations  était  encore  une  de  ses 
passions  dominantes.  A  la  mort  de  Charles  VIII ,  elle  jirit 
le  deuil  en  noir  ;  jusque  alors  les  reines  l'avaient  porté  en 
blanc,  et  delà  le  nom  de  reines  blanches  donné  aux  reines 
douairières.  Elle  ordonna  elle-même  les  obsèques  du  feu 
roi ,  et  lui  fit  construire  un  magnifique  mausolée.  Revêtue 
du  titre  purement  honorifique  de  duchesse,  elle  se  retira  en 
Bretagne,  y  mena  le  train  d'une  souveraine,  y  fit  battre 
monnaie  à  son  coin ,  rendit  plusieurs  édits  sur  les  plus  im- 
portantes parties  de  l'administration ,  accorda  des  lettres 
d'anoblissement  et  de  grâce ,  convoqua  les  étals  de  la  pro- 
vince à  Rennes.  C'était  protester  hautement  contre  les 
clauses  du  traité  qui  avait  réuni  la  Bretagne  à  la  France. 
Le  conseil  du  nouveau  roi  Louis  XII  ne  pouvait  s'y  mé- 
prendre ;  mais  Anne  connaissait  bien  le  caractère  faible  de 
ce  prince.  Le  roi  de  France  était  encore  pour  elle  ce  qu'a- 
vait été  le  duc  d'Orléans.  11  avait  oublié  avec  quel  aciiar- 
nement  elle  l'avait  persécuté  ,  humilié  depuis  son  mariage 
avec  le  feu  roi.  Il  ne  se  rappelait  que  l'amour  qui  les  avait 
unis  dans  leur  jeunesse,  et  à  peine  sur  le  trône,  son  premier 
vœu ,  sa  première  pensée,  avait  été  de  le  partager  avec  elle. 
Il  lui  fit  proposer  sa  couronne  et  sa  main.  Anne  affecta  des 
scrupules.  Louis  était  rnarié  depuis  vingt-quatre  ans  ;  mais 
il  pouvait  divorcer,  et  il  était  ceilain  d'obtenir  l'assentiment 
du  pape  :  les  négociations  s'ouvrirent  immédiatement  entre 
ses  agents  et  ceux  d'Alexan;lre  VI  et  de  son  fils  ,  César  Bor- 
gia.  La  séparation  et  la  dispense  n'éprouvèrent  aucune  dif- 
ficulté sérieuse. 

Louis  XII,  jusque  alors  épris  de  toutes  les  belles,  ne  parut 
vivre  que  pour  sa  nouvelle  épouse.  Le  mariage  fut  célébré  à 
^■antes,  le  8  janvier  1491».  Anne  l'avait  prévu;  elle  avait  dit 
aux  dames  de  sa  petite  cour  qu'elle  redeviendrait  reine  de 
France.  Louis  lui  abandonna  tous  les  revenus  de  la  Bre- 
tagne :  elle  les  employait  à  faire  les  honneurs  de  sa  cour,  en 
cadeaux  aux  liommes  de  lettres,  aux  artistes  et  aux  capi- 
taines qui  avaient  perdu  leurs  équi|)agesà  la  guérie.  Louis 
tomba  malade  à  151ois  :  Anne  ne  quitta  pas  le  chevet  de 
son  lit.  On  désespéra  de  ses  jours,  et  la  première  pensée 
«le  la  reine  fut  de  tout  disjioser  pour  son  retour  en  Bre- 
tague.  Elle  fit  embanjuer  sur  la  Loire  ses  diamants ,  ses 


f)l9 


meubles,  ses  effets  les  plus  précieux  :  quatre  bntcr.iix  en 
étaient  chargés.  Elle  expédia  par  la  même  voie  sa  fille  Jeanne. 
Le  maréchal  de  Gié  fit  arrêter  le  convoi  enlre  Saumur  et 
Nantes.  En  s'opposant  à  l'enlèvement  clandestin  de  tant  de 
richesses,  qui  appartenaient  en  grande  partie  au  domaine 
royal,  il  remplissait  un  devoir.  Louis  recouvra  la  santé, 
mais  Anne  ne  put  pardonner  à  Gié  sa  conduite. 

Le  maréchal  avait  gagné  ses  grades  sur  les  champs  de  ba- 
taille; Louis  XII  l'appelait  son  ami,  et  sur  un  mol  d'Anne 
il  l'exila  dans  sa  terre  de  Verger,  l'accusa  de  péculat  et  de 
lêse-majesté ,  laissa  requérir  contre  lui  la  peine  de  mort,  le 
promena  de  tribunaux  en  tribunaux,  et  souffrit  qu'il  fût 
enfin  innocemment  condamné  à  être  dépouillé  de  tous  ses 
emplois  et  suspendu  de  sa  dignité  de  maréchal  pendant 
cinq  ans ,  avec  défense  d'approcher  de  la  cour  peudaut  le 
même  espace  de  temps. 

Ainsi  dans  son  épouse,  qu'il  idolâtrait,  Louis  XII  avait  en 
réalité  son  plus  grand  ennemi  domestique  :  Anne  ne  for- 
mait qu'un  vœu ,  elle  voulait  à  tout  prix  séparer  à  jamais 
la  Bretagne  de  la  France.  Cette  belle  province  était  la  dot 
de  la  princesse  Claude,  sa  fille  ;  elle  s'opposa  au  mariage  de 
cette  princesse  avec  le  duc  d'Angoulème  depuis  François  V. 
Elle  lui  destinait  un  autre  époux,  Charles  d'Autriche  (de- 
puis Charles  V).  Si  ce  funeste  projet  eût  pu  se  réaliser, 
l'existence  politique  delà  Franc*  aurait  été  gravemeîit  com- 
promise. Averti  des  conséquences  de  cette  étrange  alliance 
par  l'indignation  et  les  plaintes  de  tous  les  ordres  de  l'État, 
Louis  XII  résista  aux  vives  sollicitations  de  la  reine,  et  le 
premier  mariage  projeté  eut  lieu.  Jamais  cette  femme  ne 
montra  la  moindre  sympathie  pour  la  France,  et  le  roi  l'ap- 
pelait sa  Bretonne.  Elle  fut  la  première  reine  qui  eut  des 
gardes.  Outre  la  compagnie  française  attachée  à  sa  maison  , 
elle  avait  une  escorte  d'honneur  de  cent  gentilshomn)es 
bretons.  Eux  seuls  l'accompagnaient  partout.  Presque  tous 
ses  officiers ,  presque  tous  ses  domestiques  étaient  Bretons. 
Elle  s'entourait  de  poètes,  et  visait  à  isaraitre  savante,  af- 
fectant de  répondre  aux  ambassadeurs  dans  leur  langue, 
grâce  à  son  chevalier  d'honneur  Orignaux,  qui  avait  beau- 
coup voyagé  et  les  savait  toutes.  —  Elle  toniba  malade  a 
Blois,  le  2  janvier  1514  ,  et  mourut  sept  jours  après  :  elle 
n'avait  que  trente-sept  ans.  Dlffv  (de  l'Yonne). 

AîVx\E  D'AUTRICHE,  fille  de  Philippe  III,  roi  d'Es- 
pagne, était  née  le  22  septembre  1  GO  1,  cinq  jours  avant  Louis 
XIII,  qu'elle  épousa  à  Bordeaux  le  9  novembre  1G15.  Ce  ma- 
riage, projeté  sous  Henri  IV ,  et  contre  son  gré,  n'avait  i)u 
avoir  lieu  ;  mais  à  peine  le  roi  eut-il  fermé  les  yeux  que  sa 
veuve,  P.îarie  de  Médicis,  renoua  les  négociations  pour  une 
double  union  entre  l'héritier  du  trône  et  l'infante,  et  le  frère 
de  l'infante ,  depuis  Philippe  IV,  avec  Elisabeth  de  France. 
Cette  double  alliance  réussit  par  les  intrigues  de  Concini  et 
de  sa  fenmie.  Madame  de  ;\Iotteville ,  après  avoir  tracé  le 
plus  brillant  portrait  de  cette  princesse,  de  la  beauté  de  ses 
formes,  de  ses  traits,  de  la  blancheur  éblouissante  de  son 
teint,  ajoute  :  «  Elle  était  grande,  et  avait  la  mine  haute 
sans  être  fière;  elle  avait  dans  l'air  du  visage  de  grands 
charmes,  et  sa  beauté  imprimait  dans  le  ccrur  de  ceux  qui 
la  voyaient  une  tendresse  toujours  accompagnée  de  vénéra- 
tion et  de  respect.  »  .\vec  tous  ces  agréments,  elle  ne  se 
fit  point  aimer  du  roi  son  époux;  elle  fut  toujours  liée  avec 
les  mécontents,  et  rendit  suspecte  son  affection  pour  le  roi 
d'Espagne,  son  frère,  en  ne  lui  écrivant  qu'en  cachette ,  et 
par  l'entremise  de  gens  souvent  ennemis  de  l'État. 

Étrangère  au  progrès  de  la  civilisation  européenne  dans  le 
seizième  siècle ,  l'Espagne  avait  conservé  les  mœurs  cheva- 
leresques du  moyen  âge.  La  jeune  épouse  de  Louis  XIII,  dé- 
vote et  galante,  croyant  que  les  femmes  étaient  faites  pour 
être  adorées  et  servies  par  les  hommes ,  ne  rebuta  point 
ceux  qui  osèrent  se  déclarer  ses  amants.  —  Le  vieux  duc  de 
Bellegarde  lui  adressa  ses  hommages;  elle  accueillit  avec 
une  bienveillance  marquée  ceux  du  duc  de  Moiitmorcncj. 

73. 


620 


ANNE 


Cet  amour  platonique  &«  révéla  quaml  elle  sut  que  le  duc 
portait  ailleurs  ses  vœux  ;  elle  ne  put  alors  dissimuler  son 
dépit  jaloux. 

Biickingham,  moins  circonspect  et  plus  heureux ,  ne  res- 
pecta pas  môme  les  convenances.  On  sait  qu'il  resta  auprès 
du  lit  de  la  reine,  malgré  les  instances  delà  dame  d'honneur, 
qui  essaya  vainement  de  l'éloigner,  en  lui  rappelant  les  exi- 
gences de  rétiqiiette.  On  sait  aussi  que  cette  entrevue  fut 
suivie  de  plusieurs  autres.  Le  duc  près  de  s'embarquer  à 
Calais  avec  la  future  épouse  de  Charles  r*",  laissa  là  cette 
princesse  ,  et,  sous  prétexte  d'une  mission  diplomatique  ur- 
gente qu'il  avait  à  remplir  auprès  de  la  reine-mère ,  revint 
à  Amiens,  et  se  présenta  devant  Anne  d'Autriche  :  ils  se 
promenèrent  seuls  dans  un  jardin ,  s'éloignèrent  peu  à  peu 
de  la  suite  de  la  reine,  et  disparurent  bientôt  tons  deux  au 
détour  d'une  allée.  Leur  suite  s'était  arrêtée,  par  respect, 
et  quand  la  reine  rei)arut,  elle  adressa  queUpies  reproches  à 
Buckingham ,  mais  sa  colère  ne  parut  point  naturelle.  — 
Louis  XIII  n'en  fut  point  dupe;  il  chassa  de  la  cour  di 
Pange,  écuyer  de  la  reine,  et  toutes  les  personnes  qui  l'a- 
vaient accompagnée  dans  cette  promenade.  Il  cessa  dès  lors 
toute  communication  intime  avec  Anne  ;  mais  avant  cet 
événement  cette  séparation  avait  déjà  eu  lieu  de  fait. 

La  jalousie  du  roi  avait  éclaté  en  1G22,  lorsque,  après  une 
chute  accidentelle ,  la  reine  fit  un  fausse  couche.  —  Anne 
eût  été  fidèle  sans  doute  si  elle  avait  trouvé  dans  son  époux 
ces  soins  délicats,  ces  prévenances  de  tous  les  instants,  aux- 
quelles les  femmes  attachent  tant  de  prix.  Louis  XIII  n'avait 
qu'une  passion,  la  chasse.  S'il  parut  s'attacher  quelque  temps 
à  madame  d'Hautefort,  ce  fut  plutôt  par  désœuvrement  que 
par  amour;  il  affectait  la  scrupuleuse  chasteté  d'un  cénobite. 
Son  intimité  avec  Louise  de  La  Fayette  fut  tout  aussi  inno- 
cente. Ce  fut  sans  doute  pour  échapper  au  ridicule  qu'elle  se 
fit  religieuse  aux  Visitandines  deChaillot.  De  graves  histo- 
riens étrangers,  Hume  et  Nani,  ont  affirmé  qu'Anne  était 
devenue  mère  en  I72G,  et  que  le  prisonnier  mystérieux 
connu  sous  le  nom  de  Masque  de  Fer  était  né  des  amours 
d'Anne  d'Autriche  et  du  duc  de  Buckingham. 

On  citait  aussi  parmi  les  amants  d'Anne  le  marquis  de 
Gesvres,  le  cardinal  de  Piichelieu,  et  enfin  le  cardinal  .Maza- 
rin.  Les  deux  premiers  n'avaient  pas  été  heureux.  Richelieu 
cependant  devait  sa  haule  fortune  politique  à  la  reine,  et 
l'on  attribua  au  dépit  d'un  amour  rebuté  l'acharnement  avec 
lequel  il  persécuta  cette  princesse.  Mais  cette  extrême  bien- 
Teillance  que  d'al)ord  il  avait  obtenue,  et  qui  lui  ouvrit  l'en- 
trée du  conseil ,  n'était  peut-être  que  l'effet  de  la  faveur  du 
maréchal  d'Ancre  et  de  sa  femme,  auxquels  Bichelieu,  alors 
courtisan  inaperçu,  témoignait  le  plus  humble  et  le  plusser- 
vile  dévouement.  Parvenu  à  son  but,  et  maître  absolu,  sous 
le  nom  d'un  roi  sans  caractère  et  sans  énergie,  la  politique 
seule  et  son  intérêt  l'avaient  pu  déterminer  à  éloigner  Anne 
d'Autriche  et  ses  entours,  pour  n'avoir  pas  toujours  à  com- 
battre une  infinence  rivale.  Cette  inlluence  surtout  pouvait 
Otre  redoutable  depuis  que  Louise  de  La  Fayette,  alors  re- 
tirée dans  son  couvent,  avait,  avec  autant  d'adresse  que  de 
bonheur,  rapproche  les  deux  époux,  qui  depuis  vingt-deux 
ans  vivaient  séparés.  Cette  réconciliation  ne  peut  s'expliquer 
(fue  par  l'ascendant  absolu  de  mademoiselle  de  La  Fayette 
sur  le  plus  crédule  des  princes.  Soit  réaUté,  soit  calomnie, 
le  nom  d'Anne  d'Autriche  se  trouvait  compromis  dans  toutes 
les  conspirations  contre  le  roi  ou  son  premier  ministre.  Li- 
vrée à  deux  favoris  également  cupides  et  habiles,  Anne  ne 
cessa  de  commettre  des  imjirudences.  tlle  avait  eu  cou- 
naissance  de  la  conjuration  de  Cinq-Mars.  Richelieu  ne 
laissait  échapper  aucune  occasion  d'entretenir  la  mésintelli- 
gence entre  les  deux  époux;  mais  il  n'avait  nul  intérêt  po- 
litique à  contrarier  le  projet  de  Louise  de  La  Fayette  :  on  a 
prétendu  même  que  tout  avait  été  concerté  entre  elle  et  le 
l>reun"cr  ministre. 
Louis  XIll  avait  été  visiter  au  couvent  de  Chaillol  Louise 


de  La  Fayette,  qui  l'y  retint  quatre  heures  :  il  était  trop  tard 
pour  aller  coucher  à  Vincennes  ou  à  Saint-Germain;  elle 
détermina  le  roi  à  passer  la  nuit  au  Louvre.  Il  n'y  trouva 
qu'un  lit  :  c'était  celui  de  la  reine.  Louis  céda  à  la  néces.sité, 
et  c'est  à  ce  rapprochement  des  deux  époux  que  l'on  attribue 
la  naissance  de  Louis  XIV.  Deux  ans  plus  tard,  Anne  ac- 
coucha d'un  autre  fils.  Louis  XIII  uiourut  quelques  années 
après.  Ses  dernières  dispositions  pour  la  régence  établissaient 
un  conseil  sans  lequel  la  régente  ne  pouvait  agir.  Ce  testa- 
ment lut  cassé  par  le  parlement,  et  la  régente  lut  souveraine 
absolue.  L'habitude  d'être  gouvernée  la  rendait  incapable 
d'agir  seule,  et  son  nouveau  favori,  Mazarin,  régna  sous 
son  nom. 

Les  premiers  jours  de  la  régence  furent  signalés  par  de 
folles  prodigalités.  .\nne  jetait  à  pleines  mains  l'or  et  les 
emplois.  Les  demandes  les  plus  extravagantes  furent  ac- 
cueillies :  un  solliciteur  obtint  un  brevet  pour  mettre  un 
impôt  sur  la  messe.  Le  trésor  fut  bientôt  épuisé ,  et  la  curée 
des  emplois  consonmiée.  Toute  la  France  se  souleva  contre 
la  nomination  d'un  favori  étranger.  La  guerre  de  la  Fronde 
éclata  ;  jamais  régence  n'avait  été  plus  orageuse.  Les  puis- 
sances étrangères,  les  princes  du  sang  et  les  seigneurs  de  la 
cour,  tout  ce  que  Richelieu  avait  si  fortement  comprimé,  se 
souleva  contre  elle.  Son  énergie  ne  fut  pas  au-dessous  du 
danger.  Richelieu  lui  manquait,  car  disait-elle,  «  il  serait 
aujourd'hui  plus  puissant  que  jamais;  »  mais  elle  avait  Ma- 
zarin. La  guerre  civile  et  la  guerre  extérieure  liguées  en- 
semble ne  l'épouvantèrent  pas  ;  elle  vainquit  la  maison 
d'Autriche  et  la  Fronde ,  Turenne  et  Condé,  la  noblesse  et 
l:i  démocratie;  elle  conserva  à  la  France  son  ascendant,  à 
l'autorité  royale  sa  force,  et,  grâce  à  elle  seule,  Louis  XIV  hé- 
rita (le  la  monarchie  nouvelle  que  Richelieu  avait  fondée. 

Anne,  qui,  avec  une  inconcevable  légèreté,  avait  sacrifié 
sans  regret,  sans  le  moindre  signe  de  pitié,  ses  plus  fidèles 
serviteurs,  s'associa  à  tous  les  dangers  de  Mazarin  :  l'ex- 
pulsion de  ce  favori  hors  de  la  l'rance,  sa  proscription,  ne 
purent  la  détacher  de  lui.  Pour  lui  elle  exposa  .«^a  vie,  son 
avenir,  l'avenir  de  ses  enfants  et  le  trône  de  France.  Ma- 
zarin avait  le  secret  de  leur  naissance  ,  et  peut-être  était-il 
plus  que  le  confident  de  celle  du  dernier  né  ;  il  se  conduisait 
avec  la  reine  moins  en  favori  qu'en  maître.  On  remarque 
dans  sa  correspondance  avec  cette  princesse,  pendant  la  con- 
férence deBayonne,  un  tonde  familiarité,  d'abandon,  qui  fait 
supposer  la  plus  étroite  intimité.  On  ne  peut  expliquer  autre- 
ment l'ascendant  absolu  de  Mazarin  sur  Anne  d'Autriche. 

Cctie  reine  dans  ses  dernières  années  se  livra  tout  en- 
tière aux  pratiques  de  la  plus  minutieuse  dévotion.  Après  une 
vie  si  agitée,  elle  espérait  obtenir  quelques  instants  de  re- 
pos. Elle  exigeait  du  roi  son  fils  une  régularité  de  mœurs 
dont  elle  ne  lui  avait  pas  donné  l'exemple,  et  ses  exigences 
troublèrent  souvent  la  paix  domestique.  Comme  elle  avait 
hérité  de  toute  la  haine  que  l'on  portait  à  jMazarin,  la  coin- 
ne  la  vit  pas  sans  une  secrète  joie  tomber  malade  en  1003, 
des  fatigues  du  carême,  ou  plutôt  d'une  imprudence  qu'elle 
avait  faite  pendant  les  jours  gras,  en  voulant  accompagner 
la  jeune  reine  au  bal  que  donnait  le  duc  d'Orléans.  Llle  s'y 
rendit  masquée,  et  couverte  d'une  mante  de  taffetas  noir  à 
l'espagnole  :  on  ne  pouvait  être  admis  à  ce  bal  qu'avec  un 
déguisement.  Les  dévotes  jetèrent  les  hauts  cris  contre  la  con- 
duite mondaine  de  la  reine-mère,  et  les  jeûnes,  les  austé- 
rités qu'elle  s'imposa  pendant  le  carême  ne  purent  désar- 
mer leur  malignité. 

Au  commencement  de  l'été  suivant,  il  lui  survint  au  sein 
une  petite  glande  qu'elle  négligea,  et  qui  bientôt  dégénéra 
en  cancer.  L'ignorance  des  médecins,  qui  appliquèrent  des 
remèdes  contraires,  acheva  d'envenimer  le  mal,  et  le  27 
mai  1C(;5  elle  fut  atlaqiiéc  d'une  fièvre  violente,  et  un  éré- 
sypèle  lui  couvrit  la  moiti<5  du  corps  :  on  désespéra  de  sa 
vie.  Elle  demanda  cllt.'-même  les  derniers  sacrements.  Au 
cancer  se  joignit  uu  abcès  au  bras,  qui  hii  causait  des  dou* 


ANNE 

leurs  aiguës  et  continiiollos.  Tandis  qu'elle  portait  dans  son 
sein  le  j;ernie  il'uuo  mort  proiliaiiie  et  inévitable ,  tandis 
qu'elle  se  voyait  tomlu'r  eu  lambeaux ,  elle  apiiortait  le 
intime  soin  à  sa  toilette,  et  son  corps  n'était  (iifuue  plaie. 
Quelle  situation  poiir  une  lemme  si  passionnée  pour  la  pa- 
rure qu'on  ne  pouvait  trouver  de  batiste  assez  line  pour 
elle!  Elle  avait  été  à  cet  égard  d'une  coipietterie  si  minu- 
tieuse, que  Mazarin  lui  disait  que  si  elle  allait  en  enter,  son 
iinicjue  supplice  serait  d'être  couchée  dans  des  draps  de  toile 
de  Hollande.  —  Le  4  août,  se  trouvant  mieux,  elle  fut  trans- 
jiorti^  de  Saint-Germain  au  ^'al-de-Gràce,  qu'elle  avait 
fondé  et  richement  doté.  Les  médecins  exigèrent,  pour  leur 
convenance,  qu'elle  fût  transférée  au  Louvre  :  ce  fut  là 
que  la  gangrène  parut  :  «  Les  autres  ne  pourrissent  qu'après 
leur  mort,  dit-elle  alors,  moi,  je  suis  condamnée  à  pourrir 
pendant  ma  vie.  »  Elle  mourut  le  20  janvier  1666. 

Anne  d'Autriche  encouragea  les  lettres  et  les  arts.  Passion- 
née pour  les  parfums  et  les  fleurs,  elle  avait  une  antipathie 
insunnontable  pour  les  roses,  qu'elle  ne  pouvait  souffrir, 
même  en  jieinture.  Elle  avait  contribué  à  la  réputation  et  à 
la  fortune  de  Mignard,  qu'elle  avait  chargé  de  peindre  la 
coupole  du  dôme  du  Val-de-Gràce  et  toutes  les  fresques  de 
ce  beau  monument.  Anne,  inconstante  et  passionnée,  aimait 
avec  toute  l'ardeur  d'une  Espagnole  :  mais  elle  n'avait  que 
la  sensibilité  du  moment.  Ses  défauts  et  ses  malheurs  furent 
les  conséquences  de  son  éducation  et  des  préjugés  de  l'é- 
poque. DuFEY  (de  l'Yonne). 

ANIVE  D'ANGLETERRE ,  dernier  rejeton  de  la 
maison  de  Stuart  qui  ait  occupé  le  trône,  naquit  à  TwicUen- 
ham,  près  de  Londres,  en  1664,  quatre  ans  après  le  réta- 
blissement de  son  oncle,  Charles  II,  sur  le  trône.  Anne 
était  la  seconde  fille  issue  du  premier  mariage  de  Jacques  II, 
alors  duc  d'York,  avec  Anne  Hyde,  fille  du  célèbre  Claren- 
don ,  qui  ne  s'était  point  encore  convertie  au  catholicisme. 
Aussi  Anne  fut-elle  élevée  dans  les  principes  de  l'église  an- 
glicane; en  1681  elle  épousa  le  prince  Georges,  frère  de 
Christian  V,  roi  de  Danemark.  Le  parti  qui  excitait  le  prince 
d'Orange  à  détrôner  son  beau-père  ayant  triomphé  eu  1688, 
Anne ,  la  fille  chérie  de  Jacques  II ,  eût  vivement  désiré  ac- 
compagner son  père.  Mais  lord  Churchill  (  voyez  Marldo- 
ROf  GH  )  la  força  en  quelque  sorte  à  embrasser  le  parti  du 
vainqueur.  Sa  sœur  Marie  et  son  époux  Guillaume  III  éiant 
moiis  sans  héritiers,  Anne  fut   proclamée  reine  en  1702. 

Ses  talents  étaient  au-dessous  de  la  grandeur  des  événe- 
ments qui  signalèrent  son  règne  ;  elle  fut  dominée  par  le 
comte  >Iarlborough  et  par  sa  femme.  Les  toi7S  voyaient  avec 
plaisir  le  sceptre  aux  mains  d'une  fille  de  Jacques  II,  espé- 
rant que  bientôt  un  descendant  mâle  de  la  famille  des  Stuarts 
serait  appelé  sur  le  trône.  Ce  qui  lui  concilia  les  vvighs,  ce 
fut  la  fermeté  avec  laquelle,  fidèle  à  la  triple  alliance,  elle 
défendit  la  liberté  de  l'Europe  contre  l'ambition  de  Louis  XIV, 
et  s'opposa  constamment  à  la  réunion  des  deux  couronnes 
de  France  et  d'Espagne  dans  la  même  maison.  C'est  sotis 
son  règne  que  les  Anglais  s'emparèrent  de  Gibraltar,  seule 
conquête  importante  qu'ils  aient  faite  dans  le  cours  de  la 
guerre  de  succession ,  qui  dura  onze  ans.  Anne  réunit  l'E- 
cosse et  l'Angleterre  sous  la  nnême  domination  et  cpioi- 
qu'elle  nourrit  en  secret  le  désir  de  voir  sa  famille  rétablie 
sur  le  trône,  la  succession  à  la  couronne  n'en  fut  pas  moins 
dévolue  à  la  maison  de  Hanovre. 

Jacques  111  tenta  vainement  une  descente  en  Ecosse.  La 
bonne  reine  Anne  se  vit  même  contrainte  de  signer  une 
proclamation  par  laquelle  la  tète  de  son  frère  était  mise  à 
prix.  De  ses  dix-sept  enfants,  elle  n'en  avait  conservé  au- 
cun. Veuve  à  l'âge  de  quarante-quatre  ans,  elle  se  refusa  au 
vœu  du  parlement,  qui  la  suppliait  de  conclure  un  nouveau 
mariage.  Elle  ne  songeait  qu'à  mettre  le  gouvernement  tout 
entier  entre  les  mains  des  torys,  qui  avaient  la  majorité 
dans  les  trois  royaumes.  La  duchesse  de  Mailhorough  per- 
dit sou  iulluence.  Godolphin,  Suuderland,  Sommers,  Devon- 


621 

shire ,  Walpole ,  furent  remplacés  par  Hailey  (  comte  d'Ox- 
ford), Rolinghrocke,  Rochester,  Huckingham,  Georges  Gran- 
ville,  Simon  llarcourt.  Le  parlement  fut  dissous  et  la  paix 
résolue.  Marlhorough  ,  ayant  perdu  tous  ses  emplois,  se  vit 
exilé  de  la  cour.  Malgré  toutes  les  mesures  qu'elle  avait 
prises  contre  son  frère,  il  |)arait  que  la  reine  n'avait  pas  re- 
noncé à  l'espoir  de  lui  conserver  la  succession;  mais  l'ini- 
mitié qui  existait  entre  Oxford  et  Bolingbrocke  ne  lui  per- 
mit pas  d'exécuter  ce  projet.  Le  chagrin  la  plongea  dans  un 
état  de  faiblesse  et  de  léthargie  qui  l'enleva  le  20  juillet  1714. 
A  son  lit  de  mort ,  elle  s'écria  :  «  O  mon  frèie,  que  je  te 
plains!»  Ces  paroles  révèlent  tout  le  secret  de  .sa  vie.  Le  règne 
d'Anne,  illustré  par  d'heureuses  guerres,  fut  l'âge  d'or  de  la 
littérature  anglaise. 

ANiME  DE  BOULEN  ou  DE  BOLEYN,  femme  de 
Henri  VIII,  roi  d'Angleterre.  Voyez  Boulen. 

AXXE  IVANOVIVA,  impératrice  de  Russie,  née  en 
1693.  Elle  était  lille  d'Ivan  ,  frère  aîné  de  Pierre  le  Grand. 
Après  la  mort  du  duc  de  Courlande ,  son  premier  mari , 
elle  monta  sur  le  trône  des  tsars  ,  par  suite  «l'une  intrigue 
digne  d'être  rapportée.  Pierre  II,  fils  de  l'infortuné  Alexis, 
était  mort  à  l'âge  de  seize  ans.  Le  vieux  chancelier,  comte 
Ostermann,  toujours  avide  de  pouvoir,  travailla  pour 
Anne  Ivanovna ,  son  ancienne  élève ,  à  qui  il  avait  appris  à 
lire.  Les  frères  Ivan  et  Bazile  Dolgorouki,  dont  l'in- 
fluence avait  été  si  grande  sous  le  règne  précédent ,  se  joi- 
gnirent à  lui,  dans  l'espérance  aussi  de  dominer  plus  sûre- 
ment une  princesse  qui  leur  devrait  en  partie  sa  couronne. 
Ostermann  et  eux  gagnèrent  les  sénateurs  et  les  grands,  qui 
étaient  rassemblés  à  Moscou.  Grâce  à  leur  intrigue,  Anne 
fut  préférée  aux  filles  de  Pierre  le  Grand.  Quand  le  prince 
Dolgorouki ,  qui  avait  été  chargé  de  l'instruire  du  choix  de 
la  nation  ,  entra  chez  l'impératrice  ,  il  aperçut  un  lionmie 
mal  vêtu,  auquel  il  fit  signe  de  s'éloigner;  celui-ci  ne  pa- 
raissant pas  très-disposé  à  obéir,  le  prince  le  prit  par  le  bras 
pour  le  mettre  à  la  porte  ;  Anne  s'y  opposa  :  c'était  Jean- 
Ernest  de  B  i  r  en  ,  qui  bientôt  gouverna  la  Russie  en  des- 
pote sous  la  protection  de  sa  souveraine.  Anne  avait  d'abord 
promis  d'éloigner  son  favori  de  sa  cour,  et  de  restreindre  la 
puissance  absolue  des  tsars.  Dès  qu'elle  fut  sur  le  trône  elle 
refusa  d'accomplir  sa  promesse  ,  et  se  fit  proclamer  souve- 
rain autocrate  de  toutes  les  Russies.  Dès  lors  ,  Biren  ne 
mit  plus  de  bornes  à  son  ambition  et  à  ses  cruautés.  Les 
Dolgorouki  furent  les  premières  victimes  de  ses  fureurs  : 
vingt  mille  exilés  allèrent  peupler  les  solitudes  de  la  Sibérie  ; 
dix  mille  suspects  montèrent  sur  l'échafaud ,  malgré  les 
prières  et  les  larmes  de  l'impératrice.  Anne  fit  nommer 
enfin  son  favori  duc  de  Courlande ,  et  en  mourant  elle  lui 
laissa  la  régence  de  l'empire  pendant  la  minorité  du  prince 
Ivan  de  Brunswick.  Elle  niounit  en  1740.  Sous  son  règne, 
grâce  au  brave  feld-maréclial  Munnich ,  la  Russie  avait  été 
victorieuse  en  Pologne,  en  Auli'icbc,  en  Turquie.  L'impéra- 
trice avait  protégé  les  sciences  et  fait  continuer  les  voyages 
de  découvertes  commencés  par  Pierre  le  Grand  dans  la  mer 
Glaciale;  par  son  ordre  les  capitaines  Bering,  Techirikof  et 
Spangenberg  avaient  visité  les  îles  Aléoutiennes  et  Kouriles. 

ANNE  CARLO VNA  ,  tille  du  duc  Charles-Léopold 
de  Mecklenbourg  et  de  Catherine,  sœur  de  l'impératrice  de 
Russie  Anne  Ivanovna,  épousa ,  en  1 739 ,  Antoine-Ul- 
rich, duc  de  Rrunswick-NVoilinhnltel ,  dont  elle  eut,  le  20 
août  1740,  un  fils  noniiné  Ivan.  Anne  Ivanovna  désigna 
ce  neveu  pour  son  successeur,  à  l'instigation  de  son  favori 
Biren,  qui  comptait  s'assurer  ainsi  la  régence  de  fait.  Pour 
donner  à  cet  acte  d'adoption  l'apparence  d'une  mesure 
vivement  souhaitée  par  le  peuple  ,  il  avait  eu  soin  de  faire 
présenter  à  l'impératrice  momante  une  pétition  dans  la- 
quelle le  peuple  était  censé  la  sui)plier  de  lui  confier  la  ré- 
gence jusqu'à  la  majorité  d'Ivan ,  qu'on  fixait  à  dix-huit 
ans.  L'impératrice  signa  tout  ce  qu'on  voulut ,  et  à  sa  mort , 
qui  arriva  le  2S  octob.-e  1740,  Biren  se  trouva  investi  de 


f)22 


ANNE  —  ANNEAU 


cette  autorité  siiprômc  qui  lui  avait  coûté  tant  d'efforts; 
mais  il  n'en  jouit  pas  longtemps,  car  dès  le  18  novembre 
suivant  une  conspiration  de  palais  lui  arrachait  le  pou- 
voir. Anne  Carlovna  fut  alors  proclamée  grande-ducliesse 
et  régente  de  Russie,  jusqu'à  la  majorité  de  son  fils  Ivan; 
mais  elle  ne  jouit  pas  longtemps  non  plus  du  pouvoir,  car 
il  lui  fut  enlevé  dès  le  G  décembre  1741.  Amie  du  repos  et 
de  la  tramiuillité,  cette  princesse  manquait  tout  à  fait  de  la 
vigueur  et  de  l'activité  nécessaires  pour  gouverner  un  si 
vaste  empire.  Retirée  au  fond  de  ses  appartements,  dans  ia 
partie  la  plus  calme  de  son  palais,  où  elle  passait  ses  jour- 
nées, revêtue  du  costume  si  commode  des  Orientaux,  Anne 
n'admettait  auprès  d'elle  que  quelques  parents ,  quelques 
intimes,  ou  les  envoyés  des  puissances  étrangères.  L'une 
de  ses  dames  d'honneur,  Julie  de  Mengden  ,  est  citée  comme 
ayant  i)ossédé  au  i)lus  haut  degré  sa  confiance  ;  aussi  joua- 
t-elle  un  rôle  important  sous  cette  régence  de  quelques 
mois,  à  laquelle  mit  fm  une  nouvelle  conspiration,  (jui 
éleva  au  trône  Elisabeth ,  fille  de  Pierre  le  Grand.  Tandis 
que  le  jeune  Ivan  était  renfermé  dans  la  citadelle  de  Schlus- 
selbourg,  on  transportait  Anne  et  son  époux  à  Cholmogory, 
petite  ville  située  dans  une  île  à  l'embouciiure  de  la  Dwina, 
dans  la  mer  Blanche,  où  elle  demeura  prisonnière  le  res- 
tant de  ses  jours.  Elle  y  devint  mère  à  deux  reprises,  et  y 
mourut  en  1745,  d'une  suite  de  couches.  Son  corps  fut 
alors  ramené  à  Saint-Pétersbourg,  et  enterré  avec  une  pompe 
extraordinaire.  Quant  à  son  malheureux  époux,  il  ne  mou- 
rut qu'en  1780,  après  avoir  passé  trente-neuf  ans  dans  sa 
prison. 

AîVA'EAU,  cercle,  ordinairement  de  métal,  servant  à 
«nltachcr  ou  à  suspendre  quelque  chose.  C'est  aussi  le  nom 
de  certaines  bagues  ou  autres  ornements  en  forme  de  cercle. 

Tout  prouve  l'antiquité  des  anneaux.  Si  dans  l'origine 
ils  furent  un  signe  de  servitude  ou  de  lien,  comme  le  prouve 
la  fable  de  Jupiter  imposant  à  Prométhée  l'obligalion  de 
porter  au  doigt  un  anneau  de  métal ,  pour  lui  rappeler  qu'il 
l'avait  enchaîné  sur  le  Caucase  ,  ils  devinrent  dans  la  suite 
un  des  ornements  des  deux  sexes ,  les  plus  usités  et  les  plus 
variés.  Dans  l'histoire  des  Hébreux,  il  est  question  de  ba- 
gues et  de  boucles  d'oreilles  ;  elles  font  partie  des  bijoux  pré- 
cieux dont  ils  se  dépouillent  et  qu'ils  fondent  pour  en  former 
le  veau  d'or.  Avant  cette  époque  le  roi  d'Egypte,  lorsque 
Joseph  y  était  en  crédit,  lui  remit  son  anneau  comme  signe 
de  la  puissance  qu'il  lui  confiait.  Plusieurs  des  bagues  égyp- 
tiennes qui  sont  aujourd'hui  au  ^luséc  du  Louvre  remon- 
tent au  roi  Mœris.  11  est  proliah'.e  que  l'usage  des  anneaux 
passa  des  peuples  orientaux  aux  Grecs.  Chez  ce  peuple  on 
appelait,  en  général,  toutes  les  bagues  SaxTÛÀioi,  c'est-à-dire 
ornements  des  doigts.  Le  nom  de  cipayî; ,  qu'on  donnait 
à  la  partie  gravée ,  indiquait  qu'elle  servait  de  sceau  ou  de 
cachet  ;  celle  où  la  pierre  était  enchâssée  avait  reçu  des 
Grecs  le  nom  de  cçevSovr;,  fronde,  soit  à  cause  de  sa  for- 
me, soit  à  cause  de  son  emploi  ;  les  Romains  l'appelaient 
J'unda  et  palea,  qui  avaient  le  même  sens.  Us  nommaient 
l'anneau  tinrjidus,  i)arce  que  d'abord  on  le  plaçait  près  de 
l'ongle,  à  la  première  phalange.  Les  mots  annulus  atancl- 
lus,  dont  nous  avons  tiré  celui  d'anneau,  viennent  de  l'an- 
cien mot  latin  anus  ou  annits,  cercle,  dont  ils  sont  les 
diminutifs. 

Les  Grecs  et  les  Romains  désignaient  aussi  par  les  mots 
c\i^vo>.(fi,  annulus,  siijillarius  l'anneau  qui  servait  de  bague 
ou  de  cachet  pour  sceller  les  écrits  ou  les  objets  qu'on  vou- 
lait tenir  secrets,  ou  dans  des  contrats,  des  alfaires ,  et 
même  des  i)arties  de  plaisir  où  chacun  contribuait  pour  sa 
part,  et  qu'on  nommait  cOixêo),/)  ;  car  alors  on  se  donn.iit 
mutuellement  ses  anneaux  ,  coninuî  garantie  de  ses  eng:\gc- 
ments.  Les  Romains  nommaient  encore  les  aimeau\  cou- 
dalus,  condalium ,  mots  qui  jiaraisscnt  dérivés  du  grec 
«Gvôy).o;,  ayant  la  même  signification,  et  désignant  au.ssi  les 
articulations  des  phalanges  des  dois^ts. 


Tous  les  peuples  ont  porté  des  bagues  en  toutes  sortes  de 
matières,  et  en  ont  multiplié  les  ornements  à  l'iulini.  Chez 
quel(iues-uns ,  il  n'était  pas  libre  à  chacun  d'en  porter  ii 
sa  fantaisie  :  les  règlements  avaient  déterminé  la  niatièrc 
des  anneaux  pour  chaque  rang  de  la  société;  pendant 
longtemps  les  sénateurs  romains  même  n'en  eurent  pas 
en  or;  on  n'en  donnait  qu'aux  ambassadeurs,  pour  qu'ils 
s'attirassent  plus  de  considération  dans  les  pays  étrangers  , 
où  les  personnes  d'un  haut  rang  avaient  l'habitude  d'en 
porter.  Dans  les  premiers  temps,  on  accordait  ces  an- 
neaux d'or  pour  des  senices  rendus  à  la  république ,  et 
alors  on  ne  s'en  paraît  qu'en  public;  ceux  qui  avaient 
obtenu  cette  distinction  ne  portaient  chez  eux  qu'une 
bague  de  fer  comme  le  reste  des  citoyens.  Les  triompha- 
teurs mômes ,  au-dessus  de  la  tête  desquels  on  tenait  une 
couronne  d'or,  n'avaient  au  doigt  qu'une  bague  de  fer, 
comme  leurs  esclaves.  C'est  en  mémoire  de  cette  antique 
simplicité  que  du  temps  de  Pline  on  donnait  à  sa  femme  en 
se  mariant  une  bague  de  même  métal ,  sans  ornement  et 
sans  pierre ,  et  elle  n'en  avait  pas  d'autre  ;  mais  Tertullien 
et  Isidore,  évêque  de  Séville,  disent  que  de  leur  temps 
l'anneau  de  mariage,  annulus  nuptialis ,  sponsalitms , 
était  en  or  ;  les  hommes  ne  portaient  pas  alors  plus  de  deux 
bagues.  Le  mourant  laissait  son  anneau  à  celui  qu'il  voulait 
désigner  pour  son  héritier  ou  son  successeur. 

L'anneau  d'or  au  quatrième  doigt  indiipiait  un  chevalier 
romain,  et  distinguait  du  peuple  le  second  ordre,  comme 
le  laticlave  désignait  le  sénateur.  Le  flamine  de  Jupiter  ne 
pouvait  porter  qu'une  bague  creuse  et  faite  avec  une  lame 
d'or  tiès-mince.  Le  peuple  n'avait  que  des  anneaux  de  fer, 
mais  il  les  ornait  de  petites  pierres  communes,  telles  que 
des  agates,  des  cornalines  unies,  souvent  aussi  de  pâte  de 
verre  coloré,  imitant  les  pierres  fines,  ou  portant  l'em- 
preinte de  pierres  gravées.  Le  luxe,  en  s'accroissant,  mul- 
tiplia cet  ornement.  On  chargea  d'anneaux  non-seulement 
tous  les  doigts  des  mains,  mais  même  ceux  des  pieds.  Les 
Tuileries  ont  vu  les  élégantes  du  Directoire  se  promener  en 
cothurnes  découverts,  ayant  à  chaque  doigt  du  pied  une 
bague  enrichie  de  diamants.  A  Rome  on  avait  calculé  le 
poids  des  divers  anneaux  suivant  les  saisons.  Parmi  ces 
bagues  affectées  à  chaque  moitié  de  l'année,  et  que  Juvénal 
appelle  aurum  semestre ,  aurnm  sestivum,  annuli  se- 
mestres, celles  qui  étaient  taillées  dans  une  seule  pierre, 
telle  que  la  sardoine,  la  cornaline,  le  cristal  de  roche,  de- 
vaient être  regardées  comme  des  anneaux  d'été  et  comme 
plus  frais  ;  les  lorettes  de  Rome  se  servaient  dans  les 
grandes  chaleurs  de  grosses  boules  de  cristal  pour  se  raf- 
fraîchir  les  mains. 

Les  bagues  qu'on  offrait  à  ses  parents  ou  à  ses  amis  le 
jour  anniversaire  de  leur  naissance  portaient  des  signes 
symboliques  ou  des  vœux  pour  leur  bonheur.  Il  y  en  avait 
aussi  à  secret,  dans  lesquels  on  enfermait  du  poison,  té- 
moin ceux  de  Démosthène  et  d'Annibal. 

La  manière  de  porter  l'anneau  a  subi  de  grandes  varia- 
tions. Les  Hébreux  en  ornaient  leur  main  droite,  les  Ro- 
mains leur  main  gauche,  les  Grecs  l'annulaire  ou  quatrième 
doigt  de  la  même  main,  les  Gaulois  et  les  Bretons,  Ip  médius. 
Les  Africains,  les  Asiatiques,  les  Américains  ont  poussé 
plus  loin  encore  cette  manie  :  ils  en  ont  porté  au  nez,  aux 
lèvres,  aux  joues,  au  menton. 

De  nos  jours  les  nouveaux  époux  échangent  leur  anneau 
qu'on  nonuue  alliance  sans  se  douter  que  cet  usage  re- 
monte aux  Hébreux.  L'alliance  s'ouvre  en  deux  fragments, 
sur  lesquels  on  grave  d'ordinaire  les  noms  des  époux  et  la 
date  de  leur  union. 

—  En  anatomie,  on  donne  le  nom  d'anneau  à  une  ouver- 
ture ovale  ou  circulaire,  garnie  de  fibres  aponévrotiques, 
traversant  un  nuiscle,  et  ileslinée  à  livrer  passage  à  «les 
vaisseaux  ou  ;i  des  nerfN. 

—  Dans  la  gnomoni-iuc,  or>  appelle  flH«caH  aslronomique 


AINNKAU  ^  AIN^' 

un  cercle  de  métal  où  se  trouve  un  trou  doigné  tle  45" 
(lu  point  par  lequel  on  le  tient  suspendu.  Cet  inslrunient 
est  employé  en  mer  pour  prendre  la  liauti'ur  du  soleil.  L'an- 
neau solaire  est  un  petit  cadran  poilatif,  l'ornié  d'un  cercle 
percé  d'un  trou  |)ar  lequel  passe  le  rayon  solaire  (pii  va 
indiquer  l'heure  niarquie  dans  l'intérieur  du  cercle,  à  l'op- 
posite  du  trou.  Vautiean  tiniverscl  est  un  inslrunient 
composé  de  deux  ou  trois  cercles,  et  servant  à  trouver 
l'heure  du  jour,  en  quelque  endroit  de  la  terre  que  ce  puisse 
(Mre.  C'est  une  espèce  de  c;»dran  équinoxial  fait  à  riniitation 
des  arniilles  d'Ératostliène,  que  l'on  voyait  à  Alexaiulrie 
deux  cent  cinquante  ans  avant  Jésus-Christ.  Il  didére  de 
l'anneau  solaire  en  ce  que  celui-ci  ne  marque  l'heure  avec 
exactitude  que  pendant  quelques  jours,  à  moins  qu'on  ne 
rapproche  ou  qu'on  n'éloigne  le  trou  du  point  de  suspen- 
sion ;  tantlis  que  l'anneau  universel  marque  l'heure  du  jour 
eu  to\it  lieu  et  en  toute  saison. 

AX.\EAU  DU  PÉCHEUR (anmiltispiscatorix).  On 
appelle  ainsi  le  sceau  particulier  des  papes,  qui  était  déjà  en 
usage  au  treizième  siècle.  Imprimé  sur  cire  rouge  pour  les 
brefs,  sur  plomb  pour  les  bulles,  il  reste  appeudu  à  ces  di- 
vers doomients  par  du  fil  de  chanvre,  quand  il  s'agit,  dans 
les  bulles,  d'affaires  de  jurisprudence  ou  de  mariages,  et 
par  du  cordonnet  de  soie  rouge  et  jaune  en  matières  de 
grâces.  Sur  l'un  des  côtés  du  sceau  sont  gravées  les  images 
des  apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul;  sur  l'autre  est  inscrit 
le  nom  du  pape  régnant.  On  nomme  ce  sceau  anneau  du 
pécheur,  de  sa  forme  et  parce  que  l'apôtre  saint  Pierre, 
que  l'Église  regarde  comme  ayant  été  le  premier  des  papes, 
exerçait  la  profession  de  pêcheur  avant  de  devenir  l'un  des 
disciples  de  Jésus-Christ.  Ce  sceau  est  gardé  par  le  pape 
en  personne,  ou  bien  confié  à  la  garde  de  l'un  des  membres 
du  sacré  collège.  Il  n'y  a  que  le  pape  qui  s'en  serve,  ou  du 
moins  il  n'est  censé  en  être  fait  usage  qu'en  sa  présence. 
Après  la  mort  de  chaque  souverain  pontife,  il  est  brisé  par 
le  cardinal-camerlingue  en  fonctions,  et  la  ville  de  Rome  est 
dans  l'usage  d'offrir  au  nouveau  pape,  dès  (pie  le  conclave 
vient  de  l'élire  ,  un  autre  sceau ,  ou  anneau  du  pêcheur. 

AJXXExVU  ÉPÎSCOPAL.  Dès  les  temps  les  plus 
reculés  l'anneau  fut  pour  les  ecclésiastiques ,  et  particuliè- 
rement pour  les  prélats,  un  symbole  de  dignité,  le  gage  de 
leur  puissance  spirituelle  et  de  l'alliance  qu'ils  contractent 
avec  leur  Église.  On  peut  faire  remonter  au  quatrième  siècle 
l'usage  de  la  tradition  de  l'anneau  aux  évèques  dans  la 
cérémonie  de  leur  consécration.  Quand  le  quatrième  con- 
cile de  Tolède  ordonna  ,  en  6.33 ,  qu'on  restituerait  l'anneau 
au  prélat  réintégré  après  une  injuste  déposition,  il  ne  fit 
que  conlirmer  un  cérémonial  déjà  ancien  dans  le  sacre  des 
évéques.  Dans  la  formule  de  la  bénédiction  de  l'anneau 
épiscopal,  cet  ornement  est  envisagé  comme  le  sceau  de 
la  foi  et  le  signe  de  la  protection  céleste.  On  trouve  la 
même  signification  dans  les  paroles  que  prononce  le  prélat 
consécrateur  en  mettant  Vanneau  au  quatrième  doigt  de  la 
main  du  consacré.  —  Autrefois  les  évêques  portaient  cet 
anneau  au  doigt  index  de  la  main  droite;  mais  comme 
pour  la  célébration  des  saints  mystères  on  était  obligé  de  le 
mettre  au  quatrième  doigt,  l'usage  s'établit  de  l'y  porter 
constamment.  —  Vanneau  épiscopal  doit  être  d'or  et 
enrichi  d'une  pierre  précieuse  d'améUiyste  ;  mais  on  ne  do  il 
y  gravor  aucune  figure,  d'ajjiès  une  prescription  du  i)ape 
Innocent  Iil,qiii  n'a  pas  toujours  été  observée.  Les  évèques 
grecs  ne  portent  point  û'anneau  ;  les  archevêques  seuls  usent 
de  ce  privilège.  Des  évêques  et  archevêques  le  droit  à  l'an- 
neau s'est  depuis  étendu  à  tous  les  cardinaux,  qui  payent 
en  recevant  le  leur  une  certaine  redevance  pro  jure  annuli 
uirdinalUU. 

AJXiVEAU  DE  GYGES,  anneau  meneillcux  qui  ren- 
dait invisible  celui  qui  le  portait.  Yoijez  GvGi:s. 

AAWEAU  DE  SALOMOX.  Les  rabbins  et  la  plupail 
des  liistoriens  orientau.x  racouleiit  iiiillc  fables  sur  ce  lalis- 


KAU  DE  SATURNE  053 

man,  fables  qu'ont  dû  inventer  les  Arabes  qui  ont  écrit 
dc|)uis  Mahomet,  puisque  Josèphe,  malgré  son  amour  pour 
le  merveilleux,  n'en  fait  aucune  mention  dans  ses  .Antiquités 
Juives.  Un  jour,  nous  dit-on,  que  Salomon  ou  Soliman-lîen- 
Daoud  (Salomon,  Jils  de  David)  entrait  dans  le  bain,  il 
quitta  son  anneau,  que  lui  déroba  une  furie  qui  le  jeta  à  lu 
mer.  Privé  de  son  anneau ,  et  se  regardant  dès  lors  comme 
dépourvu  des  lumières  (pii  lui  étaient  indispensables  pour 
b:en  administrer,  Salomon  s'abstenait  depuis  (piarante  jours 
de  monter  sur  son  trône,  lorsque  enfin  il  retrouva  dans 
le  ventre  d'un  poisson  ser\  i  sur  sa  table  son  précieux  anneau 
dans  le  chaton  duquel  il  voyait  toutes  les  choses  qu'il  dé- 
sirait savoir,  tout  comme  le  grand-prêtre  voyait  dans  \'u- 
rim  et  le  thummin  de  son  pectoral  tout  ce  qu'il  voulait 
apprendre  de  la  part  de  Dieu. 

ANi\EAU  DE  SATURNE.  Le  globe  de  Saturne 
est  entouré  de  deux  grands  anneaux  plats ,  extiêtneiiient 
minces,  concenîiiques  à  la  planète  et  entre  eux,  tous  deux 
dans  le  même  plan,  et  séparés  l'un  de  l'autre  par  un  inter- 
valle très-étroit  dans  toute  l'étendue  de  leur  circonfi-rcnce. 
Ces  deux  anneaux  semblent  donc  ne  former  qu'un  seul  coq)s, 
Le  diamètre  extérieur  de  l'anneau  extérieur  a  28,391  my- 
riamètres,  le  diamètre  extérieur  de  ramieau  intérieur  a 
24,411  myriamètres,  le  diamètre  intérieur  de  l'anneau  in- 
térieur en  a  18,882;  l'intervalle  entre  la  planète  et  l'anneau 
intérieur  est  de  3,072  myriamètres;  celui  ([ui  sépare  les 
deux  anneaux  est  de  2S8  myriamètres  ;  enfin  l'épaisseur  des 
anneaux  est  au  plus  de  IG  myriainètrL'S. 

Que  les  anneaux  soient  une  substance  solide  et  opaque , 
c'est  ce  dont  on  ne  saurait  douter,  car  ils  projettent  leur 
ombre  sur  le  corps  de  la  planète ,  et  réciproquement  la  i)la- 
nète  projette  la  sienne  sur  eux.  Le  plan  du  double  anneau, 
perpendiculaire  à  l'axe  de  rotation  de  Saturne,  a  constam- 
ment la  même  inclinaison  sur  le  plan  de  l'orbite,  et  par 
conséquent  sur  celui  de  l'ecliptique,  savoir  de  28°  40',  et 
coupe  ce  dernier  suivant  une  ligne  qui  fait  avec  celle  des 
équinoxes  un  angle  de  170°;  en  sorte  que  les  niruds  du 
double  anneau  se  trouvent  à  170°  et  350°  de  longitude.  Par 
conséquent,  toutes  les  fois  que  la  planète  a  l'une  ou  l'autre 
de  ces  longitudes,  le  plan  du  douJale  anneau  passe  par  le 
soleil,  qui  alors  n'en  éclaire  que  le  bord  ;  et  comme,  au 
même  instant ,  en  raison  de  la  petite:-se  de  l'orbite  de  la 
terre  comparée  à  celle  de  Saturne,  notre  planète  ne  sau- 
rait être  bien  éloignée  de  ce  plan ,  et  doit ,  dans  tous  les 
cas ,  y  passer  un  peu  avant  ou  après  ce  moment,  ce  double 
anneau  ne  nous  apparaît  alors  que  comme  une  ligne  droite 
très-fine,  qui  croise  le  disque,  et  le  dépasse  de  chaque  côté; 
et  tellement  fine,  qu'elle  se  dérobe  à  tous  les  télescopes  qui 
ne  sont  pas  d'une  puissance  extraordinaire.  Ce  phénomène 
remarquable  a  lieu  à  des  intervalles  de  quinze  ans  ;  mais 
la  disparition  des  anneaux  est  généralement  double,  la  terre 
passant  deux  fois  dans  leur  plan  avant  que  le  mouvement 
lent  de  Saturne  ait  pu  le  transporter  hors  de  l'orbite  de 
notre  planète.  Cependant,  à  mesure  que  Saturne  s'éloigne 
de  ces  nœuds,  la  ligne  visuelle  fait  un  angle  de  plus  en  plus 
grand  avec  le  plan  du  double  anneau,  qui,  selon  les  lois  de 
la  perspective,  semble  s'ouvrir  peu  à  peu  pour  former  une 
ellipse  qui  atteint  sa  plus  grande  largeur  lorsque  la  planète 
est  à  90°  de  l'un  et  de  l'autre  nœud.  Au  moment  de  la  plus 
grande  ouverture,  le  plus  grand  diamètre  est  presque  exac- 
tement le  double  du  plus  petit. 

On  demandera  sans  doute  comment  un  anneau  si  gigan- 
tesque, s'il  est  composé  de  matières  solides  et  pondérables, 
peut  se  soutenir  sans  s'écrouler  et  tomber  sur  la  planète. 
La  réponse  à  cette  question  se  trouve  dans  une  prudigii'use 
vitesse  de  rotation  du  double  anneau  dans  son  propre  p-an, 
que  l'observation  a  découverte  au  moyen  de  la  diflérence 
d'éclat  qui  existe  entre  les  diverses  parties  du  double  an- 
neau; et  celte  rotation  a  une  durée  de  10''-29"'-  I7s-;  ce  qui, 
d'après  ce  que  nous  savons  de  ses  dimensions  et  de  la  force 


634 


ainnI':au  de  satuunk 


de  gravité  dans  le  système  de  Satunic ,  est  à  peu  près  le 
temps  périodique  qu'emploierait  un  satellite  h  tourner  au- 
tour du  corps  à  une  distance  é^ale  au  rayon  moyen  des 
deux  anneaux.  C'est  donc  la  force  centrifuge  due  à  cette 
rotation  qui  soutient  le  double  anneau  ;  et  quoique  aucune 
des  obsenations  faites  jusqu'à  ce  jour  n'ait  été  assez  délicate 
pour  nous  faire  découvrir  une  différence  dans  les  périodes 
entre  l'anneau  extérieur  et  l'anneau  intérieur,  il  est  plus  que 
probable  que  cette  différence  existe  de  manière  à  placer 
l'un  indépendamment  de  l'autre  dans  le  même  état  d'équi- 
libre. 

Quoique  les  anneaux  soient  à  fort  peu  de  cbose  près  con- 
centriques au  corps  de  Saturne,  néanmoins  des  mesures 
micrométri(iues  d'une  extrême  délicatesse  ont  démontré 
que  la  comcidcnce  n'est  pas  mathématiquement  exacte,  mais 
que  le  centre  de  gravité  des  anneaux  oscille  autour  du  corps 
en  décrivant  ime  très-petite  orbite,  probablement  en  vertu 
de  lois  dune  grande  complication. 

De  ce  que  la  plus  petite  différence  de  vitesse  entre  ce 
corps  et  les  anneaux  devrait  infailliblement  précipiter  ceux-ci 
sur  celui-là,  il  s'ensuit,  ou  que  leurs  mouvements  dans  leur 
orbite  commune  autour  du  soleil  ont  dû  avoir  été  coordon- 
nés entre  eux  par  un  pouvoir  extérieur  avec  la  précision 
la  plus  rigoiueuse,  ou  que  les  anneaux  se  sont  nécessairc- 
imi'nt  formés  autour  de  la  planète  lorsque  leur  mouvement 
commiui  de  translation  était  déjà  tracé  et  qu'ils  étaient 
sous  la  pleine  et  libre  inlluence  de  toutes  les  forces  actives. 

Les  anneaux  de  Saturne  doivent  offrir  un  spectacle  ma- 
gnifique à  ces  régions  delà  planète  situées  du  côté  éclairé, 
et  auxquelles  ils  se  présentent  comme  de  vastes  anneaux 
qui  traversent  le  ciel  d'un  liorizon  à  l'autre,  et  gardent  une 
situation  invariable  parmi  les  étoiles.  Au  contraire,  dans 
les  régions  qui  voient  la  face  obscure,  une  éclipse  de  soleil 
de  quinze  ans  de  durée,  proiluite  par  l'ombre  des  anneaux, 
doit  présenter  un  asile  inbospitalicr  pour  des  êtres  animés, 
que  la  faible  lumière  des  satellites  dédommage  assez  mal. 
Mais  nous  aurions  tort  de  juger  des  avantages  ou  des  in- 
convénients de  leur  condition  d'après  ce  que  nous  voyons 
autour  de  nous,  lorsque  peut-être  les  combinaisons  mêmes 
qui  ne  nous  apparaissent  que  comme  des  images  d'horreur 
peuvent  être  des  théâtres  oii  s'étalent  toutes  les  merveilles 
de  l'art.  Sir  John  Herschel. 

Lorsque  l'anneau  cesse  d'être  visible  pour  nous,  Saturne 
paraît  parfaitement  sphérique  ;  on  dit  alors  que  cette  planète 
est  dans  sa  phase  ronde.  Ce  phénomène,  qui  se  reproduit 
environ  tous  les  quinze  ans,  a  été  observé  pour  la  dernière 
fois  en  septembre  1848.  Cette  phase  ronde  reviendra  en 
1802,  1878,  1891,  etc.  Dans  la  position  la  plus  favorable 
pour  bien  voir  l'anneau  de  Saturne,  il  donne  à  cette  planète 
l'apparence  d'un  globe  garni  de  deux  anses  placées  aux 
deux  extrémités  d'un  de  ses  diamètres.  —  Bien  (jue  l'opi- 
nion générale  (;isse  de  l'anneau  de  Saturne  un  corps  solide, 
ft].  Chasles ,  renouvelant  une  hypothèse  de  Diderot ,  a  été 
conduit  à  supposer  que  ce  corps  immense  pourrait 
bien  n'être  autre  cho^e  qu'un  système  d'astéroïdes  qui 
formeraient  une  multitude  de  satellites  de  cette  planète. 
Du  reste ,  il  n'y  a  guère  que  deux  siècles  qu'on  s'occupe 
un  peu  de  ce  corps  singulier.  L'anneau  de  Saturne,  qu'on 
a  comparé  avec  justesse  à  un  pont  sans  piles,  avait  été 
complètement  inconnu  jusqu'à  Galilée,  qui  en  1012  fut  bien 
étonné  d'apercevoir  deux  prolongements  diamétralement 
opposés,  qu'il  jugea  d'abord  être  des  satellites  de  la  planète, 
à  laquelle  il  les  crut  même  adhérents.  Ce  n'est  qu'en  1G55 
qii'Huygens  découvrit  que  cet  appendice  de  Saturne  est 
de  forme  circulaire.  Enfin  William  Herschel  reconnut  que 
l'anneau  est  double;  il  calcula  les  dimensions  de  chaque 
partie  et  la  grandeur  de  rintcrvalle  qui  les  sépare  ;  ses  ré- 
sultats concordent  parfaitement  avec  ceux  que  Struve  a 
obtenus.  Aujourd'hui  on  est  porté  à  croire  qu'il  y  a  plus 
d'une  division  à  l'anneau,  et  que  ce  corps  se  compose  de 


-  A^XEAUX  COLORES 

cinq  ou  six  lames  annulaires  très-rapprochées  ;  cette  con- 
jecture est  fondée  sur  la  présence  de  certaines  lignes  noires 
concentriques,  qui  semblent  indiquer  une  division  réelle, 
surtout  depuis  qu'Encke  a  remarqué  que  ces  lignes  se 
montrent  sur  chaque  face  de  l'anneau,  dans  des  positions 
correspondantes. 

AKXEAUX  COLORÉS  (Optique).  Tous  les  corps 
diaphanes  léduits  en  lames  très-minces  font  éprouver  à  la 
lumière  des  décompositions  analogues  à  celles  du  prisme, 
et  les  rayons  réfléchis  comme  les  émergents  prennent  des 
teintes  variées,  qui  par  leur  arrangement  en  cercles  concen- 
triques constituent  ce  qu'on  nomme  des  anneaux  colorées. 
On  peut  observer  ces  phénomènes  dans  les  bulles  de  savon 
soufflées  jusqu'à  ce  qu'elles  éclatent  ;  un  moment  avant  de 
se  briser  elles  présentent  des  couleurs  vives  et  changeantes. 
Les  liquides  volatils  répandus  en  couches  minces  sur  des 
surfaces  polies  d'une  teinte  foncée  se  colorent  pareillement. 
On  peut  également  détacher  d'une  lame  de  mica  incolore 
des  feuilles  trcs-minces  qui  prennent  des  teintes  vives  de 
rouge  ou  de  vert.  L'air  lui-même  partage  cette  propriété, 
lorsqu'il  est  contenu  entre  deux  plaques  transparentes  que 
l'on  presse  fortement  l'une  contre  l'autre. 

Newton  observa  le  premier  ce  singulier  phénomène.  Il 
plaça  une  lentille  bi-convexe  ayant  une  grande  distance 
focale  sur  un  verre  plan,  et  fit  arriver  perpendiculairement 
à  la  lentille  un  rayon  de  lumière  blanche.  En  observant  le 
système  par  réflexion ,  il  vit  au  point  de  contact  de  la  len- 
tille et  du  verre  plan  tme  tache  noire,  et  autour  de  ce 
point  différentes  séries  de  teintes  disposées  en  anneaux.  Le 
point  noir  central  ne  devenait  visible  que  lorsque  la  pres- 
sion était  assez  grande  pour  établir  un  contact  immédiat 
entre  les  deux  verres,  et  le  nombre  des  anneaux  colorés 
augmentait  à  mesure  que  cette  pression  était  plus  éner- 
gique. 

Pour  ramener  le  phénomène  à  ses  éléments.  Newton  ré- 
péta l'expérience  en  employant  la  lumière  homogène  ;  il  vit 
qu'avec  la  lumière  rouge,  par  exemple,  il  ne  se  formait  que 
des  cercles  rouges  séparés  par  des  cercles  noirs,  et  ainsi  de 
suite.  En  général,  chaque  rayon  simple  produit  par  réflexion 
et  par  réfraction  une  série  d'anneaux  alternativement  noirs 
et  de  sa  couleur;  les  anneaux  noirs  réfléchis  correspondent 
aux  anneaux  colorés  réfractés  et  vice  versa. 

Newton  ayant  mesuré  les  diamètres  des  anneaux  vus  par 
réflexion,  trouva  que  leurs  carrés  étaient  comme  les  nombres 
impairs  1,3,  5,  7,  9,  etc.,  lorsqu'ils  correspondaient  aux 
milieux  des  anneaux  brillants,  et  comme  les  nombres  pairs 
2,  4,  6,  8,  etc.,  lorsqu'ils  correspondaient  aux  milieux  des 
anneaux  obscurs.  Ayant  pareillement  mesuré  les  diamètres 
des  anneaux  vus  par  transmission,  il  reconnut  que  leurs 
carrés  étaient  entre  eux  comme  les  nombres  0,  2,4,  6,  8,  etc., 
pour  les  parties  les  plus  colorées,  et  comme  l,  3,  5,  7,  9,  etc., 
pour  les  parties  les  plus  obscures.  Les  épaisseurs  des  lames 
d'air  correspondant  à  ces  différents  anneaux  étaient  donc 
dans  les  mêmes  rapports.  11  constata  que  ces  rapports 
étaient  encore  les  mêmes  lorsque,  au  lieu  de  lumière  rouge, 
on  employait  de  la  lumière  homogène  d'une  autre  couleur, 
et  loisque,  au  lieu  d'air,  on  interposait  entre  les  verres  une 
autre  substance  transparente,  telle  que  l'eau.  Il  découvrit, 
en  outre,  que  la  valeur  absolue  de  l'épaisseur  de  la  lame  in- 
terposée correspondante  à  un  anneau  obscur  ou  brillant  du 
même  ordre  était  exprimée  par  un  nombre  différent  pour 
chaque  couleur  et  pour  chaque  substance.  Pour  une  même 
substance,  les  anneaux  sont  plus  grands  pour  la  lumière 
rouge  que  pour  la  lumière  violette  ;  pour  une  même  couleur, 
les  épaisseurs  de  deux  lames  d'air  et  d'eau  correspondantes 
à  un  anneau  obscur  ou  brillant  du  même  ordre  sont  entre 
elles  connue  les  sinus  d'incidence  et  de  réfraction  lors  du 
passage  de  la  lumière  de  l'air  dans  l'eau.  Ceci  admis ,  les 
anneaux  irisés  qu'on  obtient  en  opérant  avec  de  la  lumière 
blanche,  s'expliquent  par  la  superposition  partielle  des  au- 


ANNEAUX  COLORÉS  —  ANNEE 


CS5 


neau\  provenant  dos  rayons  des  diiïorentes  teintes  qui 
c\i>tent  dans  la  lumière  blanche. 

I,e  jiluhioinène des  anneaux  colorés  s'obscne  aussi  dans 
des  cristaux  naturels  contenant  des  tissures  remplies  d'air 
ou  de  tout  autre  fluide  Depuis  la  découverte  de  la  polari- 
sation de  la  luinit're,  de  nouvelles  expériences  ont  fait  voir 
que  dans  certaines  circonstances  il  se  forme  non-seule- 
ment des  anneaux  colorés ,  mais  aussi  des  Ixiinies  colorées 
diversement,  ou  d'une  seule  couleur,  partai^éo  i>ar  des  lu- 
lervalles  obscurs.  Depuis  Newton ,  les  physiciens  ont  fait 
de  uoiiihreuses  recherches  sur  ces  phénomènes,  et  c'est  en 
partie  sur  les  lois  suivant  lesquelles  ils  se  produisent  que  se 
basent  les  tliéoi  ies  relatives  à  la  (ormalion   des  couleurs. 

AXA'LCV.  Voyez  Savoie  (  Département  de  la  Haute-). 

AA'A'ÉE,  dans  l'étendue  ordinaire  de  sa  signification, 
est  le  cycle  ou  l'assemblage  de  plusieurs  mois,  et  communé- 
ment de  douze.  En  général,  c'est  une  période  ou  espace  de 
temps  (jui  se  mesure  par  la  révolution  de  quelque  corps  cé- 
leste dans  son  orbite  -.  ainsi,  le  temps  dans  lequel  les  étoiles 
fixes  font  leur  révolution  est  la  grande  année,  qui  comprend 
25,920  de  nos  années  ^-ulgaires.  L'espace  de  temps  dans  le- 
quel Jupiter,  Saturne,  terminent  la  leur  et  retournent  au  môme 
point  du  zodiaque,  est  respectivement  appelé  année  de  Ju- 
piter, année  de  Saturne.  Eniin  le  nom  d'année  a  été  donne 
à  toutes  sortes  de  périodes  servant  à  mesurer  le  temps  : 
aussi  chez  certains  peuples  ,  qui  comptaient  par  saisons  , 
trouve-t-on  des  années  de  trois,  de  quatre  et  de  six  mois. 
Quelques-uns  même  appelèrent  année  la  révolution  que 
fait  la  terre  sur  elle-même  en  vingt-quatre  heures  :  c'est 
ainsi  du  moins  qu'on  explique  les  quatre  cent  cinquante 
mille  ans  d'antiquité  dont  se  vantaient  les  Babyloniens. 

La  véritable  année  ,  celle  qui  règle  le  cours  des  saisons , 
est  Vannée  solaire;  elle  comprend  l'espace  de  temps  dans 
lequel  le  soleil  parcourt  ou  parait  parcourir  les  douze  signes 
du  zodiaque,  c'est-à-dire  les  SOôJ  5''  48'"  51*  qui  forment 
Vannée  fixe.  On  nomme,  par  opposition,  année  civi/e,  celle 
que  l'on  compose  pour  les  usages  civils  d'un  nombre  de 
jours  à  peu  près  égal  à  l'année  fixe;  elle  est  chez  nous 
de  3G5  jours,  que  l'on  porte  à  306  dans  les  années  bissex- 
tiles, qui  reviennent  à  des  époques  régulières,  pour  effacer 
autant  que  possible  la  ditïérence  provenant  des  5  '>  48"'  51  ° 
dont  il  n'est  pas  tenu  compte  dans  l'année  vulgaire  de  305 
jours.  Cette  dénomination  de  bisse.i(Ue  vient  de  ce  que 
dans  le  calendrier  romain  le  jour  formé  au  bout  de  quatre  ans 
par  ces  5  h  48  •"  51»  était  placé  après  le  24  de  février,  qui  était 
le  sixième  des  calendes  de  mars.  Comme  ce  jour,  ainsi  ré- 
pété, était  appelé  en  conséquence  bis  sexta  calendas,  l'an- 
née où  ce  jour  était  ajouté  fut  appelée  aussi  bis  sexlus,  que 
nous  avons  traduit  par  bissextile.  Chez  nous  cependant  le 
lour  intercalaire  n'est  plus  regardé  comme  la  répétition  du 
24  lévrier,  si  ce  n'est  pour  les  fêtes  de  l'Eglise;  mais  il  est 
ajouté  à  la  fin  de  ce  mois  et  en  est  le  vingt-neuvième. 

Les  astronomes  appellent  année  tropique  le  temps  qui 
s'écoule  entre  deux  équinoxes  de  printemps  et  d'automne; 
année  sidérale,  le  temps  que  le  soleil  met  à  faire  sa  révo- 
lution apparente  autour  de  la  terre  pour  revenir  a  la  même 
étoile  ;  ou  jjlutot,  c'est  le  temps  que  la  terre  met  à  revenir  au 
même  point  du  ciel.  11  y  a  entre  ces  deux  années  une  lé- 
m'ie  diliérence ,  causée  par  la  rétrogradation  annuelle  de 
l'équinoxe,  dont  on  tient  compte  dans  les  calculs  astrouo- 
niiiiues. 

Vannée  julienne  est  l'année  du  calendrier  romain ,  ré- 
formé par  Jules  César.  Cette  année  supposait  l'année  as- 
tronomiciue  de  305 jours  6  heures;  elle  surpassait  par  con- 
séquent la  vraie  année  solaire  d'environ  il  minutes,  ce  qui 
a  occasionné  la  correction  grégorienne.  Vannée  grégo- 
r/e;Nie  n'est  donc  que  l'année  julienne  corrigée  par  la  sup- 
pression de  trois  bissextiles  en  quatre  siècles. 

Bien  (juele  soleil  lût  le  seul  régulateur  de  la  longueur  de 
l'année  par  rapport  aux  saisons,  cependant  on  ne  s'en  ser- 

WCT.    DK    LA    C0XVE[\S.    —    T.    I. 


vit  point  d'abord  :  le  mois  lunaire,  dont  la  révolution  est 
plus  prompte,  et  qui  frappe  tous  les  yeux,  devint  l'élément 
de  la  première  période  ou  de  la  première  amue  chez  prescpie 
tous  les  peuples  du  monde.  Mais  il  y  a  deux  espèces  de 
mois  ou  de  révolution  lunaire,  savoir  :  1"  la  révolution  pé- 
riodicpie ,  qui  est  de  27  J  7 ''43  "14  8  :  c'est  à  peu  près  |j 
temps  que  la  lune  emploie  à  faire  sa  révolution  autour  de  la 
terre,  par  rapport  aux  points  équinoxiaux  ;  2°  le  mois  syno- 
dique,  qui  est  le  temps  que  cette  planète  emploie  à  retour- 
ner vers  le  soleil  à  chaque  conjonction  ;  ce  mois,  intervalle 
de  deux  nouvelles  lunes ,  dont  il  présente  toutes  les  phases, 
se  compose  de  29l  12  h  44"'  3'.  C'est  le  seul  dont  on  se  soit 
constamment  servi  pour  mesurer  les  années  lunaires.  Or, 
comme  ce  mois  est  d'environ  29  jours  et  demi,  on  a  été 
obligé  de  supposer  les  mois  lunaires  civils  de  29  et  de  30 
jours  alternativement;  ainsi,  le  mois  synodique  étant  de 
deux  espèces,  astronomique  et  civil,  il  a  fallu  disthiguer 
aussi  deux  espèces  d'année  lunaire,  lune  astronomique, 
l'autre  civile.  L'année  astionomi(jue  lunaire  est  composée 
de  douze  mois  synodiques  lunaires,  et  contient  par  con- 
séquent 354 J  8''  48'"  35  s.  L'année  lunaire  civile  est  ou 
commune  ou  embolismique.  L'année  lunaire  commune 
est  de  douze  mois  lunaires  civils,  c'est-à-dire  de  354  jours. 
L'année  embolismique  ou  intercalaire  est  de  treize  mois 
lunaires  civils  et  de  384  jours.  On  voit  donc  que  l'année  lu- 
naire commune  de  354  jours  est  plus  courte  de  onze  jours 
au  moins  que  l'année  solaire.  Or,  les  calendriers  de  la  plu- 
part des  peuples  de  l'antiquité  étant  réglés  par  l'une,  tan- 
dis que  les  saisons  l'étaient  par  l'autre ,  il  en  résultait, 
après  un  petit  nombre  d'années  ,  des  inconvénients  tels  que, 
par  exemple,  l'on  voyait  arriver  en  hiver  les  fêtes  et  les 
mois  qui,  dans  l'institution  primitive, aiipartenaient  à  l'été. 

Les  Egyptiens  connurent  dès  la  plus  haute  antiquité  la 
véritable  longueur  de  l'année  solaiie  pour  leur  climat  ;  et  les 
savants  pensent  qu'à  une  époque  reculée  cette  longueur 
était  réellement  pour  le  méridien  de  ïlièbes  de  3G5  jours  (  t 
un  quart.  Celle  connaissance  ne  fut  jamais  étrangère  au 
collège  des  prêtres,  qui  régla  Tannée  civile  ainsi  qu'il  suit  : 
elle  était  composée  de  305  jours,  divisés  en  1 2  mois  de  30 
jours  chacun,  suivis  de  5  jours  complémentaires.  Les  noms 
de  ces  mois  étaient  :  1'='"  Thôt,  2*  Paoplii,  3*^  Atliïr, 
4"  C/ioïac,  b"  Tijbi,  G"  Mechir,  V  Phamenotli,  S*  Pliar- 
moulki,  II*-"  Paclioii,  10''  Paijni,  11"  Epiphi,  12*  Mesori, 
et  les  jours  épagomcncs.  11  résultait  de  l'année  égyptienne 
ainsi  réglée  une  perte  ou  rétrogradation  d'un  quart  de  jour 
à  peu  près  tous  les  ans  sur  l'année  solaire,  et  d'un  jour  en- 
tier tous  les  quatre  ans.  Les  prêtres  égyptiens  ne  fignoraient 
pas  ;  mais  ils  voulaient  ainsi  établir  une  période  sainte,  qui 
dans  une  révolution  fixe  ferait  successivement  passer  la 
même  fête  par  tous  les  jours  de  l'année  ;  cela  arrivait  en 
effet  dans  l'espace  de  1,461  années  de  3G5  jours,  qui  ont  la 
même  durée  que  1 ,400  années  de  3G5  jouis  et  quart.  L'année 
de  305  jours  se  nommait  vague,  et  l'autre  se  nomniQiiy/.rc. 
Cette  année  vague  civile  fut  en  usage  en  Egypte  jusqu'au 
règne  d'Auguste.  On  a  dressé  les  tables  de  ses  concordances 
avec  l'année  fixe,  et  l'on  sait  que  le  l*""  thot  ou  premier  jour 
de  l'année  vague  égyptienne  répondait,  l'an  744  avant  J.-C. , 
au  25  février  julien,  et  ce  fut  de  même  pour  les  trois  an- 
nées suivantes  743,  742  et  741  ;  en  740,  le  1'^'^  thot  tomba 
au  24  février,  et  ainsi  de  suite.  Auguste  arrêta  cette  année 
vague,  la  rendit  li\e,  attacha  le  1"'  thot  au  29  août  julien, 
admit  l'intercalation  bissextile  au  moyen  d'un  G*"  épagomèno 
tous  les  ([uatre  ans,  mais  inséré  à  la  lin  de  la  S''  année  de 
chaque  période  de  <|uatre  ans;  de  sorte  que  l'année  égyp- 
tienne coin:nen<,-ait  le  30  aoill  julien  dans  chacune  des  an- 
nées bissextiles  juliennes.  Tels  sont  les  deux  états  successif* 
du  calendrier  égyptien. 

Les  Juifs  avaient  une  année  religieuse  et  une  année  civiln, 
également  divisées  en  12  mois  portant  le  même  nom;  ma'-i 
la  première  commençait  vers  l'étpiiuoxe  du  printemps;  a 


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cette  éiioquc,  et  le  16  du  premier  mois,  ils  devaient  offrir  à 
Dieu  des  épis  d'orge  mûr.  L'année  civile  commençait  vers 
l'équinoxe  d'automne.  Les  douze  mois  de  ces  deux  années  se 
nommaient  :  1*""  Nisan  on  Abïb,  T  Jiar  ou  Ziv,  3*  Siban, 
4"  Thammouz,  5*  Ab,  6*  Eloiil,  V  Tisckri  ou  Aïlanhim, 
8"  Markhesvan  ou  Boni,  9*=  Kasler,  10^  Tebeth,  11'  Sche- 
belh,  12"  Adar.  L'année  était  lunaire  ou  de  354  jours,  et 
ces  mois  étaient  alternativement  caves  et  pleins,  c'est-à- 
dire  de  29  et  de  30  jours.  L'année  était  donc  en  relard  tous 
les  ans  de  1 1  jours  sur  l'année  solaire  ;  cette  rétrogradation 
ne  tardant  pas  à  faire  recommencer  l'année  trop  tôt  rela- 
tivement à  la  maturité  de  l'orge,  les  Juifs  ajoutaient  alors 
un  mois  de  plus  ou  adar  second,  de  30  jours,  pour  compen- 
ser ce  retard.  Il  y  avait  d'ailleurs  pfu  d'ordre  dans  le  ca- 
lendrier des  anciens  Juifs  ;  c'est  pourquoi  les  passages  de  la 
Bible  qui  s'y  rapportent  ont  offert  jusqu'ici  aux  critiques 
d'hisolubles  diflicultés. 

Les  Athéniens  curent  d'abord  une  année  lunaire  de  354 
jours,  divisée  en  douze  mois  successivement  caves  et  pleins, 
et  dans  l'ordre  suivant  :  1'''^  Gamélion,  2'  Antesthérion, 
•i"  ElaphéboUon,  4''  Munychton,  5"  Tkargélïon,  6'  Scïr- 
rophoiinn,  1"  Hécntombœon,  i"  Métaijitnion,  9'  Boédro- 
mion,  10^  Mœmactérion,  il"  Pijancpsion,  12"  Posidéon. 
Lorsqu'on  se  fut  aperçu  de  la  rétrogradation  de  cette  année 
lunaire  sur  le  retour  périodique  des  saisons,  on  consulta 
l'oracle,  qui  ordonna  de  régler  les  mois  sur  la  lune  et  l'année 
sur  le  soleil.  On  adopta  donc  une  intercalation  d'un  mois 
de  30  jours,  et,  pour  la  rendre  aussi  exacte  que  possible,  on 
arrêta  que  cette  intercalation  aurait  lieu  trois  fois  en  huit 
ans;  et,  en  effet,  huit  années  de  354  jours  avec  trois  mois 
intercalaires  de  30  jours,  sont  égales  à  huit  années  de  305 
jours  et  quart,  ou  2,922  jours.  Ainsi,  chaque  octaérkle  re- 
commençait vers  la  nouvelle  lune  qui  suivait  le  solstice 
d'été,  et  le  calendrier  athénien  était  soumis  à  toutes  les  va- 
riations qu'entrainait  sa  singulière  composition.  Il  faut  re- 
marquer cependant  que  le  calendrier  civil  des  Athéniens  ne 
fut  ainsi  définitivement  arrêté  que  430  ans  avant  J.-C. 

Les  Lacédémoniens,  les  Macédoniens  et  les  autres  peu- 
ples de  la  Grèce  eurent  aussi  un  calendrier  particulier.  Après 
les  conquêtes  d'Alexandre ,  los  noms  des  mois  macédoniens 
furent  imposés  à  plusieurs  nations  ou  villes  de  l'Asie,  à  la 
Syrie,  Éphèse,  Antioche,  Gaza,  Smyrne,  Tyr  et  Sidon.  Voici 
les  noms  de  ces  mois  :  1"""  D'ms,  2"  Apellœus,  3'  Andij- 
nœus,  4'  Perilrus,  5'  Dijstrus,  G"  Xanlhicus,  T  Arle- 
inisiiis,  8"  Dœsius,  9*  Panemus,  10"  Lotis,  11"  Gorpiœus, 
12"  llijperbcrctœus.  Les  Pto'.émées,  en  Egypte,  se  ser- 
virent aussi  du  calendrier  macédonien  en  même  temps  que 
du  calendrier  égyptien,  comme  le  prouve  l'inscription  de 
Rosette,  datée  du  IS  méchyr  égyptien,  concourant  avec 
le  4  xanthique  macédonien.  Enfin,  les  astronomes  grecs 
avaient  une  année  solaire  à  leur  usage,  aux  mois  de  laquelle 
ils  donnaient  les  noms  des  douze  signes  du  zodiaque. 

11  paraît ,  d'après  des  témoignages  assez  authentiques  et 
anciens,  que  dès  le  commenœment  historique  de  Rome,  le 
calendrier  fut  et  dut  être  le  même  que  ceux  des  Albains,  des 
Sabins  et  des  autres  peuples  italiotes,  assez  mal  réglé,  si 
l'on  s'en  rapporte  à  Censorin.  Le  nombre  des  mois  n'était 
que  de  10,  et  celui  des  jours  de  304,  ainsi  répartis  :  mars,  3 1  ; 
avril,  30;  mai,  31;  juin,  30;  quintilis  (ou  5"),  31;  se\- 
tilis ,  30  ;  septembre ,  30  ;  octobre  ,31;  novembre ,  30  ;  dé- 
cembre, 30.  C'est  ainsi  que  Numa  trouva  le  calendrier 
de  Rome  à  son  avènement.  Il  entreprit  de  le  réformer  ;  il  le 
lit,  selon  l'année  lunaire,  de  355  jours,  en  y  ajoutant  au 
commencement  le  mois  de  janvier,  de  29  jours,  et  à  la  fin 
celui  de  février,  de  28  jours,  ne  laissant  31  jours  qu'aux  an- 
ciens mois  de  mars,  mai,  quintilis  et  octobre,  et  fixant  tous  les 
autres  à  29.  Numa,  voulant  atissi  nieltre  son  année  lunaire 
en  rapport  avec  l'année  solaire,  fixa  pour  diaqne  intervalle 
de  quatie  ans  une  intercalation  de  22  jours  à  la  deuxième 
aunée,  et  une  autre  de  23  jours  à  la  quatrième  année.  Ce  pc- 


tit  mois,  placé  après  février,  se  nommait  mercedoniits.  Il  en 
résultait  une  série  de  1,465  jours  pour  ces  quatre  années,  et 
cependant  quatre  années  de  365  jours  et  quart  ne  contien- 
nent que  1,461  jours.  Il  y  avait  donc  une  superfétation  de 
quatre  jours  ,  qui  était  une  cause  très-grave  de  désordie,  à 
moins  qu'on  ne  stippose  que  cette  erreur  provienne  des  écri- 
vains qui  nous  l'ont  transmise,  en  faisant  l'année  de  Numa 
de  355  jours  au  lieu  de  354,  comme  elle  était  partout  ail- 
leurs. En  l'an  IV  de  Rome ,  le  mois  de  février  fut  placé  im- 
médiatement après  janvier,  selon  le  témoignage  d'Ovide. 
L'autorité  sur  les  intercalât  ions  appartenait  au  collège  des 
pontifes  :  c'était  le  bureau  des  longitudes  de  l'époque  ;  ils 
rédigeaient  le  calendrier  pour  chaque  année,  décidaient 
arbitrairement  parfois  du  nombre  des  jours  qu'elle  compte- 
rait, et  ce  droit  était  entre  leurs  mains,  jusqu'à  un  certain 
point,  un  grand  moyen  d'administration  ,  car  ils  allongeaient 
ou  accourcissaient  la  durée  des  magistratures  en  réglant 
celle  de  l'année  ;  ils  favorisaient  ou  vexaient  par  le  même 
moyen  les  fermiers  des  revenus  de  l'État.  Le  désordre  des 
mois ,  relativement  aux  saisons  et  aux  récoltes ,  fut  porté 
à  l'extrême  ;  un  écpiinoxe  du  printemps  arriva  avant  le  16 
mars  du  calendrier,  et  Cicéron  priait  Atticus  de  s'opposer  à 
ce  que  l'année  de  son  proconsulat  en  Cilicie  fût  prolongée 
par  une  intercalation.  Jules  César,  en  réglant  le  calendrier, 
mit  fin  à  cette  confusion. 

C'est  de  cette  réformation,  à  laquelle  il  donna  son  nom , 
que  naquit  Vannée  julienne,  laquelle  passa  des  Romains 
dans  l'Église  chrétienne.  Mais  l'année  julienne  était  loin  de 
concorder  parfaitement  avec  les  véritables  mouvements  des 
corps  célestes,  et  après  que  les  chrétiens  l'eurent  adoptée, 
il  en  résulta  une  perturbation  dans  l'ordre  des  fêtes  par 
rapport  aux  saisons,  qui  nécessita  la  réforme  opérée  en  1581 
par  Grégoire  XUI,  réforme  que  nous  expliquerons  en  son 
lieu  en  tiaitant  le  mot  calendrier.  Il  nous  snlîua  de  dire 
ici  qu'en  vertu  d'une  huile  de  1581,  le  lendemain  du  4 
octobre  de  l'année  suivante,  1582,  porta  le  quantième 
du  1 5  octobre,  et  ainsi  de  suite  ;  par  ce  moyen ,  le  1 1  mars 
suivant  se  trouva  le  21,  et  Téquinoxe  fut  rétabli  sur  le  ca- 
lendrier a  sa  date  primitive.  Cependant,  les  protestants  et  les 
Églises  grecques  refusèrent  de  retrancher  les  dix  jours  ;  ce 
qui  fit  appliquer  à  leur  année  la  dénomination  de  vieiix 
style,  tandis  que  l'on  appelait  nouveau  style  l'année  ré- 
tablie. 

Disons  maintenant  quelques  mots  sur  l'année  en  usage 
chez  les  peuples  modernes  qui  ne  sont  pas  chrétiens. 

L'année  arabe  ou  turque  est  une  année  lunaire  composée 
de  12  mois ,  qui  sont  alternativement  de  30  et  de  29  jours  ; 
quelquefois  aussi  elle  contient  13  mois.  En  voici  les  noms 
1"'  Muharram,  de  30  jours  ;  2"  Saphar,  29  ;  3"  Rabin,  30  ; 
4"  second  Rabin,  29;  ô"  Jornada,  30;  6"  second  Jorna- 
da, 29  ;  7"  Rajab,  30  ;  8"  Shanban ,  29  ;  9"  Samadan,  30  ; 
10"  Shaival,  29  ;  11"  Dulkaadah,  30  ;  12"  Dulhegrjia,  29  , 
et  de  30  dans  les  années  hyperhémères  ou  embolismiques. 
On  ajoute  un  jour  intercalaire  à  chaque  2",  5",  7",  10", 
13",  15",  18",  21",  24",  26",  29"  année  d'un  cycle  de  trente 
ans.  Les  années  embolismiques  sont  de  355  jours  ;  les  an- 
nées communes,  de  354.  —  L'année  des  Juifs  modernes  est 
pareillement  une  année  lunaire  de  12  mois  dans  les  années 
communes,  et  de  13  dans  les  années  embolismiques,  les- 
quelles sont  les  3" ,  6"  ,  8"  ,  1 1" ,  14"  ,  17" ,  19»  du  cycle  de 
dix-neuf  ans.  Voici  les  noms  de  ces  mois  et  leur  durée  : 
l"""  Tisri,  30  jours;  2"  Marchesvan ,  29;  3"  Cïsleu,  30; 
4"  Tebeth,  29  ;  5"  Schebelh,  30  ;  6<=  Adar,  29  ;  7»  Veadar,  dans 
les  années  embolismiques,  30  ;  8"  Msan ,  30;  9"  Jiiar,  29; 
iO'Sivau,  29;  11'  Thamxiz,  29  ;  12«  Ab,  30;  13'  Elul,  29. 
Les  Égyptiens,  les  Challéens ,  les  Perses,  les  Syriens, 
les  Phéniciens,  les  Carthaginois,  commençaient  l'année  à 
l'équinoxe  d'automne.  C'était  aussi  à  partir  de  cette  époque 
que  les  Juifs  comptaient  leur  année  civile,  bien  que  leur 
année  rcrgieuse  commençât  à  l'équinoxe  du  printemps.  La 


ANNÉE  —  ANKÉLIDES 


première  datait  du  I"  de  tisri  (22  septembre,  1"  vendé- 
miaire); la  deuxfème,  du  l""  de  nisan  (22  mars,  1"^  ger- 
minal). —  Le  eommencement  l'.e  l'année  des  Grecs  se 
trouvait  au  solstice  d'hiver  avant  Méton  (c'est-à-dire  vers 
le  22  décembre,  1^"^  nivôse),  et  au  solstice  d'été  depuis 
Méton  (c'est-à-dire  vers  le  3  juillet,  13  ou  14  messidor). 
Celle  des  Homains  datait  de  l'équinoxe  du  priutemi>s  lors 
de  Romulus ,  du  solstice  d'hiver  depuis  Numa.  —  Les  an- 
ciens peuples  du  Nord  commençaient  leur  année  au  solstice 
d'hiver. 

Les  niahométans  ne  commencent  point  leur  année  à  une 
époque  détermime.  Chez  la  plupart  des  peuples  qui  habi- 
tent les  Indes  orientales,  Tunnée  est  lunaire  et  commence 
au  premier  quartier  de  la  lune  la  plus  proche  du  mois  de 
décembre;  elle  se  divise  en  12  mois  de  29  et  de  30  jours, 
et  le  mois  en  semaines  de  sept  jours.  —  L'année  chez  les 
Péruviens  conmiençait  au  solsticiî  d'hiver,  et  à  l'équinoxe 
du  printemps  chez  les  Mexicains.  L'année  des  pieuuers  était 
lunaire  et  divis<*e  en  quatre  parties  égales,  portant  le  nom 
de  leurs  quatre  principales  fêtes  instituées  en  l'honneur  des 
quatre  divinités  allégoriques  des  saisons.  Les  seconds  avaient 
une  année  de  360  jours,  et  5  complémentaires.  Elle  était  di- 
visée en  18  mois  de  20  jours,  et,  comme  les  nations  euro- 
péennes, ils  avaient,  dit-on,  leur  année  bissextile.  —  Jusqu'en 
1752,  les  Anglais  aimmencèrent  leur  année  légale  à  l'équi- 
noxe du  printemps  (21  mars);  mais  à  cette  époque  un  bill 
la  reporta  au  solstice  d'hiver  (21  décembre).  —  Les  Espa- 
gnols, les  Portugais, les  Hollandais,  les  Allemiinds,  la  com* 
mençaient  également  au  solstice  d'hiver. 

Le  commencement  de  l'année  a  varié  plusieurs  fois  en 
France.  Selon  Grégoire  de  Tours  et  Frédégaire,  il  parait  que 
les  écrivains  des  premiers  siècles  de  la  monarchie  ont  quel- 
quefois daté  de  la  Saint-Martin.  Cependant,  en  général,  on 
peut  dire  que  Tannée  commençait  sous  la  première  race 
au  1^''  mai.  C'était  le  jour  où  l'on  passait  les  troupes  en 
revue.  Le  gouvernement  était  alors  tout  militaire,  et  les  pre- 
miers monarques  des  Francs  étaient  plutôt  leurs  chefs  que 
leurs  rois.  Sous  la  seconde  race,  l'année  commenra  au  sol- 
stice d'hiver,  c'est-à-dire  à  Noël  ;  c'était  l'année  des  clercs,  les 
seuls  alors  qui  sussent  lire.  Sous  la  troisième  race,  l'usage 
de  commencer  l'année  à  Pâques  prévalut  sur  tous  les  autres, 
quoique  le  moindre  de  ses  inconvénients  fût  de  donner  à 
chaque  année  un  nombre  inégal  de  jours  ;  les  limites  de 
cette  inégalité  n'étant  pas  moins  de  33  jours,  le  comput  par  la 
Pâques  faisait  commencer  l'année  près  de  trois  ou  quatre  mois 
après  l'usage  actuel.  La  confusion  était  grande  sur  ce  point, 
non-seulement  d'État  à  État,  mais  pour  nous-mêmes  de  pro- 
vince à  province.  L'autorité  royale  intervint  enfin,  et  un  édit 
de  Charles  IX,  rendu  à  Paris  au  mois  de  janvier  1563  ,  or- 
donna que  tous  les  actes  publics  seraient  datés  en  commen- 
çant l'année  au  l""  janvier.  Cette  mesure,  malgré  son  évi- 
dente utilité,  trouva  cependant  dans  le  parlement  de  Paris 
une  violente  opposition.  Cet  édit  n'était  que  le  complément 
de  l'ordonnance  d'Orléans,  donnée  sur  les  cahiers  présentés 
par  les  états  tenus  dans  cette  ville.  L'article  39  s'exprime 
ainsi  :  «  Voulons  et  ordonnons  qu'en  tous  les  actes,  regis- 
tres, instruments,  contrats,  édits,  lettres  tant  patentes  que 
missives  et  toutes  écritures  privées ,  l'année  commence  do- 
rénavant et  soit  comptée  du  premier  jour  du  mois  de  jan- 
vier. »  Celte  mesure  aurait  du  ôtre  adoptée  au  1'"''  janvier 
1564;  mais  il  n'en  fut  pas  ainsi  :  le  parlement,  qui  tenait 
aux  anciennes  coutumes,  fit  des  remontrances,  et  n'enregistra 
pas  l'édit.  Ces  remontrances  furent  l'occasion  de  la  déclara- 
tion datée  de  Roussillon,  en  Dauphiné  ,  le  4  aoilt  1564,  sous 
le  contrescel  de  laquelle  l'édit  fut  mis,  ce  qui  a  fait  confondre 
l'édit  avec  la  déclaration,  même  par  de  savants  écrivains. 
L'édit  fut  enregistré  le  22  décembre  1564.  Cette  année  finit 
donc  avec  le  31  décembre,  et  l'année  1565  dut  commencer 
le  lendemain  ,  T""  janvier.  Mais  le  roi  seul  se  contbrma  à 
celle  manière  de  coiniiler,  qui  ne  fut  admise  dans  les  actes 


G27 

que  par  ses  secrétaires  et  les  secrétaires  d'ittat  ;  le  parlement, 
au  contraire,  continua  l'ancien  usage,  à  la  faveur  de  ses 
remontrances ,  et  il  en  résulta  que  des  actes  royaux  datés 
du  mois  de  janvier  1565  furent  enregistrés  à  la  date  du  mois 
de  janvier  1564.  Le  parlement  continuant  de  commencer  l'an- 
née à  Pâques,  une  déclaration  du  roi,  du  10  juillet  1560, 
prescrivit  l'exécution  de  l'édit  de  1563  :  le  parlement  l'enre- 
gistra le  23  juillet ,  se  réservant  encore  de  faire  des  remon- 
trances ;  mais  une  nouvelle  déclaration  du  roi  du  1 1  décem- 
bre même  année,  enregistrée  le  23  décembre,  du  comman- 
dement très-exprès  du  roi,  fit  enfin  cesser  l'opposition  du 
parlement,  et  le  1*'  janvier  suivant,  1567, fut  adopté  parcelle 
cour  souveraine  pour  le  commencement  de  l'année.  On  voit 
par  cet  exposé  combien  il  lut  difficile,  môme  pour  l'auto- 
rité royale ,  d'établir  une  règle  définitive  dans  un  point  de 
l'administration  publique  aussi  important  que  l'est  la  sup- 
putation du  temps  pour  l'ordre  civil.  Aussi ,  plus  tard ,  fal- 
lut-il tout  le  pouvoir  dictatorial  de  la  Convention  pour  faire 
adopter  instantanément  dans  toute  la  France  le  calendrier  ré- 
publicain, qui  n'a  eu  que  quelques  années  d'existence.  Nous 
parlerons  au  mot  Calendrier,  de  ce  nouveau  système,  nous 
bornant  à  dire  ici,  par  rapport  à  l'année  qu'il  avait  admise, 
que  cette  année  était  composée  de  365  jours  divisés  en 
12  mois  de  30  jours,  et  suivis  de  5  jours  complémentaires. 
Un  6^  complémentaire,  ajouté  périodiquement,  faisait  les 
années  bissextiles.  Le  mois  était  divisé  en  trois  décades  de  dix 
jours  chacune.  Ce  calendrier  a  subsisté  moins  de  quatorze 
ans.  Sa  quatorzième  année ,  commencée  le  23  septembre 
1S05,  finit  le  31  décembre  suivant,  qui  répondait  au  10  ni- 
vôse an  XIV.  Un  sénatus-consulte  du  21  fructidor  an  XIII 
rétabUt  le  calendrier  grégorien  à  compter  du  1*''  janvier 
suivant,    1806.  Teyssèdre. 

ANIVÉE  CLIMATÉRIQUE.   Voyez  Climatériqce. 

AJVIVÉLIDES.  Classe  d'animaux  articulés  dont  les 
anciens  ne  connaissaient  qu'un  petit  nombre.  Aristote  et 
Pline  ne  font  mention  que  de  sangsues  et  de  scolopendres 
marines,  que  l'on  croit  être  des  néréides.  Willis  et  Swam- 
merdam  avancèrent  un  peu  l'iiistoire  de  ces  animaux  ;  mais 
c'est  principalement  aux  travaux  de  Muller,  d'Othon  labri- 
cius  et  de  Pallas  qu'elle  dut  ses  progrès  dans  le  siècle  der- 
nier. Jusqu'à  Cuvier  les  annélides  étaient  dispersées  dans 
trois  divisions  différentes  de  la  classe  des  vers ,  et  confon- 
dues les  unes  avec  les  vers  intestinaux  ou  avec  des  mol- 
lusques sans  coquille,  et  les  autres  avec  les  testacés  :  Cuvier 
les  désigna  d'abord ,  après  en  avoir  fait  un  groupe  natuiel , 
sous  le  nom  de  vers  à  sang  rouge;  Lamarck  leur  donna  ce- 
lui d'annélides.  Plus  tard  Cuvier,  ayant  découvert  le  mode 
de  circulation  propre  aux  annélides,  en  forma  une  classe 
distincte,  qui  a  été  adoptée  depuis  avec  les  mêmes  limite» 
par  presque  tous  les  naturalistes.  C'est  principalement  aux 
recherches  de  Savigny  qu'on  doit  les  progrès  que  la  science 
a  faits  dans  l'histoire  zoologique  de  ces  animaux  ,  progiès 
que  les  beaux  travaux  d'Audouin ,  de  Blainville  et  de 
M.  Milne- Edwards  ont  avantageusement  continués. 

Les  annélides  ont  toujours  leur  corps  plus  ou  moins  mou  et 
divisé  presque  constamment  en  un  très-grand  nombre  d'an- 
neaux :  c'est  cette  dernière  particularité  qui  a  fait  donner  à 
ces  animaux  le  nom  qu'ils  portent.  Leur  corps  est  ordinaire- 
ment venniforme;  et  la  peau  en  est  colorée  d'une  manière 
plus  ou  moins  vive  et  très-nuancée  ;  dans  quelques  cas  elle 
est  terne  et  terreuse.  Quelques  espèces,  telles  que  les  sang- 
sues, n'ont  point  de  pieds;  d'autres,  comme  les  lombrics 
ou  vers  de  terre,  n'ont  que  des  poils  ou  des  crochets 
pour  tout  organe  de  locomotion  ;  quelques-unes  enfin ,  telles 
que  les  errantes  et  les  tubicoles,  ont  de  véritables  pieds 
d'une  structure  très-compliquée.  Les  eiTantes  sont  de  toutes 
les  annélides  celles  qui  ont  les  pieds  les  plus  parfaits  :  ils 
existent  à  chaque  anneau,  et  peuvent  être  divisés  en  deux 
rames,  l'une  supérieure  et  dorsale,  l'autre  inférieure  ou  ven- 
tiale  :  quelquefois  les  deux  rames  sont  inlimemcnt    uui«» 

/y. 


A^JKÉLIDES  —  A.N'MIUL 


028 

entre  elies.  La  lame  ventrale  est  la  plus  saillante  et  la  mieux 
organisée  pour  la  [jroj^rcssion.  Chaque  rame  [irésente  deux 
parties  trùs-distincles  :  les  cirrhcs  et  les  soies.  Les  cirrhes 
sont  des  filets  tubuleux ,  communément  nUractilos ,  et  sem- 
blables en  quelque  sorte  aux  antennes  des  insectes  :  les  soies 
traversent  les  libres  de  la  peau,  et  pénètrent  avec  leur  four- 
reau dans  l'intérieur  du  corjis  oii  sont  fixés  les  muscles  des- 
tinés à  les  mouvoir.  Ces  soies  sont  de  deux  espèces  :  les  soies 
proprement  dites,  et  les  ncicules,  qui  sont  plus  grosses  que 
les  autres,  droites,  coniques,  aiguës,  contenues  dans  un 
fourreau  dont  l'oiilice  jjarticulier  se  reconnaît  à  sa  saillie,  et 
ne  présentent  jamais  de  denticules  sur  leurs  côtés.  La  der- 
nière paire  de  pieds  constitue  les  slijles  ou  longs  filets  qui 
accomiiagnent  Tanus  et  terminent  ordinairement  le  corps. 
Les  pieds  des  annélides  tubicoles  présentent  en  outre  une 
autre  esiièce  de  soies  :  ce  sont  les  soies  à  crochets,  dont  le 
nom  indique  la  forme,  et  qui  ont  pour  usage  de  sVcroclier, 
ce  qui  permet  à  l'animal  de  monter  ou  de  descendre  faci- 
lement dans  l'intérieur  du  tube  ([u'il  habite.  Chaque  paire 
de  pieds  dans  les  errantes  supporte  communément  une  paire 
de  branchies  très-variable  pour  leur  étendue  et  leur  configu- 
ration, tandis  que  les  pieds  des  annélides  tubicoles  en  man- 
quent. La  tcle  n'est  distincte  que  dans  un  seul  ordre  des 
annélides ,  celui  des  errantes  :  elle  supporte  des  antennes , 
des  yeux  et  des  mâchoires  insérées  sur  une  trompe  que  l'a- 
nimal fait  rentrer  et  sortira  volonté.  Les  hirudinées,  quoi- 
que n'ayant  point  de  tête  distincte,  sont  pour\'ues  cepen- 
dant d'yeux  et  de  mâchoires. 

On  peut  dire  que  l'anatoniie  des  annélides  n'est  encore 
bien  connue  que  dans  quelques  espèces,  les  sangsues 
entre  autres.  Le  système  nerveux  ne  dillère  pas  essenliel- 
leim'iit  de  celui  des  insectes  tit  des  autres  animaux  articu- 
lés ;  il  Ibrujc  une  série  de  ganglions  placés  longitudinale- 
ment  au-dessous  du  canal  intestinal ,  et  qui  fournissent 
chacun  plusieurs  filets  nerveux.  On  ne  distingue  dans  les 
annel  des  aucun  organe  de  l'ouie  ni  de  l'odorat  :  elles  ont 
n  la  [)artie  antérieure  de  leur  corps  des  points  colorés 
qu'on  considère  comme  des  yeux.  Les  annélides  sont  pour- 
vues d'un  sysîènw  circulatoire  complet ,  dans  letiuel  le  sang 
est  rouge;  par  l'ellet  de  la  circulation,  le  sang  se  réoxy- 
Hènc  da;is  les  organes  de  la  i-esp:ration,  qui  se  montrent  à 
l'exlérieur  dans  plusieurs  espèces  sous  forme  de  branchies 
plus  ou  moins  saillantes,  d'une  couleur  parfois  rouge,  et  qui 
chez  les  sangsues  sont  situées  à  linlérieur  du  corps,  et 
constituent  de  chaque  coté  des  espèces  de  poches  pu  nio- 
naircs,  sur  les  parois  def<iuelles  se  distribuent  un  très-grand 
nombre  de  vaisseaux  sanguins. 

Les  annélides  se  nourrissent  généralement  de  petits  ani- 
maux (lu'elles  dévorent  avec  avidité.  Les  hirudinées  se  gor- 
gent  du  sang  des  autres  animaux,  et  leur  canal  intestinal, 
qui  s'étend  dans  toute  la  longueur  du  corps  sans  présenter 
tic  circonvolutions  ,  est  susceptible  d'une  grande  extension. 
Toutes  les  annélides  paraissent  être  androgynes  ;  et  comme 
la  fécondation  ne  peut  s'opérer  que  par  un  contact  mutu>  I, 
ks  orifices  des  organes  mâles  et  des  organes  femelles  se  pré- 
sentent, dans  les  sangsues  i)ar  exemple,  sous  la  forme  de 
pores  situés  à  la  partie  intérieure  et  sur  la  ligne  moyenne  du 
corps ,  très-près  l'un  de  l'autre.  Les  organes  générateurs 
nulles  se  (  onqiosent  des  testicules,  des  amaux  déférents,  des 
vésicules  séminales  et  de  la  verge;  les  organes  femelles  sont 
formés  par  un  vagin  court,  (jui  conduit  dans  ime  poche  assez 
développée  après  la  fécondation,  (pi'on  a  appelée  matrice, 
et  au  fon<l  de  lacpielle  vient  aboutir  un  canal  terminé  ])ar 
deux  i)elits  corps  o\alaires  ap|)elés  ovaires.  La  plupart  des 
annélides  sont  ovip;ues  :  les  liiriulinées  et  les  lombrics 
poiulent  des  Ciqisules,  dans  les(pielles  se  développent  plu- 
sieurs germes  ;  (juel.pies  espèces  engendrent  des  œufs 
qu'elles  défiosent  i>iilemenl.  Les  annélides  vivent  dans  les 
eaux  douces  et  sak-es  ou  bien  enbuuees  dans  |;i  terre.  Flu- 
iieeis  espèces  qui  hahiteut  dans  la  terre  sont  sédei'.'aires, 


timides,  et  ne  savent  ni  fuir  ni  «e  défendre  lorsqu'on  le.? 
retire  de  leur  demeure,  tandis  que  d'autres,  au  contraire, 
sont  vagabondes  ,  nagent  avec  agilité  à  l'aide  de  leurs  pieds, 
et  résistent  à  leurs  ennemis  au  moyen  de  poils  acérés  qui 
garnissent  leurs  pattes  ou  qui  recouvrent  tout  leur  corps. 
M^L  Audouin  et  Milnc-Edwards  ont  divisé  les  annélides 
en  quatre  groupes  primitifs  ou  ordres,  basés  sur  quatre  types 
principaux  d'organisation  et  des  différences  non  moins  re- 
marquables dans  leurs  mœurs.  Le  premier  ordre  est  cons- 
titué |)ar  les  annélides  errantes  :  il  se  compose  de  cinq  fa- 
milles :  k'S  aphrodisicns,  les  amphinomiens,  les  eunicicns, 
les  néréidicns  et  les  ariciens.  Le  second  ordre  des  anné- 
lides est  formé  par  les  tubicoles  ,  divisés  en  trois  familles  : 
les  amphilliriliens ,  Xes,  maldanies ,  les  télét/nises.  Le 
troisième  ordre  des  annélides  se  compose  des  terricoles,  for- 
mant deux  familles  :  les  échiurcs  et  les  lombricicns.  Le 
quatrième  ordre,  ou  les  annélides  suceuses,  comprend  les 
branchellinnées  et  les  hirudinées.      D'  Alex.  Dlcrktt. 

AIV'iV2B.\L  naquit  à  Carthage,  vers  l'an  241  avant  J.-C. 
Il  n'avait  (jue  neuf  ans  quand  son  père,  Amilcar,  lui  fit 
jurer  sur  un  autel  d'être  l'étemel  ennemi  des  Romains.  Ja- 
mais ferment  ne  fut  mieux  rempli.  —  A  la  mort  d'As- 
d  r  u  b  a  1 ,  que  Carthage  avait  chargé  de  conquérir  l'Espagne, 
Annibal,  qui  s'était  formé  à  l'art  de  la  guerre  sous  son  père 
et  sous  son  beau-frcre ,  et  qui  était  alors  Agé  de  vingt-trois 
ans,  prit  le  commandement  de  l'armée.  Il  employa  la  fin 
de  la  campagne  et  les  deux  suivantes  à  soumettre  tout 
le  pays  jusqu'à  l'tbre.  Se  voyant  alors  à  la  tête  d'nns 
armée  nombreuse  et  aguerrie,  et  pouvant  compter  sur  les 
ressources  de  l'Espagne  soumise ,  il  ne  songea  plus  qu'à 
romp.-e  l'alliance  conclue  avec  les  Romains.  Le  prétexte  fut 
facilement  trouvé.  11  attaqua  Sagonte,  leur  alliée,  et  la  dé- 
truisit de  fond  en  comble  ;  les  Romains  perdirent  du  temps 
en  envoyant  à  Annibal  !me  ambassade  qui  ne  fut  pas  reçue, 
et  qui,  ayant  passé  à  Carthage,  n'y  obtint  qu'une  réponse 
évasive,  malgré  les  efforts  d'Hannon ,  qui  voulait  la  paix. 
Le  sénat  envoya  alors  à  Carthage  une  seconde  ambassade, 
qui ,  n'ayant  pu  obtenir  satisfaction  ,  déclara  la  guerre  aux 
Carthaginois.  Les  envoyés  de  Rome  passèrent ,  à  leur  re- 
tour, en  Espagne  et  dans  les  Gaules ,  afin  d'y  conclure  des 
alliances;  mais  leurs  efforts  furent  inutiles,  et  la  ville  aux 
sept  collines  resta  seule  dans  la  lutte  qui  se  préparait,  et  qui 
la  mit  à  deux  <loigts  de  sa  perte. 

L'an  216  avant  l'ère  chrétienne,  535e  de  la  fondation  de 
Rome  ,  Ajmibal  quitta  l'Espagne.  Ayant  envoyé  en  Afrique 
une  armée  de  (luiirze  mille  hommes  et  laissé  en  Espagne  deux 
divisions,  l'une  de  quinze  mille  hommes,  sous  son  frère 
Asdrubal ,  et  lautve  de  onze  mille  hommes,  sous  les  ordres 
de  llannon ,  il  lui  restait  cinquante  mille  hommes  d'in- 
fanterie et  neuf  mille  chevaux,  avec  lesquels  il  passa  les 
l'yrénées.  Les  Romains ,  aveuglés  sur  le  danger  qui  les 
menaçait,  ne  prirent  pour  leur  défense  que  des  mesures  in- 
suffisantes. Une  armée  de  vingt-cinq  mille  hommes,  sous 
l'un  des  consuls,  Sempronius,  fut  chargée  de  passer  en 
Sicile,  et  de  porter  la  guerre  en  Afrique;  une  de  quinze 
mille  honnnes,  sous  le  i)réteur  Manlius,  fut  chargée  de  la 
défense  de  la  Gau-le  Cisalpine.  L'autre  consul,  Scipion, 
n'eut  que  vingt-cinc]  mille  hommes  à  opposer  à  Annibal  ;  il 
devait  jiasser  en  Espagne,  ou  l'on  croyait  encore  le  trouver. 
Mais  toutes  ces  mesures  avaient  été  prises  avec  trop  d(! 
lenteur;  et  lorsfjue  Scipion  arriva  à  Marseille,  Annibal  était 
déjà  sur  les  vivts  du  Rhône,  dont  il  forçait  le  passage.  .Ayant 
appris,  par  une  reconnaissance,  la  position  de  Scipion,  et 
d'un  autre  cùté  ayant  reçu  une  ambassade  des  Gaulois  Cisal- 
pins ,  qui  l'appelaient,  il  se  décida  à  éviter  une  bataille  et  a 
passer  les.-\l[ies  plus  loin  de  la  mer.  Ayant  donc  remonté  le 
Rhône  jusque  vers  Valence ,  et  terminé  par  arbitrage  une 
guerre  civile  des  Allobroges  ,  il  revint  à  la  Drôme,  gagna  la 
vallé»;  de  la  Durance  vers  Gap,  et,  malgré  li-s  altaques  con- 
tinuelles des  montagnards,  il  franchit  les  Alpes,  en  pass;u>î 


AXMRAL 


»i29 


le  mont  Genèvrc  et  le  roi  de  Scslrii''!OS.  Après  des  didicuKés 
el  des  (langei-s  de  toute  espi-ee,  il  arriva  on  Italie  par  la  vallée 
de  Pragesas.  11  y  avait  cimi  mois  et  demi  ([u'il  était  parti  de 
CarthagiMie,  et  il  ne  lui  restait  plus  que  vingt  mille  lioiinnes 
d'infanferie  africaine  cl  espagnole  et  six  mille  chevaux. 
Soipion,  de  son  cote,  lorsque  Annibal  lui  eut  ainsi  échappé, 
envoya  son  frère  en  Espagne  avec  ses  légions,  et  revint  en 
personne  à  Pise  ;  il  apprit  à  Plaisance  qu'Annibal  s'avançait 
par  la  rive  gauche  du  Pu.  Aussitôt  il  marcha  au-devant  de 
l'ennemi  jusqu'au  delà  de  Pavie.  La  première  rencontre  dos 
tleux  armées  eut  lieu  près  du  Tésin  et  de  Vigevano,  dans 
un  combat  où  la  supériorité  de  la  cavalerie  d'Annibal  lui 
donna  la  victoire.  Scipion,  battu  et  blessé  ,  repassa  le  ïésin 
et  le  Pô,  et  se  retira  dans  une  forte  position ,  près  de  Plai- 
sance, pour  y  attendre  son  collègue  Sempronius.  Ce  dernier, 
étant  arrivé  avec  ses  légions,  se  décida  à  passer  la  Trébie 
et  à  livrer  bataille,  malgré  l'avis  de  Scipion,  qui  vou- 
lait réduire  l'ennemi  en  lui  faisant  consonuner  ses  ressources 
en  Ligurie.  Drns  cette  bataille,  l'armée  consulaire,  enve- 
loppée sur  ses  ailes,  fut  complètement  défaite.  Dix  mille 
lionunes  du  centre  purent  seuls  percer  la  ligne  ennemie , 
et  se  retirer  à  Plaisance,  où  les  fuyards  les  rejo'gnirent  en 
assez  petit  nombre.  Après  ce  combat ,  les  Romains  se  reti- 
rèrent en  £tiurie,  et  Annibal  prit  ses  quartiers  d'hiver  en 
Ligurie. 

La  campagne  suivante  ne  fut  pas  moins  désastreuse  pour 
la  Républiipie.  Le  nouveau  consul,  Flaminius,  élait  venu 
se  poster  à  Arezzo.  Annibal ,  voulant  éviter  le  passage  de 
l'Apemiin  devant  un  ennemi  nombreux,  traversa  les  ma- 
rais de  l'Arno  pour  entrer  en  Étrurie,  et,  à  la  vue  du  camp 
romain,  se  dirigea  vers  Clusium  et  Rome.  Flaminius  se 
hùta  de  lui  courir  sus,  et  tomba  ainsi  dans  l'embuscade  que 
lui  avait  tendue  Annibal  sur  les  bords  du  lac  Trasimène 
ou  dePérouse.  Le  consul  et  presque  toute  l'armée  y  périrent  ; 
mais  Annibal  n'osa  pas  encore  marcher  sur  Rome ,  crai- 
gnant d'être  enfermé  entre  la  garnison  de  cctîe  ville  et  la 
nouvelle  armée  de  l'autre  consul,  qui  amvait  de  Rimini.  11 
passa  dans  l'Apulie,  où  il  reposa  ses  troupes.  Les  Romains  le- 
vèrent de  nouvelles  troupes,  et  nommèrent  à  la  dictature  le 
célèbre  Fabius  Maximus.  Ceiui-ci,  instruit  par  l'expérience 
des  désastres  passés,  adopta  le  système  d'une  guerre  de  po- 
sitions, qui  lui  fit  donner  le  ïurnojn  de  tcmporiscur.  Ce  genre 
de  guerre  impatientait  les  Romains ,  autant  qu'il  fatiguait 
Annibal,  et  la  cabale  des  imprudents  profita  d'un  avantage 
remporté  pendant  l'absence  de  Fabius,  pour  partager  l'au- 
torité entre  lui  et  son  général  de  cavalerie ,  .Minutius.  Ce 
dernier  ne  tarda  pas  à  se  mettre  dans  un  grave  danger;  il 
n'en  sortit  que  par  une  habile  manœuvre  du  dictateur,  et 
eut  le  bon  es;)rit  de  renoncer  au  commandement.  La  guerre 
continua  selon  la  méthode  de  Fabius,  et  Annibal  resta  acculé 
en  Apulie. 

La  troisième  année  de  la  guerre  fut  marquée  par  le  plus 
grand  désastre  qu'eussent  éprouvé  les  Romains  depuis  la 
bataille  de  l'Allia.  Les  armées  consulaires  avaient  été 
portées  au  double.  Réunies  au  nombre  de  seize  légions ,  ou 
80,000  hommes,  elles  vinrent  camper  devant  Cannes ,  oc- 
cupée par  Annibal,  dont  l'armée  était  de  o2,000  hommes 
d'infanterie  et  1 0,000  chevaux.  Le  consul  ^Emilius  voulait 
suivre  le  système  de  Fabius  ;  son  collègue  Térentius  Varron 
voulait,  au  contraire,  combattre  à  tout  prix.  Chacun 
des  deux  généraux  commandait  à  son  tour  ;  Varron  pro- 
fita d'un  jour  qui  lui  appartenait,  et  présenta  la  bataille. 
Annibal  la  désirait,  et  s'y  était  préparé.  11  suppléa  à  l'infé- 
riorité du  nombre  par  les  ressources  de  la  tacticiue.  Ses 
dispositions  furent  telles  que  l'armée  romaine,  se  refoulant 
sur  son  centre,  s'y  trouva  entassée  en  désordre,  tandis  que 
les  ailes  étaient  enveloppées  et  tournées  par  l'excellente 
infanterie  d'Annibal  et  sa  nombreuse  cavalerie.  La  défaite 
de  Cannes  fut  sanglante  et  complèle.  70,000  Romains  fu- 
ient tués  ou  pris.  ^-Lmilius  périt  en  combattant;  Vurron  se 


sauva  avec  quelques  cavaliers.  Le  résultat  de  celte  bataille 
fit  soulever  luesque  toute  l'Italie  contre  Rome,  et  livra  à 
Annibal  la  riche  Capoue  ;  mais  sa  fortune  avait  atteint  son 
apogée,  et  il  ne  put  dépasser  la  limite  tracée  par  le  destin. 
La  constance  bernique  des  Romains  lui  opposa  de  nouvelle3 
armées,  et  Marcellus  fut  le  sauveur  de  la  patrie  en  bat- 
tant devant  Noie  le  vainqueur  de  Cannes.  On  a  reproché  à 
Annibal  de  n'avoir  pas  marché  sur  Rome  et  d'avoir  perdu 
son  armée  dans  les  délices  de  Capoue  :  le  premier  reproche 
est  injuste,  Annibal  était  trop  faible  pour  attaquer  une  ville 
connue  Home,  devant  laquelle  il  risquait  d'être  enveloppé; 
le  second  est  une  amplilication  de  rhéteur  :  une  armée  dé 
vétérans  bien  disciplinée  ne  se  perd  pas  dans  un  quartier 
d'hiver. 

Pendant  les  cinq  campagnes  suivantes  la  fortune  cessa 
de  favoriser  autant  les  opérations  d'Annibal.  D'un  côté,  la 
constance  inébranlable  des  Romains,  leur  faisant  trouver 
ou  créer  des  ressources  apiès  chaque  échec ,  renouvelait 
sans  cesse  les  travaux  et  les  difficultés  d'Annibal  ;  de  l'autre, 
les  généraux  romains  se  formaient  à  son  école,  et  il  rencontra 
enfin  des  rivaux  dignes  de  lui,  les  Fabius,  les  iMarcelhis,  les 
Fulvius,  les  Claudius  IVero,  et  enfin  Scipion,  son  vainqueur. 
Les  événements  de  la  campagne  furent  variés.  Annibal  se  vit 
peu  à  peu  acculé  dans  la  Lucanie  et  le  Bruttium  (Calabre), 
où  il  s'était  assuré  un  point  d'appui  par  la  prise  de  Tarenle; 
mais  il  perdit  successivement  Capoue,  laplupart  des  places 
de  l'Apulie,  et  Tarente,  sa  dernière  conquête.  Les  Romains 
achevaient  la  conquête  de  la  Sicile,  et  contenaient  la  Gaule 
Cisalpine.  En  Espagne,  où  ils  avaient  éprouvé  un  grand  re- 
vers la  septième  année  de  la  guerre,  par  la  défaite  et  la 
mort  des  deux  Scipions,  le  jeune  général  qu'ils  y  envoyèrent, 
Scipion  surnommé  depuis  VA/ricuin,  fils  et  neveu  de  ceux 
qui  avaient  péri,  rétablit  leurs  affaires.  Annibal,  ayant  encore 
lutté  pendant  trois  ans  sans  presque  pouvoir  sortir  de  la 
Lucanie  et  de  l'Apulie  ,  obtint  du  sénat  de  Carthage  que 
son  frère  Asdrubal,  qui  luttait  avec  désavantage  contre 
Scipion  en  Espagme  ,  vînt  le  joindre,  par  terre,  en  Italie. 
Asdrubal  arriva  sur  les  rives  du  Pô  la  douzième  aimée  de 
la  guerre,  avec  une  armée  que  les  renforts  fournis  par  les 
Liguiiens  et  les  Gaulois  Cisalpins  portaient  à  50,000  hom- 
mes. Claudius  rs'ero  venait  de  battrelevainqueurdcCannes, 
lorsque  deux  Ninr.idcs,  pris  avec  des  lettres  d'Asdrubal,, 
lui  apprirent  qu'il  avait  dépassé  Rimini ,  s'avanç  nt  vers 
Ancône.  Le  consul  Nero  forma  alors  un  projet  téméraire  en 
apparence,  mais  d'une  conception  aussi  sage  que  hardie. 
Ce  fut  d'aller  rapidement  joindre  son  collègue  Livius,  avec 
environ 7,000  hommes  d'élite,  afin  débattre  Asdrubal  avant 
que  son  frère  eût  reçu  de  nouvelles  dépèches  de  lui.  Ayant 
pris  toutes  précautions  pour  couvrir  sa  marche,  Nero  atteignit 
Asdrubal  sur  les  bords  du  IMétaure,  et  lui  fit  éprouver  une 
défaite  complète.  Ne  voulant  pas  survivre  à  la  destruction 
de  son  armée,  Asdrubal  cherclia  et  trouva  la  mort  dans  les 
rangs  ennemis. 

Après  ce  désastre,  Annibal  se  soutint  en  Calabre  encore 
pendant  quatre  ans  contre  la  puissance  de  Rome.  Ce- 
pendant Scipion,  ayant  achevé  la  conquête  de  l'Espagne, 
porta  la  guerre  en  Afrique;  les  succès  qu'il  y  obtint  mirent 
bientôt  Carthage  en  danger,  et  obligèrent  le  sénat  de  celte 
ville  à  rappeler  Annibal.  Ce  vieil  ennemi  des  Romains  re- 
farda tant  qu'il  put  l'exécution  de  cet  ordre.  Un  autre  de 
ses  frères ,  Magon ,  était  débarqué  en  Ligurie ,  et ,  ayant 
rallié  les  habitants  de  la  vallée  du  Pô,  pouvait  faire  une 
puissante  diversion  en  sa  faveur.  Mais  Magon  ayant  été 
vaincu,  et  son  armée  dispersée,  Annibal  fut  obligé,  après 
seize  ans,  de  quitter  l'italie.  A  Zama,  où  les  armées  ro- 
maine et  carthaginoise  se  rencontrèrent ,  le  génie  d'Annibal 
succomba  devant  celui  de  Scijjion.  Carthage,  vaincue,  reçut 
la  loi  du  vainqueur.  Annibal,  rentré  dans  sa  patrie,  la  servit 
utilement  dans  quelques  guerres  qu'elle  eut  à  soutenir  en 
.Vfrique,  cl  parvint  à  la  uiagistralure  supiême.  Lorsque  le 


630 


ANNIBAL  —  ANNONCE 


roi  de  Syrie  ,  Antiocluis,  se  disposa  h  faire  la  guerre  au\  Ro- 
mains, Annibal  entra  en  correspondance  avec  lui.  Le  sénat 
de  Rome,  en  étant  averti,  s'en  plaignit  à  Cartilage, et  An- 
nibal, craignant  d'être  livré,  prit  secrètement  la  Cuite,  et  se 
retira  près  d'Antiorhus.  Si  ses  plans  avaient  été  suivis  dans 
la  guerre  qui  éclata  entre  le  roi  de  Syrie  et  les  Romains, 
qui  sait  ce  que  fussent  devenus  Rome  et  le  monde?  Mais  An- 
tiochus,  vaincu  à  Magnésie,  implora  une  paix  humiliante,  et 
s'engagea  à  livrer  Annibal  ;  prévenu  à  temps,  celui-ci  eut  en- 
core une  fois  le  bonheur  d'échajjper  au  danger  qui  le  mena- 
çait, et  se  rendit  auprès  de  Prusias,  roi  de  Bithynie,  à  qui  il 
rendit  des  services  signalés  dans  une  guerre  contre  Eumène, 
roi  de  Pcrgame,  allié  des  Romains. 

La  haine  des  Romains  le  poursuivit  jusque  là,  et  ils  en- 
voyèrent une  ambassade  pour  se  plaindre  de  ce  qu'on  l'a- 
vait accueilli  en  Bithynie.  Annibal ,  connaissant  le  caractère 
lAche  et  abject  de  Prusias,  tenta  encore  de  s'échapper  ;  mais 
voyant  qu'il  ne  pouvait  plus  se  soustraire  à  ses  ennemis,  il 
s'empoisonna,  l'an  181  avant  J.-C,  à  l'âge  de  soixante  ans. 

Comme  homme  de  guerre,  Annibal  doit  être  mis  au 
nombre  des  plus  grands  généraux  qu'ait  produits  l'iaitiquiié. 
Ses  campagnes  d'Italie  seront  toujours  un  modèle,  surtout 
pour  la  suprême  habileté  avec  laquelle  il  savait  se  créer  des 
ressources  de  tout  genre  dans  les  pays  qu'il  occupait  et  la 
manière  dont  il  en  tirait  parti.  On  lui  a  reproché  la  cruauté 
et  la  perfidie.  Mais  ce  reproche  est  suspect;  car  il  vient 
d'ennemis  qui  n'ont  pas  eu  la  générosité  de  le  laisser  mourir 
en  paix.  Annibal  était  un  chef  vigilant,  sobre,  infatigable,  sa- 
chant gagner  la  confiance  et  l'amour  de  ses  troupes  ,  doué 
d'une  grande  perspicacité  et  d'une  promptitude  de  concep- 
tion qui  ne  le  laissait  jamais  en  défaut.  Il  fit  voir ,  comme 
souverain  magistrat,  qu'il  était  un  administrateur  habile 
et  intègre.  Au  milieu  des  camps  il  se  plaisait  à  cultiver  les 
lettres.  G^'  G.  de  Vaudoncoliît. 

AN?.'IUS  VITERBÏEIVSIS  ou  DE  YITERBE  (Jean 
NAAM,  plus  connu  sous  le  nom  latinisé  d'),  de  la  ville 
de  Viterhe,  où  il  naquit,  vers  i\:\7..  Entré  fort  jeune  dans 
l'ordje  des  frères  prêcheurs,  ou  dominicains,  il  se  livra  avec 
une  grande  ardeur  à  l'étude  des  langues  anciennes  et  de 
l'histoire.  Appelé  à  Rome,  il  fut  accueilli  avec  distinction 
par  les  papes  Sixte  IV  et  Alexandre  VI.  En  1499  ce  dernier 
le  nomma  maître  du  sacré  palais.  En  butte  à  la  haine  que 
lui  portait  César  Borgia,  fils  d'Alexandre  VI,  on  croit 
qu'il  mourut  empoisonné,  le  13  novembre  1502.  Nanni  est 
auteur  d'un  assez  grand  nondre  d'ouvrages,  parmi  lesquels 
on  peut  citer  un  traité  de  V Empire  des  Turcs ,  et  surtout 
un  recueil  apocryphe  d'anciens  historiens  sous  le  titre 
iVAntiqititatwn  vnriarum  Volumen,  cum  commentariis 
jrcHris  Joannis  Annn  Viterbïensis  (Rome,  148S,  1  vol. 
in-l",  caractères  gothiques  ).  Cette  publication  eut  un  grand 
succès  ;  car  il  était  naturel  de  recliercher  avec  avidité  des 
auteurs  aussi  célèbres  que  Manéthon,  Bérose,  Fabius  Pictor, 
Mégasthène  et  autres,  qu'on  croyait  à  jamais  perdus. 
Nanni  prétendait  les  avoir  découverts  dans  un  voyage 
qu'il  avait  fait  à  Mantoue;  mais  comme  il  ne  fit  jamais  voir 
le  manuscrit  de  ces  livres ,  on  révoqua  en  doute ,  avec 
raison ,  la  sincérité  de  l'éditeur.  Les  premiers  auteurs  qui 
découvrirent  la  fraude  et  la  firent  connaître  au  public  furent 
Sabellicus,  Crinitus  ,  Raphaël  Mafféi  et  autres  savants  ju- 
dicieux. 

AIXXIVERSAÎRE.  Ce  mot,  composé  à''annus,  année, 
et  verto,  je  tourne,  se  donne  aux  jours  consacrés  à  per- 
pétuer la  mémoire  d'un  fait  accompli  à  jour  pareil  dans 
une  année  antérieure. 

Je  viens,  suivant  l'usajrc  aoliqiic  et  solcuoel , 

C.cli-brer  avec  vous  la  fameuse  jnurnce 

Où  sur  le  moot  Siua  la  loi  nous  lut  donnée.     (RACINE.) 

La  plupart  des  AMes  sont  des  anniversaires.  Chez  les  Juifs 
la  Pdque  rappelait  la  sortie  d'Égyplc;  \à  Penlecôle, 


la  promulgation  de  la  loi;  le  Pur'im,  ou  la  fête  des  sorts,  le 
triomphe  d'Esther  sur  Aman.  —  11  en  est  de  même  chez  les 
Chrétiens  :  les  solennités  de  Noël,  de  l'Epiphanie,  île 
Pâques,  de  l'Ascension,  de  la  Pentecôte,  se  ratta- 
chent au  jour  même  de  l'année  où  fut  accompli  le  mystère 
qu'elles  célèbrent.  Le  calendrier  n'est,  à  proprement  parier, 
qu'une  série  d'anniversaires. 

Tous  les  peuples  ont  institué  des  solennités  annuelles, 
qui  trop  souvent  consacrent  des  superstitions  ridicules ,  et 
quelquefois  aussi  de  grands  crimes. 

On  appelle  encore  anniversaire  le  jour  qui  correspond  à 
celui  du  décès  d'un  particulier,  et  les  solennités  funèbres 
qui  reviennent  annuellement  à  cette  occasion.  Telle  est  la 
commémoration  des  morts  dans  l'Église  romaine.  Cette  ins- 
titution se  retrouve  jusque  chez  les  peuples  les  plus  barbares. 
Virgile  consacre  un  des  plus  beaux  chants  de  son  Enéide 
à  décrire  les  fêtes  par  lesquelles  son  héros  hODora  l'anni- 
versaire de  la  mort  d'Anchise. 

Chez  la  plupart  des  peuples  de  l'Europe  on  fête  en  fa- 
mille lesaîinivcrsaires  de  la  naissance.  Cela  est  plus  raison- 
nable que  de  fêter  la  fête  patronale,  comme  nous  le  faisons 
en  France.  C'est  à  l'église  qu'il  faut  fi'ter  le  saint  ;  à  la  mai- 
son fêtons  l'homme.  AknacLT,  de  l'Acad.  Franoiise. 

AiVIVOBOiV  (Annaboa),  île  d'Afrique,  dans  le  golfe  de 
Guinée,  à  300  kilom.  du  capLopez,  par  1°  25'  de  latitude 
sud  et  3°  59'  de  longitude  orientale.  Elle  a  30  kilom.  de  tour 
et  1,000  habitants  ;  découverte  en  1473  parles  Portugais, 
cédée  en  1778  aux  Espagnols,  à  qui  elle  appartient  en- 
core, elle  a  pour  chef-lieu  une  petite  ville  du  même  nom. 

AÎW'OMIIVATIOX,  mot  purement  latin,  qui  signifie 
/cm  de  mots  sur  des  noms  qui  offrent  plusieurs  sens. 
Voyez  Paronomasie. 

ANXOIV  (Saint),  archevêque  de  Cologne,  naquit  dans 
une  condition  inférieure,  et  mourut  en  1075.  Son  importance 
politique  comme  chancelier  de  l'empereur  Henri  III,  et  en- 
suite comme  administrateur  de  l'Empire  pendant  la  minorité 
de  l'empereur  Henri  IV,  son  audacieux  esprit  de  domination 
et  la  dignité  de  sa  conduite  comme  ecclésiastique,  la  solli- 
citude paternelle  qu'il  témoigna  en  toute  occasion  pour  son 
diocèse,  le  zèle  avec  lequel  il  réforma  les  couvents  et  fonda 
un  grand  nombre  d'églises  et  de  nouvelles  institutions  mo- 
nastiques, lui  méritèrent  d'être  rangé  au  nombre  des  saints. 
C'est  à  lui  que  commence  l'histoire  proprement  dite  du  siège 
archiépiscopal  de  la  ville  de  Cologne  sur  le  Rhin.  Lacli- 
mann adémontré  queVHymne en  l'honneur  desaint  Annon 
ne  fût  composé  que  vers  l'an  1 185.  C'est  un  monument  remar- 
quable des  idées  historiques  qui  dominaient  à  cette  époque 
parmi  le  peuple,  et  qui  prouve  de  la  manière  la  plus  frap- 
pante avec  quelle  facilité  l'histoire  peut  en  très-peu  de  temps 
se  transformer  en  légende.  La  vie  de  saint  Annon  est  incon- 
testablement le  fond  de  ce  poëme,  mais  elle  y  est  développée 
dans  tous  ses  rapports  avec  l'histoire  générale  de  l'époque. 

AJVNOÎV  AY,  ville  très-ancienne  du  Vivarais,  en  France, 
aujourd'hui  chef-lieu  de  canton,  avec  un  tribunal  de  co!n- 
merce  et  une  chambre  consultative  des  manufactures,  est 
avantageusement  située,  au  pied  d'une  chaîne  de  montagnes, 
près  du  confluent  de  laCance  et  de  la  Deaume,  dans  le  dé- 
partement de  l'Ardèche  Elle  est  à  26  kilom.  nord-ouest  de 
Toumon,  et  sa  population  s'élève  à  13,362  habitants.  Elle  a 
de  nombreuses  et  belles  papeteries,  dont  les  produits  sont 
renommés  et  atteignent  annuellement  une  valeur  de  trois 
millions.  Annonay  possède ,  en  outre,  un  grand  nombre  de 
fabriques  de  draps,  de  couvertures  de  laines,  de  bonneterie, 
de  gants ,  de  cordes  ;  des  filatures  de  soie  et  de  coton ,  des 
tanneries ,  des  mégisseries  renommées.  On  y  remarque  l'o- 
bélisque élevé  à  Montgolfier,  inventeur  des  aérostats,  dont 
elle  est  la  patrie.  Enfin  le  premier  pont  de  fil  de  fer  qu'ait  pos- 
sédé la  France  a  été  construit  à  Annonay  par  les  frères  Séguin. 

ANNONCE.  C'est,  dit  l'Académie,  l'avis  par  lequel  on 
fait  savoir  (juelque  chose  au  public,  verbalement  ou  par 


ANNONCE 


631 


écrit.  On  voit  que  l'annonce  comprend  de  nombreuses  va- 
riétés, t;»'\t  sous  le  rapport  de  son  oltjct  que  sons  celui  de 
ses  procèdes.  Le  prêtre  lait  des  annonces  au  prAne,  l'autorilc 
fait  faire  des  annonces  à  son  de  trompe  ou  de  tambour  dans 
les  comnumes  nirales  ;  le  saltimbanque  annonce  son  spectacle 
à  la  porte  de  son  théâtre;  le  charlatan  annonce  sa  mar- 
chandise de  cent  façons;  enlin  il  y  a  de4>  annonces  léijales 
et  judiciaires.  Afliches,  écriteaux,  enseignes,  cris,  distri- 
bution d'imprimés,  etc.,  tout  cela  c'est  de  Tannonce.  Mais 
celle  qui  doit  surtout  nous  occuper  ici,  c'est  l'annonce  dans 
les  journaux. 

La  chose  n'est  pas  aussi  nouvelle  qu'on  pourrait  le  croire  : 
dès  l'origine,  à  côté  des  nouvelles  politiques,  les  gazettes 
enseignaient  les  livres  qui  venaient  de  paraître,  les  décou- 
vertes qu'on  venait  de  faire.  Le  vieux  Mercure  de  France 
ne  se  prive  pas  d'indiquer  où  l'on  vend  certains  sirops  ou 
quelques  pectoraux  plus  ou  moins  analogues  à  la  pâte  Re- 
g;nault.  IMais  avant  que  le  journalisme  devint  une  puissance, 
la  librairie,  qui  n'avait  pas  encore  découvert  le  secret  de 
vendre  n'importe  quoi  en  raison  seulement  de  l'argent  dé- 
pensé en  annonces,  se  contentait  d'adresser  deux  exem- 
l)lairesde  chaque  livre  nouvellement  imprimé  aux  journaux, 
»jui  en  rendaient  compte  gratuitement.  Un  exemplaire  res- 
tait au  directeur,  l'autre  appartenait  au  laborieux  collabora- 
teur qui  devait  l'analyser.  A  la  fin  de  la  restauration,  les  lois 
sur  le  timbre  poussèrent  les  journaux  à  augmenter  leur  for- 
mat, et  à  vendre  la  place  qui  leur  restait.  Des  courtiers 
d'annonces,  des  entrepreneurs  de  publicité  s'organisèrent. 
La  révolution  de  juillet  donna  une  nouvelle  importance  à  la 
[tresse,  les  journaux  eurent  bien  plus  de  lecteurs.  L'ins- 
truction primaire  se  répandit,  les  moyens  d'exécution  typo- 
graphique se  perfectionnèrent,  le  format  des  journaux  put 
ts'agrandir  outre  mesure,  leur  quatrième  page  se  remplit  de 
plus  en  plus  d'avis  au  public.  Quelques  spéculateurs  adroits 
tirèrent  un  grand  profit  des  annonces  ;  d'autres,  moins  heu- 
reux ,  furent  plus  entreprenants  encore.  Enfin  l'annonce 
envahit  tellement  le  journal  qu'elle  devint  la  source  la  plus 
certaine  de  ses  revenus.  C'est  alors  qu'on  vit  paraître  ces 
journaux  à  prix  réduits  qui  deman  lent  à  peine  aux  abonnés 
la  rétribution  du  timbre,  du  papier,  et  de  l'impression,  afin 
d'en  avoir  un  plus  grand  nombre  et  d'attirer  plus  d'an- 
nonces; car  l'annonce  recherche  naturellement  la  plus  grande 
publicité  possible,  etcelle-ci  est  calculée  en  raison  du  nombre 
des  abonnés  du  journal  :  de  là  ces  discussions  qui  s'élèvent 
de  temps  à  autre  entre  les  journaux  sur  le  nombre  de 
tèuilles  noircies  chaque  jour  par  chacun  d'eux. 

D'abord  les  journaux  recevaient  eux-mômes  les  annonces 
dans  leurs  bureaux  ;  mais,  malgré  la  place  spéciale  réservée 
aux  avis,  lepublic  ne  distinguait  pas  toujours  bien  clairement 
les  insertions  payées  de  celles  qui  ne  l'étaient  pas.  Nous  ne 
savons  s'il  est  plus  heureux  aujourd'hui.  Quoi  qu'il  en  soit, 
une  compagnie  se  forma  en  1845  pour  exploiter  l'annonce, 
et  moyennant  un  prix  fixe  payé  à  chaque  journal ,  elle 
concentra  une  grande  partie  de  la  publicité  des  journaux 
entre  ses  mains.  Elle  eut  la  prétention  d'avoir  rendu  un 
ser^^ce  important  aux  journaux,  celui  d'avoir  entièrement 
et  publiquement  dégagé  la  rédaction  du  journal  de  tout  ce 
qui  pouvait  s'y  mêler  de  mercantile  et  de  parasite  ,  de  l'a- 
voir affranchie  de  tous  les  tributs  prélevés  par  l'obsession  in- 
dividuelle, d'avoir  élevé  entre  la  partie  exclusivement  ré- 
servée aux  intérêts  généraux,  aux  questions  politiques,  éco- 
nomiques, littéraires,  et  la  partie  utilement  réclamée  par  les 
intérêts  privés,  les  prétentions  vaniteuses,  et  les  transactions 
de  toute  nature,  une  barrière  si  haute,  qu'il  n'y  avait  plus 
aucun  contact  entre  ces  deux  parties  de  la  rédaction  et  qu'il 
n'était  plus  possible  de  les  confondre.  «  N'est-il  pas  juste, 
en  effet,  disait  la  société  Duveyrier,  que  tout  ce  qui  doit  tirer 
de  la  publicité  un  profit  quelconque  la  paye,  et  l.t  paye  hau- 
tement, afin  qu'il  son  tour  le  journal  puisse  payer  largement 
le  personnel  de  sa  rédaction  et  établir  sur  tous  les  point'-  du 


globe  des  correspondants  soigneusement  choisis ,  sans  qu'il 
ait  à  se  mettre  patemment  ou  clandestinement  à  la  solde 
d'aucun  parti,  d'aucun  cabinet,  d'aucun  intérêt,  d'aucune 
passion  ?  L'annonce,  judicieusement  comprise  et  régulière- 
ment constituée  ,  est  et  doit  être  à  la  rédaction  d'un  journal 
quotidien  ce  que  l'impôt  judicieusement  assis  et  librement 
voté,  est  au  gouvernement  d'un  pays  :  la  source  de  son  exis- 
tence, le  principal  agent  du  développement  de  toutes  ses 
forces.  Pas  d'impôt,  pas  de  gouvernement  ;  pas  d'annonces, 
pas  de  journal.   » 

Ainsi  l'annonce,  dans  les  mains  de  cette  compagnie,  devait 
sans  nul  doute  moraliser  le  journalisme.  Nous  sommes  loin 
de  croire  qu'elle  y  ait  réussi,  et  cela  n'empêcha  pas  du  tout 
les  journaux ,  avec  ou  sans  annonces ,  d'être  dans  leur 
politique  les  organes  fort  peu  désintéressés  des  partis.  Les 
journaux  grassement  payés  et  remplis  par  les  annonces  dé- 
pensèrent encore  moins  pour  leur  rédaction ,  et  les  corres- 
pondants de  nos  journaux  ne  sont  pas  autre  chose  que 
des  mythes.  Cependant ,  on  vit  alors  la  société  Duveyrier 
se  battre  les  flancs  pour  donner  le  goût  de  l'annonce  à  la 
société  française.  Des  bureaux  furent  établis  dans  tous  les 
quartiers  de  Paris.  On  créa  l'annonce  omnibus  à  30  cen- 
times la  ligne,  on  offrit  des  remises  aux  concierges  ;  il  ne  de- 
vait plus  y  avoir  d'autres  avis  au  public  que  les  annonces 
dans  les  journaux  ;  plus  d'affiches ,  plus  d'écriteaux  ;  avie/- 
vous  un  appartement  à  louer,  un  poêle  à  vendre,  un  chien 
perdu,  un  ami  disparu  :  pour  moins  d'un  franc  vous  le  faisiez 
savoir  au  monde  entier,  et  vous  ne  pouviez  manquer  de 
trouver  un  locataire,  un  acheteur,  ou  de  revoir  votre  chien 
ou  votre  ami.  Vouliez-vous  correspondre  avec  n'importe 
qui ,  au  loin ,  à  bon  marché  :  vite  une  insertion  dans  le 
journal.  Enfin  l'annonce  allait  supplanter  la  poste  aux  let- 
tres. Malheureusement  l'annonce  n'était  pas  dans  nos  habi- 
tudes ;  on  eut  beau  citer  l'exemple  des  Anglais  et  des  Amé- 
ricains ,  l'annonce  omnibus  ne  fut  pas  assez  lue ,  à  ce  qu'il 
parait  :  elle  disparut.  La  Société  générale  d'Annonces  se  con- 
tenta d'avoir  concentré  le  service  de  la  publicité  entre  ses 
mains,  et  la  révolution  de  février  amena  sa  dissolution. 
D'autres  sociétés  se  sont  formées  depuis  sur  d'autres  bases. 
Un  procès  commercial  a  démontré  la  puissance  de  leur 
monopole ,  et  cette  concentration  des  annonces  en  une 
même  main  doit  donner  à  penser  aux  législateurs  ;  car  il  n'y 
a  plus  aujourd'hui  de  concurrence  possible  dans  cette  in- 
dustrie. 

On  s'éleva  aussi  avec  raison  contre  un  autre  privilège  des 
journaux  ,  qui  pouvaient  imprimer  des  annonces  en  payant 
un  timbre  bien  moins  élevé  que  celui  qu'on  exigeait  du 
simple  avis  imprimé  par  les  intéressés  eux-mêmes,  timbre 
que  ces  avis  ne  payent  plus,  mais  que  les  afliches  payent 
encore;  et  en  bonne  justice  le  timbre  des  journaux  devrait 
être  proportionnel  à  l'espace  qu'occupent  leurs  annonces. 
Plusieurs  lois  on  a  fait  la  proposition  d'assujettir  l'an- 
nonce à  un  droit,  mais  ces  tentatives  ont  toujours  échoué. 
On  se  rappelle  quel  bruit  lit  sur  la  fin  du  règne  de  Louis- 
Philippe  la  question  des  annonces  judiciaires.  La  loi  exige^ 
en  effet,  l'insertion  d'une  foule  d'actes  judiciaires  dans  un 
journal  de  la  localité.  A  Paris  cette  publicité  a  des  organes, 
spéciaux  non  politiques  ,  ce  sont  d'anciens  pri\iléges ,  par- 
tagés depuis  1858  par  le  Moniteur.  En  province  il  n'iu 
est  pas  de  même  :  l'annonce  ne  suffirait  pas  au  journal ,  il 
s'occupe  de  politique;  mais  alors  un  journal  d'opinion  con- 
traire se  forme  et  dispute  l'annonce  au  premier.  M.  Vivien  , 
alors  garde  des  sceaux ,  présenta  donc  une  loi  pour  donner 
aux  tribunaux  le  droit  de  déclarer  dans  quel  journal  se- 
raient placées  les  annonces  judiciaires.  Cette  loi  fut  adoptée; 
mais  aussitôt  le  ministère  tomba ,  la  loi  fut  appliquée  en 
généi  al  contre  l'opinion  de  l'ex-garde  des  sceaux.  Les  jour^ 
naux  ministériels  eurent  partout  les  annonces  judiciaires, 
sans  tenir  compte  du  nombre  de  leurs  lecteurs.  Ce  fut  un 
moyen  de  gouvernement,  d'autres  disaient  de  corruption  d« 


C32  ANNONCE  — 

plus ,  et  Ton  vit  alors  le  promoteur  de  cette  loi  demander 
sonaiinulalioii.  Il  lailiit  une  révolution  pour  l'abolir.  Depuis 
1852,  c'est  le  préfet  qui  désigne  le  journal  où  sont  reçues 
les  annonces  judiciaires. 

L'annonce  devint  tellement  lucrative,  que  des  journaux 
s'établirent  avec  la  prétention  de  lui  faire  payer  tous  leurs 
frais.  Ils  se  donnaient  gratis  ;  mais  connue  en  général  ilsof- 
fraient  peu  d'intérêt,  ils  ne  furent  i>as  lus,  et  l'argent  qu'on  leur 
apportait  était  à  peu  près  de  l'argent  perdu.  Néanmoins, 
il  y  a  |)eu  de  publications  aujourd'hui  qui  ne  clierchent  quel- 
que secouis  dans  les  annonces;  almanaclis ,  magasins,  livres 
de  toute  forme  et  de  toute  grosseur  prêtent  une  partie  de 
leur  volume  a  la  publicité;  le  tliéàlre  lui-môme  a  voulu  sy 
plier.  Les  voitures  promenées  dans  la  ville,  les  cavalcades, 
les  mascarades  revêtent  sa  livrée;  comme  le  serpent,  elle  se 
gli-sse  sous  les  (leurs  ;  et  sans  vous  en  douter  vous  lise/,  bien 
des  livres,  amis  lecteurs,  dont  quelque  industriel  a  fait  les  frais. 
AA'A'OXCIADES,  nom  commun  à  plusieurs  ordres, 
les  uns  purement  religieux,  les  autres  religieux  militaires, 
iuslilués  iiour  honorer  le  mystère  de  1' Annonc  iati  on. 
Le  iiremier  en  date  est  celui  des  S  e  r  v  i  l  e  s ,  ou  serviteurs 
de,  Marie,  élabli  en  1232  par  sept  marchands  llorentins. 

Le  second  est  l'ordre  militaire  de  l'Annonciade  de  Savoie. 
lin  1355  .\médée  VI  institua  celui  des  Laqs  (Vamour.  En 
1434  Amédéc  Vlll,  premiLT  duc  de  Savoie,  élu  pape  au 
concile  de  liûle ,  sous  le  nom  de  FéUx  V,  changea  sou  nom 
en  celui  <!C Annonciadc ,  suspendit  à  l'extrémité  du  collier 
une  Vierge  au  lieu  de  saint  Maurice,  et  transforma  les  laqs 
d'amour  en  cordelières.  La  première  promotion  faite  par  le 
fondateur  lut  de  cent  quinze  chevaliers.  L'admission  exige  la 
preuve  de  services  distingués  dans  les  armes.  Le  collier  con- 
siste en  une  chaîne  d'or  de  quinze  nœuds,  entremêlés  de 
quinze  roses,  sept  blanches,  sept  rouges,  et  la  dernière  en 
bas,  blanche  et  rouge,  avec  les  quatre  lettres  antiques  d'or 
F.  L.  11.  T.  {forliiudoejus  lUiodum  tomit),  rappelant 
les  exploits  du  comte  Amédee  le  Grand,  qui  lit  lever  aux 
Sarrasins  le  sicge  de  Rhodes  en  1310. 

Le  troisième  fut  institué  en  14G0,  à  Rome,  dans  l'église  de 
Notre-Dame  de  la  Minerve,  par  le  cardinal  Jean  de  Tor- 
queraada,  dans  le  but  de  pourvoir  au  mariage  de  pauvres 
lilles.  Érigé  depuis  en  archiconfrérie ,  il  dote  chaque  année , 
le  25  mars,  fête  de  l'Annonciation,  plus  de  quatre  cents  lilles, 
remettant  à  chacune  soixante  écus  d'or  romains ,  une  robe 
de  serge  blanche  et  un  florin  pour  des  pantoufles.  Celles  qui 
veulent  être  religieuses  ont  le  double  des  autres,  et  sont  dis- 
tinguées par  un  diadème  de  fleurs. 

Le  quatrième,  créé  dans  le  dessein  d'honorer  d'une  ma- 
nière spéciale  les  dix  principales  vertus  dont  la  sainte 
Vierge  a  été  le  parfait  modèle,  fut  fondé  en  1500,  à  Rour- 
ges,  par  Jeanne  de  Valois,  fille  de  Louis  XI ,  épouse  répu- 
diée de  Louis  XII.  Les  religieuses  de  l'Annonciade  ont  un 
habit  brun,  un  scapulaire  rouge,  un  manteau  blanc  et  un 
voile  noir.  Par  hmnilité,  la  supérieure  s'appelle  la  mère  An- 
celle,  (ïaucilla ,  servante.  11  n"y  a  jamais  eu  beaucoup  de 
maisons  de  cet  ordre  en  France. 

Le  cin(piième  fut  institué  a  Gênes,  en  1604,  par  Marie  Vic- 
toire Fornaro.  Les  religieuses,  soumises  à  une  règle  plus  aus- 
tère que  celle  des  Anuonciades  de  Jeanne  de  Valois,  ont  un 
liabit  blanc,  un  scapulaire  et  un  manteau  bleu;  de  là  leur 
vient  le  nom  de  Filles  bleues,  ou  Anuonciades  célestes. 
Llles  avaient  quelques  maisons  en  France.  Elles  en  ont  en- 
core une  à  Saint-Denis,  aux  portes  de  Paris. 

A\\\0\CIATIO.\,  fêle  dans  la(pielle  l'Église  callio- 
li(pie  honore  l'envoi  de  l'ange  Gabriel  à  Marie  pour  lui 
annoncer  riieureuse  nouvelle  de  sa  maternilé  divine  par  l'in- 
carnation duVei"be  éternel.  L'ange,  dit  saint  Luc,  s'aciiiiilia 
de  sa  mission  en  ces  termes  :  <>  Je  vous  salue,  Marie,  j)leine 
de  grâce;  vous  êtes  bénie  entre  toutes  les  femmes.  Vous 
concevrez  dans  votre  sein,  et  vous  enfanterez  un  fils  à  (pii 
vous  donnerez  le  nom  de  Jésus.  Il  sera  grand,  et  i^eia  appelé 


ANNUAIRE 

le  fils  du  Très-Haut.  Le  Seigneur  lui  donnera  le  trône  de 
David ,  son  père  ;  il  régnera  éternellement  sur  la  maison  de 
Jacob,  et  son  règne  n'aura  point  de  fin.  »  Marie,  s'humiliant 
profondém.ent  à  l'aspect  de  la  grandeur  inouïe  à  laquelle 
Dieu  l'élevait,  répondit  :  «  Je  suis  la  servante  du  Seigneur; 
qu'il  me  soit  fait  suivant  votre  parole.  » 

La  célébration  de  cette  fête  (lai\s  l'Église  chrétienne  est 
fort  ancienne  ,  puisque  saint  Athanase  en  faisait  déjà  men- 
tion dans  un  de  ses  sermons.  Une  constitution  du  patriarche 
.Mcépliore  porte  que  si  la  fêle  de  l'Annonciation  arrive  le 
jeudi  ou  le  vendredi  de  la  semaine  sainte,  on  pourra  sans 
scrupule  manger  du  poisson  et  boire  du  vin.  Ce  fut  pour  ne 
pas  rompre  le  jeune  du  carême  qu'un  concile  tenu  à  Tolède, 
en  C56  ,  ordonna  de  transférer  cette  fête  huit  jours  avant 
Noèl  ;  et  le  môme  motif  a  porté  diverses  Églises  de  FOrient 
à  la  fixer  à  peu  près  à  la  même  époque. 

AiWOTATEUR,  ANNOTATION.  On  appelle  an- 
notalion  un  commentaire  succinct,  une  remarque,  une  ob- 
servation faite  sur  un  livre,  sur  un  écrit,  pour  en  éclaircir 
quelques  passages,  ou  pour  en  tirer  quelques  inductions , 
quelques  conséquences.  Vannotaleiir  est  le  savant  qui  se 
livre  à  cette  sorte  de  recherches  ou  de  travaux.  Ronsard  et 
Malherbe  ont  eu  pour  annotateurs  Ricbelet,Mnret  et  Ménage. 
—  L'annotation,  en  termes  de  droit  ou  de  palais,  était, 
dans  l'ancienne  jurisprudence,  une  saisie  ou  un  exploit  pour 
la  saisie  et  la  confiscation  des  biens  d'un  absent. 

ANNUAïnE  (  du  latin  annns,  année  ).  Lors  de  la  ré- 
forme du  calendrier,  à  la  fm  de  17S3,  ce  mot  fut  substitué 
avec  raison  à  ceux  A'almanach  et  de  calendrier,  expres- 
sions à  présent  aussi  impropres  l'une  que  l'autre.  Le  pre- 
mier qui  porta  le  nouveau  nom  fut  VAnnuaire  de  la  Ré- 
publique (1793),  publié  parMillin.  Toutefois,  l'usage  établi 
l'emporta,  et  cette  dénomination  ralionaelle  ne  put  prévaloir 
que  pour  les  almanaclis  scientifiques;  le  Mûth  A"  annuaire 
est  donc  réservé  maintenant  aux  publications  qui  parais- 
sent chaque  année  accompagnées  d'un  calendrier  et  qui  se 
composent  exclusivement  de   renseignements   statistiques, 
astronomiques,  géographiques,  etc.  Tel  est  V Annuaire  du 
Bureau  des  Longitudes,  qui  ne  fut  dans  l'origine  qu'nn  ca- 
lendrier exact  et  détaillé,  un  simple  extrait  de  la  Connais- 
sance des  Temps  {voyez  Éi'iiÉMtRmEs).  Peu  à  peu  son  cadre 
s'élargit ,  et  l'on  y  vit  figurer  des  données   slatistiques  offi- 
cielles sur  les  mouvements  de  la  population,  sur  les  consom- 
mations de  la  ville  de  Paris,  et  des  tables  de  résultats  numé- 
riques utiles  aux  voyageurs,  aux  physiciens,  aux  chimistes; 
enfin  Arago  donna  une  importance  plus  grande  eu'ore  à 
cette  publication  en  y  introduisant  des  notice*  scientifiques 
sur  diverses  questions  d'astronomie,  de  phvsique  du  globe 
et  de  météorologie  ,  etc.  On  y  a  joint  aussi  des  tableaux  in- 
diquant la  position  géogiaphiqiie  des   chefs-lieux   d'arron- 
dissement et  leur  élévation  au-dessus  du  niveau  de  la  mer. 
Cet  Annuaire  paraît  depuis  1796. 

Peu  de  temps  après  vinrent  ces  annuaires  statistiques  de 
département,  dont  la  publication  fut  fort  encouragée  par 
François  de  Neufeliateau ,  alors  ministre  de  l'intérieur.  Il 
paraît  encore  aujourd'hui  de  ces  aniiuaiies  qui  ont  une  vé- 
ritable importance.  On  publie  aussi  en  France  une  foule 
d'annuaires  d'un  intérêt  plus  oîj  moins  général  :  nous  nous 
contenterons  de  citer  VAnnuaire  Militaire,  qui  donne  les 
noms  de  tous  les  officiers  rie  l'armée  ,  la  date  de  Iniir  nomi- 
nation, etc.;  V Annuaire  de  l'inslruclion  publique  ,\'An- 
nvaire  de  la  boulangerie,  VAnnuaire  du  Commerce 
réuni  maintenant  à  l'Almanach  l5ottin,elc. 

D'autres  annuaires  s'occupent  d'une  science  spéciale,  et 
donnent  fanalyse  des  principaux  travaux  publiés  dans 
l'année  :  tels  sont  VAnnuaire  de  V Economie  politique , 
VAnnuaire  Geo'jraphique,  VAnnuaire  de  la  Société  de 
Vllistoire  de  France,  VAnnuaire  de  Chimie,  publié  par 
MM.  Millon  et  M(klès,etc.  La  Sociétédc  la  Morale  chrétienne 
publie  aussi  im  aimualre  intéressant.  Enfin  en  isiù  un  /i/<- 


ANNUAIRE 

nuairc  des  Socid/és  Savantes  fut  piil)liô  sous  les  auspices  du 
ii'.iiiistre  de  l'instniction  publi(iue  ;  il  contenait  les  règlements 
(le  ce-s  soci«?tés  et  le  nom  de  leurs  luenibres. 

M.Maliulavait  donné  le  titre  iVAiiiniatic yccrologique  à 
un  volume  annuel,  qu'il  publia  de  1820  à  lS2â,  et  qui  com- 
prenait, par  ordre  alphabétique,  les  biographies  des  person- 
nages importants  morts  pendant  l'année.  L'année  1S2G  porte 
le  titre  d'.l;i?)rt/t's  lUpgrap/iiqucs ;  vWc  i\Cf.i  plus  ])ar  ordre 
alphabétique.  Oepuis  1758  les  Auf^his  ont  un  ouvrable  dont 
Burke  donna,  dit-on,  le  plan  à  Dodsley,  et  qn\  est  inlituié 
ne  Annual  liegister,  or  a  viciv  of  (he  histonj,i)o!ilic<; 
aiid  literature.  Chaque  volume  résume  l'histoire  poliliiiuc 
d'une  année  d.uis  sa  première  partie;  la  seconde  contient 
unechroniqiu'  et  un  appendice  où  l'on  trouve  les  naissances, 
les  mariages  de  l'aristocratie,  les  promotions  et  nomina- 
tions, les  décès,  des  tableaux  statistiques,  les  décisions  ju- 
diciaires importantes,  les  actes  du  parlement,  les  pièces 
diplomatiques,  un  coup  dœil  sur  la  littérature,  les  mœurs, 
les  arts,  une  liste  .des  brevets  d'invention  ,  quelques  poésies , 
et  un  index.  Ce  travail,  qui  a  donné  naissance  à  d'autres 
ouvrages  du  même  genre  en  Angleterre,  en  Allemagne  et 
ailleurs,  a  clé  imité,  en  France,  de  1818  à  1830,  par  Lesur, 
sous  ce  litre  :  Annuaire  Historique  universel;  rédigé  dans 
un  esprit  libéral ,  et  pouvant  donner  des  pièces  que  la  cen- 
sure ne  laissait  pas  passer  dans  les  journaux,  ce  livre  eut 
un  certain  succès.  La  continuation  a  éic  moins  heureuse. 
La  lieviie  des  Deux  Mondes  publie  depuis  1850  un 
Annuaire  des  Deux  Mondes  qui  contient  une  excellente 
narration  des  événements  annucls,mais  l'appendice  manque 
de  développement.  Le  Mémorial  universel,  dont  deux  an- 
nées seulement  ont  paru,  avait  peut-être  le  défaut  contraire. 
L'Annuaire  Encyclopédique  (1859-1860)  est  une  sorte  de 
supplément  k  ['Encyclopédie  du  dix-neuvième  siècle  :\e9> 
malières  y  sont  divisées  par  ordre  alphabétique.  L'Allemagno 
etr.\ngleterre  possèdent  aussi  d'autres  Annuaires,  parmi  les- 
quels on  cite  ['Annuaire  Astronomique  de  Berlin.  L.  L. 

ANNUITE.  C'est  un  certain  payement  effectué  tous 
les  ans  par  un  débiteur  pour  remboinser  en  un  nombre 
d'années  convenu  un  capital  et  ses  intérêts.  Les  annuités 
ou  rentes  à  termes  difi'èreut  donc  des  rentes  perpétuelles, 
en  ce  que  ces  dernières  ne  se  composant  que  de  l'intérêt 
de  l'argent  prêté ,  laissent  le  capital  intact ,  tandis  que  les 
annuités,  rendant  chaque  fois  une  partie  du  capital,  finissent 
par  amortir,  par  éteindre  la  délie.  .Si  lorsque  je  dois  cent 
francs,  l'intérêt  étant  convenu  à  G  pour  100,  je  paye  chaque 
année  6  fr.,  je  reste  toujours  devoir  le  capital,  je  sers  une 
rente  perpétuelle  ;  si  au  contraire  je  donne  20  fr.,  je  paye  la 
première  année  six  francs  d'intérêt  et  14  fr.  de  capital; 
l'année  suivante  je  ne  dois  plus  que  rinlérôt  de  84  fr. ,  soit 
5  fr.  16  c.  :  en  donnant  encore  20  fr.  je  reiids  14  fr.  84  c.  et 
ainsi  de  suite  ;  chaque  année  le  capital  diminue,  l'intérêt  dû 
aussi ,  et  au  bout  d'un  certain  temps  non-seulement  je  me 
serai  acquitté  du  loyer  du  capital,  mais  j'aurai  rendu  le  ca- 
pital lui-même.  C'est  là  ce  qu'on  nomme  des  renies  à  ter- 
mes. Cette  somme  de  20  fr.  payée  tous  les  ans  prend  le  nom 
d'anmiité.  Le  remboursement  par  annuités  présente  en  quel- 
ques cas  certains  avantages;  il  permet  à  l'emprunteur  de  se 
libérer  plur,  facilement,  car  les  annuités  ne  le  privent  anuud- 
lemcnt  que  d'une  faible  partie  du  capital  emprunté;  mais  en 
général  les  capitalistes  aiment  peu  ce  mode  de  placement. 

Il  y  a  dans  les  annuités  quatre  choses  à  considérer  :  la 
somme  prêtée,  ou  le  prix  de  Vunnuité;  le  taux  de  l'inté- 
rêt ;  Yann uité  elle-même,  ou  la  rente  à  jjayer  ;  enfin  le  temps 
pendant  leipsel  l'annuité  doit  être  payée.  Si  nous  nonunons 
A  le  capital,  a  l'annuité,  n  le  nombre  d'années  et  r  Tinléict 
de  1  fr.  pendant  un  an,  en  rapjwrfant  la  valeur  du  tapit;;! 
et  des  divers  payements  à  une  même  époque,  nous  trouvons 
la  relation  : 

A(l+,-).  ==""'  +  '•'-". 
r 

DICr.    1)1     LA    tO.'«VElii,\llO.'i.    —    1.1. 


ANORLIR 


633 


Celle  relation  entre  quatre  quantités  permet  de  calculer 
l'une  quelconque  d'entre  elles ,  connaissant  les  trois  autres; 
on  en  déduit  : 

Ar  (  I  -\- r)" 

la  quotité  de  l'annuité,  a  = ^ — ^    '    ■ 

(!  +  ,•)«_  1' 


le  prix  de  l'annuité,  A  = 
la  durée  de  l'annuité,  n 


fijKj+r  )  "  _  1 1 


rCl+r)»       ' 
_  Log.  a  —  Log.  (a—Ar) 
Log{i+r)  • 


Quand  c'est  le  taux  de  l'intérêt  qiù  est  inconnu,  sa  dé- 
termination  dépend  de  la  résolution  d'une  équation  du 
degré  n. 

Comme  les  questions  de  ce  genre  se  présentent  de  plus  en 
plus  fréquemment  dans  la  vie,  on  a  publié,  pour  les  per- 
sonnes peu  habituées  aux  formules  algébriques ,  des  tables 
au  moyen  desquelles  il  est  facile  de  résoudre  tous  les  pro- 
blèmes relatifs  aux  annuités.  Ces  tables  sont  fondées  sur  ce 
principe  :  la  durée  de  l'annuité  et  le  taux  de  l'intérêt  ne 
variant  pas,  si  le  capital  est  doublé,  triplé,  etc.,  l'annuité 
est  doublée,  triplée  ,  etc.  ;  ou  bien ,  en  meilleurs  termes, 
quand  la  durée  de  l'annuité  et  le  taux  de  l'intérêt  ne  va- 
rient pas,  les  quotités  des  annuités  sont  proportionnelles  aux 
prix  de  ces  mêmes  annuités.  On  a  calculé  deux  tables:  l'une 
contient  la  valeur  actuelle  des  sommes  qui  produisent  une 
annuité  de  1  fr.  pendant  une,  deux,  trois,  etc.,  années,  le 
taux  de  l'intérêt  étant  à  3,  4,  5  ou  6  pour  100;  l'autre  donne 
l'annuité  nécessaire  pour  amortir  une  dette  de  1  fr.  en  une, 
deux,  trois,  etc.,  années,  le  taux  de  l'intérêt  étant  à  3,  4,  5, 
G  pour  100.  Les  calculs  relatifs  aux  renies  viagères,  aux 
tontines,  aux  assurances  sur  la  vie,  aux  caisses  de  survie,  etc., 
ont  aussi  leurs  éléments  dans  les  questions  d'annuités,  en 
prenant  pour  bases  les  probabilités  de  la  vie  humaine. 

Lorsque  l'annuité  doit  être  payée  pendant  un  nombre  dé- 
terminé d'années,  on  la  dit  fixe;  si  sa  durée  est  soumise  à 
certains  événements ,  comme  par  exemj)le  à  la  vie  d'un  ou 
plusieurs  individus,  on  la  nomme  contingente.  Lorsque  l'an- 
nuité ne  doit  commencer  à  être  payée  qu'au  bout  d'un  cer- 
tain temps,  on  la  dit  dijjérée;  si  à  partir  d'une  certaine  épo- 
que elle  doit  croître  dans  quelque  proportion  déterminée, 
on  la  nonnne  croissante;  si  l'on  ne  doit  en  jouir  qu'après 
le  décès  d'une  ou  de  plusieurs  personnes  actuellement  vi- 
vantes, on  l'appelle  annuité  réversible.  Quand  elle  est  li- 
mitée à  la  durée  de  !a  vie  d'un  ou  de  plusieurs  individus, 
comme  dans  les  rentes  viagères,  elle  reçoit  le  nom  d'annuité 
à  vie  ;  enfin  on  l'appelle  annuité  à  vie  temporaire  lorsqu'elle 
ne  doit  durer  qu'un  certain  nombre  d'années;  et  à  condi- 
tion qu'une  ou  plusieurs  personnes  survivront  à  ce  terme. 

ANNULATION,  infumation  par  jugement  d'une  pro- 
cédure ,  d'une  sentence,  d'un  mariage  ou  de  tout  autre  acte 
contenant  une  nullité.  L'annulation  des  contrats  entachés  de 
dol,  de  fraude  ou  de  violence,  et  encore  pour  cause  de 
lésion,  prend  le  nom  de  rescision;  qn-dwà  elle  a  lieu 
pour  cause  d'inexécution  des  stipulations,  on  l'appelle  réso- 
lution. C'est  par  la  résiliation  qu'on  annule  des  con- 
ventions existant  entre  les  parties.  L'annulation  de  certaines 
dispositions  de  propre  mouvement ,  par  un  acte  postérieur 
contenant  une  volonté  contraire,  se  nomme  révocation. 
Enfin ,  Yabrogation  d'une  loi  en  est  l'annulation  totale , 
tandis  que  la  dérogation  n'en  est  que  l'annulation 
partielle. 

ANOBLIR  ,  ENNOBLIR.  Ces  deux  mots,  que  l'on  con- 
fond trop  souvent,  n'ont  pas  la  mên^.e  signification.  Le 
premier  ne  se  dit  que  des  personnes;  !c  second  s'applique 
plus  particulièrement  aux  choses.  Le  premier  ne  s'emploie 
jamais  qu'au  propre,  le  second  qu'au  figuré.  Anoblir  un 
homme,  c'est  lui  conférer  une  distinction  qu'il  n'avait  pas, 
la  noblesse.  Ennoblir  un  sujet,  ime  chose,  c'est  lui  donner 
plus  de  relief,  plus  d'éclat,  plus  de  noblesse  qu'elle  n'eu 

jii) 


«94  ANOBLIR  — 

avait  d'abord.  Des  parchomins  achetés  par  la  fortune  ou  la 
faveur  ont  anobli  b'wn  des  lamillcs,  mais  il  n'y  a  que  les 
sentiments  élevés  et  les  grandes  inspirations  qui  ennoblis- 
sent. 

AXOBLISSEMEXT,  concession  en  vertu  de  laquelle 
un  simple  citoyen  est  élevé  au  ran^  des  nobles.  Avant  l'éta- 
blissement du  régime  féodal ,  tous  ceux  qui  portaient  les 
armes  pour  la  défense  commune  étaient  nobles ,  soit  qu'ils 
descendissent  des  Francs ,  soit  que  leur  origine  filt  gauloise 
ou  romaine ,  la  distinction  des  castes  ayant  été  respectée 
par  les  vaimpicurs  chez  les  peuples  soumis  à  leur  domina- 
tion. La  noblesse  alors  ,  c'étaient  la  franchise  ,  la  liberté  de 
la  pro{>riété  et  de  la  personne.  Les  descendants  d'un  serf 
aiïranchi  par  grâce  ou  par  fortune  étaient  nobles  à  la  troi- 
sième génération.  Saint  Louis  (il  revivre  l'esprit  de  cet 
antique  usage  dans  ses  Institutions,  lorsqu'on  1270  il  statua 
que  les  plébéiens  possesseurs  de  licfs  jouiraient  de  la  no- 
blesse transmissible  à  la  tierce  foi,  c'est-à-dire  à  la  troisième 
mutation  de  possesseurs. 

Aux  anoblissements  par  l'affranchissement  des  personnes 
succédèrent  ceux  par  l'investiture  des  liefs ,  et  à  ces  derniers 
successivement  les  anoblissements  utérins  ,  c'est-à-dire  d'en- 
fants qui  héritaient  de  la  noblesse  de  leurs  mères  ;  ceux 
par  lettres  patentes  (dont  les  plus  anciennes  sont  de  1270), 
par  finance  ,  par  l'exercice  des  armes  (  c'étaient  les  plus 
honorables  ,  et  cependant  ils  n'étaient  que  personnels)  dans 
la  milice  des  francs-archers.  l'ar  l'édit  de  novembre  1750  , 
Louis  XV  conféra  la  noblesse  du  premier  degré  à  tons  les 
ofliciers  généraux ,  et  anoblit  aussi  transmissiblement  tout 
oflicier  décoré  de  l'ordre  de  Saint-Louis ,  dont  le  père  et 
l'aïeul  avaient  été  décorés  du  môme  ordre.  Ajoutez-y  en- 
core les  anoblissements  par  charge ,  comme  les  notaires  et 
secrétaires  du  roi ,  les  magistratures  et  offices  des  cours 
souveraines  ;  de  la  cour  des  monnaies  et  du  Châtelet  de  Paris, 
des  bureaux  des  finances  de  cette  ville  et  des  autres  géné- 
ralités ;  enlin  ,  les  anoblissements  municipaux  ,  attribués  aux 
charges  consulaires  de  seize  grandes  villes.  11  y  a  eu  même 
quehpies  exemples  d'anoblissements  par  force  :  on  cite  entre 
autres  Richard  Graindorge,  fameux  marchand  de  boeufs  du 
pays  d'Auge ,  en  Normandie  ,  que  l'on  contraignit,  en  1577, 
à  raison  de  sa  fortune  ,  à  accepter  des  lettres  patentes  de 
noblesse,  et  à  payer  3,000  livres  au  trésor. 

Dans  l'origine  ,  et  jusqu'au  règne  de  Louis  XI ,  les  ano- 
blissements pour  services  rendus  dans  les  armes  et  dans  la 
magistrature  ont  été  une  mesure  sage  ou  plutôt  ime  néces- 
sité politique.  La  noblesse ,  formant  un  corps  particulière- 
ment voué  à  la  défense  de  la  patrie ,  n'aurait  eu  qu'une 
existence  passagère  si  ses  rangs  n'eussent  été  constamment 
ouverts  à  toutes  les  notabilités ,  à  toutes  les  illustrations 
nationales.  C'est  la  funeste  profusion  des  privilèges  qui  en 
a  amené  l'avilissement ,  et  qui  les  a  rendus  odieux  au  peuple 
en  l'accablant  de  charges  excessives  et  insupportables.  Si 
la  noblesse  eût  toujours  été  la  distinction  exclusive  des 
actions  d'éclat  ou  des  vertus  et  des  hautes  capacités  civiles; 
si  dans  la  dispensation  d'une  récompense  héréditaire  si 
éminente ,  les  rois  de  France  n'eussent  pas  mis  dans  la  même 
balance  les  exploits  d'un  général  d'armée  et  une  année  de 
senices  de  cloche  rendus  par  un  échevin  de  Paris ,  un  jurât 
de  Bordeaux  ou  un  capitoul  de  Toulouse  ;  s'ils  n'eussent 
pas  fait ,  de  leur  propre  autorité  ,  ce  trafic  honteux  de  lettres 
d'anoblissement  et  d'armoiries,  vendues  en  quelque  sorte 
à  bureaux  ouverts ,  comme  on  vend  des  drogues  ou  de  la 
vieille  friperie ,  la  noblesse  française  aurait  pu  quelque 
temps  encore  conserver  son  lustre.  Ces  ignobles  et  ridicules 
profanations  étaient  bien  faites  pour  justifier  l'éloigncment 
<|u'éprouvaient  les  anciennes  familles  militaires  pour  ces  ano- 
blis de  fabrique  et  de  faux  aloi ,  qui  tiraient  toute  leur  il- 
lustration des  écus,  bien  ou  mal  acquis,  qu'ils  avaient 
t-omptés  au  trésor,  ou  d'une  dégoiltante  manipulalion  de 
eliariies  vénales,  linautières  et  administratives.  Cependant 


ANOMALIE 

l'ancienne  noblesse  avait  poussé  trop  loin  la  ligne  de  dé- 
marcation qui  la  séparait  des  anoblis  sans  considération , 
en  se  créant  un  caractère  d'indélébilité  et  d'imprescriptibilité 
chimérique ,  qui  n'existait  pas  plus  pour  elle  que  pour  la 
noblesse  nouvelle.  Les  familles  d'ancienne  chevalerie  ont 
eu  leurs  commencements  comme  les  autres  ;  seulement  elles 
ont  (luitté  un  peu  plus  tôt  la  charrue,  et  ont  porté  plus 
longtemps  l'épée.  Il  y  a  eu  dans  la  fortune  de  beaucoup 
d'entre  elles  de  la  faveur  comme  dans  tous  les  temps,  et  de 
ces  hasards  heureux  dont  on  profite  sans  jamais  les  avouer. 
l'oyez  Noblesse.  LAixt';. 

A\ODL\  (du  grec  à  privatif,  et  ôôOvyi,  douleur).  On 
donne  ce  nom  à  tout  ce  qui  calme  ou  fait  cesser  la  douleur  ; 
et  comme  cette  dernière  peut  tenir  à  un  grand  nombre  de 
causes  très-diverses,  il  est  facile  de  concevoir  que  cette 
qualité  doit  se  retrouver  dans  une  série  très-grande  de  sul)- 
stances  différentes.  Cejiendant,  en  médecine  on  appelle  plus 
spécialement  remèdes  anodins  l'opium  et  ses  prépara- 
tions, ainsi  que  les  autres  narcotiques,  tels  que  la  belladone, 
la  jusquiame,  la  laitue  vireuse,  etc.  Mais  on  doit  considérer 
encore  comme  méritant  ce  titre  avec  autant  de  justesse,  les 
médicaments  émollients  ou  adoucissants  :  par  exemple  les 
gélatineux,  les  mucilagineux,  les  amylacés,  les  corps  gras,  etc. 

AXOAIALIE  (  du  grec  à  privatif,  et  &[xa).6;,  égal,  pa- 
reil, semblable  ).  Ce  mot  désigne  en  généra!  une  irrégularité, 
soit  dans  la  grammaire  ou  dans  les  langues,  soit  dans  les 
maladies.  Dans  l'histoire  naturelle,  on  appelle  ainsi  les  êtres 
qui  par  leur  aspect  extérieur,  la  présence  ou  l'absence  de 
certaines  parties,  s'éloignent  du  type  auquel  on  les  comjiare 
habituellement;  en  botanique  on  nomme  fleurs  anomales 
celles  qui  n'olfrent  pas  une  symétrie  aussi  complète  que  les 
fleurs  que  nous  voyons  ordinairement. 

En  astronomie,  Vanomalie  désigne  la  distance  angulaire 
d'une  planète  a  son  aphélie  ou  à  son  apogée.  De  là  le  terme 
d'anomalistifjue,  employé  pour  qualifier  la  révolution  d'une 
planète  par  rapport  à  l'une  de  ses  apsides.  Toute  planète  de 
notre  système  décrit  une  ellipse  dont  le  soleil  occupe  l'un 
des  foyers;  par  conséquent,  pendant  la  moitié  de  sa  course, 
elle  se  rapproche  du  soleil,  pour  s'en  écarter  ensuite,  ce  qui 
cause  chez  elle  une  inégalité  de  mouvement.  Pour  déter- 
miner cette  inégalité  de  mouvement  et  la  calculer  dans  les 
divers  lieux  qu'occupe  la  planète,  on  se  sert  de  Vanomalie 
vraie,  qui  est  la  distance  angulaire  de  la  planète  observée  au 
point  de  son  aphélie.  En  d'autres  termes,  c'est  un  angle  qui 
aurait  son  sommet  au  centre  du  soleil,  dont  l'un  des  côtés 
passerait  par  l'aphélie  et  l'autre  par  le  point  où  se  trouve 
au  moment  de  l'observation  le  centre  de  la  planète  que  l'on 
considère. 

On  distingue  deux  autres  sortes  d'anomalies  ;  l'anomalie 
moyenne  et  l'anomalie  excentrique. 

Dans  leur  système  astronomique,  les  anciens  faisaient 
mouvoir  les  planètes  sur  des  cercles  dont  la  terre  occiq'ait 
le  centre;  pour  eux,  l'anomalie  était  proportionnelle  au 
temps  du  mouvement;  c'est  ce  que  nous  appelons  anomalie 
moyenne.  Quand  Kepler  eut  établi  le  mouvement  elliptique, 
il  formula  cette  loi  immortelle  :  «  Les  aires  décrites  par  le 
rayon  vecteur  d'une  planète  sont  proportionnelles  aux 
teinp*.  »  L'anomalie  moyenne  fut  alors  représentée  par  une 
aire  elliptique  ,  qu'un  artilice  ingénieux  exprhna  en  degrés 
circulaires,  condition  essentielle  pour  le  calcul.  Si  Ton 
décrit  une  circonférence  ayant  pour  diamètre  le  grand  axe 
de  l'orbite,  Vanomalie  excentrique  est  l'arc  de  cercle  in- 
tercepté entre  l'aphélie  et  le  point  où  la  circonférence  dé- 
crite est  rencontrée  par  une  perpendiculaire  abaissée  du 
lieu  de  la  planète  sur  la  ligne  des  apsides.  —  Ces  deux  der- 
nières sortes  d'anomalies  ne  servent  qu'à  déterminer  celle 
que  nous  avons  définie  d'abord,  l'anomalie  vraie.  Ce  pro- 
blème, d'une  liaute  importance,  connu  sous  le  nom  de  pro- 
blcmc  de  Kepler,  fut  longtemps  l'objet  des  recherches  des 
mathématiciens  les  plus  illustres  :  Wallis,  Newton,  Cas- 


ANOMALIE  —  A.NOPLOTHERIUM 

sîni,  T.ainndp,  etc.  La  solution  complMe  la  plus  remarquable 
est  ihio  a  Lagianye.  {Mém.  de  l'Acad.  de  Berlin,  17G9.  ) 

E.  MmLIF.i:x. 

A\0\IEE\S  (  du  grec  à  privatif,  et  ôiioio;,  semblable  ). 
Voije:,  Ai.ms  et  Ariamsme. 

À\0\YME,  adjectif  grec  forme  du  mot  ôvo|xa,  nom, 
et  de  l'a  privatif,  sans  nom,  privé  de  nom,  qui  n'a  point 
(le  nom  ou  qui  le  cache.  Ce  mot  se  dit  des  écrivains  dont 
on  ne  sait  pas  le  nom ,  et  des  ouvrages  dont  on  ne  con- 
naît pas  l'auteur  :  il  est  opposé  à  pseudonijme ,  ou  allo- 
uijme,  auteur  supposé.  11  y  a  aussi  Acs  polijonymes ,  au- 
teurs qui  sont  connus  sous  plusieurs  noms  ou  qui  ont  pu- 
blié des  ouvrages  sous  des  noms  divers.  La  multiplication 
des  livres  a  aussi  multiplié  le  nombre  des  anonymes,  et  sou- 
vent c«s  anonymes  ont  excité  un  grand  intérêt.  Les  savants 
ont  fait  d'inutiles  recherches  jusqu'à  ce  jour  pour  con- 
naître l'auteur  du  neuvième  siècle  dont  le  bénédictin  Pla- 
cide Porcheron  a  publié  la  géographie ,  en  168S ,  sous  le 
titre  de  Y  Anonyme  de  Ravenne.  Le  cardinal  de  Richelieu 
ne  put,  malgré  l'immense  pouvoir  dont  il  était  revêtu,  dé- 
coumr  l'auteur  de  la  violente  satire  publiée  contre  lui, 
vers  1G33,  sous  ce  titre  :  le  Gouvernement  présent,  ou 
Éloge  de  Soti  Éminence,  pièce  de  mille  vers  in-8°.  Les  An- 
glais cherchent  en  vaiu  le  véritable  auteur  des  Lettres  de 
Jttniîts. 

On  peut  distinguer  trois  espèces  d'anonyines  :  l'auteur 
d'un  ouvrage ,  son  éditeur  et  son  traducteur.  Les  anonymes 
de  ces  trois  genres  sont  si  communs  dans  nos  bibliothè- 
ques actuelles,  qu'on  peut  les  porter  au  tiers  du  nombre 
d'articles  dont  elles  sont  composées.  La  connaissance  de 
ces  anonymes  fait  partie  de  la  science  d'un  bibliothécaire  : 
une  place  de  ce  genre  n'est  donc  pas  aussi  facile  à  remplir 
iju'on  le  pense  communément.  Aussi  Je  crois  avoir  rendu  un 
grand  service  à  mes  confrère?,  en  livrant  à  l'impression  le  fruit 
de  quarante  années  d'études  littéraires  et  bibliographiques 
sous  ce  titre  :  Dictionnaire  des  ouvrages  anonymes  et 
pseudonymes,  composés,  traduits  ou  publiés  en  fran- 
çais et  en  latin,  avec  les  noms  des  auteurs,  traduc- 
teurs et  éditeurs;  accompagné  de  notes  historiques  et 
critiques  (  Paris,  1822  et  suiv.,  4  vol,  iii-4''  ). 

A. -A.   B\EBIER. 

Depuis  la  mort  de  Barbier,  de  Jlanne  a  publié  un  Aoii- 
veau  recueil  d'ouvrages  anonymes  et  pseudonymes  (  Pa- 
ris, 1834).  Mentionnons  en  outre  le  Manuel  du  Libraire 
et  de  V Amateur  de  livres,  par  M.  J.  Ch.  Brunet,  et  les  Su- 
percheries littéraires  dévoilées,  par  M.  Quérard. 

N'oublions  pas  qu'en  France  il  est  il'usage  que  l'auteur 
d'une  pièce  nouvelle,  jouée  sur  un  théâtre  quelconque,  garde 
l'anonyme  pendant  la  première  représentation,  jusqu'à  ce 
que  le  succès  soit  décidé ,  quoique  son  nom  ne  soit  souvent 
que  le  secret  de  la  comédie.  Depuis  l'année  1850,  l'amen- 
dement Tinguy  a  chassé  Vanonymie  des  journaux,  grands 
et  petits,  oii  elle  se  pavanait  à  l'aise,  pour  conserver 
toute  son  indépendance,  disaient  les  uns,  pour  mentir  et 
<lénisrer  impunément, prétendaient  les  autres.  Un  abus  plus 
intolérable  encore  est  celui  des  lettres  anonymes.  Ce  n'est 
pas  qu'il  ne  soit  quelquefois  utile  de  donner  un  avis  chari- 
table à  des  personnes  auxquelles  on  s'intéresse  et  dont  on 
ne  peut  pas  se  faire  connaître  sans  inconvénient;  mais  le 
plus  ordinairement  la  lâcheté,  la  perfidie  se  servent  de  cetie 
arme  hypocrite  pour  porter  le  trouble  dans  les  familles  ou 
pour  jeter  dans  l'anxiété  des  personnes  qui  ont  besoin  de 
repos.  Les  menaces  par  lettres  anonymes  sont  sévèrement 
punies.  On  a  le  droit  d'en  dénoncer  et  d'en  rechercher  l'au- 
teur ;  elles  sont  regardées  comme  publiques,  tandis  qu'une 
lettre  signée  est  considérée  comme  secrète.  * 

AXOA'YME  (Société).  Voyez  Société. 

AXOPLOTIiERIOI  (du  grec  à  privatif,  6-)ov, 
arme,  et  br,y.v/,  animal  ),  manimili&re  fossile  de  l'ordre  des 
pachydermes,  et  dont  il  n'existe  plus  d'analogues  vivants.  Il 


6S5 


a  été  ainsi  nommé  parce  qu'il  n'avait  pas  de  canines  plus  lou- 
gués  que  les  autres  dents  et  pouvant  servir  de  défenses.  Cu- 
vier  en  a  déterminé  la  grandeur  et  les  caractères  d'après  des 
ossements  trouvés  dans  les  carrières  à  pl;\tre  des  environs 
de  Paris.  Les  anoplotheriums  avaient  le  pied  fendu  en  deux 
doigts  comme  les  ruminants  ;  leurs  dents ,  au  nombre  de 
quarante-quatre,  offraient  six  incisives ,  deux  canines  et 
quatorze  molaires  à  chaque  mâchoire ,  et  elles  présentaient 
une  suite  continue,  ayant  la  même  hauteur  dans  chaque 
rang,  ce  qui  ne  se  voit  que  chez  l'homme.  Cuvier  a  reconnu 
six  espèces  distinctes,  auxquelles  il  a  donné,  d'après  leurs 
caractères  respectifs,  les  qualifications  de  commune,  se- 
cundarium ,  gracile ,  leporinum,  murinum  et  obliquum, 
la  seconde  et  la  troisième  formant  le  sous-genre  xiphodon, 
et  les  trois  dernières  étant  réunies  dans  le  sous-genre  di- 
chobune. 

[  Anoplotherium  commune.  Sa  hauteur  au  garrot  était 
encore  assez  considérable  ;  elle  pouvait  aller  à  plus  de  trois 
pieds  et  quelques  pouces.  .Alais  ce  qui  distinguait  le  plus 
cette  espèce ,  c'était  son  énorme  queue.  Comme  l'hippopo- 
time,  comme  tout  le  genre  des  sangliers  et  des  rhinocéros, 
notre  anoplotherium  était  herbivore;  il  allait  donc  chercher 
les  racines  et  les  tiges  succulentes  des  plantes  aquatiques. 
D'après  ses  habitudes  de  nageur  et  de  plongeur,  il  devait 
avoir  le  poil  lisse  comme  la  loutre,  peut-cire  même  sa  peau 
était-elle  demi-nue  comme  celle  des  pachydermes  dont 
nous  venons  de  parler.  Il  n'est  pas  vraisemblable  non  plus 
qu'il  ait  eu  de  longues  oreilles,  qui  l'auraient  gêné  dans  son 
genre  de  vie  aquatique,  et  je  penserais  volontiers  qu'il  res- 
semblait à  cet  égard  à  l'hippopotame  et  aux  autres  qua- 
drupèdes qui  fréquentent  beaucoup  les  eaux.  Sa  longueur 
totale,  la  queue  comprise ,  était  au  moins  de  huit  pieds ,  et 
sans  la  queue,  de  cinq  et  quelques  pouces.  La  longueur  de 
son  corps  était  donc  à  peu  près  la  même  que  celle  d'un  âne 
de  taille  moyenne ,  mais  sa  hauteur  n'était  pas  tout  à  fait 
aussi  considérable. 

Anoplotherium  gracile.  On  voit  qu'autant  les  allures  de 
y  anoplotherium  commune  étaient  lourdes  et  traînantes 
quand  il  marchait  sur  la  terre,  autant  le  gracile  devait 
avoir  d'agilité  et  de  grâce;  léger  comme  la  gazelle  ou  le 
chevreuil,  il  devait  courir  rapidement  autour  des  marais 
et  des  étangs,  où  nageait  la  première  espèce;  il  devait  y 
paître  les  herbes  aromatiques  des  terrains  secs ,  ou  brouter 
les  pousses  des  arbrisseaux.  Sa  course  n'était  point  sans 
doute  embarrassée  par  une  longue  queue;  mais,  conune 
tous  les  herbivores  agiles ,  il  était  probablement  un  animal 
craintif,  et  de  grandes  oreilles  très-mobiles,  comme  celles 
des  cerfs,  l'avertissaient  du  moindre  danger;  nul  doute, 
enfin  ,  que  son  corps  ne  fût  couvert  d'un  poil  ras,  et  par 
conséquent  il  ne  nous  manque  que  sa  couleur  pour  le 
peindre  tel  qu'il  animait  jadis  cette  contrée,  où  il  a  fallu  en 
déferrer,  après  tant  de  siècles,  de  si  faibles  vestiges. 

Anoplotherium  leporinum.  SiVanoplotherium  gracile 
était,  dans  le  monde  antédiluvien,  le  chevreuil  de  notre 
région,  Y  anoplotherium  leporinum  en  était  le  lièvre  ;  même 
grandeur,  même  projxfrtion  de  membres  devaient  lui  donner 
même  degré  de  force  et  de  vitesse,  même  genre  de  mou- 
vements. G.  CuviER.  ] 

Quand  on  considère  qu'à  l'époque  où  Cuvier  écrivait  les 
lignes  qui  précèdent,  nous  ne  possédions  encore  que  quel- 
ques os  épars  d'anoplothcrium  et  de  palœotherium;  que 
c'est  lui  qui  a  su  démêler  ces  fragments  incomplets,  et,  s'ai- 
dant  des  relations  du  système  dentaire  et  des  appareils  de 
la  locomotion  ,  restituer  à  chaque  genre  ce  qui  lui  apparte- 
nait (  voyez  Anatomie  comi-akée  )  ;  quand  on  voit  que,  de-  • 
puis,  la  découverte  de  squelettes  presque  entiers  est  venue 
confirmer  ses  savantes  hy|)othèses,  on  est  saisi  d'étonncinent 
et  d'admiration. 

Dans  son  05/rà^of7J<',   de  Blainville  a  porté  à  neuf  le 
noml)re  dos   espèces  d'anoplotheriums  en  y  comprenant 


636 

ranimai  nommé  caïnolhehum  par  M.  BravarJ  et  oplo- 
therium  ( par  opposition  à  anoplotherhnn)  par  M.M.  de 
Laizer  et  de  Parieu  ,  et  le  chaUcothcrium ,  dont  M.  Kaup 
avait  proposé  de  former  un  genre  intermédiaire  aux.  pa- 
lœotheriums  et  aux  anoplotheriums  ;  de  IJlainvilie  range  ce 
dernier,  ainsi  que  Yaiùsodon  de  M.  Lartet,  dans  l'espèce 
anoplother'ium  grande.  Cependant  Tanisodou,  ainsi  que 
l'indique  son  nom  (di^Tivé  de  âv'.c7o;,  inégal),  ne  présente 
pas  dans  son  système  dentaire  le  caractère  distinclif  du 
genre  anoplotherium. 

Un  animal  fossile  voisin  de  l'anoplotherium  a  été  nommé 
par  Cuvier  anthracothcrïum  (animal  du  cliarbon),  parce 
qu'on  n'en  avait  encore  rencontré  de  débris  que  dans  la 
houille.  Depuis ,  l'abbé  Croizet  en  a  découvert  d'autres  es- 
pèces ,  dans  les  terrains  lacustres  de  l'Auvergne  ;  cependant 
le  nom  {Vanthracotkerium  a  été  conscné. 

AJXOREXIE  (du  grec  à  privatif,  et  ôp^?-.;,  appétit) , 
perte  ou  privation  de  l'appétit.  Ce  mot  a  le  môme  sens  qn' in- 
appétence. L'anorexie  reconnaît  des  causes  si  variées  qu'il 
faudrait  en  quelque  sorte  passer  en  revue  la  pathologie 
entière  pour  les  citer  toutes.  Elle  n'est  pas  toujours  d'ail- 
leurs un  symptôme  de  maladie,  mais  fréquemment  un 
simple  dérangement  fonctionnel,  dé}iend;',nt  d'une  cause 
accldcntrlle  ou  d'infractions  réitérées  aux  lois  de  l'hygiène. 
Ainsi,  une  vie  trop  sédentaire,  des  passions  vives,  des 
émotions  tristes,  une  forte  contention  d'esprit,  l'abus  des 
liqueurs  spiritucuses  ou  des  boissons  chaudes ,  certaines 
répugnances ,  en  sont  des  causes  assez  communes.  1 1  ne  faut 
pas  cependant  confondre  l'inappétence  avec  le  dégoût,  qui 
implique  \' aversion  pour  les  aliments ,  tandis  que  dans  la 
première  il  n'y  a  qu'absence  de  désir.  —  On  sait  que  le  dé- 
faut de  faim  accompagne  l'invasion  de  la  plupart  des  ma- 
ladies aiguës.  Dans  les  affections  chroniques,  l'anorexie 
complète  indique  un  grand  épuisement,  ou  la  participation 
de  l'estomac  au  mal.  —  D'après  ce  que  nous  venons  de  dire, 
il  est  évident  que  chercher,  comme  le  font  les  personnes 
peu  éclairées ,  à  combattre  l'anorexie  par  des  mojens  sti- 
mulants qui  surexcitent  le  ventricule  ou  flattent  le  goût 
sans  remédier  à  la  cause,  est  une  chose  aussi  peu  rationnelle 
que  fimeste  dans  ses  conséquences.  Remonter  à  cette  cause 
et  l'éloigner  autant  que  cela  dépend  de  nous,  telle  est  évi- 
demment la  première  indication  à  remplir  ;  recherclier  si 
l'estomac  ou  d'autres  organes  ne  sont  pas  en  souffrance,  tel 
doit  être  notre  premier  soin.  Ce  n'est  que  dans  les  cas  très- 
simples  ,  dégagés  de  toute  complication  ,  qu'on  peut  essayer 
sans  inconvénient  de  quelques  moyens  propres  à  stimuler 
doucement  les  fonctions  de  l'estomac ,  à  le  relever  de  l'état 
de  langueur  où  il  se  trouve  :  tels  sont  les  amers  légers , 
quelques  prises  de  rhubarbe  ,  l'eau  de  Seltz  aux  repas ,  un 
verre  d'eau  de  Sedlitz  à  jeun  ,  etc.         D'  Saucerotte. 

AXORGAXIQUE.  Voyez  Inorganique. 

AJVOSMIE  (du  grec  à  privatif,  et  ôfffjLr),  odeur).  On 
se  sert  de  ce  mot  pour  exprimer  l'affaiblissement  on  la  di- 
minution et  l'abolition  complète  de  la  faculté  olfactive.  On 
l'a  considérée  tantôt  comme  un  genre  de  maladie ,  et  le 
plus  souvent  comme  un  symptôme  qui  accompagne  le  co- 
ryza ou  vulgairement  rhume  de  cerveau  ,  les  fièv  res  graves, 
et  aussi  plusieurs  maladies  nerveuses.  On  a  considéré  la  sé- 
cheresse de  la  membrane  nuKiueuse  des  fosses  nasales 
comme  la  cause  la  plus  fréquente  de  l'anosmie.  Ce  phé- 
nomène pathologique  peut  aussi  être  produit  par  la  para- 
lysie des  nerfs  affectés  à  la  sensibilité  spéciale  ou  générale 
de  la  membrane  pituitaire.  L.  Laurent. 

A\QUETIL  (  Louis-PiERRF,  )  naquit  à  Paris ,  le  21  jan- 
vier 1723,  d'une  honorable  famille  bourgeoise.  Il  était 
l'aîné  de  sept  frères  dont  l'un  se  rendit  célèbre  comme 
orientaliste  et  comme  voyageur  (  v^ijcz  l'article  suivant). 
Quant  à  lui,  après  avoir  fait  ses  études  classiques  au  col- 
lège Maaarin  et  sa  théologie  au  prieuré  de  Sainle-Carbe  ,  il 
«nlra ,  à  dix-sept  ans ,  dans  la  congrégation  de  Sainte-Gc- 


ANOPLOTOERIUM  —  ANQUETIL 


neviève,  et  n'en  avait  pas  encore  vingt  qu'il  professait 
déjà.  Le  cours  de  belles-lettres  qu'il  ût  à  l'abbaye  de  Saint- 
Jean  à  Sens  lui  profita  autant  qu'à  ses  auditeurs  ;  il  s'ins- 
truisait en  instruisant  les  autres.  A  ce  premier  cours  il  en 
Joignit  bientôt  un  de  théologie,  et  partit,  quelques  années 
après ,  pour  le  séminaire  de  Reims,  où  il  allait  remplir  les 
fonctions  de  directeur.  Le  peu  d'instants  que  ses  fonctions 
lui  laissaient  furent  par  lui  consacrés  à  des  travaux  litté- 
raires et  à  composer  son  premier  ouvrage ,  une  histoire  de 
cette  ville,  qu'il  publia  en  1757  en  3  volumes  in-l2,  et  qui 
ne  dépasse  pas  l'année  1G57.  Elle  devait  avoir  un  quatrième 
volume,  qui  n'a  jamais  paru.  Un  nommé  Félix  de  la  Salle 
en  était,  a-t-on  dit,  le  principal  auteur.  Les  deux  collabora- 
teurs avaient  tiré  au  sort  à  qui  signerait  l'ouvrage ,  et  An- 
quetil  l'avait  emporté.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  anecdote,  il 
est  certain  qu'elle  donna  naissance  plus  tard  à  une  polé- 
mique irritante,  dont  les  pièces  ont  été  conservées. 

Anquetil,  nommé  en  1759  prieur  de  l'abbaye  de  la  Roé, 
en  Anjou,  fut  peu  après  envoyé,  en  qualité  de  directeur,  au 
collège  de  Senlis,  qui  appartenait  à  la  congrégation  de  Sainte- 
Geneviève,  mais  perdait  alors  chaque  jour  de  son  ancienne 
réputation.  Sa  présence  y  eut  bientôt  ranimé  le  goût  des 
saines  études.  Là  il  consacra  ses  loisirs  à  propager  l'inocula- 
tion dans  les  campagnes  environnantes  et  à  composer  deux 
ouvrages  :  V Esprit  de  la  Ligue,  faible  esquisse,  bien  coor- 
donnée cependant ,  à  laquelle  il  dut  principalement  sa  re- 
nommée littéraire,  et  l'Intrigue  du  Cabinet,  qui  ne  pouvait 
guère  contribuer  à  l'accroître.  En  tète  de  la  première  édi- 
tion du  premier  de  ces  Uvres,  qui  fut  publiée  sous  le  voile  de 
l'anonyme,  on  lisait  une  notice  remarquable,  due  à  la  plume 
de  l'abbé  de  Saint-Léger.  De  Senlis  Anquetil  passa,  en  17G6, 
à  la  cure  ou  prieuré  de  Château-Renard ,  près  de  Montar- 
gis ,  village  où  pendant  vingt  ans  il  remplit  les  fonctions 
du  ministère  sacré  avec  une  charité  attestée  par  l'attachement 
de  tout  son  troupeau  et  un  zèle  qui  lui  laissait  bien  peu  de 
temps  pour  ses  études  particulières.  Ces  études,  il  ne  put  les 
reprendre  qu'aux  premiers  jours  de  la  révolution,  quand  il 
fut  forcé  d'échanger  sa  cure  contre  celle  de  la  Villette ,  près 
de  Paris,  où  il  trouva  encore  le  secret  de  se  faire  aimer. 

Là  fut  commencée  son  Histoire  universelle  ;  mais  il  dut 
l'interrompre  en  1793  ,  époque  où,  enveloppé  dans  la  pros- 
cription du  clergé,  il  fut  enfermé  à  la  prison  de  Saint-La- 
zare pour  y  rester  jusqu'au  9  thermidor.  Toutes  ces  vicis- 
situdes avaient  dérangé  son  humble  fortune.  Il  crut  la  ré- 
tablir en  publiant  cet  ouvTage ,  qui  n'est  qu'un  mauvais 
abrégé  de  Y  Histoire  universelle  anglaise,  et  qui  fut  pour- 
tant traduit  en  anglais ,  en  espagnol  et  en  italien  ;  mais  le 
libraire  auquel  il  avait  cédé  son  manuscrit  ayant  éprouvé 
des  revers  de  fortune ,  le  prix  ne  lui  en  fut  point  payé ,  et 
il  tomba  dans  une  situation  voisine  de  la  misère.  Tout  autre 
se  serait  découragé,  Anquetil  se  roidit  contre  les  rigueurs 
du  sort.  Il  était  avant  la  révolution  correspondant  de  l'Aca- 
démie des  Inscriptions  et  Belles-Lettres;  à  l'organisation 
de  l'Institut  National,  il  fut  nommé  membre  titulaire  de  la 
seconde  classe.  Presque  en  môme  temps  il  entra  aux  ar- 
chives du  ministère  des  relations  extérieures,  et  publia, 
pour  prouver  qu'il  pouvait  être  utile  dans  ce  poste,  un  nou- 
veau livre,  intitulé  :  Motifs  des  guerres  et  des  traités  de 
paix  de  la  France. 

Jouissant  enfin  d'une  honnête  aisance ,  doué  d'une  santé 
robuste ,  fruit  d'une  humeur  égale  et  d'une  sévère  tempé- 
rance, Anquetil  put  consacrer  alors  la  presque  totalité  de  son 
temps  aux  recherches- historiques  qui  étaient  pour  lui  une 
passion.  Travaillant  dix  heures  par  jour  avec  une  ardeur 
qui  ne  se  lassait  point ,  non-seulement  il  retoucha  son  His- 
toire universelle,  mais,  malgré  son  âge  avancé,  il  com- 
mença un  nouvel  ouvrage,  également  de  longue  haleine, 
son  Histoire  de  Fr<nicc,en  14  volumes.  C'est  sa  dernière,  sa 
plus  faible  prodiict'on;  elle  trahit  à  chaque  page  la  précipi- 
tation d'un  vieillard  octogénaiie  pressé  d'arriver  à  la  tiu 


pour  ne  pas  laisfor  son  œuvre  incomplète;  et  pourtant  la 
spcciilaliou  s'en  est  euipaive  (lei)uis  une  trentaine  d'années 
pour  en  faire  plusieurs  éditions,  en  divers  loruiats,  qui  ont 
i:to  coulinuêes  pardiiférents  écrivains.  Sa  santé  se  soiilinl  au 
milieu  de  tous  ces  travaux  jusqu'à  l'âge  de  quatre-vingt- 
quatre  ans,  et  quand  la  mort  vint,  elle  le  trouva  sans 
inquiétude.  A  son  heure  suprême  il  doutait  de  son  immi- 
nence ,  et ,  rêvant  encore  de  vastes  entreprises  littéraires , 
il  disait  la  veille  il  un  de  ses  amis  :  «  Venez  voir  un 
homme  qui  meurt  tout  plein  de  vie.  »  Ce  fut  .le  6  sep- 
tembre 1808  que  s'éteignit  cet  honorable  écrivain  ,  à  qui,  en 
dehors  de  ses  œuvres,  dont  la  valeur  est  plus  que  contes- 
table, la  douceur  de  ses  mœurs  et  la  franchise  de  son  ca- 
ractère concilièrent  de  chaudes  amitiés  durant  sa  vie  et  des 
regrets  durables  au  delà  du  tombeau. 

AAQUÉTIL-DUPERROX  (  Abraham-Hvacinthe  ) , 
frère  du  précédent  et  l'un  de>  hommes  les  plus  crndits 
(ju'ait  produits  le  dix-huiliènie  siècle,  naquit  à  Paris,  le  7  dé- 
cembre 1731,  et  mourut  dans  la  même  ville,  le  17  janvier 
1805.  Voué  dès  sa  jeunesse  aux  études  orientales ,  surtout  à 
celle  de  l'hébreu  ,  de  l'arabe  et  du  persan  ,  les  sollicitations 
de  .M.  de  Caylus,  évêque  d'Auxerre,  qui  longtemps  lui 
fournit  les  moyens  de  perfectionner  ses  études,  à  Amers- 
foort,  près  d'Utreclit,  ne  purent  le  déterminer  à  entrer  dans 
les  ordres.  11  revint  donc  à  Paris,  où  bientôt  il  fut  l'un  des 
visiteurs  les  plus  assidus  de  la  Bibliothèque  royale.  L'abbé 
Sallier,  garde  des  manuscrits  orientaux,  s'entremit  pour  lui 
faire  obtenir  une  modique  pension,  afin  de  l'encouragera 
persévérer  dans  l'étude  des  langues  et  des  littératures  orien- 
tales. En  1754  il  lui  facilita  encore  le  passage  sur  un  bâti- 
ment de  l'État  pour  aller  explorer  l'Inde.  Après  bien  des 
aventures,  après  avoir  eu  à  triompher  de  bien  des  ob>ta- 
des  et  avoir  liabité  successivement  Pondichéry  etChander- 
nagor,  Anquetil-Duperron  se  rendit  à  Siu'ate;  et  là,  à  force 
de  persévérance ,  il  réussit  à  triompher  des  scrupules  de 
quelques  destours  (prêtres  parses)  du  Guzarate;  et  par 
leur  secours  acquit  une  connaissance  assez  étendue  du  zend 
et  du  pehlvi  pour  pouvoir  entreprendre  la  traduction  de  divers 
ouvrages  écrits  dans  ces  deux  langues  sur  les  doctrines  de 
Zoroastre. 

La  prise  de  Pondichéry  par  les  Anglais  le  contraignit  à 
revenir  en  Europe;  mais  il  ne  quitta  pas  l'Inde  sans  en 
rapporter  un  grand  nombre  de  piécieux  manuscrits.  Au 
conmiencement  de  1762,  il  arriva  en  France,  et  s'occupa 
alors  de  communiquer  au  monde  savant  les  résultats  des 
six  laborieuses  années  passées  par  lui  dans  la  presqu'île  du 
Gange.  L'ouvrage  où  il  les  consigna  parut  en  1771 ,  sous  le 
titre  de  Zcnd-Avesta  (3  vol.  in  4°).  11  consiste  dans  une 
traduction  littérale  du  Vendidad,  ainsi  que  d'autres  livres 
sacrés  des  Guèbres ,  précédée  d'une  relation  particulière  de 
ses  voyages. 

Il  révélait  à  l'Occident  les  doctrines  religieuses  de  l'an- 
cienne Perse ,  au  sujet  desquelles  on  ne  possédait  en  Europe 
que  les  quelques  renseignements  épars  dans  les  ouvrages 
des  Grecs  et  des  Romains,  ou  ceux  fournis  par  quelques 
peuples  asiatiques  modernes  ;  renseignements  bien  insuf- 
iisants  à  tous  égards.  Or,  c'étaient  les  monuments  originaux 
de  ces  doctrines  qu'Anquetil-DuperronoHrait  enfin  à  la  curio- 
sité des  Européens.  Malheureusement,  il  n'avait  pas  eu  toute 
la  sagacité,  toute  la  patieuce  qu'eût  exigée  une  tâche  pareille. 
Pendant  son  .séjour  à  Surate  il  s'était ,  il  est  vrai ,  hâté  de 
faire  sous  la  dictée  des  destours  une  traduction  littérale  des 
livres  qu'il  se  proposait  de  faire  connaître,  mais  il  ne  s'é- 
tait pas  rendu  compte  de  la  valeur  précise  de  chaque  mot  ; 
il  n'avait  même  point  acquis  \me  connaissance  vraiment  ap- 
profondie des  langues  indiennes  qu'il  entendait  parler.  Aussi, 
sans  s'arrêter  aux  erreurs  de  détails ,  remarque-t-on  dans  sa 
traduction  une  contrainte  et  mime  une  obscuiile  qui  en 
rendent  l'usage  peu  commode.  Le  travail  d'Anqiiclil  donna 
donc  lieu,  dès  l'origine,  à  une  foule  de  dissertations  et  de  com- 


ANQUETIL  —  ANQUETIL-DUPERRON  637 

mentaires  qui  sont  loin  d'avoir  levé  toutes  les  difficultés. 
De  nos  jours,  M.  Eugène  Burnouf,  à  Paris,  et  M.  Olshausen  , 
à  Kiel,  ont  reproduit  une  partie  du  Zend-Avesta  dans  le 
texte  original ,  avec  une  traduction  et  des  notes.  Le  prenùer 
s'est  surtout  aidé  des  counnentaires  en  sanscrit  et  le  second 
des  commentaires  en  pehlvi,  deux  langues  qu'Anquetil-Du- 
perron  ne  connaissait  que  très-imparfaitement. 

lùi  arrivant  en  France,  en  1702,  Anquetil-Duperron  avait 
obtenu  par  la  protection  de  l'abbé  Barthélémy  et  de  quel- 
ques autres  amis  une  place  modeste,  celle  d'interprète  pour 
les  langues  orientales  près  la  Bibliothèque  du  roi.  C'était  la 
récompense  due  au  noble  désintéressement  avec  lequel  il 
avait  refusé  en  Angleterre  30,000  fr.  de  son  manuscrit  de  la 
traduction  du  Zend-Avesta,  afin  de  conserver  ce  monument 
littéraire  à  son  pays.  Parmi  les  autres  ouvrages  qu'on  a  do 
lui, nous  citerons:  Lègnlation  orientale {.\.\n%\e\àaLm,  1778); 
Recherches  historiques  et  géographiques  sur  l'Inde 
(2  vol.,  Paris  et  Berlin,  1786  );  et  La  Dignité  du  commerce 
et  de  rétat  de  commerçant  (Paris,  1789). 

Pendant  la  révolution,  Anquetil-Duperron  rompit  toutes 
ses  relations  sociales ,  et  ne  vécut  plus  dès  lors  par  sou- 
venir que  dans  la  société  de  ses  chers  brahmines  et  de  ses 
bons  parses.  C'est  à  eux  qu'il  adressait  cette  bizarre  allocu- 
tion placée  en  tète  d'un  des  ouvrages  qui  furent  le  fruit  de 
cette  réclusion  volontaire  :  «  Anquetil-Duperron  aux  sages 
a.  de  l'Inde ,  salut  !  Vous  ne  dédaignerez  pas  les  écrits  d'un 
«  homme  qui  est  pour  ainsi  dire  de  votre  caste,  ô  sages! 
n  Écoutez,  je  vous  prie,  quel  est  mon  genre  de  vie.  Ma 
«  nourriture  quotidienne  se  compose  de  pain ,  d'un  peu  de 
«  lait  ou  de  fromage,  et  d'eau  de  puits;  le  tout  coûtant 
«  quatre  sous  de  France,  ou  le  douzième  d'une  roupie  in- 
«  dienne.  L'usage  des  matelas ,  des  draps  m'est  inconnu; 
«  mon  linge  de  corps  n'est  ni  changé  ni  lavé.  Sans  revenu, 
«  sans  traitement,  sans  place,  je  vis  de  mes  travaux  litté- 
n  raires,  assez  bien  portant  pour  mon  âge  et  eu  égard  à  mes 
«  fatigues  passées.  Je  n'ai  ni  femme,  ni  enfants,  ni  domes- 
«  tique  :  privé  de  tous  les  biens  de  ce  monde  et  affranchi 
«  de  ses  liens ,  seul ,  absolument  libre ,  j'aime  cependant 
«  beaucoup  tous  les  hommes,  et  surfout  les  gens  de  bien. 
«  Dans  cet  état ,  faisant  rude  guerre  à  mes  sens  je  méprise 
a  les  séductions  du  monde  et  je  les  surmonte.  Je  suis  près 
«  du  terme  de  mon  existence  ;  j'aspire  vivement  et  avec  do 
et  constants  efforts  vers  l'Être  suprême  et  parfait,  et  j'at- 
«  tends  avec  calme  la  dissolution  de  mon  corps  ».  On  ne 
saurait  disconvenir  qu'il  y  a  quelque  chose  de  touchant  dans 
le  tableau  du  dénùment  profond  au  milieu  duquel  vivait  et 
travaillait  l'estimable  savant.  Nous,  qui  avons  été  témoin 
de  la  vie  de  misère  et  de  privations  à  laquelle  s'était  aussi 
condamné  le  savant  Alexis  Monteil  dans  son  grenier,  à 
Passy,  nous  nous  représentons  parfaitement  Pintérieur  de 
Phabitation  d'Anquetil-Duperron  ;  et  la  seule  pensée  qui 
soulage  notre  cœur,  c'est  la  conviction  que  cette  misère  était 
volontaire.  11  n'eût  tenu  qu'à  lui  d'en  sortir  et  de  vivre 
tout  au  moins  dans  un  état  bien  voisin  de  l'aisance. 
Maintes  fois  déjà,  sous  l'ancien  régime,  on  essaya  de  lui 
faire  acce|)ter  les  récompenses  que  méritaient  à  si  juste 
titre  ses  travaux.  Compris  pour  une  somme  de  3,000  fr.  dans 
la  répartition  d'un  fonds  que  la  générosité  de  Louis  XVI  avait 
assigné  sur  sa  cassette  pour  êtic  distribuée  entre  des  gens 
de  lettres  et  des  savants,  il  fallut  user  de  supercherie  pour 
lui  en  faire  accepter  la  moitié.  Hàtons-nous  d'ajouter  qu'à  la 
cr^ion  de  l'Institut  il  fut  tout  aussitôt  compris  au  nombre 
de  ses  membres  pour  la  classe  répondant  à  l'ancienne  .aca- 
démie des  Inscriptions. 

Le  fruit  des  études  des  dernières  années  d'Anquetil-Du- 
perron, furent  les  ouvrages  intitulés  L'Inde  en  rapport  avec 
VEurope  (  2  vol.,  1798);  et  Oupnek'hat  (2  vol.;  Paris,  1802- 
1804).  Ce  dernier  est  la  traduction  latine  d'im  extrait  en 
persan  des  Oupanischads,  ou  dissertations  théologiques  des 
Yédas.  Épuisé  par  ses  travaux  et  le  régime  débilitant  qu'il 


C38 

s'élait  imposé,  Anquotil-Diipprron  vit  venir  la  mort  avec 
sang-froid.  «  Je  vais  p.Titir,  dis;iit-il  à  son  médecin,  pour  un 
voyage  bien  plus  grand  que  tous  ceux  que  j'ai  déjà  faits; 
mais  je  ne  sais  où  j'arriverai.  »  Aune  vaste  érudition,  à  une 
connaissance  étendue  des  langues  de  l'Asie,  il  joignait  une 
infatigable  activité,  un  grand  amour  de  la  vérité,  une  sage 
pliilosopliie,  un  rare  désintéressement  et  un  cœur  excellent. 
Ses  travaux ,  notamment  sa  traduction  des  écrits  sacrés 
de  Zoroastre,  lui  ont  mérité  la  reconnaissance  du  monde 
savant,  (juels  que  soient  les  défauts  que  des  reclierches 
piiilologiqnes  plus  attentives  aient  pu  y  faire  découvrir. 

ANSATE.  Voyez  Dard. 

AiXSCIlAIRE  (Saint).  Voyez  Anscar. 

ANSE ,  ANSÉATIQUE.  Voi/cz  Hanse. 

ANSE  DE  PANIER ,  nom  donné  en  architecture  à 
ime  courbe  qu'on  substitue  à  l'ellipse  dans  la  construction 
«les  cintres  de  voûtes.  Elle  est  formée  par  la  juxta-position 
<le  plusieurs  arcs  de  cercle  de  rayons  différents,  dont  la 
courbure  augmente  le  plus  insensiblement  possible  en  al- 
lant du  milieu  de  la  voûte  à  ses  extrémités  ;  le  nombre  des 
arcs  est  d'autant  plus  grand  que  la  voûte  doit  être  plus  sur- 
baissée, et  ce  nombre  est  toujours  impair  :  ainsi  il  y  a  des 
anses  de  panier  à  trois,  à  cinq  arcs  et  davantage,  ou,  comme 
on  les  nomme  encore,  à  trois,  à  cinq  centres.  Les  arcs  qui 
composent  une  anse  de  panier  jouissent  de  cette  propriété 
remarquable ,  que  la  somme  de  leurs  degrés  est  toujours 
t^ale  à  180",  expression  d'une  demi-circonférence. 

ANSEAUME ,  auteur  de  plus  de  vingt-cinq  pièces 
jouées  aux  théâtres  de  l'Opéra-Comique ,  de  la  Foire  et  de  la 
Comédie  Italienne,  depuis  1753  jusqu'en  1772.  Il  avait  été 
en  môme  temps  sous-directeur  et  secrétaire  de  ces  divers 
spectacles.  Il  conserva  ce  dernier  emploi  jusqu'en  1783, 
époque  à  laquelle  il  mourut.  Malgré  le  nombre  et  le  succès 
de  ses  ouvrages ,  Anseaume  n'a  obtenu ,  après  sa  mort , 
aucune  de  ces  biographies  qui  ne  sont  pas  refusées  aujour- 
d'hui au  plus  mince  auteur  du  plus  léger  vaudeville.  On  ne 
sait  ni  son  origine,  ni  la  date  de  sa  naissance,  ni  môme  le 
jour  de  sa  mort;  et  cependant,  —  succès  que  n'obtiendront 
pas  probablement  beaucoup  d'auteurs  modernes  de  l'Opéra- 
Comique!  —  on  jouait  encore  naguère  les  Chasseurs  et  la 
Laitière,  comédie  mêlée  d'ariettes ,  musique  de  Duni ,  re- 
pi-ésenfée  pour  la  première  fois  en  17G3 ,  et  on  joue  souvent 
encore,  à  présent,  le  Tableau  parlant,  parade  charmante, 
représentée  en  1769,  et  l'un  des  chefs-d'œuvre  de  Grétry. 
Assurément  le  génie  et  le  lalent  de  Grétry  et  de  Duni 
n'ont  pas  peu  contribué  à  prolonger  si  longtemps  le  succès 
de  ces  deux  ouvrages,  qui  sont  une  nouvelle  preuve  que 
les  poèmes  d'opéras  comiques  ne  vivent  que  par  le  charme 
de  la  musique;  mais  il  faut  pourtant  reconnaitre  que  les 
poèmes  d'Anseaume  ne  manquent  ni  d'esprit  ni  d'agrément 
scénique,  ni  même  d'un  véritable  mérite  de  versification 
lyrique.  Les  mémoires  du  temps  ont  conservé  le  souvenir 
de  l'effet  prodigieux  que  produisit  un  petit  duo  placé  dans 
la  Chasseurs  et  la  Laitière.  Les  couplets  de  nos  vaude- 
villes ont  été  défrayés  longtemps  par  trois  airs  de  cette 
pièce,  qui  sont  restés  typiques ,  l'un  : 

Voilà,  voilà  la  petite  laitière; 
Qui  veut  acIietiT  île  sou  lait? 

fait  encore  le  bonheur  des  danseurs  dans  les  noces.  Le 
fcecond  avait  un  accompagnement  très-imitatif  : 

(,c  biiqtii't  frappe  la  pierre, 
Le  fou  pétille  à  l'itistaQl.... 
D'un  caillou  tirer  du  feu, 
Pour  l'aïuour  ce  n'est  qu'un  jeu. 

Le  troisième  enfin , 

Et  ne  vendez  la  peau  de  l'ours 
Qu'après  l'avoir  couclic  par  terre. 

^<5i  encore  dans  toutes  les  bouches,  et  se  fredonne  à  l'orcnsion . 

A.  Dei.afoiu.st. 


ANQUEÏIL-DUPERRON  —  ANSÉRINE 

ANSELME  DE  CANTORBÉRY,  plùlosophe  sco- 
lastique,  né  à  Aoste  en  Piémont,  en  l'an  1033  ,  se  fit  re- 
ligieux en  1000  ,  et  devint  en  1078  abbé  du  monastère  du 
Dec ,  en  Normandie,  où  l'avait  attiré  la  réputation  du  célèbre 
Lanfranc,  à  qui  il  succéda  en  1093  comme  archevêque  de 
Cantorbéry  en  Angleterre ,  siège  qu'il  continua  d'occuper 
jusqu'à  sa  mort,  arrivée  le  12  avril  1109.  11  ne  se  distingua 
pas  moins  par  ses  efforts  pour  maintenir  en  vigueur  l'an- 
tique discipline  de  l'Église  que  par  ses  travaux  dans  les 
sciences  et  par  les  services  qu'il  rendit  dans  l'enseignement. 
Bien  qu'il  s'inspire  de  saint  Augustin  et  qu'il  ne  s'écarte 
jamais  des  doctrines  de  l'Église,  il  fait  preuve  d'originalité, 
de  profondeur  et  de  sagacité.  Il  est  célèbre  par  la  preuve 
qu'il  a  donnée  de  l'existence  de  Dieu,  preuve  qu'on  a  appelé 
depuis  la  preuve  ontologique,  et  qui  lui  servit  à  fonder  une 
Uiéologie  rationnelle  :  de  l'idée  d'im  être  suprême  et  réunis- 
saut  toutes  les  perfections  il  déduisait  son  existence.  Il  a 
exposé  cette  preuve  dans  son  Proslogium,  après  avoir  déjà 
expliqué  dans  son  Monologium  la  philosophie  de  la  reli- 
gion d'après  les  idées  admises.  Son  ouvrage  intitulé  :  De 
Concordiâ  Prxscientix  et  Preedestinationis  fait  époque 
dans  la  philosophie  de  l'Église.  La  meilleure  édition  de  ses 
ouvrages  est  celle  qu'en  a  donnée  Gabriel  Gerberon  (  2  vol., 
Paris,  1C75;  nouv.  édit.,  1721). 

ANSELME  DE  SAINTE-MARIE  (Pierre  de 
GUIBOURS,  dit  le  père),  né  à  Paris  en  1625,  mort  dans 
la  même  ville  en  1094,  était  de  l'ordre  des  augnstins  dé- 
chaussés. Il  a  publié  l'Histoire  généalogique  et  chrono- 
logique de  la  maison  roijale  de  France,  des  pairs,  grands 
officiers  de  la  couronne  et  de  la  maison  du  roy,et  des 
anciens  barons  du  royaume  ;  avec  les  qualités  ,  les  ori- 
gines, les  progrès  et  les  armes  de  leur  famille,  etc., 
3  vol.  in-4°.  Diifourni  et  les  pères  Ange  de  Sainte-Iîosalie 
et  Simplicien  ont  continué  ce  recueil  qui  forme  maintenant 
9  vol.  in-lol.  (1726-1733).  Z. 

.iVNSÉRINE.  Ce  mot,  tiré  du  latin  anscr,  oie  ;  celui  de 
chénopode ,  dérivé  du  grec  (  yriv  ,  oie  ;  noù; ,  ttoôo;  ,  pied  ) , 
enfin  le  nom  vulgaire  français  de  patte  d'oie,  désignent  un 
môme  genre  de  plantes  dont  les  feuilles  palmées  offrent  en 
effet  quelque  ressemblance  avec  une  patte  d'oie.  Type  de 
la  famille  des  chénopodiacées ,  ce  genre  est  voisin  de  l'o- 
seille et  de  l'arroche.  11  renferme  plus  de  soixante  espèces, 
presque  toutes  annuelles,  et  pour  la  plupart  éminemment 
intéressantes  par  leurs  diverses  propriétés  économiques  et 
pharmaceutiques.  Beaucoup  d'entre  elles  sont  indigènes  à 
l'Europe  ;  on  les  trouve  toutes  dans  les  régions  tempérées 
des  deux  hémisphères ,  et  jusque  sur  les  côtes  de  la  Nouvelle- 
Hollande.  Elles  sont  faciles  à  reconnaître  par  les  glandules 
d'un  aspect  farinacé,  parsemées  sur  leurs  feuilles  alternes  et 
pétiolées ,  et  par  leurs  petites  fleurs  généralement  verdàtres, 
éhractées,  disposées  en  glomérules,  formant  une  sorte  de 
grappe  ou  de  panicide  terminale. 

Vansérine  bon  Henri,  encore  appelée  toute-bonne,  épi- 
nard  sauvage,  est  une  grande  plante  potagère  qui  croit  dans 
les  lieux  incultes  ,  le  long  des  murs  et  des  chemins  ;  dans 
plusieurs  pays  on  mange  ses  jeunes  pousses  comme  des 
asperges,  et  ses  feuilles  en  guise  d'épiuards  ;  elle  passe  pour 
émolliente,  résolutive  et détersive.  Vansérine  botride  {chc- 
nopodium  botrys),  qu'on  administre  en  infusions  théiformes 
dans  les  cas  de  maladies  pituitcuses  de  la  poitrine ,  possède 
un  suc  balsamique  qui  s'échappe  par  les  pores  de  ses  feuilles 
et  dont  l'aromc  approche  beaucoup  de  celui  du  ciste  lada- 
nifèrc.  Vansérine  ambroisie  {chenopodium  ambrosioi- 
des) ,  vulgairement  ambroisie,  thé  du  Mexique,  introduite 
en  Europe  en  lfii9  ,  s'y  est  multipliée  avec  une  prodigieuse 
facilité;  elle  est  regardée  comme  stomachique,  résolutive, 
expectorante,  bonne  pour  les  crachements  de  sang.  Vansé- 
rine vermifuge  {chenopodium anlhchninticum),  trè.s-pro- 
bableinont  originaire  de  la  Pcnsylvanie  ,  est  cultivée  pour  la 
récolte  de  ses  graines,  qui  jouissent  de  la  propriété  dont 


ANSËRINE  —  ANSON 


elle  lire  son  nom.  A  côté  de  ces  espèces  à  arôme  agréable 
se  trouvent  Vanscrine  hybride  et  Vanscrinc /éfide  {c/ic- 
nopodium  vtitvaria),  qui  exhalent  des  odeurs  détestablis  ; 
le  seul  contact  des  doigts  avec  la  dernière  suffit  pour  les 
infecter  pendant  un  temps  assez  Ion?.  Certains  botanistes 
du  moyen  Ajie  lui  avaient  donné  l'épithète  de  coudui,  dans 
la  persuasion  qu'elle  était  produite  par  l'urine  des  chiens. 
On  sait  aujourd'hui  que  ce  sont  les  glandules  dont  nous 
avons  signalé  la  présence  à  la  surface  des  feuilles,  qui  con- 
tenant une  huile  essentielle  particulière ,  variable  avec  les 
espèces ,  donnent  à  chacune  d'elles  une  odeur  et  des  pro- 
priétés spéciales. 

On  peut  encore  citer  Yanséj'ine  polysperme ,  ainsi  nom- 
mée à  cause  de  la  grande  quantité  de  graines  qu'elle  produit, 
et  Vansérine  à  balais ,  appelée  \'ulgairement  belvédère,  et 
dont  les  tiges  grêles,  chargées  de  rameaux  dressés ,  servent 
en  Italie  à  faire  de  petits  balais.  Mais  l'espèce  la  plus  digne 
d'intérêt  C5t  celle  qui  porte  le  nom  de  quinoa  (chenopo- 
ditim  quiiioa),  qui  abonde  sur  les  plateaux  élevés  des 
Cordillères ,  et  est  pour  le  Pérou  un  objet  considérable  de 
culture  et  de  consommation  :  en  potage,  en  gâteaux,  hachée 
comme  les  épinards ,  associt^e  à  d'autres  mets  ,  cette  ansérine 
est  un  aliment  Irès-sain  et  de  facile  digestion;  fermentée  avec 
le  millet ,  on  en  obtient  une  sorte  de  bière  ;  la  volaille  re- 
cherche la  graine  de  la  variété  blanche.  Le  quinoa  produit 
aussi  en  abondance  un  fourrage  vert  excellent  pour  les 
vaches.  Des  essais  de  naturalisation,  faits  depuis  1836  en 
Angleterre  et  en  France ,  ont  parfaitement  réussi. 

AJXSGAR  ou  A>'SCHARIUS ,  surnommé  Vapôtre  du 
Nord ,  parce  qu'il  prit  une  part  importante  à  l'introduction 
du  christianisme  dans  le  nord  de  l'Allemagne,  en  Danemark 
et  en  Suède,  était  né  vers  l'an  800,  en  Picardie.  Il  reçut  son 
éducation  dans  l'abbaye  de  Korwey  en  Westphalie.  Eu  826, 
à  la  demande  de  l'empereur  Louis  le  Débonnaire ,  il  suivit 
le  prince  Harald  du  Jutland  méridional,  à  qui  il  venait  d'ad- 
ministrer le  baptême ,  parmi  les  rudes  et  grossiers  enfants 
du  Nord ,  et  les  prêcha  avec  succès ,  notamment  dans  la 
contrée  qui  porte  aujourd'hui  h  nom  de  Schieswig ,  mais 
non  sans  avoir  à  surmonter  beaucoup  de  difficultés  et  de  per- 
sécutions pour  les  doctrines  de  la  foi  chrétienne.  Satisfait  des 
résultats  de  son  zèle  apostolique,  l'empereur  résolut,  de  con- 
cert avec  le  pape  et  les  évêques,  de  créer  en  Nordalbingic 
(  c'est  ainsi  qu'on  désignait  alors  la  contrée  voisine  de  l'em- 
bouchure de  rnbe),  à  Hammaburg  (Hambourg)  un  ar- 
chevêché dont  Ansgar  fut  le  premier  titulaire,  en  832.  Il 
n'eut  pas  à  y  triompher  d'obstacles  moindres ,  et  ce  fut  à 
grand'peine  qu'il  put  s'y  maintenu-.  Quand,  en  l'année  845, 
les  Normands  et  les  Danois,  commandés  par  Erik  l",  sur- 
prirent la  ville  de  Hambourg  et  la  pillèrent,  Ansgar  ne  sauva 
8e5  jours  qu'en  prenant  la  fuite.  Il  fonda  alors  une  abbaye 
à  Ramslo  près  de  Hambourg ,  où  il  trouva  un  asile.  A  la 
mort  de  l'évêque  de  Brème ,  on  réunit ,  en  858  ,  ce  siège  à 
l'archevêché  de  Hambourg.  Ansgar  entreprit  ensuite  di- 
verses missions  en  Danemark  ,  et,  sur  la  recommandation 
d'Erik  l*"",  passa  même  en  Suède.  En  cette  même  année  858 , 
il  administra  encore  le  sacrement  de  baptême  à  Erik  II , 
successeur  d'Erik  I^*".  Ansgar  mourut  le  3  février  8C4,  à 
Brème,  oii  une  église  bâtie  en  son  honneur  rappelle  sa  mé- 
moire. Il  eut  la  gloire  d'avoir  été ,  sinon  le  premier  des 
missionnaires,  du  moins  celui  de  tous  qui  prêcha  la  foi  du 
Christ  avec  le  plus  de  succès  dans  le  Nord.  Ses  contempo- 
rain; donnent  de  grands  éloges  à  sa  prudence ,  à  la  pureté 
et  à  la  chaleur  de  son  zèle  pour  la  religion  ,  de  même  qu'à 
sa  conduite  en  tout  irréprochable.  En  1261  l'abbé  de 
Neukorwcy  envoya  à  Rome  le  journal  de  ses  missions  apos- 
toti([ues ,  manuscrit  sans  prix  et  qui  malheureusement  s'est 
perdu  depuis.  L'Éghse  catholique  a  canonisé  Ansgar.  On  a 
encore  de  lui  une  biographie  de  saint  Wiilebrad.  Rem- 
berg,  qui  lui  succéda  sur  son  siège  aicliiépiscopal,  a  écrit 
sa  \ie. 


G39 

ANSIAUX  (  JEAN-JosEPH-ELÉoNonE  )  naquit  en  17G3, 
à  Liège ,  où  sa  famille  tenait  un  rang  honorable  dans  le 
barreau.  Dans  un  âge  tendre ,  ayant  fait  une  chute  grave , 
il  se  démit  l'épaule ,  et  par  suite  de  cet  accident  conserva 
toute  sa  vie  une  difformité  de  taille.  De  bonne  heure  il  ma- 
nifesta du  goût  pour  les  arts  du  dessin.  Après  quelques 
études  préliminaires ,  il  vint  à  Paris ,  et  entra  dans  l'atelier 
de  Vincent.  Ansiaux  fit  des  progrès  sous  ce  maître ,  qui 
l'engagea  à  concourir  pour  le  prix  de  Rome.  Il  échoua  d'a- 
bord ,  et  des  changements  de  territoire  lui  firent  perdre  la 
qualité  de  Français.  Ansiaux  se  mit  alors  à  fiùrc  des  por- 
traits ;  son  talent  pour  ce  genre  de  peinture  le  fit  bientôt 
connaître,  et  l'empereur  Napoléon  lui  commanda  deux  sujets 
mythologiques  qu'on  pe\it  voir  encore  aujourd'hui  au  musée 
de  "N'ersailles.  Peu  de  temps  après ,  Ansiaux  exécuta  une 
œuvre  estimable,  qui  fît  sa  réputation,  et  qui  a  eu  chez  nous, 
à  plusieurs  reprises,  les  honneurs  de  la  gravure,  Angélique 
et  Médor. 

Ansiaux  ne  fut  pas  aussi  heureux  dans  la  peinture  reli- 
gieuse, genre  pour  lequel  il  avait  cependant  une  prédilec- 
tion. Au  salon  de  1814  il  exposa  une  Résurrection  du 
C/irist  et  une  Conversion  de  saint  Paul;  en  1827,  une 
Adoration  des  Mages,  une  seconde  Résurrection  du  Christ 
et  une  Élévation  en  Croix  ;  en  1835,  Jésus  expirant  sur 
la  croix;  enfin,  en  1837  il  revint  à  l'histoire  et  à  la  my- 
thologie, et  exposa  \e  Dévouement  de  Ménécée ,  fils  de 
Créon.  Mais  à  cette  époque  Ansiaux  avait  perdu  tout  son 
talent  :  il  n'était  plus  même  un  bon  portraitiste,  et  sa  pein- 
ture, pâle  réminiscence  de  l'école  de  David,  excitait  les 
quolibets  de  la  jeunesse.  Il  fut  très-sensible  à  ces  affronts  ; 
mais  il  ne  comprit  pas  qu'il  donnait  lui-même  le  spectacle  de 
sa  décadence  ;  il  voulut  lutter  jusqu'à  la  fin,  et  peignit  jusqu'à 
sa  mort,  qui  arriva  en  octobre  1S40.  A.  Filliolx. 

AJVSIVARII ,  peuplade  teutone  qui  habitait  la  rive  oc- 
cidentale du  Weser,  au  nord  jusqu'au  lac  de  Steinliud  ,  au 
midi  jusqu'aux  sources  de  la  Lippe,  et  dont  le  territoire, 
par  conséquent,  était  situé  au  milieu  de  la  principauté  ac- 
tuelle de  Minden  ,  dans  la  partie  orientale  du  comté  de 
Ravensberg,  dans  le  comté  de  Lippe  et  une  portion  du  pays 
de  Paderborn.  Ils  avaient  pour  voisins  les  Chances,  et  "à 
l'est  le  Weser  les  séparait  des  Chérusques.  Au  sud ,  leur 
territoire  était  limitrophe  de  celui  des  Dulgibini  et  des  An- 
grivarii;  enfin,  à  l'ouest,  il  touchait  à  celui  des  Chamaves. 
L'histoire  a  conservé  le  souvenir  des  calamités  auxquelles 
ce  petit  peuple  fut  en  proie.  D'abord,  les  Chauces  l'expul- 
sèrent de  son  territoire ,  et  il  alla  se  fixer  sur  les  bords  du 
Rhin.  Mais  là  il  eut  à  soutenir  de  nouvelles  luttes  avec  l&s 
premiers  occupants,  les  Ussipètes,  les  Tubantes ,  les  Cattes 
et  les  Chérusques,  qui  se  le  rejetèrent  les  uns  sur  les  autres, 
le  détruisirent  en  détail,  et  finirent  par  se  distribuer  ses  dé- 
pouilles humaines  dont  ils  se  firent  des  esclaves.  A  l'époque 
de  Néron  les  Ansivaril  étaient  complètement  exterminés. 

AA'SLO  (Reimer),  l'un  des  meilleurs  poètes  hollandais 
du  dix-septième  siècle,  naquit  en  1622,  à  Amsterdam ,  et 
mourut  le  10  mai  1669,  à  Pérouse.  Arrivé  en  Italie  en  I6i9, 
il  s'y  était  converti  au  catholicisme,  et  à  l'occasion  d'un 
poëme  latin  de  sa  composition  sur  le  jubilé  avait  reçu  du 
pape  Innocent  X  une  médaille  d'or  et  de  la  reine  Christine 
une  chaîne  en  même  métal.  Son  séjour  en  Italie,  la  connais>- 
sance  intime  qu'il  y  acquit  de  la  littérature  italienne ,  for- 
mèrent et  épurèrent  son  goût.  Si  parfois  il  se  laisse  aller  au 
pathos,  ses  nombreuses  qualités  l'emportent  sur  ses  défauts, 
et  lui  assurent  ime  des  places  les  plus  honorables  du  Par- 
nasse hollandais.  De  Haas  a  réuni  et  publié,  en  1713,  ses 
œuvres  poétiques,  parmi  lesquelles  on  cite  :  la  Couronne 
du  saint  martyr  Etienne;  la  Peste  de  Naples ,  et  une 
tragédie,  les  Sanglantes  Noces  Parisiennes. 

AXSOIV  (Georces),  amiral  anglais,  né  en  1697, à  Shuck- 
borough,  dans  le  Staflbrdshire,  se  consacra  de  bonne  heure 
à  la  marine,  servit  dès  1716  en  qualité  de  lieutenant  en  se- 


640 

coud  sous  les  ordres  de  John  Jlorris  dans  la  Balliciue,  en  ' 
1717  et  1718  sous  les  ordres  de  (icor^es  lîyirig  contre  l'Es- 
pagne, et  lut  nommé  capitaine  quand  il  avait  à  peine  atteint 
Tige  de  vingt-cinq  ans.  En  173'J  une  rui)lure  ayant  eu  lieu 
avec  l'Espagne,  il  reçut  le  connnandement  d'une  Hotte  dans 
les  eaux  de  la  mer  l'acilique,  avec  l'ordre  d'y  inquiéter  le 
commerce  et  les  établissements  coloniaux  des  Espagnols. 
Le  18  septembre  1740  il  partit  d'Angleterre  avec  cinq  navires 
de  haut  bord  et  trois  bâtiments  de  moindres  dimensions, 
portant  quatorze  cents  hommes  de  troupes.  A  son  passage 
au  détroit  de  Lemaire,  il  fut  assailli  par  des  tempêtes   lu- 
lieuscs,  qui  pendant  trois  mois  l'empêchèrent  de  doubler  le 
cap  Ho'rn.  Séparé  du  reste  des  bâtiments  sous  ses  ordres,  il 
atteignit  enfm  l'île  de  Juan  Fernandez,  où  plus  tard  trois  de 
ses  vaisseaux  vinrent  le  rejoindre  dans  le  plus  déplorable 
état.  Ses  équipages  avaient  eu  à  peine  quelque  repos,  lors- 
qu'il remit  à  la  voile.  Il  fit   alors  de  nombreuses  prises, 
et  se   rendit  maître  de  la  viiie  de  Payta,  qu'il  incendia.  Il 
perdit  dans  l'attente  une  grande  partie  de  ses  équipages,  et 
se  vit  réduit  à  un  seul  vaisseau  avec  lequel  il  fit  voile  pour 
Tinian.  Une  tempête  lit  périr  son  vaisseau .  A  l'aide  d'un  petit 
bâtiment   qu'il    trouva  dans   ces  parages,  il  partit  pour 
Macao.  Là  il  répandit  adroitement  le  bruit  de  son  départ 
pour  l'Europe,  tandis  qu'en  réalité  il  se  dirigeait  vers   les 
îles  Philippines  et  s'en  allait  croiser  à  la  hauteur  du  cap 
Spiritu-Santo.  Enfin  on  aperçut  les  galions  si  longtemps 
attendus  ,  et  qui ,  confiants  dans   la  supériorité   de  leurs 
forces,  se  disposèrent  au  combat.  Les  Anglais  furent  vain- 
queurs, et  s'emparèrent  des  galions,  dont  la  valeur  n'était 
pas  moins  de  400,000  liv.  sferl.  (  10,000,000  fr.  ) .  Anson  re- 
vint à  Macao  avec  celte  proie  et  les  prises  antérieures ,  dont 
la  valeur  dépassait  600,000  liv.  sterl.  Il  les  réalisa  sur  cette 
place,  et  défendit  avec  énergie  les  droits  de  son  pavillon 
contre  les  prétentions  du  gouvernement  chinois  de  Canton. 
C'est  de  là  qu'il  repartit  pour  l'Europe;   et,  après  avoir 
échappé  dans  le  canal  à  la  vue  de  la  flotte  franç:iise,  il  dé- 
barqua enfin    à  Spitbead ,  le  15  juin  1744.  Ce  périlleux 
voyage  fut  d'une  haute  utilité  pour  la  géographie  et  surtout 
pour  la  navigation.  La  narration  en  fut  rédigée,  sous  la  di- 
rection d'Anson,par  le  chapelain  de  la  marine  Walter  et  par 
le  mathématicien   P.ubius  (  Londres,   in-4%  1748).  Anson 
fut  récompensé,  en  1744 ,  par  le  grade  de  contre-amiral  du 
pavillon  bleu,  et  en  1740  du   pavillon  blanc.  En  1747  il 
battit  à  la  hauteur  du  cap  Finistère  l'amiral  français  Jon- 
quière,  à  qui  il  enleva    les  vaisseaux  V Invincible  et  la 
Gloire.  Le  capitaine  du  premier  de  ces  bâtiments  en  lui 
présentant  son  épée  lui  dit  :  «  Monsieur,  vous  avez  vaincu 
l'invincible,  et  la  gloire  vous  suit.  »  Anson  fut  alors  créé  ba- 
ronnet Soberton,  et  quatre  ans  plus  tard  nommé  premier 
lord  de  l'amirauté.  En  1758  il  commandait  la  flotte  anglaifc 
devant  P>rest,  Il  appuya  les   débarquements  tentés  par  les 
Anglais  à  Saint-Malo  et  à  Cherbourg,  et  recueillit  à  son  bord 
les  troupes  de  cette  expédition  quand  elle  eut  échoué.  En 
1762  il  obtint  le  titre  suprême  d'amiral  et  de  commandant 
en  chef  de  la  flotte  ;  mais  il  mourut  le  6  juin  de  la  même 
année  ,  dans  son  domaine  de  Noor-Park. 

AI\SOI\  (George)  ,  général  anglais,  né  en  1797  ,  assista 
à  la  bataille  de  Waterloo ,  et  siégea  à  plusieurs  reprises  dans 
la  Chambre  des  Communes  ,oii  il  soutint  les  opinions  libé- 
rales. Envoyé  en  1853  dans  l'Inde,  il  remplit  la  charge  de 
major  en  clief  de  l'artillerie  sous  l'administration  Melbourne, 
et  fut  promu  au  grade  dégénérai  en  1855.  Il  commandait  en 
chef  l'armée  indo-britannique  lorsqu'il  mourut  du  choléra, 
le  27  juin  1857,  à  Kurnaul ,  en  marchant  contre  les  cipayes 
retranchés  à  Deihy.  Z. 

AASPACH ,  autrefois  Oxoi.zB\cn  ,  jadis  résidence  des 
niargra\es  d'Anspach-Baireuth ,  aujourd'hui  chef-lieu  du 
cercle  bavarois  de  la  Franconie  centrale ,  sur  le  Rezat, 
popul.  13,000  habitants,  est  le  siège  des  autorités  adminis- 
tratives du  cercle,  de  la  cour  d'appel  de  la  Franconie  cen- 


A^SON  —  AP^TALCIDAS 

traie,  d'un  consistoire  protestant  et  d'un  collège  électoral. 
On  y  trouve  un  gymnase,  une  école  d'enseignement  supé- 
rieur pour  les  filles,  plusieurs  autres  établissements  publics, 
une  bibliothèque  et  une  galerie  de  tableaux  situées  dans 
l'ancien  château  des  margraves,  une  société  historique  et 
ime  société  des  beaux-arts  et  de  l'industrie.  La  fabrication 
des  étoffes  de  coton  et  de  soie  mêlée  de  coton,  du  tabac,  de 
la  poterie,  du  parchemin,  des  cartes  à  jouer,  des  instruments 
de  chirurgie  et  de  la  céruse,  s'y  fait  sur  une  assez  large 
échelle.  L'ancien  château  des  margraves  est  un  bel  édifice, 
construit  à  l'italienne;  dans  le  parc  y  attenant  on  voit  un 
monument  élevé  à  la  mémoire  du  poète  Uz. 

Cette  ville  a  pour  origine  première  l'abbaye  de  Gumbertus, 
fondée  au  huitième  siècle,  transformée  en  collégiale  en  l'an- 
née 1057  et  supprimée  en  15G0.  Les  prévôts  de  Dornbourg, 
vidâmes  de  l'abbaye,  vendirent  la  ville,  en  1288,  aux  comtes 
d'Œttingen,  et  ceux-ci  la  rétrocédèrent  en  1331  aux  bur- 
graves  de  Nuremberg. 

La  principauté  d'Anspach,  qui  à  une  époque  très-reculée 
faisait  partie  du  Rangau,  et  qui  était  en  grande  partie  habi- 
tée par  des  Slaves ,  appartint  plus  tard  au  cercle  de  Fran- 
conie. Incorporée  en  180G  au  royaume  de  Bavière,  elle  fut 
comprise  alors  dans  le  cercle  du  Rezat ,  appelé  aujourd'hui 
Franconie  centrale.  Vers  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  elle 
comprenait  une  population  d'environ  300,000  âmes.  Le 
burgrave  de  Nuremberg  Frédéric  V  ayant  obtenu  en  1 362 
la  principauté  d'Anspach  à  titre  de  fief  de  l'Empire,  en  par- 
tagea le  territoire  entre  ses  deux  fils  en  l'année  1398.  Il  y 
eut  alors  le  pays  d'en  haut  de  la  montagne  (Anspach)  et 
le  pays  d'en  bas  de  la  montagne  (Kulmbach,  plus  tard 
Baireuth);  mais  cette  division  cessa  de  subsister  dès 
1464.  L'électeur  Albert-Achille  de  Brandeîjourg  destina,  en 
1474,  les  principautés  de  Franconie  (c'est  ainsi  qu'on  dési- 
gnait Anspach  et  Baireuth)  à  sou  fds  puîné  Frédéric,  qui 
devint  ainsi  la  souche  de  la  ligue  de  Franconie  des  mar- 
graves de  Brandebourg,  laquelle  se  subdivisa  plus  tard  en 
deux  lignes,  celle  d'Anspach  et  celle  de  Baireuth.  Cette 
dernière  s'éteignit  en  1769,  et  les  deux  principautés  se  trou- 
vèrent alors  réunies  sous  l'autorité  du  même  souverain.  Le 
dernier  margrave  d'Anspach-BaireuLli  fut  Charles-Frédéric, 
second  mari  de  lady  Craven,  lequel  vendit  volontairement 
ses  États  le  2  décembre  1791  à  son  suzerain,  le  roi  de  Prusse. 
En  1806  Frédéric-Guillaume  III  dut  céder  à  la  France  Ans- 
pach, qui,  de  même  que  Baireuth,  dont  il  fut  encore  obligé 
de  faire  l'abandon,  aux  termes  de  la  paix  de  Tilsitt,  fut 
attribué  en  1810  à  la  Bavière. 
AXSPESSADE.  Voyez  Appointé. 
AKSSE  DE  VILL6âSOx\^  (D').  FojfW  Villoison. 
AiXTA.LCIDAS,  Spartiate  qui  à  la  suite  de  la  guerre 
de  Corinlhe  fut  envoyé  comme  ambassadeur  auprès  de 
'Jiribaze ,  gouverneur  de  Suze,  pour  négocier  une  alliance 
avec  la  Perse.  Tiribaze  se  montra  favorablement  disposé,  et 
conclut  avec  Antalcidas,  l'an  du  monde  3597 ,  le  traité  que 
les  Lacédémonicns  soUicitaient.  Ce  traité  souleva  en  Grèce 
une  indignation  générale  ;  car  il  sacrifiait  les  hitérêts  de  la 
patrie  commune  à  la  jalousie  de  Lacédémone  contre  Athè- 
nes. Il  stipulait  ••  1°  que  les  villes  grecques  de  l'Asie  Mi- 
neure, ainsi  que  les  îles  de  Clazomènes  et  de  Chypre, 
feraient  partie  intégrante  des  États  du  roi  de  Perse;  2"  (pie 
les  autres  villes  grecques  seraient  de  nouveau  libres  et  in- 
dépendantes, à  l'exception  des  îles  de  Lemnos,  Scyros  et 
Lnbros,  appartenant  à  Athènes.  Thèbes  et  Corinthe,  cpii 
étaient  plus  particulièrement  lésées  par  ce  traité,  rcfijsèrent 
de  s'y  soumettre;  mais  elles  y  furent  contraintes  par  la 
force ,  et  durent  rendre  leur  indépendance  aux  villes  de  la 
Ecotie.  La  nationalité  grecque  était  virtuellement  di'lruite 
par  ce  honteux  traité;  mais  les  Lacédémonicns  avaient  hu- 
milié kurs  rivaux.  Antalcidas  fut  reçu  à  Sparte  avec  de  vives 
acclamations  et  élevé  à  la  dignité  d'éphore.  Envoyé  depuis, 
dit-on,  de  nouveau  à  la  coin-  du  grand  roi  pour  obtenir  de 


ANTALCIDAS  —  AISTÉCÉDEiNT 


lui  (les  siibsiilt\>,  il  c^choiia  dans  cctto  négociation,  cl  se  laissa 
mourir  de  faim,  dans  la  crainte  des  rigueurs  que  sa  patrie 
pourrait  exercer  contre  lui. 

AXTANACLASE  (du  srecàvrl,  contre,  et  àvaxXâffiç, 
rt^pélilion),  ligure  de  rhf^toritpie,  qui  consiste  en  la  répéti- 
tion d'un  mot  employé  dans  un  sens  dilTérent,  et  toujours 
dans  une  antre  partie  de  la  phrase;  exemple  :  veniam  ad 
vos,  si  mihi  sc?iatus  det  veniam.  Il  est  possible  que,  à  la 
rigueur,  un  jeu  de  mots  grave  mieux  dans  la  mémoire  une 
proposition ,  une  assertion  ,  mais  la  véritable  éloquence 
peut-elle  sérieusement  tolérer  de  pareils  concelti  ? 

ANTAR,ouAND.\R,  célèbre  princedes  Arabes,  qiii  vivait 
au  milieu  du  sixième  siècle ,  et  un  de  leurs  sept  premiers 
poètes ,  dont  les  œu\Tes,  couronnées  et  brodées  en  or  sur 
de  la  soie,  furent  attachées  à  la  porte  de  la  Caaba.  Il  dé- 
peint dans  ses  Moallaca  ses  exploits  guerriers  et  son  amour 
pour  Ibla.  L'édition  la  plus  complète  de  ce  poëme  est  de 
Menil  (Lcyde,  1816).  Hartmann  l'a  donné  en  allemand, 
d'après  l'édition  de  Joncs,  et  l'a  publié  sous  le  titre  de  Pléia- 
des rayonnantes  du  ciel  poétique  arabe  (Munster,  1802). 
Asmai,  célèbre  grammairien  et  théologien  de  la  cour  d'A- 
roun-al-Raschid ,  réunit  le  premier  ,  au  commencement  du 
neuvième  siècle ,  les  traditions  héroïques  des  anciens  Ara- 
bes, et  les  rattacha  au  nom  et  aux  exploits  d'Antar.  C'est 
à  Jones  que  nous  devons  la  connaissance  plus  exacte  de  ce 
roman ,  aussi  ciu'ieux  qu'intéressant.  Hammer ,  dans  ses 
Mines  de  l'Orient  (  1812),  en  décrivit  ensuite  l'exemplaire 
complet  qui  se  trouve  à  la  bibliothèque  impériale  de  Vienne, 
et  indépendamment  duquel  il  y  en  a  encore  six  en  Eu- 
rope. 

Dans  ce  roman,  en  12  volumes  in-S",  Antar  est  représenté 
comme  le  fds  d'un  chéik  arabe,  appelé  Cheddad;  mais,  né 
d'une  simple  esclave,  il  fut  relégué  à  la  garde  des  trou- 
peaux. Malgré  l'élévation  de  ses  idées ,  malgré  l'éclat  de 
ses  exploits,  ses  compatriotes  l'accablaient  d'humiliations.  Ce 
qui  excitait  surtout  leur  jalousie,  c'est  qu'il  aimait  Ibla,  une 
de  ses  cousines ,  que  recherchait  aussi  un  jeune  homme 
riche  et  puissant.  Pareil  à  Hercule,  Antar  ne  parvint  à  dé- 
sarmer l'envie  qu'à  force  de  travaux  prodigieux.  Jugé  digne, 
enfin ,  de  s'asseoir  parmi  les  chefs  de  sa  nation,  il  épousa 
.sa  bien-aimée,  et  répandit  la  terreur  de  son  nom  et  le  bruit 
de  sa  gloire  poétique  en  Perse,  dans  l'Asie  Mineure  et  jus- 
qu'en Europe. 

Ce  roman  nous  offre  un  tableau  complet  des  coutumes, 
des  usages,  des  idées,  des  opinions  et  des  superstitions  des 
anciens  Arabes  avant  la  venue  du  Prophète.  Pour  juger  de 
l'exactitude  des  principaux  traits  de  ce  tableau,  il  sufiit  de 
■vivre  quelques  jours  au  milieu  des  Bédouins  modernes.  Le 
style  est  du  plus  pur  arabe,  et  passe  par  conséquent  pour 
classique.  Une  prose  poétique  y  fait  quelquefois  place  à  une 
suave  poésie.  Cet  ouvrage  est  du  reste  si  intéressant,  que  les 
connaisseurs  le  préfèrent  aux  Mlle  et  une  Nuits.  Hamilton, 
secrétaire  de  l'ambassade  britannique  à  Constantinople ,  l'a 
traduit  en  anglais  (Antar,  a  Bedoueen  romance,  transla- 
ted  from  the  arabic  6j/ Berrik  Hamilton,  Londres,  1819, 
4  vol.).  C'est  sur  cette  traduction  qu'a  été  fait  l'extrait,  ac- 
compagné de  notes,  publié  au  mois  de  mai  1830  par  M.  de 
l'Écluse  dans  la  Revue  Française. 

AXT ARCTIQUE  (d'àvTt,  opposé,  et  àpxTo;,  ourse  : 
opposé  à  la  Grande-Ourse),  terme  d'astronomie  employé 
pour  qualifier  le  pôle  austral  et  le  cercle  polaire  corres- 
pondant. 

On  a  cru  pendant  longtemps  qu'il  n'y  avait  pas  de  terre 
habitable  sous  la  zone  antarctique,  et  que  l'Océan  s'étendait 
jusqu'au  00"  degré  de  latitude  sud.  Cook  s'approcha  du  pôle 
jusqu'au  60'  degré,  mais  il  fut  repoussé  par  des  masses  de 
glace  et  des  tempêtes.  Un  pêcheur  de  baleines  découvrit, 
en  1820,  vers  le  sud  du  cap  llorn.sous  la  latitude  du  Cl"  de- 
gré, une  Ile  de  deux  cents  milles  anglais  de  longueur,  qu'il 
uonima  la  Nouvelle-Shetland.  Depuis,  plusieurs  anglais  et 

DtCT.    DE    L\    CO.NVKIiS.    —   T.    I. 


i;^i 

russes  poussèrent  encore  plus  près  du  pôle  antarctique.  Ces 
parages  devenaient  de  plus  en  plus  fréquentés  par  la  pèche 
de  la  baleine,  car  le  nombre  de  ces  animaux  est  très-grand 
dans  ces  régions. 

En  1831  et  1833  on  signala  des  indices  de  terres  au  sud 
de  l'océan  Indien.  En  1838,  une  compagnie  d'armateurs  de 
Londres,  à  la  tète  de  laquelle  était  placé  Charles  Eiulerby, 
négociant  entreprenant ,  équipa  une  petite  llottille  destinée 
à  faire  la  pêche  dans  les  eaux  antarctiques.  Cette  llottille 
se  composait  des  deux  navires,  VÉHza  Scott,  capitaine  Bal- 
leny,  et  la  Sabitia,  capitaine  Freeman;  elle  devait  d'abord 
se  diriger  vers  la  Nouvelle-Zélande,  et  de  là  faire  voile  pour 
la  terre  d'Enderby,  découverte  depuis  l'année  1831.  Le  9  fé- 
vrier 1S39  cette  expédition  découvrit,  par  66°  de  latitude 
sud  et  1G4"  de  longitude  est,  trois  îles  qui  reçurent  le  nom 
(ïiles  de  Ballcny,  et  le  3  mars  suivant,  par  65»  de  latitude 
sud  et  11G"-118"  de  longitude  est,  la  terre  de  Sabina.  — 
L'expédition  américaine  de  découvertes  commandée  par  Je 
lieutenant  Wilkes  et  l'expédition  française  aux  ordres  du 
capitaine  Dumont  d'Urville  eurent  pour  résultat,  en 
1840,  de  donner  le  tracé  précis  de  ces  côtes  depuis  le  92" 
jusqu'au  154°  de  latitude  sud,  tantôt  au  nord,  tantôt  au  sud 
du  cercle  polaire,  et  qui  sur  quelques  cartes  sont  désignées 
sous  le  nom  de  terres  de  Willics.  Elles  ont  en  outre  prouvé 
que  ces  terres  se  lient  à  celles  qui  ont  été  découvertes  par 
Balleuy,  et  que  celte  masse  se  prolonge  jusqu'à  IsO"  de 
longitude  est.  Or,  comme  il  semble  y  avoir  tout  lieu  de  pen- 
ser que  la  terre  de  ^Yilkes  se  prolonge  au  delà  de  la  terre 
de  Kemp,  découverte  en  1833,  jusqu'à  la  terre  d'Enderby, 
sous  les  50°  de  longitude  ouest,  on  peut  dire  qu'une  étendue 
de  côtes  d'environ  800  myriamètres  de  longueur  existe  dans 
ces  latitudes,  et  que,  suivant  toute  probabilité,  elle  se  lie 
aux  découvertes  antérieures.  On  peut  donc  conjecturer  qu'il 
existe  au  dedans  du  cercle  polaire  antarctique  un  immense 
continent.  Les  Américains  et  les  Français  s'en  disputent  la 
découverte  ;  les  navigateurs  envoyés  en  exploration  dans 
ces  parages  par  le  gouvernement  de  l'Union  signalèrent  la 
terre  le  19  janvier  1841,  par  154°  27'  de  longitude  orientale  ; 
Dmuont  d'Urville,  commandant  l'expédiliou  française,  ne  lu 
signala  que  deux  jours  plus  lard,  beaucoup  plus  à  l'ouest, 
c'est-à-dire  par  140°  41'  de  longitude  orientale.  Ce  naviga- 
teur donna  à  cette  terre  le  nom (ï Adélie,  en  l'honneur  de 
sa  femme;  il  n'y  resta  que  dix  jours,  et  parvint  jusqu'au 
130'  degré  de  longitude  est;  Wilkes,  le  commandant  de 
l'expédition  américaine,  croisa  dans  ces  parages  inhospita- 
liers pendant  quatre  semaines  consécutives,  et  s'avança 
jusqu'au  97°  de  longitude  est. 

iVA'TARÈS,  étoile  de  première  grandeur ,  située  au 
cœur  de  la  constellation  du  Scorpion. 

ANTÉCÉDENT,  terme  de  logique.  C'est  la  première 
proposition  dont  uue  autre  découle,  c'est  un  principe  géné- 
ral, servant  de  base  à  un  fait  douteux,  c'est  la  moitié  d'un 
enthymème.  —  En  termes  de  palais  on  dit  :  Il  y  a  deux 
jugements  antécédents  pour  dire  précédents.  —  En  style 
parlementaire,  les  antécédents  d'une  assemblée  délibérante 
sont  les  décisions  qu'elle  a  prises  dans  des  circonstances 
analogues,  et  qui  impliquent  pour  elle  l'obligation  de  suivre 
la  même  marche,  le  cas  échéant.  —  Ce  terme  est  aussi  usité 
en  théologie  :  exemple  :  Est-ce  par  un  décret  antécédent 
ou  subséquent  à  la  prévision  de  leurs  mérites  que  les 
hommes  sont  prédestinés  à  la  gloire  des  bienheureux?  Ce 
qui  revient  à  dire  :  Le  salut  des  hommes  est-il  décrété  par  la 
bonté  de  Dieu  ou  par  sa  justice,  en  raison  ou  abstraction 
faite  de  sa  prévision?  —  En  grammaire,  Yantécédent  est  Je 
mot  qui  précède  le  relatif  :  dans  cette  phrase  :  L'homme 
qui  meurt  pour  sa  patrie,  Vhomme  est  l'antécédent.  Celle 
expression  est  prise  quelquefois  aussi  dans  le  sens  et  comme 
synonyme  d'exemple.  — En  malhénialiques,  IV'H^e'cerfpn^ 
d'un  rap]wil  est  le  premier  des  deux  tenues  qui  comiiosent 

ce  laiiport. 

»1 


&41 

AIMTÈCIIRIST.  Dans  les  derniers  siècles  qni  précédè- 
rent la  naissance  du  Christ,  les  Juifs  associèrent  à  leur  idée 
du  Messie,  envoyé  pour  assurer  le  bonheur  de  leur  nation , 
celle  d'un  anti-Messie,  qui  devait  faire  beaucoup  de  mal 
avant  la  venue  du  vrai  Messie.  Divers  li^TCs  du  Nouveau 
Testament  font  mention  de  l'Antéchrist  comme  d'un  ou  de 
plusieurs  faux  prophètes  se  faisant  passer  pour  le  vrai  Christ, 
aOn  de  tromper  le  monde  ;  mais  ce  n'est  que  dans  l'Apoca- 
lypse qu'il  est  représenté  comme  un  puissant  souverain,  en- 
nemi du  christianisme,  dont  l'apparition  doit  précéder  la  fin 
des  temps  et  annoncer  le  dernier  retour  du  Messie  sur  la 
terre.  Ce  sera  Satan  fait  homme,  suivant  certains  Pères  de 
l'Église.  Ce  sera  un  démon  revêtu  d'une  chair  apparente, 
d'après  saint  Jérôme.  11  naîtra  précédé  de  signes  extraor- 
dinaires, tant  au  ciel  que  sur  la  terre,  mais  son  règne  ne  du- 
rera que  trois  ans  et  demi.  Il  est  vrai  qu'il  sera  signalé  par 
d'atroces  barbaries.  Enoch  et  Élie,  qui  ne  sont  pas  encore 
morts,  essayeront  vainement  de  le  combattre  :  ce  tyran  les 
fera  périr  à  l'endroit  môme  où  Jésus-Clirist  a  été  crucifié. 
Après  toutes  ces  horreurs,  après  que  les  peuples  auront  été 
plongés  dans  la  désolation,  le  Christ  foudroiera  son  ennemi 
par  un' effet  de  sa  toute-puissance. 

Les  chrétiens  conservèrent  dans  les  premiers  siècles  cette 
croyance  d'un  ennemi  redoutable  de  l'Église,  dont  la  venue 
s'annoncerait  iiar  les  persécutions  qu'elle  aurait  à  subir,  et 
qui  précéderait  le  retour  du  vrai  Christ,  espéré  par  les  chi- 
liastes.  Cette  opinion,  adoptée  fort  longtemps  avec  les  di- 
verses interprétations  qu'en  avaient  données  les  Pères  de 
l'Église,  et  avec  la  croyance  du  règne  de  mille  ans,  qui  de- 
vait succéder  aux  persécutions  endurées  sous  le  règne  de 
l'Antéchrist,  resta  accréditée  jusqu'à  ce  que  l'année  1000  se 
fut  écoulée  sans  avoir  vu  réaliser  les  prophéties  si  souvent 
reproduites.  Cette  circonstance  refroidit  le  fanatisme  des 
chiliastes.  Il  est  vrai  que  l'interprétation  de  l'Apocalypse 
donnait  toujours  lieu  à  de  nouveaux  calculs  en  faveur  de 
l'apparition  de  l'Antéchrist;  les  esprits  les  plus  hardis  et  les 
plus  sérieux,  le  génie  lui-môme  ne  se  sont  pas  abstenus  de 
traiter  cette  grave  matière.  Bossnet,  commentant  certains  pas- 
sages de  l'Écriture  et  surtout  l'Évangile  selon  saint  MatU)ieu 
(chap,  24),  a  cm  devoir  donner  son  avis  sur  ce  bizarre  person- 
nage, moitié  Dieu,  moitié  démon  {Histoire  des  Variations). 
Il  avait  été,  il  est  vrai,  précédé  dans  cette  voie  dès  le  moyen 
âge  par  divers  ennemis,  qui,  soit  individuellement,  soit 
groupés  en  différentes  sectes,  avaient  attaqué  la  hiérarchie 
catholique  romaine,  appliquant  de  préférence  cette  dénomi- 
nation d'Antéchrist  au  pape,  que  les  vaudois ,  les  wiciéfites, 
les  hussites,  et  jusqu'à  Luther  et  ses  sectateurs ,  accusèrent 
de  s'être  élevé  au-dessus  et  contre  le  Christ.  Joseph  Mède 
en  Angleterre  et  le  ministre  Jurieu  en  Hollande  poussèrent 
le  fanatisme  jusqu'à  écrire  que  l'Antéchrist  sortirait  de  l'É- 
glise romaine  vers  1710.  Grotius,  emporté  par  je  ne  sais 
quelle  hallucination  dogmatique,  après  avoir  prouvé  que 
tout  le  monde  était  absurde ,  ne  dédaigna  pas  de  soutenir 
que,  d'après  ses  calculs,  Caligulaétait  l'Antcchrist.  Bien  avant 
lui,  et  jusqu'au  cinquième  siècle,  on  avait  cru ,  sur  divers 
points,  que  Néron  n'était  pas  mort  et  qu'il  reviendrait  sous 
la  forme  de  l'Antéchrist.  Les  catholiques,  de  leur  côté,  don- 
nèrent ce  titre  à  Luther  et  aux  autres  réformateurs. 

L'Antcchrist  dans  l'Église  d'Orient,  c'était  Mahomet,  les 
Sarrasins  et  les  Turcs.  Les  musulmans  ont  l'idée  d'un  Anté- 
christ qui  sera  vaincu ,  avec  l'aide  du  Christ  véritable,  par 
l'imanMahadi;  après  quoi  le  christianisme  et  l'islamisme 
ne  formeront  plus  qu'une  seule  et  même  religion. 

C'est  ainsi  que  l'idée  d'Antéchrist ,  comme  symbole  d'un 
ennemi  dangereux  de  la  véritable  Église,  se  perpétua  sous 
différentes  formes.  Le  nom  de  l'Antéchrist  fut  souvent  donné 
à  Napoléon  pendant  les  années  où  il  imprimait  la  terreur  à 
l'Europe.  Plus  tard  les  ennemis  des  lumières  virent  l'Ante- 
ciuist  dans  l'usage  indépendant  de  la  raison,  qui  repousse 
à  jamais  les  vues  et  les  prétentions  de  robscurunlisnic. 


ANTFXHRIST  —  AMÉDILUVIENS 


Parmi  les  Juifs  s'est  aussi  conservée,  depuis  la  destruction 
de  Jérusalem  par  Titus,  la  singulière  prophétie  d'une  lutte 
qui  doit  avoir  lieu  entre  le  vrai  Messie  et  l'anti-Messie , 
nommé  Armillus;  celui-ci,  qui  naîtra  à  Rome,  se  donnera 
pour  le  Messie  et  pour  Dieu,  et  trouvera  beaucoup  de  parti- 
sans dans  les  États  du  pape.  Le  premier  Messie,  fils  de  Jo- 
seph, le  vaincra  d'abord,  mais  finira  à  son  tour  par  suc- 
comber sous  ses  coups;  alors  le  second  Messie,  fils  de  David, 
battra  et  tuera  Armillus  ;  après  quoi  le  règne  des  chrétiens 
et  des  païens  cessera,  pour  faire  place  à  la  domination  éter- 
nelle du  peuple  juif. 

AI\TÉCIEi\S.  Voyez  ANTOEcrENS. 

ANTÉDILUVIENS  (de  antè,  avant,  diluvium , 
déluge  ).  Ce  nom  appartiendrait  à  tous  les  êtres  qui  ont  vécu 
avant  le  déluge;  mais  quelques  naturalistes  ont  proposé  avec 
raison  de  n'appliquer  cette  dénomination  qu'aux  plantes  et 
aux  animaux  qui  ont  existé  avant  les  changements  qu'a 
successivement  éprouvés  la  surface  du  globe,  et  qui  n'ont 
plus  d'analogues  dans  la  nature  vivante,  qui  sont  enfin  des 
animaux  perdus.  Par  déluge  on  entend  vulgairement  l'i- 
nondation extraordinaire  dont  il  est  fait  mention  dans  l'É- 
criture. L'observation  a  fait  reconnaître  que  le  globe  a  été 
bouleversé  à  plusieurs  reprises ,  que  la  mer  a  dû  occuper 
d'abord  toute  sa  surface,  qu'elle  s'est  retirée  de  certains  pays 
pour  revenir  les  occuper,  et  cela  deux ,  trois  fois  de  suite. 
Voici  comment  on  explique  les  diverses  catastrophes  qui 
ont  déplacé  l'océan,  soulevé  les  montagnes,  détruit  des  races 
entières  d'animaux,  formé  des  bancs  de  pierre,  de  craie,  etc. 

L'analogie  et  l'observation  nous  portent  à  croire  qu'à  une 
époque  très-reculée  le  globe  que  nous  habitons  éi)rouva  un 
degré  de  chaleur  si  élevé,  que  toutes  les  matières  qui  le  com- 
posent furent  converties  en  vapeurs,  de  façon  que  notre  pla- 
nète présentait  un  globe  iramensede  vapeurs  semblables  aux 
étoiles  que  l'on  appelle  nébuleuses.  Comme  il  est  de  la  na- 
ture du  calorique  d'abandonner  les  corps  chauds  pour  se 
porter  vers  ceux  qui  sont  plus  froids ,  les  vapeurs  qui  for- 
maient d'abord  notre  sphère  se  rapprochèrent  par  le  refroi- 
dissement et  formèrent  successivement  des  pierres,  des  mé- 
taux, etc.,  suivant  le  degré  de  température  auquel  ces 
matières  passent  naturellement  de  l'état  de  vapeur  à  l'état 
liquide,  et  de  ce  dernier  à  l'état  solide  ;  c'est-à-dire  que  le 
fer,  par  exemple,  étant  plus  difficile  à  fondre  que  le  plomb, 
les  vapeurs  ferrugineuses  se  solidifièrent  plus  tôt  que  celles 
de  ce  dernier  métal.  Des  matières  solidifiées  il  se  forma  une 
croûte  solide ,  d'abord  fort  mince  ;  cette  croûte  enveloppa 
les  autres  matières  qui  étaient  encore  à  l'état  liquide,  comme 
la  coquille  d'un  œuf  enveloppe  le  blanc  et  le  jaune.  Cependant, 
l'air,  les  eaux  ,  et  autres  matières  qui  se  tiennent  à  l'état 
fluide  et  liquide  à  des  températures  plus  basses  que  la  cha- 
leur à  laquelle  fondent  et  se  volatilisent  les  minéraux,  conti- 
nuèrent à  former  une  immense  atmosphère  autour  de  la 
planète  ;  enfin,  les  eaux  tombèrent  sur  sa  surface  quand  leur 
température  fût  descendue  au-dessous  de  100°  centigrades 
(chaleur  de  l'eau  bouillante),  et  formèrent  un  océan  continu 
sur  la  croûte  solide.  Cette  opinion  est  fort  ancienne  ;  on  la 
trouve  exprimée,  plus  ou  moins  exactement,  dans  la  Bible 
et  dans  plusieurs  poètes  de  l'antiquité. 

In  principio...  spiritus  Dci  ferebatur  super  aquas. 

(^Genesis,  lib.  I.) 
Ante  mare  et  terras,  et  qiiod  legit  omnia  cœlum  , 
Unus  erat  tolo   nalurae  vultiis  Id  orbe, 

Nec  adliuc bracliia  loDgo 

Margioe  terrarum  porrexcral  Ampbitrilc. 


Omnia  poalus   eraut,   dcerant  qunquc  liltora  ponto. 

(Ovin.,  Mela/iiorjj/wseoii ,  lib.  I.) 

Namque  canebat  uti 

Iciicr  mundi  concreverit  orbis, 

TutD  durare  sohiuj  et  discliidcre   ISerea  pouto 

Caeperit {\tKG.,  Ecloga   FI.) 


AINTEDILUVllilNS  —  ANTEISOR 


643 


Loc&m  couvrit  d'abonl  toute  la  surface  du  globe,  parce 
que  la  croûte  solide  étant  encore  trop  mince  pour  maîtriser 
les  mouvements  des  matières  liquides  qu'elle  envelop[>ait , 
elle  était  plutôt  portée  par  ces  matières  ;  elle  en  prenait  la 
forme  sphérique,  car  toute  matière  à  l'état  liquide  aban- 
donnée à  elle-même  prend  spontanément  la  forme  d'une 
sphère  ;  la  croûte  solide  ayant ,  par  l'effet  du  refroidisse- 
ment des  matières  qui  étaient  immédiatement  au-dessous 
d'elle,  pris  plus  d'épaisseur  et  de  consistance ,  résista  par 
conséquent  davantage  aux  mouvements  des  matières  liquides; 
il  en  résulta  des  déchirements,  des  boursouflures  qui  s'éle- 
vèrent au-dessus  des  eaux,  et  produisirent  des  montagnes, 
des  îles.  Cette  lutte ,  s'il  est  permis  de  parler  ainsi,  entre  la 
croûte  solide  et  les  matières  liquides  de  l'intérieur  du  globe, 
dut  continuer  pendant  une  longue  suite  de  siècles  ;  elle  n'a 
pas  encore  cessé,  si,  comme  on  a  toute  raison  de  le  croire , 
c'est  à  elle  qu'il  faut  attribuer  les  volcans,  les  tremblements 
de  terre,  les  sources  d'eaux  chaudes,  etc. 

Au  moyen  de  cette  hypothèsç,  on  explique  sans  peine 
la  destruction  subite  de  diverses  générations  d'animaux,  la 
formation  des  bancs  de  pierre,  de  craie... ,  qui  les  ont  enve- 
loppés, et  qui  en  ont  conservé  les  débris  jusqu'à  nos  jours; 
pourquoi  les  eaux  occupèrent  les  continents  et  même  le 
sommet  des  hautes  montagnes.  Figurez-vous  en  effet  que  le 
sol  de  Paris,  couvert  d'abord  par  la  mer,  fut  soulevé  par  la 
fermentation  des  matières  en  fusion  qui  étaient  dessous  : 
des  plantes,  des  animaux,  purent  croître  et  vivre  sur  sa  sur- 
face. Après  un  laps  de  temps,  une  autre  catastrophe  abîma 
le  terrain  de  nouveau;  tous  les  animaux  qu'il  portait  péri- 
rent à  l'instant  et  furent  enveloppés  par  les  couches  que  la 
mer  forma  dessus.  Les  mômes  évéoements  se  renouvelèrent 
un  certain  nombre  de  fois,  car  Cuvier  et  Brongniart  ont  re- 
connu que  le  sol  de  Paris  a  été  deux  fois  occupé  alternative- 
ment par  la  mer  et  les  eaux  douces,  ce  qui  est  prouvé  par 
les  débris  de  productions  marines,  fluviatiles  et  terrestres 
que  l'on  trouve  successivement  quand  on  creuse  à  une  pro- 
fondeur sutlisante.  Une  chose  bien  digne  de  remarque,  c'est 
que  plus  les  couches  dans  lesquelles  ou  trouve  des  animaux 
perdus  sont  éloignées  de  la  surface  actuelle  de  la  terre,  plus 
ces  animaux  diCEèrent  par  la  forme  et  les  dimensions  de 
ceux  qui  vivent  de  nos  jours;  l'organisation  de  ces  animaux 
est  aussi  plus  imparfaite;  il  en  est  de  même  des  végétaux. 
Ceux,  au  contraire,  qui  se  trouvent  dans  deux  couches  con- 
sécutives, sans  être  tout  à  fait  les  mêmes,  ont  beaucoup  de 
rapports  entre  eux.  Les  cerfs,  les  bœufs...  que  l'on  trouve 
dans  des  marais,  des  tourbières,  etc. ,  ne  diffèrent  pas  sensi- 
blement des  cerfs  de  nos  jours  ;  seulement  leurs  squelettes 
ont  des  proportions  plus  grandes.  Enfin,  il  y  a  des  races 
d'animaux  qui  ont  vécu  sous  des  latitudes  où  elles  ne  pour- 
raient subsister  aujourd'hui  :  on  trouve  en  Europe,  par 
exemple,  des  ossements  d'hippopotames,  de  crocodiles,  d'é- 
léphants..., animaux  qui,  comme  on  sait,  habitent  natu- 
rellement et  ne  se  reproduisent  facilement  que  dans  les  ré- 
gions brûlantes  de  l'Afrique  et  de  l'Asie.  On  n'a  pas  encore 
donné  luie  bonne  explication  de  ce  phénomène. 

De  toutes  les  matières  qui  entrent  dans  la  composition 
des  corps  des  animaux,  il  n'y  a  guère  que  les  os  et  les  co- 
quilles qui  se  soient  conservés  dans  le  sein  de  la  terre  :  les 
chairs,  les  cartilages,  les  parties  cornées,  les  sabots,  les 
ongles,  les  écailles  des  tortues,  les  becs  des  oiseaux,  ont  été 
décomposés  ou  absorbés  par  les  matières  pierreuses  qui  les 
enveloppent. 

Les  plantes  et  les  mollusques  ont  été  les  premiers  corps 
organisés  dont  il  se  soit  conservé  des  débris;  vinrent  ensuite 
les  poissons,  puis  les  reptiles,  les  mammifères  marins,  suivis 
des  oiseaux  terrestres  et  des  mammifères  herbivores  ;  pres- 
(lu'en  même  temps  parurent  les  carnassiers.  Cette  suite  de 
créations  de  poissons,  de  reptiles,  de  mammifères,  est  con- 
forme au  récit  de  la  Genèse  :  Bixit  oulcm  Deus  :  Pro- 
ducant  aqux  repl'ile  animx  vivenlis,  et  volatile  super 


terram  sub  firmamento  cœli.  CreavUque  Deus  cete  gran- 
dia,  et/ecit  Deus  bestias  terne,  etjumenta  et  omne  rep- 
tile terrx.  La  création  de  l'homme  et  des  singes  est  pos- 
térieure à  celle  de  tous  les  animaux  fossiles.  On  n'a  jamais 
trouvé  de  squelettes  humains  fossiles  :  celui  qu'on  voit  an 
cabinet  d'histoire  naturelle,  et  qui  a  été  apporté  de  la  Gua- 
deloupe, est  bien  loin  de  pouvoir  être  considéré  comme 
antédiluvien;  d'ailleurs,  s'il  y  avait  eu  des  hommes  contem- 
porains des  dernières  catastrophes  qui  ont  changé  la  face 
du  monde,  on  retrouverait,  non-seulement  quelques-uns  de 
leurs  débris,  mais  encore  des  ruines  de  leurs  habitations, 
des  fragments  de  vases,  d'armes,  de  meubles,  etc.  ;  aussi 
croit-on  que  l'origine  de  l'espèce  humaine  ne  remonte  pas 
au  delà  de  six  mille  ans,  comme  le  dit  l'Écriture. 

Nous  ferons  connaître  à  l'article  Fossiles  les  corps  or- 
ganisés qu'on  a  retrouvés  dans  le  sein  de  la  terre ,  et  dont 
l'existence  a  précédé  les  grands  cataclysmes  de  notre  planète 
avant  qu'elle  fût  habitée  par  l'homme.  Teyssèdre. 

ANTÉE,  géant,  fils  de  Neptune  et  de  Géa  (  la  Terre), 
habitait  une  grotte  dans  les  sables  de  la  Libye,  et  forçait 
tout  nouvel  arrivant  à  le  combattre  :  tant  qu'il  touchait  le 
sol,  la  Terre,  sa  mère,  lui  donnait  de  nouvelles  forces;  aussi 
terrassait-il  tous  ceux  qu'il  défiait,  et,  après  les  avoir  abattus, 
il  rangeait  leurs  crânes  autour  de  sa  caverne,  ayant  fait  vœu 
d'en  récolter  assez  pour  en  construire  un  temple  à  Neptune, 
son  père.  Hercule,  provoqué  au  combat  parle  géant,  le 
terrassa  trois  fois  en  vain ,  sa  mère  ranimant  à  chaque  re- 
prise sa  vigueur.  S'étant  aperçu  enfin  du  charme  qui  le 
rendait  invincible ,  il  le  souleva  en  l'air,  et  l'étouffa  dans 
ses  bras. 

A]\TEI\iVE.  En  termes  de  marine,  c'est  une  pièce  de 
bois  ,  une  espèce  de  vergue  longue  et  flexible  qui  s'attache 
par  une  poulie  vers  le  milieu  ou  le  haut  d'un  mât  pour 
soutenir  la  voile  triangulaire  des  bâtiments  à  voile  latine 
surtout  en  usage  dans  la  Méditerranée.  Cette  voile  elle- 
même  prend  le  jiora  d^antenne  sur  la  Méditerranée.  On 
nomme  antenne  de  mesure  celle  du  grand  mât,  et  antenne 
de  trinquet  celle  de  l'avant.  Les  antennes  servent  à  pousser 
le  navire  en  avant,  ce  qu'exprime  l'étymologie  de  ce  mot 
(  ante).  On  appelle  antennes  de  beille  les  voiles  que  l'on 
garde  en  réserve  sur  le  bâtiment  pour  remplacer  celles  qui 
se  rompent  ou  s'usent.  — On  appelle  encore  antennes  un 
rang  de  futailles  arrimées  dans  la   cale  d'un  navire. 

En  termes  d'histoire  naturelle ,  les  antennes  sont  les  ap- 
pendices ou  filets  creux,  mobiles ,  articulés ,  au  nombre  de 
deux  en  général,  quelquefois  quatre,  et  rarement  cinq,  que 
certains  insectes  et  certains  crustacés  ont  sur  la  tête,  et 
qui  ont  servi  à  établir  divers  groupes  et  genres  dans  les 
vastes  classes  d'animaux  (lu'elles  caractérisent.  Les  antennes 
ont  été  considérées  par  quelques  auteurs  comme  l'organe 
de  l'ouïe  ou  de  l'odorat,  par  les  autres  comme  un  supplé- 
ment du  tact.  Quelques  insectes ,  en  effet ,  les  portent  en 
avant  comme  pour  discerner  les  objets.  Il  est  des  ordres 
et  des  espèces  où  les  antennes  des  mâles  sont  différentes 
de  celles  des  femelles,  et  sen'ent  à  discerner  le  sexe  à  la 
première  vue.  Leur  forme  est  très-variée  :  il  y  en  a  de  très- 
longues  et  de  très-courtes ,  d'aiguës  et  d'obtuses  ;  les  unes 
sont  terminées  en  scie  ou  par  un  bouton ,  les  autres  en  mas- 
sue ;  d'autres  enfin  sont  munies  de  feuillets  mobiles  comme 
les  branches  d'un  éventail. 

AIVTÉIXOR,  prince  troyen ,  fils  d'Œsyetes  et  de  Cléo- 
mestre ,  parent  de  Priain  ,  époux  de  Théano ,  fille  de  Cis- 
séus ,  roi  de  Thrace ,  dont  il  eut  dix-neuf  enfants ,  nous 
est  représenté  par  Homère  comme  un  vieillard  plein  de 
prudence.  H  logea  Ulysse  et  Ménélas  pendant  leur  ambas- 
sade à  Troie,  accompagna  Priam  au  champ  de  bataille 
lorsque  celui-ci  s'y  rendit  pour  y  traiter  delà  paix,  et, 
après  le  combat  d'Hector  et  d'Ajax,  proposa,  mais  inutile- 
ment, de  rendre  Hélène  à  .son  époux.  Toutes  ces  circons- 
tances ont  l'ait  regarder  Anlcnor  comme  ami  des  Grecs ,  et 

ai. 


644 


ANTEJNOR  —  AiMllÈRE 


ont  accrédité  ropinion  qu'il  avait  tralii  les  Troyens  en  pro- 
curanl  aux  Grecs  le  pnlladium,  en  donnant  du  liaul  de  la 
muraille,  avec  une  lanterne,  le  signal  de  l'assaut,  et  en 
ouvrant  lui-même  le  fameux  cheval  de  bois.  11  est  vrai  que 
sa  maison  fut  respectée  pendant  le  pillage,  mais  ce  fait 
8'explique  parles  droits  et  les  devoirs  d'hospitalité  qui  exis- 
taient entre  lui  et  Mémlas.  Il  fut  sauvé  de  la  môme  ma- 
nière qu'Énée,  et  devint  comme  ce  dernier  la  souche  d'une 
nouvelle  dynastie  ;  mais  les  anciens  ne  sont  pas  d'accord 
sur  ce  point.  La  tradition  la  plus  connue  est  celle  que  Vir- 
gile a  adoptée  :  ce  poète  rapporte  qu'Anténor  se  rendit,  ac- 
compagné de  ses  (ils,  en  Thrace,  d'où  il  alla  avec  les  Hé- 
nètes  en  Italie,  où  il  doit  avoir  fondé  la  province  hénétique 
sur  la  mer  Adriatique,  en  construisant  la  ville  de  Patavium 
(Padoue),  qui  porta  d'abord  son  nom. 

Un  sculpteur  athénien ,  appelé  Anténor,  avait  fait  les 
statues  d'Harmodius  et  d'Aristogiton  ;  elles  furent  enlevées 
d'Athènes  par  Xerxès,  et  renvoyées  en  Grèce  par  Alexandre 
le  Grand  ou  par  Antiochus.  —  Tite-Live  mentionne  enfin 
un  Macédonien  de  ce  nom  qui  commanda,  avec  Callipus,  la 
flotte  du  roi  Persée;  —  et  lilien,  un  écrivain  appelé  aussi 
Anténor,  auteur  d'une  Histoire  de  Crète. 

AÎVTEROS.  C'est  seulement  dans  la  mythologie  des 
derniers  siècles  de  l'époque  païenne  qu'on  trouve  ce  nom 
comme  synonyme  d'Amour  réciproque.  La  Fable  raconte 
en  effet  qu'Éros,  dieu  de  l'amour,  ne  fut  pas  plus  tôt  devenu 
grand  que  sa  mère  Aphrodite  lui  donna  un  frère,  Anteros, 
qu'elle  eut  aussi  de  Mars.  Le  sens  évident  de  ce  mythe  est 
que  l'amour  pour  être  heureux  a  besoin  d'être  partagé. 
Aussi  élevait-on  souvent  des  autels  à  ces  deux  petits  dieux, 
et  les  représentait-on  se  disputant  une  branche  de  palmier. 
Suivant  Bœttiger,  Anteros,  comme  personnification  de  l'a- 
mour partagé ,  est  de  création  très-récenlc ,  l'ai  t  antique 
représentant  toujours  l'amour  réciproque  par  le  groupe  de 
l'Amour  et  Psyché,  et  Anteros  n'ayant  d'autre  fonction, 
suivant  lui,  que  de  venger  Éros  et  de  punir  ceux  qui  l'of- 
fensent. D'autres  interprètes  modernes  voient,  au  contraire, 
dans  Anteros  une  divinité  ennemie  de  l'Amour,  en  un  mot 
VAntipathie.  Voyez  Clpidon. 

AATES.  D'après  Jornandès  et  Procope,  les  Antes  sont 
une  branche  de  peuples  slaves  occupant ,  sous  ce  nom,  dans 
le  sixième  siècle,  le  pays  compris  entre  le  Dniester  et  le 
Dnieper.  L'invasion  des  Huns  les  délivra  du  joug  des  Goths, 
et  la  mort  d'Attila  de  celui  des  Huns.  Pressés  par  les  ]\Ion- 
gols,  ils  s'arrêtèrent  sur  les  rives  du  Danube;  mais  dans 
le  dixième  siècle  ils  furent  en  partie  exterminés,  en  partie 
chassés  des  bords  de  ce  fleuve  par  les  Avares  ,  les  Bulgares 
et  les  Magyares  ou  Hongrois.  Ce  fut  alors  que  leur  nom  se 
perdit.  Il  est  probable  que  les  Antes,  après  ces  désastres, 
se  portèrent  sur  les  bonis  du  Dnieper  et  de  la  Volkhova ,  où 
ils  fondèrent  les  villes  de  Kief  et  de  >'ovogorod. 

AJVTIIÉLIE  (du  grec  àvTÎ,  contre,  et  viÀioç,  soleil), 
météore  qui  se  montre  à  l'opposite  du  soleil  lorsque  celui- 
ci  est  près  de  l'horizon  ,  et  qui  consiste  eu  des  cercles  lumi- 
neux concentriques  à  la  tête  de  l'observateur,  ressemblant 
à  ces  gloires  ou  auréoles  dont  les  peintres  entourent  les 
têtes  des  saints.  Ils  sont  dus  à  la  réflexion  de  la  lumière 
par  des  chaumes  ou  de  l'herbe  mouillée,  des  vésicules 
de  brouillards ,  ou  des  nuages  placés  à  une  laible  distance 
du  spectateur. 

ANTHELMIXTIQUES  (de  àvTÎ,  contre,  et  de  é),- 
fiiv;  ,  ver),  médicaments  qui  tuent  et  chassent  les  vers 
intestinaux.  On  les  appelle  aussi  vermifuges  ou  anti-ver- 
mineux.  Ils  sont  nombreux ,  et  appartiennent  au\  divers 
règnes  de  la  nature.  La  plupart  sont  doués  d'une  odeur 
forte  ou  nauséeuse.  Les  principaux  et  presque  les  seuls 
auxquels  on  ait  recoins  sont  le  semcn-contra ,  la  mousse 
de  Corse,  l'ail,  la  fougère  mule,  la  racine  de  grenadier, 
l'nbsintlie  ,  la  térébenthine  ,  l'huile  de  ricin,  le  calomel ,  les 
j-elsd'étain,  Téther,  le  camphre  etc.  Tous  paraissent  exercer 


une  action  directe  sur  les  vers,  qu'ils  engourdissent  ou 
empoisonnent.  Quelques-uns  joignent  à  cette  action  une 
vertu  purgative,  et  contribuent  ainsi  d'une  double  manière 
à  rexi>ulsion  de  ces  parasites.  Le  choix  entre  les  anthelmin- 
tiques  n'est  pas  toujours  indifférent  :  l'éther  et  le  camphre, 
par  exemple,  à  cause  de  leur  diffusibilité ,  ne  conviennent 
que  dans  les  cas  où  les  vers  siègent  dans  l'estomac  ou  le 
rectum.  Ce  dernier  organe  contient  quelquefois  des  myriades 
d'oxyures  vermiculaires  que  l'éther  seul  peut  détruire.  Les  vers 
plats,  et  en  particulier  letœnia,  ou  ver  solitaire,  exigent 
l'emploi  des  vermifuges  les  plus  énergiques,  et  souvent  l'as- 
sociation de  ces  moyens  avec  les  purgatifs.  D""  Delasiauve. 

AJV'TIIÉMIUS,  de  Traites,  né  durant  le  sixième  siècle, 
se  rendit  célèbre  par  la  supériorité  avec  laquelle  il  fit  l'ap- 
plication des  mathématiques  à  l'architecture,  à  la  méca- 
nique et  à  rojjtique.  Disciple  de  l'école  platonicienne  de 
Proclus ,  à  laquelle  il  fit  le  plus  grand  honneur,  il  fut  l'ami 
du  géomètre  Eutocius.  Quoique  bien  jeune  encore ,  sa  re- 
nommée le  fit  choisir  par  l'empereur  Justinien  pour  diriger, 
de  concert  avec  Isidore ,  la  construction  de  la  basilique  de 
Sainte-Sophie,  chef-d'œuvre  de  l'art,  qu'il  acheva  seul 
après  la  mort  de  ce  grand  architecte.  C'est  à  Anfhémius 
qu'on  attribue,  avec  raison,  l'invention  des  dômes;  quant 
à  ses  travaux  dans  la  mécanique  et  l'optique,  nous  n'avons 
que  quelques  fragments  de  son  ouvrage  :  Ihpi  uapaSo^wv 
]rri-/_mi\\i'x'zw-i ,  de  Mcichinis  paradoxis  ,  etc.,  dont  Dupuy 
a  publié  la  traduction  (  Mémoires  de  l'Académie  des  Ins- 
criptions,  tome  XLII  ).  On  y  trouve  la  solution  de  plu- 
sieurs problèmes  d'optique  ,  et ,  entre  autres  choses  remar- 
quables, le  moyen  d'exécuter  ce  qu'on  raconte  d'Archimède 
brûlant  les  vaisseaux  romaias  avec  des  miroirs.  Si  l'on  s'en 
rapporte  au  témoignage  de  quelques  historiens  contempo- 
rains d'Anthémius  ,  ce  savant  aurait  fabriqué  une  sorte  de 
machine  infernale  qui  pourrait  faire  supposer  qu'il  connais- 
sait l'usage  de  la  poudre.  Ces  historiens  racontent  en  effet 
qu'ayant  à  se  plaindre  du  rhéteur  Zenon ,  .\nthémius  dis- 
posa un  Jour,  près  de  la  demeure  de  son  ennemi,  un  ap- 
pareil qui  produisit  un  effet  semblable  à  celui  des  tremble- 
ments de  terre  ;  et  Zenon ,  ajoutent-ils ,  qui  vit  briller  la 
foudre  et  les  éclairs  ,  et  sentit  sa  maison  cbraulée  jusque 
dans  ses  fondements,  s'enfuit  tout  épouvanté. 

Un  autre  Anthémics  fut  proclamé  empereur  d'Occident 
par  les  intrigues  deRicimer,  et  mourut  l'an  472,  après 
avoir  régné  huit  ans. 

ANTHÈRE  (du  grec  àv6r,po; ,  fleuri).  L'anthère  est 
cette  partie  de  l' é  ta  m  i  n  e  qui  est  supportée  par  le  filet  et 
contient  le  pollen.  Elle  est  généralement  formée  par  deux 
poches  ou  loges  réunies  à  laide  d'un  corps  intermédiaire 
qu'on  appelle  connectif,  et  qui  est  très-apparent  dans  la 
sauge.  Chaque  poche  présente  ordinairement  sur  l'une  de 
ses  faces  un  sillon  par  lequel  elle  s'ouvre  pour  laisser  échap- 
per le  pollen,  et  est  séparée  en  deux  parties  ou  logettes  dis- 
tinctes par  une  cloison  longitudinale.  La  face  sur  laquelle 
se  voit  le  sillon  constitue  ce  qu'on  appelle  la /«ce  de  l'an- 
thère ;  la  face  opposée  s'appelle  le  dos.  L'anthère  peut  être 
fixée  au  filet  de  trois  manières  différentes  :  le  plus  souvent 
elle  est  attachée  à  son  sommet  par  le  milieu  de  sa  face 
doi-sale,  comme  dans  le  lis;  on  dit  alors  qu'elle  est  médii- 
fixe  ou  oscillante;  d'autres  fois,  comme  dans  l'iris,  elle 
tient  au  sommet  du  style  par  sa  base  :  elle  est  nommée 
dans  ce  cas  basifixe  ou  dressée  ;  quand  enfin  elle  adhère 
au  filet  par  toute  sa  face  dorsale ,  on  l'appelle  adnée  ou 
adhérente.  Quand  la  face  de  l'anthère  regarde  l'axe  de  la 
fleur,  on  la  dit  introrse;  et  quand  elle  regarde  la  circonfé- 
rence de  la  fleur,  comme  dans  l'iris,  on  appelle  extrorse. 
La  couleur  des  anthères  est  variable  d'une  plante  à  l'autre 
et  dans  une  même  plante  aux  diverses  époques  de  la  flo- 
raison ;  mais  elle  n'est  jamais  verte.  Sa  forme  présente 
un  grand  nombre  de  modifications.  A  l'époque  de  la  fécon- 
dation  les  loges  de  l'anthère  s'ouvrent  pour  laisser  échap- 


ANTHÈRE  —  ANTimOPOLlTHES 


per  le  pollen,  et  on  donne  le  nom  de  di'fiisccncc  au  mode 
suivant  lequel  s'opère  cette  ouverture.  L'inspection  anato- 
iiiique  apprend  que  chaque  loge  se  compose  d'une  mem- 
brane extérieure  qu'on  appelle  exothèque ,  et  qu'à  la  face 
interne  de  celle-ci  se  trouve  une  couche  de  cellules  séparées 
par  des  libres  élastiques  constituant  Ycndothèque. 

ANTIII ASISTES,  sectaires  chrétiens,  dont  l'origine  est 
inconnue.  On  sait  seulement  qu'ils  passaient  leur  vie  à  dor- 
mir, et  qu'ils  regardaient  le  travail  comme  un  crime.  Cela 
ressemlile  assez  aux  mendiants  de  tous  les  pays  et  de  toutes 
les  religions. 

ANTHOLOGIE  (du  grec  àvGo;,  fleur,  et  de  XÉ^eiv, 
cueillir).  On  entend  par  cette  dénomination  ,  qui  équivaut 
à  celle  de  bouquet  île  fleurs,  tout  recueil  choisi  de  pièces, 
de  morceaux  de  prose  ou  de  poésie ,  de  divers  genres  ou 
de  différents  auteurs,  dont  Méléagre  de  Syrie,  qui  vivait 
vers  l'an  GO  avant  J.-C,  a  donné  le  premier  exemple  par- 
mi les  Grecs,  mais  qui  chez  eux  cependant  se  bornait 
presqu'à  deux  genres,  i'épigramme  et  l'inscription.  Après 
lui,  Philippe  de  Thessalonique ,  Diogenianus  d'Héraclée, 
Strato  de  Sardes  et  Agathias,  qui  vivait  au  sixième  siècle, 
suivirent  cet  exemple.  3\Ialheureusement,  ces  premiers  re- 
cueils ont  été  perdus  pour  nous.  Tout  ce  qui  nous  reste  en 
ce  genre  se  réduit  à  deux  collections  plus  modernes  :  l'une, 
du  dixième  siècle,  estdeConstantinCéphalas,  qui  pro- 
fita singulièrement  du  travail  de  ses  devanciers,  et  surtout 
de  ct'lui  d' Agathias  ;  l'autre,  de  Jlaxime  P 1  a  n  u  d  e,  de  Cons- 
lantinople,  moine  du  quatorzième  siècle;  mais  le  choix  que 
cet  auteur  fit  des  morceaux  de  l'Anthologie  de  Céphalas 
est  si  mauvais, qu'il  gâta  plutôt  les  recueils  existants  qu'il 
ne  les  enrichit.  Son  Anthologie  se  compose  de  sept  livi-es  , 
qui,  à  l'exception  du  cinquième  et  du  septième,  ont  plu- 
sieurs subdivisions  et  se  rangent  par  ordre  alphabétique. 
U  ne  s'accorde  qu'en  quelques  parties  avec  l'Anthologie  de 
Céphalas,  qui  s'est  conservée  dans  un  seul  exemplaire  trans- 
porté de  Heidelberg  à  Rome,  et  de  là  à  Paris,  mais  qui  est 
retourné  à  la  bibliothèque  de  Heidelberg.  L'édition  la  plus 
moderne  et  la  plus  complète  est  celle  de  Jacobs  (  Leipzig, 
1813,  4  vol.).  11  existe  aussi  une  Anthologiclatine,  recueiUie 
par  Jos.  Scaliger,  Lindenbruch  et  autres  latinistes ,  et  dont 
la  meilleure  édition  est  due  à  Pierre  Burmann  jeune  (Ams- 
terdam, 1759  et  1773  ,  2  vol.   in-4''). 

Les  littératures  des  peuples  civilisés  de  l'Asie  sont  égale- 
ment fort  riches  en  anthologies  composées,  tantôt  d'extraits  des 
meilleurs  poètes,  classés  par  ordre  de  matières,  tantôt  d'es- 
sais, toujours  empruntés  aux  plus  célèbres,  et  accompagnés, 
en  outre,  de  notices  biographiques  rangées  soit  d'après  l'ordre 
chronologique,  soit  suivant  les  contrées  où  ils  ont  fleuri. 

AXTHRACITE  (du  grec  àv6paxiTr,(; ,  qui  ressemble 
à  du  charbon),  substance  minérale,  qui  diffère  peu  de  la 
houille  commune;  elle  s'en  distingue  cependant  par  l'ab- 
sence de  matières  bitumineuses.  Llle  foime  des  couches, 
des  amas,  des  rognons,  et  se  présente  même  en  parties  dis- 
séminées dans  les  terrains  secondaires  les  plus  anciens  et 
dans  tous  ceux  inférieurs  au  grès  rouge  et  supérieurs  au 
schiste  cristallin.  Sa  couleur  est  d'un  noir  quelquefois  gri- 
sâtre, avec  l'éclat  métallique  de  lahlende  ;  sa  dureté  est  assez 
grande,  et  sa  pesanteur  spécifique  varie  de  1,G  à  2,1.  L'an- 
thracite s'allume  diflicileuient,  mais  il  produit  une  très-forte 
chaleur,  et  est  utilisé  avec  succès  pour  le  chauffage  des  ma- 
chines à  vapeur  et  pour  le  traitement  des  minerais  de  fer 
dans  les  hauts  fourneaux.  On  s'en  sert  depuis  longtemps 
en  Amérique,  et  la  Pensylvanie,  le  Connecticut  et  la  Virgi- 
nie, où  il  est  très-abondant,  lui  doivent  une  grande  partie 
de  leur  prospérité.  Ln  France,  les  principaux  gisements  de 
ce  combustible  sont  dans  les  départements  de  l'Isère,  des 
Hautes-Alpes,  de  la  Mayenne  et  de  la  Sarlhe. 

ANTIIRACOAIAA'CIE  (  du  grec  dvOpaf ,  chaihon ; 
(jiavTîta,  divination  ),  sorte  de  divination  qui  se  pratiquait 
par  le  charbon. 


04.3 

AXTIIRACOTIIERIUM.  Voyez  Anoim.otueiuum. 
ANTHRAX  (  de  âvOpa$,  charbon  ).  On  comprend 
sous  ce  nou\  deux  maladies  de  cause,  de  forme  et  de  gra- 
vité essentiellement  différentes.  L'une,  dite  antliraa:  simple 
ou  bénin,  est  due  à  la  réunion  d'un  plus  ou  moins  grand 
nombre  de  furoncles  ou  de  paquets  cellulo-graisseux  enflam- 
més. Son  exislence  est  tout  à  fait  locale.  Sa  marche  et  sa 
terminaison  ,  sauf  l'étendue ,  sont  absolument  analogues  à 
celle  du  furoncle  isolé.  Cet  anthrax  consiste  dans  une  tu- 
meur circonscrite,  arrondie,  large  et  rouge  à  sa  base ,  plus 
étroite  et  violacée  au  sommet ,  qui  s'ulcère  par  suite  de  l'é- 
tranglement inflammatoire ,  et  laisse  échapper  d'une  sorte 
de  cratère  une  série  de  bourbillons.  Chez  quelques  sujets 
cette  tumeur  acquiert  des  dimensions  énormes ,  et  néan- 
moins s'accompagne  rarement  de  fièvre.  L'autre  espèce  est 
V anthrax  malin  gangreneux;  nous  en  traiterons  au  mot 
Charbon. 

ANTIIROPOLITHES  (  du  grec  àvOpwno;,  homme , 
et  XîOo;,  pierre).  L'espèce  humaine  a-t-elle ,  comme  une 
foule  de  grands  animaux ,  des  débris  fossiles  qui  remontent 
à  une  haute  antiquité  dans  des  couches  plus  ou  moins  pro- 
fondes de  terrains  diluviens?  D'où  venons-nous  sur  ce  globe? 
—  Les  anciens  ne  doutaient  point  que  les  premiers  hmnains 
ne  fussent  des  êtres  gigantesques ,  dont  les  ossements  en- 
fouis dans  le  sol  se  révèlent  quelquefois  dans  des  fouilles  à 
notre  admiration  : 

Grandiaque  effossis  mirabitur  ossa  sepultis. 

Nos  ancêtres,  selon  eux,  étaient  ces  Titans,  fils  audacieux  de 
la  Terre,  chantés  par  Hésiode.  Ainsi ,  le  squelette  d'Antée , 
vu  par  Sertorius,  vers  Tanger,  avait  soixante  coudées  ;  selon 
Plutarque,  celui  d'Orion,  trouvé  dans  l'île  de  Candie,  portait 
quarante-six  coudées;  d'après  Pline  ,  celui  d'Oresle,  plus 
moderne,  n'avait  que  sept  coudées  (  12  pieds  3  pouces  ). 
En  ICI 5  on  crut  découvrir  le  squelette  du  roi  Teutobocus, 
haut  de  vingt-cinq  pieds  ;  mais  plus  tard  on  reconnut  que 
c'étaient  des  os  d'éléphant  fossile.  On  peut  en  dire  autant 
des  prétendus  ossements  du  fameux  Roland  ou  du  géant 
Ferragus,  etc. 

Mais ,  sans  s'arrêter  à  ces  récits  fabuleux ,  les  natura- 
listes modernes  qui  ont  voulu  approfondir  cette  question 
doutent  de  l'existence  de  véritables  anthropolilhes ,  et  les 
restes  de  squelettes  appartenant  à  l'homme  trouvés  épars 
en  divers  terrains  n'ont  point  paru  jusque  ici  véritablement 
fossiles  ni  d'une  haute  antiquité.  Ainsi ,  ni  le  fossile  trouvé 
en  1583,  en  faisant  sauter  un  rocher  près  d'Aix  en  Pro- 
vence, ni  les  prétendus  ossements  découverts  en  17G0, 
dans  ce  môme  voisinage,  ni  ceux  rapportés  en  1779,  n'ap- 
partiennent à  l'espèce  humaine;  ce  sont  des  restes  de  tor- 
tues, comme  l'ont  reconnu  Lamanon  et  Cuvier.  On  pourrait 
citer  bien  des  ossements  fossiles  observés  ,  soit  à  Cérigo 
(ancienne  Cythère),  soit  dans  les  broches  de  la  Dalmatie  , 
soit  dans  des  marnes  alluviales ,  et  ailleurs ,  par  Donati , 
Germar,  Razoumovsky,  de  Schlolheim ,  Sternberg ,  et  d'au- 
tres auteuis,  qui  les  ont  considérés  comme  humains  ;  mais 
cette  conclusion  est  loin  d'avoir  été  démontrée.  Le  prétendu 
homme  témoin  du  déluge,  selon  Scheuchzer,  est,  depuis 
Cuvier,  reconnu  pour  une  salamandre  gigantesque. 

Une  autre  anthropolithe,  célèbre  dans  ces  derniers  temps,  et 
figurée  à  la  suite  du  Discours  sur  les  Révolutions  du  Globe 
de  Cuvier,  est  celle  apportée  delà  Guadeloupe  par  F.  Alexan- 
dre Cochrane.  Elle  contient  en  effet  les  ossements  d'un  Ga- 
libi,  ancien  habitant  de  cette  île  volcanique,  englobé  dans 
une  masse  coquillière  d'un  banc  maritime  ;  on  l'a  trouvée  à 
la  Basse-Terre,  dans  un  parage  situé  sous  le  vent.  Le  banc 
qui  i'incrusle  forme  des  blocs  silués  au-dessous  de  la  haute 
mer.  C'est  un  empâtement  de  débris  calcaires  ou  de  coquil- 
lages marins  plus  ou  moins  compacics,  qui  avait  enve- 
loppé dans  son  é!at  de  mollesse  les  ossenicuts  de  cet  insu- 
laire ;  mais  si  l'oa  cousidcre  que  ce  tut  calcaire  est  de  for- 


646 


AKTHROPOLITHES  —  AMIIROPOPHAGIE 


ination  moderne,  et  que  l'ile  a  dû  problablement  son  exis- 
tence à  un  volcan ,  on  ne  peut  guère  en  conclure  que  ce 
squelette  remonte  à  une  antiquité  primordiale  du  globe. 

Les  débris  d'ossements  Immains  recueillis  dans  des  ca- 
vernes à  Bise  et  en  d'autres  lieux  de  nos  départements 
méridionaux,  par  MM.  Marcel  de  Serres  ,  Tournai,  de 
Christel ,  etc.,  étaient  parmi  das  terrains  d'alluvion  posté- 
rieurs à  l'époque  secondaire  ou  diluviale  des  géologues;  ils 
Font  donc  plutôt  contemporains  de  la  période  tertiaire , 
ou  des  terrains  voisins  de  nos  couches  modernes.  En  effet, 
on  rencontre  aussi  dans  ces  débris  des  restes  d'animaux  de 
même  date ,  et  qu'on  ne  peut  point  considérer  comme  des 
vrais  fossiles.  On  y  reconnaît  jusqu'à  des  fragments  de 
vases  ou  poteries ,  qui  décèlent  déjà  un  certain  degré  de 
civilisation  établi  à  cette  époque. 

Cependant  il  y  a  des  ossements  humains  gisant  dans  des 
marnes  qui  peuvent  remonter  à  des  époques  plus  ou  moins 
reculées.  Ce  qui  ajouterait  un  nouveau  poids  à  cette  con- 
jecture ,  c'est  que  des  crânes  rapportés  soit  de  ces  gise- 
ments marneux,  soit  de  ca\ités  en  Autriche,  présentent 
une  forme  particulière.  Ils  diffèrent  des  crânes  des  Alle- 
mands actuels  et  de  ceux  des  races  teutoniques ,  ou  slaves, 
qu'on  sait,  d'après  l'histoire ,  avoir  habité  ces  contrées ,  par 
un  grand  aplatissement  de  l'os  coronal.  Cette  modification 
se  rapproche  de  la  conformation  des  crânes  que  certains 
peuples  de  l'Amérique  méridionale  donnent  aux  têtes  de 
leurs  enfants  par  la  compression.  Est-ce  qu'une  semblable 
coutume  aurait  existé  jadis  chez  les  sauvages  habitants  des 
forêts  de  la  Germanie  ?  ou  bien  une  race  d'hommes  à  front 
plat  aurait-elLe  vécu  en  Europe?  Ne  peut-on  pas  aussi  con- 
jecturer que  parmi  les  âges  primitifs  de  brutalité  dans  la- 
quelle végétait  le  genre  humain ,  l'organe  de  la  pensée ,  non 
exercé,  ne  se  développait  guère,  et  qu'un  large  ou  grand 
front  est  le  produit  d'une  longue  civilisation? 

Nous  ne  parierons  point  du  prétendu  homme  fossile  trans- 
porté des  carrières  de  Fontainebleau  à  Paris ,  et  sur  lequel 
on  a  longuement  disserté.  Personne  n'ignore  aujourd'hui 
qu'il  s'agissait  d'une  fortuite  analogie  avec  la  forme  hu- 
maine. Mais  s'il  n'a  point  été  véritablement  trouvé  de  sque- 
lette humain  fossile  en  nos  climats,  peut-on  en  conclure  que 
sous  les  températures  plus  douces  et  parmi  les  terrains  habités 
de  toute  antiquité  de  l'Inde  et  de  la  Chine,  on  ne  rencon- 
trerait aucun  témoignage  fossile  de  notre  espèce  ?  Les  tradi- 
tions historiques  y  remontent  à  plus  de  soixante  siècles,  quoi- 
que enveloppées  de  ténèbres  fabuleuses  ;  on  peut  donc  espérer 
d'y  découvrir  de  véritables  anthropolithes.    J.-J.  Yikey. 

ANTHROPOLOGIE  (du  grec  àvOpwTio;,  homme,  et 
).ÔYo;,  discours).  C'est  l'histoire  de  l'homme,  ou  de  tout  ce 
qui  le  concerne  au  physique ,  ou  même  au  moral.  Les  trai- 
tés d'anthropologie  cependant  sont  consacrés  pour  la  plupait 
à  la  description  de  l'organisme  humain ,  à  son  anatomie  et  à 
sa  physiologie.  D'autres  comprennent  son  histoire  naturelle. 
Les  premiers  peuvent  être  désignés  sous  le  nom  d' anthropo- 
graphie, comme  présentant  les  conformations,  la  situation 
locale  des  parties  du  corps,  etc.  On  qualifie  aussi  à'anthro- 
potomieles  traités  de  dissection  du  corps  humain.  Virey. 

ARITIIROPOMAXCIE  (du  grec  âvQpwTroî,  homme, 
et(iavTï;«,  divination),  la  plus  horrible  des  divinations 
dans  laquelle  soient  jamais  tombés  les  anciens  ;  elle  consis- 
tait à  lire  l'avenir  dans  les  entrailles  d'enfants  ou  d'hommes 
égorgés  :  Héliogabale  ne  s'est  pas  seul  rendu  coupable  de 
cette  atrocité;  Julien  l'Apostat,  malgré  ses  lumières,  s'est 
souillé  d'une  infamie  aussi  monstrueuse  :  Cédrénus  etTliéo- 
phane  racontent  que,  dans  ses  sacrifices  nocturnes,  l'em- 
pereur fit  tuer  un  grand  nombre  de  jeimes  enfants  pour  de- 
viner l'avenir  par  linspection  de  leurs  entrailles;  selon  les 
mêmes  auteurs ,  dans  sa  dernièie  campagne ,  à  Carres ,  en 
Mésopotamie,  il  fit  pendre  par  les  cheveux  \:ne  femme  dans 
le  temple  de  la  Lune,  et  ordonna  ensuite  qu'elle  fut  ouverte 
\ivantc,  afin  do  conuaitie ,  par  l'étude  de  sou  foie,  l'issue 


de  la  guerre.  On  attribue  cette  même  barbarie  aux  Scy/hes 
et  aux  Lusitaniens.  On  faisait  en  outre  une  sorte  d'anthro- 
pomancie  des  cris  déchirants  que  poussaient  les  enfants 
immolés  à  Moloch ,  chez  les  Phéniciens ,  chei  les  Cartha- 
ginois et  chez  les  peuples  qui  empruntèrent  de  ceux-ci  cette 
épouvantable  pratique.  A.  Savagner. 

ANTHROPOMORPHISME  (du  grec  âv6pa>7îo;, 
homme,  et  p-opçri,  forme).  Les  êtres  anthropomorphes, 
en  histoire  naturelle,  sont  de  prétendus  hommes  marins , 
des  sirènes,  dont  Johnston  et  d'autres  auteurs  crédules  ont 
tracé  des  figures  bizarres.  Certaines  pétrifications  offrent 
aussi  des  traces  d'anthropomorphoses.  Enfin  les  singes  peu- 
vent être  considérés  comme  anthropomorphes. 

En  philosophie  et  dans  les  systèmes  religieux,  l'opinion  qui 
attribue  à  Dieu  les  formes  humaines  est  l'une  des  erreurs  les 
plus  répandues  et  les  plus  vulgaires.  Presque  toutes  les  divi- 
nités, chez  les  différentes  nations  du  globe,  sont  représentées 
sous  le  type  le  plus  parfait  de  l'humanité,  ou  bien  avec  des  at- 
tributs de  force  et  de  grandeur  supérieurs  à  notre  espèce. 
Chaque  peuple  donne  môme  à  ses  dieux  ses  propres  traits  ;  il  y 
a  des  dieux  nègres,  des  dieux  à  figure  mongole  ou  mexicaine, 
comme  des  dieux  grecs  et  égyptiens  par  leur  conformation. 
—  Dieu  a  fait  l'homme  à  son  image,  dit  la  Genèse;  «  et 
l'homme  le  lui  rend  bien,  »  a-t-on  répondu.  Les  poètes  re- 
présentent les  dieux  passionnés  ,  jaloux  ,  vindicatifs,  par  un 
anthropomorphisme  moral.  Nous  rapportons  toutes  nos 
conceptions  à  celles  de  la  Divinité,  ou  ,  si  l'on  veut,  nous 
déifions  notre  nature,  en  l'agrandissant  et  en  l'embellissant 
au  gré  de  notre  imagination.  —  Origène  et  les  premiers 
Pères  de  l'Église,  qui  firent  Dieu  incorporel ,  un  esprit  pur, 
im  verbe,  comme  les  platoniciens,  passaient  pour  héré- 
tiques ,  et  cependant  ils  avaient  seuls  la  véritable  idée  de  la 
puissance  suprême  ou  de  l'intelligence  qui  gouverne  le 
monde.  —  De  là  vint  la  proscription  des  images  par  les 
iconoclastes,  puisque  les  représentations  de  la  Divinité 
profanaient,  en  quelque  manière ,  sa  subhme  invisibilité, 
par  des  formes  grossières.  De  même ,  les  mahométans  ne 
représentent  point  Dieu ,  puisqu'il  n'a  rien  de  matériel.  — 
Il  ne  s'ensuit  pas  de  ce  qu'il  est  impossible  de  représenter 
la  suprême  intelligence  que  ce  soit  une  négation  de  la  Divi- 
nité, lorsque  mille  preuves  démontrent  l'existence  de  cette 
toute-puissance  dérobée  à  nos  sens.  J.-J.  Virev. 

ANTHROPOPHAGIE,  mot  formé  des  deux  mots 
grecs  àv9pio7io?,  homme,  et  çayeiv ,  manger,  et  qui  exprime 
l'action  de  manger  de  la  chair  humaine.  Quoique  certaines 
espèces  d'animaux  carnivores  s'entre-dévorent,  comme  les 
araignées  ,  et  que  le  loup  mange  du  loup,  cependant  la  na- 
ture irait  contre  sa  propre  conservation  si  elle  inspirait 
l'instinct  de  se  nourrir  de  son  propre  sang.  On  citera  les 
appétits  dépravés  des  lapines  et  d'autres  femelles  qui  ont 
dévoré  leurs  petits  ;  mais  il  paraît  que  ces  animaux  ne  les 
mangent  que  sous  l'influence  de  la  terreur  ou  à}x  désespoir 
qu'on  ne  les  leur  enlève.  Le  vieux  sauvage  dit  à  son  fils 
aussi  :  «  Mange-moi,  plutôt  que  de  m'abandonner  à  nos  en- 
nemis ;  et  du  moins  que  mon  corps  sene  à  te  nourrir  ;  tes 
entrailles  seront  mon  tombeau.  «  Parmi  les  insectes,  les  jeunes 
cochenilles  vivent  aux  dépens  de  leur  mère,  conune  le  fœtus 
absorbe  le  sang  maternel  :  nous  naissons  donc  anthropo- 
phages. 

Quelques  voyageurs  ,  Dampier ,  Atkins ,  ont  douté  de 
l'existence  des  peuples  anthropophages,  et  soutenu  n'en  avoir 
pas  \^x  d'exemples  ;  cependant  le  plus  grand  nombre  parmi 
les  plus  dignes  de  confiance  attestent  des  faits  tellement  cir- 
constanciés d'anthropophagie  que  cette  affreuse  coutume  est 
aujourd'hui  une  vérité  constante.  La  Nouvelle-Zélande  et 
d'autres  îles  de  la  PoljTiésie  en  offrent  des  témoignages  ré- 
cents et  journaliers.  Les  insulaires  do  la  Sonde  et  quelques 
autres  de  l'océan  Indien,  au  milieu  môme  des  traces  de  la 
civilisation  ,  se  portent  à  cette  barbarie,  non  par  le  besoin 
de  subsistance,  mais  par  resseuliment ,  orgueil  de  vcd- 


ANTHROPOPnAGlK  —  AMIBES 


C47 


goanco.  Lc:î  chefs  mangent  des  individus  de  races  inférieures. 

Que  la  nécessité  de  vi\TC  sur  un  vaisseau  aftainé,  comme 
dans  riiorrible  naufrage  de  la  Mcduse,  contraigne  les  pas- 
sagers à  s'ontre-manger,  ce  n'est  pas  une  atrocité  sans  ex- 
cuse. Qu'il  en  soit  ainsi  dans  les  guerres,  lorsque  des  sol- 
dats faméliques  ne  trouvent  rien  pour  subsister  que  les  corps 
des  ennemis  tués ,  ou  même  ceux  de  leur  propre  nation , 
dans  les  déserts  de  la  Tartarie  ou  parmi  les  vastes  solitudes 
américaines,  l'anthropophagie  se  comprend.  Pline,  Strabon, 
Porphyre,  en  accusent  les  anciens  Scythes.  Hérodote,  Ar- 
rien ,  l'affirment  de  plusieurs  peuples  de  l'Inde.  Tite-Live 
prétend  qu'Annibal  voulait  accoutumer  ses  troupes  à  se 
contenter  au  besoin  des  cadavres  de  leurs  ennemis  en 
Italie.  Les  sièges  de  l'antique  Jérusalem,  de  Paris,  de  San- 
cerrc,  etc.,  ont  pu  forcer  des  parents  à  dévorer  leurs  enfants, 
comme  on  Ta  dit  des  Esquimaux,  des  Gaspésiens  et  d'au- 
tres habitants  des  régions  polaires  durant  leurs  affreux  hi- 
Ters.  On  se  croit  au  festin  de  Lycaon  ;  mais  pourtant  on  est 
pressé  d'absoudre  de  si  funestes  situations. 

Nous  trouvons  malheureusement  d'autres  preuves  de 
l'existence  de  l'anthropophagie  chez  une  foule  de  nations 
placées  au  sein  de  l'abondance,  soit  dans  l'Afrique,  soit  dans 
les  deux  Indes,  sous  des  climats  également  fertiles.  Nous  en 
citerions  une  multitude  d'exemples,  s'ils  étaient  moins  con- 
nus. On  les  attribue,  soit  à  l'excès  de  la  vengeance,  soit  à 
la  gourmandise. 

Cette  dernière  opinion  peut  paraître  d'abord  invraisem- 
blable ;  néanmoins  des  faits  l'établissent.  Ainsi  les  Battas  de 
Sumatra  disaient  à  Marsden  {History  of  Sumatra)  que  la 
plante  des  pieds  et  la  paume  des  mains,  grillées,  étaient  un 
manger  délicat,  parce  qu'il  y  a  beaucoup  de  parties  tendi- 
neuses, comme  dans  les  pieds  des  jeunes  chameaux.  Galien 
rapporte  {De  Alimentar.  Facilitât.,  etc.)  qu'au  temps  de 
l'empereur  Commode ,  des  Romains  ,  raffinés  dans  le  luxe 
de  la  gourmandise,  allèrent  jusqu'à  goûter  de  la  chair  hu- 
maine. Vedius  Pollion  faisait  engraisser  les  murènes  de  ses 
viviers  de  la  chair  des  esclaves  qu'il  condamnait  à  périr.  Les 
cannibales  ont  témoigné  que  la  chair  humaine  a  une  saveur 
supérieure  à  celle  des  animaux.  (  Meiners,  Diss.  hist.  acad. 
Gctting.  nov.  tom.,  YIII  p.  76.  )  Le  P.  Labat  dit  que  les  Ca- 
raïbes préfèrent  celle  du  blanc  à  celle  du  nègre.  Léonard 
Fioravanti ,  médecin  italien ,  s'était  imaginé  que  cette  hor- 
rible coutume  avait  pu  engendrer  la  maladie  vénérienne, 
opinion  réfutée  par  Astruc. 

Reste  donc  pour  principale  cause  de  l'anthropophagie  la 
vengeance.  Des  peuplades  abandonnées  à  toute  leur  indé- 
pendance et  à  leurs  passions,  sans  lois,  sur  une  terre  in- 
culte ou  qui  n'offre  qu'une  rare  subsistance,  payée  par  les 
sueurs  et  les  fatigues,  ont  des  mœurs  cruelles.  Chaque  in- 
dividu se  regarde  comme  roi,  et  ne  reconnaît  d'autre  em- 
pire que  celui  de  la  violence;  s'égalant  aux  animaux  des 
forêts  qu'il  immole  à  ses  besoins ,  il  croit  avoir  le  même 
droit  sur  la  vie  de  son  semblable.  Il  fonde  ses  titres  sur  la 
loi  de  la  réciprocité,  et  ne  doit  aucune  générosité  à  quicon- 
que menace  son  existence.  Ainsi  la  haine  d'un  ennemi,  la 
soif  de  la  vengeance  pour  son  orgueil  humilié,  le  besoin  de 
nourriture  souvent ,  l'ignorance  et  la  férocité  réunies,  sur- 
montèrent facilement  le  sentiment  de  répugnance  qui  dut 
s'élever  au  cœur  de  l'homme  la  première  fois  qu'il  approcha 
de  sa  bouche  la  chair  palpitante  de  son  semblable.  Mais  il 
suffit  que  cette  coutume  soit  contractée  pour  que  les  repré- 
sailles la  propagent. 

Il  faudrait  rappeler  ici  tous  les  tourments  que  se  plaît  à 
multiplier  un  barbare  vainqueur  pour  venger  son  orgueil  en 
immolant  son  prisonnier.  Il  faudrait  réciter  ici  ces  hymnes 
de  mort  entonnées,  dit-on,  par  les  cannibales,  dans  leurs 
festins,  où  ils  se  repaissent  de  lambeaux  vivants,  sans  faire 
fléchir  le  courage  de  leur  victime.  Ces  tableaux  atroces  pré- 
sentent néanmoins  un  air  d'héroïsme  et  une  grandeur  in- 
flexible qui  nous  étonnent.  Ils  ne  sont  peut-être  point  exa- 


gérés, si  l'on  considère  l'onorgic  des  sentiments  de  ces  bar- 
bares. Maintenant ,  à  la  Nouvelle-Zélande ,  la  victime  est 
immolée  à  l'improviste ,  ou  par  derrière  :  c'est  un  progrès 
d'humanité. 

A  l'anthropophagie  se  rattache  manifestement  l'usage  des 
sacrifices  humains.  Les  premiers  dieux  sont  représentés 
conmie  des  ogres,  qui  ne  peuvent  être  apaisés  que  par  le  sang. 
Toutes  les  nations  connues  ont  été  soit  anthropophages 
dans  l'origine  (  Pelloutier  l'a  prouvé  pour  les  peuples  celtes, 
et  Cluvérius  pour  les  Germains) ,  soit  adonnées  aux  sacri- 
fices humains  (  Gcnsius  l'a  démontré  par  de  nombreux  té- 
moignages). Moloch  chez  les  Carthaginois,  Tentâtes  parmi 
les  nations  germaniques ,  les  sacrifices  d'Iphigénie  et  de  la 
fille  de  Jophté  sont  connus.  Ces  hommes  croyaient  leurs 
dieux  anthropophages,  et  leur  servaient,  pour  les  rendre 
propices,  ce  grand  festin  d'honneur. 

Enfin ,  pour  compléter  l'idée  de  l'anthropophagie ,  il  faut 
rappeler  ces  dépravations  criminelles,  ou  plutôt  maladives 
du  goût,  qui  portent  des  femmes  faibles,  des  personnes  ner- 
veuses ,  la  plupart  aliénées ,  à  des  actes  forcenés  d'anthro- 
pophagie. Si  l'on  a  vu  des  femelles  d'animaux  dévorer  leur 
progéniture,  il  n'est  pas  sans  preuve  que  des  mères ,  dans 
un  délire  subit  et  sans  doute  involontaire ,  ont  massacré  , 
ont  mangé  leurs  enfants.  Il  y  a  des  hommes  entiainés  aussi 
par  des  frénésies  détestables  à  ces  actions  meurtrières ,  à  ces 
repas  dénaturés.  La  médecine  légale  et  les  annales  des  tri- 
bunaux ont  recueilli  de  sanglantes  pages  sur  des  crimes 
de  ce  genre.  On  accusait,  vers  la  fin  du  dix-huitième  siè- 
cle, des  Bohémiens  de  se  livrer  à  ces  abominables  repas,  et 
plus  de  cent  de  ces  misérables  furent  exécutés  en  Autriche 
en  1783.  Les  temps  de  révolution,  qui  brisent  tous  les 
freins,  ont  offert  des  atrocités  du  même  genre.  Ainsi  Gru- 
ner,  Georget ,  etc. ,  ont  retracé  l'histoire  d'anthropophages 
et  de  criminels  qui  étaient  évidemment  des  maniaques  fu- 
rieux. On  a  même  cité  cette  coutume  comme  héréditaire 
dans  une  famille  eu  Ecosse.  J.-J.  Virey. 

AXTIIYLLIDE.  Voyez  B\ube  de  Jupiter. 

AIVTI.  Préposition  empruntée  à  la  langue  grecque  pour 
exprimer  la  qualité  opposée  à  celle  que  représente  le  mot 
en  tète  duquel  on  la  place ,  pour  former  un  mot  nouveau 
dans  le  but  d'éviter  une  périphrase  :  par  exemple,  antina- 
tional,  antifébrile ,  qui  signifient  contraire  à  la  nation, 
à  la  fièvre. 

^VJVTI APHRODISIAQUE  (de  àvù,  contre,  et  'Açpo- 
l'.-y],  Vénus).  On  appelle  ainsi  les  diverses  substances  que 
l'on  a  crues  propres  à  amortir  les  désirs  vénériens,  et  parmi 
les  médicaments  que  l'on  a  décorés  de  ce  titre  figurent  au 
premier  rang  l'agnus-castus ,  le  camphre ,  le  nénuphar  : 
ce  dernier  surtout  a  joui,  comme  tel,  d'une  très-grande 
réputation  ,  et  il  était,  dit-on ,  d'un  fréquent  usage  autrefois 
dans  les  communautés  religieuses.  Mais  aujourd'hui  ces 
propriétés  ont  élé  appréciées  à  leur  juste  valeur,  et  l'on 
sait  que  les  seuls  antiaplirodisiaques  réels  sont  le  travail, 
des  aliments  peu  abondants  et  de  nature  végétale,  l'éloigne- 
ment  des  sujets  d'un  autre  sexe,  et,  dans  certains  cas  par- 
ticuliers ,  les  bains  tièdes  prolongés  et  les  émissions  san- 
guines. 

AXTIBES,  r^n/i/Jo/is  des  Romains ,  ville  du  dépar- 
tement des  Alpes-Maritimes,  à  23  kilomètres  de  Grasse,  et 
72  de  Toulon  ,  tut  bâtie  340  ans  avant  notre  ère,  à  peu  de 
distance  de  l'embouchure  du  Var,  par  la  même  colonie 
grecque  qui  fonda  Marseille.  Elle  est  aujourd'hui  bien 
déchue  de  son  ancienne  splendeur.  A'ille  municipale  ai! 
temps  d'Auguste,  elle  possédait  un  théâtre  et  d'autres 
édifices  publics,  dont  il  reste  à  peine  quelques  ruines,  mais 
qui  prouvent  que  sa  population  devait  être  considérable. 
Un  commerce  actif  animait  son  port,  où  la  pêche  du  thon 
occupait  un  grand  nombre  de  bras,  et  où  maintenant  des 
bâtiments  d'un  très-faible  tonnage  peuvent  seuls  trouver  un 
abri. 


C48 


AISTIBES  —  AÎNTICYRE 


De  la  domination  des  Homains,  Anlibes  passa  successi- 
vement sous  celle  des  Wisigoths,  desOstrogotiis,  des  Francs, 
des  Bourguignonir.  Elle  fut  à  plusieurs  reprises  ruinée  i)ar 
les  Sarrasins  et  les  Maures  d'Afrique.  Jusque  vers  1250 , 
elle  fut  le  siège  d'un  évôché.  Plusieurs  rois  de  France, 
François  T'  et  Henri  IV  entre  autres,  la  firent  fortifier. 
Elle  fut  assiégée  en  1746  par  une  année  anglo-impériale  que 
commandait  le  général  Brown.  Après  vingt-neuf  jours  de 
bombardement,  l'ennemi  se  retira  à  la  nouvelle  de  l'arrivée 
du  marécbal  de  Bclle-Isle.  Le  comte  de  Sade  l'avait  défendue 
durant  ce  siège  mémorable.  En  1813  Antibes  opposa  éga- 
lement une  opiniûtre  résistance  aux  Autricbiens. 

Elle  a  conservé  encore  quelque  importance  militaire,  grâce 
à  ses  fortifications,  bien  qu'elle  ne  soit  rangée  que  dans  la 
troisième  classe  de  nos  places  frontières.  Sa  citadelle,  bitie 
sur  un  rocber,  la  protège  contre  toute  attaque  hostile  du 
«:otè  de  rilalie.  Tout  pi  es  li'Autibes,  ou  visite,  au  milieu  des 
montagnes,  la  Sainte  IJaum  e,  vaste  grotte  creusée  par  la 
nature  à  914  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer  et  ornée 
de  belles  stalactites. 

ClieMieu  de  canton  de  l'arrondissement  de  Grasse,  Antibes 
compte  4,744  habitants.  Cette  ville  possède  un  trilnuial 
<ie  commerce,  des  chantiers  de  construction  navale,  une 
école  d'hydrographie,  un  magasin  général  de  la  régie  des 
tabacs,  et  exporte  du  bois,  du  tabac,  des  salaisons,  de  l'huile, 
des  vins,  des  fruits  secs,  des  poteries,  de  l'argile  à  potier, 
et  de  la  parfumerie. 

A  un  kilomètre  à  l'ouest  est  situé  !e  golfe  Jouan,  ou 
Gour-.lan,  une  des  rades  les  plus  belles  et  les  plus  sOres 
de  la  Méditerranée.  C'est  là,  près  de  Cannes,  que  Napoléon, 
revenant  de  l'île  d'Elbe,  débarqua,le  1"  mars  IS15.  Quelques 
grenadiers,  qu'il  envoya  sommer  Antibes  de  se  rendre,  fu- 
rent faits  prisonniers;  et  pourtant  le  commandant  de  la 
place  était  Corse;  mais  qui  eiH  osé  prévoir  alors  le  succès 
inouï  de  ce  miraculeux  retour? 

AXTICIIAAllillE.  On  appelle  ainsi  la  première  pièce 
d'un  appartement,  où  se  tiennent  les  domestiques,  pour 
être  à  portée  de  recevoir  les  ordres  de  leurs  maîtres.  Dans 
les  grandes  maisons  ,  où  les  réceptions  du  soir  se  prolon- 
gent quelquefois  fort  avant  dans  la  nuit,  l'antichambre  est 
le  lieu  où  les  laquais  des  visiteurs  attendent  leur  sortie,  pour 
les  revêtir  de  leurs  manteaux  et  de  leurs  pelisses  et  faire 
avancer  leurs  voitures.  Pendant  ces  longues  heures  de  loi- 
sir,  où  il  faut  tuer  le  temps,  une  certaine  intimité  finit 
par  s'établir  entre  ces  valets  de  toutes  les  livrées;  la  con- 
versation s'engage,  et  ce  sont  naturellement  les  maîtres  qui 
en  font  les  frais.  Ce  serait  sans  contredit  un  enseignement 
des  plus  instructifs  pour  ces  derniers  que  de  pouvoir  assis- 
ter incognito  à  ces  entretiens  familiers ,  où  la  langue  de 
gens  qui  les  voient  de  si  près  s'exerce  librement  et  sans 
contrainte  sur  leur  compte.  L'antichambre  est  alors  un  con- 
ciliabule où  les  laquais  tiennent  leurs  assises  et  font  com- 
paraître leurs  maîtres,  avec  leurs  prétentions,  leurs  vanités 
et  leurs  travers.  Que  de  choses  un  mari  pourrait  apprendre 
ih  sur  sa  femme,  ou  un  amant  sur  sa  maîtresse!  Aujour- 
d'hui, que  tout  le  monde  se  mêle  d'écrire  ses  mémoires, 
un  valet  de  i)ied  ou  une  femme  de  chambre  de  bonne  mai- 
son (jui  voudraient  dire  tout  ce  qu'ils  savent  pourraient  faire 
sur  notre  société  les  révélations  les  plus  piquantes,  et  tracer 
des  tableaux  d'intérieur  dignes  de  la  curiosité  publique. 

Les  antichambres  pohtiques  sont  le  théâtre  d'une  autre  es- 
pèce de  comédie.  Ce  ne  sont  plus  les  mystères  de  la  vie  pri- 
véequi  s'y  jouent;  c'est  là  que  manœuvrent  les  membres  d'une 
classe  importante  et  nombreuse,  celle  des  solliciteurs.  Or, 
l'A  B  C  pour  un  solliciteur  est  de  savoir  faire  anticJiam- 
bre ,  c'est-à-dire  d'attendre  patiemment  l'audience  d'un  mi- 
nistre. Ces  antichambres  sont  le  rendez-vous  de  toutes  les 
ambitions  en  expectative,  de  tous  les  mendiants  en  car- 
rosse, de  toutes  les  parties  prenantes  au  budget  qui  aspirent 
à  en  prendre  une  i)lus  grosse  part.  Heureux  encore  les  solli- 


citeurs quand  ils  ont  affaire  au  ministre  lui-mt'me,  qui  le 
plus  souvent  est  un  homme  bien  appris  et  de  bonne  com- 
pagnie! Mais  qu'ils  sont  à  plaindre  lorsqu'ils  sont  à  la  merci 
d'un  subalterne  dont  l'insolence  croit  en  raison  inverse  de 
son  rang!  Les  commis  et  secrétaires  de  nos  ministres  ne 
devraient  jamais  perdre  de  vue  une  des  scènes  d'anticham- 
bre les  plus  piquantes  AaGil  Blas  :  c'est  celle  où  le  comte  de 
Pedrosa  donne  une  si  rude  leçon  de  politesse  à  Calderone, 
secrétaire  du  duc  de  Lerme.  Par  malheur ,  l'exemple  du 
passé  est  toujours  impuissant  pour  corriger  l'avenir,  et  les 
liabitués  des  antichambres  ministérielles  prétendent  qu'il 
est  encore  parmi  les  familiers  de  nos  excellences  plus 
d'un  faquin  qui,  une  fois  assis  sur  son  fauteuil  de  maroquin 
vert,  ne  tarde  pas  à  prendre  le  vertige  et  à  se  méconnaître , 
sans  songer  au  tort  qu'il  fait  à  son  maître  par  ses  imperti- 
nences. 

Faut-il  encore  citer  ici  les  antichambres  des  palais  et  des 
maisons  souveraines?  Là  les  serviteurs  portent  des  habits 
brodés  et  s'appellent  chambellans,  courtisans,  etc.;  là  s'or- 
ganisent les  camarillas ,  soit  en  jupon  ,  soit  en  épaulettes, 
soit  en  soutane  ;  là  s'ourdissent  les  trames  destinées  à  don- 
ner le  change  àl'opmion  publique  et  à  couvrir  les  influences 
réelles  sous  le  voile  d'un  pouvoir  fictif;  là  le  langage  est 
plus  choisi,  les  manières  sont  plus  élégantes,  les  meurs  plus 
raffinées  ,  mais  le  fond  est  toujours  le  même.      Artau». 

AKTiCIIRÈSE.  C'est  un  contrat  par  lequel  un  débi- 
teur remet  à  titre  de  nantissement  a  son  créancier  un 
immeuble  afin  que  celui-ci  se  paye  avec  les  fruits.  L'anti- 
clirèse  ne  s'établit  que  par  écrit  ;  elle  diffère  essentiellement 
de  l'h  y  p  0 1  h  è  q  u  e,  en  ce  qu'elle  ne  donne  aucun  droit  sur  le 
fonds  de  l'immeuble.  Le  créancier  n'a  qu'un  simple  droit  de 
jouissance  ;  mais  il  peut  consener  le  gage  jusqu'à  ce  que  sa 
créance  soit  éteinte ,  sans  que  jamais  il  puisse  acquérir  la 
propriété  par  prescription.  Voir  les  articles  2085  à  2091 
du  Code  Civil. 

AlXTICIPATIOI\(dulatmon^ecopcre,preudre  avant). 
En  termes  de  rhétorique,  on  donne  ce  nom  à  une  figure 
par  laquelle  l'orateur  se  propose  des  objections  qu'il  prévoit 
pouvoir  lui  être  faites ,  et  les  réfute  à  l'avance.  —  En  mu- 
sique ,  on  désigne  par  ce  mot  tout  accord  dans  lequel  ou 
retrouve  une  ou  plusieurs  notes  de  l'accord  qui  va  suivre. 
11  y  a  anticipation  de  la  note  au  grave  ou  à  l'aigu  quanri 
elle  est  exécutée  plus  tôt  que  l'harmonie  ne  l'indique.  11  y  a 
encore  anticipation  lorsqu'on  applique  deux  ou  plusieurs 
sons  d'un  accord  à  la  note  de  basse  immédiatement  avant 
celle  qui  porte  ce  même  accord. 

Dans  l'ancienne  législation  française ,  on  appelait  anti- 
cipation une  commission  du  juge  d'appel  portant  permis- 
sion à  l'impétrant  de  faire  assigner  l'appelant  à  certain  jour 
pour  voir  procéder  sur  l'appel.  Autrefois  en  effet  l'appelant 
avait  pour  interjeter  appel  un  délai  de  trois  mois  devant  les 
cours  souveraines ,  de  quarante  jours  devant  les  présidiaux, 
bailliages,  etc.  ;  long  délai,  qui  pouvait  être  préjudiciable  au 
défendeur  sur  l'appel ,  que  l'on  appelait  Vintimé,  et  qui  dans 
ce  cas  avait  recours  à  Vanticipation  pour  hâter  la  décision 
décisive  et  souveraine. 

ANTICOXSTITUTIOATV  AIRES.  On  appelait  ainsi, 
dans  Ifc  dix-huitième  siècle,  les  jansénistes,  parce  qu'ils  re- 
jetaient la  constitution  Uni'jeniliis. 

ANTICOiWULSIOXXISTES.  On  nommait  ainsi  les 
jansénistes  raisonnables,  qui  blâmaient  les  extravagances  de 
leurs  conhères  et  leurs  prétendus  miracles  au  tombeau  du 
piètre  Rousse  à  Reims,  et  à  celui  du  diacre  Paris  dans  le 
cimetière  de  Saint-Médard,  à  Paris. 

AMTI-CORN-LAW-LEAGUE.  Voyez  Cobden. 

Ai\TICYRE.  Deux  villes  de  l'antiquité  ont  porté  ce 
nom  :  l'une  était  située  sur  le  mont  Œfa,  en  Thessalie; 
l'autre  dans  la  Phocide,  sur  le  golfe  de  Corinthe.  A  une 
époque  très-reculée,  cette  dernière  s'était  appelée  Cijpa- 
risse;  c'est  YAspro-Spitia  d'aujourd'hui.  Comme  aux  envi- 


ANTICYRB  —  ANTIGNAC 


rons  (le  toutes  Jeux  croissait  en  abonilancc  l'ellébore,  plante 
qui ,  parmi  les  anciens ,  avait  la  réputation  de  purifier  le 
cerveau  et  de  guérir  la  folie ,  on  disait  proverbialement  d'un 
sot  importun  :  Qu'il  aille  à  Anticyre! 

AMTIDATE ,  date  qui  a  précédé  celle  du  jour  où  l'on 
écrit  ,  indiquant  par  conséquent  un  temps  antérieur  à  celui 
où  l'acte  est  réellement  passé,  et  supposant  toujours  vo- 
lonté réfléchie  de  la  part  de  ct'lui  qui  date.  C'est  quelquefois 
un  faux,  et  toujours  une  fraude.  Quand  l'erreur  est  involon- 
taire, on  dit/flM55e  date. 

Dans  notre  jurisprudence  actuelle,  les  actes  sous  seing 
privé  n'ont  de  date  réellement  certaine  vis-à-vis  des  tiers 
que  du  jour  de  leur  enregistrement  ;  c'est  une  formalité  que 
la  loi  de  1790  a  substituée  à  celle  du  contrôle  ;  opération  qui, 
dans  notre  ancienne  législation,  avait  à  peu  près  le  même 
but,  c'est-à-dire  de  donner  aux  actes  une  date  certaine, 
mais  qui  ne  s'appliquait  qu'aux  exploits  d'huissier  et  aux 
actes  notariés. 

ANTI-DICO-^LIRIAXITES ,  hérétiques  du  qua- 
trième siècle,  en  Arabie.  Ils  piécbaient  contre  la  virginité 
de  Marie  après  l'enfantement  de  Jésus,  et  prétendaient  que 
plus  tard  elle  avait  eu  plusieurs  enfants  de  saint  Joseph. 
Les  conciles  ne  s'en  mêlèrent  point,  et  cette  hérésie  tomba. 

AIXTIDOTAIRE.    Voyez  Codex. 

^VA'TIDOTE  (de  àvù,  contre,  et  de  ôi56vat,  donner  ). 
Autrefois  on  désignait  par  ce  mot  toutes  les  substances  mé- 
dicamenteuses ,  tous  les  composés  pharmaceutiques  em- 
ployés pour  combattre  les  maladies  de  l'homme.  Mais  de 
nos  jours  on  en  a  restreint  beaucoup  la  signification ,  et  on 
ne  s'en  sert  plus  que  pour  désigner  les  remèdes  qui  jouis- 
sent de  la  propriété  de  neutraliser  les  venins  et  les  poi  - 
sons.  Les  anciens  admettaient  un  grand  nombre  de  ces  re- 
mèdes particuliers,  dont  les  vertus,  complètement  illusoires, 
se  sont  éclipsées  lorsque  les  expérimentateurs  modernes  en 
ont  fait  l'objet  de  leurs  investigations.  En  revanche,  les  pro- 
grès de  la  chimie  nous  ont  fait  découvrir  quelques  antidotes 
véritables,  c'est-à-dire  susceptibles  de  décomposer  certains 
poisons,  ou  de  se  combiner  avec  eux  de  manière  à  donner 
naissance  à  un  nouveau  produit  qui  n'exerce  aucune  action 
délétère  sur  l'économie  :  ainsi,  l'albumine  et  le  lait  contre 
le  sublimé  corrosif  ou  deutochlorure  de  mercure ,  le  sel  de 
cuisine  contre  le  nitrate  d'argent,  les  acides  contre  les  poi- 
sons alcahns,  les  alcalis  faibles  (la magnésie  surtout  )  contre 
les  acides ,  le  chlore  contre  l'acide  prussique,  la  solution 
aqueuse  de  tannin  ou  la  déroclion  récente  de  noix  de  galle 
cxjntre  les  préparations  antimoniales  et  les  alcaloïdes  végé- 
taux et  les  substances  qui  en  contiennent  ;  les  sulfates  de 
soude  et  de  magnésie  et  l'eau  sélénitaire  ou  de  puits  contre 
les  préparations  solubles  de  baryte  et  de  plomb  ;  enfin  l'hy- 
drate de  peroxyde  de  fer  contre  l'arsenic,  etc.  Cependant , 
comme  ces  divers  contre-poisons  agissent  d'une  manière 
purement  chimique,  il  en  résulte  qu'ils  ne  peuvent  être 
utiles  que  lorsqu'ils  sont  administrés  immédiatement  ou  du 
moins  très-peu  de  temps  après  l'introduction  de  la  sub- 
stance vénéneuse  dans  les  organes  digestifs.  S'il  en  est  au- 
trement, leur  efficacité  disparaît  ;  c'est  à  d'autres  moyens 
qu'il  faut  alors  recourir. 

ANTIEiVi\E  ou  ANTIPHOXE  (du  grec  àvtl,  contre, 
etifcoviP),  son,  voix).  Vantiphonie  était  dans  la  musique 
des  anciens  Grecs  le  chant  à  l'octave  et  à  la  double  octave, 
par  opposition  à  V homophonie  ou  chant  de  l'unisson  ;  mais 
plusieurs  écrivains  ont  aussi  employé  le  mot  àvTiçiwvetv 
dans  le  sens  littéral  de  contresonner ;  par  extension,  les 
molsantiphoneon  antiennes\^,mAtnialternatiov , réponse. 
C'est  de  cette  manière  qu'il  était  employé  dans  les  premiers 
siècles  de  l'Église,  etanii/j/ioner  voulait  dire  alors  alterner 
les  versets  des  psaumes,  des  prophéties ,  des  hymnes ,  etc. 
Quelques  llébraïsants  ont  entendu  de  la  môme  manière  cer- 
tains passages  de  l'Écriture,  qui  représentent,  disent-ils, 
les  anges  se  répondant  l'un  à  l'autre.   Le  chant  alternatif 

DICT.    DE    LA    CO.NVtKbATlO.N.    —    T.    I. 


ni9 


était  en  usajic  chez  les  Thérapeutes  ;  mais  les  historiens  des 
premiers  temps  du  christianisme,  ne  voulant  pas  que  les 
chrétiens  aient  emprunté  cette  coutume  à  desJuits,  pré- 
tendent que  les  anges  eux-mêmes  l'enseignèrent  à  .saint 
Ignace.  D'autres  en  rapportent  l'origine  aux  temps  apos- 
toliques. Quoi  qu'il  en  soit,  léchant  antiphonique,  admis  d'a- 
bord dans  l'Église  orientale,  fut  introduit  dans  l'Église  occi- 
dentale par  les  soins  de  saint  Ambroisc  {voyez  Amiirosiej» 
[Chant]),  et  une  fois  reçu  dans  le  culte  ,  il  y  fut  toujours 
conservé.  Il  s'appliqua  d'abord  aux  psaumes ,  puis  aux 
hymnes,  puis  aux  proses  ou  séquences ,  et  enfin  à  d'autres 
parties  de  l'olfice,  et  notamment  aux  parties  chantées  de  l'or- 
dinaire des  messes,  telles  que  Kyrie,  Gloria  in  excelsis,  etc. 

L'antiphonie  était  donc  dans  les  premiers  siècles  de'  l'É- 
glise une  manière  spéciale  d'exécuter,  et  les  mots  antiphone 
ou  antienne  ne  pouvaient  encore  designer  une  pièce  de 
chant  quelconque  ;  cette  nouvelle  acception  avait  prévalu 
et  était  communément  reçue  au  temps  de  saint  Grégoire  ; 
elle  indiquait,  comme  encore  aujourd'hui,  un  morceau  de 
peu  d'étendue  ordinairement  attaché  à  un  psaume,  et  quel- 
quefois tiré  du  psaume  même.  Il  est  fort  difficile  d'établir 
à  quelle  époque  s'est  introduit  l'usage  de  ces  morceaux 
chantés  tels  que  nous  les  concevons  aujourd'hui.  Ceux  qui 
attribuent  leur  origine  à  saint  Ambroise,  et  c'est  le  plus 
grand  nombre,  n'expliquent  pas  suffisamment  le  sens  pré- 
cis qu'ils  attachent  au  mot  antiphone. 

On  peut  trouver  dans  la  manière  actuelle  de  chanter  les 
antiennes  une  trace,  bien  légère  à  la  vérité,  de  leur  dénomi- 
nation originale  :  c'est  la  répétition  même  du  morceau  qui 
porte  ce  nom,  et  qui,  chanté  d'abord  avant  le  psaume,  se 
reproduit  après  le  Gloria  Patri,  soit  que  l'on  chante  le 
psaume  dans  son  entier,  comme  aux  vêpres,  aux  matines,  etc. , 
soit  qu'on  n'en  dise  que  le  premier  verset ,  comme  dans 
les  introïts  ou  prières  de  même  coupe,  tels  que  Asperges 
me,  etc.  ;  Vidi  aquam,  etc. 

L'antienne  n'est  donc  plus  aujourd'hui  qu'un  court  mor- 
ceau en  plain-cliant ,  qui,  dans  son  usage  le  plus  commun, 
se  rattache  aux  psaumes  pour  les  commencer  et  les  termi- 
ner. En  conséquence ,  l'antienne  et  le  psaume  doivent  être 
du  même  mode,  et  la  terminaison  du  psaume  doit  se  trouver 
telle  que  l'antienne  puisse  s'y  rattacher  convenablement.  Le 
nombre  des  antiennes  varie  selon  la  solennité  des  offices  ; 
la  manière  de  les  commencer  offre  une  particularité  qui 
doit  être  notée  :  un  choriste  annonce  l'antienne  à  un 
membre  du  clergé  en  prononçant  à  voix  basse  les  premiers 
mots  :  c'est  ce  que  l'on  appelle  iHj/J05er  l'antienne;  celui 
qui  a  reçu  cette  annonce  commence  à  haute  voix  les  pre- 
miers mots  qui  lui  ont  été  indiqués ,  et  le  chœur  poursuit  ; 
puis  l'on  chante  le  i)saume,  et  l'on  reprend  l'antienne  en 
chœur  sans  imposition  ni  intonation.  Dans  quelques  dio- 
cèses ,  notamment  dans  celui  de  Paris,  on  ne  chante  l'an- 
tienne qu'après  le  psaume  ;  mais  on  fait  auparavant  l'impo- 
sition et  l'intonation  comme  si  elle  devait  être  dite  tout 
entière.  Outre  les  antiennes  des  psaumes ,  il  y  a  des  an- 
tiennes  de  mémoire,  qui  se  chantent  à  la  suite  de  celles 
de  Benedictus  et  de  Magnificat,  et  rappellent  une  fête  que 
par  une  raison  quelconque  on  ne  célèbre  pas.  Il  y  a  d'au- 
tres antiennes,  qui  ont  pour  objet  la  demande  à  Dieu  de  cer- 
taines faveurs  ou  l'invocation  de  certains  saints,  et  particuliè- 
rement des  patrons.  Enfin  il  y  en  a  qui  s'adressent  spéciale- 
ment à  la  Vierge  Marie,  et  qui,  plus  étendues  que  les  autres, 
s'appellent  grandes  antiennes.  Ces  dernières  sont  toujours 
sui\ies  d'un  verset  et  d'une  oraison.      Adrien  de  Lafage. 

AIVTIGNAC  (  Antoine  ),  chansonnier  agréable,  était 
en  même  temps  employé  à  la  poste  aux  lettres  ;  ce  qui  lui 
donnait,  disait-il,  un  double  droit  au  titre  d'Ao?«we  de 
lettres.  Né  le  5  décembre  1772  ,  à  Paris,  bien  que  son  nom 
sente  un  peu  la  Garonne,  il  fut  l'un  des  chansonniers  les  plus 
joyeux  et  les  plus  féconds  du  Caveau  moderne,  et  sa  muse 
égayait  également  les  banquets  maçonniques.  Ses  couplets 

82 


650 


AISTIGNAC  —  ANTIGONE 


sont  bien  écrits,  offrent  des  idées  plaisantes,  naturelles, 
enjouées;  mais  on  y  clicrclierait  en  vain  la  verve  entraî- 
nante de  Désaugiers.  Aiitignac  fut  moins  heureux  lorsqu'il 
voulut  célébrer  les  rois.  Après  avoir  fait  une  plate  chanson 
pour  Louis  XVIII ,  il  célébra  le  retour  de  l'empereur ,  ce 
qui  lui  valut  une  place  dans  le  Dictionnaire  des  Giroticttes. 
Il  mourut  à  Paris,  le  21  septembre  1823,  à  peine  âgé  de 
quarante-cinq  ans.  Désaugiers  a  consacré  à  sa  mémoire 
des  couplets  chantés  dans  la  séance  de  réouverture  des  ban- 
quets du  Caveau  moderne,  le  10  octobre  1825.  Quelques 
hymnes  et  quelques  cantiques  de  la  composition  d'Antignac 
se  chantent  encore  dans  les  solennités  maçonniques. 

Ch.  DU  Rozoïn. 

AIVTIGO A  ou  AXTIGUE ,  île  anglaise  des  petites  An- 
tilles, et  siluée  h  C4  kilom.  nord  de  la  Guadeloupe, 
par  17"  4'  30"  de  latitude  nord  et  64°  15'  de  longitude  ouest 
méridien  de  Paris.  Elle  a  environ  cinq  myriamètres  de  super- 
ficie, et  compte  une  population  de  60,000  ûmes,  25,000  blancs 
et  35,000  nègres,  dont  6,000,  convertis  par  les  Hernhutcs, 
professent  leur  foi  religieuse.  Découverte  par  Christophe  Co- 
lomb en  1493,  les  Anglais  n'en  prirent  possession  qu'en  1630; 
et  ce  ne  fut  qu'en  10G6  que  le  roi  Charles  II  donna  à 
lord  Willoughby  l'autorisation  d'y,  fonder  une  colonie.  Au 
sud  de  l'ile ,  les  monts  Shekerley  forment  une  chaîne  dé- 
licieuse. Monkshill,  le  plateau  le  plus  élevé,  est  cultivé  dans 
ses  moindres  parcelles  jusqu'au  sommet.  Le  reste  du  pays 
est  plat. 

L'atmosphère  embrasée  qu'on  respire  sous  cette  latitude 
est  rafraîchie  par  les  vents  d'ouest;  des  pluies  fréquentes 
ainsi  que  d'épais  brouillards  y  suppléent  à  la  rareté  de  l'eau 
de  sources.  Entourée  d'écueils  ,  cette  île  est  d'un  abordage 
dangereux  ;  cependant  elle  sert  ordinairement  de  mouillage 
aux  flottes  de  l'Angleterre,  qui  y  trouvent  toute  sécurité 
et  les  facilités  les  plus  grandes  pour  se  ravitailler  et  faire 
les  réparations  nécessaires.  Son  port,  English  Jlarbour, 
est  le  chantier  le  plus  sûr  et  le  plus  propre  au  radoub  qu'il 
y  ait  dans  ces  mers  ;  il  s'y  trouve  d'ailleurs  un  bel  et  riche 
arsenal  de  marine.  Le  gouvernement  se  compose  d'un  gou- 
verneur, qui  est  en  même  temps  commandant  en  chef 
des  Iles  sous  le  Vent,  d'un  conseil  législatif  de  douze  mem- 
bres et  d'une  assemblée  coloniale  de  vingt-cinq. 

Antigoa  ,  divisée  en  cinq  paroisses  ,  est  la  résidence  du 
gouverneur.  Saint-John's  Town ,  assez  grande  ville,  puis- 
qu'on lui  accorde  une  population  de  16,000  âmes ,  impor- 
tante d'ailleurs  par  son  commerce  et  par  son  port,  en  est  le 
chef-lieu.  On  évalue  les  terres  arables  de  l'îleà  34,000  acres, 
qui  produisent  en  abondance  du  sucre ,  du  coton ,  de  l'in- 
digo ,  du  gingembre ,  du  tabac ,  des  ananas ,  etc.  On  y 
trouve  beaucoup  de  bèîes  à  cornes,  de  chevreuils,  de  porcs, 
de  poissons ,  et  «les  tortues  de  la  plus  grande  espèce. 

ANTIGONE,  Antigona,  née  du  mariage  incestueux 
d'Œdipe  et  de  Jocaste ,  partagea ,  quoique  innocente ,  la 
malédiction  qui  pesait  sur  sa  famille  {voyez  Étéocle  et 
Œdipe  ).  Célèbre  par  sa  piété  filiale ,  elle  servit  de  guide  à 
son  père  aveugle  et  proscrit,  et  l'accompagna  dans  son 
exil.  Après  la  mort  d'Étéocie  et  de  Polynice ,  frères  de  cette 
princesse,  Créon  ayant  défendu  expressément  d'enterrer  le 
corps  de  celui-ci ,  Anligone  revint  à  Thèbes  pour  lui  rendre 
les  derniers  devoirs  ;  Créon  la  condamna  à  être  enterrée  vi- 
vante ,  mais  elle  s'étrangla.  Sophocle  a  illustré  la  mémoire 
d'Antigone  en  choisissant  sa  mort  pour  sujet  d'une  tragédie 
dont  les  Athéniens  furent  si  satisfaits  qu'ils  récompensèrent 
l'auteur  en  lui  donnant  le  gouvernement  de  Samos. 

AIMTlGO\E,yl/i<(r7o>!H5,  surnommé  le  Cyclope,  parce 
qu'il  était  borgne,  issu ,  disait-on,  du  sang  des  Héraclides, 
fut  un  des  généraux  d'Alexandre ,  qui  lui  confia ,  après  ses 
premières  conquêtes  en  Asie,  les  gouvernements  de  la 
Lycie,  de  la  Pamphylie  et  de  la  Phrygie.  Antigone,  quoi- 
qu'il n'eût  à  sa  disposition  que  des  forces  peu  importantes, 
ait  défendre  ces  provinces ,  et  coni]uérir  niOme  la  Lycaouie. 


Lorsque ,  après  la  mort  d'Alexandre,  ses  généraux  par- 
tagèrent entre  eux  les  dépouilles  du  grand  conquérant ,  An- 
tigone reçut  la  grande  Phrygie ,  la  Lycie  et  la  Pamphylre. 
Perdiccas  ,  qui  chercha  à  réunir  sous  sa  domination  tous 
les  États  d'Alexandre,  et  qui  redoutait  l'activité  d'Antigone, 
l'accusa  d'avoir  enfreint  les  ordres  du  feu  roi.  Antigone , 
devinant  les  desseins  de  Perdiccas ,  s'embarqua  secrète- 
ment pour  l'Europe,  se  rendit  auprès  de  Cratère  et  d'Anti- 
pater ,  qui  déclarèrent  conjointement  avec  Ptolémée  la 
guerre  à  Perdiccas ,  que  ses  propres  soldats  assassinèrent. 

Toutefois,  comme  Eumène,  général  de  Perdiccas  en  Asie, 
avait  encore  un  parti  puissant ,  Antigone  continua  seul  à  lui 
faire  la  guerre  ;  il  le  vainquit  et  le  fit  exécuter.  C'est  ainsi 
qu'il  devint  en  peu  de  temps  maître  de  presque  toute  l'Asie, 
car  Séleucus ,  qui  régnait  en  Syrie ,  et  qui  avait  tenté  de 
lui  résister,  fût  vaincu  et  obligé  de  chercher  un  asile  chez 
Ptolémée.  Antigone  s'empara  aussi  de  la  plus  grande  partie 
des  trésors  d'Alexandre  entassés  à  Ecbatane  et  à  Suse  ,  et 
refusa  d'en  rendre  compte  à  Cassandre  et  à  Lysimaque.  Il 
alla  plus  loin  ;  il  déclara  la  guerre  au  premier  pour  venger, 
à  ce  qu'il  disait ,  la  mort  d'Olympias  ,  et  délivrer  le  jeune 
Alexandre ,  qui  était ,  avec  sa  mère  Roxane ,  à  Amphipolis. 
Tous  les  généraux ,  révoltés  contre  l'ambition  démesurée 
d'Antigone,  se  coalisèrent  contre  lui.  Ptolémée  et  Séleucus 
pénétrèrent  en  Syrie ,  où  ils  battirent  Démétrius ,  fils  d'An- 
tigone; Cassandre ,  de  son  côté ,  attaqua  l'Asie  Mineure; 
Séleucus  reprit  Babylone. 

A  peine  Antigone  eut-il  appris  ces  événements,  qu'il 
retourna  sur  ses  pas ,  força  Ptolémée  d'abandonner  ses  con- 
quêtes ,  et  enleva  de  nouveau  Babylone  à  Séleucus.  Sur  ces 
entrefaites  ,  Antigone ,  Ptolémée,  Lysimaque  et  Cassandre 
firent  un  traité  de  paix ,  d'après  lequel  chacun  d'eux  devait 
garder  le  gouvernement  des  contrées  dont  il  était  en  pos- 
session jusqu'à  la  majorité  du  jeune  Alexandre,  qui  avait 
déjà  le  titre  de  roi  ;  mais  lorsque  Cassandre  eut  fait  périr 
ce  derm"er  avec  sa  mère ,  la  guerre  se  ralluma  entre  les 
possesseurs  des  grandes  provinces.  Antigone  prit  alors  le 
titre  de  roi  ;  mais  il  dut  renoncer  à  reconquérir  l'Egypte , 
parce  qu'une  tempête  détruisit  une  partie  de  sa  flotte  et  que 
Ptolémée  rendait  impossible  toute  invasion  par  mer.  Peu 
après ,  le  jeune  Démétrius  chassa  Cassandre  de  la  Grèce  ; 
mais  ce  dernier  appela  Lysimaque  à  son  secours.  Celui-ci 
entra  en  Asie  avec  une  puissante  armée,  et  Séleucus  se  joi- 
gnit à  lui.  Enfin  une  bataille  fut  livrée  près  d'Jpsus,  en 
Phrygie ,  l'an  301  avant  J.-C.  ;  Antigone  y  fut  vaincu  et  tué 
à  quatre-vingt-quatre  ans ,  et  le  royaume  d'Asie  s'éteignit 
avec  lui  ;  mais  ses  successeurs  continuèrent  à  régner  en 
Macédoine. 

Deux  autres  Axticoxe  méritent  d'être  mentionnés.  L'un, 
fils  de  Démétrius  Poliorcète  et  petit-fils  du  grand  Antigone, 
surnommé  Gonatas ,  s'empara  de  la  Macédoine  l'an  277 
avant  J.-C,  et  régna  trente-trois  ans.  11  en  fut  expulsé 
quelque  temps  après  par  Pyrrhus,  roi  d'Épire  ;  puis  il  bat- 
tit les  Gaulois  qui  y  avaient  fait  aussi  irruption,  et  s'empara 
d'Athènes.  —  L'autre,  Antigone  Doson  ,  régna  de  232  à  221 
avant  J.-C.  Chef  de  la  ligue  Achéenne,  il  battit  Cléoniène  et 
s'empara  de  Sparte,  d'oii  une  révolte  le  rappela  niissilAt. 

ANTIGONE,  roi  des  Juifs,  fils  d'Aristobule  II,  naquit 
vers  l'an  80  av.  J.-C.  Lorsque  son  père  eut  été  empoisonné 
par  des  partisans  de  Pompée,  et  que  son  frère  eut  suhi  le 
dernier  supphce  à  Antioche,  en  l'an  49,  il  se  vit  chassé  lui- 
même  de  la  Judée  par  Anlipater  et  par  ses  fils  Hérode  et  Ha- 
sacl,  et  tenta  vainement  de  rentrer  en  possession  de  ses  États. 
Ce  fut  seulement  par  suite  de  la  guerre  qui  éclata  entre  les 
Romains  et  les  Paitlies,  qu'avec  Va\)p\i\  de  ceux-ci  il  put  re- 
venir à  Jérusalem,  d'où  il  expulsa  Ilérode.  Le  sénat  de  Rome 
le  déclara  alors  ennemi  de  la  république,  et  Marc- Antoine 
fut  chargé  de  mettre  à  exécution  ce  décret ,  qui  ne  devait 
plus  laisser  d'espoir  à  Antigone.  Jérusalem,  après  un  siège 
(pii  avait  duré  chiq  mois,  fut  prise  par  Sosius,  lieutenant 


antigom:  — 

d'Antoine;  et  le  roi  Jes  Juifs  impJora  vainoment  la  ^ràce 
(lu  vaimiiieur.  Il  Ait  mis  l'i  mort  ;\  Antioclie,  ai)iès  avoir 
d'abord  été  piil)li(]uement  battu  de  verges. 

AXTIGOXE  Carystiiis ,  c'est-.Vdire  de  Carj'sti^,  ainsi 
surnommé  parce  qu'il  était  né  à  Caryste  dans  Pile  d'IJibée , 
contemporain  de  Ptolémée  Pliiladelpiie,  qui  vivait  vers  l'an 
270  av.  J.-C. ,  est  l'auteur  d'une  collection  d'Iiistoires  mer- 
veilleuses compilée  d'ai)réi  des  recueils  analogues  et  anté- 
rieurement composés  ,  dont  Bcckmann  a  donné  une  édition 
(Leipzig,  1791),  corrigée  par  Westermann  dans  sa  collec- 
tion des  Scriptorcs  renim  mirabiliitmgra'ci  (  Brunswick  , 
1830).  11  avait  aussi  écrit  une  Histoire  des  Anityiaiix ,  un 
Traité  du  style,  un  poème  épique  intitulé  Antipatev ,  des 
Métamorphoses ,  entin  des  Vies  d'écrivains  célèbres.  Tons 
ces  ouvrages  sont  perdus,  et  nous  n'en  connaissons  les 
titres  que  par  la  mention  qu'en  font  divers  auteurs  anciens, 
entre  autres  Diogène  Laërce,  Athénée  et  Eusèbe. 

AiVTIGbXiDES,  dynastie  qui  régna  après  la  mort 
(R\lc\anilre  sur  ia  grande  Phrygie,  la  Lycie  et  la  Pamphilie, 
et  qui  descendaitd'Antigone,  lieutenant  de  ce  grand  roi. 
On  comprend  sous  ce  nom  sept  princes  :  Antigone,  Démé- 
trius  Poliorcète,  Antigone  Gonata';,  Démétrius  IT,  Antigone 
Doson,  Philippe  et  Percée  ,  on  qui  s'éteint  cette  dynastie. 

AXTILKGOMÈMvS.  Viv/cz  IIouolôgoumènes. 

Ai\TI  -  LIBAX.  1  oye:  Liban. 

ANTILLES.  Aucune  mer  connue  ne  possède  im  archipel 
aussi  étendu,  composé  d'iles  aussi  nombreuses,  aussi  fertiles, 
aussi  importantes  sous  le  double  rapport  de  la  richesse  et 
du  conunerce,  que  le  vaste  groupe  des  Antilles,  compris  entre 
les  24»  12'  et  12°  10'  de  latitude  septentrionale,  et  les  82" 
et  62°  de  longitude  occidentale  du  méridien  de  Paris.  Cette 
dénomination  leur  vient,  ou  d'une  île  imaginaire  appelée  An- 
tillia,  ou  des  deux  vieux  mots  espagnols  ante  islas,  avant- 
îles,  îles  situées  en  vedette  aux  approches  du  continent 
américain.  Les  Antilles  étant  les  premières  terres  du  Nouveau- 
Monde  que  découvrit  Christophe  Colomb  en  1492,  et  l'opi- 
nion de  cet  homme  célèbre ,  qui  croyait  voir  en  elles  les 
parties  de  l'Inde  les  plus  avancées  vers  l'ouest  leur  ayant 
valu  le  nom  A^ Indes  occidentales,  cette  dénomination  res- 
treinte a  été  adoptée  par  quelques  géographes,  bien  que  gé- 
néralement elle  soit  appliquée  dans  un  sens  plus  étendu  à 
l'Amérique  entière,  septentrionale,  centrale  et  méridionale, 
insulaire  et  continentale. 

Les  Antilles  sont  parsemées  dans  l'échancrure  profonde 
que  forme  le  golfe  du  ^Mexique  ;  l'une  de  leurs  extrémités  , 
que  dessine  l'ile  de  Cuba,  fait  face  à  la  côte  de  l'État  conti- 
nental de  Yucatan,  dont  elle  n'est  séparée  que  par  un  dé- 
troit de  100  kilom.  ;  l'autre,  que  détermine  l'île  de  la  Tri- 
nité ,  est  presque  sous  le  même  parallèle  que  le  milieu  de 
l'embouchure  de  l'Orénoque.  L'archipel  entier  est  composé 
de  quarante-cinq  îles  cultivables  et  d'une  multitude  d'îlots 
plus  ou  moins  nus  et  stériles.  La  superficie  totale  du  groupe 
est  de  2,475  myriam.  carrés;  sa  population,  de  plus  de  trois 
millions  d'habitants,  européens,  créoles,  nègres,  métis  ou 
gens  de  couleur  (mulâtres, quarterons,  quinterons,  etc.). 

Voici  maintenant  comment  les  nations  européennes  clas- 
sent en  général  ces  diftérentcs  îles.  Sous  le  nom  de  Grandes 
Antilles  elles  rangent  les  îles  sous  le  Vent,  Cuba,  la  Ja- 
maïque, Haïti  et  Porto-Rico.  Les  Petites  Antilles ,  ou  îles 
Caraïbes  (Charibean  Islands  des  Anglais),  se  composent 
de  Saint-Jean,  Saint-Thomas,  Sainte-Croix,  Tortola,  Vir- 
gin-Gorda,  Aniguada ,  l'Anguille ,  Saint-Martin ,  Saint-Bar- 
thélerny,  Saba,  Saint-Eustache,  Saint-Christophe,  Nieves, 
la  Barboude,  Antigoa,  Montserrat,  la  Guadeloupe,  la  Dé- 
sirade ,  les  Saintes  ,  Jlarie-Galante ,  la  Dominique ,  la  Mar- 
tiniqu»',  Sainte-Lucie,  la  Barbade,  Saint-Vincent,  Tabago, 
la  Trinité,  la  Grenade,  les  Grenadins,  petit  archipel  dépen- 
dant du  gouvernement  de  l'Ile  précédente  et  dans  lequel  on 
distingue,  outre  un  assez  grand  nombre  d'îlots  peu  impor- 
tants et  dont  plusieurs  ne  sont  pas  même  susceptibles  de  cul- 


ANTILOQUE  C-'ii 

ture,  Récouya,  Canavan,  Carlacou  et  l'Union,  enfin  l«  Mar- 
guerite, Tortuga,  los  Rocjucs,  Orchilla,  Avos,  Curaçao, 
I5uen-Ayrc  et  Aruba,  sans  parler  d'une  multitude  d'îlots 
stériles  et  inhabités,  ainsi  que  des  récifs  ou  caycs  dont  cette 
partie  du  golfe  est  encombrée. 

Presque  tous  les  peuples  navigateurs  et  commerçants  se 
sont  accordés  dans  la  désignation  des  Antilles  sous  le  nom 
telles  du  Vent  et  d'//C5  sous  le  Vent  (  en  anglais  Wind- 
xvard  Islands  et  Lceumrd  Islands  )  ;  et  cependant  cette 
distinction,  peu  rationnelle,  ne  repose  que  sur  la  situation 
respective,  vaguement  déterminée,  de  celles  qui  reçoivent 
les  premières  les  vents  d'est,  soufllant  sans  cesse  dans  ces 
l'arages,  et  sur  la  position  non  plus  certaine  de  celles  sur 
lesquelles  il  n'arrive  que  plus  tard.  Les  Iles  sous  le  Vent 
sont  Cuba ,  la  Jamaïque,  Porto-Rico ,  la  Marguerite ,  Tor- 
tuga,  los  Roques,  Orchilla,  Aves,  Curaçao ,  Buen-Ayre  et 
Aruba;  toutes  les  autres  sont  réputées  Iles  du  Vent.  On 
donne  aussi  généralement  le  nom  iVIles  des  Vierges  à  un 
groupe  dont  Saint-Thomas  et  Sainte-Croix  sont  les  îles 
principales. 

Les  .\nglais  possèdent  dans  les  Antilles  la  Jamaïque,  la 
Barbade,  la  Grenade,  les  Grenadins,  Saint-Vincent,  Sainte- 
Lucie,  Tabago,  la  Trinité ,  la  Dominique ,  saint-Christophe , 
Antigoa,  Nieves,  Montserrat,  Tortola,  Virgin-Gorda, l'An- 
guille et  la  Barbou'le  ;  les  Français,  la  Martinique,  la  Guade- 
loupe et  ses  dépendances ,  Marie-Galante  ,  les  Saintes  ,  la 
Désirade,  et  la  partie  trançaise  de  Saint-Martin  ;  les  Espa- 
gnols, Cuba  et  Porto-Rico  ;  les  Vénézuéliens,  la  Marguerite, 
Tortuga,  et  los  Roques  ;  les  Hollandais,  une  partie  de  Saint- 
Martin,  Saba,  Saint-Eustache,  Aves,  Curaçao,  Buen-Ayre 
et  Aruba;  les  Suédois,  Saint-Barthélémy;  et  les  Danois, 
Saint-Jean ,  Sainte-Croix  et  Saint-Thomas.  Haïti  seule  est 
indépendante,  et  Aniguada  n'est  q'.i'un  désert  inculte. 

Le  climat  des  Antilles  est  brûlant  ;  il  y  a  deux  saisons,  la 
sèche,  et  la  pluvieuse,  qui  dure  trois  mois.  Ces  îles  sont  su- 
jettes à  la  fièvre  jaune  et  à  d'épouvantables  ouragans  et  raz 
de  marée.  Leur  fertilité  est  sans  égale  ;  leurs  principales 
productions  sont  le  sucre,  le  café  et  le  rhum, 

AJVTILOGIE  ( d'àvù ,  contre ,  et  deXôyo;,  discours), 
contradiction  de  mots  ou  de  passages  dans  un  auteur.  Jac- 
ques Tirin  a  fiiit  un  grand  indice  (  index  )  des  antilogies  de 
la  Bible,  qu'il  a  cherché  à  concilier  et  à  expliquer  dans  ses 
commentaires  sur  ce  livTC  sacré. 

AJVTILOPE  ,  genre  de  mammifères  de  la  famille  des 
ruminants  et  de  la  section  des  ruminants  à  cornes  creuses 
entourant  un  noyau  osseux ,  solide ,  dont  les  espèces  sont 
nombreuses,  et  la  plupart  remarquables  par  leur  légèreté  à 
la  course,  et  qui  se  rangent  entre  les  chèvres  et  les  cerfs. 
Les  contrées  méridionales  de  l'Afrique,  et  surtout  le  Cap 
de  Bonne-Espérance,  en  offrent  une  grande  quantité,  dont 
les  plus  remarquables  sont  le  condoma,  qui  se  distingue 
par  la  longueur  de  ses  cornes;  le  gnou,\&  c  aama,  que 
Buffon  confond  avec  le  bubale;  et  \qs  gazelles,  dont 
les  yeux  doux  et  brillants  sont  le  sujet  fréquent  de  compa- 
raisons amoureuses  chez  les  poètes  orientaux.  Les  isars 
on  chamois  des  Alpes  et  des  Pyrénées  sont  classés  aussi 
parmi  les  antilopes. 

AIVTILOQUE ,  fds  de  Nestor  et  d'Anaxibie  ,  et  selon 
d'autres  d'Eurydice.  C'était  le  plus  jeune  des  héros  de  l'ar- 
mée grecque  qui  firent  le  siège  de  Troie.  A  une  mâle  beauté, 
à  la  vigueur  et  à  la  soui>lesse  des  membres,  il  joignait  la  va- 
leur la  plus  brillante.  L'amitié  qu'Achille  lui  portait  le  fit 
choisir  pour  aller  annoncer  à  ce  héros  la  mort  de  Pa- 
trocle.  Aux  jeux  funèbres  célébrés  à  ses  obsèques,  il  rem- 
porta le  troisième  prix  de  la  course.  Antiloque  tua  de  sa 
main  un  grand  nombre  de  guerriers  troyens  :  un  jour  il 
eut  mônii-  la  gloire  d'arracher  Neptune  du  milieu  de  la  m.6- 
lée.  Enfin  ,  il  succomba  en  défendant  son  vieux  père,  qui, 
serré  de  près  par  l'Ethiopien  Memnon,  suivant  les  uns,  par 
Hector,  selon  d'autres,  avait  appelé  son  fils  à  son  secours; 

82. 


652  ANTILOQUE 

c'est  ce  qui  lui  a  fait  donner  le  surnom  de  Philopator.  Il 
fut  enterré  sur  le  mont  Si{;éc. 

AJVTIMAQUE,  poète  grec,  né  à  Claros,  suivant  Ovide  et 
Cicéron,  et  à  Coloplion,  selon  d'autres,  florissait  dans  le  cin- 
quième siècle  avant  J.-C.  11  s'est  surtout  rendu  célèbre  par 
son  poème  épique  de  la  Thébaïdc,  volumineuse  composition 
que  les  critiques  de  l'école  d'Alexandrie  n'ont  pas  craint  de 
comparer  à  V Iliade  d'Homère.  L'empereur  Adrien  lui  don- 
nait même  la  préférence  sur  ce  chef-d'œuvre  des  épopées.  Éper- 
dument  épris  de  la  belle  Cliryséis  ,  Antimaque  la  suivit  en 
Lydie,  sa  patrie,  où  elle  mourut  entre  ses  bras.  A  son  retour, 
il  chercha  un  adoucissement  à  ses  regrets  en  chantant  les 
perfections  de  son  amante  ,  et  composa  sur  sa  mort  une 
élégie  qui  avait  pour  titre  la  Lydienne,  mais  dont  de  très- 
courts  fragments  sont  seuls  parvenus  jusqu'à  nous. 

Quintilien  dit  de  sa  Thébaïde  que  la  disposition  de  cette 
épopée  n'est  pas  fort  heureuse,  et  qu'on  y  rencontre  fré- 
quemment des  vers  entiers  textuellement  pris  à  Homère. 
On  reproche,  en  outre,  à  ce  poème  de  l'enflure,  un  travail 
pénible  et  trop  constamment  visible,  une  grande  sécheresse 
de  style,  enlin  l'absence  de  chaime  et  de  sentiment.  Même 
dans  sa  Lydienne,  Antimaque  ne  fait  pas  preuve  d'une  sen- 
sibilité véritable,  car  il  y  a  du  faste  dans  sa  douleur.  Ainsi, 
au  lieu  de  peindre  avec  simplicité  la  perte  cruelle  qu'il  a 
faite,  il  établit  de  prétentieuses  comparaisons  entre  ses 
soufl'rances  et  celles  des  héros  grecs  de  l'antiquité.  En  dépit 
de  ses  défauts ,  Antimaque  n'est  cependant  pas  tout  à  fait 
sans  mérite.  C'est,  du  reste,  àtort  qu'on  l'a  rangé  parmi  ceux 
qui  les  premiers  s'occupèrent  de  corriger  les  œuvres  d'Ho- 
mère et  de  les  mettre  en  ordre.  L'édition  la  plus  complète 
des  fragments  de  la  Thébaïde  d'Antimaque  parvenus  jus- 
qu'à nous  est  celle  qu'a  publiée  Schellemberg  (Halle,  1796). 

AIXTIMOIIV'E.  Un  moine ,  nommé  13asile  Valeutin,  qui 
se  livrait  à  l'étude  de  la  chimie,  ayant  obtenu  un  produit 
nouveau  en  soumettant  le  minerai  d'antimoine  à  diverses 
manipulation  >,  l'essaya  d'abord  sur  des  cochons,  et  observa 
que  ces  animaux  ,  après  avoir  été  purgés,  arrivèrent  bientôt 
à  un  état  de  santé  et  de  vigueur  remarquables.  H  crut  donc 
posséder  en  cette  préparation  un  moyeu  puissant  de  prévenir 
les  maladies ,  et  il  ne  balança  pas  à  l'administrer  comme 
prophylactique  à  tous  les  frères  de  son  couvent.  Mais  l'évé- 
nement trompa  ses  espérances,  car  beaucoup  de  religieux 
moururent  victimes  du  remède,  et  ceux  qui  résistèrent  à  son 
action  en  furent  gravement  incommodés.  Telle  est ,  dit-on, 
l'origine  du  mot  antimoine  ;  mais  l'authenticité  de  cette  aven- 
ture est  loin  d'être  prouvée. 

L'antimoine  est  un  métal  très-abondamment  répandu  dans 
la  nature,  oii  il  se  trouve  sous  quatre  états  différents  :  1"  natif 
(en  Suède,  en  France,  dans  le  Hartz,  au  Mexique,  etc.); 
1°  combiné  avec  l'oxygène  (en  Bohème,  en  Hongrie,  en 
Transylvanie,  en  Sibérie,  en  France,  en  Espagne);  3°  uni 
au  soufre  (  en  France,  en  Hongrie,  en  Thuringe,  en  Saxe, 
en  Transylvanie,  en  Souabe,  en  Angleterre,  en  Espagne, 
en  Sardaigne,  en  Sicile,  en  Sibérie,  au  Mexique,  etc.); 
4°  combiné  à  la  fois  avec  l'oxygène  et  le  soufre  (  en  France, 
en  Toscane,  en  Saxe,  en  Hongrie,  en  Transylvanie,  etc.). 
C'est  de  l'antimoine  sulfuré  qu'on  extrait  le  métal  pur  pour 
les  besoins  des  aits,  au  moyen  du  grillage,  puis  de  la  cal- 
cination  avec  le  tartre  brut  ou  avec  un  mélange  de  charbon, 
de  sciure  de  bois  et  de  sous-carbonate  de  soude.  Mais,  à 
l'exception  de  celui  qui  pro\ient  de  la  mine  du  département 
de  l'Ahicr,  l'antimoine  obtenu  par  ce  procédé  n'est  pas  dans 
un  état  de  pureté  parfait  :  Sérullas  a  prouvé,  par  des  expé- 
riences exactes,  qu'il  contient  un  peu  d'arsenic.  Ce  dernier 
métal  se  rencontre  même  dans  les  diverses  préparations  an- 
timoniales ;  deux  seules  en  sont  exemptes,  ce  sont  celles 
connues  sous  les  noms  de  taiirate  de  potasse  et  d'antimoine 
{émétique,  tartre  stibié),  et  chlonire  d'antimoine  {beurre 
d'antimoine).  Dans  le  commerce,  où  il  se  présente  sous 
forme  de  pains  orbiculaires ,  qui  offrent  à  leur  surface  une 


—  ANTIMOINE 

sorte  de  cristallisation,  dont  on  a  comparé  la  forme  à  celle 
des  feuilles  de  fougère,  il  est,  en  outre  ,  fort  souvent  altéré 
par  trois  autres  métaux,  le  fer,  le  plomb  et  le  cuivre.  Lors- 
qu'il a  été  préparé  dans  les  laboratoires  de  chimie  avec 
tout  le  soin  convenable,  et  qu'il  est  complètement  isolé  de 
tout  corps  étranger,  il  se  distmgue  par  les  propriétés  sui- 
vantes :  eouleur  blanche  très-légèrement  bleuâtre ,  éclatante  ; 
texture  lamelleuse  ;  susceptible  de  cristalliser  ;  cassant  et 
facile  à  pulvériser,  répandant  une  odeur  sensible  lorsqu'on 
le  frotte  entre  les  doigts;  d'une  pesanteur  spécifique  de  6,702 
à  c,712  ;  entrant  en  fusion  un  peu  au-dessous  de  la  chaleur 
rouge  (à  432°  centigrades  environ),  mais  ne  se  volatilisant 
point  dans  cette  circonstance,  à  moins  qu'il  ne  soit  chauffé 
avec  le  contact  de  l'air,  et  dans  ce  cas  il  passe  à  l'état 
d'oxyde  ;  perdant  son  brillant  métallique  par  l'exposition  à 
l'action  de  l'atmosphère  ;  sans  action  sur  l'eau  à  la  tempé- 
rature ordinaire. 

Ce  métal,  qui  était  connu  des  anciens,  car  Hippocrate , 
Dioscoride,  Pline  et  Galien  en  font  mention,  est  un  de  ceux 
que  les  alchimistes  ont  le  plus  travaillés  pour  arriver  à  la  dé- 
couverte de  la  chimère  qu'ils  poursuivaient  avec  tant  d'ar- 
deur, la  pierre  philosophale.  Son  usage  en  médecine ,  aban- 
donné depuis  l'épofiue  oii  il  avait  été  conseillé  à  l'extérieur 
seulement  par  les  grands  praticiens  de  l'antiquité,  fut  rt^ris 
enlin  dans  le  courant  du  quinzième  siècle,  et  avec  plus  de 
hardiesse ,  car  alors  on  en  préconisa  l'administration  a  l'in- 
térieur; mais  les  propriétés  énergiques  et  vénéneuses  des 
préparations  qui  furent  employées  lui  suscitèrent  une  foule 
d'ennemis  parmi  les  médecins  ;  la  Faculté  de  Paris  le  con- 
damna, et  cette  décision  engagea  le  parlement  à  rendre,  en 
1566,  un  arrêt  qui  défendit  de  s'en  servir.  Plusieurs  méde- 
cins n'ayant  pas  voulu  se  soumettre  à  cette  ordonnance,  et 
ayant  continué  de  le  prescrire ,  furent  mis  en  jugement  et 
dégradés  ;  on  cite ,  entre  autres ,  Besnier  et  Paulmier  de 
Caen.  Cependant,  comme  il  n'est  rien  de  stable  ici-bas ,  et 
particulièrement  dans  la  manière  de  penser  des  hommes , 
un  siècle  ne  s'était  pas  encore  écoulé  que  déjà  l'on  était 
revenu  sur  le  compte  de  l'antimoine.  La  Faculté  de  Paris , 
assemblée  de  nouveau  pour  délibérer  sur  le  même  sujet, 
approuva  son  emploi  le  29  mars  1666,  et  le  10  du  mois 
suivant  le  parlement  rendit  un  second  arrêt  qui  abrogea  le 
premier. 

Dans  les  arts,  on  allie  l'antimoine  avec  les  métaux  mous 
pour  leur  donner  de  la  dureté,  de  la  roideur  et  de  l'élasticité  : 
ainsi ,  on  le  fait  entrer  dans  la  composition  des  miroirs  de 
télescopes  et  dans  celle  du  métal  des  cloches;  on  le  môle 
avec  environ  quatre  parties  de  plomb  pour  former  les  carac- 
tères servant  à  l'imprimerie  typograpliique  ;  on  l'unit  à  l'é- 
tain  pour  lui  procurer  la  dureté  qui  lui  manque,  etc.,  etc. 

P.-L.   COTTEREAU. 

L'antimoine  forme  un  grand  nombre  de  compositions.  Le 
protoxyde  d'antimoine  (oxyde  antimonique)  est  blanc,  fu- 
sible ,  volatil;  parmi  les  oxydes  d'antimoine,  il  est  le  seul 
qui  jouisse  de  la  propriété  de  se  combiner  avec  les  acides. 
On  l'obtient  en  versant  le  chlorure  d'antimoine  dans  l'eau 
distillée  ;  il  se  dépose  une  poudre  blanche  qui  est  de  l'oxy- 
chlorure  d'antimoine.  Une  dissolution  bouillante  de  carbo- 
nate de  soude  donne  un  chlorure  de  sodium  soluble,  et  le 
protoxyde  se  précipite.  Vacide  antimonieux  (deutoxyde 
d'antimoine  )  est  blanc,  insipide,  et  ne  se  combine  pas  avec 
les  acides  :  il  forme  des  sels  insolubles  {antimonites)  par 
sa  combinaison  avec  les  bases.  Pour  l'usage  médical ,  on 
l'obtient  en  décomposant  l'antimonite  de  potasse  par  un 
excèsd'acidechlorhydrique.L'ati(/ea;i;i»JOH(ÇMe(  peroxyde 
d'antimoine  )  est  blanc ,  et  rougit  le  papier  de  tournesol  ;  il 
forme  avec  les  bases  des  antimoniates.  On  l'obtient  à  l'état 
d'hydrate  en  traitant  l'antimoniate  de  potasse  par  l'acide 
chlorhydrique. 

Ij'antinwine  diaphoréttque  (  oxyde  blanc  d'antimoine)  se 
prépare  en  jetant  dans  un  creuset ,  jjorté  au  rouge,  un  mé- 


ANTIMOINE  —  ANTIN 


G53 


lange  iVantimoine  méfalliqne  et  de  nitrate  de  potasse  ;  on 
retirant  le  produit  du  creuset,  il  prend  le  nom  <!'««/»- 
moine  diaphoretique  non  lavé;  quand  il  est  lavé  à 
l'eau  bouillante,  on  dissout  un  sel  soluble  qu'il  contient, 
et  la  partie  insoluble  constitue  ïantimoine  diaphorélique 
lavé. 

Le  chloriCre  d'antimoine  est  le  beurre  d'antimoine 
des  alchimistes.  Voxi/c/ilorure  d'antimoine  est  h  poudre 
d'Âlijaroth  ,  ou  mercure  de  vie  des  anciens  chimistes. 

Le  sulfure  d'antimoine  s'obtient  en  faisant  fondre  en- 
semble deux  parties  d'iuitimoine  métallique  pur  et  huit  par- 
ties de  soufre  ;  h  la  tin  de  l'opération  on  élève  la  tempéra- 
ture pour  fondre  le  sulfure  et  chasser  l'excès  du  soufre. 
Vhydrosul/ate  d'antimoine  est  plus  connu  sous  le  nom 
de  kermès  minéral,  ou  poudre  des  Chartreux.  Le  tar- 
trate  de  potasse  et  d'antimoine  ou  tartre  stibié  est  la 
préparation  si  usitée  sous  le  nom  d'émétique. 

L'antimoine  métallique  était  autrefois  employé  en  poudre 
fine  obtenue  à  la  lime  ;  il  servait  à  confectionner  des  gobe- 
lets dans  lesquels  on  laissait  séjourner  du  vin  blanc  :  il  se 
formait  ainsi  une  quantité  plus  ou  moins  considérable  de 
tartrate  de  potasse  et  d'antimoine  qui  restait  en  dissolution 
dans  la  liqueur.  On  faisait  aussi  avec  ce  métal  de  petites 
balles  qui  purgeaient  ;  on  leur  donnait  le  nom  de  pihiles 
perpétuelles ,  parce  qu'elles  étaient  rendues  par  les  selles , 
lavées  et  avalées  de  nouveau.  De  nos  jours  ou  n'emploie 
plus  l'antimoine  métallique.  L'acide  antimonieux ,  qui  est 
insoluble,  n'est  ni  émétique  ni  purgatif;  on  l'avait  autrefois 
préconisé  dans  les  fièvres ,  l'épilepsie ,  la  coqueluche ,  les 
maladies  de  la  peau.  L'acide  antiraonique,  qui  est  très•^  éné- 
neux,  se  donnait  autrefois  dans  les  maladies  cutanées.  L'an- 
timoine diaphoretique  était  également  administré  dans  ces 
maladies,  et  on  lui  attribuait  une  puissance  résolutive,  fon- 
dante, contre  certains  engorgements  :  il  entrait  dans  la  com- 
position de  la  poudre  fébrifuge  de  Morton ,  de  la  poudre 
incisive  de  Stahl,  etc.  Le  chlorure  d'antimoine  n'est  em- 
ployé qu'à  l'extérieur  pour  cautériser  les  plaies  profondes  , 
sinueuses,  faites  avec  des  instruments  imprégnés  de  matières 
putrides  ou  par  des  morsures  d'animaux  enragés  ,  des  pi- 
qûres de  serpents ,  etc.  Le  sulfure  d'antimoine  était  employé 
par  les  anciens  comme  caustique ,  et  les  Orientaux  s'en 
servent  pour  teindre  leurs  paupières  dans  le  but  de  rendre 
l'œil  plus  brillant.  11  entre  dans  la  composition  de  divers 
composés  pharmaceutiques,  tels  que  là  poudre  antimoniale 
de  Kempfcr ,  les  pilules  jaunes  de  Klein,  les  tablettes 
restaurantes  de  Kunckel,  la  tisane  de  Feltz,  la  décoction 
d'Arnoult.  Ce  composé  est  fort  infidèle,  il  contient  des  pro- 
portions variables  de  sulfure  d"arsenic  ;  sa  poudre  est  plus 
énergique  que  sa  décoction,  et  il  cède  dans  les  préparations 
pharmaceutiques  dans  lesquelles  on  a  fait  entrer  une  quan- 
tité plus  ou  moins  considérable  d'arsenic.  Autrefois  la  cendre 
de  l'oxyde  sulfuré  gris  d'antimoine,  soumise  à  une  fusion  in- 
complète, formait  le  safran  des  métaux  {crocus  métal lo- 
rum  )  et  était  employée  en  médecine  ;  aujourd'hui  elle  n'est 
plus  employée  que  dans  la  médecine  vétérinaire. 

Les  préparations  anlimoniales  possèdent  des  propriétés 
d'autant  plus  actives  qu'elles  sont  plus  solubles.  Les  anli- 
moniaux  paraissent  jouir  de  propriétés  particulières  en  vertu 
desquelles,  administrés  à  haute  dose  (surtout  l'émétique) , 
ils  amènent  la  cessation  des  accidents  inflammatoires.  Cette 
vérité  a  été  établie  par  les  beaux  travaux  de  Rasori.  C'est 
surtout  dans  la  pneumonie  ou  inflammation  du  poumon 
qu'on  les  prescrit  avec  le  plus  de  succès.  L'antimoine  et  ses 
composés  sont  tous  plus  ou  moins  vénéneux.  Dans  le  cas 
d'empoisonnement ,  la  première  chose  à  h\ue  est  de  favoriser 
les  vomissements  par  l'eau  tiède ,  la  titillation  de  la  luette  , 
l'huile  d'olive,  le  quinquina,  etc.  Les  décoctions  d'écorces 
et  de  racines  astringentes,  de  thé,  de  noix  de  galle  ,  cou- 
pées avec  du  lait,  doivent  être  considérées  également  comme 
contre-poison  do  l'antimoine. 


AIVTIMOIVIATES  et  AATIMOXITES.  Voyez 
Antimoinf. 

AIXTliX  (  Loiis-Antoine  DE  PARDAILLAN  DE  GON- 
DRIN  DE  MONÏESPAN,  marquis,  puis  duc  d'  ) ,  né  en  1665, 
était  (ils  légitime  du  marquis  et  de  la  marquise  de  Montes- 
pan.  Lorsque  celle-ci  devint  la  maîtresse  de  Louis  XIV,  ce 
fils  avait  six  ans.  On  fit  porter  à  cet  enfant  le  titre  de  comte 
d'Antin,  qui  appartenait  à  la  maison  de  son  père.  Remplacée 
par  madame  de  Main  tenon  dans  le  cœur  du  monarque, 
madame  de  Montespan  dut  quitter  la  cour;  elle  se  relira 
en  province,  où  elle  garda  néanmoins  un  grand  train  de 
maison.  Elle  s'était  jusque  alors  constamment  montrée  plutôt 
la  marâtre  que  la  mère  du  seul  enfant  dont  elle  n'eût  pas  à 
rougir;  rendue  à  la  solitude,  elle  essaya  de  réparer  ses  torts 
envers  d'Antin,  en  usant  du  crédit  qu'elle  pouvait  encore 
avoir  sur  les  souvenirs  de  son  royal  amant  pour  faire  la 
fortune  de  ce  fils,  si  longtemps  oublié.  D'Antin  devint  donc 
un  personnage  de  quelque  importance  :  il  fut  fait  lieutenant 
général  et  gouverneur  de  la  province  d'Alsace.  Comme  il 
avait  de  l'esprit  et  beaucoup  de  manège,  il  sut  habilement 
exploiter  le  déshonneur  de  sa  mère  pour  se  créer  un  rang 
et  une  position  autres  que  ceux  dont  il  pouvait  hériter  de 
son  père. 

A  une  cour  où  l'art  de  flatter  le  maître  avait  depuis  long- 
temps atteint  son  apogée,  d'Antin  trouva  le  moyen  de  se 
faire  remarquer  par  l'imprévu  et  l'originalité  de  ses  inven- 
tions. On  trouve  partout  l'histoire  de  cette  allée  de  mar- 
ronniei-s  du  parc  de  Petit-Bourg,  abattue  dans  une  nuit,  lors 
d'une  visite  que  Louis  XIV  avait  daigné  lui  faire,  dans  cette 
demeure  quasi-royale  qu'il  devait  aux  tardives  générosités 
de  sa  mère.  Cette  allée  avait  eu  le  malheur  d'être  critiquée 
par  le  grand  roi  comme  nuisant  à  l'effet  du  paysage  :  à  son 
réveil,  Louis  XIV  n'aperçut  plus  le  massif  de  verdure  qui 
lui  avait  déplu.  Madame  de  Main  tenon,  la  femme  qui  avait 
détrôné  madame  de  Montespan,  était  de  la  partie  :  elle  eut 
aussi  sa  part  des  attentions  délicates  de  d'Antin.  En  entrant 
dans  la  chambre  qui  lui  avait  été  préparée,  elle  put  un  ins- 
tant se  croire  encore  à  Versailles  ;  car  la  disposition,  les  ten- 
tures, les  meubles,  en  étaient  exactement  les  mêmes,  «  jus- 
qu'à ses  Uvres,  nous  dit  Saint-Simon,  jusqu'à  l'inégalité  dans 
laquelle  ils  se  trouvaient  rangés  ou  jetés  sur  la  table,  jus- 
qu'aux endroits  des  Uvres  qui  se  trouvèrent  marqués!  » 
Madame  de  Maintenon  se  montia  sensible  à  tant  d'atten- 
tions ;  elle  accorda  dès  lors  ses  bonnes  grâces  au  fils  de  la 
femme  qu'elle  haïssait  le  plus  au  monde. 

D'Antin,  gros  joueur,  perdit  à  diverses  reprises  des  som- 
mes immenses  ;  puis,  comme  tant  d'autres,  il  finit  par  être 
si  constamment  heureux  au  jeu  qu'on  l'accusa  assez  géné- 
ralement de  savoir  aider  à  la  fortune  par  son  adresse.  Un 
autre  reproche  qu'on  lui  faisait,  et  sur  lequel,  d'après  les 
mémoires  contemporains,  il  passait  assez  volontiers  condam- 
nation, c'était  de  n'être  rien  moins  que  brave.  Il  avait  épousé 
la  fille  aînée  du  duc  d'Uzès,  qui  lui  apporta  en  mariage  des 
biens  considérables,  mais  dont  la  conduite  fut  peu  régulière, 
sans  qu'au  reste  d'Antin  eût  jamais  le  mauvais  goût  de  s'en 
apercevoir.  A  la  mort  de  madame  de  Montespan,  il  fut  gé- 
néralement accusé  d'avoir  supprimé  son  testament  et  d'avoir 
par  là  frustré  les  pauvres,  ainsi  que  les  domestiques  qui 
avaient  donné  des  soins  à  sa  mère,  des  sommes  considé- 
rables qu'elle  leur  avait  léguées.  Quand  M.  de  Montespan , 
son  père,  vint  à  mourir,  d'Antin  éleva  des  prétentions  à  la 
duché-pairie  d'Épernon ,  et  en  prit  même  le  litre  ;  mais 
Louis  XIV  trouva  ses  prétentions  ridicules,  et  lui  fit  intimer 
l'ordre  d'y  renoncer.  Quelques  années  plus  tard,  à  la  re- 
commandation de  madame  de  Maintenon,  il  fut  cependant 
créé  duc  et  pair,  mais  seulement  à  brevet,  c'est-à-dire  via- 
gèrement  et  sans  transmission  à  ses  héritiers.  Il  mourut  en 
17 30,  à  soixante-onze  ans,  après  avoir  eu  deux  fils;  le  cadet 
épousa  la  fille  du  président  de  Vertamont,  riche  à  plusieurs 
millions;  l'aîné  avait  obtenu  de  son  père  la  survivance  de 


654  ANTIN  - 

toutes  SCS  charges.  Cette  maison  s'est  éteinte  complètement 
dès  1757,  en  la  personne  de  Louis  de  Gondrin,  duc  d'Antin, 
arrièrc-petit-(ils  de  madame  de  Montespan;  et  si  elle  vit 
encore  dans  l'histoire,  c'est  uniquement  grâce  à  l'intérôt  de 
curiosité  qui  s'attache  à  tous  ceux  qui  ont  joué  un  rôle 
quelconque  à  la  cour  de  Louis  XIV. 

Ai\TIXOÉ  ou  AMINOPOLIS.  Cette  ville,  honteuse- 
ment célèbre  par  les  souvenirs  de  sale  débauchetoute  païenne 
que  réveille  son  nom  (  car  elle  fut  bâtie  par  l'empereur 
Adrien  en  l'honneur  de  son  favori  Antinoiis ,  sur  les  ruines 
de  l'antique  Bœsa),  s'élevait  au  bord  oriental  du  Nil,  entre 
l'Hepfanomide  et  la  Thébaïde,  presqu'cn  face  d'Hcrmopolis- 
la-Grande.  La  magnificence  de  ses  édifices  la  (it  appeler  la 
nome  égyptienne,  et  lui  valut  l'honneur  d'être  pendant 
quelque  temps  la  métropole  de  la  haute  Kgjpte.  Il  n'en  existe 
plus  aujourd'hui  que  de  magnifiques  ruines,  parmi  lesquelles 
il  est  aisé  de  reconnaître  des  restes  de  théâtres ,  de  ther- 
mes ,  d'arcs  de  triomphe ,  contraste  saillant  avec  riiumble 
village  copte  Achmoumeyn,  situé  tout  auprès. 

AXTIXOAIIE  (  d'àvTt ,  contre ,  et  vôao; ,  loi  ).  Contra- 
diction des  lois  entre  elles.  Kant  appelle  antinomie  la  con- 
tradiction qui  existe  entre  les  lois  de  la  raison  pure ,  con- 
tradiction qui  se  manifeste  lorsque  nous  transportons  dans 
le  monde  extérieur  les  principes  qui  régissent  le  monde 
intellectuel,  ou  lorsque  nous  sommes  obligés  d'admettre 
soit  des  faits,  soit  des  idées,  dont  nous  ne  pouvons  nous 
rendre  compte,  tels  que  la  création  du  monde,  l'éternité, 
l'infini ,  etc. 

ANTIXOMIEXS ,  AMIXOMLS_AIE  (d'àvil,  contre, 
vojjLÔ; ,  loi  ) ,  opposés  à  la  loi ,  branche  de  luthériens  qui  dut 
son  origine ,  dans  le  seizième  siècle ,  à  un  disciple  et  com- 
pagnon de  Luther,  nommé  Jean-EIsleben  Agricola.  Le 
maître  ayant  prêché  que  la  foi  seule  suffisait  à  l'homme, 
et  que  les  bonnes  œuvres  n'étaient  pas  nécessaires  pour  son 
salut,  le  disciple  en  conclut  que  la  foi  devait  tenir  lieu  de 
tout;  qu'elle  était  seule  nécessaire;  que,  par  conséquent, 
ceux  qui  avaient  la  foi  n'avaient  pas  besoin  de  loi  ;  qu'elle 
devait  même  sanctifier  une  vie  pleine  de  désordres  et  de 
vices.  Les  disciples  d'Agricola,  les  réformateurs  de  Wit- 
temberg  ,  appliquèrent ,  après  lui ,  la  qualification  d'a?i- 
tinomisme  à  cette  dépréciation  de  la  loi  morale,  et  surtout 
de  la  loi  de  Moïse,  tendante  à  faire  ressortir  davantage  l'in- 
fluence salutaire  de  l'Kvangile  sur  l'amélioration  morale 
de  l'homme.  Cette  querelle  théologique,  qui  datait  de  1527, 
dura  près  de  quarante  ans. 

A-XTIXOtJS.  La  passion  que  l'empereur  Adrien  avait 
conçue  pour  ce  jeune  Bithynien  a  donné  à  son  nom  une 
honteuse  célébrité.  Antinoiis  se  noya  dans  le  >il,  l'an  132 
avant  J.-C.  :  on  ne  sait  sil  était  las  de  se  prêter  aux  infi- 
mes voluptés  de  son  maître ,  ou  s'il  ne  faut  voir  qu'un 
accident  dans  cette  mort,  dont  Adrien  fut  inconsolable.  Ce 
dernier  lui  fit  ériger  des  temples ,  des  statues  et  des  villes , 
donna  son  nom  à  un  astre  qui  venait  d'être  découvert ,  et 
ordonna  que  son  favori  fût  adoré  comme  un  dieu  dans  toute 
l'étendue  de  l'empire.  Les  artistes  les  plus  célèbres  s'em- 
pressèrent de  reproduire  l'image  d'Antinous.  Parmi  les 
statues  qui  le  représentent ,  deux  surtout  sont  des  chels- 
d'fPu^Te.  L'une ,  qui  fut  trouvée  dans  les  bains  d'Adrien , 
est  au  Belvédère  du  Vatican:  l'autre,  qui  décorait  autrefois 
la  villa  de  cet  empereur  à  Tivoli,  orne  aujourd'hui  le  Ca- 
pitole.  Selon  quelques  archéologues ,  la  première  serait  un 
Mercure,  et  l'autre  représenterait  Antinous  en  Mercure.  Dans 
tontes  les  statues  d'Antinolis,  dit  \Vinkelmann  ,  le  visage  a 
quelque  chose  de  mélancolique  ;  les  yeux  sont  grands  et 
parfaitement  dessinés;  le  profil  est  légèrement  incliné;  au- 
tour de  la  bouche  et  du  menton  règne  une  expression  de 
beauté  vraiment  idéale. 

AXTIOCIIE ,  nom  commun  à  plusieurs  villes  célèbres 
dans  l'antiquité. 
Antiociie  de  PrsiDrE,  située  sur  les  frontières  de  la  Phrygie 


ANTIOCIIE 

et  de  la  Pis'die,  dans  la  province  de  l'Asie  Mineure  qui 
porte  aujourd'hui  le  nom  de  Caramanic,  fut  fondée  par  An- 
tiochus  \",  et  d'abord  peuplée  par  une  colonie  de  la  ville 
ionienne  de  Magnésie.  Placée  par  les  Romains  sous  la  do- 
mination d'Eumène  de  Pergame  ,  et ,  plus  tard  ,  sous  celle 
d'Amyntas  de  l\imphilie ,  elle  flit  à  la  mort  de  ce  dernier 
élevée  au  rang  de  chef-lieu  d'un  gouvernement  proconsu- 
laire. Les  apôtres  Paul  et  Barnabas ,  en  y  venant  pour  la 
première  fois  prêcher  l'Évangile  aux  Gentils ,  ont  immorta- 
lisé la  mémoire  de  cette  ville.  —  Arundell ,  chapelain  du 
consulat  britannique  à  Sinyrne ,  fit,  en  1833,  des  ruines 
de  cette  cilé  sainte  le  but  de  nombreuses  explorations.  Il 
constata  qu'elles  sont  situées  sur  un  terrain  montagneux , 
non  loin  de  la  ville  de  Yalobatz  (  Gialobatsck  ) ,  et  qu'elles 
consistent  en  une  multitude  de  sculptures  parfaitement  con- 
servées ,  et  de  débris  sur  lesquels  se  trouvent  des  inscrip- 
tions; il  détermina  d'une  manière  précise  l'emplacement 
occupé  jadis  par  l'église  principale  ;  découvrit  encore  les 
ruinesd'une  autre  église,  d'un  temple  à  Bacchus,  d'unthéAtre, 
d'un  aqueduc ,  et  les  traces  d'un  vaste  portique ,  ainsi  que 
d'uue  acropolis.  Ses  découvertes  justifient  complètement  les 
rapports  de  Strabon  et  les  calculs  de  Peutinger,  en  détruisant 
l'opinion  émise  par  d'Anville  et  d'autres  ,  que  cette  ville  est 
VAksher  de  nos  jours,  qui  occupe  l'emplacement  de  l'anti- 
que Philomélion. 

A.NTiocHE  DE  S\T,iE  (  Antiockia  Magna).  La  populeuse 
Antioclie  ,  jadis  rivale  de  Rome  ,  d'Alexandrie  et  de  Séleucie 
sur  le  Tigre,  était  située  dans  une  belle  et  fertile  plaine, 
sur  les  rives  de  l'Oronte.  Détruite  à  plusieurs  reprises,  et 
en  dernier  lieu,  en  1269,  par  les  Jlamelouks,  elle  n'est 
plus  aujourd'hui  qu'une  misérable  ville ,  composée  de  rues 
sales  et  étroites ,  avec  des  maisons  n'ayant  guère  qu'un  rez- 
de-chaussée,  mais  dont  les  fenêtres,  au  lieu  de  donner  sur 
la  rue,  ont  en  général  Mie  sur  de  vastes  jardins,  ou  tout  au 
moins  sur  des  cours  spacieuses  et  garnies  d'arbres.  Elles 
sont,  de  plus,  chose  rare  en  Orient ,  surmontées  de  pignons, 
et  couvertes  en  tuiles.  Cependant  elle  parait  renfermer  en- 
core environ  18,000  habitants  ,  disséminés  au  milieu  des 
restes  de  son  antique  enceinte ,  qui  au  temps  de  sa  splen- 
deur comprenait  une  population  de  6  à  700, UOO  âmes.  Une 
partie  de  ses  murailles  et  de  ses  aqueducs  témoigne  seule 
aujourd'hui  de  son  antique  magnificence ,  alors  qu'elle  était 
un  grand  foyer  de  science  et  de  civilisation ,  ainsi  que  l'une 
des  plus  célèbres  et  des  plus  florissantes  villes  du  monde. 
Strabon  et  Pline  lui  donnent  le  surmon  d'Épidaphné,  à 
cause  de  la  forêt  de  Daphné ,  située  dans  son  voisinage. 
Elle  fut  fondée  ou  du  moms  embellie  l'an  301  avant  J.-C. 
par  Séleucus  N'icator,  qui  lui  donna  le  nom  d'Antioche  en 
l'honneur  soit  de  son  père,  soit  de  son  fils.  Comme  elle  était 
divisée  en  quatre  quartiers  ayant  chacun  leur  propre  mu- . 
raille  de  clôture ,  on  l'appelait  quelquefois  Tétrapolis  ;  au 
temps  de  l'empereur  Justinien  on  la  nommait  aussi  Théo- 
polis.  Après  avoir  été  la  capitale  des  rois  séleucides  de  Syrie, 
elle  devint  le  siège  d'un  gouverneur  romain,  puis  celui  des 
patriarches  de  l'Église  chrétienne  d'Asie.  Elle  tomba  ensuite 
successivement  au  pouvoir  des  Perses ,  qui  pourtant  la 
rendirent  à  l'empereur  de  Constantinople  ;  des  Arabes , 
après  la  victoire  d'Antioche,  remportée  par  Omar,  en  638; 
enfin  ,  au  onzième  siècle  ,  des  croisés ,  qui  en  tirent  le  siège 
d'une  principauté  indépendante  (  voyez  Antiocue  [  Princes 
latins  d'  ] ,  en  même  temps  que  d'une  Église  latine.  L'une 
et  l'autre  disparurent,  lorsqu'on  1269  le  sultan  d'Egypte 
s'empara  d'Antioche  qu'il  détniisit  de  fond  en  comble.  — 
Sous  \e{\tvcd'Antiqiiitates  Anliochence  (Gœltingue,  1839), 
M.  Ottfricd  Millier  a  publié  un  mémoire  plein  de  savantes 
recherches  sur  l'histoire  d'.^ntioche. 

AXTIOCIIE  (Princes  latins  d').  Les  croisés  s'élant 
rendus  maîtres  d'Antioche  de  Syrie  en  1098,  elle  devint 
la  capitale  d'une  principauté  qui  s'étendait  au  seplentrion 
depuis  Tarse  jusqu'à  l'embouchure  du  Cydnc,  en  se  termi- 


ANTIOCHE  —  ANTTOCHUS 


GÔ5 


naiil ,  au  midi,  à  la  rivière  qui  coule  entre  Torlose  et  Tri- 
poli. Marc  Boémond  ,  fils  du  célèbre  aTcnturier  normand 
Robert  Giiiscard,  à  la  prudence  on  à  l'adresse  duquel 
les  croisés  duivnt  retlf  conquête,  devint  le  premier  prince 
latin  d'Anliocbe.  Il  accompagna  l'armée  des  croisés  lors- 
qu'elle se  mit  en  marche  pour  Jérusalem  ,  le  18  mars  1099. 
Mais  ,  arrivé  à  Laodicée ,  il  s'excu.sa  d'aller  plus  loin  ,  allé- 
guant que  sa  présence  était  nécessaire  dans  sa  nouvelle  capi- 
tale, dont  la  conservation  lui  tenait  plus  au  cœur  que  la  con- 
quête des  lieux  saints.  Ses  successeurs  furent  Boémond  II, 
Baudouin,  Foulques  d'.\njou,  Raimond,  Constance  (1107), 
fille  de  Baudouin,  Renaud  de  Chatillon,  Boémond  III,  Boé- 
mond l\,  Raimond  Rupin,  Boémond  V,  Boémond  VI,  dé- 
possédé dWntiochc  par  le  sultan  Bibars ,  et  Boémond  VII, 
le  dernier  de  ces  princes  latins  qui  établit  sa  résidence  à  Tri- 
poli, et  mourut  en  12SS,  sans  postérité.  En  lui  s'éteignit  celte 
puissance  éi)hémère  ,  venue  du  dehors  ,  qui  n'avait  pas  duré 
deux  siècles. 

AXTIOCnE  (Ère  d').  Voyez  Èhe. 

AXTIOCHCS.  Il  y  a  eu  quinze  rois  ou  princes  de  Sy- 
rie ,  et  trois  rois  de  Comagène  de  ce  nom ,  qui  a  été  porté 
en  outre  par  des  princes ,  des  capitaines ,  des  hommes  de 
lettres  et  des  artistes  de  divers  pays. 

Parmi  les  premiers ,  on  distingue  les  suivants  :  Antio- 
cncs  r*",  fils  aine  de  Séleucus  ,  premier  roi  de  Syrie  et  de 
Babvlone ,  qui  lui  succéda  l'an  2S0  avant  J.-C. ,  et  mourut 
l'an  260,  après  un  règne  de  dix-neuf  ans.  Il  reçut  le  surnom 
de5o/er,  c'est-ànlire  Sauveur,  pour  avoir  préservé  ses  États 
d'une  irruption  des  Gaulois.  Epris  des  appas  de  Stratonice  , 
sa  belle-mère,  il  avait  manqué  périr  d'une  maladie  de  lan- 
gueur dans  sa  jeunesse;  mais  Érasistrate,  médecin  de  la 
cour,  ayant  deviné  la  cause  de  son  mal,  Selencus  consentit, 
pour  sauver  son  fils ,  à  lui  céder  l'objet  de  ses  désirs. 

Antiochcs  II,  surnommé  Thcos,  ou  Dieu,  nom  que  lui 
donnèrent  les  Milésiens ,  parce  qu'il  les  avait  délivTés  de  la 
tyrannie  de  Timarque ,  succéda  en  26 1  à  son  père ,  Antio- 
dms  Soter,  et  reprit  avec  aussi  peu  de  succès  que  lui  la 
guerre  que  les  Babyloniens  avaient  entreprise  contre  Ptolé- 
mée  Philadelphe ,  roi  d'Egypte.  Forcé  de  répudier  Laodice 
pour  épouser  Bérénice,  fille  de  ce  dernier,  il  périt  empoisonné 
par  les  mains  de  sa  première  femme,  l'an  246  avant  J.-C. 

Antiocuus  surnommé  Iliérax ,  c'est-à-dire  oiseau  de 
proie,  à  cause  de  la  dureté  de  ses  mœurs,  était  fils  du  pré- 
cédent et  de  Laodice  ;  il  tenta  de  disputer  le  trône  à  son 
frère  aîné,  Séleucus  II,  ou  Céraunus,  contre  lequel,  aidé 
des  Gaulois ,  il  remporta  d'abord  quelques  avantages,  qu'il 
perdit  bientôt  par  la  défection  de  ses  alliés.  Il  périt  malheu- 
reusement, en  tâchant  de  s'échapper  des  mains  de  Ptolémée, 
dont  il  était  devenu  le  prisonnier. 

AsTiocnus  LE  Gr.AND  succéda,  l'an  223  avant  J.-C,  à  son 
frère  Séleucus  II  ;  reprit  sur  Ptolémée  la  Syrie ,  qui  avait  été 
^nlevée  à  ses  prédécesseurs,  puis  la  lui  rendit  en  formant 
alliance  avec  lui  et  en  lui  donnant  en  mariage  sa  fille  Cléo- 
pàtre.  Ayant  voulu  ensuite  tenter  la  conquête  de  l'Asie  Mi- 
neure et  de  la  Grèce,  celles-ci  lui  opposèrent  les  armes  triom- 
phantes des  Romains.  Dans  cette  guerre,  célèbre  sous  le  nom 
de  guerre  d'Anlïochiis,  Annibal  avait  uni  sa  cause  à  la 
sienne.  Mais  Antiochus ,  malgré  les  préparatifs  immenses 
qu'il  avait  faits,  n'entra  que  fort  peu  dans  les  vues  de  l'il- 
lustre Carthaginois,  et  se  borna  à  envoyer  en  Grèce  une 
armée,  qui  re5;ta  dans  l'inaction.  11  était  facile  de  prévoir  ce 
qui  en  résulterait  :  Antiochus  éprouva  un  échec  aux  Thcr- 
mopyles  et  diverses  défaites  navales.  Aussi,  complètement 
découragé,  il  ne  disputa  pas  même  l'entrée  de  l'Asie  Mineure 
aux  Romains  victorieux,  qui  le  battirent  de  nouveau  à  Ma- 
gnésie ,  et  le  forcèrent  à  signer  une  paix  ignominieuse,  par 
laquelle  il  leur  céda  toute  l'.Asie  jusqu'au  mont  Taurus ,  et 
s'engagea  à  leur  payer  en  outre  un  tribut  annuel  de  deux 
mille  talents.  Son  trésor  ne  pouvant  suffire  à  l'accomplisse- 
ment de  cette  promesse,  il  résolut  d'aller  pilier  le  temple  de 


Jupiter-Bcîus,  dans  la  Susiane  ;  mais  les  habitants  de  cette 
contrée  ,  irrités  d'un  tel  sacrilège,  le  tuèrent  avec  toute  sa 
suite,  l'an  187  avant  J.-C.  11  avait  régné  (rente-six  ans.  Il 
faut  justifier  l'histoire  de  lui  avoir  donné  le  surnom  de  Grand, 
qu'il  mérita  moins  par  ses  victoires  que  par  sa  clémence , 
sa  libéralité  et  sa  justice.  Ennemi  du  pouvoir  arbitraire ,  il 
fit  publier  un  édit  qui  défendait  de  lui  obéir  toutes  les  fois 
que  ses  ordres  seraient  contraires  aux  lois,  déclarant  qu'il 
ne  tenait  son  pouvoir  que  d'elles  et  qu'il  ne  voulait  régner 
que  par  elles. 

Le  fils  aîné  d' Antiochus  le  Grand  étant  mort  avant  son 
père ,  et  le  second,  Séleucus  Philopator,  n'ayant  régné  que 
fort  peu  de  temps,  Antiocucs  Epipuane,  ou  V Illustre, 
monta  sur  le  trône,  l'an  175,  et,  profitant  de  l'enfance  do 
Ptolémée  Philoraétor,  qui  venait  de  succéder  à  son  père 
Ptolémée  Épiphane,  il  pénétra  en  Egypte,  où  il  s'empara 
de  Memphis  et  de  la  personne  même  du  roi.  Mais  bientôt 
les  Romains  le  forcèrent  de  renoncer  à  sa  conquête.  Sous 
son  règne,  les  Juifs  s'étant  révoltés,  il  marcha  contre  Jéru- 
salem, déposa  le  grand  prêtre  Onias,  profana  le  temple  par 
le  sacrifice  qu'il  y  offrit  à  Jupiter,  fil  enlever  tous  les  vases 
sacrés  et  égorger,  dit-on,  80,000  habitants  de  cette  malheu- 
reuse ville.  Le  vieillard  Éléazar  et  les  sept  frères  Macliabées 
périrent,  avec  leur  mère,  dans  les  supplices  les  plus  affreux. 
Quelques  contemporains  de  cet  impie,  qui  mourut  épuisé  de 
débauches,  lui  donnèrent  le  surnom  à^Épimane,  ou  le 
Furieux,  qui  lui  convenait  bien  mieux  sans  doute  que  celui 
à' Épiphane,  dans  lequel  l'on  serait  tenté  de  voir  une  er- 
reur historique. 

Antiochus  Elpatou,  c'est-à-dire  né  d'un  père  illustre, 
avait  à  peine  neuf  ans  lorsqu'il  succéda,  l'an  164,  à  Antio- 
chus Épiphane ,  et  mourut  après  dk-huit  mois  de  règne , 
par  ordre  de  son  cousia  Démétrius  Soter,  qui  s'était  rendu 
maître  de  la  Syrie. 

ANTiocnus  SiDÈTES ,  OU  le  chasseur,  fils  de  ce  dernier, 
monta  sur  le  trône  l'an  139  avant  J.-C,  après  avoir  chassé 
de  Syrie  l'usurpateur  Triphon.  Il  soumit  de  nouveau  les 
Juifs,  remporta  divers  succès  sur  Phraates,  roi  des  Parthes, 
et  s'empara  de  Babylone;  mais  il  fut  vaincu  à  son  tour,  et 
périt  les  armes  à  la  main,  en  130.  Il  avait  de  grandes  vertus, 
ternies  malheureusement  par  son  intempérance.  Ennemi  de 
la  flatterie,  il  souffrait  les  vérités  les  plus  dures.  S'étant  un 
jour  égaré  à  la  chasse,  il  se  réfugia  dans  la  cabane  d'un 
laboureur,  auquel  il  demanda  ce  qu'on  pensait  de  son  gou- 
vernement :  «  ^"otre  prince  est  juste,  mais  il  a  des  ministres 
qui  le  trompent,  »  lui  répondit  celui-ci.  Le  lendemain,  ses 
gardes  arrivèrent  :  reconnaissant  alors  le  roi,  le  paysan 
tremblait  déjà  pour  les  suites  de  son  indiscrétion;  mais  An- 
tiochus, le  rassurant,  lui  dit  :  «  Je  te  dois  des  remercîments, 
et  tu  seras  récompensé  dignement ,  car  tu  m'as  révélé  des 
vérités  utiles,  que  je  n'avais  jamais  entendues  à  ma  cour.  » 

A^TIoc^cs  Grypus,  surnommé  ainsi  de  son  nez  aquilin, 
fils  de  Démétrius  ÏS'icanor  et  de  Cléopâtre,  fut  élevé  sur  le 
trône  l'an  123,  au  détriment  de  ses  frères  et  par  les  intrigues 
de  sa  mère,  qui  espérait  régner  en  son  nom;  mais  bientôt, 
rougissant  de  la  dépendance  où  elle  prétendait  le  retenir,  il 
voulut  secouer  le  joug,  et  ressaisit  l'autorité  après  avoir 
forcé  sa  mère  à  prendre  un  breuvage  empoisonné  qu'elle  lui 
avait  destiné.  Corneille  a  fait  de  cet  événement  le  sujet 
d'une  de  ses  plus  belles  tragédies.  Ce  prince  périt  assassiné 
par  un  de  ses  sujets. 

ANTiocnus  LE  CvzicÉMEN  OU  dc  Cijzique,  qui  avait  dis- 
puté le  diadème  à  son  frère  Grypus  et  l'avait  obîigé  à  le  par- 
tager avec  lui,  régna  seul  après  sa  mort,  et  s'endormit  sur 
le  trône.  Tandis  qu'il  oubliait  au  sein  des  plaisirs  les  devoirs 
de  la  royauté,  son  neveu  Séleucus  leva  une  armée  considé- 
rable, et  vint  lui  livrer  un  combat,  où  le  roi  se  donna  la 
mort  pour  ne  pas  tomber  vivant  au  pouvoir  de  son  ennemi. 
Mécanicien  ingénieux,  il  avait  inventé  plusieurs  machines 
de  guerre,  et  cultivait  les  arts  avec  succès.  La  religion  n'é^ 


G56 


A^TIOCîiUS  —  ANTIPATHIE 


tait  à  ses  yeux  qu'un  frein  inventé  pour  contenir  le  vul- 
gaire. On  raconte  de  lui  qu'il  pou'ssa  ce  mépris  au  point 
de  faire  enlever  du  temple  de  Jupiter  la  statue  d'or  massil 
de  ce  dieu ,  haute  de  quinze  coudées,  pour  la  remplacer  par 
une  autre ,  de  vil  métal ,  recouverte  dune  feuille  d'or  si  ar- 
tistement  posée  que  le  peuple  ne  s'aperçut  point  de  la  su- 
percherie. 

Antiochcs  Eusèbe,  ou  le  Pieux,  ainsi  surnommé  par  iro- 
nie, pour  avoir  épousé  la  veuve  de  son  père  Antiochus  le 
Cyzicénien,  ne  régna  que  deux  ans,  de  93  à  91,  et  périt  des 
mains  de  Piiilippe  et  de  Uémétrius,  fds  de  Grypus. 

Enfin,  Antiociu's  l'Asiatique,  fils  du  précédent,  et  qui 
avait  été  élevé  au  fond  de  l'Asie,  fut  dépouillé  de  sesÉtiits, 
l'an  C5  avant  J.-C,  par  Pompée,  qui  réduisit  la  Syrie  en 
province  romaine;  il  fut  donc  le  dernier  prince  de  la  race 
des  Antiochus,  éteinte  avec  lui. 

AATIOPE,  fille,  selon  les  uns,  de  Nyctée,  roi  de  Thè- 
bes,  séduite  par  Jupiter,  sous  la  forme  d'un  satyre,  ou  fille, 
d'après  Homère,  du  fleuve  Asopus.  Sa  beauté  lavait  rendue 
célèbre  dans  toute  la  Grèce.  Épopée,  roi  de  Sicyone,  enleva 
cette  princesse,  et  l'épousa.  Lycus ,  ayant  succédé  à  Nyctée, 
auquel  il  avait  promis  de  punir  sa  fille,  tua  Épopée,  et  con- 
duisit Antiope  à  Thèhes,  où  il  la  remit  entre  les  mains  de 
Dircée,  sa  femme,  qui  lui  fit  subir  les  plus  cruels  traitements. 
Antiope  trouva  moyen  de  s'évader  ;  ses  deux  fils,  Zélhiis  et 
Amphion,  la  vengèrent. 

Une  autre  Antiope,  reine  des  Amazones,  ou  du  moins 
sœur  de  leur  reine  Hippoljte,  épousa  Thésée  lorsque  ce 
roi  l'eut  faite  prisonnière  à  la  suite  d'ime  victoire  remportée 
par  lui  sur  les  héroïnes  des  bords  du  Thermodon.  Quand 
les  Amazones  tentèrent,  pour  venger  leur  déroute,  une  in- 
vasion dans  l'Attique,  Antiope,  restant  fidèle  à  son  époux , 
les  combattit  avec  lui,  et  c'est  d'elle  que  Thésée  eut  son  fils 
Hippolyte,  dont  la  muse  tragique  a  célébré  la  vertu  et 
l'infortune  dans  plusieurs  langues. 

ANTIPAPES.  On  appelle  ainsi  les  compétiteurs  des 
papes,  les  prêtres  qui  leur  ont  disputé  le  saint-siége,  souvent 
à  main  armée,  à  l'aide  d'une  faction  ecclésiastique  ou  poli- 
tique. Le  Dictionnaire  de  Trévoux  en  compte  vingt-huit, 
d'autres  n'en  reconnaissent  que  dix-sept  ou  dix-huit  ;  le 
compilateur  abbé  de  Yallemont  va  jusqu'à  trente-deux,  et 
nous  croyons  qu'il  approche  le  plus  de  la  vérité.  Ces  usurjja- 
teurs  ont  jeté  quelque  confusion, sinon  dans  l'histoire  des 
souverains  pontifes,  du  moins  dans  leur  nomenclature  ;  car 
les  historiens  ne  se  sont  pas  toujours  accordés  pour  les  ad- 
mettre dans  la  liste  des  papes  ou  pour  les  en  exclure.  11  en 
est  qui ,  comme  Félix  II  et  Jean  XVI ,  ont  gardé  la  place 
chronologique  que  leurs  partisans  leur  avaient  assignée; 
d'autres,  qui  avaient  pris  les  noms  de  Clément  VII  et  de  Be- 
noît XIII,  ont  été  remplacés  dans  ces  nombres  par  dûs  papes 
légitimes;  d'autres  enfin,  comme  Victor  IV,  Pascal  III  et 
FéUx  V,  ont  été  respectés,  parce  qu'ils  terminaient  leur 
série  et  qu'aucun  des  papes  subséquents  n'avait  pris  leur 
nom.  Le  premier  de  ces  antipapes  est  Novatien  l",  qui 
date  de  252;  viennent  ensuite  Félix  II,  Ursin,  Boniface  1", 
Symmaque,  Dioscore,  Vigile,  Philippe,  Zizinnus,  Anastase, 
Serge,  Jean  VI,  Grégoire,  Sylvestre  III,  Benoit  IX,  Jean  XX, 
Honorius  II,  Clément  III,  Albert,  Théodoric,  Miginulfe, 
Grégoire  VIII,  Anaclet,  Victor,  Alexandre  III,  Victor  IV,- 
Pascal  III,CalixteIII,  Nicolas  V.ClémentVIl,  Benoît XIII, 
Jean  XXIII,  et,  enfin,  le  dernier  des  antipapes,  qui  parut  le 
5  novembre  1439,  le  fameux  duc  de  Savoie,  Amédée,  qui 
se  décora  du  nom  de  Féhx  V ,  ou  bien  le  pape  Eugène  IV, 
déposé  par  le  concile  de  Bâle,  et  dont  Félix  V  prit  la  place.- 
l'Eglise  les  a  traités  tour  à  tour  de  papes  et  d'antipapes; 
mais  ils  sont  restés  tous  les  deux  sur  la  liste  des  véritables 
successeurs  de  saint  Pierre.  Voilà  bien ,  de  compte  fait , 
trente-trois  antipapes ,  qui  ont  bouleversé  le  monde  et  l'É- 
glise, et  nous  n'avons  pas  besoin  de  dire  qu'ils  n'ont  i)as 
valu  le  sang  qu'ils  ont  coûté.  Nous  ferons  leur  histoire,  soit 


à  leur  nom  particulier,  soit  à  celui  du  pape  auquel  ils  dispu- 
taient le  saint  siège,  soit  enfin  à  l'article  Papalté. 

AXTIPATER,  lieutenant  d'.Uexandre,  après  avoir  été 
l'ami  et  le  ministre  de  Philippe  de  Macédoine,  qui  mettait 
en  lui  toute  sa  confiance.  Quand  Alexandre  partit  pour  son 
expédition,  il  lui  confia  le  gouvernement  de  la  Macédoine 
et  de  la  Grèce,  dignité  qui  lui  offrit  l'occasion  de  déployer 
son  courage  et  son  habileté.  Memnon,  général  des  troupes 
grecques  à  la  solde  de  la  Perse,  ayant  insurgé  la  Thrace, 
les  Lacédémoniens  saisirent  cette  occasion  pour  secouer  le 
joug.  Leur  roi  Agis  se  mit  à  la  tête  d'un  mouvement  insur- 
rectionnel en  Grèce.  Antipater  défit  d'abord  Memnon  ,  et 
pacifia  la  Thrace;  puis  il  dompta  les  Lacédémoniens,  et  tua 
leur  roi  dans  une  bataille  acharnée,  où  il  périt  environ  trois 
mille  cinq  cents  hommes  de  chaque  côté.  Les  triomphes 
d' Antipater  ne  le  mirent  pas  à  l'abri  des  tracasseries  inté- 
rieures :  Olympias,  mère  d'Alexandre,  ne  cessait  d'envoyer 
contre  lui  des  plaintes  fondées  sur  ce  qu'elle  appelait  sa  ty- 
rannie, et  Antipater  ne  se  plaignait  pas  moins  amèrement 
du  caractère  difficile  et  du  peu  de  dignité  d'OljTnpias. 
Alexandre  lui  donna  Cratère  pour  successeur.  Quelques-uns 
ont  pensé  qu'il  s'était  vengé,  et  qu'arrivé  près  du  prince,  il 
eut  part  à  sa  mort,  et  devint  pour  tous  les  l\Iacédoniens  \in 
objet  d'horreur;  mais  ces  assertions  sont  au  moins  hasar- 
dées. 

Antipater  eut  en  partage  les  provinces  dont  il  avait  été  !e 
gouverneur,  et  fut  tuteur  de  l'enfant  dont  Roxane  était  en- 
ceinte. Les  Grecs  s'étant  de  nouveau  soulevés  pour  s'affran- 
chir du  jojg,  il  se  vit  abandonné  des  Thessaliens,  fut  vaincu 
et  se  retira  dans  Lamia  en  Thessalie ,  où  il  fut  assiégé  et 
contraint  de  capituler.  Renforcé  par  Léonat  et  Cratère,  il 
subjugua  de  nouveau  les  Grecs,  reçut  la  somnission  que  Dé- 
made  vint  lui  apporter  au  nom  des  Athéniens,  cliangea  leur 
constitution  en  établissant  les  droits  politiques  sur  une  cer- 
taine mesure  de  fortune,  offrit  enfin  une  habitation  en  Thrace 
à  ceux  qui  possédaient  moins  de  deux  mille  drachmes.  Il 
est  juste  de  rappeler  qu'il  fit  mourir  Démosthène  et  Hypé- 
rides,  ou  du  moins  qui!  fit  couper  la  langue  à  celui-ci.  Dé- 
mosthène, plutôt  que  d'essayer  de  la  clémence  du  vainqueur, 
qu'on  lui  promettait,  s'empoisonna  dans  le  temple  de  Nep- 
tune, de  l'île  de  Calaurie,  et  tomba  mort  au  pied  de  l'autel. 
L'an  322  avant  J.-C,  Perdiccas  n'existant  plus,  Antipater  fut 
investi  de  la  régence;  les  événements  qui  se  succédèrent 
depuis  jusqu'à  sa  mort  sont  peu  importants  ;  il  succomba 
à  une  maladie  grave,  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans,  laissant 
la  régence  à  Polyspercbon  ,  au  détriment  de  son  propre  fils 
Cassandre.  On  dit  qu' Antipater  avait  reçu  de  la  nature  les  plus 
heureuses  dispositions,  et  que  les  leçons  d'Aristote  en  avaient 
fait  un  philosophe  et  un  savant  :  on  ajoute  qu'il  avait  écrit 
une  histoire  et  deux  volumes  de  lettres.        De  Goleéry. 

AjVTIPATIIIE  (d'àvTÎ,  contre,  et  Tîâôo:,  passion,  ou 
affection).  C'est  l'opposé  de  la  sij77ipat hie.  C'est  une 
aversion  irrélléchie,  une  répugnance  naturelle  pour  des  per- 
sonnes ou  des  animaux ,  ou  des  objets  quelconques.  —  Les 
antipathies  physiques  peuvent  naître  entre  des  personnes 
dont  les  tempéraments ,  les  âges ,  les  humeurs ,  sont  trop 
contraires.  L'impétueux  et  le  lent,  le  sensible  et  l'apathique , 
le  sombre  et  l'enjoué,  la  vieillesse  et  l'enfance,  le  sanguin 
léger  et  le  mélancolique  profond ,  ne  peuvent  sympathiser, 
puisque  ce  qui  plaît  à  l'un  contrecarre  singulièrement  les 
goilts  de  l'autre.  Les  caractères  et  les  complexions  sembla- 
bles, tout  au  contraire,  se  rapprochent  avec  plaisir  :  similis 
simili  gaudet.  —  Il  y  a  pourtant  des  oppositions  qui  s'har- 
monient  ensemble ,  comme  les  deux  sexes ,  ou  l'enfant  et 
le  père ,  ou  le  faible  avec  le  fort  ;  mais  alors  il  y  a  coïnci- 
dence ,  union.  L'inférieur  se  subordonne  au  supérieur.  — 
La  lutte  n'existe  donc  qu'entre  des  oppositions  égales  ou 
résistantes,  avec  débat  ou  haine.  Ainsi,  la  nature  a  créé  des 
inimitiés  entre  pareils ,  comme  entre  des  races  d'animaux. 
Les  carnivores ,  entre  eux  rivaux  pour  la  chasse ,  se  com- 


ANTIPATHIE  —  ANTIPIILOGISTIQTJES 


I>attcnl  ou  ?c  fiiiont.  I  es  lioibivorcs  ,  plus  doux,  cl  trouvant 
iinc  pclture  facile ,  se  rapproclicnt  souvent  en  troupes.  LY- 
goïste,  l'orgueilleux,  le  despote,  sont  ou  doivent  vivre  seuls  ; 
ils  deviennent  antipatliiqiies  pour  tout  le  monde.  Les  com- 
plexions  généreuses,  expansives,  aimantes,  sont  sympathi- 
ques, et  attirent  partout  l'amitié  ou  provoquent  l'amour. 

Ces  faits  sont  faciles  à  comprendre.  D'autres  antipathies 
sont  moins  cxpHcables  : 

Odi  et  amo  :  qii.ire  id  faciim  fortasse  rcqiilris 
IVcscio  ,  scd  ficri  scotio  ,  et  cxcrucior. 

Pourquoi  telle  femme  belle  vous  déplait-elle  à  côté  de 
cette  autre  laide ,  qui  sait  pourtant  vous  enchanter  ?  La  grûce 
a-t-ellc  plus  de  pouvoir  que  la  beauté?  Chaque  homme  porte- 
t-il  en  son  cœur  un  modèle,  une  image  de  la  persomie  qui 
lui  convient  le  mieux  ?  Devine-t-on  le  caractère ,  la  manière 
de  sentir  de  telle  ou  telle  femme  par  rapport  aux  nôtres? 
On  peut  se  tromper  sans  doute,  mais  il  est  des  nœuds 
secrets,  il  est  des  syynpathies  dont  les  âmes  se  laissent 
piquer  par  ce  je  ne  sais  quoi  qu'on  ne  peut  expliquer. 
Les  antipathies  spontanées  naissent  également  de  raisons 
contraires  inexpliquées. 

Entre  les  deux  sexes,  deux  complexions  trop  semblables, 
par  exemple,  une  virago  et  un  homme  robuste  et  fort,  ne 
s'accorderont  jamais  ;  chacun  voudra  dominer  ;  deux  époux 
également  apathiques  ne  sympathiseront  pas  davantage  :  il 
faut  pour  se  plaire  l'un  à  l'autre  une  harmonie  d'opposition. 
Ce  qui  ferait  antipathie  si  le  sexe  était  le  même  devient 
sympathie  entre  homme  et  femme.  —  Des  antipathies  nais- 
sent facilement  par  association  d'idées  :  ainsi ,  telle  per- 
sonne, tel  aliment ,  vous  ont  causé  du  mal ,  vous  leur  gar- 
dez rancune.  Le  cheval  se  souvient  de  l'homme  qui  l'a  blessé. 
La  vue ,  l'odeur  seule  d'une  substance  qui  vous  a  nui  vous 
cause  une  aversion  parfois  insurmontable.  Un  chat  vous  a 
effrayé  pendantla  nuit,  vous  détesterez  les  chats.  Souvent  on 
ne  se  rend  pas  compte  des  causes  piimitives  de  son  aversion. 
et  alors  l'antipathie  semble  >m  phénomène  bizarre.  Quel- 
ques personnes  ne  peuvent  supporter  le  miel ,  ou  l'odeur 
du  lis  et  de  la  tubéreuse ,  sans  doute  pour  en  avoir  été  in- 
commodées. Chacun  pourrait  ainsi  raconter  ses  répugnances. 
Descartes  aimait  les  femmes  qm  louchaient,  parce  qu'il  avait 
été  bien  soigné  dans  son  enfance  par  ime  femme  louche. 

—  D'ailleurs ,  il  y  a  des  aversions  naturelles  pour  du  fro- 
mage fort ,  de  l'ail  ou  des  oignons ,  etc.  L'estomac  repousse 
certaines  nourritures  ou  ne  les  digère  pas.  Ce  sont  des  idio- 
syncrasies ,  une  sensibilité  particulière  pour  ou  contre  des 
objets  doués  de  propriétés  nuisibles  ou  salutaires  à  telle  es- 
pèce de  constitution.  Chacun  de  nos  sens  usurpe  aussi  sur 
les  matériaux  de  ses  sensations  un  empire  spécial  ;  il  exerce 
son  choix.  Tel  nez  préfère  une  odeur  que  déteste  un  autre 
nez.  Le  toucher  du  satin  ou  du  velours,  si  moelleux,  cha- 
touille désagréablement  les  nerfs  blasés  de  certains  indi- 
vidus. Telle  couleur  parait  triste  à  des  yeux,  qui  en  réjouit 
d'autres.  Des  goûts  et  des  couleurs  on  ne  doit  disputer. 

—  Que  le  lièvie  haïsse  le  chien ,  il  est  sa  victime;  mais  que 
le  furet  prenne  en  aversion  la  peau  môme  du  lapin ,  c'est 
une  antipathie  tyranniquc  dont  la  différence  d'organisation 
et  d'instinct  pourrait  seule  rendre  compte.  La  nature  inspire 
donc  ainsi  des  haines  ;  le  bourreau  se  plaît  à  déchirer  un 
être  innocent  et  timide.  L'antipathie  entre  les  races  carni- 
vores et  les  humbles  fruvigores  date  du  commencement  du 
monde.  On  a  même  prétendu  que  certains  végétaux  étaient 
également  antipathiques  à  d'autres,  ou  les  empêchaient  de 
croître  dans  leur  voisinage.  11  n'en  est  rien  ;  mais  plusieurs 
sortes  de  plantes  nuisent  au  développement  de  quelques 
autres,  ou  s'y  opposent.  Des  champignons  parasites  causent 
quelquefois  la  rtiort  des  herbes  sur  lesquelles  ils  naissent. 

Y  a-t-il  des  antipathies  entre  les  substances  inanimées  et 
minérales?  11  parait  contradictoire  d'attribuer  un  sentiment 
à  ce  qui  est  dépourvu  de  toute  sensibilité,  à  moins  qu'on 

DICT.    DE   LA   CONYEKS.  —  T.    I. 


C67 

n'acrordc  avec  Thomas  Campanella  la  faculté  de  sentir  à 
toute  matière.  On  peut  dire,  toutefois,  que  si  l'huile  et  l'eau 
sont  ininiiscibles ,  si  le  mercure  ne  peut  s'amalgamer  avec 
le  fer,  tandis  qu'il  s'attache  à  l'or  et  à  l'argent ,  etc. ,  il  y  a 
entre  les  corps  minéraux  dos  afilnités,  et,  par  une  raison 
contraire,  des  antipatlùes.  Les  deux  pôles  similaires  d'un 
aimant  se  repoussent  ainsi  que  les  électricités  de  môme  na- 
ture, tandis  que  les  contraires  s'attirent,  ou  s'aiment  pour 
ainsi  dire.  C'est  par  cet  innocent  artifice  qu'avec  un  aimant 
on  peut  attirer  ou  repousser  des  figures  factices  de  poissons, 
de  canards ,  comme  le  pratiquent  des  jongleurs  devant  la 
foule  ébahie.  —  Bref,  si  toute  la  nature  est  soumise  aux 
deux  grandes  lois  de  Vattraction  et  de  la  répulsion ,  qui 
se  traduisent  en  amour  et  en  haine  chez  les  êtres  animés, 
toute  chose  reconnaîtra  l'empire  des  sympathies  et  des  an- 
tipathies. J..J.  ViREY. 

ANTIP ATRIDES,  descendants  d' A n ti  p  a  t  e  r,  Ueute- 
nant  d'Alexandre,  qui  ont  essayé  de  régner  sur  la  Macé- 
doine. Ce  sont  :  C  a  s  s  r.  n  d  r  e,  fds  d' Antipater,  qui  prit  le  titre 
de  roi  en  317  avant  J.-C.  —  Philippe,  l'aîné  des  (ils  de  Cas- 
sandre,  qui  lui  succéda  l'an  301 .  —  Antipater  II,  qui  prit  la 
couronne,  malgré  l'opposition  de  son  frère  Alexandre,  et  com- 
mença par  fiùre  égorger  sa  mère,  qu'il  soupçonnait  de  favo- 
riser le  jeune  prince.  Celui-ci  chercha  des  alliés  plus  puissants. 
Pyrrhus,  roi  d'Épire,  accouru  à  son  secours,  lui  soumit 
la  Macédoine ,  et  reçut  en  récompense  l'Ambracie  et  l'Acar- 
nanie ,  sur  les  bords  de  la  mer.  —  Survint  ensuite  ce  môme 
Alexandre,  qui  consentit  bientôt  à  laisser  à  son  frère  la  moitié 
du  royaume  qu'on  lui  rendait,  et  fut  le  quatrième  roi  de 
cette  dynastie.  Mais  Démétrius-Poliorcète ,  dont  il  avait 
aussi  imploré  le  secours ,  et  qu'il  avait  ensuite  prié  de  re- 
tourner chez  lui,  ne  voulut  pas  être  venu  pour  rien.  Il  fit 
massacrer  Alexandre  dans  un  festin,  et  força  Antipater 
à  chercher  un  refuge  dans  la  Thrace ,  chez  son  beau-père 
Lysimaque ,  qui ,  pour  se  soustraire  aux  fureurs  de  Démé- 
trius ,  fit  mourir  son  gendre  dans  une  prison  (  287  avant 
J.-C).  —  Enfin,  sept  ans  après  la  mort  des  deux  frères, 
nous  voyons  le  peuple  chercher  à  couronner  un  enfant  de 
Philippe ,  leur  aîné ,  et  qui  portait  le  nom  d'Antipater.  Mais 
son  règne  ne  dura  que  quarante-cinq  jours ,  et  cette  race 
disparut  pour  toujours  avec  lui,  vers  280. 

AJVTIPniLE,  peintre,  élève  de  Ctésidême,  né  en  Egypte, 
fut  le  contemporain  et  le  rival  d'Apelle.  Lorsque  le  grand 
artiste  grec  vint  à  la  cour  de  Ptolémée,  au  service  duquel 
Antiphile  était  attaché,  celui-ci,  entraîné  par  une  basse 
jalousie,  chercha  tous  les  moyens  de  le  perdre,  et  finit  par 
le  dénoncer  comme  complice  d'une  conspiration  tramée 
contre  le  roi  d'Egypte.  Apelle,  déclaré  coupable,  fut  chargé 
de  chaînes ,  et  il  était  menacé  de  perdre  la  vie ,  lorsqu'un 
des  conjurés,  outré  de  cette  injustice,  démontra  la  fausseté 
de  l'accusation;  et  Antiphile  fut,  à  son  tour,  jeté  dans  les 
fers  pour  le  reste  de  sa  vie. 

Pline  mentionne  un  grand  nombre  de  tableaux  dont  il 
était  l'auteur,  et  cite  les  lieux  où  ils  étaient  exposés.  II 
avait  inventé  un  genre  de  figures  grotesques  appelées 
Grijlli,  nom  qui  resta  après  lui  à  ces  caricatures  de  l'anti- 
quité. Deux  de  ses  plus  beaux  ouvrages  étaient  un  satyre 
couvert  d'une  peau  de  panthère,  et  un  enfant  qui  soufflait 
le  feu.  Dans  cette  dernière  œuvie  le  jeu  et  les  effets  de  la 
lumière  étaient,  disait-on,  admirablement  rendus.  Antiphile 
se  distinguait  surtout  par  l'exquise  délicatesse  et  l'extrême 
faciUté  de  son  pinceau. 

Pausanias  parle  d'un  statuaire  du  même  nom,  dont  on 
voyait  plusieurs  ouvrages  à  Olympie. 

ANTiPIILOGISTIQUE  (Chimie).  Voij.  Combustion. 

AXTIPIILOGISTIQVES  {Théropeutiqîie),  du  grec 
àvTt,  contre,  et  ç).oyô;,  inflammation.  Oncom|)rend  scus  ce 
nom  l'ensemble  des  moyens  propres  à  combattre  les  inflam- 
mations :  ces  moyens  peuvent  être  les  révulsifs  ,  les  vomi- 
tifs, les  purgatifs,  les  contre-stimulants,  les  émissions  sau- 

83 


658 

guines,  les  émollienf s ,  et  les  tempérants;  mais  c'est  l'emploi 
des  trois  derniers  moyens  thérapeutiques  qu'on  regarde  plus 
particulièrement  comme  constituant  la  médication  antiphlo- 
gistique.  L'emploi  des  antiphlogistiqiies  a  surtout  été  préco- 
nisé par  Broussais. 

AÀ'TIPnOiV,  orateur  grec.  Si  l'on  en  croit  Marcellin  et 
Suidas,  il  aurait  eu  l'honneur  d'avoir  Thucydide  pour  disciple; 
ce  qui  est  d'autant  plus  probable  que  cet  historien  en  fait  l'é- 
loge. Plutarque  énumère  aussi  les  grandes  qualités  qui  rele- 
vaient l'éloquence  d'Antiphon  ;  il  le  dépeint  exact,  énergique 
et  progressif,  tandisque  Platonmet  dans  la  bouche  de  Socrate 
un  jugement  très-défavorable  à  cet  écrivain ,  qiii  composait 
à  prix  d'argent  des  discours  que  d'autres  devaient  prononcer, 
et  notamment  des  plaidoiries.  Sur  les  quinze  qui  nous  res- 
tent, douze  sont  divisés  en  trois  tétralogies,  de  quatre 
chacune ,  et  ressemblent  plus  à  des  études  qu'à  des  mor- 
ceaux achevés;  cependant  on  y  peut  faire  des  recherches 
précieuses  sur  la  forme  de  la  procédure  criminelle  à  Athènes. 
Antiphon  avait  aussi  écrit  une  rhétorique,  ^'é  à  Rhamnus, 
en  Attique,  au  commencement  de  la  75^  olympiade,  il  fut 
disciple  de  son  père ,  Sophilos ,  et  de  Gorgias.  Il  avait 
placé  au-dessus  de  sa  porte  cette  inscription  :  Ici  Von  con- 
sole les  malheureux.  Antiphon  commanda  plusieurs  fois 
des  troupes  athéniennes  dans  la  guerre  du  Péloponnèse, 
équipa  à  ses  frais  soixante  carènes,  et  eut  une  grande  part 
à  la  révolution  qui  établit  à  Athènes  le  gouvernement  des 
quatre  cents ,  dont  il  fut  membre.  Envoyé  à  Sparte  pour  y 
négocier  la  paix  ,  il  ne  fut  pas  heureux  dans  sa  négociation  : 
les  uns  disent  qu'il  fut  condamné  à  mort  comme  coupable  de 
trahison  dans  cette  affaire;  d'autres  soutiennent  que  ce  fut 
pour  avoir  pris  part  à  l'établissement  du  gouvernement  des 
quatre  cents  ;  d'autres  encore ,  qu'il  fat  tué  par  ordre  des 
trente  tyrans.  Enfin ,  on  a  prétendu  que  cet  orateur,  déjà 
vieuï ,  s'étant  retiré  en  Sicile ,  s'attira  le  courroux  de  Denys 
le  tyran ,  et  périt  pour  avoir  critiqué  les  tragédies  de  ce 
prince ,  ou  même  pour  avoir  osé  répondre  à  sa  question , 
que  le  meilleur  airain  était  celui  dont  étaient  faites  les  sta- 
tues d'Harmodius  et  dAristogiton.  De  Golbért. 

AIVTIPHOiVAIRE,  ANTIPHOMER,  A>'TIPHO>-.\L 
(du  grec  àvTiyWv/i).  Ces  mots  désignent  aujourd'hui  le  livre 
en  usage  dans  l'Église  catholique  où  sont  contenues  les  a?î- 
^ie«?i  es  des  vêpres,  des  matines  et  des  heures  canoniales , 
avec  les  hymnes  et  autres  pièces  qui  s'y  rattachent,  le  tout 
noté  en  plain-chant.  A  une  époque  plus  ancienne,  comme  on 
appelait  antiennes  plusieurs  parties  de  la  messe,  telles  que 
YintroïtfVoffertoire  et  la  comiminion,  l'antiphonaire  con- 
tenait non  les  prières  qui  le  composent  à  présent,  mais  celles 
qui  forment  le  misse/.  C'est  ainsi  que  le  pape  saint  Gré- 
goire I"'  compila  d'après  les  recueils  de  ses  prédécesseurs 
un  antiphonaire-missel  avec  sa  notation,  dont  l'usage  s'est 
conservé  avec  plus  ou  moins  de  modifications,  mais  qui  a 
fait  fort  mal  à  propos  attribuer  à  ce  pontife  la  composition  du 
chant  actuel  de  l'Église  de  Rome.  Voyez  chant  Ghégorie.n. 

AA'TIPHRASE  (de  àvxl,  contre,  et  de  çpdat;,  locu- 
tion, manière  de  parier).  L'antiphrase  est  une  expression, 
ou  une  manière  de  parler,  par  laquelle  en  disant  une  chose 
on  entend  tout  le  contraire  :  par  exemple,  la  mer  Noire,  su- 
jette à  de  fréquents  naufrages ,  et  dont  les  bords  étaient  ha- 
bités par  des  hommes  extrêmement  féroces,  était  appelée  le 
Pont-Euxin ,  c'est-à-dire  mer  favorable  à  ses  hôtes,  mer 
hospitalière.  C'est  pour  cela  qu'Ovide  a  dit  que  cette  mer 
avait  un  nom  menteur. 

Sanctius  et  plusieurs  autres  grammairiens  modernes  ne 
veulent  pas  mettre  l'antiphrase  au  rang  des  figures ,  et  rap- 
portent ou  à  l'ironie  ou  à  l'euphémisme  tous  les 
exemples  qu'on  en  donne.  Il  y  a,  en  effet,  je  ne  sais  quoi 
d'opposé  à  l'ordre  naturel  de  nommer  une  chose  par  son 
contraire,  d'appeler  lumineux  un  objet  parce  qu'il  est 
obscur. 

La  superstition  des  anciens  leur  faisait  éviter  jusqu'à  la 


AMIPHLOGISTIQL'ÊS  —  ANTIQUAIRE 


simple  prononciation  des  noms  qui  réveillent  des  idées  tristes 
ou  des  images  funestes  ;  ils  donnaient  alors  à  ces  objets  des 
noms  flatteurs,  comme  pour  se  les  rendre  favorables  et 
pour  se  faire  un  bon  augure  ;  c'est  ce  qu'on  appelle  euphé- 
misme. Mais,  que  ce  soit  par  ironie  ou  par  euphémisme  que 
l'on  ait  parlé,  le  mot  n'en  doit  pas  moins  être  pris  dans  un 
sens  contraire  à  ce  que  la  lettre  présente  à  l'esprit;  et  voilà 
ce  que  les  anciens  grammairiens  entendaient  par  anti- 
phrase. Dlmarsais. 

ANTIPODES  (de  àw.,  contre,  et  tioO;,  71680;,  pied), 
terme  relatif  qui  s'apphque  aux  habitants  du  globe  dont  les 
positions  géographiques  sont  diamétralement  opposées.  Le 
plus  grand  jour  des  uns  correspond  à  la  plus  longue  nuit 
des  autres,  et  pendant  l'été  de  ceux-ci  les  premiers  ont  l'hi- 
ver. En  général,  les  antipodes  ont  les  jours  et  les  nuits  de 
même  longueur,  et  les  mômes  saisons,  mais  dans  des  temps 
différents  et  alternativement.  Les  antipodes  de  Paris  sont 
dans  le  grand  Océan,  au  sud-est  de  la  N'ouvelle-Zélande.  La 
science  a  donné  plus  de  précision  à  ce  mot  en  ne  l'appli- 
quant qu'aux  points  diamétralement  opposés  de  la  sphère  : 
ainsi,  en  astronomie  et  en  géographie  mathématique,  les 
antipodes  sont  des  points  situés  à  180°  de  distance  sur  le 
môme  méridien  et,  par  suite,  à  la  rencontre  de  deux  paral- 
lèles différents ,  mais  également  éloignés  de  l'équateur. 

ANTIQUAIRE.  On  donnait  autrefois  ce  nom  à  ceux  qui 
faisaient  des  scholies  ou  des  notes  sur  les  auteurs,  et  qui 
prouvaient  par-là  une  grande  connaissance  de  l'origine  et 
de  l'antiquité  des  choses;  c'étaient  des  espèces  à'annota- 
teurs.  On  avait  étendu  cette  qualification  aux  copistes, 
nommés  aussi  libraires  {calligraphi-librarii),  qui  tran.s- 
crivaient  les  vieux  livres.  Les  Romains  désignaient  plus  spé- 
cialement sous  ce  nom  les  savants  qui ,  nourris  du  style  et 
des  bons  exemples  des  auteurs  anciens  ,'s'appliquaient  à  en 
perpétuer  le  goût  et  les  bonnes  traditions  par  leurs  recher- 
ches et  leurs  écrits  ;  quelques-ims,  restreignant  cette  étude 
à  la  langue  et  à  la  grammaire,  et  recherchant  avec  affecta- 
tion les  vieux  mots,  les  expressions  surannées  et  tombées 
en  désuétude ,  pour  les  faire  revivre  et  les  remettre  en  lu- 
mière, au  mépris  des  nouvelles,  firent  prendre  en  mauvaise 
part  une  qualification  qui  jusque  là  n'avait  été  qu'honorable. 
Il  y  avait  enfm  anciennement  dans  les  villes  les  plus  consi- 
dérables de  la  Grèce  et  de  l'Italie  des  personnes  de  distinc- 
tion nommées  antiquaires ,  dont  la  charge  était  de  faire 
voir  aux  étrangers  ce  qu'il  y  avait  de  curieux,  et  de  leur  ex- 
pliquer les  inscriptions  anciennes  et  les  vieux  monuments  - 
ils  ont  échangé  depuis  cette  qualification  contre  celle  de 
cicérone. 

Aujourd'hui,  ou  appeOe  du  nom  à' antiquaire ,  ou  plutôt 
A'' archéologue,  celui  qui  s'occupe  de  la  recherche  et  de  l'é- 
tude des  monuments  qui  nous  restent  de  l'antiquité,  des 
coutumes  des  anciens,  des  vieux  livres,  des  vieilles  images, 
des  médailles,  et  généralement  de  tout  ce  qui  peut  donner 
quelque  connaissance ,  quelque  lumière  sur  l'antiquité. 
Parmi  les  savants  qui  se  sont  le  plus  distingués  dans  cette 
étude,  on  doit  citer  en  première  ligne  les  Winckelmann, 
les  Montfaucon ,  les  Barthélémy,  les  Caylus;  ce  dernier  fut 
un  des  plus  célèbres  antiquaires  de  France,  mais  comme 
il   était  moins  aimable  qu'érudit,  on  lui  fit  cette  épitaphe  : 

Ci-gît  uo  antiquaire  acariâtre  et  brusqne. 

Ah!    qu'il  est  bien  logé  dans  cette  cruche  étrusque! 

Malheureusement,  comme  les  anciens,  les  modernes  ont  vu 
aussi  prostituer  cette  qualification  à  des  hommes  qui  ne  la 
méritaient  pas,  et  qui  l'ont  même  rendue  parfois  ridicule  •- 
tels  sont  ces  individus  qui,  sans  avoir  fait  les  études  pré- 
paratoires nécessaires  pour  se  livrer  à  une  recherche  hé- 
rissée de  difficultés,  preiment  pour  l'amour  de  l'antique  la 
triste  manie  de  recueillir  sans  ordre  et  sans  choix  une  foule 
de  débris,  souvent  apocryphes,  dont  ils  forment  à  grands 
frais  de  prélendues  collections;  enfin,  ceux  (jui  joignent  le 


ANTIQUAIRE 

ilésir  d'un  gain  sovdidc  h  celte  prétention,  qui,  sans  cela,  ne 
ser;iit  qu'un  ridicule.  C'est  ainsi  qu'on  a  vn  de  nos  jours  la 
dénonnnation  d'homme  de  letties  devenir  la  qualité  de 
ceux  qui  n'en  ont  aucune  à  revendiquer,  et  la  qualilication 
iïartistc  usurpée  par  les  barbouilleurs. 

ANTIQUAIRES  (Sociétés  d').  Plusieurs  réunions 
savantes,  décorées  de  ce  titre  et  faisant  des  antiquités  de 
différentes  époques  l'objet  exclusif  de  leurs  études,  existent 
à  Rome,  à  Paris,  à  Londres,  à  "Vienne,  à  Copenhague,  aux 
États-Unis,  etc.  Celle  de  Londres  date  de  1572.  Celle  de  Co- 
j)enhague  s'est  particulièrement  occupée  dans  ces  derniers 
temps  des  explorations  de  l'^Vuiérique  antérieures  à  Chris- 
tophe Colomb. 

La  Société  des  Antïqtiaires  de  France,  qui  est  secondée 
dans  la  tâche  qu'elle  poursuit  par  la  Société  de  V École  des 
Chartes  et  la  Société  de  l'Histoire  de  France,  fut  fondée, 
en  1805,  sous  le  titre  d'Académie  celtique.  Elle  ne  se  pro- 
posait alors  que  la  recherche  des  antiquités  celtes  et  gauloises. 
En  1813  une  réforme  s'opéra  dans  son  sein;  elle  revisa  ses 
statuts,  étendit  le  champ  de  ses  investigations  ;  et  tout  en 
conservant  son  ancienne  devise,  Gloriae  majorum,  elle  prit  le 
titre  qu'elle  porte  aujourd'hui.  Elle  s'occupe  maintenant  des 
langues,  de  la  géographie ,  de  la  chronologie ,  de  l'histoire , 
de  la  littérature ,  des  arts  et  des  antiquités  celtiques,  grec- 
ques, romaines  et  du  moyen  âge,  mais  principalement  de 
ce  qui  a  trait  aux  Gaules  et  à  la  France  jusqu'au  seizième 
siècle  inclusivement.  Elle  a  publié  plusieurs  volumes  de 
mémoires.  La  Société  des  Antiquaires  de  Normandie  a  été 
fondée,  à  son  instar,  en  1824,  à  Caen,  et  s'est  signalée  par 
des  publications  nombreuses.  Une  autre  réunion  du  même 
genre  s'est  formée  sous  le  titre  de  Société  des  Antiquaires 
de  la  Morinie',  à  Saint-Omer,  pour  l'exploration  des  mo- 
numents de  la  Flandre  et  de  l'Artois. 

ANTIQUE.  Depuis  que  la  civilisation  a  fait  assez  de 
progrès  chez  les  peuples  modernes  de  l'Europe  pour  leur 
[lermettre  de  consacrer  au  temps  passé  une  étude  attentive 
et  rénéchie,  et  d'y  recueillir  le  germe  d'un  développement 
intellectuel  spécial,  dont  ils  font  leur  profit,  les  monuments 
des  arts  chez  les  Grecs  et  les  Romains  ont  obtenu  une  pré- 
férence généralement  avouée  sur  tous  les  autres  vestiges  de 
l'antiquité.  On  a  reconnu  en  eux  les  caractères  les  plus  es- 
sentiels, les  plus  vrais  de  ces  anciens  âges  :  on  les  a  recher- 
chés avec  soin  comme  type  du  passé  ;  on  les  a  nommés 
antiques  par  excellence  ,  ou,  dans  un  sens  plus  étendu  , 
antiquités,  .comme  on  a  appelé  anciens  les  peuples 
auxquels  ils  avaient  appartenu  ,  comme  on  a  appelé  a  r- 
chéologie  la  science  qui  réunit  en  faisceau  tous  ces  dé- 
bris épars. 

Les  collections  des  monuments  de  la  statuaire  chez  les 
Grecs  et  les  Romains  devenant  chaque  jour  plus  riches,  plus 
nombreuses,  et  le  sentiment  du  beau,  le  goût  des  arts  se 
ram'mant  par  degrés  ,  il  en  résulta  une  appréciation  juste, 
éclairée  de  ces  admirables  ruines  d'une  grandeur  détniite. 
Le  goût  des  antiques  se  répandit  en  Italie  dès  le  quinzième 
siècle  ;  et  bientôt  ces  matières  purent  former  l'objet  d'une 
science  qui ,  embrassant  tout  ce  qui  existait  de  plus  impor- 
tant dans  ce  genre,  non-seulement  sépara  ces  objets  d'objets 
plus  vulgaires  venus  aussi  de  l'antiquité  ,  mais  rechercha 
encore  le  lien  qui,  y  entretenant  l'unité,  devait  reporter  à 
une  .seule  idée  les  productions  les  plus  dissemblables.  C'est 
là  surtout  le  mérite  de  ^Vinckelmann.  En  faisant  de  l'étude 
des  chefs-d'œuvre  de  la  plastique  chez  les  Grecs  et  les  Ro- 
mains l'objet  d'une  science  particulière,  on  a  réservé  à  ces 
chefs-d'œuvre  le  nom  (Tan  tiques,  et  on  y  a  rattaché  l'idée 
d'une  valeur  intrinsèque  sous  le  rapport  de  l'art. 

Une  diffèence  réelle  existe,  en  effet ,  incontestablement 
entre  les  œuvres  appartenant  à  réjioque  antérieure  au 
christianisme  et  celles  qui  sont  postérieures  à  cette  législa- 
tion religieuse.  Sans  doute ,  il  est  fort  possible  qu'on  trouve 
entre  des  productions  de  ces  deux  âges  différents  de  nom-  ' 


-  ANTIQUE  659 

brcux  rapports  et  même  une  grande  ressemblance,  de  mémo 
que  dans  la  nature  la  transition  d'un  être  â  un  autre  est 
souvent  imperceptible  ;  mais  on  parle  ici  du  caractère  géné- 
ral par  lequel  la  distinction  est  motivée.  En  prenant  le  mot 
antique  dans  l'acception  la  plus  large,  nous  entendons  par- 
ler de  l'état  de  la  civihsation  des  peuples  avant  le  christia- 
nisme, tel  que  cet  état  s'est  empreint  dans  les  divers  mo- 
numents des  arts. 

Oui ,  dans  les  arts ,  dans  l'art  plastique  surtout,  dont  les 
rapports  avec  la  nature  sont  les  plus  intimes  et  auquel  la 
dénomination  CCantique  s'applique  plus  particulièrement, 
les  monuments  se  pénétrèrent ,  à  cette  époque ,  du  carac- 
tère de  la  nature,  en  reproduisirent  la  variété  et  la  richesse, 
tout  en  rendant  hommage  à  l'unité  qui  y  présidait,  et  ils  s'i- 
dentifièrent avec  elle  à  un  point  auquel  les  ouvrages  des  ar- 
tistes modernes  n'ont  jamais  pu  atteindre.  De  plus ,  l'art  à 
son  origine  ayant  été  la  représentation  du  principe  divin, 
nulle  part  il  ne  pouvait  mieux  saisir  ce  principe  que  dans 
ces  nobles  formes  humaines  sur  lesquelles  se  portait  l'en- 
thousiasme d'une  race  privilégiée.  Ainsi  les  images  que  l'art 
eut  à  produire  se  trouvèrent  empreintes  de  la  noblesse  et 
de  la  régidarité  des  traits  nationaux.  Aucun  peuple  ne  pai- 
vint  à  la  hauteur  des  Grecs  pour  le  fini  des  formes  corpo- 
relles ,  et  dès  cette  période  la  plastique  était  anivée  à  la 
perfection.  Mais  gardez-vous  de  croire  que  l'art  hellénique 
fût  une  imitation  servile  de  la  nature,  prise  dans  certains 
échantillons  isolés;  non,  c'est  de  l'exécution  qu'il  s'élève  à 
l'idée,  de  la  forme  accidentelle  au  type,  et  c'est  ainsi  qu'il 
ennoblit  les  formes  corporelles.  L'art  grec  idéalise,  mais 
avec  vérité;  la  nature  vit  dans  toutes  ses  créations,  mais 
forte,  mais  puissante,  et  telle  qu'elle  se  révèle  par  son  en- 
semble, par  les  qualités  qu'elle  dissémine  sur  une  infinité 
d'objets,  au  lieu  de  les  réunir  sur  une  seule  tête. 

Ce  sont  là  chez  les  Grecs,  suivant  nous ,  les  caractères 
essentiels  de  l'art.  Chez  les  Romains  (  car  chez  les  Étrusques 
il  n'existe  qu'un  essai,  qui  s'arrête  au  premier  pas  ),  l'art 
était  un  calque  des  créations  helléniques,  ou  tout  au  plus, 
et  dans  ses  meilleures  productions  seulement,  une  seconde 
fleur  venue  dans  l'arrière-saison  sur  le  même  arbre.  Les 
chefs-d'œuvre  amassés  en  Grèce  servaient  aux  Romains  do 
modèles  ;  mais  ils  y  mettaient  leur  cachet,  la  radesse  do 
leurs  hommes  de  guerre  et  la  gi-avité  de  leurs  hommes  pu- 
blics. Les  Grecs  aimaient  la  forme  pour  la  forme  même,  et 
en  faisaient  par  conséquent  le  principe  absolu  de  l'art.  Les 
Romains  suivirent  cette  direction,  et  chez  eux,  conuiie  chez 
les  Grecs,  l'art  prétend  au  titre  ^''antique:  une  statue  à 
l'antique  peut  être  aussi  bien  dans  le  goût  des  Romains 
que  dans  celui  des  Grecs. 

Dans  cette  acception  restreinte,  Vantique  est  jusqu'à  un 
certain  point  la  même  chose  que  le  classique;  l'un  el 
l'autre  indiquent  la  perfection  de  la  forme,  l'esprit  inventeur, 
le  goût  sûr  et  épuré  qui  se  manifestent  dans  l'exécution 
d'r.n  ouvrage;  tous  les  deux  s'appliquent  exclusivement  aux 
Grecs  et  aux  Romains.  Toutefois  Vantique  appartient  en 
propre  aux  arts  plastiques,  et  c'est  à  la  représentation  delà 
ligure  humaine  qu'il  a  plus  particulièrement  été  réservé. 
Dans  ce  sens,  ce  mot  est  donné  h  des  statues,  à  des  bas-re- 
liefs, à  des  mosaïques.  Le  mot  ciassi^MC  s'applique  plutôt 
aux  productions  de  l'esprit  chez  les  anciens. 

Après  ce  qui  précède,  la  distinction  est  facile  entre  un 
cabinet  d'antiquités  et  un  musée  d'antiqties.  La  pre- 
mière dénomination  appartient  aux  riches  collections  de  la 
Bihliotlièque  Impériale  et  du  Louvre  à  Paris,  du  Musée  Bri- 
tannique à  Londres,  de  la  Burg  à  Vienne,  de  l'Université  à 
Berlin,  de  l'Ermitage  et  du  palais  deTauride  à  Saint-Péters- 
bourg, à  celle  de  Stockhohn,  à  celles  aussi  de  divers  particu- 
liers disséminées  en  Europe.  Quant  aux  musées  d'antiques, 
lesplus  célèbres  sont  ceux  du  Vatican  et  du  Capitoleà  Rome  ; 
dei  Studi,  à  Naples,  de  Médicis  à  Florence,  des  Salles 
kisses  du  Louvre  à  Paris,  du  Palais  japonais  à  Dresde,  de 

83. 


660  ANTIQUE 

la  Glyptothèquc  à  Municli ,  etc.  Chaque  année  de  nouvelies 
fouilles  découvrent  de  nouvelles  richesses  en  Italie  et  en 
Grèc«.  Les  savants  modernes  qui  ont  écrit  sur  les  antiques 
avec  le  plus  d'érudition  et  de  profondeur  sont  :  Visconti, 
Winckelinann,  ^Volf,  Ileyne,  Boutervvek  et  Borttiger. 

ANTIQUITÉ.  On  entend  par  ce  mot  les  temps  passés, 
les  siècles  les  plus  reculés,  et  l'on  y  joint  d'ordinaire  les 
épitliètesde  haute,  savante,  noble,  respectable  ou  glorieuse, 
qui  toutes  prouvent  dans  quelle  vénération  elle  a  été  long- 
temps aux  yeux  des  modernes,  bien  que  souvent  ils  ne  se 
soient  pas  fait  faute  de  l'accuser  d'être  obscure,  fabuleuse 
et  mensongère.  Les  Romains  l'avaient  personnifiée;  ils  la 
représentaient  vêtue  à  la  grecque,  couronnée  de  laurier, 
assise  sur  un  trône  soutenu  par  les  génies  des  beaux-arts, 
environnée  par  les  Grâces  tenant  d'une  main  les  poëmes 
d'Homère  et  de  Virgile,  regardés  par  eux  comme  les  plus 
beaux  monuments  de  l'esprit  humain,  et  montrant  de  l'autre 
les  médaillons  des  plus  grands  génies  d'Athènes  et  de  Rome 
ap[»endus  au  temple  de  Mémoire.  Ce  temple  réunissait  les 
trois  ordres  grecs,  et  l'on  voyait  au  pied  du  trône  les  plus 
beaux  morceaux  de  sculpture  qui  restent  de  l'antiquité,  tels 
que  la  Vénus,  l'Apollon,  l'Hercule,  le  Laocoon,  etc.  On  con- 
cevra ce  culte  pour  l'antiquité  si  l'on  réfléchit  qu'en  eflet,  à 
l'exception  des  nombreuses  découvertes  scientifiques  ([ui 
font  la  gloire  de  notre  époque,  il  est  peu  de  créations  hono- 
rables pour  l'esprit  humain  dont  on  ne  retrouve  l'origine 
chez  les  Grecs  et  chez  les  Égyptiens,  dont  les  Romains  eux- 
mêmes  n'ont  guère  été  dans  plus  d'un  genre  que  les  pâles 
imitateurs.  C'est  ce  sentiment  de  la  priorité  des  anciens  qui 
a  dicté  cette  boutade  spirituelle  à  un  poète  : 

Dis-je  une  chose  assez  belle, 
I/Antiqiiilé,  tout  en  émoi, 
Hépoiiil  :  Je  l'ai  dite  avant  toi 
C'est  une  plaisante  donzclle! 
O'ie  ne  venait-elle  après  moi? 
J'aurais  dit  la  chose  avant  elle. 

Nous  traiterons  de  l'antiquité  comme  science  à  l'articlo 
Akcuiîologie. 

AIVTISCIEIVS  (  de  àvtt,  contre,  et  cr/.ta,  ombre  ).  On 
appelle  ainsi  en  géographie  les  peuples  qui  habitent  de  dif- 
férents côtés  de  la  ligne  équatoriale,  et  dont,  à  midi,  les 
ombres  ont  des  directions  contraires,  en  raison  de  leur  si- 
tuation par  rapport  au  soleil.  Ainsi,  les  septentrionaux  sont 
antisciens  aux  méiidionaux,  parce  qu'à  midi  ces  derniers 
ont  leur  ombre  dirigée  vers  le  pôle  antarctique,  tandis  que 
celle  des  premiers  est  dirigée  vers  le  pôle  arctique. 

ANTISCORBUTIQUES,  médicaments  employés  con- 
tre le  scorbut,  et  aussi  dans  les  maladies  scrofûleuses  ;  ils 
appartiennent  presque  tous  à  une  même  famille  de  plantes, 
les  cniciffcres;  les  amers  et  les  acides  jouissent  aussi,  à  un 
certain  degré,  de  propriétés  antiscorbutiques.  Le  plus  fré- 
quemment employé  est  le  vin  antixcorbulique,  que  l'on 
prépare  en  mettant  digérer  pendant  trente-six  heures  dans 
une  pinte  de  vin  blanc  une  once  de  racine  fraîche  de  raifort, 
coupée  menu,  une  demi-once  de  feuilles  fraîches  de  cochlea- 
ria,  une  demi-once  de  trèfle  d'eau,  une  demi-once  de  graine 
de  moutarde  contuse,  deux  gros  de  chlorhydrate  d'ammo- 
niaque. On  filtre  après  la  digestion,  et  on  ajoute  ensuite  une 
demi-once  d'alcool  decochlearia. 

ANTISEPTIQUES  (du  grec  àv-rl,  contre;  aïiTieîv, 
pourrir  ).  On  appelle  ainsi  les  remèdes  employés,  soit  à 
l'extérieur,  soit  à  l'intérieur,  pour  réveiller  l'action  vitale  dans 
les  parties  menacées  de  décomposition ,  ou  pour  soustraire 
les  parties  saines  à  l'influence  délétère  des  parties  frappées 
de  mortification.  Les  agents  qu'on  emploie  le  plus  ordi- 
nairement à  l'intérieur  sont  les  acides,  les  astringents,  les 
toniques  et  certains  excitants.  Les  acides  et  les  astringents 
sont  quelquefois  aussi  employés  topiquement;  mais  on  a  le 
plus  souvent  recours  à  l'action  absorbante  du  charbon  ou  du 
clilorursde  chaux. 


ANTISTROPHE 

ANTISPASMODIQUES  (d'dvTi,  contre;  ffTtadtiàç, 
spasme).  Médicaments  qui  possèdent  la  propriété  de  mo- 
difier d'une  manière  directe  et  pour  ainsi  dire  essentielle 
certains  troubles  de  l'innervation.  On  les  a  aussi  appelés 
diffusibles,  pour  exprimer  leur  action  rapide  et  passagère. 
Ils  semblent  exciter  et  fortifier  le  système  nerveux.  En 
môme  temps  qu'ils  régularisent  pour  ainsi  dire  son  action  , 
ils  apaisent  la  douleur  et  calment  l'agitation  sans  occasionner 
l'assoupissement  comme  les  narcotiques.  Ils  <liminuent  les 
mouvements  convulsifs ,  quand  toutefois  l'infiammation  du 
système  cérébral  n'en  est  pas  la  cause.  En  général,  leurs 
effets  sont  d'autant  plus  marqués  que  le  malade  est  dans 
un  état  de  faiblesse  et  d'irritabihté  plus  grande,  et  se  mani- 
festent très-promplement  ;  mais  leur  usage  est  nuisible 
toutes  les  fois  qu'il  existe  une  inflammation  de  quelque 
organe  important.  La  plupail  des  médicaments  de  ce  genre 
sont  remarquables  par  leur  odeur  et  par  la  grande  volati- 
lité de  leurs  principes  actifs  :  leur  nature  varie  considéra- 
blement. Les  principaux  antispasmodiques  sont  l'ambre  gris, 
le  castoréum,  le  musc,  l'huile  animale  deDippel ,  la  mélisse, 
le  narcisse  des  prés,  les  feuilles  et  fleurs  d'oranger,  la  pi- 
voine ,  la  valériane ,  le  tilleul ,  les  huiles  volatiles ,  l'indigo , 
l'assa-fœtida,  la  gomme  ammoniaque ,  le  camphre,  la  pétrole, 
le  succin ,  les  divers  éthers ,  le  chlorure  de  zinc ,  ie  cyanure 
de  fer,  les  oxydes  de  bismuth  et  de  zinc ,  le  sulfate  de  cuivre 
ammoniacal,  etc.  La  plupart  des  médicaments  antispasmo. 
diques  n'agissent  pas  comme  poisons ,  et  on  peut  dire  qu'il 
est  peu  de  substances  dont  les  effets  s'émoussent  plus  vile 
par  l'habitude.  Aussi,  quand  on  ne  réussit  pas  avec  un  anti- 
spasmodique, on  ne  doit  pas  craindre  de  s'adressera  im  autre, 
et  l'on  est  souvent  plus  heureux. 

ANTISTHÈNE,  fondateur  de  la  secte  cynique,  né 
à  Athènes,  vers  la  deuxième  année  de  la  89*  olympiade 
(423  ans  av.  J.-C.  ).  Il  reçut  d'abord  des  leçons  du  sophiste 
Gorgias,  et  exerça  la  profession  de  rhéteur.  Quand  il  eut 
entendu  Socrate,  il  renonça  à  l'éloquence  pour  se  livrer 
tout  entier  à  l'étude  de  la  pliilosophie.  C'est  dans  les  prin- 
cipes de  Socrate  qu'Antisthène  puisa  cet  ardent  amour  de  la 
vertu,  cette  haine  énergique,  implacable,  du  vice,  deux 
qualités  qui  distinguent  l'école  cynique.  Il  fit  consister  la 
vertu  dans  les  privations ,  dans  tout  ce  qui  nous  met  à  l'abri 
des  influences  extérieures,  dans  le  mépris  des  richesses, 
des  dignités ,  de  la  volupté ,  et  même  de  la  science  ;  il  voulut 
restreindre  l'esprit  et  le  corps  au  strict  nécessaire.  Il 
n'hésita  pas  à  paraître  en  public  la  besace  sur  le  dos  et  un 
bâton  à  la  main ,  comme  un  mendiant.  Platon  sut  très-bien 
démêler  les  motifs  de  cette  humilité  apparente  :  «  Je  vois, 
lui  disait-il ,  ta  vanité  à  travers  les  trous  de  ton  manteau.  » 
Antisthène  eut  beaucoup  d'imitateurs;  le  plus  fameux  de 
ses  disciples  fut  Diogène.  Si  celui-ci  l'emporta  sur  son 
maître  par  la  vivacité  de  son  esprit ,  par  la  causticité  origi- 
nale de  ses  saillies,  Antisthène  montra  plus  de  dignité  dans 
sa  conduite.  Le  premier,  il  osa  poursuivre  les  accusateurs 
de  Socrate ,  et  fut  cause  ainsi  de  l'exil  de  l'un ,  de  la  mort 
de  l'autre  ;  toutefois ,  l'abbé  Barthélémy  a  révoqué  ce  fait 
en  doute.  Antisthène  était  d'un  commerce  agréable;  Xéno- 
phon  en  fait  l'éloge  dans  le  Banquet.  Après  la  rnort  de 
Socrate,  une  philosophie  s'établit  dans  le  Cynosarque, 
gymnase  d'Athènes.  Ce  fut,  assure-t-on,  de  ce  lieu  que  cette 
secte  fut  nommée  cynique.  Les  apophthegmes  d'Antistliène 
sont  connus  :  il  avait  composé  un  grand  nombre  d'ouvrages, 
dont  on  ne  trouve  plus  vestige.  Les  lettres  qu'on  lui  attribue 
sont  apocryphes.  On  ignore  l'époque  de  sa  mort. 

ANTISTROPI!E(de  àvtî,  contre,  et  de  arpoçri ,  con- 
version, retour).  C'était  chez  les  poètes  lyriques  grecs  la 
partie  d'un  chant  ou  d'une  danse  que  le  chœur  exécutait 
devant  l'autel ,  en  tournant  sur  le  théâtre  de  gauche  à  droite, 
par  opposition  à  la  stancc  précédente,  nommdQ  strophe, 
qu'il  chantait  en  allant  de  droite  à  gauche.  —  En  termes  de 
grammaire ,  c'est  une  figure  par  laquelle  deux  choses  dépen- 


ANTISTROPIIIi:  -  ANTOINE 


661 


dantes  runc  de  l'autre  sont  réciproquemont  ronversi^os  : 
comme  le  domestique  du  maître ,  et  le  maître  du  domes- 
tique. —  Les  Grecs  ilonuaient  eulin  ce  nom  à  une  manœuvre 
consistant  à  faire  exécuter  une  conversion  rétrograde  à  une 
phalange ,  ou  seulement  ;\  une  portion  de  phaUmge  qui  venait 
de  faire  un  mouvement  en  avant. 

ANTITACTES,  hénliques  du  deuxième  siècle,  qui 
professaient  l'une  des  plus  étranges  bizarreries  de  l'esprit 
humain.  Us  admettaient  un  Dieu  bon  et  juste;  mais  suivant 
eux  le  monde  avait  été  livré  à  un  mauvais  principe,  qui 
avait  trompé  les  hommes,  en  leur  présentant  comme  bien 
ce  qui  était  mal,  et  mal  ce  qui  était  bien.  Us  en  concluaient 
que  l'homme  devait  faire  tout  le  contraire  de  ce  que  lui 
prescrivaient  les  lois  divines  et  humaines.  C'était  un  moyen 
commode  de  justifier  les  vices  et  les  crimes,  et  de  s'abstenir 
de  toute  espèce  de  vertu. 

ANTITHÈSE  (du  grec  àvTi,  contre,  et  Uaiz,  position). 
C'est  une  ligure  de  rhétorique,  qui  consiste  dans  l'opposition 
des  pensées  et  des  mots  dans  le  discours.  On  s'en  sert  heu- 
reusement et  à  propos  lorsqu'on  veut  réveiller  l'attention 
de  son  lecteur  et  de  son  auditoire,  en  le  frappant  par  mi 
trait  inattendu ,  qui  saisit  l'imagination ,  et  par  un  rappro- 
chement d'images  différentes,  qui  produit  sur  les  esprits  le 
même  effet  que  le  contraste  des  sons  graves  et  doux  dans 
la  nmsique,  des  lumières  et  des  ombres  dans  la  peinture. 
Cette  figure  est  d'un  grand  secours  dans  l'éloquence  et  dans 
la  poésie ,  mais  il  faut  qu'elle  soit  amenée  naturellement  et 
sans  effort;  il  faut  en  user  avec  sobriété,  et  craindre  de  la 
faire  dégénérer  en  cliquetis  de  mots  puérils ,  répugnant  au 
bon  goût,  et  très-fatigants,  à  la  longue,  pour  l'oreille  qui 
n'y  est  pas  accoutumée. 

Une  école  littéraire  moderne  paraît  avoir  fait,  de  sa  propre 
autorité,  de  la  vieille  antithèse  un  des  principaux  éléments 
de  son  beau  langage.  Elle  l'emploie  avec  une  prodigalité  ef- 
frayante en  vers ,  en  prose ,  dans  les  discours  d'apparat  sur- 
tout. L'antithèse  a  su  se  rendre  teilt  ment  indispensable  à 
cette  école ,  que  la  malheureuse  serait  bien  emljarrassée  si 
l'opinion,  se  cabrant,  lui  disait  un  jour  qu'elle  n'en  veut  plus, 
et  que  des  pensées  simples  simplement  exprimées  feraient 
bien  mieux  son  affaire.  En  Grèce,  Lsocrate  est  l'écrivain  qui 
a  affectionné  le  plus  cette  espèce  de  gymnastique  oscilla- 
toire, dont  son  discours  od  Dcmonicum  nous  a  conservé  un 
déplorable  exemple.  Cicéron,  chez  les  Latins,  ne  s'en  fait  pas 
faute  non  plus,  ni  Quintilien,  ni  Silius  Ualicus,  ni  Stace,  ni 
Claudien ,  ni  Yida ,  ni  grand  nombre  d'auteurs  de  la  déca- 
dence romaine. 

Cette  antithèse  de  Cicéron  :  Vicit  pudorem  libido,  ti- 
morem  audacia,  rationem  amentia ,  ne  présente  qu'une 
opposition  de  mots  ;  mais  cette  pensée  d'Auguste,  parlant  à 
quelques  jeunes  séditieux  :  Audite ,  juvenes ,  scnem  quem 
jiivenem  aiidiverc  senes,  offre  à  la  fois  ime  opposition  de 
mots  et  une  opposition  d'idées.  C'est  une  antithèse  parfaite. 

Chez  nous  Louis  Racine  a  dit  : 

Ver  impur  delà  lerre  et  roi  de  l'univers, 
Riche  et  vide  de  biens, libre  et  chargé  de  fers. 
Je  oe  suis  que  meosonge  ,  erreurs,  iucertitudc. 

Et  Larochefoucauld  :  «  Nous  aimons  toujours  ceux  qui  nous 
admirent,  mais  nous  n'aimons  pas  toujours  ceux  que  nous 
admirons.  » 

Nous  trouvons,  enfin ,  une  antithèse  fort  ingénieuse  dans 
ce  que  dit  Lessing  d'un  ouvrage  sur  lequel  on  lui  deman- 
dait son  opinion  :  «  Ce  livre  contient  beaucoup  de  bonnes 
choses  et  beaucoup  de  choses  nouvelles.  Ce  qu'il  y  a  de  fû- 
clieux,  c'est  que  les  bonnes  choses  qu'il  renferme  ne  sont  pas 
nouvelles,  et  que  les  choses  nouvelles  ne  sont  pas  bonnes.  » 

ANTITRIAITAIRES.  On  appelle  de  ce  nom  tous 
ceux  qui  nient  la  Sainte-Trinité,  et  qui  ne  veulent  point 
reconnaître  trois  personnes  en  Dieu.  Les  disciples  de  Paul  de 
Samosate  et  les  pholiniens,  qui  n'admettaient  point  la  dis- 


tinction des  trois  personnes  divines;  les  ariens,  qui  niaient 

la  divinité  du  Verbe;  les  macédoniens,  qui  contestaient  celle 
du  Saint-Esprit,  étaient  tous  des  antitrinitaires ,  dénomi- 
nation sous  laquelle  on  entend  principalement  aujourd'hui 
les  sociniens,  que  l'on  appelle  aussi  imitair  es. 

AIVTIUM,  ville  célèbre  de  la  vieille  Ualie,  chef-lieu  du 
pays  desVolsques,  bûtie  au  bord  de  la  mer  sur  des  rochers, 
à  une  faible  distance  de  Rome.  Elle  était  la  source  de 
continuelles  inquiétudes  pour  cette  future  reine  du  monde; 
et  cependant  elle  en  avait  subi  la  domination  sous  les  rois, 
car  elle  est  mentionnée  comme  sujette  de  Rome  dans  le 
traité  que  celle-ci  conclut  avec  Carthage ,  la  première  année 
après  l'expulsion  des  rois  ;  elle  y  figure  avec  Ardée ,  Aricie, 
et  Terracine  ;  il  ne  paraît  pas  qu'elle  fût  volsque  avant  la 
bataille  du  lac  Régille.  Niebuhr  pense  qu'elle  le  devint  de 
268  à  270,  par  l'introduction  d'une  colonie.  Plus  tard,  An- 
tium  excita  toute  la  sollicitude  de  Camille,  qui  voulait  s'en 
emparer,  en  l'an  367  de  Rome ,  quand  le  sénat  lui  ordonna 
de  marcher  au  secours  de  Népète  et  de  Sutrium,  assiégées 
par  les  Toscans.  Dans  l'intervalle  elle  avait  encore  reçu 
une  colonie  de  mille  Romains  ;  mais  Coriolan  l'avait  reprise 
pour  les  Volsques.  Tous  ces  événements  sont  fort  obscurcis 
par  les  récits  de  la  vanité  romaine.  Soumise  de  nouveau  à 
la  fin  du  quatrième  siècle,  on  revoit  Antium  ennemie  de 
Rome  en  409.  En  417  une  nouvelle  colonie  romaine  y  fut 
envoyée.  U  faut  voir  dans  l'Histoire  romaine  de  Niebulu-  les 
diverses  révolutions  que  subit  cette  cité  ;  elles  y  sont  appré- 
ciées sous  un  jour  nouveau.  Cicéron  faisait  venir  sa  famille 
d'Antium;  il  la  faisait  descendre  d'un  roi  TuUius,  qui  aurait 
donné  l'hospitalité  à  Coriolan  fugitif.  Caligula  affectionnait 
ce  séjour.  Néron  y  naquit.  Compensation  et  contrastes,  c'est 
toujours  et  partout  la  vie  des  honunes  et  des  villes. 

De  Goleéry. 

ANTCœCIENS,  ANTÉCIENS  ou  ANTIŒCIENS  (du 
grec  àvTÎ ,  contre,  otxta,  maison).  On  nomme  ainsi  les 
peuples  qui  se  trouvent  sous  le  même  méridien  et  sous  des 
parallèles  opposés  ,  à  égale  distance  de  l'équateur,  les  uns 
au  nord,  les  autres  au  sud,  c'est-à-dire  que  si  l'un  d'eux  est 
situé  au  40^  degré  de  latitude  nord ,  l'autre  est  situé  au 
40*^  degré  de  latitude  au  sud  :  tels  sont  les  habitants  du 
Cap  de  Bonne-Espérance  et  ceux  du  Cap  Matapan.  Les  an- 
téciens  ont  des  pôles  également  élevés;  mais  ils  n'ont  pas 
le  même  pôle.  Toutes  les  heures  du  jour  et  de  la  nuit  sont 
les  mêmes  chez  les  deux  peuples,  parce  qu'ils  sont  situés 
tous  les  deux  sur  le  même  méridien.  Les  jours  des  uns  sont 
égaux  aux  nuits  des  autres ,  à  cause  de  leurs  latitudes  op- 
posées. Le  jour  le  plus  long  pour  les  uns  est  le  plus  couit 
pour  les  autres,  et  réciproquement,  parce  que  leur  méridien 
est  le  même  ;  mais  leur  latitude  est  opposée.  Les  saisons  de 
l'année  sont  opposées  les  unes  aux  autres  chez  les  deux 
peuples  :  c'est-à-dire  que  quand  les  uns  sont  en  hiver,  les 
autres  sont  en  été  ;  mais  cette  différence  de  saison  est  très- 
peu  sensible  pour  les  antéciens  qui  habitent  la  zone  for- 
ride.  Les  peuples  qui  sont  sous  l'équateur  n'ont  pas  d'an- 
tœciens. 

ANTOME  (Marc  -)  naquit  l'an  86  avant  J.-C.  Son  père 
avait  été  préteur,  et  son  grand-père,  l'orateur  Antoine,  était 
parvenu  aux  plus  hautes  charges  de  la  république.  Par  sa 
mère  Julia  il  était  allié  à  la  famille  de  César.  Riche  et  d'il- 
lustre maison,  ]\Iarc-Antoine  s'empressa  de  dissiper  son  pa- 
trimoine avec  les  belles  affranchies  de  Rome,  s'enivrant  tour 
à  tour  avec  Curion  et  avec  Clodius  ;  puis  il  se  rendit  à 
Athènes  pour  se  formera  l'éloquence  asiatique,  qui  convenait 
si  bien  à  son  caractère  vantard  et  ambitieux.  Echappé  aux 
écoles ,  il  fit  ses  premières  armes  sous  les  meilleurs  lieute- 
nants de  César.  Le  consul  Gabinius ,  qui  allait  combattre 
Aristobule,  lui  donna  un  commandement  en  Syrie;  il  passa 
ensuite  en  Egypte,  au  seivice  de  Plolémée,  qui  avait  promis 
six  millions  de  drachmes  à  qui  lui  rendrait  son  royaume. 
Apiès  avoir  sauvegardé  les  habitants  de  Pélusc  des  fureurs  de 


662 


ANTOINE 


leur  roi,  il  revint  en  Italie  avec  une  réputation  militaire 
toute  faite,  prodigieusement  riche  du  prix  de  sa  conquête, 
ayant  acquis  en  outre  une  grande  popularité  dans  les  camps  : 
f.cs  manières  brusques  et  familières,  le  contraste  d'une  fru- 
galité Spartiate  aux  heures  du  besoin  et  du  danger  et  d'une 
fabuleuse  intempérance  après  la  victoire  avaient  séduit  les 
soldats.  Un  honuue  qui  arrivait  à  Rome  avec  de  tels  avan- 
tages ne  pouvait  pas  manquer,  en  ces  temps  malheureux , 
de  jouer  un  grand  rûlc  dans  les  destinées  de  l'État.  Sa 
démarche  héroïque,  sa  physionomie  virile,  attirèrent  bientôt 
les  regards  de  la  foule  ;  et  comme  il  savait  tout  le  prestige 
qu'exerce  sur  l'esprit  populaire  la  magie  d'un  nom  et  d'un 
souvenir  jointe  à  l'image  de  la  force,  il  rappelait  volontiers 
sa  divine  origine,  et  l'on  n'avait  garde  d'oublier  que  la  gens 
Antonia  était  issue  d'Hercule  par  son  fils  Anton. 

Allié  de  César,  Antoine  embrassa  son  parti  parce  qu'il 
prévit  sa  fortune,  et  fut  d'abord  par  son  crédit  nommé  tribun 
du  peuple ,  puis  associé  au  collège  des  augures.  Quand  le 
vainqueur  des  Gaules  se  fut  rendu  maître  de  Rome,  il  confia 
à  Antoine  le  commandeiuent  de  l'Italie,  et  le  fit  général  de 
la  cavalerie  lorsqu'il  parvint  à  la  dictature.  C'était  la  se- 
conde charge  de  la  république.  Sur  ces  entrefaites,  le  tribun 
du  peuple  D  o  1  a  b  c  1 1  a  ayant  proposé  une  abolition  de  dettes , 
Antoine  repoussa  par  la  force  cet  audacieux,  qui  avait  eu  re- 
cours aux  armes.  Sa  popularité  en  ressentit  une  grande 
atteinte.  Les  partisans  de  Dolabella  ne  se  firent  pas  faute 
de  présenter  au  peuple  le  contraste  choquautde  César  veil- 
lant dans  les  Ciimps  an  salut  de  l'État ,  et  de  son  heute- 
nant  trahissant  ses  généreux  projets  en  faveur  de  la  plèbe 
et  passant  de  folles  nuits  dans  la  ville  au  sein  d'une  opu- 
lence inouïe.  La  faveur  de  César  sembla  môme  un  instant 
abandonner  le  fils  de  Julie  ;  car  il  se  donna  pour  collègue 
au  consulat  ce  môme  Dolabella ,  quoiqu'il  fit  moins  de  cas 
encore  de  son  caractère  et  surtout  de  ses  talents.  Riais  lorsque 
le  dictateur  revint  d'Espagne,  Antome  reprit  tout  son  crédit. 
Quelque  temps  après,  à  la  fête  des  Lupcrcales,  Antoine  posa 
une  couronne  de  lauriers  ceinte  d'un  diadème  sur  la  tête  de 
César,  le  désignant  ainsi  au  peuple  comme  digne  de  régner. 
Que  cette  scène  fût  ou  non  concertée  h  l'avance,  c'était  une 
maladresse ,  une  faute  ;  et  cette  faute  mit  le  poignard  aux 
mains  de  Brutus.  Après  la  mort  de  César,  Antoine,  qui 
n'était  pas  encore  silr  des  dispositions  du  peuple ,  feignit  de 
vouloir  à  tout  prix  empocher  la  guerre  civile  ;  au  sénat  iJ 
consentit  à  donner  des  provinces  aux  assassins  de  César. 
Le  sou-  môme  Cassius  soupa  chez  lui.  Riais  le  lendemain, 
voyant  l'attitude  de  la  population ,  il  leva  le  masque,  et, 
prononçant  l'oraison  funèbre  du  dictateur,  il  déploya  sa  robe 
ensanglantée,  et  appela  le  peuple  à  la  vengeance.  Les  con- 
jurés s'enfuirent  de  Rome. 

Ici  commence  la  plus  brillante  période  delà  vie  politique 
d'Antoine.  Pour  gagner  la  bienveillance  du  sénat,  il  fait  don- 
ner le  commandement  des  flottes  à  Sextus,  fds  de  Pompée, 
renverse  l'autel  de  César,  dissipe  la  populace,  qui  s'y  attrou- 
pait, et  punit  de  mort  les  chefs  qui  rameutaient.  Devenu 
odieux  à  la  multitude,  il  s'en  fit  un  mérite  aux  yeux  des 
patriciens  ;  et,  feignant  de  craindre  pour  ses  jours,  il  eut 
l'adresse  de  se  faire  accorder  une  garde,  qu'il  composa  de 
vétérans,  et  dont  il  porta  le  nombre  jusqu'à  six  mille.  Pour 
dissiper  les  soupçons  que  sa  conduite  faisait  naître  chez  ses 
nouveaux  amis,  il  proposa  d'abolir  la  dictature,  et  la  loi  en 
fut  portée  dans  une  assemblée  du  peuple.  Antoine,  instruit 
par  l'expérience,  pensait  avec  raison  qu'il  faut  payer  les 
hommes  avec  des  mots,  puisqu'ils  s'en  contentent.  Que  lui 
importait  en  effet  d'être  dictateur  ou  consul?  Appuyé  de 
Lépide,  qu'il  avait  fait  souverain  pontife,  il  régnait  avec 
plus  de  despotisme  que  César  n'avait  jamais  régné.  Les 
choses  étaient  dans  cet  état  quand  parut  Octave. 

Ce  jeune  homme  de  dix-huit  ans,  qui  depuis  six  mois  était 
à  ApoUonie  pour  y  terminer  ses  études,  avait  conçu  l'auda- 
çiciLX  projet  de  venger  la  mort  de  son  oncle  et  de  le  rem- 


placer, malgré  le  sénat,  qui  favorisait  les  conjurés,  et  malgré 
Antoine.  Celui-ci  ne  vit  dans  ses  desseins  que  la  témérité 
de  l'adolescence ,  et  refusa  de  lui  rendre  la  succession  de 
César,  dont  il  était  dépositaire.  Aussitôt  Octave  mit  en  vente 
son  propre  patrimoine  pour  acquitter  les  legs  du  testament; 
le  peuple  applaudit  à  cette  libéralité,  et  se  déclara  ouverte- 
ment contre  le  consul.  Se  voyant  l'objet  de  la  réprobation 
générale  ,  Antoine  s'empressa  de  venir  en  accommodement 
avec  Octave.  Ils  se  promirent  alors  mutuellement  d'agir  de 
concert  pour  enlever  la  Gaule  Cisalpine  à  D.  Brutus.  An- 
toine, qui  convoitait  ce  gouvernement,  et  qui  ne  pouvait  l'ob- 
tenir du  sénat ,  sut  persuader  à  Octave  de  le  lui  faire  donner 
par  le  peuple.  Il  ne  l'eut  pas  plus  tôt  que,  se  croyant  déjà 
maître  de  l'empire,  il  ne  ménagea  plus  son  jeune  rival.  Tous 
deux  se  mirent  à  parcourir  l'Italie,  sollicitant  par  de  grandes 
récompenses  les  vétérans  établis  dans  les  colonies  et  se  dis- 
putant les  légions  aux  enchères.  Cicéron  ,  qu'Octave  avait 
eu  l'habileté  de  s'attacher  par  ses  procédés  et  sa  déférence, 
attaqua  Marc-Antoine  avec  une  grande  violence ,  et  le  repré- 
senta comme  le  plus  dangereux  ennemi  de  la  république.  A  la 
voix  du  célèbre  orateur,  le  sénat  dégénéré  vota  des  remer- 
ciements à  Octave ,  simple  particulier  qui  armait  contre  le 
consul ,  et  le  fit  préteur.  On  vit  alors  le  fils  de  César,  joignant 
ses  troupes  à  celles  des  consuls  Hirtius  et  Pansa,  marcher 
sous  les  enseignes  de  ses  ennemis  au  secours  de  D.  Brutus , 
l'un  des  assassins  de  son  père.  Après  deux  combats,  Antoine 
fut  forcé  de  passer  dans  la  Gaule  Transalpine.  La  constance 
héroïque  qu'il  déploya  en  cette  occasion  releva  le  moral  de 
ses  troupes;  l'homme  des  longues  orgies,  qui  promenait  ses 
maîtresses  avec  plus  d'éclat  que  sa  mère ,  le  débauché  qui 
n'avait  pas  rougi  jadis  d'offrir  en  plein  Forum  le  spectacle 
honteux  de  son  intempérance,  ne  vivait  plus  que  de  racines, 
buvait  sans  répugnance  l'eau  corrompue  puisée  dans  le  creux 
des  rochers.  Au  rebours  des  caractères  iiilgaires,  les  revers 
de  la  fortune  semblaient  grandir  le  sien.  Il  fut  joint  par  Ven- 
tidius  quand  il  descendait  dans  les  Gaules,  et  grossit  son  ar- 
mée de  celle  de  Lépide ,  que  la  révolte  de  ses  soldats  con- 
traignit à  se  réunir  à  lui.  La  modération  dont  il  fit  preuve 
envers  ce  général  détermina  Plancus  et  Pollion  à  embras- 
ser sa  cause.  Il  se  trouva  de  la  sorte  à  la  tôte  de  dix-sept 
légions  et  de  dix  mille  chevaux ,  sans  compter  six  légions 
qu'il  laissa  pour  garder  la  Gaule. 

Le  sénat,  qui  n'avait  pas  de  forces  à  lui  opposer,  se  jeta 
dans  les  bras  d'Octave.  Celui-ci  se  fit  nommer  consul ,  se 
saisit  du  trésor  public  pour  le  distribuer  à  ses  soldats;  puis, 
feignant  de  prendre  les  ordres  du  sénat,  il  s'éloigna  de  Rome 
en  apparence  pour  attaquer  Antoine.  Mais  on  n'ignora  pas 
longtemps  ses  véritibles  desseins.  Déciraus  Brutus,  aban- 
donné de  ses  troupes,  était  tombé  au  pouvoir  d'Antoine,  qui 
lui  fit  trancher  la  tête.  Cette  victime  immolée  aux  mânes  de 
César  fut  le  gage  de  la  réconciliation.  Elle  eut  Heu  dans  une 
petite  ile  du  Rhcnus,  entre  Bologne  et  RIodène.  Antoine , 
Octave  et  Lépide  conférèrent  pendant  trois  jours  dans  cette 
île  à  la  vue  de  leurs  armées.  Sous  le  titre  de  triumvirs ,  ils 
se  partagèrent  les  provinces,  et  leur  union  fut  encore  plus 
fatale  à  la  république  que  leurs  querelles.  Le  nouveau 
triumvirat  ramena  l'époque  sanglante  de  RIarius  et  de 
Sylla,  et  dressa  des  listes  de  proscriptions.  On  vit  ces  trois 
hommes  faire  entre  eux  d'horribles  compromis,  et  sacrifier 
leurs  amis  à  leurs  vengeances  réciproques  :  Octave  immole 
Cicéron  à  RIarc-Anloine,  pendant  que  celui-ci  laisse  égorger 
le  père  de  sa  nièce,  et  que  l'infâme  Lépide  abandonne  Paulus, 
son  propre  frère.  Quand  ils  furent  rassasiés  de  sang,  Antoine 
et  Octave  se  partagèrent  le  commandement  pour  aller  com- 
battre Brutus  et  Cassius  en  RIacédoine,  pendant  que  Lépide 
restait  à  Rome.  L'honneur  de  la  victoire  de  Philippes  re- 
vint tout  entier  à  RIarc-Anloine.  Après  cette  bataille  les  deux 
triumviis  firent  un  nouveau  partage  de  l'empire,  et  dépouil- 
lèrent Lépide,  sous  prétexte  qu'il  avait  entretenu  des  intelli- 
gences avec  S.  Pompée.  Antoine  comprit  dans  son  gouvcr- 


ANTOINE 


6G3 


neraent  rAfriquc  cl  tontes  les  provinces  q\ii  avaient  appartenu 
aux  conjurés  ;  puis  après  Otre  demeuré  quelque  temps  en 
Grèce ,  et  particulièrement  à  Athènes ,  où  il  se  fit  initier  aux 
mystères ,  il  passa  en  Asie. 

Dès  lors  commence  pour  Antoine  une  nouvelle  existence  ; 
la  servitude  et  la  mollesse  de  l'Orient  dégradèrent  cette  àmc 
de  soldat.  Au  moment  de  partir  pour  une  expédition  contre 
les  Parthes,  il  manda  près  de  lui  Cleo  pâtre,  reine  dl'lgypte, 
accusée  d'avoir  favorisé  Brutus  et  Cassius.  Le  somptueux 
équipage  dans  lequel  cette  princesse  vint  se  juslilier,  le 
charme  extraordinaire  de  sa  personne,  plus  grand  encore 
que  sa  heauté,  la  souplesse  et  la  vivacité  de  son  esprit, 
tirent  une  profonde  impression  sur  le  général  romain.  Cléo- 
pàtre  eut  bientôt  conquis  un  empire  sans  bornes  ;  elle  savait 
flatter  avec  tant  de  délicatesse  le  vainqueur  de  riiilippcs, 
elle  savait  si  bien  prévenir  la  satiété  par  des  plaisirs  tou- 
jours nouveaux  !  Cependant  les  nouvelles  arrivées  d'Italie 
forcent  Antoine  à  quitter  Alexandrie;  son  frère  et  sa  femme 
Fui  vie  avaient  pris  les  armes  contre  Octave.  Prêts  à  en  venir 
aux  mains,  les  triumAii"s  sont  torcés  à  la  paix  par  les  disposi- 
tions de  leurs  armées ,  et  procèdent  à  un  nouveau  partage. 
Antoine  eut  tout  l'Orient  à  partir  de  Scodra  en  Ulyrie;  et 
pour  mettre  le  sceau  à  la  réconciliation,  il  épousa  la  belle  et 
vertueuse  Oc  ta  vie,  sœur  d'Octave.  Jaloux  des  succès  de 
"V'entidius,  son  lieutenant ,  il  se  h;Ua  de  passer  en  Asie  pour 
terminer  la  campagne  contre  les  Parthes  ;  mais  il  eut  la  gé- 
nérosité de  lui  céder  le  triomphe,  que  le  sénat  lui  décernait 
suivant  l'usage. 

Le  monde  semblait  pacifié ,  quand  la  passion  d'Antoine 
pour  Cléopûtre  vint  allumer  de  nouvelles  discordes.  Le 
peuple  romain  s'indigna  de  la  démence  d'Antoine,  qui  don- 
nait plusieurs  provinces  à  sa  maîtresse  et  dissipait  en  deux 
heures  avec  elle  les  revenus  d'un  royaume.  L'orage  s'amon- 
celait à  l'Occident  quand  Antoine  partit  avec  une  armée 
de  100,000  hommes  pour  faire  la  guerre  aux  Parthes.  La 
saison  était  avancée  ;  les  troupes,  fatiguées  d'une  marche  de 
trois  cents  lieues,  avaient  besoin  de  repos.  On  lui  conseilla 
de  passer  l'hiver  en  Arménie,  où  régnait  Artabaze,  fds  de 
Tigrane,  alors  allié  des  Romains,  et  de  retarder  son  entrée 
en  Médie  jusqu'au  printemps;  mais  son  amour  ne  put  souf- 
frir ce  délai.  Impatient  de  retomner  victorieux  en  Ég)"pte , 
il  marche  sur  Praaspa ,  capitale  du  roi  des  Mèdes,  et  afin 
d'arriver  plus  tôt  devant  cette  place,  il  laisse  en  chemin  ses 
machines  de  guerre  sous  la  garde  de  deux  légions.  Presque 
aussitôt  ces  légions  sont  taillées  en  pièces  par  le  roi  des 
Parthes,  et  ce  désastre  est  suivi  de  la  défection  d'Artabaze. 
Dans  cette  situation  périlleuse  Antoine  comprit  que  chaque 
heure  d'hésitation  rendait  la  retraite  de  plus  en  plus  diffi- 
cile :  il  leva  le  siège ,  et  traversa  cent  lieues  de  pays,  tou- 
jours harcelé  parles  Parthes,  à  qui  il  livra  dix-huit  combats. 
Il  perdit  vingt-quatre  mille  hommes  dans  cette  campagne  ; 
mais  l'attachement  que  lui  montrèrent  alors  ses  soldats  était 
l)ien  fait  pour  le  consoler  d'un  si  grand  désastre.  Cependant 
son  fol  amour  lui  fit  faire  encore  d'autres  pertes  ;  au  lieu  de 
prendre  ses  quartiers  d'hiver  en  Arménie ,  il  eut  hâte  de  re- 
venir en  Syrie,  et  dans  une  marche  à  travers  les  neiges  et 
les  glaces  il  perdit  encore  huit  mille  hommes.  Il  lui  fallait 
pourtant  des  succès  pour  faire  oublier  ses  défaites.  Ne  pou- 
vant les  avoir  glorieux ,  il  se  résigna  à  les  avoir  faciles,  et 
châtia  la  défection  d'Artabaze  en  lui  prenant  son  royaume. 
De  retour  en  %ypte,  il  triomphe  à  Alexandrie,  et  prostitue 
la  pourpre  romaine  dans  une  ville  étrangère  pour  en  donner 
le  spectacle  à  une  reine.  Prêt  à  marcher  de  nouveau  contre 
les  Parthes,  il  revint  sur  ses  pas  pour  dissiper  les  inquiétudes 
de  Cléopàtrc  ,  qui  était  jalouse  d'Octavie  ou  qui  feignait  de 
l'être  ;  et  voulant  lui  donner  une  preuve  éclatante  de  sa  ten- 
dresse, il  défendit  à  la  sœur  d'Octave  de  venir  le  trouver  en 
Asie;  puis  il  fit  élever  dans  le  gymnase  deux  trônes,  l'un 
pour  lui,  l'autre  pour  la  reine.  Là,  en  présence  du  peuple 
d'Alexandrie,  il  jura  qu'il  tenait  Cléopàtre  pour  son  épouse 


légitime;  il  la  déclara  reine  d'Égj'pte,  de  Libye,  de  Chypre 
et  de  Cœlésyrie,  et  lui  associa  Césarion,  son  fils,  qu'U  re- 
connut né  des  œuvres  du  grand  César.  11  conféra  ensuite  le 
titre  de  rois  des  rois  aux  enfants  qu'il  avait  eus  d'elle ,  et 
donna  au  premier,  Alexandre,  l'Arménie,  la  Médie  et  lo 
royaume  des  Parthes ,  dont  il  se  proposait  toujours  la  con- 
quête ;  au  second,  Ptolémée,  la  Syrie,  la  Phénicie  et  la  Cilicie. 
Tant  d'outrages  ne  pouvaient  rester  impunis.  Octave  obtint 
un  décret  qui  privait  Antoine  de  la  puissance  triumvirale  et 
lui  déclarait  la  guerre.  La  lenteur  avec  laquelle  Antoine  s'y 
prépara  donna  à  Octave,  qui  ne  craignait  rien  tant  qu'une 
surprise ,  le  temps  de  réunir  sa  (lotte  et  ses  armées.  Mais 
qu'importait  à  Antoine?  Il  était  à  Samos,  et  donnait  des 
fêtes  à  Cléopàtre.  Ce  ne  fut  qu'à  la  dernière  extrémité  qu'il 
se  résolut  à  combattre.  La  bataille  d'Actiu  m  termina  cette 
querelle  des  deux  maîtres  du  monde.  Cléopàtre  avait  perdu 
Antoine,  il  ne  lui  restait  plus  qu'à  le  trahir;  c'est  ce  qui  ar- 
riva. Elle  livra  Péluse  à  Octave,  entretint  une  négociation  se- 
crète avec  lui;  elle  espéra  môme  un  instant  s'en  faire  aimer. 
Enfin  une  dernière  perfidie  la  débarrassa  d'un  amant  trahi 
par  la  fortune.  Sur  un  faux  avis  de  sa  mort,  qu'elle  lui  fit  trans- 
mettre, Antoine,  désespéré,  se  précipita  sur  son  épée ,  mais  il 
ne  mourut  pas  sur-le-champ  ;  et  comme  il  apprit  que  Cléo- 
pàtre vivait  encore ,  il  se  fit  hisser  tout  sanglant  par-dessus 
le  mur  du  tombeau  où  elle  s'était  réfugiée,  et  mourut  dans 
ses  bras ,  à  l'âge  de  cinquante-six  ans,  l'an  30  avant  J.-C. 

W.-A.  DUCRETT. 

AJVTOIIVE  (  Saint  ),  surnommé  le  Grand,  naquit  l'an  251 
de  J.-C.,à  Côme,  près  d'Héraclée,  ville  de  la  haute  Egypte. 
En  2S5  ce  saint  personnage  se  retira  dans  la  solitude,  où  il 
se  livra  tout  entier  aux  pratiques  de  la  dévotion.  Vers  l'an- 
née 305  ,  quelques  ermites  des  environs  vinrent  habiter  avec 
lui  :  ce  fut  l'origine  de  la  vie  monastique.  En  311  il  partit 
pour  Alexandrie,  où  les  chrétiens  étaient  en  butte  aux  plus 
cruelles  persécutions.  Saint  Antoine  espérait  obtenir  au  mi- 
lieu d'eux  la  couronne  du  martyre.  Trompé  dans  son  attente, 
il  retourna  auprès  de  ses  saints  compagnons.  Par  la  suite , 
•il  céda  la  direction  du  monastère  qu'il  avait  fondé  à  saint 
Pacôme,  et  s'enfonça  plus  avant  dans  les  déserts,  où  il  mou- 
rut ,  en  356. 

Il  était  constamment  vêtu  d'im  cilice ,  et  s'abstenait  de 
bain.  Quant  aux  tentations  qu'il  eut  à  subir,  à  ses  luttes 
avec  le  démon ,  et  aux  miracles  qui  lui  furent  attribués  , 
selon  le  rapport  de  saint  Athanase,  qui  a  fait  sa  biographie , 
n'est-il  pas  inutile  de  dire  que  ce  ne  sont  point  autant  d'ar- 
ticles de  foi.'  Il  n'est  nullement  prouvé,  non  plus,  que  les 
sept  lettres  et  les  autres  ouvrages  ascétiques ,  ainsi  que  la 
règle  de  Saint- Antoine ,  qu'on  lui  attribue,  soient  de  lui. 
Quoique,  dans  le  fait,  il  n'ait  jamais  fondé  d'ordre,  les  reU- 
gieux  schismatiques  de  l'Église  d'Orient,  tels  que  les  moines 
arméniens ,  jacobites ,  etc.,  prétendent  qu'ils  font  partie  de 
l'ordre  de  Saint-Antoine. 

La  légende  ne  borne  pas  ses  récits  aux  faits  authentiques 
de  la  vie  du  bienheureux.  Le  quadrupède  qu'on  lui  a  donné 
pour  compagnon ,  la  légion  de  diables  qui  le  tente  au  désert , 
et  qu'il  fait  fuir  en  leur  jetant  de  l'eau  bénite ,  ont  égayé  le 
crayon  de  Callot  et  le  pinceau  grotesque  de  plusieurs  peintres 
flamands.  Ils  sont  le  sujet  aussi  d'un  joli  pot-pourri  de  Se- 
daùie  et  d'un  opéra  moderne,  la  Tentation.  Il  n'est  pas 
de  saint  plus  populaire  que  saint  Antoine ,  et  son  étrange 
compagnon  est  devenu  proverbial  dans  la  chrétienté. 

AXTOINE  (Religieux  de  Saint-).  En  1070,  Gaston, gen- 
tilhomme du  Dauphiné,  ayant  été  guéri  du  mal  des  ar- 
dents par  l'intercession  de  saint  Antoine,  fonda  à  Saint- 
Didier,  près  de  Vienne  en  Dauphiné,  où  l'on  conservait  les 
reliques  du  saint,  un  hôpital  pour  les  pauvres  atteints  de  la 
même  maladie.  Ce  prieuré,  érigé  en  abbaye  par  Boniface  VIII, 
fut  le  berceau  de  l'ordre  des  chanoines  réguliers  de  Saint- 
Antoine,  approuvé  par  Urbain  II  et  par  le  concile  de  Cler- 
mont  en  10'J5 ,  et  incorporé  en  1777  dans  l'ordre  de  Malte. 


6G4 


ANTOINE  —  ANTOMMARCHl 


ANTOINE  DE  PAnoL'E  (Saint),  né  le  15  août  1195, 
à  Lisbonne,  d'une  famille  noble.  Il  fut  un  des  plus  célèbres 
disciples  de  saint  François  d'Assise ,  et  un  propagateur  zélé 
de  l'ordre  des  Franciscains,  dans  lequel  il  était  entré  en  1220. 
S'étant  embarqué  pour  l'Afrique,  où  il  espérait  conquérir  la 
palme  du  martyre,  il  fut  jeté  par  des  vents  contraires  sur 
les  côtes  de  l'Italie.  Saint  Antoine  prècba  successivement  à 
Montpellier,  à  Toulouse,  à  Bologne  et  à  Padoue;  partout  il 
obtint  le  plus  grand  succès.  Il  mourut  dans  cette  dernière 
ville,  le  13  juin  12.31.  Les  légendes  qu'on  a  faites  sur  saint 
Antoine  sont  remplies  de  contes  puérils,  mais  elles  s'accor- 
dent toutes  à  exalter  son  lalent  de  prédicateur.  Ses  sermons, 
au  dire  des  légendaires ,  émurent  jusqu'aux  poissons  ;  c'est 
le  sujet  dun  des  plus  beaux  discours  chrétiens  du  célèbre 
jésuite  portugais  Vieira ,  qui  vivait  au  temps  de  Louis  XIV. 
Saint  Antoine  de  Padoue  est  un  des  saints  le  plus  en  crédit 
en  Italie  et  dans  le  Portugal.  Grégoire  IX  le  canonisa  en  1232. 
A  Padoue,  on  a  construit  en  son  honneur  une  église  magni- 
fique; on  y  voit  sou  tombeau,  qui  passe  pour  un  chef-d'œuvre 
de  statuaire. 

ANTOINE  DE  Messine  ,  dont  le  véritable  nom  était  A71- 
toncUo  d'Antonio,  peintre  qui  occupe  une  place  importante 
dans  rhistoire;des  progrès  de  l'art  en  Italie.  On  fait  remon- 
ter l'époque  de  sa  naissance  vers  l'an  1414,  et  ce  fut  en 
Sicile,  où  il  était  né,  qu'il  fit  ses  premiers  essais.  Antonello, 
ayant  eu  occasion  de  voir  à  la  cour  d'Alphonse ,  roi  de 
Naples ,  un  tableau  de  Jean  van  Eyck ,  que  ce  prince  venait 
de  recevoir  de  Flandre,  il  fut  si  surpris  de  la  vivacité,  de 
la  force  et  de  la  douceur  des  couleurs  de  ce  tableau ,  qu'il 
prit  aussitôt  la  résolution  d'aller  apprendre  de  van  Eyck  lui- 
même  les  secrets  de  cet  art  merveilleux.  Il  arriva  en  Flan- 
dre vers  l'an  1443,  gagna  la  confiance  et  l'amitié  du  maître 
flamand ,  et  celui-ci  Tmitia  aux  mystères  de  la  préparation 
des  couleurs  à  l'huile ,  auxquelles  les  deux  frères  van  Eyck 
devaient  leurs  succès.  Antonello,  à  son  retour  en  Italie,  se 
fixa  à  Venise,  et  vulgarisa  le  procédé  de  la  peinture  à  l'huile 
parmi  les  artistes  de  l'école  vénitienne.  — On  présume  avec 
quelque  vraisemblance  qu' Antonello  mourut  en  l'année  1493. 
Ses  tableaux  sont  devenus  assez  rares.  Le  musée  de  Berlin 
en  possède  trois ,  tous  avec  le  nom  de  cet  artiste  :  l'un 
même,  daté  de  1445,  circonstance  tout  à  fait  intéressante, 
porte  évidemment  le  cachet  de  l'école  flamande.  Les  deux 
autres  ont  tout  le  caractère  de  l'école  vénitienne  au  quin- 
zième siècle ,  et  appartiennent  à  la  dernière  période  de  la  vie 
de  l'artiste. 

ANTOINE  (Clément-Théodore),  roi  de  Saxe,  né  le 
27  décembre  1755,  mort  le  6  juin  1830,  avait  d'abord  été 
destiné  à  l'état  ecclésiastique ,  et  passa  la  plus  grande  partie 
de  sa  longue  existence  loin  des  affaires  publiques ,  dans  un 
cercle  paisible  et  sans  faste,  uniquement  occupé  de  musique, 
art  dans  lequel  il  s'essaya  à  diverses  reprises  comme  composi- 
teur, de  généalogie,  qui  fut  toute  sa  vie  son  étude  de  prédi- 
lection, et  de  sévères  pratiques  religieuses ,  car  sa  foi  avait  tou- 
jours été  aussi  vive  que  sincère.  Pendant  le  règne  de  Frédé- 
ric-Auguste, son  frère,  il  ne  prit  aucune  part  aux  affaires 
publiques;  mais  les  maux  qui  depuis  180G  assaillirent  sa 
patrie  troublèrent  la  paix  de  sa  vie  retirée ,  et  en  1 809  il 
fut  forcé  de  s'expatrier,  cherchant  avec  la  fainiile  royale 
un  asile,  tantôt  à  Francfort,  tantôt  h.  Prague  et  à  Vienne.  De 
retour  à  Dresde  après  les  désastres  de  l'armée  française , 
il  partagea  les  inquiétudes  et  les  peines  des  Saxons;  mais 
bientôt  le  rétablissement  de  la  paix  le  rendit  à  ses  anciennes 
habitudes  de  famille. 

La  mort  de  son  frère  l'ayant  appelé  au  trône  le  5  mai 
1827.  Antoine  gagna  bientôt  tous  les  cœurs  par  ses  manières 
simples  et  affables ,  par  sa  complète  indifférence  pour  les 
prescriptions  de  l'étiquette,  et  par  les  sages  modifications 
qu'il  apporta  à  la  h'gislation,  encore  toute  féodale,  qui  régis- 
sait la  chasse.  Mais  il  n'apporta  aucune  modification  aux 
antiques  formes  du  gouvernement  avant  que  les  mouve- 


ments insurrectionnels  (piî  éclatèrent  en  Saxe  h  la  suile  des 
événements  de  1830  le  décidassent  à  changer  son  minis- 
tère, et  à'déclarer  son  neveu,  le  prince  Frédéric-Au- 
guste II,  co-régcnt  du  royaume.  Cette  sage  concession 
calma  les  esprits ,  prévint  de  plus  sanglantes  collisions  entre 
le  peuple  et  la  force  armée ,  et  ouvrit  la  voie  aux  réformes 
politiques  nécessitées  par  les  besoins  des  nouvelles  géné- 
rations. 

C'est  du  règne  d'Antoine  que  datera  l'ère  mémorable  dans 
laquelle  la  Saxe  reçut  sa  nouvehe  constitution  représenta- 
tive ,  ainsi  que  les  lois  et  les  institutions  qui  devaient  en  être 
la  conséquence.  Plein  d'amour  pour  ses  peuples ,  désireux 
de  leur  bonheur,  le  royal  vieillard  se  jjrôta  à  toutes  les  in- 
novations qu'il  crut  propres  à  assurer  leur  félicité.  Quelque 
temps  avant  sa  mort ,  une  fête  populaire ,  improvisée  pour 
célébrer  le  quatre  -  vingt  -  unième  anniversaire  de  sa  nais- 
sance, lui  prouva  combien  était  vif  et  sincère  l'hommage 
que  la  nation  saxonne  rendait  à  ses  vertus ,  et  combien  sa 
patriotique  reconnaissance  répondait  au  dévouement  dont  il 
avait  fait  preuve  pour  elle. 

Le  roi  Antoine  avait  été  marié  à  deux  reprises  :  la  pre- 
mière fois  avec  la  princesse  Marie  de  Sardaigne ,  morte , 
après  un  an  de  mariage ,  en  1782  ;  la  seconde  fois ,  avec  l'ar- 
chiduchesse Marie-Thérèse,  sœur  de  l'empereur  Léopold, 
qui  fut  sa  compagne  pendant  quarante  années ,  et  qui  mou- 
rut le  7  novembre  1827,  pendant  les  fêtes  mêmes  célébrées 
à  l'occasion  du  couronnement  de  son  époux.  Le  premier  de 
ces  mariages  avait  été  stérile  ;  les  enfants  nés  du  second 
moururent  tous  en  bas  âge. 

ANTOMMARCHl  (C.-François),  médecin  qui  a  Ad 
quelque  renom  à  son  dévouement  envers  l'empereur  Na- 
poléon, était  né  à  Morsiglia  (Corse),  le  5  juillet  1789.  Il 
donna  les  derniers  soins  au  grand  homme  ;  il  moula  sa  tète 
et  sa  figure ,  et  décrivit  sa  dernière  maladie  dans  des  mé- 
moires qui  eurent  un  instant  de  vogue,  bien  que  l'exécu- 
tion en  fût  médiocre.  Ces  mémoires  sont  intitulés  :  Derniers 
moments  de  Napoléon  (2  vol.  in-8°,  1823).  Il  avait  étudié 
la  chirurgie  à  l'université  de  Pise,  et  il  y  fut  reçu  docteur  ;  il 
se  rendit  ensuite  à  Florence.  Ce  fut  dans  cette  ville  qu'il  eut 
occasion  de  connaître  le  célèbre  anatomiste  Paul  Mascagni, 
qui  à  cette  époque  y  florissait.  Il  suivit  ses  leçons  à  l'hô- 
pital de  Santa-Maria-Nuova,  et  devint  un  de  ses  prosecteurs 
(son  dissettore) ;  il  l'aida  même  à  préparer  la  publication 
de  ce  grand  ouvrage  anatomique  que  la  mort  de  Mascagni 
laissa  inachevé. 

En  1819,  et  de  l'aveu  du  cardinal  Fesch  et  de  madame 
L;clitia,  Antommarchi  s'embarqua  à  Livourne,  pour  se  rendre 
près  de  Napoléon  à  Sainte-Hélène  ;  il  avait  pour  compagnons 
de  voyage  deux  abbés,  ses  parents,  l'un  desquels  devait  di- 
riger la  conscience  de  l'empereur.  On  prévoyait  dès  lors  la 
mort  prochaine  du  grand  honmie,  et  sa  famille  lui  envoyait 
en  même  temps  un  chirurgien ,  un  chapelain  et  un  confes- 
seur corses ,  dans  l'espoir  qu'ils  le  trouveraient  plus  con- 
fiant dans  leur  fidélité  et  plus  docile  à  leurs  avis.  Effective- 
ment, Napoléon  marqua  quelques  bonnes  dispositions  pour 
Antommarchi,  se  promena  davantage,  et  jardina  même  quel- 
ques semaines  d'après  ses  conseils.  Mais  il  reprit  bientôt  son 
train  de  vie,  ses  habitudes  sédentaires,  ses  études  et  ses  tiis- 
lesses,  qui  précipitèrent  sa  fin.  Peu  satisfait  du  traitement 
qu'on  avait  fait  suivTe  à  l'empereur  sans  sa  participation , 
Antommarchi,  quand  l'heure  dernière  eut  sonné,  ne  consentit 
ni  à  ouvrir  le  corps  de  l'auguste  défunt,  ni  à  signer  le  procès- 
verbal  de  nécropsie ,  ce  qui  donna  prétexte  à  diverses  inter- 
prétations. 

L'empereur  mort,  Antommarchi  rentra  en  Europe.  Re- 
venu pauvre  de  sa  glorieuse  mission,  il  eut  d'aussi  nombreux 
ennemis  et  beaucoup  moins  de  courtisans  que  s'il  en  eût 
rapporté  des  richesses.  Il  passa  d'abord  en  Angleterre,  où  il 
fit  quelques  publications.  11  alla  ensuite  en  Italie,  où  il  re- 
çut de  l'archiduchesse  Marie-Louise  les  témoignages  d'une 


ANTOMMARCHI  —  ANTONELLE 


6G5 


placialo  iiuliffiVcncc.  De  Parme  il  se  rendit  en  France,  où 
il  st'jmirna  depuis  lS2i  jusqu'en  1S3G.  Lue  fois  à  Paris,  où 
^enaient  de  se  raviver  les  souvenirs  de  Tenipire,  les  félicita- 
tions empressées  dont  il  fut  l'objet  rencontrèrent  en  lui  pluttU 
une  tiétleur  polie  que  de5Souvenirse\;illés.  C'était  un  homme 
doux ,  d'une  réserve  mélancolique ,  fort  peu  enthousiaste , 
et  plus  capable  d'exciter  la  curiosité  que  de  la  satisfaire.  Sa 
(iis<rétion,  au  surplus, était  celle  qui  convient  au  médecin, 
(l  n'avait  rien  de  diplomatique. 

1 1  eut  peu  d'utile  clientèle  à  Paris ,  et  son  existence  y  fut 
voisine  de  la  gène.  Lorsqu'en  1S31  le  choléra  se  déclara  en 
Pologne,  Antommarchi  s'y  rendit,  sans  aucun  avantage  pour 
A  arsovie  ni  pour  lui-même,  et  il  s'aliéna  ses  confrères  en  se 
dt^-larant ,  sans  autorité  ni  modération ,  le  çi'néralissimc 
des  médecins  envoyés  par  les  gouvernements  étrangers. 

Peu  de  temps  après  la  révolution  de  juillet,  alors  que  Na- 
jtoléon  fut  librement  célébré,  Antommarchi  se  souvint  qu'il 
avait  moulé  la  tète  du  héros  mourant.  Ce  (ut  seulement  à 
cette  époque,  environ  neuf  années  après  son  retour  de 
S;unte-Helène,  qu'il  se  décida  à  publier  le  masque  de  l'em- 
pereur, ce  qui  lit  alors  beaucoup  de  bruit,  et  tira  pour  un 
initant  Antommarchi  de  son  obscurité  et  vraisemblablement 
<!e  sa  quasi-délresse.  Mais  ce  moule  fameux  fit  moralement 
un  tort  immense  au  médecin  qui  l'avait  publié.  Comme  il  ne 
résultait  point  de  cette  empreinte  d'un  crâne  illustre  que  Na- 
IMiléon  offrît  les  reliefs  osseux  qui,  selon  Gall,  auraient  dû 
témoigner  de  ses  facultés  les  plus  glorieuses  et  les  moins 
tonlastées ,  les  adversaires  de  la  phrénologie  s'en  firent  une 
arme  contre  Gall  et  Siiurzheim ,  et  là  prirent  source  des 
disputes  qui  durent  encore.  Le  fait  est  qu'on  eut  quelques 
raisons  de  douter  que  le  masque  publié  par  Antonunarchi 
eût  été  moulé  à  Sainte-Hélène  après  la  mort  de  lempe- 
reur.  On  trouva  qu'il  ressemblait  à  Bonaparte  premier  con- 
sul plutôt  qu'à  l'illustre  exilé,  épuisé  par  six  années  de 
chagrins  et  d'insomnies,  amaigri  par  un  squirrhe  au  pylore, 
et  di-jà  ridé  comme  on  l'est  à  cinquante-deux  ans.  Le  plàtie 
d' Antonunarchi  ne  s'accordait  nullement  avec  ce  que  le  doc- 
teur O'Méara  et   le  général   Montholon  ont  raconté  de  la 
grande  maigreur  de  Napoléon  et  de  la  profonde  altération 
de  sa  physionomie  dans  les  derniers  temps  de  son  existence. 
On  laissa  planer  des  soupçons  sur  la  véracité  d' Antommar- 
chi :  on  affirma  qu'il  s'était  illégitimement  arrogé  le  titre  de 
professeur,  et  que  personne  n'avait  pu  lire  deux  ouvrages 
qu'il  disait  avoir  publiés,  l'un  traitant  du  choléra,  et  l'autre 
concernant  la  physiologie.  On  alla,  dans  lardeur  italienne 
et  haineuse  du  débat  phrénologique,  jusqu'à  mettre  en  sus- 
picion l'identité  du  plâtre  envisagé  comme  matière.  «  Votre 
moule,  lui  dit-on,  est  du  plus  beau  plâtre  :  c'est  un  plâtre 
blanc  et  fin,  comme  on  ncn  voit  qu'à  Lucques,  où  il  sert  à 
former  de  charinantes  figurines;  vous  n'auriez  pu  en  trouver 
de  pareil  à  Sainte-Hélène  1  «  Fatigué  de  tant  de  tourments, 
Antommarchi,  vers  1836,  prit  le  parti  d'aller  faire  de  la  mé- 
decine homœopathique  à  la  Nouvelle-Orléans  et  ensuite  à  La 
Havane.  Il  mourut  le  3  avril  1838,  à  Santiago  de  Cuba,  où 
Napol(-on  III  lui  a  fait  élever  un  nsfuiunienf  en  1855. 

Ce  que  no\is  ne  devons  point  omettre,  c'est  (pi'Antom- 
marclii  a  publié  sur  l'anatomie  de  l'homme  un  gi-and  ou- 
vrage avec  des  figures  magnifiques.  Planches  anatomi- 
qves  du  corps  humain,  exécutées  d'après  les  dimensions 
naturelles  (  Paris,  1S23-1826),  tel  est  le  titre  de  ce  bel  ou- 
vrage, toujours  fort  rechercbé,  quoique  d'un  prix  élevé 
(  200  f.  ),  et  qui  eut  pour  éditeur  le  comte  de  Lasteyrie.  C'est 
un  traité  complet,  qui  fut  publié  en  quinze  liviaisons,  et  qui 
ne  forme  qu'un  volume  très-grand  in-folio ,  avec  un  texte 
très-suffisant  dans  sa  concision.  Il  résulte  d'un  mémoire,  es- 
pèce de  pamphlet  italien  et  français,  que  nous  avons  sous  les 
yeux,  que  les  planches  de  l'ouvrage  d'Antommarchi  ne  sont 
en  grande  partie  que  la  reproduction  lithographiipie  des 
planches  gravées  de  son  maître,  Paul  Mascagni,  dont  la  fa- 
mille avait  eu  l'imprudence  de  lui  conlier  la  plupart  des 

Dir.T.    lU.    l.  >.    (;0>VEnS.\T10N.    —   T.   I. 


cuivres,  terminés  à  son  départ  pour  Sainte-Uélènc,  L'accin 
sation  a  d'autant  plus  de  gravité,  qu'Antommarchi  avant  son 
départ  était,  par  procuration,  éditeur  des  ouvrages  de  Mas- 
cagni ,  qui  dès  lors  avait  cessé  de  vivre.  La  brochiu-e  dont 
nous  parlons  renferme  sept  lettres  d'Antommarchi ,  en  ita- 
lien ;  elle  est  intitulée  :  Lettres  des  héritiers  de  feu  Paul 
Mascagni  à  M.  le  comte  de  Lasteyrie,  à  Paris.  A  Pise, 
chez  Mcolas  Capnrro,  1823.  Dans  une  de  ses  lettres,  datée 
du  7  mai  1822,  .■Vntommarchi  prie  instamment  un  de  ses 
amis  de  lui  envoyer  deux  exemplaires  complets  de  la  grande 
anatomie  de  Mascagni;  il  ajoute  :  Vi  ripeto  che  mi/arcste 
cosa  grata,evitandomi  lapenadifar  nuovamente  ripe- 
terc  tali  disegui  qui  sui  cadaveri,  ed  incorrere  in  nuove 
spese  a  tal  ef/etto;  ma  che  sarà  ohbligato  di  /are  in 
caso  di  rifiuto.  Antommarchi  a  encore  publié,  en  opposi- 
tion à  l'opinion  du  docteur  Lippi,de  Florence,  un  Mémoire 
sur  la  non-communication  directe  des  vaisseaux  lym- 
phatiques arec  les  veines,  1829.  Isid.  Boukdon. 

ANTONELLE  ( Pierre- Antoine  d'),  issu  d'une  an- 
cienne et  riche  famille  de  Provence ,  naquit  à  Arles ,  en 
1747.  Il  embrassa  d'abord  la  carrière  militaire,  et  obtint  le 
grade  de  capitaine  d'infanterie  dans  le  régiment  de  Bassi- 
gny.  11  quitta  le  métier  des  armes  en  1782.  Lorsque  la  révo- 
lution éclata,  il  figura  au  premier  rang  des  patriotes  de  la 
Provence.  Dès  1789  Antonelle  fit  paraître,  sons  le  titre  de 
Catéchisme  du  tiers-état,  un  écrit  qui  obtint  un  grand 
succès.  A  la  première  organisation  des  municipaUtés ,  il  fut 
nommé  maire  d'Arles.  Les  circonstances  devinrent  bientôt 
difficiles  ;  des  troubles  éclatèrent  dans  les  principales  viUes 
du  midi  :  Marseille ,  Toulon ,  Avignon,  Arles,  furent  livrées 
aux  horreurs  de  la  guerre  civile.  Antonelle  déploya  au 
milieu  des  crises  les  plus  violentes  autant  de  sagesse  et  de 
modération  que  d'énergie  et  de  courage.  Nommé  successi- 
vement commissaire  à  Marseille  et  à  Avignon,  pour  pacifier 
ces  grandes  cités ,  il  trouva  partout,  dans  ses  formes  conci- 
liatrices ,  dans  l'ascendant  de  son  esprit  et  de  son  caractère, 
de  puissants  auxiliaires  pour  remplir  avec  succès  des  mis- 
sions environnées  d'obstacles  et  de  périls.  Il  jouissait  d'une 
popularité  immense  dans  tout  le  midi  de  la  France  :  aussi 
fut-il  nommé  député  à  l'assemblée  législative  par  le  dépar- 
tement des  Bouches-du-Rhône.  Antonelle  était  plutôt  pen- 
seur qu'orateur  ;  il  ne  monta  guère  à  la  tribune  que  pour  y 
lire  des  rapports  au  nom  des  commissions ,  dans  le  sein 
desquelles  il  était  souvent  appelé. 

Après  le  10  août,  Antonelle  fut  envoyé  à  l'armée  des  Ar- 
dennes,  avec  Camus  et  Bancal ,  pour  annoncer  aux  troupes 
la  déchéance  du  roi.  Lafayette,  qui  tenait  sincèrement  à 
la  monarchie  constitutionnelle,  fit  arrêter  les  commissaires 
de  l'assemblée  législative,  et  ils  ne  lurent  rendus  à  la  liberté 
qu'à  l'époque  où  ce  général  fut  obligé  de  se  soustraire  au 
décret  d'arrestation  porté  contre  lui ,  et  de  passer  à  l'étran- 
ger. Revenu  à  Paris ,  Antonelle  fut  désigné  pour  faire  partie 
d'une  commission  qui  devait  se  transporter  à  Saint-Domingue 
pour  y  organiser  l'administration  coloniale  sur  les  nouvelles 
bases  que  nécessitait  le  changement  survenu  dans  la  métro- 
pole. Les  vents  contraires  ne  lui  permirent  pas  de  remplir 
cette  mission.  Il  retourna  dans  la  capitale,  où  son  nom  fut 
mis  en  concurrence  avec  celui  de  Pache  pour  les  fonctions 
de  maire.  Antonelle  refusa  cette  candidature.  Quoique  radi- 
cal dans  ses  vues  d'amélioration  sociale,  il  fut  écarté  de  l'a- 
rène législative  lors  des  élections  pour  la  Convention,  et 
exclu  ensuite  du  club  des  jacobins,  en  qualité  de  noble. 
Cependant  ses  concitoyens  ne  l'oublièrent  pas  tout  à  fait,  et 
il  siégea  comme  juré  au  tribunal  révolutionnaire;  cette  fonc- 
tion devait  lui  être  essentiellement  antipathique.  Dans  le 
procès  des  Girondins,  il  déclara  publiquement  que  la  cul- 
pabilité des  accusés  ne  lui  était  pas  suffisamment  démontrée, 
et  il  fit  paraître  bientôt  après  un  écrit  sur  le  tribunal  révolu- 
tionnaire, pour  protester  contre  la  violence  que  les  domi- 
nateurs du  jour  prétendaient  exercer  sur  la  conscience  do-'- 


666 


ANTONELLE  —  ANUBIS 


jurés.  Antouelle  avait  été  aussi  l'un  des  membres  du  jury 
dans  le  procès  (le  la  reine.  Sa  proleslalion  courageuse  le  fit 
jeter  dans  les  prisonsdu  Luxembourg,  d'où  il  ne  sortit  qu'au 
9  lliennidor,  et  en  veitu  d'un  décret  de  la  Convention. 
Incarcéré  par  les  terroristcsi,  Antonelle  n'en  vit  pas  moins 
avec  douleur  les  excès  de  la  réaction  tliermidorienne.  Au 
1 3  vendémiaire,  il  se  prononça  pour  la  Convention,  mais  sans 
prendre  les  armes. 

A  l'établissement  d»  gouvernement  directorial,  Antonelle 
fut  choisi  pour  rédacteur  en  chef  et  directeur  du  Moniteur; 
mais  il  refusa,  et  se  contenta  d'écrire,  dans  la  retraite,  des 
articles  pour  le  Journal  des  Hommes  libres.  Le  refus  de 
s'associer  à  la  politique  directoriale  et  la  tendance  bien 
connue  d'Antonelle  pour  les  réformes  sociales  le  firent  im- 
pliquer dans  la  conspiration  de  Cabeu  f.  On  savait  bien  qu'il 
n'y  avait'pas  en  lui  l'étoffe  d'un  conjuré,  et  qu'il  n'était  pas 
homme  à  coups  de  main,  mais  ses  doctrines  étaient  sus- 
pectes ,  elles  se  rapprochaient  de  celles  des  conspirateurs  : 
c'en  fut  assez  pour  le  comprendre  dans  la  conspiration. 
Heureusement  pour  Antonelle,  l'crganc  du  ministère  public 
près  la  haute  cour  nationale  de  Vendôme  lecula  devant  la 
doctrine  de  la  complicité  morale.  Il  rendit  hommage  au  ca- 
ractère et  h  l'innocence  de  l'accusé,  et  conclut  à  son  acquit- 
tement, qui  fui  prononcé  par  la  cour.  Libre  de  préoccupa- 
tions pour  lui-même  et  n'ayant  pas  à  se  défendre  contre 
une  accusation  délaissée,  Antonelle  écrivit  et  parla  pour  ses 
coaccusés,  notamment  pour  Uuonarotti  et  pour  Félix  Lepel- 
letier  Saint-Fargeau. 

Au  18  brumaire,  Antonelle  fut  d'abord  compris  dans  une 
liste  de  (lép/jrlalion;  puis  on  se  ravisa,  et  son  nom  fut  rayé. 
Au  3  nivôse ,  le  complot  royaliste  ayant  sarvi  de  prétexte 
pour  susciter  <ie  nouvelles  persécutions  contre  les  républi- 
cains ,  Antonelle  reçut  ordre  de  quitter  Paris,  et  durant 
toute  la  période  impériale  il  vécut  exilé  dans  sa  ville  na- 
tale. En  181'i  il  pulrlia  un  dernier  écrit  intitulé  :  le  Réveil 
d'unVieillard.  On  prit  ce  réveil  pour  une  faiblesse.  Il  n'en 
était  rien  cependant.  Sa  fm  le  prouva.  Il  resta  fidèle 
à  la  philosophie  jusqu'à  .son  dernier  moment,  et  les  prêtres 
l'en  punirent  en  lui  refusant  la  sépulture  ecclésiastique. 
Ses  concitoyens  l'en  dédommagèrent  en  accourant  en 
masse  à  ses  funérailles.  Il  ne  s'était  jamais  souvenu  qu'il 
était  riche  que  pour  faire  du  bien  aux  pauvres.  Il  mourut  à 
Arles  le  20  novembre  t817.      L.vurent  (  de  l'Ardèche). 

AIVTOMELLI  (  Giacomo),  né  à  Sonnio ,  le  2  avril  1806, 
fit  ses  études  au  grand  séminaire  de  Rome,  devint  prélat 
et  occupa  divers  emplois  sous  le  pape  Grégoire  XVL  Pie  IX 
lui  donna  la  pourpre  en  (847,  et  le  nomma  ministre  des  fi- 
nances :  il  agit  d'abord  dans  le  sens  libéral;  mais  voyant  la 
révolution  s'avancer,  il  donna  sa  démission.  Il  suivit  le  pape 
à  Gaële,  où  il  dirigea  les  affaires  de  la  papauté.  Pie  IX  à  son 
retour  le  nomma  ministre  des  affaires  étrangères.  Une 
tentative  d'assassinat  contre  lui  a  échoué  en  1855.  Z. 

ANTOiMN  LE  PIEUX  (  ïitds-Aurrlius-Fulvius), 
né  l'an  86  de  J.-C,  à  Lavinium,  près  de  Rome,  d'une  an- 
cienne famille  originaire  de  Nimes.  Son  père,  Aurelius- 
Fulvius,  avait  été  revêtu  du  consulat.  Antonin  fut  élevé  à 
la  môme  dignité  en  120.  Il  fut  au  nombre  des  quatre  per- 
sonnages consulaires  entre  lesquels  Adrien  partagea  la  ma- 
gistrature suprême  de  l'Italie.  Plus  tard,  il  passa  en  Asie 
eu  qualité  de  proconsul.  De  retour  à  Rome,  Antonin  s'affer- 
mit de  plus  en  plus  dans  les  bonnes  grâces  de  l'empereur 
Adrien.  Il  avait  épousé  Faustine,  fille  d'Anniiis  Verus.  Celte 
fenmie  impudique,  dont  il  eut  la  modération  de  cacher  les 
déportements  aux  regards  de  l'empire  ,  lui  donna  quatre  en- 
fants. Ils  moururent  tous  en  bas  ûge,  à  l'exception  de  Faus- 
tine, qui  devint  par  la  suile  l'épouse  de  I\Iarc-Ailrèle. 
En  138,  Antonin  fut  «idopté  par  Adrien,  <à  condition  qu'il 
adopterait  à  .son  tour  L.  Verus  et  M.  Antoninus,  connu  de- 
puis sous  le  nom  de  Marc-Aurèle.  Cette  même  année  il 
monta  sur  le  trône.  L'empire  jouit  pendant  son  rè^ne  d'une 


longue  paix.  Sobre  et  économe  dans  sa  vie  privée ,  toujours 
disposé  à  soulager  les  malheureux,  Antonin  fut  le  père  du 
peuple.  Il  se  plaisait  à  répéter  ces  belles  paroles  de  Scipion  ; 
«  J'aime  mieux  conserver  la  vie  d'un  seul  citoyen  que  de 
faire  périr  mille  ennemis.  »  L'ordre  qu'il  avait  introduit  dans 
l'administration  le  mit  à  môme  de  /liminucr  les  impôts.  An- 
tonin protégea  leschrétienc;  il  fit  la  guerre  en  Bretagne,  où 
il  étendit  les  limites  de  l'empire  romain.  Pour  arrêter  les 
incursions  des  Pietés  et  des  Brigantes,  il  fit  construire  un 
mur  au  nord  de  celui  qui  avait  été  élevé  par  Adrien.  Le 
sénat  lui  déféra  le  nom  de  Pius  à  cause  des  honneurs  qu'il 
avait  rendus  à  la  mémoire  d'Adrien.  Pendant  le  cours  de 
son  règne,  l'empire  fut  dévasté  par  des  incendies  ,  des  inon- 
dations et  des  tremblements  de  terre:  ses  libéralités  adouci- 
rent ces  malheurs.  Antonin  mourut  l'an  161.  Ses  cendres 
furent  déposées  dans  le  tombeau  d'Adriin.Le  sénat  consacra 
à  sa  mémoire  une  colonne  qui  existe  encore.  Ses  successeurs 
prirent  son  nom.  Ce  prince  fut  presque  le  seul  des  em- 
pereurs romains  qiù  pour  parvenir  au  trône  cl  s'y  maintenir 
put  se  passer  de  supplices.  * 

AIXTOININ  LE  PHILOSOPHE.  Voj.'z  Mai.c- 
Al'KÈle. 

AIXTONÏIVE  (Colonne).  Voyez  Colonne. 

A]\TOIVL\US  LIBÉRALIS,  appelé  par  quelques  au- 
teurs, mais  à  tort,  Antomus,  était  vraisemblablement  un 
des  affranchis  de  l'empereur  Antonin  le  Pieux.  Il  vécut  vers 
l'an  147  de  J.-C,  et  composa  dans  le  goût  de  son  siècle, 
sous  le  titre  de  Métamorphoses,  une  collection  de  récils 
fabuleux  empruntés  pour  la  plupart  aux  poètes  et  aux  prosa- 
teurs de  rionie,  et  singulièrement  précieuse  aujourd'hui  pour 
la  science,  parce  que  les  ouvrages  des  auteurs  cités  par  cet 
écrivain  grec  ont  tous  péri.  Le  livre  d'Antoninus  Liberalis  fut 
pour  la  première  fois  publié  par  Xylander  (Bàle,  1568); 
et  Verheych  en  donna  à  Leyde  (1774)  une  édition  plus  cor- 
recte. Koch,  dans  l'édition  qu'il  en  a  publiée  en  1832,  à 
Leipzig,  a  fait  d'heureuses  corrections  au  texte  des  éditions 
précédentes,  et  a  enrichi  la  sienne  d'un  curieux  travail  d'ap- 
préciation du  style  de  ce  mythographe,et  de  savantes  études 
sur  les  écrivains  grecs  qu'il  avait  compilés. 

AIVTOIVÏUS  MUSA   Voyez  Musa. 

AIVTOXOMASE  (d'àvti,  pour,  etôvoixa,  nom),  trope 
par  lequel  on  substitue  le  nom  appellatif  au  nom  propre, 
ou  le  nom  propre  au  nom  appellatif.  Sardanapale  était  un 
roi  voluptueux  ;  INéron  ,  un  empereur  cruel  ;  c'est  par  an- 
tonomase qu'on  donne  à  un  débauché  le  nom  de  Sardana- 
pale, à  un  prince  barbare  celui  de  Néron. 

Les  noms  d'orateur,  de  poète,  de  philosophe,  d'apôtre, 
sont  des  noms  communs,  qui  s'appliquent  à  tous  les  hom- 
mes d'une  même  profession  ;  et  pourtant  on  s'en  sert  par- 
fois pour  désigner  certains  hommes  comme  s'ils  leur  étaient 
propres;  par  rOra^e«r,  ou  entend  Cicéron;  par  le  PoéYe,  Vir- 
gile; par  le  Philosophe,  Aristote;  par  V Apôtre,  sans  adrli- 
tion ,  saint  Paul.  La  liaison  que  l'habitude  a  établie  entre  le 
nom  de  Cicéron  et  l'idée  du  prince  des  orateurs,  entre  ce- 
lui de  Virgile  et  l'idée  d'un  excellent  poète,  entre  celui 
d'Aristote  et  l'idée  d'un  grand  philosophe,  entre  celui  de  saint 
Paul  et  l'idée  d'un  admirable  apôtre,  fait  que  personne  ne  s'y 
méprend,  et  qu'on  ne  balance  pas  à  attribuer  ces  litres  à 
ces  personnagps  historiques  préférablementà  d'autres. 

AIVTR AIGUËS.   Voyez  Entkaigues. 

AIXTRAIN(  Combat  d').  Le  20  novembre  1793,  l'armée 
républicaine,  sous  les  ordres  des  généraux  Westermann, 
Marceau,  Kléber  et  Mùller,  après  avoir  attaqué  sans  succès 
la  ville  de  Dol,  se  réfugia  à  Antrain,  petite  ville  du  dépar- 
tement d'IlIe-et-Vilaine,  sur  la  rive  droite  du  Couesnon,  où  une 
partie  de  son  arrière-garde  fut  taillée  en  pièces  par  l'armée 
royale   commandée  par  La  Rochejacquelein  et  Slofflet. 

ÀXTRUSTIOXS.  Foye:;  LEL-nEs. 

ANUBIS,  une  des  principa'es  divinités  de  la  mythologie 
égyptienne  (  roj/C3  Egypte).  Il  l'ut  adoré  d'abord  soas  la  ti- 


ANUBIS  —  ANVERS 


fîiiro  d'un  chien  ;  plus  tard  on  le  n^pn^sonta  sous  une  fonne 
Inimainc  avec  une  tiMe  <!e  chien ,  d'où  lui  vient  le  nom  de 
Ki/no/ii'pfiolos  (  ItMc  de  chien  ).  Plutarque  nous  apprend 
qu'Anubis  est  fils  d'Osiris  et  de  Neplilhys.  Sa  nitre  l'ayant 
exposiS  parce  qu'elle  craignait  le  courroux  de  Typhon,  son 
époux,  Isis,  l'épouse  d'Osiris,  parvint  à  découvrir  l'enliint  à 
l'aide  de  ses  chiens,  le  fit  élever,  et  eut  en  lui  un  fidèle  gar- 
dien. Plus  tard  Anuhis  lui  fit  retrouver  le  corps  d'Osiris, 
assassiné  par  Typhon.  D'après  Diodore  ,  Anubis  accompa- 
gna Osiris  dans  ses  cxpéilitions  guerrières  ,  la  tète  ornée 
d'un  casque  recouvert  d'une  peau  de  chien  :  c'est  pour([uoi 
il  fut  représenté  sous  la  forme  de  cet  animal  —  Dans  la 
mythologie  astronomique  des  Égyptiens,  Anubis  était  le 
septième  parmi  les  hauts  dieux  de  la  première  classe  :  son 
nom  est  synonyme  de  Mercure.  Il  était  regardé  comme  le 
dieu  de  la  cliasse  et  le  gardien  des  dieux.  Les  Grecs  le 
confondirent  plus  tard  avec  Hermès. 

ANUS  ,  ouverture  à  peu  près  circulaire,  mais  im  peu  al- 
longée de  devant  en  arrière  et  plissée,  constituant  l'ouver- 
ture inférieure  du  canal  alimentaire  ou  du  rectum,  et  des- 
tinée à  donner  passage  aux  excréments.  Son  étymologie  est 
dérivée  de  sa  forme  presque  annulaire. 

Tous  les  animaux  sont  pourvus  de  cet  appareil,  à  l'ex- 
ception des  radiaires,  des  polypes  et  des  microscopiques  , 
chez  lesquels  il  n'existe  qu'une  seule  et  même  ouverture 
pour  recevoir  les  aliments  et  pour  rejeter  ceux  qui  n'ont 
pas  été  absorbés  par  la  digestion.  La  place  de  l'anus  est 
constante  et  toujours  la  même  dans  les  animaux  vertébrés  ; 
mais  elle  varie  dans  les  autres  classes,  et  se  trouve  ,  par 
exemple,  chez  les  limaçons,  au  côté  gauche  du  coiiis,  et 
près  de  l'orifice  ou  du  trou  qui  sert  à  la  respiration. 

Chez  l'homme  et  les  animaux  qui  s'en  rapprochent,  l'a- 
nus est  composé  d'un  sphincter  avec  des  ganglions  mu- 
queux,  qui  fournissent  une  humeur  favorisant  le  glissement 
des  matières  expulsées  par  l'économie.  Des  replis  nombreux 
permettent  à  la  peau  de  subir  au  besoin  une  grande  dilata- 
tion. L'anus  peut  être  le  siège  de  diverses  affections;  des 
abcès  peuvent  se  manifester  dans  son  voisinage,  s'ouATir,  et 
laisser  après  eux  des  f  i  s  t  u  I  e  s.  On  voit  aussi  des  ulcères, 
des  gerçures,  des  végétations  s'y  développer;  enfin  les  vais- 
seaux qui  l'entourent  subissent  souvent  une  dilatation  vari- 
queuse qui  constitue  les  h  é  m  o  r  r  h  o  ï  d  e  s.  Quelquefois  les 
enftmts  naissent  avec  une  obturation  de  cette  partie. 

AJVUS  AJVORMAL.  On  appelle  ainsi  une  ouverture 
située  sur  l'un  des  points  de  l'enceinte  abdominale,  et  fai- 
sant communiquer  l'intestin  perforé  avec  l'extérieur.  Par 
cette  ouverture  s'échappent  en  totalité  ou  en  partie  les  ma- 
tières stercorales.  Elle  est  congéniale  ou  accidentelle.  L'art 
peut  également  la  produire  en  vue  d'un  résultat  thérapeu- 
tique ,  et  dans  ce  cas  elle  prend  le  nom  A'anus  artificiel. 
L'anus  congénial  est  dû  quelquefois  à  un  vice  de  confor- 
mation. Le  plus  souvent  il  reconnaît  pour  cause  une  plaie 
spontanément  produite  immédiatement  après  la  naissance , 
par  suite  d'une  absence  ou  d'une  imperforation  du  rectum. 
Les  matières  s'accumulent  dans  les  dernières  portions  du 
tube  intestinal,  qui  se  distend,  s'enflamme,  adhère  aux  pa- 
rois abdominales,  auxquelles  la  maladie  se  communique  de 
manière  à  en  occasionner  la  gangrène  et  la  destruction.  Les 
plaies  pénétrantes  du  ventre,  les  hernies  étranglées,  opé- 
rées ou  non  opérées,  donnent  fréquemment  lieu  à  Yanus  ac- 
cidentel. Dans  ces  dernières  circonstances,  comme  la  libre 
communication  des  deux  bouts  de  l'intestin  n'est  pas  eiitiè- 
ment  interrompue,  ou  peut  être  rétablie  ;  qu'en  un  mot  il 
est  possible  qu'au-dessous  de  l'endroit  ouvert  il  n'y  ait 
aucun  obstacle  insurmontable,  non-seulement  l'écoulement 
est  quelquefois  médiocre  et  intermittent ,  mais  la  nature  ou 
l'art  parviennent  assez  fréquemment  à  détruire  cette  infir- 
mité dégoûtante.  Il  n'en  est  pas  de  même  dans  les  |)remièrcs, 
où  il  est  indispensable  de  la  respecter  et  de  l'entrclenir, 
sous  peine  des  plus  graves  dangers.  Il  y  a  plus,  la  pratique  de 


667 

l'anus  artificiel  n'a  pas  d'aulre  but  que  de  prcvoiih-  tte  sem- 
blables dangers,  soit  chez  les  enfants  imperforés,  ou  dont  la 
lectum  est  oblitéré  ,  soit  chc7,  les  adultes  dont  une  lésion 
organique  a  rétréci  le  calibre  de  cet  intestin.  Les  anus  spon- 
tanés s'effectuent  dans  tous  les  endroits  du  ventre.  Le  chi- 
nirgien,  au  contraire,  a  des  sièges  de  prédilection  pour  l'é- 
tablissement de  l'anus  artiliciel.  Ces  sièges  sont  de  préférence 
les  régions  iliaques,  gauche  ou  droite,  et  la  région  lombaire. 
Quand  l'anus  anormal  ou  contre  nature  est  susceptible  de 
guérison,  on  favorise  la  cicatrisation  en  s'opposant,  par  des 
moyens  mécaniques ,  à  l'issue  des  matières,  et  en  mainte- 
nant la  liberté  des  selles  ;  ou  bien  on  en  tente  la  cure  par 
une  opération  spéciale.  Dans  l'autre  cas,  on  a  recours  à  di- 
vers procédés  pour  en  atténuer  les  énormes  inconvénients. 

D"^  Delasialve. 

ANVERS  {Aniwerpén  ,  Antuerpia) ,  chcf-heu  de 
la  province  du  même  nom ,  et  siège  d'un  évêché  qui  date 
de  1559,  est  une  grande  et  belle  ville,  située  à  45  kilomètres 
nord  de  Bmxelles ,  dans  une  plaine ,  sur  la  rive  droite  de 
l'Escaut,  magnifique  fleuve  quia  lii  780  mètres  de  large  sur 
19  de  profondeur.  Sa  population,  qui  s'est  élevée  en  1568 
à  plus  de  200,000  habitants ,  et  qui  n'était  en  1805  que  de 
62,000,  atteint  aitjaiiiJ'hui  le  chiffre  de  90,000  ûmes.  An- 
vers est  deux  fois  plus  grand  qu'il  ne  faudrait  pour  con- 
tenir sa  population.  Seuls  les  rez-de-chaussée  et  les  pre- 
miers et  seconds  étages  sont  généralement  habités.  Tout  le 
reste  est  vide.  Beaucoup  de  maisons  sont  encore  bâties  à  la 
mode  espagnole ,  ayant  pignon  sur  rue ,  en  bois ,  avec  des 
fenêtres  à  petits  carreaux.  Les  mœurs  tiennent  beaucoup 
aussi  des  mœurs  castillanes.  Les  femmes  se  piquent  de  dé- 
votion ,  ce  qui  n'exclut  pas  la  galanterie.  On  aime  passion- 
nément les  arts  à  Anvers  ;  on  y  aime  la  musique  et  la  peinture 
par-dessus  tout.  Les  chœurs,  dans  les  églises,  sont  ornés 
de  tableaux  très-remarquables ,  et  les  galeries  des  particu- 
liers ,  des  artistes ,  des  marchands  eux-mêmes ,  renferment 
des  tableaux  du  plus  grand  prix.  Aux  fenêtres  des  maisons, 
il  y  a  des  miroirs  (  ou  espions),  qui  sont  placés  île  manière 
à  ce  que  les  objets  extérieurs  viennent  se  réfléchir  dans  les 
glaces  du  salon  ou  des  chambres  ,  de  sorte  que  sans  quitter 
son  fauteuil  on  sait  qui  vient  heurtera  sa  porte,  et  l'on 
peut  se  déterminer  d'avance  à  l'accucilHr  ou  à  la  lui  refuser. 
Le  temps  du  carnaval  à  Anvers  est  ordinairement  très- 
bruyant  ;  on  se  venge  dans  ces  semaines  de  plaisir  de  la  ré- 
serve qu'on  a  montrée  durant  le  reste  de  l'année.  Les  fêtes 
de  Noël ,  celles  de  Pâques ,  toutes  les  grandes  fêtes  enfin 
sont  marquées  par  des  cérémonies  qui  amènent  dans  les 
temples  toutes  les  beautés  de  la  ville. 

Le  port  d'Anvers,  entrepôt  libre,  qui  a  en  même  temps  un 
chantier  de  construction ,  établi  au  temps  de  la  possession 
de  cette  ville  par  la  France,  peut  contenir  jusqu'à  mille 
vaisseaux  du  plus  fort  tonnage ,  et,  par  le  moyen  de  nom- 
breux docks ,  les  bâtiments  vont  déposer  leur  ciirgaison 
dans  chaque  localité  de  la  ville.  Chef-lieu  du  département 
des  Deux-Nètlies ,  quand  elle  faisait  partie  de  l'empire  fran- 
çais ,  cette  place  fut  défendue  en  1814  ,  contre  l'Europe  coa- 
lisée, parlecélèbreCarnot .  C'est  aujourd'hui  le  siège  prin- 
cipal du  commerce  extérieur  de  la  Belgique,  lié  par  les 
canaux  du  bassin  de  l'Escaut  et  par  le  chemin  de  fer  de 
Bruxelles  avec  toutes  les  villes  du  royaume.  Anvers  pos- 
sède, en  outre,  des  édifices  publics  très-remarquables, 
vingt-deux  places,  des  nies  larges  et  régulières,  de  su- 
perbes faubourgs  et  <le  belles  promenades ,  un  tribunal  do 
commerce,  une  banque,  un  athénée  ou  lycée  académique 
avec  douze  professeurs  ;  une  école  ou  académie  de  peinture, 
berceau  des  beaux-arts  en  Belgique,  fondée  en  1442,  par  la 
confrérie  des  peintres  ;  un  musée  de  tableaux  où  sont 
réunis  cent  vingt-sept  chefs-d'd'iivre  de  l'école  fiamandc, 
une  école  de  chirurgie,  une  école  de  navigation,  une  bi- 
bliothèque publique  de  15,000  volumes,  un  jardin  botanique, 
un  grand  hôpital,  plusieurs  hospices  et  un  arsenal  considé* 

Si. 


GO  8 


ANVERS 


rable.  On  y  remarque  encore  It;  tlié;\[re,  Fa  ina'çuifiquc  plnf<.' 
(le  Mcer,  le  bagne,  les  quais,  la  cale  d'embarcation  pour  le 
passage  du  fleuve  depuis  la  ville  jusqu'à  la  tiMe  de  Flandre. 
Anvers  conserve  dans  plusieurs  de  ses  édifices  les  traces 
de  son  ancienne  opulence  :  l'ancienne  cal  liédrale ,  une  dis 
plus  belles  constructions  golliiques  de  l'Europe ,  a  été  bâtie 
du  quinzième  au  seizième  siècle;  on  va  y  contempler  le  chef- 
d'œuvre  de  l'école  flamande ,  la  Descente  de  Croix  de  Ru- 
bens,  ainsi  que  divers  autres  tableaux  de  ce  grand  maître, 
dont  plusieurs  avaient  été  transportés  à  Paris  sous  l'empire. 
Au  dernier  siège  de  la  citadelle,  en  1832,  on  les  garantit 
des  boulets  et  des  obus  au  moyen  d'écbafaudages  et  de 
remparts  de  charpente.  L'édifice  a  162  mètres  de  long,  73  de 
large  et  116  de  haut;  230  arcades  voûtées  y  sont  soutenues 
par  125  colonnes;  de  chaque  côté  il  existe  une  double  nef. 
La  tour,  en  pierres  de  taille,  a  150  mètres  de  haut;  il  faut 
monter  022  marches  pour  arriver  à  la  dernière  galerie.  Cette 
tour  est  percée  à  jour  en  découpure,  et  va  en  diminuant  d'é- 
tage en  étage  avec  des  galeries  .superposées.  La  seconde  tour 
n'a  jamais  dépassé  la  première  galerie.  On  y  plaça  en  1540 
un  carillon  composé  de  soixante  cloches.  On  remarque  aussi 
ihôtcl  de  ville,  rebâti  en  15sl;  ranciennc  abbaye  de 
Saint-Michel,  qui  servait  de  palais  aux  stalliouders  ;  l'église 
Saint-Jacques,  avec  le  tombeau  deRubcns,  etc.  La  bourse, 
monument  curieux  construit  en  1531,  a  été  iiiceiuliée  en 
1858.  L'année  suivante,  le  feu  a  atteint  l'entreiiôl. 

Anvers  est  une  ville  très-ancienne  ;  elle  a  été  longtemps 
l'une  des  places  de  commerce  les  plus  riches  du  monde;  au 
treizième  siècle  c'était  un  des  plus  grands  entrepôts  de  la 
ligue  Hanséatique  ;  au  quinzième,  c'était  la  première  ville  de 
commerce  de  l'Europe.  Les  troubles  des  Pays-Bas,  pendant 
lesquels  elle  fut  à  plusieurs  reprises  saccagée  par  les  Espa- 
gnols, préparèrent  sa  ruine.  Le  traitéde  Westphalie, en  1048, 
la  consomma  en  fermant  l'Escaut.  L'occupation  française 
rétablit  en  1794  la  libre  navigation  du  fleuve;  et  la  paix 
a  rendu  à  la  ville  un  commerce  qui  s'est  développé  rapide- 
ment, et  dont  la  prospérité  n'a  que  légèrement  souffert  delà 
séparation  des  Pays-Bas  et  de  la  Belgique. 

La  citadelle,  construite  en  1507  ,  et  augmentée  à  diffé- 
rentes époques ,  surtout  pendant  l'occupation  française,  de- 
puis 1803,  a  eu ,  à  partir  de  la  fin  du  seizième  siècle,  plu- 
sieurs sièges  à  soutenir,  dont  les  plus  importants  sont  : 
1"  celui  des  bourgeois  de  la  ville,  qui ,  du  temps  de  l'Union 
des  provinces  hollandaises  ,  s'en  emparèrent  et  la  défendi- 
rent en  1583,  avec  un  courage  béroïcpic,  conti'e  le  duc  d'A- 
lençon  ;  2°  celui  du  duc  Alexandre  de  Parme,  commandant 
général  des  forces  espagnoles  dans  les  Pays-Bas,  commencé 
en  juillet  1584  ,  fini  en  août  1585  :  les  assiégés  capitulèrent 
après  avoir  tenté  vainement  de  couper  les  digues  pour  inonder 
la  contrée  entre  Lille  et  Anvers,  et  le  gouverneur,  Ph.  de 
Sainte- .\ldegonde,  vaincu,  mais  imaior'alisé,  rendit  la  place 
aux  Espagnols  ;  3°  celui  du  maréchal  de  Saxe,  qui  dura  du 
25  mai  au  1"  juin  1746 ,  et  pendant  lequel,  quoique  les  Fran- 
çais occupassent  Anvers,  il  ne  fut  pas  tire  un  coup  de  fusil 
ni  de  la  ville  sur  la  citadelle,  ni  de  la  citadelle  sur  la  ville; 
4"  celui  de  l'armée  française,  commandée  par  les  généraux 
Labourdonnaie  et  Miranda,  lequel  conuiiença  le  18  no- 
vembre 1792  et  finit  le  SO  du  même  mois;  5"  enfin  celui 
de  1832,  dont  voici  un  aperçu  rapide  : 

Par  suite  des  difficultés  qui  s'étaient  élevées  entre  la  Bel- 
gique et  la  Hollande  après  la  séparation  de  ces  deux  Etats 
en  1830,  et  sur  les  résolutions  de  la  conférence  de  Londres, 
les  troupes  françaises  avaient  déjà  été  obligées  d'intervenir, 
et  étaient  entrées  en  1 8:5t  en  Belgique,  d'oii  elles  étaient  res- 
sorties  peu  de  temps  après.  Au  mois  de  novembre  1832,  elles 
se  virent  forcées  d'y  revenir  pour  faire  exécuter  par  la  force 
les  conditions  du  traité  qui  avait  été  impose;  au  roi  Guillaume 
par  la  conférence,  l'Angleterre  et  la  France  ayant  résolu  d'en 
venir  aux  mesures  coèrcitives,  contre  l'emploi  desquelles  les 
autre»  puissances  ne  protestèrent  qu';!ssez  mollcmc:!!. 


AiN  VILLE 

L'armée  française,  sous  le  commandoiiient  du  maréciiai 
Gérard,  ayant  sous  ses  ordres  les  jeunes  ducs  d'Orléans  et 
de  Nemours,  vint  mettre  le  siège  devant  la  citadelle  d'An- 
vers, défendue  par  une  garnison  d'environ  6,000  hommes, 
sous  les  ordres  du  baron  Chassé.  La  tranchée,  ouverte  le 
29  novembre  ,  fut  close  le  23  décembre  par  la  capitulation 
de  la  place.  Ainsi,  la  résistance  opiniâtre  des  Hollandais  der- 
rière des  fossés  et  des  murs  avait  retenu  pendant  vingt-qualrc 
jours  et  vingt-cinq  nuits  les  soldats  français  dans  la  tranchée, 
avec  la  pluie,  la  boue  et  le  froid,  parmi  des  travaux  et  des 
périls  continuels,  sous  le  feu  de  la  place.  Dans  ce  siège  mé- 
morable, il  fut  ouvert  14,000  mètres  de  tranchée,  il  fut  tiré 
03,000  coups  d'artillerie,  et  il  fut  pris  aux  Hollandais,  par 
capitulation,  5,000  soldats  de  diverses  armes,  dont  185  of- 
ficiers. Les  Français  eurent  687  blessés  et  108  morts.  Le  ro^ 
de  Hollande  ayant  refusé  de  ratifier  la  capitulation,  Chassé 
fut  obligé  de  se  constituer  prisonnier  de  guerre,  avec  les  5,000 
hommes  qui  lui  restaient. 

Nous  n'avons  pas  mentionné  parmi  ces  sièges  la  tentative 
infi-uctueuse  des  Anglais  en  1809.  Le  commerce  d'Anvers  au- 
rait été  florissant  à  cette  époque  si  Napoléon  n'avait  pas 
voulu  en  faire  une  place  de  guerre ,  défendue  par  une  for- 
midable flotte  militaire.  Les  Anglais,  commandés  par  lord 
Chatam ,  essayèrent  donc  d'incendier  cette  flotte  et  de  dé- 
truire les  fortifications  ;  mais  le  général  Bernadotte,  par  sa 
présence  d'esprit  et  son  courage,  déjoua  cet  aventureux 
projet. 

Anvers,  depuis  ces  époques  de  revers  et  de  gloire,  semble 
se  souvenir  de  son  ancienne  importance  commerciale  cl  in- 
dustrielle. Son  port  se  repeuple  chaque  année  d'un  plus 
grand  nombre  de  bâtiments,  de  nouveaux  bassins  se  creu- 
sent, la  ville  s'agrandit  et  se  fortifie,  une  industrie  florissante 
anime  ses  raffineries  de  sucre,  ses  filatures  de  lin,  coton, 
soie  et  laine,  ses  manufactures  de  dentelles,  de  cliàles,  de 
crêpes,  de  rubannerie,  de  bonneterie,  de  passementerie,  de 
soie,  de  mousseline,  de  draps,  tapis  et  velours,  de  toiles 
à  voiles  et  de  cordages,  de  tabac,  de  fonderies  de  métaux  , 
de  taille  de  diamants,  et  ses  importants  chantiers  de  cons- 
tructions navales. 

AiWÏLLE  (Jean-Baptiste  BOURGUIGNON  n'  ),  savant 
géographe,  membre  de  l'Académie  des  Inscriptions,  naquit 
à  Paris,  en  1697,  et  mourut  dans  cette  ville,  en  1782.  De 
bonne  heure  il  manifesta  un  goût  ardent  pour  la  science 
qu'il  a  enrichie  de  ses  travaux.  Dirigeant ,  de  lui-même, 
toutes  ses  études  vers  ce  but,  il  se  mit  à  lire  les  poètes  et 
les  historiens  grecs  et  latins,  afin  de  chercher  à  déterminer 
l'emplacement  des  villes  dont  ils  parlent.  A  quinze  ans  il 
avait  dressé  une  carte  de  la  Grèce  sous  le  titre  de  Grxcia 
vêtus.  Sa  belle  collection,  dont  il  vivait  entouré,  fut  acquise 
par  le  roi  en  1779. 

On  lui  sait  gré  encore  de  ses  efforts  pour  fixer  les  me- 
sures des  anciens  et  les  comparer  à  celles  des  modernes, 
bien  que,  parti  comme  U  l'a  fait  des  évaluations  du  pied, 
pour  en  déduire  les  autres  dimensions,  il  en  soit  résulté 
d'étranges  erreurs,  que  Gosselin  et  Letronneont  sévèrement 
relevées.  Pourtant,  ses  mémoires  sur  les  mesures  itinéraires 
des  Romains,  des  Grecs,  des  Chinois,  ne  sont  pas,  tant  s'en 
faut,  sans  mérite,  et  c'est  à  ces  premiers  travaux,  tout  in- 
complets qu'ils  sont,  qu'il  a  dû  ses  plus  heureux  succès.  H 
a  en  outre  rectifié  les  erreurs  des  géogiapbes  Sanson,  D«}- 
lisle  et  Cluvier. 

Ses  cartes  sont  en  général  des  modèles  d'exactitude,  sur- 
tout en  ce  qui  concerne  l'Egypte  et  la  Grèce.  Souvent  elles 
sont  accompagnées  de  textes  explicatifs,  témoignant  de  la 
jM'ofondeur  de  son  érudition  et  de  la  solidité  de  son  jugement, 
mais  laissant  beaucoup  à  désirer  sous  le  rapport  du  style, 
qui  n'est  ni  assez  pur,  ni  assez  clair,  ni  assez  littéraire. 

L'éloge  de  d'Anvillea  été  prononcé  par  CondorcetetDacier; 

la  notice  de  scscruvres,  publiée  en  1 802,  est  de  Barbier  du  Bo- 

1  cage  et  de  De  .Manne.  Il  en  a  paru  deux  forts  volumes  seule- 


AISVILLE  -  ANZIN 


CG9 


meulà  riinpriincricIm|iciialo.  L'onTngctlovniloiiovoirsix. 
Il  lie  s'agil  de  rien  moins  que  de  tloux  cent  onze  cartes  et 
de  soixante-dix-lmit  dissertations  volnmineuscs.  On  con- 
sulte peu  aujourd'hui  son  Orbis  vctcribus  no/ us  et  son  Orbis 
roman  us,  sans  lesquels  nos  pères  n'osaient  hasarder  un  pas 
dans  riiistoire  ancienne.  Ses  cartes  de  la  Gaule,  de  rilalic  et 
de  la  Grèce  ont  également  beaucoup  vieilli. 

D'Anville  était  simple,  modeste,  mais  un  peu  trop  sensible 
à  la  critique.  Malgré  la  faiblesse  naturelle  de  sa  complcxion , 
il  travaillait  quinze  heures  par  jour.  La  Géographie  de 
(VAnville  n'est  pas  de  lui,  mais  de  Barenlin  de  Montchal. 

ANXIETE  (du  lalin  <7;ujc/a5),  état  de  malaise  moins 
violent  que  l'angoisse, plus  fort  que  l'inquiétude,  caracté- 
risé par  un  sentiment  de  gène,  de  trouble  et  d'agitation,  et 
que  l'on  remarque  souvent  au  début  des  maladies.  L'anxiété 
peut  être  produite  par  un  ed'et  moral.  C'est  une  peine,  un 
tourment  de  l'esprit  qui  pressent  et  redoute  un  danger,  un 
malheur,  un  accident  ;  c'est  une  perplexité,  une  inquiétude 
vague  dans  l'attente  d'un  événement  fâcheux. 

AIVXUR.  Nom  d'une  ville  du  Latium,  qui  appartint  d'a- 
bord aux  Volsques,  et  que  les  Grecs  et  les  Romains  appe- 
lèrent Terrucina.  Anxur  n'était  autre  que  le  Jupiter  des 
Volsques  ;  il  avait  un  temple  célèbre  dans  cette  cité,  à  la- 
quelle on  finit  par  donner  le  nom  même  du  dieu  qui  y  était 
adoré.  A  trois  milles  se  trouvaient  un  temple,  un  bois  et  une 
source  consacrés  à  Feronia ,  autre  divinité  nationale  de  l'I- 
talie, que  quelques  auteurs  disent  avoir  été  une  nymphe,  et 
d'autres  l'épouse  d'Anxur. 

AIVYTUS  a  eu  le  triste  honneur  de  nous  léguer  un  de 
ces  noms  que  l'infamie  a  rendus  génériques.  Il  a  été  pour  la 
vertu  ce  que  Zoïle  est  pour  le  génie  poétique.  La  postérité 
a  confondu  dans  la  même  réprobation  le  persécuteur  de  So- 
crate  et  le  détracteur  d'Homère.  Et  ce  n'est  pas  sans  rai- 
son, puisque  la  pureté  morale  et  la  beauté  littéraire  sont 
également  précieuses  à  l'humanité.  On  abuse  du  paradoxe 
en  disant  qu'Anytus  représente  l'esprit  ancien ,  et  Socrate 
l'esprit  nouveau;  qu'Anytus  est  un  conservateur,  et  Socrate 
un  révolutionnaire.  C'est  voir  les  choses  de  trop  haut  que 
de  les  traiter  ainsi;  à  cette  hauteur,  le  bien  et  le  mal  dispa- 
raissent pour  faire  place  à  la  fatalité. 

Anytus  était  fils  d'Anthémins  ;  on  ne  sait  exactement  ni  la 
date  de  sa  naissance  ni  celle  de  sa  mort.  Son  crédit  venait 
des  richesses  qu'il  avait  reçues  de  son  père,  et  qu'il  augmenta 
par  la  fabrication  et  le  commerce  des  cuirs.  11  se  mêla  aux 
affaires  publiques,  où  il  se  distingua  par  l'exaltation  de  son 
ardeur  démocratique.  Comme  tant  d'autres  démagogues  aux- 
quels la  fougue  des  opinions  tient  lieu  de  talent,  il  eut  part 
aux  emplois  ;  la  république  le  chargea  de  conduire  trente 
galères  au  secours  de  Pylos,  assiégée  par  les  Lacédémoniens 
(  409  av.  J.-C.  )  ;  mais  il  revint  sans  avoir  pu  accomplir  sa 
mission.  Mis  en  jugement,  il  échappa  à  la  justice  populaire 
en  corrompant  ses  juges,  et  ce  fut,  dit-on,  le  premier  exem- 
ple de  ce  scandale.  jNL  Clavier  pense  que  l'Anytus  qui  figure 
parmi  les  proscrits  des  trente  tyrans,  et  qui  eut  part  à  l'en- 
treprise de  Thrasybule,  n'est  pas  autre  que  l'ennemi  de  So- 
crate. Celte  conjecture  est  vraisemblable,  puisque  la  com- 
munauté d'intérêts  confond  partout  dans  les  mêmes  rangs 
et  enveloppe  dans  la  même  destinée  de  bons  citoyens  et  des 
ambitieux.  La  chute  des  trente  tyrans  releva  le  crédit  d'A- 
nytus,  et  lava  la  honte  de  l'expédition  de  Pylos  ;  car  dans  les 
temps  de  factions  l'opinion  couvre  tout.  Socrate,  qui  avait 
fait  respecter  sa  vertu  sous  la  tyrannie,  qu'il  avait  bravée  et 
adoucie,  fut  un  vaincu  suspect  à  côté  d'Anytus,  un  moment 
honoré  par  la  victoire  de  son  parti.  On  ne  pouvait  nier  que 
les  doctrines  de  Socrate  ne  fussent  contraires  à  la  démocra- 
tie :  Alcibiade,  Thiiramène  et  Ciitias,  ses  disciples,  dépo- 
saient contre  lui.  Les  démocrates  .s'imirent  aux  prêtres  et 
aux  sophistes  pour  déférer  Socrate  au  tribunal  des  héliasles. 
L'aréopage  lui  était  suspect,  et  ce  jury  démocratique,  formé 
par  le  sort,  et  représentant  nécessaire  des  passions  et  des 


préjugés  de  la  miilf  itii;lo,  servit  d'instrument  h  la  vengeance 
des  ennemis  du  philosophe. 

«  11  ne  manquait,  dit^L  Slapfer,  à  ceux  qui  voulaient  per- 
dre Socrate,  qu'un  chef  populaire  et  puissant,  qui  (ùt  son 
ennemi  personnel.  Il  se  rencontra  dans  Anytus,  homme 
riche,  zélé  soutien  de  la  démocratie,  persécuté  par  les  trente 
tyrans,  un  des  principaux  restaurateurs  de  la  liberté,  et  à 
ce  double  titre,  extrêmement  cher  au  parti  victorieux.  Lon"- 
temps  ami  de  Socrate,  qu'il  avait  même  prié  une  fois  do 
donner  quelques  instractions  à  son  fils,  mais  dans  deux  cir- 
constances profondément  blessé  des  critiques  que  le  sa"c 
avait  faites  fie  sa  manière  d'élever  ce  jeune  homme,  Anjius 
prêta  d'autant  plus  volontiers  son  appui  aux  ennemis  do 
Socrate,  qu'en  les  secondant  il  servait  à  la  fois  sa  haine  per- 
sonnelle et  la  vengeance  du  parti  populaire.  »  Voilà  la  vé- 
rité sur  les  mobiles  d'Anytus.  Comme  l'amnistie  ne  permet- 
tait pas  de  rechercher  les  actes  et  les  opinions  politiques, 
ce  grief  fut  écarté  de  l'acte  d'accusation.  jVIélitus,  poète  sans 
talent,  et  par  conséquent  envieux  de  toute  supériorité,  dé- 
nonça Socrate  comme  impie  et  comme  corrupteur  de  la 
jeunesse.  L'impiété  de  Socrate  était  une  religion  plus  éclai- 
rée, et  l'immoralité  de  ses  doctrines  une  morale  plus  pure.  11 
ne  pensait  pas  comme  la  foule,  la  foule  le  condamna.  Les 
instigateurs  de  cette  poursuite  transformèrent  sciemment  en 
criminel  d'État  le  plus  vertueux  des  hommes.  Aussi,  lorsque 
le  peuple  fut  revenu  de  son  erreur  et  que  la  mort  de  Socrate 
lui  eut  ouvert  les  yeux,  il  châtia  par  son  mépris  ceux  qui 
l'avaient  poussé  à  ce  crime  juridique.  «  Personne,  dit  Cla- 
vier, ne  voulut  plus  communiquer  avec  eux;  on  changeait 
l'eau  des  bains  où  ils  s'étaient  lavés,  et  on  leur  refusait  le  feu 
lorsqu'ils  en  demandaient.  »  Anytus  fut  exilé,  et  on  pense 
qu'il  fut  assonuné  à  coups  de  pierres  dans  Héraclée ,  près 
du  Pont-Euxin,  où  il  s'était  retiré  :  c'eût  été  justice. 

GÉRUZEZ,  professeur  à  la  Faculté  des  Lettres. 

AJ\ZIKO  ou  ANCICO,  puissant  État  nègre,  dans  l'in- 
térieur de  l'Afrique  méridionale,  sous  l'équateur,  riche  en 
métaux  et  en  bois  de  sandal.  La  situation  géographique 
précise  n'en  a  jusqu'à  présent  été  déterminée  par  les  voya- 
geurs que  d'une  manière  peu  satisfaisante  :  au  dire  de 
M.  Douville,  qui  a  visité  ces  contrées  de  1827  à  1830,  il  y 
aurait  même  eu  confusion  en  ce  qui  concerne  la  dénomina- 
tion de  ce  pays ,  qui  s'appelerait  Sala,  et  dont  le  souverain 
serait  désigné  sous  le  titre  de  Mikoko  Sala  (roi  de  Sala). 
Des  relations  antérieures  nous  ayant  appris  que  le  royaume 
d'Anzico  se  nommait  aussi  Mikoko ,  nous  craignons  que  l'i- 
gnorance des  idiomes  locaux  n'ait  abusé  les  voyageurs, 
d'autant  plus  que  de  part  et  d'autre  on  s'accorde  à  donner 
pour  capitale  à  cet  État  indépendant  de  la  Nigritie  méri- 
dionale la  ville  de  Monsol  ou  Missel,  dont  la  population 
s'élèverait  à  une  quinzaine  de  mille  âmes. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  indigènes  de  l'Anziko,  ou  de  Sala, 
si  l'on  veut,  paraissent  avoir  beaucoup  perdu  de  leur  an- 
cienne férocité.  Les  voyageurs  modernes  les  représentent 
comme  agiles,  courageux,  excellents  archers,  maniant  la 
hache  d'armes  avec  adresse  ;  ils  affirment  que  les  relations 
précédentes  les  ont  calomniés  en  avançant  qu'ils  livraient 
leurs  prisonniers  aux  bouchers ,  lesquels  en  étalaient  la 
chair  dans  le~s  marchés  publics.  M.  de  Grandpré  leur  accorde 
beaucoup  de  loyauté  dans  les  transactions,  et  dit  qu'ils 
portent  quelquefois  aux  comptoirs  de  la  côte  d<!  belles 
étoffes  de  feuilles  de  palmiers  et  d'autres  matières,  qu'ils 
fabriquent,  ainsi  que  de  l'ivoire  et  des  esclaves,  tirés  soit 
de  leur  propre  pays,  .soit  de  la  Nubie.  Les  marchandises 
qu'ils  prennent  en  retour  sont  les  cauris  et  d'aiifres  coquil- 
lages, qui  leur  senent  d'ornement;  du  sel,  des  soieries,  des 
toiles,  des  verroteries,  et  autres  objets  de  fabrique  euro- 
péenne. Leur  langage  parait  n'être  qu'un  dialecte  de  l'idiome 
commun  à  toute  la  région  du  Congo. 

iVIMZIiV ,  village  du  département  du  Nord ,  célèbre  par 
l'immense  exploitation  dehouill:'  qui  s'y  opère.  Cette  exploi- 


f.70 


AIVZIN  —  AORTE 


tation  ne  remonte  qu'à  lT3'i,  époque  où  le  vicomte  Désan- 
<lrouin  et  l'ingénieur  J.  Mathieu  rencontrèrent  une  houille 
(le  première  qualité  en  gisements  considcnibles  après  dix- 
huit  ans  de  rcclierches  infatigables,  des  accidents  de  tou- 
tes sortes  et  la  perte  d'iininenses  capitaux.  La  découverte 
de  la  houille  à  Anzin  eut  les  résultats  qu'il  était  facile  de 
prévoir.  Elle  fournissait  un  précieux  aliment  à  l'activité 
industrielle  et  commerciale  de  la  Flandre  française  et  du 
Ilainaut ,  désormais  affranchis  du  lourd  tribut  payé  depuis 
si  longtemps  à  la  Belgique;  elle  enrichissait  un  pays  que 
la  guerre  avait  trop  souvent  appauvri.  De  chétives  bour- 
gades devinrent  bientôt  de  populeuses  et  florissantes  com- 
munes; l'existence  de  quelques  mille  ouvriers  lut  dès  lors 
assurée.  La  compagnie  trouva  dans  les  bienfaits  même 
qu'elle  répandait  la  source  d'une  fortune  rapide  ;  ses  tra- 
vaux se  poursuivirent  avec  persévérance  et  succès.  A  la 
révolution  de  1789,  elle  avait  trente-sept  fosses,  tant  pour 
l'extraction  de  la  houille  que  pour  l'épuisement  des  eaux, 
douze  machines  à  vapeur,  quatre  mille  ouvriers,  six  cents 
chevaux;  elle  produisait  annuellement  7,000,000  d'hec- 
tolitres de  charbon ,  et  gagnait  au  moins  un  million.  L'in- 
vasion des  armées  étrangères,  en  1792,  apporta  une  gi-ande 
perturbation  dans  l'étiiblissement  d'Anzin;  les  machines 
furent  brisées ,  des  fosses  comblées ,  etc.  Les  propriétaires 
de  la  moitié  des  actions  émigrèrent.  Leurs  parts  furent,  en 
l'an  V  de  la  république ,  vendues  par  l'État.  On  évalua  les 
biens  de  la  compagnie  à  5,000,000  fr.  environ,  payables  en 
assignats.  C'est  sur  ce  pied  que  M.AL  Périer,  Berrier,  Le 
Cousteux  de  Canteleu  et  autres  achetèrent.  L'adjudication 
eut  lieu  alors  que  les  assignats  étaient  en  dépréciation,  et  le 
payement  quand  ils  étaient  à  zéro.  C'est  à  M.  J.->L  de 
Désandrouin ,  fds  du  fondateur,  qu'on  doit  la  réorganisation 
de  l'affaire.  Sous  l'Empire,  l'établissement  fut  peu  prospère, 
la  guerre  ayant  pour  conséquence  la  stagnation  du  com- 
merce; sans  compter  que,  par  la  réunion  de  la  Belgique  à 
la  France,  on  avait  à  soutenir  une  rude  concurrence  contre 
les  houillères  de  ce  pays.  Mais  à  la  Restauration  la  paix 
ramena  le  développement  de  l'industrie,  et  Anzin  vit  aug- 
menter chaque  année  dans  de  vastes  proportions  sa  produc- 
tion et  ses  profits.  On  étendit  le  périmètre  de  sa  concession 
primitive  par  d'autres  concessions ,  et  le  bassin  houiller  de 
Denain,  qu'on  a  rattaché  à  Anzin  par  un  chemin  de  fer,  lui 
fournit  une  source  inépuisable  de  richesses  minérales.  Au- 
jourd'hui la  compagnie  tire  annuellement  6,000,000  d'hec- 
tolitres ;  elle  emploie  six  mille  ouvriers,  soit  dans  ses  mines, 
soit  dans  ses  chantiers  et  ateliers  de  construction;  elle 
possède  plus  de  cinquante  machines  à  vapeur,  et  gagne  en- 
viron 3,000,000  de  fr.  chaque  année. 

On  sait  quelle  influence  cette  compagnie  financière  a 
exercée  en  1830  et  1831  sur  la  politique  de  la  France  rela- 
tivement à  la  Belgique,  dont  les  offres  de  réunion  furent 
repoussées,  moins  peut-être  par  crainte  d'une  guerre  euro- 
péenne que  pour  conserver  à  I\DI.  Périer  et  consorts  le 
monopole  et  l'exploitation  des  houilles  que  protégeaient 
contre  la  concurrence  étrangère,  et  notamment  contre 
celle  <lo  la  Belgique,  des  tarifs  exagérés. 

On  se  ferait  difficilement ,  au  reste,  une  idée  de  la  posi- 
tion des  malheureux  mineurs  attacliés  à  l'exploitation  d'An- 
zin, condanmés  à  rester  de  huit  à  dix  heures  par  jour  à 
plus  de  quatre  cents  mètres  soiis  terre,  et  ne  gagnant  en 
moyenne  i\m  1  fr.  66  c.  par  jour!  Nulle  part  la  féodalité 
nouvelle,  c'est-à-dire  celle  que  les  capitalistes  jiarviennent 
à  exercer,  grûce  à  l'accumulation  des  capitaux  entre  quelques 
mains,  n'apparaît  plus  hideuse  et  plus  désolante  dans  ses 
résultats  que  parmi  cette  population  de  charbonniers.  Et 
cependant  un  procès  nous  a  appris  qu'une  augmentation 
en  moyeniuî  de  20  cent,  seulement  sur  le  prix  de  chaque 
journée  suffirait  pour  adoucir  tant  de  misères.  Mais  aussi  à 
ce  compte  la  compagnie  verrait  diminuer  ses  bénéfices 
de  3  .'i  400  mille  francs.  Edward  Leclay. 


Le  village  d'Anzin  offre  encore  quelques  établissements 
industriels,  tels  que  fabriques  de  clous ,  forges  à  l'anglaise , 
haut  fourneau,  verrerie,  briqueteries,  etc.,  etc. 

AOD,  ou  EH  CD,  deuxième  juge  d'Israël,  vivait  de 
1385  à  1305  avant  J.-C;  il  était  fils  de  Géra.  Voulant  déli- 
vrer le  peuple  juif  de  la  tjTannie  d'Églon,  roi  des  Moabites, 
il  feignit  d'avoir  un  secret  important  à  confier  à  ce  prince , 
et  l'assassina  en  lui  plongeant  un  couteau  dans  le  cœur.  Ras- 
semblant ensuite  les  Israélites ,  il  tomba  à  l'improviste  sur 
les  ennemis,  et  leur  tua  dix  mille  hommes.  Les  censeurs  de 
l'Histoire  Sainte  ont  observé  qu'Aod  s'était  rendu  cou- 
pable en  cette  circonstance  d'un  régicide  ;  mais  l'abbé  Ber- 
gier,  dans  son  Dictionnaire  de  Théologie,  repousse  ce  re- 
proche en  disant  que  les  Israélites  n'avaient  point  librement 
rccoimu  Églon  pour  leur  roi. 

AOMIDES.  C'est  le  surnom  des  Muses,  tiré  des  monts 
Aoniens,  où  elles  étaient  particulièrement  honorées,  et  d'où 
la  Béotie  elle-même  est  souvent  nommée  Aonie. 

AORASIE.  Les  anciens  étaient  persuadés  que  lorsque 
les  dieux  venaient  parmi  les  hommes,  ou  conversaient  avec 
eux,  leur  divinité  ne  se  manifestait  jamais  en  face,  et  môme 
qu'ils  restaient  invisibles  jusqu'au  momentoùilsse  retiraient, 
et  se  faisaient  voir  alors  par  derrière.  Ils  en  concluaient  que 
tout  être  non  déguisé  qu'on  avait  le  temps  de  regarder  en 
face  n'était  pas  un  dieu.  C'est  ainsi  que  Neptune,  dans  Ho- 
mère {Iliade),  après  avoir  parlé  aux  deux  Ajax  sous  la  fi- 
gure de  Calchas,  n'est  reconnu  d'eux  qu'à  sa  démarche  au 
moment  où  il  les  quitte.  "S'énus  apparaît  à  Énée  sous  les  traits 
d'une  chasseresse,  et  son  fils  ne  la  reconnaît  que  lorsqu'elle 
se  retire.  De  là  le  mot  H^aorasïe,  ou  d'invisibilité,  d'à  privatif, 
et  de  ôsâw,  je  vois. 

AORIS'TE,  terme  de  grammaire  grecque  et  de  gram- 
maire française,  âop'.aTo;,  indéfini,  indéterminé.  Ce  mot  est 
composé  del'à  privatif  et  de  ôpoç,  terme,  limite;  ôpio'v,  finis, 
6pt!;a) ,  je  définis,  je  détermine.  —  Il  se  dit  d'un  temps  et 
surtout  d'un  prétérit  indéterminé;  j'ai  fait  est  un  prétérit 
déterminé,  ou  plutôt  absolu,  au  lieu  que  je  fis  est  un  aoriste, 
c'est-à-dire  un  prétérit  indéfini,  indéterminé,  ou  plutôt  un 
prétérit  relatif;  car  on  peut  dire  absolument  j'ai  fait,  j'ai 
écrit ,  j'ai  donné,  au  lieu  que  quand  on  dit  je  fis ,  j'é- 
crivis, je  donnai,  il  faut  ajouter  quelque  autre  mot  qui  dé- 
termine le  temps  où  l'action  dont  on  parle  a  été  faite  :  je 
fis  hier,  j'écrivis  il  y  a  quinze  jours,  je  donnai  le  mois 
passé. 

On  ne  se  sert  de  l'aoriste  que  quand  l'action  s'est  passée 
dans  un  temps  que  l'on  considère  comme  tout  à  fait  séparé 
de  celui  où  l'on  parle  ;  car  si  l'esprit  considère  le  temps  où 
l'action  s'est  passée  comme  ne  faisant  qu'un  avec  le  temps 
où  l'on  parle,  alors  on  se  sert  du  prétérit  absolu  ;  ainsi  l'on 
dxtj'ai  fait  ce  matin,  et  non  Je  fis  ce  matin  ;  car  ce  matin 
est  regardé  comme  partie  du  jour  où  l'on  parle;  mais  on  dit 
fort  bien  :  je  fis  hier,  et  l'on  dit  fort  bien  aussi  :  depuis  le 
commencement  du  monde  jusqu'aujourd'hui  on  a  fait 
bien  des  découvertes;  et  l'on  ne  dirait  pas  :  on  fit,  à  l'ao- 
riste, parce  que ,  dans  cette  phrase ,  le  temps,  depuis  le 
commencement  du  monde  jusqu'aujourd'hui  est  regardé 
comme  un  tout,  comme  un  même  ensemble.      Dumarsais. 

AOUTE  (du  grec  àoprri).  Cette  artère  naît  de  la  base 
du  ventricule  gauche  du  cœur,  et  présente  à  son  orifice  trois 
valvules  sigmoides,  comme  l'artère  pulmonaire.  Elle  est  si- 
tuée à  la  partie  postérieure  de  la  poitrine  et  de  l'abdomen,  et 
s'étend  depuis  le  cœur  jusqu'à  la  quatrième  ou  à  la  cinquième 
vertèbre  lombaire.  A  son  origine,  l'aorte,  cachée  par  l'artère 
pulmonaire,  se  porte  bientôt  en  haut  et  à  droite,  au-devant 
de  la  colonne  vertébrale  ;  ensuite  elle  se  recourbe  de  droite 
à  gauche  et  de  devant  en  arrière  jusqu'à  la  hauteur  de  la 
seconde  vertèbre  du  dos  en  formant  une  courbure  nommée 
crosse  de  l'aorte,  qui  se  termine  sur  le  côté  gauche  du 
corps  de  la  vertèbre  suivante.  Plus  bas,  l'aorte  descend  sur 
la  partie  antérieure  gauche  du  corps  des  autres  vertèbres 


AORTE  —  AOUT 


G71 


dorsales,  passe  entre  les  piliers  du  diaphragme  ,  continue  sa 
route  sur  les  vertèlires  des  loud)es,  jus«iu';\  l'union  de  la 
quatrième  avec  la  cinquième,  où  elle  se  termine  en  se  divi- 
sant en  deux  grosses  branches,  qui  sont  les  artères  iliaques 
primitives.  L'aorte  est  le  tronc  commun  de  toutes  les  artères 
du  corps.  Aucune  artère  n'est  aussi  fréquemment  le  siège 
d'auéyrisme  spontané  que  l'aoïle;  elle  peut  encore  être 
affectée  d'inflammation  aiguè  ou  chronique  :  c'est  ce  qu'on 
nommé  aortife;  d'ulcération,  d'hypertrophie,  d'atrophie, 
de  ramollissement,  d'ossification,  etc. 

AOSTE,  ville  des  États  Sardes,  chef-lieu  de  la  province 
de  son  nom,  bâtie  sur  la  Doire,  dans  une  vallée  étroite, 
à  75  kilomètres  nord-ouest  de  Turin,  compte  environ  7,000 
habitants.  C'était  autrefois  la  capitale  des  Sallassii,  tribu 
de  montagnards  très-célèbres  par  leur  valeur  dans  la  Gaule 
ïranspadane.  Irrité  de  leurs  révoltes  continuelles ,  Au- 
guste fit  détniire  leur  cité  par  Térentius  Varro  Jluréna  ;  les 
habitants ,  qui  s'étaient  réfugiés  dans  leui-s  caves ,  y  furent, 
à  ce  qu'on  raconte ,  noyés  par  l'eau  de  la  rivière ,  dont  on 
avait  détourné  le  cours  ;  puis,  sur  les  ruines  de  l'antique  Aoste, 
trois  mille  soldats  prétoriens  fondèrent  une  ville  nouvelle, 
qui  reçut  le  nom  d'Atigusta  Pnrtoria.  Parmi  les  ruines  de 
réiHxpie  romaine  encore  existantes  aujourd'hui,  on  remarque 
surtout  un  arc  de  triomphe  fort  bien  conservé,  et  deux 
portes  à  trois  ouvertures.  La  cité  actuelle,  siège  d'un  évêché, 
possède  un  collège  communal  et  un  séminaire.  Elle  fait 
un  commerce  assez  actif.  Aux  environs  se  trouvent  les  cé- 
lèbres mines  et  bains  de  Saint-Didier. 
AOCDE.  Voyez  Acnn. 

AOÛT,  sixième  mois  de  l'année  romaine,  fut  appelé 
à  cause  de  cela  mensis  sextilis ,  jusqu'à  l'époque  où  il 
reçut  le  nom  de  l'empereur  Auguste;  ce  nom  nous  est 
arrivé  réduit  par  des  contractions  successives  à  cette  seule 
syllabe  ooîî^;  Voltaire  fit  des  efforts  inutiles  pour  lui  rendre 
le  nom  d'Auguste.  C'est  le  huitième  mois  de  notre  année. 
—  Les  Grecs  célébraient  pendant  ce  mois  les  jeux  néméens, 
institués  par  Hercule  ;^  à  Rome,  c'était,  au  jour  des  ides,  la 
fête  des  esclaves  et  des  servantes,  en  mémoire  de  la  nais- 
sance de  SeKvius  Tullius,  fils  d'une  esclave. 

Août  s'entend  aussi  de  la  récolte,  de  la  moisson  des  blés 
et  autres  grains,  quoiqu'elle  commence  en  plusieurs  endroits 
dès  le  mois  de  juillet. 
AOÛT  1S70  (Éditd').  Voyez  Édit. 
AOUT  1 789  (  Nuit  du  4  ).  Nous  ne  sommes  séparés  de 
celte  nuit  mémorable  que  par  un  intervalle  de  trois  quarts 
de  siècle;  et  cependant  elle  semble  aux  générations  contem- 
f)oraines  une  de  ces  nuits  perdues  dans  la  profondeur  de  Ihis- 
toire,  tant  le  nouveau  régime,  qui  prit  sa  date  officielle  à 
ce  moment  solennel,  a  jeté  de  profondes  racines  dans  notre 
société  renouvelée.  La  nuit  du  4  août  fut  la  conséquence 
nécessaire,  inévitable,  de  la  prise  de  la  Bastille  :  c'est  la 
victoire  du  peuple  acceptée,  consacrée,  écrite  dans  des 
actes  législatifs.  L'un  et  l'autre  s'enchaînent  comme  le  prin- 
cipe et  la  conséquence  :  il  y  eut  dans  l'Assemblée  consti- 
tuante, comme  il  y  avait  eu  sur  la  place  du  faubourg  Saint- 
Antoine,  une  ardeur,  un  imprévu  de  courage,  une  rivalité 
mer^■eillcuse  de  dévouement  et  de  sacrifices.  La  vieille  cons- 
titution aristocratique,  cléricale  et  parlementaire  succomba 
en  une  seule  séance  sous  les  coups  pressés  des  députés, 
comme  le  vieux  château  féodal  était  tombé ,  en  quelques 
heures,  sous  le  marteau  du  peuple. 

Et  Içs  deux  événements ,  engendrés  par  la  même  pensée, 
furent  accueillis  avec  le  même  enthousiasme.  On  en  peut 
juger  par  ces  lignes,  que  Garât  écrivait  le  lendemain  même 
de  cette  séance  :  «  En  une  nuit,  la  face  de  la  France  a 
«  changé;  l'ancien  ordre  de  choses,  que  la  force  a  maintenu 
«  malgré  l'opposition  de  cent  générations,  a  été  reri- 
«  versé;  en  une  nuit  l'arbre  fameux  de  la  féodalité,  qui 
«  couvrait  toute  la  France,  a  été  abattu;  en  une  nuit,  le 
«  cultivateur  est  devenu  l'égal  de  l'homme  qui,  en  vertu  de 


«  ses  parchemins  antiques,  recueillait  le  fruit  de  ses  travaux, 
«  buvait ,  en  ([uelque  sorte ,  la  sueur  et  dévorait  le  fruit  do 
«  ses  veilles...  En  une  nuit  les  longues  entreprises  de  la 
n  cour  de  Rome,  ses  abus,  son  avidité,  ont  trouvé  un  terme 
«  et  une  barrière  insurmontable,  que  viennent  de  poser, 
«  pour  une  éternité,  la  sagesse  et  la  raison  hiunaines...  Vax 
«  une  nuit  la  France  a  été  sauvée  ,  régénérée  ;  en  mie  nuit 
«  un  peuple  nouveau  semble  avoir  repeuplé  ce  vaste  empire, 
«  et  sur  les  autels  que  les  anciens  peuples  avaient  éle\és  à 

«  leurs  idoles,  il  proclame  un  Dieu  juste,  bienfaisant » 

L'exaltation  exagérait  sans  doute  les  résultats  de  cette 
séance;  les  longs  déchirements,  les  luttes  acharnées,  le  tra- 
vail des  trois  assemblées  révolutionnaires,  ont  assez  prouvé 
que  tout  ne  fut  pas  fait  en  une  nuit.  Toutefois,  ce  qui  fut 
fait  fut  grand,  immense,  et  l'entraînement  des  esprits  et  des 
cœurs  donna  un  nouveau  relief  à  cette  nuit  du  4  août,  qui 
demeurera  l'une  des  pages  les  plus  belles  et  les  plus  pures 
de  notre  histoire.  Rien,  du  reste,  n'était  plus  inattendu,  et, 
pour  qu'on  en  juge,  il  importe  de  rappeler  brièvement  dans 
quelle  situation  la  France  et  l'Assemblée  se  trouvaient  placées. 

L'événement  du  14  juillet  avait  sur  tout  le  territoire  un 
retentissement  infini.  Dans  les  villes  il  excitait  les  émotions 
les  plus  patriotiques  ;  de  nouveaux  horizons  s'ouvraient  à 
toutes  les  espérances;  le  monde  paraissait  agrandi,  le 
peuple  était  relevé,  tous  les  sentiments  d'humanité  se' di- 
lataient ,  et  la  population  appartenant  à  la  classe  moyenne 
était  un  immense  foyer  d'enthousiasme.  11  n'en  était  pas 
ainsi  de  la  population  des  campagnes.  Là  aussi  le  bruit  de 
la  Bastille  croulante  retentissait  profondément,  non  pas 
comme  le  son  enivrant  d'une  fête,  mais  comme  un  tocsin 
d'insurrection.  C'est  que  la  féodalité  se  traduisait  en  effet 
pour  les  classes  inférieures  en  souffrances  abominables.  La 
misère  était  extrême ,  la  disette  venait  s'ajouter  à  cette  sus- 
pension de  travaux  qui  a  toujours  lieu  pendant  les  grandes 
agitations  pubUques  :  aussi  les  paysans  s'étaient-ils  armés 
presque  partout;  ils  couraient  au  château  du  seigneur,  brû- 
laient les  chartiers,  incendiaient  les  bâtiments,  et  suivant 
les  précédents  du  maître  lui  f;usaient  grâce  ou  le  pendaient 
sans  pitié.  Ce  terrible  mouvement  était  devenu  presque  gé- 
néral ;  chaque  village  avait  sa  bastille  et  la  voulait  prendre. 
Les  rapports  de  ces  désordres  arrivaient  en  foule  à  l'Assem- 
blée nationale  :  les  propriétaires  demandaient  protection , 
les  percepteurs  de  taxes  n'avaient  plus  aucun  moyen  do 
recouvrement,  les  troupes  refusaient  de  prêter  main-forte. 
Dans  la  séance  de  la  veille ,  Salomon ,  en  exposant  cette 
situation,  avait  fait  un  appel  aux  députés  pour  la  répression 
de  ces  abus;  une  émeute  formidable  avait  éclaté  à  Saint- 
Denis  ,  et ,  au  milieu  de  l'effervescence  universelle ,  le  maire, 
qui  s'était  réfugié  dans  un  coin  du  clocher  de  la  cathédrale' 
fut  découvert  par  un  enfant  et  mis  à  mort.  Des  désordres  et 
des  émeutes  du  même  genre  se  renouvelèrent  dans  le  Ma- 
çonnais, dans  la  Champagne,  et  dans  presque  tous  les  pays 
de  grande  gabelle.  L'opinion  parisienne  était  émue  de  toutes 
ces  nouvelles ,  qui  augmentaient  encore  la  fermentation  de 
la  capitale.  C'est  alors  que  l'Assemblée  constituante  ordonna 
à  son  comité  de  rédiger  une  résolution  pour  cahiier  les  es- 
prits, fortifier  l'autorité  et  ramener  l'ordre.  Lu  une  pre- 
mière fois  dans  la  journée  du  4  août,  ce  projet  de  décret 
ne  satisfit  point  les  députés ,  et  l'on  s'ajourna  à  huit  heures 
du  soir  pour  entendre  une  nouvelle  rédaction.  Target  en 
était  l'auteur.  Chapelier  présidait.  L'Assemblée  paraissait 
d'abord  uniquement  préoccupée  de  pourvoir  à  la  sûreté  des 
propriétés  et  des  personnes  :  elle  écouta  dans  un  profond 
silence  le  projet  d'arrêté  qu'on  lui  présentait.  Ce  projet  dé- 
clarait que  les  lois  anciennes  subsistaient,  et  que  les  impôts 
devaient  continuer  à  être  perçus. 

Target  ne  fit  siiivrc  sa  lecture  d'aucun  commentaire. 
Au  moment  où  Chapelier  allait  mettre  aux  voix  la  di.scu5- 
sion,  le  vicomte  de  Noailles  demanda  la  parole,  noa 
pa<  pour  critiquer  ce  projet,  mais  pour  le  faire  précéder 


G72 


AOUT 


d'une  résolulion  qui  devait  lui  donner  plus  de  force.  Il  se 
résumait  en  proposant  :  «  1"  qu'il  Foit  dit  que  les  représen- 
«  tants  de  la  nation  ont  décidé  que  l'impôt  sera  payé  par 
«  tous  les  individus  du  royaume,  dans  la  proportion  de 
«  leur  revenu  ;  2"  que  toutes  les  charges  publiques  seront 
«  à  l'avenir  supportées  par  tous;  3"  que  tous  les  droits 
«  féodaux  seront  rachetables  en  argent  par  les  commu- 
«  nautés,  ou  échangés  au  prix  d'unejuste estimation; 4°  que 
«  les  corvées  seigneuriales ,  les  mainmortes  et  autres  ser- 
«  vitudes  pareilles  sont  détruites  sans  rachat.  » 

Ce  discours,  écouté  dans  un  profond  silence,  excita  d'a- 
bord la  surprise  des  uns,  l'agitation  de  quelques  autres, 
mais  il  produisit  dans  toute  l'assemblée  ce  sentiment  de 
satisfaction  que  causent  toujours  dans  une  grande  réunion 
d'hommes  une  idée  juste  et  une  vérité  généreuse.  Les  dé- 
putés du  fiers  attendaient  avec  une  sorte  d'anxiété  la  ré- 
ponse que  ferait  la  noi)lesse  à  cette  proposition  d'un  de  ses 
membres.  Mais  déjà,  tandis  que  M.  de  Noaiiles  parlait,  les 
nobles  qui  appartenaient  au  club  Breton  avaient  témoigné 
de  leur  concours,  et  l'un  d'eux,  M.  le  duc  d'Aiguillon, 
monta  bientôt  à  la  tribune  en  y  portant  un  projet  d'arrêté 
qu'il  venait  d'écrire.  Il  appela  l'attention  de  ses  collègues 
sur  le  spectacle  qu'offrait  alors  la  France  et  sur  la  ligue  que 
le  peuple  tout  entier  avait  formée  pour  conquérir  l'égalité, 
et  exprima  le  vœu  de  voir  les  seigneurs  sacrifier  leurs  droits 
à  la  justice.  Un  vif  mouvement  d'adhésion  répond  à  ses 
paroles ,  et  les  députés  de  la  noblesse  l'encouragent  à  pour- 
suivre. Après  avoir  fait  quelques  réserves  sur  les  immunités 
dues  aux  propriétaires ,  il  se  résume  en  lisant  d'une  voix 
ferme  un  projet  d'arrêté,  qu'on  écouta  de  toutes  parts  avec 
une  religieuse  attention,  il  portait  que  les  corps,  villes, 
communautés  et  individus  qui  jusque  alors  avaient  joui 
d'exemptions  et  de  privilèges  supporLcraient  désormais  les 
charges  publiques ,  sans  aucune  distinction,  soit  pour  la 
quantité  des  impôts ,  soit  pour  la  forme  de  leur  perception, 
et  que  tous  les  droits  féodaux  et  seigneuriaux  seraient  à 
l'avenir  remboursables  à  la  volonté  des  redevables. 

Ainsi ,  la  proposition  de  M.  de  Noaiiles  n'était  plus  un 
simple  vœu,  elle  prenait  la  forme  d'un  acte  législatif;  et 
quand  le  duc  d'Aiguillon  eut  fmi  de  parler,  une  joie  très-vive 
éclata  dans  toute  l'assemblée.  Un  député  des  communes  s'é- 
criait de  sa  place  :  «  C'est  beau  !  c'est  beau  !»  ;  et  à  côté  de 
lui  un  autre  disait  :  «  Hier,  les  membres  des  communes  ont 
«  excité  le  zèle  de  l'Assemblée  nationale  contre  les  violences 
«  dont  les  nobles  étaient  l'objet.  Les  nobles  y  répondent 
«  aujourd'hui  en  donnant  à  toutes  les  classes  des  preuves 
«  marquées  de  patriotisme  !  »  Et  en  prononçant  ces  mots , 
le  député  qui  parlait  éprouvait  une  émotion  qui  allait  jus- 
qu'aux larmes.  On  était  touché  du  sacrilice  de  la  noblesse, 
on  devait  l'être  bien  plus  encore  des  souffrances  du  peuple. 
Ce  sentiment  animait  la  majorité  de  rassemblée,  et  au  mi- 
lieu de  l'agitation  générale  elle  semblait  se  recueillir  pour 
prêter  une  oreille  attentive  à  l'orateur  qui  s'avançait  à  son 
tour  vers  la  tribune.  Celui-ci  parlait  pour  la  première  fois, 
et  il  ne  paraissait  distingué  que  par  son  costume  :  c'était  un 
cultivateur,  portant  une  veste  de  paysan,  allure  carrée, 
trempe  vigoureuse,  figure  accentuée  d'un  Breton  robuste. 
11  s'appelait  Lcguen  de  Kérendâl...  Après  avoir  rappelé  que 
la  déclaration  des  droits  de  l'homme  avait  été  jugée  néces- 
saire, et  qu'il  importait  d'établir  les  bonies  qui  ne  doivent 
pas  être  franchies,  il  s'anime  en  pensant  à  toutes  les  oppres- 
sions que  la  féodalité  engendre.  Puis,  se  tournant  vers 
le  côté  droit  de  l'assemblée,  Leguen  de  Kérendâl  ajoute 
d'une  voix  forte  :  «  Qu'on  nous  apporte  ici  les  titres  qui 
«  outragent  non-scuicment  la  pudeur,  mais  riiumanité  eii- 
«  tière;  qu'on  nous  apporte  ces  titres  qui  liumilient  l'espèce 
«  humaine  en  exigeant  que  les  honmies  soient  attelés  à  une 
«  charrette  comme  les  animaux  du  labourage;  tpi'on  nous 
«  apporte  ces  titres  qui  obligent  les  hommes  à  passer  les 
«  nuits  à  battre  les  étangs  pour  empêcher  les  grenouilles  de 


«  troubler  le  sommeil  de  leur  voluptueux  seigneur...  »  Le 
ton  de  l'orateur,  sa  voix  vibrante,  son  geste  rude ,  son  élo- 
quent langage,  excitent  des  applaudissements  universels,  et 
une  sorte  de  courant  électrique  ébranle  et  passionne  toutes 
les  ûmes. 

On  n'avait  parlé  que  du  rachat  des  droits  féodaux.  Mais 
Lcgrand  (  du  Berri  )  vient  démontrer  que  les  corvées ,  la 
taille ,  la  mainmorte ,  sont  des  outrages  à  l'humanité ,  et 
qu'il  faut  les  abolir  sans  rachat.  Lapoule  va  plus  loin  ;  et, 
dans  le  tableau  qu'il  présente  des  désordres  de  la  féodalité , 
il  rappelle  ce  droit  infâme ,  ce  droit  d'assassin ,  qui  permet- 
tait au  seigneur  de  certains  cantons  <'  de  faire  éventrer  deux 
«  paysans,  au  retour  de  la  chasse,  pour  se  délasser  en  plon- 
«  géant  ses  pieds  dans  les  entrailles  sanglantes  de  ces  mal- 
«  heureux  !  »  Aussitôt  un  cri  d'horreur  s'élève  dans  l'asr 
semblée  ;  le  côté  droit  murmure  avec  force  :  Vous  exagé- 
rez ,  crie-t-on  à  Lapoule.  Ce  droit  n'a  jamais  existé  en 
France.  —  Prouvez  votre  assertion  ,  dit  avec  énergie  un 
autre  membre  en  apostropliant  l'orateur.  Les  rumeurs  se 
succèdent,  le  tumulte  augmente  ;  Lapoule,  accablé  par  tant 
d'émotions,  descend  de  la  tribune  sans  achever  son  dis- 
cours. 

Une  réaction  d'un  instant  se  fait  alors  dans  les  esprits.  11 
est  des  hommes  froids  et  secs  ,  à  côté  desquels  la  sensibilité 
passe  sans  les  atteindre,  que  l'atmosphère  de  l'enthousiasme 
enveloppe  sans  qu'ils  le  respirent;  natures  rebelles  au  mou- 
vement ,  que  toute  irrégularité  épouvante,  qui  se  roidissent 
contre  ce  qui  entraîne,  et  qui ,  dans  leurs  habitudes  inflexi- 
bles ,  parce  qu'elles  sont  étroites ,  cherchent  toujours  à  faire 
prévaloir  ce  qu'ils  appellent  la  règle  et  l'ordre ,  sans  s'in- 
quiéter si  cet  ordre  apparent  n'est  pas  au  fond  le  plus  odieux 
désordre,  parce  qu'il  est  la  plus  flagrante  injustice.  Il  y  a 
toujours  un  assez  grand  nombre  d'hommes  de  cette  trempe 
dans  une  assemblée  politique ,  et  dans  des  crises  difficiles 
la  peur  les  crée  et  les  inspire.  Ce  ne  fut  pas  la  frayeur  per- 
sonnelle cependant  qui  fit  parler  Dupont  de  Nemours ,  mais 
une  certaine  terreur  politique  qui  lui  montrait  tous  les  res- 
sorts de  la  machine  affaissés ,  tous  les  liens  de  l'autorité 
rompus  ,  toutes  les  sphères  du  vieux  monde  brisées ,  avant 
même  qu'on  eût  fondu  le  moule  du  monde  nouveau.  Il  pro- 
fita de  cette  courte  pause  que  le  discours  de  Lapoule  avait 
fait  faire  à  la  discussion  pour  demandei-  que  tout  citoyen 
fût  tenu  d'obéir  aux  lois;  que  tous  les  tribunaux  fussent 
sommés  de  veiller  à  leur  maintien  ;  que  tous  les  corps  mili- 
taires eussent  à  prêter  main-forte  aux  magistrats....  C'est 
l'argument  suprême  des  gendarmes ,  logique  très-puissante 
en  un  temps  cahnc  et  pour  un  pouvoir  organisé  ;  arme  ridi- 
cule et  impuissante  quand  l'heure  de  la  dissolution  a  sonné 
et  que  le  peuple  est  debout.  Aussi  la  diversion  de  Dupont  de 
Nemours  n'eut-elle  aucun  succès.  Elle  ne  parvint  pas  même 
à  distraire  l'assemblée  de  ses  grandes  pensées  de  réforme. 
L'écluse  était  ouverte,  et  les  flots  allaient  se  précipiter.  Le 
marquis  de  Foucault  prend  la  parole  au  nom  de  la  noblesse , 
et  fait  une  vigoureuse  sortie  contre  les  abus  des  pensions 
militaires  ;  il  demande  que  les  plus  grands  sacrifices  soient 
imposés  à  cette  portion  de  la  noblesse  qui  est  sous  l'œil  du 
prince,  opulente  déjà,  et  sur  laquelle  il  verse  sans  mesure 
les  dons ,  les  largesses,  les  traitements  excessifs,  fournis  et 
pris  sur  la  pure  substance  des  campagnes.  Le  duc  de  Guiche 
et  le  duc  de  Mortemart  répondent  à  cette  intenicllation ,  et 
déclarent  qu'ils  sont  prêts  à  prendre  la  plus  grande  part  du 
fardeau. 

Ces  deux  discours  causent  de  nouveaux  transports  de 
joie  :  parmi  les  nobles,  parmi  les  membres  des  communes, 
on  s'échauffe  par  la  passion  du  bien.  Leur  rivalité  d'abné- 
gation produit  une  foule  de  propositions  favorables  au  peuple. 
Le  vicomte  de  Beauharnais  réclame  l'égalité  des  peines  et 
l'admissibilité  de  tous  les  citoyens  à  tous  les  emplois.  Lotin 
signale  la  tyrannie  des  justices  seigneuriales ,  il  in  demande 
l'abrogation  :  on  l'applaudit.  Le  duc  du  Chùtclct  veut  qu'on 


AOUT 


C73 


«'tcniîc  aux  dimcs  ce  qu'on  a  fait  pour  les  autres  droits  ft'o- 
dau\.  Les  motions  se  succtVient ,  le  bureau  ne  peut  suffire 
à  les  enregistrer;  l'Asseuiblic  ne  vole  plus,  elle  applaudit 
avec  transport ,  l'enthousiasme  est  partout...  Kt  le  vicomte 
Mallliieu  de  Montmorency  ,  ne  voulant  lias  ipie  ces  motions 
demeurent  incomplètes  ,  propose  qu'on  les  décrète  sur-le- 
champ,  pour  leur  donner  force  de  lois.  Sur  une  obseï  vation 
du  président,  qui  refuse  de  clore  la  discussion  avant  que  le 
clergé  ait  pu  manifester  ses  sentiments,  il  se  fait  un  mouve- 
ment très-marqué  parmi  tous  les  membres  du  clergé  :  plu- 
sieurs se  lèvent  à  la  fois  ;  m\  d'entre  eux  court  à  la  tiibune; 
mais  il  cède  la  |tarole  à  M.  de  Lafare,  evèque  de  Nancy,  qui 
demande  que  le  rachat  ne  tourne  pas  au  prolit  du  seigneur 
ecclésiastique,  niais  qu'il  soit  fait  des  ])lacements  utiles  pour 
les  bénéfices  mêmes ,  afin  que  leurs  administrateurs  puis- 
sent répaudre  des  auniOnes  abondantes  sur  les  indigents. 
M.  de  Lafare  avait  à  peine  fini  que  le  respectable  évoque 
de  Chartres,  M.  de  Luhersac^  lui  succédait,  répétant  une  dé- 
claration analogue ,  et  s'appesantissant  avec  énergie  sur  la 
tyrannique  absurdité  qui  résultait  des  droits  de  chasse ,  si 
cruels,  si  funestes  au  cultivateur.  —  Ces  deux  discours  re- 
nouvelèrent tout  l'enthousiasmede  l'Assemblée.  Le  cleri;étout 
entier  se  lève,  et  d'une  voix  forte  s'écrie  :  i\ous  appuyons  ! 
nous  appuyons  1  Des  applaudissements  frénétiques  accueil- 
lent ce  mouvement  du  corps  ecclésiastique.  Toutes  les 
nuances  politiques  s'eflaccnt  sous  l'empire  de  ces  senti- 
ments généreux  :  les  députés  des  communes  viennent  féli- 
citer le  clergé,  les  nobles  s'y  joignent;  tous  les  partis  se 
confondent ,  et  au  milieu  de  ces  épanchements  et  de  ces 
transports,  la  séance  demeure  quelque  temps  suspendue... 

Cependant,  dominant  le  bruit,  Custine  s'écriait  qu'il  fallait 
rédiger  tout  de  suite  toutes  ces  diverses  motions.  Le  comte 
de  Casiellane  répondait  qu'il  suffisait  de  décréter  eu  principe 
le  remboursement  des  droits  féodaux ,  d'après  des  tarifs 
qui  viendraient  plus  tard.  Et  couune  queltiues  membres  pa- 
raissaient combattre  ce  projet,  le  duc  de  Mortemart,  élevant 
la  voix  :  «  Il  n'y  a  qu'un  vœu  de  noire  part,  c'est  de  ne  pas 
«  retarder  les  décrets  que  nous  allons  rendre.  » 

Tout  cela  se  disait  au  sein  d'une  agitation  générrde;  le 
président  rappelle  alors  l'Assemblée  au  silence,  et  demande 
si  quelqu'un  veut  encore  donner  suite  aux  propositions. 
Quand  le  calme  est  un  peu  rétabli ,  Lepelletier  de  Saint- 
l^argeau,  homme  pratique,  magistrat  accoutumé  aux  choses 
d'application,  demande  que  cette  année  même,  et  à  partir 
du  commencement  de  cette  année,  tous  les  privilégiés  sans 
exception  supportent  leur  part  des  charges  publiques.  L'im- 
pulsion était  donnée  de  nouveau,  et  les  motions  de  réformes 
se  succèdent  sans  interruption.  De  Richer  demande  la  gra- 
tuité de  la  justice  et  la  suppression  de  la  vénalité  des  charges. 
Le  comte  de  Vezins  demande  l'abandon  du  droit  de  colom- 
bier, abandon  qu'il  fait  pour  son  compte,  en  ajoutant  : 
Comme  Catulle,  je  regrette  de  rC avoir  à  offrir  en  sacri- 
fice qu'un  moineau.  Le  duc  de  Larochefoucauld-Liancourt 
réclame  l'affranchissement  des  serfs  et  l'adoucissement  de 
l'esclavage  dans  les  colonies.  A  ce  moment,  une  motion 
nouvelle  vient  exciter  la  sensibilité  de  l'assemblée  :  un 
pauvre  curé ,  Thibault ,  après  s'être  entendu  avec  ses  con- 
frères ,  s'avance  vers  le  bureau ,  et  de  ce  qu'on  avait  voté 
que  la  justice  devait  être  gratuite  il  conclut  que  les  offices 
du  clergé  doivent  l'être  aussi.  Il  prie  donc  l'Assemblée  d'ac- 
cepter l'offre  que  font  les  membres  du  clej'gé  de  leur  casuel. 
Aon .'  non  !  s"écrie-t-on  de  toutes  parts  :  «  Non-seulement 
o  je  m'oppose  à  cette  motion  ,  dit  Dupont  de  sa  place;  mais 
o  je  trouve  le  casuel  du  clergé  insuffisant,  et  je  voudrais 
o  le  voir  augmenter,  comme  dédommagement  des  services 
u  et  comme  récompense  du  patrioti,sme  de  cette  classe  de 
«  citoyens.  »  La  grande  majorité  de  l'Assemblée  s'associe  à 
ce  vdiu  de  Dui)ont ,  et  la  motion  de  Thibault  n'est  pas  ac- 
ceptée. Alors,  M.  de  Boisjelin,  archevêque  d'Aix,  insistant 
de  nouveau  sur  les  malheurs  que  cause  une  tyiannie  féodale, 

DICT.    DE   LA    COXVEKS.   —  T.    I. 


prévoit  lo  cas  où  la  misère  pourrait  décider  les  paysans  à 
consentir  à  quelciues  conventions  ressuscitées  d'un  autre 
;'i;;e  :  il  veut  que  l'Assemblée  les  déclare  nulles  d'avance,  il 
rnppelle  ensuite  les  maux  cruels  cnisés  par  l'extension  ar- 
bitraire des  taxes,  et  surtout  par  les  droits  d'aide  et  de  ga- 
belle. Il  demande  qu'ils  soient  immédiatement  supprimés.  On 
répond  à  ce  désir  par  de  vives  acclaniations. 

il  semblait  enfin  (pie  tous  les  sacrifices  fussent  consom- 
més, toutes  les  parties  de  l'ordre  politique  et  social  attaquées 
et  replacées  sur  de  nouveaux  princij)es  de  justice  et  de  li- 
berté. Les  taxes,  les  corvées,  les  mainmortes,  les  tribunaux, 
les  abus  de  la  léodalilé,  tous  ces  impôts  qui  écrasaient  le 
travail,  abaissaient  la  dignité  humaine,  arrêtaient  toute  cir- 
ctilation  de  la  richesse,  empêchaient  les  moindres  mouve- 
n\ents  de  la  liberté,  avaient  été  détruits  tour  à  tour  au  bruit 
des  api)laudissemenls  de  l'Assemblée,  qui  préjugeaient,  de- 
vançaient ceux  de  la  l'rance  entière.  On  avait  fait,  comme 
Grégoire  le  disait  plus  tard,  tin  grand  abattis  dans  l'immense 
foret  des  abus  ;  et  d'heure  en  heure  la  séance  devenait  plus 
intéressante,  l'Assemblée  nationale  plus  animée,  l'émulation 
du  bien  plus  pathétique  et  plus  entraînante.  Des  propositions 
d'un  autre  ordre  venaient  encore  augmenter  l'effusion.  Les 
députés  de  provinces  qui  jouissaient  d'avantages  et  de  pri- 
vilèges particuliers  pensèrent  que  la  réforme  serait  incom- 
plète si,  en  proclamant  l'égalité  pour  les  citoyens,  on  main- 
tenait l'inégalité  sur  le  territoire.  Les  députés  du  Dauphiné, 
d'Agoult  et  de  Blacour,  ouvrent  les  premiers  cet  avis.  Ils 
renoncent  aux  avantages  attribués  à  leur  pays  depuis  long- 
temps, et  ils  espèrent  que  leurs  collègues  suivront  cet  exem- 
ple. La  Bretagne  se  lève  aussitôt,  et  se  dirige  vers  le  bureau  ; 
mais  Chapelier,  qui  est  au  fauteuil,  se  lève  aussi,  et  d'une 
voix  solennelle  il  dit  qu'il  se  félicite  de  trouver  une  si  belle 
occasion  de  faire  connaître  le  vœu  de  sa  province,  vœu  qui 
tend  à  la  renonciation  do  tous  les  privilèges,  dans  l'attente 
du  bonheur  qiie  la  constitution  prochaine  promet  à  tous  les 
eafimts  de  la  mère-patrie.  Le  président  se  rassied  au  milieu 
des  applaudissements  répétés  de  tous  les  membres.  Les  dé- 
putés de  la  Provence  viennent  ensuite  faire  le  même  aban- 
don; ceux  de  Sémur  les  imitent.  Le  baron  de  :\Iarguerit  sort 
alors  de  sa  place,  accompagné  de  tous  les  députés  du  Lan- 
guedoc; ils  s'avancent  ensemble  au  milieu  de  la  salle.  Il  se 
fait  un  profond  silence,  et  Marguerit  demande,  au  nom  de  sa 
province,  l'établissement  de  nouveaux  impôts  en  une  forme 
libre,  élective  et  représentative,  et  des  administrations  dio- 
césaines et  municipales  organisées  dans  la  même  forme. 
L'orateur  ajoute  que,  quoique  non  autorisés  par  leurs  com- 
mettants, les  députés  croient  pouvoir  assurer  qu'ils  seront 
heureux  de  s'associer  par  tous  les  saciificcs  de  leurs  privi- 
lèges à  la  prospérité  générale  de  l'enqjii'c.  Les  cris  de  joie 
retentissent  dans  la  salle,  et  l'évoque  d'Uzès,  dominant  le 
tumulte,  oflre  à  son  tour  le  sacrifice  de  ses  titres.  I^cs  évo- 
ques de  Nîmes  et  de  Montpellier  font  la  même  déclaration, 
et  y  ajoutent  la  demande  d'une  exemption  de  tout  impôt 
pour  les  artisans  et  les  manœuvres  qui  n'ont  d'autre  pro- 
priété que  leurs  bras.  Le  duc  de  Castries  se  démet  de  sa  ba- 
ronie  de  Languedoc  entre  les  mains  de  la  nation.  Latour- 
Maubourg,  d'Iistourmel  et  Lameth  renoncent  à  leurs  baro- 
nies  de  l'Artois;  Lyon  et  Marseille  abandonnent  leurs  privi- 
lèges spéciaux.  Le  duc  d'Orléans  fait  le  sacrifice  des  droits 
qu'il  possède  dans  la  France  wallonne;  le  duc  de  Villeciuier 
et  le  comte  d'iiginont,  les  évêcpies  d'Auxerre  et  d'Autun, 
font  des  offres  analogues.  Hérar,  député  de  la  Guienne,  re- 
nonce aux  privilèges  de  la  ville  de  iîordeaux.  11  n'y  a  plus 
de  li.iiites  à  l'entraînement.  La  principauté  d'Orange,  la 
Bourgogne ,  Arles,  Grasse,  la  Bresse,  la  Normandie,  l'Au- 
vergne, la  Franche-Comté,  le  Clermontois,  l'Agénais,  lo  pays 
de  Cambrésis,  toutes  les  provinces,  toutes  les  villes  qui 
avaient  queUiue  prérogative  exceptionnelle  ,  en  font  l'aban- 
don par  la  bouche  de  leurs  députés.  La  nuit  s'avançait,  l'en- 
thousiasme allait  croissant,  l'Assemblée  entière  était  éume, 


r,7J 


AOUT 


transporldc ,  rt  il  fallait  deviner  le  secret  de  quelques  pas- 
sions tionto'iscs,  jiour  df'coiiviir  dans  quelques  membres  le 
disirdc  multiplier,  d'accumuler  à  la  fois  toutes  les  rt-formes, 
dans  l'espoir  de  créer  une  confusion  extrême  qui  en  empô- 
(  lierait  la  réalisation. 

On  avait  touché  à  tout,  et  un  député  venait  d'ôtre  applaudi 
en  demandant  l'abolition  des  jurandes,  des  maîtrises,  et  la 
liberté  du  travail;  un  autre  avait  été  accueilli  avec  le  môme 
fracas  en  réclamant  la  liberté  relit;ieusepour  tous  les  cultes, 
lorsqu'un  député  de  Lorraine  ouvrit  une  voie  nouvelle,  et 
ndama  la  su[)pression  des  droits  perçus  en  France  par  la 
cour  de  l'tome.  A  celle  proposition,  les  trois  ijuarts  de  l'As- 
semblée se  lèvent  en  sij^ne  d'assentiment,  et  font  éclater  le 
plus  ardent  cntlioiisiasme.  L'arcUcéque  de  Paris,  .M.  de 
Juigné,en  profile  pour  proiio^'er  aux  députés  un  Te  Deum 
en  actions  de  j^rûces  de  cette  séan.-e  solennelle  et  des  grands 
sacrilices  faits  à  la  patrie.  «  Il  faut  que  ce  souvenir  soit  con- 
sacré pour  riiisîoire,  dit  à  scn  tour  iM.  de  Liancourt,  et  je 
demande  qu'on  (rappe  une  médaille  en  mémoire  de  la  nuit 
du  4  août.  »  Ces  deux  propositions  sont  votées  par  accla- 
mation. 

Et  cependant  les  renonciations  n'étaient  pas  épuisées; 
elles  continuèrent  encore  :  les  cures  abandonnèrent  leurs  bé- 
nélices  simples;  des  évé(iucs  abandonnèrent  des  droits 
immenses;  l'énumération  même  de  tous  ces  privilèges  aban- 
donnés attestait  l'énormité  des  abus,  et  ne  justiliait  que  trop 
l'insurrection  du  peuple  contre  tant  d'oppressions!  Ji  était 
pins  d'une  heure  du  matin  ,  et  les  motions  se  succédaient 
toujours.  Un  député  demande  alors  l'institution  d'une  fête 
nationale,  destinée  à  célébrer  l'anniversaire  du  4  aoM,  et  au 
moment  où  la  délibération  allait  être  close,  Lally-Tollendal 
proclame  Louis  XVI  le  restaurateur  de  la  liberté  fran- 
çaise. Mais  le  roi,  comme  on  le  voit  par  la  lettre  qu'il  écrivit 
le  lendemain  à  l'archevêque  d'Arles ,  condamna  hautement 
ce  grand  acte  de  justice  auqviel  tous  les  ordres  avaient  con- 
couru dans  cette  nuit  mémorable  du  4  août. 

Dans  cette  séance  on  n'entendit  aucun  des  grands  ora- 
teurs qui  captivaient,  éclairaient,  passionnaient  l'Assemblée 
constituante ,  ni  Mirabeau,  ni  Sieyès,  ni  Baniavc,  ni  Maury, 
ni  Cazalès  :1a  parole  n'était  pas  à  l'éloquence,  mais  au  de- 
vouement,  et  jamais  l'éloquence  ne  monta  si  haut,  jamais  elle 
ne  n-pandit  tant  de  bienfaits  sur  un  peuple  ! 

On  (tait  arrivé  à  deux  heures  après  minuit  sans  se  sépara- 
un  instant,  sans  se  refroidir  dans  cette  brûlante  ivresse  du 
patriotisme  qui  avait  inspiré  tant  d'abnégation.  Le  président 
lit  relire  alors  toutes  les  motions  qui  avaient  été  faites  et  pro- 
posa de  les  sanctionner  dans  la  forme  ordinaire  On  ren- 
voya la  rédaction  du  décret  au  comité.  Le  Te  Deum  fut 
chanté,  la  médaille  aussi  fut  frappée;  elle  portait  d'un  coté 
ces  mots  :  Abandon  de  tous  les  pricilécjcs,  et  au  revers, 
le  revers  de  la  vérité  :  Louis  XVT,  restaurateur  de  la 
liberté  française. 

Un  seul  mot  de  réflexion.  Il  y  a  des  circonstances  dans 
la  vie  des  nations  où  la  puissance  des  assemblées  detie 
toutes  les  puissances  de  la  force ,  du  génie  et  de  la  gloire 
personnelle.  Imaginez  un  roi,  un  empereur,  un  ministre, 
un  dictateur,  qui  aient  la  seconde  vue  de  Louis  XI,  la  finesse 
matoise  de  Henri  IV,  l'énergie  de  Richelieu,  l'autorité  de 
Louis  XIV,  le  génie  de  Xapoléon;  donnez-leur  le  sceptre, 
la  couronne,  et  metiez-les  en  face  d'une  œuvre  à  faire 
comme  celle  qui  s'accomplit  dans  la  nuit  du  4  août!  11  n'y 
on  a  pas  un  qui  osât  rentrepren<lre,  ou  qui,  l'osant,  n'y 
j-uccombàt!  Pour  remuer  la  société  entière,  un  homme,  si 
grand,  si  fort  qu'il  soit,  ne  suffit  jamais  ;  il  y  faut  la  gran- 
deur, la  force  et  la  responsabibté  de  tout  le  inonde. 

Armand  M\1UI,VST,  auc.  prcsidcutdd'Ass.  cotisliliiante. 
AOÛT  1702  (Journée  du  lO).  Cette  journée,  l'une  des 
plus  sanglantes  <lc  la  première  révolution  française,  fut  elle- 
même  une  révolution  nouve!li>,  qui  remit  tous  les  jiouvoirs 
entre   les  mains  des  Jacobins.  La  fuite  de  Louis  XVI,  le 


veto  dont  il  crut  devoir  fm.pper  les  décrets  de  l'Assemblée 
législative  qui  ordonnaient  la  vente  des  biens  des  émigrés 
et  condamnaient  à  la  déportation  les  piètres  réfractaires,  en 
achevant  d'indisposer  les  masses  contre  l'autorité  royale , 
avaient  amené  la  journée  du  2  0  j  u  i  n.  Cependant  le  roi  per- 
sistait à  maintenir  son  veto,  et  le  manifeste  du  duc  deBrun  s- 
wick  avait  produit  la  plus  grande  effervescence  dans  les 
esprits.  Le  3  août,  Pétion,  maire  de  Paris,  vint  demander  à 
l'Assemblée  la  déchéance  du  roi  au  nom  des  quarante-huit 
sections  de  Paris.  La  discussion  fut  ajournée  au  9.  Le  co- 
mité insurrectionnel  des  fédérés  ajourna  de  même  le  mou- 
vement qu'il  préparait,  et  dont  le  plan  était  arrêté  et  connu. 
Dans  la  séance  du  8,  l'Assemblée,  à  une  très-forte  majorité, 
mit  Lafayette  hors  d'accusation.  A  cette  nouvelle  l'irrita- 
tion des  faubourgs  ne  connut  plus  de  bornes.  Le  9,  Rœ- 
derer  et  Pétion  annoncent  à  l'Assemblée  que  l'on  doit  son- 
ner le  tocsin  et  marcher  sur  le  château  si  la  déchéance 
n'est  pas  prononcée;  car  c'était  le  plan  des  Girondins,  qui 
redoutaient  l'issue  d'un  combat,  d'obtenir  la  déchéance  par 
un  décret.  Les  représentants  passent  à  l'ordre  du  jour. 
Pendant  ce  temps  Paris  était  en  pioie  à  la  plus  viveagitation  ; 
le  comité  insurrectionnel  s'était  formé  sur  trois  points, 
Santerreet  Westermann  au  faubourg  Saint-Antoine, 
Foumicr  au  faubourg  Saint-Marceau,  Danton,  Camille 
Desmoul  ins.  Carra  aux  Cordeliers. 

A  minuit,  on  s'empare  des  cloches,  et  le  tocsin  commence 
à  sonner.  A  ce  signal,  les  sections  de  Paris  se  rassemblent; 
elles  commencent  par  destituer  le  conseil  de  la  commune , 
qu'elles  remplacent  ])ar  une  municipalité  révolutionnaire. 
Parmi  les  membres  de  l'ancienne.  Manuel  et  Danton  sont 
seuls  conservés.  La  cour  n'avait  que  de  faibles  moyens  de 
résistance.  Elle  pouvait  compter  à  peu  près  sur  deux  ba- 
taillons de  la  garde  nationale  ;  huit  ou  neuf  cents  suisses  et 
une  afduence  inutile  de  vieux  serviteurs  et  d'amis  du  roi 
remplissaient  le  château.  Le  commandement  de  la  garde 
nationale,  depuis  la  démission  de  Lafayette,  passait  alterna- 
tivement aux  six  chefs  des  légions  ;  il  était  échu  ce  jour-là 
à  Mandat,  ancien  militaire,  homme  d'action,  qui  fit  à  la  hâte 
toutes  les  dispositions  pour  résister.  Son  plan  était  de  lais- 
ser s'avancer  les  colonnes  d'insurgés  d'une  part  sur  la  place 
de  l'Hôtel  de  Ville,  cl  de  l'autre  sur  le  quai  des  Tuileries,  et 
de  les  charger  vigoureusement.  Déjà  l'ordre  était  donné  au 
commandant  du  poste  de  l'Hôtel  de  Ville,  quand  la  nouvelle 
municipalité  en  est  informée.  Aussitôt  elle  somme  Mandat 
de  comparaître.  Celui-ci,  qui  ignore  le  changement  survenu 
dans  la  composition  du  conseil ,  obéit ,  et  presque  aussitôt 
il  est  massacré  par  une  populace  furieuse.  La  défense  avait 
perdu  son  général.  Enfin  Santerre  est  proclamé  comman- 
dant provisoire  de  l'armée  parisienne,  et  Westermann  dirige 
les  efforts  des  assaillants. 

Pendant  la  nuit,  le  château  des  Tuileries  avait  été  in- 
vesti par  des  forces  considérables ,  à  la  tête  desquelles  se 
trouvait  le  bataillon  des  Marseillais.  Le  conseil  du  roi  était 
resté  assemblé  toute  la  nuit.  Ce  prince  descendit  dans  le 
jardin  à  cinq  heures  du  matin ,  accompagné  de  la  reine,  de 
ses  deux  enfants  et  de  quelques  officiers  généraux  ;  il  passa 
en  revue  les  postes  qui  s'y  trouvaient,  et  ne  rentra  au  château 
que  vers  sept  heures.  Le  rassemblement  populaire  avait  i>ro- 
digieusement  augmenté.  Les  bataillons  couvraient  la  place 
du  Carrousel  et  les  rues  voisines.  Leurs  canons,  en  batterie 
à  la  porte  de  la  cour  royale,  étaient  dirigés  contre  les  Tui- 
leries. Dans  cette  extrémité,  le  conseil  du  roi,  pensant  que 
l'unique  moyen  d'airêter  l'effusion  du  sang  prêt  à  couler 
était  d'engager  l'Assemblée  nationale  à  envoyer  au  château 
quelques-uns  de  ses  membres ,  lui  députa  le  ministre  de  la 
justice,  Joly.  Mais ,  bien  que  l'Assemblée  se  fût  réunie  dans 
le  lieu  de  ses  séances  dès  le  moment  où  la  généraleavaitappelé 
tous  les  citoyens  à  leur  poste ,  elle  fut  obligée  de  passer  à 
l'ordre  du  jour,  parce  qu'elle  ne  se  trouvait  point  en  nombre 
pour  délibérer.  A  huit  heures,  les  membres  du  départe- 


AO 

ment  entrèrent  dans  la  salle  du  conseil.  RdHleier,  qui  por- 
tait la  parole,  déclara  au  roi  et  à  la  reine  (jue  le  dan|j;er  était 
extrême,  que  la  famille  royale  serait  infiiillililement  égor- 
pt'e  si  elle  ne  prenait  le  parti  de  se  rt'fugier  dans  le  sein  de 
i'Assenihlie  nationale.  Marie- Antoinoltc  s'f'Ieva  avec  fore 
contre  cette  i)ro[>osition,  qu'elle  traitait  de  déshonorante; 
mais  Ro'derer  lui  ayant  répondu  :  "  Madame,  vous  exposez 
la  vie  de  votre  époux  et  celle  de  vos  enfants.  Songez  à  la 
responsabiliti'  dont  vous  vous  chargez ,  u  personne  n'osa 
appuyer  l'avis  de  la  reine,  et  à  neuf  heures  le  roi  sortit  du 
château  ,  accompagm'  de  la  famille  royale,  des  ministres,  et 
de  quelques  généraux.  Un  dotachement  de  grenadiers  suis- 
ses et  de  grenadiers  de  la  garde  nationale  lui  servait  d'es- 
corte. En  entrant  dans  la  salle  de  l'Assemblée,  le  roi  se  plaça 
dans  un  fauteuil  à  cùîé  du  président,  ses  ministres  sur  les 
sièges  destinés  aux  administrateurs  ,  et  sa  famille  dans  la 
tribune  des  journalistes.  Le  roi  dit  :  «  Je  suis  venu  ici  pour 
éviter  un  grand  crime  qui  allait  se  commettre  ;  je  pense  que 
je  ne  saurais  être  plus  en  sûreté  qu'au  milieu  des  repré- 
sentants de  la  nation.  —  Vous  pouvez,  sire,  lui  répondit  S'er- 
gniaud,  qui  occupait  le  (iiuteuil  en  l'absence  du  président , 
compter  sur  la  fermeté  de  rAssenihléo  milionale;  ses  mem- 
bres ont  jurédc  mourir  en  soutenant  les  droits  du  peuple  et 
ceux  lies  autorités  constituées.  »  Sur  l'observation  de  Chabot 
que  l'acte  constitutionnel  interdisait  au  corps  législatif  tonte 
délibération  en  présence  du  roi,  Louis  XVI  se  relira  avec 
sa  famille  dans  la  loge  du  logodichijr/ruplte. 

Cependant  le  roi  était  à  peine  entré  dans  l'Assemblée  que 
le  combat  le  plus  meurtrier  s'engage  aux  Tuileries  ;  la 
porte  est  enfoncée  à  coups  de  hache  ;  les  insurgés  n'atta- 
quent pas  encore;  on  put  croire  un  instant  que  le  château 
serait  évacué  sans  combat  ;  mais  un  coup  de  feu  part  des 
rangs  du  peuple.  Les  Suisses  répondent  par  une  décharge 
générale  qui  porte  l'effroi  dans  les  rangs  des  Marseillais ,  ils 
fuient  en  désordre  ;  la  panique  devient  générale  ;  c'en  est 
fait,  la  victoire  est  au  roi,  quand  arrive  au  même  moment 
M.  d'Herviily ,  portant  l'ordre  de  ne  pas  tirer.  Une  grande 
partie  des  Suisses  se  retirent  alors  par  le  jardin  sans  ré- 
pondre à  un  feu  meurtrier.  Les  assiégeants  ont  eu  le  temps 
de  se  rallier  ;  ils  reviennent  à  la  charge  furieux  de  leur 
échec;  ils  lénctrciit  dans  l'uitérieiir  du  cliâteau.  Ce  ne  lut 
plus  alors  qu'une  bon il>ie  bouclieiic.  Vainement  les  défen- 
seurs de  la  cour  cliercbèrent  leur  salut  dans  la  fuite;  les 
corridors,  les  caves ,  les  combles  ,  les  écuries  ,  les  greniers 
leur  servaient  momentanément  d'asile;  mais  bientôt  ils  étaient 
découverts  et  égorgés  sans  pitié.  Le  feu,  qui  avait  commencé 
à  neuf  heures  et  demie,  cessa  tout  à  fait  à  midi  :  le  massacre 
dura  jusqu'à  deux  heures.  La  populace  armée  de  piques , 
maîtresse  du  château,  exerçait  sa  vengeance  sur  tous  les  in- 
dividus qu'il  renfermait.  Les  huissiers  de  la  chambre,  les 
suisses  des  portes,  et  jusqu'aux  aides  de  cuisine,  tout  fut 
massacré;  le  sang  ruisselait  partout ,  sous  les  toits,  dans  les 
caves  et  dans  les  appartements.  On  pense  qu'il  péril  dans 
cette  journée  environ  cinq  mille  hommes. 

Le  triomphe  du  parti  révokitionnaire  ne  fut  pas  moins 
compl  t  dans  r.\ssemb!éc  que  sur  la  place  publique.  La  plus 
grande  partie  des  membres  du  côté  droit,  craignant  d'être 
égorgés  par  la  multitude,  ne  s'étaient  pas  rendus  à  leur 
poste.  Le  président  n'osa  remplir  ses  fonctions  ;  le  fauteuil 
fut  occupé  successivement  le  10  aoOt  par  trois  députés  de 
la  Gironde ,  Guadet ,  Gensonné  et  Vergniaud.  La  déchi-ancc 
du  roi  était  demandée  de  manière  à  ne  pas  être  refusée. 
L'Assemblée  adopta  donc  à  l'unanimité  et  sans  discussion  le 
célèbre  décret  proposé  par  Vergniaud ,  qui  suspendait  pro- 
visoirement Louis  XVI  de  sa  royauté,  ordonnait  un  |)laii 
d'éducation  jjour  le  dauphin  et  convoquait  une  Convenlinn 
nationale.  La  famille  royale  assista  à  toute  cette  scène  de  l'é- 
troit réduit  où  elle  était  réfugiée,  en  butte  à  tous  les  outrages 
des  tribimes.  Bientôt  elle  entrait  au  Temple.  La  royauté 
était  perdue.  Tel  lut  le  résultat  cic  la  joun^ée  du  lO  août, 


qui  changea  entièrement  la  face  de  la  révolution  française. 

AOUT  1850  (Journée  du  7  ).  Pour  bien  étudier  et  pour 
bien  saisir  une  époque,  il  faut  l'étudier  par  ses  grands  et  par 
ses  petits  côtés.  L'histoire  se  compose,  comme  l'homme,  (I<int 
elle  reproduit  les  faits  elles  gestes,  de  grandes  et  de  petites 
choses. — C'est  pourcela  que  les  mémoires  particuliers  ne  ser- 
vent pas  moins  aux  histoi  iens  que  les  journaux  officiels,  le* 
actes  généraux  des  assemblées,  les  monuments  publics  el  les 
bruits  delà  vulgaire  renommée.  —  Cehii  qui  écrit  ces  lign<'S  est 
fort  peu  par  lui-même  ;  mais  comme  il  a  été  l'un  des  acteurs , 
passif  si  l'on  veut,  du  drame  qui  s'est  joué  en  juillet  ls;'.o, 
et  qu'il  a  seul  représenté,  seul  exprimé  le  grand  principe  de 
la  souveraineté  du  peuple  dans  la  chambre  de  1830,  par  le 
refus  obstiné  de  son  vote  et  la  protestation  de  son  silence, 
il  lui  sera  peut-être  pardonné  de  se  mettre  en  scène  lui- 
même,  pour  mieux  faire  ressortir  l'esprit,  le  caractère  el  le 
jeu  des  dil"t\'reuts  partis  d'alors. 

Il  n'y  a  souvent  que  les  gens  du  dehors  qui  voient  bien 
ce  qui  se  passe  au  dedans  ;  car  les  gens  du  dedans  sont  trop 
occupés  d'eux-mêmes,  et  ils  ont  bien  assez  de  peine ,  en 
temps  de  révolution,  à  se  démêler  de  la  bngane  et  à  prendre 
un  parti ,  sans  s'inquiéter  de  ce  qui  se  mène  autour  d'eux  et 
de  ce  que  font  les  autres.  Lorsque  je  reçus ,  le  matin  du  27 
juillet  1830,  les  fatales  ordonnances,  j'étais  à  la  campagne, 
a  trente  lieues  de  Paris.  Je  froissai  le  Moniteur  entre  mes 
mains,  et,  dans  mon  indignation,  je  résolus  de  partir  à  l'ins- 
tant môme  pour  aller  remettre  au  ministre  ma  démission 
de  maître  des  requêtes.  J'appris,  en  traversant  Orléans,  dont 
je  venais  d'être  nommé  le  député  pour  la  seconde  fois,  à  une 
majorité  immense,  que  l'ordre  avait  été  donné  de  me  jeter 
en  prison  pour  avoir  protesté,  dans  le  grand  collège,  contnî 
la  violation  des  lois.  Le  bruit  se  répandait  qu'on  tirait  le 
canon  à  Paris  ;  je  courus  rejoindre  mes  collègues;  je  fran- 
chis les  ban-icades,  et  j'arrivai  chez  M.  Laftitle ,  où  les  dé- 
putés de  l'opposition  s'étaient  rassemblés.  On  le^ait  la 
séance.  On  indiqua  pour  le  lendemain,  vendredi,  une  réunion 
préparatoire  des  députés  présents  à  Paris.  J'y  fus.  Le  comité 
était  secret.  M.  Laffitte  nous  présidait.  Pourquoi  lui  plutôt 
qu'un  autre?  PersoTine  n'en  savait  rien,  et  personne  ne  le 
demanda.  L'assistance  me  sembla  peu  nombreuse  :  les  dé- 
putés, dispersés  sur  les  bancs,  étaient  comme  frappés,  non 
pas  de  stupeur,  mais  d'une  sorte  d'éîourdissemcnt.  rlusicurs 
légiiimistes  s'agitaient  dans  la  vague  espérance  du  duc  de 
Cordeaux.  ÎSI M.  Salverleet  Demarçay  grondaient  sourdement, 
et  se  tenaient  en  méliauce  de  quelque  surprise.  Pour  moi, 
j'étais  en  examen,  et  il  me  paraissait  que  le  président,  31.  Laf- 
title, M.  Eérard  et  d'autrts  travaillaient,  sans  trop  se  gêner, 
pour  le  duc  d'Orléans.  Les  couloirs  de  la  chambre  foison- 
naient d'émissaires  à  écharpe  tricolore.  On  les  entendait 
dire:  «  Finissez-en,  messieurs  ;  la  duchesse  d'Orléans  et  ma- 
dame Adélaïde  ont  été  admirables.  Finissez-en,  messieurs  !  » 
Un  message  du  duc  de  Moriemart,  qui  venait  parlementer 
au  nom  de  Charles  X,  fut  assez  mal  reçu.  C'était  vingt-ipiatre 
heures  plus  tôt  qu'il  fallait  rapporter  les  ordonnances  et 
changer  le  ministère.  Les  concessions  tardives  hâtent  la 
chute  des  princes,  au  lieu  de  la  retenir. 

Vers  le  milieu  de  la  st-ance,  on  s'en  vint  chercher,  de  la  part 
de  la  commission  j)rovisoire  séant  à  l'Hôtel-de-Ville,  mon 
voisin  de  banc,  le  général  comte  de  Lobau,  qui  en  se  levant 
médit  :  «  Jen'entends  rien  aux  affaires;  si  nous  avons  besoin 
de  vous,  permettez  (jue  nous  vous  priions  de  nous  aider.  » 
J'avais  déjà  oublié  ce  propos,  jeté  en  courant,  lorsqu'un 
message  de  la  commission  provisoire  apporta  un  papier  que 
lut  M.  Laflitte.  J'étais  nommé  commissaire  au  département 
du  connuerce  el  des  travaux  publics.  Je  sortis  à  l'instant 
même,  et  je  me  mis  à  rélléchir.  Accepterai-je  ?  J'y  étais  poussé 
par  les  raisons  suivantes  -.je  n'avais  aucune  sorte  d'affection 
personnelle  pour  Charles  .\,  de  qui  je  m'étais  approché  une 
seule  lois,  en  cou!p;;gnie  de  trois  autres  secrétaires  de  la 
chambre ,  el  qui  ne  daigna  pas  me  parier,  me  connaissant  de 

Si, 


676 

.^opposition.  Je  nVtais  pa?  non  plus  pour  la  It^gitiniité , 
quoifiue  peut-cHrc  en  fussî:-jc  parlé  ,  comme  tout  le  monde 
en  parlait  alors,  sans  y  attacher  un  sens  précis  et  déterminé. 
La  vérité  est  qu'en  cliamhrc  du  inuins,  et  sans  plus  de  ré- 
flexion, on  tenait  la  l.gilimite  pour  une  maxime  de  cour- 
toisie, et  la  Charte  pour  un  (piasi-contral.  Foy,  15.  Constant, 
C,  Pi-rier,  Laflitle,  IJérard  et  les  autres,  mettaient  le  droit 
régalien  de  Charles  X  hors  de  controverse.  La  révolution  de 
Juillet  vint  éclairer  à  mes  yeux  d'une  lumière  suhile  cette 
question,  sur  iKiuelle  je  n'avais  jamais  médité,  et  je  décou- 
vris hien  vite  qu'il  n'y  a  d'autre  principe  vrai  que  celui  de 
la  souveraineté  du  peuple,  ce  à  quoi  j'étais  déjà,  il  faut  le 
dire,  instinctivement  porte.  Mai?,  pour  accueillir  ou  pour 
refuser  la  |)ropositiondu  commissariat,  je  ne  m'embarrassai 
pas  du  principe  du  gouvernement  ;  je  ne  vis  que  le  fait  tout 
j)articidier  de  ma  position.  J'étais  encore  maître  des  requê- 
tes, puis(iue  ma  démission  n'avait  pu  être,  à  cause  des  évé- 
nements, donnée  ni  reçue.  Je  me  trouvai  donc  dans  une  si- 
tuation tout  à  fait  exceptionnelle  parmi  les  députés  de  la 
gauche.  Mes  amis ,  que  j'allai  consulter,  voyant  peut-être 
leur  élévation  dans  la  mienne,  me  pressaient  d'accepter.  Ils 
me  représentaient  que  j'avais  toujours  été  sous  la  Restau- 
ration du  pai  ti  de  l'opposition  dans  le  conseil  d'État  ;  que 
j'avais  été  plusieurs  fois  menacé  de  destitution  pour  l'indé- 
pendance hardie  de  mes  rapports  ;  que  j'étais  le  seul  maître 
des  requêtes  qui  n'eut  point  reçu  le  prix  de  vingt  ans  des 
plus  laborieux  travaux  ;  que  j"avais  toujours,  comme  député, 
vote  avec  la  gauche,  concouru  à  l'adresse  des  2  2  1,  re- 
jeté le  budget,  demandé  l'abolition  deriiérédité  des  pairs  et 
des  sinécures,  et  le  rétablissement  du  jury  pour  les  délits  de 
la  presse;  que  le  duc  d'Orléans  avait  manifesté  s-a  satisfac- 
tion lie  mou  élection  ;  (ju'eu  relusant  le  commissariat  pro- 
visoire, je  refusais  implicitement  le  ministère  ;  qu'il  n'y  avait 
point  d'ambition  illégitime  à  servir  son  pays  dans  un  poste 
élevé,  etc.  Mais  toutes  ces  raisons,  plus  ou  moins  plausibles, 
n'ein|ièeliaii'ut  pas  (pie  je  ne  fusse  encore  matéi  iellement 
fonctionnaire  de  Charles  X  ;  que  mon  serment  «le  maître 
des  requéles  ne  me  liât  tant  (jue  Charles  X  ne  m'en  aurait 
pas  délié,  soit  en  abdiquant,  soit  en  acceptant  ma  démission; 
et  puis,  je  ne  trouvais  pas,  je  l'avouerai ,  qu'il  lût  généreux 
de  donner  des  coups  de  pied  aux  gens  parce  qu'ils  étaient  à 
terre  :  il  n'y  avait  pas  de  portelcuille  qui  me  parût  valoir 
une  lâcheté.  Je  me  roidis  donc  contre  mes  amis  et  un  peu 
contre  moi-même,  et  j'allai  résigner  ma  commission  entre 
les  mains  de  M.  de  S(  bonen,  alors  secrétaire  de  la  commis- 
sion provisoire.  Ceci  dérangea,  m'a-t-ondit,  la  combinaison 
ministérielle,  ((ui  prit  une  autre  figure  :  on  fit  un  revire- 
ment lie  porletéuilles.  Du  reste,  je  ne  sais  pas  à  quoi  l'on 
avait  songé,  dans  la  précipitation  du  moment,  en  me  don- 
nant les  travaux  publics  et  le  commerce;  je  n'y  étais  nulle- 
ment propre,  et  c'eut  été  là  un  pauvre  choi.x. 

En  sortant  do  lllotel-de-Viile,  j'allai  m'enfermer  chez 
moi,  et  je  me  dis  qu'un  homme  politique  doit  se  déterminer 
jtar  des  principes,  et  non  par  des  raisons  de  position.  Je  ne 
tardai  pas  à  découvrir,  je  le  irprte,  en  portant  ma  vue  sur 
la  révolution  de  Juillet,  qu'elle  n'avait  pas  d'autre  fonde- 
ment légitime  et  social  que  le  pi  incipe  de  la  souveraineté 
«lu  peuple,  ou,  si  l'on  veut,  de  la  souveraineté  nationale 
(car  ce  n'est  la  a  mes  yeux  qu'une  dispute  de  mots,  puisipie 
j'entends  par  peuple  toute  la  nation,  et  par  nation  tout  le 
peuple);  que  je  n'avais  reçu  du  peuple,  ou  de  la  nation, 
comme  on  voudra,  aucun  mandat  ;  que  je  ne  pouvais  donc 
prendre  aucune  jiart,  comme  député,  aux  actes  subsi'cpienfs 
de  la  chambre,  et  que  je  ne  pouvais  y  assister  et  y  ligiirer 
que  comme  un  simple  spectateur.  Au.ssi,  lorsque,  le  lende- 
main, les  députés  lirent  une  adresse  au  peuple  français,  ne 
me  inêlai-je  en  aucune  façon  ni  aux  débats  ni  au  vote. 
Quatre-vingt-neuf  députes  assistèrent  à  la  séanr*.  On  prit 
leui's  noms;  aucun  d'eux  ne  signa;  on  mentionna  seulement 
Hu'iLj  claicat  jin'seuls.  Le  MunUciiidu  2  août  insinue,  je 


AOUT 

le  sais,  qu'il  n'y  avait  pas  eu  unanimité  sur  la  forme  h  don- 
ner  à  l'acte  et  sur  sa  rédaction,  ce  qui  impliquait  qu'on  au- 
rait été  unanime  sur  le  /oml.  Mais  cette  induction  n'était 
pas  exacte.  De  quel  droit  les  quatre-vingt-neuf  députés  ;?re- 
sents  offrirent-ils  au  duc  d'Orléans  la  lieutenance  générale 
du  royaume?  Certes,  ils  auraient  été  très-embarrassés  d'ex- 
|)li<[uer  la -validité  de  leur  propre  mandat,  l'étendue  de  leurs 
pouvoirs  constituants,  la  collation  virtuelle  d'un  droit  qu'ils 
n'avaient  pas  eux-mêmes.  Car  de  qui  le  tenaient-ils  i"  Des 
électeurs?  Mais  comment  les  électeurs  le  pos.sédaient-ils,  ce 
droit?  Du  jieuple?  Mais  dans  (jnelle  forme  le  peuple  l'avait-il 
délégué?  Si  quelqu'un  pouvait  nommer  un  chef  luovisoire 
en  l'absence  du  peuple  non  assemblé,  il  me  semblait  que 
c'était  plutôt,  c'était  vraiment  la  commission  de  l'Ilôtel-de- 
Ville,  le  seul  pouvoir  légitime  d'alors. 

MM.  Salverte,  D.  Constant  et  Demarçay  firent  de  l'oppo- 
sition dès  ce  premier  jour.  Ils  demandèrent  des  garanties  j 
ils  voulaient  qu'on  en  mit,  et  de  toutes  sortes,  dans  l'offre 
de  la  lieutenance  générale.  Mais  on  n'en  tint  compte,  et  l'on 
se  montra  plus  pressé  d'aller  en  corps  porter  l'adresse  au 
duc  d'Orléans.  On  faisait  alors  beaucoup  de  promenades 
officielles  du  Palais-Bourbon  au  Palais-Royal.  Cela  est  fâ- 
cheux à  dire,  mais  notre  nation  est  toujours  prête  à  se 
précipiter  dans  la  servitude,  et  nous  ne  justifions  que  trop, 
à  toute  occasion  et  en  tout  temps,  ce  mot  de  Paul-Louis, 
qui  disait  que  nous  étions  un  peuple  de  valets.  Une  assem- 
blée de  députi's  qui  a  le  sentiment  de  sa  dignité,  de  ce 
qu'elle  vaut,  de  ce  qu'elle  représente,  ne  doit  pas  sortir  de 
chez  elle  et  s'en  aller  courir  par  les  rues,  à  la  suite  des  ga- 
mins de  Paris.  On  se  fait  regarder  du  haut  en  bas  par  les 
domestiques  des  antichambres  royales ,  et  voilà  tout  ce  qu'on 
y  gagne  pnur  soi-même  et  pour  le  pays. 
La  même  comédie  se  donna  le  jour  de  la  Charte,  le 
7  août  1S30.  On  n'a  jamais,  il  faut  l'avouer,  mené  plus  ron- 
dement le  train  d'une  constitution.  M.  Du  pin,  à  cette  oc- 
sion  ,  fit  des  merveilles.  Armé  de  sa  serpette,  il  ébrancliait 
des  mots  et  des  virgules  au  passage  de  chaque  article,  sans 
toucher  au  tronc  :  jamais  rapporteur  ne  se  montra  plus 
habile.  La  séance  fut  plutôt  confuse  qu'orageuse.  Les  dé- 
[)utés  qui  arrivaient  en  foule  par  tous  les  voiturins,  et  qui 
entraient  dans  la  salle  les  yeux  encore  gros  de  sommeil,  les 
tribunes  qui  retenaient  leur  haleine,  les  affidés  de  la  maison 
d'Orléans  qui  bourdonnaient  dans  les  couloirs,  le  président 
et  les  secrétaires  qui  ne  savaient  comment  tout  cela  allait 
tourner,  toute  l'assemblée,  en  un  mot,  de  la  balustrade  aux 
combles,  était  pleine  d'anxiété,  et  si  l'on  regardait  les  autres 
avec  curiosité  pour  savoir  ce  que  tout  ce  monde-là  allait 
faire,  on  se  regardait  beaucoup  aussi  soi-même  pour  voir 
ce  qu'on  ferait.  Les  légitimistes  surtout  étaient  inquiets  et 
agités  :  ils  s'attendaient  à  pis,  et  M.  Rerryer  ne  put  s'empê- 
cher de  louer  la  modération  du  rapporteur. 

La  séance  du  soir  ajouta  à  l'animation  des  discours  ;  M.  de 
Conny  s'écria  :  «  DjTiastie  sacrée,  reçois  nos  hommages! 
auguste  fille  des  rois,  »  etc.,  et  M.  Pas  de  Beaulieii  com- 
mença son  allocution  par  le  couplet  de  la  Marseillaise  : 
«  Amour  sacré  de  la  patrie!  >■  C'était  là  du  sentiment  plutôt 
que  de  la  politique  ;  mais  ce  langage  ampoulé,  qui  eût  paru 
ridicule  dans  un  autre  moment,  ne  messeyait  pas  alors,  et 
dans  la  bouche  de  ces  honorables  députés.  M.  Hyde  de 
Neuville  toucha  l'assemblée  par  la  franchise  de  ses  avenx 
et  la  noblesse  de  ses  sentiuienis.  .M.  de  .Marlignac  défendit 
Charles  X  avec  générosité  :  «  Lui  féroce!  dit-il ,  lui  cniel  ! 
non,  l'amour  de  la  patrie  brûlait  son  cunir.  »  M.  de  ]Marti- 
gnac  avait  quelque  raison;  Charles  X,  prince  aimable  et 
doux,  ne  fut  qu'un  homme  inconséquent  et  cnlClé;  pour 
féroce ,  c'était  absurde  !  Mais  c'était  une  autre  exagération 
de  dire  que  l'amour  de  la  patrie  brûlait  son  cieur;  l'amour 
de  la  patrie  ne  se  sépare  guère  de  l'amour  de  la  liberté,  et 
cette  locution  ne  s'emploie  que  pour  les  grands  citoyens. 
.Mai-  (pic  voule/.-vous?  il  y  a  toujours  de  l'avocat  dans  i'ivo- 


AOUT 

rat.  Cétait  au  surplus  une  chose  remarquable,  et  qui  fit  un 
^raud  effet ,  d'entendre  M.  de  Martignac  déclarer  que  les  or- 
donnances étaient  inl'ilmes,  etque  la  résistance  du  peuple  avait 
ete  lii-roique.  M.  Persil,  qui  se  repentit  depuis  de  cette  ar- 
deur de  novice,  voulait  absolument  que  l'on  inscrivît  au  fron- 
tispice de  la  Charte  :  «  C'est  du  peuple  et  du  peuple  seul  que 
«  part  la  souverainettV  »  11  appuyait  sa  tiièse  de  raisons  so- 
lides. M.  Dupin  éluda  fort  adroitement  l'argumentation  dé- 
mocratique du  futur  garde  des  sceaux.  Il  prétendit  que  le 
préambule  amendé  de  la  Charte,  en  déclarant  que  le  droit 
du  peuple  est  essentiel,  répondait  au  vœu  de  M.  Persil,  qui 
dès  lors  était  sans  objet.  M.  Persil  se  paya  de  cette  raison. 
.M.  Dupin  exprimait  le  véritable  sens  de  la  Charte  ;  mais 
l'addition  textuelle  de  l'art.  12  de  la  constitution  de  1701  n'y 
eût  rien  gâté.  M.  Charles  Dupin  lit  substituer  les  mots  de 
culte  de  la  majorité,  à  celui  de  culte  de  VÉtat.  Selon  moi, 
la  nouvelle  signification  est  plus  expressive  que  l'ancienne, 
et  le  clergé  y  a  plutôt  gagné  que  perdu.  M.  de  Corcelles  ne 
parvint  pas  à  faire  adopter  son  amendement  final  :  5a!//  l'ac- 
ceptation du  peuple.  Cet  amendement  choquait  trop  l'omni- 
potence d'une  chambre  ejjratjée,  la  plus  absolue  et  la  plus 
intolérante ,  et  j'ajoute  la  plus  pressée  d'en  fmir,  de  toutes 
les  omnipotences.  M.  Fleury  (de  l'Orne)  consentait  à  modi- 
fier la  Charte,  mais  il  voulait  un  mandat  ad  hoc  pour  l'élec- 
tion d'un  roi  ;  véritable  inconséquence,  puisque  qui  peut  le 
plus  peut  le  moins.  Mais  la  question  restait  toujours  de  sa- 
voir si  la  chambre  d'alors  pouvait  le  plus.  La  Charte  fut 
votée  au  scrutin  comme  une  loi  ordinaire.  MM.  Bérard  et 
Pétou  voulaient  qu'on  mît  les  noms  à  côté  des  votants ,  et 
même  que  chacun  signât.  Soit  peur,  soit  impatience ,  on  s'y 
refusa.  Tout  à  coup,  M.  Dupin  parait  avec  un  ruban  trico- 
lore à  sa  boutonnière,  et  puis,  trois  par  trois,  les  députés, 
à  la  file,  s'en  allèrent  porter  la  couronne  au  duc  d'Orléans. 
On  aurait  pu  attendre  qu'il  vint  la  chercher.  C'eiit  été  plus 
digne;  mais  souvenez-vous  de  ce  que  dit  Paul-Louis! 

Tel  est  l'abrégé  de  cette  fameuse  journée  du  7  août,  où 
l'on  se  dépêcha  d'une  telle  vitesse,  que  je  donnai  le  nom  de 
Charte  bâclée  à  la  constitution  qui  en  sortit,  et  ce  nom  lui 
est  resté.  Les  députés  bàcleurs  furent  très-fiers,  fort  enflés  et 
tout  victorieux  de  leur  besogne;  il  leur  semblait  qu'ils  eussent 
entrepris  la  plus  belle  chose  du  monde.  Des  bourgeois  de 
province  eugendrer  un  roi  de  France  !  Cela,  en  ellet,  valait  la 
peine  d'être  crié  sur  les  toits,  et  ne  se  voit  pas  tous  les  jours  : 
aussi  n'enlendis-je  longtemps  retentira  mes  oreilles  à  la  cham- 
bre et  dans  les  couloirs  que  ces  mots  ronflants  et  superbes  : 
Le  roi  que  nous  avons  fait  !  Oui,  le  roi  que  nous  avons 
fait  !  Comme  ils  en  remplissaient  leur  bouche!  Mais  revenons 
encore  sur  quelques  traits  de  cette  journée.  Je  ne  fus  pas 
peu  surpris ,  je  l'avoue ,  de  voir  tous  les  parlementaires  qui 
avaient  étourdi  pendant  quinze  ans  la  tribune  du  bruit  de 
leurs  théories  constitutionnelles ,  faire  ce  jour-là  si  bon 
marché  des  principes.  B.  Constant,  soit  besoin  d'honneurs 
et  de  gouvernement,  soit  faiblesse  d'âge  ou  de  maladie,  était 
plongé  dans  une  espèce  d'adoration  béate  ;  il  rayonnait  de 
félicité.  Demarçay  ponssait  quelques  exclamations  entrecou- 
pées et  sans  suite  ;  Salverte,  aveuglé  par  des  ressentiments 
personnels,  prenait  bravement  la  responsabilité  de  la  révo- 
lution, au  lieu  d'en  poser  les  bases.  On  eût  dit  que  personne 
n'avaitsa  tète  à  soi.  On  n'était  pressé  que  d'une  seule  chose  : 
c'était  d'en  finir;  on  regardait  autour  de  soi  avec  des  yeux  ef- 
farés. Si  quelqu'un  hasardait  une  réflexion,  un  amendement, 
un  mot,  on  lui  lançait  une  injure  ,  mais  une  injure  sourde  : 
c'était  presque  un  crime  de  lèse-majesté  d'arrêter,  de  sus- 
pendre la  délibération;  les  minutes  étaient  des  siècles.  «Al- 
l'jus,  allons,  allons  donc!  »  disait-on  avec  des  frémissements 
de  colère.  M.  de  Rambuteau  ayant  terminé  son  oraison  par 
ces  mots:  «Il  faut  sauver  Ja  France!  »  «Oui,  oui,  s'écria-t-on 
de  toutes  parts,  il  faut  la  ydu\er  sur-le-champ!  »  M.  .Mau- 
îîuin  ,  pour  avoir  demandé  quei(]ues  minutes  de  répit,  fut 
traité  d'insurgé  et  de  révoluliouuuire. 


677 
Seul ,  immobile  sur  mon  banc ,  les  bras  croisés ,  je  regar- 
dais ce  spectacle  et  ces  acteurs ,  comme  si  j'eusse  été  assis 
au  théâtre  de  Londres  ou  de  New-York  ;  on  se  levait  au- 
près de  moi,  on  se  rasseyait  ;  personne  ne  s'inquiétait  de  son 
voisin,  ni  les  tribunes  de  chaque  député,  ni  chaque  député 
des  tribunes  :  chacun  était  enfoncé,  absorbé  dans  sa  per- 
sonnalité. Je  ne  pouvais  m'empêcher  de  sourire  en  voyant 
ce  sentiment  de  peur,  sentiment  bien  peu  français,  qui  do- 
minait à  son  insu  une  si  grande  assemblée.  C'est  ce  sen- 
timent, il  (aut  bien  l'avouer  à  la  honte  de  l'espèce  hu- 
maine ,  qui  opprima  pendant  les  trois  quarts  de  son  exis- 
tence la  Convention  elle-même  ;  la  peur,  j'en  suis  persuadé, 
est  le  sentiment  le  plus  vulgaire,  mais  le  plus  puissant, 
le  plus  général  et  le  plus  efficace  qui  agisse,  à  toutes  les 
époques  de  crise,  sur  les  assemblées  politiques.  —  Je  fus, 
j'ai  tort  de  dire  que  je  fus  seul  à  faii'e  ce  que  je  fis  :  un 
autre  député,  assis  à  mes  côtés,  m'imita  autoinalique- 
ment  ;  je  ne  le  nommerai  pas  :  je  ne  suis  qu'un  paria , 
et  lui,  il  est  monté  à  de  suprêmes  honneurs!  Au  moment 
de  voter  :  «  Que  ferez-vousî"»  me  dit-il.  Je  lui  répondis  que 
je  n'avais  pas  pris  part  au  débat ,  parce  que  je  n'avais  pas 
de  pouvoirs;  que  n'ayant  pas  de  pouvoirs  je  n'avais  dû  ni 
repousser  ni  admettre  la  Charte  par  assis  et  levé ,  et  que 
dès  lors  je  ne  pouvais  faire  au  scrutin  ce  que  je  ne  m'é- 
tais pas  cru  compétent  pour  accorder  ni  rejeter  à  l'assis  et 
levé.  Cette  conclusion  était  logique.  Ce  disant,  je  pris  mon 
chapeau,  et  je  m'en  allai  :  la  pièce  était  jouée;  on  venait 
de  baisser  la  toile.  Nous  sortîmes  de  la  salle.  Avec  nos  deux 
voix  de  plus,  la  Charte  eût  obtenu  deux  cent  vingt  et  une  voix, 
nombre  pareil  à  celui  de  l'adresse  des  221. 

Voici  la  fin  de  ce  qui  me  regarde  en  ceci ,  et  dont  je  ne 
dirai  quelques  mots  que  parce  que  cette  fin  se  lie  au  com- 
mencement. A  quelques  jours  du  7  août,  on  s'en  vint  requé- 
rir les  députés  de  prêter  serment.  Comment  aurais-je  prêté 
serment  brusquement  à  une  Charte  que  je  venais  de  refuser 
de  faire?  Encore  fallait-il  qu'elle  obtint  du  moins  l'assenti- 
ment tacite  du  pays.  Comment  d'ailleurs  aurais-je  prêté  ce 
serment  en  qualité  de  député,  moi  qui  ne  me  reconnaissais 
pas  la  qualité  et  le  mandat  de  député?  Presque  au  même  mo- 
ment, et  pour  redoubler  l'embarras  de  ma  position,  je  fus 
appelé  conmie  secrétaire  dans  le  comité  de  réorganisation  dû 
conseil  d'État.  On  dressait  à  deux  pas  de  moi  la  liste  des 
membres  conservés  ou  promus ,  et  j'entendis  prononcer 
mon  nom  parmi  ceux  des  nouveaux  conseillers  d'État , 
et  cela  d'assez  près  pour  être  obligé  de  nie  reculer.  Le  duc 
de  Brogiie,  ministre  et  président  du  conseil  d'État,  me  pria 
gracieusement  de  rédiger  le  rapport  au  roi.  J'acceptai,  mais 
j'avais  déjà  résolu  de  donner  ma  double  démission  de  dé- 
puté et  de  membre  du  conseil  :  de  député,  parce  que  je  ne 
faisais  plus  à  mes  propres  yeux  qu'en  porter  le  nom  sans 
en  posséder  les  pouvoirs  ;  de  membre  du  conseil ,  parce  quïl 
me  répugnait  de  penser  qu'on  pût  croire  que  j'abdiquais  une 
fonction  gratuite  pour  conserver  une  fonction  salariée.  Je 
remis  donc,  peu  de  jours  après,  ma  démission  entre  les 
mains  du  duc  de  Brogiie,  et  le  lendemain  le  Moniteur  con- 
tenait le  rapport  au  roi ,  qui  est  de  moi ,  et  l'ordonnance 
de  réorganisation ,  où  ma  démission  était  acceptée  ;  circons- 
tance singulière,  et  qui  ne  s'est  peut-être  jamais  rencontrée 
en  aucun  autre  temps  ni  en  aucun  autre  pays. 

Je  quittai  le  conseil  d'État,  mes  travaux  de  vingt  ans, 
mes  amitiés  si  douces  et  ma  vie  si  tranquille,  si  modeste  et 
si  honorée,  avec  des  regrets  déchirants.  .Mais  ma  conscience 
l'exigeait.  Bientôt  je  consommai  mon  sacrifice  en  adressant 
à  la  chambre  ma  démission  de  députi^,  dans  les  termes 
suivants  :  «  Je  n'ai  pas  reçu  du  peuple  un  mandat  consti- 
«  tuant,  et  je  n'ai  pas  encore  sa  ratification.  Placé  entre  ces 
"  deux  extrémités,  je  suis  absolument  sans  pouvoirs  pour 
"  faire  )m  roi,  une  charte,  un  serment.  Je  prie  la  diambre 
«  d'agréer  ma  démission.  Puisse  ma  patrie  êt;c  toujours 
"  glorieuse  et  libre  !  »  £n  m'eulendant  donner  celte  dé- 


678 


AOLT 


tiiis-jfon,  les  li't;itiinisfes  poussèrent  des  ciis  de  joie.  Ils  se 
lui'prirent  ou  feignirent  de  se  mi'prendie  sur  le  sens  de  mes 
paroles.  On  ne  manqua  pas  de  dire  que  j'étais  un  carliste 
déguisé.  Mes  commettants  m'exclurent  de  leurs  suffrages, 
lors  de  la  réélection,  avec  force  injures,  calomnies  et  menus 
assaisonnements  d'usage;  et  le  jour  même  oii  ils  me  fai- 
saient cette  avanie  dans  mon  propre  dépaitement ,  j'étais 
nommé  député  dans  une  autre  contrée  éio'gnée  et  inconnue, 
et,  la  réaction  continuant  à  se  faire,  six  mois  ne  s'étaient 
pas  écoulés  que  j'eus  l'insigne  honneur  d'i^tre  élu,  le  même 
Jour,  député  dans  quatre  collèges. 

Je  ne  devais  pas  toujours  retrouver  cet  attachement; 
mais  je  connais  parfaitement  les  hommes  de  mon  pays  et  de 
mon  temps  :  citoyens,  électeurs,  députés,  je  sais  quelle  est 
leur  inconsistance,  leurs  caprices,  plus  variables  que  les 
vents,  leur  incomparable  oubli  des  règles  les  plus  élémen- 
taires de  la  politique,  leurs  dégoûts  et  leurs  engouements,  et 
leurs  grandes  faiblesses  de  tôte,  souvent  avec  les  meilieures 
intentions  du  monde.  Aussi  ne  doit-on  pas  considérer  les 
personnes  et  s'attacher  à  ces  revirements  de  position  et  de 
fortime  qui  traversent  la  vie  de  presque  tous  les  hommes 
politiques.  C'est  déjà  bien  assez  de  ne  considérer  que  leurs 
principes,  lorsqu'ils  en  ont;  car  les  trois  quarts  n'en  ont  pas, 
n'en  ont  jamais  eu.  Moi-miMiie,  qui  nie  pique  d'être  un 
puritain,  un  logicien  inflexible,  est-ce  que  je  n'ai  pas  man- 
qué à  ce  puritanisme,  à  cette  logique,  en  acceptant  d'ôtre 
député  sous  la  Charte  de  isr.o,  après  avoir  refusé  de  fabriquer 
la  Charte  de  1830?  Je  sais  bien  que  cette  Charte  a  reçu 
depuis  l'assentiment  tacite  du  pays;  qu'elle  n'est  au  fond, 
et  pour  plus  de  vingt  articles,  que  l'expression  cinquante- 
naire et  impérissable  des  conditions  de  la  liberté;  que  j'étais 
censé,  comme  député,  me  porter  le  représentant,  le  man- 
dataire implicite  de  tous  les  citoyens  qui  devraient  voter, 
aussi  bien  que  de  ceux  qui  votent.  Certes,  pour  me  dé- 
fendre, pour  m'excuser,  les  prétextes  ne  me  manqueraient 
pas,  et  je  saurais  les  trouver  tout  comme  un  autre.  J'aime 
mieux  avouer  simplement  que  j'ai  été  inconséquent.  11  eût 
été  plus  rationnel  que  j'eusse  maintenu  ma  démission  en  me 
tenant  à  l'écart.  Je  serai  donc  assez  franc  pour  n'cn;.;ager 
personne,  en  pareille  occurrence,  à  imiter  ma  conduite. 
Mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  que  je  ne  défende  point 
mes  principes  :  et  n'est-ce  pas  une  surprise  que  j'aie  été 
le  setd  qui  dans  la  chambre  de  1S30  ait  protesté  pour 
l'éti-rnelle  vérité  de  ces  principes?  Cette  protestation  écla- 
tante et  solitaire  effacera,  je  l'espère,  les  fautes  de  ma  vie, 
et  je  n'attends  pas  de  mon  nom  d'autre  souvenir.  Ça  aina 
été  quelque  chose,  lorsque  tonle  l'opposition  du  dedans  et 
du  dehors  se  ruait  à  la  porte  des  honneurs  et  usurpait,  sans 
délégation  ,  la  souveraineté  du  peuple,  de  m'ètre  fermement 
assis,  malgré  les  entraînements  de  la  foule ,  sur  la  pierre  de 
la  souveraineté,  et  d'avoir  réclamé  l'exercice  universel  d'un 
droit  qui  ne  peut  ni  s'aliéner  ni  se  prescrire.  B.  Constant, 
C.  Périer,  Salverte,  Demarçay,  pour  ne  parler  que  des 
morts,  ont  dans  ce  moment  failli ,  et  La  Fayette  aussi,  et 
fous  les  di'putés  patriotes,  qui  sont  mes  amis,  ont  failli, 
tous  sans  exception.  Car  ils  auraient  Ai  tous  protester;  car 
ils  auraient  dû  tous  s'abstenir  du  moins,  et  donner  leur 
démission.  Armand  Carrel  lui-mcme  a  hésité  un  instant,  et 
ses  yeux  ne  se  sont  dessillés  que  le  troisième  jour.  J'eusse 
fait  («tnme  eux,  si  je  m'étais  jeté  dans  le  mouvement,  dans 
le  bruit,  dans  l'ivresse,  dans  l'irrésistible  entrain  de  la 
victoire.  Mais  je  pris  le  soin  de  me  séquestrer,  de  me  mettre 
en  qiielipie  sorte  moi-même  aux  arrêts  dans  mon  propre 
cabinet,  et  là,  de  méditer  solitairement,  profondément,  sur 
la  cause  et  sur  les  principes  de  la  révolution. 

Les  révolutions  ne  sont  que  des  situations,  des  mouve- 
ments, des  faits  où  la  réilcxion  a  peu  de  part.  On  pourrait 
même  dire  (pie  tout  n'y  est  qu'action.  lîeaucoup  de  gens  y 
tendent  au  même  but,  mais  sans  y  être  poussés  par  la  même 
cause.  Les  uns  veulent  en  (inir  parce  qu'ils  sont  impatients 


de  jouir ,  les  autres  parce  qu'ils  craignent  de  perdre  leurs 
emplois ,  le  plus  grand  nombre  parce  qu'ils  ont  peur  pour 
leur  personne  ou  pour  leur  famille ,  et  parce  que  ces  trou- 
bles extraordinaires  dérangent  leurs  habitudes.  Jl  ne  leur 
faut  pas  tous  ces  motifs  à  la  fois  pour  improviser  une  charte  : 
ils  n'ont  besoin  souvent  que  du  plus  futile  d'entre  eux. 
Tout  obstacle  les  irrite ,  par  cela  seulement  que  c'est  un 
obstacle;  tout  expédient  leur  convient,  par  cela  seulement 
que  c'est  un  expédient.  Il  y  a  en  France,  et  pourquoi  ne 
pas  dire  en  tout  pays?  très-peu  d'hommes  politiques  pour 
qui  les  principes  soient  une  affaire  de  (pielque  conséquence. 
Nous  tenons  avant  tout  à  ce  que  la  machine  sociale  ne 
s'arrête  pas.  Tout  gouvernement  qui  peut  procurer  c«t 
avantage  aux  citoyens  paye  assez  sa  bienvenue,  et  passera 
volontiers  à  leurs  yeux  pour  légitime.  On  ne  lui  deman- 
dera pas  de  certificat  d'origine,  et  c'est  vraiment  du  gouver- 
nement qu'on  peut  dire  cju'il  n'a  pas  d'autre  raison  à  donner 
à  la  loule  de  son  existence  que  son  existence  elle-même. 
Mais,  quel  que  soit  le  laisser-aller,  le  sans-souci  de  presque 
toutes  les  notions  et  même  de  presque  tous  les  hommes  d'Klat 
(qui  ne  songent  pas  aux  principes  au  moment  où  il  faudrait  le 
plus  y  songer;  parce  que  tout  le  monde,  et  eux  avec  tout  le 
luonde ,  se  trouve  dans  l'action ,  c'est-à-dire  dans  le  mou- 
vement ou  dans  la  résistance),  il  n'en  est  pas  moins  vrai  q;;e 
c'est  toujours  une  très-grande  faute  de  faire  dédain  et 
abandon  de  ces  principes.  Car,  au  jour  où  le  gouvernement 
tombe ,  on  lui  reproche  sévèrement  de  les  avoir  violés ,  et 
c'est  là  l'une  des  causes  et  l'un  des  griefs  de  sa  chute.  Ainsi, 
]\r.  Dupin,  et  la  chambre  des  députés  sur  sa  proposition, 
n'ont  pas  manqué  de  déclarer  que  l'on  supprimait ,  selon  le 
vœu  et  Vintérét  du  peuple  français ,  le  préambule  de  la 
Charte  de  Louis  XYIII,  comme  blessant  la  dignité  nationale, 
et  paraissant  octroyer  aux  Français  les  droits  qui  leur 
appartiennent  effectivement.  Étrange  aveuglement  des 
iKTinnies  d'État  !  le  7  août ,  au  moment  où  M.  Dupin  con- 
damnait l'usurpation  de  Louis  XYIII ,  il  ne  s'apercevait  pas 
que  lui-même  et  tous  ses  compagnons  étaient  sans  mandat 
et  sans  pouvoirs,  soit  pour  constituer  ce  qu'ils  ont  constitué, 
soit  pour  priver  non  pas  eux-mêmes,  mais  le  reste  de  la  na- 
tion de  ses  droits.  «  Qui  sait  donc,  disais-je  en  1844 ,  si  le 
trône  actu".l  venant ,  par  la  faute  des  courtisans,  à  s'a- 
bUner  dans  la  conjlaijration  d'une  révolution  nouvelle, 
quelqueautre  M. bupinneviendrait  pas  prononcer  contre 
In  dynastie  d'Orléans  la  sentence  fatale  que  la  chambre 
de  1S30  prononça ,  par  la  bouche  de  son  rapporteur, 
contre  la  dynastie  de  Louis  XVIII?  «  La  conduite  que  je 
tins  en  1830,  et  qui  passa  pour  personnellement  hostile  à  la 
famille  d'Orléans ,  était  donc ,  en  la  regardant  de  près , 
beaucoup  plus  dans  l'intérêt  de  cette  dynastie  que  la  con- 
duite de  M.  Dupin  et  de  ses  votants.  On  serait  arrivé,  dans 
le  fait ,  cela  est  plus  que  probable ,  mais  par  des  moyens 
réguliers,  au  même  but.  On  enlevait  à  l'opposition  plus  des 
trois  quarts  de  ses  prétextes,  ou  plutôt  de  ses  meilleures 
raisons,  et  par  conséquent  de  ses  forces.  Que  voulez-vous, 
par  exemple ,  que  puissent  dire  les  hommes  de  bonne  foi  et 
de  logique  comme  je  prétends  l'être ,  lorsqu'on  a  dans  l'é- 
tablissement d'une  constitution  respecté  les  principes?  On 
n'a  plus  alors  qu'à  défendre  le  secondaire,  au  lieu  d'attaquer 
le  fondamental.  jMais,  au  contraire,  lorsque  nous  voyons 
que  dès  l'origine  on  se  met  à  violer  les  principes,  notre 
honnêteté  et  nos  convictions  nous  obligent ,  nous  autres  lo- 
giciens, à  fuir  les  honneurs,  les  emplois,  les  dignités,  à  nous 
retirer  de  cAté,  conmie  font  les  spectateurs,  et  à  combattre 
contre,  au  lieu  de  combattre  pour.  Je  dois  ajouter,  pour  ex- 
pliquer sinon  pour  justifier  l'excentricité  quasi-unique  de 
mes  résolutions ,  de  mes  actions  et  de  mes  écrits  à  ce  mo- 
ment-là ,  que  j'y  fus  déterminé  à  la  fois  par  mon  caractère 
et  par  mes  maximes.  Je  croyais  et  je  crois  encore  qu'on 
s'en  serait  tiré  .sans  trouble  ni  guerre  civile,  ni  guerre  étran- 
gère ,  et  c'est  tout  ce  qu'il  fallait. 


AOUT  —  APANAGE 


CTλ 


Maintenant,  un  mot  sur  la  question  i!o  principes,  ('est 
voir  les  clioses  luiiiiaiiies  par  un  bien  petit  ci'ito  que  d'at- 
tribuer les  révolutions  aux  c;iuses  les  pUisfulilos.  Les  hoinnies 
d'Etat  et  les  piiiiosopiies ,  lorsqu'il  ne  s'agit  jtas  de  révolu- 
lions  de  palais  ou  de  sabre ,  mais  de  révolutions  nationales, 
doivent  leur  chercher  des  motifs  sérieux.  Cela  posé,  est-ce 
que  la  révolution  de  Juillet  se  lit  parce  que  le  prince  de  Po- 
lignac  avait  violé  la  Charte ,  ou  parce  que  le  roi  Charles  X 
avait  été  parjure,  connue  on  le  répétait  alors  sur  tous  les 
tons  et  à  satiété?  Nullement.  Si  les  ministres  avaient  violé 
la  Charte,  il  suffisait  de  les  mettre  en  jugement  et  de  les 
punir.  Si  c'était  Charles  X  qui  l'avait  violée,  il  fallait  en- 
core punir  les  ministres;  car  le  roi  était  inviolable,  aux 
termes  de  celte  Charte,  et  la  responsabilité  des  ministres 
n'avait  été  inventée  précisément  que  pour  qu'ils  fussent 
punis  le  cas  échéant ,  et  seuls  punis.  En  quoi  (  ce  qui  n'a 
pas  été  dit  dans  la  défense)  le  roi  pouvait-il  violer  la 
Chaile,  puisqne  si  les  ministres  n'avaient  pas  contre-signe 
les  fameuses  ordonnances,  celles-ci  n'eussent  été,  revêtues 
de  la  seule  signature  du  roi ,  que  de  simples  chiffons  de  pa- 
pier, sans  force,  sans  obligation,  sans  eftet?  Chasser  le  roi, 
c'était  donc  le  punir  de  l'œuvre  de  ses  ministres.  C'était,  au 
moment  où  l'on  criait  à  tue-léte  ]'ive  la  Charte!  violer  la 
Charte  ,  qui  déclarait  le  roi  inviolable.  Dès  qu'on  ne  punit 
pas  dans  ces  sortes  de  matières  l'intention,  mais  le  fait, 
Charles  X  n'était  pas  coupable.  Si  nous  l'avons  cru ,  si  nous 
l'avons  dit  en  1S30 ,  nous  avons  eu  tort  :  l'allégation  de 
parjure  est  constitutionncUement  absurde.  Absurde ,  parce 
que  le  viol  est  un  fait ,  et  qu'il  n'y  a  point  de  viol  dans 
un  impuissant.  Absurde,  parce  que  les  chartes  ne  sont  et 
ne  peuvent  jamais  être ,  comme  on  l'a  faussement  pré- 
tendu, des  contrats.  H  n'y  a  de  contrats  qu'entre  des 
parties  égales,  et  il  n'y  a  rien  d'égal  entre  une  nation 
et  tin  homme  cjuelconqiis.  Les  nations  délèguent  non  pas 
leur  souveraineté ,  qui  est  indélcgable  comme  elle  est  im- 
prescriptible, mais  elles  délèguent  le  pouvoir  de  les  gou- 
verner à  qui  il  leur  plaît  et  dans  la  mesure  qu'il  leur  plaît, 
ou  bien  il  ne  faut  pas  dire  qu'elles  sont  souveraines ,  comme 
la  Charte  de  1S30  l'a  dit,  comme  4a  Chambre  l'a  reconnu 
bien  des  fois ,  et  enfin  comme  cela  est.  Il  suit  de  là  que  la 
seule  cause  raisonnable  de  la  révolution  de  Juillet ,  la  cause 
non  apparente,  non  hurlée  dans  les  carrefours,  non  décla- 
mée à  la  tribune,  mais  la  cause  cachée,  la  cause  du  fond, 
la  vraie  cause  ,  a  été  la  violation  originaire  et  perpétuelle  de 
la  souveraineté  du  peuple  par  l'octroi  royal  de  la  Charte 
de  1814.  Certes,  ce  qu'il  y  a  de  plus  inique,  de  plus  inso- 
lent, de  plus  usurpateur,  de  plus  condamnable,  de  plus  pu- 
nissable, c'est  qu'un  roi  foule  aux  pieds,  en  paraissant  le 
lui  octroyer,  pour  nous  servir  des  expressions  de  M.  Du- 
pin,  le  droit  incommunicable,  inaliénable  et  inoctroyable 
de  la  nation.  Dès  lors  donc  que  le  peuple  français  n'a  plus 
été  comprinié  par  la  force  des  baïonnettes  et  qu'il  a  pu 
relever  son  front,  il  a  dû  regarder  la  Charte  de  1814  comme 
si  elle  n'existait  pas,  et  par  conséquent  il  a  pu  en  agir 
avec  Charles  X  comme  il  l'a  voulu ,  puisque  le  prince  ne 
lirait  son  inviolabilité  que  d'une  Charte  octroyée  que  la 
révolution  de  Juillet  venait  d'écraser  d'un  coup  de  pavé. 

La  conséquence  de  ceci  est  que  tout  peuple  a  le  droit  de 
se  constituer  à  sa  manière  :  d'où  il  suit  qu'il  doit  être  régu- 
lièrement consulté;  et  d'où  il  suit  encore  que  plus  il  y  a  de 
membres  de  la  nation  qui  participent  à  ce  conseil-là,  et  plus 
Je  gouvernement,  quel  qu'il  soit,  monarchique,  républi- 
cain ,  oligarchique,  simple,  mixta  ,de  toute  sorte  déforme, 
qui  en  émane,  a  de  force,  d'universalité,  de  légitimité  et 
de  durée. 

Raiipelons  en  finissant  que  j'écrivais  l'article  qu'on  vient  de 
lircpouiléSujiplémeuliia  Dictionnaire  de  laConversation, 
en  1844.  J'ai  eu  bien  peu  ii  y  changer.  Mes  prédictions  sur 
la  chute  de  la  dernière  dynastie  se  sont  vérifiées  de  point  en 
point ,  et  je  n'avais  donc  pas  eu  tort  d'être  seul  de  mon 


avis  dans  la  chambre  de  ISP.O.  C'était  pourtant  un  lioimne 
plein  d'habileté  et  d'expérience  que  Louis-Philippe!  Mais 
sur  quelles  bases  reposaient  sa  couronne,  sa  charte  et  ses 
chambres,  sur  quelles  bases?...  Ainsi  a  péri  Charles  X,  pour 
n'avoir  pas  reconnu,  selon  M.  Diipin  lui-môme,  le  droit  de 
la  nation  !  Ainsi  périront,  tour  à  tour,  et  par  la  même  cause , 
toutes  les  dynasties  de  l'Europe;  et  ce  n'est  \l\  qu'une  affaire 
de  temps.  Timon. 

APAFl  (Miguel  r'  et  Michel  II),  princes  de  Tran- 
sylvanie. Lorsque  Jean  Kémény,  prince  de  Transylvanie, 
eut  perdu  la  couronne  et  la  vie  à  la  bataille  de  Nagy- 
Szœlliie,  le  23  janvier  1602,  Micliel  Apali  fut  appelé  à  lui 
succéder,  contre  sa  volonté ,  et  sur  les  instances  du  vizir 
Ali,  par  quelques  nobles  hongrois  et  quelques  délégués 
saxons.  11  descendait  d'une  des  familles  les  moins  considé- 
rables du  pays.  Ennemi  de  l'Autriche  ,  il  se  lança  dans  une 
politique  tout  à  fait  opposée  à  celle  de  son  prédécesseur,  et 
dans  une  assemblée  des  états  déclara  traîtres  à  la  patrie 
tous  les  partisans  du  cabinet  de  Vienne.  Il  fit  plus  :  appuyé 
par  une  armée  auxiliaire  turque,  il  chassa  toutes  les  gar- 
nisons allemandes  du  pays  ;  mais  ce  succès  ne  mit  pas  encore 
la  Transylvanie  à  l'abri  des  exactions  du  pacha  de  War- 
uein  ,  qui ,  maîtie  d'une  grande  partie  du  territoire,  le  ran- 
çonnait impitoyablement. 

Lorsqu'en  1G83  les  Turcs  redoublèrent  d'efforts  pour 
anéantir  l'Autriche,  Apafi  se  vit  encore  une  fois  obligé  de 
se  joindre  à  eux  avec  ses  troupes;  et  tandis  que  le  grand 
vizir  Kara-Mustapha  assiégeait  Vienne,  il  surveilla  le 
passage  du  Danube  près  de  Raab.  En  récompense  de  ce 
service,  la  Porte  confirma  à  son  fils  la  succession  de  la 
principauté.  Mais  en  1685  les  succès  des  armes  impériales 
(  ontie  les  Olhomans  amenèrent  à  leur  tour  en  Transylvanie 
lies  troupes  autrichiennes,  sous  les  ordres  du  feld-maréchal 
Cara(f4;  et  Clausenbourg,  Hermannstadt  et  Deva  furent 
forcées  de  recevoir  des  garnisons  allemandes.  Léopold  l" 
ne  laissa  pas  échapper  l'occasion  de  faire  passer  la  Tran- 
sylvanie du  protectorat  de  la  Turquie  à  celui  de  l'Autriche. 
Le  malheureux  pays  fut  condamné  à  payer  aux  vainqueurs 
un  subside  annuel.  Le  prince  Apafi  ne  devait  pas  voir  de 
meilleurs  jours.  Il  mourut  en  1690,  à  Fagarasch,  à  l'âge  de 
cinquante-huit  ans ,  dont  il  en  avait  gouverné  vingt-huit. 
Lui-même  a  écrit  sa  vie  en  hongrois;  mais  elle  n'a  pas  été 
imprimée. 

Michel  Apafi  II  n'avait  que  huât  ans  à  la  mort  de  son 
père.  La  Porte,  mécontente  de  l'inHucnce  que  les  Allemands 
exerçaient  en  Transylvanie,  favorisa  ouvertement  les  projets 
du  comte  Emmerich  Tœkœly,  qui  battit  l'armée  autri- 
chienne et  se  fit  proclamer  prince  dans  son  camp.  Le  jeune 
Apafi  fut  mis  en  sûreté  à  Clausenbourg.  Mais  Tœkœly  se  vit 
ciMilraint  de  se  replier  devant  les  forces  victorieuses  du 
;;énéral  de  l'armée  impériale  Loui^  prince  de  Bade,  Le 
10  janvier  1692  les  états  reconnurent  le  jeune  Apafi  pour  leur 
prince  légitime;  toutefois  l'empereur  Léopold,  conservant  la 
régence,  lit  gouverner  la  principauté  par  un  conseil  com- 
posé de  douze  membres.  Michel  passa  presque  toute  sa  vie 
à  Vienne.  Après  le  traité  de  Carlowitz,  il  cédasa  principauté 
à  l'empereur  moyennant  une  pension  de  douze  mille  florins, 
et  mourut  à  Vienne  le  i"  février  1713,  à  l'âge  de  trente 
et  un  ans. 

APALACHES  (Monts).  C'est  l'un  des  noms  donnés  à 
la  vaste  chaîne  de  montagnes  qui  traverse  du  nord  au  sud  le 
continent  américain  du  nord,  et  désignée  sous  la  dénomina- 
tion générique  de  monts  Alleghan  y  s. 

APANAGE.  Ce  mot  vient  du  latin  panis,  pain,  et  s'em- 
ployait dans  l'origine  pour  désigner  toute  attribution  d'ali- 
ments, toute  dotation.  Plus  tard  on  ne  l'employa  plus  que 
pour  la  dotation  de."?  princes  puînés  du  sang  royal,  consis- 
Unt  en  provinces,  seigneuries  ,  terres  qui  leur  étaient  don- 
nées pour  soutenir  leur  rang,  et  qui  faisaient  retour  à  la 
"uuionne,  soit  à  leur  mort,  soit  à  l'exlinelion  de  leur  ligne 


fiSO 

masculine.  La  législation  des  apanages  a  subi  à  différentes 
époques  de  nombreux  changements.  Depuis  Hugues-Capef, 
qui  les  institua  atin  de  prévenir  le  morcellement  du  royaume 
par  le  partage,  jusqu'à  l'bilippe-Auguste,  lesapanages  passè- 
rent aux  (illes  et  aux  collatéraux  ;  jusqu'à  Philippe  le  Del  les 
collatéraux  ne  snccédèrent  plus,  mais  les  filles  furent  main- 
tenues dans  leurs  droits.  Ce  prince  prononça  leur  exclusion. 
Charles  V  alla  encore  plus  loin  :  il  n'assigna  plus  aux  princes 
des  seigneuries  et  des  provinces  pour  apanage,  mais  seule- 
ment un  revenu  fixe  en  fonds  de  terre.  Un  principe  s'était 
en  outre  établi,  celui  de  la  réunion  de  l'apanage  à  la  couronne 
par  l'avènement  du  prince  apanage.  A  la  révolution,  l'As- 
semblée nationale,  unissant  le  patrimoine  des  rois  au  do- 
maine de  l'État,  révoqua  toutes  les  concessions  d'apanage 
et  décida  qu'il  n'en  serait  plus  consMtué  à  l'avenir;  par  les 
lois  du  22  novembre  1790  et  6  août  1791  ,  les  fils  putnés 
de  France ,  leurs  enfants  et  descendants  devaient  être  entre- 
tenus aux  dépens  de  la  liste  civile  jii'^qu'à  leur  mariage  on 
jusqu'à  l'âge  de  vingt-cinq  ans;  il  devait  alors  leur  être  as- 
signé sur  le  trésor  national  des  rentes  apaiiagères  d'une 
quotité  déterminée  par  la  législature.  La  Convention  sup- 
prima les  rentes  apanagères  comme  la  royauté.  Napoléon 
les  rétablit.  Le  sénatus-consulle  du  28  floréal  an  xii  portait 
que  les  princes  français,  Joseph  et  Louis  Napoléon,  et  à 
l'avenir  les  fils  puînés  de  l'empereur,  seraient  traités  con- 
formément aux  lois  de  1790.  Le  sénatus-consulte  du  30 
janvier  1810  rétablit  ouvertement  les  apanages  et  les  appela 
par  leur  nom.  La  restauration  rendit  au  duc  d'Orléans  l'an- 
cien apanage  de  sa  maison.  La  loi  du  2  mars  1832  sur  la 
liste  civile  déclara  que  les  biens  composant  l'apanage  d'Or- 
léans étaient  réunis  à  la  dotation  immobilière  de  la  cou- 
ronne; que  le  roi  conservait  seulement  la  propriété  des 
biens  qui  lui  appartenaient  avant  son  avènement  au  trône  et 
la  libre  disposition  de  ceux  qu'il  pourrait  acquérir  à  titre 
gratuit  ou  onéreux  ;  une  dotation  était  accordée  au  prince 
royal;  d'autres  pouvaient  être  données  aux  fils  puînés  du 
roi.  Un  apanage  ou  une  dotation  furent  en  vain  demandés 
pour  le  duc  de  Nemours,  et  après  le  coup  d'État  du  2  dé- 
cembre 1851,  un  décret  présidentiel  annula  la  donation  que 
Louis-Philippe  avait  fait  de  la  nue  propriété  de  ses  biens 
personnels  à  ses  enfants  avant  d'accepter-  la  couronne  le 
6  août  1830.  Sous  la  constitution  de  1852  ,  les  princes  de 
la  famille  impériale  jouissent  d'une  dotation  sur  le  trésor 
public.  Z. 

Entre  autres  prérogatives  féodales  attachées  aux  anciens 
apanages  des  princes,  il  faut  citer  les  suivants  :  entretenir 
des  troupes,  faire  la  paix  et  la  guerre  ;  battre  monnaie,  même 
d'or  ;  lever  des  taxes  et  des  tailles  sur  les  juifs;  plaider  par 
procureur  dans  toutes  les  cours  du  roi ,  même  au  parlement 
de  Paris ,  où  les  procureurs  des  princes  apanages  étaient  pré- 
sents comme  le  procureur  général  du  roi;  rendre  la  justice 
en  leur  nom  par  des  officiers  qu'ils  instituaient;  donner  des 
lettres  de  grâce  ;  concéder  des  privilèges  et  les  révoquer  ; 
Jouir  des  droits  de  franc-fief,  échange,  amortissement  et  nou- 
veaux acquêts;  nommera  tous  bénéfices,  excepté  aux  évê- 
chés;  faire  des  fondations  ,  et  même  disposer  à  perpétuité 
de  quelques  domaines,  etc.,  etc.  Jusqu'à  Louis  IX  les  princes 
apanages  ont  joui  du  droit  d'imposer  des  tailles  sur  leurs 
vassaux  et  sujets,  tandis  que  le  roi  ne  pouvait,  sans  leur 
consentement,  lever  aucun  subside  sur  leurs  apanages. 

APANTOMAIVCIE  (  du  grec  ànô,  loin  de  ;  àviâw ,  ar- 
river; tiovTEÎa,  divination),  divination  par  les  objets  qui  se 
présentent  à  la  vue.  Les  uns  redoutent  la  rencontre  d'un  cor- 
beau, d'un  chat  noir,  les  autres  celle  d'une  poule  blanche.  Dans 
quelques  contrées  de  la  France ,  il  y  a  encore  de  bor.nes 
gens  qui  craignent  devoir  un  lièvre  sur  le  chemin,  ou  qui 
croient  être  certains  qu'il  leur  arrivera  queltpie  malheur  si 
en  se  levant  ils  rencontrent  une  femme  tête  nue,  etc.  Au 
reste,  les  plus  gratids  hommes  ne  sont  pas  exempts  de  ces 
sortes  de  superstitions.  Ainsi ,  Ïycho-Drahé  regardait ,  dit- 


APAiNAGE  —  APATlllK 


on,  comme  un  mauvais  présage  lorsque  sortant  de  chez 
lui  il  apercevait  im  lièvre  ou  une  vieille  femme;  alors,  il 
rentrait  promptement  chez  lui.  Les  Indiens,  pour  la  même 
raison ,  s'empressent  aussi  de  rentrer  chez  eux  s'ils  voient 
un  serpent  sur  leur  route. 

A  PARI.^Foye:;  A  piuotii. 

APARTÉ.  On  appelle  ainsi  les  exclamations ,  les  mots, 
les  phrases  couiles  ,  qu'un  persoimage  en  scène  jette  en  de- 
hors du  dialogue,  et  qui ,  destinés  au  spectateur ,  ne  sont 
censés  entendus  que  de  lui  seul.  On  a  dit  beaucoup  de  bien 
et  beaucoup  de  mal  de  l'aparté;  on  a  loué  ses  faciles  res- 
sources; on  a  critiqué  son  invraisemblance.  L'anecdote  sui- 
vante nous  semble  trancher  la  question.  Un  jour  que  Ra- 
cine, Mohère  et  La  Fontaine  se  trouvaient  enseiiible,  la 
conversation  tomba  sur  les  apartés.  La  Fontaine  en  déclarait 
l'usage  absurde  et  contraire  à  toute  vraisemblance;  Racine 
le  défendait.  On  sait  que  le  bon  fabuliste,  véritable  nature 
d'enfant,  s'échauffait  aisément;  la  dispute  devint  vive.  Mo- 
hère, profitant  de  son  animation,  s'écria  à  plusieurs  reprises  : 
La  Fontaine  est  un  coqtiin  ,  sans  que  celui-ci  l'entendît. 
Plus  tard,  ayant  su  l'aparté  de  Molière,  il  dut  s'avouer  vaincu. 
On  voit  que  dans  les  moments  où  l'action  est  pleine  de 
chaleur  et  de  mouvement,  l'aparté  ne  choque  ni  le  goût  ni 
la  vérité,  pourvu  que  l'acteur  ne  se  préoccupe  pas  du  public, 
mais  seulement  de  l'objet  qui  le  frappe  ou  du  sentiment 
qui  l'émeut. 

APATHIE  (du  grec  à  privatif,  et  TtâOoi;,  passion),  ab- 
sence de  sensibilité  ou  de  passion.  Cet  état  peut  appartenir 
naturellement  à  des  êtres  animés  ;  car  Lamarck  avait  cré.^  ; 
pour  dés'gner  les  zoophytes,  sa  classe  û'animaux  apathi- 
ques. Toutefois,  la  faible  sensibilité  de  ces  espèces,  due  au 
faible  développement  de  Iciir  système  nerveux  et  à  l'absence 
d'un  encéphale,  n'est  nullement  la  privation  complète  de  la 
faculté  de  sentir,  apanage  de  toute  animalité  ;  mais  à  mesure 
que  les  appareils  nen'eux  se  déploient  chez  les  mollusques, 
les  insectes,  et  suilout  en  remontant  aux  races  vertébrées, 
les  animaux  perdent  cette  apathie. 

Or,  il  y  a  plusieurs  autres  causes  d'apathie,  outre  l'im- 
perfection (les  organes  sensitifs  (l'absence  de  tête  chez  les 
acéphales,  les  huîtres,  etc.  ).  L'état  somnolent  ou  engourdi 
par  le  froid  et  la  nuit,  la  lenteur  de  la  circulation,  l'asphyxie 
ou  défaut  de  respiration,  l'inanition,  l'encroùlement  des 
tissus  ou  leur  inertie ,  sous  une  couche  épaisse  de  graisse 
(comme  chez  les  pachydermes),  sous  de  dures  carapaces, 
(dans  les  tortues),  etc.,  en  rend  manifestement  raison,  de 
même  que  le  sommeil,  la  compression  des  nerfs  ou  l'inter- 
ruption de  leur  action  par  la  paralysie,  l'apoplexie,  le  coma, 
ou  par  les  narcotiques,  l'opium,  etc.  —  Au  contraire,  la 
chaleur,  la  nourriture  et  les  boissons  spiritueuscs,  excitantes, 
le  soleil  qui  ravive  la  circulation  chez  les  espèces  à  sang 
froid  (reptiles,  insectes  et  autres  invertébrés),  la  grande  res- 
piration ressuscitée  chez  les  loirs  et  marmottes  au  |)rintemps, 
le  réveil  à  la  lumière,  l'ardeur  du  climat  et  de  l'amour,  les 
passions  stimulantes,  les  sollicitations  des  sexes,  les  contacts 
ou  impressions  à  nu  sur  des  membres  grêles,  et  la  vibrati- 
lité  des  fibres,  sont  autant  de  causes  d'irritation  nerveuse 
ou  d'exaltation  de  la  sensibilité;  par  elles,  on  combattra 
victorieusement  l'apathie. 

Jlais,  faisant  végéter  les  êtres,  l'apathie  use  moins  leur 
vie,  ou  la  prolonge  par  le  sommeil,  comme  sous  l'état  de 
chrysalide  chez  les  insectes,  ou  de  torpeur  hibernale  pour 
conserver  les  reptiles,  les  mammifères  qui  s'engourdissent. 
En  effet,  alors  la  respiration,  la  circulation,  s'arrêtent,  la 
nutrition  est  enrayée;  car  il  y  a  peu  de  diperdition  et  de 
transpiration.  Il  en  est  de  même  dans  la  suspension  de  la 
végétation  pendant  l'hiver.  Toutefois ,  il  subsiste  quelque 
mouvement  intestin  qui  perfectionne  la  sève,  comme  il  tran.s- 
formc  insensiblement  en  sperme  la  graisse  et  d'autres  ma- 
tières nutritives  alors  surabondantes  chez  les  hérissons  et 
diverses  espèces,  C'est  pourquoi  ces  animaux,  se  réveillant 


APATHIE  -^  APÉRITIFS 


au  priutomps,  sont  ai\lenl3  et  pnidisposcs  à  la  génération , 
comme  les  plantes  à  fleurir. 

L'apatliie,  ainsi  entretenue  ou  t  tal)lie,  est  donc  aussi  ré- 
paratrice après  les  pertes,  et  l'on  remarque  chez  les  ani- 
maux peu  sensibles,  tels  que  les  reptiles ,  les  invertébrés, 
une  longue  persistance  de  la  contractilite  musculaire  à  me- 
sure que  la  sensibilité  est  moins  active  :  ainsi,  une  gre- 
nouille, un  lézard  tués,  palpitent  même  après  vingt-quatre 
heures,  tandis  qu'un  maiiuuifère  ou  un  oiseau  perdent  bien- 
tôt toute  vit'.  Il  faut  remarquer  encore  que  la  vie  aquatique 
et  la  respiration  branchiale  sont  des  causes  d'apathie  ou  de 
langueur  vitale.  La  respiration  complète  chez  les  races  à 
sang  chaud,  tout  en  étendant  leurs  facultés  sensoriales  les  plus 
actives,  les  use  rapidement  par  les  passions,  l'amour  et  les 
autres  déperditions  de  l'appareil  nerveux  cérébro-spinal.  Ce- 
lui-ti  Oit  plus  (  enlralise  surtout  chez  l'homme.  J.-J.  Viiav. 

APATITE,  chaux  phosphatée. 

APELLE ,  célèbre  peintre  de  l'antiquité ,  était  fils  de 
Pythias  ;  ne  selon  les  uns  à  Cos,  et  selon  d'autres  à  Co- 
lophon,  il  reçut  le  droit  de  cité  à  Éphèse  :  c'est  pour  cela 
qu'on  le  surnomme  quelquefois  YÉphésien.  Éphorus  d'É- 
phèse  fut  son  premier  maitie,  mais  la  réputation  de  l'école 
de  Sicyone  le  détermina  plus  tard  à  prendre  des  leçons  chez 
Pamphile,et  il  composa  plusieurs  chefs-d'œuvre  avec  les  élè- 
ves de  ce  maître.  Sous  le  règne  de  Philippe,  Apelle  se  ren- 
dit en  Macédoine  ;  là  s'établit  entre  lui  et  ce  grand  roi  cette 
intimité  qui  a  donné  lieu  à  beaucoup  d'anecdotes.  On  raconte 
que  pendant  son  séjour  à  Rhodes  Apelle  alla  visiter  l'atelier 
de  Protogène  ;  celui-ci  étant  absent ,  il  traça  sur  une  plan- 
che un  cercle  avec  le  pinceau.  A  son  retour,  Protogène 
reconnut  la  main  d'Apelle  ;  il  s'appliqua  à  le  surpasser  par 
un  cercle  plus  beau  et  plus  exact  tracé  dans  le  premier. 
Apelle  revint ,  et  en  fit  passer  un  plus  exact  encore  et  plus 
délié  au  milieu  des  deux  premiers.  Le  peintre  de  Rhodes 
s'avoua  vaincu.  Plus  tard,  cette  planche,  immortalisée  par  le 
tour  de  force  du  grand  artiste ,  fut  envoyée  à  Rome  pour 
orner  le  palais  des  Césars  ;  mais  elle  disparut  dans  un  incendie. 

Le  plus  célèbre  tableau  d'Apelle,  Alexandre  tenant  la 
foudre,  se  trouvait  dans  le  temple  d'Éphèse.  La  mort  parait 
avoir  surpris  l'artiste  à  Cos,  où  il  avait  commencé  une  \k- 
nus  que  personne  n'osa  achever.  La  grâce  était  la  qualité 
distinctive  du  talent  d'Apelle  ;  elle  respirait  dans  toutes  ses 
compositions,  qui  étaient  pleines  en  même  temps  de  vie  et 
de  poésie  ;  c'est  avec  raison  qu'on  avait  surnommé  l'art  dans 
lequel  il  excellait  :  ars  apellea.  Pline  assure  qu'Apelle 
n'employait  dans  la  peinture  que  quatre  couleurs,  qu'il  com- 
binait et  harmoniait  admirablement  au  moyen  d'un  vernis 
que  lui-même  avait  composé  et  dont  le  secret  a  été  perdu. 
Apelle  se  livTait  avec  tant  de  zèle  à  son  art,  qu'il  ne  passait 
pas  un  jour  sans  toucher  son  pinceau  ;  ce  qui  donna  lieu 
au  proverbe  :  Mcllus  dies  sine  linea.  Pour  atteindre  plus 
sûrement  la  perfection ,  il  exposait  ses  ouvrages  aux  yeux 
des  passants,  et,  caché  derrière  un  rideau,  il  recueillait  leurs 
critiques  pour  en  faire  son  profit.  Un  jour,  un  cordonnier 
ayant  trouvé  qu'il  manquait  queliiue  chose  à  une  sandale, 
Je  peintre  prolita  de  son  observation,  et  le  lendemain  le  ta- 
bleau reparut  avec  la  correction  indiquée;  mais  celui-ci,  fier 
de  son  succès,  ayant  voulu  faire  de  nouvelles  critiques, 
Apelle,  se  montrant  aussitôt,  lui  adressa  ces  mots,  que  les 
fables  de  Phèdre  ont  rendus  proverbe  :  iVe  sulor  ultra 
crepidam.  En  faisant  le  portrait  de  la  maîtresse  d'Alcxandie 
il  en  devint  éperdument  amoureux;  et  le  fils  de  Philippe, 
traitant  de  pair  avec  le  fiL-  de  Pytliias,  consentit  à  la  lui  donner 
pour  femme.  11  ne  mit  son  nom  qu'à  trois  de  ses  ouvrages  : 
Alexandre  tonnant,  Vénus  endormie,  Vénus  Anad yoméne. 

APE\i\IXS.  C'est  le  nom  générique  de  la  chaîne  de 
montagnes  qui  court  dans  toute  la  longueur  de  l'Italie ,  de- 
puis le  col  d'Altare,  au  nord-ouest  de  Savone,  jusqu'au  cap 
deli'  Armi,  sur  le  phare  de  Messine,  et  sépare  les  cours  d'eau 
qui  se  jettent  dans  la  mer  .\d;iati(iiie  de  ceux  qui  se  rcu- 

DICT.    DE    LA    CONVERSATION.     —    T.    I. 


CSl 

dent  dans  la  Méditerranée.  Développement  du  faite ,  environ 
1,450  kilomètres.  Le  nom  d'Apenuius,  qui  appartient  plus 
particulièrement  aux  montagnes  qui  séparent  la  Toscane  de 
la  vallée  du  Pô  et  de  l'Ombrie,  a  été  plus  que  probablement 
donné  par  les  Ombriens  et  les  Étrusques  à  la  chaîne  qui , 
dans  le  pays  qu'ils  occupaient,  avait  sa  continuation  aux 
Alpes.  En  effet ,  alp-beannin ,  qui  signifie  en  gaulois  petites 
Alpes  ou  petites  chaînes  de  montagnes,  est  un  nom  parfai- 
tement approprié  aux  Apennins,  chaîne  qui  n'est  géographi- 
quement  qu'une  section  de  la  grande  chaîne  des  Alpes,  avec 
laquelle  elle  se  continue  sans  interruption.  Beaucoup  moins 
élevés  que  ces  dernières ,  les  Apennins  atteignent  à  peine 
2,900  mètres  dans  leur  plus  grande  hauteur,  sans  jamais 
toucher  à  la  limite  des  neiges  perpétuelles. 

La  première  partie  de  la  chaîne  des  Apennins,  qui  s'é- 
tend des  environs  de  Nice  aux  sources  de  la  .Alagra ,  vers 
Pontremoli,  au  nord  de  la  Ligurie,  porte  le  nom  d'Alpes 
Liguriennes.  Ce  n'est  que  géograpbiquement  qu'on  l'appelle 
Apennin.  Des  sources  de  la  Magra ,  l'Apennin  continue  à  se 
diriger  à  Test  jusqu'aux  sources  du  Tibre,  qu'il  environne. 
De  la  il  se  dirige  au  sud-sud-est  et  au  sud  ,  enveloppant  tous 
les  versants  du  Tibre,  jusqu'au  lac  Turin  ou  lac  d'Albe.  Un 
pic  assez  élevé,  qui  domine  Albe  et  Aquila,  porte  le  nom 
d'Ombilic  de  l'Italie.  Après  avoir  couronne  les  sources  du 
Gorigliano  et  du  Vulturne  ,  l'Apennin  courbe  un  peu  au  sud , 
pour  se  rapprocher  de  la  Méditerranée  ,  jusqu'aux  environs 
lie  Boviuo  et  des  sources  de  l'Ofanto.  Là  il  se  sépare  en  deux 
branches.  La  principale  descend  au  sud-sud-ouest  jusque 
versReggio  de  Calabre,  oii  elle  se  termine  en  apparence; 
mais  cette  interruption  n'est  qu'une  dépression ,  qui  donne 
passage  au  canal  de  Messine  ;  la  chaîne  se  relève  et  reparait 
en  Sicile.  La  seconde  branche  s'étend  à  lest,  à  la  rive 
droite  de  l'Ofanto  jusqu'un  peu  après  Venise;  de  là  elle 
tourne  au  sud-est  et  se  dirige  en  s'abaissant  successivement 
vers  le  cap  Sainte-Marie-de-Leuca.  Là ,  une  dépression  plus 
longue  est  couverte  par  le  canal  de  Coriou ,  qui  joint  l'A- 
diiatique  à  la  mer  Ionienne.  La  chaîne  se  relève  aux  monts 
Acrocérauniens ,  et  va  rejoindre  l'Œta ,  l'Ossa  et  l'Olympe 
à  l'est,  et  le  mont  Scondisque,  suite  des  Alpes,  au  nord; 
d'oii  il  parait  que  la  plaine  du  Pô  et  celles  de  l'Adriatique , 
sont  un  grand  bassin  primitif,  oii  la  mer  s'est  introduite  par 
la  dépression  formée  entre  Otrante  et  l'Acrocéraunie. 

Les  montagnes  de  la  Toscane,  qui  passent  au  sud  de  Flo- 
rence, et  s'étendent  à  l'est  de  Sienne ,  par  Radicofani,  d'où 
elles  vont  en  s'abaissant  jusqu'au  Tibre,  un  peu  au  nord  de 
Rome,  dépendent  également  de  l'Apennùi.  La  coupure  qui 
les  en  sépare  à  Fégline  et  Incisa  a  été  faite  par  la  main 
des  hommes  pour  donner  passage  aux  eaux  qui  formaient 
un  lac  entre  Arezzo  et  Cortone.  Celte  coupure  a  donné  à 
l'Arno  son  cours  actuel. 

La  constitution  de  la  chaîne  est  entièrement  calcaire ,  et 
les  roches  granitiques  ne  s'y  montrent  que  vers  l'extrémité 
méridionale  dans  les  Calabres.  Elle  est  pauvre  en  métaux. 
Le  fer  y  est  exploité  en  faible  quantité ,  et  les  gisements  de 
houille  qu'on  y  trouve  sont  sans  importance.  De  vastes  dé- 
pôts salifères  existent  dans  les  environs  de  Cosenza  ;  mais 
ce  sont  les  matériaux  de  construction  et  surtout  les  marbres 
célèbres  de  Carrare,  d'Equi ,  de  Serravezza  et  de  Sienne  qui 
constituent  la  véritable  richesse  de  l'Apennin.  Au-dessous 
de  1,000  mètres,  les  contreforts  et  les  flancs  sont  couverts 
d'une  végétation  variée ,  dont  les  orangers  ,  les  citronniers , 
les  oliviers,  les  caroubiers  et  les  palmiers  lorment  la  zone 
inférieure.  Au-dessus,  les   montagnes  sont  arides  et  leurs 
sommets  nus  et  dépouillés.       G^'  G.  de  Vaudo.ncoirt. 
APEXS  (Guet-).  Voyez  Gcet-Apens. 
APEPSIE  (  dn  grec  àTzvlii,  fait  d'àprivatif  et  deiûin;, 
digestion  ) ,  défaut  de  digestion.  Voyez  Dyspepsie. 
APKPtEA.  Voi/ez  Coiuyf.  oJ  Cccuon  d'Inoe. 
APERITIFS  (du  latin  apcrire,  ouvrir),  terme  de  méd*-- 
cinc,  qui  se  di:.-ait  autrefois  des  remèdes  que  l'on  crojai4 


682 

propres  à  o;ivrlj-  les  pores,  dilater  les  vaisseaux  engorgés  et 
faciliter  le  passage  et  récouleinent  des  humeurs ,  s'eruplo'e 
aujounrtiui  ilans  un  sens  pi\is  restreint,  et  sert  à  désigner 
les  ii(«dicauu'nts  propres  à  favoriser  les  sécrétions  biliaire  et 
iirinaire,  ainsi  que  l'évacuation  des  menstrues.  Les  apé- 
ritifs emplojés  le  plus  fréquemment  sont  les  seis  neutres  et 
acidulés  qui  ont  la  propriété  purgative  et  diurt;ti(pie,  tels 
que  les  srilfaîes  de  potasse  et  de  soude,  le  tartrate  de  soude, 
les  tartratcs  acidulés,  nitrate  et  acétate  de  potasse;  vien- 
nent ensuite  le  savon ,  le  fiel  de  bœuf,  la  rhubarbe,  et  dif- 
férents végétaux  amers  et  aromatiques,  tels  que  les  chico- 
racécs,  Tannée,  Tache,  le  fenouil,  le  persil,  Tasperge  et  le 
petit  houx  ;  enfin  le  fer,  ses  oxydes  et  ses  sels.  —  On  ap- 
pelle racines  ou  espèces  apérilivcs  les  racines  de  chiendent, 
d'asperge,  de  pissenlit  etd'oseille.  C'est  particulièrement  dans 
les  engorgements  indolents  du  foie  ou  de  la  rate  qu'on  fait 
usage  de  ces  médicaments. 

APÉTALE. Ce  terme,  d'après  son  étymologie  (à  priva- 
tif, TTÉTaÀov,  pétale),  semblerait  ne  devoir  s'apjiliquer  qu'aux 
Heurs  déjjourvues  de  corolle  ;  néanmoins  on  s'en  sert  éga- 
lement pour  désigner  celles  qui  n'ont  ni  corolle  ni  calices. 
Ainsi  Tune  des  grandes  sections  établies  par  Jussieu  sous  le 
nom  ii\ipctales  dans  la  classe  des  végétaux  dicotylédones 
comprend  les  plantes  qui  sont  dépourvues  d'enveloppe  (lorale. 

APHÉLIE  (du  grec  àuo,  loin,  et  de  r^lioc,,  soleil  )  est 
en  astronomie  le  point  de  Torbite  d'une  planète  où  sa  dis- 
lance au  soleil  est  la  plus  grande;  c'est  Tune  des  extrémités 
du  grand  axe  de  l'ellipse  que  cette  planète  décrit.  Les  aphé- 
lies, soumises  aux  perturbations  planétaires,  ne  sont 
pas  fixes;  leur  détermination  dépend  de  certaines  observa- 
tions astronomiques  qui  varient  suivant  la  fréquence  des  op- 
positions de  la  planète  que  Ton  considère.  Lalande  a  trouvé 
l'aphélie  de  Mercure  à  l'aide  de  Tangle  d'élongation. 
Delanibre  a  fait  sur  Mars  l'essai  d'une  nouvelle  méthode 
publiée  diMis^'ion  Traité  d'Astronomie. 

APilÉllÈSE  (d'à^ocipÉw,  je  retranche),  figure  de  mot 
par  laquelle  on  retranche  une  lettre  ou  une  syllabe  au  com- 
mencement d'un  mot ,  comme  dans  ce  vers  de  Virgile, 

Di'icile  justiliaiii  luuiiiti,  et  non  teninere  divos. 

où  il  a  dit  (emnere  au  heu  ù&contemnere.  Celte  figure  est 
souvent  en  usage  dans  les  etymologies.  C'est  aiusi,  dit  ^'icot, 
que  du  mot  latin  gibbosus  nous  avons  fait  bossu,  en  sup- 
l)rimant  la  première  syllabe. 

Au  reste ,  si  le  retranchement  se  fait  au  milieu  du  mot , 
c'est  une  syncope;  s'il  se  fait  à  la  lin,  on  Tapi)clle  apocope. 

DuMAnsAis. 

APHOXIE  (du  grec  à  privatif;  çwvt],  voix).  On  ap- 
pelle ainsi  l'absence  plus  ou  moins  complète  de  la  voix , 
sans  (lue  la  faculté  d'articuler  ait  disparu.  C'est  ce  qui  dis- 
tingue l'aphonie  de  la  mutité.  Elle  résulte  le  plus  ordi- 
nairement d'une  l(-sicn  quelconque  de  l'appareil  vocal,  quel- 
quefois d'une  alîection  des  cordons  nerveux  du  larynx  ,  ou 
même  des  centres  nerveux,  comme  dans  Tapoplexie,  Tépilep- 
sie ,  les  violentes  émotions  morales ,  etc.  Son  traitement 
Tarie  d'après  les  causes  (pii  la  produisent.  Les  gargarismes 
émoUients,  Teau  d'orge  miellée ,  les  cataplasmes  éjnollients 
autour  du  cou,  les  sangsues,  les  ventouses  scarifiées  au  cou 
et  à  la  nuque ,  les  bains  de  pied  sinapisés ,  les  vésicatoires 
et  les  selons  a  la  nuque,  sont  les  médications  le  plus  sou- 
vent employées. 

APHORISME  (dugrecàçopiÇeiv,  séparer, définir),  sen- 
tence, proposition  brève  et  concise  dans  laquelle  on  expose 
un  principe  de  doctrine.  Presque  toutes  les  sciences  ont 
leurs  aphorismes.  Les  règles  de  droit  du  Digeste  et  plusieurs 
articles  de  notre  Code  Civil,  au  titre  des  contrats  ou  des 
obligations  conventionnelles,  sont  de  véritables  aphorismes. 
Dans  le  langage  du  barreau  on  nomme  brocards  des 
aphm-ismes  empruntés  aux  jurisconsultes  romains.  En  mé- 
ikciue  ce  iiiot  est  presque  exclusivement  réservé  i)our  les 


APÉRITIFS  —  APHTHES 


sentences  d'Hippocrate  et  celles  de  Celse.  Les  aphorisme* 
de  Boérhaave  ont  produit  les  savants  commentaires  de  \'an 
Swielen.  De  nos  jours  une  doctrine  qui  se  présente  sous 
celte  forme  se  sert  du  terme  plus  modeste  de  j)ropositions. 
On  a  donné,  par  extension,  le  nom  à'aphoristique  a  un  style 
cou|)é,  logitpie  et  sentencieux. 

APHRODISIAQUES.  Ce  sont  des  médicaments  pro- 
pres à  exciter  ou  même  à  rappeler  les  désirs  vénériens.  Un 
grand  nombre  de  substances,  les  stimulants  généraux  en 
particulier,  ont  été  citées  comme  possédant  cette  faculté  ; 
mais  on  n'en  connaît  que  deux,  la  cantharide  et  le  phosphore, 
qui  agissent  réellement  d'une  manière  directe  sur  les  organes 
de  la  génération ,  et  plutôt  encore  pour  y  produire  un  vé- 
ritable état  morbide  que  pour  procurer  le  resulUit  désiré. 
Aussi  leur  emploi  peut-il  être  suivi  des  plus  graves  accidents. 

APHRODISIES.  On  appelait  abisi  dans  Tantiquilé  des 
fêtes  en  l'honneur  de  Vénus  Aphrodite,  fondées  dans  la 
plupart  des  villes  de  la  Grèce ,  et  principalement  à  Cypre 
ou  Chypre,  Amathontc,  Paphos  et  Corinthe.  Les  initiés  of- 
fraient à  la  déesse  une  pièce  de  monnaie,  velut  prostibuli 
pretium,  ce  qui  indique  assez  que  le  sacrifice  n'était  |)oint 
fait  à  Vénus  pudique.  Athénée  cependant  rapporte  (pie  dans 
la  dernière  de  ces  villes  les  honnêtes  femmes  célébraient 
aussi  les  Aphrodisies  ;  mais  c'était,  ajoute-t-il,  sans  se  mê- 
ler aux  courtisanes,  que  cette  fête  semblait  spécialement  in- 
téresser partout  ailleurs. 

APHRODITE  (d'àypô;,  écume),  surnom  de  Vénus, 
qu'on  disait  sortie  de  la  mer,  sans  doute  parce  que  son 
culte  fut  emprunté  par  les  Grecs  aux  Phéniciens. 

APîiTHARTODOCITES  (d'à,pOap7o;,  incorruptible, 
et  de  coxcù,  je  juge,  je  pense),  hérétiques  ainsi  nommés 
de  ce  qu'ils  pensaient  que  le  corps  de  Jésus-Christ  étant  in- 
corruptible, il  n'avait  pu  mourir.  Leur  chef  était  un  certain 
Julien  d'Halicarnasse ,  qui  vivait  à  peu  près  dans  le  même 
temps  que  l'empereur  Julien  et  le  fameux  solitaire  Julien 
Sabbas  (360-370). 

APHTHES.  Ce  sont  des  papules  ou  des  vésicules  for- 
mées dans  la  bouche,  s'étendant  quelquefois  dans  l'œso- 
phage et  jusqu'à  l'estomac,  et  pouvant  se  terminer  par  ulcé- 
ration. Les  aphtlies  se  montrent  surtout  dans  l'enfance,  et 
chez  les  nouveau-nés  :  les  femmes  y  paraissent  plus  exposées 
que  les  hommes  ;  le  froid  et  Thumniité  les  provoquent  ainsi 
que  les  aliments  de  mauvaise  qualité,  et  on  les  observe  sou- 
vent dans  les  fièvres  graves.  Les  aphthes  se  montrent  spé- 
cialement à  la  face  interne  de  la  lèvre  infi'rieure,  et  des 
joues,  sur  les  parties  latérales  et  inférieures  de  la  langue, 
sur  les  amygdales  et  le  voile  du  palais;  il  paraît  démontré 
qu'ils  sont  (lus  àTinflammation  et  au  développement  des  fol- 
licules mucipares  de  la  membrane  muqueuse  buccale. 

La  marche  des  aphthes  se  divise  en  période  vésiculeuse 
et  en  période  ulcéreuse.  Quand  l'éruption  se  déclare,  on  voit 
se  manifester  dans  les  parties  qui  sont  le  siège  habituel  des 
aphlhes  de  petits  points  saillants,  rouges,  durs,  douloureux, 
lesquels  ne  tardent  pas  à  blanchir  à  leur  sommet  en  conser- 
vant une  teinte  d'un  rouge  vif  et  une  dureté  notable  à  leur 
base  :  c'est  le  passage  de  la  forme  papuleuse  à  la  forme 
vésiculeuse.  L'éruption  est  tantôt  rare  ou  discrète,  tantôl 
conjluente,  et  dans  ce  cas  toute  la  muqueuse  de  la  bouche 
peut  en  être  couverte;  elle  offre  alors  un  aspect  piqueté 
de  blanc  et  de  rouge  tout  à  fait  particulier.  Les  aphthes 
peuvent  s'arrêter  à  l'état  vésiculeux,  rester  ainsi  station- 
naires  pendant  quelque  temps  et  s'éteindre  peu  à  peu,  ou  bien 
continuer  leur  marche  et  passer  à  Tétat  d'ulcération.  On  voit 
alors  les  vésicules  transformées  en  petits  ulcères  superfi- 
ciels ,  arrondis,  d'un  rouge  très-vif  :  le  ""ond  de  cette  ulcé- 
ration est  d'un  blanc  légèrement  grisâtre,  dû  à  une  exsudation 
de  matière  épaisse  et  comme  pultacée,  qui  dans  certains 
cas  se  concrète  en  forme  de  croûte  ;  celle-ci  se  détache  pai 
Taction  de  la  salive,  et  ne  tarde  pas  à  être  entraînée.  Le 
tiailementest  local  ou  général, suivant  que  les  apblhcs  soûl 


APIITIIES  —  APICIUS 


fp* 


bornés  à  la  bouclie  ou  qu'il  y  a  réaction  gént'rale  :  tlans  le 
premier  cas  ,  il  siiflit  de  lotions  o\i  de  narj^arismes  de  nature 
éniollieiite  ,  dVan  de  pnimauve  ou  d'or^^e  édulcorée  avec  du 
miel  ordinaire  on  rosat,  de  sirop  de  violctles,  de  nnires,  etc., 
jiour  obtenir  la  jjnéiison.  Quand  les  douleurs  sont  très-vives, 
on  peut  ajouter  (pieliiues  i;outles  de  laudanuuï  aux  ^ar^ja- 
risines  ou  aux  lotions  précitées.  Pans  le  cas  d'aplillies  ctiro- 
niqucs,  on  a  recours  au\  astringents  :  telles  sont  les  solu- 
tions d'alun,  ou  de  sous-borate  do  soude;  ou  bien  on 
touclie  les  petites  iilcrations  avec  la  pierre  d'alun ,  l'acide 
liydrocldoriiiue  uuMe  au  nnel  rosaf,  on  mieux  encore  avec  le 
nitrate  d'argent.  Une  prompte  cicatrisation  suit  ordinaire- 
ment l'emploi  de  ce  dernier  moyen. 

AWITIIOXIUS.  Ce  rhéteur,  ou  plutôt  ce  sophiste  grec, 
comme  le  qualilie  Suidas  ,  naquit  dans  la  ville  d'.^ntioche , 
on  ignore  en  quelle  année  ;  on  sait  seulement  qu'il  vivait 
encore  au  quatrième  siècle.  Ses  Profjymnasmatn,  exercices 
préliminaires  de  rhétorique,  postérieurs  à  ceuxd'Hermogène, 
n'en  sont  qu'une  faible  imitation.  Cependant  on  avait  l'ha- 
bitude, dans  nos  anciennes  écoles,  d'expliquer  l'ouvrage 
d'Aphtlionius  concurremment  avec  les  exercices  d'Hermo- 
gène  et  le  Traité  du  Sublime  de  Longin.  C'est  principale- 
ment à  cette  circonstance  que  nous  devons  les  assez  nom- 
breuses éditions  des  exercices  dWphthonius,  livre  qui  par 
lui-même  ne  méritait  guère  d'être  reproduit  aussi  souvent. 
On  possède  encore  de  lui  une  quarantaine  de  fables,  dont 
les  sujets  sont  empruntés  à  Ésope  ;  mais  le  sophiste  d'An- 
tioche ,  dédaignant  la  simple  concision  du  premier  fabuliste, 
surcharge  son  récit  de  fastidieuses  redites,  de  circonstances 
puériles  et  d'ornements  antipathiques  à  la  naïveté  de  l'apo- 
logue. E.  Lavigne. 

APHYLLE  (  de  à  privatif,  et  çûXXov,  feuille  ).  On  appelle 
ainsi  les  plantes  dépourvues  de  feuilles ,  et  quelquefois  même 
celles  où  les  feuilles  sont  remplacées  par  des  écailles. 

\  PIACERE,  mots  italiens  qui  veulent  dire  à  volonté. 
On  les  emploie  le  plus  ordinairement  en  musique  dans  les 
passages  de  la  nature  de  la  cadence.  Ils  indiquent  que  l'exé- 
cutant est  libre  de  donner  à  la  phrase  l'expression  qui  lui 
convient. 

APIAXUS  (Pierre),  célèbre  astronome  et  mathéma- 
ticien, dont  le  véritable  nom  (qu'il  latinisa,  suivant  l'usage 
du  temps)  était  Bienewitz,  dans  lequel  le  radical  Biene  ré- 
pond k  Apis ,  abeille.  Il  naquit  en  1495,  à  Leissnich,  dans 
le  pays  de  jMeissen,  et  fut  nommé  professeur  de  mathé- 
matiques à  l'université  d'Ingolstadt,  en  l.i25.  Il  composa  di- 
vers traités  d'astronomie  et  de  mathématiques ,  sciences 
qu'il  enrichit  de  plusieurs  observations  précieuses,  de  môme 
<pi'il  les  dota  d'instruments  nouveaux.  Le  premier  ouvrage 
qu'il  publia  fut  un  Traité  de  Cosmographie ,  ou  Vinstruc- 
teur  géographique  (Landshut,  1530).  Trois  ans  plus  tard, 
il  construisit  à  Nuremberg  un  instrument  curieux,  qui,  au 
moyen  des  rayons  du  soleil,  indique  l'heure  du  jour  dans 
toutes  les  parties  de  la  terre.  C'est  en  1540  qu'il  lit  paraître 
le  plus  important  de  ses  ouvrages,  son  Astronomicon  Cœ- 
sareum,  contenant  une  foule  d'observations  curieuses,  avec 
des  descriptions  et  des  dessins  d'instruments,  des  calculs 
d'éclipsés  et  leur  construction  in  piano.  On  trouve  dans  la 
seconde  partie  de  ce  livre  la  description  et  la  manièie  de  se 
servir  d'un  cadran  astronomique,  de  même  que  des  obser- 
vations relatives  à  cinq  comètes,  et  où  il  démontre  que  les 
queues  des  comètes  se  projettent  toujours  dans  une  direction 
opposée  au  soleil.  Dans  ses  Inscriptiones  sacro-sanctx 
velustatis  (Ingolstadf,  1534  ,  avec  ligures  sur  bois)  il  s'est 
attaché  à  recueillir  celles  des  anti(iues  inscriptions  connues 
de  .son  temps  qui  pouvaient  jeter  quelque  lumière  sur  des 
questions  se  rattachant  pi  us  ou  moins  directement  aux  sciences 
dont  il  s'occu[)ait  spécialement.  Il  serait  parfaitement  inu- 
tile d'ajouter  ici  la  longue  éninnéiation  des  autres  ouvrages 
de  ce  savant,  car  ils  n'existent  plus,  ou  du  moins  on  les  ren- 
contre dans  un  si  petit  nombre  de  bibliothèques,  qu'il  serait 


bien  difticile  d'en  vérifier  l'exactitude.  Bienewitz  ou  Apianu» 
n'avait  pas  seulement  publié  une  édition  de  IMoléméeeu  grec 
avec  luie  traduction  latine  en  rcganl  ,  mais  en<  ore  des  trai- 
tés d'aritinnéliquc  et  d'algèbre ,  des  considérations  sur  les 
éclipses,  uneédition  des  tKuvresd'A/.oph,  astrologue  fameux, 
et  jusqu'à  des  almanachs  suivis  de  prophéties.  Il  y  en  avait, 
counne  on  voit,  pour  tous  les  goùls.  Apiamis  luoiuiit  à  In- 
golstadt,  en  1552.  L'empereur  Charles-Quint  lui  avait  cons- 
tamment témoigné  beaucoup  d'estime;  il  lit  imprimer  à  ses 
Irais  plusieurs  de  ses  ouvrages,  l'anoblit,  et  lui  lit  un  jour 
présent  de  3,000  llorins  d'or. 

Son  lils,  Philippe  Biknewitz,  dit  aussi  Apinnus,  se  lit 
également  un  nom  célèbre,  et  comme  géographe  et  comme 
astronome.  Il  succéda  à  son  père  dans  sa  chaire  de  mathé- 
maticpies  à  Ingolstadt.  Obligé  de  l'abandonner,  à  cause  des 
persécutions  dont  il  devint  l'objet  connue  protestant ,  il  se 
retira  àTubingen,  où  il  obtint  une  chaire  analoj/ue  et  où  il 
mourut,  en  1589.  Il  est  l'auteur  des  célèbres  cartes  de  Ba- 
vière à  l'occasion  desquelles  le  duc  Albert  lui  fit  présent  de 
2,500  ducats. 

APICIUS.  Trois  Romains  de  ce  nom  se  sont  immorta- 
lisés, non  par  leur  génie,  leurs  vertus  ou  leurs  exploits, 
mais  par  leur  incontestable  supériorité  dans  le  grand  art 
de  la  gueule.  Il  fallait  que  leurs  tables  fussent  couvertes 
des  oiseaux  du  Phase,  qu'on  allait  chercher  à  travers  les 
|)érils  de  la  mer,  et  que  les  langues  de  paon  et  de  rossi- 
gnol y  brillassent  délicieusement  apprêtées.  C'est  qu'alors 
Rome  était  fière  de  compter  dans  son  sein  des  gourmets  qui 
prétendaient  avoir  le  palais  assez  lin  pour  discerner  si  le 
poisson  appelé  loup  de  mer,  qu'on  leur  servait ,  avait  été 
péché  dans  le  Tibre  entre  les  deux  ponts,  ou  près  de  l'em- 
bouchure du  fleuve  ;  or,  il  faut  que  vous  sachiez  qu'ils  n'es- 
timaient que  le  premier.  De  même,  ils  rejetaient  le  foie  des 
oies  engraissées  de  ligues  sèches,  et  ne  faisaient  cas  que  du 
l'oie  de  celles  qui  avaient  été  engraissées  avec  des  figues  ins- 
tantanément cueillies  dans  ce  but. 

Des  trois  Apicius,  le  premier  vivait  sous  la  république, 
du  temps  de  Sylia ,  le  second  sous  Auguste  el  Tibère ,  le 
troisième  sous  Trajan. 

C'est  du  second  (Marcus  Gabius)  que  Sénèque ,  Pline, 
Juvénal  et  Martial  ont  tant  parlé.  Suivant  Athénée,  il 
aurait  sacrifié  à  sa  passion  culinaire  des  sommes  considé- 
rables, et  inventé  plusieurs  espèces  de  pâtisseries  aux- 
quelles te  public,  reconnaissant,  aurait  décerné  son  nom. 
Pline,  de  son  coté,  cite  les  ragoûts  exquis  qu'il  aurait 
découverts,  et  le  qualifie  gracieusement  de  nepotum  om- 
nium altissimus  gurges.  Entin,  Sénèque,  qui  avait  l'hon- 
neur d'être  son  contemporain ,  assure  cpi'il  tenait  à  Rome 
école  publique  et  gratuite,  théorique  et  prati(iue  de  bonne 
chère,  qu'il  dépensa  dans  ses  expériences  plus  décent  mil- 
lions de  sesterces  (environ  vingt  millions  de  francs),  et 
que,  calculant  enfin  qu'il  n'avait  plus  en  caisse  que  dix  mil- 
lions de  sesterces  (environ  deux  millions  de  francs),  le 
pauvre  homme  s'empoisonna  au  milieu  d'un  repas ,  convaincu 
qu'il  ne  lui  restait  pas  de  quoi  continuera  vivre  honorable- 
ment. Dion  et  Tacite  attestent  le  fait. 

Au  troisième  Apicius  est  due,  outre  diverses  inventions 
gastronomiques,  une  précieuse  recette  pour  conserver 
les  huîtres  dans  toute  leur  fraîcheur.  L'empereur,  occupé 
au  fond  de  l'Asie  à  combattre  les  Partîtes ,  en  reçut  de  lui 
qu'il  trouva  excellentes  et  qu'on  eut  crues  pêchées  de  la 
veille.  On  ne  dit  pas  comment  Trajan  témoigna  au  gastro- 
nome sa  reconnaissance. 

Le  nom  des  Apicius  ne  fut  pas  seulement  donné  à  des 
gâteaux ,  à  des  ragoûts ,  à  des  huîtres  ;  il  s'étendit  à  plu- 
sieurs variétés  de  sauces.  Le  triumvirat  lit  .secte  parmi  les 
IJrillat-Savarin  de  Rome.  Athénée  assure  que  l'un  d'eux 
entreprit  tout  exprès  le  voyage  d'Afrique,  parce  (|u'on  lui 
avait  dit  (pi'il  s'y  trouvait  des  espèces  de  sauterelles  d'eau 
beaucoup  plus  grosses  que  celles  qu'il  mangeait  à  Mintiui.c 

S& 


U84 


APICIUS  —  APOCALYPSE 


(probablement  des  écrevisses).  Notre  gourmet  se  faisait 
une  affaire  de  conscience  de  ne  pas  s'en  rapporter  au  té- 
moignage d'autrui  en  si  grave  matière. 

Enfin,  il  existe,  sous  le  nom  de  Cœllus  Apiciiis,  un  traité 
De  Fe  Culinaria,  imprimé  pour  la  première  fois  à  Milan, 
en  149S.  Les  critiques  regardent  cet  ouvrage  comme  fort 
ancien  ;  ils  ne  croient  pas  cependant  qu'il  ait  été  écrit  par 
aucun  des  trois  Apicius.  On  l'atlribue  à  un  nouuné  Cœlius, 
fervent  gastronome,  qui  s'était  donné  pieusement  l'épi- 
tliète  iVApictus.  Ce  livre  a  été  plusieurs  fois  réimprimé 
depuis,  à  Lomlres,  à  Amsterdam  et  à  Lubeck. 

APICULTURE  (du  lalin  apis,  abeille;  cultura, 
élève),  art  d'élever  les  abeilles.  On  se  livre  à  cette  industrie 
à  peu  prés  dans  toute  la  France,  mais  surtout  dans  les  dé- 
partements de  l'ouest  et  du  midi.  Dans  la  Beauce  et  dans  le 
Berry,  après  la  récolte  des  sainfoins  et  des  vesces,  lorsque 
les  abeilles  ne  trouveraient  plus  leur  nourriture,  on  a  soin 
de  transporter  les  ruclies  dans  le  Gàtinais  ou  au\  environs 
delà  forêt  d'Orléans,  où  se  trouvent  de  la  bruyère  et  du 
sarrasin  en  fleur.  Aussi  n'est-il  pas  rare  de  voir  en  automne 
jusqu'à  trois  mille  rucbes  étrangères  dans  un  petit  village. 
Le  produit  annuel  des  abeilles  en  miel  et  en  cire  est  éva- 
lué pour  la  l'rance  à  treize  millions  de  francs. 

APlOiX  (du  grec  âTtiov,  poire),  genre  d'insectes  de 
l'ordre  des  coléoptères  tétramères,  l'un  des  plus  noudireux 
de  la  grande  famille  des  cucurlionites ,  et  qui  présente  les 
caractères  suivants  :  Antennes  terminées  en  une  massue  de 
trois  articles,  et  insérées  sur  une  trompe  allongée,  cylin- 
drique et  conique,  non  dilatée  à  scn  extrémité,  lïte  reçue 
postérieurement  dans  le  corselet.  Point  de  cou  apparent. 
Éperons  des  jambes  très-petits  ou  presque  nuls;  abdomen 
très-renflé,  presque  ovoïdeou  presque  globuleux.  Schœnherr 
en  décrit  198  espèces  de  tous  pays;  mais  le  plus  grand 
nombre  appartient  à  l'Europe. 

APIS.  Les  l-^syptiens  appelaient  ainsi  un  taureau  sacré, 
dont  le  culte  était  surtout  pratiqué  à  Mempbis.  Apis  n'était 
pas  au  rang  des  dieux  du  premier  ordre,  mais  consacré  au 
soleil  et  à  la  lune,  symbole  de  la  constellation  du  Taureau, 
l'un  des  douze  signes  du  zodiaque,  en  même  temps  que  de 
l'agriculture  et  des  féconds  débordements  du  Xil,  représentant 
un  cycle  astronomique  de  vingt-cinq  ans. 

Selon  la  croyance  commune,  la  vache  qui  enfantait  Apis 
avait  été  fécondée  par  un  rayon  du  soleil  ou  de  la  lune.  11 
devait  être  tout  noir,  avoir  un  triangle  blanc  sur  le  front, 
une  tache  blanche  de  la  forme  d'un  croissant  sur  le  côté 
droit ,  et  sous  la  langue  une  espèce  de  nœud  semblable  à 
un  escargot.  Quand  ils  avaient  réussi  à  trouver  cet  animal 
si  rare,  les  Égyptiens  le  nourrissaient  pendant  quatre  mois 
dans  un  édifice  dont  la  façade  regardait  l'orient  ;  et  à  l'époque 
de  la  nouvelle  lune  on  le  transportait  en  grande  cérémonie  sur 
un  char  magnifique  à  Héliopolis,  où  il  était  encore  nourri 
pendant  quarante  jours  par  les  prêtres  et  les  femmes  qui,  dans 
i'espoirde  devenir  fécondes,  se  livraient  devant  lui  aux  plus 
impudiques  excès.  Cette  époque  expirée,  personne  ne  pou- 
vait plus  l'approcher.  Les  prêtres  le  transportaient  d'Hé- 
liopolis  à  Memphis ,  où  on  lui  érigeait  un  temple  et  deux  cha- 
pelles, avec  unegrandecour  pour  se  promener.  On  lui  croyait 
le  don  de  prédire  l'avenir,  don  commun  aux  jeunes  garçons 
qui  l'entouraient.  Ces  prédictions  étaient  favorables  ou  (u- 
Hcstes,  suivant  qu'il  entrait  dans  une  chapelle  ou  dans  l'au- 
tre. Sa  fête  était  célébrée  annuellement  pendant  sept  jours, 
quand  le  Nil  commençait  à  croître.  On  jetait  dans  le  fleuve 
un  vase  d'or,  et  on  pensait  que  cette  fête  apprivoisait  les 
erocodiles  pendant  tout  le  temps  de  sa  durée.  Malgré  l'ado- 
ration dont  il  était  l'objet,  ce  tai  reau  ne  pouvait  vivre  plus 
de  vingt-cinq  ans,  et  la  raison  en  existait  dans  la  théologie  as- 
tronomique des  Égyptiens.  On  l'ensevelissait  dans  un  puits; 
cependant  Beizoni  trouva  un  tombeau  du  biruf  .\(iis  dans 
les  montagnes  de  la  haute  Egypte;  c'était  un  sarcophage 
«n  albâtre,  à  colonnes,  transparent  et  sonore  (qui  se  voit 


aujourd'hui  au  Musée  Britannique),  orné  en  dedans  et  en 
dehors  d'hiéroglyphes  et  de  figures  incrustées.  Dans  l'in- 
térieur était  le  corps  d'un  taureau  embaumé  avec  de  l'as- 
phalte. M.  Mariette  en  a  découvert  un  autre.  La  mort  d'Apis 
était  le  sujet  d'un  deuil  générai,  qui  durait  jusqu'à  ce  que 
les  prêtres  lui  eussent  trouvé  «n  successeur,  et  la  difficulté 
de  rencontrer  un  bœuf  exactement  semblable  permet  de 
croire  qu'ils  recouraient  souvent  à  la  fraude 

APLATISSEAIEMT  DE  LA  TERRE.  Voy.  Terke. 

APLOMB ,  direction  perpendiculaire  à  l'horizon ,  et  sui- 
vant laquelle  les  corps  tombent  à  terre.  C'est  celle  que  prend 
un  (il  à  l'une  des  extrémités  duquel  est  suspendu  un  corps 
pesant,  par  exemple  une  boule  de  plomb,  tandis  que  l'autre 
extrémité  reste  fixe.  Cet  instrument  très-simjile  sert  à  trou- 
ver la  direction  de  la  verticale;  il  tire  de  sa  composition  or- 
dinaire le  nom  de  fil  à  plomb,  soit  qu'on  l'emploie  seul  ou 
qu'il  entre  dans  la  composition  de  certains  niveaux.  Un 
mur  est  d'aplomb  lorsqu'il  est  posé  avec  précision ,  vertica- 
lement ou  perpendiculairement  à  l'horizon ,  et  qu'il  ne 
penche  pas  plus  en  avant  qu'en  arrière  ou  de  côté. 

En  peinture  et  en  sculpture ,  on  dit  qu'une  figure  est  d'a- 
plomb,  ou,  en  langage  d'atelier,  qu'p//e  parle  bien,  quand 
elle  est  exécutée  dans  une  pose  où  il  est  possible  à  l'homme 
de  se  tenir  en  équilibre. 

Au  figuré  et  dans  le  langage  familier,  le  mot  aplomb  est 
synonyme  d'assurance  dans  le  maintien  et  dans  les  propos. 
Trop  souvent  celte  espèce  d'assurance ,  qui  ne  s'acquiert  pas, 
et  qui  est  un  don  naturel ,  est  le  partage  des  sots.  Elle  se 
confond  alors  avec  la  fa  tut  té  etl'itnpei'tinence. 

APLYSIES  (du  grec  àîi/yaîa,  malpropreté  ;  de  à  pri- 
vatif, et  de  TtX'jvw,  je  lave  ),  genre  de  mollusques  gastéro- 
podes, qui  ressemblent  beaucoup  aux  limaces,  et  que  les  pê- 
cheurs delà  Méditerranée  nomment  Zièivcs  de  mer.  Ce  nom 
vulgaire  est  dû  ii  la  forme  de  leurs  tentacules,  dont  les  deux 
supérieurs,  plus  grands  que  les  deux  autres,  ressemblent  à 
des  oreilles  de  lièvre.  Quanta  leur  nom  scientifique,  son 
étymologie  justifie  en  quelque  sorte  la  profonde  horreur 
qu'éprouvaient  les  anciens  pour  ces  animaux,  horreur  fon- 
dée probablement  sur  le  liquide  dégoûtant  qu'ils  rejettent  : 
c'est  une  humeur  couleur  de  pourpre  et  d'une  odeur  nauséa- 
bonde, qui  suinte  du  ?HnH/ea«  de  l'animal,  lorsque  celui-ci 
vient  à  se  contracter;  cette  humeur  est  assez  abondante  pour 
qu'une  seule  aplysie  puisse  teindre  un  seau  d'eau. 

Dans  sa  Philosophie  zoologique ,  Lamarck  créa  une  Îa- 
m\\\<i(\e?,aply siens,  qu'il  composa  des  quatre  genres  ap/j/s/e, 
dolabeUe,  bullce  et  sigaret.  Depuis  il  modifia  cette  famille, 
que  Cuvier  n'a  pas  conservée.  Ce  dernier  naturaliste  place 
les  aplysies  et  les  dolabelles  dans  la  famille  des  tectibran- 
ches. 

APA'EE  (d'à  privatif,  et  de  Ttvfu,  je  respire),  état  dans 
lequel  la  respiration  paraît  anéantie,  ou  devient  si  petite,  si 
rare  et  si  tardive,  qu'il  semble  que  les  malades  ne  respirent 
plus  et  soient  privés  de  la  vie;  ce  qui  arrive  dans  l'hystérie, 
la  svncope,  l'apoplexie  et  la  léthargie 

APOCALYPSE  (du  grec  àTtoxâX-j.l/iç ,  révélation). 
C'est  le  nom  du  dernier  livre  canonique  de  l'Écriture  (  voyez 
Bible  ).  Il  contient,  en  vingt-deux  chapitres,  une  prophétie 
touchant  l'état  de  l'Église  depuis  l'ascension  de  Jésus-Christ 
jusqu'au  dernier  jugement.  L'Apocalypse  estdiviséeen  trois 
parties  :  la  première  et  la  plus  courte  contient  une  instruc- 
tion adressée  aux  évêques  de  l'Asie  Mineure;  la  seconde 
renferme  la  description  des  persécutions  que  l'Église  devait 
souffrir  de  la  [)art  des  Juifs ,  des  hérétiques  et  des  empereurs 
romains,  ainsi  que  les  vengeances  que  Dieu  devait  exercer 
contre  les  persécuteurs,  contre  l'empire  romain  et  contre  la 
ville  de  Rome ,  désignée,  dit-on  ,  sous  le  nom  de  Babylone  ; 
enfin ,  dans  la  dernière  partie  on  trouve  décrit  le  bonheur  de 
l'Église  triomphante.  Ces  révélations  furent  faites  à  l'apôtre 
saint  Jean  durant  son  exil  dans  l'île  de  Pathmos,  pendant 
la  persécution  de  Domitien. 


APOCALYPSE  — 


I/enchatnement  d'idées  sublimes  et  prophétiques  qui  com- 
posent y  Apocalypse  a  toujours  été  un  écueil  pour  les  com- 
mentateurs. On  sait  par  quelles  rêveries  ont  prétendu  l'ex- 
pliquer Drabionis  ,  Joseph  Mède  ,  le  ministre  Jurieu,  lîos- 
suet.  Newton  lui-mùme  et  une  foule  d'autres  modernes 
(voyez  ApocALïPTiQiEs).  Mais,  lulas!  les  secrets  qu'elle  ren- 
ferme et  l'explication  frivole  que  tant  d'auteurs  ont  tenté 
d'en  donner  sont  bien  propres  à  humilier  l'esprit  humain. 
«  Chaque  communion  chrétienne,  dit  ^■olt;\i^e ,  s'est  attri- 
bué les  prophéties  contenues  dans  ce  livre;  les  .\nt!;lais  y 
ont  trouvé  les  révolutions  de  la  Grande-Bretagne  ;  les  luthé- 
riens, les  troubles  d'Allemagne;  les  réformés  de  France,  le 
règne  de  Charles  IX  et  la  régence  de  Catherine  de  Médicis.  » 

On  a  longtemps  disputé ,  dans  les  premiers  siècles  de  l'É- 
glise ,  sur  l'authenticité  et  la  canonicité  de  ce  livre  ;  ces  deux 
l>oints  sont  aujourd'hui  pleinement  éclaircis.  Quant  à  son 
authenticité,  quelques  anciens  la  niaient.  CeiiiUla',  disaient- 
ils,  avait  décoré  ['Apocalypse  du  uom  de  saint  Jean  pour 
donner  du  poids  à  ses  rêveries ,  et  pour  établir  le  règne  de 
Jésus-Christ  pendant  mille  ans  sur  la  terre,  après  le  jugement, 
(voyez  MiLLÉ.vAiKFS).  Saint  Denis  d'Alexandrie,  cité  par 
Eusèbe ,  l'attribue  à  un  personnage  nommé  Jean ,  différent 
de  l'évangéliste.  Il  est  vrai  que  les  anciennes  copies  grec- 
ques, tant  manuscrites  qu'imprimées,  de  Y  Apocalypse,  por- 
tent en  tète  le  nom  de  Jean  le  divin.  .Mais  on  sait  que  les 
Pères  grecs  donnent  par  excellence  ce  surnom  à  l'apôtre 
saint  Jean ,  pour  le  distinguer  des  autres  évangéli>tes ,  et 
parce  qu'il  avait  traité  spécialement  de  la  divinité  du  Verbe. 
A  cette  raison  on  ajoute  :  1°  que  dans  V Apocalypse  saint 
Jean  est  nommément  désigné  par  ces  termes  :  A  Jean,  qui 
a  publié  la  parole  de  Dieu  ,  et  qui  a  rendu  tcmoiynarjc 
de  tout  ce  qu'il  a  vii  de  Jésiis-Christ  ;  caTacXcies  qui  ne 
conviennent  qu'à  l'apôtre.  2°  Ce  livTe  est  adressé  aux  sept 
églises  d'Asie,  dont  saint  Jean  avait  le  gouvernement.  3°  Il 
est  écrit  de  l'ile  de  Pathmos  ,  où  saint  Irénée ,  Eusèbe  et 
tous  les  anciens  conviennent  que  saint  Jean  fut  relégué  en  95, 
et  d'où  il  revint  en  98  ;  ce  qui  fixe  encore  l'époque  où  l'ou- 
vrage fut  composé.  4°  Enfin  plusieurs  auteurs  voisins  des 
temps  apostoliques  ,  tels  que  saint  Justin ,  saint  1  renée ,  Ori- 
gène,  Victorin,  et  après  eux  ime  foule  de  pères  et  d'auteurs 
ecclésiastiques,  l'attribuent  à  saint  Jean  l'évangéliste. 

Quant  à  sa  canonicité  ,  elle  n'a  pas  été  moins  contestée  ; 
saint  Jérôme  rapporte  que  dans  l'Eglise  grecque  ,  même  de 
son  temps,  on  la  révoquait  en  doute.  Eusèbe  et  saint  Épi- 
pliane  en  conviennent.  Dans  les  catalogues  des  livres  saints 
dressés  par  le  concile  de  Laodicée ,  par  saint  Grégoire  de 
Kazianze,  par  saint  Cyrille  de  Jérusalem ,  et  par  quelques 
autres  auteurs  grecs  ,  il  n'en  est  fait  aucune  mention.  Mais 
on  l'a  toujours  regardée  comme  canonique  dans  l'Église  la- 
tine. Cest  le  sentiment  de  saint  Justin  ,  de  saint  Irer.ée,  de 
Théophile  d'Antioche,  de  Méliton  ,  d'.\pollonius  et  de  Clé- 
ment d'Alexandrie.  Le  troisième  concile  de  Carthage,  tenu 
en  397,  l'a  insérée  dans  le  canon  des  Écritures,  et  depuis 
ce  temps-là  l'Église  d'Orient  l'a  admise  comme  celle  d'Oc- 
cident. 

Les  Alogiens  rejetaient  V  Apocalypse,  dont  ils  tour- 
naient les  révélations  en  ridicule,  surtout  celles  des  sept 
trompettes,  des  quatre  anges  liés  sur  l'Euplirate  ,  etc.  Saint 
Épiphanc ,  répondant  à  leurs  invectives,  remarque  avec  jus- 
tesse que  l'^/90C«/y/)5e  n'étant  pas  une  simple  histoire,  mais 
une  prophétie,  il  ne  doit  pas  paraître  étrange  que  ce  livre 
soit  écrit  dans  un  style  figuré,  semblable  à  celui  des  prophètes 
de  l'Ancien  Testament. 

11  y  a  eu  plusieurs  Apocalypses  supposées.  Saint  Clé- 
ment, dans  ses  Hypotyposes,  parle  d'une  ^1/)0frt/y/>5e  de 
saint  PieiTe ,  et  Sozoïnène  ajoute  qu'on  la  lisait  tous  les 
ans  vers  Pùques  dans  les  églises  de  la  Palestine.  Ce  dernier 
parle  encore  d'une  Apocalypse  de  saint  Paul,  que  les  moines 
estimaient  autrefois,  et  que  les  Cophtos  modernes  se  van- 
tent de  posséder.  Eusèbe  fait  aussi  mention  de  V  Apocalypse 


APOCRYPHE  C85 

d'.\dam;  saint  Épiphanc,  de  celle  d'Abraham,  supposée  par 
les  hérétiques  séthiens  ;  et  des  révélations  de  Sefh  et  de  Na- 
rie  ,  (emme  de  Noé  ,  par  les  Gnostiques.  Nicéphore  parle 
d'une  Apocalypse  d'Esdras  ;  Gratian  et  Cédrenne,  d'une  Apo- 
calypse de  Moise  ;  d'une  autre ,  attribuée  à  samt  Thomas  ; 
d'une  troisième,  de  saint  Etienne  ;  et  saint  Jérôme  d'une  qua- 
trième, dont  on  faisait  honneur  au  prophète  Élie.  Porphyre , 
dans  la  Vie  de  Plotin,  cite  h?.  Apocalypses  de  Zoroastre, 
de  Zostrein  ,  de  Nicothée,  d'.Vllogènes,  etc.,  livres  dont  on 
ne  connaît  plus  que  les  titres ,  et  qui  vraisemblablement  n'é- 
taient que  des  recueils  de  fables. 

APOC.\LYI>TIQUES.  Depuis  la  publication  des  ou- 
vTages  de  Bengel  sur  l'Apocalypse ,  on  désigne  ainsi  en  Al- 
lemagne ceux  des  théologiens  et  des  fidèles  qiii  voient  dans 
ce  livre  de  saint  Jean  la  révélation  propht-tique  de  l'arrivée 
prochaine  du  règne  de  Dieu.  —  On  donne  aussi  ce  nom  aux 
écrits  de  tous  ces  prophètes  sans  mission,  de  tous  ces  mys- 
tiques sans  frein  ,  qu-'  exploitent  au  profit  de  leurs  préten- 
dues opinions  religieuses  cette  disposition  innée  qui  porte 
l'homme  à  envisager  l'avenir  avec  une  vague  inquiétude  et 
à  l'interroger  avec  une  superstitieuse  terreur. 

On  appelle  nombre  apocalyptique  le  mystérieux  chiffre 
6C6  ,  dont  il  est  question  au  chapitre  xiii ,  v.  18,  de  l'Apo- 
calypse de  saint  Jean  ,  et  dans  lequel  l'Église,  dès  le  second 
siècle ,  voyait  la  désignation  de  l'Antéchrist ,  d'après  la  si- 
gnification numérique  des  lettres  grecques  ou  hébraïques , 
tandis  que  d'autres  n'y  trouvaient  que  l'expression  d'une 
époque  très-controversable  et  très-controversée. 

APOCATASTASE  (de  à-ô,  de,  xatà,  vers,  axâto,  j'é- 
tabfis),  rétablissement  de  l'état  primitif,  exécution  des  pro- 
messes ,  dans  le  style  des  apôtres.  On  nomme  discussions 
apocatasfiques  celles  qui,  dans  le  commencement  du  siècle 
dernier,  furent  susciti'es  à  Jean-Guillaume  Péterscn,  à  cause 
de  son  opinion  religieuse ,  que  tout  retournait  à  son  état 
primitif  à  une  certaine  époque,  et  que  le  coupable ,  à  force 
de  prières  et  d'expiations,  pouvait  être  délivré  des  châti- 
ments qu'il  souffrait  dans  l'enfer.  Pétersen  a  nommé  retour 
de  toutes  choses  le  système  de  l'apocatastase ,  qui  lui  est, 
du  reste,  fort  antérieur,  et  qu'on  trouve  déjà  dans  la  doctrine 
des  chiliastes  et  des  millénaires. 

Les  philosophes  grecs  désignaient  par  les  mots  antipe- 
ristasis  et  apol;ataslasis  le  mouvement  général  de  la  na- 
ture et  l'action  des  forces  qui  y  entretiennent  la  régularité, 
l'accord  et  l'unité. 

APOCO ,  terme  de  mépris,  emprunté  de  l'itafien  :  uomo 
da  poco,  homme  de  peu,  de  rien  ,  malhabile ,  inepte. 

APOCOPE  (àTToxo-rj,  qui  est  composé  de  la  préposition 
à7:ô,  qui  répond  à  \'a  ou  ab  des  Latins,  et  de  xô^tw,  je 
coupe,  je  retranche).  En  termes  de  grammaire,  c'est  une 
figure  par  laquelle  on  retranche  quelque  chose  à  la  fin  d'un 
mot,  comme  on  écrit,  par  exemple,  en  lalin ,  negotiitour 
negotii ,  et  en  français,  je  doi ,  je  voi,  encor,  pour  je  dois, 
je  vois  ,  encore,  quand  on  y  est  obligé  par  la  rime.  Ce  n'est 
à  proprement  parler,  dans  ce  dernier  cas ,  qu'une  licence , 
dont  il  faut  user  fort  sobrement. 

APOCRISIAIRE,ou  APOCRISAir.E(dugrec  àrrôxp'.- 
<7i:,  réponse).  Les  envoyés,  les  agents,  puis  les  chanceliers 
des  princes  ,  ont  porté  autrefois  ce  nom  ,  synonyme  A'am- 
basciator,  qui  était  spécialement  la  qualité  attribuée  au  dé- 
puté, représentant,  légat  du  pape  près  des  empereurs  grecs 
ou  des  exarques  de  Ravenne.  L'apocrisiaire  remplissait  les 
fonctions  des  nonces  ordinaires  du  pape  auprès  des  princes 
catholiques;  c'étaient  d'ordinaire  des  diacres,  qui  ne  [)re- 
naicnt  rang  qu'après  les  évèques.  Saint  Grégoire  était  apo- 
crisiaire  du  pape  Pelage  à  Constantinople.  Du  temps  de 
Cbarlemagne  on  appelait  apocrisiaire  le  grand  aumônier 
de  France. 

APOCRYPHE ,  mot  grec,  formé  de  àizà,  et  y.p-j-Tw,  je 
cache,  et  qui  signifie  inconnu,  caché.  On  entend  par /àTC 
apocryphe  celui  dont  l'autorité  est  suspecte  ou  falsifiée , 


CSG 


APOCRYPHE  —  APOLLINAIRES 


parce  que  le  véritable  auteur  clicrchc  à  se  cacher  ou  n'est 
pas  connu.  Far  rapport  à  la  Bible,  on  entend  par  livres  apo- 
cryphes ceux  auMiucls  on  ne  reconnaît  jias  une  origine  di- 
vine, et  dont  le  contenu  n'est  pas  considéré  coiiuîie  une  règle 
de  croyance  religieuse  infaillible,  quoiqu'un  pareil  ouvrage 
ne  soit  pas  entièrement  faux  et  (pie  l'autour  en  soit  connu. 
Voyez  Bible  et  Canomoif.s  {  Livres  ). 

Beaucoup  de  critiques  regardent  l'historien  de  Phënicie 
Sancboniaton  comme  un  personnage  fictif;  mais  de  tous 
les  livres  apocrypht-s  le  plus  célèbre  est  celui  De  tribus 
Impostoribiis,  dont  on  ne  connaît  bien  que  le  titre,  sur  le- 
quel on  a  tant  écrit,  et  qui  a  été  attribué  en  Italie  à  Ma- 
chiavel, Boccace,  Arétin,  Giordano  Bruno,  Campanella;  en 
Allemagne,  à  l'empereur  Frédéric  II  ;  en  France,  à  Etienne 
Dolet,  Servet,  Vanini,  etc.  On  a  voulu  lixer  l'impression  de 
ce  livre  à  1598.  L'édition  qui  porte  ce  millésime  est  sortie 
des  presses  de  Vienne,  en  1708.  Selon  l'auteur  du  Diction- 
naire (les  Anonymes,  elle  émanait  de  l'abbé  Mercier  de  Saint- 
Gervais  et  du  duc  de  la  ^■aUière,  qui  auraient  voulu  mystifier 
l'Europe  savante,  au  commencement  du  règne  de  Louis  X'VI, 
en  annonçant  que  le  livre  introuvable  était  retrouvé  et  se 
vendait  \  ingt-cinq  louis  l'exemplaire. 

Pour  n'être  inquiété  ni  par  les  parlements  ni  par  les  mi- 
nistres de  Louis  X\' ,  souvent  aussi  par  pure  fantaisie  d'es- 
prit ,  Voltaire  publia  beaucoup  d'écrits  sous  des  noms  sup- 
posés ou  apocryphes ,  tels  que  le  R.  P.  l'IiLscabotier,  Riso- 
rius,  Covelle,  Jérôme  Carré,  Mamaki,  Amabed,  Beaudinet, 
Lamponet,  etc.  11  se  cacha  aussi  sous  le  nom  de  personnages 
réels,  tels  que  l'abbé  Bignon,  dom  Calmet,  le  docteur  Akakia, 
Hume,  Bolingbrokc,  le  curéMeslier,  le  P.  Quesnel.  Il  en  est 
de  même  du  nom  de  Mirabaml,  secrétaire  perpétuel  de  l'A- 
cademii;  française,  à  qui  d'Holbach  et  Diderot  ne  craignirent 
pas  d'attribuer  le  fameux  Système  de  la  JSature. 

APOCYJ\  (  du  grec  àno ,  loin  de ,  et  de  xOwv  ,  chien  ; 
dont  il  faut  éloigner  les  chiens;  plante  qui  tue  les  chiens). 
Ce  genre,  type  de  la  famille  des  apocynées,  se  compose  de 
plantes  herbacées  vivaces ,  croissant  dans  l'Amérique  et 
l'Asie  boréales ,  très-rarement  dans  l'Europe  centrale.  Une 
de  ses  plus  curieuses  espèces  est  Vapocynum  androsœmi- 
foinan,  vulgairement  appelée  gobe-mouche ,  parce  que  lus 
cinq  nectaires  qui  entourent  le  pistil  de  cette  plante  sécrè- 
tent une  liqueur  sucrée  qui  attire  les  mouches;  celles-ci,  en- 
fonçant leurs  trompes  dans  ces  cavités  perfides  ,  en  excitent 
l'irritabilité ,  les  fout  se  replier  sur  elles-mômes ,  et  restent 
prisonnières.  —  Les  Indiens  de  l'Amérique  septentrionale 
tirent  des  tiges  de  ïapocynum  cannabinum  une  filasse 
qu'ils  emploient  à  la  fabrication  de  tissus  grossiers.  —  Les 
racines  des  deux  espèces  que  nous  venons  de  nommer 
sont  émétiques,  diurétiques  et  diaphorcliques  ;  à  petite  dose, 
elles  agissent  comme  toniques. 

On  donne  improprement  les  noms  ô'apocyn  à  ouate 
soyeuse,  coton  sauvage ,  plante  à  soie,  à  Vasclepias  sy- 
riaca  de  Linné ,  à  cause  du  flocon  soyeux  qui  enveloppe  ses 
graines.  Dans  le  siècle  dernier,  on  en  a  fabriqué  du  velours, 
des  molletons  ,  de  la  llunelle,  et  juscju'à  une  espèce  de  satin 
qui  imitait  celui  de  l'Inde;  mais  cette  soie  végétale  servait 
principalement  ii  l'aire  de  la  ouate.  Le  bon  m;irché  du  coton 
a  arrêté  le  développement  de  cette  nouvelle  industrie.  Ce- 
pendant, de  l'avis  d'hommes  spéciaux,  il  y  aurait  peut-être 
avantage  à  tenter  quelques  essais  en  Algérie  :  le  sol  et  le 
climat  de  nos  jjossessious  d'Afrique  pourraient  nous  conduire 
h  d'heureux  résultats.  —  Remarquons  que  c'est  par  erreur 
que  Linné  a  considéré  cette  espèce  comme  originaire  de  la 
Syrie;  toutes  les  asclépias  sont  américaines  :  c'est  pourquoi 
l'épilhète  syriaca  a  été  remplacée  par  cornuti.  Voyez  As- 

CLliriADE. 

APOCYXÉES,  famille  botanique  dont  l'apoc yn  est  le 
type,  et  (lui  renferme  le  la urier- rose,  la  pervenche  et 
une  foule  de  végétaux  dignes  à  divers  titres  de  fixer  l'atlen- 
lion.  Toutes  ces  plantes  dicotylédones,  ii  corolle  mouopélaie 


hypogyne,  se  rencontrent,  à  quelques  exceptions  près,  dans 
les  régions  tropicales  des  deux  continents ,  à  l'état  d'arbres, 
d'arbrisseaux  ou  d'herbes ,  à  tiges  ordinairement  lactes- 
centes et  dont  le  suc  est  souvent  un  poison  très-violent.  De 
Jussieu  ne  <iistinguait  pas  les  asclépiadées  des  apocynées; 
Robert  Brown  a  établi  la  division  adoptée  depuis.  LindJey 
avait  réparti  les  apocynées  en  cinq  sections  ;  aujourd'hui 
on  n'en  reconnaît  plus  que  trois,  les  carissées,  les  ophioxy- 
Ides  et  les  euapocynéex ,  cette  deniière  renfermant  quatre 
tribus  :  plumcriées,  alstonices ,  echitées  et  wrightiées. 
Le  nombre  des  genres  de  cette  famille  est  de  soixante-sept , 
suivant  le  catalogue  de  M.  Endlicher. 

APODES  (  de  à  privatif,  et  de  zoùç,  îi65o;,  pied  ),  nom 
donné  par  les  entomologistes  aux  larves  des  insectes  qui  sont 
dépourvues  de  pieds,  et  par  les  ichthyologistes  à  tous  les 
poissons  privés  de  nageoires  ventrales  (excepté  Cuvier,  qui 
ne  l'emploie  que  pour  les  anguilliformes  ).  Dans  la  classi- 
fication de  Blainville,  cette  dénomination  s'applique  à  la 
huitième  classe  des  entomozoaires  ,  au  troisième  ordre  des 
lacertoides,  aux  serpents,  et  au  troisième  ordre  de  la 
deuxième  tribu  des  poissons  (  les  squammodermes  ). 

Les  oiseaux  de  paradis  furent  longtemps  regardés  comme 
apodes  ;  mais  on  a  reconnu  depuis  que  c'était  une  erreur,  oc- 
casionnée par  la  coutume  qu'ont  les  Papous  d'arracher  les 
pattes  de  ces  oiseaux  avant  de  les  livrer  au  coiiunerce. 

APODICTIQUE  (  du  grec  ànroSïîxwîxt,  je  démontre  ). 
Aristote  établit  une  distinction  entre  les  propositions  qui  sont 
susceptibles  d'être  contestées  et  celles  qui  ne  sauraient  l'être 
parce  (ju'elles  sont  le  résultat  d'une  démonstration ,  et  il 
nomme  ces  dernières  apodictiques.  Kant  a  emprunté  ce 
terme  au  philosophe  de  Stagire,  et  il  l'emploie  pour  désigner 
ceux  de  nos  jugements  dont  l'affirmation  ou  la  négation 
est  considérée  comme  nécessaire. 

APOGÉE  (  de  «7:0,  loin;  yr;,  la  terre)  est,  dans  l'as- 
tronomie ancienne,  le  point  de  la  plus  grande  distance  du 
soleil  ou  d'une  planète  à  la  terre.  En  ne  considérant  que 
rapj)arence  des  phénomènes,  on  dit  encore  aujourd'hui  que 
le  soleil  est  à  son  apogée,  lorsque  c'est  la  terre  qui  est  à  son 
aphélie.  l\Iais  cette  expression  est  juste,  appliquée  à  la 
plus  grande  distance  de  la  lune  à  la  terre. 

APOJOVE  (  mot  hybride,  formé  du  grec  àTrô,  loin,  et 
du  latin  Jovis,  Jupiter  ),  nom  donné  par  quelques  astro- 
nomes aux  points  où  les  satellites  de  Jupiter  sont  à  leur  plus 
grande  distance  de  cette  planète. 

APOLDA,  petite  ville  du  grand-duché  de  Saxe-'Weimar, 
située  à  IG  kilomètres  de  léna,  et  peuplée  d'environ  4,000  ha- 
bitants, est  le  centre  d'une  industrie  spéciale  assez  impor- 
tante. La  fabrication  des  bas  au  métier  s'y  fait  sur  une  large 
échelle  ,  et  n'y  occupe  pas  moins  de  deux  mille  cinq  cents 
ouvriers,  répartis  dans  les  ateliers  de  plus  de  trois  cents  fa- 
bricants. Il  y  a  aussi  des  fonderies  de  cloches  et  un  grand 
marché  aux  laines. 

APOLLINAIRE  l'ancien  etlejenneyphre  et  fils,  gram- 
mairiens et  rhéteurs  grecs  du  quatrième  siècle  après  J.-C, 
enseignèrent  à  Béryie  et  à  Laodicée.  Ils  embrassèrent  le 
christianisme,  et  Apollinaire  le  jeune  fut  évêque  de  cette 
dernière  ville.  Quand  la  lecture  des  livres  paiens  fut  interdite 
aux  chrétiens,  tous  deux  composèrent,  pour  les  remplacer, 
divers  livres  élémentaires  en  prose  et  en  vms.  De  leurs 
nombreux  ouvrages  il  ne  reste  que  V Interprétation  des 
Psaumes,  en  vers  grecs,  et  une  tragédie,  le  Christ  souffrant 
(Paris,  1552  et  15S0,  avec  traduction  latine).  Apollinaire  le 
jeune,  dont  l'hérésie  fut  condamnée  {voyez  Apolli.narissie  ), 
mourut  vers  :5S1. 

APOLLINAIRE  (Sidoine).  Voyez  Sidoine -Apolli- 
naire. 

APOLLLYAIRES  (Jeux),  qui  se  célébraient  à  Rome 
dans  le  grand  Cirque,  en  l'honneur  d'Apollon.  Les  auteurs  ne 
sont  pas  d'acconl  sur  l'institution  de  ces  jeux.  Les  uns  l'at- 
tribuent à  l'occasion  d'une  peste.  Macrobe  n'est  pas  de  cette 


APOI.LINAIRI-S  —  APOLLON 


687 


opinion  :  il  raconte  que  les  ennemis  vinrent  tout  h  coup  at- 
taqurr  les  Romains  pendant  qu'ils  célébraient  les  jeux  apol- 
linaires  ;  les  Romains  marclièrent  au  combat,  et  Apollon  vola 
à  leur  secours;  une  griHe  de  llèches  tomba  du  ciel  sur  les 
ennemis ,  et  les  mit  en  fuite. 

Mais  ces  jeux  étaient  donc  institués  avant  cette  attaque 
imprévue?  Macrobe  ajoute  (jue ,  suivant  une  autre  opinion, 
ils  furent  établis  pour  invoquer  Apollon,  dieu  de  la  ciialeur, 
dans  le  temps  oil  elle  se  fait  craindre  le  plus.  On  dit  qu'ils 
eurent  lien  pour  la  première  fois  l'an  5i2-de  Rome,  d'après 
les  prédictions  du  devin  Marcius  et  celles  des  oracles  sibyl- 
lins. Le  préteur  C.  Rufus  fut  le  premier  qui  les  célébra.  On 
lui  donna  le  surnom  de  Sibylla ,  qui  se  cbangea  depuis  en 
celui  de  Sylla. 

Pendant  quelques  années  ces  jeux  n'eurent  point  d'objet 
fixe;  mais  en  546  le  préteur  P.  Licinius  Yarus  les  consacra 
à  perpétuité,  à  roccasion  d'une  peste.  On  les  célébrait  tous 
les  ans,  le  5  juillet.  Le  peuple  y  assistait  couronné  de  lau- 
riers. Lesdéceravirs  les  présidaient,  et  sacriliaicnt  à  Apollon, 
avec  les  rites  grecs,  im  bœuf  et  deux  chèvres  blanches,  et  à 
Latone  une  génisse.  Ces  victimes  avaient  les  cornes  dorées  ; 
chacun  fournissait  de  l'argent  selon  ses  moyens.  Des  jeunes 
gens,  se  tenant  par  la  main,  chantaient  des  liymnes  en  l'hon- 
neur du  dieu,  et  des  jeunes  filles  célébraient  Diane.  Les 
femmes  les  plus  distinguées  de  la  ville  adressaient  leurs 
vœux  aux  dieux ,  et  mangeaient  dans  le  vestibule  de  leurs 
maisons,  laissant  les  portes  ouvertes  à  tout  le  monde. 

Th.  Delbare. 

APOLLLVARISME.  Dans  l'histoire  des  dogmes  chré- 
tiens, ce  mot  exprime  l'opinion  que  le  Verbe  de  Dieu  a  rem- 
placé dans  Jésus-Christ  l'âme  pensante,  et  que  la  divinité 
s'est  imie  en  lui  de  corps  et  d'àme.  L'auteur  de  ce  système, 
Apollinaire,  fut,  de  362  à  381,  évêque  de  Laodicée  en 
Syrie,  et  le  plus  ardent  ennemi  des  ariens.  Ce  ne  fut  qu'en 
371  que  son  opinion  fut  publiquement  connue;  à  partir  de 
375  elle  fut  condamnée  comme  hérésie  par  plusieurs  synodes, 
et  entre  autres  en  381,  par  le  concije  de  Constanlinople. 
Pendant  ce  temps-là  Apollinaire  formait  une  nouvelle  secte 
à  Antioche,  et  établissait  Vitalis  évêque  de  ses  partisans. 
Ceux-ci  se  répandirent  en  Syrie  et  dans  les  pays  voisins , 
fondèrent  plusieurs  commîmes  avec  des  évoques ,  et  s'éta- 
blirent même  à  Constantinople  ;  mais  après  la  mort  d'Apol- 
linaire il  se  forma  entre  eux  deux  partis,  dont  les  uns,  les 
vilentiniens,  restèrent  fidèles  aux  dogmes  d'Apollinaire ,  et 
les  autres,  les  poléraiens,  embrassèrent  l'opinion  que  Dieu  et 
le  corps  de  Jésus-Christ  étaient  une  seule  subsla.ice,  qu  u 
fallait  donc  adorer  la  chair  :  de  là  ils  reçurent  le  nom  de 
sarcolàlres,  anthropolàtres,  ou  synusiastes. 

APOLLODORE,  fils  d'Asclépiade,  grammairien  athé- 
nien ,  en  l'an  140  avant  Jésus-Christ,  étudia  la  philo- 
sophie sous  Panétius  et  la  grammaire  sous  Aristarque.  Il 
composa  un  ouvrage  sur  les  divinités ,  un  commentaire  sur 
les  poèmes  d'Homère  et  une  histoire  en  vers.  L'ouvrage  my- 
thologique que  nous  possédons  de  lui ,  sous  le  titre  de  Bi- 
bliothcque,  ne  parait  être  qu'un  extrait  du  grand  ouvrage 
d'Apo'.loiiore.  Mais  il  n'est  pas  moins  important  sous  le  rap- 
port de  l'histoire  des  dieux  et  des  héros.  Les  meilleures  édi- 
tions sont  celles  de  Heyne  (Gœttingue,  1803),  et  de  Clavier 
(  Paris,  1805),  avec  une  traduction  française.  —  Apollodore 
est  aussi  le  nom  d'un  fameux  architecte,  qui  a  bâti  le  Forum 
Trajet  ni. 

APOLLODOUE,  savant  médecin  et  naturaliste  de 
l'antiquité,  naquit  à  Lemnos,  environ  un  siècle  avant  Jésus- 
Christ.  Il  florissait  .sous  les  règnes  de  Ptolémée  Soler  et  de 
Lagus.  Le  scoliaslp  de  îSicandre  rapporte  qu'il  écrivit  sur 
les  plantes,  et  Piine  dit  qu'il  a  vanté  le  suc  des  choux  et  des 
raiforts  comme  un  remède  contre  les  champignons  vénéneux. 
Il  parait  (ju'il  a  écrit  aussi  un  traité  sur  les  animaux  veni- 
meux, et  on  sujipose  que  c'est  de  son  ouvrage  que  Galicn 
a  tiré  la  composition  d'un  anti^lote  contre  la  vipère. 


APOLLOIV  ,  chez  lee  Romains  Apollo,  l'un  des  grands 
dieux  des  Grecs,  était  fils  de  Zeus  (Jupiter)  et  de  l.élo 
(  Latone)  et  frère  jumeau  d'Artémise  (  Diane  ).  On  ne  trouve 
des  détails  sur  sa  naissance  ni  dans  Homère  ni  dans  Hésiode  ; 
mais  des  écrivains  postérieurs  racontent  que  Léto,  pour- 
suivie en  tous  lieux  par  la  jalouse  Hérê  (Junon),  sans  pou- 
voir être  délivrée,  mit  enfin  Apollon  au  monde,  dans  l'ilede 
Délos,  le  septième  jour  du  mois  qui  fut  dès  lors  consacré  au 
dieu.  Hérê  avait  frappé  de  malédiction  tous  les  pays  qui 
auraient  accueilli  Léto  dans  sa  grossesse.  Délos  seule  n'avait 
pu  en  être  atteinte,  parce  qu'avant  la  naissance  du  dieu 
elle  était  encore  couverte  par  la  mer,  et  que  ce  ne  fut  qu'à 
ce  moment  seul  qu'elle  devint  visible. 

Homère  nous  représente  Apollon:  1°  comme  un  archerqui 
venge  et  punit  avec  ses  traits  :  à  cette  donnée  se  rattachent 
les  traditions  des  écrivains  postérieurs ,  suivant  lesquelles 
quatre  jours  après  sa  naissance  il  aurait  terrassé  avec  ses 
traits  le  serpent  Python  ,  puis  aurait  assisté  son  père  dans 
la  guerre  des  géants,  et  tué  avec  sa  sœur  Arlémise  les  enfants 
deNiobé;  2°  comme  dieu  du  chant  et  des  instruments  à 
cordes  :  en  cette  qualité ,  c'est  lui  qui  était  chargé  de  ro- 
créer  les  dieux  avec  sa  musique  pendant  leurs  repas,  de 
l'enseigner  aux  autres  ;  et,  suivant  Hésiode  ainsi  que  l'hymne 
homérique,  il  avait  inventé  la  phorminx  :  c'est  encore  comme 
tel  qu'il  eut  à  soutenir  des  luttes  contre  IMarsyas  et  Pan; 
3°  comme  dieu  de  la  divination,  qu'U  exerçait  surtout  dans 
son  oracle  à  Delphes,  faculté  qu'il  pouvait  communiquer 
à  d'autres,  ainsi  qu'il  le  fit  à  Cal  chas;  4°  comme  dieu  des 
troupeaux  (  Aojnios  )  :  en  cette  qualité  ce  fut  lui  qui ,  par 
ordre  de  Zeus,  fit  paître  les  troupeaux  du  roi  Laomédon 
SAIT  le  mont  Tda  ;  c'est  principalement  en  cette  qualité  qu'il 
est  question  de  lui  chez  les  écrivains  postérieurs,  et  à  cet 
égard  il  faut  mentionner  le  temps  qu'il  passa  au  service 
d'Admèt  e. 

Dès  qu'apparaissent  des  poètes  lyriques,  ApoUop  devient 
chez  eux  médecin.  Ottfried  Millier  rapporte  à  cet  égard  le 
mot  homérique  Pœan,  attendu  que  ce  sont  les  poètes  qui 
les  premiers  ont  établi  une  distinction  entre  le  dieu  particu- 
lier de  la  santé  et  Apollon.  Suivant  lui,  en  effet,  le  Po'an  au- 
rait été  un  antique  poème  primitif  en  l'honneur  d'Apollon, 
que  l'on  chantait  surtout  lors  de  la  cessation  d'une  épidémie, 
et  auquel  on  donna  le  nom  du  dieu  lui-même.  Comme  fon- 
dateur de  villes,  on  voit  dans  Homère  Apollon  bâtir  les  murs 
de  Troie  avec  Poséidon  ;  et,  suivant  Pausanias,  il  aida  Alca- 
thoos  à  '■^nôîi  uire  Mégare.  Lui-même  fonda  entre  autres  les 
villes  de  Cyrène,  de  Cyzique  et  de  Naxos  en  Sicile.  Cet  attri- 
but se  rattache  étroitement  à  son  don  de  divination,  attendu 
qu'ordinairement  la  fondation  de  nouveaux  établissements 
avait  lieu  d'après  ses  indications. 

Les  écrivains  d'une  époque  postérieure  identifient  Apollon 
avec  le  dieu  du  soleil,  du  Hélios,  tandis  que  dans  Homère 
ainsi  que  dans  toute  la  religion  populaire  des  Grecs  Hilios 
constitue  un  dieu  distinct,  et  plusieurs  érudits  estiment  que 
l'apparition  d'Apollon  comme  dieu  du  soleil  est  la  tradition 
première  de  laquelle  seraient  dérivées  toutes  les  autres.  On 
y  rattache  le  Phoïbos  (Phœbus)  d'Homère,  où  on  trou\e 
l'idée  de  ce  qui  est  brillant  et  clair.  La  conlirmation  de 
cette  donnée  se  trouve  en  quelque  sorte  dans  le  mythe  des 
Hyperboréens,  adorateurs  du  soleil.  C'est  cliez  eux,  nous 
dit-on,  qu'il  réside,  jusqu'à  ce  que  les  premiers  blés  aient 
été  coupés  en  Grèce ,  et  il  revient  alors  à  Delphes  avec  la 
complète  maturité  des  épis.  Une  preuve  encore  plus  forte 
peut-être  àl'appui  de  celte  opinion,  c'est  le  récit  de  plusieurs 
historiens  suivant  lequel  Apollon  serait  identique  avec  l'Ho- 
rus  des  Égyptiens.  Ottfried  Millier  rejette  toutefois  cette 
opinion,  de  même  qu'il  nie  toute  espèce  d'inlluence  égyp- 
tienne sur  la  formation  de  la  mythologie  des  Grecs.  A  son 
avis,  Apollon  est  une  divinité  purement  dorienne,  dont  il 
faut  chercher  la  plus  ancienne  résidence  à  Tempe.  Ce  n'est 
que  plus  tard  qu'on  la  trouve  à  Delphes,  où,  par  le  cràlit 


G88 


APOLLON  —  APOLLONIUS 


qu'elle  y  acquit,  elle  arriva  à  devenir  l'un  des  dieu\  natio- 
naux de  la  (irèce.  11  pense  que  Tintroduction  du  culte  d'A- 
pollon dans  l'Atlique  coïncida  avec  rémif;ration  des  Ioniens. 

L'idt^e  qui  servit  de  base  à  tout  le  mythe  relatif  à  ce  dieu, 
de  même  que  la  question  de  savoir  d'où  il  provient,  si  ce 
fut  d'Egypte  ou  bien  du  Nord,  a  donné  lieu  à  de  vives  et 
nombreuses  discussions.  Cette  dernière  donnée  est  au  reste 
celle  qui  offre  le  plus  de  vraisemblance.  Ce  qu'il  y  a  de 
bien  certain,  c'est  que  les  Grecs  empruntèrent  ce  culte  à 
d'autres  peuples  ;  et  Pausanias  va  jusqu'à  dire  que  l'oracle 
de  Delphes  fut  fondé  par  des  Ilyperboréens.  Mais  ce  furent 
l'art  et  la  philosophie  des  Grecs  qui  firent  les  premiers  d'A- 
pollon l'idéal  des  perfections  de  l'humanité. 

Les  lieux  les  plus  célèbres  où  il  rendait  ses  oracles  étaient, 
indépendamment  de  Delphes,  Abœ  en  Phocide,  Isménion 
près  de  Tlièbes,  Délos,  Claros  près  de  Colophon,  et  Patara 
en  Cilicie.  Le  culte  d'Apollon  s'introduisit  également  de 
bonne  heure  à  Rome.  Dès  l'an  430  avant  J.-C,  un  temple 
lui  fut  consacré  dans  cette  ville,  et  vers  l'an  212  on  institua 
les  jeux  apollinaircs.  11  fut  surtout  honoré  sous  le  règne 
des  empereurs.  Après  la  bataille  d'Actium,  Auguste  lui  éleva 
un  temple  dans  la  ville  ainsi  que  sur  le  mont  Palatin,  et  il 
institua  en  outre  les  jeux  act  laques.  Tous  les  cent  ans  on 
célébrait  en  son  honneur  et  en  celui  de  sa  .sœur  Diane  les 
Ludi  sacidares. 

Il  a  pour  attributs  ordinaires  l'arc  et  le  carquois,  la  ci- 
thare et  le  plccti'uni,  les  serpents,  la  houlette,  le  griffon  et  le 
cygne  (souvent  il  chevauche  sur  ce  dernier  oiseau),  le  tré- 
pied, le  laurier  et  le  corbeau,  plus  rarement  le  coq ,  l'au- 
tour, le  loup  et  l'olivier.  Voici  comment  les  artistes  repré- 
sentent le  plus  ordinairement  Apollon  :  la  figure  de  la  forme 
ovale  la  plus  belle,  le  front  élevé,  des  cheveux  légèrement 
llottants,  sur  le  front  deux  boucles  de  cheveux,  sur  le  der- 
rière de  la  tète  les  boucles  de  cheveux  dt-liées.  Les  pre- 
mières statues  d'Apollon  furent  en  bois,  et  toujours  l'œuvre 
d'artistes  en  tois.  La  plus  belle  que  l'on  connaisse  est  l'A- 
pollon dit  du  Belvédère  (foypz  l'article  suivant). 

APOLLOX  DU  BELVÉDÈRE.  De  toutes  les  pro- 
ductions de  l'art  antique  qui  ont  échappé  à  la  destraction  et 
à  l'action  du  temps,  cette  statue  d'ApoUon  est  peut-être  la 
plus  sublime  et  la  plus  célèbre.  Elle  a  été  découverte  à  Porto 
d'Anzio,  autrefois  Antium,  lieu  de  naissance  de  Néron.  Ce 
prince  pour  embellir  sa  ville  natale  dépouilla  tous  les  temples 
de  la  Grèce ,  surtout  celui  de  Delphes  ,  de  leurs  plus  belles 
statues,  et  c'est  ainsi,  pense-t-on,  que  ce  chef-d'œuvre  se 
trouva  dans  cette  bourgade  vers  Tan  1500.  Cettestatue,  dont 
on  ne  connaît  pas  l'auteur,  a  été  appelée  Y  Apollon  du  Bel- 
védère, parce  qu'elle  était  placée  au  Vatican  dans  la  cour  du 
Belvédère.  Elle  lit  partie  des  trophées  de  Bonaparte  en  Italie, 
et  resta  au  musée  de  Paris  jusqu'en  1815.  L'invasion  étran- 
gère l'a  rendue  à  Rome.  L'Apollon  de  la  galerie  de  Florence 
passe  pour  en  être  une  copie. 

[  La  stature  du  dieu  est  au-dessus  de  celle  de  l'homme,  et 
son  attituile  respire  la  majesté.  Un  éternel  printemps,  tel 
([ue  celui  qui  règne  dans  les  champs  fortunés  de  Tlilysée, 
revêt  d'une  aimable  jeunesse  les  formes  mâles  de  son  corps 
et  brille  avec  douceur  sur  la  tière  structure  de  ses  membres... 
Il  a  poursuivi  Python,  contre  lequel  il  a  tendu  pour  la  pre- 
mière Ibis  son  arc  redoutable;  dans  sa  course  rapide  il  l'a 
atteint  et  lui  a  porté  le  coup  mortel.  De  la  hauteur  de  sa 
joie,  son  auguste  regard,  pénétrant  dans  l'inlini,  s'étend  bien 
au  delà  de  sa  victoire.  Le  dédain  siège  sur  ses  lèvres,  l'in- 
dignation qu'il  respire  gonfle  ses  narines  et  monte  jusqu'à 
ses  sourcils;  mais  une  paix  inaltérable  est  empreinte  sur 
son  front,  et  son  œil  est  plein  de  douceur  comme  s'il  était  au 
milieu  des  Muses  empressées  à  lui  prodiguer  leurs  caresses. 

\VlNCkF.I.MANN.  I 

APOLLOXICOM,  nom  donné  par  les  organistes  Plight 
et  Robson  à  un  grand  orgue  à  cylindre  joué  par  plusieurs 
musiciens  à  la  fois,  ou  niou'u  de  cinq  claviers  adaptés  les 


uns  à  côté  des  autres.  On  le  dit  pareil  au  panharnionica  de 
Maelzel  et  produisant  un  son  majestueux  et  remarquable  par 
la  variété  des  nuances.  Antérieurement,  le  facteur  RoUer,  de 
Hesse-Darmstadt,  avait  inventé  un  instrument  à  deux  cla- 
viers qu'on  peut  jouer  comme  un  piano,  et  auquel  est 
adapté  un  automate.  Cet  instrument,  nommé  apoUonion , 
a  été  décrit  dans  le  journal  musical  de  Leipzig. 

APOLLOA'ÏE,  nom  commun  à  plusieurs  villes  de  l'an- 
tiquité. Etienne  de  Byzance,  dans  son  Thésaurus  Geogra- 
phicus ,  n'en  compte  pas  moins  de  vingt-cinq,  et  Ortelius 
en  ajoute  sept  encore.  En  voici  les  plus  célèbres  :  1°  Apol- 
lonie,  en  lllyrie  ou  Nouvelle-Épire,  à  deux  myriamètres  de 
la  mer  Adriatique ,  laquelle  était  encore  au  temps  des  Ro- 
mains importante  comme  centre  de  lumières  et  d'activité 
intellectuelle,  et  dont  une  bourgade,  appelée  Polonia  ou 
PoliJia,  occupe  aujourd'hui  les  ruines;  2°  Apollonie  en 
Tlirace,  sur  les  rives  du  Pont-Euxin ,  aujourd'hui  Sizeboli, 
pourvue  de  deux  ports ,  et  possédant  autrefois  un  célèbre 
temple  d'Apollon  avec  la  statue  colossale  de  ce  dieu ,  édifice 
qui  déjà  au  temps  des  Romains  tombait  en  ruines  ;  3°  Apol- 
lonie en  Cyrénaique,  servant  de  port  à  Cyrène  ,  et  dépen- 
dant de  la  Pentapole ,  appelée  plus  tard  .Sozoura,  et  aujour- 
d'hui Marza-Souza;  4°  Apollonie  en  Palestine,  sur  les  côtes 
de  la  Méditerranée,  au  nord-ouest  de  Sichem ,  entre  Joppé 
et  Césarée. 

APOLLOXiUS  DE  Percv  reçut  de  l'antiquité  le  titre 
de  grand  gcomèlre,  à  l'époque  même  où  Archimède  ache- 
vait sa  brillante  carrière.  Il  était  né  à  Pcrge  ou  Perga  en 
Pamphilie,  vers  l'an  244  av.  J.-C,  sous  le  règne  de  Pto- 
lémée  Évergète  P^  Il  étudia  à  l'école  d'Alexancbie  sous  les 
successeurs  d'Euclide.  C'est  là  qu'il  acquit  ces  connais- 
sances supérieures  et  cette  habileté  en  géométrie  qui  ont 
rendu  son  nom  fameux ,  en  lui  inspirant  les  ingénieuses 
théories  renfermées  dans  son  Traité  des  Coniques.  Ce  traité, 
où  il  employa  le  premier  les  dénominations  si  bien  appro- 
priées d'ellipse  et  (ï hyperbole,  est  divisé  en  huit  parties, 
dont  longtemps  nous  n'avons  possédé  que  les  quatre  pre- 
mières, dans  lesquelles  l'auteur  rassemble  toutes  les  décou- 
vertes géométriques  de  ses  prédécesseurs ,  en  étendant  et 
développant  leurs  théories.  Dans  la  cinquième  partie,  où 
commence  ce  qui  lui  appartient  en  propre,  il  traite  la 
question  de  mojcimis  et  de  miniinis  sur  les  sections  co- 
niques; il  va  même  jusqu'à  la  détermination  des  dévelop- 
pées et  des  centres  d'osculation  ;  ces  idées  reviennent  en- 
core dans  la  sixième  partie ,  où  il  considère  les  sections 
coniques  semblables;  la  partie  suivante  contient  l'expo- 
sition de  diverses  propriétés  remarquables  de  ces  courbes. 
Un  manuscrit  arabe  de  ces  trois  parties  fut  retrouvé  en  1G58, 
dans  la  bibliothèque  des  Médicis,  par  Borelli,  qui  le  tradui- 
sit en  latin,  à  l'aide  du  célèbre  orientaliste  Abraham  Echel- 
lensis,  et  le  publia  en  1661.  Enfin,  Halley  a  donné,  en  1710, 
l'édition  la  meilleure  et  la  plus  complète  que  nous  possé- 
dions d'Apollonius ,  puisqu'il  y  a  rétabli  la  huitième  partie 
sur  les  indications  de  Pappus ,  dont  le  commentaire  nous 
était  heureusement  parvenu  en  entier.  Tout  ce  que  les 
autres  écrits  d'Apollonius  renfermaient  d'intéressant  pour 
les  sciences  a  été  publié  par  les  soins  de  Halley  ,  de  Snel- 
lius,  de  Marin  Ghetaldi  et  de  Viète.  Dans  les  travaux 
de  ce  célèbre  géomètre,  une  chose  frappe  d'étonnement  : 
c'est  que ,  dépourvu  des  secours  de  l'analyse  moderne ,  il 
ait  pu  parvenir  aux  résultats  qu'il  a  obtenus  ;  il  lui  a  fallu 
une  prodigieuse  force  d'esprit  pour  ne  pas  s'égarer  dans  les 
recherches  auxquelles  il  s'est  livré.  Apollonius  mourut  sous 
le  règne  de  Ptolémée  Pbilopalor,  c'est-à-dire  au  commence- 
ment du  siècle  qui  suivit  celui  de  sa  naissance. 

APOLLOXIUS  DE  RnoDES,  poète  épique  grec,  na- 
quit, suivant  les  uns  à  Alexandrie,  suivant  d'autres  à 
Naucratie,  l'an  230  avant  Jésus-Christ.  Poursuivi  par  la 
jalousie  des  autres  savants  de  son  pajs,  il  se  réfugia  à 
Rhodes,  où  il  enseigna  la  rhétorique,  et  acquit  par  ses 


APOLLONIUS  —  APOLOGIE 


C89 


ouvrajîes  une  si  grande  réputation  que  les  Rhodicns  lui 
accordèrent  le  droit  de  cité.  11  revint  h.  Alexandrie  pour 
remplacer  Ératostliène  dans  la  direction  de  la  célèbre  bi- 
bliothèiiue  de  cette  ville.  De  tous  les  ouvrages  qu'il  avait 
écrits  il  ne  nous  reste  qu'un  pocuie ,  intitulé  l'Argonau- 
tique ,  dont  le  mérite  est  très-médiocre,  quoique  l'auleur 
ait  rais  un  soin  extrême  à  le  composer.  On  y  trouve  cepen- 
dant quelques  épisodes  très-remarquables,  entre  autres 
celui  des  Amours  de  Médéc.  Ce  poème  a  été  imité  chez  les 
Romains  par  Valérius  Flaccus,  et  traduit  en  français  par 
M.  Caussin  de  Pcrceval. 

APOLLO\IUS  DE  Ty\ne  ,  en  Cappadoce,  né  au  com- 
mencement de  l'ère  chrétienne,  fut  un  sectateur  fervent  de 
la  philosophie  de  Pythagore.  Les  païens  en  ont  fait  un 
thaumaturge.  Il  étudia  la  grammaire,  la  rhétorique  et  la 
philosophie  sous  le  Phénicien  Euthydèrae,  et  le  système  de 
Pythagore  sous  Euxines  d'Héraclée.  Un  penchant  irrésis- 
tible le  portait  vers  les  idées  du  grand  philosophe,  dont  il 
suivait  les  dogmes  les  plus  austères.  Il  se  rendit  à  jEgos , 
où  Esculape  avait  un  temple  dans  lequel  il  opérait  des  mi- 
racles. Fidèle  aux  principes  de  Pythagore,  Apollonius  s'abs- 
tenait de  toute  nourriture  animale,  de  vin,  ne  vivait  que  de 
fruits  et  de  plantes,  marchait  nu-pieds ,  laissait  croître  ses 
cheveux  et  sa  barbe,  et  n'avait  pour  vêtements  que  des 
étoffes  faites  de  feuilles  et  de  tissus  de  plantes.  Les  prêtres 
l'initièrent  à  leurs  mystères  ;  on  ajoute  même  qu'Esculapc 
lui  enseigna  son  art,  mais  il  ne  paraît  pas  qu'il  essayât 
encore  à  cette  époque  d'opérer  des  prodiges. 

Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  qu'il  forma  une  école  de  phi- 
losophie ,  et  fit  vœu  de  ne  pas  parler  pendant  cinq  ans.  Il 
visita  ainsi  la  Pamphilie,  la  CiUcie,  Antioche,  Éphèse  et 
d'autres  villes.  De  là  il  alla  à  Babylone  et  dans  les  Indes 
pour  étudier  les  dogmes  des  brahmines,  et  il  fit  ce  voyage 
tout  seul,  ses  disciples  ayant  refusé  de  le  suivre.  Il  n'eut 
pour  compagnon  de  voyage  qu'un  certain  Damis ,  qu'il  ren- 
contra en  route,  et  qui  le  prit  pour  un  dieu.  A  Babylone  il 
conversa  avec  les  mages,  et  de  cette  ville  il  se  rendit,  comblé 
de  présents,  à  Taxella,  oii  régnait  Phraorte,  roi  des  Indes, 
qui  lui  donna  des  recommandations  pour  les  plus  illustres 
brahmines.  Après  un  séjour  de  plusieurs  mois  il  revint  à  Ba- 
bylone, et  de  là  dans  plusieurs  villes  ioniennes.  Sa  répu- 
tation le  précédait  partout,  et  les  habitants  de  toutes  les 
villes  lui  présentaient  leurs  félicitations  et  leurs  hommages. 
Il  prêchait  publiquement  contre  les  mœurs  corrompues 
des  nations ,  et  représentait  à  ses  auditeurs,  d'après  le  sys- 
tème de  Pythagore,  l'avantage  de  la  communauté  des  biens. 
On  prétend  qu'il  avait  prédit  aux  Ephésiens  la  peste  et  le 
tremblement  de  terre  qui  survinrent  peu  de  temps  après. 
Il  passa  une  nuit  au  tombeau  d'Achille,  et  raconta  avoir  eu 
ime  conversation  avec  l'ombre  de  ce  héros. 

A  Lcsbos  il  discuta  avec  les  prêtres  d'Orphée,  qui,  le  re- 
gardant comme  un  sorcier,  lui  refusèrent  l'entrée  du  temple; 
mais  ils  la  lui  accordèrent  quelques  années  plus  tard.  A  Athè- 
nes il  recommanda  au  peuple  des  prières,  des  sacrifices  et 
des  études  pour  l'amélioration  des  mœurs  publiques.  Enfin  il 
arriva  à  Rome  comme  Néron  venait  d'en  exiler  tous  les  ma- 
giciens ;  et  quoique  cet  ordre  le  concernât,  il  n'hésita  pas 
à  entrer  dans  la  ville  avec  huit  de  ses  disciples.  Mais  son 
séjour  y  fut  de  courte  durée.  Un  historien  raconte  qu'il 
ressuscita  une  jeune  femme,  et  qu'aussitôt  il  fut  banni.  Il 
visita  alors  l'Espagne,  la  Grèce,  l'Egypte,  où  Vespasien  l'em- 
ploya pour  consolider  son  autorité  et  le  consulta  connue  un 
oracle.  De  là  il  fit  un  voyage  en  Ethiopie,  et  fui  très-bien  ac- 
cueilli par  Titus,  qui  lui  demanda  ses  avis  sur  l'administra- 
tion du  pays.  A  l'avènement  de  Domitien,  il  fut  accusé 
d'avoir  excité  une  révolte  en  Egypte  en  faveur  de  Nerva  ; 
il  se  présenta  volontairement  devant  le  tribunal,  et  fut  ac- 
quitté. 11  retourna  en  Grèce,  et  s'établit  enfin  à  Éphèse,  où 
il  ouvrit  une  école  pythagoricienne,  et  mourut  centenaire. 

Parmi  les  nombreux  miracles  attribués  à  ce  personnage 

OICT.   DE  LA   COXVERS.   —  T.   I. 


extraordinaire ,  on  a  surtout  remarqué  qu'il  sut  et  annonça 
dans  Éphèse  le  meurtre  de  Domitien  à  l'instant  même  où  il 
avait  lieu  à  Rome.  Les  païens  l'opposèrent,  comme  faisant 
des  miracles,  au  fondateur  du  christianisme.  Appelé  dieu  de 
son  vivant,  il  accepta  ce  titre,  prétendant  qu'il  appartenait 
à  tout  honmie  de  bien.  Après  sa  mort  on  lui  dédia  des  tem- 
ples. Alexandre  Sévère  plaça  son  image  entre  celles  d'Abra- 
ham, d'Orphée  et  de  Jésus-Christ.  Aurélien  ne  saccagea  point 
Tyane  par  respect  pour  sa  mémoire.  Ammien-Marcellin  le 
compte  parmi  les  hommes  éminents  qui  ont  été  assistés  par 
quelijue  démon  ou  génie  surnaturel,  comme  Socrate  et  Numa. 

APOLLONIUS.  Ce  nom  a  été  également  porté  par  plu- 
sieurs célèbres  grammairiens  et  rhéteurs  grecs. 

Apollonius  surnommé  Dyscole,  c'est-à-dire /e  Grondeur, 
à  cause  de  son  humeur  morose  et  chagrine,  né  à  Alexan- 
drie, florissait  dans  le  second  siècle  de  l'ère  chrétienne,  sous 
les  règnes  d'Adrien  et  d'Antonin.  Il  passa  sa  vie  dans  le 
Bruchium  ,  quartier  de  cette  ville  où  beaucoup  de  savants 
et  de  littérateurs  étaient  logés  et  nourris  aux  dépens  des 
rois  d'Egypte.  Il  est  le  premier  qui  ait  réduit  la  grammaire 
en  système.  Il  nous  reste  de  lui  quatre  livres  de  Sijntaxi 
seu  constructionc ,  publiés,  avec  la  traduction  latine  d'yE- 
milius  Portus  en  regard,  parL.  Sylburge,  à  Francfort,  en 
1590.  C'est  un  des  meilleurs  ouvrages  en  ce  genre  que  les 
anciens  nous  aient  transmis.  On  lui  attribue  aussi  un  recueil 
d'histoires  merveilleuses  :  Historise  CommentUlœ.  Il  fut  le 
père  de  l'historien  Hérodien. 

Apollonius  le  Sophiste,  né  également  à  Alexandrie,  vé- 
cut sous  le  règne  d'Auguste.  Il  est  auteur  d'un  dictionnaire 
des  mots  contenus  dans  Homère. 

Enfin  un  autre  Apollonius,  surnommé  Molo,  professeur 
de  rhétorique  à  Rhodes ,  mérita  l'estime  toute  particulière 
deCicéron  et  de  César,  qui  l'entendirent  parler  à  Rome,  où 
ses  concitoyens  l'avaient  envoyé  en  députation. 

APOLOGIE,  APOLOGÉTIQUE,  APOLOGÈTES  (  d'à- 
TvoXoYia,  discours  en  faveur  de).  Vapologie  est  un  discours 
fait  pour  la  justification ,  pour  la  défense  de  quelqu'un ,  de 
quelque  action,  de  quelque  ouvrage.  La  loi  du  27  juillet  1849, 
sur  la  presse,  punit  d'un  emprisonnement  d'un  mois  à  deux 
ans  et  d'une  amende  de  16  francs  à  1,000  francs  toute  apo- 
logie, par  l'un  des  moyens  énoncés  en  l'article  l*^""  de  la  loi 
du  17  mai  1819,  de  faits  qualifiés  crimes  ou  délits  par  la  loi 
pénale. 

Les  anciens  nommaient  particulièrement  apologie  un 
écrit  composé  dans  le  but  de  justifier  un  fait  incriminé, 
une  personne  accusée  injustement,  ou  une  doctrine  faus- 
sement interprétée.  Les  deux  plus  remarquables  ouvrages 
de  ce  genre  que  nous  ait  légués  l'antiquité  sont  les  apolo- 
gies que  Platon  et  Xénophon  composèrent  en  grec  après 
la  mort  de  Socrate  pour  réhabiliter  la  mémoire  de  leur 
maître.  —  Dans  les  premiers  siècles  de  l'Église,  les  Pères, 
obligés  de  lutter  sans  cesse  contre  les  ennemis  du  christia- 
nisme, composèrent  une  foule  d'écrits  justificatifs,  qui  pri- 
rent le  titre  d'apologies  ou  apologétiques.  La  plupart  de 
ces  ouvrages  ont  été  perdus.  Parmi  ceux  qui  nous  restent, 
nous  mentionnerons  les  deux  Apologies  de  saint  Justin  et 
son  Dialogue  avec  le  Juif  Tryphon;  le  Discours  aux 
Gentils,  par  Tatien  ;  \di  Satire  contre  les  ■  Philosophes 
païens,  par  Ilermias;  V Ambassade  d'Alhénagore  pour  les 
chrétiens;  les  Trois  Livres  de  saint  Théophile,  évéque  d'An- 
tioche,  à  Aulolicus;  V Exhortation  de  saint  Clément  d'A- 
lexandrie aux  Païens  ;  la  dispute  d'Arnobe  Contre  les 
Païens;  le  dialogue  de  Minucius  Félix,  intitulé  Octavius; 
les  huit  livies  d'Origène  contre  Celse;  les  Institutions  di- 
vines de  Lactance;  le  discours  de  saint  Athanase  Contre  les 
Païens,  etc.  Le  célèbre  ouvrage  que  T  e  r  t  u  1 1  i  e  n  écrivit , 
de  l'an  200  à  202,  sous  le  titre  d'Apologétique  mérite  une 
mention  spéciale. 

Les  Allemands  dé.signent  aussi  sous  lé  nom  d'apologé^ 
tique  la  partie  de  la  théologie  qui  cherche  à  donner  la  preuve 

i>7 


690 


APOLOGIE 


de  Tcssence  divine  du  christianisme,  abstraction  faite  des 
discussions  qui  séparent  les  sectes.  On  cite  parmi  les  apolo- 
gistes modernes  HiigoGrotius,Less,  Nœsselt,  Reinhard,  Ro- 
senmuUer  et  Spalding  ;  Chateaubriand  et  Frayssinous  peu- 
vent encore  être  rangés  parmi  eux. 

APOLOGUE.  La  distinction  entre  ce  mot  et  celui  de 
fable  est  assez  difficile  à  établir.  Cela  tient  à  ce  que  le  mot 
fable  a  deux  sens  bien  différents  :  l'un  général,  qui  lui  donne 
l'apologue  pour  genre;  l'autre  restreint,  qui  ne  fait  plus  de 
la  fable  qu'une  espèce  d'apologue. 

D'abord  on  appelle /a6/e  toute  fiction  qui  donne  un  corps 
à  la  pensée  et  des  formes  sensibles  à  des  objets  immatériels. 
En  ce  sens  l'apologue  n'est  qu'un  genre  de  la  fable;  et  ce  qui 
le  caractérise  surtout,  c'est  d'avoir  pour  but  de  corriger  les 
mœurs  et  les  hommes.  «  La  fable,  dit  JL  Tissot,  comme  le 
prouveraient  cent  exemples  empruntés  aux  diverses  mytho- 
logies,  peut  n'ôtre  qu'une  agréable  supposition,  un  mensonge 
absurde,  ou  un  tableau  contagieux  ;  l'apologue,  ou  riant  ou 
sévère,  repose  toujours  sur  le  bon  sens ,  et  ne  peut  jamais 
corrompre  ni  les  yeux,  ni  l'esprit,  ni  le  cœur.  La  fable  n'est 
souvent  qu'une  scène  décrite  par  un  peintre;  l'apologue  est 
une  œuvre  dramatique ,  une  comédie  en  abrégé,  une  satire 
en  action,  mais  sans  fiel,  sans  humeur,  sans  cette  véhémence 
passionnée  qui  donne  à  la  raison  l'air  de  la  colère.  « 

Dans  un  autre  sens,  fable  s'entend  d'une  petite  composi- 
tion ordinairement  versifiée,  ayant  pour  but  d'amuser  et 
d'instruire,  particulièrement  les  enfants.  Ce  n'est  plus  alors 
qu'une  variété  de  l'apologue,  et  ce  dernier  nom  peut  s'appli- 
quer en  outre  à  toute  composition  allégorique  placée  inci- 
demment dans  un  discours  ou  dans  une  œuvre  littéraire, 
dans  le  but  de  corriger  les  hommes  ou  de  les  ramener  à  leur 
devoir.  Ainsi  on  dira  qu'il  y  a  des  apologues  dans  la  Bible, 
on  citera  les  apologues  du  Nouveau  Testament,  on  fera  re- 
marquer que  de  grands  orateurs  sèment  leurs  discours  d'a- 
pologues ;  et  l'on  donnera  le  nom  de  fables  aux  apologues 
de  Bidpaï,  de  Lokman,  d'Ésope,  de  Phèdre ,  de  La  Fontaine 
et  de  leurs  imitateurs.  Pour  nous  faire  mieux  comprendre , 
nous  dirons  que  la  querelle  des  Membres  et  de  l'Estomac, 
apologue  dans  la  bouche  de  !\Ienenius  Agrippa,  devient  une 
fable  sous  la  plume  de  La  Fontaine.  Enfin  apologue  est  un 
terme  plus  recherché,  et  s'applique  à  des  objets  plus  relevés. 

Féraud  ne  regarde  comme  des  fables  que  celles  où  l'on 
fait  parler  des  animaux  ou  des  objets  inanimés  ;  l'apologue, 
suivant  lui, met  enjeu  les  hommes,  les  anges  et  les  dieux! 
Aussi  soutient-il  que  plusieurs  des  fables  de  La  Fontaine  sont 
des  apologues.  Quoi  qu'il  en  soit,  La  Fontaine  emploie  souvent 
ces  deux  mots  l'un  pour  l'autre,  et  la  supériorité  avec  la- 
quelle il  traite  tous  les  sujets,  qu'il  emprunte  aux  sources 
les  plus  diverses,  mais  qu'il  formule  dans  le  même  moule, 
semble  effacer  toute  distinction  entre  ces  deux  genres  de 
compositions. 

Toujours  est-il  que  le  grand  fabuliste  se  faisait  une  haute 
idée  du  genre  quil  avait  créé  :  «  Qu'y  a-t-il  de  recomman- 
dable  dans  les  productions  de  l'esprit,  dit-il,  qui  ne  se  trouve 
dans  l'apologue?  C'est  quelque  chose  de  si  divin,  que  plu- 
sieurs personnages  de  l'antiquité  ont  attribué  la  plus  grande 
partie  de  ses  fables  à  Socraîe  ;  choisissant  pour  lui  servir 
de  père  celui  des  mortels  qui  avait  le  plus  de  communi- 
cation avec  les  dieux.  Je  ne  sais  comme  ils  n'ont  point  fait 
descendre  du  ciel  ces  mômes  fables ,  et  comme  ils  ne  leur 
ont  point  assigné  un  (heu  qui  en  eût  la  direction,  ainsi  qu'à 
la  poésie  et  à  l'éloquence.  Ce  que  je  dis  n'est  pas  tout  à 
f;iit  sans  fondement,  puisque,  s'il  m'est  permis  de  mêler  ce 
que  nous  avons  de  plus  sacré  aux  erreurs  du  paganisme, 
nous  voyons  que  la  véritéparle  aux  hommes  par  paraboles; 
et  la  parabole  est-elle  autre  chose  qr.e  l'apologue,  c'est-à- 
dire  un  exemple  fabuleux,  qui  s'insinue  avec  d'autant  plus 
de  facilité  et  d'effet  qu'il  est  plus  commun  et  plus  familier? 
Qui  ne  nous  proposerait  à  imiter  que  les  maîtres  de  la  sa- 
gesse nous  fournirait  une  excuse  :  il  n'y  en  a  point  quand 


-  APOPHYSE 

des  abeilles  et  des  fourmis  sont  capables  de  cela  même  qu'on 
nous  demande.  » 
Et  ailleurs  l'ingénieux  poëte  ajoute  : 

L'apologue  est  un  don  qui  vient  des  immortels. 

Ou  si  c'est  un  présent  des  hommes. 
Quiconque  nous  l'a  fait  mérite  des  autels. 

Nous  devons  tous  tant  que  nous  sommes 

Ériger  en  divinité 
Le  sage  par  qui  fut  ce  bel  art  inventé. 
C'est  proprement  un  charme;  il  rend  l'ânae  attentive, 

Ou  plutôt  il  la  tient  captive. 

Nous  altachant  à  des  récils 
Qui  mènent  à  son  gré  les  cœurs  et  les  esprits. 

Phèdre,  qui  avait  été  esclave,  attribue  l'Invention  de  l'a- 
pologue à  l'esclavage,  forcé  d'avoir  recours  à  une  allégorie 
pour  se  faire  entendre.  Dans  d'autres  cas,  c'est  plutôt  une 
création  du  génie  de  l'homme,  qui  vient  au  secours  de  l'in- 
telligence bornée  de  ses  semblables  et  lui  fait  mieux  saisir 
une  vérité  essentielle  au  moyen  d'iuie  image  frappante.  En 
tout  cas,  pour  nous  servir  encore  des  expressions  de  M.  Tis- 
sot, «  l'apologue  est  depuis  des  siècles  en  possession  de 
dire  de  bonnes  vérités  aux  maîtres  de  la  terre  ;  les  livres 
saints  nous  fournissent,  pour  preuve  de  celte  observation, 
un  assez  grand  nombre  d'apologues ,  où  les  prophètes ,  les 
prêtres  et  d'autres  hommes,  inspirés  tout  à  coup  par  un  pro- 
fond sentiment,  ménagent  peu  les  maîtres  de  la  terre.  La 
Bible  a  des  hardiesses  qne  Ton  ne  nous  pardonnerait  pas 
aujourd'hui.  Jésus,  soit  en  parlant  aux  hommes  grossiers  qu'il 
voulait  transformer  en  disciples  immortels  de  sa  doctrine, 
soit  en  s'adressant  lui-même  au  peuple  répandu  sur  son 
passage,  couvre  les  choses  qu'il  veut  enseigner  du  voile  trans- 
parent de  l'apologue  ou  de  la  parabole  ;  mais  il  revêt  la  vé- 
rité de  formes  si  sensibles ,  que  les  plus  simples  la  recon- 
naissent d'abord.  Ses  entretiens  sont  aussi  des  leçons  et  des 
exemples  du  ton  facile  et  naïf,  de  la  bienveillance  ingénue, 
de  la  patience  pleine  de  grâce  avec  lesquels  il  faut  aborder 
le  cœur  des  hommes  quand  on  veut  les  amener  au  bien.  « 

APONÉVROSE  (du  grec  àuô,  et  de  vsOpov,  nerf).  On 
appelle  ainsi  des  lames  de  tissus  fibreux  qui  servent  d'enve- 
loppes aux  membres,  de  gaînes  aux  muscles,  aux  nerfs,  aux 
vaisseaux.  La  texture  des  aponévroses  tient  le  milieu  entre 
le  tissu  cellulaire  et  les  tendons  ;  elles  sont  formées  de  fibres 
entre-croisées  et  nacrées.  La  plupart  des  anatomistes  mo- 
dernes admettent  deux  sortes  d'aponévroses,  iQsfascias  et  les 
aponévroses  proprement  chtes.  On  distingue  encore  un  fas- 
cia  sxiperficiel  et  un  fascia  profond.  Le  premier  s'étendrait 
à  toute  la  surface  du  corps ,  bien  qu'en  n'étant  reconnais- 
.sable  qu'à  l'abdomen;  le  second  tapisserait  toutes  les  cavités. 
Les  aponévroses  proprement  dites  ont  tant  de  rapports  et  de 
points  de  contact  avec  les  fascias ,  qu'on  peut  concevoir  le 
système  aponévrotique  comme  ne  formant  qu'un  système 
unique.  Les  aponévroses  étant  peu  extensibles  résistent  au 
gonllement  des  muscles  et  des  autres  organes  qu'elles  enve- 
loppent, lorsque  ceux-ci  viennent  à  s'enfiammer.  11  en  ré- 
sulte un  étranglement  qui  peut  produire  la  gangrène;  aussi 
est-on  obligé  souvent  de  débrider  par  un  coup  de  bistouri 
certaines  plaies,  comme  celles  produites  par  les  armes  à  feu. 

APOPHTHEGME  (du  grec  à^nôjOsYiAa,  sentence). 
On  a  donné  ce  nom  à  des  sentences  courtes  et  brèves  lais- 
sées par  des  hommes  de  mérite  et  de  savoir  ;  tels  sont  les 
apophthegmes  tirés  de  Plutarque  et  de  Diogène  Laerce.  On 
aies  apophthegmes  des  sept  sages  de  la  Grèce,  les  apophtheg- 
mes de  Scipion ,  de  Caton ,  etc.  Les  proverbes  de  Salomon 
sont  de  véritables  apophthegmes. 

APOPHYSE  (du  grec  àTïo;;joaai,  je  nais  de  ).  Cest 
en  anatomie  le  nom  générique  des  émincnces  naturelles 
que  présentent  les  os.  On  les  distingue  par  des  épithètes  qui 
caractérisent  leur  fomie,  qui  indiquent  leur  usage,  ou  qui 
rappellent  le  nom  de  l'anatomistc  qui  les  signala  le  premier. 
C'est  ainsi  qu'on  dit  :  apophyse  coracoïde  (en  bec  de  cor- 


APOPHYSK  -  APOPLEXIE 


G91 


beau);  apophyse  trochanter,  ou  simplement  trochantcr 
(qui  fait  tourner),  etc.  Dans  les  jeunes  sujets  les  apophyses 
qui  ne  sont  pas  encore  complètement  ossifiées  re(,oiveut  le 
nom  à'épiphgses. 

En  cryptogamie  Yapophyse  est  un  renflement  que  cer- 
taines mousses  présentent  au  bas  et  un  peu  au-dessous  de  la 
capsule. 

APOPLEXIE  (  du  grec  ànoTilriaau ,  je  frappe  ).  C'est 
une  maladie  du  cerveau  caractérisée  par  une  par  al  y  si  e 
soudaine,  spontanée,  plus  ou  mouis  complète,  plus  ou  moins 
étendue  et  plus  ou  moins  durable,  du  sentiment  et  du  mou- 
vement, dans  une  ou  plusieurs  parties  du  corps.  L'apoplexie 
débute  ordinairement  d'une  manière  brusque,  instantanée, 
et  il  est  rare  d'observer  des  symptômes  précurseurs,  qui  sont 
du  reste  très-variables.  Les  progrès  en  sont  pre«que  tou- 
jours rapides  :  en  peu  d'instants  elle  arrive  à  son  plus  haut 
degré  d'intensité;  quelquefois  pourtant  elle  marche  avec  un 
peu  moins  de  promptitude.  Elle  est  toujours  accompagnée 
d'un  trouble  quelconque  du  sentiment  et  d'une  paralysie 
plus  ou  moins  complète,  qui  dans  quelques  cas  exception- 
nels peut  être  compliquée  de  mouvement  convulsif.  Le  pre- 
mier de  ces  symptômes  présente  une  foule  de  degrés  inter- 
médiaires, depuis  un  léger  étourdissemenl  jusqu'à  laslupeur 
la  plus  profonde.  La  paralysie,  dont  les  degrés  sont  au  moins 
aussi  variables,  atteint  quelquefois  d'une  manière  légère  un 
seul  organe  de  la  vie  animale  :  souvent  elle  en  frappe  plu- 
sieurs avec  une  plus  grande  intensité;  enfin  ils  peuvent, 
dans  des  attaques  tros-graves,  être  presque  tous  h  la  fois 
privés  de  la  motilité  volontaire. 

Lorsque  la  maladie  doit  avoir  une  terminaison  heureuse, 
on  observe  une  diminution  lente  et  graduelle  des  symp- 
tômes, et  la  perte  de  connaissance,  si  elle  a  été  complète,  est 
alors  le  premier  accident  qui  se  dissipe.  Les  malades  revien- 
nent à  eux  ordinairement  depuis  le  premier  jour  jusqu'au 
quatrième  et  au  sixième,  bien  qu'ils  conservent  encore  un  peu 
d'étonnement ,  assez  souvent  accompagné  de  douleur  ou 
<io  pesanteur  de  tête.  Quand  l'amélioration  n'est  pas  franche, 
ils  ont  des  intervalles  de  délire,  surtout  la  nuit.  La  para- 
lysie ne  se  dissipe  pas  aussi  vite  ;  rarement  elle  est  guérie 
complètement  avant  deux  ou  trois  mois,  et  encore  n'observe- 
t-on  cette  terminaison  prompte  que  chez  les  jeunes  sujets  : 
tandis  que  presque  toutes  les  personnes  au-dessus  de  qua- 
rante ans  conservent  une  faiblesse  plus  ou  moins  grande 
<'.es  membres  affectés,  à  laquelle  se  joignent  im  sentiment 
d'engourdissement  et  une  obtusion  remarquable  du  tact. 
D'autres  malades,  qui  ne  succombent  pas,  restent  paralytiques 
toute  leur  vie ,  et  tombent  souvent  dans  un  état  d'eniance  et 
d'itliotie. 

C'est  dans  les  cas  ainsi  prolongés  qu'on  voit  les  mem- 
bres paralysés  s'atrophier  et  présenter  une  coloration  toute 
{«rticulière.  La  disparition  de  la  paralysie  est  subordonnée 
à  la  disparition  de  la  lésion  cérébrale.  Quand  un/oyer  apo- 
plectique (  on  appelle  ainsi  la  cavité  que  le  sang  forme 
dans  le  tissu  nerveux  lorsqu'il  s'y  épanche)  a  déchiré  une 
partie  du  cerveau,  il  produit  un  désordre  irréparable ,  qui 
entretient  des  paralysies  qu'on  ne  peut  guérir.  Lorsque  les 
symptômes  apoplectiques  suivent  une  marche  progressive- 
ment croissante,  la  mort  arrive  ordinairement  avant  le  hui- 
tième jour.  De  nombreuses  autopsies  ont  prouvé  que  le 
sang  épanché  provenait  des  artères  :  ainsi  chez  les  vieil- 
lards, qui  présentent  souvent  des  ossifications  de  ces  vais- 
seaux, on  a  observé  des  déchirures  de  ces  canaux  d'où  le 
sang  s'était  échappé  :  le  sang  épanché  varie  en  quantité,  de- 
puis quelques  gouttes  jusqu'à  huit  onces. 

On  divise  les  causes  de  l'apoplexie  en  prédisposantes  et 
en  efficientes  ;  parmi  les  causes  prédisposantes  on  range 
l'âge  de  quarante  à  soixante  ans,  une  constitution  sanguine, 
une  tète  volumineuse,  la  brièveté  du  cou,  l'iiérédité,  l'obésité, 
le  volume  du  cœur,  le  trouble  de  la  circulation ,  et  le  sexe 
masculin  :  l'ivrognerie,  les  travaux  de  l'esprit  et  les  cha- 


grins violents  prédisposent  à  l'hémorrliagie  cérébrale.  Lea 
causes  efficientes  de  l'apoplexie  sont  les  efforts  de  la  drfé- 
cation,  l'indigestion  survenant  pendant  que  le  corps  est 
plongé  dans  un  bain,  le  coït,  la  joie,  la  terreur,  la  colère,  la 
grossesse,  les  efforts  de  l'accouchement,  l'épilepsie,  les  con- 
vulsions et  l'étonnement  ;  dans  ces  différentes  circonstances, 
il  y  a  ime  stase  plus  ou  moins  considérable  dans  les  vais- 
seaux cérébraux,  stase  qui  favorise  leur  rupture  et  la  pro- 
duction d'un  énanchement.  L'apoplexie,  du  reste,  peut  être 
compliquée  d'altérations  dans  les  différents  organes  de  l'é- 
conomie, et  surtout  de  l'inflammation  du  tissu  cérébral ,  et 
d'un  épanchement  séreux  dans  les  ventricules  du  cerveau, 
du  ramollissement  de  ces  organes,  etc. 

La  promptitude  avec  laquelle  les  symptômes  se  dissipent, 
et  surtout  cette  particularité  de  ne  jamais  produire  de  para- 
lysie prolongée  distinguent  le  coup  de  sang  de  l'apoplexie. 

Il  est  impossible  de  dire  dans  les  premiers  moments 
quelle  est  la  gravité  d'une  attaque  d'apoplexie  ;  si  plusieurs 
jours  se  passent  sans  que  les  symptômes  s'amendent,  on 
doit  craindre  la  lésion  d'un  point  important  de  l'encéphale, 
et  par  cela  même  une  terminaison  funeste.  Quand ,  au 
contraire ,  on  voit  le  mouvement  et  la  sensibilité ,  d'abord 
abolis ,  renaître  peu  à  peu,  il  ne  faut  pas  désespérer.  Pré- 
venir les  fluxions  sanguines  vers  le  cerveau ,  voilà  le  traite- 
ment préservatif;  favoriser  l'absorption  du  sang  épanché, 
voilà  le  traitement  curatif  ;  éloigner  du  malade  par  un  ré- 
gime sévère  toutes  les  causes  éloignées  ou  prochaines  de 
l'apoplexie  ;  stimuler  par  tous  les  moyens  possibles  la  sen- 
sibilité dans  les  membres  paralysés,  voilà  le  traitement  con- 
sécutif. Les  moyens  préservatifs  consistent  particulièrement 
dans  l'observation  rigoureuse  de  l'hygiène  et  dans  l'emploi 
de  la  saignée ,  des  sangsues  à  l'anus  et  des  purgatifs  chez 
les  individus  obèses ,  pléthoriques ,  sujets  aux  étourdisse- 
ments.  Dans  le  traitement  curatif,  on  doit  débarrasser  le 
malade  de  tous  les  vêtements  qui  pourraient  mettre  obs- 
tacle à  la  circulation  du  sang ,  tels  que  corset ,  cravate ,  ha- 
bits, etc.  :  il  doit  être  couché  dans  unlieu  d'une  température 
douce;  on  ne  doit  pas  le  surcharger  de  couvertures,  et  son 
corps  sera  placé  de  manière  à  présenter  un  plan  incliné 
dont  la  tête  sera  le  point  le  plus  élevé.  On  pratique  de  suite 
une  saignée  générale,  d'abord  à  lasaphène,  puis  aux  veines 
du  pli  du  bras ,  et  ensuite  aux  jugulaires  et  aux  veines  oc- 
cipitales :  quelle  que  soit,  au  reste,  la  saignée  à  laquelle 
on  donne  la  préférence,  on  conseille  généralement  de  ne 
pas  pratiquer  au  delà  de  quatre  saignées  de  trois  palettes 
chacune  (12  onces).  La  quantité  de  sang  tirée  par  la  veine 
doit  d'ailleurs  être  subordonnée  à  l'âge,  au  sexe  et  à  la 
force  du  sujet.  Pendant  l'emploi  de  ce  moyen  on  a  recours 
aux  réfrigérants  appliqués  sur  la  tête,  et  on  place  des  corps 
chauds  aux  pieds.  Pour  empêcher  l'hémorrhagie  d'aug- 
menter, et  après  avoir  continué  l'emploi  des  moyens  dont 
il  vient  d'être  question,  on  remplace  les  saignées  générales 
par  l'application  d'un  certain  nombre  de  sangsues  derrière 
les  apophyses  mastoïdes,  ou  mieux  encore  aux  parties  infé- 
rieures, à  l'anus,  toutes  les  fois  que  la  face  et  les  con- 
jonctives restent  injectées  et  que  le  malade  a  de  la  propen- 
sion à  l'assoupissement  :  on  applique  en  même  temps  sur 
la  tête  des  compresses  imbibées  d'eau  froide  et  souvent  re- 
nouvelées, ou  une  vessie  à  demi  remplie  de  glace  concassée. 
A  ces  moyens  on  ajoute  de  doux  minoratifs,  des  lavements 
légèrement  purgatifs,  pour  tenir  le  ventre  libre  et  établir  une 
dérivation  sur  les  intestins ,  et  on  donne  pour  boisson  quel- 
ques tisanes  délayantes  et  adoucissantes  ;  le  malade  doit  être 
soustrait  à  l'influence  de  la  lumière,  au  bruit  et  à  tout  ce  qui 
peut  exciter  les  organes  des  sens  et  de  l'intelligence.  11  n'est 
pas  en  la  puissance  du  médecin  de  liûter  la  cicatrisation 
du  foyer  apoplectique,  et  c'est  un  travail  réparateur  dont 
la  nature  .se  réserve  le  soin.  Une  vie  calme  et  une  hygiène 
bien  entendue  secondent  les  efforts  de  la  nature.  On  a  préco- 
ni.sé  tour  à  tour  l'électricité,  le  galvanisme,  la  strychnine,  etc.. 


692 


APOPLEXIE  —  APOSTOLAT 


pour  rendre  le  mouvement  aux  organes  paralysés  ;  malheureu- 
sement la  substance  cérébrale  ne  se  répare  pas,  et  il  reste 
toujours  une  trace  plus  ou  moins  profonde  de  sa  déchirure  ; 
aussi  la  paralysie  apoplectique  disparait-ellc  rarement  d'une 
manière  complète.  Les  meilleurs  médecins  conseillent  d'agir 
contre  la  paralysie  surtout  avec  les  frictions,  les  douches , 
les  purgatifs  drastiques  pris  de  loin  en  loin,  et  toute  occu- 
pation intellectuelle  doit  être  interdite.  Les  malades  doivent 
prendre  des  aliments  doux  ,  peu  substantiels ,  un  exercice 
communiqué  ou  spontané  qui  ne  doit  pas  aller  jusqu'à  la 
fatigue,  et  avoir  soin  de  tenir  la  tète  très-élevée  au  lit; 
une  petite  saignée,  des  sang^^ues  à  l'anus  de  temps  en  temps, 
surtout  au  renouvellement  des  saisons,  et  les  cxutoircs,  pa- 
raissent être  des  précautions  très-utiles. 

On  a  encore  donné  le  nom  d'apoplexie  à  l'iiémorrhagie  du 
cer\'elet,  des  pédoncules  cérébraux,  du  mésocéphale  et  de  la 
moelle  épinière.  L'hémorrhagie  du  cervelet  est  très-rare,  et 
présente  des  symptômes  semblables  à  ceux  d'une  apoplexie 
cérébrale.  L'apoplex.k;  des  pédoncules  n'a  point  été  observée 
isolée  et  indépendante  d'autres  lésions  cérébrales ,  non  plus 
que  celles  du  mésocéphale  ou  bulbe  rachidien.  Quanta  l'apo- 
plexie de  la  moelle  éjiinière,  on  n'en  connaît  dans  la  science 
que  deux  ou  trois  observations;  elle  se  distingue  de  l'apo- 
plexie cérébrale  par  son  défaut  d'instantanéiU'.  Pour  ce  qui 
concerne  l'apoplexie  dite  des  nouveau-nés,  elle  a  pour  cause 
les  accouchements  longs  et  pénibles ,  et  surtout  la  pléthore 
sanguine;  tant  qu'il  n'y  a  qu'une  simple  congestion  céré- 
brale ,  cet  état  est  peu  grave  ;  il  est  mortel  quand  il  y  a 
épanchement  de  sang  dans  la  substance  cérébrale  :  la 
première  indication  à  remplir  alors  est  de  couper  prompte- 
ment  le  cordon  ombilical  et  de  laisser  écouler  une  certaine 
quantité  de  sang;  et  si  ce  moyen  ne  réussit  pas,  il  faut  avoir 
recours  à  l'insufllalion  du  poumon  faite  de  préférence  avec 
le  tube  laryngien  deChaussier,  et  à  l'action  de  douces  frictions 
chaudes  sur  la  région  du  cœur.        D'  Alex.  Ducrett. 

APORÉTIQUES  (  d'à-opr,Tixô; ,  incertain  ,  qui  aime 
à  douter,  qui  e;Nt  indécis,  irrésolu).  Voijez  Sceptiques. 

APOSIOPÈSE  (du  grec  à-oatwTTâto ,  je  me  tais,  je 
passe  sous  silence  ) ,  terme  de  poétique  et  de  rhétorique , 
synonyme  de  réticence  ou  ellipse,  qui  consiste  à  inter- 
rompre le  sens  d'une  phrase  à  dessein  ou  par  l'effet  d'une 
extrême  agitation  :  par  exemple,  le  quos  ego  de  Neptune 
dans  Virgile.  Le  lecteur  ou  l'auditeur  est  chargé  de  sup- 
pléer au  sens  véritable,  en  le  complétant  dans  sa  pensée. 

APOSTASIE,  APOSTAT  (  d'àTtocTaaîa,  ré\'olte,  aban- 
don du  parti  qu'on  suivait  pour  en  prendre  un  autre  ) ,  mot 
formé  du  grec  à:iô,  ab,  contra,  et  de  t'7Tr,[jLi,  être  debout,  se 
tenir  ferme,  c'est-à-dire  résister  au  parti  qu'on  avait  suivi, 
embrasser  une  opinion  contraire  à  celle  qu'on  avait  tenue  : 
de  là  les  Latins  ont  fait  apostare,  mépriser  ou  violer  n'im- 
porte quoi.  C'est  en  ce  sens  qu'on  lit  dans  les  lois  d'Edouard 
le  Confesseur  :  «  Qui  legcs  apostabit  terrx  sutc,  reus  sit 
apud  regem.  »  Apostasie  se  dit  plus  particulièrement  de 
l'abandon  qu'une  personne  fait  du  christianisme  pour  em- 
brasser une  autre  religion  :  telle  fut  l'action  de  l'empereur 
Julien. 

On  emploie  quelquefois  renégat  pour  apostat;  ces 
mots  ne  sont  pas  pourtant  synonymes;  le  second  dit  bien 
plus  que  le  premier.  Le  renégat  est  l'homme  qui  renie  ou 
quia  renié;  l'apostat  est  l'homme  qui  persiste  dans  sa  re- 
négation. Saint  Pierre ,  qui  après  avoir  renié  trois  fois  son 
maître  se  repentit  au  chant  du  coq ,  n'est  pas  un  apostat. 

Pour  être  réellement  renégat  ou  apostat,  il  faut  avoir  cru, 
ou  du  moins  ayoir  cru  croire  à  la  religion  qu'on  abjure  ;  il 
faut  l'avoir  volontairement  pratiquée.  Ace  compte,  bien  des 
gens  ont  été  très-injurieusement  gratifiés  de  ces  épitliètes, 
dont  nous  autres  bons  catholiques  sommes  quelquefois  un 
peu  trop  prodigues. 

Julien,  dit  V Apostat,  ne  fut  point  un  apostat.  Très  à 
plaindre  sans  doute,  puisque  les  lumières  de  la  foi  ne  l'avaient 


pas  éclairé,  il  n'avait  été  chrétien  que  de  nom  et  par  la  vo- 
lonté impériale  de  son  oncle.  De  peur  qu'il  ne  devînt  un 
héros,  on  en  voulait  faire  un  moine.  La  violence  dont  Cons- 
tance avait  usé  envers  lui  n'était  guère  propre  à  lui  faire 
aimer  une  religion  qui,  pour  être  celle  de  l'empereur,  n'était 
pas  celle  de  l'empire.  La  religion  de  l'ernpire  est  la  seule 
que  Julien  ait  embrassée  librement  et  volontairement  prati- 
quée. Plaignons  sincèrement  ce  philosophe  de  n'avoir  pas 
plus  été  chrétien  que  Marc-Aurèle  ,  ce  qui  lui  suffit  pour 
être  damné  ;  mais  ne  l'accusons  pas ,  pour  le  déshonorer, 
d'avoir  été  apostat. 

Renégat,  apostat,  se  disent  aussi  d'un  moine  qui  a  dé- 
serté le  cloître,  et  d'un  prêtre  qui  s'est  parjuré  par  des  actes 
interdits  au  caractère  sacerdotal. 

Ces  noms  de  renégat  et  d'apostat  s'appliquent  de  droit, 
et  non  par  extension,  quoi  qu'en  dise  le  Dictionnaire  de 
l'Académie,  aux  personnes  qui  violent  certains  engagements 
d'honneur  :  expression  juste  en  tous  les  cas,  car  l'hon- 
neur aussi  est  une  religion  ;  et  dans  cette  dernière  accep- 
tion ,  que  de  renégats ,  que  d'apostats  ,  surtout  en  politique  ! 

Cest  bien  un  renégat,  c'est  bien  un  apostat,  ce  déserteur 
infatigable  de  tout  parti  malheureux,  ce  courtisan  de  la  For- 
tune, qui,  fidèle  à  elle  seule,  toujours  prêt  à  trahir  ceux 
qu'il  sert,  se  vendant  sans  cesse,  ne  se  livrant  jamais,  trouve 
dans  chaque  révolution  une  occasion  d'avancement,  et 
compte  par  le  nombre  des  malheurs  publics  celui  de  ses  per- 
fidies et  de  ses  prospérités. 

U  est  c«rtains  apostats  qui  néanmoins  excitent  moins 
d'horreur  que  de  pitié,  et  auxquels  il  n'a  manqué  que  d'être 
braves  pour  être  toujours  honnêtes.  Souvenons-nous  que  les 
Romains  sacrifiaient  à  la  Peur.  Ils  sacrifia'ent  aussi  à  la  For- 
tune, autre  genrede  dévotion,  qui  en  politique  produit  encore 

bon  nombre  d'apostats.         ArNAULT,  de  l'Acad.  Française. 

APOSTÈME  ou  APOSTmiE  (  du  grec  àTtoàTr.jia  )  ; 
ce  mot  est  synonyme  d'abcès. 

A  POSTERl'ORÏ.  Voyez  A  priori. 

APOSTILLE  (du  latin  apponere,  ajouter),  annotation 
ou  renvoi  qu'on  fait  à  la  marge  d'un  écrit  pour  le  commenter, 
le  critiquer,  l'éclaircir.  En  termes  de  palais,  ce  sont  les  notes 
que  les  arbitres  mettent  à  la  marge  d'un  mémoire  ou  d'un 
compte.  —  Dans  le  langage  du  notariat,  l'apostille  est  une 
addition ,  un  renvoi  qu'on  fait  à  la  marge  d'un  acte.  Toute 
apostille  doit  être  signée  et  parafée  tant  par  les  notaires 
que  par  les  autres  signataires,  à  peine  de  nullité. 

Vapostille  est  encore  une  recommandation  mise  à  la 
marge  d'une  pétition ,  et  c'est  dans  ce  sens  que  ce  mot 
s'emploie  aujourd'hui  le  plus  fréquemment. 

L'abus  des  apos-tilles  et  des  recommamlations  devint  une 
plaie  du  gouvernement  représentatif.  L'administration  ne 
savait  plus  auquel  entendre  :  comment  refuser  en  effet  aux 
sollicitations  de  ceux  qui  par  leurs  votes  tiennent  votre 
sort  dans  leurs  mains?  Après  la  révolution  de  Février,  nos 
assemblées  interdirent  à  leurs  membres  toute  recommanda- 
tion bu  apostille.  Il  n'en  saurait  être  de  même  aujourd'hui. 

APOSTOLAT, dignité  ou  ministère  d'apôtre,  .ancien- 
nement l'épiscopat,  en  général,  était  appelé  apostolat  : 
c'était  le  titre  honoraire  ;  on  le  trouve  encore  attribué  aux 
évêqnes  dans  le  sixième  et  le  septième  siècle.  Depuis,  on  ne 
l'a  plus  donné  qu'au  souverain  pontife. 

Tout  l'apostolat  est  dans  ces  paroles  que  Jésus-Christ 
adressa  aux  apôtres  avant  son  ascension  :  «  Toute  puissance 
m'a  été  donnée  dans  le  ciel  et  sur  la  terre.  Allez  donc  et 
instruisez  tous  les  peuples,  les  bapti.sant  au  nom  du  Père, 
du  Fils  et  du  Saint-Esprit ,  et  leur  apprenant  à  garder  toutes 
les  choses  que  je  vous  ai  commandées.  Assure/.-vous  que  je 
suis  toujours  avec  vous  jusqu'à  la  consommation  des  siècles,  v 
(  Saint  Malth.  ) 

L'apostolat  prend  donc  sa  source  dans  la  mission  donnée 
par  Jésus-Christ  et  dans  les  pouvoirs  qui  y  sont  attachés. 
C'est  en  vertu  de  ce  titre  que  saint  Pierre  dit  aux  anciens 


APOSTOLAT  —  APOSTROPHE 


de  l'Église  :  «  Paissez  le  troupeau  de  Dieu  qui  est  autour 
de  >  ous ,  non  pas  en  dominant  le  clergé ,  mois  en  lui  ser- 
vant de  modèles,  et  vous  recevrez  la  couronne  de  gloire  quand 
le  prince  des  pasteurs  paraîtra  "  (epilre  l"  )  ;  et  que  saint 
Paul  écrit  aux  Corinthiens  :  «  Que  l'homme  nous  regarde 
comme  les  ministres  de  J.-C.  et  les  dispensateurs  des  mys- 
tères de  Dieu!  «  (épître  1"^). 

Le  but  de  l'apostolat  était  principalement  de  rendre  té- 
moignage de  tout  ce  qui  s'était  passé  en  sa  présence ,  con- 
formément à  ces  paroles  :  •  Vous  me  servirez  de  témoins  !  » 
Ce  témoignage  était  accompagné  de  signes  et  de  miracles  ; 
il  devait  entbi  être  solennel  et  public  :  •  Annoncez  sur  les 
toits  ce  que  vous  entendez  à  l'oreille  !  « 

APOSTOLLXS.  C'étaient  des  religieux  dont  l'ordre 
prit  naissance  au  (Quatorzième  siècle ,  à  Milan ,  et  sur  d'au- 
tres points  de  l'Italie.  Leur  nom  leur  venait  de  ce  qu'ils 
faisaient  profession  d'imiter  la  vie  des  apôtres  et  celle  des 
premiers  lidèles. 

APOSTOLIQUE,  tout  ce  qui  vient  des  apôtres  ou  y  a 
rapport.  On  appelle  écrits  apvsùoUques  ceux  qui  ont  été 
composés  par  les  apôtres;  l'Église  chrétienne  primitive  se 
nommait  Eglise  apostolique,  parce  que  les  apôtres  la  diri- 
geaient et  que  l'esprit  des  apiXres  continuait  à  l'animer. 
Ainsi  le  siège  romain  a  été  surnommé  siège  apostolique 
parce  que  l'apôtre  saint  Pierre  l'a  fondé.  —  On  appelle  à 
Rome  chambre  apostolique  l'autorité  chargée  de  l'admi- 
nistration des  revenus  du  pape.  —  La  bénédiction  aposto- 
lique est  celle  que  distribue  le  pape  en  qualité  de  successeur 
de  saint  PieiTe.  —  Le  Symbole  apostolique  est  un  résumé 
sommaire  de  la  religion  chrétienne;  il  porte  ce  nom  parce 
que  l'enseignement  des  apôtres  y  est  contenu  en  trois  arti- 
cles {voyez  Symbole). 

Selon  TertuUien ,  la  mission  des  pasteurs ,  pour  être  lé- 
gitime ,  doit  venir  des  apôtres  par  une  succession  non  in- 
terrompue; toute  mission  qui  ne  vient  pas  d'eux  ne  peut 
venir  de  Jésus-Christ,  ne  peut  donner  aucune  autorité, 
aucun  pouvoir.  Le  titre  à^apostoUque  est  donc  un  des  ca- 
ractères distinctifs  de  la  véritable  Église,  parce  qu'elle  fait 
profession  d'être  attachée  à  la  doctrine  des  apôtres ,  et  que 
ses  pasteurs,  par  une  succession  constante,  tiennent  leur 
mission  de  ces  premiers  envoyés  de  Jésus-Christ.  Dans  la 
primitive  Église,  on  nomma  apostoliques  les  églises  qui 
avaient  été  fondées  par  les  apôtres  et  les  évéques  de  ces 
églises ,  parce  qu'ils  étaient  successeurs  des  apôtres  ;  le  nombre 
se  bornait  à  quatre ,  Rome ,  Alexandrie ,  Antioche  et  Jéru- 
salem ,  les  seules  qui  eussent  eu  des  apôtres  pour  évéques. 
Dans  la  suite,  les  autres  égHses  prirent  le  titre  à'apostoli- 
92<e5,  mais  seulement  à  cause  de  la  conformité  de  leur  doc- 
trine avec  celle  des  églises  qui  étaient  apostoliques  par  leur 
fondation ,  et  parce  que  tous  les  évéques  se  disaient  succes- 
seurs des  apôtres. 

On  nomme  enfm  Pères  apostoliques  les  disciples  immé- 
diats des  apôtres  qui  ont  laissé  des  écrits.  Ce  sont  Barnabe, 
Clément  de  Rome,  Ignace  d'Antioche  et  Polycarpe  de 
Smyrnc.  Quant  à  Papias  d'IIiérapolis  et  à  l'auteur  du  Pas- 
teur ,  le  prétendu  Hermias  dont  il  est  question  dans  l'Épîtrc 
aux  Romains,  il  n'est  pas  bien  prouvé  qu'ils  aient  été  dis- 
ciples des  apôtres.  Les  écrits  des  Pères  apostoliques ,  bien 
qu'inférieurs  à  ceux  des  apôtres  en  ce  qui  est  de  l'esprit , 
peuvent  en  être  considérés  comme  la  suite  pour  la  forme  et 
le  contenu.  Au  point  de  vue  dogmatique ,  leur  doctrine  est 
simple  ,  mais  vague,  et  se  borne  à  prêcher  la  foi  et  la  pu- 
rification avant  que  Jésus-Christ  apparaisse  de  nouveau  sur 
la  terre.  La  meilleure  collection  complète  que  nous  en 
ayons  est  celle  de  Cotéher{2  vol.,  Paris,  1672,  et  Ams- 
terdam, 1720). 

Les  rois  de  Hongrie  se  sont  appelés  rois  apostoliques  en 
vertu  d'un  bref  adressé  en'l'an  1000  au  duc  Etienne  I"  de 
Hongrie,  par  le  pape  .Sylvestre  II,  qui  lui  conférait  le  litre 
de  roi   apostolique,  pour  le  récompenser  non -seulement 


C93 


d'avoir  propagé  et  favorisé  la  religion  chrétienne  dans  ses 
Liais,  mais  encore  de  l'avoir  prêclue  lui-même  à  ses  su- 
jets, à  l'instar  des  apôtres.  —  Le  pape  Clément  XI M  renou- 
vela le  souvenir  de  cet  événement  en  accordant  en  1758  à 
l'impératrice  Marie-Thérèse  et  à  ses  descendants  le  titre  de 
Majesté  apostolique,  que  les  empereurs  d'Allemagne,  et 
ensuite  ceux  d'Autriche,  ont  toujours  pris  et  reçu  depuis 
lors  dans  tous  les  protocoles  diplomatiques. 

Certains  hérétiques  du  Périgord  prirent  aussi,  vers  le 
douzième  siècle,  la  dénomination  d'apostoliques.  Ils  étaient 
contemporains  des  vaudois,  des  patarins,  des  albigeois ,  et 
marchaient  sous  la  conduite  d'un  certain  Ponce  ou  Pontius. 
Ils  renouvelaient  les  erreurs  des  apostoliques  du  onzième 
siècle,  qui  s'étaient  éteints  en  Cilicie  faute  de  persécution. 
Les  apostoliques  périgourdins  proscrivaient  le  mariage, 
soutenaient  que  la  femme  étant  faite  pour  l'homme ,  il  n'é- 
tait besoin  d'autre  cérémonie  pour  leur  donner  le  droit  de 
vivre  ensemble  ;  et  ils  allaient  pèle-môle,  criant  que  l'Église 
résidait  en  eux,  niant  la  nécessité  du  baptême,  le  purga- 
toire, condamnant  la  communion,  la  messe  et  le  culte  des 
saints.  Ils  marchaient  pieds  nus,  ne  faisaient  usage  ni  de 
vin  ni  de  viande,  refusaient  l'argent,  et  se  mettaient  à 
genoux  sept  fois  par  jour  pour  prier.  Les  prédications  de 
saint  Bernard  n'ayant  point  converti  ces  gens  ignorants  et 
grossiers,  qui  prétendaient  vivre  comme  les  apôtres,  on  fit 
des  croisades,  on  leva  des  armées  pour  les  détruire ,  et  ils 
souffrirent  tous  les  genres  de  tortures  avec  un  courage 
digne  d'une  meilleure  cause.  Un  siècle  après,  en  1246,  Gé- 
rard Segarelli  ou  Sagarelli ,  de  Parme,  renouvela  cette  secte 
en  Itahe  {voyez  Apôtres  [Ordre  des]  ). 

En  Espagne  on  a  longtemps  donné  le  nom  d'apostolique 
à  un  parti  composé  d'hommes  opposés  aux  progrès  el  à  la 
liberté  ,  également  attachés  en  politique  aux  vieux  abu^  et 
en  religion  aux  vieilles  superstitions.  Aux  yeux  de  ces  ul- 
tra-royalistes exclusifs, de  ces  contre-révolutionnaires  purs, 
le  roi  Ferdinand  VU  lui-même,  bien  qu'il  eût  à  deux  re- 
prises violé  les  serments  qui  le  liaient  à  la  constitution  des 
cortès,  était  suspect  de  libéralisme.  Le  frère  de  ce  monarque, 
don  Carlos,  qui  mit  un  jour  ses  partisans  sous  la  direction 
de  la  Vierge,  avait  les  sympathies  et  les  vœux  de  cette  faction 
anti-nationale  ,  qui  a  fait  tant  de  mal  à  l'Espagne  et  y  rêve 
toujours  la  restauration  d'el  re  netto  et  de  l'inquisition.  La 
seule  modification  qu'ait  subie  ce  parti ,  c'est  dans  sa  dési- 
gnation ;  maintenant  la  dénomination  d^  carliste  lui  est  plus 
généralement  attribuée  que  celle  d'apostolique. 

APOSTOOL.  Voyez  Anabaptistes. 

APOSTROPHE  (  Rhétorique),  du  grec  ànoorpÉ^w,  je 
tourne.  C'est  une  ligure  dans  laquelle  l'orateur  interrompt 
le  discours  qu'il  tenait  pour  s'adresser  avec  un  mouvement 
pathétique  à  l'Être  suprême,  aux  dieux,  aux  vivants  et  aux 
morts,  ou  même  à  des  choses  inanimées. 

Les  livres  saints  sont  remplis  d'apostrophes  du  plus  grand 
effet  :  Ézéchiel  apostrophe  ainsi  le  glaive  :  «  O  épée  venge- 
resse, sors  de  ton  fourreau  pour  briller  aux  yeux  des  cou- 
pables et  pour  leur  percer  le  cœur.  »  Les  grands  orateurs 
de  l'antiquité  ont  employé  cette  figure  avec  bonheur.  On  cite 
encore  celle  de  Démosthène  aux  Grecs  morts  pour  la  pa- 
trie dans  les  champs  de  Marathon,  et  celle  de  Cicéron  s'a- 
dressant  à  tous  les  citoyens  illustres  de  Rome  pour  les  in- 
téresser à  Milon,  qui  avait  tué  Clodius,  l'ennemi  de  la 
république.  On  trouve  encore  de  remarquables  exemples 
d'apostrophes  dans  tous  nos  grands  écrivains.  Bossuet  s'é- 
crie dans  l'oraison  funèbre  de  la  duchesse  d'Orléans  :  «  O 
mort,  éloigne-toi  de  notre  pensée,  et  laisse-nous  tromper  la 
violence  de  notre  douleur  par  le  souvenir  de  notre  joie.  » 
Racine  fait  dire  à  Andromaque  : 

O  cendres  d'un  époux!  ô  Trovens !  o  mon  père  ! 
O  aion  fils!   que  les  jours  coùlcat  riicr  à  ta  mère! 

L'apostrophe  est  une  des  figures  les  plus  hardies  el  en 


APOSTROPHE  —  APOTHÉOSE 


Û94 

même  temps  les  plus  éloquentes  quand  c'est  la  passion 
même  qui  l'inspire.  Elle  revêt  toutes  les  formes  et  se  prêle 
à  toutes  les  émotions,  à  l'attendrissement  et  à  la  joie  comme 
à  la  douleur  et  à  la  colère;  elle  ne  redoute  que  l'exagéra- 
tion et  le  mensonge,  car  elle  n'est  plus  alors  qu'une  ridicule 
déclamation. 

APOSTROPHE  {Grammaire).  C'est  un  signe  (')  qui 
marque  le  retranchement  d'une  voyelle  à  la  fm  d'un  mot, 
pour  la  facilité  de  la  prononciation,  quand  le  mot  suivant 
commence  par  une  voyelle.  Dans  l'écriture  on  ne  marque 
l'élision  de  l'e  muet  par  l'apostrophe  que  dans  les  mono- 
syllabes je,  me,  te,  se,  le,  ce,  que,  de,  ne,  et  quelquefois 
dans  les  raots;u5gue  et  quoique.  L'apostrophe  ne  remplace 
l'a  que  dans  l'article  et  le  pronom  la ,  conune  je  Ventends 
pour;e  la  entends,  l'église,  Vdme.  L'ine  se  perd  que  dans 
la  conjonction  si  devant  le  pronom  masculin,  tant  au  singu- 
lier qu'au  pluriel  :  s'il  vient,  s'ils  viennent.  On  dit  si  elles 
viennent. 

APOTACTITES,  APOTACTIQUES  ou  RENONÇANTS 
(du  giec  àiîOTàxxiTai,  composé  d'ino  et  TaxTO),  je  renonce  ). 
C'est  le  nom  d'une  secte  d'anciens  hérétiques  qui  renon- 
çaient h.  tous  leurs  biens ,  et  voulaient  imposer  à  tous  les 
chrétiens  l'obligation  de  les  imiter,  pour  suivre  l'exemple 
des  apôtres  et  des  premiers  fidèles  {voyez  Apôtres  et 
Apostoliques).  11  ne  parait  pas  qu'ils  aient  donné  lieu  à  au- 
cune erreur  tant  que  dura  leur  premier  état;  quelques  écri- 
vains ecclésiastiques  nous  assurent  qu'ils  eurent  des  martyrs 
et  des  vierges  au  quatrième  siècle,  durant  la  persécution  de 
Diocictien.  Plus  tard  ils  tombèrent  dans  l'hérésie  des  en- 
cratites,  d'où  la  G"  loi  du  Code  tliéodosien  prend  occasion 
de  les  unir  aux  eunomiens  et  aux  ariens. 

APOTHÈME  (du  grec  kno,  de,  et  TiOriat,  je  pose).  En 
géométrie  ce  mot  désigne  la  perpendiculaire  menée  du  centre 
d'un  polygone  régulier  sur  l'un  de  ses  côtés.  C'est  le  rayon 
du  cercle  inscrit  à  ce  polygone. 

APOTHÉOSE  (du  grec  ànoôseiv,  déifier).  C'est  l'ac- 
tion de  déifier  ou  de  placer  un  homme  au  rang  des  dieux. 
L'apothéose  était  fondée  chez  les  anciens  sur  l'opinion  reli- 
gieuse que  les  hommes  illustres  étaient  admis  au  ciel  après 
leur  mort  ;  c'était  un  dogme  que  Pythagore  avait  puisé  chez 
les  Chaldéens.  Cette  cérémonie  remonte  à  la  plus  haute  an- 
tiquité, et  il  est  très-probable  que  les  dieux  les  plus  célèbres 
de  la  Grèce  ne  sont  que  des  hommes  divinisés.  Les  apo- 
théoses les  plus  célèbres  de  la  Grèce  furent  celles  de  Bra- 
sidas,  général  lacédémonien,  et  d'Éphestion,  ami  d'Alexandi-e. 
Hérodien,  au  commencement  du  livre  IV  de  son  Histoire, 
en  parlant  de  celle  de  Sévère,  fait  une  description  exacte  et 
curieuse  des  cérémonies  qui  s'observaient  dans  les  apo- 
théoses des  empereurs.  Voici  ce  qu'il  en  dit  :  «  Après  que 
le  corps  du  défunt  avait  été  brûlé  avec  les  solennités  ordi- 
naires, on  mettait  dans  le  ves^tibule  du  palais,  sur  un  grand 
lit  d'ivoire,  couvert  de  drap  d'or,  une  image  de  cire  qui  le 
représentait  parfaitement,  mais  à  laciuelle  on  donnaitnéan- 
moins  un  air  de  langueur  et  de  maladie.  Pendant  presque 
tout  le'jour  le  sénat  se  tenait  rangé  et  assis  au  côté  gauche 
du  lit  avec  des  robes  de  deuil.  Les  dames  les  plus  élevées 
par  la  qualité  étaient  au  côté  droit,  vêtues  de  robes  blanches, 
toutes  shnples  et  sans  ornements.  Cela  durait  sept  jours  de 
suite,  pendant  lesquels  les  médecins,  s'approchant  de  temps 
en  temps  du  lit  pour  considérer  le  malade,  dressaient  en 
quelque  sorte  le  bulletin  de  sa  santé ,  jusqu'au  moment  où 
ils  venaient  déclarer  au  peuple  que  l'empereur  avait  cessé 
de  vivre.  Alors  de  jeunes  chevaliers  romains  et  d'autres 
jeunes  seigneurs  du  premier  rang  chargeaient   sur  leurs 
épaules  ce  lit  de  parade,  et,  passant  par  la  rue  Sacrée  (  via 
Sacra  ) ,  ils  le  portaient  au  vieux  marché,  où  les  magistrats 
avaient  coutume  de  se  démettre  de  leurs  charges.  Là ,  il 
était  placé  entre  deux  espèces  d'amphithéâtres,  et  l'on  chan- 
tait alentour  des  hymnes  composés  en  l'hoimcur  du  dé- 
funt sur  des  airs  lugubres  ;  après  quoi  on  portait  le  lit  hors 


de  la  ville,  au  Champ  de  Mars ,  au  milieu  duquel  avait  été 
dressé  un  pavillon  de  bois,  de  forme  carrée ,  rempli  de 
matières  combustibles,  revêtu  de  drap  d'or  et  orné  de  fi- 
gures d'ivoire  et  de  diverses  i>eintures.  Au-dessus  de  cet 
édifice,  on  en  élevait  plusieurs  autres  semblables  au  pre- 
mier pour  la  forme  et  la  décoration ,  mais  plus  petits ,  et 
allant  toujours  en  diminuant;  on  plaçait  le  lit  de  parade 
dans  le  second  de  ces  édifices,  dont  les  portes  restaient  ou- 
vertes ,  et  on  jetait  tout  alentour  une  grande  quantité  d'a- 
romates ,  de  parfums ,  de  fruits  et  d'herbes  odoriférantes. 
Après  quoi  les  chevaliers  exécutaient  alentour  une  caval- 
cade à  pas  mesurés,  et  suivis  de  chariots  dont  les  conduc- 
teurs étaient  revêtus  de  robes  de  pourpre ,  et  portaient  les 
représentations  ou  les  images  des  iilus  grands  capitaines  ro- 
mains ainsi  que  des  plus  illustres  parents  du  défunt.  Cette 
cérémonie  étant  achevée,  le  nouvel  empereur  s'approchait  du 
catafalque  avec  une  torche  à  la  main,  et  en  même  temps  on 
y  mettait  le  feu  de  tous  côtés,  en  sorte  que  les  aromates  et  les 
autres  matières  combustibles  prenaient  tout  d'un  coup.  On 
lâchait  aussitôt  du  faîte  de  cet  édifice  un  aigle  qui,  montant 
en  l'air  avec  la  flamme,  allait  porter  au  ciel  l'âme  de  l'empe- 
reur. Dès  lors  il  était  mis  au  rang  des  dieux.  C'est  de  là  que 
les  médailles  qui  représentent  des  apothéoses  ont  le  plus 
souvent  un  autel  sur  lequel  il  y  a  du  feu,  ou  bien  un  aigle 
qui  prend  son  essor;  quelquefois  aussi  il  y  a  deux  aigles; 
quelquefois  encore  l'empereur  y  est  représenté  assis  sur 
l'aigle  qui  l'enlève  au  ciel.  » 

On  se  servait  de  l'aigle  dans  l'apothéose  d'un  homme,  et 
du  paon  dans  celle  d'une  femme.  Cette  cérémonie  cessa 
d'être  en  usage  quand  le  christianisme  devint  dominant. 

On  avait  déifié  d'abord  les  hommes  vertueux ,  on  déifia 
plus  tard  les  auteurs  d'inventions  et  de  découvertes  utiles 
à  l'humanité,  et  ceux  qui  avaient  rendu  quelque  éminent 
service  à  l'État.  Enfin  les  Romains  déifièrent  leurs  empe- 
reurs et  leurs  grands  hommes.  Le  premier  exemple  en  fut 
donné  en  faveur  de  Romulus,  le  second  en  faveur  de  César. 
La  flatterie  s'empara  bientôt  de  cet  usage  religieux. 

On  peut  citer  nombre  d'exemples  de  rois  et  d'empereurs 
qui  voulurent  être  divinisés  de  leur  vivant.  Alexandre  en- 
voya l'ordre  à  toutes  les  républiques  de  la  Grèce  de  recon- 
naître sa  divinité  ;  à  quoi  les  Lacédémouiens  répondirent  par 
ce  décret  remarquable  :  Puisque  Alexandre  veut  être 
dieu ,  qu'il  le  soit. 

Eusèbe ,  saint  Jean  Chrysostome  et  TertuUien  nous  ap- 
prennent que  Tibère  proposa  au  sénat  l'apothéose  de  Jésus- 
Christ.  Dans  une  des  satires  de  Juvénal,  Atlas  se  plaint  de 
ce  que  les  apothéoses  emplissent  tellement  le  ciel,  qu'il  est 
près  de  fléchir  sous  le  poids.  L'empereur  Vcspasien,  natu- 
rellement railleur,  quoiqu'à  l'extrémité,  dit,  en  plaisantant, 
à  ceux  qui  l'entouraient  :  «  Je  sens  que  je  commence  à  de- 
venir dieu.  « 

En  Sicile  on  éleva  un  temple  à  Verres,  et  il  exigea  de 
grosses  sommes  pour  fournir  aux  frais  des  sacrifices  qu'on 
lui  offrait.  Caligula  ne  se  contenta  pas  d'être  dieu,  il  voulut 
jouer  tour  à  tour  le  rôle  de  tous  les  dieux,  jusqu'à  celui  de 
la  déesse  des  amours,  et  il  prit  pour  collègue  dans  son  sacer- 
doce son  propre  cheval,  digne  pontife  d'un  tel  dieu.  Cicé- 
ron  lui-même,  dit-on,  ne  fut  pas  exempt  de  cette  supersti- 
tion; il  parle,  dans  plusieurs  de  ses  lettres  à  Atticus,  du 
temple  qu'il  veut  élever  à  sa  chère  Tullia  ;  mais  nous  pen- 
sons qu'il  ne  faut  pas  prendre  sérieusement  ce  vœu,  et  qu'il 
n'est  question  ici  que  d'une  métaphore  commune  à  tous  les 
poêles  et  à  tous  les  amants.  Ce  culte,  dans  tous  les  cas,  eût 
été  plus  pur  que  celui  d'Adrien  mettant  Antinous  au  rang 
des  dieux  ;  de  Néron  divinisant  son  singe  et  sa  maîtresse 
Poppée,  après  l'avoir  tuée  d'un  coup  de  pied ,  et  de  Cara- 
calla,  qui,  ayant  assassiné  son  frère  Géta,  lui  accorda  les 
mêmes  honneurs,  en  prononçant  ce  cruel  jeu  de  mots  :  Sit 
divus,  dùm  non  sit  vivus;  qu'il  soit  dieu,  pourvu  qu'il 
soit  mort. 


APOTHEOSE  —  APOTRE 


69i 


APOTHEOSE  {Glyptique,  yuviismalique).  Le^  mé-  , 
dallles  romaines  représentent  souvent  l'apothéose  des  empe- 
reurs :  on  y  voit  des  pyramides  à  plusieurs  étages  et  des  ai- 
gles s'envolant  avec  les  ilines  de  ces  princes  décédés.  Les 
monuments  les  plus  remarquables  sur  lesquels  on  voit  des 
apothéoses  sont  :  l°  celle  d'Homère,  bas-relief  trouvé  en  165S, 
et  qui  fait  partie  du  musée  Ckmentin  ;  c'est  l'œuvre  d'Ar- 
chelaùs  de  Priéne,  célèbre  sculpteur  de  l'antiquité  ;  suivant 
le  P.  Kircher,  elle  lui  aurait  été  commandée  par  l'empe- 
reur Clnude ,  grand  ami  des  lettres  grecques ,  et  surtout 
des  épopées  d'Homère;  2°  l'apothéose  de  Romulus,  sur  un 
diptyque  des  comtes  de  Gherardesca,  publié  par  Buonarroti 
dans  ses  Observations  sur  les  verres  antiques  ;  3°  celle  de 
Jules  César ,  sur  une  piene  gravée  du  trésor  de  Brande- 
bourg :  4"  celle  d'Auguste,  le  plus  grand  camée  connu,  con- 
servé autrefois  à  la  Sainte-Chapelle,  et  qui  se  trouve  au- 
jourd'hui aux  médailles  et  antiques  de  la  Bibliothèque  Iitr- 
périale  ;  ce  monument  précieux  fut  apporté  en  France  en 
1224  par  Baudoin  II,  empereur  latin  de  Byzance  :  on  le  re- 
trouve sur  une  sardoine  au  cabinet  de  Vienne;  5°  celle  de 
Germanicus  sur  une  sardoine  du  cabinet  des  médailles  de 
la  Bibliothèque  Impériale;  C°  celle  de  Goiinanicus  et  d'A- 
grippine,  sous  les  traiîs  de  Cérès  et  de  Triptolcme,  sur  un 
camée  du  même  cabinet  ;  7°  l'apothéose  de  Titus,  sculptée 
sous  la  voûte  de  l'arc  de  cet  empereur,  à  Rome  ;  8°  celle 
d'Adrien,  sur  un  bas-relief  du  Musée  Clémentin;  9"  celled'An- 
tonm  le  Pieux  et  de  Faustine ,  bas-relief  du  même  musée  ; 
10"  enfin  l'apothéose  de  Faustine,  sur  un  bas-relief  du  Ca- 
pitole,  gravé  dans  le  supplément  de  Montfaucon.  Plusieurs 
de  ces  apothéoses  ont  été  prises  autrefois  pour  des  sujets 
religieux.  Voyez  Gt-i-PTiQUE.      A.-L.  Millix,  de  l'insiitut. 

APOTHICAIRE  (en  latin  apothecarius,  dérivé  du  grec 
oj:o6ir,xYi,  boutique,  magasin).  On  les  appelait  autrefois  les  cui- 
siniers de  la  médecine.  Nicolas  Lange  a  composé  un  gros 
volume  contre  les  apothicaires ,  sur  leur  peu  de  science 
et  sur  leur  charlatanisme.  Molière  ne  les  épargne  pas  plus 
que  les  médecins.  Cependant ,  il  parait  qu'ils  étaient  astreints 
à  certaines  règles  et  à  un  certain  noviciat  ;  on  ne  pouvait 
être  aspirant  à  cette  profession ,  et  admis  comme  tel  chez 
un  maître ,  qu'après  avoir  subi  un  examen  grammatical ,  et 
avoir  fait  preuve  d'aptitude  pour  la  nouvelle  profession 
qu'on  voulait  embrasser.  Après  quatre  ans  d'apprentissage , 
après  avoir  servi  les  maîtres  pendant  six  ans  et  s'être  muni 
de  certificats ,  l'aspirant  était  présenté  au  bureau  de  l'ordre, 
subissait  d'abord  un  premier  interrogatoire  devant  les  gardes 
et  neuf  autres  maîtres  choisis  par  eux,  puis  un  second, 
appelé  Vacte  des  herbes ,  qui  roulait  plus  spécialement  sur 
la  connaissance  des  simples  ;  après  quoi  il  devait  faire  un 
chef-d'œuvre  de  cinq  compositions.  A  Paris ,  le  corps  des 
maîtres  apothicaiies  était  joint  à  celui  des  épiciers  et  dro- 
guistes. 

Tandis'que  Bartholin  se  plaignait  de  la  trop  grande  abon- 
dance d'apothicaires  en  Danemark  ,  quoiqu'il  n'y  en  eût  que 
trois  à  Copenhague  et  quatre  seulement  dans  tout  le  reste  du 
royaume,  lesquels  étaient  obligés  pour  vivre  de  se  livrer  en 
outre  à  quelque  autre  trafic,  on  en  comptait  treize  cents  dans 
la  seule  ville  de  Londres.  Là  ils  forment  encore  aujourd'hui 
un  corps  qui  vient  après  celui  des  chirurgiens,  surgeons , 
et  ils  ont  le  droit  non-seulement  de  dc-iiiter  des  substances 
médicamenteuses,  mais  même  de  visiter  des  malades.  Chez 
nous  il  n'est  resté  de  l'illustre  corporation  que  le  proverbe  : 
(Test  un  mémoire  d'apothicaire ,  pour  désigner  tous  ceux 
qui  sont  démesurément  enflés  par  les  fournisseurs.  La  dé- 
nomination d'apothicaire  ne  s'emploie  plus  guère,  du  reste, 
que  dans  le  style  familier  et  même  trivial.  Celle  de  phar- 
macien est  généralement  préférée. 

APOTHICAIRERIE.  On  donnait  ce  nom  du  temps  des 
apothicaires,  dans  les  communautés,  les  hôpitaux  et  les 
palais ,  à  une  salle  consacrée  à  la  garde  et  à  la  conservation 
des  médicaments.  Celle  de  Dresde  contenait  quatorze  mille 


bocaux  d'argent.  Celle  de  Loretfe  était  ornée  de  vases  peints 
par  des^ élèves  de  Raphaël  sur  des  dessins  du  maitic. 

APOTRE  (d'àrtooTÔXo;,  envoyé,  messager,  ambassa- 
deur). L'Église  appelle  ainsi  ceux  des  disciples  que  Jésus 
chargea  particulièrement  de  prêcher  son  Évangile  par  toute 
la  terre.   Voyez  Apostolat. 

Ces  ambassadeurs  de  Jésus  furent  d'abord  au  nombre  de 
douze  :  Simon  Barjona ,  surnommé  Céphas  par  son  divin 
maître,  mot  syriaque  qui  signifie  rocher,  et  que  nous  tra- 
duisons par  Pierre;  André,  frère  de  Pierre;  Jacques  et 
Jean ,  fds  de  Zébédée  ;  Philippe ,  Barthélémy ,  Matthieu  le 
pubhcain,  Thomas  Didyme,  Jacques,  fils  d'Alphée,  Judas 
ou  Jude,  ou  Thadée,  ou  Lébée,  frère  de  Jacques,  Simon  le 
Zélé,  et  Judas  Iscariotes  {voyez  ces  noms). 

Réduits  à  onze  par  la  mort  de  Judas,  qui,  après  sa  tra- 
hison ,  se  pendit  de  désespoir,  les  apôtres ,  sur  la  propo- 
sition de  saint  Pierre,  procédèrent  au  remplacement  du 
défunt  par  la  voie  du  sort ,  qui  tomba  sur  Mathias ,  ce  qui 
porta  de  nouveau  leur  nombre  à  douze.  Il  s'éleva  bientôt 
à  treize  par  la  vocation  miraculeuse  de  Saul,  depuis  saint 
Paul,  qui  de  persécuteur  des  chrétiens  devint  tout  à  coup 
leur  plus  ardent  défenseur. 

Les  livres  saints  donnent  aussi  le  nom  à^ apôtre  à  Barnabe, 
qui  accompagna  saint  Paul  dans  quelques-unes  de  ses  mis- 
sions. Et  Paul  lui-même  désigne  par  ce  nom  Andronic  et 
Junia,  ses  parents  et  ses  compagnons  de  captivité,  gens  illus- 
tres entre  les  apôtres.  Mais  dans  ces  divers  passages  apôtre 
a  un  sens  restreint,  dans  lequel  il  s'applique  aux  ministres 
délégués  par  l'Église  pour  remplir  les  fonctions  de  l'apostolat 
parmi  les  gentils. 

Apôtre  ne  se  dit  absolument  que  de  ceux  qui  ont  reçu 
cette  mission  de  Jésus  lui-:îiôme.  Si  Paul  est  compris  dans  ce 
nombre,  quoiqu'il  n'ait  pas  été  des  douze  qui  l'accompa- 
gnèrent pendant  le  cours  de  ses  prédications,  c'est  que,  par 
une  grâce  spéciale,  il  n'en  fut  pas  moins  appelé  par  le  Christ 
comme  un  vase  d'élection  pour  porter  son  nom  parmi  les 
nations,  les  rois  et  les  enfants  d'Israël.  Le  zèle  de  Paul 
fut  extrême,  il  n'en  mit  pas  moins  à  propager  le  christianisme 
que  Saul  en  avait  mis  à  le  persécuter ,  et  peut-être  apporta- 
t-il  plus  de  talent  qu'aucun  autre  à  cette  sainte  mission. 
Pierre,  André,  Jean,  étaient  «  des  hommes  sans  instruction, 
des  idiots,  »  dit  le  texte  sacré.  Paul,  au  contraire,  élève  du 
docteur  Gamaliel,  possédait  une  si  profonde  instruction,  que 
le  gouverneur  Festus  lui  reprocha  d'extravaguer  par  excès 
de  science.  Cest  à  saint  Paul  que  les  fidèles  doivent  les 
premiers  développements  de  la  doctrine  dont  les  principes 
avaient  été  posés  par  Jésus-Christ,  et  c'est  de  lui  que  l'É- 
glise tient  sa  première  discipline. 

Saint  Paul  prend  non-seulement  la  qualité  d'apôtre  dans 
toutes  les  occasions,  mais,  dans  son  épître  aux  Galates,  il 
dit  très-positivement  «  qu'il  tient  cette  qualité,  non  des  hom- 
mes, mais  de  Jésus-Christ  et  de  Dieu  le  Père  ».  Ses  droits 
à  l'apostolat  ne  sauraient  au  reste  lui  être  contestés  quand 
ils  ont  été  reconnus  par  les  apôtres  eux-mêm?s. 

Plusieurs  apôtres  étaient  mariés.  Saint  Pierre  eut  une 
femme  qui,  dit-on,  le  suivait  dans  ses  courses  évangéliques, 
et  partageait  avec  lui  les  travaux  de  l'apostolat,  en  se  char- 
geant de  l'instruction  de  son  sexe.  On  assure  que  celte 
pieuse  femme  souffrit  le  martyre,  et  que  son  époux  ,  la 
voyant  mener  au  supplice,  lui  dit  d'un  ton  ferme  :  «  Femme, 
souvenoz-vous  du  Seigneur.  »  On  assure,  de  plus,  que 
saint  Pierre  eut  de  son  mariage  une  fille  nommée  Pétronille, 
Pétrine  ou  Périne,  qui  fut  martyre  aussi  ;  c'est  du  moins 
'ce  que  D.Calmct  répète,  d'après  le  témoignage  de  saint  Clé- 
ment d'Alexandrie,  de  saint  Épiphane  et  de  saint  Augustin. 

Saint  Philippe,  marié  aussi,  eut  plusieurs  filles,  dont  une 
seule  resta  vierge  ;  c'est  sainte  Hermione.  Judas  le  Zélé,  ou 
Jude,  fils  de  Marie,  sœur  de  la  Vierge,  et  conséquemment 
cousin  germain  de  Jésus  selon  la  chair,  fut  marié,  et  il  eut 
des  enfants,  puisque  Ilégésippe  parlo  de  deux  martyrs 


69G 


APOTRE  —  APOZEME 


petils-fits  de  cet  apôtre.  Sa  femme  s'appelait  Marie.  Enfin, 
saint  Barthélémy  fut  marié.  Saint  Bernard  et  l'abbé  Rupeit 
pensent  même  que  cet  apôtre  était  le  marié  des  noces  de 
Cana;  d'autres  veulent  que  ce  marié  fut  Simon  le  Zélé, 
apôtre  aussi  ;  voilà  qui  est  positif. 

Rien  dans  l'Évangile  ne  prouve  que  le  mariage  fut  interdit 
aux  apôtres.  11  est  vrai  que  les  disciples  de  Jésus ,  frappés 
de  ses  inconvénients,  lui  ayant  dit  un  jour  :  «  Si  les  choses 
sont  ainsi,  ne  vaut-il  pas  mieux  ne  pas  se  marier?  »  Jésus  leur 
répondit  :  «  Tous  ne  comprennent  pas  le  sens  de  cette. pa- 
role, mais  seulement  ceux  à  qui  il  est  donné  de  le  com- 
prendre, u  II  est  vrai  aussi  que  Jésus  proclama  heureux  ceux 
qui  se  châtrent  pour  le  royaume  des  cieux ,  en  ajoutant  : 
«  Comprenne  qui  pourra.  »  Que  conclure  de  là?  Que  Jésus 
conseillait  le  célibat  à  ses  disciples,  soit;  mais  non  pas 
qu'il  le  leur  ait  ordonné. 

Cela  n'est  pas,  du  moins,  l'avis  de  saint  Paul.  Dans  l'énu- 
mération  que  cet  apôtre  fait  des  conditions  exigibles  dans 
les  évéques  successeurs  des  apôtres  il  dit  :  11  faut  qu'il  soit 
le  mari  d'une  seule  femme,  unius  nxoris  viriim.  Telle  est 
la  traduction  littérale  du  texte.  Dans  les  versions  connues, 
on  rend ,  il  est  vrai,  tcnius  uxoris  virum  par  qu'il  n'ait 
épousé  qu'une  seule  femme.  Cette  version  n'est  pas  fidèle  ; 
en  substituant  le  passé  au  présent  on  en  altère  essentielle- 
ment le  sens. 

Telle  était  l'état  des  choses  dans  la  primitive  Église.  Des 
âmes  ardentes,  craignant  que  les  soins  d'une  famille  ne  les 
détournassent  de  ceux  de  l'apostolat,  se  sont  depuis  éloi- 
gnées du  mariage.  Origène  môme ,  prenant  à  la  lettre  les 
paroles  de  Jésus ,  se  mit  dans  l'impossibilité  d'éprouver  ja- 
mais une  pareille  distraction.  C'est  avoir  porté  la  vertu  bien 
loin ,  c'est  avoir  prouvé  la  vérité  de  ces  paroles  de  saint 
Paul  :  "  La  lettre  tue,  mais  l'esprit  vivifie.  »  Il  est  permis  de 
douter  qu'on  plaise  à  Dieu  par  de  pareils  sacrifices.  Saint 
Paul  avait  prévu  et  condamné  ces  excès,  et  signalé  d'avance 
àTimothée  comme  hypocrites,  comme  déserteurs  de  la  foi, 
les  hommes  qui  interdisent  le  mariage. 

Les  premiers  chrétiens  ayant  d'abord  déposé  leurs  biens 
aux  pieds  des  apôtres  et  vivant  en  commun ,  l'apostolat  se 
composait,  dans  l'origine,  de  deux  parties  distinctes,  la  pré- 
dication et  l'administration  ;  mais ,  comme  les  apôtres  n'y 
pouvaient  suffire,  ils  se  déchargèrent  du  temporel  sur  des 
diacres,  qui  furent  auprès  d'eux  ce  que  depuis  les  cha- 
noines ont  été  pour  les  évêques. 

Tout  entiers  au  spirituel ,  après  s'être  partagé  l'univers , 
les  apôtres,  qui,  le  jour  de  la  Pentecôte,  avaient  reçu  le 
don  des  langues ,  portèrent  la  foi  dans  les  trois  parties  de 
l'ancien  monde ,  mais  non  toutefois  dans  le  nouveau ,  quoi 
qa'vn  aient  dit  de  très-pieuses  personnes ,  dont  les  induc- 
tions ont  moins  d'autorité  que  les  relations  des  voyageurs. 

Les  deux  Jacques  ne  paraissent  pas  s'être  éloignés  de  Jé- 
rusalem. Ce  n'est  qu'après  sa  mort  que  saint  Jacques  le  Ma- 
jeur fait  le  voyage  d'Espagne,  où  ses  reliques  sont  soigneu- 
sement gardées  à  Compostelle.  Saint  Jean  tente  quelques 
excursions  en  Asie;  il  va ,  assure-t-on ,  prêcher  chez  les 
Parthes  et  même  dans  les  Indes.  Amené  à  Rome,  où  il  est 
torturé  sous  Domilien ,  puis  exilé  à  Pathmos ,  où  il  écrit  son 
Apocalypse,  il  revient  mourir  à  Éphèse.  Saint  Barthélémy 
parcourt  l'Inde,  la  Perse,  l'Arabie,  l'Abyssinie,  et  termine 
ses  courses  en  Arménie.  Saint  Philippe  prêche  dans  les  deux 
Phrygies;  saint  Tliomas  Dydime,  dans  laMédic,  la  Cara- 
manic,  la  Bactriane,  les  Indes,  et  la  Chine  même,  prétendent 
quelques-uns;  saint  Maltliicu  ,  en  Ethiopie;  saint  Simon  , 
selon  les  Grecs ,  en  Egypte  ,  en  Cyrénaïque  ,  en  Libye,  en 
Mauritanie,  en  Angleterre ,  et  de  là  en  Perse ,  où  il  meurt; 
saint  Jude,  en  Syrie,  en  Mésopotamie,  en  Perse,  en  Armé- 
nie, en  Libye.  Saint  Pierre,  évêque  d'abord  d'Antioche, 
puis  de  Rome,  visite  l'.Vsie  Mineure  et  Babylone.  Enfin  nous 
avons  donné  plus  haut  un  résumé  des  travaux  de  saint  Paul. 

A  l'exception  de  Philippe  et  de  Mathias,  tous  les  apôtres 


ont  souffert  le  martyre.  Saint  Jacques  le  Mineur  fut  assom- 
mé par  un  foulon  à  Jérusalem ,  tiiéàtre  de  la  décollation 
de  saint  Jacques  le  Majeur  par  ordre  d'Hérode-Agrippa  ; 
saint  André  fut  attaché  dans  Patras  à  la  croix  qui  porte 
son  nom  ;  saint  Barthélémy,  écorché  vif  à  Albanople ,  au 
bord  de  la  mèr  Caspienne  ;  saint  Thomas,  selon  les  Portu- 
gais ,  martyrisé  à  Méliapus  ou  Mélinpour  ;  saint  Matthieu , 
décapité  en  Ethiopie;  saint  Simon,  martjTisé  en  Perse,  ainsi 
que  saint  Jude  ;  saint  Paul  et  saint  Pierre ,  exécutés  tous 
deux  à  Rome ,  l'un  décapité ,  l'autre  crucifié  la  tête  en  bas 
selon  son  désir  ;  enfin  saint  Jean  plongé  à  Rome  dans  une 
chaudière  d'huile  bouillante ,  d'où  il  sortit  mieux  portant. 

Saint  Pierre,  qui  vivait  de  préférence  avec  les  Juifs,  est  ap- 
pelé Y  apôtre  de  la  circoncision,  et  saint  Paul,  qui  commu- 
niait avec  les  Gentils,  Vapôtre  des  nations.  De  plus ,  saint 
Pierre  est  nommé  le  prince  des  apôtres ,  et  saint  Paul  le 
grand  apôtre  ou  Y  Apôtre.  Ce  n'est  que  depuis  l'établisse- 
ment du  christianisme  que  les  mots  apostolat  etépiscopat 
ont  reçu  une  signification  spéciale  et  sacrée.  Les  Grecs  jus- 
que là  avaient  donné  aux  ambassadeurs,  aux  hérauts,  le  titre 
(Yapostolos,  et  aux  intendants  celui  à'episcopos,  sans  penser 
qu'il  y  eût  rien  de  sacerdotal  dans  leurs  fonctions.  Les  Juifs 
appelaient  apôtre  l'agent  chargé  de  lever  l'impôt  annuel  dû 
au  patriarche.  Tel  Grec ,  tel  Perse  est  nommé  apôtre  dans 
Hérodote,  et  tel  Romain  évêque  dans  Cicéron.  On  voulut  faire 
Pompée  évéqtie,  dit  le  célèbre  orateur  {ad  Atticum,  I.  MI, 
ép.  11). 

Plus  tard,  en  souvenir  des  douze  apôtres ,  ce  titre  s'est 
étendu  à  tout  prédicateur  ayant  le  premier  porté  la  foi  dans 
un  pays.  Seulement  au  nom  de  ce  prédicateur  on  ajoute  ce- 
lui du  pays  où  il  a  prêché.  Ainsi  on  appelle  saint  Denis  l'a- 
pôtre  des  Gaules,  saint  Boniface  Y  apôtre  de  V  Allemagne , 
le  moine  Augustin  l'oj^d^re  f/e  l'Angleterre,  et  le  jésuite  saint 
François  Xavier  Vapôtre  des  Indes.  Dans  ce  sens  apôtre  si- 
gnifie missionnaire ,  propagandiste.  On  entend  par  ^c^es 
des  .Apôtres  le  livre  où  saint  Luc  a  consigné  une  partie  de 
l'histoire  non  pas  de  tous  les  apôtres,  mais  de  saint  Pierre, 
et  surtout  de  saint  Paul,  dont  il  fut  le  disciple.  A  Venise  on 
appelait  Zes  douze  apôtres  les  chefs  des  douze  premières  fa- 
milles patriciennes.         ArNAULT  ,  de  l'Acadcinie  Française. 

APÔTRES  (Ordre  des  ).-  C'est  ainsi  que  Ghérard  Sa- 
garelli  de  Parme  appelait  un  ordre  non  soumis  à  la  vie 
claustrale,  qu'il  avait  fondé  lui-môme  en  1260,  à  l'imitation 
du  vêtement,  de  la  pauvreté  et  de  la  vie  nomade  des  apô- 
tres de  Jésus.  Ils  parcouraient  à  pied  l'Italie,  la  Suisse  et 
la  France  en  mendiant,  prêchant,  annonçant  la  venue  du 
Jîigement  dernier  et  d'un  temps  meilleur,  se  faisant  suivre 
de  femmes  comme  autrefois  les  apôtres.  Aussi  les  soupçonna- 
t-on  d'entretenir  avec  elles  un  commerce  illicite.  Cette  so- 
ciété ne  reçut  point  la  sanction  du  pape  Honoré  TV,  qui  en  pro- 
nonça môme  la  suppression  en  1286.  Quoiquepoursuivis  par 
les  inquisiteurs,  ils  n'en  continuèrent  pas  moins  à  se  livrer 
à  leur  mission,  et  Sagarelli  ayant  été  brûlé  comme  hérétique 
en  1300,  ils  se  choisirent  un  autre  chef,  Dolcino  de  Milan , 
homme  d'esprit,  qui  consola  par  ses  prédictions  les  membres 
restants  de  cette  société,  laquelle  s'accrut  jusqu'au  nombre 
de  1400. 

Poursuivis  en  1304  avec  un  acharnement  indicible,  ils 
furent  obligés  de  soutenir  une  guerre  défensive  dans  des 
camps  retranchés,  s'abandonnèrent  au  brigandage,  oubliè- 
rent leur  vocation  primitive,  dévastèrent  le  territoire  de  Jli- 
lan,  et  furent  enfin  défaits  et  presque  anéantis  en  1307  par 
les  troupes  épiscopales,  sur  le  mont  Zebello,  près  de  Ver- 
celli.  Dolcino  périt  dans  les  flammes.  Plus  tard,  les  débris 
de  cette  société  furent  rencontrés  dans  la  Lombardie  et  dans 
le  midi  delaFrance  jusqu'en  1368.  Leurs  incessantes  impréca- 
tions contre  le  pape  et  le  clergé  les  avaient  fait  taxer  d'hérésie. 

APOZÈME  (du  grec  àTto^c'w,  bouillir).  C'est  un  médi- 
cament liquide  dont  la  base  est  une  décoction  ou  une  infu- 
sion aqueuse  d'une  ou  plusieurs  substances  végétales,  à  la- 


APOZÉME  —  APPARENCE 


quclk  on  ajoute  divers  autres  nu'dicanients  simples  ou 
compos(^s,  tels  que  la  manne,  des  sels,  des  sirops,  des  éloc- 
tuairei;,  des  extraits,  etc.  Les  apo/.ènies  sont  peu  employés 
de  nos  jours;  c'est  une  préparation  qui  répugne  aux  ma- 
lades, et  que  les  médecins  repoussent  précisément  à  cause 
de  son  action  mixte  et  peu  appréciable. 

APPARAT,  du  latin  apparat  us,  est  le  synon>Tne 
d'éclat,  ostentation,  pompe  extérieure ,  et  indique  une  pré- 
paration à  une  action  solennelle,  publique,  préméditée. 
—  Dans  un  sens  plus  restreint ,  on  a  donné  ce  nom  à  des 
dictionnaires  ou  commentaires  en  usage  dans  les  classes  et 
dans  les  études.  L'Apparat  sur  Cicéron  est  une  espèce  de 
concordance  ou  de  recueil  des  phrases  de  cet  auteur  ;  V Ap- 
parat sacre  de  Possevin,  jésuite  de  Mantoue,  est  un  recueil 
de  toutes  sortes  d'auteurs  ecclésiastiques ,  imprimé  en  IGl  1, 
en  3  Yolumes.  On  a  aussi  appelé  apparat  la  glose  d'Ac- 
curse  sur  le  Digeste  et  le  Code.  Enfin,  Y  Apparat  royal 
était  un  dictionnaire  français-latin  en  usage  dans  les  classes 
avant  la  révolution. 

APPARAUX,  terme  de  marine,  qui  comprend  les 
agrès  d'un  vaisseau,  et  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  na- 
vig'.:er,  même  l'artillerie.  Toutefois  on  ne  comprend  sous 
cette  dénomination  ni  l'équipage  ni  les  vivres. 

APPAREIL.  Dans  son  sens  le  plus  général ,  ce  mot  est 
synonyme  d'apparat.  En  physiologie  on  donne  le  nom 
d'appareil  à  la  collection  des  organes  qui  tendent  à  une 
même  tin.  Bichat  divise  les  appareils  de  l'économie  animale 
en  trois  classes  :  appareils  de  la  vie  animale  ou  de  rela- 
tion, appareils  de  la  vie  organique  ou  de  nutrition,  ap- 
pareils de  la  génération.  Les  appareils  qui  forment  les 
organes  de  la  vie  de  relation  sont  au  nombre  de  cinq, 
savoir  :  l'appareil  locomoteur  (os,  muscles  et  leurs  dépen- 
dances), l'appareil  vocal  (larynx,  etc.),  l'appareil  scnsUiJ 
externe  (œil,  oreille,  nez,  langue,  peau),  l'appareil  sen- 
sitif  interne  (  encéphale,  etc.  ),  et  l'appareil  conducteur  du 
sentiment  et  du  mouvement  (nerf?).  Les  organes  de  la 
vie  de  nutrition  se  groupent  également  dans  les  cinq  appareils 
suivants  :  appareil  digestif  (bouche,  pharynx,  œsophage, 
estomac,  intestin  grêle,  gros  intestin,  péritoine,  épi- 
ploon),  appareil  respiratoire  (poumons  et  leurs  dépendan- 
ces), appareil  circziZa^oire  (cœur,  artères,  veines),  appareil 
absorbant  (vaisseaux  lympiiatiques,  glandes  ou  gangl'ons 
lymphatiques),  et  appareil  secrétoire  (glande  lacrymale, 
glandes  salivaires,  foie,  rate,  pancréas,  reins  et  voies 
urinaires).  Enfin  ,  la  troisième  classe  comprend  les  organes 
composant  les  appareils  génitaux  des  deux  sexes.  —  En 
termes  de  chirurgie ,  appareil  se  dit  des  linges  et  des  mé- 
dicaments nécessaires  pour  panser  une  plaie  ;  on  appelle 
premier  appareil  le  premier  pansement  d'un  blessé.  —  On 
appelait  aussi  autrefois  grand,  haut  et  petit  appareil, 
trois  différentes  méthodes  d'extraire  la  pierre  de  la  vessie 
(  voyez  Taille). 

On  se  sert  aussi  ôl  appareils  en  jardinage,  où  la  chose  et 
le  mot  ont  été  empruntés  à  l'art  de  la  chirurgie.  L'expé- 
rience a  démontré  que  toute  plaie  faite  à  un  arbre ,  à  sa 
tige,  à  ses  grosses  branches  ou  à  ses  racines,  lui  nuisait 
beaucoup  si  on  la  laissait  exposée  à  l'action  de  l'air,  du  soleil, 
des  pluies.  On  emploie  pour  la  couviir  la  bouse  de  vache 
fraîche  ou  vieille,  du  terreau  ou  de  la  terre  détrempée  par 
l'eau  ;  l'une  ou  l'autre  de  ces  matières  compose  tout  l'ap- 
pareil, que  l'on  applique  sur  la  plaie  et  que  l'on  maintient 
avec  un  chiffon  ;  l'osier  tient  lieu  de  bandage.  On  peut  lui 
substituer  la  paille,  la  (liasse,  le  jonc;  et  la  seule  attention 
à  avoir,  c'est  que  cette  espèce  de  ligature  n'endommage 
pas  l'écorce  de  la  branche  ou  du  tronc  lorsqu'ils  viennent  à 
grossir. 

Les  appareils  de  chimie  sont  des  cornues ,  des  alambics, 
des  tubes ,  des  ballons ,  des  matras,  etc. ,  diversement  ajustés 
et  qu'on  emploie  dans  les  expériences  auxquelles  se  livrent 
ceux  qui  étudient  colle  science  et  dans  les  applications  qu'en 

UICT.    lit   LA   CU.XVUUiATiUN.   —    i.    l. 


607 

tire  l'industrie.  La  plupart  d'entre  eux  sont  design  s  par 
leur  destination  particulière  :  tels  sont  les  eu  diom  êtres, 
gazomètres,  etc.  D'autres  portent  le  nom  de  leur  auteur' 
et  parmi  ces  derniers  ceux  dont  l'emploi  est  le  plus  fré- 
quent sont  les  appareils  de  Dausse  ,  de  Woolf ,  de  Donné 
de  Marsh  et  de  Cavendish.  ' 

En  termes  de  maçonnerie,  Vappareil  est  la  hauteur 
d'une  pierre  ou  son  épaisseur  entre  deux  lits.  On  taille  dans 
les  carrières  des  pierres  de  grand  ou  de  haut  appareil,  et 
d\iutres  de  bas  appareil,  pour  dire  d'une  plus  grande' ou 
d'une  moindre  épaisseur.  Toutes  les  pierres  d'un  même  lit 
doivent  être  d'un  même  appareil. 

En  architecture,  Vappareil  est  l'art  de  tracer  avec  exac- 
titude et  de  disposer  les  pierres  ou  marbres  selon  leur 
convenance  et  leur  relation  avec  telle  ou  telle  partie  d'un 
édifice  ou  d'un  monument.  On  se  sert  surtout  fréquemment 
du  mot  appareil  pour  désigner  les  dimensions,  la  disposiUon 
et  l'ajustement  des  pierres  qui  font  partie  d'une  maçonnerie. 
C'est  ainsi  qu'on  nomme  grand  appareil  un  assemblage  de 
pierres  de  taille  ayant  de  64  à  160  centimètres  de  largeur, 
et  de  60  centimètres  à  1  mètre  d'épaisseur,  qui  sont  posées 
par  assises  égales  et  liées  ensemble  par  des  crampons  de 
fer.  Le  petit  appareil  est  formé  de  pierres  symétriques  à 
peu  près  carrées,  dont  chaque  côté  a  de  8  à  16  centimè- 
tres; ces  pierres  sont  liées  par  d'épaisses  couches  de  mortier. 
Le  petit  appareil  est  dit  allongé  lorsque  les  pierres  qui  le 
composent  sont  plus  longues  que  larges.  Vappareil  moyen 
est  formé  de  pierres  de  dimensions  variables ,  tenant  le 
milieu  entre  le  grand  et  le  petit  appareil ,  également  ci- 
mentées ,  et  parfois  reliées  entre  elles  par  des  crampons.  On 
peut  concevoir  une  foule  d'autres  sortes  d'appareils.  Ainsi 
les  Romains  faisaient  un  grand  usage  de  Yopus  reticulatum 
(appareil  réticulé ),  et  de  Yopus  antiquum  ou  incertum 
(  appareil  antique  ou  irrégulier  ).  Dans  le  premier,  les  pierres, 
taillées  carrément  et  disposées  de  façon  que  la  ligne  des 
joints  fonne  une  diagonale,  donnent  au  parement  du  mur 
l'apparence  d'un  réseau  ou  d'un  damier.  Dans  le  second, 
les  pierres,  ajustées  sans  ordre  ni  rang  d'assises,  se  trouvent 
cependant  en  contact  par  tous  leurs  bords.  L'appareil  ap- 
pelé par  les  Grecs  cmplecton  était  constitué  par  deux  pa- 
rements formés  de  pierres  polies  à  l'extérieur,  posées  à 
plat  et  par  assise  en  liaison  ;  puis  on  remplissait  le  vide  entre 
les  parements  au  moyen  de  pierres  brutes  noyées  dans  du 
mortier  ;  les  Romains  employèrent  souvent  un  appareil  ana- 
logue. Visodomon  des  Grecs,  ou  appareil  réglé,  avait 
toutes  les  assises  de  même  hauteur  ;  c'était  le  contraire 
dansle/)seM(f(5oc?o?no?2.  Parmi  les  autres  espèces  d'appareils, 
nous  citerons  encore  Vappareil  oblique ,  formé  de  pierres 
rhomboïdales  inclinées  deux  à  deux  en  sens  inverse,  et 
Vappareil  en  épi  {opus  spicatuni  des  anciens)  qu'on  ap- 
pelle encore  appareil  en  feuilles  de  fougère  ou  en  arête 
de  hareng.  Dans  ce  dernier,  qui  a  été  assez  fréquemment 
employé  dans  les  édifices  anciens  et  du  moyen  âge,  les 
pierres  sont  alternativement  inclinées  à  droite  et  à  gauche. 

APPAREILLAGE,  action  de  mettre  un  vaisseau 
sous  voile ,  après  avoir  levé  l'ancre  ou  largué  ses  amarres. 
Les  différentes  manières  d'appareiller  dépendent  de  l'état 
du  temps ,  de  la  force  et  de  la  direction  du  vent,  ainsi  que 
de  celle  des  courants.  Appareiller  une  voile,  c'est  la  dé- 
ployer et  la  disposer  de  façon  à  recevoir  le  veut. 

Apparence  (du  latlnjsarerc,  paraître,  se  présen- 
ter). L'apparence  est  proprement  la  surface  extérieure  d'une 
chose,  ou  en  général  ce  qui  affecte  d'abord  les  sens,  l'esprit 
et  l'imagination.  Les  stoïciens  prétendaient  que  les  qualités 
sensibles  des  corps  n'étaient  que  des  apparences.  On  dit 
communément,  et  malheureusement  aussi  avec  quelque  ap- 
parence de  raison,  que  l'on  risque  souvent  d'être  trompé 
lorsque  l'on  juge  sur  les  apparences,  et  que  dans  le  monde 
on  récompense  i)lu(ôt  les  apparences  du  mérite  que  le 
mérite  lui-même.  Nos  erreurs  viennent  souvent  de  ce  que 


698 


APPARENCE  —  APPARITION 


nous  portons  notre  jugement  avec  précipitation  sans  nous 
donner  le  temps  de  discerner  le  vrai  de  ce  qui  n'en  a  que 
l'apparence.  Quelquefois,  et  par  extension,  on  donne  à 
ce  mot  la  signification  opposée  à  celle  de  réalité.  On  dit 
enfin  qu'il  faut  sauver  les  apparences,  pour  dire  qu'il  ne 
faut  point  donner  de  scandale,  qu'il  faut  au  moins  conser- 
ver les  dehorsde  l'honnêteté,  de  la  pudeur,  ou  de  la  probité. 

L'aspect  sous  lequel  nous  voyons  les  objets  diffère  sou- 
vent beaucoup  de  la  réalité;  nous  sommes  soumis  aux  il- 
lusions d'optique  sur  la  grandeur,  la  distance,  la  forme  et 
le  mouvement  des  corps  que  nous  regardons.  iMus  un  corps 
s'éloigne,  plus  ses  dimensions  nous  semblent  diminuer, 
tandis  qu'il  n'y  a  de  véritablement  diminué  que  l'angle  sous 
lequel  nous  l'apercevons.  Quand  plusieurs  objets  sont  très- 
éloignés  d'un  observateur,  ils  lui  semblent  tous  être  situés 
sur  une  sphère  dont  son  œil  occupe  le  centre;  le  ciel  par- 
semé d'étoiles  nous  en  offre  un  exemple.  Pour  ce  qui  est  de  la 
forme,  il  résulte  de  l'illusion  de  distance  que  tout  corps  vu 
de  loin  tend  à  paraître  plus  ou  moins  arrondi.  Enfin,  lors- 
qu'un wagon  nous  emporte,  tous  les  objets  fixés  autour  de 
nous  semblent  se  mouvoir  dans  le  sens  contraire.  Toutes 
ces  illusions  s'expliquent  par  la  manière  dont  s'opère  la 
vision. 

Ces  quatre  sortes  d'illusions  d'optique  engendrent  toutes 
les  apparences  célestes  de  l'astronomie.  "Lq  diamètre 
apparent  d'un  astre  n'est  pas  la  longueur  de  ce  diamètre, 
mais  l'angle  sous  lequel  il  est  vu ,  de  sorte  qu'une  petite 
planète  voisine  de  la  terre  peut  avoir  un  plus  grand  dia- 
mètre apparent  qu'un  globe  immense  beaucoup  plus  éloigné. 
La  hauteur  apparente  d'un  corps  céleste  au-dessus  de 
l'horizon  est  toujours  plus  grande  que  sa  hauteur  réelle  (sauf 
au  zénith),  par  l'effet  de  la  réfraction  et  de  la  parallaxe; 
on  en  voit  un  exemple  très-sensible  dans  le  lever  ap- 
parent du  soleil.  La  station  apparente  d'une  planète  au 
môme  point  du  zodiaque  est  produite  par  la  combinaison 
des  mouvements  réels  de  la  terre  et  de  la  planète.  Le  mou- 
vement que  nous  attribuons  au  soleil  n'est  qu'apparent  ; 
c'est  la  terre  qui  tourne  et  qui  se  meut.  De  là  une  foule 
d'expressions  fausses  admises  par  la  science  elle-même. 

Vhorizon  apparent  est  le  cercle  qui  termine  notre 
vue  et  qui  semble  formé  par  la  rencontre  de  la  terre  avec 
la  voûte  céleste.  Deux  planètes  sont  dites  en  conjonction 
apparente,  quand  les  centres  de  ces  astres  et  l'œil  du 
spectateur  sont  en  ligne  droite ,  sans  que  cette  droite  passe 
par  le  centre  de  la  terre.  —  Toutes  ces  apparences  seraient 
pour  les  astronomes  des  causes  continuelles  d'erreurs, 
s'ils  n'avaient  pas  construit  des  tables  au  moyeu  desquelles 
ils  soumettent  les  résultats  de  leurs  observations  aux  cor- 
rections nécessaires. 

APP/VRE:\T  (comte  de  L').  Voyez  Cochon. 

APPARITEUR  {(ïapparere,  être  présent).  C'était  chez 
les  Romains  un  mot  générique  appliqué  aux  délégués  des 
juges ,  qui  étaient  auprès  d'eux  pour  recevoir  et  faire  exé- 
cuter leurs  ordres  ;  on  comprenait  sous  cette  dénomination 
les  scribes,  les  interprètes,  les  licteurs,  etc.;  c'était  à  peu 
près  ce  que  sont  les  sergents  et  les  huissiers  de  tribunal  en 
ï'rance,  où  le  mot  d'appariteur  n'a  guère  été  en  usage  que 
pnir  signifier,  dans  l'Université,  ou  dans  les  Facultés,  les 
bedeaux  qui  portaient  des  masses  devant  le  recteur,  et 
dans  les  cours  ecclésiastiques ,  des  espèces  de  sergents  qui 
avaient  le  même  office. 

APPiVRlTION.  On  appelle  ainsi  la  manifestation ,  soit 
en  rêve,  soit  autrement,  d'un  être  singulier,  surnaturel, 
appartenant  presque  toujours  à  la  nature  physique ,  ou  en 
ayant  emprunté  les  formes.  Dieu,  les  anges,  le  démon,  les 
trépassés,  les  absents,  ou  quelques  animaux  d'une  nature 
hybride  et  fantastique,  sont  le  plus  ordinairement  les  agents 
de  ces  manifestations.  Je  dis  le  plus  ordinairement,  parce 
que  rfl/)/)«;-i^io7!, n'étant  qu'un  jeu  de  l'imagination,  em- 
piimte  également  toutes  les  formes  et  ne  peut  être  soumise 


à  aucune  règle.  Ce  qui  prouve  combien  cette  faiblesse  est 
inhérente  à  la  nature  humaine,  c'est  qu'on  la  retrouve  chez 
tous  les  peuples  à  toutes  les  époques  de  l'histoire,  et  qu'il 
n'est  pas  im  seul  monument  écrit,  parmi  les  plus  anciens, 
qui  ne  renferme  le  récit  de  pareils  faits. 

Dom  Calmet,  qui  nous  a  laissé  sur  cette  matière  un  travail 
curieux,  divise  les  apparitions  en  quatre  sortes  :  celles 
des  anges,  celles  des  démons,  celles  des  trépassés,  et  celles 
d'iiommes  vivants  éloignés,  qui  ont  lieu  sans  leur  partici- 
pation ;  mais  il  n'a  compris  dans  cette  classification  que  les 
genres  les  mieux  connus  de  l'espèce ,  sans  y  faire  entrer 
tous  les  phénomènes  qui  s'y  produisent.  L'apparition  de  la 
Divinité  et  celle  des  bons  ou  des  mauvais  anges  sont  com- 
munes à  l'histoire  de  toutes  les  religions.  Sans  rechercher 
avec  dom  Calmet  quel  degré  de  réalité  peuvent  avoir  toutes 
ces  visions  consignées  dans  les  écrivains  profanes  et  dans 
les  ouvrages  des  docteurs  et  des  hagiographes,  je  me  con- 
tenterai de  signaler  les  différences  et  les  rapports  qui  exis- 
tent entre  ces  récits  et  ceux  qui  nous  ont  été  conservés 
dans  les  saintes  Écritures. 

L'apparition  des  anges  est  fréquente  dans  l'Ancien  comme 
dans  le  Nouveau  Testament.  Elle  s'y  reproduit  avec  les 
mêmes  circonstances  :  un  être  surnaturel  ayant  la  fomie 
humaine,  mais  doué  d'une  beauté  supérieure ,  vient  mani- 
fester aux  élus  du  Seigneur  sa  suprême  volonté.  Un  visage 
éclatant  de  lumière,  des  vêtements  d'une  blancheur  éblouis- 
sante, et  deux  ailes ,  sont  les  signes  ordinaires  de  son  di\in 
caractère,  qu'il  peut  à  son  gré  cacher  ou  laisser  voir.  Quant 
à  l'apparition  de  Dieu  lui-même,  on  n'en  pourrait  citer 
qu'un  petit  nombre  d'exemples;  et  dans  la  nouvelle  loi,  c'est 
Jésus-Christ,  c'est  principalemefit  sa  mère,  la  pure  et  chaste 
Marie,  qui  consentent  à  se  révéler  aux  hommes  pour  leur 
donner  du  courage  et  des  consolations. 

Chez  les  peuples  idolâtres,  l'apparition  des  dieux  sans 
nombre  [qu'Us  s'étaient  créés  avait  lieu  fréquemment  ;  elle 
était  accompagnée  de  prodiges  qui  variaient  suivant  la  qualité 
du  personnage.  Le  bon  ou  le  mauvais  génie  remplaçait  chez 
les  anciens  le  bon  ou  le  mauvais  ange ,  et  dans  toutes  les 
circonstances  remarquables  de  leur  vie  ils  étaient  convaincus 
de  voir  apparaître  le  génie  particulier  qu'ils  croyaient  com- 
mis à  leur  garde.  Au  sujet  des  apparitions,  les  Grecs  et  les 
Romains  s'étaient  formé  une  théorie  complète  dont  les  prin- 
cipes ont  été  exposés  comme  il  suit  par  dom  Calmet  :  «  Les 
apparitions  des  dieux  sont  très-lumineuses,  celles  des  anges 
et  des  archanges  le  sont  moins,  celles  des  démons  sont 
obscures,  mais  moms  que  celles  des  héros.  Les  archontes 
qui  président  à  ce  qu'il  y  a  dans  le  monde  de  plus  brillant 
sont  lumineux,  mais  ceux  qui  ne  sont  occupés  que  des 
choses  matérielles  sont  obscurs.  Lorsque  les  âmes  appa- 
raissent, elles  ressemblent  à  une  ombre.  » 

Quant  au  génie  du  mal,  que  dans  les  temps  modernes 
on  nomme  vulgairement  le  diable,  chez  tous  les  peuples, 
à  toutes  les  époques ,  et  suivant  les  croyances  de  toutes  les 
religions ,  il  s'est  montré  bien  souvent  à  ceux  qu'il  a  voulu 
séduire  ou  effrayer.  Dans  ce  dernier  but ,  il  a  gardé  sa  forme 
naturelle,  qui  est  toujours  laide  et  repoussante;  ou  bien 
encore ,  si  la  répugnance  de  celui  qu'il  cherche  à  vaincre 
pour  un  animal  ou  un  objet  quelconque  lui  était  connue,  il 
n'a  pas  manqué  d'en  emprunter  la  figure.  Au  contraire, 
a-t-il  conçu  le  projet  de  séduire  ceux  auxquels  il  apparaît , 
le  diable  se  garde  bien  de  montrer  ses  cornes,  il  revêt  dans 
ces  circonstances  les  formes  les  plus  séduisantes.  Ce  n'est 
pas  seulement  la  figure  d'une  femme  jeune  et  belle  quil  em- 
prunte ,  c'est  encore  celle  d'un  jeune  homme  doux ,  humble, 
poli,  qui  fait  à  l'homme  assez  malheureux  pour  l'invoquer 
mille  et  mille  promesses  auxquelles  on  ne  résiste  pas  assez. 
A  ces  esprits  supérieurs ,  mécontents  de  toutes  les  incerti- 
tudes que  la  science  humaine  ne  permet  pas  de  résoudre  et 
qu'il  appartient  à  Dieu  seul  de  connaître,  le  diable  est  sou- 
vent apparu  sous  la  figure  d'un  homme  de  grande  taille , 


APPARITION  —  APPAT 


099 


•vôtu  tout  de  noir,  ayant  les  traits  du  visage  singulièrement 
Iirononcés  et  d'une  grande  laideur  ;  souvent  il  n'a  pas  craint 
dcxposer  toute  sa  difformité  et  de  poser  ses  griffes  longues, 
noires  et  pointues  sur  la  poitrine  de  l'audacieux  qui  voulait 
pénétrer  les  mystères  de  la  nature.  Rien  n'est  curieux  comme 
ces  longues  histoires  recueillies  par  les  écrivains  thauma- 
turges de  toutes  les  nations.  La  nomenclature  des  ouvrages 
où  elles  se  trouvent  serait  elle  seule  très-étendue. 

L'apparition  des  trépassés  est  une  croyance  qui  a  été  com- 
mune à  tous  les  peuples.  Chez  les  Hébreux  comme  chez  les 
nations  païennes  les  plus  célèbres ,  chez  les  Grecs  et  les 
Romains ,  on  ne  manquait  pas  de  rendre  aux  morts  les  hon- 
ucurs  funéraires  qui  leur  sont  dus,  tant  on  craignait  de  voir 
leur  ombre  apparaître  et  se  plaindre.  Les  anciens  croyaient 
aussi  qu'un  homme  qui  avait  commis  un  crime ,  et  qui 
était  mort  sans  en  être  puni ,  devait ,  pour  l'expier,  errer 
longtemps  hors  de  son  tombeau.  Agalliias  raconte  que  plu- 
sieurs philosophes  grecs  ayant  rencontré,  aux  environs  de 
Constantinople,  un  cadavre  sans  sépulture ,  le  tirent  enterrer 
par  leurs  esclaves.  La  nuit  survint,  et  le  cadavre  apiiarut 
à  l'un  de  ces  philosophes  en  le  priant  de  ne  pas  donner  la 
.sépulture  à  celui  qui  en  était  indigne;  que  la  terre  avait 
horreur  de  ceux  qui  l'avaient  souillée.  Le  lendemain,  ce 
cadavre  fut  trouvé  à  la  même  place  qu'auparavant ,  et  les 
Grecs  voyageurs  apprirent  que  cet  homme  avait  commis 
autrefois  un  inceste  épouvantable.  On  trouve  dans  les  chro- 
niqueurs du  moyen  âge,  à  propos  des  trépassés  catholiques 
coupables  de  quelque  crime  ,  et  surtout  en  matière  de  reli- 
gion ,  des  histoires  nombreuses ,  souvent  répétées  par  les 
prédicateurs  et  les  écrivains  ascétiques. 

Parmi  les  innombrables  histoires  d'apparitions  de  nature 
différente  qui  sont  parvenues  jusqu'à  nous ,  on  en  peut  citer 
quelques-unes  qui  se  rapportent  à  des  personnages  illustres, 
ou  bien  à  des  faits  remarquables  de  notre  histoire.  Parmi 
les  anciens ,  c'est  Sophocle  averti  par  Hercule  du  vol  d'une 
coupe  d'or,  conamis  à  son  préjudice;  c'est  Simonide  qui, 
près  de  s'embarquer,  donne  la  sépulture  à  un  cadavre  qu'il 
rencontre  sur  le  rivage,  et  qui  lui  apparaît  peu  d'heures 
après  pour  l'avertir  que  le  vaisseau  à  bord  duquel  il  va 
partir  fera  naufrage  ;  c'est  Jules-César  qui ,  près  de  passer 
le  Rubicon ,  est  arrêté  par  un  spectre  qui  lui  prédit  son 
sort;  enfin,  c'est  Brutus,  qui,  sur  le  pouit  de  passer  en 
Europe  et  d'entreprendre  contre  César  la  guerre  où  il  va 
succomber,  est  visité  dans  sa  tente  par  son  mauvais  génie , 
qui  lui  annonce  sa  fin  prochaine,  non  loin  des  murs  de 
Philippes. 

Parmi  les  modernes,  il  faut  citer  l'apparition  du  diable 
à  Luther,  qui  prétendit  raisonner  avec  ce  docteur  sur  le 
sacrifice  de  la  messe.  Mais  Luther,  averti  bientôt  par  les 
raisonnements  captieux  de  l'esprit  malin ,  ne  tarda  pas  à  le 
convaincre  et  à  le  chasser  honteusement. 

Au  nombre  des  apparitions  les  plus  singulières  relatives 
à  notre  histohe ,  il  faut  citer  celle  qui ,  sous  le  nom  de 
Mesnie  Hellequin ,  se  manifestait  au  milieu  des  nuages, 
la  veille  d'une  grande  bataille  ou  d'un  événement  remar- 
quable. Le  plus  ordinairement  elle  consistait  en  guerriers 
qui  choquaient  leurs  armes,  et  que  les  docteurs  n'hési- 
taient pas  à  regarder  comme  de  malins  esprits.  Le  duc  de 
Normandie  Richard  sans  Peur.,  fils  de  Robert  le  Diable, 
rencontra  cette  Mesnie  Hellequin  dans  une  vaste  forêt,  et 
le  chef  de  ces  démons,  après  avoir  revêtu  la  forme  d'un 
écuyer  que  le  prince  avait  perdu  depuis  un  an  ,  le  força  de 
se  battre  avec  lui.  Une  des  apparitions  les  plus  terribles 
dont  nos  annales  aient  gardé  le  souvenir  est  celle  qui  si- 
gnala la  folie  du  malheureux  Charles  VI.  Une  autre  bien 
remarquable  encore  est  celle  qui  eut  lieu  en  1429,  au  All- 
iage de  Vaucouleurs ,  sous  l'arbre  d^  Bonnes  dames,  et 
qui  décida  Jeanne  d'Arc  avenir  trouver  le  roi  Char- 
les VII  et  à  sauver  la  France. 
La  reine  Marguerite  de  Valois  nous  raconte,  dans  ses  Mé- 


moires, que  la  nuit  qui  précéda  le  tournoi  fatal  où  Henri  II 
périt,  frappé  d'un  coup  de  lance,  Catherine  de  Médicis  vit 
apparaître  son  mari  en  songe ,  l'œil  tout  ensanglanté.  De 
môme,  quand  elle  perdait  ses  enfants,  une  Hamme  brillait 
tout  à  coup  à  ses  yeux,  et  elle  s'écriait  :  »  Dieu  garde 
«  mes  enfants  !  »  C'est  ainsi  que  la  duchesse  de  Gueldre , 
veuve  de  René  II ,  duc  de  Lorraine ,  devenue  religieuse  à 
Sainte-Claire  de  Pont-à-Mousson ,  vit  dans  son  oratoire 
la  bataille  de  Pavie ,  et  s'écria  :  «  Mon  fils  de  Lambcsc  est 
mort  !  Le  roi  de  France  est  prisonnier  !  »  Ce  qui  était  vrai. 
Bossuet  croyait  aux  apparitions  :  il  suffît  de  parcourir  pour 
s'en  convaincre  l'oraison  funèbre  d'Anne  de  Gonzague  de 
Clèvés,  princesse  palatine.  Voyez  Démoss,  Duble,  Esphits, 
Magnétisme,  Revenants,  Visions.        Le  Roux  deLincy. 

APPARTEMENT  {xdiiœi  pars ,  du  verbe  latin 
partior,  je  partage ,  je  divise  ).  On  entend  par  ce  mot  une 
division  plus  ou  moins  grande  d'un  édifice ,  d'une  maison , 
partagée  en  plusieurs  chambres  distribuées  plus  ou  moins 
convenablement  pour  loger  une  famille  ou  plusieurs  familles  ; 
en  un  mot ,  une  disposition  et  une  suite  de  pièces  néces- 
saires pour  rendre  une  habitation  commode,  selon  le  rang, 
la  fortune  ou  la  profession  de  celui  qui  l'occupe.  Chez  les 
peuples  de  l'antiquité ,  où  chaque  particulier  des  classes 
élevées  avait  sa  maison,  son  habitation  entière  et  complète 
à  lui ,  comme  on  le  voit  en  beaucoup  d'endroits  dans  plu- 
sieurs pays  du  Nord,  à  Londres ,  et  dans  certains  quartiers 
de  Paris,  cette  habitation  était  généralement  divisée  en  deux 
parties  :  Vandronitide ,  ou  appartement  des  hommes,  sur 
le  devant  de  la  maison,  et  le  gynécée ,  ou  appartement  des 
femmes ,  qui  était  situé  dans  la  partie  la  plus  retirée.  Au 
rez-de-cliaussée  sur  la  rue,  ou  au  premier  étage,  était  Vhos- 
pitixim  ou  appartement  des  étrangers.  Cette  disposition  a 
été  conservée  par  les  Grecs  modernes ,  en  Egypte,  en  Italie, 
et  a  été  suivie  également  par  la  plupart  des  peuples  du  Nord, 
en  Allemagne,  en  Russie,  etc.,  où  les  maisons  des  nobles  et 
des  grands  sont  autant  de  palais  somptueux,  destinés  surtout 
aux  jouissances  du  luxe,  aux  fêtes,  aux  réceptions  d'apparat, 
et  où  les  commodités  intérieures  et  de  la  famille  sont  quel- 
quefois sacrifiées  à  cette  exigence  du  rang  et  de  la  repré- 
sentation. Chez  les  modernes ,  et  principalement  dans  les 
grandes  villes,  l'accroissement  de  la  population,  le  prix 
excessif  des  terrains  ,  et  surtout  le  goût  de  la  vie  intérieure, 
de  la  vie  de  famille ,  qui  est  revenu  et  qui  pénètre  chaque 
jour  plus  avant  dans  nos  mœurs ,  tous  ces  motifs  ont  été 
cause  que  les  appartements  vastes  et  élevés  ont  presque 
complètement  disparu ,  pour  faire  place  à  une  distribution 
plus  sage ,  plus  économique ,  plus  appropriée  enfin  à  nos 
besoins ,  mais  où  le  défaut  contraire  des  proportions,  c'est- 
à-dire  l'exiguïté ,  se  fait  peut-être  trop  sentir. 
APPAS.  Voyez,  Charmes. 

APPÂT,  terme  de  chasse  et  de  pêche,  fait  depasùis, 
pâture  :  c'est  l'objet,  l'amorce,  la  substance  dont  on  se  sert 
pour  faire  tomber  un  animal  dans  un  piège. 

Sur  la  rive  du  lac,  le  pécheur  malinal 

De  la  pêciie  a  porte  le  champêtre  arsenal  : 

Le  cordonDet  mobile  et   la  ligne  étendue. 

Qui  dans  sa  main  s'allonge  et  dans  l'eau  diminue  ; 

La  mouche,  l'haineçon  ,  et  tous  ces  faux  appâts 

Qui  promettent  la  vie  et  donnent  le  trépas.   (Boisjolin.) 

«  La  nature,  dit  M.  Bory  de  Saint-Vincent,  a  donné  à  ces 
mêmes  animaux  que  l'homme  trompe  avec  des  appûts  l'ins- 
tinct d'employer  aux  mêmes  fins  certaines  portions  de  leur 
corps.  Les  pics,  par  exemple,  dont  la  langue  rétraclile  et 
gluante  tente  l'appétit  de  plusieurs  petits  insectes,  insinuent 
celte  langue  dans  les  fourmilières  ou  dans  les  troncs  d'arbres, 
d'où  ils  la  retirent  chargée  de  proie.  Beaucoup  de  poissons, 
entre  autres  celui  qu'on  a  nommé  par  excellence  le  pêcheur, 
lophtns  piscatorius,  se  cachent  dans  la  vase,  où  en  agitant 
des  barbillons  voisms  de  leur  bouche,  et  qui  ont  l'appa- 


700  APPAT  —  APPEL 

rence  de  vers ,  Hs  attirent,  par  ces  appâts  naturels,  les  pois- 
sons plus  petits,  dont  ils  se  nourrissent.  » 

Ce  mot  s'emploie  également  en  morale,  dans  un  sens  fi- 
guré :  Vappât  des  richesses. 

Quittez  CCS  vains  plaisirs  dont  l'appât  vous  abuse  !  (  Boii.eau.) 

■    APPARTEMEiVTS  (Petits ).  V.  Petits  appautements. 


APPEAU,  sorte  de  sifffct  à  l'aide  duqiicl  l'oiseleur  imite 
les  cris  et  la  voix,  des  différents  oiseaux,  attirés  ainsi  dans 
les  pièges  qu'il  leur  a  tendus.  On  en  distingue  de  trois  es- 
pèces :  Yappeau  à  sifflet,  avec  lequel  on  contrefait  le  cri 
des  alouettes,  des  cailles,  des  perdrix,  etc.  ;  Vappeau  à  lan- 
guette, qui  sert  à  effrayer  les  oiseaux  par  l'imitation  du 
cri  de  ta  chouette  ou  du  moyen-duc,  leur  ennemi  mortel,  et 
à  les  Hiirede  la  sorte  plus  facilement  se  prendre  aux  gluanx 
qui  leur  ont  été  préparés;  enfin,  Vappeau  à/rouer,  bruis- 
sement produit  en  soufdant  dans  une  feuille  de  lierre  dis- 
posée en  cornet,  de  manière  à  imiter  le  cri  ou  le  vol  d'un 
oiseau,  comme  des  merles,  des  geais,  etc. 

If  y  a  aussi  des  appeaux  pour  appeler  les  cerfs,  les  re- 
nards, etc.  Ce  sont  des  anches  assez  semblables  à  celles  de 
l'orgue. 

APPEL  (Art  militaire  ).  Action  d'assembler,  de  réu- 
nir et  d'appeler  les  soldats,  pour  s'assurer  qu'ils  sont  tous 
présents.  —  Dans  les  villes  de  garnison,  on  fait  ordinaire- 
ment deux  appels  par  jour,  le  matin  et  le  soir,  et  quelque- 
fois des  contre-appels  de  nuit.  —  Dans  les  routes  on  fait 
un  appel  au  moment  du  départ,  pour  s'assurer  s'il  n'est  pas 
resté  d'hommes  en  arrière,  et  un  appel  en  arrivant,  dans  le 
but  de  savoir  si  tous  ont  rejoint.  —  Dans  les  camps,  les 
appe's  sont  beaucoup  plus  rapprochés  :  ils  ont  pour  motif 
de  prévenir  la  désertion  ou  la  maraude.  Les  appels  se  font 
de  deux  manières  :  par  rang  de  contrôle  ou  d'ancienneté , 
et  par  rang  de  taille.  Ils  sont  faits  par  le  sergent-major  ou 
le  maréchal  des  logis  chef ,  reçus  par  l'officier  de  semaine 
de  la  compagnie  ou  de  l'escadron,  et  par  l'adjudant-major, 
qui  les  rendent  au  chef  de  bataillon  et  au  colonel.  —  Cet 
usage,  qui  existait  aussi  chez  les  Grecs  et  chez  les  Romains, 
est  suivi  par  toutes  les  puissances  de  l'Europe.  Chez  les 
Romains,  c'était  le  tribun  qui  les  recevait  et  les  remettait 
au  grnéral  en  allant  chercher  l'ordre.  —  On  dit /aire  l'ap- 
pel, manquer  l'appel,  battre  et  sonner  l'appel. 

APPEL  (  Droit) ,  voie  de  recours  donnée  aux  parties 
devant  un  tribunal  supérieur,  pour  faire  réformer  un  ju- 
gement émanant  d'un  tribunal  inférieur.  On  nomme  ap- 
pelant la  partie  qui  saisit  la  première  et  principalement  le 
tribunal  supérieur,  et  intimé  celui  contre  lequel  l'appel  est 
introduit.  On  peut  interjeter  appel  des  jugements  des  tri- 
bunaux de  paix ,  civils,  commerciaux,  de  simple  pohce  et 
correctionnels,  quand  ils  ont  été  rendus  contradictoirement 
et  en  premier  ressort,  alors  môme  qu'ils  auraient  été  indû- 
ment qualifiés  en  dernier  ressort  ;  quand  ils  ont  été  rendus 
par  défaut,  mais  seulement  lorsqu'on  ne  peut  plus  les  faire 
réformer  par  la  voie  de  l'opposition. 

En  matière  civile ,  on  distingue  encore  l'appel  principal 
et  l'appel  incident.  Ca  dernier  est  formé  par  l'intimé  durant 
l'appel  principal. 

L'appel  du  jugement  dejustice  de  paix,  quand  elle  n'a 
pas  prononcé  en  dernier  ressort ,  est  porté  devant  le  tri- 
bunal civil  dans  les  trois  jours  de  la  signification  du  juge- 
ment. Les  sentences  des  prud'hommes  sont  déférées  en 
appel  aux  tribunaux  de  commerce.  L'appel  des  jugements 
des  tribunaux  civils  et  des  tribunaux  de  com- 
merce, quand  ils  n'ont  pas  prononcé  en  dernier  ressort, 
est  porté  devant  la  cour  impériale. 

L'appel  peut  être  interjeté  avant  la  signification  du  juge- 
ment rendu  en  première  instance,  mais  seulement  après  un 
délai  de  huit  jours ,  lorsque  le  jugement  n'est  pas  exécutoire 
par  provision  ;  sage  disposition  de  la  loi ,  qui  a  voulu  sous- 
traire un  plaideur  à  l'irrilation  du  moment  et  l'empêcher  de 


suivre  un  mauvais  procès!  L'appel  doit  de  plus  être  inter- 
jeté dans  le  délai  de  trois  mois  à  compter  du  jour  de  la  si 
gnification  pour  les  jugements  rendus  contradictoirement,  et 
du  jour  d'expiration  du  délai  d'opposition  pour  les  jugements 
rendus  par  défaut.  Ce  délai  de  trois  mois  doit  être  aug- 
menté comme  celui  d'ajournement  à  l'égard  des  personnes 
qui  habitent  hors  du  territoire  continental  de  la  France.  Le 
décès  de  la  personne  condamnée  a  pour  effet  de  suspendre 
les  délais  ;  ils  ne  continuent  de  courir  qu'après  une  nouvelle 
signification  faite  aux  héritiers.  Il  n'y  a  pas  de  délai  fixé 
pour  interjeter  un  appel  incident.  L'appel  d'un  jugement 
préparatoire  ne  peut  être  interjeté  qu'après  le  jiigemeat 
définitif  et  conjointement  avec  l'appel  de  ce  jugement  ;  il 
n'en  est  pas  ainsi  pour  un  jugement  interlocutoire  qui 
préjuge  le  fond.  Lorsqu'on  appelle  d'un  jugement  pour  in- 
compétence, il  n'y  a  pas  de  délai  fatal,  parce  que  l'incom- 
pétence est  d'ordre  public.  Dans  certaines  procédures  parti- 
culières les  délais  de  l'appel  ont  été  abrégés  par  la  loi  {voir 
les  art.  6G9,  723,  730,  734,  736,  7fi3,  809  du  Code  de  Procé- 
dure civile,  et  l'art.  291  du  Code  Civil). 

L'appel  est  formé  par  un  acte  contenant  assignation  dans 
les  délais  et  formalités  voulus  par  la  loi.  En  cas  d'appel  in- 
cident, la  signification  à  avoué  suffit.  L'appel  est  de  sa  na- 
ture suspensif;  il  arrête  l'exécution  du  jugement ,  sauf  le 
cas  où  la  loi  ordonne  cette  exécution  provisoirement  avec 
ou  sans  caution  ;  mais  la  partie  condamnée  peut  obtenir  du 
tribunal  d'appel  des  défenses  d'exécuter.  On  ne  peut  en  prin- 
cipe former  en  appel  aucune  demande  qui  n'aurait  pas  été 
soumise  aux  premiers  juges;  mais  cette  règle  souffre  excep- 
tion quand  il  s'agit  de  demandes  accessoires  ou  de  comiieu- 
satious.  Les  tribunaux  d'appel  ont  le  droit  d'évocation  en 
matière  civile ,  c'est-à-dire  de  juger  une  affaire  lors  même 
qu'elle  n'aurait  pas  été  complètement  jugée  en  première  ins- 
tance. L'appelant  d'un  jugement  de  justice  de  paix  qui 
succombe  est  condamné  à  une  amende  de  cinq  francs ,  et 
celui  d'un  jugement  du  tribunal  d'arrondissement  ou  de  com- 
merce à  dix  francs.  L'appel  est  le  plus  ordinairement  pure- 
ment facultatif;  mais  en  matière  d'adoption,  le  jugement  de 
première  instance  doit  être  nécessairement  soumis  dans  le 
délai  d'un  mois  à  la  cour  impériale. 

En  matière  criminelle,  les  procès  de  simple  police  sont 
portés  en  appel  dans  le  délai  de  dix  jours  à  dater  de  la 
signification  du  jugement  devant  le  tribunal  correctionnel  de 
l'arrondissement,  lorsqu'ils  prononcent  un  emprisonnement 
ou  lorsque  les  amendes,  donrmages-intérêts  ou  autres  ré- 
[)arations  civiles  excèdent  la  somme  de  cinq  francs.  — 
Avant  1856  l'appel  des  jugements  des  tribunaux  correction- 
nels d'arrondissement  était  porté  devant  le  tribunal  du  chef- 
lieu  du  département ,  et  celui  des  jugements  de  ce  dernier  de- 
vant le  tribunal  du  chef-lieu  d'un  des  départements  voisins; 
il  n'était  porté  devant  la  cour  impériale  que  lorsqu'il  s'en 
trouvait  une  plus  rapprochée  ou  dans  le  département  ;  fous  y 
vont  maintenant.  Les  jugements  des  tribunaux  de  simple  pot 
lice  et  de  police  correctionnelle  doivent  êlre  attaqués  dans 
les  dix  jours,  soit  par  le  prévenu,  soit  par  la  partie  civile 
quant  à  ses  intérêts  civils  seulement,  soit  par  le  procureur 
impérial  près  le  tribunal  qui  a  rendu  le  jugement.  Le  mi- 
nistère public  près  la  cour  qui  doit  connaître  de  l'appel  peut 
également  interjeter  appel,  et  Ll  a  à  cet  effet  un  délai  de 
deux  mois.  L'appel  qu'il  interjette  est  dit  appel  a  minima 
quand  il  a  pour  but  une  augmentation  de  peine.  L'appel  est 
encore  suspensif;  mais  cela  ne  profite  point  au  prévenu  déjà 
emprisonné  et  ne  fait  que  rendre  inutile  tout  le  temps  qu'il 
passe  en  prison  avant  le  jugement  en  dernier  ressort.  L'appel 
est  introduit  par  une  requête  contenant  les  moyens  ou  mo- 
tifs d'appel,  et  remis  dans  le  délai/ixé  au  grefîierdu  tribunal 
inférieur. 

Si  le  jugement  de  première  instance  est  confirmé,  il  doit 
recevoir  son  exécution,  et  les  difficultés  qui  s't'leveraiont  à 
cet  égard  seraient  soumises  au  tribunal  qui  l'a  rendu.  Si  le 


APPEL  — 

jugement  était  infirmé  et  qu'il  y  eût  une  condamnation  à 
exécuter,  rcxécution  appartient   à  la  cour   qui  infirme, 
à  moins  qu'elle  n'ait  indiqué  un  autre  tribunal  dans  son 
arrit. 

Les  procès  de  grand  criminel  sont  de  la  compétence  exclu- 
siTe  de  la  cour  d'assises;  les  arrêts  qu'elle  rend  sont  dé- 
cisits ,  souverains  ;  il  n'y  a  pas  d'appel  contre  eux ,  mais 
seulement  recours  en  cassation. 

L'appel  en  matière  administrative  est  de  la  compétence 
du  conseil  d'État. 

L'origine  des  appels  est  fort  ancienne.  Dès  les  premiers 
temps  de  Rome,  nous  voyons  Horace,  condamné  à  mort 
pour  avoir  tué  sa  sœur,  sauver  ses  jours  par  un  appel  au 
peuple.  Le  consul  Valérius  Publicola  fit  consacrer  par  une 
loi  formelle  ce  droit  d'appel  au  peuple.  Mais  le  second  degré 
de  juiidiction  n'existait  qu'en  droit  criminel  ;  et  pendant  toute 
la  république  il  n'y  eut  pas  d'autre  appel  en  matière  civile 
que  le  recours  aux  tribuns  du  peuple.  Sous  l'empire,  enfin, 
ce  droit  fut  universellement  reconnu ,  et  l'appel  eut  lieu 
devant  le  préfet  du  prétoire. 

Le  droit  d'appel  exista  en  France  dès  les  premiers  temps 
de  la  monarchie  ;  Charlemagne,  voulant  en  rendre  la  voie 
plus  facile,  en  avait  chargé  les  mi  s  si  dominici.  Al'avéne- 
ment  de  Hugues  Capet,  les  seigneurs  refusèrent  de  recon- 
naître les  envoyés  de  celui  qui  avait  été  leur  égal ,  et  se 
constituèrent  juges  souverains  dans  leurs  possessions.  Le 
droit  d'appel  fut  virtuellement  aboli  ;  le  combat  judi- 
ciaire le  remplaça.  Jaloux  d'étendre  son  pouvoir  et  d'a- 
baisser la  féodalité,  Philippe- Auguste  établit  qu'en  cas  de  déni 
de  justice  on  pourrait  se  pourvoir  de  la  cour  du  vassal  à 
celle  du  suzerain;  c'était  l'appel  de  défaut  de  jtigetnent. 
Devant  le  tribunal  du  suzerain  le  seigneur  demandait  le 
renvoi  de  l'affaire  à  sa  cour  ;  s'il  gagnait,  l'appelant  était  en 
outre  condamné  à  une  amende  envers  lui.  Il  y  avait  encore 
un  autre  mode  d'appel  :  c'était  l'appel  i>onT  faux  jugement. 
Fausser  une  cour  de  justice,  c'était  l'accuser  d'avoir  jugé 
deloyaument.  Le  tribunal  ou  le  juge  ainsi  insulté  était  alors 
frappé  d'interdiction  ;  il  offrait  donc  de  faire  le  jugement  bon 
par  gage  de  bataille.  Le  combat  tranchait  la  question.  Les 
vilains  ne  pouvaient  fausser  la  cour  de  leur  seigneur,  parce 
qu'ils  n'avaient  pas  droit  de  combattre;  les  condamnés  à 
mort  ne  le  pouvaient  pas  non  plus,  parce  que  tous  l'auraient 
fait  pour  sauver  ou  prolonger  leur  vie.  —  Louis  IX  acheva 
l'œuvre  de  Philippe-Auguste  en  proscrivant  le  combat  ju- 
diciaire et  en  décidant  qu'il  ne  terminerait  plus  les  appels 
pour  faux  jugements.  On  fut  libre  de  fausser  sans  vilains 
cas,  c'est-à-dire  sans  accuser  le  juge  de  déloyauté,  par  erre- 
mens  seurquoi  li  jugements  fus  f es.  Quant  aux  jugements 
rendus  sur  ses  domaines,  on  ne  pouvait  les  fausser,  mais  on 
en  demandait  l'amendement  comme  portant  préjudice;  s'il 
s'agissait  d'une  erreur  de  droit,  la  suppHcation  était  présentée 
au  roi;  s'il  n'était  question  que  d'un  simple  mal-jugé  ou 
d'une  erreur  de  fait,  le  même  tribunal  révisait  le  jugement. 
La  procédure  des  établissements  fut  adoptée  peu  à  peu 
dans  la  plupart  des  juridictions  seigneuriales  ;  bientôt  le 
tribunal  des  plaids  de  la  porte  et  le  conseil  du  roi  qui  ju- 
geait les  appels  ne  suffirent  plus  à  leur  multiplicité.  On  fixa 
alors  quatre  époques  dans  l'année  où  l'on  s'en  occuperait 
spécialement,  et  ce  fut  l'origine  du  parlement.  Cependant 
l'institution  des  appels  donnée  aux  justiciables  comme  un 
secours  et  une  garantie  était  devenue  la  source  d'incroyables 
abus  ;  on  était  souvent  obligé  de  passer  par  six  degrés  de 
uridiction.  La  révolution  simplifia  la  procédure,  et  nous  lui 
devons  l'organisation  judiciaire  actuelle,  qui  a  réduit  à  deux 
le  nombre  des  degrés  de  juridiction. 

La  juridiction  de  premier  ordre,  ayant  pour  attribution 
générale  de  connaître  souverainement,  en  matière  civile,  des 
appels  de  jugements  rendus  par  les  tribunaux  de  première 
instance  et  de  commerce,  et  en  matière  criminelle,  des  ap- 
pels de  police  correctionnelle,  a  reçu  tour  à  tour  les  noms  de 


APPENDICE  701 

tribitnal  et  de  cour  d'appel,  do  cour  Impériale  et  de  coxir 
royale,  suivant  les  gouvernements.  Elle  statue  en  outre  sur 
les  mises  en  accusation  des  prévenus  contre  lesquels  les 
chambres  du  conseil  des  tribunaux  de  première  instance  ont 
rendu  des  ordonnances  de  prise  de  corps. 

Il  y  a  vingt- huit  cours  impériales  en  France;  elles  ont  leuse 
sièges  à  At;en,  Aix,  Amiens,  Angers,  lîastia,  Besançon, 
Cordeaux,  Bourges,  Caen ,  Chambéry,  Colmar,  Dijon, 
Douai,  Grenoble, Limoges,  Lyon, Metz,  Montpellier,  Nancy] 
Nimes,  Orléans,  Paris,  Pau,  Poitiers,  Rennes,  Riora,  Rouen] 
Toulouse. 

Les  magistrats  des  cours  impériales  prennent  le  titre  de 
conseillers;  leur  nombre  varie  dans  les  différentes  cours; 
il  y  a  dans  chacune  au  moins  vingt-quatre  conseillers,  y 
compris  les  présidents.  Chaque  cour  a  un  premier  prési- 
dent et  autant  de  présidents  qu'elle  a   de  chambres. 

Chaque  cour  a  une  ou  plusieurs  chambres  civiles  ,  une 
chambre  d'appels  de  police  correctionnelle,  et  une  chambre 
d'accusation.  Les  chambres  civiles,  et  dans  certains  cas 
les  chambres  correctionnelles,  connaissent  des  appels  des 
jugements  des  tribunaux  de  première  instance  et 
des  tribunaux  de  commerce.  Les  chambres  correc- 
tionnelles connaissent  des  jugements  des  tribunauxcor- 
rectionnels.  Les  chambres  d'accusation  statuent  sur  le 
renvoi  à  la  cour  d'  a  s  s  i  s  e  s  des  accusés  de  crimes .  Il  y  a 
en  outre  une  chambre  des  vacations,  chargée  de  juger, 
pendant  les  vacances ,  les  affaires  urgentes. 

Les  cours  impériales  exercent  undroit  de  surveillancesur 
les  tribunaux  civils  de  leur  ressort;  elles  reçoivent  en  outre 
le  serment  des  présidents  et  des  juges  des  tribunaux  de 
première  instance  et  des  tribunaux  de  commerce,  ainsi  que 
des  membres  du  parquet  près  les  premiers  de  ces  tribunaux. 

Les  chambres  civiles  ne  peuvent  statuer  qu'au  nombre 
de  sept  conseillers  au  moins ,  et  les  chambres  correction- 
nelles et  d'accusation  qu'au  nombre  de  cinq  au  moins.  Le 
ministèrepub  lie  près  les  cours  impériales  se  compose 
d'un  procureur  général  impérial ,  d'avocats  généraux  et 
de  substituts  du  procureur  général.  Dans  chaque  cour  im- 
périale il  y  a  un  greffier  en  chef  et  des  commis  greffiers 
assermentés  en  nombre  suffisant  pour  le  service  de  la  cour. 
Près  de  chaque  cour  impériale  est  attaché  un  nombre  fixe 
d'avoués  et  d'hu  issiers,  qui  seuls  ont  le  droit  de 
postuler  et  d'instrumenter  près  d'elle.  * 

APPEL  COALME  D'ABUS.  Voyez  Abls. 

APPELANTS.  C'est  le  nom  qu'on  a  donné  aux  évo- 
ques et  autres  ecclésiastiques  qui  avaient  interjeté  appel  au 
futur  concile  de  la  bulle  Unigenitus ,  donnée  par  le  pape 
Clément  XI  et  portant  condamnation  du  livre  du  P.  Quesnel, 
intitulé  :  Réflexions  morales  sur  le  Nouveau  Testament. 

APPEIXDICE  {appendix,  àw.y&vhependere,appendere, 
pendre,  suspendre,  être  pendu,  suspendu,  attaché).  En  ter- 
mes de  granunaire  etde  belles  lettres,  ce  sont  des  annotations, 
des  explications,  sous  forme  d'additions,  et  séparées  de  l'ou- 
vrage qu'elles  sont  destinées  à  éclaircir,  et  dont  elles  sont  une 
dépendance  nécessaire.  — En  termes  d'anatomie  et  de  méde- 
cine, il  se  dit  particulièrement  des  membranes,  des  par- 
ties additionnelles  à  la  structure  d'un  organe.  Il  y  a  des  ap- 
pendices membraneux  de  diverses  figures  dans  la  plupart  des 
parties  intérieures  du  cori)S.  Le  cœcum  a  un  appendice  en 
forme  de  ver  oblong,  fait  de  la  jonction  des  trois  ligaments 
du  colon,  qui  est  plus  grand  chez  les  enfants  nouveau-nés 
que  chez  les  adultes.  —  En  botanique ,  on  appelle  appen- 
dice l'espèce  de  prolongement  qui  accompagne  le  pétiole 
presque  jusqu'à  son  insertion  sur  la  tige  ou  sur  les  ra- 
meaux ;  on  donne  encore  ce  nom  aux  écailles  qui  entourent 
l'ovaire  des  graminées  ;  Vappendice  terminal  est  le  petit 
filet  qui  se  prolonge  au-dessus  de  l'anthère;  \cs appendices 
basilnires  sont  de  petits  prolongements  qui  .se  trouvent 
quelquefois  à  la  partie  inférieure  des  loges  de  l'anthère; 
ces  derniers  sont  aussi  appelés  soies. 


702 

\PPE?iZELL  {Abbatis  Cella),  le  treizième  canton  de 
la  Suisse  ,  pays  de  montagnes  ,  entoure  par  le  territoire  du 
canton  de  6âint-Gall,  d'une  superficie  d'environ  440  lulo- 
mètres  carrés,  avec  une  population  de  51,000  ûmes  et  divisé 
en  deux  demi-cantons  :  l'un  ,  Appenzcll- Hhodes- Extérieu- 
res (Arisser-Rhoden),  est  prolestant,  et  contient  27ôl(iiom. 
carrés  de  superficie,  avec  41,000  habitants  ;  le  second,  Ap- 
penzell-lihodes-Tntérieiires  {Inner-Rimlen),  est  catho- 
lique, et  contient  165  kilom.  carrés,  avec  10,000  habitants. 
Appenzell,  Trogen ,  Iluntwyl ,  Hérisau ,  Gais,  et  le  cé- 
lèbre établissement  thermal  de  Molken  en  sont  les  localités 
les  plus  importantes.  L'économie  rurale  alpestre  constitue 
la  principale  occupation  (le  la  population,  et  forme  en  même 
temps  une  branche  d'industrie  importante;  mais  la  partie 
protestante  du  canton  en  est  le  principal  théâtre.  La  cons- 
titution de  YInner-Rhodcn  fut  revisée  en  1829  ,  et  celle  de 
VAusser-Rhodcn  en  1824  ,  sans  que  leurs  bases  essentielle- 
ment démocratiques  fussent  d'ailleurs  sensiblement  modi- 
fiées. Le  pouvoir  suprême  y  est  exercé  par  une  assemblée 
cantonale  composée  de  tous  les  citoyens  en  état  de  porter 
les  armes  et  Agés  de  dix-huit  ans  révolus.  Dans  l'Ausser- 
Rhoden  existent  en  outre  une  double  assemblée  cantonale , 
un  grand  conseil  et  un  petit  conseil,  etc.  A  la  tête  des  com- 
munes sont  placés  des  capitaines  et  des  conseillers  élus  par 
les  Kirchhœren,  assemblée  des  anciens,  et  par  une  seconde 
assemblée  des  autres  votants  de  chaque  paroisse.  Les  Ehe- 
(jaumer,  composés  du  curé  et  des  deux  capitaines,  forment 
dans  chaque  commune  une  espèce  de  tribunal  patriarcal, 
connaissant  plus  particulièrement  des  querelles  de  ménage, 
des  infractions  aux  bonnes  mœurs,  etc.  Il  en  est  de  même, 
dans  l'Inner-Rhoden.  Un  caractère  tout  particulier  de  la 
constitution  d'Appenzell ,  c'est  la  confusion,  le  mélange,  la 
connexion  de  tous  les  pouvoirs,  et  leur  mutuelle  absorp- 
tion, l'interdiction  absolue  de  se  servir  du  ministère  d'avocats 
dans  les  contestations  judiciaires,  la  durée  des  fonctions  ec- 
clésiastiques limitée  à  six  mois  et  devant  nécessiter  alors 
des  élections  nouvelles. 

Appenzell  faisait  jadis  partie  du  domaine  particulier  des 
rois  franks,  qui  accordèrent  force  franchises  et  privilèges  à 
l'abbaye  de  Saint-Gall,  de  telle  sorte  qu'au  quatorzième 
siècle  les  habitants  d'Appenzell  devinrent  complètement 
les  gens  de  mainmorte  du  célèbre  monastère.  A  la  fin  du 
quatorzième  siècle  l'oppression  exercée  par  les  abbés  pro- 
voqua une  insurrection  parmi  les  habitants,  qui  grâce  aux 
victoires  qu'ils  remportèrent  à  Speicher  et  à  Hauptlengs- 
berg,  parvinrent  à  se  soustraire  complètement  à  leur  joug; 
mais  ce  ne  fut  qu'en  1452  qu'ils  s'unirent  à  sept  autres 
cantons,  et  qu'en  1513  que  les  uns  et  les  autres  furent  ad- 
mis à  faire  partie  de  la  Confédération  helvétique.  A  la  suite 
de  nombreuses  (pierelles ,  provoquées  par  la  Réforme  ,  une 
décision  générale  de  la  Confédération  établit  dans  le  canton 
la  division  politique  et  religieuse  qui  existe  encore  aujour- 
d'hui, et  qui  donne  à  chaque  demi-canton  une  complète  in- 
dépendance, quoique  le  canton  entier  n'ait  qu'une  seule  et 
même  voix  à  la  diète  fédérale.  Quand  les  deux  demi-can- 
tons ne  peuvent  s'entendre  dans  les  questions  religieuses,  ce 
qui  n'est  pas  rare,  le  canton  perd  de  droit  sa  voix. 

APPÉTIT,  APPÉTENCE  (du  latin  appetere,  désirer). 
Pris  dans  son  acception  la  plus  commune,  le  mot  appétit 
sert  à  désigner  la  sensation  qui  nous  avertit  du  besoin  gé- 
néral de  restauration  qu'éprouve  l'organisme ,  et  de  l'apti- 
tude à  agir  des  organes  de  la  digestion;  mais  ce  mot  s'ap- 
plique .seulement  au  désir  des  aliments  solides,  tandis  que 
le  besoin  des  liquides  est  désigné  par  le  nom  de  soi  f.  Les 
physiologistes  regardent  l'appétit  comme  un  premier  degré 
de  la  faim,  et  il  se  distinguerait  d'elle,  suivant  eux,  en  ce 
qu'il  est  un  état  agréable,  qui  promet  le  plaisir,  tandis  que 
celle-ci  constitue  un  besoin  impérieux,  pénible  à  supporter 
et  allant  vite  jusqu'à  la  douleur. 
Dès  que  le  besoin  de  réparation  se  fait  sentir,  l'appétit 


APPENZELL  —  APPIANI 


s'éveille  :  il  consiste  d'abord  dans  une  sensation  agréable 
que  l'ingestion  de  certaines  substances  stimule  davantage , 
ce  qui  fait  dire  que  l'appétit  vient  en  mangeant  ;  parfois 
même  le  seul  souvenir  d'aliments  qui  plaisent  porte  l'ajjpétit 
au  plus  haut  degré  :  son  intensité  et  les  époques  de  son  re- 
tour varient  selon  l'âge,  les  tempéraments,  les  climats,  les 
lieux,  les  professions,  la  quantité  et  plus  encore  la  nature 
des  aliments  ingérés.  Ginguené  a  dit  avec  raison  : 

L'appétit  s'entretient  par  la  sobriété. 

Quand  le  besoin  est  satisfait,  la  sensation  éprouvée  cesse 
et  est  remplacée  par  une  sensation  qui  peut ,  au  delà  d'un 
certain  terme,  devenir  tout  o|»posée  et  dégénérer  en  s  a- 
tiété  ou  dégoût;  l'appétit  peut  disparaître  aussi  quand  il 
n'est  pas  satisfait,  mais  presque  toujours  pour  revenir  plus 
vif,  plus  pressant,  et  pour  revêtir  la  forme  de  la  faim.  Il 
est  d'observation  que  le  quinquina  et  les  toniques,  le  fer, 
les  aromates ,  calment  ou  masquent  d'abord  l'appétit,  pour 
l'exciter  ensuite  davantage.  L'eau  gazeuse  et  l'acide  carbo- 
nique, qui  la  rend  telle,  les  sels  alcalins,  et  en  particulier  le 
bicarbonate  de  soude,  sont  autant  d'excitants  de  l'estomac 
qui  peuvent  servir  à  réveiller  l'appétit.  Les  huîtres,  les  co- 
quillages et  plusieurs  autres  aliments  qui  activent  la  sécré- 
tion de  la  salive ,  jouissent  de  propriétés  analogues. 

L'appétence  est  un  état  de  l'organisme  dans  lequel  les 
imiividus  bien  portants  ou  malades  éprouvent  le  désir,  sou- 
vent bien  violent,  d'user  de  certains  aliments  ou  de  cer- 
taines boissons. 

L'anorexie  ou  inappétence  indique  la  diminution  ou 
le  manque  d'appétit. 

Dans  un  sens  plus  général ,  appétit  s'entend  d'une  incli- 
nation ,  d'une  faculté  par  laquelle  l'âme  se  porte  à  désirer 
quelque  chose  pour  la  satisfaction  des  sens  :  Appétit  char- 
nel, appétit  vénérien  ;  appétit  déréglé ,  appétit  désor- 
donné. La  philosophie  scolaslique  distinguait  entre  Vap- 
pétit  concupiscible,  faculté  par  laquelle  l'âme  se  porte  vers 
ce  qu'elle  considère  comme  un  bien,  et  l'appétit  irascible, 
qui  porte  l'âme  à  repousser  ou  à  éviter  ce  qu'elle  regarde 
comme  un  mal. 
APPÉTIT  (Botanique).  Voyez  Civette. 
APPLVIXI  (Andréa),  le  Peintre  des  Grâces,  ainsi  qu'on 
l'avait  surnommé  de  son  temps,  naquit  le  25  mai  1757  (la 
même  année  que  David  et  Canova),  d'une  ancienne  famille 
noble,  àBosisio,  dans  le  Milanais,  et  montra  de  bonne  heure 
la  vocation  la  plus  décidée  pour  la  peinture.  Sa  pauvreté  le 
condamna  pendant  assez  longtemps  à  faire  des  décors  pour 
les  théâtres;  mais  il  employait  ce  qu'il  pouvait  gagner  au  delà 
de  ses  besoins  matériels  à  fréquenter  des  cours  d'anatomie 
et  des  leçons  de  dessin.  Obligé  de  suivredevilleen  ville  lesdi- 
recteursde  théâtre  qui  l'engageaient  dans  leur  troupe,  il  visita 
ainsi  successivement  Parme,  Bologne  et  Florence,  où  il  fit  un 
assez  long  séjour  pour  pouvoir  étudier  les  grands  maîtres  et  se 
créer  un  style  à  lui.  Il  alla  à  Rome  à  trois  reprises,  à  l'effet 
d'y  faire  une  élude  de  plus  en  plus  approfondie  des  fresques 
de  Raphaël,  dont  le  secret  était  alors  à  peu  près  perdu,  et  qu'à 
force  de  travail  il  parvint  à  retrouver  ;  genre  dans  lequel  il 
surpassa  bientôt  tous  les  artistes  alors  vivants  de  l'Italie.  Sa 
supériorité  fut  si  bien  reconnue  que  dès  l'âge  de  vingt-deux 
ans  on  le  chargea  de  peindre  la  coupole  de  l'église  Santa- 
Maria  di  Sau-Celso,  à  Milan.  Plus  tard  encore  le  grand- 
duc  Ferdinand  lui  fit  peindre  des  plafonds  et  diverses  déco- 
rations murales  dans  sa  maison  de  campagne. 

Appiani  fut  du  nombre  des  Italiens  qui  saluèrent  l'arrivée 
de  Bonaparte  en  Italie  à  la  tête  d'une  armée  française , 
comme  l'aurore  del'iudépendance  italienne;  et  le  jeune  vain- 
queur le  nomma,  en  1797,  membre  du  corps  législatif  de  la 
république  cisalpine.  Devenu  en  1802  électeur  du  collège  des 
Doctes,  l'artiste  fut  nommé,  l'année  suivante,  commissaire 
des  beaux-arts,  puis  peintre  de  la  cour  d'Italie,  et  enfin 
chevalier  des  ordres  de  la  Légion  d'Honneur  et  de  la  Cou- 


ronne  de  Fer.  Comblé  d'honneurs ,  chargé  de  travaux  ex- 
trêaiement  lucratifs,  le  malheur  ne  tanla  point  à  frapper  de 
nouveau  à  sa  porte.  Eu  1S13  une  attaque  d'apoplexie  le 
força  à  s'abstenir  de  tout  travail;  et  la  chute  de  iNapoléon 
lui  enleva  bientôt  après  toutes  ses  charges  et  pensions.  Il  lan- 
guit quelque  temps  encore,  jusqu'au  moment  où  une  nou- 
velle attaque  fut  le  présage  de  sa  mort  prochaine,  arrivée 
k  9  novembre  1S17.  Après  sa  mort,  Milan  voulut  élever  à 
cet  artiste  éminent  un  tombeau  dans  le  palais  des  beaux- 
arts  de  cette  ville  :  et  ce  fut  ï  horwaldscn  que  l'on  chargea 
d'exécuter  le  monument  qui  consacre  sa  mémoire.  Appiani, 
homme  du  commerce  le  plus  facile  et  plus  charmant,  vécut 
constamment  dans  cette  société  d'Iiommcs  d'élite,  tels  que 
Monti,  Parini ,  Foscolo,  Volta,  etc.,  qui  jetait  alors  tant  d'é- 
clat à  Milan.  Ce  qui  distingue  son  talent ,  c'est  moins  l'é- 
nergie et  la  profondeur  de  l'expression  que  la  pureté  du 
dessin  et  la  grâce  du  coloris. 

Outre  les  portraits  de  tous  les  membres  de  la  famille  im- 
périale, d'une  foule  de  ministres,  de  maréchaux  et  de  hauts 
fonctionnaires,  Appiani  fut  chargé  de  peindre  en  grisaille 
dans  le  palais  impérial  et  royal  de  Milan  une  suite  de  com- 
positions retraçant  les  principaux  faits  d'armes  de  Bonaparte 
dans  son  immortelle  campagne  d'Italie,  et  d'allégories  rela- 
tives à  ses  institutions  commeconsul  et  comme  empereur. 
Il  peignit  successivement  le  jeune  héros  à  Monlenotte,  à  Lodi, 
à  Arcole,  à  Millesimo,  à  Rivoli,  à  la  Favorite.  Sous  des  formes 
empruntées  à  l'allégorie,  l'artiste  consacra  le  souvenir  de  la 
fédération  de  la  République  Cisalpine,  puis  les  circonstances 
les  plus  remarquables  de  la  campagne  d'Egypte.  Viennent 
ensuite  les  tableaux  où  Bonaparte  apparaît  comme  consul  à 
vie,  passant  le  Saint-Bernard  avec  son  armée,  vainqueur  à 
Marengo,  puis  enfin  devenu  empereur  des  Français,  et 
bientôt  après  roi  d'Italie.  Ces  compositions ,  au  nombre  de 
vingt  et  une,  dont  quelques-unes  sont  divisées  en  plusieurs 
tableaux, sont  pleines  de  vie.  On  y  trouve  i!es  combinaisons 
heureusement  pittoresques  et  de  la  richesse  d'invention.  li 
esta  regretter  seulement  qu'il  ait  parfois  arrangé  à  Vantiqne 
le  costume  de  nos  soldats  de  1797,  et  que  les  combattants 
qu'il  met  aux  prises  rappellent  un  peu  trop  les  Romains  et 
les  Daces  de  la  Colonne  Trajane.  Cette  œuvre  connue  sous  le 
nom  ào.  Fastes  de  Napoléon,  a  été  gravée  par  Longhi. 

APPIEJV  d'Alexandrie,  d'abord  avocat  à  Rome,  puis 
administrateur  des  revenus  impériaux  sous  Trajan,  Adrien  et 
Marc-Aurèle,  composa  en  langue  grecque  une  histoire  ro- 
maine depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  Auguste, 
en  24  livres,  mais  dont  une  faible  partie  seulement  est  par- 
venue jusqu'à  nous.  Il  exposa  les  événements  ethnogra- 
phiquement,  suivant  les  guerres  des  Romains  contre  les  dif- 
férents peuples  jusqu'à  leur  réunion  sous  la  puissance  ro- 
maine, par  exemple  contre  l'Espagne,  contre  Annibal  et 
Carthage,  contre  la  Macédoine,  etc.  Des  livres  qui  traitaient 
des  guerres  civiles  de  Rome,  il  n'y  a  que  les  cinq  premiers 
qui  soient  venus  jusqu'à  nous.  Son  style  est  peu  orné ,  et 
tombe  même  parfois  dans  la  sécheresse.  Mais  la  manière 
dont  il  raconte  les  faits  témoigne  au  total  d'un  grand  amour 
de  la  vérité,  bien  qu'il  ne  soit  pas  exempt  d'une  certaine 
partialité  pour  les  Romains.  Les  plus  anciennes  éditions 
d'Appien,  celles  de  Robert  Estienne  (Paris,  1551)  et  de  Henri 
Estienne  (Paris,  1557),  ne  contiennent  pas  tous  les  livTes  de 
l'histoire  romaine  d'Appien  qu'on  possède.  La  meilleure  édi- 
tion est  incontestablement  celle  de  Schweighœuser  (3  vol.; 
Leipzig,  17S5);  on  peut  sans  exagération  dire  de  ce  savant 
travail  qu'il  nous  a  rendu  Appien.  Le  texte  de  Schweighaîu- 
ser,  augmenté  des  fragments  nouveaux  retrouvés  par  A. 
Mai,  a  été  réimprimé  en  1840,  dans  la  belle  collection  des 
classiques  grecs  publiée  par  MM.  Didof. 

APPIEXN'E  (Voie).  C'est  la  route  la  plus  ancienne  et 
la  plus  connue,  qui  conduit  de  Rome  à  Capoue.  Cette  reine 
des  voies  antiques  commençait  dans  la  onzième  région  delà 
?illc,  près  du  cirque  Maxime,  longeait  la  vallée  d'Égérie, 


APPIANI  —  APPLALDISSt.MKNT  703 

gagnait  le  champ  ou  combattirent  les  Horaces,  |tuis,  à  tra- 
vers le  Latium,  les  Marais  Pontins,  la  Campanic  et  l'Apu- 
lie,  s'en  allait  finir  au  littoral  de  Brindes. 


Décrétée  l'an  442  de  Home  (313  av.  J.-C),  la  voie  Ap- 
pienne  fut  immédiatement  entreprise,  sous  la  direction  des 
deux  censeurs  en  charge  :  AppiusClaudius  Cieeus,  dont  elle 
porte  le  nom,  et  Caïus  Plautius  Venox.  Plus  tard  elle  fut 
prolongée  jusqu'à  Brindes.  Caïus  Gracchus  la  compléta  en 
y  faisant  poser  des  bornes  milliaires  et  des  mon/oirs. 

La  voie  Appienne  fut  la  première  route  stratégique  qui  ait 
été  construite  en  Europe;  œuvre  de  la  politique  romaine, 
elle  assura  atout  jamais  la  domination  quirite  sur  les  Latins, 
les  Èques,  les  Vols-pies,  les  Campaniens,dout  elle  traversait 
le  territoire.  En  m^me  temps  elle  ouvrait  aux  aigles  romaines 
le  chemin  du  monde  entier.  Elle  doit  être  aussi  considérée 
comme  une  des  plus  prodigieuses  créations  de  l'art.  Strabon, 
Frontin  et  Stace  nous  ont  laissé  les  détails  delà  mise  en  œuvre. 
Les  obstacles  que  présentait  un  sol  tourmenté,  abrupte,  ma- 
récageux, furent  surmontés  ;  la  route  se  développa  presque 
partout  sur  l'axe  de  son  point  de  départ.  Les  surfaces  lurent 
nivelées;  desplans  inclinés  raccordèrent  les  montagnes  aux 
plaines,  des  constructions  sur  pilotis  traversèrent  les  marais, 
et  l'on  établit  partout  cette  admirable  chaussée  pavée  qui 
devait  résister  à  l'action  des  siècles ,  formée  de  pierres  lar- 
ges, dures,  hexagones,  emboîtées  les  unes  dans  les  autres. 

La  piété  patricienne  et  plébéienne  adopta  la  voie  Appienne 
pour  bâtir  sur  ses  cotés  les  tombeaux  de  ses  morts;  enfin, 
les  traditions  chrétiennes  rapportent  que  ce  fut  dans  les 
cryptes  qui  l'avoisinent  que  le  chri.-^tianisme  persécuté 
creusa  des  lits  d'attente  pour  ses  martyrs  et  chercha  un 
asile  pour  son  culte. 

Procope  atteste  la  conservation  de  la  voie  Appienne  jus- 
qu'au sixième  siècle  de  l'ère  chrétienne.  Bientôt  elle  cessa 
d'être  fréquentée,  et  ce  magnifique  ouvrage  tomba  en  ruines. 
Il  n'en  reste  plus  aujourd'hui  que  deux  longues  rangées  de 
débris  informes  et  quelques  fragments  de  dallage.  M.  Jaco- 
bin! ,  ministre  des  beaux-arts  et  des  travaux  publics  dans  les 
Etals  Romains  ,  fit  comm^^ncer  en  décembre  1 850  des  tra- 
vaux d'exploration  et  de  déblayement  dans  la  partie  de  la 
voie  Appienne  qui  avoisine  la  ville  éternelle.  Le  résultat  dé- 
passa toute  espérance  -.  les  tombes  y  sont  en  si  grand  nom- 
bre qu'elles  se  superposent  comme  les  s.Mles  d'un  seul  pa- 
lais. On  y  rencontre  peu  de  temples  et  (.Vustrines  (clos  pour 
brûler  les  morts),  mais  les  tombeaux  sont  innombrables. 
Cette  vaste  nécropole,  cette  Babel  de  cippes,  d'urnes,  d'au- 
tels, décavés,  de  pyramides, de  cryptes,  de  chapelles,  de 
temples  mortuaires,  promet  à  l'artiste,  à  l'archéologue,  à 
l'historien  une  nouvelle  Pompéi. 

APPJUS  CL  AUDI  US.  Voyez  Claudius. 

APPLAUDlSSEMEi\'T.  Applaudir,  c'est  témoigner 
son  plaisir,  sa  joie,  son  admiration  en  battant  des  mains. 
Ce  mot,  dérivé  du  hlhi  plmidere ,  est,  comme  son  radical, 
une  onomatopée,  un  mot  où  l'on  retrouve  l'imitation  du 
bruit  qu'il  rappelle.  Fermez  vos  mains  en  voûte,  frappez-les 
l'une  contre  l'autre  avec  une  certaine  force,  et  vous  en  ob- 
tiendrez un  son  assez  semblable  à  celui  du  monosyllabe 
plan,  qui  se  trouve  dans  le  plausiis  des  Latins  et  dans 
l'applaudissement  des  Français  :  voilà  ce  que  c'est  qu'o^- 
plandir. 

Tenant,  au  contraire,  vos  mains  étendues,  frappez  de 
l'extrémité  de  l'une  dans  la  paume  de  l'autre,  et  vous  pro- 
duisez un  son  éclatant.  C'est  ce  qu'on  appelle  claquer, 
autre  onomatopée ,  dont  le  monosyllabe  cla  est  le  radical, 
et  qui  n'a  pas  d'analogue  en  latin  :  ce  qui  prouve  qu'il  n'y  a 
pas  de  riche  auquel  il  ne  manque  quelque  chose. 

Si  les  Romains  ,  en  fait  de  claques,  ne  possédaient  pas  le 
mot,  du  moins  connaissaient-ils  la  chose  :  aucun  peuple  n'a 
porté  aussi  loin  l'industrie  des  applaudissements  ;  ils  les 
divisaient  en  trois  classes,  si  l'on  en  croit  Suétone  :  les 
bombi,  dont  le  bruit  imitait  le  bourdonnement  des  abeilles; 


704 


APPLAUDISSEMENT  —  APPLICATION 


les  imbrices,  qui  retentissaient  comme  la  pluie  tombant  sur 
des  tuiles  ;  et  les  icslx ,  dont  le  son  éclatait  comme  celui 
d'une  cruche  qui  se  casse. 

Les  ôomôj  rtpondent-ils  à  nos  applaudissements  graves? 
Les  imbrices  et  les  tesCx",  applaudissements  plus  sonores, 
étaient-ils  autre  chose  que  des  claques?  Cest  ce  que  nous 
laissons  à  décider  aux  érudits,  en  reconnaissant  seulement 
que  chez  nous  autres  modernes  aussi  les  applaudissements 
ressemblent  quelquefois  à  un  bruit  produit  par  des  cruches. 

On  peut  voir  encore  dans  Sénèque  les  différentes  manières 
dont  se  donnaient  les  applaudissements  :  avec  le  pan  de  la 
robe,  que  l'on  faisait  voltiger,  ou  avec  les  doigts,  qu'on 
faisait  claquer,  ou  enfin  de  la  môme  manière  que  nous  ap- 
plaudissons aujourd'hui.  Propercc  nous  apprend  qu'on  se 
levait  pour  ap|)laudir  :  on  est  moins  poli  chez  nous.  Tacite 
se  plaint  des  applaudissements  maladroits  des  gens  de  la 
campagne,  qui  troublent  l'harmonie  générale  des  applau- 
dissements moilulés.  De  nos  jours  on  est  moins  difficile  en 
France,  et  c'est  de  la  quantité  qu'on  se  préoccupe  en  géné- 
ral bien  plus  que  de  la  qualité. 

Les  comiques  romains  ne  se  faisaient  pas  scrupule  de 
solliciter  des  applaudissements  du  public.  Plaute  et  ïérence 
observent  rigoureusement  celte  coutume  à  la  fin  de  leurs 
pièces.  Nos  auteurs  de  vaudevilles  sont  les  seuls  qui  l'aient 
conservée;  mais  ce  que  les  autres  réclamaient  à  titre  de 
dette ,  ils  le  demandent  à  titre  de  charité.  Cet  usage  semble 
avoir  été  ignoré  des  Grecs. 

Les  comédiens  romains  étaient  fort  avides  d'applaudisse- 
ments ;  c'est,  au  fait,  le  premier  salaire  de  l'acteur.  Aussi 
Néron  lui-même  n'en  fut  pas  moins  ambitieux  qu'Esopus  en 
était  friand.  Mais  ce  que  celui-ci  obtenait ,  Néron  l'arrachait  ; 
et,  si  l'on  en  croit  l'histoire,  le  tribun  Burrhus,  qui  formail 
son  cœur,  et  le  philosophe  Séncque,  q\ù  formait  son  es- 
prit ,  se   sont  mêlés  plus  d'une  fois  aux  soldats  qui , 

De  momeots  en  momcnls , 

Ont  arraché   pour  lui  des  apj.laudisseincnts.      (RACINE.) 

Applaudir,  par  extension,  se  dit  pour  approuver  : 

Le  gros  Bonneau  d'un  gros  rire  applaudit 

A  son  bon  roi,  qui  montre  de   l'esprit.  CN'OLTAinE.) 

Platidere  avait  aussi  cette  signification  chez  les  Latins. 

Un  homme  d'esprit  s'apercevant  que,  dans  une  société 
comme  il  y  en  a  tant,  on  l'écoutait  avec  plus  de  faveur  qu'à 
l'ordinaire  :  «  D'où  vient,  dit-il,  qu'on  vi' applaudit?  Est-ce 
qu'il  me  serait  échappé  quelque  sottise?  » 

Arnaclt,  de  rAcadémie  Française. 

APPLICATION  (du  latin  applicatio,  dérivé  de  ap- 
plicio,  formé  de  ad  et  de  plico,  s'incliner,  s'attacher,  se  plier 
h,  ou  vers  quelque  chose).  C'est  en  psychologie  l'action 
des  facultés  intellectuelles  qui  se  dirigent  sur  un  sujet  et 
s'y  attachent  fortement.  En  d'autres  termes,  c'est  l'attention 
portée  au  plus  haut  degré  et  toujours  ramenée  à  un  objet. 

C'est  aus-i  une   figure  de  riiétorique  (voyez  Citation). 

En  géométrie  V application  consiste  à  placer  une  figure 
sur  une  autre  pour  déterminer  leur  égalité  ou  leur  inéga- 
lité. C'est  de  la  sorte  qu'Euclide  et  d'autres  mathématiciens 
ont  démontre  quelques-unes  des  propositions  fondamentales 
de  la  géométrie  élémentaire;  c'est  ainsi  qu'on  prouve,  par 
exemple ,  que  deux  triangles  ayant  un  angle  égal  com- 
pris entre  deux  côtés  égaux  chacun  à  chacun  sont  égaux, 
ou  bien  (ju'wjie  diagonale  partage  un  parallélogramme 
en  deux  triangles  égaux,  ou  encore  que  tout  diamètre 
divise  le  cercle  et  sa  circonférence  en  deux  parties 
égales,  etc. 

Le  sens  du  mot  application  ne  difTèrc  point  en  techno- 
logie de  celui  qu'il  a  dans  le  langage  des  sciences  exactes. 
Par  exemple,  les  brodeuses  appliquent  une  étoffe  épaisse 
sur  une  étoffe  claire,  et,  après  l'avoir  fixée  par  des  points, 
elles  la  découpent  dans  les  intervalles,  de  manière  à  former 
un  dessin  mat  sur  un  fond  lianspaiont.  Le  placage  des 


objets  d'ébénisterie,  l'étamage  des  glaces,  etc.,  sont  de  vé- 
ritables applications. 

L'application  d'une  science  est  l'emploi  de  sa  théorie 
dans  des  questions  pratiques;  c'est  le  passage  du  vrai  â 
['utile.  Souvent  cette  action,  au  lieu  d'être  directe,  s'exerce 
au  moyen  d'une  ou  de  plusieurs  autres  sciences,  qui  servent 
en  quelque  sorte  d'intermédiaires;  d'une  proposition  géo- 
métrique, par  exemple,  découle  une  vérité  mécanique,  d'oij 
sort  une  vérité  astronomique,  qui,  à  son  tour,  concourt  à 
former  la  théorie  de  la  navigation.  Dans  ce  cas  il  y  a 
application  d'une  science  à  une  autre  science.  Chaque 
science  offre  ce  double  caractère  de  pouvoir  être  considérée 
comme  théorie  relativement  à  certaines  sciences,  comme 
pratique  relativement  à  d'autres;  souvent  même  deux 
sciences  étant  données,  elles  seront  alternativement  théorie 
et  pratique  l'une  de  l'autre.  Passons  en  revue  les  plus 
remarquables  de  ces  applications. 

Application  de  l'algèbre  à  la  géométrie.  Cette  branche 
importante  des  mathématiques  a  été  improprement  appelée 
géométrie  analytique  ;  il  vaudrait  mieux  lui  donner  le  nom 
de  géométrie  algorithmique,  proposé  par  M.  H.  Wronski. 
L'application  de  l'algèbre  à  la  géométrie,  prise  dans  toute  sa 
simplicité,  fut  connue  de  bonne  heure  ;  l'idée  de  mesure  en 
est  la  plus  simple  expression;  du  moment  qu'une  ligne  fut 
représentée  par  un  nombre,  il  y  eut  application  de  l'arith- 
métique, qui  par  la  généralisation  ne  tarda  pas  à  se  trans- 
former en  application  de  l'algèbre.  —  Considérée  sous  ce 
point  de  vue ,  cette  application  fut  connue  des  premiers 
géomètres  ;  mais  ils  ne  pouvaient  l'employer  que  dans  la 
recherche  des  solutions  de  problèmes  déterminés,  ou  seule- 
ment pour  la  démonstration  de  quelques  théorèmes  élémen- 
taires. Yiète,  en  fondant  l'algèbre  littérale,  apporta 
un  puissant  secours  à  la  géométrie  algùritlunique,  qui  com- 
mença à  faire  quelques  progrès.  Mais  il  était  réservé  à  Des- 
cartes d'en  être  le  véritable  fondateur  ;  car  le  premier  il 
se  servit  d'un  système  de  coordonnée  s,  et  représenta  les 
courbes  par  des  équations;  il  montra  les  relations  du  (ait 
géométrique  et  du  fait  algébrique,  de  telle  sorte  que  les  racines 
des  équations  furent  représentées  par  les  intersections  d'une 
courbe  et  de  l'axe  des  abscisses,  que  l'élimination  entre  deux 
équations  à  deux  variables  revint  à  l'intersection  de  deux 
courbes,  et  ainsi  de  suite.  Les  lignes  furent  d'abord  partagées 
en  transcendantes  et  en  algébriques  ;  puis  le  degré  des 
équations  servit  à  classer  les  lignes  algébriques.  Il  se  pré- 
senta même  une  heureuse  corrélation  de  l'algèbre  et  de  la 
géométrie,  qui  n'était  certes  pas  le  résultat  du  hasard,  mais 
du  choix  de  coordonnées  fait  par  Descartes.  En  même  temps 
que  les  courbes  étaient  représentées  par  des  équations ,  les 
propriétés  des  équations  s'expliquaient  par  la  considération 
des  courbes  ;  c'est  ainsi  que  de  Gua  démontrait  la  règle  des 
signes  de  Descartes;  la  corrélation  des  deux  sciences  don- 
nait l'idée  de  vérifier  les  propositions  algébriques  sur  des 
figures  géométriques.  Cette  application  de  la  géométrie 
à  l'algèbre  a  donné  une  rare  évidence  à  la  théorie  des 
équations,  à  la  marche  des  fonctions  dérivées,  et  à  beau- 
coup d'autres  points  qu'on  peut  établir  uniquement  avec 
le  secours  de  l'algèbre ,  mais  dont  la  géométrie  donne  une 
peinture  qui  frappe  les  yeux  et  qui  grave  dans  la  mémoire 
le  résultat  obtenu.  C'est  cette  application  qui  a  inspiré  à 
M.  Cauchy  son  admirable  démonstration  de  ce  théorème  : 
Toute  équation  aune  seule  inconnue  et  du  degré  u  ad- 
met n  racines  réelles  ou  imaginaires.  — Descartes  ne  s'é- 
tait pas  borné  aux  courbes  planes  ;  il  avait  esquissé  la  par- 
tic  connue  sous  le  nom  de  géométrie  analytique  à  trois 
dimensions.  Clairauts'en  occupa  spécialement,  et  découvrit 
d'importants  théorèmes  sur  les  surfaces  courbes  et  les  cour' 
bes  à  double  courbure.  Depuis  Descartes  la  géométrie  al- 
goritlimique  a  été  l'objet  des  travaux  de  tous  les  mathéma- 
ticiens; ses  méthodes  générales  ont  été  simplifiées,  et  elle 
est  parvenue  à  une  grande  perfection. 


APPLICATION 


lOS 


L'application  de  l'algèbre  et  de  la  géométrie  à  la  mé- 
canique est  fondi'c  sur  les  nu^mes  principes  que  Papplica- 
tion  de  l'algèbre  à  la  géométrie.  Aiii^i,  elle  représente  par 
des  équations  les  courbes  décrites  par  les  cor-ps  en  mouve- 
ment, et  elle  clier«lic  à  déterminer  la  relation  qui  existe  entre 
les  espaces  que  les  corps  décrivent  quand  ils  obéissent  à  une 
force  quelconque,  et  le  temps  qu'ils  y  emploient.  Réciproque- 
ment, on  fait  rapplication  de  la  mécanique  à  la  gcojué- 
trie  :  par  exemple,  on  se  sert  des  propriétés  du  centre  de 
gravité  des  figures  pour  déterminer  le  volume  des  corps 
qu'elles  engendrent  on  tournant  autour  d'un  axe  donné. 

L'application  de  la  géométrie  et  de  l'astronomie  à  la 
géographie  consiste  à  déterminer  la  position  des  lieux  par 
l'observation  des  longitudes,  des  latitudes  etdes  altitudes,  etc. 
L'application  de  la  géométrie  et  de  l'algèbre  à  la  phi- 
losophie naturelle  est  due  surtout  à  Newton  ;  c'est  sur  elle 
que  sont  fondées  toutes  les  sciences  qui  participent  de  la 
philosophie  naturelle  et  de  la  philosophie  mathématique. 
Une  simple  observation  produira  souvent  une  science  tout 
entière ,  ou  du  moins  une  branche  de  science.  C'est  ainsi 
que  lorsque  l'expérience  nous  démontre  que  les  rayons  lu- 
mineux en  se  rélléchissant  forment  un  angle  d'incidence 
égal  à  l'angle  de  réflexion  ,  nous  en  déduisons  toute  la 
catoptrique.  Car,  ce  fait  une  fois  établi ,  la  catoptrique  de- 
vient une  science  purement  géométrique,  puisqu'elle  se  trouve 
réduite  à  la  comparaison  de  lignes  et  d'angles  donnés. 

APPLICATION  (Ecoles  d'),  écoles  où  l'on  applique 
à  un  but  spécial  des  études  générales  faites  dans  d'autres 
établissements  d'instruction  publique  ;  ainsi  l'école  Poly- 
technique fournissant  des  élèves  pour  le  génie,  l'artillerie, 
les  mines,  les  ponts  et  chaussées,  et  ne  leur  donnant  que  les 
connaissances  générales  nécessaires  à  ces  différents  services , 
fl  a  dû  être  créé  autant  d'écoles  d'application  spéciale;  et 
d'un  autre  côté,  l'école  militaire  deSaint-Cyr  préparant 
des  officiers  d'état-major,  de  cavalerie  et  d'infanterie  ,  il  a 
fallu  aussi  créer  des  écoles  d'application  d'état-major  et  de 
cavalerie  pour  que  les  ofliciers  de  ces  deux  armes  vinssent 
y  achever  leurs  études. 

École  d'application  du  Génie  et  de  l'Artillerie.  Cette 
école  aété  créée  par  un  arrêté  des  consuls  du  4  octobre  1802, 
arrêté  ordonnant  la  réunion  à  Metz  des  deux  écoles  d'artil- 
lerie et  du  génie  établies  déjà,  l'une  à  Châlons-sur-Marne 
en  1790,  et  l'autre  à  Mézières  en  1791.  L'organisation  de 
cette  école  fut  modifiée  par  un  règlement  général  du  26 
mars  1807  et  les  ordonnances  du  8  août  1821 ,  du  12  mars 
1823  et  du  5  juin  1831;  et  enfin  réglée  par  un  décret  impérial 
du  24  juin  1854. 

L'école  est  composée  d'élèves  sortant  de  l'École  polytech- 
nique, destinés  à  devenir  officiers  du  génie  et  officiers  d'ar- 
tillerie pour  l'armée  de  terre  et  pour  l'armée  de  mer;  le 
nombre  est  annuellement  fixé  par  le  ministre  de  la  guerre  : 
en  y  arrivant  les  élèves  obtiennent  le  grade  de  sous-lieute- 
nant et  en  portent  les  marques  distinctives,  à  moins  qu'ils 
n'aient  pas  achevé  leurs  deux  années  d'éludés  à  l'École  po- 
lytechnique, cas  où  ils  ne  deviennent  sous-lieutenants  élèves 
qu'à  l'expiration  du  temps  voulu  ;  ils  restent  deux  ans  à  l'é- 
cole, ou  trois  ans  au  plus,  et  sont  classésdélinitivement  dans 
les  armes  du  génie  et  de  l'artillerie,  suivant  leur  ordre  de  mé- 
rite ,  s'ils  ont  satisfait  aux  examens  de  sortie .  Il  y  a  des  cours 
communs  etdes  cours  spéciaux  pour  chaque  arme.  En  com- 
pensation du  temps  consacré  aux  éludes  préliminaires,  on 
compte  à  chaque  élève  quatre  années  des  services  d'officier. 
Le  ministre  de  la  guerre  peut  autoriser  les  officiers  qui  n'ont 
pas  passé  par  cette  école  à  en  suivre  les  cours. 

École  d'application  du  génie  maritime.  Cette  école, 
établie  à  Lorient,  apour  but  de  former  des  ingénieurs  char- 
gés de  diriger  la  construction  des  vaisseaux  de  la  marine  im- 
périale el  les  travaux  relatifs  à  ce  service.  Les  élèves,  dont 
le  nombre  est  détermmé  chaque  année  par  le  ministre  de  la 
marine,  suivant  les  besoins  du  service,  en  sont  pris  parmi 

DICT.    DE    LA    CONVERS.    —   T.    I. 


ceux  de  l'école  Polytechnique  qui  ont  été  déclarés  admis- 
sibles dans  les  services  publics.  Us  doivent  rester  deux  ans 
à  l'école  d'application,  où  ils  sont  exercés  :  1°  au  dessin 
des  plans  des  bâtiments  de  guerre ,  ainsi  que  de  leur  mâ- 
ture, voilure,  installation  et  emménagement;  2°  aux  cal- 
culs de  déplacement,  de  stabilité,  de  centre  de  gravité  el  de 
voilure,  et  à  tous  autres  objets  relatifs  à  la  théorie  de  l'ar- 
cliitecture  navale;  3°  à  l'étude  des  machines  à  vapeur  el 
autres  qui  peuvent  être  d'une  application  utile,  soit  dans 
les  arsenaux ,  soit  à  bord  des  bàliraents  de  guerre  ;  4"  au 
dessin  d'ornement  et  au  lavis  ;  5°  à  l'étude  de  la  langue 
anglaise.  Ils  sont  conduits  fréquemment  sur  les  chantiers  et 
dans  les  ateliers  de  la  marine,  pour  acquérir  la  connaissance 
des  procétlés  suivis  dans  la  construction  des  bâtiments  de 
guerre  et  clans  la  préparation  des  objets  de  toute  espèce  qui 
en  composent  l'armement.  Après  avoùr  terminé  deux  an- 
nées d'études  à  VÉcole  d'application,  les  élèves  subissent 
un  examen  sur  les  diverses  parties  de  l'instruction  qu'ils 
ont  reçue.  Ceux  qui ,  ayant  répondu  d'une  manière  satis- 
faisante ,  ont  été  déclarés  admissibles  par  la  commission 
d'examen ,  sont  nommés  immédiatement  sous-ingénieurs  de 
troisième  classe  :  leur  classement  dans  ce  grade  est  réglé 
d'après  le  résultat  de  l'examen.  VÉcole  d'application  fut 
créée  par  la  loi  du  21  septembre  1791,  sous  le  nom  d'École 
des  Ingénieurs-Constructeurs.  La  loi  du  30  vendémiaire 
an  IV  (22  octobre  1795)  conserva  cette  institution  à  Paris, 
sous  le  nom  à'Écoledcs  Ingénieurs  de  Vaisseaux  ;  tnfm , 
une  ordonnance  royale  du  28  mars  1830  l'a  constituée  défi- 
nitivement .sous  le  nom  d'École  d'application  du  Génie  Ma- 
ritime, et  l'a  placée  au  port  de  Lorient. 
École  des  Mines.  Voyez  Mines. 

École  des  Ponts  et  Chaussées.  Voy.  Ponts  et  Chadssées. 
École  d'application  d'État-Major.  En  créant  le  corps 
d'état-major,  destiné  à  remplacer  les  officiers  de  troupes  qui 
sous  l'empire  avaient  fait  le  service  des  états-majors  sans 
avoir  les  connaissances  spéciales ,  le  maréchal  Gouvion 
Saint-Cyr  dut  chercher  à  donner  aux  officiers  de  ce  corps 
toute  l'mstruction  nécessaire  pour  remplir  avantageusement 
les  fonctions  si  multiples  et  si  délicates  des  états-majors. 

Aussi  la  création  de  l'école  d'application  date-t-elle  du 
jour  même  de  la  création  du  corps  d'état-major,  du6mai  1818. 
Modifiée  par  une  ordonnance  du  10  décembre  1826,  l'école 
d'état-major  fut  définitivement  constituée  sur  les  bases  ac- 
tuelles par  l'ordonnance  réglementaire  du  16  féraer  1833; 
elle  ne  compte  que  cinquante  élèves ,  portant  le  titre  de 
sous-lieutenants-élèves,  détachés  de  leurs  régiments  jusqu'à 
leur  sortie  de  l'école,  où,  après  avoir  satisfait  aux  examens 
de  sortie,  ils  sont  nommés  lieutenants  d'état-major. 

L'école  se  recrute  annuellement  de  vingt-cinq  élèves,  dont 
trois  sortant  de  l'école  Polytechnique  et  vmgt-deux  admis  à 
lasuited'unconcoursentretrente  sous-lieutenants  de  l'armée, 
proposés  à  l'inspection  générale,  ayant  plus  d'un  an  de  grade 
et  moins  de  vingt-cinq  ans  d'âge,  et  les  trente  premiers 
élèves  sortant  de  l'école  de  Saint-Cyr.  Ce  n'est  qu'après  deux 
années  d'études  consacrées  à  des  cours,  tels  que  géométrie 
descriptive  et  analytique,  topographie  et  géodésie,  géogra- 
phie militaire  et  statistique,  fortification,  artillerie,  art  mi- 
litaire, administration,  législation  et  justice  militaires,  théo- 
rie de  manœuvres  de  toutes  les  armes;  et  à  l'application  de 
ces  cours,  tels  que  dessins  de  plans,  levés  réguliers  et  irié- 
gulierssur  leteiTain,  levés  demachines,  de  fortification,  etc., 
que  les  officiers-élèves  qui  ont  satisfait  à  des  examens  rigou- 
reux de  sortie  remplissent  les  emplois  de  lieutenant  vacants 
dans  le  corps  d'élat-mnjor;  les  officiers-élèves  qui  n'ont 
point  satisfait  aux  examens  de  sortie  rentrent  dans  les  régi- 
ments auxquels  ils  appartiennent.  A  leur  sortie  de  l'école,  les 
lieutenants  d'état-major  (ont  un  slagc  de  deux  ans  dans  l'in- 
fanterie, et  de  deux  ans  dans  la  cavalerie  ;  dans  chacune  de  ces 
armes,  ils  concourent,  pendant  leur  première  année,  pour 
le  sei-vice  avec  les  officiers  de  leur  grade,  et  ils  partagent, 

89 


706 


APPLICATION  —  APPONY 


pendant  la  deuxième  année,  les  fonctions  et  les  prorogatives 
des  adjudants-majors;  alors  seulement  ils  sont  employés  aux 
fonctions  d'aidcs-de-camp  auprès  des  généraux ,  des  minis- 
tres,  aux  états-majors  des  divisions,  à  la  carte  de  France , 
aux  Tiiissions.  —  L'école  d'application  a  noblement  répondu 
aux  espérances  de  son  fondateur  ;  par  suite  du  développe- 
ment donné  à  l'enseignement,  de  la  bonne  direction  des 
études ,  les  officiers  sortis  de  l'école  purent  bientôt  rivaliser 
pour  le  levé  des  plans  avec  les  ingénieurs-géographes  mili- 
taires, dont  le  coq)s,  créé  le  30  janvier  1809,  avait  une  école 
d'application  située  au  dépôt  de  la  guerre.  Licencié  en  1815, 
ce  coqis  et  son  école  furent  rétablis  et  réorganisés  par  les 
ordonnances  royales  des  22  octobre  1817  et  26  mars  1826  ; 
enfin,  par  ordonnance  royale  du  22  février  1831,  ils  furent  de 
nouveau  supprimés,  et  leurs  travaux  confiés  aux  officiers  du 
corps  d'élat-major. 
Ecole  de  Cavalerie.  Voyez  Cavalerie. 

F.  DE  BÉTHUNE,   off.  su|).    d'ctat-majnr. 

APPLIQUÉE.  On  appelle  ainsi  en  géométrie  une  ligne 
droite  terminée  par  une  courbe  dont  elle  coupe  le  diamètre, 
ou,  en  général,  une  ligne  droite  qui  se  termine  par  une  de 
ses  extrémités  à  une  courbe,  et  qui  à  l'autre  extrémité  est 
encore  terminée  à  la  courbe  môme,  ou  à  une  ligne  droite 
tracée  sur  le  plan  de  cette  courbe.  —  Ce  terme  de  géométrie 
est  synonyme  d'o r donnée. 

APPOGIATURE  (en  italien  appoggiatura,  littérale- 
ment :  point  d'appui).  On  donne  ce  nom  à  une  note  d'agré- 
iiîent,  le  plus  souvent  étrangère  à  l'harmonie,  et  sur  laquelle 
s'appuie  une  des  notes  réelles  de  l'accord.  Elle  peut  se 
prendre  en  dessus  ou  en  dessous  à  un  intervalle  quelconque  ; 
mais  la  manière  la  plus  ordinaire  est  de  l'exécuter  en  dessus, 
telle  que  la  fournit  la  gamme  du  mode  où  l'on  est,  à  un  ton 
ou  à  un  demi-ton  de  distance,  et  en  dessous,  presque  tou- 
jours à  un  demi-ton.  L'appogiature  s'emploie  sans  prépara- 
lion,  sauf  certaines  circonstances  où  cette  préparation  n'est 
elle-même  qu'un  agrément  mélodique.  Tantôt  le  compositeur 
ne  l'écrit  pas,  surtout  dans  le  récitatif,  et  c'est  alors  le 
chanteur  qui  juge  de  l'opportunité  de  son  emploi;  tantôt  il 
l'écrit  en  petites  notes ,  tantôt  en  notes  ordinaires,  et  en  ce 
dernier  cas  elle  doit  être  exécutée  telle  qu'il  l'a  voulu.  La 
note  d'appogiature  est  presque  toujours  plus  longue  et  plus 
marquée  que  la  note  réelle,  sur  laquelle  la  voix  doit  se  por- 
ter nettement  et  sahs  traîner.  Lorsqu'elle  n'est  pas  écrite 
par  le  compositeur,  elle  n'a  pas  de  durée  absolue ,  on  peut 
l'abréger  ou  la  prolonger  selon  les  occasions.  Communé- 
ment, dans  les  mesures  paires,  elle  emprunte  à  la  note  à 
laquelle  elle  s'attache  la  moitié  de  sa  valeur,  et  les  deux  tiers 
dans  les  mesures  impaires  ou  si  la  note  est  pointée  ;  enfin 
elle  peut  absorber  toute  la  durée  de  la  note  principale  lors- 
que celle-ci  est  prolongée  par  une  ligature  sur  le  même  degré. 
D'un  autre  côté ,  elle  peut  être  jetée  et  par  conséquent  fort 
rapide,  car  Vacciacahira ,  le  mordant,  le  gruppetto  sont 
de  simples  variétés  de  l'appogiature,  et  quelquefois  on  les  a 
nommées  appogiatures  doubles. 

L'appogiature  a  i)ris  naissance  en  Italie  ;  et  dans  l'origine 
elle  s'appliquait  presque  uniquement  au  récitatif,  où,  tout  en 
servant  merveilleusement  l'accentuation  de  la  parole,  elle 
évitait  au  chanteur  l'intonation  directe  et  incommode  des 
intervalles  augmentés,  et  donnait  à  la  cantilènc  une  gi-âce 
toute  particulière.  Elle  convient,  en  effet,  dans  sa  forme  or- 
dinaire à  la  langue  italienne  plus  qu'à  toute  autre.  L'ancien 
chant  français  ne  faisait  à  peu  près  aucun  usage  de  l'appo- 
giature prolongée,  et  l'on  ne  s'en  sert  encore  aujourd'hui 
qu'assez  sobrement  et  le  plus  souvent  d'après  la  volonté 
écrite  du  compositeur. 

En  harmonie  on  nomme  appogiature  toute  note  qui , 
n'entrant  pas  dans  la  structure  d'un  accord,  précède  une  des 
notes  réelles  de  celui-ci,  de  même  que  l'on  appelle  noie  de 
passage  celle  qui  se  trouve  à  la  suite  dans  un  sens  ana- 
logue; ces  noies  n'ont  aucune  importance,  et,  comme  l'on 


dit,  necompfentpas  dans  riiarinonic,  bien  que  leur  mise  eu 
cpuvrc  exige  certaines  précautions.        Adrien  deLaf.ace. 

APPOINT,  terme  de  banque  et  de  commerce  par  lequel 
on  exprime  toute  somme  qu'on  ajoute  à  une  somme  princi- 
pale, pour  que  cette  dernière  égale  la  somme  à  payer.  C'est 
encore  la  somme  qu'un  négociant  tire  sur  un  autre  pour  en 
recevoir  le  solde  d'une  balance  de  comptes,  et  la  menue 
monnaie  que  l'on  donne  pour  former  la  totalité  d'une  somme 
dont  la  plus  forte  partie  a  été  acquittée,  soit  en  billets  de 
banque,  soit  en  espèces  d'or  ou  en  grosses  pièces. 

Un  décret  du  18  août  1810  défend  d'employer  la  monnaie 
de  cuivre  dans  les  payements,  si  ce  n'est  de  gré  à  gré  et  pour 
l'appoint.  La  loi  du  22  avril  1791  oblige  tout  débiteur  à 
faire  son  appoint  sans  qu'il  puisse  exiger  qu'on  lui  rende. 

APPOINTÉ,  grade  au-dessous  de  celui  de  caporal ,  et 
dont  la  marque  distinctive  était  un  seul  galon  de  laine  sur  la 
manche  au  lieu  de  deux.  Ce  nom  fut  substitué  à  celui  d'a«s- 
pessade,  des  mots  italiens  lanciaspezziata  (  lance  cassée  ) , 
dont  on  a  fait  par  corruption  lanspassade,  lancespesate, 
lancepesale.  Originairement  on  plaçait  dans  l'infanterie  le 
gendarme  ou  le  chevau-léger  dont  le  cheval  avait  été  tué,  ou 
qui  avait  brisé,  perdu  ou  cassé  sa  lance  dans  le  combat.  Il  y 
restait  jusqu'à  ce  qu'il  eût  été  remonté,  et  y  conservait  sa 
solde.  Ces  gentils-hommes  prenaient  rang  immédiatement 
après  le  lieutenant.  Cet  usage  date  de  1554.  Plus  tard,  on 
substitua  à  ces  gentils-hommes  des  grenadiers  ou  fusihers  pris 
parmi  ceux  qui  s'étaient  fait  remarquer  par  leur  bonne  con- 
duite et  leur  bravoure,  et  qui  devinrent  les  aides  des  capo- 
raux. Les  anspessades  ayant  une  solde  un  peu  plus  forte 
que  les  soldats,  les  commissaires  des  guerres  les  désignèrent, 
dans  leurs  revues  et  sur  leurs  contrôles,  sous  le  nom  A' ap- 
pointés, qui  finit  par  leur  rester.  D'autres  prétendent  que  ce 
nom  leur  vint  de  ce  qu'on  les  appointait,  c'est-à-dire  de  ce 
qu'on  les  mettait  au  rang  de  ceux  qui  devaient  faire  la  pointe 
en  quelque  assaut  ou  dans  quelque  occasion  périlleuse.  — 
Ce  grade,  supprimé  en  1776,  fut  rétabli  en  1788,  et  de  nou- 
veau supprimé  en  1793.  Depuis  quelques  années  seulement 
certaines  armes  spéciales  l'ont  rétabli  avec  la  même  marque 
distinctive,  sous  le  titre  ù& premier  soldat. 

APPOINTEMENTS,  terme  de  finance,  qui  signifie 
la  rétribution  accordée  au  travail  d'un  employé,  d'un  com- 
mis. Les  fonctionnaires  publics  reçoivent  un  traitement; 
les  médecins,  les  avocats,  les  notaires,  des  honoraires; 
les  ouvTiers  et  artisans,  des  5  a  Z  a  i  r  e  s  ;  les  domestiques,  des 
gages.  Les  appointements  des  officiers,  ou  des  employés 
qui  leur  sont  assimilés,  se  payent  à  l'échéance  de  chaque 
mois;  on  les  appelle  solde.  Celle  de  la  troupe  est  payée 
d'avance  tous  les  cinq  jours,  aux  sergents-majors  et  maré- 
chaux des  logis  chefs,  par  les  quartier-maîtres  trésoriers 
des  corps,  et -se  nomme  prêt. 

Les  appointements  payés  par  l'État  ne  peuvent  être  saisis 
que  jusqu'à  concurrence  du  cinquième  sur  les  premiers 
1,000  francs  et  sur  toutes  les  sommes  au-dessous;  du  quart 
sur  les  5,000  fr.  suivants,  et  du  tiers  sur  la  portion  excédant 
6,000  fr.,  à  quelque  somme  qu'elle  s'élève.  —  La  solde  des 
militaires  inférieure  à  600  fr.  est  insaisissable;  elle  n'est 
saisissable  que  pour  un  cinquième  lorsqu'elle  dépasse  cette 
somme. 

APPONY  (Famille  d').  Cette  maison,  très-ancienne 
en  Hongrie,  tire  son  nom  d'un  village  du  comitat  de  Nitra, 
qui  lui  fut  concédé  à  titre  de  fief  en  1492,  et  où  sont  situées 
SCS  propriétés  héréditaires.  Antoine-Georges,  comte  d'Ap- 
ro?yY,  né  le  4  décembre  1751,  mort  le  17  mars  1817,  a 
laissé  une  réputation  de  savoir  et  d'instruction  peu  com- 
mune. Ami  des  lettres  et  des  sciencesj  il  avait  réuni  à  grands 
hais  une  bibliothèque,  riche  surtout  en  manuscrits  précieux 
et  en  belles  et  rares  éditions. 

Son  fils,  le  comte  Antoine-RodolpheTi'AvpovY,né\e7iep- 
tembre  1782,  fut  d'abord  envoyé  extraordinaire  et  ministre 
plénipotentiaire  à  la  cour  de  Toscane,  obtint  ensuite  l'am- 


APPONY  —  APPRENTISSAGE 


707 


basjaile  de  Rome,  qu'il  occupa  jusqu'en  1S24;  puis  celle  de 
Londres,  que  peu  de  temps  après  il  échani^ea ,  sans  en  avoir 
rempli  les  fonctions,  contre  celle  de  Paris,  devenue  vacante 
par  la  retraite  de  M.  de  Saint-Vincent.  Depuis  lors  jusqu'à 
la  révolution  de  Février  il  n'a  pas  cessé  d'être  en  France 
l'un  des  agents  les  plus  actifs  de  cette  politique  d'inertie  et 
de  slatu  (y»oeurupooa  dont  M.  de  Metleniicli  clait  le  créa- 
teur. M.  d'Appony  est  mort  en  Hongrie  le  17  octobre  ISô?.. 
Dans  sa  longue  mission,  il  a  eu  l'occasion  de  voir  suc- 
cessivement à  l'œuvre  gouvernementale  presque  tous  les 
hommes  en  qui  se  sont  personnifiées  les  différentes  opinions 
qui  ont  divisé  notre  pays  jusqu'à  l'avénenicnt  de  la  Ré- 
publique ;  il  a  pu  apprécier  leur  valeur  relative ,  leur  fai- 
blesse, leurs  passions  et  leurs  vices.  Il  a  donc  parfaitement 
connu  les  myrmidons,  les  turcarets  et  les  scapinsqui  ont  si 
longtemps  exploité  notre  pauvre  France,  et  qui  n'ont  pas 
encore  renoncé ,  tant  s'en  faut ,  à  présider  à  ses  destinées. 
Aassi  ses  rapports ,  toujours  marqués ,  disait-on ,  au  coin 
d'une  observation  aussi  fine  et  spirituelle  que  profonde , 
ont-ils  exercé  sur  les  déterminations  de  son  gouvernement 
une  influence  décisive ,  et  dont  nos  hommes  d'État  ont  ap- 
précié la  haute  portée,  au  point  de  lui  faire,  à  l'occasion,  li- 
tière de  nos  droits  et  de  nos  intérêts  les  plus  cliers. 

Il  a  eu  d'ailleurs  l'avantage  d'être  admirablement  secondé 
dans  une  pirtie  de  sa  mission  par  sa  femme,  née  comtesse 
de  Nogarola  de  Yesone.  Le  salon  de  madame  d'Appony  a 
été  longtemps  regardé  comme  le  sanctuaire  de  la  poUtesse 
la  plus  élégante ,  et  les  arrêts  qu'on  y  a  rendus  en  matière 
de  goût  ont  été  souvent  acceptés  comme  d'infaillibles  oracles. 
Fenmie  excessivement  spirituelle ,  elle  a  su  y  appeler  les 
hommes  les  plus  distingués  dans  tous  les  genres  et  y  faire 
revivre  toutes  les  traditions  brillantes  de  ces  salons  qui 
au  dix-huitième  siècle  étaient  la  gloire  de  la  société  fran- 
çaise. On  conçoit  facilement  dès  lors  tout  le  parti  qu'a  pu 
tirer  de  pareils  éléments  un  diplomate  de  l'habileté  de 
SL  d'Appony,  et  les  avantages  qu'ils  lui  ont  offerts  pour  exé- 
cuter les  instructions  de  son  gouvernement,  tromper  nos 
cabinets  monarchiques,  leur  surprendre  leurs  secrets,  et 
imprimer  indirectement  à  notre  politique  extérieure  une  al- 
lure favorable  au  maintien  du  système  d'immobilité  et  de 
résistance  dont  son  patron ,  >L  de  Mettçrnich ,  était  l'âme. 

Ce  fut  à  l'occasion  dune  de  ces  fèîes  ([iie  dans  les  premiers 
temps  de  son  arrivée,  sous  la  restauration,  le  diplomate  au- 
tridùen  donna  de  vives  préoccupations  aux  journaux  en 
refusant  à  une  dame  invitée,  femme  d'un  maréchal  de 
France,  le  titre  du  duché,  redevenu  autrichien,  que,  de 
par  la  volonté  de  l'empereur  Napoléon,  elle  portait  du  chef 
de  son  mari. 

M.  et  M™^  d'Appony  passaient  pour  excellents  musiciens, 
et  donnaient  des  concerts  fort  agréables.  Quoique  ambassa- 
deur d'Autriche,  le  comte  ne  paraissait  jamais  dans  les  fêtes 
qu'en  costume  national  hongrois,  et  ne  portait  jamais  l'uni- 
forme diplomatique  du  cabinet  de  Vienne. 

Nous  ne  devons  pas  omettre  ici  de  faire  mention  d'une 
grande  innovation  dans  nos  mœurs  et  nos  usages,  tentée 
par  madame  la  comtesse  d'Appony,  toutefois  avec  plus  de 
persévérance  et  d'intrépidité  que  de  succès  et  de  boniienr. 
Nous  voulons  parler  des  fameux  déjeïcners  dansants  de 
l'ambassade  d'Autriche  ,  qu'elle  seule  pouvait  oser,  espèces 
de  bals  champêtres  en  plein  jour,  non  moins  faux  et  ma- 
niérés dans  leur  genre  que  les  bergeries  étalées  par  l'Opéra 
sous  les  feux  combinés  de  la  rampe  et  du  lustre.  Il  n'en 
reste  plus  que  le  souvenir  ;  mais  que  de  femmes  habituées 
à  briller  sous  l'éc'at  des  bougies  n'ont  jamais  pardonné  à 
madame  d'Appony  de  les  avoir  forcées  de  perdre  irrémis- 
siblenient  le  prestige  de  leur  fraîcheur  d'emprunt  ! 

APPORT.  Terme  de  jurisprudence  qui  signifie  les  som- 
mes ou  les  valeurs  que  des  époux  stipulent  par  leur  contrat 
de  mariage  devoir  apporter  et  mettre  dans  la  communauté. 
—  Vapport  social  est  la  part  que  choque  associé  apporte 


dans  une  société,  soit  en  capitaux,  soit  en  instruments  de 
travail.  —  En  termes  de  pratique,  Vapport  des  pièces  d'un 
procès  est,  soit  leur  dépôt  au  greffe  par  l'avocat  occupant, 
soit  leur  remise  au  tribunal  qui  en  a  demandé  communication. 
Autrefois,  le  mot  apport  était  synonyme  de  lieu  de  foire 
et  de  marc/u's  ;  et  la  trace  de  ce  vieux  mot  est  restée  long- 
temps dans  la  langue,  grâce  à  l'habitude  du  peuple  de  Paris 
de  désigner  l'extrémité  septentrionale  du  Pont-au-Change , 
l'endroit  oîi  il  se  confond  avec  la  place  du  Chàtelet,  sous  le 
nom  antique  d' Apport-Paris ,  que,  par  corruption,  il  pro- 
nonçait la  Porte-Paris. 

APPOSITION.  En  termes  de  grammaire,  Vapposi- 
iion  est  une  figure  par  laquelle  on  joint  sans  particule  con- 
jonctive deux  substantifs  dont  l'un  est  pris  adjectivement  et 
sert  à  qualifier  l'autre ,  comme  dans  ces  vers  de  "Virgile  : 

Forinosum   paslor  CorydoD  ardebat  Alcxin, 
Belicias  domini,  nec  quid  spcrarel  habcbat. 

APPOSITION  DE  SCELLÉS.  Voyez  Scellés. 

APPRÉCIATION  (du  latin  preiiu}n,pn\).  Il  y  a  cette 
différence  entre  évaluer,  estijneret  apprécier,  que  le  dernier 
de  ces  verbes,  tout  en  désignant,  comme  les  premiers, 
l'action  de  reconnaître,  d'indiquer  le  prix  d'une  chose,  s'ap- 
plique plutôt  aux  objets  qui  n'ont  qu'une  valeur  idéale, 
comme  un  tableau,  une  statue,  tandis  que  l'action  des  deux 
premiers  s'exerce  sur  des  choses  qui  ont  une  valeur  maté- 
rielle et  positive.  On- fera  estimer  lai  valeur  réelle  d'une 
marchandise  quelconque  en  raison  des  circonstances  parti- 
culières du  moment  ;  on  îeraévaluer  le  produit  net  possible 
de  la  coupe  d'un  bois  ;  quant  à  un  objet  d'art,  à  une  parti- 
tion, à  un  manuscrit ,  pour  en  connaître  la  valeur  relie,  il 
faudra  les  faire  apprécier.  Dans  les  deux  premiers  cas,  il 
suffira  d'une  expertise  faite,  d'après  un  tarif  fixe  et  connu  à 
l'avance,  par  un  homme  dont  la  profession  est  de  savoir  le 
cours  des  marchandises  ou  la  valeur  du  travail  matériel. 
Pour  l'autre  opération ,  il  faudra  s'adresser  à  quelqu'un  qui 
ait  le  sentiment  du  beau  dans  les  arts. 

Par  une  extension  toute  naturelle,  le  verbe  apprécier 
s'applique  aussi  aux  actes  de  la  volonté  et  aux  opérations  de 
la  pensée  :  on  apprécie  la  moralité  d'une  action,  la  justesse 
ou  la  portée  d'une  idée,  etc. 

En  musique ,  on  appelle  sons  appréciables  ceux  dont  on 
peut  calculer  ou  sentir  l'unisson.  Ils  embrassent  un  espace 
de  huit  octaves,  depuis  le  son  le  plus  aigu  jusqu'au  son  le 
plus  grave  ;  mais  il  y  a  un  degré  de  force  au  delà  duquel  le 
son  ne  peut  plus  s'apprécier. 

APPRÉHENSION.  On  appelle  ainsi  en  logique  la 
première  et  la  plus  simple  opération  de  l'esprit ,  celle  par 
laquelle  il  perçoit  ou  acquiert  la  conscience  d'une  idée.  Le 
mot  perception,  toutefois ,  est  plus  généralement  employé 
dans  cette  acception. 

Dans  le  langage  ordinaire  le  mot  appréhension  repré- 
sente le  premier  degré  de  la  peur,  et  désigne  une  crainte 
vague  dont  l'objet  est  indéterminé.  Si  ce  premier  degré 
arrive  à  être  distinct,  on  éprouve  de  la  crainte,  et  successi- 
vement de  la  peur,  de  l'effroi,  de  l'épouvante  et  de  la  terreur. 

APPRENTISSAGE.  C'est  le  nom  donné  à  l'étude 
pratique  d'un  métier  quelconque.  Ce  mot,  qui  semble  ré- 
servé aux  professions  industrielles,  s'emploie  rarement 
dans  les  ai*ts  libéraux. 

V apprentissage  peut  être  divisé  en  deux  parties  :  la 
partie  théorique ,  qui  concerne  l'étude  et  la  connaissance 
des  matériaux  et  des  instruments  qui  conviennent  plus  spé- 
cialement à  l'exercice  d'un  métier;  l'autre,  purement  pra- 
tique, a  pour  but  d'acquérir,  par  l'exercice,  l'adresse  et  l'ha- 
bileté nécessaires  au  maniement,  à  l'emploi  de  ces  instru- 
ments et  à  l'exécution  des  travaux  qu'ils  peuvent  concourir 
à  opérer,  à  confectionner. 

Le  contrat  d'apprentissage  est  celui  qui  intervient  entre 
un  maître,  fabricant,  chef  d'atelier,  ouvrier,  et  un  apprenti» 

80. 


708 

par  lequel  le  premier  s'oblige  à  enseigner  sa  profession  au 
second,  qui  s'engage  en  retour  à  travailler  pour  lui  pendant 
un  temps  (i\é  et  d'après  des  conventions  établies. 

Avant  la  révolution  de  1739  chaque  corps  de  métier 
avait  ses  rèj^lcs  particulières  pour  l'apprentissage.  Ces  dis- 
positions, inhérentes  au  système  des  maîtrises  et  des  ju- 
randes, plaçaient  ks  apprentis  dans  une  dépendance  voi- 
sine de  la  servitude.  Cette  matière  fut  ensuite  réglée  d'une 
manière  générale  par  la  loi  du  22  germinal  an  XI.  L'au- 
torité n'intervint  plus  dans  les  contrats  entre  les  maîtres 
et  les  apprentis  que  pour  en  garantir  l'exécution  d'après  la 
lettre  et  Fes  bornes  de  la  loi,  qui  est  égale  pour  tous.  Cepen- 
dant le  silence  de  la  législation ,  regrettable  sur  plusieurs 
points,  laissait  désirer  surtout  qu'une  surveillance  fût  exer- 
cée sur  les  ouvriers  et  les  artisans  qui  ont  des  apprentis 
mineurs.  L'apprentissage,  cette  éducation  professionnelle 
de  l'enfance,  a  enfin  éveillé  l'attention  de  l'État,  et  celU; 
lacune  a  été  bien  tardivement  coniblée  par  la  loi  du  4 
mars  J851,  qui  a  réglé  ainsi  qu'il  suit  leconlrat  d'apprentis- 
sage : 

Il  peut  ôtre  fait  par  acte  public  ou  par  acte  sous  seing 
privé  ;  il  doit  contenir,  avec  les  noms  et  qualités  du  maître 
de  l'apprenti  et  de  ses  parents ,  la  date  et  la  durée  du 
contrat,  ainsi  que  les  conditions  de  logement,  de  nourriture, 
de  rétribution,  etc.,  arrêtées  entre  les  parties.  Le  maître  ne 
peut  pas  recevoir  d'apprentis  mineurs  s'il  n'a  pas  vingt  et 
un  ans;  s'il  est  célibataire  ou  veuf,  il  ne  peut  loger  comme 
apprenties  de  jeunes  filles  mineures.  Sont  incapables  de 
recevoir  des  apprentis  ceux  qui  ont  subi  une  condamnation 
pour  crime,  attentat  aux  mœui-s ,  etc.  Le  maître  doit  à  son 
apprenti  les  soins  d'un  bon  père  de  famille  ;  il  doit  surveiller 
sa  conduite  et  ses  mœurs  et  tenir  ses  parents  au  fait  de 
ses  actions.  Sauf  conditions  contraires,  il  n'emploiera  l'ap- 
prenti qu'à  l'exercice  de  sa  profession,  jamais  à  des  travaux 
insalubres  ou  au-dessus  de  ses  forces.  La  durée  du  travail 
des  apprentis  ne  pourra  dépasser  dix  heures  par  jour  au- 
dessous  de  quatorze  ans  ;  douze  heures ,  au-dessous  de 
seize  ans.  Jusqu'à  cet  âge,  aucun  travail  de  nuit  ne  peut  être 
imposé  aux  apprentis.  L'apprenti  doit  à  son  maître  fidélité, 
obéissance ,  respect  ;  il  doit  l'aider  dans  son  travail  dans  la 
mesure  de  son  aptitude  et  de  ses  forces. 

Les  deux  premiers  mois  du  contrat  sont  considérés  comme 
temps  d'essai,  pendant  lequel  le  contrat  peut  être  annulé  par 
la  volonté  d'une  seule  des  parties.  Entre  autres  causes  de 
résolution  du  contrat,  elle  peut  avoir  lieu  dans  le  cas  où  l'une 
des  parties  manquerait  aux  stipulations,  dans  le  cas  d'incon- 
duite  habituelle  de  la  part  de  l'apprenti  et  dans  celui  où  il 
contracterait  mariage.  Toute  demande  à  fin  d'exécution  ou 
de  résolution  du  contrat  sera  jugée  par  le  conseil  des 
prud'hommes,  et  à  défaut  par  le  juge  de  paix  du  canton , 
qui  régleront  les  indemnités  ou  restitutions  qui  pourraient 
être  dues  à  l'une  ou  l'autre  des  parties. 

L'art.  38G  du  Code  Pénal  prescrit  la  peine  de  la  réclusion 
contre  l'apprenti  qui  se  rend  coupable  d'un  vol  dans  l'atelier 
ou  le  magasin  de  son  maître. 

APPllÈT,  AFFRÉTEUR.  Apprêter  les  étoiïes ,  les 
tissus  et  les  toiles ,  c'est  leur  donner  du  lustre ,  assez  de 
corps  ou  de  lermeté  pour  qu'ils  ne  prennent  pas  des  plis 
qui  détruiraient  bientôt  leur  éclat  et  leur  fraîcheur.  Souvent 
les  tissus  sont  apprêtés  de  manière  à  ce  qu'ils  aient  une  roi- 
deur  continuelle.  Les  procédés  employés  pour  apprêter  va- 
rient suivant  la  nature  des  tissus  et  les  usages  auxquels  on 
les  destine. 

L'apprêt  que  l'on  donne  aux  toiles  de  lin,  de  chanvre  et 
de  coton  se  fait  souvent  avec  l'emploi  de  fécule  de  pomme 
de  terre.  Il  est  facile  de  s'en  assurer  en  mouillant  ces  toiles 
et  les  touchant  avec  un  tube  humecté  de  teinture  d'iode  : 
il  se  développe  une  couleur  bleue  sur  les  tissus  si  l'apprêt 
a  été  fait  avec  l'amidon.  Voici  le  procédé  employé  pour  ap- 
prêter les  tissus.  Les  toiles,  par  exemple,  étant  coni|)létement 


APPRENTISSAGE  —  APPRIVOISEMEINT 


blanchies,  on  les  passe  dans  de  l'eau  contenant  un  peu  d'a- 
midon et  d'azur.  On  fait  bouillir  une  certaine  quantité  de 
fécule  ou  d'amidon  de  pomme  de  terre  avec  de  l'eau,  et 
l'on  y  ajoute  la  quantité  d'azur  ou  d'outremer  nécessaire  pour 
obtenir  le  ton  que  l'on  veut  avoir.  Cette  liqueur  est  versée 
dans  un  envier  où  l'on  fait  barboter  la  toile.  Pour  être  li- 
vrée au  commerce,  la  toile  n'a  plus  besoin  que  d'être  pliée 
et  soumise  à  une  pression  convenable,  après  avoir  été  sé- 
chée.  Pour  l'apprêt  du  drap  et  des  étoffes  de  laine ,  voyez 
Catissage.  Jules  Garnier. 

En  termes  de  peinture,  apprél  désigne  la  couche  de  cou- 
leur dont  on  enduit  la  toile,  le  bois,  etc.,  sur  lesquels  on 
entreprend  quelque  ouvrage  de  peinture;  couleur  que  l'artiste 
détermine  d'après  sa  manière  particulière  de  faire.  Les  ap- 
prêts clairs  sont  préférés  par  ceux  qui  peignent  facilement, 
parce  que  les  teintes  destinées  aux  masses  de  lumière  se 
conservent  plus  brillantes  quand  on  les  emploie  légèrement 
sur  un  fond  clair.  Les  apprêts  bruns,  plus  favorables  aux 
ombres,  ont  l'inconvénient  de  les  rendre  quelquefois  trop 
sombres,  et  même  noires  en  vieillissant. 

Au  figuré  le  mot  apprêt  est  synonyme  de  recherche,  d'af- 
fectation dans  le  style,  dans  les  manières. 

AFFRIVOISEMENT  ,  mode  d'action  par  lequel 
l'honmie  parvient  à  rendre  privés  ou  familiers  les  animaux 
sauvages  et  même  les  bêtes  féroces  ou  animaux  de  proie. 

L'homme  observe  et  soumet  à  ses  calculs  la  marche  des 
corps  astronomiques  ;  là  se  borne  sa  sphère  d'action  à  leur 
égard.  Mais  sa  puissance,  son  pouvoir  despotique  se  mon- 
trent dans  tout  leur  jour  quand  il  s'agit  des  corps  terrestres 
qui  l'entourent.  Pour  lui  les  corps  bruts  ou  les  minéraux 
deviennent  des  agents  ou  des  forces  physiques  qu'il  dirige  à 
son  gré  et  d'après  ses  calculs.  Mais  il  n'agit  dans  ce  cas 
que  sur  des  êtres  sans  vie.  11  ne  peut  donc  les  employer  que 
comme  forces,  que  comme  corps  polis  ou  convertis  en  ins- 
truments utiles,  qui  ne  sont  point  encore  des  agents  dociles  : 
ce  ne  sont  encore  là  que  des  matériaux  qu'il  met  en  œuvre 
et  qu'il  associe  souvent  avec  les  produits  qu'il  retire  des 
végétaux.  A  l'égard  de  ces  derniers ,  qui,  quoi  qu'en  ait  dit 
Aristote,  ne  sont  point  encore  des  êtres  animés,  il  en  est 
à  peu  près  de  même  que  pour  les  corps  bruts  ou  les  miné- 
raux :  il  les  fait  bien  passer  de  la  vie  sauvage  à  l'état  de  cul- 
ture ;  il  peut  bien  modifier  les  sauvageons  et  les  transformer 
en  variétés  innombrables  ;  mais  un  être,  végétant ,  inanimé 
et  non  susceptible  d'une  volonté  instinctive ,  môme  la  phis 
obscure ,  est  encore  frappé  d'incapacité  d'être  en  relation 
avec  la  volonté  de  l'homme.  Il  en  est  encore  de  même  à 
l'égard  de  tous  les  animaux  les  plus  inférieurs  que  le  célèbre 
Lamarck  avait  réunis  sous  le  nom  à'apathiques.  Quoique 
réellement  animés ,  mais  à  un  degré  très-infime,  les  éponges 
et  les  zoophytes,  même  les  mollusques  et  les  articulés  infé- 
rieurs, ne  sont  encore  doués  que  d'un  instinct  qui  ne  pro- 
duit que  des  actes  très-bornés.  Enfin  les  mollusques  et  les 
animaux  articulés ,  dont  la  sensibilité  s'élève  graduellement 
et  se  manifeste  par  des  mœurs  sociales,  ne  sont  point  en- 
core des  êtres  réellement  intelligents  et  éducables,  et  par 
conséquent  susceptibles  d'obéir  sciemment  à  la  volonté  de 
l'homme.  On  cite  cependant  quelques  exemples  d'araignées 
apprivoisées  par  des  prisonniers. 

11  faut  donc  passer  au  grand  type  des  animaux  vertébrés 
pour  y  examiner  quels  sont  les  animaux  que  l'homme  aura 
eu  l'idée  d'apprivoiser  ou  de  rendre  familiers  ou  privés.  On 
sait  en  général  que  les  poissons  élevés  dans  les  viviers  sont 
attirés  sur  les  bords  ou  à  la  surface  de  l'eau,  soit  par  cer- 
tains bruits,  soit  par  la  présence  de  personnes  qui  en  prennent 
soin  ou  s'amusent  à  leur  donner  de  la  nourriture.  On  peut 
même  arriver,  quand  la  laim  les  presse,  à  leur  faire  recevoir 
de  la  main  même  de  celui  qui  l'oHre  l'aliment  qu'ils  désirent. 
Mais  à  cela  se  borne  tout  l'apprivoisement  des  poissons,  qui, 
obligés  de  vivre  dans  un  milieu  aqueux ,  ne  peuvent  être 
réellement  domestiqués. 


APPRIVOISEMENT  —  APPROBATION 


709 


11  semblerait  que  rapprivoisenient  serait  chose  possible  à 
IVgurd  des  reptiles  à  peau  nue ,  qui ,  apri'-s  avoir  été  pois- 
sons dans  leur  jeune  âge,  peuvent  ensuite  vivre  dans  l'air. 
Mais  le  peu  d'intelligence  de  ces  animaux,  qui  comprennent 
les  salamandres,  les  crapauds  et  les  grenouilles,  les  fait  avec 
raison  considérer  comme  stupides  et  non  apprivoisahles. 
D'ailleurs  la  répugnance  qu'ils  nous  inspirent  a  dû  toujours 
éloigner  l'idée  de  les  apprivoiser. 

C'est  encore  un  sentiment  de  répulsion  invincible  bien 
légitime,  en  raison  de  la  venimosité  redoutable  de  certaines 
espèces ,  qui  a  dû  déterminer  l'homme  à  ne  point  tenter 
d'apprivoiser  les  reptiles  à  peau  écailleuse,  parmi  lesquels 
les  zoologistes  rangent  les  tortues,  les  crocodiles,  les  h'zards 
et  les  serpents.  On  conçoit  cependant  que  tous  les  reptiles 
(non  venimeux)  pourraient,  élevés  dans  des  ménageries,  y 
être  rendus  graduellement  familiers  ou  privés  à  un  degré  de 
plus  que  les  poissons,  en  raison  de  ce  que  leur  intelligence 
est  moins  bornée. 

La  classe  des  oiseaux,  qui,  en  général,  nous  plaisent, 
soit  par  leur  chant,  par  la  beauté  de  leur  plumage,  par  la 
Tivacité  de  leurs  mouvements,  et  surtout  par  la  faculté  de 
s'élever  dans  l'air,  renferme  nécessairement  les  espèces  que 
l'homme  s'est  complu  à  retenir  en  captivité  ou  à  apprivoi- 
ser, soit  pour  son  amusement,  pour  son  plaisir,  soit  pour  or- 
nement de  ses  viviers, -de  ses  parcs  et  de  ses  jardins,  sans 
même  compter  ici  les  oiseaux  de  basse-cour  et  ceux  qu'il 
dressait  autrefois  pour  le  plaisir  de  la  chasse  des  grands  sei- 
gneurs (voyez  FACcoNNEr.iE).  C'est  ici  le  moment  de  faire 
remarquer  que  rapprivoisement  exige,  en  même  temps  que 
les  soins  convenables,  la  mise  en  captivité,  à  laquelle  s'ha- 
bituent facilement  les  individus  de  plusieurs  espèces  de 
passereaux,  et  principalement  les  pies,  les  serins  et  les  per- 
roquets, qui  parviennent  à  répéter  un  très-grand  nombre  de 
sons  articulés,  dont  ils  ne  peuvent  connaître  la  signification. 
11  convient  de  distinguer  parmi  les  oiseaux  apprivoisés  le 
moineau  domestique,  vulgairement  pierrot,  comme  facile- 
ment apprivoisable  lorsqu'on  l'élève  très-jeune,  et  nous 
connaissons  quelques  exemples  de  pierrots  très-fidèlement 
attachés  à  leur  maître,  qu'ils  suivaient  comme  le  fait  le  chien, 
et  qui  mis  en  liberté  revenaient  tous  les  soirs  au  logis, 
suivis  de  plusieurs  compagnons  sauvages  qui  n'osaient  point 
y  entrer.  L'apprivoisement  des  pigeons  est  un  fait  si  connu 
qu'il  suffit  ici  de  l'indiquer. 

Tous  les  soins  convenables  à  l'apprivoisement  consistent 
à  réunir  des  individus  des  deux  sexes,  à  leur  fournir  les  ali- 
ments variés  qui  leur  conviennent  le  mieux,  et  à  leur  faire 
exécuter  les  actes  qu'on  exige  d'eux ,  soit  en  étudiant  leurs 
penchants,  leurs  désirs  et  leurs  besoins,  en  les  privant  en 
certains  cas  de  nourriture  et  de  sommeil,  soit  en  employant 
l'oppression  par  la  douleur  physique  qu'on  détermine  par  le 
froid,  par  des  coups,  et  même  en  prévenant  la  férocité  des 
individus  par  la  castration.  C'est  l'ensemble  de  tous  ces 
moyens  que  l'homme  s'est  vu  forcé  de  combiner  pour  ap- 
privoiser surtout  les  animaux  les  plus  rapprochés  de  lui  par 
leur  organisation ,  c'est-à-dire  toute  la  classe  des  mammi- 
fères, dans  laquelle  se  trouvent  les  animaux  domestiques 
{voyez  Domestication),  les  animaux  naturellement  privés, 
tels  que  le  chien  et  le  chat,  et  enfin  les  animaux  féroces  ou 
sauvages,  que  l'on  est  parvenu  à  apprivoiser  de  manière  à 
pouvoir  les  offrir  en  spectacle.  L.  LAUnEXT. 
APPROBATION.  Ouvrez  un  livre  imprimé  avant 
*  1789,  et  en  regard  du  titre  même  ou  à  la  fin  de  l'ouvrage, 
vous  verrez,  au-dessous  du  mot  appkobatio.n,  cette  formule 
invariablement  adoptée  par  la  censure  d'alors  :  «  J'ai  lu  par 
ordre  de  monseigneur  le  garde  des  sceaux  l'ouvrage  inti- 
tulé : et  je  n'y  ai  rien  vu  qui  soit  dénature  à  en  empê- 
cher l'impression.  »  C'est  qu'avant  le  grand  mouvement  so- 
cial de  1789  nul  n'avait  le  droit  d'imprimer  sa  pensée,  sur 
quelque  matière  que  ce  fût,  sans  en  avoir  préalablement 
obtenu  la  permission  de  l'autorité  civile,  qui  déléguait  à  des 


censeurs  le  soin  d'examiner  les  manuscrits,  de  veiller  à  ca 
qu'ils  ne  continssent  rien  de  nature  à  porter  atteinte ,  soit 
aux  principes  religieux ,  soit  aux  maximes  politiques  qui 
servaient  de  base  à  la  société,  et  le  droit  d'en  autoriser  la  pu« 
blication.  Cette  approbation  une  fois  obtenue,  l'auteur  ne 
pouvait  plus  toucher  à  son  manuscrit  ;  et  s'il  avait  à  y  faire 
une  modification,  même  la  plus  minime,  s'il  voulait  corri- 
ger une  erreur  dont  il  s'apercevait  tardivement,  il  lui  fallait 
obtenir  une  approbation  nouvelle.  On  comprend  quelles 
entraves  il  en  devait  résulter  pour  le  commerce  de  la  librairie 
et  de  l'imprirnerie.  Aussi  toutes  les  fois  qu'il  s'agissait  d'une 
œuvre  dans  laquelle  la  censure  eût  pu  être  scandalisée  par 
quelques  propositions  hardies  ou  malsonnantes ,  auteurs  et 
libraires  la  faisaient-ils  imprimera  l'étranger;  et  l'ouvrage 
le  plus  hardi  circulait  ensuite  librement  dans  le  royaume , 
grâce  à  la  tolérance  du  pouvoir,  qui,  obéissant,  malgré  qu'il 
en  eût,  à  l'esprit  du  siècle,  fermait  assez  volontiers  les 
yeux  sur  ces  infractions  à  la  loi. 

Dans  les  dernières  années  du  règne  de  Louis  XV  on  n'y 
mettait  même  pas  tant  de  façons,  et  pour  échapper  à  la 
pénalité  qu'on  aurait  encourue  en  publiant  patcmment  un 
livre  dépourvu  de  l'approbation  du  délégué  de  monseigneur 
le  garde  des  sceaux,  on  le  datait  tout  simplement  d'Ams- 
terdam ,  de  La  Haye ,  ou  de  toute  autre  ville  étrangère  ;  et 
la  police,  alors  assez  bonne  fille  au  fond,  faisait  semblant 
de  ne  rien  voir,  à  moins  que ,  par  la  hardiesse  et  la  nou- 
veauté de  ses  doctrines  politiques  ou  philosophiques,  l'ou- 
vrage n'éveillât  la  sollicitude  du  parlement,  lequel  alors 
informait  et  faisait  saisir  ce  qui  se  pouvait  trouver  de  l'édi- 
tion, qu'un  arrêt  en  bonne  et  due  forme  condamnait  ensuite 
à  être  brûlée  par  le  bourreau  au  bas  du  grand  escalier  du 
palais. 

Dans  notre  législation  nouvelle ,  la  formalité  préalable  de 
Vapprobation  n'est  plus  requise  qu'en  un  seul  cas  :  Pour 
pouvoir  être  mis  entre  les  mains  des  jeunes  catéchumènes 
par  les  instituteurs  chargés  de  les  initier  à  la  connaissance 
des  divins  mystères  du  christianisme,  les  catéchismes  doi- 
vent être  revêtus  de  l'approbation  expresse  de  l'évêque 
diocésain.  On  conçoit  le  but  et  le  motif  de  cette  exception 
à  la  règle  générale.  11  y  va  de  la  pureté  de  la  foi,  dont  les 
évêques  sont  les  gardiens  naturels.  En  général,  les  évêques 
accordent  au  catéchisme  publié  par  un  imprimeur  spécial  de 
leur  diocèse  le  privilège  de  cette  approbation;  mais  ils 
veillent  toujours  à  ce  qu'il  n'en  soit  pas  fait  un  mauvais 
usage. 

L'Université,  elle  aussi,  se  mêle  d'approuver  les  ouvrages 
propres  à  être  mis  entre  les  mains  de  la  jeunesse  ;  et  cette 
prétention  repose  sur  des  motifs  qQi  n'ont  pas  relativement 
moins  d'importance  que  ceux  qu'on  fait  valoir  pour  les 
catéchismes.  Il  est  évident  que  l'éducation  publique  doit 
être  surveillée  par  une  autorité  quelconque ,  et  que  cette 
surveillance  doit  s'exercer  surtout  sur  les  livres  servant  de 
base  à  l'enseignement.  Divers  arrêtés  du  conseil  de  l'ins- 
truction publique  ont  donc  décidé  que  les  livres  revêtus  de 
son  approbation  pourraient  seuls  être  mis  entre  les  mains 
des  élèves  dans  les  classes,  ou  bien  encore  leur  être  donnés 
à  titre  de  récompense  dans  les  distributions  de  prix.  Ces 
arrêtés,  excellents  quant  au  principe^  ont  donné  naissance 
à  une  foule  d'abus.  Grâce  à  de  secrètes  intelligences  dans 
les  bureaux ,  certains  libraires  sont  parvenus  à  établir  un 
monopole  scandaleux,  d'abord  parce  que  les  livres  ainsi 
approuvés  sont  vendus  trois  et  quatre  fois  au-dessus  de 
leur  véritable  valeur,  ensuite  parce  que  l'examen  préalable 
que  laisse  supposer  l'approbation  officielle  de  l'Université 
est  un  leurre.  Ces  ouvlrages,  qu'on  le  sache  bien,  sont  ap- 
prouvés par  cela  seulement  qu'ils  sont  édités  par  telle  ou 
telle  maison  qui  a  l'habileté  d'intéresser  à  ses  spéculations 
des  comparses  plus  ou  moins  infiuents  auprès  du  conseil  de 
l'insti-uction  publiciue.  On  se  fera  facilement  une  idée  de 
l'importance  des  intérêts  qui  se  cachent  sous  cette  formule 


710 


APPROBATION  —  APPROPRIATION 


A'' approbation  universitaire,  si  l'on  rénéchit  que  l'on  ne 
compte  pas  en  France  moins  de  deux  cent  mille  élèves  re- 
cevant l'éducation  secondaire,  et  près  de  trois  millions  l'é- 
ducation primaire  dans  les  écoles  publiques,  et  que  c'est  à 
cette  masse  compacte  de  consommateurs,  sans  parler  des 
établissements,  presque  aussi  nombreux,  consacrés  à  l'é- 
ducation des  jeunes  filles,  qu'il  faut  incessamment  fournir  des 
livres  de  tout  genre  et  de  tout  prix,  dont  la  durée  est  très- 
bornée  en  raison  môme  du  caractère  général  du  public  tout 
particulier  qui  en  a  besoin. 

Sous  le  spécieux  prétexte  d'améliorer  des  méthodes,  de 
les  faire  progresser,  ces  libraires ,  quand  un  livre  élémen- 
taire, la  grammaire  de  Lhomond,  par  exemple,  sera  depuis 
longtemps  tombé  dans  le  domaine  public ,  quand  des  con- 
currents pourront  dès  lors  le  fournir  à  des  prix  bien  peu 
au-dessus  du  simple  coût  de  la  fabrication  matérielle,  le 
feront  modifier  et  annoter  quand  même ,  et  l'Université 
s'empressera  de  Vapprouver  et  de  Vadopler  du  moment 
où  il  aura  été  enrichi  par  un  de  ses  docteurs  de  notes  cri- 
tiques ,  grâce  auxquelles  il  coûtera  quatre  fois  plus  cher  au 
consommateur,  attendu  qu'en  adoptant  comme  siennes  les 
annotations  de  tel  ou  tel  pédant  en  bonne  odeur  dans  les 
bureaux  du  ministère,  le  conseil  ne  s'est  nullement  inquiété 
de  savoir  combien  on  les  ferait  ensuite  payer  au  public 
spécial  condamné  à  les  acheter. 

Le  moyen  d'éviter  ces  abus  et  bien  d'autres ,  ce  serait  la 
publicité,  ce  serait  le  concours.  Mettez  au  concours  la  com- 
position môme  des  livres  élémentaires  que  vous  voulez  dé- 
cidément adopter  pour  les  écoles  publiques,  et  qu'ensuite 
la  vente  et  l'exploitation  en  aient  lieu  sur  soumission  et  par 
voie  de  rabais.  C'est  assurément  fort  simple ,  mais  de  long- 
temps encore  on  se  gardera  bien  de  le  faire.  Il  y  a  à  ce  gcl- 
teau  universitaire  trop  de  parties  prenantes  pour  que  de 
si  tôt  on  renonce  à  en  goûter. 

A  côté  de  l'université,  dans  le  sein  de  laquelle  il  fait 
de  plus  en  plus  invasion,  s'agite,  on  sait,  un  corps  mili- 
tant qui  prétend  au  monopole  de  l'enseignement  religieux 
et  moral.  Ce  corps  a  aussi  ses  livres  et  ses  libraires  pri- 
vilégiés ,  et  ceux-ci  ont  toujours  grand  soin  de  placer  en 
tête  des  livres  qu'ils  débitent  quelque  belle  et  bonne  appro- 
bation d'évéque,  qui  devra  être  aux  yeux  de  l'acquéreur 
une  suffisante  garantie  de  l'orthodoxie  des  doctrines  qui  y 
sont  enseignées.  Ces  approbations  épiscopales  ne  sont  guère 
données  avec  plus  de  discernement  et  de  conscience  que 
celles  du  conseil  de  l'instruction  publique.  Ce  sont ,  en  gé- 
néral ,  les  grands  vicaires  qui  se  chargent  de  ce  soin ,  trop 
heureux  lorsqu'ils  ne  sont  pas  à  la  fois  juges  et  parties  dans 
leur  propre  cause ,  et  condamnés  à  approuver  leurs  propres 
livres  !  Quand  les  ouvrages  soumis  à  leur  approbation  n'ont 
point  été  ainsi  rédigés  en  quelque  sorte  sous  leurs  yeux ,  les 
évéques ,  toujours  mal  instruits  de  ce  qui  se  passe  dans  les 
coulisses  du  monde  littéraire ,  sont  exposés,  il  faut  l'avouer, 
à  de  bien  cruelles  mystifications.  On  a  vu  il  y  a  quelques 
années  le  défunt  archevêque  de  Paris ,  M.  Affre ,  vaincu 
probablement  par  les  instances  de  quelque  éditeur  caméléon 
habitué  à  diner  de  l'autel  et  à  souper  du  tliédtrc ,  donner 
de  la  meilleure  foi  du  monde  son  approbation  et  sa  béné- 
diction à  une  collection  de  petits  livres  composés  à  l'usage 
de  l'enfance  par  un  comédien  relaps,  auteur  d'une  foule  de 
productions  rien  moins  qu'édifiantes. 

APPROCHES.  Terme  de  tactique  sous  lequel  on  dé- 
signe les  ouvrages  construits  par  les  troupes  qui  assiègent 
une  place  pour  en  approcher.  Les  sapes ,  les  tranchées ,  les 
épaulements,  les  batteries,  les  logements  sur  les  glacis,  sont 
autant  de  travaux  d'approches.  —  On  désigne  aussi  sous  ce 
nom  la  partie  de  terrain  à  franchir  pour  attaquer  un  poste 
ou  un  camp  retranché.  L'on  dit  dans  ce  dernier  cas  que  les 
approches  sont  faciles,  difficiles,  impraticables ,  bien  com- 
mandées ou  bien  défendues  ;  qu'elles  sont  vues  de  tous  côtés 
par  le  canon  de  l'ennemi ,  etc. 


APPROPRIATION  (Clause  d').  Peu  de  questions 
politiques  ont  aussi  vivement  agité  les  partis  dans  la  Grande- 
Bretagne  que  la  clause  devenue  célèbre  sous  cette  dénomi- 
nation. Au  mois  de  juin  1833,  lord  Althorp  {voyez  comte 
Spencer),  qui  remplissait  les  fonctions  de  chancelier  de  l'é- 
chicpiier  dans  l'adrninistration  présidée  par  le  comte  Grey , 
présenta  à  la  sanction  du  parlement  un  projet  de  loi  en 
vertu  duquel  la  dîme,  si  odieuse  aux  catholiques  d'Irlande, 
parce  qu'elle  se  prélève  au  profit  des  ministres  d'un  culto 
qui  n'est  que  celui  d'une  incomparable  minorité,  était  abolie. 
Le  bill  décidait  ensuite  qu'il  serait  pourvu  aux  frais  d'en- 
tretien des  édifices  consacrés  au  culte,  et  aux  autres  dépen- 
ses de  l'Église  anglicane  d'Irlande,  au  moyen  de  réductions 
à  opérer  tout  à  la  fois  sur  le  nombre  des  évôchés  et  sur  le 
traitement  des  évéques ,  au  fur  et  à  mesure  que  les  sièges 
viendraient  à  vaquer;  que  les  terres  épiscopales  seraient 
affermées,  et  que  les  revenus  des  bénéfices  accordés  au  bas 
clergé  seraient  frappés  d'un  impôt  de  7  pour  1 00.  Le  ministre 
n'avait  pas  pu  ne  pas  prévoir  qu'avec  le  temps,  de  ces  diffé- 
rentes sources  de  produits  devrait  nécessairement  résulter 
un  excédant  de  recettes  :  aussi  avait-il  ajouté  à  son  projet 
de  loi  une  clause  stipulant  que  cet  excédant  profiterait  à 
l'État.  Les  ministres  représentaient  cette  clause  comme  tout 
à  fait  sans  importance,  attendu  que  dans  l'espèce  il  no 
s'agissait  point  des  biens  de  l'Église ,  l'État  n'élevant  de  pré- 
tentions que  sur  ce  que  l'Église  ne  possédait  pas  encore  et 
qu'on  ne  pouvait  espérer  que  d'une  meilleure  organisation 
ainsi  que  d'une  exploitation  mieux  entendue  des  terres  épis- 
copales. Les  tories,  au  contraire,  prétendirent  que  par  cette 
clause  l'État  voulait  ?>' approprier  ce  qui  ne  lui  appartenait 
pas;  que  ce  n'était  pas  seulement  les  biens  ecclésiastiques, 
mais  encore  tout  ce  qui  en  pouvait  provenir,  qu'on  devait 
exclusivement  employer  au  profit  de  l'Église  dominante , 
surtout  en  Irlande,  où  il  y  avait  encore  un  si  grand  nombre 
de  curés  mal  rétribués;  enfin  que  c'était  là  un  déplorable 
exemple  que  donnerait  la  législature,  car  ce  serait  tout  sim- 
plement le  commencement  de  la  mise  au  pillage  des  biens 
ecclésiastiques.  Il  suffisait  que  les  tories  panissent  la  repous- 
ser pour  que  les  catholiques  et  le  parti  radical  se  rattachas- 
sent à  cette  clause  avec  d'autant  plus  d'ardeur  :  aussi  jetè- 
rent-ils de  violentes  clameurs  lorsque  les  ministres ,  afin  de 
ne  point  compromettre  le  sort  entier  du  bill  de  réforme  de 
l'Église  d'Irlande  dans  la  chambre  haute,  y  renoncèrent 
spontanément;  détermination  à  la  suite  de  laquelle  le  bill 
passa  à  une  grande  majorité  dans  l'une  et  l'autre  chambre. 

L'année  suivante ,  M.  W'ard,  membre  attaché  à  l'opinion 
radicale,  fit  à  la  chambre  des  conununes  une  motion  ten- 
dant à  diminuer  en  Irlande  le  chiffre  du  personnel  du 
clergé  de  l'Église  épiscopale  et  à  le  mettre  en  proportion  avec 
celui  de  ses  ouailles,  puis  à  appliquer  à  l'éducation  publique, 
sans  distinction  de  foi  religieuse,  l'excédant  des  recettes  que 
produirait  cette  économie.  Les  ministres ,  avec  l'appui  des 
tories ,  étaient  en  mesure  de  faire  repousser  cette  motion  ; 
mais  la  majorité  du  cabinet  n'y  consentait  qu'à  la  condition 
qu'une  commission  spéciale  serait  nommée  pour  faire  une  en- 
quête sur  l'état  de  l'Église  et  sur  tout  ce  qui  avait  rapport  à 
l'éducation  publique.  C'était  virtuellement  reconnaîtie  l'au- 
torité du  principe  sur  lequel  M.  VîaxA  appuyait  sa  motion, 
c'est-à-dire  que  l'Église  est  une  institution  politique  dont 
on  peut,  suivant  les  besoins  du  moment,  augmenter  ou  di- 
minuer le  personnel.  Lord  Stanley,  sir  James  Graham,  le 
duc  de  Richemond  et  le  comte  Ripon,  qui  ne  partageaient 
point  cette  opinion ,  résignèrent  leurs  portefeuilles ,  et  il 
s'ensuivit  une  crise  ministérielle  des  plus  graves.  La  com- 
mission n'en  fut  pas  moins  nommée,  et  commença  même 
ses  travaux  ;  toutefois  les  ministres  repoussèrent  toute  pro- 
position ayant  pour  but  de  faire  une  application  quelconque 
des  biens  de  l'Église ,  jusqu'à  ce  que  cette  commission  eût 
fait  son  rapport. 

A  la  réouverture  du  parlement,  qui  eut  lieu  au  mois  de  fé- 


APPROPRIATlOiN  —  APPROVISIONNEMENT 


711 


vrier  1S35,  les  tories  ét;iient,  dans  l'intorvallc  d'une  session  à 
l'autre,  revenus  au  pouvoir.  Alors  lord  Jolin  Russell,  qui, 
avec  lord  Melbourne  et  les  autres  membres  du  cabinet,  avait 
dil  quitter  le  ministère,  se  mit  à  la  tOto  de  l'opposition  ;  et  au 
mois  d'avril,  Robert  Peel  ayant  présenté  un  bill  des  droits 
d'I  rlande,  lord  Jobn  Russell  fit  adopter  par  la  chambre  des  com- 
munes la  clause  en  vertu  de  laquelle  l'excédant  des  revenus 
de  rÉglise  épiscopale  d'Irlande  pourrait  être  appliqué  à  l'a- 
mélioration de  l'instniction  publique  de  ce  pays,  sans  accep- 
tion de  foi  religieuse.  Ce  vote  de  la  chambre  basse  ayant  eu 
lieu  à  une  majorité  de  deux  cent  quatre-vingt-cinq  voix  contre 
deux  cent  cinquante-huit,  le  ministère  tory  de  Robert  Peel 
et  de  Wellington  fut  forcé  de  se  retirer,  et  lord  Melbourne 
fut  chargé  de  former  une  administration  nouvelle.  Lord 
Moipoth ,  qui  dans  ce  nouveau  cabinet  remplissait  les 
fonctions  de  secrétaire  d'État  pour  l'Irlande,  présenta  à  la 
chambre  des  communes  un  autre  bill  des  dîmes,  stipulant 
que  l'excédant  des  revenus  du  haut  clergé  d'Irlande  serait 
appliqué  aux  besoins  de  l'instruction  publique.  La  chambre 
basse  vota  cette  clause,  mais  la  chambre  haute  la  repoussa, 
et  le  ministère  renonça  à  son  projet  de  loi.  Autant  eu  arriva 
en  IS3G,  quand  lord  Morpeth  revint  de  nouveau  à  la  charge 
avec  son  bill.  Pour  la  troisième  fois  alors,  en  mai ,  ce  bill 
des  dîmes  d'Irlande  fut  soumis  au  parlement,  toujours  avec 
la  clause  d'appropriation ,  modifiée  toutefois  en  ce  sens 
que  dix  pour  cent  du  produit  des  dîmes  devraient  être  ap- 
pliqués à  l'amélioration  de  l'instruction  publique  en  Irlande. 
Le  20  juin  suivant ,  arriva  la  mort  du  roi  Guillaume  IV, 
qui  entraîna  la  dissolution  du  parlement,  et  le  bjU  fut  ainsi 
enterré  dès  sa  naissance. 

Sous  le  règne  de  la  reine  Victoria,  les  ministres  vvhigs  re- 
noncèrent complètement  à  le  présenter  de  nouveau,  con- 
Taincus  sans  doute  qu'il  n'y  avait  pas  de  chance  pour  eux  de 
le  faire  adopter  par  la  chambre  haute. 

En  1845  les  ministres  ayant  présenté  un  bill  pour  augmen- 
ter l'allocation  du  collège  irlandais  de  Maynootli,  M.  Ward 
souleva  de  nouveau  la  question  d'appropriation.  D'après  le 
plan  ministériel ,  le  subside  devait  être  pris  sur  le  fonds 
consolidé ,  c'est-à-dire  sur  le  trésor  ;  M.  Ward  voulait  que 
l'allocation  fût  prélevée  sur  le  produit  des  biens  apparte- 
nant à  l'église  protestante  d'Irlande.  M.  Macaulay  appuya  la 
motion  de  JI.  Ward  ;  mais  sir  Robert  Peel  repoussa  cette 
motion  d'appropriation,  et  elle  fut  rejetée  par  trois  cent 
vingt-deux  voix  contre  cent  quarante-six. 

APPROVISIOXXEMEAiT,  acte  de  faire  provision 
ou  réserve  d'objets  de  consommation  et  principalement  de 
comestibles.  Ce  mot  indique  une  prudence  toujours  forte- 
ment recommandée  en  économie  politique  et  domestique.  Il 
oe  s'applique  pas  seulement  aux  aliments  dont  l'homme  se 
nourrit,  mais  encore  aux  moyens  de  les  faire  circuler  et  de 
s'en  procurer  suffisamment,  ce  qui  est  du  ressort  de  la  police 
des  transports  et  des  marchés;  il  s'applique  enfin  aux 
moyens  de  les  préparer,  pour  les  rendre  utiles,  à  l'aide  du 
bois,  du  charbon,  etc.  Les  Romains  nommaient  ces  objets  de 
première  nécessité  annona  ;  et  ce  mot  se  retrouve  avec  le 
même  sens  dans  les  capitulaires  de  Charlcmagne  et  de 
Louis  le  Débonnaire.  Sous  Charles  le  Chauve  on  commença 
à  se  servir  du  moideneratas,  de  denariiis,  denier,  c'est-à- 
dire  choses  qui  se  payent  ordinairement  en  menues  monnaies. 
De  deneraias  vient  denrée,  qui  comprend  tout  ce  qui  est 
nécessaire  à  la  vie. 

On  ne  doit  pas  s'étonner  de  ce  que  les  législateurs  se  soient 
occupés  avec  tant  de  sollicitude  d'une  matière  aussi  im- 
portante, qu'ils  aient  établi  des  magistrats  spéciaux  pour  les 
approvisionnements,  et  que  les  lois  se  soient  armées  de  sé- 
vérité contre  ceux  qui  entreprenaient  de  troubler  un  service 
qui  intéresse  à  un  si  haut  degré  la  tranquillité  publique. 
C'est  à  la  circulation  facile  des  subsistances  et  à  leur  abon- 
dance sur  les  marchés  qu'on  peut  juger  de  la  bonne  admi- 
nistration et  de  la  prospérité  intérieure  d'un  pays. 


On  connaît  jteu  les  moyens  qu'employaient  les  peuples  de 
la  haute  anticiuité  pour  pourvoir  à  l'approvisionnement  de 
leurs  États  et  de  leurs  villes.  Amasis,  roi  d'Egypte ,  força 
par  une  loi  tous  les  citoyens  à  rendre  compte  aux  magistrats 
de  leurs  moyens  d'existence.  En  assurant  l'approvisionne- 
ment particulier,  ce  prince  croyait  faire  assez  pour  l'appro 
visionnemcut  général.  Un  autre  roi  d'Egypte,  un  des  Pharaons, 
était  mieux  inspiré  lorsque ,  disant  son  premier  ministre 
de  l'Israélite  Joseph,  il  le  chargeait  de  mettre  en  réserve  le 
superflu  des  bonnes  années  pour  faire  face  aux  époques  de 
disette,  et  donnait  ainsi  l'exemple  des  premiers  greniers  d'a- 
bondance dont  il  soit  question  dans  l'histoire.  A  Athènes , 
Solon  rendit  une  loi  analogue  à  celle  d' Amasis  :  la  direction 
de  l'approvisionnement  était  confiée  à  l'aréopage,  qui  avait 
sous  ses  ordres  des  agoranomes  ,  commissaires  généraux 
des  vivres,  aidés  par  des  sitones,  pourvoyeurs  chargés  d'aller 
acheter  des  blés  à  l'étranger;  par  des  empimélètcs,  qui  te- 
naient l'état  des  denrées  arrivées  et  en  faisaient  payer  le  prix 
aux  marchands  ;  par  des  sitophulaques,  gardiens  des  gre- 
niers; par  des  sitométrarques,  mesureurs  de  grains;  par 
des  cpsanomes,  chargés  de  tout  ce  qui  était  relatif  aux 
viandes  et  de  réprimer  le  luxe  des  festins;  et  par  des  mna- 
mones ,  préposés  à  la  distribution  du  vin  et  frappant  de 
fortes  amendes  ceux  qui  en  buvaient  outre  mesure.  Afin  de 
prévenir  les  accaparements,  aucun  citoyen  ne  pouvait 
acheter  du  grain  pour  plus  d'une  amiée.  Le  surplus  était  con- 
fisqué au  profit  de  l'État. 

Ce  ne  fut  que  vers  l'an  630  de  sa  fondation,  lors  du  pre- 
mier tribunat  de  Caïus  Sempronius  Gracchus ,  que  Rome 
sentit  la  nécessité  de  faire  des  règlements  sur  les  grains. 
L'approvisionnement  commençait  à  devenir  d'autant  plus 
difficile,  que  des  gueiTes  continuelles  tenaient  les  Romains 
éloignés  de  la  culture  des  terres.  Gracchus,  pour  plaire  au 
peuple ,  proposa  la  première  des  lois  frumentaires ,  leges 
frumentarix,  qui  permettait  aux  citoyens  pauvres  d'acheter 
du  blé  au-dessous  de  sa  valeur.  Ce  fut  aussi  vers  cette  épo- 
que qu'on  fit  venir  des  grains  de  l'étranger.  Les  riches ,  ja- 
loux de  la  popularité  de  Gracchus,  imaginèrent,  pour  capter 
les  suffrages,  de  distribuer  du  blé  ;  et  le  peuple  plus  tard 
trouva  ce  procédé  si  commode,  que  sous  les  empereurs 
il  ne  lui  fallait  plus  que  des  jeux  et  du  pain  :  panem  et  cir- 
censes. 

Alors  l'approvisionnement  de  Rome  devint  si  difQcile,  que 
les  édiles ,  et  puis  les  tribuns,  ne  suffirent  plus  pour  le  sur- 
veiller. Pompée  fut  investi  de  la  nouvelle  charge  de  préfet 
de  l'approvisionnement, ;3>a?/ec<î<s  annonx.  Auguste, ayant 
remarqué  combien  les  distributions  de  blé  nuisaient  à  l'agri- 
culture, voulut  abolir  toutes  les  lois  frumentaires;  mais  les 
abus  avaient  déjà  poussé  de  si  profondes  racines  qu'il  n'osa 
pas  les  attaquer.  Il  se  borna  à  réunir  tout  ce  qui  concernait 
cette  branche  de  la  police  entre  les  mains  du  préfet  de  la 
\']\\e ,  prœfectiis  urbis,  ayant  sous  ses  ordres  le  préfet  du 
guet,  prxfectus  vigilium,  et  celui  de  l'approvisionnement, 
prxfectus  annonx.  Celui-ci  tenait  note  de  tous  ceux  qui 
participaient  aux  distributions  publiques  ;  laboureurs,  mar- 
chands, gardes  prétoriens ,  plébéiens,  patriciens ,  sénateurs 
même,  pouvaient  prendre  part  à  cette  dégradante  aumône. 
Sous  Constantin  il  fallait  huit  millions  de  boisseaux  de  blé. 
Aussi  de  quel  effroi  Rome  n'était-elle  pas  saisie  quand  les 
flottes  chargées  de  grains  éprouvaient  quelque  retard! 
Pour  subvenir  à  ces  distributions,  on  imposait  comme  tribut 
aux  habitants  des  provinces  conquises  la  dîme  de  leurs 
blés,  fnmentnm  deaimamm.  Le  blé,  conduit  d'Ostie  à 
Rome  par  le  Tibre ,  était  déposé  dans  deux  cent  soixante- 
trois  greniers  publics. 

Dans  les  temps  modernes  l'approvisionnement  des  États 
eu  général,  et  de  la  France  en  particulier,  a  lieu  par  le 
commerce  intérieur  et  par  le  commerce  extérieur,  l'un  et 
l'autre  soumis  à  des  lois  et  à  des  principes  différents.  Au 
premier  rang  des  moyens  nécessaires  pour  l'approvisionne* 


712 

ment  par  le  commerce  intérieur,  il  faut  placer  les  Toies  de 
communication,  fleuves,  rivières,  canaux,  routes  et  chemins 
de  fer.  Lorsqu'un  État  en  est  convenablement  pourvu,  son 
approvisionnement  devient  facile;  chaque  province  envoie 
aux  autres  les  denrées  qu'elle  récolte  au  delà  de  sa  consom- 
mation, pour  recevoir  celles  qu'elle  ne  produit  pas.  Plus 
les  voies  de  communication  sont  bonnes  et  peu  coûteuses , 
plus  le  consommateur  obtient  les  produits  à  bon  marché , 
plus  en  abrégeant,  parla  rapidité,  les  distances,  on  multiplie 
les  échanges.  Toutes  les  denrées  de  première  nécessité  étant 
difficiles  à  transporter,  un  gouvernement  attentif  aux  besoins 
du  peuple  ne  saurait  attacher  trop  d'importance  à  en  faciliter 
la  circulation  ;  et  c'est  en  ce  sens  que  J.-B.  Say  a  eu  raison 
de  dire  qu'un  pays  n'était  civilisé  qu'en  proportion  des 
moyens  de  communication  qu'il  possède. 

Après  les  voies  de  communication  viennent  les  marchés 
et  les  foires ,  institués  pour  assurer  le  débouché  des  pro- 
ductions d'un  pays.  Dans  le  temps  où  les  marchands  étaient 
rares,  les  foires  rendaient  de  grands  services;  la  consomma- 
tion des  bourgs  et  des  villes  n'était  pas  alors  assez  consi- 
dérable pour  nécessiter  des  commerçants  à  domicile.  Mais 
de  nos  jours  les  grandes  foires  même  de  Beaucaire,  de 
Guibray,  de  Francfort,  perdent  de  leur  importance,  parce 
que  tous  les  principaux  centres  de  production  se  changent 
en  foires  perpétuelles.  Les  foires  pour  les  bestiaux  dans  les 
campagnes  et  les  marchés  qui  approvisionnent  les  villes  se 
maintiennent  encore,  mais  une  civilisation  plus  avancée  les 
fera  disparaître. 

11  ne  suflit  pas  pour  un  gouvernement  de  posséder  des 
voies  de  communication,  des  marchés  et  des  foires,  il  lui 
faut  assurer  la  libre  circulation  des  denrées  sur  tout  son  ter- 
ritoire, et  ne  pas  souffrir  qu'il  lui  soit  porté  atteinte  par  les 
préjugés  populaires.  C'est  le  meilleur  moyen  de  rendre  la 
subsistance  du  peuple  moins  dépendante  des  vicissitudes 
des  saisons.  La  variété  des  récoltes  et  la  diversité  des  ter- 
rains occasionnant  une  très-grande  inégalité  dans  la  quan- 
tité de  productions  d'un  canton  à  l'autre,  la  récolte  de 
chaque  canton  se  trouvant,  par  conséquent,  ou  au-dessus 
ou  au-dessous  des  besoins  des  habitants,  ils  ne  peuvent 
vivre  dans  les  lieux  oîi  les  moissons  manquent  qu'avec  des 
grains  apportés  des  lieux  favorisés  par  l'abondance.  La  li- 
berté de  cette  communication  est  nécessaire  à  ceux  qui 
manquent  de  denrées  suffisantes  pour  les  empêcher  de 
mourir  de  faim;  et  elle  est  nécessaire  aussi  à  ceux  qui 
ont  du  superflu,  parce  que  sans  elle  ce  superflu  n'aurait 
aucune  valeur  et  que  les  cultivateurs ,  avec  plus  de  pro- 
duits que  n'en  demande  leur  consommation,  seraient  dans 
l'impossibilité  de  subvenir  à  leurs  autres  besoins  par  des 
échanges. 

Parvenus  à  un  certain  degré  de  civilisation,  les  peuples 
ne  se  contentent  plus  des  produits  de  leur  sol,  ils  demandent 
au  nord,  au  sud,  à  l'est,  à  l'ouest,  les  produits  du  leur. 
De  là  l'approvisionnement^des  États  par  le  commerce  exté- 
rieur; de  là  les  grandes  questions  des  systèmes  protec- 
teur et  prohibitif,  des  tarifs,  des  octrois,  des 
douanes,  du  libre  échange,  et  accessoirement  du 
transit  et  des  entrepôts  intérieurs. 

Après  les  essais  malheureux  faits  dans  Rome  ancienne , 
dans  plusieurs  États  modernes,  dont  les  gouvernements  ont 
essayé  de  se  réserver  le  monopole  du  pain,  du  vin  et  même  de 
l'huile  ;  après  la  tentative  du  maximum,  chez  nous,  en  1793, 
on  ne  saurait,  en  vérité  ,  trop  se  Cer  aux  gouvernements, 
si  bien  constitués  qu'ils  soient  aujourd'hui ,  pour  veiller  à 
la  subsistance  des  peuples  ;  et  l'on  doit  réclamer  la  liberté 
comme  la  meilleure  garantie  d'un  approvisionnement,  sinon 
abondant,  du  moins  toujours  en  rajiport  avec  les  besoins,  et 
jamais  conipronu"s  par  de  fausses  mesures.  C'est  surtout 
pour  celui  des  grands  centres  de  population  qu'on  a  vu 
mettre  en  jeu  les  mesures  les  plus  contradictoires  et  les 
plus  bizarres.  Ce  n'est  guère  que  depuis  1789  qu'on  s'en  est 


APPROVISIONNEMENT 

rapporté  en  France  à  la  liberté  ;  encore  a-t-on  cru  dcToir  y 
mettre  bon  nombre  de  restrictions. 

Certainement ,  des  villes  considérables ,  comme  Londres, 
Paris  ou  Vienne,  demandent  pour  leur  approvisionnement 
une  surveillance  que  n'exigent  pas  les  petites  villes  et  les 
bourgs;  mais  en  multipliant  les  précautions,  l'autorité  aug- 
mente souvent,  faute  de  lumières,  les  gènes  et  les  en- 
traves. Elle  empêche  les  négociants  de  se  livrer  à  des  opé- 
rations qu'ils  entreprendraient  avec  ardeur;  car  elles  seraient 
d'autant  plus  lucratives  que  le  commerce  d'approvisionne- 
ment offre  des  avantages  que  n'ont  pas  tous  les  autres.  Là 
la  mode  est  sans  influence ,  la  demande  presque  constante  ; 
et  s'il  a  été  si  peu  exploité,  cela  tient  aux  entraves  de 
l'administration  et  au  préjugé  populaire  qui  voit  partout  des 
accapareurs.  Au  détriment  des  peuples  et  du  trésor 
public ,  le  monopole  a  toujours  joui  de  la  faveur  d'appro- 
visionner les  villes. 

Dès  1170  une  ordonnance  constitue  une  société  de  mar- 
chands sous  le  titre  de  nautx  parisiaci ,  chargés  exclusi- 
vement d'approvisionner  Paris  par  les  rivières.  Sous  le 
prétexte  de  veiller  au  bien  public,  les  rois  donnent  à  leurs 
grands  officiers  la  direction  des  diverses  corporations  for- 
mées par  l'ordonnance  de  saint  Louis  ayant  pour  titre  : 
Établissement  des  métiers  de  Paris.  Le  grand  bouteiller 
a  sous  ses  ordres  les  marchands  de  vins  et  cabaretiers.  Un 
prévôt  de  Paris ,  Etienne  Boileau ,  rédige  le  règlement  des 
boulangers,  placés  sous  la  surveillance  du  grand  panetier. 
En  1182  Philippe-Auguste,  à  qui  Paris  doit  ses  premiers 
marchés ,  donne  les  statuts  de  la  corporation  des  bouchers. 
En  1475  Robert  d'Estouteville,  garde  de  la  prévôté  de 
Paris,  publie  les  premiers  statuts  de  la  communauté  des 
charcutiers. 

Ces  privilèges   organisés  pour  l'approvisionnement  de 
Paris  s'acquittèrent  si  mal  de  leur  devoir,  que  de  nombreux 
abus  et  les  plaintes  continuelles  de  la  population  obligèrent 
le  gouvernement  à  créer,  par  un  éditde  1667,  un  lieutenant 
de  police,  chargé  de  connaître  de  toutes  les  provisions  né- 
cessaires pour  la  subsistance  de  la  ville ,  amas ,  magasins , 
taux  et  prix  ,  étaux  de  boucheries ,  adjudications ,  visites 
des  halles,  foires  et  marchés.  Tous  ces  intérêts  spéciaux, 
créés  dans  des  temps  d'anarchie  et  d'oppression,  disparurent 
devant  la  loi  de  1791 ,  qui  abolit  les  corporations.  Depuis 
lors  le  commerce    d'approvisionnement  resta  libre    jus- 
qu'en 1802  ,  époque  où  furent  reconstituées,  par  un  arrêté 
consulaire,  celles  des  boulangers,  bouchers  et  charcutiers 
de  Paris.  Ces  corporations  ont  été  tour  à    tour  libres  et 
restreintes  à  un  certain  nombre  de  marchands. Celle  des  bou- 
chers a  subsisté  le  plus  longtemps  ;  elle  n'existe  plus  au- 
jourd'hui, mais  le  nombre  des  boulangers  a  été  limité  pour  le 
département  de  la  Seine ,  en  môme  temps  que  la  caisse  de 
la  Boulangerieaété  créée  pour  servir  aux  transactions 
de  cette  profession  et  opérer  une  compensation  entre  les 
prix  trop  élevés  et  trop  bas  du   pain.  On  a  préconisé  les 
greniers  d'abondance  que  l'on  pourrait  emplir  dans 
les  années  d'abondance  et  vider  dans  les  années  de  disette; 
mais  ils  entraînent  une  dépense  énorme  de  construction, 
d'achat  et  de  surveillance.  Sans  en  établir  positivement,  la 
ville  de  Paris  a  augmenté  la  réserve  des  boulangers  et  ré- 
tabli d'immenses  magasins.  Comment,  d'ailleurs,  préserver 
de  grandes  quantités  de  grains  de  l'atteinte  des  insectes?  Et 
puis  la  France  ne  produisant  qu'un  excédant  annuel  de  blé 
de  quinze  jours  dans  les  années  ordinaires  et  de  cinquante- six 
dans  les  années  fort  abondantes,  il  serait  très-irapolilique 
de  faire  dans  nos  grandes  villes  des  amas  de  grains  comme 
ceux  des  greniers  d'abondance.  lien  résulterait  sur  les  blés 
une  hausse  qui  serait  peut-être  mal  compensée  par  la  baisse 
dans  les  années  de  disette.  E.  de  Monglave. 

Al'I'HOVISIONNEMENTS     MILITAIRES.   IIS  SB  COmpOSCUt  de  VI- 

vres ,  vêtements ,  armes ,  munitions ,  machines ,  outils  pour 
les  travaux  de  défense  ou  de  siège.  Ils  ont  varié,  comme  les 


APPROVISIONNEMENT  —  APULÉE 

approvrsionnemculs  civils,  avec  les  i)ic)j;rt's  de  la  civilisation 
et  le  perfeclionncment  de  la  tactiiiue.  Chez  la  plupart  des 
peuples  anciens,  où  les  brusques  invasions  des  conquérants 
fournissaient  aux  combats  des  théâtres  si  vastes  et  des 
troupes  si  nombreuses  ,  il  aurait  été  difficile  de  faire  suivre 
une  armée  d'invasion  par  une  quantité  de  vivres  sulTisante. 
11  fallait  donc  prendre  ses  dispositions  alin  de  vivre  en 
pays  ennemi ,  ce  qui  devenait  souvent  dangereux  et  avait 
fait  adopter  à  plusieurs  nations  l'usage,  encore  suivi  par  les 
Turcs  et  les  Arabes,  de  ravager ,  après  une  défaite ,  le  terri- 
toire abandonné  au  vainqueui-,  pour  jeter  la  famine  en  travers 
de  sa  marche.  La  coutume  de  se  pourvoir  de  magasins  mi- 
litaires devint  pourtant  plus  tard  générale  en  Europe,  et 
une  armée  ne  franchit  plus  ses  frontières  sans  avoir  des  vi- 
vres en  réserve.  Néanmoins,  pendant  les  longues  guerres 
delà  révolution,  il  fallut  recourir  au\  réquisitions.  Ne 
pouvant  plus  les  exercer  à  l'intérieur.  Napoléon  les  fit  peser 
sur  l'étranger.  Ce  fut  le  principal  moyen  par  lui  mis  en 
usage  pour  soulager  la  France  du  poids  énorme  de  son  état 
militaire.  Il  en  résulta  l'oppression ,  la  ruine  des  habitants 
des  contrées  envahies ,  et  cette  réaction  violente  qui  finit 
toujours  par  punir  la  gloire  aventureuse  qui  s'en  va  ne  se- 
mant à  droite  et  à  gauche  que  désastres  et  vengeajices. 

APPROXDL\TIOIV  (du  ktin  appropinquo,  dérivé 
de  ad  et  de proximus ,  ad proximiim  ire,  approcher). 
Certains  nombres  n'ayant  pas  de  rapport  fini  avec  l'unité, 
on  ne  peut  déterminer  exactement  leur  valeur  ;  mais  on  peut 
toujours  calculer  ces  nombres  de  manière  que  l'erreur  com- 
mise ne  dépasse  pas  une  limite  donnée  ;  les  valeurs  ainsi  cal- 
culées sont  des  valeurs  approchées  ou  des  approxima- 
tions. C'est  ainsi  qu'on  évalue  les  racines  irrationnelles  de 
tous  les  degrés ,  toutes  les  tables  de  logarithmes,  le  rapport 
de  la  circonférence  au  diamètre,  les  racines  des  équations 
numériques,  etc. 

U  peut  encore  arriver  que ,  sans  être  irrationnelle ,  une 
quantité  ne  puisse  pas  s'exprimer  par  un  nombre  fini  de 
chiffres  ;  il  en  est  ainsi  d'une  foule  de  fractions  à  deux  termes, 
lorsqu'on  cherche  à  les  réduire  en  fractions  décimales ,  ou , 
plus  généralement,  quand  on  veut  les  transformer  en  frac- 
tions dont  le  dénominateur  est  donné.  Dans  ce  cas ,  U  faut 
bien  se  contenter  d'une  approxiuialioD,  qu'on  peut,  lorsqu'il 
s'agit  de  décimales ,  pousser  aussi  loin  qu'on  le  veut.  Quel- 
quefois encore  l'approximation  est  soumise  à  certaines  con- 
ditions :  par  exemple,  lorsqu'on  demande  des  fractions  ordi- 
naires qui  diffèrent  très-peu  des  proposées  et  qui  soient 
exprimées  par  de  plus  petits  nombres,  problème  qu'on 
résout  au  moyen  des  réduites  des  fractions  conti- 
nues. 

Quand  on  a  des  calculs  à  faire  sur  des  nombres  obtenus 
par  approximation ,  il  est  nécessaire  de  connaître  la  limite 
de  l'erreur  dont  le  résultat  peut  être  affecté,  afin  de  savoir 
sur  combien  de  chiffres  exacts  on  peut  compter.  Cette  ques- 
tion est  facile  à  résoudre  dans  la  plupart  des  cas  ;  mais  nous 
ne  pouvons  entrer  dans  tous  les  développements  qu'elle 
nécessite  ,  et  nous  renvoyons  le  lecteur  à  une  notice  très- 
complète  publiée  sur  ce  sujet,  en  1842,  par  M.  Guilmin, 
dans  les  Nouvelles  Annales  de  Mathématiques. 

V approximation  des  racines  des  équations  est  une 
question  d'une  autre  nature.  On  sait  que  les  équations 
d'un  degré  supérieur  au  quatrième  n'ont  pu  encore  être  ré- 
solues algébriquement,  c'est-à-dire  qu'on  n'a  pas  pu  trouver 
une  fonnule  qui  exprime  l'inconnue  en  fonction  des  coeffi- 
cients des  divers  termes  de  l'équation.  On  s'est  alors  spé- 
cialement occupé  de  la  résolution  des  équations  numériques. 
On  a  trouvé  des  méthodes  pour  déterminer  toutes  les 
racines  égales,  puis,  parmi  les  inégales,  les  entières  et  les 
fractionnaires.  Quand  tout  cela  est  connu ,  il  faut ,  pour  ré- 
soudre complètement  l'équation  proposée,  calculer  les  racines 
incommensurables.  L'approximation  de  ces  racines  a  occupé 
les  plus  grands  analystes;  les  méthodes  les  plus  remarqua- 

DICT.    DE   Lk  CONVERSATION.   —  T.    I. 


713 

blés  sont  celle  de  Newton,  habilement  rectifiée  par  Fourier, 
celle  de  Lagrange  et  celle  de  Budan.  F.  Merlirux. 

APPUI.  On  appelle  ainsi  en  architecture  un  petit  mur 
élevé  entre  les  pieds-droits  d'une  croisée.  Des  balustrades 
ou  pièces  de  bois ,  de  pierre  ou  de  fer,  placées  le  long  des 
rampes  des  escaliers ,  sont  aussi  des  appuis  :  car  ce  mot 
désigne  tout  objet  sur  lequel  un  autre  objet  s'appuie,  et  qui, 
par  conséquent,  le  soutient.  —  En  termes  de  manège  c'est 
la  manière  dont  le  cavalier  soutient  le  cheval  en  élevant  la 
bride,  ou  dont  le  cheval  appuie  sur  le  mors. 

En  statique  on  appelle  point  d'appui,  en  pariant  d'un 
levier,]e  point  fixe  autour  duquel  la  puissance  et  la  résis- 
tance sont  en  équilibre  ;  quand  la  puissance  et  la  résistance 
ont  des  directions  parallèles,  \e point  d'appui  est  toujours 
chargé  d'une  quantité  égale  à  la  somme  de  ces  deux  forces. 
.\insi,  dans  une  balance  ordinaire  à  bras  égaux,  la  charge 
du  point  d'appui  est  égale  à  la  sonune  des  poids  qui  sont 
dans  les  plateaux. 

APPULSE.  On  appelle  ainsi  en  astronomie  le  passage 
de  la  lune  auprès  d'une  étoile  ou  d'une  planète ,  sans  qu'il  y 
ait  éclipse.  L'instant  de  l'appulse  est  celui  où  les  bords  des 
deux  corps  sont  à  leur  plus  courte  distance.  L'observation  en 
profite  pour  déterminer  les  lieux  de  la  lune,  les  erreurs  des  ta- 
bles et  les  longitudes  des  stations  au  moyen  du  micromètre. 

APRES-SOUPERS,  désignation  sous  laquelle  sont 
connus  parmi  les  amateurs  plusieurs  tableaux  précieux  des 
deux  Téniers  commencés  et  achevés  par  ces  grands  maîtres 
en  une  seule  soirée.  Le  plus  souvent  ils  représentent  des  ani- 
maux, ou  bien  ce  sont  des  marines;  la  vérité  en  est  toujours 
frappante,  le  coloris  parfait,  le  dessin  irréprochable. 

A  PRIORI,  A  POSTERIORI,  A  PARI,  A  FOR- 
TIORI, A  CONTRARIO,  expressions  adverbiales,  dé- 
signant diverses  formes  démonstratives  usitées  en  logique. 
A  priori  se  dit  d'un  raisonnement  dans  lequel  ou  va  de  la 
cause  à  l'effet,  de  la  nature  d'une  chose  à  ses  propriétés.  Au 
contraire ,  on  raisonne  a  posteriori  quand  on  remonte  de 
l'effet  à  la  cause,  des  propriétés  d'une  chose  à  son  essence. 
Raisonner  a  pari,  c'est  conclure  du  semblable  au  semblable  ; 
a  fortiori,  du  plus  au  moins  ;  a  contrario,  du  contraire  au 
contraire.  —  Les  deux  premiers  termes  s'appliquent  encore 
aux  idées  :  celles  a  priori  sont  perçues  par  la  seule  raison, 
et  n'ont  pour  base  aucune  observation  extérieure,  tandis  que 
celles  a  posteriori  nous  sont  fournies  par  l'expérience. 

APSIDE  (Architecture).  Voyez  ABsmE. 

APSIDES  (Astronomie  ),  du  grec  à|t;,  courbure,  voûte. 
C'est  le  nom  collectif  des  extrémités  du  grand  axe  de  l'orbite 
d'une  planète.  Dans  les  orbites  dont  le  soleil  occupe  l'un  des 
foyers,  l'apside  sicpérieure  est  l'aphélie,  et  Vapside  in- 
férieure est  le  périhélie;  pour  la  lune ,  ces  apsides  sont 
Vapogée  et  le  périgée  ;  pour  les  satellites  de  Jupiter,  on  les 
appelle  apojove  et  périjove.  La  ligne  droite  qui  passe 
par  ces  deux  points  extrêmes  se  nomme  ligne  des  apsides, 
ce  qui  est  à  peu  près  la  même  chose  que  le  grand  axe  de 
l'orbite ,  sauf  cependant  que  ce  dernier  a  une  longueur  dé- 
terminée ,  tandis  que  la  ligne  des  apsides  est  indéfinie.  La 
position  de  cette  hgne  varie  en  vertu  des  perturbations 
auxquelles  sont  soumises  les  planètes. 

APTÈRES  (de  à  privatif,  et  de nrepâv,  aile),  animaux 
articulés  qui  n'ont  point  d'ailes.  Après  avoir  désigné  diffé- 
rents ordres,  ce  mot  n'est  plus  employé  qu'adjectivement  ; 
ainsi  l'on  dit  que  la  femelle  de  telle  espèce  est  aptère,  c'est- 
à-dire  qu'elle  manque  d'ailes  ou  qu'elle  n'en  a  que  de  rudi- 
mentaires.  Dans  l'ordre  des  coléoptères,  où  les  premières 
ailes  reçoivent ,  à  cause  de  leur  nature,  le  nom  d'élytres, 
certains  genres,  qui  manquent  de  la  seconde  paire,  sont  con- 
sidérés comme  aptères.  —  Les  insectes  aptères  qui  ne  su- 
bissent point  de  métamorphoses  et  qui  ont  deux  antennes  et 
six  pieds  ont  reçu  de  Latreille  le  nom  d'Aptérodicères  (de 
ântepo;,  sans  ailes,  et  oi'xepo;,  à  deux  cornes). 

APULÉE,  philosophe  platonicien,  descendant  de  Plu- 

90 


714 


APULEE 


tarque  par  sa  mère ,  naquit  à  Madaure,  en  Afrique,  au 
deuxième  siècle,  vers  la  fin  du  règne  d'Adrien,  et  vint  se  fixer 
à  Rome,  où  il  suivit  le  barreau,  après  avoir  fait  ses  pre- 
mières études  à  Carthage,  et  avoir  séjourné  quelque  temps  à 
Athènes,  oii  il  s'était  familiarisé  avec  les  lettres  grecques, 
les  arts  libéraux,  et  surtout  la  philosophie  platonicienne.  Il 
entreprit  ensuite  de  nouveaux  voyages,  parcourut  encore 
nne  fois  la  Grèce,  se  fit  initier  à  tous  les  mystères,  et  avait 
dissipé  presque  entièrement  son  patrimoine ,  lorsque ,  de 
retour  à  Rome,  il  vendit  jusqu'à  ses  habits  pour  se  faire 
admettre  au  nombre  des  prêtres  d'Osiris.  Étant  retourné 
dans  sa  patrie,  il  y  épousa  une  riche  veuve,  et  coula  dès  lors 
une  vie  heureuse  et  tranquille ,  livré  tout  entier  aux  char- 
mes de  l'étude  :  il  composa  beaucoup  d'ouvrages,  sur  la  phi- 
losophie platonicienne  principalement.  La  plus  célèbre  de 
ses  œuvres,  qui  ont  eu  plus  de  quarante  éditions,  est  sa 
Métamorphose  de  l'Ane  d'Or,  roman  en  XI  livres,  imité  du 
grec  de  Lucius  de  Patras,  composé  dans  le  genre  des  fables 
milésieunes ,  et  dans  lequel  se  trouve  le  célèbre  épisode  de 
Psyché,  que  tous  les  arts,  à  l'envi,  ont  mis  à  contribution. 
La  meilleure  édition  de  c<;ttc  fable  est  celle  de  Leyde 
(1786,  in-4°,  cinn  notïs  var.  ). 

Apulée  n'intitula  pas  son  livre  l'Ane  d'Or ,  mais  simple- 
ment l'Ane.  L'épithète,  ajoutée  beaucoup  plus  tard  au  titre, 
s'applique  non  au  principal  personnage  du  roman,  mais  au 
mérite  de  l'œuvre,  suivant  ceux  qui  la  publiaient.  Durant 
notre  première  révolution,  il  en  parut  une  imitation  fort 
libre,  sous  le  titre  de  l'Ane  au  bouquet  de  rose.  Quant 
à  l'oiiginal,  qui  a  été  traduit  plusieurs  fois  dans  toutes  les 
langues,  et  réimprimé  dans  tous  les  formats,  «  c'est,  dit 
M.  Rinn,  ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux  parmi  les  monuments 
latins  du  troisième  siècle.  Ce  roman  satirique,  à  la  manière 
de  Pétrone,  est  un  précieux  tableau  de  la  société,  et  le  mer- 
veilleux qui  s'y  mêle  peint  encore  l'esprit  du  temps  et  la 
croyance  aux  sortilèges.  La  philosophie  de  l'auteur  nous 
montre  le  néoplatonisme  introduit  à  Rome  avec  un  mélange 
de  superstitions  orientales  ;  sa  vie  nous  donne  une  idée  de  ce 
qu'étaient  alors  ceux  qui  faisaient  le  métier  de  philosophes. 
Son  plaidoyer  pour  lui-même  contre  les  parents  de  sa  femme, 
qui  l'accusaient  d'avoir  employé  la  magie  pour  s'en  faire 
aimer  et  entrer  ainsi  en  possession  de  ses  grands  biens,  est 
un  chef-d'œuvre  d'esprit  et  de  bonne  foi  dans  un  langage 
expressif  et  barbare.  La  dissolution  de  la  société,  l'avilisse- 
sement  des  caractères,  la  corruption  du  langage,  le  siècle 
entier  est  représenté  par  Apulée.  "  Sans  doute ,  le  style  de 
ce  romancier  est  entaché  d'affectation,  de  recherche  et  de 
néologisme  ;  mais  ces  défauts  s'expliquent  par  les  peines  in- 
finies avec  lesquelles,  de  son  propre  aveu,  il  avait  appris, 
lui-même  et  sans  maître,  cette  langue  latine  dans  laquelle 
il  devait  s'illustrer  un  jour. 

APULIE.  Cette  partie  de  l'Italie,  qui  porte  aujourd'hui 
le  nom  de  P  oui  lie,  comprenait  le  territoire  de  deux  des 
trois  peuples  de  l'ancienne  lapygie  :  les  Dauniens,  et  les 
Peucétiens.  Plus  tard,  des  colonies  grecques  vinrent  s'établir 
sur  les  côtes  de  l'Iapygie,  au  sud  et  à  l'est.  Les  Osques,  re- 
foulés vers  le  sud  par  les  Ombriens,  que  les  Étrusques  avaient 
chassés  des  plaines  du  Pô,  pénétrèrent  également  dans  l'Ia- 
pygie, et  se  confondirent  avec  les  Dauniens  et  les  Peucétiens. 
Le  nouveau  peuple  prit  le  nom  d'Apuliens,  qu'on  trouve 
dans  les  géographes  latins  et  que  les  Grecs  n'ont  pas  connu. 
Ce  nom  appartient  évidemment  à  la  langue  italique  ou  os- 
que.  Quant  à  son  origine,  la  numismatique  nous  donne  quel- 
ques éclaircissements.  Les  médailles  de  l'.Vpulic  portent  tiès- 
souvent  l'empreinte  d'un  taureau  renversé  devant  une  plante, 
avec  le  mot  Pouli  écrit  au-dessous.  Or  il  existe  dans  les 
pâturages  de  l'ApuIie  une  plante  mortelle  pour  les  bœufs,  qui 
porte  encore  ce  nom.  11  ne  serait  donc  pas  impossible  qf!c 
cette  plante,  qui  ne  se  rencontre  en  aucune  autre  contrée  de 
ritalie,  eût  donne  son  nom  an  pays  où  elle  croit. 

Le  G^'  G.  iiE  VACDoxcritiT. 


AQUARELLE 

APUREMEXT  DE  CO^lIPTE.  Voyez  Compte. 

APYRÉTIQUE.  On  donne  ce  nom  à  toute  affection 
qui  n'est  point  accompagnée  de  fièvre;  ainsi  l'on  dit  un 
exanthème  apyrétique,  pour  indiquer  une  maladie  de  la 
peau  dont  les  symptômes  ne  réagissent  point  assez  pour  ac- 
célérer la  circulation  et  qui  donnent  lieu  au  pouls  apyrétique. 

APYREXJE  (  du  grec  a  privatif,  et  TtupsT-jw,  j'ai  la 
fièvre  )  est  employé  pour  désigner  dans  une  maladie  la  ces- 
sation entière  de  la  fièvre,  ou  l'intervalle  de  temps  qui  se 
trouve  entre  deux  accès  de  fièvre  intermittente.  Voyez  Accès. 

AQUARELLE,  procédé  de  peinture  dans  lequel  on 
emploie  des  couleurs  délayées  à  l'eau  et  légèrement  gommées. 
L'aquarelle  se  fait  ordinairement  sur  du  vélin  ou  sur  du  pa- 
pier; on  se  sert  quelquefois  aussi  de  carton,  d'ivoire  et 
même  de  bois  après  l'avoir  passé  à  l'eau  amidonnée  et  alu- 
mineuse. 

Nous  ne  connaissons  pas  d'aquarelles  des  vieux  maîtres. 
Quelques  dessins  lavés  à  deux  ou  trois  teintes,  où  il  entrait 
moins  de  couleurs  que  de  crayon  ou  de  traits  de  plume, 
sont  les  seules  œuvres  qui  se  rapprochent  un  peu  de  ce  pro- 
cédé. >'os  souvenirs  ne  remontent  pas  plus  haut  qu'une 
aquarelle  d'Adrien  van  Ostade,  assez  faible  de  ton,  qui  se 
voit  à  la  collection  des  dessins  du  Louvre.  Sous  Louis  XV 
où  la  fureur  était  au  pastel ,  l'aquarelle  prit  un  peu  de  dé- 
veloppement. Sous  le  règne  de  David  elle  fut  presque  nulle. 
Les  aquarelles  de  Nicole,  représentant  généralement  des 
vues  de  Rome,  ont  joui  malgré  cela  d'une  grande  faveur. 
Lorsque  vint  la  mode  des  soirées  d'artistes ,  chaque  ama- 
teur voulut  avoir  un  album  où  il  recueillait  les  caprices  échap- 
pés à  leur  pinceau  :  c'étaient  des  pochades  ordinairement 
faites  à  la  sépia,  et  que  l'on  nommait  bouts  de  chandelle. 
Peu  à  peu  les  albums  prirent  plus  d'importance ,  et  les  des- 
sins furent  plus  soignés  et  souvent  payés  à  des  prix  fort 
élevés.  L'on  s'empara  de  l'aquarelle,  que  l'on  avait  oubliée  ; 
les  Anglais  instituèrent  une  société  d'aquarellistes ,  qui  eut 
ses  expositions  périodiques.  Dès  lors  ce  genre  de  peinture 
eut  des  succès  rapides,  et  marcha  de  front  avec  les  tableaux 
de  genre;  les  matériaux  se  perfectionnèrent;  les  artistes, 
encouragés ,  s'en  occupèrent  ;  plusieurs  s'y  adonnèrent  spé- 
cialement et  lui  firent  faire  d'immenses  progrès.  L'Anglais 
Bonnington  et  notre  grand  Géricault  popularisèrent  l'a- 
quarelle en  France.  L'on  fit  venir  d'Angleterre  des  couleurs 
plus  délicates  et  plus  brillantes,  préparées  avec  plus  de 
soin.  Le  plus  renommé  parmi  les  fabricants  était  alors  New- 
man.  Les  aquarellistes  anglais  atteignirent  un  haut  degré  de 
perfection,  que  l'on  a  pu  constater  encore  à  l'exposition 
de    1855  à  Paris  (royespage  590  du  présent  volume). 

Cette  peinture  se  distingue-  particuhèrement  par  une 
grande  fraîcheur  et  une  finesse  de  ton  admirable,  que  la 
peinture  à  l'huile  atteint  avec  peine.  Autrefois,  pour  obtenir 
les  lumières ,  on  laissait  paraître  le  blanc  du  papier  ;  c'était 
une  difficulté  qui  entravait  l'imagination  de  l'artiste ,  c'était 
presque  un  métier  qu'il  fallait  apprendre.  La  nécessité  de 
concevoir  et  de  produire  d'un  seul  jet  fermait  cette  car- 
rière à  celui  qui  ne  possédait  pas  un  talent  facile.  Mais  bien- 
tôt on  trouva  le  moyen  d'enlever  les  clairs.  On  donna  de  la 
transparence  aux  tons  en  employant  la  gomme  arabique 
comme  vernis,  et  l'on  produisit  alors  des  ouvrages  d'un 
grand  mérite.  Il  ne  faut  pas  que  l'artiste  ajoute  à  ce  procédé, 
assez  difficile  par  lui-même,  des  difficultés  imaginaires,  ni 
qu'il  prenne  pour  une  étude  consciencieuse  des  scrupules 
puérils,  .\insi  nous  avons  des  gens  qui  se  reprocheraient  de 
mi'-ler  le  grattoir  et  l'empâtement  de  la  gouache  à  leur  tra- 
vail transparent  et  limpide.  En  cela  comme  en  tout  les  h- 
cenccs  sont  justifiées  par  le  succès.  Ainsi  nous  avons  vu 
d'admirables  aquarelles  où  la  gouache,  le  crayon,  voire 
même  l'empâtement  à  l'huile,  s'accommodaient  parfaite- 
ment ensemble. 

Parmi  les  artistes  les  plus  distingués  dans  ce  genre,  on 
cite  lîon.nington  ,  Alfred  et  Tony  Johannot ,  Deveria,  Paul 


AQUARELLE 

Delaioclic,  Chariot,  Dellanjjer,  Jules  Jollivet,  Eugène  Lair.i, 
Tli.  Valerio  et  madame  llaudelHHir-Lescot  pour  les  (igurcs, 
Jules  Coignel ,  Elul>eit  et  Simooii  pour  les  paysages. 

AQUARIUM,  sorte  de  hassin  où  l'on  fait  venir  des 
plantes  aquatiques ,  où  l'on  enferme  des  poissons.  On  cite 
ceux  (lu  jardin  zoologique  de  Londres,  du  Jardin  dos  liantes 
à  Paris,  du  Collège  de  Fiance,  et  du  jardin  zoologique  du 
bois  de  IJoulogne.  Z. 

AQUATILE,  AQUATIQUE,  AQUEUX,  ad- 
jectifs dérivés  du  laliu  aqiia,  eau.  —  Aqualile  se  dit  des 
plantes  qui  naissent  dans  le  lit  des  rivières  où  au  fond  des 
amas  d'eau,  comme  les  fucus,  et  qui  restent  toujours  sub- 
mergées; ou  bien  encore  dont  les  Heurs  flottent  et  s'éten- 
dent à  la  surface  des  eaux ,  comme  le  lotus,  etc.  —  Aqua- 
tique désigne  ce  qui  croit  ou  se  nourrit  dans  l'eau  et  dans 
les  lieux  marécageux  :  plantes  aquatiques,  animaux  aqua- 
tiques. —  Aqueux  désigne  ce  qui  est  de  la  nature  de  l'eau, 
ou  qui  en  a  le  goi1t  :  un  fruit  aqueux. 

AQUATLXTA.   Voyez  Gravlt.e. 

AQUA  TOFAXA,  préparation  vénéneuse  qui  a  fait 
beaucoup  de  bruit  à  >'ap!es  vers  1700.  C'était ,  dit-on ,  un 
liquide  limpide  et  transparent,  inodore  ,  insipide,  qui  devait 
ses  propriétés  toxiques  à  l'arsenic  (acide  arsénieux)  :  cette 
dernière  substance  y  était  associée  à  d'autres  corps  qui 
avaient  pour  objet  de  la  masquer  et  d'empêcher  de  la  re- 
connaître à  une  époque  où  la  chimie ,  eucore  peu  avancée, 
pouvait  facilemsnt  être  mise  en  défaut.  Quoiqu'il  en  ait  été, 
il  parait  que  cinq  à  six  gouttes  de  ce  poison  suffisaient  pour 
tuer  un  individu.  Cependant  les  effets  étaient  loin  d'être 
rapides  ;  la  mort  n'arrivait  qu'avec  lenteur,  et  sans  être  pré- 
c^5dée  ou  accompagnée  de  ces  symptômes  terribles  que  l'on 
observe  après  l'ingestion  des  composés  arsenicaux,  tels  que 
les  douleurs,  l'inflammation  des  organes  digestifs ,  les  acci- 
dents nerveux,  etc.  Il  ne  survenait  pas  même  de  fièvre  : 
les  forces  vitales  diminuaient  insensiblement;  on  éprouvait 
un  dégoût  de  l'existence  que  rien  ne  pouvait  vaincre  ;  l'ap- 
pétit disparaissait  complètement  ;  une  soif  ardente  se  faisait 
sentir  incessamment;  enfin  une  consomption  générale  se 
déclarait  bientôt,  après  quoi  la  vie  s'éteignait.  On  a  même 
prétendu  que  l'instant  de  la  mort  pouvait  être  annoncé  à 
l'avance;  mais  les  recherches  modernes  sur  la  toxicologie 
permettent  de  regarder  cette  prétention  comme  une  absur- 
dité. 

On  attribue  l'invention  de  ce  poison  à  une  Sicilienne 
nommée  Tofana.  Du  reste,  sur  tout  ce  qui  regarde  cette 
femme ,  on  a  peu  de  renseignements ,  et  ils  sont  contradic- 
toires. Ainsi,  Lobat  rapporte  qu'après  avoir  empoisonné 
plusieurs  centaines  de  perso imes,  elle  fut  reconnue  cou- 
pable, et  qu'avant  cherché  un  refuge  dans  l'un  de  ces  asiles 
que  la  piété  mal  entendue  de  nos  aïeux  avait  ouverts  aux 
criminels ,  elle  y  fut  étranglée,  malgré  les  usages  du  temps. 
Au  contraire,  si  l'on  en  croit  Keyssler,  elle  languissait  en- 
core en  1730  dans  un  cachot  où  on  l'avait  plongée  lors  de 
la  découverte  de  ses  atrocités.  P.-L.  Cottereau. 

Suivant  une  autre  opinion,  dont  nous  nous  garderons  bien 
d'assumer  la  responsabilité,  ce  serait  aux  jésuites  qu'il  fau- 
drait attribuer  l'invention  première  de  cette  préparation  vé- 
néneuse. Ils  se  la  procuraient,  dit-on,  d'une  manière  assez 
smgulière.  On  engraissait  un  porc  avec  une  nourriture  dans 
laquelle  on  mêlait  insensiblement  chaque  jour  une  dose  un 
peu  plus  forte  d'acide  arsénieux.  .\prè5  deux  ou  trois  mois  de 
ce  régime,  l'animal  finissait  par  dépérir  et  par  rendre  une 
espèce  de  bave  ou  d'écume  qui  n'était  autre  (jue  l'aqua  tofana. 

AQUAVrVA  (Claude).  La  famille  des  Aquaviva,  ducs 
d'Atri  et  princes  de  Teramo,  au  royaume  de  Naples,  s'était 
.signalée  déjà  au  quinzième  siècle  par  un  grand  nombre 
d'hommes  de  mérite ,  en  tête  desquels  elle  citait  avec  or- 
gueil André-Matthieu,  mort  àNaples,  en  14ôG,  après  avoir 
partagé  sa  vie  entre  la  guerre  et  les  lettres, et  son  fière  Dé- 
lisaire  ,  auteur  d'un  traité,  fort  curieux,  De  Venalione  ci 


-  AQUAVIVA  715 

Aucupio,  quand  vint  an  monde,  en  1543,  Claude,  celui  de 
tous  ses  membres  qui  devait  jeter  le  plus  d'éclat  sur  cetto 
noble  lignée.  Il  entra  de  bonne  heure  dans  la  célèbre  oom- 
pagnie  de  Jésus,  à  l'époque  où  le  génie  de  Lainez,  un  de  ses 
fondateurs,  Hùsait  triouipher  l'ordre  sur  tous  les  points  et 
élevait  en  neuf  ans  son  personnel  de  mille  hommes  dé- 
voués à  quatre  mille. 

IMalheureusement,  à  cette  période  si  éclatante  succéda  le 
faible  règne  de  François  Horgia ,  duc  de  Candie  et  ancien 
vice-roi  de  Catalogne,  qui  paraissait  avoir  été  élu  plutôt 
pour  être  dominé  que  pour  dominer.  Sous  son  gouvernement 
les  jésuites,  abandonnés  à  eux-mêmes,  entreprirent,  dans  les 
Pays-Bas  ,  de  rési.ster,  au  nom  de  l'Espagne  et  du  catholi- 
cisme ,  à  la  grande  révolution  qu'avaient  fait  éclater  le  des- 
potisme étranger  et  les  principes  de  la  réforme.  Cette  audace 
leur  réussit  mal  ;  ils  furent  chassés  par  le  peuple  des  pro- 
vinces affranchies.  Leur  destinée  ne  fut  pas  meilleure  en 
Portugal  :  ayant  conseillé  à  leur  élève  le  jeune  roi  Sébastien 
cette  désastreuse  campagne  d'Afrique  dont  il  ne  devait  plus 
revenir,  ils  soulevèrent  des  haine?.,  que  leurs  préparatifs  d'in- 
corporation du  Portugal  à  l'Espagne  accrurent  encore ,  en 
mettant  à  nu  un  amour  excessif  du  pouvoir  qui  excita  la 
défiance  de  toutes  les  cours  de  l'Europe. 

Tel  était  l'état  des  choses  quand  Claude  Aquaviva  fut  ap- 
pelé, en  15S1,  à  remplacer  le  faible  Borgia  ;  il  comptait 
trente-huit  années.  Plus  libre,  il  eût  peut-être  ressaisi  d'une 
main  plus  ferme  les  rênes  de  l'ordre  et  ramené  le  jésuitisme 
à  de  meilleures  tendances  ;  mais  déjà  cette  association  était 
trop  forte  pour  être  domptée  par  l'esprit  d'un  seul.  Homme 
de  piété,  je  dirai  presque  de  génie,  Claude  put  régler  tout 
ce  que  règle  la  puissance  humaine;  mais  il  ne  sut  contenir  ni 
la  pensée,  ni  les  doctrines,  ni  les  forces  morales  et  intellec- 
tuelles de  cette  association,  déjà  si  puissante.  Il  l'essaya  ce- 
pendant, resserra  tous  les  liens  sociaux  qu'il  put  resserrer, 
et  arma  les  provinciaux,  le  supérieur  de  chaque  maison  de 
pouvoirs  plus  étendus.  Il  était  facile  de  prévoir  ce  qui  ar- 
riverait :  les  religieux  d'Espagne  et  de  Portugal  se  plaignirent 
de  la  rigueur  de  leur  chef;  et  Philippe  II,  à  qui  les  jésuites 
avaient  rendu  un  service  si  cminent  en  lui  livrant  le  Por- 
tugal, demanda  au  pape  la  réforme  de  l'ordre. 

Le  général  bondit  à  cette  nouvelle ,  et  aussitôt  il  interdit 
à  ses  religieux  toute  réclamation  de  ce  genre.  Le  pape  lui- 
même,  loin  de  faire  aucune  concession  au  roi  catholique,  in- 
vestit le  général  d'un  droit  nouveau,  celui  de  châtier  à  sa 
guise ,  sans  pitié ,  quiconque  serait  assez  audacieux  pour 
oser  faire  entendre  la  moindie  plainte.  Toutefois,  si  l'autorité 
du  chef  de  l'ordre,  déjà  si  forte,  était  désormais  en  apparence 
sans  bornes,  elle  ne  pouvait  néanmoins  se  vanter  de  l'être 
réellement;  et  lorsqu'il  osa  tracer,  en  15S6,  une  instruction 
pour  réformer  sa  compagnie,  l'Inquisition, 'qui  voyait  d'un 
œil  jaloux  grandir  à  ses  côtés  un  pouvoir  aussi  formidable, 
eut  bientôt  supprimé  ce  document,  qui  repanit,  il  est  vrai, 
en  1591,  mais  considérablement  modifié.  D'une  autre  part, 
malgré  tous  ses  succès  sous  le  gouvernement  du  nouveau 
général,  l'ordre  essuyait  de  rudes  échecs,  par  suite  de  cette 
ardeur  de  propagande  acharnée  qu'on  s'était  plu  d'abord 
à  inspirer  à  ses  membres,  et  qu'on  se  voyait  maintenant  hors 
d'état  de  refréner. 

La  compagnie  poursuivait  ses  conquêtes  en  Espagne,  où 
François  Borgia  lui  avait  donné  une  si  grande  extension  ;  son 
action  était  plus  grande  encore  en  Portugal,  où  Philippe  II, 
reconnaissant,  lui  permettait  d'acquérir  des  propriétés  considé- 
rables et  nommait  un  des  siens  inquisiteur  général  de  toutes 
les  terres  de  la  couronne.  Elle  triomphait  en  France  des 
vieilles  résistances,  poursuivait  ses  conquêtes  en  Allemagne, 
on  Pologne,  en  Lithuame,  en  Suède,  en  Hongrie,  en  Tran 
svlvanie;  s'établissait  en  Chine  et  au  Japon,  grâce  aux  con- 
naissances scientifiques  de  ses  membres  ;  augmentait  ses 
églises  dans  llnde;  florissait  enfin  en  Amérique,  dans  le 
Bré.sil,  dans  le  Pérou,  sur  les  bords  du  Maraguon,  et  prin- 

90. 


716  AQU  AVIVA 

ci  paiement  sur  ceux  du  Paraguay.  Malheureusement  la  plu- 
part de  ses  succès  étaient  obtenus  avec  impétuosité,  avec 
violence,  avec  même  un  esprit  de  domination  qui  en  com- 
promettait la  durée.  Aussi  bientôt  l'Autriche  crut-elle  devoir 
réprimer  cet  esprit  envahisseur  :  la  moitié  de  l'Allemagne  fut 
fermée  à  l'ordre,  et  la  Suède,  la  Russie,  la  France  et  l'Angle- 
terre le  bannirent,  ainsi  que  Venise. 

Pour  faire  face  à  de  si  nombreux  échecs,  il  ne  fiiUait  rien 
moins  que  le  génie  d'Aquaviva.  L'habile  général  en  eut 
bientôt  réparé  plusieurs  :  il  fit  rappeler  en  France  la  com- 
pagnie qui  en  avait  été  expulsée  en  1594,  et  qui  y  rentra 
en  1603,  reprenant  aussitôt  un  grand  développement  malgré 
les  restrictions  qu'on  lui  opposait.  C'est  qu'il  sut  se  faire  une 
arme  puissante  de  la  résidence  obligée  d'un  de  ses  membres 
auprès  d'un  roi  facile  à  subjuguer  ;  mais  un  crime,  si  étranger 
qu'il  fût  à  la  compagnie ,  commis  néanmoins  par  un  de  ses 
élèves,  le  crime  de  Ravaillac,  dont  les  conséquences  furent 
si  graves  pour  la  politique  générale  de  l'Europe,  vint  jeter 
beaucoup  d'odieux  sur  les  jésuites.  Quand  Aquaviva  sut  que 
la  clameur  publique  rattachait  cet  attentat  à  la  théorie  du 
régicide  professée  par  certains  de  ses  pères ,  il  condamna 
sans  pitié  cette  théorie. 

Cependant  deux  jésuites  la  reproduisirent  dans  leurs 
écrits.  La  régente  empêcha,  il  est  vrai,  le  parlement  et  la  Sor- 
bonne  de  sévir  ;  mais  Aquaviva  n'en  fut  pas  moins  aflligé  de 
tant  d'excès.  Depuis  longtemps  il  songeait  à  contenir  par 
de  nouvelles  barrières  des  éléments  qui  partout  franchis- 
saient les  anciennes..  Il  fut  à  la  hauteur  de  sa  mission ,  et 
chargea  la  septième  et  la  huitième  congrégation  générales  de 
l'ordre  de  modifier  fortement  sa  constitution.  La  nouvelle 
organisation  fut  savante  et  complète.  L'esprit  de  subordina- 
tion militaire  que  lui  avait  imprimé  Loyola  y  domina  dans 
tous  les  degrés  de  la  hiérarchie.  Ce  ne  fut  plus  désormais 
une  monarchie  débordée  par  la  démocratie,  ni  une  aristo- 
cratie ingouvernable  ;  ce  fut  une  véritable  oligarchie  dispo- 
sant de  toutes  les  ressources  de  l'association.  Que  le  général 
fût  un  Borgia  ou  un  Lainez ,  l'ordre  marchait  dorénavant 
du  môme  pas  vers  son  but  :  il  arriva  donc  rapidement  à 
son  apogée. 

Aquaviva  mourut  en  1615.  Avant  la  fin  du  dix-septième 
siècle,  la  société  était  rétablie  dans  tous  les  pays  d'où  elle 
avait  été  expulsée  ;  partout  son  induence  s'était  accnie ,  et 
son  chef,  qui  aurait  pu  marcher  de  pair  avec  les  princes 
les  plus  puissants,  exerçait  une  domination  plus  forte  et 
plus  étendue  qu'aucun  d'eux. 

AQUEDUC  (  du  latin  aq\ia,  eau,  et  diictus,  conduit  ) , 
construction  faite  sur  un  terrain  inégal  pour  conserver  le 
niveau  de  l'eau,  en  la  conduisant  d'un  lieu  dans  un  autre. 
Les  aqueducs  sont  apparents  ou  souterrains,  suivant  qu'ils 
ont  à  traverser  des  vallées  ou  des  montagnes.  Quand  il 
s'agit  de  franchir  une  vallée,  le  canal  conducteur  de  l'eau 
est  supporté  par  un  ou  plusieurs  rangs  d'arcades  construits 
les  uns  au-dessus  des  autres;  quand,  au  contraire,  le  canal 
traverse  une  montagne,  on  pratique  dans  celle-ci  une  galerie 
voûtée.  Toutes  ces  constructions  se  font  ordinairement  en 
maçonnerie;  pourtant  on  trouve  à  l'embouchure  de  la 
rivière  de  Canton,  dans  l'ile  de  Hong-Kong,  l'exemple  d'un 
aqueduc  en  bambou,  et  ce  n'est  certainement  pas  le  seul  de 
ces  contrées. 

Les  aqueducs  les  plus  anciens  et  les  plus  remarquables 
sont  dus  aux  Romains,  qui  commencèrent  à  en  bâtir  vers 
l'an  314  av.  J.-C.  L'Italie  ne  tarda  pas  à  être  couverte  de  ces 
constructions,  et,  si  nous  en  croyons  Procope,  la  seule  ville 
de  Rome  eu  possédait  quatorze,  qui  servaient  à  remplir  15G 
bains  publics  ou  particuliers,  1 ,352  lacs  ou  grands  bassins  et 
réservoirs,  Ifi  thermes,  G  naumachies,  sans  compter  les 
nombreux  canaux  souterrains  consacrés  à  la  propreté  de  la 
ville.  On  peut  se  faire  une  idée  de  l'énorme  quantité  d'eau 
que  recevait  Rome,  eu  considérant  que  trois  seulement  de  ces 
anciens  aqueducs  ont  été  restaurés  et  entretenus  par  les 


-  AQUEDUC 

papes,  et  que  leur  produit  est  de  180,500  mètres  cubes 
en  vingt-quatre  heures,  ce  qui  équivaut  à  plus  de  six  fois  ce 
que  Paris  reçoit  dans  le  même  temps  des  aqueducs ,  des 
pompes  et  du  canal  de  l'Ourcq.  Parmi  les  aqueducs  de 
Rome  dont  nous  venons  de  parler,  on  remarque  VAqua  Vir- 
ginalis,  construit  par  Agrippa  :  sa  longueur  était  de  14,105 
pas  romains,  dont  700  en  arcades;  il  était  décoré  de  400 
colonnes  et  de  300  statues;  il  alimentait  708  bassins.  Res- 
tauré par  les  papes  Nicolas  V  et  Pie  IV,  il  fournit  en- 
core 3,289  pouces  d'eau. 

Les  Romains,  en  sages  politiques,  initiaient  à  leur' indus- 
trie les  peuples  qu'ils  avaient  conquis  ;  ils  construisirent  un 
grand  nombre  d'aqueducs  dans  les  provinces  de  l'empire  ; 
la  Gaule  était  celle  de  toutes  qui  en  possédait  le  plus,  et 
l'on  en  voit  encore  des  ruines  à  Lyon ,  Metz,  Orange ,  Fré- 
jus,  Nîmes ,  Toulon ,  Coutances,  etc.  Le  premier  par  son 
importance ,  et  probablement  aussi  par  son  antiquité ,  est 
celui  de  Nîmes,  dont  on  attribue  la  construction  à  Agrippa, 
gendre  d'Auguste  ;  il  conduisait  dans  cette  ville  les  eaux 
des  fontaines  d'Eure  et  d'Airan ,  situées  près  d'Uzès,  et  il 
avait  environ  dix  lieues  de  longueur.  Sa  partie  la  plus  re- 
marquable est  parfaitement  conservée;  elle  traverse  la  vallée 
profonde  dans  laquelle  coule  le  Gard  ou  Gardon,  et  elle  est 
connue  sous  le  nom  de  Pont  du  Gard.  Elle  est  composée 
de  trois  rangs  d'arca  les  superposés  ;  le  rang  inférieur  est 
formé  par  six  arches  ,  le  second  en  a  onze ,  et  le  troisième 
trente-cinq  ;  la  hauteur  des  eaux  de  l'aqueduc  au-dessus  de 
celles  de  la  rivière  est  de  quarante-huit  mètres.  Les  pieds- 
droits  et  les  voûtes  sont  construits  en  pierres  de  taille,  sans 
aucune  espèce  de  ciment  ;  la  cuvette  seule  est  en  moellons, 
maçonnés  à  bain  de  mortier ,  et  recouverts  à  l'intérieur 
d'un  enduit  de  cinq  centimètres  d'épaisseur.  Rompu  à  ses 
deux  extrémités  lors  tic  l'invasion  des  barbares ,  cet  aque- 
duc n'a  pas  été  réparé  depuis.  Seulement,  en  1743  on  y  fit 
quelques  travaux  de  soutènement,  on  prolongea  les  piles  in- 
férieures, et  on  y  établit  un  pont,  qui  fait  partie  de  la  route 
de  Njmes  à  Avignon. 

L'aqueduc  qui  amenait  à  Metz  les  eaux  du  ruisseau  de 
Gorze  devait  offrir  une  disposition  à  peu  près  semblable. 
Parmi  les  aqueducs  de  Lyon,  celui  qui  tirait  ses  eaux  du 
Janon  et  du  Giers  offrait  une  particularité  remarquable  : 
c'est  que  pour  traverser  les  vallées  les  eaux  descendaient 
et  remontaient  ensuite  par  leur  propre  poids  dans  des  tuyaux 
en  plomb  disposés  en  forme  de  siphon  renversé,  et  soute- 
nus dans  leur  partie  inférieure,  qui  était  horizontale,  par 
des  arcades  en  maçonnerie. 

Vaqueduc  d'Arcueïl,(\\\i  amenait  aux  Thermes  les  eaux 
delà  source  de  Rungis,  située  à  quatre  heues  de  Paris, 
était  encore  de  construction  romaine.  Marie  de  Médicis  le 
lit  rétablir  par  Jacques  Debrosse,  et  ce  fut  pour  ce  célèbre 
architecte  une  occasion  de  faire  voir  que  les  plus  simples 
édifices  sont  susceptibles  d'être  traités  avec  art. 

Si  nous  sortons  des  Gaules  ,  nous  trouvons  encore  des 
aqueduc^  romains  :  ainsi ,  en  Portugal ,  à  Évora ,  capitale 
de  la  province  d'Alemtejo,  on  peut  voir  un  aqueduc  qui  re- 
monte, suivant  toute  apparence,  à  au  moins  dix-huit  cents 
ans,  et  qui  n'a  rien  perdu  de  sa  solidité  primitive,  ainsi  que 
l'élégant  castellum  (château  d'eau)  dont  il  est  surmonté. 

Après  les  Romains,  ce  sont  les  Arabes  qui  ont  constmit 
le  plus  d'aqueducs  ;  on  en  trouve  sur  presque  tous  les  points 
du  littoral  septentrional  de  l'Afi-ique,  et  surtout  en  Espa- 
gne, oii  quelques-uns  d'entre  eux  sont  d'une  beauté  rc- 
maïquable.  Le  Portugal  po-^sèdc  un  aqueduc  mauresque 
formé  de  quatre  étages  d'arches  solidement  construites;  cet 
immense  monument  alimente  Elvas,  qui  est,  après  Évora, 
la  ville  la  plus  importante  <le  la  province  d'Alemtejo.  Au  lieu 
de  suivre  une  ligne  droite,  il  s'avance  en  zigzags,  ainsi  que 
beaucoup  d'aqueducs  romains.  On  a  allégué  plusieurs  rai- 
sons pour  légitimer  cette  forme  de  construction.  M.  Quatrc- 
mère  de  Quincy  y  a  vu  un  moyen  d'augmenter  la  solidité 


AQUEDUC  — 

de  rétlifice  et  de  rompre  la  rapidité  du  courant  de  l'eau 
dans  les  c;inaux  en  pente.  Nous  pensons  qu'il  faut  pluttit 
attribuer  cette  disposition,  tantôt  au  désir  d'éviter  de  trop 
grandes  inégalités  de  niveau,  tantôt  à  la  nécessité  de  satis- 
faire à  certaines  exigences  de  localité. 

Parmi  les  aqueducs  modernes,  il  en  est  peu  que  l'on 
puisse  comparer  aux  anciens.  Exceptons-en  celui  du  palais 
de  Caserle  (royaume  de  Naples),  conslniit  par  Van  Vitelli. 
Vers  Monte  di  Carzano,  il  traverse  une  vallée  dont  la 
profondeur  a  nécessité  un  pont  composé  de  trois  rangs  d'ar- 
cades de  âiO  mètres  de  long  et  d'une  hauteur  totale  de  60. 
Les  ouvrages  souterrains  ne  sont  pas  moins  étonnants;  il  a 
fallu  percer  cinq  galeries  dans  les  montagnes,  dont  une  grande 
partie  dans  le  roc  vif.  On  cite  encore  à  l'étranger  ceux  de 
Lisbonne  et  de  Rio-de-Janeiro.  En  France,  nos  principaux 
aqueducs  modernes  sont  ceux  de  Montpellier,  de  Bucq 
près  de  Versailles,  et  celui  de  Mainlenon,  l'une  des  plus 
vastes  entreprises  du  règne  de  Louis  XIV,  qui  fut  aban- 
donné après  avoir  coûté  près  de  neuf  millions.  Citons  en- 
core l'aqueduc  de  Marly,  et  celui  de  Roquefavour,  qui  amène 
les  eaux  de  la  Durance  à  Marseille. 

Maintenant  on  construit  un  peu  moins  d'aqueducs  ;  l'in- 
dustrie moderne  les  a  remplacés  avec  avantage  par  des  ma- 
chines qui  élèvent  l'eau.  Les  Turcs  font  plus  économique- 
ment traverser  l'eau  aux  montcignes  au  moyen  de  souter- 
razi.  Depuis  quelque  temps  on  a  édîfié  en  France  et  en 
Angleterre  à*i%  ponts-canaux ,  appelés  cncove,  jionts-aque- 
ducs,  destinés  à  faire  passer  un  canal  au-dessus  d'une 
rivière.  Nous  citerons  seulement  celui  que  M.  Jullien  a 
élevé  pour  le  passage  du  canal  latéral  à  la  Loire  par-dessus 
l'Allier,  près  de  Nevers.  C'est  de  toutes  les  constructions  de 
ce  genre  celle  qui ,  par  sa  grandeur,  peut  être  le  plus  avan- 
tageusement comparée  aux  ouvrages  des  Romains. 

AQUILA, autrefois  Amiternum,  patrie  de  Salluste,  ville 
du  royaume  de  Naples,  rebâtie  en  1240  par  l'empereur  Fré- 
déric II ,  chef-lieu  delà  province  de  l'Abruzze  ultérieure  IF , 
à  190  kilom.  nord-nord-ouest  de  Naples,  est  le  siège  d'un  évê- 
ché ,  d'un  tribunal  civil  et  criminel ,  d'une  cour  d'appel  et 
d'une  haute  école  académique,  avec  seize  chaires  de  lettres , 
sciences,  droit  et  médecine.  Fabrication  de  toiles  et  de  cire. 
Commerce  considérable  de  safran.  Construite  au  milieu  des 
Apennins,  sur  les  bords  de  la  Pescara,  avec  une  population 
d'environ  8,000  âmes,  elle  est  le  point  où  viennent  con- 
verger plusieurs  grandes  routes  d'une  véritable  importance 
stratégique ,  et  est  défendue  par  une  assez  bonne  citadelle  ; 
ce  qui  n'a  pas  empêché,  en  1815  et  en  1821  ,  les  Autrichiens 
de  s'en  emparer  sans  coup  férir. 

AQUILA  POXTÎCUS,  c'est-à-dire  natif  du  Pont, Vit 
le  jour  à  Sinope,  exerce  d'abord  la  profession  d'architecte, 
et  fut  chargé  par  l'empereur  Adrien  de  diriger  la  recons- 
truction de  Jérusalem.  Dans  l'accomplissement  de  cette 
mission ,  il  eut  occasion  de  connaître  la  religion  des  Juifs, 
en  approfondit  les  dogmes  sous  la  direction  du  docteur 
Akiba,  et  finit  par  embrasser  le  culte  israéhte.  Plus  tard, 
il  se  fit  chrétien;  puis  il  fut  excommunié  à  cause  de  ses 
pratiques  astrologiques ,  et  retourna  alors  au  judaïsme.  Après 
les  Septante,  Aquila  est,  avec  Symmaque  et  Théodolien,  un 
des  plus  anciens  traducteurs  de  l'Ancien  Testament.  Sa 
version,  en  langue  grecque,  jouit  pendant  longtemps  d'une 
grande  autorité,  et  fut  même  préférée  à  celle  des  Septante; 
on  en  trouve  des  fragments  dans  les  Hexaples  d'Origène. 

AQUILAIRE ,  genre  type  de  la  famille  des  aquilarinées, 
propre  à  l'Asie  équatoriale,  et  auquel  on  rapporte  quatre 
espèces  d'arbres,  dont  une  seule  est  bien  connue  :  c'est  Ya- 
quilaire  agalloche  de  Roxburg,  Indigène  dans  les  monta- 
gnes du  Tliibet,  et  dont  on  tire  le  parfum  connu  sous  le 
nom  de  bois  d'aloès,  bois  d'aigle,  calambac  ou  agallo- 
che. Voyez  Ar.ALLOCUE. 

AQUILÉE,  AQLILEJA  ou  AGLAR,  pclit  port  de  pê- 
cheurs, situé  dans  les  lagunes  au  fond  de  l'Adriatique,  dans 


AQUITAINE  717 

les  États  Autrichiens ,  en  Illyrie ,  à  28  kilom.  sud-ouest  de 
Goritz.  Du  temps  des  empereurs  romains,  le  commerce  de 
cette  ville  était  très-Horissant.  Sous  Marc-Aurèle  elle  devint 
le  boulevard  de  l'Italie  contre  les  excursions  des  barbares,  et 
dut  à  ses  richesses  le  surnom  de  Borna  sccunda.  Ayant  été 
prise  d'assaut  et  rasée  par  Attila,  les  habitants  se  réfugiè- 
rent dans  les  îlots  où  jdus  tard  fut  bâtie  Venise.  Jusqu'en 
1751 ,  Aquilée  a  été  le  siège  d'un  patriarche,  dont  le  diocèse 
se  divisait  en  doux  archevêchés,  celui  d'Udine,  et  celui  de 
Goritz,  plus  tard  de  Laibach.  C'est  aujourd'hui  une  petite 
ville  de  moins  de  1,500  liabitants ,  renfermant  une  an- 
cienne église  patriarcale,  bûtie  de  1019  à  1042,  et  de  nom- 
breuses antiquités  romaines,  souvent  visitées  par  les  touristes. 

AQUIIVO,  bourg  situé  dans  la  Terre-de-Labour,  pro- 
vince du  royaume  de  Naples,  et  qui  compte  environ  800  ha- 
bitants, a  le  titre  de  comté ,  et  dépend  d'un  évèquc  relevant 
immédiatement  du  Saint-Père  et  résidant  à  Rocca-Secca. 
Au  temps  des  Romains  c'était  une  ville  riche  et  célèbre 
surtout  par  ses  teintureries.  La  couleur  pourpre  qu'on  sa- 
vait y  donner  aux  étoffes  ne  valait  pas  toutefois  celle  de 
Tyr.  Juvénal,  le  poète  de  satirique  mémoire ,  y  naquit.  Au 
moyen  âge  (  1229  ) ,  elle  donna  le  jour  au  célèbre  scolastique 
saint  Thomas  d'Aquin. 

AQUITAINE,  pays  célèbre  dans  l'histoire  de  l'an- 
cienne Gaule,  dont  il  formait  originairement  l'une  des  trois 
grandes  divisions  (la  Celtique,  la  Belgique  et  l'Aquita- 
nique).  Les  Romains,  selon  Pline,  ont  donné  le  nom  d'^- 
quitania  à  ce  vaste  pays  qui  s'étendait  *de  la  Loire  aux 
Pyrénées,  à  raison  du  grand  nombre  de  rivières  dont  il  est 
arrosé  et  des  sources  d'eaux  minérales  qu'on  y  trouve.  Les 
Aquitains  ont  été  l'un  des  peuples  de  la  Gaule  qui  ont  fait 
payer  le  plus  chèrement  aux  Romains  la  conquête  de  leur 
territoire.  Leurs  défaites  même  étaient  redoutables,  tant 
leur  caractère  belliqueux  grandissait ,  en  quelque  sorte ,  à 
travers  les  épreuves  de  la  fortune.  Ils  auraient  pu  disputer 
longtemps  leur  liberté  à  la  grande  nation,  si  la  politique 
romaine  ne  les  eût  divisés  pour  les  vaincre.  Crassus,  lieu- 
tenant de  César,  acheva  de  les  réduire  en  698  de  Rome 
(57  ans  avant  J.-C.  ). 

L'Aquitaine,  renfermée,  à  cette  première  époque,  entre 
la  Garonne,  l'Océan  et  les  Pyrénées,  reçut  en  accroissement 
de  territoire,  dans  la  nouvelle  division  des  Gaules  faite  par 
Cé.sar,  le  Velay,  le  Gévaudan  et  l'Albigeois,  démembré  de  la 
Gaule  Celtique,  nommée  depuis  ce  partage  Gaule  Lyonnaise. 
Versle  milieu  du  quatrième  siècle  de  l'ère  vulgaire,  la  province 
d'Aquitaine  fut  divisée  en  deux  parties.  Peu  après  elle  subit 
une  nouvoUe  subdivision ,  car  lors  du  dénombrement  des 
provinces  romaines  fait  par  Honorius  au  commencement 
du  siècle  suivant,  il  existait  trois  Aquitaines.  La  Première 
Aquitaine,  bornée  au  nord  par  la  quatrième  Lyonnaise,  au 
sud  parla  première  Narbonnaise  et  par  la  Viennoise,  à  l'ouest 
par  la  seconde  Aquitaine,  et  au  nord-ouest  par  la  troisième 
Lyonnaise,  avait  pour  capitale  Bourges.  Ses  autres  chefs-lieux 
étaient  Clermont  en  Auvergne,  Bourbon-Lanci,  Cahors,  Ja- 
voux ,  Albi ,  Limoges ,  Rodez  et  Saint-Paulien.  La  Seconde 
Aquitaine  avait  pour  bornes  au  nord  la  troisième  Lyon- 
naise, au  sud  la  Novempopiilanie,  à  l'est  la  première  Aqui- 
taine, à  l'ouest  l'océan  Aquitanique.  Bordeaux  était  sa  mé- 
tropole, et  ses  autres  chefs-lieux  Angoulême,  Riom,  Balissac, 
Castelnau  de  Médoc,  Agen,  Périgueux,  Poitiers,  Saintes  et 
Saucatz.  La  Troisième  Aquitaine  ou  Novempopulanie  était 
bornée  au  nord  par  la  seconde  Aquitaine,  au  sud  par  les 
Pyrénées,  à  l'est  par  la  première  Narbonnaise,  et  à  l'ouest 
par  l'océan  Aquitanique.  Elle  avait  pour  métropole  Eauze  ; 
ses  autres  chefs-lieux  étaient  Auch,  Lescar,  Tarbes,  Saint- 
Lizier,  Saint-Bertrand  de  Coinminges,  Lectoure,  Lapurdum 
(Rayonne),  Dax  ,  Aire  et  Bazas. 

En  419  l'empereur  Honorius  céda  la  plus  grande  partie 
des  deux  dernières  Aquitaines,  avec  Toulouse,  à  Wallia, 
roi  des  Visigoths,  en  reconnaissance  des  senices  rendus 


TI8 

par  ce  prince,  dans  la  guerre  d'Espagne,  contre  les  Alains, 
les  SucYCS  et  les  Vandales.  Les  Visigoths,  profitant  de  la 
faiblesse  et  de  la  décadence  de  l'empire,  cnvaiiissent  l'A- 
quitaine Première  en  4G9  et  470.  L'empereur  Julius  Nepos 
les  confirme  dans  la  souveraineté  de  cette  conquête  en  475. 
A  l'exemple  des  Romains,  les  rois  visigoths  instituent  des 
iliics  ou  gouverneurs  généraux  pour  administrer  en  leur 
nom  la  justice  et  commander  les  armées  dans  l'Aquitaine. 
Le  premier  de  ces  chefs  fut  Victorius,  chassé  de  Clermont 
en  Auvergne  pour  ses  exactions  et  ses  débauches,  et  lapide 
à  Rome,  en  493,  par  le  peuple,  dont  il  avait  payé  l'hospita- 
lité par  les  i)lus  coui)ables  débordements.  L'Aquitaine  ne  de- 
meura qu'environ  trente-cinq  ans  sous  la  domination  des 
Visigoths  :  la  bataille  de  Vouillé,  près  Poitiers,  où  périt 
leur  roi  Alaric,  la  fit  passer  sous  celle  des  Francs  en  507. 

Après  la  mort  de  Clovis,  cette  riche  conquête  fut  partagée 
par  ses  deux  tils  Thiorri  et  Childebert,  rois  d'Austrasie  et  de 
Neustric.  De  là  les  dénominations  d'Aquitaine  Austra- 
sienne  ou  orientale,  et  à' Aquitaine  Neustrienne  ou 
occidentale,  gouvernées  au  nom  des  rois  francs  par  des 
ducs  et  des  comtes  ou  consuls  amovibles.  Cet  ordre  de 
choses  dura  jusqu'en  G 13.  Clotairc  II,  qui  dès  lors  réunit 
sous  son  sceptre  toutes  les  parties  de  la  monarchie  française, 
disposa,  en  022,  du  royaume  d'Austrasie  en  faveur  de 
Dagobert,  £on  fils  aîné.  Celui-ci,  par  un  traité  fait  avec  son 
frère  Caribert,  qui  n'avait  eu  aucune  part  dans  la  succession 
paternelle ,  lui  céda  le  Toulousain,  le  Quercy ,  l'Agénais,  le 
Poitou ,  le  Périgord  et  la  Novempopulanie  ou  Gascogne. 

Caribert  établit  le  siège  de  son  empire  à  Toulouse,  an- 
cienne capitale  des  Visigoths,  et  fit  revivre  l'ancien  titre  des 
rois  d'Aquitaine,  éteint  depuis  cent  vingt  ans  avec  la  mo- 
narchie des  Visigoths.  De  Gisèle,  son  épouse,  fille  d'Amand, 
duc  des  Gascons,  il  laissa  trois  fils,  CliiJdéric  ou  Hildéric, 
lîoggis  et  Bertrand.  Le  premier,  appela  au  trône  en  631,  à 
l'ùge  de  trois  ou  quatre  ans,  périt  presque  aussitôt  après 
d'une  mort  violente.  Dagobert  réunit  dès  lors  l'Aquitaine  à 
ses  États  au  préjudice  des  deux  frères  de  Childéric.  Le  duc 
de  Gascogne  prit  les  armes  pour  faire  valoir  les  droits  de  ses 
petits-fils.  Ses  succès  furent  rapides  contre  les  troupes  qui 
occupaient  l'Aquitaine;  mais  ils  ne  compensèrent  pas  la 
perte  de  Poitiers,  que  Dagobert  fit  raser  en  63G.  Tout  ce 
qu'Amand  put  obtenir  par  le  traité  de  Clichy,  qui  mit  fin  à 
cette  guerre,  ce  fut  de  faire  assurer  à  Boggis  et  à  Berlrand 
la  possession  héréditaire  de  l'Aquitaine  neustrienne,  sous  la 
réserve  expresse  pour  Dagobert  et  ses  successeurs  de  la 
suzeraineté  et  d'un  tribut  annuel. 

BoGcis  et  Bertrand,  ducs  d'Aquitaine  en  637.  Le  premier 
fut  père  du  fameux  Eudes  ou  Odon  ,  et  le  second  de  saint 
Hubert,  disciple,  puis  successeur  de  saint  Lambert  sur  le 
siège  de  IMaëstricht,  qu'il  transféra  à  Liège. 

Eudes  ou  Odo.n  succéda  à  son  père  en  68S,  et  réunit  toute 
l'Aquitaine  neustrienne  par  la  cession  qu'Hubert,  son  cou- 
sin-germain, lui  fit  de  ses  droits  sur  ce  duché.  Sous  le  règne 
de  ce  prince  eut  lieu  la  fameuse  invasion  des  Arabes  arrêtée 
par  la  victoire  de  Charles  Martel  sur  les  bords  delà 
Loire,  en  732. 

Eudes  laissa  trois  fils  :  Hunald  ou  Hunold,  qui  lui  suc- 
céda sur  le  trône  d'Aquitaine;  Hatton,  qui  eut  le  Poitou  et 
quelques  autres  provinces  en  apanage  :  il  porta  aussi  le  titre 
de  duc  d'Acpiitaine  ;  et  Remislan,  que  Pépin  fit  périr  à 
Saintes,  en  7G8.  Les  luttes  du  malheureux  descendant  de 
Clovis  contre  cette  maison  d'Héristal,  qui  règne  déjà  de  fait 
dans  la  France  septentrionale,  seront  racontées  à  l'article  qui 
lui  est  consacré,  ainsi  qu'aux  mots  Cuarles  Martel,  Pépin 

et  ClIAULEMACNE. 

Waif RE  succéda  à  Hunald ,  son  père ,  dans  le  duché  d'A- 
quitaine et  dans  son  implacable  inimitié  contre  les  Carlo- 
vingiens.  Il  succomba  enfin  dans  cette  lutte  trop  inégale. 
Pépin,  qui  avait  puni  d'un  supplice  ignominieux  la  versa- 
tilité d<i  Renustan,  oncle  de  Waifre ,  .tantôt  adhérent  de  Pé- 


AQUITAINE 


pin ,  tantôt  rallié  à  son  neveu,  fit  assassiner  celui-ci  le  2  juin 
768,  et  réunit  l'Aquitaine  à  la  France.  Waifre  laissait  un 
fils,  nommé  Loup,  auquel  Charlemagne,  qui  avait  succédé 
à  Pépin  en  768 ,  donna  seulement  la  Gascogne  pour  la  tenir 
en  fief  hénidit  lire  sous  la  mouvance  de  la  couronne.  Celui-ci 
s'étant  plusieurs  fois  révolté  contre  son  suzerain,  l'empe- 
reur s'en  vengea  en  l'envoyant  au  gibet;  puis  il  rétablit 
le  royaume  d'Aquitaine  en  faveur  de  son  propre  fils  Louis , 
surnommé  depuis  le  Débonnaire ,  qui  venait  de  naître.  Il 
délégua  à  quinze  comtes  l'administration  civile  et  politique 
des  diverses  provinces  de  ce  royaume ,  et  les  subordonna  à 
l'autorité  d'un  duc,  dont  le  titre  fut  attribué  pendant  toute 
l'existence  du  nouvel  État  aux  comtes  de  Toulouse  ,  et  par- 
tagé depuis  par  les  comtes  de  Poitiers.  Louis ,  encore  en- 
fant, fut  proclamé  solennellement  à  Toulouse,  en  781.  Le 
règne  de  ce  prince  fut  marqué  par  la  conquête  de  Lérida , 
Barcelone,  Pampelune  et  Torlose  sur  les  Maures  d'Espagne, 
en  799,  SOI ,  80G  et  811.  Pépin  \"  lui  succéda  en  817  ;  son 
fils  PÉPIN  II  ne  lui  succéda  pas  immédiatement ,  car  l'empe- 
reur Louis  le  Débonnaire  lui  avait  suscité  pour  compétiteur 
son  jeune  fils  Charles.  Il  mourut  le  29  septembre  866,  et  eut 
pour  successeur,  en  867  ,  son  frère  Louis  le  Bègue ,  qui , 
parvenu  au  trône  de  France  en  877,  réunit  irrévocable- 
ment le  royaume  d'Aquitaine  à  la  monarchie  française.  — 
De  Loup  sont  descendues  les  premières  maisons  des  ducs  d' 
Gascogne  ,  qui  ont  gouverné  jusqu'en  819;  des  rois  de  Na- 
varre, qui  ont  régné  jusqu'en  1076;  des  rois  de  Castille, 
éteints  en  1 109  ;  des  rois  d'Aragon  et  des  vicomtes  de  Béara, 
éteints  en  1134,  derniers  rejetons  du  sang  de  Clovis. 

Les  chroniques  de  cette  époque  et  celles  de  la  fin  du 
dixième  siècle  représentent  les  Aquitains  comme  le  peuple 
le  plus  vain ,  le  plus  léger,  le  plus  dissolu  et  le  plus  recher- 
ché dans  son  habillement.  Ils  portaient  un  pourpoint  court 
et  rond,  sur  une  chemise  à  manches  larges  et  pendantes,  de 
grandes  braies,  de  petites  bottines  éperonnées  et  un  javelot 
à  la  main.  L'élégance  de  ce  costume  et  le  soin  qu'ils  avaient 
de  se  raser  la  barbe  et  une  partie  de  la  tête  les  faisaient  com- 
parer à  des  baladins.  Aussi  leur  a-t-on  reproché,  dès  le  règae 
de  Robert,  d'avoir  beaucoup  contribué  à  la  corruption  des 
peuples  de  la  France  et  de  la  Bourgogne  par  leurs  mœurs  dé- 
pravées et  la  fatuité  de  leur  caractère  et  de  leurs  usages. 

Par  le  traité  de  845,  les  provinces  de  Poitou,  de  Saintonge 
et  d'Angoumois,  séparées  du  royaume  d'Aquitaine,  furent 
érigées  en  duché  du  même  nom.  Rainulfe  I*'',  comte  de 
Poitou ,  en  reçut  l'investiture  de  Charles  le  Chauve.  Ce  fut 
ce  duc  qui,  plus  tard,  livra  au  roi  de  France  Pépùi  II,  roi 
d'Aquitaine.  Il  rendit  de  plus  honorables  services  dans  les 
guerres  contre  les  Normands,  et  y  trouva  une  mort  glorieuse, 
eu  867.  Bernard,  marquis  de  Gothie,  fils  de  Bernard  I*'', 
comte  de  Poitiers,  succéda  à  Rainulfe.  La  violence  et  la  ty- 
rannie de  son  administration  le  firent  excommunier  par  le 
concile  de  Troyes  en  878,  et  dépouiller  de  ses  dignités  par 
Louis  le  Bègue.  Rainulfe  II,  son  fils  et  son  successeur  en 
880,  osa  usurper  le  pouvoir  souverain,  et  prendre  le  titre 
de  roi  d'Aquitaine.  Déposé  par  Eudes,  roi  de  France,  Rai- 
nulfe se  confédéra  avec  plusieurs  grands,  et  se  maintint  jus- 
qu'en 892,  qu'Eudes  le  fit  empoisonner. 

Glillmjme  F'',  comte  d'Auvergne,  fut  nommé  duc  d'A- 
quitaine par  ce  roi,  en  893.  Il  eut  pour  successeur,  en  918, 
GtiLLAUME  II,  qui  battit  les  Normands  en  Aquitaine  en 
923,  et  refusa  de  reconnaître  Raoul  pour  roi  de  France. 
AcFiiED,  son  frère  et  son  successeur,  en  926,  au  ducli^  d'A- 
quitaine, mourut,  comme  lui,  sans  enfants,  en  928. 

ÉiîLEs,  comte  de  Poitiers,  fils  naturel  de  Rainulfe  II,  fut 
investi  du  duché  d'Aquitaine  par  le  roi  Charles  le  Simple. 
En  932  il  en  fut  dépouillé  par  le  roi  Raoul,  qui  le  conféra 
à  Raimond-Pons,  comte  de  Toulouse,  mort  en  950.  Guil- 
LALME  III,  surnommé  Têle-d'Étoupe,  fils  d'Èbles,  avait  néan- 
moins obtenu  du  roi  le  comté  de  Poitiers.  Les  services  qu'il 
rendit  à  Louis  d'Outre-mer  dans  ses  guerres  contre  Hugues 


AQUITAINE  —  ARABES 


le  Graml,  duc  de  Franco,  lui  valurent,  en  951,  l'investiture 
du  duché  d'Aquitaine,  qui  depuis  celte  époque  est  resté , 
avec  le  comté  de  Poitiers,  dans  sa  fauiillc.  11  fut  père  de 
GiiLLvi'MK  IV,  surnommé  Fier-à-Bras ,  mort  en  994.  — 
GriLLAiME  V,  surnommé  le  Grand,  son  fils  et  son  successeur, 
épousa  IJrisque,  dite  Sancie,  héritière  du  duché  de  Gascogne, 
et  par  ce  mariage  il  réunit  à  son  duché  la  Novempopulanie, 
ou  province  ecclésiastique  d'Auch,  les  comtés  particuliers 
de  Bordeaux  et  d'Agen ,  avec  l'entière  suzeraineté  sur  le 
reste  de  la  province  ecclésiastique  de  Bordeaux  ou  d'Aqui- 
taine ir,  et  sur  le  comté  d'Auvergne.  Les  comtes  de  Tou- 
louse continuèrent  à  jouir  de  l'autorité  ducale  ,  comme 
possesseurs  de  la  plupart  des  pays  qui  composaient  r.\qiii- 
taine  1''^,  ou  pro\iuce  ecclésiastique  de  Bourges,  savoir, 
l'Albigeois  ,  le  Rouergue,  le  Quercy,  le  Vélay,  le  Gévaudan, 
et  encore  à  raison  de  la  possession  du  marquisat  de  Gothie 
ou  de  Seplimanie. 

Quatre  (ils  du  duc  Guillaume  "V  se  succédèrent  dans  ses 
États.  Glill.\ime  VI,  dit  le  Gros,  gouverna  depuis  1029 
jusqu'en  1038;Eides  ou  Odon ,  une  seule  année;  Guil- 
LAiME  VII,  depuis  1039  jusqu'en  1058,  et  Gcillvlme  VIH 
depuis  cette  dernière  époque  jusqu'en  10S7.  Le  duc  Giil- 
jAi'ME  IX,  son  fils,  plus  célèbre  par  sa  vie  licencieuse  et  son 
talent  à  célébrer  l'amour  et  les  aventures  chevaleresques 
que  par  ses  expéditions  guerrières  à  la  Terre-Sainte,  où  la 
fortune  lui  fit  subir  les  plus  rudes  épreuves ,  laissa  entre 
autres  enfants  Guillaume  X,  duc  d'Aquitaine,  en  1127.  Ce 
prince  gouverna  dix  ans,  et  mourut  le  9  avril  1137,  le  der- 
nier duc  d'Aquitaine  de  sa  race.  E 1  é  o  n  o  r  e ,  duchesse  d'A- 
quitaine ,  fille  aluée  et  héritière  de  Guillaume  X ,  épousa  à 
Bordeaux,  le  22  juillet  1137,  le  roi  Louis  le  Jeune.  On  sait 
que  l'inconduite  de  cette  princesse  excita  un  scandale  qui 
détermina  le  roi,  contre  l'avis  de  Suger,  à  faire  dissoudie 
son  mariage  (1152).  Éléonore  transmit  presque  aussitôt  son 
héritage  avec  sa  main  à  Henri  d'Anjou,  roi  d'Angleterre. 
Les  grands  d'Aquitaine  ne  subirent  pas  sans  répugnance  et 
sans  regret  ce  changement  de  domination  ;  aussi  vit-on  les 
Aquitains  se  révolter  plusieurs  fois  contre  Henri  et  le  fameux 
Richard  Cceur-de-Lion ,  son  fils ,  qui ,  par\  enu  au  duché 
d'Aquitaine  en  1169,  en  rendit  hommage  au  roi  de  France, 
le  G  janvier  1171.  Du  consentement  d'Éléonore,  Richard 
transmit,  en  1 196,  à  Othon  de  Brunswick  l'usufruit  du  duché 
d'Aquitaine  et  du  comté  de  Poitiers.  Othon,  élu  roi  des  Ro- 
mains en  1 198,  vendit  ses  domaines  de  France  au  roi  d'An- 
gleterre. A  la  mort  de  Richard  Cœur-de-Lion  (1199),  la 
duchesse-reine  Éléonore  rentra  en  possession  de  l'Aquitaine, 
qu'elle  gouverna  de  concert  avec  le  roi  Jean  sans  Terre,  son  fils. 

Ce  fut  sur  ce  dernier,  et  pour  crimes  de  fratricide  et  de 
félonie,  que  Philippe-Auguste  confisqua,  en  1204,  le  duché 
d'Aquitaine ,  qu'il  réunit  à  la  couronne  de  France.  Mais  la 
possession  de  cette  riche  province  engagea  une  longue  guerre 
avec  l'Angleterre. 

Un  traité  de  l'année  1259  rétablit  Henri  III,  roi  d'Angle- 
terre, dans  la  possession  d'une  grande  partie  de  l'Aquitaine, 
y  compris  le  Limousin  ,  le  Périgord  ,  le  Quercy  et  l'Agénais, 
sous  la  suzeraineté  de  la  France.  Ce  fut  à  partir  de  celte 
époque  qu'on  commença  à  substituer  le  nom  de  G  ni  en  ne 
à  celui  A'Aquilaine,  et  à  distinguer  la  Guienne  propre,  ou 
septentrionale,  de  la  Gascogne.  Cetteprovince  delà  Guienne, 
que  saint  Louis ,  en  la  cédant,  avait  réduite  aux  trois  séné- 
chaussées de  Bazas,  de  Bordeaux  et  des  Landes,  ne  doit 
plus  être  considérée  que  comme  un  démembrement  de  l'an- 
cienne Aquitaine.  Le  nom  même  de  celle-ci  ne  rappelait  plus 
dans  l'histoire  que  sa  splendeur  éclipsée,  lorsque  Louis  XV 
voulut  le  faire  revivre  dans  l'un  de  ses  petits-fils,  Xavier- 
Marie-Joseph  de  France,  qu'il  nomma  duc  d'Aquitaine  à 
sa  naissance,  et  qui  mourut  à  dix  ans  et  demi,  le  22  fé- 
vrier 1764.  Ce  nom  à'Aquïlainen'A  plus  été  porté  jusqu'à 
la  première  révolution  que  par  un  grand-prieuré  de  l'ordre 
de  Malte ,  qui  comprenait  trente  commanderies.     Laine. 


719 

ARA  (en  latin  macrocercus) ,  groupe  de  perroquets  re- 
marquables par  leur  taille ,  leur  beauté ,  par  la  variété  de 
leur  plumage,  et  que  caractérisent ,  pour  les  ornithologistes, 
une  queue  étagée,  plus  longue  que  le  corps,  et  des  joues  en- 
tièrement dépourvues  de  plumes.  Les  principales  espèces 
sont  :  Vara  macao,  qui  n'a  pas  moins  d'un  mètre  depuis 
le  bec  jusqu'à  l'extrémité  de  la  queue;  Vara  tricolor,  plus 
petit;  Vara  bleu,  qui  produit  en  domesticité.  Il  est  généra- 
lement facile  d'apprivoiser  ces  psittacidés ,  quand  on  les 
prend  jeunes  ;  on  leur  apprend  même,  mais  avec  peine ,  à 
prononcer  quelques  mots.  Le  nom  d''ara,  qui  leur  est  resté, 
e>;t  celui  qu'ils  répètent  habituellement.  Ils  sont  originaires 
de  l'Amérique  méridionale,  où  on  les  voit  perchant  par 
troupes  sur  les  branches  les  plus  élevées ,  d'où  ils  descen- 
dent rarement ,  la  longueur  de  leurs  ailes  et  de  leur  queue 
leur  permettant  difficilement  de  marcher.   Voyez  Perho- 

QUET.  D'  SaUCEROTTE. 

ARABES  (Littérature,  langue,  sciences  et  arts  des). 
On  possède  fort  peu  de  renseignements  sur  les  premiers  essais 
de  la  littérature  arabe.  Le  caractère  particulier  des  Arabes 
autorise  à  penser  qu'ils  cultivèrent  la  poésie  de  bonne  heure. 
On  les  représente  en  effet  comme  une  race  courageuse, 
brave ,  portée  aux  aventures  et  extrêmement  sensible  à  la 
gloire.  Dans  l'Ancien  Testament  il  est  déjà  mention  des  sen- 
tences ingénieuses  de  la  reine  de  Saba.  Les  tribus  nomades 
errant  sous  l'autorité  de  leurs  chéiks  dans  les  fertiles  contrées 
de  l'Arabie  Heureuse  avaient  d'ailleurs  tout  ce  qui  peut 
exciter  et  favoriser  la  poésie  naturelle ,  une  vive  sensibilité 
et  une  ardente  imagination.  Un  genre  de  vie  entremêlée  de 
privations  et  de  dangers,  dans  les  arides  déserts  de  sable 
et  sur  des  rochers  où  manque  toute  espèce  de  végétation, 
devait  produire  une  poésie  à  la  fois  mâle  et  sauvage.  Avant  la 
venue  de  Mahomet,  l'Arabie  avait  déjà  des  poètes  célèbres, 
qui  chantaient  les  guerres  du  peuple,  ses  héros  et  les  belles. 
Le  plus  ancien  est  Mohallah-ben- Rebia.  A  l'époque  de  la 
grande  foire  qui  se  tenait  à  la  Mecque,  et  au  cinquième 
siècle  de  l'ère  chrétienne,  à  Okadh,  des  concours  poétiques 
avaient  lieu ,  et  les  poèmes  qui  y  remportaient  des  prix 
étaient  transcrits  en  lettres  d'or  sur  du  byssus  et  suspendus 
dans  la  Kaaba  à  la  Mecque.  On  les  appelait  modsabhabàt, 
c'est-à-dire  dorés,  ou  encore  m  o  a  1 1  a  k  â  t .  La  collection 
qu'on  en  possède  comprend  sept  poèmes,  œuvres  de  sept 
poètes  différents,  Amralkals,  Tlwrafah,  Zofidir,  Leb'id, 
Antar,  Amr-ben-Kelthnns  et  Ilareth.  Une  profonde  sen- 
sibilité ,  un  vif  essor  d'imagination ,  une  grande  richesse 
d'images  et  de  sentences,  un  mâle  esprit  de  liberté,  une 
ardeur  dans  la  vengeance  et  dans  l'amour,  telles  sont  les 
qualités  qui  les  distinguent.  Parmi  les  poètes  célèbres  de 
celle  première  époque,  on  cite  encore  Aabegha,  Asclia, 
Schanfara ,  dont  S.  de  Sacy  a  traduit  et  publié  les  œu^Tes. 
Le  Divan  d'Ainrulkais,  publié  par  M.  Guckin  de  Slane 
(Paris,  1837  ),  donne  un  aperçu  très-complet  de  la  vie  de 
ces  anciens  rhapsodes  arabes  et  de  leur  manière  de  com- 
poser des  vers.  La  plus  riche  collection  d'anciens  chants  et 
poèmes  arabes  se  trouve  dans  les  anthologies  arabes 
intitulées  :  Hamasa  et  Kitûb-el-Arjhani.  Consultez  Weil, 
Littcrahire  poétique  des  Arabes  avant  Mahomet  (Slutt- 
gard,  1837). 

Toutefois,  c'est  de  l'époque  de  Mahomet  que  date,  même 
pour  leur  littérature,  l'époque  la  plus  brillante  des  Arabes; 
les  doctrines  morales  et  religieuses  de  ce  réformateur  fu- 
rent recueillies  dans  le  Koran  par  Aboubekr,  le  premier 
khalife  ;  puis  corrigées  et  publiées  par  Oth  m  an,  le  troisième 
khalife.  Le  Koran  imprima  à  la  langue  écrite  sa  première 
direction  littéraire,  de  même  qu'il  modifia  complètement  le 
caractère  national  du  peuple  arabe.  Placés  comme  ils  l'é- 
taient entre  deux  continents,  dans  une  situation  géogra- 
(ihique  si  favorable  au  conimerce,  il  n'était  guère  probable 
que  les  Arabes  devinssent  jamais'unc  nation  conquérante. 
Cependant,  Mahomet,  après  avoir  d'abord  soumis  toute  l'A- 


720 


ARABES 


rabie  à  ses  lois  et  lui  avoir  imposé  une  nouvelle  constitu- 
tion religieuse  et  militaire,  réussit,  à  l'aide  de  l'esprit  reli- 
gieux et  du  fanatisme,  à  réveiller  le  génie  guerrier  qui  som- 
meillait chez  ses  compatriotes.  Après  sa  mort  l'esprit 
de  conquête  s'empara  d'eux.  Ils  se  répandirent  bientôt  en 
tous  lieux,  semblables  à  un  torrent  dévastateur,  et  en 
moins  de  quatre-vingts  ans  leur  empire  s'étendait  déjà  de- 
puis l'Egypte  jusqu'à  l'Inde,  depuis  Lisbonne  jusqu'à  Sa- 
markande.  A  cette  époque  sans  doute  ils  n'obéissaient  qu'aux 
inspirations  d'un  fanatisme  farouche,  peu  propre  à  faire 
prospérer  parmi  eux  les  œuvres  ingénieuses  et  délicates  de  la 
pensée  ;  mais  avec  le  temps ,  et  aussi  par  suite  de  leurs 
relations  avec  des  nations  policées,  leurs  habitudes  gros- 
sières diminuèrent  peu  à  peu,  puis  disparurent;  et  sous 
le  règne  des  Abassides  on  voit,  à  partir  de  l'an  749,  les 
sciences  et  les  arts  commencer  à  briller  parmi  eux.  Ce  fut 
à  la  cour  somptueuse  d'Al-Manzor,  à  Bagdad,  de  l'an 
753  à  l'an  775,  qu'ils  furent  pour  la  première  fois  l'objet 
de  nobles  encouragements  ;  mais  Haroun-Al-Raschid 
(  786-808  )  eut  la  gloire  d'en  inspirer  le  goût  durable  aux 
Arabes.  11  appela  dans  ses  États  des  savants  de  tous  les 
pays,  les  récompensa  généreusement,  fit  traduire  en  langue 
arabe  les  ouvrages  des  principaux  écrivains  grecs,  syriaques 
et  perses  ou  pehhvis,  et  multiplier  ces  traductions  au 
moyen  de  copies.  Al-Mamoun,  qui  régna  de  813  à  833, 
offrit  à  l'empereur  grec  cent  quintaux  d'or  et  une  paix  per- 
pétuelle, à  la  condition  de  lui  céder  pendant  quelque  temps 
le  philosophe  Léon,  pour  que  celui-ci  pût  se  charger  de  son 
instruction.  Consultez  Wenrich,  De  auctorum  gi-xcorum 
versïonibus  et  commentarus  syr.  et  arab.  (  Leipzig,  1842  ). 

Cest  du  règne  d'Al-Mamoun  que  datent  les  célèbres  écoles 
de  Bagdad,  de  Bassora,  de  Bokhara  et  de  Koufa,  de  nième 
que  les  grandes  bibliothèques  de  Bagdad  et  du  Caire.  Son 
successeur,  Motasem,  mort  en  841,  partagea  son  goût 
pour  les  sciences  et  les  lettres,  et  à  cet  égard  la  dynastie 
des  O  m  m  i  a  d  e  s  d'Espagne  rivalisa  de  tons  points  avec  celle 
des  Abassides  de  Bagdad.  L'école  de  Cordoue ,  devenue,  à 
partir  du  dixième  siècle,  le  grand  foyer  d'activité  littéraire 
des  Arabes,  fut  pour  l'Europe  ce  qu'était  pour  l'Asie  celle 
de  Bagdad.  A  une  époque  où  les  sciences  ne  trouvaient  nulle 
part  de  protection  sûre  et  conslante ,  les  Arabes  eurent 
le  mérite  de  les  grouper  pour  les  fortifier  les  unes  par  les 
autres,  et  en  outre  celui  de  les  propager  dans  les  trois  parties 
du  monde.  Au  commencement  du  dixième  siècle,  on  allait 
de  France  et  des  autres  pays  de  l'Europe  étudier  dans  les  écoles 
arabes  d'Espagne  les  sciences  mathématiques  et  surtout  la 
médecine  ;  c'est  ce  que  fit,  entre  autres,  Gerbert,  devenu 
plus  tard  pape  sous  le  nom  de  Sylvestre  IL  Les  Arabes 
fondèrent  en  Espagne  quatorze  académies,  indépendamment 
de  celle  de  Cordoue,  et  un  grand  nombre  d'écoles,  tant  élé- 
mentaires que  supérieures,  de  même  que  cinq  grandes  bi- 
bliothèques pubHques.  Celle  du  khalife  Hakem  contenait, 
dit-on,  plus  de  600,000  volumes.  Tels  avaient  été  les  ra- 
pides progrès  faits  par  une  nation  qui  cent  cinquante  ans 
auparavant  en  était  encore  à  ne  connaître  que  le  Koran,  et 
à  ne  cultiver  tout  au  plus  que  la  poésie  et  l'éloquence,  une 
fois  qu'elle  s'était  approprié  les  connaissances  scientifiques 
des  Grecs. 

Les  Arabes  ont  rendu  de  notables  services  à  la  géogra- 
phie, à  riiistoire,  à  la  philosophie,  à  la  médecine,  à  la  phy- 
sique, aux  mathématiques ,  et  bon  nombre  de  termes  scien- 
tifiques arabes,  tels  (\\\' algèbre,  alcool,  azhnuth,  zénith, 
nadir,  etc.,  et  jusqu'à  nos  chinrcs,q\ie  nous  leur  avons  em- 
pruntés, encore  bien  qu'ils  soient  dorigine  indoue,  témoi- 
gnent aujourd'hui  encore  de  l'inlluence  qu'ils  exercèrent  jadis 
sur  la  culture  intellectuelle  de  l'Europe.  C'est  à  eux  que  la 
géographie  est  redevable  de  ses  progrès  les  plus  notables 
au  moyen  âge.  Ils  reculèrent  considérablement  en  Asie  et  en 
Afrique  les  limites  du  monde  connu.  Dans  la  partie  septen- 
tiionale  de  l'Afrique,  ils  parvinrent  jusqu'au  r<iger,  à  l'ouest 


jusqu'au  Sénégal,  à  l'est  jusqu'au  cap  Corrientes.  De  bonne 
heure  les  khalifes  ordonnèrent  aux  généraux  de  leurs  ar- 
mées de  lever  le  plan  géographique  des  territoires  dont  ils 
entreprenaient  la  conquête.  Ils  parcoururent  la  plus  grande 
partie  de  l'Asie  et  firent  mieux  connaître  aux  peuples  de  l'Oc- 
cident leurs  propres  pays,  l'Arabie,  la  Syrie  et  la  Perse,  en 
même  temps  qu'ils  leurs  fournissaient  quelques  renseigne- 
ments sur  la  grande  Tatarie,  sur  la  Russie  méridionale,  la 
Chine  et  l'Indoustan.  Leurs  géographes  les  plus  distingués 
furent  :  Ibn-Khordadbey,  El-Istakhri  {Liber  climatum,  pu- 
blié par  Mùller,  Gotha  ,  1839),  Abou-Ishak-al-Fareti ,  Ibn- 
Ilaukal,  qui  florissait  vers  l'an  915  (  V Irak  persan,  publié 
parUylenbroch,Leyde,  1822  ); El  Édrisi  (texte  arabe,  Rome, 
1592;  Y  Espagne  par  Condé,  Madrid,  1799;  la  Syrie  par 
RosenmuUer,  Leipzig,  1828  ;  traduction  complète  par  Jou- 
berf,  Paris,  1836),  Omar-Ibn-al-Wardi ,  Yakecli  (mort  en 
1249),  Al-Osyuti,  Aboulféda,  Kaswini,  etc.  La  plupart  des 
matériaux  et  des  renseignements  recueillis  par  Aboulféda 
et  Édrisi,  les  plus  célèbres  d'entre  les  savants  que  nous 
venons  de  nommer,  sont  encore  utiles  aujourd'hui  et  d'une 
grande  importance  historique  et  géographique.  Les  ma- 
nuels géographiques  de  ces  différents  écrivains  sont  cepen- 
dant moins  instructifs  queles  descriptions  que  certains  voya- 
geurs arabes  ont  données  des  contrées  qu'ils  avaient  visitées, 
par  exemple  Al-Hassan-ben-Mobamraed-aMYasan  de  Cor- 
doue, plus  connu  sous  le  nom  de  L  é  o  n  l'A  f  r  i  c  a  i  n,  qui  par- 
courut au  quinzième  siècle  l'Asie  et  l'Afrique;  Moham- 
med-Ibn-Batula  (traduit  par  José  de  J.-S.  Mourat,  Lisbonne, 
1840),  qui  visita  au  treizième  siècle  l'Afrique,  l'Inde,  la 
Chine ,  la  Russie  ,  etc. ,  et  Ibn-Foclan  (publié  par  Frœbn, 
Saint-Pétersbourg,  1823),  qui  parcourut  la  Russie. 

L'histoire  fut  de  même,  à  partir  du  huitième  siècle,  l'objet 
de  grands  travaux  parmi  les  Arabes  ;  il  s'en  faut  de  beau- 
coup cependant  que  leurs  ouvrages  soient  utilisés  aujour- 
d'hui comme  ils  pourraient  et  devraient  l'être.  Le  plus  an- 
cien historien  arabe  que  l'on  connaisse  est  Hescham-ben- 
Mohammed-al-Kelbi ,  mort  en  819.  Dans  le  môme  siècle 
vécurent  Ibn-Kotayba,  Abou-Obéida,  Al-Wakedi,  Al-Balad- 
sori  et  Asraki  Masoudi  (Historical  Encyclopœdia ,  enti- 
tled  Meadows  o/  Gold  and  mines  o/  gems,  traduite  en 
anglais  par  Springer,  Londres,  1841),  Tabari  {Annales, 
publiées  par  KosegarleD,Greifsw.,  1831),  Hamza  d'Ispahan 
et  le  patriarche  grec  Eulychius  d'Alexandrie  {Annales,  pu- 
bliées par  Pococke,  2  vol., Londres,  1658)  furent  les  premiers 
qui  écrivirent  des  histoires  universelles.  Vinrent  ensuite 
Aboul-Faradj  {  Historia  compendiosa  Dynastiarum , 
publiée  par  Pococke,  in-4°,  Oxford,  1653,  et  S/>ecinien  Histo- 
rix  Arabum  ,  Oxford,  1806)  et  Georges  Elmakin  {Histo- 
ria Scroce?jicflr,  publiée  par  Erpen,  Leyde,  1625),  chrétiens 
tous  les  deux,  Ibn-al-Amed,  Ibn-al-Athir,  Mohammed-He- 
mavi,  Aboulféda,  Kouvairi  {Histoire  de  Sicile  sous  le 
gouvernement  des  Arabes,  traduite  en  français  par  Caussin 
de  Perceval,  Paris,  1802) ,  Djelal-Eddin,  Soyouti,Ibn  Schoh- 
na,  Abou'l-.\bbas,Aluned-al-Dimescliki,etc.  Les  chapitres  de 
ces  différents  historiens  et  de  quelques  autres  encore,  qui  ont 
trait  aux  croisades,  ont  été  publiés  par  ordre  du  gouvernement 
français  avec  traduction  française  en  regard  par  Reinaud. 
Abou'l-Kasem  de  Cordoue,  mort  en  1139,  Temimi,Ibn-Kha- 
tib,  Ibn-Alabar,  Ahmed-ben-Yahia-al-Dliobi  et  Ahmed-al- 
-Mokri  (traduit  en  anglais  par  Gayangos,  Londres,  1841  ) , 
ont  écrit  l'histoire  des  Arabes  en  Espagne.  On  a  de  Kolbed- 
din  une  Histoire  de  la  Mecque;  de  Kemaleddin  ,  une  Chro- 
nique d'Alep  (publiée  par  Freitag,  Paris,  1819),  et  des  dic- 
tionnaires biographiques  par  Ibn-Kallikan  (  Vies  des  Hommes 
Illustres,  traduites  en  fiançais  par  M.  Guckin  de  Slane ,  Pa- 
ris, 1838),  par  Ibn-Abi-Osaiba,  par  Dsahebi  {Liber  cla- 
rorum  virorum  qui  Korani  et  traditionum  cognitione 
excelluerunt ,  publié  par  XN'ustcnfeld ,  Gœtlingue,  1833), 
par  Abou-Zacharyia-el-Navavi  (publié  par  Wustcnfeld, 
Gu'ttingue,   1842  ).  Les  historiens  qui  ont  spécialement 


ARABES 


72r 


traité  de  l'Iiisfoire  dT-g^pte  sont  :  Abdellatif  (  nistorix 
/Egypti  Compendium,  public  par  ^Mlitc,  Oxford,  ISOO, 
traduit  et  commenté  en  français  par  S.  de  Sacy ,  Paris, 
ISIO);  Makrisi  {Hisloire  des  Sultfiaus  ^famelouks  de 
l'Egypte,  traduite  en  français  par  Quatremére,  Paris,  1837  )  ; 
Silieliali«ltlin-bi'ii-Abi-lioljla  ,  Maïai-lifii-JusMil-al-llan- 
bali,  DjenialetUlin  •  Yussuf  -  ben-Tagri-Bardi  ,  Mohammcil- 
l)en-el-.Moti,cl  Ibn-Omar.  Bohaeddin  (publié  par  Scbultcns, 
L<'yde,  175j),et  Emaeddin  sont  auteurs  de  Biographies 
du  sultan  Saladin.  Ibn-Arabschah  a  écrit  les  bauts  faits  de 
Timour  (publié par  Manger,  Leuwarden,  i707,  et  Calcutta, 
1S12).  Ojia  d'Ib  n-Klia  Idou  n.outre  plusieurs  autres  in- 
téressants ouvrages ,  une  Introduction  à  l'Étude  de  r His- 
toire et  de  la  Politique  (publiée  par  Arri,  Turin,  18il  ), 
et  une  Histoire  des  Berbers  (publiée  à  Alger,  en  1842). 
Hadji-Klialfa  a  écrit  un  ouvrage  encyclopédique  et  liisto- 
riiiue  sur  la  littérature  des  Arabes,  des  Persans  et  des  Turcs 
(publié  par  Flugel,  Londres,  1833  et  suiv.  ).  Le  style  de 
la  plupart  des  bistoriens  arabes  est  simple  et  dénué  de  toub 
espèce  d'ornement. 

La  tbéologie,  qui  a  les  rapports  les  plus  intimes  avec  la 
jurisprudence,  parce  que  toutes  deux  ont  la  môme  base, 
le  Koran,  forme  la  partie  la  plus  importante  du  système 
d'instruction  publique  des  Arabes.  C'est  seulement  à  l'épo- 
que des  khalifes  ommiades  qu'on  trouve  des  spéculations 
sur  le  contenu  du  Koran.  Lorsque  plus  tard  les  Arabes  con- 
nurent la  philosophie  d'Aristote,  et  qu'ils  en  appliquèrent 
les  principes  à  la  religion,  on  vit  se  produire  parmi  eux 
diverses  sectes,  dont  quatre  sont  considérées  comme  ortho- 
doxes et  soixante-douze  comme  hérétiques  {voyez  Mahomé- 
tisme).  Les  opinions  des  unes  et  des  autres  ont  été  exposées 
par  Scheheristani,  dans  son  ouvrage  sur  les  religions.  La  tra- 
dition ou  sunna  rapporte  les  discours  et  les  actions  de  Maho- 
met ,  et ,  en  dépit  du  pédantisme  de  quelques-unes  de  ses 
dispositions ,  ne  laisse  pas  au  total  que  d'être  préférable  au 
Koran.  Le  Mischkat-al-Masabich  (traduit  en  anglais,  par 
Matthews,  Calcutta,  1809  )  est  un  ouvrage  du  même  genre. 
L'exégèse  du  Koran  occupe  le  premier  rang  parmi  les  ou- 
vrages consacrés  à  la  théologie  et  à  la  discipline  religieuse. 
Les  écrivains  exégètes  les  plus  en  renom  sont  Samaks- 
chari  et  Baidhawi.  Omar-al-Nasafi  écrivit  au  douzième 
siècle  une  dogmatique  célèbre,  et  Cheikh-Ibrahim  d'Alep., 
au  seizième  siècle,  le  code  le  plus  estimé;  Mouradgea 
d'Olisson  a  traduit  ces  deux  ouvTages.  Le  droit  mahométan 
a  encore  été  commenté  par  Hedaya  (  4  vol.,  Calcutta,  1730; 
traduit  en  anglais ,  par  Hamilton,  Londres,  1791),  avec 
des  annotations  d'inaya  et  de  Kafiya ,  de  même  qu'il  sert 
de  thème  aux  sentences  ou  tetwas  des  plus  célèbres  juris- 
consultes, dans  le  nombre  desquelles  on  a  imprimé  les 
Fatawa  Alemgiri  (  6  vol.  in-4° ,  Calcutta,  1829)  et  les 
Fatawa  Hamadani  (2  volumes,  Calcutta,  1832).  Dans 
ses  Principles  oj Muhamedan  law  (Calcutta,  1823),Mac- 
naghten  a  publié  une  chrestomatliie  d'arguments  juridiques. 

La  philosophie  des  Arabes ,  qui  a  le  Koran  pour  base,  de 
même  que  la  scolastique  chrétienne  se  rattachait  à  la  Bible, 
est  d'origine  grecque.  Elle  eut  surtout  pour  principes  ceux 
de  la  philosophie  d'Aristote,  que  les  Arabes  firent  con- 
naître d'abord  en  Espagne ,  et  de  là  dans  le  reste  de  l'Eu- 
rope. La  dialectique  et  la  métaphysique  furent  de  leur  part 
l'objet  d'études  toutes  particulières.  Parmi  ceux  de  leurs 
écrivains  qui  se  sont  occupés  de  philosophie,  il  faut  sur- 
tout citer  Alkendi  de  Bassora,  qui  vivait  vers  l'an  800; 
Aifarabi,qui  vers  l'an  954,  traita  des  principes  des  choses; 
A 1  g  a  z  a  1  i ,  mort  en  1 1 1 1 ,  auteur  d'un  «  Renversement  de 
tous  les  systèmes  philosophiques  païens;  Aboubekr  ebn- 
Thophaïl,  mort  en  1190,  qui  dans  .son  roman  philosophique, 
Haï-ebn-Yokdan  (publié  par  Pococke,  Oxford,  1G71),  a 
expliqué  le  développement  de  l'homme  et  de  l'animalité,  et 
son  disciple  Averrhoès,  justement  célèbre  comme  com- 
mentateur d'Aristote. 

DICT.    DE   LA    CO.NVKRS.    —  T.    I. 


Beaucoup  de  philosophes  célèbres  furent  en  même  temps 
médecins,  et  on  ne  saurait  nier  qu'après  la  géographie 
c'est  surtout  la  médecine  qui  a  le  plus  profité  des  travaux 
dos  Arabes.  Ils  eurent  le  mérite  de  conserver  au  moyen 
Age  l'i'tude  scientifique  de  la  médecine  et  de  la  ranimer  dans 
toute  l'Lurope.  Des  écoles  de  médecine  furent  fondées  du  hui- 
tième au  onzième  siècle  h  Djondisabur,à  Bagdad,  à  Ispahan 
à  Firuzabad ,  à  Bokhara ,  à  Koufa,  à  Bassora  ,  à  Alexandrie 
et  à  Cordoue  ;  et  par  suite  de  l'ardeur  avec  laquelle  on  s'y 
livra  à  l'étude  des  sciences  médicales,  on  dut  nécessaire- 
ment faire  de  notables  progrès ,  tout  en  se  tenant  trop  ser- 
vilement aux  enseignements  des  Grecs  L'anatomie  ne  put 
guère  avancer,  il  est  vrai,  parce  que  le  Koran  interdi.sait  les 
dissections  ;  mais  la  médecine  empirique  n'en  fit  que  de  plus 
rapides  progrès ,  attendu  que  les  Arabes  s'adonnèrent  avec 
une  ardeur  extrême  à  l'étude  de  la  botanique  et  à  celle  de 
la  chimie,  qu'ils  perfectionnèrent  singulièrement ,  si  tant  est 
qu'on  ne  doive  pas  les  considérer  comme  en  ayant  été  les 
vrais  créateurs.  La  nosologie  leur  doit  aussi  de  notables 
découvertes.  Parmi  leurs  plus  célèbres  écrivains  médi- 
caux ,  il  faut  citer  :  Haroun ,  qui  le  premier  décrivit  la 
petite-vérole,  Yahia-ben-Sérapion ,  Jacob  ben-Lshak-Al- 
kendi ,  Johannes  Mesvé ,  Rhazès,  Ali-ben-Abbas  ,  A  vi- 
ce nne,  l'éditeur  du  Canon  de  la  Médecine,  considéré 
longtemps  comme  le  dernier  mot  de  la  science;  Ishak  ben 
Soleiman,  Aboulcasis ,  Ibn-Zohar ,  Averrhoès ,  auteur  d'un 
système  dialectique  complet  de  la  médecine.  Consulter 
Sprengel ,  Histoire  de  la  Médecine  (  T  volume  ) ,  et  Wus> 
fcnfeld,  Histoire  des  Médecins  et  des  Naturalistes  Arabes 
(  Gœttingue  1840).  Damiri ,  Ibn-Baitar  et  Kazwini  ont 
écrit  sur  l'histoire  naturelle,  et  Abou-Zakarja  de  Séville 
sur  l'agriculture  (  traduit  en  espagnol  par  Banqucri ,  2  vol. 
in-fol.,  Madrid,  1802  ). 

Si  les  Arabes  ne  firent  faire  que  peu  de  progrès  à  la  phy- 
sique, il  faut  en  accuser  la  méthode  qu'ils  employaient  ;  car, 
pour  faire  concorder  les  principes  d'Aristote  avec  les  méti- 
culeux préceptes  du  Koran ,  ils  ne  traitaient  la  physique 
qu'au  point  de  vue  métaphysique.  En  revanche,  ils  firent 
beaucoup  avancer  les  mathématiques,  qu'ils  ramenèrent  à 
des  principes  plus  simples ,  dont  ils  agrandirent  le  domaine 
en  même  temps  qu'ils  en  propagèrent  le  goût  et  l'étude.  Ils 
introduisirent  dans  l'arithmétique  l'usage  des  chiffres  qui 
portent  leur  nom  et  le  système  de  numération  en  progres- 
sion décimale  ;  dans  la  trigonométrie ,  l'emploi  des  sinus 
au  lieu  de  celui  des  cordes.  Ils  simplifièrent  les  opérations 
trigonométriqiies  des  Grecs,  et  donnèrent  à  l'algèbre  des 
applications  plus  utiles  et  plus  générales.  Mohammed-J)en- 
Musa  {Algebra  Arab.  and  Engl.,  pubhé  par  Rosen,  Lon- 
dre-s,  1830)  mérita  particulièrement  de  cette  science;  Alza- 
han  écrivit  sm-  l'opticpie  ;  Naesireddin  traduisitles  Éléments 
d'Euclide  (Rome,  1694  ;  souvent  réimprimes  depuis)  ;  Djeber- 
ben  A/lii  composa  un  commentaire  sur  la  trigonométrie  de 
Ptoiémée. 

L'astronomie  fut  de  la  part  des  savants  arabes  l'objet  de 
travaux  tout  particuliers ,  et  eut  des  écoles  et  des  obser- 
vatoires justement  célèbres  à  Bagdad  et  à  Cordoue.  Dès  l'an 
812  de  notre  ère  Alhazenet  Sergius  avaient  traduit  en  arabe 
VAlmagesle  de  Ptoiémée,  ce  premier  système  complet  d'as- 
tronomie, dont  des  extraits  furent  publiés  en  833  par  Alfar- 
gani(£'/emf?î^«>ls<ronomia.',  publiés  par  Golius,iu-4'',  Ams- 
terdam, 1669),  et  plus  tard  par  Aveniioès.  Albategni 
observa  au  dixièmesiècle  la  précession  des  équinoxes et  l'obli- 
quité de  l'écliplique  ;  Alpctragius  écrivit  une  théorie  des 
planètes.  La  géographie  fut  coordonnée  avec  les  mathéma- 
tiques et  l'astronomie,  et  systématiquement  exposée  par  dif- 
férents écrivains,  entre  autres  par  Aboulféda.  l'oyez  encore 
nos  articles  Aboli.-Hassan  et  Aboli.-Wéfa. 

Ces  progrès  si  remarquables  dans  les  sciences  exactes 
n'empêchèrent  pas  le  génie  arabe  d'être  particulièrement 
sensible  à  la  poésie.  Il  y  eut  constamment  une  foule  de 

91 


722 


ARABES 


poètes  dans  toutes  les  provinces  du  grand  empire  arabe  ; 
mais  les  productions  des  poêles  contemporains  sont  plus 
travaillées.  On  doit  une  mention  spéciale  à  ceux  dont  les 
noms  suivent  :  Motenebbi,  Abou-Ismael,  vizir  de  Bag- 
dad, Ahou'l  Ala,  Omar-Uen-Faredh,  et  Hamadani,  inventeur 
d'une  forme  de  vers  appelés  makamcs,  et  qui  furent  portés 
à  leur  dernier  degré  de  perfection  par  Hariri;  enfin  Ibn- 
Arabjah  pour  ses  contes  (traduits  en  allemand  par  Freytag, 
Bonn  ,  1832  ).  La  littérature  arabe  est  très-riche  aussi  en 
romans  et  en  recueils  de  contes,  tels  que  les  Mille  et 
•une  A  vit  s,  lesrr.iîs  et  gestes  d'An  tar,  lo>;  Faits  cî  gei-î.  s 
des  combattants ,  Siret  el  Modjacdin ,  les  Faits  et  geste. 
des  héros ,  Siret  el  BehleowCin.  On  peut  dire,  en  général, 
qu'à  l'exception  de  l'art  dramatique,  il  n'est  pas  de  genre  de 
poésie  dans  lequel  les  Arabes  ne  se  soient  essayés.  Il  est 
donc  tout  naturel  qu'ils  aient  exercé  une  notable  influence 
sur  la  poésie  des  nations  modernes  de  l'Europe.  C'est  ainsi 
que  les  contes  de  fées  et  des  magiciens,  peut-être  bien  aussi 
la  rime,  furent  introduits  par  eux  dans  la  poésie  de  l'Occi- 
dent, et  quelques-uns  des  Hvtcs  populaires  les  plus  répandus 
au  moyen  âge,  tels  que  les  Sept  Sages  blancs  et  les  Fables 
deBidpaï,  nous  sont  venus  par  l'intermédiaire  des  Arabes. 

Abou-Teman,  mort  en  845,  lit,  parmi  les  nombreux  chants 
des  Arabes  antérieurs  à  la  venue  de  Mahomet ,  un  choix 
des  meilleurs,  les  coordonna  en  dix  livres,  et  donna  à  cette 
collection  le  titre  de  Hnmûsa,  par  allusion  au  premier  livTC, 
qui  contient  des  poésies  guerrières.  Frej^ag  en  a  publié  une 
édition  à  Rome,  en  1828,  et  F.  Ruckert  en  a  fait  paraître  une 
traduction  allemande.  Abou-Teman  avait  recueilli  ses  chants 
dans  toutes  les  tribus  arabes;  mais  il  existe  des  anthologies 
particulières  aux  diverses  peuplades ,  et  la  plus  célèbre  de 
toutes  est  celle  des  Houdailites,  intitulée  :  le  Divan.  Des 
chants  appartenant  à  cette  époque  reculée  jusqu'aux  pre- 
miers siècles  du  khalifat  ont  aussi  été  recueillis  par  Abou'l- 
Faradj,  d'Ispahan,  mort  en  966,  dans  son  Kitâb  alAghâni, 
le  Livre  de  Chants,  publié  par  Kosegarten,  en  1839,  à 
Greifswald.  Il  a  joint  à  son  recueil  un  commentaire  très- 
détaillé,  qui  en  fait  un  des  ouvrages  les  plus  intéressants  de 
l'antique  littérature  arabe. 

L'anthologie  la  plus  riche  et  la  plus  complète  de  la  poésie 
arabe  postérieure  est  le  Yatimat-al-Dahr ,  la  Perle  du 
Monde,  de  Taalebi,  dans  laquelle  les  poètes  sont  rangés 
suivant  les  provinces  où  ils  ont  vécu.  Ce  recueil  a  été  con- 
tinué et  augmenté  à  diverses  reprises. 

Indépendamment  de  ces  anthologies,  qui  nous  offrent  un 
tableau  assez  complet  des  productions  de  tous  les  poètes 
arabes,  il  n'y  a  presque  aucune  des  provinces  dans  les- 
quelles régnent  leur  htlératureelleur  civilisation,  qui  n'offre 
des  anthologies  spéciales  de  ses  poètes.  Les  collections  de 
ce  genre  les  plus  nombreuses  sont  celles  de  l'école  hispano- 
arabe  ou  maure,  qui  a  eu  ses  Romanceros  comme  la 
littérature  espagnole. 

Kn  outre,  la  littérature  arabe  est  très-riche  en  coUeclions 
d'anecdotes,  de  joyeux  et  spirituels  propos,  et  de  morceaux 
choisis  des  écrivains  classiques  ;  genre  de  productions  dont 
nous  pouvons  nous  former  une  idée  par  l'ouvrage  de  Taalebi, 
intitulé  :  le  Compagnon  intime  du  Solitaire  en  vives  ré- 
pliques (  1  vol.  in-4",  publié  par  Flugel,  à  Vienne,  en  1829). 

La  langue  arabe  se  compose,  en  général,  des  raf  mes  mots 
que  l'hébreu,  le  syriaque  et  les  autres  idiomes  compris  sous 
la  dénomination  de  sémitiques,  entre  lesquels  elle  se 
distingue  par  son  ancienneté,  sa  richesse  et  sa  flexibilité.  Les 
mots  s'y  groupent  par  racines,  composées  ordinairement 
de  trois  lettres  ;  et  les  diverses  nuances  de  la  pensée  s'y 
expriment  à  l'aide  de  ces  lettres,  modifiées,  soit  par  la  pro- 
nonciation, soit  par  d'autres  lettres  ajoutées  au  commence- 
ment ou  à  la  (in  des  mots.  Pendant  plusieurs  siècles  cette 
langue  domina  sur  un  théâtre  beaucoup  plus  vaste  qu'à  pré- 
sent. Au  dixième  siècle,  elle  était  encore  en  Perse  celle  du 
gouvernement  et  de  la  classe  éclairée;  elle  le  fut  également 


dans  une  grande  partie  de  l'Espagne;  maintenant  elle  n'est 
guère  dominante  qu'en  Arabie,  en  Egypte,  en  Syrie  et  sur 
les  côtes  d'Afrique.  Ailleurs  ce  n'e.-t  qu'une  langue  sacrée, 
une  langue  savante;  le  peuple,  selon  la  race  à  laquelle  il 
appartient,  parle  turc,  persan,  malais,  etc. 

En  se  propageant  la  langue  arabe  a  dû  perdre  de  sa  pu- 
reté primitive.  L'arabe  qu'on  parie  à  Maroc  ou  à  Alger  n'est 
pas  en  tout  point  le  même  que  celui  dont  on  se  sert  en 
Égv'pte,  et  l'arabe  d'Egypte  diffère  quelque  peu  de  l'arabe 
de  Syrie.  En  somme,  la  langue  se  divise  en  deux  dialectes 
principaux  distincts  :  le  dialecte  septentrional,  dont  le  Ec- 
ran a  fait  la  langue  dominante  des  livres  et  des  relations  so- 
ciales, et  le  dialecte  méridional,  lequel,  du  reste,  n'est  com- 
plètement connu  jusqu'à  présent  que  par  un  petit  nombre 
de  manuscrits  et  d'inscriptions,  mais  qui  est  vTaisemblable- 
ment  la  source  de  la  langue  et  de  l'écriture  étliiopiennes. 

«  La  langue  arabe,  dit  M.  Reinaud ,  est  riche,  harmo- 
nieuse, pleine  d'images.  On  a  cependant  exagéré  sa  richesse. 
Sans  doute  l'habitant  du  désert,  dont  l'imagination  n'est 
frappée  que  par  un  petit  nombre  d'objets,  en  observe  avec 
plus  d'attention  les  détails  et  jusqu'aux  moindres  circons- 
tances. Pour  lui  deux  nuages  ne  se  ressemblent  pas;  il  a 
autant  de  termes  divers  pour  peindre  un  rocher,  un  torrent, 
une  vailre,  une  citerne,  que  ces  objets  peuvent  s'offrir  à  lui 
sous  des  aspects  différents  ;  d'un  autre  côté ,  la  langue  en  se 
répandant  s'est  enrichie  de  nombreux  emprunts,  mais  sou- 
vent aussi  il  ne  lui  est  resté  qu'un  mot  pour  exprimer  plu- 
sieurs nuances.  Cette  pauvreté  se  fait  surtout  sentir  dans  les 
mots  composés,  genre  d'expressions  qui  tiennent  lieu  depé- 
ri[)hrases,  et  qui  donnent  tant  de  précision  à  nos  langues.  » 

L'écriture  arabe  actuelle  n'est  pas  ancienne  ;  elle  com- 
mençait à  peine  à  se  répandre  lorsque  Mahomet  vint  prê- 
cher sa  doctrine.  Il  y  avait  auparavant  d'autres  genres  d'é- 
criture usités  dans  certaines  parties  de  l'Arabie,  par  exemple 
l'écriture  bémyarite,  en  usage  dans  l'Yémen;  mais  l'écriture 
arabe  actuelle  prit  le  dessus  avec  le  Koran. 

En  arabe,  comme  en  hébreu ,  on  ne  marque  ordinairement 
que  les  consonnes.  Les  voyelles  se  placent  au-dessus  et  au- 
dessous  des  mots  ;  mais  on  les  omet  ordinairement.  Le  Koran 
ayant  d'abord  été  écrit  sans  voyelles,  il  y  a  des  mots  sur 
lesquels  les  commentateurs  ne  sont  pas  d'accord. 

Parmi  les  diverses  écritures  arabes,  ou  en  distingue  deux 
principales  :  l'écriture  coiifique  et  l'écriture  neskhi.  Le  nes- 
khi  est  l'écriture  cursive  ;  on  avait  cru  jusqu'à  ces  derniers 
temps  qu'il  n'était  pas  antérieur  au  dixième  siècle  de  notre 
ère ,  mais  des  documents  paléograpliiques  publiés  par  Syl- 
vestre de  Sacy  il  est  résulté  qu'il  est  aussi  ancien  que  Maho- 
met, ou  que  l'écriture  arabe  elle-même.  Quant  à  l'écriture 
coufique ,  ainsi  appelée  de  la  ville  de  Koufa ,  où  l'on  croit 
qu'elle  a  pris  naissance ,  elle  consiste  en  lignes  droites ,  et 
l'on  pourrait  la  comparer  à  nos  caractères  romains.  Ainsi  sont 
gravées  les  anciennes  monnaies  des  khalifes  et  les  inscrip- 
tions monumentales.  Maintenant,  à  quelques  différences 
près,  l'écriture  arabe  est  la  même  partout  ;  elle  a  été  adoptée 
par  les  Persans  et  les  Turcs,  qui  se  sont  contentés  de  modi- 
fier quatre  lettres  de  l'alphabet  pour  leur  faire  exprimer 
tous  les  sons  chez  eux  en  usage.  Consultez  Gesenius  et  Ré- 
diger, Sur  la  langueet  l'écriture hémtjarites  (Halle,  1841  ). 

Le  plus  ancien  grammairien  arabe,  qui  florissait  déjàsous 
le  règne  du  quatrième  khalife  Ali,  est  Abou'l-Asvvad-al - 
Douli;  parmi  les  grammairiens  postérieurs,  il  faut  citer  Si- 
bawaih,  Ibn-Malek,  Zampklisrluni. !bn-lîpscliam,  Iliu-Doraï.l 
Motaue/.zi,  Tebrizi,  Baïdliawi,  Hariri,  etc.  Consultez  S.  de 
Sacy  {Anthologie Grammaticale  Arabe,  Paris,  1829).  Kha- 
lil-ben- Ahmed  al-Ferahidi  de  Bassora  rédigea  le  premier 
en  système  la  prosodie  et  la  métrique  des  poètes  arabes. 
Al-Djauhari ,  mort  en  1009,  composa  un  dictionnaire  de  la 
langue  arabe  pure,  qu'il  intitula  :  Al-Sehah,  c'est-à-dire  la 
Pureté,  et  qui  est  encore  fort  estimé  aujourd'hui.  Mohan- 
mcd-ben-Yakoub-al-Firuzabadi ,  mort  en  1414,  corapc.-.". 


ARAF/i-::.  — 

60UJ  le  titre  de  El-Kamus,  c'ai-À-ùiie  l'Océan,  un  Tficsaii- 
VHS  lie  la  lan^iue  arabe.  C'est  le  meilleur  «liclionnairc  arabe 
que  Ton  possède  (2  vol.  in-4",  Calcutta,  1817);  aussi  a-t-il 
été  traduit  en  turc  et  en  persan  (3  vol.  in-fol.,  Constan- 
tinople,  IslS;  et  4  vol.  in-i",  Calcutta,  isiO).  Djordjaui 
a  donné  une  explication  par  ordre  alpliabélique  de  tous 
le-s  termes  d'arts  et  de  sciences.  Meid;ini  a  recueilli  les  nom- 
breux proverbes  (  2  vol.  publiés  par  FrcTfag,  Bonn,  1S3S). 
L'invasion  de  la  Sicile  et  de  l'Espagjie  parles  Arabes  eut  pour 
conséquence  de  répandre  la  connaissance  de  leur  langue  en 
Europe.  Quoiqu'elle  ait  laissé  dans  les  langues  de  ces  deux 
pays  de  nombreuses  traces  de  son  influence,  elle  ne  tarda 
pas  cependant  à  tomber  dans  l'oubli  quand  les  Maures 
curent  été  expulsés  d'Europe.  Postel  eut  le  mérite  d'en 
réveiller  l'étude  scientifique  en  France,  et  Spcy  en  Allemagne  ; 
et  à  partir  du  dix-septiéme  siècle  elle  fut  cultivée  avec 
une  ardeur  extrême  dans  les  Pays-Bas,  plus  tard  en 
Allemagne,  en  Hollandoet  on  Angleterre.  Martelotti  (1G20) 
et  Guadagnole  (  1642),  mettant  à  profit  les  travaux  des  gram- 
mairiens arabes,  publièrent  des  grammaires  arabes,  qui 
furent  l'objet  de  méthodes  plus  commodes  de  la  part 
de  Van  Erie  (1613)  et  surtout  de  S\lv.  de  Sacy  (1831),  de 
Lumsden,  d'Ewald,  de  Roorda,  de  Petcrmannet  deCaspari. 
Golius,  Giggeij ,  Ca-leili ,  Meninski,  Wilniet ,  Freytag  et 
Kazimirski  publièrent  des  dictionnaires;  Rosenmiiller, 
Jahn,  Syl.  de  Sacy,  Kosegarten,  Grangerel  de  Lagrange,  Hum- 
bert  et  Frejiag,  des  cbrestomathies ,  comme  firent  aussi  le 
chéib  Achmed-al-Ycmini,  sor.s  le  litre  de  yafliat  ul  Yemen 
(in-fol.,  Calcutta,  1811)  etde  Hadikat  ni  Afrah  (Calcutta, 
1818),  et  quelques  autres  encore.  La  métrique  a  été  l'objet 
des  travaux  particuliers  de  Freytag,  d'Évrald  et  de  G.  deTassy. 
La  connaissance  de  l'arabe,  tel  qu'on  le  parle  aujourd'hui 
en  Syrie,  en  Egypte  et  sur  la  côte  du  nord  de  l'Afrique,  est 
l'objet  des  grammaires  publiées  par  Caussin  de  Perceval  et 
Canes,  des  Dictionnaires  de  Dominicus  Germanicus  de 
Silesia ,  de  Canes ,  d'Elious  Bokhtor,  de  Marcel ,  de  Ha- 
bicht,  etc.  Les  plus  grandes  collections  de  manuscrits  arabes 
se  trouvent  à  Madrid,  à  Rome,  à  Paris,  à  Leyde,  à  Oxford, 
à  Londres,  à  Gotha,  à  Vienne ,  à  Berlin ,  à  Copenhague  et 
à  Saint-Pétersbourg  ;  mais  on  manque  encore  de  catalogues 
satisfaisants  pour  bien  apprécier  la  richesse  relative  de  ces 
diverses  collections.  Flugel  est  auteur  d'une  histoire  de  la 
littérature  arabe  dans  toutes  les  branches  de  son  dévelop- 
pement. Dans  sa  D'ibllotheca  Onentalïs  (Leipzig,  1840), 
Zenker  a  présenté  le  tableau  de  tous  les  grands  travaux  qui 
ont  été  publiés  jusqu'à  ce  jour. 

Les  débris  cj'architecture  arabe  qui  subsistent  encore 
aujourd'hui  en  Espagne  et  en  Afrique  méritent  aussi  une 
attention  toute  particulière. 

La  présence  des  Arabes  conquérants  en  Egypte,  dans 
l'Inde,  en  Grèce,  en  Sicile  et  en  Espagne  imprima  aux 
édilîces  de  ces  cor.irées  un  nouveau  caractère;  de  là  l'ar- 
chitecture arabe,  lioe  vers  la  lin  du  septième  siècle.  Peuples 
nomades,  vainqueurs  de  pays  déjà  civilisés,  les  Arabes  du- 
rent recevoir  autant  qu'ils  importèrent  en  ce  qui  concerne 
l'art  de  bâtir,  et  l'architecture  des  nations  qu'ils  avaient 
subjuguées  dut  avoir  beaucoup  d'influence  sur  la  leur. 
C'est  ce  qui  explique  les  différences  qu'elle  offre  à  diverses 
l'poqucs  dans  les  pays  divers  soumis  à  leur  domination, 
différences  qui  existent  surtout  entre  l'architecture  miu- 
resque  d'Espagne  et  l'architecture  sarrasine  de  l'Egypte,  de 
l'Inde,  de  la  Grèce  et  de  la  Sicile. 

Ce  qui  distingue  particulièrement  l'architecture  arabe 
primitive,  c'est  l'emploi  de  l'arc  plein  cintre  surîiaussé  per- 
pendiculairement à  son  diamètre  par  des  encorbellements, 
ttde  l'arc  plein  cintre  circulaircment  prolongé  dans  sa  partie 
inférieure  au  moyen  d'encorbellements  formant  console  en 
saillie  sur  des  pieds  droits  ou  colonnes  qui  le  supportent  dans 
l'arc  ogive  surhaussé  :  les  découpures  qui  ornent  fréquem- 
ment celui-ci  sont  formées  par  une  suite  de  petits  arcs  ram- 


.\RABESQ1JES  703 

pants,  alterni's  de  grandeur,  dont  les  retomh'es,  terminées 
en  culs-de-lampe,  sont  perpendiculaires,  tandis  que  le 
même  ornement  dans  l'arc  plein  cintre  forme  un  trèfle  et 
tend  à  un  centre  commun.  Dans  l'architecture  arabe  mo- 
derne on  trouve  une  autre  espèce  d'arc,  dont  les  surfaces 
inférieures  de  l'arc-doubleau  olfrenl  le  développement  de 
deux  consoles  jointes  par  leur  sommet. 

11  ne  parait  pas  que  les  Arabes  aient  cherché  à  établir 
un  rapport  entre  le  diamètre  et  la  hauteur  des  colonnes. 
Ils  employèrent  assez  volontiers  les  bases  antiques,  ou  y 
suppléèrent  par  un  grand  cavet  ou  congé  renversé  et  cou- 
ronné d'une  baguelle  ou  d'un  filet.  Lorscpi'ils  firent  usage 
des  chapiteaux  des  Romains,  ils  affectèrent  de  chan"er 
quelques  parties  de  leurs  ornements  dans  les  volutes  ou  feuil- 
lages, pour  y  introduire  le  goût  qui  leur  était  propre.  Leurs 
moulures,  qui  sont  fort  rares,  ne  se  composent  générale- 
ment que  de  bandeaux  ou  cavets  évidés  en  ogives  et  for- 
mant consoles. 

Les  prescriptions  de  l'islamisme  resserrèrent  l'ornementa- 
tion dans  un  système  particulier,  qui ,  à  cause  de  la  grande 
extension  qu'il  reçut  alors,  prit  le  nom  d'arabesques. 

Légère,  élancée,  hardie  jusqu'à  la  témérité,  l'arcliitec- 
ture  arabe  n'est  qu'une  profusion  sans  égale  de  broderies , 
de  rinceaux,  de  denticules,  de  volutes,  de  voûtes  en  ogive, 
de  colonnes  déliées  et  découpées  avec  une  adresse  infinie, 
mais  qui  n'offrent  le  plus  souvent  dans  leur  assemblage 
capricieux  ni  proportion,  ni  idée  d'ordre,  ni  aucun  caractère 
d'ordonnance  particulière.  Toutefois,  ce  nouveau  genre, 
plein  de  détails  heureux,  séduisit  et  fit  révolution  dans  l'ar- 
chitecture alors  existante,  qu'il  remplaça  bientôt  en  s'y 
mélantsousle  nom  de  gothique  moderne  {voyez  Gothique). 

L'architecture  arabe,  riche,  sensuelle,  fantastique,  porte 
bien  l'empreinte  du  génie  de  l'Orient;  et  à  défaut  des 
monuments  littéraires  qui  nous  restent,  elle  suffirait  pour 
nous  apprendre  à  quelle  Inuteur  s'élevait  l'imagination  de 
ce  peuple.  L'Alhambra,  une  foule  de  mosquées,  entre 
autres  celle  de  Cor  doue,  les  cimetières  du  Caire,  où  on 
distingue  le  tombeau  dit  de  Malek-Adel ,  en  sont  autant  de 
témoignages  éclatants,  a  L'architecture  arabe ,  dit  Lamen- 
nais, ressemble  à  un  rêve  brillant,  au  caprice  des  génies , 
qui  s'est  joué  dans  ces  réseaux  de  pierre,  dans  ces  délicates 
découpures ,  ces  franges  légères,  ces  lignes  volages ,  dans 
ces  lacis  où  l'œil  se  perd  à  la  poursuite  d'une  symétrie  qu'à 
chaque  instant  il  va  saisir,  qui  lui  échappe  toujours.  » 

L'architecte  français  Coste ,  qui  vers  1818  fit  un  long 
séjour  au  Caire  et  à  Alexandrie,  a  étudié  cette  architecture 
avec  soin  et  a  consigné  le  résultat  de  ses  recherches  dans 
un  ouvrage  intitulé  :  Architecture  arabe,  ou  Monuments 
du  Caire,  dessijiés  et  7nesurés  (in-fol.,  avec  74  planches, 
Paris,  1823).  Parmi  les  publications  qui  font  bien  connaître 
l'architecture  arabe ,  nous  mentionnerons  :  le  splendide 
ouvrage  de  Murphy,  Arabian  Antiquities  of  Spain  (Lon- 
dres, 1816);  Antiguedades  arabes  de  Espana  (.Madrid, 
1804),  par  Lozano;  Alhambra  (Londres,  1836),  par  Gourg 
et  Jones;  Souvenirs  de  Grenade  et  de  V Alhambra  (Paris, 
1837)  ;  Monuments  arabes  et  moresques  de  Cordoue  (  Pa- 
ris, 1840),  et  Essai  sur  l'Architecture  des  Arabes  et  des 
Mores  en  Espagne  (Paris,  1841),  par  Girault  de  Pi-angey. 
On  a  une  dissertation  sur  la  musique  des  Arabes  (Leipzig, 
1842  s  par  Kiesewetter. 

ARABESQUES  ou  M.\URESQUES.  Comme  œuvre  de 
peinture,  on  confond  souvent  les //ro^  es  g  2<  es  avec  les 
arabesques;  im\%  c'est  à  tort  que  l'on  donne  tantôt  l'un 
tantôt  l'autre  de  ces  noms  à  tous  les  ornements  capricieuse- 
ment composés  de  feuillages,  de  fleurs,  d'animaux,  et  même 
d'élres  imagmaires,  groupés  d'une  manière  fantastique.  Par 
arabesques  il  faut  entendre  ces  assemblages  de  fleurs,  de 
fruits,  de  feuillages  vrais  ou  imaginaires,  combini's  avec  di- 
vers agencements  de  lignes.  Ce  nom  leur  vient  des  Arabes, 
([ui,  ne  pouvant,  par  suite  des  préceptes  de  leur  foi  religieuse, 

91. 


724 

peindre  aucun  être  animé,  choisirent  ce  genre  d'ornementa- 
Uon.  Les  Maures  en  ayant  également  fait  usage,  on  le  dé- 
signe aussi  quekpiefois  par  le  nom  de  mauresques.  Les 
Romains  avaient  déjà  coutume  d'introduire  dansTomemen- 
tation  de  leurs  demeures  ,  outre  des  groupes  de  fleurs,  des 
génies,  des  hommes,  des  animaux  et  autres  sujets,  mêlés  et 
confondus  suivant  le  caprice  de  l'artiste.  Ce  sont  ces  orne- 
ments qui,  à  proprement  parler,  constituent  ce  qu'on  ap- 
pelle des  grotesques,  peut-être  bien  parce  qu'on  les  a  sou- 
vent rencontrés  dans  les  appartements  d'édifices  romains  tom- 
bés en  ruine  et  dans  des  voûtes  souterraines  (grottes  ). 
Bœttiger  dérive  l'origine  des  arabesques  et  des  grotesques 
des  tapis  de  l'Inde  et  de  la  Perse,  ornés  de  toutes  sortes  d'a- 
nimaux fabuleux  appartenant  au  monde  des  contes  orientaux. 
Dans  les  bains  de  Titus  et  de  Livie  à  Rome ,  dans  la  villa 
d'Adrien  à  Tivoli ,  dans  divers  édifices  d'Herculanum  et  de 
Tompéi ,  et  dans  quelques  autres  endroits  encore,  il  s'en  est 
conservé  jusqu'à  nos  jours,  qui  pèchent  peut-être  par  la 
trop  grande  richesse  des  détails,  mais  dont  la  plupart  of- 
frent une  brillante  exécution.  C'est  ce  que  reconnut  bien 
Raphaël,  notamment,  qui  fit  orner  les  loges  du  Vatican  de 
semblables  peintures ,  exécutées  par  ses  élèves ,  et  en  par- 
ticulier par  Giovanni  Hanni  d'Udine.  On  a  fait  un  fréquent 
emploi  des  arabesques  en  France  sous  le  règne  de  Louis  XIV. 
Aujourd'iiui  on  y  a  encore  recours  pour  la  décoration  des 
murs  intérieurs,  des  panneaux ,  des  pilastres,  des  montants 
de  portes ,  des  frises ,  des  plafonds  et  des  voûtes.  JMais  il 
faut  se  gardor  de  les  appliquer  sur  des  objets  de  grandes  di- 
mensions et  de  les  employer  dans  les  décorations  d'un  style 
sévère. 

.Malgré  le  charme  qu'on  ne  peut  refuser  à  ces  sortes  d'or- 
nements lorsqu'ils  sont  de  bon  goût,  on  les  a  souvent  jugés 
avec  sévérité  ;  c'est  ce  qui  est  arrivé  aux  critiques  qui  veu- 
lent que  l'art  ne  traite  que  la  réalité ,  et  qui  repoussent 
par  conséquent  tout  ce  qui  est  fantastique.  Il  faut  d'ail- 
leurs reconnaître  que  trop  souvent  ces  ornements  dégé- 
nèrent en  bizarreries  et  en  impossiliilités  tout  à  fait  contre 
nature.  Voyez  Grotesque. 

AAxVBIE,  appelée  Djésirch-al-Arab  par  les  indigènes , 
et  Arabislàn  par  les  Turcs  et  les  Persans,  grande  pres- 
qu'île située  à  l'extrémité  sud-ouest  de  l'Asie,  d'environ 
28,500  myriamètres  carrés  de  superficie,  est  s/parée  d'un  coté 
du  continent  asiatique  par  le  golfe  Persique  qui  fait  partie 
de  la  mer  des  Indes,  et  s'y  rattache  de  l'autre  par  les  hau- 
tes plaines  du  désert  de  Syrie  et  d'Arabie.  Unie  à  l'Afrique 
par  le  détroit  et  la  petite  presqu'île  de  Suez,  et  séparce 
de  ce  continent  uniquement  par  la  mer  Rouge,  où  abondent 
les  écueils  et  les  récifs  ,  et  qui  dans  le  détroit  de  Bab-el- 
Mandeb  se  rétrécit  au  point  de  ne  plus  avoir  que  5  myria- 
mètres de  largeur,  l'Arabie  offre  sous  tous  les  rapports 
physiques  la  fidèle  image  de  l'immense  et  tropical  continent 
qui  l'avoisine.  Elle  est  conmie  la  transition  entre  l'Asie  et 
l'Afrique ,  et  semble  avoir  été  destinée  par  la  nature  à  do- 
miner le  nord  de  l'Afrique  de  même  qu'à  prévenir  de  ce 
côté  toute  réaction  hostile  à  lantique  race  orientale,  tout 
cela  d'ailleurs  avec  son  individualité  propre  et  comme  il 
convient  à  l'isolement  caractéristique  de  sa  situation  géo- 
graphique. 

Le  nom  d'Arabie  ou  provient  d'un  district  de  la  province 
deXehama,  appelé  Araba,  c'est-à-dire  désert ,  ou  dérive 
peut-être  du  moi  cher,  qui  signifie  nomade,  attendu  qu'à 
l'origine  les  Arabes  et  les  Éhrœcns  n'étaient  qu'un  seul  et 
même  peuple  formant  la  plus  ancienne  et  la  plus  célèbre 
race  de  pasteurs  de  l'Asie.  La  division  de  la  presqu'île  en 
Arabie  Pctrée,  Arabie  Déserte  et  Arabie  Heureuse,  qui  a 
été  adopti'C  même  dans  quelques  ouvrages  modernes ,  re- 
monte à  Ptolémre;  car  il  n'est  jamais  question  dans  les 
géographes  grecs  que  d'une  Arabie  Déserte  et  d'une  Arabie 
Heureuse;  mais  elle  ne  r.épond  nullement  au  caractère  des 
limites  primilivement  assignées  à  ces  diverses  parties  du 


ARABESQUES  —  ABABIE 


territoire  arabe,  et  elle  a  en  outre  été  souvent  fort  mal 
comprise.  Le  nom  d'Arabie  Heureuse  est  le  résultat 
d'une  traduction  erronée  du  mot  Yétywn  ,  qui  ne  signifie  pas 
heureuse,  mais  qui  relativement  à  l'Orient  désigne  le 
pays  situé  à  la  droite  de  la  Mecque,  de  même  qu'/lZ  Scham 
(Syrie)  indique  le  pays  situé  à  sa  gauche.  Par  une  autre 
erreur,  on  a  cru  aussi  que  le  mot  Pétrée  était  synonyme  de 
pierreux  et  provenait  de  la  nature  rocailleuse  du  sol  ;  tan- 
dis que  Ptolémée  emprunta  cette  épithète  à  la  florissante 
capitale  de  l'empire  des  Nabathaeens ,  Petra,  dont  le  véri- 
table nom  était  Thamud,  lequel  signifie  un  rocher  con- 
tenant une  source. 

Aujourd'hui  encore  l'Arabie  est  un  pays  fort  mal  connu. 
Ce  qui  y  frappe  tout  d'abord  le  plus  le  voyageur,  ce  sont 
les  nombreux  rapports  d'analogie  qu'elle  offre  avec  l'A- 
frique. Quelques  chaînes  de  rochers  nus  séparent  l'Arabiedes 
plateaux  sud-est  du  Soristàn ,  par  exemple  le  Djcbcl-rxœmlï 
et  le  Chamor,  qui  dans  leur  prolongement  oriental  forment 
le  versant  septentrional  du  haut  plateau  qui  domine  les 
déserts  de  la  Syrie,  tandis  qu'au  sud  de  ce  plateau  méridional 
de  la  Syrie  les  plaines  de  la  côte  occidentale  entourent  plu- 
sieurs contre-forts ,  par  exemple  les  monts  Kharra ,  qui 
non-seu'ement  traversent  à  diverses  reprises  le  littoral  de 
la  mer  Rouge  par  leurs  embranchements,  mais  encore 
fractionnent  le  plateau  intérieur  par  les  prolongements 
successifs  qu'ils  envoient  à  l'est.  Les  parties  sud-ouest  et  sud- 
est  de  la  péninsule  sont  celles  dont  le  sol  est  le  plus  entre- 
coupé de  montagnes.  En  effet,  si  dans  l'Oman  le  système  de 
montagnes  du  Djebel-Akhdar  va  en  s'abaissant  par  la  vallée 
(lu  Masara  vers  le  grand  désert  intérieur,  où  l'on  ne  trouve 
plus  que  d'insignifiantes  ondulations  de  terrain ,  de  nu'me 
la  région  montagneuse  de  l'Yémen  s'abaisse  avec  la  vailée 
du  Mecdàn ,  fleuve  qui  a  son  embouchure  près  d'Aden , 
vers  le  territoire  dési-rt  des  côtes  de  Tehama;  le  plateau  le 
plus  élevé  de  toute  l'Arabie,  qui  atteint,  dit-on,  une  hau- 
teur de  3,000  mètres,  est  situé  à  peu  près  au  centre  de  la 
presqu'île,  dans  la  province  de  >'idjed. 

En  ce  qui  est  de  son  climat ,  l'Arabie  offre  aussi  un  ca- 
ractère essentiellement  africain.  Les  montagnes  dont  elle  est 
hérissée  annulent  et  détruisent  l'influence  que  le  voisinage 
de  l'Océan  y  exercerait  sans  cela  sur  la  température.  Dans 
les  montagnes ,  comme  dans  les  vallées,  une  sécheresse  brû- 
lante accompagne  la  plus  extrême  pauvreté  de  végétation. 
Le  palmier  à  dattes  y  témoigne  seul,  pour  ainsi  dire^  de  la 
vie  végétale;  et  il  n'est  même  pas  rare  de  rencontrer  des 
districts  entiers  où  il  ne  tombe  pas  une  seule  goutte  d'eau 
dans  tout  l'espace  d'une  année.  Un  ciel  presque  éternelle- 
ment serein  domine  ces  plaines  stériles  ;  et  la  courte  saison 
des  pluies,  qui,  par  suite  des  vents  intermittents  dominant 
dans  la  mer  Rouge ,  correspond  sur  la  côte  occidentale  à  nos 
mois  d'été ,  ne  remplit  que  périodiquement  d'eau  les  parties 
de  terrain  les  jibis  basses  {wadis),  tandis  que  sur  les 
plateaux  de  l'intérieur  et  du  nord-est  la  saison  d'hiver  est 
marquée  par  quelques  légères  gelées.  Dans  la  saison  chaude 
le  simoun  ne  souffie  quelquefois  que  dans  les  parties  sep- 
tentrionales du  pays.  Les  grandes  forêts  manquent  en  Arabie, 
et  les  vertes  prairies  y  sont  remplacées  par  des  ])laines  de  la 
nature  des  steppes,  mais  qui,  en  raison  de  la  grande  quantité 
d'herbes  aromatiques  qu'elles  renferment,  offrent  d'excel- 
lents pâturages  à  une  race  chevaline  des  plus  nobles.  Danr 
les  contrées  sauvages ,  où  le  sol  s'élève  successivement  par 
terrasses ,  le  règne  végétal  offre  de  plus  grandes  richesses. 
On  y  rencontre,  outre  les  plus  belles  espèces  d'arbres  à 
(ruils  et  le  palmier,  le  dhourra,  espèce  de  millet  qui  tient 
lieu  des  grains  d'Europe,  en  général  assez  rares;  le  tabiic, 
le  coton,  l'indigo,  le  meilleur  café  qu'on  connaisse,  et  qui 
constitue  l'un  des  prindpaux  objets  d'exportation  du  pa\s; 
les  épices  de  tous  genres,  comme  le  benjoin,  le  mastic,  le 
baume,  l'aloès  ,  la  myrrhe,  l'encens,  etc. 

Ce  caractère  essentiellement  airicainde  l'Arabie  se  retrouve 


ARABIE 


encore  dans  son  règne  animal.  Les  moutons ,  les  (lièvres  et 
les  bœufs  y  satisfont  aux  besoins  personnels  et  iloinestiques 
de  rhorame  ;  le  chameau  et  le  cheval  lui  servent  «le  fidèles 
compagnons  dans  ses  pérégrinations  ;  les  gazelles  et  les  au- 
truches ,  qui ,  dans  leur  course  rapide ,  vont  d'oasis  en  oasis , 
habitent  le  désert ,  où  le  lion  ,  la  panthère ,  l'hyène  et  le 
chacal  cherchent  incessamment  leur  proie  ;  les  singes  ,  les 
faisans  et  les  colombes  habitent  paisibles  les  districts  fer- 
tiles. Les  siuiterelles  commettent  souvent  d'effroyables  dé- 
vastations. Les  poissons  et  les  tortues  abondent  sur  les  eûtes , 
et  on  trouve  des  perles  surtout  dans  le  golfe  Persique.  Kn 
fait  de  produits  du  règne  minéral ,  il  faut  mentionner  le  1er, 
le  cuivre,  le  plomb,  la  houille,  la  poi\  minérale,  et  quelques 
pierres  précieuses,  telles  que  la  cornaline,  l'agate  et  l'onyx. 

On  estime  le  nombre  des  habitants  de  l'Arabie  à  douze 
millions  ;  et  par  suite  de  l'isolement  de  cette  contrée  on 
peut  dire  que  cette  population  offre  sous  le  rapport  physique 
comme  sous  le  rapport  intellectuel  une  originalité  caracté- 
ristique qu'on  retrouve  aussi  bien  dans  les  individus  que 
dans  les  masses.  L'Arabe  est  de  taille  moyenne,  vigoureu- 
sement constitué,  et  a  le  teint  basané.  Les  traits  de  son  vi- 
sage expriment  une  fierté  et  une  gravité  nobles.  11  est  doué 
de  beaucoup  d'adresse  naturelle,  ingénieux  et  gracieux.  La 
tempérance,  la  bravoure,  l'hospitalité  et  la  fidélité,  de 
même  que  l'amour  de  la  poésie,  forment  le  fond  de  son 
caractère.  La  passion  de  la  vengeance  et  le  penchant  à  la 
rapine  déparent  seuls  ses  belles  qualités.  La  femme  arabe 
ne  vit  que  pour  l'intérieur  de  la  famille ,  et  c'est  à  elle  que 
revient  tout  le  soin  de  l'éducation  première  des  enfants. 
L'Arabe  se  croit  l'être  le  plus  heureux  de  la  terre  quand  il 
lui  naît  un  chameau,  quand  une  belle  jument  met  au  monde 
un  poulain,  enfin  quand  on  l'applaudit  comme  poète. 

Au  culte  des  astres,  cette  forme  si  simple  de  religion,  suc- 
céda la  doctrine  de  .Mahomet ,  que  l'Arabie  tout  entière  ne 
tarda  pas  à  adopter.  Aujourd'hui ,  outre  les  deux  grandes  et 
anciennes  sectes  de  l'islamisme,  les  sunnites  et  les  chiites,  on 
en  compte  encore  une  troisième,  celle  des  ivahabitcs , 
dont  l'origine  ne  remonte  pas  au  delà  de  la  seconde  moitié 
du  dix-huit.ème  siècle.  Un  grand  nombre  de  juifs,  de  Banians 
et  de  chrétiens ,  attirés  par  le  commerce ,  habitent  aussi 
l'Arabie.  Le  genre  de  vie  de  l'Arabe  est  ou  nomade,  et  alors 
il  ne  s'occupe  que  de  l'élève  du  bétail  et  du  transport  par 
caravanes  des  marchandises  à  travers  le  désert  ;  ou  séden- 
taire ,  cas  auquel  il  cultive  le  sol  et  se  livre  au  commerce  et 
à  l'industrie.  Les  Arabes  nomades  .^ont  désignés  sous  le  nom 
de  Bédouins,  et  les  Arabes  sédentaires  sous  celui  de 
Hadesi  ou  de  Fellahs.  Le  commerce,  qui  se  fait  autant 
par  la  voie  de  mer  que  par  celle  de  terre,  et  dont  les  dattes, 
le  café,  les  figues,  les  épices  et  les  plantes  médicinales  cons- 
tituent les  principaux  objets,  est  très-considérable,  quoi- 
qu'il ne  soit  plus  aujourd'hui  que  l'ombre  de  ce  qu'il  ét;iit 
avant  la  découverte  de  la  route  des  Indes  par  le  cap  de 
Bonne-Espérance  ;  et  il  se  trouve  en  partie  entre  les  mains 
d'étrangers,  de  Banians  surtout,  marchands  indiens  qui  res- 
tent en  Arabie  jusqu'à  ce  qu'ils  se  soient  assez  enrichis  pour 
pouvoir  s'en  retourner  dans  leur  pays.  11  se  borne  à  peu 
près  à  l'exportation  des  produits  bruts  du  sol  et  à  l'impor- 
tation de  quelques  objets  de  fabrication  étrangère,  attendu 
que  l'industrie  indigène  fournit  à  grand'peine  aux  besoins 
les  plus  indispensables  de  la  population  ,  et  exige  l'intro- 
duction de  bon  nombre  de  produits  manufacturés  à  l'é- 
tranger. 

L'époque  brillante  de  la  culture  intellectuelle  des  Arabes 
est  passée  sans  doute;  cependant  cette  nation  n'en  est  point 
encore  arrivée  à  l'état  de  dégradation  morale  qu'on  veut 
bien  dire.  L'enfant  du  désert  lui-même  apprend  à  lire,  à 
écrire  et  à  compter;  et  dans  toutes  les  villes  il  existe  des 
écoles  élémentaires  ou  supérieures  ayant  pour  but  de  donner 
satisfaction  au  goût  des  sciences  et  des  lettres.  Pour  l'Arabe 
la  patrie  s'étend  aussi  loin  (pie  peuvent  aller  ses  troupeaux 


725 


et  que  ses  hordes  peuvent  se  maintenir  indépendantes.  Il 
semblerait  que  le  résultat  des  innombrables  tribus  qu'il  forme 
dût  être  d'amoindrir  chez  lui  la  force  du  sentiment  national; 
mais  il  suffit  de  quelque  circonstance  fortuite  et  extraordi- 
naire pour  voir  le  peuple  arabe,  uni  comme  un  seul  homme, 
influer  avec  une  irrésistible  force  sur  les  destinées  de  l'huma- 
nité et  sur  l'histoire  des  nations.  Le  caractère  principal  delà 
constitution  politique  arabe  est  la  vie  patriarcale  appuyée 
sur  l'amour  de  la  liberté.  Les  chefs  suprêmes  de  tribus  por- 
tent le  titre  à'dm'trs,  de  chéiks  et  aussi  à'imans.  Leurs 
obligations  semblent  se  borner  au  commandement  des  ar- 
mées en  temps  de  guerre,  à  la  perception  de  l'impôt  et  à 
l'administration  de  la  justice  (  pour  laquelle  ils  sont  suppléés 
par  les  kadis,  c'est-à-dire  les  juges);  cependant  les  annales 
de  l'histoire,  tant  ancienne  que  moclerne,  des  Arabes  nous 
oflrent  de  nombreux  exemples  d'un  despotisme  s'exerçant 
parmi  eux  avec  violence.  Prétendre  énumérer  les  diverses 
tribus  arabes  et  fixer  les  délimitations  exactes  de  leurs  ter- 
ritoires respectifs  serait  chose  impossible,  même  en  s'aidant 
à  cet  égard  des  renseignements  les  plus  précis  que  puissent 
offrir  les  géographes  arabes  ou  étrangers.  Nous  nous  borne- 
rons par  conséquent  à  mentionner  ici  les  principaux  groupes 
les  plus  connus  :  1°  à  l'ouest,  sur  les  bords  de  la  mer  Rouge, 
V  Hedjaz,  nominalement  placé  sous  la  souveraineté  turque, 
de  même  que  les  villes  saintes,  la  Mecque  et  Médine,et 
les  ports  de  Jembo  et  de  Djedda;  2°  au  sud-ouest,  VYémen, 
le  plus  grand  État  particulier  de  l'Arabie,  placé  sous  l'auto- 
rité d'un  iman,  qui  réside  à  Sana,  avec  les  villes  commer- 
çantes .Mokka  et  Ad  en,  que  les  Anglais  occupent  de- 
puis quelque  temps;  3"  VHadramaut,  avec  le  Reschin; 
4°  le  Mahrah,  avec  l'Harmine ,  sur  les  côtes  de  la  mer  d'A- 
rabie; 5°  YOman,  au  sud-est,  avec  Rostak  et  Ma  se  a  te, 
dont  l'iman  n'est  pas  seulement  le  plus  puissant  qu'il  y  ait 
dans  tout  l'Oman,  mais  dont  la  domination  s'étend  encore 
sur  une  partie  des  côtes  de  la  Perse  et  sur  l'île  de  Socotora, 
dépendance  de  l'Afrique  ;  6°  le  Hadjar  ou  le  Lahsa,  sur  la 
côte  du  golfe  Persique,  avec  Lahsa,  Katif  et  Koueit;  7°  enfin 
le  Nedjed ,  le  grand  plateau  intérieur  de  l'Arabie,  où  sont 
représentées  presque  toutes  les  tribus,  célèbre  comme  l'en- 
droit où  prit  naissance  et  où  domina  la  secte  des  waha- 
bites,  dont  le  chef  suprême  résidait  à  Derreyeh. 

L'iiistoiredes  Arabes  avant  Mahomet  est  pleine  d'obscurité, 
et  n'offre  qu'un  médiocre  intérêt ,  à  cause  du  peu  de  rela- 
tions qu'ils  avaient  avec  le  reste  du  monde.  Les  habitants 
aborigènes  de  l'Arabie  sont  désignés  sous  le  nom  de  Baïa- 
dites,  ce  qui  veut  dire  tribus  qui  ont  péri.  Ils  provenaient 
en  partie  (le  Yoktàn  ou  Kahlàn ,  l'un  des  descendants  de 
Sem,  et  en  partie  d'Ismael,  fils  d'Abraham.  Les  descendants 
du  premier  sont  de  préférence  appelés  Arabes,  et  ceux  du 
second  Mostarabes,  ce  qui  veut  dire  arabisés.  Les  princes 
(  tobba)  des  contrées  arabes  appartiennent  tous  à  la  race  de 
Kahtàn,  d'où  descendait  la  famille  des  Homéirites  ou  Hi- 
myarites,  qui  régna  pendant  deux  mille  ans  sur  l'Yémen.  Les 
Arabes  de  l'Yémen  et  d'une  partie  des  déserts  de  l'Arabie 
vivaient  dans  des  villes,  et  se  livraient  à  la  pratique  de  l'a- 
griculture ainsi  qu'au  commerce,  entretenant  des  relations 
avec  les  Indes  orientales,  la  Perse,  la  Syrie  et  l'Abyssinie. 
Ils  envoyèrent  même  de  nombreuses  colonies  dans  le  dernier 
de  ces  pays.  Le  reste  de  la  population  était  nomade  et  errait 
dans  le  désert ,  comme  elle  fait  encore  aujourd'hui.  Les 
Arabes  défendirent  courageusement  pendant  plusieurs  mil- 
liers d'années  leur  liberté,  la  religion  et  les  usages  de  leurs 
pères  contre  les  attaques  des  conquérants  venus  de  l'Orient. 
Pas  plus  les  rois  babyloniens  et  assyriens  que  les  rois  de 
Perse  et  d'Egypte  ne  réussirent  à  les  soumettre.  Alexandre 
méditait  une  expédition  contre  eux  ;  mais  la  mort  vint  le 
surprendre  avant  qu'il  pût  mettre  son  projet  à  exécution. 
Les  princes  qui  n^gnaient  au  nord  de  l'Arabie  profilèrent  de 
l'ébranlement  général  causé  dans  le  monde  par  cet  événement 
pour  étendre  leur  domination  au  delà  des  frontières  de  leur 


7?6 


ARABIE  —  ARACAN 


pays.  Déjà  depuis  longtemps  les  Arabes  nomades,  surtout  à 
l'époque  de  la  saison  d'hiver,  avaient  été  iiabitués  à  faire 
de  profondes  excursions  dans  la  fertile  Irak  ou  Cliaidée.  Ils 
en  conquirent  complètement  alors  une  partie,  qui  pour  cela 
s'appelle  encore  aujourd'hui  Irak  Arabi,  et  y  fondèrent  le 
royaume  de  Hira.  Une  autre  trihu  de  l'Yémen  envahit  la 
Syrie,  et  se  fixa  sur  les  bords  du  fleuve  Ghassan,  où  elle  fonda 
l'Etat  des  Ghassanicles.  Trois  siècles  après  Alexandre,  les 
Romains  s'approchèrent  des  frontières  de  l'Arabie ,  et  en 
l'an  107  Trajan  y  pénétra  fort  avant.  Les  Arabes,  divisés,  ne 
purent  pas  résister  partout  avec  succès  aux  armées  romai- 
nes; et  quoique  leur  pays  n'ait  jamais  été  formellement 
érigé  en  province  de  l'empire,  ceux  de  leurs  princes  dont 
les  possessions  étaient  les  plus  voisines  du  nord  se  trouvè- 
rent alors  tout  au  moins  placé:'>  sous  la  domination  des  em- 
pereurs, et  furent  considérés  comme  gouvernant  la  contrée 
on  leur  nom.  Les  anciens  Homéirites  de  l'Yémen  réussirent 
mieux  à  défendre  leur  indépendance  ;  et  une  expédition  ten- 
tée contre  eux  à  l'époque  d'Auguste  échoua  complètement. 
Saba,  leur  capitale,  fut  détruite  par  une  inondation. 

L'affaiblissement  de  la  monarchie  romaine  eut  pour  ré- 
sultat en  Arabie,  comme  dans  le  reste  du  monde ,  de  provo- 
quer le  réveil  de  l'esprit  de  nationalité.  Si  les  tribus  arabes 
avaient  agi  avec  union  et  ensemble,  nul  doute  qu'elles  n'eus- 
sent alors  aisément  reconquis  leur  indépendance;  mais, 
éparses  sur  le  sol  et  divisées  comme  elles  l'étaient,  elles  em- 
ployèrent plusieurs  siècles  dans  ces  luttes,  en  même  temps 
que  le  plateau  central  (Necljed)  était  le  théâtre  des  com- 
bats chevaleresques  que  les  poètes  arabes  ont  tant  célébrés, 
jusqu'à  ce  qu'un  homme  inspiré  vint,  qui  en  leur  commu- 
niquant son  enthousiasme  leur  donna  de  l'unité,  et  en  leur 
donnant  de  l'unité  les  rendit  forts.  Le  christianisme  trouva 
de  bonne  heure  de  nombreux  partisans  en  Arabie,  bien  qu'il 
n'ait  jamais  pu  y  détruire  complètement  le  culte  des  astres. 
On  y  comptait  même  plusieurs  èvéques  placés  sous  l'auto- 
rité métropolitaine  du  siège  de  Bostra  en  Palestine.  La  ville 
d'Elhira,  située  non  loin  de  l'Euphrate,  comptait  un  grand 
nombre  de  chrétiens  et  de  couvents  arabes  ;  et  peu  de  temps 
encore  avant  la  venue  de  Mahomet ,  le  roi  de  cette  ville , 
EnnomAn-ijen-el-Mondsir,  embrassait  le  christianisme.  La 
lutte  des  Arabes  contre  le  despotisme  arabe  eut  surtout 
pour  résultat  d'attirer  parmi  eux  un  grand  nombre  d'hé- 
rétiques, persécutés  dans  l'orthodoxe  Orient,  et  plus  particu- 
lièrement des  monophysites  et  des  nestoriens ,  dont  le  fa- 
natisme religieux  ne  put  qu'imprimer  encore  plus  d'énergie 
à  cette  résistance.  Les  Juifs  aussi ,  à  partir  de  la  destruc- 
tion de  Jénisaleaî ,  furent  très-répandus  en  Arabie,  et  ils 
y  firent  môme  des  prosélytes  à  leurs  croyances.  Le  dernier 
roi  des  Homéirites  faisait  profession  de  la  religion  juive  ;  et 
les  persécutions  qu'il  ordonna  contre  les  chrétiens  lui  at- 
tirèrent, en  l'an  502,  une  guerre  avec  le  roi  d'Ethiopie,  dans 
laquelle  il  perdit  le  trône  et  la  vie.  Le  grand  nombre  de 
sectes  diverses  qui  s'étaient  établies  en  Arabie  y  avaient 
provoqué  à  la  longue  dans  les  masses  une  grande  indifférence 
en  matière  de  religion ,  et  c'est  à  cette  circonstance  que  les 
doctrines  de  M  a  h  o  m  et  furent  redevables  des  rapides  progrès 
qu'elles  y  firent. 

Avec  le  nom  de  cet  homme  commence  un  nouveau  cha- 
pitre dans  l'histoire  du  peuple  arabe,  qu'on  voit  alors  remplir 
pendant  plusieurs  siècles  de  suite  un  lôle  des  plus  impor- 
tants sur  la  scène  du  monde,  et  abandonner  victorieusement 
ses  frontières  naturelles  pour  aller  fonder  des  empires  dans 
chacune  des  trois  parties  du  monde  (voyez  Maures  et 
Khalifes).  Si  par  suite  de  la  chute  du  khaiifat  de  Bagdad, 
arrivée  en  1258  ,  l'histoire  extérieure  des  Arabes  perd  plutôt 
de  son  éclat  en  Asie  qu'en  Africjue  et  en  Europe,  d'où  ce  fut 
seulement  en  l'année  1492  que  les  derniers  Maures  purent 
ôti-e  refoulés  sur  le  soi  africain  ,  l'époque  de  la  domination 
des  Arabes  ne  laissera  pas  que  d'être  toujours  d'une  iiaule 
importance  dans  l'iiistoire   litlérahe   de   l'ancien   monde 


(voyez  Arabes  [Littérature  et  langue]).  Pendant  la  durée 
de  ces  luttes  extérieures,  l'Arabie  intérieure  ne  nous  présente 
guère  que  l'histoire,  médiocrement  intéressante,  de  quelques 
tribus  de  Bédouins  et  les  aventures  de  multitudes  de  ca- 
ravanes se  rendant  chaque  année  à  la  Mecque.  La  mono- 
tonie n'en  est  rompue  que  par  la  conquête  de  l'Yémen  au 
seizième  siècle  par  les  Turks,  qui  s'en  font  chasser  dès  le 
siècle  suivant,  comme  aussi  par  la  souveraineté  que  les  Por- 
tugais exercèrent  à  Mascate  de  l'an  1508  à  l'an  1659,  par 
les  conquêtes  d'Oman  dans  l'Inde  et  en  Perse  ,  par  la  do- 
mination des  Turks  sur  l'Hedjaz  que  compromettent  les 
quelcpies  conquêtes  opérées  par  les  Persans  à  la  fin  du 
seizième  siècle;  jusqu'à  ce  qu'enfin  l'apparition  des  Wa- 
habites  en  1770  marque  encore  un  moment  décisif  dans  riiis- 
toire  de  la  péninsule.  L'influence  morale  de  cet  événement 
dure  encore  aujourd'hui  ;  mais  son  importance  politique  ne 
tarda  pas  à  être  absorbée  par  l'inlluence  que  prit  alors 
l'Egypte.  Mébémet-Ali  conquit  les  côtes  de  l'Hedjaz ,  de 
même  que  plusieurs  points  des  côtes  de  l'Yémen;  et  en  1818 
une  grande  bataille  livrée  par  Ibrahim-Pacha  ainsi  que  la 
destruction  de  la  résidence  de  Derreyeh  eurent  pour  ré- 
sultat de  mettre  provisoirement  un  terme  aux  progrès  des 
Wahabites.  Méhémet-Ali  fit  d'unmenses  sacrifices  pour  se 
maintenir  en  possession  de  la  souveraineté  de  l'Arabie,  qui 
lui  assurait  le  commerce  de  la  mer  Rouge  ;  mais  les  événe- 
ments dont  la  Syrie  fut  le  théâtre  en  1840  le  contraignirent 
à  y  concentrer  toutes  ses  forces ,  et ,  à  la  suite  du  traité  du 
15  juillet  1840,  force  lui  fut  de  renoncer  à  toutes  prétentions 
sur  le  territoire  situé  au  delà  d'une  ligne  tirée  depuis  la  mer 
Rouge  jusqu'au  golfe  d'Akaba.  C'est  ainsi  que  l'Hedjaz  se 
trouve  aujourd'hui  placé  sous  la  souveraineté  du  sultan  de 
Constantinople ,  souveraineté  qui  n'est  d'ailleurs  que  pure- 
ment nominale  ;  car  pour  en  faire  valoir  les  droits  il  fau- 
drait que  la  Turquie  eût  une  ilolte  dans  la  mer  Rouge,  comme 
l'avait  Méhémet-Ali ,  lequel  était  ainsi  réellement  maître 
de  la  Mecque  et  de  Médine.  Le  grand  schérif  de  la  Mecque, 
si  puissant  qu'il  puisse  être,  ne  pourra  jamais  soumettre  le 
prince  de  la  montagne  d'Asis,  située  au  sud  de  la  Mecque, 
non  plus  que  le  schérif  qui  occupe  Mokka  et  Hoduda ,  at- 
tendu qu'il  n'y  a  pas  d'autre  voie  que  la  mer  pour  les  aller 
attaquer  l'un  et  l'autre,  la  montagne  d'Asis  formant  sur  terre 
une  barrière  presque  insurmontable  entre  la  Mecque  eî 
Mokka.  La  Porte  ne  paraît  donc  plus  en  mesure  de  ré- 
tablir l'ordre  en  Arabie.  —  On  consultera  avec  fruit,  pour 
l'histoire  de  l'Arabie,  les  ouvrages  de  Marigny,  Cardonne, 
Pocorke  ,  Sylvestre  de  Sacy,  Johannsen,  Rulile  de  Lilien- 
slern,  Forster,  Caussin  de  Perceval,  Schultens,  Rasmussen, 
Dozy,  Hammer-Purgstall ,  Flugel,  et  pour  la  géographie  Nie- 
buhr,  Burckhanlt,  Buckingbam  ,  Sad,  Robinson  ,  Laborde, 
Jomard  ,  Fresnei ,  'Wellsted  ,  Tamisier,  etc. 

ARABIQUE  (Golfe).  Voyez  Rouge  (Mer). 

ARABIQUES,  secte  d'hérétiques  originaire  de  l'Arabie 
au  troisième  siècle,  enseignant  que  l'âme  meurt  et  ressuscite 
avec  le  corps.  Origène  les  convainquit  d'erreur.  Ce  qui  donna 
lieu  à  l'origine  de  celte  secte,  ce  fut  l'opinion,  généralement 
lépanduè  alors,  que  l'âme  est  une  substance  matérielle. 

ARABLE  (  en  latin  arabilis,  fait  du  verbe  arare,  dérivé 
lui-même  du  grec  âpow,  je  laboure  ).  On  appelle  ainsi  toute 
terre  labourable,  propre  au  labour. 

ARACAN  ou  RAKHAIXG,  pays  de  côtes,  situé  à  l'extré- 
mité nord-ouest  de  la  presqu'île  de  l'Inde,  d'une  longueur  do 
800  kilomètres  sur  une  largeur  de  150,  est  borné  à  l'est  et 
au  nord  par  r.\va,  au  sud  et  à  l'ouest  par  le  golfe  de  Bengale, 
par  la  province  britannique  du  même  nom ,  et  par  le  dis- 
trict de  Djiltagoug,  dont  les  Anglais  s'étaient  rendus  maîtres 
dès  17G0.  La  chaîne  orientale  des  montagnes  d'Aracan  ,  ou 
VYuma-Donfj ,  sépare  cette  contrée  de  la  vallée  de  Plra- 
waddi.  Le  pays  de  Ojiltagong,  dont  le  sol  va  toujours  s'é- 
ievant  par  degrés  ,  la  relie  à  la  vallée  du  Bengale.  LeSlaaf, 
le  Myu  et  l'Aracan  (appelé  Koula-Deing  dans  sa  partie 


ARACAN  — 

siipt^rieurc  )  ,  sont  ses  cours  d'eau  les  plus  consicUVables , 
tandis  que  la  montagne  Rleue  (  1,533  mètres),  le  mont  des 
Pyramides  (1,0S7  mètres),  le  montTyne  (1,000  niiMres)  et 
le  mont  de  la  Table  (2,7SO  mètres)  forment  sur  la  rive  oc- 
cidentale ses  plateaux  inférieurs  les  plus  élevés.  La  partie 
orientale  de  l'Aracan  est  montagneuse ,  sauvage  et  inculfe  ; 
dans  la  partie  occidentale,  au  contraire,  s'étend  une  vaste 
plaine  entremêlée  de  marais  couverts  de  joncs  et  de  bam- 
bous ,  de  bois  de  haute  futaie  et  de  buissons.  La  côte,  qui 
par  le  nord  est  découpée  de  la  manière  la  plus  capricieuse 
et  la  plus  accidentée,  y  a  en  outre  pour  ceinture  une  mul- 
titude d'Ilots ,  d'écueils  et  de  bancs  de  sable.  A  leur  embou- 
cluire,  tous  les  cours  d'eau  forment  de  vastes  baies  et  f;i- 
cilitcraient  singulièrement  l'accès  du  jiays  si  la  mousson  du 
sud-ouest  ne  rendait  pas  ces  parages  inabordables  pendant 
la  moitié  de  l'année. 

En  raison  de  la  richesse  de  son  système  hydrographique, 
et  placé  comme  il  l'est  sous  le  climat  des  tropiques , 
i'Aracan  est  un  pays  malsain ,  qui  a  fait  et  fait  encore  tous 
k's  jours  de  nombreuses  victimes  parmi  les  Anglais.  Aussi 
ceux-ci  l'auraicnt-ils  abandonné  depuis  longtemps  s'il  n'était 
p.is  pour  eux  d'une  haute  importance  comme  poste  avancé 
contre  le  puissant  empire  Birman  et  en  général  contre  tout 
le  sud-est.  Le  sol,  malgré  la  richesse  extrême  de  sa  végéta- 
tion, y  est  encore  fort  peu  cultivé.  11  produit  cependant  du 
i  iz  ,  du  café ,  du  coton  ,  de  la  canne  à  sucre ,  du  tabac,  de 
l'indigo  ,  du  poivre,  des  oranges ,  des  ananas ,  des  limons , 
des  noix  de  coco,  etc.  Les  forêts  vierges  dont  il  est  couvert 
favorisent  la  propagation  des  éléphants  et  des  tigres  ;  et  les 
côtes  abondent  en  huîtres,  en  poissons  et  en  nids  d'oiseaux 
excellents  à  manger, 

Sous  le  rapport  minëralogiquc ,  I'Aracan  n'est  pas  moins 
favorablement  partagé,  et  sur  le  versant  oriental  de  sa  chaîne 
de  montagnes  on  trouve  de  la  poudre  d'or  et  de  l'argent. 
Mais  l'industrie  et  le  commerce  y  sont  encore  très-peu 
avancés.  La  population  est  évaluée  de  120  à  200,000  âmes , 
de  race  birmane  pure,  divisées  néanmoins  en  trois  groupes 
bien  distincts  :  les  Birmans  proprement  dits,  les  Mahomé- 
tans  et  les  Aracanais  ou  Mugs.  Ces  derniers,  qui  forment  plus 
des  deux  tiers  de  la  population  totale,  ressemblent  beau- 
coup, sous  le  rapport  de  la  civilisation,  aux  Chinois,  et  dif- 
fèrent complètement  de  leurs  voisins  les  Bengalais.  Ils  pré- 
fèrent la  chasse  et  la  pêche  à  l'agriculture,  et  sont  detrès-rusés 
marchands.  Leur  langue  a  la  plus  grande  affinité  avec  celle 
des  Birmans ,  et  l'écriture  est  si  répandue  parmi  eux  que 
leurs  femmes  mêmes  écrivent  avec  élégance. 

En  l'année  1061  de  notre  ère,  la  partie  orientale  de  l'Ava 
se  sépara  de  I'Aracan,  qui  forma  un  royaume  indépendant 
jusqu'en  1783 ,  époque  où  il  (ut  de  nouveau  conquis  par  les 
Birmans,  parce  qu'à  la  suite  de  ses  luttes  contre  son  voisin 
septentrional,  le  grand-mogol  du  Bengale,  il  était  tombé  en 
complète  décadence.  En  1824  des  discussions  relatives 
surtout  à  la  démarcation  des  frontières  amenèrent  la  guerre 
des  Birmans ,  dont  le  résultat  fut  la  conquête  de  I'Aracan 
par  les  Anglais.  Le  roi  des  Birmans  leur  fit,  en  effet,  la  cession 
formelle  de  ce  territoire  par  le  traité  de  paix  signé  à  Yandabo 
en  1826.  Le  pays  est  depuis  lors  partagé  en  quatre  provin- 
ces :  Aracan ,  Sandoway,  Tchedoha  et  Bamri. 

La  capitale,  qui  porte  le  même  nom ,  et  dont  les  Anglais  s'em- 
parèrent le  28  mars  1825,  est  située  sur  le  delta  de  I'Aracan, 
dans  une  contrée  extrêmement  malsaine ,  entrecoupée  de 
plusieurs  milliers  de  fossés  pleins  d'eau.  C'est  dans  cotte 
ville  que  fut  prise  la  fameuse  statue  colossale  de  Goufama, 
placée  dans  le  temple  principal  d'Amarapoura.  Aracan  pos- 
sédait un  canon  de  10  mètres.  Elle  renferme  10,000  âmes. 

ARACHIDE.  Voyez  Arachvde. 

ARACIIXÉ,  fille  d'Idmon,  teinturier  en  pourpre  à 
Colophon,  ville  de  l'ionie,  avait  appris  de  Pallas  l'art  de 
tisser  :  elle  s'enorgueillit  tellement  de  l'habileté  qu'elle  avait 
acquise  par  les  leçons  de  la  déesse,  (lu'clle  osa  lui  disputer 


.\RACHiMDES 


7S7 


la  gloire  de  travailler  mieux  qu'elle  en  tapisserie.  Le  défi  fui 
accepté.  L'ouvrage  d'Araclmé,  ((ui  représentait  les  amours 
des  dieux  de  l'Olympe,  était  dune  beauté  parfaite.  Minerve 
en  ressentit  un  violent  dépit;  elle  lacéra  le  travail  de  sa 
rivale,  et  lui  jeta  sa  navette  à  la  tête.  Arachné  se  pendit  de 
dése'^poir.  La  déesse  la  métamorphosa  en  araignée.  Ara- 
chné, en  grec,  est  le  nom  de  cet  insecte. 

ARACHNIDES  (du  grec  àpâ/vio,  araignée).  On  donne 
ce  nom  au  groupe  naturel  des  animaux  articulés  qui  a  pour 
type  l'araignée.  C'est  Lamarck  qui  sépara  le  premier  ces 
animaux  des  insectes,  pour  en  former  une  classe  distincte. 
Les  arachnides  ont  le  corps,  en  général ,  court  et  arrondi  : 
on  y  distingue  un  thorax  et  un  abdomen  ;  quant  à  la  tête, 
elle  se  confond  avec  le  thorax.  La  portion  antérieure  ou 
céphalo-thoracique  du  corps  est  de  forme  globuleuse,  ova- 
laire  ou  carrée,  et  présente  presque  toujours  en  haut  et  en 
avant  un  certain  nombre  de  points  luisants  qui  sont  les  yeux. 
Il  y  a  absence  d'antennes  ;  et  les  appendices  situés  entre  les 
yeux  et  l'insertion  des  pattes  appartiennent  à  la  bouche.  Les 
pa(tes  sont  articulées  sur  les  cotés  du  thorax,  et  ordinaire- 
ment au  nombre  de  huit  ;  quelquefois  on  n'en  trouve  que 
six,  et  d'autres  fois,  au  contraire,  mais  très-rarement,  dix. 
Ces  organes  sont  en  général  très-longs  et  terminés  par  deux 
crochets.  Vabdomen  fait  suite  au  thorax,  et  ne  présente 
pas  d'appendice  locomoteur  ;  cette  portion  du  corps  est,  en 
général ,  molle ,  plus  ou  moins  globuleuse ,  et  fixée  au  tho- 
rax par  une  espèce  de  pédicule  :  à  sa  partie  inférieure,  outre 
les  organes  de  la  génération,  il  y  a  des  ouvertures  qui  servent 
à  la  respiration,  et  qu'on  nomme  stigniates  ou  spiracules; 
enfin,  l'anus  et  les  filières,  lorsqu'elles  existent,  sont  pla- 
cés à  son  extrémité  postérii'ure. 

Le  tégument  des  arachnides  est  en  général  plutôt  coriace 
que  corné  ;  il  constitue  toujours  une  sorte  de  squelette 
extérieur.  Elles  ont  un  système  nerveux  ganglionnaire  lon- 
gitudinal, comme  tous  les  autres  animaux  articulés,  et  la 
plupart  d'entre  elles,  au  lieu  d'avoir  une  chaùie  de  ganglions 
également  répariie  dans  toute  la  longueur  du  corps,  offrent 
un  système  d'une  composition  très-compliquée.  On  ne  sait 
rien  sur  les  parties  qui  servent  à  l'ouïe  des  arachnides; 
celles  destinées  à  la  vision  sont  très-distinctes ,  et  affectent 
la  forme  d'yeux  lisses,  dont  la  structure  est  analogue  à  ceUe 
des  insectes.  En  général,  les  yeux  sont  au  nombre  de  huit; 
il  n'en  existe  dans  quelques  espèces  que  six ,  quatre  ou 
deux ,  et  l'absence  complète  de  ces  organes  s'observe  dans 
un  petit  nombre  d'autres  espèces.  On  peut  dire  que  le  nom- 
bre des  yeux  et  leur  disposition  offrent  d'excellents  carac- 
tères pour  la  distinction  des  arachnides. 

La  plupart  de  ces  animaux  sont  carnivores  ;  les  uns  sont 
parasites,  et  ont  la  bouche  organisée  en  manière  de  suçoir  ; 
les  autres  mènent  une  vie  errante,  et  ont  celte  ouverture 
garnie  d'organes  masticateurs.  La  bouche  des  arachnides 
offre  :  1°  une  paire  de  mandibules,  qui,  en  général,  sont  ar- 
mées d'une  griffe  mobile,  et  que  Latreille  a  nommée  ché- 
licères  ;  1°  une  espèce  de  languette  ou  de  lèvre  formée  par 
un  prolongement  pectoral,  et  3°  deux  mâchoires,  portant 
des  palpes  articulés.  Au  fond  de  la  bouche  se  trouve  une 
pièce  cornée,  qu'on  nomm^l^ pharynx,  et  qui  donne  attache 
au  tube  digestif,  lequel  s'étend  eu  ligne  droite  jusqu'à  l'anus. 
Des  organes  salivaires  se  voient  près  de  l'extrémité  anté- 
rieure du  canal  alimentaire  ;  ce  sont  des  vaisseaux  qui  ont 
leur  ouverture  extérieure  dans  le  premier  article  des  man- 
dibules, et  qui  paraissent  sécréter  un  liquide  venimeux.  En- 
fin, en  arrière,  le  tube  digestif  donne  insertion  aux  canaux 
biliaires,  dont  la  structure  est  la  même  que  chez  les  insectes. 

Dans  beaucoup  d'arachnides  il  y  a  un  système  circula- 
toire complet  :  le  cœur  occupe  l'abdomen,  et  dans  plusieurs 
espèces  d'araignées  on  peut  distinguer  ses  battements  à 
travers  les  téguments  ;  c'est  un  gros  vaisseau  longitudinal, 
d'où  partent  un  certain  nombre  dartèrcs  et  dans  lequel  se 
rendent  les  veines  par  lesquelles  le  sang  revient  des  organes 


T28 

respiratoires  pour  être  distribué  ensuite  dans  les  diverses 
parties  du  corps.  Les  organes  de  la  respiration  présentent 
des  différences  très-grandes  selon  les  espèces  d'arachnides; 
cliez  les  unes  ce  sont  des  sacs  pulmonaires,  chez  les  autres 
des  trachées.  Les  sacs  pulmonaires  sont  de  petites  cavités 
dont  les  parois  sont  formées  par  la  réunion  d'un  grand 
nombre  de  petites  lames  triangulaires  blanches  et  extrê- 
mement minces  :  leur  nombre  est ,  en  général,  de  deux  ; 
quelquefois  il  y  en  a  quatre  et  môme  huit,  et  les  ouvertures 
qu'on  nonmie  stigmates,  par  lesquelles  chacune  d'elles  com- 
munique avec  l'extérieur,  ont  la  forme  de  petites  fentes  trans- 
versales. Les  trachées,  ou  canaux  aérifères,  sont  rayonnes  ou 
ramifiés ,  et  ressemblent  à  ce  que  l'on  voit  chez  les  insectes  ; 
mais  ils  ne  présentent  jamais  que  deux  ouvertures  extérieures. 

De  même  que  chez  les  insectes,  les  sexes  sont  toujours 
séparés  chez  les  arachnides,  dont  la  fécondation  ne  peut 
avoir  lieu  que  par  l'accouplement.  L'appareil  de  la  généra- 
tion chez  les  mâles  se  compose  de  deux  séries  d'organes, 
les  uns  excitateurs,  les  autres  préparateurs  de  la  liqueur 
fécondante  :  ces  derniers  sont  situés  dans  l'abdomen ,  et 
consistent  en  deux  longs  tubes  membraneux  placés  sur  les 
côtés  du  canal  digestif  ;  ils  représentent  les  testicules,  et  se 
terminent  chacun  par  un  vaisseau  plévreux  ayant  une  ouver- 
ture extérieure  entre  les  stigmates.  Quant  aux  organes  ex- 
citateurs, ils  sont  renfermés  dans  les  palpes  que  supportent 
k's  mâchoires.  Les  organes  génitaux  femelles  ont  aussi  une 
structure  très-simple  :  dans  la  plupart  des  araignées  ils  ne 
consistent  qu'en  deux  sortes  de  poches  membraneuses  qui 
constituent  les  ovaires  et  qui  s'ouvrent  au  deliors,  de  même 
que  chez  les  mâles,  entre  les  stigmates. 

Les  œufs  de  ces  animaux  sont  très-nombreux  et  sont  pon- 
dus dans  une  espèce  de  nid.  Chacun  de  ces  petits  corps  pré- 
sente une  membrane  mince  et  transparente  et  une  matière 
fluide  où  l'on  reconnaît  :  1°  le  vitellus  ou  le  jaune,  qui  en 
constitue  la  plus  grande  partie ,  et  qui  est  composé  d'une 
infinité  de  globules  microscopiques,  environnés  par  un  li- 
quide limpide  et  cristallin  appelé  albumen;  1°  la  cicatri- 
cule  ou  le  germe,  qui  est  la  partie  la  plus  petite,  quoique  la 
plus  importante,  de  l'œuf;  elle  est  placée  au-dessous  de  la 
membrane  extérieure,  au  centre  de  la  circonférence  de 
l'œuf,  et  apparaît  sous  la  forme  d'un  petit  point  blanc  séparé 
du  jaune  par  l'albumen.  C'est  dans  la  cicatricule  que  s'ob- 
servent tous  les  changements  les  plus  importants  que  l'in- 
cubation détermine  dans  l'œuf.  Lorsque  cette  incubation,  à 
laquelle  les  entomologistes  reconnaissent  douze  périodes, 
est  terminée,  le  nouvel  animal  rompt  la  membrane  exté- 
rieure et  sort  de  l'a'uf;  mais  c'est  seulement  après  avoir 
subi  une  première  mue  qu'il  peut  se  servir  de  ses  membres 
et  qu'il  sort  du  nid  commun  où  il  était  enfermé. 

Dans  la  méthode  adoptée  par  Latreille ,  les  arachnides 
constituent  deux  groupes  primitifs  ou  ordres  qu'on  peut  dis- 
tinguer à  l'aille  des  caractères  suivants  :  1°  sacs  pulmonaires 
pour  la  respiration  et  de  six  à  Imit  yeux  lisses  :  arachnides 
pulmonaires  ; —  2°  des  trachées  pour  la  respiration  et  tout 
au  plus  quatre  yeux  lisses  :  arachnides  trachéennes. 

Les  arachnides  pulmonaires ,  qui  constituent  le  premier 
ordre,  se  distinguent  facilement  par  le  nombre  de  leurs 
yeux ,  et  leur  structure  intérieure  les  sépare  d'une  manière 
bien  tranchée  de  celles  qui  composent  l'ordre  suivant.  Outre 
les  différences  qui  existent  dans  les  organes  de  la  respira- 
tion ,  on  en  observe  aussi  dans  l'appareil  de  la  circulation , 
car  elles  ont  un  cœur  et  des  vaisseaux  bien  distincts,  tandis 
que  chez  les  trachéennes,  le  système  circulatoire  est  in- 
complet ou  manque  même  complètement.  Elles  forment  deux 
familles  :  r  \ci  fileuses ,  caractérisées  par  des  spiracules 
ou  stigmates  en  général  au  nombre  de  quatre ,  et  par  des 
palpes  pédiformes  simples  et  terminées  au  plus  par  un  petit 
crochet;  2"  \cf. pédipnlpes ,  ayant  pour  caractères  des  spi- 
racules toujours  au  nombre  de  quatre  ou  de  imit ,  et  des 
palpes  en  forme  de  serres  ou  de  bras. 


ARACHNIDES 

La  famille  des  aranéides  ou  des  arachnides  fileuses  se 
compose  du  genre  araignée  de  Linné.  Nul  n'ignore  que  l'un 
des  phénomènes  les  plus  curieux  de  l'histoire  de  ces  ani- 
maux est  la  manière  dont  ils  savent  filer  des  soies  qui  leui' 
servent  à  tisser  des  toiles,  souvent  si  remarquables  par  leur 
étendue  et  par  la  régularité  avec  laquelle  la  trame  en  est 
ourdie. 

«  Selon  Réaumùr,  la  soie,  dit  Latreille,  subit  une  première 
élaboration  dans  deux  petits  réservoirs  ayant  la  figure 
d'une  lame  de  verre,  placés  obliquement,  un  de  chaque  côté, 
à  la  base  de  six  autres  réservoirs ,  en  forme  d'intestins , 
situés  les  uns  à  côté  des  autres ,  et  recoudés  six  ou  sept 
fois ,  qui  partent  un  peu  au-dessous  de  l'origine  du  ventre , 
et  viennent  aboutir  aux  mamelons  par  un  filet  très-mince. 
C'est  dans  ces  derniers  vaisseaux  que  la  soie  acquiert  plus 
de  consistiince  et  les  autres  qualités  qui  lui  sont  propres;  ils 
communiquent  aux  précédents  par  des  branches  formant  un 
grand  nombre  de  coudes,  et  ensuite  divers  lacis.  Au  sortir 
des  mamelons ,  les  fils  de  soie  sont  gluants  ;  il  leur  faut  un 
certain  degré  de  dessiccation  pour  pouvoir  être  employés  ;  mais 
il  paraît  que  lorsque  la  température  est  propice,  un  instant 
suffit,  puisque  ces  animaux  s'en  servent  tout  aussitôt  qu'ils 
s'échappent  de  leurs  filières.  Ces  flocons  blancs  et  soyeux 
que  l'on  voit  voltiger  au  printemps  et  en  automne,  les  jours 
où  il  y  a  eu  du  brouillard ,  et  qu'on  nomme  vulgairement 
fils  de  la  Vierge,  sont  certainement  produits,  ainsi  que 
nous  nous  en  sommes  assuré  en  suivant  leur  point  de  dé- 
part, par  diverses  jeunes  aranéides,  et  notamment  des 
épéires  et  des  thomies;  ce  sont  principalement  les  grands 
fils  qui  doivent  servir  d'attaches  aux  rayons  de  la  toile,  ou 
ceux  qui  en  composent  la  chaîne,  et  qui,  devenant  plus 
pesants  à  raison  de  l'humidité,  s'affaissent,  se  rapprochent 
les  uns  des  autres,  et  finissent  par  se  former  en  pelotons  ; 
on  les  voit  souvent  se  réunir  près  de  la  toile  commencée  par 
l'animal  et  où  il  se  tient.  Il  est  d'ailleurs  probable  que  beau- 
coup de  ces  aranéides ,  n'ayant  pas  encore  une  provision 
assez  abondante  de  soie,  se  bornent  à  en  jeter  au  loin  de 
simples  fils.  C'est,  à  ce  qu'il  me  parait,  à  de  jeunes  lycoses 
qu'il  faut  attribuer  ceux  que  l'on  voit  en  grande  abon- 
dance, croisant  les  sillons  des  terres  labourées  lors- 
qu'ils réfléchissent  la  lumière  du  soleil.  Analysés  chimique- 
ment ,  ces  fils  de  la  Vierge  offrent  précisément  les  mêmes 
caractères  que  la  soie  des  araignées  ;  ils  ne  se  forment  donc 
pas  dans  l'atmosphère,  ainsi  que  le  conjecture ,  faute  d'ob- 
servations propres  ou  de  visu,  un  savant  dont  l'autorité 
est  d'un  si  grand  poids ,  M.  le  chevalier  de  Lamarck.  On 
est  parvenu  à  fabriquer  avec  cette  soie  des  bas  et  des  gants  ; 
mais  ces  essais  n'étant  point  susceptibles  d'une  application 
en  grand,  étant  sujets  à  beaucoup  de  difficultés,  sont  plus 
curieux  qu'utiles.  Cette  matière  est  bien  plus  importante 
pour  les  aranéides  :  c'est  avec  elle  que  les  espèces  sédentaires, 
ou  n'allant  point  à  la  chasse  de  leur  proie,  ourdissent  ces 
toiles  d'un  tissu  plus  ou  moins  serré ,  dont  les  formes  et 
positions  varient  selon  les  habitudes  propres  à  chacune  d'elles, 
et  qui  sont  autant  de  pièges  où  les  insectes  dont  elles  se 
nourrissent  se  prennent  ou  s'embarrassent  ;  à  peine  s'y 
trouvent-ils  arrêtés ,  au  moyen  des  crochets  de  leurs  tarses, 
que  l'aranéide,  tantôt  placée  au  centre  de  son  réseau  ou 
au  fond  de  sa  toile,  tantôt  dans  une  habitation  particulière 
située  auprès  et  dans  l'un  de  ses  angles,  accourt,  s'approche 
de  l'insecte,  fait  tous  ses  efforts  pour  le  piquer  avec  son  dard 
meurtrier  et  distiller  dans  sa  plaie  un  poison  qui  agit  très- 
prornptement.  Lorsqu'il  oppose  une  trop  forte  résistance,  ou 
qu'il  serait  dangereux  pour  elle  de  lutter  avec  lui,  elie  se 
retire  un  instant,  afin  d'attendre  qu'il  ait  perdu  de  ses  forces 
ou  qu'il  soit  plus  enlacé;  ou  bien,  si  elle  n'a  rien  à  craindre, 
elle  s'empresse  de  le  garrotter  en  dévidant  autour  de  son 
corps  des  fils  de  soie  qui  l'enveloppent  quelquefois  entièrement 
et  forment  une  couche  le  dérobant  à  nos  regards.  » 

Ajoutons  que  les  aranéides  femelles  se  scnent  aussi  de 


ARACHNIDES  — 

leur  soie  pour  con-^tmire  des  coques  qui  sont  destint^cs  à 
renfiTiner  leurs  œufs;  que  la  plupart  des  arachnides  de  cette 
di\ision  sont  plus  ou  moins  venimeuses;  que  la  piqûre  des 
grandes  espèces  des  pays  chauds  occasionne  nu^nie  queNpie- 
fois  des  accidents  chez  l'homme,  et  que  dans  nos  climats 
une  araignée  de  moyenne  taille  peut  tuer  une  mouche  en 
quelques  minutes  par  l'elTet  d'une  seule  piqûre. 

Les  arachnides  lileuses  se  divisent  en  deux  sections,  sa- 
voir :  les  (l'frnpneiimoncs,  ayant  pour  caractère  princi- 
paux quatre  sacs  pulmonaires  et  un  nombre  égal  de  stigmates, 
et  les  (iipneumone.<!,  qui  sont  caractérisées  par  deux  sacs 
pulmonaires  et  seulement  par  deux  stigmates.  Dans  la  pre- 
mière section  on  distingue  cinq  genres  principaux  :  les 
mygales,  les  adjpes,  les  ériodons,  les  dijsdères  et  les 
fi  lis  talcs.  Quelques-unes  desmygaies  sont  d'une  très-grande 
taille,  et  sont  connues  dans  l'Amérique  méridionale  sous  le 
nom  d'araignc'es  crabes  :  il  y  en  a  qui  occupent  (les  pattes 
étendues  )  un  espace  circulaire  de  six  à  sept  pouces  de  dia- 
mètre; elles  vivent  sur  les  arbres,  ou  parmi  les  rochers. 
D'autres  mygales,  beaucoup  plus  petites,  habitent  le  sud 
de  la  France,  et  se  creusent,  dans  les  lieux  secs  et  monfa- 
li'.eux,  des  galeries  souterraines  en  forme  de  boyaux,  dont 
l'ouverture  est  garnie  d'un  opercule  mobile  et  à  charnière. 
La  section  des  dipneumones  renferme  un  nombre  bien  plus 
considérable  de  genres  :  Latreille  les  a  divisées  en  six  tribus, 
savoir,  les  tubitèles ,  les  inéquitèles,  les  orbitèles,  les  la- 
Icrigrades,  les  citigradcs,  et  les  saltigrades.  Les  quatre 
premières  tribus  sont  composées  des  araignées  sédentaires. 
Cest  dans  la  tribu  des  tubitèles  que  Ton  range  les  arai- 
gnées proprement  dites  ou  tégénaires,  qui  vivent  dans  l'in- 
térieur de  nos  maisons,  dans  les  haies,  etc.,  et  qui  se  fa- 
briquent une  grande  toile  à  peu  près  horizontale  ,  à  la  partie 
supérieure  de  laquelle  est  un  tube  où  elles  se  tiennent  sans 
faire  le  moindre  mouvement.  Les  arachnides  de  la  tribu  des 
latérigrades  sont  sédentaires  comme  les  précédentes;  mais 
elles  peuvent  marcher  en  avant,  de  côté,  en  arrière,  en  un 
mot ,  en  tous  sens ,  tandis  que  celles  des  arachnides  qui 
appartiennent  aux  autres  tribus  ne  peuvent  se  porter  qu'en 
avant.  Elles  se  tiennent  tranquilles ,  les  pieds  étendus  sur 
des  végétaux,  ne  font  pas  de  toiles,  mais  jettent  seulement 
quelques  fds  solitaires  afin  d'arrêter  leur  proie.  Les  arach- 
nides qui  composent  la  tribu  des  citigrades  sont  connues 
sous  le  nom  Ôl' araignées-loups,  et  diffèrent  des  précédentes 
en  ce  tiu'elles  sont  vagabondes  comme  les  saltigrades ,  au 
lieu  d'être  sédentaires  ;  elles  ne  font  pas  de  toile,  mais  guet- 
tent leur  proie  et  la  saisissent  à  la  course.  Enfin,  la  tribu 
des  saltigrades  comprend  des  araignées  très-remarquables 
par  la  manière  dont  elles  chassent  leur  proie;  leurs  pieds 
sont  propres  à  la  course  et  au  saut,  et  en  général  les  cuisses 
des  deux  antérieurs  sont  très-grandes. 

Dans  la  deuxième  famille  des  arachnides  pulmonaires,  les 
pédipalpes  ,  l'enveloppe  tégumentaire  |. resente  une  solidité 
assez  grande;  le  tliorax  est  d'une  seule  pièce,  mais  l'ab- 
domen est  composé  d'un  certain  nombre  de  segments  dis- 
tincts. Il  n'y  a  point  de  filières;  les  sacs  pulmonaires  sont 
au  nombre  de  quatre  ou  de  huit  ;  les  palpes  sont  très-grands, 
en  forme  de  bras  avancés,  et  terminés  en  pince  ou  en  griffe. 
Cette  famille  se  compose  de  "^eux  tribus  :  les  tarentîiles 
et  les  scorpion  ides;  les  r-'^mières  habitent  toutes  les  pays 
chauds  de  r.\sie  et  de  l'Amérique,  et  les  secondes  compren- 
nent les  espèces  connues  sous  le  nom  de  scorpions. 

Le  second  groupe  primitif  ou  ordre  des  arachnides  ,  qui 
comprend  les  arachnides  trachéennes ,  renferme  'es  ani- 
maux dont  les  organes  respiratoires  consistent  en  trachées 
rayonnéesou  ramifiées,  qui  s'ouvrent  au  dehors  par  deux  stig- 
mates. Ces  arachnides  sont  dépour\ues  de  système  circu- 
latoire, ou,  si  elles  en  ont,  la  circulation  n'est  pas  complète. 
On  les  divise  en  trois  familles:  \è%  faux  scorpions ,  les 
pygnogonides  et  les  holètres.  Dans  la  famille  des  faux 
scorpions  il  n'existe  jamais  que  huit  pieds.  Dans  l'un  et  l'autre 

DICT.     r;L    LA    CO.NVLUSATIO.N.    —    T.    1. 


ARACUNOLOGIE  739 

sexe  le  corps  est  ovale  ou  oblong  :  toutes  les  espèces  sor.t 
terrestres.  Les  pygnogonides  sont  des  animaux  marins,  qui 
ont  la  plus  grande  analogie  avec  certains  crustacés,  tels  que 
les  cyamcs  ;  mais,  d'un  autre  côté ,  ils  ressemblent  aussi 
beaucoup  aux  faucheurs.  Ils  vivent  tantôt  parmi  les  plantes 
marines,  Uintôt  fixés  sur  des  poissons  ou  des  cétacé.s. 
Dans  la  famille  des  holètres  ,  le  thorax  et  l'abdomen  sont 
réunis  en  une  seule  masse,  et  l'extrémité  antérieure  du  corps 
est  souvent  avancée  en  forme  de  bec  :  en  général,  il  y  a  huit 
pieds  ;  mais  quel{[uefois  on  n'en  compte  que  six.  Elle  se 
compose  de  deux  tribus ,  les  phalangiens  et  les  acarides. 
Dans  les  animaux  de  la  première  de  ces  tribus ,  le  corps  est 
ova'e  ou  arrondi  ,  et  recouvert,  du  moins  sur  le  tronc,  d'une 
peau  solide  ;  l'abdomen  présente  des  plis  ou  des  apparences 
d'anneaux  ;  la  bouche  est  garnie  de  palpes  filiformes  com- 
posés de  cinq  articles;  enfin  les  pattes  sont  très-longues  et 
toujours  au  nombre  de  huit.  La  plupart  de  ces  arachnides 
vivent  à  terre  ou  sur  les  plantes,  et  sont  très-agiles.  On  les 
divise  en  faucheurs  (qui  sont  remarquables  par  lalongueur 
de  leurs  pattes ,  et  dont  l'espèce  la  plus  commune  est  le 
faucheur  des  murailles),  en  cirons,  en  macrochùles  et  en 
trogîcles.  Quant  à  la  tribu  des  acarides  ou  des  mites ,  elle 
se  compose  presque  enlièrementd'arachnides  microscopiques 
ou  du  moins  très-petites.  Les  unes  sont  errantes,  et  vivent 
sous  les  pierres ,  dans  la  terre,  dans  l'eau ,  ou  bien  sur  le 
fromage,  et  quelques  autres  sur  nos  aliments  ;  les  autres 
sont  parasites,  et  se  rencontrent  quelquefois  jusque  dans  l'in- 
térieur de  quelques-uns  de  nos  organes ,  comme  la  peau  , 
ainsi  que  c'est  le  cas  bien  connu  pour  l'a  car  us. 

D"'  Alex.  DccKETT. 

ARACHNOÏDE.  C'est  la  plus  fine  des  trois  mem- 
branes qui  enveloppent  l'encéphale;  elle  est  si  ténue,  si 
délicate,  que  les  premiers anatomistes ont  tiré  son  nom  de 
sa  ressemblance  avec  une  toile  d'araignée  (àpâ/vri,  araignée; 
£l5oc,  forme).  Placée  entre  la  dure-mère  et  la.  pie-mère, 
l'arachnoïde  est  la  seconde  des  méninges,  et  concourt  à 
protéger  le  cerveau. 

L'inflammation  de  cette  membrane  séreuse  donne  lieu  à 
une  espèce  de  phlegmas'e,  dont  les  principaux  symptômes 
sont  l'afflux  du  sang  vers  le  cerveau,  puis  le  délire,  et  qui  a 
reçu  de  son  siège  le  nom  d'arachnoïdite  ;  on  emploie  pour  sa 
guérison  la  saignée  du  pied ,  l'application  des  sangsues  aux 
tempes  ou  derrière  les  oreilles,  et  celle  delà  glace  sur  la  tête. 

Le  mot  arachnoïde  s'emploie  adjectivement  en  zoologie 
et  en  botanique.  Par  exemple,  en  zoologie  on  applique  cette 
dénomination  à  une  espèce  de  singe  américain,  à  un  insecte 
de  la  famille  des  faux  scorpions,  à  différents  mollusques  tes- 
tacés,  etc.,  et  en  général  aux  animaux  qui  présentent 
quelque  analogie  soit  avec  l'araignée,  soit  avec  la  toile 
qu'elle  constrait.  Pour  la  même  raison ,  en  botanique  cer- 
tains poils  ont  reçu  le  nom  dcpoils  arachnoïdes. 

ARACHNOLOGIE  ou  ARANÉOLOGIE,  l'art  de  pré- 
dire les  variations  de  la  température  d'après  le  travail  et  les 
mouvements  des  araignées.  Pline  en  dit  quelques  mots  dans 
son  Histoire  Naturelle.  Vers  la  fin  du  siècle  dernier, 
M.  Quatremère  Disjenval  s'est  beaucoup  occupé  des  pro- 
nostics aranéologiques  :  il  a  publié  à  Paris,  en  1787,  un 
mémoire  sur  cette  question. 

n  Ayant  remarqué,  dit  M.  de  Gasparin,  que  les  araignées 
étaient  fort  sensibles  à  l'électricité,  il  obsen-a  les  mouve- 
ments de  l'araignée  pendice  (epcires  diadema ,  Latreille) 
dans  ses  rapports  avec  l'état  de  ratmos[)hère.  On  sait  que 
cette  araignée  fait  des  toiles  verticales  sur  le  sol  des  champs 
et  des  jardins.  Cet  auteur  crut  observer  :  1"  que  leur  absence 
ou  leur  disparition  annonçait  un  temps  froid  et  humide; 
2°  que  leur  petit  nombre  filant  des  toiles  composées  d'un 
petit  nombre  de  cercles  concentriques  et  suspendus  par  des 
fils  d'attache  très-courts,  annonçait  un  temps  variable; 
3°  que  le  temps  était  sec  et  beau  si  les  épéires  étaient  nom- 
breuses cl  filaient  des  toiles  composées  d'un  grand  nombre 

92 


730  ARACHNOLOU 

de  cercles  concentriques;  4"  il  croyait  avoir  observé  que  la 
disparition,  la  demi-apparition,  la  pleine  apparition  de  ces 
araignées  n'avait  jamais  lieu  à  la  nouvelle  lune ,  mais  au 
premier  quartier.  L'Institut  ayant  chargé  M.M.  Desfontaines 
et  Cotte  de  vérifier  ces  observations,  ils  trouvèrent  que  ces 
coïncidences  du  mouvement  des  araignées  et  de  l'état  de 
l'atmosphère  ne  se  confirmaient  pas.  » 

ARACIIYDE.  Celte  plante  papilionacée  est  originaire 
du  Mexique.  Propagée  dans  le  continent  américain  depuis 
le  Chili  jusqu'au  Maryland,  importée  en  Afrique,  l'arachyde, 
cultivée  aujourd'hui  en  Espagne,  y  donne  de  grands  produits. 
Son  amande,  à  la  fois  alimentaire  et  oléagineuse,  se  mange 
crue  ou  cuite  ;  elle  fournit  la  moitié  de  son  poids  d'une  ex- 
cellente huile  comestible,  saine,  économique,  et  que  ses 
propriétés  siccatives  permettent  d'employer  utilement  dans 
les  arts.  Les  Espagnols  la  mêlent  en  outre  au  cacao  pour  faire 
du  chocolat.  —  En  1S02  l'arachyde  fut  introduite  dans  le 
département  des  Landes,  et  y  réussit  parfaitement  ;  mais  le 
défaut  d'écoulement  de  ses  produits  fit  bientôt  tomber  com- 
plètement cette  culture,  que  des  agronomes  éclairés  désire- 
raient voir  revivre  dans  le  midi  de  la  France.  Un  de  ces 
derniers,  M.  de  Gasparin,  affirme  que  la  semence  de  l'ara- 
chyde se  consen-e  indéfiniment,  et  que  par  conséquent  on 
peut  en  extraire  l'huile  à  volonté.  «  En  Espagne,  ajoute-t-U, 
on  estime  qu'elle  donne  GO  pour  100  de  son  poids  d'huile  , 
mais  les  tabricants  de  Marseille  n'en  tirent  pas  plus  de  30 
à  34  pour  100  ;  pour  l'obtenir,  la  pression  doit  être  forte  et 
faite  à  sec...  La  tige  est  Irès-agréable  au  bétail;  ses  racines 
ont  un  goût  de  réglisse.  » 

L'arachyde  présente  une  singularité  très-remarquable  :  à 
mesure  que  les  gousses  succèdent  aux  fieurs,  elles  se  cour- 
bent vers  la  terre  et  y  entrent  pour  y  achever  leur  maturité  ; 
ce  qui  les  a  fait  appeler  pistaches  de  terre. 

ARACK.  Voyez  Arak. 

AR.\D  (Ile).  Voyez  Bahrein. 

ARAGO,  famille  dont  plusieurs  membres  se  sont  distin- 
gués dans  les  sciences,  dans  les  lettres  et  dans  la  politique. 

ARAGO  (François-Domimque),  né  à  Estagel  (Pyrénces- 
Orienlales) ,  le  26  février  17S6,  était  l'aîné  de  cette  nom- 
breuse fan)iile,  dont  il  a  été  constamment  le  protecteur.  Né 
au  villaf;e,il  semblait  destiné  à  vivre  en  campnmiard;  et  déjà 
cependant  il  se  montrait  supérieur  à  ses  jeunes  camarades. 
La  révolution  ayant  appelé  son  père  à  Perpignan  pour  y 
occuper  le  poste  de  caissier  de  la  monnaie,  François  Arago 
commença  des  études  sérieuses.  Dès  l'âge  de  seize  ans  il 
allait  à  Toulouse  pour  se  présenter  aux  examens  pour  l'é- 
cole Polyteclmique.  L'examinateur  ne  s'étant  pas  rendu  à 
son  devoir  cette  année-là,  F.  Arago  fut  obligé  de  remettre 
à  l'année  suivante  un  examen  dans  lequel  une  seule  ques- 
tion suffit  pour  le  faire  apprécier.  En  développant  sa  ré- 
ponse ,  le  candidat  aborda  des  matières  qui  n'étaient  pas 
dans  le  programme.  L'examinateur,  frère  du  célèbre  Monge, 
lui  dit,  après  deux  heures  de  tableau  :  «  Vous  pouvez  faire 
vos  préparatifs  de  départ  ;  ou  je  ne  recevrai  personne ,  ou 
vous  serez  reçu.  » 

F.  Arago  prit  bientôt  le  premier  rang  à  l'école  Polytech- 
nique. Monge  le  désigna  à  l'empereur  comme  un  jeune  homme 
destiné  à  se  faire  un  nom  dans  les  sciences.  A  sa  sortie  de 
l'école,  il  fut  attaché  à  l'Observatoire  de  Paris;  et  bientôt  le 
gouvernement  le  chargea  d'aller  avec  M.  Biot  achever  la 
grande  opération  de  la  mesure  de  l'arc  du  méridien  en  Es- 
pagne, opération  que  la  mort  de  Méchain  avait  laissée  ina- 
chevée. M.  Arago ,  encore  si  jeune ,  s'acquitta  avec  succès 
de  cette  tâche. 

La  triangulation  destinée  à  joindre  les  côtes  d'Espagne  et 
les  îles  Baléares  était  à  peu  près  complète ,  lorsque  l'insur- 
rection de  Palma  éclate  à  l'arrivée  dans  cette  ville  d'un  offi- 
cier d'ordonnance  de  l'empereur,  M.  Barlhélemv.  qui  ap- 
porte à  l'escadre  espagnole  de  Mahon  Tordre  de  se  rendre 
à  Toulon.  M.  Arago  était  alors  ati  clop  de  Galazo;  )es  si- 


lE  —  ARAGO 

gnaux  qu'il  fait  pour  ses  mesures  scientifiques  deviennent 
dans  l'esprit  de  la  population  des  feux  destinés  à  éclairer 
la  marche  de  l'escadre  française  chargée  de  s'emparer  de 
l'archipel.  Les  plus  exaltés  parlent  d'aller  rejoindre  le  jeune 
observateur  et  d'en  faire  leur  première  victhne.  Le  timonier 
,majorcain  du  bâtiment  que  le  gouvernement  espagnol  a  mis 
aux  ordres  de  la  commission  scientifique  devance  ces  fu- 
rieux, apporte  à  M.  Arago  le  costume  des  habitants  du  pays, 
et  l'avertit  qu'il  n'a  pas  un  moment  à  perdre.  En  effet ,  ils 
rencontrent  au  pied  de  la  montagne  une  troupe  de  paysans 
armés  qui  se  rend  au  clop ,  et  qui  leur  demande  des  nou- 
velles du  Gavacho  (Français)  maudit.  M.  Arago,  qui  parle 
la  langue  majorcaine,  les  invite  à  se  hâter  de  gravir  la  mon- 
tagne ;  après  quoi ,  chargé  de  ses  papiers  les  plus  précieux  , 
il  se  réfugie  à  Palma  sur  le  na\ire  espagnol. 

Presque  aussitôt  Palma  est  investi,  et  le  capitaine  du  bâ- 
timent ne  trouve  d'autre  moyen  de  sauver  notre  compatriote 
que  de  le  faire  enfermer  dans  la  citadelle.  Il  y  reste  trois 
mois ,  et  passe  enfin  à  Alger,  emportant  les  instruments 
qu'il  peut  sauver.  Par  les  soins  du  consul  de  France ,  il  est 
embarqué  sur  une  frégate  algérienne  qui  met  à  la  voile  pour 
Marseille  ;  mais  au  moment  d'entrer  dans  le  port  elle  est 
prise  par  un  corsaire  espagnol,  qui  transborde  Arago  sur  les 
pontons  de  Palamos. 

Tout  l'équipage ,  rendu  à  la  liberté ,  reprend  la  route  de 
Marseille  ;  il  en  approche  encore  une  fois ,  quand  une  tem- 
pête l'eu  éloigne,  et  le  pousse  sur  les  côtes  de  Sardaigne ,  où 
l'on  refuse  de  le  recevoir ,  les  habitants  étant  en  guerre  avec 
les  Algériens.  Enfin ,  malgré  une  voie  d'eau ,  qui  met  le  na- 
vire en  péril,  on  débarque  à  Bougie. 

Malheureusement ,  le  dey ,  qui  a  fait  preuve  de  bien- 
veillance en  faveur  de  notre  compatriote ,  a  été  tué  dans 
une  émeute.  Son  successeur,  devant  qui  est  amené  le  jeune 
savant ,  l'embarque  comme  esclave  sur  un  corsaire  de  la 
régence ,  à  bord  duquel  il  rempht  les  fonctions  d'interprète. 
Enfin ,  notre  consul  le  fait  remettre  en  liberté ,  en  lui  rendant 
ses  instruments;  et  il  cingle,  pour  la  troisième  fois,  vers 
Marseille ,  où  il  arrive  non  sans  danger,  ayant  échappé  à  la 
poursuite  d'une  frégate  anglaise  qui  croise  devant  le  port. 

A  son  retour  à  Paris ,  Arago ,  à  peine  âgé  de  vmgt  et  un 
ans,  est  admis,  malgré  les  règlements,  à  l'Académie  des 
Sciences ,  et  >'apoléon  le  nomme  professeur  à  l'école  Poly- 
technique. La  scène  change,  et  une  vie  toute  de  travail  et 
d'abnégation  commence  pour  lui.  On  n'a  pas  oublié  par  quels 
moyens  nouveaux ,  par  quels  appareils  ingénieux  qui  lui  ap- 
partiennent, par  quelles  observations  mulliphées,  il  a  déter- 
miné avec  une  précision  inconnue  jusqu'à  lui  les  diamètres 
des  planètes  ,  et  comment  ces  résultats  ont  été  honorés  de 
l'adoption  de  Laplace  dans  son  Système  du  Monde ,  par  ce 
motif  surtout  que  M.  Arago  était  parvenu  à  s'affranchir 
d'une  cause  d'erreur  regardée  comme  inévitable,  l'irradia- 
tion. On  sait  qu'il  consacra  plusieurs  années  à  un  travail 
sur  la  vitesse  des  rayons  des  étoiles  vers  lesquelles  la  terre 
marche,  comparés  aux  rayons  provenant  des  étoiles  que  la 
terre  fuit.  On  n'ignore  pas  les  conséquences  inespérées  qui 
en  ont  été  déduites,  soit  relativement  à  la  théorie  de  l'émis- 
sion ,  soit  à  l'égard  de  la  propriété  dont  l'œil  jouirait  néces- 
sairement dans  cette  théorie,  de  n'être  affecté,  comme  lu- 
mière ,  que  par  les  rayons  d'une  vitesse  déterminée,  en  sorte 
qu'une  augmentation  ou  une  diminution  de  vitesse  d'un  dix- 
millième  transformerait  un  rayon  de  lumière  en  un  rayon 
obscur. 

C'est  à  M.  Arago  qu'appartient  la  découverte  de  la  pola- 
risation colorée ,  branche  de  l'optique  beaucoup  plus  fé- 
conde, plus  variée  que  celle  qui  a  illustré  Malus,  et  dont  il 
a  fait  de  belles  applications  à  l'astronomie  physique  et  à  la 
météorologie.  C'est  à  un  instrument  entièrement  nouveau , 
tout  de  son  invention  et  fondé  sur  ce  genre  de  polarisation , 
qu'on  doit  ce  que  l'on  sait  aujourd'hui  de  certain  sur  la 
constitution  physique  du  soleil.  Aussi  la  Société  roycile  de 


ARAGO 


731 


Londres,  si  peu  encourageante,  en  g(^nëral,  pour  les  étran- 
gers ,  décf rna-t-elle  spontanément  la  médaille  île  Copley  à 
celte  découverte,  qui  forme  aujourd'hui  Télémcnt  principal 
de  celte  branche  de  la  physique  connue  sous  le  nom  de 
maçfn'tismc  par  rotation.  Que  l'on  consulte  les  Mémoires 
(TArcueil,  on  y  trouvera  un  travail  sur  le  phénomène  qui  a 
occupé  peut-être  vingt  années  de  la  vie  de  Newton  (le  phé- 
nomène des  anneaux  colorés).  Et  cependant  le  savant 
français  est  parvenu  non-seulement  à  y  apercevoir  une 
mullitude  de  faits  nouveaux ,  mais  encore  à  détniire  de  fond 
en  comble  l'ingénieuse  théorie  de  l'illustre  auteur  du  Traité 
de  l'Optique.  Le  mérite  des  expériences  contenues  dans  ce 
mémoire  est  incontesté.  M.  Arago  y  a  trouvé  la  base  de 
plusieurs  méthodes  pliotométriques  entièrement  nouvelles. 
Dans  une  notice  naturellement  très-abrégée  nous  ne 
saurions  oublier  cependant  le  travail  que  MM.  Arago  et 
Fresnel  exécutèrent  en  commun  sur  les  interférences  des 
rayons  polarisés ,  et  dans  lequel  la  singularité  des  résultats 
le  disputait  à  leur  importance,  puis  cette  expérience,  base 
fondamentale  de  ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  la  théorie  des 
équivalents  optiques,  et  qui,  en  montrant  que  la  lumière 
se  meut  moins  vite  dans  le  verre  que  dans  l'air,  a  détruit 
par  la  base  le  système  favori  de  Newton  sur  la  lumière  ,  le 
système  de  rémission  ;  enfin,  l'instrument  que  31.  Arago  a 
déduit  de  cette  expérience ,  et  qui  lui  a  servi  à  résoudre 
une  question  astronomique  sur  laquelle  était  venue  se  briser 
liramense  habileté  d'un  Borda ,  d'un  Biot ,  d'un  \\'ollas(on 
et  des  astronomes  de  tous  les  temps,  la  question  des  réfrac- 
tions comparatives  de  l'air  humide  et  de  l'air  sec  ;  ins- 
trument que  La  Place,  dans  sa  3Iécanique  céleste,  appelle 
une  des  plus  belles  découvertes  de  notre  époque.  M.  Arago 
a  donné  le  premier,  et  en  nous  exprimant  ainsi  nous  enten- 
dons dire  avant  le  célèbre  sir  Humphry  Davy,  les  lois  de  l'ai- 
mantation de  l'acier  par  l'électricité  ;  à  l'aide  de  plus  de  cent 
mille  observations  magnétiques ,  il  a  constaté  ,  le  premier 
aussi,  que  l'aiguille  aimantée  arriva  en  I8t6  aux  dernières 
limites  de  son  excursion  occidentale,  et  qu'elle  allait  désor- 
mais marcher  vers  l'est.  C'est  à  lui  que  l'on  doit  de  savoir  au- 
jourd'hui que  l'aiguille  d'inclinaison  est  sujette  à  des  varia- 
tions diverses  ;  que  la  force  magnétique  totale  terrestre  est 
en  chaque  lieu  de  la  terre,  et  toutes  les  vingt-quatre  heures, 
sujette  aussi  à  une  fluctuation  régulière;  que  l'aiguille  ai- 
mantée de  Paris  est  influencée  par  des  aurores  boréales  qui 
ne  se  montrent  pas  au-dessus  de  notre  horizon,  résultat 
d'abord  nié ,  à  cause  de  son  étrangeté ,  par  les  savants  an- 
glais, et  qui  maintenant  a  pris  place  parmi  les  vérités  incon- 
testables de  la  science.  C'est  encore  M.  Arago  qui ,  par 
ses  observations  comparées  à  celles  de  Koupfer  de  Kazan , 
a  constaté  que  les  perturbations  de  l'aiguille  aimantée  se 
font  sentir  simultanément  aux  plus  grandes  distances ,  ré- 
sultat qui ,  par  parenthèse ,  a  occupé  huit  années  de  la  vie 
de  Gauss,  et  que  la  Société  royale  de  Londres  a  trouvé  assez 
important  pour  qu'il  ait  valu  à  l'illustre  géomètre  de  Gœt- 
tingue  une  des  médailles  d'or  qu'elle  déceine  tous  les  trois 
ans.  N'oublions  pas  les  travaux  qu'Arago  fil  avec  Dulong 
quan  I  le  gouvernement  eut  besoin,  pour  le  service  des 
machines  à  vapeur,  de  connaître,  jusqu'à  des  tensions  très- 
élevées,  la  liaison  qu'il  y  a  entre  la  force  élastique  de  la 
vapeur  d'eau  et  sa  température.  Enfin,  l'immense  amphi- 
théâtre oii  avaient  lieu  ses  cours  gratuits  était  toujours  trop 
étroit  pour  contenir  la  foule  d'hommes  et  de  fewmes  em- 
pressés à  recueillir  sa  parole. 

VAnnuaire  du  Bureau  des  Longitudes,  lorsqu'il  con- 
tenait les  notices  scientifiques  de  M.  Arago,  était  l'ouvrage 
de  notre  liiirairie  qui  se  vendait  le  plus,  tant  en  France  qu'à 
l'étranger.  M.  Arago  a  enrichi  des  travaux  les  plus  précieux 
les  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Sciences,  les  Mémoires 
du  môme  corps  ,  les  Mémoires  d'Arcueil ,  où  il  eut  pour 
collaborateurs  La  Place,  Berthollet,  Chaptal,  Humboldt  ;  c'est 
lui  qui  a  écrit  dans  ['encyclopédie  d'Édim,bourg  l'article 


Polarisation  de  la  lumière.  C'est  lui  enfin  qui,  en  sa  qua- 
lité de  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie ,  a  changé  les 
éloges  académiques  en  historiques  parfaits  de  la  science. 
Toutes  les  grandes  Académies  de  l'Europe  s'honoraient  de  le 
compter  au  nombre  de  leurs  membres.  L'élection  lui  donna 
dans  l'Académie  de  Berlin  la  place  il'associé  que  remplis- 
sait l'illustre  Yolta ,  et  il  fut  choisi  au  milieu  d'illustres  con- 
currences pour  occuper  dans  la  Société  italienne  la  place 
que  l'auteur  de  la  .Mécanique  céleste  laissait  vacante.  Di 
recteur  de  l'Observatoire  pendant  de  longues  années,  il  a 
réorganisé  ce  bel  établissement,  qui  lui  doit  ses  plus  beaux 
titres  de  gloire.  Après  Waterloo,  Napoléon,  espérant  (pi'on  lui 
permettrait  de  se  rendre  aux  États-Unis,  songea  à  con-acrer 
le  reste  de  sa  vie  aux  sciences  qu'il  avait  cultivées  dans  sa 
jeunesse  ;  il  chercha  un  compagnon  pour  ses  voyages  et  ses 
études  :  ce  fut  sur  Arago  qu'il  jeta  les  yeux.  Monge  lui  fit 
la  proposition  de  suivre  l'empereur  en  exil.  Mais  Sainte-Hélène 
détruisit  les  derniers  plans  de  Napoléon,  et  M.  Arago,  qui 
aimait  par-dessus  tout  sa  patrie,  resta  à  Paris. 

En  1830,  à  la  mort  de  Fourier,  M.  Arago  fut  élu  à  sa  place 
secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  des  Sciences  pour  les 
sciences  physiques.  On  sait  quelle  influence  puissante  il 
exerçait  sur  ce  corps  savant.  Sa  parole  claire,  s[)iriluelle  et 
incisive  en  faisait  un  rude  adversaire;  mais  ses  connaissances 
ont  été  d'une  grande  utilité  à  celte  compagnie ,  dont  les 
Comptes  rendus,  rédigés  par  les  secrétaires  perpétuels,  con- 
tribuent beaucoup  à  populariser  les  travaux.  Pour  expliquer 
encore  cette  suprême  autorité  dont  jouissait  Arago  à  l'Aca- 
démie desSciences,  il  nous  suffira  de  rappeler  ce  que  disait  de 
lui  un  de  nos  collaborateurs  :  «  Certes,  M.  Arago  est  plus 
qu'un  savant  ;  c'est  un  homme  d'esprit ,  d'éloquence  et  de 
verve,  dont  la  sensibilité  va  souvent  jusqu'à  l'émotion  dans 
un  sens  et  jusqu'à  l'emportement  dans  l'autre.  Indifférence 
et  froideur,  pour  quiconque  fera  son  histoire,  sont  deux  mots 
qui  resteront  sans  usage.  Le  seul  souvenir  d'un  ami  perdu 
émeut  M.  Arago  jusqu'aux  larmes,  et  même  il  ne  saurait  parler 
longtemps  d'optique,  de  polarisation  ou  d'interférence ,  sans 
se  passionner  visiblement  ;  tel  est  le  secret  de  cette  vive  sym- 
pathie qui  attache  tant  d'hommes  à  ses  opinions,  à  sou 
commerce  et  à  sa  fortuae,  même  sans  qu'il  s'y  mêle  aucun 
motif  d'intérêt.  » 

A  la  révolution  de  Juillet ,  Arago,  qui  n'avait  jamais  rien 
demandé  à  l'Empire  ni  à  la  Restauration,  prend  franchement 
parti  pour  la  démocratie.  Lié  d'amitié  avec  le  duc  de  Raguse, 
son  confrère  à  l'Académie  des  Sciences,  il  veut  user  de  l'as- 
cendant qu'il  a  sur  l'esprit  du  maréchal  afin  de  sauver  Paris 
d'un  désastre.  Marmont  est  aux  Tuileries  ;  il  faut  arriver 
jusqu'à  lui.  Mais  la  haine  est  si  soupçonneuse  !  Une  noble 
inspiration  le  décide;  il  se  fait  suivre  de  son  fils  aîné;  un 
père  ne  peut  être  soupçonné  d'avoir  voulu  failUr  en  pré- 
sence de  son  fils.  Ils  arrivent  à  l'état-major  à  travers  les 
balles,  et  il  reçoit,  après  une  longue  conversation  et  mille 
incidents  dramatiques,  cette  réponse  de  Marmont  :  o  Une 
horrible  fatalité  pèse  sur  moi,  il  faut  que  mon  destin  s'ac- 
complisse !  »  Ce  que  fit  F.  Arago  dans  cette  journée  au  palais 
des  Tuileries  l'attacha  pour  jamais  à  la  cause  populaire. 

Nommé  bientôt  député  par  le  département  des  PjTénées- 
Orientales,  il  s'assit  à  l'extrême  gauche.  AIM.  Laffitle  et 
Dupont  de  l'Eure  s'écartèrent  pour  lui  faire  place  au  milieu 
d'eux.  11  prit  souvent  la  parole  dans  des  questions  de  ma- 
rine, d'enseignement  public,  de  canaux,  de  chemins  de  fer. 
Il  avait  été  élu  par  deux  collèges,  et  plusieurs  patriotes 
étaient  venus  renforcer  la  petite  phalange  démocratique, 
quand  éclata  l'imposante  manifestation  du  célèbre  compte 
rendu  de  1832,  qu'Arago  s'empres.sa  de  signer.  Chef  de 
l'extrême  gauche,  c'est  lui  qui  le  premier  prononça  ces 
mots,  ré/orme  et  droit  au  travail;  c'est  lui  qui  dirigea  les 
attaques  les  plus  vives  et  les  plus  redoutables  contre  les 
forts  détachés.  Néanmoins,  quoique  chef  de  l'opposition,  il  est 
nommé  membre  du  conseil  général  de  la  Seine,  en  devient 

'J1. 


782 

président,  et   ne  quitte  ce  poste  iraportanl  qu'eu  1849. 

Avant  la  révclulion  de  Février,  il  défendait  avec  vigueur 
l'indépendance  électorale  et  parlementaire;  après  cette  ré- 
volution il  fut  appelé  au  gouvernement  provisoire  et  revêtu 
des  fonctions  de  ministre  de  la  guerre  et  de  la  marine. 
11  écrivit  aux  princes  dOrléans  qui  se  trouvaient  à  Alger 
pour  les  engajierà  se  soumettre  aux  événements  Élu  à  l'As- 
semblée constituante  par  les  déparlements  de  la  Seine  et  des 
P) rénées-Orientales,  il  opta  pour  le  premier.  L'assemblée  le 
garda  dans  la  conmiission  executive,  mais  il  dut  résigner 
ce^  fonctions  lors  des  événement'^  de  juin.  Pendant  ces  tri.stes 
journées  Arago  s'exposa  courageusement  à  la  tête  de  la  garde 
nationale.  Redevenu  simple  membre  de  l'assemblée  et  réélu 
à  l'Assemblée  législative,  il  conserva  ses  convictions;  mais 
brisé,  affaibli,  découragé,  il  les  défendit  avec  moins  de  force. 
Après  le  coup  d'État  du  2  décembre  1851  il  réclama  contre  le 
serment  que  le  nouveau  gouvernement  exigeait  de  lui  comme 
membre  du  Bureau  des  longitudes,  et  le  président  de  la 
r/publique  l'en  exempta,  ce  qui  lui  permit  de  rester  à  la 
Vie  de  rOb?ervaloire. Plusieurs  infirmités  vinrent  l'accabler. 
Il  perdit  à  peu  prés  la  vue,  et  fut  attaqué  du  diabète.  Malgré 
ses  souffrances,  il  i^e  livrait  à  des  travaux  assidus.  Les  mé- 
decins lui  conseillèrent  un  voyageaux  Pyrénées  ;  il  s'y  rendit 
avec  sa  nièce,  M"""  Laugier.  Il  était  à  peine  de  retour  à  Paris 
qu'il  mourut  le  2  octobre  1853.  D.ins  un  monument  qui 
lui  a  été  élevé  par  souscription,  David  d'Angers  l'a  repré- 
senté couclié,  couvert  d'un  linceul ,  la  tête  renversée  en 
arrière  et  la  plume  lui  écbappant  des  mains.  Ses  œuvres 
complètes  ont  été  réunies  par  .M.  Barrai.  II  avait  laissé  une 
>'otice  sur  Malus,  une  Histoire  de  sa  jeunesse,  une  A.strono- 
nxie  populaire,  et  des  .^lémoires  sur  les  derniers  temps  de 
sa  vie  :  ceux-ci  n'ont  pas  encore  vu  le  jour. 

ARAGO  (Jean),  général  au  service  du  Mexique,  mouiut 
à  Mexico,  le  30  se,')lembre  l83G  ,  des  fatigues  de  la  guerre 
du  Texas,  qu'il  fit  sous  les  ordres  de  Santa-Anna  comme 
directeur  général  du  génie.  Il  avait  servi  dans  l'armée  fran- 
çaise et  était  allé  enl816  avec  le  général  Mina  en  Amérique, 
où  il  avait  contribué  à  la  délivrance  du  Mexique. 

AR.^GO  (  Jacqles)  ,  le  troisième  des  frères  ,  naquit  le  10 
mars  1790  à  Estagel.  Après  des  études  variées  et  une  jeu- 
nesse orageuse,  il  fit,  à  l'âge  de  vingt  ans,  un  voyage  artis- 
tique en  Italie,  et  visila  l'île  de  Corse,  l'île  d'Elbe,  la  Si- 
cile, puis  une  partie  de  l'Orient,  et  de  la  côte  d'Afrique.  En 
1S17  il  s'embarqua  comme  dessinateur  à  bord  de  la  cor- 
vette l'Uranie,  qui,  sous  le  commandement  du  capitaine 
Freycinet,  entreprenait  un  voyage  de  circumnavigation. 
Dans  ce  voyage,  il  explora  les  côtes  et  les  terres  les  plus 
sauvages,  les  plus  inconnues,  au  milieu  d'incidents  étranges 
ou  de  périls  graves  ,  dont  son  courage  et  sa  présence  d'es- 
prit parvinrent  à  le  tirer.  Il  partagea  le  désastre  de  Vl'ranie, 
qui  fil  naufrage  aux  îles  Malouines,  et  il  rentra  en  France  en 
lS21.De  1823  à  1829,  il  dirigea  des  petits  journaux  à  Bor- 
deaux et  à  Toulouse.  Devenu  directeur  da  théâtre  de  Rouen 
en  1835,  il  fonda  encore  un  journal  dans  cetle  ville.  Atteint 
d'une  cécité  complète,  qu'il  supporta  avec  gaieté,  il  ne  ces.<a 
pas  d'écrire  et  de  faire  des  calemiiours.  En  1849,  il  partit 
pour  la  Californie,  où  il  voulait  fonder  un  tbéàlre.  En  route 
il  s'attira  des  difficultés  avec  le  capitaine,  qui  l'accusa  de 
rccberclier  des  scènes  pour  un  roman.  De  retour  en  France 
en  lS51,il  se  donna  le  plaisir  de  monter  en  ballon.  Il  est 
mort  au  mois  de  janvier  1855.  Voyageur,  artiste,  romancier, 
auteur  dramatique,  il  a  publié  successivement,  ou  fait  re- 
présenter à  diverses  époques,  des  ouvrages  auxquels  le 
succès  n'a  pas  manqué,  et  parmi  lesquels  on  ciie  sa  Pro- 
menade aulour  du  Monde;  fies,  Chasses  aux  bêles  féroces  ; 
Pvjol,c/ief  de  Miquelels;  Comme  on  dine  partout, 
<•'  comme  on  dine  à  Paris  ;  les  Soïivonirs  d'un  aveu- 
gle ;  David  Riz:.io;  l'Éclat  de  rire  ;  la  Croix  (Taciei-; 
loj  Compagnons  d'in/ordine;  les  Papillottes  de  Ni- 
wn,  etc.,  etc. 


ARAGO 

ARAGO  (Piekuf.-Je\n- Victor),  naquit  en  1792.  Élève  de 
l'École  d'Application  de  Metz  en  18i3,  il  devint  officier 
supérieur  d'artillerie.  .\u  siège  d'Anvers  ,  oii  il  se  fit  remar- 
quer par  un  fait  d'armes  d'une  rare  audace,  le  duc  d'Orléans 
s'écria,  frappé  d'admiration  :  «  On  le  voit  bien,  c'est  un 
Arago.  Ce  nom  porte  Lonliour.  » 

ARaGO  (Joseph),  le  cinquième  du  nom,  prit  du  .service 
au  Mexique  en  1828,  et  y  obtint  le  grade  de  colonel.  Long- 
temps aide  de  camp  du  président  Busiamente,  il  donna  sa 
démi.ssion  le  jour  où  son  protecteur  fut  renversé  du  pouvoir, 
et  alla  vivre  dans  la  retraite.  En  1858,  il  échoua  dans  une 
négociation  avec  le  gouverneur  d'un  fort  de  Vera-Cruz , 
qu'il  voulait  amener  à  se  rendre. 

ARAGO  (Etienne),  le  sixième  des  fils  de  cette  famille, 
naquit  à  Estagel,  le  7  février  1803.  Il  fit  ses  études  au 
collège  de  Sorèze,  et  devint  préparateur  de  chimie  à  l'É- 
cole polytechnique,  sous  la  Restauration.  Mais  bientôt  il 
quitta  les  sriences  pour  la  littérature,  et  débuta  dans  l'art 
dramatique  par  un  vaudeville  intitulé  :  Un  Joiu'  d'em- 
barras,  loué  en  1824,  à  l'Ambigu  Comique,  où  il  fit  repré- 
senter la  même  année  un  mélodrame  :  le  Pont  de  Kehl. 

En  même  temps,  il  travaillait  à  un  petit  journal  litiéraire, 
la  Lorgnette,  fiagraent  d'un  Miroir  brisé.  Il  n'était  pas 
encore  homme  politique ,  tant  .s'en  f;uit  ;  ce  n'e.st  que  plus 
tard  qu'il  a  prétendu  l'avoir  été  à  cette  époque  et  avoir 
trempé  dans  la  cliarbonnerie  avec  MM.  Barthe,  Cousin  et 
Mériihou.  Celui-ci  lui  aurait  dit,  en  lui  confiant  une  mis- 
sion secrète  pour  le  midi  de  la  France:»  Macte  anima, 
generose  puer!  » 

Chez  M.  Etienne  Arago,  l'imagination,  la  folle  du  logis,  se 
livre  parfois  à  de  singulières  escapades  ;  et  quand  il  lui  ar- 
rive de  rétrograder  vers  le  passé,  elle  ne  connaît  plus  de 
bornes  dans  ses  excursions  aux  pays  des  mirages.  Ce  qu'il 
y  a  de  certain,  c'est  que  àe  la  Lorgnette  il  passa  au  Fi- 
garo, que  Maurice  Alhoy  fondait  obscurément  sur  le  quai 
des  Augustins  et  à  un  troisième  étage  de  la  Cour  du  Com- 
merce, et  que  là  il  eut  l'audace  de  faire  non  pas  de  la  bonne 
et  franche  politique,  mais  de  fort  innocentes  allusions  politi- 
ques, non  permises  alors  aux  journaux  littéraires. 

En  1829  il  acquit  de  M.  de  Guercby  le  privilège  de  la 
direction  du  théâtre  du  Vaudeville,  dont  il  ferma  les  portes 
dès  le  27  juillet  1 830 ,  le  lendemain  des  ordonnances.  Réuni 
à  quelques  amis,  il  combattit  pendant  les  trois  jours,  après 
avoir  fait  porter  et  distribuer  chez  M.  Teste,  depuis  garde 
des  sceaux, toutes  les  armes  qui  se  trouvaient  à  son  théâtre. 
Le  29  il  joignit  .M.  Bande  à  l'hôtel  de  ville  ,  y  installa  le 
général  Dubourg ,  et  y  conduisit  ensuite  M.  de  La  Fayette. 
Entraîné  par  la  fougue  de  ses  opinions  et  de  ses  amitiés, il 
prit  part  comme  lieutenant  de  l'artillerie  de  la  garde  natio- 
nale aux  mouvements  insurrectionnels  qui  éclatèrent  à  Paris 
dans  les  journées  de  juin  et  d'avril.  Inaperçu  ou  oublié  dans 
les  poursuites  et  les  condamnations  qui  eurent  lieu  à  la  suile 
de  ces  collisions  sanglantes ,  ce  qui  ne  l'avait  pas  empêché 
de  prendre  deux  fois  la  fuite,  il  eut  la  joie  de  participer  plus 
tard  à  la  délivrance  de  ceux  de  ses  amis  politiques  que  le 
gouvernement  avait  jetés  dans  la  prison  de  Sainte-Pélagie. 
Ce  dévouement  ne  contribua  pas  peu,  sans  doute,  à  faire 
ôter  à  Etienne  .\rago  le  privilège  de  la  direction  du  Vaude- 
ville, à  la  suite  de  l'incendie  de  ce  théâtre,  arrivé  en  1840. 
Il  y  avait  fait,  du  reste,  de  très-mauvaises  affaires,  qui 
amenèrent  une  faillite. 

Avant,  pendant  et  après  sa  direction,  il  avait  rédigé  des 
articles  politiques,  des  nouvelles,  des  romans  et  des  feuille- 
tons dramatiques  dans  le  National,  le  Siècle,  la  Réforme, 
et  fait  jouer,  tant  à  son  théâtre  qu'aux  spectacles  du  boule- 
vard, plus  de  cent  vaudevilles  et  mélodrames.  N'oublions 
pns  la  plus  remarquable  de  ses  proluctions,  les  Trois  Aris- 
tocrnties,  jouée  à  la  Comédie  française  quelque  temps  avant 
la  révolution  de  Février,  mais  dont  certains  envieux  lui  ont 
contesté  la  paternité. 


ARÂGO  — 

Quand  cette  révolution  éclata ,  il  «e  jeta  au  fort  de  la 
tiataillc,  le  23,  au  milieu  des  barrirados  ,  le  2'»,  sous  le  fou 
de  la  place  du  Palais-Royal,  quoiqu'on  ail  prétendu  qu'en 
même  temps  il  arracliait,  rue  Bonrg-l'Ablié,  une  soi\ant  line 
de  gardes  niuniiipaux  à  la  fureur  populaire.  Le  combat 
durait  encore  sur  la  place  du  Paiais-Royal ,  que,  de  sa  pro- 
pre autorité,  il  s'installait  en  qualité  de  directeur  général  à 
l'administration  des  postes,  où  il  resta  jusqu'à  la  fin  de  I8i8. 
C'est  sous  son  administration  que  fut  appliquée  la  réforn)e 
postale  et  organisé  l'usage  des  timbres-postes  à  20  centimes. 

>'ommé  chef  de  bataillon  de  la  g  mie  nationale  pari- 
sienne, il  échoua  aux  élections  de  la  capitale  pour  la  Cons- 
tituante. Il  fut  plus  heureux  dans  celles  des  Pyrénées-Orien- 
tales, et  il  (igura  le  quatrième,  après  son  oeTCu  Emmanuel, 
sur  la  listo  des  cinq  représentants  de  son  pays  natal.  Sié- 
geant à  la  Montagne,  il  prit  peu  de  part  aux  discussions  de 
cette  assemblée  ,  flotta  indécis  ,  comme  tant  d'autres ,  dans 
les  événements  de  mai  et  de  juin ,  et  ne  fut  pas  réélu  à  la 
Législative.  Compromis  en  1849  dans  l'écliaufourée  du  Con- 
servatoire des  Arts  et  Métiers,  il  évita  la  condamnation 
dont  le  frappa  la  haute  cour  de  Versailles,  en  cherchant 
pour  la  troisième  fois  un  refuge  à  l'étranger.  Il  se  retira  d'à 
bord  en  Delgi  pie,  où  il  lit  paraître  un  poème  sur  les  eaux  de 
Spa  en  185T.  Forcé  de  quitter  Bruxelles,  il  parcourut  l'An- 
gleterre, la  Hollande,  la  Suisse,  et  se  lixa  à  Turin.  L'amnistie 
de  1859  lui  a  rouvert  les  portes  de  la  France,  et  il  a  pu 
rendre  les  derniers  devqirs  à  son  ami  Caussidière  à  Paris. 

ARAGO  (  Emmanuel),  (ils  de  l'astronome,  né  à  Paris  le 
6  août  1812,  travailla,  dit-on,  tout  jeune  pour  le  théâtre,  et 
aébuta  en  1837  au  barreau  de  Paris,  en  plaidant  devant  les 
assises;  mais,  ses  forces  ne  répondant  pas  toujours  à  son 
zèle,  plusieurs  de  ses  clients  furent  à  la  suite  de  sa  défense 
frappés  des  peines  les  plus  rigoureuses  prononcées  par  la 
loi ,  ce  qui  le  fit  désigner  pendant  quelque  temps  dans  les 
prisons  sous  le  sobriquet  de  Maxhnicm.  Il  eut  le  bon  esprit 
de  se  créer  plus  tard  une  spécialité,  en  s'atlachant  à  plaidei , 
avec  le  plus  louable  désintéressement,  les  procès  de  contre- 
façon. En  lS39,il  fut  un  des  défenseurs  de  Martin  Bernard 
et  de  Barbes.  En  184S,  il  prit  parla  l'insurrection  et  pro- 
testa à  la  chambre  des  députés  contre  l'établi-ssement  d'une 
régence.  Le  27  il  partit  pour  Lyon  en  qualité  de  commis- 
saire du  gouvernement  provisoire,  mis-ion,  il  faut  en  con- 
\eair,  bien  difficile,  et  dans  laquelle  il  lit  preuve  de  plus 
de  républicanisme  que  d'habileté.  On  lui  reprocha  à  bon 
droit  ses  allures  proconsulaires ,  ses  arrêtés  passablement 
despotiques ,  et  surtout  son  impôt  des  quatre-vingt-dix 
centimes,  dont  le  gouvernement  central ,  sans  en  oser  con- 
damner le  fond  ,  dut  blâmer  et  corriger  la  forme.  Les  Lyon- 
nais se  montrèrent  médiocrement  reconnaissants  envers 
leur  commissaire,  qui  sollicita  vainement  leurs  suffrages 
pour  la  députation  à  la  Constituante.  Heureu.'^ement  pour 
M.  Emmanuel  Arago,  le  département  des  Pyrénées-Orien- 
tales consentit  à  le  choisir  pour  représentant  ;  et  après  la 
dissolution  de  la  Constituante  il  l'envoya  de  nouveau  siéger 
à  l'Assemblée  législative.  Le  25  mai  1848  la  commission 
executive  le  nomma  ministre  pi.  nipolentiaire  à  Berlin.  Il 
y  prit  parti  pour  les  Polonais  de  Posen ,  et  le  général  M:e- 
rolaw.'ki  lui  dut  sa  liberté.  Après  l'élection  du  prince  Louis- 
N'apoléon  ,  il  donna  sa  démission. De  retour  à  Paris,  il  pra- 
tesla  contre  l'expédition  de  Rome  et  demanda  la  mise  en 
liberté  des  transportés  de  juin.  A  l'Assemblée  législative  il 
continua  de  voter  avec  la  Montagne  jusqu'au  coup  d'Élatdu 
2  décembre  1851.  En  1857  il  s'est  en  vain  mis  sur  les  rangs 
pour  la  députation  dans  plusieurs   dipartements  du  Midi. 

ARAGO  (Alfred),  frère  putné  du  précédent,  a  étudié 
la  peinture  dans  l'atelier  de  Paul  Delaroche,  et  a  été  atlaché 
en  1852  au  ministère  d'État  comme  inspecteur  général  des 
beaux-arts.  On  a  remarqué  de  lui  aux  salons  :  Charles- 
Quint  aucouvent  de  Saint-J  usl  ;  Récréation  de  Louis  XI  ; 
V Aveugle  ;  Abraham  f  (tic.  Z. 


ARAGON 


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ARAGO\,  une  des  douze  capitaineries  générales  de 
l'Espagne,  d'enxiron  Soo  myriamètres  carrés,  bernée  par  la 
Navarre  ,  la  Vieille  et  la  Nouvelle  Castille,  Valence,  la  Ca- 
talogne et  la  France,  traversée  de  l'ouest  à  l'est  par  l'Èbrc 
qui  reçoit  sur  sa  rive  gauche  les  eaux  du  Gallego  et  de  la 
Cinca,  et  sur  la  rive  droite  celles  du  Xalon,  comprend  deux 
divisicus  naturelles  :  l'une,  celle  du  pays  de  plaines  que  par- 
court son  principal  lleuve  ;  l'autre,  celle  du  haut  Aragon 
formée  par  les  montagnes  du  nord  et  du  sud.  Les  plaines  cen- 
trales offrent  l'image  d'un  steppe  désert  et  aride.  La  cul- 
ture y  est  misérable  et  se  borne  au  froment,  à  la  vigne  et  à 
l'olivier.  Cet  arbre  y  forme  de  petits  bouquets  de  bois,  et  al- 
terne avec  des  chênes  nains.  Sur  la  rive  de  l'fcbre  la  cul- 
ture présente,  au  contraire,  un  saillant  contraste.  Les  planta- 
tions de  riz  y  abondent,  et  le  mûrier  y  donne  des  produits 
aussi  importants  que  ceux  de  la  vigne.  Il  en  est  de  mémo 
du  haut  Aragon ,  dont  le  sol  se  compose  d'une  série  de  ter- 
rasses couvertes  de  la  plus  riche  et  de  la  plus  vigoureuse 
végétation. 

Au  sud  de  l'Aragon ,  la  Serrania  de  Doca  est  comme  la 
première  terrasse  par  laquelle  on  atteint  les  hauts  plateaux 
de  la  Nouvelle  Castille  et  de  Valence,  tandis  qu'au  nord  les 
Sierras  de  Solvarbe  et  de  Guara  précèdent  les  Pyrénées,  et 
que  la  Sierra  d'Alcul)ierre  se  prolonge  jusqu'à  l'Èbre.  Le 
climat  de  l'Aragon  est  plus  froid  dans  les  montagnes  que 
dans  les  plaines,  où  souvent  la  chaleur  devient  insupportable 
en  été;  mais  il  en  résulte  une  diversité  et  une  richesse  ex- 
trêmes dans  les  produits  du  sol,  qiii  se  prête  admirablement 
à  la  culture  du  chanvre,  du  lin,  du  froment,  du  riz,  de=;plus 
belles  espèces  d'arbres  à  fruits,  de  l'olivier,  et  de  la  vigne,  qui 
donne  des  vins  délicieux.  En  fait  de  bétail,  on  n'élève  guère 
que  des  moutons  et  des  porcs  ;  mais  le  règne  minéral  offre 
les  produits  les  plus  variés  et  les  plus  abondants,  en  cuivre , 
plomb,  fer,  sel,  alun,  salpêtre,  houille,  ambre  jaune,  etc. 
L'industrie  et  le  commerce  n'y  sont  d'ailleurs  guère  plus  flo- 
rissants que  l'agriculture.  Ils  ont  pour  centres  principaux 
Saragosse  et  Caspé;  mais,  à  l'exception  de  quelques  toiles 
et  de  quelques  étoffes  de  laine  fabriquées  dans  la  province, 
les  produits  bruts  du  sol  constituent  uniquement  les  objets 
d'exportation. 

Les  Aragonais,  dont  le  nombre  peut  s'élever  à  730,000, 
sont  une  race  vigoureuse  et  énergique,  courageuse,  la- 
borieuse, mais  froide  et  hautaine.  S'ils  sont  constants  dans 
leurs  amitiés,  leurs  haines  sont  en  revanche  profondes  et 
vivaces  ;  c'est  ce  qui  explique  pourquoi  l'Aragon  a  été  si 
souvent  le  théâtre  des  luttes  les  plus  acharnées.  Cette  pro- 
vince a  pour  chef-lieu  Saragosse;  les  autres  villes  im- 
portantes sontHuesca,  Baibastro,  Caspé,  Teruel,  Calatayud, 
Tararona,  etc. 

A  l'origine  l'Aragon  était  l'un  des  anciens  royaumes 
espagnols.  Conquis  par  les  Romains  et  transformé  en  pro- 
vince de  leur  vaste  empire,  il  passa  ensuite  sous  les  lois 
des  Visigoths;  puis  à  partir  du  huitième  siècle  sous  celles 
des  Arabes,  à  qui  les  chrétiens  l'enlevèrent  en  même  temps 
que  la  Castille  et  la  Navarre.  Les  souverains  de  l'Aragon 
devinrent  de  plus  en  plus  puissants  quand,  en  1137,  ce 
pays  fut  réuni  à  la  Catalogne.  En  1213  ils  conquirent 
les  îles  Baléares,  en  1282  la  Sicile,  en  1326  la  Sardaigne,  et 
en  1440  Naples.  Le  mariage  contracté,  en  1469,  entre  Fer- 
dinand leCatholique  et  Isabelle,  héritière  de  Castille,  cutpour 
résultat  de  grouper  les  deux  États  sous  l'autorité  d'un  même 
souverain  et  de  fonder  la  monarchie  espagnole.  A  la  mort 
de  Ferdinand,  arrivée  en  1516,  l'Aragon  fut  réuni  pour  tou- 
jours à  la  Ca stilie;  mais  il  conserva  ses  anciens  privilèges 
ainsi  que  ses  anciennes  franchises  et  libertés,  jusqu'à  l'ar- 
rivée des  Bourbons  au  trône  d'Espagne.  Avant  cette  époque 
les  rois  d'Aragon  s'étaient  succédé  dans  l'ordre  suivant  : 

1°  Dynastie  de  Navarre  :  Ramiie  V,  1035;  Sanchc- 
Ramire  F"",  1063;  Pedro  I",  1094  :  Alphonse  I",  1104; 
Ramire  IT,  1134; 


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ARAGON  —  ARAIGNÉE 


2°  Dynastie  rfc^arceZoHe: Raymond,  1137  ;  Alphonse  II, 
l(i62;  Fedro  II,  1196;  Jayme  1",  1213;  Pedro  III,  1270  ; 
Alphonse  III,  12S5;  Jayme  II,  1291;  Alphonse  IV, 
1327;  Pedro  IV,  1336;  Juan  I",  1387;  Martin,  1395; 

3°  Dynastie  de  Castille  :  Ferdinand  I",  1412;  Al- 
phonse V,  1410;  Juan  H,  1458;  Ferdinand  II,  1479; 
Charles- Quint,  roi  de  toutes  les  Espagnes,  1516. 

C'est  pendant  la  période  occupée  par  les  règnes  des  pre- 
miers de  ces  princes  que  s'étahlit  cette  constitution  célèbre 
d'Aragon,  la  plus  remarqual)le  du  moyen  âge.  Elle  unissait, 
quant  à  la  royauté,  le  principe  électif  au  prince  hérédi- 
taire; celui  de  la  loi  salique  y  fut  introduit,  à  la  fia  du  qua- 
torzième siècle.  La  haute  souveraineté  nationale  se  mani- 
festait à  duique  vacance  du  trône  par  cette  circonstance,  que 
l'héritier  ne  prenait  le  titre  de  roi  qu'après  avoir  préié  ser- 
ment de  respecter  la  liberté  du  royaume.  Il  gouvernait  jusque 
là  comme  simple  seigneur  naturel.  L'autorité  royale  était  li- 
mitée par  celle  des  barons,  ricos  hombres,  par  celle  des  cortès 
et  par  celle  du  liaut-justitier,  justiza.  On  connaît  la  célèbre 
formule  par  laquelle  la  couronne  était  déférée  au  nouveau 
prince  :  «  Nous ,  qui  valons  autant  que  vous ,  nous  vous 
faisons  notre  roi  et  seigneur,  à  condition  que  vous  respec- 
terez nos /ueros  et  libertés;  sinon,  non  !  »  Dans  l'intervalle 
des  sessions  des  cortès,  une  commission  permanente  restait 
assemblée.  Le  justiza,  gardien  de  la  constitution,  était  un 
pouvoir  modérateur,  intermédiaire  entre  le  roi  et  le  peuple. 
Primitivement  le  roi  nouvellement  élu  prêtait  serment, 
tête  nue,  aux  pieds  de  ce  magistrat,  qui  tenait  une  épée  di- 
rigée vers  sa  poitrine  ;  mais  Pedro  T'  abolit  cette  cérémo- 
nie. Les  Bourbons  achevèrent  d'enlever  aux  Aragonais  la 
plus  grande  partie  de  leurs  anciens  droits,  pour  les  punir  de 
leur  attachement  à  la  maison  d'Autriche  pendant  la  guerre 
de  la  succession  d'Espagne. 

L'Aragon  a  eu  beaucoup  à  souffrir  lors  des  guerres  civiles 
dont  la  Péninsule  a  été  le  théâtre  sous  le  règne  de  la  reine 
Isabelle  II,  attendu  que,  si  le  haut  Aragon  était  décidé- 
ment favorable  à  la  cause  de  cette  princesse ,  la  plus  grande 
partie  du  bas  Aragon  avait  chaudement  épousé  les  intérêts 
du  prétendant  don  Carlos. 

ARAGOjV  (Jeanne  d'),  l'une  des  femmes  les  plus  dis- 
tinguées du  seizième  siècle,  épousa  Ascagne  Colonne,  prince 
de  Tagliacozzo,  et  prit  une  part  des  plus  importantes  et 
des  plus  actives  aux  longues  querelles  que  les  Colonne  eu- 
rent avec  le  pape  Paul  IV.  Les  écrivains  contemporains 
s'accordent  à  vanter  sa  beauté,  son  mâle  courage  et  sa  ca- 
pacité pour  les  affaires  de  la  politique.  Les  vers  que  les 
beaux  esprits  du  temps  composèrent  à  sa  louange  ont  été 
publiés  à  Venise,  en  1558,  sous  le  titre  de  Tiempo  alla  di- 
vina  signora  Aragona.  Ce  recueil  n'a  plus  aujourd'hui 
d'intérêt;  mais  il  suffit  pour  nous  faire  apprécier  la  haute 
considération  dont  jouissait  la  femme  qui  avait  pu  inspirer 
tant  de  pensées  délicates  et  ingénieuses  à  des  poètes  dissé- 
minés dans  toutes  les  parties  de  l'Italie. 

ARAGOX  (TuLLiE  d'),  qui  vivait  au  même  siècle  que  la 
précédente,  et  qui  comme  elle  tirait  son  origine  de  la  brandie 
de  la  maison  d'Aragon  qui  avait  autrefois  régné  à  Naples, 
mais  par  descendance  illégitime,  née  vers  1525,  à  Naples, 
fut  une  femme  poète,  une  femme  bel  esprit,  en  commerce 
avec  les  hommes  les  plus  considérés  de  son  époque,  dont 
quelques-uns  ressentirent  pour  elle  des  passions  auxquelles 
tout  porte  il  penser  qu'elle  n'opposa  pas  toujours  la  plus 
froide  indifférence.  C'est  chose  si  difficile  en  effet,  par  tous 
pays  et  en  tous  temps,  que  d'être  à  la  fois  belle,  poète  et 
sage  !  Au  nombre  de  ses  adorateurs  on  compte  le  cardinal 
Hippolyte  dei  Medici,  Hercule  Bentivoglio,  Philippe  Slrozzi, 
Molza,  Varchi,  Manelli  de  Florence,  Muzio  surtout,  qui 
la  célèbre  dans  le  troisième  livre  de  ses  Lettres ,  et  qui  lui 
consacre  sous  le  nom  de  Thalie  le  plus  grand  nombre  de  ses 
vers,  etc.,  car  nous  pourrions  prolonger  beaucoup  cette 
liste,  comme  on  le  comprendra  facilement  lorsqu'on  saura 


que  TuUie  d'Aragon,  à  laquelle  son  père,  le  cardinal  Tagliavia 
d'Aragon,  archevêque  de  Palerme,  avait  assuré  une  belle 
indépendance,  vécut  tour  à  tour  à  Ferrare,  à  Rome,  à  Ve- 
nise, à  Naples,  réunissant  constamment  autour  d'elle  dans 
chacune  de  ces  villes  .un  cercle  empressé  d'hommes  distin- 
gués, attirés  autant  par  sa  beauté  que  par  les  charmes  de 
son  esprit.  Elle  mourut  dans  un  âge  encore  peu  avancé,  à 
Florence,  où  elle  .s'était  retirée  et  où  la  duchesse  Éléonore 
de  Tolède  l'avait  admise  dans  son  intimité. 

On  a  d'elle  un  recueil  de  Rime  (ou  Poésies),  publié 
en  1547,  à  Venise,  ciiez  Giolito  ;  un  traité  sur  l'Infini  de  l'A- 
mour (Dialogo  dell'  Infinita  d''Ainore)  et  une  espèce  de 
poème  épique,  Il  Meschino  (Venise,  1560),  dont  le  héros, 
Guériii  de  Durazzo,  ressemble  beaucoup  à  Télémaque,  qui 
parcourt  à  la  recherche  de  son  père  une  foule  de  pays. 

ARAGOIXA,  ville  de  Sicile,  située  à  12  kilomètres  au 
nord  de  Girgenli.  On  y  compte  environ  7,000  habitants,  dont 
les  ressources  principales  consistent  dans  l'exploitation  des 
campagnes  environnantes,  où  ils  récoltent  surtout  beaucoup 
d'amandes.  Aussi  l'exploitation  de  cet  article  ne  laisse-t-elle 
pas  que  d'y  avoir  une  certaine  importance. 

ARAGOXAIS(Les).  Voyez  Comp.\gnies  (Grandes). 

ARAGOXITE.  Voijez  Arragonite. 

ARAGUAYA,  rivière  du  Brésil,  l'un  des  affluents  du 
Tocantins,  dans  lequel  elle  vient  se  jeter  après  un  parcours 
d'environ  150  myriamètres ,  à  San-Joao  das  Duas-Bairas. 
Sa  source  est  située  dans  la  Serra-Secada .  En  se  bifurquant 
vers  le  milieu  de  sou  cours,  elle  forme  une  île  longue  d'en- 
viron 35  myriamètres  et  à  laquelle  on  donne  le  nom  (ïlle 
de  Sainte- Anne. 

ARAIGXÉE  (du  grec  àpâ/^vri).  A  l'article  Arachnide* 
on  a  traité  tout  ce  qui  a  rapport  à  la  physiologie,  à  l'anatomie 
et  à  la  classification  des  différents  genres  qui  composent 
cette  famille.  Nous  n'avons  donc  à  donner  ici  que  quelques 
notions  sur  les  moeurs  des  araignées  et  les  caractères  de» 
principales  espèces. 

On  sait  déjà  que  les  araignées  sont  éminemment  carnas- 
sières. La  voracité  de  ces  animaux  est  telle  que  ceux  de  la 
même  espèce  s'attaquent  souvent  entre  eux,  et  le  plus  fort 
dévore  le  plus  faible  ;  c'est  à  la  crainte  d'un  semblable  sort 
que  l'on  attribue  la  circonspection  singulière  avec  laquelle 
le  mâle  s'approchede  la  femelle  dans  le  moment  des  amours  : 
il  rôde  longtemps  autour  d'elle,  pour  s'assurer  de  ses  dis- 
positions, s'avance  avec  défiance  tant  qu'il  n'est  pas  sur 
qu'elle  veuille  se  prêter  à  ses  caresses;  puis  enfin,  quand 
elle  lui  paraît  déterminée  à  les  recevoir,  arrive  brusquement 
près  d'elle,  et  lui  applique  alternativement  sur  le  dessous  du 
ventre  l'extrémité  de  chacun  de  ses  palpes,  qu'il  retire 
promptement,  pour  recommencer  après  quelques  instants 
de  repos.  Il  suffit  d'un  accouplement  pour  féconder  plu- 
sieurs pontes,  même  d'une  année  à  l'autre.  Il  n'y  en  a  or- 
dinairement qu'une  seule  chaque  année;  elle  a  lieu  dans 
nos  climats  vers  la  fin  de  l'été  :  les  œufs  éclosent,  soit  vers 
la  fin  de  l'automne,  soit  au  printemps  suivant.  Toutes  les 
araignées  les  enveloppent ,  au  moment  de  lapoute,  d'une 
couche  de  soie  blanche  en  forme  de  coque.  Les  unes  les 
abandonnent  ensuite,  les  autres  continuent  à  les  surveiller, 
et  ^'occupent,  au  moment  de  l'éclosion,  de  l'éducation  de 
leurs  petits;  il  en  est  même  qui  portent  continuellement 
letirs  œufs  enveloppés  dans  une  coque  ronde,  et  on  les  voit 
souvent  traîner  cette  coque  après  elles,  au  moyen  d'un  fil 
qui  la  tient  attachée  à  leur  partie  postérieure.  Les  jeunes 
araignées  vivent  d'abord  en  société,  à  leur  sortie  de  l'œuf; 
mais  elles  ne  tardent  pas  à  se  séparer,  pour  ne  plus  se  re- 
connaître. Elles  subissent  plusieurs  mues  dans  leur  jeune  âge, 
et  leur  vie  est  plus  ou  moins  longue,  suivant  les  espèces  : 
dans  un  grand  nombre,  elle  ne  s'étend  pas  au  delà  d'une 
année,  mais  il  en  est  aussi  beaucoup  qui  vivent  plusieurs 
années.  La  plupart  de  ces  dernières  passent  l'hiver  dans  un 
état  d'eniTourdissement ,  renfermées  dans  des  tious  ou  ca- 


AHAlu.SKK  —  ARAL 


thees  sous  des  pierres;  qiifIi|iies-iiiios  nioino  se  forment, 
pour  cette  saison ,  une  coque  de  soie  qui  leur  sert  de  re- 
traite. 

Les  araignées  sont  très-susceptibles  de  s'apprivoiser.  Un 
fabricant  détolTes,  qui  avait  entrepris  de  faire  des  bas  avec 
leur  soie  (et  qui,  dit-on,  y  roussit),  en  nourrissait  un  grand 
nombre,  qui  s'approchaient  de  lui  lorsqu'il  entrait  dans  la 
chambre  où  elles  étaient.  Pellisson,  renfermé  à  la  Bas- 
tille ,  avait  lellonient  familiarisé  une  araignée  établie  sur  le 
bord  du  soupirail  qui  éclairait  sa  prison ,  qu'elle  accourait 
au  son  de  la  musique,  et  qu'à  un  certain  signal  elle  quittait 
aussi  sa  toile  pour  venir  chercher  une  mouche.  Une  autre 
particularité  curieuse  que  présentent  ces  animaux  ,  c'est  la 
force  reproductrice  en  vertu  de  laquelle  ils  réparent,  comme 
on  s'en  est  assuré  par  des  expériences  bien  suivies ,  les 
membres  qu'ils  ont  perdus. 

Parmi  les  principales  espèces  nous  citerons  les  suivantes  : 
Varaignce  diadème  se  trouve  communément  dans  nos  jar- 
dins ;  elle  est  longue  de  quatre  lignes  ;  elle  se  reconnaît  à 
son  abdomen  ovale,  allongé ,  rougeâtre ,  brunâtre  ou  noi- 
râtre, offrant  une  ligne  longitudinale  de  points  jaunes  ou 
blancs ,  coupée  dans  sa  longueur  par  trois  lignes  transver- 
sales semblables.  Sa  toile  est  très-grande,  et  présente  un 
plan  orbiculaire  et  vertical,  formé  d'un  fil  tourné  en  spirale, 
et  croisé  par  d'autres  fils  qui  partent  en  rayonnant  du  centre 
commun.  Pour  fabriquer  cette  toile,  l'araignée  commence 
par  faire  sortir  de  ses  mamelons  une  goutte  de  liqueur  qu'elle 
applique  sur  un  arbre ,  puis  continue  de  filer  en  s'éloignant, 
et  forme  ainsi  un  long  fil,  au  bout  duquel  elle  se  suspend; 
le  vent  ne  tarde  pas  à  la  porter  vers  un  arbre  voisin',  où 
elle  applique  l'autre  bout  de  son  fil;  cela  fait,  elle  retourne 
au  milieu  de  ce  fil,  où  elle  en  attache  un  second  dont  elle 
coUe  l'autre  extrémité  à  quelque  branche  dans  le  voisi- 
nage du  premier,  et  ainsi  de  suite.  La  toile  achevée ,  elle  se 
forme ,  à  l'une  des  extrémités  supérieures,  entre  des  feuilles 
rapprochées,  une  petite  loge  où  elle  se  tient  habituellement, 
et  dont  elle  ne  sort  guère  que  le  matin  et  le  soir,  ou  bien 
pour  s'emparer  des  insectes  qui  viennent  à  tomber  dans  ses 
lilets.  Elle  s'accouple  en  été,  et  pond,  dans  les  derniers 
jours  de  l'automne,  des  œufs  qui  éclosent  au  printemps 
suivant. 

L'araignée  domestique  est  l'araignée  ordinaire  des  mai- 
sons ,  que  tout  le  monde  connaît ,  et  qui  se  dislingue  à  son 
abdomen  ovale ,  noirâtre,  avec  deux  lignes  longitudinales 
de  taches  fauves  sur  le  milieu  du  dos.  Llle  construit  dans 
l'intérieur  de  nos  habitations,  aux  angles  des  murs ,  sur  les 
haies,  aux  bords  des  chemins,  une  toile  très-grande,  à  peu 
près  horizontale,  et  à  la  partie  supérieure  de  laquelle  est 
une  espèce  de  tube  où  elle  se  tient  sans  faire  de  mouve- 
ment. Pour  faire  cette  toile,  elle  applique  une  goutte  de  sa 
liqueur  en  un  point,  s'éloigne  e<  niant,  et  va  coller  à  un  autre 
point  le  bout  de  son  fil  ;  elle  revient  ensuite  sur  ce  premier 
fil,  pour  en  coller  un  second  à  côté  de  l'endroit  d'où  elle 
est  partie ,  retourne  sur  ses  pas  pour  en  faire  autant  à 
l'autre  bout,  et  continue  cette  manoeuvre  jusqu'à  ce  qu'elle 
en  ait  posé  une  assez  grande  quantité  dans  cette  direction; 
après  quoi,  elle  en  place  qui  croisent  les  premiers,  et  comme 
tous  ces  fils  sont  gluants,  ils  se  collent  les  uns  aux  autres, 
et  forment  une  toile  assez  résistante. 

h' araignée  aquatique ,  longue  d'environ  cinq  lignes,  le 
mâle  plus  gros  que  la  femelle ,  a  tout  le  corps  brun ,  avec 
une  tache  oblongue,  plus  brune  à  la  partie  supérieure  du 
dos ,  et  quatre  points  enfoncés  au  milieu  de  cette  tache.  Ce 
curieux  animal  vit  dans  l'eau,  quoiqu'il  respire  l'air;  il  nage 
dans  une  position  renversée ,  et  son  abdomen  est  alors  enve- 
loppé d'une  bulle  d'air,  qui  lui  donne  l'apparence  d'un  petit 
globule  argentin  très-brillant.  On  voit  souvent  cette  araignée 
venir  se  placer  à  la  .superficie  de  l'eau,  et  s'y  tenir  connue 
6u.spendue,  en  élevant  au-dessus  de  la  surface  l'extrémité 
postérieure  de  son  corps.  Nul  doute  que  ce  ne  soit  pour  res- 


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pirer,  et  pour  se  foimer  cette  bulle  d'air  dont  elle  entoure 
son  abdomen,  sur  lequel  se  trouvent,  comme  dans  toutes 
les  arachnides,  les  orifices  des  organes  respiratoires.  Il  reste 
seulement  à  savoir  par  quel  procédé  elle  fait  adhérer  cette 
petite  masse  d'air  à  la  surface  de  son  corps.  Une  autre  sin- 
gularité-de  cet  animal,  c'est  la  faculté  qu'il  a  de  se  cons- 
truire ,  au  fond  de  l'eau  ,  une  retraite  aérienne  où  il  respire 
librement ,  vit  en  sûreté  et  trouve  un  berceau  pour  sa  jeune 
famille.  Cette  retraite  est  semblable  pour  la  forme  et  la 
grandeur  à  la  moitié  de  la  coque  d'un  œuf  de  pigeon  coupé 
en  travers.  Klle  est  entièrement  remplie  d'air ,  et  parliiite- 
nient  close ,  à  l'exception  de  sa  partie  inférieure,  où  est  une 
ouverture  assez  grande ,  qui  donne  entrée  et  sortie  à  l'ani- 
mal. Les  parois  de  cette  espèce  de  cloche  sont  minces ,  et 
d'un  tissu  de  soie  blanche,  forte  et  serrée.  Un  grand  nombre 
de  fils  irréguliers  la  fixent  aux  tiges  des  plantes  ou  à  d'au- 
tres corps.  Quelquefois  la  partie  supérieure  est  hors  de  l'eau, 
mais  le  plus  souvent  elle  y  est  entièrement  plongée.  L'arai- 
gnée s'y  tient  tranquillement,  la  tête  ordinairement  en  bas, 
situation  qui  lui  permet  de  voir  ce  qui  se  passe,  de  guetter 
sa  proie,  et  de  s'échapper  au  moindre  danger.  11  est  facile 
de  concevoir  comment  l'araignée  aquatique  remplit  sa  cloche 
d'air.  Dans  le  principe ,  l'eau  en  occupe  toute  la  capacité  ; 
pour  y  substituer  de  l'air,  l'animal  va  plusieurs  fois  succes- 
sivement à  la  surface  de  l'eau ,  se  charge  à  chaque  voyage 
d'une  bulle  d'air,  la  transporte  dans  son  habitation ,  et  dé- 
place en  l'y  abandonnant  un  volume  égal  d'eau ,  qui  sort  par 
l'ouverture  inférieure  ;  c'est  ainsi  qu'il  parvient  à  expulser 
toute  l'eau  de  sa  cellule.  Cette  espèce  se  trouve  en  Europe, 
et  en  particulier  aux  environs  de  Paris ,  dans  les  mares  de 
Gentilly,  par  exemple. 

Certaines  arachnides,  telles  que  la  tarentule  et  les 
mygales,  sont  vulgairement  appelées  araignées;  il  en 
sera  parlé  à  leurs  articles  respectifs.  Desiézil. 

ARAIRE.  Vorjez  Cuarrue. 

ARAK ,  ARRAK  ou  RACK ,  forte  boisson  spiritueuse 
qu'on  obtient  dans  l'Inde  par  la  fermentation  et  la  distilla- 
tion des  sucs  du  palmier  areka  et  du  riz ,  ou  du  sucre  de 
palmier  ordinaire  et  du  riz ,  ou  encore  du  suc  de  la  noix  de 
coco ,  et  d'autres  produits  du  règne  végétal  particuliers  à 
l'Inde.  Les  meilleures  espèces  d'arak  des  Indes  orientales 
\iennent  de  Goa  ,  de  Batavia  et  de  la  côte  de  Coromandel. 
Amsterdam  en  est  le  principal  entrepôt.  La  Jamaïque ,  la 
Guadeloupe  et  Saint-Domingue  sont  les  îles  des  Indes  occi- 
dentales qui  en  produisent  le  plus,  et  l'arak  de  ces  prove- 
nances est  l'objet  d'un  commerce  important.  Cette  liqueur, 
qu'on  appelle  également  toddi ,  a  dans  sa  fraîcheur  des  pro- 
priétés légèrement  purgatives.  Ce  n'est  qu'en  vieillissant 
qu'elle  devient  capiteuse,  et  sert  beaucoup  aux  Anglais  pour 
la  composition  de  leur  meilleur  punch.  —  On  donne  le 
nom  â'araka  à  un  breuvage  spiritueux  extrait  par  dis- 
tillation du  koumiss,  boisson  fermentée,  préparée  avec  du 
lait  de  jument. 

ARAL  (  Lac  d'  ).  C'est,  après  la  mer  Caspienne,  le  plus 
grand  lac  de  l'Asie;  sa  superficie  est  de  605  myriaraètres 
carrés;  il  est  entouré  par  les  steppes  de  Kbiwa,  le  pays  des 
Kirghiz  et  l'isthme  des  Truchmanes,  qui  sépare  ces  deux 
grands  lacs.  Les  deux  affluents  de  l'Aral  sont,  au  nord-est 
le  Sir-Dariaou  Silioun,  l'ancien  laxartes,  et  au  sud  l'Amou- 
Daria  ou  Djihoun,  YOxus  des  anciens.  Les  sources  de  ce 
dernier  furent  retrouvées  en  1838,  par  le  lieutenant  anglais 
Wood,  l'un  des  compagnons  de  voyage  d'Alexandre  Burnes, 
dans  la  partie  sud-est  du  Turkestan,  à  une  élévation  de 
5,200  mètres;  elles  y  sont  formées  par  le  lacSerikol,  dans 
des  circonstances  exactement  pareilles  à  celles  que  Marco 
Polo  décrivait  déjà  au  treizième  siècle.  L'opinion  suivant 
laquelle  l'Oxus  se  serait  autrefois  jeté  dans  la  mer  Caspienne, 
ou  tout  au  moins  y  aurait  envoyé  l'un  di;  .«es  bras,  ne  paraît 
pas  jusqu'à  présent  appuyée  de  preuves  suffisantes.  Les  eaux 
très-peu  salées  du  lac  d'Aral  nourrissent  beaucoup  d'eslur» 


730  ARAL  — 

gcons  et  (le  chiens  de  mer,  poissons  fort  recherch'^s  par  les 
peuplades  nomades  qui  errent  sur  ses  rives ,  c'est-à-dire  par 
les  tribus  arabes  du  sud  et  des  Karakalpaks  de  Test.  La 
partie  méridionale  du  lac  est  parsemée  de  petites  îles.  La 
Russie  possède  maintenant  tout  son  littoral. 

ARAM.Ce  mot  hébreu,  qui  signifie  les  hautes  terres , 
par  opposition  àChanaan,  qui  veut  dire  terres  basses, 
comprenait  toute  l'étendue  de  pays  située  au  nord-est  de  la 
Palestine,  entre  la  Phénicie,  le  mont  Liban,  l'Arabie,  le  Tigre 
et  lemontTaurus,  contrée  que  les  Grecs  appelaient  Syrie, 
Babylonie  et  ^lésopotamie.  La  langue  commune  aux  peuples 
qui  l'habitaient,  et  qui  tous  appartenaient  à  la  race  sémitique, 
était  Varaméen.  Elle  se  divisait  en  deux  dialectes  princi- 
paux :  1°  Varamden  de  l'ouest  ou  langue  syriaque ,  et 
Varaméen  de  l'esi  ou  langue  chaldéenne.  Nous  possé- 
dons en  outre  d'assez  nombreux  documents  sur  les  dialectes 
des  Samaritains,  des  Sabéens,  des  Palmyréniens,  qui  se 
rattachaient  à  ce  rameau  linguistique.  La  langue  du  Ta  l- 
mud  est  aussi  fortement  mélangée  d'éléments  araméens. 

On  peut  dire  en  général  que  les  langues  araméennes , 
qu'on  retrouve  à  peine  de  nos  jours  dans  quelques  fondrières 
des  montagnes  du  Kurdistan,  sont  les  plus  dures,  les 
plus  pauvres ,  les  moins  formées  de  toutes  celles  qui  déri- 
vent de  la  langue  sémitique  primitive,  maintenant  effacée 
partout  presque  complètement  par  l'arabe  et  le  persan. 

ARiVNDA  (  Don  Petro-Pablo  ABARACA  DE  BOBA, 
comte  d'  ),  issu  d'une  bonne  famille  d'Aragon,  né  le  21  dé- 
cembre 1718,  embrassa  d'abord  la  profession  des  armes  : 
mais  comme  il  faisait  preuve  d'un  grand  esprit  d'observation, 
Charles  111  le  nomma  son  envoyé  auprès  d'Auguste  III, 
roi  de  Pologue ,  poste  qu'il  occupa  pendant  sept  années.  A 
son  retour,  il  fut  nommé  capitaine  général  à  Valence.  Rap- 
pelé à  Madrid  à  la  suite  de  l'émeute  qui  éclata  dans  cette 
capitale  en  1765,  on  lui  confia  alors  la  présidence  du  con- 
seil de  Castille.  Aranda  ne  rétablit  pas  seulement  l'ordre ,  il 
sut  encore  mettre  des  limites  au  pouvoir  de  l'Inquisition,  et 
fit  expulser  les  jésuites  d'Espagne.  Il  ne  lui  fut  pas  donné  de 
voir  milrir  les  fruits  de  sa  politique  habUe  et  des  diverses  ré- 
formes administratives  opérées  par  lui,  notamment  des  impor- 
tantes améliorations  introduites  dans  l'organisation  judiciaire 
et  des  mesures  diverses  prises  pour  faire  ileurir  le  commerce 
et  l'industrie.  Dès  1773  l'influence  du  clergé,  et  plus  par- 
ticulièrement de  l'ordre  des  dominicains,  parvenait  à  l'éloi- 
gner de  l'administration,  sous  prétexte  de  lui  confier  l'am- 
bassade de  Paris.  11  fut  remplacé  alors  à  la  direction  des  af- 
faires par  Grimalili  jusqu'en  1778,  et  ensuite  par  le  comte 
de  Florida  Blanca.  Cène  fut  qu'«n  1792,  et  lorsque  Florida 
Blanca  fut  tombé  victime  des  plus  basses  intrigues  de  cour, 
qu'Aranda  fut  appelé  à  reprendre  les  fonctions  de  ministre 
dirigeant  ;  mais  à  quelques  mois  de  là  Go  do  y  le  remplaçait, 
à  la  surprise  et  à  la  risée  générale  de  la  cour  et  du  pays. 
Aranda  conserva  bien  la  présidence  du  conseil  d'État,  qu'il 
avait  organisé  ;  mais  s'étant  un  jour  permis  de  dire  franche- 
ment son  opinion  sur  la  guerre  déclarée  par  l'Espagne  à  la 
France,  il  fut  exilé  en  Aragon,  où  il  mourut  en  1799.  Madrid 
lui  est  redevable  de  la  suppression  d'une  foule  d'abus. 

ARAIVEIDES.  C'est  le  nom  qui  a  été  donné  à  une  fa- 
mille des  arachnides  pulmonaires,  et  qui  est  composée 
des  animaux  appelés  vulgairement  araignées. 

ARAXJUEZ,  ville  et  château  de  [jlaisance  {Sitio), 
dans  la  province  de  Tolède,  sur  le  Tage,  qui  y  reçoit  les 
eaux  du  Xamara,  à  44  kilom.  environ  de  Madrid.  La  ville 
est  construite  dans  le  goiit  hollandais.  Les  mes,  droites  et 
larges ,  se  croisent  à  angle  droit.  La  population  est  d'envi- 
ron 2,500  âmes.  Le  château,  où  la  famille  royale  vient  ordi- 
nairement passer  la  belle  saison  ,  est  dune  grande  magnifi- 
cence. Des  sommes  énormes  ont  été  employées  à  le  cons- 
tniire  et  à  l'embellir.  Parmi  les  nombreuses  fabriques  de 
son  parc,  la  casa  del  Labrador  est  justement  célèbre.  Ses 
jets  d'eau  et  ses  admirables  cascades  sont  aujourd'hui  dans 


ARAPILES 

un  état  de  délabrement  à  peu  près  complet.  Les  douze 
belles  avenues  d'ormes  qui  partent  du  rond-point  du  parc  et 
se  prolongent  jusqu'à  ses  extrémités  sont  reUées  entre  elles 
par  huit  allées  latérales  plantées  d'arbres  non  moins  éle- 
vés, décrivant  autant  de  lignes  circulaires.  Le  haras  royal 
d'Aranjuez  jouissait  autrefois  d'une  grande  réputation,  et 
on  y  élevait  aussi  beaucoup  de  mulets  et  de  taureaux.  Les 
malheureux  événements  qui  se  sont  accomplis  en  Espagne 
depuis  la  mort  de  Ferdinand  VII  ont  eu  pour  résultat  la 
ruine  de  ce  magnifique  étabUssement  de  même  que  l'état 
d'abandon  dans  lequel  se  trouva  le  château.  Charles-Quint 
avait  déjà  manifesté  l'intention  de  se  faire  construire  un 
cluiteau  de  plaisance  dans  ces  beaux  lieux  ;  mais  ses  projets 
ne  furent  réalisés  que  sous  le  règne  de  Philippe  II.  Les  rois 
d'Espagne  qui  contribuèrent  le  plus  à  agrandir  et  à  embellir 
le  château  d'Aranjuez  furent  Ferdinand  VI,  Charles  III  et 
Charles  IV.  Entre  autres  souvenirs  historiques  qui  se  ratta- 
chent à  cette  royale  demeure ,  il  faut  citer  :  1°  le  traité  qui  y 
fut  signé  le  12  avril  1772  entre  la  France  et  l'Espagne,  en 
vertu  duquel  celle-ci  promit  à  la  première  son  appui  contre 
l'Angleterre;  2°  la  révolution  qui  s'y  accomplit  le  18  mars 
180S.  —  Un  chemin  de  fer  unit  maintenant  cette  résidence  à 
Madrid. 

ARAPILES.  Cest  le  nom  d'un  village ,  ou  plutôt  d'an 
hameau  situé  en  avant  de  Salamanque  (  Espagne  ),  sur 
une  hauteur  qui  domine  cette  ville,  et  où  fut  hvrée,  le  22 
juillet  1812,  une  bataille  qui  reçut  son  nom,  et  que  l'impru- 
dence et  les  manœuvres  décousues  du  maréchal  Marmont 
firent  perdre  à  l'armée  française.  Elle  avait  à  faire  face  aux 
Anglo-Portugais,  commandés  par  WeUington,  qui  ne  put,  du 
reste,  se  glorifier  d'un  succès  décisif. 

Notre  aile  droite  s'appuyait  sur  le  mamelon  des  Arapiles. 
Notre  gauche,  que  commandait  le  général  Thomières,  eût 
dû  s'y  tenir  soudée  et  opposer  ainsi  une  masse  compacte 
aux  forces  supérieures  de  l'ennemi.  Il  n'en  fit  rien  malheu- 
reusement, et  laissa  sa  ligne  se  développer  tellement  outre 
mesure,  que  bientôt  l'extrémité  se  trouva  à  huit  kilomètres 
du  centre.  Wellington,  s'étant  aperçu  de  ce  faux  mouve- 
ment, renforça  sa  droite  et  s'avança  résolument  pour  couper 
notre  aile  gauche  de  notre  centre.  En  ce  moment  critique  le 
duc  de  Raguse  fut  blessé  au  bras  par  un  boulet.  L'ennemi 
profita  de  l'hésitation  que  cet  accident  répandit  dans  notre 
armée,  pour  attaquer  avec  impétuosité  le  corps  du  général 
Thomières  et  le  tourner.  Le  général  Bonnet,  remplaçant 
alors  le  maréchal  Marmont,  fut  blessé  comme  lui.  Mais  un 
jeune  sous-lieutenant  du  118' de  ligne,  nommé  Guillemot, 
désespéré  de  voir  la  victoire  nous  échapper,  fondit  comme 
une  flèche  sur  un  bataillon  anglais,  et  s'emparant  de  son 
drapeau,  après  avoir  abattu  le  bras  de  celui  qui  le  portait,  le 
rapporta  au  milieu  de  son  régiment,  non  sans  être  criblé  de 
coups  de  baïonnette  dans  sa  glorieuse  retraite. 

Cependant,  le  corps  du  général  Thomières  avait  été  taillé 
en  pièces ,  et  les  autres  divisions  de  l'aile  gauche,  culbutées 
les  unes  sur  les  autres,  rejoignaient  le  gros  de  l'armée  dans 
le  plus  grand  désordre,  quand  le  général  Clausel  vint  pren- 
dre le  commandement  en  chef.  A  force  de  sang-froid,  de 
présence  d'esprit  et  de  courage,  il  rétablit  l'ordre  de  bataille 
et  rallia  la  gauche  et  la  dioite  sur  le  centre,  en  exécutant 
cette  admirable  manœuvre  devant  l'ennemi  victorieux. 

L'armée  française  était  sauvée  ;  les  nouvelles  attaques  de 
Wellington  furent  repoussées  par  notre  artillerie;  le  120' 
de  ligne  défendit  héroïquement  la  hauteur  des  Arapiles; 
et  à  neuf  heures  du  soir  nos  braves,  harassés  de  fatigue, 
commençaient,  en  bon  ordre,  leur  mouvement  de  retraite 
dans  la  direction  de  Peùaranda,  pour  regagner,  à  Arevalo, 
la  grande  route  de  Madrid.  L'ennemi  essaya  bien,  à  plu- 
sieurs reprises,  d'inquiéter  nos  derrières;  mais  le  général 
Foy,  qui  commandait  l'arrière-garde,  couvrit  notre  mar- 
che ,  et  l'armée  parvint  à  traverser  la  Tormès  sans  obstacle. 

La  bataille  des  Arapiles,  appelée  par  les  Anglais  bataille 


ARAPILES  —  ARAUCOS 


737 


de  Salamanqiie,  coula  au\  Français  cinq  mille  hommes  mis 
hors  lie  combat ,  deux  mille  prisonniers  et  onze  pièces  de 
canon.  Trois  de  nos  f;éni>rau\  y  furent  tués,  deux  génôraux 
en  chef  blessés;  l'ennemi  eut  plus  de  cinq  mille  honunes 
tués  ou  lilessés.  E.  de  Monclwe. 

ARARAT,  montagnes  célèbresdu  versant  septentrional 
du  plateau  d'Arménie,  où  \iennent  se  confondre  les  fron- 
tières russe,  turque  et  persane,  à  65  kilom.  an  sud  d'Éri- 
van.  On  les  distingue  d'ordinaire  en  grand  Arafat,  dont  le 
sommet,  formé  par  des  pits,  s'élève  à  5,4 18  mètres  au-dessus 
du  niveau  de  la  mer,  et  en  pefit  Araraf,  qui  n'atteint  qu'une 
élévation  de  4,094  mètres.  Les  Arméniens  nomment  ces 
montagnes  Massis ,  et  les  Turcs  Agfiridagh  ,  c'est-k-{ùr(^ 
monts  escarpés.  En  1829  Parrot  en  atteignit  le  sommet.  Il 
décrit  toute  la  contrée  environnante  comme  d'une  nudité 
extrême,  tixe  la  limite  des  neiges  éternelles  à  la  hauteur  de 
4,433  mètres,  et  représente  les  roches  qu'on  y  trouve  comme 
d'origine  volcanique,  formées  tantôt  de  lave  refroidie,  tantôt 
de  scories  moins  compactes  ou  de  trachytes.  En  août  1S40 
l'Ararat  témoigna  encore  de  quelque  activité  volcanique. 

Ces  montagnes  jouissent  d'un  grand  renom  de  sainteté 
parmi  les  chrétiens  arméniens,  parce  qu'ils  croient  avec 
tous  les  peuples  voisins  que  ce  fut  là  que  s'arrêta  l' A  rc  h  e 
de  >'oé,  dont  quelques  débris  existaient  encore,  suivant 
eux,  il  n'y  a  pas  longtemps,  à  certain  endroit  de  l'Ararat. 

Dans  l'une  des  vallées  les  plus  profondes  que  forme  l'A- 
rarat, on  trouve  le  village  à'Agoitri,  où  Noé  planta,  dit-on,  la 
première  vigne  ;  à  sa  base  s'élèvent  plusieurs  couvents,  en- 
tre autres  celui  d' E  t  s  c  h  m  i  a  d  z  i  n,  où  l'on  voit  la  plus  an- 
cienne église  qu'il  y  ait  peut-être  dans  toute  la  chrétienté, 
puisqu'elle  date  de  l'an  303. 

ARATOIRES  (Instruments).  Les  instruments  qu'em- 
ploie l'agriculture  ont  été  rangés  par  .M.  de  Gasparin  en  cinq 
classes  principales  :  1°  ceux  qui  ont  pour  but  de  modifier  la 
ténacité  de  la  terre  en  la  pénétrant ,  la  retournant,  l'ameu- 
blissant, que  l'on  nomme  histruments  de  culture  (plan- 
toirs, bêches,  râteaux,  houes,  etc.);  2"  ceux  qui  ont 
pour  but  de  distribuer  les  semences  des  plantes  dans  le  scia 
delà  terre  :  ce  sont  les  semoirs  ;  3'^  ceux  qui  complètent 
l'œuvre  de  la  nature  dans  la  production  des  fruits,  en  aidant 
à  la  séparation  mécanique  des  parties  végétales  hétérogènes, 
comme  les  fléaux,  les  rouleaux  à  dépiquer,  les  machines  à 
battre;  ce  sont  les  instrtimcnts  de  récolte  ;  4"  ceux  qui  sont 
destinés  à  transporter  sur  la  terre  de  nouveaux  éléments  de 
fertilité  ou  à  enlever  ses  produits,  tels  que  les  véhicules 
divers,  chariots,  charrettes,  brouettes,  etc.  ;  ce  sont  les  ins- 
truments  de  transport  ;  5°  enfin,  ceux  qui  élèvent  l'eau  au 
niveau  du  sol  pour  pourvoir  à  son  irrigation  ;  ce  sont  les  ?/m- 
chines  hydrauliques. 

ARATUS  DE  SICYO^E,  célèbre  homme  d'État  grec, 
naquit  vers  l'an  272  avant  J.-C.  Échappé  aux  meurtriers  de 
son  père,  Clinias,  il  conçut  dès  sa  plus  tendre  jeunesse  le 
dessein  de  chasser  les  tyrans  qui  opprimaient  sa  patrie.  Il 
avait  été  obligé  de  se  réfugier  .'i  Argos  ;  mais  il  n'eut  pas 
plus  tôt  atteint  l'âge  de  ^ingt  ans,  qu'il  revint  à  Sicyone,  où, 
d'accord  avec  un  certain  nombre  d'exilés  comme  lui  et  de 
compatriotes  qui  ne  souffraient  pas  moins  impatiemment  la 
tyrannie  de  Nicoclès,  il  mit  le  feu  au  palais  de  l'oppresseur; 
et  celui-ci,  surpris  dans  son  sommeil,  dut  s'estimer  heureux 
de  trouver  son  salut  dans  une  prompte  fuite.  Aratns  rétablit 
alors  à  Sicyone  les  formes  du  gouvernement  républicain,  et 
secondé  par  Ptolémée  Philadelphe,  il  fit  admettre  la  ville 
affranchie  dans  cette  célèbre  confédération  des  Achéen s, 
composée  au  début  de  treize  cités,  qui  en  tirèrent  tant  d'autres 
de  l'esclavage,  après  l'avoir  secoué  elles-mêmes.  Aratus  de- 
vint l'âme  de  cette  ligue,  qu'il  consolida  de  plus  en  plus  en 
y  faisant  successivement  accéder  d'autres  villes  de  la  Grèce, 
et  surtout  en  reprenant  par  ruse  l'Acro-Corinthe  ou  citadelle 
de  Corinthe,  dont  s'était  emparé  le  roi  de  Macédoine,  Anti- 
gène Gonatas,  qui  de  là  menaçait  l'indépendance  de  la  Grèce 

DICT.  DE  LA  CONTEB0.  —  T.  I. 


tout  entière.  Ce  fut  lui  qui  pendant  plusieurs  années  de  suite 
fut  chargé,  en  qualité  de  stratège,  de  la  direction  de  toutes  les 
opérations  militaires  entreprises  par  la  confédération.  Une 
tentative  qu'il  fit  ensuite  pour  délivrer  également  de  la  ty- 
rannie la  ^ille  d'Argos  ayant  échoué,  il  se  consacra  désor- 
mais uniquement  à  assurer  le  bonheur  de  ses  concitoyens, 
qui  lui  élevèrent  une  statue  et  lui  décernèrent  le  surnom  de 
Sauveur.  Mais  plus  tard,  en  l'an  224  avant  J.-C,  ayant 
connnis  la  faute  d'invoquer  le  secours  du  roi  de  Macédoine 
Antigone  Doson  ,  contre  le  roi  de  Sparte  Cléomène,  il  livra 
ainsi  la  ligue  achéenne  à  la  merci  des  rois  de  Macédoine.  An- 
tigone ,  tant  qu'il  vécut ,  témoigna  toujours  beaucoup  de 
déférence  pour  les  avis  d'Aratus,  et  prit  ses  conseils  pour  tout 
ce  qui  avait  trait  aux  a(fai:es  de  la  Grèce;  mais  Philippe II, 
son  successeur,  n'agit  point  ainsi,  et  pour  se  débarrasser 
d'un  conseiller  souvent  importun,  il  le  fit  empoisonner 
(an  213  avant  J.-C.  ).  Aratus  résista  longtemps  aux  effets 
du  poison  ;  mais  comme  il  <lépérissait  visiblement  déplus  en 
plus,  il  dit  à  un  de  ses  amis,  qui  s'alarmait  de  son  état  : 
u  Tu  vois  ce  que  rapporte  l'amitié  des  rois  !  »  Aratus,  dont 
Plutarque  a  écrit  la  vie,  est  incontestablement  une  des 
grandes  figures  de  l'antiquité. 

ARATUS  DE  SOLES  en  Cilicie  ,  ou  de  Pompéiopolis, 
ville  de  la  même  province,  (lorissait  vers  l'an  270  avant  J.-C. 
Quoiqu'il  ne  fût  pas  lui-même  astronome,  il  exposa  dans  un 
poëme  didactique,  intitulé  Phainomena  (les  Phénomènes), 
le  système  astronomique  qu'Eudoxe  de  Cnide  avait  fait  pré- 
valoir à  celte  époque  ;  et  il  y  ajouta,  sous  le  titre  de  Diose- 
meia  (les  Prodiges),  des  règles  de  météorologie  tirées  de  l'état 
des  astres.  Ces  deux  poèmes  se  distinguent  par  la  pureté  du 
style  et  par  une  bonne  versification.  Des  traductions  latines 
en  avaient  été  faites  par  Cicéron  et  par  Jules-César  Germa- 
nicus;  mais  il  n'en  reste  plus  que  des  fragments,  qui  ont 
été  recueillis  par  Rufus  Festus  Avienus.  Halma  en  a  donné 
une  traduction   française  (Paris,  !823). 

ARAUCARIA  (  du  nom  des  Araxicos),  genre  de  coni- 
fères, établi  par  A.-L.  de  Jussieu,  et  déjà  appelé  par  La- 
marck  Dombeya.  Ce  sont  de  grands  arbres  à  tige  droite, 
portant  comme  les  sapins  des  branches  rapprochées  en  faux 
verlicilles  très-réguliers.  Celles  du  basse  détruisent,  celles 
du  haut  persistent,  s'allongent  et  retombent  en  partie,  ce  qui 
donne  à  l'arbre  un  port  remarquable.  Les  rameaux  sont 
couverts  de  larges  feuilles  lancéolées,  aiguës,  très-dures 
et  ne  tombant  que  très-tard.  Les  fleurs  mâles  et  les  fleurs 
femelles  se  développent  surdes  individus  différents  à  l'extré- 
mité des  rameaux.  L'embryon  présente  deux  cotylédons 
appliqués  l'un  conlre  l'autre  dans  \'araucaria  cfiilicnsis 
et  Varaucaria  brasiliensis,  ce  qui  les  distingue  des  entassa 
ou  araucaria  de  l'Australie,  qui  ont  quatre  cotylédons 
foliacés  portés  sur  une  longue  tigelle.  Le  Jardin  des  Plantes 
de  Paris  possède  un  araucaria  cunninghamii,  de  l'île  de 
Norfolk,  apporté  en  1830  à  l'état  de  bouture  et  tout  rongé 
par  des  chèvres.  Z. 

ARAUCOS  ou  ARAUCANS,  belliqueuse  peuplade  in- 
dienne du  Chili,  habitant  entre  le  fleuve  Bioblo  au  nord  et 
l'archipel  deChiloé  au  sud,  lesAndesà  l'est  et  le  grand  Océan 
à  l'ouest.  Suivant  d'anciens  autours  espagnols  les  Araucans 
sont  constitués  en  république  aristocratique.  Il  y  a  parmi 
eux  trois  ordres  de  magistrats  subordonnés  les  uns  aux  autres  : 
les  toquis  (juges),  au  nombre  de  quatre,  égaux  en  pouvoir  et 
préposés  à  l'administration  des  butal-mapus  (principautés); 
W?,  apo-ulmènes ,  qui  administrent  les  aillaragues  (pro- 
vinces),  et  les  ulmènes,  administrateurs  des  règues  (  dis- 
tricts). Toutes  ces  dignités  sont  héréditaires.  Le  corps  entier 
des  chefs  ou  magistrats  se  réunit ,  en  certaines  circonstances, 
dans  une  diète  générale,  appelée  Auca  Coyag  (conseil  des 
Araucans  ).  Lorsque  celte  diète  a  décidé  la  guerre,  on  élit 
le  généralissime  parmi  les  quatre  toquis  ou  parmi  les  vl- 
mènes.  Ce  généralissime  jouit  d'un  pouvoir  dictatorial  absolu. 
Letoqui  fait  connaître  aux  apo-ulmènes  le  nombre  d'hommes 

93 


738  ARAUCOS  —  ARBALÈTK 

armés  qu'ils  ont  à  fournir.  L'armée  se  compose  d'infanterie 
et  de  cavalerie  ;  ce  fut  le  toqiii  Cadégtial  qui,  en  1585  ,  or- 
ganisa régulièrement  la  cavalerie  du  pays  sur  le  modèle  des 
escadrons  espagnols.  Ils  n'ont  pas  d'uniforme ,  mais  ils  por- 
tent des  cuirasses  et  des  casques  de  cuir  durci.  La  cava- 
lerie est  armée  de  lances  et  d'épées  ;  l'infanterie  de  piques  et 
de  massues  garnies  de  pointes  de  fer.  Jusqu'au  lieu  du  com- 
bat, l'infanterie  est  à  cheval.  Au  signal  de  la  bataille, 
tous  s'élancent  avec  le  plus  grand  courage. 

Pour  ce  qui  est  de  la  religion,  les  mêmes  auteurs  ajoutent 
n  que  les  Araucans  reconnaissent  un  Dieu  suprême,  auteur 
de  toutes  choses  ,  qu'ils  nomment  Pillan  (âme ,  esprit),  ou 
encore  Guemipillan  (esprit  du  ciel),  noms  qui  ont  une  foule 
d'épithètes  pour  synonymes,  comme  le  Tonnant,  le  Tout- 
Puissant,  l'Étemel,  l'Infini,  etc.  Ce  Dieu  suprême,  ce  grand 
Toqui  du  monde  invisible,  a  aussi  ses  ^l/)o-l7/7nè«es  et  ses 
L'imèncs,  auxquels  il  confie  la  direction  des  choses  terres- 
tres. Entre  les  dieux  subalternes  on  distingue  Epunamum 
(leMarsdes  Araucans),  Guecnbu  (le  dieu  du  mal),  elMeoulen 
(le  dieu  du  bien).  Il  y  a  aussi  des  déesses  (Amey-Malgfien) 
dans  ce  système  religieux ,  déesses  toujours  vierges,  consi- 
dérées comme  les  génies  familiers  de  l'homme.  Du  reste,  les 
Araucans  ont  réduit  la  religion  à  assez  peu  de  chose  :  ils 
n'ont  ni  temples  ni  prêtres.  Plus  superstitieux  que  religieux, 
ils  croient  aux  sorciers  et  redoutent  beaucoup  les  enchante- 
ments. Cela  ne  les  empêche  pourtant  pas  de  croire  a  l'im- 
mortulité  de  l'àme,  et  de  distinguer  le  corps,  matière  corrup- 
tible (  ouca  ),  de  l'àme,  principe  immortel  (aiic  ou  piilli  ). 
Ils  pensent  qu'après  la  mort  les  âmes  vont  de  l'autre  côté  de 
la  mer,  vers  l'Occident,  dans  un  certain  endroit  appelé 
Gulcheman ,  goûter  des  plaisirs  éternels  ou  expier  les  mé- 
chantes actions  de  la  vie. 

«  VAdmapu  ou  code  national  permet  la  polygamie;  et  les 
Araucans  prennent  autant  de  femmes  qu'ils  peuvent  en  ache- 
ter; mais  la  première  femme  est  seule  regardée  comme  lé- 
gitime. L'éducation  des  enfants  leur  donne  une  constitution 
très-vigoureuse.  On  leur  laisse  faire  tout  ce  qu'ils  veulent 
(l'éducation  à  la  Jean-Jacques!),  et  ils  se  forment  d'eux- 
mêmes.  On  ne  les  reprend  et  on  ne  les  punit  jamais,  parce 
que  les  châtiments  ne  font  que  des  bommes  lâches  et  craintifs. . 
n  Les  Araucans  attachent  une  grande  importance  à  l'art 
delà  parole.  Il  y  a  chez  eux  un  style  particulier  pour  les 
discours  parlementaires ,  qu'ils  appellent  coyaglucan  ;  ils 
ont  aussi  le  style  rachidugem,  espèce  de  style  académique. 
Leurs  poètes  composent  des  chants  sur  les  actions  de  leurs 
héros,  en  vers  de  huit  ou  onze  syllabes.  On  distingue  chez 
eux  trois  classes  de  médecins  :  les  amfibcs  (espèce  d'ho- 
méopathes qui  emploient  surtout  les  simples  dans  leur  trai- 
tement), les  vilciis,  et  les  machin,  médecins  superstitieux. 
Tous  les  arts,  du  reste,  et  toutes  les  industries  sont  très- 
peu  avancés  parmi  eux.  « 

On  ne  s'en  douterait  guère  en  vérité  après  ce  qu'on  vient 
de  lire!  Kous  nous  sommes,  en  effet,  laissé  aller  au  plaisir  de 
citer;  mais  force  nous  est  de  prévenir  bien  vite  nos  lecteurs 
que  les  géographes  espagnols,  et  ceux  qui  s'avisent  encore 
aujourd'hui  de  les  copier  imperturbablement,  ne  nous  don- 
nent là  qu'un  roman  ,  ou  du  moins  que  les  rares  voyageurs 
qui  de  nos  jours  ont  pénétré  dans  le  pays  des  Araucans  s'ac- 
cordent à  rejeter  dans  le  domaine  des  fables  fous  les  détails 
(lu'on  vient  de  lire  sur  la  législation  et  la  constitution  politi- 
que des  Araucans.  L'allemand  Pœppig,  le  dernier  qui  lésait 
visités,  déclare  que,  loin  d'avoir  des  orateurs  et  des  poètes,  ils 
uontpas  môme  encore  essayé  de  se  faire  une  langue  écrite. 
Ce  qui  est  incontestable,  c'est  que  les  Araucans,  peuple 
remarquable  par  sa  bravoure  et  son  amour  pour  la  liberté, 
ne  purent  jamais  être  soiunis  par  les  Espagnols,  et  jouissent 
encore  aujourd'hui  de  leur  ccnplète  indépendance;  que  les 
uns,  et  c'est  le  plus  grand  uoiubre,  sont  nomades;  que  les 
autres  habitent  des  villages- bâtis  sur  les  bords  des  nombreux 
cours  d'eau  qui  arrosent  leur  pays,  et  qu'ils  forment  une 


espèce  do  confédération  présidée  par  un  conseil  de  sages  et 
d'anciens  désignés  par  élection.  C'est  une  race  énergique  et 
vigoureuse,  de  taille  moyenne,  à  la  peau  cuivrée,  au  visage 
plat,  et  d'une  expression  sombre  et  défiante.  Tandis  que  dès 
leur  plus  tendre  enfance  les  hommes  s'exercent  à  monter  à 
cheval,  à  manierde  longues  lances  et  à  lancer  au  loin  le  lasso, 
longue  courroie,  et  les  bolas,  boules  de  fer  attachées  à  ses 
extrémités,  avec  lesquels  ils  enlacent  à  de  grandes  distances 
le  taureau  ou  le  cheval  sauvage  qui  fuit,  les  femmes ,  cons- 
tamment retenues  en  esclavage ,  sont  condamnées  à  tous 
les  travaux  pénibles  du  ménage.  —  Ercilla  a  composé 
un  poème  épique  sous  le  titre  d' Araucaria. 

ARAXE  CApa^ri;) ,  en  zend  Neorokesche  ,  aujourd'hui 
Aras,  fleuve  qui  prend  sa  source  dans  le  mont  Abus,  lequel 
forme  au  sud-ouest  la  liinite  de  l'Arménie.  Il  parcourt  les  cam- 
pagnes situées  au  pied  de  cette  montagne,  d'abord  vers  l'est, 
ensuite  depuis  le  mont  Ararat  jusqu'à  sa  .sortie  d'Armé- 
nie, vers  le  sud-est;  reçoit  à  droite  et  à  gauche  plusieurs 
rivières;  puis,  sortant  de  ce  pays  de  montagnes,  non  loin 
de  la  ville  d'Astérabath,  se  précipite,  avec  un  bruit  qui  s'en- 
tend de  quatre  kilomètres,dansle  pays  plat  (  fleStov  'ApaÇrivo-;, 
Campus  Araxeniis);  de  là  se  replie  vers  le  nord-est,  et 
forme  la  limite  septentrionale  de  l'Aderbidjan  (Atropa- 
tènc).  D'une  extrême  rapidité  en  Arménie,  il  coule  tran- 
quille et  lent  dans  les  plaines  que  nous  venons  de  nommer, 
et,  après  avoir  encore  reçu  plusieurs  affluents,  se  mêle,  près 
de  la  ville  de  Djavat,  à  un  fleuve  non  moins  fort,  au  Kur 
on  Cyrus;  delà,  et  après  un  cours  de  60  kilomètres  environ, 
il  se  jette  par  deux  embouchures  dans  la  mer  Caspienne. 

Ce  fleuve,  que  dans  ces  derniers  temps  Mac-Kinneird 
a  trouvé  si  faible  dans  le  territoire  de  Dscbulpa ,  sur  la 
droite  du  mont  Ararat,  et  qui  ne  doit  pas  être  très-profond 
près  d'Erzeroum ,  est  tellement  enflé  à  certaines  époques 
par  les  neiges  des  montagnes  voisines,  qu'il  a  toujours 
renversé  les  ponts  qu'on  a  voulu  lui  imposer  :  témoin  celui 
de  Dscbulpa  (Julfa) ,  construit  par  Abbas  le  Grand,  dont  on 
voit  encore  les  ruines,  et  ceux  de  Xerxès,  Alexandre,  Lu- 
cullus,  Pompée,  Mithridate,  Antoine  et  Auguste. 

La  fertilité  qu'il  donne  au  pays  dédommage  de  l'aspect 
monotone  de  ses  rives,  presque  partout,  et  à  une  grande 
distance,  nues  et  sans  arbres. 

ARBA.CE.  Voyez  .\rbacides. 

AKIiACIDES,  dynastie  qui  a  donné  des  rois  à  la  Médie, 
et  qui  descend  du  préfet  Arbace,  l'un  des  conjurés  qui  détrô- 
nèrent Sardanapale.  Arbace  prit  Ninive,  affranchit  les  Mèdes 
de  la  domination  des  Assyriens,  et  s'en  fit  proclamer  roi, 
S86  ansavantJ.-C.;il  régna  vingt-huit  ans.  Mais  il  est  difficile 
de  dire  quels  furent  ses  véritables  successeurs.  Diodore,  co- 
piste de  Ctésias,  compte  neuf  rois  après  Arbace  :  Mandaucès, 
son  fils  ;  Sosarmus  ou  .Medidus,  Artycas  ou  Cardiccas,  Arbia- 
nes,  qui  fit  la  guerre  aux  Cadusiens;  Artœus,  qui  fut  battu 
pareux;Artynes,  Artibarnas,  quiguerroya  contre  les Saces  et 
leur  reine  Zanare;  Astibares  et  Aspandas  ou  Astyages.  Il  est 
à  peu  près  certain  que  tous  ces  rois  sont  tirés  de  la  seule  ima- 
gination de  Ctésias,  quia  été  copié  plus  tard  par  Eusèbe  et 
Syncelle,  lesquels  se  bornent  toutefois  aux  quatre  premiers 
en  comptant  Arbace.  Hérodote  ne  parle  ni  de  lui  ni  de  sa 
postérité,  et  ne  commence  l'histoire  des  Mèdes  qu'à  Déjocès. 

ARBALETE  (  en  latin  arcubalista,  fait  d'arciw,  arc, 
et  de  balista,  dérivé  du  verbe  grec  pa).),to  ,  je  lance) ,  arme 
composée  d'un  arc  d'acier  monté  sur  un  fût  en  bois,  et  qui 
servait  à  tirer  des  balles  et  de  gros  traits.  Pour  se  former 
une  idée  de  l'arbalète  perfectionnée,  il  faut  se  représenter 
un  bois  de  fusil  de  munition  dépourvu  de  son  canon,  por- 
tant au  bout  et  en  travers  un  arc  de  bois  ou  d'acier;  la 
corde  de  cet  arc  étant  amenée  vers  la  crosse,  s'arrêtait  dans 
le  cran  d'une,  pièce  qu'on  appelait  la  noix  ;  on  posait  la 
(lèche  dans  le  canal  qui,  dans  n  jtre  supposition  ,  est  occupé 
par  le  canon  du  fusil,  et,  en  pressant  une  détente,  la  noix 
tournait  sur  elle-même ,  la  corde  se  décrochait  et  poussait 


ARBALÈTE 

la  flèche  avec  une  vitesse  proportionnelle  ;\  la  force  de  l'arc. 
11  y  avait  de  ces  machines  dont  on  bandait  l'arc  au  moyen 
de  poulies  ou  de  roues  d'engrenage  que  l'on  faisait  tourner 
avec  une  manivelle.  Les  arbalètes  avaient  des  points  de  mire. 

L'invention  de  l'arbalète  est  attribuée  aux  Phéniciens. 
La  première  fois  qu'il  en  est  question  dans  les  guerres  de 
France,  c'est  sous  Louis  le  Gros;  le  second  concile  de  La- 
tran,  tenu  sous  son  fds  et  son  successeur,  Louis  le  Jeune, 
proscrivit,  sous  peine  d'anathème,  cette  invention  meur- 
trière ;  mais  bientôt  l'usaiie  en  fut  rétabli ,  d'abord  en  An- 
gleterre par  Richard  Cœur  de  Lion ,  puis  en  France  par 
Philippe-.\uguste,  dans  les  armées  duquel  les  arbalétriers 
rendirent  de  grands  services,  notamment  à  la  bataille  de 
Bouvines,  livrée  en  1214.  Les  gendarmes  arbalétriers  ont 
été  anciennement  ce  que  sont  devenus  depuis  les  cficvmi- 
légers;  ils  ont  eu  un  grand  maître  :  Matthieu  dcBeaume 
l'était  sous  saint  Louis ,  et  le  dernier  qui  ait  été  investi  de 
cette  qualité  est  Aymard  de  Prie,  mort  en  1534.  La  suppres- 
sion de  cette  milice  ne  date  pas  néanmoins  de  cette  époque, 
car  on  la  retrouve  en  grande  activité  sous  le  règne  de 
François  \",  où  ce  prince  avait,  parmi  ses  gardes ,  à  la  ba- 
taille de  Marignan,  une  compagnie  de  deux  cents  arbalétriers, 
qui  fit,  dit-on,  merveille.  Brantôme  parle  dans  ses  Mé- 
moires de  la  journée  de  la  Bicoque,  en  1522,  où  il  y  avait 
dans  l'armée  un  seul  arbalétrier,  «  mais  si  adroit  que  Jean 
de  Cardonne,  capitaine  espagnol,  ayant  ouvert  la  visière  de 
son  armet  pour  respirer,  l'arbalétrier  tira  sa  flèche  avec 
tant  de  justesse  qu'il  lui  donna  dans  le  visage,  et  le  tua.  » 

ARBALÈTE  (Compagnies  de  l'),  DE  L'ARC,  ou  DE 
L'ARQUEBUSE.  .\prèsle  licenciement  des  archers  par 
Louis  XI,  on  retrouve  encore  dans  les  villes  de  France  des 
citoyens  s'exerçant  au  tir  de  Tare,  de  l'arbalète  ou  de  l'ar- 
quebuse ,  et  faisant  un  service  communal. 

Leur  organisation,  leurs  réunions,  leur  chef,  nommé 
roi  du  papegay ,  parce  qu'il  ne  prenait  ce  titre  qu'après 
avoir  abattu  l'oiseau  ou  perroquet  servant  de  cible ,  ont  été 
souvent  tournés  en  dérision.  On  les  a  assimilés  en  grande  par- 
tie aux  princes  des  fous,  aux  rois  de  la  Basoche,  aux  princes 
de  la  Sotie,  etc.,  à  toutes  les  mascarades  burlesques  du 
moyen  âge.  Cest  une  grave  injustice;  car  cette  institution 
a  rendu  de  grands  services. 

Ces  compagnies  de  l'arc,  de  l'arbalète,  et  plus  tard  de  l'ar- 
quebuse, véritables  milices  bourgeoises,  troupes  d'élite  qui 
avaient  fait  leurs  preuves  en  mainte  circonstance,  étaient  au 
besoin  mobilisées  et  combattaient  alors  à  côté  de  l'armée  ac- 
tive. C'est  ainsi  que  les  compagnies  de  Picardie  prirent  part, 
sous  le  règne  de  Louis  XFV,  aux  sièges  de  Saint-Omer,d'Arras 
et  de  Dunkerque.  Déjà  les  chevaliers  de  l'arbalète  et  de 
l'arquebuse  avaient  aidé  Bayard  à  défendre  Mézières  contre 
Cliarles- Quint.  Ceux  de  Montdidier  se  joignirent  aux 
hommes  d'armes  de  la  Trémouille  pour  battre  les  Anglais 
en  1523,  ravitaillèrent  Corbie  en  1591,  et  repoussèrent  les  Es- 
pagnols commandés  par  le  grand  Condé  en  1653.  Après  le 
désastre  de  Saint-Quentin,  ce  fut  avec  le  secours  des  arba- 
létriers de  Crépy  que  Coligny  défendit  la  place  assiégée. 
Enfin,  dans  un  compte-rendu,  publié  en  1667  par  Pierre 
Drouart ,  colonel  de  l'arquebuse  parisienne ,  on  trouve  que 
ce  corps  d'élite  prit  une  part  active  à  la  guerre  de  la 
Fronde  et  au  combat  de  la  porte  Saint-Antoine  à  Paris. 

Les  meilleurs  chevaliers  de  France  tenaient  à  honneur  d'ap- 
partenir à  quelque  compagnie  d'arbalétriers  :  Du  Guesclin 
était  enrôlé  dans  celle  de  Rennes,  et  il  fut  même  roi  du  pa- 
pegay pour  avoir  remporté  le  prix  au  concours  de  cette 
ville.  Ce  fut  principalement  sous  François  I"  et  Henri  II 
que  les  compagnies  de  l'arquebuse  se  multiplièrent  ;  elles  tra- 
versèrent la  période  des  guerres  de  religion,  des  guerres  de 
la  Fronde  :  et  la  plupart  virent  leurs  privilèges  confirmés, 
étendus  et  renouvelés  par  Henri  IV,  Louis  XIII  et  Louis  XIV. 
Les  chevaliers  de  l'arquebuse  <!e  Paris,  outre  les  faveurs 
signalées  ci-dessus,  jouiient  de  la  faculté  de  faire  entrer  sans 


—  ARBÈLES  739 

droits  et  de  vendre  dans  la  ville  trois  mille  muids  de  vin. 
L'exemption  pour  ceux  de  Rennes  fut  de  vingt  tonneaux,  do 
quinze  pour  ceux  de  Quimper,  de  quarante  pour  ceux  de 
Saint-Malo,  etc. 

II  y  avait  peut-être  alors  autant  de  compagnies  de  l'arque 
buse  qu'il  existe  aujourd'hui  de  bataillons  de  la  garde  na 
tionale.  Le  gouvernement  de  la  Bretagne  en  comptait  trente 
trois;  rile-dc-France,  la  Brie  et  la  Champagne  cinquante- 
quatre.  Les  concours  excitaient  une  vive  émiUation,  non- 
seulement  entre  les  chevaliers ,  mais  entre  les  compagnies. 
Chacune  avait  un  emblème ,  un  surnom  qu'elle  cherchait  à 
illustrer,  et  qui ,  remontant  à  une  haute  antiquité,  devenait 
souvent  inintelligible  ou  ridicule.  Cambray  avait  ses  friands, 
la  Ferté-sous-Jouarre  ses  poupées,  Étampes  ses  écrevisses, 
Meulan  ses  hiboux,  Paris  ses  badauds,  etc.  Ces  réunions 
étaient  fort  brillantes.  C'est  pour  consacrer  la  mémoire  d'une 
d'elles ,  célébrée  à  Troyes  et  à  laquelle  Louis  XIII  assista , 
qu'on  édifia  les  vitraux  qu'on  y  voit  encore  représentant  ce 
monarque  en  costume  de  chevalier  de  l'arquebuse ,  tirant  le 
papegay.  Piron  ridiculisa  si  bien  une  de  ces  fêtes ,  celle  de 
Beaune,  qu'il  faillit  être  tué  par  les  chevaliers,  exaspérés  de 
ses  épigrarames.  Les  uniformes  de  ces  compagnies  étaient 
aussi  riches  qu'élégants. 

Un  décret  de  l'Assemblée  constituante,  du  12  juin  1790, 
réunit  les  compagnies  de  l'arquebuse  à  la  garde  nationale.  Na- 
poléon chargea  Junotde  les  ressusciter;  mais  les  désaslres 
de  l'empire  arrêtèrent  ce  projet.  Les  compagnies  de  l'arque- 
buse ont  pourtant  survécu  aux  catastrophes  impériales  -et 
aux  chutes  royales.  Celle  de  Compiègne  a  (ait  reconstruire 
ses  cibles,  celle  de  Château-Thierry  a  toujours  le  houx  pour 
emblème.  Le  cercle  des  carabiniers  de  Paris,  qui  descend  en 
ligne  directe  de  sa  compagnie  de  l'arquebuse,  a  été  digne- 
ment reiirésenté  par  plusieurs  de  ses  membres  au  grand 
tfr  fédéral  helvétique  de  Bâie  en  1844.  Les  chasseurs  du 
Tyrol ,  l'association  des  carabiniers  suisses  sont  des  pé- 
pinières d'excellents  tireurs.  Voyez  Tir. 

ARBALÉTRIERS.  Voyez  Aubalète. 

ARBAA^  (  Francisque),  artificier  de  Lyon,  fit  en  1833 
une  ascension  téméraire  dans  une  montgolfière  en  papier 
qu'il  chauffait  avec  de  la  paille  et  des  copeaux  arrosés 
d'essence  de  téiébenlhine.  En  1841,  il  aida  Comasclii  dans 
ses  ascensions  à  Lyon,  et  le  suivit  à  Turin  et  à  Naples.  Il 
monta  ensuite  seul  en  ballon  à  Rome,  Florence  et  Milan. 
En  1849,  il  alla  de  Nîmes  à  Privas  en  deux  heures.  Le  2  sep- 
tembre, il  partit  de  Marseille  à  six  heures  et  demie  du  soir, 
traversa  les  Alpes  et  descendit  à  deux  heures  trois  quarts  du 
matin  aux  environs  de  Turin.  Arban  ne  rêva  plus  dès  lors 
que  longs  voyages  à  travers  l'espace.  Le  7  octobre  il  partit 
de  Barcelone,  à  cinq  heures  du  soir,  et  depuis  on  n'a  plus  eu 
de  nouvelles  de  lui.  Il  laissait  une  femme  et  deux  enf;mts. 
M'""  Arban  a  fait  aussi  des  ascensions  aérostatiques.     L.L. 

ARBÈLES,  aujourd'hui  Erbil,  dans  le  Kourdistan, 
ville  d'Assyrie,  située  près  du  Lycus,  à  l'est  de  Ninive,  célè- 
bre par  la  victoire  qu'Alexandre  remporta  sur  Darius  aux 
environs,  dans  la  plaine  de  Gaugamèles. 

Après  la  bataille  d'Issus,  Alexandre  le  Grand,  au 
lieu  d'attaquer  Darius  au  centre  de  ses  États,  s'appliqua 
d'abord  à  s'assurer  les  fruits  de  cette  première  victoire  et  à 
consolider  sa  position.  Il  se  rendit  maitre  de  Tjt  et  de  l'É- 
gj-pte ,  afin  de  ne  laisser  aucun  ennemi  derrière  lui  et  de 
n'avoir  rien  à  craindre  pour  ses  communications  et  sa  re- 
traite en  cas  de  revers.  Au  printemps  de  l'année  331  il  se 
mit  en  marche  pour  entrer  en  Perse,  où  Darius  s'était  retiré 
et  l'attendait.  Alexandre  arriva  sans  obstacle  au  mois  de 
juin  à  Thapsacus,  où  il  passa  l'Euphrate.  Les  troupes  persanes 
chargées  de  défendre  le  fleuve  s'enfuirent  à  son  approche. 
De  là  il  remonta  l'Euphrate,  puis  se  dirigea  vers  le  Tigre; 
mais  la  défense  du  Tigre  avait  pareillement  été  abandonnée  : 
Alexandre  passa  ce  fleuve,  et  suivit  son  cours,  laissant  les 
montagnes  de  la  Sogdiane  à  gauche.  Enfin  il  apprit  que  Da- 

93. 


7-10 


ARBELES 


rius  était  campé  près  du  Gaiigamela ,  sur  le  ficuve  Buma- 
dus,  non  loin  de  la  ville  d'Arbèies. 

L'armée  persane  venait  d'être  renforcée  par  les  troupes 
des  provinces  orientales,  qu'avait  amenées  Dessus.  Arrien 
en  élève  le  nombre  à  un  million  d'hommes  de  pied,  quarante 
mille  chevaux,  deux  cents  chariots  à  faux  et  quinze  élé- 
phants. Quinte-Curce  le  porte  à  six  cent  mille  hommes  d'in- 
fanterie et  cent  quarante-cinq  mille  chevaux.  Ces  nombres 
sont  sans  doute  exagérés  ;  mais,  quoi  qu'il  en  soit ,  l'armée 
persane  était  beaucoup  plus  nombreuse  que  celle  des  Macé- 
doniens. Alexandre,  n'étant  plus  éloigné  de  l'ennemi  que 
d'environ  trois  lieues,  crut  devoir  donner  encore  quatre 
jours  de  repos  à  son  armée.  Il  fit  fortifier  un  camp,  afin  d'y 
laisser  les  bagages  et  lc.~  malades,  et  de  ne  joindre  l'ennemi 
qu'avec  les  combattants.  La  nuit  du  quatrième  jour,  il  se 
mit  en  marche  avec  les  troupes  qui  devaient  coinballre,  et 
au  point  du  jour  il  aperçut  Tiramense  armée  du  roi  des 
Perses.  11  fit  halte  où  il  se  trouvait,  et,  d'après  l'avis  de  Pai-- 
ménion ,  la  journée  fut  employée  h  reconnaiti'e  le  terrain  et 
la  position  de  l'enneaji.  Darius,  de  son  côté,  rangea  son 
armée  en  bataille,  eJ  la  tint  sous  les  armes  toute  la  journée 
et  la  nuit  suivante;  ce  qui  fat'gua  beaucoup  les  troupes  et 
ralentit  leur  ardeur. 

L'ordre  de  bataille  d'.\lexandie  est  un  chef-d'œuvre  de 
tactique  et  le  plus  sur  modèle  à  suivre  pour  assurer  la  vic- 
toire à  un  petit  nombre  sur  un  grand.  L'armée  macédo- 
nienne était  forte  d'un  peu  plus  de  cinqu.aiile  raille  hommes 
d'infanterie  et  de  sept  mille  chevaux.  Loin  de  pouvoir  di- 
minuer la  profondeur  de  l'ordre  de  bataille  en  usage  chez 
les  Grecs,  et  qui  plaçait  l'infanterie  sur  seize,  Alexandre 
était  plutôt  dans  la  nécessité  de  l'augmenter,  afin  de  [;ou- 
voir  résister  au  choc  des  masses  de  cent  hommes  de  pro- 
fondeur qu'il  avait  devant  lui.  Il  ne  pouvait  donc  pas  évi- 
ter d'être  débordé  par  l'ennemi.  Il  chercha  du  moins  à  ne 
l'ôlre  que  par  une  aile,  en  dirigeant  son  attaque  en  ordre 
oblique  sur  une  des  ailes  de  l'ennemi,  et  ce  fut  l'aile  gauche 
qu'il  choisit,  parce  que  la  droite  des  Perses  était  appuyée  à 
une  rivière.  Alexanih-e  prit  en  personne  le  commandement 
de  la  droite,  et  donna  celui  de  la  gauche  à  Parménion,  le 
plus  expérimenté  de  ses  généraux.  S'étant  avancé  en  ordre 
de  bataille  à  quelque  distance  ,  il  s'aperçut  que  sa  droite 
était  encore  presqu'en  face  du  centre  de  l'armée  ennemie. 
Ne  voulant  pas  heurter  de  front  ces  troupes  d'élite,  il  lit 
faire  un  mouvement  de  flanc  à  droite  à  son  armée,  afin  de 
gagner  l'aile  gauche  ennemie.  Darius  alors  ordonna  à  la  ca- 
valerie Scythe,  qui  était  à  la  gauche,  de  charger  la  droite  de 
la  colonne  d'Alexandre,  afin  de  l'empêcher  de  se  prolonger. 
Alexandre  lui  opposa  Ménidas  avec  la  cavalerie  grecque 
auxiliaire. 

Le  combat  s'engagea  vivement,  et  les  Bactriens  étant 
venus  au  secours  des  Scythes ,  Alexandre  fut  obligé  d'en- 
gager la  cavalerie  péonienne.  En  même  temps ,  les  Perses 
lâchèrent  leurs  chariots  à  faux  ;  mais  l'infanterie  légère  des 
Argiens  suffit  pour  les  disperser  et  les  mettre  hors  de  com- 
bat. Dans  ce  moment  Darius  fit  faire  un  mouvement  en 
avant  à  la  ligne  d'infanterie,  pour  attaquer  les  Macédoniens 
et  arrêter  ainsi  leur  mouvement  de  flanc.  La  cavalerie  per- 
sane qui  était  en  ligne  essaya  également  de  gagner  la  tête 
de  la  colonne  d'Alexandre  et  de  la  déborder.  Mais  les  Scy- 
thes et  les  Bactriens  avaient  été  battus,  et  la  cavalerie  grec- 
que et  péonienne  d'Alexandre  culbuta  également  les  Per- 
ses. Ces  divers  mouvements  avaient  jeté  quelque  désordre 
dans  l'infanterie  de  la  gauche  des  Perses  et  y  avaient  ouvert 
des  lacunes.  Alexandre  en  profita.  Ayant  fait  former  rapi- 
dement en  colonne  deux  mille  chevaux  macédoniens  qui 
n'avaient  pas  encore  donné,  et  se  faisant  suivre  par  les  sec- 
tions de  <lroite  de  la  i)halange  (•gaiement  en  colonne,  il  se 
porta  par  un  à-gauchc  sur  la  ligue  ennemie,  qui  était  cn- 
ir'ouverte  et  flottante  et  l'enfonça.  Se  rabattant  ensuite ,  il 
refoula  toute  la  gauche  des  Perses  sur  le  centre.  Tout  fut 


.\UB1TRAGE 

rcnvers  •  et  mis  en  fuite.  Darius  lui-même  perdit  la  fête,  et 
quitta  le  champ  de  bataille  en  hâte. 

Mais  la  bataille  n'était  qu'à  moitié  gagnée  ;  l'aile  droite 
des  Perses  non-seulement  n'avait  rien  souffert ,  mais  elle 
était  dans  une  situation  avantageuse.  Les  Grecs  auxiliaires 
de  la  gauche  des  Maéédoniens,  vivement  pressés  par  la  ca- 
valerie arménienne ,  résistaient  à  peine.  Parménion,  ayant 
besoin  de  la  cavalerie  thessalienne  pour  appuyer  la  pha- 
lange, menacée  de  front  par  les  masses  de  la  droite  ennemie, 
ne  pouvait  soutenir  sa  cavalerie  auxiliaire  que  par  quelques 
détachements  d'infanterie  légère.  Le  mouvement  en  avant 
des  Perses  ayant  obligé  Parménion  à  cesser  de  suivre  le 
mouvement  général  à  droite,  pour  faire  front,  Simmias,  qui 
commandait  les  sections  de  la  phalange  qui  suivaient 
Alexandre,  fut  obligé  d'en  faire  autant,  et  le  roi  resta  à  la 
poursuite  avec  sa  seule  cavalerie  et  son  infanterie  légère. 
Mais  Simmias  ne  put  faire  halte  assez  tôt  pour  qu'il  ne  restât 
pas  de  lacunes  entre  les  sections  de  droite  et  de  gauche. 
Les  troupes  persanes,  refoulées  sur  leur  centre  par  Alexan- 
dre et  tournées  par  la  cavalerie  péonienne,  se  jetèrent  sur 
ces  lacunes,  percèrent  la  ligne,  et  parvinrent  jusqu'aux  ba- 
gages, qu'elles  pillèrent,  sans  songer  à  autre  chose.  Parmé- 
nion profita  en  habile  homme  de  cette  faute  grossière  ,  et , 
ayant  fait  faire  demi-tour  à  sa  seconde  ligne,  il  dispersa  les 
pillards  et  les  força  à  évacuer  le  champ  de  bataille.  Pendant 
ce  temps,  le  désordre  de  la  gauche  et  du  centre  des  Perses 
commençait  à  ébranler  leur  droite.  Parménion  ,  saisissant 
ce  moment  d'incertitude  et  d'indécision,  détacha  une  partie 
de  ses  Thessaliens  au  secours  de  la  cavalerie  grecque.  La 
cavalerie  arménienne  fut  battue,  et  la  déroute  se  mit  dans 
le  reste  des  troupes  persanes.  Cependant  Alexandre,  que 
Parménion  avait  fait  avertir  du  danger  qu'il  courait ,  était 
revenu  en  hâte  sur  le  champ  de  bataille  avec  la  cavalerie 
macédonienne.  A  jjeu  de  distance  de  la  ligne  de  Parménion, 
il  rencontra  toute  la  masse  des  fuyards  de  l'armée  persane, 
qui,  se  voyant  barrer  le  chemin,  se  jetèrent,  avec  la  fureur 
du  désespoir,  sur  ses  escadrons.  Alexandre  fut  un  moment 
en  grand  danger,  et  ne  s'en  tira  qu'en  laissant  le  passage  à 
cette  tourbe  confuse  ;  il  se  remit  ensuite  à  leur  poursuite,  et 
arriva  au  Lycus  à  la  nuit.  Le  lendemain  il  entra  dans  Ar- 
boles,  où  il  prit  les  trésors  et  les  bagages  de  Darius.  Le  roi 
de  Perse  s'était  enfui  sans  s'arrêter,  se  dirigeant  vers  la  Mé- 
die.  La  journée  d'Arbèies  assura  à  Alexandre  la  possession 
de  la  Perse.  G^'  G.  de  VAiDONCotRi. 

ARBITRAGE,  juridiction  privée  que  la  loi  ou  les 
conventions  des  parties  attribuent  à  de  simples  particuliers 
pour  juger  un  diiférend.  Avant  1856,  il  y  avait  en  effet  en 
France  deux  sortes  d'arbitrages  :  Wirbitraije  volontaire 
en  matière  civile  ou  de  commerce,  etVarbitruge  forcé, 
dans  le  cas  de  contestation  entre  associés  commerciaux. 

L'acte  par  lequel  on  convient  de  faire  juger  une  contes- 
talion  par  des  arbitres  s'appelle  compromis  comme  la  con- 
vention elle-même.  11  doit  être  fait  par  acte  notarié ,  ou 
sous  seing  privé,  ou  par  le  procès-verbal  même  des  arbi- 
tres choisis.  Il  doit  énoncer  l'objet  en  litige  et  le  nom  des 
arbitres,  à  peine  de  nullité.  Pour  consentir  un  arbitrage, 
il  faut  être  capable  de  disposer  du  droit  dont  il  s'agit  dans 
la  contestation  à  juger.  Ainsi,  les  tuteurs,  les  adminis- 
trateurs de  biens  d'autrui,  les  mineurs,  les  interdits,  les 
femmes  mariées  non  autorisi-es  de  leur  époux  n'en  auraient 
pas  le  pouvoir.  Cependant  elles  peuvent  compromettre  dans 
les  limites  exceptionnelles  où  elles  peuvent  aliéner.  Le  pro- 
digue assisté  d'un  conseil  judiciaire  peut  également  compro- 
mettre sur  les  droits  qu'il  a  pouvoir  d'aliéner  sans  l'assis- 
tance de  son  conseil.  11  est  en  outre  des  causes  qui  ne  sont 
pas  susceptibles  d'être  mises  en  arbitrage;  telles  sont  celles 
(jui  sont  relatives  aux  dons  et  aux  legs  d'aliments  et  aux  ma- 
tières sujettes  à  communication  au  ministère  public,  comme 
inttressanl  l'ordre  public  en  général. 

Quant  au  choix  des  arbitres  par  les  parties,  il  n'est  res- 


ARBl 

trcint  par  aucune  coiulilion;  nt^aninoins,  comme  il  s'agit  tle 
conforer  une  fonction  déjuge,  on  ne  doit  pas  nommer  des 
personnes  qui  seraient  incapal)les  ou  indignes  de  prononcer 
Hn  jugement,  comme  les  mineurs,  les  fenmics,  les  individus 
qui  auraient  perdu  leurs  droits  civiques  ou  en  seraient  privés 
pendant  un  certain  temps. 

Le  compromis  prend  tin  :  1°  par  ledéci^'s,  refus,  dc^port 
ou  empêchement  de  l'un  des  arbitres,  à  moins  de  conven- 
tions contraires  ;  2°  par  l'expiration  du  délai  stipulé,  ou  de 
celui  de  trois  mois  s'il  n'en  a  pas  été  réglé  ;  :r  par  le  partage 
des  arbitres,  si  cesdvMiiiers  n'ont  pas  le  pouvoir  de  s'adjoin- 
dre un  tiers  arbitre;  4°  par  leur  révocation  opérée  du  consen- 
tement unanime  des  parties.  Le  décès  de  l'une  des  parties, 
lorsque  tous  les  liéritiers  sont  majeurs,  ne  met  pas  fin  au 
comiuomis.  Toutes  les  causes  de  récusation  indiquées 
dans  l'article  378  du  Code  de  Procédure  Civile  sont  admises 
pour  la  récusation  des  arbitres. 

Le  tribunal  étant  constitué,  les  arbitres  ou  l'un  deux,  si  le 
compromis  y  autorise ,  font  les  actes  d'instruction.  Ils  doi- 
vent suivre  à  cet  égard  les  délais  et  les  formes  de  la  procé- 
Jmc  ordinaire,  mais  sans  le  ministère  d'avoués.  Cependant 
les  délais  et  les  formes  ordinaires  ne  trouvent  guère  à  s'api)li- 
quer  loi-sque  aucun  i  n  c  id  e n  t  ne  vient  compliquer  la  marche 
de  l'affaire.  Les  parties  qui  ne  veulent  pas  comparaître  vo- 
lontairement sont  assignées  dans  les  tonnes  et  les  délais 
prescrits  pour  les  ajournements.  Elles  peuvent  se  faire  dé- 
fendre par  des  avocats  ;  dans  tous  les  cas  elles  doivent  pro- 
duire leurs  défenses  avec  les  pièces  à  l'appui  quinze  jours 
au  moins  avant  l'expiration  du  délai  du  compromis;  autre- 
ment les  arbitres  jugent  sur  ce  qui  a  été  produit.  Ils  doivent 
prononcer  conformément  aux  règles  du  droit,  à  moins  que 
te  compromis  ne  les  en  ait  dispensés,  auquel  cas  ils  prennent 
le  nom  d'amiables  compositeurs,  et  peuvent  juger  d'après 
ce  qui  leur  paraît  équitable  dans  l'espèce  qui  leur  est  soumise. 
Dans  tous  les  cas ,  les  arbitres  doivent  prononcer  suivant 
leurs  convictions,  sans  considération  des  personnes; ils  sont 
arbitres  de  toutes  les  parties,  et  non  pas  seulement  de  celle 
qui  a  pu  les  nommer.  Leurs  sentences  doivent  être  rendues 
à  la  majorité  des  voix  ;  le  jugement  est  signé  par  chacun  des 
arbitres;  s'ils  sont  divisés  d'opinion,  ils  sont  tenus  de  rédi- 
ger leurs  avis  distincts  et  motivés,  soit  dans  le  même  pro- 
cès-verbal, soit  dans  des  procès-verbaux  séparés.  Us  nom- 
ment ensuite  un  tiers  arbiîre  s'ils  en  ont  reçu  le  pouvoir  ; 
dans  le  cas  contraire,  et  s'ils  ne  s'accordent  pas  sur  le  choix, 
le  tiers  arbitre  est  nommé  par  le  président  du  tribunal  qui 
doit  rendre  la  décision  arbitrale  exécutoire.  Le  tiers  arbitre 
réunit  les  arbitres,  confère  avec  eux;  et  s'il  ne  les  ramène  pas 
tous  au  même  sentiment ,  il  prononce  seul  ;  mais  il  est  tenu 
d'adopter  l'avis  émis  par  l'un  d'eux.  Dans  les  trois  jours  du 
jugement,  l'un  des  arbitres  est  tenu  de  déposer  la  minute  de 
la  sentence  au  greffe  du  tribunal  civil,  ou  bien,  si  l'on  a  jugé  en 
appel,  au  greffe  de  la  cour  d'appel  du  ressort,  et  le  président 
en  ordonne  l'exécution  par  une  ordonnance  nommée  or- 
donnance d'exequatur.  La  nécessité  de  cette  sanction  est 
absolue,  puisque  l'exécution  des  jugements  ne  peut  être  exigée 
qu'au  nom  de  la  puissance  publique,  et  que  les  arbitres  ne 
tiennent  pas  leur  mission  du  souverain  pouvoir. 

Les  jugements  arbitraux  peuvent  être  attaqués  par  voie 
d'appel,  requête  civile,  et  par  demande  en  nullité.  iMalgré 
l'apparente  contradiction  du  code,  ils  ne  sont  pas  susceptibles 
d'opposition,  parce  qu'ils  n'ont  pas  le  caractère  de  jugements 
par  défaut  ;  ils  ne  le  sont  pas  davantage  de  recours  en  cas- 
sation, parce  qu'on  ne  se  pourvoit  en  cassation  que  pour  vio- 
lation delà  loi,  et  que  dans  ce  cas  on  obtient  l'annulation 
de  la  sentence  par  une  simple  deuiande  en  nullité. 

L'arbitrage  forcé  n'existait  que  dans  un  seul  cas,  pour  les 
contestations  élevées  entre  associés  commerçants,  huis 
liéritiers  ou  ayants  cause  ,  même  mineurs.  On  avait  voulu 
éviter  la  publicité  des  débats  pour  ces  contestations,  qui 
supposent  la  plupart  du  temps  des  liquidations,  des  vcriti- 


IRAGE 


741 


cations  de  livres,  et  l'examen  d'une  foule  de  détails;  mais 
comme  cette  justice  n'était  plus  gratuite  et  qu'elle  n'était  pas 
toujours  facile  à  obtenir,  soit  par  la  fjihiessedes  arbitres, 
soit  par  la  mauvaise  volonté  de  qn.'lqu'unc  <ies  parties, 
on  a  dû  y  renoncer  lîne  loi  du  17  juillet  18o6  abrogea  les 
articles  51  à  G3  du  Co  le  de  commerce  et  remit  aux  tri- 
bunaux de  commerce  la  décision  des  contestations  entre 
a'^sociés  pour  rai-on  d'une  société  commerciale.  Les  règles 
•le  l'aibilrage  forcé  étaient  à  peu  près  les  mômes  que  celles 
de  l'arbitrage  volontaire,  mais  elles  devaient  être  plus  ri- 
goureusement observées;  les  arbitres  étaient  nommés  par 
chaque  partie,  sinon  par  le  tribunal  de  commerce.  L'associé 
eu  retard  de  remettre  ses  pièces  ei  mémoires  était  sommé 
(le  le  faire  dans  les  dix  jours  ;  et  à  moins  que  les  arbitres 
n>>  prolongeassent  ce  délai,  ils  pouvaient  juger  sur  les  simules 
puces  produites.  I/arhitrage  ne  finissait  ni  par  l'empêche- 
ment de  l'un  des  arbitres  ,  car  on  en  clioisis-ait  alors  un 
nouveau,  ni  par  leur  partage,  car  si  l'on  n'avait  pas  nommé 
à  l'avance  un  tiers  arbitre,  les  arbitres  ou  à  leur  défaut  le  tri- 
bunal en  désignaient  un.  Les  arbitres  devaient  prononcer 
dans  un  délai  convenu  ou  déterminé  par  le  juge,  sans  au- 
cune (ormalité.  Les  sentences  étaient  rendues  exécutoires 
par  le  président  du  tribunal  de  commerce,  qi:ine  pouvait 
refuser  l'ordonnance  d'exequatur,  parce  que  les  arbitres 
sur  contestations  entre  associés  formaient  un  tribunal  légal 
sur  lequel  le  tribunal  de  commerce  n'avait  point  de  surveil- 
lance à  exercer  ;  on  pouvait  se  pourvoir  non -seulement 
devant  le  tribunal  supérieur,  mais  devant  la  cour  de  cas- 
sation, ce  qui  constituait  la  principale  diflérence  entre  l'ar- 
iilrage  volontaire  et  l'arbitrage  forcé. 

Il  a  été  admii  que  tout  arbitre  peut  recevoir  un  salaire. 
11  y  a  encore  une  troisième  espèce  d'arbitrage.  Quand 
un  tribunal  a  besoin  pour  s'éclairer  de  l'examen  do  comptes, 
de  pièces,  de  registres,  il  nomme  à  cet  effet  un  ou  trois  ar- 
bitres qui  entendent  les  parties,  cherchent  à  les  concilier,  et 
s'ils  ne  peuvent  y  réussir,  font  leur  rappoit  au  tribunal  qui 
décide.  11  est  inutile  de  dire  que  cet  avis  ne  lie  pas  les  juges. 
Ces  arbitres  peuvent  être  nommés  soit  en  matière  civile,  soit 
en  matière  commerciale  ;  on  les  appelle  arbitres  rappor- 
teurs. 

L'arbitrage,  considéré  comme  juridiction  volontaire,  re- 
monte à  la  fondation  des  sociétés,  s'il  ne  les  a  pas  précédées. 
A  Athènes  on  distinguait  trois  sortes  d'arbitres  :  les  arbitres 
choisis  par  les  parties,  qu'ils  cherchaient  à  concilier,  sans  être 
assujettis  ni  aux  règles  ni  aux  formalités  du  droit  ;  d'autres 
arbitres,  également  nommés  parles  parties,  mais  qui  jugeaient 
selon  certaines  formes  et  suivant  les  principes  du  droit  ;  enfin 
des  arbitres  désignés  par  le  sort.  L'arbitrage  fut  expres- 
sément recommandé  à  Rome  par  la  loi  des  Douze  Tables  ; 
mais  il  ne  faut  pas  confondre  ces  citoyens  investis  d'une  ju- 
ridiction libre  (parietes)  avec  ceux  qui  dans  presque  tous 
les  procès  décidaient  le  point  de  fait  après  que  le  magistral 
avait  éclairci  le  point  de  droit,  et  qui  portaient  les  noms  de 
judices  et  d'arbitri;  ces  derniers,  investis  de  fonctions 
pubfiques,  étaient  de  véritables  jurés. 

La  jurisprudence  française  dans  les  premiers  temps  se  con- 
forma aux  lois  romaines  en  matière  d'arbitrage.  Un  édit  de 
François  II,  en  lôGO,  voulut  que  l'arbitrage  fiU  forcé  pour 
certaines  affaires,  parexemple  les  différends  entre  marchands, 
en  fait  de  marchandises,  les  demandes  en  partage  entre  pro- 
ches parents  et  les  comptes  de  tutelle  et  d'administration. 
Une  célèbre  ordonnance  de  1673  institua  l'arbitrage  forcé 
pour  le  jugement  des  contestations  entre  associés  ;  la  plupart  de 
ses  dispositions  sont  passées  dans  notre  Code  de  Comm  jrce. 
L'arbitrage  n'est  pas  seulement  usité  en  matière  de  droit 
privé ,  il  l'est  aussi  en  matière  de  droit  public  et  de  droit 
international.  Nous  en  citerons  quebiues  exemples  fameux. 
Saint  Louis  fut  pris  pour  arbitre  entre  le  roi  d'Angleterre 
Henri  m  et  les  barons  révoltés;  Phifippe  le  Bel  et  Kdouani  V 
s'en  remirent  à  l'arbitrage  du  pape  BonifaccVUI.  Jean  Des- 


ARBITRAGE  -  ARBOGASTE 


742 

m  are  ts  fut  pris  pour  arbitre  dans  le  différend  qui  s'était 
élevé  après  la  mort  de  Charles  V  pour  la  formation  d'un 
conseil  de  régence  entre  les  ducs  d'Anjou,  de  Bourbon  et  de 
Berry.  L»;  couturés  de  Paris,  en  1856,  a  émis  le  vœu  qu'avant 
de  recourir  aux  armes  les  puissances  aient  recours  à  l'ar- 
Lilrage  de  puissances  amies. 

En  termes  de  commerce  et  de  banque ,  Yarbitrage  est 
une  opération  de  calcul  fondée  sur  la  coûnaissance  de 
la  valeur  des  fonds ,  du  prix  des  marchandises  et  du  cours 
du  change  dans  diverses  places,  à  l'aide  de  laquelle  un 
négociant  ou  un  banquier  fait  passer  des  fonds ,  fait  des 
achats  ou  des  remises,  dans  celle  de  ces  places  où  il  trouve 
le  plus  de  bénéfice. 

ARBITRAIRE.  On  appelle  ainsi  en  général  tout  ce 
qui  dépend  de  l'estimation  des  hommes,  ce  qui  n'a  point  de 
règle  naturelle,  tout  ce  qui  n'est  point  fixé  par  le  droit  ni  par 
la  loi,  ou  ce  qui  est  laissé  à  la  volonté  des  juges.  La  plupart 
des  noms  donnés  aux  choses  sont  des  signes  arbitraires.  Ce 
qui  n'est  point  réglé  par  l'Église  en  matière  de  foi  est  arbi- 
traire, c'est-à-dire  laissé  au  choix  de  chacun.  Dans  cer- 
tains cas ,  dans  certains  pays ,  les  peines  sont  arbitraires , 
c'est-à-dire  laissées  à  la  discrétion  du  juge.  En  Angleterre  les 
amen  des  sont  souvent  arbitraires.  M.  Pages  (  de  l'Ariège  ) 
définit  le  pouvoir  arbitraire  celui  «  qui  n'a  pour  origine 
et  pour  limites  que  la  volonté  de  celui  qui  l'usurpe  ».  C'est 
une  autorité  qui  n'a  d'autre  règle  que  la  volonté ,  le  ca- 
price du  prince  et  de  ses  agents.  Ordinairement  on  oppose 
le  mot  arbitraire  au  mot  légal,  et  on  qualifie  d'arbitraires 
tous  les  actes  de  gouvernement  où  la  volonté  des  personnes 
remiilace  celle  de  la  loi.  «  On  donne  le  titre  spécial  (T ar- 
bitraire, dit  M.  Pages,  à  cette  oppression  odieuse  et  su- 
balterne qui,  confiée  à  des  agents  stipendies  de  l'autorité, 
n'atteint  que  des  individus  isoles.  «  Le  despotisme  et  la  ty- 
rannie ont  été  remplacés,  chez  la  plupart  des  peuples  civi- 
lisés modernes,  par  l'arbitraire.  L'arbitraire  existe  surtout 
quand  la  loi  est  obscure  et  se  prête  à  différentes  interpréta- 
tions. 

ARBITRE ,  ARBITRE  RAPPORTEUR.  Voyez  Arbi- 
trage. 

ARBITRE  (  Libre  ).  On  appelle  ainsi  cette  faculté  par 
laquelle  notre  âme  est  libre  de  faire  une  chose  ou  de  ne  pas 
la  faire ,  de  faire  une  chose  ou  d'en  faire  une  autre  :  c'est 
une  faculté  de  la  raison  et  de  l'entendement,  la  raison  étant 
considérée  en  ce  cas  comme  un  arbitre,  comme  un  juge 
qui  examine,  consulte,  délibère,  décide  enfin  ce  qu'il  con- 
vient de  choisir.  Le  libre  arbitre  est  opposé  à  l'inflexible  f  a- 
t  a  1  i  t  é  des  anciens.  La  volonté  est  au  libre  arbitre  ce  que 
le  poids  est  à  la  balance.  En  effet ,  une  liberté  d'agir  qui  ne 
serait  point  soumise  à  la  volonté  serait  non-seulement  un 
non-sens  ,  une  absurdité,  mais  elle  exclurait  encore  toute 
idée  morale.  La  liberté  n'est  qu'une  puissance  d'exécution. 
Se  demander  si  la  volonté  elle-même  est  libre  serait,  en 
d'autres  termes,  se  demander  si  la  liberté  précède  la  volonté, 
c'est-à-dire  si  l'effet  préexiste  à  .sa  cause.  Voyez  Liberté  et 
Volonté. 

ARBOGASTE,  Gaulois  aquitain,  était  entré  de  bonne 
heure  au  service  des  Romains,  et  l'empereur  Gratien 
(  375-383  )  eut  en  lui  un  de  ses  meilleurs  généraux  contre  les 
Germains  sur  le  Rhin  et  sur  le  Danube.  Ce  prince  ayant  péri 
à  Lyon,  victime  de  la  révolte  de  Maxime,  Yalentinien  II  fut 
maître  de  l'Occident,  comme  Théoclose  l'était  de  l'Orient. 
Arbogaste  n'avait  jamais  reconnu  Maxime.  Théodose,  se 
croyant  sur  de  sa  fidélité  et  de  son  courage,  le  laissa  auprès 
de  Yalentinien  ;  sous  ce  prince,  il  combattit  ses  propres 
compatriotes,  puis  les  chefs  francs  Sunnon  et  Marcomir, 
passa  le  Rhin,  et  ravagea  les  terres  des  Chamaves  et  des 
Bructères.  C'est  ainsi  qu'il  s'éleva  sous  Yalentinien  de  degié 
en  degré;  son  courage  et  l'inlluence  qu'il  exerçait  dans  les 
Gaules  firent  de  lui  le  soutien  du  trône  d'Occident.  L'ar- 
mée, qu'il  commandait  avec  le  titre  de  maître  de  la  milite 


(  magister  viilitum  ) ,  était  à  lui  plus  qu'à  l'empereur.  En 
Gaule,  grâce  à  son  armée,  il  était  souverain  de  fait,  tandis 
que  Yalentinien  l'était  à  peine  de  nom.  Il  disposait  de  toutes 
les  dignités  et  de  toutes  les  places  en  faveur  de  ses  créa- 
tures; aussi  l'empereur,  lorsqu'il  vint  dans  ces  provinces, 
essaya-t-il  trop  tard  de  se  débarrasser  de  cet  homme  si  puis- 
sant, qui  pour  cette  raison  môme  lui  était  odieux.  A  Yienne, 
il  lui  donna  du  haut  du  trône  sa  destitution  par  écrit.  Ar- 
bogaste déchira  cet  acte,  et  déclara  que,  n'ayant  pas  reçu 
son  autorité  de  l'empereur,  il  ne  la  perdrait  point  par  lui. 
Quelques  jours  après,  le  15  mai  392,  Yalentinien  était 
mort;  on  le  trouva  étranglé  dans  sa  chambre.  Selon  Zozime, 
Arbogaste  le  tua  lui-même  dans  une  revue.  Le  malheureux 
prince  venait  d'appeler  à  son  secours  Théodose,  son  beau- 
frère.  Arbogaste  et  son  parti  répandirent  le  bruit  qu'U  s'était 
pendu  de  désespoir;  et,  pour  mieux  écarter  tout  soupçon,  le 
maître  de  la  miUce  dédaigna  le  trône,  afin  de  régner  d'au- 
tant plus  sûrement  sous  le  nom  du  grammairien  Eugène, 
alors  sei  retaire  et  maître  des  offices  {magister  o/Jiciorum), 
auquel  il  donna  la  couronne. 

Eugène  envoya  aussitôt  une  ambassade  à  Théodose,  pour 
annoncer  et  déplorer  la  mort  de  Yalentinien,  et  pour  de- 
mander en  même  temps  d'être  reconnu  comme  empereur 
d'Occident.  Les  ambassadeurs  ne  parlèrent  point  d'Arbo- 
gaste;  mais  l'empereur  l'accusa  hautement  d'être  le  meur- 
trier de  son  beau-frère.  Néanmoins,  quel  que  fût  son  res- 
sentiment, quelles  que  fussent  les  instances  de  Galla,  sa 
femme,  pour  l'exciter  à  venger  un  forfait  aussi  exécrable, 
il  calcula  les  difficultés  de  l'entreprise,  renvoya  les  ambassa- 
deurs avec  des  présents,  mais  sans  réponse  définitive,  et  con- 
sacra deux  années  à  ses  préparatifs  de  guerre  contre  Eugène 
et  Arbogaste.  Renforcé  par  des  Ibériens,  des  Huns,  des 
Alains  et  des  Goths,  Théodose  conduisit  ses  légions  vers 
l'Occident  par  la  Pannonie.  Arbogaste  vit  bien  qu'il  s'agis- 
sait d'une  lutte  décisive,  et  que  sa  destinée  était  liée  à  celle 
de  l'empereur  sa  créature.  Il  venait  de  conclure  un  traité 
d'amitié  et  d'alliance  avec  les  princes  germains,  qui,  de 
concert  avec  les  Francs,  lui  fournirent  une  armée  considé- 
rable, tandis  qu'Eugène  en  personne  se  mettait  à  la  tête  des 
légions  de  Yalentinien,  et  que  Flavien,  général  de  la  garde 
sous  ce  dernier,  prenait  le  commandement  d'une  armée  lervée 
en  Italie.  Arbogaste  alors  mena  toute  l'armée  d'Eugène  jus- 
qu'au pied  des  Alpes  Juliennes,  au  nord  d'Aquilée,  sur  les 
bords  du  fleuve  l'rigidus  (  ^Yippach  )  ;  il  fit  occuper  et  for- 
tifier par  Flavien  les  passages  des  Alpes,  et  laissa  l'empereur 
derrière  lui  sur  les  montagnes  avec,  les  légions.  Arbogaste  était 
l'Ame  de  l'armée;  il  laissa  au  grammairien  couronné  la  tâche 
d'encourager  les  troupes  par  sa  faconde.  C'est  dans  ces  dis- 
positions que  Théodose  rencontra  l'ennemi  au  moment  où 
il  voulut  descendre  en  Italie.  Les  passages  des  Alpes  furent 
en  un  clin  d'œil  enlevés  à  Flavien  ;  ses  troupes  étrangères 
descendirent  dans  la  plaine;  quant  à  luP,  il  resta  d'abord, 
comme  Eugène,  dans  les  montagnes,  avec  le  noyau  de  l'ar- 
mée. Des  peuples  et  des  chefs  qui  ne  s'étaient  jamais  vus  se 
trouvèrent  en  présence.  Stilicon,  avec  des  troupes  qui  jus- 
qu'alors avaient  protégé  les  frontières.  Gainas  et  Alaric  avec 
les  Goths,  Bacurius  avec  les  Ibériens,  s'avancèrent  au  com- 
bat. L'enseigne  sainte  de  la  croix  guidait  les  bandes  de  Théo- 
dose;  les  images  d'Hercule  et  de  Jupiter  conduisaient  l'ar- 
mée d'Eugène.  L'action  commença  ;  mais  les  Goths  et  les 
Ibériens  ne  purent  faire  reculer  Arbogaste ,  et  vers  le  soir 
IJacurius  resta  mort  avec  dix  mille  hommes  sur  ce  sanglant 
champ  de  bataille.  Tliéodose  passa  sur  ces  montagnes  une 
nuit  pleine  d'inquiétudes  ;  Eugène,  de  son  côté,  poussait  des 
cris  de  joie,  tandis  que,  pour  couper  la  retraite  à  l'ennemi, 
Arbogaste  faisait  occuper  de  nouveau  les  défilés  des  Alpes. 
Timasius  et  Stilicon  étaient  d'avis  de  battre  en  retraite. 
Théodose,  encouragé  par  une  vision,  résolut  de  livrer  une 
seconde  bataille.  11  s'élança  en  personne  à  la  tête  de  l'armée. 
Arbogaste  avait  presque  forcé  l'aile  gauche  à  reculer,  et  il  écra- 


ARKOGASTE  —  ARBRE 


sait  tout  ce  qui  se  trouvait  devant  lui,  lorsque  tout  A  coup  un 
orage  eiïroyable,  descemlu  du  liaut  des  Alpes,  éclata  droit 
sur  lui,  arracha  à  ses  soldats  leurs  boucliers  et  leurs  armes 
ou  les  empêcha  de  s'en  servir,  et  poussa  à  leur  visage  un 
épais  nuage  de  neige  et  de  poussière.  Il  sembla  donc  que  les 
puissances  du  ciel  s'étaient  elles-nu^mes  déclarées  contre 
Arbogaste  et  contre  son  empereur;  ses  troupes  perdirent 
courage  ;  celles  de  Tliéodose  s'enflammèrent  d'une  nouvelle 
ardeur;  Eugène  et  Arbogaste  furent  battus  complètement. 
Le  premier,  fait  prisonnier,  demanda  grice  à  genoux  ;  mais 
il  fut  livré  au  supplice,  et  Arbogaste  se  sauva  dans  les  mon- 
tagnes. Il  erra  deux  jours  de  côté  et  d'autre  ;  mais,  poursuivi 
de  toutes  parts  et  n'ayant  plus  d'espoir  de  salut,  il  se  donna 
la  mort  en  se  perçant  ilc  son  épée.  A.  S  vvagner. 

ARBORICULTURE.  Ce  mot,  récemment  introduit 
dans  la  langue  agricole,  est  composé  du  mot  latin  arbor, 
arbre,  et  du  mot  français  c»/^ja'e.  L'arboriculture  comprend 
tout  ce  qui  se  rattache  h  la  culture  des  arbres;  c'est  une 
des  grandes  divisions  de  l'agriculture.  On  donne  particuliè- 
rement le  nom  de  sylviculture  à  la  culture  des  arbres  fo- 
restiers ;  arboriculture  s'entend  surtout  du  soin  des  pépi- 
nières, des  plantations,  delà  taille  et  delà  greffe  des 
arbres. 

ARBORISATION.  On  donne  ce  nom  à  des  dessins 
naturels  imitant  des  arbres  ou  des  buissons  qu'on  observe 
dans  certains  calcaires  et  surtout  dans  les  agates.  On  dit 
aussi  de  ces  pierres  qu'elles  sont  arborisées,  pour  désigner 
qu'elles  présentent  des  dessins  naturels  d'arbres.  Ces  des- 
sins sont  dus  à  la  cristallisation  de  molécules  de  fer  ou  de 
manganèse  interposées  par  infiltration  entre  les  couches  des 
roches  où  on  les  rencontre. 

ARBOUSIER  (  arbutus  ).  Les  arbousiers  on  arboises, 
encore  appelés  arbres  à  fraises  ou  fj-aisiers  en  arbres, 
sont  des  arbustes  de  la  famille  des  éricacées,  répandus  dans 
l'Europe  australe ,  les  îles  Canaries ,  l'Amérique  boréale ,  le 
Mexique  et  le  Chili.  On  en  cultive  une  douzaine  d'espèces 
dans  les  jardins,  à  cause  de  leurs  fleurs  blanches  et  rosées, 
disposées  en  grappes  terminales  paniculées.  De  toutes  ces 
espèces,  la  plus  commune  en  France,  celle  qui  est  spéciale- 
ment connue  sous  le  nom  de  fraisier  en  arbre,  dans  la 
Provence  et  le  Languedoc,  estYarbutns  unedo  de  Linné. 
Ses  fruits,  de  la  grosseur  d'une  cerise  et  de  la  forme  d'une 
fraise ,  ont  une  saveur  aigrelette  très-agréable. 

ARBRE,  ARBRISSEAU,  ARBUSTE.  Dès  que  l'homme 
se  livra  à  l'étude  de  la  botanique ,  il  reconnut  immédiate- 
ment une  différence  sensible  entre  deux  catégories  de  végé- 
taux :  le  nom  à'arbre  fut  donné  à  ceux  qui  présentent  une 
tige  ligneuse  et  persistante,  par  opposition  à  celui  d'herbes, 
que  reçurent  les  plantes  dépourvues  de  tige  ou  chez  les- 
quelles elle  meurt  chaque  année.  Cette  division  du  règne 
végétal,  plus  apparente  que  réelle,  fut  le  point  de  départ 
des  classifications  des  anciens  botanistes.  Tournefort  lui- 
même  la  conseiTa;  mais  à  partir  de  Linné  eile  ne  fut  p!i;s 
acceptée.  Depuis,  le  nom  d'a?-&re  a  été  spécialement  ré- 
seiTé  pour  les  grands  végétaux  ligneux ,  dont  la  tige,  pré- 
sentant un  tronc,  ne  se  ramifie  qu'à  une  certaine  hauteur, 
comme  dans  le  marronnier,  le  palmier,  le  sycomore,  etc. 
Au  contraire,  les  arbrisseaux  (aubépine,  lilas,  noise- 
tier, etc.)  sont  ramifiés  dès  la  base.  La  distinction  entre 
l'arbre  et  l'arbrisseau  est  quelquefois  difficile  à  établir. 
Quant  à  leur  taille  respective,  on  voit  de  ces  derniers  qui  ne 
le  cèdent  en  rien  aux  autres  pour  la  vigueur  et  l'élévation. 
Tout  arbiisseau  qui  n'atteint  pas  la  hauteur  d'un  mètre  re- 
çoit le  nom  d'arbuste  (bruyères,  lauréolcs,  etc.  ).  Enfin  , 
les  sous-arbrisseaux  (clématite,  jasmin,  sauge,  thym,  etc.) 
diffèrent  des  arbrisseaux  en  ce  que,  bien  que  leur  tige 
soit  ligneuse  à  la  base,  leurs  jeunes  rameaux  sont  herbacés 
et  meurent  chaque  année. 

On  peut  partager  les  diverses  espèces  d'arbres  soumises 
à  la  culti'.rc  suivant  la  nature  de  leurs  produits,  en  quatre 


743 


séries  principales  :  1°  les  arbres  forestiers ,  qui  sont  cul- 
tivés pour  leur  bois  {voijez  Fonf.Ts);  2°  \es arbres  et  ar- 
brisseaux fruitiers,  dont  les  fruits  servent  à  l'alimenta- 
tion :  ils  se  divisent  en  arbres  à  fruits  à  noyaux  cl  arbres 
à  fruits  à  pépins  :  on  les  cultive  dans  des  vergers  spé- 
ciaux ,  dans  les  jardins ,  dans  les  champs ,  les  prés  et  les 
vignes  {voyez  Fruits);  3"  les  arbres  et  arbrisseaxix 
d'ornement,  employés  pour  la  décoration  des  parcs  et  des 
jardins  {voyez  Jardins);  4°  les  arbres  économiques,  dont 
les  produits  sont  utilisés  dans  diverses  branches  de  l'indus- 
trie {voyez  Bois,  Goudron,  Gomme,  etc.  ).  Inutile  de  dire 
que  la  môme  espèce ,  considérée  sous  divers  rapports ,  peut 
appartenir  en  même  temps  à  deux  ou  trois  séries  différentes. 

»  Les  arbres,  dit  M.  de  Mirbel ,  jouent  un  grand  rôle  dans 
la  nature;  ils  entretiennent  à  la  surface  delà  terre  l'humi- 
dité et  la  fraîcheur,  et  tempèrent  les  chaleurs  dévorantes  des 
étés.  Par  eux  l'homme  peut,  à  son  gré,  refroidir  ou  ré- 
chauffer l'atmosphère  ;  mais  on  ne  voit  point  jusqu'ici  qu'il 
ait  tiré  un  grand  parti  de  son  pouvoir,  et  le  hasard  plutôt 
que  l'usage  réfléchi  en  a  prouvé  l'étendue.  Jadis  l'Italie  était 
beaucoup  plus  froide  qu'elle  ne  l'est  aujourd'hui  ;  mais  alors 
la  Germanie,  couverte  de  bois,  tempérait  la  chaleur  natu- 
relle du  climat.  Au  sein  des  immenses  forêts  situées  sous  la 
zone  torride ,  on  retrouve  la  température  glacée  des  pays 
du  nord.  A  la  Guyane  la  chaleur  est  excessive  dans  les  lieux 
découverts  ;  mais  le  voyageur  qui  pénètre  dans  les  forêts  de 
l'intérieur  des  terres  est  souvent  obligé  de  faire  du  feu  pen- 
dant la  nuit ,  pour  se  mettre  à  l'abri  de  la  rigueur  du  froid. 
Une  multitude  d'observations  prouvent  que  les  arbres  ras- 
semblés en  grand  nombre  attirent  les  nuages  et  déterminent 
la  chute  des  eaux  du  ciel ,  et  que  leurs  feuilles  frappées 
par  les  rayons  du  soleil  répandent  des  vapeurs  aqueuses 
dans  l'atmosphère  :  on  sait  d'ailleurs  que  l'humidité  se  con- 
serve sous  leur  ombrage.  —  L'homme  pourrait  donc  en 
tirer  un  grand  parti ,  tantôt  en  resserrant  les  forêts  dans  des 
bornes  plus  étroites,  tantôt  en  les  étendant,  en  les  multi- 
pliant, en  les  distribuant  avec  art.  Il  existe  dans  l'Amérique 
et  dans  l'Afrique  des  pays  immenses  noyés  par  les  pluies, 
les  brouillards  et  les  eaux  des  fleuves  débordés.  Ces  terres 
basses ,  couvertes  de  grands  arbres  et  de  lianes  épaisses ,  ne 
sont  jamais  exposées  à  la  chaleur  du  soleil ,  et  ne  peuvent 
perdre  l'humidité  par  l'évaporation.  Si  l'on  parvenait  à  les 
découvrir,  la  chaleur  du  climat  ne  tarderait  pas  à  consolider 
ces  fonds  marécageux ,  et  ce  serait  une  conquête  pour  l'es- 
pèce humaine.  Il  faut  ajouter  encore  qu'en  diminuant  l'é- 
tendue des  forêts  ,  les  grands  fleuves  ,  recevant  des  pluies 
moins  abondantes,  auraient  un  cours  plus  paisible  et  n'inon- 
deraient plus  les  pays  qui  les  avoisinent ,  comme  il  arrive 
trop  souvent  dans  ces  climats  où  l'homme ,  paresseux  et 
imprévoyant,  ignore  les  ressources  de  son  génie  et  ne  sait  ni 
combattre  ni  soumettre  la  nature.  —  Dans  d'autres  circons- 
tances il  conviendrait  de  multiplier  les  arbres  pour  hu- 
mecter un  sol  aride.  Des  forêts  placées  convenablement 
pourraient  peut-être  un  jour  rendre  les  sables  de  l'Afrique 
habitables;  elles  attireraient  les  nuages,  qui  verseraient  sur 
ce  sol  brûlé  une  humidité  fécondante,  et  les  débris  des  vé- 
gétaux, accumulés  par  la  suite  des  temps,  formeraient  un 
humus  sur  lequel  de  nouvelles  plantes  pourraient  se  déve- 
lopper; mais  pour  que  l'homme  se  rendit  ainsi  maître  de 
la  terre  il  faudrait  un  concours  de  force  et  d'industiie  dont 
les  nations  les  plus  policées  sont  à  peine  capables.  » 

On  a  déjà  pu  apprécier,  au  sujet  de  l'air ,  la  relation  qui 
lie  intimement  la  vie  du  végétal  à  celle  de  l'animal  :  dans 
l'écliange  de  principes  qui  entretient  l'équilibre  de  la  consti- 
tution (le  notre  atrnosphèie ,  ce  sont  les  arbres  qui  jouent  le 
premier  rùle  parmi  les  vi'gétaux.  Leurs  débris  entassés  suc- 
cessivement jiendant  une  longue  suite  de  siècles  ont  insen- 
siblement préparé  la  terre  que  nous  cultivons,  cet  humus, 
base  de  la  fécondité  des  récoltes.  L'arbre  ne  tire  pas  seule- 
ment ses  sucs  nourriciers  du  sol;  ses  feuilles,  douées  d'une 


744 


ARBRE 


respiration  aérienne,  concourent  puissamment  à  sa  nutri- 
tion ;  il  en  résulte  que  lorsqu'il  meurt ,  si  on  le  laisse  pourrir 
sur  place,  il  rend  à  la  terre  plus  de  substance  qu'elle  ne  lui 
en  a  fourni.  Ainsi ,  l'arbre  couvre  d'abord  de  son  ombre 
l'homme  et  les  animaux;  il  leur  donne  ses  fruits  abondants 
et  suavi'S;  pendant  Tautonme  ses  feuilles  tombent  sur  la 
terre,  et  y  deviennent  une  nouvelle  source  de  fécondité;  enfin 
l'homme  trouve  dans  le  bois  une  matière  dont  l'usage  varie 
à  l'infini. 

La  consommation  des  bois  se  multiplie  tellement  en 
France,  soit  comme  combustible,  soit  dans  l't bénisterie ,  les 
constructions  civiles  et  navales,  etc.,  que,  rien  qu'au  point 
de  vue  de  la  spéculation ,  un  proprittaire  intelligent  trouvera 
toujours  avantage  à  ne  pas  négliger  la  culture  des  arbres. 
C'est  surtout  dans  les  pays  montagneux  qu'il  faut  conserver 
ce  boisement,  dont  tous  les  hommes  compétents  s'accordent 
à  reconnaître  la  nécessité.  L'heureuse  influence  qu'exercent 
les  racines  des  arbres,  en  retenant  la  terre  végétale  dans  les 
lieux  inclinés  ou  exposés  aux  inondations,  n'est  pas  le 
moindre  avantage  de  cette  culture.  Dans  les  Landes,  près 
de  la  mer,  ils  servent  encore  à  fixer  les  terres  et  à  arrêter  les 
empiétements  de  l'élément  humide  sur  le  domaine  de 
l'homme.  Déjà  Columelle  disait  :  Sequifur  arborum  cura, 
qitœ  pars  rci  riistiCcT  vel  maxima  est.  Cependant  M.  de 
Gasparin  remarque  qu'il  faut  tenir  compte  de  la  nature  du 
sol  et  surtout  du  climat.  11  constate  qu'eu  remontant  vers  le 
pôle  ,  les  arbres  prennent  une  place  de  moins  en  moins  im- 
portante. «  Cette  progression  décroissante  des  arbres  du 
midi  au  nord  ,  ajoute-t-il,  n'est  pas  seulement  indiquée  par 
le  succès  toujours  plus  assuré  des  plantes  herbacées  ou  an- 
nuelles ;  on  peut  dire  aussi  que  les  fraits  des  arbres  diminuent 
en  valeur  et  en  importance  dans  la  même  mesure.  Ainsi  les 
populations  des  régions  équinoxiales  peuvent  trouver  dans 
ceux  de  l'arbre  à  pain ,  des  palmiers ,  des  bananiers ,  dans 
l'ananas,  le  cacaotier,  le  poivrier,  tous  les  éléments  d'un  ré- 
gimeagréable  ;  au  nord  de  cette  région,  jusqu'au  point  où  l'eau 
se  congèle  en  hiver,  les  arbres  de  la  famille  des  aurantia- 
cées,  le  caroubier,  les  opuntiacées,  se  présentent  à  leur  tour  ; 
en  faisant  un  pasdeplus,  on  trouve  encore  l'olivier  et  le  figuier; 
la  vigne,  l'amandier,  puis  le  châtaignier  marquent  de  nouveaux 
degrés  d'avancement  vers  le  nord;  enfin  on  ne  trouve  plus 
que  le  poirier,  le  pommier,  et  le  cerisier,  perdant  pro- 
gressivement leur  faculté  de  mûrir  complètement  jusqu'à  ce 
qu'ils  deviennent  inutiles  à  l'alimentation  par  l'àpreté  de  leur 
fruit  et  leur  petitesse.  11  en  est  de  même  pour  les  autres  em- 
p'ois  que  l'on  peut  faire  des  végétaux  :  dans  les  pays  chauds, 
c'est  le  cotonnier  frutescent,  le /?/ior?)UM7n  tenax,  le  mûrier 
à  papier,  qui  fournissent  les  matières  textiles;  plus  au  nord, 
le  mûrier  ne  donne  plus  que  des  feuilles  propres  à  nourrir  les 
vers  à  soie,  et  il  en  donne  une  quantité  de  moins  en  moins 
grande  en  s'elevant  vers  le  pOie;  les  bois  de  teinture  ne 
croissent  que  dans  les  régions  les  plus  chaudes.  » 

Mais  si  l'arbre  fruitier  joue  un  rôle  moins  actif  dans  les 
régions  tempérées,  il  n'en  est  pas  de  même  de  l'arbre  com- 
bustible, qui  s'y  plait  autant  et  plus  peut-être  que  dans  les 
régions  trop  chaudes.  Qui  n'a  lu  ces  magnifiques  descriptions 
des  forêts  du  Nord,  où  l'homme  peut  à  peine  pénétrer.?  Si 
nous  suivons  attentivement  la  distribution  des  arbres  fores- 
tiers dans  les  plaines  et  sur  les  plateaux  peu  élevés  de  l'Eu- 
rope ,  nous  reconnaissons  quatre  régions  bien  distinctes.  La 
plus  méridionale  est  caractérisée  par  l'existence  d'un  grand 
nombre  d'arbres  à  feuillage  toujours  vert,  tels  que  le  laurier, 
le  nopal,  le  pin  d'Alep,  le  genêt  d'Espagne,  etc.;  elle  est 
limitée  par  une  ligne  qui  traverse  les  Pyri  n  'es  sous  le  44'  de- 
gré de  latitude,  s'élève  en  Provence  jusqu'à  IMontmeillan , 
coupe  l'extrémité  septentrionale  de  la  mer  Adriatique  et  de 
la  Grèce,  et  s'arrête  à  Constantinople.  La  région  du  châtai- 
gnier et  du  chêne  commence  alors,  pour  se  temiincr  au  nord 
du  comté  de  Cornouailles,  à  Fioulogne  et  aux  environs  de 
Carlsmlie;  le  châtaignier  et  le  lu'tie  y  sont  les  essences  do- 


minantes. La  région  du  chêne  s'étend  dans  les  îles  Britanni- 
ques jusqu'au  golfe  deMurray,  sous  le  58'  degré;  elle  s'élève 
ensuite  dans  la  presqu'île  Scandinave,  au  nord  de  Drontueim 
jusqu'au  66'  environ;  elle  s'abaisse  en  Suède  en  coupant  la 
côte  orientale  par  61°,  puis  elle  traverse  le  60*  au  niveau  de 
Pétersbourg  et  se  termine  au  5'.;' dans  l'intérieur  delà  Russie 
d'Europe  ;  on  y  trouve  l'orme,  le  tilleul,  le  bouleau,  le  pin,  le 
sapin  et  le  hêtre.  La  région  du  bouleau  est  bornée  par  une 
ligne  qui  passe  au  nord  de  l'Islande,  s'élève  en  Scandinavie 
jusqu'à  70"  40',  puis  s'abaisse  vers  l'est  et  se  termine  près  de 
l'Obi,  à  une  latitude  de  67°;  le  bouleau  nain,  le  mélèze,  le 
sapin  et  le  pin  sylvestre  habitent  cette  région.  Au  Spitzberg, 
entre  77"  et  80°  de  latitude,  on  ne  trouve  plus  que  des  saules, 
si  humbles  qu'ils  se  perdent  au  milieu  de  touffes  de  mousses 
et  de  plantes  herbacées, 

A  mesure  qu'on  s'élève  sur  une  montagne ,  la  tempéra- 
ture s'abais.se,  et  on  parcourt  une  succession  de  climats 
analogue  à  celle  qu'on  traverserait  en  partant  du  pied  de  la 
montagne  et  en  se  dirigeant  vers  le  pôle.  Dans  les  Apennins, 
jiar  42"  de  latitude,  on  trouve  jusqu'à  une  hauteur  de  400 
mètres  les  arbres  qui  dans  les  plaines  caractérisent  la  ré- 
gion la  plus  méridionale.  L'olivier  réussit  très-bien  jusqu'à 
500  mètres;  le  châtaignier  et  le  chêne  rouvre  jusqu'à 
1000  mètres;  le  hêtre,  le  pin  silvestre,  l'if  se  rencontrent 
encore  à  une  hauteur  de  1900  mètres;  au-dessus  on  ne 
trouve  plus  que  des  plantes  alpines  ou  polaires. 

Dans  les  plantations  d'arbres ,  il  faut  donc  avoir  égard  à 
une  foule  de  circonstances,  principalement  à  la  nature  du 
sol  et  aux  coordonnées  géographiques  du  lieu.  Ceci  est 
d'une  grande  importance,  surtout  quand  on  doit  réaliser  ces 
plantations  sur  une  grande  étendue  :  les  arbres  employés  à 
la  bordure  des  routes  nous  en  offrent  un  exemple.  La  vé- 
gétation des  arbres  des  routes  est  du  double  plus  active  que 
celle  des  arbres  des  forêts,  qui  se  gênent  et  s'étouffent  mu- 
tuellement, tandis  que  ceux  qui  sont  isolés,  dans  des  ter- 
rains riverains  cultivés  et  fréquemment  engraissés,  recevant 
de  tous  côtés  l'air  vivifiant  et  l'engrais  météorique,  ont  une 
végétation  plus  active  et  un  accroissement  plus  rapide.  Mais 
pour  rendre  ces  plantations  fructueuses  il  faut  éviter  l'erreur 
dans  laquelle  on  est  tombé  du  temps  du  régent,  en  plantant 
indistinctement  la  même  espèce  d'arbre  sur  une  longueur 
de  plusieurs  centaines  de  lieues,  comme  si  la  même  nature 
de  terre  se  prolongeait  sans  interruption  de  Paris  à  Mar- 
seille ou  à  Mayence.  Il  faut  varier  l'espèce  du  plant  à  mesure 
que  varie  celle  du  sol  ;  chaque  plant,  se  trouvant  alors  dans 
le  sol  le  plus  analogue  à  sa  nature,  y  prospérera,  car  telle 
espèce  de  terre  aflectionne  telle  espèce  de  plante,  de  même 
que  telle  espèce  d'arbre  a  une  sorte  de  sympathie  pour  telle 
espèce  de  terre. 

On  traitera  de  la  taille  et  de  la  greffe  des  arbres  dans 
des  articles  particuliers.  Pour  détruire  des  insectes  qui  les 
rongent  on  leur  enlève  l'écorce  et  on  les  goudronne  ;  mais 
ces  opérations  ne  sont  pas  toujours  heureuses,  non  plus  que 
la  transplantation  des  arbres  de  haute  futaie. 

Parmi  les  arbres  extraordinaires  on  cite  le  baobab. 
Titan  et  Nestor  de  l'empire  végétal,  né  sous  le  soleil  de 
l'Afrique,  qui,  d'après  les  calculs  d'Adanson,  semble  avoir 
vécu  autant  que  les  pyramides  d'Egypte.  Le  Washingtonla 
ji^aH/ea  de  la  Californie  l'emporte  encore  sur  lui.  L'Europe 
a  aussi  des  arbres  monumentaux,  mêmedansles  variétés  qui 
semblent  le  moins  susceptibles  d'acquérir  d'énormes  dimen- 
sions et  une  longévité  considérable.  Les  exemples  les  plus 
fameux  sont  quelques  chêne  s,  le  frêne  deBirse,le  peu- 
pi  i  e  r  de  Dijon ,  le  t  i  1 1  e  u  1  de  la  Foucade,  l'o  r  m  e  de  Hat- 
field,  les  pins  laryx  de  la  Corse,  le  cyprès  de  Tesla, 
le  f  i  g  u  i  e  r  de  lîeculver,  le  n  o  y  e  r  d'isirie,  lebigarradier 
ouora  nger  de  Versailles,  le  ch  àtaignie  r  de  l'Etna,  etc. 
AUBRî-^  {Mécanique).  On  désigne  parce  mot  l'axe 
dune  machine ,  qu'il  soit  mobile  ou  immobile.  Cette  pièce 
est  faite  en  Lois  ou,  préiérablcmeut,  en  fer. 


AÎILRK  A  CIRE  —  ARBUKS  MÉTALLIQUKS 


745 


ARRRE  V  CIRE.  Voyez  CiititR  cl  CtuoxYLON. 

ARimi:  \  FRAISES.  Voyez  Aruoisier. 

ARBRE  \  PAl\.  royc;  JvQiiER. 

ARBRE  À  SUIF.  Voyez  GLirriEn. 

ARBRE  DE  JUDÉE.  Voyez  Gaïmer. 

ARBRE  DE  SAIXÏE-LUCIE.  Voyez  CERisirR. 

ARBRE  DE  VIE.  Voyez  Tiirv  v. 

ARBRE  DE  VIE,  Ar.liUE  DE  LA  SCIENCE  DU  BIEN 
ET  DU  MAL  {Théologie).  Voyez  Eden. 

ARBRE  GÉNÉALOGIQUE,  (igure  on  forme  d'ar- 
bre d'oii  sorlent,  connue  les  brandies  d'un  tronc,  les  diverses 
lignes  de  parenté,  de  cousanguinilé  d'une  maison,  d'une  fa- 
mille, en  se  ramifiant  autant  que  de  raison.  Voyez  GÉiNéa- 

LOCIE. 

ARBRES  (  Droit).  Les  arbres  sur  pied  sont  immeubles 
par  leur  nature ,  puisqu'ils  font  partie  du  sol.  Méanmoins 
dans  les  coupes  ordinaires  de  bois  taillis  ou  de  futaies ,  les 
arbres  de>ieniient  meubles  au  fur  et  à  mesure  qu'ils  sont 
abattus. 

Celui  qui  plante  sur  son  terrain  un  arbre  appartenant  à 
autrui  ne  peut  être  contraint  de  l'arracher;  il  est  seulement 
obligé  d'en  payer  la  valeur  ;  si  l'arbre  a  été  planté  par  un 
Uers,  le  propriétaire  du  fonds  a  le  choix  ou  de  faire  enlever 
l'arbre  ou  de  le  retenir  en  en  payant  la  valeur. 

11  n'est  permis  de  planter  d^s  arbres  qu'à  une  certaine  dis- 
tance de  la  propriété  voisine,  dislance  prescrite  par  les  règle- 
ments particuliers  ou  par  les  usages  constants  et  reconnus  ; 
et  à  leur  défaut,  qu'à  la  distance  de  deux  mètres  de  la  ligne 
séparative  des  héritages  pour  les  arbres  à  haute  tige,  et  d'un 
demi-mètre  pour  les  autres  arbres  et  baies  vives.  Lorsqu'ils 
sont  plantés  à  une  distance  moindre ,  le  voisin  peut  exiger 
qu'ils  soient  arrachés.  Celui  sur  la  propriété  duquel  avan- 
cent les  branches  des  arbres  du  voisin  peut  contraindre  ce- 
lui-ci à  couper  ces  branches  ;  si  ce  sont  les  racines  qui  avan- 
cent sur  son  héritage,  il  a  le  droit  de  les  y  couper  lui-même. 
Quant  aux  arbres  qui  se  trouvent  dans  la  haie  mitoyenne, 
ils  sont  mitoyens,  et  chacun  des  deux  propriétaires  a  le  droit 
de  requérir  qu'ils  soient  abattus.  A  Paris  et  dans  la  ban- 
lieue l'usage  est  de  planter  les  arbres  à  haute  tige  à  deux  mè- 
tres des  murs  mitoyens.  Un  dccret  du  11  décembre  1811 
défend  de  faire  des  plantations  nouvelles  à  une  distance 
moindre  d'un  mètre  du  bord  extérieur  des  fossés  qui  sont 
creusés  auprès  des  routes. 

La  loi  s'est  aussi  occupée  des  délits  qu'on  peut  commettre 
contre  les  plantations.  Sera  puni ,  d'après  le  Code  Pénal, 
d'un  emprisonnement  de  six  jours  à  six  mois,  à  raison  de 
chaque  arbre,  sans  cependant  que  la  totalité  puisse  excéder 
cinq  ans ,  quiconque  aura  abattu  un  ou  plusieurs  arbres 
qu'il  savait  appartenir  à  autrui.  Les  peines  seront  les  mêmes 
à  raison  de  chaque  arbre  mutilé ,  coupé  ou  écorcé  de  ma- 
nière à  le  faire  périr.  Le  minimum  de  la  peine  sera  de  vingt 
jours  dans  le  premier  cas  et  de  dix  jours  dans  le  second , 
si  les  arbres  étaient  plantés  sur  les  places,  routes,  chcm'ns, 
rues  ou  voies  publiques  ou  vicinales  ou  de  traverse.  L'é- 
branchage  d'un  arbre  sur  une  roule  nationale  constitue  un 
simple  dommage  envers  l'État ,  de  la  compétence  du  conseil 
de  préfecture,  et  nullement  un  délit  justiciable  du  tribunal 
de  police. 

Les  arbres  sont,  d'après  le  Code  Forestier,  divisés  en  deux 
classes  :  la  première  comprend  les  chênes,  hêtres,  charmes, 
ormes,  frênes,  érables,  platanes,  pins,  sapins,  mélèzes,  châ- 
taigniers, noyers,  aliziers,  sorbiers,  cormiers,  merisieis,  et 
autres  arbres  fruitiers;  la  seconde  se  compose  des  aunes, 
tilleuls,  bouleaux,  trembles,  peupliers,  saules,  et  de  toutes 
les  espèces  non  comprises  dans  la  première  classe.  C'est 
suivant  la  grosseur  et  la  qualité  des  arbres  (pii  sont  l'objet 
du  délit,  que  l'on  règle  le  taux  des  amendes. 

ARBRES  DE  LA  LIBERTÉ.  A  l'époque  de  notre 
première  révolution,  et  par  imitation  de  ce  qui  s'était  fait 

DICT.    DE   L\   CO.NVti;;Mi  ,.N.   —    i.   l. 


en  Aniéricpie  à  la  suite  de  la  guerre  de  l'indépendance,  l'u- 
sage s'ii\troduisil  en  France  de  planter  dans  nos  communes, 
en  général  dans  l'endroit  le  plus  lïequenté,  le  plus  apparent 
de  la  localité,  un  jeune  peuplier  qui  devait  grandir  avec  le» 
institutions  nouvelles.  Ces  arbres,  qui  existaient  depuis  l'ins- 
titution des  fucros  dans  certaines  provinces  espagnoles, 
rappelaient  en  France  les  arbres  de  mai;  ils  étaient  plantés 
avec  o^rémonie.  L'exemple  on  fut  donné  on  1790  par  un 
curé  du  déparlement  de  la  Vienne,  qui  fit  trans|)lantcr  un 
chêne  de  la  forêt  voisine  au  milieu  de  la  place  de  son  village. 
On  préféra  ensuite  le  peuplier  ;  et  en  moins  de  trois  années 
plus  de  soixante  mille  arbres  de  la  liberté  s'élevèrent  en 
France.  On  cite  parmi  les  premiers  celui  qu'éleva  Camille 
d'Albon  dans  les  charmants  jardins  de  sa  maison  de  Fran- 
conville.  Ces  arbres  étaient  considérés  comme  monuments 
publics  ;  ils  étaient  entretenus  par  les  habitants  avec  un 
soin  religieux  ;  la  plus  légère  mutilation  eût  été  regardée 
comme  une  profanation.  Des  inscriptions  en  vers  et  en  prose, 
des  couplets,  des  strophes  palrioti(iues  attestaient  la  véné- 
ration des  populations  locales  pour  ces  emblèmes  révolu- 
tionnaires. Des  lois  spéciales  protégèrent  leur  consécration. 
Un  décret  de  la  Convention  ordonnaque  l'arbre  de  la  liberté 
et  l'au Ici  de  la  patrie,  renversés  le  27  mars  1793,  dans  ledi'par- 
tcment  du  Tarn,  seraient  rétablis  aux  frais  de  ceux  qui  les 
avaient  détruits.  Le  remplacement  des  arbres  de  la  liberté  ([ui 
avp.ient  péri  par  l'action  du  temps  fut  ordonné  le  3  pluviôse 
an  II.  La  même  loi  ordonna  qu'il  en  serait  planté  un  dans  le 
Jardin  National  (  les  Tuileries)  par  les  orphelins  des  défen- 
s.'urs  de  la  patrie  ;  d'autres  décrets  prescrivirent  des  peines 
contre  ceux  qui  détruiraient  ou  mutileraient  les  arbres  de 
la  liberté.  Ces  soites  de  délits  furent  très-fréquents  sous  la 
réaction  thermidorienne.  Toutes  ces  lois  tombèrent  en  dé- 
suétude sous  le  gouvernement  consulaire,  et  les  arbres  de 
la  liberté  qui  survécurent  au  gouvernement  républicain  per- 
dirent leur  caractère  politique.  3Iais  la  tradition  populaire 
conserva  le  souvenir  de  leur  origine.  Ces  derniers  emblèmes 
de  la  révolution  ont  été  en  grande  partie  abattus  ou  déra- 
cinés sous  la  Restauration  ;  ils  sont  tiès-rares  dans  les  villes, 
mais  on  en  voit  encore  dans  les  communes  rurales. 

Après  1830quelques  communes  plantèrent  encorcde  nou- 
veaux arbres  delà  liberté,  mais  l'enthousiasme  fut  vite  compri- 
mé, et  il  y  eut  peu  de  cesplantations.  11  n'en  fut  pas  de  même 
après  la  révolution  de  Février.  Les  encouragements  des  au- 
torités provisoires  ne  manquèient  pas  aux  plantations  d'ar- 
bres de  la  liberté  ;  le  clergé  se  prêta  complaisamment  à  les 
bénir.  Un  ancien  ministre  de  Louis-Philippe  offrit  même 
un  jeune  arbre  de  son  parc  parisien  pour  le  planter  devant 
sa  porte  avec  cotte  inscription  :  «  Jeune,  tu  grandiras.  » 
L'abus  fut  tel  qu'on  a  pu  dire  justement  que  si  en  avait 
laissé  faire,  Paris  aurait  été  transformé  en  forêt.  Une  réac- 
tion non  moins  violente  les  fit  presque  tous  abattre  au  com- 
mencement de  1850,  par  l'ordre  du  préfet  de  police  Cartier, 
et  faillit  faire  couler  le  sang  dans  les  rues  de  la  capitale  ;  ce- 
pendant, de  l'avis  d'un  journal  li-gitimiste ,  «  les  arbres  de  la 
liberté  gênaient  très-])eu  les  passants,  et  nous  ne  voyons  pas 
en  quoi  les  hommes  d'ordre  pouvaient  se  trouver  contrariés 
jiar  ces  symboles.  Un  arbie  olfre  une  belle  image  de  la  liberté 
sans  violence,  et  ne  saurait  menacer  en  rien  les  idées  d'iné- 
galités sociales,  puisque  dans  les  développements  d'une 
planle  tous  les  rameaux  sont  inégaux  précisément  parce 
qu'ils  sont  libres.  •>  Les  dcrnieis  ont  disparu  en  1852. 

ARBRES  MÉTALLIQUES.  Les  anciens  chimistes 
se  sont  beaucoup  occupés  de  cedaines  cristallisations  métal- 
liques auxquelles  ils  ont  donné  le  nom  d'arbres.  Nous  cite- 
rons les  deux  principales,  celui  de  Saturne  ou  de  plomb  et 
celui  de  Diane  ou  d'argent. 

Arbre  de  Saturne.  Pour  préparer  cette  cristallisation  , 
on  dissout  dans  de  l'eau  distillée  ou  de  pluie,  ou  àdéfLmtdans 
de  bonne  eau  de  rivière,  I  /CCde  son  poids  d'acétate  de  plomb, 
ou  sucre  de  Saturne  :  si  on  a  employé  de  l'eau  de  rivière, 

y» 


74G 

la  liqueur  ost  blanche;  on  la  passe  au  travers  d'un  papier 
Joseph,  et  après  l'avoir  renfermée  dans  un  vase  profond,  on  y 
place  un  morceau  de  zinc  attaché  après  le  bouchon,  de  ma- 
nière à  pouvoir  plonger  dans  la  liqueur,  et  après  lequel  est 
•  fixé  un  (il  de  laiton  tourné  en  spirale  double  ou  simple.  Le 
zinc  précipite  le  plomb,  qui  cristallise  en  belles  lames  très- 
brillantes,  dont  le  dépôt  se  fait  sur  toutes  les  parties  du  fil. 

Arbre  de  Diane.  On  peut  le  préparer  de  deux  manières, 
qui  offrent  également  un  produit  remarquable.  Si  on  verse 
dans  un  verre  conique,  comme  ceux  à  vin  de  Champagne, 
un  amalgame  de  10  grammes  de  mercure  et  4  grauunes  d'ar- 
gent, et  qu'on  y  ajoute  une  dissolution  de  4  grammes  de 
nitrate  d'argent  étendu  de  30  grammes  d'eau ,  après  quel- 
ques jours  on  trouve  l'argent  déposé  sur  le  mercure  en 
aiguilles  qui  ont  quelquefois  plusieurs  centimètres  de  lon- 
gueur. L'arbre  sera  encore  plus  singulier  en  plongeant  dans 
un  bocal  un  nouet  de  linge  contenant  un  peu  de  mercure 
dans  un  mélange  de  deux  dissolutions  de  nitrate  d'argent  et 
de  nitrate  de  mercure  étendues  de  3  à  4  parties  d'eau.  L'ar- 
gent cristallisé  s'attache  après  le  nouet,  que  l'on  peut  retirer 
de  la  liqueur  pour  le  conserver  dans  un  autre  vase. 

H.  Gacltiek  de  Claubrv. 

ARBRES  VERTS.  Beaucoup  d'arbres  résineux  de  la 
famille  des  conifères ,  tels  que  les  genévriers,  les  pins,  les 
thuyas,  conservent  leur  feuillage  pendant  l'hiver;  c'est 
pourquoi  on  les  réunit  vulgairement  sous  la  dénomination 
générique  d^arbres  verts.  La  même  raison  fait  aussi  appli- 
quer ce  nom  aux  lauriers,  aux  rhododendrons  et  à  quel- 
ques autres  plantes  qui  jouissent  de  la  même  propriété. 

ARBRISSEL  (Robert  d')  naquit  de  parents  pauvres, 
vers  1045,  dans  un  village  de  Bretagne,  dont  il  prit  le  nom 
par  la  suite.  Élevé  dans  la  piété,  il  trouva,  malgré  le  défaut 
de  fortune,  le  mojen  d'étudier  à  Paris,  où  il  devint  un  des 
plus  célèbres  docteurs  de  l'université.  D'abord  grand  vicaire 
de  Silvestre  de  la  Guiercbe,  évêquede  Rennes,  et  chargé  par 
lui  de  rétablir  dans  son  diocèse  la  discipline  qui  s'y  était 
depuis  longtemps  relâchée ,  il  se  vit  obligé,  à  la  mort  de  ce 
prélat,  de  fuir  les  persécutions  que  lui  avait  suscitées  son 
zèle,  et  se  retira  à  Angers,  où  il  enseigna  la  théologie.  Mais 
pénétré  tout  entier  du  désir  de  la  vie  solitaire,  il  alla  se 
cacher  avec  un  compagnon  dans  la  forôt  de  Craon,  où  il  fut 
bientôt  suivi  d'une  foule  d'anachorètes  enthousiastes  de  la 
sévérité  de  sa  vie  et  voulant  se  soumettre  à  sa  discipline.  Les 
forêts  voisines  devinrent  en  peu  de  temps  lasile  de  pieux 
solitaires,  et  leur  grand  nombre  força  Robert  de  les  diviser  en 
trois  colonies.  Il  se  réserva  la  direction  de  l'une  d'elles  ,  et 
confia  les  autres  à  Vital  de  Morlain  et  à  Raoul  de  LaFutaje. 

Appelé  par  Urbain  11  à  prêcher  la  croisade,  il  décida  par 
la  môme  prédication  un  grand  nombre  de  personnes  à  servir 
Dieu  sous  sa  discipline,  et  les  établit  en  1099,  sous  le  nom  de 
pauvres  de  Jésus-Christ,  sur  les  confins  de  l'Anjou  et  du 
Poitou,  dans  le  vallon  de  Tontevraud,  en  assignant  des 
demeures  et  des  oratoires  distincts  aux  hommes  et  aux 
femmes. 

Avec  l'autorisation  de  Pascal  II,  il  plaça  son  ordre  sous  la 
protection  de  la  Vierge  et  de  saint  Jean  l'Évangéliste,  et 
statua  que  les  femmes  y  domineraient,  tant  dans  le  spirituel 
que  dans  le  temporel,  pour  exprimer  la  soumission  qu'avait 
témoignée  l'apôtre  bien  aimé  à  la  mère  du  Sauveur.  En 
outre,  il  soumit  les  couvents  d'hommes  et  de  femmes  à  la 
règle  de  Saint-Benoît. 

Comme  tous  les  hommes  qui  ont  imprimé  autour  d'eux 
un  mouvement  remarquable,  il  eut  à  souffrir  de  la  calom- 
nie; cependant  nous  devons  faire  observer  que  l'authenticité 
des  lettres  de  Marbodius,  évêque  de  Rennes,  et  de  Geoffroi, 
abbé  de  Vendôme ,  qui,  trop  facilement  persuadés  par  ses 
ennemis,  lui  adressèrent  de  sévères  reproches,  n'est  pas  so- 
lidement établie.  Cette  épreuve,  du  reste,  ne  paraît  pas  i'avcir 
compromis  auprès  du  pape;  car  une  bulle  de  1113  exempta 
les  religieuses  de  l-ontevraud  de  la  juridiction  de  l'évêque. 


ARBRES  METALLIQUES  —  ARBUTHNOT 

Robert  d'.Arbrissel  mourut,  en  1117,  au  monastère  d'Orsan, 
dans  le  Berry,  d'où  son  corps  fut  porté  à  Fontevraud. 
Boi'CllITTÉ,  ancien  rectenr. 

ARBROATH  ou  ABliRI5R0ïH0CK,  ville  du  comté  de 
Forfar  (  Ecosse),  avec  un  port  petit,  mais  sur,  et  environ 
15,000  habitants,  à  24  kilomètres  au  nord-est  de  Dundee, 
à  peu  de  distance  de  l'embouchure  du  Brothothoc  dans  la 
nier  d'Allemagne,  est  le  centre  d'un  commerce  actif  avec  les 
contrées  riveraines  de  la  Baltique  et  d'une  fabrication  con- 
sidérable de  toile.  On  y  trouve  aussi  d'importantes  blan- 
chisseries, et  de  belles  ruines  d'une  abbaye  fondée  an  dou- 
zième siècle  par  Guillaume  le  Lion,  en  l'honneur  de  saint 
Thomas  Beclief,  et  détruite  a  la  suite  de  la  réformalion  ,  en 
1560.  Sur  une  masse  de  rochers  situés  en  mer  à  environ  IS 
kilomètres  d'Arbroath, "s'élève  le  beau  phare  de  Bell-Rock. 

ARBUCKLE  (James),  poète  qui  florissaitdans  la  pre- 
mière moitié  du  dix-huitième  siècle  et  que  les  uns  font  naître 
en  Éco.sseet  les  autres  en  Irlande,  vers  1700,  est  l'auteur  d'un 
poème  intitulé  Snu/f  (le  tabac),  qui  parut  à  Edimbourg 
en  1719.  Onaausside  \a[  une  Épiii-e  au  cornle  d' Addington 
sur  la  mort  d' Addison  (Londres,  1719);  Glotta,  poëme 
dédié  k  la  comtesse  de  Caernarvon,etdes  Hibeniic  Lctters 
(1729).  Il  mourut  à  Londres,  en  1734. 

ARBULO  MARGAVETE  (Peduo),  peintre  espagnol, 
mort  en  1608,  à  Brione.  Parmi  les  travaux  qu'on  a  de  lui, 
et  remarquables  surtout  par  la  pureté  du  dessin ,  on  cite  les 
belles  peintures  qu'il  exécuta,  de  1509  à  1574 ,  dans  l'église 
de  l'Ascension  de  la  Rioja,  en  Castille,  et  qui  ne  lui  valurent 
pas  moins  de  80.000  francs  de  notre  monnaie. 

ARBUTHXET  ou  ARBUTHJNOT  (Alexander),  im- 
primeur écossais,  mort  en  1585,  fut  un  des  premiers  qui 
exercèrent  la  profession  de  typographe  en  Ecosse.  C'est  de 
ses  presses  que  sortit  la  première  bible  imprimée  en  langue 
vulgaire  dans  ce  pays  (1579).  11  donna  aussi  pour  la  pre- 
mière fois  une  belle  édition  in-fol.  de  l'ouvrage  de  Buchanan, 
intitulé  Kerum  Scoiicaruin  Historia  (Edimbourg,  1582). 
On  le  confond  souvent ,  mais  à  tort ,  avec  le  poète  du  même 
nom.  Voyez  ci-après. 

ARBUTHA'OT  (Alexander),  théologien,  juriscon- 
sulte, historien  et  poêle  écossais,  né  en  1538,  mort  en  1583, 
est  l'auteur  d'une  Histoire  d^ Ecosse,  écrite  avec  une  indé- 
pendaùce  qui  lui  valut  la  disgrâce  de  Jacques  VI.  Au  milieu 
des  troubles  religieux  suscités  dans  son  pays  par  la  réfor- 
mation ,  il  composa  des  poésies,  qui  pour  l'époque  ne  sont 
assurément  pas  sans  mérite.  Ainsi,  on  a  de  lui  The  Fraises 
of  Women,  poëme  didactique  en  l'honneur  delà  plus  belle 
moitié  du  geni  e  humain,  et  The  Mtseries  of  a  poor  Scholar, 
tableau  touchant  des  misères  contre  lesquelles  l'homme  de 
talent  pauvre  doit  s'attendre  à  lutter  par  tous  pays  et  en  tous 
temps.  Dans  sa  jeunesse  Alexandre  Arbuthnot  était  venu  en 
France  suivre  les  cours  de  notre  célèbre  Cujas;  et  comme 
fruit  de  ses  études  dans  le  domaine  de  la  jurisprudence, 
il  fit  paraître;!  Edimbourg,  en  1572,  Orationes  de  Origine 
et  dignitate  Juris. 

ARBUTHNOT  (Johx),  l'un  des  médecins  de  la  reine 
Anne, était  né  vers  1675,  à  .\rbuthnot,  en  Ecosse,  et  mou- 
rut à  Londres,  en  1734.  Après  avoir  terminé  ses  études  pro- 
fessionnelles à  l'université ,  il  était  venu  se  fixer  dans  la 
capitale  des  trois  royaumes,  où  il  réussit  bientôt  à  se  faire 
une  nombreuse  et  lucrative  clientèle,  qui  le  poussa  jus- 
qu'à la  cour,  en  1704.  Lié  d'amitié  avec  les  littérateurs  les 
plus  distingués  de  son  époque,  if  contracta  dans  leur  société 
un  goût  des  plus  vifs  pour  la  culture  des  lettres,  ainsi  qu'en 
témoigne  la  longue  liste  de  ses  écrits.  Sous  le  titre  de  Me- 
moirs  of  Marlinus  Schiblerus,  il  avait  entrepris  d'écrire 
la  satire  des  connaissances  humaines  ;  mais  il  n'en  fil 
paraître  qu'un  fragment.  Ami  intime  de  Swift,  et  attiré 
probablement  vers  lui  par  une  égale  pitié  pour  les  folies 
et  les  misères  de  la  pauvre  humanité,  c'est  dans  les  œuvres 
mômes  de  l'auteur  de    G  «i/itYr  que  se  trouvent  imprimée.* 


ARBLTH.NOT  —  ARC  DE  TRIOMPHE 

la  meilleure  partie  «le  ses  boutades  iiliilosopliiques.  Il  fit 
ausji  paraître,  sons  le  titre  lie  John  IlttU,  une  espi^re  de 
pamphlet  rempli  li'allusiouscritiiitios  aux  céU-hriti-s  du  jour, 
raais  qu'il  est  bien  dillicile  de  comprendre  anjounlluii  lors- 
qu'on n'en  a  pas  la  clef,  lorsqu'on  ne  peut  p;is  meltio  des 
noms  propres  sous  les  piquants  portraits  cpi'il  crayonne  en 
se  riant.  Dans  ses  ouvrages  relatifs  aii\  sciences  mathémati- 
ques et  à  la  médecine,  Arbulhnot  a  lait  preuve  d'un  savoir 
solide;  mais  après  la  mort  de  la  reine  Anne,  d'aiitres  ré- 
putations médicales  le  supplantèrent  dans  les  bonnes  grâces 
de  la  cour,  et  il  perdit  sa  charge.  Il  en  ressentit  un  vif  cha- 
grin, et  chercha  vainement  à  s'en  distraire  par  un  voyage  en 
France.  Sa  constitution  était  si  faible,  que  son  ami  Swift  «li- 
sait de  lui  plaisamment  :  «  C'est  un  homme  à  tout...  excepté 
à  marcher.  »  Les  dernières  années  de  sa  vie  se  passèrent  à 
Hamptead,  près  de  la  capitale,  où  il  s'était  retiré  pour  vivre 
de  la  vie  de  campagne.  On  a  de  lui,  entre  autres  :  An  Exa- 
mination  of  D"  Woodward's  Account  0/  the  Dcliirje 
(  1697)  ;  Tables  o/Grecian,  liotnan  and  Jcicish  .Measttrex, 
Weiyhis  and  Coins  (ilOb);  Essay  of  the  ISature  and 
Choice  0/  Aliments  (1733)  ;  Essay  on  theE/fects  of  Air  on 
human  Bodies  (  1733).  Arbuthnot  lit  aussi  paraître  dans  les 
Philosophical  Transactions  une  dissertation  dans  laquelle 
il  tire  de  l'égalité  du  nombre  des  naissances  des  deux  sexes 
ua  argument  de  plus  en  faveur  de  la  Providence. 

ARC,arme  offensive  très-simple,  propre  à  lancer  des  flè- 
che s  :  on  en  fait  en  bois  de  frêne,  d'orme,  etc.,  en  corne, 
en  acier.  Il  est  plus  fort  au  milieu  que  vers  ses  extrémités, 
entre  lesquelles  est  tendue  une  corde  qui  sert  à  bander  l'arc. 
Les  barbares,  de  nos  jours,  les  font  aussi  en  bois;  mais  ils 
les  renforcent  avec  des  nerfs  et  des  cordons ,  avec  lesquels 
ils  les  serrent  fortement,  presque  dans  toute  leur  longueur, 
qui  est  de  cinq  à  six  pieds.  Telle  était  la  vigueur  des  ar- 
chers de  l'antiquité,  que,  au  rapport  de  Végèce ,  ils  lan- 
çaient leurs  flèches  à  cinq  cent  quarante-sept  pieds.  La  jus- 
tesse de  leurs  coups  n'était  pas  moins  extraordinaire.  Qui 
n'a  entendu  parler  do  cet  Aster  d'Amphipolis,  qui,  mécon- 
tent du  roi  Philippe,  se  jeta  dans  la  ville  de  Méthone,  que 
celui-ci  assiégeait,  et  lui  creva  l'œil  droit  en  lui  tirant  une 
flèche  sur  laquelle  il  avait  écrit  :  A  Vœil  droit  de  Philippe? 
Les  sauvages  de  l'Amérique  touchent  facilement  une  pièce 
de  cinq  francs  avec  leurs  llèches.  Le  père  Daniel  prétend  que 

les  archers  de  l'antiquité  étaient  plus  redoutables  que  notre 
infanterie  armée  de  fusils.  A  la  bataille  de  Lépante,  gagnée 
sur  les  Turcs,  ceux-ci  tuèrent  plus  de  chrétiens  avec  leurs 

flèches  que  les  chrétiens  ne  tuèient  de  Turcs  avec  leurs  ar- 
quebuses. Anne  Comnène  ,  dans  l'histoire  de  l'empereur 

Alexis,  son  père,  dit  que  les  barbares  (les  croisés  )  lançaient 

des  flèches  avec  tant  de  roideur  qu'elles  perçaient  les  meil- 
leures armes  défensives  et  s'enfonçaient  tout  entières  dans  les 

murailles  des  villes  contre  lesquelles  on  les  tirait.  Pour  bander 

leurs  arcs  ou  leurs  arbalètes,  ils  se  couchaient  sur  la  terre  à  la 

renverse,  appuyaient  leurs  pieds  sur  le  milieu  de  l'arc  et 

amenaient  la  corde  vers  la  tète,  en  la  tirant  avec  les  deux 

mains.  Voyez  Arguer. 
L'aie, dont  l'origine  se  perd  dans  la  nuit  des  teraps,  était 

en  usage  chez  tous  les  peuples  de  l'antiquité.  De  nos  jours 

encore  quelques  peuples  sauvages  lancent  avec  l'arc  des 

flèches  parfois  empoisonnées.  Les  Grecs  attribuaient  l'inven- 
tion de  l'arc  à  Apollon.  Il   sert  en  effet  d'attribut  à   ce 

dieu.  On  le  voit  aussi  dans  les  mains  de  Diane,  d'Hercule, 

de  Cupidon  et  de  Pallas  ;  chez  les  Mongols  il  était  le  sym- 
bole de  la  royauté. 
ARC  (  Géométrie  ).  C'est  le  nom  de  foute  portion  de 

ligne  courbe  ;  ainsi  un  arc  de  cercle  est  une  partie  de  la 

circonférence.    Dans  un    môme  cercle    ou    dans  des 

cercles  égaux,  deux  arcs  sont  dits  éyaux  quand  on  peut  les 

superposer.  Dans  des  cercles  de  rayons  différents,  les  arcs 

semblables  sont  ceux  qui  ont  le  mC^ne  nombre  de  degrés,  ou 

encore  qui  correspondent  à  des  angles  au  centre  égaux.  Les 


r4T 

arcs  de  cercle  servent  h  mesurer  les  angles;  po«r  cela,  da 
sommet  de  l'angle  comme  centre,  avec  un  rayon  quelconque, 
on  décrit  tuie  circonférence;  le  nombre  de  degrés  que  con- 
tient l'arc  intercepté  par  les  cfttés  de  l'angle,  exprime  la  me- 
sure  cherchée:  c'est-.'i-dire  que,  l'arc  de  ',)0°  correspondant 
à  l'angle  droit  ;  si  nous  trouvons  13"  pour  l'arc  inten  ppté 
par  les  côtés  d'un  angle  donné,  nous  en  concluons  que  c«t 
angle  est  à  l'angle  droit  comme  15  est  à  90,  ou  bien  (jue 
cet  angle  est  la  sixième  partie  d'un  angle  droit. 

La  corrfe  d'un  arc  est  la  ligne  droite  qui  joint  ses  extrémités. 
La  flèche  de  l'arc  est  la  ligne  droite  qui  joint  les  milieux  de 
l'arc  et  de  la  corde. 

Al\(j  (Architecture),  construction  dont  le  profd  a  la 
figure  d'une  courbe.  L'arc  ne  diffère  point  de  la  voûte, 
sinon  que  sa  largeur  est  à  peu  près  égale  à  son  épaisseur. 
Les  arcs  se  construisent  ou  en  pierres  de  taille  ou  en  moel- 
lons, ou  en  tuf  ou  en  briques.  On  nomme  arc  donbleau 
celui  qui  fait  saillie  au  dessous  d'une  voûte  et  qui  sert  à  la 
consolider.  Varc-boutant  forme  contre-fort  à  l'extérieur 
d'un  édifice  pour  contenir  la  poussée  des  voûtes.  L'arc  en 
plein  cintre  est  celui  dont  le  profil  est  un  arc  de  cercle. 
Varc  surbaissé  est  moins  courbé  qu'un  arc  de  cercle. 
Varcsxir haussé  est  plus  courbé  qu'un  arc  de  cercle. 

L'arc  angulaire  ou  composé  est  formé  de  deux  parties 
droites  inclinées  comme  les  côtés  obliques  d'un  triangle 
isocèle.  L'arc  est  biais  ou  de  côté  quand  les  pieds-droits  ne 
sont  pas  d'équerre  par  leur  plan.  L'arc  rampant  ou  allongé 
est  celui  dont  les  naissances  sont  à  des  hauteurs  inégales. 
Il  se  pratique  sous  les  rampes  des  escaliers  et  dans  les  arcs- 
boutants  des  églises.  Varc  renversé  est  celui  dont  le  som- 
met est  en  bas,  au  lieu  d'être  en  haut  ;  il  sert  surtout  à  relier 
les  fondations  d'un  édifice,  comme  on  le  voit  à  l'église  Sainte- 
Geneviève  de  Paris.  Pour  les  arcs  gothiques,  voyez  Ocite. 
ARC  (  Jeanne  d').  Voyez  Jeanne  d'Arc. 
ARC  (  Pont  d').  Voyez  Ardèche  (Département  del'). 
ARCACHOiV,  hameau  de  la  commune  de  la  Teste 
de  lîuch  (Gironde),  qui  est  relié  à  Cordeaux  par  un  chemin 
de  fer  depuis  1857.  Il  a  donné  son  nom  au  bassin  d'Arcachon, 
sorte  de  lagune  où  l'on  se  livre  à  la  pêche,  et  que  M.  Coste 
a  proposé  de  transformer  en  une  vaste  huîtrière.         Z. 

ARC  DE  TRlOMPHE.Quand  un  général  romain  avait 
remporté  un  avantage  considérable  sur  l'ennemi,  il  obtenait 
la  permission  d'entrer  en  triomphe  dans  la  ville,  suivi 
du  butin  et  des  prisonniers  qu'il  avait  faits.  On  se  contenta 
sans  doute  d'abord  d'orner  la  porte  par  laquelle  il  devait 
entrer;  plus  tard  on  construisit  exprès  des  portes  en  bois, 
sur  les  côtés  desquelles  on  représenta  les  actions  glo- 
rieuses du  triomphateur;  enfin  on  bûtit  des  portes  ou 
arcs  de  triomphe  (]màh\cs ,  m  y  employant  la  pierre,  le 
marbre,  le  bronze.  Ces  monuments  sont  d'invention 
romaine.  Il  est  vrai  de  dire  que  les  Chinois  construisent 
aussi  des  espèces  d'arcs  de  triomphe  pour  honorer  la  mé- 
moire des  personnes  qui  se  sont  fait  remarquer  par  quelque 
belle  action,  n'importe  dans  «juel  genre.  Les  Romains,  au 
contraire ,  n'ont  élevé  de  ces  sortes  de  monuments  qu'à  la 
gloire  des  gens  de  guerre,  si  on  en  excepte  toutefois  ceux 
d'Ancône  et  de  Bénévent,  construits  tous  deux  en  l'honneur 
de  Trajan,  l'un  pour  remercier  cet  empereur  d'avoir  amé- 
lioré le  port,  et  l'autre  parce  qu'il  prolongea  la  voie 
Appienne  depuis  Capoue  jusqu'à  Brindes. 

Et^général  les  arcs  de  triomphe  se  composent  d'un  mas- 
sif isolé,  de  figure  rectangulaire,  percé  dans  son  milieu 
d'une  arcade  en  plein  cintre,  sous  laquelle  a  dû  passer  le 
triomphateur;  deux  autres  arcades  latérales  et  plus  petites 
étaient  destinées  au  passage  du  cortège;  cependant  il  est 
des  arcs  de  triomphe  qui  n'ont  qu'ime  seule  arcade  ;  d'au- 
tres en  ont  jusqu'à  cinq,  trois  sur  la  face  et  unesurchaiiue 
>nt  les  arcs  du  Carrousel  et  de  l'Étoile,  à  Paris. 


flanc;  tels  sont 

Les  arcs  de  triomphe  sont  ornés  de  bas-reliefs,  représentant 
les  actions  du  héros;  de  colonnes  engagées  ou  eu  sailliei 

9'é 


748 


ARC  DE  TRIOMPHE 

'allique  qui  règne  au-dessus  de  rcnlalilement 


queîqiiefo 

porte  un  quadrige  en  bronze  (char  attelJdc  qiiafrc  clievaux) 

Les  arcs  de  trioinplie  les  plus  remarquables  de  l'anli- 
quilc',  et  dont  il  existe  encore  des  ruines  fort  intéres- 
santes, sont  :  ceux  de  Constantin,  de  Septiine-Sévère, 
d'Orange,  d'Ancône,  etc.,  et  à  Talmyre,  celui  dont  les  restes 
terminent  la  vaste  avenue  de  colonnes  qui  commence  au 
monument  de  Jambliclius. 

Varc  (te  Constantin,  construit  avec  les  débris  de  celui 
de  Trajan,  était  percé  de  trois  arcades ,  une  au  milieu  et 
deux  plus  petites  vers  les  côtés;  il  avait  de  hauteur,  y  com- 
pris celle  de  l'atlique,  25  mètres,  sur  environ  21  mètres  de 
largeur.  Élevé  à  Rome ,  entre  le  mont  l'alalin  et  l'aiiiphi- 
théûtre  Flavien,  sur  la  voie  Triomphale,  cet  arc  fut  dédié  par 
le  sénat  et  le  peuple  romain  à  Constantin  le  Grand,  principale- 
ment en  l'honneur  de  la  victoire  qu'il  remporta  sur  Maxence. 
11  fut  restauré  par  Cléiiienl  XII. 

Varc  de  Seplime-Sévère ,  remarquable  par  la  profusion 
de  ses  ornements  et  rexcellencc  des  bas-reliefs  sculptés  sur 
ses  faces,  portait  un  quadrige  sur  son  altique  :  l'arc  du 
Carrousel  à  Paris  en  est  une  imitation.  Cet  arc  avait  les 
mf'mes  proportions  à  peu  près  que  celui  de  Constantin. 
Fntièrement  construit  en  marbre  pentélique,  il  fut  élevé 
vers  l'an  203  de  l'ère  chrétienne,  en  l'honneur  de  Septimc- 
Sévère,  d'Antonin,  de  Caracalla  et  de  Géta  ses  fils,  pour  les 
victoires  remportées  sur  les  Parthes  et  autres  nations  bar- 
bares de  l'Orient. 

Varc  d'Orange,  près  la  ville  de  ce  nom  en  Provence,  est 
percé  de  trois  arcades,  deux  petites  vers  les  côtés,  et  une 
plus  grande  au  milieu.  Certains  auteurs  ont  pensé  que  ce 
monument,  d'origine  romaine  ,  avait  élé  érigé  en  mémoire 
des  victoires  que  Marins  remporta  sur  les  Cimbres  et  les 
Teutons.  Mais  celte  supposition  ne  se  trouve  corroborée 
par  aucune  inscription,  et  elle  n'explique  pas  la  présence  des 
attributs  nautiques  qui  décorent  réditice.  Aussi,  malgré  la 
difliculté  qu'on  éprouve  à  fixer  l'époque  de  l'érection  de  ce 
monument,  on  peut  affirmer  que  l'opinion  que  nous  venons 
de  citer  est  la  moins  admissible  de  toutes.  Et  d'ailleurs, 
l'imperfection  de  la  sculpture,  la  superfluité  et  le  style  des 
ornements  tendent  à  faire  croire  que  cet  édifice  appartient 
à  la  décadence  de  l'art.  Sous  la  Restauration,  le  gouverne- 
ment le  fit  consolider;  on  reconstruisit  en  pierre  de  taille 
tout  ce  qui  était  dégradé,  mais  on  ne  chercha  point  à  res- 
taurer les  bas-reliefs  ni  les  autres  ornements  qui  manqua''e!if. 

L'arc  d'Ancoiic,  élevé  sur  le  môle  à  la  gloire  de  Tiaj,;;; , 
et  consacré  en  outre  à  la  femme  et  à  la  sœur  de  cet  em- 
pereur, comme  l'indiquent  les  inscriptions,  est  bâti  en  blocs 
de  marbi^e  de  Paros  si  bien  joints ,  qu'on  le  croirait  d'un 
seul  morceau.  Cet  arc,  un  des  plus  beaux  et  des  mieux 
conservés  qui  se  soient  vus,  est  décoré  de  quatre  colonnes 
corinthiennes  ;  il  portait  sur  son  attique  la  statue  équestre 
en  bronze  de  l'empereur.  La  ville  d'Ancône  possède  encore 
un  des  pieds  du   cheval.  Cet  arc  a  élé  restaiiri>  en  lRô8. 

Varc  de  Bénévent,  imité  de  celui  de  Titus  à  Roi  .',  sert 
aujourd'hui  de  porte  a  la  ville  dont  il  a  pris  le  nom  ;  on 
l'appelle  aussi  la  Porte  d'Or  ;  ce  surnom ,  populaire  dès  le 
commencement  du  moyen  âge,  nous  fait  croire  que  les 
décorations  de  l'arc  étaient  primitivement  dorées.  L'attique 
portait  une  inscription  en  l'honneur  de  Trajan. 

Dans  les  provinces  de  l'empire  romain  on  voyait  plu- 
sieurs arcs  intéressants ,  entre  autres  l'arc  de  Rimini  et 
celui  de  Pola  en  l'honneur  d'Auguste.  On  trouve  encore  à 
quatre  lieues  d'Arles  les  ruines  d'un  arc  dont  l'élévation 
a  aussi  été  attrihii'e  aux  troupes  de  Marins.  Lnfin  les 
Français  en  renconlivient  un  assez  bien  conservé  à  Dje mi- 
la  !i,  en  Afrique. 

La  Trance ,  parmi  les  modernes,  a  seule  rivalisé  et  quel- 
quefois surpassé  les  Romains,  sous  certains  rapports,  dans  la 
construction  des  arcs  de  triomphe.  .Sous  Louis  XIV,  la  ville 
de  Paris  eu  fit  élever  plusieurs  à  la  gloire  de  ce  prince;  deux 


existent  encore,  ce  sont  la  Porte  Saint-Denis  et  la  Perte 
Saint-Martin.  La  Porte  .Sf.'/NM)c«(5offrcdegrandes  beautés 
et  quelques  défauts  ;  cet  arc  se  distingue  par  sa  grandeur,  par 
ses  belles  proportions  et  surtout  pnr  la  richesse  et  la  vigueur 
des  sculptures  et  des  bas-reliefs  qui  le  décorent.  Du  côté 
de  la  ville,  on  voit  deux  sortes  de  pjTamides  engagc^es, 
chargées  de  trophées  d'armes  antiques  du  plus  beau  style; 
au  pied  des  pyramides  sont  deux  figures  assises,  sculptées 
sur  les  dessins  de  Lebrun  ;  elles  représentent  les  sept  Pro- 
vinces Unies  sous  la  forme  d'une  femme  consternée,  et  le 
Rhin  sous  celle  d'un  homme  vigoureux  appuyé  sur  un  gou- 
vernail. Au-dessus  de  la  porte  on  voit,  dans  un  renfon- 
cement rectangulaire,  un  l)as-relief  où  Louis  XIV,  vêtu  à 
l'antique,  commande  le  passage  du  Rhin.  Du  côté  du  fau- 
bourg, un  bas-relief  représente  l'entrée  de  ce  prince  dans 
Maëstricht.  Dans  la  frise  de  l'entablement  qui  est  au-dessus 
on  lit  l'inscription  suivante  en  lettres  de  bronze  doré  :  Lldo- 
ticoMac.no.  La  critique  blâme  dans  ce  magnifique  monument 
son  peu  d'épaisseur  ;  il  n'est  personne  en  effet  qui,  le  voyant 
de  côté,  ne  lui  en  désire  le  double.  On  trouve  aussi  que  l'em- 
ploi des  pyramides,  monuments  consacrés  aux  sépultures, 
n'est  point  justifié  :  d'ailleurs ,  ces  pyramides  ont  quelque 
chose  d'incertain  dans  leurs  proportions;  car  on  pourrait 
tout  aussi  bien  les  prendre  pour  de  gros  obélisques.  Enfin, 
sa  position,  dans  un  lie,!  enfoncé,  entouré  de  maisons  bour- 
geoises, n'est  pas  heureuse.  La  Porte  Saint-Den  is,  dont  la  hau- 
teur est  d'environ  vingt-cinq  mètres,  fut  construite  en  1C72, 
aux  frais  de  la  ville  de  Paris,  par  François  Blonde!,  ma- 
réchal des  camps  et  armées  du  roi  et  maîtie  de  malbéma- 
tiques  du  dauphin;  la  sculpture  fut  commencée  par  Gi- 
rardon,  et  terminée  par  Michel  et  François  An  gui  er.  Cet 
arc  fut  réparti  sous  rempire  et  gratté  dans  ces  derniers  temps. 

L'arc  de  la  Porte  Sjint-Martin  fut  construit  par  BuUet, 
élève  de  François  Bloudel,  en  1G74,  aux  frais  de  la  ville  de 
Paris;  sa  hauteur  et  sa  largeur  ont  chacune  17™,55  tout 
compris.  Cet  arc  est  icrcé  de  trois  arcades  :  celle  du  milieu 
a  4'",85  de  large  et  g^jTO  de  haut.  Les  pieds-droits  sont 
travaillés  en  bossages  Termicul.'s;  le  monument  est  cou- 
ronné par  un  attique,  sur  lequel  on  lit  :  Ludovico  Magno, 
Yesontione  Seqiianisque  bis  captis,  et  fractis  Germa- 
norum,  Hispanorum  et  Batavorum  cxercitibus.  Frœfec. 
et  xdit.  poni.  C.  C.  Des  bas-reliefs  assez  mal  encadrés 
sont  sculptés  sur  les  grandes  faces  :  du  côté  de  la  ville,  on 
voit  Louis  XIV  assis  sur  son  trône;  une  femme  à  genoux 
lui  présente  un  rouleau  :  c'est  le  traité  de  la  triple  alfiance. 
Dans  un  autre  bas-relief,  le  même  prince,  sous  la  figure 
d'Hercule,  est  couronné  par  la  Victoire,  en  mémoire  de  la 
conquête  de  b.  Franche-Comté.  Du  côté  du  faubourg,  les 
bas-reliefs  représentent,  sous  de  semblables  allégories,  la 
prise  de  Limbourg  et  la  défaite  des  Allemands.  Ces  sculptures 
sont  de  Desjardins,  Marsy,  Lebongre  et  Legros.  Les  pro- 
poitions  de  ce  monument,  considéré  en  grand,  ne  sont  pas 
mauvaises  ;  mais  on  blâme  avec  rai" on  les  bossages  rustiques 
taillés  sur  les  pieds-  Iroits  et  jusque  sur  le  bandeau  de  l'arc 
de  la  grande  porte.  Cet  arc  fut  réparé  sous  la  Restauration. 

Arc  de  triomphe  de  la  ptace  du  Carrousel.  Ce  monu- 
ment, commencé  en  1806  ,  sur  les  ■'•  ssins  de  M.  Fontaine, 
rappelle  celui  de  Septime-Sévère  à  F.ome  :  il  a  14"',G0  de 
haut,  19'",50  de  large  et  6", 50  d'épaisseur;  les  deux  grandes 
faces  sont  percées  de  trois  arcades  do:;t  les  pieds-droits  sont 
coupés  par  une  arcade  unique  qui  s'ouvre  sur  l'un  et  l'autre 
flanc.  Chaque  grande  face  est  ornée  de  huit  colonnes  isolées, 
d'ordre  corinthien;  leurs  fûts,  d'une  seule  pièce,  sont  en 
marbre  rouge  de  Languedoc,  et  leurs  bases  et  leurs  chapi- 
teaux en  bronze  ;  chacune  de  tes  colonnes  porte  une  statue 
en  marbre  blanc  qui  représente  un  guerrier  de  la  grande 
armée.  Le  monument  fut  d'abord  couronné  par  un  quadrige, 
dont  le  char  et  les  victoires  qui  les  conduisaient  étaient  en 
fer  et  plomb  doré;  les  quatre  chevaux  avaient  été  apporiés 
de  ^■enise,  où  ils  sont  retournés  en  1815.   A  cette  époque, 


ARC  DE  TRIOMPHE 

le  cliar  et  les  victoires  furent  enlevés  et  ilétruils.  Le  qna- 
drige  fut  rétabli  sous  les  Bourbons  ;  il  est  en  bronze ,  et  le 
char  porte  la  statue  de  la  Restauration  ;  les  bas-reliefs  en 
marbre  qui  représentent  des  seines  de  la  campagne  de  1805 
ont  été  replaces  en  1S31  ;  auparavant  leurs  places  étaient 
occupées  par  des  pkUres  représentant  quelques  actions  de  la 
campagne  de  l^li  en  Espagne  par  lo  duc  d'Anyioulènie.  Ce 
monument ,  construit  en  matières  précieuses ,  avec  un  soin 
tout  particulier,  ne  satisfait  pas  les  connaisseurs.  Ils  trou- 
vent qu'il  manque  totalement  de  grandeur,  que  les  orne- 
ments en  sont  trop  recliercliés ,  et  qu'enfin  il  est  comme 
anéanti  par  la  masse  des  palais  qui  l'environnent. 

Varc  de  triomphe  de  l'Etoile,  commencé  en  tsOG  sur  les 
dessins  de  Tarcbitecte  Cbalgrin,  a  été  terminé  en  183G  par 
.M.  Blouet.  Ce  monument,  élevé  à  la  gloire  des  armées  de  la 
république  et  de  l'empire ,  présente  sous  les  piles  de  son 
grand  arc  des  inscriptions  rappelant  les  principales  batailles 
ou  les  faits  d'armes  dans  lesquels  le  drapeau  français  rem- 
porta la  victoire  durant  cette  grande  période  qui  commence 
en  1791  et  finit  à  1814.  Sous  les  arcades  latérales ,  des  tables 
taillées  dans  les  murs  de  lédilice  contiennent  les  noms  des 
généraux  qui  se  sont  le  plus  distingués  dans  ces  différentes 
campagnes.  Toutes  ces  inscriptions  font  de  l'arc  de  triomphe 
de  l'Étoile  une  vaste  page  historique  destinée  à  l;ansmettre 
aux  générations  futuros  le  souvenir  de  notre  gloire  mili- 
taire. 

La  sculpture  se  trouve  distribuée  dans  ce  monument  avec 
cette  juste  proportion  qui  évite  à  la  fais  la  profusion  et 
la  parcimonie.  Quatre  immenses  groupes  allégoriques  repré- 
sentant le  Départ  (  1793),  le  Triomphe  (1810) ,  la  Résis- 
tance (1S14)  et  la  Paix  (1S15),  entrent  pour  beaucoup 
dans  l'harmonie  de  l'édifice;  ils  sont  dus  à  MJL  Rudde  , 
Cortot  et  Étex.  Les  tympans ,  les  bas-reliefs  et  la  frise  sont 
l'œuvre  de  MM.  Pradier,  Seurre  aîné,  Seurre  jeune,  Uebay 
père,  Bosio  neveu,  Caillouette,  Gechter,  Teuchère,  Brun, 
Jaquet,  Lailié,  Lemaire,  Bra,  Ciiaponicre,  Marochetti , 
Espercieux  et  A'alcher. 

L'arc  do  triomphe  de  l'Étoile,  bâti  en  pierres  dures  de 
Ciiàleau-Landon  (elle  se  polit  comme  le  marbre),  est  le  plus 
colossal  et  l'un  des  plus  solides  qui  aient  jamais  été  cons- 
t.Tiits;  il  a  44  mètres  de  haut,  45  mètres  de  large,  sur  23 
mètres  d'épaisseur.  Ses  grandes  faces  sont  percées  d'une  porte 
en  arcade  de  15  mètres  de  large,  et  de  30  mètres  de  haut; 
les  lianes  sont  aussi  percés  d'une  arcade  de  9  mètres  de 
largeur,  sur  18  mètres  de  hauteur  sous  clef.  Ainsi  se  trouve 
réalisée  la  pensée  de  Napoléon,  qui  vouh't  donner  à  ce  mo- 
nument des  dimensions  gigantesques  pour  annoncer  cUgnc- 
ment  à  une  grande  distance  la  capitale  de  son  empire. 

ARCADE.  C'est  une  construction  en  bois,  en  pierre  ou 
en  fer  qui,  s'appuyant  par  ses  deux  extrémités  sui'  des  murs 
ou  sur  des  colonnes,  décrit  un  arc  de  cercle  dont  la  concavité 
regarde  le  sol.  C'est  encore  imc  ouverture  en  forme  d'arc 
pratiquée  dans  un  mur  ou  dans  une  cloison.  Les  arcades  reçoi- 
vent quelquefois  des  décorations  archi tectoniques.  En  Orient 
les  rues  sont  souvent  bordées  d'arcades.  Quelques  villes  d'Italie 
ont  imité  cet  exemple.  A  Paris  on  cite  les  arcades  de  la  rue 
de  Rivoli. 

En  anatomie  on  appelle  arcades  les  courbes  que  dé- 
crivent plusieurs  parties  osseuses  ou  molles.  Nous  citerons 
les  arcades  dentaires,  Varcadc  crurale,  Varcade  zi/goma- 
tigue,  l'arcade  orbilaire.  On  nom.nie  encore  arcades  les 
courbes  que  décrivent  les  vaisseaux  pour  communiquer 
entre  eux  en  s'anastomoF.ant.  Telles  sont  \q?<  arcades  mésen- 
tériques,  palmaires ,  plantaires.  Enfin  on  donne  le  môme 
nom  aux  courbes  des  rameaux  nerveux  qui  .s'adossent 
entre  eux. 

ARCAUKS  (Académie  des).  VAccadcmia  dcgli  Arcadi 
de  Rome  eut  pour  origine  une  société  de  poètes  et  d'amis 
des  arts  qui  .se  réunissait  d'abord  au  prdais  Corsini  (  rési- 
dence de  la  reine  Christine  de  Suède).  Le  jurisconsulte  de 


AUC.\DIE 


74S> 


celte  princesse,  Gravina,  fut,  on  1600,  l'un  des  premiers 
promoteurs  de  celle  réunion,  qui  avait  pour  but  de  contri- 
buer l\  arrêter  les  progrès  <lc  la  décadence  du  goilt ,  surtout 
en  matière  de  poésie  :  ses  statuts  furent  une  imitation  de  la 
loi  romaine  des  Uoiize  Tables.  On  n'y  admettait  que  des 
poètes,  de  l'un  et  l'autre  sexe  d'ailleurs,  et  chaque  membre  de 
la  société  y  était  inscrit  sovis  un  nom  de  berger  grec.  Les 
séances  avaient  lieu  en  plein  air.  Elles  furent  d'abord  extrê- 
mement fréquentées,  parce  que  c'était  à  qui  s'y  ferait  affilier. 
Son  premier  président  fut  Crescimbeni,  qui  publia  «nre- 
cueil  de  poésies  ouvrage  des  membres  de  l'Académie,  avec 
la  biographie  de  plusieurs  d'entre  eux.  Des  sociétés  analogues 
furent  ensuite  créées  sous  le  même  nom  et  dans  le  même 
but  à  Bologne,  à  Pise,  à  Sienne,  à  Ferrare,  à  Venise  et  encore 
dans  d'autres  villes.  Depuis  172C  l'Académie  des  .\rcades  se 
réunit,  tous  les  jeudis ,  en  été ,  sur  le  mont  Janicule  ,  dans 
le  petit  bois  de  PaiThasius  (  bosco  Parrasio  );  en  hiver,  dans 
la  salle  des  Archives  (Scrbatajo),xuc  de  VArcionc,  et  les  jours 
de  grande  solennité  au  Capitole  :  ses  armes  sont  la  llùte  pas- 
torale, sijrinx,  couronnée  de  pin  et  de  laurier.  Elle  publie  un 
recueil  mensuel  formant  quatre  volumes  par  an,  intitulé 
Giornale  Arcadico  :  on  y  trouve  souvent  de  précieuses  dis- 
sertations sur  des  questions  d'archéologie.  Le  pape  Léon  XII 
fut  reçu,  en  1824,  membre  de  l'Académie  des  Arcade-s,  hon- 
neur que  l'empereur  Napoléon  III,  alors  président  de  la 
Répul)!i(iuc  française,  obtint  en  1850. 
ARCADIE.  C'était  la  partie  centrale  et  la  plus  élerée 
du  Pélopour.èse,  bornée  au  nord  par  l'Achaïe  et  le  territoire 
de  Sicyone,  à  l'est  par  l'Argolide,  au  sud  par  la  Messénie,  et 
à  l'ouest  par  l'Élide.  Elle  reçut  son  nom,  suivant  Pausanias, 
d'Arcas,  fils  de  Callisto.  Ce  pays,  traversé  par  un  grand 
nombre  de  montagnes  et  de  forêts,  abonde  en  tleuves,  dont 
les  plus  importants  sont  l'Eurotas  et  l'Alphée  ;  il  abonde 
également  en  sources  et  en  pâturages.  Parmi  ses  montagnes 
les  plus  célèbres  on  citait  Cyllène,  Erymanthe,  Stymphale  et 
Mœnalon.  A  l'origine  il  portait  le  nom  de  Pélasgie,  à  cause 
de  ses  premiers  habitants,  les  Pélasges;  plus  tard  il  fut 
partagé  entre  les  cinquante  lils  de  Lycaon.  Avec  le  temps , 
tous  ces  petits  États  parvinrent  à  se  rendre  indépendants,  et 
formèrent  entre  eux  une  confédération.  Les  principaux 
étaient  Mantinée,  aujourd'hui  le  village  de  Mondi,  où  Épa- 
minondas  remporta  une  victoire  célèbre  et  trouva  son  tom- 
beau ;  Tégée ,  aujourd'hui  Tripolitica  ;  Orchomène ,  aujour- 
d'iuii  Kalpacki;  Phénéus,  aujourd'hui  Phonea  ;  Psophis  et 
Mégalopoiis ,  aujourd'hui  Sinano. 

Les  pâtres  et  les  chasseurs  de  la  contrée  montagneuse 
qui  occupe  une  partie  de  l'Arcadie  demeurèrent  longtemps 
dans  un  état  voisin  de  la  barbarie.  Les  anciens  auteurs  font 
mention  de  la  lijcanthropie  comme  dune  maladie  mentale 
qui  était  endémique  parmi  eux,  et  qui  consistait  à  s'imaginer 
être  changé  pour  quelque  temps  en  loup.  Lorsque  peu  à  peu 
leurs  mœurs  s'adoucirent,  iis  se  mirent  à  cultiver  le  sol  et 
firent  leurs  délices  de  la  danse  et  de  la  musique.  Us  conser- 
vèrent d'ailleurs  toujours  des  habitudes  très-belliqueuses  ;  et 
quan;l  ils  n'avaient  pas  à  faire  la  guerre  pour  leur  propre 
compte,  ils  se  mettaient  comme  mercenaires  au  service 
d'autres  peuples.  Leurs  divinités  principales  étaient  Pan  et 
Diane,  dont  le  culte  n'était  nulle  part  aussi  répandu  que 
parmi  eux.  Ils  se  livraient  surtout  à  l'agriculture  et  à  l'é- 
ducation des  troupeaux  :  de  là  l'usage  des  poètes  de  choisir 
toujours  l'Arcadie  pour  la  scène  de  leurs  idylles,  et  de  prêter 
à  cette  contrée  tous  les  charmes  que  la  poésie  peut  inventer, 
tandis  qu'en  réalité  elle  est  loin  d'être  le  pays  de  délices 
qu'ils  se  plaisent  tant  à  décrire. 

L'Arcjulie  entra  dans  la  ligue  Achéennc,  à  laquelle  elle 
donna  un  de  ses  plus  gi-ands  généraux,  P  h  i  1  o  p  (l>  m  e  n  ;  elle 
suivd,  après  la  prise  de  Corinthc,  le  sort  du  reste  de  la 
Grèce.  Elle  fut  détachée  de  l'empire  grec  avec  la  Morée  par 
les  Vénitiens,  puis  conqiii.se  par  les  Turcs ,  qui  la  conser- 
vèrent jusqu'à  l'insurrecliou  de  IS22.  Elle  est  aujourd'hui 


750  ARCADIE  — 

une  des  provinces  du  nouvel  État  de  Grèce,  et  a  pour  chef- 
lieu  Tripolitza. 

A  l'époque  de  la  Renaissance,  quand  toule  rantiquité  se 
révélait  à  l'Europe,  l'Arcadie  prit  dans  l'imagination  de  S  an- 
nazar  une  forme  idéale  qu'elle  conserva  longtemps.  Alors 
furent  inventés  ces  bergers  si  rêveurs,  si  tendres,  si  ma- 
niérés et  si  fades.  Pendant  plus  d'un  siècle  l'Italie,  l'Espagne 
et  le  Portugal  ne  quittèrent  pas  la  houlette.  Vint  ensuite  le 
tour  de  la  France,  qui  enfanta  la  volumineuse  Astrée.  Il  y 
eut  bientôt  assaut  de  bergeries  entre  les  d'Urfé,  les  La  Cal- 
prenède,  les  Racan,  les  demoiselles  de  Scudéry  et  les  dames 
Deshoulières.  Ce  fut  à  qui  travestirait  le  mieux  les  Cyrus 
et  les  Caton  en  pasteurs  amoureux.  Le  capitaine  de  dragons 
Florian  a  été  le  dernier  berger  français.  Rendons-lui ,  du 
reste,  la  justice  de  convenir  qu'avant  de  s'éteindre,  ce  genre 
ennuyeux  s'était  fort  humanisé  sous  sa  plume.  Du  reste,  ne 
le  mau<lissons  pas  trop  :  l'Italie  lui  doit  deux  chefs-d'œuvre, 
VAminta  et  le  Pastor  fido. 

ARCADIUS,  empereur  d'Orient  (393-408),  né  en  Es- 
pagne, en  377,  était  fils  de  l'empereur  Théodose.  Lors  du 
partage  de  l'empire  romain ,  qui  eut  lieu  après  la  mort  de 
son  père ,  il  eut  pour  sa  part  l'Orient ,  tandis  que  son  frère 
Honorius  alla  régner  sur  l'Occident.  La  pompe  qu'Arca- 
dius  introduisit  dans  son  palais  égala  celle  des  rois  perses. 
Sa  domination  s'étendait  depuis  l'Adriatique  jusqu'au  Tigre, 
depuis  la  Scythie  jusqu'à  l'Ethiopie.  Mais  le  véritable  sou- 
verain de  ce  vaste  empire  fut  d'abord  le  Gaulois  R  u  fi  n  , 
dont  l'ambition,  l'avarice  et  la  cruauté  ont  été  condam- 
nées à  l'immortalité  par  les  sanglantes  invectives  du  poète 
Claudien,puis  leunuque  Eutrope.  Cette  classe  d'hom- 
mes avait,  du  reste,  avant  cette  époque,  commencé  à 
exercer  une  secrète  influence  sur  la  direction  des  affaires; 
mais  Eutrope  fut  le  premier  qui  parut  publiquement  investi 
des  fonctions  de  chef  suprême  de  la  magistrature  et  de  com- 
mandant des  armées.  Ayant  été  précipité  du  pouvoir  par 
Gainas ,  qui  n'avait  pas  tardé  à  en  être  précipité  lui-même, 
on  vit  E  u  d  0  X  i  e,  femme  d'Arcadius,  s'emparer  des  rênes  de 
l'empire ,  que  lui  abandonna  volontiers  son  faible  et  pusilla- 
nime époux,  qui  avait  besoin  d'un  maître,  et  dont  le  règne 
ne  fut  qu'une  longue  suite  de  calamités  publiques ,  inva- 
sions et  dévastations  de  barbares ,  famines  et  tremblements 
de  teiTe.  Elle  fut  la  persécutrice  acharnée  du  vertueux  Jean 
Chrysostome,  patriarche  de  Constantinople.  Quant  à  Arca- 
dius,  après  avoir  témoigné  la  plus  complète  et  la  plus  cons- 
tante indifférence  en  présence  de  tant  de  misères  ,  il  mourut 
en  408,  sans  laisser  après  lui ,  même  dans  son  entourage,  le 
moirylre  regret. 

ARCAJXE.  Ce  mot ,  dérivé  du  latin  arcanum ,  et  qui 
veut  (lire  secret ,  s'applique  principalement  aux  opérations 
mystérieuses  de  l'alchimie ,  et  à  tout  remède  dont  on  cache 
la  composition,  tout  en  lui  attribuant  une  grande  efficacité 
(voyez  Remîcdes  seckets  ).  Autrefois  le  sulfate  de  potasse 
s'uppelaitarcanumditplicatum,  et  un  dcutoxyde  de  mercure 
arcanum  corallimnn. 

ARCAXSON.  Voyez  Biui. 

ARC-EIX-CIEL.  Tout  le  monde  a  vu  ce  brillant  mé- 
téore apparaître  au  milieu  des  nuées  pendant  la  pluie.  Les 
Grecs  l'appelèrent  iris,  car,  dans  leurs  naïves  croyances  , 
l'arc-en-ciel  n'était  autre  chose  que  l'écharpe  flottante  de 
la  messagère  des  dieux.  Chez  les  Hébreux ,  son  apparition 
était  regardée  comme  un  symbole  d'alliance  et  de  récon- 
ciliation entre  Dieu  et  l'homme.  La  science  moderne  a  faitde 
l'arc-en-ciel  comme  du  tonnerre  de  simples  météores  ;  tous 
deux  sont  descendus  des  hauteurs  de  la  poésie  pour  se  ranger, 
avec  la  pluie  et  la  grêle,  parmi  les  phénomènes  de  la  na- 
ture dont  riionime  a  trouvé  l'explication. 

Le  mode  de  formation  de  l'arc-en-ciel  fut  complètement 
inconnu  jusqu'à  Marc-Antoine  de  Doniinis  ,  archevêque  de 
Spalatro,  en  Dalmatie,  qui,  en  1611,  fit  hnprimer  ses  recher- 
ches sur  ce  sujet.  Kepler  avait,  il  est  vrai,  donné  dfjà 


ARC-EN-CIEL 

quelques  notions  dans  une  lettre  qu'il  écrivait  à  Harriot, 
dès  1G06.  Mais  ni  lui,  ni  Descartes,  qui  plus  tard  reprit 
les  travaux  de  Dominis,  ne  parvinrent  à  une  théorie  satisfai- 
sante. Ce  futNewIonqui  la  trouva,  comme  conséquence  de 
sa  belle  découverte  de  la  composition  des  rayons  lumineux. 

Supposons  un  rayon  solaire  arrivant  obliquement  sur 
une  goutte  d'eau  ;  il  y  entre  en  subissant  une  certaine  ré- 
fraction ,  la  traverse ,  puis  vient  frapper  la  paroi  opposée 
de  la  goutte  :  là,  une  partie  de  la  lumière  sort,  de  nouveau 
réfractée  ;  une  autre  partie  est  réfléchie  et  traverse  la  goutte 
une  seconde  fois  :  cette  dernière  partie,  qui  a  déjà  subi  une 
première  réfraction  à  son  entrée  dans  la  goutte,  en  éprouve 
une  seconde  à  sa  sortie.  Or ,  la  lumière  blanche  est  com- 
posée de  rayons  diversement  réfrangibles ,  qui ,  se  décom- 
posant dans  la  goutte  d'eau  comme  dans  le  prisme, 
donnent  aux  rayons  sortant  de  la  goutte  les  propriétés  du 
spectre  solaire.  Ce  n'est  pas  tout  (car  il  semblerait 
résulter  de  la  théorie  précédente  que  l'observateur  doit  aper- 
cevoir autant  de  petits  spectres  solaires  qu'il  y  a  de  gouttes 
d'eau,  et  nous  savons  qu'il  n'en  est  rien),  de  la  rapidité 
de  descente  des  gouttes  de  pluie  résulte  une  continuité 
de  sensation  qui  cause  une  illusion  d'optique ,  et  de  môme 
qu'en  tournant  rapidement  un  charbon  allumé,  nous  croyons 
voir  un  cercle  de  feu ,  de  même  l'arc-en-ciel  nous  apparaît 
disposé  en  bandes  distinctes. 

Nous  avons  suivi  tout  à  l'heure  un  rayon  solaire  jusqu'à 
la  seconde  réfraction  ;  mais  là  encore,  comme  à  la  première, 
il  arrive  qu'une  partie  du  rayon  décomposé  se  trouve  une 
seconde  fois  réfléchie  dans  l'intérieur  de  la  goutte  et  va 
sortir  en  un  autre  point  de  sa  surface.  C'est  ce  qui  occa- 
sionne quelquefois  la  formation  d'un  deuxième  arc-en-ciel, 
dont  les  couleurs,  moins  vives  que  celles  du  premier,  sont, 
ainsi  que  l'explique  la  marche  des  rayons,  disposées  en  sens 
inverse.  En  continuant  ce  raisonnement,  on  conçoit  la  for- 
mation d'un  troisième  météore,  encore  moins  coloré  que 
le  second,  mais  dans  le  même  sens  que  le  premier;  puis 
celle  d'un  quatrième,  et  ainsi  de  suite;  mais  ces  arcs-en- 
ciel  deviennent  tellement  peu  distincts  qu'il  est  déjà  très- 
rare  d'en  voir  trois  à  la  fois.  Dans  l'arc-en-ciel  principal  les 
couleurs  sont  disposées  dans  l'ordre  suivant,  en  procédant 
de  l'intérieur  à  l'extérieur  :  violet,  indigo,  bleu,  vert, 
jaune ,  orangé ,  rouge. 

Remarquons  que  dans  tous  les  cas  pour  voir  l'arc-en- 
ciel  il  faut  que  le  spectateur  soit  placé  entre  la  nuée  et  le 
soleil  et  qu'il  tourne  le  dos  à  l'astre.  La  pluie  des  cascades 
ou  celle  des  jets  d'eau  forme  aussi  des  arcs  colorés  :  en 
mer  on  en  voit  apparaître  à  la  surface  des  vagues  agitées. 

La  pleine  lune  donne  quelquefois  lieu  à  des  météores  sem- 
blables, excepté,  bien  entendu,  l'intensité  décoloration; 
on  les  appelle  arcs-cn-cicl  lunaires.        E.  Merliecx. 

Le  12  novembre  184S,  à  6h  40™du  soir,  j'ai  eu  l'agrément 
d'observer  à  Collingwood  pour  la  première  fois  le  rare  et 
beau  phénomène  d'un  arc-en-ciel  lunaire  dans  toute  sa 
perfection.  La  lune,  qui  avait  été  dans  son  plein  de  11*'  à 
Ih  30™  du  matin,  était  à  l'est,  près  de  l'horizon,  brillant 
d'un  grand  éclat,  à  travers  une  éclaircie  d'une  assez  grande 
étendue,  qui  contrastait  avec  un  ciel  couvert,  partout  ailleurs, 
de  nuages  épais  et  obscurs.  Une  pluie  légère,  soutenue,  et 
tombant  avec  uniformité,  accompagnait  un  vent  modéré 
soufflant  du  nord-est. 

L'arc ,  qui  était  à  peu  près  un  demi-cercle ,  était  parfait 
dans  toutes  ses  parties.  Il  semblait,  de  plus,  beaucoup  mieux 
terminé  que  ne  l'est  en  général  l'arc-en-ciel  solaire  et  un  peu 
plus  étroit  dans  sa  largeur  transversale.  Son  rayon  aussi  pa- 
raissait un  peu  moindre,  ce  qui  évidemment  n'était  (pi'uns 
illusion.  Quoique  beaucoup  plus  brillant  que  je  n'aurais 
pensé  qu'un  arc-en-ciel  lunaire  le  pût  être  (  effet  produit  sans 
aucun  doute  par  le  fond  très-obscur  sur  lequel  il  se  projetait), 
c'était  à  peine  si  l'on  y  distinguait  quelques  couleurs  ;  il  y  en 
avait  seulement  assez  pour  que  les  spectateurs  fussent  bien 


ARC-EN-CIEL  —  ARCHAÏSME 


751 


certaius  que  Tordre  des  couleurs  était  le  na^ne  que  dans  l'arc- 
en-ciel  solaire;  car  une  faible  teinte  rougeùlre  était  sensible 
au  bord  extérieur,  et  une  teinte  bleuâtre  encore  pins  faible 
au  bord  intérieur,  d'où  résultait  une  frappante  conlirmation 
de  cette  singulière  loi  qui  s'observe  dans  la  physiologie  de 
la  vision,  savoir  :  que  la  perception  des  couleurs  ne  se  pro- 
duit que  lorsque  Tœil  est  stimulé  par  des  rayons  dune  in- 
tensité suffisante. 

Non -seulement  le  premier  arc  était  pleinement  déve- 
loppé, mais  encore  l'arc  extérieur  ou  second  arc-en-ciel 
était  aussi  perceptible.  11  n'était  cependant  pas  assez  mar- 
qué pour  attirer  l'attention  d'un  observateur  non  prévenu 
de  son  existence,  mais  on  le  reconnaissait  sans  incerlituJe, 
et  il  était  à  sa  vraie  distance  de  l'arc-en-ciel.  Pour  bien  en 
sentir  l'existence,  il  était  nécessaire  de  tenir  Vœil  non  fixé, 
en  regardant  comme  au  hasard.  Rien  ne  manquait  au  phé- 
nomène, pas  même  des  traces  des  arcs  surnuméraires,  qui 
forment  un  accessoire  si  remarquable  au  bord  intérieur  de 
l'arc-en-ciel  solaire  dans  certaines  ciiconstances.  Elles 
étaient  indiquées  par  une  raie  perceptible ,  formant  frange 
à  l'extérieur  de  l'arc  coloré  ordinaire ,  quoiqu'il  ne  fût  pas 
possible  de  distinguer  s'il  existait  une  ou  plusieurs  de  ces 
bandes  surnuméraires. 

Le  pied  austral  de  ce  bel  arc-en-ciel  était  évidemment 
formé  à  une  distance  de  notre  station  qui  n'excédait  pas 
quelques  centaines  de  mètres;  car  en  montant  sur  le  toit 
de  mon  habitation ,  on  apercevait  l'arc-en-ciel  en  deçà  de 
quelques  arbres  qui  étarent  à  cette  distance.  Au  premier 
moment  de  l'apparition ,  l'arc  était  parfait  et  continua  à 
l'être  pendant  six  à  huit  minutes.  Alors  des  nuages  couvri- 
rent la  lune,  et  mirent  fm  au  météore.  Je  n'ajouterai  plus 
autre  chose,  sinon  que  l'impression  produite  par  ce  spec- 
tacle était  de  cette  nature  exceptionnelle,  solennelle,  et  pour 
ainsi  dire  étrangère  à  la  terre,  qui,  une  fois  éprouvée,  reste 
ensuite  ineffaçable  dans  le  souvenir.        Sir  John  Herschel. 

ARCÉSILAS,  fondateur  de  la  seconde  Académie, 
dite  moyenne,  né  à  Pitane  en  Éolide,  dans  la  première  année 
de  la  116*^  olympiade  (316  ans  avant  J.-C),  reçut  une  édu- 
cation soignée,  et  fut  envoyé  à  Athènes  pour  y  achever  ses 
études.  11  apprit  les  mathématiques  sous  Autolyque,  la  mu- 
sique sous  Xanthe,  la  géométrie  sous  Hipponique,  l'art  ora- 
toire et  la  poésie  sous  divers  maîtres,  enfin  la  philosophie 
dans  l'école  de  Théophraste,  qu'il  quitta  pour  entendre  Aris- 
tote.  Mais  Aristote  fut  abandonné  à  son  tour  pour  Polémon. 
Appelé,  après  la  mort  de  Crantor,  à  se  mettre  à  la  tête  de 
l'école  académique,  il  fit  des  changements  importants  dans 
les  doctrines  qu'on  y  enseignait. 

Platon  et  ses  successeurs  avaient  divisé  toutes  les  con- 
naissances humaines  en  deux  classes  :  objets  physiques, 
qui  frappent  les  sens,  et  objets  abstraits,  que  l'esprit  seul 
peut  saisir.  Ils  prétendaient  que  la  connaissance  des  uns 
constituait  l'opinion,  et  celle  des  autres  la  science.  Arcé- 
silas,  en  pencliant  vers  le  scepticisme ,  ou  plutôt  en  l'ou- 
trepassant, nia  qu'on  sût  la  moindre  chose,  et  qu'on  cilt 
seulement  la  conscience  de  son  ignorance.  Il  rejetait  comme 
fausses  et  illusoires  les  impressions  des  sens,  et  soutenait, 
d'après  ce  principe,  que  le  vrai  sage  ne  devait  jamais  rien 
affirmer,  puisqu'il  était  possible  de  combattre  toutes  les 
opinions  de  la  môme  manière.  On  ne  pouvait  rien  savoir, 
disait-il,  si  ce  n'est  la  chose  que  Socrate  s'était  réservée, 
c'est  qu'on  ne  sait  rien.  Encore,  suivant  lui,  cette  chose-là 
était-elle  fort  incertaine.  «  Le  sens  est  trompeur,  ajoutait-il; 
la  raison  ne  mérite  pas  qu'on  la  croie.  » 

Étant  obligé,  néanmoins,  de  mettre  ce  singulier  système 
en  harmonie  avec  la  nécessité  de  vivre  imposée  à  tous  les 
êtres  animés,  il  déclara  que  son  système  ne  pouvait  être  ap- 
pliqué rigoureusement  qu'à  la  science,  et  que  dans  toutes 
les  choses  de  la  vie  il  fallait  s'en  tenir  à  la  vraisemblance. 
Ce  fut  un  honune  éloquent  et  persuasif.  11  ménageait  peu 
les  vices  de  ses  disciples,  et  cependant  il  n'était  pas  sans 


défaut.  Il  aimait  les  jeunes  gens  qui  suiv.iient  ses  cours,  et 
les  secourait  dans  le  besoin.  Au  fond  sa  philosophie  n'était 
pas  austère.  Il  ne  se  cachait  point  de  son  goût  pour  les 
courtisanes  Théodorie  et  Philèle.  Généreux  envers  les 
pauvres,  ami  des  plaisirs ,  il  partageait  son  temps,  comme 
rival  d'Aristippe,  entre  l'amour,  le  vin  et  les  Muses. 

.\  en  juger  parla  constance  qu'il  montra  dans  les  douleurs 
de  la  goutte,  il  ne  parait  pas  que  la  souffrance  eût  amolli  son 
courage.  11  vécut  toujours  loin  des  fonctions  publiques,  en- 
fermé dans  son  école.  On  lui  fait  un  crime  de  ses  liaisons 
avec  Hiéroclès.  Il  excita  la  jalousie  de  Zenon,  d'Hiéro- 
nynuis  le  péripatéticien,  et  d'iLpicure.  A  sa  voix,  la  philo- 
sophie académique  chani;ea  de  face.  Il  mourut  par  suite  de 
l'usage  immodéré  du  vin,  à  l'âge  de  soixante-quatorze  ans, 
dans  la  quatrième  année  de  la  13i'  olympiade. 

On  a  dit  qu'il  avait  imité  Pyrrhon  et  qu'il  conversait  avec 
Timon ,  de  sorte  qu'ayant  enrichi  Yépoque,  c'est-à-dire  l'art 
de  douter  de  Pyrrhon,  de  l'élégante  érudition  de  Platon  ,  et 
l'ayant  armée  de  la  dialectique  deDiodore,  Aristonle  com- 
parait à  la  Chimère,  et  lui  appliquait  plaisamment  les  vers 
où  Homère  dit  qu'elle  était  bon  par  devant ,  dragon  par 
derrière  et  chè\Te  par  le  milieu.  Ainsi  Arcésilas  était ,  à  son 
avis,  Platon  par  devant,  Pyfrhon  par  derrière,  et  Diodore 
par  le  milieu.  Voilà  pourquoi  beaucoup  l'ont  rangé  dans  la 
secte  des  sceptiques.  Sextus  Einpiricus,  qui  faisait  partie  de 
cette  dernière,  soutient  qu'U  y  a  fort  peu  de  différence  entre 
son  école  et  celle  d'.A.rcésilas. 

Un  de  ses  élèves,  La cy de  de  Cyrène,  lui  succéda;  mais 
il  eut  peu  de  disciples  ;  on  l'abandonna  bientôt  pour  suivre 
Épicure.  On  préféra  le  philosophe  qui  prêchait  la  volupté 
de  l'àme  et  des  sens  à  celui  qui  décriait  les  lumières  de 
l'une  et  le  témoignage  des  autres  ;  et  puis  il  n'avait  ni  cette 
éloquence,  ni  cette  subtilité,  ni  cette  vigueur  au  moyen 
desquelles  Arcésilas  avait  porté  le  trouble  parmi  les  dialec- 
tiques ,  les  stoïciens  et  les  dogmatiques. 

ARCET  (D').  Voyez  D'Arcet. 

ARCHAÏSME, expression,  tournure,  forme  gramma- 
ticale dune  langue  dont  l'usage  appartient  à  une  autre 
époque  de  la  même  langue ,  mais  dont  on  se  sert ,  ou  par 
aiTedation,  ou  pour  produire  un  effet,  soit  poétique,  soit  ora- 
toire. En  définitive ,  c'est  une  imitation  de  la  manière  de 
parler  de  nos  anciens  auteurs ,  soit  que  nous  en  revivifiions 
quelques  termes  qui  ne  sont  plus  usités ,  soit  que  nous  fas- 
sions usage  de  quelques  tours  qui  leur  étaient  familiers  et 
qu'on  a  depuis  abandonnés.  Ce  mot  vient  du  grec  àpy.aïoç, 
ancien,  duquel,  en  ajoutant  la  terminaison  tcfio? ,  qui  est  le 
symbole  de  l'imitation,  on  a  fait  kr>'/oX<s\xh^,  qui  veut  dire 
antiquorum  imitatio,  imitation  des  wtzxtn^.V archaïsme 
est  donc  opposé  an  néologisme;  l'emploi  de  l'un  et  de 
l'autre  peut  cesser  d'être  un  défaut  et  devenir  même  une 
beauté  lorsqu'il  est  réglé  par  le  goût.  Parfois  aussi  le  néolo- 
gisme et  Varchaisme,  oubliant  qu'ils  viennent  des  antipodes, 
se  serrent  fraternellement  la  main  et  font  route  ensemble , 
ce  qui  n'est  pas  rare  chez  les  romanciers ,  chez  Apulée , 
entre  autres ,  qui  ne  s'en  fait  pas  faute  dans  son  Ane  d'Or. 
Avant  lui ,  Salluste  l'historien  et  plusieurs  poètes  du  siècle 
d'Auguste  s'étaient  également  adonnés  à  l'archaïsme. 

Chez  nous ,  Naudé ,  Parisien  ,  a  écrit  plusieurs  ouvrages 
dans  le  style  de  Montaigne  ,  quoiqu'il  soit  venu  longtemps 
après  ce  philosophe.  Les  pièces  du  lyrique  J.-B.  Rousseau 
en  style  maroti(iue  sont  pleines  à'archaismes.  Ainsi  lui  écri- 
vait aussi  le  comte  Hamilton  ;  et  voici  l'adresse  d'une  de 
ses  épitres  : 

A  gentil  clerc  que  se  clame  Roussel, 
Ores  cliaolanl  es  marcIics  de  Solure, 
Où,  de  cantons  parpaillots  n'ayant  cure, 
Prclrcs  de  Dieu  baisent  cncor  missel. 
De  l'iivangilc  en  parfinant  lecture; 
lllcc  «iui  va  dans  moult  noble  écriture 


752 


ARCHAISMÎ!]  —  ARGUE  DE  JNOÉ 


(Digue  trnp  plus  de  loz  sempilcriicl  ) 
Mettant  plauté  et  cet  antique  sel 
Qu'en  virelais    meltoil  parfois  Voiture  , 
A  cil  Roussel  ma  rime  ,  aincnis  obscure, 
Maude  salut  dans  ce  clictif  cliarlet. 

La  Fontaine  offre  mille  exemples  Je  ilélicicux  archaïsmes  ; 
et  aussi  Paul-Louis  Courier,  surtout  dans  sa  traduction  du 
premier  livre  d'Hérodote,  dans  Tédit  on  du  roman  grec  de 
Daphnis  et  Chloé  (Amyol  retouclié),  dans  ses  inimitables 
pamphlets;  et  son  successeur,  son  émule,  son  rival  Timon; 
et  M.  de  Baranta,  dans  f  es  Ducs  de  Bourgogne,  qu'on  a  ap- 
pelés du  Froissant  rc'cfiauffc  ;  et  M.  de  YandcrI.ourg  dans 
ses  Poésies  de  Clotildc  de  Surville,  où  la  vieille  langue 
d'Oc  domine,  pourtant,  beaucoup  plus  (jue  l'archaisme;  et 
de  Balzac,  dans  ses  Contes  drolatiques ,  et  Sainte-Beuve, 
et  le  bibliophile  Jacob ,  et  bien  d'autres  contemporains  en- 
core, sans  compter  M.  Villcmain  ,  cpii ,  dans  ses  iniprovi- 
sations  ,  a  souvent  fort  heureusement  rajeimi,  avec  autant 
de  goût  que  d'éclat,  beaucoup  de  vieilles  expressions,  la 
plupart  empruntées  h  .Montaigne.  Il  est  fort  douteux ,  ce- 
pendant, qu'il  consentît  à  les  signer  dans  un  volume. 

En  définitive,  il  est  dans  toutes  les  langues  des  écri- 
vains qui  se  sont  plu  à  faire  revivre  des  expressions  pas- 
sées de  mode.  C'est  dans  tous  les  temps ,  dans  tous  les 
lieux,  une  mine  féconde;  mais  il  faut  savoir  l'exploiter 
habilement  :  les  conditions  de  succès  dans  ce  genre  sont  : 
1°  un  choix  heureux  d'expressions  ,  '1°  une  certaine  adresse 
à  les  enchisser  dans  une  périoJe  dont  le  caractère  général 
s'harmonise  avec  celui  du  mot ,  de  la  forme  ou  du  tour 
qu'on  transplante  du  vieux  langage  dans  la  langue  moderne. 
Et  puis  livrez-vous  à  votre  inspiration ,  marchez  sans 
crainte  ,  et  vous  arriverez  au  but  si  vous  parvenez  à  com- 
poser un  tout  dans  lequel  la  cri-tique  n'aura  à  vous  repro- 
cher aucune  trace  de  marqueterie. 

ARCIIAA'GE.  Voyez  Angk. 

ARCïIAA'tiEL.  Voijez-  .\r,tinANGELSR. 

ARCIîE.  C'est  le  nom  qu'on  donne  aux  \oiitc3  qui  portent 
sur  les  piliers  et  les  culées  d'un  pont  ou  d'un  aqueduc.  Une 
arche  est  dite  semi-circulaire,  elliptique,  cijcloidale ,  etc., 
suivant  la  forme  que  présente  sa  coupe.  Ainsi ,  Karche 
se7)ii-circulaire ,  nomnivti  encore  mxhe  plein-cintre ,  est 
celle  qui  a  la  forme  d'un  demi-cercle ,  et  dont  par  consé- 
quent la  hauteur  est  égale  au  diamètre.  Les  arches  sont 
dites  surhaussées  ou  surbaissées  lorsque  la  hauteur  de 
la  voûte  est  plus  grande  ou  plus  petite  que  son  diamètre. 
L'arche  surbaissée  se  nomme  aussi  anse  de  panier 
(^  voyez  \i\c).  Vextrados  est  la  surface  extérieure  de  la 
voûte;  Yintrados  en  est  la  surface  intérieure.  I):uis  la 
théorie  des  ponts, on  nomme  arche  d'équilibre  celle  dont 
toutes  les  parties  éprouvent  une  pression  égale  et  n'ont 
conséquemment  aucune  tendance  à  se  briser  dans  im  poir.t 
plutôt  qt'.e  dans  un  autre.  La  forme  de  cette  arche  déiH'U'.i 
de  celle  de  l'extrados ,  et  demande  pour  être  déterminée 
l'emploi  de  calculs  dont  la  théorie  est  développée  dans  les 
Recherches  sur  Véquilibre  des  voûtes  par  Bossut ,  et  dans 
V Architecture  hydraulique  de  Prony. 

ARCIIE  D'ALLL\i\CE.  C'était  chez  les  Juifs  une 
sorte  de  coffre  que  Moïse  avait  lait  fabriquer  au  pied  du  mont 
Sinaï  pour  y  mettre  en  dépôt  les  deux  tables  de  pierre  sur 
lesquelles  étaient  gravés  les  dix  commandements,  plus  la 
verge  d'.Aaron  et  un  vase  iiiein  de  la  manne  que  le  peuple 
de  Dieu  avait  recueillie  dans  le  déseit.  Ce  coffre  était  en  bois 
de  sétim  (nom,  d'ailleurs,  inconnu),  de  forme  carrée, 
d'un  travail  soigné,  long  de  deux  coudées  et  demie,  large 
d'une  coudée  et  demie,  et  couvci-t  en  dedans  et  en  dehors 
de  lames  d'or.  Son  couvercle  ,  appelé  propitiatoire ,  for- 
mait, tout  autour,  une  espèce  de  couronne  d'or  pur,  et 
était  surmonté  de  deux  cliérubins  d'or  battu,  placés 
aux  deux  bouts,  l'un  vers  l'autre,  ayant  le  regard  baissé 
et  couvrant  le  propitiatoire  de  leurs  ailes.  La  place  du  pro- 


pitiatoire, qu'ombrageaient  les  ailes  des  chérubins,  était  re- 
gardée comme  le  siège  de  Jél-.ova ,  qui  avait  promis  à  Moïse 
que  de  ce  lieu  saint  il  dicterait  ses  commandements  et, 
ses  oracles.  Des  deux  côtes  du  coffre  aiix  quatre  coins ,  il 
y  avait  quatre  anneaux  d'or,  destinés  à  recevoir  deux  bâtons 
de  bois  de  sétim,  aussi  couverts  d'or,  au  moyen  desquels 
on  jjortait  l'arche. 

Les  Juifs  avait  nt  pour  ce  coffre  une  vénération  particu- 
lière; ils  le  regardaient  comme  un  symi)ole  de  la  présence 
de  Dieu  et  de  son  union  intime  avec  eux.  Ils  attachaient  le 
plus  haut  prix  à  sa  conservation,  et  se  croyaient  invincibles 
tant  qu'il  était  au  milieu  d'eux  ;  sa  perte  était  un  sujet  de 
deuil  et  de  découragement.  Dans  les  marches  du  ;îésert, 
il  les  précédait.  Dans  les  campements,  avant  la  construc- 
tion du  tenq)Ie,  il  était  placé  dans  le  tabernacle,  espèce 
de  pavillon,  ou  de  tente,  qui  servait  il  la  célébration  du 
culte.  Quand  la  tribu  de  Lévi  fut  séparée  du  reste  de  la 
nation  pour  être  chargée  des  affaires  sacrées,  la  garde  de 
l'arche  lui  fut  exclusivement  ccnliée.  .^près  l'entrée  des 
Israélites  dans  le  pays  de  Chanaan,  elle  fut  d'abord  déposée 
à  Silo ,  où  elle  resta  trois  cent  trente  ans. 

Cependant  Dieu,  irrité,  permit  qu'elle  fût  prise  parles 
Philistins,  qui  la  gardèrent  vingt  ans,  d'autres  disent  quarante, 
après  lesquels  ils  furent  contraints  de  la  restituer  aux  Juifs, 
pour  faire  cesser  les  divers  fiéaux  qui  les  aifligcaient.  Vingt 
ans  après,  Davidla  fit  transporter  de  chez  le  lévite  Abinadab, 
où  on  l'avait  déposée ,  à  Jérusalem.  Plus  tard ,  son  fils  Sa- 
lomon  la  plaça  dans  le  temple  magnifique  quïl  fit  construire. 

Les  Juifs  modernes  ont  dans  leurs  synagogues  une  sorte 
d'arm.oire  dans  laquelle  ils  mettent  leurs  livres  sacrés  ;  ils 
l'appellent  Aron ,  et  la  regardent  connue  la  figure  de  Var- 
che  d'alliance.  Lors  de  la  prise  de  Jérusalem  par  les  Chal- 
déens,  Jérémie  fit  cacher  V arche  dans  un  souterrain;  il 
l'en  retira  quand  les  ennemis  se  furent  éloignés,  et  la  porta 
dans  une  caverne  profonde,  que  Dieu  lui  indiqua  dans  la 
montagne  Aeio,  oh  Moïse  avait  été  enseveli.  L'entrée  de 
celte  caverne  est  si  adroilcment  fermée,  que  nul  honnne  ne 
saurait  la  découvrir  sans  une  révélation  particulière,  ce  qui 
doit  arriver  quand  tous  les  Juifs  seront  réunis  dans  leur  an- 
cienne patrie. 

ARCHE  DE  IVCE.  Dieu,  dit  la  Bible,  ayant  résolu  la 
destruction  des  hommes  et  des  animaux  par  un  déluge 
universel,  donna  ordre  à  Koé  de  construire  en  bois  une 
scrte  de  vaisseau  dans  leqi:el  il  plaça  un  couple  de  chaque 
e.-ijèce  d'animaux  impurs,  et  sept  d'animaux  purs  pour  en 
conserver  la  race.  L'arche  contenait  des  provisions  pour 
nourrir  tous  ces  animaux  pendant  un  an,  avec  Noé  et  sa 
famille,  qui  se  composait  de  huit  personnes. 

Tout  ce  qui  concerne  ce  bâtiment  miraculeux,  à  la  ré- 
serve de  son  existence  et  de  sa  destination,  est  abandonné 
aux  conjectures.  Selon  Origène,  saint  Augustin  et  saint  Gré- 
goire, Noé  employa  cent  ans  à  le  construire;  selon  Salomon 
Jarchi  cent  vingt  ans,  selon  Bérose  soixante-dix-huit,  selon 
Tanchuma  cinquante-deux,  selon  les  musulmans  deux  seu- 
lement. L'arche,  selon  la  Biiile,  était  de  bois  de  gophcr; 
les  Septante  traduisent  bois  équarri  ;  Jonathas  et  Onkélos, 
cèdre  et  cyprès;  saint  Jérôme,  bois  goudronné,  ftîoïse 
donne  à  l'arche  300  coudées  de  long,  50  de  large  et  30  de 
haut.  On  a  grandement  disputé  jusqu'au  dix-huitième  siècle 
pour  déterminer  la  longueur  de  la  coudée  de  Moïse;  car  si 
elle  n'avait  que  la  grandeur  de  la  coudée  ordinaire  (  IS  pou- 
ces ) ,  la  capacité  de  l'arche  était  insuffisante  pour  contenir 
tant  d'animaux  avec  des  provisions  pour  les  nouri  ir  pendant 
un  an.  Jean  Lepellelier  évalue  cette  capacité  à  42,413  ton- 
neaux de  42  pieds  cubes,  plus,  par  conséquent,  que  l'en- 
semble de  celle  de  quarante  navires  de  mille  tonneaux.  Selon 
Oiigène,  l'arche  était  de  forme  pyramidale.  Buteo  et  Lepel- 
lelier en  font  un  paiallélipipède  rectangle.  Moïse  la  divise  en 
trois  étages;  Origène  en  cinq;  Philon,  Josèphe,  Lepelletier 
et  Buleo  en  quatre. 


ARCHE  DE  NOÉ  -^  ARCHRNHOLZ 


76S 


L'arcbe  s'arrêta,  dit-on,  sur  le  mont  Ararat  en  Arménie, 
dont  le  sommet  est  aujourd'hui  inaccessible,  à  cause  des 
neiges  dont  il  est  couvert. 

ARCHEE  (  du  prec  àpyj] ,  puissance  ou  principe). 
Quelques  anciens  métlecins,  surtout  Van  Helmont,  em- 
ployèrent ce  terme  pour  exprimer  le  pouvoir  intérieur  des 
mouvements  du  corps  vivant  ;  c'est  l'agent  qui,  pénétrant  la 
matière,  l'organise  et  l'élabore,  ou  la  domine,  la  transforn»e 
selon  ses  desseins,  pour  la  conservation,  la  perpétuité  de 
l'être  animé.  Vaic/ue,  d'après  Van  Helmont  et  ses  secta- 
teurs ,  serait  une  force  intelligente  et  motrice ,  qui ,  s'asso- 
ciant  à  la  matière,  gouvernant  ses  molécules,  les  altérant, 
pénétrant  au  vif  les  organes  dans  leur  profondeur,  produit 
les  modifications  que  nous  voyons,  par  la  digestion,  la  nu- 
trition, les  excrétions  et  sécrétions,  etc.  Cet  archée,  roi,  do- 
minateur, despote  mt^me,  est  situé,  selon  l'auteur,  à  l'orifice 
supérieur  de  l'estomac;  il  entre  en  fureur  dans  certaines 
maladies,  il  est  frappé  de  stupeur  en  d'autres.  Sous  sa  dé- 
pendance sont  d'autres  archées  moins  importants,  placés, 
qui  au  foie,  qui  aux  reins,  au  pancréas,  etc.  L'un  des  plus 
mutins  ou  séditieux  de  ces  archées  inférieurs  est  celui  de 
l'utérus  :  tantôt  fantasque,  tantôt  frénétique,  il  bouleverse 
souvent  les  autres,  ou,  semant  la  discorde,  il  les  entraîne 
dans  sa  faction  ;  l'on  a  beaucoup  de  peine  à  le  dompter  chez 
les  vieilles  filles.  Cette  fiction  représente  le  jeu  du  système 
nerveux,  moteur  premier  de  l'économie  animale.  C'est  le 
gouvernement  du  corps  :  ens  spiritiiale,  aura  vitalis  or- 
ganonim.  Stahl  attribua  le  même  rôle  à  l'âme,  et  Barthez  à 
son  principe  vital.  J.-J.  Vn?EY. 

ARCHÉLAÛS.  Plusieurs  personnages  de  l'antiquité 
ont  porté  ce  nom.  >'ous  citerons  les  suivants  : 

ARCHÉLAÛS,  roi  de  Sparte,  appartenait  à  la  famille  des 
Agides.  Ce  fut  sous  son  règne  que  Lycurgue  donna  ses  lois 
(  an  8S4  ay.  J.-C.  ). 

ARCHÉLAÛS,  roi  de  Macédoine,  fils  de  Perdiccas  et  d'une 
esclaxe,  s'empara  de  la  couronne  en  attirant  chez  lui  Accé- 
tas,  frère  de  son  pt>re,  qu'il  fit  assassiner  avec  son  jeune  fils, 
Alexandre.  11  se  défit  ensuite  de  son  propre  frère,  âgé  de 
sept  ans,  et  fit  accroire  à  Cléopâtre,  sa  mère,  qu'il  était 
tombé  dans  un  puits.  Ce  roi  fortifia  la  Macédoine,  équipa 
des  vaisseaux;  et,  Pydna  s'étant  révoltée,  il  mena  contre 
cette  Tille  une  grande  armée  et  la  soumit.  11  aimait  les  let- 
tres, mais  il  ne  put  obtenir  ni  une  tragédie  qu'il  Toulait 
qu'Euripide  fit  en  son  honneur,  ni  une  simple  visite  qu'il 
espérait  de  Socrate.  Il  mourut  l'an  400  avant  J.-C. ,  de  la 
main  de  Cratère,  son  favori. 

ARCHÉLAÛS,  général  de  Mithridate,  souleva  la  Grèce 
en  sa  faveur,  et  fut  vaincu  parSyllaà  Chéronéeet  àOrcho- 
mène.  H  se  vit  obligé  de  traiter  avec  les  Romains,  et,  ayant 
eu  beaucoup  de  peine  à  faire  accepter  au  roi  de  Pont  des 
coudilions  désavantageuses,  il  se  réfugia  près  des  vainqueurs 
(  an  87  av.  J.-C.  ). 

ARCHÉLAÛS ,  fils  du  précédent.  Pompée  le  créa  grand- 
prêtre  de  la  déesse  qu'on  adorait  à  Comane.  Lorsque  Ga- 
binius  vint  à  Alexandrie  pour  rétablir  Ptolémée,  que  les 
Égyptiens  avaient  chassé,  en  nommant  pour  reine  Cléo- 
pâtre, Archélaiis,  qui  était  dans  son  armée,  s'offrit  pour 
épouser  cette  reine,  en  se  faisant  passer  pour  le  fils  de  Mi- 
thridate, fut  reçu  dans  la  place,  et  périt  en  combattant  plus 
va'illamment  que  les  Égyptiens,  qui  le  soutinrent  mal  dans 
une  sortie.  Antoine  lui  fit  faire  de  magnifiques  obsèques 
(  an  57  av.  J.-C.  ). 

ARCHÉLAÛS,  fils  du  précédent,  fut  privé  de  sa  dignité 
de  grand-prêtre  par  César  ;  mais  Marc-Antoine  le  fit  roi  de 
Cappadoce.  Il  était  à  la  bataille  d'Actium  ;  Auguste  lui  laissa 
néanmoins  ses  États.  H  aida  Tibère  à  rétablir  Tigrane  en 
Arménie;  mais  dans  la  suite  il  encourut  sa  haine  pour 
avoir  négligé  de  l'aller  voir  quand  il  était  à  Rhodes  en 
disgi-âce.  Devenu  empereur,  Tibère  le  fit  appeler  à  Rome, 

DICT.   DE  LA  CONVEl^S.   —  T.   I. 


où  Archflaiis  n'eut  d'.uitrc  moyen  d'échapper  à  une  con- 
damnation que  de  se  faire  passer  pour  fou  ;  il  mourut  bien- 
tôt après.  Ce  prince  est  connu  dans  l'histoire  des  Juifs  pour 
avoir  par  sa  prudence  ntabli  la  paix  dans  la  famille  d'Hé- 
rode,  flont  le  fils  avait  épousé  sa  fille. 

ARCHÉLAÛS,  de  Milet  ou  d'Athènes,  fut  disciple  d'A- 
naxagore,  qu'il  suivit  dans  son  exil  à  Lampsaque,  et  auquel 
il  succéda  dans  l'école  ionique.  On  prétend  que,  de  retour 
â  Athènes,  il  fut  le  maître  d'Euripide  et  de  Socrate.  Ce  phi- 
losophe niait  la  différence  du  bien  et  du  mal,  et  disait  que  les 
lois  et  la  coutume  constituent  seules  ce  qu'on  est  convenu 
d'appeler  le  juste  et  l'injuste.  On  l'appelait  le  PJnjsiclen, 
parce  que,  comme  son  maître,  il  se  livrait  surtout  à  l'étude 
des  sciences,  naturelles.  De  Golbéby. 

ARCHEL.VUS,  fils  du  roi  de  Judée,  Hérode,  succéda 
à  son  père  (an  1"  de  J.-C.  )  et  réussit  à  se  maintenir  en 
possession  du  trône  malgré  une  révolte  excitée  contre  lui 
par  les  piiarisiens.  Il  se  rendit  ensuite  à  Rome  afin  de  pren- 
dre Auguste  pour  arbitre  dans  les  réclamations  élevées  con- 
tre lui  par  son  frère  Anlipas,  qui  prétendait  avoir  autant  de 
droits  que  lui  à  se  porter  héritier  du  trône.  Auguste  se  pro- 
nonça en  faveur  d'Archélaiis ,  et  lui  accorda  le  gouverne- 
ment des  provinces  de  Judée,  de  Samarieet  d'idumée  avec 
le  titre  d'et/inarque.  Mais  au  bout  de  neuf  années  les  plaintes 
universelles  provoquées  par  la  cruauté  et  la  tyrannie  de  son 
administration ,  décidèrent  Auguste  à  dépouiller  Archélaiis 
de  son  gouvernement,  à  confisquer  ses  domaines  particuliers 
au  profit  du  trésor,  et  à  le  reléguer  en  Gaule. 

ARCIIEIVHOLZ  (Jeas-Gcillaume  d'),  ancien  capi- 
taine au  service  de  Prusse,  né  à  Langenfurth  ,  faubourg  de 
Dantzig ,  en  1745,  reçut  sa  première  instruction  à  l'école 
des  Cadets ,  à  Berlin.  Agé  de  quinze  ans,  il  rejoignit  l'armée 
prussienne ,  et  y  servit  comme  officier  jusqu'à  la  fin  de  la 
guerre  de  Sept  Ans.  Ayant  reçu  son  congé  avec  le  grade  de 
capitaine ,  parce  que  le  roi  Frédéric  II  le  connaissait  sous 
des  rapports  peu  favorables ,  et  surtout  comme  joueur  pas- 
sionné, il  se  mit  à  voyager,  et  visita  dans  l'espace  de  seize 
ans  tous  les  États  d'Allemagne,  la  Suisse,  l'Angleterre,  la 
Hollande,  les  Pays-Bas  autrichiens,  la  France,  l'Italie,  le 
Danemark ,  la  Norvège  et  la  Pologne.  On  a  souvent  cherché 
à  rendre  suspects  les  moyens  par  lesquels  il  subvenait  aux 
frais  de  ces  voyages. 

De  retour  en  Allemagne,  il  habita  Dresde ,  Leipzig ,  Ber- 
lin ,  Hambourg  surtout ,  et  vécut  du  produit  de  sa  plume. 
Possédant  peu  de  science  véritable ,  mais  sachant  plusieurs 
langues  vivantes ,  doué  d'ailleurs  d'un  rare  esprit  d'observa- 
tion et  d'une  adresse  singulière  à  questionner  et  à  classer, 
habile  à  saisir  le  côté  caractéristique  des  choses  et  à  les 
exposer  d'une  manière  fine  et  animée ,  il  s'assura  en  peu 
d'années  un  public  nombreux ,  sur  lequel  il  exerçait  ime 
grande  influence. 

Son  point  de  départ  fut  un  journal  fort  répandu  :  Littéra- 
ture et  connaissance  des  peuples,  qu'il  publia  pendant  neuf 
ans  en  deux  séries.  Plus  tard,  il  fit  paraître,  dans  le  but  de 
propager  le  goût  de  la  littérature  anglaise,  deux  autres  re- 
cueils successifs  :  VEnglish  Lyricum  et  le  British  Mercury; 
puis  il  devint  éditeur  de  la  Minerve  ,  journal  commencé  en 
1792,  et  qui  fut  continué  après  sa  mort. 

Son  livre  de  V Angleterre  et  de  l'Italie  Aélé  traduit  dans 
toutes  les  langues ,  ainsi  que  ses  Annales  de  l'Histoire 
d'Angleterre ,  œuvre  tout  aussi  brillante  ,  mais  ne  laissant 
pas  moins  à  désirer  sous  le  rapport  de  la  critique  et  de  l'im- 
partialité. Quant  à  ses  Histoires  de  la  reine  Elisabeth  ,  de 
Gîtstave-Wasa,  du  pape  Sixte  V,  des  Flibustiers  et  de 
la  conjuration  de  Fiesque,  ce  ne  sont  qtic  des  romans  plus 
ou  moins  ingénieux.  Mais  il  a  déployé  de  brillantes  facultés 
d'exposition  dans  son  Histoire  de  la  Guerre  de  Sept  Ans  : 
pour  cet  ouM'age  il  a  consulté  L's  sources  les  plus  authen- 
tiques et  a  su  les  mettre  en  œuvre  avec  un  véritable  ta- 
lent. Archenholz  mourut  en  1812,  à  sa  campagne  d'Oyca- 


7i4 


ARCHENHOLZ  —  ARCHEOLOGIE 


dorf ,  près  de  Hambourg,  sans  avoir  cessé  un  seul  instant  de 
laire  preuve  d'une  activité  rare ,  malgré  quelques  cliagrins 
qui  troublèrent  ses  dernières  années.      Aug.  Savacner. 

ARCHÉOLOGIE  (du  grec  àp/aïo;,  ancien,  etÀôyo;, 
discours).  Ce  mot ,  dans  la  généralité  de  son  acception  et  se- 
lon son  étymo'.ogic,  comprend  l'étude  de  l'antiquité  tout 
entière  par  les  monuments  et  par  les  auteurs.  Bornée,  comme 
l'usage  l'a  voulu,  à  la  description  des  monuments,  le  nom 
iï archéographie  conviendrait  mieux  à  cette  science,  con- 
sid(?rée  dans  cet  objetninique  ;  mais  une  distinction  trop  ab- 
solue serait  presque  oiseuse  :  le  véritable  arcliéologue  ne 
peut  se  passer  du  secours  des  auteurs  classiques  pour  expli- 
quer les  monuments,  et,  à  leur  tour,  les  monuments  éclair- 
cissent  un  grand  nombre  de  difficultés  insolubles  sans  eux 
dans  les  textes  des  écrivains  anciens. 

L'archéologie  diffère  essentiellement  de  Vhistoire  de  l'art 
des  anciens  et  de  l'érudition.  La  première  nous  enseigne 
les  essais  contemporains  ou  successifs  des  vieux  peuples ,  et 
leurs  efforts  pour  figurer  les  objets  qui  composent  l'univers 
matériel,  ceux  que  l'esprit  de  l'homme  créa  après  Dieu  ;  com- 
ment d'une  imitation  servile  il  s'éleva  jusqu'au  beau  idéal, 
qui  ajoute  à  l'univers  des  beautés  dont  il  ne  renferme  point 
le  type  complet,  et  comment,  par  le  secours  de  l'allégorie  et 
les  effets  magiques  d'une  langue  de  convention,  il  sut  réaliser 
toutes  les  créations  du  génie  (voyez  Antiques).  La  seconde 
s'attache  plus  particulièrement  au  texte  même  des  écrits  des 
anciens ,  les  interprète ,  en  efface  les  taches  que  l'ignorance 
et  l'erreur  y  introduisirent  ;  et  si  elle  est  véritablement  phi- 
losophique ,  elle  conclut ,  du  rapprochement  de  faits  cons- 
tants et  bien  observés ,  quel  fut  l'état  réel  de  l'esprit  et  des 
mœurs  des  hommes  de  l'antiquité.  Quant  à  l'archéologie,  elle 
se  borne  à  déciiie  et  à  expliquer  les  monuments  qui  sont 
l'ouvrage  de  leurs  mains. 

L'utilité  de  l'archéologie  est  trop  généralement  reconnue 
pour  nous  arrêter  à  la  démontrer,  ici.  Elle  est  le  guide  le 
plus  fidèle  poiu:  l'histoire  des  temps  anciens,  et,  à  moins  de 
nier  l'utilité  de  l'histoire,  on  ne  peut  mettre  en  doute  celle 
de  l'archéologie.  Pour  les  siècles  antérieurs  à  Homère,  toute 
l'histoire  est  dans  l'archéologie  ;  les  relations  abondent  sur 
les  temps  qui  suivirent  ce  génie  sans  modèle  et  sans  ri- 
val ;  mais  l'étude  approfondie  de  ces  relations  y  découvre 
parfois  des  traces  de  quelques  inlluences  qui  montrèrent  à 
l'éciivain  la  vérité  là  où  elle  n'était  pas,  ou  bien  un  peu  au- 
trement qu'elle  ne  fut  en  réalité,  et  Thucydide  est  un  ex- 
cellent Athénien  dans  l'iiistoire  des  guerres  civiles  de  toute 
la  Grèce.  Les  monuments,  au  contraire,  ne  sont  d'aucun 
parti  ;  lesjfaits  qu'ils  énoncent  portent  avec  eux  une  naïve 
certitude;  et  s'ils  contredisent  l'iiistorien ,  ils  le  condamnent 
comme  coupable  d'erreur  ou  de  mensonge.  L'histoire  an- 
cienne s'éclaire  ou  s'agrandit  par  leur  témoignage  :  pour 
les  hommes  célèbres,  elle  y  trouve  leurs  noms  véritables, 
leur  portrait;  pour  les  peuples,  leur  origine,  leurs  opinions, 
leur  religion  et  leurs  cultes,  leur  science  civile,  politique, 
économique,  administrative,  leurs  progrès  dans  les  connais- 
ances  utiles  à  la  civilisation,  leurs  mœurs  publiques  et  pri- 
vées, leur  régime  général,  enfm  ce  qu'ils  firent  pour  la  vé- 
rité, et  les  erreurs  qu'ils  ne  purent  éviter  ;  pour  les  lieux, 
des  documents  authentiques,  d'où  la  géographie  tire  des  no- 
tions importantes  qui  lui  manqueraient  sans  leur  secours  ; 
et  pour  les  temps,  des  époques  certaines,  qui,  comme  des 
jalons  lumineux,  dissipent  une  partie  des  ténèbres  dont  la 
succession  des  siècles  enveloppa  les  vieilles  annales  de  l'es- 
prit humam,  et  nous  signalent  en  même  temps  ses  progrès. 

L'archéologie  se  propose  donc  de  tracer  le  tableau  de  l'é- 
tat social  ancien  par  les  monuments.  L'homme  et  ses  ou- 
vrages doivent  être  le  véritable  but  de  son  étude  ;  tous  les 
monuments,  même  les  plus  communs  et  les  plus  grossiers, 
déposent  de  quelques  faits ,  et  l'ensemble  de  ces  faits  est 
comme  une  statistique  morale  des  anciennes  sociétés.  Con- 
sidérée de  cette  hauteur,  l'archéologie  mérite  le  nom  de 


science  ;  son  utilité  frappe  dès  l'abord  ;  la  variété  des  moyens 
propres  à  son  étude  nous  charme  bien  vite.  Elle  nous  fait 
vivre  et  nous  entretenir  avec  tous  les  grands  hommes  et 
tous  les  grands  peuples  des  temps  passés;  nous  cherchons 
notre  histoire  dans  la  leur,  et  nous  ne  savons  pas  résister  au 
plaisir  de  comparer  nos  croyances  avec  leurs  opinions,  nos 
goûts  avec  leurs  usages,  et  nos  espérances  avec  leurs  destinées. 

Pour  remplir  sa  mission,  l'archéologie  fouille  dans  la  pous- 
sière des  peuples  primitifs;  ils  ont  tracé  leur  histoù-e  sur 
leurs  monuments  ;  les  temples  de  leurs  dieux  témoignent 
de  leurs  croyances  ;  les  ouvrages  publics,  de  leurs  besoins 
sociaux,  des  moyens  qu'ils  surent  se  créer  pour  y  suffire  • 
leurs  meubles  et  leurs  ustensiles,  des  mœurs  et  des  goûts  in- 
dividuels subordonnés  aux  mœurs  générales  et  aux  goûts 
nationaux  ;  leur  luxe,  de  leurs  richesses  et  de  l'état  de  leur 
économie  publique  ;  et  les  chefs-d'œuvre  de  leurs  arts,  comme 
les  chefs-d'œuvre  de  leur  littérature,  de  toute  la  puissance 
chez  eux  de  l'étude  et  de  l'imagination.  Un  attrait  irrésistible 
nous  entraîne  donc  vers  ces  temps  obscurs  pour  l'histoire  elle- 
même,  et  cet  attrait  nous  maîtrise,  parce  que  nous  retrouvons  à 
chaque  pas  ce  qui  nous  intéresse  au  plus  haut  degré,  l'homme. 
Et  ce  goût,  si  noble  en  son  objet ,  n'est  pas  un  vaniteux 
égoïsme ;  c'est  un  louable  orgueil  de  lintelligence ,  qui  se 
cherche  elle-même  avidement  dans  toutes  les  générations 
éteintes  et  partout  où  elle  peut  se  manifester  ;  elle  veut  re- 
construire ses  propres  annales  et  démontrer  qu'elle  fut  cons- 
tamment, du  moins  par  ses  efforts  et  par  ses  vœux,  fidèle  à 
elle-même  et  à  la  divinité  qui  lui  donna  le  pouvoir  et  en 
marqua  les  limites. 

Le  monde,  jadis  habité  parles  nations  ensevelies  sous  le 
sol  qui  porte  les  nations  vivantes,  est  le  domame  de  l'ar- 
chéologie. Son  étude  est  ùnmense  ;  un  guide  habile  est  in- 
dispensable à  qui  veut  en  parcourir  les  routes  presque  effa- 
cées. Les  traditions  de  l'iiistoire  ont  conservé  le  souvenir 
des  faits  du  passé,  et  la  critique  archéologique  a  rattaché 
chaque  monument  à  sa  véritable  origine.  L'antiquaire  de 
notre  temps  s'engage  donc  dans  la  carrière  avec  l'expérience 
de  ceux  qui  l'y  ont  précédé.  Il  y  sera  encouragé  par  l'attrait 
propre  à  cette  étude,  et  par  les  faits  généraux  ;et  caracté- 
ristiques dans  la  vie  des  anciennes  nations,  qu'elle  lui  ré- 
vélera. Sous  un  seul  rapport,  celui  de  l'art  proprement  dit, 
elle  lui  montrera  que  chaque  peuple  adopta,  pour  des  rai- 
sons que  l'on  ne  saurait  déduire,  un  style  qui  lui  fut  propre, 
et  qu'il  conserva  par  un  respect  réfléchi  pour  ses  vieilles 
coutumes,  comme  pour  se  perpétuer  par  des  idées  nationales 
et  consacrées,  ou  qu'il  abandonna  lorsque ,  arrêté  dans  sa 
marche  naturelle  par  une  domination  nouvelle ,  il  dut  re- 
noncer tout  à  la  fois  à  l'existence  sociale  et  à  ses  progrès 
éventuels  dans  les  arts. 

L'Egypte  est  l'exemple  du  premier  ordre  de  choses,  et 
l'Élrurie  du  second  :  l'une,  conquise  par  les  Perses  et  par 
les  Grecs,  fit  respecter  ses  habitudes  et  travailla  encore  sous 
leurs  yeux  conjme  au  temps  de  Sésostris;  l'autre,  se  laissant 
d'abord  aller  à  l'influence  des  colonies  grecques  de  l'Italie, 
se  perdit  ensuite  sous  les  coups  de  l'épée  romaine.  La  Grèce, 
au  contraire,  passa  par  tous  les  degrés  du  perfectionnement 
des  arts ,  depuis  la  plus  grossière  ébauche  jusqu'aux  plus 
sublimes  conceptions.  Voilà  trois  faits  caractéristiques  dans 
l'histoire  de  trois  peuples  célèbres.  L'archéologie  doit  donc 
enseigner  le  style  de  chaque  peuple  et  les  époques  même 
de  chaque  style  ;  l'histoire  écrite,  les  préceptes  recueillis  par 
la  critique  littéraire,  l'étude  des  langues  anciennes,  sont  les 
autres  moyens  qui,  avec  la  connaissance  de  l'art,  guideront 
l'amateur  et  le  savant  dans  la  connaissance  de  l'antiquité. 
La  géographie,  la  chronologie,  l'histoh-edes  religions  et  des 
mœurs  anciennes  devront  la  compléter. 

L'archéologie  embrasse  les  diverses  parties  de  l'art.  D'a- 
bord l'architecture  conduit  à  des  recherches  sur  les 
différents  édifices  de  chaque  peuple,  leurs  proportions,  leurs 
ornements. 


ARCHl 
De  l'architecture  on  passe  aux  ouvrages  d'art,  faits  pour 
embellir  les  temples ,  les  palais,  les  autres  b;\timents  ;  et 
l'on  arrive  naturellement  à  la  sculpture.  Ici  il  l;iut  dis- 
tinguer les  statues  et  les  bas -relief  s,  et  examiner  ce 
qai  a  rapport  à  la  statuaire,  à  la  p  1  a  s  t  i  q  u  e  ,  ou  art  de 
modeler,  à  la  toreutique,  ou  art  de  ciseler.  On  recher- 
ctie  les  matières  dont  les  anciens  sculpteurs  se  sont  servis  : 
marbre,  pierre,  terre  cuite ,  cire  ;  on  examine  leure  instru- 
ments et  leurs  procédés. 

La  peinture  conduit  à  des  considérations  relatives  à  son 
origine,  à  la  fabrication  et  à  l'emploi  des  couleurs,  à  la 
manière  de  peindre  sur  marbre ,  ivoire ,  bois,  toile,  à  fresque, 
ou  à  l'eiicaiistique. 

La  gravure  sur  pierres  lines  constitue  une  branche 
d'étude  toute  particulière,  dans  laquelle  on  distingue  Ks  i  n- 
tailles  et  les  camées,  les  pierres  avec  des  noms  de  gra- 
veurs; ce  qui  nous  mène  encore  à  la  glyptique. 

Les  mosaïques  offrent  des  sujets  d'observation  sur  les 
pierres  dures  et  les  cubes  do  verre  qui  les  composent ,  sur 
l'art  enfin  de  les  arranger  selon  certaines  règles  fixées  d'a- 
vance. 

Les  vases  sont  intéressants  à  étudier  pour  leurs  formes 
élégantes  et  bizarres ,  pour  les  reliefs  et  les  peintures  qui  les 
décorent.  Les  vases  grecs  en  terre  cuite ,  improprement  ap- 
pelés étrusques,  complètent  le  cercle  de  nos  connais- 
sances mythologiques.  Ceux  de  sardoine  nous  offrent  des 
substances  naturelles ,  d'un  prix  infini,  dont  la  nature  et  la 
patrie  sont  pour  nous  des  mystères.  Les  vases  de  porcelaine, 
ou  de  cristal,  ou  d'or,  ou  d'argent,  nous  révèlent  une  iiabi- 
leté  et  un  luxe  inconnus.  Ceux  de  bronze  ou  de  métal 
commun  rentrent  dans  la  classe  des  instruments  reli- 
gieux, militaires,  civils  ou  domestiques,  et  sont  d'une  grande 
utilité  pour  l'étude  de  l'histoire. 

Parmi  les  instruments  religieux ,  il  faut  reraarqtier  les 
autels,  les  trépieds,  les  lampes,  la  hache  etlasécespite 
pour  frapper  la  victime,  les  pat  ères  pour  recevoir  le  sang, 
la  préféricule,  la  simpule,  l'aspergille  pour  ré- 
pandre l'eau  lustrale. 

Parmi  les  instruments  militaires,  le  casque,  l'épée,  le 
bouclier,  les  cnémides  ou  jambières,  les  enseignes. 

Parmi  les  instruments  civils,  les  candélabres ,  les  lampes, 
les  anneaux,  les  ar  mi  II  es  ou  bracelets,  les  fibules ,  ou 
boucles ,  les  divers  ornements  de  Tintérieur  et  des  costumes 
des  deux  sexes. 

La  numismatique,  ou  science  des  médailles ,  est  la 
partie  la  plus  considérable  de  l'archéologie,  par  ses  rapports 
avec  l'astronomie,  l'histoire,  la  chronologie,  le  dessin,  la 
gravure,  l'iconographie. 

Vient  ensuite  1  '  i  c  0  n  0  g  r  a  p  il  i  e  elle-même,  qui  n'est  pas 
moins  intéressante. 

Puis  les  monuments  écrits,  les  inscriptions  sur 
marbre,  pierre,  papyrus,  parchemin. 

Leur  étude  touche  aux  travaux  de  linguistique  et  de 
paléographie. 

D'où  l'on  arrive  enfinà  ladiplomatique  et  au  blason. 

he  style  d'un  monument  quelconque  est  le  premier  indice 
de  son  origine  ;  l'œil  exercé  d'après  des  règles  précises  ne 
confondra  pas  une  figure  étrusque  avec  une  figure  égyp- 
tienne, quoiqu'elles  aient  quelques  caractères  communs, 
ni  une  statue  grecque  avec  une  statue  romaine,  quoique 
Rorne  doive  toutes  ses  productions  aux  artistes  de  la  Grèce. 
II  en  est  de  même  du  plus  petit  meuble;  et  la  connaissance 
du  style  particulier  à  chaque  peuple  de  l'antiquité  est  une 
des  notions  les  plus  utiles  à  l'archéologue. 

Parmi  les  peuples  anciens  dont  les  monuments  sont  sur- 
tout pour  nous  des  objets  d'étude,  parce  que  nous  les  con- 
sidérons comme  classiques,  nous  citerons  les  Égyptiens,  les 
Grecs,  les  Italiotes  ou  anciens  peuples  de  l'Italie,  les  Gau- 
lois et  les  Romains,  il  y  a  sans  doute  aussi  des  antiquités  en 
Asie,  comme  chez  les  peuples  du  ^■ord ,  et  Ion  trouve  des 


■OLOGIE 


755 


monuments  anciens  dans  les  Amériques;  l'Asie  s'infiltre 
déjà  même  avec  de  grandes  promesses  dans  l'histoire  de 
nos  langues  savantes;  mais  elle  fait  néanmoins  comme  un 
monde  à  part,  qui  a  ses  doctrines  et  ses  merveilles,  et 
elle  n'entre  pas  encore  assez  avant  dans  nos  études  ordi- 
naires, dans  notre  système  d'enseignement  public,  elle  n'est 
pas  assez  mêlée  à  nos  souvenirs ,  à  nos  origines ,  au  goût 
général ,  pour  trouver  dans  cet  article  une  place  en  rapport 
avec  son  importance  même;  elle  n'excite  pas  d'ailleurs  cet 
intérêt  universel  qui  fait  accueillir  si  bien  tous  les  souvenirs 
des  Gaulois,  nos  premiers  ancêtres;  des  Romains,  qui  sub- 
juguèrent les  Gaulois  et  envahirent  la  Grèce  ;  des  Grecs 
enfin ,  qui  soumirent  l'Egypte  après  s'être  formés  à  son 
école.  Nous  renverrons  donc  aux  articles  consacrés  à  chaque 
pays  pour  la  description  des  monuments  archéologiques  qui 
méritent  une  mention  ,  lorsque  ces  monuments  n'auront  pas 
eux-mêmes  un  article  parlicuher. 

Les  monuments  romains  sont  comme  un  produit  du  sal 
de  la  France  ;  les  monuments  grecs  ne  se  voient  que  dans 
les  riches  collections,  et  ceux  des  Italiotes  ,  presque  nulle 
part  ailleurs  qu'en  Italie;  mais  les  monuments  égyptiens 
affinent  depuis  quelques  années,  et  leur  variété  n'étonne  pas 
moins  que  leur  nombre  et  la  richesse  de  quelques-uns 
d'entre  eux. 

Les  anciens  ne  connurent  pas  l'archéologie  comme  science  i 
l'Egypte  se  place  à  l'origine  des  sociétés  policées ,  elle  n'eut 
pomt  d'antiquités  à  étudier  ;  la  Grèce  alla  lui  demander  des 
lois,  des  institutions,  et  son  génie  perfectionna  les  arts  dont 
elle  recueillit  les  éléments  sur  les  bords  du  Nil  ;  la  Gaule 
était  solitaire  comme  ses  druides  ;  les  vieux  Italiotes  se  per- 
dent dans  les  ténèbres  primitives  de  notre  Occident,  et  Rome 
n'emporta  de  la  Grèce  que  des  objets  de  prix  comme  butin 
et  non  comme  objets  d'étude.  Elle  dépouilla  aussi  l'Egypte 
de  quelques  obélisques  et  de  quelques  statues  ;  mais  c'étaient 
des  trophées  qu'elle  enlevait  ;  et  dans  l'esprit  du  vainqueur 
il  n'entrait  aucune  des  vues  que  se  propose  l'archéologie. 
Ou  pourrait  considérer  Pausanias  comme  un  amateur  :  il 
décrit  soigneusement  les  monuments  de  la  Grèce  ;  mais  il  ne 
systématise  point  leur  étude  ;  et  la  science  archéologique 
est  encore  à  naître  après  lui.  Elle  est  un  des  bienfaits  de 
la  renaissance  des  lettres  en  Europe  et  ne  date  que  de  cette 
époque  à  jamais  mémorable.  Le  Dante  et  Pétrarque,  en 
cherchant  de  vieux  manuscrits,  recueillirent  aussi  de  vieilles 
inscriptions.  Les  médailles  attirèrent  encore  l'attention  du 
chantre  de  Laure;  il  en  envoya  une  collection  au  roi  Char- 
les IV,  en  lui  proposant  pour  modèles  quelques-uns  des 
grands  princes  dont  il  lui  offrait  les  effigies.  Des  restes  de 
peinture  antique  furent  découverts  à  l'époque  même  où  l'on 
commençait  à  raisonner  sur  la  théorie  de  cet  art  au  sei- 
z'ème  siècle;  le  Laocoon  apparut  en  même  temps;  Ra- 
I)hael  et  Michel- Ange  étudièrent  la  sculpture  antique,  les 
pierres  gravées,  les  grandes  ruines  de  l'architecture  grecque 
et  romaine;  les  érudits  y  cherchèrent  l'explication  des  tra- 
ditions écrites  sur  l'antiquité,  et  la  science  proprement  dite 
fut  dès  lors  fondée. 

Laurent  de  Médicis  établit  à  Florence  un  enseignement 
public  d'archéologie;  l'histoire  de  l'art  vint  puiser  à  1^ 
même  source  que  ses  théories  ;  "Winckelmann  écrivit  sous 
l'inspiration  de  ses  chefs-d'œuvre,  et  l'alliance  des  arts 
et  de  l'archéologie  fut  scellée  par  le  génie  de  ce  grand 
homme.  A  de  nombreuses  monographies ,  ou  descriptions 
spéciales  de  certains  monuments,  succédèrent  des  traités  gé- 
néraux ,  que ,  dans  cette  science  comme  dans  quelques  au- 
tres, un  zèle  trop  hâtif  s'était  empressé  de  produire.  Des 
systèmes  parfois  hasardeux  prirent  la  place  de  théories 
souvent  erronées;  mais  la  raison  humaine  est  comme  la 
sphère  des  fixes  :  un  astre  nouveau  en  s'élcvant  sur  un  ho- 
rizon en  entraine  d'autres  sur  tous  ses  points  ,  et  ceux-ci 
sont  éclairés  simultanément  d'une  lumière  nouvelle.  Quand 
la  physique  fut  dépouillée  de  ses  erreurs,  l'archéologie  le  fut 

95. 


756 


ARCHEOLOGIE  —  ARCHER 


aussi  des  faux  systèmes  :  toutes  les  sciences  ont  été  fon- 
dées quand  les  saines  méthodes  se  sont  dévoilées  à  notre 
esprit.  L'entendement  humain  est  un,  il  ne  peut  croire 
tout  à  la  fois  à  la  vérité  et  à  l'erreur  :  c'est  un  instrument 
qui  opère  de  même  sur  toutes  les  matières.  Louis  XiV  fonda 
l'Académie  des  Inscription  s  et  Belles-Lettres;  Rome 
expliqua  les  monuments  de  sa  splendeur  primitive  ;  des 
voyageurs  courageux  allèrent  exhumer  ceux  de  la  Grèce,  et 
le  monde  savant  fut  comme  un  laboratoire  où  l'on  s'effor- 
çait de  ressusciter  l'antiquité  pièce  à  pièce. 

Grœvius  et  Gronovius  avaient  recueilli  dans  leurs 
volumineuses  collections  les  fruits  éparsdetous  ces  labeurs; 
Gruter  et  M u rat o ri  formaient  un  corps  systématique  de 
toutes  les  inscriptions  trouvées  dans  le  monde  romain; 
Mont  faucon  exi)liquait  par  les  monuments  les  mœurs  et 
les  usages  des  anciens  ;  dom  Martin,  la  religion  des  Gaulois; 
Baxter,  les  antiquités  britanniques,  et  Kircher  s'était 
donné  pour  un  Œdipe  qui  interprétait  toutes  les  énigmes 
égyptiennes. 

Le  siècle  dernier  fut  réellement  celui  qui  fonda  la  véri- 
table science  de  l'antiquité  :  les  conjectures  téméraires,  les 
explications  puériles  furent  enfin  décréditées  ;  la  multipUcité 
des  monuments,  la  fondation  des  musées,  le  goût  des  col- 
lections particulières ,  multiplièrent  aussi  les  études  fondées 
sur  les  rapprochements,  et  chaque  partie  de  la  science  eut 
des  maîtres  dont  les  écrits  forment  encore  les  meilleurs  dis- 
ciples :  le  comte  de  C  a  y  I  u  s  soumit  à  l'ordre  chronologique 
les  monuments  des  différents  âges,  et  pénétra  le  secret  de 
la  plupart  des  arts  qui  les  avaient  produits;  Morcelli  proposa 
un  système  régulier  pour  la  classification  des  inscriptions 
selon  leur  sujet,  et  pour  leur  étude  selon  leur  style  ;  E  c  k  h  e  1 
coordonna  méthodiquement  la  science  des  médailles;  Rasche 
la  rédigea  selon  l'ordre  alphabétique  ;  Fasseri  et  Dempster 
ouvrirent  à  Lanzi  la  carrière  des  idiomes  et  des  monu- 
ments de  l'Italie  antérieurs  à  la  fondation  de  Rome;  Her- 
culanum  et  Pompéi  étaient  découverts;  l'abbé  Bar- 
thélémy réédifiait  la  Grèce  de  Périclès  de  ses  propres 
débris  ;  Zoega  déblayait  les  avenues  de  l'antique  Egypte,  et 
Visconti  paraissait  au  miheu  de  tant  de  travaux  comme 
l)ien  capable  de  les  compléter  tous. 

Le  commencement  du  siècle  actuel  fut  l'époque  d'une 
révolution  nouvelle  dans  la  science  :  la  France  lettrée  fit  la 
conquête  de  l'Egypte  savante;  l'archéologie  connut  enfin 
son  origine.  La  Grèce  antique  y  chercha  aussi  la  sienne  ; 
des  lumières  nouvelles  éclairèrent  réciproquement  l'étude  de 
l'une  et  de  l'autre  ;  un  magnifique  ouvrage  fut  le  fruit  du  zèle 
le  plus  actif  et  le  plus  fructueux  ,  monument  d'un  éternel 
honneur  pour  la  France,  qui  l'a  donné  à  l'Europe  littéraire, 
comme  le  fruit  d'une  ardeur  à  l'épreuve  des  périls  et  d'une 
constance  qui  fut  plus  que  du  courage.  Dès  lors  la  science 
s'agiandit  et  appela  de  nouveaux  disciples  dans  la  carrière. 
Millin  s'était  voué  à  l'explication  de  l'antiquité  figurée; 
ees  Monuments  inédits,  son  Recueil  de  Vases  peints ,  sa 
Description  des  Tombeaux  de  Canosa,  méritèrent  tous  les 
suffrages  ;  mais  sa  persévérance  dans  ce  genre  d'exploration 
a  trouvé  trop  peu  d'imitateurs  :  les  monuments  s'accumulent 
dans  les  collections,  et  peu  de  personnes  songent  à  leur  in- 
terprétation. Mongcz  les  mêle  souvent  à  ses  doctes  re- 
cherches, et  son  Dictionnaire  d'Antiquités  est  pour  la 
science  un  guide  à  la  fois  savant  et  élémentaire. 

Dans  les  autres  contrées ,  en  Italie  surtout,  l'archéologie 
classique  a  de  nombreux  représentants  ;  Kaples  et  Rome 
citent  Rossi,  Carcani,  Fea,  Testa.  M.  A'ermiglioli,  professeur 
d'archéologie  à  Pérouse,  s'est  voué  à  l'interprétation  des 
monuments  étrusques  ;  le  docte  Orioli  a  fait  des  recherches 
sur  ces  mêmes  moniunents  ;  à  Florence,  M.  Micali  a  consa- 
cré un  ouvrage  célèbre  ?i  l'histoire  des  peuples  d'Étru- 
rie.  MM.  Zannoni  et  Ingliirami  ont  rivalise  de  zèle  avec 
MM.  Alessandri  et  le  comte  Capponi,  poiu-  faire  connaître 
convenablement  les  richesses  de  la  célèbre  galerie  de  Flo- 


rence ;  à  Milan,  les  Cattaneo,  Malaspina,  et  ceux  qui  marchent 
sur  leurs  traces,  ont  répanda  la  lumière  sur  les  ténèbres  des 
vieux  temps;  à  Turin,  MM.  de  Balhe,  Napione,  Peyron, 
Gazzera  et  quelques  autres  savauls  disluii^ues,  se  sont  aussi 
voués  au  culte  del'anliquilé. 

L'Allemagne,  si  docte  et  si  laborieuse,  suit  les  nobles 
exemples  des  Ernesti ,  des  Sulzer,  des  Heyne  et  de  tant 
d'autres  érudits  qui  ont  associé  les  monuments  à  l'interpré- 
tation des  auteurs  ;  elle  peut  encore  citer  Thiersch,  O.  .Miil- 
1er,  Boettiger.  L'Angleterre  exploite  aussi  à  la  fois  ses  anti- 
quités romaines,  galliques,  saxonnes  et  normandes  ;  et  tant 
d'efforts  réunis  ne  peuvent  être  infructueux  pour  l'histoire 
approfondie  des  primitives  expériences  sociales ,  seul  but 
vraiment  philosophique  de  l'archéologie. 

Dans  notre  France,  enfin,  la  science  archéologique  ne  pro- 
met pas  de  moins  heureux  résultats  :  ses  antiquités  natio- 
nales trouvent  dans  tous  les  départements  des  explorateurs 
instruits  et  désintéressés ,  dont  le  zèle  est  soutenu  par  la 
conscience  du  service  important  qu'ils  rendent  aux  arts,  aux 
lettres  etàl'histoire  ;  d'honorables  récompenses  décernées  par 
l'Académie  des  Inscriptions,  ont  déjà  recommandé  à  l'estime 
publique  les  recherches  des  Schweighseuser  (sur  le  Haut- 
Rhin),  Dumège  (  Haute-Garonne  et  Tam-et-Garonne  ), 
Chaudruc  de  Crazannes  (  Charente-Inférieure  ) ,  Gaillard 
(  Lillebonne),  de  Bausset  (Béziers),  Maurice  Ardant  (Haute- 
'V^ienne  ),  Le  Prévost  ( Seine- Inférieure  ),  de  Caumont  (An- 
tiquités de  la  Normandie),  de  Gerville  (Manche),  Texier 
(Monuments  de  Reims,  Nîmes,  etc.),  et  quelques-uns 
d'entre  eux  ont  associé  toutes  les  ressources  de  l'érudition 
à  l'examen  et  à  la  description  des  monuments.  Citons  en- 
core les  noms  d'Alexandre  Lenoir,  et  du  comte  de  Laborde 
pour  les  monuments  nationaux.  Dans  l'Académie  des  Ins- 
criptions et  hors  de  son  sein ,  M-M.  Raoul  Rochelle ,  Ch. 
Lenormant,  deSaulcy,  de  Luynes,  de  la  Saulsaye,  Vitet,Di- 
dron,  de  Rougé,  Beulé,  Mariette,  etc.,  honorent  la  France 
par  leurs  travaux.  Letronne  s'élait  voué  à  de  curieuses  re- 
cliercties  sur  l'Egypte  grecque  et  romaine.  Ailleurs,  les  ina- 
nusciils  sur  papyrus  ont  occupé  les  veilles  de  iMM.  Young, 
Bu'cli,  Kosegarlen  et  autres. 

J'ai  réuni  mes  efforts  à  ceux  de  ces  savants  distingués  ; 
enfin  l'alphabet  des  hiéroglyphes  est  découvert,  et  restitué 
à  riiistoiie  des  siècles  qui  en  avait  perdu  le  souvenir.  Que 
de  raisons  pour  espérer  que  l'étude  de  l'archéologie  retirera 
des  lumières  nouvelles  de  cette  persévérance  éclairée ,  et 
l'histoire ,  des  documents  authentiques  qui  rectifieront  ses 
erreurs  et  combleront  d'immenses  lacunes  ! 

CuAlirOLLION-FlGEAC. 

ARCHER,  celui  qui  tire  de  l'arc.  Quoique  l'arc  soit 
l'une  des  premières  armes  dont  l'homme  ait  fait  usage,  si- 
non à  la  guerre,  du  moins  pour  pourvoir  à  son  existence,  et 
qu'on  le  voie  presque  universellement  employé  parmi  les 
anciens,  on  ne  trouve  aucun  monument  qui  atteste  que  cette 
arme  ait  été  en  usage  chez  les  Francs  du  cinquième  au 
huitième  siècle.  Peut-être  l'habitude  qu'avaient  originaire- 
ment ces  peuples  guerriers  de  s'élancer  sur  l'ennemi  et 
de  le  combattre  corps  à  corps ,  leur  a-t-elle  fait  considérer 
l'arc  comme  un  instrument  méprisable,  ou  du  moins  beau- 
coup trop  frêle  pour  percer  les  armures  dont  les  Romains 
étaient  couverts.  Mais  comme  leur  principale  force  consis- 
tait en  infanterie,  l'expérience  des  combats  leur  fit  mieux 
apprécier  l'avantage  de  l'arc,  et  combien  cette  arme  était  re- 
douiable  à  la  cavalerie. 

Elle  était  d'un  usage  général  du  temps  de  Chariemagne , 
CAv  dans  l'un  des  capitulaires  de  cet  empereur  (  Baluze , 
tome  I,  pages  508  et  509),  il  prescrit  aux  comtes  que  les 
armes  ne  manquent  point  aux  soldats  qu'ils  doivent  conduire 
à  l'armée  ,  c'est-à-dire  qu'ils  aient  une  lance  ,  un  bouclier, 
un  arc  avec  deux  cordes  et  douze  flèches  ;  qu'ils  soient , 
enfin,  pourvus  de  cuirasses  et  de  casques,  armes  défensives 
que  n'avaient  pas  les  anciens  Francs.  L'institution   de  la 


ARCHER  —  ARCHI'T 


chevalerie  ayant  fait  prévaloir  en  France  la  cavalerie  sur 
l'infanterie,  où  la  noblesse  ne  voulut  plus  servir  en  corps  , 
on  iustitua  des  artlicrs  à  cheval,  pris  parmi  les  tenanciers 
noliles,  et  dès  loi-s  des  archers  à  pied  (à  Texception  de  quel- 
ques archers  génois  à  la  solde  de  France  )  firent  partie  de 
la  milice  des  communes  et  furent  chargés  de  la  police  inté- 
rieure. Ce  furent  les  arbalétriers  à  pied  qui  les  rempla- 
cèrent dans  linfanlerie  jusque  vers  le  milieu  du  quatorzième 
siècle.  La  supériorité  que  la  milice  anglaise  axait  acquise 
sur  la  nôtre  par  la  conservation  de  cette  arme  et  la  bril- 
lante renommée  des  archers  écossais  au  service  de  France 
la  rétablirent  bientôt  chez  nous  dans  toute  son  ancienne  fa- 
veur. On  voit  en  effet  par  les  rôles  des  montres,  à  partir 
d'environ  I3i0,  que  le  plus  grand  nombre  des  archers  se  re- 
crutait dans  le  corps  de  la  noblesse. 

Lorsque  Charles  Vil  donna  une  organisation  plus  régu- 
lière à  l'armée  française,  il  ordonna  (  28  avril  1448)  que 
chaque  paroisse  du  royaume  choisit  un  homme  robuste  et 
en  état  de  faire  la  guerre,  qu'elle  tiendrait  continuellement 
prêt  à  entrer  en  campagne,  armé  d'un  arc,  de  flèches,  d'une 
dague  ou  d'une  épée,  et  qui  s'exercerait  au  tir  de  l'arc  aux 
jours  fériés  et  non  ouvrables.  La  solde  des  archers  fut  réglée 
à  quatre  francs  par  mois  pendant  toute  la  durée  de  leur  ser- 
vice actif  seulement.  Ils  étaient  indemnisés  pour  tout  le 
temps  qu'ils  se  tenaient  en  disponibilité  par  l'ciemption  de 
toutes  tailles  et  autres  charges  quelconques,  excepté  les  aides 
de  guerre  et  la  gabelle  du  sel.  Aussi,  le  roi,  par  la  charte 
d'institution  de  ce  corps ,  lui  donna-t-il  le  nom  de  francs- 
archers.  Les  nobles  les  appelaient  par  dérision  francs-tau- 
pins  ,  faisant  allusion  aux  taupinières  dont  les  clos  de  ces 
paysans  étaient  remplis,  surnom  qu'ils  eurent  bientôt  ennobli 
par  l'importance  des  sen  ices  qu'ils  rendirent  dans  les  armées. 

Voici  quelle  était  alors  l'armure  complète  d'un  franc-ar- 
cher :  la  salade,  casque  léger  sans  crête;  la.  jaque,  habil- 
lement lacé  par  devant,  qui  venait  jusqu'aux  genoux,  et 
rembourré  de  coton  ;  la  brifjand'me,  corselet  de  lames  de  fer, 
attachées  les  unes  aux  autres  sur  leur  longueur  par  des 
clous  rivés  ou  par  des  crochets  ;  le  vouge,  épieu  de  la  lon- 
gueur d'une  hallebarde,  dont  le  fer  était  semblable  à  un 
carreau;  la  rondelle,  bouclier  de  forme  ronde  ou  ovale;  la 
trousse,  espèce  de  carquois  où  les  archers  mettaient  leurs 
flèches  au  nombre  au  moins  de  dix-huit;  la  dague,  espèce  de 
long  poignard  ;  enfin  ïépée.  La  légèreté  de  cette  armure  ne 
permettait  pas  aux  archers  de  combattre  avec  les  hommes 
d'armes,  quoiqu'ils  fissent  partie  de  leur  suite,  selon  l'or- 
donnance. Ils  se  tenaient  sur  les  ailes,  oii,  conformément 
à  la  vivacité  plutôt  qu'à  la  force  de  leurs  montures ,  ils  es- 
carmouchaient  et  harcelaient  l'ennemi,  comme  firent  depuis 
les  chevau-légers. 

L'institution  des  francs-archers  mit  à  la  disposition  du 
prince  une  milice  réglée  et  permanente,  qui  l'affranchit  de 
la  dépendance  des  grands  feudataires.  A  partir  de  cette 
époque  on  vit  cesser  dans  nos  armées  l'usage  des  bannières 
et  pennons  ;  le  commandement  étant  attribué,  non  plus  à  la 
chevalerie,  mais  à  des  grades  spéciaux. 

Louis  XI  porta  à  16,000  le  nombre  des  francs-archers,  et 
nomma  pour  les  commander  quatre  capitaines  généraux , 
ayant  eux-mêmes  un  chef  supérieur.  Ce  fut  néanmoins  ce 
même  roi  qui  supprima ,  en  1480  ,  les  corps  des  francs-ar- 
chers ,  pour  lever  des  Suisses  et  des  lansquenets  ou  Alle- 
mands. Deux  considérations  puissantes  paraissent  avoir 
motivé  cette  mesure  :  la  mauvaise  discipline  de  l'infanterie 
française  à  cette  époque ,  et  la  multitude  de  privilégiés  et 
de  faux  nobles  qu'avaient  enfantés  les  exemptions  des  francs- 
arcliers.  Ces  exemptions  n'étaient  q\ie  personnelles;  mais 
comme  le  fils  d'un  franc-archer  ambitionnait  de  succéder 
aux  franchises  de  son  père ,  la  jouissance  non  interrompue 
des  mêmes  privilèges  pendant  plusieurs  générations  dans 
une  même  iainille  ne  permettait  plus  de  distinguer  sur  les 
rôles  des  comjnunes  ceux  qui  étaient  nobles  de  race  de 


757 


ceux  qui  n'avaient  que  des  exemptions  viagères.  De  là  le 
nom  de  noblesse  arc/icre  donné  à  cette  noblesse. 

Ce  fut  probablement  pour  prévenir  le  retour  de  cet  abus 
que  Henri  III,  lors  de  la  formalion  de  ses  compagnies  d'or- 
donnance (1579),  statua  que  nul  ne  pourrait  être  gen- 
darme s'il  n'avait  été  archer  ou  chevau-léger  au  moins  pen- 
dant un  an,  ni  archer  s'il  n'était  pas  noble  de  race.  Les  ar- 
chers n'ont  pas  existé  longtemps  après  cette  ordonnance  : 
les  progr 'S  de  l'artillerie  et  la  formation  des  régiments  ont 
rendu  inutiles  dans  nos  armées  les  services  de  cette  milice. 
Mais  le  nom  d'archer  a  survécu  au  corps  au(iuel  il  était 
aflecté.  Les  officiers  exécuteurs  des  ordres  des  lioiitenaats 
de  police  et  des  prévois  étaient  encore  avant  la  Révolution 
appelés  archers,  quoique  armés  de  hallebardes  et  de  fusils. 
La  maréchaussée  avait  aussi  de  ces  archers,  mais  à  cheval, 
lesquels  escorlaient  la  diligence  de  Paris  à  Lyon.  Pour  les 
archers  de  la  manche,  voyez  Gardes  du  coups.    Lai.né. 

Chez  les  anciens ,  les  Thraces ,  les  Parthes ,  les  Scythes 
et  les  Cretois  passaient  pour  d'excellents  archers.  Zozime 
parle  d'un  archer  grec ,  nommé  ISlénélas,  qui  avait  trouvé  le 
moyen  de  lancer  avec  un  seul  arc  trois  flèches  à  la  fois,  frap- 
pant trois  buts  divers.  Les  Grecs  employaient  les  archers 
comme  troupes  légères,  soit  pour  entamer  l'action  avec 
l'ennemi,  ou  lui  tendre  des  embuscades,  soit  pour  éclairer  la 
marche  des  armées  ou  couvrir  les  retraites. 

ARCHESTRATUSjde  Gela,  en  Sicile,  poëte  didac- 
tique contemporain  d'Aristote.  Il  parcourut  tous  les  pays 
civilisés  et  toutes  les  mers,  pour  connaître  les  aliments  que 
chaque  contrée  pouvait  fournir  à  l'homme.  Il  étudia  surtout 
les  poissons,  leur  histoire  naturelle,  et  la  manière  de  les 
préparer.  Les  fruits  de  son  expérience  furent  consignés  dans 
un  poëme  auquel  il  donna  le  titre  de  Gastrologie ,  et  qui 
est  aussi  cité  sous  ceux  de  Gastronomie,  Hédypathie,  Deip- 
nologie ,  Opsopœie.  Les  fragments  qu'Athénée  en  a  con- 
servés forment  deux  cent  soixante-dix  vers.  Apulée  dit  dans 
son  Apologie  qu'Ennius  avait  traduit  le  poëme  d'.\rchestra- 
tuSj  sous  le  titre  de  Carmina  hedypathetica.  Voici  un  des 
préceptes  que  contenait  ce  poème  sur  l'art  culinaire  :  «  Si 
«  le  nombre  des  convives  excède  celui  de  trois  ou  de  qua- 
«  tre ,  ce  n'est  plus  qu'un  rassemblement  de  mercenaires 
«  ou  de  soldats  qui  mangent  leur  butin.  »  Il  parait  que  ses 
voyages  et  son  enseignement  gastronomique  ne  l'avaient 
pas  enrichi  ;  car  voici  l'exclamation  que  Plutarque  met  dans 
la  bouche  d'un  de  ses  partisans  :  «■  O  Archestratus,  que 
«  n'as-tu  vécu  sous  Alexandre  !  chacun  de  tes  vers  eût  ob- 
n  tenu  Chypre  ou  la  Phénicie  pour  récompense  !  »  —  Les 
fragments  de  ce  poëte,  épars  dans  Athénée,  ont  été  recueillis 
par  Schneider,  dans  l'édition  qu'il  a  donnée  de  l'histoire  des 
animaux  d'Aristote.  —  Il  y  a  eu  un  autre  Ahciiestratus, 
poète  tragique,  dont  les  pièces  furent  jouées  pendant  la 
guerre  du  Péloponnèse,  et  dont  il  ne  reste  rien.     Artaid. 

ARCHET,  baguette  de  soixante-dix  à  soixante-douze 
centimètres  de  longueur,  terminée  par  deux  parties  saillan- 
tes ,  dont  une ,  celle  d'en  haut ,  a  le  nom  de  tète ,  et  l'autre , 
mobile  au  moyen  d'une  vis  à  écrou,  poi1e  celui  de  hausse. 
Une  tige  de  crins  de  cheval  tendus  longitudinalement  dans  la 
direction  de  la  baguette  s'appuie  sur  la  tête  et  sur  la  hausse  ; 
et  cette  dernière  partie,  en  s'éloignant  ou  en  se  rapprochant 
à  volonté,  sert  à  donner  aux  crins  le  degré  de  tension 
convenable.  L'instrument  que  nous  venons  de  décrire  sert  à 
faire  vibrer  les  cordes  des  violons,  des  basses ,  etc.  ;  sa  forme 
actuelle  lui  a  été  donnée  en  1797  ,  par  Viotti ,  et  n'a  pas  peu 
contribué ,  assure-t-on ,  aux  progrès  de  l'art  du  violoniste. 
Autrefois ,  en  effet ,  l'archet  était  beaucoup  plus  cintré.  Au 
dix- septième  siècle  Lullifit  employer  un  archet  plus  court, 
et  au  dix-huitième  siècle  Tartini  mit  en  vogue  les  archets 
longs,  mais  moins  pourvus  de  crins  que  ceux  dont  se  servent 
aujourd'hui  nos  artistes. 

En  technologie,  on  donne  aussi  le  nom  d'archet  h  une 
tige  élastique  et  flexible,  en  acier  ou  en  baleine,  montée 


>8 


ARCHET  —  ARCHIAS 


sur  un  manche,  pourvue  d'une  grosse  corde  de  chanvre  ou 
de  boyau ,  fixée  par  une  de  ses  extrémités  à  la  partie  de  la 
tige  qui  est  près  du  manclie ,  et  s'accrocliant  par  l'autre 
extrémité  à  l'un  des  crans  ou  entailles  pratiquées  à  l'autre 
bout  de  la  tige.  En  imprimant  à  l'archet  ainsi  tendu  un 
mouvement  de  va  et  vient ,  on  communique  à  la  boite  à 
forer ,  autour  de  laquelle  s'enroule  la  corde,  une  rotation 
alternative  et  plus  ou  moins  rapide. 

ARCHÉTYPE  (du  grec  àç>yj?\,  principe,  et  xutio;,  type, 
modèle).  Dans  la  vieille  école  philosophique  on  désignait 
par  ce  mot  l'idée  sur  laquelle  Dieu  a  créé  le  monde. 

En  termes  de  monnayage ,  il  indique  aujourd  hui  l'étalon 
sur  lequel  on  étalonne  les  poids  et  les  mesures. 

ARCHEVÊQUE  (en  latin  archiepiscopus,  du  grec  àp- 
XÔ; ,  chef,  et ÈTtiaxÔTro;,  intendant,  inspecteur,  évoque;  mot  à 
mot,  chef  des  évoques  ),  qualification  fausse  si  on  la  prend  au 
pied  de  la  lettre.  L'archevêque  de  Lyon  se  donnait  le  titre  de 
primat  des  Gaules;  celui  de  Bourges,  celui  de  primat  d'A- 
quitaine; et  cependant  au  concile  d'Orléans,  tenu  en  512, 
les  «vèques  signèrent  simplement  d'après  l'ordre  de  leur 
réception  ,  quoique  quelques-uns  se  fussent  emparés  de  la 
qualification  de  métropolitain,  qui,  du  reste,  ne  donnait  au- 
cune prééminence.  La  dignité  d'archevêque  n'a  guère  été 
connue  en  Occident  avant  Charlemagne.  En  Orient  on  n'en 
trouve  pas  vestige  avant  le  concile  d'Éplièse,  tenu  en  321. 
Saint  Athanase  est  le  premier  qui  en  ait  fait  mention  en  la 
donnant  à  son  prédécesseur  Alexandre;  saint  Grégoire  de 
Nazianze  en  gratifie  à  son  tour  Athanase;  mais  ce  n'était 
qu'un  titre  purement  honorifique,  attribué  particulièrement 
aux  évêques  de  Constantinople  et  de  Jérasalem.  Dans  la 
suite,  les  Grecs  le  donnèrent  aux  évêques  des  grandes  villes, 
bien  qu'ils  n'eussent  aucun  suffragant  flans  le  diocèse,  taudis 
que  le  métropolitaia  en  avait  plusieurs. 

Au  concile  d'Éplièse  le  titre  d'archevêque  de  Rome  fut 
donné  par  les  Grecs  à  Céleslin,  celui  d'archevêque  de  Jéru- 
salem à  C}rille;  et  l'évêque  de  Rome,  Léon  \",  reçut  à  son 
tour  celte  même  qualification  d'archevêque  au  concile  de 
Clialcédoine,  tenu  en  451.  Chez  les  Latins,  Isidore  est  le  pre- 
mier qui  parle  d'archevêques. 

L'archevêque,  par  rapport  à  Tordre  et  au  caractère,  n'est 
pas  plus  que  l'évoque  ;  mais  il  exerce  les  fonctions  d'un 
ministère  plus  grand,  plus  étendu.  En  droit,  les  évêques 
sulfragants  sont  tenus  de  reconnaître  l'archevêque  de  leur 
diocèse  pour  supérieur,  de  n'entreprendre  aucune  affaire 
importante  sans  l'avoir  consulté;  mais,  de  son  côté,  l'ar- 
chevêque ne  doit  rien  faire  qui  intéresse  toute  la  province 
sans  en  avoir  délibéré  avec  ses  suffragants  ;  il  a  le  droit  de 
confirmer  l'élection  des  évêques,  de  les  consacrer,  de  con- 
voquer des  conciles  provinciaux  et  de  les  présider,  de  faire 
observer  aux  évêques  leur  devoir,  de  les  suspendre ,  de  les 
interdire,  de  les  excommunier  même  le  cas  échéant.  Quant 
aux  fidèles  placés  sous  la  juridiction  des  évêques  ses  suf- 
fragants, l'archevêque  n'a  sur  eux  aucun  droit  direct;  il  n'a 
d'autre  droit  que  celui  de  visite  dans  les  diocèses  subor- 
donnés ,  et  celui  de  cassation  des  jugements  épiscopaux 
lorsqu'on  en  appelle  devant  lui.  Ce  droit  d'appel  contre  les 
décisions  des  évêques  ou  de  leurs  officiaux  a  lieu  tant  pour 
ce  qui  est  de  la  juridiction  volontaire,  que  pour  ce  qui  touche 
à  la  juridiction  contentieuse  ;  mais  les  archevêques  n'ont 
nullement  le  droit  d'intervenir  en  première  instance  dans  les 
affaires  dont  la  décision  appartient  aux  évêques,  parce  que 
cela  tendrait  cvidenrment  à  jeter  le  trouble  dans  l'ordre  des 
juridictions,  et  que  la  fonction  des  évêques  cesserait  entiè- 
rement le  jour  où  il  serait  loisible  aux  aichevèques  de  se 
mettre  à  leur  jilace. 

En  France,  la  politique  nationale  a  toujours  tendu  à  lutter 
contre  l'élahlissenient  de  ces  diverses  provinces  ecclésias- 
tiques. Les  archevêques  n'ont  jamais  eu  le  droit  de  convoquer 
les  conciles  provinciaux  qu'avec  l'autorisation  du  chef  de 
l'Etat  ;  le  droit  de  visite  même  n'a  jamais  été  en  pleine  vi- 


gueur. La  dignité  d'archevêque  est  demeurée  chez  nous  une 
distinction  honorifique  plutôt  qu'une  distinction  poUtique. 
Celte  distinction  honorifi(jue  elle-même  a  été  fréquemment 
contestée ,  et  l'histoire  des  parlements  montre  qu'on  n'a  pas 
toujours  permis  aux  archevêques  de  jouir  pleinement  de  tous 
les  honneurs  que  l'Église  leur  attribue.  Ainsi ,  au  dix-sep- 
tième siècle,  on  vit  le  parlement  d'Aix  refuser  à  l'arche- 
vêque de  celte  ville  d'entrer  dans  la  salle  d'audience  en 
faisant  porter  sa  croix  devant  lui.  L'affaire  fit  grand  bruit, 
et  gain  de  cause ,  en  définitive ,  resta  au  parlement. 

La  distinction  principale  des  archevêques  consistait  dans 
le  pallium.  C'était  le  symbole  de  la  plénitude  de  leur  sa- 
cerdoce. Cette  décoration ,  composée  d'une  bande  de  laine 
blancha  suspendue  sur  la  poitrine  et  chargée  de  trois  croix 
noires ,  remontait  à  un  usage  semblable  étabh  par  les  em- 
pereurs romains.  La  laine  devait  être  prise  sur  des  agneaux 
nourris  et  tondus  par  des  diacres  spécialement  chargés  de 
cet  office.  Les  archevêques  avaient  en  outre  le  droit  de 
porter  un  manteau  violet  par-dessus  le  rochet,  de  bénir  en 
faisant  le  signe  de  la  croix  et  même  en  levant  la  main  sur 
les  fidèles. 

On  entend  par  archevêché  :  1°  le  diocèse  d'un  arche- 
vêque, ou  la  province  ecclésiastique,  composée  du  siège 
métropolitain  et  de  plusieurs  évêchés  suffragants  ;  2°  le 
palais  archiépiscopal ,  ou  la  cour  ecclésiastique  d'un  arche- 
vêque; 3°  les  revenus  temporels  d'un  archevêché.  Il  y  a 
maintenant  en  France  quinze  archevêchés,  dont  les  sièges, 
selon  l'ordre  des  provinces  ecclésiastiques,  sont  Paris,  Cam- 
bray,  Lyon,  Rouen,  Sens,  Reims,  'fours,  Bourges,  Albi, 
Bordeaux,  Auch ,  Toulouse,  Aix,  Besançon  et  Avignon;  il 
y  en  avait  autrefois  dix-huit;  les  trois  qui  ont  été  supprimés 
sont  :  Arles,  Embrun  et  Narbonne.  L'Église  grecque  et 
l'église  anglicane  ont  aussi  leurs  archevêchés  et  leurs 
archevêques.  Voyez  Évèque,  Épiscopat,  Diocèse,  etc. 

ARCHI.  Cette  expression,  empruntée  au  grec  àp/àî,  qui 
signifie  principe ,  primauté,  puissance,  commandement ,  ne 
s'emploie  jamais  seule  en  français  ;  mais  elle  sert  à  marquer 
la  prééminence  dans  tous  les  ordres  de  mots  dont  elle  forme 
la  tête  ou  le  commencement,  tels  qa'arckiprétre,archidia- 
crc,  arc/iidnc.  Un  Iciups  du  premier  empire  français  il  y 
eut  des  iircliichanceliers  ot  un  arcliitrésorier.Lemot  archise 
trouve  aussi  dans  les  mots  archange  et  archevêque,  qui  in- 
diquent un  rang  au-dessus  des  anges  et  des-  évêques,  etc.  On 
l'emploie  aussi  dans  le  stj  le  familier  pour  exprimer  le  degré 
de  force  ou  de  supériorité  auquel  se  trouve  portée  une  bonne 
ou  une  mauvaise  qualité ,  un  vice  ou  un  défaut  :  ainsi  l'on 
dit  un  archi-fou,  un  archi-paresscux,  et  c'est  alors  un 
simple  superlatif. 

ARCHIAS,  poète  grec,  moins  connu  par  ses  ouvTages, 
dont  il  ne  nous  reste  presque  rien ,  que  par  le  magnifique 
discours  que  Cicéron  prononça  en  sa  faveur,  naquit  à  An- 
tioche,  l'an  634  de  Rome  (117  av.  J.-C).  Il  vint  en  Italie 
à  l'âge  de  seize  ans,  et  arriva  à  Rome  l'année  même  où  Ma- 
rins, consul  pour  la  quatrième  fois, défit  les  Teutons  et  les 
Cimbres.  Sa  réputation  l'y  avait  devancé  :  il  fut  accueilli 
dans  les  principales  familles  de  la  république;  les  Métellus, 
les  Catulus,  les  Crassus,  l'admirent  dans  leur  intimité;  les 
Lucullus  le  reçurent  dans  leur  maison,  et  l'un  d'eux,  en  l'a- 
doptant, lui  fit  prendre  les  noms  A' Aldus  Licinius.  Il  ac- 
compagna le  personnage  le  plus  illustre  de  cette  famille,  le 
fameux  Lucius  Lucullus ,  dans  son  expédition  contre  Mi- 
thridateetdans  ses  voyages  en  Asie,  en  Grèce  et  en  Sicile. 

Lucullus  le  fit,  pendant  un  de  ces  voyages,  recevoir  citoyen 
d'Héraclée  en  Lucanie.  Cette  ville  avait  le  titre  d'alliée  de 
Rome.  Trois  ans  après,  la  loi  Plautia  Papiria  accorda  le 
droit  de  cité  romaine  à  tous  ceux  qui,  inscrits  comme  ci- 
toyensdans  les  villes  confédérées,  seraient  domiciliéscn  Italie 
depuis  trois  ans,  et  feraient  dans  les  soixante  jours  leur 
déclaration  an  préteur.  Archias  accomplit  cette  formalité,  et 
se  trouva  citoyen  romain.  Il  jouit  pendant  vingt-huit  ans 


ARCHIAS  —  ARCIIIGALLE 


759 


des  privilj'gos  attadu^s  à  ce  titre.  Mais  pendant  cet  inter- 
valle les  registres  d'Héraclée  furent  détruits  dans  un  incen- 
die, et  en  693  le  censeur  (on  n'est  pas  d'accord  sur  son 
nom),  faisant  un  nouveau  recensement  des  citoyens  romains, 
refusa  de  l'y  comprendre.  Cicéron,  qui  dans  sa  jeunesse 
avait  reçu  (lu  poëte  quelques  conseils,  et  qui,  en  consé- 
quence, se  regardait  comme  son  disciple ,  prit  sa  défense , 
et  ce  fut  alors  qu'il  prononça  en  sa  faveur  son  admirable 
plaidoyer  jaro  Archia  poeta,  regardé  avec  raison  comme  un 
des  plus  parfaits  modèles  d'éloquence.  Il  gagna  sa  cause , 
car  on  ne  trouve  chez  les  anciens  aucune  assertion  contraire, 
et  Archiaà  lut  probablement  porté  de  nouveau  sur  le  rôle 
des  citoyens  de  la  ville  éternelle.  Mais  à  partir  de  cette 
époque  on  ne  sait  plus  rien  de  lui ,  et  on  ignore  même  la 
date  de  sa  mort. 

11  avait,  peu  de  temps  après  son  arrivée  à  Rome,  composé 
un  poème  sur  la  guerre  des  Cimbres,  et  son  ou^Tage  avait 
obtenu  le  suffrage  de  Marius  ;  ce  qui,  pour  le  dire  en  pas- 
sant, ne  prouve  pas  qu'il  fût  excellent ,  car  ce  soldat  parvenu 
ne  passait  pas  pour  avoir  un  goût  très-exercé  en  matière 
littéraire.  11  chanta  ensuite  la  (jucrre  de  Mithridatc,  puis 
il  commença  sur  le  consulat  de  Cicéron  un  troisième  poëme, 
qui  n'était  point  achevé  lors  de  son  procès  ;  car  l'orateur  eu 
parle,  dans  son  discours ,  comme  d'une  œuvre  encore  at- 
tendue. Enfin,  on  trouve  sous  son  nom,  dans  ï Anthologie, 
trente  épigrammes,  et  c'est  tout  ce  qui  nous  reste  de  lui  ; 
malheureusement  ces  petits  poèmes  ne  sont  pas  de  nature 
à  donner  une  grande  idée  de  la  valeur  de  ceux  qui  sont  per- 
dus, et  ceux-ci  ne  seraient  guère  regrettés  si  Cicéron  n'en 
avait  fait  un  aussi  grand  éloge.  Léon  Renier. 

ARCHIATRE  (des  mots  grecs  à^ySn,  et  laTpoç,  mé- 
decin en  chef,  médecin  principal).  Sous  les  empereurs  ro- 
mains d'Occident  et  d'Orient  on  donnait  ce  nom  à  des  mé- 
decins salariés  et  exemptés  de  toutes  charges  publiques.  Le 
premier  personnage  que  l'histoire  mentionne  comme  ar- 
chiûtre  est  Andromaque  l'ancien,  contemporain  de  Néron, 
et  auteur  d'un  poëme  sur  la  thériaque,  qui  a  été  conservé 
par  Galien.  Dans  le  principe  les  archiâtres  étaient  payés 
pour  soigner  gratuitement  les  pauvres.  A  Rome  il  y  en  avait 
un  pour  chacun  des  quatorze  quartiers  de  la  ville;  dans 
cette  capitale,  ainsi  que  dans  plusieurs  autres  grandes  villes, 
qui,  selon  leur  étendue,  entretenaient  un  nombre  plus  ou 
moins  considérable  d'archiâtres,  ceux-ci  formaient  un  collège 
à  part;  et  lorsque  l'un  d'eux  venait  à  mouru-,  les  autres  lui 
choisissaient  un  successeur  après  l'examen  le  plus  sévère. 
Ce  ne  fut  qu'au  temps  de  Julien  que  les  archiatri  popu- 
lares  (médecins  publics  pour  le  peuple)  furent  distingués 
des  archiatri  sancti palatii  (médecins  personnels  de  l'em- 
pereur et  de  la  cour),  et  dans  les  temps  plus  modernes  le 
titre  d'archiâtre  fut  presque  exclusivement  réservé  aux  mé- 
decins des  princes. 

ARCHICHANCELIER.  On  donnait  ce  nom  à  deux 
des  grands  dignitaires  de  l'empire  français  créés  par  le  sé- 
natus-consulte  organique  du  28  floréal  an  XII.  L'archi- 
chancelier  de  l'empire  était  chargé  de  promulguer  les 
lois  et  les  sénatus-consultes  organiques;  il  était  grand  offi- 
cier du  palais  impérial,  et  partageait  avec  le  grand-juge,  mi- 
nistre de  la  justice,  le  travail  du  rapport  annuel  adressé  à 
l'empereur  sur  les  abus  qui  avaient  pu  s'introduire  dans 
l'administration  de  la  justice  civile  et  criminelle  ;  il  présidait 
la  haute  cour  impériale,  les  sections  réunies  du  conseil 
d'État,  assistait  à  tous  les  actes  de  l'état  civil  de  la  famille 
impériale,  signait  tous  les  brevets  de  nomination  de  l'ordre 
judiciaire.  Enfin  il  était  de  droit  président  du  collège  élec- 
toral de  la  Gironde.  Cette  charge  était  la  seconde  des  grandes 
dignités  de  l'empire.  —  Varchichancelier  d'État  était  le 
troisième  de  ses  hauts  dignitaires  créés  par  Napoléon.  11  rem- 
plissait les  fonctions  de  chancelier  pour  la  promulgation  des 
traités  de  paix  et  d'alliance,  et  pour  les  déclarations  de  guerre. 
11  présidait  de  droit  le  collège  électoral  delà  Loire-Inférieure. 


ARCHIDIACRE  (en  latin  archidiaconus ,  du  grec 
àpxri,  chef,  et  Siâxovo; ,  scniteur,  diacre),  supérieur  ec- 
clésiastique ,  qui  a  droit  de  visite  sur  les  cures  d'une  cer- 
taine partie  d'un  diocèse.  L'archidiacre  était  autrefois  le 
premier  et  le  plus  ancien  des  diacres;  on  ne  le  connais- 
sait point  avant  le  concile  de  Nicée.  C'était  le  premier  mi- 
nistre de  l'évc^quc  pour  toutes  les  fonctions  extérieures,  par- 
ticulièrement pour  l'administration  du  temporel  ;  à  lui  étaient 
confiés  le  soin  de  faire  observer  l'ordre  et  la  décence  publique 
pendant  roflice  divin ,  la  garde  des  ornements  de  l'église,  et 
la  direction  des  pauvres  :  c'est  pourquoi  on  l'appelait  la  main 
et  Vœit  de  l'évêque.  Ce  pouvoir  mit  bientôt  l'archidiacre  au' 
dessus  des  prêtres ,  qui  n'avaient  que  des  fonctions  spiri- 
tuelles. 11  n'eut  pourtant  aucune  juridiction  sur  eux  jusqu'au 
sixième  siècle;  mais  il  devint  bientôt  leur  supérieur,  et  même 
celui  de  l'archi prêtre.  Après  le  dixième  siècle  les  ar- 
chidiacres furent  regardés  comme  ayant  juridiction  de  leur 
chef,  avec  pouvoir  même  de  déléguer  des  juges.  Dans  la 
suite ,  pour  affaiblir  leur  puissance ,  on  les  multiplia ,  sur- 
tout dans  les  diocèses  de  grande  étendue ,  et  celui  qui  eut 
son  district  dans  la  ville  épiscopale  prit  la  qualité  de  grand 
archidiacre.  Il  avait  aussi  lagardedu  trésor  de  l'église,  une 
juridiction  analogue  à  celle  des  officiaux ,  et  faisait  la  visite 
dans  les  paroisses  du  diocèse  où  l'évêque  l'envoyait ,  seule 
fonction  qui  lui  soit  restée  depuis. 

L'archevêque  de  Paris  a  trois  archidiacres,  qui  portent  les 
titres  d'archidiacre  de  Notre-Dame ,  d'archidiacre  de  Sainte- 
Geneviève  ,  et  d'archidiacre  de  Saint-Denis.  Ils  ont  l'admi- 
nistration des  affaires  des  archidiaconés  dont  ils  portent  le 
titre,  à  l'exception  de  celles  qui  sont  spécialement  attribuées 
aux  vicaires  généraux. 

ARCHIDUC  (  archidux).  Ce  titre  marque  une  qualité, 
une  prééminence,  une  autorité  sur  les  autres  ducs.  Il  est 
fort  ancien  en  France,  et  remonte  au  temps  de  Dagobert,  où 
il  y  a  eu  un  archiduc  d'Austrasie  ;  on  a  vu  ensuite  des  ar- 
chiducs de  Lorraine  et  de  Crabant. 

L'Autriche  fut  érigée  en  marquisat  par  Othon,  ou  Henri  P"", 
et  en  duché  par  Frédéric  \"  ;  mais  on  ne  sait  pas  trop  bien 
ni  en  quel  temps  ni  pourquoi  on  lui  donna  le  titre  d'archi- 
duché.  Quelques  auteurs  disent  qu'avant  d'être  en  posses- 
sion des  couronnes  royales  de  Hongrie,  de  Bohême,  etc., 
ou  de  la  couronne,  plus  auguste,  des  Césars,  elle  tint  ce  titre 
de  Maximilien  I'"",  qui  lui  attribua  en  même  temps  de  grands 
privilèges  :  par  exemple,  les  archiducs  étaient  censés  avoir 
reçu  l'investiture  de  leurs  États  lorsqu'ils  l'avaient  demandée 
trois  fois;  ils  ne  pouvaient  être  destitués  de  leur  titre 
par  l'empereur  ni  par  les  états  de  l'empire  ;  Us  exerçaient  la 
justice  dans  leurs  terres ,  sans  appel  ;  ils  étaient  conseillers 
nés  de  l'empereur  ;  on  ne  réglait  aucune  affaire  de  l'empire 
sans  leur  participation  ;  enfin,  ils  pouvaient  créer  des  comtes, 
des  barons  et  des  gentilshommes  dans  tout  l'empire.  Dès  1 156 
les  ducs  d'Autriche,  qui  résidaient  au  château  de  Kahlenberg, 
avaient  pris  ce  litre;  mais  il  ne  devint  héréditaire  dans  leur 
maison  qu'après  la  promulgation  de  la  Bulle  d'Or,  et  ne  fut 
reconnu  par  les  électeurs  du  Saint-Empire  qu'en  1453. 

Le  litre d'flrc/iirf«c  et  d'flî-c/i«rfi«c^^es5eestdonnéaujour- 
d'hui  en  Autriche  à  tous  les  princes  et  à  toutes  les  prin- 
ce.sses  de  la^maison  impériale. 
ARCHIÈHE.  Voyes Créneau. 
ARCIIIGALLE,  chef  des  Galles,  prêtres  de  Cybèle. 
Souverain  pontife  de  cette  déesse ,  l'archigalle  jouissait  de 
beaucoup  de  considération,  et  portait ,  suivant  Lucien ,  une 
tiare  d'or.  Plusieurs  bas-reliefs  publiés  par  Muratori  et  par 
Winckelmann  représentent  l'archigalle.  Il  a  la  mitre  phry- 
gienne, la  tunique  à  manches,  les  anaxyrides;  on  voit 
quelquefois  à  sa  main  droite  une  branche  d'olivier,  et  à  la 
gauche  un  vase  plein  de  fniits  ;  de  longs  pendants  ornent  ses 
oreilles.  Il  a  un  collier  qui  lui  descend  sur  la  poitrine  et  d'où 
pendent  deux  têfesd'Aty  s,  sans  barbe,  avec  le  bonnet  phry- 
gien. Sur  un  tombeau  on  remarque  près  de  la  figure  d'un 


760 


ARCHIGALLE  —  ARCHIMÈDE 


archigalle  des  crotales ,un  tympanum,  des  flùles  et  une  ciste 
ou  corbeille  mystique.  L'archigalle  était  toujours  choisi  dans 
les  familles  les  plus  distinguées.  Alex,  nu  Méce. 

ARCIIIGÈIVE,  médecin  grec,  fils  de  Philippe,  né  à 
Apamée  en  Syrie,  fut  le  disciple  d'Agalhinus,  et  pratiqua 
son  art,  dans  le  second  siècle  de  l'ère  chrétienne ,  à  Rome, 
et  sous  le  règne  de  Trajan  ,  avec  un  succès  tel  que  Juvénal, 
voulant  citer  un  médecin  fameux  ,  s'est  servi  de  son  nom. 
En  ce  qui  touche  ses  doctrines  scientifiques,  on  le  range 
tantôt  parmi  les  pneiimatistes ,  tantôt  parmi  les  méthodis- 
tes ,  tandis  que  d'autres  en  font  le  fondateur  de  l'école  éclec- 
tique. Dans  ses  écrits ,  dont  des  fragments  seulement  sont 
venus  jusqu'à  nous,  il  se  montre  grand  dialecticien,  pen- 
dant qu'il  semble  plutôt  avoir  été  dans  la  pratique  empi- 
rique et  partisan  décidé  des  remèdes  composés. 

ARCIlILOQUE,de  Paros  en  Lydie,  llorissait  vers  l'an 
688  avant  J.-C,  à  l'époque  de  Gygès,  et  est  regardé  comme 
l'un  des  principaux  lyriques  grecs.  Tout  ce  qu'on  sait  des 
circonstances  de  sa  vie,  et  notamment  ce  qu'on  raconte  de 
défavorable  sur  son  compte,  provient  d'inductions  tirées 
de  passages  de  ses  propres  poésies.  Môle  de  bonne  heure  aux 
luttes  des  partis,  il  abandonna  tout  jeune  encore  sa  patrie  avec 
une  partie  de  ses  concitoyens,  pour  aller  fonder  une  colonie 
à  Tliasos.  11  a  raconté  lui-même ,  dans  quelques  vers  qui  sont 
parvenus  jusqu'à  nous ,  que  dans  un  engagement  contre  les 
habitants  de  Thasos  il  perdit  son  bouclier  par  accident, 
mais  non  par  lâcheté.  Plus  tard  il  fut  repoussé  pour  ce 
motif  de  Sparte,  où  il  avait  voulu  s'établir.  Il  remporta  le 
prix  aux  jeux  olympiques  pour  un  hymne  en  l'honneur 
d'Hercule,  et  périt  suivant  les  uns  dans  une  bataille,  sui- 
vant les  autres  victime  d'un  assassinat.  Neuf  et  hardi 
dans  la  forme,  Archiioque  excelle  en  outre  à  donner  tou- 
jours à  ses  poésies  l'attrait  de  la  nouveauté ,  par  l'extrême 
variété  des  matériaux  qu'il  emploie.  L'àpreté  habituelle  de 
ses  poèmes  avait  fait  de  Yalgreiir  archïloquienne  et  des 
vers  de  Paros  des  façons  de  parler  proverbiales  chez  les 
anciens.  Avec  ses  ïambes  il  flagellait  ses  ennemis  de  la  façon 
la  plus  douloureuse.  Lycambes ,  qui  lui  avait  promis  sa 
fille,  mais  qui  lui  manqua  de  parole  ,  fut  si  vivement  blessé 
par  une  de  ses  satires,  que ,  pour  échapper  à  la  honte  d'un 
tel  affront ,  lui  et  sa  fiUe  se  pendirent.  Les  anciens  plaçaient 
Archiioque  au  même  rang  qu'Homère.  Ils  faisaient  chanter 
ses  poèmes  par  des  rhapsodes ,  honoraient  la  mémoire  de 
l'un  et  de  l'autre  lé  môme  jour,  et ,  dans  des  œuvres  de 
sculpture ,  plaçaient  sa  tête  au-dessous  de  celle  d'Homère.  Ils 
le  nomment  l'inventeur  de  l'ïambe ,  expression  par  laquelle 
il  faut  entendre  non  pas  le  vers  ïambique  lui-môme,  dont 
l'origine  est  incontestablement  plus  ancienne,  mais  la  forme 
que  ce  poète  lui  donna,  et  surtout  l'application  qu'il  en  fit  à 
la  satire  ;  ils  lui  attribuent  en  outre  une  foule  d'améliora- 
tions introduites  dans  la  musique  et  dans  la  poésie.  Archi- 
ioque eut  pour  imitateurs  en  Grèce  les  poètes  dramatiques, 
surtout  ceux  de  l'ancienne  comédie ,  et  parmi  les  Romains 
Horace ,  dans  ses  Épodes.  Le  demi-pentamètre  qu'emploie 
ordinairement  Archiioque  a  reçu ,  d'après  lui ,  le  nom  de  vers 
archiloquien.  Les  fragments  qu'on  possède  de  ses  poésies 
ont  été  plus  particulièrement  recueillis  par  Liebel  (Leipzig, 
1812;  et  Vienne,  1819),  et  corrigés  avec  beaucoup  de  bon- 
lieur  par  Schneidewin  dans  ses  Delect.  Poet.  Grac.  (  Gœt- 
tinguc,  1839). 

ARCniMAIVDRlTE  (du  grec  àpy.ô; ,  chef,  et  [lâvcpa , 
troupeau,  couvent).  Chez  les  Grecs  c'est  généralement  un 
abbé  de  première  classe ,  ou  d'un  monastère  de  premier 
ordre,  comme  celui  du  mont  Athos,  ou  du  Saint-Sauveur  à 
Messine.  Le  costume  de  l'archimandrite  consiste  en  une 
robe  longue  et  ample,  appelée  7nandyas ,  et  faite  d'une 
étoffe  noire.  11  porte  à  la  main  un  bâton,  souvent  d'un  beau 
travail  et  incrusté  d'ivoire  ou  d'or;  il  y  tient  aussi  un  ro- 
saire; une  croix  d'or  tombe  sur  sa  poitrine,  suspendue  aune 
chaîne  de  même  métal.  Lorsqu'il  célèbre  l'office,  il  porte  le 


phélonion ,  riche  vêtement  en  soie  ou  en  velours,  sans 
manches,  qui  lui  entoure  le  corps,  et  est  souvent  orné  de 
pierreries  ou  de  pertes  ;  la  tête  est  couverte  d'un  bonnet 
émaillé  de  pierres  précieuses.  A  la  ceinture,  du  côté  droit, 
est  attaché  Vépigonalion ,  pièce  d'étoffe  très-riche ,  d'un 
pied  carré  de  développement. 

En  Sicile,  plusieurs  abbés  prennent  la  qualification  d'ar- 
chimandrites ,  par  la  raison  que  leurs  abbayes  sont  d'origine 
grecque  et  qu'on  y  suit  la  règle  de  saint  Basile.  Les  abbés 
généraux  des  Grecs-unis  en  Pologne,  enGallicie,  en  Tran- 
sylvanie ,  en  Hongrie ,  en  Slavonie  et  à  Venise ,  prennent 
également  le  tjtre  à' archimandrites. 

ARCHIIVIëDE,  le  plus  grand  mathématicien  et  méca- 
nicien de  l'antiquité,  naquit  à  Syracuse,  l'an  287  avant  J.-C. 
Il  était  ami  et  même,  dit-on,  parent  du  roi  Hiéron.  Malgré 
les  facilités  qu'il  avait  de  parvenir  aux  emplois  et  aux  hon- 
neurs, tous  les  moments  de  sa  longue  vie  (soixante-quinze 
ans  )  furent  consacrés  à  l'étude  des  sciences,  dans  lesquelles 
il  fit  les  plus  importantes  découvertes.  Nous  allons  énumé- 
rer  et  discuter  les  principales.  Pour  bien  apprécier  le  mérite 
d'Archimède,  il  nous  manque  pourtant  une  chose  essentielle, 
c'est  la  connaissance  exacte  de  l'état  où  étaient  parsenues 
les  sciences  avant  lui ,  et  des  découvertes  des  mathémati- 
ciens ses  contemporains.  La  géométrie  fut  le  sujet  particulier 
des  méditations  de  ce  grand  homme  ;  il  s'attacha  d'abord  à 
la  mesure  des  grandeurs  curvilignes ,  et  il  recula  tellement 
les  bornes  de  cette  partie  des  mathématiques ,  que  ses  mé- 
thodes sont  regardées  comme  les  germes  assez  développés 
des  découvertes  qui  ont  porté  la  géométrie  si  haut  chez  les 
modernes. 

Nous  avons  de  lui  deux  livres  sur  la  sphère  et  le  cylindre, 
où  il  mesure  ces  corps,  et  qu'il  termine  par  cette  belle 
proposition,  que  la  sphère  est  les  deux  tiers,  soit  en  sur- 
face, soit  en  solidité,  du  cylindre  circonscrit.  C'est  à  Ar- 
chimède  que  nous  devons  la  première  détermination  ap- 
prochée du  rapport  de  la  circonférence  au  diamètre, 
qu'il  trouva  être  égal  à  ^  ou  à  3  y  ;  il  arriva  à  ce  résultat 
par  une  méthode  d'induction  géométrique  dont  on  lui  est 
redevable ,  et  qui  a  été  désignée  sous  le  nom  de  méthode 
d'exhaustion. 

Ses  travaux  sur  les  surfaces  courbes  irrégulières ,  la 
quadrature  de  la  parabole,  les  propriétés  des  spirales 
ont  excité  l'admiration  des  modernes,  surtout  depuis  que 
l'invention  du  calcul  différentiel  et  du  calcul  intégral  a 
pleinement  justifié  les  résultats  auxquels  il  était  parvenu. 

Arcliimède  est  aussi  l'inventeur  de  l'hydrostatique; 
voici  à  quelle  occasion  il  en  découvrit  le  principe.  Hiéron  , 
soupçonnant  un  orfèvre  qui  lui  avait  fabriqué  une  couronne 
en  or  d'avoir  falsifié  le  métal  en  y  mêlant  une  certaine 
quantité  d'argent,  consulta  Arcliimède  sur  les  moyens  de 
découvrir  la  fraude  dont  il  croyait  avoir  à  se  plaindre.  Après 
de  longues  méditations ,  Arcliimède  s'étant  procuré  deux 
lingots  chacun  d'un  poids  égal  à  celui  de  la  couronne ,  l'un 
d'or,  l'autre  d'argent ,  les  plongea  successivement  dans  un 
vase  rempli  d'eau ,  en  observant  avec  soin  la  quantité  de 
liquide  déplacée  par  chaque  masse  de  métal  ;  il  soumit  en- 
suite la  couronne  à  la  même  épreuve,  et  put  apprécier  exac- 
tement ce  qu'elle  contenait  d'or  pur.  On  ajoute  que  cette 
ingénieuse  solution,  qui  repose  sur  la  notion  de  la  densité 
des  corps,  se  présenta  spontanément  à  son  esprit  comme  il 
.se  mettait  au  bain,  et  qu'il  en  sortit  transporté  de  joie,  en 
criant  dans  les  rues  de  Syracuse  :  E{ipr,xa  !  £'jpr,-/a  !  (  J'ai 
trouvé!  f ai  trouvé!)  La  théorie  de  cette  découverte  est 
exprimée  dans  cette  proposition  de  son  livre  De  insidcn- 
tibus  injluido,  que  tout  corps  plongé  dans  un,  fluide  y 
perd  de  son  poids  autant  que  pèse  un  volume  cVeau  égal 
au  sien. 

Au  siècle  de  ce  grand  homme,  la  science  du  calcul  ;  (ait 
si  peu  avancée,  que  des  gens  instruits  prélcniiaicnt  qu'il  était 
impossible  de  calculer  le  nombre  des  grains  de  sable  dont  le 


I 


ARCHIMÈDE  —  ARCHIMIMK 


globe  terrestre  se  compose.  Arrljiinèdo  prouva  que  non-seii- 
leuient  il  était  facile  d'évaluer  la  quantité  des  grains  de  sable 
qui  sont  contenus  dans  la  spliére  terrestre ,  mais  encitro 
conil)ien  il  en  faudrait  pour  composer  une  sphère  qui  s'é- 
tendrait jusqu'aux  étoiles,  la  distance  de  celles-ci  étant  con- 
venue. Ce  problème  lui  fournit  Poccasion  de  perfectionner 
Farithmétique  des  Grecs,  qui  était  encore  assez  défectueuse 
pour  que  le  problème  dont  il  vient  d'être  question  préscnlAt 
des  dilbcultés  tellement  grandes  que  sa  solution  fait  aux 
yeux  des  mathématiciens  modernes  le  plus  grand  honneur 
à  la  sagacité  d'ArcJiimède.  11  publia  à  ce  sujet  un  ouvrage 
intitulé  l'Arcnaire  (iVareiw,  sable). 

Ce  grand  mathématicien  s'occupa  aussi  des  centres  de 
gravite'^;  il  détermina  ceux  de  quelques  ligures,  entre 
autres  celui  de  la  parabole.  11  étudia  et  démontra  les  pro- 
priétés des  leviers.  11  était  si  enthousiaste  de  leur  pou- 
voir, qu'il  disait  un  jour  au  roi  Hiéron  :  Donnez-moi  un 
point  iVappui ,  et  je  déplacerai  la  terre.  Il  n''exprimait 
par  ces  paroles  hyperboliques  que  l'admiration  dont  il  était 
pénétré  à  l'idée  de  la  puissance  que  les  machines  peuvent 
ajouter  à  la  force  de  l'homme.  Mais  c«  mot,  qui  est  devenu 
célèbre,  a  donné  lieu  à  un  curieux  calcul  :  Ozanam  a  établi 
que  pour  soulever  la  terre  seulement  d'un  pouce,  Archimède 
aurait  mis  plus  de  trois  trillions  et  demi  de  siècles. 

Les  anciens  attribuaient  quarante  inventions  en  méca- 
nique à  Archimède.  Comme  il  a  dédaigné  de  les  consigner 
dans  ses  écrits ,  il  nous  est  impossible  de  les  connaître 
toutes,  ni  de  savoir  si  toutes  celles  dont  on  lui  fait  hon- 
neur sont  véritablement  de  lui.  Il  n'est  pas  vraisemblable, 
par  exemple,  qu'il  ait  le  premier  enseigné  l'usage  du  levier. 
Cette  machine  est  trop  simple  pour  qu'on  ne  l'ait  pas  em- 
ployée de  toute  antiquité.  C'est  en  Egypte  qu'il  inventa  la  vis 
creuse  qui  porte  son  nom  {voyez  Vis  d'Archimède ) ,  dont 
on  fait  usage  pour  épuiser  les  eaux  d'un  marais,  d'un  fossé. 
Celte  machine  est  très-simple.  11  inventa  aussi,  dit-on  ,  la 
vis  sans  fin  :  on  en  voit  des  applications  aux  tourne- 
broches  ;  c'est  encore  à  lui  que  l'on  croit  devoir  les  sys- 
tèmes de  pouUes  appelés  m o ujl es ,  k  l'aide  desquelles  un 
seul  homme  peut  soulever  un  très-grand  fardeau.  Si  l'his- 
toire dit  vrai ,  c'est  sans  doute  au  moyen  d'un  semblable 
appareil  qu'il  tira  lui  seul  sur  le  rivage  un  vaisseau  d'une 
grandeur  énorme  pour  le  temps.  On  croit  aussi  qu'il  inventa 
les  roues  dentées.  Mais  de  toutes  ses  inventions  une  de 
celles  qui  excitèrent  le  plus  l'admiration  de  l'antiquité ,  ce 
fut  sa  sphère  mouvante  :  elle  représentait  les  mouvements 
du  ciel,  des  astres,  etc.  Cicéron,  Ovide,  Claudien  en  parlent 
comme  d'une  merveille  : 

Jupiter  iD  parvo  cum  cernercl  xllicra  vilro, 
Risit,  et  ad  stiperos  lalia  verba  dédit  : 

lluccine  luortalis  progressa  poleotia  cerno  ? 

Ecce  Syracusii  ludimur  arlc  senis.    (Claddiakus.  ) 

Reste  à  savoir  si  cette  machine  se  mouvait  au  moyen  de 
ressorts  et  de  roues  d'engrenage,  ou  si  on  lui  faisait  imiter 
les  divers  mouvements  des  astres  en  la  faisant  marcher 
avec  la  main  :  dans  cette  dernière  supposition ,  la  machine 
serait  moins  merveilleuse.  Que  si,  au  contraire,  elle  marchait 
d'elle-même ,  l'on  devrait  en  conclure  qu' Archimède  avait 
trouvé  les  horloges  à  roues  dentées,  à  ressorts  et  à  régula- 
teur, ou  que  du  moins  il  en  avait  approché  de  fort  près. 

Archimède  avait  déjà  conquis  l'immortalité  par  la  science  ; 
il  eut  le  bonheur  de  pouvoir  consacrer  à  la  défense  de  sa 
patrie  les  derniers  jours  d'une  vie  si  bien  remplie.  On  sait 
que  le  successeur  d'Hiéron  ayant  quitté  pendant  la  seconde 
guerre  Punique  le  parti  des  Romains ,  ceux-ci  envoyèrent 
Marcellus  pour  faire  le  siège  de  Syracuse.  La  garnison  et 
les  habitants,  abattus  par  kurs  défaites,  et  désespérant  de 
résister  aux  forces  dont  le  général  romain  pouvait  librement 
disposer,  étaient  prêts  à  capituler,  quand  Archimède  .se  pré- 
senta pour  h  ur  rendre  le  courage  et  l'espérance.  A  cet  effet, 
il  lilconstruirc  toutes  sortesde  machines  propres  à  lancer  des 

I)1CT.   DE   LA   t0.NVEKS.\T10>,    —   T.    1. 


761 

traits,  des  pierres  à  des  dislances  considérables  ;  il  y  en 
avait  qui  saisissaient  les  galères  des  Romains  au  moyen  d'un 
croc,  les  soulevaient,  et  en  les  laissant  retomber  les  abî- 
maient dans  les  flots  ou  les  brisaient  contre  les  rochers.  Les 
elTefs  des  machines  d'Archimède  étaient  si  terribles,  qu'au 
moindre  mouvement  qu'on  leur  faisait  faire ,  les  Romains, 
épouvantés,  prenaient  la  fuite.  Enfin  on  dit  qu'Archimède 
brillait  les  vaisseaux  des  assiégeants  à  une  ceitaine  distance, 
au  moyen  d'un  miroir  ardent.  Plusieurs  historiens  mo- 
dernes nient  ce  dernier  feit  ;  ils  s'appuient  du  silence  de 
Tite-Live,  de  IMularque  et  de  Polybe.  D'autre  part,  Tzctzès 
et  Zonaras  le  rapportent  comme  étant  généralement  connu 
de  leur  temps  ;  et  ils  attestent  à  cet  égard  les  écrits  de 
Héron,  de  Diodore  de  Sicile  et  de  Pappus,  ce  qui  serait  pour 
nous  un  argument  décisif,  si  les  ouvrages  dans  lesquels  ces 
auteurs  partaient  du  siège  de  Syracuse  nous  ctaie^it  par- 
venus. Cette  question  fut  beaucoup  agitée  :  Descartes,  te 
père  Kirchcr  s'en  occupèrent,  et  furent  d'opinion  différente. 
Enfin  Ruffon,  au  moyen  d'un  assemblage  de  miroirs  plans, 
mobiles,  parvint  à  brûler  du  bois  placé  à  une  grande  dis- 
tance. Trente  ans  après  cette  expérience ,  on  découvrit  un 
passage  d'Anthémius  qui  explique  le  mécanisme  des  miroirs 
d'Archimède,  à  peu  près  comme  Ruffon  l'a  exécuté  ;  de  sorte 
qu'il  n'est  guère  possible  de  révoquer  en  doute  la  vérité 
du  fait. 

Marcellus,  désespérant  de  prendre  la  ville  de  force,  con- 
vertit le  siège  en  blocus.  Les  assiégés,  qui  avaient  déjà  tenu 
trois  ans,  auraient  peut-être  fini  par  lasser  leurs  ennemis  ; 
mais  un  jour  de  fête,  consacré  à  Diane ,  ils  abandonnèrent 
leurs  remparts  pendant  la  nuit  pour  se  livrer  à  la  débau- 
che. Les  Romains,  instruits  de  leur  négligence,  escaladè- 
rent les  murs,  prirent  la  ville  et  la  saccagèrent.  Le  consul 
Marcellus  avait  formellement  ordonné  qu'on  épargnât 
les  jours  d'Archimède.  Pourtant  un  soldat  pénétra  dans  sa 
demeure ,  et ,  impatienté  de  ne  pas  obtenir  de  réponse  du 
vieillard,  qui,  insensible  au  bruit,  continuait  à  tracer  des 
figures  géométriques,  il  lui  passa  son  épée  au  travers  du 
corps.  Ce  funeste  événement  arriva  l'an  212  avant  J.-C.  Ar- 
chimède avait  soixante-quinze  ans. 

Marcellus,  vivement  affecté  de  sa  mort,  fit  rechercher  ses 
parents ,  qu'il  combla  de  bienfaits  pour  lui  faire  une  sorte 
de  réparation  ;  il  lui  fit  en  outre  élevev  un  tombeau,  sur  lequel 
on  sculpta,  en  mémoire  de  la  découverte  dont  nous  avons 
parlé,  une  sphère  inscrite  dans  un  cylindre ,  comme  il  en 
avait  manifesté  le  désir.  Ce  monument  fut  tellement  négligé 
par  les  Syracusains  eux-mêmes,  que  dans  la  suite  Cicéron , 
étant  questeur  en  Sicile,  eut  de  la  peine  à  le  retrouver  sous 
les  ronces  qui  le  couvraient  ;  il  le  lit  réparer. 

Tous  les  ouvrages  d'Archimède  nous  sont  parvenus  en 
original ,  à  l'exception  de  deux  livres  Sur  l'équilibre  des 
corps  plongés  dans  un  liquide,  et  d'un  livre  de  Lemmes. 
L'édition  princeps  de  ses  ouvrages  est  celle  de  Bûle,  1544, 
in-fol.  La  première  vraiment  complète  est  celle  d'Oxford, 
1793,  in-fol.  Les  œuvres  d'Archimède  ont  été  traduites  en 
français  par  M.  Peyrard,  en  1807,  in-i";  1808,  2  vol.  in-8°. 
Cette  dernière  édition  est  suivie  d'un  traité  sur  l'arithmé- 
tique des  Grecs,  par  Delambre.  Te\ssèdre. 

ARCIIIMIME  (du  grec  àp/è;,  chef,  et  [xï|xo; ,  imita- 
teur). On  appelait  ainsi  à  Rome  des  individus  dont  la  pro- 
fession consistait  à  contrefaire  les  manières ,  les  gestes  et 
jusqu'au  son  de  voix  des  vivants  et  même  dos  morts.  Em- 
ployés dans  le  principe  .sur  le  théâtre  seulement,  on  les 
admit  plus  tard  dans  les  festins,  et  on  finit  par  leur  faire 
jouer  un  rôle  dans  les  funérailles,  oii  ils  marchaient  après 
le  cercueil,  la  figure  couverte  d'un  masque  représentant  les 
traits  du  défunt.  Tandis  que  le  funèbre  cortège  s'avançait 
aux  sons  d'une  musique  lugubre,  l'archimime,  par  .sa  pan- 
tomime, s'efforçait  de  reproduire  la  démarche,  les  gestes, 
les  attitudes  du  défunir,  peignant  môme  souvent  ce  qu'il 
avait  pu  dire  ou  faire  de  remarquable  dans  sa  vie,  et  dé- 

96 


7G2 


ARCHIMIME  —  ARCHITECTE 


ployant  quelquefois  à  celle  occasion  une  liberté  de  jugement 
et  d'appréciation  qui  nous  semble  étrange,  mais  qui  s'ex- 
plique par  les  mœurs  de  l'époque. 

Lors  des  funérailles  de  l'empereur  Yespasien,  l'archimime 
Fa  von,  chargé  de  suivre  son  cercueil,  demanda  à  ceu\  qui 
présidaient  à  la  cérémonie  combien  elle  coûterait  :  «  Cent 
mille  sesterces,  »  lui  fut-il  répondu.  «  Donnez-les-moi,  dit 
Favon,  et  jetez-moi  ensuite  dans  le  Tibre!  »  Allusion  pi- 
quante à  l'avarice  bien  connue  de  l'empereur  défunt. 

Sous  le  règne  de  Tibère,  un  autre  archimime  chargea  un 
mort  qu'il  accompagnait  au  bûcher  d'aller  dire  à  Auguste 
qu'on  avait  oublié  d'acquitter  les  legs  qu'en  mourant  il 
avait  faits  aux  Romains.  Tibère,  auquel  s'adressait  ce  re- 
proche allégorique,  fait  venir  notre  homme,  ordonne  qu'on 
lui  compte  immédiatement  le  montant  de  ce  qui  lui  revient 
dans  le  legs  en  question,  puis  l'envoie  au  supplice  en  le  char- 
geant d'annoncer  de  sa  part  dans  l'autre  monde,  au  divin 
Auguste,  qu'enfin  on  avait  commencé  ici-bas  le  payement 
de  ses  dispositions  testamentaires  en  faveur  du  peuple  ! 

ARCIIIME ,  mosiue  de  longueur  usitée  en  Russie,  équi- 
valant à  0™.71142,  ou  deux  pieds  deux  pouces  trois  lignes 
de  France.  Quinze  cents  arehines  valent  un  werste,  mesure 
itinéraire  qui  équivaut  à  un  kilomètre  67  mètres  13  centi- 
mètres (  i''. 06713).  L'archine  se  divise  en  seize  werscholls, 
valant  chacun  0'".04446  ou  un  pouce  sept  lignes  et  demie  de 
France. 

ARCHIPEL.  On  nomme  ainsi  la  partie  orientale  de 
la  Mcditerranée  comprise  entre  la  Turquie  d'Asie  à  l'est , 
la  Turquie  d'Europe  à  l'ouest,  et  l'île  de  Candie  au  sud. 
Elle  communique  au  nord,  par  le  détroit  des  Dardanelles 
(Hellespont),  avec  la  mer  de  Marmara  (Propontide),  d'où 
l'on  passe ,  par  le  canal  de  Constantinople  (  Bosphore  de 
Thrace),  dans  la  mer  >"oire  (Pont-Euxin). 

L'Archipel  est  VArgaïoyi  Pelagos  des  Grecs,  YyEgeum 
mare  des  Romains;  quelques  auteurs  anciens  l'ont  aussi 
appelé  Ellenikon  Pelagos,  mer  de  Grèce.  Cette  mer  Egée 
fut  le  théâtre  principal  de  la  navigation  des  Grecs  et  de  leurs 
plus  mémorables  expéditions  navales. 

La  longueur  de  l'Archipel,  du  nord  au  sud,  est  de  GOO 
kilomètres  ;  sa  largeur,  de  l'est  à  l'ouest,  de  400.  Ce  grand 
bras  de  mer  appartient  également  à  l'Europe  et  à  l'Asie ,  et 
sépare  ces  deux  parties  du  monde  ;  ses  côtes  offrent  un 
grand  nombre  de  baies  et  de  poils  sûrs  et  commodes ,  ce 
qui  est  d'autant  plus  favorable  aux  marins,  qu'étant  parse- 
mées d'iles ,  d'Ilots  et  de  rochers ,  la  navigation  y  est  diffi- 
cile ,  surtout  en  hiver. 

Les  îles  de  l'Archipel  appartiennent,  les  unes  à  l'Europe, 
les  autres  à  l'Asie.  Les  premières  sont  les  plus  nombreuses. 
Dans  leurensemble  il  faut  distinguer:  l°deux  grands  groupes 
méridionaux,  les  Cyclades  et  les  Sporades,  appartenant 
à  la  première  catégorie ,  et  de  tout  temps  ayant  servi  de 
refuge ,  dans  leurs  étroits  canaux  et  leurs  criques  secrètes , 
à  des  essaims  de  pirates  qui  leur  ont  valu  le  nom  peu  flat- 
teur àe  forêt  de  larrons;  2°  les  lies  isolées,  qui  sont  les 
unes  européennes  :Salamine,Eubée  (Xégrepont),  Sa- 
ra o  t  li  r  a  c  e  (  Semendrake  )  ;  les  autres  asiatiques  :  L  e  m  u  o  s 
(Stalimène),  Saraos,  Lesbos  (Mélelin),  Chios  (Scio), 
Rhodes,  etc. 

Les  îles  de  l'Archipel ,  peuplées  de  Pélasges  et  d'Hellènes, 
furent  d'abord  indépendantes;  puis  elles  appartinrent  les 
unes  aux  Perses,  les  autres  aux  Grecs  ;  celles-ci  fournissaient 
à  la  confédération  hellénique  un  certain  nombre  de  vaisseaux, 
qui  plus  tard  furent  remplacés  par  une  contribution  en  ar- 
gent. Elles  étaient  pour  la  plupart  sous  la  protection  d'A- 
thènes, qui  leur  fit  éprouver  de  rudes  vexations  ;  il  en  résulta 
des  troubles,  des  insurrections  et  des  guerres.  Athènes, 
forcée  de  renoncer  à  la  suprématie  du  plus  grand  nombre 
de  ces  îles ,  vit  insensiblement  décliner  sa  puissance  navale. 
Ces  îles  suivirent  le  sort  de  la  Grèce.  A  la  décadence  de 
l'empire  d'Orient,  elles  changèrent  souvent  de  maîtres,  et 


quelqucs-uneseurent  même  des  souverains  particuliers.  Tom- 
bées au  pouvoir  des  Ottomans ,  elles  formèrent  un  gouver- 
nement particulier.  Aujourd'hui  celles  qui  sont  attribuées  à 
l'Eu.'-ope  font  partie  pour  la  plupart  du  royaume  de  Grèce. 

Toutes  ces  îles  sont  montagneuses;  les  plus  grandes  ont 
des  vallées  et  des  plaines  bien  arrosées  et  très-fertiles.  Le 
froment ,  le  vin ,  l'huile,  les  figues ,  le  coton ,  la  soie,  le  miel, 
la  cire  sont  leurs  principales  productions.  On  tire  de  quel- 
ques-unes de  fort  tteau  marbre;  d'autres  ont  des  mines 
de  divers  métaux  ;  le  long  des  côtes  de  quelques  autres  on 
pèche  des  éponges.  Plusieurs  offrent  des  traces  de  l'action  des 
volcans.  Près  de  Milo  une  montagne  jette  encore  de  la  fumée, 
et  près  de  Santorin  une  île  nouvelle  sortit  en  1715  du  fond 
de  la  mer. 

Le  mot  archipel  est  devenu  en  géographie  un  nom  cona- 
mun  pour  désigner  un  assemblage  d'iles.  Un  archipel  se  di- 
vise souvent  en  plusieurs  groupes.      Eyriès,  de  l'institut. 

ARCIIIPRÊTRE  (archipresbyter),  curé  ou  prêtre, 
qui  dans  certains  diocèses  est  préposé  au-dessus  des  autres , 
principalement  pour  l'office  sacerdotal.  Anciennement  l'ar- 
chiprêtre  était  le  premier  fonctionnaire  d'un  diocèse  après 
l'évêque.  Il  était  son  vicaire  pendant  son  absence  pour  les 
fonctions  intérieures.  Il  avait  le  premier  rang  dans  le  sanc- 
tuaire et  l'inspection  sur  tout  le  clergé.  Dans  le  sixième  siècle 
on  voit  plusieurs  archiprètres  dans  un  diocèse  ;  on  les  appelait 
aussi  doyeus.  On  distinguait  au  neuvième  siècle  deux  sortes 
de  paroisses  :  les  moindres  titres ,  gouvernés  par  de  simples 
prêtres ,  et  les  plèbes  ou  églises  baptismales ,  gouvernées 
par  des  archiprètres,  qui ,  outre  le  soin  de  leurs  paroisses , 
avaient  encore  l'inspection  sur  les  moindres  cures,  et  en 
rendaient  compte  à  l'évêque ,  qui  gouvernait  par  lui-même 
l'église  matrice  ou  cathédrale.  Le  concile  de  Paris  (  en  850) 
ordonna  aux  archiprètres  de  visiter  tous  les  chefs  de  famille, 
afin  que  ceux  qui  pécheraient  en  public  fissent  également 
pénitence  publique;  pour  les  péchés  secrets ,  on  devait  les 
confesser  à  ceux  qui  étaient  choisis  ou  par  l'évêque  ou  par 
l'archiprêtre.  Il  y  avait  à  Paris  deux  archiprètres,  celui  de  la 
Madeleine  et  celui  de  Saint-Séverin ,  ainsi  nommés  parce 
qu'ils  étaient  les  plus  anciens  de  la  ville.  On  ne  donne  plus 
guère  ce  titre  aujourd'hui  qu'au  curé  de  l'église  métropo- 
litaine. 

ARCHITECTE.  Peu  de  professions  exigeraient  une 
aussi  grande  variété  de  connaissances.  Outre  le  talent  du 
dessin,  l'architecte  doit  encore  posséder  la  partie  pratique 
de  l'art  du  constructeur;  il  lui  est  indispensable  d'avoir  étudié 
les  lois  de  l'optique  et  de  la  perspective  ;  il  faut  que  la  géo- 
métrie et  la  stéréotomie  lui  soient  familières  ;  enfin  le  goût 
et  le  sentiment  des  convenances  doivent  présider  dans  ses 
ouvrages.  Il  ne  doit  pas  être  étranger  aux  sciences  physiques, 
et  la  connaissance  de  l'histoire  lui  est  d'un  grand  secours 
pour  le  choix  des  accessoires  décoratifs.  S'il  ignorait  les  lois 
qui  régissent  la  propriété,  il  exposerait  à  chaque  instant 
ses  clients  à  d'innombrables  procès.  Un  véritable  architecte 
doit  réunir  en  lui  l'instruction,  l'expérience  et  la  probité. 
Aussi  les  anciens  considéraient-ils  l'architecture  comme  une 
sorte  de  sacerdoce.  Chez  les  peuples  primitifs ,  les  hiéro- 
phantes ,  les  pontifes  exerçaient  seuls  cet  art  ;  en  Grèce ,  les 
sages  et  les  législateurs  coopéraient  à  l'édification  des  mo- 
numents publics; chez  les  Romains,  les  Césars  s'honoraient 
d'y  présider.  Un  grand  nombre  d'abbés  et  d'évêques  des 
premiers  temps  du  christianisme  doimaient  eux-mêmes  les 
plans  de  leurs  églises  et  de  leurs  abbayes,  et  mettaient  la 
main  à  l'œuvre  pour  l'exécution  ;  l'art  de  bâtir  comptait  alors 
parmi  les  vertus  abbatiales.  Grégoire  de  Tours  rapporte  que 
l'évêque  Léon  était  un  habile  ouvrier  ;  qu'Agricola,  évêque 
de  Chàlons-sur-Saône,  bâtit  une  église  dans  cette  ville.  Mais 
aujourd'hui  tout  le  monde  prend  impunément  un  titre  si 
difficile  à  porter ,  et  souvent  un  maçon  ignorant  s'affuble 
effrontément  de  la  qualité  à'archilecte,  qui  suppose  tant 
d'études  auxquelles  il  est  totalement  étranger. 


ARCHITECTE  -  ARCHITECTURE 


763 


Parmi  les  architectes  les  plus  célèbres  de  l'antiquité ,  il 
faut  citer  surtout  Vitruve ,  qui  nous  a  laissé  un  traité  complet 
d'architecture.  Les  architectes  du  moyen  âge  nous  sont  à  peu 
près  inconnus.  On  ne  sait  à  qui  attribuer  la  plupart  de  nos 
grands  monuments  gothiques  ;  à  peine  retrouvons-nous  les 
noms  d'Eudes  de  Montreuil,  de  Robert  de  Luzarches,  etc.  La 
Renaissance  cite  en  Italie  :  Vignole,  Balthasar  Peruzzi,  Pal- 
ladio, Bernini,  Boromini,  etc.  L'Angleterre  compte  Wren 
parmi  ses  grands  architectes.  La  France  a  ses  Philibert  De- 
lorme,  ses  P.  Lescot,  ses  J.  Debrosse,  ses  Androuet  du  Cer- 
ceau, ses  Blondel ,  ses  Mansard ,  ses  Perraidt,  ses  Soufllot, 
et  peut  citer  avec  orgueil  d'autres  noms  plus  modernes. 

L'École  des  Beaux-Arts  à  Paris  renferme  une  classe  d'ar- 
chitecture. Les  jeunes  lauréats  qui  en  sortent  vont  finir  à 
Rome  et  à  Athènes  leurs  études  ;  mitiés  aux  beautés  de  l'art, 
ils  n'en  connaissent  pas  toujours  suffisamment  la  partie 
pratique.  Lorsqu'ils  reviennent  en  France ,  aucune  position 
ne  leur  est  assurée;  ils  sont  obligés  d'apprendre  l'application 
(le  leur  art  dans  quelque  position  secondaire.  Imbus  des 
I  ordres  et  des  restaurations  antiques,  ils  ignorent  tout  à  fait 
le  confortable  et  les  conditions  d'une  bonne  appropriation  aux 
climats.  Au  lieu  de  rechercher  d'heureuses  distributions,  ils 
ne  révent  que  colonnes,  pilastres,  frontons,  arcades,  médail- 
lons, piédestaux,  niches  et  statues,  et  trop  souvent  leurs  pre- 
miers plans  sont  surchargés  d'ornements,  souvenirs  de  l'é- 
cole que  la  vie  réelle  admet  rarement.  Aussi  les  devis  de 
bâtiments  publics  ou  privés  sont-ils  toujours  tellement 
»  lourds,  qu'il  faut  les  déguiser  sous  de  faux  prix,  ou  sacrifier 
l'utile  pour  conserver  des  enjolivements  dénaturés.  Certes 
les  exemples  ne  nous  manqueraient  pas  pour  démontrer 
rinlériorité  pratique  de  la  plupart  de  nos  architectes.  Pour 
quelques  monuments  remarquables,  pour  quelques  heu- 
reuses restaurations ,  combien  de  mauvais  applicages,  com- 
bien de  grosses  bévues  !  Citerons-nous  cette  tour  de  Saint- 
Denis  en  matériaux  si  pesants,  qu'il  a  fallu  la  démonter,  aus- 
sitôt posée,  pour  ne  pas  voir  toinber  l'édifice  ?  Citeroos-nous 
cette  prison  modèle  apportant  le  gaz  méphitique  des  fosses 
d'aisance  dans  les  cellules  des  malheureux  reclus?  Citerons- 
nous  ces  églises  salons  dont  les  dorures  cachent  la  pauvreté 
des  Ugnes  architectoniques?  Citerons-nous  ces  mairies  qui 
sous  leurs  prétentions  monumentales  n'ont  pas  même  l'appa- 
rence d'une  jolie  maison?  Citerons-nous  enfin  cette  multitude 
de  monuments  où  tous  les  styles  se  mêlent  pour  s'abâtardir 
et  dégénérer  ?  Ce  mélange  de  tous  les  genres  d'architecture  a 
dénaturé  le  goût  de  nos  architectes ,  et  dans  ce  siècle  si  va- 
niteux, un  architecte  déclarait  naïvement  qu'on  ignorait  les 
procédés  de  l'architecture  gothique,  et  qu'il  serait  par  con- 
séquent impossible  de  relever  un  seul  de  ces  monuments  du 
moyen  âge.  On  a  cependant  procédé  avec  succès  à  des  res- 
taurations heureuses,  comme  celles  de  la  Sainte-Chapelle,  de 
Kotre-Dame,  etc.  Saint-Denis  est  maintenant  en  réparation. 

En  droit,  l'arcliitecte,  lorsqu'il  est  également  entrepreneur, 
représente  le  propriétaire;  il  est  responsable  des  ordres 
qu'il  donne,  des  commandes  qu'il  fait. 

Il  est  ordinairement  chargé  de  régler  les  mémoires  pré- 
sentés par  les  entrepreneurs  ouïes  ouvriers;  ces  mémoires 
à  la  rigueur  ne  devraient  être  payés  qu'après  la  confection 
des  travaux  et  le  règlement  de  l'architecte  qui  les  dirige  ; 
mais  on  a  coutume  de  donner  des  à-compte  fixés  par  lui, 
sur  des  états  de  situation  dans  le  rapport  de  l'avancement 
des  travaux. 

L'article  1792  du  Code  Civil  rend  responsable  pendant  dix 
ans  l'architecte  et  l'entrepreneur,  si  l'édifice  construit  à 
prix  fait  périt  en  tout  ou  en  partie  par  le  vice  de  la  construc- 
tion et  même  par  le  vice  du  sol.  D'après  l'article  1793 ,  l'ar- 
chitecte ou  l'entrepreneur  qui  s'est  chargé  de  la  constmction  à 
forfait  d'un  bâtiment  d'après  un  plan  anêté  et  convenu  avec 
le  propriétaire  du  sol,  ne  peut  demander  aucune  augmentation 
de  prix,  ni  sous  le  prétexte  de  l'augmentation  de  la  main 
d'œuvre  ou  des  matériaux,  ni  sous  celui  des  changements  ou 


augmentations  faits  sur  ce  plan,  quand  ils  n'ont  pas  été  au- 
torisés par  écrit  et  le  prix  convenu  avec  le  propriétaire.  Aux 
termes  de  l'article  2103  ,  les  architectes  ont  un  privilège 
sur  les  constructions  qu'ils  ont  faites,  pourvu  qu'ils  aient  eu 
soin  de  faire  constater  par  un  procès  verbal  l'état  des  lieux  et 
les  ouvrages  que  le  propriétaire  aura  déclaré  avoir  dessein 
de  faire,  et  de  faire  recevoir  les  ouvrages,  dans  les  six  mois 
de  leur  confection,  par  un  expert  nommé  par  le  tribunal. 
L'action  des  architectes  en  payement  de  leurs  fournitures  ou 
honoraires  se  prescrit  par  six  mois  (Code  Civil,  art.  2271  ). 
Les  honoraires  des  architectes  se  fixent  ordinairement  à 
cinq  pour  cent  du  montant  du  devis. 

ARCHITECTURE.  Créée  par  la  nécessité ,  l'archi- 
tecture ne  fut  qu'une  branche  ordinaire  de  l'industrie  tant 
qu'elle  se  borna  à  constniire  un  abri  informe  pour  défendre 
les  premiers  hommes  contre  les  intempéries  des  saisons. 
Mais  peu  à  peu  l'art  de  bâtir  sortit  de  son  enfance,  et,  ne 
se  bornant  plus  à  la  satisfaction  d'un  besoin  physique,  il  se 
proposa  de  produire  un  effet  agréable  à  la  vue.  Là  seule- 
ment commença  la  véritable  architecture,  qui,  destinée  d'a- 
bord à  la  construction  des  temples  et  des  tombeaux ,  s'é- 
tendit bientôt  à  la  demeure  des  princes,  puis  à  celles  des 
particuliers.  C'est  alors  qu'elle  eut  le  triple  objet  de  disposer 
avec  convenance ,  de  construire  avec  soUdité  et  d'orner  avec 
goût  les  édifices. 

On  nomme  architecture  hydraulique  l'art  de  conduire, 
de  mouvoir,  de  retenir  les  eaux  et  d'élever  des  construc- 
tions dans  leur  sein  (voyez  Canacx,  Moulins,  Roues  uy- 
DRAL'LiQUEs,  PoRTS ,  PoMPES ,  ctc.  )  ;  orchitecture  navale, 
l'art  de  construire  les  bâtiments  de  mer,  soit  pour  la  guerre, 
soit  pour  le  commerce  (voyez  Constrdctions navales.  Vais- 
seaux, etc.);  architecture  militaire,  l'art  de  projeter  et 
d'exécuter  tous  les  travaux  de  construction  nécessaires  à  la 
défense  ou  à  l'attaque  des  territoires  (voyez  Fortification, 
Caserne,  etc.  ).  Ces  dénominations  tendent  à  disparaître,  et 
ne  se  sont  conservées  jusqu'ici  que  par  un  reste  d'habitude, 
car  ces  différentes  spécialités  sont  rangées  maintenant  dans 
le  génie  civil,  militaire  ou  maritime.  C'est  encore  aux  in- 
génieurs qu'est  confié  le  soin  de  construire  des  routes, 
des  ponts,  des  chemins  de  fer,  de  grandes  usines,  etc.  Nous 
ne  parlerons  ici  que  de  Varchitecture  civile,  c'est-à-dire 
appliquée  aux  besoins  de  la  vie  civile  et  poHtique,  et  nous 
laisserons  décote  la  partie  technique  qui  a  l'utihlé  pour  objet, 
et  la  partie  mécanique  qui  a  trait  à  la  solidité  et  à  la  durée. 

Considérée  sous  le  point  de  vue  artistique ,  l'architecture 
a  ses  règles  et  ses  conditions ,  comme  tout  ce  qui  fait  partie 
des  beaux-arts,  A  part  ses  conditions  physiques,  elle  a  ses 
conditions  esthétiques,  générales  ou  particulières  :  générales, 
comme  la  beauté  des  proportions,  la  régularité  des  formes, 
la  symétrie;  particulières,  suivant  la  destination  de  chaque 
édifice ,  la  première  condition  d'un  monument  étant  d'é- 
veiller par  son  aspect  des  idées  analogues  à  son  emploi.  Car 
les  monuments  aussi  ont  une  physionomie ,  physionomie 
qui  se  ressent  toujours  et  des  tendances  de  l'époque  et  du 
génie  du  peuple  ;  de  sorte  que  partout  où  l'architecture  ne 
parle  ni  au  cœur  ni  à  l'esprit  on  peut  dire  qu'il  n'y  avait 
ni  croyance,  ni  système,  ni  idée  dans  la  génération  dont  on 
regarde  l'œuvre  :  les  monuments  sont  la  véritable  écri- 
ture des  peuples. 

On  a  souvent  discuté  sur  la  prééminence  des  arts,  et  na- 
turellement,  à  ne  considérer  que  l'utilité,  l'architecture 
pourrait  revendiquer  une  des  premières  places.  Mais  pour- 
quoi agiter  une  question  aussi  frivole  ?  Tous  les  arts  sont 
faits  pour  se  prêter  un  mutuel  appui.  Si  le  statuaire  a  be- 
soin d'un  gracieux  piédestal  ou  d'une  svelte  colonne  pour 
y  placer  son  œuvTe  ;  si  le  peintre  demande  pour  abriter 
ses  tableaux  des  musées  où  la  lumière  soit  sagement  dis- 
tribuée ;  si  la  musique  est  plus  belle  sous  des  voûtes  habi- 
lement construites ,  l'architecture  de  son  côté  réclame  les 
secours  de  la  sculpture  et  de  la  peinture  pour  embellir  ses 


764 


ARCHITECTURE 


travaux.  C'est-à-dire  que  les  arts  sont  tour  à  tour  le  prin- 
c  (uil  l'I  l'accessoire:  l'archilecture,  la  peinture,  la  sculp- 
ture sont  trois  sœurs  destinées  à  se  faire  valoir  mutuellement. 
Malheureusement  l'arcliitecte  trace  souvent  un  plan  sans 
consulter  l'artiste  qui  doit  l'aider.  De  là  ces  statues  qui  sem- 
blent à  la  gêne  dans  leur  niche  trop  étroite,  ou  ces  groupes 
s'éverluant  à  remplir  un  espace  qu'ils  ne  peuvent  embras- 
ser. Dans  les  œuvres  d'art,  l'architecte,  le  peintre,  le  sta- 
tuaire devraient  donc  se  concerter  pour  arriver  par  de  mu- 
tuelles concessions  à  une  complète  harmonie. 

Ce  qui  distingue  l'architecture  des  autres  arts,  c'est  que 
la  partie  esthétique  s'y  trouve  subordonnée  à  la  partie  tech- 
nique, et  n'est  qu'un  moyen  d'arriver  au  but  principal,  Vu- 
tiliïé ,  condition  essentielle  à  laquelle  doit  satisfaire  un 
monument  quelconque.  La  composition  architectou'que  doit 
donc  avant  toute  chose  avoir  égard  à  la  convenance ,  k  la 
salubrité,  à  Vctendue,  à  la  commodité,  au  voisinage.  Il  y 
a  convenance ,  quand  le  caractère  de  l'édifice  répond  à  sa 
destination,  en  même  temps  que  sa  distribution  est  appro- 
priée à  son  objet;  la  salubrité  veut  que  les  bâtiments 
soient  aérés,  bien  exposés,  et  cûnsirnits  de  maniè/e  que 
ceux  qui  les  habitent  soient  garantis  des  excès  de  la  chaleur 
et  du  froid;  Yétendue  d'un  monument  doit  être  calculée  de 
telle  sorte  (pi'il  ne  s'y  troi>Te  ni  supcrilu  ni  exiguïté  ;  il  faut 
que  la  commodité  règne  dans  toutes  les  parties  de  la  localité  ; 
enfin  le  voisinage  est  aussi  d'une  grande  importance ,  la 
masse  d'un  édifice  isolé  devant  toujours  être  en  rapport  avec 
les  objets  qui  l'environnent. 

C'est  dans  les  limites  que  lui  imposent  toutes  ces  exi- 
gences que  l'architecte  exerce  son  génie  et  commence  à  se 
révéler  comme  artiste.  Là  de  nouvelles  règles  se  présen- 
tent; la  symétrie,  Vunilé,  la  proportionnalité ,  la  sim- 
plicité doivent  être  respectées.  La  symétrie,  principe  fon- 
damental de  l'école  grecque,  constitue  cette  régularité  qui 
donne  aux  moindres  édifices  un  aspect  agréable;  Vnnilé 
est  indispensable  en  architecture  ;  la  proportionnalité  (  eu- 
rythmie de  Vitruve)  est  satisfaite  quand  l'œil  le  plus 
exercé  trouve  à  chaque  partie  une  grandeur  convenable  ; 
enfin  la  simplicité  exige  un  agencement  naturel  des  lignes, 
sans  contours  forcés,  et  des  ornements  sans  profusion,  mais 
aussi  sans  parcimonie. 

Si  nous  examinons  les  monuments  construits  suivant  ces 
principes ,  résultats  de  l'expérience  des  siècles ,  et  si  nous 
les  comparons  aux  grossières  ébauches  des  premiers  temps, 
nous  sommes  naturellement  portés  à  rechercher  par  quelles 
transformations  successives  l'architecture  s'est  constituée. 
Interrogeant  les  restes  du  passé,  nous  trouvons  dans  des 
ruines  la  trace  des  différents  états  de  civilisation  des  peuples, 
dont  l'histoire  est  intimement  liée  à  celle  de  leurs  arts.  Ces 
considérations  nous  engagent  à  eflleurer  seulement  l'histoire 
de  rarchitecture,  qui  sera  traitée  en  particulier  pour  chaque 
peuple  à  son  article  respectif. 

«  L'architecture  est  née  avec  l'homme ,  a  dit  M.  de  La- 
mennais; car  l'homme  eut  toujours  besoin  d'abri  contre 
l'inclémence  des  saisons  et  les  attaques  des  animaux.  »  Bien 
que  nous  n'ayons  pas  de  données  certaines  sur  les  premiers 
essais  de  cet  art ,  on  peut  néanmoins  émettre  quelques  con- 
jectures qui  paraissent  fondées.  Les  premières  peuplades, 
composées  de  pasteurs,  de  chasseurs  ou  de  laboureurs, 
étaient  les  unes  nomades,  les  autres  sédentaires.  Les  pas- 
teurs, à  la  recherche  de  plaines  fertiles,  avaient  besoin  de 
mobiles  demeures ,  et  c'est  à  cause  de  cela  qu'on  leur  at- 
tribue l'invention  de  la  tente.  Quant  aux  chasseurs  et  aux 
ichthyophages,  la  caverne  des  montagnes  ou  la  grotte  du 
rocher  dut  leur  seiTir  d'habitation,  tandis  que  le  laboureur, 
sédentaire,  attaché  au  sol,  construisait  une  cabane  dans  la 
plaine. 

La  cabane,  la  grotte,  la  tente ,  telles  sont  donc  les  ori- 
gines probables  de  tous  nos  monuments.  La  grotte  se  montre 
encore  en  temples  souterrains  dans  l'antique  Egypte  et  dans 


les  constructions  hindoues  de  Salzette  et  d'Éléphanta.  La 
cabane,  qui  se  trouve  également  en  Egypte ,  contient  en 
germe  toute  l'architecture  grecque  et  romaine.  Enfin,  les 
fabriques  chinoises  et  japonaises  sont  une  imitation  exacte 
de  la  tente. 

Parmi  les  plus  anciens  peuples  connus  chez  lesquels  rar- 
chitecture atteignit  un  certain  degré  de  perfection,  il  faut 
citer  :  les  Babyloniens ,  dont  les  édifices  les  plus  remar- 
quables étaient  le  temple  de  Bélus ,  le  palais  de  Sémiramis 
avec  ses  jardins  suspendus;  les  Assyriens,  qui  construisirent 
Ninive;  les  Phéniciens,  qui  habitaient  Sidon,  Tyr,  Arade 
et  Sarepthe ,  si  riches  en  palais  ;  les  Juifs ,  dont  le  temple 
était  considéré  comme  une  merveille  d'architecture;  enfin 
les  Syriens  et  les  Philistins.  Il  existe  en  outre  des  antiquités 
monumentales  qui  proviennent  d'autres  peuples  aussi  an- 
ciens :  les  ruines  de  Persépolis ,  bâtie  par  les  Perses  ;  des 
pyramides ,  des  temples ,  des  tombeaux  et  des  palais  élevés 
par  les  Égyptiens  ;  des  tombeaux  et  des  restes  de  fortifica- 
tions ,  par  les  Étrusques.  Une  solidité  inébranlable ,  des 
proportions  gigantesques  et  une  magnificence  exagérée 
forment  le  caractère  de  cette  architecture ,  plutôt  étonnante 
qu'agréable. 

Les  plus  anciens  monuments  qui  nous  soient  parvenus, 
en  exceptant  les  murs  cyclopéens,  sont  ceux  des  Égyp- 
tiens, des  Indiens  et  des  Celtes  ;  ils  présentent  tous  le  même 
mode  de  construction  :  des  supports  verticaux  couverts  de 
pierres  horizontales.  Dans  le  dolmen  des  Celtes,  la  pierre 
est  informe  ;  chez  l'Égyptien,  elle  cherche  à  imiter  le  tronc 
du  palmier,  et  on  voit  apparaître  la  colonne  ;  mais  les  mo- 
nolithes qui  forment  la  couverture  étant  de  dimensions  res- 
treintes ,  les  supports  sont  nécessairement  répandus  dans 
toutes  les  parties  de  l'édifice. 

L'architecture  égyptienne,  transportée  en  Grèce,  reçut  de 
profondes  modifications,  par  l'introduction  du  bois  dans  les 
matériaux  de  construction  :  aussi  le  Parthénon  ne  présentc- 
t-il  pas  vme  aussi  grande  profusion  de  colonnes  que  le  temple 
de  Denderah.  En  même  temps,  les  colonnes  accpiirent  la 
simplicité  de  l'ordre  dorique;  le  toit,  toujours  plat  chez 
les  Égyptiens,  s'inclina  chez  les  Grecs  par  des  exigences  de 
climat,  et  donna  naissance  aux  frontons  triangulaires.  Les 
ordres  ionique  et  corinthien,  plus  élégants  que  l'ordre 
dorique,  s'élevèrent  bientôt  à  côté  de  lui.  Les  Phidias ,  les 
Ictinus ,  les  Callicrates,  encouragés  par  Périclès,  poussèrent 
l'art  à  un  haut  degré  de  perfection. 

On  éleva  le  beau  temple  de  Minerve  à  Athènes,  le  Pro- 
pylée, rodéon  et  d'autres  monuments.  Le  même  génie  se 
manifesta  dans  le  Péloponnèse  et  l'Asie  Mineure.  On  réunit 
la  forme ,  la  beauté ,  la  simplicité  sublime  et  la  grandeur 
mystérieuse.  L'art  ainsi  ennobli  ne  fut  pas  seulement  appli- 
qué à  la  construction  des  temples,  mais  bien  aussi  à  celle 
des  théâtres,  des  odéons,  des  colonnades,  des  gymnases  et 
des  places  publiques. 

Lors  de  la  guerre  du  Péloponnèse,  la  splendeur  de  l'archi- 
tecture commença  à  s'affaiblir.  La  noble  simplicité  se  chan- 
gea en  élégance.  L'art  avait  ce  caractère  au  temps  d'A- 
lexandre, qui  fonda  une  quantité  de  nouvelles  villes;  mais 
à  cette  époque  régnait  encore,  à  côté  de  l'élégance,  une  ré- 
gularité sévère.  Après  la  mort  d'Alexandre ,  vers  l'an  323 
avant  J.-C,  le  goût  des  ornements  ,  qui  faisait  des  progrès 
de  plus  en  plus  sensibles,  précipita  bientôt  l'architecture 
vers  sa  décadence.  En  Grèce  même  elle  ne  fut  plus  que  peu 
cultivée,  et  en  Asie  sous  les  Séleucides,  en  Egypte  sous  les 
Ptolémées ,  elle  fut  pratiquée  sans  goût. 

Rome,  qui  possédait  depuis  longtemps  de  magnifiques 
aqueducs,  des  cloaques  immenses,  chefs-d'œuvre  d'archi- 
tecture hydraulique,  n'avait  alors  à  opposer  aux  monuments 
de  la  Grèce  que  quelques  édifices,  dont  elle  devait  l'exécu- 
tion à  des  artistes  étrangers.  Le  Capitole  et  le  temple  de 
Jupitcr-Capilolin  avaient  été  bâtis  par  des  architectes  étrus- 
ques, qui  inventèrent,  dit-on,  les  voûtes  et  les  arcadeo. 


ARCHITKCTURE 

Bient(it  après  la  seconde  fîiierrepiinifpic,  l'an  ?.00  avant  J.-C, 
les  Romains  ayant  établi  des  relations  avec  la  Grèce,  Sylla 
introduisit  l'architecture  grecque  à  Rome  :  lui ,  Marins  et 
Césiir  y  tirent  ériger  des  temples,  ainsi  que  dans  d'autres 
villes.  Sous  linfluence  de  ses  premiers  architectes ,  Rome 
avait  adopté  l'ordre  toscan  ;  l'introduction  des  ordres  grecs 
l'amena  à  la  formation  du  composite. 

De  même  que  l'art  hellénique  avait  atteint  ses  dernières 
limites  sous  Périclès ,  l'art  romain  fut  à  sa  plus  grande  hau- 
teur sous  Auguste.  Cet  empereur  encouragea  les  architectes 
grecs  qui  avaient  quitté  leur  patrie  pour  Rome  ,  et  lit  cons- 
truire, en  partie  par  des  vues  politiques,  beaucoup  de  beaux 
ouvrages  d'architecture.  Agrippa  lit  bâtir  le  Panthéon  et 
d'autres  temples ,  des  aqueducs  et  des  cirques.  Les  habita- 
lions  particulières  furent  décorées  de  marbre  et  de  colonnes. 
On  ne  nùt  pas  moins  de  magnificence  dans  la  construction 
des  maisons  de  campagne,  dont  l'intérieur  fut  orné  de  toutes 
sorte*  d'objets  d'art  conquis  en  Grèce.  Les  murs  étaient  ou 
recouverts  de  légères  feuilles  de  marbre  ou  décorés  de  pein- 
tures ;  dans  ce  dernier  cas ,  on  les  divisait  en  différents  pan- 
neaux représentant  des  sujets  mythologiques  ou  historiques 
et  encadrés  par  les  plus  élégantes  bordures,  appelées  gro- 
tesques. Les  successeurs  d'Auguste  embellirent  presque 
tous  plus  ou  moins  la  ville  de  Rome  et  même  les  pays  con- 
quis, par  l'édification  de  superbes  palais  et  de  temples  ma- 
gnifiques, jusqu'à  ce  qu'enfin  Constantin  le  Grand  eut  trans- 
féré le  siège  de  l'empire  à  Byzance. 

Lorsque  les  Romains  adoptèrent  l'architecture  des  Grecs, 
elle  était  déjà  déchue  de  sa  perfection  et  de  sa  pureté.  Ce- 
pendant elle  s'éleva  pendant  quelque  temps  à  sa  hauteur 
primitive  ;  mais  la  décadence  de  l'art  suivit  la  marche  de  la 
corruption  des  mœurs.  Depuis  Néron ,  dont  le  palais  d'or 
était  célèbre ,  le  luxe  croissant  toujours ,  l'intérieur  et  l'exté- 
rieur des  bâtiments  furent  surchargés  d'embellissement^. 
Adrien,  qui  encourageait  vivement  les  arts,  ne  put  ramener 
l'architecture  à  cette  noblesse  de  goût  qu'elle  avait  perd'ae. 
Au  lieu  de  se  contenter  d'imiter  les  choses  existantes,  on 
voulut  inventer  du  nouveau,  et  rendre  le  beau  encore  plus 
beau.  C'est  ainsi  qu'on  s'éloigna  de  pins  en  plus  de  la  gran- 
deur. On  introduisit  successivement  les  piédestaux  sous  les 
colonnes,  les  bas-reliefs  sur  les  côtés  extérieurs  du  bâtiment, 
les  cannelures,  les  colonnes  diminuées,  accouplées,  les  pi- 
lastres diminués ,  les  frontons  ronds  et  de  profil  et  les  fiises 
renflées.  L'art  fut  pratiqué  de  cette  manière  depuis  Vespa- 
sien  jusqu'au  règne  des  Antonins  et  produisit  des  ouvrages 
qui  peuvent  bien  être  regardés  comme  des  chefs-d'a;uvre , 
mais  auxquels  manquent  cependant  la  grandeur  et  le  style 
noble  des  Grecs.  Dans  les  provinces  romaines  le  goût  était 
encore  tombé  plus  bas.  Après  les  Antonins,  l'art  se  dégrada 
de  plus  en  plus.  On  s'efforça  d'ajouter  d'autres  ornements 
aux  ornements  déjà  surabondants,  ce  qu'atteste  l'arc  dit  des 
Orfèvres. 

Alexandre  Sévère  releva  l'art  en  quelque  sorte  par  ses 
connaissances ,  mais  il  retomba  encore  plus  sous  le  règne 
de  ses  successeurs,  et  pencha  rapidement  vers  sa  décadence 
totale.  Les  monuments  de  ces  temps-là,  ou  sont  surchargés 
d'ornements  mesquins  et  minutieux ,  comme  ceux  élevés  à 
Palmyre  vers  l'an  260  de  J.-C,  ou  se  rapprochent  de  la 
barbarie,  comme  ceux  érigés  à  Rome  sous  Constantin.  Sous 
les  empereurs  suivants  il  se  fit  peu  de  choses  pour  l'em- 
bellissement des  villes,  à  cause  de  l'agitation  continuelle  des 
peuples.  JusUnien  fit  élever  beaucoup  de  constructions.  Son 
monument  le  plus  remarquable  est  l'église  de  Sainte-Sophie 
à  Constant inople.  Les  anciens  beaux  ouvrages  d'architecture 
tombèrent  en  ruine  par  l'invasion  des  Gotlis,  des  Vandales 
et  d'autres  barbares  en  Italie,  en  Espagne,  en  Grèce,  en 
Asie  et  en  Afrique  ;  et  ce  que  la  dévastation  avait  épargné  ne 
fut  pas  seulement  remarqué.  Théodoric,  roi  des  Ostrogoths 
et  ami  des  ails,  lit  soigneusement  restaurer  et  rétablir  les 
anciens  monuments^  il  en  construisil  même  de  nouveaux, 


765 

dont  on  voit  encore  les  restes  à  Vérone  et  h  Ravenne.  Cette 
époque  peut  être  considérée  comme  le  point  de  séparation 
entre  l'antique  et  la  moderne  architecture  :  aussi  voyons- 
nous  s'introduire  de  plus  en  plus ,  à  la  place  de  l'ancienne 
manière  classique ,  une  nouvelle  manière  de  bAtir  qui  s'é- 
tendit avec  les  conquêtes  des  Goths  en  Italie,  en  France, 
en  Espagne ,  en  Portugal ,  dans  une  partie  de  l'Allemagne 
et  même  en  Angleterre ,  où  cependant  ils  ne  pénétrèrent 
jamais. 

Cette  nouvelle  architecture,  qui  porte  la  dénomination  de 
gothique,  est-elle  bien  d'origine  germanique?  C'est  ce  qui 
n'est  pas  décidé.  On  remarque  dans  l'extérieur  des  monu- 
ments élevés  sous  Théodoric  une  expression  de  simplicité , 
de  force  et  de  nationalité  ;  l'intérieur  nous  est  inconnu.  On 
a  improprement  donné  le  nom  de  gothique  à  l'architecture 
des  Lombards  lors  de  leur  domination  en  Italie  (depuis 
5G8),  ainsi'qu'à  toutes  les  constructions  faites  par  les  moines 
à  la  môme  époque.  Cette  erreur  ayant  été  reconnue  plus  tard, 
on  les  a  désignées  sous  le  nom  iTanciemie  architecture 
gothique,  pour  les  distinguer  de  la  véritable ,  que ,  par  op- 
position ,  l'on  appelle  nouvelle  architecture  gothique.  Les 
Lombards  n'avaient  aucune  considération  pour  les  antiquités, 
et  ne  voulaient  ni  les  épargner  ni  les  conserver.  Ce  qu'ils 
bâtirent  était  défectueux  et  sans  goût.  Leurs  églises  étaient 
décorées  extérieurement  par  de  petites  colonnes  demi-circu- 
laires et  des  piliers  montants,  rangés  péniblement  autour  de 
la  couronne  du  fronton  ;  intérieurement  elles  étaient  garnies 
de  lourds  piliers  assemblés  par  des  pleins-cintres  ;  les  petites 
fenêtres  et  les  portes  étaient  également  terminées  en  demi- 
cercle.  Les  colonnes,  les  chapiteaux  et  les  arceaux  étaient  sou- 
vent garnis  de  sculptures  en  pierre ,  appliquées  sans  goût 
et  sans  motif;  souvent  aussi  le  toit  était  recouvert  de  poutres 
et  de  planches ,  qui  plus  tard ,  transformées  en  voûte ,  né- 
cessitèrent le  secours  d'arcs-boutants.  Ce  style  d'architec- 
ture marque  l'époque  de  la  décadence  des  lettres  et  des  arts. 
C'est  celui  dans  lequel  furent  construites  au  septième  siècle 
les  églises  de  Saint-Jean  et  de  Saint-Michel  à  Pavie ,  rési- 
dence principale  du  royaume  de  Lorabardie;  celles  de  Saint- 
Jean  à  Parme  et  de  Sainte-Julie  à  Bergame  ;  l'église  souter- 
raine de  Freising;  les  chapelles  d'Altenœtting  en  Bavière, 
celles  d'Éger  et  du  château  de  Nuremberg  ;  enfin  l'église  des 
Bénédictins  à  Ratisbonne,  et  beaucoup  d'autres.  Les  archi- 
tectes qu'on  avait  fait  venir  de  Byzance  ajoutèrent  d'abord 
au  genre  d'architecture  précité  l'usage  des  colonnes  garnies 
de  piédestaux  ioniques  ,  parmi  lesquelles  se  trouve  la  co- 
lonne torse.  C'est  dans  ce  goût  lombardo-grec  que  furent  bâ- 
tis les  dômes  de  Bamberg,  de  Worms  et  de  Mayence,  ainsi 
que  l'église  de  San-Miniato  al  Monte  à  Florence,  et  la  partie 
la  plus  ancienne  de  la  cathédrale  de  Strasbourg.  On  y  ajouta 
ensuite  la  coupole  en  usage  en  Orient. 

Le  style  byzantin  ou  oriental  consiste  dans  l'emploi  de 
cette  coupole,  des  chapiteaux  sans  goût ,  des  colonnes 
étroites  et  des  petites  colonnes,  dont  on  mettait  souvent  deux 
rangs  l'un  sur  l'autre.  C'est  dans  ce  genre  que  furent  bâties,  à 
l'exception  de  Sainte-Sophie  et  de  quelques  autres,  les  églises 
de  Constantinople  ,  léglise  Saint-Marc  à  Venise,  l'église  de 
Saint-Vital  à  Ravenne,  le  baptistère  et  le  dôme  de  Pise. 
Les  Normands  qui  s'étaient  établis  en  Sicile  élevèrent  le 
dôme  de  Messine  sur  l'emplacement  d'un  ancien  temple. 
C'est  un  granil  bâtiment,  mais  dénué  de  goût,  et  qui,  par 
les  changements  qu'on  y  fit  à  différentes  époques,  offre  un 
témoignage  des  progrès  et  de  la  décadence  de  l'art.  Les 
VandaleS;  les  Alains,  les  Suèves  et  les  Visigoths  avaient 
pénétré  en  Portugal  ;  les  Arabes  et  les  Maures  les  en  chas- 
sèrent au  huitième  siècle,  et  détruisirent  l'empire  des  Goths. 
Us  étaient  alors  presque  les  seuls  qui  cultivassent  les  let- 
tres et  les  arts.  Des  architectes  sarrasins  parurent  en  Grèce, 
en  Italie,  en  Sicile  et  ailleurs,  et  (juclque  temps  après  d'au- 
tres architectes  chrétiens  et  surtout  grecs  s'étant  réunis  à 
eux,  ils  fondèrent   une  association  dont  l'art  et  ies  règles 


766  ARCHITECTURE 

furent  ternis  secrets,  et  dont  les  membres  se  reconnaissaient 
à  certains  signes.   Voyez  Fua.\cs-Maçons. 

A  cette  époque  régnèrent  trois  genres  d'architecture  : 
l'arabe ,  formé  d'après  les  anciens  modèles  grecs  ;  le  mau- 
resque en  Espagne,  d'après  les  restes  des  anciens  monu- 
ments romains  ;  et  le  nouveau  gothique ,  dans  le  royaume 
des  Visigoths  en  Espagne,  qui  tenait  de  l'arabe  et  du  mau- 
resque, et  dont  le  règne  dura  depuis  le  onzième  jusqu'au 
quinzième  siècle.  Les  deux  premiers  genres  diffèrent  peu 
l'un  de  l'autre;  cependant  le  mauresque  se  distingue  de 
l'arabe  par  ses  arcades  formées  d'un  segment  plus  grand 
que  le  demi-cercle,  ce  qu'on  appelle  arc  en  fer  à  cheval 
ou  cintre  outrepassé.  Mais  le  gothique  ou  ancien  allemand 
offre  beaucoup  plus  de  différences  :  les  arcs  gothiques  sont 
aigus,  et  les  arcs  arabes  sont  circulaires;  les  églises  gothi- 
ques ont  des  tours  droites  et  des  flèches  en  pointe,  les 
mosquées  se  terminent  en  coupole,  ont  çà  et  là  des  mina- 
rets élancés  surmontés  d'une  sphère  ou  d'une  pomme  de 
pin  ;  les  murs  arabes  sont  décorés  de  mosaïques  et  de  stuc, 
ce  qu'on  ne  rencontre  dans  aucune  ancienne  église  gothique. 
Les  colonnes  gothiques  sont  souvent  groupées  plusieurs  en- 
semble et  Tune  dans  l'autre  ;  elles  sont  surmontées  d'un  enta- 
blement très-bas,  d'où  s'élèvent  les  arceaux,  ou  bien  ces  der- 
niers partent  immédiatement  des  chapiteaux  des  colonnes.  Les 
colonnes  arabes  et  mauresques  sont  solitaires  ;  et  si  pour 
soutenir  une  partie  pesante  du  bâtiment  on  en  place  plu- 
sieurs l'une  à  côté  de  l'antre,  elles  ne  se  touchent  cepen- 
dant jamais.  Les  arceaux  sont  soutenus  par  un  fort  sous- 
arceau.  S'il  se  rencontre  dans  les  bâtiments  arabes  quatre 
colonnes  réunies,  cela  n'a  lieu  qu'avec  un  petit  mur  carré  , 
placé  en  bas  entre  chaque  colonne.  Les  églises  gothiques  sont 
extraordinairement  légères  ;  de  grandes  fenêtres  les  éclairent 
souvent  avec  des  vitraux  peints  de  diverses  coulems.  Dans 
les  mosquées  arabes,  la  plupart  du  temps  le  toit  est  bas,  les 
fenêtres  de  grandeur  médiocre  et  souvent  couvertes  de 
beaucoup  de  sculptures,  de  sorte  qu'on  en  reçoit  moins  de 
lumière  que  par  la  coupole  et  les  portes  ouvertes.  Les 
portes  des  églises  gothiques  avancent  profondément  à  l'in- 
térieur ;  les  murs  latéraux  sont  garnis  de  statues,  de  co- 
lonnes, de  niches  et  d'autres  ornements  ;  les  portes  des  mos- 
quées et  des  autres  bâtiments  arabes  sont  plates  et  arrasées. 

L'architecture  mauresque  se  montre  avec  tout  son  éclat 
dans  l'ancien  palais  des  monarques  mahométans  à  Grenade, 
qu'on  appelle  l'Alhambra  ou  maison  rouge,  et  qui  res- 
semble plutôt  à  un  palais  enchanté  qu'à  un  ouvrage  fait  par 
la  main  des  hommes.  Le  caractère  de  l'architecture  arabe 
est  la  légèreté  ;  la  magnificence  de  ses  ornements  et  la  déli- 
catesse (les  détails  la  rendent  agréable  à  l'œil.  La  nouvelle 
architecture  gothique,  qui  fut  le  résultat  des  efforts  que 
firent  les  architectes  grecs  de  l'école  byzantine  pour  cacher 
les  défauts  de  l'ancien  genre  gothique  sous  l'apparence  de 
la  légèreté,  éveille  l'imagination  par  ses  voûtes  richement  or- 
nées, ses  belles  perspectives,  et  cette  obscurité  religieuse 
produite  par  la  peinture  de  ses  vitraux.  Elle  conserva  de 
l'ancien  genre  les  voûtes  hautes  et  hardies ,  les  murs  épais 
et  solides,  qu'elle  recouvrit  de  toutes  sortes  d'ornements, 
tels  que  volutes,  fleurs,  niches,  et  de  petites  tours  percées  à 
jour,  de  telle  sorte  qu'elles  paraissent  être  faibles  et  légères. 
Dans  la  suite  on  alla  plus  loin  encore  :  on  perça  à  jour  des 
tours  monstrueuses  qui  laissaient  voir  les  escaliers  comme 
suspendus  en  l'air;  on  donna  aux  fenêtres  une  grandeur 
extraordinaire,  et  l'on  plaça  des  statues  jusque  sur  le  bâti- 
ment. Ce  style,  d'après  lequel  on  a  bâti  \m  grand  nombre 
d'églises,  de  couvents  et  d'abbayes,  prit  naissance  en  Es- 
pagne, et  de  là  se  répandit  en  France,  en  AngleteiTe  et  en 
Allemagne. 

Les  Allemands  étaient  lestés  étrangers  à  l'architecture 
jusqu'au  règne  de  Ciiarlemagne,  qui  leur  apporta  d'Italie 
la  nouvelle  manière  grecque  alors  en  usage.  Le  genre  arabe 


fut  introduit  plus  tard  dans  les  pays  occidentaux.  L'.-Vlîe-      ont  ramenés  à  l'étude  de  l'art  grec.  Sous  la  Restauration 


magne  manifesta  dès  lors  son  génie  partici/ier  dans  la  cons- 
truction des  arceaux  en  pointe,  des  arcs-boutants,  des  ogi- 
ves, etc.  ;  ce  qui,  réuni  à  la  nouvelle  architecture  grecque, 
à  laquelle  on  restait  encore  fidèle,  donna  naissance  à  un 
nouveau  genre  mixte,  qui  se  maintint  jusque  vers  le  milieu 
du  treizième  siècle.  Ainsi  se  forma  le  nouveau  style  gothique 
ou  style  allemand,  que  nous  pouvons  aussi  appeler  style  ro- 
mantique. Il  atteignit  son  plus  haut  degré  de  beauté  dans 
la  tour  de  la  cathédrale  de  Strasbourg,  la  catliédrale 
de  Cologne,  l'égUse  Saint-Étienne  à  Yienne,  la  cathé- 
drale d'Erfiirt,  les  églises  Saint-Sebald  à  Nuremberg  et  Sainte- 
Elisabeth  à  Marbourg.  Il  se  répandit  en  France,  en  Italie,  en 
Espagne  et  en  Angleterre. 

Au  onzième  siècle  des  architectes  grecs  bûtiicnt  en  Italie 
la  cathédrale  de  Pise  et  l'église  Saint-Marc  à  Venise  ;  mais 
au  douzième  siècle  on  fit  venir  un  architecte  allemand 
nommé  Wilhem  ,  et  au  treizième  Jacob  Capo  (mort  en  1262) 
avec  son  élève  ou  son  fils,  Arnolf,  qui  bâtirent  à  Florence 
des  églises,  des  couvents  et  des  abbayes.  Des  églises  on  ap- 
pliqua la  nouvelle  architecture  gothique  aux  châteaux,  pa- 
lais, ponts  et  portes  de  villes.  On  bâtit  à  Milan  seize  portes 
en  marbre,  et  beaucoup  de  palais;  à  Padoue,  sept  ponts  et 
trois  nouveaux  palais;  à  Gênes ,  deux  portes  fermées  et  un 
superbe  aqueduc  ;  la  ville  d'.\sti  fut  rebâtie  presque  de  fond 
en  comble.  L'architecture  continua  à  faire  des  progrès  en 
Italie,  principalement  au  quatorzième  siècle.  Galeazzo  Vis- 
conti  acheva  le  grand  pont  à  Pavie,  et  éleva  un  palais  qui 
n'avait  pas  son  pareil.  C'est  vers  ce  temps  que  fut  cons- 
truite la  fameuse  cathédrale  de  M  i  1  a  n.  Les  margraves  d'Esté 
embellirent  Ferrare.  On  entreprit  à  Bologne  la  grande 
église  de  Saint-Petronius ,  et  à  Florence  la  célèbre  tour  de 
la  cathédrale.  Le  quinzième  siècle  vit  s'accroître  le  goût  de 
l'architecture  antique.  Les  ducs  de  Ferrare,  Borso  et  Her- 
cule d'Esté,  excitèrent  et  encouragèrent  le  zèle  des  archi- 
tectes.. Le  duc  François  fit  constmire  à  Milan  le  palais 
ducal,  le  château  de  Porta-di-Giova ,  l'hôpital  et  d'autres 
monuments.  Louis  Sforza  fit  ériger  le  palais  de  l'Université 
à  Pavie  et  le  lazaret  de  Milan.  Les  papes  embellirent  Rome, 
et  Laurent  de  Médicis  Florence.  On  en  revint  aux  monu- 
ments de  l'antiquité,  dans  lesquels  on  étudia  les  belles* 
formes  et  les  justes  proportions.  Les  plus  célèbres  archi- 
tectes de  ce  temps  furent  Philippe  Brunelleschi,  qui  bâtit  à 
Florence  le  dôme  de  la  cathédrale ,  l'église  du  Saint-Esprit 
et  le  palais  Pitti,  indépendamment  d'autres  édifices  à  Milan, 
Pise ,  Pesaro  et  Mantoue;  Baptiste  Alberti,  qui  écrivit  aussi 
sur  l'architecture  ;  Michelozzi  ;  Bramante ,  qui  commença 
l'église  de  Saint-Pierre;  Michel-Ange,  qui,  après  lui,  fit  la 
superbe  coupole;  Giocondo,  qui  exécuta  beaucoup  de  travaux 
en  France ,  et  continua  plus  tard  avec  Raphaël  l'église  de 
Saint-Pierre;  etc. 

Lorsque  Brunelleschi  donna  le  signal  du  retour  vers 
l'architecture  grecque,  il  fut  regardé  comme  le  restaurateur 
de  l'art.  Cette  époque ,  appelée  siècle  des  Médicis,  fut  la 
Renaissance.  Alberti,  Bramante,  Michel-Ange,  Raphaël, 
Vignole,  s'élançant  dans  la  carrière  ,  déterminèrent  la  dé- 
chéance de  l'architecture  gothique.  .\  la  suite  des  guerres 
en  Italie  de  Louis  XII  et  de  François  1*"",  le  style  de  la  re- 
naissance s'introduisit  dans  notre  pays,  sous  l'influence 
d'artistes  italiens,  tels  que  Joconde,  Léonard  de  Vinci ,  le 
Rosso,  Primatice,  André  del  Sarte,  BenvenutoCellini,  Serlio, 
Pierre-Ponce  Trebati,  que  ces  rois  avaient  attirés  à  la  cour 
de  France.  L'art  semblait  devoir  s'élever  ;  mais  une  copie 
quelquefois  inintelligente  des  beautés  antiques,  l'oubli  f'ié- 
quent  des  convenances  et  de  l'utilité ,  furent  les  causes  qui 
em|.êclièrent  celte  époque  de  donner  tout  ce  qu'on  en  aî- 
teii'lait.  Depuis  il  y  eut  de  nombreuses  déviations  du  goût, 
entre  autres  le  style  Pompadour,  bien  digne  de  porter  le 
nom  d'une  courtisane.  Enfin,  sous  l'Empire,  les  travaux 
de  Vien  et  de  David,  exerçant  une  influente  salutaire,  nous 


ARCHlTECTLUt: 

les  idées  revinrent  au  gotliique  ;  ensuite  on  imita  la  Renais- 
sance et  le  style  de  dicadence  qui  la  suivit. 

Nous  avons  laissé  de  côté  les  monuments  du  Pérou , 
du  Yucatan,  et  du  Mexique,  surnommé  par  le  voyageur 
Nebel  l'Attique  du  Nouveau-Monde;  nous  voulions  seule- 
ment jeter  un  rapide  coup  d'ail  sur  la  marche  historique 
de  larchitetlure.  Dans  cet  exposé,  nous  avons  vu  toujours 
l'art  exprimer  les  tendances  de  son  époque.  Nous  en  con- 
cluons que  de  nos  jours  nous  n'avons  pas  à  nous  de- 
mander si  nous  devons  construire  des  monuments  suivant 
les  règles  du  douzième  ou  du  treizième  siècle.  Il  serait  tout 
aussi  ridicule  de  copier  une  église  sur  le  Parthénon.  Gar- 
dons-nous également  d'associer  des  éléments  disparates  ; 
l'éclectisme  doit  être  sévèrement  banni  d'un  art  qui  porte 
un  caractère  éminemment  historique.  Nous  ne  pouvons  de- 
mander à  l'esthétique  des  temps  passés  que  des  inspirations 
qui  amènent  notre  àme  à  la  conception  du  beau.  Notie 
époque  ne  ressemble  à  aucune  de  celles  qui  l'ont  précédée. 
Ce  n'est  donc  pas  avec  les  ruines  de  l'antiquité  ou  du 
moyen  âge  que  nous  devons  édifier  nos  monuments;  il 
nous  faut  un  art  caractéristique.  Quand  se  révéleront  les 
principes  de  cet  art  moderne ,  que  réclame  la  société  nou- 
velle? C'est  aux  artistes  à  résoudre  le  problème. 

ARCHITECTURE  RURALE.  L'architecture  rurale 
comprend  tout  ce  qui  tient  à  la  disposition  et  à  la  cons- 
truction des  bâtiments  ruraux,  tels  que  maisons  fermières, 
chambres  à  blé,  écuries,  poulaillers,  étables,  laiteries, 
bergeries,  porcheries,  granges,  fruitiers  et  hangars.  Si  sa 
nature  ne  lui  permet  pas  d'atteindre  à  la  beauté  de  l'archi- 
tecture civile,  elle  n'en  est  pas  moins  susceptible  d'une 
sorte  d'élégance ,  consistant  dans  la  symétrie  et  la  propor- 
tionalité.  C'est  dans  les  constructions  rurales  surtout  que 
l'utilité ,  la  salubrité  et  la  commodité  doivent  dominer.  — 
L'architecture  rurale  a  été  savamment  traitée  par  M.  de 
Gasparin,  dans  le  tome  II  de  son  Cours  d' Agriculture. 

[Si  vous  avez  le  choix  du  local  pour  le  placement  de  vos 
Mtiments  ruraux,  construisez-les  au  milieu  de  votre  do- 
maine ;  vous  épargnerez  beaucoup  de  temps  à  vos  labou- 
reurs, à  vos  charretiers,  soit  pour  le  transport  des  fumiers, 
soit  pour  celui  des  récolles,  soit  enfin  pour  les  deux  atte- 
lées auxquelles  ils  sont  obligés  durant  la  belle  saison  ;  et 
vous  savez ,  d'après  le  bonhomme  Richard ,  que  le  temps, 
c'est  de  l'argent.   Choisissez  un  lieu  voisin  de  l'abreuvoir, 
de  la  citerne  ou  d'un  cours  d'eau,  trop  heureux  si  vous 
pouvez  avoir  une  eau  jaiUissante  au  milieu  de  votre  basse- 
cour,  et  si  vos  bâtiments  sont  attenants  à  un  jardin  potager 
et  à  un  verger,   qui  sont  indispensables  à  toute  ferme, 
grande  ou  petite ,  et  à  un  petit  pré,  destiné  au  parc  des 
agneaux,  qui  doivent  être  élevés  sous  vos  yeux.  Choisissez 
un  lieu  à  l'abri  des  vents  dominants  et  qui  ait  une  pente 
douce,  qui  puisse  porter  les  eaux  de  fontaine  ou  pluviales  de 
la  cour  naturellement  au  lieu  que  vous  leur  destinerez.  Bâ- 
tissez plutôt  sur  un  sol  sec  et  crayeux  que  sur  un  terrain 
humide  et  argileux,  à  l'exposition  du  sud-est;  consacrez  à 
votre  basse-cour  deux   arpents  si  vous  n'avez  que  deux 
charrues,  et  entourez-la  de  murs  ayant  12  à  15  pieds  de 
hauteur,  dont  vous  couvrirez  le  faîte  par  des  mitres  en  terre 
cuite;  car  les  murs  se  détériorent  par  la   tête  et  par  les 
fondations  :  les  mitres  conservent  la  tête;  et  quand  elles 
sent  bien  cuites,  elles  durent  éternellement,  tandis  que  les 
briques  que  vous  appliquez  avec  du  plâtre  sur  le  sommet 
de  vos  murs  sont  sujettes  à  des  réparations  annuelles.  Pour 
abriter  les  fondations  de  vos  murs,  pratiquez  intérieurement 
tout  le  long  de  vos  bâtiments  une  diaussée  de  12  à  15  pieds 
de  largeur,  pavée  et  cimentée,  sur  laquelle  les  voitures  de 
charge  et  de  décharge  pourront  circuler;  que  les  murs  de 
votre  basse-cour  et  ceux  de  tous  vos  bâtiments  soient  re- 
crépis sur  toutes  leurs  faces,  soit  avec  de  la  chaux  ou  du 
plâtre,  suivant  les  matières  que  fournit  le  pays,  et  préférez 
toujours  pour  vos  bâtiments  le  sable  de  rivière  au  sable 


ARCHITRAVE 


767 


fossile.  Que  si  la  chaux  coule  au  delà  de  dix  francs  la  bar- 
rique de  200  litres,  bâtissez  les  murs  de  votre  cour  avec 
de  la  terre,  et  de  dix  pieds  en  dix  pieds  élevez  à  chaux  et 
à  sable  des  clés  ou  cliaiues  qui  soutiennent  les  paities  bâties 
en  terre. 

Votre  basse-cour  ne  doit  avoir  qu'une  porte  extérieure 
charretière,  et  la  maison  fermière  doit  être  voisine  de  cette 
porte ,  afin  que  le  fermier  ou  ses  serviteurs  puissent  voir 
tout  ce  qui  entre  ou  tout  ce  qui  sort.  11  y  a  toujours  trop 
de  portes  à  une  maison,  et  le  plus  souvent  il  n'y  a  pas  assez 
de  fenêtres.  Au  centre  de  cette  cour  doit  être  élevé  un 
grand  réverbère ,  sans  préjudice  des  lanternes  à  transpa- 
rents de  corne,  dont  doit  être  pourvu  chacun  de  vos  bâti- 
ments. C'est  une  chose  à  redouter  que  de  voir  des  servantes 
porter  des  chandelles  allumées  dans  les  greniers  à  fourrages 
et  de  les  moucher  dans  les  pailles.  C'est  pour  cela  que  je 
conseille  d'avoir  toujours  sous  le  hangar  une  pompe  à  in- 
cendie avec  des  tuyaux  et  des  seaux  de  cuir,  et  de  faire 
manœuvrer  ce  petit  équipage  au  moins  une  fois  par  mois. 

On  trouvera  aux  articles  consacrés  à  la  ferme  et  à  ses 
différentes  parties  quelques  conseils  sur  les  bonnes  condi- 
tions de  leur  établissement. 

Tandis  qu'il  y  a  tant  de  traités  d'architecture  et  un  si 
grand  nombre  d'architectes  pour  la  construction  des  hô- 
tels, des  palais  et  des  maisons  urbaines,  il  est  fâcheux  d'a- 
voir à  faire  observer  qu'en  France  il  y  ait  si  peu  d'archi- 
tectes qui  aient  traité  de  l'architecture  rurale  ;  et  cependant 
il  y  a  plus  de  granges  et  de  fermes  qu'il  n'y  a  de  palais.  Tou- 
tefois le  comte  de  Lasteyrie  a  recueilli  avec  beaucoup 
de  dépenses  et  de  talent  les  plans  des  bâtiments  ruraux  qu'il 
a  observés  en  Flandre,  en  Allemagne  et  en  Angleterre. 

Terminons  le  présent  article  par  les  observations  de  notre 
grand  maître  en  agriculture,  Olivier  de  Serre  :  «  Deux  choses 
sont  requises  aux  bastimens  :  assavoir  bonté  et  beauté,  afin 
d'en  retirer  service  agréable.  Parquoy ,  joignant  ensemble 
ces  deux  qualitez-là,  nous  asserrons  nostre  logis  des  champs 
en  lieu  sain,  et  le  composerons  de  bonne  matière,  avec 
convenable  artifice  :  dont  sera  évité  le  tardif  repentir,  qui 
tousiours  suit  l'inconsidéré  avis  de  ceux  qui  cbàtissent. 
Doncques ,  avant  qu'entrer  en  despense ,  présuposé  vostre 
pays  estre  sain  :  encores  faudra-t-il  en  choisir  la  partie  la 
plus  salutaire,  la  plus  plaisante  pour  vostre  habitation,  et  la 
plus  mesnageable,  selon  la  portée  de  vostre  bien,  acconuno- 
dant  ces  trois  considérations  le  mieux  que  faire  se  pourra, 
par  l'avis  de  plusieurs  gens  d'esprit,  entendus  en  telles  ma- 
tières ,  qu'aurez  assemblez  auparavant  comme  en  consulta- 
tion. Les  anciens  ont  ordonné  le  bastiment  champestre  à 
demy-montagne,  regardant  le  midy,  estimans  telle  assiette 
la  plus  salubre,  par  estre  couverte  de  la  bize ,  à  l'abry  ;  re- 
culée de  la  ri\ière  (qui  est  souvent  mal  saine),  avoir  la  veuë 
assez  haute  et  longue,  et  n'être  trop  humide,  ni  aussi  trop 
dénué  d'eau.  C'est  bien  à  la  vérité  l'assiette  préférable  à 
toute  autre  :  néanmoins,  comme  les  choses  de  ce  monde  ne 
sont  parfaitement  accomplies,  estant  chacune  commodité 
suivie  de  son  contraire,  en  telle  assiette  se  rencontre  ce  mal, 
que  le  logis  est  commandé  par  la  partie  de  la  montagne  re- 
levée :  ainsi  y  défaut-il  ce  poinct,  qu'il  ne  peut  estre  du 
tout  fort ,  comme  plusieurs  désirent,  le  temps  nous  ayant 
fait  prendre  garde  de  ce  notable  article.  —  Les  montagnes 
sont  trop  sèches  et  venteuses  :  les  plaines,  trop  humides  et 
fangeuses.  Si  es  montagnes  on  a  la  veuë  longue,  les  yeux  s'y 
promenans  à  l'aise,  leur  difficile  accez  donne  beaucoup  de 
peine  aux  pieds  :  comme  aussi  l'importunité  des  fanges  ra- 
bat du  plaisir  des  longs  promenoirs  de  la  plaine.  —  Ces 
choses  considérez,  se  faudra  tenir  à  la  première  résolu- 
tion, etc..  i>  Le  c""  Français  (de  Nantes).] 

ARCHITRAVE ,  une  des  trois  parties  de  l'entable- 
ment, et  qui  pose  immédiatement  sur  les  chapiteaux  des  co- 
lonnes ;  ainsi  appelée  du  grec  àp/.ô;,  principal ,  et  du  latin 
trabs,  poutre  :  parce  que  dans  les  édifices  en  bois  l'archi- 


7C8 

trave  était  foiinée  d'une  poutre  couchée  sur  les  têtes  des 
piliers.  On  appelle  aussi  l'architrave  épïstyle,  du  grec  ènl, 
sur,  et  GTvXo:,  colonne.  L'architrave  sert  à  lier  ensemble  les 
colonnes.  Les  anciens  n'employaient  généralement  qu'une 
seule  pierre ,  d'une  colonne  à  l'autre  ,  pour  la  construction 
de  leurs  architraves.  Dans  les  temps  modernes,  où  la  pénurie 
des  marbres  et  le  peu  de  dureté  des  pierres  ne  permettent 
point  les  architraves  monolithes,  on  y  supplée  par  les  plates- 
bandes  à  claveaux.  Les  architraves  ainsi  construits  se  com- 
posent de  plusieurs  pienes  qui  se  soutiennent  mutuellement 
par  leur  coupe ,  en  sorte  qu'elles  forment  ensemble  une 
voûte  plate.  La  forme  de  l'architrave  varie  suivant  les  dif- 
férents ordres  ;  au  toscan,  il  n'a  qu'une  bande  couronnée 
d'un  filet ,  il  a  deux  faces  au  dorique  et  au  composite,  et 
trois  à  l'ionique  et  au  corinthien. 

AKCHITRÉSOUIliK.  Nom  du  quatrièuie  des  grands 
dignitaires  de  Tlimpire  français  sous  Napoléon  V.  L'arclii- 
trésorier  de  l'empire  visait  les  comptes  des  dépenses  et  des 
recettes  avant  qu'ils  fussent  présentés  au  chef  A-  l'État.  11 
arrêtait  tous  les  ans  le  grand  Livre  de  la  dette  publique, 
était  présent  au  travail  du  ministre  des  finances  et  du  trésor 
public  avec  l'empereur,  etc.,  etc.  Cette  grande  charge  de  la 
couronne  fut  créée  par  Napoléon  en  faveur  de  Lebrun, 
son  ancien  collègue  au  consulat. 

ARCHIVES.  On  donne  ce  nom  à  toute  collection  mé- 
tliodiquement  classée  de  documents  manuscrits  ayant  rap- 
port aux  intérêts  et  aux  droits  d'une  famille,  d'une  corpo- 
ration, d'une  commune,  d'une  ville,  d'une  province  ou  de 
tout  un  État.  Les  archives  prennent  donc  la  dénomination 
d'archives  nationales,  impériales  ou  royales ,  d'archives 
départementales ,  et  d'archives  communales.  En  France, 
l'organisation  des  archives  communales  laisse  encore  beau- 
coup à  désirer  ;  mais  les  duchist^  départementales  sont 
dans  une  meilleure  situation  ,  leur  existence  ayant  été  as- 
surée par  la  loi  du  10  mai  1838.  Malheureusement,  leur 
classement  se  fait  encore  assez  lentement.  Presque  toutes  les 
administrations,  les  ministères,  la  préfecture  de  police,  ont 
en  outre  des  archives  particulières ,  curieuses  à  plus  d'un 
litre. 

Les  anciens  avaient  recoimu  de  bonne  heure  la  nécessité 
des  archives.  Les  Grecs  comme  les  Romains,  et  aussi  les  Is- 
raélites, conservaient  les  documents  de  ce  genre  dans  leurs 
temples.  Après  l'expulsion  des  rois  de  Rome,  on  transporta 
les  archives  dans  le  temple  de  Saturne,  où  elles  furent  sous 
la  garde  des  édiles.  Les  chrétiens  aussi  gardèrent  dans  les 
commencements  des  documents  importants  auprès  des  vases 
sacrés  et  des  reliques,  jusqu'à  ce  que  plus  tard ,  en  France 
et  en  Allemagne,  on  destina  des  édifices  spéciaux  à  cet 
usage.  Les  fondateurs  des  diverses  congrégations  religieuses 
de  l'Allemagne  méridionale  se  distinguèrent  tout  particulière- 
ment par  le  zèle  dont  ils  firent  preuve  à  cet  égard.  Cepen- 
dant il  est  bien  rare  que  les  archives  des  grandes  maisons 
souveraines  de  ce  pays  remontent  au  delà  du  treizième  siècle, 
et  le  commencement  des  archives  des  villes  part  tout  au  plus 
du  douzième.  Les  plus  importantes  archives  des  villes  im- 
périales étaient  celles  de  Kempfenet  d'Ulm.  Parmi  les  meil- 
leures archives  de  pays,  il  faut  citer  celles  de  la  maison  de 
Brandebourg  à  Plassenbourg ,  réunies  aujourd'hui  pour  la 
plus  grande  partie  aux  archives  annexes  de  Bamberg.  L'an- 
cien empire  d'Allemagne  avait  ses  archives  déposées  dans 
quatre  villes  différentes,  Vienne,  Wetzlar,  Ratisbonne  et 
Mayence. 

L'incurie  qu'on  apportait  le  plus  souvent  autrefois  à  placer 
des  archives  dans  des  locaux  à  l'abri  de  l'incendie,  a  eu  pour 
suite  la  perte  des  collections  les  plus  précieuses,  notam- 
ment celle  de  la  plus  grande  partie  des  archives  de  la  Haute- 
Silésie,  dévorées  en  1739  par  le  grand  incendie  qui  détruisit 
l'hôtel  de  ville  d'0|)peln. 

La  jurisprudence  en  matière  d'archives,  qui  a  surtout 
pour  base  la  Nov.  49  c.  2,  établit  h  présomption  légale  de 


ARCHITRAVE  —  ARCHIVES  DE  L'EMPIRE 


l'authenticité  d'un  document  sur  cette  circonstance  qu'il  est 
conservé  dans  des  archives  régulièrement  classées  et  ne 
porte  aucun  signe  extérieur  de  nature  à  en  faire  suspecter 
la  vérité. 

ARCHIVES  DE  L'EMPIRE.  Avant  la  révolution 
de  l'année  1789  il  n'existait  en  France  aucun  dépôt  général 
et  spécial  des  actes,  titres  et  autres  pièces  originales  con- 
cernant l'histoire   de  la  nation,  le   gouvernement,  les  ad- 
ministrations, les  cours  souveraines  et  judiciaires,  etc.  Les 
archives  de  l'Assemblée  constiluanleont  été  le  premier  noyau 
du  vaste  dépôt  connu  tour   à  tour   sous   les   noms  d'ar- 
chives nationales,  de  l'empire  et  du  royaume.  Établies  par 
décret  de  cette  assemblée  du  24  août  1789,  et  confiées  à  la 
garde  de  Camus ,  l'un  de  ses  membres ,  elles  la  suivirent  de 
Versailles  à  Paris,  par  décret  du  12  octobre,  et  continuèrent 
à  être  déposées  provisoirement  chez  l'archiviste;  elles  furent 
définitivement  organisées  en  1790,  et  l'on  y  attacha  deux 
commissaires  et  un  ingénieur.  Placées  d'abord  aux  Capucins 
de  la  rue  Samt-Honoré ,  elles  fureni  transférées  aux  Tui- 
leries après  le  10   août   1792,  puis  au  Palais-Bourbon  en 
1800 ,  lorsque ,  sous  le  consulat,  Bonaparte  vint  habiter  les 
Tuileries;  enfin ,  en  1809  ,  elles  ont  été  transportées  à  l'hôtel 
Soubise.  En  1812  ,  un  décret  impérial  du  21  mars  ordonna 
la  construction  d'un  palais  spécialement  destiné  aux  ar- 
chives, sur  le  quai  de  la  rive  gauche  de  la  Seine,  entre  les 
ponts  de  la  Concorde  et  d'Iéna,  en  face  de  Chaillot.  Sa 
surface  devait  être  de  dix  raille  mètres  carrés.  Les  fonde- 
ments de  cet  édifice,  où  l'on  ne  devait  employer  que  la 
pierre  et  le  fer,  furent  commencés ,  et  l'on  y  dépensa  50  à 
60,000  (r.  ;  mais  les  désastres  miUtaires  et  politiques  de  1812 
à  1815  ayant  indéfiniment  suspendu  les  travaux,  les  archives 
sont  demeurées  à  l'hôtel  Soubise,  où  elles  paraissent  désor- 
mais fixées.  Seulement  l'insuffisance  du  local  a  réclamé  des 
agrandissements  indispensables. 

Peu  considérables  d'abord,  les  archives  ne  contenaient  que 
les  originaux  des  pouvoirs  des  députés ,  les  actes  relatifs  à 
la  constitution,  au  droit  public,  aux  lois  du  royaume,  à  sa 
division  territoriale  ;  les  minutes  sur  parchemin  des  décrets 
sanctionnés  par  le  roi  ;  les  procès- verbaux  des  conseils  de 
départements  ;  les  actes  de  naissance ,  de  mariage  et  de  décès 
des  princes  français  ;  les  registres  et  papiers  des  assemblées 
législatives ,  les  noms  des  vainqueurs  de  la  Bastille ,  ceux 
des  députés ,  inscrits  par  eux-mêmes  ;  les  procès- verbaux 
de  leurs  élections ,  d'inauguration  des  monuments  publics  ; 
les  inventaires  du  matériel  de  l'Imprimerie  nationale ,  de 
l'Observatoire,  de  l'Académie  des  Sciences  et  autres  établis- 
sements scientifiques ,  des  diamants  et  du  mobilier  de  la 
couronne,  des  formes,  instruments  et  papiers  relatifs  aux 
assignats  ;  les  pièces  de  dépenses  et  de  recettes  du  trésor 
public ,  le  compte  des  dons  patriotiques ,  l'acte  constitu- 
tionnel et  la  lettre  du  roi  relative  à  son  acceptation,  les 
minutes  des  aliénations  de  biens  nationaux ,  les  actes  de 
la  prestation  de  serment  des  agents  du  pouvoir,  les  papiers 
trouvés  à  l'intendance  de  la  liste  civile ,  au  château  des  Tui- 
leries, et  notamment  dans  la  fameuse  armoire  de  fer  ;  les 
pièces  du  procès  de  Louis  XVI,  etc.  Par  décret  de  la  Con- 
vention nationale  du  26  messidor  an  II  (  14  juillet  1794),  les 
archives  devinrent  un  dépôt  central  pour  toute  la  répu- 
blique, et  reçurent  de  fréquents  et  nombreux  accroisse- 
ments ;  elles  s'augmentèrent  encore  par  l'arrivée  successive 
des  acquisitions  importantes  que  nous  procurèrent  les  vic- 
toires de  nos  armées  en  diverses  contrées  de  l'Europe. 

En  1812  les  archives  de  l'Empire  formaient  trois  divi- 
sions, française,  italienne  et  allemande.  La  seconde  se  com- 
posait principalement  des  archives  du  royaume  de  Sardaigne 
et  du  Piémont,  et  des  archives  pontificales  de  Rome.  La 
troisième  contenait  les  pièces  relatives  aux  diètes  impé- 
ria'es,  à  l'élection  des  empereurs  ,  aux  guerres  et  aux  traités 
de  paix  entre  l'Allemagne  et  diverses  puissances  étrangères, 
aux  affaires  de  la  Belgique,  du  Tyrol,  de  la  Gallicie,  etc. 


ARCHIVES  DE  L'EMPIRE  —  ARCHONTES 

Mais  ces  «leux  tlivisions  fuient  supprimées  en  1814,  et  les 
litres  (jn'elies  renformiiieiit  remis  aux  maiulalaires  des  puis- 
Vinces  respectives ,  en  vertu  du  traité  de  paix  et  de  diverses 
ordonnances  de  Louis  XVIII. 

La  division  française,  la  seule  qui  nous  soit  restée ,  se 
composait  a'oi-s  de  six  sections,  législative,  administra- 
tive, historique,  topographique,  domaniale  il  judi- 
ciaire. Aujourd'hui  elle  n'en  rent'erine  plus  que  quatre  : 
1"  là  section  du  sa:rctariat,  qui  ronservc  les  documents  de 
l'ancienne  sccrétaireric  d'État ,  instituée  sous  le  premier 
empire,  et  qui  jusqu'en  1848  étaient  restés  au  Louvre; 
2°la  section  historique,  qui  contient  le  trésor  des  chartes  et 
son  supplément,  les  monuments  historiques,  dont  quelques- 
uns  remontent  au  septième  siècle ,  les  monuments  plus  spé- 
cialement ecclésiastiques,  des  mélanges  relatifs  aux  ordres 
militaires,  aux  anciens  établissements  d'instruction  publi- 
que, aux  titres  généalogiques,  etc.;  3°  \ii  section  adininistra- 
tive,  qui  renferme  les  archives  de  l'ancien  conseil  d'État, 
du  conseil  de  Lorraine,  les  ordonnances,  lettres  patentes, 
bons  et  brevets  du  roi.tout  oe  qui  est  relatif  au  régime  cons- 
titutionnel de  1791,  à  la  Convention,  au  Directoire  exécutif, 
au  Consulat,  etc.;  les  mémoriaux,  hommages,  aveux  et  dé- 
nombrements de  l'ancienne  chambre  des  comptes  de  Paris, 
les  versements  des  diverses  administrations,  les  papiers  rela- 
tifs aux  domaines  des  princes  elaux  apanages,  les  séquestres, 
confiscations,  déshérences,  les  plans  terriers,  cartes  topogra- 
pbiques,  etc.;  4°  la  section  législative  el  judiciaire ,  qui 
contient  les  lois,  ordonnances,  édits,  arrêts,  lettres  paten- 
tes, décrets  impériaux,  les  copies  authentiques  et  minutes 
des  procès- verbaux  de  l'Assemblée  des  notables  et  des 
Assemblées  nationales,  les  pièces  annexées  à  ces  minutes, 
les  papiers  des  représentants  en  mission  et  des  comités  de  b 
constituante  de  1789  et  de  la  Convention,  les  archives  de 
toutes  nos  assemblées  législatives;  on  y  trouve  également 
les  pièces  et  titres  relatifs  à  la  grande  chancellerie,  secré- 
taireriedu  roi,  prévôté  et  requêtes  de  l'hôtel,  grand  conseil, 
conseil  privé,  commissaires  extrao'diuaires,  parlement  et 
Chàtelet  de  Paris,  cours  et  juridictions  diverses,  tribunaux 
criminels  et  extraordinaires,  etc.;  enfin  les  versements  du 
ministère  de  la  justice. 

Les  pièces  originales  les  plus  précieuses,  et  spécialement 
celles  qui  sont  munies  de  sceaux  d'or  ou  d'argent,  sont 
renfermées  dans  une  armoire  de  fer,  ainsi  que  des  médailles, 
des  clefs  de  ville,  les  étalons  du  mètre  et  du  kilogramme,  di- 
vers modèles,  instruments,  costumes,  etc.  Il  y  a  de  plus  aux 
archives  une  bibliothèque  où  sont  réunis  tous  les  livres  im- 
primés qui  s'y  trouvaient  mêlés  aux  pièces  manuscrites, 
ceux  qui  ont  été  acquis  pour  le  service  de  l'établissement 
ou  qui  proviennent  du  dépôt  littéraire  du  ministère  de  l'in- 
térieur, le  seul  qui  ait  continué  d'alimenter  les  archives  du 
royaume.  Les  parties  les  plus  importantes  sont  celles  qui 
ont  trait  à  la  géographie,  à  l'histoire  de  France,  à  l'histoire 
ecclésiastique ,  au  droit  public ,  aux  lois  françaises. 

Camus  a  été  le  premier  archiviste.  Pendant  sa  détention 
de  deux  ans  dans  les  États  d'Autriche,  des  commissaires  de 
la  Convention  surveillèrent  les  Archives.  A  son  retour,  en  1 795, 
il  fut  confirmé  dans  ses  fonctions,  qu'il  conserva  jusqu'à  sa 
mort ,  en  décembre  1804.Daunou,  qui  avait  toujours  pris 
un  vif  intérêt  aux  Archives  de  l'État  et  une  part  très- active 
aux  discussions  relatives  à  leur  accroissement,  en  fut  alois 
nommé  garde.  Sous  son  administration  éclairée,  elles  furent 
mises  en  ordre,  et  augmentées  successivement  de  nombreuses 
acquisitions  faites  en  Italie  et  en  Allemagne.  Daunou  publia 
en  1812  le  tableau  détaillé,  mais  succinct,  de  leur  classi- 
fication et  de  leur  contenu.  Les  événements  qui  amenèrent 
la  Restauration  furent  désastreux  pour  cet  établissement.  A 
la  restitution  forcée  des  archives  allemandes  et  italiennes 
succéda,  en  1815,  celle  d'une  partie  des  titres  généalo- 
giques provenant  du  cabinet  de  M.  d'Hozier,  qui  plus  tard 
les  revendit  à  Charles  X.    Au   commencement  de  1816, 

BiCT.  DE  LA  COHVERS.  —  T.  !. 


769 


Daunou  fut  remplacé  par  M.  Delaruc,  homme  recommau- 
dable  par  ses  qualités  sociales  et  ses  vertus  domestiques, 
mais  incapable ,  par  la  faiblesse  de  son  caractère  et  l'in- 
suffisance de  ses  connaissances ,  de  diriger  une  adminis- 
tration aussi  importante.  Sous  lui  des  titres  domaniaux 
furent  rendus  aux  maisons  d'Artois  ,  d'Orléans  et  de  Condé, 
ainsi  qu'à  diverses  familles  d'émigrés.  Des  dilapidations 
eurent  lieu  au  greffe.  Un  vol  très- considérable  fut  commis 
impunément  à  la  Sainte-Chapelle.  Enfin ,  un  grand  nombre 
de  pièces  furent  enlevées  ou  même  arrachées  de  divers 
recueils.  Après  la  révolution  de  Juillet,  M.  Delarue  se  brûla 
la  cervelle,  le  9  août  1830,  sur  les  bords  du  canal  Saint- 
Martin.  Daunou,  nommé  peu  de  jours  après  pour  le  rem- 
placer, ne  reprit  possession  d'une  place  dont  il  avait  été 
injustement  dépouillé  qu'après  avoir  fait  judiciairement 
constater  des  déficits  dont  il  ne  voulait  pas  se  rendre  res- 
ponsable; il  rétablit  l'ordre  aux  Archives,  et  fit  plusieurs 
réformes  utiles.  En  1840  Letronne  lui  succéda,  et  à  celui-ci 
M.  de  Chabrier,  que  M.  le  comte  Léon  de  Laborde  a  rem- 
placé le  4  mars  1857.  Un  décret  du  22  décembre  1855  a 
réorganisé  cet  établissement,  dont  le  chef  a  le  titre  de  di- 
recteur général.  Le  personnel  se  compose  en  outre  de  quatre 
chefs  et  de  quatre  sous-chefs  de  section,  d'archivistes  et  de 
surnuméraires  auxiliaires.  Les  recherches  sont  soumises 
à  des  autorisations  diverses  déterminées  par  des  règle- 
ments. Depuis  le  règne  de  Louis-Philippe  on  a  reconstruit 
et  augmenté  les  bâtiments  des  Archives  auxquels  sont  joints 
l'école  des  Chartes. 

ARCHIVOLTE.  Par  ce  nom ,  dérivé  du  latin  arcus 
volutus,  arc  contourné ,  on  désigne  le  bandeau  orné  de 
moulures  qui  règne  à  la  tête  des  voussoirs  d'une  arcade, 
et  qui  vient  se  terminer  sur  les  impostes.  On  orne  les 
archivoltes  selon  la  richesse  ou  la  simplicité  des  ordres  et 
de  la  même  manière  que  les  architraves.  On  appelle  archi- 
volte retourné,  celui  dont  le  bandeau  ne  finit  pas,  mais 
qui,  retournant  sur  i'imposte ,  se  joint  à  un  autre  bandeau. 
Cette  manière  est  lourde,  et  ne  convient  qu'à  une  ordon- 
nance rustique.  Varchivolte  rustique  est  celui  dont  les 
moulures  sont  interrompues  par  une  clef  et  des  bossages 
simples  et  rustiques.  A.-L.  Milli.n,  de  l'Insiiiut. 

ARCIIOJ\TES  {àçiyjMv,  àpxovTo;,  celui  qui  a  lé  com- 
mandement, la  puissance),  titre  que  portèrent  à  Athènes 
les  magistrats,  au  nombre  de  neuf,  investis  de  la  suprême 
autorité  de  la  république  après  la  mort  de  Codrus, 
son  dernier  roi,  arrivée  l'an  lûGS  avant  Jésus-Christ.  Un 
de  ses  fils,  Médon ,  exerça  le  premier  cette  charge,  que 
ses  descendants  possédèrent  pendant  une  longue  suite 
d'années.  Elle  devait  d'abord  être  perpétuelle  ;  mais  elle 
parut  bientôt  aux  Athéniens  une  image  trop  vive  de  la 
royauté  ,  dont  ils  voulaient  anéantir  jusqu'au  souvenir,  et 
ils  en  réduisirent  l'exercice  à  dix  années,  puis  à  une ,  afin 
de  ressaisir  plus  souvent  l'autorité,  qu'ils  ne  transféraient 
qu'à  regret  à  leurs  magistrats.  Dans  l'espace  de  316  ans, 
c'est-à-dire  de  Médon  à  AIcméon,  Athènes  compta  treize 
archontes  perpétuels;  il  y  eut  ensuite  sept  archontes  dé- 
cennaux ,  dont  le  premier  fut  Charops,  et  le  dernier  Érix. 
Créon,  le  premier  des  archontes  annuels ,  fut  élu  la 
deuxième  ou  la  troisième  année  delà  2'!"  olympiade,  et 
ce  fut  de  ce  moment  seulement  qu'il  y  eut  neuf  archontes 
au  lieu  d'un,  choisis  indistinctement  parmi  tous  les  citoyens 
de  la  république,  tandis  que  dans  le  principe  on  ne  pou- 
vait les  prendre  que  dans  la  race  de  Médon  et,  plus  tard,  que 
dans  la  noblesse  (  Eupatrides  ). 

"Voici  quelles  étaient  les  fonctions  de  ces  magistrats  :  le 
premier,  nommé  archonte  éponyme,  donnait  son  nom  à 
l'année,  jugeait  les  procès  qui  s'élevaient  entre  époux, 
tenait  la  main  à  l'observation  des  testaments,  pourvoyait  au 
sort  des  orphelins,  pimissait  l'ivrognerie  avec  sévérité ,  et 
encourait  lui-même  la  peine  de  mort  s'il  s'enivrait  pendant  sa 
magistrature.  Le  second,  nommé  archonte  basileos,  ou  roi, 

97 


770 


ARCHONTES  —  ARCIS-SUR-AUBE 


présidait  an  culte  des  dieux,  jugeait  les  différends  des  prê- 
tres et  des  familles  sacerdotales,  punissait  les  profanateurs, 
offrait  des  sacrilices  pour  la  prospérité  de  l'État ,  présidait 
enfin  à  la  célébration  des  mystères  d'Eleusis  et  à  toutes  les 
autres  cérémonies  religieuses.  Il  avait  le  droit  d'opiner  dans 
l'aréopage;  mais  il  n'y  paraissait  jamais  avec  la  couronne, 
emblème  de  sa  dignité.  La  femme  de  l'arcbonte-roi  portait 
le  nom  de  reine ,  et  présidait  en  cette  qualité  les  prêtresses 
de  Cérès  et  de  Baccbus.  Le  troisième  archonte ,  nommé 
polcmarchos ,  commandait  l'armée,  avait  la  police  des 
étrangers,  et  veillait  à  ce  que  les  enfants  des  citoyens  morts 
pour  la  patrie  fussent  entretenus  aux  dépens  de  l'État.  Cha- 
cun de  ces  archontes  avait  le  droit  de  s'adjoindre  deux 
citoyens  respectables,  qui  devaient  l'aider  de  leurs  conseils 
et  de  leurs  lumières. 

Les  six  derniers  archontes ,  appelés  thesmothttes  (  lé- 
gislateurs ) ,  poursuivaient  la  calomnie  et  l'impiété ,  ju- 
geaient les  procès  des  marchands,  déféraient  les  appels  au 
peuple,  recueillaient  les  suffrages  ,  surveillaient  les  magis- 
trats inférieurs ,  et  s'opposaicut  à  la  sanction  des  lois  con- 
traires au  bien  de  l'État.  Kn  sortant  de  charge ,  tous  les 
archontes  avaient  droit  de  siéger  à  vie  daits  l'aréopage.  En 
entrant  en  charge,  ils  prêtaient  serment  d'observer  les  lois, 
de  rendre  impartialement  la  justice  et  de  ne  point  se  laisser 
corrompre.  L'archonte  convaincu  d'avoir  reçu  des  présents 
était  forcé  de  consacrer  dans  le  temple  de  Delphes  une 
statue  d'or  d'un  poids  égal  au  sien. 

En  lîéotie  il  y  avait  un  magistrat  appelé  archonte.  Parmi 
les  Juifs  ce  mot  avait  de  très-diverses  acceptions  sous  la 
domination  romaine,  de  même  que  dans  le  Nouveau  Testa- 
ment. Généralement  il  est  employé  cliez  eux  à  désigner  les 
chefs  du  sanhédrin. —  Les  gnostiques  donnaient  ce  nom 
à  des  êtres  imaginaires,  qu'ils  appelaient  éons.  Au.«;si  une  de 
leurs  sectes,  particulièrement  hostile  aux  croyances  judaï- 
ques, s'appelait-elle  les  archontiques. 

ARCIIOIVTIQUES,  hérétiques  du  deuxième  siècle, 
qui  attribuaient  la  création  du  monde  à  des  esprits  secon- 
daires appelés  par  eux  archontes  (d'âpyMv,  chef).  Ils  at- 
tribuaient à  Sabaoth  ,  et  non  à  Dieu ,  l'institution  du  bap- 
tême et  des  saints  mystères,  et  conséquemmcnt  les  reje- 
taient comme  une  impiété.  En  admettant  l'immortalité  de 
l'ûme ,  ils  niaient  la  résurrection  des  corps ,  avaient  les 
femmes  en  horreur,  et  les  considéraient  comme  une  inven- 
tion du  diable.  On  les  regarde  comme  une  branche  de  la 
secte  des  Yalentiuiens.  Voyez  Valeminiens  et  Gnos- 
tiques. 

ARCnYTAS,  de  Tarente,  de  l'école  de  Pylhagore, 
était  contemporain  et  ami  de  Platon.  Ce  philosophe  jouit 
d'une  grande  réputation  chez  les  anciens  comme  mathéma- 
ticien et  comme  mécanicien.  On  lui  attribue  l'invention  de 
la  vis ,  de  la  poulie ,  et  plusieurs  découvertes  en  géomé- 
trie :  il  parait  qu'il  avait  aussi  de  gi'andes  connaissances 
en  astronomie,  .\rchytas  avait  écrit  un  grand  nombre  d'ou- 
vrages sm*  divers  sujets,  dont  il  ne  nous  reste  plus  que 
quelques  titres.  De  ce  nombre  était  celui  intitulé  nepl 
-avTÔç(du  monde).  Nous  avons  un  monument  estimable 
de  son  savoir  en  géométrie  :  c'est  la  solution  du  pro- 
blème des  deux  moyennes  proportionnelles  pour  arriver 
à  la  duplication  du  cube.  On  doit  encore  lui  savoir  gré 
d'avoir  raisonné  géométriquement  les  principes  do  la  mé- 
canique. Toute  l'antiquité  parle  avec  admiration  de  sa  co- 
lombe automate,  dont  le  mécanisme  était  si  parfait  qu'elle 
imitait  le  vol  d'une  colombe  véritable.  Sur  le  témoignage 
d'Aulu-Gelle ,  qui  dit  à  propos  de  cette  colombe  :  Ita  erat 
Ubramentis  suspensum  et  aura  spiritus  inclusa  atque 
occulta  concitum  ,  on  a  imaginé  que  ce  pouvait  être  une 
sorte  d'aérostat;  mais  ce  texte,  trop  peu  clair,  se  prête  à 
toute  .sorte  d'explications,  sans  donner  aucune  raison  suffi- 
sante de  cette  interprétation.  Arehytas  avait  aussi  inventé  le 
cerf-volant  pour  les  plaisirs  des  jeunes  gens  de  Tarante,  dont 


il  trouvait  les  divertissements  ordinaires  trop  brutaux  on 
trop  dangereux. 

Arehytas  jouissait  au  plus  haut  degré  de  l'estime  de  ses 
concitoyens  ;  ils  le  placèrent  jusqu'à  sept  fois  à  la  tête  de 
leur  gouvernement  ;  il  commanda  aussi  les  armées  com- 
binées des  Grecs ,  et  ne  fut  jamais  battu.  Ce  philosophe 
périt  dans  un  naufrage  sur  les  côtes  de  la  Pouille.  Cette 
mort  funeste  a  inspiré  à  Horace  l'idée  d'une  de  ses  plus 
belles  odes. 

ARCIS-SUR-AUBE ,  chef-lieu  d'arrondissement  du 
département  de  r.\nbe,  station  du  chemin  de  fer  de  Paris 
à  Troye.';.  Cette  ville  a  plusieurs  filatures  de  coton  et  un 
commerce  très-actif  en  charbons,  en  vins  et  en  fers; 
sa  popul.iî:on  est  de  2,770  habitants.  Elle  est  célèbre  par 
lé  combat  qui  s'y  livra  en  181'». 

La  bataille  de  Laon  avait  jeté  hors  de  sa  ligne  d'opérations 
l'armée  russo-prussienne;  et  le  combat  de  Reims  ,  qui  avait 
fait  retomber  cette  ville  au  pouvoir  de  Napoléon,  coupait 
les  communications  entre  les  deux  armées  ennemies.  Le 
17  mars,  l'empereur  se  mit  en  mouvement  avec  environ 
quinze  mille  hommes ,  laissant  sur  l'Aisne  les  corps  de 
Trévise  et  de  l'nguse ,  environ  vingt  mille  hommes.  Il 
devait  être  joint  dans  sa  marche  par  six  mille  hommes  ve- 
nant de  Paris  avec  le  général  Lefebvre-Desnouettes ,  et  il 
attendait  le  20 ,  sur  l'Aube ,  le  duc  de  Tarente ,  qui  arait 
trente  mille  hommes  sous  ses  ordres. 

Le  17  au  soir  Napoléon  s'avança  jusqu'à  Épemay,  oc- 
cupant Chûlons  sur  sa  gauche.  Schwartzenberg ,  ayant  ap- 
pris dans  la  journée  le  mouvement  de  l'armée  française  sur 
Châlons  ,  se  hâta  de  renforcer  sa  droite,  en  faisant  porter 
trois  corps  d'armée  vers  Lesmont  et  Dommartin ,  devant 
Briennc ,  où  il  croyait  recevoir  une  bataille ,  et  occuper 
Arcis  par  un  quatrième.  Le  18  Napoléon ,  continuant  son 
mouvement  vers  l'Aube,  vint  prendre  position  entre  La  Fère- 
Champcnoise  et  Sommesous.  Le  19  il  dirigea  sa  colonne  de 
droite  sur  Plancy ,  et  celle  de  gauche  sur  Arcis.  Les  troupes 
lusses  qui  couATaicnt  Plancy  furent  culbutées ,  le  pont  ré- 
paré ,  et  l'avant-garde  du  général  Sébastiani ,  ayant  passé 
l'Aube ,  s'avança  jusqu'à  Basse ,  dans  la  direction  d'Arcis. 
L'empereur  se  porta  sur  Méry ,  que  l'ennemi  évacua  après 
avoir  brûlé  le  pont.  Là,  Napoléon  ."'piuit  que  l'armée  en- 
nemie se  concentrait  sur  Troyes;  il  forma  dès  lors  le  projet 
de  l'attaquer  dans  sa  marche  entre  la  .Seine  et  l'Aube  ;  mais 
pour  cela  il  fallait  occuper  Arcis  :  il  concentra  donc  les 
troupes  qu'il  avait  avec  lui  autour  de  Plancy. 

L'armée  ennemie  avait  trois  corps  réunis  à  Troyes,  les 
Bavarois  du  général  de  Wrede  à  Nogent-sur-Aube,  au-dessus 
d'Arcis,  et  les  corps  de  la  droite  en  avant  de  Brienne. 
Schwartzenberg  se  décida  à  prendre  l'initiative  de  l'attaque. 
Le  20  Napoléon  fit  occuper  Arcis  des  le  matin  par  la  ca- 
valeiie  du  général  Sébastiani  et  par  le  corps  du  prince  de 
la  Moskowa.  Les  deux  généraux,  ayant  appris  en  ce  mo- 
ment que  l'armée  ennemie  s'avançait  en  grandes  forces,  se 
préparèrent  à  la  défense  dans  l'état  où  ils  se  trouvaient.  Les 
divisions  de  cavalerie  Colbcrt  et  Excelmans  furent  placées 
en  avant  d'.\rc!S ,  sur  la  route  de  Troyes  ;  les  divisions 
d'infanterie  Janssens  et  Boyer  vers  le  Grand -Torcy,  sur 
la  route  de  Biiennc;  la  dinsion  de  cavalerie  Defrance  en 
arrière  d'Arcis,  à  Vinefz,  en  observation  sur  la  route  de 
Ramern.  Napoléon  ayant  fait  partir  de  Plancy  les  divisions 
de  la  garde  Lctort  et  Friant,  arriva  à  Arcis  vers  une  heure 
après  midi.  Ayant  alors  chargé  un  de  ses  officiers  d'ordon- 
nance d'aller  reconnaître  les  positions  de  l'ennemi,  ce  jeune 
étourdi  lui  rapporta  qu'il  n'y  avait  en  présence  que  les 
Cosaques  de  Kaizarof.  Ce  rapport  décida  Napoléon  à  rester 
en  position  et  à  attendre  le  restant  de  ses  forces  ;  il  n'avait 
alors  auprès  de  lui  que  13,500  hommes  d'infanterie  et  7,300 
chevaux.  L'ennemi  déployait  devant  l'armée  française  84,000 
hommes  d'infanterie  et  près  do  25,000  chevaux.  Le  duc  de 
Tarent»,  p".r  ur\  effet  de  celte  lenteur  qu'on  a  pu  remarquer 


ARCIS-SUR-AUBE  —  ARCOLE 

dans  tous  ses  mouveiucats  pendant  la  campagne  de  18l4,  au 
lieu  d'i^tre  déjà  près  d'Arci>,  où  il  devait  anivcr  le  20,  et  où 
Napoléon  lalteiulait,  se  trouvait  encore  en  arrière  de  Plancy. 
Ce  retard  privait  Napoléon  de  31,000  lionunes,  plus  de  la 
moitié  de  l'armée  sur  laquelle  il  avait  dû  compter. 

PenJant  ce  temps  l'armée  ennemie  s'était  également  avan- 
cée. A  midi  les  colonnes  de  la  gauche  étaient  arrivées  à  Au- 
beterre ,  et  les  Bavarois ,  formant  la  droite  cnneniie ,  étaient 
réunis  en  avant  de  Cliaudrey  :  les  gardes  et  les  réserves  rus- 
ses et  prussiennes  s'étaient  avancées  à  Ménil-la-Cou\tesse. 
A  une  heure  le  prince  de  Schvvartzenberg  donna  le  signal 
de  l'attaque.  Elle  fut  engagée  au  centre  par  le  général  russe 
Kaizarof,  soutenu  par  la  cavalerie  du  général  autrichien 
Frimont.  Les  divisions  Excelmans  et  Colbert  furent  enfon- 
cées et  ramenées  sur  Arcis  ;  Napoléon  se  jeta  au-devant  des 
fuyards  l'épée  à  la  main,  et  les  arrêta.  En  ce  moment  la 
division  Triant,  qui  venait  d'arriver,  se  déploya  devant  Ar- 
cis :  la  cavalerie  ennemie  se  replia,  et  la  nôtre  reprit  sa 
position.  A  la  droite  des  coalisés  le  général  de  \Vrede  avait 
pendant  ce  temps  fait  attaquer  par  onze  bataillons  autri- 
chiens, que  joigîiirent  encore  sept  bavarois,  le  viHage  du 
Grand-Torcy,  défendu  par  la  division  Janssens.  ISIalgré  les 
efforts  réitérés  de  ces  dix-huit  bataillons,  nos  troupes  restè- 
rent inébranlablement  en  possession  du  village.  Les  colonnes 
de  la  gauche  ennemie  s'avancèrent  sans  combat  jusqu'au 
croisement  de  la  route  de  Jléry.  Là  elles  rencontrèrent  les 
grenadiers  et  les  chasseurs  de  la  garde,  oubliés  par  erreur  sur 
ce  po'mt.  .Malgré  la  vigueur  de  leur  défense,  ils  auraient  suc- 
combé sans  une  charge  de  cavalerie  du  général  Berkeim, 
qui  les  dégagea,  et  couvrit  leur  retraite  sur  Jléry,  d'où, 
pendant  la  nuit,  ces  troupes  repassèrent  le  pont  de  Plancy  et 
gagnèrent  Arcis. 

Vers  six  heures  du  soir,  le  combat  durait  encore  devant 
Arcis ,  et  le  prince  de  Schwarfzenberg  résolut  de  to.nter  un 
dernier  effort  contre  Torcy.  Il  fit  attaquer  de  nouveau  ce 
village  par  le  corps  bavarois  appuyé  par  un  corps  de 
grenadiers  et  deux  divisions  de  cavalerie.  Les  divisions 
Janssens  et  Boyer  soutinrent  sans  s'ébranler  les  efforts 
de  l'ennemi  jusqu'à  onze  heures  du  soir;  alors  l'ennemi 
renonça  à  ses  attaques,  et  se  retira  du  champ  de  bataille. 
Nous  perdîmes  dans  cette  lutte  glorieuse  le  général  Jans- 
sens. Devant  Arcis,  après  plusieurs  chaiges  fournies  et  re- 
çues, le  général  Sébastian!,  renforcé  par  la  division  Lefeb- 
vre-Desnouettes,  en  tenta  une  dernière  vers  neuf  heures  du 
soir  sur  le  corps  russe  de  Kaizarof,  qui  fut  enfoncé  et  écharpé  ; 
le  corps  de  Frimont  fut  entamé  et  renversé  sur  la  gauche 
des  Bavarois,  où  deux  divisions  de  cuirassiers  ennemis  arrê- 
tèrent notre  cavalerie,  qui  rentra  en  ligne.  L'armée  fran- 
çaise bivaqua  sur  le  champ  de  bataille,  et  l'armée  ennemie 
rentra  à  peu  près  dans  les  positions  où  elle  s'était  déployée. 

Le  21  au  matin,  ayant  été  rejoint  par  le  duc  de  Reg- 
gio,  qui  lui  amenait  3,000  hommes,  l'empereur  déploya 
sa  petite  armée  sur  le  plateau  en  avant  d'.Vicis ,  et  se  dé- 
cida à  attaquer;  il  donna  l'ordre  au  prince  delà  Moskowa  et 
au  général  Sébastiani  de  se  porter  en  avant.  Ce  dernier  rem- 
porta d'abord  un  succès  assez  marqué  sur  la  cavalerie  russe 
d'avant-garde.  Mais,  arrivés  sur  la  crête  du  plateau  d'Arcis, 
nos  généraux  aperçurent  toute  l'armée  ennemie  rangée  en 
bataille.  Le  prince  de  la  Moskowa  fit  avertir  Napoléon 
que  l'ennemi  en  grandes  forces  était  en  présence,  de  pied 
ferme;  108,000  hommes  en  attendaient  28,000.  Napoléon 
s'en  étant  assuré  par  lui-même,  il  n'y  eut  plus  à  balancer; 
le  duc  de  Tarente  ne  pouvait  arriver  que  le  soir,  et  il  ne 
fallait  pas  penser  à  engager  une  bataille  contre  des  forces 
tellement  supérieures  :  il  donna  en  conséquence  l'ordre  de 
la  retraite,  en  repassant  l'Aube.  Elle  se  fit  par  échelons,  en 
bon  ordre,  sans  être  inquiétée  pendant  quatre  heures,  le 
prince  de  Schvvartzenberg  s'étant  per.suadé  que  l'armée 
française  devait  venir  à  lui.  Ce  ne  fut  que  vers  quatre  heu- 
res que  l'ennemi  attaqua  Arcis  et  les  troupes  qui  n'avaient 


77» 
pas  encore  passé.  Le  combat  fut  vif  et  la  résistance  vail- 
lante et  opiniitre;  l'armée  francai.se  acheva  son  passage  et 
se  rangea  en  bataille  à  la  rive  droite  de  l'Aube  sans  avoir  été 
entamée;  à  neuf  heures  du  soir  elle  y  fut  rejointe  par  les 
troupes  du  duc  de  Tarente. 

Les  deux  journées  du  20  et  du  21  nous  coûtèrent  2,500 
hommes;  l'ennemi  en  perdit  plus  de  4,000.  Mais  Na- 
poléon avait  réussi  dans  son  projet;  sa  marche  sur  Saint- 
Dizier  entraînait  l'ennemi  à  sa  suite,  au  milieu  de  nos  places 
fortes  et  de  nos  populations  insurgées ,  lorsque  la  trahison 
organisée  à  Taris  y  appela  les  coalisés ,  qui  y  furent  reçus 
comme  jadis  l'avait  été  Henri  V  d'Angleterre. 

G*'  G.  DE  Yaudoncourt. 

ARCO,  mot  italien  signifiant  archet.  Ces  mots,  co« 
Varco  ,  inscrits  au-dessus  d'une  portée ,  indiquent  qu'après 
avoir  jusque  là  pincé  les  cordes  de  son  instrument ,  l'exé- 
cutant doit  reprendre  son  archet  à  l'endroit  indiqué. 

ARCOLE  (Bataille  d').  Les  revers  éprouvés  par  le 
général  autrichien  Wunnser,  en  Italie ,  pendant  l'été  de  1796, 
avaient  presque  fait  perdre  à  l'Autriche  l'espérance  de  con- 
server ce  pays.  Mais  l'inaction  de  Moreau  ayant  permis  à 
l'archiduc  Charles  de  se  porter  en  force  contre  l'armée  de 
Sambre  et  Meuse,  celle-ci  fut  forcée  à  la  retraite.  Battue  le  3 
septembre  à  Wurizbourg,  elle  dut  repasser  le  Rhin,  et  Moreau 
se  vit  contraint  d'en  faire  autant.  Alors  l'Autriche,  se  voyant 
en  mesure  de  reprendre  l'offensive  en  Italie,  forma  dans  le 
Frioul  une  armée  de  40,000  hommes,  dont  le  général 
Alvinczy  prit  le  commandement.  Le  corps  du  général 
Davidowich  ,  enTyrol ,  fut  porté  à  18,000  hommes.  Le  plan 
de  campagne  était  de  joindre  ces  deux  armées  à  Vérone ,  et 
de  marcher  sur  Mantoue  pour  en  faire  lever  le  siège.  L'armée 
française  susceptible  d'entrer  en  ligne  ne  dépassait  pas 
30,000  hommes  ;  le  reste  était  devant  Mantoue. 

Le  4  novembre,  la  division  ^Masséna,  qui  était  à  Bassono , 
vit  déboucher  Alvinczy,  et,  ayant  reconnu  ses  forces,  repassa 
la  Brenta,  se  dirigeant  sur  Vicence.  Le  général  en  chef 
Bonaparte ,  qui  était  à  Vérone  avec  la  division  Augereau , 
se  porta  alors  en  avant  au  secours  de  Masséna.  Quoiqu'il 
n'eût  que  18,000  hommes,  il  attaqua  les  Autrichiens,  les 
obligea  à  repasser  la  Brenta  après  un  combat  acharné,  et  se 
préparait  à  forcer  le  lendemain  le  pont  de  Bassano,  lorsqu'il 
fut  rappelé  à  Vérone. 

Cependant  le  général  Vaubois  avait  dès  le  1'^''  rem- 
porté quelques  succès  sur  Davidowich  ;  mais ,  se  voyant 
débordé  le  lendemain,  il  échoua  dans  une  nouvelle  tentative, 
et  fut  forcé,  le  3,  de  se  retùrer  àCagliano,  où  il  ne  put  même 
se  maintenir.  A  cette  nouvelle,  le  général  Bonaparte  envoya 
en  haie  de  Vérone  quelques  troupos  pour  occuper  le  plateau 
de  Rivoli  et  protéger  la  retraite  de  Vaubois.  Lui-même  se» 
mit  en  mouvement  le  7  au  matin  avec  ses  deux  divisions , 
bien  résolu  à  marcher  de  nouveau  contre  Alvinczy. 

Le  11,  après  midi ,  les  deux  divisions  débouchaient  de 
Vérone  et  marchaient  sur  Cakliero ,  où  elles  arrivèrent  à  la 
nuit.  Mais  l'ennemi  les  y  avait  prévenues ,  et  l'attaque  qui 
eut  lieu  le  12  au  matin  échoua.  Les  armées  passèrent  la  nuit 
suivante  en  présence,  et  le  13  Bonaparte,  ne  voyant  pas  de 
chances  pour  lui  dans  un  second  combat,  se  décida  à  ren- 
trer dans  Vérone. 

Il  faut  le  reconnaître ,  la  position  de  l'armée  française 
devenait  de  jdus  en  plus  critique.  La  division  Vaubois  était 
réduite  à  8,000  hommes;  les  divisions  I^Iasséna  et  Auge- 
reau n'en  comptaient  pas  15,000,  et  environ  8,000  hommes 
restés  devant  Mantoue  luttaient  contre  les  sorties  d'une  gar- 
nison de  25,000  hommes.  Tout  autre  général  que  Bonaparte 
aurait  continué  sa  retraite  et  levé  le  siège  de  Mantoue;  mais 
l'Italie  était  perdue,  et  l'ennemi  arrivait  jusqu'aux  Alpes. 
Le  général  en  chef  français  se  décida  donc  à  tenter  la  fortune 
et  à  manci  uvrer  pour  s'assurer  des  chances  favorables. 

Le  terra'm  occupé  par  Alvinczy  consistait  en  une  langue 
de  terre  d'à  peu  près  2i  kilomètres  de  ion?  sur  S  de  large,. 


772 


ARCOLE 


resserrée  entre  l'Adige  au  sud ,  et  les  coteaux  qui  le  domi- 
nent au  nord.  La  tôte  du  défilé  était  fermée  par  la  ville  de 
Vérone,  mise  en  bon  état  de  défense.  Derrière  l'armée  en- 
nemie ,  coulait  le  torrent  de  l'Alpon ,  encaissé  dans  un  canal 
peu  large ,  mais  profond  et  fangeux.  Vérone  ne  pouvant  être 
emportée  d'emblée ,  Bonaparte  résolut  de  profiter  de  l'A- 
dige ,  qui  couvrait  son  mouvement ,  pour  menacer  le  fianc 
et  les  derrières  d'Alvinczy.  Devant  Ronco,  jusqu'à  l'Alpon 
d'ua  côté ,  et  jusque  vers  Saint-Martin  de  l'autre ,  s'étend 
un  vaste  marais,  qu'on  ne  peut  traverser  que  sur  deux 
digues.  Celle  de  gauche  se  dirige  le  long  de  l'Adige  sur  Vé- 
rone ;  on  pouvait  de  ce  côté  menacer  le  flanc  de  l'ennemi. 
Celle  de  droite  conduit  au  pont  d'Arcole  sur  l'Alpon;  on 
pouvait  par  là  se  porter  à  San-Bonifacio.  Maître  de  Porcile 
par  la  digue  de  gauche  et  d'Arcole  par  celle  de  droite ,  le 
général  en  chef  avait  donc,  au  besoin,  la  double  chance  d'em- 
pêcher l'attaque  de  Vérone,  et  d'obliger  l'ennemi  à  une 
retraite  dangereuse  par  le  pout  de  Villa-Nova  ,  sous  le  poids 
d'une  attaque  de  liane  ,  toujours  périlleuse  en  pareille  cir- 
constance, l'ne  troisième  digue  enfin  conduisait  à  Albaredo, 
au-dessous  du  confluent  de  l'Alpon,  et  offrait  le  moyen,  en  y 
passant  l'Adige,  de  tourner  le  village  d'Arcole.  Ce  fut  vers 
Ronco  que  le  général  en  chef  se  décida  à  marcher. 

Le  14,  à  l'entrée  de  la  nuit,  Bonaparte,  ayant  laissé  le  général 
Kilmaine  avec  environ  2,000  hommes  à  la  garde  de  Vérone,  se 
dirigea  à  la  tète  de  13,000  hommes  sur  Ronco,  où  le  colonel 
Andréossy  faisait  construire  un  pont  sur  l'AJige.  En  arrivant 
le  15  au  point  du  jour,  les  troupes  trouvèrent  !e  pont  achevé, 
et  passèrent  le  fleuve,  à  rcxception  de  la  brigade  du  général 
Gieux,  qui  reçut  ordre  de  se  porter  sur  Albaredo.  La  division 
Masséna  fut  envoyée  à  Porcile,  et  celle  d'Augereau  à  Arcole, 
qui  n'était  gardé  que  par  deux  bataillons  de  Croates  avec 
deux  canons.  Masséna  ne  rencontra  aucun  obstacle  jusqu'à 
Porcile  ;  Alvinczy,  se  croyant  sûr  de  ce  côté ,  n'avait  pas 
pourvu  le  moins  du  monde  à  la  défense  de  cette  position. 
A  Arcole,  les  Croates,  quoique  surpris  par  l'arrivée  des  ti- 
railleurs français,  se  retranchèrent  aussitôt  sur  la  digue  qui 
suit  la  rive  gauche  de  l'Alpon.  La  colonne  française  engagée 
sur  la  digue  de  la  rive  droite,  prise  en  flanc  par  leur  feu, 
fut  forcée  de  se  replier  en  arrière  de  Zerpa.  Augereau  se  mit 
alors  à  la  tête  des  cinquième  et  sixième  bataillons  de  gre- 
nadiers, et  s'élança  vers  le  pont;  mais  le  même  feu  de 
flanc  le  força  à  rétrograder. 

Alvinczy,  à  cette  nouvelle,  hésita  un  moment;  il  crut 
que  c'était  une  fausse  attaque  de  troupes  légères  cher- 
chant à  masquer  une  attaque  réelle  qui  avait  Vérone  pour 
base;  mais  du  clocher  de  Caldiero  il  ne  tarda  pas  àse  rendre 
un  conqite  jjIus  exact  du  mouvement  des  Français,  et  fit  partir 
aussitôt  la  division  MitrowsUi  du  côté  d'Arcole  par  la  dig-ue 
de  la  rive  droite  qui  vient  du  pont  de  Villa-Nova,  et  la  division 
Provera  dans  la  direction  de  Porcile.  Masséna  laissa  cette 
dernière  s'engager  sur  la  digue  près  de  Bionde;  puis,  la  char- 
geant avec  vigueur,  il  la  culbuta,  lui  fit  des  prisonniers  et 
lui  enleva  des  canons.  La  division  Mitrowski  dépassa  égale- 
ment le  pont  de  Zerpa;  mais  alors  elle  fut  chargée  à  la  fois 
de  front  et  de  flanc,  et  culbutée  avec  perte  sur  les  dix  heures 
du  matin. 

La  bataille  engagée  et  les  succès  obtenus  devant  forcer 
Alvinczy  à  un  mouvement  rétrograde,  il  devenait  urgent  de 
s'emparer  du  pont  d'Arcole,  afin  d'arriver  sur  celui  de  Villa- 
Nova  avant  que  l'ennemi  fût  en  position  de  le  défendre.  Plu- 
sieurs attaques  ayant  échoué,  en  raison  des  feux  de  flanc  qui 
augmentaient,  le  général  en  chef  résolut  do  tenter  un  dernier 
effort  et  de  payer,  encore  une  fois,  vaillamment  de  sa  per- 
sonne. 11  saisit  le  drapeau  du  cinquième  bataillon  de  gre- 
nadiers, et,  s'élançant  à  la  tête  de  la  colonne,  le  planta 
sur  le  pont.  Les  grenadiers  qui  le  suivaient  arrivèrent  jus- 
qu'au milieu  ;  mais  là  le  redoublement  du  feu  ennemi  et 
l'arrivée  d'une  nouvelle  division  autrichienne  les  culbutèrent 
de  nouveau.  Les  grenadiers  enlevèrent  leur  général  pour  le 


s;  uver;  cependant  le  désordre  de  la  déroute  était  devenu  si 
lirand  que  Bonaparte  fut  jeté  de  la  digue  dans  le  marais, 
où  il  s'enfonça  à  mi-corps. 

Le  danger  du  général  en  chef  ranime  le  courage  des  gre- 
nadiers, qui  se  portent  derechef  en  avant.  Une  compagnie 
conduite  par  le  général  Belliard  repousse  lennemi  et  dégage 
Bonaparte,  tandis  que  Lannes,  accouru  de  Milan  malgré  ses 
blessures,  le  couvre  de  son  corps  et  est  de  nouveau  dan- 
gereusement blessé.  Alors  une  charge  générale  ramène  les 
Autrichiens  au  delà  du  pont  d'Arcole.  Les  généraux  Belliard 
et  Vignole  sont  blessés  ;  le  général  Robert  est  tué,  ainsi  que 
Muiron ,  aide  de  camp  du  général  en  chef. 

Alvinczy,  averti  du  danger  qu'il  court  par  les  revers 
qu'il  a  essuyés,  profite  de  la  vigoureuse  défense  d'Arcole  pour 
se  dégager.  Il  évacue  toutes  ses  batteries  de  Caldiero,  et  fait 
repasser  le  pont  de  Villa-Nova  à  ses  parcs  et  à  ses  réserves, 
échappant  ainsi  à  la  destruction.  Le  passage  du  général 
Gieux  à  Albaredo  fut  longtemps  retardé.  11  était  quatre 
heures  lorsqu'il  put  déboucher  à  revers  sur  Arcole,  qui  fut 
enlevé  sans  coup  férir. 

Cependant,  le  général  Vaubois,  attaqué  le  ISparDavido- 
wich ,  avait  été  obligé  d'évacuer  la  Corone  et  Rivoli  et  de 
se  replier  sur  Bussolengo.  Bonaparte,  craignant  que  s'il  était 
forcé  de  continuer  sa  retraite ,  il  ne  risquât  de  compromettre 
l'armée  française  dans  les  marais  de  Zevio ,  résolut,  à  tout 
événement,  d'abandonner  Arcole,  et  de  se  retirer  sur  la  droite 
de  l'Adige,  ne  laissant  à  la  gauche  qu'une  brigade  pour  garder 
le  pont.  Aussitôt  Alvinczy  fit  occuper  Porcile  et  Arcole  dès 
trois  heures  du  matin,  et  le  16,  au  point  du  jour,  il  se  pré- 
senta devant  le  pont  de  Ronco.  Bonaparte  venait  d'apprendre 
que  Vaubois  était  encore  à  Bussolengo;  il  se  décida,  en 
conséquence,  à  repasser  le  pont  et  à  reprendre  l'offensive. 
Masséna  culbuta  l'ennemi  sur  la  digue  de  gauche,  reprit 
Porcile,  et  par  un  mouvement  de  flanc  coupa  une  colonne 
de  1,500  hommes  vers  Moncla.  Augereau  arriva  jusqu'au 
pont  d'Arcole,  mais  les  difficultés  de  la  veille  se  re- 
présentèrent, et  le  pont  ne  put  être  emporté  ;  de  même  que  le 
jour  précédent ,  Bonaparte  se  vit  obligé  à  la  nuit  tombante 
de  repasser  l'Adige. 

Le  17  au  matin  il  apprit  que  Vaubois  tenait  encore  ses 
positions,  et  que  Davidowich  ne  faisait  aucune  disposition 
pour  l'en  débusquer  :  il  se  détermina  donc  à  tenter  une 
dernière  attaque  décisive.  D'un  côté,  l'inaction  de  Davido- 
wich ne  pouvait  guère  se  prolonger,  et  une  nouvelle  retraite 
de  Vaubois  risquait  de  faire  évanouir  tout  le  fruit  de  com- 
binaisons déjà  payées  de  tant  de  sang  ;  de  l'autre,  les  gran- 
des pertes  qu'avait  essuyées  l'ennemi  les  15  et  16,  et  qu'on 
pouvait  évaluer  à  plus  de  20,000  hommes,  avaient  beau- 
coup diminué  sa  supériorité  et  permettaient  de  hasarder 
une  bataille.  L'armée  française  passa  donc  de  nouveau 
r.\dige;  une  brigade  de  la  division  Masséna  repoussa  l'en- 
nemi jusqu'à  Porcile;  lui-même,  avec  une  autre  brigade, 
s'avança  jusqu'au  pont  d'Arcole,  mais  sans  essayer  de  l'em- 
porter. La  division  Augereau  resta  en  arrière  de  Zerpa,  dont 
on  avait  réparé  le  pont.  L'adjudant-général  Lorced  avait 
reçu  l'ordre  de  sortir  de  Legnago  avec  600  hommes,  200 
chevaux  et  4  canons ,  et  de  se  diriger  sur  Cologna  et  Lo- 
nigo,  pour  menacer  le  flanc  de  l'ennemi. 

A  midi  l'armée  française  dut  passer  l'Alpon,  afin  de  ne  pas 
abandonner  Lorced  seul  à  l'autre  rive.  A  deux  heures  elle 
était  en  bataiUe,  la  gauche  à  Arcole,  et  la  droite  vers  Cucca. 
L'armée  ennemie  appuyait  sa  droite  sur  l'Alpon,  vers  Fossa- 
Bassa,  et  sa  gauche  sur  les  rizières  de  San-Stelano.  Le  com- 
bat s'engagea  sur  toute  la  ligne.  Vers  trois  heures  le  déta- 
chement de  Lorced  ayant  dépassé  Cologna  à  la  rive  gauche 
de  l'Agno,  et  se  trouvant  en  mesure  de  canonner  le  flanc 
gauche  de  l'ennemi,  Bonaparte  voulut  assurer  le  succès  de 
cette  diversion  par  un  stratagème  :  le  nègre  Hercule,  chef 
d'escadron  des  guides,  reçut  l'ordre  de  se  porter  avec  vingt- 
cinq  hommes  et  quatre  trompettes  par  les  roseaux  et  les 


ARCOLE  —  ARDÈCHE 


773 


rizières  de  San-Stefano,  sur  les  derrières  de  l'ennemi,  et  de 
le  cLargor  à  grand  bruit.  Cet  oflicier  exécuta  sa  mission 
avec  intelligence  et  intrépidité.  L'ennemi  se  voyant  tourne 
par  la  colonne  de  Lorced,  dont  il  ne  pouvait  juger  la  force, 
et  se  croyant  pris  à  dos  par  un  corps  nomhreuv  de  cava- 
lerie, laissa  apercevoir  de  l'iiésilation.  Une  charge  générale 
enfonça  sa  ligne  et  la  culbuta  sur  la  réserve,  placée  entre 
Lonigo  et  Torre  de  Conlini,  l'entraînant  elle-même  dans  sa 
déroute.  Le  mi  me  jour  Bonaparte  poursuivit  les  .\utricliiens 
jusqu'à  Montebello  ;  le  leiklemain  il  les  suivit  jusqu'à  Miia- 
Nova.  Puis  il  revint  sur  Vérone  pour  secourir  Vaubois,  qui 
dès  le  17  avait  été  obligé  d'évacuer  Bussolengo  et  de  se  re- 
plier sur  Castel-Novo.  Davidowich,  attaqué  de  front  par  Mas- 
séna  et  Vaubois,  et  en  flanc  par  .\ugereau,  fut  forcé  de  se 
retirer  presque  en  fuyant:  on  lui  enleva  1,500  prison- 
niers, 9  canons ,  un  équipage  de  pont  et  beaucoup  de  ba- 
gages. 

Les  trois  joiniiées  d'Arcole  coûtèrent  à  Alvinczy  6,000  pri- 
sonniers, IS  canons,  4  drapeaux,  et  environ  18,000  morts, 
blessés  ou  égarés.  O^itre  Lannes,  Belliard,  Vignole,  on  cite 
parmi  les  généraux  blessOs  les  16  et  17  Verdier,  Bon,  Gar- 
danne  et  Vernes.  G"'  G.  de  Vaudo.ncoukt. 

ARÇO\  (  Technologie).  Voyez  Feutrage. 

ARÇOX  (Jean-Clalde-Léonor  LE  MICH.\UD  d'),  ha- 
bile iDgéaieur  militaire,  né  à  Pontarlier,  en  1733,  entra,  en 
1754,  à  l'école  de  Mézières,  et  bientôt  après  fut  admis  dans 
le  corps  du  génie.  Employé  pendant  les  deux  dernières  années 
de  la  guerre  dite  de  Sept-Ans,  il  eut  occasion  de  se  distin- 
guer, en  1761,  à  la  défense  de  Cassel.  Ce  fut  lui  qui  fut 
chargé ,  au  siège  de  Gibraltar,  de  réaliser  le  fameux  projet 
des  batteries  flottantes  insubmersibles  et  incombustibles , 
destinées  à  faire  brèche  au  corps  de  la  place  du  côté  de  la 
mer ,  tandis  que  les  batteries  de  terre  devaient  prendre  de 
revers  tous  les  ouvrages  que  les  premières  attaqueraient  de 
front.  Mais  les  intrigues  des  ennemis  de  d'Arçon  et  plu- 
sieurs circonstances  particulières  firent  échouer  cette  leftta- 
tive.  Lors  des  campagnes  de  Dumouriez,  d'Arçon  fut  chargé 
des  sièges  de  Bréda  et  de  Gertruydemberg,  et  f^orça  ces  deux 
villes  à  capituler.  Sa  capacité  reconnue  le  fit  appeler,  en 
1799,  au  bureau  militaire  du  Directoire  exécutif,  qui  n'é- 
tait composé  que  de  cinq  officiers.  Enfin,  après  le  18  bru- 
maire an  VIII  (9  novembre  1799),  il  fut  élu  membre  du  sé- 
nat, et  mourut  l'aimée  suivante. 

Ses  principaux  ouvrages  sont  :  1°  de  la  Force  militaire 
considérée  dans  ses  rapports  conservateurs,  etc.  (Stras- 
bourg et  Paris,  1789  et  1790,  in-8°)  ;  2°  Réponses  aux  Mé- 
moires de  Montalembert  sur  la  fortification  dite  perpen- 
diculaire (1790,  in-8°);  3°  Considérations  militaires  et 
politiques  sur  les  fortifications  (  1795,  in-8°);  4°  Consi- 
dérations sur  Vinjlnence  du  génie  de  Vauban  dans  ta 
balance  des  forces  de  l'État  (1788,  in-8").  Ces  divers  ou- 
vrages, remplis  d'idées  neuves  et  ingénieuses  sur  la  fortifi- 
cation et  sur  les  machines  de  gueire,  font  école  parmi  beau- 
coup de  nos  militaires.  Cependant  il  faut  convenir  que  le 
système  de  d'.\rçon ,  comme  la  plupart  des  systèaies,  est 
trop  exclusif.  Cet  ingénieur  s'élevait  avec  acharnement  con- 
tre ce  qu'il  appelle  des  canonnerics  sans  fin  et  sans  résul- 
tats. 11  regarde  la  multiplication  de  rarlilieiie  dans  nos 
armées  comme  un  signe  de  décadence  de  l'ait  de  la  guerre, 
et  plaide  la  cause  du  remparement.  Il  semblerait  pourtant 
que  les  canonneries  de  Wagram,  de  Friediand ,  d'Iéna, 
d'Austerlitz,  ne  furent  pas  tout  à  fait  sans  résultats,  et  l'on 
a  de  la  peine  à  se  figurer  qu'elles  furent  un  signe  de  la  dé- 
cadence  de  i'art  militaire.  Ciiahpacnac. 

ARCTIQUE  (du  grec  âp/.To;,  ourse).  Ce  mot  est  em- 
ployé pour  qualifier  le  pôle  septentrional ,  à  cause  du  voi- 
sinage de  ce  point  et  de  la  dernière  étoile  de  la  constella- 
tion appelée  Petite  Ourse.  Par  extension,  le  cercle  polaire 
de  l'hémisphère  septentrional  a  reçu  le  nom  de  cercle  po- 
laire arctique.   Pour  les  expéditions  au  pôle  arctique, 


voyez  l'article  Nord  (Expéditions  au  rôle  du). 

ARCTOPIIYL.AX.  Voyez  Iîolvikr. 

ARCIOPITIIÈQUES.  Voyez  Since. 

ARCÏL'RUS  (du  grec àpxToûpo;,  formé  de  àpxto;,  ourse, 
et  deoOpà,  queue),  étoile  fixe  de  la  première  grandeur, 
située  à  l'extrémité  de  la  constellation  du  IJouvier,  dont  elle 
fait  partie,  et  tirant  son  nom  de  son  voisinage  avec  la 
queue  de  la  Grande  Ourse. 

On  la  regarde  comme  l'étoile  fixe  la  plus  rapprochée  de 
nous  dans  l'iiémisphère  septentrional,  parce  que,  par  suite 
d'un  mouvement  qui  lui  est  propre ,  sa  variation  de  lieu 
est  plus  sensible  que  celle  de  toute  autre  étoile.  En  com- 
parant une  série  d'observations  faites  sur  la  quantité  et  la 
direction  du  mouvement  propre  de  cette  étoile,  on  en  a 
conclu  que  l'obliquité  de  l'écliptique  décroît  de  58"  par 
siècle,  quantité  qui  correspond  à  peu  près  à  la  moyenne 
des  computations  faites  par  Euler  et  Lagrange  sur  les  prin- 
cipes plus  certains  de  l'attraction. 

ARCUEIL,  petit  village  situé  à  environ  quatre  kilo- 
mètres de  Paris  ,  dans  une  vallée  encaissée  entre  la  route 
de  Fontainebleau  et  celle  d'Orléans ,  est  célèbre  par  Ta- 
queduc  qu'y  fit  construire  l'empereur  Julien,  pendant  son 
séjour  à  Paris,  pour  amener  les  eaux  du  Rougis  à  son  palais 
des  Thermes,  et  dont  il  subsiste  encore  aujourd'hui  quel- 
ques débris  contigus  à  l'aqueduc  moderne ,  construit,  en 
16!8,  sur  les  dessins  de  Jacques  Debrosses,  par  ordre  de 
Marie  de  Médicis,  pour  amener  les  eaux  de  Rougis  dans  les 
jardins  et  le  palais  du  Luxembourg,  qu'elle  faisait  alors 
bâtir.  Il  se  compose  de  vingt-quatre  arches  jetées  sur  le 
vallon  de  la  Bièvre ,  dans  une  largeur  de  400  mètres ,  avec 
une  élévation  de  24  mètres.  Un  conduit  souterrain  d'une 
étendue  totale  de  14,000  mètres  amène  ensuite  les  eaux, 
dans  un  chàteau-d'eau  situé  près  de  l'Observatoire,  d'où 
elles  vont  alimenter  les  fontaines  publiques  d'une  partie 
assez  considérable  de  Paris.  L'eau  de  Rongis,  ou,  pour  mieux 
dire ,  l'eau  d'Arcueil ,  est  très-claiie ;  mais  elle  contient  une 
assez  forte  quantité  de  sulfate  "de  chaux.  On  évalue  son 
débit  à  9  pouces  fontainiers. 

Le  célèbre  chimiste  B  e  r  t  h  o  1 1  e  t  possédait  une  maison 
de  campagne  à  Arcueil.  Comme  plusieurs  savants  do  ses 
amis ,  occupés  spécialement  de  l'étude  des  sciences  phy- 
siques, s'y  réunissaient  souvent,  ils  eurent  l'idée  de  former, 
dans  cette  tranquille  retraite  ,  une  véritable  académie  qui , 
sous  le  nom  de  Société  d'Arcueil,  a  publié  plusieurs  vo- 
lumes de  précieux  mémoires. 

ARCURE.  Cette  opération  de  jardinage  consiste  à 
courber  en  forme  d'arc  les  jeunes  brandies  d'arbres  frui- 
tiers, dans  le  but  d'empêcher  le  développement  des  brancha 
abois  et  défavoriser  celui  des  bourres  àjruits.  Quand 
elle  est  conduite  avec  ménagement ,  l'arcure  donne  de  bons 
résultats.  Mais  ii  ne  faut  pas  en  abuser,  comme  certains 
jardiniers  qui  l'ont  complètement  substituée  à  la  taille;  si 
la  quantité  des  fruits  se  trouve  considérablement  augmentée 
par  leur  procédé,  la  qualité  en  souffre,  et  les  arbres  soumis 
à  ce  régime  ne  tardent  pas  eux-mêmes  à  périr  d'épui- 
sement. 

ARDÈCIIE  (Département  de  1").  Ce  département  est 
formé  de  l'ancien  pays  du  Vivarais.  li  est  borné  au  nord  par 
les  départements  du  Rhône  et  de  la  Loire,  à  l'est  |)arceux 
de  l'Isère  et  de  la  Drôme  ,  au  sud  par  celui  du  Gard  ,  et  à 
l'ouest  par  ceux  de  la  Lozère  et  de  la  Haute-Loire. 

Divisé  en  5  arrondissements,  dont  les  chefs-lioux  sont 
Privas,  siège  de  la  préfecture,  l'Argentière  et  Tournon ,  il 
compte  31  cantons,  333  communes.  La  population  est  de 
385,835  individus.  Il  envoie  trois  députés  au  corps  lé- 
gislatif. Il  formé  avec  le  Gard,  l'IIcraut  et  la  Lozère,  le 
27''  arrondissement  forestier,  fait  partie  de  la  8*  division 
militaire,  dont  le  quartier  général  esta  Lyon,  ressortit 
à  la  cour  impériale  de  IStmes ,  compose  le  diocèse  de  Vi- 
viers, suffragant  de  l'archevêché  d'Avignon,  et  appartient  à 


774 

'académie  de   Grenoble 


ARDECHE 


U  lenfeiiae  1  lycée,  1  collège, 
2  insUtutions ,  703  écoles  primaires,  2  écoles  ecclésiastiques. 

Sa  siiperlicic  est  de  538,988  iiuctares,  dont  143,376  en 
landes,  pàtis,  bruyères,  terres  vagues;  128,943  en  terres 
labourables,  98,004  en   bois,  G2,S33  en  cultures  diverses, 
43,912  en  prés,   2G,8G3  eu  ^inn(.'^,  3,26;î  tn  oseraics,  aii- 
haics,  saussaies,  1,282  en  propiiclés  bâties  ,  1,205  en  ver- 
gers, pépinières  et  jardins,  17  en  élangs,  abreuvoirs,  inarts 
et  canaux  d'irrigation,  etc.   On  y  compte  cinq  iiuuillcros, 
produisant  155,000quinlaux  aiétri(iuesde  combuslible,  Irui.-. 
mines  de    fer  donnant  500,000   quintaux    métriques   de 
minerais  par  an  en  moyenne.  Il  paye  1,745,  811  fr.  d'impôt 
foncier.  La  presque  totalilé  du  déparlement  est  située  dans 
la  vallée  du  Rhône,  et  arrosée  par  le  Rliône  et  sesaflluents,  la 
Cance,  le  Doux,rÉrien,  l'Ouvèze,  le  Lavezon  , l'Escantay 
et  l'Ardècbe ,  qui  donne  son  nom  au  département.  Le  reste 
appartient  au  bassin  de  la  Loire,  et  renferme  les  sources  do 
ce  fleuve  et  celles  de  l'Allier.  Les  montagnes  des  Cévennes, 
qui  couvrent  à  l'ouest  ce  département,  y  forment  un  vaste 
aniphithéAlre ,  dont  les  degrés  vont  en  s'abaissaut  du  coté 
du  Rliône.  Les  points  culminants  de  la  chaîne  sont  le  Me- 
zonc  (1774  mètres  d'élévation),  le  Gcrbier-de-Joncs  (1562 
mètres),  et  le  plateaa  de  Tanargue  (1528  mètres).  A  l'ex- 
ception de  la  lisière  étroite  qui  règne  le  lor^g  du  Rhône ,  le 
départemint  ne  renferme  pas  de  plaine  large,  même  d'une 
lieue.  Le  sol  est  naturellement  fertile;  sa  nature,  assez  va- 
riée, offre  un  mélange  de  basaltes ,  de  laves  et  de  terres  sa- 
blonneuses ,  recouvert  d'une  faible  couche  de  terre  végé- 
tale. La  nature  a  réparti  sur  ce  pays  plusieurs  climats  dis- 
tincts :  une  chaleur  fécondante  se  fait  sentir  sur  les  bords 
du  Rhône;  les  environs  de  Saint-Julien  et  d'Annonai  sont 
sous  l'induence  d'un  climat  tempéré;  mais  dans  la  chaîne 
des  Cévenne-s,  qui  s'élève  à  l'ouest,  l'hiver  dure  près  de 
huit  mois ,  et  la  terre  est  souvent  couverte  d'une  épaisseur 
de  neige  considérable. 

Le  département  de  l'Ardèche  est  l'un  des  plus  riches  dé- 
partements de  la  France  en  curiosités  naturelles. 

[Le  cratère  de  Saint-Léger,  près  des  bords  de  l'Ardèche, 
exhale,  comme  la  grotte  du  Chien,  une  grande  quantité 
d'acide  carbonique;  le  pont  de  lu  Baume  est  une  coulée 
volcanique ,  présentant  une  masîe  de  basalte  disposée  en 
prismes  inclinés  dans  diverse.s  direcliuns,  et  posés  sur  une 
rangée  de  prismes  plus  gros ,  placés  perpendiculairement  les 
uns  à  côté  des  autres.  Ce  que  cette  colline  offre  de  plus  cu- 
rieux ,  c'est  une  belle  grotte  naturelle ,  composée  et  sur- 
montée de  prismes  disposés  régulièrement  en  arc,  comme 
par  la  main  de  l'homme.  La  montagne  de  Chencvari,  dont 
la  base  calcaire  supportait  un  dépôt  de  cailloux  roulés ,  est 
couronnée  par  une  masse  volcanique,  qui  du  côté  du  sud 
n'offre  qu'un  mur  de  laves  grises  et  rougeûtres ,  mais  qui  du 
côté  opposé  présente  le  singulier  asi)ect  d'une  colonnade 
basaltique  d'environ  six  cents  pieds  de  développement  ;  plus 
loin ,  un  rocher  surmonté  de  prismes  entassés  horizontale- 
ment ou  groupés  en  s'inclinant  vers  le  sol ,  supporte  les 
restes  du  vieux  château  de  Rochemaure  ;  près  du  bourg  de 
Vais,  connu  par  ses  eaux  minérales,  la  célèbre  chaussée 
des  Géants,  réunion  de  prismes  basaltiques  qui  bordent 
les  deux  rives  du  Volant;  non  loin  du  pont  de  Bridon,  la 
cascade  qui  tombe  en  bouillonnant  du  haut  d'une  montagne 
formée  de  basaltes  semblables  ;  le  majestueux  amas  de 
prismes  près  du  pont  de  Rigodel  ;  la  magnifique  chaussée 
formée  de  colonnes  gigantesques ,  près  du  village  de  Co- 
lombiers; la  belle  cascade  de  la  Gueule  d'enfer,  qui  tombe 
du  haut  d'un  rocher  granitique,  de  plus  de  cinq  cents  pieds 
de  liauteur,  recouvert  de  laves  prismatiques  :  tels  sont  les 
principaux  objets  qu'on  ne  peut  voir  sans  étonnemcnt.  L'un 
de  ceux  qui,  hors  du  domaine  de  la  volcanisation ,  ont  fait 
faire  le  plus  de  suppositions  sur  leur  origine,  est  le  pont 
naturel  d'Arc,  sous  lequel  coule  l'Ardèclie.  U  est  formé 
d'une  arche  à  plein  cintre  de  soixante  mètres  de  largeur,  et 


de  vingt-cinq  à  trente  de  hauteur,  percée  dans  un  rocher 
calcaire  qui  coupe  transversalement  une  délicieuse  et  ro- 
mantique vallée.  Dans  les  descriptions  géographiques  qui  en 
font  mention ,  on  le  représente  comme  le  résultat  d'une  rup- 
ture faite  dans  la  roche  par  les  eaux  de  l'Ardèche  et  termi- 
née par  la  main  de  l'homme ,  parce  que  depuis  l'époque  de 
la  domination  romaine  il  sert  de  passage  pour  aller  des  Cé- 
vennes dans  le  Vivarais  ;  mais  un  rocher  beaucoup  n^oins 
considérable  que  celui  d'Arc,  loin  de  pouvoir  être  percé  par 
la  rivière,  l'aurait  forcée  à  détourner  son  cours,  et  nul  in- 
dividu n'a  cherché  à  perfectionner  cet  ouvrage  de  la  nature, 
puisqu'on  ne  peut  le  traverser  qu'en  ayant  soin  de  se  te- 
nir constamment  attaché  par  les  mains  aux  aspérités  qui  le 
couronnent.  Nul  doute,  au  contraire,  que  l'Ardèche  n'ait  pas 
même  contribué  à  l'agrandir ,  puisque  l'arche  n'offre  point 
de  trace  du  frottement  des  eaux ,  et  que  le  pont  ne  soit 
une  véritable  caverne,  comme  celles  qui ,  par  une  dégrada- 
tion naturelle ,  se  sont  formées  dans  le  môme  calcaire  qui 
borde  la  rivière ,  dégradation  qui  est  un  des  caractères 
de  ce  calcaire  que  l'on  appelle,  pour  cette  raison,  cuver- 
tieux.  Les  grottes  des  environs  du  bourg  de  Vallon ,  dues 
à  la  même  cause,  sont  connues  par  la  bizarrerie  et  la  variété 
des  formes  que  présentent  leurs  stalactites  ;  les  rochers  de 
Ruoms,  au  contraire,  étonnent  par  leurs  formes  cubiques  ou 
pyramidales.  A  Imit  lieues  nord-ouest  de  l'Argentière  s'é- 
lèvent graduellement  les  collines  qui  forment  la  montagne 
volcanique  de  Prasoncoupc,  dont  le  nom  signifie  coM^^e  ou 
cratère  des  prés ,  parce  qu'elle  domine  de  belles  prairies, 
et  dont  la  hauteur  est  d'environ  1000  mètres  au-dessus  de 
la  Méditerranée.  Ce  volcan  est,  par  l'abondance  de  ses  laves, 
un  des  plus  importants  du  Vivarais.  De  ses  flancs  sortent 
les  eaux  thermales  ,  sources  de  richesses  pour  le  village  de 
Saint-Laurent-les-Buins.  Du  sommet  du  Prasoncoupe  la 
scène  change  :  à  l'aridité  de  cette  vallée  succède  ,  autour  du 
volcan,  l'heureuse  fertilité  d'une  terre  couverte  de  bois ,  de 
prairies ,  d'eaux  abondantes  et  de  champs  cultivés.  Du  haut 
du  volcan  de  Loubaresse  le  spectacle  est  encore  plus  beau, 
la  vue  s'étend  sur  la  vallée  de  Valgorge,  la  plus  pittoresque  du 
^'ivarais  par  ses  milliers  de  pics  et  d'aiguilles  et  sa  belle  végé- 
tation ,  dont  la  disposition  offre  à  chaque  pas  la  succession 
inattendue  de  sites  riants  ou  sauvages.       Malte-Bkun.] 

Les  granits  et  les  gneiss  qui  bordent  le  département  au 
nord-ouest,  les  psammites  et  les  schistes  qui  s'appuient  sur 
ces  roches,  les  calcaires  qui  viennent  parallèlement  s'y 
adosser  et  la  bande  volcanique  qui  se  termine  biusquement 
aux  bords  du  Rhône  parles  basaltes  de  Rochemaure,  comme 
si  le  fleuve  avait  servi  de  barrière  au  torrent  de  laves ,  se 
réunissent  aux  environs  d'Aubenas ,  où  la  couche  d'allu- 
vion,  résultat  do  l'érosion  des  vallées  qui  ont  sillonné  ces 
terrains ,  forment  un  sol  si  fertile  qu'a  l'aspect  des  noyers , 
des  châtaigniers ,  des  mûriers  et  des  vignobles  qui  le  cou- 
vrent ,  on  peut  dire  qu'il  est  en  France  peu  de  pays  plus 
riches. 

Parmi  les  animaux  sauvages  que  nourrit  le  département 
de  l'Ardèche ,  ceux  qui  méritent  le  plus  d'être  cités  sont 
le  blaireau  et  les  belettes,  qui  y  sont  assez  communs  ;  on  y 
trouve  aussi  des  civettes.  Les  eaux  y  sont  en  général  très- 
poissonneuses.  On  y  récolte  des  truffes. 

Les  essences  dominantes  dans  les  forêts  .sont  le  pin,  le  sa- 
pin et  le  hêtre.  Les  coteaux  à  l'ouest  de  l'Ardèche  sont  cou- 
verts dévastes  forêts  de  marronniers,  qui  fournissent  les  ex- 
cellents marrons  dits  de  Lyon. 

Les  substances  minérales  sont  très- variées.  On  trouve  du 
granit,  du  schiste,  dos  marbres,  des  pierres  calcaires,  du 
grès,  du  gypse,  des  basaltes,  des  laves  et  des  pouzzolanes. 
Il  existe  un  grand  nombre  de  mines  de  bouille;  une  mine  de 
fer  très-riche,  à  peu  de  distance  du  Rhône;  une  mine  de 
plomb,  aux  environs  de  Tournon  ;  on  exploite  l'antimoine 
à  Malbosc,  et  des  mines  de  plomb  argentifère  à  l'Argentière. 
Il  y  a  aussi  un  grand  nombre  de  sources  d'eaux  thermales  et 


ARDÈCHK  —  AnDE?s^'ES 


minéralos  dans  le  département;  outre  celles  de  Saint-Lau- 
rent, nous  citerons  encore  celles  de  Vais. 

Ce  département  présente  de  riches  cultures  dans  certaines 
parties;  cependant  la  récolte  en  céréales  est  insuffisante  pour 
ia  consommation  de  ses  habitants.  Les  principales  cultures 
sont  la  vigne  et  le  mûrier.  La  vigne  donne  des  produits 
importants  ;  ses  vins  sont  en  général  trés-estimés  :  les  vins 
blancs  fins  de  Saint-Péray ,  les  vins  rouges  de  Cornas, 
sont  excellents.  Le  nombre  des  plantations  de  mûriers  est 
co'nsidérahle.  La  pomme  de  terre  entre,  avec  la  châ- 
taigne, pour  une  notable  portion  dans  la  nourriture  des  ha- 
bitants. L'engrais  des  bestiaux  en  général ,  celui  des  porcs 
et  des  dindons  en  particulier,  l'élève  des  chèvres  pour  les 
peaux,  l'éducation  des  abeilles  et  surtout  des  vers  à  soie 
sont  les  branches  principales  de  l'industrie  agricole  du  pays. 

Le  département  de  l'Ardèche  possède  des  manufaciures 
très-importante»,  dont  les  produits  les  plus  renommés  sont 
les  soies  filées  et  les  papiers;  des  fabriques  de  draps  et  lai- 
nages, tissus  de  filoselle,  chapeaux  de  paille,  huile  de  noix  ; 
des  taniierics,  mégisseries,  teintureries,  ganteries. 

Ce  département  possède  2  cours  d'eau  navigables  (  le 
Rhône  et  l'.^rdèclie),  7  routes  impériales,  28  routes  dé- 
partementales et  2,410  chemins  vicinaux.  Le  tout  formant 
464  kilomètres  de  routes  impériales,  1,841  de  routes  dépar- 
raentales,  4,590  de  chemins  vicinaux.  Le  chemin  de  fer 
de  Lyon  à   la  Méditerranée  borde  ses  limites. 

Les  villes  et  les  lieux  les  plus  remarquables  du  départe- 
ment de  l'Ardèche  sont  Privas,  son  chef-lieu;  V Argen- 
tier e ,  qui  trouve  dans  les  fabriques  et  les  filatures  de  soies 
plus  de  ressources  que  n'auraient  pu  lui  en  procurer  les  pro- 
duits métalliques  d'où  elle  tire  son  nom;  au  sud-ouest  de 
ce  chef-lieu  de  sous-préfecture,  sur  les  bords  du  Rhône , 
Bourg-Saint- Andéol,  qui,  dit-on,  doit  son  nom  à  saint  An- 
déol,  qui  y  souffrit  le  martyre  au  commencement  du  troi- 
sième siècle.  Près  de  cette  ville  on  voit,  sur  le  rocher  d'oii 
s'échappe  la  fontaine  d'eau  minérale  de  Tournez,  les  ruines 
d'un  temple  gaulois  qui  paraît  avoir  été  consacré  au  dieu 
Mitlu-a.  —  Le  village  àWps  est  l'ancienne  capitale  de  VHel- 
vie,  que  les  Romains  appelaient  Alba  Helviorum ,  et  qui 
fut  ruinée  par  les  Goths.  Près  de  là  est  ViUeneuve-de-Berg , 
où  l'on  s'occupe  beaucoup  de  l'éducation  des  vers  à  soie. 
Sur  le  bord  du  Rhône,  Vivier  s,  qut  était  autrefois  la  capi- 
tale du  Yivarais;  Aubenas,  où  se  concentre  le  commerce 
des  maiTons  et  des  vins  de  l'Ardèche.  —  Non  loin  des  bords 
du  Rhône,  le  village  de  Cornas  et  le  bourg  de  Saint-Péray, 
renommés  poui'  leurs  vins;  en  suivant  le  fleuve,  on  voit 
Tournon;  —  près  de  là  on  voit  sur  le  Doubs  les  ruines  d'un 
pont  attribué  à  César.  Puis  viennent  les  villes  àWndrace  et 
d'Annonai,  cette  dernière  célèbre  par  ses  belles  papeteries. 

ARDEiMXES  ( Département  des).  Ce  département,  l'im 
des  quatre  que  forme  la  Champagne,  est  borné  au  nord,  au 
nord-est  et  au  nord-ouest  par  les  Pays-Bas,  à  l'est  par  le 
département  de  la  Meuse ,  au  sud  par  celui  de  la  Marne , 
et  à  l'ouest  par  celui  de  l'Aisne. 

Divisé  en  cinq  arrondissements,  dont  les  chefs-lieux  sont 
Mézières ,  Réthel,  Rocroi,  Sedan  etVouziers,  il  compte 
31  cantons  et  478  communes.  Sa  population  est  de  322,138 
individus.  Il  envoie  deux  députés  au  corps  législatif.  Il 
forme  avec  le  département  de  la  ÎNIarne  le  10^  arrondisse- 
ment forestier,  fait  partie  de  la  4®  division  militaire,  dont 
le  quartier  général  est  à  Châ!ons-sur-Marne ,  ressortit  à  la 
cour  impériale  de  Metz,  à  l'académie  de  Douai,  et  e-.t 
compris  dans  le  diocèse  de  Reims.  Il  possède  3  col'r.'pos, 
2  institutions,  -1  pensions,  719  écoles   primaires. 

Sa  superficie  est  de  517,385  hectares,  dont  314,223  en 
terres  labourables,  95,461  en  bois,  4S,190  en  prés,  20,876 
en  forêts,  domaines  non  productifs,  10,821  en  landes,  pûtis, 
bruyères,  etc.,  9,802  en  vergers,  pépinières  et  jardins, 
2,720  en  rivières,  lacs,  ruisseaux,  1,725  en  vignes,  1,302  en 
propriétés  bâties,  8:î3  en  ciiUures  diverses,  497  en  étangs, 


775 

abreuvoirs,  mares,  canaux  d'irrigation,  h.^îO  en  oseraies, 
annaies,  saussaies,  281  en  canaux  de  navigation,  etc.  — 
On  y  compte  64,273  maisons,  507  moulins,  46  forges  et 
fourneaux,  499  fabriques  et  manufactures.  _  Il  paye 
2,297,203  fr.  d'impôt  foncier.  Il  produit  plus  d'un  mil* 
lion  de  quinlaux  métriques  de  minerai  de  fer. 

Ce  département,  qui  a  pris  le  nom  d'une  de  ses  forêts, 
est  situé  dans  les  bassins  de  la  Meuse  et  de  la  Seine.  La 
chaîne  des  plateaux  de  l'Argonne ,  qui  sépare  ces  deux  bas- 
sins et  se  continue  avec  les  plateaux  de  l'Ardenne,  le  coupe, 
du  sud-est  au  nord-ouest,  en  deux  parties  presque  égales. 
A  l'est  de  cette  ligne  de  partage,  la  pente  générale  du  terrain 
est  du  sud  au  nord  ;  c'est  dans  cette  partie  que  coulent  la 
Meuse  et  ses  affluents,  le  Chiers,  la  Semoy,  la  Bar,  la  Vence, 
la  Sormonne  et  le  Viroi.  L'autre  portion,  au  couchant  de 
la  même  ligne,  penche  vers  l'ouest,  et  est  arrosée  par  l'Oise, 
qui  y  a  sa  source,  et  son  affluent  le  Ton ,  par  la  Retourne, 
et  par  l'Aisne  avec  ses  affluents,  l'Aire  et  la  Vaux.  Les  points 
culminants  de  l'Argonne  s'élèvent  à  environ  500  mètres. 

Le  département  des  Ardennes  abonde  en  gibier,  mais 
malheureusement  il  nourrit  aussi  beaucoup  d'animaux  nui- 
sibles; le  renard  et  le  loup,  notamment,  y  sont  très-com- 
muns. Ses  rivières  sont  poissonneuses  ;  la  Meuse  lui  fournit 
de  beaux  saumons.  —  Les  espèces  dominantes  dans  les 
forêts  sont  le  chêne,  le  hêtre,  le  frêne ,  l'orme ,  le  charme 
et  le  bouleau.  —  Le  fer  elles  ardoises,  qui  sont  estimées 
les  meilleures  delà  France,  forment  les  principales  richesses 
minérales  du  département.  On  y  trouve  aussi  de  la  houille, 
du  plomb,  delà  calamine,  des  marbres  de  toutes  couleurs, 
de  l'argile  à  creuset,  du  sable  à  verre. 

Le  département  des  Ardennes  est  un  pays  agricole,  et 
l'art  sous  ce  rapport  y  est  avancé.  Les  trois  cinquièmes  des 
terres  y  sont  livrés  à  la  charrue.  La  récolte  des  céréales  dé- 
passe les  besoins  de  la  consommation  locale.  Le  pays  pro- 
duit peu  de  vin  ;  mais  on  y  cultive  les  poiriers  et  les  pom- 
miers pour  le  cidre,  qui,  avec  la  bière,  forme  la  boisso? 
habituelle  des  habitants.  L'élève  des  bestiaux  pour  la  bon 
chérie,  les  chèvres  cachemires ,  les  moutons  de  races  amé- 
liorées ,  l'éducation  des  abeilles ,  sont  des  branches  très- 
importantes  de  l'industrie  agricole.  Les  bois,  débris  de 
l'antique  forêt  des  Ardennes,  forment  aussi  l'un  des  prin- 
cipaux revenus  du  déparlement. 

L'industrie  manufacturière  des  Ardennes  est  très-impor- 
tante, variée  et  très-aclive;  mais  il  faut  mettre  au  premier 
rang  les  manufactures  de  draps  célèbres  dont  Sedan  est  le 
centre  de  fabrication.  Le  pays,  qui  fait  un  grand  commerce 
de  laines,  possède  aussi  un  grand  nombre  d'autres  manu- 
factures où  l'on  fabrique  des  draps  de  toutes  sortes,  des 
châles  cachemires,  de  la  flanelle  et  des  tissus  mérinos. 
Viennent  ensuite  les  usines  métallurgiques  :  hauts  four- 
neaux, affineries,  mouleries,  lamineries  et  tréfileries  de  fer, 
fonderies  et  lamineries  de  cui\Te,  de  zinc  et  de  laiton  ;  fa- 
briques considérables  de  batteries  de  cuisine  et  de  chau- 
dronnerie, etc.  ;  il  y  a  aussi  des  fabriques  de  céruse,  de 
pipes  de  terre,  des  verreries,  des  manufactures  de  porce- 
laine, des  tanneries  et  des  brasseries  importantes  ;  des  dis- 
tilleries d'eau-de-vie  de  cerises,  de  prunes  et  de  grains. 

Outre  les  ardoisières  célèbres  de  Fumay,  Fépin,  Rimo- 
gue,  etc. ,  il  existe  aux  environs  de  Givet  d'importantes 
exploitations  de  marbres.  C'est  principalement  à  Charlc- 
ville  et  à  Givet  que  se  concentrent  tous  les  produits  pour 
l'exportation. 

Lo  département  des  Ardennes  a  4  cours  d'eau  ,  la  Meuse, 
leCliieis,  le  Semoy  et  l'Aisne;  2  canaux,  le  canal  de» 
Ardennes  et  le  canal  de  Sedan  ;  6  routes  impériales,  4 
routes  départementales  et  3,351  chemins  vicinaux.  Il  est 
traversé  par  le  chemin  de  fer  de  Reims  à  Mézières. 

Parmi  les  principales  villes  du  département  nous  citerons 
.Mézières,  siège  delà  préfecture,  et  que  la  Meuse  sépare  de 
Charlcville;  Vouziers,  ch:  f-lieu  de  sous-préfccture,  avec 


77G 


AKDENNES  —  ARE 


un  millier  d'iiabifants  ;  Donchery,  que  l'on  aperçoit  sur  la 
droite  de  la  Meuse,  était  une  ville  importante  avant  la  réu- 
nion de  Sedan  z.  la  France;  Atligni,  sur  la  rive  gauche  de 
l'Aisne,  était  la  résidence  des  rois  de  la  première  race;  Ré- 
thel  est  arrosé  par  la  même  rivière,  qui  commencée 
devenir  navigable  à  Château-Porcïcn.  S  edan  est  renommé 
par  ses  manufactures.  La  Meuse  coule  encore  au  pied  de 
Futnay,  ville  de  1600  habitants,  et  dont  les  carrières  tail- 
lées dans  le  schista  peuvent  fournir  annuellement  quarante 
millions  d'ardoises.  Près  de  la  frontière ,  elle  sépare  Givet 
de  C  h  a  r  1  e  m  0  n  t.  Nommons  enfin  R  o  c  r  o  i,  célèbre  par  la 
Tictoirc  que  le  grand  Condé  remporta  sur  les  Espagnols. 

ARDEIVKES  (Forêt  des).  La  forôt  qui  porte  aujour- 
d'hui ce  nom  s'étend  sur  la  rive  gauche  de  la  Meuse ,  de- 
puis les  environs  de  Sedan  jusqu'à  Givet,  dans  la  partie 
orientale  du  département,  appelé,  pour  ce  motif,  des  Ar- 
dennes.  A  la  gauche  de  la  Meuse,  elle  se  prolonge  du  sud 
au  nord  du  Luxembourg  jusque  vers  Aix-la-Chapelle,  et  à 
l'orient  jusqu'aux  sources  de  l'Ourthe. 

Cette  forêt  était  autrefois  bien  pius  considérable;  César  la 
signale  comme  la  plus  vaste  des  Gaules,  il  dit  qu'elle 
couvrait  en  largeur  l'espace  compris  entre  le  Rhin  et  les 
frontières  du  Rémois ,  et  en  longueur  celui  qu'embrassent 
les  bords  du  Rhin ,  les  frontières  des  Tréviriens  et  celles 
des  Nerviens  (Hainaut),  en  tout  500  milles  (GSO  kilo- 
mètres). Cette  indication  de  César  a  été  rudement  critiquée 
par  les  glossateurs  du  seizième  et  du  dix-septième  siècle, 
qui  se  sont  môles  de  géographie  sans  l'appuyer  sur  l'histoire 
ou  sur  un  examen  local.  Cluverius  s'y  est  surtout  distingué 
en  torturant  un  passage  falsifié  de  Strabon,  pour  réduire 
la  longueur  des  Ardennes  à  50  milles.  ISIais  le  passage  de 
Strabon,  traduit  correctement  par  Casaubon,  porte  cette 
étendue  à  4,000  stades,  qui  font  500  milles  romains.  La 
raison  seule  suffit  pour  convaincre  que  César ,  qui  a  connu 
et  conquis  les  Gaules,  a  dû  beaucoup  mieux  savoir  ce  qui 
existait  de  son  temps  que  des  commentateurs  qui,  seize 
siècles  après  lui ,  s'occupaient  plus  à  faire  la  guerre  aux 
mots  quà  étudier  les  choses. 

Malgré  les  grandes  lacunes  que  les  progrès  de  la  culture 
et  l'augmentation  de  la  population  ont  faites  dans  cette  vaste 
forêt,  il  est  facile,  en  examinant  les  bonnes  cartes  topogra- 
phiques que  nous  avons  aujourd'hui ,  de  reconnaître  son 
ancienne  superficie.  Les  Ardennes  commençaient  au  dépar- 
tement de  l'Ain,  suivaient  les  deux  rives  du  Doubs  et  le 
Jura,  et  couvraient  les  Vosges  et  une  grande  partie  de  la 
Lorraine,  toute  la  partie  orientale  de  la  ]\Ioselle  et  le 
Hundsruck,  jusque  vers  Mayence  et  Trêves.  Elles  abritaient 
le  Luxembourg ,  le  Limbourg  et  une  partie  du  pays  des 
Rémois  et  de  la  province  de  Cologne.  Sur  la  rive  droite  de 
la  Meuse  elles  s'avançaient  jusque  dans  la  Néerlande.  Sur 
la  rive  gauche,  elles  franchissaient  la  Sambre  et  se  dérou- 
laient dans  le  Hainaut  et  la  Flandre,  jusqu'aux  marais  qui 
avoisinaient  la  mer. 

Le  nom  d' Ardennes  ou  Arduenna  silva  est  un  appellatif 
général.  Ardanac  ou  Arduanac,  en  gaulois,  signifie  très- 
grand,  très-étendu.  C'était  donc  l'immense  forêt,  de  même 
que  la  forêt  Hercynienne,  le  Harz  (  en  germanique ,  vaste 
forêt).  En  effet,  les  différentes  parties  des  Ardennes  avaient 
des  noms  propres.  Celle  qui  couvrait  les  Vosges  s'appelait 
Vosagum,  et  celle  du  Hainaut,  autour  de  Bavai,  Carbo- 
naria.  G*'  G.  de  Valdo.ncourt. 

ARDENTES  (Fontaines).  Yoyct  Fontaines. 

ARDOISE ,  sorte  de  schiste  dont  la  couleur  est  tantôt 
d'un  bleu  plus  ou  moins  foncé  ;  tantôt  verte ,  jaunâtre  ou 
rougeàtre  ;  d'autres  sont  d'un  gris  plus  ou  moins  clair. 

On  prétend  que  les  premières  ardoises  ont  été  tirées  du 
paysd'Ardes,  en  Irlande  :  d'où  le  nom  latin  de  ce  pays, 
Ardesia,  leur  a  été  donné. 

Les  usages  de  l'ardoise  sont  assez  multipliés  :  le  bloc 
étant  divisé  en  lames  minces,  on  en  couvre  les  maisons;  le 


bloc  non  divisé  sert  de  pierre  à  bâtir;  quand  les  feuillets 
ont  une  certaine  épaisseur ,  on  en  fait  des  carreaux ,  des 
dalles  pour  paver  les  vestibules ,  les  salles  à  manger  ;  les 
ardoises  servent  encore  de  tablettes ,  sur  lesquelles  on  écrit 
avec  un  crayon  ;  enfin ,  il  y  a  des  peintres  qui  confient  les 
produits  de  leur  talent  à  l'ardoise,  plus  unie  et  plus  durable 
que  la  toile. 

Les  bancs  d'ardoise  se  rencontrent  à  la  surface  de  la 
terre ,  sur  les  flancs  des  montagnes  ou  dans  leur  intérieur  ; 
ils  sont,  en  général,  d'une  étendue  immense,  et  leur  plan 
est  presque  toujours  plus  ou  moins  incliné  à  l'horizon  ;  les 
feuillets  élémentaires  dont  la  masse  est  composée  sont  tous 
parallèles  entre  eux,  et  ont  la  même  direction,  comme  les 
feuillets  d'un  livre  fermé;  plus  on  descend  dans  une  ardoi- 
sière ,  plus  la  dureté  du  banc  augmente  ;  on  observe  tout  le 
contraire  dans  les  autres  carrières  à  pierres,  qui,  comme  on 
sait ,  diminuent  de  dureté  à  mesure  qu'on  descend  dans  la 
terre. 

L'exploitation  des  carrières  d'ardoise  se  fait  à  ciel  décou- 
vert ou  par  galeries,  suivant  la  position  et  l'inclinaison  du 
banc;  on  détache  les  blocs  en  pratiquant  avec  un  pic,  dont 
il  faut  souvent  refaire  la  pointe,  une  tranchée  dans  la  masse  ; 
on  refend  le  bloc  avec  des  coins  de  fer,  de  bois ,  etc.  Le 
bloc  extrait  de  la  carrière  est  livré  à  des  oumers  qui  le 
façonnent  et  le  fendent,  au  moyen  de  ciseaux,  en  lames 
minces,  auxquelles  ils  donnent  la  forme  et  les  dimensions 
convenables.  Si  le  bloc  reste  pendant  un  certain  temps 
exposé  à  l'air,  il  n'est  plus  susceptible  d'être  divisé  en 
feuillets;  mais,  chose  bien  plus  singulière,  si  le  bloc  est  gelé 
il  se  fend  plus  facilement  qu'auparavant,  propriété  qu'il 
perd  par  le  dégel ,  et  qu'il  recouvre  s'il  éprouve  une  nou- 
velle gelée.  Cependant  il  devient  mtraitable  s'il  est  soumis 
successivement  à  l'action  de  plusieurs  gelées. 

En  général,  les  ardoises  les  plus  dures,  les  plus  pesantes, 
les  plus  sonores,  sont  les  meilleures;  il  faut  rejeter  celles 
qui  s'imbibent  facilement  d'eau.  On  reconnaîtra  ce  défaut 
en  plongeant  verticalement  l'ardoise  dans  l'eau  par  un  bord 
seulement  :  si  au  bout  de  vingt-quatre  heures  le  liquide  ne 
s'est  pas  élevé  dans  l'ardoise  de  plus  d'un  centimètre  au- 
dessus  de  sa  surface,  l'ardoise  est  de  bonne  qualité;  elle 
sera  d'autant  plus  mauvaise  que  l'eau  aura  trouvé  plus  de 
facilité  à  la  pénétrer.  On  augmente  la  dureté  des  ardoises 
en  les  faisant  cuire  dans  un  four  à  brique,  où  on  les  chauffe 
jusqu'au  rouge  pâle.  Cette  opération  les  fait  durer  le 
double,  et  ne  les  rend  pas  plus  cassantes;  seulement  après 
on  ne  peut  plus  les  tailler  ni  les  percer. 

Les  noms  que  l'on  donne  communément  aux  ardoises 
sont  les  suivants  :  i°  la  carrée,  elle  a  trente  centimètres  de 
long  sur  vingt-deux  de  large;  elle  est  de  première  qualité; 
2°  gros-noir,  même  qualité  que  la  précédente,  ses  dimen- 
sions sont  inférieures;  3"  poil-noir,  ressemble  au  gros- 
noir,  mais  elle  est  plus  mince;  ^°  poil-taché  ;  b"  poil-roux  : 
ces  deux  dernières  espèces  ne  diffèrent  pas  beaucoup  du 
poil-noir  ;  6°  la  carte  :  cette  espèce  est  de  même  qualité 
que  la  carrée,  mais  plus  petite  et  plus  mince;  7°  ïéridelle, 
étroite  et  longue,  a  deux  côtés  taillés  et  les  autres  bruts; 
8°  la  coffine,  ardoise  convexe  propre  à  couvrir  les  toits  en 
voûtes  et  les  dômes. 

On  trouve  des  ardoisières  à  Angers  (  ce  sont  les  plus 
abondantes),  à  quelques  lieues  de  Charleville,  à  Murât, 
à  Prunet  en  Auvergne,  et  près  ia  ville  de  Fumay  (Ar- 
dennes). Teyssédre. 

ARDOISES  ARTIFICIELLES.  royCAiiTON-PiERRE. 

ARE  (du  latin «refl,  surface),  unité  adoptée  dans  notre 
système  métrique  pour  les  mesures  agraires.  C'est  un 
carré  dont  le  côté  a  10  mètres  de  longueur,  et  qui  pré- 
sente par  conséquent  100  mètres  carrés  de  superficie.  Le 
seul  multii)le  de  l'are  qu'on  emploie  e^Wlicclare  (  100  ares  ), 
carré  dont  le  côté  a  100  mètres  de  longueur.  On  ne  peut  se 
servir  du  décaarc  (  10  ares  ),  parce  que  ce  serait  une  surface 


AUK  —  ARENBERG 

de  1,000  inMios  carrés,  et  que,  la  racine  cari-ée  de  1,000 
étant  incommensurable,  il  est  impossiMc  de  calculer 
exactement  le  côté  de  celle  lii^nre;  la  môme  observation 
s'applique  au  kUiare,  et ,  parmi  les  sous-mulliples ,  au  dé- 
ciare  et  au  mïUiare.  Aussi,  de  ces  sous-mulliples,  on 
n'emploie  que  le  centiare,  ou  centiî?me  partie  de  l'are;  c'est 
le  mètre  carré. 

L'are ,  exprimé  en  toises  carrées ,  à  moins  d'un  demi- 
niillioniéme  près,  vaut  ac.32'«493  toises  carrées;  donc 
pour  convertir  un  nombre  donné  d'ares  en  toises  c<irrécs , 
il  faut  multiplier  ce  nombre  par  26.324...,  en  prenant  plus 
ou  moins  de  cbifires  décimaux  ,  suivant  l'approxiiiialion 
qu'on  veut  obtenir.  On  trouve  ainsi  qu'un  hectare  équivaut 
à  20,324,493  toises  carrées.  De  même ,  la  toise  carrée,  ex- 
primée en  mètres  carrés,  vaut  3.7987;  d'où  l'arpent  de 
Paris  ,  composé  de  100  perches  carrées  de  Paris  ou  de  900 
toises  carrées ,  équivaut  à  34.18S7  ares.  Remarquons  seu- 
lement que ,  quand  on  voudra  faire  usage  de  ces  rensei- 
gnements il  faudra  se  rappeler  que  la  grandeur  des  ar- 
pents variait  avec  la  localité. 

AREC,  .\RECAou  ARÈQUE,  genre  de  la  famille  des  pal- 
miers ,  et  qui  renferme  neuf  espèces  distinctes ,  suivant  la 
classification  de  M.  Blume.  'L'arecade  l'Inde,  désignée  par 
Linné  sous  le  nom  d'oreca  catcchu,  parce  qu'il  croyait 
qu'elle  fournissait  le  cachou  ,  ressemble  au  cocotier  et  s'élève 
pareillement  à  une  grande  hauteur  ;  elle  croît  principalement 
aux  Moluques  et  à  Ceylan.  Son  fruit ,  connu  sous  le  nom 
de  noix  d'arec,  présente  une  pulpe  employée  par  les  Indiens 
dans  la  fabrication  du  bétel.  Les  autres  arecs  ont  moins 
d'importance  ;  cependant ,  M.  Martius  a  fait  de  ce  genre  le 
type  de  la  tribu  des  Arécinées. 

On  a  longtemps  appelé  ^Irec  d'Amérique  un  des  arbres 
les  plus  élégants  du  ^'ouveau  Jlonde ,  présentant  au  centre 
de  son  feuillage  une  espèce  de  bourgeon  terminal ,  qui  pos- 
sède la  saveur  de  l'artichaut,  et  qu'on  mange  aux  Antilles 
sous  le  nom  de  chou  palmiste.  Mais  dans  les  classifica- 
tions modernes  ce  palmier  américain  a  été  retiré  des 
arecs  pour  entrer  dans  le  genre  oreodoxa,  qui,  du  reste, 
en  est  très-voisin.  11  fournit- encore  de  l'huile  qu'on  extrait 
de  son  fruit,  et  sa  moelle  donne  une  farine  qui  ressemble 
au  sagou. 

AREIVA  (Joseph).  Au  moment  où  éclata  la  révolution 
française ,  la  famille  .\rena  était  une  des  plus  considérables 
de  la  Balagne,  district  de  Corse.  Élevés  dans  les  idées  du  dix- 
huitième  siècle,  les  jeunes  Arena  embrassèrent  avec  ardeur 
les  principes  de  la  révolution  ;  Joseph  fut  nommé,  à  vingt  et 
un  ans ,  chef  de  bataillon  des  gardes  nationales  de  son  dis- 
trict ;  il  fut  un  des  premiers  à  demander  le  rappel  de  Paoli, 
qui  vivait  en  exil  à  Londres.  Nourri  de  l'histoire  des  répu- 
bliques anciennes,  Arena  se  montra  rigide  dans  ses  principes 
et  républicain  austère.  La  popularité  de  Paoli  et  l'ascendant 
qu'elle  lui  donnait  dans  le  pays  lui  déplurent;  de  partisan 
enthousiaste  du  vieux  général,  il  ne  tarda  pas  à  devenir  son 
ennemi.  11  dut  alors  chercher  en  France  im  refuge ,  et  se 
rendit  à  Toulon,  où  il  se  distingua  en  qualité  d'adjudant- 
général  lors  du  siège  de  cette  ville. 

Député  en  1796  par  le  département  de  la  Corse  au  Corps 
législatif,  il  demanda  des  mesures  de  vigueur  contre  son 
pays ,  où  s'agitait  encore  le  parti  anglais.  Ennemi  déclaré  de 
la  famille  Bonaparte,  il  envoya  sa  démission  de  chef  de 
brigade  de  la  gendarmerie  après  le  18  bnunaire.  A  partir  de 
ce  moment,  Arena,  se  jetant  dans  l'opposition,  se  lia  avec 
quelques  mécontents  qui  avaient  résolu  d'assassiner  Bona- 
parte à  l'Opéra.  La  conspiration,  dans  laquelle  étaient  entrés 
le  sculpteur  Ceracchi ,  le  peintre  Topino-Lebnm,  Diana  et 
Demerville  ,  fut  découverte  par  ce  dernier  à  Barrcre  ,  dont 
il  avait  été  le  secrétaire,  et  qui  se  hâta  d'en  informer  la  po- 
lice. Les  conspirateurs  furent  arrêtés  au  théâtre  et  mis  aus- 
sitôt en  jugement  ;  l'instruction  se  continuait  lorsqu'ent  lieu 
l'explosion  de  la  machine  infernale.  Arena,  eu  apprenant 

BICT.    DE   LA  eo.NYERSATIOM.    —   T.    I. 


777 

cet  événement,  dit  à  ses  amis  :  Ceci  est  notre  arrêt  de 
mort  ;  en  effet,  quelques  jours  après  (le  31  janvier  1801  ), 
il  portait  sa  tète  sur  l'échafaud. 

ARLNA  (Bartuélemy  ),  frère  du  précédent,  et  comme 
lui  né  à  l'île  Rousse  (  Corse  ),  embrassa  avec  ardeur  les 
principes  de  la  révolution ,  et  prit  une  part  acti\  e  aux 
troubles  qui  agitèrent  la  Corse  jusqu'à  l'arrivée  des  Anglais. 
Nommé,  en  1791,  membre  de  l'Assemblée  législative,  il  s'y 
montra  l'ennemi  fougueux  des  vieilles  idées  ,  et  voulut  que 
l'on  déclarât  la  patrie  en  danger.  A  l'issue  de  la  session  ,  il 
retourna  en  Corse;  mais  il  ne  put  lutter  contre  l'influence 
immense  du  général  Paoli ,  et  fut  obligé  de  revenir  en 
France. 

Après  1793  il  alla  en  Corse,  et  fut  nommé  député  au 
conseil  des  Cinq-Cents,  où  il  se  fit  toujours  remarquer  par 
son  exaltation  républicaine.  Dans  la  fameuse  journée  du  18 
brumaire,  il  s'élança  contre  le  général  Bonaparte,  qu'il  saisit 
au  collet,  pour  l'expulser  de  la  salle.  Ce  mouvement  fit  ac- 
créditer sans  peine  le  bruit  qu'il  avait  voulu  le  poignarder. 
Exclu  de  la  législature ,  il  fut  placé  sur  la  liste  des  députés 
condamnés  à  la  déportation  ;  mais  il  eut  le  bonheur  de  se 
sauver,  et  alla  vivre  obscurément  en  Italie ,  où  il  est  mort  à 
Livourue ,  en  1832.  Friess-Colonna. 

ARÉNACÉES  (Roches),  du  latin  arena,  sable.  Elles 
sont  formées  de  fragments  de  roches  plus  anciennes  soudés 
et  agglutinés  postérieurement.  On  y  distingue  les  fragments 
arrondis  qui  prennent  le  nom  de  galets,  des  fragments 
anguleux  seulement  concassés  et  qui  n'ont  point  été,  comme 
les  premiers,  roulés  parles  eaux;  enfin  de  petits  grains,  soit 
anguleux,  soit  arrondis.  (  Voyez  Sable.  )  On  nomme  pou- 
dingues  celles  de  ces  roches  dans  lesquelles  les  fragments 
sont  arrondis;  brèches,  les  roches  arénacées  à  fragments 
anguleux  ;  et  grès,  les  roches  arénacées  à  petits  grains.  On 
voit  qu'une  même  roche  peut  être  à  la  fois  poudingue  et  grès 
ou  brèche  et  grès. 

ARÉA'ATIOIV.  Voyez  Bain  de  sable. 

AREiVBERG  (  Famille  d'  ).  L'ancien  comté  d'Aren- 
berg,  bourg  et  château,  était  situé  dans  l'Eiffel,  entre  l'ar- 
chevêché de  Cologne ,  le  duché  de  Julier's  et  le  comté  de 
Blakenbeim.  Mathilde  d'Arenberg,  dont  la  mère  était  une 
comtesse  de  Juliers,  épousa,  en  1298,  le  comte  Engelbert 
de  la  Mark.  En  1541  le  comté  d'Arenberg  tomba  de  nou- 
veau en  quenouille.  Marguerite  de  la  Mark,  qui  en  était 
l'héritière,  épousa,  en  1547,  Jean  de  Ligne,  baron  de  Bar- 
bançon.  Par  une  stipulation  de  leur  contrat,  leurs  enfants 
devaient  porter  et  tenir  toujours  les  titres  ,  noms  et  armes 
de  la  maison  d'Arenberg,  ainsi  que  cela  a  été  obser»-é  jus- 
qu'aujourd'hui. Ce  fut  en  faveur  de  leur  fils  Ch.vt.les  que 
l'empereur  Maxirailien  II,  par  diplôme  du  5  mars  1576,  éri- 
gea le  comté  d'Arenberg  en  principauté  ;  Philippe-François  . 
fut  le  premier  duc  d'Arenberg  en  vertu  de  la  bulle  d'or  du 
9  juin  1604.  Sa  maison  eut  rang  immédiatement  après  celle 
de  Wurtemberg-Montbéiiard.  Par  ses  alliances  illustres  et 
ses  grandes  richesses,  elle  soutint  dignement  un  rang  si 
élevé.  Les  traites  de  Campo-Formio  et  de  Lunéville  avaient 
respecté  ses  cb-oits,  et,  pour  l'indemniser  de  la  perte  de  ses 
possessions  sur  la  rive  gauche  du  Rhin,  lui  avaient  assigné 
la  souveraineté  de  Meppen,  dans  l'ancien  évêché  de  î^luns- 
ter,  avec  celle  de  Recklingbausen,  qui  faisait  autrefois  partie 
de  l'électorat  de  Cologne.  Mais  cette  souveraineté  fut  en- 
levée, par  le  sénatus-consulte  du  13  mars  1810,  au  duc  d'A- 
renberg, qui  ne  conserva  que  les  domaines  et  droits  utiles. 
La  Restauration  l'a  laissé  au  nombre  des  princes  média- 
tisés. De  Reiffenbekg. 

Le  duc  Lolis-Encelbeut  d'Arenberg  avait  hérité,  par  sa 
femme,  fille  du  comte  de  Lauraguais,  moite  en  1812,  des 
propriétés  de  la  maison  de  Chàlons,  situées  dans  la  haute 
Bourgogne.  Il  mourut  aveugle,  en  1820,  à  Bruxelles,  après 
avoir  dès  1803  transmis  tous  ses  droits  à  son  fils  aîné, 
Paosi-ER-Louis,  né  le  28  avril  1785.  Ce  prince  ayant  accédé 

91 


t78  ARENBERG  - 

en  1806  à  la  confédération  du  Rhin,  devint  sénateur  fran- 
çais, et  épousa,  en  1808,  une  nièce  de  rinnuTatrice  Joséphine, 
Stéphanie  Tascher  de  la  Pagerie,  élevée  à  celte  occasion  par 
Napoléon  à  la  dignité  de  princesse  française,  et  à  laquelle  sou 
mari  constitua  une  dot  d'un  million.  Cette  alliance  n'empê- 
cha pas  le  duc  d'Arenberg  de  perdre  sa  souveraineté  dès 
1810,  et  de  voir  son  territoire  incorporé,  partie  à  la  France, 
partie  au  grand-duché  de  Berg  ;  sacrifice  dont  il  ne  reçut  le 
prix,  consistant  en  une  rente  de  2*0,800  fr.,  qu'en  1813.  Dès 
1808  il  avait  levé  à  ses  frais  un  régiment  de  chasseurs,  à 
la  tôte  duquel  il  lit  avec  distinction  la  guerre  d'Espagne; 
mais,  surpris  le  28  octobre  1811 ,  il  fut  fait  prisonnier  et 
transféré  en  Angleterre,  où  il  resta  jusqu'à  l'entrée  des 
puissances  coalisées  sur  le  territoire  français.  Les  traités  de 
1815  lui  reiulirciit  ses  propriétés  seigneuriales  deMeppen, 
placées  désormais  sous  la  souveraineté  du  Hiinovro,  et  de 
Reklingliausen  ,  placées  sous  celle  delà  Prusse.  Dès  1816  il 
lit  annuler  son  premier  mariage,  qui  était  resté  stérile,  par 
suite  do  la  constante  antipathie  des  conjoints  ,  et  épousa  en 
1819  la  princesse  Ludmillade  Lohkowilz.  Son  fils  aîné  est 
né  en  1824,  et  sa  seconde  fille,  Marie,  est  mariée  depuis  1841 
avec  le  prince   Aldohrandiiii,  frère   du   prince  Borghèse. 

Pir:uiiE-D'ALCANTARvCii\nLES,troisiè!iie  frère  duducd'.\- 
renberg,  né  en  1790,  ancien  officier  d'ordonnance  de  l'em- 
pereur Napoléon,  possède  en  Belgique  des  biens  que  lui  a 
laissés  son  père ,  et  s'est  fait  naturaliser  Français.  En  1828  il 
avait  été  créé  duc  et  pair  de  France  par  ordonnance  du  roi 
Charles  X.  Il  épousa,  en  1829,  Alix-Marie-Cbarlotte  com- 
tesse de  Ïalleyrand-Périgord. 

Al'clste-;\Iarie-Raymond,  prince  d'Arenberg,  célèbre  par 
sa  liaison  avec  iMirabeau,  oncle  des  précédents,  est  plus 
connu  sous  le  nom  de  comte  de  La  ISIarck.  Voyez  ce  nom. 

Son  fils  EuNEST-E.NCEi.i  EUT,  né  en  1777,  hérita  <lc  sou 
nom  et  de  son  titre.  Il  e^t  mort  à  Wiesbaden  en  1867. 

En  1820,  le  roi  de  Hanovre,  Georges  IV,  éiigea  la  terre 
.seigneuriale  de  Mcppen  en  duché  d' Arenberg-Mcppeu .  Le 
duc  a  le  droit  d'entretenir  une  garde  d'iionneur;  ses  reve- 
nus, joints  à  ceux  qu'il  possède  tant  en  France  que  dans 
les  Pays-Bas,  provenant  presque  tous  de  forêts,  s'élèvent  à 
environ  1,600,000  fr.  Celte  famille  est  catholique.  La  rési- 
den<;e  ordinaire  des  ducs  d'Arenberg  est  au  château  de  Kle- 
menswei'th,  près  de  .Mcppen,  ou  à  Bi'uxelles. 

ARE\^DT  (MARTix-FRÉnÉRic  ),  célèbre  par  ses  voyages 
scientifiques  dans  une  grande  partie  de  l'Europe,  naquit  à 
Altona,  en  1769.  Admis  en  1797,  sur  la  recommandation 
du  comte  de  Reventlow,  au  nombre  des  élèves  attachés  au 
jardin  botanique  de  Copenhague,  sa  prédilection  pour  l'ar- 
chéologie lui  faisait  passer  la  plus  grande  partie  de  son 
temps  à  la  bibliothèque  de  l'Université,  consultant,  pendant 
des  journées  entières  et  par  les  froids  les  plus  rigoureux  , 
les  manuscrits  et  les  ouvrages  relatifs  aux  antiquités  Scan- 
dinaves. En  1798  le  gouvernement  danois  lui  confia  une 
lùission  scientifique  dans  la  province  de  Finmark  (  Norvège 
septentrionale).  A  cette  occasion  il  parcourut  aussi  le  reste 
de  la  Norvège ,  et  pénétra  dans  plusieurs  localités  où  jamais 
étranger  n'avait  mis  le  pied  avant  lui.  Sa  mission  avait  pour 
but  de  recueillir  des  graines  et  des  plantes  ;  mais  il  ne  rap- 
porta pas  grand'chose,  et  perdit  sa  place  au  jardin  de  bota- 
nique. 

11  retounia  alors  en  Norvège,  oii  il  passa  les  années  1799 
et  ISOO  à  recueillir  des  collections  archéologiques.  Puis  il  se 
rendit  en  Suède,  où  il  séjourna  plusieurs  années;  passa  de 
là  à  r.ostock,  où  le  professeur  Tychsen  lui  enseigna  les  lan= 
gués  orientales;  vint  à  l'aris,  où  Millin  laccuerllit  avec  bien- 
veillance, et  se  rendit  enfin  à  Venise.  Plus  lard,  il  parcou- 
rut la  Sui.sse,  l'Espagne,  l'Italie  et  la  Hongrie.  Véritable 
bohémien  de  la  science,  Arendt  vécut  fout  ce  temps  de  se- 
cours que  lui  donnaient  de-samis,  couchant  souvent  en  plein 
air  et  manquant  plus  souvent  encore  du  nécessaire. 

Confondu  avec  .1  r  ndt,  et  soupçomié  de  carbonarisme. 


AREOMETRE 

il  eut  à  souffrir  à  Nai)les  de  cruelles  persécutions,  qui,  dit-on, 
accélérèrent  sa  mort.  H  expira  frappé  d'apoplexie,  en  1S24, 
aux  environs  de  Venise.  Une  partie  de  ses  manuscrits,  qui 
.se  rapportent  presque  tous  à  l'archéologie  du  Nord,  avaient 
été  déposés  par  lui  à  la  bibliothèque  de  Copenhague  ;  il  fit 
aussi  paraître  à  Paris  et  dans  différentes  villes  de  l'Allema- 
gne, de  la  Suède  et  du  Danemark,  divers  opuscules  relatifs 
à  ses  éludes. 

AREXE.  Le  milieu  de  l'amphithéâtre  où  se  U- 
vraient  les  combats  de  gladiateurs  et  d'animaux  était  ainsi 
appelé  par  les  anciens,  parce  qu'ils  couvraient  cet  empla- 
cement de  sable  (arena),  pour  ab.sorber  le  sang  des  com- 
battants et  pour  qu'il  fût  plus  facile  d'y  marcher  ;  de  là  le  nom 
à'arenarius  qu'on  donnait  à  celui  qui  s'y  montrait  ea 
spectacle.  Dans  quelques  grandes  fêtes ,  le  sable  fut  rem- 
placé par  une  légère  couclie  de  couperose ,  de  cinabre  et  de 
mica,  dont  les  paillettes  ont  les  reflets  de  l'or.  Souvent  aussi; 
au  moyen  de  ces  conduits  souterrains  dont  Rome  était  si 
bie«  pourvue,  l'arène  fut  transformée  en  lac  pour  la  repré- 
sentation des  naumachies.  —  Néron  obligea  les  cheva- 
liers romains  à  descendre  dans  l'arène,  et  c'est  là  l'origine 
du  proverbe  latin  :  Consïlhnn  in  arena,  c'est-à-dire  un 
conseil  pris  sur  le  champ,  sur  le  lieu  du  combat.  Notre 
langue  conserve  encore  quelques  expressions  métaphoriques 
empruntées  aux  anciennes  luttes  de  l'amphithéâtre  :  on  dit 
entrer ,  descendre  dans  l'arène,  ])our  accepter  un  dcfi,  se 
présenter  au  combat  ;  mesurer,  parcourir  l'arène,  pour 
combattre. 

Arènes ,  employé  au  pluriel,  est  synonyme  d'amphithéâ- 
tre :  c'est  ainsi  qu'on  dit  les  Arènes  de  Nimes,  pour  l'amphi- 
théâtre de  cette  ville.   Voyez  Nîmes  . 

Quelquefois,  et  poétiquement,  on  se  sert  du  mot  arène 
dans  son  sens  primitif,  pour  désigner  les  sables  de  la  mer, 
des  rivières  et  des  grands  chemins.  Au  figuré,  écrire  sur 
l'arène  ou  sur  le  sable,  ou  bien  y  bâtir ,  c'est  écrire  des 
choses  que  Ton  n'est  pas  dans  l'intention  d'observer  bien 
religieusement  ;  c'est  bâtir  ùuprudemment ,  et  sur  un  fond 
mal  assuré. 

AREJXG  ou  ARENGA ,  genre  de  palmier  fort  commun 
aux  Moluques.  Sa  moelle  donne  une  espèce  de  sagou,  dont 
les  habitants  des  îles  Célèbes  font  un  grand  usage  dans  leur 
nourriture;  ses  fruits,  recueillis  avant  leur  maturité  et  con- 
fits au  sucre,  sont  très-estimés  ;  on  tire  de  sa  sève  du  sucre 
et  une  liqueur  assez  agréable  ,  et  les  fibres  noires  qui  entou- 
rent la  base  de  ses  pétioles  servent  à  faire  d'excellentes  cor- 
des. ISIaison  prétend  que  lorsque  ses  fruits  sont  mûrs,  leur 
suc  cause  des  démangeaisons  insupportables  ;  de  sorte  que 
si  par  mégarde  on  porte  ces  fruits  à  la  bouche  pour  les 
manger,  les  lèvres  s'enflent  rapidement  en  causant  des  dou- 
leurs aiguës. 

ARÉOLE  (en latin  arcola,fV\m\n\\{\l A'arca ,  aire, petite 
aire,  ou  petite  surface  ).  On  entend  coniinuiiém?nt  j)ar  ce  mot 
le  cercle  irisé  qui  entoure  la  lune,  ainsi  que  celui  qui  entoure 
les  mamelons  et  les  yeux  dans  l'espèce  humaine.  On  a 
étendu  cette  qualification  au  cercle  coloré  qui  règne  autour 
de  certains  boutons,  comme  ceux  de  la  variole  ou  de  la  vac- 
cine; mais  dans  cette  acception,  comme  dans  les  premières, 
il  serait  peut-être  plus  exact  de  se  servir  du  moi  auréole  ; 
c'est  du  moins  l'avis  de  M.  Chau^sier  pour  le  dernier  cas 
dont  nous  venons  de  iiarler.  On  réserverait  alors  spéciale- 
ment celui  à''aréole  pour  désigner  en  anatomie  ces  petits 
interstices  que  laissent  entre  elles  les  fréquentes  anastomo- 
ses, ou  réunions,  et  les  ramlficalions  nombreuses  des  vais- 
seaux capillaires,  enfin  renlrecroisement  des  fibras  ou  vais- 
seaux qui  entrent  dans  la  composition  d'une  partie. 

ARÉO.METRE  (du  grec  àpaio;,  léger,  et  ixJTpov,  me- 
sure). Ou  tiemontreen  i)liysi(pie  ce  beau  principe  d'Archi- 
mède  :  Tout  corps  plongé  dans  un  Jluide,perd  une  par- 
tie de  son  poids  égale  à  celui  du  volume  de  fluide  dé- 
placé. I!  en  résulte  :  1"  que  plus  un  liquide  est  Ic-cr,  plus 


AREOMETRE  —  ARÉOPAGE 


779 


lin  iiuMiie  corps  s'y  enfonce  profondément  ;  2°  que  pour  dé- 
placer le  mfmi^  volume  de  deux  liquides  de  densités  diffé- 
rentes, il  faut  plonger  dans  ces  liquides  des  corps  dont  les 
poids  soient  proportionnels  à  ces  densités.  C'est  sur  le  prin- 
cipe d'Archiméde  qu'est  fondée  la  construction  des  aréo- 
mètres ou  pèse-ligueurs,  et,  en  vertu  de  la  double  conclu- 
sion de  ce  principe ,  on  peut  en  établir  de  deux  sortes  : 
aréomètres  à  poids  constant  et  aréomètres  à  poids  va- 
riable. 

Les  aréomètres  à  poids  constant  sont  composés  d'une 
boule  on  d'un  cylindre  portant  une  boule  lestée  avec  du 
plomb  ou  du  mercure,  et  surmontée  d'une  tige  plus  ou  moins 
longue  divisée  en  un  certain  nombre  de  parties,  qui  servent 
à  faire  connaître  le  poids  du  liquide.  Pour  bien  faire  compren- 
dre leur  usage,  nous  prendrons  un  exemple.  Supposons  qu'un 
appareil  de  ce  genre  plonge  dans  l'alcool  le  plus  pur  possible, 
et  qu'on  appelle  absolu,  jusqu'à  la  partie  supérieure  de  la 
tige  :  si  on  marque  ce  point  et  qu'on  plonge  l'instrument 
dans  de  l'eau  distillée,  il  s'enfoncera,  par  exemple,  jusque 
près  du  cylindre.  Ce  point  étant  aussi  marqué,  si  on  fait  des 
mélanges  de  90  parties  d'alcool  et  10  d'eau,  SO  et  r>.o ,  70 
et  30,  en  y  plongeant  l'aréomètre,  l'on  trouvera  un  certain 
nombre  de  points  intermédiaires  (jui  en  formeront  l'échelle 
en  la  rapportant  sur  la  tige  ou  sur  un  papier  que  l'on  intro- 
duit dans  son  intérieur,  s'il  est  en  verre,  et  alors,  pour  con- 
naître la  force  d'une  eau-de-vie  ou  d'un  alcool,  on  y  plongera 
l'instrument,  qui  s'enfoncera  plus  ou  moins  suivant  la  quan- 
tité d'alcool  qu'il  contiendra.  On  gradue  de  même  d'autres 
pèse-liqueurs  pour  des  acides,  des  sels,  l'éther,  etc.,  etc., 
en  se  servant  de  mélanges  convenables. 

Les  aréomètres  à  poids  variable  se  composent  d'un 
cylindre  surmonté  d'une  tige  mince  et  courte ,  sur  laquelle 
est  marqué  un  trait  qui  doit  toujours  s'affleurer  dans  le  li- 
quide ;  mais  pour  y  parvenir  il  faut  ajouter  dans  un  plateau 
placé  supérieurement  un  certain  nombre  de  poids  pour  que 
l'instrument,  s'affleure  ;  et  ce  sont  ces  poids  qui  indiquent  la 
densité  du  liquide.  Mais  ces  instruments  plus  compliqués  ne 
sont  pas  et  ne  peuvent  pas  être  d'un  usage  aussi  habituel  ;  ce 
sont  plutôt  des  instruments  destinés  à  des  savants  que  des 
moyens  usuels. 

La  graduation  des  aréomètres  peut  être  faite  en  partant 
d'une  base  arbitraire ,  comme  celle  de  Baume  ou  de  Cartier, 
ou  en  centièmes  de  la  densité  du  liquide.  La  première  est 
encore  généralement  employée ,  mais  elle  ne  présente  à  l'es- 
prit aucun  moyen  de  comparaison.  La  seconde  a  été  adoptée 
par  M.  Gay-Lussac  dans  son  alcoolomètre ,  et  finira  par 
être  la  seule  usitée,  à  cause  de  son  extrême  commodité.  En 
effet ,  le  chiffre  même  qu'on  lit  sur  l'instrument  indique  la 
quantité  d'alcool  dans  un  liquide  donné,  et  présente  la  plus 
grande  facilité  pour  en  connaître  immédiatement  la  com- 
position. 

On  trouve  dans  le  commerce  des  aréomètres  destinés  à 
déterminer  la  force  des  liquides  les  plus  employés ,  et  qui 
sont  très-utiles  pour  une  foule  d'opérations  des  arts  et  pour 
les  transactions  commerciales  :  les  uns ,  sous  le  nom  de 
pèse-sels ,  ou  pèse-acides ,  servent  à  déterminer  la  force 
des  dissolutions  salines  ou  des  acides  ;  d'autres  sont  employés 
pour  faire  connaître  la  densité  des  sirops ,  etc. 

Quand  la  température  d'un  liquide  change ,  sa  densité 
varie  en  même  temps ,  ou ,  en  d'autres  termes ,  sous  un  vo- 
lume donné ,  un  litre,  par  exemple ,  i!  y  a  plus  ou  moins  de 
liquide  selon  le  degré  de  chaleur  auquel  on  le  mesure ,  et , 
par  conséquent,  si  on  y  plonge  un  aréomètre,  les  degrés 
qu'il  indiquera  dépendront  de  la  température;  il  pourrait 
résulter  de  cette  variation  des  pertes  considérables  dans  des 
transactions  commerciales ,  surtout  en  opérant  sur  des  li- 
quides dont  le  volume  change  beaucoup  par  les  variations 
de  température,  comme  l'alcool ,  et  dont  le  prix  est  élevé  : 
il  est  donc  indispensable  de  se  mettre  à  l'abri  d'une  cause 
d'erreur  qui  pourrait  être  aussi  préjudiciable.  On  peut  y 


parvenir  de  deuv  manières ,  ou  en  opérant  toujours  à  la 
même  température ,  en  plongeant  par  exemple  pendant  une 
demi-heure  le  vase  contenant  le  liquide  à  essayer  dans  de 
l'eau  de  puits  ,  ou  par  le  calcul  :  il  existe  à  cet  etfet  une  ins- 
truction qui  est  à  la  portée  de  tout  le  monde. 

H.   GaULTU  It     DE    ttACBRY. 

AREOPAGE  (du  grec'.^paio;, Mars,  et  Trâyoc colline), 
colline  d'Ares  ou  de  Mars ,  située  à  peu  de  distance  de  l'A- 
cropolis,  et  sur  laquelle  se  réunissait  ce  tribunal,  le  plus 
ancien  et  le  plus  célèbre  par  son  impartialité ,  par  sa  stricte 
équité,  qu'il  y  eût  non-seulement  à  Athènes  et  en  Grèce, 
mais  encore  dans  toute  l'antiquité.  .Son  origine  se  perd  dans 
la  nuit  des  temps  :  les  uns  font  honneur  de  son  institution 
à  Cécrops  ,  fondateur  d'Athènes ,  les  autres  à  Cranaiis  ,  d'au- 
tres enliii  à  Solon.  Il  paraîtrait  cependant ,  d'après  les  mar- 
bres d'.\rundel ,  que  Solon  n'aurait  été  que  le  restaurateur 
de  cette  assemblée ,  dont  la  création  remonterait  jusqu'à 
Cécrops.  L'on  n'est  pas  d'accord  non  plus  sur  le  nombre  de 
juges  dont  elle  était  composée  :  les  uns  en  comptent  31,  les 
autres  51  ;  d'autres  vont  jusqu'à  500.  U  paraît,  du  reste,  que 
ce  nombre  n'était  pas  fixé,  et  qu'il  était  plus  ou  moins  grand 
chaque  année.  Dans  l'origine  l'aréopage  fut  composé  de  neuf 
archontes  sortis  de  charge;  leurs  fonctions  étaient  via- 
gères et  leur  salaire  égal  :  on  les  payait  des  deniers  de  la 
république ,  et  l'on  donnait  à  chacun  d'eux  trois  oboles  pour 
une  cause.  Dans  la  suite ,  on  continua  d'y  admettre  les  ar- 
chontes qui  s'étaient  acquittés  dignement  de  leurs  fonctions, 
et  on  leur  adjoignit  les  citoyens  les  plus  vertueux. 

Ce  tribunal,  qu'Aristide  appelait  le  plus  saint  delà  Grèce, 
était  spécialement  chargé  de  juger  les  affaires  criminelles; 
il  connaissait  du  meurtre  commis  avec  préméditation  ,  de 
l'empoisonnement ,  du"  vol  commis  à  main  armée ,  de  l'in- 
cendie suivi  d'assassinat,  des  trahisons  envers  la  patrie, 
des  innovations  tentées  soit  dans  l'État,  soit  dans  la  reli- 
gion ,  de  l'impiété ,  de  la  débauche  enfin  et  de  la  paresse , 
qui  était  regardée  comme  la  source  de  tous  les  vices.  Il 
avait  le  dépôt  des  lois  et  l'administration  du  trésor  public. 
Il  récompensait  la  vertu ,  veillait  au  sort  des  orphelins ,  pu- 
nissait le  blasphème  et  le  mépris  des  dieux.  Quand  il  avait 
à  juger  des  causes  d'assassinat,  il  était  obligé  de  siéger  en 
plein  air,  parce  que  les  lois  ne  permettaient  pas  que  l'as- 
sassin parût  sous  le  même  toit  que  sa  victime ,  ou  peut-être 
parce  que  les  juges,  étant  sacrés,  auraient  craint  de  con- 
tracter quelque  souillure  en  respirant  le  même  air  que  ceux 
qui  avaient  répandu  le  sang  innocent.  Enfin  il  ne  jugeait 
que  la  nuit ,  pour  avoir  l'esprit  plus  recueilli  et  plus  attentif, 
pour  qu'aucun  objet  étranger  ne  vînt  le  distraire ,  et  sans 
doute  aussi  pour  ne  pas  être  ému  par  la  vue  de  l'accusateur 
et  de  l'accusé.  Par  la  même  raison ,  il  était  défendu  aux  ora- 
teurs de  recourir,  aux  dépens  de  la  vérité,  à  des  mouve- 
ments d'éloquence  qui  n'auraient  pour  but  que  do  sur- 
prendre la  religion  des  juges.  Aussi,  les  décisions  de  ce 
tribunal  étaient-elles  dictées  par  un  esprit  de  justice  et 
d'impartialité  qui  tenait  en  môme  temps  de  la  pureté  des 
juges,  et  qui  lui  avait  donné  une  autorité  qu'il  perdit  au 
temps  de  Périclès  ,  lequel  osa,  sai^s  avoir  été  préalablement 
archonte,  se  faire  nommer  aréopagite,  époque  funeste 
d'où  date  la  corruption  des  mœurs  athéniennes. 

Quand  la  question  était  suffisamment  éclaircie,  les  juges 
déposaient  en  silence  leurs  suffrages  en  jetant  une  espèce  de 
petit  caillou  noir  ou  blanc  dans  deux  urnes,  l'une,  d'airain, 
appelée  Vurne  de  la  mort;  l'autre,  qui  était  en  bois,  nom- 
mée Vitrnede  la  miséricorde.  Dans  le  cas  de  partage  ce 
dissentiment  seul  emportait  l'absolution  ,  et  l'accusé  était 
renvoyé,  disait-on,  absous  par  le  suffrage  de  Minerve  {cal- 
ciilo  Minervœ).  Dans  l'origine  l'aréopage  tint  ses  séances 
trois  fois  par  mois  ;  plus  tard ,  on  fut  obligé  d'ajouter  une 
quatrième  séance  ;  enfin,  le  nombre  des  affaires  augmentant 
toujours,  ce  tribunal  fut  obligé  de  siéger  tous  les  jours. 
Dans  les  moments  de  crise  l'aréopage  exerçait  une  influenc* 

98. 


786 

décisire  sur  la  duection  des  affaires  piîb'iques,  comme, 
par  exemple,  à  IVpoque  de  la  guerre  des  Perses,  où  sa 
puissance  atteignit  son  apogt^e.  11  arrivait  souvent  aussi 
de  voir  d'autres  États  de  la  Grèce  lui  soumettre  leurs  dif- 
férends. 

On  voit  encore  à  Athènes  les  restes  de  l'Aréopage,  au 
rnidi  du  temple  de  Thésée,  qui  était  au  milieu  de  la  ville, 
et  qui  est  aujourd'hui  hors  des  murs.  Ces  restes  consistent 
dans  les  fondements,  qui  sont  en  demi-cercle,  et  dans  une 
esplanade  de  cent  quarante  pas  environ  ,  qui  était  propre- 
ment la  salle  de  l'aréopai^e.  Il  y  a  un  tribunal,  taillé  au 
milieu  du  roc,  et  des  sièges  aux  deux  côtés,  sur  lesquels  les 
aréopagites  prenaient  séance.  Près  de  là  sont  des  grottes, 
taillées  également  dans  le  roc  ,  que  l'on  conjecture  avoir 
servi  de  prison  pour  les  criminels. 

Saint  Paul,  ayant  prêché  devant  les  juges  de  l'aréopage, 
eut  le  bonheur  d'en  convertir  un  que  l'Église  regarde  comme 
Je  premier  évêque  d'Athènes,  et  qu'elle  honore  sous  le  nom 
de  saint  Denys  l'Aréopngite. 

AREQUIPA ,  chef-lieu  d'un  déparlement  de  la  répu- 
blique du  Pérou,  est  une  belle  ville,  bâtie  à  40  kilomètres 
de  l'océan  Pacifique,  à  2,500  mètres  au-dessus  du  niveau  de 
la  mer,  dans  la  délicieuse  vallée  de  Quiloa ,  sujette  mal- 
heureusement aux  tremblements  de  terre.  Elle  compte  30,000 
habitants. 

Siège  d'un  évècbé,  Arequipa,  fondé  en  1536,  parPizarrc, 
a  de  llorissantes  manufactures  d'étoffes  de  laine ,  de  coton  i 
et  de  soie,  des  fabriques  de  tissus  d'or  et  d'argent;  la  taille 
des  diamants  et  des  pierres  précieuses  constitue  aussi  une 
branche  importante  deson  industrie.  Aux  environs  se  trou-  : 
vent  le  Quagua  Putlna  et  VUiinas,  volcans  qui  font  partie  \ 
de  la  chaîne  des  Andes,  et  dont,  au  seizième  siècle,  les  érup- 
tions faillirent  à  diverses  reprises  engloutir  la  ville.  Les  mai- 
sons y  sont  en  pierre,  le  climat  est  très-doux  et  l'air  très- 
sain.  La  cathédrale,  un   pont  sur  le  Chile,   qui  arrose  la 
ville,  et  une  fontaine  en  bronze  sur  la  grande  place ,  sont  les 
principales  constructions  qu'on  y  remarque. 

ARES.  Voyez  Mars. 

ARETAS,  nom  que  portèrent  plusieurs  rois  de  l'Arabie 
Pétrée,  de  l'an  l'O  avant  J.-C.  à  Tan  40  de  l'ère  chrétienne. 

ARÉTAS  I*"",  qui  vivait  dans  la  seconde  moitié  du  deuxième 
siècle  avant  J.-C,  fut  contemporain  d'un  grand-prèlre  des 
Juifs  qui  s'appelait  Jason. 

ARÉTAS  II,  ininommè  Philhellène ,  mort  l'an  79  avant 
J.-C,  secourut  les  habitants  de  Gaza,  assiégés  par  Alexan- 
dre Jannée,  et  régna  sur  la  Cœlé-Syrie,  après  avoir  triomphé 
d'Antiochus  XII.  Il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  un  autre 
Arétas,  qui  intervint  en  faveur  d'Hyrcan  dans  les  démêlés 
de  ce  dernier  avec  Aristobule,  et  parut  même  avec  une 
armée  devant  Jérusalem  en  l'an  05  avant  J.-C.  Scaurus, 
l'un  des  lieutenants  de  Pompée,  fit  lever  ce  siège.  Déjà  la 
Syrie  avait  été  réduite  en  Province  romaine  par  Pompée  en 
personne;  et  le  roi  de  Damas  (titre  que  prenait  Arétas) 
avait  obtenu  moyennant  tribut  l'autorisation  de  conserver 
ses  États. 

ARÉTAS  III ,  appelé  aussi  Énée,  fut  contemporain  d'Au- 
guste et  de  Tibère.  Auguste,  d'abord  contraire  à  Arétas,  le 
confirma  ensuite  dans  la  possession  de  la  principauté  de 
Pétra ,  ville  dont  on  a  retrouvé  quelques  vestiges.  Beau-père 
d'Hérode  Antipas  ,  il  lui  fit  la  guerre  ,  pour  le  punir  d'avoir 
répudié  sa  femme  légitime  afin  d'épouser  Hérodiade.  Le  roi 
des  Juifs  invoqua  le  secours  des  Romains,  et  Tibère  ordonna 
au  gouverneur  Yitellius  de  marcher  contre  Arétas  ;  mais 
l'expédition  préparée  par  Yitellius  en  resta  là,  parce  que 
Tibère  vint  à  mourir  sur  ces  entrefaites.  Quelques  mé- 
dailles donneraient  à  penser  qu'Arétas  régnait  aussi  à  Da- 
mas; et  ce  serait  lui ,  qui,  en  l'an  33  de  notre  ère,  aurait 
voulu  faire  arrêter  saint  Paul. 

ARETE.  On  appelle  ainsi,  en  zoologie,  les  os  longs 
et  minces  qui  forment  la  charpente  des  poissons.  En  bota- 


ARËOPAGE  —  ARÉTÉE 


nique  ,  c'est  dans  les  végétaux  toute  partie  de  la  fleur  qui , 
sous  la  forme  d'une  pointe  plus  ou  moins  ronde  ,  n'est  ordi- 
nairement que  la  continuation  d'une  des  nervures.  En 
géologie  et  en  minéralogie,  c'est  la  ligne  formée  par  la 
réunion  de  deux  surfaces  inclinées  l'une  sur  l'autre. 

En  termes  d'architecture,  Varéte  est  l'angle  saillant  que 
forment  à  leur  rencontre  deux  faces  droites  ou  courbes 
d'une  pierre,  d'une  pièce  de  bois  ,  ou  d'une  barre  de  fer. 
On  dit  d'une  pierre,  d'une  pièce  de  bois  ou  de  fer  qu'elle  est 
d  vive  arête  lorsque  les  angles  en  sont  bien  taillés  et  nulle- 
ment arrondis.  Varêfc  d'une  voûte  est  l'angle  qu'elle  forme 
avec  un  mur  ou  une  voûte.  Par  voiîte  d'arête  on  entend 
celle  qui,  formée  parle  concours  de  portions  de  voûte,  est 
comme  le  produit  de  la  rencontre  de  voûtes  qui  se  confon- 
draient l'une  dans  l'autre.  Quand  ces  portions  de  voûte  pro- 
cèdent de  l'arc  ogive  ,  on  dit  voûte  d'arête  gothique.  Dans 
ce  cas,  les  lignes  de  rencontre  des  diverses  portions  de 
voûte  sont  marquées  par  des  formerets  ou  des  liernes.  Les 
édifices  gothiques  abondent  en  détails  de  ce  genre. 

En  termes  de  manège  et  de  maréclialleiie,  on  appelle 
arêtes  ouqueue  de  rat  une  maladie  particulière  aux  che- 
vaux ,  et  consistant  en  galles  qui  viennent  aux  jambes,  et 
qu'on  guérit  par  la  cautérisation. 

ARÉTÉ  DE  CYRÈNE,  femme  grecque,  qui  a  laissé  un 
nom  dans  l'histoire  de  la  philosophie  ,  vivait  dans  la  se- 
conde moitié  du  quatrième  siècle  avantJ.-C.  Fille  d'Aristippe 
l'ancien,  elle  se  montra  digne  de  son  père,  continua  l'école 
cyrénaïque ,  dont  il  était  fondateur ,  et  eut  des  disciples 
qui  acquirent  de  la  célébrité,  entre  autres  Aristippe  le  jeune, 
dont  elle  fut  l'institutrice,  et  qu'on  surnomma  pour  cela 
Mr,Tpooicla/.TÔ;,  disciple  île  la  mère.  Elle  avait  d'ailleurs  reçu 
elle-même  d'.\ristippe  l'ancien  des  principes  de  modéra'.ion 
et  de  sagesse  pratique,  qu'on  trouve  exprimés  dans  une 
lettre  que  ce  philosophe  aurait  adressée  à  sa  fille. 

ARÉTÉE,  l'un  des  plus  grands  médecins  de  l'antiquité, 
né  en  Cappadoce ,  et  que  plusieurs  modernes ,  comme 
Huxham,  mettent  au  niveau  d'Hippocrate  pour  la  profon- 
deur et  le  talent  de  bien  peindre  les  maladies,  doit  être 
distingué  d'un  autre  ArL'tce,de  Coriuthe,  à  peu  près  inconnu. 

Étrange  destinée  des  réputations  !  l'antiquité  ne  nous  a 
presque  rien  appris  sur  cet  l.abile  observateur  ;  c'est  à  peine 
si  l'on  sait  qu'il  exista  probablement  sous  Domitien  et  au 
temps  d'Archigène,  dont  il  partagea  les  opinions  dans  la  secte 
pneumatiste ,  puis  dans  l'école  éclectique.  Sauf  les  noms 
d'Hippocrate  et  d'Homère,  il  n'en  cite  aucun  autre  dans  ses 
écrits,  ni  n'est  cité  par  aucun  de  ses  contemporains.  Ga- 
lien  ,  Oribase,ne  font  pas  mentionde  lui;  plus  tard  Aétius, 
Paul  d'Égine  et  un  faux  Dioscoride  font  seuls  exception.  Sa 
mort  et  les  événements  de  sa  vie  sont  restés  également 
ignorés  ;  sa  renommée  a  été  comme  ensevelie  jusqu'à  la  re- 
naissance des  lettres.  Il  avait  adopté  le  dialecte  ionien,  pour 
se  rapprocher  davantage  d'Hippocrate.  Il  avait  composé  plu- 
sieurs traités  sur  les  fièvres,  sur  les  malailies  des  femmes, 
sur  la  pharmacie  et  sur  la  chirurgie,  dont  il  ne  nous  reste  à 
peu  près  rien.  Le  seul  de  ses  ouvrages  qui  soit  parvenu  jusqu'à 
nous  est  divisé  en  huit  livres,  dont  les  deux  premiers  sont 
intitulés  :  Des  Causes  et  des  Signes  des  aj/ections  aiguës, 
les  deux  suivants  :  Des  Causes  et  des  Affections  chroni- 
ques; <\eu\  avives  :  Du  Traitement  des  Affections  aiguës; 
et  les  deux  derniers  :  Du  Traitement  des  Affections  chro- 
niques. Il  y  manque  quelques  chapitres,  et  le  texte  offre 
de  nombreuses  lacunes.  Cet  ouvrage  d'Arétée  parut  d'abord 
dans  la  traduction  latine  de  J.-P.  Crassus,  professeur  à  Pa- 
doue,  sous  ce  titre  :  Areta:i  Libri  septem  nunc  primum 
e  tencbris  eruti  et  in  latinum  scrmonem  conversi  a  J.  P. 
Crasso  (  iu-4°  ;  Yenise,  1552).  Le  texte  grec  fut  pour  la  pre- 
mière fois  publié  par  J.  Goupyl ,  médecin  de  Paris  (in-8°, 
très-rare;  Paris,  1554  ).  On  le  trouve  souvent  réuni  à  l'édi- 
tion de  Rufus  d'Éphèse,  De  Appellationibiis  PartiumCor- 
poris  humani.  Beaucoup  d'autres  éditions  en  ont  d'ailleurs 


ARÉTÉE  ~  ARÉTIN 


été  faites  depuis  ce  temps-là  en  f;rec  et  en  latin.  Nous  cite- 
rons celle  (le  G.  lleniscli  (inful.;  Vimnc,  1003);  celle  de 
J.  NVegan  (in-fol.  ;  Oxford,  1723);  celle  de  IJocrliaave 
(in-fol.  ;  Leyde,  1731)  et  celle  de  Kulin,  dans  la  Collec- 
tion des  Médecins  grecs  (in-S'';  Leipzig,  1S28).  L'édition 
la  plus  récente  est  celle  qu'a  donnée  le  professeur  Ernierius, 
de  Gronin<;uc  (in  4°  ;  Utrecht,  1847).  C'est  aussi  colle  qu'on 
estime  le  plus,  le  savant  éditeur,  pour  donner  un  texte  plus 
correct,  ayant  eu  la  patience  de  collationner  un  grand 
nombre  de  manuscrits  existant  dans  les  diverses  liibliolhè- 
qucs  de  la  France  et  de  l'Italie. 

Dans  ses  ouvrages,  Arétée  trace  d'après  nature  le  tableau 
le  plus  vrai  des  maladies  ,  à  tel  point  qu'on  croit  les  voir,  et 
qu'en  dépeignant  l'asthme ,  on  se  sent  cnmme  étouffé  d'op- 
pression ,  prêt  à  Cl  ier  avec  le  malade ,  et  qu'on  ouvre  large- 
ment portes  et  fenêtres  pour  respirer  en  liberté.  L'image 
d'un  énervé  ,  épuisé  de  débauches,  est  frappante  ;  il  inspire 
à  la  fois  la  pilié,  le  dégoût  et  la  honte.  On  a  conservé  môme, 
.sous  le  nom  d'cléphontiasn;,  la  pointure  qu'il  a  fiiite  de  la 
peau  des  jambes  d'un  lépreux,  imilaut  celle  de  l'éléphant. 
Tous  burinés  de  main  de  maître,  ces  portraits  sont,  pour 
ainsi  dire,  daguerréotypes  sur  place.  Le  trait  d'Arétée  est 
aussi  précis  que  pittoresque,  sans  que  son  exactitude  nuise 
â  l'étendue  de  ses  vues  quand  il  généralise,  ni  à  la  sagacité 
du  diagnostic,  à  laprofondeurdu  pronostic,  à  la  circonspec- 
tion de  la  thérapeutique.  Sa  diction  est  nerveuse ,  péné- 
trante, sentencieuse;  on  y  reconnaît  uu  esprit  mâle  et  riche 
de  son  propre  fonds. 

Selon  Arétée  et  les  autres  pneumalistes,  le  corps  vivant 
est  composé  de  solides  et  de  fluides ,  et  animé  par  un  esprit, 
pneuma,  qui  passe  des  poumons  au  cœur  pour  se  distribuer 
à  toute  l'économie  par  les  artères.  Ce  pneuma  constitue  la 
Tie,  la  force  et  la  santé,  s'il  est  bien  réparti,  tempéré  dans 
notre  organisme  ;  mais  il  est  troublé  au  contraire  par  le  froid 
et  le  chaud  ,  le  sec  et  l'humide  prédominants.  Toujours  at- 
tentif aux  forces  de  la  nature ,  selon  les  constitutions  ,  les 
climats,  les  saisons,  Arétée  paraît  un  génie  observateur 
comme  Hippocrate.  Il  était  supérieur  même  à  celui-ci  par 
ses  connaissances  anatomiqucs;  car  il  sait  que  les  neris 
émanent  du  cerveau  ,  quoiqu'il  confonde  encore  avec  eux 
les  tendons  et  les  aponévroses.  Il  n'ignorait  pas  l'entre- 
croisement des  nerIs  ,  les  causes  de  l'hémiplégie  et  de 
plusieurs  sympathies  éloignées,  celles  des  métastases,  le 
peu  de  sensibilité  du  tissu  pulmonaire,  tandis  que  la  plèvre 
en  jouit  d'une  plus  considérable,  parce  qu'elle  a  plus  de 
rameaux  nerveux  dans  sa  texture ,  etc.  Il  parait  avoir  eu 
beaucoup  de  points  communs  avec  les  doctrines  d'Archi- 
gène  ,  dont  les  écrits  ne  nous  sont  point  parvenus.  Sa  pra- 
tique employait  un  petit  nombrede  remèdestoujours  simples, 
une  méthode  raisonnée  ,  le  régime  expectant  et  humectant 
pour  favoriser  les  codions  critiques  dans  les  maladies  ai- 
guës, à  la  manière  hippocratique.  Il  conseillait  fréquemment 
les  vomitifs,  les  bains,  et  dans  les  inflammations  la  sai- 
gnée, parfois  jusqu'à  la  défaillance.  Dans  les  affections  chro- 
niques, il  sollicite  au  contraire  les  forces  vitales  avec  le 
castorénm.  Il  emploie  les  dérivatifs,  les  lavements,  les  ré- 
vulsions ,  l'arlériotomie  môme,  contre  les  inflammations 
céphaliques  ,  tes  ventouses  pour  la  pleurésie  ,  et  le  premier 
les  cantharides  à  l'extérieur,  comme  vésicatoire.  Audacieux 
aussi ,  il  ose  plonger  un  fer  rouge  dans  les  abcès  du  foie,  ou 
perforer  le  crâne  dans  réfilepsie;  il  sonde  la  vessie  dans  la 
rétention  d'urine,  car  il  exerçait  aussi  la  chirurgie;  mais  ses 
écrits  sur  cet  art,  comme  ceux  sur  la  préparation  des  mé- 
dicaments ,  sur  les  maladies  des  femmes  ,  sur  les  fièvres,  ne 
nous  sont  point  parvenus.  Seulement ,  on  rencontre  dans 
Aétius  et  autres  médecins  des  fragments  épars  de  ses  ou- 
vrages ,  recueillis  par  Weigel. 

Quoique  les  sciences  anatomiques  aient  été  cultivées  en- 
suite avec  beaucoup  d'avantage  par  Galien,  Arétée  possé- 
dait déjà  des  notions  assez  étendues  sur  nos  viscères;  il  dé- 


781 

crit  l'inflammation  de  l'aorte  et  la  structure  glanduleuse  des 
reins  ;  il  distingue  le  sang  artériel  du  veineux  ,  expose  les 
fonctions  du  foie  comme  le  rendez-vous  du  sang  noir  :  l'on 
supposequil  n'ignorait  point  l'existence  des  vaisseaux  lactés 
dans  les  intestins,  ni  (pie  ceux-ci  sont  formés  par  plusieurs 
membranes  ,  ni  la  tunique  interne  de  l'utérus,  nommée  de- 
puis villcusc  par  Hunier.  Enfin,  si  sa  physiologie  emprun- 
tait à  la  secte  stoïcienne  son  pneuma  ou  l'esprit  (  cinquième 
élément  pour  vivifier  le  corps  et  opérer  dans  les  nerfs  cé- 
rébraux ,  comme  aussi  à  l'aide  du  sang  artériel  émanant  du 
cœur),  Aréti'c  n'en  était  pas  moins  syncrétiste  éclectique, 
ou  choisissant  dans  les  autres  sectes  ce  qu'il  pouvait  s'en 
approprier  avec  sagesse.  J.-J.  Viret. 

ARETIIAS  ou  ARÉTAS,  tbéologien  grec,  auteur  d'un 
Commentaire  de  V Apocalypse,  vivait  vers  la  première 
moitié  du  dixième  siècle,  et  était  arcbevêque  de  Césarée, 
en  Cappadoce.  Ce  commentaire,  écrit  d'après  des  auteurs  an- 
térieurs, a  été  imprimé  pour  la  première  fois,  en  1532,  à  la 
suite  des  œuvres  d'Œcumenius. 

Un  autre  AR1:;tas  ,  qui  vivait  à  la  même  époque  et  aussi 
à  Césarée,  prêtre  et  théologien  grec  comme  le  précédent,  est 
auteur  d'un  écrit  sur  la  Translation  de  saint  Euthyme. 
patriarche  de  Conslantinople. 

ARETHUSE  ,  fontaine  de  Sicile ,  dans  la  petite  pénin- 
sule d'Ortygie,  oii  était  situé  le  palais  des  anciens  rois  de 
Syracuse ,  à  peu  de  distance  de  cette  ville.  Plusieurs  au- 
teurs de  l'antiquité,  Pline  entre  autres,  prétendent  que  l'Al- 
p  h  é  e ,  fleuve  de  Grèce ,  continuant  son  cours  sous  la  mer, 
allait  mêler  ses  eaux  à  celles  de  l'Aréthuse,  en  souvenir  des 
poursuites  d'Alphée,  fils  de  l'Océan  et  de  Tliétis,  auxquelles 
Diane  n'avait  pu  soustraire  sa  nymphe  Aréthuse,  fille  de 
Nérée  et  de  Doris,  qu'en  métamorphosant  l'un  en  fleuve ,  et 
l'autre  en  fontaine.  Suivant  le  môme  naturaliste,  on  retrou- 
vait dans  la  fontaine  tout  ce  qu'on  jetait  dans  le  fleuve,  et 
durant  les  jeux  olympiques  de  la  Grèce  les  excréments  des 
animaux  destinés  à  la  course  ou  aux  sacrifices  étant  vidés 
dans  l'Alphée ,  il  en  résultait  une  odeur  de  fumier  aux  alen- 
tours de  l'Aréthuse  en  Sicile. 

ARÉTiN  (L').  Voyez  Aretino  (Pietro). 

ARÉTL\  (Bernard  ACCOLTI  ),  dit  Vunique.  Voyez 

ACCOLTI. 

ARÉTIM  (Gm).  Foyez  Goi. 

ARÉTIiV  (LÉONARD).  Voyez  Bruni. 

ARETIiV  (Adam,  baron  d'),  homme  d'État  bavarois, 
issu  d'une  famille  dont  plusieurs  membres  se  sont  fait  un 
nom  dans  les  lettres  et  dans  l'administration,  naquit  à  Ii>- 
golstadt,  le  24  août  1769,  et  mourut  le  16  août  1822.  Quand 
il  eut  terminé  ses  études  juridiques,  il  entraau  ministèredes 
affaires  étrangères  sous  l'administration  de  M.  de  Montge- 
las,  et  parvint  au  poste  de  chef  de  division.  Il  avait  pris  part 
aux  affaires  les  plus  importantes,  lorsqu'on  1817  il  fut  nom- 
mé ministre  de  Bavière  près  la  Confédération  germanique. 
Dans  ce  poste,  il  se  distingua  autant  par  sa  modération  que 
par  l'énergie  avec  laquelle  il  défendit  contre  les  attaques 
de  certains  cabinets  absolutistes  la  constitution  représenta- 
tive octroyée  à  la  Bavière. 

Il  possédait  une  des  collections  de  gravures  les  plus  con- 
sidérables qu'on  connût,  ainsi  qu'un  grand  nombre  de  ta- 
bleaux de  choix.  Ce  beau  cabinet  fut  vendu  à  sa  mort.  Con- 
sultez Brulliot  :  Catalogue  des  estampes  dtc  cabinet  d^Arélin 
(3  vol.;  Munich,  1827). 

APiÉTIN  (Georges,  baron  d'),  frère  du  précédent,  né  à 
Ingolstadt,  en  1771,  mort  à  Munich,  en  1813,  fut  nommé, 
en  1793,  administrateur  du  district  bavarois  du  Donaumoos, 
et  mérita  bien  de  cette  contrée  en  opérant  le  dessèchement 
d'un  marais  de  plus  de  dix  myriamètresde  circuit.  Lorsque 
éclata,  en  1809,  l'insurreciion  du  Tyrol,  il  remplissait  les 
fonctions  de  commissaire  général  du  cercle  d'Eisack.  Fait 
prisonnier  alors  par  les  Autrichiens,  il  fut  conduit  en 
Hongrie.  Au  rétablissement  de  la  paix,  il  fut  rendu  à  la  li- 


782 


ARETLN  —  ARETLNO 


bcrlé;  et  le  roi  de  Bavière  le  récompensa  de  ce  qu'il  avait 
souffert  pour  son  service,  en  lui  accordant  un  iief  et  une 
pension  considérable,  grâce  à  laquelle  il  put  désormais  se 
consacrer  exclusivement  aux  sciences,  aux  arts  et  à  l'agri- 
culture. 

Parmi  ses  ouvrages,  dont  le  plus  grand  nombre  n'ont 
trait  qu'aux  intérêts  matériels  de  la  Bavière,  nous  citerons 
son  Essai  d'un  Système  de  Défense  pour  la  Bavière  (Ra- 
tisbonne,  189.0). 

ARETIN  (Christophe,  baron  d'),  frère  des  précédents,  né 
le  2  décembre  1773,  à  IngolstaJt,  mort  à  Municli ,  le  24 
décembre  1834,  président  de  la  cour  d'appel  du  Neckar. 
Après  avoir  fait  ses  études  à  Heidelberg,  à  Gœttingue  et  à 
Paris,  il  entra  jeune  encore  dans  l'administration,  et  fut 
nommé  en  1799  conseiller  de  la  direction  de  l'intérieur. 
Dès  cette  époque  il  insista  vivement  sur  la  nécessité  d'abolir 
la  féodalité  en  Bavière  et  de  convoquer  la  diète;  et  il  prit 
comme  écrivain  une  part  active  au  conflit  qui  éclata  en  1800 
et  1801  entre  la  diète  et  le  gouvernement  bavarois.  Une 
brochure  qu'il  publia  en  1809,  et  dans  laquelle  il  représen- 
tait Napoléon  comme  le  véritable  défenseur  de  la  vieille 
nationalité  allemande  contre  les  efforts  réunis  du  protestan- 
tisme, de  la  Russie  et  de  l'Angleterre,  donna  lieu  à  une 
vive  polémique,  par  suite  de  laquelle  l'auteur  eut  ordre  de 
donner  sa  démission  de  ses  divers  emplois.  Un  autre  bro- 
chure qu^il  publia  encore,  La  Saxe  et  la  Prusse  (181.5), 
fut  aussi  pour  lui  la  cause  de  nombreux  désagréments.  En 
1811  il  avait  été  nommé  directeur  du  tribunal  d'appel  de 
Nenburg,  puis  en  1813  président  de  la  cour  d'appel  du  cercle 
du  Regen  ;  fonctions  qu'il  conservajusqu'en  1819.  Élu  en  ce 
moment  député  à  la  diète,  il  y  figura  aux  premiers  rangs  de 
l'opposition  ;  et  il  publia  alors  un  grand  nombre  d'écrits 
ayant  pour  but  de  mettre  à  la  portée  des  masses  les  questions 
politiques  qui  se  traitaient  à  la  tribune.  On  remarque  les 
mêmes  tendances  libérales  dans  ses  drames  Louis  le  Bava- 
rois (1S21)  et  La  jeune  Fille  de  Zante  (1822).  Son  dernier 
ouvrage  a  pour  titre  Droit  public  de  la  Monarchie  cons- 
titutionnelle, et  fut  terminé  après  sa  mort  par  Charles  de 
Rotteck  (nouv.  édit.,3  vol.,  Leipzig,  1839). 

ARETIN  (Charles-Marie),  fils  aîné  du  précédent,  histo- 
rien connu  par  ses  tendances  essentiellement  catholiques , 
né  en  1796,  fit  d'abord  les  campagnes  de  1813  à  1815,  et 
embrassa  ensuite  la  carrière  diplomatique,  qu'il  échangea 
plus  tard  contre  un  emploi  au  ministère  de  la  guerre.  Plus 
tard  encore  il  se  retira  à  la  campagne,  pour  s'occuper  d'a- 
griculture et  de  littérature.  .Mais  la  nature  de  ses  travaux 
le  contraignit  à  revenir  à  Munich.  Il  fut  alors  attaché  aq 
ministère  des  affaires  étrangères  et  nommé  bientôt  après 
archiviste  de  la  couronne.  Il  a  utilisé  les  riches  matériaux 
qu'une  telle  position  plaçait  sous  sa  main  pour  publitr  un 
Exposé  des  Relations  extérieures  de  In  Bavière  (  Pa.^^sau, 
1839),  une  Histoire  de  l'électeur  Maximilien  l-"^  (1842)  et 
une  notice  sur  Wallen-tein,  qui  contient  des  faits  curieux.  At- 
taché en  18i7  à  la  légation  de  Bavière  en  Prusse,  M.  Arétin 
est  maintenant  chambellan  et  conseiller  intime  du  roi. 

ARETIXO  (PiETRo).  fameux  littérateur  italien  du  sei- 
zième siècle,  fils  naturel  d'un  gentilhomme  appelé  Luigi 
Bazzi  et  d'une  femme  obscure  nommée  Tita ,  naquit  le 
20  mars  1492,  à  Arezzo,  ville  de  Toscane,  dont  il  prit  le 
nom.  Chassé  tout  jeune  encore  de  sa  ville  natale  pour  avoir 
composé  un  sonnet  contre  les  indulgences ,  il  s'en  alla  à 
Pérouse,  où  il  apprit  le  métier  de  relieur,  dont  il  vécut  pen- 
dant assez  longtemps,  sans  renoncer  pour  cela  à  ses  tendances 
satiriques.  C'est  ainsi  qu'il  s'en  alla  nuitamment,  dans  un 
édifice  public  où  se  trouvait  un  tableau  qui  représentait  la 
Madeleine  aux  pieds  du  Christ  et  tendant  vers  lui  des  bras 
.suppliants ,  peindre  un  luth  que  la  sainte  paraissait  tenir 
entre  ses  bras.  Après  cette  escapade,  jugeant  un  plus  long 
séjour  à  Pérouse  dangereux  pour  lui,  il  s'en  alla  à  Rome, 
avec  les  habits  qu'il  avait  sur  le  corps  pour  tout  bagage  ;  et 


dans  celte  capitale  du  monde  chrétien,  son  humeur  joviale, 
son  effronterie  et  ses  talents  lui  eurent  bientôt  fait  des  pro- 
tecteurs, parmi  lesquels  il  compta  pendant  quelque  temps 
les  papes  LéonX  et  son  successeur  Clément  VU  eux-mêmes. 
Seize  sonnets  qu'il  inscrivit  au  bas  d'autant  de  dessins  obs- 
cènes de  Jules  Romain,  gravés  par  Marc-Antoine,  furent 
cause  qu'il  lui  fallut  s'enfuir  de  Rome.  Ces  sonnets,  aujour- 
d'hui extrêmement  rares,  ont  été  imprimés  dans  le  format 
in-12  ,  sans  indication  de  lieu  ni  de  date  (  23  pages)  sous 
le  titre  de  Sonnetti  lussuriosi  di  Pietro  Aretino.  Les 
planches  de  .Marc-Antoine  paraissent  avoir  été  détruites  par 
un  marchand  de  Paris,  qui  les  avait  achetées  pour  100  écus. 

Pietro  Aretino  accepta  alors  l'invitation  de  Jean  de  Mé- 
dicis,  ie  fameux  chef  des  bandes  noires,  dans  la  faveur  du- 
quel il  .se  mit  à  un  tel  point,  qu'il  partageait  avec  lui  sa  ta- 
ble et  son  lit,  et  qui,  en  1524,  l'emmena  avec  lui  dans  le  Mi- 
lanais ,  en  ce  moment  au  pouvoir  du  roi  de  France,  Fran- 
çois 1"^  ;  et  Aretino,  par  l'aimable  vivacité  de  ses  repartie*, 
ne  se  fit  pas  moins  bien  venir  de  ce  monarque,  qui  lui  facilita 
sa  rentrée  à  Rome.  Son  séjour  y  fut  cette  fois  de  courte  du- 
rée. Amoureux  d'une  cuisinière ,  il  se  vengea  par  un  sonnet 
d'un  rival  préféré,  qui  lui  répondit  par  quelques  coups  de 
poignard;  et  n'ayant  pu  obtenir  justice  de  son  a.ssassin , 
il  s'en  alla  retrouver  son  ancien  protecteur  Jean  de  Médicis, 
qu'il  eut  la  douleur  de  voir  expirer  dans  ses  bras  des  suites 
d'une  grave  blessure  reçue  au  combat  de  Governolo,  le 
30  mars  1526. 

En  1528  Pietro  Aretino  alla  s'établir  à  Venise,  où  il  se  fit 
aussi  de  puissants  amis ,  et  où  il  se  mit  aussitôt  à  écrire 
contre  son  ancien  protecteur,  le  pape  Clément  YII,  alors 
détenu  au  château  de  Saint- Ange.  Deux  ans  plus  tard,  so.n 
ami  Vasone,  évéqne  de  Vicence,  le  réconcilia  avec  le  souve- 
rain pontife  et  le  recommanda  en  outre  chaudement  à 
Charles-Qu  int ,  qui  ne  voulut  pas  faire  moins  pour  lui 
que  n'avait  fait  son  rival  le  roi  de  France ,  et  qui  en  consé- 
quence lui  accorda  force  gratifications.  Divers  grands  sei- 
gneurs imitèrent  l'exemple  du  maître. 

Le  séjour  de  Venise ,  qu'il  appelle  quelque  part  le  Pa- 
radis terrestre,  plaisait  infiniment  à  Pietro  Aretino;  car  il 
y  pouvait  donner  libre  cours  à  sa  plume  licencieuse  et  vé- 
nale ,  écrire  des  œuvres  obscènes  qui  provoquaient  les  rires 
bruvants  des  disciples  d'Épicure  et  des  sectateurs  de  la  Vénus 
Meretrix,  et  en  même  temps  composer  des  livres  de  piété 
qui  faisaient  pâmer  d'aise  les  béats  et  pleurer  les  dévotes  ; 
or,  des  deux  façons  il  trouvait  le  moyen  de  gagner  beaucoup 
d'argent  ;  et,  après  les  femmes  et  la  table ,  c'était  l'argent  qu'A- 
retino  aimait  par-dessus  tout.  La  nature  l'avait  doué  de  ses 
dons  les  plus  brillants  ;  mais  comme  son  éducation  première 
avait  été  des  plus  négligées,  que  jamais  il  ne  sut  un  mot  de 
grec  et  de  latin ,  il  eût  pu  facilement  donner  prise  de  ce 
côté  à  la  critique,  s'il  n'avait  eu  l'habile  précaution  de  se 
lier  de  la  manière  la  plus  intime  avec  le  fameux  Nicolo 
Franco,  homme  aussi  médisant  que  lui  et  non  moins  libre 
penseur,  d'ailleurs  profondément  versé  dans  la  connaissance 
des  lettres  grecques  et  latines ,  et  qui  lui  fournissait  sur 
l'antiquité  tous  les  renseignements  dont  il  avait  b&soin. 

AravénementdeJulesIII,nécomme  lui  à  Arezzo,  Pietro 
Aretino  adressa  à  son  compatriote  un  sonnet  qui  lui  fit  tant 
de  plai-ir,  qu'il  en  récompensa  l'auteur  par  un  présent  de 
mille  couronnes  d'or,  avec  le  cordon  de  chevalier  de  l'ordre 
de  Saint-Pierre.  Le  duc  d'Urbin  ,  ayant  été  nommé  général 
en  chef  des  troupes  du  saint-siége,  l'emmena  avec  lui  à 
Rome  ;  et  pour  le  coup  Aretino  se  crut  sûr  d'obtenir  le 
chapeau  de  cardinal,  que  lui  avait  déjà  formellement  promis 
le  duc  de  Parme  en  récompense  de  ses  dévotes  productions, 
qu'il  enviait  fort ,  en  raison  des  immunités  et  surtout  des 
gros  revenus  qui  v  étaient  attachés,  et  qu'il  s'était  haute- 
ment vanté  d'arracher  à  l'indulgente  bonté  du  saint-père. 
Jules  III  l'accueillit  parfaitement ,  le  baisa  même  au  front; 
mais  ce  (ut  là  tout.  Déçu  dans  son  attente,  il  ne  manqua  pas 


lie  (lire  à  son  retour  à  Venise,  qu'on  lui  avait  offert  la 
pourpre,  mais  qu'il  l'avait  refusée.  «  11  fut  surnommé,  dit 
Ginguené  dans  son  Histoire  d'Italie,  Flôau  des  princes,  et 
il  le  fut  encore  plus  par  l'impudence  de  ses  flatteries  que 
par  ses  bons  mots.  Il  poussa  aussi  l'orgueil  jusqu'à  donner 
son  portrait  en  présent,  comme  font  les  souverains;  et 
ce  qui  est  plus  singulier,  il  en  régala  même  le  roi  de  France. 
On  frappa  pour  lui,  et  lui-même  aussi  se  (it  frapper  des  mé- 
dailles en  cuivre  et  en  argent;  il  était  grand  et  libéral  dans 
sadépen^e,  ma};uilinue  dans  ses  habits,  généreux  et  même 
charitable,  poul-élre  par  ostentation,  peut-être  aussi  par  habi- 
tude et  par  penchant.  »  Sa  mort  fut  bien  digne  d'une  telle 
vie.  Il  demeurait  à  Venise  avec  ses  sœurs,  dont  la  conduite 
scandaleuse  répondait  à  la  sienne,  l'n  jour  qu'on  lui  racon- 
tait une  aventure  galante  arrivée  à  l'une  de  ces  impudiques 
donzelles,  les  détails  lui  en  parurent  si  plaisants,  qu'il  se  prit 
à  rire  aux  éclats.  Dans  ce  paroxisme  d'hilarité ,  il  se  laissa 
choir  de  la  chaise  sur  laquelle  il  était  assis.  Sa  tête,  en 
tombant  en  arrière,  frappa  rudement  sur  le  carreau;  et  il 
lut  tué  du  coup,  en  1556. 

Les  œuvres  d'Arelino  se  composent  :  l^en  prose,  de  cinq 
comédies  intitulées  La  Cortig'iana,  Il  Marescallo,  L'Hi- 
pocrito,  Il  Filoso/ocl  la  Talanta,  pétillantes  d'esprit  et 
de  gaieté,  pleines  de  traits  du  meilleur  comique,  très-cer- 
tainement ses  meilleurs  ouvrages,  et  qui  furent  imprimées 
à  Venise  de  1533  à  1543;  de  ses  obscènes  Raggionamenti 
ciel  Zoppin,  etc.,  dialogues  dédiés  à  François  l"  ;  de  / 
Selle  Salmi  délia  Penitencia  ;  paraphrase  des  sept  Psaumes 
de  la  Pénitence  (1534);  de  la  Puttana  errante;  d'/  tre 
Librï  délia  Humanitadi  C/irislo  {{b3b)  ;d'llGenesi,  etc. 
(Venise,  1535  et  1539);  d'une  Vie  de  saint  Thomas  d'A- 
guin  (Venise,  1543);  des  Vies  de  la  sainte  Vierge  et  de 
sainte  Catherine  (Venise,  15i0)  ;  de  six  livres  de  Lettres 
familières;  2°  en  vers,  outre  les  Sonneti  lussiiriosi  déjà 
cités,  de  Rime,  de  Stanze,  de  Capitoli,  d'une  épopée  ina- 
chevée, Due  C'anti  dl  Marfisa,  dédiée  au  marquis  de  Vasto 
(Venise,  1537);  des  Lagrime  d''AngeUca  (Venise,  1538), 
poème  demeuré  également  inachevé  ;d'Or/flHrf(?2o,  parodie 
inachevée  aussi  de  VOrlando;  et  enfin  AeVOrazia,  tragé- 
die en  cinq  actes,  qui  n'est  pas  sans  mérite.  Consultez  Mazzu- 
chelli,  Vita  di  Pietro  Aretino((ÏQïn.éi\Vwn;  Milan,  1830); 
Crescimbeni ,  S/oria  délia  Volgare  Poesia;  Tiraboschi, 
Storia  délia  Letteratura  Italiana  {\~91);  Dujardin,  Vie 
de  Pierre  Arétin  ;  Dubois-Fontanelle,  Vie  de  Pierre  Aretin 
et  de  Bernard  raiiojîi  (Paris,  1768);  Ginguené,  flisiotre 
littéraire  d'Italie. 

AREZZO  (en latin  Aretium),  chef-lieu  de  la  province  du 
même  nom,  dans  le  grand-duché  de  Toscane,  située  dans 
une  fertile  vallée ,  sur  le  versant  d'un  colline  ,  à  environ 
huit  kilomètres  de  l'embouchure  de  la  Cliiana  dans  l'Amo, 
est  l'une  des  plus  anciennes  villes  de  la  Toscane,  et  était  au- 
trefois l'une  des  daize  principales  cités  des  Étrusques. 
Sylla,  quand  il  eut  subjugué  ce  peuple,  en  expulsa  les  ha- 
bitants, et  la  peupla  de  ses  partisans.  Dans  les  guerres  des 
guelfes  et  des  gibelins,  Arezzo  prit  toujours  parti  pour  les 
seconds,  et  fut  constamment  en  guerre  avec  les  Florentins, 
dont  l'armée  (ut  complètement  défaite  par  les  troupes  d'A- 
rezzo  à  la  bataille  de  Camaldino  (  1289),  à  laquelle  Dante 
assista.  L'évêque  Pietro  Sanone  finit  par  trahir  et  vendre 
la  ville  aux  Florentins,  qui  dès  lors  en  demeurèrent  toujours 
possesseurs. 

ArezzQ  compte  aujourd'hui  au  plus  10,000  habitants;  tan- 
dis que  sa  muraille  d'enceinte,  qui  n'a  pas  moins  de  trois 
milles  de  développement,  et  ses  nombreuses  églises,  qui  de 
loin  lui  donnent  l'apparence  d'une  cité  autrement  impor- 
tante, témoignent  encore  de  l'époque  où  elle  n'avait  pas 
moins  de  30,000  habitants. 

Parmi  ses  nombreuses  places  publiques  on  remarque  sur- 
tout la  Piazza  Grande  ou  Ferdirumda  ,  garnie  d'une  co- 
lonnade, où  se  trouvent  la  Loggia,  édifice  avec  une  belle 


AUETINO  —  ARGÉKS  733 

façade  gothique,  et  le  Picve,  église  hAtie  sur  les  fondations 


d'un  ancien  temple  païen.  La  c^ithédrale,  dont  la  façade, 
comme  celle  de  lu  plupart  des  églises  di.\rezzo,  est  demeurée 
inachevée,  bâtie  sur  le  point  culminant  de  la  ville,  renferme 
un  magnifique  maître  autel  en  marbre,  œuvre  de  Giovanni 
Pisano,  et  quelques  tableaux  de  prix.  Siège  de  préfecture  d 
d'évêché,  Arezzo  possède  un  gymnase,  un  hôpital  et  de  nom- 
breux couvents.  Les  rues  en  sont  généralement  sales  et  obs- 
cures; et  sous  le  rapport  de  l'urbanité  et  de  la  socitibilité, 
les  habitants  ne  passent  précisément  pas  pour  des  modèdes 
parmi  leurs  compatriotes.  L'industrie ,  autrelois  très-floris- 
sante, y  est  bien  déchue. 

il  n'est  peut-être  pas  de  ville  qui,  à  importance  égale  ait 
donné  le  jour  à  tant  d'hommes  célèbres  ;  là  naquirent  M  é- 
cèue,  ce  protecteur  éclairé  et  généreux  des  lettres  et  des 
arts,  Pétrarque,  l'immortel  chantre  de  Laure;  Pietro 
Aretino,  le  satirique;  Guido  d'Arezzo,  l'inventeur  des 
notes;  Leonardo  d'Arezzo,  historien;  Cesalpino,  botaniste; 
Redi,  médecin  et  humoriste;  le  pape  Jules  lll;  le  fameux 
maréchal  d'Ancre;  Vasari, le  peintre  auteur  d'une  vie  des 
peintres  justement  estimée,  et  une  foule  d'autres  hommes 
distingués  en  tous  genres,  mais  dont  les  noms  n'ont  guère 
franchi  les  limiles  de  l'Italie. 

AREZZO  (Fra  Glittoke  d'),  l'un  des  créateurs  de  la 
littérature  italienne,  qui  florissait  au  treizième  siècle,  naquit 
en  Toscane,  et  mourut  en  1294.  Il  appartenait  à  l'ordre  re- 
ligieux et  militaire  des  C«rflZin7  gaudenti;A&VaL  celte  qua- 
lification de  Fra  qu'on  ajoute  d'ordinaire  à  son  nom.  Cet 
ordre,  comme  l'indique  sa  dénomination  même,  n'imposait 
à  SCS  membres  aucune  privation  ni  contrainte.  11  avait  été 
institué  en  Languedoc  ,  lors  de  la  croisade  contre  les  albi- 
geois ,  vers  1208.  Les  dames  y  étaient  admises.  On  conçoit 
dès  lors  que  les  chevaliers  menaient  joyeuse  vie;  c'est  dans 
ce  milieu,  où  l'ascétisme  se  mariait  parfaitement  à  la  ga- 
lanterie, que  G uiltone  d'Arezzo  puisa  ses  inspirations,  où  les 
idées  de  dévotion  sont  relevées  et  assaisonnées  par  des  pen- 
sées d'amour.  On  a  de  lui  trente-huit  sonnets,  les  premières 
productions  de  la  poésie  italienne  où  il  y  ait  de  la  régula- 
rité dans  le  rhylhme  et  dans  la  rime,  plusieurs  ballades  et 
ti"ois  grandes  Canzoni,  qui  ont  été  réimprimées  à  li verses 
reprises,  notamment  dans  les  Antichi  Poeti  de  Léo  Allalius. 

ARGAXD  (Aimé),  inventa,  en  1782,  à  Montpellier, 
la  lampe  à  double  courant  d'air  ou  à  mèche  cylindrique, 
dans  laiiuelle  il  substituait  aux  mèches  pleines  des  mèches 
tissues  au  métier  en  forme  de  cyli  ndre  creux.  Il  présenta  aoa 
invention  la  même  année  aux  états  de  Languedoc.  Venu  à 
Paris  l'année  suivante,  il  en  fit  l'expi-rience  devant  le  1  eu- 
tenant  général  de  police  Lenoir,  et  parla  à  MM.  Cuhières 
et  Meunier  d'une  cheminée  en  verre  qu'il  voulait  adapter 
à  sa  lampe.  Il  partit  en  Angleterre,  et  pendant  son  absence 
Lange  et  Quinquet  confectionnèrent  des  lampes  suivant 
lo  système  d'Argand  avec  la  cheminée  de  verre ,  et  les 
présentèrent  à  l'Académie  des  sciences.  Des  débats  s'ensui- 
virent, et  ce  corps  savant  n'accorda  aux  derniers,  en  1785, 
que  l'invention  de  la  cheminée.  Un  arrêt  du  conseil 
d'État,  de  la  même  année,  avait  reconnu  Argandcomme  seul 
inventeur  de  cette  lampe.  Z. 

a\RGEESj  fête  romaine  qu'on  célébrait  le  15  du  mois 
de  mai.  On  se  rendait  sur  un  des  ponts  du  Tibre,  après  avoir 
promené  trente  figures  gigantesques  d'osier,  nommées  ar- 
j7ée5,  elles  Vestales  les  précipitaient  dans  lefleuve.  Plutarque 
explique  ainsi  le  sens  de  l'origine  de  cette  fête.  Une  colonie 
d'.\rcadiens,  forcés  par  les  Argiens  d'abandonner  leur  pays, 
arriva  dans  des  temps  très-reculés  en  Italie,  sous  la  conduite 
d'Évandre,  et  leurs  descendants  voidurent  par  cette  fête  des 
Argées  perpétuer  leur  haine  contre  les  oppresseurs  argiens. 
Selon  d'autres,  cette  fête  rappelait  le  temps  où  l'on  jetait 
des  hommes  dans  le  Tibre.  Denys  d'Halicarnasse  croit  que 
ces  figures  représentaient  les  Grecs  qu'on  sacrifiait  autrefois; 
Hercule,  ayant  aboli  ces  cruels  sacrifices,  y  substitua  cette 


784  ARGÉES  — 

cérémonie.  Ovide  dit  poéliquemeiit  qu'Hercule  vint,  après 
Évandre,  dans  ces  contrées,  à  la  tête  d'une  colonie  d'Argiens. 
Ces  nouveaux  venus,  regrettant  leur  patrie,  recommandaient 
en  mourant  à  leurs  héritiers  de  les  jeter  dans  le  Tibre, 
espérant  que  les  flots  de  la  mer  leur  seraient  assez  propices 
pour  déposer  leurs  corps  sur  le  rivage  de  l'Argolide.  Comme 
c'était  abandonner  au  hasard  le  soin  de  sa  sépullure,  cet 
usage  ne  dura  pas  longtemps,  et  l'on  substitua  aux  cada- 
vres des  figures  d'osier. 

ARGELAIVDER  (  FRÉnÉnic-GL-iLLALME- Auguste  ) , 
professeur  d'astronomie  à  l'université  de  13onn  ,  est  né  le 
22  mars  1799,  à  Memel.  11  commença  par  étudier  le  droit 
administratif  à  l'université  de  Kœnigsberg  ;  mais,  séduit  par 
les  cours  de  Be'ssel,  il  abandonna  bientôt  cette  carrière 
pour  se  vouer  tout  entier  à  l'astronomie.  En  1820  il  fut 
nommé  aide  de  Bessel  à  Kœnigsberg  ;  et ,  dès  1S23  il 
était  appelé  à  remplacer  à  l'observatoire  nouvellement  créé 
à  Abo  l'astronome  Walbeck,  mort  après  un  très-court 
exercice  de  ses  fonctions.  Argelander  s'y  consacra  sur- 
tout à  l'observation  des  étoiles  qui  ont  un  mouvement 
propre  apparent;  mais  l'incendie  qui,  en  1828,  vint  dé- 
truire la  plus  grande  partie  de  la  ville  d'Abo,  le  força  de 
suivre  à  Helsingfors  l'université,  qui  y  fut  transportée,  et 
cù  il  s'occupa  surtout  de  la  construction  d'un  nouvel  ob- 
servatoire, qui  n'a  été  terminé  qu'en  183'i.  Le  catalogue  de 
cinq  cent  soixante  étoiles  à  mouvement  propre  apparent 
qu'il  a  publié,  et  qui  contient  le  résultat  des  observations 
qu'il  avait  faites  à  Abo,  lui  a  mérité,  au  jugement  de  l'Aca- 
démie de  Saint-Pétersbourg,  le  grand  prix  Demidolf.  Ap- 
pelé en  1837  à  Bonn,  il  y  a  fait  élever  un  observatoire. 
Il  a  publié  en  1843,  une  Uranometria  nova. 

AKGEiXS  (  Je.vx-B.vptiste  de  Boyer,  marquis  d'),  né  à 
Aix  en  Provence,  le  24  juin  170i,  avait  été  destiné  par  ses 
parents  à  la  magistrature  ;  mais  son  goût  pour  les  aventures 
le  détermina  à  entrer  au  service  dès  l'âge  de  quinze  ans. 
Quelques  années  plus  tard,  devenu  amoureux  d'une  actrice 
à  laquelle,  dans  ses  Mémoires,  il  donne  le  nom  de  Sylvie, 
il  s'enfuit  avec  elle,  afin  de  l'épouser  en  Espagne;  mais  ses 
proches  se  mirent  à  sa  poursuite  :  on  parvint  à  l'arrêter,  et 
on  vous  le  ramena  en  Provence,  d'oii,  pour  hà  faire 
changer  d'air,  sa  noble  famille  le  fit  partir  pour  Constanti- 
uople,  où  il  fut  attaché  à  l'ambassade  de  France.  A  son  re- 
tour de  l'Orient,  il  rentra  dans  les  rangs  de  l'armée.  Blessé 
en  1734,  au  siège  de  Kehl,  une  chute  de  cheval,  qu'il  eut 
le  malheur  de  faire  devant  Philippshourg,  le  rendit  désor- 
mais impropre  au  service.  Déshérité  par  son  père,  il  se  fit 
homme  de  lettres,  et  s'en  alla  en  Hollande  où,  grâce  à  la  li- 
berté de  la  presse  existant  en  ce  pays,  il  publia  ses  Lettres 
Juives,  ses  Lettres  Chinoises  et  ses  Lettres  Cabalisti- 
ques, qui  ont  été  imprimées  avec  La  Philosophie  du  Bon 
Sens  (Londres,  1737).  Frédéric  II,  alors  prince  royal,  dé- 
sira faire  la  connaissance  de  l'auteur  et  l'invita  h  venir 
auprès  de  lui;  mais  d'Argens  déclina  l'invitation,  et  fit  dire 
qu'avec  ses  cinq  pieds  sept  pouces  il  courait  en  vérité  trop 
de  risques  dans  les  États  de  Frédéric-Guillaume  I"". 

Quand  Frédéric  monta  sur  le  trône,  il  renouvela  son  in- 
vitation, que  d'Argens  accepta  cette  fois.  Nommé  alors  cham- 
bellan et  directeur  des  Beaux-Arts  à  l'Académie  de  Berlin,  il 
devint  l'un  des  membres  de  la  société  intime  du  roi,  qui  l'ai- 
mait à  cause  de  sa  franchise,  mais  qui  se  moquait  de  ses  lu- 
bies d'hypochondriaque.  D'Argens  touchait  à  la  soixantaine, 
lorsqu'  il  s'amouracha  encore  d'une  actrice ,  une  certaine 
M"*  Cochois;  et  il  l'épousa  sans  en  avoir  obtenu  l'autorisa- 
tion préalable  du  roi,  qui  ne  lui  pardonna  jamais  cette  folie. 
D'Argens  mourut  à  Toulon,  le  11  janvier  1771,  dans  un 
voyage  qu'il  était  allé  faire  en  Provence.  Frédéric  II  lui  fii 
élever  un  cénotaphe  dans  l'église  des  Minorités,  à  Aix.  Ses 
nombreux  ouvrages,  et  notamment  son  Histoire  de  l'Es- 
prit humain  (14  vol.,  Berlin,  1767),  obtinrent  dans  le 
temps  une  vogue  peu  commune.  Ses  Lettres  et  Mémoires 


ARGENSON 

parurent  d'abord  à  Londres,  en  1748,  puis  à  Paris,  en  1807, 

Luc  de  Boyer  d'Ar.CENs,  son  frère,  est  l'auteur  de  Ré- 
flexions politiques  sur  les  Chevaliers  de  Malle  (Paris, 
1739).  Il  mourut  en  1772. 

ARGEiV'SOLA.  Ce  nom  appartient  à  deux  écrivains 
esi)agnols,  Lupercio  et  Bartolomé  Leonardo  d'Ai-.censola, 
nés  tous  les  deux  dans  la  cité  de  Barbastro  en  Aragon,  l'un  m 
en  1565,  l'autre  en  1566,  et  issus  d'une  noble  famille  de  j\ 
Ravenne,  depuis  longtemps  établie  en  Aragon.  Très-jeunes 
encore,  les  deux  frères  étudièrent  ensemble  la  langue  cas- 
tillane et  les  rudiments  de  la  langue  latine  à  l'université  de 
Iluesca  ;  de  là  Lupercio  passa  à  celle  de  Saragosse,  où  il 
se  livra  à  l'étude  de  l'éloquence  et  à  celle  de  la  langue  grec- 
que, pendant  que  Bartolomé  continuait  l'étude  du  droit 
civil  et  canonique,  jusqu'à  ce  qu'il  obtint  les  grades  de  doc- 
teur en  droit  et  en  théologie. 

Protégés  par  la  princesse  Marie  d'Autriche,  sœur  de  Phi- 
lippe II  et  veuve  de  l'empereur  Maximilien  II,  qui  depuis  la 
mort  de  son  mari  s'était  fixée  à  la  cour  d'Espagne,  les  deux 
frères  se  rendirent  à  Madrid.  Là  Lupercio  se  fit  remarquer 
par  son  talent  pour  la  poésie,  et  occupa  bientôt  le  premier 
rang  parmi  les  grands  poètes  de  son  siècle.  Marie  d'Au- 
triche le  nonnna  son  secrétaire.  Bartolomé ,  alors  ordonné 
prêtre,  obtint,  par  l'inHuence  de  son  frère,  la  charge  d'au- 
mônier de  la  princesse.  La  fortune  des  deux  frères  ne  s'ar- 
rêta pas  là  :  Lupercio  épousa,  quelque  temps  après,  dona 
Barbara  d'Albion,  et  cette  illustre  alliance  lui  valut  d'être 
fait  gentilhomme  de  la  chambre  de  l'archiduc  .•Vlbert. 

Dès  cette  époque  les  deux  frères  s'étaient  également  fait 
remarquer  dans  les  lettres  :  tous  deux  étaient  poètes;  mais 
leur  plus  grand  titre  de  gloire  est  d'avoir  écrit  en  pur  cas- 
tillan et  fixé,  pour  ainsi  dire^  la  langue  de  leur  pays  à  une 
époque  où  elle  était  encore  incertaine,  mélangée  d'éléments 
empruntés  à  la  langue  romane,  et  entachée  de  latinismes. 

Nommé  premier  chroniqueur  d'Aragon  par  la  cour 
de  Madrid,  Lupercio  obtint  le  même  honneur  du  conseil  des 
prud'hommes  de  Saragosse.  Il  devint  ensuite  secrétaire 
d'État,  sous  les  ordres  du  comte  deLemos,  alors  vice-roi 
à  Naples.  Lupercio  vécut  dans  cette  dernière  ville  jus- 
qu'en 1G13,  époquedesa  mort.  Parmi  ses  meilleures  poésies, 
on  distingue  la  satire  contre  les  courtisanes,  celle  sur  le 
mot  Barbare,  et  un  sonnet  épigramraatique  intitulé  La 
Beldad  mentida  (La  Beauté  niensongère ).  La  chronique 
du  royaume  d'Aragon  fut  écrite  sous  sa  direction  ;  ce  tra- 
vail dura  quatorze  années. 

Bartolomé,  devenu  recteur  de  Villahermosa,  s'était  rendu 
à  Naples  auprès  de  son  frère,  en  1596.  Après  la  mort  de 
Lupercio,  Bartolomé  s'attacha  au  comte  de  Lemos;  mais 
en  1616,  ayant  obtenu  un  canonicat  à  la  cathédrale  de  Sa- 
ragosse, il  se  retira  dans  celte  ville,  et  y  vécut  jusqu'à  sa 
mort,  arrivée  en  1033.  lia  laissé  un  plus  grand  nombre 
d'écrits  que  Lupercio,  entre  autres  une  longue  et  sanglante 
satire  Contre  les  vices  de  la  cour,  une  autre  Contre  l'ani' 
bition;  un  conte  en  vers,  ayant  pour  titre  :  Le  Laboureur 
et  le  Trésor,  et  une  épitre  didactique  Sur  la  mort  du 
Comte  de  Gelves,  adressée  à  son  successeur,  qui  sont  de 
véritables  chefs-d'œuvre.  De  tous  ses  ouvrages  en  prose, 
V Histoire  de  la  Conquête  des  Iles  Moluques  est  le  meil- 
leur; et  malgré  le  jugement  sévère  qu'en  a  porté  Munarriz, 
cet  ouvrage  suffirait  à  lui  seul  pour  justifier  le  rang  distin- 
gué que  Bartolomé  d'Argensola  occupe  dans  la  littérature 
espagnole.  Manuel  de  Cuendiaz. 

ARGEXSO\  (VOYER  d'),  famille  originaire  de  Ton- 
raine,  où  de  temps  immémorial  elle  a  possédé  la  terre  de 
Paulmy.  Le  nom  d'Argenson,  sous  lequel  plusieurs  membres 
de  cette  famille  se  sont  illustrés,  est  celui  d'une  autre  de 
ses  propriétés  située  en  Touraine,  dans  l'arrondissement  de 
Chinon. 

ARGENSON  (René  VOYER,  seigneur  d'),  d'abord  ma- 
gistrat au  parlement  de  Paris,  puis  intendant  militaire  pea- 


ARGENSO^ï 
dant  le  sit^e  île  la  Rochelle,  hitemlant  île  justice  à  l'armée  de 
Daiiphiné,  surintomlant  du  Poitou,  fut  chargé  par  les  car- 
dinaux de  Richelieu  et  Mazarin  de  diverses  négociations  im- 
portantes et  secrètes,  telles  que  la  réunion  de  la  Catalogne  à 
la  France,  eniCil.  Il  s'était  livré  dans  ses  dernières  années 
aux  plus  ferventes  pratiques  de  la  religion ,  et  avait  publié 
un  traité  De  la  Sagesse  C/trèdenne  en  lOiO,  alors  qu'il  était 
prisonnier  des  Espagnols  au  chiltcau  de  Milan.  11  mourut 
ambassadeur  à  Venise,  en  1G51. 

ARGblNSON  (René  VOYF.R,  comte  d),  fils  aîné  du  pré- 
cédent, lui  succéda  dans  son  ambassade ,  n'ayant  encore  que 
vingt-sept  ans.  11  avait  secondé  son  père  dans  tous  ses  tra- 
vaux et  dans  ses  missions  sous  la  régence  d'Anne  d'Autriche 
et  sous  Mazarin.  Durant  son  ambassade  de  Venise,  de  1C51 
à  1655,  cette  république  l'autorisa  à  joindre  à  ses  armes  le  lion 
de  saint  Marc,  et  fut  la  marraine  de  son  fds  aîné,  à  qui  le  pré- 
nom de  Marc  fut  donné  par  elle.  De  retour  en  France,  ayant 
déplu  au  roi  parla  sévérité  de  ses  principes  et  de  ses  mœurs, 
il  alla  vivre  dans  ses  propriétés  de  Touraine,  où  il  mourut 
en  1700,  âgé  de  soixante-dix-sept  ans.  Il  cultiva  les  lettres 
et  fut  l'ami  de  Balzac. 

ARGENSON  (:Marc-Rexé  VOITR  d'),  fdleul  de  la  répu- 
blique de  Venise,  né  dans  cette  résidence  enlC52,  fut  d'abord 
lieutenant  général  au  bailliage  d'Augoulème,  fonctions  modes- 
tes dans  lesquelles  ses  talents  furent  appréciés  de  ses  supé- 
rieurs, qui  l'engagèrent  à  se  rendre  à  Paris.  Il  n'y  était  pas 
depuis  longtemps  lorsqu'il  fut  appelé  à  la  heutenance  de 
police  de  la  capitale,  charge  de  création  nouvelle,  où  il  ne 
tarda  pas  à  donner  des  preuves  d'activité,  de  pénétration  et 
de  vigilance.  Paris  lui  dut  un  ordre ,  une  sécurité  sans 
exemple  jusque  alors.  Moins  persécuteur  par  caractère  que 
redoutable  par  son  extérieur  sévère  et  par  le  bruit  générale- 
ment répandu  qu'aucun  secret  ne  lui  échappait,  il  savait 
allier  à  la  rigidité  de  ses  devoirs  une  inépuisable  indulgence 
pour  les  fautes  légères. 

Le  duc  d'Orléans  lui  ayant  eu,  en  diverses  circonstances, 
des  obligations  particuUères,  Marc-René  fut,  après  la  mort 
de  Louis  XIV,  investi  de  toute  la  confiance  du  régent,  et  ap- 
pelé lors  de  l'établissement  des  conseils  en  1715  dans  celui 
de  l'intérieur.  11  devint  trois  ans  plus  tard  président  du  con- 
seil des  finances  et  garde  des  sceaux .  Il  siégea  en  cette  qualité 
au  ht  de  justice  des  Tuileries,  où  furent  aboUes  en  1718  les 
prérogatives  des  princes  légitimés,  et  où  l'éducation  du  jeune 
roi  fut  enlevée  au  duc  du  Maine.  Toutefois,  ses  démêlés 
avec  L  a  w,  dont  il  désapprouvait  le  système,  le  déterminèrent 
à  se  démettre  de  la  présidence  des  finances  le  5  janvier  1720. 
Le  7  juin  suivant  il  rapportait  ies  sceaux  au  régent,  qui  ne 
lui  en  conservait  pas  moins  toute  sa  confiance.  11  était  de- 
puis 1716  de  r.\cadémie  des  Sciences  et  depuis  1718  de  l'A- 
cadémie Française.  11  mourut  en  1721,  et  son  éloge  lut  pro- 
noncé par  Fontenelle. 

ARGENSON  (René-Loi'is  VOYER,  marquis  d'),  fils  aîné 
du  garde  des  sceaux,  né  en  1694,  fut  successivement  magis- 
trat au  parlement,  conseiller  d'Etal  en  1720,  intendant  du 
Hainaut  jusqu'en  1724.  De  retour  de  cette  intendance,  il 
n'occupa  longtemps  d'autre  fonction  que  celle  de  con- 
seiller d'État.  Sérieux,  réfléchi,  voué  par  goût  à  l'étude,  il  se 
préparait,  en  rassemblant  les  matériaux  de  nombreux  ou- 
vrages, au  mini.stère  des  affaires  étrangères,  auquel  il  fut 
appelé  le  28  novembre  1744  et  qu'il  n'occupa  malheureuse- 
ment que  trois  ans.  Là  il  s'efforça  de  faire  respecter  la  Fiance 
au  dehors  et  de  lui  assurer  la  paix  au  milieu  de  la  conda- 
gration  générale  de  l'Europe.  Dans  ce  but  il  avait  entamé 
avec  la  cour  de  Turin  une  négociation  tendant  à  l'expulsion 
des  Autrichiens  par-<lelà  les  Alpes  et  à  la  formation  d'une 
ligue  italienne  sur  le  modèle  de  la  confédération  germanique 
Ce  projet,  que  le  sort  des  arnie;>  fit  avorter,  déplut  à  la  cour 
de  Madrid,  qui  rêvait  déjà  des  plans  gigantesques  en  faveur 

de  don  Pliilippe,  gendre  de  Louis  \V,  tels  que  le  rélablis- 

seraent  du  royaume  de  Lornbardie.  D'Argenson,  mal  vu  de 

niCT.    DE   LA   CONYERS.   —  T.   I. 


785 
celle  cour,  près  de  laquelle  Louis  XV  jugea  à  propos  d'en- 
voyer en  iléputalion  le  maréciial  de  Noailles,  se  vit  forcé 
de  donner  sa  démission  le  10  janvier  1747,  et  reprit  sans 
regret  ses  occupations  habituelles,  s'entourant  d'hommes  de 
lettres  et  de  la  plupart  des  philosophes  du  dernier  siècle. 

Voltaire  disait  qu'il  eût  été  digne  d'être  secrétaire  d'État 
dans  la  république  de  Platon.  Son  an'ectation  de  bonhomie 
et  de  trivialité,  son  maintien  embarrassé  à  la  cour,  l'avaient 
fait  surnommer  d'Argcnson  la  Bête.  Son  principal  ou- 
vrage, que  Rousseau  cite  avec  éloge  dans  son  Contrat  social, 
a  pour  titre  :  Co7isidérations  sur  le  gouvernement  de  la 
France.  Il  devrait  être  intitulé  plutôt  :  «  Jusqu'où  la  dé- 
mocratie est-elle  possible  dans  une  monarchie  ?  »  Ses  Loisirs 
d'un  Ministre  d'État  sont  des  Essais  dans  le  goût  de  ceux 
de  Montaigne.  Il  avait  été  élevé,  ainsi  que  son  frère  (dont 
suit  la  notice),  au  collège  Louis-le-Grand  avec  Voltaire,  dont 
il  resta  toujours  l'ami.  Membre  de  l'Académie  des  Inscriptions 
et  Belles-Lettres,  il  fit  insérer  dans  le  recueil  de  cette  société 
lin  Mémoire  sur  les  historiens  français,  et  coopéra  à  la 
rédaction  de  VHistoire  du  Droit  public  ecclésiastique 
français.  Il  mourut  à  Paris  en  1757.  On  a  encore  imprimé 
en  1857,  les  Mémoires  et  Journal  inédit  du  marquis  d'Ar- 
genson,  publiés  et  annotés  par  le  marquis  d'Argenson. 

ARGEXSOX  (Marc-Pierre  VOYER,  comte  d' ) ,  frère 
du  précédent  et  second  fils  du  garde  des  sceaux,  naquit 
en  1696,  remplaça  en  1720  son  père  comme  lieutenant  gé- 
néral de  police,  devint  ensuite  Intendant  de  Touraine,  con- 
seiller d'État  et  intendant  de  Paris  en  1740.  En  août  1742 
il  eut  entrée  au  conseil  des  ministres,  et  succéda  ,  quelques 
mois  après,  à  M.  de  Breteuil  comme  secrétaire  d'État  au 
ministère  delà  guerre,  quand  le  cardinal  de  Fleury,  qui  tenait 
encore  le  timon  des  affaires,  les  eut  laissées,  par  sa  mort, 
dans  un  état  déplorable  :  nos  armées,  décimées  par  le  fer  et 
les  maladies ,  étaient  en  pleine  retraite,  les  Autrichiens  en- 
vahissaient l'Alsace  et  la  Lorraine.  Grâce  au  nouveau  mi- 
nistre ,  la  chance  tourna  bientôt,  et  Louis  XV,  accompagné 
des  deux  frères  d'Argenson ,  se  montra  en  personne  à  la 
journée  de  Fontenoy. 

La  paix  ne  le  laissa  point  inactif;  il  fit  réparer  les  places 
fortes,  fonda  l'École  Militaire,  et  accepta  de  D'.\lembert  et  de 
Diderot  la  dédicace  Aq\' Encyclopédie,  entreprise  sous  son 
ministère.  Condisciple  de  Voltaire,  comme  son  frère,  il  lui 
fourait  des  matériaux  pour  écrire  son  Siècle  de  Louis  XV. 
Il  était  membre  de  l'Académie  Française  et  de  celle  des  Ins- 
criptions. Le  l"^""  février  1757,  il  fut  enveloppé  dans  la  dis- 
grâce du  garde  des  sceaux  Macliault  par  haine  de  la  Pom- 
padour,  dirent  les  uns  ;  pour  s'être  trop  pressé,  selon  les 
autres,  d'aller  prendre  les  ordres  du  dauphin,  lorsque 
Louis  XV,  blessé  par  Damiens,  le  lui  enjoignit.  Exilé  dans 
sa  terre  des  Ormes,  il  y  passa  les  six  dernières  années  de 
sa  vie,  assiégé  par  l'ennui  et  les  infirmités,  et  n'obtint  qu'après 
la  mort  de  son  ennemie  l'autorisation  de  rentrer  à  Paris,  où 
il  mourut  en  1764,  à  soixante-huit  ans,  ne  laissant  qu'un  fils, 
le  marquis  Voyer  d'Argenson. 

ARGEXSON  (Antoi.ne-Re.né  VOY'ER  d'),  marquis  DE 
PAULMY,  lils  de  René-Louis,  iniiiistredesafTaires étrangères, 
naquit  en  1722,  fut  conseiller  au  parlement  dès  l'âge  de 
\ingt  ans,  puis  commissaire  général  des  guerres,  jouit  d'une 
grande  influence  sous  les  ministères  de  son  oncle  et  de  son 
père,  devint  ambassadeur  en  Suisse,  resta  cmqans  secrétaire 
général  du  ministère  de  ia  guerre,  obtint  ce  portefeuille  en 
1757,  le  perdit  au  bout  d'un  an,  et  rem|)lit  deuxatitres  am- 
bas.sades  en  Pologne  et  à  Venise;  mais,  ayant  sollicité  en 
vain  celle  de  Rome,  il  quitta  la  politique  et  ne  s'occupa  plus 
que  d'études  littéraires.  Membre  de  l'Académie  Française  et 
membre  honoraire  de  celles  des  Sciences  et  des  Inscriptions, 
il  s'était  formé  une  des  plus  belles  bibliothèques  que  jamais 
particulieraitpossedee.il  la  vendit  en  1781  au  comte  d'Artois, 
s'en  réservant  la  jouissance  durant  sa  vie.  C'est  la  biblio- 
thèque actuelle  de  l'Arsenal;  et  on  peut  lire  en  tète  et  en  marge 


786 


ARGENSON  —  ARGENT 


de  presque  tous  les  volumes  «le  celle  h  i  b  1  i  o  t  h  è  q  u  e  des 
noies  manuscrites  du  marquis  de  Paulmy. 

Litlérateur  infatigaljie ,  il  conçut  le  plan  de  la  Bibliothè- 
que universelle  des  Romans,  dont  quarante  volumes  pa- 
rurent sous  ses  auspices,  et  dans  laquelle  il  inséra  plusieurs 
de  ses  compositions ,  réimprimées ,  depuis ,  sous  le  titre  de 
Choix  de  petits  Romans  de  différentsgenr  es, \>An\n\(i?>(\\.K\s, 
on  remarque  le  Juif  errant  et  les  Exilés  de  la  cour  d'Au- 
guste. Seul  il  entreprit  encore  une  publication  plus  volu- 
mineuse, celles  des  Mélanges  tirés  d'une  grande  biblio- 
thèque, en  soixante-cinq  volumes.  Il  mourut  en  1787  à  l'Ar- 
senal, dont  il  avait  le  gouvernement,  laissant  une  fille  unique, 
duchesse  de  Luxembourg. 

ARGEiNSON  (  Marc-Uené,  marquis  VOYER  n'  ) ,  fils  du 
comte,  naquit  en  1722  et  se  distingua  personnellement  à  la 
journée  de  Fontenoy.  Déjà  directeur  général  des  haras  et 
gouverneur  du  château  de  Vincennes ,  il  fut  créé  maréclial 
de  camp  en  1752.  Commandant  miUtaire  en  Saintonge, 
Poitou  et  Aunis,  il  présida  plus  tard  à  l'assainissement  des 
malais  de  Rochefort  et  aux  fortifications  de  l'île  d'Aix.  C'est 
dans  l'accomplissement  de  ces  devoirs  qu'il  puisa  le  germe 
d'une  maladie  qui  le  conduisit  au  tombeau  en  1787,  à  l'âge 
de  soixante  ans.  De  son  mariage  avec  la  fille  du  maréchal 
de  MaiUy,  il  eut  un  fils ,  dont  suit  la  notice. 

ARGE^'SON  (Mauc-Réné  YOYER,  marquis  d'),  né  à 
Paris  en  1771 ,  ayant  perdu  son  père  fort  jeune,  dut  sa 
première  éducation  aux  soins  de  son  oncle ,  le  marquis  de 
Pauhny.  Il  étudiait  à  Strasbourg  à  l'époque  du  départ  de 
Louis  XYI  pour  Yarennes.  Aussitôt  après  il  prit  du  ser- 
vice dans  les  armées  nationales ,  en  qualité  d'aide  de  camp 
de  M.  de  \Yitgenstein  ,  d'abord ,  puis  du  général  Lafayette. 
Quand  ce  dernier  quitta  la  Trance ,  d'Argenson  se  retira 
dans  ses  biens  du  Poitou ,  et  y  passa  les  plus  orageuses  an- 
nées de  la  révolution.  Ce  fut  alors  qu'il  épousa  la  veuve  du 
prince-vicomte  de  Broglie ,  mère  de  l'ancien  pair  de  France 
de  ce  nom,  et  se  livra  tout  entier  à  l'éducation  de  ses  enfants 
et  à  l'agriculture. 

11  était  dans  ce  pays  l'ami  des  pauvres  et  le  modèle  des 
agriculteurs.  H  s'occupait  aussi  de  l'exploitation  d'usines  qu'il 
possédait  dans  la  Haute-Alsace.  En  1803  il  était  président 
du  collège  électoral  du  département  de  la  Yienne,  qui  n'en- 
voya pas  de  députés  pour  complimenter  Napoléon.  En  1804 
il  fut  réélu ,  et  cette  fois  fit  partie  de  la  députation  en- 
voyée à  l'empereur.  Cette  circonstance  lui  valut  la  préfec- 
ture du  département  dos  Deux-Ncthcs  ,  où  il  se  monlra  tou- 
jours le  défenseur  des  libertés  publiques.  11  se  trouvait  à 
Anvers,  son  chef-lieu,  lors  du  débarquement  des  Anglais  à 
Walcheren,  et  contribua  activement  aux  mesures  qui  fu- 
rent prises  pour  les  repousser.  Anvers  était  devenue  une  des 
places  les  plus  importantes  de  l'empire  français,  par  les  tra- 
vaux immenses  qui  y  avaient  été  exécutés  par  le  génie  et  la 
marine.  Le  refus  que  fit  d'Argenson  de  mettre  le  séquestre 
sur  les  biens  du  maire  de  la  ville  et  de  ses  coaccusés,  acquittes 
par  le  jury,  détermina  sa  démission  ,  qu'il  donna  en  1813. 

Aussitôt  après  la  première  restauration,  il  fut  désigné  par 
Louis  XYIII  pour  la  préfecture  des  Bouches-du-Rliône; 
mais  il  déclara  qu'il  n'accepterait  de  fonctions  du  gouver- 
nement que  sous  une  constitution  libre  et  après  l'évacua- 
tion du  territoire.  Membre  de  la  chambre  des  représentants 
durant  les  Cent-Jours ,  il  fit  partie  avec  Lafayette  et  Ben- 
jamin Constant  de  la  députation  de  Haguenau,  qui  alla 
signifier  aux  puissances  étrangères  l'exclusion  de  la  maison 
de  Bourbon  du  trône  de  France.  En  juillet  1815  il  signa 
encore  la  protestation  (ïc  ses  collègues  contre  la  clôture  de 
l'Assemblée  par  les  baïonnettes  de  la  coalition. 

Élu  à  la  chambre  des  députes ,  après  la  seconde  restau- 
ration, par  le  collège  de  Belfort ,  il  dénonça  à  la  tribune 
les  massacres  des  protestants  dans  le  midi,  et  obtint  l'hon- 
neur d'un  rappel  à  l'ordre.  Plus  tard  ,  dans  le  collège  de  la 
Yienne,  il  ne  prêta  serment  que  sous  la  réserve  expresse 


de  Y  imprescriptible  souveraineté  du  peuple.  Réélu  à 
Celfort,  à  Pont-Audemer,  à  Châtellerault ,  il  se  montra 
inaccessible  à  toutes  les  séductions  comme  à  toutes  les 
craintes ,  ne  négligeant  aucune  occasion  de  s'élever  contre 
les  actes  arbitraires  du  pouvoir  et  d'appuyer  toutes  les  me- 
sures ayant  pour  but  l'amélioration  du  sort  des  classes  ou- 
vrières. 

Après  avoir  donné  sa  démission  sous  le  ministère  Marti- 
gnac,  il  fut  réélu  à  Strasbourg  en  1830,  et  prêta  serment 
le  3  novembre  en  ces  termes  :  «  Je  jure,  sauf  les  progrès 
de  la  raison  publique  :  »  ce  qui  donna  lieu  à  de  vives  in- 
terpellations auxquelles  il  répondit  avec  son  impassibilité 
ordinaire.  En  mai  1832  il  signa  le  compte-rendu  des  dé- 
putés de  l'opposition,  et  en  octobre  1833  le  manifeste  publié 
par  la  société  des  Droits  de  l'Homme.  Jusqu'en  1834  il  fit 
partie  de  presque  toutes  les  assemblées  législatives ,  figu- 
rant sans  cesse  dans  les  rangs  des  défenseurs  des  opinions 
les  plus  hardies  et  les  plus  radicales.  En  1834  il  faillit  être 
imphqué  dans  le  procès  d'avril  ;  il  figura  parmi  les  défen- 
seurs des  accusés.  Découragé  enfin  du  peu  de  succès  de  ses 
efforts ,  il  se  retira  dans  sa  magnifique  propriété  des  Ormes, 
s'occupant  de  perfectionnements  agricoles  et  de  la  solution 
des  plus  grands  problèmes  politiques ,  chéri  de  tous  et  ne 
comptant  ses  jours  que  par  ses  bienfaits.  Inébranlable  dans 
ses  convictions  républicaines  après  comme  avant  1830  ,  non- 
seulement  son  immense  fortune  fut  constamment  au  service 
des  patriotes  persécutés ,  mais  encore ,  pour  accourir  à  leur 
secours,  on  le  vit  toujours  faire  bon  marché  de  son  bien-être 
et  de  sa  sûreté  personnelle.  Jamais  la  voix  d'un  démocrate  ne 
Timplora  vainement.  Ce  respectable  vieillard  est  mort  à  Paris, 
le  2  août  1842,  à  l'âge  de  soixante-onze  ans,  sans  avoir  eu  la 
consolation  de  voir,  avant  de  s'endormir  du  dernier  som- 
meil ,  cette  république ,  qu'il  avait  toute  sa  vie  appelée  de 
ses  vœux,  et  dont  le  retour  n'avait  pas  cessé  un  instant  de 
lui  paraître  infaillible. 

ARGEi\^T  (d'àpYoç,  blanc).  L'argent  à  l'état  de  pureté 
.'v,t  un  métal  blanc,  inodore,  insipide,  sonore,  susceptible 
d'un  beau  poli,  très-malléable,  très-ductile,  très-tenace; 
il  peut  se  battre  en  feuilles  d'un  millième  de  millimètre  d'é- 
paisseur et  être  étiré  en  fils  tellement  ténus,  qu'on  pour- 
rait en  fabriqrer  un  assez  long  pour  embrasser  le  contour 
de  la  terre  sans  employer  plus  de  seize  kilogrammes  de 
matière.  L'argent  est  solide  :  un  fil  homogène  de  deux 
millimètres  de  diamètre  peut  supporter  sans  se  rompre  un 
poids  de  quatre-vingt-quatre  kilogrammes.  Sa  densité  est  de 
10.47  lorsqu'il  a  été  fondu,  et  de  10.54  lorsqu'il  a  été  écroui 
sous  le  marteau.  Sa  dureté  est  représentée  par  2.5  à  l'échelle 
de  Mohs.  Il  entre  en  fusion  un  peu  au-dessus  de  la  chaleur 
rouge-cerise ,  à  environ  20°  du  pyTomètre  de  Wegdwood  ; 
sa  volatilisation  n'a  lieu  que  sous  l'influence  d'une  tempé- 
rature très-élevée ,  telle  que  celle  que  l'on  peut  produire  à 
l'aide  d'une  forte  batterie  électrique  ou  du  chalumeau  à 
gaz  oxygène.  Les  vapeurs  qui  se  produisent  alors  brûlent 
avec  une  flamme  verdàtre. 

Les  agents  atmosphériques  n'altèrent  jamais  l'argent. 
Fondu  et  tout  à  fait  pur,  il  absorbe  en  oxygène  jusqu'à 
vingt-deux  fois  son  vohmie  ;  mais  il  le  dégage  en  se  solidi- 
fiant ;  il  en  résulte  un  phénomène  désigné  habituellement 
sous  le  nom  de  rochage.  L'argent  n'est  attaqué  que  par 
un  petit  nombre  d'acides  ;  il  est  rapidement  converti  en 
chlorure  insoluble  par  l'eau  régale,  et  dissous  par  l'acide 
azotique  avec  dégagement  de  bioxyde  d'azote.  Il  se  com- 
bine directement  avec  presque  tous  les  corps  simples,  mais 
il  a  plus  d'aflinité  pour  le  soufre  et  le  chlore,  qu'il  enlève 
aux  composés  chlorurés  et  sulfurés  sur  lesquels  il  agit.  C'est 
ainsi  (jue  notre  argenterie  noircit  au  contact  de  l'hydrogène 
sulfiM'é,  ou  de  toutes  les  substances  qui,  comme  les  œufs, 
contiennent  du  soufie.  En  général ,  l'argent  se  ternit  en 
présence  des  vapeurs  sulfureuses,  en  se  recouvrant  d'une 
légère  couche  de  sulfure  >  qu'on  enlève  aisément  en  sou- 


ARGENT 

mettant  le  métal  altéré  à  l'action  du  manganatc  de  potasse. 

Dans  les  laboratoires  on  prépare  avec  l'argent  :  1°  des 
composés  binaires  avec  des  métalloïdes  (  oxydes ,  protosul- 
fure, chlorure,  iodure  d'argent );  2°  des  alliages;  3"  des 
sels  (azotate  d'argent,  etc.). 

Le  protoxyde  d'argent,  noir  quand  il  est  hydraté,  se 
présente  avec  une  couleur  brune  olivAtre  s'il  est  privé  d'eau. 
Il  est  insipide ,  soluble ,  et  passe  à  l'état  de  carbonate  en  ab- 
sorbant l'acide  carbonique  de  l'atmosphère.  Il  noircit  à  la 
lumière,  et  se  réduit  complètement  par  la  chaleur.  On  le 
prépare  en  traitant  une  dissolution  d'azotate  d'argent  par 
la  potasse  ou  la  soude ,  et  en  lavant  à  grande  eau  le  préci- 
pité, qu'on  fait  ensuite  sécher  doucement  dans  une  capsule.  — 
Pour  obtenir  le  peroxyde  d'argent ,  on  décompose  par  la 
pile  Yoltaïque  une  dissolution  d'azotate  d'argent  très-étendue 
d'eau  ;  l'oxyde  se  dépose  sur  le  conducteur  positif  en  lon- 
gues aiguilles  douées  de  l'éclat  métalUque.  Dans  cet  état 
L!  contient  une  quantité  d'oxygène  plus  grande  que  lorsqu'il 
est  chassé  par  un  alcali  ;  mais  il  en  abandonne  une  partie 
avec  la  plus  grande  facilité  ;  et  quand  on  le  dissout  dans 
les  acides  sulfuriquc  et  phosphorique ,  le  dégagement  d'oxy- 
gène s'effectue  presque  au  moment  du  contact. 

Parmi  les  alliages ,  le  premier  qui  se  présente  à  nous 
est  celui  de  cuivre  et  d'argent.  Dans  la  fabrication  des 
monnaies  et  des  ouvrages  d'orté^Terie  et  de  bijouterie , 
on  combine  toujours  l'argent  avec  une  certaine  quantité 
de  cuivre  qui  lui  donne  une  plus  grande  dureté.  Pour  ren- 
dre à  ces  objets  l'éclat  naturel  de  l'argent ,  on  chauffe  au 
rouge  la  pièce  qu'on  veut  blanchir;  on  détermine  par  là 
l'oxydation  du  cuivre  dans  les  couches  superficielles  de 
l'alliage ,  tandis  que  l'argent  ne  subit  aucune  modification  ; 
plongeant  ensuite  la  pièce  encore  chaude  dans  une  solution 
très-faible  d'acide  sulfurique ,  on  dissout  l'oxyde  de  cuivre 
formé  sans  attaquer  l'argent,  qui  reste  ainsi  pur  de  tout 
alliage  à  la  surface  de  la  pièce.  La  richesse  argentifère  d'un 
objet  dépend  du  titre  de  l'alliage ,  qu'on  détermine  par 
l'essai.  — Alliage  de  plomb  et  d'argent.  Sept  parties 
de  plomb  et  une  partie  d'argent  donnent  un  alliage  blanc- 
grisâtre,  moins  ductile  que  chacun  des  métaux  constituants 
et  un  peu  moins  fusible  que  le  plomb.  Cet  alliage  étant 
chauffé  au  rouge  à  l'air  libre ,  le  plomb  s'oxyde ,  passe  à 
l'état  de  litharge ,  et  laisse  l'argent  pur.  Le  plomb  offre  un 
moyen  très-simple  de  purifier  l'argent ,  parce  qu'il  s'em- 
pare des  autres  métaux.  Ainsi ,  en  faisant  fondre  avec  du 
plomb  un  alliage  d'argent  et  de  cuivre,  de  manière  à  trans- 
former le  plomb  en  oxyde,  celui-ci  s'unit  avec  le  cuivre, 
tandis  que  l'argent  s'isole.  —  L'affinité  du  mercure  pour 
l'argent  est  telle ,  qu'une  bague  de  ce  dernier  métal ,  tou- 
chée <seulement  avec  un  globule  de  mercure,  se  brise  bien- 
tôt. Cette  affinité  favorise  singulièrement  la  formation  des 
amalgames.  Si  on  unit  huit  parties  de  mercure  et  une 
d'argent,  on  obtient  un  coi-ps  mou,  blanc,  très-fusible, 
cristallisable  et  inaltérable  à  l'air.  On  le  prépare  de  diffé- 
rentes manières,  entre  autres  par  la  voie  de  double  décom- 
position ,  qui  donne  lieu  à  une  espèce  de  végétation  métal- 
lique que  les  anciens  chimistes  nommaient  arbre  de  Diane. 
Voyez  Arbres  métalliques. 

Des  sels  d'argent,  nous  ne  citerons  que  Vazotate  ou 
nitrate  d'argent,  qui  cristallise  en  lamelles  brillantes 
hexaédriques  ;  il  est  très-corrosif  et  cautérise  la  peau  ; 
fondu,  on  lui  donne  le  nom  de  pierre  infernale. 

Dans  la  nature,  l'argent  se  trouve  à  l'état  natif,  et  com- 
biné avec  l'antimoine,  l'arsenic,  le  tellure,  le  mercure,  le 
plomb,  l'or,  le  soufre,  le  sélénium,  le  clilore,  l'iode,  et  aussi 
à  l'état  de  carbonate.  Les  minéralogistes  en  distinguent 
six  espèces  principales,  savoir  :  argent  natif,  argent  an- 
timonial,  argent  sulfuré,  argent  antimonié  sulfuré,  ar- 
gent carbonate,  qrgent  muriaté. 

V argent  natif  \?>\.\.ou\o\ws  allié  avec  un  peu  de  fer, 
d'arsenic  ou  d'or;  on  le  rencontre  rarement  en   masses 


787 


considérables,  mais  souvent  disséminé  par  petites  parties 
dans  les  filons  de  sulfure  d'argent  ou  de  sulfure  de  plomb 
argentifère;  ses  gangues  pierreuses  sont  ordinairement  le 
calcaire,  le  quartz  et  la  barytine.  —  L'argent  antimonial 
ou  antimonié,  encore  appelé  discrase,  plus  cassant  que 
l'arçent  natif,  présente  une  contexture  lamelleuse  et  cris- 
tallise en  prismes  réguliers  à  six  faces  et  en  prismes  striés 
qui  approchent  de  la  forme  cylindrique.  11  se  mélange  prin- 
cipalement avec  de  l'arséniure  d'argent,  et  constitue  alors 
Vargent  antimonial  arsénifère,  ou,  lorsque  l'arsenic  pré- 
domine, Yargcnt  arsenical,  qui  a  ordinairement  une  struc- 
ture grenue  et  ne  se  trouve  guère  que  dans  les  mines  de 
Guadalcanal,  en  Espagne,  et  d'Andreasberg,  au  Ilarz.  — 
Vargent  sulfuré  (ou  argyrose,  argent  vitreux),  isomorphe 
avec  la  galène,  qui  lui  est  souvent  mélangée,  est  de  toutes 
les  combinaisons  de  l'argent  la  plus  abondante  dans  les 
montagnes  du  Mexique.  Ses  formes  ordinaires  sont  le  cube, 
l'octaèdre,  le  dodécaèdre  et  le  trapézoèdre.  Il  passe  quel- 
quefois à  l'état  terreux;  c'est  a\ovsV argent  noir  terreux. — 
Vargent  antimonié  sulfuré  ou  argyrythrose  (de  (Jpyupoi;, 
argent,  et  ÈpyOpo;,  rouge  )  se  trouve  tantôt  en  rhomboïdes, 
tantôt  en  prismes  à  six  pans.  Ce  minerai,  vulgairement 
appelé  argent  rouge,  est  très-cassant  et  quelquefois  trans- 
parent. —  Vargent  carbonate  n'est  encore  connu  que  par 
quelques  échantillons  déposés  dans  les  collections  minéralo- 
giques.  —  Vargent  muriaté  offre  de  petites  masses  demi- 
transparentes,  perlées  et  flexibles  comme  de  la  corne ,  ce 
qui  lui  a  valu  le  nom  S' argent  corné. 

Les  galènes  argentifères,  formées  par  la  réunion  des 
sulfures  de  plomb  et  d'argent,  sont  regardées  comme  très- 
riches  quand  elles  contiennent  en  argent  un  millième  de 
leur  poids.  L'argent  accompagne  encore  des  pyrites  arseni- 
cales, le  cuivre  pyriteux,  la  blende,  le  sulfure  d'antimoine, 
le  mispikel,  etc. 

Les  procédés  suivis  pour  extraire  l'argent  de  ses  minerais 
ont  pour  but  de  l'amener  à  l'état  d'alliage  avec  le  plomb  ou 
à  l'état  d'amalgame  avec  le  mercure.  Dans  le  premier 
cas  on  opère  far  fusion,  dans  le  second  par  rtîMa/g» a- 
mation.  Si  l'argent  est  natif  et  simplement  mêlé  avec  de 
la  gangue,  Yimbibition  suffit  ;  s'il  est  uni  à  d'autres  métaux, 
on  suit  le  procédé  propre  à  l'extraction  de  ces  métaux,  et 
l'on  sépare  ensuite  l'argent  du  cuivre  par  la  liquation, 
du  plomb  par  la  coupellation.  Mais  l'imbibition  et 
la  liquation  donnant  l'argent  à  l'état  d'alliage  avec  le  plomb, 
c'est  encore  en  définitive  par  la  coupellation  que  l'on  ob- 
tient l'argent  dans  ces  deux  cas.  Quant  à  l'amalgamation, 
c'est  un  procédé  à  l'aide  duquel  on  réduit  l'argent,  en 
môme  temps  qu'on  le  sépare  des  autres  métaux  en  l'u- 
nissant au  mercure. 

Imbibition.  Pour  séparer  l'argent  libre  des  matières  avec 
lesquelles  il  se  trouve  mélangé,  on  divise  les  minerais  et  on 
les  soumet  au  lavage.  Le  résidu  ,  une  fois  desséché,  est 
chauffé  et  brassé  avec  du  plomb  en  fusion.  L'argent  s'allie 
facilement  à  ce  métal,  et  se  trouve  ainsi  séparé  des  matières 
qui  l'accompagnaient.  Il  n'y  a  plus  qu'à  soumettre  le  plomb 
à  la  coupellation  pour  en  retirer  l'argent.  C'est  le  procédé 
que  l'on  suit  à  Kongsberg. 

Liquation.  Le  cuivre  argentifère  ayant  été  amené  à  l'état 
de  cuivre  noir,  on  le  fond  avec  deux  à  trois  fois  son  poids 
de  plomb,  et  on  le  moule  en  masses  discoïdes.  L'argent 
s'allie  parfaitement  avec  le  plomb,  tandis  que  le  c\\\\t&  ne 
forme  qu'une  sorte  de  mélange  mécanique.  On  chauffe  ce 
double  alliage  dans  des  fours  à  réverbère  dont  la  tempéra- 
turc  n'est  pas  assez  élevée  pour  fondre  le  cui^Te,  et  assez 
cependant  pour  fondre  l'alliage  de  plomb  et  d'argent;  cet 
alliage  se  sépare  du  cuivre  et  s'i'coulc  sous  forme  d'une  rosée 
qui  suinte  de  toutes  parts.  L'argent  étant  ainsi  séparé  du 
cuivre  et  uni  au  plomb,  il  ne  leste  plus  qu'à  l'en  séparer 
par  la  coupellation. 

Coupellation.    Les    galènes    argentifères  sont  traitées 

oa. 


788  ARGENT 

exactement  comme  s'il  ne  s'agissait  que  d'en  extraire  le 
plomb.  L'argent  subit  les  mômes  modifications  et  se  trouve 
réuni  définitivement  à  ce  nicîal.  Le  plomb  argentifère, 
qu'il  soit  obtenu  par  ce  procédé  ou  par  tout  autre ,  porte 
indifTéreminent  le  nom  de  plomb  cPœuvre.  On  fait  fondre 
cet  alliage,  qu'on  soumet  en  môme  temps  à  l'action  d'un  vif 
courant  d'air  produit  par  des  soufflets  dont  l'action  déter- 
mine l'oxydation  du  plomb.  Un  ouvrier  aide  à  cette  opéra- 
tion en  enlevant  l'oxyde  du  bain  ;  car  une  couche  d'oxyde 
arrêterait  le  travail.  Quand  l'argent  a  ainsi  perdu  la  plus 
grande  quantité  du  plomb  qu'il  contenait,  on  le  soumet  à 
une  nouvelle  coupellation,  afin  de  le  débarrasser  d'une  plus 
grande  quantité  de  métaux  étrangers.  Le  moment  où  l'opé- 
ration doit  s'arrêter  est  indiqué  par  la  cessation  d'un  singu- 
lier phénomène  qui  se  produit  vers  sa  lin,  et  qui  est  connu 
sous  les  noms  à'irïs  et  à'cclair  :  on  voit  des  espèces  de 
nuages  qui  parcourent  le  bain  métallique  dans  tous  les  sens, 
puis  tout  à  coup  ces  nuages  disparaissent,  et  le  bain  devient 
très-brillant.  L'argent  peut  alors  être  livré  au  commerce. 

Amalgamation.  Le  procédé  d'amalgamation  est  suivi 
dans  l'Amérique  du  Nord  et  on  Allemagne  :  il  consiste  tou- 
jours à  séparer  l'argent  en  l'alliant  au  mercure,  mais  les 
moyens  d'y  parvenir  sont  fort  différents.  —  Dans  la  mé- 
thode américaine,  les  minerais  sont  d'abord  concassés  en 
fragments  de  deux  à  trois  centimètres  cubes  de  grosseur. 
On  les  pulvérise  dans  des  bocards  de  six  à  huit  pilons  pe- 
sant chacun  cent  kilogrammes ,  soulevés  par  des  cames  pla- 
cées sur  un  arbre  horizontal  mis  en  mouvement  par  une 
roue  hydraulique.  La  poudre  ainsi  obtenue  est  ensuite 
rendue  impalpable  dans  des  moulins  où  on  lui  ajoute  un 
peu  d'eau.  Ces  moulins  sont  mus  par  des  mulets  qui  font 
tourner  un  arbre  vertical  armé  de  quatre  bras  sur  chacun 
desquels  est  montée  une  meule  en  granit.  Les  boues  qui  s'é- 
chappent des  moulins  sont  recueillies  dans  des  fosses  de 
un  à  deux  mètres  de  profondeur,  et  transportées  au  patio 
(aire  d'amalgamation,  pavée  et  entourée  de  murs),  quand 
elles  ont  pris  de  la  consistance  au  soleil.  On  en  forme  des 
tas  de  douze  cents  quintaux  environ ,  avec  2  ou  3  pour  100 
de  sel  marin.  On  incorpore  ensuite  dans  ce  mélange  du  ma- 
gistral (composé de  sulfates  de  cuivre  et  de  fer),  en  faisant 
piétiner  la  masse  pendant  cinq  à  six  heures  par  des  mulets. 
On  introduit  le  mercure  par  petites  portions ,  en  le  tamisant 
sur  le  tas  au  travers  d'une  chausse  en  laine  ;  on  fait  de  nou- 
veau piétiner  et  retourner  avec  des  pelles  de  bois  jusqu'à 
amalgamation  complète ,  puis  on  soumet  les  terres  amalga- 
mées au  lavage  et  à  la  décantation.  On  obtient  alors  l'a- 
malgame à  i'état  liquide  et  contenant  le  mercure  en  excès. 
En  le  pressant  fortement  dans  des  sacs  de  toile,  le  mercure 
s'écoule  en  partie  et  laisse  un  résidu  solide  dans  lequel 
presque  tout  l'argent  est  concentré  ;  on  isole  enfin  ce  métal 
par  la  distillation.  Cette  méthode  d'amalgamation,  due  à  un 
Espagnol,  Bartholoméde  Médina,  venu  au  Mexique  en  1550, 
s'est  conservée  jusqu'à  présent  en  Amérique  sans  aucune 
amélioration.  Voici  comment  M.  Boussingault  explique  les 
phénomènes  chimiques  qui  se  passent  dans  les  opérations 
que  nous  venons  de  décrire  :  «  En  ajoutant  du  magistral  au 
minerai  contenant  du  sel  marin ,  il  se  fonne  du  bichlorure 
de  cuivre.  Le  mercure  d'un  côté,  le  sulfure  d'argent  et  l'ar- 
gent natif  de  l'autre,  font  passer  le  bichlorure  à  l'état  de 
chlorure;  le  chlorure  de  cuivre  se  dissout,  aussitôt  qu'il  est 
formé ,  dans  l'eau  saturée  de  sel  marin  dont  le  minerai  est 
imbibé  ,  il  pénètre  ainsi  dans  toute  la  masse,  et  réagit  sur  le 
sulfure  d'argent  en  le  transformant  en  chlorure  d'argent.  Le 
chlorure  d'argent  une  fois  formé  se  dissout  à  la  faveur  du 
sel  marin  ,  et  l'argent  ne  tarde  pas  à  être  revivifié  par  le 
mercure.  »  De  toutes  les  méthodes  d'amalgamation  em- 
ployées en  lùuope,  la  méthode  de  Huelgoét  (Finistère)  est 
celle  qui  ofl'ic  le  plus  d'analogie  avec  les  méthodes  améri- 
caines. —  Mclliode  allemande.  Depuis  la  fin  du  siècle  iler- 
ûier  les  minerais  d'argent  sulfuré  sont  traités  en  Europe,  et 


surtout  en  Saxe ,  par  amalgamation  ,  avec  cet  incontestable 
avantage  sur  la  méthode  américaine ,  que  la  perte  du  mer- 
cure ne  s'élève  pas  au  delà  de  0,25  de  mercure  pour  1  d'ar- 
gent. Les  minerais  soumis  à  l'amalgamation  sont  préparés 
de  manière  à  contenir  avec  d'autres  substances  environ 
0,002  d'argent  et  0,34  de  sulfate  de  fer.  Après  les  avoir  bo- 
cardés  à  sec  et  réduits  en  poudre  aussi  fine  que  possible,  on 
les  mélange  avec  un  dixième  de  leur  poids  de  sel  marin  ; 
ce  mélange,  grillé  dans  un  four  à  réverbère,  est  ensuite  ré- 
duit en  poudre  impalpable  à  l'aide  de  moulins  et  de  tamis. 
La  matière  ainsi  préparée  est  soumise  pendant  quelque 
temps  à  un  mouvement  de  rotation  dans  des  tonnes  conte- 
nant une  petite  quantité  de  fer  et  d'eau  ;  puis  on  introduit  le 
mercure  dans  ces  tonnes ,  et  on  procède  à  l'amalgamation 
en  leur  imprimant  une  nouvelle  rotation.  L'opération  se  ter- 
mine comme  dans  le  procédé  américain. 

AL  Becquerel  a  inventé  pour  l'extraction  de  l'argent  une 
méthode  fondée  sur  les  réactions  électro-chimiques  ;  mais  le 
mode  d'exécution  a  été  tenu  secret  par  l'auteur.  Du  reste,  le 
procédé  a  été  appliqué  en  grand ,  et  ne  parait  pas  présenter 
d'avantages  sous  le  rapport  économique  et  industriel. 

L'argent  peut  être  amené  à  un  assez  grand  état  de  pureté 
par  la  coupellation;  mais  cette  opération  ne  le  sépare 
ni  de  l'or  ni  du  platine.  Pour  en  retirer  ces  deux  métaux 
il  faut  le  faire  passer  à  l'état  de  chlorure.  Cependant ,  lors- 
qu'on ne  tient  pas  à  l'avoir  très-pur,  on  peut  l'isoler  faci- 
lement en  le  précipitant  de  sa  dissolution  sulfurique  par  le 
cuivre.  Cette  opération  porte  le  nom  de  départ.  Comme 
il  reste  un  peu  de  cuivie  dans  l'argent  obtenu ,  on  sépare 
celui-ci  par  des  poussées  avec  le  salpêtre,  c'est-à-dire  qu'on 
le  fait  fondre  dans  des  creusets ,  et  qu'on  y  projette  par  pe- 
tites quantités  du  nitrate  de  potasse,  qui  oxyde  le  cuivre 
sans  agir  sur  l'argent.  Cette  dernière  méthode  d'affinage 
est  employée  depuis  longtemps  ;  mais  ce  n'est  que  de  nos 
jours  qu'on  a  commencé  à  séparer  l'or  de  l'argent.  L'argent 
monnayé  provenant  des  anciennes  possessions  espagnoles 
renferme  beaucoup  d'or  ;  on  en  a  traité  à  Paris  des  quanti- 
tés immenses ,  et  les  procédés  se  sont  tellement  perfectionnés 
que  l'on  trouve  actuellement  un  avantage  à  affiner  de  l'ar- 
gent contenant  un  demi-millième  d'or. 

Les  plus  riches  mines  d'argent  qu'il  y  ait  au  monde  sont 
celles  des  deux  Amériques  :  les  plus  célèbres  se  trouvent 
dans  les  districts  de  Guanaxato ,  Catorce  et  Zacatécas ,  au 
Mexique  ;  dans  le  bassin  de  Yauricocha  ou  de  Pasco ,  au 
Pérou  ,  et  surtout  dans  la  montagne  de  Potosi,  république 
de  Bolivie.  Pour  l'Asie,  on  manque  de  renseignements, 
mais  on  a  lieu  de  croire  que  les  gisements  les  plus  impor- 
tants sont  ceux  de  la  Sibérie.  En  Europe  les  gisements 
argentifères  sont  nombreux,  mais  généralement  peu  riches  : 
les  meilleures  mines  sont  celles  du  Hartz ,  du  district  de 
Fniberg  (Saxe),  de  la  Silésie ,  de  la  Thuringe ,  des  pro- 
vinces rhénanes  de  la  Prusse,  du  district  de  Scheranitz 
(Haute-Hongrie),  du  Siebenbmg  (Transylvanie),  de  Joa- 
chimstliall  et  de  Pzihram  (  Bohême),  et  celles  de  Kongsberg 
(Norvège);  en  France  les  seules  exploitations  en  activité 
sont  dans  les  départements  du  Puy-de-Dôme  ,  de  la  Lozère 
et  du  Finistère  ,  car  ii  faut  compter  pour  rien  les  produits 
insignifiants  de  Sainte-Marie-aux-Mines  (Haut-Rhin)  :  ce 
gisement  est  aujourd'hui  presque  abandonné. 

Il  est  assez  difficile  d'établir  exactement  la  production 
annuelle  de  tous  les  pays  où  des  mines  d'argent  sont  ex- 
ploitées. Cependant  nous  trouvons  de  précieux  documents 
dans  la  Géologie  appliquée  à  la  rcchcrc/ieet  à  l'exploi- 
tation des  minéraux  utiles,  publiée  en  isiiparM.  Burat. 
Plus  tard  un  nouveau  travail  de  MM.  Ch.  d'Orbigny  et 
A.  Génie,  la  Géologie  appliquée  aux  arts  et  àVagricul- 
tare,  rectifia  les  chiffres  de  M.  Burat  d'après  l'excellente 
statistique  de  M.  Redon.  Pour  ies  laciuies  nous  ne  pouvons 
que  reproduire  les  approximations  établies  par  M.  de 
Humboldt  au  commencement  de  ce  siècle ,  et  le  résultat  de 


ARGENT  —  ARGENT  DE  CHAT 

recherches  phis  récentes  donné  par  M.  Dchelte  dans  le 
Dictionnaire  des  Arts  et  .'tfanit/act lires.  Quant  h  la 
France,  nous  avons  les  chilTres  officiels  des  Comptes  ren- 
dus des  travaux  des  ingénieurs  des  mines.  En  partant 
de  ces  données  ,  nous  trouvons  former  le  tableau  suivant  : 


789 


/  Espagne 39,200 

Coorédération  germaniqae. . .  25,725 

Autriche 20,825 

Suède  et  Norvège 9,800 

Iles  Britanniques 6,370 

Prusse 4,900 

France  (13521 6,230 

Piémont ,  Suisse  ,  Savoie. .. .  613 

États  Sardes 294 

Belgiqoe  et  Pays-Bas 172 


(  Suivant  M.  Reden.) 

(Burat.  ) 

(  Burat.) 

(Reden.) 

(Reden.  ) 

(Burat.) 

(Comptes  rendus,  etc.) 

(Burat.) 

(  Reden.) 

(Burat.) 


Total 114,195 

M  I  Russie 23,050  (  Reden.  ) 

^  I  Tbibet,  Archipel  indien,  etc.  7 

AFRIQUE ? 

Mexique 536,020  (Burat.) 

Pérou. 147,000  (Burat.) 

Buénos-Ayres  (  Rèp.  de)....  128,625  (Burat.) 

j  Californie 70,000  (  Debette.  ) 

(çhili 61,250  (Burat.) 

États-Unis  (  saaf  la  Califor- 
nie)     .  31,850  (Burat.) 

Bolivie 20,000  (  De  Hnmboldt.  ) 

Colombie 295  (Burat.) 


Total 995,040 


I  Europe. . . . 

Récapitulation |  Asie 

t  Amériques. 


114,185  kil. 
22,  ISO 
995,040 


519,750   fr. 
255,135 
218,600 
360,627 


Total  delà  production  moyenne  connue  :     1,131,275  kilogr. 

En  France,  pendant  l'année  1852,  la  production  a  été 
répartie  de  la  manière  suivante  : 

Boacbes-da-Rbône 2,475  kil 

Finistère 1,165 

Lozère 1 ,007 

Puy-de-Dôme 1,639 

Total 6,286  1,354,012 

En  suivant  la  marche  de  l'exploitation  des  minerais  ar- 
gentifères en  France  depuis  1816  jusqu'en  1846,  on  trouve 
que  pendant  ces  trente  années  la  production  moyenne  a 
été  de  1676  kilogrammes  par  an.  On  n'observe  du  reste 
aucune  loi  constante  d'accroissement  ou  de  décroissement. 
La  France  avail  produit  500  kilogrammes  d'argent  en  1816, 
5,34'2en  1841,3,167  en  1847,  3,344  en  1848,7,099  en  1851. 

Connu  de  toute  antiquité,  l'argent  fut  choisi  comme  l'un 
des  signes  représentatifs  des  richesses,  à  cause  de  son 
inaltérabilité  et  de  la  facilité  avec  laquelle  on  peut  lui 
donner  toutes  les  formes.  Son  emploi  universel  a  rendu  son 
nom  presque  synonyme  de  monnaie. 

En  thérapeutique  les  préparations  argentifères  sont 
principalement  usitées  dans  le  traitement  de  la  syphilis. 
A  cet  égard  le  nitrate  d'argent  occupe  le  premier  rang  ; 
à  l'état  liquide,  on  l'emploie  en  lotions,  injections,  col- 
lyres, etc.;  dans  les  ophthalmies  on  fait  un  usage  des  plus 
heureux  de  l'azotate  d'argent  solide  et  liquide.  Quant  à  son 
emploi  comme  caustique,  sous  le  nom  de  pierre  infer- 
nale, il  est  d'un  usage  presque  banal.  Son  administration 
interne  doit  être  sévèrement  proscrite;  car,  bien  que  l'ar- 
gent ne  soit  pas  toxique  par  lui-môme,  le  sel  dont  nous 
nous  occupons  possède  des  propriétés  corrosives  très-éner- 
giques. —  L'argent  divisé,  le  chlorure  d'argent  et  d'am- 
moniaque ,  et  le  cyanure  d'argent  ont  aussi  réussi  dans  les 
maladies  syphilitiques;  mais  ce  sont  les  chlorures  qui  ont 
le  plus  promptement  donné  des  résultats  manifestes. 

Le  chlorure  d'argent  a  aussi  été  utilisé  dans  la  photo- 
graphie. Sa  propriété  de  noircir  par  l'action  de  la  lumière 
a  été  mise  à  profit  pour  la  préparation  d'un  papier  propre 
à  recevoir,  comme  les  planches  d.iguerriennes,  les  images 
formées  dans  la  chambre  noire.  Laissons  de  côté  des  usages 
moins  importants ,  tels  que  celui  de  l'azotate  d'argent  pour 


la  marque  du  linge  et  pour  la  fabrication  de  certains 
fulminates. 

En  raison  de  son  inaltérabilité,  l'argent  est  tellement 
préférable  dans  une  foule  de  cas  aux  métaux  moins  pré. 
cienx,  que  l'on  a  imaginé  de  donner  aux  ustensiles  fabri- 
qués avec  des  métaux  communs  les  avantages  de  l'argent 
en  lt<;  recouvrant  d'une  couche  mince  de  ce  métal.  Cette 
opération  constitue  aujourd'hui  deux  arls  importants,  ^a^ 
genture  et  le  plaqué. 

Enfin ,  l'argent  est  éminemment  propre  à  C-tre  employé 
comme  monnaie ,  à  cause  de  l'invariabilité  presque  com- 
plète de  sa  valeur.  Cependant  ce  fait  cesse  d'être  vrai  pour 
des  époques  très-éloignées.  Ainsi  la  valeur  de  l'argent  pa- 
raît avoir  subi  une  augmentation  progressive  depuis  les 
derniers  siècles  qui  ont  précédé  l'ère  actuelle  jusqu'à  la  fin 
du  quinzième  siècle ,  tandis  qu'à  partir  de  cette  époque 
cette  valeur  a  éprouvé  une  diminution  très-rapide,  qui  pa- 
raît se  faire  encore  sentir  de  nos  jours.  J.-B.  Say,  considé- 
rant que  les  moyens  de  production  du  blé  n'ont  pas  nota- 
blement changé  depuis  un  temps  très-considérable,  a  choisi 
cette  substance  comme  une  marchandise  qui ,  ayant  con- 
servé sensiblement  la  môme  valeur  à  toutes  les  époques , 
peut  servir  de  terme  de  comparaison.  Il  a  trouvé  que  le 
nombre  de  grammes  d'argent  qu'il  a  fallu  donner  à  diverses 
époques  pour  acheter  un  hectolitre  de  blé  a  varié  suivant 
la  loi  indiquée  dans  le  tableau  suivant  : 


Indication 

des 

époques, 

Athènes  et  Rome.  .   200  av.  J.-C. 
France 800  ap.  J.-C. 

Id 1450 

Id 1514 

Id 1536 

Id 1610 

Id 1R40 

Id 1789 

Id 1820 


Nombre  de  gr. 
d'arg.  nécessaire 
pour  acheter 
I  hect.  de  blé 
{pri»  moyen  ). 

15,19 

13,01 

11,63 

17,69 

38,83 

60,02 

67,99 

71,28 

85,52 


tlne  pièce  de  ifr, 
(4gr.,5d'arg.) 

aurait  valu 
en  fr.  de  1820. 

5,63 
6,57 
7,35 
4,84 
2,20 
1,42 
1,25 
1,19 
1,00 


Le  renchérissement  du  prix  de  l'argent  jusqu'à  la  fin  du 
quinzième  siècle  s'explique  par  l'abandon  après  la  chute  de 
l'empire ,  et  pendant  le  moyen  âge,  des  mines  de  l'Espagne 
et  de  l'Attique  qui  fournissaient  ce  métal  aux  Grecs  et  aux 
Romains.  On  ne  peut  d'ailleurs  conserver  aucun  doute  sur 
la  cause  qui  a  fait  baisser  la  valeur  de  l'argent  depuis  le  com- 
mencement du  quinzième  siècle ,  puisque  l'époque  de  cette 
révolution  coïncide  avec  la  découverte  de  l'Amérique ,  qui 
eut  lieu  en  1492.  Voyez  Numéraire. 

«  Ce  privilège  naturel  de  l'argent  de  servir  presque  exclu- 
sivement d'intermédiaire  aux  échanges,  a  dit  M.  Blanqui 
aîné,  de  pouvoir  être  prêté  à  intérêt,  de  favoriser  l'accumu- 
lation ,  de  résister  à  l'action  de  l'air  et  au  frottement,  de  se 
diviser  au  gré  des  besoins  de  l'homme,  explique  l'espèce  de 
culte  dont  les  métaux  précieux  ont  été  l'objet  de  tout  temps 
et  presque  en  tout  pays.  Chez  plusieurs  peuples  ce  culte  a 
dégénéré  en  un  vrai  fanatisme,  et  la  peine  de  mort  a  été 
prononcée  contre  les  exportateurs  de  l'argent,  ce  qui  n'a  Ja- 
mais empêché  l'argent  de  sortir  et  de  circuler.  C'est  que 
l'argent,  si  utile  pour  favoriser  la  production  ,  ne  fait  que 
l'entraver  s'il  ne  circule  pas,  et  finit  par  s'avilir  par  son  abon- 
dance même  quand  il  s'entasse  improduclivement  aux  mê- 
mes lieux.  La  nécessité  de  l'échanger  contre  des  produits 
force  ses  possesseurs  à  s'en  débarra.sser,  parce  qu'il  leur  sert 
à  satisfaire  d'autant  plus  de  besoins  qu'il  est  plus  rare  dans 
les  pays  qui  produisent  les  objets  destinés  à  répondre  à  ces 
besoins,  et  plus  abondant  aux  lieux  où  on  les  éprouve. 
Ainsi  tombent  tous  les  sophismes  sur  lesquels  on  a  étayé  le 
fameux  système  de  la  balance  du  commerce,  c'est-à-dire 
de  l'accaparement  indéfini  de  l'argent  :  chimère  qui  a  causé 
tant  de  guerres  et  engendré  tant  de  méfaits  commerciaux.  » 

ARGENT  VIF.  Voyez  Mercure. 

ARGENT  DE  CHAT,  nom  vulgaire  du  mica. 


790  ARGENTAL  — 

ARGE^'TAL  (Cuarles-Augustin  FÉRIOL,  comte  d'),   [ 
né  à  Paris,  en  1700,  et  mort  en  1788,  a  laissé  la  trace  de  son 
nom  dans  l'histoire  littéraire  du  dix-liuitième  siècle,  pai  suite 
de  ses  rapports  d'amitié  avec  Voltaire  dont  il  fut  pendant 
longtemps  le  correspondant  et  le  confident.  D'abord  conseil- 
ler au  parlement  de  Paris,  il  accepta  plus  tard  les  fonctions 
d'envoyé  du  duc  de  Parme  près  la  cour  de  France,  fonc- 
tions qui  lui  faisaient  plus  de  loisirs  pour  se  livrer  sans 
contrainte  à  son  goût  pour  la  culture  des  lettres.  11  était 
neveu  de  M"^'  de  Tencin  ;  et  quelques   personnes  ont  été 
jusqu'à  lui  attribuer  la  paternité  du  Cotnte  de  Commingcs 
et  des  Anecdotes  de  la  Cour  d'Edouard,  qu'on  trouve 
dans  les  œuvres  de  sa  tante.  D'Argental  nous  est  un  frap- 
pant exenri)le  de  la  difficulté  qu'il  y  a  souvent  pour  le  bio- 
graphe à  formuler  un  jugement  précis  au  sujet  d'un  homme 
qui  n'a  rien  écrit  ;  car  tandis  que  La  Harpe  nous  représente 
l'ami  de  Voltaire  comme  un  homme  de  goût  et  d'esprit,  bon 
juge  en  matières  littéraires,  Marmontel  en  fait  une  manière 
d'imbécile,  qui  ne  savait  avoir  ni  exprimer  une  opinion. 
ARGENTAN.  Voyez  Maillechout. 
ARGENTAN  (Géographie).  Voyez  Orne. 
ARGENTERIE.    Voyez  ORFÉvREniE. 
ARGENTEUIL,  chef-lieu  de  canton  du  département 
de  Seine-et-Oise,  petite  ville  d'environ  5,000  âmes,  située 
sur  les  rives  de  la  Seine,  à  10  kilomètres  de  Paris,  est  le 
centre  d'un  commerce  de  vins  fort  actif.  Les  vignobles  qui 
l'entourent  donnent,  en  effet,  des  produits  qui  se  consom- 
ment surtout  dans  les  petits  cabarets  de  Paris. 

D'anciens  titres  font  remonter  à  665  la  fondation  en  ce 
lieu  d'un  monastère  de  religieuses,  dont  Clotaire  approuva 
l'établissement,  et  qui  fut  placé  sous  la  dépendance  de  i'ab- 
bayede  Saint-Denis.  Charlemagne  fit  don  à  Théodrate,  une 
de  ses  filles,  de  ce  couvent,  qui  était  alors  un  lieu  de  refuge 
pour  les  jeunes  personnes  de  la  famille  royale  et  des  plus 
illustres  maisons  de  France.  11  était  habité  au  douzième  siècle 
par  des  bénédictines.  C'est  dans  ce  monastère  que  se  retira 
Héloïsc  pour  y  pleurer  l'événement  funeste  qui  la  privait 
irrévocablement  de  son  amant,  le  célèbre  Abailard.  Elle 
devint  même  prieure  de  ce  couvent;  mais  il  paraît  que  la 
tendre  Héloise,  sentant  sans  doute  combien  peu  elle  avait  le 
droit  de  prêcher  aux  autres  la  régularité  des  mœurs,  laissa 
s'introduire  dans  la  discipline  de  cette  maison  un  relâche- 
ment tel,  que  l'abbé  de  Saint-Denis,  le  célèbre  Suger,  dut 
convoquer  un  synode  pour  mettre  un  terme  au  scandale  et 
réformer  l'abbaye.  Voici  le  remède  pour  lequel  on  se  décida  : 
les  mondaines  sœurs  furent  expulsées  du  couvent  et  dissémi- 
nées dans  d'autres  maisons  de  l'ordre.  Quanta  Héloïse,  elle 
se  retira  au  Paraclet  avec  quelques  compagnes;  et  c'est  de 
cette  nouvelle  retraite  qu'elle  écrivit  à  l'infortuné  Abailard 
les  lettres  passionnées  qui  ont  immortalisé  le  scandale  de 
leurs  amours. 

Les  religieuses  chassées  de  l'abbaye  d'Argenteuil  y  furent 
remplacées  par  des  moines  de  l'ordre  de  Saint-Benoît.  Ces 
bons  pères  eurent  bientôt  rerais  en  odeur  de  sainteté  une 
maison  admirablement  située  aux  portes  de  Paris,  propre 
dès  lors  à  servir  en  tout  temps  de  pèlerinage  aux  pécheurs 
et  pécheresses,  dont  la  grande  ville  a  toujours  abondé.  Ils 
s'étaient  d'ailleurs  précautionnés  d'une  miraculeuse  relique, 
bien  faite  pour  exciter  le  respect  des  pèlerins  :  ce  n'était  rien 
moins  qu'une  robe  sans  couture,  ayant  appartenu  à  Jésus- 
Christ,  donnée  par  Charlemagne,  qui  l'avait  lui-même  reçue 
de  l'impératrice  Irène.  On  cite,  entre  autres  personnages  cé- 
lèbres venus  à  Argenteuil  faire  leurs  dévotions  à  la  robe 
sans  couture,  Henri  111  et  Louis  XIII ,  Marie  de  Médicis, 
Anne  d'Autriche  et  le  cardinal  de  Richelieu. 

Les  curieux  peuvent  aller  visiter  à  Argenteuil  une  église 
assez  remarquable  par  son  architecture ,  et  un  hôpital 
dont  la  fondation  est  attribuée  à  saint  Vincent  de  Paul.  Un 
chemin  de  fer,  embranché  sur  celui  de  Saint- Germain,  relie 
cette  oetile  ville  à  la  capitale  depuis  le  mois  d'avril  1851. 


ARGENTURE 

ARGENTIER.  Celte  ancienne  charge  de  la  monarchie 
consistait,  suivant  Laurière,  à  tenir  compte  des  habits  et 
ornements  que  le  roi  faisait  faire  pour  sa  personne,  pour  sa 
chambre  ou  garde-  robe,  ou  pour  dons  et  présents.  On  ap- 
pelait encore  argentiers  les  changeurs  au  moyen  âge. 

ARGENTIÈRE  (L').  Deux  villes  de  France  portent 
ce  nom  :  la  première,  chef-lieu  d'arrondissement  dans  le  dé- 
partement de  l'Ardèche,  et  qui  compte  au-delà  de  3,000  ha- 
bitants, est  située  dans  une  vallée  pittoresque  ;  il  s'y  fait  un 
commerce  assez  considérable  de  soies  grèges  et  ouvrées,  de 
tirtis,  et  de  filoselle;  elle  compte  plusieurs  belles  fabriques 
de  .soie  ouvrée.  Ses  environs  sont  riches  en  vignobles,  oli- 
viers ,  châtaigniers  et  arbres  fruitiers  ;  on  y  élève  des  bestiaux 
à  laine  et  à  cornes.  L'Argentière  doit  son  nom  aux  mines 
de  plomb  argentifère  qui  y  étaient  exploitées  dans  le  dou- 
zième siècle. 

La  seconde ,  chef-lieu  de  canton  du  département  des 
Hautes-Alpes,  a  une  population  de  1,200  âmes.  Ses  mines 
faisaient  partie  de  l'établissement  d'Ailemont,  connu  de  temps 
immémorial  :  exploitées  sous  les  Romains,  elles  ont  été  tour 
à  tour  reprises  et  abandonnées. 

ARGENTINE.  Ce  poisson,  qui  n'atteint  guère  que  huit 
ou  dix  pouces  dans  son  plus  grand  développement,  présente 
un  corps  un  peu  allongé,  médiocrement  comprimé,  et  pres- 
que semblable  à  celui  de  la  truite.  Sa  tête,  un  peu  plus 
longue  proportionnellement,  fait  à  peu  près  le  quart  de  sa 
longueur  totale,  la  nageoire  caudale  y  comprise.  Son  œil 
est  grand,  placé  au  milieu  de  la  longueur  de  la  tête;  son 
museau  médiocre,  un  peu  déprimé  horizontalement  ;  sa 
bouche  est  petite,  fendue  en  travers  et  horizontalement;  les 
deux  mâchoires,  presque  égales,  sont  dépourvues  de  dents; 
mais  sa  langue  en  est  armée,  et  elles  sont  fortes,  aiguës  et 
crochues  comme  dans  les  truites.  Son  crâne  est  transparent, 
et  laisse  apercevoir  le  cerveau.  L'argentine,  qui  abonde  dans 
la  Méditerranée,  et  surtout  dans  l'Adriatique,  y  est  l'objet  de 
pêches  considérables,  à  cause  de  la  matière  argentée  qui 
colore  ses  parties  brillantes;  cette  matière,  dont  elle  tire  son 
nom,  sert  en  Italie  à  orienter  les  fausses  perles,  comme  nous 
faisons  en  France  avec  l'ablette. 

Quelques  botanistes  donnent  le  nom  d'argentine  au  ce- 
rastium  iomentosum,  ceraiste  cotonneux  (vulgairement 
oreille  de  souris  ),  et  à  la  potentille  ansérine,  dont  les 
feuilles  semblent   en    effet  argentées  des  deux   côtés. 

ARGEl>ïTlNE  (République).  Foyes  Pcata  (Répu- 
blique du  Rio  de  la  ). 

ARGENTON.  Voyez  Indre. 

ARGENTON  ( Marie-Loiise-Madeleine-Victoire  LE 
BEL  de  LA  BOISSIÈRE  de  SERY,  comtesse  d'),  l'une  des 
maîtresses  du  régent,  naquit  à  Rouen,  vers  1680,  et  mourut 
à  Paris,  le  4  mars  1748.  Elle  eut  du  régent  un  fils,  légitimé 
en  juillet  1706,  et  qui  fut  connu  plus  tard  sous  le  nom  de 
chevalier  d'Orléans.  En  1710,  autant  par  satiété  et  in- 
constance qu'à  la  suite  d'une  intrigue  de  ruelle  dans  la- 
quelle le  duc  de  Saint-Simon  et  M"ie  de  Maintenon  jouèrent 
un  rôle  important,  le  prince  renvoya  sa  maîtresse  ;  mais  il 
fit  bien  les  choses.  Il  lui  fit  don  de  la  terre  d'Argenton ,  et 
lui  constitua  une  dot  de  deux  millions  de  francs.  Riche 
et  jeune  encore,  elle  épousa  en  1713  le  chevalier  d'Oppède, 
qui  la  laissa  veuve  quatre  ans  plus  tard. 

ARGENTURE.  Pour  l'usage  domestique  et  la  déco- 
ration des  églises  on  employait  autrefois  une  grande  quan- 
tité d'objets  en  bronze  argenté;  la  dorure  est  maintenant 
beaucoup  plus  généralement  répandue  ;  on  fabrique  cepen- 
dant encore  une  certaine  quantité  d'argentures.  Quand  les 
pièces  que  l'on  veut  argenfer  ont  été  recuites  et  poncées,  on 
fa'f  à  leur  surface,  pour  toutes  les  parties  planes  et  avec  des 
couteaux  faits  exprès,  un  grand  nombre  de  hachures,  d'où 
vient  le  nom  d'argenture  hachée  ;  après  les  avoir  fait  rougir, 
on  y  applique  des  feuilles  d'argent  que  l'on  presse  avec  un 
outil  nommé  brunissoir  T)n  nombre  de  feuilles  d'argent  dé- 


ARGENTURE  —  ARGOLIDE 


pend  la  beauté  de  l'argenture  obtenue,  qui  est  d'autant 
plus  solide  que  la  pièce  a  été  hacliée  avec  plus  de  soin. 

Pour  des  plaques  de  scliakos,  des  agrafes,  des  lames  de 
métal  servant  à  !a  construction  dos  instruments  de  phy- 
sique, on  fait  usage  d'un  autre  procédé,  qui  consiste  à  frotter 
les  pièces  avec  un  brunissoir,  ou  à  les  faire  tremper  dans 
une  liqueur  formée  d'un  mélange  d'argent  en  poudre  obtenu 
ea  précipitant  ce  métal  par  une  lame  de  cuivre  de  sa  disso- 
lution dans  l'acide  nitrique  ou  de  chlorure  d'argent  avec  de 
la  crème  de  tartre  et  quelquefois  de  l'alun  et  diverses  autres 
substances.  L'argent  déposé  à  la  surface  de  la  pièce  bien 
propre,  on  la  lave  et  on  la  sèche  avec  soin  ;  elle  est  terminée. 
Cette  argenture  est  moins  solide  que  la  première  ;  mais  elle 
présente  cet  avantage,  que  l'on  peut  réparer  un  objet  sale  ou 
détérioré  sans  l'argenter  en  entier,  ce  qui  n'est  pas  pos- 
sible pour  l'argenture  hachée,  pour  laquelle  il  est  indispen- 
sable de  désargenter  la  pièce  en  entier. 

Pour  l'argenture  par  les  procédés  Ruolz  et  Elkington, 
voyez  Dorure. 

L'argenture  au  pouce  n'est  applicable  qu'à  de  très-petits 
objets.  Ce  procédé  consiste  à  appliquer  sur  le  cui^Te  une 
composition  argentine,  en  frottant  avec  le  doigt. 

L'argenture  du  bois,  du  papier,  du  carton,  du  verre,  etc., 
se  fait  par  des  procédés  particuliers,  de  même  que  celle  des 
métaux  mous  et  très-fusibles,  comme  le  plomb  et  l'étain. 
Pour  le  verre,  M.  Choron  a  inventé  une  nouvelle  méthode,  qui 
consiste  à  étendre  sur  la  surface  à  argenter  une  solution  de 
nitrate  d'argent  dissous  dans  l'alcool  à  38°  environ,  à  exposer 
cette  couche  au  gaz  ammoniac  jusqu'à  cristallisation  à  la 
surface  du  verre ,  et  à  tremper  le  verre  ainsi  préparé  dans 
une  solution  alcoolique  de  nitrate  d'argent  additionnée  d'es- 
sence de  girofle.  H.  Gaultier  de  Clacbry. 

ARGILE.  Les  principaux  caractères  minéralogiques  de 
i'argile  sont  d'avoir  un  grain  très-fin,  de  ne  point  produire 
d'effervescence  avec  les  acides,  et  de  faire  généralement  pâte 
avec  l'eau  ;  cette  dernière  propriété  rend  certaines  espèces 
propres  à  être  employées  dans  lés  arts  plastiques.  Lorsqu'elle 
est  sèche,  l'argile  happe  fortement  à  la  langue,  et  au  contact 
3e  l'haleine  elle  répand  une  odeur  s?/i  generis,  qui,  considérée 
d'abord  comme  hn  étant  particulière,  a  reçu  ie  nom  (Todenr 
argileuse.  Cependant,  >L  Cordier  a  retrouvé  la  même  odeur 
dans  des  corps  qui  ne  contenaient  pas  un  atome  des  sub- 
stances constituantes  de  l'argile,  comme  dans  du  quartz  pul- 
vérisé et  trituré  convenablement,  et  il  a  été  amené  à  penser 
que  cette  odeur  était  occasionnée  par  une  action  chimique 
ordinairement  très-faible,  mais  provoquée  plus  énergique- 
ment  que  dans  les  autres  corps  par  la  plus  grande  tAuité 
des  parties  qui  composent  les  argiles.  En  effet,  ces  roches 
meubles  sont  des  mélanges  mécaniques  de  particules  submi- 
croscopiques de  sous-hydrates  de  silice  et  d'alumine,  de 
silicate  d'alumine,  et  quelquefois  de  sous-hydrate  de  ma- 
gnésie et  d'hydrate  de  fer. 

La  classification  des  différentes  espèces  d'argiles  laisse 
beaucoup  à  désirer  ;  presque  tous  les  auteurs  se  sont  con- 
tentés de  les  spécifier  d'après  leurs  usages,  sans  avoir  égard 
h  leur  composition  chimique. 

Le  kaolin  lavé,  qui  sert  à  la  fabrication  des  porce- 
laines, peut  servir  de  type  au  genre  argile.  Lorsqu'il  est 
pur,  il  est  parfaitement  blanc.  Le  kaolin  a  conservé  le  nom 
qu'il  portait  en  Chine,  d'où  on  le  tirait  autrefois;  mais 
depuis  longtemps  nous  employons  celui  des  environs  de 
Limoges.  Les  poteries  grossières  se  fabriquent  avec  Var- 
glle  plastique  ;  l'argile  de  Montereau  donne  les  faïences 
dites  de  terre  de  pipe  ei  de  porcelaine  opaque. 

La  terre  glaise  est  une  argile  que  le  sculpteur  emploie 
po;;r  l'ébauche  de  ses  œuvres,  et  dout  on  fait  aussi  des 
tuiles,  des  briques  et  des  fourneaux  ;  c'est  Vargile  commune, 
composée  en  moyenne  de  32  parties  d'alumine,  63  de  sDice 
et  5  de  fer. 

D'oB  autre  côté ,  les  peintres  empruntent  certaines  coû- 


tai 


leurs  à  la  terre  de  Sienne,  la  terre  d'ombre,  la  terre  de 
Cologne,  Vocre  de  rue,  etc.,  qui  sont  autant  d'argiles  fer- 
rugineuses. 

L'argile  réfractaire  sert  à  la  fabrication  des  creusets 
pour  la  fonte  des  métaux,  et  à  la  constniction  des  four- 
neaux à  réverbère.  Pour  ce  dernier  usage  on  emploie  de 
préférence  l'argile  qui  provient  des  environs  de  Maubeuge, 
et  dont  on  fait  aussi  cette  espèce  de  poterie  si  dure  appelée 
grès  de  Flandre.  Cette  argile  a  beaucoup  d'analogie  avec 
celle  d'Allemagne ,  qui  sert  pour  les  excellents  creusets  de 
Messe. 

Vargile  smectiquc  ou  terre  à  foulon  est  ainsi  nommée 
parce  qu'elle  sert  au  dégraissage  ou  au /"owiag'e  des  draps, 
en  vertu  de  la  propriété  qu'ont  les  argiles  d'absorber  les  huiles 
aussi  bien  que  l'eau. 

La  pierre  à  détacher  est  une  argile  veinée  ou  tachetée  de 
brun  sur  un  fond  gris  ;  elle  renferme  un  peu  de  chaux  et  se 
trouve  en  abondance  au-dessous  des  masses  de  chaux  sul- 
fatée de  Montmartre. 

Enfin,  on  a  employé  l'argile  molle  sur  les  plaies ,  les  ul- 
cères, comme  astringente  et  hémostatique.  Elle  peut  servir, 
en  effet,  par  son  adhérence  avec  les  parties  humides,  à  arrê- 
ter le  sang  des  piqûres  de  sangsues. 

[  L'argile  existe  en  plus  ou  moins  grande  proportion  dans 
toutes  les  terres  arables  ;  lorsqu'elle  s'y  trouve  en  abondance, 
les  terres  sont  grasses,  fortes,  et  peuvent  quelquefois  même 
devenir  impropres  à  la  végétation,  parce  qu'elles  opposent 
trop  de  résistance  au  mouvement  des  racines  des  plantes  ; 
qu'elles  retiennent  trop  fortement  l'eau  qui  les  pénètre ,  et 
qu'en  se  desséchant  elles  se  crevassent  profondément  et 
peuvent  mettre  à  nu  les  racines.  Dans  les  terres  trop  légères, 
on  ajoute  avec  avantage  des  marnes  argileuses  qui  les 
améliorent,  de  même  qu'on  amende  les  terres  trop  fortes  en 
y  mêlant  des  calcaires  qui  les  divisent.  Voyez  Amendement. 

L'argile  grasse  ou  terre  glaise  existe  presque  partout.  Les 
argiles  blanches  sont  plus  rares,  çt  présentent  des  avantages 
marqués  pour  l'exploitation.  La  tene  à  porcelaine  se  ren- 
contre très-rarement ,  longtemps  on  n'en  a  trouvé  qu'auprès 
de  Limoges;  depuis  que  plusieurs  carrières  en  ont  été  dé- 
couvertes, on  fabrique  une  beaucoup  plus  grande  quantité 
de  porcelaines  et  à  des  prix  infiniment  moins  élevés.  La 
terre  à  porcelaine  est  seule  susceptible  d'être  cuite  à  une 
très-haute  température.  Les  terres  blanches  ou  de  pipe  ne 
peuvent  en  supporter  qu'une  moindre,  et  les  terres  à  poterie 
une  beaucoup  moindre  encore  :  c'est  là  ce  qui  fait  le  mérite 
relatif  des  pièces  à  la  confection  desquelles  elles  ont  servi. 
H.  Gaultier  de  Claucry.] 

ARGOLIDE ,  contrée  qui  forme  l'extrémité  sud-est  de 
la  Morée ,  entre  le  golfe  de  Nauplie  et  Égine,  l'un  des  gou- 
vernements du  royaume  de  Grèce,  et  dont  dépendent  Spezzia 
et  Hermione  comme  sous-gouverneraents.  Le  prolongement 
oriental  des  montagnes  septentrionales  du  Péloponnèse  sur 
les  côtes  brusquement  accidentées  de  l'Argolide  ceint  comme 
d'une  muraille  de  rochers  la  plaine  d'Argos,  dont  l'air  est 
infecté  par  des  marais  et  des  rizières.  Les  points  culminants 
de  ce  groupe  sont  le  Malevo,  appelé  parles  anciens  Artémi- 
sion  (1,478  mètres),  le  Hag-Ilias,  nommé  autrefois  Arach- 
naion  (1,225 mètres ),  et  le  mont  Didyma  (1,100  mètres).  La 
plaine  la  plus  vaste  de  ce  gouvernement  est  celle  qui  avoisine 
Argos,  et  qu'arrose  la  Paniza,  VJnachus  des  anciens.  11  a 
pour  chef-lieu  Nau plie. 

Les  anciens  entendaient  à  proprement  parier  par  Argolide 
ou  Argolica  la  plaine  baignée  par  la  mer  que  bornent  à 
l'ouest  les  montagnes  de  l'Arcadie  et  au  nord  celles  de  Phlius, 
de  Cleonae  et  de  Corinthe.  Cependant ,  déjà  sous  la  domi- 
nation romaine  elle  comprenait  la  partie  orientale  du  Pé- 
loponnèse qui  confine  du  côté  du  nord  à  l'Achaïe  et  au 
territoire  de  Corinthe,  vers  le  nord-est  au  golfe  Saronique, 
vers  l'ouest  à  l'Arcadie,  vers  le  sud  à  la  Laconie,  et  vers  le 
sud-ouest  au  golfe  d'Argolide.  C'est  d'après  le  nom  de  cett« 


792 


ARGOLIDE  —  ARGONAUTES 


contrée  qiieles  Grecs  sont  souvent  désignés  par  les  écrivains 
de  Tantiquité  sous  la  dénomination  d'Argiens. 

L'Argolide  fut  cultivée  de  bonne  heure.  La  tradition  porte 
qu'Inaclius  vint  s'y  établir  environ  ISOO  ans  avant  l'ère 
chrétienne,  et  D  a  n  a  u  s  vers  l'an  1 500,  l'un  et  l'autre  à  la  tête 
de  colons  arrivant  d'Égjpte.  Là  régnèrent  Pélops,  qui 
donna  son  nom  à  la  presqu'île  tout  entière,  et  ses  descendants 
Atréeet  Agamemnon,  Adraste,  Eurysthéeet 
Diomède,  tous  chefs  d'États  indépendants.  C'est  là  aussi 
que  naquit  Hercule,  c'est  là  qu'il  tua  dans  les  marais  de 
Lerne  la  fameuse  h  y  d  r  e,  et  que  dans  la  caverne  de  Némée 
il  étouffli  un  lion.  Dès  la  plus  haute  antiquité  l'Argolide  se 
divisa  en  petits  royaumes,  à  savoir  Argos,  My  cène,  Ty- 
rynthe,  Trézènc,  Hermione  etEpidaure,  qui  plus 
tard  formèrent  autant  de  républiques. 

Quand  la  Grèce  eut  recouvré  son  indépendance,  l'Argolide 
forma  jusqu'en  1838  l'im  des  sept  départements  de  la  pro- 
vince de  Morée.  Son  ancien  chef-lieu  a  conservé  son  nom 
(V Argos  à  travers  les  siècles  jusqu'à  nos  jours. 

ARGOiVAUTE  {Histoire  naturelle).  Linné  appelle 
ainsi  le  mollusque  céphalopode  connu  des  anciens  sous  les 
noms  de  nautile  et  de  pompyle.  Athénée,  Appien,  Élien, 
Pline ,  nous  racontent  les  merveilles  que  leurs  contempo- 
rains attribuaient  à  l'argonaute.  Ils  en  font  un  élégant  nau- 
tonier  enseignant  aux  hommes  les  principes  de  la  naviga- 
tion. Il  est  vrai  que  la  coquille  univalve  de  l'argonaute ,  ex- 
trêmement légère,  fragile,  transparente,  ayant  une  teinte 
laiteuse  prononcée ,  offre  quelque^ressemblance  avec  une 
nacelle,  au-dessus  de  laquelle  peuvent  s'élever  des  bras 
membraneux  simulant  des  voiles ,  tandis  que  sur  les  flancs 
se  trouvent  placés  des  tentacules  figurant  six  rames  mo- 
biles. «  Homme  d'abord ,  dit  Athénée ,  le  pompyle  dut  sa 
métamorphose  à  une  belle  passion  d'Apollon,  épris  d'amour 
pour  la  jeune  nymphe  Ocyrrhoé ,  que  les  Heures  avaient 
douée  des  charmes  les  plus  séduisants.  Elle  était  dans  l'âge 
brillant  de  la  jeunesse,  lorsque  ce  dieu  puissant  essaya  de 
l'enlever  quand  elle  se  rendait  à  une  fête  de  Diane.  Crai- 
gnant de  devenir  la  proie  d'un  ravisseur,  elle  pria  ceitain 
Pompyle,  nautonier  qui  connaissait  tous  les  goufù-es  de  la 
mer,  de  la  conduire  en  sûreté  dans  sa  patrie;  mais  Apol- 
lon parut  à  1  improviste,  ravit  la  jeune  fille,  pétrifia  le  na- 
vire, et  changea  Pompyle  en  un  poisson  qui  depuis  a  porté 
son  nom.  Il  est  toujours  prêt  à  suivre  en  mer  les  vaisseaux 
qui  la  traversent  rapidement.  »  Pline  ajoute  que  l'animal 
quitte  sa  coquille  pour  venir  paître  à  terre,  et  qu'il  n'y 
rentre  que  pour  se  transporter  de  plage  en  plage. 

Toutes  ces  fables ,  qui ,  sauf  leur  partie  mythologique , 
étaient  encore  admises  au  moyen  âge ,  tiennent  principa- 
lement à  la  forme  de  la  coquille  et  à  la  non-adhérence  de 
l'animal  avec  son  enveloppe  testacée ,  fait  en  contradiction 
avec  les  lois  zoologiques  connues.  Des  savants  distingués , 
Lamarck,  Bosc,  Rafmesque,  Leach,  Blainville,  etc.,  en  ont 
inféré  que  l'animal  qu'on  a  trouvé  dans  les  coquilles  de 
l'argonaute  n'est  qu'un  parasite ,  comme  certains  pagures , 
qui  se  logent  dans  des  coquilles  abandonnées.  Cependant, 
MM.  Duvernoy,  Cuvier,  Térussac,  Richard,  Owen,  etc., 
n'ont  pas  partagé  cette  opinion.  Depuis,  M.  Alcide  d'Orbi- 
gny  semble  avoir  démontré  péremptoirement ,  dans  sa  Mo- 
nographie des  Céphalopodes  acétabuU/ères ,  que  la  thèse 
du  parasitisme  n'est  plus  soutenable. 

ARGONAUTES  (  Temps  héroïques  ).  Ainsi  furent 
appelés,  du  vaisseau  Argo,  que  leur  chef  Jason  avait  fait 
construire,  les  héros  de  l'antiquité  grecque  qui,  une  géné- 
ration d'hommes  avant  la  guerre  de  Troie ,  entreprirent  la 
première  giande  navigation  ,  sur  une  mer  encore  inconnue 
et  vers  une  lointaine  contrée.  I^indare ,  qui  célèbre  d'une 
manière  toute  particulière  l'héroïque  courage  de  Jason ,  est 
le  premier  qui  entre  dans  des  détails  explicites  au  sujet  de 
cette  fameuse  expédition.  Mais  dans  l'impossibilité  où  nous 
«ommes  d'énumérer  tous  les  renseignements  qui  s'y  rap- 


portent (  car  tous  les  poètes ,  à  l'exception  de  ceux  d'Alexan- 
drie ,  qui  ont  chanté  l'expédition  des  Argonautes  en  ont 
surtout  profité  pour  faire  étalage  de  leurs  connaissances  en  j^ 
géographie  ),  nous  croyons  qu'il  convient  mieux  que  nous  ~ 
reproduisions  ici  la  simple  tradition,  telle  qu'ApoUodore 
l'a  consignée  dans  sa  Bibliothèque ,  d'après  les  auteurs  an- 
térieurs au  siècle  où  il  écrivait. 

Jason,  fils  d'jEson,  fut  chargé  par  son  oncle  Pélias,  qui 
régnait  à  lolcos  en  Thessalie,  et  à  l'instigation  de  Héra, 
d'aller  à  la  recherche  de  la  toison  d'or  d'un  bélier  sur  le- 
quel s'étaient  enfuis  Phrixus  et  H  e  1 1  ê ,  dans  une  forêt 
consacrée  à  Ares,  où  Phrixus  l'avait  suspendue  à  un  chêne, 
et  où  elle  était  gardée  par  un  dragon  qui  jamais  ne  dormait. 
A  cet  effet,  Jason  fit  construire  par  Argos,  fils  de  Phrixus, 
Y  Argo,  navire  à  cinquante  bancs  de  rameurs ,  et  appela  les 
héros  les  plus  célèbres  de  son  temps  à  prendre  part  à  son 
entreprise.  On  comptait  parmi  eux  Hercule,  Castor  et 
PoUux,  Pelée,  Admète,  Nélée,  Méléagre,  Or- 
phée, Télamon,  Thésée  et  son  ami  Pirithoùs,  Hy- 
laset  beaucoup  d'autres  encore.  Ils  abordèrent  d'abord  dans 
l'Ile  de  Lemnos,  où  ils  firent  un  séjour  de  deux  années.  Les 
femmes  de  cette  contrée ,  par  suite  du  courroux  d'Aphro- 
dite méprisée ,  avaient  égorgé  leurs  pères  et  leurs  maris ,  à 
l'exception  de  Tlioas,  que  sa  fille  Hypsipyle  cacha  à  tous  les 
yeux.  Elles  repoussèrent  en  conséquence  les  Argonautes  de 
leurs  rivages.  De  là  ils  gagnèrent  le  pays  des  Dotions,  dont 
le  souverain  les  accueillit  avec  hospitalité;  mais  en  étant 
repartis  nuitamment,  des  vents  contraires  les  ramenèrent 
au  rivage,  où  on  les  prit  alors  pour  des  Pélasges,  peuple  avec 
lequel  les  Délions  étaient  en  guerre.  Il  s'ensuivit  une  bataille 
dans  laquelle  Jason  eut  le  malheur  de  tuer  leur  roi,  que  les 
Argonautes  ensevelirent  avec  toutes  les  démonstrations  de 
la  douleur  la  plus  profonde.  Ils  abordèrent  ensuite  enMysie, 
où  ils  abandonnèrent  Hercule  et  Polyphème,  parce  que  ceux- 
ci  restèrent  trop  longtemps  à  y  chercher  Hylas,  qui  avait  été 
enlevé  par  une  nymphe. 

Le  premier  pays  où  ils  touchèrent  alors  fut  celui  des  Bé- 
bryces ,  dont  le  roi  Amycus ,  qui  avait  provoqué  les  Argo- 
nautes à  un  combat  à  coups  de  poing,  fut  tué  par  Polydeu- 
cès  (  Pollux).  De  là  ils  furent  rejetés  sur  les  côtes  de  Thrace, 
et  arrivèrent  à  Salmydessus ,  où  ils  rencontrèrent  le  devin 
aveugle  Phineus,  qu'ils  consultèrent  sur  la  route  qui  leur 
restait  à  faire  et  surtout  au  sujet  des  si  dangereuses  Symple- 
gades.  Arrivés  à  cetécueil,  dont  les  rochers  se  heurtent  cons- 
tamment en  broyant  tout  ce  qui  s'engage  dans  leurs  anfrac- 
tuosités ,  ils  lâchèrent  d'après  son  conseil  une  colombe ,  et 
celle-oi  n'ayant  perdu  dans  le  choc  des  rochers  que  le  bout 
de  sa  queue,  ils  traversèrent  rapidement  l'écueil  avec  le 
secours  de  Héra;  dès  lors  les  Symplegades,  qui  ne  brisèrent 
que  l'extrémité  de  l'ornement  placé  à  l'arrière  du  navire , 
restèrent  immobiles. 

Après  avoir  encore  passé  devant  un  grand  nombre  d'au- 
tres pays,  ils  arrivèrent  enfin  de  nuit  à  l'embouchure  du 
Phase,  en  Colchide.  Aétès,  roi  de  cette  contrée,  déjà  pré- 
venu du  but  du  voyage  de  ces  étrangers,  promit  à  Jason 
de  lui  livrer  la  toison ,  pounu  qu'U  commençât  par  atteler 
seul  à  une  charrue  deux  taureaux  aux  pieds  d'airain ,  aux 
yeux  lançant  des  flammes,  qu' Aétès  avait  reçus  d'Héphœstos, 
et  qu'il  semât  ensuite  dans  le  sillon  les  dents  de  dragon 
laissées  à  Thèbes  par  Cadmus  et  données  à  Aétès  par 
Athéné  (Minerve). 

Jason  accomplit  cette  tâche  avec  l'aide  de  Médée,  fille 
d'Aétès ,  qui  conçut  pour  lui  la  passion  la  plus  violente 
Après  lui  avoir  fait  promettre  de  l'épouser,  elle  lui  donna 
un  charme  tout-puissant  contre  les  efforts  du  fer  et  de 
l'acier,  et  lui  apprit  comment,  au  moyen  de  pierres  jetées  au 
milieu  des  guerriers  qui  devaient  naître  des  dents  du  dra- 
gon, et  qu'il  lui  Aillait  mettre  à  mort,  il  pourrait  les  séparer 
et  les  tuer  les  uns  après  les  autres.  Ces  choses  s'étant  ainsi 
passées,  Aétès  résolut  d'incendier  l'Argo  et  d'en  assassiner 


ARGONAUTES 


ARGOS 


793 


l'équipage.  Mais  Jason,  instruit  par  ^l(tî«?c  du  dessein  du 
roi,  le  prévint,  courut  à  la  forêt  oi'i  la  toison  d'or  était  sus- 
pendue à  un  chêne,  s'en  empara,  et,  après  que  Médée  eut 
endormi  le  dragon  qui  la  gardait,  à  l'aide  d'un  cliarnie, 
senfuit  de  nuit  avec  elle  et  son  frère  Absyrte  à  bord  de  son 
navire,  puis  remit  précipitamment  à  la  voile. 

.\étès  se  lança  à  leur  poursuite;  mais  .Médée  rempéclia 
d'aller  plus  loin  en  égorgeant  son  frère,  dont  elle  lit  jeter  à 
la  nier  les  membres  divisés  en  mille  morceaux.  .\étès  perdit 
un  temps  précieux  à  s'efforcer  de  les  recueillir,  et  dut  s'en 
retourner  à  terre  sans  y  avoir  réussi  ;  ce  qui  ne  rcmpécha 
pas  d'envoyer  encore  un  grand  nombre  de  Colchidiens  à  la 
poursuite  des  fugitifs.  Sur  ces  entrefaites,  les  .\rgonautes 
étaient  déjà  arrivés  à  l'î^nbouciiure  du  fleuve  Éridanus,  où 
ils  perdirent  leur  route  à  la  suite  d'une  tempête  suscitée  par 
Zeus,  irrité  du  meurtre  d'.Absyrte.  A  ce  moment,  à  la  hau- 
teur d'un  groupe  d'iles  auquel  on  imposa  le  nom  du  mal- 
heureux frère  de  Médée,  on  entendit  du  haut  du  màt  de 
l'Argo,  qui,  taillé  dans  un  chêne  de  la  forêt  de  Dodône, 
possédait  le  don  de  divination,  l'oracle  dire  que  le  courroux 
de  Zeus  ne  s'apaiserait  que  lorsque,  faisant  voile  vers 
l'Ausonie,  les  navigateurs  auraient  été  réconciliés  avee  lui 
par  Circé.  En  conséquence  ils  passèrent  devant  les  con- 
trées habitées  par  les  Ligyens  et  les  Celtes ,  et  arrivèrent 
enfin,  après  avoir  franchi  la  mer  de  Sardaigne,  le  long  des 
côtes  de  la  Tyrrhénie,  dans  l'ile  d'.Eœ,  où  Circé  les  récon- 
cilia avec  Zeus.  Ils  remirent  alors  à  !a  voile,  passèrent  de- 
vant les  Sirènes ,  dont  Orphée  les  préserva  en  répondant  à 
leurs  chants  par  un  chant  plus  harmonieux  encore,  tra- 
versèrent Scylla  et  Charybde,  grâce  à  la  protection  de  Thétis, 
et  arrivèrent  dans  l'île  de  Corcyre ,  ou  régnait  Alcinoûs. 

Quand  ils  en  repartirent,  une  violente  tempête  les  assaillit 
au  milieu  de  la  nuit  ;  mais  Apollon  leur  vint  en  aide  au 
moyen  d'éclairs  qui  leur  permirent  d'apercevoir  une  lie  à  la- 
quelle ils  donnèrent  en  conséquence  le  nom  d'Anaphê 
(aujourd'hui  Haufi).  Pour  témoigner  leur  gratitude  aa 
dieu  ,  ils  érigèrent  en  ce  lieu  un  autel  à  Apollon  lançant  des 
éclairs.  Arrivés  en  Crète,  le  géant  Talos,  qui  gardait  cette 
ile  et  qui  en  faisait  le  tour  trois  fois  par  jour,  les  empêcha 
d'y  prendre  terre.  Mais  Médée  tua  ce  géant,  et  les  Argonautes 
purent  alors  y  débarquer.  Toutefois  ils  n'y  restèrent  qu'une 
nuit,  et  remirent  aussitôt  à  la  voile  en  se  dirigeant  vers  Egine, 
d'où  ils  revinrent  à  lolcos,  en  passant  entre  l'Eubée  et  la 
Locride,  après  avoir  achevé  ce  grand  voyage  en  quatre  mois. 

Tel  est  le  récit  d'Apollodore.  Il  est  impossible  qu'il  en 
ait  inventé  tous  les  détails,  à  moins  qu'il  n'ait  voulu  sciem- 
ment tomber  dans  les  plus  grandes  contradictions.  Ce  sont 
surtout  les  versions  relatives  au  retour  des  Argonautes  qu'il 
est  difficile  de  concilier  entre  elles.  Il  n'est  presque  pas  de 
pays  au  monde  où  on  ne  les  fasse  aborder.  Plus  ces  contrées 
sont  inconnues,  et  mieux  elles  valent  aux  yeux  du  narrateur. 
Il  serait  assez  difficile  de  déterminer  l'origine  première  de 
cette  tralition.  Peut-être  a-t-elle  pour  base  le  commerce  des 
pelleteries  du  Nord.  En  ce  qui  est  de  l'équipage  d'Argo,  que, 
pour  sa  glorification,  Athcné  mil  au  rang  des  astres,  il  se 
composait  de  cinquante  hommes,  puisquece  navire  comptait 
cinquante  bancs  de  rameurs.  Le  scoliaste  de  Lycophron  est 
le  seul  qui  porte  ce  nombre  à  cent.  Quant  à  la  direction 
même  suivie  par  le  navire,  on  trouve  dans  les  divers 
récits  la  plus  grande  confusion  de  temps  et  les  détails  les 
plus  bizarres.  Aussi  serait-ce  un  travail  fort  ingrat  que  de 
vouloir  la  retracer  avec  quelque  précision.  Parmi  les  poêles 
dont  nous  possédons  encore  les  ouvrages,  Apollonius  de 
Rhodes,  qui  vivait  environ  200  ans  avant  notre  ère,  et  Va- 
lériasFlaccus,  son  imitateur  chez  les  Romains,  qui  vivait 
80  ans  après  Jésus-Christ,  sont,  avec  le  pseudo-Orphée,  ceux 
qui  ont  pris  le  plus  particulièrement  cette  tradition  pour 
sujet. 

ARGOXXE  (Pays,  Forêt  et  Campagne  de  1').  On  ap- 
pelait autrefois  pays  d'Argonne  une  portion  du  territoire 
mer.  i>L  L\  co.\vi.i(->Aiiy>.  —  ï.  j. 


français  s'étendant  partie  dans  la  Champagne  et  partie  dans 
le  Rarrois,  entre  la  Meusi>,  la  Marne  et  l'Aisne,  sur  une 
longueur  fort  inégale ,  depuis  Reaumont ,  frontière  de  la 
principauté  de  Sedan,  jusqu'aux  limites  méridionales  du 
Clermontois,  qui  y  était  corni>ris.  Ce  pays  d'Argonne,  dont 
Saintc-Menchould  était  le  chef-lieu,  a  servi  à  composer  l'ar- 
rondissement de  Sainte-Menehould  du  département  de  la 
Marne  et  qu  hpies  cantons  des  départements  de  la  Meuse 
et  des  Ardenncs.  Comme  il  est  très-boi.sé ,  et  que  le^  villes 
et  les  villages  qu'on  y  rencontre  sont  des  espèces  de  clai- 
rières dispersées  dans  une  vaste  forêt ,  on  avait  surnommé 
ce  pays  la  foret  dWrgonne. 

Stratégiquement  parlant ,  la  forêt  d'Argonne  est  d'une 
haute  importance  iwur  la  défense  du  pays;  les  montagnes  et 
les  ruisseaux  dont  elle  est  entrecoupée  la  rendent  en  effet 
presque  impraticable  à  une  armée.  Lors  de  l'invasion  du  ter- 
ritoire français  qu'elle  tenta  en  1792,  l'armée  prussienne 
aux  ordres  du  duc  de  Brunswick ,  qui  était  entrée  par  le 
nord,  s'en  approcha  d'environ  quarante-huit  kilomètres 
pour  marcher  sur  Châlons  et  de  là  sur  Paris  ;  mais  elle  com- 
mit la  faute  immense  de  ne  pas  faire  occuper  les  cinq  dé- 
filés dits  du  Chcne- Populeux,  de  la  Cro'ix-aux-Boïs ,  du 
Grand-Pré,  de  la  Chaladc  et  des  Islettes,  qui  seuls  pou- 
vaient donner  passage  à  une  armée.  C'est  alors  que  Da- 
mouriez  conçut  un  plan  de  campagne  qui  sauva  la  France. 
Il  comprit  qu'il  fallait  occuper  avant  l'ennemi  ces  défilés , 
qu'il  proclama  tout  aussitôt  devoir  être  les  Thermopylc^  de 
la  France,  puis  forcer  les  Prussiens  à  se  jeter  dans  la  forêt, 
où  ils  succomberaient  eu  détail. 

Les  manœuvres  de  l'armée  française  trompèrent  complè- 
tement Brunswick;  et  la  victoire  de  "Valmy  lui  apprit 
qu'il  s'était  engagé  trop  témérairement,  sur  les  conseils  des 
émigrés ,  dans  un  pays  où  il  manquait  de  vivres  et  de  ma- 
gasins, et  dont  la  conquête,  comme  on  le  lui  avait  pourtant 
bien  promis,  ne  devait  pas  être  le  fruit  d'une  ou  deux 
marches  hardies  sur  la  capitale.  C'est  à  cette  mémorable 
campagne,  qui  ne  dura,  au  reste,  que  quelques  semaines, 
que  l'histoire  a  donné  le  nom  de  campagne  de  l'Argonne. 

AKGOS ,  fils  de  Zeus  et  de  Niobé ,  succéda  à  Phoronée 
dans  la  souveraineté  du  Péloponnèse ,  qui  prit  de  lui  le  nom 
d'Argolide. 

ARGOS,  capitale  de  l'Argolide,  sur  le  fleuve  Inachus, 
qui  sort  du  mont  Lyrcios  en  Arcadie,  passe  par  des  ravines 
et  se  perd  dans  les  marais,  à  84  kilom.  nord-est  de  Sparte, 
était  située  dans  une  plaine  fertile,  qui  nourrissait  des  che- 
vaux très-eslimés.  liile  s'appela  d'abord  Phoronyrie,  du 
roi  Phoronée,  son  fondateur,  cnsiiite  Argos ,  du  nom  de  son 
quatrième  roi.  Elle  a  conservé  jusqu'à  ce  jour  ce  nom,  qui 
remonte  à  ISOO  ans  avant  J.-C.  Les  habitants  étaient  cé- 
lèbres par  leur  amour  pour  les  beaux-arts  et  surtout  pour 
la  musique.  Ils  avaient  élevé  des  statues  aux  deux  frères 
Biton  et  Cléobis,  morts  victimes  de  leur  dévouement  à  leur 
mère.  C'est  à  Argos  que  fut  tué  le  célèbre  Pyrrhus ,  roi 
d'Épire. 

Cette  ville ,  située  à  8  kilom.  nord-ouest  de  Nauplie , 
et  peuplée  de  5,800  habitants ,  possède  une  école  du  degré 
supérieur  et  une  école  d'enseignement  mutuel.  On  y  voit 
des  ruines  nombreuses,  une  citadelle  aux  assises  de  cons- 
truction cyclopéenne,  un  long  passage  souterrain  creusé  dans 
le  roc  et  communiquant  avec  cette  forteresse,  sans  compter 
de  nombreux  vestiges  de  palais  et  de  temples,  etc.,  etc. 

ARGOS  (  Raronnie  d").  Argos  était,  au  moment  de  l'en- 
trée des  Français  en  Morée  en  1205,  une  des  douze  places 
fortes  du  Péloponnèse.  Un  de  ces  petits  chefs  grecs  qui  avaient 
profité  de  la  faiblesse  du  pouvoir  impérial  pour  se  créer  de 
petites  souverainetés  indépendantes,  Léon  de  Guy,  y  domi- 
nait. Après  quelque  résistance ,  il  fut  obligé  d'évacuer  la 
Morée.  Les  Français  pénétrèrent  dans  Argos,  et  s'y  établirent  ; 
mais  la  forteresse ,  située  sur  une  montagne ,  resta  long- 
temps encore  entre  les  mains  des  Grecs.  Enfin,  en  1248, 

lU.i 


794  ARGOS  — 

Guillaume  de  Ville-IIardoin ,  devenu  prince  d'Achaïe ,  céda 
Coron  et  ISIodon  aux  Vénitiens ,  à  condition  qu'ils  l'aide- 
raient de  leurs  flottes  à  s'emparer  de  JN'auplie,  ce  qui  eut  lieu 
en  effet;  et  la  forteresse  d'Argos,  privée  de  tout  espoir  de 
défense  du  côté  de  Nauplie,  se  rendit  immédiatement. 

Argos  fut  donnée  par  Guillaume  de  Ville-Hardoin,  à  titre 
de  fief  relevant  de  lui  et  de  ses  descendants ,  à  Guy  de  La 
l^oclie,  alors  baron  et  depuis  duc  d'Athènes.  La  maison  de  La 
Roche  continuaà  posséder  cette  seigneurie  tantqu'elle  occupa 
le  duché  d'Athènes,  qui  passa  ensuite  à  la  maison  de  Brienne, 
par  le  mariage  d'Isabelle  de  La  Roche,  tante  du  dernier  duc 
Guy  de  La  Roche,  avec  Hugues,  comte  de  Brienne,  et  par 
la  naissance  d'un  fils  nommé  Gauthier. 

Celui-ci  ayant  été  tué  dans  une  bataille,  en  1312,  contre  le 
grand  Tufsignis  Catclaces,  les  vainqueurs  s'emparèrent  du 
duché  d'Athènes  ;  mais  Argos  tint  bon.  Un  fils  de  Gauthier, 
du  même  nom  que  lui,  réfugié  en  France  avec  sa  sœur  Isa- 
belle et  sa  mère,  fit  quelques  tentatives  pour  reconquérir  ses 
possessions  en  Grèce;  mais  l'Impatience  de  son  caractère  le 
fit  échouer  là  comme  elle  le  fit  plus  tard  chasser  de  la  ré- 
publique de  Florence ,  dont  il  s'était  constitué  souverain. 
Ce  Gauthier  mourut  à  la  bataille  de  Poitiers ,  sans  laisser 
d'enfants. 

Sa  sœur  Isabelle  de  Brienne  avait  épousé  Gauthier  d'En- 
ghien  ;  Guy,  leur  sixième  enfant,  partit  pour  la  Morée,  et 
s'établit  à  son  tour  dans  la  seigneurie  d'Argos.  Il  s'y  maria, 
et  eut  une  fille  unique,  nommé  Bonne  d'Enghien,  qui  épousa 
un  Vénitien ,  nommé  Pierre  Cricerio.  Celui-ci  étant  mort 
sans  héritier,  la  république  de  Venise,  en  l'an  1388,  acheta 
les  seigneuries  d'Argos  et  de  Nauplie  de  sa  veuve,  et  envoya 
aussitôt  des  troupes  pour  s'en  emparer;  mais  elle  avait  été 
devancée  par  Nerio  Acciajoli ,  neveu  du  célèbre  Nicolas 
Acciajolide  Florence.  Ce  ne  fut  qu'après  sa  mort,  en  1394, 
que  les  Vénitiens  firent  de  nouveaux  efforts  pour  s'emparer 
d'Argos  et  de  Nauplie,  et  y  parvinrent  dans  les  premières 
années  du  quinzième  siècle. 

Cependant  ils  en  furent  dépossédés  par  Bajazet,  qui  rédui- 
sit 30,000  habitants  en  esclavage  et  les  remplaça  par  des 
ïartares.  Argos  fut  reprise  par  les  Vénitiens  en  1680,  et 
devint  alors  le  chef-lieu  de  leurs  possessions  dans  la  Grèce. 
Mais  elle  leur  fut  de  nouveau  enlevée  en  1715,  par  les 
Turcs,  qui  la  gardèrent  jusqu'en  1825,  époque  oii  la  Grèce 
reconquit  son  indépendance.  Buciion. 

ARGOT,  en  allemand  rothwxlsch,  en  anglais  cant; 
langage  particulier  des  filous  et  généralement  de  tous  les 
habitués  des  prisons  et  des  bagnes.  —  Les  étymologistes  ne 
sont  pas  d'accord  sur  l'origine  du  mot  argot.  Furetière  le 
fait  venir  de  la  ville  d'Argos,  «  parce  que,  dit-il,  la  plus 
grande  partie  de  ce  langage  est  composée  de  mots  tirés  du 
grec;  »  opinion  que  réfute  facilement  Granval  dans  le 
chant  lo*"  de  son  poème  de  Cartouche.  — Le  Duchat,  dans 
ses  notes  sur  Rabelais,  liv.  II,  chap.  ii,  le  fait  dériver, 
par  une  légère  transposition  de  lettres,  du  nom  de  Ragot, 
fameux  belilre  qui  vivait  du  temps  de  Louis  XII  :  d'où 
l'on  a  dit  ragoter  pour  grommeler,  murmurer  en  se  plai- 
gnant, à  la  manière  des  gueux  et  des  mendiants.  Au  con- 
traire, M.  Clavier  l'emprunte  à  ïergo  des  écoles,  etc. 
(Voyezle  Dict.  éfym.  de  Roquefort).  La  même  incertitude 
règne  dans  les  autres  langues  sur  l'étymologie  des  mots 
correspondants  rothwxlsch ,  cant ,  etc.  Toutefois,  la  plus 
vraisemblable  à  l'égard  du  mot  rothwxlsch  est  celle  qui 
le  fait  dériver  de  l'argot  allemand  lui-même,  dans  lequel 
roth  veut  dire  mendiant,  et  du  mot  allemand  icxlsch,  qui 
sigiiifie  étranger.  Mais ,  à  défaut  de  documents  précis  sur 
l'origine  du  mot ,  remontons  à  l'origine  de  la  chose. 

L'idiome  d'une  nation,  d'une  province,  d'une  société 
quelconque ,  n'étant  que  l'expression  des  idées ,  des  habi- 
tudes ,  des  besoins  qui  leur  sont  propres ,  son  origine  se 
confond  nécessairement  avec  celle  même  de  la  nation ,  de 
la  province,  de  la  société  qui  le  parle.  L'origine  de  l'idiome 


ARGOT 

argotique  remonte  donc  à  la  formation  môme  des  sociétés 
civilisées,  c'est-à-dire  au  principe  môme  de  la  distinction  de 
la  propriété  ;  car  du  moment  oii  la  loi  permit  à  un  seul  de 
dire  :  «  Moi  propriétaire,  toutàmoi  ;  toi  prolétaire,  rien  à  toi  » 
il  s'est  formé  au  sein  de  la  grande  famille  une  famille  à 
part,  composée  elle-même  d'une  multitude  de  familles  di- 
verses; famille  d'esclaves,  d'ilotes  et  de  parias;  famille  de 
gens  à  gages  ,  vilains  taillables ,  manants  corvéables ,  ma- 
tière imposable  à  merci  ;  famille  d'oisifs ,  indigents ,  sans 
aveu;  famille  Aalatrones,  lazzaroni ,  robbers,  truands 
marcandiers ,  francs-mitous ,  caroubeurs ,  bonjouriers  es- 
carpes, voleurs  et  filous  de  toute  trempe,  etc.,  etc.,  famille 
immense,  et  dont  les  branches  gourmandes  et  vigoureuses 
tendent  à  dévorer  partout  en  se  dévorant  elles-mêmes  le 
tronc  de  l'arbre  qui  les  nourrit. 

La  nécessité  de  vivre  aux  dépens  de  celui  qui  a  tout  a 
fait  naître  dans  l'esprit  de  ceux  qui  n'ont  rien  d'abord 
l'idée  d'échanger  avec  sou  superflu  le  produit  de  leurs 
sueurs,  puis  l'envie  de  se  procurer  ses  jouissances,  puis 
l'ambition  d'obtenir  ses  richesses ,  puis  ensuite  la  passion 
de  son  or,  puis  l'escroquerie,  puis  le  faux,  puis  le  vol,  puis 
le  meurtre...  de  complicité. ..nuitamment.. .à  main  armée.... 
A  ceux-là  suffit  le  travail  d'une  vie  obscure,  isolée,  hon- 
nête, au  milieu  de  la  vie  commune;  à  ceux-ci  il  devint 
nécessaire,  par  instinct  de  conservation  et  de  perpétuité 
de  se  constituer  en  société  rivale  ;  et  de  même  que  la  so- 
ciété-mère s'est  successivement  partagée  en  nobles  et  ro- 
turiers, en  militaires  et  péquins,  en  capacités  et  incapa- 
cités, etc.,  de  même  celle-ci  a  divisé  l'univers  civilisé  en 
deux  classes,  les  grinches  el  les  gonses ,  c'est-à-dire  les 
voleurs  et  ceux  qui  ne  le  sont  pas.  A  ceux-ci  encore  il 
fallut  une  langue  spéciale  pour  articuler,  en  paroles  con- 
nues d'eux  seuls ,  leurs  projets  et  leurs  actes ,  et  fonnuler, 
inintelhgiblement  pour  tous  autres  que  pour  eux ,  les  prin- 
cipes constitutifs  de  la  grande  charte  du  royaume  argo- 
tique. De  là  l'origine  de  l'argot. 

Cette  langue  ,  depuis  Cacus  jusqu'à  Ti-Ta-Pa-Pouff,  de- 
puis Barrabbas  jusqu'à  Cartouche,  depuis  Mandrin  jus- 
qu'à Coco-Lacour ,  s'est ,  pour  ainsi  dire ,  greffée  d^ns 
tous  les  temps  et  dans  tous  les  pays,  comme  une  ente 
sauvage  sur  le  tronc  de  la  mère-langue.  L'argot  bohémien 
seul ,  malgré  les  recherches  auxquelles  s'est  livré  Grellmann 
pour  démontrer  qu'il  est  enté  sur  la  langue  des  Hindous, 
semble  n'appartenir  à  aucun  idiome ,  parce  qu'il  appartient 
à  tous.  Voyez  Hlst.  des  Bohém.,  tiad.,  1810,  Paris. 

L'argot  allemand,  que  les  voleurs  de  ce  pays  appellent 
kokamloschen ,  c'est-à-dire  langtie  adroite  (des  mots  hé- 
breux haham,  sage,  adroit,  et  laschon,  langue),  est  un 
mélange  de  haut  allemand  vulgaire,  d'allemand  judaïque, 
et  surtout  d'expressions  et  de  tournures  de  phrases  em- 
pruntées à  l'hébreu  tel  que  le  parlent  les  juifs  illettrés ,  ce 
qui  démontre  d'une  manière  à  peu  près  certaine  que  les 
juifs  en  sont  les  premiers  auteurs.  IMais  il  s'y  rencontre 
tant  d'idiotismes  allemands  détournés  de  leur  signification 
originelle,  tant  de  diminutifs  et  de  mots  défigurés  et  fabri- 
qués à  plaisir,  qu'il  serait  difficile  de  rétablir  leur  pro- 
nonciation et  leur  orthographe  primitives,  et  plus  difficile 
encore  de  les  écrire  convenablement. 

Quant  à  l'argot  français ,  c'est ,  dit  M.  Royer,  un  idiome 
du  hasard ,  qui  n'a  point  passé  par  l'alambic  des  Vaugelas, 
et  qui ,  à  travers  les  siècles ,  a  conservé  la  naïveté  de  son 
type  primitif.  Il  s'était  même  élevé,  au  quinzième  siècle, 
jusqu'au  ton  de  la  littérature  :  «  littérature  toujours  pitto- 
resque ,  et  plus  folle  et  grotesque  dans  les  expressions  et 
les  images  à  mesure  que  le  sujet  devient  plus  sombre  et 
plus  terrible ,  des  idées  de  cachots  et  de  supplices  traves- 
ties en  bouffonnerie,  un  vrai  carnaval  de  la  pensée,  oii  la 
mort  joue  toujours  un  rôle  de  folie.  »  {Les  Mauvais  Gar^ 
çons,  t.  II,  p.  381.)  —  Les  deux  Testaments  de  Villon, 
ainsi  que  son  jargon  et  ses  Repues  franches,  avaient  ob- 


AU(ÎOT 


tenu  l'ailiniration  de  Clénimt  Marot.  {Voyez  la  pn-facc  qu'il 
mit  on  UMe  de  son  édition  des  œuvres  de  cet  argotier  fa- 
meux ;  ibkl.  )  La  Lvgende  de  moitié  Pierre  Faifeu  ,  par 
l'argotier  Bourdigné,  n'est  pas  moins  curieuse.  (  Ibid.  ) 
Voyez  encore,  comme  fort  curieux  en  ce  genre  ,  la  Vie  gi'- 
nércitse  des  }fa(ois,  G  tiens,  Bofu'miens  et  Cagous,  con- 
tenant leurs /(Zfons  de  vivre,  subtilité  et  jargon,  par  Pé- 
chou  de  Ruby,  et  le  Jargon  ou  langage  de  l'argot  ré- 
forme comme  il  est  en  usage  à  présent  parmi  les 
bons  pauvres,  tiré  et  recueilli  des  plus  fameux  argo- 
tiers  de  ce  temps,  composé  par  un  pilier  de  boutanche, 
qui  maquille  en  molache  en  la  vergne  de  Tours,  publit5 
à  Troyes,  chez  Yves  Girardon,  IGfio.  M.  Royer,  dans  l'ou- 
vrage déjà  cité ,  a  recueilli  quelques  chansons  d'argot ,  du 
seizième  et  du  dix-septième  siècle ,  qui  offrent  plus  d'un 
genre  d'intérêt.  De  même  M.  Victor  Hugo,  dans  le  Der- 
nier jour  d'un  condatnné. 

Depuis  Villon  jusqu'à  Maurice,  surnommé  le  Béranger 
des  bagnes,  la  langue  argotique  n'a  subi  en  France  d'autres 
variations  que  celles  que  les  progrès  de  la  civilisation  im- 
priment successivement  à  toute  institution  humaine  ;  car  si 
les  cai-oiibeurs  de  nos  jours  parlent  encore  le  vieil  argot 
qu'employaient  les  coupe-bourses  d'autrefois,  les  tireurs 
tàshionables  qui  exploitent  l'Opéra,  la  Bourse,  Tortoni,  pim- 


795 


panfs,  musqués  Rentes,  frisés,  ancctent  le  parler  du  jour 
et  dédaignent  la  langue  classique  des  argotiers  vulgaires  Ce 
sont  les  romantiques  du  genre.  Aussi  le  goépeur  de  province 
qui  vient  chercher  de  Vouvrage  à  Paris  est-il  fort  emprunté 
d'ahord,  lorsqu'il  se  trouve  pour  la  première  fois  en  rapport 
d'affaires  avec  nos  pègres  h  la  mode,  habitué  qu'il  est  à  tra- 
vailler dans  un  genre  moins  comme  il  faut.  Mais,  pour  peu 
qu'il  soit  intelligent  et  montre  l'envie  de  bien  faire,  il  ne 
tarde  pas  à  se  mettre  à  la  hauteur,  tout  en  couvrant  du  voile 
apparent  de  la  balourdise  les  plus  fines  ruses  du  métier. 

Autrefois,  les  argotiers  de  la  capitale  tenaient  leurs  états 
généraux  et  procédaient  à  leurs  initiations  et  à  leurs  mystères 
dans  la  cour  des  Miracles,  aux  cours  Ragot,  ou  dans  la  forêt  du 
Bourget.  (\oyez  yotre-Damc  de  Paris,  les  Mauvais  Gar- 
çons, les  Truands,  etc.).  Aujourd'hui  les  démolitions  les 
chassent  de  leurs  anciens  repaires,  mais  ils  en  trouvent  bien 
de  nouveaux,  un   peu  plus  loin ,  dans  quelque  Californie 
des  anciennes  barrières  ou  des  nouvelles  portes  de  Paris, 
dans   qiiehpics  carrières  abandonnées  et   rnéme   sous  les 
ponts  en  foule ,  où  l'on  en  a  vu  se  loger  en  garni. 
Voici  quelques-uns  des  verbes  et  substantifs  en  usage  dans 
la  langue  des  filous  français.  Ils  suffiront,  je  pense,  pour  in- 
diquer ce  que  l'argot  renfenne  d'expressions  ingénieuses, 
souples,  énergiques,  pittoresques  : 


Année 

Argent 

Argent  (pièce  d'}.  ,  . 

Arrêter 

Aisassin 

Assises  (  la  cour  d'  ), . 
.\Tocat  général.    .  ,  . 

-avouer 

Bagne 

Bas 

Bas  de  soie 

Boire 

Bottes 

Bourse 

Batiu 

Café  (grand) 

Café  (  petit) 

Casqaette 

Cave 

Chapeau. 

Chapeau  àtrois  cornes 

Chemise 

Clé 

CcEur 

Commissaire 

Condamnation.     .  .  . 

Culotte 

Déraisonner,  .  .   .  .   . 

Dents 

Diamant. ....... 

Doigts 

Dormir 

Ean 

Eau-de-vie 

Eau-dc-Tie  l"  qualité. 

Écrire 

Enfant 

Ennai 

Épée 

Épingles 


LotiQe, 
Balle 

Mousseline. 
Enflaquer,  emballer. 
Escarpe. 

/.ajuste,  la  cigove. 
Crnnd  bêcheur. 
Torlitler. 
Pré. 
Tii-ant. 

Tirant  radouci. 
Pictonner  ,  pilancher. 
Tuyaux  de  poêle. 
Filoche. 
Chopin. 
liocurd. 
Docard  panne. 
Casque  il  auvent 
Profonde. 
Cambriau. 
Cambriau  ga.'.uché. 
Limace. 
Tournante, 
Palpitant. 
Çuart-d'œil. 
Cerbcment, 
Culbulie. 
Paiitlonner, 
Dominos, 
Râpes  d'Orient, 
ytrpions. 
Roupiller. 
Lance. 

Pivoi  y  eau  d'aff. 
Pivoi  non  maquillé. 
Graillonner. 
Môme.  Cosselin. 
Morasse, 
Flamberge, 
Piquantes. 


Évasion 

Fansse-clé 

Femme    de    mauvaise 

vie  de  premier  ordre. 

Femme  de  mauvaise  v. 

Fou 

Frère 

Galères 

Garde  (crier  à   la).  . 

Gendarme 

Ilardes 

Ivrogne 

Ivrognes  (  voler  les  ). 


Crampe,  Cavalle. 
Caroube. 


.ïambes. 


Langue 

I.il)éré  de  galères.  .  . 

Libéré  de  réclusion.  . 

Lit 

Lune 

Maison 

Slanger 

Matelas 

Melon 

Jlenottes 

Miroir 

!Montrc 

Mort  (la) 

.Mouchard  de  la  bri- 
gade de  sûreté.    .  . 

Mouchard  sergent  de 
ville 

Kaïf,  naivclé 

Nuit 

OEil 

Oreille 

Ouvrir 

l'aille 

l'ain  l>lanc 


Gironde. 

Largue. 

Pavillon. 

Frangin. 

Àu  dur. 

Cribler  à  la  grive. 

Cogne,  grive. 

Frusques. 

.Marquant, 

Travailler    sur    les 

marquants. 
Quilles,    fumerons, 

fils  de  fer. 
Menteuse,  chiffon. 
Un  fagot. 
Cotret,  falourde. 
Pieu. 

Moucharde. 
Toile. 
Torlitler. 
Galettes. 
Boulet  à  queue. 
Tar  touffes. 
Tiembroquant. 
Toquante,  bogue. 
La  cartine. 

Ptousse  à  l'arnache. 


r.ousse  à  la  flan. 
Loffe,  Loffitude. 
Sorgue, 

Chasse  ou  miretle. 
Esgourne  ou  hoche, 
Déboucler, 
Plume  de  Jleauce. 
Larlon  savonné. 


Pain  bis 

Papier. 

Paquet 

Partafier  un  vol.  .  .  , 

Partir,  sortir 

Patrouille 

Pipe 

Pleuvoir,  pleurer.  .  . 

Plomb 

Plume 

Poche 

Police. 

Porte 

Regarder,  jeter  un  re- 
gard. 


Révéler 

Sage-Femme 

Sang 

Sœur 

Sortie  du  spectacle.   , 

Soulier 

Souliers  à  bon  marché. 

Tiroir 

Travail  honnête,  tra- 
vailler  

Tuer 

Usurier,prêterà  usure. 

Vagabond 

Vendre 

Vieillard 

vin 

Vol 

Voler . 


Voler  avec  violence. 

Voleur 

Voleur  de  t"  ordre. 


Larton  brutal, 

Fafliat. 

Baluchon, 

Fader, 

Décarrer, 

Patraque. 

Bouffarde. 

Lansquiner. 

Gras-double. 

Brodeuse. 

f'alade. 

Cuisine. 

Lourde. 

v4llumer,  reluquer, 
rembroquer ,  trim- 
baler  les  chasses  ou 
en  commission. 

Manger  le  morceau. 

Tire-monde, 

Saisine. 

Frangine. 

Décarre. 

Passif,  piffe. 

Philosophes.' 

Flaquot, 

Goupinage,  goupiner. 
Étourdir. 
Carcagnio  ,    carca' 

gnioter. 
Goépeur. 
Fourrailler, 
f'ioc. 
Picton. 
Ouvrage. 
Travailler,  grincMr, 

être  en  ouvrage. 
Marcher  à  Vescarpe, 
Pègre,  grinche. 
Affranchi. 


La  langue  argotique  n'est  pas  tellement  riche  qu'elle 
puisse  traduire  chaque  mot  de  la  langue  française  par  un 
mot  correspondant;  mais  quand  on  veut  exprimer  un  mot 
en  argot,  et  qu'on  ne  lui  connaît  pas  de  signification  propre, 
on  le  syncope  avec  la  terminaison  mare;  par  là  il  s'argotisc 
et  devient  inintelligible,  surtout  lorsqu'il  est  noyé  au  milieu 
d'autres  mots  plus  inintelligibles  encore.  Ainsi ,  j'ignore  le 
nom  d'un  perruquier,  c'est-à-dire  comment  on  appelle  cette 
pro''ession  en  argot,  je  dirai  :  perruquemare,  etc. 

Les  prépositions,  les  articles  et  les  adveibcs  sont  les  mô- 
mes qu'en  français.  La  synfaxe  est  également  la  même,  en 
ce  sens  que  les  phrases  argotiques  sont  généralement  cons- 
truites conformément  aux  règles  de  la  grammaire  française. 
Ainsi,  pour  annoncer  que  Vinspecteur  général  des  prisons 


de  Paris  est  e;i^>T'dans  in.  chambre,  l'habitant  de  la  Force 
ou  de  Bicêtre  dira  :  le  grand  Condé  des  collèges  de  Pan- 
tin est  enquillé  dans  ma  toile.  Ainsi  encore,  lorsque  l'as- 
sassin sous  les  verrous  s'enorgueillira,  au  milieu  de  quelques 
escarpes  de  bas  étage,  du  fiant  fait  qui  lui  vaudia  les  pal- 
mes de  la  butte  (guilioline),il  prononcera,  avec  une  joie  fé- 
roce, ces  épouvantables  mots  ;  l'abbaye  de  monte-à-regret 
m'attend;  qîi'on  me  fauche  le  colas...,  'fui  fait  suer  le 
chêne  sur  le  grand  trimard  (la  guillotine  m'attend  ;  qu'on 
me  coupe  le  cou  ;  j'ai  assassiné  sur  le  grand  chemin). 

Un  glossaire  de  la  langue  argotique  serait  aussi  utile  que 
curieux.  En  Allemagne,  la  connaissance  pratique  de  cette 
langue  est  pour  le  légiste  chargé  de  la  police  judiciaire  le 
fi!  conducteur  à  l'aide  duquel  il  marche  d'un  pas  assuré  au 

100. 


706 


ARGOT  —  ARGOUT 


milieu  du  dédale  de  difficultés  et  de  ruses  qui  résulte  pour 
lui  de  l'arrestation  d'une  bande  de  voleurs.  Aussi  les  magis- 
trats  qiie  leurs  fonctions  mettent  journellement  en  rapport 
avec  ces  misérables  sont-ils  depuis  longtemps  dans  l'habi- 
tude de  consulter,  comme  un  manuel  indispensable,  une 
espèce  de  vocabulaire  ou  de  grammaire  composée  pour  eux, 
à  diverses  époques ,  de  conversations  tenues  ou  de  commu- 
nications faites  par  des  voleurs  auxquels  on  a  acheté  le  secret 
de  leur  langage. 

^ous  n'a\t)ns  eu  longtemps  d'autre  Dictionnaire  a  Argot 
que  oAm  que  publia  Granval,  à  la  fin  de  son  poénic  de 
Cartouche,  ou  le  Vice  puni.  Cet  ouvrage  fut  réimprimé 
en  1827;  mais,  inexact  et  incomplet  qu'il  est,  il  ne  peut  que 
donner  des  notions  im[)arfaites  et  souvent  fautives  sur  des 
locutions  qu'il  présente  comme  habituelles  et  familières  au- 
jourd'hui, tandis  qu'elles  sont  plus  que  surannées,  ou  tout 
à  fait  tombées  en  désuétude.  Un  grand  maître  en  cette  ma- 
tière, le  fameux  V  i  d  o  cq,  fut  chargé  en  1 S 19  par  le  préfet  de 
police  d'alors  de  faire  un  dictionnaire  de  la  langue  argo- 
tique. Son  travail  fut  remis  en  manuscrit  à  M.  Angles.  L'au- 
teur l'aura  vraisemblablement  utilisé  pour  la  rédaction  du 
livre  qu'il  publia  en  1837  sous  ce  titre  :  Les  Voleurs,  p/nj- 
siologie  de  leurs  mœurs  et  de  leur  langage,  et  où  l'or. 
trouve  un  glossaire  à  peu  près  complet  de  la  langue  argo- 
tique. On  peut  aussi  consulter  sur  cette  matière  tous  no. 
chroniqueurs,  romanciers  et  dramaturges  modernes  qui  se 
sont  voués  il  l'élude  du  hideux,  et  qui,  pour  mieux  noi:--; 
initier  aux  mystères  de  la  vie  de  bandit,  en  emprunter '. 
jusqu'au  langage.  .M.  Francisque  .Micliel  a  fait  paraître,  en 
1856,  une  Etude  di!- philologie  comparée  sur  l'argot  et 
sur  les  idiomes  analogues.        Moreac-Curistophe. 

ARGOULETS  ou  .\RXAL'TES.  Ce  nom  leur  serait-il 
venu  de  ce  qu'ils  auraient  été  généralement  composés  dans 
le  principe  de  Grecs  de  VArgolide?  Ce  n'est  pas  l'opinion 
de  Ménage,  qui  fait  dériver  leur  nom  d'arcus,  arc.  Les  ar- 
goulets  paraissent  pour  la  première  fois  sous  Louis  XI  dans 
la  milice  française.  Il  en  est  admis  deux  mille  en  1499. 
«  C'étaient,  dit  un  écrivain  de  l'époque,  des  corps  étran- 
gers levés  à  l'imitation  des  chevau-légers  de  la  milice  véni- 
tienne et  qui  combattaient  en  fourragcurs.  » 

Montluc  est  un  des  premiers  auteurs  qui,  en  1592,  fassent 
mention  de  cette  troupe.  Les  argouleîi  français  portaient  une 
escopette  et  un  pistolet  ;  ils  se  sont  aussi  servis  de  targons 
ou  grandes  larges.  Ils  avaient,  comme  les  stradiots,  une 
banderole  pour  étendard.  Suivant  Montgommery,  ces  deux 
troupes  étaient  vêtues  à  peu  près  de  même,  ayant  le  cabas- 
set  ou  chapel  pour  coiffure,  combattant  avec  l'arquebuse  à 
rouet  et  se  servant  d'une  masse  d'armes  portée  à  l'arçon 
gauche.  Toutes  deux  ont  servi  de  concert  avec  les  arquebu- 
siers à  cheval ,  qui  en  lurent  une  imitation. 

Le  mot  argoulet  devint  un  terme  de  mépris  sous  Char- 
les IX  ;  et  l'histoire  cesse  de  mentionner  cette  troupe  depuis 
la  bataille  de  Dreux  en  1562.  Les  argoulets  se  fondirent  dans 
les  régiments  lorsqu'on  en  forma,  et  les  carabins,  succédant 
dans  l'armée  française  aux  argoulets ,  en  firent  oublier  le 
nom.  En  souvenir  de  leurs  armes  à  feu ,  les  Liégeois  ap- 
pellent encore  argoulets  des  fusils  de  pacotille,  fort  en  usage 
jadis  dans  la  traite  des  nègres. 

ARGOUT  (Apollinaire-Antoine-^Ialrice,  comte  d'),  né 
le  28  août  1782  à  "S'essilieu  (Isère),  débuta,  à Vàge  de  vingt- 
deux  ans ,  dans  l'administration  des  droits  réunis  par  un 
emploi  des  plus  modestes  ;  mais  son  avancement  y  fut  ra- 
pide. Dès  1811  nous  le  retrouvons  receveur  principal  à  An- 
vers, puis  auditeur  au  conseil  d'État.  La  Restauration  le  sur- 
prit sur  ce  premier  échelon  du  pouvoir  ;  et  le  zèle  exalté 
qu'il  témoigna  tout  aussitôt  pour  le  nouveau  gouvernement, 
le  mépris  et  la  haine  qu'il  al'fecta  en  toute  occasion  pour  le 
pouvoir  qui  venait  de  tomber,  l'exploitation  habile  de  pré- 
tentions à  se  faire  classer  dans  la  plus  haute  noblesse,  lui 
eurent  bientôt  fait  faire  une  fprtuiie  brillante  sous  les  Bour- 


bons de  la  branche  atnée.  Nommé  successivement  maître 
des  requêtes  et  préfet ,  M.  d'Argout  dans  l'administration 
du  département  des  Basses-Pyrénées,  qui  lui  fut  confiée, 
trouva  moyen  de  se  faire  remarquer  par  l'exaltation  de  son 
zèle  bourbonien  ,  qui  égala  le  zèle  napoléonien  qu'il  avait 
montré  sous  l'empire,  et  qui  laissa  de  beaucoup  en  arrière 
celui  dont  à  cette  époque  tous  les  autres  préfets  firent 
preuve  à  l'envi.  Il  en  fut  récompensé  par  de  l'avancement, 
et  passa  bientôt  aune  préfecture  beaucoup  plus  importante, 
celle  du  département  du  Gard.  C'était  vers  la  fin  de  1815. 

Le  vent  ayant  alors  tourné  à  une  espèce  de  modération, 
M.  d'Argout,  habile  à  profiter  des  circonstances,  se  donna 
le  facile  mérite  d'empêcher  une  populace  fanatisée  de  con- 
tinuer à  égorger  les  protestants  au  nom  de  la  religion  ca- 
tholique, et  répara  ainsi  les  fautes  commises  dans  l'adminis- 
tration de  ce  département  par  son  prédécesseur,  M.  d'Ar- 
baud.  Quand  l'opposition  de  la  chambre  des  pairs,  en  18 19,  A 
força  le  ministre  favori  de  Louis  XVIII  à  changer  la  majo-  I 
rite  de  cette  assemblée  par  une  création  de  nouveaux  pairs, 
M.  d'Argout  fut  compris  par  M.  Decazes  dans  cette  four- 
née. Dans  les  idées  de  la  Restauration,  M.  d'Argout,  une 
fois  pair  de  France,  ne  pouvait  plus  occuper  d'autres  fonc- 
tions publiques  que  celles  de  ministre  ou  d'ambassadeur  : 
la  chute  du  parti  Decazes ,  dont  il  était  devenu  l'une  des  co- 
lonnes, le  condamna  par  conséquent  à  l'obscurité  et  à  l'ou- 
bli pendant  les  neuf  dernières  années  de  la  Restauration.  On 
peut  voir  à  l'article  Juillet  (Révolution  de)  le  rôle  qu'il 
joua  dans  ces  fameuses  journées. 

Î\I.  d'.\rgout,  nous  devons  le  reconnaître,  fut  alors  £&rt 
habile.  En  effet,  si  les  propositions  d'accommodement  dont 
il  était  porteur  au  nom  du  roi  Charles  X  avaient  été  accep- 
tées, qui  ne  comprenl  tout  le  parti  qu'il  eût  tiré  de  son  in- 
tervention dans  ces  circonstances  critiques,  décisives ,  où  il 
aurait  eu  la  gloire  de  conserver  la  couronne  à  la  branche 
aînée.'  Mais  il  était  trop  tard  ;  M.  d'Argout  le  comprit  à 
merveille.  Aussi  eut-il  hâte  de  prêter  son  appui  et  d'offrir 
ses  serments  au  nouveau  pouvoir  issu  des  barricades  ;  et  ce 
qui,  dans  une  hypothèse,  eût  été  l'acte  du  dévouement  le 
plus  pur  et  le  plus  courageux  à  l'auguste  famille  de  ses 
rois  ne  fut  donc  plus  de  sa  part  que  le  résultat  de  l'indi- 
gnation que  lui  avait  fait  éprouver  la  parjure  violation  du 
grand  pacte  national,  que  le  désir  de  faire  cesser  l'effusion 
du  sang  français,  qu'un  hommage  à  la  vertu  héroïque  des 
immortels  combattants  de  juillet  ! 

Homme  d'affaires  (  nous  n'aurions  garde  de  dire  homme 
d'État,  car  il  n'en  avait  pas  les  qualités),  pratique,  po- 
sitif, 51.  d'Argout,  par  ses  conseils,  fut  très-utile  au  nou- 
veau gouvernement,  qui  dès  le  18  novembre  1830  lui 
confia  le  portefeuille  de  la  marine;  et  juscpi'en  183ion  ie 
vit  constamment  à  la  tète  de  l'administration,  passant  succes- 
sivement du  ministère  de  la  marine  à  ceux  de  la  justice,  du 
commerce  et  des  travaux  publics,  puis  de  l'intérieur,  agrandi 
des  cultes.  En  1S3G  il  fut  même  fait  ministre  des  finances, 
et  à  cette  occasion  il  se  montra  l'adversaire  obstiné  de  la 
réduction  de  la  rente  et  de  toute  augmentation  des  droits 
perçus  sur  la  fabrication  du  sucre  indigène. 

Présenter  ici  le  tableau  complet  des  actes  politiques  et 
administratifs  de  M.  d'Argout  depuis  1830,  ce  serait  en  quel- 
que sorte  faire  l'histoire  du  règne  de  Louis-Philippe.  Bor- 
nons-nous à  dire  que  M.  d'Argout  obtint  dans  le  gouver- 
nement de  la  Banque  de  France  cette  douce  sinécure  ea 
même  temps  que  cette  haute  position  financière  auxquelles 
lui  donnaient  droit  son  dévouement  sans  réserve  aux  Bour- 
bons de  la  branche  cadette,  ainsi  que  les  services  qu'en 
sa  qualité  de  ministre  des  finances  il  avait  eu  occasion  de 
rendre  aux  loups  cerviers.  La  révolution  de  Février  n'eut 
garde  de  le  troubler  dans  ses  fonctions  :  les  premiers 
ministres  des  finances  de  celte  époque  avaiejit  trop  besom 
de  lui,  dans  leur  inexpérience,  pour  s'en  faire  un  cnnenii. 
On  se  souvient  avec  quelle  méticuleuse  prudence  l'établis- 


ARGOUT  —  ARGUELLES 


707 


sèment  que  dirigeait  M.  d'Argout  resserra  alors  ses  opéra- 
tions. Il  n'en  oblint  pas  moins  du  gouvernement  provisoire 
le  cours  forcé  des  billets  de  banque  et  ras;f;louioration  de 
tantes  les  banques  en  une  seule.  Le  comptoir  national  d'es- 
compte reçut  seulement  une  souscription  de  200,000  francs. 
La  Banque  borna  ses  sacrifices  à  quelques  prêts  faits  à 
l'État  ou  à  nos  principales  villes  :  aussi  la  vil-on  changer 
sa  destination,  et  d'un  élablissement  de  crédit  devenir  une 
caisse  de  dépôt,  dont  les  caves  élaient  encombrées  d'un 
capital  iiivjiroductif.  Au  mois  de  décembre  1851,  M.  d'Ar;;otit 
fut  appelé  à  la  commission  consultative,  et  bientôt  au  sénat.  Il 
était  déjà  et  resta  membre  de  la  commission  municipale. 
Le  10  juin  1837,  sa  démission  de  gouverneur  de  la  Banque 
de  France  lut  acceptée,  et  il  mourut  à  Paris  le  15  janvier 
1858.  Depuis  le  17  février  1844  il  était  membre  libre  de  }'.\- 
cadémiedes  Sciences  morales  et  politiques.  Il  était  en  outre 
grand'croix  de  la  Légion  d'honneur. 

Un  de  ses  fils,  M.  Maurice  d'Argoct,  est  receveur  gé- 
néral de  la  Côte  d'Or  et  régent  de  la  Banque.  " 

AltGOVIE  (Canton  d').  Ce  canton,  qui  se  divise  en 
onze  districts,  et  qui  a  pour  chef-lieu  Arau  ou  Aarau,  est 
un  des  plus  grands  et  des  plus  fertiles  de  la  Suisse  ;  il  est 
borné  au  nord  par  le  Rhin ,  qui  le  sépare  du  grand-duché 
de  Bade;  à  l'est  par  les  cantons  de  Zurich  et  de  Zug  ,  au 
sud  par  celui  de  Lucerne ,  à  louest  par  ceux  de  Bâle,  de 
Soleare  et  de  Berne;  sa  superficie  est  évaluée  à  1,386  kilo- 
mètres carrés.  Il  comprend  l'ancienne  Argovie  bernoise , 
les  bailliages  libres ,  le'  co.mté  de  Badcn ,  le  Frichtchal  et 
les  deux  villes  forestières  de  Rbeinfeldcn  et  de  Laufen- 
bourg,  et  est  arrosé  par  le  Rhin  ,  l'Aar,  la  Reuss  et  la 
Limmat,  qui  sont  tous  navigables.  Le  lac  Haltuyl,  qui  a  8  ki- 
lomètres de  long  sur  deux  de  large ,  et  qui  est  très-poisson- 
neux ,  le  baigne  dans  sa  partie  méridionale.  Le  climat  de 
ce  canton,  dont  la  population  est  de  182,800  habitants 
(80,0C0  catholiques,  2,000  juifs,  le  reste  protestants), 
est  très-varié  ;  le  Jura  en  couvre  la  partie  occidentale  de 
chaînons  peu  élevés  dont  les  points  culminants  ne  dépas- 
sent pas  891  mètres;  le  reste  est  entrecoupé  de  plaines  et 
de  collines  fertiles  en  grains  et  en  pâturages  ;  la  culture  y 
est  très-soignée  ;  on  y  récolte  des  céréales  de  toute  espèce , 
des  fruits,  du  vin,  etc.  Les  montagnes  entièrement  boisées 
forment  environ  35,000  hectares  de  forêts  en  chênes,  hêtres, 
pins  tt  sapins.  On  y  engraisse  des  bestiaux  et  le  gibier 
y  abonde  ;  le  sol  renferme  des  mines  de  fer,  de  la  houille , 
de  la  tourbe;  on  y  exploite  le  calcaire,  le  gypse,  l'alliàtre 
et  le  grès.  11  y  a  des  lavages  d'or  très-peu  importants  sur 
l'Aar,  de  nombreuses  sources  minérales  et  des  bains  renom- 
més ,  dont  les  plus  célèbres  sont  ceux  de  Baden  et  de 
Schiuznach.  L'industrie  y  est  active  :  on  y  fabrique  des 
tissus  de  coton ,  de  soie ,  de  fil ,  des  chapeaux  et  autres 
ouvrages  en  paille.  On  ea  exporte  des  céréales ,  des  fruits , 
des  bestiaux  et  des  tissus. 

Le  canton  forme  une  république,  avec  gouvernement 
représentatif.  Les  pouvoirs  législatif,  exécutif  et  judiciaire 
sont  séparés;  aucune  fonction  n'est  conférée  à  vie  :  le  prin- 
cipe de  la  liberté  de  conscience  et  de  culte  est  consacré  ; 
tout  citoyen  ou  suisse  habitant  le  canton  est  sujet  au  service 
militaire  ;  toute  propriété  est  soumise  à  l'impôt;  les  citoyens 
jouissent  de  leurs  droits  politiques  à  vingt-cinq  ans;  les  capi- 
tulations militaires  avec  l'étranger  sont  interdites. 

La  représentation  nationale  réside  dans  le  Grand-Conseil 
(Grosse-Ralh),  composé  de  deux  cents  membres,  moitié 
catholiques,  moitié  réformés,  élus  pour  six  ans  :  cent  quatre- 
vingt-douze  membres  sont  nommés  par  les  assemblées  élec- 
torales etélisent  eux-mêmes  les  huit  autres.  Ce  conseil  exerce 
le  pouvoir  législatif,  surveille  les  administrations,  et  nomme 
les  députés  à  la  diète  fédérale.  Il  élit  son  président  et  s'as- 
semble deux  fois  par  an. 

Le  pouvoir  exécutif  et  la  haute  administration  centrale 
résident  dans  le  petit-conseil  ou  la  régence  {klc'me-ralh , 


regierung  ),  composé  de  huit  membres  (  quatre  catholiques 
et  quatre  réformés)  et  d'un  président,  nommés  pour  six  ans 
par  le  grand-conseil  et  pris  parmi  ses  membres.  Le  prési- 
dent de  la  régence  porte  le  titre  de  landamman. 

Sous  le  rapport  administratif,  le  canton  est  divisé  en 
bezirks  ou  arrondissements ,  dont  l'administrateur  civil  est 
clwisi  par  la  régence  pour  six  ans  parmi  les  citoyens  du 
bcz'irk.  Li  haute  cour  de  justice  (  Ober-Gericht  ) ,  composée 
de  neuf  membres  ,  juge  en  dernier  ressort.  Dans  chaque 
betirk  il  y  a  un  tribunal  de  première  instance.  Deux  comité», 
l'un  catholique ,  l'autre  réformé,  sont  chargés  de  l'adminis- 
tration des  cultes.  Le  canton  dépend  sous  le  rapport  religieux 
de  l'évêché  catholique  de  Bâle.  Il  renferme  trois  chapitres 
collégiaux,  quatre  couvents  d'hommes  avec  cent  treize  reli- 
gieux, et  quatre  couvents  de  femmes  avec  quatre-vingt-sept 
religieuses.  Les  juifs  ont  deux  rabbins.  Il  y  a  dans  le  canton 
une  école  industrielle ,  et  une  école  normale  ;  dans  chaque 
bezirk  une  école  élémentaire  supérieure ,  et  dans  chaque 
paroisse!  une  école  primaire. 

ARGUE,  machine  servant  à  dégrossir  les  lingots  d'or, 
d'argent  ou  de  cuivre  qui  doivent  ensuite  passer  pai  des 
filières  plus  fines. 

On  donne  aussi  ce  nom  aux  ateliers  établis  par  le  gouver- 
nement et  garnis  de  tous  les  ustensiles  propres  à  l'étirage  des 
matières  d'or  et  d'argent.  Il  n'existe  que  trois  établissements 
de  ce  genre  :  à  Paris,  à  Bordeaux  et  à  Lyon.  Les  tireurs 
d'or  sont  tenus  d'y  porter  leurs  lingots  pour  qu'ils  y  soient 
dégrossis ,  marqués  et  tirés ,  aucun  particulier  ne  pouvant 
avoir  en  sa  possession  des  outils  ou  instruments  propres  au 
service  des  argues  impériales,  sous  peine  de  confiscation 
et  d'une  amende  de  3,000  francs.  Les  tireurs  d'or  et 
d'argent  qui  portent  leurs  lingots  ailleurs  qu'aux  argues 
impériales  encourent  les  mêmes  peines,  quoique  le  lingot, 
dans  l'état  où  il  est  saisi,  puisse  subir  des  opératioTis 
étrangères  à  l'argue  (C.  cass.,  12  juill.  1817).  Cependant 
les  fabricants  de  cuivre  affiné  peuvent  avoir  des  argues  par- 
ticulières, à  la  charge  d'en  faire  la  déclaration  à  la  pré- 
fecture, à  l'administration  des  monnaies  et  à  celle  des 
contributions  indirectes ,  mais  seulement  pour  leur  usage. 
Ces  fabricants  sont  alors  soumis  aux  visites  des  employés 
des  deux  administrations.  ^ 

ARGUELLES  (Augustin)  ,  né  en  1775  à  Ribadasella, 
dans  les  Asturies ,  étudia  à  Oviédo,  où  il  se  distingua  par  ses 
dispositions  heureuses  et  par  la  vivacité  de  son  imagination. 
Ses  études  une  fois  terminées,  il  obtint  un  emploi  à  Madrid 
au  secrétariat  de  la  interpretacion  de  las  lenguas.  Il  se 
trouvait  à  Cadix  en  1808 ,  au  moment  oii  éclata  la  guerre 
de  l'indépendance ,  et  fut  élu  par  sa  province  député  aux 
Cortès  de  1812  à  1814.  11  y  fut  attaché  à  la  commission 
chargée  d'élaborer  un  projet  de  constitution  nouvelle,  et  elle 
lui  confia  la  mission  de  rédiger  un  rapport  demeuré  célèbre 
dans  les  fastes  parlementaires  de  l'Espagne.  Son  talent 
excita  parmi  les  libéraux  une  admiration  telle,  qu'ils  lui 
décernèrent  le  surnom  de  divin  en  même  temps  que  celui 
de  Cicéron  espagnol.  Au  retour  de  Ferdinand  VII  dans  ses 
États,  Arguelles  fut  lune  des  victimes  de  la  réaction.  Arrêté 
et  chargé  de  chaînes  le  10  mai  1814,  il  montra  tant  de 
présence  d'esprit  dans  les  différents  interrogatoires  qu'on 
lui  fit  subir,  que  le  tribunal,  bien  que  renouvelé  en  entier 
à  cinq  reprises ,  ne  put  jamais  tomber  d'accord  et  prononcer 
de  jugement.  Le  roi  finit  par  évoquer  la  cause  ;  il  s'en  fit  le 
seul  juge ,  et  écrivit  en  marge  du  dossier  :  «  Dix  ans  dans 
le  presidio  de  Ceula.  »  En  s'y  rendant,  il  fut  interdit  à 
Arguelles  de  se  procurer  la  moindre  commodité;  mais  il 
n'avait  pas  besoin  de  cette  défense  pour  refuser  les  secours 
en  argent  qui  lui  furent  offerts  par  (pielqucs  Anglais,  à  qui 
il  réjjondit  ([u'il  ne  voulait  rien  accepter  de  sujets  d'ini  gou- 
vernement qui,  au  mépris  de  ses  promesses  les  plus  solen- 
nelles, n'avait  pas  assisté  l'Espagne  dans  la  conquête  de  ses 
libertés.  Le  roi  avait  condainné  en  môme  temps  qu'Arguelles 


708 

quatorze  autres  individus  prévenus  tous  du  même  délit, 
l'amour  de  la  liberté,  entre  autres  Juan  Alvarez  Guerra,  son 
intime  ami.  De  Ceuta  ils  furent  transportés  plus  tard  à 
Alcudia,  dans  Tile  de  IMajorque,  lieu  que  rend  presque 
inhabitable  l'air  malsain  qu'on  y  respire.  Us  y  furent  l'objet 
d'un  traitement  tellement  rigoureux ,  que  dans  re?;pace  de 
quatre  années  il  y  en  eut  trois  qui  moururent  et  trois  qui 
perdirent  la  raison.  Les  autres,  au  moment  où  la  révolu- 
tion de  1820  leur  rendit  la  liberté,  étalent  plus  ou  moins 
gravement  malades. 

.\rguelles  fut  nommé,  cette  année-là  ,  ministre  de  l'inté- 
rieur ;  mais  le  roi,  dans  son  discours  d'ouverture  des  Cortos, 
le  l'^''  mars  1821 ,  s'étant  plaint  de  la  faiblesse  du  pouvoir 
exécutif,  il  donna  sa  démission.  Quoique  les  souffrances 
qu'il  avait  endurées  eussnnt  dû  l'irriter,  Arguelles  ne  se  rat- 
tacha jamais  aux  factions  extrêmes.  Il  fit ,  au  contraire , 
partie  des  Ani Héros  ou  modérés,  et  demeura  constam- 
ment dévoué  à  la  constitution  de  1813.  Le  l*^"  juin  1823, 
dans  la  séance  des  Cortès  tenue  à  Séville,  il  vota  pour  la 
suspension  du  pouvoir  royal.  Après  le  renversement  de  la 
constitution,  il  se  réfugia  en  Angleterre,  où  il  resta  jusqu'à 
ce  que  l'amnistie  de  1832  lui  eût  rouvert  les  portes  de  l'Es- 
pagne. Lors  de  la  publication  de  VEstatudo  real,  Arguelles 
fut  nommé  député  aux  Cortès ,  à  la  suite  d'ime  souscription 
volontaire  ouverte  par  ses  électeurs  à  l'effet  de  lui  assurer 
le  revenu  de  12,000  réaux  fixé  par  la  constitution  nouvelle 
comme  condition  d'éligibilité.  Arguelles  fut  porté  à  diverses 
reprises  à  la  présidence  et  à  la  vice-présidence  de  la  chambre 
des  procuradores,  et  s'y  montra  constamment  le  défenseur 
des  idées  libérales ,  sans  pour  cela  faire  cause  commune 
avec  les  exaltàdos.  Dans  la  discussion  qui  s'ouvrit  au  mois 
de  juillet  1S41  sur  la  vente  des  biens  du  clergé,  il  se  pro- 
nonça contre  toute  espèce  de  concordat  avec  la  cour  de 
Rome.  Lors  de  l'élection  d'un  régent ,  ce  (ut  lui  qui ,  après 
Espartero,  obtint  le  plus  grand  nombre  de  voix  (103  con- 
tre 179);  et  à  peu  de  temps  de  là  il  fut  nommé  à  180  voix 
tuteur  de  la  jeune  reine  Isabelle  et  de  sa  sœur. 

La  révolution  de  1843  le  trouva  encore  à  ce  poste,  qu'il 
dut  céder  provisoirement  au  duc  de  Baylen.  La  capitale  ne 
l'en  choisit  pas  moins  pour  représentant  le  22  janvier  1844  ; 
mais  ses  jours  étaient  comptés ,  et  il  mourut  d'une  attaque 
d'apoplexie  le  23  mars  suivant ,  à  Madrid,  La  reine  d'Espa- 
gne lui  a  fait  élever  un  nionurueiil. 

On  a  reproché  à  Arguelles  un  grand  nombre  de  faiblesses  ; 
entre  autres,  une  vanité  à  toute  épreuve,  provoquée  et 
nourrie  peut-être  chez  lui  par  l'espèce  d'apothéose  que  ses 
concitoyens  lui  ont  décernée  de  son  vivant.  Quoiqu'il  fût 
impossible  de  le  ranger  au  nombre  des  véritables  hommes 
d'État ,  on  ne  pouvait  nier  qu'il  possédât  un  des  talents 
parlementaires  les  plus  remarquables  de  notre  époque  ,  de 
même  qu'il  fut  l'un  des  hommes  politiques  les  plus  cons- 
ciencieux et  les  plus  honnêtes  qui  se  produisirent  au  milieu 
des  discordes  civiles  de  l'Espagne.  11  ne  faut  pas  le  confondre, 
comme  on  l'a  fait  maintes  fois,  avec  Canga-.\rguelles. 

ARGUAIEKT  (  du  latin  arguere,  préciser  ).  On  appelle 
ainsi,  en  rhétorique  et  en  logique,  une  conséquence  tirée 
de  prémisses  d'une  vérité  incontestable  ou  du  moins  extrê- 
mement probable.  Les  arguments  qu'emploie  un  orateur  re- 
çoivent une  dénomination  particulière  ,  d'après  les  topiques 
desquels  ils  sont  tirés.  C'est  ainsi  qu'il  y  aies  argmnents  de 
sentiment,  intéressant  les  passions  de  celui  auquel  ils 
s'adressent  ;  les  arguments  a  tuto,  ad  ignaviam,  ab  in- 
vidia,  etc. 

Suivant  Locke,  nous  employons  ordinairement  quatre 
genres  d'arguments.  Le  premier  consiste  à  alléguer  les 
opinions  d'hommes  à  qui  leur  savoir,  leur  puissance  ou 
leur  haute  position  dans  le  monde,  ou  encore  toute  autre 
cause ,  ont  valu  l'estime  générale  en  même  temps  qu'une 
espèce  d'autorité  :  c'est  l'argument  ad  verecundiam.  Un 
second  mode  consiste  à  exiger  de  ses  a<lvcr>nires  qu'ils  ad- 


ARGUELLES  —  ARGUS 


mettent  la  vérité  de  ce  qu'on  leur  dit  être  une  preuve,  ou 
qu'ils  en  donnent  une  meilleure  :  c'est  l'argument  ad  igno- 
rantiam.  Un  troisième  mode  consiste  à  presser  un  homme 
avec  des  conséquences  tirées  soit  de  ses  propres  principes 
soit  de  ses  propres  concessions  :  c'est  l'argument  ad  ho- 
minem.  Quatrièmement,  les  preuves  d'usage,  tirées  de 
quelques-unes  des  bases  de  la  science  ou  de  la  probabilité: 
c'est  l'argument  ad  jndichnn  ,  le  seul  des  quatre ,  ajoute 
Locke,  qui  soit  vraiment  instructif  et  qui  nous  aide  à  avancer 
vers  la  science.  Car  1°  de  ce  que,  par  respect  ou  par  tout 
autre  motif,  je  ne  contredis  pas  un  homme,  il  ne  s'ensuit 
pas  pour  cela  qu'il  ait  nécessairement  raison  ;  2°  de  ce  que 
je  ne  vois  pas  de  route  meilleure,  il  ne  s'ensuit  pas  que 
celle  où  est  un  homme  soit  la  bonne,  et  qu«  je  doive 
la  prendre  ;  3°  de  ce  qu'un  autre  m'a  prouvé  que  j'ai  tort, 
il  ne  s'ensuit  pas  nécessairement  que  cet  autre  ait  raison. 
11  se  peut  que  cela  me  dispose  pour  la  vérité,  mais  cela  ne 
me  la  donne  pas.  Elle  ne  peut  me  venir  que  par  des  preuves 
et  des  arguments,  que  par  une  lumière  projetée  par  les 
choses  mêmes,  et  non  par  ma  timidité,  mon  ignorance  ou 
mon  erreur. 

Bien  que  Locke  n'en  fasse  point  mention  dans  sa  classifi- 
cation ,  nous  ne  devons  pas  omettre  ici  un  argnment  qui  a 
bien  son  importance  :  c'est  l'argument  a  haculo,  autrement 
dit  argumentum  baculmiim.  L'argument  du  bâton  est  en 
effet  Vultima  rnfio  dans  une  foule  de  discussions.  Il  sert 
de  base  à  la  fameuse  maxime  de  l'Église  catholique  :  Com- 
pelle  eos  intrare. 

V argumentation  est  le  procédé  oratoire  par  lequel  on 
réunit  plusieurs  arguments ,  ou  par  lequel  on  développe  un 
argument  en  diverses  parties ,  soit  pour  démontrer  la  vérité 
qu'on  soutient ,  soit  pour  réfuter  l'erreur  qu'on  combat. 

En  astronomie,  on  appelle  argument  la  quantité  de  la- 
quelle dépend  une  équation,  une  inégalité,  une  circonstance 
quelconque  du  mouvement  d'une  planète.  Ainsi  l'argument 
de  la  latitude  de  la  lune  est  la  distance  de  son  lieu  vrai  à 
son  nœud ,  c'est-à-dire  la  distance  du  lieu  qu'elle  occupe 
dans  son  orbite  au  point  où  cette  orbite  coupe  celle  de  la 
terre. 

ARGUS  (en  grec'ApYo;),  prince  argien,  fils  d'Agénor  ou 
d'Arestor ,  surnommé  Panoptès ,  c'est-à-dire  qui  voit  tout, 
possédait  cent  yeux ,  dont  cinquante  étaient  ouverts  pendant 
que  le  sommeil  fermait  les  cinquante  autres.  Il  avait ,  en 
conséquence,  été  commis  par  Junon  à  la  garde  de  la  mal- 
heureuse lo,  que  Jupiter  avait  métamorphosée  en  génisse 
pour  la  soustraire  à  la  jalousie  de  sa  divine  épouse.  Ce  dieu, 
inquiet  du  sort  de  sa  maîtresse,  donna  ordre  à  Mercure  de 
tuer  Argus.  Mercure,  en  effet,  endormit  le  gardien  au  son  de 
sa  fliîte,  puis  le  lapida,  ou  lui  trancha  la  tête.  Junon  re- 
cueillit soigneusement  les  yeux  d'Argus  et  les  sema  sur  la 
queue  du  paon,  qui  lui  fut  dès  lors  consacré. 

Voilà  Argus  d'après  la  mythologie  grecque  classique.  Le 
voici  maintenant  d'après  la  mythologie  égjptienne,  qui  nous 
paraît  beaucoup  plus  diaphane  :  Argus ,  suivant  Diodore  de 
Sicile  ,  était  fière  d'Osiris.  Osiris ,  voulant  faire  la  conquête 
de  l'Inde ,  nomma  régente  de  son  empire  Isis ,  sa  sœur  et 
son  épouse;  .\rgus  devint  ministre.  Mercure  conseiller 
d'État,  Hercule  généralissime  de  l'armée.  Celui-ci  ayant 
formé  le  projet  de  pénétrer  jusqu'à  l'extrémité  de  l'Afrique, 
le  ministre  ambitieux  cmt  que  pendant  son  absence  il  lui 
serait  facile  de  s'emparer  du  royaume.  Il  enferma  Isis  dans 
une  tour  et  se  fit  proclamer  maître  souverain  de  l'Egypte 
par  ses  cent  intendants,  qu'il  avait  lui-même  choisis,  et  qui 
lui  étaient  tellement  dévoués  qu'on  les  appelait  les  cent 
yeux  d'Argus.  Cependant  Mercure ,  furieux  du  dédain 
qu'avait  eu  pour  lui  l'usurpateur,  parvint  à  lever  une  ar- 
mée ,  lui  livra  bataille ,  le  vainquit  et  lui  coupa  la  tête,  d'où 
lui  vint  le  surnom  d'Argyphonte. 

Ce  nom  d'Argus  a  été  commun  à  plusieurs  princes  d'Ar- 
gos  dont  riiisloire  est  enveloppée  de  tcnèbres.  Devenu  de 


ARGUS  —  ARIANK 

nos  jours  populaire,  il  «lésigae  fignromcnt  et  familièrement, 

si  l'on  en  croit  TAcadémie ,  une  jiersonne  chargée  d'eu  sur- 
veiller, d'en  espionner  une  autre  conlinuellenient. 

ARGYLË,  nom  d'une  illustre  rainillc  ducale  d'Ecosse, 
et  d'un  comte  maritime  de  ce  royaume. 

Arc/iihald  ,  comte  d'AncvLE,  fut  l'un  des  honuiies  poli- 
tiques les  plus  importants  de  l'époque  de  Cromwell ,  et 
Fami  intime  du  protecteur.  Créé  marquis  en  iGil,  il  devint 
le  chef  des  presbytériens  rigides  ;  en  ICGl  il  périt  sur  l'o- 
chafaud  pour  avoir  pris  part  à  la  r ondainnatiou  de  Charles  l'^ 
—  Son  lils  appartenait  au  contraire  au  parti  royaliste  le  plus 
exalté,  et  fut  nounué  par  Charles  11  capitaine  des  gardes. 
Cependant  il  se  brouilla  avec  la  cour,  et  deux  fois  arrêté,  il 
fut  toujours  assez  lieareux  pour  s'échaiiper.  Sous  le  r(\gne  de 
Jacques  il  il  embrassa  le  parti  de  .M  on  moût  h,  et  fut  déca- 
pité à  lidimbourg ,  en  1685.  (  Voyez  Campbklls  [Clan  des  ].  ) 
ARGYRASPIDES,ou  porteurs  de  boucliers  d'argent, 
nom  d'un  corps  de  fantassins,  qui  faisaient  partie  de  la 
garde  d'Alexandre,  et  étaient  armés  de  petits  boucliers 
d'aigent  et  d'une  sarisse ,  ou  longue  lance.  C'étaient  des 
troupes  d'élite ,  et  les  plus  estimées  de  toute  l'armée  macé- 
donienne. Après  la  mort  d'Alexandre,  elles  restèrent  fidèles 
aux  princes  de  sa  famille ,  et  suivirent  longtemps  les  dra- 
peaux d'Eumène,  qui  défendait  la  cause  de  ces  princes  en 
Asie,  contre  Séleucus  et  Antigone.  11  en  comptait  trois  mille 
dans  son  armée,  à  la  bataille  de  Gadamarta.  Son  camp  tomba, 
pendant  l'action,  au  pouvoir  des  troupes  d'Antigone.  11 
n'en  fut  pas  moins  vainqueur  ;  mais  quand  les  argyraspides 
s'aperçurent  de  la  perte  de  leurs  bagages,  ils  se  mutinè- 
rent ,  et  les  rachetèrent  à  l'ennemi  en  lui  livrant  leur  gé- 
néral. Ils  ne  jouirent  pas  longtemps  du  fruit  de  leur  tra- 
hison :  ils  venaient  de  donner  un  dangereux  exemple; 
Antigone  voulut  empêcher  qu'il  ne  fût  suivi  ;  il  les  dispersa 
dans  les  provinces  les  plus  reculées  de  l'Asie,  et  donna 
ordre  aux  satrapes  de  les  accabler  de  travaux  et  de  mau- 
vais traitements,  afin  qu'aucun  d'eux  ne  pût  jamais  revoir  la 
Grèce.  Léon  Remer. 

ARGYRIDES  (de  àpyopo;,  argent).  Eeudant  donne  ce 
nom  à  une  famille  minéralogique  se  composant  d'un  genre 
unique,  formé  lui-même  de  l'espèce  unique  argent. 

ARGYROPULO  (  Jean  ) ,  l'un  de  ces  savants  grecs 
qui,  au  quinzième  siècle,  apportèrent  en  Italie  le  goiit  de 
la  littérature  de  leur  patrie.  Né  à  Constantinople  dans  les  pre- 
mières années  du  quinzième  siècle,  il  vint  à  Padoue  en  1434, 
y  séjourna  quelques  années,  puis  retourna  enseigner  la  philo- 
sophie dans  la  capitale  de  l'empire  grec.  La  prise  de  cette  ville 
par  les  Turcs  le  fit  revenir  en  Italie.  Les  Médicis  l'appelèrent 
à  Florence,  et  il  s'y  fixa  en  1456. 11  vint  peu  de  temps  après 
à  Paris,  demander  au  roi  de  Tiance  une  somme  dont  il  avait 
besoin  pour  compléter  la  rançon  de  sa  famille ,  captive  des 
Turcs  ;  puis  retourna  à  Florence,  oii  i!  enseigna  pendant  quinze 
ans  la  littérature  grecque.  Il  se  rendit  enfin  à  Rome,  et  y 
mourut  en  1480.  Il  avait  traduit  en  latin  plusieurs  ou- 
vrages d'Aristote. —  Jean  Arcyropilo,  dit  le  jeune,  fils  du 
précédent ,  enseigna  aussi  la  littérature  grecque  en  Italie.  On 
a  de  lui  une  traduction  latine  du  Traité  de  l'Interpréta- 
îion  d'Aristote.  Léon  Remer. 

ARG YROSE.  Nom  donné  par  Beudant  à  Vargent  sicl- 
furé.  Voyez  Argent. 

ARGYRYTIIROSE.  Nom  donné  par  Beudant  à  Var- 
gent autimonié  sulfuré.  Voyez  Argent. 

ARIA,  ARLIA  ou  .ARIE,  province  de  l'ancien  empire 
perse,  bornée  au  nord  par  la  Bactriane,  au  sud  par  la 
Drangiane ,  à  l'est  i)ar  la  Paropamisie ,  à  l'ouest  par  la 
Parthie.  Elle  avait  pour  chef-lieu  Aria ,  aujourd'hui  Ilérat, 
et  correspondait  au  Sedjistan  actuel  et  à  la  partie  orientale 
du  Khorassan  ou  Khorazan,  pays  du  soleil. 

On  étendait  autrefois  le  nom  d'Aria ,  ou  d'.\riane,  à  toute 
la  contrée  située  entre  la  Perse  et  l'Inde;  et  alors  elle 
comprenait,  outre  l'Aria  propre,  les  deux  Caramanies,  la 


799 

Gédrosie,  rArachosic,  la  Drangiane ,  la  Paropamisie ,  la 
Choarènc ,  etc. 

De  ce  nom ,  devenu  ainsi  commun  à  plusieurs  contrées 
de  position  et  détendue  fort  diverses,  il  est  résulté  une 
grande  confusion  dans  la  géographie  de  cette  époque.  C'est 
sous  la  seconde  acception  du  mot  que  nous  retrouvons  les 
Ariens,  les  Ermans  ,  les  Aramans ,  dont  le  Zend  désigne  la 
patrie  par  le  nom  d'Erium  ,  Arièiue  ou  Isman ,  et  le  Schah- 
namah  par  celui  d'Ermau  ou  Iran.  Les  peuples  de  ces 
deux  langues  y  voyaient  le  pays  des  miracles,  le  berceau  de 
toute  civilisation ,  la  source  des  quatre  grands  fleuves  cités 
dans  la  Genèse. 

ARIA  CATTIVA  ou  .MAL'ARIA.  Une  partie  des  côtes 
de  l'Italie  que  baigne  la  Médilerranée  s'élargit  chaque  an- 
née par  les  sables  qu'amoncelle  cette  mer.  Le  cours  des 
ruisseaux  et  des  torrents  en  est  arrêté  ;  la  rupture  de  plu- 
sieurs aqueducs ,  le  manque  de  canaux,  laissent  séjourner 
les  eaux  sur  ces  plages ,  d'où  s'exhalent  des  miasmes  pes- 
tilentiels aux  approches  de  la  canicule  :  tels  sont  les  Marais 
Pontins,  les  Maremmes  de  Toscane,  et  quelques  autres 
lieux  sur  lesquels  planent  des  vapeurs  délétères,  dont  la  ma- 
lignité s'affaiblit  en  général  à  mesure  qu'on  s'élève  au-des- 
sus de  la  plaine.  Ainsi,  l'on  distingue  les  zones  ù'ariapes- 
sima,  d'aria  cattiva,  ariasospetta,  sxifficiente,  huona,  et 
enfin  ottima  .tel  est  Tivoli. 

Avant  la  fondation  de  Rome ,  et  pendant  les  cinq  pre- 
miers siècles  de  cette  ville,  on  ne  trouve  rien  dans  l'his- 
toire qui  se  rapporte  au  mauvais  air  dans  cette  contrée.  Ses 
plages,  alors  cultivées,  et  surtout  plantées  d'arbres,  nounis- 
saient  un  peuple  nombreux  ;  les  guerres  civiles ,  les  inva- 
sions des  barbares ,  ont  diminué  les  habitants ,  laissé  tom- 
ber en  ruines  les  travaux  d'assainissement,  et  rendu  dange- 
reux pour  tous,  mortel  pour  beaucoup,  le  séjour  de  ces 
côtes.  La  chaleur  et  l'humidité,  le  déboisement,  le  petit 
nombre  de  faibles  bras  employés  à  l'agriculture  ,  les  mau- 
vais aliments  ,  les  habits  de  toile  substitués  aux  habiis  de 
laine  que  portaient  les  anciens,  telles  sont  les  causes 
des  fièvres  et  de  la  mortahté  dans  les  Maremmes,  dans  les 
Marais  Pontins. 

Rome  même  se  ressent  de  cette  influence  meurtrière, 
dans  plusieurs  de  ses  quartiers ,  depuis  le  mois  de  juillet 
jusqu'à  la  fin  d'octobre.  Il  suffit  souvent  aux  voyageurs  de 
traverser  ces  basses  terres  pour  être  atteints  de  la  fièvre. 
On  lit  dans  Targioni  qu'un  signe  infaillible  du  commencement 
de  la  mal'aria  dans  les  Maremmes  est  le  départ  des  moi- 
neaux, qui  s'éloignent  vers  le  solstice  d'été,  et  ne  revien- 
nent qu'au  milieu  de  l'hiver.  Les  efforts  tentés  pour  assai- 
nir  la    campagne   de   Rome  ont  été   jusqu'ici   sans 

résultat.  C"*'  DE  CRADf. 

AR!A  DI  BAULE  ,  mots  italiens  qui  signifient  air  de 
malle.  Les  amateurs  donnent  ce  nom  à  deux  ou  trois  airs 
que  tout  bon  chanteur  d'au  delà  des  monts  semble  emporter 
avec  lui  au  fond  de  sa  malle  quand  il  voyage,  et  qui  consti- 
tuent presque  uniquement  son  répertoire.  C'est  à  peu  près 
ce  que  nous  avons  nommé  air  de  pacotille.  Voyez  Air. 

ARIANE,  ou  ARIADNE,  était  fille  du  roi  Minos  et  de 
Pasiphaé.  A  la  vue  de  Thésée,  arrivé  en  Crète  avec  les 
autres  jeunes  gens  que  les  Athéniens  étaient  obligés  d'y  en- 
voyer annuellement  comme  tribut,  elle  s'éprit  d'amour 
pour  lui  et  mit  dans  ses  mains  le  fil  au  moyen  duquel  il  de- 
vait se  reconnaître  dans  les  détours  du  laby  rinthe  et  tuer 
le  Minotaure,  auquel  on  livrait  les  jeunes  Athéniens.  i^Ile 
se  sauva,  ensuite,  avec  Thésée;  mais  l'ingrat  l'abandonna 
dans  l'île  de  Naxos,  oii  elle  mourut. 

Suivant  une  autre  version,  elle  aurait  été  trouvée  endormie 
dans  cette  île  par  Dionysus  (Bacchus  ),  dieu  du  plaisir,  tou- 
jours brillant  de  jeunesse  et  de  fraîcheur,  qui,  revenant  de 
sa  glorieuse  expédition  des  Indes,  aurait  paru  tout  à  coup 
devant  elle,  entouré  de  ses  compagnons  et  de  ses  esclaves, 
qui  faisaient  retentir  l'airdu  bruit  de  leurs  joyeuses  chansons 


800 


ARIANE  —  ARIAS  MONTANUS 


et  du  son  de  leurs  flûtes  et  de  leurs  cymbales.  11  aperçut 
la  belle  donneuse,  et  a5da  au  pouvoir  de  ses  cliarmes.  Ariane 
se  réveilla  pour  tomber  dans  ses  bras  et  devenir  l'épouse 
du  plus  aimable  des  triomphateurs. 

Sa  couronne ,  transformée  par  Bacchus  en  constellation 
brillante,  annonce  encore  de  quelle  félicité  a  dû  jouir  celle 
qui  l'a  portée.  Les  peintres,  les  sculpteurs  et  les  poètes  an- 
ciens et  modernes  ont  traité  ce  brillant  sujet  de  mille  fa- 
çons différentes.  On  possède  des  pierres  précieuses  sur 
lesquelles  est  gravée  Thistoire  d'Ariane.  Il  y  a  aussi  une 
Ariane  parmi  les  peintures  d'Herculanum.  En  France  elle  a 
fourni  le  sujet  de  plusieurs  opéras  et  de  plusieurs  tragédies. 

ARIAA'E,  ou  ARIADNE,  princesse  grecque,  fille  de 
l'empereur  Léon  l""",  fut  successivement  l'épouse  de  Zenon 
risaurien  et  d'Anastase,  que  son  choix  éleva  au  trône  de 
Constantinople.  Elle  mourut  en  515.  On  a  prétendu  que, 
dégoûtée  des  actes  de  barbarie  de  son  premier  époux ,  elle 
l'avait  fait  enterrer  pendant  qu'il  était  ivre  pour  épouser 
le  second. 

ARI.W'ISME.  Voyez  Ahtkn;. 

ARIARATHE  I-X,  rois  de  Cappadoce.   Voyez  Cap- 

PADOCE. 

ARIAS  MOXTWUS  (Be>oÎt),  né  en  1527,  h.  Frexe- 
nal,  petit  bourg  situé  non  loin  de  Séville,  descendait  d'uae 
famille  noble,  mais  pauvre.  Après  avoir  consacré  toute  sa 
jeunesse  à  l'étude  approfondie  des  langues  grecque  et  latine, 
et  à  celle  de  la  littérature  orientale ,  dans  laquelle  il  avait 


réussi  à  faire  des  progrès  immenses,  il  entreprit  un  voyage 
à  travers  la  plupart  des  pays  de  l'Europe,  à  l'effet  d'ajouter 
encore  à  ses  connaissances  déjà  si  étendues  par  l'étude  des 
langues  vivantes.  L'évêque  de  Ségovie  l'emmena  ensuite  avec 
lui  au  concile  de  Trente,  où  il  réussit  par  ses  bons  et  utiles 
avis  à  inspirer  à  chacun  la  plus  haute  idée  de  ses  talents 
et  de  sa  capacité. 

A  son  retour  en  Espagne,  Arias  Montanus  alla  s'enfermer 
dans  la  soUtude  d'un  cloître  situé  au  milieu  des  montagnes 
de  r.\ndalousie,  à  l'effet  de  s'y  livrer  sans  distraction  à  ses 
études  favorites;  mais  Philippe  II  l'arracha  à  son  obscurité, 
et  le  chargea  de  préparer  une  nouvelle  édition  de  la  Bible 
polyglotte,  qui  fut  imprimée  à  Anvers  chez  les  célèbres  Plan- 
tin,  chef-d'œuvre  typographique  dont  la  publication  eut  lieu 
en  huit  volumes  in-folio,  de  l'an  15G9  à  l'an  1572.  Quoique 
plus  chère  que  l'édition  anglaise ,  celle-ci  n'est  pas  aussi 
correcte,  .\rias  Montanus  enrichit  cet  ouvrage  de  transcrip- 
tions et  d'explications  chaldéennes;  mais  il  lui  est  échappé 
quelques  fautes  dans  sa  traduction  de  San-Pagnino ,  déjà  si 
peu  exact  lui-même. 

Philippe  II  lui  ayant  offert  un  évêché  en  récompense  de 
ce  travail,  notre  modeste  érudit  se  contenta  d'un  bénéfice 
de  l'ordre  de  Saint-Jacques  et  du  titre  de  chapelain  du  roi. 
11  mourut  en  1591.  De  ses  nombreux  ouvrages,  les  plus 
estimés  sont  ses  Antiquités  Juives,  en  neuf  livres  (Leyde, 
1596,  in-4°).  On  les  trouve  aussi  dans  l'édition  d'Anvers  de 
la  Bible  polyglotte. 


FIN  DU  PREMIER   VOLUME. 


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