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in 2009 with funding from
University of Ottawa
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RÉPERTOIRE
DES
CONNAISSANCES USUELLES
LISTE DES AUTEURS QUI ONT CONTRIBUE A LA RÉDACTION
1)1 l'UKMIEK VOLUME DE CEiJE EDITION.
M \l
Arnaull, de l'Acadéniit' française.
Artaud, \icc- recteur de l'acad. de Pans.
Andirrrei, de la Biblluihéque impériale.
Badarous (Docteur;.
Barbier, de la Bihliotliéque du Louvre.
Barrnull Einilr>.
Bcrrj «>r, de l'Académie française.
B^lliuiie F. de', off. sup. d'elal-major.
BorriusDrnioolin.
Bory de Saiiil-Vliirent, de l'Acad. des se.
Bniirliilt£ (l<.\ ancien recteur.
Bourdon Isid.), de IWcad. de médecine.
BradI Comtesse de).
Ureioii, cle la C,a:ilie des Tribunaux.
Bruker \.'.
Bucbon.
Cbabrol Cliiiniéaue (E. de],
CbaiiipaKiiac.
Chaiiipollion-FIgeac.
CUarpcntier, jnsp. lion, de l'ac. de Paris.
Cbasies (Pliilaréte,, professeur au Collège
de France.
Chevalier {Micliel\ sénateur, professeur au
Collège de France.
Cboron.
Cibrario (Luigi., de TAc. de Turin.
Colin.
Corincnin (Vicomte de), conseiller d'Étal,
membre de l'Inslitut.
Coilereau (P.-L.), professeur agrégé à
l'Rcole de médecine.
Ciiendias (Manuel de .
Cuïlcr Ceorges), de l'.Acad. des sciences.
Urluforest (.\. >
Delasiauve, médecin de Bicétre.
Oelbare Th.,.
UéiiiezII.
Uiime-BaroD.
Dabolt» Loui>).
Ducbesne aine, de la Biblioth. impériale.
Uaekett (Docteur Alex.).
MM.
Ducketi (VV.-A.).
Durey (dv l'Yonne).
Duiiiarsals.
Damas (J.-B.), sénateur, de l'Acad. des se.
Du .Mèse (Alex.)
Du Itozoir (Ch.), ancico profe.sseur a la
Faculté des lettres de Paris,
Eyriès, de l'Institut.
Felllet (A.).
Fillioux (A).
For est (P.).
Forget, professeur à la Faculté de médecine
de Strasbourg.
FossatI (Docteur).
Français de Nantes (Comte).
Friess-Colonna.
Garnier (Jules).
Ganlticr de Claubry, prof, à PËcole pol.
Gt-ruRPZ, prof, à la Fac. des lett. de Paris.
GolbCry de), ancien procureur général.
Gnizot (F.), de l'.^cadémie française.
Ilennequin (V.;.
Iléreau (Edme).
HerscUel (sir John).
llœrteI(U.).
Husson (Auguste).
Janin (Jules).
Julllen, de Paris.
Kératry (de), ancien pair.
Lafage (Adrien de).
Laliiê, généalogiste.
Larrey (baron), de l'Acad. des sciences.
Laurent (de l'Ardéchej, admin. de la Bibl.
de l'Arsenal.
Laurent (L.), ancien cbirargien en chef de
la marine.
Lavigne (£.].
Lawrence sir William)
Leglay (Edward), anc. sous-préfet.
Le Roux de Lincy<
Louvei (L.).
M.M.
.Malle-Briui.
Mantz (Paul).
Marmontel .
Marrast (Armand), ancien président di-
l'Assemblée nationale.
Matter, ancien inspecteur général.
]Ueriieo.\ (Ed.).
Millin (A.-L.), de l'Institut.
Monglave (Eugène G. de).
Morean-Christopbe.
IV'isard (D.), de l'Académie française.
IMyer (L.).
Ortlgne (Joseph d').
Paffe (C.-M.).
Paul-Jacques.
Pelouze père.
PIchot (Amédée).
Beiffenberg (Le baron de).
Renier (Léon), de l'Institut.
Roger (D' Henri).
Rosseeuw-Saint-Hilalre, professeur à la
Faculté des lettres.
Roux (Docteur), de l'.Acad. des sciences.
Saint-Germain-Ledoc.
Sandeau (Jules), de l'Académie française.
Sancerotte (Docteur).
Savagner (Aug.).
Say (J.-B.),de l'Institut.
Sédillot, professeur au lycée Saint-Loais.
Sénanconr (de).
Sicard (Le capitaine).
Talbot (Eug), professeur au lycé« Louis-Ie-
Grand.
Teyssédre.
Tissot, de l'Académie française.
Tollard aîné.
Vandonconrt (général^, de).
Velpean, de l'Académie des sciences.
Viennct, de l'Académie française.
\irey, de l'Académie de médecine.
Winckelmann.
! a lisle coiuplde des aulenrs qui mit nmtriliué à la rédaction de la deuxième édition se trouve à la fia de l'ouvrage.
l'.itl.> — Typiiiiraplilc ik Firmln niilot frcrcf , Cl; ! I Cir, rue JaroJ), ôÇ.
DICTIONNAIRE
l)K LA
CONVERSATION
ET DE LA LECTURE
INVENTAIRE RAISONNÉ DES NOTIONS GÉNÉRALES LES PLUS INDISPENSABLES A TOUS
PAR Wm SOCIÉTÉ DE SAVANTS ET DE GEi\S DE LETTRES
sous LA DIRECTION DE M. W. DUCKETT
Seconde édition
ENTIEBEMENT REFONDUE
CORRIGÉE, ET AUGMENTÉE DE PLUSIEURS MILLIERS d' ARTICLES TOUT D'aCTUALITÉ
Celui qui voit tout abrège tout.
MoSTESQUIEli.
TOME PREMIER
PARIS
LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET C'^
IMPRIMEURS DE l'iNSTITLT, RUE JACOB , oO
M DGCC LXVII
Les lecteurs sont prévenus que tous les mots espacés clans le texte courant (par
exemple : Transsubstantiation, Immortalité, César) sont l'objet d'articles
spéciaux dans le Dictionnaire, et constituent dès lors autant de renvois à consulter.
DICTIONNAIRE
DE
LA CONVERSATION
ET DE LA LECTURE.
A, lettre voyelle, la première de l'alphabet dans la plupart
des langues connues , n'occupe que la treizième place dans
l'alphabet éthiopien. Les Romains l'appelaient la lettre salu-
taire, litlerasalutaris, parce que, lorsqu'il s'agissait de pro-
noncer sur le sort d'un accusé , le juge qui voulait l'ab-
soudre écrivait sur sa tablette 0, première lettre et abréviation
du naot absolvo, j'absous. Au contraire, si la culpabilité lui
était démontrée, il y inscrivait la lettre c , première lettre et
abréviation du mot condemno, je condamne. — Employé
comme lettre numérale , A valait 1 chez les Grecs, et 500
chez les Romains avant l'adoption du D.
Possidet A numéros quingentos ordine recto.
Mais quand celte lettre était surmontée d'un trait , elle valait
5,000. — En numismatique, TA qu'on voit sur quelques
médailles grecques indique qu'elles furent frappées soit à
Athènes, soit à Argos. Sur les médailles du Bas-Empire A
indique Antioche, Aquilée, Arles, etc. Sur des monnaies
françaises, la lettre A désigne l'iiôtel des monnaies de Paris ;
AA est la marque de Metz. — En chronologie, les deux
lettres A. D. sont l'abréviation des mots amio Domini,
l'an du Seigneur; A. C, celle des mots anno Christi, l'an
du Christ; A. M., celle de anno mundi, an du monde; A.
K., celle de ante calendas, avant les calendes ; A. U. C.
s'emploient pour l'au de Rome (ab iirbe condita, depuis
la fondation de la ville); A. A. C. signiOent anno ante
Christum , année avant le Christ, avant l'ère chrétienne.
— A., chez les Latins, s'employait pour Aulus , Augustus;
AA., pour i4M$f2<s<i , les Augustes ; Ap., pour Appius; Agr.,
pour Agrippa. Plus tard, A. M. s'est mis pourartium ma-
gister, maître es arts. — En musique, chez les peuples qui,
comme les Anglais, les Allemands, se servent de lettres
pour solfier, la lettre A désigne le sixième ton de la gamme,
celui que les Français et les Italiens appellent la. Écrite en
tôle d'une partie de musique, elle indique la partie de la
haute-conlre (Alto). — On dit de quelqu'un qui n'a rien
fait, rien écrit, qu'il n'a pas fait une panse d'à, c'est-à-dire
la moitié de cette lettre ; le mot panse étant synonyme de
ventre et désignant ici la partie de la lettre qui avance. Ou
dit aussi d'un ignorant qu'il ne sait ni A ni B.
En chimie, Ag signifie argent ; Al, aluminium ; As, arsenic,
Au (abréviation à^aurum), Of; Az, azote.
Dans les prescriptioos médicales , â ou âa est employé
pour ana, et signifie de cjiaque.
AA, nom commun à divers cours d'eau situés au nord de
DICT. DE LA COSVEKS. — T. I,
la France, en Hollande, en Allemagne , en Suisse, en Cour-
lande, et que les élymologistes dérivent du vieil allemand
Ahha, Ach ou Aach , synonyme du latin aqua, de l'anglo-
saxon ea, et du français eau.
AAH-HOTEP,mère d'Aah-Mès, fondateur de la dix-
huitième dynastie des Pharaons d'Egypte, et dont M. Ma-
riette a trouvé la momie à Goumah, en 1859. Elle était
enfermée dans une boîte de cèdre et couverte de bijoux de
toute espèce valant au poids seulement environ 30,000 fr.
Ces objets, fabriqués avant Moïse, d'une conservation admi-
rable, d'un travail fini et soigné, riches, de bon goût, élé-
gants, appartiennent au musée du vice-roi d'Egypte. On y re-
marque un diadème, un collier, des agrafes, un pectoral offrant
l'image d'Aah-Mès, une chaîne, des bracelets, des anneaux,
un miroir en métal, deux poignards, une hache votive, un
éventail, un bâton de commandement, une bague représen-
tant des personnages qui rappellent le voyage de l'âme
après la mort. Presque tous sont en or avec des incrusta-
tions curieuses. E. D.
A AH-MÈS ou AAH-MOS. Voyez Amasis.
AALBORG, ville de Danemark, sur la rive droite du
Lymfiord, chef-heu de bailliage , siège d'unévêché, compte
7,500 habitants. Elle est le centre d'un commerce impor-
tant, et son port , où règne une grande activité , emploie
plus de 100 navires à la pêche. Aalborg a une école de
navigation, une bibliothèque publique, des raffineries de
sucre , des manufactures de tabac , d'armes à feu, etc.
A ALI-PACHA (Méhémet-Emin), grand vizir turc, est
né à Constantinople en 1815. Entré en 1829 dans les bu-
reaux de la Porte, il s'y (il remarquer par son aptitude et
fut emmené comme second secrétaire , par Ahmet-Fethi-
Pacha, ambassadeur à Vienne en 1834. De retour à Cons-
tantinople en 1837, Aali fut nommé premier drogman de
la Porte. Il accompagna plus tard Rechid -Pacha à Londres,
revint avec lui et rempht sous lui les fonctions de sous-
secrètaiie d'État au ministère des affaires étrangères. De
1S41 à 1844 il résida en Angleterre comme ambassadeur.
Nommé à son retour membre du grand conseil, il géra le
ministère des affaires étrangères pendant l'absence do
Chekib-Effendi. Chancelier du divan, il prit en septembre
1846 la direction du ministère des affaires étrangères qu'il
conserva jusqu'en 1848. Appelé à'cette époque à la prési-
dence du grand conseil, il reprit bientôt le portefeuille des
affaires étrangères, et en cette qualité il eut à'répondre
au ministre autrichien à propos de la mise en liberté de
1
i
A ALI- PACHA
K<vs<(iillieldes intLintVsiIcKuLiya. En 18.)2il succi'daà Recliiil
Paclia comme giaml vizir. Deux moisaprès il rrnlraitdans
la vie piivt^c; puis il fut siicccssivcinent nommé K'^uverneur
p^nt'Ml (les provinces tie Smyrne en 1833, de Brousse en
isj'i , président du conseil du tanzimat lors de sa création,
et encore ministre des affaires étrangères à la fin de 1854.
Au commencement de 1855 il accompagna Anrif-Effendi
aux conférences de Vienne, et au mois de mai il reçut le
li.illi-clii;rif qui le rappelait au grand vizirat. Kn isoG il
vint à Taris connue premier [dénipotentlairede l;i l'orte au
«)ugrés tpii s'ouvrait dans ctte ville, et en cette (pialilé il
fiigna la paix le 30 mars. Le 1" novembr» il dut quitter le
içrand vizirat, le 20 il accepta le ministère des affaires
étrangères dont il se démit le lendemain ; nommé ministre
sans portefeuille, il redevint ministre îles affaires étran-
gères le 31 juillet 1857, et la mort de Rccliid lui rendit le
Rrand vizirat en janvier 1858, mais il a dû le céder en 186C
h Meliérnet-Kuprili. Aali est un homme laborieux et instruit,
partisan des réformes; il a montré beaucoup de finesse cl
de fermeté au congrès de Taris, où il s'était rapproché du
ministre autrichien. L. Locvet.
AAR, l'une des principales rivières de la Suisse; elle a
nonuné le canton d'Argovie et la ville d'Aarau, son chef-
lieu. L'Aar a sa source au Griinsel , d'où celte rivière des-
cend avec im|iétuosité. formant sur son passage beaucoup
de cascades, dont la plus belle est la Ilandeck. L'Aar baigne
Meyringen, traverse les délicieux lacs de lîrienlz et de Thoun,
enveloppe la montagne sur laquelle repose Berne, se dirige
sur Aarborg, Uuren, Soleure et Brougg, et se jetledans le Rhin
après avoir accompli une course d'environ soixante lieues.
Les bords de cette rivière sont fort pittoresques et dignes de
l'admiration dis voyageurs. DkGolbéry.
AARAII, jolie petite ville bûtie sur l'Aar, et chef-lieu
du canton d'Argovie, est le siège du grand conseil, du petit
conseil et d'un tribunal supérieur. On y compte plus de 4,000
habitants. Un chûteau-fort , construit au onzième siècle par
le comte de Holir, est l'origine de cette ville, qui resta sous
Il domination de l'Autriche jusqu'en 1315, époque où les
habitants de Berne s'en emparèrent. Au temps de l'invasion
française, pendant les guerres de la révolution, Aarau fut
un instant la capitale de la confédération.
AAllO.X , Irère de Moïse, était fils d'Aniram et de Jo-
clitbed , de la tribu de Lévi, et naquit en Egypte l'an 1578
av. J.-C. Quand Moïse reçut de Dieu la inissiou de délivrer
Sun peu[)!e, il choisit Aaron pour lui servir d'aide dans cette
glorieuse entreprise, et à l'érection du tabernacle on l'in-
votit des fonctions de grand prêtre, qui furent déclarées
heiéditaires dans sa famille. Moïse éprouvait beaucoup de
difficulté h s'exprimer, et l'éloquence facile et naturelle de
non frère aine lui fut souvent utile. Pendant la retraite de
Moïse au mont Sinaï , Aaron eut la faiblesse de céder aux
clameurs du peujile, qui lui demandait le veau d'or, sans
pressentir que le peuple s'en ferait une idole. Il ne fut
pourtant pas compris dans le massacre qu'ordonna Moïse
des 25,000 coupables; mais, pour avoir douté de la puis-
sance de Dieu , il ne lui fut pas donné d'entrer dans la
terre jiromise. Etint monté sur la montage île Thor, non
l'>in de Séla en Idumée (an 145G av. J.-C), il y fut
publiquement dépouillé de ses habits pontificaux, dont
Moïse revêtit son fils Éléazar, et expira ou disparut aussitôt,
à l'Age de cent vingt-trois ans. Les traditions juives pos-
lériiiiresle représentent comme un personnage éinineioment
populaire et ami de la paix.
ABA ou Ar..\TS , costume formé d'une sorte de redin-
gote sans manches, porté en Turquie par les matelots, les
Roldats et les indigents. Le drap grossier dont ce vêtement
t'st (ait a le même nom ; connue il était jadis un objet
d'ex|K)rlation considérable dans toute la Macédoine, et sur-
tout 5 Saloniki, on l'appelle aussi salonika.
\l\.\ ou OWON, beau-frère de saint Etienne, preniier
- ABADIIKS
roi clirétlen de Hongrie, l^itienne rnorl, Pierre àitVAUc-
mand , son neveu, lui succéda. Aba se créa des partisans,
et en 1041, quoique Pierre l'eût exilé, il se fit couronner.
Mais une fois sur le trône il s'attira la haine des Hongrois ,
qui se révoltèrent , et implorèrent l'assistance de l'empereur
Henri III. Aba ne se laissa pas intimider, se jeta à l'impro-
viste sur la Bavière et sur l'Autriche, et ravagea sans pitié
ces deux pays. S'il lut réduit à indemniser l'empereur et à
reslituer le butin qu'il avait fait, il conserva néanmoins le
pouvoir. Ses désordres et sa cruauté révoltèrent de nou-
veau ses sujets. Aba soutint pendant trois campagnes les
cflorts des mécontents, appuyés par l'empereur et par le
margrave de Moravie. Vaincu, en 1044, à la bataille de
Baab, il périt dans la mêlée, ou, selon d'autres, il fut livré
à l'ierre, qui lui fit trancher la tête. *
ABAD I-III , rois de Séville. Voyez Adadites.
ABAU Y QUEYPEO (Manof.i.) , né vers 1775 dans
les Aslurie', embrassa l'état ecclésiastique et passa au Mexi-
que, où il devint juge des testaments, puis évêque de Val-
ladolid de ]\léchoacan. Réduit à abandonner son diocè.se après
l'insurrection de la j\ouvelle-Espagne,il se réfugia à Mexico ;
mais rentré à Valladolid, il y donna des preuves de modéra-
tion qui lui valurent d'être privé de son évôché en 1814. Le
vice-roi le fit embarquer de vive force pour l'Espagne, et quand
il y arriva, il fut jeté dans une prison à Madrid, sur l'onlre
du grand inquisiteur. L'insurrection de l'île de Léon le rendit
à la liberté en 1820, et il fit partie de la junte provisoire.
Aflligé d'une surdité profonde, il ne put participer aux
travaux des cortès, et fut promu à lévêché de Tortose.
L'inquisition, rétablie par Ferdinand VII, restauré par l'ar-
mée française en 1823, s'empara d'Abad y Queypeo, qui
fut condamné à six ans de présides. Il est mort après 1830.
ABADDOX. Foyei Abbadon.
ABADIOTES, peuplades de l'île de Candie, qui ha-
bite, au sud du mont Ida, une vingtaine de villages. Elle
compte 4,000 individus, descendants des Arabes ou Sarra-
sins qui s'emparèrent de l'île au neuvième siècle.
ABADÎE (Louis), charmant compositeur de romance.s,
né vers 1814, mort à l'hôpital La Riboisière, à Paris, au
mois de décembre 1858. Chaque année il publiait un album
de romances, parmi lesquelles on cite les Feuilles mortes,
le Braconnier, les J.olis pantins, Jeanne , Jeannette et
Jcanneton. « C'était, dit M. Fiorentino, un compositeur
plein d'idées , de ressources , de talent. La nature l'avait
doué d'une imagination vive, d'un esprit charmant, d'une
grande facilité d'improvisation. Chez lui la mélodie coulait
de source; il avait mené la vie nomade des chanteurs
de province... Ses chants jetés à tous les vents, retenus
par les orgues de Barbarie, avait conquis la popularité , en
attendant la vraie gloire. » Frappé d'apoplexie, il fut trans-
porté à l'hôpital, où il mourut dix jours après, Z.
ABADIR ouABADDlR. C'est le nom que les mytho-
logie» grecque et romaine donnent à la pierre que Cybèlc
ou Ops, femme de Saturne, fit avaler dans des langes à son
mari, à la place de l'enfant dont elle était accouchée. Des
anciens ont cru que cette pierre était le dieu Terme. Abadir,
qui en phénicien signifiait père rna^ruy/^îte, était le titre
que les Carthaginois donnaient aux dieux du premier ordre.
ABA DITES, nom d'une d ynastie maure qui, au onzième
siècle, eut pendant quarante-huit ans sa résidence à Séville.
Le premier prince de cette maison , auquel certains au-
teurs espagnols, Masden, par exemple, donnent le titre de
roi, fut Abad !"■ ou Mohammed-ben-Ismael ; ses ancêtres,
Syriens d'Émesse, s'étaient établis, du temps d'Abdérame I"",
à Tocina , sur le Guadalqiiivir, et lui-même était un des
musulmans les plus riches et les plus considérés de Séville. Son
intelligence et ses libéralités lui gagnèrent le cœur de ses con-
citoyens; fatigués des discordes intestines qui désolaient
Cordoue, ils le nommèrent leur émir en 1043. Mais son rival
se maintint à Cordoue , et ce petit État , opprimé par des
ABAOITES — ADANCOUKT
tyrans, no jnit ('tie léiirt à celui ileStîvillc qu'on l'anaéc 1070
<le notre îro. Parini tous les princes de ce siècle , Abad 1"'
n'eut point d'égal dans l'art de gouverner les peuples ; nul ne
sut mieux que lui tempérer la sévérité par la douceur. En
1 051 il remit les rén« du gouvernement à sou lils An\D H ou
Abou-Amrou-ben- Abad. Celui-ci , brave et éloquent, mais
cruel et débauché, étendit les limites de son domaine, et le
boidicur et la victoire signalèrent son règne. Toutefois , lors-
«lu'il se vit attaqué par Fenliuand le Grand , roi de Castille
et de Léon ( c'était la glorieuse époque du Cid ) , il fut réduit
à demander la paix , qu'il acheta en livrant les reliques de
saint Isidore. 11 mourut en 106i).
Abad III (Mohammed-al-Motamed), sonfds, troisième et
dernier roi de Séville, et le vmgt-cinquièmo roi de l'Es-
pagne mauresque, était doué de belles qualités du cœur
et de l'esprit , juste et doux , aimé de ses sujets , ami des
sciences, artiste lui-même et poète. 11 lit une guerre lon-
gue et sanglante aux chrétiens, et appela à son secoms,
contre le roi de Castille , Alphonse VI, les musulmans d'Afri-
que, commandés par Jussuf. C'est ainsi que le fondateur de
l'empire des Almo ravides de Maroc, l'audacieux et poli-
tique Jussuf TeschfjTi, fut invité à passer en Espagne avec ses
baîides. Les deux armées réunies se portèrent au-devant des
clu-étiens. Une bataille fut hvrée à Zélaka , non loin de Bada-
joz. Abad fut d'abord repoussé, mais Jussuf poussa en avant.
Abad , quoique blessé , réunit de nouveau ses troupes ; les
chevaux , eflrayés par l'aspect inaccoutumé des chameaux
bardés de fer, jetèrent le désordre dans l'armée d'Alphonse,
qui perdit la victoire, dont il se croyait déjà sûr (1087). 11
est à présumer que ce prince traita alors secrètement avec
Jussuf, car à partir de cette époque les Almoravides tour-
nèrent leurs armes contre les IMaures d'Espagne. Jussuf ne
tarda pas à s'emparer de Séville , mit la ville au pillage, et lit
charger de chaînes le roi Abad avec ses lils et ses filles ( il
avait cent enfants). Abad fut transporté en Afrique et jeté
dans un cachot , et ses filles obligées de filer et de broder pour
\ivre; elles gagnèrent assez pour adoucir encore, par leurs
secours, la captivité de leur père. Un de ses fils trouva des
moyens d'existence dans son talent pour la musique et la poé-
sie. — On a conservé d'Abad des écrits en prose et en vers ,
cjui prouvent la culture de son esprit. Dans sa captivité de
six ans, ce malheureux prince composa des poèmes destinés
à consoler ses filles et à doimer des avis aux rois , en leur rap-
(wlant les vicissitudes de la fortune. En lui s'éteignit la dy-
nastie des Abadites, qui avait régné quarante-huit ans à Sé-
ville. Aug. SWAGNER.
ABAISSEMEXT, d'un mot de la basse latinité signi-
fiant diminution de hauleiir. Eu algèbre, Yabaissemené
d'une équation est sa réduction à la forme la plus simple dont
elle soit susceptible. Vo7jez Équation.
En géométrie, Yubaissement d'une perpemUculaire est
l'action de mener une perpendiculaire d'un point placé hors
d'une ligne sur cette ligne. Voyez Perpf.nuiculaire.
En astronomie Vabaissement de V horizon visible est la
quantité dont cet horizon est abaissé au-dessous du pôle ho-
rizontal qui touche la terre. On entend par abaissement du
vcrcle crépusculaire la quantité dont le soleil est abaissé au-
dessous de l'horizon lor.sque le crépuscule du soir est totale-
ment fini , ou lorsque l'auroie commence, c'est-à-dire quand
on commence à voir le soir les plus petites étoiles après le
coucher du soleil , et qu'on cesse de les voir le matin avant
^on\(i\(tT. Vabaissement d'une étoile sous l'horizon est
l'arc d'un cercle vertical qui se trouve au-dessous de l'ho-
rizon, entre cette étoile et l'horizon. L'abaissement du pôle
est la quantité de degrés dont on avance du pôle vers l'écjua-
f our, parce qu'autant on fait de chemin en degrés de latitude,
en allant du pôle vers l'équateur, autant est grand le nombre
de degrés dont le pôle s'abaisse. Vabaissement des planètes
jiar l'effet de la parallaxe est la quantité dont nous les
Noyons plus basses que si nous étions «lacés au centre de la
terre, où il faudniil être pour voir les mouvemnits célestes
plus uniformes. On ne peut faire usage d'aucune espèce d'ob-
servation si ou ne la corrige de l'effet de cet abaissement.
En marine l'abaissement de l'horizon est synonyme de
dépi'ession de l'horizon ou courbure sphérlque de la portion
de surface de mer embrassée par le regard. On conçoit que
cet abaissement de l'horizon, rétrécissant l'espace qu'em-
brassent les yeux, ne permet pas à l'objet placé au delà du ni-
veau sensible de cet espace de se montrer tout entier à l'ob-
servateur. Ses parties élevées restent seules visibles; et si
l'objet continue de s'éloigner sur la mer, qui s'abaisse de plus
en plus, il disparaît proportionnellement à la distance, jus-
qu'à ce qu'il s'efi'ace complètement, conséquence de l'abais-
sement. Mais que l'observateur s'élève et domine l'obstacle
qui bornait sa vue, l'objet reparaîtra aussitôt sur son nouvel
horizon visible , qui s'est élargi par son élévation.
ABAïSSEUIi. Cet adjectif n'est employé qu'en anatomie.
Il s'applique à différenls muscles dont l'action consiste à abais-
ser ou à entraîner en bas les parties auxquelles ils sont atta-
chés. Par exemple, la mâchoire inférieure est abaissée par
les muscles digastriques et peauciers. L'œil est abaissé par
un des muscles droits qu'on nounue Vhutnble , ou le muscle
inférieur de l'œil, ou simplement l'abaisseur. Il y a en
outre un abais.seur de l'aile du nez , qu'on nomme myrti-
forme, à cause de sa ressemblance avec une feuille de
myrte.
ADAJOUE. Sorte de poche que divers genres de mam-
mifères portent dans l'épaisseur des joues , des deux côtés
de la bouche. La plupart des singes de l'ancien continent
sont pourvus d'abajoues qui s'ouvrent à l'intérieur delà ca-
vité buccale. Elles s'ouvrent à l'extérieur chez certains ron-
geurs d'Amérique, appelés pour cela diplostomes (à double
bouche ). Chez le hamster, autre genre de rongeur, les
abajoues représentent deux sacs, qui se prolongent depuis
l'angle des lèvres jusqu'au devant des épaules. Ces poches
servent à mettre en réserve pendant quelque temps ou à
transporter aune certaine distance les aliments que l'animal
ne veut pas consommer sur-le-champ. JI. Geoffroy Saint-IIi-
laire a découvert des abajoues fort remarquables sur quelques
chauves-souris du genre nyctère. Au fond de ces cavités se
trouve une ouverture étroite par où l'animal peut introduire
de l'air dans le tissu cellulaire très-làche qui unit la peau aux
muscles sous-jacents. Dans ce but, il ferme le canal nasal au
moyen d'un mécanisme particulier, et il pousse sous la
peau l'air qu'il expire. L'animal devient ainsi plus volumi-
neux , mais plus léger pour le vol. — On nomme encore
abajoue la partie latérale du groin de cochon ou de la tête de
veau lorsqu'ils sont cuits. — Familièrement on qualifie d'a-
bajoues les joues volumineuses et pendantes.
ABAN A , lleuve ou plutôt torrent qui prend sa source
presqu'au versant oriental du Liban , au pied de ce mont. Il
coule sous les murs de Damas, et dans la ville même, se
jette dans le désert, et va perdre ses eaux dans un marais à
quatre ou cinq lieues de là, au midi de cette ville. Les Sep-
tante le nomment Amana, les Grecs Chrysorrhoas (lon'ent
d'or), nom que d'autres donnent au Pharphar , torrent qui
baigneaussi les murailles de Damas. Ce qui confirmerait que
lAbana est plutôt un torrent qu'mi lleuve, c'est l'étyniologie
de son nom , ebén signifiant pierre en langue hébraïque. En
eîî'ct, le propre des torrents est de rouler des cailloux et
des rochers. Quelques-uns ont donné à ces c:u!x le non»
d'Oronte; l'Oronte, dit Strabon, traverse la vallée des deux
Libans. Est-ce aux rives de ce fleuve qu'au japport de
Properce les Romains recrutaient leurs courtisanes ?
DENNE-JjAriON.
ABAKCOURT (Fuvnçois-Jean VILLE.MALN W), poète
médiocre, né le 2'2 juillet 1743, à Paris, où il est mort, le
10 juin 1803. « Les poésies de ce jeune auteur, disait de lui,
«en 1772, l'abbé Sabathier dans les Siècles liUcraires,
« n'amioncent que la médiocrité, ce (|ui ne promet pas ds
ABAiNCOURT — ABASCAL
.< grands progrès. » Ce pronostic ne fat que trop Justifié : ses
fnblcs, «PS héroules, ses contes et nouvelles en prose, ses
po<ixies fugitives insérées dans différents recueils, tels que le
Mercure de France, VAlmanach des Muses et le Journal
des Dames, saas parier de quelques œuvres dramatiques, en
Kont les trLste-s preuves. Tous ces écrits sont complètement
oubliés. 11 a traduit aussi ou plutôt imité de Klopstock la
Mnrl d'Adam, tragédie en trois actes. Amateur passionné du
théillre, il avait fait une riche collection de pièces dramatiques,
rt quand elles n'étaient point imprimées , il ne négligeait rien
l>our se les procurer en manuscrit. La Harpe, dans sa Cor-
resjwndance, s'est souvent égayé surle compte de Villemain
a'M)ancourt. Ch.Du RozoïR.
ABANDON, ABAIVDOIVIVEIVIEIVT (des mots latins
lindum desercre, quitter ses drapeaux ), état où se trouve
une personne ou une chose délaissée. — En droit , ces mots
s'appliquent plus spécialement à la cession de ses biens faite
k des créanciers par un débiteur hors d'état de payer ses
dettes. Voyez Ce.«;sion de biens.
Dans le style oratoire, ahandonnement est plus fortqu'rt-
handon : il signifie entier délaissement. « Ministres du
Dieu des armées, apprenez-nous, ditMascaron, quels furent
dans ce triste a/^anrfonneme«< les sentiments d'uncœur, etc. »
Le mot abandnnnement suivi de la particule dk exprime
aussi l'action d'abandonner. « Cet ahandonnement de sa
propre cause , et par conséquent de la vie. » (Bourdaloue. )
Suivi de la préposition a, il exprime l'action de s'abandon-
ner à quelque chose ; Y ahandonnement aux plaisirs, aux
j)assions. Sans régime, il signifie aussi dérèglement excessif
dans les mœurs, dans la conduite : « Tant d'emportements
honteux, tantde faiblesse etd'abandonnemcnts. » (Massillon.)
"Noltaire s'en est servi une fois en poésie dans le sens de oubli
entier de soi-même pour une personne qu'on aime.
Je voi.^ couler tes pleurs; tant de soins, tant de flamme,
Tant A'ahandonnement ont pénétré ton àme.
En littérature abandon est synonyme de naturel. Ainsi,
quand il s'agit d'apprécier des discours et des œuvres de l'es-
jirit, on appelle a <;anrfon cette manière facile et naturelle de
s'exprimer où l'esprit se laisse aller au mouvement du senti-
ment et de la pensée. On dit encore d'un acteur qui rend avec
chaleur et naturel les endroits passionnés de son rôle, qu'il a
débité telle tirade avec abandon.
ABA\0, ville de 3,000 âmes, située dans la délégation
et le district de Padoue, à six milles au sud de Padoue, au
pied du mont Euganei, était déjà célèbre chez les Romains,
à cause de ses mines de soufre, et connue alors sous le nom
tle Aquœ Aponi ou de Aqitœ Patavinœ ( Pline ). Vers la fin
»iu dix-huitième siècle on découvrit des restes de bains anti-
ques à. Monte-Grotto (iWons /Ejro^ontm) , àSan-PietroMon-
tagnone et à Casa-Nuova. — C'est à Abano que se trouve la
source sulfureuse la plus chaude de l'Europe. Elle fait partie
des sources de l'Euganei, qui sortent, dans un rayon de
quelques milles, du revers oriental de cette montagne , et
jaillit du (;ilte du Moutiron. Le sel commun, le natron sulfu-
reux, la mngnésie et une faible partie de gaz acide sulfureux
constituent les parties essentielles de cette eau , qui atteint
une température de CG h 69" R. On emploie avec beau-
coup de succès le limon qu'elle dépose pour des bains de
boue contre les éruptions chroniques de la peau, des syphilis
invétérées et la goutte. Abano n'est pas moins célèbre pour
avoirdonné le jour à Tite-Live et au médecin Pietro d'Abano.
ABAXO ( PiETno n'). Petriis de Apono et Aponensis.
Cet écrivain, né en 124f. , et qui prit son nom du village d'A-
bano, se distingua parmi les savants en philosophie et en mé-
decine, et cultiva l'astrologie avec une telle prédilection
qu'il fut accusé de magie, ensuite d'hérésie; mais il en fut
absous. Il put dès lors se livrer avec liberté à ses inclinations
scientifiques, et il écrivit sur les nativités, la physiognoman-
:ie. la chiromancie, la géomancie, la nécromancie, ia magie,
l'alchimie ou Yart, selon les adeptes, et il traduisit du grec
ou de l'arabe des traités variés sur des matières non moins
oiseuses , telles que les jugements des astres et leurs révolu-
tions , l'influence des planètes, les choses occultes pour les
hommes, les conjurations parles sept jours de la semaine, etc.
Il eut de meilleurs moments dans ses travaux, et il les em-
ploya à un traité des fièvres , à la traduction des problè-
mes d'Aristote, du traité du choléra noir de Galien, et à ses
commentaires sur Dioscoride. Il peignit dans le palais de jus-
lice à Padoue plus de quatre cents sujets variés placés sou*
l'influence des planètes , des douze signes du zodiaque et des
mois, ce qui n'empêcha pas la commune de Padoue de lui éle-
ver une statue près d'une des portes du prétoire, et, après .sa
mort, arrivée en 1312, un grand nombre d'écrivains ont parlé
de sa vie et de ses ouvrages. Les adeptes, et il y en a encore,
honorent son nom comme celui d'un des |)atriarcl)es des
sciences occultes. La Bibliothèque impériale de Paris possède
de nombreux manuscrits des ouvrages de Pierre d'Ab.ino : un
exemplaire de son traité de Venenis est remarquable, pour
avoir été exécuté pour Charles duc d'Orléans et de Milan, et
écrit par Nicolas Astézan, celui des secrétaires du prince qui
écrivit le beau manuscrit denses poésies que possède la biblio-
thèque de Grenoble. Cuampollion-Ficexc.
ABAOUJVAR ( Comitat d' ), l'un des comitats du
royaume de Hongrie, compte une population de 140,000
Ames, répartie sur une superficie d'environ 53 myr. carrés. Il
est subdivisé en cinq districts, Cassovie, Fuser, Tzerhal,
Szikr et Goutz. Son chef-lieu est Cassovie, ville libre royale
et fortifiée, ayant 13,000 habitants, résidence d'un évoque,
le centre d'un commerce aussi actif qu'important. C'est
dans le comitat d'Abaoujvar qu'est situé le célèbre vignoble
de Tokay. 11 renferme aussi quelques gîtes métallifères et
des mines d'opale. Son principal cours d'eau est le Hernad.
ABAQUE. Ce mot, qui paraît dérivé du phénicien
obak , poudre, poussière, désignait chez les anciens mathé-
niaticiens une petite table couverte de poussière et sur laquelle
ils traçaient leurs plans et leurs figures. Les anciens donnaient
aussi le nom d'abaque, ahacus, à une espèce d'armoire ou de
buffet destiné à différents usages. Dans le magasin d'un mar-
chand, l'abaque était le comptoir; dans une salle à manger,
l'abaque , ordinairement en marbre , soutenait les amphores
et les cratères. C'était le meuble que les Italiens ont appelé
crcdenza. — On donne aussi le nom à^abaque à un instru-
ment propre à faciliter les opérations de l'arithmétique ; la
forme en varie beaucoup , mais celui qui est le plus généra-
lement employé en Europe consi.ste en un cadre long et divisé
par plusieurs lignes parallèles, éloignées l'une de l'autre d'au
moins deux fois le diamètre d'un compteur qui , placé sur la
ligne inférieure, signifie 1 , sur la ligne qui vient ensuite 10 ,
sur la troisième 100, sur la quatrième 1,000, et ainsi de
suite. Un autre compteur, placé dans les espaces qui sépa-
rent les lignes, ne représente que la moitié de c6 qu'il vau-
drait placé sur la ligne supérieure suivante. — En architec-
ture, Vabaque est le couronnement du chapiteau de la
colonne , ou du pilastre , et sa forme varie suivant les ordres
d'architecture. Dans le toscan, le dorique , l'ionique , il est
carré ; dans le corinthien et le composite , il est échancré sur
les faces. On donne alors à ses angles le nom de cornes.
ABARBiVIVEL. Voyez Ahuabanel.
ABAS , mesure de pesanteur dont on se sert en Perse
pour peser les perles. Elle équivaut à la huitième partie d'un
carat.
ABASCAL ( Josk-Fep.nando ) , marquis de la Concordia
espaùola del Peru , né en 1743, à Ovii-do , et mort à Madrid
en 1S51. Entré de bonne heure au service en qualité de ca-
det, il re.staprèsde vingt années dans les grades inférieurs,
fut fait colonel en 1793, à la stiite de l'expédition tentée par
les Espagnols contre Sainte-Catherine et la colonie du Sacre-
ment. Lieutenant de roi à l'ile de Cuba en 1796 , il défendit
la Havane contre les Anglais, avec une vigueur qui (it jeter
ABASCAL - ABATARDISSEMENT
los yeux sur lui pour lui confier le commanJemont général
et l'intondanco du royaume delà Nouvelle-Galice, dans la
Nouvelle-Espagne , avec la présidence de la cour royale de
Guadalaxara, capitale de cette province. Dans ces fonctions
Abascal déploya tant d'activité et de talent que le roi d'Es-
pagne l'éleva, en 1804 , au grade de maréchal de camp et le
pourvut presque aussitôt de la vice-royauté du Pérou. En se
rendant par mer à son nouveau poste , il fut pris par des
croiseurs anglais et conduit à Lisbonne , d'où il ne tarda pas
à s'écliappcr. Il passa alors à Janeiro, et fit 1300 lieues par
terre pour gagner Lima. Les événements survenus en Espagne
ne tardèrent pas à provoquer en Amérique une insurrection
qui devait changer la face de ce pays, aussi peu disposé à su-
bir le joug de Napoléon que le despotisme de la métropole.
Par la douceur et l'esprit de justice de son administration,
Abascal retint le Pérou dans les liens du devoir envers la
métropole ; il établit des fabriques de poudre et de munitions ,
fit construire des magasins et fortifier les villes les plus im-
portantes. Reconnaissantes des services signalés qu'il rendit
par là à la cause de l'indépendance nationale , les cortès , par
un décret du 30 mai 1S12, lui conférèrent le titre de mar-
quis de la Concordia , nom du régiment de volontaires de
Vunion espagnole du Pérou qui avait été créé par lui dans
le but de maintenir l'union entre les créoles et les Espagnols.
11 snt inspirer aux divers gouvernements qui se succédèrent
ensuite dans la mère-patrie une confiauce telle qu'il fut main-
tenu par tous dans son administration , bien au delà du
terme formellement fixé par les règlements. Il ne résigna la
vice-royauté du Pérou qu'en 1816; il était alors âgé de
soixante-treize ans.
ABATARDISSEilElVT ( du vieux mot bastard, qui
signifie une extraction inférieure , ou basse et non avouée ).
Ce mot s'entend d'une sorte de dégénération des races , d'al-
tération du naturel. 11 s'emploie en parlant de l'homme , des
animaux, des végétaux, et signifie la perte ou l'affaiblisse-
ment de quelques qualités que l'on trouvait à l'origine , ou
l'apparence de quelques vices qui ne se faisaient pas d'a-
bord remarquer. 11 se prend du reste aussi bien au physique
qu'au moral. Une longue servitude abâtardit le courage ;
les jeunes gens s'abâtardissent dans l'oisiveté, dit le
Dictionnaire de l'Académie.
Lorsqu'on fait servir un étalon , un taureau , un bélier ou
un coq , et tous les mâles polygames surtout , à une fécon-
dation plus multipliée que ne le permet la limite de leurs
forces , on obtient des produits faibles , efféminés , vieux de
bonne heure , ou bien lâches et énervés. Si l'on connaît les
Inconvénients pour le développement de la taille de généra-
tions trop précoces , les productions des animaux trop âgés
sont souvent languissantes. Un cheval né d'un vieil étalon ,
usé au haras, montre, malgré sa jeunesse, des yeux caves,
l'oreille basse et d'autres signes de faiblesse innée : il n'a
point le feu, l'impétuosité de celui qui sort de parents
plus jeunes ; il se casse plus tôt. Conune les mâles polygames
se partagent entre plusieurs femelles , celles-ci dominent sou-
vent dans le produit de la génération; aussi naît-il un plus
grand nombre de femelles que de mâles parmi les poules , les
brebis et les chèvres, les génisses, etc. Il en résulte encore
que les mâles seront moins masculins , moins ardents , s'ils
naissent de pères trop surchargés de fonctions génitales, et la
race continuera de s'abâtardir par cette voie. On la régé-
nérera au contraire en introduisant un plus grand nombre de
mâles , jeunes, vigoureux, parmi les femelles. Quand il existe
même une .surabondance de ceux-ci, ou que la polyandrie
s'établit , la femelle servie par plusieurs mâles étant mascu-
linisée, elle engendre un plus grand nombre de produits forts
ou de mâles robustes. Nous pouvons donner une preuve de
ces faits chez l'espèce humaine elle-même. Dans les contrées
où la polygamie est en usage, les hommes sont énervés de
bonne heure parles voluptés, tandis que les femmes, domi-
nant dans les produits de la génération, donnent naissance
à une plus grande proportion de fiUcs que de garçons ; aussi
les peuples polygames sont efféminés, lâches la plupart, et
toujours soumis à des gouvernements despotiques. Au con-
traire, en Europe, où la monogamie est seule permise, il
naît toujours uneplus grande quantité de garçons quede filles
( un 1 6" environ ) ; la race y est plus virile , parce que le mâle
domine dans la reproduction. Aussi le courage , l'intelligence
et l'industrie des Européens surpassent toutes ces mêmes
quahtés chez les nations polygames.
Frédéric-Guillaume l"^, roi de Prusse , qui recherchait les
gardes du corps d'une haute taille , en ayant marié plusieurs
à Berhn , on en vit naître des enfants d'une stature très-éle-
vée pareillement. On a voulu marier ensemble des nains,
mais il n'ont rien produit. Des individus de courte taille n'ont
souvent que des enfants rabougris. Cependant un allaitement
prolongé et de bonnes nourritures peuvent donner plus de
hauteur à la taille, de même que la disette on le défaut d'ali-
ments suffisants peut retenir , au contraire , les enfants et les
jeunes animaux au-dessous d'une stature ordinaire.
Il y a d'autres moyens d'obtenir des races naines de chiens ;
c'est, par exemple, de hâter la précocité de la génération et
de l'âge ordinaire de la puberté. La première portée d'une
jeune chienne ne donnera que des individus de courte taUle,
parce que n'ayant pas encore atteint toute sa croissance ou
son complet développement, elle ne possède qu'un utérus en-
core étroit; les fœtus ne s'y épanouissent pas si librement.
D'aUleurs, puisque cette génération prématurée' ôf e au corps
de la mère toute la nourriture qui est destinée à sa progéni-
ture, ces petits, à leur tour, parviennent plus promptement
que les grandes races de chiens à leur complément de taille
dans cette brièveté. Que l'on continue donc de les faire accou-
pler de plus en plus jeunes, alors on abâtardira de plus en
plus leur race : on en formera des nains ( pumilioncs ); on
abrégera par la même raison la durée de leur vie ; on accé-
lérera davantage les périodes de leurs fonctions, car ces pe-
tites chiennes portent moins de temps que la gestation ordi-
naire des grandes chiennes. Parvenues plus rapidement à la
puberté , elles vieillissent aussi plus tôt. Ajoutez à ce moyen
d'autres moyens indiqués , tels que des nourritures amoin-
dries, vous obtiendrez alors ces menues races de bichons,
de roquets , à peine gros comme le poing , comparés aux
énormes chiens danois, dogues et mâtins. Ceux-ci sont par-
venus à une forte taille par des procédés tout opposés. Ainsi,
en donnant à un chien des aliments abondants , en ne le
laissant d'ailleurs accoupler que tard, dans toute la plénitude
de sa croissance et de sa vigueur, et en poursuivant la même
méthode pendant plusieurs générations , la race s'agrandira,
s'embellira d'autant plus que tous les animaux recherchent
naturellement les plus beaux et les plus robustes individus de
leur espèce. C'est ainsi que l'on voit de petites chiennes pré-
férer à leur mâle rabougri et cagneux ou rachitique d'énor-
mes et vigoureux mâtins. N'est-ce pas cet instinct naturel
qui dans l'espèce humaine fait également choisir en amotn
par chaque sexe les plus beaux individus ? Ainsi , toujours un
beau grenadier, un vigoureux guerrier , auront le pas sur les
autres hommes près du beau sexe. Les anciens Germains, si
chastes, comme l'affirme Tacite, étaient de grands et beaux
corps d'homme, dont l'aspect seul effrayait les Romains, de-
venus petits et corrompus. Aussi les mariages étaient autre-
fois tardifs dans la Germanie, et c'est à leur plus grande
précocité, depuis que la civilisation s'y est introduite, que
Hermann , Conringius et d'autres savants allemands n'hé-
sitent point à attribuer la taille de ces nations blondes du
nord de l'Europe, plus courte que celle de leurs ancêtres.
On pourrait s'enquérir aussi , par la même cause , bi la cor-
ruption des mœurs dansl'espèce humaine, à mesure que la ci-
vilisation rapproche les deux sexes ou multiphe leurs relations,
n'a point fait dégénérer en effet notre race. On a souvent
dépeint nos aïeux sous la forme de grands corps, simples de
ccnur, robustes , vivaces et grands mangeurs. Ils u'élaicnt
AnATAUDlSSEMK-M' — AliATTEMEM"
|)ubi'rrs qu'à un ûge fort nvaiuvo : on se mariant tard , lorsque
la constitution était dans toute son éiirr'^ie et avait atteint
M)n entier accroissenicnt , il en résultait des «Hres liien con-
formés et de haute stature. Aussi est-ce une opinion ancienne
que tout a dégénéré sur le globe , et que uous ne sommes
jilus que des avortons.
Jamijuc ailco fr.icla est Ktas ; affœlnqiic tcllus
Vil auiiniilia |iarva iTcat, qii.T cuncla crcavit
Saccla , dcditquc fcraruiu iiij^ciitia ci>r|>ora parlu.
LuCRET., Rer. Nul. liv. II.
On peut ajouter que presque tous les débris fossiles des ani-
maux perdus de l'ancien monde attestent leur grandeur
colossale, chez les mastodontes, les megatherium, mef;alo-
saurus, etc., et même les ours, les cerfs gigantesques, ^ivant
des siècles en sécurité , exempts de la tyrannie de l'homme.
Valxilurdissement dans les produits des mâles, soit trop
vieux ou trop jeunes, soit énervés par trop de jouissances, est
tellement maniué , qu'on obtient surtout par celte voie des
indi>idu.s albinos ou blafards. Ces êtres abâtardis manifes-
tent dès leur jeunes^-e une langueur torpide qui les dispose
au sommeil , à la paresse, h la crainte. On obtient ainsi des
individus souples et obéissants, mais lâches et sans nerf; leur
teint est pile et fade, leur vue faible. Tels sont les chevaux ,
les chiens, les lapins, etc., à poils blancs. Kn Hongrie la
plupart des boeufs deviennent albinos après avoir subi la
castration, qui les énerve encore davantage.
Ainsi, l'on agrandit , l'on ennoblit les espèces ou les races
en retanlaiitleurgénération, en diminuant la quantité de leurs
jM-oduetions. L'individu conservera sa vigueur , sa procérité,
d'autant plusqu'il prodiguera moins ses facultés, sa vie. Rien
au contraire n'épuise, ïi'abdlardil lantles races que cette
multiplicité de reproductions , qui énerve les individus pour
nuiltiplier leur nombre. De là ces racailles d'êtres qui pullu-
lent sans cesse dans la nature, et vont dégénérant de plus en
plus, en abrégeant leur vie par la fréquence de leurs jouis-
sances. Elles (iniraient, dans la suite des siècles, par ré-
duire toutes les espèces créées en une inlinité d'embi^ons
imparfaits, dégradés, rabougris, qui s'entremêleraient dans
une promiscuité universelle, jusqu'à tout confondre et tout
anéantir.
Rarement chez les animaux sauvages on voit des individus
<lépravés et libertins rechercher d'autres espèces pour pro-
<luire des métis, des hybrides, des mulets. Chacun préfère,
jtour l'ordinaire, le sexe de sa propre espèce , ce qui main-
tient des limites constantes, même entre les races les plus voi-
sines; mais la domesticité, rapprochant des races divei-ses,
|)rocréa des alliances hétérogènes , et d'ailleurs l'abondance
de nourriture augmente les besoins de reproduction.
Si par rapport à nous la culture du jardinier perfectionne
les fruits d'un arbre ou un k^ume; si elle produit des fleurs
doubles ; si la domesticité et l'éducation favorisent un plus
grand développement physique et mor;U du chien et du che-
val, nous a|)pellerons perfeciionnenipnt ce qui par rapport
à l'ordre naturel, écarté pourtant du type primordial , est de-
venu abâlardissemcnt et dcgcnéralion. En effet une fleur
double est celle dont les étamines sont transformées par un sur-
croit de nourriture en pétales nombreux; mais privée par
cette transformation de ses organes mules, elle ne peut plus
80 féconder : clic demeure stérile. Aussi les fleurs doubles
ne donnent presque jamais de graines fécondes. Pareille-
ment une poule grasse ne produit plus d'œufs : toutes ses
facultés vitales, occupées à élaborer de la graisse, laissent
énervées les fonctions, plus importantes, de la reproduction.
Sans doute ces productions ainsi amollies dans nos parterres,
ces roses doubles, ces animaux engraissés dans les basses-
cours, servent aux agréments de la vie; mais ils sont sortis
tie leur ét;tt naturel, car ils ne peuvent i)lus se reproduire. Ils
l'ortent l'enqiremte de l'esclavage et de l'abàlardisscment.
c>u'on les abandonne à eux seuls, et bientôt ces races, lorcées
de rentrer dans leur éijiiilibrc primitif, reviendront à l'clat
sauvage, mais fécond. La pomme, la poire fondante, per-
dant leur chair savoureuse, ne seront jiius (pie de maigre.s
fruits ligneux , mais reprendront de grosses et fortes sem.en^
ces capables de doimer naissance à des sauvageons vigou-
reux. Le chasselas si sucré deviendra le verjus aigre et à gros
pépins de la lambrus(jue ou vigne sauvage. La pèche déli-
cieuse reprendra son tissu fongueux et aride comme du brou.
r:;nfin le^ céréales mêmes, .ibandonnées dans un sol maigre
et inculte, retourneront à leur état de maigreur, de dureté,
de solidité, que leur restituera toute leur énergie originelle :
Vieil iccla diii cl luiillo spcclata iabiire
Pcjrcncrarc laiiicn , ni vis humana (]iiotannis
Maviina qua-quc niami lejrcrcl; sic oinnia fatis
In pcjus rucrc ac relro sublapsa rcfcrri.
Virgile parle ici selon l'opinion vulgaire ; mais dans la réa-
lité c'est la culture qui produit un utile abâtardissement,
pour amollir, attendrir, engraisser, développer des indivi-
dus, tout en les énervant dans leurs facultés les plus énergi-
ques. C'est en effet par li\ cas tration, par l'évisation
qu'on réduit les animaux et plusieurs plantes (ainsi abâtar-
dies), à former des nourritures tendres, délicates, savou-
reuses pour nos tables. C'est par ces procédés qu'on a rendu
I(^s animaux plus dociles, plus civilisables à l'état de domes-
ticité. L'état de vigueur, d'énergie génitale , donne la fierté
iuilomptable, la sauvagerie , l'instinct ardent de l'mdépen-
dance à tous les êtres; et certains philosophes ont considéré
notre civilisation comme un véritable abâtardissement.
J.-J. VlUEV.
ABAT-FOIN, ouverture pratiquée au plancher d'un
grenier, au-dessus d'une écurie ou d'une étable, etparla-
(pielle on jette le foin nécessaire à la consommation du jour.
ABAT-JOUR, sorte de fenêtre en forme de botte, où
le jour vient d'en baut, et qui est destinée à diriger la lu-
mière sur ciuelques points particuliers, comme dans les
ateliers, les magasins; ou à empêcher de voir en bas,
comme dans les prisons; ou bien enfin à éclairer des étages
souterrains. — On donne le même nom à des réflecteurs
coniques, hémisphériques ou de toute autre forme , adaptés
aux divers appareils d'éclairage, et qui ont pour effet de
renvoyer en bas les rayons lumineux et de jeter une clarté
plus vive dans cette direction. Ou fabrique des abat-jour en
fer blanc, en cuivre, peints ordinairement en blanc par-des-
sous ; on en fait aussi en carton , en papier , en parchemin,
ornés de joli» dessins et même de charmantes peintures.
Pres{[ue toutes les lampes sont munies d'abat-jour; on en
adapte également aux bougies et aux chandelles, au moyen
d'un support en (il de fer qui suit la marche de la flamme.
ADATTEE. Dans la marine on appelle ainsi je mou-
vement horizontal de rotation que fait , pour obéir au vent ,
à la larne, ou à la marée , l'avant d'un navire en panne ou à
la cape. L'abattée diffère de l'arrivée en ce qu'elle est tou-
jours un mouvement involontaire ou forcé.
ABATTEAÎE\T. Ce mot, formé du verbe abattre, ne
se prend plus aujourd'hui dans son acception primitive ; on
ne dit plus Va battement d'un arbre, on dit Vabattage, et il
n'y a plusquc les substanlifsai'fi//eMr et û&a/^ojr qui se soient
conservés au sens propre. Abattement ne s'entend plus qu'au
figuré; mais en ce sens il s'applique au physique comme au
moral , aux facultés du cori>s comme à celles de l'àme. Il iu-
ditpie un état d'affaiblissement et presque d'anéantissement.
Quand il s'agit des forces du corps, on le remplace souvent
par un mot plus technique, celui de prostration, qui ne s'em-
ploie que dans ja terminologie médicale , et qui ne rend pas
aussi bien que le mot abattement l'état qui résulte d'une di-
minution de forces à la fois relative au moral et au physique.
L'abattement moral tient à toutes les facultés de l'àme , à
celles de l'intelligence et de la sensibilité comme à celles de
la volonté, à notre être moral tout entier; et il est tout à fait
du domaine dt; la morale et de la psychologie. Il peut tenir
l lui à l'un tics trois groupesde facultés psychologiques <p;'au\
ABATTEMENT — ABAUZIT
tUu\ autres; m;»i> d'orJinairc ils y soat engagés tous les trois
à un degré (iiiekonque.
Vabattcmcnt peut se rapprocher du découragement ;
mais ces deux mots ne sont pas sj-nonyuies , ne désignent pas
le nu'nie état. Le découragement n'est qu'une absence,
qu'une éclipse plus ou moins profonde de courage, et ce n'est
que le cceur q\ù y manque. 11 peut entrer dans l'abattement
du découragement , une éclipse de courage ; mais il y entre de
plus une diminution réelle de facultés morales ou physiques.
Cela peut être rendu d'une manière très-sensible. Nos facul-
tés intellectuelles, par exemple», sont quelquefois à ce point
abattues que , malgré tout le désir que nous avons d'en faire
usage, et malgré tous les efforts que nous faisons , elles sont
comme anéanties. Ce n'est plus alors le courage qui nous
manque , et c« n'est pas dans un état de découragement, c'est
tlans un état ^''abattement que nous sommes. Il en est de
même des facultés du sentiment et de la volonté. Nous aime-
rions à aimer, nous voudrions vouloir , et nous ne le pou-
vons. Ce n'est pas par suite de découragement, c'est par suite
d'abattement.
Comment remédier au mal? En bien distinguant ce qui est
abattu , et en remontant à la cause qui a produit l'abatte-
ment. Quand toutes les facultés morales et physiques sont
affaiblies , le remède ne saurait être le môme qu'au cas où il
n'y a diminution que dans les seules facultés de l'intelligence,
ou de la sensibilité , ou de la volonté. D'ordinaire rabatte-
ment n'est complet qu'autant qu'il embras.se le corps et l'àme,
dans l'état de maladie, par exemple. Or, il arrive aisément
que les excès qui épuisent les forces du corps , les commotions
violentes qui en jettent l'organisme dansl'ébranlement, épui-
sent aussi les facultés de l'âme , éteignent l'imagmation, tuent
le sentiment , et anéantissent la volonté. Dès que les excès
du corps ont amené le mal , c'est par les remèdes appliqués
au corps qu'il faut entreprendre laguérison, cela est entendu.
Mais cela ne sulTit pas dans les cas où il y a complication, et
si la médecine de l'àme ne vient au secours de celle du corps,
celle-ci ne saurait aboutir. -Celle de l'âme elle-mèiiie doit
prévenir plutôt que suivre; et il appartient à la morale et à
la philosophie de donner d'importantes directions à cet égard.
II est dans la vie des époques où ïabattement moral, qui
n'a rien de commun avec le découragement politique ou so-
cial , par exemple, n'est que le redoutable effet de cette Né-
mésis que la science des choses divines et étemelles appelle
la Providence. Il appartient à Ihygiène de l'âme de prévenir
cet abattement moral , comme il appartient à l'hygiène du
corps de prévenir l'abattement physique. Matteh.
ABATTIS. C'est, en termes de tactique , une sorte de
retranchement qu'on établit au moyen d'arbres abattus , et
dont l'usage remonte incontestablement à la plus haute anti-
quité. On trouve dans une foule d'auteurs anciens et mo-
dernes de remarquables exemples du parti avantageux qu'on
a su en tirer dans tous les temps pour assurer un poste d'in-
fanterie, retrancher un village, un défilé, une vallée, et tout
autre lieu resserré où l'on a des arbres à sa portée. Quand on
est pressé, on se contente d'abattre les arbres et de les entasser
les uns sur les autres. Si on a le temps d'appliquer les règles
de l'art, on rangera en avant- d'une tranchée préalablement
creusée les arbres très-près l'un de l'autre, le tronc en dedans,
en les assujettissant avec de fortes branches. On aura soin que
les branches soient bien entrelacées les imes dans les autres ,
bien épointées et débarrassées des plus petites, afin qu'embus-
qué derrière on puisse voir l'ennemi sans en être aperçu. Ce
fut à l'aide à'abattis que Mercy put lutter avec tant d'a-
vantages et si longtemps dans les affidres de Fribourg (1G44)
et d'Enshcim (1G74). Dans ce dernier combat un petit bois
qui couvrait la gauche des alliés, et dans lequel ils avaient
pratiqué quelques abattis, fut de la part de l'armée française
conmiandée par Turenne le but d'efiorts acharnés , et coûta
beaucoup de sang et de temps aux vainqueurs. A la bataille de
Malplaquct, Villars avait en soin de fortifier sa droite et sa
gauche par des abattis; s'il fut battu par l'heureux Marlbo-
rough , la faute n'en fut certes pas à la faiblesse de ses retran-
chements.
— En termes d'art culinaire, on entend par abattis la
tète, les pattes, les ailerons, le foie et une partie des en-
trailles d'une dmde, d'un chapon, d'une oie, et autre pièce
de volaille.
ABATTOIR. On appelle ainsi le lieu où l'on abat , dé-
pouille et dépèce les animaux qui servent à la nourriture de
l'homme. Les notions les plus élémentah-es d'hygiène publique
indiquent qu'il y a insalubrité et danger à laisser des tueries
particulières au milieu d'un grand centre de population.
Aussi dans la plupart de nos grandes villes de France a-t-on
à cet égard imité l'exemple de la capitale , dont les abattoirs
méritent d'être cités comme modèles. La pensée première
en est due à Napoléon, qui, par un décret du 10 novembre
1807, en ordonna la construction. Ce ne fut pourtant qu'à
la fia de iSlS que les bouchers de Paris durent cesser d'a-
battre chez eux les animaux destinés à la consommation de
leurs pratiques et les envoyer aux abattoirs publics. L'an-
cienne ville de Paris comptait cinq établissements de ce
genre, deux sur la rive gauche et trois sur la rive droite.
Depuis la réunion des communes de la banlieue à Paris, la
ville a acquis des terrains à la Villelte, sur les bords du
canal, pour y étabhr un abattoir unique adjoint à un mar-
ché aux bestiaux. Ce double établissement sera borné au
.lord-ouest par la partie supérieure de la rue de Flandre,
au nord-est et à l'est par la route stratégique, au sud par
la rue d'Allemagne, et au couchant par l'impasse du Dépotoir
et la partie iniérieure du canal Saint-Denis; il sera coupé
en deux par le canal de l'Ourcq. Paris possède en outre un
abattoir de porcs.
Les abattoirs doivent être situés aux extrémités des villes.
Ils doivent être isolés des habitations et recevoir de l'eau
en abondance; il faut en outre qu'ils soient placés auprès
des égouts ou des rivières, pour que les eaux s'y écoulent
sans laisser de trace dans les rues. Les cases destinées à
l'abattage doivent être dallées et construites, jusqu'à une
certaine hauteur, en pierres de taille dures, pour résister aux
lavages continuels. 11 faut de plus que par la position et
l'épaisseur du mur, ainsi que par la disposition du toit,
il règne dans l'intérieur une fraîcheur nécessaire à la con-
servation de la viande et à l'éloignement des mouches. Un
abreuvoir et une cour dallée, dite voirie, où l'on jette les
matières que l'on trouve dans les estomacs et dans les intes-
tins des animaux , et qui doit être journellement lavée à gran-
des eaux, sont encore dans les conditions essentielles qu'exige
un abattoir. Les fonderies de suif en branche qui en dépen-
dent, et quinepeuventôtre exploitées dans l'intérieur des vil-
les, doivent être réunis à l'abattoir, ainsi que les échaudoirs,
endroits où sont échaudées , lavées et préparées toutes
les issues d'animaux qui entrent dans le commerce de la
triperie. Z.
ABAT-VEiVT. On appelle ainsi un assemblage de pe-
tits auvents parallèles et inclinés de dedans en dehors que
l'on établit dans les baies des tours, des clochers et de
certains établissements, pour garantir l'intérieur du vent et
de la pluie, tout en 'laissant à l'air une libre circulation.
Dans les tours et les clochers les abat-vent servent encore à
abattre le son des cloches et à le diriger en bas. C'est là ce
qui les fait nommer aussi abat-sons.
ABAT '■VOIX, espèce de dais dont une chaire à prê-
cher est surmontée, et qui sert à rabattre la voix du prédi-
cateur vers l'auditoire.
ABAUZIT (FinaiN). Né à Uzès, en 1679, d'une famille
protestante, fut bibliothécaire à Genève, où ses parents s'é-
taient réfugiés lors de la révocation de l'édit de Nantes. Il y
mourut en 17C7, laissant plusieurs écrits, dans lesquels Rous-
seau, qui le compare à Socrate, semble avoir puisé sa pro
fession de foi du Vicaire Savoyard. Ses œuvres se com-
8
AIULZIT — ABBAS
posent do morceaux d'Iiistoire, de critique et de tliéolosic.
L'édition publii^ à Genève en 1770, l vol. in-b", se com-
plète par deux autres volumes portant la rubrique de
Londres, 1770-1773. l'endant un voyage en Hollande, eu
1C98, il se lia avec Bajle, Hasnage et Juricu. Newton lui
envoya son Commerchnn epistolicum, avec ces mots :
« Vous êtes bien digne de juger entre Leihnitz et moi. »
ABAZÉES, fêtes ou cérémonies célébrées en l'Iionneur
de Bacchus, dont on attribue l'institution à un roi asiati<|ueap-
pelé Dyonisio<!, Ii!s de Caprus, et dont on fait venir le nom
du grec âSax£iv, garder le silence, parce que, bien diffé-
rentes assuréuïcnt des autres fêles consacrées à Bacclius,
elles se célébraient sans bruit.
AB AZES, peuples du versant nord-ouest duCaucase,
qui semblent avoir avec les Circassiens une grande simi-
litude d'origine, de mœurs et de langage, encore bien que,
suivant l'allas, leur langue ne ressemble à aucun idiome
connu. Leur territoire s'étend depuis la Mingrélie jusqu'aux
frontières de la Circassie occidentale. C'est un pays arrosé
par une multitude de petits cours d'eau, d'une grande ferti-
lité, bien qu'il soit très-montueux et couvert en général de
forêts où la chaleur et l'humidité entretiennent une végéta-
tion aussi luxuriante que celle de l'Amérique centrale.
Les Abazes cultivent assez imparfaitement leur sol, se
livrent à l'éducation des abeilles, des bestiaux, et élèvent des
chevaux estimés. Habiles forgerons, ils fabriquent des armes
qu'on recherche danslesdivers pays du Caucase. On présume
môme qu'il y a dans leur pays des mines d'argent ; mais ils ne
savent pas plus en profiter que de leur situation géographi-
que, si propre à la navigation et à la pêche ; ils aiment mieux
se livrer au brigandage dans leurs montagnes, ou, nionlés dans
des barques, infester les côtés de la mer Noire. Les Grecs
les désignaient autrefois sous le nom iVAc/ixi, et ils avaient
déjà parmi eux la réputation de pirates rusés et redouta-
bles. Aune époque postérieure, ils étaient, sous le nom d'A-
basgi, e^trêmementdécriés parles Byzantins, pourleurcom-
merce d'esclaves. Aujourd'hui encore ils se vendent les uns
les autres aux marchands d'esclaves ; et comme leurs fem-
mes sont^énéralement belles, on les fait aisément passer pour
Circassiennes dans les harems turcs ; on prétend même que
l'ambition la plus chère des jeunes tilles abazes est d'être
admises dans l'un de ces gynécées et de servir aux plaisirs
des riches musulmans.
L'empereur Justinien les avait convertis au christianisme;
subjugués ensuite par les Persans, ils embrassèrent l'is-
larnisme. Plus tard, en 1400, conquis par Tamerlan, ils ser-
virent dans son armée contre Bajazet. Soumis par les Turcs
au dix-huitième siècle, ils se révoltèrent en 1771, retournè-
rent à leurs auciennes pratiques superstitieuses, ne conservant
de l'islamisme que l'usage de s'abstenir de la chair de porc.
Aujourd'hui ils ne sont, à proprement parler, ni clircliens ni
mahomélans ; on trouve pourtant chez eux dans la célébra-
tion du dimanche une faible trace de christianisme. On dit
même qu'il reste encore dans leur pays de vieilles églises, de-
meurées en grande vénération, et que, bien qu'ils aient aban-
donné depuis des siècles le culte auquel elles étaient consa-
crées, ils n'ont jamais touché soit aux livres, soit aux orne-
ments sacerdotaux ou aux vases sacrés qu'elles contiennent.
Les Abazes ont conservé jusque dans ces derniers temps
une sorte d'indépendance, et ils la défendent avec acharne-
ment contre la Russie , à qui la Porte les a cédés par les
derniers traités. Les Russes ne possèdent guère dans leur
pays que le fort de Sockhoum-Kaleh, situé à vin^t-qualrc
kilomètres au sud-est d'Anapa.
ABBADIE (Jacqles), théologien réformé, né, en 1654,
à Nay en Béarn, reçut à Sedan le grade de docteur en théo-
logie, fil ensuite un voyage en Hollande et en Allemagne, et
fut nommé pasteur de l'église française à Berlin. Après la
mort de l'électeur Frédéric-Guillaume, qui faisait grand cas
de lui, Use rendit en Angleterre en 1688, arec le maréchal de
Schomberg, devint, en 1690, pasteur de l'église de Savoie à
Londres, pas.sa ensuite en Irlande avec le titre de doyen de
Killalow, et mourutà Mary-le-Bone, en 1727. Son ouvrage
principal, que Bussy-Rafbutin disait admirable , est le
Traité de la Vérité de la Religion chrétienne. La pre-
mière partie est dirigée contre les athées, la seconde contre
les naturalistes, la troisième contre les sociniens. On a encore
de lui tl'.-lr^ de se connaître soi-même, souvent traduit et
souvent réimprimé ; le Triomphe de la Providence et de la
Religion , ou ^ouverture des sept sceaux par le Fils de
Dieu. On compte parmi les livres rares son Histoire delà
Conspiration dernière d'Angleterre ( Londres, i696).
ABBADIE (Antoine et Arn\cd-Micuel n'). Ces deux
frères, connus par leur voyage en Abyssinie,sont nés à Du-
blin, le premier en 1310, le second en 1815; mais ils appar-
tiennent à une famille originaire des Basses-Pyrénées, où re-
vint leur père en 1818. En 1835 l'Académie des sciences
chargea M. Antoine d'Abbadie d'une mission au Brésil.
M. Arnaud d'.^bbadie, qui avait suivi le maréchal Clan sel en
Algérie en 1333, s'embarqua encore en 1836 pour l'Afrique,
et après divers incidents se rendit à Alexandrie, où il ren-
contra son frère. Ils entreprirent alors conjointement l'ex-
ploration de l'Ethiopie, et restèrent dans ce pays de 1837 à
1845. Ils séjournèrent longtemps à Axum et dans le pays
des Gallas. M. Arnaud d'Abbadie retourna en Abyssinie en
1853 et revint au bout d'une année. On a contesté en An-
gleterre l'exactitude des renseignements des frères d'Abba-
die sur les sources du Nil ; mais leurs observations ethno-
graphiques et linguistiques sont pleines d'intérêt. La So-
ciété de géographie de Paris , qui avait reçu les relations
de leurs voyages, les a récompensés. Ils ont été nommés
chevaliers de la Légion d'honneur en 1850, et M. Antoine
d'Abbadie, qui était allé examiner l'éclipsé de soleil du 28
juillet 1851 en Norvège, est correspondant de l'Académie des
sciences. L. Lolvet.
ABBADON,et plus régulièrement, selon le lexicon hé-
braïque, ABADDON. Ce mot signifie perdition, ruine,
mort.Cest, dans l'Apocalypse, l'ange del'Abyme, le chef de
cette armée de sauterelles dépeinte avec de si horribles couleurs
par l'inspiré de Pathmos. Lui-môme nous donne, chap.ix, la
définition la plus exacte de ce nom. «Elles avaient pour roi,
dit-il, l'ange de l'Abyme, appelé en hébreu Abaddon, et en
grec Apollyon, c'est-à-dire I'Exterminatelr. «Aujourd'hui
encore les écrivains rabbiniques appellent i4&6arfo?i l'abîme
le plus profond de l'enfer.
Peut-êlre Klopstock, dans une des plus belles créations
de sa Messiade, création tout à la fois sombre et pleine de ces
grâces dont le chantre allemand n'est pas toujours prodigue
( soit dit en passant ) , a-t-ilintempestivement choisi ce nom,
dontla signification est terrible et digne duplusaffreux na-
turel, pour le donner à son ange rebelle ou plutôt séduit et
déchu, Abbadona, ami et frère du fidèle Abdiel,\ow?, deux
dès le principe et au même moment créés de l'essence éthé-
rce, et si tendrement unis que leurs noms s'embrassaient
comme les gémeaux. Denne-Baron.
ABBAS, fils d'Abdel-Mothaleb, et oncle de Mahomet,
combattit d'abord son neveu, qu'il accusait d'imposture ; mais
vaincu et fait prisonnier dès la seconde année de l'hégire, en
023, à la bataille de Beder, il se réconcilia avec lui, et dennt
bientôt l'un de ses plus enthousiastes partisans. Sans sa pré-
sence d'esprit et son intrépidité la puissance de Mahomet
succombait à la bataille deHonaïn. Telle était la vénération
des sectateurs du prophète pour son oncle Abbas, qu'Othman
et Omar eux-mêmes ne le rencontraient jamais sans mettre
aussitôt pied à terre pour venir le saluer. Abbas moumt
l'an 052 de notre ère. Un siècle plus tard, à la môme époque
que celle où se fondait en France la dynastie des Carlovin-
giens, un arrière-petit-fils d'Abbas , Aboul-Abbas, était pro-
clamé khalife, et fondait la dynastie des khalifes AbbaS'
s ides.
ABBAS
ADBAS. Nom Je trois chalis ou rois tle Perse de la
tlynastie des Solis.
ABBAS V, dit le Grand, si la grandeur peut se conci-
lier avec la barbarie , était le septième chah ou roi de Perse
de la dynastie des Sofis. Il était gouverneur du Khorassan
quand la mort de Mohametl-Kliodabendé , son pîre , donna
la couronne à son frère aîné Hanuch , et il avait quitté sa
ri-sidence d'ilérat pour liû rendre hommage, quand il apprit
en route qu'Ismael , son second frère, s'était fait roi par un
fratricide. Son favori et gouverneur, Murchid-Kouii-Khan ,
eut [>eur que le royal assassin ne se débarrassiit à son tour de
son jeime maître ; il le lit égorger par son barbier, qui fut
immédiatement égorgé lui-même par les complices de Mur-
cliid , et Abbas I*"" monta ainsi sur le trône de Perse , l'an de
l'hégire 994, et de l'ère chrétienne 15S6, vingt mois après la
mort de son père. Quelques auteurs prétendent qu'immédia-
tement après cette mort il s'était déclaré souverain indé-
pendant. Ils fixent môme la date de son installation à Héiat
au 5 décembre 15S5; et c'est peut-être là-dessus que le doc-
teur Pocock s'est fondé pour le faire succéder sans intermé-
diaire à Mohamed-Khodabendé. Mais il est difficile de conci-
lier cette usurpation avec l'hommage qu' Abbas allait rendre
à Hamreh , et son voyage à Kaswin pour s'aboucher avec
Ismael. Malheureusement il est un crime qu'on ne peut lui
enlever, c'est le meurtre du gouverneur qui l'avait mis sur le
trOne. Murchid , homme d'esprit et de courage, avait pris
l'habitude de traiter le prince assez cavalièrement; il voulut
continuer sous le roi : le roi le fit massacrer par un palefre-
nier, qu'il récompensa par le gouvernement d'Hérat , après
l'avoir revêtu de la dignité de khan ; et le lendemain U se
mit à l'abri des vengeances de la famille de Murcliid en or-
donnant la mort des parents et amis de ce gouverneur.
Citons des actions plus glorieuses. Les Tartares Ouzbeks
s'étaient depuis longtemps emparés des plus belles provinces
du Khorassan; il les reprit sur le khan Abdallah , après trois
ans de succès et de revers. IMais il se vengea cruellement de
la résistance des vaincus , en faisant trancher la tète du khan,
de son frère et de ses trois fils. C'est au retour de cette expé-
dition qu'U transporta dans Ispahan le siège de l'empire,
dont la ville de Kaswin avait été jusqu'à lui la capitale. 11 en
sortit bientôt pour chasser les Turcs des provinces de Tauris,
de Nakshivan et d'Érivan. La paix , qu'il avait conclue avec
la Porte Othomane, dès la première année de son règne, avait
été rompue par le sultan Achmet, et ses grands vizirs Mourad
et Nasuf reculèrent successivement devant Abbas. Celui-ci
ne s'arrêta un moment que sous les murs d'Ormeya, ville
située sur le lac Shaki , dans l'Aderbijan. Mais sa politique ,
qui n'était, comme celle de tant d'autres, qu'une adroite
fourberie, vint au secours de son armée. Les Kurdes, peu-
ples pillards et indépendants, vivaient dans le voisinage. Abbas
leur promit le sac de la vCle, et quand ils l'eurent prise, il
fit tuer leurs chefs dans im festin. Tous les pays situés entre
la rivière de Kur, l'ancien Cyrus , et l'Araxe, se soumirent à
ses armes ; la capitale du Chirvan tomba dans ses mains après
un siège de sept semaines. Les habitants de Derbent lui livrè-
rent leur ville après avoir massacré la garnison turque ; la
province de Kilàn rentra en 1 597 sous l'obéissance de la
Perse, dont elle s'était détachée sous le règne de Thamasp T"",
le second des Sofis. Les rebelles du Mazandéràn furent domp-
tés en 1.598, et l'heureux Abbas croyait jouir en paix de ses
conquêtes ; mais cinq cent mille Turcs , nombre fort exagéré
sans doute , étant revenus vers les murs de Tauris , sous les
ordres de Chakal-Ogli, qui est peut-être lekalender Ogii de
l'historien Canlimir, Abbas courut au-devant d'eux , les défit
dans une grande bataille, et les repoussa Jusqu'à la montagne
de Sahend. Une nouvelle incursion lui coula plus de peine et
de sang. Les Turcs avaient surpris la ville de Tauris, et Ab-
bas ne put la reprendre qu'après avoir livré cinq batailles
sanglantes, où la fortune avait paru l'abandonner.
Cependant, les Turcs s'clant alliés avec les Tartares de Cri-
DICT. DE LA CO.^VtRâ,\TliJ^ — I. I.
méc, revinrent encore, soi s K* ordres d'ilaJi ou Kalil-Pa-
cha, nouveau grand vizir d'.Uhmet; mais cette fois Abbas
ne daigna point les combattre en persomie. Son général, Kar-
chuken ou Kurchiki, suivant Herbert, ou Allah-Veyrdy-Khan,
suivant d'autres, fut chargé de les repousser. Il les défit dans
plusieurs combats, et leur prit deux khans de Tartarie, avec
les pachas d'Egypte , d'Alep, d'Erzeroum et de Van, qu'Ab-
bas renvoya comblés, de largesses. Canlimir ne mentioime
point cette défaite. Il parle seulement des ajjprêts d'Hali-
Pacha et de la mort d'Achmet, qui mit un terme à cette
guerre, vers l'an 1617. Ces exploits d'Abbas furent souillés
encore par de grands crimes, et le plus odieux de tous fut
le meurtre de son fils aîné, Sefi-Mirza, sous le faux prétexte
d'une conspiration contre sa vie. Les seigneurs qu'on donnait
à Sefi pour complices et le misérable qui avait fabriqué cette
accusation furent empoisonnés plus tard dans un feslin.
Bebut-Bey, l'exécuteur du meurtre , fut d'abord largement
récompensé ; mais les remords s'emparèrent du cœur d'Ab-
bas, et sa vengeance fut encore un raffinement de férocité.
Il ordonna à Bebut-Bey de lui apporter la tète de son propre
fils , pour que le sort de l'assassin fût égal à celui de son
maître, et Bebuteutla lâcheté d'obéir à cet ordre sanguinaire.
Ce récit d'Oléarius n'est pas conforme à celui de l'Anglais
Herbert. Celui-ci donne quatre fils au grand Abbas, et les
lui fait tuer tous les quatre par jalousie, avec des détails qui
ne permettent pas de révoquer ces crhnes en doute.
La conquête du royaume de Kur sur les Kurdes , celle de
la Géorgie, que défendirent en vain Taymuraz, roi de Caket,
et Enarzab, roi de Carthuel ; la prise de Bagdad , et la dé-
faite de trois armées turques, que le sultan Amurat IV avait
rassemblées pour reprendre cette capitale , furent des distrac-
tions plus dignes de ce roi conquérant ; mais sa victoire n'en
fut pas moins déshonorée par de nouveaux forfaits : les deux
fils de Taymuraz furent faits eunuques , Enarzab fut assas-
siné dans sa prison de Chiras , et le gouverneur de Bagdad,
Behirbeka, ou Bikirkichaya, fut cousu dans une peau de
bœuf, qui, en se rétrécissant au soleil, étouffa le malheureux
dans des douleurs atroces.
Abbas l" eut aussi à combattre des Européens. Les Por-
tugais étaient depuis longtemps en possession de Bender-
Abassi et de File d\)rmuz ; Abbas ordonna au vice-roi de
Chiras, l'imanKouli-Khan, de les enchâsser. Les Anglais, que
ces deux stations portugaises gênaient dans leur commerce
avec l'Indoustan, envoyèrent une flotte pour seconder les
opérations des Persans. Bender-Abassi fut rendu en janvier
1622 par son gouverneur, Ruy-Frera, au lieutenant d'Abbas.
Ce fut la dernière de ses conquêtes. Ce monarque mourut à
Kaswin, en 1628, dans la soixante-onzième année de son âge,
et après quarante-trois ans de règne. Sa mémoire est véné-
rée en Perse. Les pauvres surtout parlent de sa justice, tou-
jours mêlée cependant de cruauté. 11 fit jeter dans un four
ardent un boulanger qui refusait de leur vendre du pain, et
pendre à l'un des crochets de sa boutique un boucher qui
vendait de la viande à faux poids. Un de ses officiers avait
fait tuer quelques voisins dont les terrasses plongeaient sur
les jardins de son harem ; Abbas fit égorger et jeter pêle-mêle
dans une fosse l'officier, ses femmes et ses do»iesti(]iies.
Son règne fut signalé par des travaux plus utiles à la
prospérité de son empire. Il fonda de grandes villes, qui de-
vinrent plus tard les centres d'un grand commerce ; il bâtit
le beau palais d'Ispahan , des caravansérails et des mosquées,
et y amena ime grande rivière , par des souterrains immenses,
à travers des montagnes qui l'en séparaient , à plus de trenle
lieues de dislance. 11 dissémina dans son royaume vingt-deux
mille familles arméniennes et quatre-vingt mille antres de la
Géorgie, qui apportèrent aux Persans leur industrie et l'ait
du négoce. La culture de la soie fut propagée, et le chah
Abbas.se mit en comnmnication avec notre Louis Xill et autres
rois de l'Europe. Pour retenir dans ses États le grand nombre
de pèlerins qui se rendaient à la Mecque, il fit faire île grands.
10
iiiiiacles au tombeau de l'iman lU'za, l'un des douze grands
saints de la Perse , et détourna les pMerins vers la ville de
Mesclied , où était situé ce tombeau. D'airtres disent que le
nouveau pèlerinage se dirigeait vers les tombeaux d'Ali et
de ses enfants, dans l'Irak-Araby. Ils attribuent même la
Hncrre de Hogdad au désir d'enlever aux Turcs, comme sun-
nites ce qui ne devait appartenir qu'aux cliiitesdela l'erse.
C'est possible. Je ne conteste, pour moi , que le nom de
yratid. Je dirai seulement, avec Ilerbeit, que ce roi de pe-
tite taille fut lui i;éant en politique.
AKIiAS II, ABB.VS-.MIRZA, ou CHAII-AnBASII, ar-
rière-petit-lits du précédent, est le neuvii'^me de la dynastie
des So(i^. Son père, Soli l", avait ordonné de lui crever les
yeux dans son enfance. L'eunuque chargé de cette exécution
eut pitié dt- lui, l'instruisjth faire l'aveugle, et, voyant qu'au
lit de mort son maître regrettait d'avoir donné cet ordre
barbare, feignit d'avoir un remède pour rendre la vue au
jeune prince. Le père , enclianlé de celte cure merveilleuse,
commanda aux grands du royaume de le reconnaître pour
souverain. Abbas II monta donc sur le trône de Perse à l'âge
de treize ans, au mois de mai 1C42 , et lit son entrée à Is-
palian l'année suivante. Peu de temps après le vieux prince
des Ouzbeks, cliassé du trône par ses enfants, étant venu
implorer les secours du roi de Perse, Abbas lui accorda
<iuinze mille clievaux , buit mille fantassins, et reçut en
échange une province considérable. La reprise de Kandahar
surles troupes du (Jrand-Mogol fut le coup d'essaid'AbbasII.
Il fut moins heureux dans l'attaque des montagnes , où ré-
gnait le prince de Jasques , entre la province de Kermàu et
l'Océan.
ïavcrnier, Chardin et K.'empfer s'accordent à raconter
qu'Abbas IL aimait la justice; ils vantent sa générosité, sft
niaguilicence avec les étrangers. Le dernier va niêine jus-
qu'à dire qu'il ne lui manquait aucune vertu. Mais il est
difficile de concilier cet éloge et cette prétendue perfection
avec les traits de cruauté qu'on en cite. On a cru le jus-
tifier en alléguant que ces ordres sanguinaires n'étaient
donnés par lui que dans l'ivTesse. IMais c'est une étrange
cvcuse pour un roi qu'une ivrognerie perpétuelle, et surtout
pour un prince musulnian. On en raconte cependant quel-
ques actes de justice ; mais jusque daps ces traits de justice
il portait des raffinements d'une cruauté que n'ont pu dis-
simuler ses courtisans. Tavernier et Chardin avaient souvent
riiooneur de s'enivrer avec lui , de boire son vin de Cbiras
dans des coupes d'or, et de lui chanter des chansons gri-
voises. Abbas avait d'autres passe-temps. Deux peintres
lM).ll.indais lui avaient appris le dessin, et il s'amusait à des-
siner des modèles de coupes, d'assiettes et de poignards,
mais on peut aimer les arts et les artistes sans en être plus
humain. Le second vice d'Abbas était la passion des femmes,
et elle lui coûta la vie. Irrité par les charmes d'une danseuse
infectée du mal vénérien , il ne tint pas compte de l'aveu
que celle femme lui en faisait, et quelques jours après des
symptômes terribles l'avertirent de son imprudence. Un
horrible cancer lui rongea le palais et le nez , et la mort la
plus affreuse en délivra son peuple, le 25 septembre 1660.
ADIiAS III termina la dynastie des Sofis. Fils du chah
Thamas II , déposé par les intrigues du fameux Kouli-
Khan (roy. Kadir) , il avait à peine huit mois quand, dans
It's premiers jours de septembre 1731, cet ambitieux général
lit placer la couronne sur son berceau, en retenant pour
lui la régence du royaume. Le règne de cet enfant sembla
«l'abord porter malheur à son tuteur, car il bit battu dans
ili'ux grands combats contre les Turcs, sous les murs de
I'..igdad; mais il prit sa revanche dans une troisième ba-
taille , où les Turcs perdirent quarante mille hommes et leur
siiaskier. Un autre séraskicr défendit vainement la Géorgie
• t l'Arménie, et périt dans une bataille livrée dans les en-
virons d'Érivan. Kouli-Khan ne voulut plus dès ce moment
ABBAS — ABBAS-PACHA
empoisonné, dit-on, par son tuteur, à l'âge de cinq ans, lu!
laissa la couronne de Perse, en 1736, l'an 114s de VbVgire.
ViENNET, de l'Académie Frai^caisc.
ABBAS-MIRZA, second fils de F et h - A 1 i - C h a h, roi
de Perse, à qui il devait succéder, naquit vers 1785. Enfant
d'une mère issue de la race royale des Kbadjarcs, il jouis-
sait de la prédilection de Feth-Ali. Son caractère différait
beaucoup do celui de son frère aîné, Mohammed-Ali-Mirza,
lequel mourut douze ans avant lui et était fort attaché aux
anciens usages de sa nation. Abbas-Mirza, au contraire,
accueillait toujours avec empressement et faveur qui-
conque pouvait l'initier à la connaissance des sciences eu-
ropéennes. Un penchant naturel l'attirait vers l'Angleterre.
Par le traité de paix de Goulistân (1814), la Russie avait
bien garanti le trône de Perse au prince que le cbab dési-
gnerait comme son successeur ; mais cette garantie , jointe
à la création d'une mission russe particulière dans la ville
de Tauris, résidence du prince, plaçait nécessairement Ab-
bas-Mirza dans une espèce de dépendance qui devait finir
par lui être à charge. Les intérêts anglais avaient d'ailleuis
constamment auprès d'Abbas-Mirza les plus chauds défen-
seurs dans la personne du major Hart et dans celle du doc-
teur Cormick , médecin attaché à la personne du prince.
Guerrier depuis son enfance, il avait fait instituer le nizam
ou troupes régulières en 1808, et souvent commandé les ar-
mées de son père, surtout dans les guerres contre la Russie.
11 les commanda encore lorsque la guerre éclata avec cette
puissance en 1826. Celte campagne fut aussi malheureuse
que les précédentes pour Abbas-Pacha : les Russes lui ar-
rachèrent l'Arménie persane, qui faisait partie de la vice-
royauté de Tauriz, et entrèrent dans cette ville le 25 octobre
lS'î7. Un traité signé en 1828, à Tourkmantchai, rétablit la
paix en imposant de grands sacrifices à la Perse. Bientôt
la cour de Russie envoya une nouvel le ambassade à Téhéran.
L'année suivante la populace envahit l'hôtel de la légation
russe, Griboïedof fut assassiné ainsi que plusieurs per-
sonnes attachées à son ambassade. Le chah, pour détourner
la juste colère de la Russie, envoya Khosref-Mirza, fils
d'Abbas-Mirza, à Saint-Pétersbourg, à l'effet d'y présenter
d'humbles excuses. L'empereur de Russie reçut ce jeune
prince avec distinction. Le prince Dolgorouki partit pour
Téhéran, où sat.i.sfactioa lui fut donnée pour le meurtre de
ses compatriotes. Abbas-Mirza mourut vers la frn de 1S33,
d'une pbthisie pulmonaire, et en 1834 son fils atné, Mo-
bammed-Mirza, né en 1806 , succéda à Feth.-Ali-Chali, mais
non sans avoir à triompher, dans de sanglantes batailles, de
l'opposition de ses oncles et de ses cousins. Z.
ABBAS-PACHA, vice-roi d'Egypte, fils de Tossoun-
Pachaet petit-fils de Mé h émet- Ali, naquit à Djedda, en
1816, pendant que son père, engagé dans une lutte contre les
Wababites, était en Arabie. Ramené au Caire, il ne reçut
point uue éducation européenne; musulman antent, il mani-
festa beaucoup d'antipathie pour les chrétiens et fil plusieurs
fois le pèlerinage de la .Mecque ; c'est pendant un de ces voyages
qu'il apprit, en 1848, la morld'lbraliim-Paclia, qui lui livrait
le pouvoir, étant le plus âgé de sa famille. Il se rendit aus^
sitôt à Constantinople, et reçut du sultan l'investiture dç la
vice-royauté d'Egypte. Abbas-Paclia n'accepta pas sans dif-
liculté les mesures que lui imposait la Porte. Il refusa
même d'abord de promulguer la liatti-chérif de Gulhané ;
mais il céda enfin , et obtint le droit de disposer de la vie
de ses sujets sans recourir au divan. 11 renonça à beaucojip
d'entreprises de Méhémet-Ali , réduisit la flotte et l'armée,
I diminua le nombre des employés et fonctionnaires, renvoya
des Français au service de l'Egypte, abaissa les impôts,
1 établit des maisons hospitalières et pourvut largement des
fondations musulmanes. Il abandonna le projet de barrage
I du Nil, et concédai» des Anglais la construction d'un chemin
de fer à travers risfhmc de Suez, ce qui lui occasionne
rombaltrcau nom d'un fantôme de roi ; et le jeune Abbas HT, \ également des discussions avec son suzerain. 11 repoussa le
ABB AS-PACHA — ABBAYE
projet lin percement de cet isllime par un canal, et établit
seulement une ligne télégrapliiquc entre le Caire et Suez.
D'un autre côté, il abolit la cliasse aux nègres que faisait
exécuter tous les ans MéhtMuet-Ali sur les limites de ses
l-llats. En ISol la Turquie lui avait envoyé un renfort pour
son armée du lledjaE; quelques années après il fournit à
sou tour au grand Turc un corps de \ingt-cinq mille hom-
mes qui se distingua dans la guerre contre la Russie. Abbas-
Pacha était intempérant et cupide, et on a pu lui reproclier
q;<jelques actes injustes. Il se plaisait dans le désert avec les
Bédouins et n'aimait pas Alexandrie , envahie par les in-
fidèles. Le matin du 14 juillet 1854 on le trouva mort sur
9on divan, à Rliéna. Deux mamelouks l'avaient étrangle,
pour venger des camarades qu'il avait lait punir. Saïd-Paclia
lui a succédé. L. Louvet.
ABBASSIDES. Nom de la seconde dynastie des kha-
lifes arabes successeurs de Mahomet , qui régnèrent à
Bagdad de l'an 749 à l'an 1258, et dont la postérité subsis'.e
encore de nos jours, tant en Turquie que dans les Indes.
Cette dynastie, qui renversa celle des Omyniades, (ut
fondée par Aboul-Abbas-SaffaI), neveu d'Abdallah, et afourni
trente-sept klialifes, ([ui régnèrent de l'an de l'hégire 132 à
656.
Les ABBASSIDES de Perse descendent de la famille des
Sofis, qui prétendaient faire remonter lear origine au kha-
life Ali ; famille qui s'empara de la puissance suprême en
Perse, l'aa 1500 de notre ère, et qui s'éteignit en 1736.
Le plus remarquable des princes abbassides persans fut
AbbasI".
ABBATE (Niccolodel) ouABBATI.né àModèneen
1509 ou 1512, peintre d'une remarquable facilité, réussit
surtout dans la peinture à fresque, et se forma à la pra-
tique de son art sous la direction de Raphaël et du Cor-
rége. En confondant les principes si différents de ces deux
maîtres , il prépara la dégénérescence maniérée de l'art qui
prévalut vers le milieu du seizième siècle. On voit à Modène
des toiles exécutées par lui dans sa jeunesse, et à Bologne
plus particulièrement celles qu'il peignit dans la maturité
de son talent. Une Adoration des bergers, qui se trouve
au portico de' Leoni de cette dernière ville, passe générale-
ment pour son chef-d'œuvre. Une Naissance du Christ et
une Conversation musicale, (\n'\\ peignit à Bologne, déter-
minèrent le Primatice , en 1552, à l'emmener avec lui en
France , pour travailler à la décorati m du palais de Fontai-
nebleau. 11 y peignit notamment la galerie d'Ulysse. Les
aventures du roi d'Ithaque étaient représentées dans cette
galerie en cinquante-huit tableaux. Tous ses ouvrages de
Fontainebleau, à l'exception des tableaux représentant l'his-
toire d'Alexandre le Grand, fuient détruits en 1738, sur
l'avis d'un architecte qui devait agrandir ce château. Niccolo
del Abbate mourut en France, en 1571. Ses fils et ses petits-
fds se livrèrent aussi à la pratique de l'art sans l'égaler. *
ABBATUCCI ( Famille ). Jflcr/?/e.'î-Pie7Te Abb;ltucci,
général corse, né en 1726 , figura d'abord sur la scène po-
litique comme antagoniste de Paoli, dont il balança pen-
dant quelque temps rinfluence; mais le péril de l'État le
décida à se ralher à son adversaire.. Victorieux dans leur
lutte contre Gènes, les Corses furent moins heureux contre
les armes françaises. Abbatucci fut un des derniers à se
soumettre. Compris dans la procédure que fit instruire le
comte de Marbœuf contre les patriotes corses, il fut con-
damné à une peine infamante ; mais la cour de France ré-
voqua la sentence. Louis XVI lui rendit le grade de lieute-
nant-colonel , le créa chevalier de Saint-Louis , et l'éleva peu
de temps après au rang de maréchal de camp. C'est en cette
qualité qu'il défendit la Corse en 1793, contre les Anglais et
Paoli. Contraint de s'éloigner, il rentra en France ; trois ans
aprè.s il revint en Corse, où il mourut en 1812. Trois de ses
(ils trouvèrent la mort sur les champs de bataille. — Charles
Abpatiicci, le plus célèbre, était né en Corse en 1771. En-
11
voyé à l'âge de quinze ans à l'école militaire de Metz, il
devint lieutenant d'artillerie en 1789, capitaine en 1792, et il
était à vingt et un ans lieutenant-colonel à l'armée du Rhin.
Chargé de la défense de la ville et du portd'Huniugue dans
la nuit du 1" au 2 décembre 1796, il venait, à la tête des
grenadiers, de repousser l'ennemi, et le poursuivait dans la
grande Ile qui est en face de la ville, lorsqu'il tomba frappé
d'une balle : il expira quelques jours après. Il n'avait pas
encore vingt-six ans. Moreau fit ériger un monument à la
mémoire d'Abbatucci au lieu même où 11 avait été blessé.
Détruit en 1S15 par lès alliés, ce monumenf a été rétabli
depuis la révolution de 1830. Une statue a été élevée au gé-
néral Abbatucci à Ajaccio, en 1854. — Son frère aîné , filleul
de Paoli, est mort en Corse en 1851 , à l'âge le quatre-vingt-
six ans. — Le fils de celui-ci, Jacques-Pierre- Charles Ab-
BATtcci,né en 1792 à Zicavo (Corse), fit de brillantes
études à l'École de Saiot-Cyr et au Prytanée Napoléon. En
1808 il alla étudier le droit à Pise. Nommé procureur du
roiàSartène, en 1816, il passa trois ans après à la cour royale
de Bastia comme conseiller. Élu député en Corse au mois
de juin 1830, il fut, après la révolution de juillet, nomme
président de chambre à la cour royale d'Orléans. Non réélu
en 1831 , il revint de nouveau au palais Bourbon en 1839,
comme député d'Orléans. Siégeant parmi les membres de
l'opposition, Abbatucci s'associa au mouvement réfor-
mi.'^te qui amena la révolution de février. Il prononça un
discours très-vif au banquet d'Orléans et maintint la néces-
sité d'aller, en dépit des ordonnances du ministère , au ban-
quet du douzième arrondissement. « Ne pas aller au banquet
après l'avoir provoqué, disait-il, c'est commettre une insigne
lâcheté; plutôt que de céder, il vaudrait mieux que notre
ennemi passât sur nos cadavres. » Après la révolution de
février il fut appelé successivement comme conseiller à la
cour d'appel de Paris, puis à la Cour de cassation. Élu re-
présentant à la constituante par la Corse et le Loiret , il
opta pour ce dernier département. Réélu au mois de mai
1849, il quitta la magistrature, et siégea à l'Assemblée lé-
gislative. Membre de la commission consultative en décembre
1S51 , il fut nommé ministre de la justice le 22 janvier 1852.
« Il accomplit avec bonheur, a dit M. de Marnas, la déli-
cate tâche de sceller 1 alliance de la magistrature avec un
ordre politique nouveau. Homme d'observation et de pro-
grès, en même temps qu'administrateur sagacc , les lois de
procédure civile et criminelle doivent à son initiative d'utile*
améliorations. » Une douloureuse maladie l'enleva, à Paris, le
II novembre 1857. Il avait été créé sénateur le 2 décembre
1852. — II a laissé trois fils : M. Charles Abbatucci , avo-
cat, substitut du procureur delà république au tribunal de la
Seine après la révolution de février, représentant de la Corse
à l'Assemblée législative en 1849, chef du cabinet de son
père au ministère de la justice, maître des requêtes au con-
seil d'État en 1853, et enfin conseiller d'État en service or-
dinaire Ie27 novembre 1857 ; — M. Antoine Abbatucci, co-
lonel , qui commandait le 91* de ligne à la bataille deSolfe-
rino ; — M. Séverin .•abbatucci , député de la Corse au corps
législatif depuis 1852. L. L.
ABBAYE. Communauté monastique régie par un abbé
ou une abbesse. Telles furent les célèbres abbayes du Mont-
Cassin, de Fulda, de Cluny, de Saint-Denis , de Saint-Gall,
de Ctteaux , de Clairvaux, etc. — En France , la plus an-
cienne abbaye de femmes était celle de Sainle-Radegonde, à
Poitiers; elle avait été fondée par cette pieuse reine en 567.
D'autres souverains et de puissants seigneurs imitèrent cet
exemple. — Plusieurs abbaye-s furent, parla suite des temps,
érigées en évêchés; par exemple celles de Paraicrs, Con-
dom, Luç.on,Aleth,Vabres, Tulle, Castres, La Rochelle, etc.
Avant la révolution de 1789 la France possédait un grand
nombre de ces institutions conventuelles. Plusieurs vi'les
n'ont d'autre origineque celle de ces grandes communanlés,
autour desquelles s'aggloméraient peu à peu les populations,
2.
,2 ABBAYE
sûres de troiirer la . outre dos wcours spirituels, la scciirifé
et le repos qu'il était si diilicile de rencontrer ailleurs dans
les sitcles du mojcn ifie. — l.cs ofliccs se aMébraientdaiis
les abbayes avec auUmt d'édification que de pompe; et les
tidèles y étaient admis, le iler;;é séculier trouvait dans les
reli};ieux des al)ba>e>^ d'utiles et ili^nes auxiliaires pour la
confession, la prédication , le soin des malades , le soulago
ment des pauvres et l'instruction ties enfants. — Sans doute
à cOlé du l)ien se glissèrent aussi d'étranges abus. Le père
de lingues Capel n'était riclie que par les abbayes qu'il
possédait : c£ qui le faisait appeler Hugues l'abbé. On donna
quelquefois des abbayes aux reines iiour leurs menus plaisirs.
Ogine, mère de Louis d'Outremer, quitta son fds parce qu'il
lui avait olé l'abbaye de Sainle-Mario de Laon pour la donner
à sa femme Gerberge. Ualzac parle d'un ajniral de Joyeuse
qui donna uneablwye pour un sonnet. En 1575 on proposa
dans le conseil de Henri III, roi de France, de faire ériger
en cominendes .séculières toutes les abbayes de moines, et
de donner ces commendcs aux officiers de la cour et de
l'armée de ce monarque. Au siècle dernier, le comte d'Ar-
genson, ministre de la guerre, voulut établir des pensions
sur les bénélices en faveur des cbevaliers de l'ordre de Saint-
Louis, mais ce projet ne put se réaliser. Sous Louis XIV la
princesse de Conti avait possédé l'abbaye de Saint-Denis.
Avant le règne de ce monarque il était commun devoir des
.séculiers posséder des bénéfices; le duc de Sully, buguenot,
avait une abbaye. Les abbayes étaient presque toujours de
grands centres d'instruction religieu.se et de bienfaisance. Elles
furent longtemps les seuls dépôts delà science ; et dans leurs
pieuses solitudes il y avait toujours un asile pour l'infortune
et un refuge pour le repentir. On sait de quelle manière gé-
néreuse elles exerçaient l'hospitalité envers les étrangers,
et l'on a retenu ces vers du chantre de la Gastronomie :
J'ai souTent regretté les asiles pieux
Où vivaient noblement ces bons religieux,
Qui depuis, affranchis de leurs rcj;lcs austères.
Se sont TUS dépouillés ])ar des lois trop sévères...
Je vous aimais surtout, enfants de Saint-Renoît,
De Cluny, de Saint-Maur, heureux propriétaires. ..
Je sais qu'on a prouvé que vous avirt grand tort.
Que ne prouve-t-on pas quand on est le plus fort?
Retraite du repos, des vertus solitaires ,
Cloître» majestueux , fortunés monastères.
Je TOUS ai tus tomber, le cœur gros de soii|iirs.
Mais je tous ai gardé d'éternels «ouTenirs.
CllAMPXCN.^C.
« L'imagination, dit Chateaubriand, s'est représenté les
possessions d'im monastère comme une chose sans aucun
rapport avec ce qui existoit auparavant : erreur capitale.
Une abbaye n'étoit autre chose que la demeure d'un riche
patricien romain, avec les diverses classes d'esclaves et d'ou-
vriers attaches au service de la propriété et du proprié*
taire, avec les villes et les villages de leur dépendance. Le
p*re abbé étoit le matlre; les moines, comme les affranchis
de ce maiire, cultivoicnt les sciences, les lettres et les arts.
Les yeux mémen'étoient frappés d'aucune diflérence dans l'ex-
lérieur de l'abbaye et de ses habitants ; un monastère étoit
une maison romaine pour l'arcluteetuie : le [lortiqiie ou le
cloître an milieu^ avec les petites chambres au pourtour du
cloître... L'abbaye, pour le répéter, n'étoit doncipi'ime mai-
son romaine ; mais cette maison devint bien de main morte
par la loi ecclésiastique, et acquit par la loi féodale une
sorte de souveraineté : elle eut sa justice, ses chevaliers et
ses sol(iat^ ; i)elit état coinplet dans toutes ses parties, et en
même temps terme expérimentale, manufacture (on y fai-
soil de la toile el des draps) et école. »
L'Almanacii royal de 1787 donne la liste des abbayes en
commende, c'est-à-dire données non à de véritables moines
oureligieui, ayant fait les vœux et portant l'habit d'un
— ABBK
j ordre, mais à des séculiers tonsurés. On en compte C49.
' Les moindres sont d'un revenu de 2,000 livres, et c'est le
plus petit nombre. La moy(;nne proportionnelle e.st de 16,000
; livresde rente. Le revenu de quelques-unes s'élève au chiffre
de 60, 80 et même 100,000 livres de rente. C'est là ce qu'au-
trefois on appelait un bénéfice. Ces abbayes se donnaient
aux cadets des familles nobles, et trop souvent devenaient
la récom|)cnse des plus honteux services. *
ABBAYE ( Frison de l'), à Paris. Le terrain sur lequel
s'élevait cette prison, à l'originede la rue Sainte-Marguerite,
faisait autrefois partie de l'enclos attenant au cloître de l'ab-
J)aye Saint-Germain des Prés. Des cachots, construits là pins
tard , servirent de prison abbatiale à l'ancien seigneur abbé
de Saint-Germain des Prés, qui avait aussi fait placer au
centre du carrefour imc échelle patibulaire et un pilori. Pen-
dant la révolution de 1789, la prison de l'Abbaye devint le
théâtre de sanglants événements. On y entassa les royalistes
arrêtés après le to août 1792, et c'est là que commencèrent
les iDassacres de septembre .sous la direction de Mail-
lard. Charlotte Corday, M""* Roland, M"' de Sombreuil
et d'autres yfurent ensuite enfermées. Sons l'Empire l'Abbaye
devint prison militaire pour les soldats condamnés par les
con.seils de guerre. Sous la Restauration plusieurs généraux
persécutés par la réaction royaliste y résidèrent, comme le»
généraux Thiard , Belliard, et Decaen; le général Bonnaire
y mourut de désespoir en 1816, peu de temps après sa dé-
gradation. Sous le gouvernement de juillet l'Abbaye con
tinua de servir de prison militaire jusqu'à l'établissement
de la nouvelle prison des conseils de guerre, rue du Cherche-
Midi. Réglée sans emploi, la prison de l'Abbaye a été dé-
molie en 1855, pour agrandir la place qui la précédait. L. L.
ABBAYE-AUX-BOIS, abbaye de filles de l'ordre de
CIteiiux, fondée en 1207 par Jean de Nesles, châtelain de
Bruges, au milieu des bois, à Batiz,dans le diocè.se de
Soissons. Au dix-septième siècle, les religieuses , craignant
les horreurs de la guerre, vinrent se réfugier à Paris. Aidées
par la reine Anne d'Autriche, elles habitèi ent une maison de
la rue de Sèvres, occupée avant elles par des religieuses an-
nonciades, et à laquelle elles donnèrent leur titre d'Abbaye-
au\-Bois,ainsi que le roi les y autorisa en 16f>7. L'église ac-
tuelle ne fut construite qu'en 1718. Après la Révolution cette
église, quoique petite et fort simple, iut louée par la ville de
Paris et érigée en paroisse succursale de Saint-Thomas d'A-
quin. En 1807 les religieuses de la congrégation de Notre-
Dame achetèrent le monastère de l'Abbaye-aux-Bois et toutes
.ses dépendances. Elles s'y établirent et y fondèrent uu pen-
sionnat déjeunes filles qui prospéra. De plus, elles ouvrirent
une école gratuite pour les enfants pauvres du quartier. En
outre, eJles louèrent les bâtiments extérieurs à des dames
désirant vivre dans le calme. M™*Récamier en s'y re-
tirant augmenta beaucoup la réputation de cette maison ,
mi elle réunissait une société choisie , une sorte de cénacle
littéraire, dont Chateaubriand fut l'oracle. L'ancienne
église, devenue chapelle privée des religieuses, reçoit aussi
les fidèles depuis la fin de 1858. L. L.
ABBÉ, de l'hébreu ah, qui signifie père. Dans l'origine un
abbé était le supérieur d'un monastère de religieux érigé en
abbaye, %o\X qu'il fût le fondateur de ce monastère, soit qu'il
eiUété éluchefde la communauté parles moines qui la compo-
saient. Les actes des conciles et les capitulaires de Charle-
lïiagne avaient voulu que tout abbé dépendît de son évoque ;
mais avec le temps bon nombre d'abbés réussirent à secouer le
joug de l'ordinaire. Quelques-uns ne tardèrent même pas à
vouloir marcher les égaux de ceux qui naguère étaient leurs
supérieurs, et ils se parèrent des différents insignes de l'épis-
copat. C'est de la sorte que certains abbés portaient la mitre
et d'autres la crosse, et que tous finirent pars'arroger le droit
de conférer la tonsure et les ordres mineurs. Au cinquième
siècle, en France et en Italie, les rois et les grands, tentés
par les richesses des abbayes , s'emparèrent de ces établisse-
ABUÉ — ABCÈS
tiu-ntà pieux , cl siu (ItVlarirent nblws , afin de jouir de
leurs revenus. Malgré les eiïortsde Dagobcrt, de Pépin et
de Charieinainie , l'abus se perpétua jusque sous les rois de
la troisième race. Cliarles Martel surtout lit de nombreuses
distributions d'abbayes à ses capitaines et à ses courtisans
( vo'jc:. PrixaiueI. Des femmes même furent déclarées
titulaires d'abbayes d'hommes , et on vit des couvents don-
nés en dot, affectés en apanage , en douaire. Hugues Capet
était abbé de Saint-Denis et de Saint-Martin de Tours. Les
rois Philippe V et Louis YI, et ensuite les ducs d'Orléans ,
sont appelés abbcs du monasti^re de Saint- Agnan d'Or-
/fons. Les ducs d'Aquitaine prenaient le titre d'fl&Mîrfe.Sa^>l^
HUaire de Potiiers; les comtes d'Anjou celui d'abbés de
Saint-Atibin, et les comtes de Vermandois cehn d'abbés
de Sain t-Qiicntin . Peu à peu cependant les moines secouèrent
le joug de ces protecteurs peu désintéressés, soit en rendant
des services aux princes, soit en rachetant leurs abbayes ; et
plus tard, par le concordat conclu entre Léon X et Fran-
çois 1*% le droit de nommer aux abbayes vacantes fut dévolu
au roi. Il y eut cependant quelques exceptions faites en faveur
des moines de Cîteaux , des Chartreux et des Prémontrés.
Aujourd'hui le titre d'abbé n'a plus en France le sens qu'on
lui donnait autrefois : ce n'est plus qu'une appellation hono-
rifique commune à tous ceux qui sont engagés dans les ordres,
de même qu'en Italie le titre dUabbate se donne à tout ce qui
«st tonsuré.
Avant la révolution de 1789 la ville et la cour pullulaient
d'abbés, qui n'avaient guère d'ecclésiastique que l'extérieur.
On les rencontrait partout, au bal, à la comédie : un petit
chapeau à cornes , un habit noir, brun ou violet, les cheveux
coupés en rond , tel était leur costume. C'étaient le plus sou-
vent des cadets de familles nobles et pauvres , quelquefois
aussi de riches roturiers , aspirant les uns et les autres à de-
venir abbés commendataires.
ABBESSE. C'est la supérieure d'un monastère de reli-
gieuses , ou d'une communauté. Quoique les communautés de
vierges vouées à Dieu soient plus anciennes dans l'Église que
celles de moines, l'institution des abbesses est néanmoins
postérieure à celle des abbés. Les premières vierges qui se
consacrèrent à Dieu demeuraient dans la maison paternelle.
Au sixième siècle elles se réunirent dans des monastères;
mais elles n'avaient point encore alors d'églises particulières.
Ce ne fut qu'au temps de saint Grégoire qu'elles commen-
cèrent à en avoir dans leurs couvents.
Les abbesses étaient autrefois élues par leurs communau-
tés; on les choisissait parmi les plus anciennes et les pins ca-
pables de gouverner ; elles recevaient la bénédiction de l'é-
vêque, et leur autorité était perpétuelle. Un des statuts du
concile de Trente porte que celles qu'on élit abbesses doivent
avoir quarante ans d'âge et huit ans de profession. Le père
Martin, dans son Traité des Rites de l'Eglise, observe que
quelques abbesses confessaient autrefois leurs religieuses;
il ajoute que leur excessive curiosité les porta si loin qu'on
fut obligé de la réprimer. Les confessions dont parle ici le
père Martin n'étaient point sacramentales , et devaient se
faire en outre au prêtre.
ABBEVILLE, ville industrieuse du département de la
Somme, chef-lieu d'arrondissement, compte une population
de 19,304 habitants. Ce n'était dans le dixième siècle qu'une
, maison de campagne appartenant à l'abbé de Saint-Riquier,
que Hugues Capet fit fortilier en 992 pour la préserver
des incursions des Normands. On y voit beaucoup de vieilles
maisons en bois fort curieuses. Le portail de l'église de
Saint-Wulfran, construit sous le règne de Louis XII par
les soins du cardinal Georges d'Amboise, est vraiment magni-
fique. La porte en bois du grand portail est curieuse par ses
sculptures. On évalue à treize millions de francs les produits
de l'industried'Abbevilie, qui s'exerce sur une fouled'arlicles,
et qui a pour objet principal la fabrication des draps dits
Van Jlob'jis, du nom d'un fabricant hollandais que les
13
oftrcs de Louis XIV attirèrent et fixèrent en France au dix-
septième siècle. Le canal de la Somme met Abheville en com •
municaf ion avec Amiens et avec Saint-Valery, et permet à des
bâtiments de 100 tonneaux de venir charger sur ses quais.
Le chemin de fer du Nord la relie d'un côté avec Boulogne
et de l'autre avec Amiens et Paris. En 1832, on y a élevé une
statue en bronze au compo.sitcur Lcsueur. Z.
ABBOT (Charles). Voyez Coi.chester.
ABBOTSFORD (Domaine d'), situé en Ecosse , dans le
comté de Selkirk, à peu de distance de la ville du même nom,
sur les bords de la Tweed. Walter Scott l'acheta en ISll,
et transforma peu à peu ce vieux manoir, ancienne abbaye,
en une charmante résidence, placée au centre d'un lieau
parc, avec une riche bibliothèque et de précieuses collec-
tions de tableaux, d'antiquités, etc. Le titre de "baronet ac-
cordé à sa famille reposait sur ce domaine, et s'éteignit dès
1847, par la mort de son fils unique.
ABBT (Thomas), né le 25 novembre 1738, à Ulm, fut
nommé en 1760 professeur de philosophie à Francfort sur l'O-
der. C'est là qu'il écrivit sa célèbre dissertation De la mort
pour la patrie. L'année suivante il accepta une chaire de ma-
thématiques à Rinteln, Au retour d'une tournée en Suisse et en
France, il publia son traité Z)Mil/én^e,hvre oîi l'on trouve des
pensées élevées, des observations pleines de finesse et une ex-
cellente philosophie pratique. Abbt mourut prématurément, e.n
1766 ; ce qu'il a laissé le fait à bon droit considérer comme
l'un des contemporains de Lessing qui ont le plus contribué à
la régéné^rationde la langue etdelalittératuredes Allemands.
ABCÈS (du verbe abscedere, se séparer, s'écarter).
C'est ce que vulgairement on appelle un dépôt, un apos-
tème. — On dorme le nom d'abcès à toute collection de pus
dans les substances des organes : les collections formées
dans les cavités naturelles prennent celui d'épanchements.
Les abcès se forment par l'écartement successif des lames
de tissu cellulaire entre lesquelles le pus se rassemble. L'in-
llammation est la cause première de tous les abcès; mais
lorsque cette inflammation est vive , l'abcès qui en résulte
prend le nom d'abcès chaud; si l'inflammation est obscure,
il en résulte V abcès froid. Enfin lorsque le pus , formé dans
un point éloigné , s'accumule dans un tissu primitivement
sain, il constitue Fflôcès par congestion.
On trouve des abcès dans toutes les régions du corps ,
depuis les tissus les plus simples , le tissu cellulaire , jusque
dans les glandes , les parenchymes , et même dans la pulpe
cérébrale. Le plus souvent xm abcès est imique , mais quel-
quefois des abcès se succèdent à l'iniini. Leur volume est
tantôt très-circonscrit , comme dans quelques abcès sous-
cutanés; tantôt l'abcès produit une vaste collection qui se
place entre les muscles, les écarte, déplace les vaisseaux, dé-
forme les parties; enfin il en est.qui ne sont circonscrits que
par des parois osseuses.
Dans toute espèce d'abcès il se présente toujours trois
périodes assez distinctes : la période d'accroissement, la pé-
riode d^'taf, et la période de terminaison. Le diagnostic
d'un abcès n'est pas toujours facile à établir. On le reconnaît
surtout au mouvement de fluctuation de la tumeur. Les abcès
sont d'autant plus graves qu'ils sont moins superficiels, qu'ils
atteignent des parties plus importantes à la vie.
Le traitement consiste à délivrer la partie du pus qu'elle
renferme, à favoriser le rapprochement des parois de la poche
et leur adhérence. On peut favoriser la résorption du pus au
moyen de purgatifs, de diurétiques, d'applications astringen-
tes, de Irictions stimulantes, de douches salines, sulfureuses
employées conjointement aux dérivatifs intérieurs ; mais ces
moyens sont quelquefois dangereux. La méthode de traite-
ment la plus simple, comme la plus rationnelle,consiste à
combattre la formation du pu.ien s'adressant à rinllanimation
qui en est la cause. Les applications érnoilienies , les sai-
gnées locales sont indiquées, ainsi que la saignée générale,
lorsqu'il y a pléthore du sujet. Le pus une fois formé, il faut
14
avoir recours, dans la plupart des cas , h des opérations clii-
rursicalcs, qui toutes peuvent ôtre ramenées à l'incision, à la
I>ondion du foyer purulent, et encore à l'ouverture de ses
parois par la cautérisation avec le fer rouge ou la potasse
c^iustique. Dans tous les cas on doit soumettre au repos la
partie malade, favoriser la position déclive en formant un
plan incliné vers le tronc, et recouvrir le point enflammé de
cataplasmes éiiioUients ou de compresses trempées dans
une décoction mucilagineuse. On se gardera de l'usage des
onguents ou eniplitres dits maturatifs, dont le moindre incon-
vénient est de retarder la guérison.
ABD , mot arabe qui signilie serviteur, esclave, dévoué,
consacré, et (pii, adopté sous le môme sens dans les lan-
gues persane et turcjuc modernes, ligure en tète d'un grand
nond)re de noms propres suivi de l'article al , el , er, oui,
ou iil, qui repond à nos articles, le, la, du, des, de la, et
qui ne varie que par la diversité de la prononciation. Les
musulmans lapplifpient surtout au nom de Dieu, ou à des
attributs, à des qualifications qu'ils donnent à la Divinité.
Ainsi ils disent : Abd-Allah, ou Abd-Oullah, serviteur de
Dieu, Abdcl-Kadcr, Ahd-oul-Kerim , Abd-al- Melck,
Abd-cl ou Abd-cr-nachid, Abd-er-Rahman (serviteur ou
esclave du puissant, du généreux, durai, dujuste , du
miséricordieux). En cela, et malgré la défense du Coran,
ils imitent les anciens peiq)Ies idolâtres, qui donnaient aussi
à leurs enfants des noms de leurs divinités, précédés du même
article, tels que Abdenago , Abdolonyme , etc.
C'est ainsi également que le nom àWbdal ou Abdalli (con-
sacré à Dieu ) , qui sert en Perse à désigner les religieux, ré-
pond au nom de derviche chez les Turcs, et à celui de moine
cliez les cbrétiens. On comprend sous cette dénomination les'
calenders, les bcktacliis et les cadiris,qui, menant une vie
errante , vagabonde et souvent dissolue , sont peu considérés
des Othomans, parce (pi'ils ne descendent pas des deux pre-
mières congrégations établies du vivant de Mahomet.
Anu'ALLis est aussi le nom d'une tribu d'Afglians, qui en-
leva la province de llérat à la Perse, en 1717, et la conserva
une dizaine d'années; c'est à cette tribu qu'appartenait la
djTiastie qui a régné à Kaboul, Kandahar et llérat, depuis 1747
jusqu'à nos jours. Voij. Ait.uamstan. II. Aldiffret.
ABD^VLLAII, mot à mot serviteur de Dieu. Ainsi s'ap-
pelait le père de Mahomet, le fondateur de l'islamisme; et ce
nom a depuis lors été porté par un grand nombre de parents
et de compagnons du prophète. 11 n'a pas été moins fréquent
parmi les khalifes d'Asie et d'IIspagnc.
ABD' ALLAII-BE.\-YASL\, l'un des fondateurs de
la secte des Almoravides, en Afrique, et des précurseurs de
leur [uiissance , était im simple fakih ou docteur du royaume
de IVz. Ayant suivi, dans un voyage à la Meccjue, l'Arabe
Djauliar, qui voulait répandre l'instruction dans sa tribu de
Goudala, ils y furent reçus à leur retour avec enthousiasme,
donnèrent aux Goudaliens le nom de Morabethoxim (voués
aux exercices de la religion ) , dont sont venus , par altéra-
tion, ceux iWilmor avides eldeMarabotit. Abd'Allah
profita de ce succès pour soumettre plusieurs autres tribus
berbères, et subjugua la Mauritanie. 11 périt dansun combat
en 105S, et eut pour successeur Abou-Dekr-bcn-Omar, qui
recula les bornes du nouvel État. II. Aunn iuet.
ABD'ALLATillF. L'hi.sloire arabe présente plusieurs
personnages célèbres de ce nom.
ABD'ALLATllll" (Mowaf/ek-Eddyn), historien arabe, né
h Bagdad, l'an lioi de J.-C, étudia plusieurs sciences, entre
autres la médecine, qu'il professa jusqu'en 1185; il quitta
alors .sa patrie, et, encouragé par la bienveillance du sultan
Saladin, il eut les moyens d'entreprendre de longs et pénibles
voyages , et d'en publier les résultats. Il revenait à Bagdad ,
lorsqu'il fut surpris par la moit, en 1 231 . Les deux principaux
ouvrages de ce savant sont : l° une Description de VLgypte,
dont les biographes arabes ne nous ont conservé que le titre,
et oii l'auteur, rapportant ce qu'il avait vu dans cette contrée,
ABCÈS — ABD-EL-KADER
I citait aussi les écrivains remarquables qui en avaient parlé
avant lui ; 2° un autre ouvrage sur l'Egypte , qui , suivant la
préface, n'est qu'un abrégé du premier; il a été publié en
arabe et en latin par sir Jos. White (Oxford, 1800); et Sil-
vestre de Sacy ena donné une traduction française (Paris,
1810, in-S").
ABD'ALLATHIF, arrièrc-petit-filsdeTamerlan, conduisait
à Samarkand les restes de son aïeul Chah-Rokh , lorsqu'il fut
arrêté, en l'»48, par ordre de son cousin Ala-Eddaulah, qui
venait de .s'emparer du Khorassan, où avait régné le monarque
défunt. 11 fut mis en liberté par les négociations de son père
Oulough-Bey, souverain de Samarkand, qui , tiyant chassé
l'usurpateur du Khorassan, y laissa pour gouverneur Abd'-
Allathif. Mais l'ingrat se révolta bientôt contre son père, le
lit prisonnier, le livra à la vengeance d'un homme dont Ou-
lough-Bey avait autrefois fait périr le père, et s'empara du
trône de Samarkand, en l-iiO, après avoir aussi sacrifié son
frère Abd-el-Aziz à .son ambition. Il avait du courage, de l'es-
prit, des talents, et sut tenir en respect les Ouzbeks. Mais
bourrelé par les remords , et répétant sans cesse un vers per-
san qui dit qu'un parricide est indigne du trône, ou ne peut
l'occuper que six mois, il fut en effet assassiné par des esclaves
de son père , après un règne de six mois , et sa tète fut placée
sur la porte d'un collège fondé par Oulough-Bey, à Samar-
kand.
ABD'ALLATHIF, fds d'Ibrahim , khan de Kasan , mort en
146S, ne monta sur le trône qu'en 1495, après la mort d'un
de ses frères et la déposition de l'autre, et par la protection des
Russes, chez qui il s'était réfugié avec sa mère. Ce royaume,
démembré de l'empire mongol du Kaptchak , était alors vas-
sal de la Pii'ssie, dont il est depuis devenu une province. Après
avoir soutenu Abd'Allathif contre les factions , les Russes le
déposèrent en 1 502, et ne le replacèrent sur le trône qu'en 1516,
après la mort de son frère Mohammed-Amin , qu'ils y avaient
rétabli. 11 mourut lui-même en 1518.
ABD'ALLATHIF, khan ouzbek de la grande Boukharie ,
succéda, en 1541, àson père Abd'Allah, fit la paixaveclesPer-
sans l'année suivante, et mourut en 1542. H. Aldiffret.
ABDALONlTiîE , descendant des rois de Sidon, fut
élevé dans une telle obscurité qu'il cultivait un jardin pour
fournir aux besoins de son existence. Quand Alexandre le
Grand prit la ville de Sidon , il récompensa les vertus d'Abr
dalonyme en le replaçant sur le trône de ses pères et en aug-
mentant ses États d'une partie des dépouilles des Perses.
ABD-EL-IîADER, le plus redoutable adversaire que
nos armes aient encore rencontré en Algérie, et après Méhé-
raet-Ali l'homme le plus remarquable et le plus important
qui ait surgi depuis un siècle au milieu des populations faisant
profession de l'islamisme, est né vers la (in de 1806 ou au
commencement de 1807, à la ghctna de .son père, située à
16 kilomètres ouest de Mascara, sur l'Oued-ei-Haraan {ri-
vière des bains). Cette ghetna (lieu de retraite, hôtel-
lerie, université) des Ouled-Sidi-Kada-ben-Mokhtar, frac-
tion de la grande tribu des Hachems , était la plus riche
de la contrée, et y avait une importance immense depuis le
seizième siècle de notre ère. En 1830 elle se composait en-
core de cinq cents maisons, tentes ou cabanes, renfermant
cinq cents familles, serviteurs, disciples ou inlirmes nourris
et hébergés par le chef de la ghetna. Tous les marabouts, ta-
lebs, docteurs et autres gens influents de la province d'O-
ran, venaient depuis trois siècles y faire leur éducation. Le
père d'Abd-el-Kader, Sidi-el-Iladji-Mahiddine ( le seigneur
pèlerin vivificateur de la religion ), mort en 1834, jouis-
sait comme marabout d'ime grande réputation de sainteté et,
par suite, d'une grande influence parmi les gens de sa tribu,
et il transmit l'une et l'autre à son fils. Sidi-el-Hadji-Mahid-
dine appartenait h une famille de marabouts qui faisait re-
monter son origine jusqu'aux khalifes fatliimides, et il avait
épousé Zora, femme d'une grande énergie de caractère, d'un
esprit cultivé, et jouissant aussi dans sa tribu d'une grande
AUD-EL-KADER
15
r»?pufatijn Je saintelé. Abd-el-Kadcr n'avait que huit ans
lorsqu'il lit avec son ih'tc le pèlerinage de la Mecque, et c'est
à cette circonstance qu'il est redevable du surnom de pèlerin
( sidi-el-lIadji-Abd-el-Kader, le scigi^cur pèlerin serviteur
du Tou(-Puissaut) qui précède son nom.
En 1 S27 Abtl-el-Kader accompagna son père en Egypte , et
le séjour qu'il eut alors occasion de faire au Caire et à Alexan-
drie le mit pour la première fois en contact avec les éléments
de la civilisation euroi)éenne. Au reste, son esprit est beau-
coup plus cultivé qu'on ne serait tenté de le penser. 11 a en
elTet étudié à Fez avec succès les sciences et riiistoire; ses
progrès dans les lettres ont été grands et rapides , et on en a
la preuve dans un recueil de mélanges hi.storiques et poéti-
ques assez remarquable dont il a enrichi la littérature arabe.
Devenu suspect à Husséin-Pacha , l'ex-dey d'Alger dont nos
armes brisèrent la puissance en 1830, précisément à cause de
.«es écrits et des hautes facultés intellectuelles qu'ils annon-
çaient , il faillit payer de la \ie sa gloire et sa réputation nais-
s<mtes; cm Husséin-Pacha chargea un beau jour le bey d'O-
ran de lui envoyer la tète d'Abd-ei-Kader et celle de son père.
Grâce aux avis secrets que lui firent tenir h temps-deux aghas
du bey, dont l'un, iMustapha-ben-lsniael, estdevenude-
puis notre allié fidèle et l'un de nos plus braves généraux ,
Sidi-cl-Hadji-Mahiddin et son fils purent échapper à ce dan-
ger et se condamner à un exil volontaire dans les contrées
de l'est. C'est à cette circonstance que se rattache le séjour
qu'a fait Abd-el-Kaderen Egypte. 11 en profita pour aller une
seconde fois visiter le tombeau du Prophète à la Mecque ;
pieux pèlerinage qui ajouta encore à la réputation de sain-
teté dont il jouissait dès lors et qui ne pouvait que pré-
parer sa future omnipotence parmi ses compatriotes.
Au retour d'Abd-el-Kader et de son père en Algérie , Al-
ger était pris par les Français et la puissance des Turcs sur
la contrée à jamais détruite. Les tribus arabes des environs
(l'Oran virent dans cette révolution si peu prévue une occa-
sion favorable pour recouvrer leur indépendance. Mahiddine
prêcha la guerre sainte et vit accourir sous son gozim (dra-
peau ) une masse considérable de partisans à la tète desquels
il s'empara de Mascara , après avoir battu la garnison turque
qui occupait cette place. Les habitants de Mascara voulurent
l'éUre pour leur souverain; mais ^îahiddine déclina cet hon-
neur pour le faire offrir à son fils Abd-el-Kader, qui effecti-
vement fut alors salué du titre d'émir par toutes les popu-
lations soulevées au nom de l'indépendance nationale. Les
tribus voisines devaient acclamer l'une après l'autre le chef
(pie l'islamisme et la nationalité arabes venaient de se don-
ner ; et le jour vint où de proche en proche l'autorité d'Abd-
el-Kader, d'abord limitée aux environs de Mascara, fut recon-
nue jusqu'aux limites du Grand Désert.
La première tentative de quelque portée qu'essayèrent les
tribus rangées sous les ordresd'Abd-el-Kader fut dirigée contre
Oran, que nos troupes, commandées alors par le général Boyer ,
occupaient pour la deuxième fois. Peu s'en fallut que le fort
Saint-Philippe ne tombât au pouvoir de ces Arabes fanatisés
( journées du 2 et du 9 mai 1832 ). Au plus fort de la mê-
lée Abd-el-Kader eut dans cette affaire un cheval tué sous
lui. L'insuccès des Arabes, qui, vigoureusement repoussés,
durent finir par battre en retraite, fit comprendre aux chefs
des diverses tribus ralliées contre la domination française la
nécessité d'organiser la guerre et de centraliser les efforts
communs sous une direction unique. On songea d'abord à
placer l'indépendance nationale sous la protection et le nom
de l'empereur de Maroc ftiuley-Abd-el-rdiaman ( esclave du
miséricordieux), en lui demandant un de ses lieutenaats
pour chef. Ben-Nouna gouverna donc à Tlemcen au nom de
l'empereur de Maroc, et El-Cheriff-el-Monali à Médéah, centre
delà province de Tiltcry. Hadji-Ahmed-Bey gouvernait
d'ailleurs toujours la province de Constantine au nom du
.sultan de Constanlin()i)le. Mais la France réclama contre
les usuriialions en Al^^éric de rcnqKreur de Maroc, qui
finit par obéir aux injonctions éncrgiipics de notre envoyé,
tout en substituant à ses lieulcnanls Abd-el-Kader avec
le titre de khalife. Ceci se passait en novembre 1832. Afin
de donner plus de crédit à cette nouvelle investiture , on
fit un simulacre d'élection àErsebia, près de Tlemcen. L'or-
ganisation immédiate des tribus qui l'avaient reconnu
suivit son avènement ; et , agrandissant peu à peu le cercle
du pays assujetti à ses lois , il soumit au commencement
de l'année 1 833 les tribus de la Mina et du Chéliff. En avril et
mai eurent lieu nos deux expéditions d'Arzewetde Mos-
taganem. Quelques affaires sanglantes contrv^ nos troiqies
commandées par le général De.smichels amenèrent , en
avril 1834, la conclusion du traité connu dans l'histoire do
noire domination en Algérie sous le nom de traité Desmi-
chels. Cette trêve passagère fournit à Abd-el-Kader les
moyens d'étendre de plus en plus son autorité sur la rive
gauche du Chéliff et de se débarrasser des divers compéti-
teurs qui essayaient de lui disputer l'infiuence suprême sur
les tribus du désert, notamment son vieil adversaire Musta-
pha-Ben-lsmael, ancien agha d'Oran, et Moussa-el-Darkoui,
l'un des chefs les plus importants du Sahara. La victoire
qu'il remporta sur ce dernier lui ouvrit les portes de Milia-
nah et de Médéah, où il fut reçu avec enthousiasme. Toutes
les villes et toutes les tribus des provinces d'Oran et deTit-
tery lui donnèrent alors le titre de sultan, et les plus éloignées
lui envoyèrent des dépuîations avec de riches présents. Tout
en fondant ainsi peu à peu un empire redoutable dans
l'inférieur de l'Algérie , Abd-el-Kader eut l'art de persua-
der pendant quelque temps au gouverneur général comte
Drouetd'Erlon que son but unique était de préparer
ainsi les différentes tribus à accepter la souveraineté de
la France et d'ouvrir les voies a la civilisation française.
Les fusils dont le gouverneur général lui fit pré.sent lui
servirent à armer de nouvelles troupes , qui plus tard de-
vaient former le noyau de son armée , et que des renégats so
chargèrent de dresser à la tactique et à la discipline euro-
péennes. Les opérations entreprises bientôt après par le gé-
néral Trézel, qui avait succédé au général Desmichels dans
le commandement de la province d'Oran, et qui avait à
cœur de détruire les inconvénients produits par le traité au-
quel son prédécesseur avait donné son nom, amenèrent la
reprise des hostilités et fournirent à Abd-el-Kader l'occasion
d'appeler tous les musulmans à la guerre sainte. Le général
Trézel'Vient aussitôt prendre position sur le Tlélat. Pendant
la nuit des coups de fusil sont tirés sur nos sentinelles. Le
lendemain le généial Trézel marche sur Mascara; mais les
difficultés qu'il rencontre à chaque pas le déterminent à ré-
trograder. Le 27. juin un combat acharne s'engage dans la
lorôt Muley-lsmael; nous en sortons vainqueurs, mais non
sans avoir éprouvé de grandes pertes. Le lendemain 28
notre corps expéditionnaire, fort encore de 1 ,800 hommes et
arrivé sur les rives de la Rïacta, y reçoit le choc de toutes les
forces d!.sponibles de l'émir, lequel ne complaît pas moins
de 20,000 cavaliers sous ses ordres. Nous y perdons le tiers
de nos braves soldats, l'ambulance et tous nos bagages ; et
ce désastre déplorable, exagéré encore par la renommée, pro-
duit sur l'esprit des populations indigènes un efiet double-
ment funeste à notre puissance et au prestige de nos armes,
en même temps qu'il est pour les Arabes une preuve nou-
velle de la mis.sion divine d'Abd-cI-Kader.
Apr.'S l'affaire de la Mac ta, le but de tous les efforts de
l'émir lut de provoquer une insiirreciion générale de toutes
les tribus habitant les deux versants de l'Atlas, deijuisla fron-
tière du r.îaioc jusqu'à Alger, contre la domination française,
et , par l'interception de toutes les communications, de rendre
impossible l'approvisionnement de nos différents corps d'ar-
mée, tactique qui n'empêcha pourtant pas Abd-el-Kader d'a-
dresser de nouvelles propositions de paix au général Drouet
d'Erlon; mais la France voulait une vengeance, et le maré-
chal C I a u z e I, nommé sur ces entrefaites gouverneur général.
16
ABD-EL-KADER
répoiiilil aux avances de l'émir par rexpéilition de Mascara,
centre de sa ]iuissance et sa l)ase d'()i»érations (7 décembre
1935). Cette e^p('^lilion porta un coup terrible à sa puissance,
elle mit à deux doigts de sa[ierte. Malbeurcnsemenl le ma-
réclial n'avait pu l'entreprendre (pi'avec un corps de 1 1 ,000
lioinmes. 11 réussit bien à s'emparer de Mascara malgré la
résistance désespérée des Arabes; mais il comprit qu'avec le
faible effectif (piil avait à sa disposition il ne pouvait songer
às'établird'une maniinMlelinilive dans cette importante posi-
tion. .\ussi se décida-t-il à l'évacuer après l'avoir préalable-
ment incendiée. Le résultat de l'expédition de Mascara fut
donc en délinitive négatif, et Abd-el-Kader eut bientôt ra-
mené sous ses draiieaux les difl'érentcs tribus que les pre-
miers succès obtenus par le marécbal Clauzel avaient déta-
cliécs de ses intérêts. Alors commença tntre nos troupes et
relli's de l'émir une suite incessante de combats, d'escar-
mouches et de siirjjrises ; rencontres toujours nieuvtriéies
dans lesquelles nos troupes finissaient par avoir le dessus,
mais (pii leur imposaient des marcbes Jorcées et des priva-
tions sans nombre, sansjamaisla.sser leur patiente abnégation
ni leur héroïque courage, et n'amenaient f^ière daulre résultat
que de les rendre maîtresses du champ de bataille, toujours
clièrement disputé. Nous n'essayerons pasde narrer ici en dé-
tail ces marclies et contre-marches si compliquées, et nous
nous bornerons à mentionner la nouvelle expédition entre-
prise sur TIcmcen en janvier 183C parle maréchal Clauzel
à l'elTet d'aller reconnaître la route de la Tafiia; expédition
(Luis laijuelle tous ses efforts pour rompre la ligue défensive
d'Abd-el-Kader furent inutiles, et qui eut un résultat poli-
tique vraiment désastreux, parce qu'elle réhabilita l'émir
chez les Kabyles de la province de TIemcen. Au mois d'avril
suivant le général d'Arlanges, parti d'Oran à la tète de
trois mille honunes pour aller installer un camp sur la Tafna,
se trouva le 25, à la suite d'une reconnaissance qu'il avait
tentée du coté de la mosquée de Sidi-Yagoub , placé dans
la position la i)lus critique, et se vit contraint de se replier
avec des pertes considérables vers le camp de la Tafna,
qui n'était encore qu'une vaste plage ouverte et dominée de
tous côtés. Pendant six semaines son corps d'armée, réduit
aux abois, lutta avec un courage incroyable contre des forces
supérieures en nombre et dont les succès accroissaient Tau-
dacc, jusqu'au moment où le général Bugeaud vint à la tète
de 4,000 honunes de renfort le débloquer. Un combat impor-
tant livré, le 7 juillet, sur la S i k a k et dans lequell'émir perdit
ime partie de ses fantassins réguliers, dont loOO restèrent en
notre pouvoir, eut pour Abd-el-Kader les suites les plus fâ-
cheuses, parce que le charme qui s'attachait naguère encore à
ses armes se trouva rompu, et que dès lors ses soldats, démo-
ralisés, n'osèrent plus tenir tète à nos régiments; d'où il ré-
sulta (pie l'émir ne put plus, dans la seconde moitié de cette
année 1830, déployer dans laguerrequ'il soutenait contre nous
cefte énergie et cette audace qui en avaient marqué les pre-
mières entreprises. Abd-el-Kader comprit alors combien il
lui inq>ortait de donner une base pins solide à ses opérations
en organisant un système général de défense et d'attaque
pour les tribus rangées sous ses ordres, en même temps
qu'il relevait les ruines de Tagdenqtt et qu'il faisait désormais
de celte place fortifiée avec soin le siège de son gouverne-
ment et le grand centre de ses approvisionnements de tout
genre.
C'est sur ces entrefaites que le gouvernement français se
décida à entreprendre l'expédition de Constanline. Une fois
résolu de tenter la coniiuète de cette ville importante et la
soumission de la province dont elle est la capitale, il lui iiii-
portait de n'avoir à redouter aucune diversion à l'ouest de
la régence. Tel fut le motif qui porta la France à négocier et
à signer, le 3 mai 1837, le traité de la Tafna, qui" grandit
considérablement l'importance d'Abd-el-Kader, tout en lui
imposant une espèce de recomiaissance de la souveraineté
nominale de la France . pane ipi'il lui rdjandonnait i;n (\to:[
de souveraineté réelle sur tonte la partie de territoire qui
n'était pas l'objet de réserves expresses.
Abd-el-Ka«^lersut avec une habileté extrême mettre à profit
la liber'é d'action et la tranquillité que lui assurait cette paix,
pour améliorer l'organisation intérieure de ses tribus et se
préparer les moyens de recommencer la lutte avec une nou-
velle énergie quand le moment favorable s'en présenterait. Il
s'attacha surtout à rendre plus indissolubles encore les liens
qui unissaient les diverses tribusà sa cause, à se créerde nou-
veaux partisans i)armi les Bédouins du Sahara, à nouer de
secrètes intelligences avec les tribus placées immédiatement
sous la domination fr.inçaise, à réunir de grands approvision-
nements de vivres et de munitions, et enfin à créer des trou-
pes régulières; tikhe dans l'accomplissemenl de la(pielle il
fut puissamment secondé par un grand nombre de déserteurs,
qui se chargèrent d'apprendre à son monde les arts et les
métiers nécessaires pour la fabrication des armes et autres
matériaux de guerre. D'ailleurs une clause formelle du traité
de la Tafna lui concédait formellement le droit de se procu-
rer par l'intermédiaire du commerce françiais tout le matériel
et toutes les munitions de guerre dont il aurait besoin ; et
il ne se fit pas faute d'en user largement. Non content de
cela, il en fit mônieaclieteren Angleterre par la voie du Ma-
roc; commerce interlope favorisé par les autorités marocaines,
avec lesquelles il n'avait jamais cessé d'être en bonne intel-
ligence. Pendant ce temps-là il inondait le territoire occupé
par les Franç-ais d'espions chargés de l'instruire exactement
de tout ce qui s'y passait, comme aussi de donner autant
que possible aux autorités fran(;aises le change sur ses véri-
tables intentions et sur ses actions. C'est dans ce but que
vers le milieu de 1838 il envoya à Paris Miloud-ben-Arafch
comme son représentant.
La paix signée sur les rives de la Tafna dura à peu près deux
ans. Elle stipulait que l'ancien beylik de Titlery était réservé
à l'émir; mais les limites précises de ce territoire n'avaient
pas encore été bien déterminées. Quand on recourut à la no-
toriété pour les définir, nous prétendîmes que le Biban faisait
partie cle la province de Constantine, tandis que l'émir sou-
tenait qu'il rentrait dans les attributions du beylik de Tit-
tery. On ne s'entendit pas , et la guerre recommença pour
durer sept annéessansinlerriiption, el finir parle seulévéne-
mentqui pût amener ce résultat, |iar la soumission d'Abd-el-
Kader. L'expédition entreprise au mois d'octobre 1839, de
Constantine au défilé des l^ortcs de Fer, parle maréchal Valée
et le duc d'Orléans, fournit à l'émir , qui prétendit que son
territoire avait été violé, le prétexte de la reprise des hostilités.
De part et d'autre la lutte fut vive et acharnée ; et bon
nombre d'affaires sanglantes prouvèrent combien les efforts
d'Abd-el-Kader pour se créer une armée régulière avaient été
bien dirigés. Nos troupes livrèrent d'admirables combats pour
des résultats médiocres. Après une bataille livrée au col de
Mouzaia, où la victoire fut longtemps disputée, elles s'em-
parèrent, le 15 mai 1 840, de Médéah, et au mois de juin suivant
de Milianah. Mais l'occupation de ces deux places fut l'unique
résultat de cette laborieuse campagne du printemps de 18i0,
et les garnisons qu'on y laissa s'y trouvèrent bientôt étroite-
ment bloquées. Tous les points occupés sur la côte étaient à
peu près dans la même situation. On ne pouvait aller à une
demi-lieue d'Alger sans exposer sa tête. Les habitants de cette
ville ne communiiiuaient plus avec ceux de Biidah qu'une
fois par semaine, et encore seulement sous l'escorte d'une
colonne de 1,500 à 2,000 hommes. On en était venu à la fin de
1S40 à croire qu'il n'était possible de dominer le pays et
d'assurer les communications qu'en multipliant partout les
camps, les redoutes , les blockhaus.
Avec la guerre à pas de tortue faite jusqu'à la fin de 1840
en Algérie on ne pouvait ni détruire les forces de l'ennemi
ni atteindre les intérêts des populations. Celles-ci s'ouvraient
devant nos colonnes expéditionnaires : les familles, les trou-
l'eaux, étaient réunis sur le côté pendant que les guerriers
ABDEL-KADER
17
linrcolaient l'armée. Les vivres une fois épuisés, on revenait
au point Je tlépart par la nu^me roule , toujours avec aciom-
pagnenient de coups de fusil. Les tribus reprenaient leur
place; il n'y avait rien de ù\\l. Cette manière d'opérer a été
comparée avec raison au sillage d'un vaisseau , qui s'efface
bientôt par le mouvement des vagues et qui ne laisse aucune
trace.
Tel était l'état des choses lorsque le général Buge au d fut
nommé gouverneur général en remplacement du maréciial
Valée ( février 1 S4 1 ). C'est à lui qu'était réservée la gloire de
modifier profondément un système grâce auquel on en était
venu à avouer tacitement qu'on se reconnaissait impuissant
contre les indigènes. Ses instructions lui imposaient l'obliga-
tion de construire le fameux obstacle continu, pour cou-
vrir la plaine de la Métidja, de poursuivre en avant une
guerre active, et de commencer la colonisolion. Ce sera un
éiemel honneur pour sa mémoire que de n'avoir attaclié
d'importance qu'à la partie dos instructions ministérielles
qui lui enjoignaient d'imprimer une grande activité aux
opérations ofTensives de la guerre. Tout d'abord il supprima
presque partout les camps et les postes retranchés , afin
de rendre à la mobilité les troupes qui les occupaient.
Dans la composition des colonnes, il supprima les canons de
campagneettoutequipagerouIant.il n'yadmit que l'artillerie
de montagne à dos de mulet , et des l)ôtes de sou; me pour le
transport des vivres, des malades et dos blessés. Ces équipages
de mulets de bât, successivement portes à un très-b.aut deg:é
de perfection , contribuèrent puissamment aux succès qui
désormais devaient couronner les courageux efforts de nos
troupes.
C'est en effet à dater du moment où le général Bugeaud
prit le commandement en chef de nos forces en Afrique , ci
que le guerrier put réparer sur les champs de bataille les
lourdes fautes politiques commises parle négociateur du traité
de la Tafna, que l'étoile d'.\bd-el-Kadcrpàlitde jour eujour.
Le général Bugeaud recommanda aux différents chefs sous
ses ordres de ne se jamais laisser attaquer impunément par
les Arabes , et de prendie toujours sur eux au contraire une
offensive sérieuse et opiniâtre qui pùtles dégoùterdu combat.
Des colonnes plus nombreuses, augmentées par les garnisons
rendues à la guerre active ; une organisation plus légère, qui
donna plus de rapidité à leurs mouvements et leur permit
de passer partout; enfm l'art, chaque jour perfectioniu;, d'at-
teindre les indigènes par des razzias portées jusqu'aux points
les plus éloignés du petit désert; tel fut le .système adopté
alors par le général Bugeaud , et qui en très-peu de temps
changea complètement la face des choses. Aussi chaque fois
maintenant qu'Abd-el-Kader affronte nos régiments , il est
battu ; ses escarmonches incessantes ne servent qu'à précipi-
ter sa ruine ; ses soldats, découragés, soupirent après la paix ;
la famine règne dans ses tribus; la misère, la maladie, un
commencement de peste , déciment ses alliés. Le général Bu-
geaud a parfaitement compris que c'est de la province d'Oran,
du cœurde ses États, qu'il faut chasser l'émir, et les prises suc-
cessives deTagdemt et de Mascara forcent Abd-el-Kader
à fuir (décembre 1841). Dès les premiers jours de juin 1842
de vastes contrées dans les provinces d'Alger et d'Oran vien-
nent à soumission , et implorent l'a m a n de la France. Tous
les postes de défense ou d'approvisionnement de l'émir sont
successivement enlevés. 11 reconnaît enfin qu'il lui est désor-
mais impossible de lutter davantage contre nous , et il orga-
nise alors sa smala, cette vaste émigration de fidèles qui
iront sous sa conduite demander au désert un asile sur
et impénétrable. Il fait un appel supième à tous ses .seni-
teurs dévoués et à toutes les tribus , cessant de s'inquiéter de
ce que deviendront celles qui l'abandonnent; et à la tèle
de soixante mille individus , possédant près de deux millions
de têtes de bétail , il s'enfonce dans les grandes solitudes. Main-
tenant il ne cherche plus à attaquer les Français; il ne songe
qu'à protéger l'arche sainte , cette smala , celte nondjreuse
DlfT. DE 1.A CONVi:r.S. — T. I.
famille unie par les liens du malheur, nation errante et no-
made au milieu de la grande nation. Le désastre d'Am-Ta-
guiu lui vient arracher ce dernier lambeau de puissance : le
duc d ' A u m a 1 e lui enlève , avec ses chasseurs , les débris de
sa fortune, disperse ou fait prisonniers le reste de ses partisans,
et le réduit à se réfugier enlin , avec quelques centaines de ca-
valiers exténués, sur le territoire de Maroc (février 1842).
Si l'Algérie était délivrée du plus implacable adversaire de
la puissance française, il s'en faut qtj'elle fût encore coin-
pléteuicnt soumise à nos armes; et la lutte se poursuivit sur
d'autres points contre des tribus demeurées lidèles à la cause
d'Al)d-el-Kader et de la nationalité arabe. L'empereur de Ma-
roc, à son tour, cédant aux obsessions et aux représentations
des émissaires d'Abd-el-Kader , se décide à prendre en main
la défense de l'émir vaincu et déchu , et il fait attaquer, en
1844, le général Lamoricière , alors en observation sur la
frontière de l'ouest. A la nouvelle de cet<e intervention armée
de iMu!ey-Abd-er-Rhaman, le général Bugeaud accourt avec
des renforts au secours de son lieutenant. Après quelques en-
gagements heureux, il gagne, le 14 août , la bataille d ' I sly ,
qni , jointe à l'attaque des côtes marocaines par le prince de
Join ville, amena la conclusion du traité de Tanger, aux
termes duquel l'empereur s'engageait à interner son dangereux
hôte sur quelque point de son empire suffisamment éloigné
de nos frontières.
Ce traité toutefois ne fut pas exécuté avec sincérité du
côté du Maroc. Tout au contraire, Abd-el-Kader, accueilli
avec vénération par les populations au milieu desquelles il
était venu planter ses tentes , y trouva après comme avant
des secours en hommes et en arj^ent, avec lesquels il put, à
diverses reprises, envahir de nouveau l'Algérie, notamment
à la fin de septembre 1845, époque où à sa voix les Arabes se
ioîdevèrent depuis la frontière du Maroc jusqu'à Teniet-el-
Haad. Bientôt l'émir envahit la province deTittery, et, se je-
tant brusquement dans la vallée de l'Isser avec sa cavalerie,
qui grossissait toujours en avançant, il menaça sérieusement
la Slétidja.
La lutte qu'il nous fallut soutenir alors contre notre infati-
gable ennemi forme la période la plus difficile et aussi la plus
glorieuse de nos annales militaires en Algérie. Le général Bu-
geaud compiit qu'il ne fallait laisser prendre pied à Abd-el-Ka-
der nulle part, afin qu'il ne put organiser ni un gouvernement,
ni l'impôt, ni le recrutement. Jamais nos tioupes ne firent
des marches plus longues, plus pénibles. 11 y eut des colonnes
qui restèrent liuit mois en campagne sans toucher à aucun point
de station. Le succès devait couronner une telle œuvre, ac-
complie sans éclat , mais sans repos , et avec une obstination
héroïque. Les tribus, décimées et ruinées, abandonnèrent
successivement la cause de l'émir, qui au mois de juillet lS4fi
fut oblige de se jeter de nouveau dans le Maroc avec une
poignée de cavaliers, dont la plupart traînaient leurs che-
vaux par la bride.
Alors, n'espérant plus rien de l'Algérie, mais comptant sur
la coopération des montagnards du Rif , Abd-el-Kader réalisa
les projets qu'on lui avait prêtés dès qu'il s'était réfugié sur
le territoire marocain, et tourna ses vues ambitieuses confie
l'empire de Mu ley- A bd-er-Rhaman, son chef religieux,
qu'il ne craignit pas d'attaquer à visage découvert dans ses
droits de souverain indépendant, et bientôt louteslescorres-
ponJaîîces du Maroc représenli rent comme possible une
révolution en faveur de l'ex-émir.
L'empereur de Maroc, éclairé par des rapports exacts ,
comprit enlin à quels périls la présence de cet hôte dange-
reux sur son territoire exposait ses l'^tats. Il réunit un corps
d'armée considérable aux ordres de ses fils, et se décida
à agir vigoureusement contre Abdel-Kader. Cependant,
avant d'en venir au\ dernières extrémités, et par un reste de
cette sympathie excitée sans doute parmi tous les musul-
mans i)ar la lutte acharnée soutenue contre les chiétiens par
l'émir, l'empereur lui manda, en réponse à des propositions
18
ABD-EL-KADEI\
,1e conciliatioi. , qu'il ne pouvait en licoiiter aucune tant
qu'AlMl-cl-Katler resterait dans le pays qu'il occupait; que
s'il voulait venir h lez, il y serait traité favorablement ; que
Sfs cavaliers et ses fantassins seraient admis dans les
troupes marocaines ; que la |H)pulatiou de sa déira recevrait
des terres; (|iie s'il refusait ces conditions, le cliemin du
désert (lait libre, et (lu'il pouvait le prendre; que s'il ne
se décidait pour aucun de ces deux partis, on serait obligé
de recourir ë l'emploi de la force pour assurer l'exécution
des traites conclus avec la l'rance. Abd-el-Kader prit im-
iiièdiatement sa résolution. Il renvoya sans réponse les ca-
valiers marocains porteurs des dernières propositions de
Muley-Abd-er-niiaman, et réunit toute la population de sa
deira ainsi (jue ses réf;uliers. Il leur exposa quelle était
sa situation , sans en rien dissimuler, et leur déclara qu'il
était résolu à tenter de nouveau la fortune. Avec deux
luillc liommes d'élite, l'émir tojnbe à l'improvistc, pen-
dant la nuit (lu 11 dtkembre 1847, sur un des deux
camps marocains , et s'en empare. Mais le lendemain toute
la masse de ses adversaires, au nombre d'au moins trente
mille bommes, se rue contre lui. Il est obli;;6 de se reti-
rer vers laMalou'ja ; toutes les lianîeurs qui l'environnent se
couvrent d'ennemis; il faut qu'il réunisse à lui la déIra,
dépôt îunbulant composé de trois mille, individus, femmes,
enfants, serviteurs, avec toutes leurs bètes de somme et
leurs bagages. Dès lors Abd-cl-Kadcr ne pouvait plus com-
battre, si ce n'est pour protéger peudantquelques lieures cette
midtitude contre le massacre et le pillage. Quanta lui, avec
lin groupe de cavaliers lidèles, il compte s'écbapper ensuite et
se réfugier dans le désert. Pour conduire tous .ses gens sur
le territoire français, où ils feront leur soumission, il fallait
francbir la Malouïa par un gué dillicile. Aussitôt la masse
des Marocains se précipite sur eux. L'émir tient ferme avec
ses n'guliers: la moitié de ces braves succombe; mais la
déira est sauvée : elle traverse la rivière sans perdre un
.seul mulet. On a francbi le Kiss, ruisseau qui marque la
frontière, et la deira fait demander l'aman au générai La-
inoricière, commandant du corpç d'observation que le gou-
vernement français avait réuni sur la frontière de Maroc.
Cependant Abd-el-Kader n'a pas encore perdu tout espoir
d'écbapper à la dure nécessité de se soumettre à la France.
Pour sortir du territoire algérien et gagner le sud, il faut
qu'il traverse un étroit passage dans les montagnes. Le géné-
ral Lamoricière, prévoit la roule que prendra l'éaiir, et
au milieu de la nuit le lieutenant de spabis indigènes qu'il
a détaclié en éclaireur rencontre l'escorte de l'émir. La ca-
valerie du général Lamoricière avait pris position dans la
plaine, et le jour une fois venu l'émir allait être traqué sans
rclAcbe. Se rappelant les odieux massacres qu'à (Jiverses
reprises il a fait de nos malbeureux prisonniers de guerre,
la perspective d'être lait prisonnier intimide son courage; il
prolitedii peu d'IiQures qui lui restent encore pour s'assurer
li; bénélic4i d'une reddition volontaire en se confiant à la
j;i nérosité française. Voici comment le duc d'Aumale,
qui avait succédé au niarécbal liugeaud dans le gouver-
nement de l'Algérie, avec un titre plus élevé, raconte cet
épi.sflde dans son rapport : « Abd-el-Kader, après avoir
conduit lui-même l'émigration sur notre territoire, et l'avoir
engagée dans le pays des Msirda, la quitte; un petit nombre
des siens se décide à le suivre. Il vivait cbez une fraction
des Ueni-Snassen, qui est restée fidèle à sa cause. C'est
par là qu'il e^spère gagner le sud. Mais le général de
Lamoricière, informé de ce qui se pa.ssait, a deviné son
projet. Vingt spabis, commandés parmi oflicier intelligent
et sur, le lieutenant Ben-Kbouia ,. avaient été, le 21 au
soir, envoyi's en observation au col de Kerbous ; bientôt
des coups de fusil signalent \m engagement de ce côté :
c'est Abd-cl Kader qui rencontre lios spabis. r,c général
de Lamoricière, qui dans la nuit avait l'ail prendre les armes
à sa colonne, s'avance rapidement avec sa cavalerie.
L'émir a pour lui rol)Scuril(*, un pays difficile sillonné de
sentiers inconnus de nos éclairems; la fuite lui était encore
facile. Mais bientôt deux de ses cavaliers, amenés p*dr Ben-
Kbouia lui-même, viennent annoncer au général qu'il est
décidé à se rendre, et qu'il demande seulement à être con-
duit à Alexandrie ou à Saint-Jcan-d'Acre. La convention,
imini'diàtement conclue de vive voix, est bientôt ratifiée
par écrit par le général de Lamoricière. Aujourd'hui même,
dans l'après-midi, Abd-el-Kader a été reçu au marabout
de Sidi-Braliirn par le colonel de Montauban, qui fut rejoint
peu après par le général de Lamoricière et i)ar le général
Cavaignac; Sidi-Brabim, théâtre du dernier succès de l'émir,
et que la Providence semble avoir désigné pour être le
tliéitre du dernier et du plus éclatant de ses revers, comme
une sorte d'exi)iation du massacre de nos infortunés ca-
marades. Une iieurc après Abd-el-Kalcr me fut amené à
Nemours, où j'étais arrivé le matin même. Je ratifiai la
parole donnée par le général de Lamoricière, et j'ai le
ferme espoir que le gouvernement du roi lui donnera .sa
sanction. J'annonçai à l'émir que je le ferais embarquer
dès demain pour Oran, avec sa famille ; il s'y est soumis
non sans émotion et sans quelque répugnance : c'est la
dernière goutte du calice ! Il y restera quelques jours sous
bonne garde, pour y être rallié par quelques-uns des siens,
et entre autres par ses frères, dont l'un, Sidi-Mustapba, à qui
j'avais envoyé l'aman, s'est rendu le 18 à la colonne da
général de Lamoricière, et a été provisoirement conduit à
Tiemcen; cette réunion achevée, je les enverrai tous à
Marseille, où ils- recevront les ordres du gouvernement. »
La nouvelle de cet heureux événement parvint en France
le 1*"' janvier 1848 par VAsmodée, bateau à vapeur de la
marine royale qui avait été chargé de conduire Abd-el-Kader
et sa suite, composée de quatre - vingt - douze individus,
d'Oran à Toulon. Avant de quitter pour toujours le sol afri-
cain, et au milieu des grandes émotions qui devaient agiter
son cœur, l'émir avait écrit au diic d'Aumale une lettre de
remerciments |>our tous les égards dont il avait été l'objet.
Cette preuve de déférence pour le prince français n'était pas
la première qu'il lui donnait depuis ses quelques heures de
captivité, car déjà il lui avait fait cadeau de .sa fameuse jument
noire, comme cheval àngada ou desoumission. Quand Abd-el-
Kader lui remit ses armes, on raconte que M. le duc d'Au-
male prit le pistolet de l'émir, et lui dit : « Ceci est pour le
roi ! M puis qu'il prit le sabre du chef arabe, et qu'il le donna
au général Lamoricière, en lui disant : « Ce sabre est pour
vous; vous l'avez bien gagné! j>
[ Provisoirement détenu au fort Lamalgue à Toulon, l'ex-
érair reçut ensuite pour résidence le château de Pau, puis le
château d'Amboise. Le 15 mars 1848, il écrivit au gouver-
nement provisoire pour demander d'être transporté à la
Mecque et à Médine, où il voulait étudier et adorer Dieu
jusqu'à son dernier jour. « J'ai défendu mon pays par
tous mes moyens, disait-il ; j'ai la conviction que pour cette
raison vous m'estimez. Quand j'ai été vaincu et que Dieu ne
m'a pas donné l'avantage, j'ai songé à tranquilliser mon âme
en renonçant aux choses de ce monde, et quoiqu'il me
fût possible de me rendre dans le pays des Berabers ou dans
le Sahara, j'ai (iréféré pour mon âme sa remise entre les
mains des Français... J'ai demandé au général de Lamoricière
de me faire transporter à Alexandrie pour de là me rendre
à la Mecque et Médine... S'il m'avait dit : Je ne puis vous
promettre ce que vous me demandez, je ne me serais point
rendu... Nous ne pouvons pas vivre dans un pays dont les
vêlements, le langage, la nourriture et tout en général dif-
fèrent entièrement des nôtres... Je n'ai point été pris les
armes à la main, je suis venu aux Français volontairement
et parce que je l'ai bien voulu... Je crains que quelques-unsde
vous puissent penser qu'en retournant aux choses de ce monde
et en revenant en Algérie, j'y ferais renaître des troubles.
C'est une chose impossible et qui ne pourra jamais arriyer t
abd-i:l-kadeu — abd-el-moumein
11)
n'ayez aucun Joule sur moi à cet é^ard, pas plus que vous
ii'on auriez en pareille circonstance de la part d'un liouune
qui est mort, car je me place au nombre des morts. » Depuis,
la question de sa délivrance fut |)lusieurs fois portée -à la
tribune de l'Assemblée nationale ; on établit sans peine que
l'engagement pris avec Abd-el-Kader ne pouvait èlredéfmilif;
que la ratification du gouvernement avait dû Hre réservée ;
que, cerné de toutes partSj il avait peu de chances de sVchap-
per quand il s'était rendu ; qu'enlin la position politique de
l'Algérie et les antécédents d'Abd-el-Kader ne permettaient
pas de lui accorder la liberté qu'il demandait.
lin 1851 sa captivité devint moins dure. H obtint la per-
mission de faire des promenades aux environs d'Amboise.
Au mois d'août 1852 cinq familles arabes qui liabitaient avec
lui à Amboisc furent re<idues à la liberté et partirent pour l'A-
frique : on y comptait ses quatre frères. Au mois d'octobre, le
prince Louis-Napoléon,président de la république, alla visiter
l'émir, et lui annonça qu'il pouvait quitter la France à la
condition de se retirer à Brousse. Abd-el-Kader jura de ne
plus rien entreprendre contre la France, et se rendit à
Paris. Reçu à Saiut-Cloud par son libérateur, il demanda
quelques jours après à voter pour l'empire qu'un sénatus-
consulte rétablissait. Le 21 décembre, il s'embarqua à Mar-
seille sur le Labrador, pour aller vivre dans la retraite à
Brousse avec sa famille. En 1854 il acheta une ferme.
Il figurait alors au budget de la France pour 120,000 fr.
Tranquille pendant la guerre d'Orient , il se contenta de
remettre 6,000 piastres au sultan pour aider aux frais de la
guerre contre la Russie. La même année il envoya trois
chevaux à l'empereur des Français et des chèvres d'Angora
au ministre de la guerre, qui les donna à la Société d'ac-
climatation. L'année suivante , Abd-el-Kader, après avoir
accompagné sa mère et sa femme à la Mecque, revint en
France visiter l'exposition universelle et demander un chan-
gement de résidence. Malade de la cholérine à Lyon , il
refusa le traitement médical, disant que s'il devait niourir,
c'était écrit. Il assista au Te Detim du 15 août à Notre-
Dame, et obtint la permission d'habiter Damas. C'est là
que le trouvèrent les événements de 1860. Par ses dé-
marches actives, il parvint à retarder les massacres. Enfin, le
9 juillet, dans l'après-midi , des fanatiques attaquèrent les
cbréUens dans la ville de Damas. Le soir il y avait déjà bon
nombre d'hommes tués et de femmes emmenées pour être
vendues comme esclaves dans les harems. Abd-el-Kader, qui
s'elait opposé de toutes ses forces au massacre des chrétiens,
en recueillit beaucoup dans sa maison. Les consulats avaient
été brûlés, sauf le consulat anglais ; Abd-el-Kader reçut chez
lui les consuls français, russe et grec ; avec quelques arabes
d'Alger, il sut protéger ses hôtes, et sa noble conduite en cette
circonstance lui vahit de la part de l'empereur des Fran
ç«is le grand cordon de la Légion d'honneur. En 1855
il avait adressé à la Société asiatique un écrit de sa composi-
tion, dont le manuscrit a été déposé à la Bibliothèque
impériale par M. Reinaud, lequel a été traduit par M. G. Du-
gat, et imprimé sous ce titre : Rappel à Vintelligent,
avis à l'iiidifférent { P&ns , 1858,10-8°). On vante aussi
beaucoup les connaissances liippiques de l'émir, et M. Dau-
mas a pu profiter de ses notes sur le cheval arabe. L. L. ]
Abd-el-K.ader est d'une taille moyenne. Il fait remonter son
origine à Abraham par Fatime, fille de Mahomet. Sa figure
est douce, d'une expression plus mystique que guerrière.
Son teint n'a pas la pureté parfaite de celui des Arabes de
distinction : il est marqué de petites tachos qui semblent
èlredes traces de petite vérole. Il porte au milieu du front
npe légère marque lie tatouage. Sa barbe e-;t très-noire
et peu touffue, et son costume d'une simplicité qui n'est
pent-êlrepas exempte d'affectation. Tout dans l'attilude de
l'en-émir indique sa complète résignation au dogme de la
fatalité, base première des croyances orientales. En s'em-
biirquant sur l'Asmodée, qui devait le transporter loin
de la ferre d'Afrique, théâtre do sa gloire et de ses revers,
il s'était écrié : « Allali ! Allah! Dieu n'abandonne pas son
serviteur! »En 182C il avait épousé Leila Khera, fille de
Sidi-Ali-lîou-Taleb, frère consanguin de son père Mahiddine.
De ce premier mariage il a eu plusieurs filles et un fils,
Mahiddine, mort à l'âge de quatre ans, «n octobre 1837.
Désespérant d'avoir de nouveaux enfants de sa femme
Khera, et regrettant suitout de ne pas laisser un héritier
de sa puissance, il avait profité de la tolérance de la loi mu-
sXilmane pour épouser une esclave géorgienne de sang mêlé,
qu'on nomme Alclia, laquelle était enceinte lors de la prise
de la Smala, Ix Aïn-Tagguin, par M. le duc d'Aumale, et qui
depuis a donné à l'émir plusieurs héritiers mâles.
ABD-EL-MOUMEN (Abou-Mohammed), premier kha-
life et deuxième iraan de la secte et dynastie africaine des
Almohades. Suivant le Livre des Princes, la mort du
fondateur de cette secte, Al-Mahadi, resta cachée à tout
le mondé pendant trois ans; Abd-el-Moumen , pendant
ce temps, gouverna au nom du prophète comme s'il vivait
encore. Lorsque enfin il jugea le moment ^enu (1130), il
fit construire liors de Tinamal une grande salle, et y réunit
tous les chefs du peuple. Après leur avoir révélé la mort
du Mahadi, il leur dit : « Ne pleurons pas le vertueux
iman, qui jouit maintenant d'un sort plus heureux. Son
dernier vœu a été qu'après sa mort vous vous réunissiez
tous, sans céder ni aux passions ni aux intérêts privés, pour
lui donner un successeur digne de lui : bannissons donc
d'entre nous les rivalités et la discorde, et occupons-nous
de ce choix. « Il se tut, et les chefs en suspens attendaient
l'inspiration d'en haut, lorsqu'une voix qui semblait venir
du ciel prpnonça distinctement ces paroles : « Victoire et
puissance au khalife Abd-el-Moumen, prince des croyants,
le rempart et l'appui de l'État ! « En même temps, un lion
parut au milieu de l'assemblée, en montrant ses dents
menaçantes et en se fouettant les flancs avec sa queue;
chacun, saisi de frayeur, restait immobile à sa place. Alons
Abd-el-Moumen s'avança vers le lion, qui s'inclina devant
lui, en lui léchant les mains comme un chien soumis. A
cette vue, les Almohades proclamèrent tout d'une voix
pour khalife cet homme privilégié devant lequel s'apaisaient
les lions du désert, et que le ciel lui-même désignait à leur
choix, et touslui jurèrent fidélité. Depuis lors ce lion mita-
çuleux ne quitta plus le nouveau khalife. C'était un lion
qu'il avait apprivoisé et qu'il avait enfermé sous la tribune.
Quant aux paroles venues du ciel, elles avaient été pronon-
cées par un oiseau à qui il les avait apprises, et qu'on avait
mis dans une cage au-dessus d'une coloime.
Proclamé khalife dans Tinamal, sa capitale, Abd-el-
Moumen fit battre monnaie en son nom. Les premières
années de son règne furent consacrées à affermir sa domi-
nation eu Afrique, tout en poursuivant ses victoires dans le
Maroc. En 1143 Ali-ben-Youssouf, fils du fondateur du
puissant empire des Almoravides, étant mort de chagrin ,
son fils Tachfin, à peine monté sur le trône, recommenra
la guerre contre les Almohades. Vaincu à plusieurs re|)nses,
il fut contraint de se réfugier à TIemcen, puis à Oraii,
où, traqué par l'infatigable Ahd-el-Moumcn, il périt d'une
chute de cheval, en essayant de s'échapper. Le cruel vain-
queur fit clouer à un saule le tronc de son ennemi , et en-
voya sa tête à Tinamal , engage de sa victoire (1145). Tout
l'empire almoravide passa successivement, après la mort
de Tachfin, sous la loi du conquérant almoliade. Des dé-
putés andalous le conjuraient de venir en Espagne chasser
les ennemis de l'islam. Abd-el-Moumen se contenta d'envoyer
dans la Péninsule une armée (1151), qui en peu d'années s'eca-
para du vaste empire qu'avaient possédé l^s Almoravides
dans les deux bassins du Xénil et du Guadarquivir (I i5(",).
Prolecleur des lettres et des arts,qiril encourageait notam-
ment dans sa cité de Maroc, Abd-el-Moumen fondait partout
des collèges à côté des mosquées. En 1 ! 54 rémir,usant pour dé-
3.
20 ABD-EL MOUMEN —
hi^iiiv sDii successeur an Uùm, de roiiiniitotcnce qui carac-
térisa toii^ les (k'l(';;iios <]u l'ropliLlc, fit rcronnaifrc pour tel
son lils Si(l-Moliainme«l, cl ordonna que son nom filt proclamé
aprèsie sien dans la C/io^ia ou prière publitjue. Ainsi, l'émir,
(idi'lo à ce princi[)e tutélaire d'unité (pii est la sauvegarde de
j'islau), se f^arda bien d'imiter les inonar<iucs chrétiens de
ri:s[)a^ne et leius funestes partages, et l'immense pouvoir
qu'il lé;;uait à fcon lils resta concentré dans une seule main.
La mort d'Alonzo VII, en 1 157, contribua, plus que bien
«les victoires, à affermir la domination des Almoliades dans
la l'éninsule ; et pourtant pendant plusieurs années encore
Abd-ei-Moumen, occupé de ses guerres en Afrique, ne songea
I),is ;i visiter sa nouvelle conquête. En 1158 il entreprit une
expédition contre la ville deMabadia, conquise en 1145 par
les Normands de Sicile. La chronique arabe nous donne sur
la marche de son armée de curieux détails, qui font connaî-
Ireà la fois le luxe et la puissance du chef dece vaste empire,
éclos en (juelques années dans les sables de l'Afrique, et qui
n(! devait guère plus durer que celui qu'il avait remplacé. La
ville succomba enfin , après six mois de siège, et tous les
chrétiens furent massacrés sans pitié (1 IGO). La chute de Ma-
hadia entraîna la soumission des autres villes de la côte
et (le toutes les tribus berbèies, de Tlemcen à Barca; et l'em-
pire almohade s'étendit ainsi depuis l'Océan jusque près des
Irontières de l'Kgypte. Cette conquête achevée, Abd-el-Mou-
men se remit en route vers Tanger, décidé cette fois à pas-
ser en Andalousie, le seul de ses vastes États où son autorité
filt encore contestée. Arrivé à Oran , il licencia toutes les tri-
bus du désert, pour les laisser retourner dans leurs pays, gar-
dant seulement mille hommes de chacune d'elles , avec leurs
familles, pour les établir dans une ville qu'il fonda.
Arrivé à Tanger, l'émir, après avoir fait fortifier Gibraltar,
la clef du détroit, se décida enfin h poser au moins le pied dans
sa nouvelle con(piôte. Il resta deux mois à Gibraltar, sans
ijuitterle borddela mer, pour se tenirprêt à repasser eu Afri-
(jue à la première révolte, car on ne saurait autrement expli-
quer cette insouciance du conquérant pour les nobles cités
andalouses qu'il avait ajoutées à ses États. Tous ses lieute-
nants dans la Péninsule et les principaux de chaque ville vin-
rent lui rendre hommage, et les poètes andalous ne manquè-
rent pas de rimes pour encenser leur nouveau maître. La
présence d'.\bd-el-Moumen donna une activité nouvelle à la
guerre contre les chrétiens. Le roi Alonzo de Portugal , étant
accouru avec une armée, se fit battre, et laissa six mille des
siens sur le champ de bataille. Le résultat de cette victoire
fut la prise de Badajoz , de Beja, et de plusieurs autres pla-
ces; et Abd-el-Moumen, jugeant cette guerre de frontières
indigne de sa présence, s'en retourna enAfrique (1 161).
Les dernières années de la vie d'Abd-el-Sloumen furent
consacrées à l'administration intérieure de ses vastes Etats ,
où il établit un ordre rarement connu du capricieux despo-
tisme des souverains de l'islam. Il lit mesurer géométrique-
ment toutes les provinces de ses États, depuis Darca jusqu'à
Sous, et régla sur cette base les contributions et les levées
d'hounnes (pie devait fournir clia(|ue province, d'après sa po-
pulation et sa richesse. Il établit partout des manufactures
d'armes, qui livraient par joiu' dix quintaux de llèches, sans
compter les lances , les épées et les armes défensives ; et la
marine africaine prit sous son règne une importance qu'elle
n'avait jamais eue.
La guerre continuait cependant en Andalousie, bien que
i>artout heureuse pour les armes d(;s Ainiohades. Fatigué
de ces victoires sans résultat, Abd-el-Mounien voulut en finir
avec les rebelles de l'Andalousie comme avec ceux de l'Afri-
que. Malgré son .Igc, il résolut de se mettre à la tète de l'ex-
pédition , et donna à toutes les tribus du Maghreb le signal de
Valgi/ied, ou de la guerre sainte. L'Afrique tout entière s'é-
branla à cet appel : trois cent mille chevaux, quatre-vingt
mille vétérans d'élite, et cent mille piétons et archers se réu-
circQt autour i^o l;ii. Le déseit môme, disent les chroniques
ABDERKAIIMAN - SOUFI
arabes, semblait trop étroit pour celte innombrable multitude,
([ui s'étendait au loin sur les plaines et sur les monts. L'ordre
le plus admirable régnait dans cette foule immense, joyeuse de
marcher, sous un chef toujours victorieux, à de nouvelles con-
quêtes sur cette race abhorrée des chrétiens. Mais au moment
du départ l'émir se sentit soudainement atteint d'une grave
maladie : frappé du pressentiment de sa fin prochaine, il chan-
gea avant sa mort l'ordre de la succession, et désigna pour lui
succéder, au lieu de son fils Sid-Mobammed , son fils Sid-
Abou-Yacoub-Youssouf. Cette détermination eut, dit-on, pour
cause, la découverte d'un complot formé par Mohammed pour
se saisir du trône du vivant même de son père. Après que
l'émir eut fait connaître sa volonté à toutes ses provinces,
son mal empira, et il mourut à Salé, le 10 de dschumada 538
(andeJ.-C. IIG?.), à l'ûge de soixante-trois ans, et après
trente-trois ans du règne le plus prospère. Sou fils Youssouf
lui succéda sans opposition.
L'émir Abd-el-Moumen, le fondateur politique de l'empire
almohade, eut toutes les brillantes qualités et tous les
vices d'un chef de dynastie. On nous vante son courage, sa
libéralité, son éloquence, son instruction, son esprit d'équité,
son constant bonheur; quant à sa douceur, l'éloge est un peu
plus suspect. Aucun des avantages extérieurs que prisent si
haut les historiens arabes ne lui manquait d'ailleurs : sa dé-
marche était empreinte de noblesse et de dignité, et son âme,
vraiment grande , méprisait les jouissances sensuelles et les
commodités de la vie. Rjsseeuw-Saint-Hilaire.
ABDERAHME, vice-roi sarrasin en Espagne , secoua
le joug des khalifes , et fonda à Cordoue une souveraineté in-
dépendante. Il eut plusieurs successeurs qui portèrent lemême
nom. L'un d'eux franchit les Pyrénées à la tête d'une armée
nombreuse, et pénétra jusqu'au cœur de la France, en portant
partout le fer et le feu. Arrêté enfin dans sa marche dévasta-
trice, près de Tours, par Charles-Martel, il fut complètement
défait dans une bataille rangée, Uvrée l'an 732 de notre ère,
et où périrent, dit-on, avec lui 370,000 Sarrasins, chiffre sans
doute exagéré, mais qui témoigne du danger dont cette inva-
sion menaçait l'Europe chrétienne.
ABDERE, ville (le Thrace, située sur leNessus, et dont la
tradition attribuait la fondation à Hercule, est la ville deRou-
raélie appelée de nos jours Polystilo. Quoiqu'elle fut la patrie
des philosophes Démocrite, Protagoras , Anaxarque, de l'his-
torien Hécatée et autres hommes célèbres par leur mérite, ses
habitants eurent de toute antiquité une fâcheuse renommée de
corruption de mœurs ainsi que de lourdeur d'esprit. Hippo-
crate l'attribue à l'air épais et méphytique qu'on y respirait, et
qui en favorisant le germe de diverses maladies endémiques
s'opposait à tout développement de l'esprit parmi eux. Dans
les premières pagas de son traité sur la manière d'écrire l'his-
toire, Lucien décrit avec une gaieté de bon aloi la fièvre à
laquelle les Abdérites étaient sujets ; et sous le titre de Les
Abdérites Wieland a composé un roman philosoplûqued'une
haute portée.
ABD-ER-RAHMAN. Voyez Moley-Abd-er Rhaman.
ABDERRAIlAIiVA-SOUFI, astronome arabe, né à
Réi en 903, mort en 98G, a composé divers ouvrages , dont on
peut voir la liste dans Casiri ; mais son Uranographic, qui
est le plus connu, paraît être aussi le plus important de tous.
C'est un catalogue raisomié, calqué sur celui dePtolémée;
les étoiles y sont classées sous le même ordre et sous les
mêmes astéiismes que dans VAlmagesle; les latitudes sont
les mêmes, et par Taddition d'une constante (12°42'), Abder-
rahman ramène les longitudes à l'époque du 1"' octobre 964 ;
c'est en cette année qu'il com])osa son catalogue, à la prière
du prince bouide Adliad-Eddaulat, alors tout-puissant dans
la Perse et l'Irak arabi(pie; on y trouve l'indication de plu-
sieurs étoiles dont Ptoléuiée n'a pas parlé, ainsi que beaucoup
d'alignements et de figures rectilignes , dont les dimensions
sont données en coudées , à la manière d'Hipparque, et en
sous-raultiplcs de la coudée; il y a sur les grandeurs, qu'Ah-
ABDERUAHMAN —
derrahmaii dit avoir obsorvtVs lui-môme avec le plu;; grand
soin, des roinarques au moins curieuses, qui ont conduit l'au-
teur à une classiliciUion nouvelle , et qui peuvent jeter quel-
que jour sur les périodes des étoiles changeantes. Il serait à
désirerque rrrrtHOf/rrtp/fied'Abderrainnan-Souli fût publiée
d'une manière complète, avec tous les commentaires que ré-
dame Tétat actuel de la science. L -Am. Sédili.ot.
ABDIAS, le quatrième des douze petits propliètes de la
Bible. 11 a laissé un seul cliapitre, dans lequel il prédit la
ruine des Iduméens. 11 vivait , à ce qu'on croit, du temps de
Jérénre, vers l'an 626 avant J.-C.
ABDIAS, dit de Babylone, parce qu'on l'a supposé évo-
que de cette ville, et pour le distinguer des persounages bi-
bliques du même nom , est un auteur évidemment supposé
par quelques imposteurs des premiers siècles de l'ère vul-
gaire , qui lui ont attribué une liistoire du combat de l'a-
pùtre saint Pierre et de Simon le magicien. Ce livre, que l'on
a cité comme écrit en hébreu ou en syriaque , ne nous est
connu qu'en latin sous le titre de Historia certnm'ims apos-
tolici : c'est, dit-on , ime traduction faite par Jules Africain,
vers le milieu du troisième siècle. Le manuscrit de ce texte
fut découvert en Carinthie dans le seizième siècle, par Lazius,
qui en donna la première édition à Bàle (1552, in-f"). Jacques
Lefebvre en publia une nouvelle édition à Paris ( 1 560, in-S").
On en connaît encore quelques autres réimpressions. Au sur-
plus , ce prétendu livre d'Abdias est im tissu d'impostures
et d'absurdités tellement manifestes , que le pape Paul IV
crut devoir le rejeter comme apocryphe. Abdias fut long-
temps regardé comme ayant vécu avec Jésus-Christ, et fait
partie des disciples des apôtres , et son livre fut souvent cité
dans le moyen âge comme un des monuments de l'histoire ec-
clésiastique du premier siècle.
ABDICATION, ABDIQUER. Ces mots s'appliquent
plus particuUèrement à l'acte volontaire par lequel un sou-
verain renonce à l'exercice de son autorité et la transmet à
son successeur légitime, ou encore appelle la nation à le dé-
signer. Les plus célèbres abdications dont fasse mention
l'histoire sont celles des empereurs Diocléîien et Maximien
(an 305); de Charles-Quint (1556); de Christine, reine de Suède
0654); des rois d'Espagne Philippe V (1724) et Charles IV
(1808) ; du duc de Savoie Amédée 1" (1434); des rois de Sar-
daigne Victor- Amédée II (1750), Charles-Emmanuel IV (1802)
et Victor-Emmanuel P' (1821); du roi de Hollande Louis Bo-
naparte (1808), en faveur de son fils aîné ; de Napoléon (1814
et 1815); du roi de Suède Gustave IV (1810); de Char-
les X , roi de France, et de son fils le duc d'Angoulérae ,
en faveur du duc de Bordeaux (1830) ; du prince Maximilien
de Saxe en faveur de son neveu Frédéric- Auguste II; du
roi des Pays-Bas Guillaume le"" (1840); de Louis-Phi-
lip p e l", roi des Français, en faveur de son petit-fils le
comte de Paris; du roi deBavièreLouisIer,en faveur de son
fils Maximilien U; de l'empereur d'Autriche Ferdinand pr,
en faveur de son neveu François-Joseph, son frère re-
nonçant aussi à la couronne (1848 } ; du roi de Sardaigne
Charles- Albert, après la perte de la bataille de No-
vare, etc. *
Le droit d'abdication de la part d'un prince ne saurait
ftre mis en question; mais jusqu'à ce jour il a été gé-
néralement admis que cette abdication ne pouvait être
que personnelle, et ne devait préjudicier en rien aux droit.s
de son successeur naturel, non plus (pie contraindre une na-
tion àmodilier sa constitution ou adopter une nouvelle dy-
nastie. C'est ainsi que Charles IV, roi d'Espagne, ne pouvait
valablement abdiquer qu'au profit de son héritier naturel, le
prince des Asturies, et non en investissant Napoléon du droit
de fonder une nouvelle dynastie en Espagne. Quoique le sou-
verain qui abdique se réserve quelquefois les droits honorifi-
ques extérieurs de la souveraineté, tels que les titres de Sire
et de Majesté , il ne peut plus exercer aucun droit de souve-
raiiwté ni jouira l'étraugerdu droit de ju.ridiction ?;:rlc? gens
Ai51)-UL-iîA.MID '21
de sa suite. Si le prince en faveur de ([ui l'abdication a été
faite n'accepte pas l'abdication , l'abdiquant reprend tous
ses droits. Philippe V d'Espagne reprit même le pouvoir
suprême à la mort de son fils Louis, arrivée six mois après
son abdication ; mais Christine de Suède échoua dans ses
efforts pour faire valoir les siens.
ABDOM, village de l'Afrique centrale, sur la rive orien-
tale du Nil, qui à cet endroit fait un coude et >e dirige ver-S
le sud-est jusqu'à la frontière de Dongola. Selon le voya-
geur anslais Taylor, c'est un véritable paradis, entouré de
palmiers, de dattiers, de cotonniers, d'arbres aux fleurs bril-
lantes et d'une riche végétation. En face est Merawe, an-
cienne capitale de Dar-Shvi;hera. Z.
ABDOMEIV. Voyez Ventre.
ABDUCTIOiV, mouvement d'un membre ou de fout
autre appendice du corps d'un animal, pair et symétrique,
qui se trouve porté en dehors et sur le côté. En vertu de ce
mouvement, le membre ou l'appendice qui se trouve plus
ou moins rapproché du tronc on de son semblable est éloigné
delà ligne médiane du corps, et fait avec cette lii^ne un angle
plus ou moins grand. Les puissances musculaires qui exécn-
tent ces mouvements sont connus sous le nom de muscles
abducteurs.
ABD-UL-HAMID,le dernier des cinq fils du sidtan
Aclimet m, frère et successeur de Mustapha 111, fut le père
du sultan Mahmoud II, à qui échut la tâche de réformateur de
l'empire othoman. Ce filt sous le règne d'Abd-ul-Hamid que
se prononça ce double mouvement de réforme et de décadence
qui, commencé avant lui , s'est rapidement développé jus-
qu'à nos jours. — Né le 20 mai 1725, appelé au trône le 21
janvier 1774, Abd-ul-Hamid avait été relégué, dès l'âge de
six ans , derrière les murs du vieux sérail, où l'ombrageuse
politique des sultans tenait leurs successeurs à d'éternels ar-
rêts. C'est là qu'il avait langui quarante-trois ans dans une
complète ignorance des affaires. Uniquement occupé à lire et
à transcrire le Coran ou à fabriquer des arcs et des flèches,
il avait le savoir d'un derviche, l'habileté d'un ouvrier,
la naïve douceur d'un enfant. Lorsque sa prison s'ouvrit,
joyeux et effaré, le nouveau souverain se prit à parcourir son
palais , à tout visiter d'un œil curieux , et à distribuer autour
de lui une part des richesses dont il prenait possession avec
ébahissement. Fidèle à sa nature débonnaire, à peine libre, il
miten liberté, contre l'usage antique dont il avait été victime,
son neveu Sélim , qui devait lui succéder, et il le traita en
fils. En outre, il eut le courage d'économiser, sur un trésor
épuisé , le denier d'avènement, que nul de ses prédécesseurs ,
depuis Bajazet, n'avait osé refuser aux janissaires. Enfin, il
prit sous sa protection lesétabhssements mihtaires fondés par
le baron de Tott , sous le règne de Mustapha III. Sa première
sortie officielle eut même pour objet l'école d'artillerie que
l'aventurier suédois avait organisée sur les rives du Bosphore.
Ce bon prince se laissait récréer par l'exercice au tir de ses
nouveaux artilleurs, fort attristé seulement de la vue d'un
soldat isolé, immobile, en faction près d'une batterie, qu'il
prenait pour un coupable en pénitence, et dont il demanda la
grâce. Tel était le sultan à qui Mustapha 111 avait légué l'hé-
ritage d'une guerre avec la Russie ; tel était l'innocent rival
de la mâle et puissante Catherine.
Cette gueire se continuait depuis 1769. A l'avénemcnt
d'Abd-ul-Ilamid, la Russie occupait la Crimée, les provinces
danubiemies septentrionales, et les (Tontières de la région du
Caucase. De la Morée aux îles de l'Archipel croisait le pavil-
lon russe, entré dans la Méditerranée par le détroit de Gibral-
tar ; et une escadre sous le même pavillon tenait la mer Noire.
Jalouxde l'honneur del'empire, Abd-ul-Hamid envoyasans
délai une armée de 400,000 hommes sur la rive droite du Da-
nube. Le général ni.sse comte Romanzof passa le fleuve, et
des manrruvres habiles sépaièrent l'armée turque de Warna,
sa base d'opérations. Ce fut le signal d'ime débandade com-
plMe de cette ir.imensc coliuo de coir.ba'.tr.nts. .\.bà-ul-liam;d
ABD-UL-HÂMID - ABD-UL-MEI)JID-KHAN
22
se résigna sous la main de Dieu, et le 51 juillet 1774, au bout
de six mois de n-gne, cette guerre de cinq ans se termmait,
sans enf^afiPments sérieux, par le traité fatal de K ut chu k-
Kainardj i.
Far ce traité la Porte reconnaissait l'indépendance des po-
pulations de la Crimée, du lîiidjaket du Kouban. Elle cédait
à la Russie, h perpétuité, A/of et les clefs de la mer de ce
nom, Yéni-Kaléet Kerché,Kiil)ournou, et une langue de terre
entre le Bog et le Dnieper. En vertu de ces concessions, la
Russie prenait pied sur les bords de la mer Noire, et obtenait
l)our ses flottes la liberté de la navigation sur celte mer. En
retour de ces avantages, elle restituait à la Porte la Bessara-
bie , la .Moldavie, la Valatliie et quelques lies de l'Archipel ,
(ju'elle avait occupées. Pour constater l'humiliation des vain-
cus, l'ambassadeur de la Russie, le prince Repnin, fit à
Constantinople une entrée triomphale à la tête de (".(JO hom-
mes armés ; et le peuple turc, s'étoimant de cet affront sans
se soulever, assista à un nouveau .spectacle de sa honte et du
triomphe de ses eimemis , en voyant pour la première fois
des vaisseaux russes remonter de la Méditerranée à la mer
Noire par le canal du Bosphore.
Abd-ul-llamid mit du moins la paix à profit pour rétablir
l'ordre intérieur. L'Égjpte rentra dans l'obéissance. La rébel-
lion de la Morée, ouvertement excitée par la Russie durant la
guerre, secrètement attisée depuis la paix, fut éteinte dans
îles flots de sang : l'intrépide et barbare Hassan-Pacha fut le
Dourreau des Grecs, et dressa dans plus d'une ville des py-
ramides de tètes coupées.
Cependant la Crimée, livrée à son indépendance, était de-
venre le théâtre des intrigues russes et turques. Chaque puis-
sance avait son khan , et la paix, fréquemment menacée , ne
fut renouvelée que par la médiation officieuse de la France ,
en 1779. Grâce à cet armistice trompeur, Catherine fondait,
à l'embouchure du Dnieper, la ville, les fortifications et le
port de Kerson ; c'est à Kerson que la Sémiramis du Nord fit
apposer cet écriteau : C'eut ici le cliemin de Constantinople.
En attendant que la route fût plus libre, elle envoyait , sous
les ordres de Potemkin, une armée de 70,000 hommes pren-
dre possession de la Crimée, qu'elle réunissait à son em-
pire par un manifeste du 8 avril 178.3. La Porte s'arma à
grand bruit, et finit par ratifier ce démembrement de l'empire.
Une telle résignation devait encourager la Russie. Catherine
trouva dans le génie inquiet de Joseph II un allié et un ins-
trument peut-être. En 1787 l'empereur d'Autriche et l'im-
jiératrice de Russie eurent une entrevue à Kerson. Ils for-
mèrent contre la Porte une alliance offensive et défensive, et
la même année vit éclater la guerre ; mais la saison trop
avancée en renvoya les opérations sérieuses à l'année sui-
vante. Les Turcs défendirent glorieusement leurs frontières
contre les impériaux, qui agissaient sur une vaste étendue
de terrain et par corps isolés. Sur la mer Noire, la flotte russe
fut réduite à se réfugier à Sébastopol ; mais Did)icza, Novi ,
Coîchim, tombèrent au pouvoir des armées coalisées; Po-
temkin s'empara d'Ockzakow , cpii couvrait les territoires
nouvellement annexés a la Russie, et détruisit la flotte turque,
qui menaçait Kilbouniou et Kerson. Cette victoire fut souillée
par le massacre de 2.5,000 hommes désarmés.
Abd-ul-Hamid ne survécut point à ce désastre. Contraint,
au début de son règne, de signer, dans le traité de liaïnardji,
la conclusion fatale de la guerre de 17C9 , en essayant de dé-
cliirer ce traité, il ne fit que léguer à son successeur une nou-
velle guerre, de nouvelles défaites, de nouvelles calamités
diplomatiques. Prince faible, doux et pacifique, il ne suffisait
point àunet;\che qui eut réclamé le bras d'un Mahomet 11 ou
«l'im Soliman. Sagloire modeste cstd'avoir préparé la mission
M'formalricc de son (ils par le zèle avec lequel il ])aî;ona les
iiupoilalions de la civilisation européenne. Son successeur,
.Sélim, recueillit cet héritage , qu'il transmit il Mahmoud , et
ce fut en priant pourSéliuiqu'AlHl-iil-liamid expira !e7 avril
1789. E. îÎM'.nvii.r.
ABD-UL-MEDJID-KIIAIV, sultan des Turcs, tiente-
et-unième souverain de la tige d'Othman, est né le 19 avril
1823. Il succéda à son père Mahmoud II, le 1" juillet
1839. A son avènement la bataille de Nézib venait d'ouvr'r
a 1 br ah iin- Pacha le chemin de Coiistaiiliuopie. Toutes
le."» grandes puissances de l'Europe garantirent l'intégrité
de l'empire turc; mais il était difficile de s'entendre sur les
nouveaux liens qui devaient unir le vassal au suzerain.
Kosrew-Pacha, que Mahmoud avait désigné pour guide à
son successeur, fut nommé grand vizir. L'inimitié qui exis-
tait entre cet homme et Méhémet-Ali n'était pas propre
à rendre ia paix à l'empire. Le 14 juillet, le kapitan-paclia
remit la flotte impériale au vice-roi d'Egypte. Au mois de
juin 1H40 Kosrew-Pacha, accuse de complots et de concus-
sion, fut condamné à l'exil dans une forteresse. Enfin, sans
la participation de la France, l'Autriche, la Grande-Bre-
tagne, la Prusse et la Russie décidèrent, par le traité du
I 5 juillet 1840, qu'elles feraient rentrer le vice-roi dans
l'obéissance : le pacha fut heureux d'obtenir son pardon en
se soumettant aux conditions du sultan, qui de son côté
assurait l'hérédité de la vice-royauté à la descendance de
Méhémet-Ali.
Cependant, en montant sur le trône, le jeune sultan Abd-
ukMedjid ne s'était pas entièrement livré à Kosrew-Pacha.
II avait appelé dans ses conseils plusieurs hommes de pro-
grès, comme Rechid-Pacha, ministie des affaires étrangères,
ierjucl rédigea le projet de hattichérif de Gulhané, proclamé
solennellement le 3 novembre 1839. Par ce hatti-chérif le
sultan annonçait à ses peuples une foule d'institutions nou-
velles, des garanties pour la vie, l'honneur, les biens de tous
ses sujets, sans distinction de religion, et contre l'arbitraire
des impôts et du recrutement. La rédaction d'un code pénal
marqua bientôt l'entrée réelle dans la voie du progrès. Une
loi sur le recrutement (ut proclamée en 1843, et le sultan
montra eu plusieurs occasions qu'il voulait tenir une juste
balance entre les hommes des différents cultes qui vi-
vaient sous sa loi. Bientôt une modification importante fut
introduite dans les tribunaux criminels ; les populations
clirétieunes obtinrent d'être représentées dans des tribunaux
mixtes, et le témoignage d'un chrétien contre un Turc fut
admis. D'un autre côté, des insurrections dans les provinces
danubiennes amenèrent encore les réclamations et l'inter-
veiilion de la Russie. D'autres insurrections furent étouffées
dans le sang. L'empire othoman se ressentit peu de la
commotion qui bouleversa l'Europe après la révolution de
février. Les réfugies de tous les pays furent reçus avec, égard
à Constantinople, et lorsque l'intervention de la Rus-.ie udt
fin à la guerre nationale de la Hongrie, Kossiith elles
siens trouvèrentencoreun refuge sur le territoire turc. Les
puissances intéressées réclamèrent ces prisonniers. Abd-ul-
Medjid résista avec une énergie qui lui fait honneur.
La France ayant obtenu la réparation de quelques in-
justices commises contre les Latins à Jérusalem dans ia
jouissance des lieux saints, la Russie envoya le prince
Mentscliiko ff à Conslantinoiile pour exiger un droit de
protection spéciale sur les Grecs sujets du sultan. Abd-ul-Med-
jid repoussa cette prétention et rendit seulement un iradé
portant qu'il voulait l'entière exécution de toutes les con-
cessions accordées à ses .sujets de tous les cultes. La guerre
s'ensuivit. La Russie envahit les principautévS danubiennes ;
les Turcs résistèrent sur le Danube; bientôt les forces fran-
çaises et anglaises vinrent s'unir à celles des Turcs, et
en appri nant la destruction de la flotte othomane par la flotte
russe, à Sinope, les alliés entrèrent dans la mer Noire. Après
un court séjour aux bouches du Danube ils débarquèrent en
Crimée, et Sébastopol fut détruit à la suite d'un long
siéje.
La pai\ rendue à son pays, Abd-u!-Medjid étendit encore
les droits de ses sujets non musulmans , mais les musulmans
H- le suivent pas partent danscelte voie. Des complots coutre
ACD-UL-MEDJID-KHAN — ABEILLES
le ^;uUau furent ilocouverUuans le parti nHroRrade. Le 15 juin
1858 les Turcs de Djeddah assassinèrent le consul anglais
et le consul français; en 18G0 les Uruses et les musulmans
massacrèrent les cliretiens en Syrie, à Damas et à Der-el-
Kammer, sous les yeux et parfois avec l'appui des troupes
turques. Abd-uirMedjid exprima l'horreur qu'il éprouvait
de ces fqits dans une lettre à l'empereur îles Français, en-
voya Fuad-Pacha pour punir les coupables, en même temps
que la France débarquait des troupes en Syrie.
Al)d-ul-Medjid est ami des réformes; il a assuré et étendu
celles de son père. Constantinople lui doit une école de mé-
decine. Il a proclamé la liberté des cultes, établi un lliéùtre
(ranç^ais à Péra, fait traduire le code civil Napoléon, inlerdit
la culture de l'opium, aboli la chasse aux esclaves, et su()-
primé les eunuques; il a aboli le monopole du commerce
des céréales, et déclaré libre la profession de boulanger. Il
0 en outre modilié le système des impôts, fait des emprunts,
i\jais il n'a pas su borner ses dépenses et rétablir les finances
de son pays. L. Loutet.
ABÉCÉDAIRE (Botanique). Voyez Cresso!» de
Par4.
ABÉCÉDAIRES ou ABÉCÉDARIEXS. Sectateurs
d'uunommé Storck, disciple de Luther, dans le seizième siè-
cle. Ils prétendaient que pour faire sonsalut il fallait ignorer
r A B C^ attendu que sans le .secours de l'étude on recevait
»'.(' Dion ■^eul rinlelligencppour comprendre l'Écriture sainle
ABEILLAGE, droit qu'avant le seigneur féodal de
prendre une certaine quantité d'abeilles , de cire ou de miel
dans les ruches de ses vassaux. — C'était aussi le droit en
vertu duquel les essaims d'abeilles non poursuivis apparte-
naient au seigneur justicier.
ABEILLE ( Gasp.\rd), abbé de la Merci, membre de l'A-
cadémie Française, naquit àRiez en Provence, en 1648, quitta
sa province dans sa première jeunesse , et vint à Paris , où il
ne tarda pas à se faire rechercher par l'enjouement de son es-
prit. 11 cultiva de bonne heure la poésie, quoiqu'il n'eût reçu
qu'à un très-faible degré cette influence secrète dont parle
Despréaux. Le maréchal de Luxembourg se l'attacha en
qualité de secrétaire, et l'emmena avec lui dans ses campa-
gnes. Il mérita et obtint la confiance du héros, qui, avant de
mourir, le recommanda particuhèrement à ses héritiers. Le
prince de Conti et le duc de Vendôme l'admirent dans leur
familiarité, à cause des agréments de sa conversation vive et
spirituelle.
Abeille avait un talent particulier pour faire valoir ses bons
mots. Ce qui n'eût été que vulgaire dans la bouche d'un autre
devenait piquant et original dans la sienne, et par le tour
qu'il lui donnait, et par la manière dont il le débitait. Il
était merveilleusement secondé par un visage fort laid et cou-
vert de rides, dont il savait à volonté se faire différents mas-
ques. S'il avait à lire un conte ou une comédie , cette ])hy-
sronomie mobile lui servait d'une manière fort plaisante à faire
distinguer les personnages divers de la pièce. Abeille , dans
ses relations avec les grands, avait su se faire respecter
par un heureux mélange de liberté et de réserve. C'est ce
dont il se félicitait lui-même, en ajoutant qu'il n'avait ja-
mais été réduit à s'écrier comme le bourgeois de Molière:
Ah: George Dandin! on t'es-tu fourré? Abc\]\e, comme
littérateur, est d'ailleurs depuis longtemps oublié. Se?, odes,
ses épîtres, ses tragédies, écrites d'un style faible, lâche et
languissant , n'offrent aucune de ces qualités qui font vivre
les œuvres littéraires.
Lors de la première représentation ( 1G73) de sa tragédie
d'Argélie, reine de Thessalie, qui commençait, dit-on, par
une scène entre deux princesses , dont l'une disait à l'autre :
Vous souviect-il, ma sœur, du feu roi notre père?
ia princesse hésitant à répondre , un plaisant reprit à haute
Toix :
Ma foi, s'il m'oD souvicDl, il ne m'en souvient gncre.
23
Los autres tragédies de l'abbé Abeille, que nous ne mentionne-
rons que pour mémoire, ont pour titre Caton, Coriolan,Soli-
ni(in et Hercule. Sa comédie de Crispin bel esprit mérite
Itourtant de ne pas être confondue avec ses autres productions
dramatiques : elle est gaie et semée de traits vifs et comiques.
L'abbé Abeille faisait représenter ses pièces sous le nom du
comédien La Thuillerie. Il mourut à Paris, le 22 mai 1718.
L'Académie Française lui avait ouvert ses portes en 1704.
Champagnac.
ABEILLES. Ces insectes, de l'ordre des hyménoptères,
si remarquables par leur industrie, leur amour de l'ordre et
du travail , ont été de bonne heure réduits par l'homme à l'é-
tat de domesticité ; cependant on les rencontre encore àl'état
sauvage dans différentes contrées, par exemple en Pologneet
en Russie , où ils établissent leur demeure dans des arbres
creux. Les abeilles sauvages sont toujours plus vigoureuses et
plus velues et d'une couleur plus foncée que les autres. Rien
de plus admirable que l'intérieur d'une ruche; mais il règne
encore beaucoup de contradictions entre les diverses obser-
vations dont les mœurs des abeilles ont étél'objet. Ces insectes
vivent réunis en sociétés nombreuses, qu'on appelle essaims,
et composées chacune d'environ 20,000 abeilles communesou
ouvrières, de 1,600 mâles ou/flMjr-i)o;irrfo«5, etd'une femelle
qu'on nomme la reine ou la mère des abeilles. Les anciens
donnaient aux femelles le titre de rois , parce qu'autrefois
on n'avait pas encore pu distinguer leur sexe, à l'égard duquel
des observations postérieures et irréfragables ne laissent plus
depuis longtemps aucune incertitude. Les abeilles communes
ou ouvrières, qu'on appelle aussi neutres ,ïoTment la nation,
construisent des cellules d'une manière régulière et symétri-
que, recueillent la cire et le miel, et nourrissent le couvain.
Elles sont les plus petites de toutes et pourvues d'un aiguillon
pour leur défense, d'une trompe avec laquelle elles recueillent
le miel, et de deux estomacs, qui, outre les fonctions qu'ils
remplissent chez tous les animaux, leur servent encore à la
préparation de la cire et du miel. C'est avec la cire qu'elles
bâtissent les cellules, dont le principal usage est de contenir
les œufs pondus par la femelle ou la reine. Avec les brosses
qui garnissent leurs longues pattes postérieures elles se net-
toient et ramassent la poussière des fleurs en deux pelottes ou
petites boules, qu'elles font entrer de force dans les palette.s
ou cuillerons striés transversalement dont sont extérieurement
creusés la jambe et le premier article des tarses postérieurs .
C'est alors que , les pattes chargées de ces poussières rouges ,
jaunes, vertes ou blanches, suivant la nature des plantes
dont elles pioviennent , les abeilles s'envolent vers la ruche.
On a cru longtemps que cette poussière séminale des fleurs
ainsi recueillie par les abeilles au moyen de leurs pattes de
derrière était la matière de la cire. Les observations les plus
récentes ont fait voir au contraire qu'elle servait à composer
l'espèce de bouillie dont on nourrit les larves, et que la cire
n'était autre chose que la matière sucrée, altérée par la di-
gestion dans un second estomac et expulsée soit par les
anneaux, soit même par la bouche des insectes.
Les abeilles se nourrissent de hquides végétaux, et princi-
palement de liqueurs sucrées. C'est du nectar des plantes
qu'elles retirent, au moyen de leur trompe, un suc (lui sera
bientôt converti en miel ; et c'est principalement de celui qui
est contenu dans certaines glandes des fleurs , désignées par
les botanistes sous le nom général de nectaire, qu'elles recueil-
lent riiumeursucrée. Elles avalent d'abord ce liquide, qui pa-
rait éprouverdans leur estomac une opération particulière, et
être ainsi dépouillé de son arôme et de la matière visqueuse
à laquelle il étaituni ; ce qui lui donne la propriété de pouvoir
être exposé à l'air sans fermenter. En effet, lorsque l'abeille
dégorge ce suc, il a tout à fait changé de nature; c'est un véri-
table miel, dont les femelles, les mâles et les neutres se nour-
rissenlsuivantleurs besoins. L'excédant est déposé dansles al-
véoles vi<les, dont les paroisne permettent pas la transsiulation,
cl qui sont formés d'un opercule de cire fermé hermétique-
24
ABEILLLS
mont, pour n'être ouverts que lorsque les besoins impérioux et
l'impossibilité de trouver de la nourriture ailleurs forceront
d'avoir recours à ces provisions.
Les miles ou faux-bourdons sontplusgrandsque les ouvriè-
res, mais ils n'ont point d'aif^uiilon , ne recueillent ni miel ni
pollen, et se nourrissent au contraire des provisions amassées
par les ouvrières. Ils sortent le matin de la ruche, et n'y ren-
trent <pie jH'ndant les heures de la grande chaleur; queiipie-
fois même ils ne s'y retirent que pour y passer la nuit : il pa-
rait que leur unique fonction est de féconder la reine. Cette
opération importante une fois achevée, ils sont impitoyable-
ment nus à mort par les ouvrières; c'est en général dans les
mois de juin, de juillet et d'août que se fait ce grand carnage ;
et on a remarqué qu'il avait ordinairement lieu après une
longue pluie, lorsque le vent froid avait soufllc pendant quel-
ques jours, et que le ciel était resté longtemps couvert. Après
cette époque, on ne trouve plus de mâles dans les ruches ; et
ce n'est qu'en avril et en mai suivant que, de nouveaux œuls
ayant été pondus, on en voit reparaître , d'abord en petit nom-
bre , et ensuite en grande quantité. Ils éclosent dans les ru-
ches avant les reines , lesquelles ne sont pas moins impropres
(pie les mâles à tout travail, et n'ont aussi d'autre fonction que
celle de perpétuer l'espèce.
La reine est l'àme de l'essaim , et on n'en souffre jamais
deux dans la même ruche. S'il en nait plusieurs dans un cou-
vain, ou elles forment avec leurs partisans de nouveaux
essaims, ou elles sont successivement mises à mort par celle
qui est éclose la première. Le premier soin d'une reme-abeille
en naissant est en effet d'aller aux cellules royales et de tuer
les larves qui pourraient devenir ses rivales. ])eux reines sor-
tent-elles en même temps de l'alvéole, elles se livrent aussi-
tôt un combat à outrance, auquel assistent les ouvrières en
formant le cercle autour d'elles. Si la plus faible essaye de
chercher son salut dans la fuite , elles l'obligent à revenir au
combat, dans lequel l'un des deux adversaires doit infaillible-
ment trouver la mort.
11 se forme régulièrement tous les ans un nouvel essaim ;
mais s'il s'en formait deux ou trois, cela ne serait pas avanta-
geux, parce que alors les essaims seraient trop faibles. La reine
est plus grande que les autres abeilles , et elle a hâte de s'ac-
quitter de ses fonctions ; aussi ne reste-t-elle que peu de temps
dans l'état de virginité. En général, cinq ou six jours après
sa naissance, ou un jour après qu'elle s'est établie dans
une nouvelle demeure à la tète d'une colonie (ce qui arrive
dans les mois de mai , juin et juillet), on la voit sortir pour
aller à la recherche d'un mâle. Elle revient à la ruclie or-
dinairement fécondée. Les ouvrières le reconnaissent alors ,
à ce qu'il parait, à des signes non équivoques ; car la reine de-
vient tout aussitôt de leur part l'objet de soins et d'hom-
mages qu'on ne lui avait pas encore rendus. La reine pond
dans chaque cellule un œuf, qui, lorsqu'il est éclos, est soi-
gné par les ouvrières. Toutes les abeilles montrent un grand
attachement pour elle ; et l'essaim tout entier se disperse ou
meurt si quelque accident vient à la faire périr.
L'œuf déposé dans les cellules y éclot par la seule chaleur
de la ruche. Un petit ver blanc en sort qui est nourri avec l'es-
pèce de bouillie dont nous avons fait mention plus haut. H
nie une coque soyeuse dans laquelle il subit la transformation
en chrysalide, puis enfin , parvenu à l'état d'abeille, il perce
sa prison et commence son existence sociale.
Quand line fois un grand nombre d'abeilles sont nées,
l'habitation commune ne peut plus contenir tous les habi-
tants. Une émigration devient alors nécessaire; elle ne peut
toutefois s'effectuer que lorsqu'une nouvelle reine, qui rem-
placera celle qui va partir en tète de la colonie, est sur le point
d'éclore. Quelles que soient les incommodités résultant de
cette nombreuse réunion, le départ est toujours retardé jus-
qu'à cette époque. .\ peine cet événement tant attendu est-il
arrivé qu'un grand nombre d'abeilles, ayant à leur tête la
vieille rx'inc , abandonne Ihabitation. Cette colonie errante
prend le nom tYcsxai)]!; les insectes qui la composent ne tardent
pas à s'arrêter dans un endroit quelconque, souvent sur une
branche d'arbre ; là ils forment une espèce de grappe ou de
crtne en se cramponant les uns aux autres au moyen de leurs
pattes. Au moment oii ce groupe se fixe, la femelle reste ordi-
nairement dans le voisinage, et ne se réunit à la masse que
quelque tempî r.piès. C'est le moment que doit choisir l'é-
leveur d'abeilles pour s'emparer de l'essaim et le placer dans
une demeure convenable.
Le départ est précédé de phénomènes assez singuliers, et
s'annonce par des signes non équivoques. Les mâles qui
viennent de naître paraissent alors en grand nombre; plu-
sieurs milliers d'habitants, ne trouvant plus de place dans
la ruche , se groupent par tas au dehors. Un bourdonnement
parlicidier se fait souvent entendre le soir et la nuit dans
l'intérieur de rhabflation , ou bien on y remarque un calme
qui n'est pas ordinaire. Enfin, dès le matin du jour oii la
colonie doit s'expatrier, le calme est encore plus parfait ; et
le repos succède à l'activité générale qu'on remarquait la
veille. Les abeilles qui doivent émigrer semblent ainsi pré-
voir l'heure du départ, qui a ordinairement lieu vers le
milieu du jour, par un temps chaud et un ciel pur. Il paraît
aussi qu'elles jugent alors inutile d'entreprendre ou d'ache-
ver des travaux dont elles ne doivent pas jouir. La même
inaction a lieu lorsqu'un essaim , après s'être établi dans
une demeure et y avoir commencé quekpies travaux , se dé-
cide à l'abandonner. Une ruche donne généralement pen-
dant le printemps trois ou quatre essaims ; quelquefois ce-
pendant elle n'en fournit aucun. C'est lorsque les habitants
en sont en trop petit nombre. L'usage de poursuivre , en
frappant sur des chaudrons, des casseroles, les essaims qui
s'envolent , s'est perpétué jusqu'à nos jours. On en fait
remonter l'origine à l'histoire fabuleuse de l'enfance de Ju-
piter, qui placé par sa mère Cybèle dans la grotte Dictys du
mont Ida, en Crète, y fut nourri par des abeilles, tandis que
les Coribanlcs frappaient sur des instruments retentissants ,
afin que ses cris ne fussent pas entendus de son père Sa-
turne. On a conseillé d'arrêter les essaims qui s'enfuient en
leur tirant des coups de fusil chargés à poudre; mais rien
ne prouve l'efficacité de ce procédé. Les abeilles redoutant
beaucoup la pluie , la grêle , on cherche aussi à forcer les es-
saims à suspendre leur fuite en leur jetant de la poussière ,
du sable fm , etc.
On introduit un essaim dans la ruche qu'on lui destine de
plusieurs manières : on suspend la ruche au-dessus; on frotte
son intérieur avec des plantes odorantes, du miel , etc. , ce
qui détermine les abeilles à aller s'y établir. Quelquefois on
attend que les abeilles soient engourdies par la fraîcheur du
soir : alors on peut les prendre avec la main et les déposer
dans la ruche renversée ; on la recouvre d'un drap , on la
redresse et on la met en place. Le premier travail d'un es-
saim c'est d'enduire l'intérieur de la ruche d'une matière
glutineuse, appelée jjro^JoZ/s. Les abeilles travaillent ensuite
à la confection des gâteaux.
Si une ouvrière étrangère ose pénétrer dans une ruche,
elle est à l'instant mise à mort par celles qui font la garde.
Les abeilles ont en effet de nombreux ennemis , contre les
attaques et les embûches desquels il leur faut se défendre.
Ce sont notamment les frelons, les guêpes, les souris, les
teignes, les sphinx tête de mort ; adversaires tous plus redou-
tables et plus perfides les uns que les autres. Tous les moyens
sont mis en usage pour s'opposer à leur entrée dans la ruche ;
tous les efforts sont dirigés vers ce but, car une fois qu'ils
ont réussi à y entrer, il est bien difficile aux abeilles de s'opposer
à leurs dévastations. Elles n'ont plus alors d'autre parti à
prendre que de fuir et de transporter ailleurs leur indus-
trie. Les ouvrières, on l'a deviné, sont les seuls combattants ;
elles veillent sans cesse à la ruche, et font une reconnais-
sance scrupuleuse de tous les individus qui y entrent , en les
louchant de leurs antennes.
ABEILr.ES — Alih'lLARD
îxs alii'illes sont siijelto,* à t!ivcr>es maladies, et surtout
il une espèce de dys.senterie qui lus fail promptemi-iit [k-rir.
Ou combat cette maladie par de IVaii salée, on mieux par
un mélau^e de Tin vieux , de miel et de sel. On a proposi'
divers moyens auesthésiques pour les endormir au lieu de les
étouffer quand on veut s'emparer de leurs produits. On a
aussi imaginé de conserver les essaims l'hiver en les en-
fouissant en terre , moyennant certaines précautions.
La piqrtredes abeilles estfort douloureuse, et fait naître sur
la peau des boutons qui occasionnent une cuisson brûlante.
Lorsqu'elles .sont multipliées ou qu'elles atteignent des par-
ties délicates, elles peuNent amener la fièvre, les convulsions
et môme la mort. Ou calme les souiïrances qu'elles produi-
sent en extrayant l'aiguillon, qui demeure souvent dans la
plaie, et en faisant des onctions huileuses. Si une abeille avait
été avalée, on devrait prendre une forte dissolution de sel
marin qui la tuerait.
Les ruches d'abeilles sont considérées comme immeubles
quand elles ont été i)!acées dans un tonds par le propriétaire
pour le service et l'exploitation du fonds même ( art. 524 du
Code Napok'on) ; aussi le propriétaire d'un essaim d'abeilles
a-'-il le droit de le suivre partout et de le reprendre où il se
trouve sans aucune permission du juge; mais il faut que le
propriétaire n'ait pas cessé de pouisui\re cet essaim pour
constater que c'est bien le sien. Si cepentlant les abeillles se
.sont retirées dans les ruches du voisin, le propriétaire ne
peut que les appeler à lui, sans avoir le droit de renverser la
loge pour les y prendre. Lorsqu'un essaim s'arrête sur un
héritage affermé sans être réclamé en temps utile, le fermier
a le droit d'en jouir comme de cet héritage; mais à la lin du
bail il doit le laisser. 11 n'est pas permis de troubler les
abeilles dans leurs courses et leurs travaux ; et même en
cas de saisie légitime, une ruche ne peut être déplacée que
dans les mois de décembre, janvier ou février.
ABEL, en hébreuHÉCEL,5ow^^e, nom donné au second
fils d'Adam, peut-être à cause de la courte durée de sa vie. Il
était berger, et son frère aine. Gain, laboureur. Gain offrit au
Seigneur ses premiers fruits, Abel les preiuiers-nés de son
troupeau. Dieu, en faisant connaître que l'offrande d'Abel
lui était agréable, rejeta celle de Gain; et celui-ci en conçut
nne jalousie telle, qu'il tua son frère dans les champs.
Gessner et Byron ont pris cette antique tradition biblique
pour le .Mijet de poënies que chaom connaît.
ABEL (Nicolas-Henri) , l'un des plus profonds mathé-
maticiens des temps modernes, né à Findoe, dans le bailliage
de Christiansand, en Norvège , le 5 août 1802, reçut sa pre-
mière éducation sous la direction de son père, Sœren-Gcor-
fjcs Abel , pasteur de l'endroit , et alla plus tard suivre le
cotirs d'instruction supérieure professé dans une école de
Christiania, où l'explication qu'il entendit faire de quclquas
jiroblèmes de mathématiques éveilla son génie pour cette
science. Il était encore sur les bancs de l'université de sa
patrie, que déjà il publiait quelques opuscules qui suffirent
à lui créer une place importante dans le monde savant. Le
gouvernement suédois lui accorda alors spontanément mi
traitement destiné à lui faciliter un voyage de deux années à
l'étranger, à l'effet de compléter ses éludes et ses travaux.
Abel visita successivement Berlin, Vienne et Paris, puis re-
vint se fixer pendant quelque temps à Berlin , où il ne faida
pas à être l'un des rédacteurs les plus assidus du Journal
(les Malhcmatir/ues pures et appliquées de Crelle. Les
travaux d'Abel eurent surtout pour objets les fonctions el-
liptiques; et dans celle voie il enrichit la sxicnce des plus
magnifiques découvei tes. De relo-.ir en Norvège , il fui bien-
tôt nonmié professeur à l'université et à l'école des iiigéuiouis
de Christiania ; mais l'extrême ardeur avec laquelle il se li-
vra au travail ne tarda pas à épuiser ses forces , et il mourut
le 6 avril 1829, àArendal. .Son maître, le professeur llolmbcr,
a piihlié ses divers ouvrages en langue française ( 2 vol. in-i",
Christiania, 1839 ).
L'ICX. V^ LA CO.SVEfl^AT'.U."!. — I. I.
ABEL (Clarkr), chirurgien et naturaliste anglais qui
accompagna lord Amherst dans son ambas.sade en Chine,
en 18fG et 1817 , publia une relation de ce voyage à la sm'te
de laquelle on trouve des appendices concernant l'histoire
naturelle, et particulièrement un travail de M. R. Brown sur
quelques plantes remarquables de la Chine. Malheureusement
cette partie de l'ouvrage d'Abel n'est pas aussi complète
qu'on devait l'espérer, la plupart des collections ayant été
perdues dans le naufrage du navire sur lequel l'auteur était
embarqué. La mission de lord Amherst terminée , Abel fut
nommé chirurgien en chef de la compagnie des Indes. Il est
mort à Calcutta, le 2G décembre 182G. — R. Brown a dédié
an docteur Abel un genre déplantes dicotylédones, origi-
naire de la Chine , qui a pris le nom lïAbelia.
ABEL DE PUJOL. Vorj. Pljol.
ABEL-RÉMUSAT. Voy. Rémusat.
ABELiVRD (Pierre), philosophe scolastique et théolo-
gien, non moins célèbre par son génie que par ses malheurs,
naquit en 1079, à Palais, bourg voisin de Nantes et dont son
père était seigneur. Une irrésistible vocation l'entraîna vers l'é-
tude des sciences ; et pour s'y livrer en toute liberté il renonça
à la carrière des armes et à son droit d'aînesse en faveur de
ses frères. 11 étudia la poésie , l'éloquence , la philosophie , la
jurisprudence et la théologie, et se rendit bientôt familières
les langues hébraïque , grecque et latine. La dialectique sco-
lastique resta toutefois le sujet favori et principal de ses tra-
vaux. Quoique la Bretagne possédât alors des savants dis-
tingués, Abélard eut bientôt épuisé leur science. Il parcourut
les diverses provinces de France , où il espérait trouver des
maîtres ou des rivaux, et vint enfin à Paris, dont l'Université
attirait de nombreux écoliers de toutes les parties de l'Eu-
rope. Guillaume de Champeaux, qui y professait, était le plus
habile dialecticien de son siècle. Abélard profita si bien de
ses leçons, qu'il embarrassa souvent son maître par la subtilité
de son esprit et la forc^ de ses objections. A l'amitié que son
professeur lui avait d'abord vouée succéda la haine la plus
vive , haine que partagèrent les autres écoliers de Guillaume
de Champeaux.
Abélard, qui n'avait pas encore vingt-deux ans, se vit con-
traint, pour se soustraire à l'orage qui le menaçait, de se
retirer à Melun, où sa rcHommée attira en peu de temps une
foule de jeunes gens qui désertaient les écoles de Paris pour
aller l'entendre. De Melun, il vint à Corbeil, plus près de
Paris, où il fut l'objet de la môme admiration et des mê-
mes haines. Mais il lui fallut interrompre ses travaux, pour
aller rétablir dans son pays natal sa santé ruinée. Deux ans
après il retourna à Paris, et y ouvrit une école dont l'éclat
laissa bientôt toutes les autres sans auditeurs. Il y enseigna
la philosophie et la théologie , et forma les écoliers les plus
distingués , parmi lesquels nous citerons celui qui plus tard
devait occuper la chaire de saint Pierre sous le nom de Cé-
lestin II ; Pierre Lombard , évêque de Paris; Bérenger , qui
par la suite fut l'un de ses plus intrépides et éloquents apo-
logistes; Jean de Salisbury ; et enfin Arnaud de Brescia.
A cette époque vivait à Paris (dans une maison que la tra-
dition place dans la cité , non loin de Notre-Dame) une jeune
personne , nommée Louise ou Héloise , nièce de Fulbert, l'un
des chanoines de la cathédrale , et âgée seulement de dix-
sept ans. Peu de femmes la surpassaient en beauté , aucune
ne l'égalait en esprit et en connaissances de tout genre. Abé-
lard s'éprit tellement d'amour pour Héloise, qu'il oublia ses
devoirs, ses leçons et même la gloire, jusque alors unique
objet de ses désirs. Héloise, de son coté , ne fut point insen-
sible à l'amour d'un homme célèbre, jeune encoie ( il n'avait
que trente-huit ans) , d'une assez belle ligure. Sous le piétexte
d'achever son éducation, Abélard reçut de Fulbert la per-
mission de la voir souvent; et pour la voir plus souvent en-
core il vint bientôt se mettre en pension c'nez lui. Les deux
amants V('Turenl ainsi i)lusieurs mois au comble <ie la félicité,
et plus occupés de iciirs amours que de leurs etudci. Mais
2C
celle liaUon finit far ^tre conmit- de Fulbert, qui les sépara.
Il (Hait troj. tard. Heloise portait dans son .sein le fruit de leur
coniniune laiWesse. Abf^lard Tenleva, et la conduisit en Bre-
tonne, où elle accoucha d'un fils, qui embrassa l'état ecclésias-
tique et qui survécut à son père. .\bélard songea alors à se
marier secrètement avec elle ; Fulbert fut obligé de donner
.son assentiment à ce projet. Héloïse, qui, par un dévoue-
ment extraordinaire, eût mieux aimé passer toujours pour sa
maitresse , finit aussi par y consentir. Le mariage fut céiébré ;
et pour le tenir secret , pour qu'il ne devînt point un obstacle
dirimant à ce qu'.\bélard parvînt à quelque haute dignité
ecclésiastique , alors le but constant de l'ambition des plus
>;rands esprits , Héloïse continua à habiter avec son onde,
pendant qu'.\bélard occupait son ancien logement , où il con-
tinuait toujours ses leçons publiques. Us ne se voyaient que
très- rarement.
Fulbert cependant, croyant que le secret ne pouvait qu'ê-
tre désavantageux à l'honneur de sa nièce, le divulgua.
Héloise, de son cOté , qui tenait plus à la gloire et à la fortune
d'Abélard qu'à son propre honneur, nia le mariage , même
par senuent. FuU)ert en témoigna sa colère h. sa nièce par de
mauvais traitements , auxquels Abélard trouva moyen de la
soustraire, en l'enlevant une seconde fois et en la plaçant dans
l'abbaye d'Argenteuil , où elle avait été élevée. Fulbert, per-
suadé qu' Abélard voulait sacrifier Héloïse à son ambition en
la forçant à prendre le voile, s'en vengea en l'attirant dans
un guet-apens où il le fit horriblement mutiler. Après cette
catastrophe, qui , aux termes des lois canoniques , le rendait
désormais incapable et indigne de toute dignité ecclésias-
tique, Abélard se fit moine à l'abbaye de Saint-Denis, et Hé-
loïse prit le voile à Argenteuil.
Quand le temps eut apporté quelque adoucissement à sa
douleur, Abélard reprit à Paris ses leçons publiques ; mais
s'attira par cela même de nouvelles persécutions. En 1122
ses ennemis le traduisirent devant le concile de Soissons , à
l'occasion d'un écrit sur la Trinité qu'ils parvinrent à faire
déclarer entaché d'hérésie. Abélard , en punition de sa faute ,
fut condamné à brûler lui-même son ouvrage. Les persécu-
tions continuelles dont il était l'objet le forcèrent enfin à
(juitter l'abbaye de Saint-Denis et à se retirer dans les envi-
rons de Nogent-sur-Seine , où il fit bâtir une chapelle qu'il
consacra au Saint-Esprit, et qu'il appela le Paradet. 11 ras-
sembla autour de lui dans cette solitude un grand nombre
de disciples. Nommé plus tard abbé de Saint-Gildas-de-Ruys,
il invita Héloïse ct-ses religieuses à venir s'établir au Paraclet,
et les y reçut. Après une séparation de onze années, les deux
amants s'y revirent pour la première fois.
.\bélard véc\it ensuite à Saint-Gildas, séjour rempli pour
lui d'amertume et de tristesse , car il ne pouvait y oublier ses
amours; et où plus que jamais il fut en butte à la haine des
inoiues, qui en vinrent jusqu'à menacer sa vie. Saint Ber-
nard, qui avait pendant longtemps refusé de se déclarer
contre un houuue qu'il ne pouvait s'empêcher d'admirer,
céda enfin aux pressantes instances de ses amis , dénonça
les doctrines philosophiques d'Abélard au concile de Sois-
sons, les fit condamner i)ar le pape, et obtint même un or-
dre d'incarcération. Abélard en appela au saint père mieux
éclairé, et entreprit le voyage de Rome. En i)assant par
Cluny, il visita Pierre le Vénérable, qui en élait alors
abbé. Ce théologien, non moins éclairé que vertueux, le
réconcilia avec ses ennemis; mais Abélard, à bout de
discussions et de luttes théologico-philosophiques, résolut
«!e finir ses jours dans la solitude. Les mortifications sé-
vères qu'il s'imposait par esprit de pénitence, jointes au cha-
•g\\n profond qui jamais ne quittait son cœur, consumèrent
l)eu à peu les forces de son corps; et en 11 i2 il mourut
tout à la fois martyr et modèle de la discipline monacale, dans
l'abbaye de Saint-Marcel, près de Châlons-sur-Saône, à l'à^e
de soixante-trois ans. Héloïse, qui lui survécut pendant vingt
ans, ohlinl à force de prières qu'on lui rendit la dépouille mor-
ABÉLARD — ABÉLITES
telle d'Abélard , et la fit enterrer au Paraclet, pour pouvoir
un jour dormir du sommeil éternel auprès de lui. En 14!)7
les deux corps furent séparés, et placés dans la grande église
de l'abbaye, un de chaque côté du chœur. En 1630 les
deux tombes furent transférées dans la chapelle de la Tri
nité. En 1702 , le Paraclet étant sur le point d'être vendu ,
les restes d'Abélard et d'Héloïse furent portés dans l'église
de Xogent-sur-Seine. Sept ans après, le 16 février 1800, le
minisire de l'intérieur, Lucien Bonaparte, ordonna leur
translation au Musée des monuments français. Alexandre
Lenoir plaça les corps des deux amants dans le jardin de
son musée , sous le couvert d'une petite chapelle qu'il fit
construire dans le style du douzième siècle, avec des débris
de pierres architecturales trouvés à Saint-Denis , au Para-
clet et ailleurs. Les figures couchées d'Héloïse et d'.\bélard
furent moulées par le statuaire de Seine sur les têtes des
deux amants. Après la destruction du Musée des monu-
ments français la chapelle d'Héloïse et d'Abélard a été trans-
portée au cimetière du Père-Ia-Chaise , où elle est encore
tous les ans l'objet du pèlerinage des âmes tendres.
Dans sa discussion avec saint Bernard, Abélard avait
développé et soutenu les doctrines du pur rationalisme, et
on peut considérer son prédécesseur Érigène et lui comme
les deux plus anciens champions de ce système philoso-
phique. Abélard soutenait qu'on ne doit croire que ce que l'on
a préalablement compris ; saint Bernard au contraire , avec
l'Église, qu'il faut commencer par croire, sauf à compren-
dre ensuite si l'on peut , et que l'esprit d'examen est incon-
ciliable avec l'esprit de la religion. Pour bien apprécier
Abélard , il ne suffit pas de le juger d'après ses ouvrages , il
faut encore lui tenir compte de l'influence que par sa dia-
lectique orale il exerça sur les opinions de son siècle. Son
caractère privé , de même que ses doctrines philosophiques,
fut de la part de ses contemporains l'objet des accusations
les plus passionnées; et chose étrange en vérité, le nom du
penseur le plus hardi qu'ait produit le douzième siècle a été
dérobé à l'oubli moins par ses travaux et ses doctrines que
par son amour et les malheurs qu'il lui attira ; malheurs
qui ont transformé pour le vulgaire des générations sui-
vantes l'homme que ses contemporains admiraient comme
un profond théologien et un dialecticien consommé , en un
héros de roman.
Les lettres d'Héloïse et d'Abélard, publiées d'abord dans
le texte original, ont été par la suite traduites dans toutes
les langues, et les poètes se sont à l'envi efforcés d'en repro-
duire les sentiments brûlants dans des vers où l'expression
ne répond pas toujours à l'intention, témoin Colardeau. Pope,
il faut bien le reconnaître , a été plus heureux.
François Amboise et Duchesne ont publié une édition com-
plète en latin des ouvrages et des lettres d'Al)élard ( Paris,
1616 , in-4° ). Dans ces derniers temps d'autres écrits de ce
penseur, restés jusque alors inconnus, comme le Sic et Son,
recueil de contradictions dogmatiques des Pères de l'Église,
ont été retrouvés et mis en lumière, les uns par M. Cousin
(Paris, 1S36, in-4°), les autres par Rheiuvvald (Berlin,
1835). Une savante notice de M""^ Guizot, terminée par
M. Guizot, a été imprimée en tête de la traduction des Let-
tres d'Abélard et d'Héloïse par M. Oddoul (1839, 2 vol.
in-8° ). M. Cousin a fait précéder son travail d'une remar-
quable introduction. Enfin on doit à M. Villenave père un
volume intitulé : Abélard et lîéloise , leurs amours, leurs
mnllicurs et leurs ouvrages {is2i,m-?,° ), réimprimé en
têtt' d'une traduction nouvelle des Lettres d'Héloïse et d'A-
bélard, par le bibliophile Jacob (Paris, 1840, gr. in-18).
ABÉLITES, ABÉLIENS, ou ABÉLOMENS, secte chré-
tienne qui, au rapport de saint Augustin, existait au nord de
l'Afrique, dans les environs d'Hippone, vers Ja fin du qua-
trième siècle. D'après l'opinion commune , ces sectaires au-
raient emprunté leur nom à Abeljfilsd'Adam, qui mourut sans
avoir été marie ; c'est pourquoi ils s'abstenaient du mariage,
ABELITES -
afin de ne pas propager le péclié originel eu engendrant des
enfants. Leurs erreurs se rattaciiaient évidemment à celles
des anciens gnosliques; et conuue les cainites, les stHlii-
tes, etc., ils appartenaient aux absti7icnts, qui, àpartirdu
deuxième siècle, se sont toujours maintenus en Orient. Sui-
vant les travaux de quelques investigateurs tout récents , il
faudrait, au contraire, dériver la dénomination de cette secte
du mot Eljon , le plus ancien et le plus simple des noms de
Dieu. Ce nom était, en effet, au quatrième et au cinquième
siècle le shiboleth de divers partis qui, mécontents de ce qui
existait, confessaient une foi générale en Dieu , comme les
plus anciens déistes. Voy. HvrsisTARiENs.
ABEX , mot commun aux langues sémitiques , et qui
siguifie./î/5. C'est le môme mot que Ben, Ebn ou Ibn. On
le trouve devant une foule de noms propres orientaux :
comme Aben-Ezra, c'est-à-dire fils d'Ezra. Les personnages
ainsi désignés ont aussi un autre nom , mais comme en
Orient on ne connaît pas l'usage des noms patronymiques,
pour éviter de confondre plusieurs individus qui se nom-
ment de même , on les distingue en rappelant leur filiation,
et c'est souvent le surnom qui prévaut.
ABEXAKI, ABENAQUIS, ABENAKES, peuplade de
l'Amérique du >'ord , établie jadis dans cette partie du Ca-
nada qui confinait au pays autrefois appelé Nouvelle-An-
gleterre. Les Kinnebeks ou Cannibas , aux environs de Kini-
bequi , formaient une branche de cette peuplade , ainsi que
les Loups , Mohégans , Mahikans ou .Manhikans , qui habi-
taient , au commencement du dix-septième siècle, sur la
rive orientale du cours supérieur du fleuve Hudson.
ABEIVBERG (Comté d'). Ce ci-devant comté d'Alle-
vnagne était situé dans l'ancien cercle de Eranconie, sur le
Rézat; il tirait son nom du château d'Abenberg, entre Spalt
ctSchwabach, et faisait partie de l'ancien Nordgau. Une
grande obscurité règne encore sur l'origine et sur la descen-
dance des comtes franconiens d'Abenberg. On les a souvent
confondus avec les comtes bavarois d'Abensberg et avec les
comtes de Babenberg dans le Rednitzgau , et il reste encore
incertain s'ils de^cendent de la même souche que les bur-
graves de Nuremberg , depuis margraves de Brandebourg ,
ou si , conformément à l'opinion commime , la sœur ( dont
on ignore le nom ) du dernier comte d'Abenberg, Frédéric II,
mort en 1230, a transrais aux fils qu'elle eut de son mari,
Frédéric, burgrave de Nuremberg, l'iiéritage paternel de ce
comté avec l'a vouerie du monastère de Heilsbronn. Du reste,
la vie des comtes d'Abenberg, mentionnés dans un certain
nombre d'actes et diplômes du moyen âge , offre à peine
quelque intérêt aux généalogistes , cl encore moins aux his-
toriens. En 1296, Conrad jeune, bourgrave de Nuremberg,
vendit le domaine d'Abenberg àReimbotto, évêque dEich-
staedt ; il appartient aujourd'hui au rovaume de Bavière.
ABEXCERRAGES ET ZÉGRIS. Les Abencerra-
ges, ainsi s'appelait une des premières et des plus puissantes
familles d'Espagne , au temps de la domination des Arabes à
Grenade , c'est-à-dire à une époque où la population chré-
tienne de la péninsule avait déjà juré la ruine de l'islamisme
etoù des dissensions intérieures hâtaient encore la chute de
l'empire musulman de Grenade. Hostiles en secret à leur sou-
verain, les Abencerrages périrent misérablement ; et le prin-
cipal auteur de leurs malheurs et de leur ruine fut la fann'lle
des Zégris, laquelle occupait alors à la cour des rois de
Grenade toutes les fonctions les plus importantes et était l'en-
nemie la plus déclarée des Abencerrages. L'amour d'un Aben-
cerrage pour la sœur du roi Abou-Hassan, qui régnait de-
puis 1465, précipita la perte de toute cette famille. Au milieu
du silence de la nuit, l'.Vbcncerrage escalada l'Alhambra, pa-
lais de son souverain, afin de jouir des faveurs de son
amante; mais l'audacieux fut trahi. Abou-Hassan, furieux
de cette insulte , attire alors sous un prétexte spécieux tous
les Abencerrages à l'Alhambra, et les fait impitoyablement
massacrer sous ses yeux.
ABENCERRAGES 27
C'est dans Conde (Uistoria de la ctominacion de lox
Arabesen £'5j9o;7a [3 vol., Madrid, 1820]) qu'on trouverais
détails les plus étendus sur Ihistoire de la rivalité des Aben-
cerrages et des Zégris, histoire dont la poésie s'est emparée
si souvent pour la parer de ses plus brillantes couleurs. Gi-
nez Ferez de Hita, mademoiselle de Laroche-Guilhem, la ten-
dre mademoiselle de Scudéry, et mademoiselle de Lafayetfe,
qui nous a raconté le charmant épisode des amours de Zayde
et de la belle Zayda, ont successivement traité ce supplé-
ment aux romanceros de l'Espagne, ce drame si rempli de
haines inexorables , de trahisons , de vengeances. Une autra
femme de lettres , le chevalier de Florian , s'empara à son
tour de ce sujet; et qui de nous ne voit parfois encore passer
comme dans un rêve ces tournois , ces bannières , ces cava-
liers étincelants, ces femmes gracieuses? Enfin, le chantre
d'Afala et de René a immortalisé cet épisode des guerres ci-
viles de Grenade où brillent le génie et les passions d'une
race glorieuse éteinte sans retour. Son Dernier Abenccrrage
est bien sans doute la dernière fleur de cette poétique cou-
ronne.
Le poëme que Ferez de Hita a vulgarisé parmi nous n'a
aucune valeur sérieuse aux yeux des historiens. Les histo-
riens ont raison; mais l'histoire a vraiment tort. Cepen-
dant il est aussi avec elle quelques accommodements ; et si
elle conteste à la poésie la vérité des scènes , elle lui accorde
du moins l'existence des personnages. C'est elle qui nous
apprend que les Abencerrages étaient une tribu vaillante, qui
jouissait à Grenade, entre autres privilèges, de celui de four-
nir à la capitale son premier kaïd, al kaïd, ce qu'on appelle
encore en Espagne Yalcayde mayor. Ils prétendaient des-
cendre des rois de Maroc et de Fez et du grand Mirama-
molin , ce qui prouve que le grand Miramamolin , les rois
de Fez et de Maroc eux-mêmes étaient tout simplement des
fils de selher, ainsi que l'indique le nom lui-même : ebn-
serrddj ( fils de selher ).
Quant aux Zégris , qui dans le poëme remplissent le rôle
des traîtres de nos mélodrames modernes , ils descendaient
des rois de Cordoue , et leur caractère sauvage se rapporte
parfaitement à l'étymologie que donne de leur nom un sa-
vant et judicieux historien, M. Romey : soghrours (râtelier,
et par extension frontière). Mohammed I", roi de Grenade,
pour assurer ses frontières , y élevait des places fortes , qui
dans le langage imagé des Arabes étaient des dents prêtes à
mordre l'ennemi. Les cavaliers auxquels il en confiait la
garde prirent le nom de Sogrhis ( défenseurs des frontières),
dont, par corruption, on a fait Zégris. Ces cavaliers durent
bientôt acquérir de l'influence et conserver pourtant au sein
même des galanteries de la cour grenadme cette rudesse des
camps qui effarouchait les regards des Daxara , des Fatima ,
des Zayda et de toute cette adorable pléiade dont les cava-
liers se disputaient l'amour. « Entre ces rudes cavaliers et
« les Abencerrages galants, gentils-hommes, beaux, discrets,
<t bien élevés { nous traduisons textuellement Ferez de
« Hita), » la lutte devait éclater ; les Soghris, fiers de l'im-
portance de leurs services , avaient en outre l'orgueilleuse ■
âpreté du fanatisme arabe, et à leurs yeux les Abencerrages,
amis des chrétiens, comme le dit souvent Ferez de Hita,
l'taient presque des infidèles. Muza, frère du roi, va même
jusqu'à leur reprocher d'être les descendants des chrétiens,
dans une violente querelle survenue entre Abenhabet, Aben-
cci iage,et Mohammed Zégri, querefle dont la belle Daxara,
la fleur de Grenade, était la cause involontaire. Cela étant,
que l'histoire rabatte tant qu'il lui plaira de l'exagération
de ces influences rivales , et chicane la léalité des accidents
de la division de ces deux tribus, pourquoi ne pas admettre
que l'amour ait été pour beaucoup dans leur rivalité , sous
ce ciel ardent et dans cette époque chevaleresque ? Les his-
toriens n'en parlent pas, dit-on, et M. Rosseeuw-Saiut-Hi-
laire, dans son Histoire d'Espagne, oppose à ces héroïques
inventions du génie arabe le silence de Conde , historien es-
4.
28 AliKNCEUUACES
pajinol , comme si le silence ou les aflirniations «le Conde
prouvaient plus «pie les fantaisies <le Perez «le Hita, ou l'his-
toire (le niailenioiselle de la Roclic-fluillieru et celle de ma-
dame de (louiez, (onde est sans contredit le moins exact
«les historiens, et il n'en est pas sur la foi duquel il soit
moins permis «le se hasarder. D'ailleurs l'histoire dit-elle
tOUt.^ E. BARIiALLT.
ABEi\-EZRA ou ABRAHAM, fils de Méir, fds d'Ezra,
célèbre et savant rabbin, naquit à Tolède, ver.s l'an 1119.
Astronome, cabaliste, médecin, phiiosopiie, grammairien,
poète, philologue, commentateur, il fut l'ornement de
l'école rabhinique, et surnommé parles juifs le sage, le grand,
l'admirable, titres que ses ouvrages ne justifient pas tou-
jours. Brûlant du désir de s'instruire et de perfectionner
ses connaissances, il parcourut l'Angleterre, la France,
l'Italie, la Grèce, et l'on croit qu'il mourut dans l'île de
Rhodes, en 1174, ou vingt ans plus tard. Ce fut pendant
le cours de ses longs voyages qu'il composa la plupart de ses
ouvrages. 11 opéra une sorte «le révolution dans la manière
d'interpréter la Bible, en renonçant aux allégories pour
ne s'attacher «lu'au sens grammatical des mots et à l'expli-
cation litlérale du texte. Aben-Ezra a écrit en hébreu cor-
rompu et mélangé , tout en prouvant que l'usage de l'hébreu
j rimitif ne lui était pas étranger dans des énigmes, pensées,
inscriptions et autres petites pièces de poésie. 11 a écrit aussi
«n arabe. Son style est élégant, mais si concis qu'il est
souvent obscur. Comme astronome, Aben-Ezra est un de
ceux qui ont partagé le globe terrestre en deux parties égales,
au moyen de l'équateur. Son jRecJiid-Chokmo {Initlum
sap'tcnt'ix), ouvrage relatif à l'astronomie, et en partie
traduit de l'arabe, étendit sa réputation, et a été traduit en
latin. Ses Commentaires sur l'Écriture sainte ont été
publiés à Venise , par Daniel Bomberg et Buxtorf, avec des
notes, 152G. On cite encore ses Commentaires sur le Pen-
tntcuque, sur le Talmud, sur le Cantique des Cantiques,
st:r Atxiins, Jonas et Sop/ironias ; sur Joel,Amos, Nahum
et ffabacuc, sur les Proverl>es de Salomon, etc. ; plusieurs
livres de théologie, tant en prose qu'en vers; Visoud Mara
(bases de renseignement), et plusieurs autres ouvrages sur la
grammaire, la philosophie, l'astrologie et les mathématiques.
II. Aldifkret.
ABEXSBERG, petite ville de la basse Bavière, bâtie
sur l'Abens, l'un des affluents du Danube, compte envi-
ron 19,00 habitants et est célèbre par la victoL-e «pi'y rem-
porta Napoléon , le 20 avril 1 809 , sur l'aile gauche de l'armée de
l'archiduc Charles, commandée par l'archiduc Louis et par
le général Hiller. Les Autricliiens y perdirent 2,700 honmies,
tant tués que blessés, et 4,000 prisonniers. Cette affaire fut
surtout importante par ses résultats. En vain l'armée autri-
chienne essaya de prendre position à Landsliut, cette place
tomba le 9.1 au pouvoir des Français , qui le 22 livraient la
célèbre bataille d ' E c k m u h 1, et entraient le 2;î à Uatisbonne.
ABEUCROMBY (Sir Ralfu), lieutenant général an-
glais, naquit en 1733, d'une famille écossaise ancienne et
considérée. Après avoir reçu une excellente éducation, il
outra en 175G , en qualité de cornette, dans un régiment des
dragons «le la ganle. En 1760 Abercromby fut nomme lieu-
tenant ; puis il monta de grade en graile dans divers régi-
ments de cavalerie et d'infanterie. De 1774 à 1780, il repré-
senta le comté de Kinross dans la Chambre des communes.
Après la paix de 17S3 il fut mis à la demi-solde, avec le grade
de colonel. Major général en 1787, et depuis 1797 lieu-
tenant général en activité, il se fil la réputation d'un des
meilleurs ofliciers de l'armée britannique. Sous les ordres du
duc d'York, il prit part aux guerres «le la révolution fran-
çaise, et signala sa bravoure à l'attaque du camp de Fa-
mars, le 23 mai 1793, et dans les combats sanglants de
Dunkerque ; mais il ne put empêcher les échecs successifs
essuyés par les troupes britauni.|ues dans cette camiiagne.
^ommé gouverneur de l'ile de Wight, on lut «lonna bientôt
— ABKUDEEN
le commandement en chef contre l'Irlande révoltée, font-îtions
qu'il remplit avec autant de modération que de prudence.
Ayant faitentendredesplaintesqui blessèrent le pouvoir, il fut
remplacé par le marquis de Cornwallis. Appelé au comman-
dement supérieur des troupes de l'Angleterre septentrionale ,
lord Abercromby fut créé membre du conseil privé, le 4
janvier 1799. Bientôt il fut chargé, sous le commandement
en chef du duc d'York, de repousser les Français de la
Hollande, avec une armée anglo-russe. La bataille de Ber-
ghen , livrée contrairement à ses avis , et gagnée par le gé-
néral Brune , rendit inutiles tous les efforts des coalis<5s. Le
duc d'York conclut, le 18 octobre, un armistice avec le
général français. Dans son indignation , Abercromby donna
sa démission. Chargé, en 1800, d'une tentative contre Cadix,
il ne fut pas plus heureux , et la môme mauvaise étoile le
suivit en Egypte. Apiès s'être d'abord emparé d'Aboukir,
le 2 mars ISOl , il marcha contre l'armée française, com-
mandée par le général ]Menou, et «p.ii s'était repliée sur
Alexaiidrie. Le 21 mars , tleux heures avant le point du jour,
son armée se vit attaquée par l'intrépide Menou , dont les
forces étaient de beaucoup inférieures. Abercromby re-
poussa deux fois l'attaque de nos soldats ; mais ceux-ci ,
perçant les deux lignes d'infanterie anglaise, pénétrèrent
jusqu'à sa réserve. La plupart de ses officiers furent blessés
sous ses yeux , et frappé mortellement lui-même , il mourut à
bord d'un bâtiment qui le transportait à Malte , le 28 mars
1801. Le gouvernement anglais lui a fait élever un monu-
ment dans l'église de Saint-Paul , à Londres.
ABERCROMBY (James), baron de Dcnfersiuse,
pair «l'Angleterre, né le 7 novembre 1776, était le troisième
fils du précédent. Avocat de Lincoln's-Inn , il devint juge
avocat général en 1827, chef baron de l'Échiquier en Ecosse
en 1830. Élu député à la chambre des Communes par la
ville d'Edimbourg en 1832, il fit partie (iu cabinet Melbourne
en 1834, comme maître de la monnaie. En 1835 il fut nom-
mé speaker des Communes, honneur qu'il dut à ses vertus
modestes, à son caractère doux et affable, et à ses idées
libérales ; il l'emporta de dix voix sur son concurrent tory, sir
Manners Sutton. A l'avènement de la reine Victoria ( 1837)
un nouveau parlement ayant été convoqué, sir James Aber-
cromby y obtint encore les honneurs de la présidence,
et cette fois sans opposition. En 1839 il se démit de ces
fonctions , et fut créé pair. Il est mort près d'Edimbourg
le 17 avril 1858. Son fils, sir Ralph Abercromby, né en
1803, a été ministre d'Angleterre à Florence et à La Haye.
ABERDEEI^, comté de l'Ecosse centrale qui au nord-
ouest s'avance dans la mer du Nord avec le cap Kinnand ,
entre 15auff et Invemess au nord-ouest, et Perth, Angus (Far-
far) et Kinkardine au sud , comprend une superficie d'en-
viron 92 myr. carrés , avec une population de 180,000 âmes.
La partie sud-ouest , dans laquelle se trouve le mont
Grampian , présente un sol montagneux, couvert tantôt d'é-
paisses forêts, tantôt de landes parsemées de rochers ; les
points culminants de cette montagne sont le Ben-na-Muic-
Dugh (1,440 mètres au-dessus du niveau de la mer), le
Cairntoul(l,4l5m.), le Cairngorm (1,365 m.) et le Benavon
(1,321 m.). Au nord-ouest, le sol s'abaisse successivement
pour finir par ne plus former qu'un terrain médiocrement
accidenté et même plat. Cependant ses côtes sont générale-
ment bordées de rochers très-élevés, au milieu desquels abon-
dent les grottes naturelles. Ses principaux cours d'eau sont le
Déveron , qui le sépare du comté de Bauff ; l'Ugie ; l'Ythan,
où on pratique la pêche des perles ; le Don, avec l'Urie et la
Dee. Le climat en est généralement doux et tempéré, malgré
l'extrême inconstance des vents qui y régnent. L'agriculture,
rélève des bestiaux, la pêche et le commerce constituent les
principaux moyens d'existence des habitants.
La capitale du comté d'Aberdeen est la ville du même
nom, que la Dee partage en vieille et nouvelle ville, unies
entre elles pat un pont d'une seule arche et d'une extrême
ABERDEEiN — AliERRATIOiN
20
\i;irdie-'?se; car file n'a pas moins de 44 nîèfres do développe-
ment. La iio[>iilalion d'Aberdeen est évaluée à 58,000 âmes, i
Klle possède une nnivorsité richement doléc, dite collège '
Maréchal, fondée en 1593, avec observatoire, bibliothèque
et musée. Old-Aberdeen possède russi une université dite '
coUcgc du Jioi, fondée en 1494. Chacune do ces universités
renferme trois cent cinquante étudiants. "Le port d'Aberdeen '
était autrefois peu sur ; mais il est aujourd iiui protégé par ;
une jetée de granit de 300 mètres de longueur et défendu I
par deux batteries. Des nxannfactures considérable.s d'étoffes |
de laine et decoton, dos fonderies impoitantes, l'exportation
des dalles de granit et de meules pour les moulins, la pèche '
au Groenland et la pèche du saumon dans les eaux du Don
et de la Dee fournissent de nombreux éléments d'activité et
de prospérité au commerce étendu que fait Aberdeen.
ABERDEE-\(GEORCES-HAMiLTONGORDON,comted'),
pair d'Angleterre, né le2S janvier 1784, (ils de lord IJaddo,
était issu d'une vieille famille écossaise. Après avoir voyagé
sur le confinent et fait un séjour d'assez longue durée en
Grèc«, il se lit d'abord connaître en fondant à Londres, en
1804, VAthenian Society, espèce de club où l'on ne pouvait
être admis que lorsqu'on avait fait un voyage en Grèce.
En 1813 on lui confia une mission importante près de la
cour de Vienne, qu'il parvint à détacher de l'alliance de
la France, et avec laquelle il signa , à cet effet , à Tœplilz,
le 3 octobre 1813, un traité contre Napoléon. Nommé alors
officiellement envoyé extraordinaire à Vienne , ce fut lui
qui négocia l'alliance du roi de Naples , Mural, avec TAu-
tricbe ; mais il ne put prévenir la rupture amenée entre les
deux parties contractantes en 1815. Pair d'Ecosse depuis 1814,
lord Aberdeen appartenait dans la chambre haute au parti
tory. En 1828 il obtint, dans le cabinet dont le duc de Wel-
lington était chef, le portefeuille des affaires étrangères.
En cette qualité il s'écarta de la ligne politique suivie par
son prédécesseur Canning ; et, ami intime de .Metternich, il se
montra en toutes occasions favorable à la politique autri-
chienne. C'est ainsi qu'il désapprouva la bataille de Na-
varin, qu'il qualifia dans le parlement à'untou-ardevent,
encore bien qu'il eût signé avec la France et la Russie les
premiers protocoles relatifs à la Grèce. C'est ainsi encore
qu'il négocia en faveur de dora Miguel , qu'il avait lui-
même peu de temps auparavant traité en plein parlement
de monstre dhine nouvelle espèce. L'agitation produite
en Angleterre par la question de la réforme amena, le 16
novembre 1830, la dissolution du ministère Wellington,
dont l'acte politique le plus important avait été la recon-
naissance immédiate de Louis-Philippe en qualité de roi des
Français. Adversaire du ministère whig, lord Aberdeen se
montra le défenseur zélé de dora Miguel et de don Carlos.
Dans le court ministère tory intérimaire Peel et Wellington,
créé le 14 novembre 1834 et dissous le 8 avril suivant, il eut
le portefeuille des colonies ; et dans le ministère Peel formé
en 1841, lors delà chute de l'administration Melbourne, il
reprit celui des affaires étrangères, qu'il garda jusqu'en 1846.
Rallié à la politique commerciale de sir Robert Peel , lord
Aberdeen se prononça sur les questions de la liberté reli-
gieuse, du libre échange et de la réforme parlementaire dans
le sens de l'opinion libérale. En 1850 lord Aberdeen soutint
la motion de lord Stanley contre la conduite de lord Pal-
merston eu Grèce. Dans une crise ministérielle, amenée par
la loi contre l'agression papale, lord Aberdeen, qui était pro-
testant presbytérien , reconnut qu'en matière de conscience
et de religion la législation ne peut rien, et n'ayant pu tomber
d'accord avec sir James Graham sur la question des évé-
chés catholiques , il refiisa d'entrer dans un nouveau minis-
tère. Cependant, le 28 décembre 1852, sur la démission du
comte Derby, il accepta le titre de premier lord de la Tré-
sorerie, dont il se démit le 30 janvier 1855. En 1853 il
déclara que le ministère ne préseulerait pas de nouvelle»
luis contre les réfugiés. Bientôt la guerre éclata en Orient,
et l'Angleterre prit parti avec la France contre la Russie.
Lord Derby lui reprocha plus tard d'avoir trompe l'empe-
reur Nicolas, en ne lui faisant pas assez tôt connaître les véri-
tal)les sentiments de l'Angleterre. Du reste, lord Aberdeen
se faisait peu d'illusion sur les concessions faites par la Porte
aux chrétiens , et il disait en 1850 que sans la surveillance
continuelle des puissances, le firman du sultan ne vaudrait
pas même le papier sur lequel il a été écrit. Lord Aberdeen
était lord-lieutenant et shérif principal du comté d'Aberdeen,
président de l'Institut britannique et de la Société des anti-
quaires. Il a été chancelier de l'université et du collège du
Roi d'Aberdeen. 11 est mort le 13 décembre 1860.
ABERLI (JE\>i-Loiis) , dessinateur qui mit les Vues do
la Suisse à la mode, était né en 1723, à Winterthur. Élève
de Jacques Grimm, de Berne, il peignit d'abord le portrait.
Son goût pour le paysage l'ayant emporté, il vint à Paris
en 1759. Plus tard il retourna à Berne, oii il jouissait d'une
grande considération, et oii il mourut eu 1786.
ABERXETHY (John), chirurgien distingué, naquit
en 1763, à Derby, en Irlande, mais vint jeune à Londres.
Elève de J. Huntcr, il s'attacha surtout à l'étude de l'ana-
tomie. Ses succès furent tels qu'on le nomma bientôt pro-
fesseur d'auatomie et de chirurgie au Collège des chirurgiens,
puis directeur de l'hôpital de Bertholomew, qui lui est rede-
vable de son excellent enseignement et de son beau muséa
pathologique. Quoique ses manières roides avec ses con-
frères dussent naturellement lui aliéner de plus en plus leurs
sympathies, il obtint cependant de nombreuses distinctions.
Lorsqu'il mourut à Londres, le 20 avril 1831 , sa réputa-
tion d'habile et de savant opérateur était aussi bien établie
à l'étranger qu'en Angleterre. Ceux de ses ouvrages qui ont
obtenu le plus de succès sont sa Classification des tumeurs
et .son Traité de la Pseudosyphilis. On les trouve dans
ses Surgical and Physiological Works (4 vol., Londres,
1831).
ABERRATION (du latin ab, de, errare, s'écarter).
On appelle ainsi, en astronomie, un changement apparent
dans la situationdes étoiles, qui nous les fait paraître éloignées
du lieu qu'elles occupent véritablement. L'aberration est
un effet du mouvement annuel de la terre autour du so-
leil combiné avec le mouvement progressif de la lumière.
Si l'on se représente la terre tournant autour du soleil, et
une étoile fixe laissant tomber des rayons lumineux perpen-
diculairement à la direction de ce mouvement, l'œil de l'ob-
servateur et les rayons de lumière se rencontrent, et celui-
ci, qui ne s'aperçoit pas du mouvement de la terre, attribue
à la lumière, outre son mouvement perpendiculaire, un autre
mouvement, parallèle à la direction de celui qu'exécute
notre planète. La lumière emploie 8 minutes 13 secondes
pour décrire le rayon moyen de l'écliptique, et dans cet
intervalle de temps la terre parcourt un arc de son orbite
qui est égal à 20" 25. Toutes les fois qu'il s'agit de con-
naître la véritable situation d'une étoile fixe, il faut donc se
rappeler que sa lumière vient frapper notre œil dans la direc-
tion de la diagonale du parallélogramme dont les côtés sont
formés par le mouvement réel de la lumière et par son mou-
vement apparent. Nous ne voyons les étoiles fixes dans le
lieu qu'elles occupent réellement qu'autant que nous nous
en éloignons ou que nous nous en approchons en ligne di-
recte. Dans toute autre situation l'astre nous apparaît an
peu en avant de sa position réelle.
Les planètes présentent aussi ce phénomène , quoique à
un degré moins sensible. Des études auxquelles il a donné
lieu il résulte : l°que les étoiles fixes placées dans le plan
de l'écliptique décrivent pendant le laps d'une année une
ligne droite à droite et à gauche de leur lieu réel; 2° que
les astres qui se trouvent placés dans les pôles de l'écliptique
décrivent dans le même espace de temps un cercle autour de
leur lieu réel ; 3° enfin que ceux qui sont situés entre le plan
et les pôles de l'écliptique décrivent chaque année uiw
30
ellipse autour de la place qu'ils occupent réellement. Des cal-
culs faits sur los aberrations ont servi h dresser des tables
propres à abréf^er les travaux astronomiques.
La découverte de l'aberration, l'une des plus remarquables
qu'on ait faites en astronomie, et la plus intéressante de celles
qui si(iiialt»rent le dix-buitiéme siècle, est due à l'astronome
anglais IJradley. Avant les observations faites par Picard en
1672, on était convaincu que les étoiles ne cbangeaient pas
de place pendant le cours d'une année. Cet astronome remar-
(pia que l'étoile polaire avait, en divers temps de l'année,
des variations de quelques secondes. Mais les savants , déjà
persuadés du mouvement de la terre, estimaient que ces
variations étaient le résultat de la parallaxe annuelle ou de
la parallaxe du grand orbe. Cassini et Manfredi soutenaient,
eux, qu'il n'y avait pas de parallaxe annuelle. Il fallait par
conséquent des observations très-exactes et très-multiplices
pour déterminer les causes des variations annuelles que l'on
apercevait dans la position des étoiles. C'est ce qu'entreprit
Bradley , et ce qu'il exécuta avec le secours d'un riche par-
ticulier appelé Samuel Molineux.
ABEHRATION {Optique), dispersion des rayons de lu-
mière qui , partant d'un objet et traversant le verre d'une
lentille, au lieu d'aller se réunir au même point du foyer, se
répandent sur une petite étendue, et forment par conséquent
nne image un peu confuse. Cette aberration a deux causes :
1° la sphéricité des verres ou des miroirs ; 2° la réfrangibilité
diverse des rayons. La première de ces causes vient de ce
qu'un verre circulaire , tels que ceux dont on se sert pour
les hmettes d'approche , ne peut pas rassembler en un seul
point tous les rayons de lumière qui en traversent les dif-
férents points; la seconde provient de la décomposition
d'un faisceau des rayons , qui en traversant un milieu dia-
phane, tel que le verre d'une lunette, se divise en différentes
couleurs.
ABERRATIOIV DE L'ESPRIT HUMAIIV, dé-
viation de l'esprit qui base des inductions sur un principe
faux ou exagéré. L'histoire des sciences, surtout des sciences
morales, n'est trop souvent qu'une longue série d'aberra-
tions. Mais les aberrations ont quelquefois longtemps passé
pour des vérités. La marche de la science, le travail de la ci-
vilisation, amènent à reconnaître comme faux ce qui jusque
là passait pour vrai. Les doctrines absolues conduisent sur-
tout à l'absurde, et sont cause d'une foule d'aberrations. S'il
fallait citer des exemples, nous rappellerions Xénophane d'É-
lée, et après lui Pyrrhon, niant avec les sceptiques l'existence
de la matière ; Épicure ne tenant compte, dans l'étude de la
nature humaine, que des penchants sensuels. La philosophie
moderne n'a pas été moins féconde en aberrations que la
philosophie ancienne.
ABGAR, surnommé Ouchomo, c'est-à-dire le Aoir,
souverain de l'empire osrhoénien d'Édesse; contemporain
d'.Vugustect de Tibère, le quatorzième des Abgarides. On
prétend qu'affligé d'une maladie grave et ayant entendu parler
des cures miraculeuses du fils de Dieu, il lui écrivit pour l'en-
gager à venir à Édesse le guérir. Eusèbe a traduit du syria-
que cette lettre ainsi que la réponse qu'y fit , dit-on , notre
Sauveur. 11 aflirrae les avoir tirées toutes deux des archives
de la ville d'Édesse, et n'hésite pas à les regarder comme
authentiques. Une circonstance, toutefois, qui prouve bien
que cest là l'œuvre d'un faussaire maladroit, c'est que dans
la lettre de Jésus-Christ se trouvent cités des passages de
l'Évangile. Au resle lËgiisc de Rome les a déclarées apo-
cryphes; mais c'est peut-être là le motif qui a engagé divers
théologiens protestants à soutenir lopinion contraire. A l'é-
poque du schisme soulevé par les iconoclastes, il fut grande-
ment question d'un portrait de Jésus-Christ que celui-ci
aurait envoyé à Abgar. Les villes de Rome et de Gènes s'en
disputent encore aujourd'hui le prétendu original.
ABGARIDES, nom d'une dynastie qui a régné sur la
contrée d'tdesse en Mésopotamie. Vot/cz IIdesse et Abuaii.
ABERRATION — ABINZl
ABIDA, divinité des Kalmouks, qui, selon la croyance
de ce peuple, attire à elle, d'une manière mystérieuse, les
âmes des morts, au moment où elles se séparent du corps;
elle permet à celles qui sont pures de péché d'errer libre-
ment dans les airs , mais chasse loin d'elle, par son souffle,
celles que le péché a souillées. Elle leur donne aussi la liberté
de rentrer dans un autre corps, d'homme ou d'animal. Sa
demeure est dans le ciel , vers le point où le soleil se lève.
ABIES. Voyez Swvi.
ABIGAIL , femme juive d'une grande beauté , épouse
de Nabal , désarma par ses charmes David , irrité contre ce
riche particulier, qui lui avait refusé des secours. Après la
mort de son mari Abigail devint l'épouse de David.
ABILDGAARD (itrononcez Abildgaîird), nom d'une
famille danoise dont plusieurs membres se sont illustrés
dans les sciences et les arts. Sœren Abildcaaud, mort
en 1701, a laissé des dessins qui reproduisent avec une rare
exactitude différents monuments de l'antiquité Scandinave.
Le gouvernement danois l'avait fait voyager pour en lever
les plans et en prendre les vues. — Son fils aine , Pierre-
Christian ABiLDGAAnn, mort en 1801, fonda l'École vété-
rinaire et la Société d'Histoire Naturelle de Copenhague.
Les mémoires de cette société et ceux de la Société royale
des Sciences de Danemark contiennent de lui diverses dis-
sertations. — Nicolas-Abraham Abildgaard, frère du
précédent, né à Copenhague en 1744, mort dans la même
ville, le 4 juin 1809, avec le titre de directeur et de pro-
fesseur de l'Académie des Beaux-Arts , le peintre le plus
remarquable que le Danemark ait encore produit, était un
artiste doué des plus heureuses facultés. Ses ingénieuses
compositions décèlent des études profondes , un riche fonds
d'idées, et une remarquable vigueur de pinceau. Un séjour
de cinq ans en Italie perfectionna ses études premières et
son talent. Dans les créations de sa féconde imagination, on
remarque un caractère souvent mélancolique , mais toujours
grandiose et imposant. Le style de sestableauxhistoriquesest
noble , pur, en même temps que d'un coloris dont peu d'ar-
tistes modernes ont su égaler la vivacité , surtout dans le
nu. La majeure partie de ses grandes toiles historiques dé-
coraient les appartements du château de Christiansborg ;
l'incendie qui dévora cette belle résidence royale, en 1794,
les détruisit presque toutes. Parmi les nombreux élèves de
ce peintre nous citerons l'illustre sculpteur Thorwaldsen.
ABIME. For/es Abyme.
ABIMÉLECH. Nom des rois philistins de Gérare. La
Bible en mentionne deux : l'un contemporain d'Abraham ,
dont il voulut enlever la femme, Sara , la croyant sa sœur ;
l'autre contemporain d'Isaac, à qui il voulait de même en-
lever Rebecca. Tous deux contractèrent alliance avec les
patiiarches. — L'Écriture cite un autre Abimélcch, fils de
Gédéon , qui fut juge d'Israël , et mourut en faisant la guerre
aux Sichémites , révoltés contre lui.
ABINGER (Sir James SCARLETT , lord), premier
baron de l'Échiquier et un des quinze juges de l'Angle-
terre, était né, en 1709, à la Jamaïque , où sa famille avait
résidé longtemps , et où elle possédait de grands biens.
Sous le nom de Scarlett , il acquit une très-grande renommée
dans le barreau anglais , où il fut longtemps à peu près sans
rival. Il parut ponr la première fois au parlement en 1819.
Nommé solliciteur général en 1829, sous ie ministère du
duc de Wellington , il fut fait premier baron de l'Échiquier
et créé pair, sous le titre de baron Abinger, lors de la forma-
tion du ministère Peel-Wellingtonen 18.34. Il est mort àLon-
dres, le 7 avril 1844, à la suite d'une attaque d'apoplexie dont
il avait été iVappé en remplissant ses fonctions judiciaires.
AB IIVTESTAT. Voyez Intestat.
ABIIXZI 4 nom russe d'une peuplade tatare de race sibé-
rienne, qui s'appelle elle-même i4ta/ar, c'est-à-dire pères;
elle vit errante sur le Toni supérieur du gouveniement russe
de Kolywan, au sud de la ville de Kusnetzk. Ces hordes
ABÏNZT — ABJURATION
81
apparliennont aux Tatares Tomsky sur le Tom ; mais, comme
tous les Tatares sibériens, elles empruntent à leurs demeu-
res leur nom particulier. Les principaux moyens d'existence
des AOitizi sont la chasse et la pOche ; pourtant ils se livrent
aussi à la fonte du fer et aux travaux de la forge , et en
partie à l'agricidture. En hiver ils se font des huttes à moi-
tié creusées dans le sol; mais en été ils se tiennent sous
des tentes, qu'ils dressent tantôt dans un endroit, tantôt
dans un autre. Dans les pays où ces hordes circonscrivent
leur vie nomade , on trouve de nombreux monuments d'une
civilisation antérieure, tels que des vases, des armes, des
médaille*, etc.
ABIPOXS , tribu indienne composée d'environ 5,000 in-
dividus , et tixée sur les rives de la Plata, entre 28 et 30° de
latitude sud. Les hommes, généralement doués d'une stature
élevée , nagent avec une merveilleuse adresse , se tatouent
et ont presque tous le nez aquilin. Leurs juges pendant la
paix deviennent leurs chefs en temps de guerre. La pèche
et la chasse constituent à peu près leur unique ressource;
de longues lances et des flèches à pointes de fer compo-
sent leur armure. Pendant les cinq mois de pluie de la
saison d'hiver ils se réfugient dans les nombreuses îles qui
embarrassent le cours de la Plata, ou bien ils se construisent
des huttes au sommet des arbres.
AB IRATO, mots latins qui s'appliquent à ce qui est
fait ou dit par un honune en colère.
En droit romain certaines libéralités faites par haine ou
colère étaient dites ab irato. L'action ab irato était la de-
mande faite par l'héritier légitime du testateur de la nullité
de cette disposition.Cette action n'existait pas dans l'ancienne
législation , précisément à cause de l'étendue extraordinaire
que la loi des Douze Tables avait reconnue à la puissance
paternelle. Quand l'organisation de la famille commença à se
modifier, le droit prétorien admit la plainte d'inofficiosité.
Ou établit que, dans tousles cas, une certaine quotité des biens
du défunt, appelée légitime, serait réservée aux enfants, et que
le père ne pourrait les en priver que pour certahis motifs dé-
terminés. Dans les pays français de droit coutumier l'action
ab irato était également permise aux descendants et aux as-
cendants du défunt. La coutume de Bretagne la donnait
même aux collatéraux. Le législateur moderne, sans ad-
mettre ni rejeter expressément c«tte action en nullité, en a
laissé l'entière appréciation à l'arbitrage du juge, qui doit
décider si les faits qui lui sont dénoncés sont d'une telle
nature que le donateur ou le testateur puisse être réputé n'a-
voir pas eu lors de sa disposition le Ubre exercice de sa raison.
AJBJURATION. Ce mot a plusieurs sens en français :
on peut abjurer une erreur, des sentiments de haine; mais
c'est surtout en matière de religion qu'il trouve son application.
Le plus souvent il s'entend du passage d'une confession
chrétienne à une autre communion chrétienne. L'accession
à la religion chrétienne d'un juif, d'un musulman, etc.,
prend le nom de conv ersion ,\& renoncement au culte
chrétien est souvent traité d''apost asie.
Lorsqu'elle est dictée par une sincère conviction, et qu'elle
a reçu l'aveu d'une conscience éclairée, l'abjuration est
un acte louable. Nous croyons seulement qu'alors elle doit
avoir un caractère de fermeté modeste, surtout si celui qui
reconnaît son erieur a laissé des traces apparentes dans une
opinion contraire, ou occupé une position élevée dans l'ordre
social. Tout au moins faut-il, dans ce cas, que l'abjuration ne
puisse «"tre entachée d'aucun inotif d'intérêt personnel ; au-
trement, on serait autorisé à n'y voir qu'une spéculation,
d'autant plus digne de mépris que d'un côté la conscience
du néophyte converti n'y aurait aucune paît , et que de
l'autre le ciel aurait été pris à témoin d'un engagomcnt sans
sincérité; car il y a quelque chose de sacramentel dans l'ab-
jiiration. On ne passe jias d'une religion dans une religion
dissidente sans qu'aux yeux de tous la Divinité n'intervienne
dans ce nouveau conlrat; le mot liii-mê!!:e l'indii^nc : il
renferme \m jurement dans son étymologie ; et par le jure-
ment celui qui le prononce se place en présence de Dieu ;
or, il n'y a pas de code religieux ou civil qui ne statue des
peines contre le parjure. Le mensonge devant l'autel sera
toujours le pire de tous.
En remontant vers le berceau de la monarchie française ,
on trouve plusieurs abjurations célèbres. Celle de Clovis, la
première en date, fut plutôt une concession par laquelle ce
lier Sicambre quitta le paganisme pour la religion du Christ,
et moins une conversion véritable qu'un traité conditionnel
passé entre le ciel et lui contre les Allemands qu'il s'apprê-
tait à combattre. A bien dire, ce fut le Dieu de Clotilde qui
obtint le prix de la victoire. Ainsi, vers la fin du cinquième
siècle, le christianisme, déjà implanté dans les Gaules par
un effet tout providentiel, reçut du roi des Francs sa pre-
mière consécration; ce fut en même temps une conquête de
la comnmnion romaine sur l'arianisme, dont l'invasion était
devenue menaçante en Europe.
Une abjuration plus importante à tous égards est celle que
le roi de Navarre prononça en 1593, c'est-à-dire onze siè-
cles après celle de Clovis. On a prétendu que la soumission
de Henri IV à l'Église de Rome eut un motif politique : on
l'a cru parce qu'effectivement cette conversion pouvait être
très-utile à l'établissement du pouvoir royal dans la per-
sonne de ce prince; ce qui, pour être vrai, n'attaquerait pas
essentiellement la sincérité de cet acte religieux, du moins
si nous tenons compte de la parole du duc de Sully lui-même,
dont le témoignage très-explicite ne saurait être révoqué eo
doute en pareille matière. Ici l'intérêt de l'État et la bonne
foi de Henri ont bien pu se trouver daccord, et cette coïn-
cidence n'a été démentie par aucun événement subséquent,
à moins qu'on n'attache une importance exagérée au bon
mot échappé à la verve parfois joviale du Bourbon béarnais :
Ventre saint Gris! le roijaume de France vaut bien une
messe. Qui sait si cette saillie déplacée, mais probablement
innocents, ne mit pas le couteau dans la main d'un exé-
crable fanatique ? Ce que dit sur l'abjuration de son maître
et ami l'austère Béthune, dans la cinquième partie de ses
Mémoires (on en doit, il est vrai, la rédaction à un homme
d'Église, l'abbé de l'Écluse; mais les originaux sur lesquels
il a travaillé ont pu être consultés par le public : ils exis-
tent encore en partie à la Bibliothèque impériale) , prouve
irréfragablement que ce fut là une abjuration sincère.
D'autres abjurations , et peut-être en trop grand nombre,
ont fourni des pages lamentables à l'histoire.
Les persécutions contre les protestants , arrachées à la
vieillesse d'un grand roi, les violences physiques et morales
exercées contre les pères et les enfants, les spoliations dont
ils furent victimes, les jeunes filles passant des bras de leurs
mères dans des cloîtres, où on leur apprenait à luaudire ce
que leurs parents avaient honoré , les jeunes garçons jetés
dans des séminaires, où une foi étrangère leur était imposée,
offiiraient un tableau trop lugubre, si nous avions accepté la
tâche d'en retracer seulement quelques épisodes. Ce qui ajou-
terait, suivantnous, beaucoup à sa couleur sombre, c'est que
les violences qui y figuraient étaient un réel anachronisme
par rapport à l'état des mœurs et à l'époque où elles affli-
geaient le pays. On était en effet déjà loin de la Saiiit-Bar-
tliclemy, de hideuse mémoire ; l'opinion était formée sur
cette journée : et pourtant on peut dire que les dragonnades
et les proscriptions qui eurent lieu vers la fin du règne de
Louis XIV furent une seconde Saint-Barlhclemy, moins les
assassinats dans la rue. li est pénible de se souvenir que
nombre de familles nobles se sont enrichies à cette époque
de la dépouille des malheureux religionnaires : on pioscri-
vait alors moins par iiaine que par calcul. Les abjurations
obtenues par la crainte ou achetées à prix d'argent dans ces
jours néfastes, n'ayant aucun caractère de moralité, n'en
méritent pas ic nom. Dieu et le pacte social dont il est l'ûme-
y furent égalenienl outragés.
32 ABJURATION
:\oiis n'entrerons dans auwn détail sur lalijiiration de la j
reiiic lie SiiMe, qui on lf.54 passa assez iastueusenient du
lutiiériai>isnie à la catliolicilé. JNous nous dispenserons inc'ine
de l'examen de cet acte, parce que nous ne croyons pas à sa
sincérité. Christine, dont l'intention était de voir ses jours
couler à Rouie, non sans éclat, au milieu des chefs-d'œuvre
<ie l'art ancien et des philosophes de son temps, avait trop
le désir (juc Ton s'occupAt d'elle en ce bas monde pour qua-
prés son abdication son abjuration ne fût pas encore une
nijuiière de faire du bruit. Il est réellement assez dinicile de
croire à la foi religieuse de celte femme.
L'abjuration doit être un acte rare. On ne saurait passer
(l'une religion dans une autre sans y avoir mnrement rétléchi,
ainsi (juc parait l'avoir fait 'lurenne, dont aucun motif hu-
main ne détermina le changement de culte.
Nous n'aurons garde de voir une abjuration proprement
dite dans l'appel à la foi chrétienne des hordes barbares ou
sauvages, soustraites par de respectables missionnaires au
fétichisme. Ce sont là de véritables conversions, ce sont là
des actes de haute civilisation, entrepris aux risques et pé-
rils des successeurs des apôtres ; et nous en rapportons l'hon-
neur à un zèle qui n'attend point ses pahnes de la générosité
des hommes. K ki; ^tk v .
ABLANCOURT ( Nicolas PERROT d' ), traducteur
assez médiocrcd'un grand nombre d'auteurs classiques, grecs
on latins, naquit à Chàlons-sur-Marne, le 5 avril 1606. Son
père, ([ui était protestant, après lui avoir donné une éducation
première , l'envoya linir ses études à Sedan , où il reçut les
leçons et adopta les principes du fameux Roussel , ce ministre
réformé qui fut plusieurs fois ambassadeur. De Sedan Perrot
d'Ablancourt vint à Paris, où, après avoir étudié le droit, il
fut reçu avocat au parlement. La mort de son père l'ayant
rappelé à Chàlons, il fut sur le point de se marier avantageu-
sement ; mais des obstacles ayant retardé cotte union, elle se
trouva rompue par le changement de croyance de Perrot
d'Ablancourt. Il avait cédé à cet égard aux obsessions de sa
famille , et surtout de Cyprien Perrot , son oncle , conseiller
à la giaud'chambre , qui promettait au jeune avocat de lui
résigner sa charge. Cependant Perrot d'Ablancourt regrettait
les croyances religieuses au sein desquelles il avait été élevé ;
deux ans après les avoir quittées, il prit la résolution d'étu-
dier sérieusement les deux religions, et son retour au protes-
tantisme fut le résultat d'un long examen. Pour se soustraire
aux clameurs qu'excita dans sa famille ce retour aux doc-
trines de son père, il alla vivre deux années en Hollande et
en Angleterre. Perrot d'Ablancourt revint ensuite à Paris,
demeura c[uelque temps chez son ami Patru , puis fixa sa
résidence près du Luxembourg , loin du bruit de la grande
ville. A partir de ce moment il se livra sans partage à la cul-
ture des belles-lettres.
Conrart et Patru furent ses amis particuliers , et l'on doit
à ce dernier une notice dans laquelle on trouve sur la per-
sonne , la vie et les ouvrages de Perrot d'Ablancourt , des
d(;tails curieux et piquants.
Au mois de septembre 1637 il fut reçu membre de l'Aca-
démie Française ; il s'occupait d'une traduction de Tacite au
moment où les guerres de la Fronde ayant ruiné une partie
de son patrimoine, il se vit contraint d'aller vivre dans sa
terre d'Ablancourt , dont il ne sortait qu'assez rarement pour
venir à Paris faire imprimer ses ouvrages. Une maladie de
vessie qui le tourmentait l'empêcha bientôt non-seulement de
marcher, mais encore d'aller en voiture. Enfin, cette maladie
l'emporta le 17 novembre 10G4, Age de cinquante-huit ans.
Perrot d'Ablancourt avait traduit successivMment : L'Oc^a-
vins de Minutius Félix; quatre harangues de Cicéron, pro
Quint io, jiro loge Man'dia , pro Ligario, pro Marcello;
lesœuvre^ de Tacite; la Retraite des Dix mille, deXéno-
phon ; les guerres d'Alexandre, d'Arrien; les Conimentai-
res de César; V Histoire de Thucydide; les Apnphl/iegmcs
des anciens ; les Stratagèmes de Froutin ; Lncicn , avec des
- ABLUTION
remarques ; VAJriqtie de Louis de IVIarmol , etc. Si ces tra-
ductions ont joui autrefois d'une certaine célébrité, due à
l'élégance du style, elles sont ajuste titre tombées de nos
jours dans l'oubli , à cause dos altérations continuelles qu'on
y rencontre, et qui faisaient que les amis de l'auteur le
nommaient le hardi d'Ablancourt, et appelaient ses œuvres
de belles infidèles. Par exemple, on lui reproche avec
raison d'avoir altéré le texte de Tacite , au point de n'avoir
pas traduit les noms propres , et de s'être contenté de les
rendre par des termes vagues, comme deux sénateurs,
un officier. De même Lucien , dans la version de Perrot
d'Ablancourt , a plutôt l'esprit français du dix-septième
siècle que celui de son temps. Le Roux de Lincv.
AliLATîF. Voyez Cas.
ABLÉCUIOF (Alexaxure), officier d'état-major russe,
mort à Moscou en J 784, dut la découverte et la direction de
son talent au hasard qui l'avait placé près du poëte Alexan-
dre Soumarokof , dont il fut pendant quelque temps le secré-
taire. 11 a écrit «les comédies , des contes , des élégies , des
épigramnips ; mais son œuvre capitale est un opéra-comi(î',ie
intitulé Le Meunier, qu'on représente encore quelquefois
aujourd'hui , et qui a conservé jusqu'ici le privilège de plaire
à un peuple dont il peint avec esprit et vérité les mœurs
originales.
ABLÉGAT, du latin ablegatvs, envoyé, désignait au-
trefois un agent diplomatique de second ordre , et désigne
encore à la cour de Rome un officier commis par le pape pour
faire en quelque circonstance particulière, comme lorsqu'il
s'agit de re-nettre la barrette aux cardinaux nouvellement
nommés en pays étrangers , les fonctions d'envoyé du saint-
siége. Il est rare que les ablé^ats soient prêtres : ce ne sont
le plus souvent que de très-jeunes gens, choisis parmi les
membres des familles les plus illustres de Rome ou de l'État
romain , et ayant tout au plus les ordres inférieurs. Cepen-
dant en quittant Rome ils prennent l'iiabit ecclésiastique, les
bas violets et la manteletta des prélats. On leur donne alors
le titre de^ Monsignor. On les appelle aussi internonces.
ABLÉGATION {Droit romain), espèce de bannisse-
ment que les pères pouvaient , aux termes des lois romaines,
qui leur conféraient droit de vie et de mort sur leurs en-
fants, prononcer contre ceux de leurs fils de la conduite des-
quels ils avaient lieu d'être mécontents.
ABLETTE, petit poisson type du genre able, famille
des cyprinoides de Cuvier. L'ablette a de l'i à 21 centimètres
de longueur. Son corps est étroit , son front droit et sa mâ-
choire inférieure un peu plus longue que la supérieure. Ses
écailles minces , peu adhérentes , d'un vert jaunâtre sur le
haut du dos, présentent un éclat argenté sur les côtés et sur
l'abdomen. Cet éclat métallique tient à la présence d'une
substance nacré-e qui entoure la base des écailles ; les intestins
sont également recouverts par cette matière brillante, qui
porte dans le commerce le nom d'essence d'Orient. Pour
l'obtenir, on écaille le poisson, et on malaxe les écailles dans
l'eau ; la substance nacrée tombe au fond du liquide quand
on le laisse reposer. On décante alors, puis on lave de nou-
veau jusqu'à ce qu'il ne reste plus d'impuretés. Le tout est
jeté ensuite sur un tamis, qui laisse passer la substance nacrée
et retient les écailles. On décante encore une fois, et Ion
retire une matière visqueuse, qui est l'essence d'Orient, avec
laquelle on fabrique les perles artificielles. Lorsqu'elle est
bien préparée, elle présente l'aspect et les reflets des perles
véritables ou de la nacre de perle la plus fine. Cette sub-
stance se putréfie facilement à fhumidité, mais on peut remé-
dier à cet inconvénient au moyen de l'ammoniaque liquide.
ABLUTIOiV ( du hWaabluere, laver, nettoyer). L'an-
cienne loi fait une mention fréquente des ablutions ou
purifications; elles jouaient en effet un rôle fort important
dans le culte judiiique. Il est à remarquer que le paganisme,
de même ([ue la religion de Brahma, recommandait vivement
des ablulious. Ne semble-t il pas que le sentiment d'une im-
ABLUTION — ABNER
33
pureté inhérente à la nature humaine soit, pour ainsi dire,
inné au cœur de l'homme , et qu'il doive se retrouver dans
tous les cultes?
Il ) a plusieurs sortes iVabludous dans la liturgie catho-
h"que : le baptême, l'aspersion, le lavement des pieds et celui
des autels dans la semaine sainte, le lavement des mains
à la messe, enlin les ablutions après la communion. Z.
Des ablutions chez les Orientaux. L'ablution est une
cérémonie instituée par iiresque toutes les religions de l'O-
rient , et consistant à enlever par l'eau certaines souillures
spirituelles ou matérielles. C'est l'acte d'une liygiène à la
fois physique et morale , dont le christianisme a conservé
quelques traces symboliques. On conçoit que sous des
climats brûlants la loi ait dû opposer aux promptes altéra-
tions de la chaleur les prescriptions sévères de la propreté
corporelle. En Orient, où la religion n'a jamais séparé la
chair de l'esprit avec autant de rigueur que le dogme chré-
tien, leurs relations ont été naturellement consacrées; l'ana-
logie s'est établie entre la pureté du corps et la netteté de
l'âme. Être propre , c'était être pur. L'ablution , comme
préparation à la prière ou comme expiation , est l'une des
plus importantes dévotions des cultes orientaux, et souvent
la loi en a minutieusement prescrit les cas, les heures, le
nombre, en pénétrant dans les plus mystérieux détails de la
vie domestique.
Selon l'antique religion de l'Inde , l'ablution ouvre chaque
journée , précède la prière et devance le repas. Le mode
varie à chaque degré de l'échelle hiérarchique des castes.
Le Brahmane est purifié par l'eau qui descend jusqu'à sa
poitrine , le Kchatrya par celle qui va dans son gosier, le
Vaisya par celle qu'il prend dans sa bouche, le Soudra par
celle qu'il touche du bout des lèvres. Aujourd'hui, comme
dans les temps d'une antiquité reculée, les Indous deman-
dent aux eaux sacrées du Gange une double purification.
Le législatem: des Hébreux , fidèle sans doute aux pra-
tiques instituées sur les bords du isil , avait consacré Yablu-
tion; mais sans y assujettir son peuple à des heures déter-
minées du jour. Cet acte était principalement prescrit dans
le cas où l'on avait touché ou mangé quelque animal frappé
d'impureté légale et dans le cas de lèpre ou d'autres infirmités
corporelles.
Mahomet, qui fit tant d'emprunts au judaïsme, assigna à
cette institution une origine sacrée. Le Koran et l'ablution
lui furent, dit-il, révélés le même jour, par l'ange Gabriel,
qui joignit l'exemple au précepte, en faisant jaillir dans
une caverne aride une source dont les flots miraculeux
senirent à la double ablution de l'envoyé du ciel et du
prophète. On peut dès lors juger de la fréquence de cette
pratique dans l'islamisme. Le nmsulman est tenu à cinq
prières par jour et à un nombre égal d'ablutions prélimi-
naires, accomplies selon un rite obligatoire. Ces ablutions
consistent à se laver le visage , une partie de la tète , la
barbe, les mains , les bras jusqu'au coude, et les pieds jus-
qu'à la cheville. Tout accident qui entraîne une souillure
du corps appelle des lotions partielles répétées, et le ciia-
pitre IV du Koran, intitulé : les Femmes, détermine impé-
rieusement de nouveaux cas d'ablution. Enlin, chaque
vendredi , jour du sabbat des musulmans , le bain complet
du corps est d'obligation religieuse. Le législateur arabe
semble avoir entrepris de discipliner ses sectateurs à la
propreté; et il s'est montré si jaloux de l'observation fidèle
de sa loi, qu'il a ôté tout prétexte à la négligence et à l'inter-
iiiplion de l'habitude sainte, en ordonnant de se frotter avec
de la menue poussière à défaut d'eau. Les peuples musul-
mans se conforment encore aujourd'hui aux salutaires pres-
criptions de IMahomet. Il n'est pas une mosquée auprès de
laquelle vous n'aperceviez la fontaine destinée aux ablutions.
Si à l'entrée de I église se trouve la coquille d'eau bénite où
le chrétien mouille le bout de ses doigts pour en |)ortcr une
goutte à son front, la mosquée verse abondamment autour
DICT. DK I.A CONVEUS. — T. I.
d'ellel'eau toujours murmurante, qui est une condition même
du culte. Il n'est pas d'établissements plus multipliés dans
une ville musulmane que les établissements de bains :
cha(pie village a le sien, et la population misérable a été
dotée de bains par la munificence des sultans, des princes et
des riches, liàtir une fontaine ou fonder des bains, c'est
faire un acte de piété. On conçoit que sous un ciel ardent
ce qui est un devoir soit en même temps un plaisir. Le bain
est devenu , pour les femmes surtout , l'une des plus grandes
joies de la vie orientale : c'est au bain qu'elles échappent
à la servitude et à l'isolement du harem; c'est là que,
loin des regards de leurs maîtres . elles jouissent de la li-
berté et des délices de la vie commune. Pour elles le bain
c'est le salon, moins les hommes pourtant.
11 est évident que ces usages, consacrés par la religion,
ont profité à l'hygiène générale des peuples musulmans , et
que sous cet aspect la civilisation orientale est supérieure
pour les masses à la civilisation de l'Europe. Le christia-
nisme, plus jaloux de la pureté spirituelle que de la pro-
preté physique, n'a jamais imposé au corps, qu'il traitait
comme une souillure permanente, le soin de se purifier; il
a en quelque sorte autorisé la chair, ce sale vêtement de
l'àme, à persévérer dans une espèce d'impénitence finale sous
le rapport de la propreté. L'eau ne figure dans ses cérémo-
nies que comme un symbole , et n'y a persisté que par ana-
logie. Ainsi, le baptême, effusion de quelques gouttes d'eau
sur le front du néophyte, est une commémoration du bap-
tême que saint Jean donnait aux Hébreux dans le lit du
Jourdain avant la venue du Messie. Le lavement des pieds ,
le jeudi saint, est une autre répétition de l'une des scènes
de la vie du Christ , et l'évêque qui , en signe d'humilité,
lave les pieds de douze pauvres se borne à les toucher du
bout d'une éponge imbibée dans une aiguière d'or. Pendant
la célébration de la messe, l'ablution du prêtre consiste à
humecter l'extrémité du pouce et de l'index. Telles sont ,
avec l'eau bénite , les seules traces de l'eau dans le culte
chrétien.
C'est donc à la civilisation et à l'influence des femmes
qu'est dû dans les classes élevées le développement du
goût de la propreté. H y aura un progrès véritable lorsque
ces habitudes hygiéniques et élégantes se seront propagées
parmi les classes inférieures ; ce que la religion a obtenu
pour les peuples musulmans, la civilisation le popularisera
parmi nous , il faut bien l'espérer, puisque, le pieux arche-
vêque de Cambrai a écrit avec plus de délicatesse que d'or-
tliodoxie : La propreté est presque une vertu.
E. BARhALLT.
ABIXER, fils de Ner , commandait les armées de Saùl.
A la mort de ce prince, Isboseth, son fils, fut proclamé roi par
l'armée soumise aux volontés d'Abner. Alors le royaume se
trouva scindé en deux parties : la seule tribu de Juda obéit
à David, établi à Hébron en Juda, et les autres tribus re-
connurent pour leur souverain Isboseth , qui fixa sa rési-
dence à Malianaïm, au delà du Jourdain. La sixième année
du règne d'Isboseth, ses troupes, commandées par .Abner,
et celles de David par Joab , s'étant rencontrées près de
l'étang de Gabaon, lestaient en présence, sans en venir aux
mains, lorsque, sur la proposition d'Abner, acceptée par
Joab, douze Benjamites s'avancèrent contre douze guerriers
de Juda, se prirent d'une main aux cheveux, et de l'autre
plongèrent chacun son poignard dans le sein de son anta-
goniste, et périrent tous sur le coup. A la suite de ce
combat singiiTer, le même jour, s'engagea une bataille gé-
nérale, dans laquelle les troupes d'Isboseth furent mises en
une déroute complète. Après sa défaite, Abner était re-
touiné à Mahanaùn; il s'y brouilla bientôt avec Isboseth,
au sujet (le Rilspa, fille d'Aia, ancienne concubine de .Saùl.
A la suite de cette (pierelle, Abner proposa à David de ranger
sous son obéissance tout Israël. David refusa d'entendre
aucune proposition a-vant (iii'on lui eût rendu son épouse
5
34
AB.NER
ABONDANCE
Micliol, (ille (le Saùl, que celii>ci avait enlevée ;i son cendre
pour la donner ;i Plialliel. La condition exifiée par David
étant rcnjplie, Abner parcourut tontes les tribus soumises
à Isiiosetli, et, par ses exiiortations , les amena sous le
sceptre de son nouveau souverain. Abner jouissait de son
lrioini)he au milieu des marcpies de la reconnaissance de
David, lorstpie Joab, jaloux de la laveur dont il voyait en-
vironner son rival, l'assassina fan d» monde 2956). > o-
sanl pas punir le meurtrier d' Abner, mais ne voulant pas
néanmoins (pi'on put le soupçonner d'avoir participé à cette
trabison, David ordonna à tous les grands de sa cour et a
Joab lui-raéme de décbirer leurs babils , de se revêtir de
sacs, et de marcber en pleurant devant le convoi d'Abner.
De plus il accompagna lui-même le cortège.
ABXOBA (-Mont). Les Romains désignaient sous ce
nom les montagnes de la forêt Noire où le Danube prend sa
source. Les savants modernes ont élevé de longues dis-
cussions sur ses limites et sur sa véritable position, et les
opinions des géographes les plus récents sont encore singu-
lièrement partagées à cet égard. Le mont Abnoba, que les
gens du pays nomment aujourd'luii Abnove, est situé dans
le Wurtemberg ; à ses pieds sont les sources du Danube et
du Necker.
AliO (011 prononce OOo), en langue finnoise Tourkou,
cliel-lieu du bailliage du même nom dans le gouvernement de
Finlande, bâti sur les deux rives de l'Aurayocki, qui, à peu de
distance de la, se jette dans le golfe de Botbnie et forme un
beau port, fut fondé en 1157 par les Suédois, et demeura
jusqu'en 1S19 la capitale de toute la Finlande. En 1817 l'é-
vêclié dont cette ville était le siège, qui relevait de l'arclie-
vêclié d'Upsal , et dont la création remontait au quinzième
siècle, a été trau.sformé en archevêché protestant par le
gouvernement russe. Un violent incendie qui éclata dans
l'automne de iS27 à Abo détruisit une grande partie de
celte ville , et notamment les bâtiments de l'université
qu'y avait fondée en 1640 la reine Christine, et qui possé-
dait une bibliothèque de plus de 40,000 volumes ; trésor
scientifique qu'on essaya vainement de dérober à la fureur
des llammes. A la suite de ce sinistre, l'université a été
transférée dans la nouvelle capitale de la province, H els i ng-
fo rs ; et la ville d'Abo a été reconstruite d'après un plan ré-
gulier. Ses rues sont larges et bien pavées. On évalue sa po-
pulation à 14,000 âmes; son commerce, appuyé sur une
banque qui développe son crédit, est assez important; et dans
les chantiers du port on constiuit chaque année de nom-
breux navires.
La paix conclue, le 17 août 1743 , à Abo , entre la Suède
et la Russie, mit fin aux hostilités qui avaient éclaté enlie
ces deux puissances en 1741, à l'instigation de la France, qui
avait voulu par là empêcher la Russie de prendre part à la
guerre de la succession d'Autriche, dont l'Allemagne était le
théâtre. Les Russes , après la victoii-e remportée par Lacy ,
près de Wilmanstrand , le :5 septembre 1741, conquirent
toute la Finlande , grâce à l'impéritie des généraux suédois
Lo'wcnhaupt et Buddenbrock , qui tous deux payèrent leurs
fautes de leur tète. L'impératrice Elisabeth s'engagea ce-
pendant à rendre une grande partie de ses conquêtes si la
Suède, au lieu du prince royal de Danemark, appelait à
succéder au Irùne le prince Adolphe-Frédéiic de Holstein-
GoUorp , évêque de Lubeck , dont l'élection eut elfective-
ment lieu le 4 juillet 174:5. Ce fut ainsi que la maison de
Holstein-Gotlorp monta en 1757 sur le trône de Suède,
qu elle perdit en ls09, à la suite des événements qui don-
nèrent à ce pays une dynastie nouvelle. Après l'éieclion
d'Adolplie-Frédéiic, la paix définitive fut signée à Abo.
La Suéde céda à la Russie la province linlandaisc de Ky-
mènegord, avec les villes et les forteresses de Frédériksliamin
et de NViimanstrand , de même que la ville et la forteresse
de Nyslot. Le 25 juin 17 «5 nouveau traité , conclu à Saint-
rélersiwuig , entre la Suède et la Russie , par suite duquel
le fleuve Kymène servit» (}<» ftontière aux deu's pmssanees
jusqu'en 1809, époque oii la Kiussie obtint do sa rivalj l'a-
bandon total de la Finlande, par la paix de Frederiksliolm,
ABOÏS, Icrme de vénerie, dérivé du latin ad baubare,
qui a aussi produit les mots aboyement , aboyer, nboyeur.
Quand on dit que le cerf est aux abois, cela veut dire qtie
l'animal, excédé de fatigue, hors d'état désormais de courir
davantage , s'accule dans l'endroit le plus avantageux qu'il
peut trouver; là il attend les chiens lancés à sa poursuite
et qui dans quelques instants le mettront à mort. Il y souffre
les abois, il s'y rend aiwabois. Quand la bête tombe morte,
onditqu'efie tient les derniers abois.
ABOLITiOrV.C'était, endroit romain, l'annulation d'une
procédure. Elle différait de l'amnistie, en ce que, malgic une
précédente abolition, uneaccusation pouvait toujours être re-
prise, tandis qu'une amnistie en détruisait le corps même à ja-
mais. Dans notre ancienne jurisprudence, l'abolition était une
des formes dan s lesquelles le prince exerçait son droit de grâce.
Elle supposait toujours l'existence du crime. S'il y avait arrêt,
les /e<^?-e5d'a6o/(^io?i n'écartaient que la peine :rinfamiesub-
sistait toujours. Si l'obtention des lettres d'abolition avait lieu
avant le jugement , elle mettait l'instance pendante au néant
ABOLITIOIVISTES.On appelle ainsi , aux États-Unis,
les partisans de l'abolition de l'esclavage, qui, par une
étrange contradiction, existe encore sur cette terre classique
de la liberté. Les efforts desabolitionisfes ont paru d'abord
aggraver plutùl qu'améliorer la condition des esclaves; mais
en 1860 un abolitioniste, iM. Lincoln, a été élu président.
ABOMIXABLE, ce qui est en horreur. Abominable
s'applique aux hommes et aux choses. 11 a plus de force
lorsqu'il est placé devant le substantif. Comme exécrable et
déte.'itahle, ses synonyiTies , ce mot, dans son idée primitive
et positive, est une qualification du mauvais et de l'odieux
au suprême degré : aussi , comme eux , n'est-il susceptiblie
ni d'augmentation ni de comparaison. S'il fallait établir les
nuances qui différencient les acceptions particulières à
chacun de ces mots, on pourrait dire qu" abominable paraît
avoir plutôt rapport aux mœurs , détestable au goût, exé-
crable à la conformation.
ABOMINATION est également synonyme d'exécra-
tion et de détestafion. On dit avoir en abomination. — Ce
mot signifie aussi une action abominable : commettre des
abominations; malgré les désordres et les abominations de
toute sa vie. « Quand les abominations de Sodome furent
« montées à leur comble », a dit Massillon. — Quelquefois
aussi il est synonyme d'idolâtrie , sans doute parce que les
cérémonies des idolâtres étaient presque toujours accompa-
gnées de dissolutions, d'actions honteuses, abominables.
L'abomination du veau d'or. « Au temps d'Isaac et de
« Jacob, Yabomination s'était répandue sur toute la terre » ,
a dit Pascal. — L'abomination de la désolation est une
expression employée par l'Écriture pour désigner les plus
grands excès de l'impiété et la plus grande profanation.
« Quand vous verrez Vabomination de la désolation que
« Daniel a prophétisée. » Cette abomination de la désola-
tion prédite par Daniel marque, suivant quelques interprè-
tes, l'idole de Jupiter Olympien qu'Antiochus Épiphane fit
placer dans le temple de Jérusalem.
ABOA'DAA'CE (en latin abundantia , fait de ab, de ,
vndare, couler à fiots). Ample possession de ce dont on
a besoin. L'abondance diffère de la richesse, en ce que celle-ci
emporte l'idée de luxe, de superflu, tandis que l'abondance
se rapporte pliilôt à l'utile, au nécessaire. L'abondance s'en-
tend particulièrement de la jouissance pleine et entière des
objets nécessaires à la vie, et spécialement des subsistances.
C'est ainsi qu'en parlant d'une i-écolte, d'un marché , on dit
qu'il y a eu abondance.
L'abonilance fst ceilainement une source de bonheur pour
un État ; c'est à la faire régner constamment que doit s'aiipli-
quer un bon gouvernement. L'économie politique a pour but
ABONDANCE - ABORDAGE
de lui Pli indiquer les moyens. On peut dire que l'abondance
rè;i;ne là où les siibsif^tances anUient et où les salaires per-
lueltenl d'atleindre sans trop de peine aux prix des denrées.
Pour qviil y ait abondance dans un pays, les lois et les
nMPurs. doivent tendre à favoriser lenioinsd"incgalilé possible
dans la répartition des biens d'un usage conniuin. Ainsi , il n'y
aurait point abondance réelle cbez un peuple dont les ricliesses
et le luxe étonneraient le inonde, si à colé des prodigalités
de l'opulence se trouvait une multitude all'aniée, inipiiéle
du lendemain. C'est la malbeureiisement la situation de nos
sociétés modernes. Aussi, est-ce à recherclier les moyens de
ramener l'abondance sur la terre , que s'occupent les écono-
mistes novateurs : les uns croient les trouver dans le libre
échange des produits de tous les pays, et dans cette voie
l'Angleterre fait des merveilles; d'autres les demandent au
renversement des relations du capital et du travail; d'au-
tres voudraient seulement nne circulation plus active. Tous
ont du moins le même but , l'augmentation de la production.
Maltbus cherchait le salut dans un principe opposé, il vou-
lait surtout limiter l'accroissement de la population, afin que
les produits de la terre restassent toujours suffisants.
Lee anciens avaient (ait de 1' .Abondance une divinité, qu'ils
représentaient sous la figure d'une belle leuime, couronnée
de fleure eft ayant dans sa mam droite une corne remplie de
fleurs -et de fruits, et connue sous le nom de corne d'abon-
dance. Les poètes disent que c'était celle qu'Hercule enleva
au fleuve Achéloùs . D'après une autre version, ce serait
celle de la chèvre Amalthée, nounice de Jupiter.
« Dans le style il y a, dit Marmoutel, une abondance qui eu
fait la ricljesse •• c est une afllnence de mots et de tours pour ex-
primer les nuances des idées, des seutiments^t des images. Il
y a aussi une abotidance vaine, qui ne fait que déguiser la
sêérilité de l'esprit et la disette des pensées par l'ostenta-
tion des paroles. « Chapelain emploie à décrire les charmes
e* la parure d'Agnès Sorel quarante vers dans le goût de
cenx-ci :
Oq voit hors des deux bouts de se« deux courtes raanehes
Sortir a dérouvert deux mains longues et blanubes,
Doot les'doigts incgaus , mais tous roods et menus.
Imitent i'eiuboupoiat des bras longs et charnus.
]N'est-ce pas le cas de s'écrier avec Boileau :
Souvent trop d'abondance appauvrit la matière.
Le vice de style opposé à l'abondance est la sécheresse et
la stérilité : an s'en aperçoit aisément lorsque sur un sujet
qui demande à être approfondi et développé l'écrivain de-
meure, comme Tantale au milieu d'un i'ieuve, haletant après
l'expression vive , énergique et touchante , qui semble lui
échapper au moment qu'il croit la saisir.
ABOXDAXT (Nombre). Foyer- Nombre.
ABOXXEMEXT. (On disait àutr dois abonrnement. )
Ce mot vient de bonne, signifiant jadis limite , dont on a fait
par corruption barne, et qui est dérivé du grec powô;, émi-
nence de terre , parce que ces sortes d'<;minences servaient
souvent à délimiter les héritages. De là on a formé le verbe
abonner, qui signifie limiter ou borner à un ceitain prix la
valeur d'une chose, comme lorsqu'on dit abonner ou s'abon-
ner à un jonimal, etc. Un abonnement est donc une soile
de marché qu'on faK en composant avec quelqu'un, à un cer-
tain priv, pour toujours ou pour un temps limité. On pense
bien qn'il ne peut être question ici de ce mot que dans ses
rapports avec le droit administratif. La législation qui nous
régit autorise , en effet , dans certains cas , ces sortes de
marchés, dont le but est surtout de simplifier la percep-
tion de ceilaines taxes. Nous allons successivement passer
en revue les exemples qu'elle nous offre.
Abonnement des communes pour les troupes en garni-
son. La solde et les subsistances des gens de guerre étaient
autrefois fournies par l'IItal , le casernement i)ar les pro-
vinces, qui souvent s'acquittaient par des contrihutious nui-
35
nicipales. Cet état de choses fut modifié par les lois de la
révolution et par la législation de l'empire et de la restaura-
tion, prescrivant, relativement aux diverses dépenses de
casernement dont les villes étaient chargées, des dispositions
qui réduisent les cotisations pour cet objet à im simple pré-
lèvement au profit du trésor. Ce prélèvement constitue un
abonnement. Au moyen de cet abonnement, les réparations
et loyers des casernes et autres bâtiments ou établissements,
ainsi que l'entretien de la literie et l'occupation des lits
militaires, sont à la charge du gouvernement. Les rapports
de l'Etat avec les communes pour les abonnements dont
nous parlons sont principalement déterminés par la loi du 15
mai 1818 et l'ordonnance du 5 août suivant.
Almnnemcnt pour les contrib-utions indirectes. La lé-
gislation établit trois modes d'abonnements : labonnement
individuel, déjà en usage avant la révolution, l'abonnement
général par commune , et rabonnement i)ar corporation.
L'abonnement individuel est l'équivalent du droit de dé-
tail dont on est présumé passible. C'est une soi1e de con-
vention entre un débitant et la régie , au moyen de laquelle
ce débitant est afl'ranchi des exercices des employés et des
obligations qui lui sont imposées relativement aux prix de
vente. Ces abonnements ne peuvent être faits que pour un
an, et sont révoqués de plein droit en cas de fraude et de
contniverrtion. (To/rlaloi du 28 avril 1816, art.70et suiv.)
L'abonnement général par commune consiste dans le droit
qu'a ie conseil municipal de réclamer un abonnement gé-
néral pour le montant du droit de détail et de circulation
dans l'intérieur des villes , moyennant le versement que la
commune s'engage à faire , dans la caisse de la régie , par
vingt-quatrièmes, de quinzaine en quinzaine, d'une somme
convenue, sauf à s'imposer elle-même pour 1« recouvrement
de cette somme, comme elle est autori-sée à le faire pour les
dépenses conimimales. (Loi du 21 avril 1832.)
Sur la demande des deux tiers au moins des débitants
d'une commune, approuvée par le conseil municipal et
notifiée par le maire, la régie doit consentir pour une année,
et sauf renouvellement, à remplacer la perception du droit
de détail par exercice, au moyen d'une répartition, sur la to-
talité des redevables, de l'équivalent riudit droit : c'est l'a-
bonnement par corporation. (Loi du 28 avril 1816, art 71 .)
Abonnement du droit de fabrication des bières. Cette
même loi autorise la régie à consentir de gré à gré avec les
brasseurs de la ville de Paris et des villes au-dessus de
30,000 âmes un abonnement général pour le montant du
droit de fabrication dont ils sont présumés passibles.
Abonnement des voitures publiques. L'article 119 de la
loi du 25 mars 1817 permet les abonnements pour les voi-
tures de terre et d'eau, à service régulier. Ces abonnements
sont fixés porportionnellement aux bénéfices présumés du
transport des voyageurs et des marchandises.
La loi admet aussi des abonnements en matière de timbre.
C'est ainsi que les effets de la Banque de France, les obliga-
tions de la ville , etc., sont dispensés du timbre. Les com-
pagnies d'assurances peuvent contracter un abonnement
avec l'État pour le timbre de leurs polices.
Un décret du 4 août 1860 règle les conditions de l'a-
bonnement des fabricants de sucre.
ABOiXXÊS. Ce terme désignait, au moyeîi âge, les serfs
qui, par privilège ou par achat, avaient obtenu que leurs pres-
tations, tailleset servitudes fussent changécsen ime redevance
d'argent. Ils cessaient de cette façon d'être les hommes de
corps de leurs seigneurs. Les abonnements en se multipliant
préparèrent l'émancipation générale des serfs; car ils les fai-
saient sortir du régime du bon plaisir pour entrer dans celui
d'un contrat réciprocpie.
ABORDAGE. On nomme ainsi le choc de deux vais-
seaux qui se heurlent, soit pa'- accident, soit pour se livrer
une soite de combat corps à coi7)s. Vo^ez Combat >\tal.
Avant l'invention de la poudre, c'était prc.s([ue ia seule
36
ABORDAGE — ABOU-BEKR
façon de coinbaltre sur mer. Les anciens abordaient un na-
vire et allaient sur lui à toutes voiles ou à force de rames, et
làiliditiit de lui enfoncer dans le côlé uiio fuite pointe de
mêlai, (ixte à cet ell'et à la proue du bàliuieut, que les La-
tins appelaient rostrum. La construction actuelle des gros
vaisseaux, auxquels on donne beaucoup de rentrée, rend les
abordages difliciles et dangereux; ils nont pins izucre lieu
qu'entre de petits b;\tinients, ou par surprise de la part d'un
petit biltiment contre un autre d'une force supérieure.
Lorsqu'un capitaine , confiant dans la valeur de son équi-
\n\in\ espérant neutraliser i)ar la bravoure et l'adresse llia-
bilrtc supérieure de l'ennenii dans les manœuvres et l'agilité
de son b;\timent, se détermine à tenler l'abordage, il choisit
pour ratta<iue des hommes expérimentés. Ces honnnes
s'arment promptement de sabres, de pistolets et de haches
d'armes. Si l'ennemi refuse l'abordage et manaiivre pour
l'éviter, on s'elTorce de le joindre. On court à l'abordage en
dirigeant son vaisseau de manière à opérer l'abordage de
franc clable, c'est-à-dire de manière à atteindre le bâtiment
ennemi par le devant en droiture ; ou bien on cherche à exé-
cuter l'abordage en belle, en enfonçant l'éperon de son na-
vire dans le flanc du vaisseau abordé. Souvent le chec suffit
à couler un bâtiment de moindre capacité que celle du vais-
seau abordeur.
Quoi qu'il en soit, dès qu'on est parvenu à joindre le vais-
seau ennemi, on cherche à l'accrocber en jetant dans son
gréement les grappins d'abordage. Ces grappins sont de forts
crochets de fer à plusieurs branches attachés à une chaîne
tenue par un gros cordage, et suspendus au bout des basses
vergues, d'où on les lance sur le vaisseau ennemi. Si celui-ci
ne parvient pas à se dégager, les deux bâtiments restent ac-
crochés : Tabordage devient exécutable ; les assaillants jettent
encore du gaillard ou des passavants des grappins plus lé-
gers, dits grappins à main, sur le vaisseau abordé. On vide
ies canons par une dernière décharge, on ferme les sabords
de crainte que l'ennemi n'y pénètre, et on s'élance sur le
vaisseau abordé. Mais différents obstacles arrêtent l'ardeur
des assaillants. L'espace plus ou moins large qui sépare le
haut des deux bâtiments, le roulis, le danger d'être écrasé en
tombant entre les deux bords, enfin les efforts de l'équipage
abordé, qui défend V abordage avec le fusil, la baïonnette,
des pitiues , des sabres, etc., retardent toujours l'invasion
du pont du navire abordé, et réussissent quelquefois à l'em-
péclier. Il faut donc commencer par nettoyer le pont du
bâtiment attaqué à l'aide de la mousqueterie et des grenades
qu'on y lance.
Lorsqu'on a pu chasser l'ennemi du pont, on s'y précipite,
et on le poursuit, soit sur l'autre gaillard et sur les passa-
vants, soit dans les entreponts oii il s'est réfugié ; dans ce der-
nier cas, la résistance ne peut guère être longue ; dans l'autre,
au contraire, le combat corps à corps devient sanglant , l'a-
vantage peut être longtemps disputé, et les assaillants peu-
vent encoie être repoussés sur leur bord avec peite. Les peu-
ples renonnnés parleur intréiiidilé, les Français par exemple,
ont souvent cherché dans l'abordage le moyen de compenser
l'infériorité du nombre ou celle de l'art et de l'expérience.
La marine française compte de fameux combats à l'abor-
dage.
On appelle encore abordage le choc de deux vaisseaux
non ennemis, qui a lieu sous voiles ou sous vapeur, par
la mauvaise manœuvre de l'un d'eux ; et quelquefois aussi,
dans un calme parfait , par le simple effet des courants ,
sans qu'il y ait laute de part ni d autre. De pareils acci-
dents entraînent souvent de graves avaries. Le Code de
Couunerce distingue : 1" si l'abordage est le résultat d'un
cas fortuit, et il n'entraîne aucun droit de répétition pjiir
le navire qui l'a éprouvé; 2° s'il a eu lieu par la laule de
l'un des capitaines, et en ce cas c'est à celui là à le réparer ;
3° enfin, s'il y a incertitude sur la cause de l'abordage:
alors les avaries doivent être réparées à frais communs.
f^our éviter les abordages, un ordre de l'amirauté, du 1"
mars 1852, en Angleterre, un décret présidentiel du 17 août
1S52 et un décret impérial du 28 mai 1858, en France, ont
prescrit l'emploi, pendant la nuit, et le jour en temps de
brume, de feux sur les navires, blancs en tête du mât de
misaine, verts à tribord, rouges à bâbord. L'adoption de ce
système par toutes les marines évitera bien des malheurs.
. ABORIGÈNES. On appelle ainsi les plus anciens ha-
bitants d'un pays, ceux qui s'y sont les premiers fixés.
C est ce que les Grecs appelaient des autochthones. Les
anciens historiens romains donnent aussi le nom d''abori-
§ènes à une peuplade qui avant l'arrivée des Troyens ha-
bitait le territoire occupé depuis par la ville de Rome. Cette
peuplade, désignée quelquefois sous le nom de Casci et de
Sacrant, habitait primitivement les environs de Reate , le
Rieti de nos jours, et en fut expuUée par les Sabins. A son
' tour, aidée par les t'élasges, elle chassa les Siculi , fixés sur
les rives du Tibre inférieur. C'est des Aborigènes que des-
cendaient les Latins, et par suite les Romains.
ABORXEMEXT. Voyez Boiinage.
ABORTIFS. ( du latin aborlor, naître avant le terme),
substances dont l'action énergique , se portant spécialement
sur l'utérus , est réputée propre à procurer l'expulsion du
produit de la conception. A toutes les époques on en a fait
un criminel abus. Le succès toutefois répond rarement à
l'attente des coupables. En effet, les abortifs demandent à être
pris à fortes doses, de sorte qu'en y recourant on compro-
met sa santé et sa vie. Dans les campagnes, la vengeance
s'en est fait trop souvent une arme. C'est à des poudres
abortives semées à dessein dans les étables des vaches, aux
endroits où elles passent ou dans les prairies qu'elles fré-
quentent, que l'on attribue, à tort sans doute, ces avorte-
ments continuels qui ruinent certains cultivateurs. La mé-
decine emploie quelquefois ces substances avec avantage
pour faciliter l'éruption difficile des règles, pour remédier à
l'aménorrhée et à la dysménorrhée , pour hâter la délivrance
dans les cas d'accouchements laborieux. Les plus renom-
mées sont : la sabine et la rue fétide , le seigle ergoté , dont
la réputation est d'origine récente , et enfin les cantharides.
ABOU. Mot analogue à Aben , et qui signifie en arabe
père. Beaucoup de noms propres orientaux commencent par
ce mot , que l'on trouve aussi sous la forme Bou. La paterr
nité a tant de prix pour les Orientaux, que lorsqu'il leur naît
un fils , ils joignent à leur nom celui de leur nouveau-né , et
quelquefois ce nouveau nom leur reste. Souvent aussi ces
surnoLus sont de simples sobriquets : ainsi Aboulfaradge si-
gnifie \epèrede la joie. Bou-Maza (père de lachevre) tirait
ce nom d'une chèvre qui le suivait uartout.
ABOU-ABUALLAIÎ. Vouez Iîo.vbdil.
ABOU-BEKR, le premier des khalifes successeurs im-
médiats de Mahomet, était né à la Mecque dans la tribu de
Teim,et fut le premier des Koraischites qui reconnut la
puissance et la mission de Mahomet. Son père, Othman, son
fils et son petit-fils suivirent son exemple, et furent qualifiés
du titre de compagnons et disciples du prophète. Il se nom-
mait d'abord Abd-al-Caaba , qui signifie .serri/ewr de la
Caaba. IMahomet lui imposa le nom d'Abd'Allah ou servi-
teur de Dieu, et le surnom de Seddik, c'est-à-dire témoin
fidèle, pour le récompenser d'avoir attesté son voyage noc-
turne appelé fl5CP«5ioH. Si Mahomet eut été vaincu, Abou-
Bekr aurait été étranglé connue faux témoin. Le prophète
vainqueur prit soin de son élévation, le traita de prédestiné,
et l'accepta pour beau-père en épousant sa fille Aïcliah. C'est
ce mariage qui liù fit donner enfin le nom d'Abou-Bekr,
qui veut dire père de la vierge ; et c'est sous ce nom que
lliistoire l'a reconnu. Mais dans ses ordres et proclamations
il s'est toujours appelé lui-même Abd-Allah-Ebn-Abou-Ko-
naffas.
La mort du prophète faillit ruiner son ouvjage ; ies Mé-
dinois voulaient élire un de leurs compatriotes, nommé
ABOU-BEKR — ABOUKIP
37
Saab. «an<; la participation des IVIecqiiois, et ceux-ci étaient
prêts à reveniliqner ce droit les armes à la main. Aiiou-
Bekr apaisa cette dispute en les taisant consentir à faire Té-
lection en conmnin ; et grâce à lentremise d'Omar, il fut
élu lui-m<^me, le jour de la mort du prophète, au mois de
Reby l, l'an il de lliégire, GS'Ule l'ère chrétienne. Ali n'a-
vait point pris part à cette élection ; et comme j;endre et cou-
sin du prophète il lit éclater son mécontentement de n'a-
voir pas été choisi lui-même. Omar se rendit chez Ali, et,
après avoir essayé vainement de le convaincre, il menaça
de mettre le feu à la maison, de l'y brûler avec ses amis,
s'il ne consentait à reconnaître le kiialife. Ali se rendit à ces
raisons, et vint porter son hommage à Abou-Bekr. Mais les
partisans du gendre île .Mahomet , connus sous le nom d'a-
îideset de clii ites , nient encore cet acquiescement du chef
de leur secte , et persistent à considérer Ali comme l'iiéritier
légitime du prophète.
Des révoltes plus sérieuses troublèrent les premières an-
nées de ce khalifat. Quelques Arabes refusèrent de payer
les tributs imposés par Mahomet. Le poète >Ialek, fils de
Koweirah, était k la tète d'un de ces partis. D'autres, ayant
abjuré l'islamisme, avaient rt^pris la religion de Moïse ou
celle de Jésus-Christ ; enfin le rebelle ^loseilama avait re-
nouvelé ses prédications, et persistait à se conduire en pro-
phète; la terrible épée de Khaled, fds de Walid, dissipa et
châtia ces révoltes. Malek eut la tète tranchée, et Moseilama
périt à la bataille d'Akrebah, avec dix mille des siens. La
secte des békrites fut également exterminée dans la province
de Bahreim par un autre général nommé A-Iola.
Délivré de ses compétiteurs et des guerres intestines,
Abou-Bekr tourna les yeux vers les chrétiens, et, ayant pro-
clamé la guerre sainte , il dirigea une de ses armées vers
l'Irak ou l'ancienne Babylonie , sous les ordres de Khaled ;
une autre marcha sur la .Syrie, sous le commandement
d'Vézid, t'ils d'Abou-Sofian. Celle-ci battit quelques troupes
de l'empereur Héraclius, et se replia vers l'Arabie avec un
butin immense; une autre année partit pour la soutenir. Elle
était commandée par Amrou-Ebn-Abbas, et Abou-Obeidah la
suivit de près pour prendre la direction suprême de cette
guerre. Alais avant l'arrivée d'Ararou les légions de l'em-
pire avaient changé la retraite d'Yézid en déroute; et Abou-
Obeidah n'osa s'aventurer dans un pays couvert des troupes
d'Héraclius. Abou-Bekr s'indigna de cette lâcheté. Khaled,
qui pendant ce temps avait soumis la province d'Irak au
khalife, reçut l'ordre de se rabattre sur la Syiie et de prendre
le coramandem.ent des trois armées. Les affaires changèrent
tout à coup de face. Klialed rejoignit ravam-garde dObei-
dah sous les murs de Bostra, au moment où Serjabil et cette
avant-garde étaient battus par les Grecs ; il repoussa vigou-
reusement cette sortie, et la ville, enlevée par une heureuse
surprise , fut noyée dans le sang de ses habitants. Khaled
se hâta de marcher sur Damas à la tète de quarante-cinq
mille hommes, et mit le siège devant cette capitale. Cent
mille chrétiens qu'Héraclius envoyait à. son secours furent
taillés en pièces dans plu.sieurs rencontres, et surfout à la
bataille d'Aïnadin, où, suivant Al-Wakedi, cinquante raille
perdirent la vie, tandis que dans sa lettre au khalife le vic-
torieux Khaled se vante de n'avoir perdu que quatre cent
soixante-quatorze Arabes. L'ail des bulletins n'est pas une
invention moderne. Le siège de Damas en devint plus actif
et plus sanglant, et cette ville se rendit enfin, après une
lutte de six mois , la 13* année de l'hégire et la 634'" année
de l'ère chrétienne.
La vie et le règne d'Abou-Bekr finirent le même jour,
après qu'il eut désigné Omar pour son successeur, dans un
testament écrit .sous sa dictée par ce même Othman qui plus
tard renqilai.a Omar dans le khalifat. Après la mort d'A-
bou-Bekr, un esclave s'élant présenté au nouveau souverain
avec un chameau et un habit, en lui di.sant : « Voici tout
ce que possédait mon maître, » Omar s'écria en versant des
larmes : « Dieu fasse miséricorde à Abou-Bekr; mais il a vécu
de manière que ceux qui viendront après lui auront bien de
la peine à l'imiter » Le premier des khalifes fut en effet un
modèle de chasteté, de tempérance et de modestie. Ses mo-
diques épargnes furent distribuées aux pauvres |)ar la veuve
de .Mahomet, sa fille. Ces é|)argnes venaient uniquement de
son patrimoine, car pendant ses deux ans et demi de rè-
gne il n'avait pris que trois drachmes dans le trésor public.
.\ussi est-il révéré comme un saint par les sunnites; mais
les chiites, partisans d'Ali, le maudi>sent comme un usur-
pateur. L'esprit de secte est partout le même. Les deux
partis devraient toutefois lui savoir gré d'avoir recueilli les
feuilles éparses du Koran, qui renferme les préceptes com-
muns aux deux croyances rivales. Abou-Bekr y employa
tout son règne; il le fit lire en présence de tous les chefs, qui
en reconnurent l'authenticité, et l'exemplaire original fut
déposé dans les mains d'Hafsa, l'une des veuves de :Maho-
met, jusqu'au moment où le khalife Othman le fit publier
dans tout l'empire. Vie.N.NET, de l'Académie Fiancaise.
ABOUCHEHR. Voyez AnocscHF.)in.
ABOU-Il AiMF Ail IBA -TU ABER, surnommé AL-
NOUMAN (le docteur), et chef de la première des sectes or-
thodoxes mahométanes ( voyez H.\néfites), naquit à Kou-
fah, dans l'Irak, l'an 699de J.-C. Tisserand dans sa jeunesse,
puis étudiant en dioit , il refusa la place de cadi ou juge , et
devint un des principaux docteurs musulmans; il recueillit
le premier les traditions {suiDiah} que ÎMahomet avait
transmises à ses disciples , et ses prescriptions sont encore
suivies dans le culte public par les Turcs et les Tartares.
Abou-Hanifah ne se distingua pas moins par ses écrits que par
sa douceur, sa modération, sa haute raison et sa vie exem-
plaire. Partisan et défenseur ardent des droits de la famille
d'Ali et de Mahomet contre l'usurpation des Abbassides , il
fut persécuté par Abd'Allah II al-Mausour, deuxième khalife
de celte dynastie, d'abord pour avoir refusé de souscrire au
dogme de la prédestination absolue , puis pour avoir fait à
ce prince des remontrances sur ses projets de vengeance
contre les habitants de Mo.ssoul. Renfermé dans les prisons
de Bagdad, il y mourut empoisonné, en 767. Mais plus
de trois cents ans après le sultan seldjoukide Malek-Abah lui
fit ériger dans cette ville un superbe mausolée. Déjà sa doc-
trine avait été appréciée sous le khalifat de Haroun-al-Ra-
chid, et un collège fondé pour ses disciples.
Les principaux ouvrages d'Abou-IIanJfah sont : le Seued
(appui), où il expose sa doctrine sur l'autorité du Koran
et de la tradition; le Fikkelam, petit traité de théologie
scolastique, et le Moallem (maître), espice de catéchisme
musulman.
Un autre ABOU-HAJNIFAH (Aiimed-Ib\'-D.4oi;d), natif de
Deinawer, en Perse, et mort en 893 , a écrit une Histoire
des Plantes, un Traité sur l'Algèbre, divers ouvrages de
philologie, et surtout une Chronique gctiérule, qu'lbn-Co-
taibah a fait entrer à peu près tout entière dans la sienne.
H. Aldiffhet.
ABOUKIR, la Canope des anciens, aujourd'hui bourg
insignifiant de la côte septentrionale de l'Egypte, situé à
quatre myriamètres environ au nord-ouest d'Alexandrie, et
défendu par un château du côté de la mer , où une langue
de terre et quelques petites îles forment une rade offrant un
assez bon mouillage. Cette rade restera à jamais fameuse par
l'immense désastre que l'amiral anglais Nelson y (it essuyer
à la Hotte française commandée par l'amiral Brueys dans
une bataille qui se prolongea pendant ies journées des {"', 2
et 3 août 179S, et où la fortune fit pour la première fois sen-
tir son inconstance à Bonaparte. Le débarquement de l'ar-
mée expéditionnaire avait été opéré, le 1^'' juillet 1798, avec
un bonheur inouï. Alexan<lrie, prise d'assaui en quel(|iies
heures , était un point d'appui qiù permettait à Bonaparte de
marcher rapidement à son but. Il ne i>erdit pas de temps,
et en moins de vingt jours , presque tous marqués par d'in-
38
ABOUKIR — ABOULFAZEL
croyables exploits , il entra an Caire , étonné d'être devenu
la capilali' d'une noiivi!l empire. L'incroyable activité du
coïKiiiéraiit eut or;;aiiisé en i)eii do jours le goiiverneinent
du pays occupé, et préparé la complète des provinces qui
restaient à soumettre ; mais il ne perdait i)as de vue la Hotte
qui l'avait amené, et dont la conservation éiait une des
comlitions du suctès des vastes |>lans qu'il avait connus.
L'intention de Honaparte était que l'anjiral Urueys fit entrer
la Hotte dans le port d'Alexandrie , ei cette opération était
possible, ou qu'il la conduisit immédiatement à Corfou.
^on-seulemeiit il en avait donné l'ordre foraiel en partant
pour le Caire, mais encore il avait envoyé un de ses aides
de can)p avec de nouvelles injonclions. L'officier porteur de
ces ordres, surpris par un jmste d'Arales, périt massacré
avec son escorte. Au leste , il ne seiait pas arrivé à temps
pour prévenir la funeste détermination de l'amiral, qui dès
qu'il eut connaissance de l'approche de la Hotte anglaise
prit la n'-solulion d'attendre le combat, en s'embossant dans
la rade d'Aboukir.
IJès que l'amiral Saint-Vincent, commandant les forces
naviUes anglaises en croisière de^'ant Cadix, avait appris la
véritable destination de la flotte qui avait appareillé de
Toulon le l!) mai précédent pour conduire une armée de
'i»,«00 liommes à la conquête de l'Egypte, il avait détaché le
contre-amiral Nelson , avec une flotte de (piinze vaisseaux
de ligne, en lui enjoignant de faire force de voiles pour ren-
contrer la flotte française , qu'il devait attaquer sans dé-
sempaier.
C'est le 31 juillet que ^"elson parut sor les côtes d'Égypfe.
Apres BAoir reconnu le port d'Alexandrie, il se dirigea vers
Abottkir, où l'amiral Brueys avait embossé ses vaisseaux
sin" une seule ligne , à deux tiers d'encablure l'un de Pau-
Ire. Cette manœuvre a été sévèrement jugée, d'autant que,
dans le conseil où l'amiral prit l'avis de ses capitaines, la
majorité avait été d'opinion de combattre à la voile. Toute-
fois, il serait injuste de laisser peser sur la mémoiie de
l'amiral Brueys la terrible responsabilité du désastre d'A-
boukir. Si la tén>éri1é inouïe de Nelson, qui osa s'aventu-
rer entre les vaisseaux français et la terre, ne lui eût pas
réussi , comme le moindre des accidents si communs à la
mer eût pn faire qu'il en amvài ainsi , ce marin, si célèbre
depuis, aurait eu probabletnent à répondre devant une
cour martiale anglaise des suites d'une défaite. Quoi qu'il
en soit, l'amiral anglais attaqua mec quatorze vaisseaux la
flotte franraise , ([ui en comirtait un de moins ; le combat
conmiença le 1" août, vers six heures du soir, par une vio-
lente canonnade. La Hotte française , par saite de la ma-
nœuvre hardie de Nelson, avait son centre et son avant-garde
placés entre deux feux. A huit heures plusieurs de nos
vaisseaux étaient déjà hors de combat, non sans avoir fait
éprouver à l'ennemi des pertes énormes, et déjà l'amiral
français avait payé de sa vie sa résolution funeste. A'ers neuf
heures le vaisseau VOhent saute en l'air avec un fracas qui
jette les deux flottes dans la stupeur. Cependant le combat
continue et reprend avec plus de fureur au lever du soleil.
11 se prolonge jusciuàmidi , et finit par la ruine on la prise
de tous nos vaisseaux.
Lanùrai Villeneuve, qui, quelques années plus tard,
mit volontairement (in à ses jours , a été accusé <l'avoir
puissamment contribué à ce grand désastre par son immo-
bilité pendant le commencement de l'action , et par son dé-
part du champ de bataille avant quelle fut terminée. Il est
probable au moins que, malgré les fautes de tactique qu'on
peut reprocher à Brueys , notre flotte eut pu lutter avec
plus davanfagessi la division que commandait Ailleneuve
fût entrée en ligne, même après l'explosion de l'Orient; et il
le pouvait , puisque sa retraite ne fut pas inquiétée par les
Anglais, dont prescpie tous les vaisseaux avaient éprouve
de grandes peites d;ms leurs équipages et de véritaiiles
avaries dans leurs agrès.
Si la gloire peut balancer les revers , cette compensation
ne manqua pas à la marine française. La mort de l'amiral
Brueys, de Casabianca, de Dupetit-Thouars, de Thevenard,
et d'une foule d'autres officiers dont le vide se lit longtemps
sentir dans les cadres de la marine , fut héroïque ; 1 histoire
conservera leurs noms, ainsi que le dévouement sublime du
jeune Casabianca , enfant de dix ans , cpù fut englouti dans
les flots à côté de son père , capitaine de pavillon de l'O-
rient, qu'il refusa constamment de quitler.
Bonaparte reçut l'accablante nouvelle de ce désastre avec
la plus grande femoeté ; et , privé désormais des moyens de
recevoir des secours de la métropole , il prit les mesure?
nécessaires pour se suffire à lui-même. On sait toutes les
grandes choses qu'il exécuta pendant l'année qui suivit la
bataille navale dAboukir. La fortune lui préparait dansée
même lieu un dédommagement prochain.
Le 11 juillet 1799, la flotte othomane débarqua sur celte
même plage une armée turque -de près de ^ingt mille hom-
mes, aux ordres dt; Mustaplia-'T'acba, qui s'empara du fnrt
d'Aboukir, que défendait une garnison insuffisante. Bona-
parte revenait de Syrie et allait rentrer au Caire lorsqw'H
apprit cette nouvelle ; il prit sur-le-champ les plus éner-
giques dispositions, et<le Gizels, où il setrouva'tt, il vola à
Alexandrie, où il établit son quartier général, en attendant
l'arrivée des troupes qu'il faisait marcher de divers poiîïfs
pour repousser cette dangereuse agression. Tout fut prêt
le 23 juillet. — L'armée turque , coiinne si die oùt provti
qu'elle serait attaquée sur le lieu même de Bon débaiqoemect,
s'y était fortement retranchée.
Bonaparte, appropriant ses mesures an caractère de l'en-
nemi qu'il avait à combrrttre, sut contenir l'ardeur de ses
soldats et de leurs chefs , et diriger leurs «Iforts d»; manière
à ce que les Turcs fussent simultanément attaqaéssur tous
les points de leur ligne de défense, tiop clendoe, quoique Ibr-
tifiée avec soin. Le combat se .soutint avec acharnement jus-
qu'à la défaite des Turcs, à qui cette jotiiriée coula dix-
huit mille hommes tués et blessés ou prieenniers. La perte
des Français fut de cent cinquante hommes tués et de sept
cent cinquante blessés. Le fort d'Aboukir, occupé par les
Turcs, tint encore quelques jours, au bout desquels il ee
rendit au vainqueur. Des quatre mifle hommes que Mnsrtapha-
Pacha y avait enfermés, il n'en restait plus que^eux mille,
qui furent faits prisonniers. Cette briHante victoire fut le
dernier exploit de Bonaparte en Egypte ; peu de temps après
il apprit la déplorable situation où se trow\ ail la France , les
victoires des coalisés, la perte de l'Kalie ; et il i>rit aussitôî la
résolution de quitter l'Egypte pour revenir en Europe.
Le 7 mars 1801 le fort d'Aboukir, défendu par quel(|ues
centaines d'hommes, était obligé de se rendre aux Anglais,
débarqués sm-la plage au nombre depilns de 12,000.
ABOUL-CACEJ!. Ce médecin arabe, mort à Cordoue,
en 1 107, était né à Alzarah en Espagne. 11 a laissé sous le titre
(ii'Al-Tncrif. ou méthode pratique, une compilation médi-
cale qui a joui longtemps d'une grande autorité. Cet ouvrage
se compose de trente-deux traités différents, et roule principa-
lement sur la chirurgie. Il a été publié plusieurs fois <t traduit
en latin. On cite comme la meilleure édition dans les deux
langues celle de Channing (Oxford , 1778 , 2 vol. in-4").
ABOULFARADJE (Grégoiiîe), nommé aussi Bar-
We6;vcj^s, historien arabe, né à Malatia,dansrAsieMineure, en
1226, était chrétien de la secte desjacobites. 11 devint é^êque
de Gouba, puis d'.\lep,ot mourut primat desjacobites, à Mea-
gliah, dans r.\d/.erbidjan, en nsc. Il a composé en syriaque,
et traduit hii-mi'ine en aral)e, une /listnirc Uniocrselle de-
puis la création fin monde. Pococke a traduit ce livre en
latin (Oxford, 1605, 2vol.ia-4°). .\boullaradje a écrit
Ini-mèjne sa vie, et il a laissé différaits ouvrages de philo-
sophie et de théologie.
ABOtTLFAZEL, écrivain percan du seizième siècle, cp:i
a écrit ime histoire du rèrjnc et des institutions de itm-
ABOULFAZEL — ABOUL-WÉFA.
39
poreur mnqol Akbar, dont il fut premior Tizir. Cet ouvnige
a ot(' traduit par Gladwin et itiiblit^ à Calc^lt^a en 1783,
3 vol. in-'i". Aboulfa/ol mourut aç>assiruS eu KiOo.
ABOULFEDA ( I-^maf.i.) , prince musulman de la famille
konnledes E y o»bides,à laquelle appartenait aussi le grand
Saladin. r*é à Damas, l'an 07? de l'hégire ( l 'IZW de notre ère ),
il se distingua dans sa jeunesse par la bravoure dont il fit
preuve h diverses reprises contre les croisés, et il a laissé une
durable amputation décrivain. Sa naissance lui donnait le
droit de pn-tendre à la principauté de Hainat en Syrie, placée
sous la suzeraineté des sultans d'Egypte. Après avoir dû
triompbcr d'une foule d'obstacles, il obtint enfin, l'an 1310,
du sultan Malek-en-Xasser, l'investiture de cette principauté,
qu'il continua de gcuvemer jusqu'à sa mort. .\llié constant
ot fidèle dn sidtan , il alla souvent le visiter en Egypte ,
mettant à profit ces voyages pour élargir le cercle de ses
connaissances, et mourut en 1331.
Protecteur éclairé des sciences et des lettres, Aboulféda
nous a laissé divers ouvrages import-ants, écrits en arabe, et
parmi lesquels nous mentionnerons plus spécialement des
annales allant jusqu'à l'année 1328 et compilées, en grande
partie , d'après des historiens arabes antérieurs , mais qui ,
par cela môme qu'elles sont d'une date postérieure, offrent sur
les dynasties musulmanes des renseignements beaucoup plus
étendus que ceirx qu'on possédait jusque alors. Le style en
est simple. Fleiscber en a extrait et \\\M\éV Historia anteisla-
viica ( Leipzig, IS."^! ) ; Gagnier, son De Vlta et rébus gestis
Muhammedis (Oxford, 1723) ; M. Noël des Vergers, sa Vie
de Jfohanuned {Parh, 1831). L'ouvrage entier, sauf l'His-
toire autéislamique, a été publié par Reiske (Copenhague,
5 voL, 1789-1794).
On a encore d'AbouIféda un traité de géographie, dont
plusieurs parties ont été publiées, comme Tabula Siji'ur, par
Kœbler (Leipzig, 1766); Bescripiio jErjypti, par Michaelis
(Goettingue, 1776); et Arabïx Descripfio, par Rommel (Gœt-
lingue, 1802-1804). MM. ReinaudetMac-GuckindeSlane ont
fait paraître en 1838, à Paris, l'ouvrage complet, et ^L Cli.
Schier en a donné une édition autographiée d'après des maté-
riaux critiques.
Aboulféda est en outre l'auteur de divers ouvrages re-
latifs à la jurisprudence, aux mathématiques, à la logique et à
la médecine.
ABOULGIIAZI BEHADOUR, khan de Khiwa, issu
de la famille de Gengiskan, naquit en 1G05. Monté sur le
trône en 1644, il abdiqua peu de temps avant sa mort en
faveur de son fds, et mourut en 1663. Après son abdication,
il composa, dans le dialecte turco-oriental vulgairement ap-
pelé tatar , une bistoi re gé néalogique des Tu rcs en neuf livres .
Cet ouvrage, qui dans sa pailie relative aux époques les
plus reculées a surtout été rédigé d'après 1 historien persan
Rachid-ed-Din, et dans la composition duquel l'auteur s'est
encore aidé de dix-sept autres histoires, contient l'histoire
parfaitement authentique des Gengiskhanides , depuis les
traditions les plus reculées jusqu'à I époque de l'abdication
d'AbouIghazi-lJehadour. Un officier suédois, fait prisonnier
par les Russes à la journée de Puitawa , la traduit en alle-
mand; c'est sur cette traduction qu'a été composée V His-
toire généalogique des Tatars (Leyde, 1726, 2 vol. ). Mes-
sercbmid en publia, en 17S0, àGœttingue, une nouvelle
édition; et l'ouvrage original a été imprimé à Kasan ( His-
toria Monfjolorum et Tartarorum, 1S25, in-fol.).
ABOUL-IIASSAX- ALI, de Maroc, savant mathéma-
ticien du treizième siècle, a composé un important ouvrage
d'astronomie, dont la première partie, traduite en 1808 par
J.-J. Sétlillot , a été puljliéeen 1834 et 1833 sous le titre de :
Traité des Instruments Astronomiques des Arabes. Cette
traduction, qui mérita un des grands prix décennaux à son
auteur, covni)le une véritable lacune dans l'histoire des
sciences. Alontucla avait affirmé que ia gnomonique des
Arabes était iierdue ainsi que celle des Grecs; elle se re-
trouve tout entière dans Aboul-Hassan , qui nous fait con-
naître un grand nombred'inventions curieuses, évidemment
dues à l'école de Bagdad. Aboul-Hossan n'a pas rédigé
son ouvrage en simple praticien , mais en astronome dis-
tingué. Considérant à bon droit la justesse des observations
comme la base des progrès de lastionoinie , et sachant
combien il serait utile que les constructeurs eussent des
notions précises des objets auxquels les instruments sont
destinés , il porte dans cette partie de la mécanicpie les lu-
mières qu'il a puisées dans sa pratique et dans les traités des
savants les plus dignes d'estime ; ses tables de tangentes et
de co-tangentes confinnent également une question fort dé-
battue, et montrent que la trigonométrie, sortne des mains
d'Hipparque , simplifiée d'abord par la substitution que
firent les Arabes des sinus aux cordes des arcs doubles, en-
richie par eux des deux principaux théorèmes employés
pour la résolution des triangles sphériques rectangles, a
reçu un nouveau degré de perfection par l'addition an
dixième siècle ( voyez l'art. Aboil-Wéfa) et au treizième
siècle par l'usage reproduit des seuls éléments que nous nous
flattions d'y avoir introduits. — Aboul-Hassan avait par-
couru le midi de l'Espagne et une grande partie de l'Afrique
septentrionale, relevant lui-même la hauteur du pôle dans
quarante et ime villes , sur un espace de plus de neuf cents
lieues de l'ouest à l'est ; il rapporte les longitudes à la cou-
pole d'Arîne. Les tables que nous donne Aboul-Hassan
des longitudes et latitudes des étoiles ne sont pas moins pré-
cieuses : lune de ces tables est dressée pour l'époque astro-
nomique du commencement de l'hégire (le jeudi 15 juil-
let 622 de J.-C, à midi), les autres pourlafin derannée680
de l'ère mahométane ; elles ont pu servir à fixer d'une ma-
nière exacte la composition de l'ouvrage à l'année 1229 de
J.-C. — Aboul-Hassan avait aussi écrit un traité sur la ma-
nière d'observer la nouvelle lune et un autre sur les sections
coniques , qui ne nous est pas parvenu.
L.-Am. Sédillot.
ABOUL-AVÉFA-AL^BOUZDJANI , mathématicien
et astronome célèbre, naquit à Bouzdjân, en 939 de l'ère chré-
tienne, vint dans l'Irak en 939, et mourut à Bagdad, en
998. On peut le considérer comme le dernier de ces obser-
vateurs infatigables qui pendant deux siècles avaient cher-
ché à perfectionner et à compléter les tables de Ptolémée.
Commentateur d'Euclide et de Diophante, traducteur d'A-
ristarque, Aboul-Wéfa professa longtemps l'astronomie et fut
le maître d'Ebn-Jounis ; VAlmageste qui porte son nom
n'est point un abrégé de la syntaxe grecque , comme on a
voulu le faire croire , mais un ouvrage original , qui révèle
dans l'auteur un esprit aussi profond que lucide et un
mérite d'exposition bien rare chez les écrivains arabes.
J.-J. Sédillot se proposa d'en donner une analyse complète;
cependant il se borna aux premiers chapitres, où l'on trou-
vait ces tables de tangentes dont les Arabes ont fait un si
fréquent usage dans leur gnomonique. On pensait généra-
lement que leur introduction dans le calcul trigonométrique
était due à Régiomontau ; mais elle n'a eu lieu , du moins
en Europe , qu'après la mort de cet astronome , et six cents
ans plus tard que chez les Arabes, dont malheureusement les
ouvrages ne sont pas connus.
Delambre, dans son Histoire de V Astronomie au morjen
âge, affirmait que les Arabes avaient admis sans !a inoindre
modification les hypothèses de Ptolémée, et qu'ils ne parais-
saient même pas avoir soupçonné le besoin de ricu changer
aux théories; un des derniers chapitres de VAlmageste
d'Aboul-Wéfa nous sembla devoir renverser complètement
cette opinion; nous le traduisîmes, et montrâmes qu'aux
découvertes de l'école d'.\lexandrie les Arabes avaient
ajouté celle de la troisième inégalité lunaire, appelée va-
riation, dont ou attribuait la détermination à l'astronomie
moderne. Ce point curieux de l'histoire des sciences fut
vivement contesté, et quoique reconnu par nos plus habiles
40
ABOUL-WÉFA — ABRABA?sEL
géomètres, il a trouvé récemment encore (Ipscontrailicteurs.
L.-Ain. Skoii.lot.
ABOU-.M A\A et SOUUAMA , lieux de la hante Egypte
près (lesi|ut'!s le K<^iirral Friunt l)a(lit le tliérif Hassan, le 3
mars 1799.
ABOU-MASCIlAIl, pins coniin sons le nom fl'.!//;»-
vicizar, naquit à IJalkh, vers la lin du Iniilièine siècle de
notre ère, ou , •^elon (iiieWpies auteurs, en 80.i. Livré à
toutes les rêveries de ra^trologie judiciaire, Abou-Mascliar,
que d'IIerlielot a[tpelle le prince des astronomes de son
lenifis, composa pins de quarante ouvrages , parmi lesquels
nous citerons le Mrilh/uil, on Introduction à l'astronoM)ie,
imprimé eu 1489 ; V Evlcran-nl-Kouakib ( De la conjonction
des planètes); et son traité des Olouf, ou Milliers d'années,
dans lecpiel il s'occupe de la durée et de la lin du monde :
il lait remonter la création à l'époque où les sept planètes se
trouvaient en conjonction au premier degré du Bélier, ce
qui est une idée grecque, et suppose que le monde périra
lors(iu'elles seront uéunies au dernier degré des l'oissons; il
raanjue aussi dans ce même livre les principales époques
et la lin des empires et des religions , et il est résulté des
rapprochements auxquels il se livre que quelques auteurs
ont cru qu'il llorissait au douzième siècle. Observateur zélé,
il avait composé des tal)les astronomiipies selon la mi'tiiode
des Persans et selon leur calcul des années du monde. On
a imprimé à Augshourg, en 1489, huit traités astrologiques
d'Ahou-Masdiar, et, en 1488, son Tractutus Florum As-
trologise. Il mourut à Wasith, en 8S5. L.-Am. Sédillot.
ABOUSCIlEURjOU Hi^NDliR-ROUSHEII, ABOLSH,
ou encore BOUCHIR (c'est-à-dire Ville du Père), port de
mer de la côte septentrionale du golfe Persique , dans la
province per.sane du Farsistan, par SQ'' de latitude nord et
6h° de longitude occidentale, est situé à l'extrémité septen-
trionale d'une presqu'île (juc l'ancien géographe JN'éaique
appelle Mé.sambria. Quoique cette contrée soit exposée
aux ravages des tremblements de terre, du simoun et des
sauterelles, l'admirable position de ce point centra! en a
bientôt eu fait une inq)oi tanle place de commerce de douze
à quinze mille habilanls , où la compagnie anglaise des
Indes orientales a établi un comptoir. Cette ville doit sa
fondation à Oucoun-Ilaçan-Klian, en ii72. Abbas le Grand
fit crenser le port intérieur d'Abouscliehr, y construisit des
forts et y établit des chantiers maritimes. Après ^'a<lir-Chah ,
la ville d'Abouschebr déclina peu à peu. En 1837 les An-
glais prirent po.ssession de l'ile de Kharak, située à peu de
distance; mais ils l'évacuèrenl en 1840. A la lin de 1856, ils
réoccupèrenl Kharak et s'emparèrent d'Abouscliehr. Z.
ABÔUT (Edmond-François-Valentln), romancier, est
né à Dieuze (Meurthe), le 14 février 1828. Il a fait ses
études au collège Charlemagne ; il remporta en 1S48 le
prix d'honneur de philosophie au concours général, entra
à l'École ntjrniale et passa, en iSjl, à l'i-cole française
d'Alhèncs. De retour à Paris en 1S53, il publia Vile cPÉgine
(ISôi) et la Grèce contemporaine ( 1855, in-lG) ; « ro-
man par la fantai.-ie, dit .M. Cuvilier-Fleury , pauq)hlet par
l'intention, chronique très amusante et au demeurant très-
instructive. » La lievue des Deux Mondes inséra aussitôt
Tolla, roman intime, qui fut vivement attaqué comme re-
pro luisant <|uei(iues détails d'un livre antérieur peu connu.
La même année parut le Voyage à travers r exposition des
bfattx-arts, et le Moniteur commença Les Mariages de
Paris, qui furent suivis dans ce journal du Roi des 7non-
tagnes{\8b6),(\c Germaine (l^bl) cl àe Les Échassesde
maître Pierre (l''57). Le Moniteur accueillit encore une
revue de l'Exposition, qui fut réimprimée sous ce titre : Nos
Artistes au salon de 1857, une autre série de nouvelles
tenant aux Mariages de Paris, et L'Italie contemporaine,
réimprimée en 1860 sous le titre de Rome contemporaine
(ii>-8°). Aux jours gras de 1850, M. About lit jouer au Théàtre-
Frauçais Guillery, ouf Effronté, farce au gros sel qui ne
fut pas goûtée; en 1859 il donna avec plus de succès, au
Gynmase, Risette, ou les Millions de la mansarde. On
a arrangé pour le théâtre Germaine et Le Capitaine Bit-
terlin, d'après .ses romans. M. About a fait de la critique
dans le Figaro sous le nom de Quévilly ; il fait de la politique
dans Y Opinion nationale. En I8G0 il imprima La Question
romaine, qui ne put d'abord paraître (|u'à Bruxelles cl
n'eut qu'un instant de vente en France. La môme année il
publia La Prusse en 1860. .M. About a été décoré en IS.'jS.
Homme d'esprit avant tout, M. About a créé des types
excellents quoi(iue chargés ; il ne craint pas de .soutenir
les plus singuliers paradoxes , comme lorsqu'il veut prou-
ver que la prodigalité engendre la richesse. Il a peu de
sensibdité, et ne connaît guère la corde tendre, comme on le
lui a raproché. Il rend mieux l'amour Idial, le dévouement
conjugal que l'amour passionné; il aime les héros rangés
et adroits ; notre société industrieuse active, positive, recon-
struisante, lui plait. 11 décrit peu. Ses romans sont pleins
de verve au commencement et haletants à la tin. Son style
est pur et pourtant semé de figures malheureuses. Son esthé-
tique porte qu'il faut procéder par masse, et ne pas s'in-
quiéter des détails; que le des.sin, les grands contours, sont
tout, la couleur rien. Par bonheur, il n'est pas toujours
d'accord avec ses principes. L. Louvtr.
ABOVILLE (Fr.vnçois-M.vkie, comte o'), général d'ar-
tillerie, était né à Brest, le 23 janvier 1730. Après avoir
servi dans la guerre de Sept ans et dans celle d'Amérique ,
il devint maréchal de camp et membre du comité militaire.
Grâce à ses connaissances spéciales et à la chaleur avec
laquelle il avait embrassé la cause de la révolution, il eut
beaucoup d'autorité dans cette position nouvelle. Il créa
en France l'artillerie légère, se vit appelé au grade de lieu-
tenant général dès les premiers jours de la république. Il
était, à Yalmy, commandant l'artillerie, dont le secours ne
contribua pas peu au gain de la bataille. Lorsque Dumou-
riez passa aux Autrichiens, d'Aboville flétrit cette trahison
dans un ordre du jour qui lit préconiser .son civisme. Toute-
fois, il fut emprisonné à Soissons pendant la terreur. Bona-
parte le nomma, après le 18 brumaire, inspecteur général
de l'artillerie, puis sénateur en 1802. En t8i4 les Bourbons
le tirent pair de France. L'année suivante il adhéra à la
restauration du pouvoir impéiial, et conserva son titre de-
pair; aussi, au retour de Louis XVIII, fut-il exclu de la
chambre par l'ordonnance du 24juillet 1815. H y rentra au
mois d'août, parce qu'il n'avait pas siégé pendant les cent
jours, et mourut le 1" novembre 1817.
Son fds aîné, Augustin-Gabriel, comte d'Aboville, né
à La Fère, le 20 mars 1774, succéda dans ses titres. Il avait
de même que son père, servi la république et l'empire, et
mourut le 15 août 1820, laissant deux lils , dont l'aîné,
Alphonse Gabriel, comte d'Aboville, né à Paris, le 28
juin 1818, lui succéda dans la pairie.
Augustin-Marie, baron d'Aboville, filscadet de François-
Marie d'Aboville, né en 1776, géniral de brigaile, amputé
d'un bras à Wagram, fut l'un de ceux qui contribuèrent le
plus à la défense de Paris en 1814. Commandant de l'école
d'artillerie de La l'ère, il lit échouer, en mars 1815, la
tentative du général Lefeb v re -De snouette s et des
frères Lai lemand. Z.
AB OVO. Commencer un récit ab ovo, c'est remonter
à l'origine môme du fait qu'ouveut exposer. Chez les Latins,
ab ovousque orf 7na/a (depuis l'œuf jusqu'aux pommes)
était une façon proverbiale de s'exprimer pour dire depuis
le commencement jusqu'à la fin. Elle provenait de l'usage
où étaient les Romains de commencer ordinairement leurs
repas par des œufs et de les terminer par des pommes.
ABRABAAELdsAAc), savant rabbin, ne à Lisbonne,
d'une famille qui se vantait de remonter jusqu'au roi David
fut le docteur le plus célèbre de la seconde école rabbi-
nique. AlDliun.se V lui ayant confié la direction de ses Gnan-
ABRABANEL — ABRAHAMITES
41
ces, l'opinion publique fut blessée de cette élévation d'un
juif, et à la mort de ce prince Abrabanel, accusé de coni-
piicilé dans une conspiiatiou qui avait, (iisait-on, pour but
délivrer le Portugal à l'Kspague, dut s'enfuir en Caslllle, où
il fut parfaitement accueilli par Ferdioand le Catholique, qui
tit aussi d.e lui son ministre des finances. Cette faveur ne put
toutefois le soustraire à la proscription générale qui vint
fr.-jpper tous les juils en 1492. Abrabanel se relira donc à Na-
p]es, oii il ne fut pasmojns bien reçu par le roi Ferdinand I"^.
L'invasion du royaume de Naples par Charles VIII le força
à passer en Sicile, puis à Corfou, et successivement dans
d'autres villes où ses corelijiionnaues étaient tolérés. Il mou-
rut en 1508, à i'àgt> de soixante-onze ans, à Venise, où il s'é-
tait concilié la laveur publique en terminant ditférente.s
contestations survenues entre les Vénitiens et les Portugais
au sujf t du commerce des épices. Il fut enterré à Padoue.
Les juifs regardent Abrabanel comme un de leurs écri-
vains les plus érudits : au milieu des inquiétudes et des
soucis d'une existence agitée, il sut trouver le temps né-
cessaire pour se livrer à l'étude de l'Écriture et composer de
nombreux écrits, qui ont presque tous pour objet l'inter-
prétation de la Bible, l'Iiistoire du peuple juif et l'apologie
de ses croyances religieuses. Il laissa deux fils , dont l'un se
convertit à la religion chrétienne ; l'autre fut un médecin
distingué,
ABRACADABRA, mot magique, auquel on sup-
posait jadis la vertu de guérir la fièvre. D'après Serenus Sa-
monicus , médecin du deuxième siècle , qui partagea l'hé-
résie de Basilide, ce mot, pour avoir sa vertu, devait être
écrit de manière à former un triangle et à pouvoir être lu
dans tous les sens , comme ceci :
ABRACADABRA ou Abracadabra
BRACADABR
R A C A D A B
A C A D A
CAD
A
Abracadabr
Abracadab
Abracada
A b r a c a d
A b r a 0 a
A b r a c
A b r a
A b r
A b
A
Ce mot, une fois écrit d'une de ces deux façons sur un mor-
ceau de papier carré, il fallait le plier de manière à cacher
l'écriture, et le piquer en croix avec un fil blanc ; puis atta-
cher à cet amulette un ruban de lin, au moyen duquel on
le suspendait à son cou, de manière qu'il descendît jus-
que dans le creux de la poitrine. On le portait ainsi pendant
neuf jours ; ensuite on se rendait en silence, de grand matin,
avant le lever du soleil, sur les bords d'une rivière ou d'un
fleuve qui coulait vers l'Orient ; on détachait du cou le billet
magique, puis on le jetait derrière soi, sans l'ouvrir ni oser
le lire. Scaliger, Saumaise, et d'autres, se sont donné bien
des peines inutiles pour chercher le vrai sens de ce mot, qui
n'est ni égyptien, ni hébreu, ni grec, comme ont voulu le
faire certains étymologistes, mais persan, langue dans la-
quelle il désigne Mithra, le Dieu du soleil.
ABRAHAM, fils de Thérach et descendant de Sem, fils
de ]Soé, est la souche commune à laquelle les Israélites et
les Ismaélites ( Arabes ) rattachent leur origine. Il est le point
de départ de l'histoire du peuple d'Israël, et c'est avec lui
que commence l'alliance conclue entre Dieu et cette nation.
Né vers l'an 2040 avant Jésiis-Christ , d'un père idolâtre , il
sut se préserver de l'idolâtrie, connut le vrai Dieu et mena
une vie pure. Obéissant aux ordres de Dieu, il abandonna
son pays, Uhr en Chaldée, emmenant avec lui Sarah , sa
femme, et Loth, le fils de son frère , pour se rendre à Haram
en Mésopotamie, et de là à Canaan (Palestine), où il s'établit.
BICT. DE LA CONVERSATION. — T. I.
Il vécut d'abord avec ses troupeaux dans la contrée de Bé-
tel et de Gérar ( au sud de la Judée), et plus tard dans les bois
de Mamre. A la suite de discussions survenues entre les ber-
gers de Loth et les siens, celui-ci alla s'établir à Sodome.
Les habitants de cette ville ayant été battus par leurs enne-
mis, qui emmenèrent également prisonniers Loth et sa famille,
Abraham les poursuivit avec ses serviteurs, et délivra non-
seulement Loth, mais encore le roi de Sodome, sans accepter
cependant la moindre part du butin II avait atteint un âge
très-avancé, lorsqu'il lui naquit un fils, Isaac, que, toujours
obéissant aux injonctions du Seigneur, il se disposait à lui
offrir en sacrifice, lorsqu'un ange arrêta son bras, et substi-
tua un bélier à ce fils chéri. A la mort de Sarah , Abraham
épousa Céthura, dont il eut encore six enfants. Il mourut
âgé de cent soixante-quinze ans, et fut enterré à Hébron. Les
Juifs ont de tout temps vénéré sa mémoire. C'est à leurs yeux
le premier des fidèles, le docteur de la sagesse , et même de
la doctrine secrète; ils l'appellent l'ami de Dieu. C'est aussi
le nom que lui donnent les .\rabes, et quelques-uns de leurs
écrivains vont jusqu'à prétendre que c'est lui qui a construit
la Kaaba à la Mecque.
ABRAHiVlM A SAXCTA CLARA. Ce prédicateur
fameux naquit le 4 juin 1642, à Krœhen-Heimstetten, près de
Mœskirch, en Souabe : son vrai nom était Ulrich Megerle. Il
entra, l'an 1662, dans l'ordre desaugustins déchaussés, et
acquit en peu de temps une telle réputation qu'il fut appelé
à Vienne, en 1669, avec le titre de prédicateur de la corn-
impériale. Il y mourut le 1*"" décembre 1709. Ses sermons
se distinguent par une originalité souvent burlesque, et abon-
dent en idées comiques. Ces qualités, en harmonie avec le
goût de l'époque , lui attiraient de nombreux auditeurs. On
peut juger du ton de ses ouvrages par leurs titres : l'un
est intitulé Nid de fous récemment éclos, ou Atelier de
beaucoup de fous et de folles, un autre est intitulé Judas
Varchicoquin. D'autres ont des titres plus singuliers encore
et entièrement intraduisibles. Dans l'un, par exemple, il
cherche à imiter le cri de la poule qui pond." Mais sous ce
style bizarre on trouve caché un sens solide , une profonde
connaissance du cœur humain et un grand amour de la vé-
rité. C'est d'ailleurs avec une franchise pleine de hardiesse
qu'Abraham s'emporte contre les désordres de son temps,
et son style bigarré , mais vif et énergique, contraste d'une
manière frappante avec le froid mysticisme et la subtilité
prétentieuse de la plupart des prédicateurs de son siècle.
ABRAHAM ECHELLEIVSIS, savant maronite, pro-
fessa le syriaque et l'arabe d'abord à Rome, puis au Collège
de France, où Le Jay l'avait appelé pour diriger l'impression
de sa Bible polyglotte. Il mourut en 1664 à Rome. On a de lui :
Institutio Linguœ Syriacœ (Rome, 1628, in-12) ; Synopsis
Philosophiee Orientalium (Paris, 1641, in-4°) ; C/^roHicon
Orientale (Paris, tvp. reg., 1651, in-fol.), etc.
ABRAHAM PÀLITSINE, moine russe, était d'extrac-
tion noble, et l'undescsaieux, Jean Mikoulaiévitch, qui s'était
distingué au service du grand-prince Dimittri-Donskoi, avait
reçu le surnom de Palitsine , d'un énorme bâton (en russe,
palitsa ) qu'il avait coutume de porter dans les combats.
Abraham rendit de grands services à sa patrie pendant l'in-
terrègne qui précéda l'élection de Michel Romanof, et qui
fut signalé par l'invasion des Polonais et des Suédois. Ce
fut même à son instigation que la Russie dut l'héroïque dé-
vouement de Minine et de Pojarsky, qui la sauva du joug de
l'étranger. Il a laissé la relation de ces événements sous le
titre de : Récit du siège de Saint-Serge de la Trinité par
les Polonais et les Lithuaniens, et des troiibles qui éclatè-
rent ensuiteen Russie (Moscou, 1784). Ilmourutvers 1620.
ABRAHAMITES ou ABR AH AMIENS, hérétiques
du neuvième siècle. Ils avaient pour chef un certain Abraham
ou Ibrahim d'Antioche, qui, renouvelant les erreurs des
paulianistes, niait la divinité de Jésus-Christ. Le patriarche
orthodoxe de cette cité, Cyprien, combattit énergiquemeut
42
celte secle naissante, et vint à bout de la dissiper. — On a
encore donné ce nom à des moinis qui souffrirent le mar-
tyre pour le culte des images sous Théophile au neuvième
siècle. — C'est aussi le nom d'une secte de déistes bohèmes
qui se montra en 1782. A cette époque, des pnysans du co-
milat de Pardubit/ , se confiant daus l'éiiit de tolérance de
l'empereur, tirent en elfel profession publique de la foi que
suivait Abndiam avant la circoncision. Ils ne prirent de la
Bible que le do^me de l'unité de Dieu, et n'admirent comme
prière que l'Oraison dominicale. Comme ils ne voulaient
appartenir ni à la religion juive ni à aucune des confessions
chrétiennes reconnues, on refusa de leur accorder le libre
exerricc de leur culte. L'empereur Joseph lit chasser de
leurs propriétés, eu 1783 , ces hommes paisibles, et les fit
transporter militairement <lans diverses places frontières de
Hoî];^rie et de Transylvanie, où les hommes furent incor-
porés aux bataillons chargés de la garde des frontières. Un
certain nombre d'entre eux se convertirent alors avec leurs
femmes à la religion catholique, dans le bannal de Temes-
war.
ABRAHAMSOX ( ^VER^Ea-HA^•s-FRÉDÉiîlc) , liltéra-
leur danois, né en 1744 , mort en 1812 , a laissé un nom
durable dans l'histoire littéraire de son pays par ses recher-
ches sur les antiquités Scandinaves et par ses travaux cri-
tiquer. D'abord capitaine d'aitillerie, il quitta le service en
1787 pour se livrer sans partage à son goût pour les lettres.
On a de lui d'excellents traités spéciaux à l'usage des écoles
militaires, ainsi que des chants populaires et guerriers. Il
fut, avec Nyerup et Rahbeck, l'éditeur du précieux recueil
intitulé : Vdvalgle danske Viser fra MUteladeren (5 vol.,
1812-14).
Son ii\s,Joseph-i\icolas- Benjamin Absabamson, né en
1789, venu en France en 1815 avec le corps d'occupation
danois , dans lequel il était capitaine d'état-major, protita
de son séjour dans notre pays pour y étudier la méthode
d'enseignement ûile enseignement mutuel, que les amis des
lumières et du progrès s'efforçaient alors de propager
parmi nous. De retour en Danemark, il résolut de faire
participer ses compatriotes aux bieufaits de cette mélliode ,
a la propagation de laquelle il se livra avec autant d'ardeur
que de zèle. Longtemps directeur de l'école militaire de
Copenhague , il perdit cet emploi en 183G , tout en con-
servant le titre honorifique de commissaire général des
guerres.
ABRA^'TÈS (Andoche JUNOT, duCD'), naquit de
parents aises , à Bussy-les-Forges(Côte-d'Or), le 23 octobre
1771. Son jière le destinait au barreau; mais alors éclata
le grand mouvement de 1789. L'eathousiasrae qui se ma-
il i lesta à cette époque dans tous les rangs de la société fran-
çaise entraîna le jeune Junot aux frontières pour y défend4C
l'i!ii!é;iendance nationale, menacée par les armées de la
coalition. Simple grenadier dans un bataillon de volontaires
levé daus son c'-epartemeut , il ne tarda pas à se faire re-
marquer par son courage.
Au siège de Toulon (1796), Bonaparte, chargé de la di-
rection de l'artillerie, a besoin d'un sous-ofûcier capable
de lui servir de secrétaire. Il en fait la demande à un chef
de corps, et Junot est désigné pour remplir ces fonctions.
Ses services élaientdéjaju>tement appréciés par Bonaparte,
lorsqu'une circonstance fortuite vint encore ajouter au vif
intérêt qu'il lui portait. L'oflicier supérieur d'artillerie dic-
tait une dépèche à son secrétaire; tout à coup une bombe
lancée parles Anglais éclate à cote de Junot, et couvre de
terre ses habits et son papier au moment oii il tournait le
feuillet : « Paibleu! s'écrie le jeune sous-officier, voilà une
bombe qui vient fort à propos pour sécher mon écriture! »
Ce sang-IVûid , au milieu d'un grand danger, frai)pa Bona-
parte , qui s'attacha bientôt après Junol en qualité d'aide de
camp. Telle lut l'origine de la fortune d'un des hommes
qui ctaient destinés à jouer un des rôles principaux de la
ABIUHAMITES — ABRAMES
grande épopée napoléonienne. Après le 9 thermidor, Junot
partagea la mauvaise fortune de son chef, et mit sa petite
bourse à sa disposition.
Bonaparte l'emmena avec lui en Italie ; Juuot se distingua
à Millesimo et à Lonato, oii il lut blessé, et parvint au grade
de colonel. 11 suivit Bonaparte eu Egypte , où il devint ^é-
néral de brigade, et se lit particulièrement remarquer au
combat de Nazareth, où , à la tête de .300 cavaliers seu-
lement, il mit en déroute un corps de 10,000 Turcs, après
une résistance qui dura quatorze heures. Dans celte action,
le neveu de Mourad-Bey fondit sur Junot le sabre à la main;
mais celui-ci , reconnaissant son redoutable adversaire, l'a-
battit «l'un coup de pistolet. Blessé dans un duel, Junot ne put
s'embarquer avec Bonaparte ; il partit queliiue temps après,
et fut fait prisonnier par les croiseurs anglais. 11 obtint enfin
sa liberté et débarqua à Marseille le jour même de la \ic-
toire de Marengo. Un mois plus tard, le 9 thermidor an vin,
il fut nommé commandant de Paris. Bientôt il épou.sa
M""-' Permon, que le premier consul dota, et fut élevé au
grade de général de division. Une affaire fâcheuse le fit en-
voyer à .\rras avec le commandement des grenadiers de l'ar-
mée dite d'Angleterre, et .Murât lui succéda, à la fin de 1S03,
dans le commandement de Paris. En 1804 Junol fut créé
grand officier de la Légion d'honneur, et obtint le titre de
colonel général des hussards. Envoyé en Portugal en qualité
d'ambassadeur, dans le courant de janvier 1805, il fit une
entrée solennelle à Lisbonne et se présenta avec hauteur à
la cour du prince régent. Rappelé dès la même année pour
aller servir dans son grade à l'armée d'Allemagne , il se
distingua par sa bravoure à la bataille d'Austerlitz, Après
cette campagne il partit comme gouverneur général dans
les États de Parmeet de Plaisance. Il revint à Paris au mois
de juillet ISOG et fut nommé gouverneur de la capitale, com-
mandant la première division militaire. A la fin de 1S07
Napoléon lui confiait le commandement de l'armée expédi-
tionnaire réunie sous les murs deBayonne, qui devait, avec
la coopération de l'Espagne, envahir le Portugal , à l'eftct
de déterminer la cour de Lisbonne à abandonner l'alliance
anglaise. On ne saurait nier que Junot s'acquitta avec
bonheur de la îàclie que lui avait confiée l'empereur. Le
10 novembre 1807 il entra daus Lisbonne, n'ayant eu
à soutenir dans sa course rapide à travers le Portugal
que des combats insignifiants, et sans laisser au gouver-
nement non plus qu'à la nation le temps de se reconnaiiie.
Le l''" février suivant il prit le litre de gouverneur général
du royaume de Portugal au nom de Napoléon; et l'empe-
reur, pour récompenser son heureux lieutenaut, lui accorda
le titre de duc d'Abrantès , du nom d'une petite ville de
l'Estrémadure , sur les bords du Tage, où s'était terminée
la marche aussi glorieuse que périlleuse qu'il avait exécutée
avec son corps d'armée. Mais quand les premiers moments
de la panique et de la surprise furent passés, quands ils se
comptèrent, et virent qu'ils n'avaient afiaire qu'à une poignée
d'hommes exténués par les fatigues d'une si lointaine expé-
dition, les Portugais prirent une attitude menaçante, et
bientôt le débarquement de forces anglaises importantes
vint placer l'armée française et son chef dans la position la
plus critique. Junot , homme d'action et d'exécution, n'avait
aucune des qualités qui font le général en chef. Une accu-
sation bien autrement grave qu'encourut Junot, ce fut d'a-
voir mis à proft son commandement et son espèce de vice-
royauté pour s'enrichir des dépouilles du pays conquis, où
il se livra aux plus odieuses exactions. Réduit bientôt à
évacuer Lisbonne, il dut signer, le 30 aoilt 180S , à la suite
de la malheureuse affaire de Vimeiro, la capitulation de
Cintra, qui ndt fin à l'expédition de Portug.al. Quelque ho-
norable qu'ait été cette convention pour l'armée française ,
qui eut la liberté de s'embarquer pour la France avec ses
armes et ses bagages, aux frais de l'Angleterre , le duc d'A-
brantès, à son retour, reçut de son maître l'accueil le plus
ABRANTES — ABRAXAS
fmiil. Cepontlant il IVmmena avec lui en Espagne et lui
coiitia le (omniaiiilemeiit tlii corps chargé du f-wa*: lie Sara-
gûsse; mais liienlot, fatigue de sa lenteur, il le remplaça par
ie maréclial Laaues. Dans la guerre d'Actriclie, de 180;), Na-
poléon lui conlia encore le comiuandement d'un des corps
de la grande armée ; el il le noiiima ensuite gouveineur des
provinces lll)riennes. IJi 1810 Junot olitiul le coniinande-
inenl du liuitiènie corps de l'année d'Espagne. Clessé à l'af-
faire de Rio-Mayor, pendant la deuxième cam|)agne de Por-
tugal, où il commandait un corps sous les ordres de Masséna,
il rentra en France après la retraite opérée i)ar ce maréchal.
En 1812, chargé du commandement du huitième corps de
la grande armée, il lit preuve, pendant la campagne de
Russie, de beaucoup de mollesse et d'indécision, et s'attira
par .son manque d'énergie la disgiàce complète de Napoléon,
qui ne trouva rien de mieux à faire de lui que de le renvoyer
en lllyrie. Vers le milieu de 1813 sa raison s'égara , et force
fnt de le ramener dans la maison paternelle, à Montbard ,
où, deux heures après son arrivée, dans un accès de lièvre
cliaude , il se jeta par la fenêtre; il mourut, le 28 juillet
1813, des suites de cette chute. Après avoir été comblé
des bienfaits de l'empereur, après avoir rempli les plus lu-
cratives fonctions, Junot , toujours dissipateur, laissait sa fa-
luille presque sans ressources.
AERANTES (Joséphine ouLacre PERMON, duchesse d'),
femme du précédent, naquit le 6 novembre 1784, à Montpel-
lier. Sa mère prétendait descendre des Comnène. Son père,
commis aux vivres , obtint par Yergennes l'entreprise des
Tivres de l'armée de Rochambean en Amérique , ce qui lui
procura une grande fortune. La révolution le ruina. Après
le 9 thermidor, M"ne Permon ouvrit à Paris un salon que le
général Bonaparte fréquentait ainsi que Junot. Lorsque
Mme Permon eut lurdu son mari, à l'époque du 13 vendé-
miaire, Bonaparte pensa , dit-on , la demander en mariage,
mais son âge lui lit regarder cette proposition comme une
plaisanterie, et un refroidissement s'ensuivit. A son refour
d'Egypte Junot épousa M"'' Permon. Aussi prodigue que son
mari, elle dépensait énormément;elleétait d'ailleurs de la so-
ciété de la Malmaison, et si on l'en croit, elle attira assez l'at-
tention du premier consul pour donner quelquejalousieà Jo-
séphine. A la tin de l'empire elle recevait une société qui
déplaisait à Napoléon, et elle accueillit avec faveur la Res-
tauration. Après avoir partagé la brillante fortune de Junot,
elle mourut à Paris, le 7 juin 183S, dans un état voisin de
l'indigence, mars laissant la réputation d'une femme d'esprit
el de talent, grâce aux nombreuses productions littéraires
dont la publication, dans les dernières années de sa vie, avait
seule fourni aux besoins de son existence. C'était assuré-
ment un noble spectacle que celui de cette grande dame
demandant au travail les moyens de conserver un salon dont
elle faisait les honneurs avec cette grâce el cette liberté
d'esprit que conservent bien rarement ceux qui ont à lutter
contre les nécessités de la vie. Le premier ouvrage qu'elle
ait tait paraître, et aussi celui dont le succès fut le plus lé-
gitime et le plus incontesté, a pour titre : Mémoires ou
Souvenirs historiques sur Napoléon, In Révolution, le
Directoire, le Consulat, l'Empire et la Restauration
(18 vol., Paris, 1831-1835; deuxième édit., 12 vol., 1835),
Un style facile , une exposition amusante , mais touchant
trop souvent au bavardage, du reste une foule d'anecdotes
curieuses et de portraits piquants , attirèrent bien vite l'at-
tention du public sur l'auteur, à qui dès lors les entrepre-
neurs de revues et de recueils littéraires demandèrent à
l'envi (les souvenirs, des récits rétrospectifs , dont Napo-
léon et les hommes de lempire devaient faire tous les frais.
Nul n'était mieux en position que madame d'Abrantès pour
remplir les vues de ces spéculateurs; car les rapports de
son mari pendant près de dix-huit ans avec l'empereur lui
avrdent permis d'amasser d'inépuisables trésors en ce genre.
Vinrent ensuite et successivement les Mémoires sur la
Restauration , la Révolution de IS30 et les premières
années du règne de Louis- Philippe (6 vol., 183G) ; puis
les Souvenirs d'une ambassade en Espagne, et une His-
toire des Salons de Paris. Dans ces différents ouvrages
on .sent que l'auteur est sur son véritable terrain. La du-
chesse raconte ce qu'elle a vu, ce qu'elle a entendu dire;
elle nous présente l'histoire en déshabillé, et elle nous inlé-
res.se parce qu'elle est presque toujours véridique. Elle ne
réussit pas moins quand elle décrit les cercles aristocra-
tiques; et à ses descriptions on reconnaît bien vile que ce
monde exceptionnel n'a pas de .secrets |)our elle. Mais
quand elle s'essaya dans le roman , elle l'choua complè-
tement. Dans sa Catherine II ( 1835), son Amiranle de
Castille (1832), ses Scènes de la vie espagnole {183ù)j
on ne trouve ni imagination ni poésie.
Junot laissa quatre enfants : l'aîné, Napoléon-Andoche
Jc.\OT, duc d'AcRANTÈs, ne à Paris en 1807 , fut tenu sur
les fonts de baptême par Napoléon et Joséphine. En jan-
vier 1815 Louis XVIII le confirma dans le titre que son
père tenait de l'empereur. Attaché pendant quelque temps an
corps diplomatique , il dut renoncer à celte carrière par
suite du fâcheux éclat que reçut dans de nombreux procès
l'état de ses affaires privées. Il s'occupa alors de litté-
rature, fréquentant surtout les petits théâtres, et mou-
rut à Paris en mars 1851. — Son frère cadet, Adolphe-
Alfred-Michel Ju.NOT, né à Ciudad Rodrigo le 25 no-
vembre 1810, lui succéda dans le titre de liuc d'Abrantès.
Parvenu au grade de capitaine d'état-major, et attaché en
qualité d'aide de camp au général Mac-Mahon en 1848, il
fit plusieurs campagnes en Afrique. Élevé au gradedeclief
d'escadron en 1852, il devint en 1854 aide de camp du
prince Jérôme-Napoléon. Il fit la campagne d'Italie, comme
lieutenant colonel et fut mortellement fraiipé à la bataille de
Solferino, le 24 juin 1859. — Joséphine Jcxot d'Abrantès,
née à Paris le 5 janvier 1802, se fit admettre en I825 dans
la congrégation des sœurs de la charité , rentra dans le
monde en 1827, et épousa en 1841 M. James .\.met, com-
missionnaire de roulage. Elle a écrit divers ouvrages de mo-
rale et d'édification. — Constance Junot n'ABiuNTiis, née
à Paris le 12 mai 1803, épousa M. Louis Xigert, ancien
garde du corps, plus tard rédacteur du yational el préfet de
la Corse en 1S48. Mn^e Constance Aubert a participé à la
rédaction de divers recueils littéraires, et publié des ar-
ticles de modes et de variétés dans différents journaux.
Elle a fondé les Abeilles parisiennes en 1843. Z.
ABRAXAS (Pierres d'). On donne ce nom à des es-
pèces de pierres taillées, dont la forme varie à l'infini , et
sur lesquelles se trouve gravé, au milieu de figures fantas-
tiques , la plupart du temps composées d'un tronc et de bras
htrmains, d'une tête de coq, d'un coriis de serpent et auti'es
symboles à doubles sens, la mot grec Abraxus ou Abrusax.
On prétend qu'elles proviennent de Syrie, d'Egypte et d'Es-
pagne , et elles sont très-nombreuses dans tous les cabinets
La secte gnoslique des basilidiens fut la première et la seule
qui se servit du mot Abraxas; et il est assez probable que
ce mot désigne (en tenant compte de la valeur numérale
des lettres de l'alphabet grec) le nombre 3G5 , qui est celui
des jours de la révolution annuelle du soleil. Or, ce n'était
pas au Dieu suprême, mais à l'ensemble des esprits qui pré-
sident aux destinées de l'univers , qu'on donnait ce nom
parmi les basilidiens. Les doctrines et les mœurs de ces sec-
taires furent plus tard transférées par les priscil lie ns en
Espagne, où l'on a effectivement trouvé un grand nombre
de ces sortes de pierres. Les symboles du gnosticisme furent
ensuite adoptés par toutes les sectes à tendances magiques
et alchimi^tes, et ces pierres furent confectionnées a l'é-
poque du moyen âge pour servir de talismans. L'amalgame
grossier el bizarre des figures qu'elles représentent est déjà
une preuve que les gi-aveurs, en les traçant, n'avaient pas de
pensée précise, et qu'ils les composaient soit d'imagination,
G.
ABRAXAS — ABRI
44
soit d'après différents s\Tnboles connus. C'est le jugement que
porte Kopp dans le troisième volume de sa Palxoç/rap/iia
critica. >'ous renverrons le lecteur à Fessai de Bellermann
Sur les gemmes antiques qui portent la figure d'Abraxas
(3 vol., Berlin , 1817-19), et à V Histoire critique du Gnos-
ticisme de M. Malter ( Paris, 1838, ?. vol. ).
ABRÉGÉ. C'est la réduction d'un plus grand ouvrage à
un moindre volume ; et , s'il est bien fait , il peut quelquefois
faire oublier l'original : c'est ainsi que l'Iiistoire de Justin a
fait oublier celle de Trogue-Pompée. Vépitoméest, comme
Vabrégé, un ouvrage réduit, mais plus succinct encore ; et
ce mot , purement grec , quoiqu'il ait passé dans notre lan-
gue , n'est guère employé que pour le titre de certains petits
ouvrages latins que dans les collèges on met entre les mains
des élèves des basses classes. L'on ne peut guère traiter
l'iùstoire générale qu'en abrégé. V Abrégé chronologique
de l'Histoire de France, i>âT le président Hénault, est un
chef-d'œuvre du genre ; et , comme l'a dit avec raison l'abbé
Girard, il n'est peut-être pas d'épitomé mieux fait que V His-
toire Romaine par Eutrope. Les abrégés qui furent faits
dans le siècle dernier à l'usage de l'École militaire ont eu leur
utilité, quelques-uns môme leur réputation. Depuis une
trentaine d'années les instituteurs de la jeunesse ne dédai-
gnent pas de recourir aux sources pour composer leurs abré-
gés , et depuis vingt ans surtout on pourrait citer pour l'his-
Joire, pour les sciences exactes , pour les sciences naturelles ,
comme pour la grammaire, un nombre assez notable d'a-
brégés qui, sous ce titre ancien comme sous celui àe précis
ou de manuels, font un honneur infini à leurs auteurs, parce
que même pour instruire la plus tendre jeunesse ils ont
pensé que le premier devoir était de se montrer à la hauteur
des progrès faits par la science.
ABREUVOIR, lieu disposé pour faire boire et baigner
les animaux domesti^iues. Tantôt l'abreuvoir est tout sim-
plement une pente douce choisie ou préparée sur le bord
d'une rivière , d'un étang ou d'une pièce d'eau ; tantôt c'est
une espèce de bassin dont le fond est pavé , dont les parois
sont construites au ciment et dans lequel on rassemble les
eaux de la pluie ou celle d'une source. Les abreuvoirs natu-
rels doivent être munis d'un barrage qui empêche les ani-
maux d'avancer là où il y aurait du dangfx, soit par la pro-
fondeur de l'eau, soit par la rapidité du courant. Les
abreuvoirs artificiels doivent être fréquemment curés, on ne
doit ni y laver du linge , ni y laisser rouir du chanvre , ni
même y laisser arriver des eaux sales et malsaines. — Les
chasseurs donnent le nom à.'' abreuvoir au lieu où le gibier a
coutume de se rendre pour se désaltérer.
ABRÉVIATEURS , titre officiel des scribes intimes
de la chancellerie pontificale chargés de rédiger et de trans-
crire le texte des brefs et des autres actes émanant des papes,
de les comparer avec l'original quand ils ont été mis au net
et d'en faire les expéditions avec les différentes abréviations
en usage au Dataire, où on y appose aussi la date. Il est pour
la première fois fait mention d'abréviafeurs au commence-
taent du quatorzième siLcle. Le pape Paul II abolit ces char-
ges, à cause des abus de corruption auxquels elles donnaient
lieu ; mais on les rétablit plus tard. Le nombre des titulaires
fut porté jusqu'à soixante-douze, dont douze avaient le rang et
portaient le costume des prélats, vingt-deux étaient des ecclé-
siastiques de rang inférieur, ei le restedes laïques. Aujourd'hui
le nombre en a été beaucoup réduit ; et il en est de même
des traitements considérables attachés jadis à ces emplois.
ABRE VI ATIOXS. Les abréviations sont presque aussi
anciennes que l'écriture. En effet, le besoin d'économiser le
temps et la place , l'utilité d'un langage écrit qui ne fût pas
connu de tout le monde, conduisirent dès le principe ceux
qui ont exercé l'art d'écrire à l'invention d'une écriture
abrégée. C'est dans ce but que l'on eut recours aux sigles,
aux m on og r a m mes, aux conjonctions, aux chi ffr es, aux
notes tyroniennes. Nous parlerons ici seulement des abré-
viations proprement dites , et spécialement de celles que
l'on rencontre dans les manuscrits et les actes.
D'abord on omettait une partie des lettres qui composaient
les mots. Ceux-ci n'étaient séparés entre eux que par des
points. Tantôt on ne laissait subsister que la première lettre
du mot, tantôt on n'en retranchait que les dernières , tantôt
on en retranchait au milieu. Quelquefois on écrivait au-
dessus du mot les lettres omises ; puis on imagina certains
signes abréviatifs pour remplacer des syllabes, des con-
sonnes doubles , des diphthongues. La dernière syllabe d'un
mot est souvent représentée par la première lettre accom-
pagnée d'un signe particulier. On rencontre en grec des
mots entiers figurés par une abréviation.
On trouve assez peu d'abréviations dans les anciens ma-
nuscrits , en sorte que l'on peut poser en principe , que si
l'écriture capitale ou onciale est belle, et qu'il n'y ait qu'un
petit nombre d'abréviations , c'est un signe de la plus haute
anticpiité. Les abréviations devinrent moins rares peu après
le sixième siècle; leur nombre augmenta considérablement
au huitième ; elles se multiplièrent encore bien davantage
au neuvième ; au dixième et au onzième , il n'y a pas de
lignes dans les chartes et manuscrits où l'on n'en trouve
plusieurs ; enfin , dans les quatre siècles suivants on fit un
véritable abus des abréviations; l'écriture en fut remplie,
même dans les ouvrages en langue vulgaire et dans les
premiers exemplaires de l'imprimerie.
Cet abus des abréviations fit ouvrir les yeux, au commen-
cement du quatorzième siècle, sur les inconvénients qui en
résultaient; et en 1304 Philippe le Bel rendit une ordon-
nance qui proscrivait dans les actes juridiques, et spécia-
lement dans les minutes des notaires , toutes les abrévia-
tions qui exposent les actes à être mal entendus ou falsifiés.
En 1552 le parlement bannit également des lettres royaux
les et cxfera, qui jusque alors avaient été d'usage, et qui en-
traînaient également de graves inconvénients. Toutes ces
abréviations des treizième, quatorzième et quinzième siècles,
et une multitude d'autres introduites pendant la barbarie
des temps scolastiques, rendent la lecture des manuscrits et
des anciens actes très-difficile, et exigent une étude spéciale.
Pour aider à les déchiffrer, uji érudit du siècle dernier,
Lacume de Sainte-Palaye, avait recueilli un alphabet des an-
ciennes abréviations latines et des abréviations | lus récentes
employées dans les titres et les manuscrits. Nous renvoyons
nos lecteurs à cette table savante , qui se trouve dans les
traités des bénédictins sur la diplomatique. V Encyclopédie
de Diderot et d'Alembert donne aussi une de ces tables.
ABRI (du latin apricus, dont les Espagnols ont fait
abrigo et les habitants du midi de la France abric ), lieu où
l'on se peut mettre à couvert du vent, de la pluie, etc. Nous
n'examinerons ici ce mot qu'au point de vue de l'horticul-
ture ; car on sait que les abris jouent un rôle important dans
cette science, indispensables qu'ils sont pour la multiplica-
tion et la conservation d'une foule de végétaux exotiques,
pourobtenir des productions précoces ou tardives, pour amé-
liorer la qualité et augmenter la quantité des fruits. — Les
horticulteurs appellent abri tout ce qui sert à garantir les
végétaux du vent, du froid ou de la chaleur. Ainsi , les clô-
tures , les murailles , les haies sèches , les haies vives , les
brise-vent, les palissades, les lisières des bois, les bordures
des jardins, ou encadrements qui ont pour but d'étabhr une
séparation entre les parties cultivées et les sentiers ou allées,
les serres, les haches, les châssis, les cloches, les couver-
tures, les écrans, les nattes, les paillassons , les simples ca-
nevas , doivent être compris sous cette dénomination géné-
rique. On a recours à ces différents moyens tantôt pour
former des abris artificiels contre le vent , tantôt pour pro-
téger contre les sécheresses de l'été qnel((ues semis d'aibres
déUcats pendant leur jeunesse, tantôt pour défendre diverses
cultures contre les pluies d'averse , ou bien contre le froid
et contre la chaleur.
ABRIAL — ABRUTISSEMENT
45
AlîRI AL (Anoré-Joseph, comte),né à Annonay , en 1750,
fut avocat au paiiement de Paris, puis devint administra-
teur d'uu de nos comptoirs au Sénégal lorsque Maupeou
bouleversa l'ordre judiciaire. Xonuné en 1791 commissaire
du roi au tribunal du sixième arrondissement, il obtint peu
après le siège laissé vacant par Hérault de Séchelles au par-
(juet du tribunal de cassation. En ISOO il fut envoyé en
Italie pour organiser la république Parthénopéenne, et à son
retour il reçut du premier consul le portefeuille de la jus-
tice, qu'il quitta en 180'2. 11 prit une part importante à la ré-
daction du Code Civil. Devenu sénateur en 1804, il obtint la
sénatorerie de Grenoble, le titre de comte, le cordon de grand
officier de la Légion d'Honneur et mille autres faveurs, qu'il
oublia trop vite lorsque tomba Napoléon. Pair de France sous
la restauration, il se montra ultra-royaliste à la chambre. A
la lin de 1S19 Abrial devint presque aveugle : il .recouvra
la vue en 1828; mais il ne jouit pas longtemps de ce bon-
heur. 11 mourut le 14 novembre de la même amiée. Il a
laissé quelques mémoires sur le galvanisme et sur le sys-
tème de Mesmer. — Son fils, André-Pierre-Étienne, comte
Abrial, né à Paris, le 5 décembre 1783, hérita de son titre de
pair. Ayant pris séance en 1829, il prêta serment au gouver-
nement issu de la révolution de juillet, et mourut à Paris
le 26 décembre 1840.
ABRICOTIER, arbre appartenant au genre prunier
{prumis armcniaca , L. ), dont il diffère par son noyau ar-
rondi comprimé , muni sur les côtés de deux saillies , l'une
obtuse , l'autre aiguë. L'abricotier est un arbre de moyenne
grandeur. Son écorce est brune , ses rameaux étendus , ses
feuilles grandes, presque en cœur à leur base ; les flems sont
blanches, sessiles, disposées par bouquets, quelquefois
sohtaires. Les fruits, nommés abricots , sont assez gros, un
peu aplatis sur les côtés , couverts dune peau jaune , lé-
gèrement colorée en rouge au point tourné vers le soleil.
Leur chair, jaune aussi , est tendre , pâteuse , d'une saveur
agréable. On fait avec l'abricot des confitures , des com-
potes ; on conserve aussi ce fruit dans Feau-de-vie. Avec les
amandes on fait un excellent ratafia. Les noyaux servent à
faire la liqueur nommée eau de noyau.
L'abricotier est originaire d'Arménie. On croit qu'il fut
apporté d'abord à Rome; depuis il a été cultivé dans une
grande partie de l'Europe, on en a obtenu des variétés très-
intéressantes , comme ïalberge et V abricot-pêche, dont la
chair est fondante, parfumée, d'un goût exquis. L'alberge
a la chair d'un jaune rougeàtre, d'une saveur vineuse; l'a-
bricot-pèche est un des plus gros que l'on connaisse : son
noyau est percé à l'une des extrémités.
L'abricotier se plaît dans les terres légères ; il demande à
être exposé au midi et abrité contre les vents du nord. On
le cultive en plein vent ou en espalier : on le tient aussi en
buisson dans les parterres et dans les jardins de peu d'éten-
due. Il se greffe sur le prunier ou sur des individus pro-
venus de ses semences. Le bois de labricotier est jaunâtre et
veiné ; mais il a peu d'emploi : les tourneurs en font cepen-
dant quelques ouvrages. Il découle des abricotiers une gomme
qu'on peut substituer à la gomme arabique.
ABROGATIOW C'est l'acte par lequel une loi , un
usage, une coutume sont annulés. L'abrogation peut être
expresse ou tacite : expresse , elle résulte d'une disposition
positive d'une loi postérieure; tacite ou virtuelle, de la com-
binaison ou de l'ensemble de dispositions nouvelles et con-
traires à celles d'une loi antérieure.
ABROUTISSEMEXT. Ce mot désigne le dommage
qu'éprouve un bois lorsque dans les premières années de sa
croissance il a été parcouru par les bestiaux , qui en ont
mangé les jeunes pousses. Le préjudice très-grave que
cause l'abroutissement donne le droit de réclamer des dom-
mages-intérêts. On le règle d'après les procès-verbaux dressés
par les gardes forestiers, plus particulièrement responsables
de ces délits que de tous autres. En effet les abroutissements
causent bien plus de tort dans les bois et forêts que la
hache. On attendrait inutilement du temps le complet réta-
blissement des bois abroutis , pour lesquels il faut recourir
au plus vite à l'opération du recépage.
ABRUPTO, AB .yiKUPTO, EX ABRUPTO. Mots em-
pruntés du latin et formés du verbe ubrumpere, qui signifie
rompre, casser tout à coup. Ou se sert ordinairement de
cette expression pour désigner un discours fait sans prépa-
ration, entrant rapidement en matière.
ABRUTISSEMEAT. L'abrutissement n'est pas l'état
de la brute , c'est l'état de riiomme abaissé jusqu'à la brute ;
c'est la situation morale et intellectuelle où tombe l'individu
de notre espèce qui a renoncé volontairement au privilège
de son être, ou qui en a été privé i>ar une puissance , par des
circonstances indépendantes de sa volonté. L'abrutissement
n'est ni l'état primitif de l'homme, ni l'état de barbarie, ni
l'état sauvage : c'est une condition inférieure, qui impli-
que l'idée d'une dégénération profonde , et dont les causes
sont diverses. L'ignorance et les erreurs qu'elle fait com-
mettre, la misère et les vices où elle jette, l'immoralité et
les excès auxquels elle conduit, sont les raisons ordinaires
de l'abrutissement, auquel se rattache presque toujours la
pensée de fautes graves et volontaires. Ainsi, la stupidité
native ou l'idiotisme, quelque forme qu'elle prenne , fût-ce
celle du crétinisme, n'est pas qualifiée à\ibrutissement, ou
du moins ne doit pas l'être , vu qu'elle est un état primitif
qui exclut toute idée de faute personnelle, d'aberration ré-
sultant d'une volonté humaine. Pour qu'il y ait lieu d'ap-
pliquer la qa&WUca.Wo'Oi à^ abrutissement , il faut l'idée d'une
dégénération amenée par une série de fautes personnelles ou
d'aberrations voulues. C'est dans cette dernière catégorie
que rentre l'abrutissement calculé qu'on reproche aux an-
ciens gouvernements d'Asie et d'Afrique , et sur lequel il est
plus aisé de trouver de vagues déclamations que des faits
précis. Je vois dans l'antiquité des habitudes d'un intolé-
rable despotisme , imposé avec audace , souffert avec igno-
minie ; je n'y vois pas de système d'abrutissement dirigé
contre des nations entières. J'y vois des institutions de cas-
tes, des aberrations cruelles et coupables, qui eussent fini
par abrutir les populations en les privant de leurs privilèges
les plus inviolables ; mais je n'y vois pas l'intention d'abru-
tir. La politique la plus grossière veut des hommes, elle ne
veut pas de brutes. Plus elle est grossière, et mieux elle
sait que les hommes seuls payent et combattent. La brute
n'est pour la pohtique qu'un fardeau, qu'un péril, et, si
peu éclairée qu'elle soit, elle sait qu'il n'est pas besoin de
créer le péril, de procurer le fardeau. Ce qu'on appelle à tort
système d'abrutissement, dans la politique ancienne, c'est
cette opinion, qui n'est pas encore bannie tout à fait de la
politique moderne, que la science raisonne , tandis que l'i-
gnorance obéit sans raisonner, et qu'il est bon d'avoir dans
un État plus de gens qui ne raisonnent pas que de gens qui
raisonnent, comme s'il était possible de semer un champ ou de
planter un arbre sans user de cette faculté si noble et si pure
dont Dieu a fait don à toute créature humaine. Cette opinion
est bien affligeante, et elle a régné sans doute dans l'anti-
quité, mais nulle part elle n'y a conduit à un système arrêté
d'abrutissement ; nulle part un pareil système ne peut être
conçu. Donc, au lieu de combattre plus longtemps cette
chimère, il importe qu'on examine sans aucune préoccupa-
tion spéciale les véritables causes de l'abrutissement et les
moyens de les faii'e disparaître. Nous avons indiqué ces cau-
ses. Elles se trouvent dans l'ordre des choses raoraies ; c'est
là qu'il faut en chercher les remèdes. Donnons à chaque être
humain des lumières, non certes complètes, mais suffisantes
pour l'œuvre à laquelle il est appelé ; et veillons à ce que
par de fortes habitudes d'ordre et d'économie il use avec
raison et tempérance de toutes ses lumières : alors disparaî-
tra du milieu de la société civilisée ce dégoûtant spectacle de
l'abrutissement, amené par des fautes personnelles ou des
aberrations émanées d'une volonté liumaine. Comment ré-
soudre ce problème ? C'est à la morale publifjue, à la charité
privée, à la léj^islalion de l'État et aux lumières de la reli-
gion, qirii appartient de répondre. Matter.
ABRL'ZZES. On nomme ainsi la partie septentrionale
du royaume de Naples , bornée au nord-ouest et à l'ouest
par les États de l'Église, au nord-est par la mer Adriatique, au
sud-est par la Fouille, et au sud par la Terre de Labour. La
suiJerficie totale des Abruzzes est d'environ 236 myr. carrés,
avec une population de 788,000 âines; et on les divise en
Abruzze ultérieure, première et deuxième, au nord-ouest, et
en Abruzze citérieure , au sud-est. Les montagnes des
Abruzzes forment la partie la plus haute et la plus sauvage
de tout le système des .\pennins. L'Altemo et le Gizio, qui
confondent leurs eaux à Pescara, arrosent la longue et
étroite vallée que resserre la chaîne des Appennins, dont les
pics les plus élevés sont au grand Sasso d'Italia (2,9G1 mè-
tres) et, sur la chaîne occidentale, à Montevelino (2,558 ra. ),
tandis que Aquila est situé à 751 m. au-dessus de la mer.
Le climat des Abruzzes est rude ; les montagnes v restent
couvertes de neige depuis le mois d'octobre jusqu'au mois
d'avril. D'épaisses forêts en couronnent les crêtes. Les val-
lées seules sont fertiles. Les amandiers, les noyers et autres
arbres fruitiers y réussissent partout , mais les oliviers seu-
lement au fond des vallées. Les plus magnifiques trou-
peaux paissent sur les hauteurs et dans les vallons et four-
nissent de précieuses ressources au commerce d'exportation.
Les villes les plus importantes de toute cette contrée sont
Aquila et Pescara, toutes deux fortifiées; puis Chieti (l'an-
cienne Téate) et Subnona. C'est surtout en raison de leur
position militaire que les Abnizzes méritent de fixer l'atten-
tion ; elles forment en elfet comme une espèce de boule-
vard avancé pénétrant h une distance de quinze milles géo-
graphiques dans les États de l'Église ; et ce qui ajoute encore
à l'importance de cette posit!on,c'est que pour pénéti-er dans
l'intérieur du royaume on n'y trouve qu'une seule route stra-
tégique (et encore est-elle d'une difficulté extrême pour une
armée);tandisqu'aucune route de la même espèce ne conduit
à travers les montagnes, des rives de la Méditerranée à
celles de l'Adriatique. Le royaume de Naples , s'il est bien
délendu , n'a par conséquent d'attaques sérieuses à redouter
que par deux routes : celle qui , longeant la Méditerranée et
les niarais Pontins , va de Rome à Naples , par Tenacine et
par Capoue , ou bien celle qui , longeant l'Adriatique, part
d'Ancône et conduit dans l'intérieur du royaume par Pétri,
Pescara, etc. La possession des Abruzzes est donc tout à fait
indispensable à qui veut attaquer jN'aples; et il est aussi dif-
ficile de s'en rendre maître que de s'y maintenir , parce que
d'épaisses forêts et de profonds ravins y entrecoupent le
sol à chaque pas et se prêtent merveilleusement à une guerre
de guérillas faite sur les derrières de l'ennemi. Mais la po-
pulation est dépourvue de courage et d'énergie, encore bien
que ce soit une race d'hommes vigoureuse, parfaitement
apte au service militaire , et notamment au service de la
cavalerie. KUe avait autreiois la plus déplorable réputation, à
cause des nombreuses troupes de bandits qui se recrutaient
dans son sein et qui infestaient toutes ces montagnes; mais
le mal est bien diminué aujourd'hui , et ce n'est que fort
i-arement qu'on y entend parler d'accidents. Les habitants
des Abruzzes sont un peuple pasteur, d'une simplicité et
d'une rudesse toutes patiiarcales, superstitieux, passionnés
pour la musique et hospitaliei-s. Il est vrai qu'il est impos-
sible de reconnaître en eux les descendants de ces Sanmi-
tes, de ces Marses et de ces Sabins qui avaient su se rendre
si redoutables aux Romains. Jamais ils n'ont essayé d'empê-
cher l'ennemi de pénétrer dans l'intérieur du royaume , pas
plus les impériaux que le^' Trançais ou les Espagnols. Une
seule fois, en 179S, ils résistèrent avec quelque succès à
l'invasion des Français; ils tuèrent le général H ilarion Point,
firent prisonnier le général Rusca, et nuisirent beaucoup à
ABRUTISSEMENT — ABSALON
l'ennemi, notamment à la colonne du général Duhesme.
Mais comme l'armée napolitaine s'était déjà fait battre dans
les États derÉgli.se, et que partoutoùse montraient les Fran-
çais elle se conduisait avec la plus grande lâcheté , ces in-
surrections momentanées des Abruzzes demeurèrent sans
résultats ; et celles qui éclatèrent partiellement plus lard ,
comme en 1S06, n'eurent guère que le caractère des plus
vulgaires brigandages.
En 1815, quand Murât marcha contre l'Autriche et son-
gea, après la bataille de Tolcntino, à organiser une guerre
nationale , non-seiUement il échoua dans cette tentative ;
mais les soldats nés dans les Abruzzes se débandèrent dès
qu'ils se trouvèrent près de leurs foyers , et la marche rapide
de l'armée autrichienne amena en peu de temps la complète
dissolution de l'armée napolitaine.
A l'époque de la révolution de 1821 , le parti national de
Naples espéra trouver dans les Abioiizes les plus grandes
ressources pour une guerre défensive ; et dans les ventes
de carbonari , dans les assemblées populaires , voire même
à la chambre des députés de France, on vanta sans me-
sure les avantages de cette admirable position stratégique,
le réveil généreux de la population qui allait enfin se mon-
trer digne de ses braves ancêtres. Les événements de la
courte campagne qui suffit à l'armée autrichienne du général
Friraont pour rétablir le pouvoir absolu à Naples ne tardè-
rent pas à tromper complètement ces belles espérances et à
prouver que le défile des Thermopvles lui-même n'est un rem-
part que lorsqu'il est défendu pai des Spartiates. Il en a encore
été de même en 1848; et les Abniz-es, après avoir éti- alors
le théâtre de troubles graves, n'ont pas résisté davantage a
la contre-révolution. En 1860-lSGl, il y eut un mouvement
réactionnaire contre les troupes Sardes dans les Abruzzes.
ABSALOIV, fils du roi David et de ]Maacha, était le plus
beau des hommes de son temps. Il assassina Ammon, un de
ses frères, souleva le peuple contre David, qu'il chassa de
Jérusalem , et tint publiquement une conduite abominable
à l'égard de toutes ses femmes, qu'il avait réunies dans
une tente sur la terrasse de son palais. De telles énormités
méritaient une punition exemplaire. Absalon ne tarda
pas à l'éprouver. David leva une armée qui, sous le com-
mandement de Joab , tailla en pièces les troupes du fils re-
belle dans répaisse forêt d'Épbrauii. Absalon ayant pris la
fuite , sa longue et magnifique chevelure s'emban-assa dans
les branches d'un chêne ; il y resta suspendu, et Joab le perça
de sa lance, malgré la défense expresse du roi, qui pleura
amèrement la perte de cet enfant si criminel. C'était l'an
1023 avant J.-C. On montre son tombeau à Jérusalem.
ABSALOX ou AXEL, archevêque de Lund et évêque
de Rœskilde, et en même temps ministre et général d'armée
du roi de Danemark Waldemar 1*', né en 1128, mort en
1201, descendait d'une famille très-considérée et était venu
pendant sa jeunesse étudier à l'université de Paris. Avant
même de monter sur le trône , Waldemar lui avait déjà
donné toute sa confiance et son amitié. 11 les lui continua
jusqu'à sa mort; et Canut IV, son fils, qu'Absalon servit
avec le même zèle et la même fidélité, hérita des sen-
timents de son père à son égard. Absalon ne se distingua
pas moins pendant les temps de paix par sa sagesse et son
équité que dans les temps de guerre par son courage et sa
prudence. Grâce à lui non-seulement les côtes danoises furent
purgées des pirates wendes qui les infestaient, mais il
parvint encore à les vaincre et à les dompter dans leur propre
pays. li battit le prince de Poméranie Bogislas, et le con-
traignit à se reconnaître vassal de la couronne de Danemark.
Absalon prit en outre la part la plus grande à la confection
des sages lois rendues par ^Valdemar le Grand et par son
fils. Ami et protecteur éclairé des sciences et des lettres,
c'est aux nobles encouragements qu'il se plaisait à accorder
;ui\ savants qu'on est redevable de la premièie histoire
complète qu'ait eue le Danemark , celle de Saxo Gramma-
ABSALOIS — ABSENTEISME
47
tiens (Saxon le Grammairien) et aussi de celle de Svend
Aaaesen. Un autre titre d'Absalon à sa juste célébrité histo-
rique, c'est qu'il fonda Copenliai^ue, aujourd'hui capitale
du royaume, et qui u était de son temps qu'un misérable ha-
meau composé de quelques huttes de pécheurs. 11 y lit cons-
truire, sur remplacement même qu'occupe maintenant le pa-
lais du roi , un chàteau-fort , destiné à protéger celte partie
de la Séelande contre les débarquements des pirates ; et c'est
sous l'abri de cette forteresse que se groui>a successivement
une population active et industrieuse, qui par reconnais-
sance nomma d'abord cette cité Axel /lU us. Absalon fut in-
humé à Soroé, dans un couvent qu'il avait fondé. En 1827
on ouvrit sa tombe, et dilférents recueils ont décrit les di-
vers objets qu'on y trouva, notamment sa crosse et son an-
neau d'évéqiie, ainsi que Tépée dont il faisait usage.
ABSCISSE (du latin ab, de, scindere, séparer). Voyez
Coordonnées.
ABSCISSIOX. Mot quelquefois employé en chirurgie,
pour signifier le retranchement, qu'on fait avec un instru-
ment coupant, d'une partie du corps gâtée, corrompue. U ne
s'applique guère qu'au retranchement des parties molles j
celui des os s'appelle amputation.
ABSEXCE. Dans sou acception ordinaire ce mot s'en-
tend du simple éloignement d'un lieu. En certains ca;, cet
éloigncment nécessite des mesures légales, autant dans l'in-
térêt de l'absent que dans l'intérêt des tiers. Ainsi, lorsqu'une
succession vient à s'ouvrir, laloi veut qu'un notaire soitnom-
raé pour représenter tout héritier intéressé dans cette suc-
cession et qui est éloigné du lieu où elle s'ouvre.
On appelle encore absence la non-comparution à une assi-
gnation donnée. C'est ce qui a lieu , par exemple, lorsque
dans un procès civil l'une des parties ne se présente pas à
l'audience, ou lorsque dans un procès criminel l'accusé ne
comparaît pas. Voijcz Défaut et Contumace.
iSIais dans le droit civil le mot absence s'entend plus par-
ticulièrement d'un éloignement tel qu'on ignore où est
l'absent et même s'il existe. A Rome les biens de l'absent
étaient remis au fisc, qui les administrait jusqu'à son retour
ou jusqu'à sa mort constatée : dans ces deux cas on les
rendait, ou à lui-même ou à ses héritiers. Ceux-ci pouvaient
aussi obtenir du fisc la remise sous caution des biens de
leur auteur avant sa mort , et l'administration leur en était
confiée. Avant Justinien , après un certain laps de temps la
femme de l'absent pouvait se remarier. Depuis cet empereur
elle ne le put jamais tant que la mort n'était pas certaine.
Le Code Civil français admet plusieurs degrés dans
l'absence. D'abord l'absence est seulement présumée, et les
personnes qui ont des intérêts à débattre avec l'absent pré-
sumé sont obligées de s'adresser au tribunal de premièie
instance de son domicile, qui, après avoir reconnu la
j)résomption d'absence , nomme un administrateur pour
veiller sur ses biens, et commet un notaire pour le repré-
senter dans les inventaires , comptes et partages auxquels
il peut être intéressé. Lorsque quatre a:inées se sont écou-
lées depuis que l'absent a disparu de son domicile et n'a
point donné de ses nouvelles, les parties intéressées peuvent
faire déclarer l'absence par le tribunal compétent. Quand
l'absent a laissé en partant une procuration qui prouve
<{u'il avait l'intention de s'éloigner pour longtemps, le tri-
bunal ne peut faire la déclaration d'absence que dix ans
après le départ de l'absent. Le tribunal peut toujours rejeter
la demande; mais s'il l'admet, il ne doit pas prononcer sur-
le-champ la déclaration d'absence. 11 oidonne seulement par
son jugement qu'une enquête soit faite. Ce jugement est
envoyé au ministre de la justice , qui le fait insérer au
Moniteur, et c'est un an seulement après ce i)remier juge-
ment que peut être prononcée la déclaration d'absence, s'il
n'est pas survenu de nouvelles. Ce second jugement est aussi
envoyé au ministre de la justice, qui le rend public comme
le piemier.
L'absence, lorsciu'elle est déclarée, produit certains effets,
tant relativement aux biens que l'absent possédait au jour de
sa disparition que relativement aux droits éventuels qui
peuvent s'ouvrir en sa faveur. Quant aux biens que l'absent
possédait au jour de sa disjjarition, ses héritiers présomptifs
à celte époque ou à l'époque de ses dernières nouvelles
peuvent en obtenir la possession provisoire , à la charge de
fournir caution. Le testament, si l'absent en a laissé un , est
alors ouvert, et les légataires peuvent exercer provisoire-
ment les droits que cet acte leur confère. L'époux commun
en biens peut demander la dissolution de la communauté et
la liquidation de tous ses droits légaux et conventionnels.
]\onobstant la déclaration d'absence, le contrat de mariage
continue de subsister. Selon que l'époux présent opte pour
la continuation ou pour la dissolution de la communauté, il
arrête ou provoque l'envoi en possession provisoire. Dans ce
dernier cas , si l'absent reparaît ou réclame, la communauté
est à l'instant même rétablie pour l'avenir, ou plutôt elle
est censée n'avoir jamais été dissoute.
La possession provisoire des biens de l'absent n'est qu'un
dépôt entre les mains de ceux qui l'ont obtenue ; ils en sont
comptables envers l'absent, mais leur obligation à cet égard
varie suivant la durée de l'absence. Ainsi l'absent ne peut
réclamer que le cinquième des revenus de ses biens, s'il
reparaît avant quinze ans révolus depuis le jour de sa dis-
parition ; et le dixième seulement , s'il reparaît après les
quinze ans. Si l'absence a duré trente années, les envoyés en
possession provisoire conservent la totalité des revenus à
cette époque.
Quand il s'est écoulé trente ans depuis l'absence ou cent
années depuis la naissance de l'absent , la possession pro-
visoire de ses biens est convertie en possession définitive ,
et le partage s'opère entre tous les ayant-droit. C'est la
troisième période de l'absence.
Si l'absent reparaît après l'envoi en possession définitif,
ses biens lui sont remis dans l'état où ils se trouvent, et il
recouvre le prix de ses biens aliénés. Ses enfants ainsi que
ses descendants directs peuvent invoquer la même dispo-
sition de la loi pendant les trente années qui suivent l'envoi
définitif.
Après le jugement qui a déclaré l'absence, les actions qui
pouvaient être exercées contre l'absent doivent être dirigées
contre ceux qui possèdent ses biens.
En ce qui concerne les droits éventuels qui peuvent com-
péter à l'absent, nul ne peut exercer, au nom de l'absent
un droit de cette nature, s'il ne prouve préalablement
l'existence de l'absent au jour où le droit a été ouvert, sans
préjudice toutefois de l'action en pétition d'hérédité, qui
appartient à l'absent s'il s'agit d'une succession qui lui
est dévolue.
Si l'absent a disparu laissant des enfants mineurs, la m;''re
est chargée de les élever et d'administrer leurs biens. Lo
conjoint d'un absent ne peut contracter une nouvelle union,
par la raison qu'il n'est pas certain que l'absent soit mort.
Toutefois, si un nouveau mariage a été contracté , l'absent
est seul admis à attaquer la nouvelle union.
ABSENTÉISME. C'est le nom que les publicistes
anglais ont donné à l'action de quelques-uns de leurs com-
patriotes, qui viennent consommer sur le continent tout
ou partie de leurs revenus. Cette maladie, car c'en est une,
est encore plus irlandaise qu'anglaise; elle serait russe aussi,
si l'autocrate n'y mettait bon ordre. Plusieurs Anglais fuient
les brouillards, ils fuient aussi \e cher-vivre delà Grande-
Bretagne, et vont dans les climats tempérés de l'Europe
jouir des avantages d'une fortune qui souvent, quoitpie
assez ronde, serait compaiativement inférieure en deçà lîe la
Manche. Les grands seigneurs irlandais, (pii sont les uîailres
du sol, mettent à peine le pied sur cette m.alheurenso terre,
où le spectacle de la plus grande n}isère qu'ii y ait en Europe
troublerait leur repos, , et rcsient en Angleterre pour coa-
48
ABSENTÉISME — ABSOLU
soniiiipr les rentes que leur payent les cottagers, ferniiers-
valrits des lambeaux do leurs domaines. Les nobles russes
qui ne sont pas ruinés se trouvent aussi naturellement atti-
rés vers le ciel du midi, et cela fit prendredans un temps des
mesures pour gêner la sortie des sujets russes de l'empire.
Les résultats économiques de cette maladie politique
•sont faciles à a[ipré(ier : celui qui s'absente pour aller con-
sommer à l'étranger ne tarde pas à emporter, outre ses re-
venus, une partie de son capital, et supprime à sou pays une
partie des profits que les travailleurs trouvent dans l'emploi
d'un capital ou d'un revenu quelconque. M. Lowe esti-
mait, il y a déjà longtemps, les revenus anglais dépensés à l'é-
tranger à la somme de cent vingt-cinq millions <le francs.
ABSIDE. On comprend sous cette désignation la partie
d'une église où se trouvent le cbœur, le maître-autel , la
Iribune, qui autrefois y était adossée et où l'évêqne rendait
ses jugements, puis enfin la cliapelle ordinairement consa-
crée à la Vierge, et qui forme un bémicycle moins élevé
que le reste de l'édifice et saillant en dehors.
Ducange et d'autres auteurs pensent que le mot abside
vient du grec *{/(:, qui signifie voiite, partie circulaire; en
effet, une partie de l'abside est souvent nommée le rond-
point ; maison a dit aussi que le mot abside pourrait bien
\c.n\r (Vabscidere , séparer, cacher. C'est, il est vrai, dans
l'abside que se trouvent toujours les églises souterraines où
se célébraient les saints mystères dans les premiers siècles
de l'Église, partie séparée, cachée, où tout le monde n'était
pas admis ordinairement. Ce mot était peu en usage au-
trefois, et il s'employait au féminin; devenu d'un usage
plus fréquent depuis le commencement de ce siècle, on
l'emploie maintenant au masculin.
Les absides les plus remarquables se trouvent en Italie,
dans les églises de Sainf-Jean-de-Latran, de Sainte-Marie du
Transtévère, et de Saint-Nicolas à Rome, et dans l'église
de Saint-Marc h Venise; en Sicile. dans l'église de Montréal,
dans la cathédrale dePalermc; en France, dans les églises
d" !Sotre-Dame, de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés et de
Saint-Étienne-du-Mont à Paris, dans celles de Saint-Denis et
de Deuil, près de Montmorency, dans celle deSaint-Menou.v
en Bourbonnais, et dans celle de Notre-Dame-du-Port, à
Clermont-Ferrand. Duchesne aîné.
ABSIMARE ( Tjderil-s Absimarus Accdstus ), d'une
naissance obscure, mais doué de grands talents militaires ,
étnit parvenu, sousl'e/npereur Léonce, à ladignité dedron-
gaire. L'armée que commandait le patrice Jean, découragée
par de nombreux revers, crut qu'Absimare pouvait seul les
réparer, et le proclama empereur (698). Absimare marcha
aussitôt contre les Sarrasins, les défit complètement, puis
se rendit à Constantinople, et y entra en vainqueur, malgré
la résistance de Léonce, qu'il fit enfermer dans un monas-
tère après lui avoir fait couper le nez. Il se trouvait alors
maître de l'empire; mais, craignant pour son autorité tant
que vivrait Justinien II, que Léonce avait dépossédé de l'em-
pire, il envoya des sicaires pour l'assassiner. Justinien
se réfugia chez les Bulgares, et bientôt après on le vit
paraître sous les murs de Constantinople, avec une armée
que ces barbares lui avaient fournie. Absimare était hors
d'état de lui résister : Justinien, maître de sa personne,
lui fit trancher la tète, ainsi qu'à Léonce (707 ).
ABSIIXTHE, plante vivace, qui croît spontanément sur
les montagnes et dans les lieux incultes et rocailleux. Sa tige
est haute d'un mètre environ ; ses feuilles, profondément dé-
coupées, sont couvertes d'un duvet cotonneux ; ses fleurs,
jaunes, sont disposées en panicule au sommet des tiges. Cette
plante exhale une odeur aromatique très-forte; elle a une
saveur chaude etamère. L'absinthe agit d'une manière très-
active sur l'économie animale. Elle a joui longtemps d'une
grande réputation, et on l'emploie avec succès dansiez ma-
ladies où l'usage des excitants est indiqué. On administre Vin-
fusum aqueux et vineux d'absinthe comme tonique et sto-
' machique, comme diurétique, vermifuge, emménagogue, etc.
On prépare avec l'absinthe une liqueur de table estimée,
ii\)\)e.\ée extrait d'absinihesuisse, ou simplement absinthe,
et que l'on boit avant le repas, afin de s'aiguiser l'appétit.
On obtient cette liqueur en distillant de l'eau -de-vie sur les
sommets d'absinthe, le calamus aromaticus, la badiane,
la racine d'angélique. Cette liqueur, devenue à la mode,
produit des effets pernicieux par l'usage trop fréquent, et
des médecins lui attribuent l'accroissement des morts subites
que l'on remarque depuis quelques années.
L'absintbe chasse les charançons et les artisons du blé;
I on conseille d'en suspendre des branches dans les greniers,
i dans les armoires où il y a des étoffes de laine ou des
pelleteries, et aussi d'en poser sur les tablettes de bois que
les insectes pourraient attaquer.
ABSINTHIXE, principe particulier découvert dans
l'absinthe.
ABSOLU. Qu'est-ce que V absolu? Afin de rassurer ceux
de nos lecteurs qui n'ont point de goût prononcé pour les
abstractions de la métaphysique, et à qui l'énoncé de cette
question pourrait inspirer (jnelque frayeur, disons sur-le-
champ que Vabsolu c'est Dieu lui-même, considéré dans un
de ses attributs, l'indépendance. Absolutus, solutus ab
omni re, veut dire littéralement dégagé de tout lien, libre
de toute sujétion, indépendant. Or, cette qualité ne peut
réellement s'entendre que de Dieu, à qui seul, pour parler
comme Bossuet, appartient l'indépendance. Envisageons
les différents aspects sous lesquels la Divinité se révèle à l'es-
prit humain, et partout nous rencontrerons Vabsolu. II y
a un être nécessaire, qui ne peut dépendre d'aucun autre,
tandis que tous les autres sont sortis de son sein. Quand
on supposerait tous les êtres anéantis ou non créés, la raison
serait forcée d'admettre celui-là comme ayant toujours
existé par lui-même et ne pouvant pas ne pas exister. Cet
être qui ne reconnaît de cause d'exister que lui-même, ou
plutôt qui n'en reconnaît pas, cet être qui défie toutes les
tentatives de la raison humaine, qui survit à toutcç les sup-
positions, c'est l'Être absolu , c'est Dieu.
Vabsolu s'applique aussi à l'espace, parce que l'espace
est ce qui contient tout et n'est contenu dans rien , qui ne
souffre point de limites, qui ne cesserait pas d'exister quand
toutes les étendues relatives qu'il contient serait détruites,
qui ne dépend donc d'aucune condition. Or, qu'est-ce que
l'espace absolu, sinon Dieu considéré dans sonimmensité?
On entend de même par durée absolue celle qui s'étend
à l'infini en deçà et au delà des limites de notre existence,
qui voit passer dans son sein tous les événements, c'est-à-
dire les durées relatives, qui les voit toutes commencer et
finir sans avoir commencé et sans finir jamais. Or, qu'est-
ce encore que cette durée sans bornes, indestructible, ab-
solue en un mot, sinon Dieu considéré dans son éternité?
Un grand poète a produit cette vérité sous une admirable
formule, quand il a dit:
l'immensité, le temps,
De son être infini sont les purs éléments.
L'espace est son séjour, l'éternité son âge.
Dieu est la grande et la seule unité, et sous ce rapport il
est encore absolu. En effet, il est la seule unité à laquelle
on ne puisse ajouter ni retrancher rien. Comment ajouter
quelque chose à l'être qui possède toutes les perfections ?
comment en rien retrancher, puisque ces perfections existent
nécessairement en lui? L'unité absolue, c'est donc Dieu.
Dieu est absolu en tant qu'immuable et en tant que tûut-
puissant, puisqu'il n'existe aucune puissance capable de
limiter la sienne ou d'apporter à son être quelque change-
ment.
On dit le vrai absolu, le beau absolu, le bien absolu. Et
d'abord par vrai absolu oa entend ces vérités indestruc-
tibles,inunuables,qQ\nedépendeatà'à\icanlemi)S, d'aucun
lieu, d'aucune circonstance, comme celles-ci : tout ce qui
ABSOLU — ABSOLUTION
49
coninipnce a une cause dVxistonce; font corps est situé dans
les|)ace, etc. Or, ces abstractions, qu'on appelle vcritvs ab-
solues, doivent, en tant qu'abstractions, se rapporter à un
être, à une substame. Sera-ce à l'esprit buniain ? .Maisquand
elles seraient partie intégrante de la pensée bumaine, riiomnic
sait qu'ellesne sont pas nées aveclui, et qu'elles l'ont nécessai-
rement précédé, puisqu'elles sont élernelles. Or, si elles sont
éternelles, à quoi les rapporterons-nous, si ce n'est à la pensée
divine, au sein de laquelle elles ont toujours existéet dont elles
composent l'essence, tandisquecbezriiommc elles nesont que
des manifestations de la pensée éternelle ? Le vrai absolu, c'est
donc la pensée de Dieu, Dieu lui-même. On reconnaît cepen-
dant des vérités relatives: aussi ce point demande explication.
Les vérités relatives sont l'expression des rapports que nous
concevons pouvoir clianger ou cesser d'être. Ainsi, chaque
printemps les arbres se couvrent de feuilles , le fer attire
l'aimant, etc. : voilà des vérités contingentes ou relatives.
Ces vérités, dira-t-on, existent aussi dans la pensée divine.
Oui, sans doute, elles y existent ; mais comme les rapports
dont elles sont l'expression existent entre des êtres finis,
changeants, périssables, on conçoit que ces rapports puissent
aussi cesser d'exister, c'est-à-dire qu'ils soient relatifs, et
dès lors les vérités qui en sont l'expression dans l'esprit
humain doivent aussi être appelées relatives. .Mais c'est seu-
lement comme manifestation ou réalisation extérieure de la
pensée divine qu'elles peuvent changer et périr; car, si on
les envisage dans la pensée divine, indépendamment de leur
réalisation extérieure , elles existent de toute éternité , elles
sont absolues. C'est pour cela que Platon dit que les idées
générales sont absolues, envisagées comme types existant
éternellement dans la pensée de Dieu, et que les réalisations
de ces idées , c'est-à-dire les individus créés sur ces types
étemels, ainsi que l'idée que nous en acquérons, sont quel-
que chose de contingent, de périssable , de relatif. Ainsi ,
toutes les vérités sont absolues en tant qu'on les considère
dans la pensée divine, 'où elles existent nécessairement et
éternellement. L'objet de la pensée divine, voilà le vrai
absolu.
Il en est du beau comme du vrai. Le beau absolu n'existe
pas dans les créatures , réalisations extérieures de la pensée
divine. De même qu'il n'existe pas dans la réalité un cercle
parfait , absolu , quoique la raison en conçoive un , de même
il n'existe pas de créatures absolument belles , quoique l'ar-
tiste conçoive l'idée de beauté absolue qu'il poursuit dans
ses œuvres , et qui lui en fait produire de supérieures en
beauté à tout ce qu'ont rencontré ses regards. Or, cette idée
de beau absolu, où l'artiste l'a-t-il puisée? Dans son obser-
vation? Mais la nature ne lui présente que l'imparfait , le
relatif. Dans son imagination? Mais elle ne fait que com-
biner les éléments que lui fournit la nature. Ce ne peut être
que dans sa raison, qui seule lui suggère l'idée d'un ensemble
complètement harmonieux, dont toutes les parties sont entre
elles et avec l'unité qui les relie dans le plus parfait ac-
cord. Or, cette idée d'ordre parfait, d'harmonie suprême,
qui constitue le beau idéal ou absolu , où peut-elle résider
avant de se manifester dans l'homme, si ce n'est dans la
pensée divine , dont elle compose l'essence ?
Qu'entend-on en morale par bien absolu, sinon ces prin-
cipes fixes et immuables auxquels nous sommes moralement
obligés de conformer nos actions? Or, quels que soient nos
efforts, nos actions ne pourront jamais être une application
complète de ces principes. Nous ferons le bien , mais tou-
jours imparfaitement, et jamais nous ne réaliserons le bien
absolu dont notre raison nous révèle l'existence. Cependant,
quoique nous ne voyions en nous et autour de nous qu'im-
perfection , que relatif, nous n'en reconnaissons pas moins
l'existence d'un code invariable de justice, de lois éternelles,
que leur violation ici-bas n'empêche pas d'exister en Dieu
dans toute leur plénitude et leur gloire. Or, qu'est-ce que
ces lois absolues , si ce n'est Dieu lui-môme , décrétant de
DICT. DE LA CO.NV. — T. I.
toute éternité les lois auxquelles doivent obéir des créatures
rai-sonuables et libres?
Est-il nécessaire , après ce que nous venons de dire, d'in-
diquer la voie par laquelle l'homme s'élève à l'idée d'aô-
solu , et de signaler la raison conmie source de cette idée?
La raison en effet est dans l'homme la manifestation de
l'être divin; c'est elle qui, à l'occasion du relatif, nous le
révèle aussitôt, sans que nous puissions nous expliquer cette
étonnante révélation, mais aussi sans que nous puissions en
nier l'objet. On a dit avant nous , et à bon droit, que la né-
gation de l'absolu est la négation de toute science , de toute
morale. Cette idée est le lien qui réunit comme en un fais-
ceau toutes les autres, et leur sert de soutien et de vie, comme
Dieu lui-même est le soutien et la vie de l'univers. On a
compris de bonne heure l'importance de cette idée , mais
quelques esprits sont tombés à cet égard dans un excès dan-
gereux. Oubliant que Tliomme est réduit à reconnaître
l'existence de l'absolu sans pouvoir jamais en comprendre
la nature, qu'il doit prendre le relatif pour point de départ,
et qu'il doit chercher à s'élever sans cesse à l'absolu par le
relatif, sans espérer pouvoir jamais connaître l'absolu dans
son essence, ils ont cru devoir s'en préoccuper exclusi-
vement, pouvoir pénétrer jusqu'à sa nature; que dis-je? l'a-
percevoir par une intuition immédiate, le contempler face à
face dans l'extase. On alla même jusqu'à croire qu'on pour-
rait, à l'aide de certains procédés matériels, découvrir l'absolu
et s'en emparer. Cette croyance , moins dangereuse peut-
être que l'athéisme, son contraire, mais qui ne doit pas moins
être regardée comme une véritable folie, s'est reproduite à
plusieurs époques ( voyez jMysticisme). Il est pourtant aussi
extravagant de vouloir atteindre directement l'absolu qu'il le
serait d'en nier l'existence. C.-M. Paffk.
ABSOLUTIOX, rémission des péchés, faite par le
prêtre , au nom de Jésus-Christ , dans le sacrement de la pé-
nitence, à celui qui est dans les dispositions nécessaires pour
la recevoir. Quelques auteurs ont prétendu que dans l'an-
cienne Église on n'accordait l'absolution aux pénitents
qu'après une satisfaction publique ; mais c'est une erreur : il
n'y avait qu'un petit nombre de crùnes énormes et publics,
tels que l'idolâtrie, l'homicide et l'adultère que l'Église sou-
mit à la pénitence publique. Voyez Pénitence , Confession.
Pour les protestants l'absolution est simplement déclara-
toire. Le ministre est autorisé à l'annoncer avec confiance
aux pénitents. Admettant en effet en principe que la rémis-
sion des péchés est acquise à l'homme croyant et repentant
par le f\iit de la mort expiatoire du Christ , l'Église réformée
nie qu'il soit besoin d'autre chose pour se réconcilier avec
Dieu, lorsqu'on est tombé dans le péché, que la résipiscence
et la sincère résolution d'obéir aux commandements de Dieu
L'Église catholique, comme l'Église d'Orient, exige l'inter-
vention du prêtre , en se fondant sur cette parole de JésuS'
Christ : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remet-
trez » (Jean, XX, 21-24).
Dans le droit canonique V absolution des censures est un
acte judiciaire par lequel un juge ecclésiastique ou son délé-
gué remet dans la possession de certains biens spirituels dont
on avait été privé par l'excommunication, la suspense ou
l'interdit. Il y a encore dans l'Église l'absolution à caulèle
(ad cautelam), acte par lequel le prêtre délie des censures
dont on pouvait être lié sans le savoir; l'absolution avec re-
chute (cum reincidentia), ou celle qui se donne à un homme
lié des censures, avec modification ou limitation.
En termes de liturgie Vabsolution est ime courte prière
que dit celui qui officie, à chaque nocturne des matines, avant
les bénédictions et les leçons. Enfin , on appelle absohitions
les encensements et aspersions d'eau bénite qu'on fait sur
les corps des princes et des prélats qu'on enterre avec grande
cérémonie. Voyez Absoute.
Dans le droit crmiinel Vabsolution est le renvoi d'une
accusation. Elle est : 1° entière quand elle déclare que
50
J'accuse n'est pas coui)al)li' , et qnii n'a ciirouru aucune
peine; 9." provisionnelle , quand il n'est pas clair que l'ac-
cusé soit coupable ou qu'il soit innocent. Dans ce dernier
cas l'enquête, si plus lard il fe pnîsente de nouvelles preu-
ves, peut être continuée. La procétlure criminelle en France
et en Angleterre ne reconnaît pas dal>solution pro\ isionnelle ;
la sentence doit prononcer la cnlpaliilité ou la non-culpa-
bilité, et celte dernièi-e anéxinlit toujours l'accusation. En
Ecosse on distingue, il est vrai, la non-culpabilité et la non-
conviction ( nol provcd); mais l'elVet de la sentence est le
même dans les deux cas. Voyez Acçcittement.
ABSOLUTISÎ^IE. Dans les pays constitnt-onnels la
loi fondamentale, si elle ne consacre pas le droit du peuple à
?e gouverner lui-même par des délégués, fondés de ses pou-
voirs, et par conséquent essentiellement responsalïles , li-
mite du moins l'autorité du prince, et la nation prend une
part plus ou moins grande à l'administration de la chose
publique , en même temps que les ministres , par suite de
l'inviolabilité du souverain, sont seuls respon«ibles , de
tous les actes du gouvernement. Mais dans quelques pays ,
au contraire, le souverain n'est arrêté par aucun frein dans
l'exerc'ce de sa puissance ; il est à la fois le législateur et
l'exécuteur de la loi qu'il a faite lui-môme, et ne doit
compte de ses act'ons qu'à sa conscience. Cette puissance
illimitée du souverain , par opposition à celle qui est attri-
buée au princ« par les institutions conRtitiitionnelles , se
nomme absolutisme. Ce principe n'admet pas qu'une na-
tion puisse être régie par un contrat comme une associa-
tion particulière. L'idée que la puissance suprême est im
droit qui procède directement de Dieu est prise par Yab-
sohdisme dans son sens le plus strict, et par conséquent
toute participation aux affaires de l'État accordée soit au
peuple , soit à une caste , est considérée comme une giàce
octroyée par le prince , et non comme l'eNercicc d'un droit.
Ce qui différencie ïabsolutlsme du despotisme, c'est que
celui-ci dans tous ses actes ne consulte que son bon plaisir
ou ses caprices, taudis que celui-là a la prétention de ne
prendre jamais que le bien des peuples pour guide et de
se regarder comme lié par les lois qu'il se fait à lui-même.
Mais comme il ny a pas plus de garantie avec l'un qu'avec
l'autre , c'est avec raison qu'on a dit que le pouvoir absolu
était dangereux pour les princes et avilissant pour les peuples.
On ne peut attribuer qu'au plus profond aveuglement l'opi-
nion de ceux qui prétendent encore aujourd'hui qu'un système
de gouvernement si contraire à la raison puisse subsister
plus longtemps, et qui pensentqu'on peut résister avec succès
aux exigences impérieuses et à la voix puissante des inté-
rêts populaires. Cette résistance est désormais inutile. La né-
cessité d'appeler le peuple à prendre part à l'administration
des intérêts nationaux devient de jour en jour plus pal-
pable en tous pays. Une fois admis à cette participation, le
peuple , loin de la négliger, cherchera toujours à l'étendje
davantage ; car les progrès de son éducation polit'que lui
auront appris que ce désir est im droit. Plus on verra se
développer clic/ les peuples cette tendance à se garantir,
par un jiacte iondamenlal, contre les tentatives de l'arbi-
traire, plus il deviendra dangereux de chercher à s'opposer
par la l'orce à cette direction de Tespiit humain.
ADSORBAAiTS (du latin absorbere,ho\T^, pomper).
En médecine on désigne ainsi toutes les substances ca-
pables d'absorber, de neiitraliser un liquide imisible à l'éco-
nonïie; dans une acception plus rigoureuse les absorbants
sont des médicaments destinés à se combiner clrnvque-
ment avec des acides développés dans les voies digestives.
Lorsqu'on attribuait toutes les maladies à «les altérations
acides ou alcalines des humeurs, les médecins faisaient un
usage Irès-élendu des absorbants. On employait comme tels
une foule de ]in''paralions ayant po\ir base la magnésie, la
chaux ou leurs carbonates. C'éta'ent des yeux d'écrevisses ,
des os de poissons, des écailles dhuilres , des terres bolaires ,
ABSOLUTION — ABSORPTION
des coqii'lles d'cpnfs. Lesprc^rès delà chimie, en permettant
de substituer les substances simples aux composées, font
préférer aujourd'hui la magnésie pure ou son carbonate, ou
bien la solution aqueuse de chatix. Les bicarbonates de
potasse ou de soude possèdent les mêmes propriétés. Pour
administrer ces médicaments, il suffit s-mpleraenl de les faire
dissoudre dans un peu d'eau , ou , si l'on veut en rendre l'u-
sage plus agréable, on peut en faire des pastilles en les in-
corporant dans une quantité suRi^anle de sucre blanc et de
mucilage de gomme adragante, le tout aromatisé avec l'es-
sence de menthe, de roses , et le baume de Tolu. Telle est
la composition des tablettes de magnésie , des pastilles de
Vichy ou de d'Arcet , souvent employées chez les enfants
les (illes chlorotiques et les femmes enceintes, dont la di-
gestion est fréquemment troublée par l'uccnmulation de su'u-
stances acidos d.ms l'estoinac. Les absorbants sont encore
indiqués dans le cas d'empoisonnement par les acides con- J
centrés : alors la magnésie est préférable, puisqu'elle peut \
être prise à forte dose sans inconvénient.
Dans la chirurgie on désigne sous le nom (Tabsorbanfs
les poudres et les substances molles ei, spongieuses desti-
nées à absorber les liquides épanchés dans une cavité na-
turelle ou à la surface d'une plaie. Se trouvant continuelle-
ment en contact avec les chairs vives , les absorbants doi-
vent être dépourvus de toutes propriétés imtantes, sous
peine de provoquer de nombreux accidents. La charpie est
l'absorbant le plus usité par presque tous les chirurgiens
français. M. Mayor, de Lausanne, lui a substitué avec avan-
tage le coton cardé. Lorsqu'il s'agit d'an-êter une hémorra-
gie , l'absorbant préféré généralement est l'agaric ou l'ama-
dou. Les toiles d'ara=gnée peuvent aussi remplir cet emploi.
ABSORPTION. Ce mot désigne, quant aux organes,
laclion de puiser ou d'aspirer les substances fluides ou so-
lides du dedans ou du dehors. Cet acte physiologique a
pour instruments des vaisseaux ou des membranes. L'ab-
sorption, sans être évidente, est néanmoins certaine : elle
est démontrée par les faits, et est le fondement de plusieurs
phénonii'nes vitaux. La plante ne vit et ne s'accroît que parce
qu'elle absorbe par ses racines et par ses feuilles l'eau et
l'engrais du sol , et le carbone de l'air en décomposant le gaz
acide carbonique. Nous ne nous nourrissons nous-mêmes
que parce que les vaisseaux lymphatiques absorbent dans les
intestins le chyle qui provient des aliments digérés. La res-
piration n'est efficace qu'autant que d'autres vaisseaux ré-
pandus dans les poumons absorbent le gaz oxygène de l'air
respiré. Portion de cet oxygène se combine avec l'hydrogène
du sang veineux , et compose ces vapeurs aqueuses qui se
mêlent à l'haleine ; une autre portion s'unit au carbone du
nouveau sang pour composer du gaz acide carbonique.
Enfin , les plantes et les animaux absorbent quelque chose
de l'air; seulement cette absorption se fait dans les deux
règnes en sens inverse : ce qui provient de l'un , l'autre s'en
empare , de manière à ce qu'un juste équihbre se trouve
toujours maintenu , du moins au printemps et en été. Les
fleurs, contrairement à ce qu'on voit dans les feuilles, ab-
sorbent de l'oxygène comme les animaux , et rendent du
gaz acide carbonique au heu d'en absorber. Voilà ce qui
fait le danger des bouquets placés dans les appartements,
principalement la nuit et là oti l'on dort. Si l'on place une
rose sous une cloche bien close, on voit le lendemain matin
que l'air de cette cloche ne renferme plus la même quantité
d'oxygène, et la preuve, c'est qu'une bougie allumée s'y
éteint. Cet air en revanche renferme beaucoup de gaz
acide carboni(iue : l'eau de chaux y blanchit sous forme
de craie ; enfin , la Heur a altéré l'air à la manière d'un oi-
.seau. Chacun de nous absorbe par les poumons un pied
cul)e de gaz oxygène par heure ; c'est un fait que Lavoisier
a prouvé ily a déjà longtemps. De cent cinquante prisonniers
qui s'étaient trouvés renfermés dans une aire d'environ vingt
pieds carrés, cinquante .ai boul de six heurus avaient déjà
ABSORPTION
51
fHTilii la vie , t<ant l'absorption de l'oxygône par ces trois cent
poumons avait été abondante et rapide.
Ainsi donc , rien n'est mieux démontré ([ue l'absorption
exercée par les corps vivants. C'est en vertu de ce même
acte que Fodéré a frappé de mort des animaux en leur injec-
tant du gaz iivdrogène sulfuré dans les intestins , et que
Cbaussier eu a aspbyxié d'autres en leur plongeant le
corps entier dans le même gaz , bien que la respiration
continuât de s'accomplir avec de l'air pur. L'absorption se
retrouve en toutes nos parties. Quand elle s'exerce aux
4lépens de la graisse accumulée, nous maigrissons; si c'est
au pn-judice du tissu même des organes, ceux-ci s'atro-
jibient. Si l'absorption ne s'effectue pas à la surface bumide
des membranes séreuses, qui ne cessent de transpirer,
d'exhaler, alors il survient des hydropisies. Ce sont les deux
points lacrymaux qui absorbent les larmes : si un de ces
I)€tits porcs visibles au bord des paupières se trouve détourné
ou engorgé, aussitôt les larmes coulent sur les joues; en
se pinçant le bord libre de la paupière d'en bas , ou se fait
pleurer à volonté.
C'est à la faveur de l'absorption qu'on fait disparaître
certaines tumeurs , des glandes engorgées , des squirrbes ;
l'essentiel est de mettre en action des substances qui exci-
tent l'absorption. Maintenir ou augmenter la chaleur locale
en même temps qu'on affame les organes par la diète et
les saignées, voilà les meilleurs moyens de hâter l'absorp-
tion. Les purgatifs ont un effet analogue, de même que
l'iode , le mercure et les diurétiques. Le déplacement du
cristallin ne guérit souvent la cataracte quen vertu de
l'absorption, laquelle va quelquefois jusqu'à faire dispa-
raître ce corps spliériquc, devenu opaque et partiellement
broyé par l'aiguille qui l'a déplacé.
Le lait est la seule de nos humeurs que l'absorption ne
puisse épaissir : à l'inverse de la bile , plus il séjourne dans
les mamelles , plus il est aqueux , moins il est nourrissant;
voilà d'où vient que le lait le dernier trait est le meilleur,
et que l'enfant qui tette le plus fréquemment profite davan-
tage, à conditions égale*. La sagesse et la santé des céliba-
taires repose sur l'absorption. Voijcz Co^'TI^E^"ct:.
Si les os longs des animaux se creusent avec l'âge pour
renfermer la moelle , c'est encore un des effets de l'absorp-
tion, qui va jusqu'à faire disparaître des organes entiers.
Le ris du veau, le thymus de l'enfant, finissent par être
totalement absorbés, par disparaître. La vaccine, l'inocu-
lation, la contagion de certaines maladies, la disparition
spontanée de certains dépôts, sont autant d'etfets de l'absorp-
tion. On a vu des personnes s'enivrer uniquement pour
avoir trempé leurs mains dans du vin , ou s'en être lavé la
figure, ou quelquefois pour avoir séjourné dans des caves
ou des pressoirs. Tous nos organes absorbent, la peau
comme l'estomac, comme les poumons , l'extérieur comme
l'intérieur ; de l'arsenic placé sur la peau dénudée ou sous
la peau , dans le tissu cellulaire et entre cuir et chair,
empoisonne et disparaît par absorption de ses molécules,
comme s'il avait été introduit dans l'estomac. On peut em-
poisomier avec des frictions ou des emplâtres comme par
des breuvages. Sainte-Croix, le digne acolyte de la Brin-
■yilliers, mourut empoisonné dans son laboratoire, pour avoir
brisé le masque de verre et le tube prolongé qui préservait
ses poumons dn contact délétère des poudres qu'il prépa-
rait. Les urines deviennent alcalines après un bain d'eau.
<le Vichy, comme si cette eau avait été bue. Il suffit d'une
goutte d'acide prussique introduite dans l'œil , sur la cor-
née, pour faire périr soudainement de petits animaux.
L'extrait de belladone appliqué de la même manière et sur
le même organe faitdi!at(rr la pupille comme celles des myo-
pes ou des gens naturellement faibles.
Cette propiiété absorbante de tous les oiganes a été uti-
lisée par les médecin■^. On a quelquefois essayé de nourrir
par la peau des individu; dont Teslomac ne [louvait recevoir
aucune nourriture : on leur administrait des bains de lait,
des clyslères de bouillon. On a pu guérir la fièvre en intro-
tluisant le quincpiina sous la forme de bains ou de cata]>las-
mes. On a purgé des individus en leur frottant la peau d une
huile purgative. On a produit des boutons ressemblant à
ceux du vaccin en frictionnant certaines'partics du corps
avec une ponunade émétisée , etc. Par cette méthode , qu'on
nomme endcrmiqiic , on a souvent guéri des maladies in-
ternes au moyen de frictions médicamenteuses qui ne fran-
chissaient pas ostensiblement l'épiderme.
Mais cet acte d'absorption dont témoignent des faits si
nombreux, et qui s'exerce en tous nos organes, quels en
sont les instruments essentiels? Il est hors de doute aujour-
d'hui que les veines et les vaisseaux lymphatiques absorbent,
comme à peu près tous les tissus. Mais ces vaisseaux, mais
ces tissus absorbent-ils également et sans choix tous les
fluides et tous les matériaux de la vie, quelles qu'en soient
la forme et la nature? Cela ne parait pas être. Il y a parti-
culièrement pour chaque classe des vaisseaux absorbants
certains fluides et certains principes au puisage desquels les
ont prédestinés leur situation, leur porosité, leur capilla-
rité , la densité de leurs parois ou de leur contenu ( en raison
des lois de V endosmose, posées par M. Dutrochet); et
peut-être y a-t-il aussi une espèce d'attraction vitale, d'affi-
nité élective ou d'aveugle préférence qui , pour être cachée ,
n'en serait pas moins réelle. Il est bien certain , par exemple,
qu'il est des fluides irritants qui provoquent plus spéciale-
ment les vaisseaux lymphatiques , ainsi qu'on peut en juger
par le prompt engorgement des glandes associées à ces vais-
seaux, engorgement qui succède toujoui-s à de certaines
inoculations ou blessures. Je dirai ensuite que panni les
expériences qui ont été tentées dans le but d'établir en
quelles circonstances les veines absorbent , et dans quels
cas les lymphatiques cessent d'absorber, il eu esti beaucoup
qui ne soutiendraient pas un examen rigoureux.
De ce qu'un organe a pu suppléer un autre organe absent
ou hors d'action, ou bien de ce qu'il aura pu le seconder
alors cju'il était iasuffisaaî pour un surcroît de besogne,
serait-il judicieux d'en inférer que ce suppléant ou cet auxi-
liaire éventuel est naturellement le fonctionnaire unique,
ou du moins l'essentiel? Paice que des vaisseaux lympha-
tiques cesseront d'absorber quand on les aura isolés de tout
vaisseau sanguin , cela prouve-t-il qu'ils n'ab.^orbeut point
ordinairement, ou qu'ils n'absorbent jamais? Le calibre en
est si étroit, sait-on si le contact de l'air, si le refroidisse-
ment provenant de ce contact ne suffit pas pour resserrer
l'orifice de ces vaisseaux jusqu'à le rendre incapable d'ab-
sorber? De ce que les veines absorbent alors qu'on les a
isolées des vaisseaux lymphatiques et qu'on a détruit ceux-
ci , en conclurai-je que les veines absorbent toutes les sub-
stances et qu'elles absorbent toujours? Je m'en gardera
bien. On sait en effet que cei-tains organes n'agissent que
parce que d'autres organes se reposent ou ont été rais hors
d'état d'agir. Toute bonne expérience de physiologie , toute
expérience alléguable et probante doit placer les organes dans
les conditions de concours et de solidarité dont la vie nor-
male requiert le maintien. Mes objections, après tout, ne
sont pas nouvelles : je les ai formulées dès 1S28, et j'ai lieu
de penser qu'elles seront entendues. Toujours est-il que l'ab-
soiption s'effectue avec d'autant plus d'énergie qu'il y a
dans l'être qui absorbe plus de chaleur vitale et moins de
sang, plus de lluides dissipés jiar les exhalations et moins
de réparation nutritive, les poumons conservant d'ailleurs
leur ampleur et leur liberté.
Il s'est rencontré des physiologistes qui ont fait dépendre
toute absorption d'une sorte de succion qu'exerceraient soit
les vai.sseaux mêmes, à la manièie de certains versa ven-
touse rétractile, soit, et immédiatement, l'aspiialion inter-
mittente et centrale des poumons; mais ces causes sont à
peu près illusoires. La preuve qu'il y a succion , disait-on
52
ABSORPTION — ABSTINENCE
vers 1825, alors que M. Barry publia ses expi^riences spé-
cieuses, c'est ([u'il suffit d'appliquer une ventouse sur une
piqûre très-récente de vaccin pour empêcher Teffet de cette
inoculation, ou môme sur une morsure venimeuse de vi-
père, pour prévenir Tintroduction du venin. Mais je vérifiai
alors, en présence de mes collègues , médecins du premier
dispensaire philanthropique , la fausseté de cette assertion ,
au moins en ce qui regarde le vaccin. Il n'y a pas pins de
succion i)Our l'absorption des animaux que pour celle qu'ef-
fet tuent les plantes. L'absorption dépend, dans les deux cas
et dans les deux règnes, principalement d'une endosmose
vitale et de la capillarité. 11 y a de plus, quant aux plantes,
le puissant effet de l'exhalation des feuilles, ainsi que l'a
prouvé Haies autrefois. .AI. Boucherie a démontré depuis
la même influence de l'exhalation sur le pouvoir absorbant ,
dans les belles expériences où il abreuve des végétaux frais
et feuilles , de gros arbres encore sur pied , comme des
plantes fragiles, de différents liquides qui les colorent , les
conservent, les préservent des insectes, et qui les rendent
durs ou flexibles.
L'absorption intérieure devient Irès-énergique après la
mort , au moment où la chaleur vitale se disperse, en raison
du vide (jui s'établit alors dans les poumons et dans les ar-
tères par suite des progrès du refroidissement qui amoindrit
le volume de l'air et du sang. C'est alors que disparaissent,
jusiiu'à ne plus laisser de traces, des dépôts, des abcès, des
inliltrations, des rougeurs inflammatoires, des épanche-
ments , etc. Cet effet est plus marqué que jamais quand la
mort a été précédée d'une diète absolue et de saignées réi-
térées. Souvent , au contraire , il devient nul dans cette mort
violente où peut conduire diversement la pléthore , principa-
lement si la température de l'appartement mortuaire de-
meure très-élevée. D'' Isidore Bourdon.
ABSOUTE ( Liturgie). C'est le nom qu'on donne à la
cérémonie qui a lieu le jeudi saint , avant la messe , et dans
laquelle le célébrant récite sur le peuple une formule qui ,
dans sa teneur, ressemble beaucoup à l'absolution sacra-
mentelle de la pénitence. Depuis que la pénitence publique
est abolie, il n'y a plus d'absolution publique, telle qu'on
l'administrait aux pénitents le jeudi saint ; mais l'Église ,
voulant conserver le souvenir de ce rite antique, onadonnéà
cette absolution, qui n'est plus sacramentelle et n'opère point
la rémission des péchés, le nom à'absolta ou absoute, pour la
distinguer essentiellement de la première. La cérémonie de
l'absoute n'est donc qu'un vestige de l'ancienne absolution.
On donne pareillement le nom (Tabsoule aux prières qui
se font pour un ou plusieurs défunts , dans la cérémonie des
obsèques , immédiatement après la messe ou les vêpres et
avant l'inhumation proprement dite. 11 y a également absoute
après les services funèbres. 11 est lacile de voir que le nom
donné à cet ensemble de prières lui vient de la dernière
oraison qui les termine : Absolve, quxsumus. Domine,
animum, etc.; Absolvez, nous vous prions, ô Seigneur,
l'âme , etc. Le l'onlilical romain donne le nom d'absolution
ou d'absente à la cérémonie (pii a heu après la messe célé-
brée aux obsè(iues d'un pape, d'un cardinal, d'un prince
couronné ou d'un seigneur de paroisse. — L'Église grecque
ne pratique pas le céiémonial de l'absoute aux enterrements.
Elle reconnaît pourtant que l'excommunic-ation dont on a été
frappé i-endant la vie et sous le poids de laquelle on est mort
peut être levée.
ABSTEAIIUS l'LAinF.NT), fabuliste italien, dont le vrai
nom était Astemio , naquit dans la province dAncône.au
co:nmencement du seizième siècle. Il se fixa à Urbin, y de-
vint professeur de littératine et directeur dcia bibliothèque
ducale. Il a laissé deux recueils de fables, intitulés Hecatomij-
t/iium, ainsi qu'une traduction d'Ésope. La Fontaine lui a
emprunté quelques sujets.
ABSTE\'T10i\ (du latin nfe^(?îfre. s'éloigner; de «65,
Iwrs, tenere, tenir), rehis de prendre part àime chose. Le
juge peut s'abstenir de connaître une affaire par les motif»
qui permettent aux parties de le récuser. Voijez Ri;cls.\tion.
Après la promulgation de la loi électorale du 31 mai i850,
l'opposition avancée a proposé le système d'abstention dans
les élections, comme une sorte de protestation des électeurs
qui restaient inscrits en faveur du droit des électeurs rayés.
ABSTEMTIOA! (Bénéfice d'). On appelle ainsi dans
le droit romain la faveur que la législation prétorienne
avait accordée aux héritiers siens et nécessaires du défunt
père de famille (hseredes sui e^?7eces.ço?-/i), de rester étran-
gers à l'hérédité , pour ne pas en supporter les charges et
les dettes. Dans l'ancien droit , c'était seulement l'héritier
étranger à la famille ( extraneus ) qui pouvait ainsi répudier
une succession onéreuse. Voyez Bénéfice d'inventaire.
ABSTENTION DE LIEU. On appelle ^insi en droit
criminel le dioit qu'a le gouvernement ou un tribunal d'in-
terdire à un condamné le séjour de certaines localités. Le
Code Pénal en offre deux exemples : le premier résulte de
l'art. 44 , qui décide que l'effet du renvoi sous la surveillance
de la haute police sera, faute de fournir caution solvable de
bonne conduite, de donner au gouvernement le droit, soit
de déterminer certains lieux dans lesquels il sera interdit
au condamné de paraître après qu'il aura subi sa peine , soit
d'ordonner sa résidence continue dans telle localité. Le se-
cond exemple se trouve dans l'art. 229 du même Code, qui
donne au tribunal le droit de condamner celui qui aurait
frappé un magistrat dans l'exercice ou à l'occasion de l'exer-
cice de ses fonctions , à s'éloigner, pendant cinq à dix ans,
du lieu où siège le magistrat et d'un rayon de deux my-
riamètres.
ABSTERGEIVTS. On appelle ainsi, en médecine, des^
médicaments dune natiue savonneuse pouvant dissoudre
les concrétions résineuses et celles qui sont formées d'huile
et de terre.
ABSTINENCE (du latin «6 5e /e« ère, tenir- loin de soi),
privation volontaire ou involontaire d'une chose quelcon-
que. Lorsque l'abstinence est volontaire , et qu'elle a un but
moral, elle devient une vertu recommandée par les sages de
tous les temps. Quand elle est continue, elle prend le nom
de continence. Elle nedoit pourtant pas être portée à l'excès.
Presque toutes les religions prescrivent l'abstinence de
certains aliments à certains jours ou dans certaines saisons.
Tantôt c'est un moyen d'hygiène , tantôt c'est un devoir de
mortification. Voyez Jeûne et Maigre.
Quoique le mot abstinence puisse s'appliquer aux priva-
tions de tous plaisirs des sens, nous ne parlerons ici que de la
privation complète ou incomplète des aliments solides ou
liquides. Le premier effet de la privation prolongée des ali-r
nients est la sensation de la/oi m et de la soif. Ces besoins
non satisfaits dégénèrent en douleur, avec faiblesse de toutes
les fonctions organiques , l'absorption exceptée, faiblesse qui
se manifeste par la langueur des mouvements et de l'intelli-
gence. Plus tard, les douleurs d'estomac deviennent atroces,
la bouche est aride et brûlante, la peau sèche; les urines
sont rares et cuisantes, les yeux rouges et secs; à l'abatte-
ment universel succètle un délire variable , avec exaltation
des forces • les naufragés de la Méduse ont offert des exem-
ples de ce délire, affectaut les caractères d'une horrible féro-
cité. Cette réaction est plus ou moins prom|»tement suivie
d'un nouvel adaissement , qui persiste jusqu'à la mort, la-
quelle arrive a une époque indéterminée , au milieu des
convulsions ou par évanouissement. L'inspection du cadavre
présente un amaigrissement plus ou moins prononcé ; les
vaisseauv contiennent peu de sang; l'estomac est contracté,
revenu sur lui-même . et présente quelquefois des appa-
rences d'inflammation , le cerveau peut offrir aussi des traces
de congestion sanguine. La durée possible de l'abstinence
est extrêmement variable ; mais il ne laut pas ajouter foi
à ces histoires d'abstinence de plusieurs mois , si ce n'est en
cas de maladie. Certains animaux, tels (jue la marmotte.
ABSTINENCE
ABUS
5S
restent, il est \Tai, toul^ une saison sans prendre daliments ;
mais celte faculté est particulii^re aux animaux lithernants.
Dans l'espiVe humaine, les individus jeunes et vii;ourenx
succonUtent en gênerai plus promptement que les vieillards
et les sujets débiles : 1 histoire àX j; o 1 i u survivant à ses en-
fants est un fait vraisemblable. L'abstinence des aliments
solides est mieux supportée sous rinlluence de la chaleur
que sous celle du froid ; c'est l'inverse pour les aliments
liquides. Les elfets de l'abstinence incomplète ne différent
des précédents que par moins d'intensité. L'abstinence est
un moyen dont la médecine retire de précieux avantages.
Voyez Diète. ^' FonoET.
ABSTI\EXTS, hérétiques qui , sur la fin du troisième
siècle, se montrèrent en Gaule et en Espagne. C'était une es-
pèce de manichéens qui , sans adopter toutes les erreurs
df Manès , lui empruntaient seulement l'horreur du mariage
et de la chair. Ils condamnaient l'usage de la viande, et
soutenaient que le Saint-Esprit avait été créé , tandis que
Manès se contentait de lui assigner l'air pour résidence.
ABSTRACTION, ABSTRAIT Tout ce qui existe
dans la nature est complexe. Les plus simples éléments
auxquels puisse parvenir l'analyse chimique sont encore
divisibles pai- la pensée. Ils sont étendus, figurés , impéné-
trables, pesants, colorés, sapides, etc. Aucune qualité ne
peut exister seule ; on en tiouve toujours un certain nombre
réunies ensemble , et toutes supposent un sujet dans lequel
elles existent. Cependant nous pouvons penser à une seule
qualité sans penser à celles au nâilieu desquelles elle existe,
ni au sujet qui les réunit toutes. Nous parlons de la beauté,
de la laideur, de la chaleur, du froid, sans parler des êtres
qui contiennent ces qualités. Ou appelle abstraits tout objet
d idée que notre esprit sépare et isole ainsi du tout dont
il fait partie et auquel il est invinciblement lié dans la na-
tme. Cette définition pourrait être, au besoin, justifiée par
l'étymologie du mot, qui est bien fait. Abstractus signifie
en effet retiré, séparé de. Le concret est le contraire de
l'abstrait. Voyez. Concret.
On nonune abstraction la faculté qui permet à l'esprit
de dégager ainsi du tout un de ses éléments, et l'on donne
aussi le même nom à l'objet que la pensée a enlevé, pour
ainsi dire , au tout auquel il appartient. Il y a bien des
sortes d'abstractions, et chaiiue scieuce a les siennes ; mais
on eu distingue deux sortes principales, les abstractions des
sens et les abstractions de l'esprit. Les abstractions des
sens sont toutes les qualités de la matière, dont l'analyse
constitue les sciences physiques. Les abstractions de t' esprit
sont, par exemple, les différents faits du moi, faits affectifs,
faits intellectuels, faits volontaires, qui constituent la psy-
chologie, ou bien les idées que fournit la raison, comme l'idée
d'absolu, de relatif, de nécessaire, de contingent, d'être, de
cause, de substance; lesquelles idées constituent l'ontolo-
gie, ou bien les rapports de toute sorte qui se retrouvent
dans toutes les sciences.
On voit par ce que nous venons de dire que c'est un vé-
ritable préjugé que de confondre l'abstrait avec ce qui est
obscur ou difficile à comprendre. Le professeur qiji expose
les différentes propriétés d'un coi-ps simple fait passer l'esprit
par une série d'abstractions ; car qu'est-ce autre chose que
ces propriétés qu'il décrit? Or, qu'y a-t-il deplussaisissable
que de pareilles tliéories? Il y a encore un autre préjugé qui
consiste à croire que la philosophie s'occupe d'abstractions
plus que tout autre science ; ainsi , l'on entend dire tous les
jours : les théories abstraites, le langage abstrait de la phi-
losophie. Ici on confond évidemment l'abstrait avec l'intel-
lectuel, et l'on donne exclusivement la dénomination A'abs-
trait à ce qui ne tombe point sous les sens. La philosophie
ne s'occupe d'abstractions ni plus ni moins que la physique;
seulement elle s'occupe de faits immatériels que la con-
science seule ]ieul atteindre, et qui ne sont point du domaine
du monde extérieur. Mais s'ils sont d'une étude plus dilli-
cile , ce dont nous convenons sans peine , ce n'est pas qu'ils
soient plus abstraits que ceux dont s'occupent les sciences
piiysiipies, c'est qu'ils font partie de ce monde invisible qui
ne peut se mesurer ou s'analyser à l'aide de procédés maté-
riels, et dont les parties ne peuvent venir se ranger dans
une galerie d'histoire naturelle.
L'abstraction est un des pouvoirs les plus admirables et
les plus précieux de l'esprit hmuain ; car sans elle point de
sciences, point de langiige. Si l'esprit humain était borné au
concret, l'humanité serait impossible. Sans l'abstraction ,
l'homme n'aurait pu dey,ager un fait du milieu concret où il
existe, pour le considérer à part, en démêler les éléments,
en étudier les rapports avec d'autres faits, et s'élever à l'idée
de sa loi. En un mot, sans abstraction point d'analyse, sans
analyse point de connaissance proprement dite , point de
science. Sans l'abstraction, que seraient les sciences mathé-
matiques, les seules qui, à proprement parler, ne vivent que
d'idées abstraites ? Car qu'est-ce que le nombre, qu'est-ce
que l'étendue, le point, la ligne, la surface , sinon des abs-
tractions? Sans l'abstraction, où en serait le langage? En
supposant même que l'homme eût pu attacher un signe aux
idées des objets concrets qui l'entourent, que serait-ce qu'un
langage composé uniquement de pareils mots, si l'homme
ne pouvait concevoir et exprimer par des signes distincts
les rapports qu'il perçoit entre ses idées ? Il n'y aurait pas
de propositions, c'est-à-dire pas de sens possible dans un
tel langage ; car parler, c'est exprimer un jugement. Or, tout
jugement, comme on sait, se compose de trois abstractions.
Mais si l'on n'avait pu faire ces abstractions , c'est-à-dire
concevoir séparément le sujet, la qualité et le rapport de la
qualité au sujet, à plus forte raison n'aurait-on pu les ex-
primer séparément. En un mot, puisque parler, c'est ana-
lyser des abstractions, retirer à l'homme le pouvoir d'abs-
traire, c'est lui interdire le langage. Il est vrai que le lan-
gage est lui-même indispensable pour que les abstractions
se maintiennent dans l'esprit ; car si l'esprit ne les fixait
par des signes, ces idées absti-aites retourneraient bientôt
au concret d'où elles ont été tirées. Mais si le langage de-
vient une condition du maintien des idées abstraites dans
l'esprit, il n'est pas moins vrai que l'abstraction a été pri-
mitivement une condition d'existence pour le langage. En
effet, comment l'homme aurait-il pu imposer aux idées abs-
traites les signes qui les représentent, s'il n'avait pas eu
d'idées abstraites? C.-M. Paffe.
ABSURDITÉ, ABSURDE, mots dérivés de ab et de
surdus, au propre ce qui vient d'un somd. Comme les sourds
courent facilement le risque de dire quelque chose qui
n'a pas de rapport à la question qu'on agite, on donne la
qualification (Tabsurde et d'absurdité à ce qui n'a pas
le sens comnuui, à ce qui est ridicule.
Dans le langage rigoureusement scientifique de la philoso-
pliie et des mathématiques on n'appelle absurde que ce qui
contient en soi-même une contradiction ( voyez Paradoxe;,
ou bien qui est contraire à une vérité évidente par elle-
même. Parmi les vérités scientifiques, les unes sont évi-
dentes par elles-mêmes, ce sont les principes, les autres re-
çoivent leur évidence de celle des principes à l'aide du rai-
sonnement, ce sont les conséquences. Ce qui est contraire
aux principes est abszirde ; ce qui est contraire aux consé-
quences est seulement /fi (fj;.
Dans les sciences exactes la (/(^mons^ra^ion^ffr l'absurde
consiste à supposer d'abord le conti'aire de ce qui est vrai
et à faire voir que de cette hypothèse résulte une consé-
quence contraire à un principe préalable. En dehors des
mathématiques, cette démonstration s'emploie de la même
manière pour faire ressortir d'une hypothèse contraire à la
vérité une conséquence contraire au sens commun.
ABSYRTE. Voyez AncoNACTEs.
ABUS. Le Dictionnaire de l'Académie définit ainsi
ce mot : « Ur^age mauvais, excessif ou injuste de quelque
54
AIj c s
'. chose. .. lise dit aussi absolument pour signifier Désordre,
» usage pernicieux. >> La dcfinition de Voltaire n'est pas
moins bonne : « Vice atta( bë à tons les usages, à toutes les
« lois, à toutes les institutions des iiomuies : le détail nVn
a pourrait être contenu dans aiicnne bibliothèque. » — Je
n'eut: eiirendrai pas de moissonner dans un champ si vaste,
j'y vais seulement filaner quelques traits.
Les abus gouvernent les Ktats, a-t-on dit depuislojiglemps ;
on peut ajouter qu'ils dirif^ent tontes les profess'ons , et
«pi'ils sont le mobile de la plupart des actions privées. Quel
abus n'a-t-on pr.s fait de la religion ? quel abus n'en fait-on
pas encore? Léon X faisait vendre des indulgences, des por-
tions du ciel, par ks moines augustins. Un. moine d'une
auti-e robe trouva mauvais que son couvent n'eût pas été
préféré pour le monopole de cet abus sacrilège. Ce moine
avait de la véhémence, de l'énergie , de la ténacité ; il eut
aussi le bonheur de naître à propos, dans un temps où la
naïve et morale Germanie était lasse des scandales de Uome,
et grAce ;i Luther une m'sérable querelle entre deux ordres
mendiants, une rivalité iVabîis amena la grande rp/brme
reUgieuse de r.\lleraagne et du nord de l'Europe. Mais Cal-
vin faisant brûler IMicbel Servet , n'était-ce pas là aussi un
étrange ab^is ?
Naguère en France, bien qu'on n'espérât pas nous rendre
les antiques croyances de nos pères , on avait ramené une
pallie des alnts de l'Église et du sacerdoce. Pour cela il n'é-
tait pas besoin de foi, mais seulement de matière imposable
et de conscrits, dont on faisait des prêtres. Ce dernier bap-
tême d'or, d'intrigue et d^ibus, a été pour le vieux catholi-
cisme une persécution cent fois pire que tous les massacres
de la révolution.
En fait de religion^ les abus tout neufs sont peu dange-
reux : ils sautent trop à l'œil ; ce sont seulement les vieilles
superstitions, les \ ieux abus qui sont dangereux :
Plus l'abus est iniliqne et plus il csl sacre.
(Voltaire, las Guèhics , tragédie.)
Et les abus en politique! la carrière est immense. Heu-
reux l'État qui est le moins iufecté de cette contagion !
Opliraiis illc est
Qui miuimis urgetur
(HORVCE, Sut. )
Maxime sage et ^Taie; mais on s'en est emparé, et Voltaire
tout le premier, pour défendre les vieux abus de certains
États. Je doute qu'aujourd'hui il opposât le gouvernement
des Chinois et des Japonais aux réformateurs politiques.
>'otre siècle, qui ne croit rien sur parole, et q\ii , giàce à
Voltaire lui-môme , est sous ce rapport en état de battre sa
nourrice, commenterait par lui demander : Connaissez-vous
quelque chose à ces gouvernements, à cet état social, que
vous nous citez pour modèle et prototype d'un bon ré-
gime politique. Je doute qu'aujourd'hui S'oltaire fit sonner
si haut l'excellence du gouvernem.ent d'Angleterre. Le secret
d'être encore mieux que les autres avec des abus énormes
n'est plus un secret de stabilité pom- aucun gouvernement.
Dans un gouvernement absolu, la royauté couvre tous les
abus, ou pour mieux dire, elle est le graud abus d'où tous
les autres dérivent. Tant qu'elle est assez forte pour les maî-
triser, !.out va fort bien pour elle, et passablement pour les
peiq>les. Mais le moment vient où, réduite à n'être plus que
là complice des abus secondaires, elle tombe ; et c'est notre
histoire au temps où un poëte disait de Louis XVI sur le
trône :
Se croyant un ;ibns , il ne voudra plus rètre.
Dans un gouvernement mixte, où trois pouvoirs, royauté,
aristocratie, démocratie, sont en présence, si c'est l'aris-
tocratie qui a foiulé celte liction politique, si c'est l'aris-
tocratie qui l'emporte, connue en .\nglelerre, la royauté
se soumet d'assez bonne grâce à n'être que la seconde. Si.
connue en France, c'est la démocratie qui a concpiis une
des trois places, la royauté, tantôt flatteuse, tantôt cour-
roucée, s'attache à diviser, et veut à toute torce usurper la
piemière. La chose n'est pas diltic'le avec la glo're mili-
ta re d'un Napoléon : ici les abus se cachent sous les lau-
riers. Le peuple peut bien se résigner. La chose est une in-
solence de la part de tout autre : alors le gouvernement
tout entier devient un abus. En présence d'un système re-
présentait' élevé sur les bras du peuple en 1789 et i8:jo,
on parlait encore de système héréditaire, abus, déception
que ce mot là.
En 1S14, à la suite d'un despotisme militaire dont on a
trop oublié l'insupportable intensité, il y avait de la finesse
à se diic à la fois légitime et octroyeur de charte : c'était
une plaisanterie de bon goi'it. Nombre d'hommes d'hon-
neur et d'esprit la prirent au sérieux ; mais les sottises deu
-AI. de Blacas , la bascule de M. Decazes , les fiuasseres de-
M. de Villèle, et l'illuminisme despotique de M. de Poli-
gnac , les ont désabusés un peu plus tôt un peu plus tard.
Louis XVIlI,roi par la grâce de Dieu, en accordant aux
besoins du siècle une charte de progrès , comptait bien se
réserver à la fois les avantages de l'absolutisme et la bonne*
grâce des concessions généreuses. Sans doute il avait trop,
d'esprit pour espérer que cela tiendrait longtemps après
lui ; mais il est mort aux Tuileries ; il rep-ose aujourd'hui à
Saint -Denis, sitr la Uième marche où pourrissait Louis XV.
C'est ce qu'il voulait. Oh ! le bou temps que le règne de
Louis XVI II pour les abus modifiés, atténués, mais pul-
lulant, multipliant partout, grâce à ces majorités ai-isto-
crates , qui , selon un graud ennemi des abus, « ont l'art
d'an-acher les vêtements et le pain à ceux qui sèment le blé
et préparent la laine; l'art d'accumuler tous les trésoi-s
d'une nation entière dans les coffres de cinq à six cents
personnes. » (Voltaire.)
Après la révolution de juillet c'est une charte qui octroya
un roi : le peuple n'eut rien à voir dans cette affaire. Mo-
narchie meilleure des républiques , mots étonnés de se
trouver ensemble, mensonges qui se combattaient; enlin,
abus de mots.
On nous a prouvé en politique que, par un éiran^e abus
de la chose et du mot , cet adage de la sagesse , médium
tene, c'est-à-dire, tenez un j».s^e milieu, pouvait devenir le
grand cheval de bataille d'un macbiavél'sme presque tou-
jours risible. Mallieur au nouveau gouvernement qui n'en
finit pas tout d'un coup avec les abus de celui qui l'a pré-
cédé. Ces vieux abus étaient peut-être tolérables quand
ils émana'ent d'un vieux principe ; mais que dire d'mi gou-
vernement qui aflcctionne de préféience les abus en oppo-
sition manifeste avec le principe de son existence?
Administration, faut-il le dire, presqtje îoujourir syno-
nyme à\ibus, et cela ne peut guère être auti-ement. L'ad-
ministration n'est autre chose qu'une délégation du pou-
voir, embarrassé par l'extrême étendue de ses attributions
et de ses rappoits. Des abus dans l'administration sont
l'effet inhérent à la cause même de sa création , qui est
l'impuissance et l'éloignement du souverain.; puis la ma-
nie que les gouvernants et les conunis ont de confondre le
gouvernement avec ladmiuistration. De l'adjuinistration
sont nées la bureaucratie et la centralisation , qui sont au-
jourd'hui pour la France deux fléaux bien tenaces; car
elles ont survécu depuis 17S9 à toutes les révolutions; que
dis-je! elles se sont étendues, multipliées, et pour em-
prunter les énergiques expressions de M. Lcjuontey , « elles
ont éparpillé leur monopole, engendré des myriades de
commis , dévoré le domaine public, comme cette armée de
Xerxès, dont le passage tarissait les eaux. « Sans doute il
est des abus auvquels il ne faut opposer que la tolérance
philosophique. Jamais vous ne rendrez certains administra-
teurs moins brusques envers les contribuables , plus polis,
moins dédaigneux. Il faut bien prendre son parti sur
une foule d'irrégularités et de négligences administratives
ABUS
.s 5
dont l'homme privé lui-même se rend coiipahlc dans la
gestion de ses propres alTaires ; mais , si t oiis voyez un
fonctiûunaiienucounaitie la loi , aller au delà de ses attri-
butions, autoriser de sa sijinature des marchés onéreux à
rÉt;it, criez à Vabiis, et vous auniz rempli la tâdie d'nn hon
citoyen. Il est aussi dans les administrations <les ahiis de
Camille et d'intérieur, dans le dél<v'l destjuels je ne daijjiu'-
rai pas descendre ; ils nie conduiraient au mot ahus de con-
fiance, que le Code Pénal caractérise beaucoup mieux que
je ne jiourrais le faire, \oltaire parle quelque part des
abus qui régnaient de son tt»nips à PHùtel-Dieu de
Paris, abus dont une honue partie a heureusement dis-
paru. 11 rappelle que le^ administrateurs de l'Hôtel-
Dieu portaient en ct)nipte la valeur de cinquante livres
pour diaque malade, ou mort ou guéri. IJnecompagnic pro-
posa de gérer pour cinquante livres seulement par gué-
rison , offrant de prendre les morts à sa charge. Une pro-
position si helle uc fut point acceptée , et Voltaire ajoute :
« Tout ahus qu'on veut réformer est le patrimoine de ceux
qui ont plus de crédit que les réformateurs. »
Cet axiome contient tout le secret de la perpétuité des
abus. Tant de fariiiUes honnêtes en vivent, et dépensent
utilement, honorablement, l'argent que leur procurent les
abus 1 D'ailleurs , ou aime assez peu les réformateurs :
presque tous commencent par demander une place pour
être à même d'opérer leurs réformes , et cette demande
préalable vient décréditer leurs beaux projets. Le réforma-
teur obticnt-il d'arriver- au pouvoir, il échoue comme Tur-
got : il devient la bête noire des courtisans,des princes ,
d'une reine ou dévote ou avide de plaisirs et de dépenses.
L'anirt-'é, toujours flottante, du prince ne tarde pas à aban-
donner leministre philosophe. Le réformateur fait-il comme
tant d'antres : uiîe fois nanti d'un bon poste , tronve-t-il
tout pour le mieux dans l'administration ou dans le gou-
vernement, le peuple le silfle ; mais lui s'applaudi' en sup-
putant sou or, en comptant les courtisans qui )\împlissent
ses salons , en s'enivrant de ces jouissances si propres à
endormir la conscience d'un parvenu.
Et les démagogues donc 1 croyez-vous que chez eux il
n'y ait pas abus des choses et des mots? Partisan du pou-
voir, si chacun de tes discours Uatteurs est un.e pétition à la
chambre, j'aperçois sous ton masque , fougueux tribun du
peuple, que tu ne tonnes contre les abus que parce que tu
veux te mettre à la place de ceux qui les exploitent pour
les exploiter à ton tour. Faut-il donc désespérer et du pays
et de l'humanité? ^on pas; il est bon que les méchants se
comballeat entre eux. Dans les attaques, dans les répliques, il
se dit des choses dont l'opinion fait son profit, des vérités qui
instruisent le peuple, et dont le peuple s'armera plus tard pour
éloigner aussi hien les faux amis qui Vont abusé que les gou-
vernants qui abusent ouvertement de lui et de son argent.
On peut dire d'un courtisan qui trouve à bien vivre et
à faire son chemin sous tous les régimes : « 11 vit des abus,
mais il n'abuse pas de son crédit. »
Dans le temple des lois que d'abus ! Je ne parle pas des
juges cupides qui vendent la justice , qui tendent la main
aux plaideurs. Cet abus, que dis-je ! ce crime est plus rare
que jamais , grâce à la publicité des débats ; mais s'il existe
encore aujourd'hui des juges , très-probes comme hommes
privés , ([lii mettent leurs passions politiques dans la ba-
lance de la justice, il y a abus, abus criminel ! — Autre
abus du temple de Thémis : ce pédantisme judiciaire qui
porte les juges et les bommci; du parquet à voir partout
des coupables, à outrer les rigueurs delà loi. Voyez ces
mêmes juges hors de leurs fonctions , vous les trouverez
doux , complaisants , agréables. Kt la faconde inépuisable
des avocats ; et leur fausse logique, abtis. abus! Et ces
procureurs qui, sous le nom d'avoués, vivent aujourd'hui si
noblement, si grandement aux dépens des plaideius , abus,
abus, toujours abus !
Et ces docteurs fameux, dont le scalpel aventureux semble
avoir sondé toutes les mines du Potose ! et ce médecin à
piirap/uie, qui ne vous donne jamais que l'adresse de stm
apothicaire ! Et ce Galien en cabriolet , qui vous fait dix
visites pour une ! Et ce malade pour qui le médecin est un
dieu quand il souffre, et devient un créancier qu'on salue
à peine quand la santé est revenue! Et ce libraire qui vous
vend le nom des auteurs et non pas leurs ouvrages ! Et
ces aristarques qui élèvent aux nues ou abîment un livre
sans l'avoir ouvert! Et ces auteurs qui reçoivent tout
f.iits des écrits qu'on leur paye ! Et ces députés qui ont de
l'éloquence qu'ils payent tant la feuille à un publiciste
ignoré! Abus, abus! — Et ces instituteurs qui montrent ce
qu'ils ne savent pas! Ces commis universitaires qui osent
substituer leur monopole aux droits imprescriptibles des
pères de famille! abus que tout cela! Dans la philosophie
que d'abus! Tel se dit philosophe, parce qu'il écrit sur la
morale , qui ne vaut pas mieux que les tartufes de religion.
Si plus d'un grand dévot a été un grand misérable , j'ai
connu et dans l'histoire et dans le monde plus d'un grand
philosophe qui n'avait rien à lui envier sous ce rapport.
JVous consolerons-nous d'un abus par l'autre ? iMon , dans
notre sage impartialité , blâmons également l'abus de la re-
ligion et l'abus de la philosophie. Ch. Du Rozoir.
ABUS (Appel comme d'). On nomme ainsi le droit que
la loi accorde de poursuivre devant le Conseil d'État les su-
périeurs et autres personnes ecclésiastiques, dans certaines
circonstances. Selon la loi du 18 germinal au X, les cas d'a-
bus sont « l'usurpation ou l'excès de pouvoir, la contraven-
tion aux lois et règlements de la république, l'infraction des
règles consacrées par les canons reçus en France, l'attentat
aux libertés, franchises et coutumes de l'Église gallicane,
et toute entreprise ou tout procédé qui, dans l'exercice du
culte, peut compromettre l'honneur des citoyens, troubler
arbitrairement leur conscience, dégénérer contre eux en op-
pression, ou en injure, ou en scandale public. « L'article 7 de
la même loi porte qu'il y aura pareillement recours au Con-
seil d'État s'il est porté atteinte à l'exercice public du culte
et à la liberté que les lois et les règlements garantissent à
ses ministres. L'acticle 8, après avoir disposé que le recours
compétera à toute personne intéressée , et qu'à défaut de
plainte particulière, il sera exercé d'office par les préfets,
ajoute, pour régler la foniie du recours et fixer l'étendue des
pouvoirs du Conseil d'État : « Le fonctionnaire public, l'ecclé-
siastique ou la personne qui voudra exercer ce recours adies-
sera un mémoire détaillé et signé au conseiller d'État chargé
de toutes les affaires concernant les cultes ( aujourd'hui au
ministre des cultes ) , lequel sera tenu de prendre dans le
plus court délai tous les renseignements convenables; et, sur
son l'apport, l'affaire sera suivie et définitivement terminée
dans la forme administrative, ou renvoyée suivant l'exigence
des cas aux autorités compétentes. »
L'appel comme d'abus n'est pas seulement ouvert contre
les ministres du culte catholique. Il est évident qu'il doit
s'appliquer aussi ])ien aux ministres du culte protestant et
aux ministres du culte juif.
L'appel comme d'abus est donc à la fois une garantie
pour les inférieurs elles particuliers contre les empiétements
du clergé, et surtout un frein remis au pouvoir civil pour
arrêter l'accroissement de la puissance cléricale. Cependant
dans ses arrêts le Conseil d'Etat se borne à déclarer qu'il y a
abus, mais sans ajouter aucune sanction pénale. Dans ses
Questions de Droit Administratif, M. deCormenin établit
que s'il s'agit de crimes ou délits commis par des ecclésias-
tiques envers des particuhers dans l'exercice du culte, c'est
aux tribunaux à statuer, après autorisation préalable du
Conseil d'Éîat. D'autres pensent que le prêtre n'est pas un
fonctionnaire public, et que celle autorisation n'est pas né-
cessaire. S'il s'agit de fautes contre la discipline de l'Église ou
dedélils purement spirituels, c'est aux officialités diocésaines
5 fi
à appliquer les peines définies parles canon
ai!x officiers inétioijolitains. S'il s'aç^itd'iiMirpation oud'excès
de pouvoir, ou de contraventions aux lois et rè^;lements de
l'einiiire par voie de mandements, sermons, lettres pastora-
les, etc., le Conseil d'État peut, sur la d("lation de l'autoiiK'',
déclarer l'abus de cesactes et prononcer leursuppression. S'il
s'agit des réclamations d'un ecclésiastiiiue contre l'acte de
son supérieur qui tendrait à le priver de ses traitements,
fonctions et avantages civils et temporels, le recours comme
d'ahus serait ouvert au second degré devant le même tri-
bunal. INIais s'il s'agit de refiisde sépulture et de sacrements,
l'autorité civile na, selon M. deCormenin, aucune juridiction
à exercer. Celte dernière opinion e^t très-controversée , et
le Conseil d'État a décidé le contraire en J 838, en déclarant
abusif le refus de sépulture fait au comte de Montlosier.
Quoi qu'il en .soit, les appels comme d'abus ont pris une cer-
taine imporfancedans les derniers temps de la nionarcliie par
les déclarations que le Conseil d'État fit contre différent-
mandements d'évC-ques qui attaquaient les institutions à
propos de la lutte pour la liberté de lenseignement. Le 26
octobre 18:>0 le Conseil d'État avait supprimé un mandement
de l'évèque de Poitiers publiant dans les églises paroissiales
de son diocèse im bref du pape sans l'autorisation préalable.
On fait romoiiler l'origine du recours à l'autoritédes prin-
ces contre les abus de pouvoir des j'.iges ecclésiastiques au
règne de Constantin. Saint Athanase demandant à cet em-
pereur ch itien de réfonner la condamnation prononcée
contre lui par le concile de Tyr en fournit le premier exem-
ple. Sous nos rois, saint Louis, accordant auv évêques de
faire i oursuivre ceux qui vivaient excommuniés, réserva
expressément à la puissance civile le droit d'examiner les sen-
tences prononcées par l'autorité ecclésiastique ; de là la pro-
cédure qui fut appelée (['abord plainfe au roi, puis appel
réfjulicr au parlement , et euiin appel comme d'abus.
L'iii^foire fournit une foule d'à ij lications de cette législation
qui bridait sans scandale, selo.i l'expr, ssion de Pasquier, la
puissance des prélats. Le cle: -é demanda plusieurs fois que
les cas où l'appel comme d'abus pou^ait être exercé fussent
fixés d'une manière précise; ma'S la législation dut toujours
rcslervagueeu des matières au-si subtiles. En 1813 un décret
attribua aux cours impériales la connaissance des affaires
connues sous le nom d appels comme d'abus ; mais depuis la
restauration la jurisprudence regarda ce décret connne nul.
ABUS D'AUTORITÉ. C'est l'acte d'un fonctionnaire
qui méconnaît ou outre-passe son pouvoir. — Sous la ré-
publique romaine les abus d'autorité étaient réprimés avec la
plus grande sévérité. Quelques ordonnances des rois de France
ont aussi précisé les cas d'abus d'autorité et indiqué la mar-
cbc à suivre pour attaquer les fonctionnaires. Aux termes
du Code Pénal les abus d'autorité se divisent en deux classes:
Abus d'autorité contre les particuliers, abus d'autorité
contre la chose publique. Il y a abus d'autorité contre les
personnes : 1° quand un fonctionnaire s'introduit dans le do-
mi( ile d'un citoyen liors les cas prévus par la loi et sans les
formalités qu'elle a prescrites ; 2" quand il refuse de rendre la
justice (voyez Déni de Justice ); .3" quand sans motifs légiti-
mes il use de violence envers les personnes dans l'exercice de
ses fonctions ; 4" quand il commet ou facilite la suppression
ou l'ouverture de lettres confiées à la poste. 11 y a abus d'au-
torité contre la cbose publique quancî un fonctionnaire pu-
blic, agent ou préposé du goiivememcnt, de quelque état ou
grade qu'il soit, requiert ou ordonne, fait requérir ou ordonner
l'action ou l'emploi de la force publique contre l'exécution
d'une loi ou contre la perception d'une contribution légale
ou contre l'exécution soit d'une ordonnance ou mandat de
justice , soit de tout autre ordre émané de l'autorité légi-
time.
ABUS DE COXFIAJXCE. 11 y a abus de confiance,
aux termes du Code Pénal ( art. 40(i et suivants) : i° lors-
qu'on abuse des besoins, des faiblesses ou des passions d'un
ABUS — ABUSER
sauf le recours mineur pour lui faire souscrire à son préjudice des obliga-
tions, quittances ou décliarges [lour prêt d'argent, de choses
mobilières, etc., sous quelque forme que cette négociation ait
été déguisée : la peine est de deux mois à deux ans; 2° lots-
qu'abusant d'un blanc-seing on a frauduleusement écrit
au-dessus une obligation ou décbarge , ou tout autre acte
pouvant compromettre la personne du signataire ; il y a de
plus crime de faux; 3° lor.'jqu'on a détourné ou dissipé
au préjudice des propriétaires , possesseurs et détenteurs ,
des eflets , deniers , marchandises , billets, quittances ou
tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou dé-
charge , s'ils n'avaient été remis qu'à titre de louage , de
dépôt , de mandat , ou pour un travail salarié ou non sa-
larié, à la charge de les rendre ou de les représenter, ou
d'en faire un usage ou un emploi déterminé : la peine est de
deux mois à deux ans d'emprisonnement ; et si le coupable
est homme de service à gages , élève , clerc , commis , ou-
vrier, compagnon ou apprenti de la personne à l'égard de
qui l'abus a été commis , la peine est la réclusion ;
4" lorsqu'après avoir produit dans une contestation judi-
ciaire une pièce quelconque, on l'aurait soustraite ensuite
de quelque manière que ce soit : la peine est d'une amende
de vingt-cinq à trois cents francs.
ABUS DES j\IOTS , fausse application qu'on en fait,
en les détournant de leur vrai sens. « Les livres, comme
les conversations, dit Voltaire, nous donnent rarement des
idées précises. Rien n'est si commun que de lire et de conver-
ser inutilement. » C'est pour cela que Locke a tant recom-
mandé de définir les termes. En effet que de disputes pour
des mots qu'on n'entend pas mieux souvent d'un côté qiie
de l'autre ! « Dans toutes les disputes sur la liberté, dit en-
core Voltaire , un argumentant entend presque toujours une
chose et son adversaire une autre. Un troisième sunient
qui n'entend le premier ni le second , et qui n'en est pas
entendu. Dans les disputes sur la liberté , l'un a dans la tête
la puissance d'agir, l'autre la puissance de vouloir, le dernier
le désir d'exécuter; ils courent tous trois, chacun dans son
cercle, et ne se rencontrent jamais. Il en est de même des
querelles sur la grâce. Qui peut comprendre sa nature , ses
opérations, et la suffisante qui ne suffit pas, et l'efficace à la-
quelle on résiste"? » L'abus des mots repose presque toujours
sur l 'équivoque. Mais c'est surtout une équivoque volon-
taire. Il est donc du plus grand intérêt de donner des mots
des définitions rigoureuses. Malheureusement quand les idées
ne sont pas claires, les expressions ne peuvent pas l'être,
et de là des querelles, des combats pour des mots que per-
sonne ne comprend , mais qui cachent souvent des passions
et des intérêts.
ABUSER. Comme verbe neutre , ce mot signifie user
avec excès , faire mauvais usage , faire tourner à son profit.
Abuser de sa fortune, d'un droit, d'une permission, de la pa-
tience, de la bonté de quelqu'un. « Ma iiWe, j'abuse de vous,
écrit madame de Sévigné, voyez quels fagots je vous conte. »
« L'homme abuse également et des animaux et des hom-
mes, )> dit Buffon. L'Académie, d'accord avec le Code,
définit la propriété « le droit d'user et d'abuser. » Abuser
(V une femme , d'une fille , c'est en jouir sans l'avoir épou-
sée. « 11 faut être bien malhonnête homme, dit le Diction-
naire de Trévoux, pour abuser de la femme de son ami et
de la fille de son hôte. » — A l'actif le verbe abuser signifie
tromper, en se servant de l'influence ou de l'empire que
donnent l'ignorance, la simplicité, la confiance d'autrui.
« Il vous promet cela, il vous abuse, » dit l'Académie. Les
faux proj>hètes, les charlatans afnisent les peuples, » ajoute
Trévoux. Les passions, l'imagination , l'amour-propre nous
abusent. — Abtiser tine fille, c'est la tromper par de
fausses promesses. On s'abuse par prévention c^u par
défaut de jugement. La jeunesse et la vieillesse s'abusent
souvent, parce que chaque Age a ses passions, ses illusions.
Abuser de soi-même , c'est se livrer à la funeste pratique
ABUSER — ABYSSIME
de la masturbation. — Du verbe abuser on a fait le sub-
stantif «^K.fPHr, pour (lualifier celui qui trompe, qui abuse.
ABYDOS. Nom que portèrent deux ville> de l'antiquité.
L'ime, située dans l'.Vsie .Mineure, à l'endroit le plus res-
serré de rHellespont, \is-ii-vis de Sestos en liurope, est cé-
lèl)re par les amours d'Héro et de Léandre et par le pont
de bateaux que Xerxès y fit jeter. Elle porte aujourd'hui le
nom de yagara Baroiin , et , comme toute la cote , elle est
hérissée de batteries qui dominent les Dardanelles.
— L'autre Abydos, aujourd'hui Mod/ouneh (c'est-à-dire la
ville enterrée ), se trouve en Égyjite, sur la rive gauciie du
Kil, au sud de Ptolémais. Elle fut autrefois la première ville
de l'Egypte après Thèbes; mais déjà du temps de Strabon ce
n'était plus qu'un village. Ce n'est plus maintenant qu'une
ruine, où l'on voit encore des peintures et des hiéroglyphes
remarquables. C'est laque fut trouvée, en ISIS, la fameuse
table chronologique dite Table des prénoms d'Âbydos, où
les anciens pharaons sont désignés par leurs noms royaux.
ABYME, que le Dictionnaire de V Académie écrit
abime, bien que ce mot vienne du grec âousao; , ce qui n'a
point de fond, ce qu'on ne peut pénétrer, s'entend générale-
ment d'un gouffre très-profond, où l'on se perd, d'où l'on ne
peut sortir. Au physique comme au moral, ce mot emporte
avec lui l'idée d'une profondeujr immense jusqu'où l'on ne
saurait paiTcnir.
La Genèse ( VII , 1 1 ) mentionne l'abyme comme un vaste
gouffre qui , toutes ses sources ayant été rompues, répandit
à la face de la terre une moitié des eaux du déluge , dont
l'autre moitié résulta des cataractes du ciel , ouvertes en
même temps. L'Apocalypse ( IX, 6, 10 ) fait de l'abyme un
puits dont la clef fut donnée à une étoile tombée du ciel,
et qui l'ouvrit. Il s'éleva de ce puits une fumée comme celle
d'une fournaise, d'où provinrent des espèces de sauterelles
semblables à des chevaux de combat , avec des couronnes
d'or, des visages d'homme , des cheveux de femme , des
cuirasses de fer et une queue de scorpion. Il est conséquem-
ment indubitable que l'abyme du commencement de la
Bible , où les flots épurateurs de l'espèce humaine rentrè-
rent après que les méchants furent noyés , est demeuré le
grand réservoir dont nos puits artésiens démontrent l'exis-
tence, tandis que celui que désigne la fin de la même Bible,
étant au contraire un foyer d'embrasement , ne peut être
qu'un soupirail de cette région incandescente avouée par
les plus savants géologues , qui s'étend à vingt ou trente
lieues d'épaisseur sous nos pas , et dont les éruptions vol-
caniques sont également d'évidents témoignages. — Quant
aux sauterelles sorties de la fumée de l'abyme , de graves
docteurs de l'Église, à qui nous devons de si lucides com-
mentaires sur des livres qu'on doit révérer d'autant plus
qu'on les comprend moins , de grands docteurs , disons-
nous, y reconnaissent les hérétiques. Pour eux, l'étoile qui
donna à proprement parler la clef des champs à de si étran-
ges bêtes fut la figure palpable de Luther.
L'n naturaliste qui a traité sous un autre point de vue le
mot abyme dans un dictionnaire spécial le définit de la sorte :
« GoufTre profond , dont l'imagination se plait à exagérer
« l'immensité , et qui pour le vulgaire communique aux
« entrailles de notre planète , parce que certaine mytho-
« logie fait mention d'un puits ténébreux d'où sortirent
« tour à tour des masses d'eau et d'épaisses fumées. Ces
« prétendus abymes ne sont guère que des grottes obscures,
« des trous plus ou moins considérables dans lesquels on
« n'ose pénétrer, d'antiques excavations s'enfonçant dans
« le sol d'une façon plus ou moins verticale , des cratères
« de volcans éteints , des lacs enfoncés dans quelque étroite
•< et rude vallée que la sonde aurait inutilement interrogés;
« de tels accidents de terr dn , généralement superficiels ,
•< sont trop peu importants dans l'histoire physique du globe
« poiu- mériter l'attention du savant et rpie nous perdions
« du temps à les examiner ici , les récits exagérés de cer-
OICT. DE L.^ CO.NVtKSATlON. — T. I.
« tains voyageurs et la crédulité des ignorants leur ayant
« donné toute leur célébrité. » On voit par ce passage que
l'abyme n'avait pas la même importance aux yeux de celui
à qui nous venons d'emprunter quelques lignes , qu'à ceux
des Calmet ou des Lachetardie.
BOKY DE Saint-Vincf.ST , de l'Académie des Sciences.
— Le mot abyme s'emploie aussi figurément en parlant
des choses impénétrables à l'esprit humain. C'est ainsi
qu'on dit que les jugements de Dieu sont des abymes.
En termes de blason , on dit d'une pièce qui est au milieu
de l'écu et ne charge ni ne touche aucune autre pièce,
qu'elle est en abyme. Exemple : Il porte d'azur à trois
étoiles d'or, un croissant d'argent mis en abyme. Un petit
écu au milieu d'un grand est en abyme.
ABY'SSIXIE ou IIABESCH. C'est, dans le sens le
plus large , le territoire du grand plateau oriental de l'Afri-
que centrale, qui s'élève en terrasses, au nord-est de la mer
Rouge, dans la direction du sud-ouest, qui s'abaisse au nord
dans les basses terres marécageuses et boisées de la Kolla
ou Mazaga, et à l'ouest dans les plaines de Sennaar et de
Kordofan ; qui est borné à l'est par les côtes sablonneuses de
la Samhara, sur la mer Rouge, et par le pays d'Adel, sur le
golfe d'Aden, mais qui au sud est demeuré en partie encore
à peu près inconnu. Cette contrée se compose d'une succes-
sion de plateaux, avec de profondes fondrières, du milieu des-
quelles s'élèvent à pic des terrasses de grès désignées sous le
nom (WLmbas. Les plateaux sont traversés par de nombreu-
ses chaînes de montagnes , le plus ordinairement d'origine
volcanique, qui atteignent leur plus haut degré de hauteur
dans les provinces de Simen et de Godjam, où elles s'élèvent
jusqu'à 3,700 mèti'es. Cest en .Vbyssinie que le Xil prend
sa source. Dans la direction du sud coule le Hawasch,
fleuve à peu près inconnu. Le grand plateau renferme aussi
divers lacs dont le plus considérable est le lac de Tzana, que
traverse le Ml Bleu. Dans la région des montagnes le cli-
mat est sain et tempéré; sur les côtes sablonneuses de l'est,
de même que dans les marécages du nord et du nord-ouest,
où la chaleur est étouffante , il est malsain. La région des
montagnes n'offre pas , au point de vue des productions du
règne animal et du règne végétal, une différence moins frap-
pante avec la contrée des basses terres que sous le rapport du
climat. La grande masse de la population se compose d'Abys-
sins, descendants des anciens Éthiopiens qui peuplèrent l'E-
gypte en passant par Méroe et en descendant le Nil. Quoique
ce soit là une antique race aborigène, les Abyssins n'appar-
tiennent cependant pas à la race nègre. Si en effet ils pré-
sentent toutes les variétés et toutes les nuances de la cou-
leur brune , leurs longs cheveux , le type de leur visage, qui
se rapproche beaucoup de celui de l'Arabe , leur belle con-
formation physique et leur langue , qui offre beaucoup d'a-
nalogie avec les langues sémitiijues, prouvent qu'ils appar-
tiennent à la race caucasienne, et spécialement à la famille
sémitique , formant le point de transition à la race nègre
d'Afrique.
Les productions du sol del'Abyssinie sont variées et abon-
dantes. Elle donne du froment, de l'orge , du millet et sur-
tout une espèce de céréale nommée te(f par les habitants,
dont elle est la nourriture principale. Dans les parties les plus
basses, où le teff même ne peut plus être cultivé, le cousso,
autre espèce particulière de grain, fournit un pain noir dont
se nourrit la classe inférieure des habitants. Toutes les cé-
réales donnent au moins deux récoltes par an. Parmi les
autres produits végétaux de l'Abyssinie on cite le coton,
l'arbre à myrrhe, le figuier, le citronnier, l'oranger et la
canne à sucre; dans quelques parties on trouve le dattier et
la vigne; le papyrus croît dans les lacs et rivières. La fige
d'une espèce de pabnier, nouuné ensdfé, qui croît en tiès-
grande abondance, donne la nourriture végétale la plus es-
timée des habitants. Les animaux domesticpies sont le che-
val, le mulet, l'âne et le bœuf, élevés en grand nombre.
ABYSSIN! E
Parir.i les grandes espèces d'animaux sauvages , lYl(''phant,
le rhinocéros, l'antilope, le bulile, la hyène, liiippopolame et
le crocoilile sont les plus répandues ; dans certaines parties
on rencontre le lion et le léopard. Les abeilles fournissent un
produit tres-iuii>orlant au commerce et à la consommation.
Le produit minéral le pins remarquable est le sel, que Ton
exploite au sud-est de Tigré, dans une vaste plaine où il
forme une couche de plus de deux pieds d'épaisseur.
Si les documents qu'on possède sur l'iiistoire primitive de
l'Abyssinie sont remplis de fables , ils n'en établissent pas
nioins d'une manière irréfragable que ses habitants appar-
tiennent aux peuples de la terre qui ont le i)lus tôt été civi-
lisés. Les Abyssins apparaissent pour la première fois dans
riii.-toireii propos de Teuipire d'Ax um. Le christianisme tut
introduit chez eux vers le milieu du quatrième siècle, et il se
répandit bientôt dans toute l'Abyssinie. Sous la domination
des Axumites, l'empire d'Abyssinie atteignit l'apogée de sa
grandeur et de sa prospérité, auxquelles les progrès toujours
croissants de l'islajnisme netardèrentpas à mettre un terme.
Dès lors commencèrent entre les Abyssins et l'islamisme des
luttes qui dureut encore aujourd'iiui, et qui eurent pour ré-
sultat de réduire de plus eu plus le territoire de r.\byssi-
nie. C'est ainsi que les populations de la côte de la Sam-
hara et du pays d'Adel embrassèrent le mahométisme. A
partir du seizième siècle, époque oii l'Abyssinie ne se com-
posait déjà plus que de la région des plateaux , commencè-
rent les irruptions des Gallas, peuple sauvage originaire des
contrées du sud et offraut beaucoup de ressemblance avec
la race nègre, qui arracha à cet empire un lambeau de terri-
toire après l'autre, qui y commit les plus horribles dévasta-
tions et le précipita ainsi dans une barbarie de plus en plus
grande. Au moyen âge, les souverains abyssins, qa\ portaient
le titre de ncgiis, avaient constamment entretenu, depuis
l'époque des croisades, quelques rapports avec l' Europe; et
à partir de la fin du quinzième siècle ils eurent des rela-
tions plus directes surtout avec le Portugal. Cette circons-
tance-lit concevoir à la cour de Rome le projet de conver-
tir les Abyssins au catholicisme. L'activité combinée des
Poi-tugais et des jésuites réussit effectivement, dans la se-
conde moitié du seizième siècle, à exercer en Abyssiuie une
influence notable, et qui s'explique par les services signalés
que les premiers eurent occasion de rendre aux souverains
(l'Abyssinie dans leurs guerres contre les mahoraétans et les
Gallas. Cette influence fut telle, qu'en 1603 la famille royale
tout entière embrassa le catholicisme, et l'antique Église
chrétienne d'Abyssinie s'unit à l'Église de Rome et recoimut
sa suprématie. 11 en résulta des luttes intérieures, parce
que le peujile persista à demeurer fidèle à son ancienne li-
turgie ; et le calme ne se rétablit dans le pays que lorsque
le roi Socinius eut abjuré les dogmes de l'Église de Rome et
expulsé de ses États ou fait périr en f6:52 les prêtres ca-
tholiques. Depuis lors la cour de Rome n'a pas cessé de
faire des tentatives pour recouvrer son ancienne inHuence
en Abyssinie ; et ses efforts ont surtout été grands dans ces
derniei-s temps, lorsqu'elle vit des missionnaires allemands
et anglais chercher à gagner les Abyssins au protestantisme.
A ces rivalités religieuses se sont jointes les rivalités poli-
tiques de la France et de l'Angleterre; aussi de nos jours
l'Abyssinie est elle le théâtre dune lutte des plus acharnées
entre les émissaires et missionnaires franco-catholiques et
anglo-protestants qui inondent le pays.
A la suite des dévastations commises par les Gallas et de
l'anarchie complète dans laquelle les discordes religieuses
ont jeté le pays , le roi ou négus n'a plus conservé que
l'ombre de la puissance , tandis que les ras ou gouverneurs
de provinces se sont rendus en fait souverains ijidépendanls,
chacun dans son gouvernement, lien résulte que l'.Vbyssinic
forme aujourd'hui trois lltalsprincipaux, indépendants l'un de
l'autre : celui de Tigré, qui conqiren.d la partie nord-est du
plaleau, entre le Taca/zé et le mont Simen dun côté, et la
Samhara de l'autre , avec les villes d'Antalow et d'Adana;
celui de Gondnr ou AWmara, qui comprend le territoire
situé a l'ouest du ïacazzé et du mont Simen , avec Gondar
pour capitale ; enfin celui de Choa et ù'EJùt , situé au sud
des deux autres, avec Ankobar pour capitale. On compte en
outre plusieurs petits princes abyssins à peu près indépen-
dants. Les peuplades Gallas qui ont pénétré, sous les or-
dres de chefs particuhers jusqu'au cœur de l'Abyssinie cl
qui en ont soumis plusieurs provinces, sont bien autrement
importantes. Les Gallas dominent surtout au sud du plateau,
où ils entourent presque complètement le royaume de Choa
et d'Efàt , qui tout récemment cependant a réussi à leur re-
prendre de nombreuses parties de territoire. Les mœurs des
diverses peuplades Gallas différent beaucoup suivant le de-
gré de civilisation auquel elles sont parvenues. Un grand
nombre sont devenues fixes et sédentaires, et n'ont pu échap-
per à l'action bienfaisante de la civilisation abyssinienne,
notamment celles qui habitent au centre du pays et dout
quelques-unes ont même embrassé le cl»ristiani.sme. D'au-
tres, au contraire, ont conservé jusque aujourd'hui leur bar-
; barie et leur férocité primitives ; cependant il semble que
dans ces derniers temps elles aient beaucoup perdu de leur
puissance.
Indépendamment des Abyssins et des Gallas , le plateau
de l'Abyssinie est encore habité, dans la province de Simen,
par des Juifs Talaclias, lesquels descendent vraisemblable-
ment de Juifs qui , après la destruction de Jérusalem par
Titus , abandonnèrent leur patrie pour venir s'établir dans
ces contrées, ainsi que par des peuplades nègres qui , sous le
nom de Changallas, forment la population de la partie occi-
dentale de la région des mont&gnes , du Jiar-el-Bertàt et du
Fassokl, de même que des terres basses et marécageuses du
ilord. La côte de Samhara est habitée par les peuplades
nomades des Danakil , qui professent lïslamisme et habi-
tent, comme la plupart des Changallas , des cavernes. Ceux
d'entre eux qui vivent au nord de Samhara, sont gouvejués
par un naib reconnaissant la suzeraineté de la Porte et qui
a pour résidence Artiko , poit de mer situé en face de Tilc
de Massouah, appaileuant au pacha d'iigypte. Il faut encore
citer comme dignes de remarque les contrées de Kafia et de
Xarea, qu'on ne connaît que par de fort anciennes relations,
et qui sont situées au sud, sur un plateau entouré d'une chaîne
de montagnes. Elles forment l'extrémité méridionale du pla-
teau de l'Abyssinie, le point de partage des eaux du Mil et
du Cébé, (|ui y prend sa source et va se jeter dans l'océan
Indien, et sont vraisemblablement bornées au sud par les
plaines de l'intérieur de l'Afrique et à l'est par- la profonde
vallée de Djiudjiro. Complètement environnés par les hor-
des Gallas , leurs habitants , race aussi remarquable sous le
rapport physique que sous le rapport intellectuel, qui a sa
langue particulière , dont la couleur n'est pas plus foncée que
celle des Européens du sud, et dont la valeur égale la loyauté,
ont réussi à conserver leur indépendance.
Par suite des dissensions intérieures dont l'Abyssinie est
le théâtre et des guerres conlinueUes avec les Gallas, ce pays
se trouve aujourd'hui dans un état de ruine et de misère
complètes, qui y étouffe de plus en plus les éléments de la
civilisation ancienne, et qui a tellement démoralisé la nation
abvssinienne, remarquaLle cependant par les heureuses fa-
cultés physiques et intellectuelles dont l'a douée la nature,
que toutes les relations s'accordent à la représenter comme
superlativement rusée et de mauvaise foi. La situation
du royaume de Choa et d'Efàt est encore celle qui est la
plus satisfaisante. La population y est plus nombreuse, le
sol mieux cultivé, la tranquillité intérieure mieux assurée
que dans les autres p;uties de r.\byssinie. Les Abyssins
.sont chrétiens, sans doute, mais leur cliristianisme ne con-
siste guère que dans l'observation rigoureuse des cérémonies
du culte extérieur ; et, quoique très-nombreux, leur clergé
s'occupe beaucoup de subtilités dogmatiques; ce sont des
ABYSSINIE
rhiéticns tros-tiMes, à en juger par les idées qui dominent
généralement itarnii eux.
Les Abyssins ont une littérature inuticulicre, qui remonte
à une haute antiquité et consiste en ouvrages et en chro-
niques ecclésiasticiues, dont les plus importants sont la traduc-
tion de la liiblefl celle du Tairk-ycijusfiti, ou Chronique des
rois. Deux dialectes principaux sont aujourd'hui en \igiieur
en Abyssinie : la langue tigré, dans le royaume du même
nom, provenant de l'ancienne jcc.s, et la langue f/»j//«?ï7,
en usage aussi dans le royaume du même nom ainsi que
dans le sud de l'Abyssinie, qui se rattache bien à la famille
des langues sémitiques; toutes deux cependant dillèrent
beaucoup Tune de l'autre, circonstance qui send)lerait indi-
quer que les Abyssins se composent de deux races ditl'é-
rentes quoique voisines. Les juifs de Simen ont leur langue
à eux, de même que les autres peuplades fixées en Abys-
sinie.
Le commerce avec l'Abyssinie se borne aujourd'hui encore
à l'exportation de l'or, de l'ivoire , des cornes de rhinocéros
et à la vente des esclaves ; il a lieu surtout par Arliko et
Massouali pour le Tigré, et par Zéila pour le Choa et l'Efât.
L'industrie des Abyssins consiste surtout dans la fabrica-
tion des étolfes de coton, des cuirs et du fer. Consultez les
différents ouvrages de Ludolf relatifs à rÉthiopie et à la
langue éthiopienne ; Yenhidcira infonnacion das terras
do preste loam, par le P. Alvarez ; la Relacion do Em-
baijco da , etc., par Bermudez, ainsi que les relations de
voyages de Bnice, Sait, Pearce, Ruppel, Gobât, Schimper,
Abbadie, Comlîes et Tamisier, etc.
ABYSSIJXIE (Église d'). Les chrétiens d' Abyssinie pro-
fessent des doctrines monophysites. Cette Église rattache
son origine à Tapôtre saint Mathieu; mais elle ne remonte
pas au delà de Constantin le Grand. Depuis cette époque l'É-
glise d' Abyssinie demeura subordonnée à celle d'Alexan-
drie. Aujourd'hui elle se rapproche par ses rits et sa disci-
pline de l'Église grecque, tout en conservant quelques pra-
tiques juives, comme la circoncision, le choix des viandes,
les purifications, l'observation du samedi, etc. Elle a de
plus conservé des premiers temps du christianisme les aga-
pes et le baptême des adultes. Le baptême y est ordinaire-
ment suivi de la communion, à laquelle personne n'est admis
avant Tùge de vingt-cinq ans , les Abyssins pensant qu'avant
cet âge le fidèle ne commet pas de véritables péchés. Ce qui
distingue l'Église d' Abyssinie de l'Église catholique, c'est
principalement le dogme d'une seule nature, c'est-à-dire une
sorte de fusion de la nature humaine et de la natine divine
en Jésus-Christ. L'Eglise abyssinienne a pour chef nominal
le négus; elle est gouvernée par un métropolitain appelé
Papa ou Abonna (c'est-à-diie notre père), que nomme
toujours le patriarche copte d'.Uexandrie. Leurs églises sont
nombreuses. Les plus anciennes sont taillées dans le roc vif.
Celles dont la construction est plus moderne sont en général
plus petites, rondes et coniques, avec des toits en chaume,
situées sur des éminences, dans le voisinage d'une eau cou-
rante, qui sert au baptême , et entourées de cèdres. Dans le
sanctuaire est placé l'autel, dont la forme est celle de l'arche
d'alliance de l'Ancien Testament. Ils n'y tolèrent ni statues
ni bas-reliefs, maison y voit force tableaux. Le service divin
consiste principalement dans la lecture de passages delà Bi-
bfe, <!ans laquelle ils admettent aussi des livres apocryphes,
et dans l'administi ation des sacrements. Leurs prêtres sont
au total très-ignorants. Us peuvent se marier, et sont divisés
en homosars, ou |)rêtres séculiers, en ubbus, ou docteurs
es écriture, et en moines. Parmi ces derniers, ^lui se latta-
cbent à la congrégation de Saint-Ahtoine , il existe, deux
classes , dont l'une garde le célibat et vil dans des cloîtres,
observant une règle très-scvcre, et dont l'autre se marie, et
se livre à la pratique de l'agricuiture et de ioute espèce
d'industrie. Une circonstance remarcpiahie, c'est que l'É-
glise d'.Abyssinie permet au souverain la polygamie.
- ACACIUS 59
A-". C". (Tribunal de r).On n'est pas d'accord sur la véri-
table signification de ce nom que porte un tribunal des États
pontificaux. Suivant les uns, ces lettres A. C. (que l'on pro-
nonce en italien a-teJié), veulent dire augusta consulta ;
selon le plus grand nombre, elles sont l'abréviation des mots
auditoris curin, ou bien ouditor camcrœ. Cette cour est
en effet présidée par un évêque, auditeur de la chambre apos-
tolique ; c'est l'un des quatre prélats qui sont promus de dioit
au cardinalat après la cessation de leurs (onctions. 11 a trois
assesseurs ecclésiastiques , le trésorier papal , le gouverneur
de Rome et un autre supérieur ecclésiastique. On les appelle
prelati di Jlocchito , parce qu'ils portent à leur toque une
houppe distinctive , et cette même houppe est ajoutée à la
livrée de leurs gens. Les assesseurs laïques sont au nombre
de cinq ; ils doivent avoir été reçus avocats. — Jadis , le
tribunal de r.\.*. C.\ n'était composé que de trois prélats;
il jouissait de grandes prérogatives. Cette chambre repré-
sentait en quelque sorte le pouvoir temporel du pape ; elle
avait dans ses attributions le trésor, la fiscalité et la haute
administration de la justice. On pouvait de tous les tribu-
naux de province appeler à l'A.-. C.-. Il était même libre à
tout plaideur de province de décliner la juridiction locale
et de faire porter le procès à Rome. C'était une source de
forts émoluments pour les avocats immatriculés à l'A.'. C.".,
mais une source de ruine pour les plaideurs. — Cet état de
choses a subi depuis l'édiî de 1 831 des changements notables.
Les juges de l'A.-. C*. n'ont plus de pouvoir que sur la ville
de Rome etson arrondissement territorial (comarclio). Deux
des.juges laïques, présidés par le prélat auditeur ou son
délégué , décident sans appel les causes dont l'importance
n'excède pas cinq cents écus romains. Trois prélats et trois
juges laïques composent, pour les affaires plus graves, ce
qu'on appelle la congi'égation civile de l'A.-. C.-. La con-
grégation se subdivise en deux chambres. L'appel des dé-
cisions de l'une est porté à l'autre. La rota romana , com-
posée entièrement de prélats, qu'on appelle auditeurs de
rote, forme le tribunal d'appel du troisième degré. Au-
dessus encore on trouve la cour de la signatura.
ACACIA (de àxô, pointe; ou, suivant d'autres, d'à-
y.a-/.{a, sans malice, parce que la piqûre des épines de
ce végétal n'est suivie d'aucun accident fâcheux ). Tl y a
deux sortes d'acacias, l'acacia du vulgaire et l'acacia des
savants. Le premier, ou faxix acacia, porte dans la science
le nom de robinier. C'est sous ce nom que nous en trai-
terons. L'acacia de la science, dont nous devons nous
occuper ici , est un genre de plantes de la famille • des
légumineuses. Dans le système de Linné acacia est sy-
nonyme de mimense. Quoi qu'il en soit, le genre acacia
conqirend environ trois cents espèces , dont la plupart
croissent dans les contrées tropicales de l'ancien et du
nouveau monde. En général elles sont remarquables par
la dureté de leur bois et les produits qu'elles fournissent
à la thérapeutique. Nous citerons Yacacia catechu, ori-p
ginaire de l'Inde, dont on tire un suc très-astringent qui,
évaporé à siccité , constitue ce qu'on appelle la terre de
Japon et le cachou ; Yacacia inga , dont l'écorce est pré-
conisée parles Américains comme un médicament tonique et
astringent. Vacacia d'Ehrenberg, Yacacia Segul , Yacacia
vrai , Yacacia d'Arabie fournissent la gomme arabique.
Vacacia verek , et Yacacia AWdanson, arbres qui crois-
sent sur la rive septentrionale de la Gambie , fournissent la
gomme du Sénégal. Dans nos pays on multiplie les acacias
par leurs graines, qu'il faut semer, au counnencement du
piintemps, sur une bonne couche chaude; on les trans-
plante ensuite plusieurs fois et on les traite connue les
plantes des pays fropicauv. Les espèces vivaces subsistent
en hiver dans les serres <:haudes. Les feuilles des acacias
présentent des phénomènes ♦•tonnants de sensibilité.
ACAClLfS , évêque de Césarée en 340, adopta l'hérésie
d'Arius, en la modifiant sur quelques points, et fut le chel
8.
60
de la seclc dos acaciens. 11 usa de son indiienco sur rcni-
percur Constance pour persécuter rKi^lise orthodoxe. C'est à
sou instigation que saint Cyrille fui déposé et que le pape
Lii)èie (lut se résigner à Texil.
ACADÉMIE {Hisloire pitilosophïqne). C'était un
einplacenienl situé dans un des faubourgs d'Alliènos, sur la
route de Téia, à un mille environ de la ville. Son nom lui
venait , dit-on, d'.\cadémus, contemporain de Thésée, qui
l'avait légué à la répuhli(iue pour en faire un gymnase. Le
terrain marécageux sur leciuel le gynmase fut en effet bâti
se convertit insensihlemeut en un beau jardin. Cimon le fit
dessécher au moyen d'un aqueduc, l'orna de fontaines, Tem-
bellit de statues, et y fit planter des platanes. Platon pos-
sédait une propriété non loin de ce gymnase ; ses disciples
s'y réunissaient, et chaque jour Platon venait leur exposer
ses doctrines à l'ombre des beaux arbres qui ornaient ce
lieu : de là les noms (Vacadémie et d'acadcinicicns, donnés
à son école et à ses sectateurs. Les variations qui modifiè-
rent les doctrines de l'académie font diviser son histoire en
trois époques principales : celle de Vancieniie académie,
dont Platon est le chef; celle de la moijcnne académie
dont le fondateur est Arcésilas; celle de la nouvelle aca-
démie, due à Carnéade.
Entré dans la voie nouvelle où Socrate avait conduit
la iiiiilosophie, Platon devint le fondateur du ratio-
nalisme. Tourné vers le monde moral, il dirigea toutes
ses recherches de ce côté ; sans nier l'existence de la ma-
tière, il reconnut la supériorité de l'intelligence sur elle;
il vit que les idées , quoique pouvant nous venir à l'oc-
casion de l'action de la matière sur nos organes, sont
par leur nature indépendantes de la matière , et que
par leur origine elles se rattachent à un principe di-
vin , la raison , que le premier il désigna par ces mots
ô TiaXaiô; Xôyoç. Suivant lui le monde matériel est l'image
du monde moral, où sont les idées éternelles. Chaque être
a été créé à l'image d'un type idéal dont la copie exacte
est la réalisation du beau. De la vue du beau naît l'amour,
comme de la conscience du bien naît la vertu, qui pour
être pratiquée a besoin de la liberté. Tels sont les dogmes
généraux du rationalisme de Platon. Aristote, disciple de
Platon, s'écarta des principes de son maître; et, portant dans
l'étude des idées une analyse plus savante et plus pré-
cise, il fonda la doctrine du sensualisme. C'est donc du
sein de l'académie que sont soilies les deux doctrines qui
depuis l'origine de la philosophie jusqu'à nos jours se par-
tagent l'empire de l'intelligence.
Les principaux élèves de l'ancienne académie, après
Aristote , furent Speusippe d'Athènes , Xénocrate de Clial-
cédoine, Polémon d'Oète, Crantor de Soles, et Cratès d'A-
thènes , qui en développèrent surtout les princii>es moraiix
et politiques. Cicéron, parmi les Piomains, peut être compté
au nombre des académiciens, quoiqu'il n'ait emprunté à
l'école de Platon qu'une partie de ses doctrines, qu'il avait
puisées à différentes sources et arrêtées suivant ses propres
convictions.
Le rationalisme de Platon était destiné à tomber dans
les exagérations presque mystiques du néoplatonisme,
qui attribue toutes les notions propres à l'intelligence hu-
maine non plus à son activité, mais à une intuition in-
térieure , à la lumière divine qui l'éclairé. Cependant
Arcésilas de Pitane ( 244 av. J. C. ) entreprit de réformer
l'ancienne académie, et devint lui-même le chef de la
moyenne. Voulant combattre le dogmatisme des stoïciens ,
il soumit les principes de leur enseignement à un examen
sceptique, et les conclusions de ses recherches furejit que la
nature ne nous a donné aucune règle de vérité, que les
sens et l'entendement humain ne peuvent rien comprendre
de vrai; qu'en toutes choses il se trouvedes raisons contrai-
res d'une force égale, et que par conséquent il faut toujours
suspendre son jugement. Lacyde fut le seul qui défendit la
ACACIUS — ACADÉMIE
\
doctrine d'Arcésilas; il la transmit à Évandre, qui fut son
disciple avec beaucoup d'autres. Kvandre la fit passer à
Ilégésimc , et llégésime à Carnéade. Les correctifs que ce
philosophe fit subir à la doctrine d'Arcésilas, quoique très-
légers, ont néanmoins suffi pour qu'on le regardât comme
le fondateur de la nouvelle ou troisième académie. Philon,
disciple de Clitomaque , qui l'avait été de Carnéade, et An-
tiochus, disciple de Philon, furent les chefs d'une quatrième
et d'une cinquième académie, et ne tirent que varier le
fond des doctrines sceptiques de leurs maîtres.
Cicéron avait donné le nom à'' Académie à une maison de
campagne, où il avait coutume de converser avec ses amis
qui avaient du goîjt pour les entretiens philosophiques.
ACADÉMIE ( Hisloire littéraire ). Ce mot a été em-
prunté aux Grecs, chez qui il désignait un vaste empla-
cement qu'un citoyen nommé Académus avait autrefois
possédé. Voici comment l'abbé Barthélémy décrit la méta-
morphose de ce lieu , au temps du voyage de son jeune
Anacharsis : « On y voit maintenant un gymnase et un
jardin entouré de murs , orné de promenades couvertes
et charmantes , embelli par des eaux qui coulent à l'ombre
des platanes et de plusieurs autres espèces d'arbres. A l'en-
trée est l'autel de l'Amour et la statue de ce dieu ; dans
l'intérieur sont les statues de plusieurs autres divinités. Non
loin de là Platon a fixé sa résidence auprès d'un petit
temple qu'il a consacré aux ]\Iuses. » Les derniers traits
de cette description , à laquelle il manque le groupe des
Grâces à côté des vierges du Parnasse , semblent expliquer
d'avance cette philosophie rêveuse, passionnée, quelquefois
sublime , qui se composait d'imagination , d'amour, de culte
pour les dieux , de poésie , et prêtait à la science le charme
de la plus suave éloquence. L'école de Platon prit le nom
d'Académie , du lieu où des disciples enthousiastes l'écou-
taient , suspendus à chacune des paroles d'or qui sortaient
de ses lèvres.
Plusieurs autres académies s'élevèrent à Athènes , mais
aucune d'elles ne put balancer la renommée de celle du
maître , sur qui se réfléchissait un rayon de la gloire et de
la vertu, de l'immortel Socrate. IMais peut-être le musée d'A-
thènes représente-t-il mieux l'idée que nous avons conçue
d'une académie. Ce musée était un temple consacré aux
Muses, bâti au pied d'une colline située dans l'ancienne en-
ceinte de la ville , en face de la citadelle. Là se réunissaient
les savants , les poètes , les philosophes , pour faire, entre
eux l'échange des lumières.
Ptolémée , le premier des Soter ou' dieux sauveurs de
l'Egypte , l'un des plus habiles capitaines d'Alexandre , et
presque digne de lui succéder, si quelqu'un avait pu suc-
céder à la fortune et à l'empire du plus grand des rois ,
fonda le musée devenu si célèbre dans l'histoire sous le
nom d'École d'Alexandrie. Ce prince prit un soin parti-
culier d'y rassembler lui-même tous les hommes distingués
de son siècle, en leur confiant la mission de s'appliquer à la
recherche des vérités philosophiques , et d'étendre le do-
maine des sciences , des lettres et des arts. Le perfectionne-
ment social était le but de cette académie ; conçue sur un
plan plus vaste et plus utile que celle de Platon, elle servit
longtemps de foyer d'instruction et de point de centre à
tous les savants, à tous les poètes de la terre, qui s'asso-
ciaient à ses travaux par la correspondance , ou venaient
en personne déposer leurs tributs dans son sein. Théocrfte,
l'un des sept poètes qui , comme autant d'étoiles , compo-
saient la fameuse pléiade d'Alexandrie , a célébré dans une
espèce d'hynme la généreuse et noble protection accordée
aux lettres par le fils de Lagus ; mais comment son entiiou-
siasme d'artiste et sa reconnaissance éclairée ont-ils pu lui
permettre de garder le silence sur une création si belle et
si favorable au culte de toutes les Cluses? Quel sujet pour
un poète que d'avoir à peindre et à prédire les bienfaits et
la gloire d'une institution destinée à rassembler et à aug-
AGÂDKMIE
61
menttM- le<; lumières clc<; ppiiplcs ! Tons les rois de TKïiypte
se inontit'teut fulèles aux vues lUi l'oiniateur de récole d'A-
lexaiulrie , qui, piotéjjée ensuite par les IU)uiains, enlre
autres par Tenipereur Claude , continua pendant des siècles
de remplir saj;rande destinat'on. Si cette Ecole ne lit pas ce
que la nature seule peut faire, des lionmies de ^lénie, elle rendit
un plus grand service peut-être, en contribuant à instruire
le inonde, et surtout en conservant les connaissances lin-
niainesau milieu de l'invasion des barbares , comme l'arcbe
de Noé conserva , dit-on , au milieu du déUige , le type des
diflWentes races qui devaient repeupler la terre veuve de
ses habitants.
Rome, placée sous la protection du dieu Mars, et non,
comme Atiièncs, sous Tégide de Minerve, choix qui seul
expliquerait la diflérence du génie des deux peuples , Rome
n'eut point d'académie. Sous le régime austère, et même un
peu sauvage , de l'ancienne république cette institution ne
pouvait trouver de place. La présence des Grecs à Rome ,
et le crédit de leurs rhéteurs, ne donna pas naissance à une
académie romaine ; et les guerres civiles ne purent que dé-
tourner les esprits d'une telle création. César, affermi au
pouvoir, ne l'aurait sans doute pas redoutée ; car il était
assez grand pour ne pas craindre et pour souffrir auprès
de lui une réunion d'hommes occupés à féconder ensemble
le vaste domaine des connaissances ; et comme il avait aussi
la passion du savoir, comme il était écrivain habile et ora-
teur éloquent , il n'aurait pas dédaigné de prendre part à
des travaux qu'il pouvait éclairer. Auguste, plus timide,
placé d'ailleurs au milieu des frémissements du parti vaincu,
mais non détruit , et des haines profondes que l'amour de
la liberté avait inspirées contre lui , favorisa volontiers le
culte des letti'es ; sans doute elles lui paraissaient propres à
amollir des caractères de fer et à calmer des passions fé-
roces, que ses propres fureurs n'avaient que trop enflam-
mées , en leur donnant une honible pâture ; mais il au-
rait trouvé plus d'un inconvénient et plus d'un danger à
mettre en contact journalier tous les hommes nourris de
sentiments généreux et occupés de hautes méditations.
Quand un peuple encore tout chaud de guerre civile ne fait
que revenir à la paix sociale , on parle politique partout
où il se trouve des hommes réunis ; vainement sont-ils con-
voqiiés pour s'entretenir de poésie , d'histoire ou d'astro-
nomie , la politique entre par un côté quelconque dans la
controverse académique : les esprits se frottent les uns
contre les autres , les passions s'allument , et le gouverne-
ment est bientôt rais en cause. L'académie d'Auguste était
dans sa cour, composée de tous les beaux esprits du temps ;
il y avait une petite académie à côté de la grande , dans
les salons de Mécène , où l'on pouvait prendre quelques
libertés timides, de celles qui étaient possibles avec un
adroit séducteur, qui mettait les cœurs à leur aise pour
mieux les conquérir à César, secrètement d'accord avec
son ministre habile dans l'art d'assouplir les courages et de
gagner les cofMirs. Auguste se faisait beaucoup d'iionneur,
et ne courait aucun risque , en accueillant avec une bonté
pleine d'estime et d'égards le simple et grand Virgile ; nul
inconvénient pour le maître du monde à donner le nom de
son ami à cet Horace, qui se croyait indépendant parce
qu'il aimait peu la cour et qu'il jouissait en paix des cliar-
mes de la vie épicurienne dans sa maison de Tibur. Au-
guste savait bien qu'Horace était à lui , et s'il en avait
douté , Mécène lui aurait dit : « Je le tiens, je l'ai fait vôtre;
il nese débarrassera jamais de voscliaînes. » Auguste zégnait
de même sur toutes les autres illustrations de l'époque ; sa
faveur n'était qu'une amorce et un moyen d'illusion que
les Pollion , les Tucca , les Varius , les Ovide et les Gallus
embrassaient peut-être avec plaisir ; car si les hommes ne
courent pas tous avec empressement au-devant de la servi-
tude, il existe même parmi les bons, même parmi les gé-
néreux , un meneilleux penchant à se tromper eux-mêmes,
et leur molle résistance ne seconde que trop bien les en-
treprises d'un pouvoir adroit contre leur indépendance. Ces
considérations , tirées de la nature du sujet , disent assez
qu'.\ugusle ne dut pas vouloir d'académie autour de lui , et
surtout d'académie comme l'école d'Alexandrie, qui culti-
vait à la fois toutes les connaissances humaines.
Charlemagne n'avait reçu aucune éducation : lors de son
premier voyage en Italie, il rougit de son ignorance, et
prit de premières leçons de Pierre de Pise ; plus taid , il
puisa l'amour des lettres dans le commerce du célèbre An-
glais Alcuin. Les Italiens attribuent à ces deux maîtres la
pensée conçue par leur royal élève d'établir dans son palais
la première académie; cette société , fondée sur les prin-
cipes de la plus parfaite égalité entre ses membres , et
composée d'Égilbert , de l'archevêque de ^layence , d'.\lT
cùin , d'Lginard , de Théodulphe , et de Cliarlemagne lui-
même , jeta les premiers fondements de la langue française,
qu'elle soumit à des principes , en lui donnant une forme
régulière. Charlemagne, plus avancé que son siècle en beau-
coup de choses, voulait faire rédiger les hymnes, les prières
et les lois dans cette langue , afin que les peuples pussent
comprendre ce qu'ils adressaient à la Divinité , et con-
naître en même temps les volontés , les bienfaits et les me-
naces des lois qui disposaient de la fortune , de la liberté ,
de la vie de chacun d'eux. Le clergé s'opposa de tout sou
pouvoir à cette sage réforme. Les préjugés poussent des
racines si profondes et sont si vîa aces de leur nature qu'au-
jourd'hui , après huit siècles écoulés depuis le règne du chef
de l'empire d'Occident , le gouvernement trouverait encore
nue vive résistance s'il voulait défendre dans les cérémonies
de l'Église l'usage de toute autre langue (pie la langue na-
tionale.
L'ouvrage de Charlemagne allait périr tout entier après
lui, comme son vaste empire ; l'Italie , pleine de trou])les et
de malheurs , ne faisait rien pour les sciences et les lettres,
qui, au contraire, florissaient à Constantinople, au milieu
des séditions , des fureurs et du schisme. La France rede-
venait barbare, les écoles établies par le puissant empereur
se fermaient : un seul homme empêcha la ruine totale des
lettres en Occident. Cet homme est Alfred, .-Elfred, ou
.\lfride le Grand , roi d'Angleterre , de la dynastie saxonne :
à la fois poète , musicien , guerrier, savant et législateur,
ce prince forma la fameuse Académie d'Oxford , l'encoma-
gea par cette protection à la fois judicieuse et bienveil-
lante qui donne une si vive impulsion aux travaux d'une
société d'hommes qui se sentent apprécier par un grand
homme. Un siècle séparait Charlemagne d'Alfred ; mais il
y avait plus d'un siècle de distance entre les lumières des
deux princes : aussi le premier s'obstinait-il à convertir
avec le glaive exterminateur, tandis que l'autre instiuisait
les esprits pour gagner les cœurs à la loi du Christ comme
à une loi d'amour et d'iiumanité. Voilà les services que l'ins-
truction des princes rend aux peuples : donnez à Louis XIV
la liaute raison et la religion éclairée d'Alfred , et vous
n'aurez ni l'influence de la dévote Maintenon , ni les dra-
gonnades , ni la révocation de l'édit de ^'antes.
Tout le monde se lappelle les brillantes académies de
Grenade et de Cordoue, sous le règne des Maures d'Espagne,
célèbres par leur galanterie , leurs mœurs chevaleresques et
leur goût pour la poésie, la musique et les lettres. Pour-
quoi faut-il que la belle patrie du Cid, après avoir rejeté
de son sein les étrangers qui lui donnaient la loi , n'ait pas
mieux conservé leur magique civilisation ? Il y avait dans
les lumières une source inépuisable de richesses pour l'Es-
pagne ; les mines d'or du nouveau monde l'ont appauvrie et
dégradée.
Au quatorzième siècle , une femme justement célèbre,
Clémence I sa u r e , de Toulouse , ranima , par une fonda-
tion magnifique , le collège du gai savoir ou de la gaie
science, qui reçut le nom iV Académie des J eux FI o-
C2
ACADEMIE
roux, et conserve encore de la répufalion , après avoir
jeté lieaiicoiip d'éclat pendant une lonf^ue suite d'années.
Les lettres alors ('taient en grand honneur ; elles tenaient
dans la vie des méridionaux de France la mémo place que
la musique et les arts dans la vie de> Italiens.
■A la renaissance des lettres Tltalie se couvrit d'académies,
qui, sous des noms assez bi/.aries, propagéient le goût de la
belle antiiiuifé, et produisirent une émulation générale".
Dans aucun pays peut-être les acad('mies n'ont rendu au-
tant de services. Jamais elles ne s'emparèrent ainsi de tout
un peuple, pour communiquer une activité nouvelle à toutes
les intelligences; jamais elles ne travaillèrent avec autant
d'ardeur à satisfaire le besoin immense d'instruction qu'elles
avaient fait naître par leur exemple , leurs travaux et l'éclat
de leurs solennités, véritables (êtes de l'esprit qui passion-
naient aussi les conirs. La plus célèbre et peut-être aussi
la plus utile de ces académies est celle de la Crusca , à la-
quelle la patrie du Dante et de Pétrarque doit ce grand vo-
cabulaire que Ginguené caractérise dans les termes suivants :
« Code d'une autorité irréfragable, à laquelle depuis qu'il a
paru tous les bons écrivains se sont soumis; barrière forte
et solide , contre laquelle se sont heureusement brisés tous
les efforts du néologisme moderne ; modèle si parfait enfin
de ce que doit être un ouvrage de cette nature, qu'il a fallu
que toutes les nations lettrées (jui ont voulu avoir des dic-
tionnaires de leur propre langue se réglassent sur celui de
l'Académie de la Crusca. o
Ronsard , constamment protégé par cinq rois , entre les-
quels il faut remarquer Charles IX, tjTan aussi cruel , mais
moins mauvais poète, que 'Séron , Ronsard , doué d'un vrai
génie, avait conçu le projet de rendre notre langue plus capable
de lutter avec les langues d'Athènes et de Rome, et de nous
donner une poésie nouvelle, riche de ses larcins à l'antiquité.
La pensée était belle et hardie ; mais, outre le don supérieur
du génie, quelle réunion de qualités ne demandait-elle pas
dans le réformateur ! La connaissance parfaite du caractère
de notre idiome , l'appréciation judicieuse de ce qu'il pouvait
accepter, de ce qu'il ne pouvait recevoir, une oreille savante
et un goût exquis. Malheureusement presque toutes ces
choses manquaient à Ronsard et aux poètes de la pléiade
qu'il avait composée, à l'instar de celle qui avait été créée
sous le règne de Ptolémée Philadelphe. Cette pléiade se réu-
nissait à Saint-Victor, et formait, sous la présidence de
Ronsard, et même quelquefois de Charles IX, une espèce d'a-
cadémie chargée d'une mission assez élevée, comme on vient
de le voir. Si elle n'a pas atteint le but du fondatem', elle a
rendu de véritables services aux lettres, et ses productions
agréables, dont quelques-unes restent encore comme des
modèles dans leur genre, valent mieux rpie les imprudentes
réformes tentées par son chef, qui lui-même a laissé des
vers pleins de grâce et de la plus douce mélodie.
« Quelques gens de lettres, plus ou moins estimés de leur
temjis.ditChamfort, s'assemblaient librement et par goût chez
un de leurs amis qn^ils élurent leur secrétaire. Cette société,
composée seulement de neuf ou dix hommes, subsista in-
connue pendant quatre ou cinq ans , et servit à faire naître
différents ouvrages cpie plusieurs d'entre eux donnèrent au
public. Richelieu , alors tout-puissant , eut connaissance de
cette association ; il lui offrit sa protection, et lui proposa de
la constituer en société publique. Ces offres , qui aflligèreat
les associés, étaient à peu près des ordres, il fallut lléclrr. »
Telle fut l'origine de l'Académie Française, ^ouslui con-
sacrerons un article particulier.
P. -F. TiSSOT, (le rAcadcinie Franr.iise.
Ti y a maintenant des académies dans tous les pays ; et
même chez les peujiles les plus avancés en civilisation cha-
que centre important de population possède au moins une
.société de ce génie. Comme vient de le dire notre savant
collaborateur, membre lui-même d'une des plus illustres de
ces compagnies , les académies lleuriieut surtout iila l'enais-
sance des lettres en Italie , où chaque ville avait la sienne.
Files se répandirent ensuite en France, en Angleterre et dans
tous les pays de l'Europe , d'où elles passèrent en .\sie et au
nouveau monde. Nous citerons rapidement ici les académies
dont le nom a eu quelque éclat dans le monde savant :
L'académie Sccretorum IS'ofinw fut fondée à >'aples ,
en l5(;o, pour les sciences physiques et mathématiques; elle
fut obligée de se dissoudre par suite d'un interdit du pape.
— Quelques années après, vers la lin du siècle, le prince
Ceci fonda à Rome l'académie dei Lincei : Galilée compta
parmi ses membres. — L'académie del Cimenfo se forma
à Florence, au commencement du dix-septième siècle,
sous la protection du prince Léopold , depuis cardinal de
Médicis : on y vit siéger des hommes du plus grand m.érite,
parmi lesquels nous citerons Paolo dit Buono, Borelli , Vi-
vani , Redi et Magalotti. — L'académie degl' Jnr/iiicti , de
Bologne , incorporée plus tard à l'académie délia Trocen, a
publié d'excellentes dissertations sous le titre de Pnisieri
fis'ico-malemat'ici , 1()67. Elles furent, en 1714, réunies à
l'institut de Bologne, qui s'appela Académie de l'Institut ou
xVcadémie Clémentine (du ])ape Clément XI). Elle possède
une nombreuse bibliothèque et une riche collection d'his-
toire naturelle.
En 1540 on fonda à Rossano, dans le royaume de Na-
ples, une académie qui s'intitula : Socielù Scientifica Ros-
sancsc degV Incuriosi. Jusqu'en 1605 elle ne s'occupa
que de beaux-arts, mais depuis elle est devenue scientifique.
L'Académie royale de Xaples existe depuis 1779 ; ses écrits
renferment d'excellentes recherches sur les mathématiques.
Parmi les académies italiennes on remarque encore celles
de Turin, de Padoue, de Gênes, de Milan, de Sienne, de Vé-
rone, qui toutes ont composé de bons ouvrages. En général,
l'Italie doit être considérée dans les temps modernes comme
le berceau des académies ; elle en eut , selon le catalogue
qu'en a dressé Jarckius, cinq cent cinquante.
V Académie des Sciences de Paris, fondée en 1666,
par Colbert , ne reçut l'approbation du roi qu'en 1699. Elle
aura un article dans notre ou'^Tage.
En 1700 Frédéric 1" fonda à Berlin une académie pour
les sciences et les arts ; en 1710 elle subit quelques modi-
fications ; elle est divisée en quatre classes : i" physique ,
médecine et chimie ; 2" mathématiques, astronomie et mé-
canique; 3° histoire et langue allemande ; 4° érudition orien-
tale , en rapport avec les missions. Chaque classe nommait
son diiecteur , qui l'était à vie : le premier fut le célèbre
Loi bnitz. Sous Frédéric II cette institution atteignit un
haut degré de splendeur, parla réunion de savants étrangers
qui furent attirés à Berlin par la générosité du roi : c'est
alors que Maupertuis en devint directeur. Elle tenait
chaque année deux séances solennelles , et distribuait des
encouragements aux meilleurs mémoires qui lui étaient
adressés sur des questions qu'elle indiquait. Elle a publié
plusieurs volumes de mémoires sous le titre de : Mémoires
de l'Académie royale des Sciences et Belles- Lettres de
Berlin. Elle a reçu en 179S une nouvelle organisation.
Le prince Charles-Théodore fonda, en 1755, une académie
des sciences à Manheim, sur un plan donné par Schœpflin.
Divisée d'abord en deux classes , celle des sciences histori-
ques, et celle des sciences physiques, cette dernière fut sub-
cîivisée, en 1780, en physique proprement dite, et météoro-
logie. Ses mémoires historiques et physiques ont été publiés
sous le litre de : Acta Acadcmix Tlieodoro-Palalinx, et
les mémoires météorologiques sous le titre de Ephemerides
Societotis Meteorologicx Palatinx.
L'Académie de Munich existe depuis 1759 ; mais elle fut
organisée sur un plan |)lus étendu quand la Bavière fut éri-
gée en royaume, et elle eut pour président Jacob i. Ses
travaux ont été publiés sous le titre de : Traités de l'Aca-
démie de Bavière.
Ce fut Pierre le Grand lui-même qui traça le plan de l'A-
ACADEMIE
r.s
cadémie de Saint-Pc^ter^ionr:: , (Vaprt'*s le<; conseils de W'o](
et de I.eilmit/,. U niotinit avant sa coiim^lMe organisation ;
mais Catherine l"' niarclia snr ses traces, et rAcadéniie tint
sa première séance le ^5 décembre 17?..">. L'impératiicc
fonna nne dotation annuelle de trente mille roubles à cette
acadt-mie ; et quinze savants distingués , qui on faisaient
partie conuiie académiciens , recevaient en outre des émo-
luments à titre de professeurs : on remarque jiarmi ces
tlerniei-s NicoUe et Daniel BernouUi , les deux Delisle, Bul-
finger et Wolf. Sous Pierre II cette académie tomba en
décadence ; sous l'impératrice Anne elle se ranima un peu,
retomba de nouveau, et enfin redevint florissante sous Eli-
sabeth. En 1758 son oi-ganisation subit quelques chan-
gements, et on y adjoignit une classe des beaux-arts, qui
en fut détachée en ITC». La dotation annuelle fut portée
à 60.000 roubles. Cette académie s'occupe surtout de la con-
naissance intérieure de la Russie ; elle a fait faire dans les
provinces peu connues d'importants voyages , par Pallas,
Gmelin, Stolberg, Guldenstadt et Klaproth. Le nombre de
ses membres est de quinze, non compris le président et le
directeur; quatre surnuméraires y sont adjoints, et assistent
à toutes les séances ; elle possède une nombreuse collection
de bons ouvTages et de manuscrits, ainsi qu'un riche cabinet
de médailles et une galerie d'histoire naturelle. Ceux de ses
écrits qui panuent de 1725 à 1747 forment quatorze vo-
lumes, sous le titre de Commentarii Acndemias Scientiannn
Imperialis PetropoUtanœ ; ceux qui parurent de 1747 à
1777 forment vingt volumes, qu'on distingue parle titre de :
Novi Commentant, etc. ; une troisième série se nomma Acta
Academix ; et en 1826 on a publié les Nova Acta, en dix vo-
lumes. Les Commentarii sont écrits en latin ; les Acta sont
partie en français, partie en latin.
L'Académie royale des Sciences de Stockholm était primi-
tivement une société particulière, composée de six savants ,
au nombre desquels on comptait le célèbre Linné; elle
tint sa première séance le 23 juin 1739, et publia peu après
divers mémoires , qui attirèrent l'attention publique. Le 3 1
mars 1741 elle reçut du roi le titre d'Académie Royale de
Suède, mais elle est sans dotation, et s'entretient à ses pro-
pres frais ; des fondations particulières ont cependant pourvu
aux émoluments de ses deux secrétaires et d'un professeur
de physique expérimentale. Le président est renouvelé tous
les trois mois, parmi les membres résidant à Stockholm , et
les travaux sont publiés par trimestre. Les mémoires publiés
depuis la fondation jusqu'en 1779 forment quarante volu-
mes, et s'appellent les Anciens ; ce qui a paru depuis forme
la Nouvelle série. Il y a une série particulière intitulée
Œconomica Acta. Cette académie distribue chaque année
des. prix et des médailles d'encouragement. En 1799 elle fut
divisée en six classes : économie politique et rurale, quinze
membres; commerce et arts mécaniques, quinze ; physique
et histoire naturelle nationale , quinze ; physique et histoire
naturelle des pays étrangers, quinze ; mathématiques, dix-
huit ; beaux-arts, histoire et langue, douze. Cette académie a
le monopole de la vente des calendriers.
L'Académie de Copenhague n'était primitivement qu'une
réunion privée de six savants. Christian Yl , en 1743, les
chargea d'arranger son cabinet de médailles ; et c'est alors
qu'ils songèrent à convertir leur société en académie régu-
lièrement constituée. Un des membres, le comte de Holstein,
engagea Christian, en 1743 , à s'en déclarer protecteur et à
lui assigne!' un revenu ; dès lors elle étendit ses travaux à la
physique, à l'hi.stoire naturelle et aux mathématiques. Elle a
publié quinze volumes de mémoires, dont quelques-uns ont
été traduits en latin.
L'Académie d'Edimbourg date de 1783, et se composa
des principaux membres de l'université; elle se réunit une
fois chaque semaine , et depuis 1788 elle pid)lie régulière-
ment ses mémoires. Dès 16S3 il y eut une académie à Du-
blin, et en 1740, une société physico-historique; on a deux
volumes de leurs travaux : l'une e1 l'antre périrent au milieu
des malheurs polili(iues qui accablèrent ce pays.
Lisbonne possède; une académie des sciences qui s'occupe
d'agriculture, d'arts mécaniques, de commerce et d'écono-
mie politique : composée de soixante membres , elle est di-
visée en classe d'histoire naturelle, classe de mathématiques,
et classe de littérature nationale ; elle a publié de nombreu-
ses dissertations , ainsi que les collections suivantes : Me-
mnrias de lelteralura portugiteza, Memorias economi-
cas, etc.
L'Académie américaine des Sciences de Boston date de
1780 : le but de ses travaux est la connaissance des antiqui-
tés el de l'histoire naturelle des États-Unis, l'usage et la culture
des produits du sol , les perfectionnements et observations
en médecine , mathématiques , philosophie , astronomie et
météorologie, les inventions agricoles, etc., etc. Le nombre
de ses membres ne i)eut être au-dessous de quarante , ni
excéder deux cents. Le premier volume de ses travaux pa-
rut en 1785.
L'académie Natures Curiosoriim de Vienne , ou l'Acadé-
mie Léopoldine, fut fondée en 1652, par J.-L. Causchius
(Bausch). Elle publia d'abord ses travaux par mémoires sé-
parés ; mais depuis 1684 elle les a réunis en volumes. Sous
Léopold 1^"" , qui la protégea beaucoup , elle s'intitula Cx-
sareo-Lcopoldina Nuturœ Curiosoriim. A son instar , de
semblables établissements furent établis à Palerme en 1645,
en Espagne en 1652, à Venise en 1701, et à Genève en 1715.
L'Académie de Chirurgie de Paris fut fondée en 1731 :
chaque année elle indiquait un sujet à traiter, et le meilleur
mémoire recevait un piix de 500 francs. Cette institution a
dispani, conmie tant d'autres, dans la tourmente révolution-
naire. Une ordonnance du 29 décembre 1820 a fondé à Paris
une Académie de JMédecine, qu'on peut considérer comme
la suite de la précédente, et à lacpielle nous consacrerons un
article spécial.
A Vienne il y a une académie semblable; elle date
de 1783, et décerne des médailles aux élèves les plus
distingués.
Il existe une seule académie de théologie. Elle fut fondée
à Bologne, en 1687.
Au commencement du dix-huitième siècle , Coronelli
fonda à Venise une Académie des Argonautes , dont le but
était la publication de bonnes cartes géographiques avec
description.
Jean V, roi de Poiiugal, fonda à Lisbonne, en 1720, une
académie royale pour l'histoire nationale, composée de
cinquante membres, d'un recteur, d'un censeur et d'un
secrétaire.
A Madrid une société fondée pour la recherche et l'ex-
plication des monuments historiques en Espagne fut
élevée au rang d'académie par Philippe V, en 1738. Elle
compte vingt-quatre membres, et a publié plusieurs ouvrages
historiques.
L'Académie de l'Histoire de Souabe, formée à Tubingue,
a pour but de publier les ouvrages historiques les plus re-
marquables, et de donner des notices biogi'aphiques sur lem's
auteurs ; elle se livre aussi aux recherches les plus exactes
sur les points historiques qui offrent quelque obscurité.
Une académie archéologique fut établie à Cortone en Italie
pour l'étude des antiquités étrusques; une autre existe à
Upsal (Suède) , qui a pour but des recherches sur les an-
tiquités et la langue des contrées septentrionales. L'une et
l'autre ont publié des mémoires estimés. Deux académies du
mrme genre fiuent établies à r»ome par Paul II et Léon X :
elles n'eurent qu'une existence de courte durée. Il s'en
forma d'autres de leuis débris; mais aucune n'arriva au de-
gré d'importance de l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres de Paris. Celle-ci aura encore un article
spécial dans notre ouvrage.
A Naples le ministre Tanucci fonda, en 1775, J' Académie
64 ACADEMIE
d'Herculanum, qui a publié Antichilà di Ercolano. En
1807 une A' a lémif. d'Iiisloire et d'antiquités fut établie à
Naples et une auln' a Florence.
En ISOî! lut luniiéeà l'ai is une Académie Celtique, dont
le but étiiit la reclierclie des monuments d(!s Celtes, les mœurs
de celle ancienne nation, l'exanieii des lanj^nes (|ui se sont
formées du celte, elc. En 181 i cette Académie prit letilrcde
Société des A n l i q u a ires de iMance.
L'Académie delln Cru se a ou .-) cademia furfuratorum
date de là>>2. Celle des Arcadesfut fondée àP.ome en 1690.
Le duc d'Escalona fonda à Madrid, en 17 1 4, une Acadé-
mie pour lci>erleclionuement de la langue espagnole; elle fut
approuvée |)ar le roi et gratiliée d'honorables prérogatives
eu I/lô. Son dictionnaire et tous ses travaux sont estimés.
L'Académie royale espagnole a élé réorganisée en 1859.
Saint-IVlersbourg eut aussi, en 1783, une Académie qui
dut s'occuper du [lerfeclionnement de la langue russe;
elle est mainttnant réunie à l'Académie des Sciences.
Une .académie du môme genre existeenSiiôdedepuis 1789.
La France possède encore, dans son Institut, une Aca-
démie des lieau x - .\ rts et une Académie des Sciences
morales et politi(|ues. Madrid a une Académie des
sciences morales depuis 1857.
Sans remonter à l'Académie des Jeux F loraux, aux
chambres de r li é t o r iq uc de la Flandre, aux pali-
nods ou pu y s des villes normandes, aux cour s d'amour
du moyen âge, on voit, au dix-luiitième .Mècle, une foule
d'associations littéraires naître dans le-i provinces de France;
citons celles de L\on, de Caen, de Marseille, d'Arras, de
Dijon , de Rouen , de Besançon , de Kancy, de Metz , de
Bordeaux, etc. l^LlIes s'occupèrent successivement de poésie,
de langa;;e, de science, d'histoire et d"archéologie. Elles
succombèrent à la Révolution, et reparurent ensuite; mais
elles prirent surtout quelque importance après la révolution
de Juillet. Aucun lien ne les unissait pourtant et leurs travaux
restaient isoles et inconnus, malgré les congrès scien-
li(i q ues. On avait eu vain voulu les rattacher à l'Institut.
M. Rouland, ministre de l'instruction publique , les a reliées
au moyen d'un comité des travaux historiques et des sociétés
savante^, qui a dû passer en 1860 dans les attributions du mi-
nistre d'Etat. Ce comité publie depuis lors une Revue des
sociétés savantes.
On compte encore un grand nombre de sociétés savantes,
qui nediflèrentdes Académies ijuepar leur nom ; telles sont :
la Société royale des Sciences de Gœttingue, fondée eu 1750;
les Sociétés royales de Londres, qui date de 1645 ; de Dublin,
fondée en 1730, et d'Edimbourg ; la Société des Archéologues
de Londres, fondée en 1751 ; la Société littéraire et philoso-
plii(iue de Manchester, fondée en 1781 ; les Sociétés savantes
de Harlem, de F'Iessingue, de Rotterdam, de Bruxelles,
d'Amsterdam, de Copenhague, d'Upsal, etc.
De l'Europe les Académies s'étendirent dans les autres
parties du monde : en Asie, il y a à Batavia, depuis 1778,
une Société des Sciences et des Arts ; au Bengale, à Cal-,
cutla(1784)ct à Bombay on trouve d'autres sociétés savantes
auxquelles on doit d'importantes et précieuses recherches
sur les Indes et 1 Orient en général.
Outre l'Académie de Boston , l'Amérique possède depuis
1769 la Société philosophique de Philadelphie, etc.
L'utilité fies Académies a quelquefois étécontestée. L'esprit
de coterie s'y fait trop souvent sentir en effet. Des hommes
bien plus recommandés par leurs opinions ou leurs relations
que par leurs travaux se voient parfois préférés à ceux qu'in-
diquent l'opinion publique. On se souvient encore de la
lutte des académiciens contre les novateurs, même d'un
talent remarquable, dans la littérature et les beaux-arts. Et
puis on rappelle avec raison la lenteur des travaux acadé-
miques : ces dictionnaires, ces ménudros, qui ne paraissent
que de loin en loin et que presque personne ne lit. Mais
ces travaux si rares ont ce|)endaut leur prix. Fruits des re-
ACADÉMIE DE FRANCE A ROME
cherches d'hommes supérieurs en définitive, chacun est
obligé d'en tenir compte lorsqu'il s'occupe d'un sujet ana-
logue, el de là une source d'instruction utile. « Les Aca-
déudes , disait Voltaire, sont aux universités ce que l'âge
mûr est à l'enfance, ce que l'art de bien parler est à la
grammaire, ce que la politesse et aux premières leçons
de la civilité. «Mais il voulait que les Académies, non mer-
cenaires, fussent absolument libres. » Souvent, dit M. Naudet,
les Académies, commetoutce qui exerce un pouvoir quelcon-
que danscemonde, onteii leurs adversaires, qui ne les avaient
pas cependant prises si fort en haine qu'ils ne voulussent plus
lard entrer eux-rnôraes dans leurs rangs, il est arrivé aussi
que le public a infirmé quelques-uns de leurs arrêts ; mais
il finit par accepter en somme leur jurisprudence, j'allais
presque dire leur législation. Au reste, cène serait pas
dans des temps où les esprits, agités d'une ardeur de réno-
vation et d'une aspiration vague et inquiète à l'indépendance,
tendraient le plus à secouer toute discipline et à se faire
chacun sa règle et sa loi, que l'existence des Académies de-
vrait le moins être jugée nécessaire. A la république des
lettres, comme aux sociétés politiques, il faut des sénats
qui tempèrent les emportements des passions même gêné
reuses, qui gardent les traditions et les principes , et assu-
rent les améliorations réelles en empêchant le brusque di-
vorce du présent avec le passé. Qu'on ne s'y méprenne
pas ; en revendiquant une part d'utilité, il ne s'agit pas d'af-
fecter un orgueil de domination. Dans cette immense ac-
tivité des ressorts innombrables du corps social, nul, quoi
qu'il fasse, n'est tout-puissant à lui seul, et ne saurait pré-
tendre à une prépondérance souveraine ; mais chacun tient
sa place et fait son œuvre. Celle des Académies est d'être
modératrices par leur influence, puissantes par leur exem-
ple; d'opposer aux théories qui s'égarent des directions vé-
ritables qu'elles impriment à la marche des intelligences,
à condition toutefois de se mettre elles-mêmes en avant
avec une énergie laborieuse et de s'y tenir ferme par l'as-
cendant de Ja raison, » *
ACADÉMIE (Acceptions diverses ). Dans la langue
des beaux-arts, ce mot est consacré pour désigner une étude
peinte ou dessinée d'après le modèle nu et vivant et posé
de manière à développer surtout les mouvements corporels
et les formes.
En Allemagne et dans les pays du Xord le mot académie
est quelquefois employé pour désigner les universités. On
l'applique aussi à divers établissements de haut enseigne-
ment, surtout dans une branche spéciale.
On donne encore quelquefois le nom d'académie de
peinture à des établissements formés pour l'étude des arts
du dessin.
Les académies dechant ou académies philharmoniques
sont des sociétés d'amateurs qui se réunissent pourl'exé-
culion de morceaux de musique. Celle de Berlin estcélèbre
entre toutes. Elle se compose de plusieurs centaines d'ama-
teurs tenant des séances mensuelles ou hebdomadaires dans
un superbe local construit à cet effet. Différentes villes d'Al-
lemagne ont voulu avoir leur académie de chant, et il s'en
est formé une à Strasbourg rn 1829.
On 1 donné aussi le nom d'académie au lieu oii l'on ap-
prend à monter achevai, à faire desarmes, à danser. Tenir
académie, c'est enseigner l'équitation, la gymnastique, l'es-
crime, la danse, etc. Ce nom a de plus été donné à des
maisons de jeux, et c'est même le titre ordinaire des ou-
vrages qui contiennent les règles des différents jeux à la
mode. On publie continuellement des Académies des jeux.
ACADÉMIE ( Instruction publique). Voyez Lns-
TUUCTION l'LIîLIQtE et UNIVERSITÉ,
ACADÉMIE DE FRAACE A ROME. Cet établis-
sement, destiné à recevoir et à entretenir aux frais de l'État
des jeunes gens qui se destinent aux beaux-arts et qui vont
compléter leurs éludes au milieu des chefs-d'œuvre de l'Italie,
ACADEMIE DE FRANCE
fui fondi^ en (CGG par Colbcrf, î» rinsligation de L eb run .
L'Acadi'mie de France orcupa d'abord un palais voisin du
tliéAtre de l'Argentine. En ITOO elle fut transfért'e dans nn
palais situé en face du palais Doria. Depuis 1803 elle est éta-
blie à la villa Médicis. Klle reçut d'ahord quelques élèves dé-
signés par TAcadémie de Peinture et de Sculpture. Eu 1676
Louis XIV permit de joindre avec l'Académie de France l'A-
cadémie romaine de Saint-Luc, créée par le Mutian, peintre
célèbre, et confirmée parles brefs des papes Grégoire Xlllet
Sixte V. Le roi de France fonda un revenu pour le directeur
et pour l'entretien de douze pensionnaires ajant rempoité
les premiers prix de peinture , de sculpture et d'architec-
ture. En 1684 Louvois régularisa les règlements de l'Aca-
démie.
Les révolutions n'ont point altéré cette institution. Cha-
que année, a la suite d'un concours auquel sont admis les
Français de moins de trente ans jujjés les plus capables
parmi ceux qui se présentent, et sur des morceaux exécutés
en loge d'après un programme fourni par l'Académie des
Beaux-Arts, cette Académie distribue des grands prix
de peinture, de sculpture, d'architecture et de composition
musicale; le grand prix de gravure en taille-douce, fondé
en 1S04, est donné tous les deux ans; le prix de gravure en
médailles et pierres fines, fondé en 1805, et celui de paysage
historique, créé en 1816 , sont donnés tous les quatre ans
seulement. Les premiers grands prix donnent seuls droit
à la pension, en retour de laquelle les élèves doivent en-
voyer chaque année des copies, des études ou des composi-
tions. Les élèves lauréats, an nombre de quinze, jouissent
de la pension pendant cinq années. Les élèves musiciens
passent deux années en Italie , une année en Allemagne et
deux années à Paris. Les autres ne passent plus mainte-
nant que quatre années en Italie; la cinquième ils vont la
passer en Grèce. Les élèves ont à Rome chacun un atelier
particulier, et il y a des salles pour l'étude en commun du
modèle vivant et des plâtres moulés sur l'antique. Le gou-
vernement français fait seul les frais de ce grand établisse-
ipent, où des Romains et des étrangers sont admis à pro-
fiter des modèles.
Voici la liste des directeurs successifs de l'Académie de
France à Rome : Érard, 1666; Coypel, 1672; Érard,
d« nouveau, 1675; de 1689 à 1699 il n'y eut pas de direc-
teurs; Houasse, 1699; l'oerson , 1704; Wleughels, 1724;
De Troy, 1738; Natoire, 1751; Halle, par intérim,
1774; Vien, 1774; De Lagrené aîné, 1781; Ménageot,
1787; Suvée , 1792; Paris, architecte, 1807; Lethière,
1808; Thévenin, 1817;Guérin, 1822; Horace Vernet,
1828; Ingres, 1834 ;Schnetz, 1841; Alaux, 1847,
Schnetz, 1853. Z.
ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.
Voyez Opér-v.
ACADÉMIQUES, titre d'un ouvrage de Cicéron où
n expose et discute la doctrine de l'Académie sur la certitude.
Un des traités de saint Augustin porte le même titre.
ACADIE. Voyez Nocvelle-Écosse.
ACAJOU. Pour l'ébéniste ainsi que pour les Parisiens
possesseurs de mobiliers somptueux l'acajou est un bois
compacte , pesant, fort dur, susceptible d'un beau poli,
d'une riche couleur toute particulière, tirant au rouge brun,
devenant de plus en plus foncée en vieillissant, et réputé à
peu près incorruptible, parce que depuis le temps qu'on
l'utilise chez nous on ne l'y a pas encore vu se détériorer.
Ce bois est connu seulement depuis le commencement du
siècle dernier en Europe, où il fut apporté par le frère du
célèbre docteur Gibbons, qui en avait lesté un bâtiment em-
l'ioyé dans le commerce des Indes occidentales.
On a étendu le nom iVacajou à plusieurs autres sortes de
bois exotiques, servant également dans la confection des
meubles de luxe, mais entre lesquels pas un ne provient
OICT. DE LA CONVERS. — T. I.
A ROME — ACAPULCO 65
I des arbres nommés acajous par les habitants des régions
intertropicales. C'est le mahogani , appartenant au genre
«wie(C}ua des botanistes, qui fournit le véritable acajou,
j c'est-à-dire celui qu'on emploie le plus communément et
sans épilhètc dans le commerce. Ce mahogani croît dans les
1 parties les plus chaudes des Amériques, ainsi que dans les
grandes Antilles.
Les arbres appelés acajous par les habitants des pays
tropicaux appartiennent h deux genres de térébinthacées,
nommés scientifiquement anacardium et cassuvium, plus
connus par leurs fruits que par leurs parties ligneuses, qui
sont blanchâtres, tirant tout au plus au gris, et de qualités
médiocres. La vieille droguerie employait fréquemment Va-
nacarde, qui provient du premier de ces acajous. La noix
du second demeure seuleen usage, et se singularisepar sa forme
en rein, la causticité de son péricarque, la douceur de son
amande, fort bonne à manger, et le volume qu'acquiert son
pédoncule, lequel devient charnu , jaunâtre , semblable par
sa forme au fruit exquis du manglier, mais d'un goût peu
agréable, encore qu'on en compose une sorte de limonade
qu'on assure être très-rafraîchissante.
CORY DE S.\lNT-Vii>iCEST, de l'Académie des Sciences.
ACALEPHES (du grec àxa)?]^?!, ortie de mer, classe
d'animaux sans vertèbres, divisés par Cuvier en deux ov-
(liea :\e?.acalcphes simples eUesacalèpkes hydrostatiques-
Cette classe a été ainsi nommée à cause de la propriété que
possèdent quelques-uns des zoophytes qui la composent de
causer un sentiment d'urtication à la peau quand on les
touche. Plusieurs acalèplies sont phosphorescents et offrent
au voyageur un spectacle magnifique pendant la nuit en
rendant la mer semblable à un ciel étoile. Voyez Zoopuytes.
AC.\]\THACÉES(du grec àxavOa, épine), famille de
plantes monocotylédones, dont le type est le genre acan-
the. Presque toutes les acanthacées sont exotiques, et pro-
viennent des contrées situées entre les tropiques. Leurs
feuilles sont opposées et leurs fleurs forment des épis muni-,
de bractées.
ACAiXTIïE (eu latin acanthus, et en grec ây.av9o;,
fait d'âxavSa, épine). Le genre des acanthes aie calice divisé,
ordinairement avec bractées , la corolle le plus souvent ir-
régulière, deux étamines, ou quatre, dont deux plus gran-
des, un style à stigmate simple ou bilobé , une capsule à
deux valves élastiques.
L'acanthe sans épines, ou brancherursine d'Italie,
acanthiis mollis, commune enGrèce, en Italie, en Espagn.'
et dans la France méridionale, est vivace, a les feuilles très
grandes, lisses, agréablement découpées; sa tige est simple
et a deux à trois pieds; ses fleurs, unilabiées sont assez
grandes, aplaties, lavées de rose , n'ayant qu'une lèvre infé-
rieure trilobée. C'est cette dernière espèce d'acanthe dont
les feuilles sont imitées dans 'ornement du chapiteau de
Vordre corinthien. Voici comment Vitruve raconte l'origini;
de cette imitation : i Une jeune Corinthienne étant morte peu
de jours avant un heureux mariage, sa nourrrice , désolée ,
mit dans une corbeille divers objets que la jeune fille avait
aimés, la plaça sur son tombeau et la couvrit d'une larg^?
tuile pour préserver ce qu'elle contenait. Le hasard voulut
qu'un pied d'acanthe se trouvât sous la corbeille. Au prin-
temps suivant, l'acanthe poussa ; ses larges feuilles entou-
rèrent la corbeille, mais, arrêtées par les rebords de la tuile,
elles se courbèrent et s'arrondirent vers leurs extrémités.
Callimaque passant près de là admira cette décoration
champêtre, et résolut d'ajouter à la colonne corinthienne la
belle forme que le hasard lui offrait. »
ACANTHOPTÉRYGIEAS. Voyez Poisson.
A CAPELLA. Voyez Alla Brève.
ACAPULCO (en espagnol Los Reges). Le meilleur port
du Mexique sur la mer du Sud, à 280 kilomètres .sud-sud-
ouest de Mexicd, par 16° 50' de latitude septenirionale, et
101" 6'de longitude occidentale. Le port et laradeétant trèS'
a
ACAPULCO — ACAULE
G G
piofoiuJs offrent un ancrage excellent aux plus {;ros vais-
seaux, qui peuvent venir jusque auprès des rociiers de gra-
nit qui bordent la côte, et y trouvent un abri certain contre
les mauvais temps. Au nord-ouest est située la ville, défendue
par le fort Diego, situé sur un rocher très-élevé. Elle compte
4,000 habitants. Acapulco avait acquis une certaine impor-
tance par le départ annuel du galion qui portait à Manille
l'argent et les autres produits précieux des possessions es-
pagnoles, l'eu de places de conunerce sont situées dans une
position plus malsaine. La température s'y élève ordinaire-
ment, dans les chaleurs de l'été, de 45° à 50" c. Les rayons
brûlants d'un soleil d'airain, réfléchis par les rochers blancs
et nus qui environnent la ville, la rendent presque inhabi-
table, et le Mosquitos est le seul endroit où l'on puisse
respirer. Les ébangers y sont constamment décimés par le
choléra-morbus. Acapulco ne fait presque aucun comme4ce
avec les États nord-est de l'Amérique, si richement favorisés
par la nature. Ses exportations , jusqu'à ce jour, consistent
pour la plus grande partie en ai-gent, indigo, cochenille,
draps espagnols et quelques pelleteries provenant du nord
du Mexique et de la Californie. L'importation se compose de
ce que l'Asie a de plus précieux en productions de tout genre.
ACARIVAJME. L'Acarnanie était une province de l'an-
cienne Grèce , située à l'occident de l'Étolie , dont elle était
séparée par l'Achéloiis , aujourd'hui Aspro-Potamo , et ren-
fermée au nord et au sud-oue.st par le golfe d'Ambracie ou
d'Arta , et par la mer Ionienne. La péninsule de Leucadc
avait appartenu à l'Acarnanie; mais les Corinthiens, qui
s'en étaient rendus maitres , ayant fait couper l'isthme qui
existait près de la forteresse actuelle de Sainte-Maure , en
tirent une île. L'Acarnanie comprenait aussi le canton appelé
Ampliilochie , moins la ville iX'AiDhracia , aujourd'hui Arta,
dont les rois d'Épires'emparèrentpouryétabUr leur résidence.
Les plus anciens habitants de l'Acamanie étaient des Pé-
lasges , appartenant aux tribus des Lélcrjcs et des Curetés.
Le nom AWcarnanes leur fut donné parce qu'ils portaient
une longue chevelure. Alcméon , lils d'Amphiaraiis , s'étant
ligué avec Diomède elles auti'es Épigones, fit la conquête de
l'Étolie et de l'Acarnanie ; mais il céda la première à Dio-
mède , et conser^■a pour lui l'Acaïuimie , où il régna. Alc-
méon ayant refusé de se joindre à l'expédition des Hellènes
contre Troie , empêcha les Acarnanes d'y premlie part. Peu
avant la deuxième guene Punique, lors(|ue les Romains
tirent la guerre aux lllyriens, les Acarnanes et les Étoliens
avaient suspendu leurs querelles de voisinage , et s'étaient
ligués avec les autres Grecs riverains de la mer Ionienne
contre ces mêmes lllyriens , que leurs pirateries et leurs dé-
vastations rendaient un ennemi commun. Ce fut sans doute
à cette occasion qu'ils entrèrent en contact avec les Ro-
mains , et qu'ils se prévalurent de ce que leurs ancêtres
n'avaient point pris part à la destruction de Troie , berceau
putatif des fondatcius de Rome. Ayant envoyé une ambas-
sade au sénat romain , ils en obtinrent une invitation aux
Étoliens de respecter le territoire d'un peuple auquel les
Romains s'intéressaient. Bientôt cependant celte situation
changea. Pendant la durée de la deuxième guerre Punique,
Philil)pe , roi de Macédoine , ayant déclaré la guerre aux
Romains , les Acarnanes restèrent alliés des Macédoniens.
D'un autre côté, les Romains tirent passer la mer Adriatique
aune (lotte et à une petite armée, afm d'empêcher Philippe de
venir en Italie. Leur amiral, Valerius Levinus, était pai venu
à contracter une alliance active avec les Étoliens. Ces der-
niers, reprenant leurs projets contre l'Acarnanie, ne tardèrent
pas à se préparer à l'envahir avec toutes leurs forces. Phi-
lippe de Macédoine se trouvait alors en Thrace, trop éloigné
poui pouvoir les secourir, et les Acarnanes , trop faibles
pour lutter avec espoir de succès contre les Étoliens, pri-
rent une résolution héroKiue dont le souvenir doit être
conservé dans l'histoire. Ils envoyèrent en Épire, en les
confiant hriiospifalilé publique, leurs femmes, leurs enfants
et les vieillards au-dessus de soixante ans ; ils firent prêter
à tous leurs citoyens de quinze à soixante ans le serment,
sous les plus affreuses imprécations , de ne quitter le champ
de bataille que vainqueurs , et ils prièrent les Épirotes de
faire ensevelir dans une tombe commune tous ceux qui
auraient succombé, en couvrant leurs cendres de l'épitaphe
suivante : Ci-r/isent les Acarnanes qui ont trouvé la
mort sur le champ de bataille , en combattant pour dé-
fendre leur patrie contre l'injustice et la violence des
Étoliens. Celte résolution extrême imposa aux Étoliens,
qui renoncèrent à leur expédition.
Aujourd'hui l'Acarnanie , qui a repris son nom , forme
une des quatre éparchies du nôrae d'Étolie et Acarnanie ,
dans le nouveau royaume de Grèce. Le pays , boisé et hé-
rissé de montagnes , est peu fertile et encore moins peuplé.
A peine trois bourgades méritent-elles d'être citées. Ce sont
Vonitza et Loutrahi (l'ancienne Limnea), sur le golfe
d'Arta; et Trirjardon , autrefois Œniadcs , à l'embou-
chure de l'Aspro-Potamo ; ylc^/^<w^, Anactorium , Argos-
Maphilocicum , n'existent plus. Quelques ruines indiquent
à peine la place qu'occupaient les autres villes de l'inté-
rieur. Ga' G. DE VAUDOXCOtnT.
ACARUS etACARIDES (du grec â/.otp-., ciron). Le
ciron ou sarcopte d&]àgale est un insecte connu sous
le nom d'acarus scabiei. Son existence était déjà admise
par Avenzoar et les médecins arabes. Degeer en avait donné
une bonne ligure. Gales n'était point arrivé à en démontrer
la présence dans les vésicules de la gale , et il a fallu que
M. Renucci, s'occupant de nouveau de l'existence contestée
de ce mystérieux animal , fût assez heuieux , en 1834, pour
la démontrer complètement.
Acarus est le nom d'un genre de la tribu des acarides,
famille des arachnides holètres. Les caractères des animaux
de ce genre sont : un corps très-mou, des chélicères didac-
tyles et des palpes très-courts ; huit pattes terminées par
une pelotte vésiculeuse , susceptibles de prendre toutes les
formes, selon le besoin de l'animal.
Les acarides forment une famille composée de plusieurs
genres distribués pai" Latreille en quatre divisions, savoir :
les acarides propres, les tiques, les hydrachnelles et les mi-
crophthires. Ces derniers sont les seuls qui n'ont que six
pieds. Tous les autres acarides en ont huit dans leur âge
adulte en général, et quelquefois six seulement au moment
de la naissance; une quatrième paire de pieds se développe
quelque temps après. On pourrait donc placer cette ta-
mille entre la classe des insectes qui ont six pieds et celle
des arachnides, qui en ont huit. Les acarides sont des ani-
maux presque microscopiques, qui vivent sous les pierres,
les écorces d'arbres, dans la terre, sur les animaux vivants
ou morts, et sur un grand nombre de nos substances ali-
mentaires détériorées. On les a longtemps désignés sous les
noms <le mites, de cirons et de tiques. L. Lalrem.
ACAT/ILEPSIE (du grec à/.a-ra).r/Lîa , formé de d
privatif, et y.atâ/.r/^ti; , compréhension). Les anciens appe-
laient de ce nom la doctrine des pyrrhoniens, qui faisaient
profession de douter de tout. Ces philosophes prétendaient
que nos sens sont trop près de nous pour nous permettre
d'avoir sur aucun objet des idées justes et invariables. Ar-
césilas est, dit-on, le premier qui soutint Vacatalepsie.
Par analogie, on a donné en médecine la même dénomi-
nation à ime maladie du cerveau qui ôte à celui qui en est
frappé la faculté de comprendre une chose, de suivre m\
raisonnement, de mettie de la suite dans ses idées.
ACAULE (du grec à privatif, et v.ol'jIôc, tige). Kn bo-
tanique on appelle plantes acaules celles qui n'ont pas de
tige manifeste, et dont toutes les feuilles, lorsqu'elles en ont,
sont ramassées près de terre. On donne aussi le même nom
à dos plantes qui ont une tige très-courte, comparativement à
celle des autres espèces du même genre, le défaut absolu de
tige élant Ires-rare.
ACCA LAUREMIA — ACCAPAREMENT
67
ACCA LAUREI\ïiA, nounic« de Roimilus, fut niiso
au rang des divinili^s de Rome; on l'honorait d'une Me, ap-
l>elée les Accalies ou les Lautentales , qui se célébrait au
mois de déctnubre. — Une autre Acca Laurentia fut une cé-
lèbre courtisane de Rome sous le régne d'Ancus Marfius.
Cette femme, une des plus belles de son temps, ayant ren-
contré un honnne puissant et riche, nommé Tarutius, en
sortant du temple d'Hercule, lui causa une telle impression
que celui-ci, éiK'rdilment amoureux, l'épousa aussitôt. Étant
mort quelque temps après, il lui laissa toutes ses richesses.
Elle les augmenta encore par le métier qu'elle continua
d'exercer pendant plusieurs années; et à sa mort elle
donna tous ses biens au peuple romain : en reconnaissance,
son nom fut inscrit dans les (listes de l'État, et l'on institua des
fêtes en son honneur sous le nom de Flore. Yoye:i Floralx.
ACCALIES. Voyez Acc.\ Laurentia.
ACCALAIIE, C.VLiMIE ou ACCAOIÉE. Dans la
marine on donne ce nom à une diminution sensible et ins-
tantanée du vent, qui amène le retour du calme de la mer ;
à la cessation momentanée d'un grand vent qui apporte
une embellie passagère.
ACCAPAREMENT, spéculation qui consiste à ache-
ter sur un marché toutes les denrées de la même espèce, pour
les revendre à im prix plus élevé, et réaliser ainsi un béné-
fice considérable au détriment du consommateur. L'accapa-
rement vise au monopole : si je suis seul détenteur d'une
marchandise dont le besoin se fasse sentir, il me sera bien
facile d'imposer ma loi à l'acheteur.
De nos jours la liberté du commerce a rendu les acca-
parements plus rares : il serait en effet assez difficile de
supposer que tous les détenteurs d'une espèce de marchan-
dise, qui se regardent comme ennemis, s'entendissent entre
eux pour en faire liausser la valeur. Par suite de la co n-
currence, ce n'est plus entie le détenteur et le consom-
mateur que là guerre se manifeste, c'est de spéculateur à
spéculateur. C'est à qui attirera les chalands par la mé-
diocrité de ses prix.
D'ordinaire l'accaparement porte sur des objets de pre-
mière nécessité; aussi, quand il se manifeste, a-t-il pour
résultat d'amener des commotions populaires. C'est le le-
tour de ce phénomène que tous les législateurs ont voulu
prévenir, en faisant des lois contre les accaparements. Un
résumé de cette législation ne sera point sans intérêt ici , et
montrera que les règlements sur les subsistances tiennent
essentiellement à la sûreté et à la tranquillité publiques.
L'accaparement paraît surtout avoir exercé une influence
nuisible chez les peuples de l'antiquité , parmi lesquels la
difficulté des communications et l'imprévoyance devaient
ramener périodi({uement le fléau de la famine. A. Athènes il
était défendu , sous peine de mort, d'acheter à la fois plus
de cinquante mesures de blé, et, en cas de revente, d'y ga-
gner plus d'une obole. L'exportation des céréales était sévè-
rement interdite : toute cargaison qui touchait au Pirée de-
vait rester aux deux tiers pour l'approvisionnement de la
ville. 11 était aussi défendu au propriétaire, sous peine de
mort, de vendre ses céréales ailleurs que sur le marché.
Toutes ces précautions s'expliquent par la situation excep-
tionnelle de l'Attique : le peu d'étendue de son territoire,
la mauvaise culture, les vicissitudes des saisons, étaient des
causes fréquentes de disette. Malgré ces rigueurs, Lysias
nous apprend qu'il existait des accapareurs. « Lorsque le
« besoin de blé se fait sentir, dit cet écrivain, ces hommes
« s'en emparent, et ne veulent plus eu revendre, afin que
« nous ne disputions plus sur le prix, et que nous nous
« trouvions heureux d'en obtenir pour celui qu'ils y mettent. »
Rome, si sage dans ses règlements d'administration inté-
rieure, avait su, en réprimant l'avidité des spéculateurs,
prévenir la disette. Vannona était chargée de pourvoir à
Tappiovisionnement de ia ville : le gouvernement avait le
monopole des céréal ,'s, non pour spéculer sur la faim du
peuple; car souvent il donnait les grains à \\.\ prix, mai*
dans le but d'assurer la tranquillité de l'État. De bonne
heure, cette partie de la législation s'était développée. On
trouve au Digeste (1. xlviii, tit. 12, 1. ").) un fragment
d'Ulpien qui nous a conservé les dis[)ositions de la loi
Julïa de annona, par laquelle celui qui aurait tenté de
faire hausser les prix des céréales était passible d'une
amende de vingt écus d'or. 11 existe aussi au Code, 1. iv,
tit. 50, de Monopolis , une constitution de l'empereur Ze-
non, qui frajipe de la conliscation et du bannissement tout
homme qui aurait cherché à monopoliser les objets de pre-
mière nécessité, v'ictum et vestitiim.
Les malheurs qui furent la conséquence de l'invasion des
barbares ramenèrent sans doute les accaparements plus fré-
quents et plus funestes. Leur influence dut principalement
se faire sentir dans la Gaule, qui était devenue le rendez-
vous des barbares et où le tenitoire avait cessé d'être cid-
tivé. L'anarchie s'y perpétua jusqu'à ce que la main puis-
sante de Charlemagne vint mettre quelque ordre dans ce
chaos. Les Capituhdrcs de ce prince défendirent aux ac-
capareurs d'acheter les blés en vert (1. iv, append. 2,
nn. IGet 26).
En Angleterre, Edouard VI établit contre celui qui aurait
acheté du blé pour le revendre la peine de l'amende, de
l'emprisonnement et de la conliscation.
Les successeurs de Charlemagne rendirent plusieurs or-
donnances concernant le commerce des céréales. En 1304
le prix des grains est fixé par un édit. En 1343 Philippe Yl
fait un règlement par lequel il prohibe les accaparements,
et enjoint à tout propriétaire de blés de ne les vendre que
sur le marché. Le préambule de ce règlement mérite d'être
cité : « Nous avons entendu, y est-il dit, par la grief
« complainte du commun peuple de la baillie d'Auvergne,
« que plusieurs personnes mues de convoitise ont, par leur
« malice, achaté et achatent, ou font achater de jour en
« jour, grant quantité de blés, et mettent en grenier plus
« assez que il ne leur en faut pour la garnison de leurs lios-
« tieux ou maisons , dont grant chierté en est venue audit
« bailliage, et plusieurs incouvéniens en pounoient ensuir
« au temps avenir se sur ce n'estoit pourveu de remède,
« si comme on dit. « Le recueil des anciennes ordonnances
de nos rois fourmille d'édits et de règlements portés sur
cette matière. 11 nous suffira de citer l'ordonnance du mois
de juillet 1482, celle du 28 octobre 1401, celles de Char-
les IX en 15G0, de Henri 111 en 1577, celle de Louis Xm
en 1629, la déclaration du 22 juin 1694, enfin celle du
3 avril 1736, qui adonné la première idée des greniers
d'abondance ; ce qui n'empêcha pas le pacte de famine .
La révolution de 1789, en abolissant les monopoles, laissa
le commerce des céréales parfaitement libre, ce qui ne tarda
pas à réveiller l'avidité des accapareurs; et les désordres
qui suivirent la première année de la révolution furent
tels, que l'Assemblée nationale dut s'occuper des subsis-
tances de la capitale. La disette rendit les accapareurs tel-
lement odieux, qu'il suffisait alors, pour susciter contre
quelqu'un la haine populaire et ie peidre, de crier à l'ac-
capareur! Ce cri était aussi funeste que celui de à l'aris-
tocrate ! La Convention employa les mesures les plus rigou-
reuses pour prévenir les accaparements; elle fit sa fameuse
loi du viaxiimim, qui eut sur l'agriculture l'influence lapins
funeste. Un décretdu 26 juillet 1793 porte: L'accaparement
est un crime capital. Sont déclarés coupables d'accapa-
rement ceux qui dérobent à la circulation des marchan-
dises ou des denrées de première nécessité, qui les achè-
tent ou tiennent renfermées dans un lieu quelconque,
sans les mettre en vente journellement et publiquement.
Ce décret enjoint à tout détenteur d'objets de consom-
mation d'en faire la déclaration dans les huit jours, sous
peine de mort, promet une i)rime au dénonciateur, sup'
l>rime rajipel des jugements en celte matière.
9.
fi 8
Les principes qui nous régissent aujourd'hui sont ren-
fermés dans les art. 419 et 420 du Code Pénal : liberté
l)Our le producteur, concurrence pour le consommateur,
telle est réconomie de la loi ; mais la liberté amduit sou-
vent au monopole. Ce que la loi réprouve seulement , c'est
le monopole par coalition : celui-là est regardé comme
contraire à Tordre, comme illicite; il est frappé d'une
•sanction pénale. Que des fabricants se réunissent pour em-
pêcher la libre concurrence, que les principaux détenteurs
d'une même marchandise s'entendent pour ne pas la vendre,
ou pour ne la vendre qu'à un certain prix, il y a coalition;
application d'une peine qui pourra être d'une année d'em-
jifisonnement et de dix mille francs d'amende. Si la denrée
(jui fait le sujet de la coalition consiste en grains, gre-
nailles, farines, substances farineuses, pain, vin, ou
toute autre 6o(550?2 , l'emprisonnement pourra s'élever à
deux ans et l'amende à vingt mille francs.
11 y a un certain genre de spéculations qu'on appelle
commerce de réserve, qu'il ne faut pas confondre avec
l'accaparement. Le commerce de réserve est toujours fort
utile; il empêche l'avilissement des céréales dans les années
d'abondance, et prépare un remède contre les disettes :
en arrêtant le gaspillage des récoltes , il empêche la ruine
des cultivateurs; en mettant en réserve le superflu, il pré-
vient tous les désordres qui sont l'apanage de la famine.
Aujourd'hui cependant le commerce de réserve est moins
utile : on y supplée par le commerce de circulation. Dès
que les subsistances deviennent rares dans une contrée,
l'équilibre est bientôt rétabli au moyen des arrivages. La
faciiilé des communications est très-propre à favoriser cet
l'tat de choses : lorsque l'Europe sera couverte de chemins
(le fer, nous n'aurons plus rien à craindre des horrems de
la disette. Paul-Jacques.
ACCASTILLAGE. En marine on désigne ainsi quel-
quefois toute la partie du bâtiment qui est hors de l'eau ;
mais plus ordinairement on comprend sous ce nom les deux
gaillards, et par extension la coursive qui les joint.
ACCÉLÉRATIOIV (du latin accélérât io, fait de
ad, vers, celerare, se hâter). C'est en mécanicpie l'aug-
mentation de vitesse que reçoit un corps en mouvement.
•Mnsi, un corps qui tombe librement par l'effet de sa pe-
••anteur propre reçoit incessamment une accélération de
vitesse, tandis qu'un projectile, qu'un boulet, par exemple,
<iui se meut dans un milieu résistant, éprouve une retar-
(lation de vitesse qui dénature la courbe qu'il décrirait en
vertu de la force d'impulsion initiale et des lois de la pesan-
teur. Galilée , le premier, exphqua d'une manière satisfai-
sante les causes, longtemps inconnues, de l'accélération.
En astronomie on appelle accélération diurne des
clùiles la quantité dont leur lever et leur coucher avancent
rhaque jour, ainsi que leur passage au méridien : eile est
lie 3' 56". Cette accélération vient du retardement effectif
(lu soleil. Le mouvement propre de cet astre vers l'orient,
<]ui est de 59' 8" de degré tous les jours, fait que l'étoile
(|ui passait hier au méridien en même temps que le soleil
est aujourd'hui plus occidentale de 59' 58" de degré, ou
de 3'" 56' de temps, dont elle passera plus tôt qu'hier. —
\ 'accélération des planètes est le mouvement propre des
I lanètes d'occident en orient, suivant l'ordre des signes,
mais qui, relativement à la terre, paraît plus grand qu'il
n'est réellement. Cette accélération a pour cause le mouve-
ment de la terre combiné avec celui de la iilanète. Elle a
lieu pour les planètes inférieures, Mercure et Vénus, quelque
!cnq)s après leur conjonction inférieure, et pour les pla-
iiètes supérieures, Mars, Jupiter, Saturne, Herschell, après
leur conjonction au soleil.
Le mot accélération est encore employé en piiysiologie
«•t en pathologie pour exprimer l'état de l'économie animale
ilans lequel certaines fondions se trouvent avoir pris im
degré d'activité plus grand que celui qui leur est habituel.
ACCAPAREMEINT — ACCENT
Cet état peut être accidentel ou permanent, c'est-à-dire
qu'il provient de l'exercice forcé de quelque fonction ani-
male , ou bien qu'il est la cause ou le résultat de quelque
maladie.
ACCENSE, ACCENSEMENT (du français à cens). On
appelait ainsi, dans notre ancien droit français, un bail, soit
qu'il fût bail à ferme, bail à cens ou bail à rente. Les
deux premiers laissaient la propriété à celui qui donnait à
bail, c'est-à-dire au bailleur, mais l'un était toujours à
temps, tandis que l'autre pouvait être perpétuel. Par le der-
nier, au contraire, le bailleur aliénait son héritage, moyen-
nant une rente perpétuelle ou seulement viagère ( voyez
Bail). Dans quelques coutumes, les accenses étaient le pri.x
du fermage, et les fermiers étaient appelés accenseurs.
ACCENT (du latin accenttis, de ad,\>o\iï , cantus,
chant), élévation ou abaissement de la voix sur certaines
syllabes, toute modilication de la voix dans la durée ou dans
le ton des syllabes ou des mots. L'accent temporel ou
quantité syllabiquc est l'accent qui indique que la voyelle
sur laquelle il tombe est plus ou moins longue. La pronon- '
dation française allonge constamment la dernière syllabe
des mots masculins et la pénultième des mots féminins. Il
en résulte que toutes les autres syllabes de nos mots sont
brèves. Les Normands déplacent l'accent temporel, et c'est
là le vice de leur prononciation. L'accent tonique ou proso-
dique, est celui qui porte sur la syllabe d'un mot polysylla-
bique où la voix s'élève. L'accent tonique existe dans toutes
les langues; chaque mot a le sien et n'en a qu'un. L'accent
tonique se distingue de l'accent temporel en ce que celui-ci
n'a rapport qu'à la quantité des syllabes, tandis que l'accent
tonique a pour caractère propre de faire saillir spéciale-
ment une syllabe parmi les syllabes environnantes; En
français l'accent tonique se trouve, comme l'accent tempo-
rel, sur la dernière syllabe quand elle n'est pas muette, et
dans ce dernier cas sur la pénultième. Dans toutes les lan-
gues, certains mots, comme les monosyllabes, perdent leur
accent dans la suite du discours , parce qu'ils se lient au
mot suivant ou au mot précédent dans la prononciation. L'ac-
cent logique ou rationnel est celui qui fait sentir le rapport,
la connexion plus ou moins grande que les propositions et
les idées ont entre elles et indique à l'inteUigence l'idée que
l'on veut rendre ; il se marque en partie par la ponctuation.
L'accent oratoire marque, nuance un mot parmi les autres
mots, absolument de la même manière que l'accent tonique
relève une syllabe parmi les autres syllabes. L'accent pa-
thétique est celui qui , par diverses inflexions de voix, par
un ton plus ou moins élevé, exprime les affections dont
celui qui parle est agité et les communique à ceux qui l'é-
coutent. — On donne le nom d'accent national aux in-
flexions de voix particulières à une nation, comme on qua-
lifie d'accent /J/'Oi;i«ci«i la manière d'articuler et de pro-
noncer propre à certaines provinces. L'accent populaire est
une prononciation traînante et commune. — Accent se dit
encore de l'expression môme, abstraction faite des paroles,
puis du ciiant des oiseaux, du son des instruments : l'ac-
cent du désespoir ; les accents de la douleur; l'accent
plaintif des cris de tapie; du luth harmonieux les sé-
duisants accents , etc.
Dans la musique Vaccent est une modulation de la voix
allant du grave à l'aigu ou de l'aigu au grave, enflant le ton
ou le diminuant, abrégeant oii allongeant la durée du son
et donnant an chant vnie couleur tantôt naïve et simple,
tantôt fougueuse et passionnée. L'étude des divers accents
et de leurs effet.s dans la lang\ie doit être la grande affaire
du musicien. Denis a'Halicarnasse regarde avec raison l'ac-
cent en général comme la semence de toute musique. Les
langues sont donc plus ou moins musicales, suivant qu'elles
ont plus ou moins d'accents. .Moins une langue a (l'acccnts,
plus la mélodie doit être monotone, languissante et fade. Le
I premier et principal objet de la musique étant de plaire à
ACCENT — ACCESS10\
G 9
roiville, on doit avant tout consulter la mélodie et TacaMit
musical dans le dessin d'un air quelconciue; ensuite, s'il est
ijuestion d'un cliant draniatiiiue et iniitatil", il faut clierclier
l'accent pathétique, qui donne de l'expression au senti-
ment, et racc4int rationnel, par lequel le musicien rend avec
justesse les idées du poète. 11 y a dans la musique, comme
dans la parole, un accent.national. Ainsi l'accent italien dif-
fère de l'accent français. La musique instrumentale a de
même son accent. L'instrumentiste exécute avec plus ou
moins de sûreté d'intonation, avec plus ou moins de vérité
et de passion; il met dés lors plus ou moins d'accent. Dans
e chaut ecclésiastique l'accent est une inflexion de voix
qui se fait eu ps;ilmodiant. Ou le classe en immuable,
moyen, grave, aigu, modéré, intcrrogatif, selon qu'il est
plus ou moins plein et élevé. On conçoit en effet que c'est
surtout en s'adressaut à la Divinité que l'homme doit clier-
clier dans les intonations les plus diverses ù rendre les
mouvements si variés de son âme.
En grammaire on appelle accents certains signes que
l'on emploie dans l'écriture et dans l'impression et que
l'on met sur les voyelles , soit pour en faire connaître la
prononciation , soit pour distinguer le sens d'un mot d'avec
celui d'un autre mot qui s'écrit de même, soit pour marquer
la suppression d'une consonne ou la contraction de deux
voyelles. On fait usage en français de trois accents : l'accent
aigu, l'accent grave, et l'accent circonflexe. L'accent
aigu (') sert à marquer le son de ïc fermé : chasteté, aimé.
L'accent grave (') se met sur les voyelles a, e, u, dans
certains cas déterminés. Placé sur l'e il indique que cet e
est ouvert , et qu'il doit se prononcer comme dans accès,
succès : on met en général un accent grave sur l'e qui pré-
cède une syllabe muette, comme algèbre, siècle, règle, etc.
Toutefois l'Académie a remplacé par un e aigu l'e grave
qu'on employait autrefois dans ce cas pour une foule de
mots : collège, événement, etc. Placé sur a, e, u, l'ac-
cent grave sert à distinguer certains mots qui s'écrivent
de la même manière sans avoir le même sens; ainsi on
le met sur à, préposition, pour le distinguer de a, troi-
sième personne du présent de l'indicatif du verbe avoir;
sur là, adverbe , pour le distinguer de la , article ; sur où,
adverbe, pour le distinguer de ou, conjonction; sur dès,
préposition , pour le distinguer de des, conti action de de
les ; sur çà, adverbe et interjection, pour le distinguer de
ça employé quelquefois pour ceto. L'accent circonflexe n'est
autre chose dans le français moderne que le signe repré-
sentatif d'une lettre retranchée, soit voyelle, soit consonne,
et particulièrement de Ys. On écrivait anciennement aage,
roole, prestre, renier ciement,apostre, dénouement, qu'on.
écrit à présent âge, rôle, prêtre, remercimcnt, apôtre, dé-
noûment. Cet accent se place encore sur Xi des verbes en
aitre ou en oître, partout où cette lettre est suivie d'un t;
aux premières et deuxièmes personnes du pluriel du passé
défini de tous les verbes, sur la voyelle qui précède mes et
tes : nous eûmes, vous aimâtes; sur la voyelle qui précède
le t final de la troisième personne du singulier de l'imparfait
du subjonctif de toiis les verbes : qu'il/H^, qu'il aimât. Au
seizième siècle les mots que nous écrivons dû, crû, tù,
mûr, sûr, s'écrivaient deu, creu, teu, meur, seur, quoi-
que leur prononciation ne différât pas de celle d'aujourd'hui;
en supprimant l'e dans ces mots, on l'a remplacé par l'ac-
cent circonflexe, qui les distingue de leurs homonymes dzi,
cru, tu, rnur, sur, qui ont un autre sens. iXotre prosodie
ne souffrant pas deux e muets de suite dans le même mot
simple, on a mis, par analogie, un accent grave ou aigu sur
Ve final des verbes qui, dans les phrases en forme interroga-
tive, sont joints par un trait d'union avec le pronom je :
aimé-je, dussé-je, veillé-je.
L'usage des accents remonte à une haute antiquité ; il
paraît qu'ils furent introduits chez les Grecs ])ar Aristo-
phane deBy/.ance, vers la 145^ olymiiiade (deux siècles
avant Jésus-Christ). Les accents étaient en usage dans l'é-
criture latine dès le temps d'Auguste; on en trouve la preuve
dans les marbres et les plus anciens grammaiiicns. Au temjis
du Bas-i:mpire on négligea entièrement les accents et la
ponctuation ; leur absence totale est même un des signes
caractéristiques des monuments écrits de cette époque^ Ils
ne recommencèrent à être d'un usage général que vers le
onzième siècle.
ACCENTUATION. C'est l'action, la manière d'accen-
tuer, d'imprimer au son de la voix humaine les diverses mo-
difications connues sous le nom d'accents.
ACCEPTATION (en latin acceptatio, à'accipere,
recevoir), consentement de celui auquel on fait une offre
et qui l'agrée. Voyez Donation, Legs, Succession.
En matière commerciale l'acceptation est l'acte par lequel
une personne s'engage à payer une lettre de change à son
échéance. Voyez Lettre de change.
ACCEPTILATION. C'était, en droit romain, le nom
d'un contrat qui se faisait dans la forme de la stipulation
par lequel un créancier supposait avoir reçu de son débi-
teur la ciiose promise et le déliait ainsi de son obligation
ACCEPTION DE PERSONNES. On appelle ainsi
la préférence injuste qu'on donne à une personne sur une
autre. Les législations de tous les peuples ordonnent aux
magistrats de rendre la justice sans acception de person-
nes, sans plus d'égards pour le riche et le puissant que pour
le pauvre et le faible, à peine de se rendre coupables de
prévarication .
ACCES (du latin accedere , venir vers). On appelle
ainsi tout trouble fonctionnel plus ou moins violent , plus
ou moins prolongé , et sujet à revenir par intervalles. Di-
verses névroses, l'Iiystérie, l'épilepsie, la catalepsie, l'é-
clanipsie , etc. , s'annoncent par des accès. Cependant ,
quoique cette désignation soit consacrée dans la science à
la réapparition des symptômes de ces affections , on a cm
convenable de leur résener celle d'attaques, plus con-
forme à la bnisque rapidité avec laquelle les malades sont
frappés. La rage, la folie, ont aussi des accès. Il en est
de même de certaines passions , comme la colère , le déses-
poir, etc. — Au moral , on a pu dire de la manifestation
inaccoutumée de quelque qualité , un accès de bienveil-
lance, de libéralité, etc. — Qui n'a encore entendu parler
des accès de goutte, d'asthme, de suffocation? Mais c'est
surtout aux accidents des fièvres intemiittentes que le nom
d'accès convient d'une manière toute particulière. On dis-
tingue dans les accès fébriles trois périodes ou stades, la
première de frisson, la seconde de chaleur, la troisième de
sueur. L'intervalle qui sépare ces accès les uns des autres
s'appelle apyrexie ou intermission. Cet intervalle est
plus ou moins long, suivant la durée des accès ou la fré-
quence de leur retour, qui afl'ecte différents types, quotidien,
tierce , quarte, etc. Les trois stades peuvent êtie égaux ou
inégaux ; quelquefois l'un d'eux manque , ou même il n'en
existe qu'un seul ; l'accès alors est dit incomplet.
D^ Delasiauve.
ACCESSION ( Droit). On exprime par ce mot , dérivé
du latin accedere, la réunion d'une choseà une autre ; etl'on
appellerfro;7f/'flcce.s.s/o?iledioit qu'a tout propriétaire d'une
ciiose mobilière ou immobilière sur tout ce qu'elle proiluit
et sur tout ce qui s'y unit accessoirement, soit naturelle-
ment, soit artificiellement. (Code Civil, art. 54(i.) De là
une double division, 1" de l'accession relativement aux im-
meubles , 2° de l'accession relativement aux meubles.
1 " En ce qui touche les immeubles, ce droit s'applique aux
alluvions et atteiiissements, aux îles qui .se forment dans
les fleuves et rivières, aux constructions et plantations,
aux travaux faits dans les mines, aux animaux dont paile
l'art. 564 du Code Civil. — On ne s'occupera ici ni des al-
luvions, ni des??n?îe.ç, ni do» at t er r i s s era e nt s, qm
feront l'olijet d'ailicles spéciaux. Les îles et ilôts qui se for-
ACCESSION — ACCIAJOLl
ment clans les rivières appartiennent à l'État, s'il s'agit de
rivières navigables ou (lottables , et aux piopriétaires rive-
rains, s'il s'agit de rivières non navigal)les ni llottahlcs. A cet
égard , les riverains sont censc's avoir droit sur la moitié du
lit de la rivière , au moyen d'une ligne fictivement tracée
au milieu. Il n'y a lïaccession qu'autant que les terrains
ont été formés d'une manière insensible ; la terre subite-
ment environnée par les ean\ d'une rivière ne changerait
pas de maître. — Le propriétaire du fonds où les constructions
et plantations se trouvent en est censé l'auteur ; la preuve
contraire peut seule faire cesser cette présomption et le droit
qui en dérive. Mais il peut arriver que ce propriétaire ait
employé des matériaux appartenant à un tiers ; ce dernier
ne peut les revendiquer : il n'a qu'une action en dommages-
intérêts, à moins que l'édifice n'ait été détruit, et dans ce
cas ils peuvent être réclamés en nature. Si , au contraire ,
un tiers vient à construire sur le fonds d'autrui, le proprié-
taire a le droit de retenir les ouvrages en remboursant la
valeur des matériaux employés et le prix de la main-d'œu-
vre, ou d'en exiger la démolition. (C. Civ., art 553 à 555.)
— A la différence des animaux domestiques , les pigeons ,
lapins ou poissons, changent de maître en quittant leur co-
lombier, garenne ou étang : ils ne nous appartiennent donc
«pie par droit d'accession. Si cependant ces animaux
avaient été attirés par fraude, il pourrait y avoir lieu à
une demande en revendication. (C. Civ., art. 564.)
2° En ce qui touche l'accession par rapport aux meubles,
les règles tracées par le Code se rangent sous trois clas.-es,
([ui répondent aux trois espèces d'accessions artiliciellos
indiquées par les auteurs. Savoir : Y ad jonction, la spcciji-
cution, h mélange; mais comme en fait de meubles la
i)ossession vaut titre, ces règles ont nécessairement une ap-
plication fort limitée. — h\id jonction a heu par l'union de
deux ou plusieurs choses appartenant à différents maîtres.
Dans ce cas , lorsqu'elles sont encore séparables , en sorte
que l'une puisse subsister sans l'autre, par exemple le
diamant enchâssé dans un anneau , les galons d'un vête-
ment , etc. , le tout appartient au propriétaire de la chose
principale, à la charge de payer la valeur de la chose unie ;
et l'on entend ainsi celle à laquelle l'autre n'a été unie que
pour Tusage , l'ornement ou le complément de la première.
Or, pour que le propriétaire de l'accessoire soit fondé à le
reprendre, il faut la réunion de ces trois conditions : que
les choses puissent se séparer, que l'adjonction ait eu lieu
sans ïavcu et à l'insu du propriétaire de l'accessoire, que
cet accessoire ait une valeur supérieure à celle du princi-
pal. — La spccification est la formation d'une nouvelle es-
pèce d'objet avec une matière appartenant à autrui. Voici
;i cet égard la distinction que fait la loi. Si la matière ap-
p.artient entièrement à autrui , soit qu'elle puisse ou non
reprendre sa première forme, le propriétaire a le dioit de
réclamer la nouvelle espèce en remboursant la main-d'oMi-
vre; si l'artisan est propriétaire d'une partie de la matière
et que la séparation ne puisse se laire sans inconvénient , il
y a communauté entre lui et le propriétaire de l'autre partie,
en raison , quant à ce dernier, de la partie de matière qu'il
a fournie, et quant à l'artisan, en raison du prix de sa ma-
tière et de sa main-d'œuvre. 11 peut se faire cependant que
la main-d'œuvre l'emporte de beaucoup sur la matière,
connne , par exemple, la sculpture d'un bloc de niaibre ,
le travail du peintre sur une toile. Dans ce cas, l'artiste
demeure en possession moyennant indemnité. En cas de
jnauvaise foi de la part de celui qui a employé la matière
d'autrui , le propriétaire est en droit d'exiger des domma-
ges-intérêts. (C. Civ., art. 571, 572 et 577.) — Le mélange
a liea lorsqu'une chose a été fornîée de matières apparte-
nant à différents maîtres , et dont aucune ne peut être re-
gardée connue principale; si elles peuvent être séparées,
celui à l'insu duquel elles ont été mélangées peut en de-
liiander la division, et s'il ne veut pas user de cette fiicullé,
il peut demander le prix de ses matières. Si elles ne peu-
vent plus être séiiarées sans inconvénients , la propriété
devient comnmne dans la jiroportion de la quantité, de la
qualité et de la valeur appartenant à chacun. Mais si la
matière appartenant à l'un des propriétaires était de beau-
coup supérieure à l'autre, par la (piantité et le prix, en ce
cas le proi)riétaire de la matière supérieure pourrait ré-
clamer le mélange entier, en remboursant à l'autre la va-
leur de sa matière, à moins toutefois que le mélange n'eût
été fait du consentement des dilférents propriétaires : il y
ainait aloi-s entre eux communauté et nécessité de liciter
la chose au profit commun. ( C. Civ., art. 573 à 575. )
E. DE Chabrol.
ACCESSION {Droit international ). C'est l'acceptation
par un ou plusieurs États d'un traité déjà conclu entre deux
ou plusieurs autres. Comme un des plus récents exemples
d'accession on peut citer l'accession du roi des Delges et
du roi des I>ays-Eas au traité conclu entre les gouverne-
ments de France, d'Angleterre, d'Autriche, de Pnisse et de
Russie à la suite des conférences de Londres.
ACCESSIT ( littéralement il s'est approché ), terme
usité dans les universités, académies, collèges, etc. On ap-
pelle accessit la mention honorable accordée à la personne
qui, ayant concouru pour un prix, a obtenu le plus de suf-
frages après celui qui l'a lemporté.
ACCESSOIRE. On appelle ainsi dans les arts du des-
sin les objets qu'on fait entrer dans une composition , et
qui , sans y être absolument nécessaires , servent beaucoup
à l'embeUir. Le grand talent de l'artiste est de bien choisir
l'accessoire , de le coordonner à l'ensemble de son œuvre ,
de ne jamais sacrifier l'un à l'autre, et de l'introduire avec
tant d'adresse dans sa composition que sa présence y pa-
raisse nécessaire. Dans le langage ordinaire , accessoire se
dit de ce qui n'est pas forcément lié à une chose, mais
qui y sert d'accompagnement et de suite. Exemple : la mé-
decine a pour sciences accessoires la chimie, la botanique,
la piiysique, etc.
ACCIACCATURA. Ce mot italien est employé en
musique pour désigner un agrément d'exécution sur la nature
duquel les divers auteurs ne sont pas d'accord. Les uns
veulent qu'il consiste à frapper successivement et d'une
manière très-rapide toutes les notes d'un accord. Les autres
le font consister à frapper dans un accord une ou plusieurs
notes qui ne lui appartiennent pas. Enfin, il y en a qui
disent que c'est la même chose qu'une appogiatttre;
mais que l'on frappe presque simultanément avec la note
principale.
ACCIAJOLl ou ACCIAJUOLT, ancienne et célèbre fa-
mille de Florence , dont la fortune eut pour point de départ
le conunerce (celui de l'acier, dit-on, en italien acciajo), a
donné des hommes remarquables à l'État, à l'Église, à la
science, et des souverains à Coriuthe, à Thèbes et à Athè-
nes. — Nicolas ACCIAJOLl, né en 1310 , et général renommé,
rendit particuhèrement à Robert, roi de JNaples, les ser-
vices les plus importants , fit de nombreuses conquêtes en
Morée, en Sicile et en Italie, et s'éleva aux plus hautes di-
gnités; la reine Jeanne le nomma grand sénéchal du royaume
de JNaples, et plus tard il devint gouverneur de Bologne et
de toute la Romagne. Outre ses talents militaires , il avait
orné son esprit de connaissances littéraires et scientifiques,
et compta parmi ses amis les j^lus intimes Pétrarque et
Boccace; on nous a conservé plusieurs lettres de ces deux
grands hommes, adressées à Kicolas Acciajoli, qui fut encore
vice-roi de la Fouille, et mourut à is'aples en 13GG. — Donat
Acciajoli, né à Florence en 1428, remplit dans sa patrie
plusieurs fonctions importantes : en 1473 il fut gonfalonier
de la république, dont il défendit avec le patriotisme le plu?
pur les inlérèîs auprès des cours de France et de Rome, et
mourut à Milan, le 2S août ri7S, au moment où il se ren-
dait en France comme ambassadeur. Sa patrie reconnais-
ACCIAJOLl — ACCLAMATION
71
santé «Iota Ks doux filles Je ce gt^néioiix citoyen , qui avait
(lodaiiint^ tous lis moyens de s'enrichir, et donna le fameux
Laurent de Médicis pour tuteur aux tiois (ils qu'il laissait
en bas Age. Malgré le temps que lui enlevèrent les aflaires
publiques, il s'appliqua constamment aux sciences, en fa-
vorisa les progrès, et sedistingua lui-nu^me comme écrivain.
Son Commentaritts de Vitd Caroli Magni, écrit en latin
très-élégant, mérite encore d'être lu. — Zcnobius Accia-
lOLi , né à Florence, en 1461, entra en 1494 dans l'ordre des
dominicains, fut bibliothécaire du Vatican sous le pape
Léon X , et mourut en 1 520. Ses connaissances dans la lit-
térature ancienne lui méritèrent l'estime et l'amitié de Mar-
sile Ficin et d'Ange Politien, dont il publia les Epigram-
mata giwca (Florence , l4'J5 , in-4°). 11 était lui-même bon
poète latin, mais on n'a conservé qu'un petit nombre de ses
poésies latines. — Philippe Acci.^joli , chevalier de Malte,
né à Florence en lf.37 , voyagea dans les quatre parties du
monde , lit iniprimer quelques œuvres dramatiques, et mou-
rut à Rome en 1700. — Au dix-huitième siècle , deux mem-
bres de cette famille reçurent le chapeau de cardinal : ce
sont Nicolas, né à Florence, en 1G31 , mort en 1719 , et
Philippe, son neveu , né à Rome, en 1700 , mort en 17G6.
Celui-ci fut nonce en Suisse et en Portugal. Son dévouement
aux jésuites lui suscita de grandes difiicultés dans ce der-
nier pays,
ACCIDEXT. Les qualités fortuites et non essentielles
d'une personne ou d'une chose, comme êtie riche, beau, etc.
En musique, on nomme accidents les dièses, bémols et
bécarres , parce que ces signes placés devant les notes , les
altèrent momentanément en les haussant ou les baissant
d'un demi-ton.
Dans la philosophie, le mot accident, dans son accep-
tion la plus générale, désigne tous les modes ou les manières
d'être d'une chose, par opposition à la substance considérée
abstractivement.
Ce mot exprime, en outre, tout ce qui peut arriver ino-
pinément de (acheux. Mais dans le langage médical , où il
est très-usité , il retoit diverses acceptions. Tantôt il dési-
gne le mal lui-môme : congestion, hpoplexie , fracture ,
entorse , brûlure, etc. ; tantôt les phénomènes non intime-
ment liés aux afïections dans lesquelles, ces phénomènes se
manifestent. On dit d'une maladie qu'elle se complique
A^accidents du côté du cerveau, de la poitrine, des voies
digestives, et vice versa. Dans quelques cas on donne à ce
dernier genre d'accidents le nom d'épiphénomènes. Très-
souvent, enfin, il est synonyme de symptôme, comme,
par exemple , dans ces locutions : les accidents sont graves
ou légers , persistants ou fugaces , continus ou périodiques ;
ils augmentent ou diminuent d'intensité , etc.
AcciDE.NTs DE LUMIÈRE. Eu pcinture on donne ce nom
aux espaces lumineux éclairés par le soleil lançant ses
rayons dans l'intervalle laissé par les nuages; aux clairs pro-
duits dans un tableau par des circonstances étiaiigères à la
lumière générale de la composition. Ainsi les rayons lumi-
neux qui pénètrent par une porte, une fenêtre ouvertes, ou
bien encore ceux que projette un flambeau, sont des acci-
dents de lumière. — Si les résultats ordinairement produits
à nos yeux par la lumière ne nous causent point de sur-
prise, c'est que nos regards y sont accoutumés. Au contraire,
que , par quelques dispositions ou circonstances particulières
la lumière lance des rayons plus éclatants qu'à l'ordinaire
et formant par leur contraste avec l'ombre des oppositions
tranchées , ces effets , qui frapperont vivement les artistes ,
seront appelés par eux accidents de lumière. On diia donc
d'un tableau dans lequel ces effets seront bien rendus que
le peintre y a représenté d'heureux accidents de lumière,
qu'il s'y trouve de fréquents accidents de lumière, etc.
ACCIDENTEL. Ce mot s'applique h toutes les choses
()ui arrivent sans que la cause nous en soit connue. Quand
on dit qu'un phénomène est accidentel, qu'il est dû au
hasard, on ne veut pas dire qu'il n'a pas de cause, mais seu-
lement qu'il n'a jias de cause connue.
Dans la musique on appelle signes accidentels les dièses,
bémols et bécarres qui n'étant point à la clef se rencontrent
dans le courant d'un morceau de musique.
ACCISE (du bas-latin accisia, fait de accidere, tailler,
couper) , impôt, taxe qui se lève sur les boissons et autres
objets de consommation, dans plusieurs États. L'accise ré-
pond à peu près aux contributions indirectes en France.
Elle existe en Angleterre sous le nom d'excisé.
ACCIUS ou ATTIUS (Lccius), un des plus anciens
auteurs tragiques des Romains, dont il ne nous reste que des
fragments, était fils d'un affranchi. 11 naqiùt vers l'an IGO
avant J.-C, et mourut dans un âge très-avancé ; car Cicéron,
qui le cite très-frequemment, paraît l'avoir connu, et Ci-
céron était né l'an lOG. D'un passage du Brutus de Cicéron,
ch. 64 , il résulte qu'Accius avait trente ans lorsque Pacu-
vius en avait quatre-vingts. 11 était contemporain de Luci-
lius, et florissait vers l'an 115. Si l'on ajoute foi à Valère
Maxime (III, 7, 11), Accius aurait même connu Jules César :
il rapporte que, dans une réunion de poètes, le vieil Accius
ne se levait pas en présence de César, non par aucune in-
tention de lui manquer de respect, mais à raison de sa
supériorité comme poète. En admettant l'exactitude de l'a-
necdote, elle ne pourrait se rapporter qu'à la jeunesse "de
César; car on sait qu'il fut nommé gouverneur des Gaules
en l'an 58 ; il y passa dix ans, et les quatre dernières années
de sa vie t^urent remplies par les guerres civiles et sa dicta-
ture. Accius devait être mort depuis longtemps. Celles de
ses tragédies dont il nous reste des fragments ont pour
titres : les Agamemnonides , les Argonautes, Armorum
Judicium (que nous sommes forcé de traduire par cette pé-
riphrase : Jugement du débat élevé entre Ajax et Ulysse sur
les armes d'Achille), Atrèe, Eurijsacès, les Myrmidons ,
Phtloctète à Lemnos, Prométhée, les TracMniennes . Il
nous reste de ces deux dernières deux beaux et longs frag-
ments conservés par Cicéron. Les sujets de toutes ces pièces
avaier.t été déjà traités par les tragiques grecs. On cite aussi
parmi les ouvrages d'Accius une tragédie de Brutus, dont
le sujet était l'expulsion des rois de Rome. La perte en est
d'autant plus regrettable que les drames sur des sujets na-
tionaux sont plus rares dans la littérature romame. îs'eukirch
{De fabula togatâ Romanorum) conjecture qu'Accius
composa cette pièce sur le conseil de Decimus Brutus , avec
lequel il était lié. Il paraît avoir écrit aussi des Annales en
vers qui sont citées par Festus , Nonius , Macrobe et Pris-
cian. Enfin on lui attribue encore trois ouvrages en prose ,
intitulés Didascalica , Parerg'a, qui traitaient de divers
sujets d'histoire littéraire, et particulièrement de l'histoire
du théâtre. Les fragments d'Accius ont été recueillis plu-
sieurs fois. Le recueil le plus récent se trouve dans l'ouvrage
publié par M. Egger, sous ce titre : Latini sermonis vetus-
tioris Reliquiœ selectx (Paris, 1843). Artaud.
ACCLAjVIATIOi\ (du latin acclamatio , fait de ad,
vers, clamo,]e. crie) , cri par lequel on marque la joie qu'on
éprouve de quelque chose ou bien l'estime que l'on a pour
quelqu'im. Il se dit surtout des marques spontanées de joie
par lesquelles une réunion d'hommes témoigne de son en-
thousiasme. Le hosannah des Hébreux , l'âyaOo vjyr, des
Grecs , les vivat et les hourrah modernes , sont des ter-
mes d'acclamation. Chez les Romains , l'armée victorieuse
saluait son chef ou son empereur par une acclamation. Le
sénat faisait des acclamations au nouvel empereur. Alors
V acclamation devint un art, qui eut des formules différentes
suivant les circonstances ou les personnages. — De nos
jours, l'expression élire par acclamation signifie l'ac-
cord bruyant des opinions qui se manifeste quelquefois et
dispense en quelque sorte de recueillir les suffrages. On dit
aussi, dans le langage parlementaire, qu'une mesure,
qu'une loi , a été reçue par acclamation , loi-squ'ellc a été
72
ACCLAMATION — AC-COINLU
reçue aussitôt qnc piopos(5c. An théâtre , que de pièces re-
çues par acclama/ion, et qui n'en valent pas mieux !
ACCLIMAÏATIOIV et ACCLIMATEMENT. Vac-
climatation a pour objet de faire vivre les animaux et les
vj^gétaux dans des climats différents de ceux qui leur sont
liabituels, et dans lesquels ils trouvent les influences exté-
rieures les plus favorables à leur développement complet.
Les influences extérieures qui conservent, modifient, altè-
rent et détruisent la vie et la santé des Ctres vivants sont les
grands agents physiques connus usuellement sous les noms
de lumière et d'obscurité, de température , de sécheresse ,
d'humidité et dV-manations diverses d'un sol nu ou recou-
vert de débris organiques. C'est l'ensemble de ces influences
qui constitue toutes les variétés de climats favorables ou
nuisibles au développement normal des animaux et des vé-
gétaux. L'expérience a conduit naturellement les observa-
teurs à ramener tontes ces variétés climatériques à trois
principaux chefs, savoir : les climats chauds, les climats
tempérés, et les climats froids, et à distinguer les corps
organisés, animaux ou plantes , selon qu'ils sont destinés
par Ja nature à vivre et à jouir d'une santé plus vigoureuse
dans l'une de ces trois catégories de climats.
Lorsque des circonstances éventuelles transportent brus-
quement un corps organisé dans un climat insolite , ce
corps souffre, languit et meurt. Un animal ou un végétal
éprouve seulement des modifications dans sa constitution
organique, lorsqu'on le fait passer lui-même ou ses géné-
rations graduellement d'un climat dans un autre, en pre-
nant quelques précautions que prescrivent l'art de la culture
des végétaux et l'art d'élever les animaux. L'ensemble des
modifications que subit une plante ou un être animé vivant
dans un climat insolite constitue V acclimatement. L'élude
des diverses modifications compatibles avec la santé pour-
rait être faite dans toute la série des êtres organisés. Mais
on n'a guère étudié expérimentalement que les effets de
l'acclimatement sur l'homme, sur les animaux domestiques
et sur les plantes cultivées. L'acclimatement ou l'aptitude
acquise par un corps organisé à vivre sous un autre climat
trè-s-différent de celai qui lui est le plus favorable ne doit
pas être confondu avec l'aptitude à vivre et à fructifier
produite par l'art de créer en quelque sorte, ou mieux d'i-
miter dans des serres, dans des ménageries, les localités,
c'est-à-dire le sol et les climats favorables à la vie et à la
santé des animaux et des végétaux exotiques. L'art parvient
alors à produire des climats artificiels qui sont des imita-
tions de leurs viviers naturels. Mais les végétaux et les ani-
maux exotiques que nous parvenons ainsi à faire développer
complètement ne sont pas pour cela acclimatés, et meurent
lorsque la nature ou l'art ne leur fournit pas les influences
extérieures favorables.
Lorsque des circonstances naturelles (vents, cours d'eau,
etc.) qui disséminent les corps reproducteurs des êtres or-
ganisés les transportent graduellement dans des climats
différents, cette translation graduelle est souvent suivie
d'une acclimatation naturelle des espèces animales ou vé-
gétales. Cette première sorte d'acclimatation est en réalité
une opération que la nature semble pratiquer en grand pour
produire les modifications d'espèces connues sous les noms
<le variétés et de races. L'acclimatation est alors l'ouvrage
de la nature, et l'art, qui l'imite avec succès, produit ainsi
les acclimatations artificielles , qu\ sont des expériences
dont le physiologiste et le naturaliste doivent suivre le
cours, le progrès et les contre-épreuves, pour les appli-
quer ensuite aux besoins de l'industrie et surtout à ceux
de la science. L'acclimatation est donc une expérience na-
turelle ou artificielle qui consiste dans la translation gra-
duée d'un climat dans un autre plus ou moins différent,
qu'on fait subir à des végétaux ou à des animaux, et dans
l'action également graduelle des influences extérieures qui
modifient la constitution de ces corps organisés sans altérer
leur état de santé, qui peut offrir divers degrés d'énergie
ou de vigueur. L. Laukent.
La plupart de nos plantes et de nos animaux les plus
utiles nous vieiment d'acclimatation. Tels sont le cheval,
l'une , la brebis, la chèvre , le dindon , la poule , le ver ii
soie , le mérinos, la vigne, le cerisier, le pommier, le châ-
taignier, le pêcher, l'abricotier, le mûrier, le figuier, l'olivier,
l'oranger, le citronnier, l'amandier, le noyer, le groseiller, le
noisetier, le hêtre, l'accacia, le cèdre, le rosier, la pomme
de terre, etc.
Une Société zoologique d'acclimatation a été fondée à
Paris , le 10 février 1854 , « dans le but, a dit M. Isidore
Geoffroy Saint-Ililaire, de peupler nos champs, nos forêts ,
nos rivières, d'hôtes nouveaux; d'augmenter le nombre de
nos animaux domestiques , cette richesse première du
cultivateur ; d'accroître et de varier les ressources alimen-
taires si insuffisantes dont nous disposons aujourd'hui;
de créer d'autres produits économiques ou industriels , et
par là même de doter notre agriculture si longtemps lan-
guissante, notre industrie, notre commerce et la société
tout entière de biens jusqu'à présent inconnus ou négli-
gés, non moins précieux un jour que ceux dont les généra-
tions antérieures nous ont légué le bienfait. » Cette so-
ciété compte dans son sein des naturalistes éminents et
des agriculteurs praticiens. Elle se divise en membres fon-
dateurs , membres honoraires et membres titulaires. Elle
publie depuis son origine un Bulletin oii sont résumés ses
travaux . Elle s'est affilié bon nombre de sociétés régionales
d'acclimatation. Elle a institué des délégués spéciaux qui
la représentent dans les différentes parties du monde. Recon-
nue commeétablissement d'utilité publique, le 26 février 1855,
elle décerne chaque année des récompenses aux services ren-
dus dans le but qu'elle se, |i opose. Elle a réalisé le projet
d'un grand dépôt de reproducteurs et créé l'établissement
d'une sorte de muséum d'histoire naturelle appliquée.
Un terrain de vingt hectares au bois de Boulogne fut cédé
en 1857, par la ville de Paris, à une société dérivée de la So-
ciété zoologique d'acclimatation, pour y établir un jardin
zoologique qui a été ouvert le 0 octobre 1860, et où le pu-
blic est admis moyennant une faible rétribution. On y voit
une serre splçndide, un aquarium curieux, des parcs d'ani-
maux utiles, des étables, des écuries , des volières, une
basse-cour, un poulailler, une magnanerie, des arbres et
des fleurs rares, etc., fout ce qu'il faut enfin pour aider la
naturalisation parmi nous d'animaux ou de plantes que
nous ne connaissons que de nom ou de réputation. Z.
AC-COINLU ou AK-KOYUNLU, dynastie de Turco.
mans, qui a régné dans l'Arménie Mineure depuis l'an 1375
jusqu'à l'an 1515 de l'ère chrétienne. Son nom lui vient de
ce qu'elle portait un mouton blanc dans ses enseignes , tan-
dis que celle de Kara-Coinlu portait un mouton noir.
L'historien Al-Jannabi etautres commencent cette dynas-
tie par Tùr-Ali-Beg ; son fils Fakr'Eddin-Kotliou-Kotlu-Beg
lui succéda, et eut pour héritier son fils Kara-Itug-Othman,
qui se soumit à Tamerlan et l'accompagna avec ses troupes
dans l'Asie Mineure ; il en reçut pour récompense e gouver-
nement de quelques villes de Mésopotamie. Fier de cet appui,
il voulut chasser la dynastie du Mouton noir de l'Arménie
ou Diarbékir, et fut tué dans une bataille que lui livra Kara-
Yusef , second prince de cette dynastie , l'an de l'hégire 809,
ou 823 suivant Mirkhond. Son fils Hamzah-Beg lui succéda,
et mourut l'an 848 ; il eut pour successeur son neveu Ge-
hanghir, petit-fils de Kara-ltug-Othman, qui finit ses jours
l'an 872, après avoir été privé d'une grande partie de ses
États par son frère Ilassan-Deg. Celui-ci hérita du reste.
C'est ce prince que les Arabes nomment Hassan-Althaouil,
les Turcs Usum-Hassan ou Hassan le Long, et les Occiden-
taux Usum-Cassan. Usum-Cassan était déjà connu |)our
avoir vengé son aïeul par la mort de Jehan-Chah, fils et
successeur de Kara-Yusef , l'an 872 de l'hégire. Le fils de
AC-COINLU — ACCOLTI
73
Jfliaii-Chah ayant deiuaiulé vengeance au suUau Abenzuid-
^liraa, ce successeur de Tamerlan vint dans la province
dWrran à la tête d'une aruico ; mais il y fut affanu^ par
riiabiletc d'Usum-Cassan , qui dissipa ainsi toutes ses trou-
pes , le prit lui-même, et le lit mourir, Tau 873 (1408 de
rîre chrétienne). Le memtre d'IIassan-Ali , quatrième et
dernier prince de la dynastie du Mouton noir, et la con-
(luête de ses Etats furent le second de ses exploits ; il pour-
suivit jusque dans Chiras Mbia-Yusef , frère du vaincu , et
le lit mettre à mort comme son aine. La conquête du Ker-
mdn , celle de la ville de Bagdad et de l'Irak aiabique , ter-
minèrent cette brillante expédition. Son orgueil s'en accrut
au point d'aller se heurter, vers l'an 14G1 de J.-C. , contre
la puissance de Mahomet IL 11 s'avança jusqu'à la ville de
Tokat , dans la province de Geneh , qui est l'ancienne Cap-
padoce. Le sultan l'y joignit, à la tète d'une puissante armée ,
et le mit en déroute à la bataille de Giaideroun. Usum-Cassan
y perdit l'ainé de ses lils , Zeynel ou Zeynoddin ; et , trop
lieureux de n'être pas poursuivi , il se réfugia dans sa capi-
tale, où la mort le surprit six ans après, dans la onzième
année de son règne. Sa femme était la tille de Calojean,
empereur de Trébizonde; elle lui donna sept flls : les deux
aînés moururent avant leur père, et Kbalil-Beg, le troi-
sième, fut le septième prince de cette dynastie, en 1479. Son
règne ne fut que de six mois et demi, et sa mort est diver-
sement racontée. Les uns le font assassiner dans une émeute
suscitée par ses vices et sa cruauté ; les autres le font tuer
par son propre frère, Yakub ou Jacob-Beg, dans une ba-
taille qu'ils se livrèrent dans les environs de Tauris.
Quoiqu'il en soit, Jacob reçut la comonne comme le prix
de son fratricide, quoiqu'il ne fût quele puîné des survivants.
Mais l'histoire ne dit point ce qu'était devenu Maksud-Beg,
chef actuel de la famille, et qui avait pris part à la révolte de
son frère. Jacob, huitième prince des Ac-Coinlu, eut à répri-
mera son tour la révolte d'une pailie de son armée. Il joignit
les rebelles à Javah,prèsdeKoni, les défit, et tua le général
Byander-Beg, chef de cette sédition. Jacob aimait les lettres,
ii faisait des vers en turc et en persan, et entretint un com-
merce épistolaire avec le sultan Bajazet II. Le poison ter-
mina, dit-on, son règne de douze ans et huit mois, dans
la vingt-neuvième année de son âge, l'an de l'hégire 806, et
de J.-C. 1490. Son héritage fut disputé par le glaive.
Bay-Sanker-;Mirza, lils de Jacob, que Mirkhond appelle
Baisancor, fut élevé sur le troue par un général de son père,
nommé Sufi-Khalil-Musulu, tandis que son oncle Massih-Beg
élait couronné par un autre parti. Celui-ci fut vaincu et tué
ilans une bataille. Le victorieux Khalil périt à son tour dans
un autre combat, que lui livra une troisième faction, et son
]iupille s'enfuit dans le fond de rAiniénie. De là vient que
Mirkhond regarde Baisancor comme le souverain de celte
époque, tandis que Al-Jannabi maintient Massih-Beg dans
sa nomenclature. Mais ils s'accordent tous deux sur leur
successeur Rostam-Mirza, fils de Maksud-Beg, le même qui
avait abattu la puissance de Khalil-Musulu. Cette histoire
n'est qu'une série de fratricides. Bay-Sanker revint se faire
tuer dans une bataille, entre Ganjek et Bardaa. Ahmed-Beg,
lils d'Oguslu-Mohammed , fils aîné d'Usum-Cassan , reven-
diqua à son tour cette couronne, suivant le droit de sa nais-
sance. 11 attaqua Rostam près de Tauris , et le força de se
léfugier dans leGurjestàn, où le prince vaincu perdit la
vie et la couronne, en 1498, après cinq ans et demi de
règne. Alimed-Beg ou ISIirza, son vainqueur, fut le onzième
<le la dynastie, et périt Tannée suivante dans une bataille
•lue lui livrèrent près d'Ispalian deux de ses généraux, pour
le punir d'avoir voulu rétablir la discipline panni ses
troupes.
Il ne restait que trois petits-fds d'Usum-Cassan, Al-
vend-Mii7.a, fils d'Yusel'-Beg ; Mohaniined, son frère, et
Morad, fils de Jacob. C'est au nom du dernier qu'avait
éclaté la révolte; mais les généraux vainqueurs le Uvrèrent
i).<,i. bt LA C'J^^EKS.^TI0^. — i. i.
après la victoire au prince Alvend-Mirxa, qui cette fois se
contenta de l'enfermer dans une forteresse. Mohammed était
proclamé en même temps dans Ispahan. Les deux frères
marchèrent l'un contre l'autre; Alvend perdit une première
bataille, et se réfugia dans Tauris ; il en risqua une seconde,
et s'enfuit dans les montagnes du Diarbékir. Mohammed fut
tué à son tour près d'Ispalian , par le prince Morad, son
cousm, qu'un gouverneur du Kermàn avait délivré de sa
prison. Cette mort ranima le courage d' Alvend ; les peuples
de l'AderbidjAn lui obéissaient encore, tandis que Morad
régnait sur l'Irak et le pays de Chiras. Us se garantirent
mutuellement leurs possessions, l'an 90G de l'hégire et
de l'ère chrétienne 1 500. Jlais l'étranger profita de cette
longue anarchie. Israael-Sofi, roi de Perse, attaqua Alvend
l'année suivante, et lui enleva ses États. Morad voulut
lutter contre ce nouvel adversaire, et perdit la bataille d'Ha-
madan, avec dix raille hommes de ses troupes, en 1502. 11
céda, un an après, ses deux provinces à Ismael, et se relira
dans la ville de Bagdad. Jlais le roi de Perse ne l'y laissa
point tranquille. Jlorad, traqué par ses ennemis, alla se
faire assassiner dans le Diarbékir, et avec lui finit la dynas-
tie d' Ac-Coinlu ou du JMouton blanc, vers l'an 1508 de l'ère
chrétienne. Vien.NET, de l'Acadéraie Française.
ACCOLADE , cérémonie usitée dans la réception d'un
chevalier, et qui consistait à l'embrasser en lui passant
les deux bras autour du cou {ad colhim ). Il est encore d'u-
sage de donner l'accolade aux. nouveaux chevahers de la
Légion d'Honneur.
Dans l'écriture et dans l'imprimerie on nomme accolade
un petit trait en deux parties (■ — ) qui sert à réunir
plusieurs choses sous un seul titre générai.
Dans la musique , on se sert du même trait pour em-
brasser autant de portées de la part i t i o n qu'il y a
de parties (ïinstrumeyits et de voix concourant à l'exécu-
tion. Dans la musique poiu- le piano, par exemple, la portée
supérieure est consacrée à la partie de la main droite , et
la portée intérieure à la partie de la main gauche. Or, ces
deux portées sont réunies par une accolade. Ainsi , quel
que soit le nombre des portées dans une partition , on ne
compte les figues que par le nombre des accolades, puis-
que toutes les parties que chaque accolade embrasse doi-
vent marcher ensemble.
ACCOLAGE. Accoler la vigne, c'est attacher les nou-
veaux bourgeons de l'année à un mur, à un treillage ou à
un échalas, avec des liens qu'on nomme accoiures. Ces
liens sont d'osier, ou de drap lorsqu'on attache la vigne
contre un mur ; pom' accoler après les échalas, on se sert
tout simplement de brins de paille trempée dans l'eau jjour
la rendre plus fiexible. L'accolage ajoute beaucoup à la
qualité du vin, en soutenant les ceps contre le vent, eu
maintenant entre eux la libre circulation de l'air et en don-
nant accès aux rayons du soleil. La manière d'accoler la
vigne varie du reste selon les pays.
ACCOLTi. Famille de Florence qui a produit des ju-
risconsultes distingués. — Benoit Accolti , né a Arezzo,
en 1415, professa le droit à Florence, et devint chancelier de
la république. 11 mourut en 1 466 , laissant , en latin , une
Histoire des Croisades et un traité Be l'excellence des
Iiommes de son temps. — François Accolti , son frère ,
jurisconsulte, httérateur et pocte, né à Arezzo, en 1418, pro-
fessa le droit à Bologne et à F'errare, et mourut en 1483.
On lui doit, outre plusieurs recueils de jiu-isprudenc^e , qui
le placèrent au premier rang , une traduction latine de
saint Jean Chi'jsostt'ime , une édition avec traduction latine
des Lettres de Phalaris , etc. — Bernard Accolti , fils de
Benoît , né à Arezzo , vers 1440 , vécut à la cour des pajies
Urbain et Léon X, et il jouit de son vivant d'une telle répu-
tation que ses contemporains le nommèrent ÏUnico Are-
tino. La postérité n'a pas confirmé ce jugement. Ses poé
sios sont peu lues aujourd'hui. Ses œuvres ont été publiées.
partie à Florence, en 1513, partie à Venise, en 1519. —
Pierre Accolti, (rèredu précèdent, né à Florence, en 1455,
professa d'abord le droit, puis entra dans les ordres, et de-
vint cardinal. Il est mort à Rome, en 1532. C'est lui qui,
comme cardinal vicaire, rédigea la bulle contre Luther,
en 1519. 11 avait été marié, et laissa deux fils et une fdle.
— Benoit .\ccoLTi,son deuxième fils, s'étantjnis, en 1564,
à la tête d'une conspiration des Florentins contre Pie FV' ,
fut pris et pendu , avec plusieurs de ses complices. — Un
autre Benoit Accolti, neveu de Pierre, né à Florence, en
1497, fut vivement protégé par son oncle, qui le fit nommer
cardinal à l'ûge de trente ans par Clément YII. Il mourut
en 1549. Il est plus connu sous le nom de cardinal de Ra-
venne. On lui doit plusieurs ouvrages latins et quelques
poésies. — Pierre Accolti , arrière-petit-fils du cardinal
l'ierre, docteur et professeur de droit canon à Pise, membre
de l'Académie Florentine, a laissé deux écrits en italien :
l'un est un panc'gyriqzœ de Côme II, duc de Florence;
l'autre un Traité de Perspective. Avec son frère, Léonard
Accolti , chancelier des archives publiques de Florence , il
mit au jour, en 1623, l'ouvrage de leur trisaïeul sur les Croi-
sades. — Jacopo Accolti , issu du mariage de Pierre avec
Léonore Spini , fut le dernier membre de cette famille il-
lustre, qui s'éteignit avec lui à Florence, en 1699.
ACCOMilODEMENT (du latin accommodare, con-
venir, adapter , arranger ) signifie , à proprement parler,
l'action de coordonner entre elles deux choses de nature dif-
férente , ou l'arrangement d'une de ces choses dans un cer-
tain but. Dans les rapports sociaux on s'accommode à l'hu-
meur, aux goilts, aux bizarreries des autres; dans l'ensei-
gnement on s'accommode aux idées, aux opinions, aux
préjugés, à l'ignorance même des auditeurs, des disciples ou
du grand nombre.
En philosophie et en théologie , on se sert aussi du mot
accommodation pour désigner un système d'interprétation
suivant lequel certains points de doctrine s'expliquent par
la nécessité où les fondateurs devaient se trouver de s'ac-
commoder aux idées de leur temps. On sait que Socrate
paya de sa vie l'essai qu'il fit de combattre les erreurs de
son siècle. Platon fut plus prudent. Quelques docteurs di-
sent que c'est par accommodement que Jésus-Christ et
ses apôtres ne se sont pas toujours expliqués clairement
sur certains points de doctrine dont la discussion a pu leur
paraître dangereuse ou inutile. Ils ajoutent qu& ces nouveaux
législateurs ont dû garder le silence sur certaines questions,
et même professer parfois une doctrine peut être moins éle-
vée que la leur, mais plus susceptible de frapper les esprits
grossiers de leurs contemporains , et d'être prompteraent
accueillie par des hommes pleins d'ignorance et de pré-
jugés. D'autres théologiens , au contraire, affirment qu'un
pareil accommodement ne serait pas seulement , de la part
de Jésus et de ses apôtres , une condescendance envers l'as-
prit de leur siècle , mais devrait être considéré comme une
déception indigne de leur caractère.
ACCOMPAGXATEUR. Ce terme, pris individuelle-
ment, indicpie tout symphoniste exécutant un accompa-
gnement sur un instrument quelconque; pris collective-
ment, il désignenin corps d'artistes de ce genre formant ce que
l'on nomme un orchestre d'accompagnement. L'art de
l'accompagnateur (ce nom pris dans son sens individuel)
comprend deux parties bien distinctes : les connaissances
musicales nécessaires à l'exercice de cet art et le talent
d'exécution de l'accompagnement. Les connaissances musi-
cales nécessaires ii tout accompagnateur sont de savoir lire
parfaitement la musique sur toutes les clefs en parties soit
séparées , soit réunies; et d'être en état de l'exécuter à vue,
aussi bien que possible, sur l'instniment dont il doit accom-
pagner; cela posé, il faut distingtier deux cas: celui où
l'accompagnement est écrit, et celui où il ne lest pas. L'ac-
compagnement écrit peut se présenter sous deux formes :
ACCOLTI — ACCOMPAGNEMENT
celle où la composition est ce que l'on appelle arrangée
pour l'instrument, c'est-à-dire celle où la partie principale
et l'accompagnement sont écrits et disposés de manière à
ce qu'il n'y ait qu'à exécuter conformément à ce qui est
écrit. L'autre forme dans laquelle peut se présenter un ac-
compagnement écrit est celle où la partie principale et
son accompagnement sont engagés dans la partition géné-
rale. Cette disposition exige de la part de l'accompagnateur
l'habitude de discerner, parmi toutes les parties, la partie
principale et les parties significatives pour en former l'ac-
compagnement.
Lorsque l'accompagnement n'est point écrit, il faut l'ef-
fectuer d'après la basse ou d'après la partie principale , qui
peut être la basse elle-même, ou une des parties supérieu-
res. L'accompagnement sur la basse se fait, soit d'après la
connaissance des règles qui déterminent l'harmonie due à
chacune des notes de cette partie, selon son caractère mo-
dal et la marche qu'elle affecte, soit d'après les chiffres
qu'indique cette harmonie. L'accompagnement sur la partie
principale, lorsque cette partie diffère de la basse, exige non-
seulement que l'accompagnateur sache placer l'harmonie
sur la basse, mais encore qu'il sache placer la basse elle-
même sous le chant ; ce qui se rattache à la composition.
L'accompagnement arrangé s'emploie pour toutes sortes
d'instruments; c'est le plus généralement usité aujour-
d'iiui, non, comme le croient beaucoup de personnes, à
cause de la complication de la musique, mais plutôt à
raison de la direction donnée à l'étude des instruments,
qui tend presque exclusivement vers l'exécution des pièces,
tandis qu'autrefois elle avait essentiellement en vue l'ac-
compagnement du chant ou des sonates instrumentales.
L'accompagnement d'après la partition et l'accompagnement
non écrit, d'après la basse chiffrée ou non chiffrée, ou la
partie principale, sont réservés aux instruments à touche,
le forte-piano et l'orgue, ou au violoncelle.
En supposant que l'artiste possède toutes les connais-
sances que nous venons d'indiquer, comme formant la
science de l'accompagnateur, il ne peut les appliquer utile-
ment s'il ne possède le talent d'exécution d'accompagne-
ment. Ce talent, indépendamment de l'exécution instru-
mentale , consiste dans la faculté de s'identifier avec l'exé-
cutant chargé de la partie principale , de s'unir à lui de la
manière la plus intime, la plus naturelle, sans aucune ap-
parence d'effort, de le diriger tantôt, et tantôt de le suivre,
selon que l'indiquent un sentiment délicat des convenances
et l'inspiration du moment. C'est de cette union parfaite du
concertant et de l'accompagnateur que naît tout ce que
l'exécution a de plus ravissant ; mais elle est le résultat
d'une organisation particulière et tout à fait indépendante
du talent généralement dit d'exécution. L'observation des
faits donne lieu de reconnaître que de très-grands virtuoses
sont de détestables accompagnateurs, tandis que des sym-
phonistes des plus médiocres accompagnent d'une manière
délicieuse. Cette remarque s'applique aux orchestres.
A. CnoRox.
ACCOMPAGIVEMEIVT. Par ce tenne les musiciens
entendent toute partie ou système de parties secondaires
placées autour d'une ou de plusieurs parties considérées
comme principales, ou l'harmonie qui enveloppe et ren-
ferme toutes ces parties. C'est en ce sens que l'on dit un
air, duo, trio, etc., de chant, ou de quelque instrument
que ce soit, avec accompagnement de violon, Jbite, forte-
piano, orgue, etc. On appelle donc accompagnement toute
partie d'une composition qui a pour objet de soutenir la mé-
lodie principale, soit au moyen d'un seid instrument, soit
de plusieurs, soit d'une manière simple, soit d'une manière
compliquée.
L'accompagnement est aussi l'action de soutenir la mé-
lodie d'une voix ou d'un inslninient i)ar l'Iiannonie qu'on
exécute sur un autre instrument , notamment sur l'orgue.
ACCOMPAGNEMENT — ACCORD
75
le piano, la harpe, le violoncelle, etc. M. FtHis divise l'ac-
coiupagncnicnt îles instruments à clavier en plusieurs es-
pèces : l;i prozuiore est racconipagnenient plaqué, ou l'exé-
cution lie l'harmonie, abstraction faite de toute forme mé-
lodique; la seconde est l'accompaiinement figure, ou la
réunion des formes du chant avec riiarmonie ; la troisième
est l'accompagnement de la partition, ou l'art de traduire
sur le clavier les divers effets d'instrumentation imaginés
par le compositeur. L'accompagnement plaqué n'est en usage
qu'en France ; les Italiens et les Allemands se servent de
raccompagnement figuré; l'accompagnement de la partition
est en usage dans toute l'Europe. L'accompagnement plaqué
consiste à exécuter avec la main gauche, sur le piano ou
sur l'orgue, la basse d'un morceau de musique, et à jouer
de la main droite les accords qui sont indiqués par des chif-
fres placés au-dessus des notes de cette basse. L'accompa-
gnement figuré se compose non-seulement de l'exécution de
l'harmonie par la main droite , mais aussi des formes mé-
loiliques des différentes voix que l'accompaguateur doit indi-
quer. Dans l'accompagnement de la partition l'accompagna-
teur doit lire avec promptitude ce qui est écrit dans une
partition pour divers instruments, et choisir avec intelli-
gence ce qui est de nature à être traduit avec avantage sur
le piano.
L'histoire de l'accompagnement est assez obscure, quoi-
que l'origine de cet art ne remonte pas au delà du com-
mencement du dix-septième siècle; on en attribue l'inven-
tion à Louis Viadana, maître de chapelle de la cathédrale
de Manfoue, qui naquit à Lodi, vers 15S0. Jusquealors labasse
était soumise à des repos plus ou moins longs, comme les
autres parties ; elle était toujours écrite pour les voix, et la
basse de viole ou la contre-basse jouait à l'unisson de ces
voix. L'invention de Yiadana , si c'est à lui qu'on la doit
toutefois, consista à écrire une basse instrumentale différente
de la basse vocale , en ce qu'elle n'était point interrompue
comme celle-ci, d'où lui est venu son nom de basse con-
tinue. Développée par Galeazzo Sabbatini de Pesaro, l'in-
vention de la basse continue devint plus utile, par la décou-
verte de la règle de l'octave. En 1703 François Gasparini
publia un livre où il exposa les premières notions de l'ac-
compagnement figuré. Rameau, peu d'années après, appela
l'attention des musiciens sur la considération du renverse-
ment des accords; il jeta ainsi une vive lumière sur la théo-
rie de l'accompagnement, et donna le premier exemple d'un
classement méthodique des harmonies génératrices et en-
gendrées; par malheur, en considérant les accords isolément
et abstraction faite de leur succession, il s'égara en créant
son système de la basse fondamentale. Kirnberger découvrit
la loi des prolongations de consonnances , dont Catel s'est
servi pour classer les accords en vaturels et artificiels.
Catel régularisa aussi la considération des altérations d'in-
tervalles , et fit voir l'effet de leur mécanisme dans les ac-
cords. Enfin, M. Fétis a complété le système de l'harmonie
et de l'accompagnement en 1824, par la découverte du mé-
canisme de la substitution dans les accords dissonnants.
ACCOX , espèce de bateau dont le fond, les côtés, l'a-
vant et l'arrière sont plans. On emploie les accons, notam-
ment aux Antilles, à transporter le chargement des navires
de l'endroit où ils sont mouillés au débarcadère, et récipro-
quement. On les fait remorquer par des chaloupes. Certains
accons ont un mât au miUeu avec une voile carrée.
ACCORAMBOXI (JÉRÔME) fut l'un des plus habiles
médecins de son temps. Né à Guhio (duché d'Urbin ) , en
1467, il professa la médecine à Pérouse et à Padoue , fut
médecin de plusieurs papes, et mourut en 1536. — Fabio
AccoKAMEOM, savant jurisconsultc, fils du précédent, né en
1502, à Gubio, professa le droit, devint avocat consistorial,
puis auditeur de rote, et mouiut en 1559. — Félix Acco-
RAMuo.M, petit-fils de Jérôme, s'adonna à la médecine, et s'y
lit une grande réputation. — Villoria .Vccouambona, épouse
de François Peretti, neveu de Sixte-Quint, fut accusée de
la mort de son époux et enfermée au château Saint-Ange.
Reconnue innocente, elle se remaria avec Paul Orsini, dont
elle devint veuve, et fut assassinée par un parent de son
mari.
ACCORD. Si l'on prend ce mot dans le sens indiqué
par son étj'mologie latine {chorda ad chordam), il signifie
la progression harmonique des sons de différentes cordes ;
c'est-à-dire que si la distance du son de la deuxième conle
d'un instnunent au son de la première est d'une quinte par
exemple, 'la dl.stance du son de la troisième an son de la se-
conde sera aussi d'une quinte : c'est ainsi que se monte le
violon, l'alto, le. violoncelle, la contie-basse. D'après ceprn-
cipe, on entend par ces mots, donner ou prendre l'accord,
l'action de methe à l'unisson deux cordes correspondantes
de deux instnunents , dont le premier , monté sur ses bases
ordinaires, sert de modèle à la gamme du second. Le mot
corde reçoit ici une grande extension; car il s'applique aussi
bien à telle note d'un instrument à vent. On donne ou l'on
prend le plus communément le la pour hase de l'accord.
Quand il s'agit de deux mêmes instruments , devant être
montés l'un comme l'autre, alors, pour se donner l'accord,
ils peuvent se donner le ton à chaque note progressive.
Ainsi , pour deux violoncelles qui se donnent le la, le ton
est bien donné, à la vérité , mais en vertu de l'égalité des
deux instiuments, non-seulement le la sera le même dans
tous deux, mais le ré, le sol, Yiit du premier seront les
mêmes dans le second. On voit par là que la manière de
prendre l'accord varie selon les instruments divers, quoique
l'on ait adopté le la pour base première de l'égalité des
gammes dans tous ces instruments ensemble. La flûte, par
exemple, n'accorde qu'une de ses notes pour que toutes les
autres soient d'accord.
On donne au mot accord un deuxième sens. Il désigne
alors plusieurs sons qui se font entendre simultanément et
dont la réunion est plus ou moins agréable à l'oreille. L'ac-
cord qui se forme de la réunion de la tierce, de la quinte et
de l'octave s'appelle par excellence Yaccord parfait, parce
que c'est celui qui satisfait le plus l'oreille, le seul qui
puisse servir de conclusion à toute espèce de période harmo-
nique et qui donne l'idée de repos. Tous les autres se dési-
gnent par l'intervalle le plus caractéristique de leur compo-
sition. Ainsi un accord formé de la tierce, de la sixte et de
l'octave s'appelle accord de sixte, parce que cet interAalle
établit la différence qui existe entre cet accord et le parfait.
On donne le nom d'ffccorrf de- septième à un accord disson-
nant qui est composé de la tierce, de la quinte et de la sep-
tième , parce que cet intervalle est celui dont l'effet est le
plus remarquable.
C'est dans ce sens du mot accord que l'on dit : une suite
d'accords, des accords bien pleins , une musique chargée
d^iccords, des accords frappés, plaqués ou arpégés, se-
lon que toutes leurs cordes parlent d'un seul coup ou connue
par effort l'une après l'autre.
Du reste , en cette matière importante , laissons parler un
maître, dont bien des maîtres actuels ont reçu les leçons.
[Pour nous Yaccord est l'assemblage simultané de sons
divers, formant un élément de l'harmonie considérée en l'un
des instants de sa durée. La connaissance des accords et de
leur emploi constitue cette partie de la théorie à laquelle
les modernes ont donné le nom d'harmonie, et qui a ac-
quis dans ces derniers temps une étendue extraordinaire ,
par les nombreux développements qu'a reçus la considéra-
tion des accords proprement dits, c'est-à-dire de ceux de
ces éléments qui sont composés de trois ou d'un plus grand
nombre de sons.
En effet, les compositeurs du moyen âge, qui n'écrivaient
que pour les voix, réduisaient toute l'hannonie à la considé-
ration des intervalles, et mêmedes seuls inteiTalles natu-
rels. Ils enseignaient d'abord à en former le duo, dans tous
10.
7 G ACCORD
lis genres et le'^ esjiècea du contre-point , et prescrivaient
ensuite ce qu'il fiiliait y ajouter pour former d'abord le trio,
puis le quatuor, cnlin la composition à tel nombre que ce
soit de parties ; et par ce procédé ils donnaient indirectement
naissance à tous les alliages imaginables de sons simultanés.
L'usage introduit vers la fin du seizième et le commence-
ment du dix-septième siècle d'accompagner le chant par
les instruments, et surtout par les instniments à touches,
le clavecin et l'orgue, porta (l'abord les accompagnateurs et
força depuis les compositeurs, lorsque cet usage se fut gé-
néralisé et qu'il fut devenu en quelque sorte le premier
degré de l'art de la composition, h diriger leur attention
sur ces alliages, et les accoutuma à considérer comme for-
mée de leurs successions l'harmonie qui jusque alors avait
été regardée comme le résultat du concours de plusieuis
mélodies.
Nous ne discuterons point ici le mérite des deux métho-
des ; nous ne chercherons point laquelle des deux, fournit à
l'art les procédés les plus avantageux. Convaincu que d'a-
près l'importance qu'a acquise la théorie des accords, il de-
vient indispensable d'en donner une notion exacte , nous
ferons remarquer avant tout que d'après le seul procédé de leur
formation , que nous venons d'indiquer, ces éléments doi-
vent être indéfiniment multipliés et offrir dans leur succes-
sion une foule innombrable de combinaisons. C'est ce que
démontrent, en elfet, le raisonnement et l'expérience. Il n'est
point d'aUiages de sons ni de succession de ces alliages que
la marche bien entendue des parties ne puisse régulièrement
amener; et comme il n'y a point de raison légitime pour
recevoir et reconnaître les uns, ignorer ou rejeter les autres,
la conséquence que l'on doit en tirer est qu'il faut les étu-
dier tous également. Mais, outre (pie cette étude est imprati-
cable , il faut encore remarquer qu'elle tendrait à écarter
celui qui voudrait l'embrasser dans toute son étendue du
but véritable que l'on doit se proposer dans toute l'étude de
l'art. Il faut donc réduire celle des accords à ce qu'elle a
d'utile et de possible, c'est-à-dire indiquer la marche que
l'on doit suivre pour avancer dans cette connaissance aussi
loin qu'on peut le désirer, et s'arrêter à ce qu'elle a de plus
usuel et fie l'emploi le plus journalier.
Les accords doivent se considérer «ous deux points de
vue principaux : celui de leur structure, et celui de leur
nature. Par la structure des accords , j'entends le nombre
et l'arrangement des sons dont ils sont composés , et qui
fournissent les bases de leur classification ; par leur nature
j'entends leiur qualité harmonique , qui règle les lois de leur
emploi.
La structure et la nature des accords sont deux propriétés
totalement distinctes et totalement indépendantes ; car, a'msi
que l'apprend l'examen le plus superficiel , des accords de
même nature sont d'une structure tout à fait différente, et
réciproquement. 11 convient donc d'étudier, au moins en
premier lieu, sépaiément les accords sous chacun de ces
points de vue, sauf à les considérer ensuite , s'il y a Heu ,
sous les deux aspects à la fois.
Structure des accords. Considérés par rapport an nom-
bre et à la disposition de leurs sons , les accords se distin-
guent d'abord en accords de deux , trois , quatre , cinq , six,
sept et peut-être même un plus grand nombre de sons
difiérents.
Les accords de deux sons ne sont autre chose que les in-
tervalles musicaux , qui , par l'union simultanée de leurs
termes, fournissent à riiarmooie ses premiers comme ses
plus simples éléments.
Les accords de trois ou d'un plus grand nombre de sons ,
qui sont ce que l'on nomme proprement accords , doivent
être considérés connue la somme de deux ou d'un plus
grand nombre d'intervalles liarmoni(|ueft superposés. Envi-
sjigés quant à l'ordre de leurs sons , ils se distinguent en
directs et indirects. Les accords directs sont ceux dont les
sons superposés offrent une série de tierces en procédant du
grave à l'aigu. Exemple :
ut mi sol si, etc.
Les accords indirects sont ceux qui offrent toute autre
disposition.
Cette distinction est fondée sur ces considérations qu'o-
riginairement on n'a dû employer que des accords conson-
nants ; que la tierce , qui est la moindre des consonnances
naturelles, est la seule dont la réduplication produise un ac-
cord consonnant en intersalles naturels; qu'elle établit
entre les sons l'ordonnance la plus simple, la plus facile à
saisir, celle des accords les plus usités ; qu'on a dû s'accou-
tumer en conséquence à regarder cette ordonnance comme
la plus légitime , et toute autre disposition comme un ren-
versement de celle-ci : ce qui est vrai de fait ; car tous les
sons du système appartenant à une série de tierces continue
ou discontinue, on peut toujours par un renversement conve-
nablement opéré , faire rentrer dans une série de cette es-
pèce toutes les dispositions qui s'en écartent.
D'après toutes ces considérations , on regarde comme ac-
cords directs ,
1° L'accord consonnant de tierce et quarte ;
2° Le même accord surchargé d'un ou de plusieurs autres
sons pris dans la série des tierces prolongées jusqu'à la
treizième inclusivement conformément à l'ordre suivant :
1
3"=«
b'"
7* 9«
11'
13*
ut
mi
sol
si ré
/«
la
En exécutant cette opération , on formera cinq classes
d'accords directs distingués par le nombre et le rang de
leurs sons. En tout seize accords directs, qui par leurs ren-
versements donneront tous les accords indirects imagina-
bles. On trouvera tous ces renversements en prenant suc-
cessivement pour base chacune des notes de chacun de ces
accords. Dans cette opération chaque genre d'accord direct
donnera autant de formes , tant directes qu'indirectes, que
l'accord contiendra de sons ; c'est-à-dire quatre-vingts formes
génériques ou espèces d'accords , tant directs qu'indirects.
A présent chacune de ces formes ou espèces comprendra
une quantité plus ou moins considérable de sortes et de va-
riétés résultant de la diversité d'espèces des intervalles qui
entrent dans la composition de chacune d'elles. Pour en dé-
terminer le nombre on observera que chacune des espèces
de chacun de ces intervalles est susceptible de se combiner
ou de s'allier avec chacune des espèces des autres inter-
valles. Or, chaque intervalle ayant quatre espèces, deux na-
turelles , l'une mineure , l'autre majeure , et deux altérées ,
l'une diminuée, et l'autre augmentée , il s'ensuit que chaque
forme offrira un nombre d'accords égal à la puissance du
nombre 4 , indiquée par celui des intenalles dont elle est
composée ; en faisant le calcul sur cette base , on trouvera
que le nombre des sories et variétés renfermées dans les
quatre-vingts formes ci-dessus énumérées peut monter à
soixante-deux mille, sans compter les modifications que peut
y introduire l'octave altérée, que nous n'avons point rangée
parmi les éléments de nos opérations et de notre calcul.
A la vérité un grand nombre de ces espèces sont imprati-
cables ; mais il est très-diflicile de faire le départ de celles
qui sont admissibles et de celles qui ne le sont pas. Deux
procédés se présentent pour arriver à ce but : celui de l'é-
limination , et celui de la génération des accords. L'un et
l'autre sont pénibles ; ils ne peuvent produire qu'un résultat
incomplet, et leur exposition nous entraînerait bien au delà
des limites dans lesquelles la nature de cet ouvrage nous
oblige de nous renfermer. Nous nous bornerons à cette
seule observation , que tous ces accords n'étant autre chose
que celui de tierce et quinte surchargé, comme nous l'avons
dit, d'un ou de plusieurs sons additionnels, tous ces ac-
ACCORD — ACCORDEUR
77
cortU doivent olïrir en substance cet accord et ses dérivés,
plus les inforvalles que ces accords forment contre les sons
additionnels.
Cet aperçu est suffisant pour prouver ce que noiLs avons
avancé en premier lieu sur la multiplicité indélinie et en
quelque sorte inappréciable des acconls , et sur l'inconvé-
nient «pi'il y a de s'ensjager trop avant dans cette recherche,
surtout au comnunicemcnt des études. Heureusement, ainsi
que nous l'avons fait voir également , la connaissance minu-
tieuse de cette classe d'éléments n'est pas nécessaire au
compositeur, non plus que celle des muscles et des vais-
seaux du corps humain ne Test à l'opérateur, ni celle des
astres du dernier ordre à l'observateur. Le compositeur
parvient à son but par d'autres moyens , et Faccompagna-
teur même , à qui cette connaissance semble le plus néces-
saire, n'a besoin que de connaître les accords les plus sim-
ples et les plus usités. C'est là où conduit tlirectement l'étude
de la nature de ces cléments.
Nature des accoi'ds. La nature ou qualité harmonique
des accords dérive de celle des intervalles qui entrent dans
leur compostion. On peut établir comme principe fonda-
mental de cette théorie que tout accord est caractérisé har-
raoniquement par l'intervalle de plus intense harmonie
qu'il renferme. D'après ce principe, qu'il nous est impos-
sible de développer ici , les accords se di^^seront d'abord en
deux grandes classes, les accords consonnants et les ac-
cords dissonnants. Les premiers sont ceux qui ne renfer-
ment que des intervalles agréables à l'oreille , et capables de
s'employer sans préparation; lesautres sont ceux qui renfer-
ment des intervalles désagréables et soumis à la préparation.
Les premiers se divisent en deux genres : les accords
conson n on ^s proprement dits, ou consonnants absolus,
et les accords quasi-consonnants ou consonnants re-
latifs. Les accords consonnants absolus sont ceux qui sont
consonnants dans quelques positions qu'ils soient placés;
les accords consonnants relatifs sont ceux qui , sous une
forme généralement dissonnante, deviennent consonnants
par position et jouissent du principal privilège des accords
consonnants, celui de pouvoir être amenés sans préparation.
Les accords consonnants absolus se divisent de nouveau
en accords consonnants libres, et en accords consonnants
obligés ou appellatifs. Les premiers sont ceux dont aucun
terme n'appelle aucun autre son , et qui peuvent en consé-
quence marcher librement ; les autres sont ceux dont quel-
qu'un des termes appelle généralement , et sauf exception,
quelque autre son , et ont en conséquence une marche obli-
gée, que l'on nomme résolution.
Tous les accords consonnants relatifs ou accords quasi -
consonnants sont généralement appellatifs.
D'après ces bases , et en réglant tout le dénombrement
de ces accords , d'après leur structure , on formera des ac-
cords consonnants ou quasi-consonnants tant directs que
dérivés le tableau suivant :
Accords de trois sons.
Accord de 3"^* majeure et 5*® majeure.
Accord de 3*^* mineure et 5*^ majeme.
Accord de 3"^ mineure et 5*^ mineure.
Accord de 3"^* diminuée et 5'* mineure.
Accords de quatre sons.
Accord de V de dominante, 3""' maj., 3'* maj., "^ min.
Accord de 7* de dominante, 3*^^ maj., 5"^ min., 7^ min.
Accord de 7* mineure de sensible.
Accord de 7" diminuée avec 3"^ mineure.
Accord de 7* diminuée avec Z"^ diminuée.
Accords de cinq sons.
Accord de 9° maj. de dominante avec 3" et 5"^ maj.
Accord de 9'' min. de dominante avec 3" et 5** maj.
Accord de 9" min. de dominante avec '^ et 5'^ juin.
Autrement , douze accords directs succeptiblee de se ré-
duire cl six, mAme à trois, même à deux; savoir, en pre-
mier lieu immédiatement :
Deux accords de quinte majeure avec tierce , l'un avec
tierce majeure, l'autre avec tierce mineure, selon
le degré de l'échelle qui les supporte, ci 2
Deux de quinte mineure avec tierce , lun avec tierce
mineure, l'autre avec tiercediminuée selon le mode, ci. 9.
Deux de 7" mineure ( de dominante ) avec tierce ma-
jeure et quinte, l'un avec quinte majeure, l'autre
avec quinte mineure, selon le mode, ci 5
Total ~
En second lieu , par substitution :
Trois de 7^ de sensible, mineure, ou diminuée, selon
le mode, par substitution opérée sur la sixte du
premier dérivé de la 1^ de dominante, ci 3
Enfin trois de 9"^ de dominante majeure ou; mineure,
selon le mode, par substitution opérée sur l'octave
dans l'accord direct, ci 3
Ensemble ë
Total.
n
Tels sont, sauf-les observations relatives à leur disposi-
tion et leur collocation, les accords que l'on peut regarder
comme consonnants ou quasi-consonnants, soit libres, soit
appellatifs , ceux qui forment la base de l'harmonie , ceux
dont il importe de connaître l'essence , le régime et l'em-
ploi ; tous les autres sont accidentels , et sont le résultat de
la marche des parties , objet le seul véritablement impor-
tant et le seul digne de toute l'attention et de toute l'appli-
cation du compositeur. A. CnoROiNJ.
ACCORDEON. Ce petit instrument de musique , in-
venté en Allemagne , a obtenu depuis quelques années une
certaine vogue. Il se compose de petits soufflets d'orgue su-
perposés ; en les tirant ou en les poussant , on produit al-
ternativement les diverses notes. Dans cet instrument , les
sons résultent des vibrations de petites lames métalliques
fixées par une de leurs extrémités devant des ouvertures
qu'elles recouvrent intérieurement. Ces vibrations sont pro-
duites par ie passage de l'air à travers ces ouvertures lors-
qu'on les découvre au moyen de touches , et que l'on tiic
ou que l'on pousse le soufflet , de façon que l'air entre ou
sorte en agitant les lames. Pour jouer de cet instrument on
le tient du côté du soufflet de la main gauche , tandis que
la droite agit sur les touches en amenant ou repoussant en
même temps la caisse sur le soufflet, c'est-à-dire en s'é-
loignant ou se rapprochant de la main gauche. On constmit
suivant le même système des instruments plus grands , où
le soufflet est manœuvré à l'aide d'une pédale, et dont le
clavier ressemble à celui du piano : ceux-ci prennent le nom
d'orgiies expressives.
ACCORDEUR, celui qui s'occupe d'accorder certains
instruments , comme le piano , l'orgue , etc. Les accordeurs
sont presque toujours des facteurs d'instruments ; du moins
la structure et le mécanisme des instruments doivent-ils
leur être aussi familiers que les principes de l'acoustique.
Comme la justesse de l'organe est la condition principale
d'un bon accordage , il n'est pas rare de voir des accor-
deiu-s chez qui cette qualité , par son haut degré de perfec-
tion, tient lieu de toute méthode et de toute science. On a
imaginé différents instruments pour remplacer les accor-
deurs. L'un, qui porte le même nom, est composé de douze
diapasons d'acier disposés sur une planche sonore, et
donnant avec justesse les douze demi-tons de la gamme.
Un autre instrument, plus simple, est le vionocorde, plan-
chette de sapin sur laquelle sont fixés aux deux bouts deux
sillets égaux portant une corde sonore et tendue parallèle-
ment à la planchette , avec un chevalet mobile qui allonge
et accourcit la corde à volonté. Des lignes transversales ,
78 ACCORDEUR —
calculées de nianuTe à faire inoiluire à la corde les douze
demi-tons de la gamine, sont tracées sur la planchette. On
amène dessus le chevalet mobile , et en faisant résonner la
corde on peut mettre son piano d'accord. — On sait que
pour accorder un piano il faut , à l'aide d'une clef carrée ,
nommée accordoir, agissant sur une clieviile sur laquelle la
corde est enroulée, donner à la corde le degré de tension con-
venable. Les accordeurs remplacent aussi les cordes que
l'oxydation ou une trop grande tension viennent à faire
casser dans l'instrument.
ACCORDS ( ETIENNE TABOUROT, dit le Seigneur des)
est l'auteur d'un livre singulier, qui prouve à quel point ré-
gnait de son temps non pas la liberté , mais l'extrême li-
cence de la presse. Né à Dijon, en 15'j7 , reçu avocat au
parlement créé dans celte ville lors de la réunion du duché
de Bourgogne à la France , il fut ensuite nommé procureur
du roi prés le bailliage. Il n'avait encore que dix-huit ans
lorsqu'il composa cet ouvrage, chargé des gravelures les plus
indécentes. 11 y ajouta, vers l'âge de trente-cinq ans, des ciia-
pitres plus sérieux, et le fit paraître sous ce titre : Bigar-
rures et touches du seigneur des Accords, suivies des
Apophthegniesdu sieur Pierre Gaulard et des Escraignes
Dijonnaises. On a joint au texte des gravures en bois plus
obscènes encore, et dont nous ne pourrions pas même citer
l'intitulé bizarre. On remarque dans ce livre des échantillons
curieux de la littérature favorite du temps, des anagrammes,
des acrostiches, des rébus de Picardie, des antistrophes, des
vers à écho, des vers rétrogrades, letlrisés, rapportés, etc.
Beaucoup de nos auteurs modernes ont emprunté, sans au-
cunement s'en vanter, plusieurs facéties du seigneur des Ac-
cords. Les Escraignes Dijonnaises sont un recueil de contes
fort gais, mais décents pour la plupart, racontés dans les
veillées, sous les anciennes cabanes ou chaumières du pays,
qu'on appelait escraignes. Les jeunes garçons , les jeunes
fdles, la tante Jeanne et la petite Jeanneton, sa nièce, y dé-
bitent à l'envi des histoires facétieuses, et quelquefois des
anecdotes touchantes. — Les prétendus Apophthegmes de
Pierre Gaulard ont pu fournir quelques données à la célèbre
chanson de iM. de la Pahsse , si toutefois cette chanson n'a
pas l'antériorité de date. Etienne Tabourot mourut en 1590,
à l'âge de quarante-cinq ans, après avoir tenu, comme avocat
et comme magistrat, une conduite plus régulière et plus digne
qu'on ne serait tenté de le supposer à la lecture des œuvres
du seigneur des Accords. Breton.
ACCORES 9 pièces de bois qui sei-vent à étayer les na-
vires en construction, — On appelle aussi, en marine , côte
accore ou écore une côte escarpée, taillée à pic. Les acco-
res d'un banc sont les approches de ce banc, les endroits
où il commence à s'élever.
ACCOUCHEilEXT. C'est ainsi que l'on désigne lia-
bituellement l'acte par lequel un enfant est mis au monde. On
distingue l'accouchement en naturel, quand il est opéré
par les seules forces de la nature, et en artificiel, quand
il ne peut se terminer que par le secours de l'art. L'accou-
chement prématuré est celui qui a lieu du sixième au neu-
vième mois de la grossesse ; l'accouchement tardi/es.t celui
qui s'elfectue à un terme plus éloigné que la fm du neu-
vième mois. Enfin on appelle av or tentent la naissance
d'un enfant âgé de moins de six mois. L'accouchement na-
turel est le plus fréquent. D'après des relevés faits à la Ma-
ternité de Paris et autres lieux, il résulte que sur quatre-
vingt-trois accouchements environ, un seul réclame l'inter-
vention de la chirurgie.
La pailuvition ne s'opère communément qu'au neuvième
mois révolu de la grossesse; mais ce n'est point une loi
à qui la nature soit si invariablement soumise qu'elle ne
puisse s'en écarter quelquefois. 11 n'est pas très-rare, en
effet, de voir des enfants parfaitement bien conformés venir
au m(mde naturellement, sans lemoindie accident, tantôt
avant la (m du neuvième mois, tantôt après. Ces cas
ACCOUCHEMENT
exceptionnels ne détruisent pas le principe. Dans les cas les
plus ordinaires , lorsque aucun accident ne vient troubler la
marche de la grossesse, le fœtus n'est expulsé de la matrice
que lorsque son organisation est assez avancée pour qu il
puisse vi^Te de sa vie propre, indépendamment de celle de
la mère ; or cela a lieu presque toujours à la fm du neuvième
mois.
Les anciens avaient singulièrement multiplié le nombre des
positions dans lesquelles l'enfant peut se présenter au dé-
troit supérieur du bassin ; mais l'expérience a démontré que
beaucoup d'entre elles, bien que possibles, ne se sont pour-
tant jamais rencontrées dans la pratique. Sur un total de
21,723 accouchements observés à la Maternité, M. Du^ès
a constaté que l'enfant s'est présenté , par le vertex , 20,698
fois; par le siège , 804 fois ; par la face, 103 fois ; par l'é-
paule droite, 65 fois ; par l'épaule gauche, 53 fois. 11 est
fort remarquable que ce tableau ne renferme aucune présen-
tation des pieds ni des genoux, dont l'existence réelle ne peut
cependant être douteuse : ce fait prouve seulement leur ex-
trême rareté.
Avant d'aborder la description du travail de l'enfante-
ment lui-même, observons que dans le dernier mois de Ja
grossesse la matrice, qui occupait déjà l'épigastre, s'abaisse
au-dessous de cette région. Les femmes disent alors que leur
ventre est tombé. Dès ce moment elles se sentent plus lé-
gères, leurs fonctions digestives et respiratoires deviennent
en même temps plus faciles. Assez souvent elles éprouvent
un sentiment de pesanteur vers le rectum et la vessie, des
envies fréquentes d'uriner et quelquefois une constipation
opiniâtre. Les organes génitaux commencent à être plus hu-
mides ; enfin arrive le teime de la gestation, et le travail se
déclare. A son début la femme n'éprouve, en général,
qu'une sorte de malaise accompagné de douleurs sourdes
presque inaperçues , très-courtes et éloignées les unes des
autres, vulgairement appelées mouches. Mais les douleurs
deviennent de plus en plus sensibles, plus longues et plus
rapprochées; en même temps elles se manifestent d'une
manière tellement caractéristique, qu'il n'est plus permis de
méconnaître leur nature. L'abdomen se resserre et l'utérus se
durcit; l'orifice de la matrice, déjà unpeuentr'ouvert, se ré-
trécit , pendant que sa circonférence , auparavant très-ra-
mollie, acquiert une roideur très-notable; les membranes,
fortement tendues, appuient contre cet orifice, peuvent même
commencer à s'y engager et contiibuer ainsi à sa dilatation
d'une manière toute passive à la vérité, mais incontestable.
Après une courte durée , l'abdomen et l'utérus reprennent
chacun leur volume et leur consistance ordinaires; les bords
de l'orifice redeviennent souples ; à la tension des membra-
nes succède leur relâchement primitif; la douleur est passée.
Celle-ci est suivie d'un calme plus ou moins parfait jusqu'à
ce qu'une nouvelle douleur vienne reproduire les mêmes
phénomènes, k force de se répéter, ces douleurs finissent par
opérer graduellement la dilatation complète de l'orilice
utérin. C'est là que se termine ce qu'on nomme dans les
écoles \e premier temps du travail, et que commence l'en-
semble des phénomènes qui constituent le deuxième itmps.
Ici tous les symptômes que nous venons de faire con-
naître s'élèvent à un plus haut degré d'intensité ; l'agitation re-
double, le pouls devient plus fréquent, la chaleur augmente,
la soif se déclare, le visage s'anime; il survient quelquefois
des vomissements ; des glaires sanguinolentes s'écoulent par
la vulve, on dit alors que la femme marque. Nous devons
faire observer que cet écoulement peut survenir bien
plus tôt. Une sueur abondante a lieu, principalement vers les
parties supérieures du coips ; car pendant que sa figure et sa
poitrine sont pour ainsi dire inondées, la mère se plaint sou-
vent d'avoir fi-ôid aux extrémités inférieures. Dans l'inter-
valle des douleurs, elleéprouveunepropension irrésistible au
sommeil; mais à peine commence-t-e!le à goûter les douceurs
du repos, qu'une nouvelle douleur lui ramène ses angoisses.
ACCOUCHEMENT
c'est surtout h cette ('iwiiiie tlu travail que l'on observe al-
ternativeiiient une douleur plus forte et une plus faible. Des
crampes parcourent souvent les cuisses, les fesses, etc.
Bientôt les membranes qui insensiblement s'étaient enga-
gées dans l'oriliee à travers lequel elles formaient une saillie
qu'on appelle/)oc/;(' des eattx, ces membranes, disons-nous,
ne peuvent résister plus longtemps aux eflorts des contrac-
tions utérines, se rompent brusquement pendant une dou-
leur, et le liquide qu'elles renferment s'élance au dehors
avec impétuosité, quelquefois mCme avec une espèce de
bruissement. La tête tle l'enfont s'applique aussitôt sur l'o-
riliee devenu entièrement libre par la rupture des membra-
nes ; elle s'avance par degiés à chaque nouvelle douleur ;
elle franchit le détroit supérieur, plonge dans l'excavation
Itelvienne, et se trouve enfin tout entière dans le vagin,
qui a subi pour cela une dilatation considérable. Parvenue
à ce poiut, la tète, pendant la douleur, pousse au-devant
d'elle, sous forme d'une grosse tumeur arrondie, le plancher
inférieur du bassin, plus connu sous le nom de périnée.
Après la contraction, ce dernier, en vertu de son élasticité,
reprend sa position habituelle et se rapproche du détroit su-
périeur : ime autre contraction vient encore le repousser ; de
telle sorte que pendant un temps variable le périnée se
trouve somiiis à une véritable oscillation. Mais la fin du
travail approche; la vulve se dilate graduellement; les
.ç;randes lèvres seulement, et non les petites, s'effacent eu
entier; le périnée est très-aminci et distendu ; si le rectimi
contient des matières fécales, elles sont rendues involontaire-
ment ; les contractions redoublent de fréquence et d'é-
nergie , la femme, saisissant de ses mains tout ce qui peut
lui fournir un appui, se livre à des efforts inouïs, et pousse
des cris déchirants; enfin mie dernière douleur, la plus
poignante de toutes, opère la sortie de la tète. Quel soula-
gement pour la mère ! et pomtant elle éprouve encore de
l'anxiété : le tronc n'est pas dégagé ; mais tout à coup une
faible douleur survient, qui chasse l'enfant en totalité.
L'accouchement est terminé. La femme jouit ordinai-
rement d'un bien-être délicieux , qui déjà lui fait oublier
toutes ses soulfrances ; dix, vingt, trente minutes, plus ou
moins, après la sortie de l'enfant, apparaissent quelques
nouvelles contractions, peu violentes , qui déterminent l'ex-
pulsion de r arrière-faix; la femme est délivrée.
Mais tout ne va pas toujours aussi bien : quelques fois l'en-
fant se présente dans une position défavorable ; d'autres fois
il y a une disproportion flagrante entre le volume de l'enfant
et les parties qu'il doit traverser. Alors l'art vient au secours
de la nature : tantôt on change la direction vicieuse ; tantôt, à
l'aide d'instruments appropriés, on amène au dehors le
f(ttus entier {voyet. Forceps), ou même, dans quelques cas,
devenus plus rares aujourd'hui, on l'extrait par portions des
entrailles de la mère ; tantôt on agrandit le chemin par des
incisions méthodiques , qui évitent des dilacérations dange-
reuses ; tantôt enfin on ouvre à l'enfant une issue sanglante à
travers les flancs maternels. Voyez CÉSAniEN.NE ( Opération).
Des douleurs périodiques, appelées tranchées, peuvent
se continuer pendant un ou deux joins , et même au delîi.
La matrice , qui immédiatement après raccouchement était
descendue sous forme d'un globe dur dans la région hypogas-
tiique, diminue successivement de volume, et enfin s'en-
fonce tout entière dans l'excavation du bassin ; les parois
abdominales, que la grossesse avait fort distendues, revien-
nent sur elles-mêmes , en conservant toutefois une ceilaine
flaccidité ; presque toujours il reste aussi sur cette partie
du corps des rergetiires ou éraillures blanchâtres. Pen-
dant plusieurs jours il s'écoule par les organes sexuels des
matières liquides, qu'on nomme lochies ou vidanges; c'est
d'abord du sang pur et sans odeur, mais ces matières ne
tardent pas à devenir d'un fétidité repoussante. Cet écoule-
ment diminue peu à peu , et disparaît ordinairement dans
la première quinzaine; quelquefois il ne cesse qu'au re-
tour des règles , qui , conr Jiie on sait , n'apparaissent guère
qu'un mois ou six semaines après l'accouchement. Chez les
femmes qui nourrissent les lochies sont toujours moins
abondantes ; le plus souvent aussi ces dernières ne sont
pas réglées pendant tout le cours de la lactation. Quarante-
huit heures environ après l'accouchement surviennent les
symptômes de là fièvre de lait; chaleur, sécheresse de la
peau , soif vive , plénitude et Iréquence du pouls ; l'écou-
lement des lochies devient nul ou presque nul ; les mamelles
se gonflent, se durcissent et sont le siège d'une très-grando
sensibilité. Après une durée de vingt-quatre heures, cette
lièvre se teimine assez ordinairement par des sueurs abon-
dantes; les lochies reparaissent, une matière laiteuse s'é-
coule par les mamelons, et les seins se dégorgent. Lorsque
la mère allaite son enfant, les symptômes de la fièvre de lait
sont toujours moins intenses que lorsqu'elle se dispense de
cette noble fonction.
Au commencement du travail on doit prescrire à la
femme un repos et une diète modérés; de l'eau sucrée et
des bouillons suffiront au besoin. On se gardera bien de lui
permettre l'usage du vin chaud, de l'eau-de-vie et autres
boissons stimulantes , trop souvent employées par un vul-
gaire ignorant. Dans sa chambre il ne faudra retenir que
les gens essentiellement nécessaires ; tous les inutiles seront
priés de se retirer. 11 importe que parmi les personnes qui
entourent la femme en couche il n'y en ait aucune qui lui
déplaise; car cette circonstance peut influencer le travail.
Ou ne doit pas négliger de faire administrer un lavement
pour vider le rectum. Le moment est venu de préparer ce
qu'on appelle le lit de misère. En France on se sert géné-
ralement d'un lit de sangle , dont on appuie l'une des extré-
mités contre le mur, c'est celle où doit correspondre la tête.
A l'autre extrémité, on fixe souvent une traverse de bois ,
sur laquelle les pieds trouvent au besoin un point d'appui
très-utile ; les côtés doivent être libres , de manière qu'on
puisse circuler tout autour. On le garnit d'un matelas un
peu dur qui, par précaution, est couvert d'une toile cirée.
Comme il faut absolument que le bassin soit élevé à une
certaine hauteur, afin que l'accoucheur puisse agir libre-
ment sur la vulve et sur le périnée , on est dans l'usage de
faire au matelas un pli transversal ; par ce moyen on obtient
un bourrelet sur lequel le siège de la femme doit reposer.
Ce lit est garni en outre de plusieurs oreillers pour main-
tenir la tête et la poitrine convenablement élevées, d'une
paire de draps et de couvertures suivant la saison. Il ne faut
pas oublier de tenir prêts d'avance de bons ciseaux pour cou-
per le cordon, du fil ciré pour faire la ligature, de l'huile ou
du beurre frais pour pratiquer le toucher, etc. Si les douleurs
sont faibles, il convient de frictionner modérément le ventre
au début de chaque contraction ; on pourra aussi ordonner
à la malade de faire quelques toms dans l'appartement , si
ses forces le permettent. Quelquefois elle éprouve de vio-
lents maux de tête, la face est rouge, des mouvements
convulsifs se déclarent : en pareil cas, il faut pratiquer une
saignée, surtout lorsqu'on a affaire à une constitution forte
et pléthorique. Si l'on observe une grande rigidité au col de la
matrice, ou aux parties externes de la génération, les bains
entiers, les demi-bains, les fumigations de vapeur aqueuse di-
rigée vers la vulve, peuvent être très-utiles. L ' h é m o r r a-
gie utérine (perte) qui survient quelquefois pendant le
travail exige des soins particuliers. Aussitôt que les eaux de
l'amnios se sont échappées, par suite de ia rupture des
membranes, il faut prati(iuer le toucher pour s'assurer de la
position de l'enfant ; c'est sans contredit le moment le plus
favorable pour la reconnaître. Après avoii- acquis -a certitude
qu'il se présente bien, quelques accoucheurs conseillent ;i la
femme d'aider ses douleurs par des elToits volontaires ; mtù^
elle est si nalurellement excitée à ponsser, qu'elle pousse eu
quelque sorte malgré elle. On sait d'ailleurs d'une manière
bien positive que la matrice, ainsi que le ctrur, le foie et
80
ACCOUCHExMENT
1 eaucoup d'autres or{;anes, se trouve tout à fait hors de Tin-
fluence de la volonté : par conséquent de tels conseils de-
viennent au moins superflus. H arrive trop souvent qu'a-
près avoir uiarclié régidièreuient , les douleurs s'affaiblissent
ou même s'arrêtent complètement; c'est surtout dans ce cas
que l'on conseille l'usage du seigle ergoté, dans l'intention
de les ranimer. L'action du seigle ergoté sur la matrice,
contestée par queliiucs-uns, est i)0ur nous une vérité dé-
montrée ; mais nous avons bien remarqué que les douleurs
ainsi obtenues diffèrent essentiellement de celles que la na-
ture seule produit : au lieu d'être périodiques comme celles-
ci, elles sont, pour ainsi dire, continues; l'utérus se trouve
dans une contraction permanente, qui ne laisse aucun re-
pos à la femme. 11 n'est pas douteux qu'un tel état de cho-
ses ne iuii>se devenir très-dangereux pour l'enfant. Quoi
qu'il en soit, on administre cette substance en poudre, à la
dose de quinze à vingt grains, qu'on délaye dans un peu
d'eau sucrée ; si une première dose ne réveille pas les dou-
leurs, on peut la répéter jusqu'à deux ou trois fois, au plus,
en mettant un quart d'heure d'intervalle entre chaque prise.
Dès que la tète commence à faire bomber le périnée et à
le distendre, il est indispensable, pour prévenir sa déchirure,
de soutenir cette partie avec la paume de la main, que l'on
glisse sous la cuisse de la mère. Lorsqu'elle est sortie , si le
tronc de l'enfant tarde à se dégager, il sera facile d'en
opérer l'extraction en introduisant un ou deux doigts
en crocliet dans le creux des aisselles. La rupture des mem-
branes a lieu quelquefois de tvès-boune heure, bien avant
la dilatation complète de l'orifice utérin ; c'est toujours une
circonstance fâcheuse, en ce qu'elle prolonge la durée du
travail. Lorf,quele délivre se fait trop longtemps attendre,
on doit l'extraire artiliciellement. Si des tractions modé-
rées, pratiquées sur le cordon, ne peuvent point l'amener
au dehors, il faut les cesser et attendie. La délivrance
terminée , on doit remplacer aussitôt par des linges secs
ceux sur lesquels la femme repose, et que le sang a salis.
Après liii avoir laissé-quelques moments de repos, on fait sa
toilette, et on la transporte dans son lit ordinaire; on lave
les organes génitaux externes avec une éponge fine ou avec
un linge imbibé d'eau tiède ; une bande de ventre doit être
appliquée et médiocrement serrée ; elle se compose ordi-
nairement d'une serviette pliée en trois.
A Paris on prescrit d'habitude à la nouvelle accoucliée
une légère infusion de tilleul et de feuilles d'oranger pour bois-
gereux ennemis ; mais ce n'est pas une rai.son de l'écraser,
pour ainsi dire, sous le poids des couvertures; il est même in-
dispensable, surtout en été, de renouveler l'air de sa cham-
bre, au moins une ou deux fois par jour, en ayant d'ailleurs la
précaution de fermer les rideaux du lit pendant que les
fenêtres resteront ouvertes. Beaucoup de femmes sont dans
l'usage pour leur première sortie d'aller à l'église , offrir à
Dieu leurs remerciements ; malheureusement la fraîcheur et
riiumidité qui régnent dans ces temples peuvent être très-
préjudiciables aux nouvelles accouchées.
A peine au dehors, l'enfant agite ses membres, pousse
des cris, et le premier soin qu'il exige c'est la section et la
ligature du cordon ombilical. On pratique généralement
cette dernière à un ou deux travers de doigt du nombril
avec un fil ciré. Presque toujours on se contente de le lier
par le bout qui tient à l'enfant ; mais s'il existait encore
un deuxième fo^us dans la matrice, il serait prudent de
lier aussi le cordon du côté de la mère. Quelquefois le fdf us
vient au monde enveloppé dans les membranes. On dit alors
qu'il est né coiffé. En pareil cas , il est évident qu'étant
dans l'impossibilité de respirer, sa vie serait fortement
compromise si un tel état se prolongeait ; on se hâtera donc
de déchirer ces enveloppes à l'aide des ongles ou de ci-
seaux. On lave le nouveau-né à l'eau tiède en hiver, à l'eau
froide en été, afin d'enlever la matière grasse dont son
corps est presque toujours recouvert. Pour enlever plus
facilement cette matière , on peut oindre la peau avec du
beurre frais et frotter ensuite légèrement avec un linge ou
une éponge. Cette opération terminée, on essuie l'enfant;
on enveloppe le cordon d'une petite compresse, et au
moyen d'un bandage de corps , on le maintient relevé et
appliqué sur le côté gauche du ventre. On n'oubliera pas
d'examiner si l'enfant ne présente aucun vice de confor-
mation ; c'est surtout l'anus , les organes génitaux et la
bouche qu'il importe de vérifier avec la plus rigoureuse at-
tention. Après cela on procède à ïemmaillottement , dont
les détails sont trop connus pour nous y arrêter. Enfin, on
couche le nouveau-né sur le côté , pour qu'il puisse rendra
plus aisément les glaires qu'il a dans la bouche : sans cela
elles pourraient tomber dans le lary nx, et déterminer quel-
ques accidents. Tels sont les premiers soins que réclame
l'enfant quand il arrive en bonne santé ; malheureusement
les choses ne se passent pas toujours ainsi : il naît quel-
quefois dans un état de pâleur, de faiblesse et de flaccidité
son.O!ipourrait,aveclemême avantage, prescrire toute autre extrême; il est presque froid, il ne crie pas; il respire à
tisane , celle d'orge , par exemple. Quand la mère n'allaite
point, elle doit se contenter le premier jour de quelques
bouillons pour toute nourriture; le lendemain on peut lui
a (•' ri!er des crèmes de riz, des potages; mais aussitôt que
la ficNTe de lait se déclare , il faut la tenir à une diète ab-
solue. En ce moment aussi on cesse la première tisane,
qui est remplacée, d'une manière tout à fait banale, par
l'infusion de pervenche et de racine de canne. Les femmes
croient que celle-ci a la propriété de faire passer le lait.
Mais cette propriété n'appartient pas plus à la pervenche et
à la canne qu'à la bourrache ou à la violette , et tant d'au-
tres encore, que l'on peut administrer tout aussi bien qu'elles
et avec les mêmes résultats. On couvre les seins avec un
linge ouaté , ou simplement avec une serviette pliée en plu-
sieurs doubles, légèrement chauffée , et qu'il convient de
renouveler de temps en temps. Après la disparition de la
fièvre, on permet à l'accouchée de se lever, d'abord unique-
ment pour faire son lit ; le lendemain elle jjourra rester
quelques heures assise sur un fiuiteuil. Successivement on
augmente la quantité de sa nourriture ; en un mot , elle
doit être traitée de telle manière que vers le huitième ou le
neuvième jour, elle soit à peu près revenue à son régime
habituel. Quand la femme nourrit, elle a besoin d'une ali-
mentation plus forte. Pendant les suites de couches , il faut
tenir la mère chaudement; car le froid est un de ses plus dan-
peine ou pas du tout. On doit alors chercher à le raj>peler
à la vie par des frictions sèches , ou animées avec du vin
chaud , de l'eau de vie , pratiquées sur la poitrine , sur le
dos, à la plante des pieds ou à la paume des mains et de-
vant un bon feu ; on pourra le plonger dans un bain d'eau
chaude mêlée de vin ou d'eau de vie, approcher de son nez
un linge imbibé de vinaigre , un flacon d'éther, etc. L'ac-
coucheur examinera la bouche de l'enfant ; si elle contient
des glaires, il les retirera promptement avec le doigt ou
mieux avec la barbe d'une plume. Enfin on souillera sur la
'oouche. Dans d'autres circonstances l'enfant vient au monde
avec des symptômes tout différents : le corps est rouge, la
face boursouflée et d'une teinte violacée; ses membres
peuvent être roides ou convulsés. Dans cet état il ne crie
pas, non plus que dans le premier. La respiration est égale-
ment faible ou nulle. En pareil cas il convient de couper
proinptcment le cordon et de laisser s'écouler la quantité
du sang que l'on jugera nécessaire pour remédier à cet ac-
cident pléthorique. Nous avons dit que la tête étant au
dehors des parties génitales il pouvait se faire que le tronc
fût encore au dedans. La première chose que doit faire ici
l'accoucheur, c'est de s'assurer si le cordon n'est pas en-
tortillé autour du cou ; si cela a lieu , il s'empressera de le
couper, surtout lorsqu'd serre le cou assez fortement pour
cnraver îa circulation veineuse; cette espèce d'étranglé-
ACCOUCHEMENT
m 'ni, s'il n'était promplement détruit, enlratnerait la
ni irt de l'enfant, qui succombefait avec tous les symptômes
(le l'apoplexie; mais lorsque le. cordon, quoique entortillé
autour du cou, ne le comprime pas assez pour gi'^ner la
circulation, il ett inutile d'en faire la section, à moins que
le nouveau-né n'apparaisse avecdes signes évidents de con-
gestion cérébrale. Après la chute du cordon, on lave la
petite ulcération superficielle qui en résulte, et on la couvre
d'un linge légèrement enduit de cérat. Cette chute a lieu
d'ordinaire du quatrième au huitième jour.
Quelques heures après l'accouchement, lorsqu'elle est
déjà un peu reposée de ses fatigues, la mère doit présenter
le sein à l'enfant, sans attendre pour cela que la fièvre de
lait soit venue, comme le font très-mal à propos beaucoup
de femmes. Le premier lait, appelé co^oi^rw/H, est séreux
et quelquefois d'un goût assez désagréable pour que le nou-
veau-né refuse de le prendre ; mais il ne larde pas à de-
venir plus consistant et plus sucré. Le colostrum a d'ail-
leurs une propriété incontestable, c'est de favoriser l'issue
des matières renfermées dans les intestins. Ces dernières,
qui, parleur couleur et leur consistance, ont quelque ana-
logie avec de la gelée de groseille foncée, constituent ce qu'on
nomme le méconium. Nous aurions encore à parler de
Vallaitement, du choix d'une nourrice ; mais ces
deux questions seront traitées cliacune dans uu article
spécial.
Pour l'histoire de l'art des accouchements, voyez Obsté-
trique. Dr Badaroux.
ACCOUCHEUR, ACCOUCHEUSE. On donne ce
nom aux personnes qui se livrent à l'art des accouchements.
En France cet art est exercé par des médecins accoucheurs
et des sages-femmes. Ces dernières sont préférées par
les personnes peu aisées, parce qu'elles se contentent d'ho-
noraires moins considérables. Nul ne peut pratiquer l'art des
accouchements sans avoir été examiné et reçu dans les
formes déterminées par la loi du 19 ventôse an XI, ni sans
être porteur d'un diplôme et inscrit sur les listes dressées en
vertu des articles 25, 26 et 34 de cette loi, à peine d'une
amenJe de 1,000 fr. pour ceux qui prennent le titre de doc-
teur, de 500 fr. pour ceux qui se qualifient officiers de santé,
de 100 fr. pour les prétendues sages-femmes. Cette amende
est payée au profit des hospices.
L'art des accouchements exige des connaissances parti-
culières, que l'on peut acquérir surtout dans les écoles d'ac-
couchement, parmi lesquelles nous citerons l'hospice de la
Mate r ni té à Paris. Outre les connaissances nécessaires,
une discrétion à toute épreuve , une grande pureté de
mœurs, de la décence et de l'aménité dans les manières,
de la sensibilité, de la patience, sont des qualités indispen-
sables aux personnes qui se livrent à la pratique des accou-
chements ; une fermeté inébranlable, une probité sévère et
une grande sagacité leur sont nécessaires dans les cas où
l'on chercherait à obtenir d'elles des choses que le devoir et
l'honneur leur défendent d'accorder, et dans ceux où elles
.sont appelées à éclairer la justice. La plupart du temps, le rôle
de l'accoucheur est celui d'un spectateur dont la présence
inspire la confiance et le courage à la patiente, et qui est
capable de porter secours au moment du besoin. Souvent
il a à lutter contre des erreurs et des préjugés plus ou moins
dangereux, plus ou moins ridicules; mais il saura exercer
ses fonctions sans trouble, sans bruit et sans charlatanisme.
Employant avec discernement les moyens que l'art met à sa
disposition, il attendra pour en venir à des ressources extrê-
mes que celles Je la naturesoient véritablement insuffisantes.
La loi impose à l'accoucheur ou à la sage-femme de faire
la déclaration de la naissance de l'enfant qu'ils ont reçu
dans les cas où le père est absent ou non déclaré.
ACCOUER. C'est, à la chasse, couper un jarret de der-
rière au cerf aux abois ou Vesjarreter, afin de le mettre bas.
Si ses andouillers sont déjà durs, on ne doit pas l'accouer,
DICT. DE LA CONVERS. — T. I.
— ACCROISSEMENT si
mais le servir, c'est-à-dire lui envoyer une balle avec le fusil
ACCOUPLEME\ï(du latin ad, à, copulare, join.
dre), union deux à deux. Ce mot est surtout employé pour
désigner la jonction du mâle et de la femelle dans l'acte
de la génération. L'accouplement est particulier aux ani-
maux, sans être commun à tous, plusieurs de ceux qui
sont situés aux derniers degrés de l'échoUe zoologique
offrant un autre mode de reproduction. L'attrait d'une vo-
lupté irrésistible invite à l'exercice de la fonction génitale.
L'homme a cet avantage sur les animaux, que non-seule-
ment le plaisir de l'amour paraît pour lui plus vif et plus
durable, mais que seul il a la prérogative de pouvoir s'ap-
procher en tout temps de sa compagne, et de la féconder
sous toutes les latitudes et dans toutes les saisons, tandis
que les animaux ne s'accouplent qu'à cerfaineû époques de
l'année, et perdent souvent dans des climats qui leur
sont étrangers la faculté de se reproduire. La durée de l'ac-
couplement est très-variable. Spailanzani, dans ses belles
expériences sur la génération, a vu le mâle de la grenouille
rester sur sa femelle quatre, huit et dix jours consécutifs.
L'exemple de ces fécondations prouve aussi que l'intro-
mission n'a pas toujours lieu. C'est au dehors, et à mesur.;
qu'ils sortent des organes sexuels de Ja femelle, que le
mâle répand sur les œufs la liqueur séminale. En général,
l'accouplement ne s'opère qu'entre individus de même es-
pèce, circonstance précieuse aux ualuralistes pour distinguer
des races séparées seulement par des caractères équivoques.
Quand le contraire arrive, ou la copulation est inféconde,
ou le produit, comme on l'observe pour les mulets, est
condamné à la stérilité. D"" Delasiauve.
ACCOURSE. On appelle ainsi les trois passages qu'on
laisse à fond de cale dans un vaisseau, et qui sont distribués
dans toute la longueur, un au milieu et un sur chaque côté,
de manière à ce qu'on puisse se transporter d'une extrémité
à l'autre, de la poupe à la proue, et parcourir tout le bor-
dage intérieur. — En architecture le mot flccoîirse s'entend
d'une galerie extérieure qui sert à établir des conimunica-
tions entre plusieurs appartements.
ACCRA ou ANKRAM, petit royaume de la Nigrifie
maritime sur la Côte d'Or. Il est divisé en trois districts
gouvernés par des chefs différents qui reconnaissent l'auto-
rité du roi d'Aquapim, lui-même tri butaire des A s c h a n t i s.
Le royaume d'Accra est fertile; il renferme des mines. Ses
habitants sont industrieux et portés au commerce. Sa capi-
tale, Accra, est une place maritime où se trouvent plusieurs
maisons européennes. Son port est situé au fond d'une
baie sûre. On trouve sur la côte d'Accra le fort anglais de
James, le fort hollandais de Crèvecœur et le fort de Chris-
tianborg, chef-lieu des établissements danois sur la côte
occidentale d'Afrique. L. L.
ACCRÉDITER (du latin accredere, croire, se fier à).
Les États étrangers délivrent aux ambassadeurs qu'ils veu-
lent faire admettre auprès d'un autre État ou d'une autre cour
des lettres de créance : c'est ce que l'on nomme flccredj^er.
— Cette expression est employée aussi dans le commerce
lorsqu'un négociant offre sa garantie pour une somme, déter-
minée ou non, en faveur d'une personne, d'une maison de
commerce et de toute autre entreprise. On accrédite un
commissionnaire auprès d'une maison de banque pour une
somme équivalente aux marchandises qu'il est chargé d'a-
cheter.
ACCRÉTION. Voyez Croissance.
ACCROISSEMENT ( du latin accrementum, fait de
ad augmentatif, et crescere, croître). En algèbre on entend
par calcul des accroissements celui où l'on considère les rap-
ports des quantités après qu'elles sont formées, c'est-à-dire
des quantités finies, au lieu des quantités infiniment petites.
Dans le langage de la jurisprudence on appelle droit
d'accroissement la dévolution faite par la loi , à un
héritier ou légataire, de la portion de son cohéritier ou
11
82
ACCROISSEMENT — ACCUSATION
Cùlégalaiie qui y renonce tu ne peut la recueillir. Comme
Je droit (t\tccruiss('inc>it n'est appiicible que dans le cas où
le legs a été fait à plusieurs conjointement, les difficultés
qui s'élèvent consistent à savoir si les let^s ont été faits dans
ces conditions, c'est-à-dire conjointement. Les articles 10'»'»
et 1045, qui règlent cette matière, donnent lieu , par leur ré-
daction peu claire, à une foulededinicultés dans l'application.
i;n liistoirc naturelle V accroissement représente Tidce
dune augmentation de niasse dans une matière quelconque;
rt il s'opère de deux manières générales dans la nature :
par voie d'assimilation, ou par voie d'agrégation. Vaccrois-
sèment par assimilation est celui qui a lieu dans les ma-
tières organisées. Un jeune animal, une plante qui vient de
naître, en prenant ultérieurement une nourriture abon-
dante , ou en absorbant par des vaisseaux séreux les sucs
nourriciers de la terre, s'accroissent par une force intérieure
([ui dilate, agrandit et grossit tous leurs organes, dans toutes
leurs dimensions, jusqu'à un point déterminé qu'ils ne peu-
vent outrepasser. Sans qu'il y ait anomalie , cet accroisFC-
ment jieut arriver à son point le plus liant, ou s'arrêter très-
bas; il en résulte les variétés appelées géaîits et nains.
L'accroissement par agrëyation est celui qui a lieu dans
les matières brutes et inorganiques, par l'adliéreuce à l'ex-
térieur de diverses molécules venant s'attacher autour d'un
noyau, d'une molécule primitive.
ACCUiVI (Frédlric), né à Buckebourg (Westphalic
prussienne), en 1"C9, vint à Londres en 1793, et y ouvrit dos
cours de cliiuiie et de |ili}siq«e expérimentale. En 1801 il
devint professeur de cliimie etd'i minéralogie à l'Institution
Surrey. 11 s'associa un riche marchand d'estampes allemand,
établi à Londres, Rodolphe Ackermann, pour l'entreprise
de l'éclairage général par le gaz, et c'est à son grand ouvrage
sur cette m-Atitre {À practical Treatise on Gas-lights ), qui
eut quatre éditions successives, que l'on doit surtout attribuer
la rapide extension de l'éclairage au gaz à Londres et dans
toutes les grandes villes d'Angleterre. Plus tard il publia un
traité de chimie pratique fort estimé en Angleterre. Placé
comme conservateur à la bibliothèque de l'Iustitut-Royal,
il dut renoncer à cet emploi par suite d'un procès en dé-
tournement de plans, cartes et gravures qui lui fut intenté par
les chefs de cet établissement , bien qu'aucune preuve k'gale
nepùtéfre fournie conire lui. Accum vécut depuis a Berlin,
où il obtint d'autres emplois, et où il mourut en 1838.
ACCUAIULATION. On accumule lorsqu'on ajoute
l'une à l'autre plusieurs épargnes pour en former un ca-
pital, on pour augmenter un capital qui existe déjà. Aussi
longtemps que les accuiniUations ne sont pas employées à
la production, ce ne sont encore que des épargnes;
lorsqu'on a commencé à les employer à la production , ou à
les placer en des mains qui les emploient , elles deviennent
des capitaux, et peuvent procurer les profits qu'on retire
d'un capital productif. Les produits épargnés et accumulés
sont nécessairement consommés du moment qu'on les em-
ploie à la production. L'accumulation ne nuit donc pas à la
consommation ; elle change seulement une consommation
improductive en une consommation repioductive. Quoique
les produits iminafcriels ne paraissent pas susceptibles
d'être épargnés, puisqu'ils .sont nécessairement consommés
en môme temps que produits, cependant, comme ils peuvent
être consommés reproductivement, comme ils peuvent, au
moment de leurconsommation, donner naissance aune autre
valeur, ils sont susceptibles d'accumulation. La leçon que
reçoit un élève en médecine est un produit immatériel; mais
la consommation qui en est faite va grossir la capacité de
l'élève, et cette capacité iiersonnelle est un fonds productif,
une espèce de capital dont l'élève tirera un profit. La valeur
des leçons a donc été accumulée et transformée en capital.
J.-B. Sav.
ACCURSE ou ACCORSO. Famille «le jurisconsultes
bolonais. François Accirse, professeur de droit à Bologne,
naquit à Bagnuola , piès de Florence, en 1 182. Il fut le pre-
mier qui réunit en un corps d'ouvrage, sous le titre de Glossa
ordinaria, toutes les discussions et décisions éparses des
jurisconsultes ses prédécesseurs. Boileau n'a pas rendu jus-
tice à son mérite quand il s'est égayé dans le Lutrin à ses-
dépens , en disant :
A riiislaiit il saisit un vieux in-forliat
Grossi des visions d'Accursc cl d'Aleiat.
Accurse mounit à Bologne, entre 1259 et 12G3. Toute sa
familie se livra à l'élude des lois. Sa fille elle-même, remar-
quable par une grande érudition, fit des cours de droit romain
à l'université de Bologne. — François Accurse , lils aîné
du précédent, né en 1225, professa le droit à Bologne, avec
une réputation si extraordinaire, qu'Edouard V'^, roi d'An-
gleterre , l'attira dans ses États. François quitta sa patrie,
malgré la défense du gouvernement de Bologne, qui, fier de
posséder un savant si distingué, voulait le retenir. Il alla
enseigner le droit à Toulouse, puis à Oxford. Mais il revint
à Bologne vers 1280, et on lui rendit sa chaire et ses biens,
qui avaient été confisqués. 11 mourut en 1293. — Cervot
Accurse, frère du précédent, eut, comme son père, la passion
de l'étude ; docteur avant dix-sept ans, il enseigna le droit ;
mais ses gloses, connues sous le nom de Glossx Ccrvotianse,
font peu estimées.
Un autre Accorso {Marie- Ange), favori de Charles-
Quint, musicien, poète, critique et antiquaire, était né à
Aquila dans le seizième siècle. Ses diatribes sur les auteurs
anciens (Rome, 1524, in-fol.) donnèrent une preuve de son
savoir. On l'accusa néanmoins de s'être approprié le travail
de Fabricio Yarano sur Ausone. Accorso publia à Augsbourg^
en 1533, un Ammien Marcellin plus ample de cinq livres.
On lui doit aussi la première édition des œuvres de Cassio-
dore. — Pendant la révolution romaine de 1849, un Michel
AccuRsi fut sous-secrétaire d'État au ministère de l'inté-
rieursous le triumvirat. Arrêté lors de l'entrée des Français,
il a été remis en liberté, et vécut à Paris.
ACCUSATEUR PUBLIC. JNom donné en France,
sous la première république, aux magistrats chargés du
ministère public près des tribunaux. Suivant la consti-
tution de 1791 , le pouvoir judiciaire dut être exercé par de?
juges élus à temps par le peuple et institués par le roi ; Yaccu-
sateur public seul était nommé par le roi. Le code de 1795
fit nommer l'accusateur public par l'assemblée électorale.
Après la constitution de 1799, les fonctions d'accusateur
public près d'un tribunal criminel furent remplies par de.~
commissaires du gouvernement, qui prirent bientôt le titre-
de procureurs impériaux.
ACCUSATIF. Voyez Cas.
ACCUSATION, ACCUSÉ. Dans son sens le plus
général , le mot accusation signifie toute imputation d'un
crime ou d'un délit.
Chez presque tous les peuples de l'antiquité, l'accusation
était publique, c'est-à-dire que tout citoyen avait le (U-oit
d'en accuser un autre. A Athènes , chaque citoyen avait le
droit d'accuser un criminel; mais le dénonciateur était sé-
vèrement puni s'il succombait dans son accusation; s'il
triomphait, au contraire, il avait le tiers des biens confis-
qués au coupable. A Rome le droit d'accusation pouvait être
également exercé par chaque citoyen ; on le refusait cepen
dant aux femmes, aux impubèies, aux soldats, aux gens
notés d'infamie et aux affranchis, à moins que ces individus
n'eussent mi intérêt personnel à se porter accusateurs,
comme, par exemple, lorsqu'il s'agissait de poursuivre en
ju.^tice le meurtrier d'un de leurs parents. Sous les empe-
reurs, le rôle d'accusateur devint si infâme par ses excès, que
les Antonins furent obligés de décider (pi'à l'avenir ce mi-
nistère serait exclusivement attribué dans chaque procès à
une personne nommée d'oflice jiar l'empereur ou par le
sénat. Telle est l'origine du piincii)C d'après lequel nous
ACCUSATION
83
considi^rons le droit d'accuser comme une mat^istralure pu-
blique. Ce principe, bien que constamnienl suivi par le droit
canonique, ne fui cependant admis que fort lard eu l'rance
par la jurisprudence des tribunaux laïques.
Sous les rois des deux premières races, le rôle d'accusa-
teur appartenait au seul offensé, ou à ses |)arenls s'il était
dans l'inipossibilité de porter lui-même sa plainte. Mais peu
à peu celte législation se modilia , et elle réserva exclusive-
ment au min istère pu bli c le droit de poursuivre uu cri-
a)inel. La partie civile pouvait seulement conclure à des
dommages-intérêts. 11 ne resta donc plus aux particuliers
que le droit de dénonciation, simple révélation d'un
crime ou du nom d'un coupable. Mais l'accusateur est par-
lie, au nom de la société, dans l'accusatiou , tandis que
le plaignant n'y ligure tout au plus que conune témoin ou
comme i)artie civile.
L'accusation est donc aujourd'hui l'action intentée et sui-
vie, au nom de la société, par le ministère public devant
«ne cour d'assises, pour l'application de la peine contre un
ou plusieurs individus incriminés. Dans les premiers temps de
l'instruction, comme lorsque les faits échappent à la juridic-
tion de la cour d'assises, l'accusation reçoit les noms d'in-
culpation et àe préven tio }i. Dans le sens légal il y
a seulement accusation quand les circonstances paraissent
suffisantes pour faire présumer un crime, et qu'en consé-
quence le renvoi devant la cour d'assises est prononcé par
la cour d'appel, ^^ous allons exposer la marche qu'a tracée
le Code d'Instruction criminelle :
Sur le rapport du juge d'inslr net ion. les magistrats
chargés de l'instruction première examinent dans la c ham-
bre du conseil , au nombre de trois juges au moins , si
le fait incriminé est de nature à être puni de peines afilic-
tives ou infamantes, et si la prévention contre la personne
poursuivie est suffisamment établie. Lorsque les juges ou
seulement l'un d'eux sont de cet avis, ils décernent une or-
donnance de prise de corps. Les pièces sont alors envoyées
au procurenrgénéral prèslacoiirimpériale. Celui-ci esttenu
de mettre l'afluire en état dans les cinq jours de la réception
des pièces, et de faire son rapport dans les cinq jours sui-
vants au plus tard. Pendant ce temps la partie civile ou le
prévenu peuvent fournir tels mémoires qu'ils estiment con-
venables : une section de la cour impériale , spécialement for-
mée à cet effet, et que l'on désigne ordinairement sons le
nom de chambre cV accusation ou des mises en accusation,
est tenue de se réunir au moins une fois par semaine , à la
chambre du conseil , pour entendre le rapport du procureur
général, et statuer sur ses réquisitions. Le greffier donne
lecture de toutes les pièces en présence du procureurgénéral.
Le procureur général dépose son réquisitoire écrit et signé,
et se relire ainsi que le greffier; la cour prononce sans en-
tendre les parties ni les témoins. Si elle n'aperçoit aucune
trace d'un délit prévu par la loi ou si elle ne trouve pas des
indices suffisants de culpabilité, elle ordonne la mise en li-
berté du prévenu. Dans ce cas il ne peut plus être recher-
ché à raison du même fait , à moins qu'il ne survienne de
nouvelles charges. Alors on procède de nouveau contre le
prévenu, et l'on remet en question s'il y a lieu de pronon-
cer l'accusation. Les juges peuvent ordonner, s'ils le jugent
convenable, des informations nouvelles ou l'apport des piè-
ces deconviction. Lachambredesmises en accusation statue
également sur lesopi)Ositions à la mise en liberté du prévenu
prononcée par les premiers juges. Si elle estime que le pré-
venu doit être renvoyé «levant un tribunal de simple police
ou de police correctionnelle, elle prononce ce renvoi, et indi-
que le tribunal qui doit en connaître. Si le fait est qualifié
crime par la loi, et que la cour trouve des charges suffisan-
tes pour motiver la mise en accusation, elle ordonne le ren-
voi du prévenu à la cour d'assises. Varrét de mise en ac-
cusation doit être signé par chacun des juges, au noml)re de
cinq au moins. Il y est fait liiention, à peine de nullité, tant
de la réquisition du ministère public que du nom des juges;
l'ordonnance de prise de corps s'y trouve jointe.
Dans tous les cas où le prévenu est renvoyé à la cour d'as-
si.ses, le procureur général est tenu de rédiger un acte d'aC'
cusation, où il expose : 1° la nature du délit qui foinie la
base de l'accusation ; 2° le fait et toutes les circonstances
qui peuvent aggraver ou diminuer la peine. Le prévenu
doit y être dénommé et clairement désigné. L'acte d'accusa-
tion se termine ainsi : En conséquence N... est acctisé d'a-
voir cotnmis tel crime, avec telle et tflle circonstance.
L'arrêt de renvoi et l'acte d'accusation doivent être signi-
fiés à l'accusé; il lui en est laissé copie. L'accusé est immé-
diatement transféré de la maison darrêt dans la maison de
justice établie près la cour où il doit être jugé, et l'on en-
voie les pièces au greffe de ladite cour.
Dans les vingt-quatre heures de l'arrivée de l'accusé à la
maison de justice, le président ou le juge délégué interroge
l'accusé, et l'interpelle de déclarer le choix qu'il a fait d'un
conseil pour l'aider dans sa défense. S'il n'a pas fait choix
d'un défenseur, le président lui en désigne un d'office sur-
le-champ, à peine de nullité de tout ce qui suivrait. Celte dé--
signalion est comme non avenue, et la nullité ne peut pas être
prononcée si l'accusé fait ensuite choix d'un conseil. Le con-
seil doit être pris parmi les avocats ou avoués de la cour im-
périale ou de son ressort, à moins que l'accusé n'oblienne du
président (h; la cour d'assises la permission de prendre pour
conseil un de ses parents ou amis. Le juge avertit en outre
l'accusé que, dans le cas où il se croirait fondé à former une
demande en nullité, il doit faire sa déclaration dans les cinq
jours suivants, et qu'après l'expiration de ce délai il n'y se-
rait plus recevable. Le conseil peut communiquer avec l'ac-
cuséaprès son interrogatoire. 11 peutaussi prendre communi-
cation de toutes les pièces sans déplacement et sans retarder
l'instruction. La loi du 29 juillet 1849 défend la publication
des actes d'une procédure criminelle en cours d'instruction.
Le prévenu et le ministère public peuvent, dans les cinq
jours qui suivent l'interrogatoire, se pourvoir en cassation con-
tre l'arrêt d'accusation, mais seulement pour cause de nullité
ou d'incompétence. Pour nullité : 1° lorsque le fait imputé
n'est (las qualifié crime par la loi; 2° lorsque le ministère
public n'a pas été entendu ; 3" lorsque l'arrêt n'a pas été rendu
par le nombre de juges fixé par la loi. Pour incompétence :
l" lorsqu'un renvoi aux cours d'assises a mal à propos été
ordonné; T lorsque, sans apprécier les indices des preuves
à la charge de l'accusé, ou se fondant uniquement sur ce
que, suivant eux, le fait imputé n'est pas un crime, ou
bien sur ce que le crime impulé est couvert par la prescrip-
tion, par la chose jugée , les juges déclarent qu'il n'y a pas
lieu à suivre. La demande en nullité doit être faite au greffe.
La cour de cassation prononce, toutes affaires cessantes, sitôt
les actes reçus.
L'accusé reçoit copie de la liste des témoins que le pro-
cureur général veut faire entendre contre lui ; il fait de
môme délivrer au procureur général copie de la liste des té-
moins qu'il veut produire pour appuyer sa défense. Enfin on
lui notifie la liste des jurés. En cet état il comparaît libre et
sans fers devant la cour d'assises, d'abord pour concou-
rir à la formation du tableau des douzejurés qui le jugeront,
et pour être procédé de suite avec lui à l'examen et au juge-
ment des différents chefs de l'accusation.
Lorsque l'accusé ne peut être saisi, on procède contre lui
de la même manière i)ar contumace.
Au commencement de la révolution, la première consti-
tution de la France admit un jury d'accusation. L'art. 9
du chap. V de la constitution de 1791 porte que « en matière
criminelle, nul citoyen ne peut être jugé que sur une accu-
sation reçue par des jurés, ou décrétée par le corps législatif,
dans les cas où il lui appartient de poursuivre l'accusation.
Apres l'accusation admise, le fait sera reconnu ef déclaré par
des jurés. » Ce second jury prenait le nom de jury déjuge»
II.
84
ACCUSATION — ACETABULE
ment. Cette institution resta en vigueur tout le temps de la
république, et la constilulion de Tan YIII porte encore que
.< eu inalicre de délits emportant peine afllictive ou infamante,
un premier jury admet ou rejette Paccusation; si elle est ad-
mise, un second jun' reconnaît le fait, et les juges formant un
tribunal criminel appliquent la peine. » J:n Angleterre, le
grand jury fait encore les fonctions de jury d'accusation.
Vouez JCRY.
ACÉPHALE (du grec à.%z^a.lri, sans tête, sans chef;
formé de à privatif, et de xeça).^, tête). On qualifia ainsi
plusieurs sectes de rËglise (;!nétienne qui se révoltèrent
contre leurs cbefs ou supérieurs, ou qui refusèrent de s'en
donner : tels furent les moines monophysites et les prêtres
d'Egypte, qui ne voulurent plus recomiaitre le patriarche
Pierre IMongus, parce qu'en 483 il s'était soumis aux déci-
sions du concile de Chalcédoine. Us se divisèrent bientôt
en trois sectes, qui se confondirent parmi les autres mono-
physites. Les flagellants étaient aussi acéphales, car,
comme secte, ils refusaient de reconnaître un chef.
lin histoire naturelle, Lamarck avait d'abord donné le nom
(^acéphales à une classe d'animaux sans vertèbies, compre-
nant tous les mollusques privés de tète ou sans tête appa-
rente. Plus tard ce naturaliste sépara de cette classe les
cirrhipèdes et les tuniciers. £nlin , il abandonna la dénomi-
nation d'acéphales pour celle de conchifères. Cuvier, dans
la deuxième édition du Règne Animal, conserve la déno-
mination û'acc'phales à la quatrième classe des mollusques,
qu'il divise en deux ordres : les acéphales testacés et les
acéphales sans coquilles. Le premier de ces ordres est com-
posé de tous les mollusques bivalves, jusques et y compris
l'arrosoir ; le second renferme les biphores , les a.scidies, les
pyrosomes et genres voisins.
Dans la tératologie on désigne sous le nom d'acéphales
les monstres qui viennent au monde sans tête. L'acéphalie
est beaucoup plus fréquente chez l'homme que chez les ani-
maux. Pline et les naturalistes anciens prétendaient qu'il y
avait une nation acéphale , qu'on nommait Blemmve.
ACÉPIIALOCYSTES (de à privatif, xeçaXri, tête,
et xOaTiç, vessie), entozoaires ou helmintlies parasites ,
souvent désignés sous le nom vague d'hydatides. Ce sont
des vésicules de matière albumineuse, transparentes , rem-
plies d'une eau très-claire , dépounues de tout orifice na-
turel , se reproduisant par gemmes , et se développant au
milieu des tissus animaux, avec lesquels elles n'ont aucune
adhérence. Une question fort controversée est de savoir si
les acéphalocystes sont des produits morbides ou des êtres
circonscrits jouissant d'une individualité propre. RLLeblond
admet sans restriction que les acéphalocystes sont des
êtres organisés, dont la nature animale est démontrée;
c'est l'opinion de Lacnnec,deM. Cruveilliier, deM. Kulin.
Les causes immédiates qui déterminent le dé\ eloppement des
aafplialocystes sont inconnues ; mais on a reconnu que les
tempéraments lymphatiques , les constitutions affaiblies ,
certains métiers débilitants , des demeures humides et mal
aérées, disposaient à l'envahissement de ces parasites dan-
gereux, et favorisaient leur multiplication. C'est surtout
dans le foie que se développent les acéphalocystes, qui gê-
nent alors tantôt la digestion , tantôt la respiration. Lors-
qu'ils existent dans un organe peu important , l'emploi du
bisloiiri en fera justice. Pour tuer les acéphalocystes on a
])réconisé surtout le calomel à hautes doses , pris inté-
rieurement et sous forme de frictions locales.
ACERBE (du latin accr, acre), saveur que produisent
certains végétaux amers et astringents ; elle est ordinaire-
ment délerininée par la présence du tannin et de l'acide
galli(iue. Ce goùl tient le milieu enlre l'aigre, l'acide et
l'amer. 11 appartient surtout aux fruits qui ne sont pas par-
venus <» leur dernier degré de maturité.
ACERBI (.\.-Giuseppe), savant voyageur italien,
était né à Castel-Gofredo, près de Mantoue. 11 passa une
partie de sa jeunesse à Mantoue , et y apprit la langue an-
glaise. Lors de l'invasion des Français dans la Lombardie ,
en 1798, il quitta sa patrie, et accompagna H. Bellotti, de
Brescia, en Allemagne. En 1799 il se mit à parcourir le
Danemark, la Suède et la Finlande. A Tornéo il rencontra
le colonel Skiœldebrand, peintre de paysage distingue, avec
qui il arrêta le projet d'un voyage au cap Nord. 11 fut ainsi
le premier ItaHcn qui eût j)énétré si avant dans les régions
polaires. A son retour il visita l'Angleterre, et y publia,
en 1802 , une relation de son voyage. Ce livre fut traduit
à Paris par Petit-Badel, et parut sous ce titre : Voyage au
cap Nord, par la Suède, la Finlande et la Laponie, >
traduction d'après l'original anglais, revue, sous les ijeux
de l'auteur, par Joseph Vallée; Paris, 1804 , 3 vol. L'au-
teur l'avait revu en effet , et en avait effacé quelques-uns
des passages qui lui avaient valu une critique anière de
Thompson. Saint-Morrys l'attaqua aussi vivement. Il paraît
effectivement que pour la Laponie Acerbi avait largement
puisé dans les travaux du missionnaire suédois Canut Leem.
En 1818 Acerbi fonda à Milan la Biblioteca Jtaliana.
Par sa critique , à la fois profonde et spirituelle , ce jour-
nal exerça une certaine influence sur les écrivains italiens
contemporains. Acerbi y combattit vivement les prétentions
vieillies de l'académie de la Crusca et le privilège usurpé
du dialecte florentin. Ses Considérations sur la nouvelle lit-
térature italienne obtinrent beaucoup de succès. — Nommé
consul général d'Autriche en Egypte en 182G, Acerbi dut
laisser la Biblioteca Italiana à Gironi , bibliothécaire de
la Brera, ainsi qu'aux astronomes Carlini et Fumagalli.
Toutefois , il continua encore plus tard à fournir à ce recueil
quelques articles relatifs à l'Egypte. La précieuse collection
d'objets d'histoire naturelle qu'il recueillit dans ses excursions
jusqu'à Fayoûm, à travers la basse et la moyenne Égj-pte,
et aussi vers la mer Rouge, lui permit non-seulement d'enri-
chir son musée particulier , mais encore de prouver, par
les dons importants qu'il fit aux collections scientifiques de
Vienne, de Pavie, de Milan et de Padoue ( 1836), qu'il pre-
nait toujours vivement à cœur les intérêts de son pays. Acerbi
est mort dans sa ville natale, au mois de septembre 184G.
ACERBI (Enrico), célèbre comme professeur de cli-
nique et comraeécrivain politique, était né le 27 octobre 1785,
à Castano, dans le Milanais; il mourut le 5 décembre 1827,
médecin de l'hôpital de Milan. Son coup d'oeil lucide au
lit du malade et son éloquent enseignement , rempli d'étin-
celles d'originalité et d'observations ingénieuses, et toute
l'amabilité de sa personne, attiraient tellement les étudiants,
que les salles de malades se trouvaient d'elles-mêmes
transformées en une école de clinique. Son principal ou-
vrage a pour titre : Dottrina teorico-pratica dcl morùo
petecchiale e de' contagj in génère. Ses Annotazioni di
medicinapratica, qui renlraînèrentdans une savante polé-
mique avec Locatelli , jouissent aussi d'une grande réputa-
tion en Italie. On a encore de lui une biographie du chirur-
gien Monteggia et une autre d'Angelo Poliziano. Dès sa
jeunesse il s'était également livré à l'élude de la poésie, et il
fut l'un des rédacteurs de la Biblioleca Italiana.
ACESCE\SE (du latin acescere, devenir aigre ; fait de
acer, aigre ), aigreur spontanée , disposition à s'aigrir, à
devenir acide. Les médecins humoristes donnaient ce nom
a une sorte d'altération que subissent les liquides contenus
dans le corps vivant, et qui se reconnaît extérieurement à
l'odeur acide de l'air expiré, de la sueur et de l'urine.
ACETABULE (en latin acefabulum),\&se: à mettre
le vinaigre , et par extension toute sorte de petits vases ,
puis le gobelet de l'escamoteur. Chez les Romains une
mesure de capacité , valant le quart de l'hémine (0.0C8 de
litre), portait aussi ce nom. — En anatomie on donne lenom
à'ace'tabulc à une cavité articulaire profonde, (pii reçoit !a
tête d'un os pour {'ovmer une enarthrose. Ce mot, peu
usité aujourd'hui dans ce sens , a clé remplacé par le nom
ACETABULE
de cavité cotyloide. — Quelques auteurs ont appelé acéta-
bules les lobes ou cotylédons ilu itlacenta des animaux
ruminants. — On a encore donné le nom iVaccfabiile on
acctabulaire à un genre de cryptogames ou algues marines
classé à tort parmi les zoophytes , mais rapporté au règne
végétal par M. Raffeneau-Delille, qui a pu étudier ces êtres
équivoques à l'état \ivant. L'acétabule ressemble à un petit
agaric vert , demi -transparent , composé d'un stipe creux
et d'un disque en ombelle un peu concave ou en soucoupe.
ACÉTAL ou ÉTIIER OXYGÉNÉ. Composé d'é-
ther et d'acide acétique , qui est liquide , incolore , trés-
fluide, et dont l'odeur rappelle celle du vin de Tokay. On
confond souvent l'acétal avec Yaldéhijde.
ACÉTATE, sel résultant de la combinaison de l'acide
acétique avec les bases. Les acétates sont généralement
solubles dans l'eau ; une chaleur un peu intense les décom-
pose ; tous cèdent leur base à l'acide sulfurique. Le plus
souvent on prépare les acétates en faisant agir l'acide acé-
tique directement sur les bases ou les carbonates. Quelques-
uns s'obtiennent par double décomposition. Il y en a encore
que l'on forme en traitant les métaux eux-mêmes par l'acide
acéticiue. Parmi les acétates nous citerons seulement les
suivants, comme méritant une mention particulière : Vacé-
tate dépotasse, autrefois nommé terre foliée de tartre, est
un sel d'une saveur piquante, qui existe sous la forme de
petites paillettes blanches et brillantes. Très-déliquescent ,
aucun autre sel peut-être n'attire plus fortement l'humidité.
11 est employé en médecine comme diurétique, laxatif et
fondant. — V acétate de soude est un sel d'une saveur
amère et piquante, qui cristallise en longs prismes striés . Il
est inaltérable à l'air. L'eau n'en dissoat que le tiers de son
poids. On l'emploie à la préparation de l'acide acétique. —
Vacétate d'ammoniaque, ou esprit de Mindercrus, se ren-
contre ordinairement à l'état liquide. Il est incolore, inodore,
d'une saveur très-piquante. Chauffé, il se volatilise. On l'em-
ploie en médecine comme sudorifique, stimulant, antispas-
modique, etc. L'acétate d'ammoniaque existe dans l'u-
rine jiourrie et les liquides chargés de substances anhnales
en putréfaction. — Vacétate d'alumine est employé comme
mordant dans la fabrication des toiles peintes. C'est un sel
liquide, incristallisable , d'une saveur astringente et stjT)-
lique. Lorsqu'on le fait évaporer, il perd une partie de son
acide, et se convertit en sous-acétate. — Vacétate deper-
oxijde de fer est liquide, incristallisable, de couleur bnine.
Par l'évaporation il se change en sous-acétate insoluble,
susceptible d'abandonner tout son acide à l'eau bouillante.
On l'emploie comme mordant et comme matière colorante
dans la fabrication des indiennes. — Vacétate de plomb
neutre, ou 5e/ de Saturne, aune saveur sucrée, puis astrin-
gente. Il est très-soluble dans l'eau et s'effleurit à l'air, peut
dissoudie une grande quantité de protoxyde de plomb , et
former ainsi des sous-acétates. L'acétate de plomb sert à la
préparation de l'acétate d'alumine, à la fabrication du blanc
de céruse. En médecine il est employé comme résolutif et
astringent. — Le sous-acétate de plomb se présente sous
forme de lames blanches, d'une saveur sucrée ; doué de la
réaction alcahne, il est moins soluble dans l'eau que l'acé-
tate. Tous les sels neutres le précipitent de ses dissolutions,
en formant des sous-sels insolubles. La gomme, le tannin et
la plupart des matières animales le décomposent également.
Sa dissolution concentrée porte le nom di'extrait desaturne.
Étendue d'eau commune, elle devient blanche, et forme Veau
végéto-minérale, Veau de Goulard, Veau blanche, em-
ployée en médecine conmie astringente, résolutive et dessic-
cative. Dans l'eau distillée aérée, sa dissolution donne un
précipité de carbonate de plomb. — Vacétate neutre de
cuivre, ou verdet cristallisé, est un sel qui se présente en
cristaux rhomboïdaux d'un vert bleuâtre, d'une saveur styp-
tique, légèrement efUorescents , et solubles dans cinq fois
leur poids d'eau bouillante. L'acétate de cuivre sert à la pré-
— ACÉTIQUE 85
paration du vinaigre radical ; il est usité en peinture et en
teinture. Il sert à donner aux objets de bronze ou de laiton
la couleur du bronze antique. L'acétate de cuivre est très-
vénéneux. On le prépare en grand à Montpellier. —Le sous-
acétate de cuivre ou vcrt-de-gris , qu'il ne faut pas con-
fondie avec le vert-de-gris ou carbonate de cuivre qui se
forme sur les vases de cuivre exposés à l'humidité, est pul-
vérulent, d'un vert pâle tirant sur le bleu. Il se dissout fa-
cilement dans l'acide acétique , et se transforme en acétate
neutre. Il est employé dans la peinture, et on le fait entrer
dans une foule de préparations médicinales usitées à l'exté-
rieur. On le fabrique en interposant des couches de moût de
raisin entre des lames de cuivre.
ACÉTIFICATION, transformation de l'alcool en vi-
naigre ou acide acétique. Elle est le résultat de la fermenta-
tion acide.
ACÉTIMETRE, instrument destiné à mesurer la force
(lu vinaigre.
ACÉTIQUE (Acide), du latin acetum, vinaigre. Acide
;iu exi.^e dans le vinaigre, et auquel celui-ci doit ses
'>ropriétés. L'acide acétique est (rès-répandu dans la nature :
m !e rencontre dans un grand nombre de fruits ; il existe, à
l'état libre ou à celui de combinaison, dans la sève des végé-
ir.ux; il se tro.uve aussi dans la plupart des humeurs ani-
males, dans le lait, dans la sueur, dans l'ur ne, etc.; la
fermentation acide et la fermentation putride lui donnent
naissance. Il se produit enfin toutes les fois qu'on décompose
par la chaleur une matière végétale ou animale.
L'acide acétique pur et concentré est d'une odeur acide
spéciale, forte et piquante ; sa saveur est acre et brûlante,
mais elle devient aigrelette et agréable lorsqu'on étend l'a-
cide avec de l'eau. Solide jusqu'à -\- 17° cent., il entre en
fusion à celle température et forme un liquide blanc, d'une
densité de 1.06. Il bout à -1- 114" cent. Sa vapeur prend feu
par le contact de la flamme. Exposé à l'air, l'acide acétique
se volatilise en s'affaiblissant, parce que la partie encore
liquide attire l'humidité amospliérjque. H s'unit à l'eau en
toute proportion, en produisant une chaleur sensible. L'acide
acétique uni à l'eau e.st moins susceptible de se solidifier par
l'abaissement de la température, et le mélange peut restei
liquide à quelques degrés au-dessous de 0. On peut se servir
de la congélation pour augmenter la concentration de l'acide,
parce que les parties aqueuses se congèlent les premières.
Selon Berzelius, l'acide acétique le plus concentré est
composé de 85,11 d'acide et de 14,89 d'eau, ce qui donne
pour l'acide anhydre 5,822 d'hydrogène, 46,642 d'oxygène,
il 47,536 de carbone, ou 6 volumes d'hydrogène, 3 d'oxy-
gène et 4 de carbone, d'où sa formule C-^H^O'.
Gerhard! est parvenu à isoler l'acide acétique à l'état
anhydre. Cet acide conserve alors la forme d'un liquide in-
colore très-mobile, très-réfringent, et doué d'une odeur
rappelant celle de l'acide concentré et celle des fleurs
d'aubépine. Sa densité reste la même que celle de l'acide
hydraté , son point d'ébullition monte à 137''5; il tombe au
fond de l'eau sans s'y mêler, comme une huile pesante, et
ne s'y dissout que par une vive agitation ou par l'action
de la chaleur. Son équivalent représente deux volumes de
vapeur.
En distillant le vinaigre ordinaire dans des alambics étamés
ou dans des cornues de verre ou de platine, on obtient de l'a-
ciJe acétique très-étendu d'eau ; quand on veut avoir de l'acide
concentré il vaut mieux décomposer par le feu un acétate.
L'acide acétique rectifié ou vinaigre radical, est usité en
médecine à l'extérieur, car il est trop irritant pour qu'on
l'emploie à l'intérieur. Son administration à trop forte dose
pourrait causer la mort. Comme il est très-volatil, on en
fait respirer la vapeur aux personnes toiiiliées en di'faiilance
ou en syncope ; mais il faut agir avec précaution, p-u<e qu'il
peut enllammer ia membrane piluilaire. Aussi, pour prévenir
tout accident, on en imprègne seulement des cristaux de
SG ACÉTIQUE
sulfate (le potasse que l'on conserve dans des flacons et qu'on
vend sous le nom de sel de vinaigre ou sel d' Angleterre .
Appliqué sur la peau, l'acide acétique en détermine la rubé-
faction ; il cause même le soulèvement de l'épiderme. On
obtient encore l'acide acétique en grand par la distillation du
bois. Étendu de huit fois son poids d'eau, on peut en former
du vinaigre, (ju'on aromatise avec un peu d'étlier acétique.
ACÉTO-DOLCE (en italien, littéralement, t'iHfliûrrc
doux), conserve de certains fruits et de petits légumes
confits d'abord dans le vinaigre, et auxquels on ajoute un
résidu de vin nouveau (pron a fait bouillir jusqu'à sa réduc-
tion en consistance de sirop. On cite celui qui est fait avec
des quartiers de coing et du moiU de raisin muscat auquel
on ajoute un peu de miel de Corse.
ACÉTOXE, ALCOOL MÉSITIQUE, ESPRIT ou
ÉTHEIl PVRO-ACKTIQUE, produit de l'art qui se forme
lorsqu'on décompose par le feu un certain nombre d'acé-
tates. L'acétone est liquide , incolore et très-limpide ; sa
saveur, d'abord acre et brûlante , devient ensuite fraîche et
urineuse ; son odeur se rapproche de celle de la menthe poi-
vrée , mêlée à celle des amandes amères. Son poids spéci-
fique est de 0,'n. Il bout à 55",6 cent., et il conserve sa li-
quidité à — 15°. L'eau , l'alcool et l'éther le dissolvent en
toutes proportions. L'acétone est formé de 62,52 de car-
bone, de t0,27 d'hydrogène, et de 27,21 d'oxygène; ce
qui correspond à la formule C^H^O. Pour obtenir l'acétone,
on distille à sec de l'acétate de chaux ou de baryte , dont
les bases retiennent l'acide carbonique , et il en résulte une
liqueur mélangée d'acétone , de quelques produits pyrogénés
et quelquefois d'un peu d'acide acétique ; on purifie en di-
stillant de nouveau sur un peu de chaux vive.
ACEVEDO (FÉLix-ALVAitÈs), général espagnol, l'un
des principaux acteurs du drame révolutionnaire de 1820 ,
naquit vers la fin du dix-huitièine siècle , à Otero , dans le
royaume de Léon. Lors de l'invasion de sa patrie par les
armées de >'apoléon , en 1808 , il était déjà colonel. 11 se
mit alors à la tète d'un régiment de volontaires, et se dis-
tingua par son zèle patriotique non moins que par sa bra-
voure. La restauration de Ferdinand VII sur le trône de ses
pères ne lui valut aucune espèce d'avancement , sans doute
parce que le gouvernement royal le soupçonnait d'avoir
embrassé avec trop de sincérité les principes libéraux , au
nom desquels il avait résisté à l'invasion étrangère. L'in-
surrection de l'Ile de Léon compta tout aussitôt en lui un de
ses plus fermes et de ses plus dévoués soutiens. Il se trou-
vait alors en Galice , en qualité de colonel en second du ré-
giment de Grenade ; il lit appuyer par les troupes placées
sous ses ordres rexplosion populaire que provoqua parmi
les habitants de la province la nouvelle du mouvement na-
tional. JN'ommé par les insurgés de la Corogne au comman-
dement général de la province , il accepta ces fonctions sur
le refus d'Espinosa , et fit proclamer la constitution des
certes à Santiago. Il ne tarda pas à chasser les troupes en-
core fidèles à la cause de Ferdinand de toute la rive gauche
duMiuho,puis fut tué à ses avant-postes, à Zadornelo ,
le 8 mars 1 820 , au moment où il essayait d(î faire embrasser
parla seule force de la persuasion la cause populaire aux
troupes royales coumiandées par le comte deTorrejon. Trois
coups de fusil tirés sur lui à bout portant interrompirent cette
patriotique mais intempestive allocution.
ACIIAB, roi d'Israël, succéda à son père Amri, vers
l'an 918 avant J.-C, et régna vingt ans. A l'instigation de
Jézabel , sa femme, il éleva un temple à Baal , et persécuta
cruellement les prophètes. Elie dut plusieurs fois le me-
nacer de la colère céleste. Adad, roi de Syrie, étant venu
assiéger Samarie, Achab consentit d'abord à traiter ; mais
Adad ayant élevé ses prétentions, les anciens du peuple
décidèient Achab à rejeter les propositions du roi syrien :
un combat fut livré, et les Israélites remportèrent la vic-
toire. Plusieurs fois Achab tailla en pièces l'armée syrienne,
— ACUAÏE
et enfin il fit .\dad prisonnier ; mais il le rétablit dans ses
États. Quelques années après, Achab s'empara de la vigne de
Naboth, qu'il fit mettre à mort. Plus tard il se lia avec Jo-
saphat, roi de Juda, et tous deux allèrent ensemble faire le
siège de Ramolli de Galaad ; c'est là qu'une flèche vint le
percer au défaut de sa cuirasse. Il mourut le soir môme.
Achab avait fait élever à Samarie un palais superbe, qu'on
ajjpelait la maison d'ivoire.
ACH/EUS , fils de Xuthus et de Creuse et petit-fils
d'Hellen, ayant commis un meurtre, se retira de Tliessalie
en Argolide avec une peuplade d'Hellènes , qui prirent de
lui le nom d'Achéens.
ACIIAIE. On nommn d'abord ainsi une portion de la
Plithiolide , en Thessalie, dont le chef-lieu était Alos, où
régna Acht-eus, et d'où sortirent les Achéens. Ensuite ce
nom fut celui d'une région du Péloponnèse, qui avait pour
bornes l'Élide , l'Arcadie, la Sicyonie, le golfe de Corinthe et
la mer Ionienne. Cette contrée s'appelait primitivement
Egialé {Maritime) : conquise par les Ioniens vers l'an 1430
avant J.-C, elle prit le nom d'Ionie. Elle reçut celui d'A-
chaïe vers 1184, lorsque les Achéens Phthiotes eurent
expulsé les Ioniens. L'Achaie se divisait en douze petits
États , dont les capitales étaient : Dyme , Olenos, Égire ,
Hélice, Busa, .Hgium, Cérinée, Léontium, Patras, Phères,
Tritée et Pellène. Ces douze villes formaient une fédéra-
tion qui fut le noyau de la célèbre figue achéenne. Sous
les Romains, après la prise de Corinthe, l'an 146 avant J.-C,
on comprit sous la dénomination générique d'Achaïe toute la
Grèce, à l'exception de la Thessalie. — A l'époque des croi-
sades, il y eut la principauté d'Achaie. Nous lui consacrons un
article particulier. — Dans le nouveau royaume de Grèce
l'Achaie forme le gouvernement situé à l'extrémité nord-
ouest de la jMorée , et est bornée au nord par le golfe de
Patras et de Lépaiite, au sud-est par Corinthe et Kyllena,
au sud-ouest par l'Élide. La côte, plate à l'ouest, monta-
gneuse à l'est, s'élève avec le cap Papa (l'Araxos des an-
ciens ) dans la direction du nord-ouest , et au loin dans
celle du nord avec le cap Drépanon. Le mont Kalavryia
remplit le sud et Test avec ses prolongements en ter-
rasses dans la direction du nord-ouest , offrant de temps
à autre quelques plateaux remarquables, par exemple, au
nord, le Voida (Panacheikon),haut de 1,997 mètres, età la
frontière méridionale l'Olocros (le pic le plus élevé des monts
Erymauthes des anciens), haut de 2,280 mètres, dans les
flancs duquel prennent leur source une foule de petits cours
d'eau allant se jeter dans la mer, entre autres la Kameniza
( Peiros ) à.l'ouest et la Vostitza ( Selinus ) à l'est. A l'excep-
tion du chef-lieu , P a t r a s, on n'y trouve que des bourgades
sans importance , telles que Epano-.\chaia, Kato-Achaia,
le château de .Morée ( Rhion ) , Vostitza et Diakopto. Le sol
en est très-fertile , à l'exception des districts de l'ouest, et
les habitants s'y livrent avec profit à la culture de la vigne,
de l'olivier, des céréales et des légumes de tout genre. Mais
leur commerce maritime est singulièrement déchu.
ACIIAÏE (Principauté d'). On comprenait sous ce nom,
pendant les treizième, quatorzième et quinzième siècles,
cette partie de l'empire byzantin située au midi des Ther-
moj»yles et s'étendant jusqu'à l'extrémité du cap Maléedans
le Péloponnèse, en y joignant plusieurs iles de la mer Egée et
de la mer Ionienne , et qui , après la seconde conquête de
Constanlinople par les Fcancs, fut laissée en partage, à litre
de souveraineté relevant de l'empire latin , à la famille des
Ville-llardoin deCliampagne. Le jeune Geoffroi de Ville-
Ilardoin, neveu de notre vieux chroniqueur le maréchal
héiéditaire de Champagne et de Romanie, Geoffroi de Ville-
Hardoin, avait été le premier conquérant de ce pays. A son
retour d'un pèlerinage à Jérusalem, jeté par les vents dans
le port de Modon en Morée, il y avait appris la conquête de
Constantinople pai- ses concitoyens, et s'était entendu avec un
i seigneur grec établi en Morée pour se partager les lambeaux
ACIIAIK
tic rempile grec écroulé. Pondant qu'il s'élablissait de son
côto, ayant su que rainuv tiiomplianto des Francs arrivait
aussi en Morée par le nord pour en prendre possession, il se
rendit au c<inip des croisés francs, y retrouva ses amis, ob-
tint de Boniface de Moutferrat, roi de Salonique et de Tlies-
salie, tous les pays que lui et ses amis pouvaient conquérir
de ce côté, et conunença sur-le-chainji, avec son ami Guil-
laume de Cliami>-Lilte le Franc-Comtois, la conquête com-
plète et l'établissement féodal du pays. Bientôt Guillaume
de Champ-Litte, reconnu comme prince du pays, le lui laissa
à lui seul pour retourner, en 1509, prendre possession de son
tiet de famille de Franche-Comté, devenu vacant par la mort
de son frère aîné. Le jeune Geo ff roi prit alors à son tour le
titre de prince d'Achaie, distribua tout le pays en fiefs,
l'organisa militairement, et y introduisit la féodalité, en res-
jiectant toutefois les usages locaux. On ponrv.it à la dé-
fense militaire du pays par la création de hautes barounies,
dont les titulaires avaient le droit de guerre privée et le droit
de haute et basse justice. Tous firent bâtir des forteresses
dans l'intérieur et sur les limites de leurs baronnies, et quel-
ques-uns firent frapper monnaie.
La plus considérable de ces hautes baronnies était la sei-
gneurie, depuis duché, d'Athènes, possédée successivement
par les maisons françaises de La Roche et de Brienne , et
plus tard par la maison florentine d s Acciajuoli ; puis le
duché des Cyclades, appelé aussi de la Dodccanèse, de la
mer Egée ou des Cyclades ou de Naxie ; puis le comté de
Céphalonie et autres îles Ioniennes, moins Corfou , appar-
tenant alors aux rois de Naples et à leurs descendant?, les
princes d'Anjou-Tarente, despotes d'une partie de TÉpire ;
puis le marquisat deBodonitza, dans les Thermopyles;
puis trois baronnies dans l'île d'Eubée, et en Morée la baroimie
de Caritena, donnée à la maison de Brièrc, alliée aux Yille-
Hardoin ; puis celles d'Argos et de Nauplie, données à la
maison d'Enghien; celle de Passava dans le Magne, donnée
à la maison de Neuilly ; celle de Vostitza, l'antique .ilgium,
où se rassemblèrent les chefs grecs pour décider de l'entre-
prise de Troie, donnée à la maison de Charpigny ; celle d'A-
kova, donnée aux Ronchères ; celle de Chalandrilzii, donnée
à la maison de La Trémouille ; celle de Clarentza, donnée
à une fille cadette de la maison de Yille-Hardoin, avec k
titre de duché, qui devint ensuite, à dater d'un fds d'E-
douard III, un des titres des princes royaux d'Angleterre ;
celle d'Àrcadia en Messénie, donnée à la maison des châte-
lains de Saint-Omer ; celle de Calamata, aussi en Messénie,
donnée en apanage à la maison de Yille-Hardoin ; puis vin-
rent bien d'autres seigneuries, concédées à des chefs fran-
çais, et qui eurent plus ou nions d'importance, selon les
alliances et la valeur personnelle des seigneurs titulaires, à
la tète desquels siégeait Geoffroi, moins comme le souverain
que comme le chef de ses égaux. Geoffroi fut à la fois poète
et guerrier, et un des chevaliers les plus brillants de cette
époque chevaleresque. Il mourut vers 1220, laissant deux
fils, qui possédèrent successivement la principauté d'Achaie.
Geoffroi II, l'aîné, épousa Agnès, fille de l'empereur
Pierre de Courtenai et d'Yolande de Flandre, et sœur des
empereurs Robert et Baudoin II de Constantinople. Sous le
règne de Geoffroi F"" s'étaient élevées quelques discussions
avec le clergé latin, qui, après avoir reçu des fiefs à titre de
senice militaire personnel, refusait parfois de prêter les ser-
vices dus. Geoffroi II prit le parti de saisir leurs revenus,
à l'aide desquels il fit bâlir la forteresse de Khlemoutzi ou
Castel-Tornèse, qui existe encore. Il fut pour cela excom-
munié par le pape ; mais l'affîire s'arrangea après quelques
années, et il se réconcilia enfin avec l'Église, ainsi que les
antres seigneurs ses vassaux, qui l'avaient appuyé dans sa
résistance. En témoignage de leur réconciliation, ils firent
bâtir à Athènes une fort jolie église, appelée aujourd'hui le
Catholicon, sur les murs extérieurs de laquelle on distingue
quelques armoiries des familles franques.
87
Guillaume J" de Ville-Hardoin , son frère, lui suc-
céda, vers I2i6. Il acheva la conquête des forteresses du
pays, et fit bâtir lui-même des forteresses importantes, telles
que celle de Mistra, à une lieue de la Sparte sntique et à
une lieue et demie de la Lacédémone byzantine. On voit en-
core à Mistra les ruines du château-fort bâti par Guillaume
de Yille-Hardoin. Fait prisonnier en l'an 1259, dans une
grande bataille livrée près du lac de Gastoria aux troupes
de Michel Paléologue, il fut transporté en Asie ; et lorsqu'en
1261 Constantinople retomba entre les mains des Grecs, il
fut obligé de donner pour sa rançon à Michel Paléologue,
en 1263, la forteresse de IMistra et deux autres forteresses,
l'une dans la Tzaconie et l'autre dans le Magne, qui devin-
rent ensuite la base du despotat de Mistra, possédé par les
empereurs grecs. Pour se donner un appui contre les nou-
veaux maîtres de Constantinople , Guillaume de Ville-Har-
doin maria sa fille à un fils de Charles d'Anjou, roi de Na- ^
pies, auquel avait été substitué par l'empereur Baudoin II
Ihommage dû par les princes d'Achaie aux empereurs de
Constantinople. II mourut vers 1278, ne laissant que deux
filles, et il fut enterré à Andi-avida, ainsi que son frère aîné
et son père.
L'aînée des filles de Guillaume de Yille-Hardoin , Isa-
belle, qui, du vivant de son père, avait épousé, à l'âge de
deux ans, Louis-Philippe d'Anjou, fils de Charies d'Anjou,
perdit son mari cette même année 1278. Elle porta en 1290
la principauté d'Achaie à Florent de Hainaut , arrière-
petit-fils de l'empereur Baudoin F^ Florent de Hainaut, qui
était aussi connétable de Naples , ne vécut que peu d'an-
nées. Isabelle épousa, à Rome, en 1300, Philippe de Sa-
voie , seigneur de Piémont , souche des pruices de Savoie-
Achaïe, qui se rendit avec elle en Achaïe. Mais les soins à
donner à la seigneurie de Piémont ayant rappelé Philippe et
sa femme Isabelle de Yille-Hardoin en Savoie, ils laissèrent
le gouvernement de l'Achaïe à Mathilde de Hainaut, fille
du second mariage d'Isabelle avec Florent de Hainaut ; et
comme elle était encore mineure, ils la marièrent à un sei-
gneur puissant. Gui de la Roche, duc d'Athènes , intéressé
plus que personne au maintien du pays. La mort de Gui,
en 1309, amena Mathilde de Hainaut en France, et le roi de
France, le pape et le duc Eudes de Bourgogne s'entendirent
pour la marier avec Louis de Bourgogne, devenu ainsi
prince d'Achaie. Tous deux partirent en 1314 pour la prin-
cipauté , où ils trouvèrent de grands troubles. Marguerite
de Yille-Hardoin , lille cadette de Guillaume P', dame de
Clarentza et de ]\Iata-Grifon, avait marié sa fille unique ,
nommée aussi Isabelle, a Ferdinand de Majorqiie, fils dn
roi Jacques II d'Aragon, qui, fort des succès remportés dans
le duché d'Athènes par la grande compagnie catalane, vou-
lait s'emparer de la principauté, et qui se rendit en même
temps que Louis de Bourgogne en Morée. Tous deux mou-
rurent en 1315. La,main de Mathilde de Hainaut, devenue
veuve, tenta l'ambition de Jean de G ravina, fils de Charles II.
En vain Mathilde voulut-elle alléguer un mariage secret
avec le seigneur de la Palisse , Jean l'amena devant le pape
à Avignon, fit proclamer son mariage avec elle, puis en-
ferma sa femme au château de l'Œuf à Naples, en s'empa-
rant du titre de prince. La seigneurie de la principauté était
alors réclamée par Catherine de Valois, impératrice de
Constantinople, fille de Charles de Yalois et de Catherine de
Constantinople, et femme de Philippe de Tarente. Les pré-
tentions de Jean de Gravina furent apaisées moyennant la
cession qu'on lui fit du duché de Duras en 1334, et à par-
tir de ce jour Catherine de Yalois, impératrice de Constan-
tinople, devint aussi princesse réelle d'Achaie. Elle alla s'éta-
blir en personne dans le pays. Après elle , son fils Robert
continua à posséder de titre et d'effet la principauté d'Achaie,
où il résida quelque temps , ainsi que sa femme Marie de
Bourbon, à laquelle il laissa la principauté d'Achaie par
testament. Marie de Bourbon gouverna personnellement la
88
ACIIAIE _ ACHARD
principauté d'Acliaïe, où elle résida fréquemment, et sut faire
respecter son autorité par les armes. Kn mourant , en 1387,
à Kajilcs, elle laissa l'iiéritage de la principauté d'Acliaïe à
Louis, duc de Bourbon, son neveu.
Les troubles intérieurs de la France empêchèrent toujours
Louis de Bourbon de se rendre dans sa prbicipauté de Mo-
rée ; il y envoya cependant à deux reprises un de ses che-
valiers, nommé Chastel-Morant, et reçut l'hommage d'al-
légeance des seigneurs d'Achaie. Mais après sa mort , <:n
1 ilO, les troubles de France, augmentés bientôt par les dé-
sastres de la bataille d'Azincourt, empêchèrent les héritiers
de Louis de Bourbon de songer à la Morée. Pendant ce temps
les désordres augmentaient dans ce pays. Les despotes grecs
de Mistra avaient cherché à étendre leurs possessions, tantôt
par des alliances avec les seigneurs francs, et tantôt par la
conquête. Les seigneurs francs ne recevaient aucune nou-
velle recrue de France. Le règne de la maison de Tarente
avait amené des familles napolitaines et ilorenlines, telles
que les Tocco à Céphalonie, et les Acciajuoli à Athènes.
Les Génois et les Vénitiens avaient cherché à y prenthe pied
aussi, dans l'intérêt à la fois de leurs rivalités de commerce
et de suprématie politique ; et aucune main n'était assez forte
pour faire courber toutes ces volontés devant une seule, afin
de faire succéder un gouvernement régulier à cette anar-
cl'.ie féodale. Le peuple, de son côté, avait été plongé dans
iine trop grande misère, et était réparti entre trop de maîtres
pour pouvoir constituer une unité puissante. Les Turcs ce-
pendant devenaient chaque jour plus menaçants. JLiities
de l'Asie Mineure, ils avaient fini par passer la mer, et s'é-
taient emparés de Salonique. Constantinople fut bientôt cer-
née par les forces turques , qui s'avançaient de Gallipoli
par terre et de l'Asie par mer.
L'Europe chrétienne était trop agitée de ses propres
querelles pour aller au secours des chrétiens de Grèce. Le
duc Philippe de Bourgogne seul avait manifesté des vel-
léités chevaleresques et chrétiennes ; mais, après quelques
brillantes démonstrations, il était resté chez lui. Constan-
tinople succomba en 1453. Les provinces grecques situées
au midi de la Thessalie et des Thermopyles, la Morée et les
Cyclades, ne pouvaient se défendre plus longtemps. Tous
les chefs francs furent obligés de quitter le pays, et leurs
derniers débris se réfugièrent à Corfou et à S'aples. Les
frères du dernier des Conslanlins, mort lui-même eu com-
battant bravement sur les ruines de sa capitale conquise,
cherchèrent à se défendre quelque temps; mais leurs propres
dissensions fraternelles les avaient affaiblis, et fous furent
obligés de se soumettre ou de s'enfuir. Thomas Paléologue,
despote de Mistra, se réfugia, en 1461, à Corfou, et de là en
Italie. Mahomet II poursuivit ses conquêtes en Grèce et en
Morée, et dès 14G8 le croissant s'élevait triomphant sur les
débris des villes grecques et des forteresses franques , et la
principauté française d'Achaie n'était plus qu'un souvenir
liistorique. Btcno.N.
ACHAliVTRE ( Nicolas -LoLis), philologue de pre-
mier ordre, qui , sans ses habitudes modestes, serait parvenu
aux iionneurs littéraires, se contenta de travailler pour les
libraires et d'enrichir des précieuses élucubrations de sa
plume savante les ouvrages de certains éditeurs , qu'il laissa
avec une généreuse abnégation jouir de leur gloire em-
pruntée. 11 naquit à Paris, le 17 novembre 1771, et fit
ses études au collège d'Harcourt, par les soins et aux fiais de
l'abbé Asseline , depuis évêque de Boulognc-sur-Mer. Une
vocation impérieuse l'entraînait dans la carrière de l'ins-
truction, lorsque les événements de la révolution l'appe-
lèrent sous les drapeaux. Soldat depuis 1793, il fut fait pri-
sonnier en 179G et conduit en Hongrie. De retour en
France, il obtint de l'occupation dans une imprimerie, et
de'int le correcteur d'épreuves le plus habile. Il conçut
alors l'idée de publier des auteurs grecs et latins avec des
notes latines, et de leur donner un degré de correction ca-
pable de ranimer le goût des bonnes éditions en France.
Les travaux de M. Achaintre, appréciés des savants, ont
rendu sa réputation européenne. Sans vouloir parier ici de
ses différentes éditions, dont on peut trouver l'énoncé dans
la France Litléraïre de Quérard, qui n'apprécie son Ho-
race, son Juvénal et son Perse? On lui doit aussi une
édition du Dictionnaire de Boudol et des synonymes latins
de Gardin-Dumesnil, un Cours d'humanités en treize
volumes, et enfin la première édition qui ait été publiée de
V Histoire de la Guerre de Troie attribuée à Dyctis de
Crète. M. Achaintre, mort vers Is'iO, s'occupait beaucoup
d'inscriptions, et l'on trouve dans le Journal des Débats
un assez grand nombre de lettres de lui sur ce sujet.
ACIIiVNTI. Voyez Ascii antis.
ACHAR, hors-d'œuvre composé de divers fruits des
Indes confits dans le jus de citron ou le vinaigre avec de la
moutarde et du piment. Ceux de Batavia et de 3Iaurice
sont renommés.
ACIIARD (François Chaules), naturahste etcliimiste
de mérite, né le 28 avril 1754, à Berlin, s'est surtout fait
un nom par ses travaux relatifs au perfectionnement de la
fabrication du sucre de betterave. 11 reprit en effet les expé-
riences de Marggraf, en élargit le cercle, et fonda plus tard
une fabrique complète de sucre de betterave, à laquelle était
jointe une école spéciale. 11 fut parlicuUèrement secondé
dans ses efforts par l'intérêt que le roi de Prusse prit à ce
genre d'industrie. Ce monarque mit même à sa disposition
le laboratoire de l'Académie des Sciences pour qu'il put y
continuer ses recherches. Quoique le gouvernement eût fait
publier le résultat de ses expériences en 1799 et 1800, on
n'en fit pas l'application dans la pratique. Le roi lui con-
céda en conséquence la terre de Cunern, en basse Lusac«, à
la charge d'y établir une fabrique modèle. Le médecin can-
tonal Neubeck fut chargé de suivre toutes les recherches et
expériences. Achard put de la sorte, grâce à la protection du
roi, continuer encore pendant six laborieuses années , avec
Neubeck , ses efforts pour trouver la véritable métiiode de
l'extraction du sucre, et bientôt il ne fut bruit que de la fa-
brique de sucre d'Achard, qui dès lors eut de nombreux
imitateurs. En 1812, par suite de la prospérité dont le blo-
cus continental était la cause pour la fabrique de Cu-
nern , le roi de Prusse y fonda une école spéciale pour la
fabrication du sucre de betterave. Appelé à l'Académie des
Sciences de Berlin en qualité de directeur de la classe des
sciences physiques, Achard mourut dans cette capitale, le
20 avril 1821. Parmi ses écrits, la plupart relatifs à la bet-
terave et à son application industrielle, nous citerons : De la
Fabrication du sucre d'Europe avec la betterave, et de
celle de l'eau-de-vie, du vinaigre et de la chicorée qu'on
obtient de ses débris (3 vol. ; Leipzig, 1 809 ; nouv. édit. 1812)
ACHARD (Fr.ÉDÉRic), acteur et chanteur comique,
naquit à Lyon en 1810. — Jeune enrore et ouvrier tisseur
aans sa ville natale , où , malgré la défense de ses parents,
il fréquentait plus les spectacles que la fabrique et les comé-
diens que les canuts, il eut un soir, au théâtre des Céles-
tins , l'occasion de remplacer inopinément un acteur qui n'a-
vait pu jouer. 11 [ut fort applaudi, et cette circonstance,
jointe à une vocation naturelle, décida de son sort. Il s'en-
gagea successivement dans les troupes de Lons-le-Saulnier,
de Grenoble, de Lyon , et il était à Bordeaux lorsque ma-
demoiselle Déjazet vint donner quelques représentations dans
cette ville. liUe fut frappée de toutes les qualités du jeune
Achard , et lui facilita un engagement au théâtre du Palais-
Royal à Paris. Il y débuta le 10 juillet 1834, avec un grand
succès, dans les rôles de Llonnel et du Commis et la Gri-
setle. Doué d'une voix fraîche, claire, mordante dans le
couplet de verve , expressive dans la romance, Achard, sans
quitter le théâtre, entra comme élève au Conservatoire, et
obtint , après quehiucs années d'étude, le |ticmier prix de
chant. — Par la franchise et la gaieté sentimentale de son
ACHARD — ACHEM
89
jeu, il se plaça au premier rang parmi les comiques des
petits théâtres de vaudeville, 11 excellait dans la chan-
sonnette HJi;?jee.Achard mourut suhitemenl à Paris au mois
d'août 18JG. A. Delafokest.
ACHARD (Loi'is-Amédék-Eucène), romancier français,
est néà Marseille en avril 1814. Destiné d'abord au commerce,
il partit en 1834 par l'Algérie où il concourut à la fondation
d'une entreprise agricole; en 1835 le préfet de l'Hérault l'ap-
pela près de lui comme chef de cabinet. Après avoir donné
quelques articles au Sémaphore de Marseille, M. Achard
vint en 1838 à Paris, où il travailla au Verl-Vertfkl'Enlr'acfe
et au Charivari. Plus tard, il publia des Lettres parisien-
nes, signées Grimm, dans le journal l'Epoque. En 1846 il
accompagna le duc de Monlpensier en Espagne comme
historiographe des fêtes du mariage de ce prince avec
l'infante, soeur de la reine Isabelle. En mai 1848 M. Amédée
Achard fonda le Pamphlet, journal qui cessa de paraître
après l'insurrection de juin. Pendant ces tristes journées,
M. Achard eut son frère tué à ses côtés, et lui-même fut
fait prisonnier par les insurgés. Capitaine d'état-major de la
garde nationale , il donna sa démission lorsque le général
Changarnier perdit son commandement. M. Achard tra-
vailla ensuite à l'Assembléenationale. Un article du Cor-
saire lui attira un duel avec M. Fiorentino, qui le blessa
grièvement. En 1857, le Spectateur eut un avertissement
pour un de ses feuilletons. Pendant la guerre d'Italie il suivit
les mouvements de l'armée française et envoya au Journal des
Débats des lettres intéressantes qui ont paru séparément sous
ce titre : Montebello, Magenta, Marignan, lettres d'Italie
(1859). Parmi ses romans et nouvelles on cite Une Arabesque
(1840); Belle-Rose (1847); Les Petits-Fils de LovelaceilSài);
Les Châteauxen Espagne (1854); LaRobede Aessus (1854);
Maurice de Treiiil {ISbl ); Madame Rose (1857); Le
Clos Pommier (1857); Parisiennes et Provinciales (1857) ;
Brunes et Blondes (1858); Les dernières Marquises (1857);
Les Femmes honnêtes (1857); L'Ombre de Ludovic {I8b8) ;
Les Vocations (1859); La Sabotière (1859); la Famille
Guillemot ( 1860). Le théâtre lui doit : Par les fenêtres
(Gymnase, 1852) ; Souvenirs de voyage ( Théâtre Français,
1853); Souvent femme varie (Odéon, 1854 ) ; Les Campa-
gnes du marquis d'O (théâtre de Bade, 1858); le Jeu
de Sylvia (Vaudeville, 1859). Enlin il a donné des itiné-
raires, UneSaison àAix-les-Bains ( 1851) ; Bade et ses en-
virons (1858). L. LouvET.
ACHARIUS (Erik), naturaliste suédois, né le 10 oc-
tobre 1757, à Gelle, mort le 13 août 1819, à Wadstena, fit
ses études à Upsal, où il suivit les leçons de Linné. Plus
tard il se rendit à Stockholm, où l'Académie des Sciences
le chargea de dessiner divers objets d'histoire naturelle.
Reçu docteur en médecine à Lund, en 1782, il pratiqua son
art en Scanie jusqu'en 1789. Nommé alors médecin pro-
vincial à Wadstena, il conserva jusqu'à sa mort cet emploi,
auquel était attaché le titre de professeur. Les lichens
furent spécialement l'objet de ses recherches. On cite en-
core sa Lichenographia univer salis (Gœltingue, 1810)
et sa Synopsis methodica lichenum ( Lund, 1813 ). Son
nom a été donné par les botanistes à plusieurs plantes. Il
laissa un herbier composé de plus de onze mille espèces ;
l'université d'IIelsingfors acheta sa collection de lichens.
ACHATE. Compagnon d'Énée, dont l'amitié fidèle a
passé en proverbe.
ACHAZ, roi de Juda, fils de Jonathan, monta sur le
trône à l'âge de vingt ans, l'an du monde 3162, avant
J.-C. 738. Suivant l'exemple des rois d'Israël, il érigea
des statues au dieu fiaal et aux autres divinités des Ca-
nanéens; il leur consacra même son propre fils. Pendant
son règne, Rasin , roi de Syrie, et Phacée , roi d'Israël,
vinrent assiéger Jérusalem, sans pouvoir la prendre; mais
pendant deux ans ils ravagèrent le royaume. Achaz appela
à son secours Téglatphalasar, roi d'Assyrie, qui accourut
BICT. DE LA CO.NVERSATION. — T. I.
avec une forte armée , prit Damas , (ua Rasin , et enleva
les tribus de Gad, de RubL>n et la demi-tribu de Manassès.
Achaz, jugeant que les dieux de Syrie lui étaient plus
favorables qtie le Dieu d'Israël, se mit à piller la maison du
Seigneur, qu'il ferma ensuite; puis il fit dresser des autels
profanes sur toutes les places de Jérusalem et dans
toutes les autres villes de Juda. Il mourut après seize ans
de règne. L'Écriture rapporte à son temps l'érection d'un
cadran solaire ou gnomon.
ACHE, plante de la famille naturelle des ombellifères.
Anacréon et Horace l'ont célébrée comme l'âme des festins,
et les Grecs s'en servaient pour faire les couronnes données
aux vainqueurs dans les jeux néméens et isthraiques. Ce-
pendant Suidas nous apprend qu'elle était aussi employée
dans les cérémonies funèbres, probablement à cause de la
sombre teinte de son feuillage. Modifiée par la culture, l'acAe
odorante est devenue le céleri. A l'état sauvage. Vache
orforon^e contient une forte quantité d'acide volatil ; elle
est employée en médecine comme excitant.
ACHÉEI\]\E ( Ligue). On a donné ce nom à la confé-
dération formée parquelques villes de l'A chai e, et dans la-
quelle entrèrent les principales villes du Péloponnèse, lors-
que, l'an 284 av. J.-C, les Achéens tentèrent de secouer le
joug sous lequel ils vivaient depuis la conquête de la Grèce
par les rois de Macédoine. Pendant cent trente-huit ans la
ligue achéenne, dirigée parAratusetPhilopœ men,se
rendit redoutable et conserva l'indépendance de son pays.
Elle combattit longtemps contre les Romains pour la liberté
de la Grèce; mais elle fut anéantie par le consul Mum-
mius après la prise de Corinthe, l'an 146. Voy. Grèce.
ACHEEIVS, nom d'une peuplade grecque qu'Homère
confond sous la dénomination commune de Grecs avec les
Argivienset les Danaens. Elletirait son origine d'A ch ae ùs ,
et semble avoir abandonné la Thessalie pour venir s'établir
dans le Péloponnèse, où elle fonda, notamment en Argolide
et en Laconie, des États qui au temps de la guerre de
Troie étaient les plus puissants qu'il y eût en Grèce. Ex-
pulsés de leur territoire par les Doriens, vers l'an 1104,
les Achéens se dirigèrent d'abord vers la côte septentrionale
de la presqu'île, en chassèrent à leur tour les Ioniens, qui
l'habitaient, et donnèrent le nomd'Achaïe à ce pays. Sans
avoir beaucoup de relations avec les autres peuplades
grecques, ils y étaient répartis en douze villes, où à la forme
monarchique avait bientôt succédé une constitution démo-
cratique, et unies entre elles par une espèce de confédéra-
tion, qui ne fut dissoute qu'à l'époque des invasions de Dé-
métrius, de Cassandre et d'Antigone. Elle fut renouvelée,
vers l'an 280 avant l'ère chrétienne, par la réunion de
quatre des anciennes villes, devenues le noyau de ce qu'on
appela \ajigue achéenne.
ACHELOÛS , appelé autrefois Thoas, et aujourd'hui
Aspropotamo, le plus grand des fleuves de la Grèce, prend
sa source dans le Pinde, traverse le territoire des Dolopes,
sépare ensuite l'Étolie de l'Acarnanie, contrée où se fixè-
rent d'abord les Hellènes, et se jette dans la mer Ionienne,
à l'endroit où commence le golle de Corinthe. Les rives de
ce fleuve sont la seule contrée de Grèce et d'Europe où il
y ait eu jadis des lions. Dans la fable grecque, Achélous
apparaît comme un célèbre dieu marin, père des Sirènes,
et fils, suivant Hésiode, de l'Océan et de "Thétis, et, suivant
d'autres, d'Hélios et de Géa. Il disputa à Hercule D é j a n i r e,
se métamorphosa pendant le combat en horrible serpent,
puis en taureau. H -icule lui ayant brisé l'une de ses cornes,
Achélous, tout honteux, se réfugia dans les ondes de son
fleuve ; c'est de cette corne brisée que les nymphes firent,
dit-on, la corne de l'Abondance.
ACHEM ou ACHIM, royaume indépendant de l'île de
Sumatra, qui comprend l'extrémité septentrionale de cette île
et s'étend sur la côte orientale depuis le cap i4c/jew jusqu'au
cap Diamant. Au sud-est il confine au pays des Batlas. Il
12
90
ACHEM — ACHEULSE
produit de l'or, du poivre, du bétel, du soufre, du cam-
phre, dn benjoin et de la soie. Il a pour capitale Achem,
ville bâtie sur la rivière du même nom, à peu de distance
de la mer, et qui contient liuit mille maisons en bambous,
construites sur pilotis pour les défendre contre les inon-
dations subites. Avant l'arrivée des Européens aux Indes,
la vaste rade formée par l'embouchure de la rivière d'Acliem
dans la mer était très-fréquentéepar les marchands arabes;
et vers la fin du seizième siècle les habitants du pays d'A-
cliem étaient encore le peuple le plus puissant de la Ma-
laisie. Leur territoire comprenait la plus grande partie de
la presqu'île de Malacca et près de la moitié de l'île de
Sumatra. Leur prépondérance s'affaiblit vers le milieu
du dix-septième siècle. Les Portugais et les nations euro-
péennes qui ont hérité après eux du commerce de l'Asie
essayèrent à diverses reprises de s'établir dans le royaume
d'Achem, dont la belliqueuse population réussittoujoiirs à re-
pousser la domination étrangère. — Les Achexnais obéissent à
un sultan, dont l'autorité est héréditaire ; il leur arrive cepen-
dant assez souvent de méconnaître dans la transmission du
pouvoir suprême les droits de l'ordre de primogéniture en
faveur de celui des fils du sultan qui paraît le plus capable de
gouverner; mais de là aussi de fréquentes et désastreuses
guerres civiles. — La langue du pays d'Achem est un mé-
lange de malais, de batta, d'indoustanietdelalmoul.Lemaho-
métisme, observé avec une sévère exactitude, est la religion
des habitants, qui se distinguent du reste de la population
de Sumatra par une taille plus élevée, un teint plus basané,
une activité et une industrie plus grandes, une intelligence
plus développée. Ils ont des manufactures de soie et de
coton, et jusqu'à des fonderiez de canons; leur sol est d'une
grande fertilité , mais le commerce avec les étrangers est
resté parmi eux un monopole en faveur du sultan. Le pays
d'Achem est divisé en un grand nombre de principautés
gou vernies par des radjahs; les plus importantes sont
PécUr et Siiikel. Pédir, port de mer, est, dit-on, la seconde
ville du rovaurae.
ACHEÂIÈXES, ACHEMÉMDES. Achémènes est, se-
lon quelques énidits, le nom grec du grand Djemjid du
Zend-Avestn. Fondateur d'un vaste royaume, qui com-
prenait l'Asie antérieure, l'Assyrie, la Syrie, la Médie, la Bac-
îriane et la Perse, il donna son nom à l'Achaîmenia, contrée
de la Perse selon Its uns, simple tribu suivant les autres,
dont les familles s'appelèrent Achéménides. Dans la suite ,
les rois de Perse portèrent ce nom avec orgueil. Aché-
mènes, premier despote des Perses, ne fut pas moins
célèbre dans l'antiquité par sa puissance que par ses im-
menses trésors, contre lesquels le bon Horace, à ce qu'il
dit dans une de ses odes, n'eût point échangé un seul des
cheveux de Licymnie.
ACI1ÉMÉ.\IDE, fils d'Adaraastus , pauvre habitant
d'Ithaque, suivit Ulysse au siège de Troie. Le héros, fuyant
sur ses vaisseaux la rage de Polyphème, n'abandonna pas
son compagnon dans l'antre du cyclope, selon l'expression
lie 'V irgile, auquel on doit cette touchante création {Enéide,
livre m), mais l'oublia. Achéménide est le mythe des mi-
sères humaines; son nom signifie douleur de fâme. Tout
décharné, c'était un épouvantement, une forme inconnue
d'homme, dit le sublime poète, qu'enveloppaient des lam-
beaux rattachés avec des épines. Ce fut sous cet horrible
aspect qu'il se présenta à Énée, débarqué en Sicile. Énée, le
pieux Énée, l'ami de Jupiter hospitalier, ne put retenir ses
larmes à la vue de cet infortuné, qui le suppliait de lui don-
ner un coin obscur dans l'un des vaisseaux de sa flotte : il
le recueillit, quoique Grec, naguère soldat du perfide Ulysse,
et l'un des derniers restés sur lecapSigée, avec le fils de
Laerte, à contempler la fumée de Troie en cendres.
ACHEXB.\CH (André), paysagiste allemand, né à
Cassel, le 29 septembre 1815, étudia la peinture à Dussel-
dorf sous Scliirmer. Il a obtenu on 1855 une médaille de
première classe à l'exposition universelle de Paris pour ses
tableaux : Marée haute à Osiende ; Vue de Corleone en
Sicile ; Mer orageuse stir la côte de Sicile; Kermesse en
Hollande par un clair de lune, Paysage. Ses peintures
d'architecture ont aussi du mérite, et ses caricatures ont
de la vogue. — Oswald AcnENBACn, frère et élève du pré-
cédent, né à Dusseldorf en 1827, peint aussi la nature. Il a
exposé à Paris, en 1855 : Soirée d'automne et Pèlerins se
rendant à Rome; en 1859 : le Môle de Naples. L. L.
ACIIEiVWALL ( GoTTFRiED ), le créateur de la statis-
tique, né à Elbingen Prusse, le 20 octobre 1719, fit ses études
à léna, à Halle et à Leipzig, et se fit recevoir docteur en 1746
à Marbourg, où il donna, entre autres, des leçons publiques
sur la statistique, quoiqu'il n'eût alors encore qu'une idée
très-confuse de cette science. En 1748 il se rendit àCœttin-
gue, où il ne tarda pas à être nommé agrégé. En 1753 il y de-
vint titulaire de la chaire de philosophie, et en 1761 pro-
fesseur titulaire de droit. En 1751 et 1759 il parcourut avec
une subvention du gouvernement la Suisse, la France, la
Hollande et l'Angleterre. Il mourut le V" mai 1772. On lui
doit, en allemand : Éléments de statistique des princi-
paux États de V Europe {il k^) ; Esquisses de la diplomatie
européenne (1756); Principes d'économie politique {il &{) .
— Sa femme , Sophie-Éléonore, née Walther , était une
personne d'une rare instruction. Ses poésies, imprimées en
1750 sans son aveu, la firent admettre dans les sociétés
littéraires d'Iéna , d'Helmstaedt et de Goettingue. Elle prit
aussi une part importante à la publication des Chefs-d'œu-
vre des Moralistes anglais et allemands (b vol., Goettin-
gue, 1751^).
ACHÉROX, nom commun à divers cours d'eau de
l'ancien monde, par exemple de la Thesprotie, de l'Élideet
de la Grande Grèce. Plusieurs fleuves de ce nom avaient
une eau noirâtre et saumâlre; circonstance qui, siiivaut
toute apparence, donna lieu de croire qu'elle venait di-
rectement du sombre empire de Pluton. Suivant Pausa-
nias, ce serait à l'Acliéron de la Thesprotie qu'Homère au-
rait emprunté le nom de son fleuve des enfers, oii viennent
se jeter le Pyriphlégéton et le Cocyte. Il y avait aussi en
Egypte divers fleuves conduisant, comme celui-là, dans le
monde souterrain.
Dans la mythologie grecque, Achéron était un fils du So-
leil et de la Terre, que Jupiter précipita aux enfers pour
avoir fourni de l'eau aux Titans, et changea en un fleuve qui
conserva .son nom. Les eaux de ce fleuve devinrent bour-
beuses et amères. C'était un des fleuves que les ombres
passaient sans retour. Caron faisait passer l'Acliéron dans
une barque aux âmes des morts moyennant un droit de
passage, pour l'acquittement duquel on plaçait une obole
sous la langue du mort. Il n'y avait que les âmes dont les
corps avaient reçu la sépulture dans ce monde , ou avaient
été au moins recouverts d'un peu de terre, qui pussent être
transportées de l'autre côté de l'Acliéron ; sans cela elles
étaient forcées d'errer pendant un siècle sur ses rives. Les
uns font venir le nom de ce fleuve de l'égyptien achon Cha-
ron , marais de Caron ; d'autres l'interprètent par fleuve de
la Tristesse ou de la Douleur (de à privatif, et y.aîpw, je me
réjouis; ou d'âyo;, douleur, et ^isiô^, fleuve).
ACHÉRONTIEKS (Livres), Les Étrusques appelaient
ainsi quinze volumes vraisemblablement écrits en vers
et formés des paroles recueillies du devin Tagès. Ces
livres, appelés encore livres /«(/(^^iç'iiei, enseignaient l'art de
tirer des prédictions de toutes sortes d'événements, et
valurent aux augures d'Étrurie une grande réputation. Les
Étrusques les gardaient avec autant de soin que les
Romains les livres Sibyllins, attribués à la sibylle de Cumes.
Il ne faut pas les confondre avec les livres de discipline
dont parle Cicé.ron, et qui étaient beaucoup moins anciens*
ACHÉRCSE ou LAC AC HÉRO.NTIQUE . Nom de divers
lacs ou marais situés en Thesprotie, en Argolide, en Campa-
ACHERUSE — ACHILLINl
91
nie, près de l'A cliéro n, cl tous considérés comme étant en
communication avec les enfers. Un lac d'Egypte, au sud
de Memphis, portait aussi ce nom. Dans une fie de ce
lac était une nécropole où les morts n'étaient admis qu'a-
près une sorte de jugement.
ACHÉRY (Dom Jean-Lic d'), né en 1609, à Saint-
Quentiu, entra à l'âge de vingt-trois ans dans la congréga-
tion de Saint-Maur, et mourut à Paris en 1685, bibliothé-
caire de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Pamii ses
nombreux ouvrages, nous citerons son célèbre Spicilegitim,
ou Recueil d'anciennes pièces inédites, publié en 13 volu-
mes in-4°, de 1653 à 1677 : on y trouve une foule d'his-
toires etde chroniques inédites d'abbayes, de vies de saints,
de testaments de papes, de reines et autres personnages
illustres. Chaque volume est accompagné de notes aussi
savantes que purement écrites, et relatives aux différents
traités et documents qu'il contient. Cet ouvrage, véritable
trésor pour l'antiquaire , a été réimprimé par Delabarre en
1723, en 3 vol. in-folio.
ACHILLE, fils de Pelée, roi de la Phthiotide en Thes-
salie, et de Thétis, fille de Nérée, était petit-fils d'Éaque,
roi d'Égine, A sa naissance sa mère le plongea dans les
eaux du Styx, ce qui le rendit invulnérable dans toutes les
parties du corps, excepté au talon, par où elle le tenait. Ii
fut élevé par le centaure Chiron, qui lui donna l'éducation
la plus mâle, et de bonne heure Achille montra son ardeur
belliqueuse. Comme on avait prédit qu'il acquerrait une
gloire immortelle devant Troie , mais qu'il y trouverait la
mort, Thétis le conduisit, à l'âge de neuf ans , habillé en
fille et sous le nom de Pyrrha, à la cour de Lycomède, roi
deScyros, qui le fit élever avec ses filles. Le devin Calchas
ayant annoncé aux Grecs que sans Achille ils ne pour-
raient jamais s'emparer de Troie, on chercha longtemps le
lieu de sa retraite; Ulysse réussit à le découvrir : déguisé
en marchand, il se présenta à la cour de Lycomède, avec
des marchandises de tous genres , parmi lesquelles étaient
des armes. Les princesses choisirent des objets de parure,
et Achille les armes. Dès lors il ne fut pas difficile de dé-
terminer ce jeune héros à s'unir aux autres princes grecs
pour assiéger Troie.
Achille, le héros de l'Iliade, y est représenté non-seule-
ment comme le plus brave , mais encore comme le plus
beau des Grecs. Il conduisit à Troie cinquante vaisseaux
montés par des Myrmidons, des Achéens et des Hellènes ; il
détruisit douze villes avec le secours de sa flotte, et onze
autres avec son armée. Junon et Minerve, dont il était le
favori, le protégeaient. Irrité contre Agarae m non, que
les princes gref s avaient élu pour leur chef et qui lui avait
enlevé Briséis, il se retira dans sa tente, et laissa Hector,
à la tête de ses Troyens, poursuivre les Grecs et les tailler
en pièces. Ni les dangers des Grecs, ni les offres et les prières
d'Agamemnon ne purent fléchir la colère du fils de Pelée;
cependant il permit à Patrocle de prendre son armure et de
marcher au combat avec ses troupes. Patrocle tomba
sous les coups d'Hector. Achille, pour venger la mort de
son ami, reparut dans les combats. Aussitôt les Troyens
fuient; une partie se précipitent dans le Xanthe, où Achille
les suit. Les cadavres amoncelés arrêtent bientôt les eaux
du fleuve; le Xanthe soulève ses flots bouillonnants. Le
héros se retire d'abord ; puis il résiste au Xanthe , qui ap-
pelle à son secours le Simoïs et ses fleuves tributaires.
Alors Junon envoie Vulcain et les vents Zéphire et Notus,
qui forcent le fleuve à rentrer dans son lit. Achille con-
tinue à poursuivre les Troyens vers leur ville, qu'il aurait
prise d'assaut s'il n'en eût été empêché par Apollon. Hector,
resté seul devant la porte de Scée , fait trois fois le tour de
la ville, poursuivi par Achille, qu'il se résout enfin à combat-
tre. Il succombe. Achille traîne son cadavre autour des rem-
partSj'et le rend aux prières du vieux Priam, qui lui apporte
une rançon. Ici s'arrête la narration d'Homère. La suite de
l'histoire d'Achille est racontée de la manière suivante. Épris
des charmes de Polyxène, fille de Priam, il la demanda et
l'obtint pour femme, et s'engagea alors à défendre Troie;
mais, s'éfant rendu dans le temple d'Apollon pour y célé-
brer cette alliance, il fut frappé par Paris, qui l'atteignit
d'une flèche au lalon. Pendant son séjour à la cour de Ly-
comède, Achille avait épousé secrètement Déidamie, fille du
roi, dont il eut un fils, nommé Pyrrhus ou Néoplolème.
ACHILLE (Tendon d'), gros tendon aplati situé à la
partie postérieure et inférieure de la jambe, ainsi nommé
parce qu'il s'implante au talon, seul endroit où, dit-on,
Achille était vulnérable et où il fut blessé mortellement
par Paris. L'action du tendon d'Achille est de tirer le talon
vers le gras de la jambe, et d'étendre ainsi le pied. On a
pendant longtemps regardé à tort les blessures du tendon
d'Achille comme incurables.
ACHILLÉE, genre de plantes de la famille des synan-
théracées, dont une section formait autrefois les radiées ou
astérées. L'ackillée mille-feuilles , ou simplement ?«j7/e-
feailles, vulgairement herbe aux charpentiers , est em-
ployée comme vulnéraire. L'achillée sternutatoire lient ce
nom de la propriété qu'ont ses feuilles de provoquer l'éter-
nûment lorsqu'on les introduit dans le nez. Quand on les
mâche, elles excitent la salivation. Sa racine, qui aies mêmes
propriétés, est employée contre les douleurs de dents. On
en cultive une variété sous le nom de boulon d'argent.
ACHILLEES» fêtes instituées en l'honneur d'Achille.
Plusieurs peuples honorèrent Achille comme un héros, et lui
rendirent même des honneurs divins. Les Lacédémoniens
lui avaient élevé un temple à Brasie , où l'on célébrait sa
fête tous les ans. Il avait près de Sparte un antre temple,
qui restait toujours fermé ; c'était Paax, un de ses descen-
dants, qui le lui avait consacré. Les jeunes Spartiates
adressaient leurs vœux à Achille, comme au dieu de la va-
leur. Un passage curieux de Zosime prouve que ce héros fut
honoré jusqu'aux derniers temps du paganisme.
ACHILLES TATIUS, professeur d'éloquence à
Alexandrie, sa patrie, où on présume qu'il vécut vers la
fin du troisième ou le commencement du quatrième siècle,
fut un des romanciers grecs désignés sous le nom de poètes
erotiques. Dans un âge avancé il embrassa le christianisme,
et parvint à la dignité d'évêque. Outre quelques fragments
d'un ouvrage sur la sphère, qui nous sont parvenus, nous
possédons de^^lui un roman en huit livres , intitulé : les
Amours de Clitophon et de Leucippe, qui, sous le rapport
du sujet et des descriptions, est loin d'être sans mérite , et
contient môme quelques passages d'une grande beauté. Le
style en est chargé d'ornements de rhétorique et se perd
souvent dans des arguties sophistiques. Quant au reproche
d'obscénité qui pourrait être fait à cet ouvrage , une épi-
gramme grecque dit avec raison qu'il faut auparavant en
considérer le but. Or, ce roman n'en a pas d'autre que d'en-
' seigner à modérer ses désirs , en montrant la punition des
passions effrénées et la récompense de la chasteté. Les
meilleures éditions qui en aient été faites sont celle de
Leyde, 1650, avec les notes de Saumaise, et celle de Fr.
Jacobs (Leipzig, 1821). Cet ouvrage a été plusieurs fois tra-
duit en français, et en dernier lieu par Clément de Dijon ,
1800, in-12.'
ACHILLINl (Alexandre), médecin et philosophe,
naquit à Bologne, en 1463, professa la philosophie d'abord
dans sa ville natale, puis à Padoue, et reçut le surnom de
second Aristote. Achillini adopta les opinions d'Averrhoès.
Il mourut à Bologne, en 1512. Grand anatomiste, on lui
doit la découverte du marteau et de l'enclume dans l'appa-
reil audif. L'un des premiers il disséqua des cadavres hu-
mains. On a de lui un traité De Universalibtts ( Bologne ,
1501, in-fol.) et beaucoup d'ouvrages de médecine et d'ana-
tomie. — Jean-Philoihée Achillini , frère d'Alexandre ,
né à Bologne, en 1466, et mort dans la même ville, en 1538,
12.
92
ACIIILLIM — ACIDE
est connu par un poëme inlilulé : // Viridario. — Claude
AciiiLLiM, petit-fils de Jean-Piiilothée, né à Bologne, en
1574, médecin, jurisconsulle, lii(^oiogien et poêle, professa
avec nne grande distinction, et mourut en 1640.
ACIIMED. Trois sultans oliiomansont porté ce nom.
AcuMED !'='■ n'avait encore que quatorze ans lorsque , en
1603, il succéda à son père Mahomet III. I! fit la guerre
en Hongrie et en Perse. Le traité de paix qu'il signa à Sit-
vatorek, le 11 novembre 1606, fut le premier que la Porte
Otliomane conclut avec une puissance européenne sur le
pied d'une complète égalité. Par ce traité, l'Autriche se
trouva déchargée, moyennant une somme une fois payée,
du tribut auquel elle avait jusque alors été assujettie.
Achmed I" conclut en 1612 avec la Perse une paix qui
termina les longues discussions qui avaient existé entre les
deux empires au sujet de la démarcation de leurs frontières
respectives. Achuiel mourut le 22 novembre 1617. —
Achmed II, sultan qui régna de 1691 à 1695, eut à sou-
tenir des luttcsconlinueiles tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.
C'était, du reste, un p.ince de la capacité la plus bornée,
dénué de toute vigueur et de toute énergie. — Achmed III,
sultan qui régna de 1703 à 1730, était le fils de Maho-
met VI, et succéda à Mustapha n, renversé du trône. C'est
dans ses États que Charles XII, après avoir perdu la ba-
taille de Pultawa, vint chercher refuge. En lui accordant
un asile, Achmed ni se trouva entraîné dans une guerre
contre le tzar Pierre I", qu'il battit d'abord sur le Prulh .
Achmed conquit encore la Morée sur les Vénitiens ; mais
il fut vaincu par les Impériaux à Peterwaradin. Une révolte
de janissaires en 1730 le jeta dans le cachot où il dé-
tenait Mahmoud 1er, qui devint son successeur. Il mourut
en 1736. Ce fut lui qui en 1727 établit la première impri-
merie qu'il y ait eu à Conslantinople.
ACHMET, bey de Conslautine. Voyez H\dji-Ahmed.
ACIIMET GIEDICH) par corruption Acomat, grand
vizir de Mahomet II et son meilleur lieutenant, porta
d'abord le nom d'Etienne . Son père, Chéyéchius ou Cliersech,
prince de Moutevera, ayant pris pour lui-môme la fille du
souverain de Servie, qu'Etienne devait épouser, celui-ci passa
chez les Turcs, dont il embrassa la religion. Achmet chassa
les Génois de la Crimée, et repoussa une invasion des
Persans. Il tenta aussi une descente dans l'Italie méridionale.
Cependant ses talents militaires ne trouvèrent pas grâce de-
vant l'ombrageuse et farouche politique de Bajazet II, fils
dç Mahomet, dont Achmet était devenu le gendre. Ce prince
le fit étrangler en 1482.
ACHORES (du grec à^wp), mot employé par les
anciens auteurs pour désigner les croûtes de lait (voyez
DiRTREs) ou les i)elites ulcérations superficielles qui se
forment à la peau du visage et de la tête, Alibert décrit
sous ce nom l'espèce de teigne qu'il nomme muqueuse.
ACHOUR, village de l'Algérie, section de Dely-Ibra-
liim, à 9 kilomètres d'Alger, fondé en 1842, provient en
partie de terres dépendantes d'une ancienne ferme du Bey-
lick. Il offre des prairies artificielles d'une grande beauté.
ACHOURA (c'est-à-dire dizaine), fête que les mu-
sulmans célèbrent dans les dix premiers jours du mois de
moharrem, qui est le premier de leur année, et auquel elle
donne aussi son nom. On lui assigne diverses origines. Sui-
vant les uns c'est la continuation d'un jeûne antérieur à l'is-
lamisme ; d'autres prétendent qu'on célèbre ainsi le jour où
^'oé sortit de l'arche; d'autres veulent que ce soit pendant
une des dix nuits de l'achoura que le Coran fut détaché du
ciel et communiqué aux hommes. M. Garcin de Tassy la
croit consacrée à la mémoire de Huçain et Hassan, fils d'Ali
et petits-fils de Mahomet, qui furent massacrés à Kerbela
par l'ordre du khalife Yozid. Dans l'Inde on porte en pro-
cession, le dixième jour de la fête , les cénotaphes de ces
personnages, regardés comme marlyrs; des dévots suivent
io cortège et se livrent à des actes extraordinaires de péni-
tence. Il y a souvent aussi de grossières mascarades. Le
soir on se réunit dans les mosquées, où Ion chante et récite
des prières. A Alger, les mosquées sont ce jour-là splendide-
ment illuminées. z.
ACHROMATISME (du grec à privatif, et xçûixa,' cou-
leur), correction, dans les instruments d'optique, des effets
de l'a b e r r a t i o n de la lumière, de la dispersion des rayons
lumineux, en les faisant passer à travers des corps de réfran-
gibilité diverse. Le rayon de lumière , qui nous parait blanc
à la vue, est composé , comme on sait, de plusieurs rayons
de couleurs différentes et de réfractions inégales. Lorsque ce
rayon vient à frapper sur une lentille d'une certaine puis-
sance, il y forme des cercles colorés, et l'image devient dif-
fuse. DoUond est parvenu à corriger ce défaut en formant
des lentilles de deux morceaux de verre superposés, l'un de
crownglass et l'autre de flin t-glass, dont les degrés
de refrangibilité sont différents. Dollond fils, Ramsden ,
Reichenbach s'occupèrent ensuite de celle fabrication.
ACHROMATOPSIE (du grec à privatif, x?<^iJ.a, cou-
leur, ô'!/t;, vue). Voyez Daltonisme.
ACIDE. En chimie, on comprend, sous la dénomina-
tion générale d'acides, des corps qui ont la propriété de se
combiner avec un autre corps jouant le rôle detrase pour
former un sel. En soumettant le résultat de celte combi-
naison à l'action de la pile, l'acide se porte au pôle élec-
tro-positif, et la base au pôle électro-négatif. On donne
encore pour caractères généraux des acides leur saveur parti-
culière, plus ou mpins analogue à celle du vinaigre, et la
propriété qu'ils ont de rougir la teinture bleue de tournesol.
Mais ces derniers caractères ne sont pas toujours faciles
à reconnaître, car il y a des acides insolubles. C'est donc
dans l'affinité pour les bases que consiste le caractère es-
sentiel d'un acide. Sous ce rapport , les divers acides offrent
de grandes différences : aussi les uns sont dits acides /or/5,
les autres acides /a (6/65.
Les acides sont divisés en deux grandes classes : 1° les
acides minéraux, ou anorganiques ; 2" les acides organi-
ques, qui proviennent de substances végétales ou animales.
Acides minéraux. La plupart des acides minéraux ré-
sultent de la combinaison de l'oxygène avec un métalloïde
ou un métal. On a cru longtemps, sur l'autorité de Lavoi-
sier, que l'oxygène était le seul principe générateur des
acides ; mais on a reconnu depuis qu'il y avait des acides
exclusivement composés d'hydrogène et d'un métalloïde :
par exemple, les acidps chlorhydrique,sulfhydrique, fluorhy-
drique, iodhydrique, etc. On en forma la classe des /îydra-
cides , tandis que les acides oxygénés recevaient le nom
A'oxacides; mais cette dénomination même d'bydracides se
trouve impropre d'après les principes de nomenclature de:
la théorie électro-chimique, qui veut que dans toute déno-
mination d'un composé le corps électto-négatif (nom gé-
nérique) soit placé le premier, et le corps électro-positif
(nom spécifique) le dernier. Or, dans les kydracides l'hy-
drogène, corps électro-positif par rapport à tous les métal-
loïdes, ne correspond pas à l'oxygène, corps électro-négatif
dans les oxacides ; mais il correspond au chlore, au sou-
fre, au fluor, à l'iode, etc. Aux oxacides il faudra donc op-
poser les chloracides, les sulfacides, etc.
Quoi qu'il en soit, lorsqu'un corps simple ne se com-
bine avec l'oxygène qu'en une seule proportion pour former
un oxacide, le nom de cet acide se compose du nom du
corps simple et de la terminaison ique ; quand il se com-
bine en deux proportions et forme deux acides, celui qui^
contient le moins d'oxygène prend la terminaison eux; le
plus oxygéné garde la terminaison ique. Quand il se com-
bine enfin en un plus grand nombre de proportions, on
place la préposition hypo (au-dessous) devant le nom de
l'acide en eux ou en ique; cette préposition exprime
toujours une quantité d'oxygène plus faible que celle con-
tenue dans l'acide en eux ou en ique. S'il existe enfin un
ACIDE — ACIDULE
acide encore plus oxyi;éni que l'acide en iqite, on le fait
précéder de la préposition per ou hyper.
\\ esta remarquer que les derniers degrés d'oxydation
d'un métal constituent presque toujours de véritables
acides. Tels sont les acides manganique et permanganique,
les acides ferrique, antimonique, stannique, etc. Plus la
proportion d'oxygène augmente dans un oxyde basique,
plus celui-ci perd sa propriété de base et tend à devenir
acide, de telle façon que les composés les plus oxygénés
sont généralement acides , tandis que les moins oxygénés
sont basiques. Cette loi , vraie pour l'oxygène, l'est égale-
ment pour le chlore, l'iode, le soufre, etc. En effet, pres-
que tous les percblorures, periodures, persulfures, etc., sont
de véritables chloracides , iodacides, suif acides, lesquels
se combinent avec les protoclilorures, les protosulfures, qui
par rapport à eux pourraient s'appeler chlorobases, sulfo-
bases, pour donner naissance à^des chlorosels, sulfosels, etc.
Enfin, dans quelques cas, les acides contiennent trois corps
simples : tels sont les acides cliloroxycarbonique, nitro-
sulfurique. On admet alors généralement dans ces acides
l'existence d'un radical composé jouant le rôle d'un corps
simple. Ainsi .M. Dumas regarde l'oxyde de carbone comme
le radical de l'acide cloroxycarbonique, et représente de cette
sorte sa composition : CO + CL, CO étant l'oxyde de carbone.
En général, les acides contiennent une certaine quantité
d'eau, qui est loin denuire à leur action : ils portent alors le
nom d'acides hydratés ou aqueux ; quand ils sont simplement
mélangés avec elle, on les dit étendus. Complètement isolés
de l'eau, ils sont dits anhydres. M. Bussy est parvenu
à isoler l'acide sulfurique; M. Deville en a fait autant
pour l'acide ni^n^MC, et Gerhardt a obtenu le même résultat
pourlesacidesorganiques.Tousces acides anhydres diffèrent
plus ou moins de leur acide normal et se ressemblent par
l'absence de réaction acide, ainsi que par leur indifférence
pour l'eau qu'ils ont perdue. Ces acides anhydres témoignent
aussi d'une singulière aptitude à se combiner et donnent nais-
sance à de nouveaux composés. M. Millon avait déjà reconnu,
en étudiant l'action de l'acide sulfurique sur l'acide iodique,
que les acides n'ont pas moins de tendance à se combiner
les uns avec les autres qu'avec les bases.
Acides organiques. Tandis que les éléments d'un acide
minéral sont généralement au nombre de deux, ceux d'un
acide organique sont d'ordinaire plus nombreux; mais ils
ne dépassent pas le nombre de quatre, qui sont toujours
l'oxygène, le carbone, l'hydrogène et l'azote ; encorece dernier
ne se reiicontre-t-il guère que dans la composition des acides
cyanogènes. La combinaison de ces éléments paraît d'ail-
leurs, comme dans toutes les substances organiques, as-
sujettie à des lois spéciales, en sorte que la constitution
des composés qui en résultent diffère essentiellement de
celle des composés analogues de nature inorganique. La
plupart des acides organiques renferment de l'eau que les
procédés ordinaires de dessicalion ne peuvent en séparer;
mais Gerhard t a trouvé le moyen de les isoler. L'hydrate d'un
acide est la combinaison de 1, 2, 3 équivalents d'eau avec cet
acide. On a divisé les acides organiques en acides unibasiques,
bibasiques et tribasiques, selon la quantité d'équivalents de
base qu'ils peuvent neutraliser. En se combinant avec un
équivalent de Iwise, les acides unibasiques constituent les
sels neutres. En se combinant avec d'autres sels, ils forment
les tels doubles. Tous les acides organiques capables de
saturer deux ou plusieurs équivalents de base sont appelés
acides polybasiques. Ces acides donnent par la distillation
sèche des acides pyrogénés. M. Dumiis appelle conjugués ,
bijugués, trijugués, les acides organiques qui semblent
résulter de l'union de deux ou plusieurs acides.
Pour établir , une nomenclature générale des acides, on
peut les distinguer en quatre genres : les oxacides et les
acides métalloidiques les oxacides métalliques, et les acides
organiques.
Les oxacides métalloidiques sont formés par la combinai-
son de l'oxygène avec les métalloïdes. Ils sont au nombre de
vingt : les acides borique, silicique, carbonique, phosphoreux,
pliosphorique, hypoi)hosphorique, hypophosphoreux, sulfu-
reux, sufurique, hyposulfureux, hyposulfurique, sélénieux,
sélénique, chlorique, chlorique oxygéné, bromique, iodique,
azoteux, azotique, hypoazotique.
Les acides métalloidiques sont exclusivement formés de
métalloïdes combinés deux à deux. De ces éléments, l'un
est négatif et joue le rôle de l'oxygène, l'autre est positif et
sert de radical : ce sont les acides fluorhydrique, chlorhy-
drique, bromhydrique, iodhydrique, snlfliydrique, sélénhy-
driqne, (luoborique, chloroborique, fluosilicique, cliloro-
silicique. Les acides métalloïdes ont pour caractère remar-
quable de ne pouvoir se combiner avec les bases. Mis en
contact avec elles, ils se décomposent de telle sorte que
leur élément positif se combine avec l'oxygène du métal,
tandis que l'élément négatif s'unit au métal lui-même.
Ainsi l'acide chlorhydrique forme de l'eau et des chlorures;
l'acide bromhydrique, de l'eau et des bromures; l'acide
fluosilicique, de l'eau, de la silice et des fluorures, etc.
Les oxacides métalliques sont produits par l'oxygène qui
s'unit à certains métaux ; ils sont au nombre de douze : les
acides arsénieux, arsénique, chromique, raolybdique, va-
nadique, tungstique , antimonieux, antimonique, colom-
bique, titanique, manganique et hypermanganique.
Il y a trois grandes divisions des acides organiques :
1" les acides composés de carbone et d'hydrogène : ce
sont l'acide oxalique, l'acide raellitique, etc. Ils sont vo-
latils. 2" Les acides formés de carbone, d'oxygène et d'hy-
drogène; on les distingue en acides gras, et en acides qui
ne sont pas gras. Les acides qui ne sont pas gras se divi-
sent eux-mêmes en trois groupes : d'abord les acides fixes
solides, solubles dans l'eau, cristallisables, qui, lorsqu'on les
distille, se transforment en acides volatils appelés pyrogé-
nés, en eau et en acide carbonique, comme les acides tar-
trique, citrique, malique, tannique, gallique, mucique,
quinique, etc. ; ensuite en acides fixes qui ne donnent pas
de pyrogénés, comme l'acide oxaihydrique, etc.; enfin en
acides volatils de leur nature, qui par conséquent ne don-
nent pas de pyrogénés : acide acétique, formique, lactique,
caraphorique, etc. Les acides gras ont l'aspect de la graisse
ou de la cire quand ils sont solides, ressemblent à de l'huile
quand ils sont liquides, sont plus légers que l'eau et se
dissolvent dans l'alcool, l'éther et les huiles grasses et vo-
latiles. Ils se distinguent en deux groupes : d'abord les
acides gras plus au moins solubles dans l'eau et qui peuvent
être distillés sous la pression de l'air, comme l'acide ca-
prique, crotonique, etc., etc.; ensuite les acides gras tout à
fuit insolubles dans l'eau et qui ne peuvent être distillés que
dans le vide, comme l'acide stéarique, oléique, ricinique, etc.
3° Les acides azotés. Il y eh a trois groupes : les acides
azotés à radical de cyanogène, comme les acides cyanique,
cyanhydrique, etc., etc. ; les acides azotés ni gras ni à radical
de cyanogène, comme les acides urique, purpurique, indi-
gotique, etc. ; les acides azotés gras, comme l'acide choles-
térique, etc. ^ L. Louvet.
ACIDITÉ .qualité de ce qui est acide. Est doué d'a-
cidilé tout corps composé, sohde, Hquide ou gazeux, qui
possède une saveur acide, ou qui est capable de s'unir à plu-
sieurs autres corps pour former des composés que l'on nomme
sels. Le vinaigre, les groseilles, le citron, et d'autres fruits
non encore mûrs donnent l'idée d'une saveur acide.
ACIDULE. En médecine, on appelle boisson acidulé,
ou simplement acidulé, une boisson tempérante et ra-
fraîchissante. Les acidulés doivent leurs propriétés et leur
nom à la présence d'un acide végétal ou minéral. On dis-
tingue les acidulés végétaux et les acidulés minéraux. Le&
premiers sont plus nombreux et plus usités que les .seconds.
Une foule de fruits, tels que les cerises, les fraises, les
94
ACIDULE — ACIER
poimies, les oranges , les citrons , les mûres, les grenades,
les groseilles , ainsi que beaucoup d'autres substances \é-
"étale^, contiennent un principe acide que la thérapeutique
a su mettre à profit. On emploie d'ailleurs communément
ces substances sous la forme de gelées, de siiop? et de li-
monades. Les acidulés minéraux, ou limonades minérales
sont de l'eau édulcorée que l'on aigui.se avec quelques
gouttes (5 à 25 par livre d'eau) d'acide sulfuiique , nitrique
ou ctdorliydrique. On range encore parmi les acidulés miné-
raux les eaux salines chargées d'acide carbonique , comme
l'eau de Seltz. Ces boissons produisent généralement une
sensation agréable de fraîcheur dans le tube digestif. Elles
apaisent la soif, diminuent la chaleur et l'accélération du
pouls. Leur usage continu réveille l'ajjpétit. Souvent aussi
elles agissent, dans certaines conditions du tube digestif,
comme légers laxatifs. Quelque simple et innocente que
paraisse l'administration des acidulés, il ne faut pas dans
le cas de maladie les employer indiscrètement. Quant à leur
usage extérieur, recommandé dans quelques affections
cutanées, il a souvent des inconvénients graves, et c'est
à la science à déterminer les cas où cette médication peut
être avantageuse.
ACIER (du latin acies , tranchant). C'est du fer qui
contient de cinq à sept millièmes de carbone. La combi-
naison de la silice, du manganèse et de l'aluminium avec le
fer produit également de l'acier. A l'état naturel , l'acier
nous présente à peu près les propriétés physiques du fer ;
il a , ou peu s'en faut , le même aspect , la même dureté ,
le même poids spécifique ; sa malléabilité, sa ductilité sont
égales ; comme le fer , il peut se souder sur lui-même et
n'entre en fusion qu'à une haute température. Cependant
il y a plusieurs moyens de les distinguer : d'abord l'analyse,
qui est plus facile que décisive : on lime un endroit du bar-
reau qu'on veut interroger ; on y verse une goutte d'acide
nitrique, qui décompose le fer en l'oxydant prompte-
ment : si le barreau est en fer, la tache qui en résulte est
roussàtre ; s'il est en acier, la tache est noire, parce que l'a-
cide ayant détruit le fer laisse à nu le charbon. Mais cette
épreuve pourrait encore laisser des doutes; celle de la
trempe est infaillible. On sait que la trempe consiste à re-
froidir subitement l'acier à la température rouge en le plon-
geant dans de l'eau ou du mercure. Ses effets sont de rendre
l'acier plus dur, plus élastique, plus cassant, moins malléable,
moins ductile et moins dense , d'une couleur généralement
plus claire, et de lui faire conserver la polarité magné-
tique beaucoup mieux que le fer. Or, si l'on avait trempé
du fer, il serait devenu bleu, et resterait mou, flexible et
ductile comme avant la trempe.
Si l'on fait chauffer au rouge de l'acier trempé et qu'on
le laisse refroidir lentement, il perd sa trempe et revient à
son état primitif. Cette opération inverse se nomme re-
cuit, et ses effets, comme ceux de la trempe, varient avec la
température à laquelle on porte l'acier lorsqu'on le ré-
chauffe. On tire parti de cette propriété pour donner à l'a-
cier le degré de dureté qu'exige l'usage auquel on le des-
tine. L'acier chauffé sur des charbons ardents passe
successivement au jaune pâle, au jaune foncé, au rouge
pourpre, au violet, au bleu foncé, et enfin au bleu clair.
Le jaune indique que l'acier est encore très-dur, tandis que
le bleu clair annonce le minimum de dureté : c'est dans ce
dernier état qu'on emploie l'acier pour la fabrication des
ressorts de montres.
L'histoire ne nous dit rien sur l'époque où les hommes
ont commencé à fabriquer l'acier; mais on est porté a
croire que cette époque remonte à l'origine de toute civi-
lisation, puisque l'emploi de l'acier parait nécessaire aux
premiers travaux des hommes en société. Aristote et Dio-
dore font connaître les règles fixes que l'expérience avait
déjà transmises de leur temps. Depuis eux l'art a fait des
progrès importants. Les différents procédés en usage pour
la fabrication de l'acier peuvent se rattacher à trois modes
principaux : 1° l'acier obtenu directement des minerais, ou
acier naturel; 2" l'acier obtenu avec le fer épuré, ou acier
(le cémentation; 3° l'acier obtenu par la fonte de l'acier
•le cémentation, ou acier fondu. — On obtient l'acier na-
turel ou acier de forge en affinant la fonte au feu de forge
sous le vent d'un soufllet qui brûle une partie de leur car-
bone. La fonte est , comme on sait , un carbure de fer qui
contient plus de carbone que l'acier. On conçoit donc
qu'une décarburation partielle de la fonte peut fournir l'a-
cier ( votjez Affinage ). Cet acier est ensuite forgé et mis
en barres , mais il présente généralement des taches et des
inégalités d'aciération qui nuisent à son poli. Les aciers
naturels sont propres à la fabrication de la taillanderie,
aux outils tranchants, etc.
Vacier de cémentation s'obtient du fer auquel on com-
bine une quantité convenable de carbone. L'affinité du fer
pour le carbone est telle que , lorsfju'on stratifié des barres
de fer avec du charbon en poudre , de manière à pouvoir
les maintenir à une chaleur rouge-blanc sans que lair y ait
accès, il se combine avec lui, et le carbone, après avoir
pénétré la surface, tend à se mettre en équilibre en se por-
tant au centre. De cette manière le fer se combine intégra-
lement avec le carbone après un espace de quelques jours,
qui varie suivant l'épaisseur des barres de fer ( voyez Cé-
mentation ). L'acier ainsi préparé n'est pas parfaitement
homogène; sa surface est inégale et boursouflée, circons-
tance qui lui a valu le nom à! acier poxile , qui vient du
mot ampoule. Pour remédier à ces inconvénients et rendre
la carburation plus égale, il est nécessaire de le réchauffer
et de le forger en réunissant plusieurs barres ensemble , de
manière à former ce qu'on appelle des troïisses. Les barres
qui en résultent sont coupées et reforgées de la même ma-
nière une deuxième et une troisième fois. L'acier est dit de
première, deuxième ou troisième marque, suivant qu'il a été
forgé ainsi une, deux ou trois fois. L'acier de cémentation est
employé à la fabrication des limes , des marteaux , des en-
clumes , d'un grand nombre d'outils et d'objets de quin-
caillerie.
Vacier fondu s'obtient de l'acier de cémentation , que
l'on met siniiilement en façon dans un creuset , sous une
couche de matière vitrifiable, pour empêcher l'air de pé-
nétrer. Les lingots ainsi préparés présentent dans leur
masse des cavités dues au retrait que prend le métal en se
solidifiant; en outre, ils ne sont pas malléables. On ne peut
donc les employer qu'après les avoir étirés et réchauffés
convenablement. Quand l'acier fondu a subi ces diverses
préparations, il est plus dur, plus homogène que les autres
aciers et prend un superbe poli. Aussi le préfère-t-on pour
la coutellerie fine. L'art de fondre l'acier est dû à un simple
ouvrier du Yorkshire , Benjamin Huntsmann , qui établit
son premier atelier près de Sheffield, en 1740. En France ,
les usines de Saint-Étienne fabriquent spécialement de l'a-
cier fondu.
Vacier damassé est un acier fondu qui jouit de la fa-
culté remarquable de laisser paraître une sorte de moiré
quand on attaque sa surface avec un acide. Ce moiré pro-
vient d'une cristallisation que produit au milieu de l'acier
la présence d'une minime quantité d'aluminium; et comme
ces cristaux sont ductiles, ils s'allongent avec le reste
lorsqu'on l'étiré. On l'imite en Europe en fondant ensemble
du fer et de lacier qu'on étire, plie, brasse et étire à plu-
sieurs reprises, jusqu'à ce que chaque couche d'acier et de
fer soit de la ténuité requise. Mais cette imitation reste
encore bien au-dessous des produits de l'Orient. Les lames
des sabres asiatiques présentent le phénomène de se laisser
plier sans traces d'élasticité, et avec cela elles ont un tran-
chant tel qu'elles coupent l'acier trempé. Cela provient, sui-
vant Berzelius, de ce que le tranchant ayant seul été trempé ,
le reste de la lame conserve toute sa ductilité; et ces lames
ACIER —
ne sont pas sujettes ;\ se briser dans le combat ainsi qu'il
arrive aux lames coinplélement trempées. — Quant à l'acier
indien nommé woolz, c'est un acier fondu très-fin : il con-
tient jusqu'à 2 pour 100 d'aluminium. Un alliage d 'al u mi-
nium et de (er donne, dit-on, un acier qui vaut celui de
Damas. L'addition du tungstène au fer, dans la propor-
tion de 4 à j pour 100 , donne aussi im acier d'une grande
dureté.
Plusieurs procédés nouveaux ont été proposés avec plus
ou moins de succès dans ces derniers temps pour convertir
la fonte ou le fer en acier par MM. Clienot, Uclialius,
l'abbé Pau vert. MM. de Riiolz et Fontenay obtiennent di-
rectement l'acier fondu à l'aide des matières organisées
sans passer par la cémentation.
On améliore l'acier de mauvaise qualité eu l'alliant à des
proportions très-petites (environ 1/400) de métaux étran-
gers, tels que l'argent et le platine. L'Angleterre fabrique son
meilleur acier d'un fer qu'on retire des minerais de la mine
de Dannemora en Suède. Cet acier contient une petite
quantité de manganèse et d'arsenic : on a en vain essayé de
fabriquer artilicieliement un fer capable de le remplacer.
En 1843 l'Angleterre produisait 205,000 quintaux mé-
triques d'acier; l'Autriche, 130,000; la France, 93,400;
l'association allemande, 80,000 , les autres États de l'Europe
ensemble, 66,600 : d'où il suit que la production euro-
péenne s'élevait à 575,000 quintaux métriques, dans les-
quels l'Angleterre comptait pour 35 1/2 pourlOO; l'Autriche,
pour 22 J/2 pour 100; la France, pour 16 1/2 pour 100;
l'association allemande, pour 14 pour 100, et le reste de
l'Europe pour 12 pour 100.
En 1831 la France ne produisait encore que 53,795 quin-
taux métriques d'acier; en 1843 elle a atteint le chiffre de
93,394; en 1852, celui de 180,981 quintaux métriques, doJlt
^9,381 d'acier de forge et 98,084 d'acier de cémentation.
La production de l'acier fondu en France ne s'élevait en
1834 qu'à 2,659 quintaux métriques; en 1843 elle a monté
à 16,221 quintaux métriques, et en 1832 à 43,516, dont
42,033 pour le seul dé|)artement de la Loire. En Angleterre,
la fusion de l'acier dans les seules usines du Yorkshire oc-
cupait en 1842 cinquante et une fonderies, qui conver-
tissaient annuellement en acier fondu 85,800 quintaux mé-
triques d'acier brut, soit environ 52 pour 100 de la produc-
tion totale de l'acier cémenté. Son exportation s'est élevée
la même année à 45,000 quintaux métriques. Z.
ACKERMANÎV ( Conrad-Ernest ), comédien célèbre,
considéré par nos voisins d'outre-Rhin comme l'un des
créateurs de leur scène, avec Eckhof et Schœnemann, na-
quit àSchwérin, en 1710. Engagé en 1740 dans la troupe de
Schœnemann, il devint directeur lui-même en 1753. Le
théâtre allemand lui est redevable d'une foule d'améliora-
tions, et constamment on le vit lutter contre le goût du
public et s'efforcer de maintenir au répertoire les produc-
tions dignes d'y figurer. En 1756 il construisit un théâtre
à ses propres frais à Kœnigsberg; il joua de 17G0 à 1703 à
Mayence. Enfin, en 176511 ouvrit à Hambourg une nou-
velle salle, qu'il inaugura avec l'une des plus remarquables
troupes qu'on eût encore vues en Allemagne. C'est pour
cette troupe que Lessing composa la plupart de ses ou-
vrages. En 17C9 Ackermann, après une courte interrup-
tion, reprit encore une fois la direction du théâtre de Harn-
oourg ; puis il se mit à courir les provinces, mais pour
revenir mourir à Hambourg en 1771. Dans sa jeunesse Acker-
mann affectionnait les rôles tragiques. Dans les dernières
années de sa vie il voulut aborder indifféremment tous les
rôles ;maisla nature l'avait créé comique, et il excellait dans
cet emploi. Il avait épousé en 1749, à Moscou, la veuve de
l'organiste Schrœder, de Berlin , et mère du célèbre
Schrœder. En 1740 elle entra dans la troupe de Schœ-
nemann, qui donnait alors des représentations à Lune-
bourg. Plu» tard elle obtint de brillants succès à Hambourg ;
ACOLYTE 95
et en 1767 elle prit avec son second mari la direction du
nouveau théâtre fondé dans cette ville. — Sa fille, Char-
lotle Ackermann, née en 1758, annonçait les plus remar-
quables dispositions pour le théâtre, lorsqu'une mort pré-
maturée vint l'enlever, le 8 mai 1775, à l'admiration des
amis de l'art théâtral. La correspondance entre Charlotte
Ackermann et son amie la conseillère Sophie Unzer, publiée
en 1776, et les lettres du major danois Sylbourg, qui ré-
sidait à cette époque à Hambourg, montrent que Charlotte
était éprise de cet officier, bel et habile homme, mais d'une
âme basse et de mauvaises mœurs, et que cette charmante
artiste mourut du chagrin d'avoir si mal placé ses affections.
C'est sur cette donnée que M. Otto Mûller a écrit son ro-
man Charlotte Ackermann , souvenirs du théâtre de
Hambourfj au dix-huitième siècle. Z.
ACKERMANN (Rodolphe), né le 20 avril 1764, à
StoUberg, dans l'Erzgebirge saxon, où son père était sellier,
fut élevé au collège de sa ville natale, mais n'en apprit pas
moins le métier de son père. Son apprentissage terminé, il
s'en alla faire son tour d'Europe. Après avoir travaillé à
Paris et à Bruxelles, et y avoir acquis une habileté toute par-
ticulière dans l'art do la carrosserie, il se rendit à Londres.
U se lia avec un Allemand qui y publiait un journal de
modes, et parvint à exciter l'attention par le gracieux et le
bon goût de ses dessins. Bientôt il put fonder dans le Strand
un magasin de gravures et de productions artistiques qui
devint la première maison de Londres en ce genre. C'est à
lui que l'Angleterre est redevable de l'introduction de la
lithographie. Il fut le créateur des Annuals, i\ont le For-
get me not ouvrit la série en 1823. L'élégant journal de
modes qu'il publia sous le titre de Repository of Arts, Li-
terature, Fashions , rendit compte, à partir de 1814, des
productions nouvelles en tous genres. Il entreprit aussi une
suite d'ouvrages topogi*aphiques ornés de remarquables gra-
vures à Vagua- tin ta, comme le Microcosm of London, les
Historiés of Westminster Abbe y, \ei Universities of Ox-
ford and Cambridge et les Public Schools. 11 lournit égale-
ment à la gravure sur bois l'occasion de se produire. Il fut
l'un des premiers, au commencement de ce siècle, qui
réussirent à rendre imperméables les étoffes de laine, le
feutre, le cuir, le papier. Le première Londres il employa
le gaz à-.l'éclairage de ses magasins (voyez Accum ), et cher-
cha à en vulgariser partout l'usage. Il fil traduire par des
Espagnols émigrés, notamment par Blanco-White, d'ins-
tructifs ouvrages anglais et les expédia en Amérique, oii son
fils aîné avait créé à Mexico un commerce de librairie et de
gravures. En 1813, il avait été membre d'une association
formée à Londres pour secourir les victimes de la guerre en
Allemagne. Il mourut le 30 mars 1834, peu de temps après
avoir cédé son établissement à ses fils.
ACiVÉ. Mot emprunté du grec àwh, vigueur, jeunesse,
et dont se servait Aélius pour désigner une maladie de la
peau, qu'il nommait ainsi parce qu'elle se montre spécia-
lement depuis vingt ans jusqu'à trente. L'acné est une ma-
ladie des follicules de la peau; on en distingue plusieurs
espèces. Lorsqu'elle existe au visage, on la nomme cou-
perose.
ACLIDE. Voyez Dard.
ACOLYTE ( du latin acolytus, formé du grec à-/.ÔXu-
To;, suivant). On nommait ainsi, après le troisième siècle
dans l'Église latine, et après le cinquième dans l'Église grec-
que, les serviteurs employés au luminaire (accensores), et
ceux qui portaient les cierges dans les processions solen-
nelles {ceroferarii) . Ils présentaient aussi le vin et l'eau à
la communion, et aidaient les -évoques et les prêtres dans
leurs fonctions et dans toules les cérémonies. Us faisaient
partie du clergé, et prenaient rang après les sous-diacres.
Leur consécration consistait dans le premier ordre mi-
neur de l'ordination. Les acolytes, depuis le septième siècle,
n'existent guère que de nom, car leurs fonctions sont ac-
9G
tuellement remplies par des sacristains et par de jeunes laï-
ques auxquels on donne le nom dV-nfants de chœur. L'Église
grecque, comme TÉglise latine, n'a conservé des acolytes
que le nom.
ACOMAT. Voyez Achmet-Giedicr.
ACONIT, genre de plantes de la famille des renoncu-
lacces , tribu des hclléborées. La fleur se compose d'une
enveloppe formée de cinq pièces principales ; la supérieure,
arrondie en casque , en renferme deux autres, en forme de
marteau. Les étamines sont nombreuses , le fruit capsulaire.
Toutes les espèces d'aconit sont vénéneuses ou suspectes ;
leurs propriétés étaient déjà connues des anciens. On en
connaît en tout vingl-deux espèces, qui appartiennent toutes
aux pays froids ou aux hautes montagnes des pays tempérés.
Les deux plus remarquables par leurs propriétés malfai-
santes sont Vaconit tue-loup et Yaconit napcl. Les in-
diens du Népaul empoisonnent leurs armes avec le suc d'une
espèce d'aconit qu'ils nomment bikfi.
Vaconit pyramidal a une belle apparence. Il s'élève
à plus d'un mètre de hauteur. Ses épis de fleurs ont plus
de soixante-dix centimètres de long. Une des plus belles
espèces qu'on cultive comme plante d'ornement, c'est Ya-
conit de Candollc, aux fleurs d un bleu pâle intérieurement
et d'un bleu vif sur les bords. La chimie a démontré que
toutes les propriétés de ce végétal étaient dues à un principe
qu'on a appelé aconitine, et dont la médecine, qui a souvent
trouvé des remèdes salutaires dans les poisons les plus éner-
giques, fait usage dans quelques maladies, entre autres le
rhumatisme articulaire, la névralgie.
AÇORES, archipel de l'océan Atlantique, à 1300 kilom.
de la côte de Portugal , par 36'' 59' et 39° 44" de latitude
nord, 27° 35' et 33° 27' de longitude ouest. 11 se compose
de neuf lies qui forment trois groupes. Saint-Michel est la
plus grande. Terceira a reçu quelque célébrité de la régence
portugaise qui s'y était établie en opposition au gouvernement
de don Miguel. On peut encore citer Pico, où se trouve le
Pic , haut de plus de 2,500 mètres. L'aspect général des
Açores indique une origine volcanique ; elles sont sujettes
aux tremblements de terre et à de violents coups de vent.
Le climat est très-salubre et rafraîchi par les brises de la
nier. Le sol est fertile et bien arrosé. On y récolte un vin dé-
licieux, dont la qualité égale presque celle des vins de Ma-
dère. Les fruits et le grain y viennent en abondance ; les bœufs,
les moutons, les porcs et la volaille font l'objet d'un com-
merce d'exportation. On exporte aussi plus de 20,000 pièces
de vin et d'eau-de-vie ainsi que 200,000 caisses d'oranges
de pren)ière qualité. La mer est très-poissonneuse. La po-
pulation est d'environ 250,000 âmes. Les Açores appartien-
nent au Portugal. Le go\ivemeur général réside à Angra,
ville principale de Terceira. Les habitants sont presque tous
blancs, il y a peu de Nègres. Le clergé y est très-nom-
breux, fort ignorant, et vit dans l'abondance; linstruction
générale s'en ressent.
L'iiistoire de la découverte des Açores est restée enve-
loppée de beaucoup d'obscurité ; on les voit figuré^is sur des
cartes manuscrites du quatorzième siècle. Gonzalo-Yelho
Cabrai découvrit la plus méridionale en 1432. Mais ce n'est
guère (lu'en 1450 qu'elles furent toutes reconnues. Les Por-
tugais leur donnèrent le nom de l'épervier dans leur langue,
açor, à cause de la multitude des oiseaux de proie qu'ils y
trouvèrent. La duchesse de Bourgogne, sœur d'Alphonse V,
en l'iGG, y envoya une colonie de Flamands, ce qui leur fit
donner le nom d'i7c5 Flamandes; les Anglais les nomment
Western Islands (lies occidentales). On écrit et on répète
que les premiers colons des Açores y trouvèrent une statue
équestre, qui, le doigt tendu vers l'ouest, semblait indiquer
aux nouveaux venus le chemina suivre ; ce fut, ajoutet-on,
la vue de cet oracle mystérieux qui décida Christophe Co-
lomb à tenter l'immense découverte qui devait immortaliser
son nom : il n'est pas besoin de dire qu'il faut rejeter cette
ACOLYTE — ACOUSTIQUE
histoire parmi les fictions poétiques ou allégoriques ; la forme
bizarre d'un rocher de la côte lui a donné naissance.
ACOSTA (Gabriel), gentilhomme portugais, issu d'une
famille d'origine juive, naquit en 1587, à Oporto , et fut
soigneusement élevé et instruit dans les doctrines de l'Église
romaine par un père qui avait très-sincèrement embrassé
la foi catholique. Des doutes ne tardèrent pourtant pas à
assaillir son âme ; et, trouvant alors dans sa rai.son mille ob-
jections contre la divinité du Christ, il en vint à nier en-
tièrement la vérité du christianisme. Après avoir hésité nu
instant entre le naturalisme pur et simple et le judaïsme,
il se décida pour cette religion , peut-être parce que c'était
celle de ses pères , et s'enfuit du Portugal, pour aller de-
mander à la Hollande cette liberté de conscience dont la ré-
publique batave avait alors le privilège. Il s'établit à Ams-
terdam , où il changea son nom de baptême contre celui
à'Uriel, après s'être soumis à la douloureuse opération de
la circoncision. Cependant il fut bientôt mécontent des nou-
veaux coreligionnaires qu'il s'était donnés, et publia divers
ouvrages dans lesquels il combattit les principes des rab-
bins , ainsi que l'immortalité de l'âme. Ses adversaires pro-
filèrent de la publication d'un de ses livres, intitulé Examen
de tradicoens phariseas conferidas con a Icy escripta
(1624), pour l'accuser d'athéisme auprès des magistrats
chrétiens d'Amsterdam. Cette dénonciation solennelle lui
valut la confiscation de ses biens et un emprisonnement assez
long. Fatigué par toutes ces persécutions, il demanda grâce
et merci pour ses opinions philosophiques , et se soumit à
faire amende honorable dans la synagogue, où il reçut trente-
neuf coups de fouet sur son dos mis à nu. Puis on le fit
étendre à terre sur le seuil de la porte principale , où tous
les fidèles lui passèrent sur le corps pendant que le rabbin
prononçait son absolution. Ce système de persécutions et
d'outrages le poussa à se brûler la cervelle ( 1640), après
avoir tenté vainement d'ôter la vie à l'un de ses cousins ,
qui s'était signalé par le zèle acharné qu'il avait mis à com-
battre ses opinions et à le signaler à la haine de ses core-
ligionnaires. Les tortures morales éprouvées par Acosta dans
ses luttes religieuses et philosophiques ont été décrites par
un écrivain allemand d'un grand talent , M. Gutzkow , dans
un livre qui a pour titre : le Sadducéen d'Amsterdam (1834),
ACOTYLÉDOXÉS ( du grec à privatif , xoTviXeôwv ,
petite feuille ). Jussieu , en fondant sa classification des vé-
gétaux sur l'absence, la présence et 1'.: nombre des cotylé- m
dons, avait donné le nom d'acotylédonés au premier em- ,
branchement du règne végétal , comprenant les plantes dé-
pourvues de ces organes, ou plutôt chez lesquelles on ne les
avait pas encore reconnus. Ces plantes seraient mieux ap-
pelées inembryonées , parce que les plantes qui manquent
de cotylédons manquent également d'embryons, tandis
qu'au contraire certains végétaux embryonés n'ont pas de
cotylédon. Dans cette série de végétaux on voit l'organisa-
tion passer par tous les degrés, depuis la forme la plus
simple , l'utricule sphérique , jusqu'à celles que nous trou-
vons dans les végétaux pourvus d'un embryon. En raison de
la simplicité de leur texture , de Candolle les avait appelées
plantes cellulaires. Cet embranchement renferme la classe
entière des cryptogames de Linné. Les acotylédonés com-
prennent six familles : les mousses, les hépatiques, les
lichens , les hypoxylons , les champignons, les algues.
ACOrCIlI ou ACOLTI. Voyez Acoixi.
A'COURT (Sir William). Voyez Heytesburv.
ACOUSTIQUE (du grec ày.oûw, j'entends), partie de
la physique qui traite de la théorie du son, et qui recherche
les lois d'après lesquelles il se forme, se propage et se trans-
met. L'acoustique diffère de la musique en ce qu'elle n'a
pas de rapport aux lois de la succession des sons , d'où ré-
sulte la mélodie, ni à celles de leur simultanéité, qui for-
ment l'harmonie. Elle a seulement pour objet l'examen des
phénomènea qui se manifestent dans la résonnance des
ACOUSTIQUE
ton^s sonores ot réliulo des ofTits proiliiits par ces nhono-
iiièiies sur l'ouïe. Ainsi racoustique envisage les sous ;
1" dans leurs modes de génération, selon les divers corps so-
nores; 2" dans leurs rapports numériques; S"" dans lenr
propagation; 4° enlin dans la sensation qu'ils produisent
sur l'ouie. La génération, la propagation et les rapports
numériques des sons forment la partie uiatliématicpie <le
l'acoustique; l'ouïe est l'objet de sa partie physiologique.
On diviseencore l'acoustique en acousdqiieed-jH'rimentdle,
ipii est la jiartie de cette science relative aux phénomènes
qui se manifestent dans la résounance des corps sonores, et
en acoustique aritlimOt'ique ou canonique, qui se com-
pose des calculs ayant pour objet de déterraiiier les rapports
des sons entre eux.
Le son a pour cause un mouvement particulier des
coips appelé vibratoire, qui consiste dans les oscillations
de leurs molécules autour d'un centre. Toutes les fois qu'il y
a son , il y a vibration ; mais il n'y a pas son toutes les
fois qu'il y a vibration : il faut que ces vibrations satisfas-
sent à certaines conditions relatives à leur amplitude, à leur
rapidité, et au milieu dans lequel elles s'exercent. Pour que
les vibrations d'un corps produisent un son , il faut que
leur nondjre soit au moins de trente-deux par seconde, et
qu'il ne dépasse pas une certaine limite au delà de laquelle
le son échappe à l'ouïe humaine. Cette limite ne paraît pas
dépasser soixante-treize raille vibrations par seconde; elle
est d'ailleurs variable avec l'amplitude des vibrations et
avec l'aptitude de l'organe sur lequel elles agissent. Il est
en outre nécessaire, pour que le son soit produit, que les vi-
brations s'exercent dans un milieu solide, liquide ou gazeux.
Si les vibrations ont lieu dans le vide, elles ne produisent
pas de son.
Dans tous les corps sonores , l'élasticité des molécules est
la cause des vibrations. Un corps peut êtie élastique,
1" par tension, comme le sont les cordes et les tambours ;
2° par l'impulsion de l'air, c'est le cas des instruments à
vent , dans lesquels la colonne d'air s'étend et se resserre
[>his ou moins suivant la longueur du tube, et qui peut être
laccourcie ou prolongée par l'ouverture et la clôture des
trous latéraux; 3° par la tension intérieure : telles sont les
verges de métal ou de verre , les vitres , les cloches , les
vases, etc.
Les diverses qualités du son sont au nombre de trois,
qui sont: 1° l'intensité, 2° le ton, 3° le timbre. L'intensité tient
a l'amplitude des mouvements vibratoires; le ton dépend du
nombre de vibrations dans un temps donné, et non de leur
amplitude; on ne connaît pas bien les circonstances qui
influent sur le timbre.
La connaissance des lois de l'acoustique est d'un grand
usage ; elles intéressent le musicien en lui faisant découvrir
les formules matliématiques de l'harmonie que perçoit son
oreille ;. elles sont consultées par l'architecte dans la con-
struction des édifices destinés à recevoir et à rendre la parole;
elles sont utiles au médecin pour la guérison des dérange-
ments qui empêchent l'organe de l'ouïe de percevoir le son;
elles guident les facteurs des instruments de physique et de
chiriugie relatifs à celte partie , etc.
Les anciens déjà s'étaient efforcés d'élever l'acoustique
aux proportions d'une s(;ience. Pythagore et Aristote savaient
de quelle manière s'effectue la transmission du son par
l'air ; mais il est exact de dire que, comme science propre-
ment dite, indépendante des applications qu'on en peut faire
à la uuisique, l'acoustique est une science à peu près toute
moderne. Bacon et Galilée posèrent les bases de cette science
aujourd'hui mathématique, et Newton démontra par le calcul
comment la transmission du son dépend de Félasticilé de
l'air ou du coips conducteur. Il remarqua que l'effet d'iui
corps sonore consiste dans la condensation des molécules
d'air qui entourent ce corps imincdiatement et placés dans la
direction de l'impulsion donnée. Ces molécules d'air, pous-
f)ICT. DE I.A CO.NVr.IiS. — T. I.
— ACQUAVIVA 97
sées en avant par l'impulsion du corps sonore, rebondis-
sent en arrière par un eilet de leur élasticité , et éloignent en
même temps du corps sonore les molécules d'air situées
en avant, de sorte que le son fait subir à chaque molécule
d'air un mouvement en avant et un mouvement en arrière ;
c'est-à-dire, en d'autres termes, qu'il s'opère autour du corps
sonore une condensation et une pression alternatives de l'air,
ou bien, si l'on aime mieux, qu'il se forme une série d'on-
dulations sonores. Newton , Lagrange et Euler s'étaient
trompés dans leurs calculs pour détemiiner la vitesse du
son; et c'est à Laplace qu'on est redevable des recherches
les plus exactes et des notions les plus précises sur cette
matière. Il était réservé à Chladni de faire de l'acoustique
une science proprement dite. Dans ces derniers temiis,
cette branche de la physique n'a fait comparativement quo
peu de progrès. Cependant Savart a précisé d'une manière
plus exacte le nombre de vibrations nécessaire pour pio-^
duire un son perceptible, et a fait des recheiches sur les vi-
brations des peaux tendues. Cagnard de Latour a inventé ce
qu'il a appelé la syrène, et examiné de plus près beaucoup
des conditions auxquelles les corps liquides ou solides sont
sonores. Trevelyan, Leslie et Faraday ont expliqué la sono-
rité des corps métalliques soumis à la chaleur, quand on les
place sur des couches métalliques froides. Faraday et Marx
se sont occupés desfigures sonores; Wheastone, des accords;
Willis de la formation des sons élevés de la voix hiiuiaiae;
M. Lissajous de l'interférence des sons. La théorie du son
a été développée par W. Weber, Pellisof, Ampère et Strclilke.
On donne la qualilication d'acoustiques aux divers ins^
triiments qui servent à propager la voix, tels que les cor^
nets, les porte-voix, etc.; à certaines voûtes, comme celle de
la salle du Conservatoire des Arts et IMétiers, constniites de
façon à transmettre la voix d'un point à un autre aussi dis»
tinctement que si la distance était nulle; aux artères,
veines , nerfs appartenant à l'ouïe; enfin aux remèdes qui
servent à la guérison des maladies de cet organe.
ACQUAPEIVDENTE, petite ville des États de l'É-
glise , à 20 kilom. d'Orviète, située sur le penchant d'une
montagne bien boisée. Elle est célèbre par une chute d'eau
considérable et d'un effet tellement pittoresque qu'elle in-
téresse tous les voyageurs , et qu'il est peu d'artistes qui
ne se soient empressés d'en conserver un souvenir daris
leur album.
ACQUAVIVA, famille illustre du royaume de Na-
ples , qui a produit un grand nombre d'hommes distin-
gués. — Parmi les plus connus, on compte André-Mat-
thieu d'Acquaviva, duc d'Atri, prince de Teramo, né en
1456 et mort en 1528, à Naples, lorsque l'armée fran-
çaise , commandée par Lautrec , ravageait la Pouille. Son
père était lui-même un capitaine très -renommé, qui
mourut en 1480, à la défense d'Otrante , assiégée jiar les
Turcs. Le fds , après avoir suivi la carrière des armes , se
livra à la cultuie des lettres , et protégea les savants. Quand
le roi de France Charles VIII envahit le royaume de N'aples,
Acquaviva prit parti pour lui , et plus tard il combattit la
domination espagnole. Il fut lait prisonnier par Gonzalve
de Cordoue; mais Ferdinand, roi d'Aragon, lui rendit la
liberté. De retour dans sa patrie , il trouva dans l'étude
une consolation aux revers de la guerre. — Son frère Jjé-
lisaire d'Acquaviv.v publia plusieurs traités :f/e Venatïone,
de AucujJio , de Re Militari, de Singulari Certamine.
— Enfin il y eut un Claude d'AcQUwivA , général des jé-
suites; né en 1542, il mourut en 1615. Il fut accusé d'a-
voir appi'ouvé le livre dans lequel IMariana soutenait la
doctrine qui permet d'attenter à la vie des rois. ]\Iais lors-
que éclatèrent les débats auxquels le livre de Mariana
donna lieu , les défenseurs d'Acquaviva citèrent des pas-
sages de lettres dans lesquelles il témoignait le regret de
l'approbation donnée à cet ouvrage i)ai- le censeur commis
pour l'examiner. Av.taiii.
08 ACQUÊTS
ACQUÊTS. Df^nominafion qiie prend Tiinmeuble qui
est l'objet d'une vente ou d'une donation , entre les mains
de l'acquéreur ou du donataire. — Dans l'ancien droit , la
distinction entre les acquits et les autres biens était de la
plus grande in)portance , parce que les immeubles se par-
tageaient entre les héritiers suivant leur origine, et qu'ainsi
l'on distinguait dans le partage les biens de famille prove-
nant de successions antérieurement ouvertes, qui formaient
les propres paternels et les propres maternels, de ceux que
le défunt avait lui-même acquis ;,ces derniers composaient
les acquêts ou propres personnels. — Aujourd'hui , que
toutes ces distinctions ont été abolies par le pailage égal
de tous les biens entre les deux lignes paternelle et mater-
nelle, quelle que soit leur origine, celte expression ne s'ap-
plique plus qu'aux immeubles acquis pendant le mariage
l)ar la communauté conjugale, et la règle en cette matière
est que tout immeuble dont l'origine antérieure au mariage
n'est point'justifiée doit être réputé un acquêt de commu-
nauté, à moins qu'il ne provieune d'une succession ouverte,
ou d'une donation faite durant le mariage.
ACQUI (Combat et prise d' ). Peu de temps après la
prise de possession du Piémont par le général Joubert ,
une révolte populaire éclata dans la province d'Acqui et
dans le Montferrat. Le général Grouchy , s'étant aussitôt
dirigé vers Acqui, arriva devant cette place le 17 mars 1799,
et prit d'habiles dispositions pour paralyser ce mouvement
insurrectionnel. Le même jour il cerna la ville , attaqua les
insurgés , les battit complètement et les dispersa. Ainsi ,
une seule journée suffit aux troupes républicaines pour
éteindre cette révolte et s'emparer de la place qui en avait
été le foyer.
ACQUIESCEMEI^JT, consentement à faire une chose
à laquelle on n'était pas obligé , à exécuter un acte ou un
jugement auquel on aurait pu s'opposer. L'acquiescement a
une grande analogie avec la transaction et le désistement ;
il en diffère cependant sous plusieurs rapports : ainsi , la
transaction ne résulîe que d'une convention formelle , l'ac-
<iuiescement peut être tacite; le désistement n'emporte
<iue la renonciation à la procédure, l'acquiescement éteint
l'action. L'acquiescement est une véritable aliénation ; il
ne peut donc avoir lieu qu'entre personnes capables : ne
serait donc pas valable celui qui aurait été donné par un
mineur, un interdit , un tuteur, s'ils n'étaient pas autorisés ,
surtout en matière immobilière. 11 en est de même des ad-
ministrateurs d'un établissement public , d'un maire rela-
tivement aux biens de sa commune, d'un mari relative-
ment aux biens de sa femme , etc. Toute matière n'est pas
indistinctement susceptible d'acquiescement ; on ne peut
acquiescer qu'à des choses qui peuvent être l'objet d'une
transaction ; il en est ainsi de tout ce qui intéresse l'ordre
public et les bonnes mœurs.
L'acquiescement est exprès ou tacite : exprès lorsqu'il
est fait par acte authentique ou sous seing privé , par ad-
hésion mise à la suite d'un jugement , ou même par lettre
missive; tacite lorsqu'il résulte du silence de la partie
ou d'actes émanés d'elle qui excluent l'intention de se
pourvoir contre une procéduie ou un jugement. C'est ainsi,
par exemple, qu'on est censé acquiescer à un jugement
par défaut contre avoué, si l'on n'y a fait opposition dans
le délai de huitaine , et à un jugement contradictoire , si
l'on n'interjette appel dans le délai de trois mois. L'ac-
quiescement tacite doit être volontaire ; s'il n'était que le
résultat de manœuvres frauduleuses , il serait sans effet :
en un mot, il nait du consentement donné à l'exécution
sans réserve de protestations.
Les effets de raccpiiescement sont considérables : il rend
la partie qui l'a consenti non recevable à attaquer les actes
ou jugements qui en ont Hùt l'objet ; il lui impose l'obliga-
tion d'accomplir le dispositif de ces jugements, ainsi que
de payer tou.i les frais ; il emporte abandon de l'objet ré-
— ACQUIT
clamé , opère une transaction qui éteint complètement et
irrévocablement l'action; le jugement obtient l'autorité
de la chose jugée, et ne peut plus être attaqué à l'avenir.
Remarquons toutefois que dans un jugement qui ren-
ferme plusieurs chefs distincts , on peut en exécuter un et
conserver le droit d'appeler des autres. La jurisprudence
est unanime sur ce point. — L'acquiescement simple est
passible d'un droit fixe de deux francs s'il est fait par acte
extrajudiciaire, et de trois francs si l'acte est passé au greffe.
Il n'est dû qu'un seul droit lorsque plusieurs personnes
acquiescent simultanément à une opération qui intéresse
chacune d'elles. 11 n'en est pas ainsi lorsque le même acte
contient acquiescement de la part de plusieurs personnes
à plusieurs opérations, parce qu'en réalité il y a alors plus
d'un acquiescement. Paul-Jacques.
ACQUISITION. Ce mot se prend dans des acceptions
différentes : il signifie devenir propriétaire d'une chose, ob-
tenir un droit quelconque ; il exprime aussi la chose acquise
elle-même.
L'acquisition peut porter sur des biens qui n'appartiennent
à personne; elle prend alors le nom particulier A'' occupation,
et s'opère par le seul fait de celui qui acquiert. — Elle peut
porter sur des biens qui ont déjà un maîtie, et alors le mode
de transmission est réglé par la loi , comme en matière de
successions , de donations et testaments , A^ obligations,
et autres manières d'acquérir énumérées au livre III du Code
Civil. — On acquiert à titre universel lorsque, par suc-
cession ab intestat ou par testament , on succède aux droits
et actions d'une personne pour une part indéterminée. On
acquiert à titre particulier quand il s'agit d'une ou plu-
sieurs choses déterminées : par exemple, l'enfant qui hérite
de son père est un successeur à litre univei-sel; l'acheteur
ne prend qu'à titre particulier. On acquiert à titre onéreux,
lorsqu'on donne l'équivalent de ce qu'on reçoit : par exemple,
la vente; à titre gratuit, lorsque l'on prend sans rien dé-
bourser : par exemple, la donation. — On divise encore les
moyens d'acquisition en originaires et dérivés : originaires
lorsqu'on acquiert la propriété d'une chose sans maître : les
épaves, le gibier, le poisson, le butin pris sur l'ennemi ; dé-
rivés , qui embrassent tous les cas de la division précé-
dente. — Malgré sa généralité , cette classification des ma-
nières d'acquérir n'embrasse pas tous les événements qui
peuvent donner naissance à la propriété. La prescrip-
t ion, \Aspécificat ion, Yaccession industriel le,
sont encore autant de moyens d'acquisition.
ACQUIT. Le mot acquit est synonyme de quittance,
mais on le restreint d'ordinaire aux décharges mises au bas
des billets à ordre , lettres de change ou autres effets négo-
ciables. Ceux-là sont seuls exceptés de la formalité de l'en-
registrement.
En termes de douanes , c'est la quittance imprimée sur
papier timbré qui est expédiée et délivrée aux voituriers ,
commissionnaires ou négociants , par les commis, receveurs
et contrôleurs des bureaux des impositions indirectes, des
octrois et des douanes , établis aux entrées et aux sorties
des villes et sur les frontières du royaume. On distingue trois
sortes d'acquits : Vacquit de payement, Vacquit à caution,
et Yacquit à ca^ition de transit. Vacquit de payement
porte l'indication de la quantité , de la qualité , du poids et
de la valeur des marchandises , du nombre des caisses, des
balles et des ballots où elles sont renfermées , de leurs mar-
ques et numéros, des plombs quiy sont apposés, de la somme
qui a été payée pour les droits d'entrée ou de sortie, du nom
de l'expéditeur et du destinataire, du lieu de la desti-
nation et de la roule à suivre par levoiturier. — Vacquit à
caution ou de précaïUion est délivré par la régie à celui
(]ui se rend caution que des marchandises seront visitées au
bureau de leur destination, et que les droits y seront ac^
quittés. Ces marchandises sont mises sous balle cordée,
ficelée et plombée, au bureau où l'acquit est délivré. Arri-
ACQUIT — ACRIMONIE
vëes à leur destination , elles sont vérifiées; l'acquit est cUV
cliargé si les droits ont été intégralement payés, et renvoyé
à la caution, afin que, sur son exhibition, elle en soit déchar-
gée aux yeux de la régie. — L'acquit à cautioti de transit
se délivre pour l'importation ouTexportation des marchan-
dises qui sont aftVancliies du payement des droits. L'acqviit
est vérifié au dernier bureau qui s'y trouve indiqué; et, sur
la vérification de l'exactitude de la déclaration faite par le
propriétaire, l'acquit est renvoyé déchargé à celui qui s'était
rendu caution du transit.
ACQUITTEMENT. En jurisprudence ce mot exprime
le renvoi d'une accusation ou d'une poursuite. On ne doit
pas confondre acquittement avec absohction , quoique le
code criminel ne fasse ordinairement aucune distinction entre
ces deux mots et les emploie indifféremment. Il y a acquit-
tement lorsque, sur la déclaration de non-culpabilité, le pré-
sident décharge l'accusé des fins de poursuites. Il y a abso-
lution lorsque le tribunal ne trouve aucune peine applicable
à l'accusé déclaré coupable d'un fait qui n'est pas défendu
par la loi. — L'acquittement doit avoir lieu si l'accusation
manque de preuves , si l'accusé n'a pas agi avec discerne-
ment, s'il se trouve dans un cas d'excuse légale, s'il y a
partage parmi les juges : il est prononcé par le président
seul, en forme d'ordonnance. Si, au contraire, le jury a re-
connu l'existence d'un fait non réprimé par la loi, l'absolu-
tion de l'accusé doit être rendue en forme d'arrôt. — Une
fois acquitté ou absous , nul ne peut être repris et accusé
à raison du môme tait, encore bien qu'après le jugement il
vienne à surgir de nouvelles preuves. L'acquittement pro-
noncé, l'accusé, s'il est détenu, doit être relaxé, à moins qu'il
ne soit retenu pour autre cause. — Dans le nouveau Code de
justice militaire et maritime on a tait une distinction entre
l'acquittement et l'absolution. Dans le premier cas l'accusé
est immédiatement rendu à la liberté, dans le second il n'est
libre qu'après l'appel ou l'expiration du délai d'appel en ré-
vision, et il peut repasser en jugement si le conseil de révi-
sion trouve qu'une peine est applicable au fait constaté. Z.
ACRE, ACRETE, sorte de saveur qui donne un
sentiment de brûlure et de chaleur dans la gorge. On a dé-
signé sous le nom d'acres un certain ordre de poisons. Les
médecins entendent par chaleur acre celle qui au doigt
donne une sensation de sécheresse et de picotement. —
Les anciens médecins admettaient l'àcreté des humeurs
(voyez Acrimonie).
ACRE, ancienne mesure agraire qui différait suivant
les pays et même les provinces. En France elle approchait
généralement de 50 ares ; l'acre d'Angleterre vaut 40 arcs 46 ;
celui de Cassel,23 ares 86; celui de Weimar, 28 ares 49.
ACRE ou SALM-JEAN-D'ACRE, en arabe- yt/.to, chef-
lieu du pachalick de ce nom, ville de Syrie, située sur
les bords de la mer Méditerranée, à trois lieues du mont
Carmel, par 32» 54' lat. N. et33M5' long. E. Son port est
presque rempli de sable, et l'ancrage y est dangereux. Le com-
merce ne s'y fait que par petits navires. Il exporte du coton
et du riz récoltés dans ses environs. Sa population est d'en-
viron 10,000 âmes; le climat est insalubre. Parmi les mo-
numents de Saint-Jean-d'Acre on peut citer le palais du
pacha, la mosquée, et les bains publics , qui passent pour
les plus beaux de l'Orient.
Saint-Jean-d'Acre remonte à une très-haute antiquité;
les Phéniciens l'avaient appelé Acco; sous la domination
des Ptoicmées il reçut le nom de Ptolémaïs. Conquise
par les Perses, et plus tard par les Romains, cette ville
devint enfin la proie des musulmans. Les premiers croisés
s'en emparèrent sans résistance en 1100. Sa lad in y entra
de même en 1187, après la victoire de Tibériade, et
s'appliqua à la rendre extrêmement forte. C'est de ce mo-
ment que commence son importance dans l'histoire. Deux
ans après, au mois de septembre 1IS9, elle fut investie par
les croisés. Plus de cent combats et neuf grandes batailles
99
furent livrés sous ses murs;enfin Philippe-Auguste et
Richard Cœur de Lion s'en emparèrent en 1191.
Instruits par l'expérience, les chrétiens résolurent de la
rendre imprenable. Aux travaux de Saladin on en ajouta de
nouveaux ; et comme Jérusalem était restée au pouvoir des
infidèles , elle devint la capitale des débris des colonies cliré»
tiennes. Le roi de Jérusalem y fixa sa résidence; les che-
valiers de Saint-Jean vinrent s'y établir, et lui donnèrent
leur nom. Elle atteignit en peu de temps un haut degré de
prospérité, et devint le marché de l'Orient et de l'Occident.
Mais cette splendeur ne devait pas avoir une longue durée;
la désunion se mit parmi les défenseurs lie la croix, et
Chalil, septième sultan d'Egypte et de Syrie, surnommé
Melik-al-Aschraf (le roi illustre), la prit d'assaut, le 4 mai
1291, malgré la défense héroïque des chevaliers hospitaliers
et teutoniques et des Templiers. Les musulmans rasèrent
les fortifications, détruisirent la ville et comblèrent le port.
Saint-Jean-d'Acre restaau pouvoir de l'Egypte jusqu'en 1517,
époque où le sultan Sélim V asservit les Mamelouks.
Le chéik Daher, émir arabe qui dominait sur l'ancienne
Galilée, s'en empara sur les Turcs vers le milieu du dix-hui'
tième siècle, et y ramena un peu de commerce et de prospérité.
Le nom d'Acre vint de nouveau occuper le monde lorsque
en 1799, sous le cruel Djezzar-Pacha, elle soutint, avec
l'assistance des Anglais, commandés par Sidney Smith, un
siège de soixante jours contre les Français. Le 27 mai 1832,
elle fut prise d'assaut par Ibrahim-Pacha, fils du vice-
roi d'Egypte. Abdoullah-Pacha, qui l'avait défendue pendant
six mois , fut conduit prisonnier de guerre en Egypte , où
on le traita avec égards. A partir de 1833 , Méhémet-Ali
exerça le pouvoir souverain eu Syrie , et Ibrahim-Pacha
vint résider à Saint-Jean-d'Acre comme gouverneur. Lors-
qu'en 1839 le sultan Mahmoud II eut déclaré Méhémet-Ali
rebelle , Ibrahim-Pacha répondit par le gain de la bataille
de Nésib. Le traité du 15j ui 1 let 1840n'accordaità Méhémet-
Ali que la possession de la partie sud de la Syrie sous la dé-
nomination de pachalick d'Acre. Le vieux pacha ayant re-
fusé d'obtempérer aux prescriptions du traité, les puissances
signataires ordonnèrent le blocus des côtes de la Syrie par
une flotfe anglo-austro-turque, sous les ordres de l'amiral
Stopford. Beyrouth, Saïd, Jaffa, Sour, Djebel et Botroun
tombèrent bientôt aux mains des confédérés, et Saint-Jean-
d'Acre, à son tour, succomba après deux jours d'un bombar-
dement dirigé par le commodore Napier. Force fut alors à
Ibrahim-Pacha de se décider à abandonner la Syrie. Par la
convention qui mit fin aux discussions du sultan avec
Méhémet-Ali, celui-ci dut renoncer au pachalick de Saint-
Jean-d'Acre, qui fut replacé sous l'autorité du sultan.
ACREL (Olof), un des plus grands chirurgiens du
dix-huitième siècle, naquit en 1717, dans un village des en-
virons de Stockholm. Après avoir terminé ses études à Up-
sal, il fit plusieurs voyages à l'étranger, et servit, en 1744,
en qualité de chirurgien dans l'armée française en Alle-
magne. Plus tard, il fut nommé chirurgien général del'état-
major de l'armée suédoise, professeur a Stockholm, com-
mandeur de l'ordre de Gustave Wasa, et mourut, dans un
âge fort avancé, en 1807. Son ouvrage sur les Cas chirur-
gicaux est resté classiqiie. II est peu d'opérations qui n'aient
été perfectionnées par Acrel.
ACRIDOPHAGE (du grec àxpî;, àxpîSo;, saute-
relle, et (payw, je mange), qui mange, qui se nourrit de
sauterelles. On a donné ce nom, dans l'antiquité, à un
peuple fabuleux que l'on plaçait dans l'Ethiopie, au delà du
Nil. — Dans l'histoire naturelle, ce nom s'applique à des
animaux qui mangent des sauterelles, les détruisent.
ACRL\10I\IE, &ynonynvi dYicreté , pris au figuré. —
Dans l'ancienne médecine , on désignait sous ce nom une
altération des humeurs, à laquelle on attribuait la produc-
tion de diverses maladies, principalement celles de la peau.
Longtemps Vacrimonie fut un sujet de discussion parmi
13.
100
ACRIMONIE — ACROTÈRE
les itK^tlecins : 1ns tins , en effet , la niaient d'une niaiiit're
absolue ; les autres la voyaient en tont et partout. On alla
môme jusqu'à en distinguer de plusieurs sortes : ainsi, il y
avait racrimonie mvlanique, xalnir, /rui.'evse, ou encore
arthritique, scorbutique, dartreuse, cancéreuse, etc.
Aujourd'hui un discn^dit eoniplet s'est attaché à ces di-
verses opinions , et personne ne .s'occupe plus de Vacri-
mouie.
ACRISIUS. Les récits et les généalogies que Ton est
convenu d'admettre h la place que tiendrait l'histoire , si
elle avait pu être conservée, font régner Acrisius h Argos
1361 ans avant J.-C. Dans la mythologie, il est père de
Danaé et grand-père de l^ersée. Une prédiction portait
qu'Acrisius périrait de la main du fils que sa fi"e mettrait
an monde. 11 fit donc tout ce qui dépendait de lui pour em-
pêcher qu'elle ne put devenir mère , et à cet effet il l'en-
ferma. Mais on sait comment s'y prit Jupiter ; d'autres
disent qu'elle fut fécondée par l'rœtus , frère d'Acrisius.
Celui-ci fit mettre dans un coffre la mère et l'enfant,
et les jeta à la mer ; mais , poi1é dans l'île de Sisyphe ,
l'ersée y lut élevé , voyagea , et fit beaucoup de belles ac-
tions , ce qui inspira à Acrisius le désir de le voir. L'en-
trevue eut lieu à Larisse où le destin s'accomplit, Persée
avant tué son aïeul sans le vouloir en lançant un disque
pour faire preuve d'adresse. Strabon dit qu'Acrisius a or-
ganisé les Amphictyons; mais Théopompe, Denys
d'IIalicarnasse, Pausanias, font honneur de cette institu-
tion h Amphictyon , roi d'Athènes : d'où l'on a conclu
<lu'Acrisius n'avait fait que restaurer, étendre et consolider
Ce qu'il avait tiouvé établi.
ACPiOliATE (du grec ây.po;, extrémité; paxEÏv,
marcher sur la pointe du pied). Ce mot n'est point nou-
Aean parmi nous. Un grave personnage, C.-F.-F. Bouleuger,
seigneur de Rivcry, de l'académie d'Amiens, lieutenant civil
au bailliage de cette ville, divise les acrobates en quatre
classes, dans ses Recherches historiques et critiques sur
quelques aticiens spectacles , particulièrement sur les
mimes et pantomimes. Avant Boulenger, Rlanlius IS'icétas,
dans sa Vie (le Carinus ; Symposius, dans ses Antiquités
(jrecques et romaines; Dempster, dans ses Paralipo-
y/it'Hes, désignent les sauteurs, les danseurs de corde et
les acteurs de pantomime sous le nom d'acrobates. Moréri
et les auteurs du Dictionnaire de Trévoux ont enregistré
ce mot dans leurs savantes compilations. Madame Saqui ,
la célèbre acrobate de notre époque , avait appelé de ce
nom le théâtre qu'elle avait fondé sur le boulevard du Temple.
Forioso faisait les délices du premier empire, lîlondin
étonne les Américains en traversant le iNiagara sur la corde
tendue. Voi/ez Danseurs he corde.
ACROCÉRAUiMENS (Monts ), très-longue chaîne
de montagnes qui côtoyait l'Épire et la Chaonie jusqu'au
pays des Molosses. Strabon, Pomponius Mêla , Pausanias ,
les appellent Cérauniens. Le dernier dit que la flotte des
Grecs ayant été dispersée au retour de Tioie, les Locriens
fondèrent Thronium sur le fleuve Boagrius. Les Abantes
dliubée nommèrent Abantide le pays (fu'ils occupèrent :
les uns et les autres perpétuèrent ainsi le souvenir de leur
patrie. Le nom même de cette chaîne de montagnes indi-
que l'élévation de sommets toujours frappés on menacés de
la foudre ( àxpo; , sommet; xîpa'jvô;, foudre).
ACIVOtOHlAITIlE. Voijvz Cokintue.
ACROLITIIE ( du grec àxf ov , extrémité , et XiOo; ,
pierre) se disait d'une espèce de statue de bois ou de
bronze, dont les extrémités seules étaient en marbre ou eu
pierre. Ce genre de figures se prêtait avec facilité à l'u-
sage de plusieurs têtes qu'on ajustait sur les corps des sta-
tues et des Hermès. Par ces échanges, on variait au be-
soin les personnages. Le roi Mausole avait placé sur le
sonuiiet du temple de Mars ii Ilalicarnasse un célèbre acro-
lithe, attribué à Tiniothéc.
ACROMÎON (du g:T c âyf.o? , sommet; huM, épaule),
prolongement osseux qui termine supéricurenient l'omoplate
et qui .s'articule avec la clavicule. — On a donné le nom
d'artère et de veine acromiates à deux vaisseaux qui se
distribuent aux nniscles voisins de cette éininence osseuse.
ACîlONYQUE (de âxpov, extrémité; vvÇ, nuit).
Voi/ez LEvnn ft coucuer des astres.
ACROPOLE (du grec âxpov, sommet, et Ttô).'.;, ville).
Ce mot grec est nécessaire à notre langue, car la traduction
qu'on en a faite par lcmot(v;fff/e//eest des plus malheureu-
ses. ^c?'o/)o/e signifie ville (hi sommet. Elle n'est pas nécessai-
rement fortifiée par des ouvrages, elle l'est par la nature,
par l'escarpement des rochers, et n'a de nuirailles cpie du
côté accessible. Niebuhr a cité beaucoup de faits à l'appui
de cette opinion. — Jusqu'ici on a pins >i>i'cialeuient ap-
pliqué ce nomàla citadelle d'Atlièiies, dont Pausanias a
lait une intéressante description. De C.oi.iîkcv.
ACROPOLITE (George) naquit en 1220, à Cons-
tantinople, qui était alors au pouvoir des Latins. A dix-
sept ans , il se rendit à Nicée , où les Lascaris et les Ducas
avaient transporté le siège de l'empire grec, et fut élevé
par Jean Ducas à la dignité de grand logothète. Il fut en
même temps chargé de diriger l'éducation du fils de ce
prince, Théodore, qui monta sur le trône en 1235. Sous
le nouveau règne, Acronolile, devenu gouverneur de la
Macédoine , fut fait prisonnier par Aiicliel^Ange , prince de
Larisse, et ne recouvra la liberté que sous le règne de
I\Iichel Paléologue. Celui-ci l'envoya, en 12G0, en ambas-
sade auprès de Constantin , prince des Bulgares; puis, après
la reprise de Constantinople sur les Latins, il le nouuna
rhéteur de l'Église, et 1 envoya, en 1274, au concile de
Lyon, où George abjura, au nom de son maître, le schisme
de l'Eghse grecque. George fut encore envoyé, en rz82,
en ambassade auprès de Jean, roi de Bulgarie, pour lui
offrir la main d'Eudoxie, troisième fille de l'empereur. Il
mourut la même anuée. On a de lui trois ouvrages histo-
riques, dont le plus important, qui contient l'histoire de
l'empire grec depuis la prise de Constantinople par les La-
tins, en 1204, jusqu'à la reprise de celte ville par les
Grecs, en 12G1, se trouve dans le Xll*^ volume de la col-
lection byzantine du Louvre. Ce volume a été reimprimé
dans la collection de Mebuhr, par les soins d'Inuii. Bec-
ker. — Constantin Acropolite, fils du précédent, et son
successeur dans la charge de grand logothète , fut disgracie
par Michel Paléologue pour s'être opposé à la réunion des
Eglises grecque et romaiue , tentée par ce prince ; mais il
rentra en faveur sous Andronic. On a de lui quehpies vies
de saints , (pii se trouvent dans le recueil des bollaudisfes.
ACROSTiClîE (du grec âxpov, extrémité; cti/c; ,
rang , oidre ) , petit morceau de poésie dont les vers sont
disposés de manière que les premières lettres forment un
nom, un sens, une devise, qui presque toujours est le sujet
du poëme. Quelquefois ce sont les lettres du milieu , ou
même celles de la lui , qui sont disposées de uiauière à of-
frir un sens ou un nom.
En voici un exemple :
Portrait de Lalre.
re ciel, qui la sauva de son propre penchant,
> b bcaïUo du corps unit celle de l'àmc ;
C"ii seul de SCS re-jaids, par un pouvoir tuucliaut,
— ciidail a la vertu le cœur de sou auiant.
:t-.iIc cudicllit l'amour eu C()uranl sa liamciie.
On a fait aussi des sonnets en acrostiche.
ACROTÈRE ( du grec ày.f,toTr,4iov , pointe ). On nomme
ainsi, en architecture, des assises qui s'élèvent au-dessus de
rentàblement ou du fronton d'un édifice ; elles servent en
général de piédestaux à des statues. Tantôt les acrotères
sont isolés , connue lorsqu'ils sont placés vers les bases
ou au sommet des frontons ; tantôt ils font partie de la ba-
ACROTÈRK — ACTE
lustradc qui couronne le monument : alore ils sont recou-
verts (1*11110 taltlette en pierre. 11 y a des acrotèies au fronton
de Notre-Dame de l.oretle à l'aris.
ACTA EUL'DlTORr.M. C'e^t le titre du premier
JKiirnal lilléraiie qui ait paru en Alloiiia!;nc, de celui qui
pendant lon^tenip^ fut Tiin des plus lus et des plus ré-
paniUis. Déterminé par l'exemple du Journal (fcs Savants
{ 1GG5) et du Gioniale de' Lettcrat'i ( lOGS), en mi^metemps
(pie jiar Tactivilé et l'importance toujours plus grandes que
le commerce de la librairie prenait alors en Allemagne, le
professeur O. .Mencke, de Leipzig, fonda ce recueil critique
en ICSO. Après, s'être, au moyen d'un voyage en Hollande et
en Angleterre, créé les relations nécessaires, il connnença
en ICSî, en société avec les savants les plus distingués de
l'Allemagne, la publication de ce journal, dont il sut élargir
chaque anm-e davantage le cercle de lecteurs. 11 compta
parmi ses collaborateurs F.-B. Carpzov, Leibnitz, Thoma-
sius, lîunau,etc. Le plan dn journal n'admettait que des
comptes-rendus complets et exacts; et la rédaction resta
lidi'le à celle tendance, alors même que les journaux fran-
çais publiés en Hollande eurent introduit plus de vivacité et
d'indi'-pendance dans les discussions littéraires rendues pu-
bliques par la voie de la presse. A partir de 1732 il parut
sous le titre de Nova Acta Erudltorum. Le peu de soin
qu'on apporta à répondre aux exigences de l'épocpie, ensuite
les troubles de la guerre de Sept Ans, mais surtout la négli-
gence de plus en plus marquée de la rédaction, dont le pro-
fesseur Tel fut chargé à partir de 1754, tirent perdre
davantage au journal chaque année en richesse de matériaux
et en circulation. L'année 177G, par laquelle il se termine,
ne fut publiée qu'en 1782. Avec ses différents suppléments
et les tal)les, il comprend 117 volumes in-4°.
ACTA SAXCTORmi. Sous cette dénomination on
désigne en général tous les recueils contenant les rensei-
gnements qui nous sont parvenus sur les saints et les mar-
tyrs de l'Église catholique et de l'Église grecque ; mais c'est
plus particulièrement le titre d'un ouvrage de ce genre
dont le jésuite Bolland , d'Anvers , commença la publica-
tion , sur l'ordre de ses supérieurs, en 1643. D'autres jé-
suites, nommés, d'après hii, les bollandistes , conti-
nuèrent cette collection , dont les dernières livraisons ont
jiaru en 1794. Quoique l'ouvrage forme cinquante-trois
volumes in-folio , il n'est pas terminé. Dès le deuxième et
le troisième siècle on commença à recueillir des notices sur
les personnes qui s'étaient fait remarquer par la sainteté de
leur vie ou par le courage qu'elles avaient opposé aux per-
sécuteurs de l'Église. Les premières biograplues complètes
datent du quatrième siècie. A la fin du moyen âge le nom-
bre s'en était accru d'une manière prodigieuse. A partir
du sixième siècle , on rédigea , d'après ces biographies , des
livres de piété. La première collection de légcn(îes origi-
nales est due à Boninius Mombritius ; elle date de 1474.
L'ouvrage des bollandistes est de beaucoup supérieur à tous
ces recueils ; c'est le plus complet et le mieux écrit. L'homme
iiTipailial qui apportera à l'étude de ces monuments véné-
rables de l'antiquité chrétienne une connaissance parfaite
des mcrurs , des usages et des opinions du temps , qui ne
se croira pas fondé à rejeter un fait par cela seul qu'il ne
s'accorde pas avec les idées et les opinions du jour, trouvera
dnns l'ouvrage des bollandistes les documents les plus pré-
cieux pour l'histoire du moyen âge.
ACTE , dans l'art dramatique , signifie une division du
drame (jui sert à reposer l'attention du spectateur, ou qui
termine la pièce. L'intervalle entre deux actes s'appelle
enlr'actc.
Kn jurisprudence ce mot a une double acception : tantôt ii
est pris pour l'écrit constatant un fait quelconque, tanl(jt
il est pris pour le fait lui-même. C'est dans ce dernier sens
(pi'on (Wi faire acte d'Iiéril'ier. Les actes, ])ris dans la vé-
lilablc signilication du mot, se divisent en deux cali'gories
bien distinctes; ils sont publics ou privés. —Les actes pu-
blics sont : 1" les actes administratifs, c'est-à-dire ceux (pii
émanent du pouvoir administratif, et qui ont pour objet nn
service d'utilité publique ; 2" les actes judiciaires, c'es.l-h-dire
ceux qui émanent directement du juge ou qui tendent à
obtenir du juge une solution. Ainsi un jugement est un acte
judiciaire, de même que les actes de procédure finis pour
obtenir ce jugement, tels que les actes d'avoué et d'huissier;
3° les actes extra-judiciaires, c'est-à-dire ceux qui, faits
par le ministère d'un officier ministériel, sont signifiés
aux parties en dehors d'une instance ; 4° les actes autfienfi-
qxies , c'est-à-dire ceux qui ont lieu devant des officiers insti-
tués pour les recevoir, dans le ressort pour lequel ces officiers
ont été établis, et avec la solennité prescrite parla loi.
Cette dénomination comprend surtout les actes notariés,
c'est-à-dire reçus devant l'officier public appelé notaire.
Les actes privés sont ceux qui n'ont aucun caractère public
et sont uniquement l'œuvre des parties
Il a été longtemps d'usage en France de rédiger les actes
en langue latine, qui était jdors la véritable langue des
clercs et des savants. C'estseulementà l'ordonnance de 1539,
rendue par François l*% que remonte l'introduction du
français dans la rédaction des actes et des jugements.
On divise encore les actes en originaux et copies. L'o-
riginal d'un acte authentique est la mnuite qui en a été
dressée ou le brevet qui en a été délivré. L'original d'un
acte sous seing privé est l'acte signé par les parties. Enfin les
actes sont soiiiflis aux formalités du timbre et de l'enregis-
trement , à moins qu'ils n'en soient formellement disoensés
par la loi.
H nous reste à énumérer encore quelques acceptions par-
ticulières du mot acte. Vacte à cause de mort est une sorte
de donation faite au moment de mourir; ïacte d'accti-
sation est l'exposé du fait d'un crime et des circonstances
qui rendent un individu criminel ; les actes conservatoires
sont ceux qui ont pour objet de conserver nos droits et
de nous en assurer l'exercice ( t'oye:; Scellés, Inscription
HYPOTHÉCAIRE, INVENTAIRE, OPPOSITION); leS actCS dc
commerce sont des négociations faites dans un but dc tra-
fic : ils se divisent en actes commerciaux par leur nature
et en actes commerciaux par la qualité des personnes;
les actes de l'état civil sont destinés à constater les
naissances , adoptions , mariages , décès ; Vacte de noto-
riété est une attestation d'un fait notoire et constant , ré-
digé par un notaire ou un juge de paix. On nomme acte
1-écognit if celui par lequel un débiteur reconnaît de nou-
veau sa dette pour empêcher la prescription ; l'acte con-
firmatif a pour but de donner de la force à un acte pré-
cédent qui n'en aurait pas eu sans cela. On appelle acte
respectueux une démarche que font auprès de leurs pa-
rents les enfants de famille pour obtenir leur consentement
au mariage. L'acte sous seing privé est celui qui a été
rédigé sans l'intervention d'un officier public; Yacte de
suscription est l'acte rédigé par un notaire pour consta-
ter le dépôt qui lui est fait d'un testament mystique.
Acte se dit aussi en parlant des déclarations faites devant
un tribunal, soit spontanément, soit d'après l'ordre de la
justice, et dont on a constaté l'existence; c'est dans ce sens
qu'on (lit demander acte , donner acte. Prendre acte de
sa comparution.
En Angleterre acte signifie arrêté. On appelle acte de
parlement un arrêté du parlement qui à été sanctionné par
le roi. L'ensemble des arrêtés émanés du parlement dans
le cours d'une session s'appelle statut ; les arrêtés en for-
ment les sections ou i(!s chapitres; en les citant, on in-
dique toujours le nom du monarque et l'année de son règne
de laquelle datent ces arrêtés. Ainsi , l'acte de VHabeas
corpus est le deuxième chapitre du statut de l'année Ifiso ,
le trente-unième du règne de Chaih^'s II, et on le désigne
ainsi par abréviation : 31. cha[i 2. C. IJ.
102 ACTE ADDITIONNEL
ACTE ADDITIOXiXEL. Pendant les dix mois qu'a-
vait duré la preniiîîre Restauration , l'état des esprits s'était
considérablement modifié en Trancc. Bien qu'octroyée, la
fliarte de 1S14 n'en renfermait pas moins des garanties de
liberté dont on n'avait jamais joui sous l'erapirc : aussi en
(juittant l'ilc d'Klbe Napoléon comprit-il qu'il lui faudrait
traiter avec la liberté. 11 ne suffisait pas que l'aigle impé-
riale volât de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-
Dame pour assurer la durée de son retour ; il fallait donner
au i)euple, et surtout aux bourgeois, des preu\cs certaines
<pie le régime glorieux, mais despoti(iue, de l'empire avait
entièrement cessé. Aussi déclara-t-il dans toutes ses procla-
mations , depuis le golfe Juan jusqu'à Paris , qu'il ne reve-
nait que pour rendre la France libre, heureuse et indépen-
dante. Dès le 13 mars, par un décret daté de Lyon, il
prononça la dissolution des chambres , et convoqua extraor-
diuairement tous les collèges électoraux de remjjirc à Paris,
pour y former une assemblée du champ de mai, et s'y oc-
cuper de la révision des constitutions impériales.
Mais , à mesure que la confiance publique revint à lui ,
à mesure qu'il vit s'accroître sa force , il sentit diminuer son
désir de donner la liberté qu'il avait promise ; l'empereur
et l'homme de guerre reprenaient le dessus. Les soldats étant
tout pour lui , quand il en vit un certain nombre , il crut
qu'il jiourrait se passer du concours de toutes les forces na-
tionales , qu'il aurait ramenées infailliblement autour de sa
personne par des concessions libérales. Il ne crut pas cepen-
dant pouvoir se dispenser de tenir, du moins en partie, sa
promesse de donner une constitution ; mais, dit Thibaudeau ,
il se révoltait contre la tyrannie de l'opinion, à laquelle il
était forcé de céder, et il le faisait de mauvaise grâce, sentant
qu'il agissait contre sa nature et sa conviction. On voulait
le détacher du passé , et qu'il fût uu homme nouveau :
c'était impossible; il s'y cramponnait de toutes ses forces :
« Vous m'ôlez mon passé , disail-il ; je veux le conserver.
« IMes onze aimées de règne ! l'Europe sait si j'y ai des
« droits. 11 faut que la nouvelle constitution se rattache à
« l'ancienne ; elle aura la sanction de plusieurs années de
« gloire. Les constitutions impériales ont été acceptées par
« le peuple. »
La nouvelle constitution dont parlait Napoléon, celle qui,
selon lui, devait satisfaire tous les esprits et donner au peuple
la liberté qu'il était en droit de réclamer, parut d-ans le
Moniteur du 23 avril 1815 , sous le titre d'^lc^e additionnel
aux constitutions de l'empire. Elle étonna et déplut à la
fois ; Napoléon y reparaissait conmie le mandataire du peuple
français , et déclarait en son nom ce qui lui convenait. Or,
le peuple français avait espéré tout autre chose : il avait
compté , d'après les promesses de l'empereur, sur une
constitution bbrement discutée par ses représentants; il s'é-
tait attendu à voir une nouvelle Assemblée constituante ,
quelque chose de national et de grand : on ne lui donnait
«lu'un décret. Napoléon , que l'enthousiasme général avait
replace à la tète du peuple , avait repris, sans doute à son
insu, les traditions de l'empire. VActe additionnel nélM
qu'une espèce de charte octroyée , qu'un autre acte addi-
tionnel pouvait détruire quand il plairait à l'empereur. Il
n'offrait donc aucune garantie de stabilité , même dans sa
durée. Quoiqu'il renfermât des dispositions favorables à la li-
berté , il était vicieux dans sa base , en ce sens que la vo-
lonté nationale exprimée par la chambre des représentants
y était tenue en échec par la chambre des pairs, reconnue
héréditaire. Napoléon retombait vis-à-vis de la liberté dans
les fautes de la Restauration; il revenait au despotisme, et
substituait sa suprême volonté à la volonté du peuple. 11 avait
été amené à cela par son peu de conlîancc dans la classe
raisonneuse de la nation. Il sentait que |iour se retrouver
dans son élément , la guerre, il devait .s"ap|)uyer sur l'armée,
qui lui était obéissante et dévouée; il ne voulut pas du
tccours que hii ajucnait la liberté : ce fut là eon tort et
- ACTES DES APOTRES
une des fautes capitales de sa politique pendant les cent jours.
Cependant VActe additionnel, quoiciue ne satisfaisant ni
les besoins ni les espérances de la nation , fut soumis à l'ac-
ceptation du peuple ; et tous ceux qui étaient opposés de
sentiment aux Bourbons, tous ceux qui ne voulaient point
de l'étranger, s'empressèrent de le signer. Grand nombre de
libéraux et de républicains, qui regardaient Napoléon comme
l'homme de la nation , le seul qui put la sauver dans le
moment critique où elle se trouvait, y adhérèrent de cœur.
A la fctede la Fédération , le l'^"' juin, les électeurs chargés
du dépouillement des votes déclarèrent que treize millions
de citoyens l'avaient accepté , et que quatre mille seulement
l'avaient rejeté. Après les cent jours , ce fut pour beau-
coup un titre à la faveur des Bourbons que de n'avoir pas
signé VActe additionnel ; et, soit lâcheté, soit désir de
réparer une faute qui pouvait les compromettre , grand
nombre de ceux qui dans d'autres temps se seraient fait
gloire de leur signature déclarèrent publiquement qu'ils ne
l'avaient point donnée. De Friess-Coloxna.
ACTEON (en grec 'Axxaïov, riverain), fils d'Autonoé,
ime des quatre filles de Cadmuset d'Aristée, naquit à Thèbes,
fût élève de Chiron, et devint célèbre par sa passion pour la
chasse et par son infortune. Un jour il surprit Diane qui se
baignait dans la vallée de Gargaphie. Pour le punir de son
indiscrétion , la déesse le clrangea en cerf. Cette métamor-
phose, dont les poètes ont varié les détails , est racontée par
Ovide avec tout le charme et toute la tristesse que devait
éveiller dans son âme l'idée d'un malheur semblable au
sien. On sait qu'Ovide mourut en exil pour avoir vu Julie
aux bras d'Auguste.
ACTÉON et ACTION (Zoologie). Ces deux noms
ont été donnés à deux genres de mollusques. Le premier a
été formé par Montfort de la voluta tornatilis de Linné et
des espèces analogues, dont Lamarck a fait ensuite son genre
tornatelle. Le deuxième, ou le genre actueon, a été insti-
tué par Oken , d'après l'animal décrit par Montagu dans le
tome VllI des Transactions linnéennes. D'abord placé
entre l'orchidie de Buchanan et le genre limace, parce qu'on
le croyait pulmoné, il a été rangé dans l'ordre des tecti-
branches, près des aplysies, ensuite dans la famille des
placobranclies. De nouvelles recherches ont fixé de nouveau
l'attention des zoologistes sur cet animal.
ACTES DES APOTRES. Les Actes des Apôtres
sont un livre du Nouveau-Testament, qui forme la conti-
nuation de l'Évangile de saint Luc ; car l'auteur s'exprime
ainsi dès le début : « J'ai parlé dans mon premier livre
« de toutes les choses que Jésus a faites et enseignées. » L'ou-
vrage est aussi adressé à Théophile, ainsi que l'Évangile. II
est écrit en grec , et contient l'histoire des premiers temps
de l'Église chrétienne, depuis l'ascension de Jésus-Christ, en
l'an 33, jusqu'à la deuxième année de la captivité de saint
Paul à Rome, l'an G5. C'est là que se trouve consignée l'his-
toire de saint Paul, de sa conversion, de ses nombreux voya-
ges et de ses prédications en Asie et en Europe; c'est là
aussi qu'on trouve le plus de lumières pour éclaircir les Épî-
tres de saint Paul, pour en déterminer l'ordre et la date, et
pour reconnaître le but que se proposait l'apôtre.
Dans leur division actuelle, les Actes se composent de vingt-
huit chapitres ; on peut y distinguer trois parties. La première,
comprenant les douze premiers chapitres, raconte l'établis-
sement du christianisme en Palestine et la fondation des
premières Églises, jusqu'à la mort d'Hérode et le retour de
saint Paul et de Barnabe à Antioche. La seconde partie
embrasse depuis le 13* jusqu'au 2t* chapitre, et contient
les missions de saint Paul dans les pays des gentils, soit en
A.sie, soit en Europe. Enfin, la troisième partie, du cha-
pitre 21 au chapitre 2S, présente i'hisloire de la captidté
de saint Paul, et son voyage à Rome avec saint Luc.
La première partie des Actes des Apôtres est la plus dé-
veloppée : l'auteur y parle en témoin oculaire.; il montre
ACTES DES APOTRES — ACTEUR
103
inc tello connaissance île l'histoire de lÉglise de Jénisalem
lu'il doit eu avoir été ineiulire dès l'origine. La seconde
)artie est consacrée d'abord à l'Église d'Aiitioche : elle ex-
>ose son origine et ses preniiei-s progrès , puis un voyage
le saint Paul et de Uarnatté dans l'ile de Chypre et dans l'A-
ie Mineure. Il n'est question de l'Église de Jérusalem que
[uand des envoyés d'.\ntioche vont la consulter ou la se-
lourir (xii, 1-25 : xv, 4-30). Il est donc vraisemblable que,
a nouvelle doctrine ayant pris racine à Anlioche, saint
.uc quitta Jérusalem pour retourner à Antioche, sa ville
latale.
L'autenr parait n'avoir voulu rapporter que les faits qu'il
onnaissait par lui-même, ou d'après des témoins oculaires.
Vussi le récit est-il bien plus développe lorsque saint Luc se
rouve auprès de saint l'aul : tel est , par exemple, leur sé-
our en Macédoine et à Athènes (ch. xvi et xvii). Saint Paul
« sépare-t-il de l'historien, le récit se resserre, et un séjom-
l'un an et demi à Corinlhe n'occupe que dix-sept versets
xviii, 1-17) ; puis le récit d'un voyage d'Éphèse à Jérusa-
eui est renfermé en deux versets. Plus tard, saint Luc re-
rouve saint Paul, et le récit redevient abondant et aniuié.
saint Paul arriva à Rome la huitième année du règne de
Séron ; il y prêcha deux ans. Il est fort à regretter que saint
Luc n'ait pas raconté les détails de ces deux ans de séjour à
Rome, et que les Aclcs se taisent sur la suite de l'histoire de
^aint Paul. Quoi qu'il en soit, le livre des Actes est pré-
ieux par les renseignements qu'il nous a conservés sur l'é-
;at des sectes juives à cette époque, sur les superstitions
?ontre lesquelles la nouvelle doctrine avait à lutter , sur les
préventions que saint Paul rencontra dans le sein du ju-
Jaïsme, et qui le forcèrent de s'adresser aux gentils.
— Sous ce titre. Actes des Apôtres, PeltierpubUa enl789
un pamphlet périodique contre l'Assemblée constituante. Cet
ouvrage eut un grand succès. C'était le Charivari de ce
temps-là. La satire personnelle en faisait surtout les frais;
on y trouve plus d'esprit que de raison , et plus de gaieté
que d'esprit; cependant, on distinguait parfois des criti-
ques assez fines et des idées originales , au milieu d'une
foule de sarcasmes , de calembours et de mauvaises plai-
santeries de tous genres. Par exemple, à propos des dis-
cussions de l'Assemblée sur la question de savoir à qui
appartiendrait le droit de faire la paix et la guerre , l'au-
teur met en scène le député Cochon , qui , assez embar-
rassé de motiver son avis, se tire toujours d'affaire par un
^071 hon spirituel ; et l'on finit par décider que la paix et
la guerre se feront d'elles-mêmes. Ailleurs , les rédacteins
de la nouvelle constitution sont travestis en danseurs de
corde , faisant leurs exercices sur le fil de fer tendu. Target
( un des principaux auteurs de cette constitution ) s'élance,
vêtu en matelot blanc bordé de bleu, appuyé sur l'orteil
du pied droit , la jambe gauche en l'air, et les coudes ar-
rondis ; l'abbé Siéyès lui présente une pyramide colossale
et renversée, en avertissant rassen)blée que M. Target al-
lait la mettre en équilibre sur la pointe. Target essaye en
effet de mettre la pyramide en équilibre sur le bout de
son doigt , pendant que Tallien, habillé en arlequin, cliante
l'air de hose et Colas : Ah ! comme il y viendra ! Target
voulant répondre, J'ai pins que vous le poignet ferme,
(ait un faux mouvement ; la pyramide l'entraine , il roule
et disparaît. Dans un autie endroit, il produit un fragment
de Salluste , retrouvé à Vincennes , dans la chambre qu'a-
vait occupée Mirabeau, et ce fragment est une généalogie
de Catilina, dont Mirabeau descend en droite ligne. Ces
indications suffisent pour juger ia verve caustique qui ani-
mait ce recueil. Quant à l'esprit qui présidait à sa rédac-
tion, il est franchement contre-révolutionnaire; il attaque
toutes les idées nouvelles, dénigre toutes les réformes; en
un mot , c'était un des organes les plus hardis du parti aris-
tocratique. Les Actes des Apôtres de Peltier forment neuf
volumes, qui pendant longtemps ont été très- recherchés des
amateurs de collections, et qui se vendaient très-cher tant
qu'a vécu la génération qui a connu les personnages aux-
quels s'adressaient ces jiersonnalités. AnT\iD.
ACTEUR (du verbe agcre, agir, qui agit). L'ancien
Apparat royal, M\[. de 170!?, donne de ce mot la définition
sifivante : « Qui dit en public, sur le théûtre ou dans le bar-
reau. » Aujourd'hui, nos avocats, même lus mains cfltbres,
seraient peut-être peu flattés d'être appelés acteurs;
ce mot ne s'applique qu'aux personnes qui montent sur le
théâtre pour concourir à la représentation d'une opu%Te scé-
nique. C'est le nom général donné par le public à cette pro-
fession, depuis le premier tragique jusqu'aux danseurs et aux
modestes comparses. Le titre de comédien ou de tragédien
sonne cependant mieux aux oreilles de ces messieurs , et
la plupart croient devoir prendre la qualité d'artiste dra-
matique.
Chez les nations grecques , douées d'une intelligence rive
et d'une exquise sensibilité, la profession d'acteur, qui se
lie à celle d'écrivain dramatique par des rapports si intimes,
exercée d'ailleurs par des citoyens dans les fêtes solennelles
et aux réunions olympiques, dut nécessairement être hono-
rable et honorée. 11 n'en fut pas de même chez les Piomains,
peuple de mœurs énergiques, mais grossières, plus fait pour
la guerre que pour les jeux de l'esprit. Là, les premiers ac-
teurs, sortis de la classe des esclaves, ou tout au moins des
affranchis, ou venus des provinces conquises, se trouvèrent
en concurrence avec des gladiateurs et des entrepreneurs de
combats d'animaux , comme plus lard Shaicespeare le fut à
la cour d'Elisabeth avec les gardiens d'ours. L'infériorité de
position de ceux qui exercèrent les premiers la profession
influa sur le degré d'estime que le sénat jugea devoir ac-
corder à leurs successeurs. Tacite nous apprend que, d'a-
près des ordonnances spéciales , un sénateur ne pouvait les
visiter chez eux, ni un chevalier romain les accompagner
dans la rue. Il fallut les réclamations d'un tribun du peuple
et le bon sens de Tibère pour maintenir une ordonnance
d'Auguste qui les déclarait exempts du fouet et empêcher
le sénat de livrer leurs épaules à l'arbitraire d'un préteiu".
En France, placés entre la noblesse, qui les nourrissait
sur le pied de domesticité, et la bourgeoisie, qui, ne les
rencontrant dans aucune ville ou corporation de quelque
importance ou de quelque utilité , oublia de les admettre à
cette confraternité d'estime que les arts et métiers s'accor-
daient mutuellement, leur condition était déjà fort précaire :
la jalousie du clergé devait l'empirer encore, ^'on content
de monopoliser, en faveur des frères de la Passion, la repré-
sentation des mystères , il travailla à entraver ia représen-
tation des soties et farces, au profit de concurrents plus
gais et plus courus, et dans ce but réchauffa les anathèmes
que les puritains de la primitive Église avaient jadis fou-
droyés contre les cirques où l'on avait martyrisé les chré-
tiens , et par extension contre les comédiens et les mimes.
Ce tut pour les acteurs le comble de la misère. Dans l'an-
cienne Rome, fouettés, mais grassement payés pendant leur
vie, ils avaient en mourant la certitude que leurs os iraient,
comme ceux de tout le monde, se calciner sur un bûcher, et
l'espoir, si Minos n'était pas trop sévère, que les Champs
Elyséens s'ouvriraient pour leurs âmes. En France, mai-
gres pendant leur vie (le pain d'aumône nourrit mal), leur
corps, au moment de son divorce d'avec l'âme, fut con-
damné à pourrir sans prières, et leur âme jetée aux fiammes
pour l'éternité. Notre état social a fait enfin justice d'un
préjugé lidicule et odieux contre une profession qui de-
mande une réunion rare de qualités brillantes. Pour réhabi-
liter l'honneur de ia nation francise, empressons-nous
d'ajouter que les gens d'esprit et de goût n'avaient point
attendu cette époque. Baron et Lekain, longtemps avant
Talma, avaient compté non des protecteurs, mais des amis
illustres, dans la noblesse, les sciences et les arts. Préville
initiait aux secrets de son art des notabilités de la cour an
,04 ACTEUR
moment où la fiiieiir de jouer la conK^die lonrnait toutes les
tètes, lon'ilenips axaiitciucl.alond jouât le Misanthrope au
château de Lornioy, de couiplicit*'' avec madame la du-
chesse et M. le duc de Maillé, premier gentilhomme du roi
Charles X. Aujourd'hui que l'on exerce l'art théâtral sans
en être moins {;arde national, électeur, juré et élii^ible, la
leinine du monde reçoit dans son salon le comédien ou
trofjcdien célèbre, s'il a de l'esprit et de bonnes manières;
le bourj^eois ne refuse pas à un artiste dramatique sa
soupe, et même sa lille, s'il gai^ne de bons appointements et
mène une vie rangée, et le prolétaire professe presque du
respect pour tout acteur. Sai.nt-Geiimain.
ACl'EUK ( Pièces à ). C'est le nom signilicatif cpie l'on
a donne à un genre de composition dramatique qui con-
siste ù sacriiier à un talent , souvent même à un défaut
et à un ridicule physi(iue d'un acteur aimé du public ,
toute action, tout style, tout dialogue, toute intrigue. On
voit sur-ie-cliamp ce (jue cette manière a de servile et de
<iégradant pour l'art. Au lieu de s'abandonner à son imagi-
nation, à son esprit, à sa verve, l'auteur fait poser devant
lui un comédien , et tout son travail consiste à lui faire
produire de l'ellèt. 11 en résulte quelquefois pour l'acteur
inivilégié une création originale, presque toujours un succès
pour l'auteur, mais non une œuvre qui puisse rester.
ACTIAQUE (Ère). Voyez Ère.
ACÏlAQtltS (Jeux). Ces jeux étaient anciens. Ils se
célébrèrent d'abord tous les trois ans, à Actium , en l'hon-
neur d'Apollon. Mais Auguste, ajirès la victoire d'A cti u m,
les ayant renouvelés et leur ayant donné plus d'éclat , les
transporta dans sa nouvelle ville de JNicopolis, où depuis
on les célébra tous les cinq ans. Ils eurent lieu ensuite à
Rome; Tibère les présida dans sa jeunesse. Virgile, pour
plaire à .Auguste, en a parlé dans sou troisième livre de
Vlinéide. Ces jeux consistaieut en courses et eu concours
de musi(iue. On y observait un singulier usage : on sacri-
fiait d'abord un bœuf, que l'on abandonnait aux mouches,
afin que, s'étant rassasiées de son sang, elles s'envolassent
et ne vinssent pas troubler la fête. On voit par les médail-
les que les Actiaques se célébraient dans plusieurs villes
de l'Asie Mineure.
ACTIF (Grammaire). Voyez Veuee.
ACTIF {Commerce). Voyez Bilan et Inventaire.
ACTIA'IE (du grec à-/.tiv, rayon), genre de polypes de
la famille des zoanthaires. On les appelle encore anémones
de mer, à cause de leur ressemblance avec cette Heur. Ils
se composent d'une masse charnue très-contractile, couron-
née à son sommet par un grand nombre de tentacules : au
centre est une ouverture, qui sert à la fois de bouche et
d'anus. Us se fixent par la base, soit sur le sable , soit aux
rochers qui bordent lesc(Jtes, a une faible profondeur, et
leiM' adhérence, qui s'opère par la succion et produit l'effet
d'une ventouse, est si forte qu'on les écrase plutôt que de les
détaclier. Pendant l'été les actinies sont três-noudneuses
sur les rivages de Fiance, et leurs brillantes couleurs, leurs
nuances multiples et variées de pourpre , de rose, de bleu,
de jaune , de vert et de violet , ainsi que leurs rayons étalés
comme ceux d'une lleur double, donnent à ces côtes l'pspect
d'un champ émaillé de lleurs ; en hiver elles vont chercher une
température plus douce dans des eaux plus profondes. Pour
changer de place elles se laissent emporter par les Ilots , ou
se traînent à l'aide de leurs tentacules, qui font alors l'oflice
de pieds. Ces tentacules sont les organes de préhension ;
elles s'en servent pour attirer à leur bouche les petits ani-
maux dont elles se nourrissent. L'estomac des actinies est
formé par un repli du tégument extérieur, et représente un
siic n'ayant qu'une ouverture. Ces animaux ne se reprodui-
sent pas, comme la plupart des polypes, au moyen de bour-
geons eNtcrieurs, mais au mo\en d'ceuls, (pu, après s'être
développés entre le tégument externe et l'estomac, tondjent
dans ce dernier, et sont expulsés au dehors par ses contrac-
— ACTION
lions. La reproduction se fait aussi quelquefois par des dé-
chirements de la base. Ces animaux ont la faculté régéné-
ratrice si grande que , partagés, comme les polypes ordinai-
res, en plusieurs parties, chacune de ces parties devient au
bout d'un certain temps un animal complet. Les actinies
sont très-.sensibles à l'impression de la lumière et même au
bruit ; selon qu'elles sont plus ou moins épanouies , on peut
juger si le temps sera beau ou non; elles sont plus sensi-
bles même que le baromètre. Une espèce d'actinie, Yactl-
nie verte de Forhshal, détermine, de même que certains
acalèphes, quaud on y touche, une sensation brûlante
qui les a également fait nommer orties de mer. Parmi les
espèces d'actinies les mieux connues , nous citerons V actinie
esculente, que l'on mange en Provence et à Mce; r«c^(«ie
rousse, qui est tort commune sur les côtes de la .Manche.
Celte dernière est large de deux pouces. Les pêcheurs l'aiv
l^iiWdwi jnsseuse , à cause de la faculté qu'elle possède de
lancer, quand on l'irrite , l'eau contenue dans son corps.
ACTIOX {Phitosophic ). Nos actions sont le jeu natu-
rel, régulier, un peu mystérieux, mais susceptible d'obser-
vation, d'une faculté qu'en psychologie nous appelons flc-
tivité. Cdii \ai puissance c/'«(?«r après avoir voulu. L'ac-
tivité est donc i\ la volonté ce que la volonté est à la liberté ;
c'est-à-dire que pour agir il faut d'abord vouloir, comme
pour vouloir il faut être libre. Qui n'est pas libre ne peut
pas avoir de volonté, ne peut pas déployer d'activité. Cepen-
dant la volonté est déjà un acte, acte d'intelligence sans
doute , mais acte véritable, car il n'y a pas de volonté sans
une pensée, sans une réflexion , une délibération. Or, la
délibération , la réflexion , la pensée , sont des actes, et il y a
donc un jeu d'activité qui précède toute volonté. C'est que
l'àme est une, et que ses facultés ont un foyer commun, oii
elles sont toutes réunies, où elles forment ensemble cette
vie spirituelle qui se manifeste successivement sous tant de
formes diverses et toujours également merveilleuses, quel-
(jue nom que nous donnions à leur apparition plus ou moins
dominante. C'est ainsi que Vactivité, qui joue d'abord son
rôle dans la conception primitive de toute idée, concourt à
toute induction, à toute réflexion, à toute détermination, se.
montre au premier rang dès que la délibération est prise et
qu'il faut atjir. En effet, elle prend alors le gouvernement
de l'àme et du corps; elle dispose de ce qu'il lui faut de facul-
tés de l'un et de l'autre pour réaliser la volonté, effectuer
un dessein, accomplir une résolution, en faire des actes,
des actions.
Les actes et les actions se distinguent-ils? LWcadé-
mie, dont les défmitions et les exemple.s, pris dans toutes
les riclicsses classiques de la langue, ont tant d'autorité, dé-
finit le mot rtc<e par celui d'action, le mot action par ce-
lui d'acte, l'un expliquant parfaitement l'autre; mais elle
a bien soin d'ajouter des exemples qui nuancent l'un et
l'autre, et le plus novice des écrivains, l'étranger lui-même
qui sait un peu notre langue ne dirait pas : le prince a fait
une action d'autorité; l'acte de l'dme sur le corps est
un fait incontestable. 11 y a donc imediflérence sensible
pour tout le monde entre l'acte et l'action. Mais cette
ditférence n'est-elle pas grammaticale i)lutôt que psycholo-
gique, puisqu'on dit indistinctement un acte de courage
ou une action courageuse? Dans ce cas, oui. Mais je ne
puis sous aucune forme emjjloyer le mot acte pour rempla-
cer le mot action quand il s'agit de l'influence de l'dme
sur le corps : c'est que le mot acte exprime seulement
un fait déterminé, une action une fois accomplie, tandis
quele mot «c^io« exprime en outre une opération habituelle.
Cependant ce ne sont laque des définitions. U y a mieux
à voir sur ce mot, sur cette faculté, sur les actions de
l'homme. Quels sont les organes et le mode, quels sont les
motifs et le but de nos actions? Quelles en sont les classes,
l'importance, les règles et la valeur? Quel est le rang de la
science qui s'en occupe? Voilà les questions. Parcourons-les
ACTION
105
<Hi ftiisons voir au moins comment on les a jusque ici effleu-
rées ou bien approloiulics.
I. Les organes et le mode. C'est-à-dire comment, par
quelles Toies, cpiels moyens et quels organes agissons- nous,
et t[uels sont les signes caractéristiques qui , sous ce rap-
port, distinguent les unes des autres la multitude de nos
actions? — Los moyens que nous employons pour les ac-
complir, ce sont : 1° la seule volonté pour les actions inté-
rieures précédant tout ce que nous appelons l'action de
Pànie sur le corps , ou même la seule pensée , et moins
qu'une pensée, l'idée la plus fugace : car une idée de ce
genre suflit pour exercer cette espèce d'action , qui a lieu
souvent sans que nous l'apercevions et sans que nous nous
en rendions compte ; 1° les organes du corps , la parole , la
mine, le geste , la main, le pied , et tous les membres dont
dispose la volonté ; 3° tous les genres d'appareils et de ma-
chines que le génie de l'homme invente pour joindre mille
autres organes à ceux que la nature lui a donnés pour les
produire. Et qui ne voit au i)remier coup d'œil les carac-
tères qui distinguent nos actions sous ce rapport? qui ne
voit que les premières sont rapides comme l'éclair, mais
bornées à peu près aux intérêts d'un seul ; les secondes,
plus lentes, mais plus extensives, plus puissantes sur les
autres et de conséquences plus fécondes; les troisièmes,
plus lentes encore, mais plus fortes, plus irrésistibles , et
surtout plus durables, plus permanentes? En effet, la pyra-
mide survit au papyrus , le papyms à la parole, la parole à
la pensée aperçue, la pensée aperçue à celle qui ne l'a pas été.
II. Les motifs et le but. — Les motifs ue se confondent
pas avec le but. La fortune est le but ; le désir d'avoir les
jouissances qu'elle procure est le motif qui nous fait travail-
ler pour l'acquérir. Le pouvoir est un but ; le motif qui nous
le fait ambitionner, c'est le plaisir que nous aurons à semer
les bienfaits et à nous couvrir nous-mêmes de la gloire dont
nous couvrirons le pays. Les motifs de nos actions , ce
sont donc des idées hautes et pures , des sentiments clairs
et nets, ou bien des considérations ordinaires, de simples
désirs, des appétits naturels, des instincts même. Le nom de
motifs, toutefois, ne convient qu'aux raisons dont nous
nous rendons un compte plus ou moins exact, et les déter-
minations qu'ils amènent sont fort différentes de celles qui
suivent de vagues désirs, de simples excitations, des ins-
tincts plus ou moins nobles. Et comment nos actions au-
raient-elles la même importance et rentreraient-elles dans
la même classe, qu'elles soient l'elfet inévitable de celte
activité qui fait que nous ne pouvons nous empêcher d'a-
gir, de faire quelque chose, ou le résultat généreusement
voulu et péniblement conquis d'une liante conception? 11 y
a des actions en apparence sans but; il en est d'autres qui,
mauvaises en elles-mêmes, prétendent se sanctifier par le
but ; il en est qui ne sont excusables que par les motifs qui
les ont inspirées. Nos actions forment donc bien des classes,
et leur importance varie.
III. Classes et importance de nos actions. — L'impor-
tance de nos actions est dans l'influence bonne ou mau-
vaise, plus ou moins étendue, qu'elles exercent. — Dans
la règle, rinfluence de nos actions dépend du caractère de
leur conception. Cela a donc lieu fréquemment ; mais il y
a de grandes exceptions. On a vu les plus sublimes déter-
minations s'évanouir sans avoir rien produit , et les plus
simples résolutions suivies des plus admirables résultats.
Ce n'est donc pas d'après leur impoilance, caractère ex-
terne et fortuit , qu'il convient de classer nos actions , c'est
d'après les règles qui les gouvernent et d'après la valeur
qu'elles ont aux yeux de ces règles éternelles et suprêmes
qui sont comprises sous le nom de morale.
rv. Règles et valeur morale de nos actions. — La va-
leur morale de nos actions n'est pas leur valeur entière.
Elles peuvent en avoir une autre. Telles actions peuvent
en avoir une qui soit immense dans la politicjuc, dansl'ln-
DICT. DE lA CONVERSATION. — T I.
dustrie, dans le commerce, sans qu'elles en aient une très-
grande , sans qu'elles en aient aucune en morale. Je prends
pour exemple une découverte qui n'a eu sa source que dans
l'intérêt privé , une conquête qui n'a eu pour motif qu'une
ambition personnelle , une donation même qui n'a eu pour
but que l'illustration d'un nom propre. Chacun le sent , ces
actions ont une grande valeur sociale; mais la valeur so-
ciale n'est pas la valeur morale de nos actions , et celle-
ci en est la valeur suprême. Par quoi est-elle déterminée?
Par la conformité de nos actions avec les règles souveraines
qui les gouvernent, les lois de la morale, lois éternelles,
(lui ne varient ni ne peuvent varier, mais dont la science
et la formule changent sans cesse. D'après ces règles,
nos actions se classent en bonnes et mauvaises, suivant
qu'il y a mérite ou démérite. On peut, d'après les mêmes
règles, en faire d'autres classes, et les appeler légales
ou illégales, raisonnables ou déraisonnables, suivant
qu'elles sont conformes à la loi , telle que la conçoit la
raison humaine élevée à son plus haut degré de pureté et
de lumière. On fait d'autres classes, suivant que nos ac-
tions sont conformes à la liberté dont nous devons jouir
en vertu de notre nature morale. Sous ce rapport, nos
actions sont libres ou forcées , imputables ou non impu-
tables. Nos actions sont esclaves quand toute notre per-
sonne et toute notre vie est assujettie à autrui , et que toute
la condition humaine est altérée en nous. Quand nous ab-
diquons volontairement notre libre arbitre pour agir sui-
vant celni des autres , nos actions sont serviles. L'escla-
vage n'est que le plus grand des malheurs ; le servilisme
est la plus grande des infamies. Matter.
ACTION {Jurispnulence). C'est le droit que nous
avons de poursuivre en justice ce qui nous est dû ou ce
qui nous appartient , ainsi que l'a défini Justinien dans ses
Institutes. — Par extension, on appelle encore action le re-
coms même à l'autorité judiciaire, et enfin la forme dans
laquelle ce recours s'exerce.
En Droit romain nous trouvons trois systèmes de procé-
dure en usage à différentes époques : les actions de la loi ,
les formules et les jugements extraordinaires; mais
avant de les exposer il est nécessaire de faire connaître
comment on rendait la justice à Rome. Depuis les temps
les plus reculés jusqu'à l'empereur Dioclétien l'organisa-
tion judiciaire est fondée sur le principe suivant. Un ma-
gistrat, représentant de la loi, précise la question, éclaircit
le point de droit; un simple citoyen, nommé par le préteur,
est chargé de vérifier les faits et décide la question. Si de-
vant le préteur les parties, contraires dans leurs prétentions,
s'accordent sur les faits , le magistrat n'a pas à renvoyer de-
vant le juré : il dit le droit, décide immédiatement, et auto-
rise lui-même les voies de contrainte. Mais si les parties
sont contraires en faits, il les renvoie au juré, qui dit le fait
et clôt les débats par son jugement. Dioclétien détruisit
cette admirable organisation, et attribua au magistrat seul la
connaissance et le jugement des affaires. Examinons main-
tenant la procédure dans les trois systèmes que nous avons
signalés.
Le plus ancien est celui des actions de la loi : il se com-
pose de certaines formalités symboliques, de gestes et de
paroles déterminées, dont l'omission la plus légère entraînait
la perte du procès. On compte cinq actions de la loi ; la plus
ancienne de toutes est l'action sacramenti, somme d'argent
que chaque partie déposait, après un combat simulé, entre
les mains du pontife, et qui était perdue pour celui qui suc-
combait dans l'instance. Les progrès de la civilisation et l'in-
fhience toujours croissante de la plèbe sur les affaires de
l'État apportèrent une première dérogation aux solennités
rigouicuses inventées par le génie aristocratique, en intro-
duisant l'action pcr judicis postulationcm, sur laquelle
nous n'avons que dos renseignements fort incertains. Il est
probable qu'elle autorisait les parties, dans ceilains cas,^>
14
tOG
ACTION
demander nn juge sans consignation préalable. Enfin la loi
SUta, qu'on suppose rendue l'an 510 de r.onie, restreignit en-
core les limites de l'antique et solennelle procédure , au
moyen de l'action per condictionem. La condkiio évitait
toute comparution première devant le magistrat, ainsi que les
formalités qui en étaient la suite. On autorisa le deman-
deur à dénoncer extrajudiciairement en termes solennels au
défendeur l'objet de la réclamation, en le sommant de se pré-
senter le trentième jour devant le magistrat pour recevoir
un juge. Lacondictio ne s'applifpiait d'abord qu'aux actions
qui avaient pour objet une somme déterminée; ensuite elle
fut étendue par la loi Calpurnia aux obligations de toute
chose certaine.
Les trois actions de la loi que nous venons d'énumérer
avaient pour but d'arriver à la décision d'un procès ; mais
il y avait en outre deux autres actions de la loi, qui n'étaient
que de simples voies d'exécution des jugements. Ce sont
d'abord l'action per maiius inject'wncm, qui réduisait à
l'esclavage le débiteur qui n'avait pas payé sa dette après un
délai de trente jours; et l'action per picjnorls captionem,
qui autorisait le créancier à s'emparer lui-même comme gage
d'une chose appartenant à son débiteur.
La subtilité des actions de la loi, leur rigorisme extrême,
amenèrent leur suppression, et les deux lois J^ilin ainsi que
la loi A:butia leur substituèrent le systèmedes/orwiw/es.Le
demandeur expose maintenant ses prétentions au préteur
en langage ordinaire, sans gestes et paroles consacrés; et s'il
va lieu de renvoyer devant le juge ou juré, le magistrat dé-
livre au demandeur une formule qui indique la question de fat
que le juge doit examiner et la sentence qu'il doit rendre. On
voit que l'action maintenant n'est plus l'ensemble des actes
pour obtenir le recours, mais simplement le droit accordé
par le préteur de poursuivre en justice. La formule contient
d'ordinaire trois parties : la dcmonstra/io, exposé du débat ;
Vintcntio, qui indique le point à examiner, et la condemna-
i\o , qui donne au juge ordre et pouvoir de condamner ou
d'absoudre le défendeur selon que la prétention du deman-
deur sera ou ne sera pas constatée.
On a vu que sous le système des actions de la loi , et sous
la procédure formulaire, le magistrat retenait quelquefois la
cause pour la juger sans renvoi : c'était là ce qu'on nommait
jugement extraordinaire. Ces jugements s'étaient multi-
pliés sous les empereurs, et Dioclétien les érigea en règle
générale. Ici l'action n'est plus qu'un droit purement privé ,
elle ne provient plus du magistrat.
11 nous reste à indiquer les principales divisions des ac-
tions romaines. On les classe en actions réelles et en actions
personnelles. Les premières sont celles par lesquelles on ré-
clame judiciairement un droit absolu sur une cbose, indépen-
damment de tout contrat, de toute obligation particulière;
cette action est dirigée contre la chose , quel que puisse être
sondétenteur. L'actionpersonnelle, au contraire, est celle par
laquelle on réclame l'exécution d'un contrat, etc. ; elle est
dirigée contre la persomie, jamais contre la cbose, sur laquelle
on n'a juscpie alors aucun droit.
On divisait encore les actions en civiles, c'est-à-dire créées
par le droit civil, lois, sénatuscon.sultcs, plébiscites, consti-
tutions impériales, réponses des prudents; et en préto-
riennes, c'est-à-dire créées par le préteur en vertu de sa juri-
«liction. Il y avait aussi des actions directes et des actions
utiles, suivant qu'elles étaient accordées dans les cas spéciaux
pour les(puis on les avait établies, ou bien qu'on s'en ser-
vait indirect ementdans des cas analogues. Kniin, elles étaient
distinguées en actions de droit strict et en actions de bonne
/bf.Dansles premières, si le juge admettait les prétentions du
«lemandeur, il devait condamner le défendeur à payer la
somme demandée, sans pouvoir prendre aucunement en con-
sidération quelque motif étrangerau droit civil; les actions de
bonne foi étaient celles où lejuge était auloriséà lixer le mon-
tait do la coudamualion d'après les simples règles de l'cquilé.
Dans notre droit civil , le magistrat juge seul sans l'inttr-
vention du jury; la procédure n'a rien de commun avec
les anciens systèmes romains. 11 n'exi.stc point chez nous
d'actions de droit strict et d'actions de bonne foi : « les con-
ventions, porte l'article 1 1 35 du Code Civil, obligent non-seu-
lement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suite»
que l'usage, l'équité ou la loi donnent à l'obligation d'après
sa nature. » IMais, quant aux divisions que les Romains
avaient puisées dans la nature et l'essence même des choses,
elles ont continué d'être admises : nous avons les actions
réelles et les actions personnelles, et dans le même sens ab-
solument. Quant à l'action mobilière et à l'action immobi-
lière, elles prennent ces noms selon qu'elles ont pour but
d'obtenir un meuble ou un immeuble. L'action est dite pos-
sessoire quand on réclame la possession d'une cbose, péti-
taire quand on en réclame la propriété. L'action enfin est
hypothécaire lorsqu'on réclame un droit d'hypothèque; et
si c'est une hérédité qu'on veut se faire attribuer, l'action
prend le nom de pétition d'hérédité. L'action civile en ré-
paration du dommage causé par un crime ou un délit ap-
partient à tous ceux qui en ont souffert {voyez Partie ci-
vile) ; la poursuite de l'action publique n'appartient qu'aux
magistrats institués à cet effet (voyez Ministère public).
Dans quel(jues parties de l'Allemagne on a conservé les
divisions et les qualifications des actions romaines. En An-
gleterre l'action publique appartient à tous quand il s'agit de
la violation d'une loi pénale.
ACTION (Commerce). C'est la part d'intérêt qu'ont
les membres de certaines sociétés commerciales dans le
fonds et les bénéfices de ces sociétés. On doime également
ce nom au titre qui élablit cette part d intérêt. L'action de
commerce est dite nominative quand elle porte le nom de
celui qui a déposé le prix de sa valeur, et ne peut être trans-
mise qu'au moyen d'un transfert et de l'inscription du nou-
veau propriétaire sur le registre de la société dont elle émane.
Elle est au porteur quand elle se négocie de la main à la
main , ou qu'on n'exige que la signature du cédant pour pas-
ser à un nouveau propriétaire. On nomme action indus-
trielle, action de jouissance, coupon de fondation, une
action qui ne représente pas un apport fait en espèces, mais
seulcaient une participation spéciale à la société, comme fon-
daleur, administrateur, etc. Les actions de jouissance sont
aussi parfois des titres spéciaux adjoints aux actions primi-
tives, dont elles peuvent être .séparées, et qui confèrent à
leurs propriétaires le droit de partager dans les bénéfices don-
nés par l'entreprise après l'amortissement du capital versé.
Le montant d'une action, une fois versé, ne pouvant plus
être retiré de la société dont il a servi à constituer le capi-
tal, les actions ont dû devenir un objet de commerce. Elles
sont susceptibles de hausse et de baisse, selon les résultats
plus ou moins favorables de l'opération. Le capital des so-
ciétés anonymes est nécessairement divisé par actions. Le ca-
pital des sociétés en commandite peut aussi être divisé par
actions. Celui qui souscrit une action d'une société anonyine
ou d'une société en commandite, comme simple commandi-
taire, n'est passible des pertes que jusqu'à concurrence du
fonds qu'il a mis ou dii mettre dans la société. 11 s'ensuit,
d'un autre côté, qu'il est tenu de verser toute la valeur de
l'action, quel que soit le peu de succès de l'affaire; mais on
discute encore la question de savoir .s'il doit y être obligé
par corps, comme ayant fait acte de commerce.
Les actions de commerce et des compagnies de finance et
d'industrie sont déclarées meubles par la loi, quand bien
même des immeubles dépendant de ces entreprises appar-
tiendraient aux compagnies. 11 suit de là que chaque ac-
tionnaire n'a que le droit de céder son action, sans pouvoir
engager hypothécairement rimmeiible qui appartient à la
société ; la société seule a ce droit pour les obligations qu'elle
contracte comme être collectif et dans l'intéiêt gc-néral des
actionna res. De même, les créanciers de l'associé n'auraient
ACTION — ACTIUM
107
pas le ilrjil de faire saisir l'immeuble de la société pour se
(aire payer de ce que leur doit cet associé, tandis que le
créancier de la société aurait évidemment ce droit. Les ac-
tions de la Banque de France peuvent être rendues immo-
bilières, à la volonté des possesseurs.
La loi du 17 juillet 1856 défend aux sociétés en com-
mandite par actions de diviser leur capital en actions ou
coupons de moins de 100 fr. lorsque ce capital n'excède
pas 200,000 fr., et de moins de 500 fr. lorsqu'il est supé-
rieur. Elles ne peuvent être définitivement constituées
qu'après la souscription de la totalité du capital social et
le versement du quart de chaque action, le tout constaté
par un acte notarié. Les actions des sociétés en commandite
sont nominatives jusqu'à leur entière libération. Les sous-
cripteurs sont responsables de la totalité des actions qu'ils
ont souscrites, lesquelles ne sont négocia1)les qu'après le
versement des deux cinquièmes. Tout apport qui ne con-
siste pas en numéraire, ou tout avantage particulier stipulé
au profit d'un associé doit être vérifié et approuvé par une
assemblée générale. Un conseil de surveillance, dont la loi
règle la composition et les devoirs, peutencourir une certaine
responsabilité lorsque la société n'est pas constituée confor-
mément à la loi , lorsque sciemment il a laissé commettre
dans les inventaires des inexactitudes graves, ou lorsqu'il
a consenti à la distribution de dividendes non justifiés. La
loi punit d'un emprisonnement de huit jours à six mois et
d'une amende de 500 fr. à 10,000 fr., ou de l'une de ces deux
peines, l'émission d'actions non conformes à celles qu'elle
prescrit, et le gérant qui commence les opérations sociales
avant l'entrée en fonction du conseil de surveillance. Elle
punit aussi la négociation d'actions contraires à ses prescrip-
tions , les simulations de souscription, les déclarations de
faux actionnaires, les faux inventaires, etc.
' Aux termes de la loi du 16 juin 1850, chaque titre ou cer-
tificat d'action dans une société , compagnie ou entreprise
quelconque, financière, commerciale, industrielle ou civile,
<st assujetti au timbre proportionnel du capital nominal,
ou réel à son défaut, de 50 centimes pour 100 fr. quand les
sociétés doivent avoir une durée de moins de dix ans , et
de 1 fr. pour 100 fr. quand la durée des sociétés doit dépasser
dix ans. Au moyen de ce droit, les cessions de titre ou
de certificat d'actions sont exemptes de tout droit et de
toute formalité d'enregistrement. Les sociétés peuvent s'af-
franchir de ces obligations en conlracLint avec l'État un
abonnement de 5 cent, pour 100 fr. par an du capital de
chaque action. En 1857 le gouvernement avait proposé
d'élever ce droit de 5 c. à 15 c. par 100 fr. du capital réel
réglé sur le cours moyen des actions; le corps législatif
préféra un autre système accepté par le conseil d'État, sys-
tème qui consiste à frapper d'un impôt annuel les coupons
au porteur et d'un droit de mutation la conversion d'un
titre nominatif au porteur, et réciproquement.
Les entreprises commerciales qui se font à l'aide d'émis-
sions d'actions sont d'abord celles qui exigeraient des ca-
pitaux trop considérablespour que la fortune et les ressources
des plus riches capitalistes pussent y suffire. Elles ont l'im-
mense avantage de permettre des opérations que l'industrie
privée ne saurait faire sans elles; elles permettent aussi
d'essayer des opérations utiles mais douteuses, en répartis-
sent les pertes possibles sur un grand nombre d'actionnaires
et en leur donnant la garantie que leur perte n'excédera pas
une certaine somme. Les actions fournissent un emploi
avantageux pour les plus petits capitaux en leur permettant
de participer aux plus grandes affaires. Elles mobilisent
une partie de la richesse nationale, et lui donnent une cer-
taine valeur de circulation. Pour être négociables en France,
les actions et obligations des compagnies étrangères sont
soumises à des conditions de constitution, de timbre et
d'imp<jt analogues à celles qui frappent les valeurs françaises.
Les actions sont une invention des temps modernes. L'an-
née 1720 fut surfont mémorable par l'immense commerce
d'actions qui se fit en France et prC'îque simidtanément en
Angleterre; commerce qui concentra des millions entre les
m&ins d'hommes qui quelques jours auparavant n'avaient
rien, en môme temps qu'il anéantit les plus anciennes et les
plus solides fortunes. On sait que depuis la France retomba
plusieurs fois dans une ardeur d'agiotage qui rappelait jus-
qu'à un certain point les fameuses actions de la banque
de Law.
ACTION (Déclamation), expr<»3sion des mouvements
de l'Ame par les mouvements et l'attitude du corps. De nos
jours, on ue se sert de ce terme que pour la pantomime et
l'art du comédien. L'action oratoire est toute subjective,
se restreint aux gestes et à l'expression de la physionomie.
Le comédien, le pantomime, représentant des personnages
étrangers, l'expression entière de leur corps est du domaine
de l'art. Le pantomime ne parle qu'aux yeux, tandis que le
comédien y joint la déclamation ou le chant ; l'action du
chanteur, déterminée parla musique, diffère de l'action du
comédien qui déclame. L'action embrasse : 1° le maintien ,
la pose du corps, en un mot l'attitude; 2" les mouvements
des différentes parties du corps , telles que la tête, les
mains , les pieds ; les plus expressives de ces parties sont
les yeux et les muscles du visage , les mains et les doigts ,
les mouvements des pieds sont du domaine de la danse.
Chez les orateurs anciens l'action était véhémente; elle
est encore très-vive et quelquefois pétulante chez les Ita-
liens ; en France elle est animée; elle est souvent sèche et
froide chez les peuples septentrionaux.
ACTION (Littérature). C'est le développement, sui-
vant les règles de l'art , de l'événement qui fait le sujet
d'une œuvre littéraire. Trois parties composent l'action :
l'exposition , le nœud , le dénomment. L'action loit être
une, vraisemblable, complète. Il faut surtout tenir l'action
incertaine jusqu'au dénoiiment. L'intérêt pourrait-il sub-
sister si le dénoùment était prévu? L'action de la tragédie
doit être noble ; l'action épique, magnifique et vaste; le
merveilleux y ajoute un grand charme. La comédie et le
roman ne doivent pas non plus être dépourvus d'action.
ACTION, QUANTITÉ D'ACTION ( Mécanique ).
Voyez Mouvement.
Action d'éclat, c'est un acte individuel de cou-
rage ou de présence d'esprit accompli sur le champ de ba-
taille. Le connétable était autrefois le juge et le rémunéra-
teur des actions d'éclat. Quand la charge de connétable fut
supprimée par Louis XIII, le privilège de récompenser ces
actions d'éclat appartint au chef de l'État , par l'entremise
du ministre de la guerre. Sous la république, c'étaient les
généraux en chef qui , sur le rapport des généraux de di-
vision, récompensaient les actions d'éclat par un fusil ou
un sabre d'honneur. Bonaparte, devenu premier consul,
conçut la pensée d'une institution qui réunissait le mérite
civil au mérite militaire, et il créa la Légion d'honneur,
dont tous les soldats et officiers qui avaient obtenu des
armes d'honne u r devinrent membres de droit.
ACTIUM, promontoire sur la côte occidentale de la
Grèce, dans l'ancienne Épire, formant l'extrémité septen-
trionale (le l'Acarnanie, à l'entrée du golfe d'Amhracie ( au-
jourd'hui Capo de Figolo ouAzio, sur le golfe d'Arta,
dans l'Albanie). Ce cap donna son nom à la célèbre ba-
taille dans laquelle Antoine fut défait par Octave (voyez
Adguste ) , le 2 septembre de la 31*année avant J.-C. Les ar-
mées des deux chefs étaient campées sur les deux rives op-
posées du golfe ; l'armée d'Octave comptait 80,000 hommes
à pied , 12,000 hommes de cavalerie et 260 vaisseaux ; celle
d'Antoine était composée de 100,000 hommes à pied , dt>
12,000 cavaliers et de 220 vaisseaux. Contre l'avis de .ses
généraux les plus expérimentés, Antoine se décida à courir
les chances d'un combat sur mer. Ses vaisseaux, richement
ornés, se faisaient remarquer par leur grandeur; les vais-
li.
108
ACTIUM — ACTIVITÉ
seaux de la flotte d'Octave étaient plus petiLs, mais ils
manoeuvraient avec plus d'adresse et d»î célt^rité. Les deux
Hottes étaient montées par des soldats tirés des légions ro-
maines, qui regardaient l'affaire connue un combat sur
terre, et les vaisseaux comme des l'oileresses qu'ils devaient
prendre d'assaut. Les troupes d'Antoine lançaient, au
moyen de catapultes , des torches allumées et des flèches ,
tandis que les soldats d'Auguste accrochaient les vaisseaux
ennemis avec des grappins ; après quoi ils s'élançaient à
l'abordage. Dès le commencement de la bataille , le centre
de la flotte d'Antoine ayant éprouvé un léger échec, Cléo-
pâtre, elïrayée, prit lâchement la fuite avec soixante
vaisseaux égyptiens ; Antoine la suivit de près. Le reste de
sa flotte se défendit quelqne temps avec un courage hé-
roïque ; à la (in , cédant à la supériorité du nombre et aux
exhortations d'Octave , qui lui apprit la fuite ignominieuse
de son général , elle abandonna une cause qu'il avait si
mal défendue. Sept jours après , Toxemple qu'avait donné
la flotte d'Antoine fut suivi par l'armée de terre, qui, ran-
gée en bataille sur le rivage , ainsi que celle d'Octave, avait
été tranquille spectatrice du combat. Pour témoigner sa
reconnaissance aux dieux , Octave fit suspendre dans le
temple d'Apollon à Actium des trophées consacrés à Mars
et à Neptune ; il ordonna de plus que tous les cinq ans
on y célébrerait des jeux en mémoire de cette journée , qui
lui donna l'empire du monde ( voyez jeux Actiaques ). A
l'endroit où son année avait campé, jil fit en outre cons-
truire la ville de Nicopolis, aujourd'hui Prévésa.
ACTIVITÉ. L'activité est le symptôme le plus appa-
rent de la vie dans les espèces animées; mais c'est dans
riionuue qu'elle se montre avec tous ses développements
et toutes ses nuances, depuis l'instinct aveugle, qui au
début de la vie met nos facultés en mouvement , jusqu'à
la liberté , qui les dirige avec réflexion , pour étendre leur
empire sur toute la création. Il y a en nous un prin-
cipe essentiellement actif, une force qui tend à se projeter
au dfcliors , et qui prend successivement des formes di-
verses. Instinctive chez l'enfant , elle devient spontanée
dans l'adolescent , puis réfléchie dans l'homme fait , c'est-
à-dire volontaire et libre. Le caractère de l'instinct , c'est
le développement d'une force aveugle qui s'ignore ; le ca-
ractère de la spontanéité, c'est le développement d'une
force qui se connaît ; le caractère de la liberté , c'est le dé-
veloppement d'une force qui se possède et se maîtrise.
Entre tous ces modes de l'activité humaine , la liberté est
le plus élevé et le plus pur. La première manifestation de
cette force active en nous est déterminée par l'instinct. Le
mouvement par lequel l'enfant qui vient de naître saisit
le sein de sa mère , les appétits naturels qui donnent l'éveil
aux facultés dont nous sommes pourvus pour satisfaire
aux besoins inhérents à notre nature , sont autant d'effets
de l'activité instinctive. Elle devient spontanée lorsqu'elle
prend conscience d'elle-même et commence à se connaître :
alors les simples appétits se transforment en désirs, en
passions. Enfin, lorsque l'intelligence intervient dans les
actes du moi , lorsqu'elle délibère , qu'elle pèse des motifs
contraires avant de prendre une détemiination , les actes
prennent le nom de volitions ; l'activité est devenue volon-
taire et libre.
La liberté suppose donc un développement intellectuel
assez élevé, qu'on appelle raison. Aussi n'existe-t-elle pas
toujours dans l'homme ; elle a , comme toutes les facultés
humaines , son apprentissage à faire. Son évolution est gra-
duelle : imperceptible dans les |)remiers moments de l'exis-
tence, elle reste obscure et enveloppée dans l'enlimt, tant
que la sensibilité prédomine : alors , les instincts , les a|)-
l>étits sensuels, les penchants passionnés, sont plus torts
que la raison. Il est impossible de nier qu'à son origine
l'activité de l'homme re soit instinctive et nuie par nue
impulsion aveugle. Dès que les picnùères lueurs d'inlelli-
gence commencent à poindre , alors aussi apparaissent les
premières manifestations de la volonté. D'abord faible et
indécise, tant qu'elle n'est pas suffisauunent éclairée, elle
hésite, elle tûlonne, elle chancelle; guidée par une intel-
ligence lumineuse, elle s'affermit peu à peu , elle acquiert
la conscience d'elle-même , elle agit avec plus d'assurance
quand elle voit clairement son but.
En définitive, l'activité est l'attribut fondamental du
moi. Jamais elle ne repose. Même dans les états de l'àme où
elle paraît assoupie, tels que le sommeil, la défaillance, ou
les actes habituels, il y a un certain degié d'aclivité qui en-
tretient la vie continue du moi. Dans le sommeil, à quelque
instant qu'il soit interrompu, si nous nous observons nous-
mêmes avec attention , nous trouverons que notre âme était
occupée d'un certain objet, d'une certaine pensée ; et c'est
ce qui explique certains phénomènes de la mémoire , tels
que celui de l'écolier qui, ayant lu sa leçon une fois avant
(le s'endormir, la retrouve presque sue le lendemain matin ;
c'est encore ce travail secret, mystérieux, qui explique
conmient, au bout d'un certain temps, on se trouve un
beau jour avoir éclairci quelque problème obscur et difficile,
qu'on croyait avoir entièrement perdu de atic. Dans la dé-
faillance, il reste toujours un certain degré de conscience
vague, confuse, mais réelle, où les choses ne nous apparais-
sent plus qu'enveloppées de brouillards, et où le fil de la
vie du moi n'est pas complètement rompu. Enfin, qui ne
sait que l'habitude nous rend insensibles et inaperçus des
actes qui dans l'origine nous ont coûté de pénibles efforts,
et par conséquent ont été volontaires? C'est ce qui arrive
dans la lecture : quelle longue application ne nous a-t-il
pas fallu pour apprendre à distinguer les lettres, à les as-
sembler, et à reconnaître la valeur des mots, opérations
dont aujourd'hui nous n'avons plus conscience.' Ainsi, le
musicien qui exécute sur son instrument des variations
compliquées a dû faire un laborieux apprentissage pour en
venir à enchaîner ces longues séries de mouvements qu'il
accomi)lit à présent presque sans le moindre effort d'atten-
tion. Toutes ces opérations, machinales en apparence, ont
donc été d'abord l'œuvre d'une volonté opiniâtre.
Reste maintenant à reconnaître quels sont les rapports de
l'activité avec les autres éléments essentiels de notre nature,
c'est-à-dire avec la sensibilité et l'intelligence. D'une part,
les phénomènes de la sensibilité et ceux de l'intelligence
exercent sur l'activité une influence nécessaire et inévitable,
comme mobiles et comme motifs qui la déterminent à se
mettre en mouvement. Les sensations et tous les phéno-
mènes affectifs qui en dérivent sont autant de ressorts qui la
mettent en jeu, par l'attrait du plaisir et par la crainte de la
douleur. Comme ils sont purement instinctifs et aveugles,
et qu'ils n'ont rien de rationnel, on les appelle des mobiles;
le nom de motifs est réservé pour les idées , les princi|)es
moraux qui sont la loi de la volonté humaine. D'un autre
côté, l'activité réagit à son tour sur la sensibilité et sur l'in-
telligence. Il y a plus, son concours est indispensable pour
donner naissance aux phénomènes de l'une et de l'autre fa-
cidté, tout passifs qu'ils sont. En effet, ])our qu'ime sensa-
tion soit sentie, il faut que le moi en ait conscience ; et là
où il y a conscience, il y a nécessairement un degré quel-
concpie d'activité. Quant aux phénomènes de l'intelligence,
sans doute, envisagés d'un certain point de vue, ils nous ap-
paraissent marqués d'un caractère non moins fatal que r«ux
de la sensibilité ; il ne dépend pas de nous de faire que les
vérités qui frappent notre esprit soient autres qu'elles ne
sont , ou ne forcent pas notre assentiment. Riais dans la
perception de la vérité l'intervention de notre activité per-
sonnelle n'est pas moins évidente. Porter un jugement, c'est
affirmer ou nier; et cela nous est-il possible sans comparer,
sans abstraire, sans généraliser? Or, il n'est aucune de ces
o|)(''ralions qui ne suppose le moi actif. Et cet effort de l'es-
prit qu'on appelle a^/CH^ion, cette condition première de toute
ACTIVITE — ACUNH\
109
iwnsi^e claire, cette concentration <le nos forces intellectiiel-
îessur un seul point, n'est-ce pas l'onivre de la volonté?
La dignité de la créature humaine consiste précisément
dans cet empire qu'elle prend sur elle-même, dans le pou-
voir qu'elle a de diriger ses propres facultés. Plus ce pou-
voir directeur est développé dans un être, plus aussi cet élre
est une personne. Ainsi, riiomme a sur lui-même et sur
les facultés dont il est pourvu un empire plus grand que
les animaux. S'il abdique ce pouvoir, s'il le laisse dépérir,
il se ravale au rang des choses. Mais ce pouvoir personnel,
dans lequel réside le gouvernement de nous-même, est sujet
à des intermittences. Rien ne se lasse plus vile en nous que la
volonté : c'est que cet effort (ju'exige la direction de nos fa-
cultés est pénii)le, et celte extrême tension amène bientôt
la fatigue. La volonté ou l'énergie personnelle éprouve donc
par intervalles le besoin de se reposer : et c'est elle en effet
qui se repose dans le sommeil ou dans la rêverie ; c'est-
à-dire qu'alors l'activité, soutenue à ce degré d'intensité où
elle devient la volonté, se détend, se relâche, et laisse les
idées, les sensations, les impressions de fout genre passer
devant elle sans prendre la peine de les fixer ; mais l'acti-
vité ne subsiste pas moins , quoiqu'à un degré beaucoup
plus faible, et c'est une échelle dont il est possible de remon-
ter tous les degrés au moment du réveil. Aiitaud.
ACTIVITE DE SERVICE, NON-ACTIVIÏÉ. On
entend par activitti de service la position de tout individu
qui compte dans la force numérique d'une armée par l'exer-
cice d'un emploi de son grade s'il est officier ou sous offi-
cier, et par le fait de conscription ou d'engagement s'il n'est
que simple soldat. La durée de l'activité de service sert à
déterminer le chiffre de la pension militaire. Elle s'éteint
par les congés de libération, la réforme, la retraite,
la démission et la désertion; s'interrompt par les congés
illimités, la disponibilité, et par la non-activité. Au
contraire , un congé temporaire , un service spécial , une
mission , la captivité à l'ennemi , n'interrompent jamais
l'activité.
Par contre , la non-activité est la position de l'officier hors
cadre et sans emploi. Un officier ne peut être mis en non-
activité que dans les cas suivants : licenciement du coips ,
suppression d'emploi , infirmités temporaires , rentrée de
captivité à l'ennemi ( si l'officier prisonnier de guCTre a été
remplacé dans son emploi), retrait ou suspension d'emploi.
L'officier en non-activité est appelé à remplir la moitié des
emplois de son grade vacant dans l'arme à laquelle il appar-
tient , et le temps qu'il passe en non-activité est compté
comme service effectif pour les droits à l'avancement, au
commandement , à la retraite.
ACTOX (Joseph), premier ministre du royaume de
Naples, naquit à Besançon, en 1737, de parents irlandais,
qui étaient venus s'y établir. Après avoir achevé ses études,
il entra dans la marine française, qu'il quitta bientôt pour
passer au service du grand-duc de Toscane, où il trouva
l'occasion de se distinguer contre les Barbaresques. Le roi de
Kaples lui offrit du service; et bientôt, grâce à la faveur de
la reine Caroline, il obtint successivement les portefeuilles
de la marine, de la guerre , des finances , et enfin devint
premier ministre. Poussé par sa haine implacable contre
les Français, il se ligua avec Hamilton, ministre d'Angle-
terre, et se porta aux mesures les plus insensées, qui préci-
pitèrent la famille royale dans les plus grands embarras, et
fortifièrent de plus en plus le parti français. Les hommes de
ce parti formèrent plus tard l'association des Carbonari. Il
accompagna le roi, en 1798, dans l'expédition de Mack.
C'est lui qui dirigea la junte d'enquête que ses cruautés
ont rendue si fameuse. Après l'issue malheureuse de l'expé-
dition de Mack , Acton fut éloigné des affaires en 1803. 11
mourut en 1808, en Sicile, haï et méprisé de tous les partis.
ACTUALITE, néologisme, se prend pour ce qui a
rapport aux faits et aux choses qui occupent les esprits dans
les circonstances actuelles. Ce mot a fait fortune. Pour-
quoi ne passerait-il pas définitivement dans* la langue,
puisque l'idée qu'il exprime est si bien passée dans nos
mœurs qu'il nous faut de l'actuel à tout prix, que le pam-
phlet, la caricature, la chanson, le vaudeville-revue, lui
sont redevables de leur mérite et de leurs succès? Le jour-
nalisme lui-même ne vit que d'actualité et ne s'en cache
pas. Tout le monde connaît cette critique naïvement judi-
cieuse du directeur d'une revue en vogue, qui, demandant
un article à un philosophe humanitaire, et celui-ci lui en
offrant un surDiew, lui répondit vivement : « Cela manque-
rait d'actualité ! » — On dit à chaque iiistant dans la con-
versation : C'est une question pa/pi^a/i^e d'actualité. Cette
expression absurde est un des plus frappants exemples de
laltération que subit la langue de Molière et de Racine.
M. de Talleyrand ne pouvait pas l'entendre sans bondir
d'indignation. Un jour il apostropha très-rudement certain
secrétaire d'ambassade qui avait eu l'imprudence, en faisant
le bel esprit, d'offenser l'oreille et le goût du dernier de nos
grands seigneurs par cette amphigourique et prétentieuse
métaphore.
ACTUiVRIUS(Jean), célèbre médecin grec du treizième
siècle, auteur d'un traité De actionibus et ajfectibus spiri-
tus animalis, décrivit et employa le premier les purgatifs
doux, tels que la casse, la manne, le séné, etc.
ACUNHA (Don Antonio OSORIO d'), évêque espa-
gnol , fameux par le rôle qu'il joua dans les luttes qui sui-
virent l'avènement de Charles-Quint. Il occupait le siège de
Zamora en 1519, lorsque commença cette insurrection po-
pulaire, si connue sous le nom de Sainte Ligue, et dont l'un
des chefs fut le célèbre Jean de Padilla. La population de
Zamora était alors partagée en deux factions, qui avaient à
leur tête le comte d'Alba de la Isla et d'Acunha. Celui-ci,
forcé de s'éloigner de son siège par suite des tracasseries de
son rival, se jeta dans le parti des communeros, et y fut
reçu avec enthousiasme. Les députés étaient alors réunis à
Tordesillas; on lui donna des canons, des soldats, et il de-
vint bientôt pour son ennemi un redoutable adversaire.
D'Alba, ne se sentant pas la force de soutenir la lutte, se
joignit au cardinal Adrien, qui commandait les troupes
royales en l'absence de l'empereur. D'Acunha appela autour
de lui tous les hommes de bonne volonté , et bientôt il se
vit à la tête de cinq mille soldats, parmi lesquels on re-
marquait cinq cents prêtres. Guerrier consommé, intrépide,
actif, infatigable, malgré ses soixante ans, il les menait sou-i
vent à la victoire. Au moment où il s'élançait sur les batail"
Ions ennemis, on entendait toujours retentir ce cri : A mi
mis clerigosî (à moi mes prêtres! ), adressé à la phalange
sacrée qui se pressait autour de lui. La reine-mère, Jeanne
la Folle, étant tombée aux mains des révoltés, Tordesillas
devint leur place d'armes ; les destinées de l'Espagne allaient
peut-être changer. Mais l'habileté du comte de Haro répara
tout : la prise de Tordesillas porta aux ligueurs un coup
terrible; le bataillon des prêtres résista seul, et soutint avec
une rare intrépidité le choc de toutes les troupes impériales.
Mais d'Acimha n'était pas homme à faiblir en présence des
événements les plus désastreux. Alors qu'une partie des
généraux défenseurs du peuple étaient dispersés, lui cou-
vrait l'Espagne de ses émissaires , et fomentait partout le
soulèvement. La prise de Tordesillas le jeta dans Tolède, où
le peuple, de sa propre autorité, le fit archevêque primat de
toutes les Espagnes. C'était lui donner de nouvelles forces.
Il disposa des richesses des églises, leva des troupes, et
courut débloquer Avila, où il eut pour antagoniste un au-
tre prêtre comme lui, un de ses ennemis personnels, don
Antonio de Tolède, placé à la tête des troupes royales. La
défaite de Padilla à Villalar vint terminer ce drame terri-
ble, où la monarchie de Ferdinand et d'Isabelle avait couru
tant de dangers. C'en était fini du rôle de d'Acimha; il le
sentit, et voulut se sauver en France; mais il fut découvert
tio
ACUNIIA — ADALBERT
e.l eiiffinié au châlean de Simancas, dont il tua le gouver-
neur. Charles-Quint, armé d'un bref papal qui le livrait au
bras séculier, fit instniire son procès. Le sort voulut que
riioinme appelé à le juger fût ce même alcade Ronquillo,
qui, par ses exactions, avait soulevé les communcros. 11 n'y
avait rien à attendre pour lui d'un tel juge. Aussi un jour
le peui)lc put voir pendu aux créneaux de la vieille forte-
resse le corps sans tète de celui qui l'avait si vigoureuse-
ment défendu.
Plusieurs autres personnages historiques ont porté le nom
d'Acunha. Nous citerons : don Rodrigue d'Aclnha , arche-
vêque de Lisbonne , l'un des chefs les plus énergiques de la
conspiration qui, en 1040, remit sur le trône la maison de
]5ragance. Ce fut lui qui fixa le choix des conjurés sur
D. Jean IV. 11 mourut chéri des^ Portugais et du souve-
rain. — Christophe d'Acunha , rîiissionnaire espagnol qui
parcounit le Pérou et le Chili. 11 publia à son retour, en 1641,
une relation de la découverte de la rivière des Amazo-
^^fs. — Fcrnand d'Acunha, né h Madrid , mort en 1580,
se distingua également à la cour de Charles-Quint comme
militaire et comme poète. 11 traduisit avec succès l'ouvrage
intitulé le Chevalier Délibéré , d'Olivier de la Marche. —
Tristan d'Acunua, capitaine portugais, qui fut envoyé
en 1506 par le roi Emmanuel dans l'Inde, au secours de
François d'Almeyda. Il conduisit en 1508 dans ce pays le
\ice-roi Albuquer([ue, et se signala par son courage. 11 fut
en 1514 ambassadeur à Rome. Il découvrit en 1506 les îles
qui portent son nom. — Don Alphonse Cavillo d'Accmia,
archevêque de Tolède, parvint au ministère sous Henri IV,
roi de Castille. Disgracié pour s'être vendu au roi d'Ara-
gon, il s'arma contre son souverain, et lui livra en 1464,
sous les murs de Médina-del-Campo, une bataille dont le
succès resta incertain. Il contribua puissanmient à faire
placer sur le trône Isabelle, sœur de Henri, et devint tout-
puissant à l'avènement de cette princesse. Mais bientôt, ja-
loux du crédit du cardinal Mendoza, il se révolta de nouveau ;
il (ut enfin forcé de se soumettre en 1478. Isabelle lui fit
grâce, et il se retira dans un monastère, où il mourut en 1482.
ACUiVIIA (lie Tristan d'). Voyez Tp.ist\n d'Acunha.
ACUPUiXCTUHE (du latin acus, mguû\e; puncfura,
piqilre), traitement par lequel on a cherché à guérir les
maladies aiguës, les inflammations et les paralysies, et qui
consiste à enfoncer des aiguilles dans la partie souffrante.
Cette opération est connue depuis un temps immémorial en
Asie. Ten-Rhyne l'introduisit en Europe il y a plus d'un
siècle. Il y a quelques années, des médecins employèrent ce
moyen avec succès dans des cas de douleurs rhumatismales.
Béclard démontra par un grand nombre d'expériences que
la pi(iùre des vaisseaux n'est presque jau;ais suivie d'aucun
accident ; il constata l'innocuité de la piqûre des nerfs et de
tous les viscères. Le meilleur ouvrage sur ce sujet est dû
à Jules Cloque t. — On a proposé vm mode particulier
d'acupuncture, qui consiste à mettre l'aiguille une fois en-
trée dans les tissus en contact avec un courant électrique
pour exciter plus directement les filets nerveux. Ce procédé,
qu'on a appelé élcctropiincture, est ainsi que l'acupuncture
presque entièrement abandonné aujourd'hui.
ADAGE. Tous les dictionnaires, sans même en excep-
ter celui de l'Académie Française, donnent ce mot comme
étant le synonyme de^roi.'e;'ftc; et c'est à tort cependant.
11 y a entre ces deux vocables, connue eussent dit nos
philologues du seizième siècle, une différence qui a été
parfaitement expliquée par Érasme, auteur, comme chacun
sait, du recueil d'adages anciens le plus complet. Deux ca-
ractères appartiennent à la nature du proverbe, dit-il, la
Vidgarité, l'emploi fréquent, l'absence de toute ambiguïté,
qui le fait reconnaître de chacun. Au contraire, l'adage est
emprunté aux oracles des dieux, aux écrits des sages, aux
vers du poète; enfin, il est moins répandu parmi le peuple
que le proverbe, et remporte sur ce dernier par l'éiévalion
autant que par le choix de la pensée. Après celte explication
facile à saisir, Érasme donne un recueil très-ample des ada-
ges qu'il a trouvés dans Platon, Homère, Thucydide, Ci-
céron, Horace, Virgile, et dans les autres poètes ou prosa-
teurs grecs et latins. Jean Lebon, qui a publié vers la fin
du seizième siècle une collection de proverbes , de sentences
et d'adages, sous le titre singulier de : Adages et prover-
bes de Salon de Vosges, par V héiropolitain , 1 vol. in-32,
fait à peu près la même différence qu'Érasme, dont il con-
naissait sans doute le travail. Le proverbe, dit-il, est mmc
voix de ville, c'est-à-dire connu de chacun. L'adage, qu'il
compare au couteau delphique , peut être emprunté à six
objets de nature différente : ce sont les choses semblables,
les animaux, les personnes fabuleuses de comédie, d'his-
toire, les nations, les États. Suivant Lebon, l'adage est
toujours une com-paraison : plus grave que Caton, plus
riche que Crésus, plus envieux que Zoïle, plus inhu-
main que Timon, C'est seulement avec le seizième siècle
que le mot latin adagium s'est introduit dans notre langue.
Le sieur de la Porte, qui publiait en 1602 un livre sur les
épithètes de la langue française, citait le mot adage, et de
plus l'adjectif adagieux; mais ce grossier barbarisme ne
s'est pas conservé. Leroux ue Lincy.
ADAGIO. INIot italien qui signifie proprement à l'aise,
et que les musiciens appliquent à l'exécution des morceaux
d'une expression lente. Cette lenteur se modifie selon la
situation dramatique ou la pensée musicale. Dans les mou-
vements adagio les plus graves, où la lenteur ne descend
pourtant pas jusqu'au largo, on trouve de ces phrases
prolixes, de ces interruptions de mesure, comme roula-
des, traits, cadences, points d'orgue, et autres menues li-
cences musicales, qui justifient admirablement remploi du
mot adagio.
ADALBERT, ou ADELBERT, et encore ALDEBERT,
Gaulois qui vers l'an 744 prêchait l'Évangile dans les con-
trées du Mein. Il fut le premier qui s'opposa à l'introduc-
tion en Allemagne des canons et des rites de l'Église ro-
maine. Comme il attaquait le culte des saints et des reliques
ainsi que l'usage de la confession , il fut accusé à Rome
d'hérésie par Boniface, condamné sur ce chef aux synodes
tenus en 744 à Soissons et en 745 à Rome, et emprisonné
ensuite dans l'abbaye de Fulde. Par la suite il s'échappa
de sa prison , et fut , dit-on , tué par des bergers sur les
bords de la Fulde. Ses adhérents , qui le considéraient à
l'égal d'un apôtre , à cause d'une lettre qu'il prétendait lui
être tombée du ciel et qu'il donnait pour base à son auto-
rité, professaient une dévotion extrême pour ses cheveux
et ses ongles ; ils prenaient la qualification iValdchcrtins.
ADALBERT (Saint), de Prague, apôtre delà Prusse, fils
d'un riche seigneur bohème , fut élevé à l'abbaye de Saint-
IMaurice à ISIagdebourg, revint en Bohême en 981, et fut élu
évêque de Prague en 983. L'extrême sévérité qu'il déploya
mal à propos à l'égard des Bohèmes nouvellement convertis,
provoqua contre lui parmi eux les haines les plus vives; et
en 988 , irrité du peu de résultat de ses efforts , il aban-
donna son diocèse pour se retirer dans l'abbaye du Mont-
Cassin, et ensuite dans celle de Saint-Alexis à Rome, où il
vécut jusqu'en 988 dans la plus complète solitude. Les
Bohèmes le rappelèrent alors dans son diocèse; mais deux
ans après il l'abandonnait encore une fois, par suite du
cliagrin qu'il éprouvait en voyant la férocité toute païenne
que ses ouailles avaient conservée dans leurs nucurs. En
s'en retournant dans son couvent , Adalbert , passant par la
Hongrie, baptisa en l'an 995, à Grân, en présence de l'em-
pereur OthonlII, le prince Etienne , devenu ensuite roi,
et plus tard canonisé. En 996, il alla de Rome retrouver
l'empereur à Mayence, visita en route les abbayes de Tours
et de Fleury, et se rendit ensuite auprès du duc Boleslaf, en
Pologne, 011 i'I mit à exécution le projet qu'il avait depuis
longtemps formé d'aller prêcher la foi chrétienne aux peu-
AD ALBERT — ADAM
111
pies païens, et d'abord aux Prussiens. Avec ses fidèles
«OUI pagnons , Gaudentiuset BénMict, il descendit la Vistule
jusqu'à Dantzig, oii il priVlia et baptisa, et continua ensuite
sa route vers la Pnisse. 11 aborda dans une petite île vrai-
scaiblablenient silnée à rcmbouciiure de la Pregol. Il paya
ses prédications de sa vie. Le 23 avril 997 un prêtre païen
lui enfonça un javelot dans la poitrine. Le duc Boleslaf
racheta son corps et le rapporta à Gneseu, d'où il fut trans-
porté à Prague par le duc Brzelislaf.
ADALBERT, nommé archevêque de Brème et de
Hambourg en 1043, était issu de la maison des comtes pala-
tins de Saxe. Le pape Léon IX le uonima, en 1050, son légat
dans le Nord. Pendant la minorité de l'empereur Henri l\\
il se fit attribuer la tutelle et l'administration de l'Empire.
En 1065 il fit déclarer majeur ce prince, alors âgé de qua-
torze ans, et s'empara, sous son nom, du pouvoir le plus
illimité. L'année suivante les princes allemands employè-
rent la violence pour l'éloigner de Henri ; mais, après une
lutte de courte durée, il se retrouva, en 1069, en possessio n
de l'autorité souveraine comme auparavant, sous le nom de
Henri. 11 mourut àGoslar, le 17 mars 1072.
ADALBERT (Henri-Gdillalme), prince de Prusse,
fils du prince Frédéric-Guillaume-Charles, et cousin ger-
main du roi Guillaume, est né à Berlin le 29 octobre 181t.
Il entra de bonne heure dans l'artillerie, visita, de 1826 à
1843, la Hollande, l'Angleterre, l'Ecosse, Saint-Pétersbourg,
Moscou, la Russie méridionale, la Turquie, la Grèce et les
lies Ioniennes, Gibraltar, Tanger, Madère, Ténériffe, et les
côtes du Brésil. En 1847 il fit paraître à Berlin le journal de
son dernier voyage sous ce titre : Ans meinem Reisatagebu-
che, 1842-1S43. Le 11 juillet 1843 le prince Adalhert avait
été nomméinspecteur général de raiti!lerie;après 1848 il lut
chargé de l'organisation d'une marine allemande centrale et
créé amiral. A ce moment il fit paraître un ^Mémoire su>- la
formation (Tune flotte allemande ( Potsdam, 1848 ). L'Al-
lemagne ayant renoncé à l'unité, le prince Adalbert est resté
seulement le chef de la marine prussienne. En 1851 il fit un
voyage en Suède, et en 185G il se présenta avec une petite
escadrille sur les côtes de Maroc. Attaqué par les pirates du
Rif, dans une descente à terre, il les mitrailla pendant deux
heures et leur fit subir des pertes , puis il reprit la mer. Il
avait près de lui ses deux frères, et fut gravement blessé à la
jambe dans cetengagement.il revint ensuite en Prusse en
passant par l'Angleterre. En 1858 il est venu visiter Brest.
Le prince Adalbert a épousé morganaliquement en 1S51
M"e Thf^rèse Elssler, créée comtesse de Barniin.
ADA3I, c'est-à-dire Yhojnme , et EVE, c'est-à-dire la
vivante, sont le premier couple humain sur la terre dont
il soit question dans la Genèse. Adam mourut à l'âge de
neuf cent trente ans, et, suivant une antique tradition juive,
il fut enterré dans l'Hébron , à côté des patriarches. On
croyait trouver cette tradition confirmée dans la Bible,
d'après un passage mal interprété de Josué ( 14 et 15) dans
la Vulgate, tandis qu'une autre tradition chrétienne le fait
reposer sur le mont Golgotha. On connaît le récit de la
Genèse. D'après ce livre, le père du genre humain fut formé
de terre le sixième jour de la création. Dieu compléta son
cpuvre par l'homme, qu'il fonna d'après son image et qu'il
établit maître de tous les êtres privés de raison. Il lui donna
pour compagne Eve, formée de sa chair, afin que de leur
imion naquît une heureuse postérité qui peuplât la terre.
Dieu les plaça dans l'Eden, jardin rempli d'arbres à fruits,
où ils trouvaient tout ce qui pouvait satisfaire leurs besoins
et servir à leurs plaisirs. Mais au milieu du jardin était
l'arbre de la science du bien et du mal , dont le Créateur
leur avait interdit le fruit. Eve se laissa séduire par le ser-
pent; elle cueillit de ce fruit, et en mangea avec son mari.
Ce crime détruisit leur bonheur. Tout changea aussitôt de
face devant leurs yeux; ils s'aperçurent de leur nudité, et
se couvrirent avec des feuilles. Eu vain Adam chercha à se
dérober à la vue de Dieu ; en vain il s'efforça de rejeter sa
faute sur sa compagne : l'anathème ftit lancé contre eux et
contre la nature entière. Déchu désormais de l'état d'in-
nocence dans lequel il avait été créé, Adam .se vit con-
damné à soutenir son existence à la sueur de son front.
Toutes les misères de la vie et les teneurs de la mort l'attei-
gnirent. Il eut trois fils, C aï n, Abel et Selh. — Selonle.»-
récits poétiques des Juifs , Dieu créa Adam comme homme
et femme tout à la fois avec de la poussière de la terre. Sa tète
atteignait le ciel , et l'éclat de ses yeux effaçait celui du so-
leil. Les anges du ciel eux-mêmes le redoutaient, et tous
les êtres de la création s'empressaient de l'adorer. Alors le
Seigneur, pour montrer sa puissance aux anges, endormit
Adam , et , pendant son sonuneil , enleva quelque chose de
chacun de ses membres. A son réveil , il lui ordonna de dis-
perser sur la terre les parties qu'il lui avait prises, afin
que toute la terre fût habitée par sa semence. Adam perdit
aussi sa grandeur; mais il n'en conserva pas moins sa per-
fection. Dieu créa ensuite à Adam une femme, Lihth;
mais elle s'enfuit dans les airs, et alors le Seigneur lui fit
Eve, de l'une de ses côtes. Dieu la conduisit magnifique-
ment parée à Adam ; et les anges descendirent du ciel , en
jouant des instruments célestes, et le soleil, la lune et toutes
les étoiles dansèrent ensemble. Dieu bénit le couple, et lui
otfrit un repas sur une table en diamant , tandis que les
anges préparaient les mets les plus délicieux. La beauté
d'.\dara provoqua la jalousie, et le séraphin Sammael réus-
sit à le tenter. L'heureux couple fut alors chassé du paradis
nans le lieu des téuebres, et erra ensuite successivement
sur les terres jusqu'à la septième, Tebhel , qui est celle que
nous habitons. — Suivant le Koran , Dieu créa le corps de
son représentant sur la terre avec de l'argile sèche , et l'es-
prit avec du feu pur. — D'après les légentbires persans. Dieu
créa le premier homme d'une pâte composée des sept cou-
ches de la terre , et doua son corps des plus nierveilleuses
perfections. Tous les anges témoignèrent leur respect au
nouvel être créé, à l'exception d'Eblis, qui, en conséquence,
fut chassé du paradis, assigné dès lors pour demeure à .4dam.
Eve fut créée dans le paradis. Par esprit de vengeance elle
teiila les premiers hommes , qui furent alors précipités du
ciel sur la terre. Dieu eut pitié d'Adam repentant, et lui fit
enseigner ses divins commandements par l'archange Ga-
briel, là où plus tard fut construit le temple de la Mecque. Il
s'y conforma ponctuellement, et retrouva alors Zooafris, son
épouse , sur le mont Ararat. A sa mort il fut enterré sur le
mont Abouraïs , près de la Mecque ; ou , suivant une autre
version, recueilli d'abord par Noé dans l'arche, ce serait
Melrliisédcch qui l'aurait enterré là où plus tard s'éleva la ville
de Jérusalem. On trouvera exposées daivs les plus grands
détails les traditions postérieures des juifs et des mahomé-
tans dans le line d'Eisenmenger intitulé : le Judaïsme dé-
voilé (en allemand, Francfort, 1700 ).
AD Ail DE Brème, chanoine de cette ville, arriva à
Brème en l'an 1067, vraisemblablement appelé de la haute
Saxe par l'archevêque Adalbert, et y mourut vers l'an 1076.11
yécrivit.sous le titre de Gesta Hammenburgensis Ecclesix
pontijicum ou de Historia Ecclesiastica , le plus générale-
ment d'après des documents et d'anciennes inscriptions,,
une histoire de l'archevcché de Hambourg depuis l'an 788
jusqu'à la mort de l'archevêque Adalbert, arrivée en l'an 1072.
Cet ouvrage contient de précieuses indications pour l'his-
toire des États du Nord, et plus particulièrement des peuples
slaves, et l'auteur les recueillit de la bouche même du roi
danois Svend Estrithson, qu'il alla visiter tout aussitôt après
son arrivée à Brème. Le livre d'Adam , dédié à l'archevêque
Liemar (1072-1101), est la seule source de quelque valeur
où Ton puisse puiser pour l'histoire des pays du Nord à
cette époque; aussi est-il d'une importance extrême pour
les historiens. 11 se recommande d'ailleurs par la sagesse d»
son plan , par l'exactitude avec laquelle y sont recueillis
112
ADAM
tous les documents écrits on oranx , par une exposition
claire, et par un style assez heureusement imité des an-
ciens. Vedel publia le premier r/^js^oire d'Adam de Drôme
(Copenhague, 1579, in-4'' ) d'après un manuscrit trouvé
dans l'abbaye de Soroe par Bartliolin. Postérieurement on
en a trouvé d'autres copies, non moins précieuses, àCopen-
liague, à Leyde et à Vienne.
ADAM de la Halle, surnommé leBoçu cVArras, trou-
vère du treizième siècle, était (ils d'un bourgeois d'Arras.
Né vers 1240, il fit ses études dans l'abbaye de Vauxcelles
et embrassa l'état ecclésiastique. En 1282 il suivit Ro-
bert II, comte d'Artois, h Naples. C'est dans cette ville
qu'il composa, pour les divertissements de la cour, Li Jeu de
Robin et de Marion ( Paris, 1822, in-S"). Il mourut à Na-
ples vers t28G. On a en outre de lui : LiJeu d'Adam, ou
du Moruifje (Paris, 1828, in-8°); Li Congié d'Adam
d'Arras (Paris, 1803 ); Cest du Roy de Sézile, poème
(Paris, 1828); quelques chansons, rondeaux, motets, pu-
bliés par Roquefort, dont il composait lui-môme la musi-
que qu'il notait d'après le système de Gui d'Arezzo. Z.
ADAM (Jean), prédicateur français, né à Limoges, en
1008, devint supérieur de la maison des jésuites de Bor-
deaux, et mourut le 12 mai 1684. Il appelait saint Augus-
tin V Africain échauffé et le Docteur bouillant, compa-
rait Mazarin à saint Jean-Baptiste, et Anne d'Autriche à la
sainte Vierge. En 1656 il prêcha le carême à Paris ; un sei-
gneur de la cour dit alors à la reine : « Voilà un discours qui
m'a fortement convaincu que le père Adam n'est pas le
premier homme du monde, w Z.
ADAM. Trois frères de ce nom exercèrent avec éclat l'art
de la sculpture, que pratiquait leur père. L'aîné, Lambert-Si-
gisbert, né en 17oo, à Nancy, vint à Paris, oii il remporta le
premier prix à l'Académie, et alla, comme pensionnaire du
roi, à Rome. Le cardinal de Polignac lui fit restaurer les
douze statues de marbre connues sons le nom de la famille
de Lycomèdci qu'on venait de découvrir dans le palais de
Marins. Adam s'acquitta de ce travail avec beaucoup de
talent. En 1737 Adam fut élu membre de l'Académie, et
dans le suite il y fut attaché en qualité de professeur. On
lui doit le groupe de Neptune et Amphitrite pour le bassin
de Neptune à Versailles. Il y a aussi de lui, à Berlin, deux
groupes en bronze, la Chasse et la Pêche. Il mourut le
13 mai 1759. — Son frère, Nicolas-Sébastien, né à Nancy,
en 1705, étudia l'art de la sculpture sous la direction de
son père; puis il revint à Paris, travailla dans un château
près de Montpellier, et alla, en 1726, h Rome. Il y gagna au
bout de deux ans un prix de l'Acadéuiie de Saint-Luc. Reçu
à l'Académie de Paris en 1762, il sculpta, comme pièce
d'essai, Prométhée déchiré par levautour, qu'il ne finit
que plus tard. Son morceau principal e^t le mausolée de la
reine de Pologne, épouse de Stanislas. Il mourut le 27 juin
1778. — Le troisième frère, François-Gaspard, né à ,'
Nancy, en 1710, fut de môme élève de son père. En 1728
il se rendit à Rome, auprès de ses frères. Il revint ensuite,
comme eux, à Paris, y remporta le premier prix de l'Acadé- I
mie, et retourna à Rome, où il acheva ses études. Plus tard '
il alla à Berlin , au lieu de son frère Nicolas-Sébastien , qui
y avait été appelé par le grand Fiédéric, y travailla plu- \
sieurs années , et mourut à Paris, en 1769. i
AD^VM (Robert) , architecte, né près d'Edimbourg en '
1728 , se forma par des voyages sur le continent et par un
assez long séjour en Italie. Lorsqu'il lut de retour à Londres ,
le roi d'Angleterre le nomma son architecte. Il a fourni
les plans d'un grand nombre de monuments remarquables ,
et mit plus de gortt dans les ornements des édifices. En
1764, le comté de Kinross l'envoya au parlement, et il mou-
rut en 1792. On cite sa Description des ruines du palais
de Dioctétien à Spalatro (Londres, 1764, in-fol.). Z. !
ADAM (Maître). Voyez Bill \.it. j
ADAM ( Édouaud ) , inventa, au commencement du dix-
neavièmc siècle, on appareil pour la distillation des vins qui
devait enrichir le midi de la France. La routine déclara d'a-
bord que son invention était impraticable ; plus tard, quand
on en reconnut les avantages, on contesta que ce fût une
invention. Il perdit ses procès. Après sa mort on lui rendit
plus de justice. La ville de Rouen donna son nom à une rue,
et le département de l'Hérault lui a voté une statue. M . J. Gi-
rardin , de Rouen, a publié une notice sur Ed. Adam. Z.
ADAM ( Adolphe-Charles ) , nn de nos plus féconds
compositeurs dramatiques, naquit à Paris, le 24 juillet 1803.
11 était fils du célèbre professeur de piano Louis Adam, né
en 1759 à Miettersholtz, en Alsace, mort en 1840, qui a été
pendant quarante-quatre ans professeur au Conservatoire,
et qui a formé un grand nombre de nos plus habiles pianistes.
Adolphe Adam était bien jeune encore lorsque son père
le mit entre les mains d'une madame Duhan, inventeur d'une
méthode de solfège au moyen de cartes destinéesà enseigner
aux enfants les principes de cet art; mais il fut impossible
au jeune Adolphe de rien apprendre par ce moyen. A l'âge
de sept ans il entra dans la pension de M. Hix, et en 1814
il alla à Believille, dans celle de M. Gersin, père de ma-
dame Benincori. Madame Benincori donnait des leçons de
piano aujeime élève; mais, emporté par son ardeur de com-
position, il improvisait plus qu'il n'étudiait. Pendant son
séjour à Believille, le jeune Adolphe s'éprit d'une belle pas-
sion pour l'orgue. Ayant fait la connaissance du souffleur de
la paroisse, il parvint à remplacer souvent l'organiste titulaire.
Adolphe Adam quitta Believille pour suivre comme ex-
terne le cours du collège Bourbon , où il ne poursuivit
ses études que jusqu'à la classe de seconde. Son père lui
donna un maître d'harmonie, M. Widerker; et le pro-
fesseur d'harmonie, qui s'inquiétait peu des progrès de son
élève en humanités, était toujours satisfait.
Une circonstance particulière contribua beaucoupà donner
de l'émulation à Adolphe Adam et à développer chez lui le
sentiment musical. Hérold , qui avait été l'élève de prédilec-
tion d'Adam père pour le piano, et qui de plus était son
filleul, revenait alors d'Italie. L'intimité qui s'établit natu-
rellement entre Hérold et Adophc Adam fut très-profitable
à ce dernier. Adolphe Adam était entré dans la classe d'or-
gue de Benoît, professeur au Conservatoire. Il était par-
venu à se faire accepter en qualité de commis par un vieux
organiste, nommé Baron, qui tenait à la fois les orgues de
Saint-Nicolas-du-Chardonnet, de Saint-Étienne-du-Mont et
de Saint-Louis-d'Antin. Un jour, à l'offertoire, Adolphe
Adam se hasarda à jouer la fugue en/a de Haendel. Comme
le vieux Baron n'avait pas habitué les oreilles de ses ati-
diteurs à un style pareil, le curé de la paroisse se scanda-
lisa fort, et lança vertement l'imprudent commis. Le brave
homme s'écriait : // vient nous jouer de la musique de
V Ancien Testament! Adolphe Adam demanda encore des
avis à Séjan, dont il se trouva fort bien. Séjan et Benoît peu
à peu se firent remplacer par lui à la chapelle du roi; il en-
tendait là les chefs-d'œuvre de Lesueur et de Cherubini.
Ce fut en (822 que fut formée au Conservatoire la classe
de composition de Boïeldieu, Adolphe Adam entra dans
cette classe avec MM. Théodore Labarre, Claudel etTariot.
Un beau matin, l'élève présente à son maître une cantate
intitulée Circ.é. Cette cantate se ressentait du goût dominant
de la plupart des élèves pour les formes scolastiques, les
modulations brusques et recherchées, à l'exclusion de toute
idée mélodique. Boïeldieu examina froidement cet ouvrage,
et dit à l'élève de lui apporter le lendemain une simple vo-
calise dans le ton d'w^, de vingt-cinq à trente mesures seu-
lement, avec défense de sortir du ton à'ut et d'aller en sol.
Le maître tint l'élève pendant deux ans sur celte sorte
d'exercice; après quoi il l'envoya composer à l'Institut, où
il obtint une mention honorable. L'année suivante, 1825,
Adolphe Adam obtint le second grand prix. Le père d'A-
dolphe Adam, mécontent de ce qu'il voulait être exclusi-
venient musicien, lui retira tout subside. Aiiain parvint à
s'introduire dans i'orciiesire du Gymnase, et composa
quelques airs pour ditlVrenles pièces, entre autres La Bn-
telière de DrifUlZy Valeittine ou la Chute, des feuilles,
le Hussard de Felsiwiin, Ta/eô, etc. A l'époque oii la
Dame blanche élàil en répélition,Boïeidieii se trouva pressé
parle temps ; on était à la veille du jourde la n'pélition t;éni^i aie,
et l'onverluie de cet opéra n'était i)as prête. Il en fallait une
pourtant. Boïeldieu prit avec lui ses deux élèves, Adolphe
Adam et Labarre, les mena dîner chez lui, après quoi les trois
inusicieiis se partai;érent l'ouverture. Boieldieu se chargea
de l'andante, Labarre du commencement de l'allégro , qu'il
tira d'un air anglais (c'était Labarre qui avait fourni à
l'auteur de la Dame blanche les airs écossais qui font par-
tie de cet ouvrage); Adolphe Adam eut l'idée de la cnba-
U'ttc empruntée au trio de voix eiàwcrescendo. L'ouverture
tut terminée pendant la nuit, et jouée on sait avec quel succès.
Ce fut en 1S29 qu'.Vdam donna son premier ouvrage à
rOpéra-Comique ; c'était un acte intitulé : Pierre et Ca-
therine, qui eut près de cent représentations. En 1830 il
fit jouer Danilhova, en trois actes, qui eut beaucoup de
succès. Le 26 juillet lS30on représenta Za Chatte blanche,
pantomime anglaise, jouée par les acteurs anglais, et dont
Adolphe Adam et Gide étaient les auteurs. Après la révo-
lution de juillet, Adam lit, avec M. Romagnesi, pour la
réouverture du théâtre des Nouveautés, Trois Jotas en une
heure. De plus, il avait fait un morceau symphonique com-
posé de la Marseillaise, d'une bataille, et de l'air : la Vic-
toire est à nous. Il donna successivement : Joséphine ou
le Retour de Tfa^ram, un acte, 1830, àl'OpéraComique;
en 1S31, Ze Morceau d'ensemble, un acte, au môme théâtre ;
Casimir, un acte, aux Nouveautés; le Grand Prix, en
trois actes, à l'Opéra-Comique.
En 1832, Adam se rendit à Londres, où il donna au théâ-
tre de Covent-Garden , Sa première Campagne (His first
Campaign), en deux actes, qui eut un grand succès, et le
Diamant noir (thedark Diamond), entroisactes,qui tomba.
En 1833 le King's-Theatre joua un ballet en trois actes,
intitulé Faust. De retour à Paris, Adam donna le Pros-
crit, en trois actes, qui n'eut que quinze représentations,
mais dont la musique fut goûtée; en 1834, Une Bonne For-
tune, oiiéra-comique fait en cinq jours, pour Cliollet, et
qui fut représenté plus de cent fois; le charmant opéra du
Chalet, en un acte, pour les débuts d'Inchindi ; en 1835,
la Marquise, un acte; Micheline, un acte; en 1836, la
Fille du Dan'ube,ha.\\elen deux actes, pour le grand Opéra;
le Postillon de Lonjumeau, pour l'Opéra-Comique; en
1837, les Mohîcans, ballet en deux actes, pour l'Opéra;
te Fidèle Berger, à l'Opéra-Comique, en trois actes, dont
la chute fut éclatante, mais qui fut goûté à Berlin ; en
1S38, le Brasseur de Preston, trois actes; en 183'J, Ré-
gine, en deux actes, et la Reine d'un jour, trois actes,
pour les débuts de Masset.
En 1839 M. Ailam part pour la Russie; il donne l'an-
née suivante à Saint-Pétersbourg un ballet en deux actes,
pourMi'"^ Taglioni, intitulé: VEcumeardemer; pendantson
séjour, il écrit fes Lettres sur l'état de la musique en
Russie. Ne pouvant s'habituer à la rigueur du climat, il
tombe gravement malade. Au mois de mars 1840 il arrive
à Berlin pour y passer seulement huit jours. Mais le roi, à
ipii il avait dédié le Postillon de Lonjumeau, lui demande
un intermède. Cet intermède devient un opéra en deux actes,
les flamadnjades (Die Hamadriaden), qui fut composé,
copié, répété et joué en deux mois, quoiqu'on fût obligé de
lui Induire les paroles de la pièce en français pour les re-
traduire ensuite en allemand, langue qu'Adam ignorait. Pie-
venu à Paris, Adam donna à l'Opéra-Comique la Rose de
Péronne, en trois actes ; en 1841, le délicieux ballft de Gi-
selle, à l'Opéra; Richard Cœur de Lion, de Grétry, avec
une nouvelle instrumentation à l'Opéra-Comique; la Main
DICT. DE LA CO.NVERS. — T. I.
ADA\f 113
de fer, trois actes ; en 1842 , la Jolie Fille, de Cand, ballet
en deux actes, à l'Opéra ; et à l'Opéra-Comique, le lioi d' Yvc-
tot; en 1843, Lambert Simntl, opéra de Monpou, resté in-
achevé; le Déserteur, de Mousiguy, avec une nouvelle ins-
trum-ntation, et enlin, en i'ik'i, Cuglinstro, en trois actes.
Adolphe Adam a écrit encore, outre une infinité de fan-
taisies et d'airs variés pour le piano, ouvrages de sa jeunesse,
une Messe solennelle ( 1837 ), avec orgue obligé, violoncel-
les, contre-basses et cuivres , el un O snlutaris. 11 comp-
tait presque autant de succès que d'ouvrnges. Les compo-
siteurs italiens ont seuls donné l'e\en)ple d'une pareille
fécondité. Il avait l'entente de la scène Iwique. Sa nuisique
est parfaitement bien posée pour le thr;'ii.ie. Il excelle dans
la disposition des voix. Son orchestre est toujours clair et
intéressant. On désirerait seulement parfois plus de distinc-
tion et d'élévation dans les idées. J. d'Oktigue.
Le 22 juin 184i Adam fut élu membre de l'Académie des
Beaux-Arts, à la place de Berton. L'année suivante, il donna
Richard en Palestine, opéra en trois actes, à l'Opéra ; en
1840, le Diable à quatre, ballet en deux actes, au même
théâtre; en 1847, la Bouquetière, opéra en nn acte, à
l'Opéra. Nommé directeur d'un troisième théâtre lyrique a
Paris, il en fit l'ouverture dans la salle du Cirque, le 15
novembre 1847. Ou y joua le Gastibelza de. M. Maillart,
et le succès de l'entreprise paraissait assuré lorsipie
éclata la révolution de lévrier 1848. Deux mois plus tani
l'Opéra national était obligé de fermer ses portes, Adam per-
dait toutes ses économies et était obligé de prendre des
engagements pour lesquels il se remit à travailler avec une
nouvelle ardeur. 11 donna, en 1848. Griselidis , ou les Cinq
Sens, ballet en quatre actes à 1 Opéra ; en 1849, le To-
réador, opéra comique en deux acfes, à l'Opéra-Comique;
la Filleule des fées, ballet en trois actes, à l'Opéra ; le
Fanal, opéra eu deux actes, au même théâtre; en 1S50, Gi-
raZcf«, trois actes, à l'Opéra-Comique; en \8b2, Si j'étais roi,
le Roi des halles, le Bijou perdu, en trois actes, au Théâtre
Lyrique; en l&h3, la Poupée de Nuremberg, Clichij, au même
tlié;\tre;ea 1854, Ze Muletier rfeTo/éde, trois actes, au Théâ-
tre Lyrique; en ISôô.Ze Uouzard deBerchini, deux actes,
à l'Opéra-Comique ; en 1S56, Falstaff, un acte, au Théâtre
Lyrique ; le Corsaire, ballet en trois actes, à l'Opéra ;
Mam'zelle Geneviève, deux actes, au Théâtre Lyrique ; la
Faridondaine, drame lyrique, à la Porte-Saint-Marlin ;
les Pantins de Violette, aux Bouffes Parisiens. En 1850,
il avait composé la messe de Sainte-Cécile, pour l'associa-
tion des artistes musiciens; en 1851, il fit en six jours
la musique d'un intermède, intitulé les Nations , chanté à
une représentation donnée à Paris devant les délégués du
l'exposition universelle de Londres. La même année, le
Fidèle Berger fut repris avec succès à l'Opéra-Comique;
en 1854, il fit de la musique pour le mois de Marie; en
1856, il rajeunit la vieille comédie du .Sourd, en\a mettaul
en musique pour le Théâtre Lyrique, et composa la musi-
que d'une cantate pour la naissance du prince impérial.
Le 3 mai 1856, on le trouva le matin mort dans son lit. 11
laissait à l'Opéra-Comique la partition d'une pièce intituléiî
Josepha, ou le Dernier Bal. A partir de 1848, il adonni'
des iéuilletons de critique musicale au Constitutionnel et ii
V Assemblée nationale. Au mois d'octobre 1848, il avaii
été nouimé professeur <le composition au Conservatoire di'
musique. On a imprimé en 1857 -.Souvenirs d'un Musicien,
par Adolphe Adarn, précédés dénotes biograiihiques écrite -
l)ar lui-môme (in-l3). M. Halévy a lu à l'Académie des
Beaux- Arts, en 1859, une Notice historique sur la vie et k.^
travaux d'.Adolphe Adam. L. L.
ADAM (Albert), peintre de batailles et d'animaux, n.'.
en 1786, à Nœrdiingen. Son père, qui était confiseur, ledestin\
au même état; mais de bonne heure Adam montra des dis-
positions pour le dessin. En 1803, il vint étudier la pein-
ture à Nuremberg, et à partir de 1807 il s'établit à Munich.
15
<Î4
ADAM — ADAMS
où il trouva des proteclcurs. Kn 1 809, il accompagna le comte
«îe Froliberg-Monljois dans la campagne contre les Autri-
chiens. Les scènes militaires qu'il eut occasion do re-
présenter obtinrent un succès qui détermina Eugène de
Heauliarnais à se l'attacher. Adam passa quelque temps en
Italie, tout entier à l'étnile. Kn 1819, il accompagna le vice-
roi en Russie, d'où il revint h la (in de l'année, non sans avoir
couru de grands dangers. Il resta en Italie jusqu'en 1815,
et retourna à cette époque à Munich , où le roi Maximilien
le prit sous sa protection. Il aenrichi la galerie de ce prince
d'un grand nombre d'œuvres remarquables. Ses souvenirs
de la campagne de Russie lui ont fourni la matière d'un
grand ouvrage lithographie intitulé : Voi/age pittoresque
militaire. En 1850, il a fait paraître à Munich un autre
album ayant pour titre : Souvenirs de la campagne de
V armée autrichienne en Italie dans les années 1848,
1849. On cite encore d'Albert Adam la Bataille de la Mos-
kowa composée pour le roi Louis de Bavière. C. L.
ADAM (Pic d'), en anglais Adani's peak, montagne
appelée par les indigènes Hémaleh, mot qui veut dire
demeure de la neige. C'est la montagne la plus élevée
qu'il y ait dans l'île de Ceylan. Elle a 2,227 mètres d'éléva-
tion et est extrêmement escarpée dans beaucoup d'endroits.
A son sommet on montre l'empreinte, sur une pierre plate,
d'un pied colossal ; on dit que celte empreinte fut laissée
là par Bouddha, fondateur de la doctrine des Singalais,
lorsqu'il monta au ciel. Au nom de Bouddha les mahonié-
tans substituent celui d'Adam, et c'est à cette circonstance
que la montagne doit la dénomination sous laquelle elle est
«onnue. L'empreinte du pied est protégée par un comparti-
timent ea cuivre orné de quatre rangées de prétendus dia-
mants. Des arbres vénérables par leur vieillesse, notam-
ment des rhododendrons, entourent le lieu saint. Les
sectateurs de Bouddha y parviennent à l'aide de chaînes de
fer scellées dans les rochers.
ADAMBERGER (Marie-Anne JAQUET), actrice al-
lemande.née en 1752, à Vienne, où elle mourut en 1804,
était fille de l'acteur de la cour Jaquet. Elle entra au
théâtre dès son enfance, avec sa sœur Catherine, qu'une
mort prématurée ravit aux espérances les plus llatteuses.
Après s'être essayée dans le tragique, Marie-Anne Jaquet
s'exerça dans un_ genre plus simple, et en remplit les rôles
avec tin naturel, une vérité et une perfection admirables.
Elle s'était mariée en 1781, avec le chanteur Adamberger.
— Sa fille Antoinette, non moins remanjuable par ses ta-
lents, avait été fiancée à Théodore Kœrner, et l'Alle-
magne doit à cette liaison plusieurs chiinsons délicieuses de
ce poëte célèbre. Antoinette Adamberger se maria en 1817,
et quitta le théâtre , où elle s'était déjà acquis l'affectiou et
l'admhration du public.
ADAMIEXS, sobriquet donné à une secte chrétienne
du deuxième siècle qui partageait les doctrines d'Harpocrate
et de Prodicus, Les adamiens prétendaient que, le Christ
ayant effacé les souillures du péché originel, les hommes
régénérés devaient rejeter tout vêtement et vivre nus
comme Adam avant sa chute. Us se réunissaient dans un
état complet de nudité, condamnaient le mariage, etc.
ADASiIQUE (Race). L'humanité est-elle issue d'un
.seul couple, placé par Dieu dans un jardin délicieux ?
Faut-il admettre ce récit de la Genèse dans son sens maté-
riel et littéral ? C'est ce que la science conteste depuis long-
temps. En 1G55, un moioe, appelé La Peyrère, publia un
livre intitulé : les Préadarni/es, c'est-à-dire les hommes
créés avant .\dam. L'auteur cherche à prouver, d'après des
passages de la Bible et de saint Paul, qu'Adam ne fut pas la
source du genre humain, mais seulement d'une race par-
ticulière, la race adamique. Il faut observer que suivant
la Genèse elle-même, "le monde était déjà peu[)lé à l'époque
de la mort d'Abel. Cam, fugitif, est maudit par tous les
hommes comme uu assassin; il bâtit une ville, toutes
choses qui suppo~,ent une population nombreuse, étrangère
à la famille d'.\dam. Le livre de La Peyrère fut condamné;
mais sa thèse fut reprise au dehors du cloître par la science
laïque, plus libre dans ses allures. La diversité des conti-
nents et des races montre que l'unité du genre humain est
toute morale, toute religieuse, et qu'elle ne consiste pas
dans une filiation commune. — Les savants donnent quel-
quefois l'épithète <Vadamique à la race caucasienne, la plus
belle de toutes, parce qu'elle paraît avoir trouvé son berceau
près des lieux où Moïse semble avoir j'iacé le paradis ter-
restre. Victor Hennequin.
ADAMITES ou PICARDS, nom d'un parti fanatique
du quinzième siècle, qui repoussé par les taborites, parce
qu'il enseignait que dans la communion le vin et le pain
sont de simples emblèmes, finit par embrasser les erreurs
de la secte de l'esprit libre. Ils vivaient en complète com-
munauté des femmes dans l'une des îles du Lusinitz. C'est
là qu'en 1421 Ziska les surprit. Us n'étaient pas moins
odieux aux hussites qu'aux catholiques. Ziska en fit brûler
des milliers, mais sans pouvoir réussir complètement à
extirper cette secte. Les taborites furent aussi Iraités quel-
quefois par leurs adversaires de picards. — On appela éga-
lement adamites]es sectateurs de deux anabaptistes, Schnu-
der et Schuster d'Amsterdam, qui au seizième siècle es-
sayèrent d'aller nus comme Adam.
iVDAMS (John), second président des États-Unis de
l'Amérique du Nord , était issu d'une famille de puritains
ancienne et distinguée, qui émigra d'Angleterre en 1630, et
fit partie des premiers colons venus s'établir dans la baie
de Massacbusets.il y naquit, àBraintrie, le 19 octobre 1735.
Avant la révolution qui éleva son pays au rang d'État in-
dépendant, John Adam avait acquis la réputation de juris-
consulte habile. Dès 17C5 il publia dans un journal de Boston
un e.ssai sur le droit canonique et sur le droit féodal, qu'on
réimprima à Londres en 1768, et qui parut sous son nom
à Philadelphie en 1783. En composant cet ouvrage, Adam
paraît avoir eu surtout en vue d'affaiblir le respect
presque superstitieux de ses concitoyens pour les institu-
tions publiques de la mère-patrie, en leur faisant connaître
les principes odieux du droit aujouid'hui encore en vigueur
en Angleterre. Si Adams contribua ainsi à exciter chez ses
compatriotes une agitation dangereuse, il saisit volontiers
les occasions favorables de la réprimer; et, en 1770, un at-
troupement ayant attaqué à Boston un détachement de la
garnison qui pour sa défense fit usage de ses armes et tuii
plusieurs individus, il défendit l'officier et les soldats avec
tant de chaleur .devant la justice, que, malgré l'exaspéra-
tion de la foule, tous les prévenus furent acquittés. En 1774
Adams fut élu par le Massachusets membre de l'assemblée
qui vint siéger la môme année à Philadelphie. L'idée d'une
séparation d'avecla mère-patrie n'avait point encore germé
dans les masses, mais Adams prévit qu'une rupture était
inévitable : «■ Je sais, écrivait-il à un de ses amis, que l'An-
gleterre est déterminée à ne point changer de système ;
c'est cette détermination qui fait la mienne. Le sort en est
jeté, Aleajacia est! Couler à fond ou surnager, vivre ou
périr avec mon pays, telle est mon inébranlable résolu-
tion ! » Il prit la part la plus active aux délibérations des
assemblées, et l'année suivante, au moment où la guerre
avait déjà commencé, ce fut lui qui, par son énergique dé-
termination, triompha de toutes les oppositions et fit nom-
mer Washington général en chef de l'armée des États-Unis.
D'accord avec Lee et Thomas Jefferson, il réussit à po-
pulariser toujours davantage l'idée d'une séparation d'a-
vec la mère-patrie. Dès le mois de mai 1776 il proposait
au congrès d'adopttr la forme du gouvernement qui, de
l'avis des représentants du peuple, serait la plus propre
à aisurer le bonheur et la prospérité de l'Amérique. Il n'y
eut alors que la Pensylvanie qui hésita , parce que Dicker-
son , le plus induent des représentants de cet Etat, croyait
ADÂMS
toujours à la possibililé d'une réconrOiation avec l'Angle-
f erre. C'est ainsi que les voies se trouvi^'i ent préparées pour
la proposition que devait faire Lee d'une déclaration de
séparation d'avec l'Angleterre. La motion , votée le ^ juil-
let 1770, ouvrit l'ère de l'indépendance américaine. Adams
et JefTerson furent désignés par les membres du comité
si>écial nommé à cet elfet et chargés de rédiger le projet
de déclaration d'indépendance ; mais il est aujourdMiui
I)rouvé que Thomas JeîTerson seul en fut l'auteur. Rien
que le style et les mots par lesquels commence cette dé-
claration, et qui répondent si bien aux idées particulières
de cet homme d'État : « ISous regardons connue une vérité
évidente en soi que tous les hommes sont nés libres et
égaux , » suffirait pour prouver que ce fut Jefferson qui la
rt'digea, quand bien même on n'en aurait pas trouvé plus
tard dans ses papiers le brouillon écrit tout entier de sa
tnain , circonstance qui met à néant les prétentions des
lédéralisles pour attribuer la paternité de cette œuvre ira-
mortelle à John Adams.
Kn 1777 John Adams fut envoyé en France, où il trouva
le traité d'alliance avec cette puissance déjà tout conclu
par les soins de Franklin , avec qui d'ailleurs , comme on
]>eut le voir dans la Correspondance de Franklin, publiés
par Jared Spakes, il n'était pas précisément en de fort
bons ternies. A son retour dans son pays, Adams fut dé-
signé par l'État de Massachusets pour faire partie du comité
chargé de rédiger un projet de constitution nouvelle, et
ce projet fut en grande partie son œu^Te particulière. Peu
de temps après, le congrès l'envoya de nouveau en Europe
à l'erret d'y nouer des négociations de paix avec l'Angle-
terre; et en 1780 il arriva à Paris, où les défiances du ca-
binet de Versailles , l'inimilié notoire du négociateur contre
la France et la jalousie qu'il entretenait contre Franklin, cou-
pable de l'avoir complètement éclipsé dans l'estime du
public français , ne laissèrent pas que de lui susciter de
nombreuses diflicultés. Dans le cours de la môme année ,
il se rendit encore avec le titre d'ambassadeur en Hollande,
où , par d'adroites négocialicns et par des écrits ingénieux
dans lesquels il rectifiait les idées du public relativement
a la question américaine , il réu?sit à gagner complète-
ment le gouvernement et l'opinion aux intérêts de son
pays. 11 resta en Hollande jusqu'en 17.S2, époque où il
revint à Paris pour, d'accord avec Franklin, Jay, Jeffer-
son et Laurent , y conclure la paix avec l'Angleterre. En
1785 il se rendit à Londres avec le caractère d'ambassa-
deur; il était le premier agent diplomatique que le nouvel
Etat eût encore accrédité auprès du gouvernement anglais.
Georges III, qui le savait mal disposé à l'égard de la France
et cordialement hostile aux doctrines de ses philosophes ,
lui dit, lors de sa présentation à la cour, qu'il se réjouissait
de recevoir im envoyé qui n'était point imbu de préjugés
favorables à la France, l'ennemi naturel de sa couronne.
" Je n'ai de préjugés qu'en faveur de mon pays » , répon-
dit Adams. A Londres il publia sa Defence of the cons-
tilutions and government of the Uniled States ( 3 vol.,
1787).
Revenu en 1787 aux États-Un's , il appuya de toute son
induencfe, avec Alexandre Hamilton et autres partisans du
tédéralisme, les modifications au pacte fédéral propres à con-
solider la suprématie du congrès sur les différents États.
Après le vole d'une nouvelle loi fondamentale, il fut élu
vice-président, puis président en 1707, quand V.ashington
se retira dans la vie i)rivce. Si déjii auparavant il s'était
fait des ennemis dans le parti démocratique, il devint
encore bien autrement impopulaire en raison des mesures
auxquelles il eut recours pour sauvegarder la dignité na-
tionale contre les prétentions de la France, et surtout par
ses opinions notoirement favorables à l'existence d'une
noblesse héréditaire, qu'il essaya d'introduire en Amérique
sous la forme d'un ordre dit de Cincinnatus, par
J15
ses tendances aristocratiques franchement exposées dans
le livre dont nous avon^ cité le litre plus haut; et il de-
vait naturellement en être ainsi à une époque où la répu-
blique française comptait tant d'admirateurs parmi les Amé-
ricains. Pendant qu'il présida aux destinées de son pays, il
déploya le plus grand zèle pour lui créer une marine mili-
taire, tandis qu'avant lui c'est à peine si on avait encore
vu un vaisseau de gueiTc américain dans les eaux de l'O-
céan. Quand arriva, en 1801 , le terme de sa présidence,
Je f fe rson ne l'emporta sur lui dans les élections pour la
nouvelle présidence qu'à la majorité d'une seule voix.
Adams avait déplu aux deux grands partis qui divisent
son pays; ses mesures avaient paru trop aristocratiques au
parti démocratique, et les fédéralistes les avaient jugées
trop libérales. 11 se retira aloi-s dans son domaine de Quincy,
où il s'occupa activement de travaux littéraires ; et depuis
cette époque il lui arriva à diverses reprises de recevoir
d'honorables témoignages de la confiance de ses concitoyens.
11 avait quatre-vingt-quinze ans lorsqu'il fut appelé, en 1820,
à faire partie- du comité chargé de réviser la constitution
particulière de l'État de Massachusets. Le 4 juillet 1826,
cinquantième anniversaire du jour où il avait poussé dans la
salle du congrès le cri de : vive l'indcpendance ! il se réveille
à New-York au bruit des cloches et des salves d'artillerie.
Son domestique lui ayant demandé s'il se rappelait quel
jour c'était : « Oh , oui '. répondit-il , c'est la belle journée
du 4 juillet ! Dieu bénisse cet anniversaire ! Que le Seigneur
vous bénisse tous ! » Le soir môme il rendait le dernier
soupir. Quelques instants auparavant , il avait encore dit :
« La grande et belle journée ! Jefferson y survit ! » Jlais Jef-
ferson, son heureux rival, était mort le môme jour. Daniel
Webster et Edouard Everett ont tracé et publié d'ingénieux
parallèles entre ces deux premiers hommes d'État qu'ait
comptés l'Union américaine , à l'occasion de leurs obsèques,
célébrées simultanément.
ADA^iS ( JonN-QuiNCY ) , sixième président des États-
Unis de l'Amérique du Nord ( de 1825 à 1829 ), fils du pré-
cédent, naquit dans le Massachusets, le II juillet 1767.
Encore enfant, il suivit son père en Europe , où celui-ci avait
été chargé d'importantes missions diplomatiques , peu de
temps après la révolution américaine ; et une grande partie
de sa jeunesse s'écoula d'abord à Paris, puis à La Haye, et
enfm en Angleterre, où son père remplit les fonctions d'am-
bassadeur. A l'époque où son père devint président de
l'Union, J.-Q. Adams fut accrédité à Berlin comme minis-
tre plénipotentiaire. Cette mission lui fournit l'occasion do
parcourir la Silésie; et il publia sous forme de lettres , dans
le /'or(/'o//o, journal de Philadelphie, une description de
cette contrée , qui ne réussit que médiocrement en Amé-
rique ; cependant elle fut traduite en allemand et en français.
John-Quincy Adams partageait toutes les idées de son père;
il aimait peu les Français, et voulait maintenir à tout prix la
paix avec l'Angleterre; n'envisageant qu'avec effroi les
nombreux éléments démocratiques qne contient la constitu-
tion américaine, il estimait qu'il fallait s'efforcer d'y op-
poser ime digue en constituant une puissante aristocratie.
Aussi Thomas Jefferson , chef du parti démocratique , ne
fut pas plus tôt élu, en 1801, président des États-Unis, qu'il
le rappela de Berlin. J.-Q. Adams fut alors nommé professeur
d'éloquence à l'université d'Harvard, dans le Massachusets,
grand centre d'action du parti fédéraliste. Mais il ne tarda
pas à rentrer dans la carrière politique , et fut ensuite en-
voyé comme sénateur de cet Elat à Washington. II s'y
montra l'un des défenseurs les plus zélés du parti fédéra-
liste, quoique, une fois que la guerre eut éclaté, il ait su
avec beaucoup d'habileté paraître changer de rôle et se rap-
procher du parti de James Madison. Cependant, il est dé-
montré qu'il était au fait des intrigues de la convention
d'Harf/ord , dont les membres ne se proposaient rien
moins, dit-on, que de conclure une paix particulière avec
118 ADAMS
rAngleterre et de détacher de l'Union les six États de la
Nouvcile-Angielcne, à savoir: le iMaine, Massachn?ets,
Veriiiont , >'ew-Hanips!iire , Rhode-Island et Connecticiit.
Madison i'cmoya avec le titre de plénipotentiaiie en Rus-
sie, et ensuite en Anglelcne. En cette qualité il prit part,
on 1S14, avec les coinuiissaires envoyés à Gand par le gou-
YtiîT.ement américain , aux négociations pour la paix avec la
(Irande-Rretagno. Monroe, qui sut si bien dompter l'esprit
de parti qu'à l'expiration des quatre premières années de
sa présidence il fut réélu sans opposition, rappela Adaais
a Washington , et le nomma ministre secrétaire d'État. En
cette qualité, Adanis noua avec Castlercagh , et plus tard
avec Canning, les premières négociations relatives au droit
de visite; et elles eussent ajnené la conclusion d'un traité
on vertu duquel les Anglais auraient pu exercer le droit
de visite jusque sur les côtes de l'Union si le sénat ne
s'était pas refusé à le ratifier et n'y avait pas ajouté de
nouvelles conditions auxquelles il était impossible que
l'Angleterre donnât son assentiment. Après Monroe , Craw-
ford , Clay, Adams et Jackson furent les cémdidats qui se
mirent sur les rangs pour la présidence. Jackson avait le
plus grand nombre de voix ; mais comme il n'avait pas la
majorité absolue, aux teruses de la constitution des États-
Unis ce fut à la chanihre des représentants que se trouva
dévolu le droit d'élection. IIeni7 Clay et Adams s'enten-
dirent alors pour que le premier reportât ses voix comme
aussi celles de Cravvford .sur Adams, mais à la condition
d'être nommé par cehii-ci secrétaire d'Etat, et avec promesse
d'appui pour sa candidature personnelle aux prochaines élec-
tions. Grûce à cette manœuvre, .♦.dams fut élu président;
mais des la première année de son administration l'édifice
ainsi artificiellement élevé s'écroula. Pendant les (juatre
années qu'il exerça le pouvoir, Ada.ms eut constamment à
lutter contre des majorités démocratiques; il n'y avait pas
six mois qu'il éta't président, que déjà il avait perdu tout
espoir d'eue jamais réélu. Il finit par se résoudie à sacrifier
à la marée mentante de la déuiocratie les amis qui l'avaient
justju'à ce moment toujours appujé et défendu. En gage
de la sincérité de sa conversion récente à la démocratie,
il publia les noms des membres de c^^tiQ convention d' Hart-
ford dont il a été question plus haut, signalant les projets
lie haute trahison (iii'ils avaient conçus et compromeliant
par la les preusières familles de Boston. Une telle couduile
lui fit perdre l'estime de ses amis et de ses ennemis , et
Jackson fut élu président à une énorme majorité.
Adariis se retira alors dans son domaine de QuLncy , aux
environs de Boston ; mais au bout de deux ans il se portait
déjà candidat aux élections pour la place de représentant de
son district. Le système qu'il suivit à l'égard des sociétés
secrètes en général , et plus particulièrement à l'égard des
francs-maçons , de môme que les théories sur l'abolition
d(! l'esclavage développées par lui pendant les deux années
qu'il passa ainsi loin des aflaires pui)liques , assurèrent son
élection. Depuis lors on le vit se présenter chaque année au
«ongrès sans y exciter de sympathie, sans y avoir d'amis ni de
parti, tenant dans sa main tremblante une pétition abolition-
nisle et la recommandant à l'attention de la chambre, non
pas avec l'espoir de faire prononcer la suppression de l'es-
clavage, mais uniiiuement pour constater et maintenir le
dioit de pétition. Quand en is'il la cha:ubre des représen-
tants décida une fuis pour toutes qu'à l'avenir on se bor-
nerait à déposer sur le b.iroau toutes les pétitions de ce
^t-nre sans en donner lecture, Adams, l'année suivante, alia
jusqu'à (irésenter une pétition dans laquelle on osait de-
mander la dissolution de l'Union américaine. 11 eût imman-
quablement été pour ce fait expulsé du corps législatif, s'il
n'avait eu la précaution de déclarer qu'il était personnelle-
ment contraire aux idées développées dans la pétition, et qu'il
iif s'était chargé delà remettre à la chambre que pour assurer
in abstracto rcx::touce du dioit de pétition , et encore s'il
— A DANA
n'eût pas été déshonorant pour la nation elle-même d'ac-
cuser de haute trahison à la face du monde entier un homme
qui avait été revêtu des plus hautes fonctions de son pays.
— Dans la discussion sur l'annexion du Texas, John-Quincy
Adams prononça un discours profondément pensé. 11 est
mort h Vi'asliiîigfoule 17 f-vrii'r isis.
Son instruction était très-variée. Ses harangues fourmil-
lent d'allusions classiques, et aucun sujet n'était étranger à
sa plume. Auteur d'une foule de discours d'inauguration
pour les sociétés savantes , d'un éloge de Lafayette et de
beaucoup de harangues anniversaires, on trouve dans la
collection de WiUison son discours d'inauguration comme
président et celui qu'il prononça à Plymouth, dans la Nou-
velle-Angleterre, en 1S22, en commémoration du débarque-
ment des premiers colons.
ADA3IS ( Saiii;el ) , né le 27 septembre 1722, à Boston,
étudia d'abord la théologie , puis entreprit un petit com-
merce, et devint ensuite collecteur d'impôts. A l'université
d'Harvard il avait , en prenant ses degrés , soutenu et dé-
veloppé cette thèse : « 11 est permis de résister à l'autorité
supérieure, quand il n'y a pas d'autre moyen de sauver
l'État, » et elle demeura le principe politique de toute sa
vie. Élu en I7C5 par le Massachusets membre de l'assemblée
législative, dont plus tard il devint secrétaire , il fut jusqu'à
la (in de la guerre de l'indépendance l'un des plus intré-
pides défenseurs de la cause populaire , et il combattit de la
manière la plus énergique les mesures oppressives ordonnées
par la mère-patrie. Ce fut lui qui le premier donna l'idée
de fonder des sociétés populaires correspondant entre elles
et ayant leur centre d'action à Boston ; et l'exécution de ce
plan fournit à la révolution l'un de ses plus puissants ap-
puis. Envoyé au congrès en qualité de député des colonies,
il n'eut pas la patience d'attendre que les hostiUtés eussent
éclr.té entre l'Angletene et ses colonies ; et déjà il insistait
pour une déclaration d'indépendance absolue, alors que les
partisans les plus chauds de la cause coloniale ne songeaient
encore qu'au simple redressement des légitimes griefs de la
population américaine. La glorieuse journée de Leangton
combla sou va'u le plus ardent, et lui sauva en même temps
la liberté. Dans le sein du congrès il prit une part injpor-
tanîe aux délibérations qui aboutirent à la déclaration d'in-
dépendance , et dirigea ensuite les délibérations relatives
à la constitution du Massachusets. 11 n'aimait pa.5 Wa-
shington, dont la prudence et la calme présence d'esprit fai-
saient un trop saillant contraste avec son caractère inquiet et
emporté. 11 entra donc en 1778 dans l'intrigue qui avait pour
but de lui enlever le commandement en chef pour le donner
à Gates. En 1794 il fut nommé gouverneur du Massachusets.
Trois ans après il renonça aux affaires publiques , et mourat
pauvre, conur,e il avait vécu , à Boston , le 2 octobre 1802.
Son extérieur ne répondait pas à l'audace de son esprit.
ADAMS (Joun), dont le \Tai nom était Alexandre
Smit!!, matelot anglais, avait pris part à la révolte de l'équi-
page du vaisseau Bounty, et fut un des colons de l'île Pit-
c a i r n , dont il devint le patriarche après la mort du dernier
de ses comp.ngnons. Ce simple marin réalisa sur un îlot de
la mer du Sud l'idéal des républiques. Il fut à la fois le lé-
gislateur, le prêtre, le juge et l'instituteur de la plus inno-
cente des populations; les capitaines Kotzebue et Beecliey
ont révélé au monde l'existence de cette intéressante colonie
et le nom de son digne fondateur. Adams mourut en 1829.
ADA?»1SPEAK. Voyez Adam (Pied').
A D AA' A, chef-lieu de la province turque du même nom,
au sud-ouest de l'Asie Mineure, limitrophe de la frontière
nord-ouest de la SjTÎe, dans la circonscription de l'ancienne
Cilicie. Cette ville, bâtie sur le Seïhoun, grande, assez régu-
lièrement construite et peuplée d'environ trente mille âmes,
commande au nord les défilés du Taurus, auquel elle est
adossée, et au sud une vaste plage baignée pir le golfe de
Sc;mdsroun. Son com:ue:'ce est fort actif, conséquence na-
ADANA —
tiircllo de sa position g(<ograpliiqiic , qui en fait un poste in-
tonuediaire «les rolattous entre la Syrie et l'Asie Mineure. Elle
occupe IVniHaceinent de rantieniie Badnia-, célèbre jadis
par les agréments de son site. Pompée la peupla avec des pi-
rates. Plus tard , les rois de Syrie relevèrent au rang de
ville, sous le nom à\A)!tioc/na ad Saruin. Dans les diffé-
rends qui ccl.itéreiit entre le vice-roi d'Egypte, Méhéniet-
Ali et la Porte, Adana acquit une grande importance, parce
qu'elle est la clef du nord-ouest de la Syrie. Aussi , après la
\ictoire mnportce à Konieh, le 21 décembre 1832, par
Ibrahim-Pacba, Meliémet-Ali s'empre.ssa-t-il de s'emparer
d'Adana. Mais le traité du 15 juillet 1840 lui imposa l'obli-
patiou de l'évacuer ; et cette évacuation , en bâtant la cbute
des villes de la côte de Syrie où les Égyptiens avaient gar-
nison, permit aux Turcsde venir reprendre possession d'Orfa
et d'Adana , qui leur assurent les défilés du Taurus.
ADAXSON ( Michel), célèbre naturaliste, ne a Aix en
Provence, le 7 avril 1727, d'une famille d'origine écossaise,
;.pies iiNoir fait de brillantes études a Paris, fut entraîné par
un pencbant décidé vers l'étude de Tbisloire naturelle.
l'.éamuur et P.ernard de Jussieu furent ses principaux guides.
Ln vain ses parents, le destinant à l'état ecclésiastique, lui
avaient fait donner un canonicat ; Adanson le refusa, et, ja-
loux d'appoiler à la science son tribut de découvertes , il
résolut d'explorer le Sénégal , dont le climat insalubre avait
jusque là éloigné les naturalistes. Agé seulement de vingt et
un ans, il s'embarqua à ses frais, donnant ainsi l'exemple d'un
rare désintéressement et d'un dévouement entier à la science.
11 poursuivit ses recliercbes pendant cinq années avec une ar-
deur infatigable; dressa une carte du fleuve Sénégal, que l'on
n'avait pas encore reconnu, et rassembla des vocabulaires des
langues des diverses peuplades nègres qu'il avait fréquentées.
A son retour en France ses ressonrceis étaient épuir ées ; il
n'aurait pu faire connaître ses précieuse-s découvertes sans
l'assistance de M. de Bombarde. Ce fut en 1757 qu'il donna
son Histoire naturelle du Sénégal {Coquillages) , avec la
relation abrégée d'un Togagefait en ce pays pendant les
années 1749-1753, un vol. in-4°. Ces 1756 il avait vivement
excité l'attention par son Mémoire siir le Baobab. Il fit
connaître les causes de raccroissementprogressifde cet arbre
extraordinaire. 11 donna ensuite l'histoire des arbres qui
produisent la gomme dite d'Arabie, branche importante du
commerce du Sénégal. A la suite de ces divers travaux il fut
nommé membre titulaire de l'Académie des Sciences et cen-
seur royal. 11 publia en 1763 ses Familles des Plantes
(2 vol. in-S°). Dans ce livre Adanson combattait les idées
de Linné, et , attribuant les vices de son système à ce qu'il
était fondé sur l'observation d'un petit nombre de caractères
seulement, il cherchait à fonder une méthode sur l'obser-
vation de l'ensemble des parties et de leurs rapports. Bientôt,
entraîné par la logique conséquente de son système, il voulut
en poursuivre l'ajq'licalion non plus seulement aux plantes,
mais à tous les êtres ou, suivant son expression, à toutes les
existences. En 1775 il présenta à l'Académie le plan de
l'entreprise gigantesque qu'il préparait depuis longtemps; la
première partie aurait formé à elle seule 27 vol. in-S" : elle
était intitulée : Ordre universel de la nature, ou méthode
naturelle comprenant tous les êtres connus, leursqualités
matérielles et leurs facultés spirituelles , suivant leur
f.crie 7inturelle, indiquée par l'ensemble de leurs rap-
ports. Elle devait être accompagnée de six antres parties,
(]U' en formaient en quelque sorte le complément. Mais ce
I>lan fut jugé au-dessus des forces d'un seul homme, et
Adanson ne trouva pas aiiprès du gouvernement les encou-
ragements sur lesquels il comptait pour cette œiivre im-
mense. Il ne se découragea pourtant pas, et il continuait à
recueillir des matériaux quand éclata la révolution fran-
ç^iise. Adanson perdit alors le peu de fortune qui lui restait,
et vit même dévaster sous ses yeux son bien le plus pié-
cieu.x, un jardin dans lequel il suivait depuis plusieurs an-
ADDISO.N
nT
nées des expériences mullipl-ées sur la végétation, et notam>
ment sur la culture des mûriers.
A l'cpociue de sa création, l'Institut s'empressa d'inviter
l'illustre vieillard à venir prendre place parmi ses membres.
Adanson répondit qu'il ne pourrait se rendre à cette invita-
tion, parce qu'il n'avait pas de souliers; ce fut par là seule-
n:ent qu'on apprit sa détresse. Le ministre de l'intérieur lui
accorda une pension. Adanson est mort le 3 août 1806. Il a
fourni de savants mémoires à la collection de l'Académie.
Il a fait en outre, pour le supplément de V Encyclopédie de
Diderot des articles sur les plantes exotiques.
Cnvier a composé un Éloge historique d'Adanson, dont
M. Etex a fait la statue pour le Jardin des plantes. Bernard
de Jussieu lui a dédié un genre de la famille des malvacées
qui comprend le baobab(flrfa7J5onJff ).
ADDA, rivière d'Italie, qui prend sa source dans la
Yalteline, qu'elle arrose dans toute sa longueur. Elle traverse
ensuite le lac de Côme , parcourt le Milanais du nord au
sud, et va se perdre dans le Pô, au-dessus de Crémone.
Ses rives furent témoins de plusieurs batailles ou combats
célèbres. L'an 223 avant J.-C, une nombreuse armée de
Gaulois insubriens ravageait l'Italie , lorsque le consul Fla-
minius, à la tête des légions romaines sous ses ordres, vient
l'attaquer sur les bords de l'Adda, la disperse, lui tue huit
mille hommes , lui fait seize mille prisonniers , et s'empare
d'un immense butin. — Lorsqu'en 490 Théodoric et Odoacre
se disputaient la possession de l'Italie, leurs armées se ren-
contrèrent dans les plaines arrosées par l'Adda. Après un
combat opiniâtre et le plus affreux carnage, Odoacre,
vaincu par son compétiteur, prend la fuite et laisse an roi
des Goths la victoire et le titre de roi d'Italie. Pendant les
mémorables campagnes de Bonaparte en Italie, les rives de
l'Adda furent témoins, en 1795 et 1796, de plusieurs com-
bats pai-tiels entre nos troupes et l'ennemi. — Sous la domi-
nation française, l'Adda donna son nom à un département.
ADDïA;'gTO.\ ( Ke.xki ). Voyez SmMoura.'
ABDISOM ( JosEpn ), né le 1" mai 1672, à Milston,
dans le Wiltshire, où son père remplissait les fonctions du
ministère sacré, termina ses études à Oxford. Avant de
quitter l'université il composa des poésies latines remplies
de goût et d'élégance , qui commencèrent à le faire remar-
quer. Un poème latin sur la paix de Ryswick, dédié au roi
Guillaume, lui valut, grâce à Congrève, la protection de
lord Sommers et de lord Montagne, devenu depuis marquis
d'Halifax , ainsi qu'une pension de 300 livres sterling qui
lui donna le moyen de voyager. Après avoir passé un an à
Blois pour apprendre le français, il parcourut l'Italie, où il
écrivit ses plus élégantes productions , sa lettre à lord Ha-
lifax et quatre actes de sa tragédie de Cal on. Sur ces en-
trefaites le ministère vint à changer, et sa pension lui fut
retirée; il revint presque sans ressources à Londres, et pu-
blia son Voyage, dont l'histoire de la petite république de
Saint-Marin est le morceau le plus intéressant. Il fit pa-
raître à la même époque ses Dialogues sur les Médailles.
La bataille d'Hochstaelt (1704) excita alors la joie la plus
vive dans toute l'Angleterre. Lord Godolpbin, désirant qu'un
poète célébrât cet événement national , en chargea Addison ,
sur la recomm.andation de lord Halifax. Avant d'avoir
même terminé son poème , Addison reçut la place de com-
missaire des appels, dont Locke s'était démis.
En 1705 Addison accompagna lord Halifax en Hano-\Te ,
et fut l'année suivante nommé sous-secrétaire d'État. A
cette époque il dédia à la duchesse de Marlborougli son
opéra de Rosemonde , premier essai de drame musical en
anglais, fait à l'imitation des opéras itabens. Le comte de
Wharton ayant été nommé vice-roi d'Irlande, Addison l'y
accompagna en qualité de secrétaire, et réunit à cette
charge la sinécure d'archiviste du château de Cirnu'nghanQ.
Ce fut alors que sir Richard Sleele, l'un de ses amis d'en-
fance, fonda la feuille périodique intitulée thc Tatler (le
118
ADDISON — ADDITION
15;ibillarcl ). Il publia ensuite le Spcclator et le Guardian.
AcMison écrivit beaucoup dans ces (lifférents recueils, et en
a seul i-eliré la gloire. Le Spectateur surtout, publication
d'un genre tout nouveau , obtint un immense succès. Ad-
dison y présente le tableau des mœurs de son siècle , es-
«juissaiit les caractères, corrigeant les mœurs, (lagcUant les
ridicules et les vices à la mode, tanttit avec le langage sé-
vère de la raison , tantôt avec le ton piquant de l'ironie la
plus spirituelle et de la satire la plus vive, et prouvant,
par la manière adroite dont il maniait ces armes tran-
chantes, combien il y avait d'élévation dans son talent,
combien il y avait , sinon de profondeur, du moins de
sens, dans ses jugements sur les hommes et sur les choses.
On peut reconnaître les articles d'Addison dans le Spec-
tateur. Ils sont signés d'une des lettres du mot Clio.
En 1713, Addison fit jouer sa tragédie de Caton , qui
eut trente-cinq repré-sentations , et o!)tint à Londres et dans
les provinces un succès immense , dû moins au mérite in-
trinsèque de celte pièce , faible et essentiellement froide ,
dans laquelle Addison prouva qull était plus bel esprit que
poète, qu'aux allusions politiques qu'elle offrait : vvliigs et
tories l'applaudirent de concert. Deux ans après, il fit re-
présenter une comédie que l'on connaît moins , le Tambour;
en même temps il rédigeait des pamphlets et des journaux
politiques, tels que le Wlù'j Examiner, le Free Holcler
( Franc Tenancier ). Dévoué au ministère , il retourna pour
la seconde fois en Irlande comme secrétaire de lord Sun-
derland , nonnné vice-roi , et revint après la mort de la
reine Anne pour être nommé secrétaire de la régence avant
l'arrivée du roi Georges. Quelques années après, il fut
nommé ministre. Mais on s'apeiçut bientôt de son incapa-
cité pour un poste si élevé. 11 ne savait ni parler en public
ni défendre les mesures du gouvernement. Les différentes
mortifications qu'il essuya en cette qualité et l'affaiblisse-
ment graduel de sa santé le décidèrent à se démettre de cet
emploi. 11 reçut une pension de 1,500 livres sterling, et ré-
solut de consacrer le restant de sa vie imiquement à la cul-
ture des lettres. Une tragi'die sur la Mort de Sacrale, une
traduction en yersdesP.s«în««,une Dffensede lu religion
chrétienne Toccupèrent tour à tour sans qu'il eût le temps
de terminer aucun de ces ouvrages. 11 avait épousé la com-
tesse douairière deWarwick; mais celte alliance, qu'il avait
tant ambitionnée, ne le rendit pas heureux. 11 mourut en
1 7 19 , à Ilollandhouse , près de Kensiuglon , et sou corps fut
déposé à l'abbaye de Westminster.
Addison est considéré en Angleterre comme un poète
spirituel, élégant, harmonieux. On le compare souvent à
Pope et à DiTden. Sans souscrire à ce jugement, on ne peut
contester qu' Addison brille au premier rang parmi les pro-
sateurs. Le Spectateur et le Voyage en Italie sont peut-
être les ouvrages les plus remarquables de la littérature an-
glaise. Sa prose est sous tous les rapports classique, et mé-
rite d'être étudiée , à cause de sa pureté et de sa noble sim-
plicité. C'est lui qui contribua le plus à faire apprécier le
génie de Milton, que l'Angleterre avait longtemps méconnu.
— Homme religieux, grave et réservé, Addison était embar-
lassé dans le monde. Lord Chesterlicld a dit de lui qu'il n'a-
vait jamais rencontré d'homme plus modeste et plus gauche.
Cependant dans le cercle de l'intimité sa conversation était
facile et agréable.
Les œuvres d'Addison ont été publiées en 176t par Bas-
Kerville (Birmingham, in-V); eu lS15,avec des notes par
lÀichard Hurd (Londres, 0 vol. in-8°; Oxford, 1830, 4 vol.
in-S" ). Presque tous ses écrits ont été traduits en tranchais: le
lîabillard, par A. de Larhnpelie (17.34, ?. vol. in-l2); le
Spectateur, \y,\T J.-\i. .Moel(l7ôi,grosin-8°} ; te Guardian,
sou? le titre de Mcnlor moderne , par Van Kffen (I7'25,
3 vol. in-l2); le Free Holder, sous le titre de l'Anglais
jaloux de Sf. liberté (1727, 1 vol. in-t2). Le Caton a été
traduit successi veinent par Dubos, Guillcmard, Deschauqis
et Dampmartin. On a imprimé à Yverdun, en 1777, 3 voL :
l'Esprit d'Addison, ou les Beautés du Spectateur, dtc Ba-
billard et du Gardien. Samuel Johnson a écrit dans la vie
des poètes celle de J. Addison, que M. Boulard a traduite en
français, en 1805.
ADDITION (Mathématiques). Opération qui a pour
but de réunir plusieurs quantités en une seule. Le signe qui
représente cette opération est le signe -^-, qui \eut dire plus.
Ainsi , pour indiquer l'addition des nombres 6, 2, 9, 5, on
écrira C-|-2-|-9-|-5, et le produit de ces nombres ajoutés
les uns aux autres prend le nom de somme ou total. L'ad-
dition de deux ou plusieurs nombres d'un seul chiffre se
fait en reportant successivement sur lun de ces nombres les
unités dont se composent les autres : par exemple, s'il s'agit
d'additionner 7-|-9-{-3 , on épuise les neuf unités du second
nombre en les ajoutant une par une au premier, et on ajoute
ensuite lestrois unités que contient le dernier. De cette façon
on arrive à savoir que le nombre 19 renferme en lui seul
toutes les unités que contenaient séparément 7, 9 et 3. Cette
opération est si simple, que l'esprit acquiert bien vite l'ha-
bitude de la f;iire immédiatement. Mais quand il s'agit d'ad-
ditionner des nombres de plusieurs chiffres, la grandeur
des nombres proposés s'oppose à ce que l'on puisse trouver
le résultat sans hésitation ; on s'y prend alors de la manière
suivante : on écrit les nombres que l'on a à additionner les
uns au-dessous des autres, en ayant soin que leurs unités de
mêmeordrecorrespondentdans une même colonne verticale;
puis, s'appuyant sur ce principe que pour ajouter deux nom-
bres on peut additionner séparément les unités, dizaines,
centaines dont ils se composent, on commence par la co-
lonne des unités; on en fait la somme; si cette somme est
moindre que 10, on l'écrit au-dessous; si elle est égale ou
dépasse 10, on n'écrit au-dessous que l'excédant du nombre
des dizaines , et l'on retient ces dernières pour les ajouter
à la colonne des dizaines; on opère sur celle-ci de même
que sur celle des unités et ainsi de suite.
L'addition des fractions décimales n'entraîne aucune dif-
ficulté, puisque les fractions décimales peuvent être regar-
dées comme des unités d'un ordre inférieur, se comportant,
les dixièmes à l'égaid des unités absolument comme les uni-
tés à l'égard des dizaines, les centièmes à l'égard des dixiè-
mes comme les dizaines à l'égard des centaines , et ainsi
de suite : d'où il suit que tout se réduit à la position des
chiffres et du signe indicateur de l'unité, point ou virgule.
Dans ce cas, on commence par additionner l'unité de l'ordre
le plus faible, et on reporte d'une colonne à l'autre les cen-
tièmes, les dixièmes, les unités, de la même façon qu'on re-
porte ensuite les dizaines, les centaines, les mille, etc.
Nous parlerons de l'addition des fractions ordinaires à
l'article Fuaction".
Quant à l'addition des nombres complexes, il suffira d'en
dire un mot ici, ces fractions étant hors d'usage aujourd'hui.
On place exactement les unes au-dessous des autres les frac-
tions du môme ordre, par exemple les pouces sous les pouces,
les lignes sous les lignes, les onces sous, les onces, les gros
sous les gros, les secondes sous les secondes,des minutes sous
les minutes, etc. ; puis on additionne ensemble ces fractions
d'un même ordre, et l'on divise le total par le nombre d'u-
nités qu'il en faut pour constituer une unité supérieure; le
<]uolient est à reporter, le reste doit figurer au total général.
Ainsi , que l'addition des lignes donne 13, il y aura un pouce
à reporter aux pouces, et il resteia une ligne au total.
En algèbre, où la valeur des quantités est indéterminée,
l'addition se borne h écrire à la suite les unes des autres
toutes les quantités à ajouter, en leur conservant le signe qui
les précède et en plaçant le signe -j- devant celles qui n'en
ont pas, et à réduire ensuite les termes semblables s'il y
en a. On appelle termes sendjjables , en algèbre , les quantités
quisont les mêmes, exception laite de leurs signes et de leurs
coefficients, soit numériques, soit littéraux : -{-la^O-'cd^ et
ADDITION — ADÉLAÏDE
_ (.-î—H )(i''/,5j,f/j sont des termes seinhlaliles. Ainsi pour
ajonter les quantités 3flV>',— 5w'',— «'^',7o^/>%— G«V>',
9«c*^,onécriia+;ifl'/''— ^fft*"'— «V;^+:a'6'— Ofl'/H-|-;Vfc'';
puis on op^re la réduction en ajoutant ou retranchant les
coeflicients selon que le si^iie qui allecte ces termes est sem-
blable OH (lilïérent. Le résultat se trouve ainsi amené à lac*^
— ■,a^l>^-^:a^b\
V.n géométrie l'addition de deux lignes droites se tait en
jilaçant ces deux lignes bout à bout, de manière à ne fomicr
iju'une seule ligne droite.
L'addition est d'un usage continuel dans le calcul; il
nVst pas une question numérique dans la solution de la-
quelle l'addition n'intervienne; on la retrouve dans toutes
les autres opérations d'aritimiétique, qui à la rigueur pour-
raient être ramenées à de simples additions.
ADDUCTEUR (du latin adduccrc, conduire vers).
On donne ce nom aux muscles qui rapprochent une partie
ou un membre de l'axe du corps. 11 y a un adducteur de
Poeil; trois de la cuisse, un du pouce, du petit doigt et du
gros orteil. — L'adduction est le mouvement déterminé par
ces muscles; il est opposé à V abduction , qui est la fa-
culté d'éloigner. On a remarqué que les muscles addnclcurs
sont beaucoup plus puissants que les abducteurs. Ce sont
eux (jui contribuent à embrasser et retenir plus ou moins
fortement les corps dont les animaux ont besoin.
ADEL ou ADIL, mot arabe qui signifie juste, et qui a
été le surnom ou titre, souvent non mérité, de plusieurs
princes musulmans , tels que Malek-Adel ( le roi juste ) ,
Seif-Eddiu Abou-Bekr, sultan d'Egypte et de Syrie , mort
en 1210. — La i)lupart des rois de Visapour ont porté aussi
le titre {TAdcl-C/iah, depuis l'an 1491 jusqu'à la conquête
de ce royaume par les empereurs mogols, en 1670, et c'est
à l'un d'eux , et non pas à ;Malek-Adel , qu'Abou-Talek al-
Hocéiny a dédié sa traduction persane des Institutes de
Tamerlan, mort en 1405. — Adel-Chah est encore le titre
que prit Aiy-Kouli-Khan, lorsque l'assassinat de son oncle,
le fameux Nadir-Chah, en 1747, le mit en possession du
Irrtne de Perse, dont il fut renversé au bout d'un an, par
son propre frère Ibrahim , qui lui fit crever les yeux.
ADEL, vaste étendue de pays sur la côte orientale
d'Afiique, le long de la mer Rouge, depuis la frontière de
l'Abyssinie jusqu'au cap Guardahii. Ce pays, peu connu et
peu frécpienlé par les étrangers , est habité par des tribus
arabes qui subsistent de leurs troupeaux et qui font com-
merce de poudie d'or, d'ivoire, de miel , de cire, et d'autres
productions cpie fournit cette fertile contrée. Sa capitale,
Zéila, où réside un roi mahométan, et Barbora, port de
mer, sont les seules villes que l'on connaisse sur cette côte.
ADEL.IAR. Yoijez Sivertsen.
ADÉLAÏDE (Madame de France), fille aînée de
Louis XV et tante de Louis XVI , naquit à Versailles , le
5 mai 1732. Au milieu d'une cour coiTompue, elle sut con-
server une pureté de mœurs irréprochable et se concilier
tous les cœurs par ses vertus et son affabilité. Sous Louis XV
elle resta complètement étrangère à toutes les intrigues (|ui
s'agitaient sous ses yeux. Sous le règne de son neveu elle
ne crut pas davantage devoir se mêler d'affaires politiques.
Cependant, douée d'un jugement sain, d'un esprit droit,
qui ne la trompait jamais, elle ne put se laisser abuser par
les illusions de Calonne, et pour une fois elle fit céder sa
timidité naturelle au besoin de combattre les plans de ce
ministre, qui trompait le roi en se trompant lui-même, et
poussait la monarchie vers sa ruine. Ses sages conseils ne
furent point écoutés, et bientôt la révolution éclata. Effrayée
des troubles qui agitaient le royaume, elle obtint du roi la
permission de se rendre à Rome avec sa sœur, madame
Victoire, et toutes deux quittèrent Paris le 19 février 1791.
Elles furent arrêtées à Moret; mais, après quelques hésita-
tions, l'Assemblée nationale, qui commençait à devenir
toute-puissante, donna les ordres nécessaires pour qu'on
leur rendit la liberté. Arrivées h Rome, elles y reçurent
l'accueil le plus honorable, et pendant quelques amiées elles
purent goûter dans cette ville le bonheur d'être à l'abri de
la proscription qui frappait leur famille. i"Mais en 1799 Ka])-
proche des armées françaises les contraignit de quitter l'I-
talie. Elles se réfugièrent successivement dans le royaume
de Naples, dans l'ile de Corfou, et enfin à Tricste. Cette vie
errante, pleine de dangers et de fiitigues, ne pouvait qu'être
funeste à deux femmes accablées déjà par tant de chagrins,
^ladame Victoire succomba la première; madame Adélaïde
ne survécut que neuf mois à une sœur qu'elle avait toujours
tendrement chérie. Elle mourut dans les premiers mois de
l'année ISOO, à l'âge de soixante-sept ans.
ADÉLAÏDE (Madame), princesse d'Orléans. Elt.knk-
LouisE-ADÉLAÏnE, fille de Louis-Philippe-Joseph, duc d'Or-
léans, et de Louise-Marie-Adélaïde de Bourbon-Penthièvre,
naquit à Paris, le 23 août 1777. Comme son frère, elle fut
élevée par madame de Genlis. La révolution saisit, pour
ainsi dire, cette princesse au sortir de l'enfance; mais son
caractère énergique et résolu devait l'aider à suppoiter avec
courage les vicissitudes que la fortune lui réservait. Sortie
de France en 1791 pour se renilre en Angleterre, elle en
revint trop tard pour ne pas être portée sur les listes de
l'émigration. Son père l'envoya alors à Tournai, pour satis-
faire à la loi, auprès du duc de Chartres, son frère aîné, qui
commandait alors une des divisions de l'armée républi-
caine. Forcé de fuir par suite d'un décret d'anestation qui
venait d'être porté contre lui , le duc fit conduire sa sœur
aux avant-postes autrichiens , où ils se séparèrent. Made-
moiselle d'Orléans rejoignit son frère à Schaffhouse, où elle
se vit en butte à une tentative d'assassinat de la part de
certains émigrés. Elle se retira alors avec madame de Gen-
lis au couvent de Sainte-Claire, qu'elle quitta bientôt pour se
rendre à Fribourg, qu'habitait la princesse de Conti ; mais le
nom d'Orléans était alors l'objet de tant d'aversion dans
l'émigration que la princesse n'osa point recevoir sa nièce
chez elle ; elle la fit entrer dans un couvent, jusqu'au jour où
elles partirent ensemble pour la Bavière. Mademoiselle
d'Orléans resta huit ans avec sa tante , et se rendit en 1802
auprès de sa mère, qui habitait Figuières en Catalogne. Au
bombaidement de cette ville par les Français, la duchesse
et sa fille s'embarquèrent pour Malte , où elles comptaient
retrouver le duc d'Orléans. Mais le prince venait de partir
lorsqu'elles arrivèrent, et ce ne fut que l'année suivante, à
Portsmouth , qu'ils purent se rejoindre. Mademoiselle Adé-
laïde se fixa ensuite à Païenne, après le mariage de son frère
avec la fille du roi des Deux-Siciles. Depuis lors elle ne
quitta plus son frère ; elle vécut auprès de lui en Sicilejusqu'au
retour de Louis XVIII, époque où elle revint en France avee
toute sa famille. Pendant les Cent-jours elle le suivit égale-
ment à Twickenham, où il se tint tout à fait éloigné des af-
faires; enfin elle rentra en France en 1817.
Mademoiselle d'Orléans prit une part active aux événe-
ments qui préparèrent l'élévation du roi Louis-Philippe
au trône. Durantles dernières années du règne de Charles X,
ses opinions bien arrêtées sur les projets contre-révolution-
naires de la cour n'étaient un mystère pour personne. L'in-
fluence incontestable qu'elle ne cessa d'exercer sur l'esprit
de son frère a fait souvent mêler son nom à l'histoire de cette
époque. Le 29 juillet 1830 elle reçut h. Neuilly la visite de
M. Thiers , qui venait offrir le pouvoir au prince ; elle se
chargea de vaincre les répugnances du duc d'Orléans, et pro-
mit d'user de son crédit pour le décider à une prompte ac-
ceptation. Depuis ces événements aucun fait mémorable
ne marqua dans la vie de madame Adélaïde; mais la voix
publique lui attribuait une grande et salutaire influence
sur l'esprit du vieux roi, dont elle semblait seule pouvoir
tempérer l'obstination, et qui la consultait souvent. Tou-
jours est-il que, par une coïncidence étrange, à peine s'élait-
il écoulé deux mois depuis que la mort l'avait enlevée aux
120
conseils du roi, que l'opiiiiàtrcté de Loiiis-i'liilippe dans une
question de réfomie parleiiu-nlaire lui coûtait un trône, et le
renvoyait sur la tencd'exiljioury niouiir Lieniôt après. .Ma-
dame Adélaïde était morte le 31 décembre iS'iT, d'une liy-
pertropliie du coeur, laissant sa f^rande loi tune à ses neveux.
Le décret de janvier 1852 a dû respecter cette donation.
Suivant Jouy, « la nature avait doué cette princesse d'une
force d'àme, d'une éner;>ie de caractère à l'épreuve de l'une
et l'autre fortune, et d'une extrême modestie «lui la dérobait
à l'éclat de^ qualités brillantes dont elle était pourvue. » Z.
ADELAÏDE (LouiSE-TnÉnÈSE-CAROUNE-AMÉLiE), reine
d'Angleterre, fille de Georges-Frédéric-Charlcs, duc de .Saxe-
Meiningen, et de la princesse Louise-Éléonore d'Hohenlohe-
Langenburg, naquit le 13 août 1792. Elle perdit son père à
l'âge de onze ans, et resta avec son frère et sa sœur sous la tu-
tellede sa mère, femme remarquable par son esprit et sa bonté,
a qui le duc avait par son testament confié la régence pendant
la minorité de son fils. Elle éleva ses enfants avec la plus
grande simplicité, et veilla avec le plus grand soin à leur édu-
cation. La petite cour de Meiningen ne portait pas d'ombrage
à Napoléon, et la ducliesse régente put continuer, dans le
cercle de sa paisible existence, à se consacrer à l'adminis-
tration du pays et à l'éducation de ses enfants. Adélaïde
avait montré dès son enfance un caractère studieux et ré-
servé ; plus tard elle montra son éloignement pour le faste
et les frivolités du monde et une certaine aversion pour les
idées pbilosophiques et anti-religieuses. Bientôt elle donna
tout son temps à des œuvres de bienfaisance. Ses estima-
bles qualités attirèrent l'attention de la reine Cbarlotte,
femme de Georges 111, et lorsqu'il fut question de marier le
duc de Clarence, troisième fils du roi , elle proposa la prin-
cesse Adélaïde de Saxe-Meiningen comme digne de cette
alliance. Le duc de Clarence, entendant de toutes parts la
confirmation des éloges que sa mère lui faisait de la jeune
princesse, demanda sa main et l'obtint. Leur union fut cé-
lébrée à Ivevv, le 11 juillet 1818. Deux fausses couches affai-
blirent la princesse; enfin elle donna le jour à une fille, qui,
d'après le vœu du dernier roi, fut baptisée sous le nom d'E-
lisabeth, si cher aux Anglais , mais qui mounit subitement
trois mois après. La duchesse habitait ordinairement avec son
époux le délicieux séjour de Bushy-Park , près de Londres.
Le 26 juin 1830 elle devint reine d'Angleterre, et l'année
suivante elle fut couronnée avec le roi. Dans cette haute
position, elle s'attacha à léformer le personnel de la cour,
et elle y parvint en partie. Lors de l'agitation pour la ré-
forme parlementaire, l'opinion publique l'accusa de couvrir
de son influence les résistances au vœu populaire. Sa con-
duite privée fut toujours du moins exempte de tout repro-
che. Après un règne de sept ans elle rentra dans sa retraite
de Bushy-Park , qu'elle n'avait quittée qu'à regret : Guil-
laume IV était mort. Le parlement avait voté des 1831 un
douaire de cent mille li^Tes sterling à sa veuve. La santé de
la reine Adélaïde ne tarda pas à décliner visiblement. Elle
fit un voyage à Malte, et dota magnifiquement l'église de La
Vaielte. Ssa vie se passa depuis dans la retraite. Elle est
morte le 2 di;cembre 1849.
ADÉLAÏDE. Votiez Australie.
ADELIE, terre inabordable , découverte dans la mer
Australe, prèsdu pôle antarctique, par Du mont d'Urvi lie,
en I8i0 , vers 66" de latitude méridionale et 138° de longi-
tude orientale, et sur laquelle cet amiral plaçait le pôle
magnéticpie. Il la nomma ainsi du prénom de madame
Dumont d'Urville.
ADELOiV (NicoLAS-PniLiBERT), professeur à la Faculté
de Médecine de Paris, membre de la Légion d'honneur, est
né à Dijon, le 20 août 17S2. Il avait déjà publié une Analyse
d'un cours du docteur GaU,ou Anatomie physiologique
du cerveau d'après son système (1 vol. in-8°, sans nom
d'auteur), îors<iu'il fut reçu docteur en médecine, en 1809,
après avoir soutenu une thèse sur les/onctions de te peau.
ADÉLAÏDE — ADELUPjCt
Ensuite M. Adelon développa , dans un cours de physio-
logie, la doctrine de Chaussicr, dont il était l'élève et l'ami ,
et avec le(ii:el il coopéra à la liiograpî'ne universelle ,
au Dictionnaire des Sciences médicales et au grand Dic-
lio)tnaire de Médecinede Panckoucke. En 1823 xM. Adelon
donna, sous le titre de Physiologie de l'Homme, un grand
ouvrage, dont la seconde édition a paru en 1829, et dans le-
quel il a réuni tout ce qu'on possède sur cette branche in-
téressante de l'art de guérir. La môme année, la Faculté de
Médecine ayant été constituée sur de nouvelles bases, M. Ade-
lon y fut admis comme agrégé ; la mort de Royer-CoUaid, en
1826, lui fit avoir la chaire de médecine légale. Ces fonc-
tions s'écartaient de la ligne ordinaire de ses travaux ; mais,
homme instniit et laborieux , M. Adelon n'eut pas de peine
à se mettre au niveau de sa position. Dès la création de l'A-
cadémie de Médecine , il y fut appelé comme membre titu-
laire par les suffrages de ses confrères. 11 fit aussi partie du
conseil de salubrité. M. Adelon a concouru avec Chaussier à
une édition latine de Morgagni , De Sedibus et Cnusis, etc.
Il est un des fondateurs des Annales d'Hygiène publique
et de Médecine légale. Savant estimable, M. Adelon est peu
connu comme praticien ; mais il doit être placé au nombre
des bons professeurs, et on peut dire qu'il a toujours ex-
(luse avec fidélité l'etalde la science. En 1858 , il a (ait im-
primer un Programme du cours de médecine légale de la
faculté de médecine de Pans, dressé en 1856.
ADELUIVG (Jean-Christophe). Ce savant philologue
naquit le 8 août 1732, à Spantekof, en Poméranie, où son
père était prédicateur. 11 commença ses études à Anclam et
à Closterberg, près de Magdebourg , et les termina à Halle.
En 1759 il fut nommé pasteur au gymnase évangélique
d'Erfurt', qu'il quitta deux ans après , à la suite de quelques
controverses ecclésiastiques , pour aller à Leipzig ; c'est là
qu'il se livra aux plus vastes travaux avec une ardeur
infatigable, et qu'il mérita si bien de la langue et de la litté-
ture allemande , surtout par la publication de son Diction-
naire grammatical et critique du haut allemand (Leip-
zig, 1774-1780). En 1787 il obtint de l'électeur de Saxe la
place de premier conservateur de la bibliothèque publique
de Dresde , avec le titre de conseiller. Il remplit cet emploi
jusqu'à sa mort, qui eut lieu le 10 septembre 1806.
Adelung, seul, a fait pour la langue allemande ce que des
académies entières ont fait pour d'autres. Son Dictionnaire
grammatical et critique l'emporte sur le Dictionnaire an-
glais de Johnson, pour tout ce qui a rapport à la détermina-
tion des idées comprises dans les mots et à l'étymologie de
ces derniers ; mais il est au-dessous de l'auteur anglais pour le
choix des écrivains classiques cités comme exemples, parce
que sa partiaUté envers les écrivains de la haute Saxe et de
la Misnie le rendait injuste et lui faisait négliger ceux dont
la patrie ou le style ne lui plaisait pas. L'esprit méthodique
d'Adelung reculait devant le déluge de mots nouveaux dont
il voyait la langue allemande menacée indéfiniment , et
alors il méconnaissait l'admirable privilège de flexibilité et
de richesse que cette langue seule partage avec le grec.
Dans la seconde édition il a fait à son travail primitif du
nombreuses additions, précieuses sans doute en elles-mêmes,
mais qui ne sont pas à la hauteur du progrès fait depuis lors
par la langue, et qui ne prouvent que trop qu'une infatigable
activité est impuissante à détruire les vices inhérents au
plan même d'un ouvrage. Kous citerons encore de lui :
Glossarium medix et infimas Latinitatis (6 vol.. Halle,
1772-1784); Grammaire Allemande (Berlin, 1781 ); De l'Or-
thographe ( Leipzig, 1788 ; 5' édit., 1825 ) ; Du Style nlle-
mand ( 3 vol., 1785 ; 4* édit., 2 vol., 1800) ; Magasin de la
Langue allemande (2 vol., 1782 ); Catalogue critique des
Cartes geogj aphiques de la Saxe ( ^leissen , 1796 ) ; le Di-
reclorium (Meissen, 1802-1804), guide important pour
la connaissance des antiquités de la Saxe méridionale;
Histoire ancienne des Allemands (Leipzig, lâ0G),el Mi-
ADELUNG
thridafe (tome F', Hpilin, ISOG), ouvrage dans lequel
il se proposait de déposer le résultat de ses dirféientes
investiiL;ations philoloiiiques. La mort IVnipiVlia de le ter-
miner; mais la publiration en fut eonlinuée par Vater, à
Halle. Sa roileclion de eartes séograpliiques et ses nom-
breux documents manuscrits relatifs à l'histoire de Saxe
furent acquis en ISIO pour la bibliothèque royale de Suède.
ADELUXG (FRÉDÉRrc d'), savant philologue et ar-
chéologue , conseiller d'Ktat au service de Russie et prési-
dent de l'Académie asiatique de Saint-Pétersbourg, neveu du
préctHlent , naquit en ITfiS, à Stettin, où il fit de bonnes
éludes. 11 entra jeune encore comme gouverneur dans une
maison particulière. Un voyage qu'il lit à Rome lui fournit
l'occasion d'examiner dans la bibliothèque du Vatican les
manuscrits de vieux poèmes allemands qui avaient fait
partie de la célèbre bibliothèque Palatine à Heidelberg. 11
publia à Kœnigsberg, en 1796 et 1799, d'intéressantes notices
sur ces vieux poèmes. Devenu secrétaire particulier du
comte de Palilen , Adelnng le suivit de Riga à Saint-Péters-
bourg , où il fui attaché pendant quelque temps à la direc-
tion du théâtre allemand. En 1803 il fut chargé par Marie
Veodorowna de donner des leçons à ses deux plus jeunes tds,
les grands-<lucs Nicolas et Michel , et il fut anobli en qua-
lité d'assesseur de collège. Le zèle et l'intelligence qu'il dé-
ploya dans ces fonctions le placèrent très-haut dans la con-
fiance de l'impératrice et de ses eiève-^, dont i un a oc-
cape depuis le trône de Russie. Adelimg obtint encore une,
loule de distinctions, et en 1825 il fut appelé à la prési»
"lence de l'Académie Asiatique. Les collections du bibliothé-
caire Backmeister lui furent d'un grand secours pour ses
recherches sur la philologie. Parmi les ouvrages qu'on a de
lui, nous citerons : Rapports entre la langue sanscrite
et la lanrjue russe (Saint-Pétersbourg, 1815); la biogra-
phie du baron Sigismond d'Herberstein (1817) ; le qua-
trième voliune ajouté comme supplément au Mithridate,
commencé par son oncle, et achevé par Vater (Berlin, 1817);
la description des remarquables portes en métal de l'église
de Sainte-Sophie à IS'owogorod , qu'on dit avoir été fondues
au onzième siècle à INIagdebourg. Cet ouvrage fut composé
à la demande du protecteur de l'auteur, le comte Romant-
zof, chancelier de l'empire, qui fit les frais des dessins
magnifiques dont il est orné (Berlin, 1823). On a encore
d'Adelung : Voyage du baron de Meyerberg (1661) en
Jîussie ( Pétersbourg, 1817), et un Essai sur la Littérature
et la Langiie ScHscri^e ( Pétersbourg, 1830), compilation
laborieuse , mais dénuée de critique, qui a paru en seconde
édition (1837) sous le litre de Bibiiotheca Sanscrita.
Fréd. d'Adelung est mort le 2 février 1843.
ADEIV, État de la côte sud-ouest de la presqu'île d'A-
rabie , placé autrefois sous la souveraineté de Timan d'Yé-
men. — Lavilledu même noiii, Aden, située par 12° 43' de
latitude septentrionale et 62° 52 de longitude orientale ,
à environ 30 myriamètres du détroit de Bab-el-Mandeb ,
sur le versant occidental du promontoire d'Aden, montagne
escarpée et hérissée de rochers , possède un port excellent
et protégé , en raison même de sa situation , contre les
moussons de l'est, et le plus sûr qu'on rencontre dans ces
parages sur une grande étendue de côtes. Au seizième siècle
le commerce de l'Jnde et de l'Abyssinie fit parvenir cette
Tille à un haut degré de prospérité. En l'année 1513 Alhi;-
<iuerque y vint mettre inutilement le siège. En 1537
cette ville fut i)rise par les troupes du sultan Soliman 1";
mais elle ne demeura pas longtemps sous la domination
othomane. Soumise depuis longtemps il' iman d'Yémen, elle
renvoya son gouverneur vers 1730, se choisit un chéik et se
maintint depuis dans son indépendance. Une fois d'ailleurs
que le conuiierce se fut ',ial)itué à |)rendre la roule du cap
de Bonne- tspérnnce, Aden tomba dans une décadence telle,
((u'il y a peu d'aunées on n'y comptait jias plus de huit cents
habitants, parmi lcs(iiicls-^ctioii\c nm; sjeilli; conuminc juive
DICT. DE LA CONVEKSATIO.N, — T. I.
— ADER 121
de deux cent cinquante à trois cents individus. Aujourd'hui la
poiudation s'occupe pre'=qiie exclusivement du commerce de
'la gomme et du café. Le souverain de cet état, sultan des
Abdallis, réside ordinairement à Labadsch, à environ cinq
myriamètres au nord-est d'Aden. En 1837 la compagnie an-
glaise <les Indes orientales entra en négociations avec lui,
d'abord à l'effet de réclamer une indemnité iiour le pillage
d'un bâtiment anglais échoué sur ses côtes, et ensuite pour
obtenir la cession d'Aden à l'Angleterre. Les négociations
échouèrent ; la compagnie (it bloquer le port ; et le 1 1 janvier
1839 la ville fut pri.se d'assaut par les forces britanniques.
La possession d'Aden n'est pas moins importante pour l'An-
gleterre sous le rapport polili(pie que .'»ous le rapport com-
mercial. Celte place en effet est entre ses mains comme un
autre Gibraltar, situé entre l'Afrique et l'Asie. Dès 1845 1a
populatiqn s'élevait à 25,000 âmes. Elle doit être aujourd'hui
de plus de 30,000. L'Angleterre a relevé et augmenté les
fortifications (J'Aden, déblayé ses immenses citernes et fait de
son port une espèce de port franc, avec un entrepôt de
charbon pour les steamers de l'Inde. *
ADENES ou ADA1\S, poète français du treizième
siècle, naquit en Bral)ant, vers l'an 1240, et fut élevé à la
cour du duc de Brabant Henri III, qui était grand amateur
de poésie et poète lui-même. Il lui témoigne ainsi sa rccon-
:iai.ssance .•
Meneslrés au bon duc Henri
Fui, cil ra'aleva et oorri.
Et me fist mon tnestier aprcndre.
Après la mort de son protecteur , Adenès suivit à la cour
de Philippe le Hardi la princesse Marie, sa fille, devenue
reine de France. Il reste de lui plusieurs poèmes : Guil-
laume d'Orange au coîirt nez, Ogier le Danois, Bcrte aus
grans piés,Buevon de Cormarchis et Cléomadès. Berte aus
grans pies a été publié en 1832 par IM. Paulin Paris. La
fable sur laquelle Adenès a composé son poème n'offre que
peu de rapports avec l'histoire de la femme de Pépin le
Bref. C'est plutôt une allégorie aux événements contempo-
rains et à la vie de sa protectrice , la reine IMarie.
ADENITE ( du grec ào-ov , glande ). C'est en pathologie
l'inflammation d'une glande.
ADÉIXOLOGIE (du grec àSov, glande; Xôyoç , dis-
cours). C'est la partie de l'anatomie qui traite des glandes.
ADEPHAGIE (du grecàôvîv, abondamment; ipâyw,
je mange). Voyez Boulimie.
ADEPTE (en latin adeptiis , participe d'adipiscor,
j'obtiens ; littéralement, qui a obtenu ). Les alchimistes appe-
laient ainsi ceux d'entre eux qu'ils supposaient sur la voie
de la découverte de la pierre philosophale , ou, comme ils
disaient dans leur langage , de parvenir au grand œuvre.
— On emploie encore aujourd'hui cette expression pour
désigner ceux qui se sont fait initier aux mystères d'une
secte religieuse , philosophique ou politique. On l'applique
également aux hommes versés dans une science ou un art
quelconque.
ADEQUAT (du latin adxquatus, égal à) , terme de
philosophie scolastique , synonyme de entier, total. — On
entend par idée adéquate celle qui renferme tous les ca-
ractères essentiels de son objet , qui convient ii tout le défini
et rien qu'au défini, toti et soii definito. Les mathématiques,
par exemple, sont ia .seule science dans laquelle il puisse
y avoir des notions adéquates. On dit encore d'une défini-
tion ou explication d'idée générale, lorsqu'elle exprime
exactement le contenu essentiel et les limites de cette idée ,
qu'elle est adéquate.
ADER (Gcili.aume), célèbre médecin, né à Gimont
(Gers), vers 1550, fut l'im lieces poètes qui ont continué
(iepuis les temps des troubadours, dans le midi de la France,
la culture de ia langue romane. Il a publié une//e'înade,en
vers gascons (Toiose, 16 10, in-S''). Ce n'est point, comme
l'ont dit (pielques bihiiograplies, un [loeuic burlesque et ma-
lU
ir2
caroni(|iic ; c'cr.t un ouvrage séfîcux , dans leciuel on trouve
(les nn)rc«Mux tr('s-remar([uables. On a encore de ce mé-
decin poi'te un ouvrage très-curieux et très-reclierché , dans
lequel il cherche à montrer (lue les maladies que guérissait
Jésus-Christ étaient des infirmités incurables, où l'art de la
médecine ne pouvait absolument rien. On lui doit en outre
un traité sur la peste : De Peslis Corjnit'ione, prœvisione et
remediis (Tolosœ, 1G2S, in-8°). Ader exerça pendant
longtemps la médecine à Toulouse, où il moin ut fort âgé.
ADERBÏDJAIV ou ADZKP.HAIDJAN (pays de feu),
ainsi nommé à cause des éruptions volcaniques de ses mon-
tagnes, fait partie de Fancienne Médie. C'est une des prin-
cipales pro\inces de Perse, dans sa partie nord-ouest. Elle
est située entre l'Arménie, le Kounlistan et l'Irak, et s'étend
depuis le 3G° jusqu'au 39° de latitude septentrionale. Elle
contient près de quatre mille lieues carrées et quinze cent
mille habitants, Persans, Arméniens, Turcs, Kourdes ou
Juifs. Couverte de hautes montagnes et entrecoupée de
vallées fertiles et bien cultivées, elle est arrosée au nord par
l'Aras, qui la sépare de l'Arménie russe, et à l'est par le Séli-
Jîoud, ou Kizil-Ouzéin des Kourdes. Elle a en outre deux
cent soixante-dix lieues carrées couvertes par le lac d'Our-
miah ou Chahi , le plus grand de la Perse, dont les eaux,
presque aussi salées que la mer, ne nourrissent aucun pois-
non. Hiclie en mines d'argent, de cuivre et de fer, l'Ader-
?iidjan ne peut tirer parti que des dernières, à cause delà
pénurie du bois, d'autant plus fâcheuse que son climat, quoi-
que très-sain , est très-froid pendant plus de la moitié de
Tannée. On s'y chauffe avec la bouse de vache et de chameau.
Cette province a pour capitale Tauriz ou Tebriz, la deuxième
cité de Perse, et ses autres principales villes sont Ardebyl ,
Maragha, Khoï et Ourmiah. Elle a vu naître Zoroastre ou
Zerdoucht , le fondateur du culte du feu. C'est aussi dans
cette province que Kaioumarath fonda la plus ancienne dy-
nastie de la Fei-se. Soumis successivement aux divers souve-
rains des autres dya.xstie3, puis au joug de l'islamisme, à
l'empire des califes et à la domination des Turcs seidjoukidcs,
i'Aderbidjan forma un État indépendimt sous les Atabeks,
de 1!36 à 1225; alors il fut conquis par les Mongols Jiengis-
khanides , et soumis ensuite aux Mongols ilkhanides en 1336.
lU'uni à l'empire de Tamerlan , il en fut détaché après sa
mort, et appartint aux deux dynasties turcomanes du Mou-
ton-Noir et du AIouton-Blanc ( voyez Ac-Coi\lu ) , jusqu'à
ce qu'il fut incorporé, au commencement du seizième siècle
dans la monarchie des Sofys, puis dans celle des Afchars,
des Zends , enfin dans celle des Kadjars , dynastie régnante
en Perse , et dont un prince gouverne toujours cette pro-
vince. H. Al'diffret.
ADERSIJACII, village de Bohême, cercle de Kœnig-
graeîz, dans une vallée, au pied de la montagne des Géants,
h deux milles et demi de Landshut et à deux milles envi-
ron à l'est de Schatziar, célèbre par des groupes de rochers
d'une disposition singulière. Ces rochers commencent près
du village , et s'étendent, avec quelque interruption, il est
vrai, jusque dans le comté de Glatz. Us s'élèvent debout les
mis à côté des autres , séparés par des abîmes plus ou
inoins profonds, et présentent à l'œil l'aspect d'une gigan-
tesque foret de pierres. La plupart ont cent ])ieds et plus
de haut; leur forme est variée. Les uns ressemblent à des
pil'ers et à des tours, les autres à des murs entièrement
|)lats et taillés perpendiculairement ; d'autres se recourbent
en lignes brisées, portant leur sommet en saillie, comme
.s'ils étaient près de s'écrouler. On remarque particulièie-
inenl celui que l'on appelle le Pain de Sucre, qui .se trouve
en dehors de la forêt de pierres proprement dite, haut de
cinquante pieds, plus large à sa partie supérieure, s'élendant
en pointe à sa partie inlerieure. Il est, à .sa pointe, entoure
d'une mare d'eau, de sorte (jne cette masse semble manquer
nh«olu:r.ent de point d'ap|iiii. Une porte ferme la forêt de
rocliers elle-même. Une tluile d'eau, et, plus avant encore
ADER — ADHÉSION
dans l'intérieur, les ruines d'un cliâteau qni servait de re-
paire aux brigands durant les guerres civiles de Bohême,
sont le rendez-vous ordinaire des curieux.
ADESSÉAWIRES, hérétiques du seizième siècle. Us
admettaient la présence réelle de Jésus-Christ dans l'en-
chaiistie, mais ils l'entemlaient autrement que l'Église; ils
étaient même divisés en quatre sectes : les premiers pré-
tendaient que le corps était dans le pain; les seconds, au-
tour du pain ; les troisièmes, sous le pain ; les quatrièmes,
sur le pain.
ADiîÉilAR DE MOMTEIL (Aimar), évêque du
Puy en Yelay, suivit d'abord la carrière militaire et fut
.sacré évêque le 3 mai lOfil. Au concile de Clermont, tenu par
Urbain II en 1095, il demanda le premier la croix et suivit
Raymond, comledeToulouse, en Terre Sainte, cuinme légat
du pape. Il y rendit de grands services; se distingua dans
phisieurs combats contre les Sarrasins, qu'il força à aban-
donner le siège d'Antioche. Il mourut peu de temps après,
de la peste, le l*"' août 1098. 11 prétendait avoir retrouvé la
lance avec laquelle on avait percé le côté de Jésus-Christ.
Le Tasse, dans sa Jérusalem délivrée, le fait périr, par ana-
chronisme, à Jérusalem d'un coup de flèche lancée par Clo-
rinde. Z.
ADHERBzVL, fils aîné de Micipsa, roi de Numidie,
après le meurtre de .son frère Iliempsal , as.sassiné par
Jugurlha, implora le secours des Romains. Mais les sé-
nateurs, corrompus par l'or de Jugurtha, rendirent un dé-
cret qui partageait entre les deux princes les États de
Micipsa. Jugurlha, sûr de l'impunité, envahit bienlôt les pro-
vinces échues à Adherbal. Ce prince, défait dans deux ren-
contres, se livra à son ennemi, et périt dans lês tourments,
l'an 1 12 avant J.-C.
ADÎIÉREXCE (du latin adhœrcntia, fait de ad, à,
hxrere, être attaché), union intime de deux corps par leurs
faces. La physique nous apprend que les molécules de même
nature sont plus ou moins étroitement unies entre elles eu
vertu de deux forces dites de cohésion et (ï agréga-
tion, et que les molécuîes fluides, gazeuses ou liquides, qui
restent appliquées aux surfaces des corps solides , y sont
maintenues dans un contact immédiat ; ce qui constitue le
phénomène de l' a d h é s i o n .
En physiologie et en pathologie on entend par adhérence
l'union des surfaces correspondantes d'organes limités par
des membranes qui préliminairement permettaient leur con-
tiguïté et leur glissement. Les membranes .séreuses et syno-
viales présentent fréquemment cette adhérence, qui n'a lieu
que sur quelques points, ou qui s'effectue dans foute réten-
due de leur périphérie. C'est par des adhérences que se pro-
duisent les rétrécissements et les oblitérations normales ou
anormales de certains organes qui ont des formes canalicu-
laires. Ces sortes d'adhérences sont complètes dans les
vaisseaux sanguins qui se convertissent en ligaments, in-
complètes et sous ferme de brides plus ou moins fortes
lorsqu'elles ont lieu aux surfaces préliminairement dénudées
des membranes muqueuses et de la peau.
ADHÉSION (en latin adhœsio; action d'adhérer),
union , jonction ; en droit et en morale , consentement.
On entend par adhésion en physique une simple adhé-
rence des corps les uns aux autres , tant des corps solides
que des corps liquides ou gazeux •,\a. coliésion est la force
qui tient unies les molécules constituantes d'un même corps.
Pour les corps solides l'adhésion s'exerce en raison directe
de l'étendue et du poU des surfaces en contact. La force
d'adhésion entre deux surfaces iiuelconquespeut se mesurer
au moyen du poids nécessaire pour séparer les corps ea
contact. L'adhésion s'exerce de même entie les solides et
les liquides. Il y a cc]iendant dans ce cas des exceptions :
ainsi le mercure ne s'attache pas au verre et s'attache très-
bien à l'or, il l'argent et au |)lonib. I/eau acihère à la plupaiî
des corps, à condition (pie ieur -uilacc n'ait pas été rcccii-
ADÎIÉSIOIN — ADIVE
1*23
vci lo (Vnne iiraisse on d'un vernis. L';uli\t''-.ion de Toan aux
coqis sur losiim-ls elle passe rend compte de son moiive-
nuMit dans les lits des rivières, et en génc^ral sur les jdans
iiiclintvs, cr.r b vitesse de Teau courante est toujours moindre
qu'elle ne devrait IVtre d'après les lois de la chute des corps.
L'ascension des litpiides dans les tubes capillaires ou entre
des plaques très-rapproclièes est causée, en partie du moins,
par l'adhésion {voyez C.\pillarité). L'adhésion st^ manifeste
également entre les fluides élastiques. Quelq\ies physiciens
regardent l'adhésion comme le premier degré de l'affinité
chimique. — Cest sur cette propriété que sont fondées
plusieurs opérations importantes et usuelles dans les arts :
telles sont les diverses espèces de collage, de soudure,
rétamage des glaces, la dorure sur bois et sur métaux, et
même la fabrication des pierres artificielles.
AD nOC, mots latins dont la signiiîcation littérale est
pour cela, et qui servent dans notre langue à exprimer un
rapport exprès et spécial. C'est une réponse ad hoc. On
envoya un homme ad hoc.
AD II03IIXEM, locution latine, admise depuis long-
temps dans le langage, et qui caractérise très-bien l'argu-
ment/JcrsoHJie^, l'un des plus puissants que puisse em-
ployer l'éloquence lorsqu'il s'appuie sur la vérité. L'argument
ad homitiem est une espèce d'enthymème au moyen duquel
l'orateur se sert des propres armes de son adversaire pour
le vaincre , de ses propres idées ou de ses propres paroles
pour le confondre. Ainsi , Ligarius étant f.ccusé par Tubéron
de s'être battu contre César en Afrique, Cicéron, qui plaida
sa cause, se servit contre l'accusateur d'un terrible argument
ad hominem. Voici la traduction de ce passage sans répli-
que : « Mais, je le demande, qui donc a fait un crime à
Ligarius d'avoir été en Afrique? Cest un homme qui lui-
même a voulu être en Afrique, qui se plaint que Ligarius
l'en a empêché, qui, enfin, a combattu contre Céfar lui-
même. En effet, Tubéron, que faisiez-vous , le fer à la main,
dans les champs de Pharsale? Quel sang vouliez-vous ré-
pandre? Dans quel flanc vos armes voulaient-elles se plon-
ger? Contre qui s'empoilait l'ardeur de votre courage? Vos
mains, vos yeux, quel ennemi poursuivaient-ils? Que dési-
riez-vous? Que souhaitiez-vous? » Plutarque rapporte qu'à
ces mots César laissa tomber en frémissant les papiers qu'il
tenait à la main, et qui renfermaient l'acte de condamna-
tion : l'éloquence avait triomphé, grâce à l'heureux emploi
de l'argument ad hominem. Ciiaiipag.\ac.
AD HOXORES, expression latine qui a été transpor-
tée dans la langue française, oii elle signifie gratuitement,
pour l'honneur seul. Être amant ou époux ad honores, par
exemple , signifie en avoir le titre sans les prérogatives. Un
litre sans fonctions et sans émoluments est une place ad
honores.
ADI ABEXE , riche province d'Assyrie, à l'est du Tigre,
qui se rendit indépendante à la fin du règne des Séleucides,
et forma un royaume jusqu'à l'époque où elle fut conquise
par les Romains, sous Trajan. Actuellement elle fait partie
du Kourdistan. Arbèles était sa capitale.
ADIAXTE {Botanique). Voyez Capillaire.
ADIAPIIORISTES (du grec a privatif, et c-.âî;opo;,
différent : indifférent). On désignait ainsi au seizième siècle
les luthériens qui , tout en approuvant les doctrines de Lu-
tlier, continuaient néanmoins à reconnaître l'autorité de l'É-
glise catholique. — En théologie on appelle adiaphora
des usages ou foiines du culte qui, n'étant ni ordonnés ni
défendus par l'Écriture, peuvent être conservés ou rejetés
.sans inconvénient pour la pureté de la foi, et sans danger
pour la tranquillité de la conscience. Les tiiéologiens alle-
mands se servent particulièrement de ce mot pour désigner
celles des cérémonies du culte catiioli(pie que les réforma-
teurs avaient d'abord conservées. Flacius, théologien d'iéna,
s'éleva le premier contre celle tolérance, et attaqua avec
acrimonie, à ce sujet, Mcianchliiou, de qui elle émanait, et
(lui, dans la longue et vive discussion qui s'ensuivit , reçut
le premier l'épithète iVadiaphorisle , regarde^ à cflle
époque conmie très-injurieuse.
ADI-BOUDDII A. La secte des bouddhistes Ais'Varika
donne ce nom, qui signilie en sanscrit le premier Jlovdd//n
ou le premier sage, au dieu primitif, à l'être primilil,
préexistant, appelé aussi pour cette raison Svayambliou, ce
qui signifie existant par soi-même. .Adi-Bouddha, principe
essentiel de toutes choses , puissance suprême, qui domine
tout ce système tltéologique, séjourne dans ÏAgmcItta bouh-
vana, ou région du feu, la plus élevée de toutes celles dont
l'ensemble compose l'univers. Ayant éprouvé le désir do
rompre l'unité dont il embrassait l'immensité, ce désir, appelé
Fradjna, ou manifestation de sa toute-puissante intelligence,
devint la cause de l'existence de toutes choses, et commença
par former cinq autres Bouddhas , ou dieux très-puissants,
quoique subordonnés à Adi-Bouddha. Ce furent Vairot-
chann, Ahchobhja, Ratnasambhava, Amitabha etAmogha
Sidd/ia, lesquels, à leur tour, produisirent chacun, par une
sorte de force intuitive ou de méditation céleste {Dhyân ) ,
un dieu subalterne , un fils spirituel , ou Bodhisafva. Le
Bodhisatva d'.\mitabha fut Padma panni, de qui émanèrent
les trois puissances de la nature, Brahma, Vichnou et Siva,
ADIGE , VAthesis des anciens, fleuve d'Italie, sort des
Alpes helvétiques , traverse le Tyrol sous le nom à'L'tsch et
leroyaime Lombard-Vénitien, arrose Glurns, Méran, Trente,
F.overedo, Rivoli, Vérone, Legnano; reçoit l'Eisach, l'Avisio,
l'Alpore et le Hose, et se jette dans l'Adriatique à Porto-
Fossone, au nord des bouches du Pô. Sans être un affluent
du Pô , il est uni à ce fleuve par diverses branches. Son
cours est de trois cent quarante-deux kilomètres ; il est na-
vigable depuis l'embouchure de l'Eisach, et pour les gros ba-
teaux depuis Vérone. Ce fleuve éprouve à la fonte des
neiges des crues extraordinaires, contre lesquelles on a été
obligé de se mettre à l'abri par de fortes digues. L'Adige a
été passé trois fois par les armées françaises : la première
par Bonaparte {voyez Caltuero et Arcole) ; la seconde par
le maréchal Brune, le 1" janvier 1801 {voyez Véroxe); la
troisième par Masséna en 1805 ( voyez Caldiero ).
ADIPEUX (en latin adiposxis, d'adeps, graisse), qui
est de la nature delà graisse, qui en contient. Le tissu
adipeux est une variété du tissu cellulaire, avec lequel on
l'a généralement confondu, et dont les lamelles contiennent
la graisse. Les vésicules adipeuses sont celles qui renfer-
ment la graisse ; elles tiennent au tissu laniineux par un
pédicule vasculaire , et varient beaucoup pour le volume.
La membrane adipeuse est le tissu cellulaire sous-cutané.
Enfin, on a donné improprement le nom de ligament adi-
peux à un repli de la membrane synoviale de l'articulation
du genou. — Dans Ticlithyologie on nomme nageoires adi-
peuses des nageoires qui sont remplies de graisse , dépour-
vues des rayons osseux inférieurs, et placées au voisinage de
la queue chez certains poissons, comme les silures, les
saumons , qui pour ce fait sont ainsi appelés adipeux.
ADIPEUX (Tempérament ). Voyez TEiiPÉr.vMENT.
ADlPOCIilE (du latin adeps, graisse, coiiil)iné avec
le mot français cire). Fourcroy avait donné ce nom à trois
substances que l'analyse» trouvées être bien distinctes, mais
qu'il regardait comme identiques, à savoir : le blanc de
baleine on cétine ,\e. gr as des cadavres on des ci'
metières, et la choies térine.
ADITIOX D'HÉRÉDiTÉ. Voyez Hérédité.
ADIVE {canis aureus). Quadrupède un peu plus pe-
tit que le renard , mieux fait et beaucoup plus leste. Sui-
vant nos chroniqueurs , les dames de la cour de Charles IX
avaient des adives au lieu de petits chiens. Celte fantaisie
n'a rien d'étonnant , dit le savant professeur N'irey , l'adive
étant l'un des plus jolis , des plus vifs et des plus propres
entre les quadrupèdes; mais cette mode de cour n'a pas
duié , parce que ce petit animal est en même temps l'un des
IG,
121
ADIVE — ADJUDICATIO.N
l»liis fourbes, des plus adroits et des plus fripons, et que
ses talents naturels pour épier, surprendre et saisir une
proie, en font un hùtc qui appelle sajis cesse la défiance.
ADJACEXT ( du latin ad , auprès ; ^ocere , être cou-
ché , situé ). En géométrie , on appelle angle adjacent
l'angle immédiatement contigu à un autre angle, de sorte
que les deux angles ont un côté commun. On se sert même
pins particulièrement de ce mot loreque les angles ont non-
seulement un c(Mé commun, mais encore lorsque les deux
autres côtés forment une même ligne droite. Une des propo-
sitions les plus importantes de la géométrie , c'est que deux
angles adjacents valent deux angles droits; en effet, ils
occupent toujours l'espace d'un demi-cercle , ou 180°. — En
physique, en géograpliie, on appelle parties adjacentes ,
pays adjacents , des parties contiguës à d'autres parties,
de.s pays contigus à d'autres pays.
ADJECTIF (du latin adjectus , ajouté). L'adjectif,
comme son nom l'indique, exprime une manière d'être du
sujet auquel il se rapporte. On l'appelait autrefois nom ad-
jectif, et r.\cadémie le définit encore : un nom que l'on joint
aux substantifs pour en modifier l'idée. Il arrive quelque-
fois que le nom substantif joue le rôle de l'adjectif, et réci-
|)roquement l'adjectif se prend souvent comme nom sub-
slanlif. Cependant l'adjectif forme évidemment une classe
essentiellement distincte du nom ou substantif; car le nom
désigne des idées d'êtres conçus comme existants par eux-
mêmes , et l'adjectif ne désigne qu'un état de ces êtres ,
(;'est-à-dire une abstraction. Il y a plusieurs espèces d'ad-
jectifs : nous concevons les êtres comme possédant telle ou
telle qualité, c'est l'adjectif 9î/a/;;^Cfl^)/ ( que Beauzée ap-
pelle physique) ; il comprend tous les adjectifs proprement
dits. Nous concevons ensuite les êtres comme étant un ou
plusieurs, isolés ou réunis; ce sont les adjectifs dctcrvAi-
natifs , que ^tàvaée nomme métaphysiques , parce qu'ils
expriment certaines vues de l'esprit, et que M. de Sacy ap-
pelle circonstanciels, parce qu'ils expriment des qualités ex-
térieures. Ils comprennent les articles, les noms de nombre ,
les pronoms possessif, démonstratif, indéfini. Une qualité
peut être portée dans une substance à un plus haut degré que
dans une autre ou que dans toutes les autres. L'adjectif qua-
lificatif est donc susceptible de trois degrés de comparaison,
que l'on appelle le positif, le comparatif et le superlatif.
— En français et dans plusieurs langues , l'allemand , l'es-
pagnol , etc. , l'adjectif s'accorde ordinairement avec son
substantif. Dans quelques autres, au contraire, il reste inva-
riable, comme dans l'anglais, le turc, le persan. — En
français l'adjectif se place indifféremment avant ou après le
substantif. Il y a cependant des cas où sa place est néces-
sairement déterminée par le sens.
ADJEM. Ce mot arabe, qui signifie étranger, barbare,
grossier, sert à désigner particulièrement les Persans , et en
général tous les autres peuples de la terre , par opposition
aux Arabes. C'est dans le même sens que les Juifs appelaient
les autres peuples rjentils , ou bien qu'aux yeux des Grecs
toutes les autres nations du monde étaient barbares. Au
premier siècle de l'islamisme , nous voyons les conquérants
arabes donner à une province de Perse, l'ancienne Médie,
le nom à'Irak-Àdjem , pour la distinguer de VJrak-Arabi ,
qui répond à l'ancienne Clialdée , et qui de temps immé-
morial a été occupée par des tribus nomades, originaires de
l'Arabie. Depuis la conquête de Constantinople par Sélim 1",
les souverains de Constantinople, chefs de la dynastie otho-
mane, ajoutent à leurs titres celui de sultan cl-Arab u
cl-Adjem. Dans cette qualification, emplovée par la chan-
cellerie turque, le mot Arab désigne les musulmans en gé-
néral, dont la religion est originaire d'Arabie, et le mot Ad-
jem s'applique aux peuples d'une autre religion placés sous
leur autorité. — Avant la réforme introduite en Turquie
l>ar le suitan Mahmoud, lorsipie le corps des janissaires se
•ecrutait au moyen de levées faites tous les trois ou quatre
ans parmi les enfants des rayas, on donnait le nom d'a-
gemi-orjlans (enfants d'étrangers) à ces recrues, qui for-
maient une des quatre divisions de cette nombreuse milice.
ADJOINT, fonctionnaire chargé d'en aider un autre
ou de travailler sous ses ordres. L'adjoint au maire est un
officier municipal institué pour remplacer le maire en eus
d'absence ou d'empêchement et pour remplir les fonctions
que celui-ci juge à propos de lui déléguer. Aux termes de
la loi du 5 mai 1855, les adjoints sont soumis aux mêmes
conditions que les maires pour leur nomination. Leurs
fonctions sont également gratuites. Il y a un adjoint dans
les communes de 2,500 habitants et au-dessous, deux dans
celles de 2,501 à 10,000 habitants. Dans les communes
d'une population supérieure, il peut être nommé un ad-
joint de plus par chaque excédant de 20,000 habitants.
Lorsque la mer ou quelque autre obstacle rend difficiles,
dangereuses ou momentanément impossibles les communi-
cations entre le chef-lieu et une fraction de commune, un
adjoint spécial, pris parmi les habitants de cette fraction,
est nommé en sus du nombre ordinaire : cet adjoint spé-
cial remplit les fonctions d'officier de l'état civil, et peut
être chargé île l'exécution des lois et règlements de police
dans cette partie de la commune. Z.
Les adjoints d'état-major, créés en I79I, pour aider les
adjudants-généraux, furent pris depuis le grade de sous-lieu-
tenant jusqu'à celui de colonel. Ils cessèrent d'exister en
1818, date de la création du corps d'état-raajor.
ADJONCTION (Droit). Voyez Accf^ion.
ADJUD.WT (du latin adjuvans, de ad, auprès, /«-
vare, aider). Il existe dans l'armée française plusieurs em-
plois de ce nom : Vadjudant sous-officier, qui transmet
les ordres du chef aux sous-officiers du bataillon ou do
l'escadron. L'ordonnance de 1776 en créa un par régipnent,
et celle de 1784 deux. On en compte aujourd'hui un par
chaque bataillon d'infanterie, et un pour deux escadrons
de cavalerie. Les titulaires sontà la nomination du colonel.
— L'emploi à^adjudant -major, créé en 1790, pour rem-
placer les aides et les sous-aides-majors, est confié à un of-
ficier du grade de capitaine ou de lieutenant : il transmet
les ordres du colonel à tous les capitaines, ainsi qu'aux of-
ficiers de semaine, et surveille la police et la disdpline du
régiment. — Les adjudants de p/ace surcédèrent, en 1791,
aux aides et sous-aides-majors de place, créés en 1558 : ils
aident le major de place dans l'exercice de ses fonctions,
sont chargés de la police de la place, du service des rondes
oe jour et de nuit, de l'ouverture et de la fermeture des [)o^-
les. — Le grade d'adjudant-général fut institué en 1790,
pour aider les ofGciers généraux : ils étaient spécialement
thargés des reconnaissances mihtaires, de la direction des
travaux topograpliique.', des mémoires relatifs aux plansdes
opérations de la guerre offensive et défensive; de la trans-
mission aux différents corps des ordros verbaux ou par écrit
des généraux, du mouvement des troupes, de l'assiette des
camps et du logement, etc. Us prirent en 1800 la dénomi-
nation d'arfjurfan? commandant, quils changèrent en 1815
pour celle de colonel d'état-raajor.
Dans lespalais impériaux il y a des adjudants de plusieurs
classes, chargés de la surveiLance intérieure et extérieure
des châteaux et jardins. Sicard.
ADJUDICATION, ADJUDICATAIRE. On entend par
adjudication un marché fait aux enchères jiubliques et
avec concurrence. Les adjudications sont volontaires , ou
judiciaires, ou administratives.
L^ljudication volontaire est la vente que fait aux enchè-
res un individu, soit de ses immeubles, soit de .ses meubles,
sans y être contraint par les poursuites de ses créanciers.
Pour les immeubles , ces sortes de ventes ne peuvent se
faire que devant notaires; mais quant aux meubles, aux
récolles ou marchandises, l'adjudication peut être faite {Mr
les huissiers, les commissaires-priseurs et les courtiers de
ADJUDICATION —
conimeiTc; et cV'^l une question tro^-tontroversc'^e entre ees
diverses corporations que de savoir quels sont les objets
qu'elles ont le droit de vendre exclusivement ou concur-
renuneut, la législation actuelle n'ayant rien de bien précis
sur ce point.
L'adjudication /oraV on judiciaire , ainsi que le mot
l'indique, est celle qui a lieu par suite d'une décision de la
justice; elle a lieu dans le cas d'expropriation forcée , ou
quand il s'agit de biens appartenant à des incapables, tels que
les mineurs, les absents, les interdits, ou dépendant de
successions vacantes, en déshérence, ou de faillites. Elle com-
prend eJle-méme deux adjudications. Tune que l'on noiume
préparatoire, et l'autre qui est définitive. L'adjudication
préparatoire a pour objet principal d'accorder un nouveau
délai au débiteur, et d'appeler l'attention de toutes les par-
lies intéressées sur la véritable valeur de l'inuneuble ; cette
adjudication transporte cependant à l'adjudicataire la pro-
priété, mais sous une condition résolutoire; car si avant
l'adjudication définitive le débiteur parvient à se libérer, ou
si, par l'effet de cette adjudication, un autre adjudicataire
est désigné, le droit résultant de l'adjudication préparatoire
est à l'instant même résolu.
Les adjudications administratives sont celles que fait l'ad-
mini-aration elle-même; elles ont pour objet : I°la vente
d'immeubles appartenant à l'État, aux départements et aux.
communes ; 2° les ventes de coupes de bois de l'État et com-
munaux ; 3'' les ventes d'objets appartenant au domaine de
l'État ; 4" les fournitures, transports, travaux publics, et les
travaux des communes et établissements publics ; 5" les ven-
tes de fruits et les baux de fermage et de loyer des pro-
priétés communales. On reconnaît trois espèces d'adjudica-
tions administratives : l'une aux enchères , qui se fait dans
la même forme que les adjudications judiciaires ; l'autre
au rabais et à l'extinction des feux ; la troisième par soumis-
sions. On entend par soumissions les conditions offertes par
les entrepreneurs qui se présentent pour être adjudicataires
des travaux et fournitures qui font l'objet de l'adjudication.
Aux termes de l'ordonnance du 4 décembre 1S3G, portant
règlement pour les marchés à passer au nom de l'État , le
président de l'adjudication, au jour et à l'heure indiqués par
les journaux et les affiches, procède publiquement, en pré-
sence des concurrents, et prononce immédiatement sur leur
validité ou leur acceptation. La concession est accordée
ordinairement à celui qui fait !e plus fort rabais; si deux
concurrents offrent les mêmes conditions, un nouveau con-
cours est immédiatement ouvert entre eux, et le président en
dresse procès-verbal. Le cahier des charges doit déterminer
la nature et l'importance des garanties que les fournisseurs
ou entrepreneurs auront à produire , soit pour être admis
aux adjudications, soit pour répondre de l'exécution de leurs
engagements. Lorsqu'un maximum de prix ou un minimum
de rabais aura été arrêté d'avance par le fonctionnaire
chargé de l'adjudication, ce maximum ou ce minimum devra
être déposé cacheté sur le bureau à l'ouverture de la séance.
C'est ainsi que plusieurs fois ont été adjugés les emprunts
et les chemins de fer.
Pour se rendre adjudicataire, outre la capacité civile, il
faut avoir la capacité de contracter , remplir les conditions
de solvabilité et posséder les connaissances spéciales que le
cahier des charges exige en certains cas. î\'e peuvent se rendre
adjudicataires : 1° les tuteurs, des biens dont ils ont la tutelle ;
2" les mandataires, des biens qu'ils sont chargés de vendre;
3° les administrateurs, des biens confiés à leur surveillance;
4° les magistrats de l'ordre judiciaire, des biens contentieux
qui s'a<ljugent dans l'étendue de leur ressort; 5" les offi-
ciers 1 ublics , des biens qui s'adjugent par leur ministère.
ADJURATIOM (en latin adjuratxo, àényéiX'ndjurare,
jurer, prier avec instance), action de sommer quelqu'un de
déclarer ou de faire quelque chose. Dans le langage de la
théologie catholique, c'est le nom qu'on donne au comnian-
ADLERSPARRE 125
dément fait au démon , de la part de Dieu , de sortir du
corps d'un possédé ou de déclarer ([uelque chose , ainsi (ju'à
la fornnile dont l'Église se sert dans les exorcismes. L'adju-
ration est impérative ou déprécatoirc, selon que l'on
emploie une formule de commandement ou de prière ; ex-
presse ou implicite, suivant qu'on se sert du nom de Dieu
ou qu'on invoque seulement celui de quelqu'une de ses œu-
vres. Votiez Exorcisme.
ADJUVANTS, nom pharmaceutique d'un des éléments
accessoires d'une formule plus ou moins complexe, dans
laquelle la base joue le rôle principal. Les adjuvants sont
choisis parmi les agents jouissant de propriétés analogues à
celles de cette base elle-même, dont ils deviennent les auxi-
liaires. En cela , ils diffèrent des correctifs , qui , au con-
traire , destinés à modifier son action , appartiennent habi-
tuellement à une autre catégorie. Comme pour ces derîiiers,
on peut faire entrer un ou plusieurs adjuvants dans une
préparation. Souvent ce qu'on apiielle Vexcipicpt ou le
véhicule est adjuvant lui-n»ême. Certaines eaux distillées ,
la plupart des sirops, quelques extraits végétaux, etc.,
sont de préférence affectés à cet usage. Ajoutons , toute-
fois , que tel médicament employé comme adjuvant dans
un cas sert de base dans toute autre circonstance.
iVDLERSPARRE ( Georges, comte d' ), l'un des prin-
cipaux auteurs de la révolution qui précipita du trône
le roi de Suède Gustave IV, naquit dans la province de
Ja-mtland, en 1760. Il servit en 1778 dans la guerre contre
la Russie, fut ensuite envoyé par Gustave III en Norvège,
pour entraîner le peuple à se révolter contre les Danois ;
mais il échoua dans cette tentative. Après la mort de ce
prince, Adlersparre se retira du service, et se voua exclusive-
ment à la culture des lettres pendant plusieurs années. De
1797 à 1800 il publia un journal politique et littéraire, dont
le succès chagrina le gouvernement. Rappelé au service
dans la guerre contre le Danemark, il obtint le grade de lieu-
tenant-colonel. Quelque temps après il entra dans la cons-
phation qui se forma contre Gustave I V, et le premier
il conduisit les troupes révoltées sur Stockholm. Le faible
et irrésolu Gustave contribua par son inaction à faire
réussir le projet des conjurés. Il tomba au pouvoir du gé-
néral Adlercreutz ; et lorsque Adlersparre entra à Stockholm,
la révolution était consommée. Le duc de Sudermanie fut
élu roi , et les grâces et les faveurs plurent dès lors sur
Adlersparre. Il fut coup sur coup nommé conseiller d'État,
colonel, adjudant général, connuandeurde l'ordre du Glaive,
et enfin créé baron. En même temps ce fut à lui qu'échut
la mission d'aller annoncer au prince Christian-Auguste
de Schleswig-Holstein-Augustenbourg que la diète l'avait
choisi pour héritier du trône. Il lut en outre appelé au com-
mandement en chef de l'armée. IMalgré toutes les distinc-
tions dont il avait été comblé , Adlersparre était mécon-
tent, vraisemblablement parce que son influence n'était pas
aussi grande qu'il l'avait espéré ; et quand , après la mort
si subite du prince royal , cette influence se trouva encore
amoindrie, il sortit du conseil d'État pour se retirer au
fond d'une province éloignée, comme gouverneur militaire
du bailliage de Skaraborg. Le roi continua cependant à l'ac-
cabler de grâces et de distinctions de tout genre. En 18 11 il
fut créé grand'croix de l'ordre du Glaive et élevé à la di-
gnité de comte ; en 1817 il fut nommé sénateur du royaume,
et à peu de temps de là chevalier de l'ordre des Séraphins,
avec le titre d'Excellence. Comme administrateur, il mérita
la reconnaissance de la province confiée à ses soms ; mais
l)liis tard il renonça également à ces fonctions. Un livre
qu'il publia sous le titre de Documents officiels pour servir
ù l'histoire ancienne, moderne et récente de la Suède, lui
valut en 1831 un procès de presse. Condamné pour ce fait
à une amende, il s'acquitta vis-à-vis du fisc , et, après avoir
publiquement déclaré que le jugement qui l'avait frappé
était moralement injuste , il conlinna sa publication, il
126
ALERSPARRE
incurul le 23 septembre 1835, dans sa terre de Gustafsrik,
Iirovince lie Wcrmland. — L'aîné de ses (ils, C/iarles-Au-
gusle, s'est fait avantageusement connaître comme poète.
AD LIBITUM V mots latins qui signifient à volonté.
En musique, on les emploie indifféremment avec les mots
italiens a piacere, qui ont le mCmc sens, pour désigner les
passages d'im solo qui exigent ou permettent une exécution
])lus libre, et relativement à la mesure, et relativement aux
orn'/ments dont l'exécution i)eut (^tre susceptible. Le com-
positeur laisse alors au goût et au tact de l'exécutant à juger
jusqu'à quel point il peut donner carrière aux inspirations
de son imagination. — Dans les partitions et sur les titres
d'œuvres musicales, les mots ad libitum sont très-souvent
employés pour désigner une partie qui n'est pas essentielle-
ment nécessaire au tout, et qu'on peut supprimer. Ceci ne
s'appi que d'ailleurs jamais qu'à des voix ou à des instru-
ments servant à compléter l'harmonie. Par exemple, corno
ad libitum, violoncello ad libitum.
ADMÈTE, roi de Phères, en Tliessalie , et parent de
Jason, fut un des Argonautes et un des chasseurs du san-
glier de Calydon. Apollon, chassé du ciel, se mit au service
de ce prince, et garda ses troupeaux. Par reconnaissance
Apollon devint son dieu tutélaire. Admète ayant demandé
la main d'Alceste à Pélias, celui-ci s'engagea à la lui don-
ner s'il réussissait à atteler un lion et un sanglier à un char :
secondé par Apollon, il y réussit; mais ayant oublié Diane
dans le sacrifice qu'il offrit aux dieux à l'occasion de son
mariage, la déesse lui envoya une énorme quantité de ser-
pents dans la chambre nuptiale. Apollon vint encore à son
aide, et le réconcilia avec Diane. Admète étant tombé ma-
lade, les Parques consentirent à prolonger le fil de ses jours
si quelqu'un des siens consentait à mourir pour lui. Ce fut
Alceste qui accomplit ce sacrifice.
ADMIXiSTRATIOIV. C'est la gestion des affaires d'un
particulier ou d'une communauté : au sens le plus général.
ce mot signifie la gestion des afiaires de l'État.
Suivant les uns, « l'administration est l'action vitale du
gouvernement; le gouvernement est la tôle de la société,
Padministration en est le bras. C'est môme le véritable gou-
Ternement, moins la confection des lois et l'action de la jus-
tice. » Suivant les autres, « l'administration est la plaie (lu
pays, sept fois plus ruineuse et dévastatrice que les sept
plaies d'Egypte. Sans parler des insolences de la bureau-
cratie, l'administration en France n'existe que par l'ar-
bitraire et ne vit que de monopole. Elle coûte à la France
plusieurs milliards qui servent à perpétuer et à faire pul-
luler la race innombrable et inutile des fonctionnaires
publics. L'administration est l'ennemie irréconciliable de la
liberté. Napoléon, qui l'a créée, l'a faite pour son despo-
tisme. » Une administration est pourtant chose nécessaire
pour une nation ; sa force doit faire la force du pays. Jlais
elle doit être non-seulement contrôlée, elle doit être juste,
impartiale , serviable , toute à tous. La centralisation, qui
augmente la force de l'État par la concentration du pouvoir,
peut aussi servir à exagérer cette force centrale; elle peut
grossir la tête au détriment des membres. « Nous avons ,
dit M. Ed. Laboulaye, la triste expérience des révolu-
tions ; le premier jour tout semble perdu , le chef de
l'État renversé, les ministres en fuite, l'autorité ab-
sente; dès le lendemain tout est prêt à fonctionner comme
devant: le nouveau commandement va, comme l'ancien,
de Paris aux frontières; le pays, un moment ébranlé,
se rasseoit, l'ordre matériel se rétablit comme par miracle,
reste seulement le désordre moral. Quel est cet élément
d'ordre, que rien n'atteint et (jui sauve périodiquement
la France? C'est l'administration. Bien des gens lui ont
fait un reproche de son- mérite môme, et on lui a su
mauvais gré de cette facilité de gouvernement qu'elle offre
à tous les pouvoirs. De ce qu'elle n'est pas une garantie
de liberté, on en a fait un instrument do despotisme ; on
ADMINISTRATION
n'a pas voulu voir qu'elle est au dedans ce qiio l'armée est
au dehors, non pas la tète, mais le bras de la l'rance; une
force et non pas une volonté. Combien il eût été plus juste
de reconnaître que c'est grùce à celte puissante organisa-
tion que nous avons pu traverser deux invasions et des ré-
volutions qu'on ne compte plus, nous relevant de ces rudes
épreuves avec une vivacité qui a toujours surpris l'étran-
ger... D'où vient cet in.strument magique? qui a fondé cette
cent ralisa tion qui fait la force de la France au dehors
|)lus encore qu'au dedans? D'ordinaiie, c'est au premier
consul qu'on fait remonler la pensée de l'institution ; c'est
lui, dit-on, quia créé l'administration française. C'est là
une idée fausse par son exagération... S'il eût improvisé
l'administration française, il est probable qu'elle ne lui eût
pas survécu ; elle a duré parce qu'elle est l'œuvre des siècles,
et qu'il n'est pas un de nos services pubfics qui ne date de
la monarchie. Ce que fit Bonaparte, avec la sagacité d'un
homme d'État qui sait le danger des inventions politiques,
ce fut de relever l'administration ancienne, laissant à terre,
parmi la poudre et les débris, ce reste de féodalité qui en-
travait à chaque pas le gouvernement de nos rois et les
empêchait d'achever cette unité qui fut toujours dans le
vœu de la France. Tous les privilèges de naissance, de
classe, de provinces, supprimés par la Constituante , aux
applaudissements du pays, restaient à tout jamais effacés ;
mais la justice, mais l'impôt, mais la police, mais la comp-
tabilité, mais les rapports de l'Église et de l'État, en un
mot l'administration tout entière fut empruntée à l'ancienne
monarchie et perfectionnée par le génie du premier consul...
Il est aisé de comprendre pourquoi la maison de Bourbon
s'accommoda de l'organisation impériale : c'était son œu-
vre améliorée. Quant à la monarchie de juillet, elle livra
l'administration à la tribune et à la presse; mais le grand
jour de la discussion en dissipant les préjugés, fortifia les
services publics, en montrant combien celte admini.stration
si décriée était la chose et l'intérêt de tous. Aussi en I84â
ne fut-elle pas sérieusement attaquée; personne ne dis-
|)uta au gouvernement la diplomatie, l'armée, la marine,
les cultes, la police, l'administration supérieure; tout ce
qu'on attaqua, et avec raison, ce fut l'exagération du prin-
cipe de la centralisation; mais le principe même sortit vic-
torieux delà discussion, car sous un autre nom c'est l'unité
delà France. » Le gouveruemcnlqui a succédé à la républi-
que a commencé des essais de décentralisation en augmentant
le pouvoir des autorités locales.
Sous la domination romaine, notre pays jouissait d'une
administration très-développée. Les invasions des bar-
bares ne laissèrent subsister que peu de chose de cette ad-
ministration romaine. En vain les quelques princes remar-
quables que produisit la race de Mérovée voulurent remé-
dier à ce chaos. Charlemagne voulant doter l'empire qu'il
avait formé d'une administration régulière et générale, ins-
titua les missi dominicï ; mais cet essai de gouvernement
central ne put résister aux tendances de morcellement
qu'on voyait éclater partout. Laféodalité réduisit alors
l'administration aux proportions des fiefs. Enfin, grâce aux
progrès de l'autorité royale, l'administration se créa insen-
siblement. A l'époque de saint Louis la France était encore
divisée en pays d'obéissance le roy et pays hors Vobéls-
sance le roy. Cependant le pouvoir royal empiétait chaque
jour sur les fiefs indépendants en multipliant les cas royaux,
où un procès pouvait être porté en la cour du roi. Phi-
lippe-Auguste divisa les pays de son obéissance en soixante-
dix-huit prévôtés, dont les chefs étaient placés sous la
surveillance des baillis ou sénéchaux et sous le contrôle
des prud'hommes, conseillers municipaux; enfin l'institu-
tion des missi dominici de Charlemagne fut renouvelée,
et des enquestcurs parcoururent les provinces au nom du
souverain. Sous Philippe le Bel, nous voyons aulour du roi
le grand conseil, qui élisait les sénéchaux, les baillis, les
ADMINISTRATION — ADMIRAL
127
jusi":?, lo^ panios dos foires do Clinmpn;;i)(>, 1rs j;ardc.s des
eaux l't forêts; c'était le centre do riiii|mlsion souveme-
nientalo. Aii-des:^oiis du prand conseil se trouvaille par-
le moi t . principalement cliarS'' des fonctions judiciaires ;
pour les finances, Uchnmhre des coin p tes , trilninal
à la fois administratif et judiciaire, qui vériliait les recettes,
contriMait les dépenses, examinait la conduite ilc tous les
{^ens de linance et procédait contre eux s'il y avait lieu.
Peu à peu l'administration se réi^ularisa. Aprc's la bataille
de Poitiers, la cour des aides fut créée aux dépens de la
cour des comptes, pour les aides, tailles et gabelles et autres
droits de subsi<Ies (]ui se levaient par autorité du roi.
En 1789 on trouvait le conseil d'Élat dît roi, ou ^e
traitaient les affiiires jiénérales, la paiv, la f;uerre, etc.; le
conseil des dépêches ; où se traitaient les all'aires des pro-
vinces; le conseil royal des finances, qui connaissait géné-
ralement de tout ce qui avait rapport aux revenus et aux
dé|)enses du roi ; le conseil royal de commerce; le conseil
d'État privé 0» des parties; Ui grande chancellerie de
France. La justice pour les affaires ordinaires était admi-
nistrée par des IrWnmaiw in férieurs, moyens on supérieurs .
Les premiers étaient les chdlellenies, prévôtés, vigîie.ries,et
autres juridictions royales et seigneuriales, qui ressortissaient
par appel aux bailliages ou sénéchaussées, et de là aux pré-
sidiaux, formant lesjuslices moyennes ou infermédiaiies. Les
présidiaux jugeaient définitivement et sans appel détentes
matières civiles qui <î l'cstimalion n'excédaient pas deux mille
livres. Les affaires d'une plus grande importance pouvaient
se porter aux parlements ou conseils souverains et autres
tribunauxsnpérieurs établis pour les juger en dernier ressort.
Outre ces divers tribunaux de justice, il y en avait encore
en France deux autres, dont la juridiction, unique dans
le royaume, n'était pas bornée, comme celle des premiers, à
ime étendue particulière du territoire : c'étaient le grand
conseil, sorte de cour suprême, et la prévôté de l'hôtel du roi
qui jugeait en dernier ressort de toutes actions criminelles
et de police qui pouvaient concerner des personnes de la cour.
Pour faciliter la perception des impôts on avait divisé le
royaume en im certain nombre A'' intendances ou générali-
tés. En 1789 on en comptait trente-deux, la plupart en pays
d'élection, quelques autres en pays d'états ou provinces
ayant conservé le privilège de répartir elles-mêmes les
contributions qu'elles devaient fournir pour soutenir les
charges de l'État. Il y avait dans la plupart des généralités
un bureau de finance ou tribunal des ^r^soner^cfe France
et (]efi receveurs généraux des finances, qui faisaient alter-
nativement le service d'une année.
A celte machine si compliquée, la révolution substi-
tua une organisation plus simple, basée sur l'unité de la
nation, qu'elle parvint à établir, organisation qui a survécu
à tous les changements de gouvernement. On peut dire en
effet que si le gouvernement a changé vingt fois en France
depuis 1791, l'administration est à peu près restée immua-
lile. La France, divisée administrativement en départements,
arrondissements et communes, eut toujours à la tète de
chacnne de ces divisions un fonctionnaire qui représente le
pouvoir central , avec lequel il est en communication cons-
tante. Choisi d'abord par l'éleclion, ce fonctionnaire devint
l)ientot l'homme du pouvoir central ; pour tempérer cette
sorte d'intromission de l'autorité dans les affaires locales,
on organisa auprès de chacun des fonctionnaires dont nous
venons de parler des conseils, d'abord au choix du chef de
l'État, puis élus par certains éleveurs et par tous maintenant.
Ces conseijs eurent des pouvoirs plus ou moins étendus, plus
ou moins consultatifs ; mais jamais fadministralion cen-
trale ne se départit du droit de contrôler, de dissoudre, de
réviser. Cependant, pour éviter tout arbitraire, un conseil
♦l'État fut institué près du gouvernement pour juger ad-
ministrativement les actes des fonctionnaires de tous rangs.
A la têle du gouvernement, et par conséquent de l'adminis-
tration , se trouvent des ministres. Chargés du pouvoir exé-
cutif, ils veillent à l'exécution des lois, en même temps
qu'ils administrent l'Etat chacun dans la partie qui est de
son ressort. Tous communiquent directement avec les pié-
fets, placés spécialement sous le pouvoir du ministre de
l'intérieur, et en même temps ils font mouvoir fous les roua-
ges de l'administration spéciale dont ils ont la direction. Une
cour des comptes examine la gestion financière des em-
ployés de toutes les administrations.
L'Assemblée constituante prit soin de séparer les fonc-
tions judiciaires des fonctions ailminislralivcs, et décida
(pie les juges ne pourraient, à peine de forfaiture, troubltr
les opérations des corps administratifs ni citer devant eux
les administrateurs pour raison de leurs fonctions. Rien de
[ilus sage lorsqu'il s'agit des règlements généraux et de
l'aclion du gouvernement; mais en est-il de même lorsqu'un
particulier se croit lésé par quelque acte d'administration ;
et n'est-il passurprenant qu'on ne puisse en obtenir le redres-
sement que devant l'autorité admini:.trativc? Et en admet-
tant pour les affaires contcntieuses un tribunal adminis-
tratif spécial, ne serait-on pas en droit de demander pour
lui les garanties d'indépendance les plus fortes vis-à-vis de
l'administration proprement dite? Z,
ADMIIVISTRATIOIV MILITAIRE. On adonné ce
nom à l'organisation spéciale qui pourvoit à l'entretien du
personnel et du matériel d'une arnw'e. L'administration
militaire est chargée du service des fonds, de ceux de la
solde, des subsistances, du chauffage, de l'habillement, du
campement, des remontes, du logement, des marchés,
des frais de recrutement, des prisons militaires, des frais
de justice militaire, des liôpifaux militaires, des dépenses
du matériel de l'artillerie et du génie, et de celles de la
direction générale des poudres et salpêtres. Chaque année
l'administration établit le budget pour l'année suivante. Le
ministre de la guerre, ayant obtenu le crédit législatif, ouvre
des crédits ministériels qu'il met à la disposition des in-
tendants militaires pour subvenir aux besoins de l'ar-
mée. Il ordonnance par des ordres nommés ordonnances
de payement ; les intendants ordonnancent par des ordres
nommés mandat de payement; un payeur dans chaque
département est chargé de solder tous les services. — Les
détails de l'administration des corps sont confiés à un con-
seil spécial. Ce conseil dirige l'emploi des fonds destinés
à la solde et à l'entretien de la troupe ; il procure aux mi-
litaires du corps la perception des prestations de toute es-
pèce qui leur sont dues; peut passer, avec l'autorisation du
ministre, des marchés pour l'achat des effets principaux et
accessoires d'habillement, de grand et petit équipement,
des abonnements pour les réparations ou dépenses au compte
des masses d'entretien ; règle et autorise les dépenses éven-
tuelles, et doit justifier de l'emploi des matières et denrées
fournies par l'État. Dans les régiments une commission de
trois capitaines est chargée de passer des marchés pour l'a-
chat des effets de linge et de chaussure; elle subit le con-
trôle du conseil d'administration. — Les registres de l'ad-
miiiislration générale des corps et de la gestion des deniers
sont tenus par le trésorier; les registres de la gestion des
matières, par l'officier d'habillement; ceux relatifs aux ré-
parations d'armes, par l'officier d'armement. — Les regis-
tres des compagnies, des escadrons et des batteries sont
tenus par les sergents-majors oumaréci»aux-des-logis chefs,
sous la surveillance immédiate et continuelle des capitaines.
Toutes les opérations administratives des corps ainsi que
celles des entrepreneurs et des fournisseurs sont soumises
au contr.'ile de l'intendance. Les membres de ce corps sont
chargés de la vérification des revues de liquidation, des états,
des bordereaux et des comptes, qu'ils adressent chaque tri-
mestre, avec les pièces à l'appui, au ministère de la guerre.
ADMÈUAL (Henri t.'), né à Auzelot (Puy-dcDôme),
en 174''», tenta, dans la nuit du 22 mai 1704 (22 prairial
128
ADMIRÂL — ADONIS
an II), d'assassiner Collot-d'IIorbois en tirant sur lui deux
coups de pistolet, qui ne l'atteignirent pas. l'rescju'a» môme
moment, on avait arrêté, au domicile de Robespierre, une
jeune fille de vingt ans, Cécile Henauld, qui s'était présen-
tée chez lui pourvoir, disait-elle, comment était fait un tyran.
On eut soin de présenter cette coïncidence comme le résultat
d'une conspiration dirigée contre la république et les repré-
sentants du peuple par les agents de l'itt et de Cobourg. Kn
vain L'Admirai aflirma qu'il n'avait pas de complices; cin-
quante-deux victimes périrent en même temps que lui et la
fille Renauld, comme fauteurs de la prétendue conspiration.
Dans ce nombre, on remarqua un Roban, un Montmorency,
deux ou trois Sombreuil, ]M. de Sartines, madame de
Sainte-Amarantbe, celle que dans les salons on appelait,
queUpies années auparavant , la belle madame de Sainte-
Amaranthe, et madame d 1-lprémesnil, tous étrangers les uns
aux autres. A la lecture de l'acte d'accusation , faite devant
le tribunal révolutionnaire par le greffier, et où tous ces
malheureux étaient accusés de complicité dans la cause,
L'Admirai, s'adressant à Fouquier-Tinville, l'accusateur pu-
blic , s'écria : « Est-ce que vous avez le diable au corps
d'accuser tout ce monde-là d'être mes complices? Je ne les
ai jamais vus! » 11 mounit avec courage, après avoir vu
exécuter avant lui ses prétendus cinquante-deux compli-
ces. Ce supplice, plus cruel cent fois que la mort, avait duré
trente-buit minutes. Ancien domestique du ministre Berlin,
puis homme de peine dans les bureaux de la loterie, la ré-
volution avait enlevé à L'Admirai ses ressources et sesmoyens
d'existence, et lui avait inspiré un ■n if ressentiment contre
les hommes qui, comme Robespierre et Coliot-d'Herbois,
pouvaient à bon droit passer pour les principaux auteurs
des maux que la France souffrait alors. 11 parait, au reste,
qu'il avait longtemps hésite dans le choix de sa victime, et
que la difficulté de pan-enii jusqu'au premier l'engagea à
donner la préférence au second.
ADMOXITIOX (du latin admonitio, avertissement).
En matière ecclésiastique , admonition est le synonyme de
vionition, avertissement juridique donné, en certains cas,
en verîu de l'autorité épiscopale, avant que l'on procède à
l'excommunication. — Dans l'ancien droit français , Vad-
monition était une peine qui consistait à recevoir debout,
derrière le barreau, en présence du tribunal assemblé, mais
à huis clos , un avertissement , de la part du président , de
ne plus commettre le délit ou la faute dont on venait d'être
déclaré coupable, et d'agir à l'avenir avec plus de circons-
pection. Ce genre de punition , moins sévère que le blâme,
n'entraînait pas d'idée flétrissante.
ADOLESCEXCE (du latin adolescere, croître), pé-
riode de la vie humaine comprise entre l'enfance et l'âge
adulte , c'est-à-dire entre l'époque où se manifestent les pre-
miers signes de la puberté et celle où le corps a acquis en
hauteur tout son développement , commençant par consé-
quent, dans nos climats tempérés, à onze ou douze ans chez
les jeunes filles, à quatorze ou quinze ans chez les jeunes
garçons, et se terminant vers la vingt et unième année en-
viron chez celles-là, et vers la vingt-cinquième chez ceux-ci.
C'est ordinairement pendant le cours de cette période que la
constitution de l'individu se perfectionne ou se détériore
pour toujours : aussi doit-elle attirer toute l'attention du
médecin. Le grand air, les distractions fréquentes, les bains,
l'abstinence ou l'usage très-modéré des boissons spiri tueuses ,
«ne nourriture substantielle et en même temps de facile di-
gestion, constituent le régime le [dus salutaire à l'adolescence.
ADOLPHE-FRÉDÉRIC, duc de Holstein-Eutin ,
puis roi de Suède, né en 1710, mort en 1771. Il fut d'abord,
depuis 1727, prince-évêque de Lubeck ; ensuite, à partir
de 1739, adn>inisirateur du durhé de Holstein-Gotlorp. —
En 1741, lorsi|iii^ni"t'<; la mort d'tllriqne-Éiéonore, renie de
Suède, le mari de cette princesse, Frédéric de Hesse-Cassel ,
eut pris les rênes du gouvernement, la dièle dut choisir
un nouveau successeur au trAne, parce que les deux époux
n'avaient pas d'enfants. Les partis ne manquèrent pas de s'a-
giter; mais l'influence de la maison impériale de Russie,
à laquelle le duc de Holstein était allié, fit porter sur lui les
sufl'rages. Adolphe-Frédéric fut donc unanimement reconnu
pour successeur au trône de Suède , lui et sa descendance
mâle, le 3 juillet 1743 ; et en 1751 il reçut la couronne. 11 fit
fleurir les arts et les lettres; mais, prince faible, il ne sut
pas maintenir l'autorité royale. C'est en effet sous son règne
que se formèrent les fameuses factions des chapeaux et
des bonnets. Son fils Gustave !H lui succéda.
ADOLPHE DE NASSAU. Voyez Xassac.
ADOXAI, c'est-à-dire Seigneur, forme du pluriel en hé
brcu, donnant plus de force à la signification du mot pri-
mitif, et qui s'emploie exclusivement en parlant de Dieu,
l'our ne pas prononcer le nom de Dieu ( Jchovah ), les Juifs
lisent, partout où il se rencontre, Adonai.
ADOXIDE. Genre de la polyandrie polygynie de Linné,
et de la famille des renonculacéesde Jussieu. Cette plante est
peu recherchée par les amateurs. Cependant la délicatesse de
ses fetilles, l'élégance, lavivacité et l'éclat de ses fleurs, d'un
rouge cramoisi, lui assignent une place dans les parterres.
L'espèce la plus commune brille au milieu des céréales avec
ses variétés, pendant les beaux jours de l'été et jusque dans
l'automne. C'est Yadonide d'été et Yadonide d'automne de
Linné, réunies sous le nom d'adonide annuelle. Dans les
jardins elle piend le nom de goutte de sang. On a pendant
longtemps pris Vadonide du printemps pour Vellébore
noir ou ellébore d'Hippocrate. Cette espèce d'adonide croit
dans les hautes Alpes, vers la région des neiges, et quelques
variétés se trouvent dans nos jardins. Ses fleurs sont d'un
jaune pâle un peu verdàtre; ses feuilles sont touffues ; sa ra-
cine épaisse, noirâtre et fibreuse.
ADOXIES. Fêtes en l'honneur d'Adonis, qui se célé-
braient à Alexandrie, à Athènes, à Byblos et dans d'autres
contrées. Elles se composaient essentiellem.ent d'une partie
lugubre, consacrée au deuil et aux larmes, portant le nom d'o-
phanisme (disparition) : on y déplorait la mort du dieu ; et
d'ime seconde partie, consacrée aux réjouissances, qui s'ap-
pelait hén'ese (découverte) : on y célébrait le retour et la
résurrection d'Adonis. — Ce culte prit naissance en Phénicie,
et passa de là en Grèce; les Juifs, enclins à l'idolâtrie, l'a-
doptèrent aussi.
ADOXIQUE ("\''ers). Il est composé d'un dactyle, d'un
spondée ou trochée ( Têrruit ûrbëm — Aômèn ï mâgô?),
et convient par sa marche vive et rapide à des chants joyeux
et plaisants. L'emploi de ces vers dans un morceau d'une
ceitaine étendue lui donnerait une uniformité monotone ;
auàsi s'en sert-on rarement sans le mêler à d'autres vers. Il
est principalement usité pour terminer la strophe saphique.
— On croit que son nom lui vient des Adonies, où l'on
faisait usage de ce rhythrae.
ADOXIS , fils de Jlyrrha, qui l'eut de son propre père
Cinjras. Il fut élevé par les Dryades, nymphes des bois, et
sa beauté devint si ravissante que 'S'énus le choisit pour son
favori. La déesse, dans sa tendre sollicitude, accompagnait
le jeune chasseur à travers les bois, lui montrant les dangers
auxquels il s'exposait. Adonis, méprisant ses avertissements,
n'en poursuivait qu'avec une passion toujours plus ardente
les bêtes féroces, et les tuait à coups de flèches ou de mas-
sue. Jlais ayant un jour manqué un sanglier, celui-ci se jeta
sur lui et le blessa mortellement. Bien que la déesse eût
presque aussitôt appris ce malheur, bien que, pour courir
au secours du bel Adonis, elle n'eût pas craint d'ensanglanter
ses pieds délicats aux épines des rosiers, dont les fleurs,
jadis blanches, devinrent dès lors delà couleur de son sang,
elle le trouva étendu sans vie sur l'herbe. Pour adoucir ses
regrets, elle ne put que le changer en anémone, fleur qui
dure si peu, et obtenir de Jupiter que, partageant la jouis-
sance du jeune homme entre elle et Proserpine, il lui per-
\
ADOMS — ADORATION
i?9
mettrait de passer six mois de Tannée dans TEnfer, et les
six antres <lans l'Olympe.
ADOPTAXTS, lierétiques qui prétendaient que connue
Dieu Jésus-Clirist était de sa nature lils de Dieu, mais que
comme honuiie il ne l'était que par adoption au moyen du
baptême et de la résurrection, voies par lesquelles Dieu dans
sa grûce adopte aussi d'autres hommes pour lils. Ils trou-
vaient inconvenant d'appeler uu être humain Jils de Dieu
dans la stricte acception de ce terme. Klipaadus, arclievt^-
que de Tolède, et Félix , évoque d'Urgel , en Espagne, in-
troduisirent celte hérésie en 783 , et lui tirent de nombreux
partisans tant en France qu'en Espai^ne. Charlemagne, dans
un synode tenu à Ratisbonne, fit condanmer cette hérésie
et déposer Félix , son vassal. Ce jugement fut répété à
Francfort-sur-le-Mein en 794, à Rome et à Aix-la-Chapelle
en 7'J9, par suite de l'obstination de Félix, cpii , après deux
relracl.uious successives, persista dans fon iiéréaie; on y
ajouta même une clause additionnelle qui condamnait l'hérc^
siarque à rester jusqu'à sa mort (qui arriva eu 8i8) sous
la surveillance de l'évêque de Lyon. Quand Ëiipandus mou-
rut, celle «liscussion tomba dans l'oubli.
ADOPTIOA' (du latinarf,eto/j/are, choisir). L'adoption
est un Contrat qui, sanctionné par l'aulorilé judiciaire, créi.'
des rapports de palernilé et de iilialion entre des personnes
qui n'étaient point unies par les doubles liens delà parenté
naturelle et civile. Une loi du IS jauvier 1792 avait décrété
l'adoption , mais sans l'organiser ; divers actes législatifs
avaient appliqué ce principe au nom de la nation dans des
occasions solennelles. Le Code civil admit cette institution
après une longue discussion, à laquelle le premier consul
prit la principale part. .4ux termes du Code Napoléon, l'adop-
tion est un contrat qui ne peut être passé qu'entre majeurs.
L'adoptant doit être âgé de plus de cinquante ans, et sans en-
fants légitimes ; car celui quia déjà des enfants, ou qui est en-
core dans un âge qui lui permet d'en espérer, n'a pas besoin
d'adopter ceux d'autrui ; et il doit avoir au moins quinze ans
de iilus que l'adopté , parce que l'effet du contrat est d'éta-
blir entre eux les relations de père à fds. Le législateur veut,
en outre, que le contrat ait été motivé par six années de
soins donnés par l'adoptant à l'adopté pendant sa minorité.
— L'adopté n'est soumis à aucune autre condition que celle
de rapporter le consentement de ses père et mère, s'il n'a
point vingt-cinq ans ; et s'il a dépassé cet âge, il ne doit pas
procéder à un acte qui opère pour lui un changement d'élat
sans avoir requis leur conseil. — Cependant, si l'adoption
est rémunératoire , si elle est fondée sur la reconnaissance
d'un service rendu dans le péril le plus imminent, lorsque
l'adopté a sauvé la vie à l'adoptant, soit dans un combat,
soit en le retirant des flammes ou des flots, il suffit alors que
l'adoptant soit majeur sans enfants et plus âgé que l'adopté.
Si l'adoptant est marié, l'adoption ne peut avoir lieu, dans
aucun cas, sans le consentement du second époux , qui a le
droit d'intei-venir au contrat, encore bien qu'il ne soit pas
permis à plusieurs d'adopter la même personne; mais il s'a-
git ici de deux époux constituant une même famille. Les tri-
bunaux sont appelés à vérifier si les conditions exigées se
trouvent remplies, et à rechercher s'il n'existe aucune cause
d'honnêteté publique qui défende l'adoption. Le cas échéant,
comme alors ils ne rendent pas la justice, il leur est inlerdit
de motiver leur décision ; toutefois cette décision ne suffit
pas pour conférer l'adoption, qui n'est complète que par
l'inscription faite sur les registres de l'état civil. 11 est un cas
où l'adoption peut être conférée par testament, à la suite de
la tutelle officieuse. — Par l'adoption, l'adopté acquiert à
l'égard de l'adoptant tous les droits d'un enfant légitime,
dont il prend le nom ; mais il n'entre pas pour cela dans la
famille de l'adoptant, et les liens qui l'attachaient à sa propre
famille ne sont pas rompus. Ainsi, l'adopté hérite de l'adop-
tant, mais non pas des parents de l'adoptant. C'est un point
de controverse de savoir si on peut adopter son en/anf na-
DICT. DE I.V CONV. — T. I.
turcl légalement reconnu ; la cour de cassation elle-même
n'a pas de jurisprudence bien établie à cet égard.
L'adojition remonte aux temps les plus reculés : la fille de
Pharaon adopta Moïse sauvé des eaux. L'adoption existait
à Sparte, à Athènes. Chez les Romains surtout, l'adoption
était organisée d'une façon tonte particulière.
11 y avait deux espèces d'adoption : l'adopf "on propre-
ment dite, qui faisait passer un fils de fcimille de la puissanc/î
d'un père sous celle d'un autre; et Vadrogatkm, par laquelle
un père de famille se soumettait à la puissance d'un autre.
L'adoption proprement dite s'opérait par la vente solennelle,
appelée m a n c ip ation, que suivait la cession en justice.
La mancipation, qui devait être répétée trois fois pour un
enfant mâle du premier degré, le libérait de la puissance pa-
ternelle, mais ne lui attribuait pas la qualité de fils de famille
de l'acheteur ; c'était la cession en justice qui avait ce résul-
tat. Justiuien abrogea ces formaliiés surannées, et l'adoption
s'opéra par la simple déclaration du père naturel faite devant
le magistrat compétent, en présence et sans contradiction de
l'adoptant et de l'adopté. Quant à l'adrogation, elle s'opérait
autrefois par une loi que remplaça plus tard un rescrit du
prince. Elle faisait entrer sous la puissance de l'adrogeant,
non-seulement l'adrogé, mais encore tous ses enfants légiti-
mes ou adoptés, qu'il avait en sa puissance, ainsi que ses
biens. Dans l'ancien droit , les femmes et les impubères, qui
ont toujours pu être adoptés, ne pouvaient jias être adro-
gés; mais Antonin le Pieux l'avait permis pour les impu-
bères, avec des règles toutes particulières. Justinien le per-
mit également pour les femmes. Il devait exister entre l'a-
doptant et l'adopté une différence de puberté pleine, dix-huit
ans pour un fils, trente-six ans pour un petit-fils; car on
pouvait adopter à titre de fils ou de petit-fils, qu'on eût ou
qu'on n'eût pas d'enfants. Dans l'ancien droit les femmes ne
pouvaient pas adopter; mais on le leur permit ultérieurement
ADOPTION MILITAIRE. Chez les anciens Scandina-
ves, lorsque deux guerriers s'étaient liés d'amitié et d'estime,
ils creusaient en terre un trou avec le fer de leur lance , y
répandaient de leur sang, qu'ils mêlaient à la terre fraîchement
remuée; puis ils s'embrassaient, et plaçaient sur le trou une
pierre qui portait leurs chiffres entrelacés. Cette adoption ré-
ciproque s'appelait r«5ocifl?<o?? du sang. Elle liait non-seu-
lement un guerrier à un autre pour la vie, mais associait en-
core sa famille et jusqu'à ses amis à la fortune du survivant.
— Cette institution a été l'un des principaux éléments dtî
la force militaire de ces peuples. — On retrouve l'adoption
militaire chez les Grecs des premiers siècles de l'ère vulgaire
et dans la chevalerie du moyen âge , sous le nom de /ra-
tern ité d' armes.
ADORATIONS La faculté d'adorer constitue le pre-
mier caractère distinctif de notre espèce , et est en même
temps l'acte le plus sublime auquel puisse s'élever l'in-
teUigence humaine. A elle seule en appartient le pouvoir;
car la plupart des voyageurs se sont mépris quand , sur le
rapport d'Jilien et de Strabon, ne se bornant pas à accorder
presque des vertus à l'éléphant , ils ont prétendu qu'il ado-
rait le soleil levant. On est revenu de ces exagérations. Il est
tel animal sur la terre , même à côté de nous , dont les qua-
liiés instinctives ou perspicaces sont beaucoup supérieures
à celles de cet énorme quadmpède. Le chien et le cheval
nous sont soumis ; mais chez eux la soumission n'e.st pas
de l'adoration. Êtres faibles et périssables , sujets que nous
sommes à une foule d'infirmités , il n'y a rien qui , d'homme
à homme, justifie l'adoration. Si l'Écriture, dans la Vul-
gale , use de cette locution en nous racontant comment la
timide Ruth se prosterna devant Tîooz , l'un des anciens de
Juda , et Abigad devant David , irrité de l'ingratitude de son
mari, elle n'entend que nous rendre présents des actes de
profonde vénération , peut-être mêlée de crainle. Autrement
elle serait infidèle au connnandement inscrit en fêle du Dé-
calogue, ce qid ne se peni pas.
130
ADORATION
vins (l'un tyran , plus d'un empereur romain , aprôs s'iMro
lait dresser des statues et des temples , après y avoir m«^ine
institue des collèges de pontifes , ont imposé l'adoration de
leur personne à do^ nations entières. C'était à la fois une
.grande audace de l'orgueil en délire , et la honte des peuples
qui s'y soumettaient; honte dont Vespasien avait le senti-
ment, lorsqu'au moment d'exhaler son dernier souffle, il
disait avec une ironie amère : « Je sens que je vais devenir
dieu. »
Oui , l'adoration n'est duc qu'à Dieu. En s'abaissant vers
l'homme elle se dégrade, en s'élevant vers la Divinité
elle s'ennoblit. Les martyrs chrétiens ont scellé cette vérité
de leur sang. Mais combien de fois ce sentiment ne s'est-il
pas égaré , lorsqu'il s'est attaché aux œuvres d'une nature
variable dans ses évolutions , au lieu de remonter à son au-
teur! Notre devoir est de définir ici l'adoration, telle que
la raison humaine en a adopté les formes et réglé l'usage
depuis qu'il a plu à l'arbitre des mondes de placer des créa-
tures intelligentes .sur notre terre.
L'adoration implique un double sentiment , mais dans des
proportions diverses, de respect et d'amour. Le respect,
auquel s'adjoint une sorte de crainte , nait de l'idée d'un
grand pouvoir dans la dépendance duquel on se place; l'a-
Niour, môle d'espérance , veut s'attacher à quelque chose de
bon et de fort; car, même au milieu de ses plus grandes
prospérités , l'homme aura toujours le sentiment de sa fai-
blesse. C'est un Alexandre atteint d'une fluxion de poitrine
la veille ou le lendemain d'une victoire. Aussi combien n'est-
il pas misérable de voir le jeune vainqueur de Darius s'a-
venturer avec son armée dans les déserts de la Libye pour
se faire proclamer, par l'oracle de Jupiter-Ammon , comme
fils de ce dieu! N'était-ce pas mendier Vadoration à la fa-
veur d'un mensonge ?
Ce besoin de notre nature s'est en effet plus d'une fois
égaré. L'établissement du polythéisme ancien, et, aujour-
d'hui , du panthéisme allemand , encore plus dangereux ,
pourrait remonter à une pareille origine. Dans sa gratitude
l'homme versa sur ce qui l'entourait une portion de la douce
émotion qui débordait de son cœur, et le bienfait fit oublier
la source dont il émanait. Heureux de rencontrer dans sa
fatigue le toit hospitalier d'un chêne , le voyageur en s'é-
loignant renferma sous l'écorce une dryade chargée de
l'entretien de cet ombrage. Enrichi par le ruisseau qui
abreuvait sa prairie , le villageois crut voir à travers les
roseaux une nymphe épancher son urne bienfaisante. Le
sauvage lui-même attache aux meubles utiles des esprits
amis de celui qui les possède. Tant nous sentons la néces-
sité de faire intervenir une puissance surnaturelle dans les
accidents dont se compose la vie humaine !
On a dit que la crainte a fait les premiers dieux : il y a là
certainement quelque chose de vrai , mais non dans un sens
absolu. Le culte des deux principes a été assez nouvellement
rencontré chez les insulaires de l'Océanie , découverte par le
navigateur Wallis , (jui lui a donné son nom. Partout où la
révélation n'avait pas parlé , il était présumable que l'homme
se croirait dominé par un bras invisible, au milieu des
grandes circonstances où sa vie était menacée. Les fléaux
imprévus qui fondent sur une contrée , les contagions , le
bruit solennel et impasant du tonnerre , et les signes pré-
curseurs des tompt"'tes , conduisirent à chercher des moteurs
dans une sphèie plus élevée que la nôtre ; car on sentait
bien que la nature était soumise à des lois qu'elle ne s'était
pas données ; on reconnaissait même son état de dépen-
dance, manifesté jusque par les aberrations d'un ordre gé-
néral et primitif. Guidées d'abord par un avis plus qii'ins-
tinctif, bientôt égarées par les surprises d'une raison qui
prétendait se rendre conqife de tout sans moyens d'y par-
venir, les premières réunions des hommes ont pu sacrifier
sur deux autels. Arimane et Oromaze ont c\\ leurs fètcs ,
-tour à tour terribles et joyeuses. Plus tard, la société ne se
sera pas moins effrayée de ses propres vires que des plus
redoutables phénomènes; il aura fallu apaiser Teutalès; la
peur et les furies vengeresses auront eu un culte , et le tem-
ple de Mars sanguinaire se sera élevé à Rome auprès de
celui de la Paix et de la Concorde.
Ainsi , de deux impressions diverses sont sorties deux
adorations qu'un sentiment mieux éclairé a ramenées à une
seule. Cependant ces fables, plus ou moins ingénieuses, se-
ront à la fois un objet de pitié et de respect pour le philoso-
phe, puisque si d'une part elles nous affligent par le
triste spectacle de la faiblesse humaine abandonnée à elle-
même, de l'autre elles s'olTrent à nos yeux comme autant
de témoignages inécusables d'une adoration permanente
sur la terre , et qui n'attendait , pour se régulariser, qu'une
meilleure direction.
11 n'en est pas moins apparent que dans les anciens âges
les hommes dont le génie a brillé d'une vive lumière entre
leurs semblables, loin de partager l'erreur commune, con-
servèrent, à l'instar du feu sacré de Vesta, la pensée du Dieu
unique, pour laquelle mounit Socrate. Certainement Homère,
qui a peint à si grands traits la sagesse, la puissance et la
justice du chef de son Olympe, n'a pas cru à cette foule de
divinités colériques, jalouses et incestueuses, dont il fut pro-
bablement le père. Tandis que l'Aurore, fraîche et vermeille,
laissait tomber ses fleurs devant le berger matinal du mont
Hymette et que le paysan de la Calabre plaçait la foudre
dans la main de Jupiter irrité, Platon rendait grâce à cette
Providence qui chaque matin replaçait les campagnes de
l'Attique sous les rayons d'un beau soleil , et Cicéron, par de
belles pages, honorait à Tusculum quelques-uns des attributs
de l'Éternel. Plus lard, Sénèque écrivait ses admirables
lettres à Lucilius, lettres où non-seulement la haute sagesse
du Tout-Puissant a trouvé plus d'une fois un noble inter-
prète, mais où sont encore pressentis quelques-uns des se-
crets de la nature destinés à être découverts après dix-huit
siècles d'études et de tâtonnements.
Ainsi, pareille à ces flambeaux que l'on se passait de main
en main dans les fêtes d'Eleusis, Vadoration d'un pouvoir
suprême, conservateur et providentiel, a traversé les âges et
est arrivée jusqu'à nous , maintenue par les méditations des
philosophes, les travaux des artistes, les chants des poètes ,
et, à quelques exceptions près (qu'il faudrait encore sou-
mettre à une saine critique), par la profession de foi de tous
les honnêtes gens de toutes les conditions sociales et de
toutes les contrées de ce globe terrestre.
En s'enfonçant dans l'antiquité la plus reculée, on trou-
vera bien des erreurs auxquelles nous en avons substitué
quelques autres, mais peu d'irréligion absolue. On serait
tenté de dire que, trop rapprochés de leur point de départ,
les hommes n'étaient pas encore assez hardis pour élever
des doutes sur leur propre origine. Serait-ce plutôt qu'il
était réservé aux passions de défigurer, au fond des cœurs,
l'image de la Divinité, avant de songer à l'anéantir? Quoi
qu'il en soit, il n'est pas d'époque dans les annales des peu- .
pies où il n'ait existé presque autant de temples que de ha-
meaux sur la terre. Lisez Pausanias : il vous montrera la
Grèce couverte d'édifices religieux. Sous des formes, sous des
dénominations différentes, la Divinité y était partout adorée.
La timide innocence, qui abaisse timidement ses paupières
sur l'orbe d'un œil d'azur, et le génie, qui, dans sa contem-
plation , tient sa vue ferme et arrêtée vers le ciel, lui appor-
taient également leur hommage. Où la simple paysanne de
Samos déposait, dans sa gratitude, une corbeille de fruits,
Pytliagorc , le plus religieux des hommes, offrait un tau-
lobole.
Certes, c'est quelque chose que cette chaîne d'adoration
arrivée de si loin jusqu'à nous, et qui, dans des temps mo-
dernes, a compté, comme des anneaux encore pins brillants,
des Clarke, des Leibnilz, des Bossuet, des Fénelon, qui n'é-
taient |ias non plus de trop faibles esprits ; et ne faut-il pas
ADORATION — ADUASTE
131
leur ajouter le brillant analyste de la liiniitTe, le profond liis-
torien des mondes voyageurs dans Tinimense espace, enfin
le grand Newton, qui, lorsque le nom de Dieu était prononcé
par lui ou venait à frapper ses oreilles, se découvrait la tiMe
en signe de respect? C'était là aussi un genre iVadorotion,
un véritable bommage rendu à une providence, et nous
plaindrions le peuple chez lequel de pareils actes ne seraient
accueillis que par un murmure ironique.
Nous crafgnons plus, en effet, l'athéisme que la supersti-
tion. C'était un adage reçu chez les anciens : qu'il ne faut
pas naviguer arec les impies. La superstition peut con-
duire à de grands crimes, nous en convenons ; l'histoire en
offre de déplorables exemples ; mais, après tout, comme di-
rection détournée d'un sentiment vrai, elle n'est que la ma-
ladie des sociétés, tandis que l'athéisme en serait la mort.
Aussi nous sommes surpris que le chancelier Bacon, qui
dans la seule croyance en Dieu a vu le fondement du sys-
tème de la science , ait préféré la négation des idées reli-
gieuses à leur aberration. Le superstitieux tremblera au
moins devant quelq\ie chose , on aura prise sur lui en de-
hors de son intérêt du moment ; l'athée, au contraire, que
redoutera-t-il, s'il peut ranger la force de son côté, ou s'en-
velopper de ténèbres ? Je serais un sot de confier àcet homme
ma femme, ma fille, ou le soin de ma fortune ; il serait un
sot lui-même s'il n'abusait de ma confiance, après avoir
pris ses sûretés, fussent-elles attentatoires à ma vie. Sa con-
voitise secrète ne m'a-t-elle pas tué déjà dans ce que j'ai de
plus cher? Adorez le bœuf Apis, si vous le voulez; mais
adorez un être quelconque qui me réponde de vous! Dieu
n'est pas si difficile à trouver, pour qu'avec un peu de ré-
flexion votre hommage n'aille jusqu'à lui.
Une analyse psychologique démêlerait encore dans Yado-
radon un état de l'âme qui, franchissant les limites où l'ar-
rêtent trop souvent des entraves importunes, chercherait à
remonter vers une perfection dont elle a le sentiment, et vers
laquelle, même à son insu, elle essaye sans cesse de graviter.
Cet effort lui coûte peu, parce qu'il est dans sa nature. S'il
ne répondait à des besoins dont elle n'a pas encore tout le
secret , s'il n'attestait une sorte de droit sur un avenir in-
connu, mais implicitement promis, elle ne s'y porterait pas
au mépris des obstacles qui l'environnent; elle a entendu la
voix du divin maître qui l'appelle, quand toutes les appa-
rences la repoussent. Tout absorbée qu'elle est, elle sent
quelle marche au but ; elle.frissonne de crainte devant la ma-
jesté suprême, mais elle se confie, elle baisse ses paupières
vers la terre; mais, dans son immobilité silencieuse et sous
le voile dont elle s'enveloppe, elle contemple ce qu'il y a de
plus grand dans les cieux. Son effroi devient de l'amour :
en adorant, elle est déjà heureuse , car elle espère ; déjà elle
s'est identifiée avec une bonté suprême, et l'anéantissement
dans lequel elle se plonge, et auquel elle s'est soumise sans
regret, devient pour elle le prélude d'une fusion dans le
sein de son Créateur. Kératrv.
ADORATION PERPETUELLE , terme ascétique
qui désigne la dévotion singulière de quelques congréga-
tions de femmes, laquelle consiste à adresser, soit au saint-
sacrement, soit au sacré-cœur de Jésus, des prières non in-
terrompues récitées à tour de rôle par chaque membre de
la congrégation. Ces pratiques sont regrettables, car elles
semblent tenir de la superstition , et sont bien éloignées
de l'esprit de l'Évangile. L'Écriture n'a-t-elle pas dit :
« Quand vous priez, n'usez pas de vaines redites comme
les païens, car ils cioient qu'ils seront exaucés quand ils
auront beaucoup parlé. Ne les imitez point; car votre Père
sait ce dont vous avez besoin avant que vous le lui deman-
diez. "
ADORXO, famille plébéienne de Gênes, du parti gi-
belin , qui lutta pendant près de deux siècles contre la fa-
mille Fulgoso, et qui a fourni plusieurs doges à son pays.
Voyei Gé.nes.
ADOS. On appelle ainsi en horticulture une disposition
particulière donnée à un terrain , eu l'inclinant de ma-
nière qu'il reçoive les rayons solaires le moins obliquement
possible, vers le levant ou le midi , et en V adossant à une
muraille ou à un abri fait avec des paillassons. C'est un
moyen employé surtout pour obtenir des primeurs. En cela
les jardiniers ne font qu'imiter la nature ; car c'est sur des
pentes abritées du nord que naissent et croissent tout natu-
rellement les plantes pour lesquelles la chaleur est une con-
dition principale d'existence.
ADOUBER, mol de la langue romane , qui signifie
ajuster, orner, et surtout pairr des vêtements et des
armes de la chevalerie. Un poème bien connu , VOrdène de
chevalerie, offre un exemple remarquable à'adoubage :
c'est Hue de Tabarie , c'est-à-dire de Tibériade, qui arme
chevalier le puissant et magnanime Saladin. Le Tasse , au
dixième chant de la Jérusalem délivrée, nous montre la
belle Herminie qui enferme son sein délicat dans une dure
cuirasse , cache ses beaux cheveux blonds et son gra-
cieux visage sous un casque menaçant , et pend à son bras
gauche un lourd bouclier, fardeau bien peu propre à sa fai-
blesse. C'est ainsi qu'Herminie s'adoubait en guerrier. On fait
venir ce mot àHadaptare, en basse latinité adobare, en an-
cien provençal flrfoftflr. On trouvedans le Roman de Ronce-
vaux, publié par M. Francisque Michel, le mot adub
pour armure. De Reiffenberg.
ADOUCISSANTS. Ces médicaments ne forment plus
aujomd'hui une classe spéciale dans les traités de matière
médicale. Ils font partie des émollients. On leur suppo-
sait le pouvoir de modérer la chaleur interne et de corriger
certaines âcretés des humeurs. Les substances mucilagi-
neuses, celles surtout qui contiennent un principe mucoso-
sucré, ou même seulement du sucre, sont particulièrement
adoucissantes : les fleurs de guimauve , de violette, de tussi-
lage, les dattes, les jujubes, les raisins, les laits de vache et
de chèvre, etc. On prépare des aliments doux avec les di-
verses fécules. Les huiles d'amandes douces, d'olives, etc.,
sont des adoucissants externes. D' Delasiaive.
AD PATRES. C'est une locution latine qui signifie
littéralement vers ses pères. On l'emploie en français dans
quelques phrases familières. Aller ad patres, c'est mourir.
Un coup d'épée l'envoya ad patres. Son médecin l'a en-
voyé ad patres.
ADRAGANT (Gomme), suc gommeux très-épais,
fourni par divers arbustes de l'Orient appartenant aux «5-
tragales . Ce produit apparaît sous forme de lanières ou
de fils minces, contournés et vermiculés, blancs ou rous-
sàtres, et opaques. La gomme adragant nous arrive en
caisses de 120 à 130 kilogrammes. Ce mol ndragani est dé-
rivé du nom grec d'une espèce (ïastragale , fort conmunie
aux environs de Marseille, la tragaganthe, formé de T&âyoc,
bouc, et de àxav5a, épine, parce que cet animal aime à la
brouter. D'une saveur douce et mucilagineuse, la gomme
adi'agant est insoluble dans l'alcool , soluble en partie dans
l'eau froide et en totalité dans l'eau bouillante. Dans l'eau
elle se gonfie beaucoup, et forme un mucilage visqueux et
épais. Les pharmaciens et les confiseurs l'emploient pour
faire les diverses pâtes et tablettes , le nougat blanc, etc. On
s'en sert aussi pour donner de l'apprêt à diverses étoffes;
enfin elle entre dans la composition des tablettes de couleurs
destinées à peindre la miniature et l'aeiuarelle.
ADRASTE, roi d'Argos, fils de Talaiis et d'Euiynome.
Pour obéir à l'oracle qui lui ordonnait de donner sas
deux (illes, Argiaet Déiphyle, à un lion et à un sanglier, il-
oflïit l'une à Polynice, banni de Tlièbes par son frère
Etéocle, (jui vint à lui enveloppé dans une peau de bon, et
l'autre à Tydée, (pii se présenta à ses regards vêtu d'une
peau de sanglier. Pour soutenir les droits de son gendre, il
marcha contre Tlièbes avec une aiiuée qu'avaient réunie six
princes grecs ses alliés. Cette guerre est célèbre sous k
17.
132
ADRASTE — ADRESSE
nom (le çvcrre (ks Sept Chefs. Tous ces princes y pé-
rirent, à rexception (rAdrastc, qui se réfugia à Athènes avec
un petit nombre des siens, et, par le secours de Thésée, re-
tourna dans ses États. Dix ans apri^s, Adraste forma une
nouvelle armée, commandée par les fils des princes qui
avaient péri dans la première, connus sous le nom d'Épi-
gones (descendants) ; mais Adraste perdit dans le combat
son filsÉgialée, et en mourut dedoiileur. Son cheval Aiion,
fruit des amours de Neptune cl de Cérès, qui s'étaient méta-
morphosés Tun en étalon, l'autre en cavale, avait le don de
la parole, et prédisait l'avenir.
ADRASTÉE , surnom de Némésis. Voyez ce nom.
AD REM. Voici encore une locution latine que l'usage
a fait natm-aliser dans le langage parlé comme dans le lan-
gage écrit. C'est que cette expression adverbiale est un ex-
cellent et rapide synonyme des mois convenablement, ca-
tégoriquement. Elle s'applique très-bien à tout orateur ou
écrivain qui ne craint pas d'embrasser une question dans son
ensemble, de pénétrer jusque dans ses entrailles ( in visce-
ribus rei), et d'en arracher tout ce qu'il importe de con-
naître. On dit alors d'un tel orateur ou d'un tel écrivain
qu'il parle, qu'il éi i it ad rem. On sent qu'il ne saurait en
être de même de ces h )unionnants disfoureuis qui parlent
toujours pour ne rien dire, qui s'étudient à polir acadérai-
(piement de ponqieuses et insignidantes périodes, et restent
toujours en dehors de la (piestion. De par le bon sens , il
est défendu à ces gens-là de dire jamais qu'ils parlent ou
qu'ils éciivent ad rem. Champagnac.
ADRESSE. Dans la langue politique , on entend par ce
mot une lettre de respect, de félicitalion, d'adhésion ou de
demande, adressée au souverain par un corps politique , ou
l)ar une réunion de citoyens. L'usage des adresses est origi-
naire d'Angleterre , où le parlement est dans l'habitude de
répondre par une adresse au discours d'ouverture ou de clô-
ture (le la session que prononce le souverain. Cet usage a
l)assc dans les mœurs politiques de la plupart des États
constitutionnels. En France, on sait quelle importance prit
la discussion de l'adresse sous la luonarcliie constitution-
nelle, et notamment dans les dernières années du règne de
Louis-I'liilippe. Le républi(iue de 1848 avait aboli les adres-
ses; aucune réponse n'était faite an manifeste du président.
L'empire ne lésa rétablies, poiirlesénat et le corps législatif,
(jueparle décret du 24 novembre 1860 ; mais elles doivent se
J)orner à l'émissionde vcbux, ces corps n'ayant aucune action
sin" li'S ministres. A la fin du régime parlementaire, la discus-
sion de l'adresse, à la chambre des députés, était devenue
ime lutte oratoire animée, qui remplissait les premiers
mois de la session, au détriment (ie la discussion du
biiiiget, repoussée à latin de la session. Aucune discussion
ii'élait d'ailleurs entamée que l'adresse ne fût votée ; car
jns(]ue alors les ministres n'étaient pas certains de garder
leurs portefeuilles. Dans cette discussion de l'adresse, les
ministres en expectative attaquaient les ministres titulaires
sur tous les points : al'Iaires intérieures, affaires étrangères,
toutes les questions étaient passées en revue, et le ministère
avait à défendre sa politique entière. Aussi, une fois l'adresse
volée, l'intérêt de la session allait languissant; le ministère
était srtr de sa majorité, il ne pouvait plus y avoir que des
escarmouches ; la grande bataille était gagnée. Ainsi que le
disait JE Odilon Barrot dans la première édition de notre
ouvrage, « ce droit des chambres d'exprimer leurs v(eux
dans une adresse à la couronne était d'autant plus redou-
table qu'il était moins limité dans son objet; ce n'était pas
sur telle ou telle loi, telle ou telle mesure spéciale du gou-
vernement, que les chambres avaient le droit de faire porter
leurs adresses à la couronne , c'était sur tous les objets quel-
conques qui pouvaient intéresser le pays, sur la marcb.e
{;énérale du gouvernement comme siu' ses actes spéciaux,
sur le personnel de ses agents coumie sur leurs nu;sures, sur
les griefs du présent comme sur les aiipréhcnsio.'is de l'a-
venir. Aussi pouvait-on dire avec raison que l'adresse était
la plus haute comme la dernière et la plus décisive expres-
sion du pouvoir parlementaire , ïultimatum en quelque
sorte de la représentation nationale. »
L'adresse des deux cent vingt-un au roi Char-
les X, votée en 1830 par la chambre des députés de France,
et ainsi appelée du nombre qui formait la majorité dont elle
formulait l'opinion , est sans contredit l'une des plus mé-
morables qu'aient encore offertes les annales parlementai-
res des nations constitutionnelles, en raison des événements
extraordinaires qu'elle a amenés en France ( voyez Révo-
lution de Juilijet). La révolution de Février fut aussi le
résultat d'une discussion de l'adresse. Le roi avait qualifié
dans son discours de passions aveugles ou ennemies l'agi-
tation produite par les banquets. La chambre avait adopté
cette expression ; mais l'opposition avait porté le défi d'em-
pêcher les banquets , et des députés de toutes les nuances
avaient accepté l'invitation de se trouver au banquet du
douzième arrondissement. Le ministère avait relevé ce défi
dans la discussion de l'adresse, et il voulait saisir le pou-
voir judiciaire de la question de légalité. Les événements en
décidèrent autrement. C'est encore dans une discussion
d'adresse que la cluimbre des députés introduisit des expres-
sions flétrissantes pour ceux de ses membres qui avaient
fiiit le voyage de lîelgrave-Square. Par un autre vote -elle
empêcha une fois ce gouvernement de ratifier un traité con-
clu avec l'Angleterre à propos de la traite des nègres, et
qui consacrait le droit de visite. Ce fut encore une dis-
cussion de l'adresse qui interdit l'expédition projetée contre
Madagascar.
En Angleterre, l'adresse des chambres excite à un moins
haut degré l'intérêt public, parce qu'elle y a en effet moins
d'importance. Tout membre a le droit de proposer directe-
ment, à la chambre dont il fait partie, une adresse.à la cou-
lomie. Lorsqu'il s'agitderépondreaudiscours d'ouverture du
pai lement , le projet de réponse est immédiatement proposé
p:u- un membre de la majorité, et ce projet n'est le plus
ordinairement qu'une paraphrase du discours lui-même.
L'opposition a le droit de proposer un autre projet d'a-
dresse, mais elle use rarement de ce droit, et elle en use
d'autant plus rarement qu'elle est plus libre dans le cours
de la session, sans aucune entrave ni restriction, de pro-
poser une adresse spéciale à la couronne. — En outre, et
comme en Angleterre les mœurs politiques sont assez avan-
cées pour qu'il paraisse non-seulement très-licite, mais
très-naturel, lorsqu'un ministre n'a plus dans les chambres
i;ne majorité assez forte et assez sympathique pour faire
avec fermeté et loyauté les affaires du pays , de formuler
nettement et directement le vœu de son renvoi dans une
adresse spéciale, tout moyen détourné d'arriver au même
résultat paraîtrait puéril et peu digne du parlement. Aussi
en Angleterre ne voit-on pas , comme on l'a vu longtemps
chez nous, de ces débats prolongés sur un mot, sur une
]ilirase souvent équivoque de l'adresse, débats qui n'étaient
si acharnés que parce qu'ils couvraient une question raims-
térielle que nos mœurs ne permettaient pas de poser direc-
tement.
Quant aux adresses de félicitalion, d'adhésion, etc., éma-
nant des autorités constituées d'un pays, il y a longtemps
qu'elles ont perdu toute importance politique. Pour que ces
documents servissent réellement à constater l'état de l'opi-
nion publique, il faudrait qu'ils fussent délibérés et votés
par des hommes autres que ceux auxquels les gouverne-
ments confient précisément une paît dans l'exercice de leur
autorité. Émanant , au contraire , d'assemblées représentant
véritablement les intérêts des localités, les adresses seraient
d'une incontestable utilité pour faire connaître la vérité aux
gouvernements. Sous ce rapport, il semble qu'on ne saurait
trop recommander l'imitation de l'usage qui existe depuis
uu temps iuunémori;;! en Ausieîerre, et qui permet à plu-
ADRESSE
Meurs centaines de înilliers de citoyens de se rtWinir h jour
fixe dans un lieu donni^ à Tellet de délibérer soit sur la si-
tuation des aiïaires du [lays, soit sur les griefs particuliers que
les localités lésées dans leurs intérêts peuvent avoir à faire
connaître au souverain ou à la législature. Ces vastes réu-
nions d'hommes , dans lesquelles des orateurs populaires
exposent dans im langage ferme et incisif, tantôt les grands
principes du droit politique, tantôt les erreurs des gouver-
nants, peuvent d'ailleurs, dans une machine constitutionnelle,
être considérées comme autant de soupapes de sûreté par
lesquelles s'cchai>pe le trop-plein du mécontentement po-
luilaire. Les peuples, comme les enfants, demandent moins
qu'on les soulage qu'on ne paraisse écouter leurs doléances.
ADRESSE DES 221. Quand l'heure (;itale des em-
pires a sonné, il faut qu'ils tombent. Leurs précautions leur
sont un piège, et leur résistance ne fait que hâter leur chute.
Pour gouverner dans la tempête qui s'éleva sur la fin du
règne de Charles X, il eût fallu prendre im timonier aussi
ferme qu'habile, et ce fut un pilote ignorant et faible qu'on
choisit. La révolution de 1830 date chronologiquement de
juillet, mais elle était déjà renfermée dans l'adressedes deux
cent vingt et un. Sous les emblèmes les plus respectueux,
sous une phraséologie qui poussait la servilité jusqu'à l'em-
phase et qui se prosternait à terre, il était facile d'entendrs
les grondements sourds de l'opposilion, et de lire le fond de
ses pensées. Elles étaient sombres et menaçantes. Les der-
niers prestiges du droit divin s'évanouissaient, et la souve-
raineté nationale apparaissait dans le lointain. C'est dans ce
sens qu'il faut lire, qu'il faut étudier le prophétique avertis-
sement connu sous le ncm d^ Adresse des deux cent vingt
et un , qui restera comme le monument le plus remarquable
peut-être des révohilions parlementaires.
On se tromperait si Ton croyait que les deux cent vingt
et un députés de la coalition ont tous voté la fanieuse adresse
par les mêmes motifs. — Les hommes de la gauche votèrent
par haine contre 1\L de Polignac, de même que U^ï. de
Conny , de Laboulaye et de Forment eussent voté par haine
contie MM. de Lafayette, Bavoux et B. Constant, si ces der-
niers eussent été ministres. C'est là, au surplus, riiistoire de
tous les partis et de tous les temps : il y a dans toutes les as-
semblées politiques une invincible répugnance qui naît de
l'incompatibilité radicale des doctrines ; et qui ne sait ([ue
de la haine des doctrines on passe facilement à la haine
des personnes ? — Pour les députés de la gauche, M. de Poli-
gnac était l'incarnation de la contre-révolution ; c'était la
restauration d'une aristocratie hébétée ; c'était l'ancien ré-
gime avec ses tourelles, ses créneaux, son vasselage et sa
féodalité; c'était la censure; c'était le renversement violent
de la charte. — Les honmies du centre gauche n'avaient
pas contre la personne même de M. de Polignac i\n si
âpre ressentiment ; j'écoutais leurs entretiens. Ils se disaient
entre eux : On ne peut nier que ce soit un homme courtois,
affable et de manières chevaleresques et polies. Sa fidélité
au roi a eu quelque chose d'héroïque et d'admirable, il ne
jieiit pas avoir vécu si longtemps en Angleterre sans y avoir
«liod'lié l'absolutisme primitif de ses idtîes, et le spectacle
d'une nation heureuse et libre n'a pas dû être sans influence
sir son âme. Nous cioyons qu'il ne manque pas d'une cei-
taine modération naturelle , et que les coups d'État ne sur-
giraient pas de ses propres inspirations. Enfin, à tout
prendre , il vaut bien , il vaut mieux que tant de ministres,
caméléons politiques , qui ne se sont parés de beaux sem-
blants de constitutionnalité que pour capter nos suffrages,
se couvrir d'honneurs et d'or, et trahir la cause sacrée de
la patrie. — Mais U. de Polignac est faible parce qu'il est
médiocre; il n'a pas de volonté à lui, pas de système arrêté.
Il est le jouet d'une faction perverse, qui consent que tout
périsse ensuite, peuple et monarchie, pourvu d'abord qu'elle
règne. 11 a planté son drapeau dans rextiêmc droite, avec
laquelle tout homme rais-jr.nable et auu de sca piijs iw.ou-
133
nait qu'il est impossible de marcher. 11 s'est mis à la fêle
d'un ministère que tout annonce n'avoir été créé que pour
empêcher l'établissement de l'organisation municipale et
départementale, et pour nous ravir les deux lois de la presse
et des élections. Vn votant l'adresse, nous remplirons notre
devoir de loyaux députés ; nous reproduirons le vœu de nos
départements ; nous dirons au pouvoir ce qui fâche, mais ce
qui éclaire, ce qui blesse, mais ce qui guérit, la vérité.
Nous ne nous targuons pas , pour faire un tel acte , ni d'un
grand mérite ni d'un grand courage ; nous voulons tout sim-
plement êtie conformes à nous-mêmes. Les médailles cons-
titutionnelles , les dîners civiques , les discours , les remer-
cîments, les sérénades, à nos yeux, ne signifient rien. Que,
d'un côté , les courtisans inondent les antichambres de
M. de Pohgnac, qu'ils le pressent, qu'ils l'étouf'fent dans
l'empressement de leurs félicitations ridicides ; de l'autre ,
que les toasts circulent avec le vin ou la bière dans les
banquets de li gauche ; nous ne voyons en tout cela que des
parades de théâtre et que le triomphe puéril d'une coterie.
C'est à la France calme et rassise , c'est à la conscience indi-
viduelle de tous les bons citoyens, que nous allons nous
adresser. — Tels étaient leurs discours.
Chaque parti était pris d'avance, et les orateurs du comité
secret n'avancèrent pas la question. On était plus avide de
la solution que de leurs discours. Voici l'impression exacte
qu'ils ont produite sur l'assemblée. — M. Fauro a paru rai-
sonnable; M. Guizot, dogmatique et peu entraînant ; M. Du-
pin , vif et pressant; M. Guernon de Pianville , aigre et hu-
moriste ; M. de Cbantelauze, verbeux et monotone ; 1\L Pas
de Baulieu , déclamât eur consciencieux ; M. Berryer, élo-
quent, nerveux, pas.sionné; — mais M. de Cordoue, avec
son accent d'honnête homme et sa parole convaincue , rem-
porta une véritable victoire ; car il émut presque jusqu'aux
larmes cette portion de l'assemblée où le centre gauche se
confondait avec le centre droit. On pourrait affirmer que
sans le discours chaleureux et persuasif de M. de Cordoue ,
la majorité n'eût pas été tout à fait aussi forte. — Peut-être
eût-elle diminué encore un peu si I\I. de Polignac eût su
dire quelques paroles de modération , et s'il eût su expliquer
aTCc quelque mesure et quelque clarté le système de son
administration. En vérité, l'on souffrait pour lui, comme ces
spectateurs assis au théâtre , qui sentent du malaise à ^oir
un acteur se troubler, balbutier et pâlir. Ce pauvre minis-
tère, cloué sur son banc, sans voix, sans couleur, accablé
de sarcasmes et de mépris , faisait étonnamment pitié !
La salle était mal éclairée, et de sourds frémissements
parcouraient tous les rangs de l'opposition : on se cherchait
(!es yeux , on se pressait les mains et l'on s'encourageait à la
victoire, car on semblait comprendre que cette journée
allait décider du sort de la France. — La gauciie et le centre
gauche se levèrent jiour Vadresse tous à la fois, coup sur
coup, sans division et comme un seul homme. — L'extrême
droite vota hardiment contre Vadresse, et comme il conve-
nait à des gens de cœur. — Mais le spectacle du centre droit
était risible : là se trouvaient rangés cette foule de préfets ,
d'avocats généraux, militaires en activité, procureurs du
roi , gentils-hommes de la chambre et autres fonctionnaires
amovibles , dont la plu|)art étaient passablement constitu-
tionnels au fond de l'âme , qui pestaient contre le maudit
usage de voter ostensiblement par assis 'et levé , et qui ne
savaient comment faire pour accoider la conscience avec
l'intérêt, et le député avec le fonctionnaire. — Plusieurs
hommes timides etindécis, à la faveur du demi-jour, se glis-
sèrent derrière les draperies, et disparurent. Royalistes de
forme , libéraux au fond , e.\cités par leur patriotisnie, rete-
nus par l'intérêt, ils échappaient au vote, croyant ainsi
échapper à leur conscience.
La situation devenait critique. Je voyais notre majorité
décroître de paragraphe en jiaragraphe, jusqu'au fiimeux
membre de jihrase : « Lrtre vos ministres cl nous, que
134
ADRESSE — ADRETS
Votre Majesté prononce ! » Là 6clat<'\il le refus de concours ;
là, très-r^rtainement aussi , c'est tout au plus si huit ou dix
membres du centre droit se sont levés aVec nous. — Com-
ment donc se fait-il alors que la majorité sur l'ensemble de
Vadresse ait été de quarante? C'est qu'après avoir satisfait
à l'intérêt de leur place, les quarante membres ont obéi à la
voix de leur conscience. Us ont donc voté à la fois contre et
pour : contre, à l'assis et levé ; pour, au scrutin. C'est ainsi
que la violence du ministère engendrait l'iiypocrisie des
fonctionnaires, ctjui faisait des ennemis mortefs de tous ces
gens peureux , mais iionnétes , qu'il forçait à se composer,
imurlemème objet, un double vote, et à rougir en secret
d'eux-mêmes. — 'Mais quels étaient ces députés? Le mystère
de leurs noms est resté caché dans l'urne.
S'attachant à ce chiffre de quarante, lemini.stère Polignac
voulut faire prendre le change à l'oijinion et donner à croire
que la majorité anti-ministérielle n'avait pas été au delà. —
Hien n'était plus faux que ce calcul. En effet , plus de trente
députés avaient voté contre l'adresse , qui eussent voté pour
l'amendement Lorgeril. Or, l'amendement Lorgeril ne mo-
difiait que l'enveloppe de la pensée intime de la chambre,
mais il ne changeait rien au fond même de cette pensée. 11
repoussait tout autant que la commissi/)n le ministère Poli-
gnac , mais avec des formes plus adoucies. Voilà ce qu'il est
impossible de nier. Aussi M. Berryer, qui a déployé autant
d'habileté que d'énergie dans cette discussion , s'est-il élevé
avec la môme force contre l'amendement Lorgeril que contre
l'adresse , et l'extrême droite, qui sentait toute la justesse de
son argumentation, le seconda de ses applaudissements. —
De son côté, le centre gauche , plus exigeant à mesure qu'il
obtenait davantage, ne crut pas devoir abandonner la rédac-
tion de sa commission , pour lui substituer un amendement
décoloré, qui au fond signifiait exactement la môme chose.
Il faut conclure de tout ceci que la majorité d'alors se
composait de quarante membres , auxquels il faut ajouter
vingt à trente députés qui siégeaient au centre dioit, et qui
étaient à peu près aussi antipathiques à l'extrême droite qu'à
l'extrême gauche. — Le parti Polignac pur, tel que les scru-
tins de la présidence et de la vice-présidence l'ont, à diffé-
rentes épreuves, signalé, était de cent seize à cent vingt mem-
bres tout au plus. Voilà son chiffre et voilà sa force réelle.
N'était-ce pas une résolution insensée, désespérée, de vou-
loir gouverner avec une si faible majorité? Timon.
ADRETS (Fkançois de Beaumomt, baron des). Le
paysan du Dauphiné ne prononce aujourd'hui ce nom qu'eu
frémissant : après deux siècles et demi , on se souvient, en-
core dans cette province du chef de bandes , tour à tour
bourreau protestant et bourreau catholique , qui , selon le
variable instinct de sa vengeance, faisait tomber son glaive
sur l'un et l'autre parti. Le baron des Adrets n'eut de pas-
sion que la haine ; il usa pour la satisfaire de toutes les
qualités du guerrier : intrépidité , prévoyance , sagacité ,
activité, mépris du danger et de la mort. La France du
seizième siècle parodiait l'Italie , à qui elle empruntait tous
ses crimes comme toutes ses voluptés. Elle vit en lui avec
effroi le représentant de celte vengeance italienne, dont
Ezzelin fut le modèle et Dante le poète. Une fureur si étran-
gère à nos mœurs frappa vivement les esprits, et des
Adrets devint un type. 15ientôt sa légende se chargea de
tous les actes de-, férocité que put inventer rimaginatiou
populaire, et l'historien, forcé aujourd'hui de découvrir
sous un amas de mensonges la réalité des faits, sépare
avec diflicuité la vérité de la llction.
Cet honmie odieux appartenait à une branche puînée de
la maison de Beaumont, (jui subsiste toujours dans les bran-
ches de Beaumont, d'Autichamp et de Saint-Quentin. Né
au château de la Frette, en 15I;J, il entra dans une com-
pagnie de gentils-hommes volontaires du Dauphiné, partit
à <\uiii7.e ans pour l'Italie, y lit sa première éducation guer-
rièic, et fut nommé à dix-neuf ans l'un des cent gen-
tils-hommes ordinaires de François I"". Promu , après la
mort de ce roi , au grade de colonel, il s'était déjà signalé
par l'excès de son intrépidité et la violence d'un orgueil qui
ne souffrait et ne pardonnait aucune offense. D'Ailly de
Pecquigny, gouverneur du MontfeiTat, ayant livré aux
Espagnols cette place, le jeune des Adrets l'insulta par une
provocation publique ; il offrait de prouver en champ clos,
selon les anciennes lois du royaume, que d'Ailly avait for-
fait à l'honneur en n'opposant à l'ennemi aucune résis-
tance. D'Ailly répondit à cette provocation par une dénon-
ciation que les princes de Lorraine soutinrent ; il fut dé-
fendu au baron des Adrets de renouveler son accusation ,
dont le gouverneur fut déchargé solennellement. Déclaré
calomniateur par jugement solennel et authentique , il con-
çut une rage profonde contre les Guises, qu'il ne cessa
plus de poursuivre de sa haine. Catherine de Médicis les
craignait et voulait les détniire , le baron des Adrets était
un instrument propre à servir ses vues : dans une lettre
qui s'est conservée, elle l'engagea vivement à la servir en
servant sa j)ropre vengeance , à lever des troupes , protes-
tantes ou catholiques , peu importait , et à ruiner cette
maison de Lorraine, ennemie de l'État. Ravi de trouver une
occasion commode de vengeance, des Adrets embrasse aus-
sitôt le parti de Condé , et , dirigeant avec une activité et
une vigueur incroyables le fanatisme des protestants , en-
vahit successivement Valence , Lyon , Grenoble , Vienne ,
Orange , Montélimart , Pierrelatte , le Bourg , Bolène , etc.
Signalant son passage par le meurtre et la cruauté froide ,
et semant l'épouvante sur sa route, tantôt il pendait une
garnison qui se rendait , tantôt il décapitait en riant tous
ses prisonniers. Les chefs de la cause protestante reculè-
rent devant les succès souillés que le baron leur apportait.
Soubise fut nommé, à l'exclusion de des Adrets, lieutenant
général du prince de Condé. Alors ce catholique , chef do
protestants, s'aperçut que la haine l'avait jeté dans une
position fausse , et que jamais il n'obtiendrait , même en
le faisant triompher, la confiance du parti qu'il servait.
Des négociations entamées entre lui et le duc de Nemours,
tendant à sa réconciliation avec les catholiques , parvin-
rent à la connaissance de Condé , qui le fit arrêter par les
anciens lieutenants du baron lui-môme, Montbrun et Mou-
vans. Les deux partis pouvaient le faire pendre , il avait
trahi l'un et l'autre; mais la fermeté de sa défense et la
terreur qu'il inspirait l'emportèrent sur la haine de ses en-
nemis. Après l'éilit de pacification de 1563 , il fut relâché,
sans ôti e ni condamné ni absous , comme un tigre qui au-
rait embarrassé ceux qui l'avaient pris. Bientôt devenu l'ins-
trument du roi contre les protestants et Condé , comme il
avait été l'instrument de Catherine contre les Guises , il
s'occupa, c'est le mot dont il se servit, à dé/aire les hu-
guenots qu'il avait faits. ]\Iais cet homme, qui n'avait pour
mobiles que sa passion et sa vengeance, ne pouvait conquérir
la confiance d'aucun parti ; le roi le fit arrêter et enfermer à
Pierre-Encise. Rendu à la liberté en 1571 , après la paix , il
vint de lui-même affronter à la cour ses ennemis, et deman-
der jugement de sa conduite. Son audace fut encore victo-
rieuse, et le joi, par acte authentique, le déclara exempt de
tout blûme, en le chargeant d'aller, dans le marquisat de
Saluées, réprimer les tentatives du duc de Savoie. Dès qu'il y
jiarut , tout fut tranquille : ce fut là qu'il apprit la mort de
ses fils, l'aîné tué pendant la nuit de la Saint-Barthélémy,
l'autre pendant le siège de la Rochelle ; juste punition du
ciel, qui laissait seul et sans postérité ce vieillard qui avait
fait tant d'orphelins. Une profonde douleur lui saisit le cœur,
et il se retira dans son château , oii il mourut le 2 fé-
vrier 1586, maudit de tous, sans que nul le regrettât, et ca-
lomnié par la haine publique, qui poursuivait en lui l'c-
Roisme et la cniauté de toute une vie. Sans fanatisme de re-
ligion ni de patrie, ii n'avait pensé qu'à se venger person-
nellement. 11 s'était réjoui dans le sang de ses ennemis,
ADRETS — ADRIEN
135
et n'avait (^pariïiu^ ponrlc versorni trahisons ni infamies. On
connaît ce mot du soldat forcé par lui de se précipiter h son
tour, et comme toute la garnison , des créneaux d'une tour
élevée : « Tu t'y reprends à deux fois ; allons, je n'ai pas de
n temps à perdre. — Baron , lui répondit le malheureux ,
« que cette repartie sauva, je vous le donne en quatre. »
Cest peut-être le seul homme auquel des .\drets ait accordé
la vie. — Deux biographes ont écrit Thistoire de des Adrets :
Allard (1673 , Grenoble ) et J. C. Martin (ii<03). La plupart
de ceux qui ont parlé de ce monstre ont négligé le trait spé-
cial de son existence et de son caractère. Ce n'était point
une âme ambitieuse ni un esprit fanatique ; c'était une vin-
dicte inexorable, une éducation italienne du seizième siècle,
jointe à la bravoure française , à un orgueil démesuré , à un
égoisme infini. Philarète Chasues.
ADRIAXI (Villa). Voye:i Tiblr.
ADRIAXIÈS, fêtes en l'honneur ds l'empereur Adrien.
Le trente-quatrième marbre d'Oxford prouve qu'il y avait
dans ces fêtes des concours de musique , et qu'on les célé-
brait à Rome , à Thèbes et à Éphèse.
ADRIATIQUE (Mer), ou Golfe de Venise. C'est la
partie de la Méditerranée qui baigne les côtes orientales
de l'Italie et l'illyrie, la Dalmatie et l'Albanie. Elle s'étend
du cap d'Otrante au sud-est, au fond du golfe de Trieste, au
nord-ouest, entre 40"d' et 45''55' de latitude, sur une lon-
gueur d'environ 750 kilomètres. Le littoral est sans sinuo-
sités profondes; les seuls golfes qu'on y rencontre sont
ceux de Manfredonia, de Trieste et de Quarnero. Les côtes
occidentales sont basses et sans ports, les côtes orientales sont
escarpées et forment de bons ports. La marée ne s'y fait
sentir que faiblement, à part quelques localités, comme Ve-
nise, où elle s'élève à un mètre et demi ; mais l'eau y est plus
salée que dans tout le reste de la Méditerranée : c'est que
l'Adriatique reçoit peu de fleuves. Le Pôet l'Adige sont
ses seuls aflluents considérables. Les principaux ports de
la mer Adriatique sont Trieste, Venise, Ancône et
Fi unie. Elle doit son nom à la ville d'Adria, près de
l'embouchure du Pô, qui fut très-célèbre dans l'antiquité, par
son commerce. Ce fut, comme on sait, à la république de
Venise qu'échut ensuite la domination sur cette mer.
ADRIEX ( PcBLiL's /Elius Adrianus ou Hadrianis ) ,
empereur romain , naquit à Rome le 24 janvier 76. Son
père , JEl'ms Adrianus Afer, était connu de Trajan ; sa
mère, Domitia Paulina, appartenait à une illustre famille de
Cadix. Trajan fut son tuteur. Dans sa jeunesse il étudia
les lettres avec tant d'ardeur qu'on l'appelait Grxculus ( le
jeune Grec). Il servit de bonne heure dans l'armée, et était
tribun d'une légion avant la mort de Domitien. L'aimée de
la basse Mœsie le choisit pour complimenter Trajan , adopté
par l'empereur >'erva, et ce fut encore lui qui apporta à ce
prince la première nouvelle de la mort de Nerva. Adrien
regagna par ses talents et son courage les bonnes grâces de
Trajan, qu'il avait perdues par ses écarts et sa prodigalité, et
épousa sa petite-nièce. Il était gouverneur de Syrie quand
il apprit que Trajan l'avait adopté en mourant. II se fit
aussitôt proclamer à Antioche (117). On a prétendu que ce
l'ut Plotine , l'épouse de Trajan , qui supposa cette adop-
tion ; mais ce fait n'est rien moins que prouvé.
L'empire romain était arrivé sous Trajan à sa plus
grande extension ; mais l'extrême diversité des races et des
éléments qui s'y trouvaient rassemblés ainsi que les empié-
tements continuels et progressifs des barbares y apportaient
des germes puissants de dissolution. Adrien comprit la si-
tuation et le rôle qu'il avait à jouer. Doué de qualités guer-
rières et de talents militaires, il ne se laissa pas séduire par
la gloire des armes qui avait entraîné Trajan. 11 comprit que
le temps était venu d'arrêter la crue du colosse romain; et,
pour mieux assurer la prospérité de l'État, il se résigna
à abandonner une partie des conquêtes de son prédéces-
seur. Il limita l'empire à l'Euphrate et fit même abattre
un magnifique pont élevé sur le Danube par l'ordre de
Trajan , dans la crainte qu'il ne senît aux barbares. Le»
guerres qu'il fut contraint de faire furent des guerres de
conservation. Telles sont celles qu'il entreprit contre les
Alains , les Sarmates et les Daces , qui faisaient des incur-
sions dans l'empire , et contre les Juifs , qui, blessés dans
leur croyance par la construction d'un temple de Jupiter à
Jénisalem, s'étaient révoltés sous un prétendu messie, nommé
Barkokébas. Adrien employa treize années de son rè^e,
de l'an 119 à l'an 132, à visiter son wnpire, marchant [wur
l'ordinaire à pied et la tète découverte. Il laissait partout des
traces de sa munificence et de sa hbéralité , en même temps
que sa vigilance était le plus sur garant de la paix. Ainsi en
Angleterre il fit constniire une muraille de trente heues de
longueur pour mettre le pays à l'abri des invasions des Calé-
doniens. A soixante ans il adopta Lucius Vérus, et, celui-ci
étant mort , il adopta Antonius , à la condition qu'Antonius
adopterait Marc-Aurèle et le filsd'.Elius Vérus, donnant ainsi
de dignes héritiers présomptifs à l'empire. Dans les der-
nières années de son règne il laissa son successeur s'essayer
à l'empire, et se retira à Ti bur , dans un magnifique palais,
qu'il dt construire d'après ses propres plans. En outre , il
avait couvert l'empire de monuments : il avait rebâti Jéru-
salem, nommée en son honneur ^lia Dans les Gaules, l'A-
rène de Nîmes et le pont du Gard ; en Espagne , le tombeau
de Pompée sont un témoignage de son amour des arts et
de sa munificence. 11 adoucit la condition des esclaves, et
retira aux maîtres le droit absolu de -vie et de mort qu'ils
possédaient sur eux. Il ne persécuta point les chrétiens
après qu'Aristide et Quadratus, évêque d'Athènes, lui eurent
démontré la fausseté des accusations portées contre eux.
On prétend même qu'il forma le dessein de bâtir un temple
au Dieu des chrétiens et de l'admettre parmi les autres
dieux. 11 prohiba les sacrifices humains , qui se faisaient
encore dans certaines parties de l'empire, et publia Védit
perpétuel, vaste corps de lois qui régit l'empire jusqu'au
temps de Justinien. Adrien mourut à Baies, l'an 13S, à
l'âge de soixante-deux ans. Les vers qu'il fit dans ses der-
niers moments prouvent qu'il vit sans «'émouvoir sa fin
prociiaine. Comme revers de si brillantes qualités et d'im
règne aussi sage, l'histoire reproche à Adrien sa honteuse
passion pour le bel Antinoiis, une superstition ridicule
et qui semble inconciliable avec l'élévation de son esprit,
et quelques cruautés sur la fin de sa vie.
ADRIEN. On compte six papes de ce nom.
ADRIEN I", né à Rome, régna de 772 à 793, et fut l'ami
de Charlemagne, qui , pour le récompenser du zèle avec le-
quel il avait défendu ses droits à la couronne , le protégea de
ses amies contre Didier, roi des Lombards (774), et confirma
le don de Pépin. En confirmant les résolutions prises en 786,
au concile de Nicée, relativement au culte des images,
Adrien mécontenta fortement l'empereur, qui fit rejeter ces
résolutions parle synode tenu à Francfort-sur-le->Ieinen794.
Adrien combattit cependant avec tant d'habileté les motifs
de la décision de ce synode, que Charlemagne n'en resta pas
moins son ami ; et à la mort du pontife, arrivée en 795, l'em-
pereur composa lui-même son épitaphe, qu'on voit encore
aujourd'hui au Vatican.
ADRIEN II, cent cinquième pape, né à Rome , fils de
Talan, évêque, et de la famille d'Etienne IV et de Sergius II,
était déjà âgé de soixante-quinze ans quand il fut salué pape.
Il succéda à Nicolas F'', en 8G7. Il communia de sa main
Lothaire II, roi de Lorraine, qui avait fait le voyage du !\Iont-
Cassin pour faire lever l'excommunication dont l'avait frappé
Nicolas I*"", à cause de son divoice avec Theulberge. Son
intervention dans la querelle de surcession qui éclata à la
mort de Lothaire, entre Charles le Chauve et l'empereur
Louis, lui attira l'inimitié du roi de France. Dans ce
royainne il soutint avec peu de succès une lutte engagée contre
son autorité. On déposa, malgré lui, Hinkraar, évêque de
J3G
ADRIEN - ADULTERE
Laon, et il échoua dans une tentative faite à Constanti-
■ riople contre le patriarche l'hotius, qu'il excommunia, mais
«lont l'Église n'en continua pas moins à se considérer conmic
indci)en(lante du siège de Rome. Il mourut en S72.
AURILN m, cent iiuiti^me pape romain, fut élu en 884, suc-
céda à Marin, et ne régna qu'un an et six mois. Il s'opposa
à l'innuence des empereurs sur l'élection des papes, et
conçut le projet de réunir l'Italie en une seule monarchie
gouvernée par un roi , dans le cas oii Charles le Gros serait
venu à mourir sans héritiers. C'est le premier pape qui ait
cliangé de nom ; il s'appelait Agapet avant son élection.
ADIÎlKN IV, cent soixante-sixième pape. Mcolas Buears-
PEAHE, le seul pape anglais, né à Abbots-Langley, dans le
Hertfordshire, était fils d'un mendiant, et fut pendant quel-
que temps réduit lui-même à mendier. Étant venu en France,
il se fit recevoir domestique des chanoines de Saint-Rulf,
près d'Avignon, et devint ensuite rehgieuxdans ce couvent,
dont il fut bientôt supérieur. Le pape Eugène III le fit car-
dinal d'Albano, et l'envoya comme légat en Danemark et en
^■orvège. Il fonda à Drontheim le premier archevêché qu'il
y ait eu en Norvège, et érigea l'évêché d'Upsal en archevêché.
Élu pape en 1 154, il lança un interdit sur la ville de Rome,
parce que des sectateurs d'Arnaud de Brescia avaient blessé
le cardinal Gérard. Il fit sans succès la guerre à Guillaume
de Sicile, qui , en 1 156 , le força à faire la paix. L'empereur
Vrédéric P"" Barberousse , qui avait été couronné par lui le
18 juin 1 155, le blàraa de la condescendance qu'il avait mon-
trée dans cette occasion. Adrien ajouta au mécontentement
de l'empereur par le langage hautain dont il se servit dans
des lettres qu'il lui adressa, et eu excitant les Lombards
contre lui. De son coté , Frédéric agit dans les Etats de l'É-
glise comme s'il n'eût pas existé de pape. Adrien mourut à
Agnani, avant que cette querelle fût apaisée, le 11 sep-
tembre 115!). Son pontificat est surtout remarquable par la
permission qu'il donna à Henri II, roi d'Angleterre, d'envahir
VIrlande, à la condition que chaque maison de cette île paye-
rait au saint-siége une rente annuelle d'un denier, attendu
que toutes les iles faisaient partie du domaine de saint Pierre.
AL)UIL?> V, cent quatre-vingt et unième pape, élu le 11
juillet 1276, se nommait, avant son exaltation, Ottobonï de
FiESQCE. Il était Génois et neveu d'Innocent IV. En qualité
de légat, il avait heureusement terminé la querelle du roi
Henri III d'Angleterre avec les {grands de son royaume.
11 mourut en 12TC , peu de temps après son élection.
.\DRIEN VI, deux cent quinzième pape, Adrien Flo-
liENT, né le 2 mars li59, à Etrecht, était fils d'un ouvrier
de cette ville. D'abord professeur de théologie à Louvain ,
il fut nommé, en 1507, instituteur de Charles-Quint. Am-
bassadeur, en 1515, de l'empereur Maximilien auprès de
Ferdinand le Catholique, il réussit à déterminer ce mo-
narque à choisir Charles-Quint pour successeur; ce qui lui
valut, en 1516, sa nomination à l'évêché de Tortose et à la
régence d'Espagne , et, en 1517, sa promotion au cardi-
nalat. Les Espagnols , mécontents de la sévérité de son ad-
ministration , se réjouirent quand, par l'inlluence de l'em-
pereur, il fut élu pape, le 9 janvier 1522. Les réformes qu'il
opéra dans les États du saint-siége, sa haine active contre les
vieux abus, la prodigalité et la vente honteuse des indulgen-
ces, le firent mal voir à Rome. Les cardinaux surent rendre
ses efforts inutiles. 11 est douteux, au reste, que la réforme
entreprise par ce pontife eût arrêté les progrès de ce mou-
vement réformateur qui avait éclaté en Allemagne , et qui
porta un coup si terrible à la toute-puissance de la papauté.
Adrien vit avec douleur s'opérer cette grande révolution; il
s'efforça d'exciter Zwingle et Érasme contre Luther, sans y
réussir. On doit aussi blâmer les mesures politiques aux-
quelles il eut lecours contre la France, malgré la droiture et
la pureté de ses intentions. Adrien, en expirant, ne fut
point regretté. 11 mourut leli septembre 152;5, en disant
que le plus grand malheur qu'il eût éprouvé dans le monde,
c'était d'avoir été obligé de commander. On a de lui QuxS'
tiones quodlibeUcx, et un commentaire sur le (juatrième
livre des Sentences, qu'il fit réimprimer étant pape, sons
changer ce qu'il y avait dit, que le pape peut errer, même
dans ce qui appartient à la foi.
ADROGATIO\. Voijez Adoption.
ADULÉ (Marbres d'). Adulé, port d'Ethiopie, cité par
les anciens écrivains comme la plus importante place de
commerce des Troglodytes et des Éthiopiens , paraît être
l'ylrAiAo d'aujourd'hui, qui est situé par 15"32' de latitude
nord, et 37"25' de longitude orientale, sur le golfe Arabique
et la baie de Massouah. Adulé est célèbre dans l'histoire
par l'inscription trouvée dans cette ville au sixième siècle,
du temps de l'empereur Justinien, sur un siège de marbre,
par le vogaycur Cosmas Indicopleustes,qui l'a rapportée tout
au long dans sa Topographia chrïstiana. Cette inscription
contient, outre la généalogie de Ptolémée Éverçète, une se-
conde partie, que l'on croit écrite dans un dialecte abyssinien,
et qui est une liste des peuples (ju'un roi ( inconnu) se vanté
d'avoir soumis. On en a contesté l'authenticité.
ADULTE (du latin adultus). L';'ige adulte est la pé-
riode de la vie humaine comprise entre la fin de l'adoles-
cence et le commencementdela vieillesse, c'est-à-dire depuis
vingt-cinq ans chez l'homme et vingt ans chez la femme
jusqu'à soixante ans environ chez les d€ux sexes (voyez
Homme et ViniLiTÉ). L'âge adulte est celui pendant la durée
duquel se manifestent plus vivement les effets produits par
l'exercice des diverses professions. Ainsi, chez les gens de
lettres le système nerveux se montre plus particulièrement
disposé aux irritations de tout genre; les apoplexies seront
communes chez les personnes dont le cerveau aura beaucoup
fatigué. L'abondance de la nutrition ne pouvant plus servir
à l'accroissement , il en résultera chez les uns une grande
quantité de sang qui disposera aux congestions foudroyantes,
chez les autres une tendance marquée à l'obésité. Aussi ne
sera-t-il pas rare de voir s'établir des expectorations habi-
tuelles, des évacuations pituiteuses journalières, servant à
débarrasser de cet excédant de sucs nutritifs. Les règles
d'hygiène à l'usage des adultes doivent varier, on le conçoit,
suivant les individus ; il en est une cependant qui est com-
mune à toutes les organisations, à tous les tempéraments :
c'est d'user avec modération de ce qui est agréable et utile.
ADULTÉRATIOX. On entend par ce mot l'action
coupable de dénaturer un médic<iment par le mélange frau-
duleux d'une substance de peu de valeur ou d'un médica-
ment de qualité inférieure. On dit encore sophistication.
ADULTERE (du latin ad, vers ; alter, autre), violation
de la foi conjugale. On applique aussi ce nom, par extension,
à celui ou à celle qui commet cette violation. L'adultère
attaque le principe social , ou l'intégrité de la famille et le droit
de propriété, en introduisant dans la famille, d'une façon
subreptice , des individus étrangers qui sont appelés par la
loi a partager avec les enfants légitimes les biens et l'héritage
du chef.
L'adultère cesse d'être répréhensible par la loi, parce qu'il
cesse d'exister à ses yeux, dans les pays oii la conmiunauté
des femmes est permise, comme Platon voulait l'admettre
dans sa république, et comme Lycurgue l'avait introduite à
Lacédémone, où les enfants appartenaient à l'État, qui les
élevait et les dotait à ses frais. X l'exception de ce seul peuple
civilisé de l'antiquité, on ne trouve l'adultère toléré par l'u-
sage ou par la loi que chez les peuples barbares ou dont la
civilisation tét encore dans l'enlance. Et même, n'est-ce pas
une règle tellement générale que l'on ne puisse citer plusieurs
exemples du contraire jusque chez ceux où la polygamie est
en vigueur, et qui, par cette raison, paraîtraient devoir être
moins sévères que d'autres sur le chapitre de la fidélité con-
jugale?
Il existe, en effet, quelques peuples à demi sauvages, tels
que les Lapons, les Samoièdes, les habitants de certaines îles
nouvel lonicnt dt^couvortes, qui sont moins scnipuleux sur la
fidélité de leurs l'emmes, el qui iei;ardcnt comme un devoir
d'hospitalité de livrer leurs tilles et leurs compagnes au
%oya^eur que leur toit abrite.
c'est la diiïorenee des résultats de Tadultère, relativement
aux deux sexes, qui a fait éUd)lir cliez tous 'es iK'uplcs \)o-
licés celle de la pénalité appliquée à l'homme ou à sa cotu-
l>at;ne. Un mari intidèle manque à sa promesse, à ses ser-
ments, à la morale naturelle ; mais sa faute ne fait à la per-
sonne qui est associée à son sort qu'un tort passager et bien
faible, surtout quand elle 1 ijinore. Il n'en est pas de même
à son égard de la faute que peut commettre sa femme. L'ï •
};iiorût-il, son amour-propre, sa sensibilité, seraient seuls
épargnés; mais les résultats de cette faute pourraient le
blesser non-seulement dans son honneur, mais encore dans
ses affections et dans ses biens, en appelant, comme nous
l'avons dit, au partage de ses caresses et de sa fortune des
enfants totalement étrangers, ou qui seraient le produit d'un
double commeice. Le soupçon seul, en pareil cas, est déjà
une tache pour la femme , el le doute un tourment pour le
' mari.
Nous venons de dire que les pays où la polygamie est en
usage ne sont pas toujours ceux où l'on se montre le moins
sévère à l'égard de l'infidélité des femmes. Ainsi , par exem-
ple, si l'adultère n'est puni que d'une amende à Siam, il est
frappé de mort chez les Tucopiens, les Rotoumayens, les
Nubiens, les habitants de Bornou, etc., et réprimé plus ou
moins sévèrement par les Nouveaux-Zélandais, les Hotten-
tots. Chez les Battas, peuple de cannibales habitant l'inté- •
rieur de Sumatra, le comphce d'une femme adultère subit
la loi du vaincu et sert de proie vivante à la vengeance et à
l'appétit carnassier de l'offensé et de ses parents.
A Athènes on pouvait impunément injurier et maltraiter
publiquement les femmes adultères. En Egypte on coupait
le nez à la femme et l'on fustigeait le complice ; chez d'autres
peuples on lui crevait les yeux. Les Saimates attachaient le
coupable par les organes de la génération , en lui donnant
un couteau pour se délivrer par l'amputation s'il ne préférait
mourir sur la place. Chez les Juifs ou lapidait les deux cou-
pables. Chez les anciens Saxons la femme était brûlée vive
et l'on pendait son complice. A Rome la femme adultère
était jugée par son mari en présence de ses propres parents,
et tout citoyen pouvait se porter accusateur. La peine, laissée
à l'arbitraire du mari offensé, était ordinairement très-sévère :
c'était souvent la mort. Sous les empereurs la loi Julia éta-
blit pour l'adultère une peine que ne rapporte point le Di-
geste , mais que l'on suppose n'avoir été que la relégation ,
puisque celle de l'inceste n'était que la déportation. Au-
guste, pressé de faire des règlements plus sévères sur les
déportements des femmes, éluda la demande des sénateurs,
en leur disant de corriger leurs femmes comme il corrigeait
la sienne, sans toutefois leur donner et sans qu'ils osassent
lui demander son secret à cet égard . Tibère, qui avait moins
en vue de corriger les mœurs générales que d'apporter un
frein aux écarts de sa propre famille et de punir ce qu'il
regardait comme un crime d'impiété ou de lèse-majesté, es-
saya de faire revivre les anciennes lois romaines, c'est-à-dire
le tribunal domestique , institution qui datait du temps de
Romulus, et dont les dispositions ne regardaient du reste
que les femmes des sénateurs , et non celles du peuple ; à la
différence des Grecs et même des barbares, qui avaient des
magistrats spécialement chargés de veiller sur les moeurs des
femmes, espèce de tutelle, que les premiers Germains appe-
laient mundeburdium. Cette loi romaine, qui voulait que
l'accusation de l'adultère fût publique, ét<iit admirable, dit
Montesquieu, pour maintenir la pureté des mœurs, en ce
qu'elle était à la fois un frein pour les femmes et un aiguil-
lon pour ceux qui étaient obligés de veiller sur elles. Anto-
nin, enchérissant encore sur les intentions bien évidentes
des premiers législateurs, avait ordonné par \in édit qu'avant
DICT. DE LA CONVEr.S\TIO.N - T. I.
ADULTÈRE isi
d'admettre l'accusation d'adultère de la part d'un mari
contre sa femme, on examinât bien sa conduite à lui-même,
et qu'on le punit sévèrement s'il avait des reproches à se
faire.
Constantin prononça la peine de mort contre la femme
adultère et son séducteur ; sous l'empereur Justinien la
femme était seulement fouettée en place publique et subis-
sait la peine de la réclusion dans un monastère. L'empereur
Léon abolit la jjeine de mort, et prescrivit l'amputation du
nez. Chez les Turcs la femme coupable est encore lapidée;
en Espagne on punissait le complice delà castration. Char-
Icmagne, dans ses Capilulaires, prononça la peine de mort
contre l'adultère ; mais le coupable pouvait se racheter par
l'abandon de ses biens. Plus tard, les descendants de Hugues
Capet ordonnèrent pour châtiment des courses à nu dans la
villeetdes amendes plus ou moins fortes : ainsi dans certaines
villes la femme adultère était roulée nue dans des plumes,
après qu'on avait enduit son corps de miel , et conduite dans
cet état par toutes les rues. En Dauphiué et en Provence
on battait, en le traînant nu par les rues de la ville, l'homme
qui s'était rendu coupable d'adultère ; ailleurs les deux cou-
pables étaient promenés par la ville montés sur un âne,
le visage tourné vers la queue de l'animal.
En examinant la législation des peuples civilisés modernes
sur l'adultère , nous voyons , d'une part , la pidjlicité de
l'accusation , comme en Angleterre , et , de l'autre , celle de
la punition , comme autrefois en France , porter quelque-
fois une atteinte à la pudeur qu'on voulait venger, et sub-
stituer un mal à un autre. Tout le monde avouera que le
scandale des débats et de leur publication chez nos voisins
à l'égard du délit que , par une espèce de contradiction et de
pruderie de la langue, ils qualifient seulement de criminal
conversation . est une chose fort peu édifiante, ainsi que
l'indécence des peines portées jadis chez nous contre les
coupables.
Avant la révolution une femme adultère était le plus sou-
vent condamnée , en France , à être enfermée dans un cou-
vent, pour y demeurer en habit séculier pendant deux an-
nées; c'était ce qu'on appelait une femme authentiquée ,
parce qu'elle subissait cette correction en vertu d'une no-
velle de Justinien, et cesnovelles prenaient le nom i^ authen-
tiques. Si le mari ne la reprenait point, elle devait être rasée,
voilée et vêtue comme les autres religieuses, et y rester toute
sa vie. Si le mari était pauvre, la femme pouvait être en-
fermée dans un hôpital et traitée à l'instar des femmes dé-
bauchées , comme si la différence des fortunes devait en-
traîner des nuances dans les peines. La jurisprudence do
tous les parlements sur l'adultère n'était point , du reste ,
entièrement la même dans toute la France. Le code pénal
de 1791 avait gardé le silence sur ce délit ; les dispositions
du nouveau code ont rempli cette lacune et compris l'adul-
tère au rang des attentats aux mœurs. Aujourd'hui la femme
adultère peut être condamnée à la peine de l'emprisonne-
ment pour trois mois au moins, et deux ans au p]us ; le mari
reste le maître d'arrêter l'effet de cette condamnation en
consentant à reprendre sa femme. La plainte pour le même
délit n'est recevable contre le mari que quand à l'adultère
il a joint le fait d'entretenir sa concubine dans la maison
conjugale, et la punition portée contre lui est une amende
de 100 fr. à 2,000 fr. Sur la proposition de M. Pierre Le-
roux, les condamnés pour délit d'adultère turent en outre
privés de leur droit d'électeur par la loi du 31 mai 1850. Le
mari seul peut porter plainte contre sa femme, et la femme
seule contre son mari : il eût été trop dangereux, en effet,
de conférer à des tiers ou au ministère public la faculté de
s'immiscer ainsi dans un ménage. La loi défend en outre
que la plainte du mari soit reçue s'il se trouve lui-même
dans le cas d'adultère punissable. Le complice de la femnif
adultère est puni d'un emprisonnement de trois mois à deux
ans et d'une amende de 100 fr, à 2,000 fr.Le délit d'adultèia
18
ADULTÈRE — ADY^AMIE
138
et la complicité se prouvent par le (la^'rant délit, des lettres
ou autres papiers écrits de la main des coupables, ainsi que
par l'admission du désaveu de la paternité. L'article 324 du
Code Pénal déclare que dans le r;us d'adultère de la femme ,
le meurtre commis par son mari sur elle et sur son complice
k l'instant où il les surprend en flagrant délit dans la mai-
son conjugale est excusable. En matière civile, l'adultère était
outrefois, aux termes des articles 228 et 2;i0 du Code Civil,
une cause de divorce; il donne encore lieu aujourd'hui aux
actions en séparation de corps et en désaveu.
En résumé, l'adultère, chez les différents peuples de l'Eu-
rope, est considéré de nos jours, en quelque sorte, moins
comme un délit contre la société que contre l'époux, et n'en-
traîne généralement qu'une réclusion momentanée ou deô
condatiinalions pécuniaires. La jurisprudence anglaise per-
met d'enlever au complice d'une femme adultère une partie
de sa fortune, et elle emporte pour celui qui ne peut payer
la perte complète de la liberté: il peut même dans ce cas
être envoyé à Botany-Bay. La loi anglaise prononce d'a?i-
Jeurs aujourd'hui contre l'ailullère les peines de l'aiMcnde
et delà prison. Mais, d'un autre côté, la législation anglaise
exige que le mari (lui se plaint soit irréprochable dans sa
conduite personnelle et dans le soin qu'il a dû prendre de
surveiller sa femme.
Cette tendance vers la raison naturelle, qui perce plus ou
moins dans toutes les dispositions législatives des peuples
civilisés, anciens et modernes, que nous avons rappelées, ex-
plique les adoucissements successifs qui ont été apportés
dans la pénalité sur l'adultère, pénalité qui, sans cette con-
sidération de morale et de justice tlistributive, ne saurait ja-
mais être assez sévère, eu égard au mal et au désordre qu'un
pareil crime cause dans la société. Dans quelques pays, et
surtout en France, TopLuion, injuste en apparence, qui semble
excuser ce que la loi condamne, vient encore frapper et
punir par le ridicule celui que l'on devrait plaindi-e sans
doute comme l'offensé, mais qui, à peu d'excejjtions près,
est bien souvent aussi le premier auteur de sa honte et de
la faute de sa femme. ^î. Droz dit avec raison : « L'infidé-
,lité des hommes est une cause fréquente de la désunion des
époux. En voyant combien peu de maris sont fidèles, on est
tenté de croire que le seul parti qu'il y aurait à prencke serait
de prémunir les femmes contre la jalousie et de leur pcî-suader
que nos plaisirs n'excèdent jamais nos droits. » Le système
d'éducation et de dépendance dans lequel nous retenons les
femmes doit aussi peser dans la considération du sujet qui
nous occupe. >'ous élevons ce sexe dans le désir immodéré
de plaire ; nous provoquons, nous excitons chez lui cet ins-
tinct naturel , ce penchant à la coquetterie , qu'il faudrait
chercher au contraire à modérer et à combattre. IS'ous vou-
lons que les femmes soient des objets de séduction pour les
sens bien plus que pour l'esprit et pour le cœur. Puis nous
clierchons ensuite à les séduire à notre tour ; nous employons
tous les moyens pour y arriver; nous appliquons notre
amour-])ropre à surprendre leur vanité ; nous tirons parti
contre elles et contre nous-mêmes des faiblesses que nous
avons autorisées, encouragées, et nous nous plaignons après
cela d'avoir trop bien réussi 1 Que diriez-vous , pour nous
servir des expressions de \oltaire, « que diriez-vous d'un
maître à danser qui aurait appris son métier à un écolier
pendant dix ans, et qui voudrait lui casser les jambes parce
qu'il l'a trouvé dansant avec un autre ? » C'est donc d'abord
dans une meilleure, dans une tout autre direction même de
l'éducation des femmes, qu'il faut chercher un remède à l'a-
dultère, à celle plaie honteuse et dévornnte de notre civilisa-
tion, et peut-être aussi dans une loi de divorce bien réglée
et tempérée par toules les restrictions nécessaires.
>apoléon , qui tenait compte sans doute de l'état des
mteurs, parlait de l'adultère assez légèrement. « L'adultère,
disait-il, qui dans un code civil est un mot immense, n'est
dans le fait qu'une galanterie, une alTaire de bul masqué...
L'adultère n'est pas un phénomène , c'est une affaire de ca-
napé ; il est très-commun. » Depuis en effet que les femmes
avaient été attirées à la cour pour devenir des instruments
de politique, la galanterie avait amené l'adultère à la mode.
Plus tard le libertinage éhonté de la cour de Louis XV le
rendit plus comnum et en fit presque un commerce. La bour-
geoisie n'avait pas attendu ce règne pour suivre l'exemple
de la noblesse. La révolution épura d'abord les mœurs ; mais
avec le retour du calme les ma'urs redevinrent faciles, et avec
la reconstitution des cours, l'adultère put encore une fois
s'alficher, mais non .sans honte. Quelques rénovateurs ont
cherché un remède à la dissolution des mo'urs, et plusieurs
ont proposé une liberté entière dans les liens du mariage,
prétendant que la contrainte était le plus grand stimulant de
l'infraction. >'os législateurs se sont constamment montrés
contraires à cette théorie, et le divorce, même entouré des
plus grandes précautions, n'a pu reparaître dans nos codes.
La religion , plus sévère que la loi , poursuit de sa répro-
bation l'adultère, et l'Église porte la peine de l'excommu-
nication contre les coupables. L'Église catholique n'admet
pas toutefois que ce crime soit un motif de divorce; mais
î'Églised'Orient, comme les consistoires protestants, autorise
la nouvelle union que la partie lésée voudrait contracter.
ADUSTIOX. C'est, en termes de chirurgie , la brûlure
ou la cautérisation d'une partie par le feu.
AD\Ti]ITAM, nom d'une secte de philosophes in-
diens, qui nient l'existence du monde, en la traitant de fan-
tastique, et qui ne croient d'être réellement existant que
Dieu. Une secte opposée admet les deux existences, mais
entièrement séparées : elle se nomme Dvéitam. Une troi-
sième est une espèce de juste-milieu entre les deux, et
prend le nom à'Advtïta-Vichïsta-Dvcltam.
ADVERBE (du latin «rf, auprès; verbiim, verbe).
L'adverbe n'est pas un des éléments essentiels du langage
comme le substantif, l'adjectif et le verbe; c'est un mot
abrégé et mixte, qui remplace une préposition suivie de son
complément {sagement , avec sagesse). Faut -il dire,
comme son uom porte à le croire, que l'adverbe modifie
le verbe? Ce serait une erreur. L'adverbe ne modifie que
l'adjectif, vis-à-vis duquel il remplit la même fonction que
celui-ci vis-à-vis du substantif; c'est une abstraction formée
elle-même sur une abstraction. Lorsque l'on dit je chante
beaucoup , qu'on fasse l'analyse, on aura je suis chan-
tant beaucoup; il est clair que la modification porte sur
l'attribut seul, car il n'y a pas de plus ou de moins dans
l'idée d'être. Par sa nature même , l'adverbe est invariable,
car une qualité, un temps, etc., ne changent pas, quels que
soient le genre et le nombre des personnes. On distingue
quati-e classes d'adverbes : les adverbes de qualité, de quan-
tité, de temps et de lieu. — Les locutions adverbiales
sont des expressions composées modifiant l'idée de l'attribut,
véritables adverbes exprimés d'une manière complexe.
ADVERSITÉ. yo>/cz Malheur.
ADYIVAllUE, ADYNA>nQUE (du grec à privatif,
û'jva[ji'.;, force). Les médecins donnent le nom d'orfynffWJe
à un état particulier de débilité générale, de prostration
complète des forces , caractérisé surtout par un affaiblisse-
ment de l'action musculaire, et dans lequel la vie semble
s'éteindre sans que les organes présentent de lésions capa-
bles d'expliquer une si profonde altération des fonctions. Le
résultat n'en est pas toujours inévitablement funeste, le
traitement tonique réussit quelquefois à en triompher ; mais
l'état adijnamique étant presque constamment accompagné
d'inflammations locales, le praticien ne manquera pas de
les prendre en mûre considération lorsqu'il aura à se déci-
der sur le choix des moyens curatifs. S'ils demeurent im-
puissants, Vadynamie ne tardera pas à atteindre son derniet
période, que signalent des phénomènes presque cadavéri-
ques constituant dans leur ensemble la putvidité , qui en
est le dernier terme.
ADZERBAIDJAN — AÉROLITHE
139
ADZERBAIDJAX. Voyez AnEUBinjAN.
.EGILE, ^illi' tle Laconic, où Cérès avait un toniple.
On y lOlolirait des niysti'TCs où les femmes seules étaient ad-
mises. Aristomène de Messène, à la ttMe de quelques tron-
pes , voulut un jour les enlever. Mais elles se défendirent si
bien avec les instruments , les broches et les torches du sa-
crifice , que non-seulement elles repoussèrent celle attaque,
mais qu' elles tuèrent une partie des soldats d'Aristoniènc
et le firent lui-même prisonnier. Archidamie , qui présidait
à la fête, éprise de son captif, lui procura les moyens de
s'échapper.
.«GOS-POT.\AIOS,c'est-à-dire,/e««e de la Chè-
vre , petite rivière de la Chersonèse de Thrace , nommée au-
jourd'hui Indjé-limcn, tombait dans l'Hellesponl, à quelque
distance au nord de Sestos. C'est près de là que le Spartiate
Lysandre gagna sur les Athéniens, l'an 405 avant J.-C,
une bataille navale qui mit fin à la guerre du Péloponnèse.
La prise d'Athènes suivit de près cette victoire.
^EAEAS SYLVIUS. Voyez Pie II.
yE\OBARliUS ou AHENOB.VRBUS. Voyez DoMixirs.
..-EPIJXUS { Fkançois-Marie-Ulrich-Théodore ), célè-
bre physicien, né en l724,àRostock,mortenl802,àDorpat,
en Livonie, s'est surtout occupé d'électricité , et a beaucoup
avancé cette partie de la physique en y appliquant le calcul
avec un grand succès. On doit à ,Epinus plusieurs décou-
vertes scientifiques, et on lui attribue l'invention du con-
densateur électrique et de l'électrophore. Il avait
d'abord étudié la médecine ; et il était membre de l'Acadiv
mie des Sciences de Berlin, lorsque en 1757 il tut appelé à
Saint-Pétersbourg comme membre de l'Académie impériale
et professeur de physique. Catherine lui confia la direc-
tion du corps des cadets nobles , le chargea d'enseigner la
jihysique et les mathématiques à son fils Paul Petrowilch ,
et le nomma inspecteur général des écoles normales dont
elle s'occupait de doter l'empire. On a d'^Epinus Tentamen
Théorise Electricilatis et Magnet'ismi ( Pétersbourg , 1759 ,
1 vol. in-4°), dont Haiiy a donné un abrégé en français en
1787, in-8°; Réflexions sur la Distribution de la Cha-
leur sur la surface de la terre, traduites du latin en
français par Raoult de Rouen ; Recherches sur la Tonr-
maline ( Péiersbourg, 1762 , in-8° ), et plusieurs mémoires
intéressants fournis à l'Académie de Saint-Pétershour*.
AÉRATIOX (du latin aer, air). C'est l'action d'aérer,
c'est-à-dire d'exposer au contact immédiat d'un air plus ou
moins sec et fréquemment renouvelé des substances ou des
corps qui, ayant séjourné plus ou moins longtemps dans un
air humide et stagnant, ou ayant été privés de tout contact
de l'air atmosphérique, sont exposés à s'altérer, à se dé-
composer et à se corrompre. L'aération peut être faite dans
un air tranquille et non agité, ou sous rinlluence d'un veut
plus ou m.oins sec : dans ce dernier cas , elle prend le nom
(leventilation. — L'eau des mers, celle des lleuves, des
lacs, des étangs et même des mares, est naturellement aérée,
et tient en dissolution de l'air atmosphérique plus riche en
oxygène; ce qui donne au milieu aqueux dans lequel vivent
tous les animaux pourvus de branchies ou respirant par la
peau les conditions favorables à leur respiration aquatique.
L'air imprègne et pénètre aussi les différentes parties du
corps des animaux qui volent, et leur donne ainsi les con-
ditions aérostatiques sans lesquelles la locomotion aérienne
ne pourrait avoir lieu.
AERIEA'AES (Visions), genre de spectacle offert au
Château des Fleurs, à Paris, en 1850, et qui se composait de
tableaux vivants élevés en l'air, dans lesquels plusieurs
femmes groupées en différentes altitudes et suspendues par
des armatures en fer habilement cachées, simulaient quel-
ques gracieux sujets mythologiques ou féeriques, comme la
Naisannce de Vénus, la F<e aux lioses, etc.
AERIEXS, sectateurs d'Aérius, moine arien qui, en l'an
SCO, fut expulsé de Sébasle en Arménie, comme schisma-
tique. Il niait qu'il existât imediffi'-rencc quelconque entre les
évêques et les simples prêtres, et prétendait que les prières
pour les morts leur étaient plutôt nuisibles qu'utiles. Ilcon-
danmait en outre les jeûnes établis par l'Église et la célé-
bration de la Pàque.
AÉRODYNAMIQUE (du grec àr,p, àspo;, air;
ôjvajii; , puissance), partie de la mécanique qui traite des
forces et du mouvement des fluides élastiques. L'aérodyna-
mique est , en général, traitée en même temps que Thydro-
dynainique.
AÉROLITHE (de àr;p, air, et de ).î8o;, pierre). On
donne ce nom à des pierres tombées de l'atmosplière, et que
l'on désigne encore quelquefois par ceux de bolides, de 7n&
téorites, ûecéraunites, de pierres de foudre, i\e pierres
tombées du ciel, de pierres de la lune, de pierrex météo-
riques, d'uranolithcs , de botilies , etc. La chute de ces
pierres, presque toujours accompagnée d'un météore lumi-
neux, ou globe de feu, qui disparaît après avoir fait une vio-
lente explosion, a élé longtemps révoquée en doute, en rai-
son de la singularité que présente un pareil phénomène et
de l'impossibilité où nous sommes d'en donner une explica-
tion satisfaisante. i\Iais aujourd'hui des exemples nombreux
et revêtus de tous les caractères de l'authenticité ne per-
mettent plus d'hésiter à en admettre la réalité. L'analyse
chimique vient d'ailleurs à l'appui de cette opinion , en "dé-
montrant l'identité de composition des diverses pierres de
cette nature qui ont été recueillies à des époques plus ou
moins éloignées et dans des contrées très-distantes les unes
des autres.
Les aéroîithes arrivent dans notre atmosphère sous forme
d'une masse d'un volume peu considérable en général. Ce
corps s'entlamme brusquement ; il paraît alors comme un
globe lumineux qui se meut avec ime extrême rapidité, et
dont la grandeur apparente est souvent comparée à celle
de la lune ; dans sa course il lance des étincelles , laisse
après lui une trace brillante, qui paraît être la flamme
retenue en arrière par la résistance de l'air ; la clarté très-
vive qu'il répand se soutient pendant une ou deux minu-
tes environ ; en disparaissant il forme un petit nuage blan-
châtre qui, semblable à de la fumée , se dissipe quehpies
instants après. Aussitôt la lumière éteinte , deux ou trois
détonations pareilles à celle d'un canon de gros calibre se
font entendre; puis elles sont suivies d'un roulement sourd.
Ces faits se prolongent suivant la direction que prend l'aé-
rolilhe; là où il passe, on entend dans l'air un sifilement
provenant de la rapidité de sa chute. Les aérolilhes, dont le
nombre et la grosseur varient, sont brûlants à l'instant de
leur chute, et répandent une odeur de soufre et de poudre
à canen. Ces phénomènes ont lieu dans toutes les latitudes,
même en mer : on est fiappé surtout de l'air de famille
que présentent ces pierres, tant par leur aspect que par leur
composition intime. Leur forme est irrégulière; leur sur-
face souvent pleine d'aspérités , dont les angles sont émous-
sés par la fusion. Une sorte d'émail noir les recouvre
jusqu'à un millimètre seulement de profondeur; la cassure
est grisâtre, d'un aspect teneux et grenu. Elles sont tantôt
dures, tantôt friables ; leur densité moyenne est 3,50, cella
de l'eau étant prise pour unité. Les substances qu'on a ren-
contrées dans les aérolilhes sont le fer, le nickel, le cobalt ,
le manganèse, le chrome, le cuivre, l'arsenic, l'étain, la
sihce , la magnésie, la potasse, la soude, la chaux, l'alu-
mine , le soufre , le phosphore , et le carbone. Le fer et la
silice ne manquent dans auciui.
On divise les aérolilhes en trois classes : l°les aéroîithes
métalliques, composés de fer pur et qui tombent rarement;
2° les aéroîithes pierreux, qui ne renferment que des par-
celles de fer disséminées dans une pâte pierreuse; .''.'' les
aéroîithes charbonneux, dont on n'a encore qu'un exemple
constaté.
Quatre théories ont été proposées pour e\pli<|uer la for-
•Î40
iiiation (les aérolilUes. La première, due à Laplace, les
considère comme des corps lancés par les volcans de la hmo
Jusque dans la sphère d'activité de l'attraction terrestre. La
seconde suppose les éléments qui les composent existant
à l'état de gaz et disséminés dans l'atmosphère jusqu'à ce
qu'ils éprouvent une condensation subite sous l'influence de
certaines causes ignorées de nous. Suivant la troisième, ces
pierres se trouvent toutes formées dans les espaces célestes, où
elles se meuvent avec une vitesse considérable en vertu des
actions planétaires , et l'instant où elles tombent sur la terre
est celui où son action sur elles vient à prédominer. Enfin la
quatrième les présente comme des fragments de roche lancés
à une très-grande hauteur par nos volcans , et qui , après
avoir décrit plusieurs révolutions autour de notre globe, fi-
nissent par retomber. Quelque ingénieuses que soient ces
théories , elles ne sont cependant que des hypothèses : aussi
devons-nous avouer modestement que l'origine des aérolithes
est un mystère resté jusqu'ici impénétrable pour nous. Nous
reviendrons sur ce sujet à l'article Ëtoiles filantes.
Le chimiste anglais Howard a dressé une liste chronolo-
gique des pierres tombées du ciel depuis les temps les plus
reculés jusqiies et y compris l'année 1818 : Celte liste a été
coHtinui;e jusqu'en 1824 par Chladni. Depuis, beaucoup
d'autres chutes d'aérolithes ont été constatées. Nous citerons
seulement quelques-unes de ces pierres.
Du temps d'Anaxagore une pierre noirâtre, de la di-
mension d'un char, tomba près du fleuve ^gos-Potamos en
1 hrace. Cette pierre se voyait encore en ce lieu à l'époque de
l'empereur Yespasien. 11 y avait des pierres météoriques dans
le gymnase d'Abydos, et dans la ville de Cassandre en Ma-
cédoine. Pline dit avoir vu lui-même une de ces pierres
tomber dans la campagne des Vocontiens, dans la Gaule
narbonnaise. Le 7 novembre 1492 une pierre pesant deux
cent soixante livres tomba à Ensisheim , en Alsace; elle se
trouve maintenant dans la bibliothèque de Colmar, mais elle
est réduite au poids de cent cinquante livres , probablement
en raison du grand nombre de fragments qu'on en a successi-
vement détachés. Le 26 mai 1751 deux masses de fer tom-
bèrent à Hradschina, près d'Agram, capitale de la Croatie.
De ces deux masses , l'une pesait soixante-onze livres , et
l'autre seize livres seulement : la plus grosse est actuelle-
ment à Vienne. La pierre qui tomba près de Lucé, le 13 sep-
tembre 1768 , fut analysée par Lavoisier. Les douze pierres
qui tombèrent aux environs de Siemie, le 16 juin 17U4, furent
analysées par Howard et Klaproth. Le 26 avril 1S03 une
pluie de pierres tomba en plein jour sur la petite ville de
L'Aigle en Normandie. L'autorité locale dressa procès-verbal
de l'événement, qui ne peut être mis en doute. On ramassa
plus de deux mille aérolithes sur un espace de deux lieues
et demie au-ilessus duquel le météore avait passé. Le 23 no-
vembre ISIO il y eut encore une pluie de pierres à Charson-
ville, près d'Orléans. 11 y en avait plusieurs du poids de vingt
livres et une du poids de quarante. Le 10 août 1818 une
pierre tomba àSlobodka, dans la province de Smolensk,
en Russie, et pénétra d'environ seize pouces dans le sol;
elle pesait sept livres, et avait une croûte brune parsemée
de taches plus foncées. Le 5 juin 1821 il tomba à Privas un
aérohthe qui pesait 92 kilogrammes, et qui s'enfonça de 2 dé-
cimètres enterre. On le conserve aujourd'hui dans la galerie
minéralogiquedu ■Muséum d'Histoire Naturelle à Paris. Vers
la fm de janvier 1824 il y eut une chute d'un grand nombre
de pierres près d'Arenazzo, dans le territoire de Bologne. Une
de ces pierres, pesant douze livres, est conservée dans l'ob-
servatoire de Bologne. Le 14 octobre 1824 il tomba près
de Zéhrack , cercle de Béraun , en Bohème, une pierre
<iui est conservée au muséum national de Prague. 11 existe
aussi dans différentes collections des masses de fer auxquelles
on peut attribuer une origine météorologique : tels sont la
masse vue par Pallas iiKrasnoiark , en Sibérie; un fragment
existant dans le cabinet impérial do Vienne, et venant peut-
AÉROLITHE — AEROSTAT
être de la Norvège; une petite masse, du poids de quatre
livres, conservée actuellement à Gotha. La seule chute con-
nue de masses solides dans lesquelles le fer existe en rhom-
boïdes ou en octaèdres, et composées de couches ou feuilles
parallèles, est celle qui eut lieu à Agram en 1751. Quelques
autres masses semblables ont été trouvées sur la rive droite
du Sénégal, au cap de Boime-Espérance, dans différente»
lociihtés du Mexique. Dans la province de Bahia , au Brésil,
il y a une masse de sept pieds de long, quatre de large , el
deux d'épaisseur : son poids est d'environ quatorze mille li-
vres. Aux environs de Bitbourg, non loin de Trêves, on a
trouvé une masse qui pèse trois mille trois cents livres. Dans
la partie orientale de l'Asie , non loin de la source de la ri-
vière Jaune , on dit avoir rencontré une masse d'environ
quarante pieds de hauteur; et les Mongols, qui l'appellent
lihadasut filao, c'est-à-dire roche du pôle, prétendent
qu'elle tomba à la suite d'un météore de feu. Une masse ne
contenant pas de nickel , mais de l'arsenic, a été trouvée à
Aix-la-Chapelle; une autre, sur la colline de Brianza, dans
le Milanais; une autre, à Groskamsdorf. Cette masse, qui,
d'après Klaproth, contenait un peu de plomb et de cuivre,
a été fondue, suivant toutes les apparences, de manière que
les morceaux conservés à Freyberg et à Dresde ne sont
que de l'acier fondu , qu'on a substitué à la masse primitive.
AEROMAA'CIE (dugrecài>,p, air; (xavTeîa, divination),
art prétendu de prédire l'avenir par les phénomènes qui ont
lieu dans l'air.
AÉROMETRE (du grec àrip, air, et (léxpov, mesure),
instrument qui fait connaître la densité ou la raréfaction de
l'air. M. Hall a donné ce nom à un instrument ingénieux de
son invention, destiné à faire les corrections nécessaires quand
on veut déterminer le volume moyen des gaz.
AÉROMÉTRIE, science qui a pour objet la constitu-
tion physique de l'air et qui en mesure et calcule les effets
mécaniques. C'est la partie delà physique qui s'occupe de la
densité ou de l'expansion de l'air en général , et des moyens
de les mesurer.
AJÉRONAUTE, AÉRONAUTIQUE (du grec àï;p, air;
variTYi;, navigateur ;vauTtxri, navigation). L'aéronaute est celui
qui s'élève dans les airs au moyen d'un aérostat, qui voyage
en aérostat. L'aéronautique est l'art de naviguer en l'air au
moyen d'un ballon. Voj/ez Aérostat.
AÉROSTAT (du latin aer, elstare, se tenir), appa-
reil au moyen duquel on s'élève dans l'atmosphère , à l'aide
d'un air plus léger qu'il contient. En général, les aérostats
sont remplis de gaz hydrogène. Ceux qui s'élèvent en vertu
de la dilatation de l'air échauffé prennent spécialement le
)iom de montgolfiàres. Communément on appelle les uns et
les autres ballons.
C'est un magnifique spectacle que celui de l'homme s'é-
lançantdans l'espace, dont l'accès lui semblait interdit par la
nature, et porté par l'élément qu'il a dompté. Qui n'a senti son
C(pur battre au départ de ces hardis voyageurs , qu'un rien
peut précipiter brisés sur la terre, et qui vont gaiement
affronter lamort, tantôt pour donner un spectacle, tantôt pour
avancer la science , tantôt pour découvrir les moyens de di-
riger leur machine? Pour l'aéronaute, c'est aussi une grande
jouissance que la vue de cette multitude curieuse accourua
pour le contempler à son départ , et qui se rassemble avec
enthousiasme sur le chemin de son esquif aérien.
Ordinairement l'aérostat est compasé d'un ballon ou en-
veloppe sphérique en étoffe rendue imperméable au moyen
du caoutchouc et contenant le gaz hydrogène. Un réseau ou
filet recouvre le ballon et se rattache à un cercle de bois
nommé éqnaleur ; de l'équateur descendent des cordes qui
soutiennent un grand panier d'osier ou nacelle, dans laquelle
se place l'aéronaute. La nacelle contient en outre : du sable
ou lest , dont l'aéronaute se débarrasse lorsqu'il veut re-
monter; des instruments de physique, qui lui indiquent sa
ilireclion, la hauteur à laquelle il se trouve, la tempéra-
AÉROSTAT
141
turc, etc. ; de la nourriture, pour r»?parer ses forces, des
vclenionts pour éviter le froid des hautes régions de l'at-
mosphère , un grappin ou petite ancre pour s'accrocher à la
terre lorsqu'il est sur le point de quitter sa nacelle. Enfin
une corde lui permet d'ouvrir une soupape située au som-
met du ballon , pour laisser échapper le gaz , lorsqu'il veut
descendre vers la terre. Par ce moyen , si l'aéronaute ne
peut se diriger contre le vent , il peut du moins monter et
descendre à volonté dans l'atmosphère.
Tout le monde sait qu'un corps plongé dans l'eau perd
une quantité de son poids égale à celle du volume de liquide
qu'il déplace. C'est en vertu de ce principe, découvert par
Archimède, qu'un morceau de liège tend à flotter sur l'eau ,
parce que le yolume d'eau qu'il déplace , égal à son propre
volume, pèse plus que lui-même. Or, cette loi de l'hydro-
statique est parfaitement apphcable à l'aérostatique, et ce qui
est vrai pour l'eau et les autres liquides est également vrai
l)Our les fluides gazeux. C'est donc aussi sur cette loi que re-
posent la théorie de l'aérostation et la construction des aéros-
tats. Un ballon s'élève parce qu'il déplace un volume d'air
dont le poids est supérieur au sien. Mais la pesanteur de l'air
est une découverte toute moderne, et c'est seulement dans la
seconde moitié du dix-huitième siècle que la science a re-
connu que les divers fluides aériformes possèdent des pe-
santeurs spécifiques différentes. Ainsi tout gaz dont la pe-
santeur spécifique serait notablement moindie que celle de
l'air, pourrait servir à gonfler un ballon. Les premiers
aérostats que l'on ait construits étaient tout simplement
remplis d'air raréfié ; et si l'on donne la préférence à l'hydro-
gène, c'est qu'il est beaucoup plus léger que l'air, puisque sa
pesanteur spécifique , lorsqu'il! est pur, est à celle de l'air
comme 69 est à 1000.
Appliquée à l'air, la chaleur le raréfie, le dilate et en dimi-
nue par conséquent la pesanteur spécifique. Cette diminution
de pesanteur s'effectue en proportion du degré d'intensité
de la chaleur. Pour chaque degré du thermomètre de Fah-
renheit, la chaleur parait dilater l'air d'environ jj^ ; ainsi 400°
de chaleur, ou plus exactement 435 , doubleront juste le
volume d'une masse d'air. Si donc l'air renfermé dans un
appareil quelconque est modifié par la chaleur et se trouve
dilaté au point que sa pesanteur soit moins considérable
qu'une masse d'air égale , cet appareil doit s'élever dans
l'atmosphère jusqu'à ce que l'air qu'il contient devienne plus
froid et se condense davantage, ou bien que, l'air environnant
devenant moins dense , ces deux espèces d'air aient atteint
une pesanteur spécifique égale , le tout en tenant compte du
poids de l'appareil. En tout état de cause, l'appareil redes-
cendra graduellement si la chaleur n'est pas renouvelée et
ne diminue de nouveau sa pesanteur. Telle est la théorie
des montgolfières. Mais si , au heu d'avoir recours à ce
moyen , dont les procédés ne sont pas sans danger, on
remplissait l'appareil d'un fluide élastique plus léger que l'air
atmosphérique, il continuerait à s'élever jusqu'à une hauteur
oii les couches d'air environnantes auraient le même degré
de pesanteur spécifique. Tel est le système des aérostats in-
ventés par Charles.
Connaissant les pesanteurs spécifiques relatives de l'air
et du gaz, ainsi que le poids de l'enveloppe dans laquelle on
veut enfermer ce dernier, il est facile de calculer les dimen-
sions que doit avoir le ballon pour s'élever dans l'air atmo-
sphérique et emporter avec lui un poids donné à une hauteur
donnée. Un mètre cube d'air, au niveau de la mer et sous
la pression atmosphérique ordinaire, pèse 1,209 grammes;
dans les mêmes conditions, une sphère d'air d'un mètre de
diamètre pèsera 683 grammes environ. Si l'on admet que
le gaz hydrogène employé à gonfler le ballon soit seulement
dix fois plus léger que l'air, à cause de l'impureté de l'hydro-
gène obtenu par les procédés ordinaires, il en résultera
que la force avec laquelle une sphère d'hydrogène de même
diamètre tendra à s'élever dans les airs sera de 613 grammes.
Pour des sphères de différentes grandeurs, la force ascension-
nelle sera proportionnelle à leur volume, ou autrement
au cube de leur diamètre. Ainsi une sphère de 6 mètres s'é-
lèvera avec une force égale à deux cent seize fois la pre-
mière, c'est-à-dire une force de 133 kilogr., et une sphère de
12 mètres avec une force de 1,062 lui. ; mais il l'aut déduire
des chiffres ci-dessus le poids de l'enveloppe. Si le tissu dont
on se sert pèse 220 grammes par mètre superficiel, c'est envi-
ron 691 granunes pour l'enveloppe entière d'un ballon d'un
mètre de diamètre. Or, pour un globe plus grand, la quantité
nécessaire augmentant comme le carré du diamètre, le poids
de l'enveloppe sera d'environ 25 kil. pour un ballon de 6 mè-
tres de diamètre , et de 100 kilogr. pour mi ballon de 12 mè-
tres. Par conséquent un ballon de 6 mètres s'élancera du sol
avec une force ascensionnelle d'à peu près 108 kilogr., et la
force ascensionnelle d'un ballon de 12 mètres s'élèvera à
962 kil. On trouve , par le même procédé , qu'un ballon de
20 mètres enlèverait un poids égal à 4,640 kilogr. environ,
tandis qu'un petit ballon d'un mètre de diamètre ne pourrait
que flotter à la surface du sol, le poids du tissu étant presque
égal à la force ascensionnelle résultant de la différence entre
la pesanteur spécifique de l'air et celle du gaz emprisonné.
La hauteur à laquelle un aérostat peut s'élever est déter-
minée par la loi qui règle la diminution de densité des
couches atmosphériques à mesure qu'on s'éloigne de la
terre. La force élastique diminue avec la densité , et lors-
qu'elle se trouve réduite à une quantité seulement égale au
poitis du ballon et de ses appendices , il est impossible que
l'appareil s'élève plus haut. Une autre circonstance vient en-
core restreindre la possibilité de s'élever au delà de certaines
limites. A mesure que la pression de l'air extérieur diminue,
la force expansive du gaz enfermé va en augmentant , et à
la fin cette dernière vamcrait la résistance que pourrait lui
offrir toute enveloppe, quelque solide qu'elle fût. Un ballon
exactement rempli d'hydrogène serait mis en pièces par le
gaz aussitôt qu'il serait parvenu à une faible hauteur dans
l'atmosphère, si l'aéronaute n'avait la précaution de laisser
échapper, en ouviant la soupape du ballon, une partie du
fluide emprisonné. Pour éviter cela on ne remplit pas exac-
tement le ballon, qui se distend à une certaine hauteur.
Dans la plupart des ascensions aérostatiques on se sert
aujourd'hui de l'hydrogène carburé de l'éclairage; autrefois
on demandait l'hydrogène dont on remplissait les ballons à
la décomposition de l'eau par l'action du fer ou du zinc et
de l'acide sulfurique. L'appareil dont on se servait pour cela
est des plus simples. On place debout des tonneaux ordi-
naires; on perce deux trous au fond supérieur : de l'un part
un tuyau qui se rend dans un plus grand tonneau qui reçoit
le gaz de tous les autres et l'envoie dans le ballon. Par le
second trou on introduit de l'eau, de la limaille, ou mieux
de la tournure ou des rognures de fer, et de l'acide sulfurique,
dans les proportions de : fer, 56; acide sulfurique concen-
tré, 100; eau, 400. Ces nombres, exprimés en kilogrammes,
produisent 2,287 mètres cubes de gaz hydrogène. On peut,
d'après ces proportions, calculer le nombre de tonneaux dont
on a besoin pour remplir un ballon de dimension connue.
On ne saurait apporter trop de soin dans le choix des
étoffes dont se compose l'enveloppe d'un aérostat. On doit
aussi essayer les cordages qui composent le filet , s'assurer
du jeu de la soupape, etc. Dans l'espoir de diminuer les
dangers d'explosion par l'effet de la distension du gaz, on a
voulu essayer de construire des ballons avec des lames mé-
talliques. M. Dupuis-Delcourt fit construire il y a quelques
années un ballon avec des lames de cuivre très-minces ; mais
le défaut d'homogénéité du métal et plusieurs autres cir-
constances l'ont empêché de réussir.
Quant à la forme du ballon , la forme sphérique est la
plus usitée, et parait la meilleure lorsqu'il s'agit de s'aban-
donner au vent, comme on le fait dans la plupart des cas.
Plusieurs de ceux qui ont essayé de diriger les aérostats
M 2 A En
ont adopté la forme ellipsoïde, qui se ra{)proche de celle du
poisson.
La pensée d'inventer un aj)pareil à Taide duquel on pi'it
s'élever dans l'air parait avoir dès la plus liante anticplllé
occupé l'esprit humain. On en chercha d'abord le moyen
dans (pielque mécanisme se rapprochant des ailes des oiseaux.
Auln-Gelle, en parlant de la colombe de bois d'Archytas, dit
qu'elle se soutenait sans doute i>ar des moyens d'équilibre ,
et que l'impulsion lui était donnée par l'air qu'elle recelait
intérieurement. C'est bien à tort, suivant nous, que l'on voit
là l'idée d'un gaz plus léger; car celui-ci n'aurait pu en-
lever une colombe de bois. Roger Bacon, vers 1292, s'était
aussi ingénié h construire une machine pour atténuer le
poids d'un homme et lui donner la facilité de se diriger dans
l'air comme les oiseaux. En 1670 le P. Lana s'était proposé
<le construire un navire aérien soutenu par quatre grands
ballons eu cuivre vides d'air. Le P. Galien publia en 1735,
à Avignon, un livre intitulé Art de naviguer dans les airs,
dans lequel il propose de faire un immense ballon rempli
d'air pris dans la région de la grêle , afin que ce ballon tût
plus léger et plus apte à s'élever. Dante de Pérouse se cassa
une cuisse en volant avec des ailes. Bernoin à Francfort et
le marquis de Bacqueville à Paris ne furent pas plus heu-
reux. Besnicr imagina aussi un appareil |)our voler en l'air.
Les Anglais ont revendiqué l'invention des aérostats. 1/
est vrai que Cavcndish ayant découvert lii légèreté de Thy-
drogénc, Blar k remplit des vessies de ce gaz, mais elles ne
purent s'élever à cause de leur poids. I>'un autre côté, le pa-
pier ne gardait pas le gaz. Plus tard, Cavallo répéta ces expé-
riences en gonllant des bulles de savon avec l'hydrogène :
alors les bulles montèrent ;iu plafond , où elles crevèrent.
Mais tous ces écrits, toutes ces expériences de laboratoire
ne laissaient entrevoir aucune application utile , lorsque
I M ont go I fier fit sa belle découverte. On dit que, brûlant
un jour de vieux papiers, il s'aperçut qu'un sac enflammé
par son orifice s'élevait rapidement dans l'air, et s'y main-
tenait tant que l'orifice pouvait être chauff(\ Il répéta plu-
sieurs fois cette expérience, et toujours avec succès; ce qui
lui fit concevoir le plan d'une montgolfière. D'autres disent
qu'Etienne MontgoUier, après avoir lu attentivement les œu-
vres de Priestley sur les densités différentes des gaz, fut frappé
d'une idée subite en montant une côte : en emprisonnant,
se dit-il, dans une enveloppe un nuage , un gaz plus léger que
l'air, on doit pouvoir enlever des fardeaux, des hommes
peut-être. Cette pensée communiquée à son frère Joseph fut
aussitôt discutée, élaborée, éclaircie, mise en pratique avec
de petits sacs de papier ou de taffetas remplis d'hydro-
gène. Quelle que soit la vraie des deux versions, ce qu'il y
a de sûr, c'est que Joseph Montgolfier contiima à Avignon,
eu 1782, une série d'expériences; mais l'hydrogène traver-
sant trop facilement les enveloppes, on chercha un autre gaz.
On pensa à la fumée produite par la paille et la laine, et
une expérience réussit près d'Annonay. Les états du Vivarais
étaient alors assemblés; les frères Montgolfier les prient
d'assister à une expérience qu'ils doivent f^iire sur la place
de la ville , et le 5 juin 1783, devant le corps entier des
états, un gros ballon de 110 pieds de circonférence en toile
couverte de papier est rempli par les inventeurs d'un gaz
qii'ils prétendent savoir faire ; dix hommes suffisent à
peine à le retenir; puis on le laisse aller : en dix miiuiles il
se trouvée lOOO toises d'élévation; ensuite l'aérostat descend
doucement dans les vignes voisines.
Aussitôt le bruit de cette expérience se répand partout.
Tous les physiciens répètent l'essai ; mais comme le gaz des
Montgolfier était inconnu, on se servit d'hydrogène, connu
alors sous le nom d'air Intlammalile. Au lieu de papier, Charles
imagina d'employer du taffetas gommé, qui retenait mieux
le gaz. Une souscription nationale s'ouvrit pour faire nu
essai , et elle fut bientôt couverte. Ce ne fut pas sans peine
qu'on parvint à gonller ce premier ballon , établi dans la
OSTAT
cour de la maison où demeurait Cliarles, place des Victoires.
A force de soin, et moyennant 1000 hvres de fer et 498
d'acide sulfurique, ou parvint en quatre jours à gonller un
ballon de 4 mètres de diamètre, qui pouvait enlever à peine
dix-huit livres. Le 2Gaoùt 1783, le ballon était prêt. On le
porta dans la nuit au Champ de Mars; là on acheva de le
gonfler, et le 27, à cinq heures du soir, le ballon partit, au
bruit du canon , devant la foule accouiiie de toutes parts. Il
s'éleva avec une telle vitesse qu'en deux minutes il disparut
dans un nuage. Trois quarts d'heure après, l'aérostat tombait
à côté d'Écouen.
Quelques jours plus tard, Montgolfier arrivait à Paris et
reccvaitde l'Académie des Sciences l'invitation de faire cons-
truire une machine aux frais de ce corps savant. Il se mit
à l'œuvre, et fit un ballon de 70 pieds de haut sur 40 de
diamètre. Le 12 septembre, devant les commissaires de l'Aca-
démie, ce ballon ftit gonflé en 10 minutes au moyen d'un
grand feu de paille et de laine hachée; mais il survint une
pluie battante et un vent épouvantable, qui détruisirent la
machine.
Le 19 une autre expérienrc eut lieu devant le roi à Ver-
sailles. En cinq jours on avait monté une montgolfière en
toile, couverte de papier peint et décorée avec soin. A une
heure la machine se gonfle; et, bien qu'un coup de vent l'ait
fendu vers le sommet, le ballon s'élance rapidement, empor-
taufavec lui une cage qui renfermait un mouton, im coi] et.un
canard. Arrivé à 240 toises de hauteur, l'aérostat s'arrêta,
et, après avoir plané quelques instants, il s'abattit dans le
bois de Vaucresson. Dans la descente, la corde qui retenait
la cage fut coupée par une pile de bois; les animaux fu-
rent détachés et tombèrent sans accident grave.
Cette expérience fit naître à l'esprit de quelques hommes
la pensée de se livrer aux hasards de l'ascension en aérostat.
Montgolfier construisit une énorme machine de 70 pieds de
haut et de 46 de diamètre, richement ornée, et sous laquelle
était disposée une galerie de 25 pieds de diamètre. Au milieu
était une ouverture où pendait avec des chaînes de fer un
réchaud de môme métal, dans lequel on pouvait entretenir
un feu de paille et de laine; car les frères Montgolfier
croyaient toujours que l'ascension était due au gaz produit
par la combustion de la laine. PilàtredeRozier fit trois
ascensions dans cet appareil, le ballon maintenu par des
cordes : il put parfaitement monter et descendre à volonté
en rallumant ou en laissant éteindre le feu. Dans une des
expériences, l'aérostat s'embarrassa dans des arbres, et l'aé-
ronante le tira parfaitement de danger. Enfin, une autre per-
sonne, Giroud de Villette, osa l'accompagner, puis après lui
le marquis d'Arlandes. Ces essais avaient lieu dans la cour
de Réveillon. Quelques mois plus tard des femmes, des mar-
quises, des comtesses, faisaient des ascensions eu ballon
captif.
Mais tout cela n'était qu'un jeu. Le 21 novembre 178.1
Pilàtre de Rozier et d'Arlandes s'enlevèrent à une heure cin-
quante-quatre minutes, du jardin de la Muet te, dans une mont-
golfière libre, sous laquellehnllaitdela paille. Lesaéronaute»
coururent les plus grands dangers, le feu ayant pris à l'appa-
reil; mais, par l'application d'épongés mouillées, ils par-
vinrent à l'éteindre et descendirent sains et saufs dans la
plaine de Gentilly.
Le second voyage aérien s'accomplit le l^"" décembre 178.3,
avec un globe de 20 pieds de diamètre en taffetas enduit de
gomme élasticpie et lempli de gaz hydrogène, monté par
Charles et Robert. A une heure quarante minutes, les aéro-
nautes partirent du jardin des Tuileries pour aller descendre
dans la prairie de Nesle; Robert descendit le premier, et
Charles s'enleva de nouveau pour retomber un peu plus loin.
Cette ascension causa une vive sensation dans Paris. L'A-
cadémie des Sciences décerna le titre d'associé surnumé-
raire à Montgolfier, à Charles, à Robert, à Pilàtre de Rozier
et au marquis d'Arlandes. Montgolfier reçut des lettres Je
AÉROSTAT — AÉROSTIERS
iinblcîsc pour son père ; Charles cul une pension de 2,000 li-
vres, Robert une pension de 100 pistoles. Pilàtrc de Hozier
ii'eut qu'une pension de 1000 livres, qu'il trouva trop nioilique.
La troisième ascension eut lieu à l^yon, le l'J janvier 17S4.
Montgollier Tainé, Pilàtre de Rozior, Fontaine, le prince de
Liyne et trois autres personnes de qualité furent enlevés
à 500 toises environ par une énorme montgolfière, de
126 pieds de haut sur 100 de diamètre, et transportés à une
lieue de la ville sans accident.
Dès lors on se mit à imiter partout les hardis voyageurs.
I,c 25 février don Paul Andréani et les deux frères Gerli
s'enlevaient dans une grande montgolfière à Milan. Parmi les
ascensions curieuses, nous citerons celle de Blanchard, qui
traversa la Manche, le 7 janvier 17S5, avec le docteur Jcf-
feries. Partis de Douvres à une heure, ils descendirent vers
trois heures trois quarts entre Boulogne et Calais. Le 16 juin
de la même année fut marqué par une catastrophe. PikUre
de Rozier s'imagina de construire im aérostat dans lequel une
montgolfière cylindrique était surmontée d'un ballon rempli
de gaz inflammable. C'était, connue l'avait dit Charles, mettre
du fou sous la poudre. L'explosion eut lieu en effet, et Pilâtre
tomba brisé ainsi que son compagnon Romain. Ce malheur
ne ralentit pourtant pas le courage des aéronautes. On créa
même, à quelque temps de là, un corps d'aérostiers mi-
litaires et une école d'aérostation à jNIeudon. Blanchard
adapta un p.^racliute à son ballon, et fit descendi'e ainsi des
animaux. Jaccpies Garnerin tenta enfin, le 1^"" brumaire an YI,
la première descente d'un homme en parachute dans la
|)laine de Monceaux. Mademoiselle Élisa Garnerin renouvela
depuis cette périlleuse expérience, et M. Louis Godard
l'a encore exécutée dans ces derniers temps.
Parmi les aéronautes qui suivirent, nous devons citer ma-
dame Blanchard, qui périt à Paris, en 1819, par l'explosion
de son ballon, allumé par des pièces d'artifice qu'elle tirait
en l'air; le comte de Zambeccari, qui périt dans une expé-
rience dangereuse sur une montgolfière ; Arban , qui est allé
se perdre en Espagne : il avait fait peu de temps auparavant
un merveilleux voyage de ÎMarseille à Turin , par-dessus les
Alpes; Gale, quiseluaieSseptembre 1850 près de Bordeaux;
.AI. Green, qui a traversé la Manche, de Londres à Nassau;
les frères Godard, qui montrent à cliaque instant leur intré-
pidité aux Parisiens; enfin, M. Poitevin, qui renouvelairt une
expérience de Testu-Brissy et de Jîargat, s'est enlevé sur
un cheval, avec un taureau, une calèche attelée, etc., etc.
D'autres voyages aériens eurent lieu dans l'intérêt de la
science. On se rappelle les ascensions qu'entreprit Gay-
Lussacen 1804, d'abord avec M. Biot, puis seul. Ce savant
s'éleva à la plus grande hauteur à laquelle aucun homme
soit encore parvenu, c'est-à-dire à près de 7,000 mètres au-
dessus du niveau de la mer. Depuis , d'autres physiciens
recommencèrent cet essai , mais sans résultats nouveaux.
Plusieurs faillirent en être victimes.
Mais la navigation aérienne manquerait en grande partie
son but si Ton ne parvenait à diriger les aérostats. Dès le
commencement, des esprits ingénieux se mirent à chercher
les moyens de les faire marcher à volonté. Le premier qui
essaya de diriger les ballons dans l'air est Blanchard. Il avait
d'abord rêvé un bateau volant mécanique; il se rallia de
suite aux aérostats. 11 partit, en effet, du Champ de Mars, le
4 mars 1784 , et, à l'aide d'un gouvernail , fit quelques évo-
lutions; il descendit vers deux heures sur le chemin de Ver-
sailles , près de la verrerie de Sèvres. A quelque temps de
là Guyion de Morveau construisit, avec l'aide de l'Académie
de Dijon , un aérostat garni d'une sorte de proue en toile en
avant, et d'une espèce de gouvernail en arrière; à droite et
Il gauche il y avait de longues rames , et d'autres rames
étaient attachées à la gondole. C'est sur cette machine qu'il
fit, avec d'autres personnes, deux ascensions, le 25 février
et le 12 juin 17s'i. Dans la première le vent cassa les agrès;
dans la seconde les aéronautes parvinrent quelquefois à lutter
143
contre le vent. Robert constniisit ensuite un aéroslat cylin-
drique dans lequel il enferma un glol)e rempli d'air ([u'un
soudlet devait remplir. 11 devait conduire celte machine à
l'aide de rames de douze pieds de surface, 11 s'enleva de
Saint-Cloud avec le duc de Chartres, père de Louis-Phi-
lippe. Dans une occasion , une rame leur servit à dompter
le vent; mais une dilatation inattendue du gaz les força à
déchirer leur ballon, et ils descendirent précipitamment.
Le 18 juillet 1784, Blanchard tenta une nouvelle expérience
à Rouen , et obtint un bon effet de ses ailes pour monter et
descendre. L'année suivante, M^L Alban et Vallet, direc-
teurs de la fabrique de Javcl, tentèrent des voyages dans les-
quels ils se félicitèrent du jeu des ailes adaptées à leur ballon.
Le 17 juin 1786, Ïestu-Brissy s'enleva sur une sorte do
char garni de ro-ues à ailes et suspendu par un aérostat. 11
attribua une de ses descentes à ses rames. INIeunier, officier
du génie, membre de l'Académie des Sciences, rechercha ma-
thématiquement les conditions d'équilibre des aérostats dans
un mémoire très-remarquable, et proposa d'entourer les bal-
lons d'une seconde enveloppe de force, entre laquelle une
pompe enverrait ou retirerait de l'air. Loin de vouloir résis-
ter au vent , Meunier cherchait à s'en faire un auxiliaire. Le
principal but qu'il paraissait se proposer c'était d'atteindre
les courants d'air qui eutrahieraient l'aérostat dans la direc-
tion désirée. Pour arriver à ce résultat , il joignait à son en-
veloppe de force des roues à palettes manœuvrées par les
aéronautes. M. Lennox construisit plus tard, dans le même
espoir, un énorme ballon avec un gouvernail en avant et un
en arrière delà nacelle, et de chaque côté des roues en toile
analogues aux roues des bateaux à vapeur. Pour huiler la
vessie natatoire des poissons, INI. Lennox imagina d'intro-
duire dans son grand ballon un ballon particulier qui, selon
la quantité d'air extérieur qu'on y introduirait , devait pro-
duire sur la pesanteur du ballon principal une différence de
trente li^Tes en plus ou en moins. D'autres imaginèrent d'ap-
pliquer la vis d'.\rchimède à leur ballon. Tout cela est resté
sans résultats appréciables. On doit à I\L Transonun système
de baUons conjugués , c'est-à-dire réunis deux à deux au
moyen d'une corde , et de force ascensionnelle différente ,
qu'il nomme aéronefs, à l'aide desquels il espérait pouvoir
atteindre les courants favorables à la direction voulue. 11
proposa aussi d'ajouter aux ballons des voiles qui rappellent
les fonctions des cerfs volants. Depuis M. Petin a donné le
plan d"une grande machine armée de voiles , de parachutes ,
de paramontes, etc. M. P. Juliicn a obtenu quelques résul-
tats d'hélices mues par un ressort et appliquées à un aérostat
ayant la forme d'un poisson. M. Terzuolo a imaginé de pla-
cer dans un aérostat à gaz une sorte de vessie natatoire pou-
vant s'emplir à volonté d'air ou de gaz tenu dans une boîte
de réserve, et qui permettrait de monter ou descendre sans
perte de gaz ni de lest. D'autres systèmes ont été proposés
par MM. Sanson , Carlingford , Vert,Low m te. Enfin 1' a-
lumini um pourra donner des machines légères.
On demandait à Franklin ce qu'd pensait de l'invention
des aérostats : « C'est l'enfant qui vient de naître , » répon-
dit-il. Depuis, l'enfant a grandi. Rien ne laisse pourtant
encore entrevoir le moment où cette grande découverte
dotera l'homme d'une nouvelle puissance. L. Louvet.
AÉROSTATÎQUE, science de l'équilibre de l'air, ou
des corps avec l'air; partie de la physique qui recherche les
lois de l'équilibre de l'air et de tous les fluides expansibles.
AÉROSTIERS. Sous la Convention, Guyton-.Morveau
proposa au comité de salut public d'employer les aérostats
dans l'art militaire, comme moyen d'observer les mouve-
ments de l'armée ennemie. Cette proposition fut accueillie
par le gouvernement, sous la condition de ne pas einployer
l'acide sulfurique, le soufre étant nécessaire à la fabrication
de la poudre. Coutelie fut chargé des expériences néces-
saires, et le cliâîeau de Meudon fut mis à sa disposition. Il
s'associa Conté , inventa une sorte de fourneau pour décou.*
144
poser l'eau, tt imagina une foule d'appareils transportables
aux années. Apios ipielques mois de travail, tout réussit;
nii aérostat fut rempli , et Coutelle s'éleva en l'air. Son
ballon était tenu par deux cordes, longues de 270 toises.
A celle hauteur, il voyait avec une lunette à une grande
di.-.lance. et nonr faire des signaux il faisait couler le long
d'une corde des petits sacs de sable porteurs de flammes
diverses. Les expériences ayant réussi, Coutelle obtint le
brevet de capitaine commandant les aérostlers dans l'arme
de l'artillerie, attaché à l'état-major général. Kn même temps
il reçut l'ordre d'organiser une compagnie de trente hommes
et de se rendre à :\Iaubcuge,dont les Autrichiens faisaient le
siège. Coutelle suivit l'armée pendant toute la campagne,
opérant une foule de reconnaissances au moyen de son
ballon , retenu par de longues cordes que.manoMivraient ses
soldais. Cette singulière machine de guerre fut employée
d'anord en 1794, comme nous l'avons dit, au siège défensif de
Mauhcuge, et ensuite au siège offensif de Charleroi. Lors di'
la bataille de Fleurus , qui fut gagnée par Jourdan , le 2G
juin 17i>4, Coutelle resta pendant y)lus de neuf heures en
observation; et malgré les oscillations continuelles de la
nacelle, il put distinguer tous les mouvements de l'ennemi.
« Certainement, a-t-il dit, ce n'est pas l'aérostat qui nous a
fait gagner la bataille ; cependant je dois avouer qu'il gênait
beaucoup les Autrichiens, qui croyaient ne pouvoir faire un
pas sans être aperçus , et que, de notre côté, l'armée voyait
avec plaisir cette arme inconnue qui lui donnait confiance
et gaieté. » L'aé.'-ostat fut conduit après cela au siège de
Mayence. Coutelle put observer la place; mais le temps était
si affreux que plusieurs fois son ballon vint heurter la terre.
Le 14 brumaire an lYune seconde compagnie d'aèrostiers fut
créée par lui , et envoyée à l'armée du Rhin. Ses travaux lui
valurent le grade de chef d'escadron. On se servit encore
pendant quelque temps de la troupe des aérostlers. Conté ,
directeur de l'établissement de Meudon , ])assa avec Bona-
parte en Égj'pte. On y enleva aussi des ballons, ce qui éton-
nait beaucoup les musulmans et leur inspirait une certaine
torrenr. Cependant la difficulté de faire des observations au
milieu du balancement produit par la marche contre le vent,
l'embarras de l'appareil, le temps nécessaire pour gon-
ller le ballon, tout cela fit renoncer à l'emploi des aérostats
à l'armée. On en emmena pourtant un lors de l'expédition
d'Alger; et M. Godard fit plusieurs ascensions pendant la
campagne d'Italie, en 18 j9.
Aï'TÏTE (du grec ài-i-, aigle), variété de fer géo-
dicpit Iiydroxydè , renfermant un noyau mobile, et que l'on
nomme vulgairement pierre d'aigle, parce que les anciens
supposaient qu'on la trouvait dans l'aire des aigles. Ils lui at-
tribuaient plusieurs propriétés merveilleuses , comme de
prévenir les fausses couches , de favoriser les accouche-
ments, d'aider à découvrir les voleurs, etc. On en ren-
contre assez commimément en France, près de Trévoux et
aux environs d'Alais.
AETI US, général romain, né à Borostore, dans laMœsie,
était fils d'un Scythe, nommé Gaudence, mort au service de
l'empire, après avoir rempli les premiers emplois militaires.
Llevé à la cour d'Alaric, auquel il avait été donné en otage,
il apprit l'art de la guerre sous ce redoutable conquérant, et
profita du long séjour qu'il fit chez les barbares pour prendre
sur ces peuples une grande influence. En 424 il amena jusqu'à
60,000 Huns en Italie pour soutenir les prétentions de Jean
contre les descendants de Théodose. Jean ayant succombé,
Aétius vint faire .sa soumission à Placidie, mère de Valen-
linien III, qui gouvernait l'Occident comme tutrice de son
(ils. La régente reconnut dans Aétius les talents d'un grand
général -.elle résolut de se l'attacher, et lui donna le comman-
dement de l'Italie et de la Gaule, tandis qu'elle confiait à
Boniface le gouvernement de l'Afrique. Poussé par Aétius,
Bonifiice leva l'étendard de la révolte; et tandis que celui-ci,
repentant, faisait de vains efforts pour disputer l'Afrique aux
AÉROSTIERS — AFER
Vandales, Aétius affermissait son pouvoir dans les Gaules
par des victoires sur les Francs et les Bourguignons. Placidie
ayant accordé de nouvelles dignités à Boniface, Aétius
passa les Alpes, attaqua Boniface, fut vaincu ; mais il blessa
de sa main son rival, qui mourut peu de temps après. Pla-
cidie voulut en vain venger la mort de son lieutenant ; Aétius
revint bientôt, à la tête de 00,000 barbares, exiger son pardon.
11 mil dès lors son ambition à relever la puissance romaine
et à comprimer les barbares, qu'il savait bien ne pas pou-
voir chasser de l'empire. Lorsqu'uiie armée innombrable de
Huns pas.sa le Rhin, près de Strasbourg, sous la conduite
d'Attila, Aétius fut assez habile pour réunir contre ses anciens
alliés, alors devenus l'ennemi commun, tous les peuples de
race germanique établis dans les Gaules. Cependant la mar-
che d'Attila fut si rapide, qu' Aétius ne put empêcher la plu-
part des villes delà Gaule-Belgique d'être dévastées et livrées
aux flammes. Le roi des Huns était même sur le point de s'em-
parer d'Orléans, lorsque Aétius parut enfin à la tète des Vi-
sigoths, des Francs, des Bourguignons, des milices armori-
caines, et de quelques misérables cohortes romaines qu'il
avait tirées d'Italie. Les Huns , surpris , abandonnèrent leur
proie, mais Aétius les poursuivit vivement; il les atteignit
dans les champs Caîalauniques, entre Chàlons-sur-Marne et
Méry-sur-Seine. Ce fut là que, vers la fin de l'année 451, se
livra la bataille mémorable dont le succès sauva la Gaule,
et prolongea de quelques années la durée de l'empire ro-
main. Attila évacuâtes Gaules; mais ce fut pour aller ra-
vager l'Italie. Tant qu'il eut à craindre cet ennemi redou-
table, Valcntinien III flatta bassement le vainqueur de Chà-
lons ; mais en 453 , Attila étant mort dans l'ivresse d'un
festin , son empire s'écroula avec lui, et le lâche empereur
ne songea plus qu'à perdre un homme qui lui portait om-
brage, et dont il ne croyait plus avoir besoin. 11 fit venir
Aétius au palais , et s'arma pour la première fois de sa vie
d'une épée : Yalentinien en frappa l'homme qui avait sauvé
l'empire. Ses eunuques et ses courtisans l'achevèrent. Quel-
ques mois après, Yalentinien III expia son crime en tombant
sous les coups de Petronius Maximus.
AÉTIUS, hérésiarque du quatrième siècle, était né à
Antioche. Après avoir été valet d'un maître de grammaire, il
fut ordonné diacre et ensuite évêque par Eudoxe , patriar-
che de Constantinople. Il enseignait que le Fils de Dieu n'est
pas semblable au Père, et faisait consister toute la religion
dans la foi, ne parlant jamais à ses disciples de jeune ni de
pénitence. Condamné dans |ilu>ieurs conciles il fut exilé par
Constance. Julien le rappela. Aétius mourut à Constantino-
ple en 306. Ses partisans s'appelaient Aétiensoa Anoméens.
^TIOLOGIE. Voyez Étiologie.
AÉTIUS d'Amida, en Mésopotamie, médecin grec de la
fin du cinquième siècle, est auteur de Tetrabiblos, en seize
livres, vaste compilation où il avait mis à contribution les
plus grands médecins des âges antérieurs. Cet ouvrage est
remarquable surtout en ce qu'il renterme beaucoup de frag-
ments d'ouvrages perdus. Les huit premiers, livres seule-
ment ont été publiés à Yenise en 1334, in-fol. Il en a para
plusieurs traductions latines.
AFER (DoMiTits), célèbre orateur, naquit à Nîmes, vers
l'an 15 avant J.-C. — A quelle époque quilta-t-il les Gaules
pour l'Italie? On l'ignore; mais sous Tibère on le voit prê-
teur, et bientôt, au sortir de la préture, cherchant par ses
délations à se faire un nom et une fortune. Devinant la
pensée qu'a formée Tibère de perdre Agrippine, il s'y as-
socie et y aide en accusant d'impudicité, d'adultère avec un
certain Furnius, Claudia Pulchra, cousine d'Agrippine. Pul-
chra et Furnius furent condamnés. Le génie d'Afer pour la
délation s'était révélé; il obtint les applaudissements de Ti-
bère, qui dès lors l'appela l'homme de sa justice. Une fois
dans cette voie du mal, où il s'était engagé, .\fer ne s'arr<^ta
point. Il avait fait condamner Claudia Pulchra ; bientôt il
se porta comme accusateur du fils de celte célèbre Ro-
AFER
inaine , Vanis Quinctilius , personnage riche cl parent de
(.'esar. Loni;tenips plongé dans la misère, Afer deman-
dait ainsi à des délations une fortune qu'il dissipait avec au-
tant de facilité qu'il l'acquérait avec lionte ; mais , dégradé
riimme lionune, Afer se relevait comme orateur. La répu-
tation de son éloquence, dit Tacite, fut plus pure que cdle
«If -M- mœui-s. Quintilien, dont il avait été le maître, cite
souvent de lui des mots heureux ou piquants, d'habiles ou
vives reparties, qui témoignent de la présence d'esprit et
des ressources oratoires d' Afer ; il le place au premier rang des
orateurs ; il ne craint même pas de le ranger parmi les an-
tiens, c'est-à-dire les modèles , presque à côté des Horten-
sius et des Cicéron. Tacite, plus sévère , et qui dans Afer
Uomitius ne peut oublier le délateur, alors même qu'il y re-
connaît l'homme éloquent, dit que dans son dernier âge
Afer déchut beaucoup de son talent, et que, son génie s'é-
tant affaibli, il n'eut pas (quel orateur l'eut jamais?) la sa-
gesse de se taire. Afer avait été fait consul sous Caligula.
11 mourut dans un ùge fort avancé, au milieu d'un repas
où il avait mangé avec excès, dit la chronique d'Eusèbe :
in cœna, ex n'nnia cibi repletïone. De l'éloquence d'Afer
il ne nous reste absolument rien, et nous n'avons pour la
juger que l'admiration de Quintilien et le témoignage écla-
tant, quoique sévère d'ailleurs, de Tacite, qui reconnaît
son génie. Ajoutons, moins à la justification d'Afer qu'en
l'honneur de l'éloquence même, qu'Afer ne se servit pas de
cette arme terrible et brillante, que la nature lui avait donnée,
uniquement pour accuser et perdre, mais que souvent aussi
il en fit un noble usage : il défendit des accusés. L'bistobe
d'Afer est du reste, et malheureusement, l'histoire de presque
tous les orateurs célèbres sous la tyrannie des empereiu-s :
ou se faisait bourreau souvent pour n'être pas victime, et
la laiblesse autant que la méchanceté poussait à ces déla-
tions , qui plus d'une fois retombaient sur leurs auteurs ,
les empereurs ne demandant pas mieux que de trouver
des coupables dans les accusateurs eux-mêmes, c'est-à-dire
des dépouilles à prendre des deux côtés. La bassesse des
sujets devenait ainsi à elle-même son châtiment, et, par une
mutuelle expiation, vengeait l'humanité.
CuARPE.NTrER, prof, à la Faculté des Lettres de Paris.
AFFABILITÉ. AffahïliSs\g\\\{\Q, au propre, à çîjî l'on
peut facilement parler. Le sens du mot français est d'ac-
cord avec son étymologie. L'affabilité en effet est cette
qualité qui consiste à être d'un accès facile pour ses infé-
rieurs et à les écouter avec bienveillance. Cette définition,
sèche comme toute définition, ferait peu connaître par
elle-même ce qu'est l'affabilité, si nous négligions de signa-
ler les différents caractères qu'elle présente à l'observation.
L'affabilité ne consiste pas dans les dehors d'une vaine po-
litesse, dans l'affectation d'une bonhomie empruntée ou
d'une bienveillance mensongère ; mais, comme le dit 3Ias-
sillon, « elle prend sa source dans l'humanité ; c'est un sen-
timent qui naît de la tendresse et de la bonté du cœur ».
L'hypocrisie porte mal le masque de l'affabilité. Ses paroles
seront doucereuses, séduisantes, dorées, mais jamais affa-
bles, parce qu'elles ne partent point du cœur, dont le lan-
gage ne saurait tromper. La sincérité dans l'expression de
la bienveillance sera donc le premier caractère de l'affabilité.
Comme l'homme affable est naturellement bon, ses traits
seront empreints d'une douceur aimable; sa parole sera,
malgré lui, caressante, ses manières simplement affectueu-
ses, presque familières, sans rien perdre de leur dignité. La
définition même de l'affabilité suppose qu'il existe une dis-
tance entre celui qui accueille et celui qui est accueilli :
c'est précisément cette distimce que l'homme affable s'ef-
forcera de faire disparaître. Il sera beaucoup moins préoc-
cupé de la supériorité de son rang et du respect qui lui est
dû que de la gêne et de l'embarras de celui qui l'aborde, de
la confiance qu'il cherche à lui inspirer. Son entrelien n'aura
rien de la roideur glaciale d'une audience, il saura liii donner
DICT. DE I.A COXVEP.S. — T. I.
AFFABILITE M 5
le four d'une aimable conversation; loin de faire sentir à son
inférieur l'intervalle qui les sépare, il lui tendra doucement
la main pour l'approcher de lui, et la sinii>licité naturelle de
son accueil ne fera voir en lui qu'un homme parlant à un
autre honmie, ou l'écoutant avec intérêt pour savoir s'il lui
sera possible de l'obliger.
L'affabilité est plus qu'une heureuse disposition de l'âme,
plus que l'expression d'une bienveillance véritable; et l'on a
pu dire avec raison qu'elle est ime vertu, car elle oblige et
rend service par elle-même : un bon accueil est déjà une
boime action. On reprochait à Titus d'accueillir trop bien
les solliciteurs, et de se laisser entraîner à leur promettre
plus peut-être qu'il ne pouvait tenir : « J'aurais, répondit-
il, à me reprocher une mauvaise action si quelqu'un sortait
mécontent de l'audience du prince : et n'est-ce déjà pas ac-
corder un bienfait que délaisser l'espérance? » Considérom
ea effet ce qu'a de pénible la position d'un homme en pré-
sence de son supérieur; représentons-nous sa contrainte,
son embarras, sa méfiance de lui-même, son amour-propre
secrètement froissé par ce rôle de protégé et d'inférieur, et
avouons que c'est faire une bonne action de le délivrer de
cette gène cruelle, de remplacer son trouble craintif par la
confiance et l'espoir, de rendre à son esprit toute sa liberté,
et d'épargner à son amour-propre des blessures toujours si
cuisant es !
L'affabilité est une vertu des anciens jours. Elle se re-
trouve encore dans quelques hommes qui ont conservé les
traditions de noble simplicité et de généreuse franchise que
leur ont léguées nos aïeux. Mais elle semble disparaître peu
à peu, et n'être plus qu'une vertu surannée dont nous pai-
lons ici seulement pour mémoire. Quelle est la cause de
l'oubli où elle est tombée? Serait-ce que les institutions mo-
dernes auraient nivelé les rangs? serait-ce qu'elle aurait suivi
les grands seigneurs dont elle était l'apanage? Cependant, si
nous jetons les yeux sur la société actuelle , nous y retrou-
vons une hiérarchie dont les degrés sont plus nombreux peut-
être qu'autrefois, et par conséquent bien des gens qui trou-
veraient l'occasion d'être affables s'ils savaient l'être. Ce qui
fait, selon nous, que l'afïa'oilité n'a plus cours parmi l'aris-
tocratie moderne, c'est que les positions élevées ne sont
plus inféodées à la naissance, mais qu'elles sont presque
toutes occupées par des hommes nouveaux, qualifiés autre-
fois de parvenus. INIaintenant, en effet, grâce à nos insti-
tutions, une fortune rapidement acquise , une heureuse or-
ganisation intellectuelle, ou même encore la seule habileté de
l'intrigue, suffisent pour tirer bien des gens de leur obscu-
rité et les transformer en sommités sociales. Or, cette élé-
vation soudaine est pour leur raison un dangereux écueil :
leurs yeux n'ont pas eu le temps de s'habituer à la hauteur
de cette situation. Éblouis de leur nouvelle fortune, ils en
conçoivent d'autant plus d'orgueil qu'ils croient ne la de-
voir qu'à eux-mêmes, et la pensée exclusive de leur supé-
riorité les entraîne bien loin du sentiment de l'égalité, pour
laquelle on a tant combattu , et qu'ils ont si vite oubliée.
De là chez eux cette fierté inabordable, cette morgue dé-
daigneuse, ces airs protecteurs dont le sourire est une insuit»';
en un mot, cette hauteur de caractère et cette petitesse de
sentiments, antipodes de l'affabilité. A cela joignez l'égoïsme,
cette plaie de la société actuelle, qui doit à l'absence des
croyances morales ses rapides et elfrayants ravages ; l'égoïsme,
père de l'orgueil et de la dureté, qui empêche de comprendre
les ménagements , les égards dus à des frères moins heu-
reux, et qui fait qu'en leur présence on leur parle de soi
beaucoup plus que d'eux-mêmes, et qu'on pense beaucouf»
moins à leur venir en aide qu'à les maintenir à distance du
piédestal où l'on s'est posé. Voilà pourquoi l'affabilité est en
ce moment presque bannie de nos mœurs. Et en effet celle
vertu est le propre des grandes âmes, et nous n'avons main-
tenant que de hautes intelligences, des gens de mérite eu
grand nombre, si l'on veut, mais dont le mérite est an moins
19
MC
AFFABILITÉ — AFFECTATION
incomplet; car il leur manfinc ce qui fait la grandeur vé-
ritable, un cœur simple, humain et généreux.
C.-M. Pafie.
AFFAIRES ÉTRAIVGÈllES (Ministère des). Ce
département niinislériel, chargé des intérêts du pays à l'étran-
ger, de la préparation et de la conclusion des traités poli-
tiques et commerciaux, de la surveillance et de la protection
des nationaux au dehors , se divise en deux parties princi-
pales : Tadministration centrale à Paris , et le corps diplo-
matique et consulaire à l'étranger.
L'administration centrale du ministère des affaires étran-
gères se compose : r du cabinet du ministre et secrétariat ;
2° de la direction politique; 3° de la direction commerciale ;
4° de la direction des archives et de la chancellerie; 5° enfin
de la direction des fonds, de la comptabilité et du conten-
tieux. 11 y a en outre trois secrétaires interprètes pour les
langues orientales, attachés au ministère, un comité consul-
tatif du contentieux , et un conseil judiciaire. — Le bureau
de la chancellerie est seul ouvert au public. Ce bureau a
dans son ressort les passeports autres que les passeports
de cabinet; les légalisations, les visas et la perception des
droits qui en résultent; la transmission des actes judiciaires
et des conunissions rogatoires; la discussion des questions
touchant à l'état civil, et l'instruction des réclamations re-
latives à des matières d'intérêt privé , telles que les succes-
sions ouvertes en pays étranger, les recouvrements sur
particuliers , etc.
•A rextérieur la France est représentée par oes ambas-
sadeurs, des envoyés extraordinaires , ministres plénipo-
tentiaires. D'autres postes sont remplis par des ministres
plénipotentiaires, ou résidents, ou cliargéi d'affaires (voyez
l'arlicle Agent). Auprès de ciiaque légation il y a im ou
deux secrétaires, des aspirants diplomatiques et un clian-
celier. La France entrehent en outre à l'étranger des agents
consulaires, ayant les titres de consuls généraux, consuls
chargés d'affaires, on d'agents commerciaux.
Faire l'histoire du ministère des affaires étrangères , ce
serait tenter l'histoire diplomatique de la France. Disons seu-
lement ici que ce département dans notre pays fut long-
temps du ressort du principal ministre, et qu'il faut arriver
au règne de Henri II pour trouver un secrétaire d'État
chargé spécialement de quelques relations extérieures ; car
pendant bien du temps encore l'action du ministre des
affaires étrangères était bornée aux relations avec quelqiKS
pays détermines. Il y eut même dans un moment jusqu'à
trois ministres des affaires étrangères à la fois , ayant cha-
cun un département particulier. Depuis la révolution ce
minist-ère, qui prit pendant le Directoire et l'Empire le titre
de ministère des relations extérieures, n'a cessé de former
un département distinct. Parmi les hommes éminents qui
ont dirigé cette administration, il nous suffira de citer :
Claude de l'Aubespine ( 1567 ) , le seigneur de Villcroi ( 1 594 ),
le seigneur delà Vrillère ( 1624 ), de Loménie-Brienne ( IG43 ),
Hugues de Lionne (1653), le marquis de Pomponne (1671),
Charles Colbert (1679), le maréchal d'Uxelles (I7t5), le
cardinal Dubois ( 1718) , le comte de Morville ( 1723 ), Ame-
lot de Chaillou (1737), le marquis d'Argenson (1744), le
marquis de Puisieux ( 1747), le cardinal de Bernis ( 1757) ,
le duc de Choiseul-Stainville ( 1758) , le duc de la Vril-
lère (1770) ,1e duc d'Aiguillon (1771), de Vergennes( 1774),
de Montmorin Saint-Hérem (1787), Valdec de Lessart ( 1791 ),
Dumouriez, de Chambonas, Bigot de Sainte-Croix , Lebrun
( 1792) , de Forgues (1793) , Herman, Buchot, Mangourit et
Miot (1794) , Lacroix (1795), Talleyrand ( 1797, 1799, 1814
etlSlô), Reinhardt(1799), le comte de Champagny (1807),
le duc de Bas.sano ( 1809 ), de Caulaincourt ( 1813 ), le comte
de Jaucourt( 1815), le duc de Richelieu ( 1815), le marquis
Dessoles (1818), le baron Pasquier (1819), le duc Mat-
lîiieu de Montmorency ( 1821 ) , le vicomte de Chateaubriand
(1325), le baron de Damas (1S24), le duc de Laferron-
nays (1828), le prince de Polignac (1829). Sous Lonîs-
Philippe ce. ministère a été occupé tour à tour par MM. Mole,
le maréchal Maison, le comte Sébastiani, d'Argout, le duc de
Broglie, l'amiral de Rigny, le maréchal Soult, Thiers et
Guizot. Depuis la révolution de février, nous y avons
vu MM. de Lamartine, Bastide, de Tocqueville, de Lahitte
Drouyn de l'Huys, Baroche, Brenier et Tuigot Depuis le
coup d'État du 2 décembre 1851, MM. Turgot, Drouyn de
l'Huys, Walewski et Thouvenel s'y sont succédé.
Dans tous les États il y a aujourd'hui un ministre des af-
faires étrangènes Z.
AFFAISSEMENT. C'est en architecture TelTet qui
a lieu dans une construction lorsque les fondations sont trop
faibles, ou lorsque des fûts, portant à faux, occasionnent
par leur poids, inégalement réparti, des tassements partiels,
qui changent et détruisent les niveaux.
En géologie, V affaissement du sol, qui produit trop sou-
vent de terribles catastrophes, et qui d'autres fois fait
glisser sans secousse des champs cultivés et couverts d'habi-
tations, est encore trop fréquent dans les contrées volcani-
ques et dans les pays de hautes montagnes , et devait l'être
encore plus à l'époque voisine de la formation de leurs
chaînes. Les géologues attribuent les affaissements du sol
à plusieurs causes, qu'on peut réduire à deux principales, sa-
voir : l'action des eaux , qui mine lentement ou rapide-
ment des couches meubles , et celle du feu , qjii fait quel-
quefois disparaître des voicans, et les remplace par des Incs
AFFAITAGE. Yotjez Facconnepip:.
AFFALER. En terme de marine s'affaler c'est tomber
sous le vent faute de marche, ou par un changement de vent.
C'est ainsi qu'on s'affale sur une côte , dans une baie , sous
le vent de sa route. Un vaisseau affalé sur une côte peut y
courir le danger du naufrage. Affalé sous le vent de sa
route, il en prend souvent prétexte pour relâcher; cela peut
fournir matière à des discussions avec les assureurs.
AFFÉAGEANT. Dans la langue de l'ancien droit
français, on désignait par le terme ^afféa(jeant le vassal
qui aliénait une partie de son fief avec rétention de devoirs
annuels, soit que l'objet de la vente dût être tenu en arrière-
lief , soit qu'il dût être tenu en roture.
AFFÉAGEMEIVT. Dans l'ancienne jurisprudence, ce
mot était synonyme de bail à cens. En Bretagne il se di-
sait d'une sorte de diminution ou d'empi rement du fief,
par laquelle le vassal aliénait avec rétention de foi une partie
de son domaine, que l'aliénation eût été faite à titre de sous-
inféodation , ou bien à titre de bail à cens.
AFFECTATION. L'affectation est-elle un simple
travers et un ridicule, ou bien un défaut, un vice? En
d'autres termes, est-elle justiciable de l'opinion et du
goût seulement, ou de la morale ? Elle l'est de ces trois tribu-
naux, ou plutôt de l'un ou de l'autre des trois, suivant son
but , .son origine et ses caractères. En effet, on peut tomber
dans V affectation par simple ignorance des bonnes manières et
du bon langage, et avec le seul désir de bien faire ou de bien
dire. Dans ce cas, l'oZ/ecto^ion, si pénible qu'elle soit pour les
témoins, ne doit inspirer qu'une indulgence sans persiflage, et
ne s'attirer que des leçons sans critique. On peut aussi tomber
dans l'affectation par une simple absence de goût. Dans ce cas
encore la faute , si grave qu'elle soit, n'est que du ressort de
l'opinion , du tribunal du bon goût. Il est même dans l'his-
toire de la civilisation et de la littérature des époques oii il
est à ce point difficile de passer de la barbarie au goût
éclairé , que Yaffectation de style naît quelquefois des pre-
miers efforts de réforme. Toutefois, rien ne saurait être
aussi coupable que l'affectation qui touche aux mœurs. Celle-
là a pour but de nous faire paraître ou plus fiers ou plus
modestes, plus humbles ou plus orgueilleux, plus riches ou
plus pauvres, plus charitables ou plus économes que nous
ne le sonim.es. Qu'elle ait pour objet de nous attribuer des
qualités plus éclalanles ou plus obscures que celles qui sont
AÏ'FliCTATlO^
réi-lleiuent les nôtres, elle est cgalmucnt inauvjusc. — On dit
queltiuofois a/filcr et fl//?/(* pour affecter et affecté ; mais
je crois qu'il y a un jieu d'ajfi'terie à le faire. Matier.
AFFECTIF. iJi philosopliie , ce mot sert de qualiJica-
tion {•éneriipie à tous les faits qui composent le domaine de la
t^ensibilité , et sert également à qualKier le principe même
dont ressorlissont ces faits. Ainsi, une sensation, un senti-
ment, l'amour, la haine, toutes les émotions, tous les désirs,
toutes les passions qui peuvent agiter le cœur humain, sont
des faits aflectifs ; 1 1 le principe en vertu duquel tous ces
phénomènes appaiaissent dans le moi, c'est-à-dire la sen-
sibilité, se nomme aussi yj/JHO/pe affectif, affectivité, par
opposition au principe intellectuel ou entendement. Affectif
vient du mot afficere, afl'ecter. Ainsi l'on dira en philosophie
que l'àme est affectée en bien ou en mal , affectée d'un sen-
timent de plaisir ou de peine, etc. Toj/ci Sensibilité, Sen-
sation , Sentiment.
AFFECÏIOX. Ce mot prend au pluriel une autre ac-
ception qu'au singulier, il embrasse , au pluriel , tous ceux
de nos sentiments qui nous touchent avec un peu de viva-
cité et de profondeur, c'est-à-dire qui préoccupent un peu
fortement l'àme et lui font éprouver un certain degré de
plaisir ou de peine. Le mot affection marque donc , au
pluriel , une émotion quelconque, un sentiment agréable ou
désagréable. Au singulier ce mot ne désigne, au contraire,
qu'une seule espèce de sentiment, celui de la tendresse.
Cela est spécial à notre langue , avec laquelle ni le latin , ni
le grec, ni les idiomes modernes, ne sont d'accord là-dessus.
Le verbe affectionner a le même sens restreint. Il n'exprime
que l'amour. Nos affectious jouent en général un grand rôle
dans la vie et dans la pensée. Elles dépendent non seule-
ment de nos idées , mais encore de notre organisation, et
elles exercent une grande influence sur nos habitudes. Quand
elles sont profondes et permanentes, elles deviennent des
passions. On les appelle et on les croit souvent de simples
caprices. Mais il n'y a rien de capricieux dans la nature
humaine : tout y a ses causes et ses effets, ses motifs et
ses règles, même les affections déréglées, qui franchissent
les lois auxquelles elles sont assujetties. Matter.
AFFÉTERIE, manière de parler ou d'agir affectée et
prétentieuse, dans le dessein exagéré de plaire. L'affectation
est une façon empruntée, peu naturelle de manifester ses
pensées, ses goûts, ses sentiments ; l'afféterie est une re-
cherche ridicule dans les manières extérieures, comme les
gestes, la démarche, le maintien. On a dit avec raison que
«l'afféterie marque delà frivolité, de la coquetterie et un pe-
tit esprit; » et que « il n'y a rien de plus insupportable que
lesalféteriesd'unecoquette oud'une précieuse.» On a aussi
appliqué ce mot au style et aux arts du dessin. Z.
AFFETTUOSO, terme de musique. Cet adjectif mis
en tête d'un morceau de musique indique que l'expression
doit en être douce , tendre et légèrement passionnée. Ce ca-
ractère n'est compatible qu'avec un mouvement lent.
AFFiCIlES. L'usage de faire connaître au peuple par
des affiches la volonté des chefs de l'État ou les lois nouvel-
lement promulguées remonte à une antiquité assez haute.
Les Grecs les écrivaient sur des rouleaux en bois qui se
tournaient dans des tableaux plus longs que larges , et les
ex])osaient à tous les regards au milieu de la place publique.
Cest ainsi que les lois de Solon furent exposées dans Athènes
en treize rouleaux séparés. Chez les Romains, quand
une loi avait été admise par les comices, elle était gravée,
suiTant l'importance de la matière, sur des tables ou sur des
colonnes d'airain , et restait exposée à tous les regards pen-
<iaiit (pielques jours avant d'ôtre enfermée dans le trésor
public. Cet usage était regardé comme si nécessaire, qu'il
donna lieu à une loi par laquelle des peines très-sévères fu-
rent infligées à ceux qui, (iaudulousement et par ma-
lice, auraient gAîé le tableau que les magistrats de chaque
ville (lisaient aflicher tofis les ins, cl ([uc sa couleur faisait
Al-FiCHIiS
147
nommer Album praioris. Quelques liisloricns oui prétendu,
mais sans en donner aucune preuve, que cet usage avait passd
dans la Gaule avec le gouvernement des Romains, et qu'il
fut suivi p;u" nos rois des deux premières races. Au moyen
âge, cet usage semble avoir été remplacé par le cri à son de
trompe, par la voix du héraut d'armes quand l'ordonnance
était promulguée par un seigneur suzerain, et dans les villes
par des crieurs jurés, auxquels cet oflice avait été concédé.
D'après les usages de la législation romaine , c'est aux ma-
gistrats municipaux qu'appartenait le droit de faire crier les
ordonnances ou même les événements qui devaient être
connus de tous , et nous voyons à la fin du treizième siècle
le roi de France et l'évêque de Paris vendre à la juridiction
du l'arloir-aux-Bourgeois le criage de l'aris. Le prévôt de
cette ville ayant dans ses attributions le droit de promulguer
les ordonnances royales et celles des cours souveraines, les
registres qui étaient conservés au Chàtelet, siège de la juri-
diction de ce magistrat, se nommaient registre-bannière,
c'est-à-dire registre de publication.
La voix du crieur a donc, pendant plusieurs siècles, rem-
placé l'ancienne table de bois ou d'airain du magistrat do
Rome, et il faut venir jusqu'à la première moitié du seizième
siècle pour retrouver avec la promulgation à son de trompe
l'exposition de la loi dans les places et carrefours de la ville.
Par un édit du mois de novembre 1539, François I" décide
« que ses ordonnances seront attachées à un tableau, écrites
« sur du parchemin, en grosses letties, dans les seize quar-
« tiers de la ville de Paris, et dans les faubourgs, aux
« lieux les plus éminents, afin que chacun les connust , et
« entendist; fait défenses de les oster, à peine de punition
« corporelle ; et ordonne aux commissaires de quartier de
« les prendre sous leur garde et d'y veiller. » Pendant le
cours du quinzième siècle les factieux avaient employé le
moyen des affiches pour faire appel aux passions populaires.
Des lettres-patentes de Charles VI, du 6 avril 1407, sont
adressées au prévôt de Paris « pour faire le procès à ceux
« qui avoient affiché des placards excitant le peuple à =0-
« dition et à se soulever contre l'autorité du roy ». Par une
ordonnance du 9 décembre I4l7, rendue sur la requête du
prévôt des marchands, le prévôt de Paris enjoignait à tous
de lui dénoncer les gens qui avaient afficlié des libelles dif-
famatoires contre le roi , les princes et les officiers de sa
maison, « à peine contre ceux qui seroient trouvez en avoir
« eu connoissance d'estre traitez comme complices ». IMais
ce furent principalement les partisans de la religion ré-
formée qui usèrent des affiches et placards manuscrits pour
répandre les nouvelles doctrines qu'ils professaient. Quel-
ques-uns d'entre eux poussèrent l'audace jusqu'à mettre dans
l'alcôve du roi François I" un quatrain contre la messe.
Cette insulte grossière irrita ce prince à un tel point qu'il
rendit cet arrêt trop célèbre et si diversement jugé, contre
la liberté de la presse. Pendant les guerres de reUgion qui
ont signalé la seconde moitié du seizième siècle, cet usage
des affiches à la main ou clandestinement imprimées fut
adopté par les deux partis. Les mémoires du temps, et sur-
tout le Journal de l'Estoile, sont remplis de curieuses et mor-
dantes satires ainsi recueillies. — Les frondeurs se gar-
dèrent de renoncer à une arme qui convenait si bien à leur
façon d'agir et à la tournure de leur esprit. Les affiches sa-
tiriques inondèrent tout Paris; on fut obligé de sévir confie
un pareil désordre, et un arrêt du parlement, du 5 février
1652, porte qu'Usera informé contre les auteurs et afficheurs
de placards tendant à sédition. « Il est ordonné aux officiers
« du Chàtelet tenant la police de condamner au fouet et
» au carcan ceux qui seront trouvez imprimant , affichant,
« criant, publiant ou débitant placards contre l'autorité du
« roi. »
Les libraires paraissent avoir été les premiers à employer
le moyen des affiches pour faire connaître les ouvrages nou-
veaux qu'ils voulaient mettre en vente. L'édit du roi de
19.
14S
AFFICHES
1686, portant règlement pour les libraires et imprimeurs,
défend à toute autre personne qu'aux libraires de faire affi-
cher des ouvrages nouveaux, soit qu'ils s'en' disent les au-
teurs ou autrement. — Le nombre de ceux qui voulaient
faire connaître par le moyen des affiches les productions
qu'ils désiraient vendre augmentant toujours, il fallut ré-
gulariser l'emploi de ce moyen de publicité et soumettre à
\m règlement ceux qui l'exerçaient. Un arrêt du conseil ,
du 13 septembre 1729,, fixa les devoirs et la quantité des
colporteurs et afficheurs. Ces derniers ne durent jamais dé-
l)asscr le nombre de quarante, et longtemps encore la coîu-
ptignic des afficheurs ne compta pas plus de membres que
l'Académie Française, ainsi que l'observait déjà de son temps
Mercier, dans son Tableau de Paris. Ils étaient obligés de
savoir lire et écrire, et, après avoir été reçus par le lieute-
nant de police, de déclarer leur nom et leur adresse au syn-
dic de la librairie. 11 leur fut prohibé de placarder aucune
adiche qui ne porterait pas l'autorisation ou le privilège ,
x)u qui annoncerait la vente d'un ouvrage ailleurs que chez
un libraire ; ils étaient tenus de porter à la chambre syn-
dicale une copie des affiches qu'ils posaient, avec leur nom
au bas, et de ne jamais rien afficher pour les particuliers
sans la permission du lieutenant de police. Ils ne devaient,
sous aucun prétexte, mettre auprès d'une église l'annonce
d'un livre profane. Ce règlement fut renouvelé plusieurs fois,
notamment en 1779. Le Roux de Lincy.
L'afliche, un des modes de publicité légale, est soumise par
la loi à certaines dispositions particulières et fiscales.
Les affiches des actes de l'autorité publique sont seules
imprimées sur papier blanc, tandis que les affiches apposées
dans l'intérêt des particuliers ne peuvent l'être que sur du
papier de couleur (loi du 28 juillet 1791). Une loi de la même
année porte que dans les villes et municipalités il sera dé-
signé , par les officiers municipaux , des lieux exclusivement
destinés à recevoir les affiches des lois et actes de l'autorité
publique, et qu'aucun citoyen ne pourra faire poser des af-
fiches dans lesdits lieux, sous peine d'une amende de loo
francs. En exécution decette loi, deux ordomiances du préfet
de police, en date du S thermidor an LX. et du 5 fructidor
an X, prescrivirent pour la ville de Paris l'établissement de
tables en marbre noir sur lesquelles seraient gravés ces
mots : Lois et actes de l'autorité publique, et au-dessous
desquelles seraient posés les placards officiels.
La loi du 5 nivôse an V, celle du 9 vendémiaire an VI
assujettissent au timbre toute affiche apposée par les parti-
culiers, sous peined'une amende de 23 francs pour la première
fois, de 50 francs pour la seconde, et de 100 francs pour
chacune des autres récidives. Les affiches apposées à l'inté-
rieur des maisons o'u établissements sont exemptes du timbre,
ainsi que certams petits avisécrits à la main elles écriteaux
de location sur la porte môme de la maison. Le corps lé-
gislatif, régldUt le budget de 1853 a, sur la proposition de
M. Vér on, acceptée par la commission et par le Conseil
d'État, stipulé qu'à partir du ler août 1852, il serait perçu
un droit d'affichage de 50 centimes ou de 1 fr. surtout avis
inscrit directement sur les murs au moyen de la peinture
ou autrement , suivant que cet avis occuperait 1 mètre
carré ou plus en espace.
On distingue pour les affiches deux sortes de timbres :
l'un s'applique aux afficiies signées d'un notaire, d'un huis-
sier ou d'un antre officier public, et aux affiches relatives
aux ventes judiciaires. Elles sont sur papier blanc timbré,
comme celui des actes, suivant la dimension. Toutes celles
qui ne rentrent pas dans cette classe sontsoumisesà un tim-
bre, dont le prix est de 5 centimes par demi-feuille de papier
dit carré, et de 10 centimes pour toute feuille excédant
cette dimension, quelle qu'elle soit d'ailleurs : c'est ainsi
que les affiches monstres ne payent pas plus de timbre
qu'une feuille de 16 décimètres carrés. Avant 1857, les
affiches ou avis à la main étaient, comme les prospectus
de commerce, etc., soumises à un timbre qui variait suivant
la grandeur du papier. — Les imprimeurs qui font tirer
des affiches non timbrées préalablement sont passibles d'une
amende de 500 francs. Les affiches de l'administration ou
du gouvernement sont exemptées du timbre.
On nonune affiches légales celles qui sont prescrites par
notre législation pour faire parvenir à tous les citoyens la
connaissance de certains actes. C'est ainsi qu'on affiche à la
porte des mairies ou des palais de justice, à la Bourse, etc.,
les mariages, les séparations de biens, les actes de société,
les interdictions, etc. Les affiches judiciaires sont celles
qui sont apposées en vertu d'un jugement, comme les ventes
de biens saisis , les envois en possession , les arrêts d'adop-
tion, etc. D'autres sont infligées comme une juste réparation
envers une partie lésée : par exemple, lorsque, dans les cas
de contrefaçon ou usurpation de titres, de diffamation, etc.,
les juges ordonnent d'afficher un extrait de leur jugement à
un certain. nombre d'exemplaires.
Quelques actes administratifs, comme les ventes de biens
de l'État, les adjudications de travaux publics , les baux de
propriétés communales , doivent être affichés, pour que la
publicité la plus étendue possible ait lieu. Les arrêts criminels
sont aussi affichés par extraits. Une loi plus douce a remplacé
la honteuse exposition par une siiiiple affiche de l'arrêt.
Enfin les règlements de police doivent être également affi-
chés, et lorsque le gouvernement juge convenable de hâter
l'exécution d'une loi, d'im décret ou d'un arrêté, sans attendre
les délais ordinaires, il en ordonne l'impression et l'affiche, et
la loi , le décset ou l'arrêté est exécutoire du jour de cette
affiche. Voyez Promulgation.
Le déchirement des affiches apposées par ordre de l'admi-
nistration est puni d'une amende de 11 à 15 francs (Code
Pénal, art. 479).
La loi du 18 mai 1791 défend à tout citoyen et à toute
réunion de citoyens de rien -afficher sous le titre d'arrêt, de
délibération, ni sous aucune forme obligatoireou impérative.
Une autre loi, du 13 novembre 1791, prohibe l'apposition
d'une affiche sans l'autorisation des maires. Ces deux lois
ont été complétées et développées par le Code pénal et par
la loi du 10 décembre 1830. Une ordonnance de police du
18 mai 1853 a rappelé qu'il n'est permis d'apposer aucune
afiiche sans que sa rédaction ait été approuvée. L'article
283 du Code pénal punit d'un emprisonnement de six jours
à six mois toute apposition faite sciemment d'affiehes dans
lesquelles ne se trouve pas l'indication vraie des noms, pro-
fessions et demeures de l'auteur et de l'imprimeur; et dans
tous les cas, aux termes de l'article 286, les affiches sai-
sies sont confisquées. La loi du 10 décembre 1830 défend
d'afficher aucun écrit manuscrit, imprimé, lithographie ou
gravé, contenant des nouvelles politiques ou traitant d'ob-
jets politiques, sous peine d'un emprisonnement de six Jours
à un mois et d'une amende de 25 à 500 francs. Celui qui
s'est servi d'une affiche pour provoquer au crime ou au dé-
lit, ou pour injurier des agents de l'autorité ou des particu-
liers, est passible des peines prononcées par les lois sur
les délits delà presse.
Après la révolution de février Taffichage jouit d'une li-
berté illimitée. Le timbre fut d'abord retiré, et pendant
longtemps encore toute affiche traitant de matières poli-
tiques en fut exemptée, sous le prétexte de ne pas imposer
la pensée humaine. A la suitedes journées de juin, les affiches
politiques furent interdites en tout autre temps que dans les
périodes électorales : alors elles reprenaient une partie de
leur liberté. On a publié un curieux recueil des affiches ap-
posées à Paris et dans les provinces après 184S , sous ce
iitre- Les Murailles révolutionnaires. En 1830 on affichait
les journaux. On afiichc encore le Moniteur aujourd'luii.
L'enregistrement n'est imposé qu'aux affiches légales et
judiciaires; encore ne sont-elles soumises à cette formalité
qu'autant qu'elles sont lelalives à un intérêt prive, ou
I
AFFICHES — AFFILIATION
li9
qiiVtaiit sij;noi'S des i>artifs ou de leurs mandataires , elles
|icu>ent Hrc considérées comme des actes.
Aujourd'hui les afliches imprimées sont en partie rempla-
cées jxir un autre mode d'affichage. Beaucoup d'annonces
industrielks et commerciales sont peintes sur les murs en
Iettrt?s quelquefois gigantesques. Ces aftiches ont l'avantage
de frapper les yeux de Irés-loin et, en durant plus longtemps,
de devenir plus économiques ; mais elles comportent difli-
cileraent de grands détails. D'autres industriels se sont
avisés de faire promener des honnnes habillés d'aûiches , ou
portant un écrileau au bout d'un bâton. On en met aussi sur
les voitures, dans lesomnibus, dans des Douliques, etc. On fait
aussi maintenant de grandes affiches co^orjf'es et illustrces.
Quelques afliclies bizarres mériteraient ici une mention
historique. Le savoir-faire en ce genre consiste surtout à
saisir im lien entre son industrie et quelque circonstance
politique. Chacun s'arrête, et quoique trompé lit entière-
ment, de peur d'être pris pour un niais. On se rappelle.
l'affiche du chromo-duro-phane, dont l'auteur profitait de
ce qu'une élection devait avoir lieu ie8;«j//e^ pour indiquer
cette date en grosses lettres, et dire que, ce jour étant celui
du déménagement, on avait besoin de sa marchandise pour
mettre les appartements en couleur. On se souviendra aussi
de l'affiche du Château de V Égalité, qm annonçait des
habits à si hou marché, que personne ne mettrait plus de
blouses, quoiqu'il en vendit aussi, probablement.
Les affiches de théâtre, desliaées à faire foi en cas de
discussion entre le directeur et le public, doivent être l'expres-
sion exacte et fidèle de promesses qui seront tenues. Tout
changement dans le programme officiel doit être annoncé sur
l'affiche primitive par une bande de couleur différente ; et
si le changement arrive trop tard pour que cette formalité
puisse être remplie, chaque spectateur aie droit de se faire
restituer le prix de sa place.
Une ordonnance de police du 8 mars 18.i2 règle ce qu\
concerne les affiches de théâtres, spectacles, concerts et
hais dans le ressort de la préfecture. Les administrations des
ditïérents théâtres de Paris ont imaginé, pour économiser
les frais, d'imprimer ensemble leurs affiches sur une même
feuille de papier. On peut voir à présent tous les specta-
cles annoncés dans les petites cases d'une affiche ordinaire.
Ce n'est guère quedepuis la première révoluliou que tous
les théâtres affichent leur spectacle avec le nom des acteurs.
Autrefois, comme encore dans les foires et dans quelques
villes, on y suppléait par une pancarte collée à la porte,
par l'annonce à son de trompe dans les rues, par l'annonce
sur les tréteaux à la suite de parades, par des tableaux
peints indiquant le sujet du spectacle, etc. A la fin du spec-
tacle un acteur annonçait le spectacle du lendemain. Au
dix-septième siècle on commença à coller des affiches de
théâtre à Paris. Tous les théâtres en font usage aujourd'hui,
et il a fallu assigner à chacun le rang qu'il doit occu|)er.
Quant à l'industrie d'afficheur, elle est libre aujourd'hui ,
sauf quelques mesures de précaution et de surveillance.
Ainsi toutafficbeur est tenu de faire connaître son domicile
à la police, qui lui déli\Te une médaille.
Avant la révolution de Juillet, l'affichage de Paris avait été
en partie affermé à une compagnie, qui avait fait établir à ses
frais une foule de plaques en tôle sur les murs de la ville :
le soir on fermait ces plaques, et les affiches échappaient
ainsi à la fureur des chiffonniers et des gumins, <jui leur foiit
une guerre acharnée. On traitait alors avec la compagnie
pourun temps déterminé pendant lequel l'affiche devait rester
exposée aux yeux du public, .aujourd'hui rien ne promet
que le lendemain elle sera encore visible, d'autant plus
que les afficheurs se font un maliu plaisir de recouvrir les
afliches posées par un concurrent : aussi l'affichage est-il un
des modes de publicité les plus coûteux qu'il y ait à Paris.
AFFILIATION, établissement de liens et de rapports
entre deux sociétés, deux corporations poli'iqties, religieuse?
et autres, pour les soumettre à un principe identique ou ^
une direction commune. L'affiliatiojr n'entraîne souvent aussi
qu'une simple combinaison d'efforts et un rapprochement
de tendances philosophiques ou littéraires : ceci est vrai
surtout des affiliations académiques. Le lien est plus étroit,
la force de cohésion plus intense dans l'alliance ou la fusion
des corps religieux ou politiques. — Dans les commence-
ments de la révolution française , les clubs s'affilièrent ; les
sociétés populaires des départements s'unirent à celles de
la capitale, et correspondirent, suivant la diversité de leurs
nuances, avec les Teuillants, les Cordeliers ou les Jacobins.
Les affdiations de la-métropole-du jacobinisme furentles plus
nombreuses, et ne contribuèrent pas peu à faire de cette fa-
meuse assemblée la rivale delà Convention et l'effroi de l'Eu-
rope. — En 1815, et pendant les Cent Jours, les fédérations
départementales furent appelées sur plusieurs points de la
France, par des missionnaires politiques, à s'affilier aux fédé-
rations de quelques villes principales, et particulièrement à
la fédération parisienne. — Sous la Restauration, des loges
maçonniques furent affiliées aux sociétés secrètes du libéra-
lisme, et devinrent les succursales des ventes du carbona-
risme. Telle fut la loge des Amis de la Vérité, placée sous
l'influence de MM. Bazaid, Bûchez, etc., et dont faisaient
partie les sergents de la Rochelle, immolés en 1S22.
L'affiliation peut aussi être considérée comme l'adhésif^
et la soumission individuelle d'une personne isolée aux pnn-
cipes, aux statuts et à la hiérarchie d'une assemblée , d'un
ordre, d'unecommunauté. C'est cet acte que la loi française
punit'de la perte des droits civils, quand il n'est pas autorisé
par le gouvernement, et qu'il a pour objet l'admission d'un
régnicole dans une institution-militaire étrangère. — L'affi-
liation individuelle fut pratiquée dans l'antiquité. Les sages
et les législateurs de l'ancienne Grèce eurent besoin d'y re-
courir pour obtenir d'être initiés à la science occulte des prê-
tres de l'Egypte et de l'Inde. Solon, Pythagore et Platon ne
parvinrent pas autrement à pénétrer dans les profondeurs de
î'isotérisme oriental. Ils s'affilièrent aux collèges sacerdo-
taux de Thèbes et de Memphis, comme plus tard les penseurs
et les littérateurs de l'Italie vinrent s'affilier aux instituts
philosophiques du Lycée, de l'Académie et du Portique, pour
lier la civilisation grecque à la civilisation latine.
.Ku moyen âge l'affiliation aux ordres de chevalerie con-
tribua puissamment au maintien et à l'exaltation des vertus
guerrières, en même temps qu'elle servit à entretenir la foi
religieuse et la grandeur morale. Dans les temps modernes,
la science, suspecte d'hérésie, fut souvent obligée de se ca-
cher aux yeux de l'intolérance ombrageuse. On explora la
nature en secret, de peur que la persécution ne sui^1t de
près la découverte. Les savants, réduits à vivre sous la me-
nace du bûcher, durent se rechercher en silence, s'entourci
de mystère et de garanties pour la sûreté de leurs personnes
et pour la conservation de leurs richesses intellectuelles. Il y
eut des affiliations scientifiques et philosophiques en face des
institutions monacales, auxiliaires de l'inquisition, et qui ne
se firent pas faute de brûler les affiliés comme sorciers, sous
prétexte qu'ils étaient liés par un pacte mystérieux à l'esprit
infernal.
Au dix-huitième siècle on s'affilia aux réunions maçonni-
ques et aux comités itliilosophi([ues, pour renverser le vieil
ordre de-choses. Sous la réiiubUipie les affiliations continuè-
rent ; outre celles des clubs, il y eut des associations occidtes
Babfuf, dans sa conspiration contre la propriété, fonda une
véritable société secrète, qui a donné naissance à tout ce
qu'a produit depuis le communisme. L'empire eut ses phi-
ladelphes, qu'il tenait de la république, et au.vquels îMoreau
avait été affilié. Quant à la restauration, elle fut plus riche
qu'aucun des gouvernements précédents en affiliations de
toutes sortes : affiliations publiques pour la liberté de la presse
et pour le succès des élections libérales, affiliations secrètes
pour la révolution et pour la contre-révolution , clubs c?an-
150
AFFILIATION — AFFINITE
destins (l'une part, congrégations ténébreuses de l'autre. En
1834 CCS associations ou celles qui les avaient remplacées
in(iuiélérent assez vivement l'autorité pour provoquer une
loi prohiliitivc. En résumé, les affiliations, bien que les gar-
diens des vieilles doctrines eu aient usé largement de nos
jours, ont été employées le plus souvent parles novateurs
pour propager leurs idées et avancer leur œuvre à rencontre
des masses ignorantes ou de,s pouvoirs conservateurs.
LAUR^:^T (de l'Ardeclie).
AFFILOIR, instrument destiné à faire disparaître le
morjil qui empôclie les instruments tranchants de couper
les objets qu'on soumet à leur action , lorsqu'ils viennent
d'être aiguisés à la meule; ou bien à leur rendre le fil, lors-
que l'usage le leur a enlevé. Les affiloirs varient suivant
l'espèce d'instrument dont ils doivent aviver, dresser ou en-
lever le morfil. Pour ceux dont le tranchant doit être très-
délicat, tels que les rasoirs ouïes instruments de chirurgie,
on emploie une pierre schisteuse jaune, sur la surface de la-
quelle quelques gouttes d'huile préalablement répandues fa-
vorisent le glissement des lames qu'on y promène. Les ins-
truments plus grossiers, tels que les couteaux, les ciseaux,
s'affilent à sec, sur des pierres à gros grain. Pour les faux,
on promène la pierre sur toute la longueur de la lame. Les
bouchers affilent leurs outils tranchants sur un morceau d'a-
cier cylindrique nommé fusil. Les cuirs sur lesquels on
promène les rasoirs sont aussi des espèces à'offdoirs.
AFFINAGE. Ce mot, dans son acception la plus géné-
rale, désigne l'action de purifier une substance quelconque.
Les expressions affinage et raffinage s'emploient souvent
indifféremment pour désigner cette opération. Toutefois la
première paraît mieux s'appliquer au cas où il se pro-
<luit un changement capital dans les propriétés et les va-
leurs de la substance ; c'est ainsi qu'on dit plus spéciale-
ment : affinage des alliages d'or et d'argent , de la fonte de
fer, de plomb argentifère, etc. Le nom de raffinage au
contraire est plus fréquemment employé pour désigner
une simple purification ; c'est dans ce sens que l'on dit com-
numément : raffinage du sucre , du salpêtre , de l'antimoine.
L'affinage du fer a pour but de séparer le fer des ma-
tières étrangères avec lesquelles il se trouve en combi-
naison dans la fonte, pour le convertir en fer forgé, et dans
ceriains cas en acier naturel. Le principe de cette opéra-
t'on consiste à enlever le carbone et le silicium de la fonte
pu'isque en totafité ou seulement en partie, par le moyen de
l'oxydation. Voyez Fek, Fonte et Forges.
L'affinage de l'argent s'opère par la coupellation pour
le sépai'erdu plomb; mais il peut aussi contenir de l'or, dont
on le sépare au moyen du départ. — L'affinage de l'or se
fait au moyen de l'amalgamation dans les mines; quant
à l'or qui est combiné avec l'argent, le cuivre ou le plomb,
on l'en sépare par la liquation, la coupellation et le
départ. — L'affinage du cuivre comprend des procédés assez
variés, qui ont en général pour but d'enlever à ce métal, par
voie d'oxydation , les substances étrangères , telles que le
soufre, le fer, etc., qui en altèrent la pureié. C'est par la li-
quation qu'on retire du cuivre l'argent ou l'or qu'il contient.
Dans un autre sens, le mot affinage se prend pour l'ac-
lion de rendre plus fm, plus délié. C'est ainsi que l'affinage
du lin, du chanvre, consiste à le faire passer successive-
ment par plusieurs peignes de fer dont les dents vont tou-
jours en augmentant de finesse. — On nomme drap d'affi-
nage celui (pii a reçu la meilleure et dernière foulure avant
d'aller à la teintiue.
AFFiiXEUR, celui qui affine l'or et l'argent. Pendant
longtemps l'art de l'affinage des métaux précieux ne se fit
qu'à la coupel 1 e. Les premières expériences faites à Paris
pour affiner l'or par la voie du départ à l'acide nitrique
datent de 1518, sous François 1'^''. Le titre des ouvrages
d'or fut alors porté à 21 carats de fin au lieu de 1!) 1/5
qu'il était auparavant. Il y avait pourtant pli:s d'un siècle
que les acides minéraux étaient connus et qu'on s'en ser-
vait à Venise pour l'opération du départ. Dans ces derniers
temps , JL Dizé a eu l'idée de substituer l'acide sulfu-
rique à l'acide nitrique. Par ce moyen on est parvenu à re-
tirer encore de l'argent déjà affiné un millième de son poids
d'or; ce qui a procuré de grands bénéfices aux affineurs,
qui ont pu opérer même sur les pièces de monnaie.
Les ateliers d'affinage figurent parmi les établissements
que la loi déclare insalubres et incommodes, et qui par con-
séquent ne peuvent être formés sans autorisation. D'après la
loi du 19 brumalie an VI, quiconque veut départir et affiner
l'or ou l'argent est tenu d'en faire la déclaration à l'admi-
nistration municipale, à celle du département et à celle des
monnaies. Il ne peut recevoir que des matières qui ont été
essayées ou tirées par un essayeur public. Il doit tenir regis-
tre des opérations qu'il fait , et il doit insculper son nom en
toutes lettres sur les lingots par lui affinés. Il ne peut les
rendre au propriétaire sans les avoir portés au bureau de ga-
rantie pour y être essayés, marqués, et le droit acquitté.
Vogez Essayeur, Blueau de garantie, Marque, Con-
trôle, etc.
AFFINITÉ ou ALLIANCE {Droit). C'est le lien qui unit
l'un des époux aux parents de l'autre. Ainsi les parents du
mari sont les alliés, ou, selon l'expression de l'ancien droit,
les affins de sa femme, et réciproquement. Une belle-mère
est donc l'alliée de sa belle-fille ; deux beaux-frères sont al-
liés entre eux ; l'oncle de la femme est allié du mari, c'est-à-
dire son oncle par alliance, etc. — On voit, d'après cette
définition et les exemples que nous en donnons, qu'il n'y a
point affinité ou alliance entre les parents d'un époux et les
parents de l'autre époux : par exemple, entre le frère de la
femme et le frère du mari, entre l'oncle du mari et la tante
de la femme, etc. Aucun lien civil n'existe entre ces per-
sonnes, qui, bien que rapprochées socialement par le fait
d'un mariage, demeurent néanmoins, selon le droit, parfaite-
ment étrangères les unes aux autres. — L'affinité ou alliance
est une parenté civile; elle produit des effets semblables à
ceux qui sont attachés à la parenté naturelle. Le plus impor-
tant de ces effets consiste dans les prohibitions de mariage
qu'elle entraine (C. Civ., 161 et suiv.). Ainsi, en France, le
mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants
à i'infini et les alliés dans la même ligne, entre les frères
et sœurs et les alliés au même degré, sauf les dispenses
qu'il est loisible au chef de l'État d'accorder, pour des causes
graves, aux alliés collat^^raux, c'est-à-dire aux beaux-frères
et belles-sœurs ( Loi du 16 avril 1832 ).
11 y a encore assimilation de l'affinité et de la parenté na-
turelle dans beaucoup d'autres cas : ainsi, pour citer seule-
ment les principaux, les gendres et les belles-filles doivent
des aliments à leurs beau-père et belle-mère qui sont dans
le besoin. — Les notaires ne peuvent recevoir des actes dans
lesfiuels leurs parents ou alliés en ligne directe à tous les
degrés, et en ligne coUatéiale jusqu'à celui d'oncle ou de
neveu inclusivement, seraient parties, ou qui contiendraient
(|iiei<ius disposition en leur faveur. — Pareillement, un
huissier ne peut instrumenter pour ses alliés en ligne directe
à liaiiiii, et en ligne collatérale jusqu'au degré de cousin
issu de germain inclusivement; — les parents et alliés jus-
qu'au degré d'oncle et de neveu inclusivement ne peuvent
siéger ensemble comme membres d'un même tribunal ou
d'une même cour, soit comme juges ou conseillers, soit
comme officiers du ministère public, ou comme greffiers,
sauf dispense. — Enfin, en matière criminelle, les déposi-
tions des père, mère, fils, petit-fils, etc. , et des alliés au
même degré de l'accusé ; celles de ses frères, sœurs et alliés
au même degré, ne peuvent être reçues en justice, à titre
de témoignages. Le président appelle quelquefois, en vertu
de sou pouvoir discrétionnaire, ces personnes à donner des
renseignements; mais alors elles ne sont pas considérées
comme témoins et ne prêtent pas serment.
I
AFFINITÉ — AFFIRMATION
Inl
L'affinilé ri^suUant du mariage ccsse-t-ellc avec le ma-
riage quainl il se trouve dissous par la mort de Tiin des
ëpoux? Oui eu priucipe ; non, quand il existe encore des en-
fants nés de ce niariaj;.', qui sont comme le témoignage vi-
vant du lien conjugal. — ?nous disons que Palliance finit
avec le mariage dont il ne survit point d'enfant : cela est
positif; et cependant il est remarquable que ce n'est ([u'a-
prés la dissolution du mariage qui l'a produite (pfelle coni-
mence Maiment à former un obstacle particulier à une nou-
velle union : ici l'efiet survit en quelque sorte- à la cause, et
l'on \m\t dire que cest le respect de l'alliance qui n'existe
plus, plutôt que l'alliance elle-mi^me, qui produit certaines
prohibitions de mariage. — Dans l'ancien droit romain, le
mariage n'était aucunement interdit entre personnes qui ne
se touchaient que par une affinité collatérale : l'empereur
Constance fut le premier qui défendit, comme incestueux, le
mariage entre beaux-frères et belles-sœurs, et cette ioi fut
renouvelée et confirmée par Théodose et par Justinien ;
mais dès avant la défense impériale l'Église avait réprouvé
ces mariages, comme contraires à la loi du Lévitiqne. Elle
alla ensuite jusqu'à prohiber le mariage entre affins, à tous
les degrés où il était alors prohibé entre parents naturels,
c'est-à-dire jusqu'au septième degré. Ces interdictions abu-
sives et d'autres encore furent abrogées, au treizième siècle,
par le concile général de Latran, qui établit la discipline
observée depuis dans l'Église.
Dans le droit romain il y avait en outre une affinité illé-
gitime, qui existait entre deux personnes dont l'une vivait
avec un parent de l'autre à l'état de concubinat. Comme
la loi reconnaissait cette sorte de mariage , l'affinité qui en
résultait était aussi une cause de prohibition de mariage
entre les alliés en ligne directe à l'infini, et jusqu'au deuxième
degré en ligne collatérale.
AFFIIVITÉ (Chimie). Un très-grand nombre de corps
peuvent se combiner ensemble pour former une fouie de
composés, qui constituent soit la masse du globe, soit les vé-
gétaux ou les animaux. Le nom d'affinité a été employé
pour désigner leur tendance à s'unir. Ainsi , quand du
charbon brûle, que du fer se rouille à l'air, que du plomb
fondu se recouvre d'une crasse épaisse , il y a combinaison
de l'un des principes composants de l'air, Voxygènc , avec
le charbon , le ter ou le plomb. Comme dans un grand
nombre de circonstances on voit certains corps' en ciiasser
d'autres de leurs combinaisons , ou s'emparer de préférence
à eux d'autres corps avec lesquels ils sont en contact, on
a admis autrefois des affinités électives, et par suite des af-
finités divellentes et quiescentes : les premières tendaient
à réunir les corps , les secondes à les séparer, et de l'excès
de l'une sur l'autre de ces forces dépendaient alors les ac-
tions en sens opposé que l'on observait; mais en étudiant
plus à fond cette question importante, on a vu que dans
certains cas un môme corps pouvait en chasser un autre
ou être chassé par lui : d'où il résulte nécessairem^ent que
Vaffinité varie sous certaines' influences , et qu'elle ne peut
être considérée comme absolue. Ainsi , de l'acide sulfurique
versé dans une dissolution de borax formé d'acide borique
et de soude, s'empare de celle-ci pour former du sulfate de
soude, et sépare l'acide borique , qui se précipite sous forme
de lames brillantes. Si on mêle de l'acide borique avec du
sulfate de soude, c'est-à-dire les corps qui viennent de se
former, et qu'on chauffe jusqu'à une température rouge ,
l'acide borique s'unit à la soude et chasse Tacide sulfurique.
Cette singulière anomalie s'explique facilement quand on
considère l'état des corps employés. Ainsi, dans le pre-
mier cas, le sulfate de soude qui se forme est soiuble dans
l'eau qui le retient, tandis que l'acide borique, très-peu
soiuble, se précipite ; dans le deuxième cas, le borax de soude
qui se produit est fixe, et l'acide sulfurique volatil ou trans-
formable en produits volatils, d'où résulte qu'il doit sedé-
gagcr:ce qui a lieu, en effet. Nous pourrions multiplier beau-
coup les exemples de ce genre do réactions, mais celui qi;«
nous avons cité nous parait suffisant pour prouver (|ue si
certains corps ont plus de tendance que certains autres à
former des combinaisons , l'état des composés qui peuvent
se former influe tellement sur leur manière d'agir, que celte
cause peut altérer ou intervertir complètement leurs actions
réciproques. Quand des composés fixes et volatils, solubles
et insolubles, peuvent se former, il y a toujours réaction pro-
duite. Dans ce sens, nous citerons seulement encore un
exemple en terminant. On verse de l'acide acétique sur un
carbonate ; l'acide acétique s'empare de la base pour former
un acétate et chasse l'acide carbonique : c'est ce qui arrive
quand on laisse tomber du vinaigre sur du marbre. Si, au
contraire, l'acétate étant soiuble dans l'alcool, par exemple
celui de potasse , on fait traverser cette dissolution par un
courant de gaz carbonique , il se précipite du carbonate de
potasse, et l'acide acétique reste dissous dans la liqueur
alcoolique. H. Gaultier de Claubuv.
AFFIRMATÏOJV [Philosophie). Ce mot, dans son
sens le plus général , signifie l'expression de l'assentiment
doimé par l'esprit à ce qui lui paraît une vérité. Quand
l'esprit a aperçu un rapport de convenance ou de dis-
convennnec entre deux idées , il ne reste pas indifférent en
face de la vérité qui vient de se révéler à lui , il ne se
contente pas de la réflécliir comme le ferait un miroir de
l'objet dont il reçoit l'image. Non-seulement il connaît ce
rapport qu'il a perçu , mais de plus il o'oit à son existence,
il y acquiesce , et par la parole il le proclame , il en té-
moigne, il Vaffirme. Le verbe est le mot qui sert à exprimer
cette croyance , cet acquiescement de l'esprit à l'existence
du rapport perçu : le verbe est donc le signe de l'affirmation.
• — Si Taffirmation est la manifestation par la parole de
l'assenti/nent de l'esprit à l'existence de telle ou telle vérité,
on a ca raison de dire que chaque proposition est, de la
part de Thomme , un acte de foi, un hommage de la raison
humaine à la vérité devant laquelle elle s'incline. — Toute
proposition est affirmative , eu ce sens qu'elle exprime cet
assentiment de l'esprit à l'existence d'un fait ou d'une vérité
quelconque. Comment concilier avec cette assertion l'e.vis-
lence des propositions négatives? Aussi, grande querelle
dans l'école à ce sujet , les uns soutenant qu'il ne peut y
avoir de propositi'ons négatives; les autres, qu'on ne saurait
les nier sans absurdité. Comment contester en effet à cette
proposition, les hommes ne sont jyns parfaits , la qualité
de négative ? Essayons d'arranger ce différend à la satisfaction
des deux parties. Il suffira, je crois, pour cela , de montrer
que c'est ime dispute de mots, et que chacun a raison, selon
le sens qu'il attache au mot qffirmatif. Assurément si l'on
entend par affirmation l'expression de l'assentiment donné
à ime vérité par l'esprit qui juge , toute proposition est af-
firmative ; l'homme ne peut ouvrir la bouche sans affirmer
quelque chose; même s'il veut exprimer un doute, il affirme
encore , car il affirme qu'il doute. Mais si l'on entend par
affirmative une proposition exprimant un rapport de con-
venance entre deux idées , et par négative celle qui exprime
un rapport de disconvenance , et qui l'exprime au moyen
d'un adverbe négatif, alors on aura des propositions des deux
espèces. Mais on voit que les propositions ne sont jamais
négatives que dans la forme; car si, au lieu de dire :
L'homme n'est pas parfait, je disais : L'homme est impar-
fait, ma proposition ne serait plus négative, et pourtant elie
serait identique à la première. Concluons de là que la pai!-
vreté de la langue est une des grandes misères de la philo-
sophie. C.-M. Paffe.
AFFiRMATION ( Droit ). C'est l'assurance donnée,
sous la foi du serment, de la vérité ou de la fausseté d'un fait
ou d'un acte. En général, dans notre législation civile et cri-
minelle Yaffirmation n'est pas distincte du serment pro-
prement dit; il est cependant à remarquer que la loi emploie
de préférence ce dernier terme lorsqu'elle prescrit le serment
152
AFFIRMATION
dans (les circonstances graves , capitales , ou en vue de ré-
sultats décisifs. Ainsi, dans les enquêtes (jui précèdent les
procès civils ou criminels ; ainsi , dans les débats publics et
oraux des tribunaux correctionnels et des cours d'assises;
ainsi , dans les expertises ordonnées par la justice, la loi
prescrit le serment aux témoins et aux experts, afin sans
doute d'éviter toute équivoque et de bien pénétrer ceux qui
le prêtent de la solennité et de la sainteté de leur action.
L'flj[/îrmr?<(o», ou déclaration avec serment, est spéciale-
ment prescrite dans une foule de cas déterminés par les Codes
Civil , de Procédure et de Commerce. Ainsi , la veuve doit
affirmer sincère et véritable, devant notaire, l'inventaire
dressé par elle de tous les biens de la communauté, si elle
veut conserver la faculté d'y renoncer (C. Civ., art. 149G);
le maître actionné en justice par ses ouvriers ou domes-
1i(|ues pour le payement ou la quotité de leurs gages ou sa-
laires est cru sur son aflirmation ( td., art. 1781 ). Pareille-
ment, raffirination de l'assuré, en cas de naufrage , suffit
pour lui faire allouer les frais de recou^Tement (C. Comm.,
art. 381). On affirme de même une créance, une dette saisie,
un voyage, un compte, un procès- verbal, etc. Cependant,
il ne faut pas croire que le serment soit toujours et absolu-
ment nécesssaire pour valider l'affirmation. Dans plusieurs
cas la loi , sinon dans son texte , du moins dans son es-
prit interprété par une saine jurisprudence, n'entend pres-
crire qu'une affirmation pure et simple. Tel est le sens vé-
ritable de l'article 534 du Code de Procédure Civile, aux
termes duquel le comptable commis par justice doit pré-
senter et fl^rmer son compte, en présence du juge-com-
missaire. Le législateur, en effet, n'a pas dû vouloir pros-
tituer en quelque sorte le serment dans l'accomplissement
d'une foule de menues formalités.
En matière de procès-verbaux judiciaires , l'affirmation ,
qui est le serment prêté par l'officier public sur la sincérité
de son procès-verbal , a une grande importance ; car son
défaut vicie et annule tous les procès-verbaux pour les-
quels la loi a spécialement prescrit cette formalité ; et même
il importe, à peine de nullité , que l'acte constatant le ser-
ment soit siiiné par le fonctionnaire qui l'a prêté. ÎSIoyen-
nant cette formalité accomplie dans le délai voulu, les
procès-verbaux font foi en justice, les \\n% jusqiCà ins-
cription de faux, comme ceux des gardes et agents
forestiers, des employés des contributions indirectes et des
douanes; les autres, seulement jMsg-ît'ù preuve contraire,
comme ceux des gardes cbampètres , des maires , juges de
paix , commissaires de police , etc. Sont néanmoins affran-
cliis de l'affirmation les procès-verbaux dressés pour simples
contraventions de police par les maires, adjoints et comniis-
saires, et ceux qui émanent, à quelque titre que ce soit, des
officiers de gendarmerie , sous-officiers et simples gendar-
mes. Quant aux procès-verbaux des gardes cbampètres et
forestiers , institués pour constater les contraventions et
délits ruraux , notamment les délits de chasse , ils doivent
toujours être affirmés dans les vingt-quatre heures entre
lesmainsd'une officier municipal. To^e- Serment et Pr.ocics-
TERBAL. Aug. HlSSO.N.
AFFIXES ( du latin offixus, joint à ). On donne ce nom
h certaines lettres ou syllabes qui dans les langues sémitiques
ont la valeur des pronoms de la première, de la deuxième ou
de la troisième personne , et qui s'ajoutent à la fin des
substantifs et des verbes de manière à ne faire plus qu'un
avec eux.
AFFLEUREMEXT. En géologie on désigne sous ce
nom l'extrémité d'une couche, d'un sillon ou d'un dike qui
se montre à la surface dn sol. La connaissance des afficure-
ments des couches , qu'on distingue en perméables et en
iuiperméables, est surtout nécessaire lorsqu'on se propose de
pratiquer des \im{?, artésiens , dans les divers lieux compris
dans l'étendue d'un bassin géologique. 11 faut un coup d'ail
exercé pour bien estimer la direction des couches i .ir les
— AFFOUAGE
affleurements qu'elles ne présentent que çà et l'», et qu'il
ne faut pas confondre avec les aflleurements des blocs de |
roches éboulés et enfouis depuis longtemps à la surface i
du sol.
AFFLEURER. Dans les arts du bâtiment, c'est dis-
poser plusieurs corps de manière à ce qu'aucun d'eux ne j
vienne à en dépasser un autre, et qu'Us forment ainsi une |
même surface.
AFFLICTION. Ce mot désigne un état de l'âme, et im-
plique l'idée d'une peine assez profonde pour être bien sentie,
assez prolongée pour n'être pas une simple atteinte transitoire.
Cependant, si les afilictions impliquent l'idée d'une peine plus
profonde et d'une durée plus constante que les douleurs, elles
n'ont pas tous les mêmes caractères de gravité que les
chagrins et les soucis. Les afflictions dérangent et afi'aiblis-
sent l'âme, les soucis la rongent, et les chagrins la dévorent.
Les afflictions d'ailleurs sont diverses dans leurs effets comme
dans leurs causes , et pour en apprécier les conséquences ,
en prévenir les suites fâcheuses , en tempérer la vivacité et
en assurer les résultats utiles, c'est toujours aux causes qu'il
faut remonter. Ces causes tiennent toutes à la nature morale
et physique de l'homme. Cela est évident ; car cela équivaut à
(iire que nous serions inaccessibles à l'affliction si autre était
notre organisation. Mais s'il est des afflictions voulues parle
Créateur de notre être et le gouverneur de nos destinées , il
en est aussi, et c'est là le grand nombre, qui n'ont leur cause
que dans notre arbitre et dans l'usage que nous en faisons.
La religion nous enseigne à nous résigner aux premières,
elle en console l'amertume : elle en fait non-seulement jaillir
toute une série de leçons et même une série d'espérances,
mais encore il en est qui à ses yeux sont de grandes grâces.
La morale doit nous apprendre à diminuer le nombre des
autres, et à tirer de celles-là même qu'elle ne nous fait pas
éviter des avertissements salutaires. Toutes les afflictions qui
naissent de la fragilité de notre être, de la pureté de nos affec-
tions, de l'accomplissement de nos devoirs, la religion en
fait des soiirces de bonheur. La morale doit faire des leçons
de sagesse de toutes celles qui viennent des égarements de
notre amoui-propre et de la séduction de nos passions.
Matter.
AFFLUEXT ( du latin ad, vers, etfluens, qui coule ).
On donne ce nom , en géographie, à tout cours d'eau qui se
décharge dans un autre cours d'eau , ordinairement d'une
étendue et d'une masse plus considérables. On a fait une
distinction entre ce mot et celui de confluent, qu'on vou-
drait appliquer à la réunion de deux fleuves se confondant
en un seul. C'est là , il faut l'avouer, une distinction assez
difficile à saisir. — En pathologie on donne cette épithète aux
humeurs en général lorsqu'eUes se portent dans un certain
sens déterminé, soit qu'elles se dirigent vers un organe plu-
tôt que vers un autre , soit qu'elles y anivent en grande
abondance ; c'est ainsi qu'on dit : sang affluent, fltiide
affluent, sérosité afflxiente, salive afjluente. — Dans la
physique ce mot se dit d'un fluide qui se porte dans un sens
déterminé , et surtout de la matière électrique qui afflue au
corps électrisé.
AFFORAGE ou AFFÉRAGE. Dans l'ancien droit
français ce mot signifiait le droit seigneurial d'où dépendait
la permission de vendre du vin ou toute autre boisson dans
le fief d'un seigneur et suivant la taxe établie par ses of-
ficiers. Plus tard , cette expression se généralisa, et désigna
le prix fixé par l'autorité administrative à une chose vénale.
AFFOUAGE, droit accordé à l'usager de prendre
dans une forêt le bois nécessaire à son chauffage. — Au-
trefois , et surtout dans le nord de la France , où le bois était
considéré comme objet de première nécessité , chaque com-
munauté d'habitants avait ses affouages dans les forêts sei-
gneuriales qui se trouvaient près de son territoire, et dans
la plupart des coutumes il existait des dispositions pour
régler l'exercice de ce droit ; aujourd'hui le droit d'affouage
I
AFFOUAGE — AFFRA^XIIISSEMENT
fe confoiul onlii-i ornent avec ks autres droits d'usage, qui
ne peuvent s'etal)lir que \>Ar titres ou par une prescription
(Hpiivahuit à titre.
AFFOUAGEMEKT. Voyez Fouace.
AFFOURCIIER. En termes de marine , affourchcr
un vaisseau , c'est mouiller une seconde ancre, de telle
sorte que les deux cibles forment une espèce de fourche,
afin de mieux retenir le vaisseau. 11 est de règle d'a/foiir-
cher suivant la direction du vent ou du courant , c'est-à-dire
de placer les deux ancres sur une ligne perpendiculaire au
vent traversier de la côte , et dans une rade dont la marée
est forte , de placer une ancre sur le côté de la marée
montante , et l'autre du côté de la marée descendante.
AFFRANCHI. C'était le nom que les Romains don-
naient à celui qui avait été délivré légalement de l'esclavage,
par opposition aux ingénns, qui, nés libres, n'avaient
jamais cessé de l'être. Les affranchis se nommaient en latin
liberti, libcrtini, par contraction de liberati, délivrés.
L'affranchi, à l'instant où il recevait la liberté, se faisait ra-
ser la tête dans un temple et la couvrait du bonnet phrygien,
devenu un sNmbole lie la liberté.
AFFR-VXCHISSEMEXT. A côté de l'esclavage on
trouve, chez presque tons les peuples qui l'ont admis , l'habi-
tude, réglée par les coutumes et les lois, de rendre la liberté
à c«ux qui ont mérité cette faveur. Cependant, Taffranchis-
sement des esclaves ne fut point connu de l'ancienne La-
cédémone. D'après ses lois de fer, la servitude s'imposait à
perpétuité ; c'était la torture sans fin , la privation à jamais
des droits de l'espèce humaine. Chez les Hébreux, les Athé-
niens, ainsi qu'à Rome, l'esclave pouvait se racheter par son
pécule.
Chez les Romains l'affranchissement s'appelait manu-
missio, ce qui veut dire mise hors de main , mise hors de
puissance. Il s'opérait de diverses manières. Tant que le ti-
tre de citoyen romain eut une haute valeur, l'affranchis-
sement, ayant pour but l'admission d'un nouveau membre
Jans la cité, fut un acte public, dans lequel comparaissaient
avec solennité les trois parties intéressées à ce changement
d'état , l'esclave , le maître , et la cité qui allait recevoir un
nouveau citoyen et approuvait la demande qui lui était faite
par l'entremise des magistrats. — A dater du règne de
Servius Tullius, les affranchissements se firent par le cens.
Au moyen du recen?ement quinquennal des citoyens, îe chef
•le famille faisait inscrire sur les livres publics, comme
h«mme libre , l'esclave qu'il voulait affranchir, et du jour
les cérémonies lustrales l'inscrit devenait citoyen. — Mais
le cens ne se faisait que tous les cinq ans , et à mesure que
Rome s'agrandissait par les conquêtes, le nombre des es-
claves augmentait ainsi que l'occasion et l'habitude d'accor-
der l'affranchissement à ceux qui avaient bien mérité de leur
maître. Pour remédier à cet inconvénient, un procès sym-
bolique fut le moyen qu'on employa. Quand un homme li-
bre était injustement retenu comme esclave, tout citoyen
pouvait se porter son champion et intenter un procès à celui
qui s'en prétendait maître. On se sem't de ce moyen pour
arriver à l'affranchissement d'un véritable esclave. Un ami
ou le licteur soutenait devant le magistrat que l'esclave était
libre; le maître, jouant le rôle de défendeur, ne contredisait
point cette assertion, et le magistrat, donnant gain de cause
au demandeur, proclamait l'esclave en liberté : « Aio te U-
beriim more Quirithim. » Tout cela se faisait avec des
i^estesetdes paroles consacrés, et en employant une baguette
(vindicta) dont le demandeur était armé, et qui, lance sjtu-
boliquc, était le glorieux signe de la propriété chez les Ro-
mains : c'est ce qui fit donner à cet affranchissement le nom
de vindicte. — L'affranchissement se donnait aussi, et très-
fréquemment, par acte de dernière volonté. Ce fut même uns
habitude admise par la vanité des riches de donner la liberté
à un grand nombre d'esclaves à l'époque de leur décès, afin
qu'une fotde nombreuse assistât à leurs funérailles. — Dan-
L-;cT. tr LV cer vtusATîCN. — t. i.
i:;3
ces trois modes primitif et solennels, la cité est représentée
par le censeur dans le cens, par le préleur dans la vindicte,
enfin par le peuple lui-même dans le testament, qui se faisait
devant les comices en forme de loi.
Peu à peu l'usage s'établit d'accorder la liberté aux escla-
ves par une déclaration faite verbalement, au milieu d'amis
ou par écrit , enfin par plusieurs autres modes qu'introdui-
sirent les constitutions des empereurs, tels que de donner
dans un acte public le nom de fils à son esclave, de remettre
ou déchirer en présence de cinq témoins les titres de servi-
tude. Ces divers modes de conférer la liberté, que nous ap-
pellerons privés, ne pouvaient pas donner à l'esclave la liberté
pleine; il n'avait qu'une liberté de fait, qui le dispensait
du service, mais qui n'empêchait pas tous les autres effets de
la servitude : ainsi tout ce qu'il acquérait appartenait à son
maître, qui s'en emparait après sa mort par droit de pro-
priété.
Dans les premiers siècles de Rome , la liberté était une et
indivisible, et la conséquence de l'affranchissement était de
faire passer l'esclave dans la classe des citoyens avec tous
les privilèges de ce titre. Mais on ne reconnaissait pour léga-
lement affranchis que ceux qui l'avaient été dans les condi-
tions suivantes : il fallait que le maître eût sur l'esclave qu'il
voulait affranchir le domaine quiritaire, propriété de droit
civil, et non pas la simple possession, qu'avait introduite le
droit prétorien (voyez Propriété), et qu'il eût employé ea
outre un des trois modes d'affranchissement reconnus par
le droit civil. Si ces conditions n'étaient pas remplies, l'affran-
chissement était nul de droit ; mais le préteur , interprète
de l'équité et des mœurs, qui favorisaient de plus en plus les
affranchissements, maintenait l'esclave en liberté de fait.
Tel était l'état des aHranciiis à la fin de la lépublique.
A celte époque les affranchissements s'étaient multipliés
d'une telle façon qu'une foule d'hommes vils et coriompus
obteuaient par ce moyen la qualité de citoyens. Ainsi la loi
Fusia Caninia, pour mettre un obstacle à ces affranchis-
sement faits par vanité dans les riches familles le jour des
funérailles, ordonna qu'on ne pourrait jamais affianchir au
plus que la moitié de ses esclaves , sans jamais dépasser le
nombre de cent. Quelque temps auparavant, la loi yElia
Sentia, rendue sous Auguste, ajouta plusieurs conditions
nouvelles à celles exigées dans l'ancien droit pour la vali-
dité des affrancliissements. Elle défendait d'affranchir un
esclave iigé de moins de trente ans, à moins qu'on ne l'af-
franchît par la vindicte, après avoir fait approuver les causes
de l'affranchissement par un conseil spécial. Deux autres
chefs de la même loi empêchaient les maîtres d'affranchir
soit en fraude de leurs créanciers , soit avant l'âge de vingt
ans. De plus, elle décida que les esclaves qui, après avoir
subi quelque supplice infamant, viendraient à être affran-
chis, n'acquerraient en aucun cas le titre de citoyen , mais
seraient seulement assimiles pour les droits aux déditices.
On nommait ainsi les peuples qui , ayant pris les armes
contre les Romains, avaient été vaincus et s'étaient rendus
à discrétion. Ils avaient parmi les sujets de l'empue la
dernière condition. Quant aux esclaves qui étaient seule-
ment maintenus en liberté par la protection du préteur, sans
être véritablement affranchis, la loi Junia Korbona, rendue
sous Tibère, régularisa leur position en leur accordant les
droits qu'avaient autrefois les habitants des anciennes
colonies du Latium : de là ils furent appelés Latins ju-
niens : Zrt//'».9, parce qu'ils jouissaient du droit de latinité ;
junicns, parce que c'est à la loi Junia qu'ils devaient ce
bienfait. — Plus fard ces lois, devenues inutiles, puisque
les distinctions sur lesquelles elles repo.saient n'existaient
])lus , furent abrogées par Justinien. Tous les modes d'af-
franchissement procuièœnt la liberté pleine et le titre de
citoyen. Tous les affranchis obtinrent l'anneau d'or et la
régénéiation, ce qui lesassimila complètement aux ingénus.
L'a*ffauchisseuiont faisait naître des rapports nouveaux
20
ir>4
AFFRANCHISSEMENT
cnlre l'ancien maître et l'affranchi. Ils consistaient en
devoirs respectueux, que l'affranchi devait à son patron
comme un fds à son père. Il ne pouvait par conséquent
le traduire en justice sans en avoir obtenu la permission du
magistrat, ni intenter contre lui une action infamante. L'af-
franchi devait des aliments à son ancien maître si celui-ci
tombait dans l'indigence; il lui devait en outre des services
s'il s'y était engagé par stipulation ou par serment lors de
son aftianchissement. Le patron ou sa famille avaient de
plus des droits de succession sur les biens de l'affranchi
prédécédé. Les lois qui régirent le droit de successibilité
«les patrons sur les biens des alTranchis suivirent les mêmes
règles générales que les lois qui statuaient sur l'affranchis-
sement lui-nu^me : favorables à l'affranchi dans le principe,
elles lui imposèrent des obligations nombreuses au com-
mencement de l'empire, et redevinrent sous Justinien ce
qu'elles étaient aux premiers temps de Rome. D'abord le
patron ne succédait à l'affranchi, par une qualité symbolique
iVarjnat, qu'à défaut d'héritiers siens; mais comme l'af-
franchi pouvait tester, il lui suffisait d'instituer un héritier
testamentaire ou d'adopter un étranger pour enlever sa
propre fortune à son ancien maître. Plus tard, lorsque
l'affranchi ne laissait pas d'enfant , mais un héritier par
testament ou par adoption, le préteur intervenait pour
assurer au patron la possession de la moitié des biens à
moins que l'institué ne fût un enfant naturel du testateur.
Ensuite la loi accorda au patron le droit de concourir avec
les enfants naturels dans certaines conditions de fortune du
«léfunt. — Les règles de l'ancien droit ne s'appliquaient
qu'aux affranchis citoyens romains. Les Latins juniens n'a-
vaient point d'héritiers, parce qu'à leur mort ils étaient
censés n'avoir jamais été libres.
On sait que les affranchis conservaient le nom de leur
maître. C'est ainsi que le poète Andronicus , affranchi de
M. Livius Salinator, fut appelé M. Livius Andronicus. Quel-
quefois aussi ils prenaient le nom de la personne à la recom-
mandation de laquelle ils avaient obtenu la liberté. 11 leur était
défendu d'épouser la mère, la veuve ou la fdle d'un patron.
Cette condition de l'affranchi se perpétuait en partie jusque
chez ses enfants. Le fils de l'affranchi portait encore la trace
de l'esclavage de son père , et ce n'était qu'à la troisième gé-
nération que cette origine s'effaçait complètement. La même
infériorité devait naturellement se montrer relativement aux
droits politiques, et c'est ce qui eut lieu en effet. L'affranchi,
avec la tète rasée, l'oreille percée et un bonnet pour marque
de son état, n'était pas réellement l'égal d'un citoyen. Aussi
ces affranchis ne jouirent-ils d'abord d'aucun droit politique ;
ce ne fut que sous Servius TuUius qu'on les classa dans les
tribus. Ils devinrent ensuite de quelque poids dans la lutte
des partis. Leur condition les liait évidemment aux intérêts
(les patriciens. Appius Claudius pendant sa censure les
introduisit dans les tribus de la campagne , ce qui excita la
colère des citoyens. Aussi, neuf ans après, un autre censeur
les fit rentrer dans les tribus de la ville. Enfin, Tibérius
Gracchus, qui exerça la censure en 585, entreprit de
chasser les alTranchis de toutes les tribus ; mais ayant ren-
contré de l'opposition de la part de son collègue, il se ré-
duisit à les renfermer tous dans la tribu Esquilina.
Tant que la république subsista, on ne trouve point
d'exemple d'affranchi ni de fils d'affranchi qui ait été sé-
nateur ou chevalier; une fois seulement le fils d'un affran-
chi fut nommé édile curule par le peuple. Biais lorsque vin-
rent les guerres civiles et l'empire, il s'opéra une confusion
dans les rangs qui changea la position des affranchis ; on en
vit pénétrer dans le sénat. Beaucoup, par le commerce
qu'ils avaient appris étant esclaves et qu'ils continuaient
après leur ainanchissement, avaient acquis de grandes for-
tunes, recueillant ainsi les bénéfices que dédaignaient les
citoyens de Ironie. Enfin, sous les successeurs d'Auguste,
ks affranchis, à peine sortis de l'esclavage, devinrent les ar-
bitres et les ministres de l'empire. La vieille république, qui
avait tant méprisé les esclaves même qu'elle consentait à
affranchir, devint tout à coup la proie de quelques affran-
chis. On sait de quels traits éloquents Tacite a marqué la
servilité des Romains prosternés devant les affranchis des
empereurs, le sénat offrant la préture à Pallas, qui no
daigna pas même la briguer; le censeur Soranus proposant
de décerner une récompense nationale de 400,000 écus à
cet affranchi, riche déjà de 150 millions ; et un descendant
des Cornélius, L. Scipion, voulant qu'on remerciât les
dieux de ce que cet affranchi ne dédaignait pas d'être le
ministre de l'empereur et le second tyran du monde. La
grande puissance des affranchis , qui du reste ne fut jamais
que la puissance de certains individus et ne changea rien à
la condition générale des esclaves , eut lieu principalement
depuis Tibère jusqu'à Adrien. Ce prince introduisit sur ce
point une réforme. Il renferma ses affranchis dans les bonies
du service de sa maison. Il ne souffrait point qu'ils se mê-
lassent d'intrigues politiques; il en punit plusieurs pour
s'être vantés de leur crédit auprès de lui. Jusqu'à lui les
empereurs s'étaient servis de leurs affranchis comme de se-
crétaires, et les avaient aussi chargés de recevoir les re-
quêtes des citoyens : il leur enleva ces fonctions , pour les
confier à des chevaliers.
La coutume romaine de i'affrancliissement se prolongea
jusfpie après la chute de l'empire et la complète invasion des
barbares. Le cinquième livre de la loi des Visigoths, inti-
tulé/)eZi6e?Yfi</6î« et Libertis, est un curieux monument à
cet égard. Toutes les dispositions des lois romaines pour
m.aintenir la dépendance des affranchis envers leurs patrons
y sont rappelées et aggravées , et cette dépendance est môme
étendue à leurs enfants. Tout mariage avec la postérité de
leurs patrons leur est interdit. La moindre insolence envers
leurs anciens maîtres les met dans le cas de retomber dans
l'esclavage. Il leur est défendu de s'éloigner pour échapper
au patronage. En un mot, ils ont encore à endurer plus
qu'une demi-ser\itude. Une autre disposition ordonne de re-
mettre dans l'esclavage un affranchi qui aurait l'audace de
témoigner contre son patron ou le fils de son patron. Mais
l'édit de Théodoric, roi d'Italie, est encore plus expres-
sif sur ce point : il porte textuellement que : « si un affranchi
s'avisait de déposer contre son patron ou les enfants de
son patron , il faudrait l'arrêter au premier mot, et lui cou-
per la parole à coups d'épée. »
Lorsque les barbares s'emparèrent des Gaules, ils trouvè-
rent toute la population nirale réduite à l'état de colons
ou de serfs ; et cette classe continua à subsister sous les rois
germains dans les mêmes conditions que sous les empe-
reurs de Rome. Les esclaves proprement dits, qui ne diffé-
raient des colons que par certains avantages civils que la
loi accordait à ces derniers , durent se fondre dans la classe
des colons , et tous tombèrent du régime de la loi loniaine
sous le joug du conquérant germain dans l'alleu ou fief
duquel ils habitaient. Les formes du gouvernement variè-
rent; mais la condition des serfs resta la même du cin-
quième au douzième siècle. Cependant, depuis le dixième
siècle , de nombreuses révoltes révélèrent un changement
inévitable et prochain. Ces mouvements précédèrent de fort
peu l'insurrection des Communes.
Au treizième siècle la distinction entre les esclaves pn -
prement dits et les colons s'était bien conservée dans les
lois, mais dans la réalité elle n'existait plus, la tyrannie
des seigneurs féodaux avait tout confondu.
Bientôt l'établissement de communes pui-ssantes et libres,
les croisades, et les rapports qui s'établirent entre la France
et les républiques italiennes , les progrès de l'esprit humain
avaient ébranlé les bases de la société féodale. La masse des
seifs, jusque alors soumise aux rois , princes, barons, abbés
ou évê(jues, exigea la liberté, et dès cotte époque les affran-
chissements devinient nombreux. Le besoin d';;rgent pou»
AFFIUNCUISSEMENT
156
fniicle pMoiinagc en Terre-Sainte obligea lui certain nombre
de seigneurs à vendre la liberté à leurs serfs.
[ Au moyen âge, la pratique de l'affrancliissement était
très-fréquente; mais la plupart des affianchis n'obtenaient
qu'une liberté incomplète. On aperçoit dans les monu-
ments trois classes d'allrancbis : 1° les dcnarinlcs, qui
tiraient leur nom de la cérémonie môme de ralfranclii?-
sement : le maître amenait son esclave devant le roi ; l'es-
clave tenait dans sa main un denier ; le roi, en lui frappant
la main, lui faisait sauter le denier au visage et le décla-
rait libre. La plupart dessavants ont affirmé que dès lors sa
liberté était entière et qu'il devenait en tout l'égal des
Francs : c'est en eflet ce qu'ordonne expressément la loi
des Ripnaires; mais la même loi porte que si le dénarié
meurt sans enfants, ses biens seront dévolus au fisc; il ne
pouvait donc tester à son gré. Un capilulaire de Charlema-
gne ordonne que le wefirgeld dû pour le meurtre d'un
dénarié sera payé non à sa famille, mais au roi ; un autre
capilulaire interdit aux rfenories le droit d'bériter de leurs
parents aux premier, second et troisième degrés : autant de
restrictions à la plénitude de la liberté. 2" Les tabularii, af-
franchis devant l'Église : le maître se présentait à l'église,
remettait son esclave à l'évêque en présence du clergé et
du peuple, et demandait qu'on rédigeât selon la loi romaine
l'acte d'afîrancbissement {tabula). L'esclave devenait li-
bre; mais s'il mourait sans enfants l'Église héritait de ses
biens ; il ne pouvait porter témoignage dans les causes qui
intéressaient des hommes libres; ses descendants à la
troisième génération y étaient seuls admis. Il lui était in-
terdit de s'élever au rang de dénarié par un nouvel affran-
chissement devant le roi. Enfin c'était auroi, et non à sa
famille, qu'était payé son wehrgeld. 3° Les chartularû,
dont l'affranchissement s'accomplissait par un acte isolé
du maître, et sans l'intervention d'aucun magistrat laïque
ou ecclésiastique; la forme et les effets en étaient très-va-
riés. Quelques formules indiquent la concession de la liberté
la plus entière; cependant celle des chartularii est aussi
limitée par des lois. Un capitulaire de Charlemagne leur
interdit le droit d'hériter de leurs parents jusqu'au troisième
degré ; un autre ordonne que s'ils ne sont placés sous la
protection d'aucun patron déterminé , leur ivehrgeld sera
payé au roi. Ainsi, dans la classe des affranchis, on observe
le même phénomène que dans celle des hommes libres par
leur origine : en entrant dans la liberté ils tombaient sous la
dépendance d'un patron, les dénariés sows celle du roi, les
tabularii sous celle de l'Église. Les chartularii pouvaient
choisir le leur; mais s'ils n'en choisissaient point, le roi
s'attribuaitsur eux des droits spéciaux. Ces diverses sortes
d'alTranchissement conféraient divers degrés deliberté ; mais
en aucun cas l'affranchi ne s'élevait à cette condition de
citoyen où l'homme né libre pouvait se maintenir. Une
protection individuelle pouvait seule le préserver de retom-
ber dans la servitude; elle lui était le plus souvent imposée
par la loi môme ; c'était celle de l'autorité qui avait sanc-
tionné son affranchissement. En proie à la lutte des forces
individuelles et à ses chances, la liberté ne trouvait de rehige
que dans la vassalité : du cinquième au dixième siècle elle
fut constamment en décadence ; tout tendit à la formation
de cette aristocratie hiérarchique de propriétaires et à la
servitude de la population. L'histoire des institutions nous
révèle clairement les mômes tendances. F. Guizox. ]
La royauté traita en général les serfs de ses domaines avec
modération. En 1224 Louis VIII affranchit tous les serfs du
fief d'Étampes ; la reine Blanche, sa femme, pendant la mi-
norité de son fils, adoucit autant qu'elle put la condition des
.serfs. Ce fut la royauté qui donna en 1315 le grand spec-
tacle de l'émancipation en masse de tous les serfs de ses
domaines. Cette ordonnance de Louis X engageait les sei-
gneurs français à imiter son exemple; mais les terribles
guerres delaJacquerie attestent qu'ils répondirent peu à
son appel. Néanmoins le nombredes affranchissements par
ticuliers alla sans cesse en augmentant. Le droit de wj ain-
morte remplaça le servage. On entend sous ce nom toutes
les charges que le seigneur imposait aux serfs en les affran-
chissant de la servitude personnelle. Cescliarges variaient
suivant les circonstances ; voici cependant les plus généra-
lement imposées : le serf affranchi ne pouvait se marier à
une personne d'une autre condition, sous peine d'amende et
de confiscation d'un tiers de ses biens ; ii ne devait point
aliéner ses terres sans l'approbation du seigneur, ni disposer
de ses biens par testament, ni faire héritier par contrat de
mariage. Cependant cette sujétion nouvelle diminua peu à
peu. Ainsi le niainmortable s'affranchissait dans plusieurs
provinces par une prescription de vingt ans ; la femme de-
venait franche en épousant un homme franc. Plusieurs
villes jouissaient du privilège d'affranchir ceux qui venaient
demeurer dans leur enceinte. La jurisprudence et les ordon-
nances de nos rois adoucirent successivement la position des
gens de mainmorte; les conditions imposées aux serfs furent
réglées peu à peu et sensiblement améliorées par les parle-
ments. Les corvées auxquelles étaient astreints les gens de
roture, dernier vestige de leur ancienne condition servile,
furent abolies par Louis XVI le 12 mars 1776, et dans la nuit
du 4 août 1789, la Constituante supprima les droits féodaux.
Quand l'esclavage, réprouvé par les mœurs dans les sociétés
européennes, trouva un refuge dans les colonies du Nouveau
Monde, il y conserva du moins la seule institution qui
puisse en tempérer la barbarie, l'affranchissement. L'éditde
1685 reconnaît formellement ce <lroit, et, tout en comman-
dant aux affranchis un respect singulier pour leurs anciens
maîtres, il leur accorde les droits civils. Mais la couleur
de la peau du nègre affranchi s'opposait à une parfaite
égalité ; on trouve dans les écrits et les ordonnances toutes
les distinctions vexatoires consacrant la suprématie de la
race blanche. Les affranchis étaient écartés des emplois pu-
blics; on leur avait interdit l'exercice de la médecine ou de
la chirurgie. Les mômes préjugés existent encore aux États-
Unis contre les esclaves affranchis, que les mœurs repous-
sent partout de la société. La première république abolit l'es-
clavage. Haïti répondit à ce bienfait en se séparant de la
métropole, et réussit depuis à former un État indépendant.
Le premier empire rétablit l'esclavageaux colonies. Plusieurs
États de l'Amérique émancipèrent leurs esclaves. Après la
révolution de 1830 on reconnut aux affranchis libres de nos
colonies la jouissance entière des droits civils. Les formalités
de l'affranchissement reçurent également d'heureuses mo-
difications. Suivant les anciennes lois coloniales, le maître
ne pouvait affranchir son esclave qu'en lui assurant des
moyens d'existence et en payant pour la délivrance de l'acte
une taxe qui dans certains cas s'élevait jusqu'à 2,000 francs.
Toute taxe sur les affranchissements fut abolie en 1831.
L'émancipation des nègres dans les colonies anglaises eut
lieu par un bill de 1833 qui maintint les esclaves en état
d'apprentis travailleurs pendant six ans à la campagne, ou
quatre ans dans les villes, après quoi ils furent libres de
plein droit. Une somme de 20 millions de livres sterlin;;
indemnisa les propriétaires d'esclaves. A la fin du règne de
Louis-Philippe, on affranchit légalement tous les esclaves du
domaine dans les colonies, et on essaya de former des ate-
liers libres. On permit à l'esclave de se racheter au moyen
du pécule, qu'il pouvait acquérir par le travail du samedi,
par héritage, donation ou autrement; c'est-à-dire qu'on lui
reconnut le droit de famille et de propriété. La révolution
de février mil lin à ces attermoiements. Un décret du gou-
vernement provisoire affranchit tous les esclaves, sauf
indemnité par l'État, laquelle fut réglée par un décret du
30 avril 1849.
En Pologne la constitution de 1791 avait décrété l'affran-
chissement total et immédiat de tous les serfs ; mais on est
revenu ensuite sur cette mesure. En Livonie, en Courlande
20.
15t)
et en Eslhonic, où l'aiïranchissemeiit a eu lieu par lots dans
le courant d'un ccilain nouilne d'années, il a produit de l)nns
eflels. En Russie l'eni|icrour a prononcé ralfrancliisscment
dos serfs ilc la couronne, et plusieurs sei;;neurs ont égale-
ment donné la liberté à crux qui dépendaient de leurs
terres. Knlin rallrantliissenient (-ém-ral a été décidé en 18GI,
pour la Russie et la Pologne. Les événements de 18^8
l'ont fait disparaître .le beaucoup d'autres pays européens.
AFFRE ( Df.ms-Ait.lstk), arcbevéquc de Paris, na-
quit le 17 septendjre 1793, à Saint-Rome de Tarn (Avcyron).
Dés un ftge tendre son père le plaça au collège de Saint-
Affricpie; il y fit avec succès ses premières études, et en
sortant de rliëtoriqiie il vint à Issy suivre le cours de philo-
sophie. Plus tard il alla continuer ses études h Cleruiont.
Revenu h Saint-Sulpice après la Restauration , il y fut or-
donné prêtre en 18IS, à l'ûgede vingt-cinq ans. L'abbé Affre
professa d'abord la philosophie au séminaire de Nantes , et
échangea {iuel([ue temps après ces fonctions contre celles de
grand vicaire, d'abord à Luçon, puis après à Amiens. Il
administra ce dernier diocèse pendant dix ans sous la di-
rcttion d'un prélat, M. de Chabons, que la vieillesse et des
intirinités mettaient dans l'impossibilité de suffire aux de-
voirs de sa charge.
A l'àgc de vingt-sept ans, M. Affre publia un Traité de
rAdinhiislradon temporelle des Paroisses. Ce livre re-
ujarquablc s'occupe des conseils de fabrique, des attributions
de chacun de ses membres, de la gestion des biens, de la
nature des charges relatives aux constructions et répara-
tions, etc., puis de h police des églises, des processions
extérieures, du traitement des curés, de la célébration des
mariages, des quêtes, des confréries, des pompes funè-
bre» , des refus de sépulture , des crimes et délits commis
par des ecclésiastiques , etc. En tête du traité se trouve
l'histoire des fabriques , et à la fin sont cités les arrêts de
cassation, lois, décrets, ordonnances et avis du conseil
d'État sur la matière, enfin toutes les pièces justificatives. Ce
traité donna à M. Feutrier l'idée d'appeler M. Affre au secré-
liriat des affaires ecclésiastiques , et à ^I. de Montbel celle
de le faire maître des requêtes. L'abbé Affre n'accepta pas
ces honneurs. Eu 1S20 il publia une brochure dans laquelle
il attaquait fortement Fultramontanisme de M. de la IMennais.
On a aussi delui wic dissertation surlcs hiéroglyphes d'ÉgTple.
En 1S31, Louis-Philippe passant par Amiens dans une
tournée à travers nos départements du nord, I\L Affre, en
sa (jualité de grand vicaire et pendant l'absence de son évû-
<pie, fut charge d'adresser, au nom du clergé diocésain , au
roi issu des barricades les conipliincuts d'usage; et il s'ac-
(piitta de cette mission de manière à singulièrement flatter
les rancunes du parti vaincu en juillet. M. Affre alTecta en
effet de ne donner à Louis-Philippe ni le titre de .Sire, ni
la qualilicnlion de Votre Majesté : il l'appela prince, litre
vague, qui laissait réservée , comme on voit , la question de
légitimité. Le succès du discours de M; Affre fut tel dans le
faubourg Saint-Germain, que 'M. de Quélen s'empressa de
récompenser le hardi harangueur en le nommant son vicaire
général , ainsi que membre titulaire de son chapitre. Dans
ses nouvelles fonctions, les nombreux points de contact
«lu'il eut avec le pouvoir amenèrent sans doute M. Affre
à reconnaître l'exagération de ses regrets et à modifier
sr:s tendances politiques. En 1S39 il fut nommé coadju-
teur de Strasbourg , avec le titre d'évèque de Pompeio-
polis. M. de Quélen étant venu à mourir sur ces entre-
faites, le siège de Paris resta quelque temjis vacant; et
au 1*^^ mai iS'iO, à l'occasion delà fête du roi, ce fut encore
à M. .\flVe (pi'échut le soin de prononcer, au nom du
clergé du diocèse , les félicitations d'usage. Cette fois le dis-
cours de ."VI. Affre ne ressembla guère à celui d'Amiens :
aussi quelipies jours après la vacance du siège avait cessé,
M. Affre ét;iit nommé archevêque de Paris. Sa lettre pasto-
rale à l'occasion de son avènement au siège de Paris rec\it
AFFI\.\NCH1SSEMENT — AFFRES
l'approbation générale. Le prélat s'y attachait à prêcher la
paix et la concorde, la fusion des opinions divisées, et mon-
trait le néant des ambitions de la terre.
M. Affre ne resta pas toujours aussi bien avec la cour. 11
prit part aux discussions du clergé avec l'Université à pro-
I)Os du monopole de l'enseignement, et adressa au garde des
sceaux une lettre signée de lui et de ses quatre suffragants à
ce sujet. Le ministre de la justice refusa de recevoir cette
adresse , comme contraire aux lois, qui défendaient , selon
lui, aux évêques de délibérer en commun sans y être ap-
pelés par le gouvernement. Bientôt M. Affre, félicitant le
roi à l'occasion de sa fête, en prit occasion de lui demander
l'observation du dimancilie. Louis-Philippe répondit d'une
manière assez verte au discours du prélat, qui ne parut pas
au Moniteur. Le roi n'en fut ensuite que plus aimable dans
ses réponses aux présidents des consistoires protestants qui
le félicitèrent après , et l'archevêque de Paris fut quelque
temps à retrouver une réconciliation dont une cérémonie
religieuse de famille ne tarda pas à lui offrir le moyen. Dans
le but de soulager les prêtres pauvres , M. Affre ordonna
une nouvelle répartition du casuel; mais ce projet, lancé
sans préparation, souleva tout le liant clergé paroissial contre
lui , et l'ordonnance de M. Affre a àù être rapportée depuis.
Lorsque Pie IX s'annonça au monde comme le régénéra-
teur de la péninsule italique, RL Affre publia un mandement
ordonnant des prières pour le pape; l'esprit libéral de ce
mandement fit grande sensation.
Peu de temps après éclata la révolution de février. La
haute intelligence de M. Affie ne se refusa pas à reconnaître
le doigt de Dieu dans l'enchaînement prodigieux des évé-
nements. Le clergé se jeta d'ailleurs dans le mouvement :
on vit des prêtres solliciter les suffrages de leurs concitoyens,
se faire nommer représentants du peuple. M. Affre ne fut
donc pas hostile au nouvel état de choses. Mais un jour
une insurrection épouvantable vient ensanglanter Paris.
M. Affre, à la vue de cette bouclunie, pense à s'interposer en-
tre ses brebis qui s'égorgent. Le 25 juin 1848 il va chez le
général Cavaignac pour obtenir un sauf-conduit, et il se
rend à la place de la Bastille avec ses deux grands vicaires.
Le faubourg Saint~.\ntoine était encore aux insurgés. A
l'arrivée de l'archevêque la troupe cesse le feu. Une branche
d'arbre est cueillie et portée en avant par un jeune homme
en signe de paix. Les insurgés , avertis de ce qui se passe,
cessent aussi de tirer. M. Atfre franchit la première baiTi-
cade. Il va parler à ces hommes armés. Tout à coup un
mouvement se manifeste dans les rangs de la garde mobile.
Des coups de feu partent on ne sait comment; le prélat
tombe blessé d'une balle dans les reins. Les insurgés le relè-
vent, l'emportent, et se défendent avec acharnement ; cepen-
dant le coup de feu n'est pas parti de leurs rangs , les grands
vicaires l'attestent. On porte l'archevêque chez le curé des
Quinze-Vingts, où il reçoit les secours empressés mais inu-
tiles de l'art; et le lendemain matin M. Affre est porté sur un
brancard à son hôtel, où il ne tarde pas à rendre le dernier
soupir, en répétant ces paroles de FÉvangile : « Le bon pas-
teur donne sa vie pour ses brebis, » et en formant le vœu
que son sang fût le dernier versé.
Cette belle mort excita des regrets universels. Des ob-
sèques magnifiques furent faites à ce martyr chrét'en de nos
discordes civiles, et un monument lui a été élevé par l'État
dans l'église métropolitaine sur les dessins de M. Aug. Debay.
AFFRES. Ce mot ne se dit guère qu'au pluriel, et exprime
admirablement un grand effroi , une émotion extrême, cau-
sée par la vue de quelque objet terrible. Aucun terme ne
rendrait avec autant d'énergie le frémissement qu'excitent
l'épouvante et l'horreur. Ce mot se rencontre quelquefois
dans les beaux vers de Corneille. Voltaire regrette qu'il ne
soit pas employé plus fréquemment. Les affres de la mort
représentent assurément mieux que tout autre terme Ic3
convulsions et les frissons de l'agonie.
AFFRETRMKNT -
AFFRrrrEMEiXT, contrat par lequel on loue un
navire pour le transport de niarcliandiscs , de troupes ou
d'effets militaires. Il est synonyme de nolissemcnf, ternie
employé dans la Méditerranée. On nomme fret on Ho/isie
prix de la location ; il est réglé par les conventions des
parties et constaté par la charte-partie, ou parle
connaissement. — L'affrètement peut se faire ou du
navire entier ou d'une partie; celui d'une partie se fait au
quintal ou au tonneau. Au quintal, on le loue pour y charger
tant de cent kilogrammes pesant , au lonmau , pour y
mettre des marchandises remplissant un espace de tant de
tonneaux. Le louage au quintal ou au tonneau se fait pure-
mont et simplement, ou sous la condition que dans un temps
déterminé le maître du bâtiment trouvera d'autres affréteurs
pour compléter le chargement : c'est l'affrètement a la cueil-
lette. La condition est remplie dès qu'il se trouve assez de
marchandises pour charger le vaisseau aux trois quarts.
L'affrètement se fait encore au voyage ou au mois. — Le
fréteur est celui qui loue le navire ; Vaf/rvteur, celui
qui le prend à bail. Les articles 273 à 310 du Code de
commerce règlent les conditions de l'affrètement.
AFFRE VILLE, annexe de Milianah, à 8 kiiomèkes
de cette ville, contient trente établissements agricoles. Le sol
y est riche et fertile.
AFFRO\T. Voyez Ava>-ie.
AFFROUiV (El), section de Mouzaïaville en Aigérifi.
AFFRY ( Lons-AcGCSTix-PHiLTPPE , comte D' ) , pre-
mier landamman de la Suisse, mort le 16 juin 1810, était
né à Fribourg, en 1743. Entré de bonne heure au service de
France , il devint capitaine des gardes suisses, et fut promu
en 1784 au grade de maréchal-de-camp. Après avoir obtenu
son congé , il revint dans sa patrie , y fut nommé membre
du grand-conseil, et prit en 1798, lorsque les Français enva-
hirent la Suisse, le commandement en chef des troupes canto-
nales. Quand , à la suite de la confusion générale survenue
dans les affaires de la Suisse , Bonaparte offrit sa média-
tion , et appela à Paris des députés chargés de rédiger un
projet de constitution nouvelle pour la confédération, le
comte d'Affry fut de tous ceux à qui on confia cette mission
celui qui attira le plus l'attention du chef du gouvernement
français. En 1803 il eut mission d'.iller porter à ses conci-
toyens l'acte si important de la médiation. Bonaparte le
nomma en outre premier landamman, et il exerçait encore
ces fonctions au moment de sa mort.
AFFUSïOX , moyen thérapeutique , qui consiste à ré-
pandre un liquide sur une ou plusieurs parties du corps. Ce
liquide est le plus souvent de 1 eau froide ou à différents de-
grés. Cette eau peut être simple , saline ou chargée de sub-
stances aromatiques. Les affusions d'eau de mer ont paru
être très-efficaces dans certains cas. Quand on veut donner
ime alfusion entière, on place le malade dans une baignoire,
et on lui verse sur la tète un , deux ou trois seaux d'eau.
On le met, au contraire, dans un demi-bain, si l'affusion ne
doit atteindre que la moitié .supérieure du corps. La d o u c h e
est une variété d'affusion. Les affusions et les douches sont
très-employées dans le traitement des maladies mentales,
et notamment dans les excitations maniaques et la stupi-
dité : leur effet primitif est un frisson plus ou moins pro-
longé , suivi de réaction et d'une sueur qui coïncide avec un
besoin de repos et de sommeil. On a encore eu recours aux
affusions dans quelques affections nerveuses , telles que le
tétanos, la choréc, et contre l'épuisement onanicpie et di-
vei-ses autres débilités. Quelques praticiens ont recommande
ce moyen pour hâter l'éniption tardive de certaines rou-
geoles et scarlatines. C'est à l'aide d'affusions locales qu'on
parvient quelquefois à arrêter les hémorrhagies. Tout le
monde connaît enfin l'heureux emploi qu'on fait de nos
jours des irrigations froides pour prévenir ou modérer les
phlegmasies qui compliquent si fâcheusement les plaies trau-
matiqucï D' Del\si.\lve.
AFGHANISTAN 157
AFFUT. Cliariot siu' lequel sont portées les pièces
d'artillerie. Voyez Canon.
En termes de chasse on appelle affût un endroit retiré où
le chasseur se place, après le coucher du soleil, souvent
même dans la nuit, pour attendre le gibier au passage.
AFGIIAIVISTAIV , vaste contrée au nord-est du pla-
teau de l'Iran, appelée autrefois Drangiane, maintenant
habitée par les Afghans, et située par les 29 et 36° de la-
titude septentrionale et les 79 et 90° de longitude orientale,
qui est bornée au nord par les khanats turkestans de Balkh
et de Badajan , à l'est par Lahore, le pays des Sikhs et le
territoire du Sindh, au midi par le Béloudjistan, et à l'ouest
par la Perse. Elle comprend à peu près 7,000 kilomè-
tres carrés , et compte environ 14,000,000 d'habitants.
Si au nord-est la région sauvage et élevée de l'Hindou-
Kouh, entrecoupée de vallées profondes, forme une gorge
montagneuse dont les plateaux successifs finissent par at-
teindre la région des glaces éternelles, et oppose les plus
grands obstacles à tout système de communications faciles
entre les vallées de l'Orus et de l'Indus, les chaînes paral-
lèles du mont Soleyman, ainsi que les chaînes salines de
Kalla-Bagh, situées au nord, et celles des Khyber, consti-
tuent à l'est une séparation aussi abrupte qu'escarpée vers
la région plate et basse du Pendjab. Deux passages seule-
ment conduisent des hauts plateaux de l'Afghanistan à l'In-
dus. Ce sont : au nord, entre le système de THindou-Kouh et
celui des chaînes du Soleyman, la profonde vallée du Ka-
boul, dont les parois étagées s'inclinent comme une espèce
d'escalier naturel, oùDjellalabad et Péchaouer, non loin des
importants défilés des Khyber ou Kheyber, forment de
grandes étapes , et qui débouche dans l'Indus à Attok ; au
sud-est des défilés de Bolan, une passe montagneuse de la
chaîne méridionale du mont Soleyman , servant de point de
communication avec le Sindh ; le labyrinthe de vallées et de
montagnes du Paropamisus, habité par les Eùnaks et les Hé-
zaréhs, n'est pas encore bien connu , pas plus dans la partie
orientale, appelée Ghorat, que dans le Klwraçan, pays mon-
tagneux, hmitrophe delà Perse. Les plateaux les plus éle-
vés des contrées orientales du Kaboul et de Ghazna ou
Ghizneh s'abaissent doucement , pour s'effacer et disparaître
dans les déserts de sable du Sedjestan, au milieu du grand
steppe de l'Iran, où viennent se perdre, sur les frontières
de l'Afghanistan et de la Perse, dans le lac de Zaréh, les
eaux de THilmend ( quelquefois nommé Hirmend ou Kind-
mend), rivière au cours lent et uni. De cet aperçu général,
de la disposition même de son sol, il résulte que l'Afghanis-
tan est naturellement appelé à servir de point de communi-
cation entre l'Asie orientale et l'Asie occidentale.
En général, le climat de l'Afghanistan est tout à fait con-
tinental, mais il ne saurait cependant être tempéré, en raison
même des nombreux cours d'eau et des brusques élévations
qui entrecoupent le sol. Sans doute, dans les oasis qu'on ren-
contre au milieu des déserts sablonneux du sud-ouest, crois-
sent naturellement le dattier et le palmier , et dans les pro-
fondes vallées de l'est, si parfaitement abritées de tous côtés,
une nature d'une richesse tout indienne permet ia culture
de la canne à sucre et du coton; mais sur les plateaux de
Kaboul et de Ghazna, élevés de huit à neuf mille pieds au-
dessus du niveau de la mer, l'hiver est toujours d'une rigueur
extrême et accompagné de la chute de masses énormes de
neige. Cependant la température moyenne de toute l'année
est "encore de 7° Réaumur; et en été il y règne une chaleur
assez forte et assez constante pour mûrir des raisins déli-
cieux. La vigne y croît donc à côté du pommier, du prunier
et de l'abricotier, au milieu de champs où sont cultivées
toutes les espèces de céréales connues en Europe , en même
temps que le tabac, les plus admirables tulipes, les plantes
aromatiques, l'assa-fiitida et la rhubarbe des régions monta-
gneuses; tandis que dans les vallées, toutes riches en cours
d'eau, le grenadier et l'oranger s'élèvent au milieu de forêts
t58
AFGHAMSTAN
Je rosiers au suave parfum, et annonrcnl le di^licicux climat
de riinJe avec toute sa luxuriante fécondité. La diversité
du règne animal y répond d'ailleurs à celle du climat et de
la végétation. Ainsi, dans les contrées sauvages des monta-
fines vivent l'ours, le loup et le renard, tandis que dans
les vallées, où régne la chaleur des tropi(iues, on rencontre
le lion, le tigre, le léopard, le chacal et l'hyène; des prairies
de la |ilus magnilique végétation favorisent l'élève des che-
vaux et des bètes à cornes, et le chameau traverse le désert.
Independanuiient de la richesse de son sol, l'Afghanistan
est d'inie haute importance pour le commerce de l'iluropc,
parce qu'il est la route naturelle du commerce de l'Inde,
route ouverte de l'est à l'ouest aux caravanes, et parcourue
depuis un temps inunémorial par des peuples étrangers les
uns aux autres sous le rapport des mœurs, des langues et
des religions. C'est à celle route, dite route des Rois, que
KalM)ul, (Ihazna, Kandahar et Uérat, les quatre villes prin-
cipales du pays, doivent leur prcspérité. Kaboul est la ca-
pitale actuelle ; avec Djellalabad, cette ville commande l'en-
trée de rude au nord, de même que Kandahar au midi,
tandis qu'à l'extrémité occidentale Hé rat garde la frontière,
de l'ersc complètement ouverte de ce côté.
On retrouve dans le caractère des populations de l'Afgha-
nistan la même diversité que dans la nature de son sol ;
toutefois, il est un sentiment commun à toutes ces peu-
plades : c'est l'amour de l'indépendance et de l'égalité, joint
à desmours d'une grande simplicité, à une hospitalité sans
bornes et à un esprit essentiellement guerrier. L'Afghan est
■vigoureusement constitué; si en général ses traits, forte-
ment accusés, manquent de beauté, du moins ils expri-
ment la franchise, la gravité et la décision de caractère. Mo-
déré dans ses goûts et d'humeur gaie et enjouée, l'honneur
de son pays passe à ses yeux avant tout; mais il est na-
turellement enclin à tirer vengeance des offenses person-
nelles dont il croit avoir à se plaindre. La langue des Afghans,
le poiuhlon , contient une foule de mots d'origine hébraï-
que, circonstance qui semblerait donner quelque vraisem-
blance aux tratlitions antiques q\n font descendre ce peuple
des dix tribus d'Israël, exilées dans le pays à^ii-zareth ow
Hazareh , mot qui, en kourde et en chaldéen, langue as-
sez rapprochée du poutcliou, signifie des tribus, et qui est
encore aujourd'hui le nom de l'un des cantons de l'Afghanis-
tan. Suivant M. Burnes, les Afghans se nomment eux-mêmes
Béni Israël (enfants d'Israël). Ils prétendent, dit-il, que
Nabuchodonosor, après le sac de Jérusalem, les transporta
dans la ville de Ghore, et qu'on les appela .\fghans, du nom
de leur chef A/ghana; qa'ih suivirent la loi de Moïse jus-
qu'au neuvième siècle, et qu'ils furent alors subjugués par
Mahmoud de Ghiztieh. Ils ont au surplus tout à fait l'as-
pect des Juifs, et même ils en ont plusieurs coutumes : chez
eux les jeunes frères épousent la veuve de leur aîné , sui-
vant la loi de Moïse. Ce qui porterait peut-être à croire que
cette origine hébraïque que s'attribuent les .\fghans est basée
sur un fond de vérité, c'est qu'ils ont contre les Juifs une
foule de préjugés fortement enracinés : ce ne saurait donc
être par engouement pour les Israélites qu'ils prétendent
appartenir à la même souche, et il semlile dès lors naturel
de penser qu'en cela ils ne font que répéter d'antiques tra-
ditions nationales. Quoi qu'il en puisse être, au reste, de
cette origine, plus ou moins controversable, nous ajouterons
que les Afghans sont mahométans sunnites ; qu'ils obsenent
rigoureusement les préceptes de leur religion, et qu'ils ont
en égale horreur le Persan en sa qualité de chiite, et le
SiUh comme professant le déisme pur. L'amitié est à leurs
yeux un sentiment saint et sacré ; mais ce qui les distingue
essentiellement des autres peuples de l'Orient, c'est le res-
pect pour la femme, uni aux sentiments délicats de l'amour
le plus tendre et le plus passionné. Les populations du Kho-
raçansont nomades, tandis que, par la fertilité naturelle de
leur sol, les contrées montagneuses de l'est semblent inviter
leurs habitants à y établir des demeures fixes. Les habitants
des profondes vallées de l'est, comme les Khybers ou Khey-
bers, les Vousiris, les Kakers, etc., dont les hordes pillardes
infestent tous les défilés de ces montagnes , demeurent eu
dehors de l'action civilisatrice des villes, de môme que les
hordes qui errent dans les steppes du sud-ouest ou les sau-
vages peuplades du nord. Il est probable que jadis les
Afghans, partagés en deux grandes races, les Guildjis elles
Douranibs, descendirent des régions montagneuses de l'Hin-
dou-Kouh et du Paropamisus , pour soumettre les habi-
tants aborigènes de l'Afghanistan, à l'ouest les Hindkis et
à l'est les Tadjiks, et y fondèrent un grand empire , tout en
conservant les formes de leurs institutions patriarcales. Les
Tadjiks forment encore aujourd'hui une partie importante
de la population; ils composent la classe des serviteurs,
des laboureurs; ce sont eux qui par leurs travaux nourris-
sent les habitants des villes, tandis que par suite des immi-
grations et des conquêtes le reste de la population offre un
mélange confus des races orientales les plus diverses, parmi
lesquelles les Juifs et surtout les Arméniens ont en quelque
sorte le monopole du commerce. La communauté politique
se compose de l'assemblage d'une multitude de tribus,
ayant toutes leur administration particulière, et à la tête des-
quelles l'élection place un khan. Les Afghans ne connaissent
guère d'autres armes que le sabre , qu'ils manient avec une
grande habileté. Ils combattent presque toujours à cheval.
L'histoire des époques antérieures nous montre les
armées afghanes guerroyant tantôt sur les bords de la mer
Caspienne, tantôt au fond des vallées de l'Inde, quelquefois
divisées en autant de corps séparés qu'elles se composaient
de tribus différentes, quelquefois réunies en un tout com-
pacte ; mais on ne voit guère apparaître la forme régulière
d'un empire afghan que vers le milieu du dix-huitième siècle,
époque à laquelle Acluned-Chah , de la race des Abdallihs ,
profita des troubles que la moil de Nadir-Chah amena en
Perse en 1747 pour affranchir les Afghans de la domination
persane , se constituer souverain d'un empire afghan indé-
pendant, et fonder la dynastie des Douranhis ou des Abdal-
lihs. Son fils Téimour mourut en 1793, sans avoir décidé
entre ses enfants la question de succession au trône; et Si-
man, son second fils, s'empara de l'autorité suprême. Après
avoir expulsé son frère aîné du Kandahar et l'avoir ensuite
réduit à l'impuissance en lui faisant crever les yeux , il
triompha à trois reprises successives des tentatives faites
par un autre de ses frères , appelé Mahmoud , qui résidait à
Hérat, et le contraignit à se réfugier sur le territoire persan.
Mais Foutteh-Khan , chef de la puissante famille des Barak-
sis, ne tarda pas à prendre fait et cause pour le fugitif,
et tous deux jurèrent sur le Koran ane alliance offensive
et défensive contie Siman. Après s'être d'aborô emparés
du Kandahar, ils précipitèrent du trône Siman , qui à son
tour eut les yeux crevés , et trouva ensuite asile à Lou-
diana , sous la protection de la compagnie anglaise des Indes
orientales, qui lui assura une pension annuelle. Mais Mah-
moud , lui non plus , ne devait pas longtemps jouir de
ce retour de fortune, car le désordre de son administration
amena une révolte qui eut pour résultat sa chute du trône,
sur lequel le remplaça son frère Soudjah , gouverneur de
Péchaouer. Soudjah se contenta d'empêcher Mahmoud de
pouvoir désormais lui nuire en le retenant en prison , mais
sans lui faire crever les yeux ; et au commencement du
siècle actuel une nouvelle ère sembla luire pour l'Afgha-
nistan , d'autant plus que Kamran , fils de Mahmoud , pa-
rut , ainsi que Foutteh-Khan , complètement s'eflacer de la
scène iwlitique. Ce dernier toutefois ne s'était tenu à l'écart
que pour mieux préparer une levée de boucliers , qui ftit
comprimée en 1805. Élevé de nouveau à la dignité de grand
vizir par la générosité de Soudjah , Foutteh-Khan se servit
de Mahmoud, qui s'était évadé de sa prùson en 1 809, comme
d'instrument pour une nouvelle révolte. Cette lois encore
AFGIIANISTAIN
Soudjali en triompha; mais, pnVijiifL^ du trône dès raniu-e
suivante par une coiiipliaition d'intrigues i\\\\ anieni-rent de
sanglants conflits, ce prince fut à sou tour oMigé de se ré-
fugier à Loudiana et de s'y placer sous la protection des
Anglais. Malunoiid pour la seconde fois monta sur le trône,
dont il songea, dans son orgueil, à reliausser l'éclat par des
expéditions guerrières dans 1 est. IMais le souverain de La-
liore, Rundjet-Sing, lit en 1S19 la conquèle de Kaclieniir,
après s'être auparavant rendu maître d'Attock, de jMoul-
tan , et , à la suite d'une série de victoires qu'il lui fallut
quelquefois clièiement acheter, réussit .à reporter sur la
rive droite de l' Indus les frontières de r.Vl'glianistan.
l'-n faisant pi'rir dans les supplices l'ontteh-Khan, son
ancien allié , Mahmoud s'attira à tel point l'animadversion
des Baraksis, parents de Foutteh-Khan , qu'en IS23 il fut
obligé pour la seconde fois de renoncer à l'éclat de la sou-
veraine puissance, et il mourut à Hérat en 1S29, auprès
de son fils Kamran , après avoir depuis longtemps perdu
toute importance politique. Avec lui disparut la monarchie
«les Douranhis ; elle avait duré soixante-seize ans, et, à l'ex-
ception d'Hérat , tout l'Afghanistan passa alors sous la do-
niination des Baraksis, de sorte que Dost-Mohammed
régna à Kaboul, Kohoun-Dii àKandahar, et le sultan Moha-
med à Péchaouer. L'aîné de ces trois frères , Dost-Moham-
med, était le plus puissant de ces princes, en sa qualité de
souverain de Kaboul , le plus riche des trois États. Mais les
provinces de l'Afghanistan ne devaient point encore jouir des
bienfaits de la paix. A l'est , Dost-^Iohammed eut à lutter
contre le souverain de Lahore; à l'ouest, Ilérat tut attaqué
par une armée persane. En effet, Kamran avait fait plusieurs
irruptions en Perse , d'où il avait enlevé douze mille indi-
\ idus qu'il vendit ensuite comme esclaves , et il y avait
rançonné plusieurs villes frontières. 11 avait en outre fait
prisonniers un grand nombre de Persans de distinction , et
n'avait accordé à la Perse pour ces actes de violence au-
cune des satisfactions qu'elle avait exigées. Bien qu'en 1819
l'Angleterre eût promis de ne point intervenir dans les af-
faires de l'Afghanistan ni dans celles de la Perse , à moins
d'en être requise, le gouverneur général de l'Inde, lord
Auckland, déclara, le 1" octobre 1838, la guerre à l'Af-
ghanistan , sous le prétexte que Dost-Mohammed avait il-
légalement attaqué Rundjet-Sing , allié de l'Angleterre , que
le refus obstiné de barrer la navigation de l'Indus et des
préparatifs de guerre ouvertement faits indiquaient suffi-
samment de sa part des intentions hostiles contre la sécurité
des établissements britanniques dans Itnde, et enfin quen
sa qualité de souverain légitime de l'Afghanistan, le chah
Soudjah avait invoqué l'appui de l'Angleterre. Tout cela était
vrai, sans doute; mais depuis 1832 Soudjah appelait l'inter-
vention anglaise sans pouvoir l'obtenir. Ce qui décidait l'An-
gleterre, c'était sa rivalité avecla Russie. Cette puissance avait
poussé le chah de Perse à faire mettre le siège devant Hérat.
Les secours amenés par le major Pottinger sauvèrent Hérat, et
cette ville repoussa les Persans, qui l'assiégeaient depuis dix
mois. Les Anglais cherchèrent alors à former avec quelques
peuples de l'Asie centrale une confédération contraire à celle
que la Russie et la Perse projetaient entre l'Afghanistan, le
Sindh et le Pendjab. La haine de Dost-Mohammed et des Siklis
s'opposa à la réussite des projets des Anglais. Dès lors ils ré-
solurent de le renverser et de rétablir Chah-SoudjahàI\aboul.
Dès le 13 septembre 1838 le chah Soudjah fut donc solen-
nellement proclamé roi de Kahoulà Loudiana; on lui fournit
aussitôt un corps de six mille hommes, commandé par le
colonel Simpson et par des officiers européens; puis on
Ibrma une armée de l'Indus avec des régiments pris dans le
corps d'armée du Bengale et dans celui de Bombay, de sorte
qu'une force totale de vingt-six mille hommes fut destinée
à la ciJmpagnedc TAfghanistan. On marcha d'abord sur Kan-
dahar. A 1 effet d'obtenir un lii)re passage à travers les districts
du Siudh, État indépendant, et d'assurer à l'armée pendant
l.V.)
sa marche tous les vivres dont elle aurait besoin , on avait
préalablement fait des traites avec tous les émii-s compé-
tents. Mais ceux-ci agirent avec tant de mauvaise foi que l'ar-
mée anglaise se vit d'abord obligée d'agir contre le Sindh, qui
fut rayé de la liste des États indépendants, et cpii devint tri-
butaire. Après une marche à travers les montagnes, qui of-
frit des difficultés dont il serait impossible de donner une
idée, les drapeaux anglais flottèrent enfin, vers la fin d'avril
1839, sur le plateau de Kandahar, que l'on occupa sans coup
férir, attendu que l'année chargée de le défendre avait pris
la fuite. Le chah Soudjah fut accueiUi à bras ouverts , et y
reçut le 8 mai les hommages du peuple. Après avoir laissé
quelque temps ses troupes se reposer, sir John Keane,
commandant en chef de l'expédition, marcha sur Ghazna,
qui, énergiquement défendue , ne put être enlevée que par
un vigoureux coup de collier. Le 30 juillet le corps d'ar-
mée anglais se mit en marche sur Kaboul , que Dost-Mo-
hammed avait l'intention de défendre; mais ce prince,
abandonné par son armée , dut se réfugier vers les contrées
de l'Hindou-Kouh. Le 7 août 1839 le chah Soudjah fit son
entrée solennelle à Kaboul, accompagné par sir John Keane,
par l'envoyé Mac->'agten , par l'état-major et par quelques
détachements de troupes anglaises. L'un des fils de Dost-
Mohammed , Heyder-Khan , fut arrêté comme prisonnier
d'État ; mais les généraux anglais ne permirent point que
les cruautés qui accompagnaient toujours jadis les chan-
gements de souverains eussent lieu cette fois. Tandis que
Dost-Mohammed errait fugitif, sir Alexandre Burnes vint
s'établir comme résident à Kandahar, et le major Todd
fut envoyé à Hérat , qui s'était héroïquement défendu pen-
dant plusieurs mois contre les Persans , à l'effet de relever
les fortifications détruites de cette place.
La tranquillité se trouvant rétablie dans l'Afghanistan, le
corps d'armée expéditionnaire commença son mouvement
de retraite vers la fin de l'année 1839 , et on ne laissa qu'à
Djelialabad un détachement de troupes à la disposition du
chah Soudjah. Cette retraite fut signalée par un brillant
coup de main , la prise de Kclat , capitale d'un des dis-
tricts du Beloudjistan; et par cette nouvelle opération im-
portante sur la côte de Mekran , l'influence anglaise sur ces
contrées, boulevards de l'Inde vers le nord-ouest, parat
encore s affermir. Toutefois, des insurrections réitérées ne
tardèrent pas à obliger de nouveaux renforts de troupes
britanniques à rentrer dans l'Afghanistan. Le khan de
Boukhara avait par trahison fait prisonnier Dost-Moham-
med, qui, après s'être évadé, souleva dans l'Afgiianistan
tous ses partisans contre les Anglais; mais il lut battu le
18 septembre 1840 à Raniam, et le 2 novembre suivant à
Pourwour. Il invoqua alors la protection de l'envoyé anglais
à Kaboul, Mac-IS'agten , qui lui assigna d'abord pour rési-
dence Loudiana, et ensuite Kownoul. Mais la tranquillité
rétablie ainsi dans l'Afghanistan n'était qu'apparente, car
les montagnards de l'est, et parmi eux surtout la puis-
sante tribu des Guildjis , inquiétaient constamment la route
de l'Inde, et jusqu'aux environs même de Kaboul. En de
pareilles circonstances, on ne faisait qu'aciieter la jiaix aux
diverses tribus , et l'or de l'Angleterre procurait aux cara-
vanes bien plus de sécurité que la crainte de ses armes.
En octobre 1841 Mac-i\'agten ayant envoyé aux Guildjis de
l'est, dans les défilés des Keybers, une somme moindre que
celle qui avait été convenue, ce manquement à la parolo
donnée amena une nouvelle insurrection. Le général sir
Robert Sale ne put que difficilement et en soutenant de
continuelles escarmouches atteindre Djelialabad , tandis,
qu'à Kaboul aussi éclatait si inopinément une insurrection,
qr.e le chah Soudjah et les troupes anglaises aux ordres du
général Elphinston eurent à peine le temps ne se réfugier
dans la citadelle de Yala-Hissar et dans leur camp retran-
ché. Alexandre Burnes fut tué d'un coup de feu dès le
commencement de la révolte, et beaucoup d'autres ofliciors-
,00 AFGHANISTAN — AFRICANUS
curent Ift même sort. Les Anglais essuyèront également de
granilM pertes à Koliistaii et dans les inonlagnes voisines.
Les troupes stationnées à Gliazna et à Kandaliar se trou
valent cernées de toutes parts dans leurs positions; l'énorme
quantité «le neij-e qui couvrait les campa;;nes empêchait de
son^î'-r à tenter le moindre mouvement otlensil', et sur tous
les "points rénerj;ie et le nombre toujours croissant des
AWians menaçaient les troupes anglaises d'une destruction
totale. Leur position à Kaboul devenait d'ailleurs de plus
en plus critique; car toutes les négociations entamées avec
les Afglians, à la tête desquels s'était mis AKb;ir-Klian, l'un
des (ils de Dosl-Moliammed, avaient échoué. La n.iort de
Mac-Nagtcn, assassiné vers la lin de décembre, à l'issue
d'une conférence <|u'il venait d'avoir avec Akbar-Khan, à
retïet de négocier le libre départ des troupes britanniques ,
fut un nouveau signe de l'irritation toujours plus grande des
populations contre le nom anglais. Le major Potlinger, suc-
cesseur de Mac-Nagten, réussit cependant enfin à conclure
un traité qui , moyennant l'abandon d'un certain nombre
d'ota;;es, promettait aux troupes an;j;laises slationoées à
Kaboul toute liberté et toute sécurité pour opérer leur
mouvement de retraite. Le 0 janvier 1842 Akbar-Khan
escorta en personne dans sa première marche l'armée an-
glaise, qui avait encore environ 13 myriamélres à faire
avant d'atteindre Ujellalabad. Cependant , malgré le traité,
elle fut si constamment harcelée dans le long et difficile
passage des nombreux defiics qu'elle avait à franchir, qu'elle
y périt en détail , et qu'au commencement de l'année 1842
ou put regarder l'armée anglaise qui avait envahi le Ka-
l)Oulislan comme compli-tement anéantie.
Le nouveau gouverneur général des Indes, lord Ellenbo-
rough, en vos a deux divisions pour ravager le pays. Le
10 août 1S42 les Anglais évacuèrent Kand diar. Le général
Kott se dirigea sur Ghazna et Kaboul, tandis cpie le géné-
ral tugland marcha sur Queltah, où il entra le 20. Le géné-
ral Pollock, attaqué daris sa marche de Djellalabad sur
Giendarnouck, délit les Afghans, et le 6 septembre la ville de
Gliazan se rendit aux Anglais. Le 13 du môme mois le gé-
néral l'olluck battit Akbar-Khan avec seize mille Afghans;
le IC il occupa le fort de Balar-IIissar, près de Kaboul, et
cette ville tomba aussitôt en son pouvoir. Lo r' octobre
le gouverneur général des Indes lit savoir, par une proclama-
tion datée de Simlah, que l'intention de l'.Angleterre n'était
pas «l'intervenir dans les affaires du gouvernement des Af-
ghans, et que cette puissance reconnaîtrait celui qu'ils
choisirai nt, pourvu qu'il put maintenir a paix avec les
Etats voisins. Le 15 octobre l'armée anglaise quitta Kaboul
après l'avoir démolie. Les Anglais abandonnèrent également
toutes les autres positions del'.^fghanistan, et sur leur pas-
sage ils détruisirent Djellalabad. Enfin, le 20 novembre,
après queWiucs combats dans les délilés de Keyher, les trou-
pes anglaises, commandées par les généraux Pollock et Nott,
arrivèrent à l'irouzpour, limite de leur retraite.
L'Afghanistan resta dès lors en proie à l'anarchie la plus
cruelle. En I8i4, sous l'intlucnce de la Russie, on en re-
vint à l'idée de former une espèce de confédération avec la
Terse. La même année lord Ellenborough dut céder le gou-
vernement des Iude.s à lord Dalhousie. L'année 1847 vit
mourir Akbar-Khan. A ses derniers moments il exhortait
. son père et ses frères ii ne jamais s'allier aux iulidèles.
IJientùl les Afghans s'unirent aux Sikhs contre les Anglais;
mais, après plusieurs sanglantes affaires, la bataille de Gou-
djerat { 2l février 1S49) mit fin à celte insurrection. Dost-
Mohaiumed se porta sur Tlndus avec 16,000 bonuues. Les
Ani.lais passèrent de nouveau le délilé de Keyber et com-
mencèrent l'assujélissement séparé des diverses tribus af-
ghanes, lin 1S5G les chefs afghans se livraient encore entre
eux des combats meurtriers, et en 1S57, l'Anglelerie, dans
son traité avec la Perse, fit reconnailie a celle puissance
l'indépendance de l'Afghanistan. Z.
A FLGT. En termes de marine, être à /lot, c'es^l Ilotler,
être porté par le fluide sans toucher le fond. Un vaisseau à
Ilot peut se mouvoir et se transporter.
AFRAXCESADOS. On appela ainsi les Espagnols
qui en 1808 jurèrent d'observer et de marntenir la consti-
tution que le roi Joseph Bonaparte leur avait donnée; on
les appelait aussi Josefinos. Après la chute du roi Joseph
un grand nombre d'entre eux furent obligés de se réfugier en
France. Ferdinand Vil, à son retour en 1814, poursuivit
également et les josefinos et les certes, quoique ces derniers
eussent hâté la chute du roi Joseph. Le 30 mai 1814 le roi
défendit à tous ceux des afrancesados qui avaient émigré
de rentrer dans leur patrie , et surtout à ceux qui avaient
obtenu des places, des titres, des dignités sons le précédent
gouvernement, ou qui avaient servi dans l'armée. Cette dé-
fense s'appliquait également aux femmes qui avaient suivi
leurs maris. Le nombre de ces réfugiés montait à seize mille.
Ceux d'entre eux qui obtenaient la pernnssion de rentrer en
Espagne étaient placés sous la surveillance de la police, et
obligés de résider à une distance de vingt lieues de Madrid.
L'amnistie publiée le 20 septembre 1816, et retirée en 1817,
ne changea en rien le sort des afrancesados bannis. Le
gouvernement poussa la rigueur jusqu'à interdire le retour
dans la patrie à ceux qui avaient été prisonniers en France,
parce qu'ils avaient dû y puiser des idées et des principes
révolutionnaires. Ce ne fut que lorsque Ferdinand eut accepté
la constitution des cortès qu'il se décida, le 8 mars 1 820, à ac-
corder une amnistie aux yosp/îjjox, qui purent s'établir dans
toute l'Espagne, à l'exception de Madrid. Le 21 septembre de
la même année les cortès leur rendirent la jouissance de leurs
biens, mais non celle de leurs dignités, titres et pensions.
AFRAIXIUS (Licius), l'un des partisans de Pompée',
qu'il accompagna dans ses campagnes contre Sertorius et
Mithridate, et à l'influence duquel il fut redevable de son élé-
vation au consulat avec C. !\Ietellus Celer, l'an 60 avant J.-C.
Pendant la guerre qui eut lieu entre César et Pompée, Lu-
cius Afranius essaya vainement , avec ftl. Petréius , de se
maintenir contre le premier en Espagne ; ils furent tous deux
contraintsde se rendre àdiscrétion dans le courant d'août de
l'an 49 avant. J.-C, et obtinrent leur grâce de l'heureux
vainqueur, à la condiUon de ne plus porter les armes contre
lui. L'année suivante, Lucius Afranius n'en alla pas moins
rejoindre Pompée en Épire. Après la déroule de Pharsale, il
s'enfuit en Afrique, où il se vit livrer à César à la suite de
la bataille de Thapsus, l'an 46 avant J.-C. Quelques jours
plus tard, il périssait égorgé dans une sédition.
AFRAIMUS (Luciijs), poète comique romain, vivait
vers l'an 95 avant J.-C. 11 fut le véritable créateur de la
comédie nationale appelée fabula togata, opposée à la
fabula tabernaria , qui est une peinture des usages et
des habitudes du bas peuple. Il n'emprunta aux Grecs que
la forme extérieure, pour l'adapter à la vie du peuple ro-
main; ce qui a (ait dire que la toge d'Afraniu? allait bien à
Ménandre : la rudesse et la licence de ce pocle sont blâmées
par les critiques , mais ils reconnaissent en même temps
que ses pièces pétillent d'esprit et de gaieté. 11 ne nous reste
pins «lue quelques fragments de ses nombreux ouvrages.
AFRE (Sainte), sous l'invocation de laquelle est placée
l'école communale deMeissen, naquit, suivant la légende,
à Avgusfa VindeUcorum (Augsbourg). Sa mère la desti-
nait au culte de Vénus. L'évêque Narcisse , venu d'Espagne
à Augsbourg pendant la persécution de Dioclétien, parvint
à la convertir, ainsi quesa mère et trois jeunes filles païennes.
Cajus l'ayant appris fit venir Aire, et ne pouvant la ramener
au culte des dieux la condamna à moniir. Elle subit le mar-
tjre par le fou le 7 août 304. Ce[ientiant son corps resta
entier, ses relicjuei se trouvent à l'église Saint-Ulrich
d'Augsbourg.
AFRICAIN (LûoN l'). yoye:> Léon (Jean).
AFRICAKUS (SextI'S Ji'lics), Voyez Jules l'Af-^jca in.
AFRIQUE
lei
AFRIQUE, l'un des trois continents qui forment l'an-
cien inoiiile.
Descripfio?! géographique. L'Afrique est une grande pé-
ninsule comprise entre l'Europe au nord , l'Asie à l'est et
l'Amérique à l'ouest ; qui se rattache à l'Asie par l'isthme
•le Suez, et que baignent au nord la mer Méditerranée , à
l'ouest et au sud l'océan Atlantique, à l'est la mer des Indes
et la mer Rouge. Elle s'étend du 19" de longitude occiden-
tale au 49" de longitude orientale , et du 37° de latitude
nord au 34° de latitude sud. Sa plus grande longueur est
de S, 110 kilomètres, sa plus grande largeur est de 7,470 ki-
lomètres; sa superficie totale est évaluée à piusde29mil-
lious de kilomètres carrés. La population est diversement
évaluée de (îO à 100 millions ; mais il faut avouer qu'on a
peu de notions exactes pour faire un semblable calcul.
Le littoral de l'Afrique n'offre point de ces profondes
découpures qui ouvrent au commerce et à la civilisation
l'accès de l'intérieur. Au nord la Méditerranée y forme deux
golfes que les anciens appelaient les Svites et que la géo-
graphie moderne a nommés golfes de Cabès, de Sidre et de
Tunis ; à l'ouest, l'océan Atlantique s'élargit entre le cap do
Palmes et le cap Lopez, et prend le nom de golfe ou plutôt de
mer de Guinée ; le golfe de Guinée forme lui-même à gau-
che le golfe de Bénin et à droite le golfe de Biafra, séparés par
le cap Formose. Quant à la mer Rouge, ce n'est à propre-
ment parler qu'un golfe , qu'on nomme golfe Arabique, et
dont le golfe de Suez est une subdivision. 11 faut encore
mentionner le golfe d'Aden, entre l'Arabie, l'Abyssinie et le
pays des Somaulis. Mais si l'Afrique a peu de golfes, elle
offre plusieurs vastes baies, entre autres celle de Saldanha,
un des plus beaux ports de l'Afrique australe ; la False-
Bay, à l'est du cap de Bonne-Espérance ; la baie de Sofala et
celle de Lagoa sur la côte orientale. — Les caps les plus re-
marquables sont, au nord, le cap Spartel en face de Gibral-
tar, les caps Matifou et Boudjaroni en Algérie , le cap Blanc
ou de Cizerte dans la régence de Tunis , le plus septentrio-
nal de l'Afrique ; à l'ouest, le cap Noun, le cap Bojador, le
cap Blanc, le cap 'V'ert, le cap Rouge, le cap Tagrin, les caps
Verga, Mesurado, des Palmes, Formose et Lopez en Guinée ;
les caps Négro et Frio au Congo, le cap de Bonne-Espérance
et le cap des Aiguilles , qui est le point le plus austral de
toute l'Afrique. Sur l'océan Indien se trouvent les caps
Corrientes, Delgado, les caps d'Orfui et deGardafui ; et sur
la mer Rouge le cap Calmez, dans la Nubie. — L'Afrique ne
compte que deux d&troits : celui de Gibraltar, qui sépare l'A-
frique de l'Europe, et celui de Babel-Mandeb, qui fait com-
muniquer le golfe Arabique avec le golfe d'Aden. Quant au
canal de Mozambique, c'est un véritable bras de mer.
Le contour des côtes de l'Afrique offre moins d'îles que
les autres grandes divisions du globe. "Voici les principales,
classées dans les cinq mers où elles sont situées.Dans la mer
Méditerranée on trouve l'île Gerbi, dans le golfe de Cabès,
qui appartient à Tunis. "Vient ensuite Tabarca, que le bey
de Tunis a cédée à la France, et oîi se fait la pêche du co-
rail. Dans l'océan Atlantique les principales îles sont le
groupe de Madère et l'archipel du cap "Vert, possession
portugaise; l'archipel des Canaries, aux Espagnols ; l'île
G orée, à la France ; l'archipel des Bissagos , vis-à-vis l'em-
bouchure du Geba et du Rio-Grande ; les îles de Boulama et
de Cherbro; les îles d'A n n o b o n , du Prince, Saint-Thomas et
Fernando-Po; à une plus grande distance du littoral, les
iles de l'Ascension et Sainte-Hélène, appartenant,
ainsi que l'île Tristan-d'Acunha, aux Anglais; dans la
mer Australe, les îlesCrozat, du Prince-Edouard, Bouvet,
ainsi que plus à l'est les îles Saint-Paul, Amsterdam et Kergue-
len. Dans l'océan Indien se trouve un vaste assemblage d'îles
que Balbi nomme avec raison archipel de Madagascar : il
comprend, outre l'île de Madagascar, d'une étendue de
plusde 20,000 lieues carrées, les îles Comore, Mayotte;
les îles Arides ; les îles Mascareignes, formées des tles de la
DICT. DE LA CONV. — T. I,
Réunion, Maurice, Rodrigue; les iles Providence, Alba-
bra, Saint-Laurent et Galega; le groupe des Séchelles,
formé des iles Amirautés et Mahé , et aussi le groupe des
Sept-Frères. On peut encore rattacher à cet archipel les îles
Quiloa , Montia, Zanzibar et Pemba, le long de la côte de
Zanguebar. Vis-à-vis le cap Gardafui se trouve l'île de So-
cotora, et parmi les îles assez nombreuses du golfe Ara-
bique nous nous bornerons à citer l'île Dahlac , jadis très-
florissante.
Depuis plus de trois siècles les Européens ont reconnu et
décrit successivement les côtes de l'Afrique ; mais ils n'ont
pu parvenir à une grande distance dans sou intérieur. On
est donc réduit à de pures conjectures sur un grand nombre
de points relatifs à sa géographie. Dans l'état imparfait de
nos connaissances, le relief du continent africain semble se
diviser en trois massifs principaux : le plateau méridional ;
le système des montagnes de Kong, dont les Européens n'ont
vu que les extrémités est et ouest , et qui paraît avoir sou
nœud principal sur les limites de la Sénégambie, et le système
de l'Atlas. — A l'exception d'une zone étroite de terres basses
ou de rampes inclinées le long des côtes, le plateau méridional
de l'Afiique couvre le continent de son extrémité sud jusqu'au
10* degré de latitude nord environ. L'intérieur nous en est
tout à fait inconnu ; les chaînes de montagnes qui le ceignent
sont : au sud, les monts du Nieuweveld , dans la colonie du
Cap ; au nord, une chaîne considérable, celle des monts de la
Lune, commençant à l'ouest aux monts Camerones, sur le
golfe de Biafra, et se rattachant à l'ouest au système des
montagnes abyssiniennes qui dominent le golfe d'Aden. La
rampe orientale de ce plateau nous est inconnue dans la plus
grande partie de son étendue; elle est abrupte, et sur plu-
sieurs points elle domine directement la côte. A l'ouest ,
entre l'embouchure de l'Orange et le 4" de latitude sud, le
plateau s'abaisse graduellement de l'intérieur vers la côte ;
ailleurs, ses dernières terrasses s'avancent jusqu'à l'Océan.
Un prolongement de cet immense plateau se détache des
montagnes de l'Abyssinie, et suit jusqu'à son extrémité nord
la côte de la mer Rouge. Sur le limbe occidental de ce pro-
longement est creusé le sillon , la vallée étroite où coule le
Nil, et la chaîne qui encaisse cette vallée à l'ouest, se conti-
nuant jusqu'à la ISIéditerranée, va se terminer au plateau
de Barka. — Le système des montagnes de Kong occupe
l'intervalle situé entre le Sénégal et le Nigei' ; la vallée de ce
dernier lleuve le sépare du plateau méridional. — Quant au
massif de l'Atlas , il suit la direction générale de la côte nord
du continent près de laquelle il est situé, et s'étend de l'oue-st
à l'est , du cap Noun au golfe de Sidre.
Au centre de ces trois massifs principaux , entre l'océan
Atlantique et la chaîne qui borne à l'ouest la vallée du Nil,
s'étend une plaine immense, effrayante d'étendue et de nudité,
une mer de sable et de gravier, ondulant quelquefois en sèches
collines, coupées rarement de quelques rangées de rochers,
n'offrant que de languissants arbustes clair-semés et rabou-
gris; nulle verdure, nulle eau courante, et seulement à de
grands intervalles, quelques dépressions du sol où l'humidiié
permet une végétation moins appauvrie : c'est le désert, le
grand Désert, que les Arabes ont nommé Saharu-Belama ,
c'est-à-dire désert sans eau. Il s'étend de l'est à l'ouest, entre
15" et 30" de latitude nord, dans une longueur de deux cents
milles géographiques , etquelquefois plus. Sa superficie est de
plus de cinquante milles carrés. Une de ses extrémités,
au nord-est, n'est qu'à deux journées du Caire et prend le
nom de disert Libyque. Il se distingue du Sahara par quel-
ques débris de végétation et des fragments de rochers, qui
contrastent avec l'affreuse uniformité des plaines bn'danles
du Sahara. Une particularité remarquable du désert Libyque ,
c'est la grande quantité de bois pétrifié que l'on y trouve ,
depuis les branches les plus minces jusqu'aux troncs d'ar-
bres les plus gros ; ce qui lui donne l'aspect d'un fond de
mer desséché , et couvert de débris de vaisseaux naufragés.
2i
1C2
U Saliara atteint la côte de la M<yiterran6e, à la longi-
tude du 1-ezzan, à l'ouest du plat4'au de Barka. Sa largeur
varie de 1,000 k 1,500 kilomètres. Une ligne d'oasis, véri-
tables lies de verdure au milieu de cet océan de sables mou-
vants, liées entreelles par des clialnes de rochers, le traverse
au sud du Fezzan et le divise en deux parties, dont l'occi-
dentale porte le nom de Sahel.
Les plus remarquables de ces oasis sont : la Grande Oasts
ou oasis du Sud, en arAheel-Wdfi-el-Kébir, nommée aussi
Voasis de llù-bes, qui a vingt-quatre lieues de longueur sur
une largeur de trois h quatre , et est liabitéfe par des Arabes
sous l'autorité d'un c/icick. — La Petite Oasis , près du lac
Mœris, renfermant plusieurs sources chaudes et froides. —
L'oasis'de Four, qui n'est autre chose que le pays de Fo^ir
(en arabe Dar-Fmir ), composée de plusieurs oasis groupées
en cercle allongé , que le souverain, décoré du titre de sultan,
visite successivement. Elle a trois entrées principales :
Sweinï au nord, Ril au sud-est, et Kubkabia k l'ouest.
Kobbé, la capitale, est au centre. — El-Kassar, qui forme
une vallée (erlile , entourée de rochers, dont les versants inté-
rieurs se terminent en coUiiies couvertes de bois de pal-
miers, et arrosées par des sources nombreuses. — El-IIaïr,
dont lès plaines, ombragées de cerisiers, produisent d'abon-
dantes récoltes de riz et de blé. — Takel, à l'ouest d'El-
Khareg , et l'oasis Farnfré , arrosées de sources nombreuses ,
mais Iroubii's. — Sioi(d/^ la célèbre oasis de Jupiter-Ammon,
située sous î'J" H.' de latitude nord et 44" 54' de latitude est ,
k vingt-quatre jours de marche en ligne droite d'Alexandrie.
Au milieu de celle oasis, couverte de moissons et de riches
prairies ombragées par des bois d'orangers et de palmiers,
s'élève , sur le sonunet d'un rocher, semblable à une forte-
resse, la capitale, Siouûh , entourée, dans un rayon d'une
demi-lieue, de cin(i villages habités par ime tribu d'Arabes
remuants et avides de combats. Les pierres des maisons pro-
viennent des débris du temple , dont les ruines imposantes
témoignent encore de son antique splendeur. Onyrencoulre
de nombreuses catacombes remplies de débris de momies.
— Agably, à trente-trois jours de marche de Tripoli, et
aux trois septièmes du chemin de cette ville à Tombouclou.
— Tortat , sur la môme route. — L'oasis à'Axtgila, à treize
jours de marche , au sud-est de lîernyq ( Bérénice) et de la
mer, qui compte (juatre villages , et produit des dattiers cé-
lèbres dès le temps d'Hérodote par la saveur de leurs fruits.
Le Fezzan , désigné par Hérodote sous le nom de grande
Oasis du pays des Garamnnles, qui est entourée de
rochers et de sables, et qui , d'après Homemann, compte,
en outre de sa capitale, Murzouk , cent autres villages. Sa
longueur, du nord au sud , est de soixante milles géogra-
phicpies , et sa largeur, de l'est à l'ouest, de quarante. —
Gadames, située à rextrémilé méridionale del'Atlas, dans le
Hélud-el-Djérid (pays des dattes) , et qui confine aux mon-
tagnes des Berbères. Ces deux chaînes d'oasis , l'une à l'est
et l'autre à l'ouest du désert Libyque , partent également de
l'intérieur de l'Afrique , et forment les deux grandes voies
que la nature a ouvertes au commerce de ces peuples , et
(jue l'histoire nous signale comme constamment suivies dans
l'antiquité; de nos jours, elles sont les postes où viennent
se reposer les caravanes qui traversent le désert.
L'Afrique compte encore d'autres déserts ; toute la côte
d'.Xjan et celle des Cimbébasne sont qu'un vaste désert ainsi
que dans la saison sèche les Karrous des Hottenlots.
L'altitude approximative des points culminants de l'A-
frique est évaluée dans la chaîne du Nieuweveld à 3,000
mètres ; «lans les Canierones, sur le golfe de Biafra, à plus de
4,000 mètres; dans les montagnes Abyssiniennes à 4,500
mètres; dans les montagnes de Kong à 1,000 mèlies, et
dans l'Atlas à 4,000 mètres. Les derniers voyageurs , et
surtout MM. Riippel.d'Abbadie, Russegger, et Beke, ont rec-
tifié beaucoup d'erreui-s au sujet des principaux plateaux
de l'Afrique. Les plus élevés sont ceux du Semcn, dans la
AFRIQUE
chaîne abyssinienne, qui vont de 2,600 à 3,000 mètres ; le
plateau abyssinien méridional, de 2,000 à 2,400 mètres;
enfin le plateau de Gondar, de 2,000 à 2,200 mètres , tandis
que l'altitude du Sahara n'atteint pas 200 mètres. Ce défaut
d'élévation est cause de la rareté des sources, de l'aridité du
sol et du manque de végétation.
L'hydrographie de l'Afrique est très-incomplète, et l'on ne
connaît encore le cours entier d'aucun de ses grands fleuves.
Le Nil, si célèbre dans l'antiquité et de nos jours, a ses em-
bouchures à l'extrémité nord-est de l'Afrique, dans la Médi-
terranée, par 3 r 25' de latitude ; ses deux bras les plus écartés
séparent de la terre ferme une grande île triangulaire que les
Grecs nommaient Delta, en la comparant à cette lettre de
leur alphabet. De ce point jusqu'au 18" il offre le phénomène
singulier de ne recevoir aucun affluent. Le Taccazé est le
premier qui lui apporte à droite le tribut de .ses eaux ; le
Bahr-el-Azrek ( fleuve bleu ) est le second : tous deux viennent
de l'Abyssinie. Le Taccazé a été pris à tort par quelques
voyageurs pour le bras principal du Nil des anciens , ou
Bahr-el-Abiad (fleuve blanc). Dans ces derniers temps on
s'est beaucoup occuité de l'exploraliou des sources du Nd.
Les diverses expéditions que l'on a faites et les résultats
que l'on a obtenus trouveront leur place à l'article Nil. Le
long de la côte septentrionale on ne rencontre que des cours
d'eau peu considérables qui viennent de l'Atlas, tels que le
Chélif et le Malouïa. 11 en e.4 de môme de la côte occiden-
tale, où l'on ne rencontre guère que le Sebou et le Tensif jus-
qu'au 1G° de latitude nord ; là on trouve le Sénégal, et succes-
sivement, en allant au sud, la Gambie, le Rio-Grande et
quelques autres moins importants. Dans le golfe de Guinée on
trouve un grand nombre de fleuves dont les cours au delà d'une
petite distance sont inconnus. Du reste, la masse d'eau de leur
embouchure n'est pas trè&-considérable, excepté pour le Rio
Formoso ou Djoliba, dans lequel les frères Lander ont reconnu
le mystérieux Niger, que René Caillié avait descendu dans la
partie supérieure de son cours {voyez Niger ). Sur les côtes
du Congo, le Calbar, le Gabou, le Coanza, le Zaïre et l'Avongo
apportent à l'Océan un si grand volume d'eau, que l'on a
supposé que leur parcours devait être considérable. Le reste
de la côte a été très-peu exploré jusqu'au 27" degré de lati-
tude, où se trouvent le Vis-Revier et le majestueux Orange ou
Gariep, découvert par Gordon en 1777 , et qui parait avoir
sa source dans les monts Nieuweveld. Sur la côte orientale,
les grands fleuves sont encore moins nombreux. Les plus con-
sidérables sont le Zambézé ou Couama , qui se jette dans le
canal de Mozambique, la Livouma, le Loffih, l'Ozy, le Pan-
gany et le Jubo. Plus au nord on trouve encore le Coaro , le
Mélinde et le Magadchou.
Les lacs sont rares en Afrique ; parmi les amas d'eaux
dont l'existence est incontestable, il faut citer le lac Tchad,
dans la Nigritie centrale, découvert en 1824, dont les eaux
sont douces; il est rempli d'iles habitées par les féroces Bi-
doumas, que l'on dit de terribles pirates; le lac Dibbi, que
traverse le Niger: le Kalounga Koufoua, à l'est du Congo;
le lac Zambre ou Maravi , au sud-est au delà de l'équateur,
regardé par Balbi comme le plus grand de l'Afrique ; le lac
Dembea en Abyssinie, sinus du Nil bleu, à une petite dis-
tance de ses sources, et enfin le lac Keroun en Egypte.
On connaît trop peu l'Afrique pour qu'il soit possible
d'indiquer la distribution géognostique de ses terrains. Dans
toutes les chaînes de montagnes qui ont été visitées, on a ob-
servé le granit dans les régions supérieures, quelquefois pé-
nétrant par veines dans le schiste qui lui est superposé,
comme une formation ignée qui aurait soulevé et déchiré une
enveloppe antérieure. Les calcaires se montrent surtout dans
l'Afrique septentrionale; les grès abondent à peu près par-
tout, tantôt reposant immédiatement sur le granit, tantôt
sur le schiste. Le sel , soit en couches, soit dissous dans l'eau
de quelques lacs, se trouve en diverses parties du continent ,
mais particulièrement au nord. Des formations basaltiques et
des roches lrapi.^eiuiec. sont indi(juéo5 dans piv q-jo toiilos
les j;r;uides chaînes. 11 existe égiilement, ilit-on, des vol-
cans en activité dans les montagnes du Congo, dans celles de
Mozambique et nu^me en Abyssinie; mais la plupart de
c«s indications auraient besoin d'être vérifiées. Si le conti-
nent africain a peu de volcans, en revanche les îles qui en
dépendent en ont de nombreux. Quant aux sables du Sahara,
.sont-ils un terrain d'alluvion ou bien le résultat d'une dé-
composition spontanée de roches préexistantes? C'est une
question sur laquelle les notions acquises jusqu'ici ne per-
mettent pas de prononcer, bien que la nature friable des
grès du Fezzan semble favoriser cette dernière supposition.
L'Afrique possède en abondance des mines de fer, de
cuivre et d'or ; ces dernières se trouvent surtout dans le Ban-
bouk et le Bouré, dans l'ouest , et le pays de Sofala à l'est.
Les Arabes donnent à ces deux dernières contrées le nom de
Pays de l'Or et de la Tondre d'Or. Les Portugais appellent
aussi Côte-d'Or une partie du Congo. Des pierres pré-
cieuses existent , dit-on , en abondance dans certains can-
tons, surtout dans les pays qui avoisinentle Nil.
La température de l'Afrique n'est généralement pas aussi
bridante que sa situation climatérique le ferait présumer.
L'élévation des terrasses qui se succèdent par étages jus-
<{u'à des hauteurs considérables procure , jusque sous l'é-
quateur, un air frais et doux, quelquefois môme vif et pi-
quant; les côtes seules subissent toute l'ardeur du soleil
/.énilhal. Des pluies diluviales reviennent chaque aimée gros-
sir toutes les rivières situées entre les tropiques, et les débor-
ilements de ces fleuves vont porter au loin la fécondité. Les
crues du Nil sont surtout fameuses. L'époque qui suit immé-
diatement la saison des pluies est dangereuse, par les fièvres
épidémiques qu'engendre un air trop humide et trop chaud,
jusqu'à ce que les vents aient desséché et assaini l'atmo-
sphère. C'est de l'intérieur de l'Afrique que sort ce vent qui,
après avoir traversé les immenses déserts qu'elle renferme ,
apporte avec lui ces vapeurs brûlantes et quelquefois mor-
telles, qui l'ont fait nommer simoun (en arabe, poi.son). Quoi-
<iue très-affaibli, il pénètre jusqu'en Espagne sous le nom de
solauo, et en Italie sous le nom de sirocco. Lorsqu'il arrive
en Suisse sous le nom defohn, il est beaucoup rafraîchi par
les montagnes de neige qu'il a franchies, mais il est toujours
pesant, épais et. malsain. C'est dans le Sahara que la chaleur
est le plus intense; elle s'élève jusqu'à plus de 45° du
thermomètre de Réaumur; elle est tort modérée dans la
Barbarie et constamment fraîche dans la région méridionale.
Ces différences bien tranchées de température déterminent
une grande diversité dans l'aspect général de la végétation.
On peut néanmoins diviser la flore générale en trois flores
spéciales. La flore septentrionale, c'est-à-dire celle de la
lisière de la Méditerranée, présente une grande analogie de
productions avec les parties méridionales de l'Europe ; ià
croissent le chêne, le pin, le cyprès, le myrte, le laurier, l'ar-
bousier, la bruyère arborescente ; l'olivier, l'oranger, le juju-
bier, le dattier, la vigne, le figuier, le pêcher, l'abricotier,
le melon, les pastèques ; l'orge, le mais, le froment, le riz, le
tabac, l'indigotier, le coton , la canne à sucre. Au revers
de l'Atlas on trouve le dattier en abondance, mais desséché
|)ar le vent brûlant du Sahara.
Puis vient le désert qui sépare la flore septentrionale de
la flore équinoxiale ; des buissons de gommiers ou mimosas,
l'agoul ou herbe du pèlerin , quelques poacées et panicées,
entre autres le kascliya au calice piquant, une capparidée ap-
pelée souag , et un petit nombre d'autres plantes ciiétives et
glauques sont la triste paiure végétale de ces solitudes im-
menses.
La zone équinoxiale forme un immense triangle dont le
sommet est au golfe Persique, et dont la base se développe
le long de l'océan Atlantique. On doit même y comprendre
r.\rabie, que son climat et sa proximité de l'Afrique assimi-
lent à ce continent. Sous le rapport de la végétation, cette
AFRIQUE IG3
région phylographi(iue pourrait être à son tour pailagée en
bandes succe^sives, chacune ayant sa flore spéciale. La bande
lin\itrophe du désert offre le palmier doum et le soump ou ba-
lanile ; puis viennent l'imposant baobab, les fromagers, le pal-
mier élaïs, le khaïr, le nété, les arbres à beurre, le kola ou
gourou, les cypéracées. Outre les fruits et les autres produits
que l'indigène retire de ces arbres, tels que le vin et l'huile
de palme, le beurre végétal, etc., il recueille pour sa nourri-
ture le mil, le riz, le maïs, le manioc, les ignames, quelques
légumes, la banane, la goyave, l'orange, le limon, les fruits
du papayer, du tamarin , etc. ; il cultive aussi le coton ,
l'indigo et le tabac. La vallée du Nil présente à la fois la
végétation de la lisière septentrionale et celle de la région
équinoxiale.
La zone austro-orientale, comprise entre le fleuve Orange
et Mascate, offre des caractères très-remarquables : on y ren-
contre en nombreuses tribus les stapelias, les mesembryan-
thèmes, les aloès , les pélargoniuras , les protées , les ixias,
les euphorbes, les bruyères, sans parler de la vigne, des cé-
réales et des arbres fruitiers que l'homme cultive pour ses
besoins. M. de Candolle a été frappé de l'analogie qu'oftre
cette végétation avec celle de la Diéménie.
Les îles de l'Afrique se rattachent naturellement par leur
végétation aux régions dont elles sont le plus voisines. 11
est à remarquer toutefois que les espèces européennes domi-
nent dans les ilesdel'ouest, notamment aux Canaries et même
à Sainte-Hélène ; Madagascar, la Réimion , Maurice forment
une sorte de liaison intermédiaire entre la flore africaine
et celle de l'archipel Indien , et présentent en outre quel-
ques végétaux qui leur sont propres: on y remarque surtout
une profusion d'orchidées et de fougères.
Sous le point de vue zoologique l'Afrique présente un
aspect tout particulier. Parmi ses nombreux zoophytes , le
plus remarquable est le corail rouge, dont les Européens font
des i)èches réglées; l'éponge, qui fait également l'objet d'un
commerce considérable. Les corallines , les madrépores , les
gorgones, les alcyoues, les poh'pes de toutes formes abondent
sur le littoral, de môme que les échinodermes et les acalè-
phes. Parmi les helminthes, on doit mentionner le ver de
Guinée , filaire qui s'insinue sous la peau humaine et cause
les plus vives douleurs. — Quantaux mollusques maritimes,
ils appartiennent aux mers adjacentes, plutôt qu'aux côtes.
L'Atlantique amène sur le littoral des seiches colossales; la
spirale n'est pas rare dans les parages du Sénégal ; le nautile
se montre en flottiUes nombreuses dans les environs du cap
de Bonne-Espérance; la janthine pourprée abonde sur les
rivages barbaresques ; les doris et les aplysies peuplent la
mer Rouge. Parmi les fluviatiles, M. Cailliaud a décrit les
étliéries du Nil; les mollusques terrestres sont à peine con-
nus. — Entre les annelides, il faut citer la sangsue du Sénégal,,
qu'on a voulu naturaliser aux Antilles et à Cayenne. — Le plus
vorace des insectes africains est la sautereUe voyageuse , fléau
plus terrible que Fincendie , qui anéantit les récoltes et dont
les essaims immenses obscurcissent le jour; les fourmis, les
termites font aussi de grands ravages; les mosquites, les
abeilles, les scolopendres à la piqûre douloureuse, le taon du
Sennar sont de redoutables ennemis pour l'homme. — Parmi
les arachnides, on remarque la tarentule, qui abonde en Bar-
barie, le tendaraman ou araignée venimeuse de Maroc, la
mygale à la robe veloutée de la Sénégambie, et l'araignée du
cap de Bonne-Espérance , toutes fort dangereuses, ainsi que
le scorpion et le galéopode. Les crustacés sont à peu près
les mêmes que ceux de l'Europe méridionale, des homards,
des langoustes , des crabes, des chevrettes, etc. Les poissons
maritimes qu'on pêche aux atterrages d'Afrique sont ceux
des mers qui baignent ces côtes; et quant aux poissons de
fleuves, on n'en connaît qu'un nombre fort restreint : Geof-
froy Saint-Hilaire a décrit ceux du Nil, parmi lesquels on
remarque l'énorme bichir, des silures et des pimélodes, dimt
les analogues ont été retrouvés au Congo. Les rivières oeci-
•21.
104 AFRIQUE
dental»'» ont fourni de curieux acanthopodes , des gj-nmar-
«lucs.dos sciènes, etc. Les reptiles sont très-nombreux;
mais le nombre des espèces paraît assez borné. Les plus
remarquables sont, parmi les lézards , les crocodiles , les
caïmans ou alligators, ([ui peuplent les grands fleuves; 1(!S
inonitorsou ouarans du Nil et du Congo; les salamandres
et les iguanes de Guinée, les cerdyles du Cap, les geckos
immondes du Caire et de Madagascar, les scinques du Fez-
Ann et des régions du Haut-Nil, si prompts à disparaître sous
le sol, et les caméléons, dont les diverses an'ections sensitives
se iwignenl sur la peau en couleurs changeantes. On a ob-
s<Yvc peu de batraciens, mais parmi eux des crapauds d'une
taille énorme. Les fleuves et les rivières offrent quelques tor-
tues; la tortue terrestre est très-commune en Barbarie. Les
grands serpents d'Afrique paraissent appartenir au genre py-
thon ; le céraste cornu et d'autres espèces venimeuses ont été
signalés au Cap; des vipères d'une espèce nouvelle ont été
recueillies au Sénégal. — Sur six cent cinquante espèces
d'oiseaux qui se trouvent en Afrique, près de cinq cent
soixante lui appartiennent en propre. Les plus nombreuses
sont : dans l'ordre des promeneurs, les passereaux, si variés,
les hoche-queue , les gobe-mouches, les merles, les loriots,
les roUiers, les troupiales , les pique-bœufs, les calaos au
bec monstnieux , les hirondelles , les soiii-mangas , les guê-
piers, les mar'tins pécheurs, les pies grièches, les mésanges,
les alouetles , le crinon , dont le bec est accompagné à sa
base de soies longues et rudes. Puis, parmi les oiseaux de
proie on compte les vautours, les griffons , les percnoptères ,
les aigles, les pygargues, les éperviers, les buses, les faucons,
les messagers et la plupart des rapaces nocturnes. Les grim-
peurs fournissent beaucoup de perroquets et de perruches, des
foiiracos, des couroucous, des coucous. Entre les gallina-
cés , on remarque des pigeons variés , tels que la tourterelle
a collier du Sénégal et de l'Afrique australe, et le pigeon vert
d' Abyssiuie et de Guinée, des perdrix, des cailles , des tétras,
et la pintade, qui appartient spécialement à l'Afrique; le
dronte, qu'on voyait jadis à l'île de France et dans quelques
parties du continent, ne se rencontre plus, et peut-être a-t-il
entièrement disparu du globe. Les échassiers offrent des
falcinelles, des pluviers, des vanneaux, des grues , des
hérons, des cigognes, entre autres la cigogne à sac de la
côte orientale; des ombrettes, des flamants, des spatules,
l'ibis, oiseau sacré de l'ancienne Egypte, le marabou qui
donne un duvet si élégant ; des courlis, des bécasses, des râles,
des poules d'eau ; le secrétaire, qui semble réunir les caractères
des échassiers et des oiseaux de proie. Dans les palmipèdes
on trotive le canard et l'oie , le pélican , le cormoran , la fré-
gate, l'anhinga, le fou , le manchot ; on voit de plus sur les
côtes des goélands , des pétrels , des albatros. Mais le plus re-
marquable des oiseaux de cette partie du monde, c'est Tau-
truclie, compagne habituelle du zèbre, et qui vit en troupe
dans le Sahara ; plusieurs espèces d'outardes méritent éga-
lement d'être mentionnées.
Quant aux mammifères, l'Afrique possède un qua\t à peu
près des espèces connues. Les ruminants y sont dans une
proportion très-forte ; le genre antilope y est particulièrement
développé; les plus remarquables sont le canna, ou élan du
Cap ; le genou de la Guinée et du Sud ; le mouflon, à la queue
énorme et pesante; le bœuf à bosse, qui sert de monture, de
bête de somme et de trait dans toute la Nigrilie; le bcnif
galla, aux cornes immenses ; le buffle sauvage du Cap ; la gi-
rafe, et le dromadaire ou chameau à une bosse, si bien
nommé le navire du désert. L'ordre des pachydermes non
ruminants appartient aussi spécialement pour deux cin-
quièmes à r.Mrique : l'éléphant s'y rencontre depuis la limite
du Sahara jusqu'au cap de Bonnc-F.spérance, il est d'une es-
pèce différente de celui d'.\sie; le rhinocéros à deux cornes a
été trouvé en Abyssinie cou)me au Cap ; l'hippopotame, qui a
disparu depuis longtemps des eaux du Nil, se montre dans
tous les grands fleuves de la région australe; le phacociière à
défenses énormes a été trouvé au cap Terl et au sud, où se
rencontre aussi le sanglier à masque, différent du sanglier du
Sénégal. Le zèbre et le couagga se Iroiivent au centre et au
sud; le cheval et l'àne, principalement dans le nord. Les
quadrumanes sont ensuite l'ordre le plus nombreux; le plus
remarquable de tous est le chimpanzé, grand singe sans
queue, dont les bras sont moins longs que ceux de l'orang-
outang de Bornéo, et qui offre ainsi plus de ressemblance
avec l'homme ; le genre cynocéphale est représenté par des
espèces variées, presque toutes grandes, fortes et mé-
chantes ; les guenons sont aussi fort multipliées ; les ma-
kis et les galagos sont nombreux en Nigritie, l'indri à ^lada-
gascar. L'ours n'habite que les cavernes de l'Atlas; les car-
nassiers sont très-répandus sur le continent : le lion, la pan-
thère, le léopard, la hyène, le loup et le chacal ainsi que le
chien, redevenu sauvage au Congo ; le lynx ; le fennec d'A-
byssinie semble devoir être rapporté au même genre, il
est caractérisé par ses longues oreilles de lièvre. La civette
se rencontre presque partout, ainsi que l'iclmeumon , jadis
adoré en Egypte pour la guerre acharnée qu'il fait aiTX rep-
tiles. — Il faut citer encore plusieurs espèces de hérissons, la
musaraigne et la chysocldore du Cap, à robe dorée, le tenrec
de Madagascar et diverses taupes. — Parmi les chéiroptères,
l'Afrique possède différentes espèces de chauves-souris, dont
la plus gros.se est la roussette , recherchée à Madagascar et
à Maurice à l'égal du faisan et de la perdrix. — Dans les
rongeurs on remarque plusieurs espèces d'écureuils , la ger-
boise du désert, l'aye-aye de Madagascar, le rat-taupe, et
le rat-sauteur du Cap, la souris du Caire armée de piquants,
le porc-épic à crête , le lièvre et le lapin. — Enfin les éden-
tés sont les mammifères les plus rares en Africfue : on n'y a
encore vu que l'oryctérope du Cap , le kouaggelo ou pangolin
à longue queue, à écailles mobiles et tranchantes, qui habite
au Sénégal et en Guinée. On rencontre sur les côtes quelques
amphibies, du moins le phoque et le lion de mer. A l'embou-
chure des fleuves on trouve le lamentin. Parmi les cétacés
proprement dits, les voyageurs mentionnent surtout, comme
fréquents sur les côtes d'Afrique , les dauphins souffleurs et
les marsouins.
Ethnographie. L'ethnographie de l'Afrique, que l'on s'est
inutilement efforcé d'établir d'après les idiomes qui s'y
parlent, a été parfaitement déterminée par la comparaison
des types. La couleur de la peau et la nature des cheveux,
que M. Bory de Saint-Vincent a prises pour base de sa clas-
sification du genre humain, sont des caractères trop superfi-
ciels et trop peu tranchés. Les formes du crâne et de la
face sont, au contraire, un guide infaillible et certain. En
prenant donc l'angle facial pour base, on peut réduireà deux
types généraux toutes les races indigènes africaines, dont
chacune a un grand nombre de variétés résultant de croise-
ments. La race à visage ovale, à angle facial très-ouvert,
au nez aquilin , aux membres bien conformés , aux doigts
effilés, aux cheveux longs et noirs, aux lèvres minces, of-
fre les traits caractéristiques des anciens Égy-ptiens tels
qu'on les voit sculptés et peints sur les monuments et tels
que nous les présentent la plupart des momies. Cette race a
tous les caractères de la race caucasienne; elle ne se dis-
tingue des peuples européens que par le feint plus foncé, la
lèvre supérieure légèrement plus grosse que l'inférieure, et
surtout par la position des oreilles placées plus haut, en
sorte que le lobe supérieur dépasse la ligne des yeux ; elles
sont aussi un peu plus grandes et plus écartées du crâne.
Les Berbères, qui se donnent le nom d'Amazigs (nobles);
les Coptes au teint jaune foncé, au nez court et droit, au
visage bouffi, et les Abyssins, les Nubiens au teint noir, au
nez presque aquilin, comiiosent cette race. Le second type
africain, indubitablement originaire de celte contrée, est la
race dite nègre, aux cheveux crépus, aux grosses lèvres, aux
pommettes saillantes, au front étroit, au menton plus ou
moins pointu, au crâne très-épais, très-dur et très-blanc.
ainsi que tous les autres os , aux pieds longs , aii\ iloigls
épais et non eftilés. Quant au teint, il varie depuis le noir
le plus foncé jusqu'au cuivre. Il est nu' me à remarquer (jne
ce ne sont pas les plus noirs qui offrent les formes et la face
les plus rapprochés du singe : ainsi le Moutchicongo, dont
le teint est peu foncé, a le nez p-esquc plat et des lè\Tes
énormes, tandis que le Yolof, le plus noir de tous les Kégies,
est aussi celui qui a le nez le moins épaté. Cette race se
distingue par une grande perfection dans tout ce qui a rap-
port aux fonctions animales. On y rencontre moins de dif-
formités que dans toutes les autres races humaines ; les
femmes accouchent avec facilité et sont d'cKcellentes nour-
rices. Chez ces peuples l'ossification du cnlae est très-ra-
jiide ; les enfants dés leur naissance présentent à peine les
fontanelles , les sutures disparaissent de bonne heure, et le
développement du crAne est terminé dès l'adolescence,
tand's que celui des os de la face se pomrsuit jusqu'à l'ûge
adulte. Cette race est très-robuste; on y voit beaucoup
d'individus d'une haute taille; il est fréquent d"y trouver des
hommes d'un âge très-avancé. Les Peuls , les Cafres en sont
des espèces particulières; les Holtentots ou Bojesmans en
forment encore une variété, inférieure en intelligence, à l'an-
gle facial encore plus déprimé. Leur taille est plus petite,
leur figure hideuse. Chez la femme hottentole , un trait re-
marquable est le développement des nymphes, qui couvre
les parties génitales d'une sorte de tablier naturel , et l'é-
norme saillie des fesses.
Quant aux races qui ne sont pas autochthones, il faut comp-
ter : la race arabe, répandue sur les côtes orientales jusqu'à
Aladagascar, sur celle de la Méditerranée, sur le littoral
Atlantique jusqu'au Sénégal, s'étendant jusqu'à une assez
grande profondeur dans le désert ; la race tmque, rare et
clair-semée sur les côtes septentrionales ; les races euro-
péennes, qui ont formé des colonies sur toute la périphérie;
enfin, seulement sur la plage orientale de Madagascar, des
colonies de race malaise.
La distribution ethnographique que nous venons d'indi-
quer n'est qu'une ébauche grossière, que l'état imparfait de
nos connaissances empêche de tracer avec une plus exacte
précision. Quant aux langues de l'Afrique , sans avoir la
prétention d'en donner un catalogue complet , ni même une
liste bien étendue, nous essayerons de rapporter ici les plus
importantes, en indiquant les nombreux dialectes qui en
dérivent respectivement, ^■ous citerons d'abord la langue
berbère, qui ramène à une souche unique de nombreux dia-
lectes dispersés sur une iramense étendue depuis l'Atlas jus-
qu'à l'Egypte, en englobant le Sahara ; la langue arabe d'une
part, avec toutes ses variétés; la langue copte, qui n'est plus
en usage en Egypte que pour les livres, mais qui est encore
parlée, dit-on, au sud du golfe de Cabès; la langue peule ou
fellane , dont les innombrables dialectes se parlent dans tout
l'ouest et le sud : toutes les tribus hottentotes ainsi que les
tribus cafres ont un système de langage qui en dérive évi-
demment; l'idiome mandingue, que parlent une grande quan-
tité de peuplades; la langue yolofe, très-répandue également,
ainsi que la langue des Achantis ; la langue nubienne , la lan-
gue des Gallas, et les idiomes bounda et bomba, qui se parlent
au Congo. Nous n'indiquons point ici le turc, dominateur
précaire sur la côte septentrionale, ni les idiomes apportés
par les colons européens.
En général, il n'y a pas de civilisation en Afrique ; aussi
la croyance religieuse n'y a acquis nulle paît un degré de
perfection qui témoigne de quelque progrès. Le christia-
nisme grossier des Coptes et des Abyssins, celui que les mis-
sionnaires s'efforcent d'implanter chez les nègres, les Cafres
et les Hottentots , n'est pour tous qu'un culte sans intelli-
gence des préceptes et des dogmes. Le judaïsme a de nom-
breux adhérents; l'islamisme est la religion du nord de
{'Afrique et des peuplades nègres les plus avancées. Le féti-
thi;-iue le plus grossier est le culîc le plus généralement
AFRIQUE 165
répandu dans toute l'Afrique. Quel que soit son culte , du
reste , l'Africain est polygame. Quant à l'organisation poli-
tique, patriarcale chez les tribus nomades, elle passe générale-
ment à la monarchie chez les peuplades fixes. Il y a cepen-
dant quelques peuplades où dominent les formes démocra-
tiques, dans le Fouta par exemple. Une sorte de féodalité
existe chez les Yolofs. Le despotisme absolu parait, du reste,
le régime le plus fréquent.
Soumis à moins de besoins que les habitants des régions
tempérées et froides , ceux de l'Afrique ont bien moins d'in-
dustrie ; elle se borne à préparer et à colorer des cuirs , à
filer le coton, dont ils fabriquent des tissus d'une petite lar-
geur, et à les teindre. Ils façonnent les métaux avec une
certaine adresse ; mais les mines sont exploitées peu avan-
tageusement. Ils taillent et percent les pierres dures , ils
font divers ustensiles en terre et en bois , enfin des armes
de plusieurs genres et même des fusils; ils fabriquent de la
poudre et fondent les balles. Voilà le terme où sont parvenus
les plus habiles. Les habitations sont en terre , basses et
presque toutes rondes, couvertes en chaume, et n'ont d'autre
ouverture que la porte. Le commerce entre les indigènes
consiste dans les productions du sol et de l'industrie, et n'a
lieu que par échange. Des piècesde toile de coton, des mor-
ceaux de fer ou même des coquillages sont le plus souvent
les signes représentatifs de la valeur des objets.
Les objets d'importation sont les tissus de coton et de
laine , la poudre , les armes , la verroterie , la quincaillerie ,
le sel. Les entrepôts de ce conamerce sont , après les ports
d'Egypte et des États Barbaresques , ceux des établisse-
ments européens.
L'anarchie désole continuellement l'Afrique; du reste, les
guerres entre indigènes ne sont pas généralement meur-
trières, on cherche plutôt à faire des esclaves qu'à tuer son
ennemi. Le commerce des esclaves a de tout temps été
très-actif en Afrique : le monarque vend ses sujets ou en-
lève ceux des voisins pour en faire le trafic. Les nations
européennes qui faisaient autrefois la traite des Nègres
se sont interdit cet odieux commerce ; et s'il a encore lieu,
ce n'est que clandestinement.
Divisions politiques. Balbi partage l'Afrique en régions
qu'il nomme •.\°la région du ^'il; 1° le Maghreb ; 3° la Nïgri-
tie centrale, occidentale, maritime et méridionale; 4° VA/ri-
que australe; ^"V Afrique orientale ; 6° les possessions des
puissances étrangères. — La région du Ml comprend l'E-
gypte, les deux Nubies, puis d'une part l'Abyssinie, et de l'au-
tre le pays inconnu quarrose le Nil-Blanc et qu'on croit ha-
bité par les nègres Schilouks. Il faut y rattacher encore le
Kordofan , que sa position géographique et ses relations po-
litiques unissent étroitement à la Nubie, et même le Dar-
four, que les Européens n'ont encore abordé que par la voie
de l'ÉgjTte. — Le Maghreb, dénomination empruntée aux
Arabes, comprend tous les pays habités par les musulmans
occidentaux, c'est-à-dù-e les contrées de l'Atlas, le IMaroc,
l'Algérie, Tunis , Tripoli , le Bélud-el-Djerid, le Fezzan et le
Sahara. — La troisième division, celle qui embrasse le plus
de territoire, se compose de la Nigritie centrale, formée elle-
même du Bouré, du Bambarra, du royaume deTombouctou,
de la confédération de Borgou, des royaumes de Yaouri,
Yarriba, Founda, Bénin, des empires de Bornou et des Fel-
lafahs; de la Nigritie occidentale, qui comprend les États yo-
lofs, peuls et mandingues; de la Nigritie maritime, torméedes
royaumes de Soulimana, de Cap Monte, de Dahomey et de
l'empire d'Achanti ; enfin de la Nigritie méridionale, qui com-
prend les royaumes de Loango, de Congo, de Bomba, de
Sala, des Malouas, et de Cassange, outre les pays soumis aux
Portugais. M. d'Avezac a proposé les dénominations géné-
rales de Ouankarah et de Takrour pour l'intérieur des terres.
— L'Afrique australe, outre la colonie du Cap et ses dépen-
dances, se compose de la Cimbébasie, du pays des Cafres et
de celui des lloUentots, L'Afrique orientale embrasse deux
1C6
régions : la première, établie dans le bassin du Zambézô ,
comprend l'empire du Monomotapa, aujourd'hui dt'-membré,
Sofala, Mozambique et Zani,'uébnr ; l'autre nous est presque
totalement inconnue, à peine sait-on les noms de quelques-
uns des peuples qui habitent ce baut plateau , tels que les
Cazenbés et les Mozivas. On rattache comme annexe à cette
division le restant de la côte orientale, le pays des Somaulis,
la côte d'Ajanet Magadchou. — Toutes ces subdivisions ont
des articles spéciaux dans notre ouvrage.
La France, l'Angleterre, le Portugal , l'Espagne, le Da-
nemark, les Pays-Bas, les États-Unis d'Américjue, possèdent
en Afri(iue des établissements coloniaux. Les possessions
delà France comprennent les trois gouvernements d'Al-
gérie, deSénégambic et de la Réunion. Celles de
l'Angleterre sont, sur le continent, les gouvernements du
Cap, de S icrra-Leone ; dans les îles, le gouvernement
di>Saintc-Hélène, dont dépendent les îles Fernando-Po
cl lie l'Ascension; le gouvernement de Maurice, dont
tlcpt-nil l'archipel des Seychelles; et les établissements de
la C û t e-d 'Or et de la C ô t e d e s E s cla v e s . Les établisse-
ments portugais forment le gouvernement de Madère et
relui des îles du Cap Vert avec ses dépendances, sur
la côte de la Sénégambie, Angola et Benguela; celui de
Saint-Thomé et du Prince, et celui de Mozambi-
que. L'Espagne possède en Afrique l'archipel des Cana-
ries, qui forme non un établissement colonial, mais une
des provinces administratives du royaume : les places de
déportation ou présidios de C eu ta, Peûon de Vêlez, Alhu-
cemas et Velilla, sur la ciMe de Maroc , l'ile d'Annobon et
quelques Ilots dans le golfe de Guinée. Les possessions da-
noises, composées de petits territoires et de quelques ports
sur la Cote d'Or, forment le gouvernement de Chris-
tiansborg; les établissements des Pays-Bas, plus impor-
tants (jne ceux du Danemark , forment le gouvernement
d'Elmina, aussi sur la Côte d'Or. Enlin les Étals-Unis ont
fondé sur la côte de Guinée l'clablissement de Libéria,
destiné à recevoir les esclaves africains affranchis, ainsi que
ceux de Dassa-Cowe et de Simon.
Nisfoirc. L'Afrique n'a pas d'histoire générale. Certaines
de ses |)arties, il est vrai, surtout l'Egypte et toute la côte
baignée par la Méditerranée , occupent une grande place
dans l'histoire du monde; mais on ne saurait rattacher
sous ce rapport ces contrées aux continents qu'elles bor-
dent. Nous ne suivrons donc i)as les merveilleuses vicissi-
tudes de l'Afrique ; l'antique civilisation égyptienne, sortie
de la Nubie pour finir aux Ptolémées ; l'empire de Carlhagc,
anéanti par une rivalité fatale, après avoir produit de grands
hon)mes et fait de grandes choses; la domination romaine,
civilisatrice du pa\ s, qu'elle étonne encore par ses ruines
f^igantesques, renversée à son tour par l'invasion gothique
«'t vandale; puis le grand mouvement islamique, qui sem-
blait devoir cm])orter le monde et qui fd de l'Afrique
connne son ipiartier général; enlln, dans des temps plus
modernes, les conciuOtes des Turcs et des Européens. Cha-
cune de ces phases de l'histoire .sera traitée à sa place;
nous ne nous occu|)crons ici <iuedes découvertes successives
des anciens et des modernes.
Les Grecs n'avaient que des données très-imparfaites
fur ce continent méridional qu'ils nommaient Libye. L'E-
gypte, suivant eux, n'en faisait pas partie. Homère croyait
i;ue les Colonnes d'Hercule (détroit de Gibraltar) étaient
les limites du monde, et que les piliers qui devaient soute-
nir le ciel et la terre étaient gardés par Atlas dans une région
où l'on ne pouvait pénétrer. Cependant les voyages de dé-
couvertes remontent à une haute antiquité; les T) riens et les
Carthaginois, maîtres du commerce de la Méditerranée et
de la mer Houge, durent avoir sur l'Afriqne des connais-
sances beaucoup plus étendues; mais ils ne les divul-
guaient point aux peuples étrangers, et il n'est resté d'eux
que le souvenir d'une expédition de circumnavigation ac-
r\FRlQUE
compile par des marins phéniciens, d'après l'ordre du Pha-
raon Necbo, et le récit d'un autre voyage maritime entre-
pris par le Carthaginois Hannon j)Our aller fonder des
colonies sur les côtes occidentales. On rapporte aussi que
Xerxès envoya le l'ersan Sataspès pour renouveler d'occi-
dent en orient le voyage que les pilotes phéniciens avaient
fait d'orient en occident. Plus tard, Scylax décrivit, confor-
mément à la navigation d'Hannon, une partie de la côte occi-
dentale jusqu'à l'endroit oii la mer est couverte de sargasses
épaisses, qui la rendent impraticable. Euthymène parvint
jusqu'à un grand (leuve soumis, comme le Nil, à des crues
périodiques (sans doute le Sénégal), l^olybe ne dépassa
pas les caps où viennent aboutir les grands rameaux de
l'Atlas. Eudoxe de Cyzique voulut accomplir le tour entier
de l'Afrique ; mais un naufrage fit échouer son projet. — Les
notions que l'on possé<lait sur le littoral d'orient étaient
plus vagues encore; Marin de Tyr y indique un cap Pra-
sum, qui paraît être le cap Delgado. — Quant à l'intérieur
de l'Afrique , les voyages des Grecs ne dépassèrent pas
l'oasis d'Ammon (Siouàh). Hérodote cependant apprit des
Libyens l'itinéraire des caravanes jusqu'à l'Atlas par le
Fezzan ; il eut aussi connaissance d'un fleuve coulant de
l'ouest à l'est, que le major Kennell reconnaît pour le
Niger. Les Égyptiens lui dirent encore que le Nil , non
loin de sa source , coulait de l'ouest à l'est ; ce que les
ex|>lorations modernes ont confirmé pour les sources du Nil-
I51anc , trouvées dix degrés plus loin qu'on ne l'avait sup-
posé.
Les Romains contribuèrent par quelques expéditions aux
progrès de la géographie africaine; Suétonius Paulinus
traversa le premier dans l'ouest le grand Atlas, et arriva en
dix étapes à un ileuve que sur une simple consonnance on
a voulu retrouver dans le Niger. Cornélius Balbus porta
les armes romaines dans le ï"ezzan. Julius Maternus em-
ploya quatre mois à se rendre dans un pays où il trouva le
rhinocéros, et Septimius Flaccus voyagea trois mois en
Ethiopie. Ces deux dernières expéditions ne sont d'ailleurs
connues que par une simple mention de Ptolémée. A ces
voyages, aux observations recueillies par des savants comme
Strabon , Ptolémée , Pline et leurs abréviateurs Denys le
Périégèle, Pomponius Mêla, Julius Solinus,il faut joindre
deux documents officiels du plus baut intérêt : le premier
est la notice des grandes routes militaires de l'empire ro-
main ; le second est l'/^/Hcrflire, rédigé au temps d'Alexandre-
Sévère. Les routes qui y sont détaillées ne dépassent pas
l'Atlas, mais constituent toutefois, pour les pays qu'elles
comprennent , le réseau géodésique le plus parfait que nous
possé<lions encore.
Malgré toutes ces découvertes, nous voyons au sixième
siècle le moine égyptien Cosmas Indicopleustès considérer
l'Afrique comme une immense plaine carrée , deux fois aussi
longue que large, entourée de tous aîtés par l'Océan , et au-
tour de laquelle s'élevait un grand murqui supportait la voûte
du firmament, sous laquelle le soleil et la lune tournaient
autour d'une niontiigne en forme de quille. Strabon avait ce-
pendant déjà donné à l'Afrique la forme d'un rectangle, dont
les côtes septentrionales tonnaient la base, le Nil et les côtes
de la mer d'Ethiopie l'angle droit , et la côte occidentale
l'hypothénuse.
De tous les peuples anciens et modernes aucun n'a eu
sur l'intérieiu- de l'Afrique des notions aussi exactes que les
Arabes. Dès le dixième siècle, 3Iassude Kothbeddin |)nhlia
dans ses ouvrages ( In Plaine dorée et la Mhir de f)ia-
manls) une description de cette contrée. Ebn-Aoukal de
Bagdad écrivit également au dixième siècle son Livre des
Routes et des Roijaumes , ti parcourut, dit-on, toutes les
possessions musulmanes en Afrique , aussi bien qu'en Eu-
rope et en Asie. Un siècle après, Abou-Obéid-el-Bekii
composa aussi un Livre des Roules et Roijaumes, où les pays
les plus reculés de l'Afriipic sont décrits d'après le témoi-
AFR
gnagc Tcrbal «Ui fakir voyageur Abd-cl-Malek. Pliisfanl, Kbn-
el-\Vardi, tlaus sa Perle merveilleuse, ilomia des renseigiie-
inent tn^'s-coniplets sur l'Afrique. A un autre siècle de dis-
taiu'« le scliorif El-Edrisi, natif de Ceuta et courtisan de
Roger de Sicile , étendit plus loin que les précMents ses in-
diquions géographiques. 11 nonuue les montagnes de la Lune
et même la ciUe de Sofala. Aboul Féda reproduisit , au
qualoiiièmc siècle , les écrits de ses devanciers. Peu après
voyagea pendant trente années consécutives Kl)n-15atouta de
Tanger, qui a le premier mentionné ïombouctou ; il visita
cette ville en 1353. >ous passons sous silence d'autres voya-
geurs pour arriver au célèbre El-Uassan de Grenade, si
conini sous le nom de Léon l'Africain, qui visita deux fois
Tomhouctou et nous a laissé une dcscrii)tlon étendue de
l'Afiique , rédigée par lui-môme en italien. Elle n'étend pas
beaucoup le cercle des connaissances géographiques , mais
on y trouve des détails intéressants. Quant à Marmol , il
n'est le plus souvent que le copiste de Léon l'Africain,
quoiqu'il ail parcouru lui-même plusieurs des pays qu'il a
(lécrits.
Les découvertes des Européens ont été bien tardives. Il
parait prouvé qu'en 1364 des marchands de Dieppe et de
Rouen envoyèrent des expéditions jusqu'au delà de Sierra-
Leone, et fondèrent à l'embouchure du Rio-dos-Cestos le comp-
toir du Petit-Dieppe; l'année suivante ils poussèrent leurs
explorations jusqu'à la Côte d'Or, et écheloimèrent successi-
vement leurs établissements depuis le cap Vert jusqu'à
la Mine, où ils bâtirent une église en 1383. En 1346 un Ca-
talan, nommé Ferrer, envoya de Majorque une galère à la Ri-
vière d'Or , figurée au sud du cap Rojador sur im portulan
de 1375, qui existe à la Bibliothèque Nationale de Paris. Ma-
dère et les Canaries y sont également tracées en détail ; ce
qui oblige à les retrancher du nombre des découvertes por-
tugaises , puisque Joao Gonzalès ne fut poussé par la tem-
pête à Porto-Santo qu'en 14 IS , et que ces îles avaient été
visitées dès 1341 par le Florentin Angelino del Tegha de
Corbizzi et le Génois Nicolaso Recco. Gil Janez ne doubla
le cap Bojador qu'en 1434, et Antonio Gonzalès ne parvint
à la Rivière d'Or qu'en 1442. Diniz Fernandez arriva au Sé-
négal en 1446. Nuno Tristao , après avoir vu le Rio Grande,
atteignit en 1447 le fleuve qui porte son nom, et où il reçut
la mort ; le Yénitien Ca-da-Mosto et le Génois Antonio di
Noli visitèrent les îles du Cap Vert en 1455. Pedro de Cintra
s'avança en 1462 jusqu'à la côte de Guinée, et rapporta de
la poudre d'or et quelques Nègres, qui firent naître l'idée de
l'infâme trafic auquel on ne tarda pas à se livrer ( voyez
Traite dks Ni:cKEs). Joao de Santarem en 1471 parvint à
la Côte d'Or, où l'on bâtit le fort Saint-Georges de la Mine
en 14S2, un siècle depuis que les Français y avaient élevé
leur église Deux ans après, Alonzo d'Averio abordait au
Bénin et Diego Cam au Congo ; on longea rapidement en-
suite la crtte australe , et Barthélemi Diaz atteignit le cap des
■ Tourmentes, que le roi Jean de Portugal aima mieux appeler
le cap de Bonne-Espérance. Vasco de Gama le doubla
en 1497, toucha à la côte de Natal, visita Mozambique, Me-
linde. Pedio Alvarez Cabrai vint en 1500 à Quiloa, Albu-
querqueen 1503 à Zanzibar, et Pedro de Anayaen 1506 à So-
fala , où il bâtit un fort.
Liis, contours de l'Afrique une fois découverts, on voulut
connaître l'intérieur. Alors commence cette magnifique
série de tentatives et d'efforts tentés par les Européens , et
continués avec une admirable persévérance pendant plus de
deux siècles et demi. En 1588 Thompson pénétra jusqu'à
Tenda, en remontant la Gambie. En 1620 Robert Jobson
arrive aussi a Tenda par le môme fleuve. En 1670 Paul
Imbert, des Sables-d'Olonne, parti de Maroc, atteignit Tom-
houctou. En 169S de Bruc alla jusqu'à Galam par Saint-
Louis, à Bambouc par !a côte de Noun. En 1711 Hougli-
ton parvint à Aud-Amar par la Gambie. En 1715 Compagnon
arriva à Bambouc par Saint-Louis. Enllii, eu 1723 Stibbs
IQllE 167
visita de nouveau les mômes lieux en remontant la Gambie.
Quelques-uns des voyageurs que nous venons de rappeler
furent les agents d'une Société/rançaise d'Afrique au Séné-
gal, qui existait dès le milieu du dix-septième siècle. En 172!)
on publia à Paris la Nouvelle Relation de V Afrique occiden-
tale du P. Labat, qui répandit beaucoup de lumières sur
cette partie delà géographie. En 1731 Moore, et Deflandre
en 1742, pénétrèrent encore à Bambouc par le même che-
min, ainsi qu'Adansoneu 1749. — De Lisle, et plus tard
d'A n V i 1 1 e , profitèrent avec intelligence de ces voyages mul-
tipliés pour les cartes qu'ils publièrent à cette époque. Vers la
fin du dix-huitième siècle l'ardeur des explorateurs sembla
redoubler. En 1784Follier, et l'année suivante Brisson, re-
connurent encore Bambouc; ils étaient venus par la côte
de Noun. A peu près en môme temps Grégorio Mendez par-
courait l'intérieur des terres au sud de Benguela jusqu'au
cap Negro. Roubaud en 1786, en cherchant le Niger, fraya la
route de Galam par terre , et l'année suivante Picard , parti
de Saint-Louis, s'avança jusqu'à Fouta-Toro. Enfin, en 1788
se fonda la Société Africaine de Londres, qui donna à ces
entreprises une tendance plus uniforme et plus suivie. Ce-
pendant les premiers voyages faits au nom de cette association
eurent peu de succès : John Ledyard et Lucas en 1788, le
major Houghton en 1791, qui atteignit Aud-Amarpar la Gam-
bie et mourut avant de parvenir à Bambouc ; Watt et Win-
terbottom en 1794, qui s'avancèrent jusqu'à Timbo sur le
Rio Nunez, ne virent pas leurs tentatives couronnées de succès.
Le premier voyage de l'illustre Mungo-Park, en 1795, lui
attira une captivité rigoureuse. Il avait remonté la Gambie
et pénétré jusqu'à Silla sans atteindre le Djoliba. 11 retourna
en Afrique en 1805, et y resta six années consécutives; il
atteignit le Niger à Bamakou, s'embarqua à Sansanding, et
suivit le fleuve jusqu'à Cabra, Houssa et Boussa, se diri-
geant vraisemblablement vers Tombouctou ; mais vers le
commencement de janvier 1806, entraîné par la lapidité du
courant, il fit naufrage, et se noya non loin de Boussa. Sa
relation finit au 16 septembre 1805, à Sansanding. La der-
nière nouvelle certaine qu'on en ait eue depuis est une lettre
de lui à sa femme, datée du 19 novembre. Rœptgen de
Neuwield périt également en se rendant à Tombouctou en
1809. L'ordre des dates nous conduit ensuite au matelot
américain Robert Adaras, nommé aussi Benjamin Rose,
dont les récits , faux ou vrais, sont tellement pleins d'exa-
gération, que ses compatriotes môme ne voulurent pas y
ajouter foi. L'Américain Riley, qui naufragea sur la côte
ouest de l'Afrique, et devint esclave du prince maure Sidi-
Hamet, obtint de lui d'importants renseignements sur la
ville de Tombouctou. Les Anglais Peddie et Campbell, aux-
quels s'était joint le Saxon Adolphe Kuraraer, suivirent le
Rio-Nunez pour pénétrer dans l'intérieur. Le second réussit
à arriver assez près de Timbo ; mais tous trois vinrent aug-
menter le nombre des martyrs de l'amour de la science,
et périrent victimes du climat, au milieu des sables. Le ca-
pitaine Tuckey, en 1816, et ses dix-sept compagnons fini-
rent tous misérablement en trois mois sur les rives du
Congo. Le major Gray fut contraint , en 1818 , de renoncer
à son expédition par les préparatifs hostiles des populations,
ainsi que P. Rouzey. Belzoni et Bodwich furent victimes de
leur dévouement. Dupiûs et Hutton, en 1820, ne dépassèrent
pas la capitale des Achantis ; en revanche, la découverte des
sources du Sénégal et de la Gambie fut obtenue par Mollien,
qui dès 1818 avait remonté le cours de ces fleuves et du
Rio-Grande, jusque non loin deTimbo. Bien que ses voyages
manquent entièrement d'observations sur la géographie ma-
thématique des lieux qu'il a visités, on ne lui est pas moins
redevable de renseignements et de faits précieux sur plusieurs
portions de la Sénégambie et le plateau de Futadjallon, con-
trées entièrement inconnues avant lui. En 1822 Laing,
parti de Sierra-Leone, essaya en vain de découvrir les sources
du Niger. Clapperton, Oudney et Denham en 1822 péné-
ir,8
AFRIQUE
(rèrent «lans l'empire Bornou par le Fezzan; arrivi^rcnt à
Koiika, ville située sur le lacTchad , et atteignirent Sakatou,
cuipitale du Soudan. Kn 1827 Laing entreprit un second
voyage; évitant la route de Bornou, il se dirigea de Tripoli
sur l'oasis d'Aglaby, traversa le Sahara dans son milieu,
et arriva à son but, à cette ville de Toinbouctou, dont on
avait ouï raconter tant do merveilles. IMallieureusement ce
voyageur ne revit point l'Europe; car, s'étant avancé au
sud vers Ségou, il fut assassiné par un marchand maure
tpi'il avait engagé comme guide.
La connaissance positive de ïomboncton, cette grande la-
cune de la géographie si souvent signalée, fut enfin obtenue
par René Caillié, qui, parti du Kakondi sur le Rio-Nunez ,
arriva a ïimé et gagna Djt-nné, d'où il suivit le cours du
ISiger jusqu'à ce mystérieux Tombouctou, qu'il put le pre-
mier décrire à l'Europe. En 1S27 Clapperton et Lande r
atteignirent Sakatou par le golfe de Bénin, en traversant les
royaumes jusque là inconnus de Janiba et de Borgou. Clap-
perton, mal reçu par le sultan des Fellahs, sur l'amitié duquel
il croyait pouvoir compter, et découragé, mourut à Sakatou.
La gloire lui reste d'avoir trouvé le premier que le Niger
courait au sud à partir de Tombouctou, d'abord dans une
direction un peu orientale vers KylTé, mais dont il se dé-
tourne ensuite dans le pays de Funda pour se jeter à l'ouest
dans le golfe de Guinée. 11 détermina aussi la position de
IJoussa et d' Vaouri. C'est aux frères Lander que fut réservée,
eu 1830, la gloire de constater irrévocablement le fait prévu
par Clapperton de l'embouchure du JNiger sur le golfe Atlan-
tique. Us descendirent ce lleuve depuis Yaoury jusqu'au cap
Formose, ayant parcouru neuf cents milles anglais. Depuis la
mort de Lander, une compagnie commerciale se forma à Glas-
cow pour établir par le Niger des relations avec les naturels
de l'inlérieur. Le colonel Nichols fut chargé de cette mission.
Lnlin, en 1840 une société anglaise, formée pour l'extinction
de la traite des esclaves et la civilisation de l'Afrique, et
placée sous le patronage du prince Albert, confia à des of-
ficiers de la marine britannique la mission de remonter le
Niger avec trois bateaux à vapeur. Mais cette expédition n'a
pas donné de grands résultats.
Dans la région du Nil, les magnifiques travaux de l'expédi-
tion d'Egypte ont jeté sur ce pays de vives lumières. 11 serait
ingrat d'omettre Norden et Pockoke (1737), Hamilton, qui
arriva jusqu'à Syène en 1801, ainsi que Legh et Light
en 1814, et W'addington en 1820; mais les notions les plus
exactes et les plus étendues que nous possédions sur ces
contrées sont incontestablement dues à 1 infiUigable et con-
sciencieux'Suisse Burckhardt, qui réunissait à une érudition
rare un esprit d'observation remarquable. Il partit sous les
auspices de la compagnie Anglo-Africaine, et , après plu-
sieurs années de voyages pénibles en Syrie et en Egypte ,
pénétra jusqu'au Dongolah; traversant ensuite le désert
Libyque, il passa à Berber et Schendy, et parvint à la
mer Rouge par le Soudan; de là il s'embarqua pour la Mec-
que et partit de celte ville pour visiter le mont Arafat (Ara-
rat). La mort le surprit au Caire en 1815 , au moment oii
il se préparait à pénétrer dans l'intérieur de r.\frique avec
une caravane du Fezzan , par le chemin qu'avait déjà suivi
Hornemann. Celui-ci, Allemand de naissance, mais
voyageur de l'^l/'rica?! Association, partit en 1798, du Caire,
gagna le Fe/zan à travers les oasis de Siouah; arrivé à
Mourzouk, il y recueillit de nombreuses informations sur
les populations du désert et sur le pays de Bornou, pour le-
quel il se mit en route en 1806. On n'a plus eu de ses nou-
velles. L'Anglais Lead nous a laissé une description aussi
exacte qu'intéressante du pays de Dahomé, que Dazel et
Norris ne nous avaient fait connaître que très-superficielle-
ment. Lyon, accompagné de son ami Ritchie (qui mourut
à Mourzouk le 20 novembre 181'J), du naturaliste Depoul et
du savant Anglais Belfort, partit de Tripoli, pénétra,
en 1819, jusqu'au désert de Bilinu, à l'extrémité méridio-
nale du Fezzan , et vint , par une relation consciencieuse de
son voyage, publiée à Londjes en 1821 , augmenter les no-
tions que l'on possédait sur ces pays.
En 1820 Caillaud remonta le Nil plus loin que tous ses
devanciers. Suivant une autre direction , Adolphe Linant
parcourut en 1818 les rives du Nil supérieur. Valentia et
Sait poussèrent plus loin les découvertes en Abyssinie ainsi
que Drovetti dans les oasis. 11 faut encore citer Gobah,
Edouard Riippel , Mimitoli, Heimprich, Galinier etFerret,
Ehrenberg, d'Arnaud et Sabatier, et tout récemment
MM. Combes et Tamisier et MM. d'.tVbbadie.
Quant au Sahara, il n'a guère été vu que par les voyageurs
qui de la côte barbaresque se rendaient dans le Mely ou le
Takrour, ou bien par quelques naufragés dont aucun ne
mérite une mention particulière ; le littoral méditerranéen
a été exploré par délia Cella (1817), Bechey (1822), Pacho et
Millier (1825). Le Maroc a été visité par le général Badia,
connu sous le nom d'Ali-Bey, en 1805 ; par le lieutenant de la
marine anglaise Washington, en 1829.
Dans la région de Mozambique et des côtes orientales, les
voyages se sont concentrés sur le fleuve Zambezé ; le plus
ancien est celui de Francisco Barreto, envoyé pour découvrir
des mines d'or. Nous voyons en 1796 le Portugais Pereira
pénétrer à la cour du roi de Cazenbé sur le Zambezé supé-
rieur, à trois mois de marche d'Angola, et en 1798 le colonel
du génie La Cerda surpris par la mort dans cette même ville
de Cazenbé. Enfin, en 1823 les officiers anglais Brown,
Forbes et Kilpatrik , attachés à l'expédition hydrographique
du capitaine Owen, remontèrent le Zambezé jusqu'à Sana, et
reçurent d'un colon portugais une notice très-remarquable
sur le pays , qui fut publiée.
Si nous sommes en défaut sur cette partie de l'Afrique,
poiu- la région du Cap les relations abondent. A ne citer
que les plus remarquables , nous indiquerons celle de Le-
vaillant , dont on a contesté parfois la véracité ; celle de
John Barrow, qui a voyagé en 1797 et 1798 dans toute la
colonie, et au delà chez les Cafres et les Bojesmans ; celle
de Trutter et Somerville, qui en 1801 et 1802 se sont
avancés jusqu'à Litacou , capitale des Bedjouanas ; celle de
Lichtenstein, qui se rapporte à l'année 1803 ; celles de
W. Burchell, 1811 et 1812 ; de Campbell, en 1812 et 1820;
de Thompson, de 1821 à 1824; de Phelips,en 1825;deCooper
Rose, en 1824 et 1828; l'itinéraire du missionnaire Rolland
jusqu'à Mosika, et celui du marchand ambulant Hume, en
1833, qui alla jusqu'à vingt-six journées au nord-est de Mo-
sika, chez des peuples qui paraissent avoir des rapports com
merciaux avec Mozambique. Le capitaine James Edward
Alexander a traversé le fleuve Orange , le Kaisip ou Rivière-
Rouge, et poussé jusqu'à la baie de Wahvish, par 22° de lat.
sud. MM. Arbousset et Daumas , missionnaires protestants,
dans un voyage d'exploration entrepris en 1836, au nord-
est du cap de Bonne-Espérance, dont la relation a été publiée
à Paris en 1842, ont trouvé la source des principaux fleuves
de l'Afrique méridionale dans une montagne qui termine
au nord la chaîne des montagnes Bleues : l'Orange, le Ca-
lédon , le Namagari, le Létonélé et le Mononémon ont tous
une commune origine, et descendent dans diverses directions,
au sud-ouest , au sud , au nord et au nord-est, d'une même
montagne que ces voyageurs ont nommée le Mont-aux-
Sources.
De hardis voyageurs ont encore exploré l'Afrique dans
ces derniers temps ; parmi eux nous citerons M.M . Ba r t h, R i-
cliardson, Overweg, David Livingstone, Edouard Vo-
gel, Anderson, Albert Roscher, Rebraann, Bayard Taylor,
belegorgue, Laird, R. Burton et J. Speke, etc., etc. Plu-
sieurs ont payé de leur vie leur généreuse entreprise.
Consulter Hérodote, Strabon, Ptolémée, Edrisi, Léon l'A-
fricain , Shaw, V Afrique de Mariaol, les Recherches sur
l'intérieur de V Afrique septentrionale , par Wakkenaer,
V Histoire générale des Voyages, ou Aouvelle CoUeclior
AFRIQUE —
des Relations de Voyages par mer et par terre (Paris,
1S57, 14 vol.); Ritter, Géographie générale eomparée
(Afrique); d'Avczac, Esquisse générale dcV Afrique (Paris,
1837); Essai sur les Progrès de la Géographie de l'In-
térieur de l'Afrique, par la Renaudière (Paris, 1520); les
3IéTnoires de MM. Jomard, d'Avezac et Frecman; le Bul-
letin des Sciences Géographiques , les A'ouvellcs Annales
des Voi/agcs, et les relations des Toyageurs que nous
avons cités.
AFZELIUS, nom d'une célèbre famille de savants
suédois. — Ada77i ArzÉucs, né à Larf , en Westgothlanil ,
le S octobre 1750, mort le "^6 janvier IS37, dernier repré-
sentant de l'école fondée par Linné, fut nommé en 1777
professeur agrégé de littérature orientale, et en 1785 dé-
monstrateur de botanique à l'université d'Upsal. En 1792
il se rendit en qualité de naturaliste dans la colonie anglaise
de Sierra-Léone en .Vfriqne, et il était de retour de cette
mission scientifique dés 1794. Deux ans après il fut nommé
secrétaire d'ambassade à Londres ; mais en 1799 il reprit
ses fondions à Upsal, oii en 1812 il devint pioiesseur de
matière médicale. Il s'est fait connaître comme écrivain
par i)lusieurs ouvrages relatifs à l'iùstoire naturelle et par
la publication de l'autobiographie de Linné. On a donné
sou nom à la famille de plantes Afzélia ainsi qu'à diverses
espèces de végétaux. Sa collection de plantes fut achetée
pour le compte de l'université d'Upsal. — Son frère, Jean
.t^zÉLirs,né en 1753, professeur de chimie à Upsal de-
puis 1784, mort le 20 mai 1837 , après avoir été admis à
la retraite en 1820 , contribua beaucoup aux progrès de la
chimie sans avoir cependant jamais rien écrit sur cette
science. — Pehr Afzélids, frère des précédents, né en
1760 , professeur de médecine à Upsal depuis isoi, mé-
decin ordinaire du roi de Suède à partir de 1812, et anobli
en 1816, admis également en 1820 à faire valoir ses droits à
la retraite, cultiva avec ardeur les sciences pendant les
premières années de sa carrière , et fut longtemps l'im des
médecins praticiens les plus célèbres de la Suède. Il est
mort le 2 décembre 1 839.— Andcrs-Erik Avzélks, parent des
précédents, né le 25 avril 1779, futde 1818 à 1821 professeur
de jurisprudence à Aloo. Devenu suspect au gouvernement
russe en raison de ses sentiments politiques, il reçut en 1831
l'ordre d'abandonner le pays, et, ayant différé d'obéir, il
fut exilé à Wiatka. Mais en 1835 il oblint l'autorisation de
revenir en Finlande, se fixa à W'illmanslrand et plus tard
à Riga. — Arvtd-Ariguste Afzélius, né en 1785, pasteur
à EnKœping depuis 1821, s'est fait un nom glorieux par
ses recherches sur l'antique littérature du Nord et aussi par
ses productions poétiques. Il s'était de bonne heure occupé
d'une façon toute spéciale des anciens chants populaires de
son pays, et avait essayé de composer quelques poèmes
originaux dans l'ancien dialecte populaire. Il a été le colla-
borateur de Geijer pour la publication des Svenska Follî-
visor ( chants populaires suédois, 3 vol. ), avec les anciennes
mélodies objets des travaux de Hieflner à Upsal et de
Gronland à Copenhague. On a de hii une excellente traduc-
tion de la Sxmundar Edda et de la Herwara-Saga. Sa tra-
gédie Den sinta Follningen n'est remarquable qu'au point
de vue lyrique. On a en outre de lui une histoire de Suède
basée sur les traditions nationales, Svenska Jnlkets sa-
gohxfder, vaste Ir.avail qui parut de 1839 à 1843.
AGA ou AGHA. Ce mot, qui ?,\gmi\Q seigneur, est donné
par les Turcs aux commandants des troupes, aux ofliciers
dn palais de l'empereur, aux cliefs des eunuques , enfin à
tout individu chargé d'im commandement spécial. C'est en
outre un titre de politesse, de déférence, que l'on donne aux
personnes de distinction. — Vaga des silihdar est le chef
de l'infiinterie , X'aga des spahis est le chef de la cavalerie,
Vaga des topidchis est le chef de l'artillerie. Le chef des
eunufiues noirs se nomme kizlar-aga, et le chef des eunu-
'.{nei hhmc?. kapou-aga. L'aga des janissaires était le.gé-
mCT. DE L* C0XVEK£\TI0y. — T. I.
AG.\CERn:S
tG9
néral de cette troupe redoutable, et avai-1 presque autant de
pouvoir que le grand vizir.
Sous l'administration turque h Alger il y avait aussi im
aga, ou conmiandant des troupes. Il avait dans ses attri-
butions les affaires des outhans ou districts de la plaine, et
son autorité s'étendait sur la province d'Alger tout entière,
mais pas au delà. Il avait sous ses ordres les kaids et les
kadis; il disposait de toutes les milices irrégidières , spahis,
abids, etc., pour percevoir les impôts et maintenir les po-
pulations dans l'obéissance. — Sous l'administration française
on a donné le même titre à quelqu'un d" jos officiers dont
le pouvoir administratif et militaire s'étendait sur les tribus
qui dépendent d'Alger.
AGACEMENT, état nerveux qui se manifeste souvent
aux dents , lorsqu'on mâche des fruits trop acides ou d'autres
substances acerbes. Ce phénomène résulte de l'action spé-
ciale de l'acide , qui , sinsinuant à travers les interstices de
l'émail , pénètre jusqu'au noyau osseux intérieur de la dent,
dans lequel se distribue le rameau du nerf qui la vivifie.
Ce nerf acquiert alors une sensibilité plus délicate aux moin-
dres impressions. Il en est de même dans l'agacement causé
par des cris perçants ou réches et aigus , qui émeuvent la
portion dure de la septième paire (acoustique), laquelle se
répartit aussi aux gencives et aux dents.
Mais Vagacement ne se borne pas à ces faits, il offre un
ébranlement plus général dans l'appareil nerveux ; plus que
le chatouillement , il est cette excitation , cet éveil particu-
lier, causé par quelque émouslillement ou même par des
titillations locales d'organes chez lesquels s'épanouissent des
houppes nerveuses abondantes , comme aux orilices ( la
bouche, les narines, l'oreille, les parties sexuelles, le ma-
melon , l'anus, etc.). Les individus tendres et délicats , les
femmes , les jeunes gens , ayant beaucoup de vibratilité dans
leurs tissus, sont plus disposés à ces agacements que la
vieillesse, racornie , sèche, demi-morte. Les personnes trop
blasées par les jouissances sont plutôt émoussées qu'agacées
par ces sollicitations et frictions légères sur certaines régions
de la peau , puisque les chatouillements même de la plante
des pieds et des aisselles ne les émeuvent plus guère.
Au moral, Vagacement des nerfs peut être déterminé par
certaines contrariétés dans les volontés, les désirs, les es-
pérances (ou désappointements), et surtout aussi par des
dépits, des picoteries d'amour-propre froissé. Il en peut ré-
sulter des mouvements spasmodiques d'ennui , avec pandi-
culations, bâillements, disposition à l'irascibilité, suscepti-
biUié vive pour les moindres occasions de mauvaise humeur.
Il y a des caractères tellement agaçables , comme les per-
sonnes à fibres grêles et mobiles , qu'alors ils partent avec
explosion , sans pouvoir se contraindre. Tels sont aussi des
je4mes gens excités par le vin, l'amour ou les passions se-
crètes, etc.; ils se disent tout en feu. Les femmes au mo-
ment de la menstruation sont particulièrement agacées par
les moindres causes.
Quant aux agaceries, ce terme ne doit pas être oublié,
car il Y a bien véritablement des sollicitations capables
d'amorcer les esprits comme les corps, surtout entre les
sexes. Le plus faible est même d'ordinaire le plus coupable,
pniscp'.e l'action directe lui est interdite par la pudeur. Mais
qui ne sait combien la coquetterie , l'art charmant denlacer
un jeune ceur par un coup d'œil détourné, par cette fuite
entraînante, par ces voiles à demi entr'ouverls, sont mille
fois plus piquants que de l'effronterie déliontée et sans ver-
gogne ? Rien, au contraire, ne répugnerait, ne désenchanterait
davantage. La saturation détruit l'illusion qui fait le charme
de cet agacement moral. Toute agacerie et l'excitation qui
en résulte ne peuvent donc s'opérer que sur un système
nerveux non épuisé et par là niênie susceptible de quelque
degré d'exaltation physique et morale. J.-J. V'ip.ey.
AGACEÎliES, signes, mots, actions propres à éveiller
l'attenlion des gens avec lesquels on se trouve , et les obliger
,70 AGACKIllKS — AGAMIE
il s'occuper de sot. La nature , qui in«t les enf.mts dan-^ une
(It-lJcnJance si absolue , pour des bc^oias nmltipliés à l'infiui
sous le ra|)port physique et moral , leur inspire mille petites
agaceries, a(in qu'ils se rendent l'objet de soins assidus. Cet
instinct du premier Age déj;cncre souvent eu exigences ca-
pricieuses, et devient une tyrannie insupportable, connne
toute domination qui n'a pas un but utile. Si Ion Unit jtar
se lasser des agaceries d'un c^tre innocent et faible, motivées
par des besoins toujours renaissants, que sera-ce des aga-
ceries que tant de fenmies croient devoir employer dans le
mdim but? Alin d'attirer les regards, afin d'exciter un infé-
rcH (juelconque, elles prodiguent les coups d'œii (urtifs, les
sourires qui laissent ai)ercevoir des dents blanches, les
mines boudeuses qui dessinent avec tant d'avantage la forme
d'une belle bouche. Le pied, s'il est joli, ne demeure pas
sans activité; il est montré ou dérobé à la vue, selon la
curiosité (pi'il excite. Tendant ces ynaJiœuvrcs toutes ma-
térielles , l'esprit n'agit pas moins que le corps ; il cherche
et dicte des éloges ironiques, des reproches non mérités,
des exclamations de surprise , d'inquiétude , de léger dédain,
le tout exprimé brièvement et avec toute la fmesse dont on
peut être capable. Quelquefois même ( c'est selon la position
sociale des individus), les agaceries consistent à bailler qiicl-
(/ites taloches, à retirer un escabeau et a faire choir
tout (le son long à terre celui qui s'en servait, ainsi que
nous l'apprend MoHère dans Don Juan. Mais quelle que soit
la marche suivie par les femmes agaçantes , elles s'en pro-
mettent toutes le même résultat : produire de l'effet et ne
point demeurer inaperçues. Les agaceries sont à l'usage des
coquettes, et varient selon leur rang , leur habileté , leur
éducation. Excepté aux yeux de l'homme qui se croit agacé,
les agaceries d'une femme dévoilent un caractère vaniteux ,
faux et immoral. On s'amuse dans le monde des femmes
agaçantes , on ne leur accorde aucune estime ; et il n'est point
d'homme qui ne redoute pour son épouse ou ses fdles cette
désignation que tant de femmes ambitionnent, bien qu'elle
les prive de l'estime du monde pendant la jeunesse et de
son rej^pect quand l'âge augmente encore, par le ridicule, la
laideur de tous les défauts. On ne saurait donc être trop
sobre d'agaceries , et les femmes qui tiennent à leur répu-
tation doivent absolument se les interdire.
Comtesse de Bradi.
AGALLOCHE ou BOIS D'ALOÈS, BOIS D'AIGLE,
C.\LA:\IBAC , substance balsamique nommée a-jaloudjin
par les Orientaux, qui l'estiment depuis un temps immémo-
rial comme parfum. Cette substance odorante est , à ce qu'il
parait , une huile essentielle contenue dans des veines d'une
couleur foncée éparses dans le corps du vieux bois d'un
arbre nommé aquilaire agalloche, dont on l'extrait en
faisant bouillir ce bois dans de l'eau.
AGAME {Histoire naturelle), t'oyes Agamie. — On
donne aussi le nom d'agame à un genre de reptiles sau-
riens qui fait partie de la famille des ignamiens de Cuvier;
c'est le type de la première des deux sections qui compo-
sent cette famille , c'est-à-dire des agamiens , lesquels se
distinguent des ignamiens proprement dits en ce qu'ils
n'ont pas le palais armé de dents. On en connaît mainte-
nant plus de dix espèces , qui sont répandues dans plusieurs
contrées de l'Asie , en Afrique et dans l'Océanie. La plus
remarquable est Yagame ocellé, qui doit ce nom aux taches
jaunâtres cerclées de noir répandues sur son ventre.
AG.V:ME.M\0>I, roi de Mycène et d'Argos, fils de
Plisthène, neveu d'Atrée, frère de Ménélas et d'Anaxibie. Sa
mère s'appelait Ériphyle suivant les uns, et Aéroppe suivant
d'autres. Selon l'opinion générale et celle d'Homère, il était
lils d'.A.trée ; du moins Homère appelle presque toujours les
deux frèras les Atrides. Une destinée ennemie ne cessa de
poui^^uivre cette race héroïque, depuis Tantale jusqu'à Aga-
meuinon et ses enfants (voyez Tantale, Piii.oi-s, Atuée,
ÏUVESTE). Aganiemnon régnyit sur Jlycène, cl son empire
s'étendait sur une p:\rt'e de l'Achaïe, sur l'Argolide, et sur
les îles voisines. 11 avait eu de Clytemnestre , son épouse ,
.Iphigénie, Electre, Chrysothémis et Oreste. Lorsque éclata
la guerre de Troie, dont il fut un des instigateurs, il arma
cent vaisseaux et en céda soixante aux Arcadiens. Son armée
se rassembla enAulide. Agamemnonen prit le commandement
général, ce qui le fit surnommer le roi des rois. Diane ayant
suspendu le départ de la flotte grecque en arrêtant les vents,
l'orgueil d'Agamemnon le poussa à sacrifier sa fille Iphi-
génie pour apaiser la déesse, qui avait d'abord demandé ce
sacrifice en réparation d'un outrage; enfin l'armée grecque
put partir et arriver devant Troie. Pendant le long siège
de cette ville, Agamemnon se distingua toujours des autres
princes, et se montra digue de son rang dans les conseils et
sur le champ de bataille. Sa querelle avec Achille est le
fond de toute Y Iliade. A son retour dans ses foyers , après
la prise de Troie, Égisthe, fils de Thyeste, à qui il avait
pardonné le meurtre d'Atrée , et à qui il avait confié sa
femme et ses enfants , le surprit pendant son repas, et l'as-
sassina , de complicité avec Clytemnestre. Ce monstre as-
sassina également Cassandre, fille de Priam, ainsi que ses
enfants. Tel est le récit d'Homère. Selon d'autres, ce serait
Clytemnestre elle-même qui aurait égorgé son époux au bain ;
les uns attribuent la cause de son crime à l'adultère , les
autres à la jalousie que lui donnait Cassandre. — L'histoire
d'Agamemnon a souvent inspiré les poètes et les artistes. Outre
Y Iliade, toutlemondc connaît Y Iphigénie enAulide deRa-
ei n e etY Égisthe et Clytemnestre deLemercier, ainsi que
le tableau de Guérin représentant la Mort d'Agamemnon.
AGAJ\U, ou OISEAU-TROMPETTE, genre d'oiseaux
de l'ordre des échassiers , que Cuvier place en tête de sa
tribu des grues. L'agami-trompetle , vulgairement nommé
poule péteuse , a été ainsi appelé parce que, outre son cri
ordinaire , il a la faculté d'émettre, sans ouvrir le bec , un
son intérieur qui paraît dii à une conformation particulière
de la trachée-artère , et que l'on a cru longtemps sortir par
l'anus. A l'état sauvage , cet oiseau vit en troupes nombreu-
ses dans les forêts de la Guyane ; mais on le réduit facile-
ment en domesticité , et alors son intelligence , ses qualités
lui assignent le premier rang parmi les oiseaux de basse-
cour. Il s'attache à l'homme, et devient un guide et un dé-
fenseur intrépide pour les autres oiseaux domestiques. A
Cayenne on lui donne à garder des troupes de canards et de
dindons ; il s'en acquitte à merveille. A l'heure habituelle il
fait rentrer les oiseaux qui lui sont confiés ; puis il va se
percher sur le toit ou sur quelque arbre voisin. Fidèlement
attaché à celui qui le soigne , l'agami vient au-devant de
son maître, le suit ou le précède, avec les marques de la
plus vive satisfaction. Sensible aux caresses, il présente sa
tête et son cou pour être gratté. Chaque fois qu'on se met
il table, il arrive sans être appelé et chasse les chats et les
chiens, qui n'osent lui résister. 11 poursuit également à coups
de bec les personnes qui lui déplaisent. L'agami a six dé-
cimètres environ de hauteur, et sept décimètres de longueur.
Son bec conique est d'un vert sale; ses yeux, dont l'iris est
jaune brun, sont entourés d'un cercle nu et rougeàtre. Des
plumes courtes et frisées lui recouvrent la tête et les deux
tiers supérieurs du cou , dont le tiers inférieur est garni
de plumes plus grandes , non frisées et d'un violet noir. La
gorge et le haut de la poitrine présentent une sorte de plas-
tron brillant des plus riches rellets métalliques; le lesle de
la poitrine , le ventre , les flancs et les cuisses sont noirs. Le
dos est noir vers le haut, d'un roux brûlé au milieu, et
gris sur le reste de son étendue. La queue, qui ne dépasse
pas les ailes pliées, est noire comme celles-ci. Les jambes
sont verdàtres , comme les pieds ; ceux-ci sont robustes et
armés d'ongles courts et pointus. La chair de l'agami est
délicate et recherchée.
AGAj\I1E (//(5/oJ;-6 naturelle). Ce mot, dérivé du
grec, a privatif, et de yàiio;, noces, signifie absence de mu'
AGAMIE
rlarjc ou privation de sexe. 11 est employt* pour désigner
les végétaux et les animaux chez lesquels l'obsen'ation mi-
croscopique n'a pu encore jusqu'à ce jour permettre de
constater l'existence d'organes spéciaux de reproduction.
Les botanistes rangent dans lu groupe des végétaux againes
les algues, les conferves, les hypoxylées, les niucédinées,
les lycoperdacées , les champignons et les lichens. Quoique
les zoologistes n'aient point cru de^oir instituer un groupe
d'anhiiattx ogames, ils ont cependant signalé comme tels :
1" tous les vers ou helminthes, dépourvus de sexe; '2° un
certain nombre d'espèces de mollusques inférieurs ou ani-
maux ascidiforaies , qu'on avait d'abord pris pour des poly-
pes; 3° les derniers animaux du groupe des zoophytes,
parmi lesquels sont les hydres , les animaux inférieurs mi-
croscopiqiies homogènes et les spongiaires. Il ne faut pas
confondre l'agamie, ou la privation complète de sexe, avec
la crtjptogamie, dans laquelle on a rangé les végétaux
dont les organes rejjroducteurs existent , quoique cachés.
AG A-MOHAMED, chah de Perse, fondateur delà
dynastie qui règne actuellement sur cet empire, naquit vers
1734 , dans la puissante tribu des Kadjars. Son père, devenu
maître de quelques provinces , fut mis à mort par Kérira ,
sou compétiteur au trône. Tombé au pouvoir des ennemis
de sa famille, le jeune Mohammed fut fait eunuque : d'où
lui vint le surnom iVAga. 11 sut cependant gagner les bonnes
grâces de Kériui,età la mort de ce prince, en 1779, il
s'empara du trône. Sous son règne, la Perse s'agrandit et
se fortifia. Pour mieux suiveiller les mouvements des Russes
et des Ouzbeks, il établit sa résidence à Téhéran, qui de-
vint la capitale de l'empire. Il fut assassiné en 1797 , par
deux esclaves dont il avait ordonné la mort. Son neveu ,
Baba-Khan , lui succéda sous le nom de Feth- Ali-Chah.
AGAMPPE <, source ayant la même origine que l'H i p-
pocrène, et qui sortait également du mont Hélicon. La
fable dit que le cheval Pégase, en frappant la terre du
pied, lit jaillir ces deux fontaines, qui avaient la vertu d'ins-
pirer les poètes. Elles furent consacrées à Apollon et aux
Muses, d'où celles-ci prirent le siu'nom (ÏAgcmippides.
AGAPAJXTHE (du grec àyaTir, , amour, et âvOo;,
fleur), genre de liliacées de la tribu des hémérocallidées ,
établi par Lhéritier pour une belle plante originaire fbi cap
de Bonne-Espérance, commune aujourd'hui dans nos par-
terres , où on la cultive sous le nom de tubéreuse bleue.
Ses feuilles longues, planes, secoucJient àterre; satige, haute
d'environ un mètre, est lisse, verte, un peu comprimée. L'a-
gapauthe produit au mois de juillet une belle ombelle, d'une
quarantaine de jolies (leurs bleues inodores, assez semblables
à celles de la tubéreuse, d'où lui est venu son nom vulgaire.
On cite deux \iiT\é\és,l''agapanthe à petites feziilles , et
Yagapanthe rubanée, dont les feuilles sont rayées de vert
et de blanc.
AGAPES (du grec àyaTt^, amour). On appelait ainsi
dans la primitive Église les repas en commun qui précédaient
la sainte communion. Des hommes de tous les rangs y man-
geaient ensemble, en signe de l'amour fraternel qui doit unir
les cliréliens. Chacun y contribuait selon sa fortune , et le
liche défrayait le pauvre. Quelques riches faisaient même
des agapes dans le but de nounir les malheureux. Mais les
agapes ne tardèrent point à se corrompre. Saint Paul , dans
son Épitre aux Corinthiens, se plaint de ce que les agapes
ne se font plus en commun , mais que chacim apporte ce
qu'il doit manger, et qu'ainsi les uns s'en vont rassasies
quand les autres éprouvent encore les tourments de la faim.
Les païens ne manquèrent pas d'attaquer ces léunions : le
baiser de paix que s'y donnaient les convives, d'abord entie
les deux sexes indiiîéremment, ainsi que l'usage de se placer
sur des lits pendant le temps du repas, leur fournirent ma-
tière à incrimination. Il paraît du reste que leurs accusa-
tions n'étaient pas tout à fait sans fondement , puisque saint
l*ierre, en parlant des agapes, dit de quelques (aux docteurs
- AGAR 171
qu'ils n'aiment que leurs plaisirs et que leurs festins sont de
pures débauches. On ordonna donc que le baiser de paix ne
se donnerait plus qu'entre les persoimes du même sexe et
on interdit l'usage des lits dans le lieu des agapes. Les abus
n'en persistèrent pas moins, à ce qu'il parait, et le concile de
Carthage les abolit en 397. On pense que les agapes avaient
été instituées en commémoration de la sainte Cène ; d'autres
prétendent que cette coutume était empruntée au paganisme.
De nos jours, les frères Moraves ont renouvelé l'usage des
agapes , qu'ils célèbrent dans des occasions solennelles , au
milieu de cantiques et de prières, par une consommation
modérée de thé et de pain blanc.
AGAPET. Deux papes ont porté ce nom. — Acapet V\
élu pape en 535, fut le successeur de Jean II. Il sut résister
à l'empereur Justinien qui voulait le forcer à communiquer
avec Anthyme, patriarche de Constantinople et eutychéen.
Agapet mourut pauvre en 536. — Agapet II , élu pape en
946, fut le successeur de Marin ou Martin III. 11 opposa
l'empereur Othon à Bérenger n, qui aspirait à la couronne
d'Italie , et mourut en 956.
AGAPET, diacre de Constantinople, au sixième siècle
adressa à Justinien , lorsque ce prince monta sur le trône,
une lettre intitulée Scheda rcgia , sive de officto régis , et
qui contient des conseils sur les devoirs d'un prince chré-
tien. Cet ouvrage , imprimé en grec et en latin à Venise,
en 1509, a été plusieurs fois traduit, et entre autres par
Louis Xin^dans sa jeunesse , Paris , 1612 , in-S°.
AGAPETES. La primitive Église donnait ce nom, qui
signifie bien aimées, aux vierges qui se consacraient au
service des ecclésiastiques. La pureté des mœurs autorisait
ces associations pieuses, et les femmes des prêtres toléraient
leur présence dans le foyer domestique. 3Iais on sait avec
quelle rapidité les mœurs des chrétiens se corrompirent.
Les agapètes donnèrent lieu à de graves désordres, contre
lesquels s'élevèrent saint Cyprien , saint Jérôme et divers
conciles. Un certain nombre de ces femmes, soit fana-
tisme, soit hypocrisie, adoptèrent sérieusement pour maxiuie
qu'il n'y avait rien d'impur pour les consciences pures.
Cette secte, renouvelée des gnostiques, gardait le siii nce le
plus inviolable sur ses mystères , ou plutôt sur ses débau-
ches. Ces confraternités durèrent longtemps. Le concile de
Latran , de lan 1139 , attesta leur existence en prononçant
leur interdiction.
AGAR, femme égyptienne qu'Abraham et Sara rame-
nèrent de Memphis, où la famine les avait contraints de
chercher un asile. Dieu avait promis un fils à Abraliani ;
Sara, doutant de pouvoir jamais lui en donner, à cause de
son grand âge, amena elle-même sa servante à son mari,
et la plaça dans son lit. I s mae l fut le ('mit de cette union.
Cependant peu de temps après Sara devint mère à son tour ,
et elle ne put supporter ni rivale pour elle ni cohéritier
pour son fils. Usant de tout son ascendant sur Abraham ,
elle fit renvoyer Agar avec Ismael. Abraham eut même la
cruauté de ne lui donner qu'un morceau de pain et une
outre d'eau. Agar, dit la Genèse , erra longtemps dans le
désert de Baisabée; et elle y serait morte avec son fils,
qu'elle voyait périr, sur le sable, de fatigue et de besoin ,
si un ange ne l'eût secourue dans sa misère et ses larmes.
Touché de son amour maternel , cet ange ne l'abandonna
point, et la consola. Ismael grandit sous les yeux de sa
mère, et ce fils répudié devint la souche d'ime nombieuse
famille, qui devait un jour prévaloir sur la race légitime
d'Isaac et de Jacob.
AGAR (JEAN-Ai\TOiNE-MicuEL),comteDE MOSBOURG,
naquit le 18 décembre 1771, à Merciies ( Lot). Il exerçait
la prolession d'avocat, lorsqu'il fut élu député de Caliors en
l'an IX. H suivit son compatriote Murât dans la Toscane,
qu'il conmiença à organiser avant l'abdication du roi d'É-
tiurie, et coopéra aux négociations des consulta à Lyon et
à Milan. Murât le nomma ensuite son premier ministre
22.
172
AGAR
dans le grand-duché de BerR, où ses taleiilâ et ses himièies
lui gagnèrent l'estime publique, tii 1807 il épousa une
nièce de Murât , et celui-ci lui donna à cette occasion le
comté de Moshourg , créé de différents domaines du duché
de Berg. Murât, devenu roi de iSaples sous le nom de Joa-
chini, confia au comte de Mosbourg le portefeuille des finan-
ces de ce royaume. Le comte de Mosbourg est l'auteur de
la Constitution octroyée par Murât aux Napolitains, et
pul)liée le jour même où Murât fut contraint de fuir de ce
pays. Après la catastrophe de 1815, le comte de Mosbourg
passa en Angleterre, puis revint en France. Le gouvernement
prussien, qui avait séquestré le domaine de Mosbourg, le ren-
dit même en 1816. Élu député en 18?.0 , le comte Agar fut
api)elé à la pairie le 3 octobre 1837. 11 est mort à Paris le
8 novembre 1844.
AGARDII ( CuARLES-AnoLPHE ) , évêque de Karlstad
en Suède, naturaliste, qui s'est rendu célèbre par ses recher-
ches sur les algues, naquit le 23 janvier 1785, à Bœstad,
en Scanic, où son père était commerçant. 11 fit ses études ,
à partir de l'année 1799, à l'université de Lund, où il fut
nonuné professeur de mathématiques en 1807. Mais il ne
tanla pas à revenir à l'étude de la science qui avait d'abord
été l'objet de ses prédilections , Thistoire naturelle. 11 se
consacra avec une ardeur toute particulière à des recher-
ches sur les plantes cryptogames. Sans doute les travaux
antérieurs deTurner, de Dillwyn, deVaucher,elc., luifurent
d'un grand secours; mais il n'y avait point encore de clas-
sification scientifique de ces curieux végétaux. Agardh
publia d'abord sa Dispositio Algarwn Sj<ena?,dans laquelle
il suivait encore presque en tous points le système de Linné;
puis la Synopsis Aljarum Scandinavix, pour laquelle il
mit à proiit l'ouvrage de Lamouroux, et qu'il classa avec
la plus grande exactitude, et ensuite sa Species Algarum
(tomes 1" et 11°, première partie, Greifsnald, 1820-1823),
(jue suivirent les Icônes Alyanun (Lwnd, 1820-1823); et
enfin son grand ouvrage, le S'.'/.siema4/9«r«m( Lund, 1824 ),
dans lequel il résumait toutes les découvertes faites avant
lui dans l'étude des algues, notamment celles du Danois
Lynghye, et qu'il enrichissait d'une immense quantité d'ob-
servations particuHères et d'idées originales. Il fit ensuite pa-
raître ses Icônes ylZr/ar!<»i £în"op.t' (4 livraisons, Leipzig,
1828-1834); puis sonEssai de réduire la physiologie vé-
gétale à des principes fondamentaux (Lund, 1828) ; son
£ssai sur le développement intérieur des plantes ( Lund,
1829), et enfin le Licrobok i Botanik, ou Traité de Bota-
nique, (2 vol., Malmœ, 1829-31 ) , dont la première partie,
VOrganographie des Plantes, a été traduite en allemand par
L. de Meyer (Copenhague, 1831 ), et la seconde, dans la
même langue, par Creplin, sous le titre de Biologie univer-
selle des Plantes (Greifswald, 1832). On a eu outre
d'Agardh divers ouvrages sur les mathématiques , l'éduca-
tion publique , la préparation à la théologie , ainsi qu'une
critique des principes de l'économie politique et un éloge
ile Linné. Son style est vif, agréable et souvent brillant.
Ses idées sont éblouissantes ; mais quand il qviiUe le do-
maine des cryptogames, ses idées ne soutiennent pas
toujours un examen attentif, et il a commis plus d'une
erreur dans son Manuel de Botanique. Après avoir été, à
partir de 1812, attaché à l'université de Lund en qualité
de professeur de botanique et d'économie pratique , il fut
ordonné prêtre en 1816, ef obtint en môme temps une pré-
bende. 11 fut député de son bailliage aux diètes de 1817 ,
1823 et I8;>i. A trois reprises dilléreutes il a parcouru
la plus grande partie de l'Europe. 11 est membre d'un
grand nombre d'académies et de sociétés savantes, de
l'Académie des Sciences de Stockholm, et l'un des seize de
l'Académie suédoise. En 1834 il fut promu à l'évôché de
Karlstad, et depuis lors il s'est surtout occupé de théo-
logie el de littérature orientale. Il a également été membre
de la diète pendant la session de 1839 à 1840, où il a fait
AGARIC
preuve d'une grande acti\ilé et d'un certain libéralisme.
11 est mort à Karlstad, le 28 janvier iSi'J. —Son fils,
Jacques-Georges Ag\rdh, auteur de la Synopsis generis
Lnpini (Lund, 1833) et de la Ilecensio specierum generis
Ptcridis (Lvtnii, 1839), a suivi glorieusement les traces de
son père.
AGARÉIVIEXS , secte de chrétiens apostats qui , vers
le milieu du septième siècle, embrassèrent la religion musul-
mane après avoirnié la Trinité, alléguant que Dieu ne pouvait
point avoir de fils, puisqu'il n'avait pas de lemme; ou les
nomma ainsi du nom d'Agar, mère d'ismael , le père des
mahométans.
AGARIC, genre de plantes appartenant à la famille des
champignons. Dans le commerce on donne ce nom à cer-
taines espèct's de clianii)ignons parasites qiù sont employés
dans la chirurgie ou dans les arts : tels sont l'agaric du
chêne ou agaric proprement dit, et Vagaricdu mélèze ou
agaric blanc. Mais les botanistes modernes rangent ces es-
pèces dans le genre qu'ils appellent bolet.
D'après Pries et Pcrsoon, on caractérise ainsi les agarics :
champignons sans voile, sans coiffe membraneuse qui les en-
veloppe en entier dans leur jeunesse; chapeau distinct,
scssile ou pédicule , et garni inférieurement de lames sim-
ples, toutes d'éf aie longueur, ou entremêlées vers la circon-
férence de lamelles plus courtes. On doit ajouter que ces la-
melles sont formées par une membrane repliée sur elle-
luôme et portant entre ses replis, sur des lames ou dans des
capsules particulières dont la réunion forme Vhymœnium,
un seul rang ou quatre rangs de sporules ou corps repro-
ducteurs.
Parmi les espèces d'agarics . nous citerons Yagaric co-
mestible, champignon de couche {agaricus eedilis , cam-
pcstris ). C'est le plus recherché comme aliment. Son pé-
dicule est blanc, court et charnu ; il soutient un chapeau de
couleur fauve, couvert d'une pellicule qui s'enlève faci-
lement. Ses lames sont rougeâtres à la naissance, puis pour-
pres ou noirâtres , sa chair ferme et cassante ; c'est la seule
espèce qu'il soit permis de vendre sur le marché de Paris
( voyez Culture des Champignons ). Vagaric mousseron
{agaricus albellus) est d'un blanc jaunâtre à sa surface;
son chapeau est presque sphérique et large de quatre cen-
timètres. 11 est très-commun au printemps et pendant une
partiedel'été dans les boisdécouverts, les friches, les prés secs.
On le préfère jeune et frais ; il entre dans les ragoûts comme
assaisonnement. Pour le conserver on l'enfile par le pied et
on le laisse dessécher. Jusqu'à présent on a «ssayé inutile-
ment de le cultiver. Vagaric faux mousseron ( agaricus
pseudo-mousseron ) se reconnaît à sa couleur d'un jaune
j)àle, tirant sur le roux, à son pédicule très-grêle, à son
chapeau convexe , mamelonné au centre , large de quatre à
cinq centimètres. Sa chair est dure, mais assez savoureuse,
etd'une odeur agréable. L'oronge {agaricus aurantiacus)
est d'un goût etd'une odeur très-agréables ; malheureusement
on peut très-facilement la confondre avecl'fl^aric moucheté
ou fausse oronge, qui est extrêmement vénéneux. En Alle-
magne ce dernier sert à tueries mouches. Vagaric du houx
(agaricus uquifolius), qui croit en été sous les buissons de
houx, est, suivant Persoon,un de nos meilleurs champignons.
— Vagaric élevé {agaric procerus, colubrinus) est l'es-
pèce la plus élevée du genre ; son pédicule est très-long ,
son chapeau roussàtre un peu panaché; il croît en été dans
les bois et les champs sablonneux ; on le mange en beau-
coup d'endroits. — D'autres agarics servent encore à la nour-
riture de l'homme dans nos contrées ; mais ils sont trop dil-
ficiles à distinguer des mauvaises espèces ou peu savoureux.
Parmi les agarics vénéneux, on distingue : Vagaric
meurtrier ( agaricus necator ) ; il en découle un suc lai-
teux , acre et caustique. Dans le cas d'empoisonnement, la
remède le plus usité est l'huile d'olive , prise en lavement et
en boisson ; on administre aussi le vinaigre comme anti-
A(;ARIC — AGATE
173
ilote. L'af/nric caustique (aonricus purogallus), qui croit
tlaus les bois; s.i couleur est d'un jaune livide, terreux. //fi-
f/aric acre (açtiricus acris\hhnc, à lames jaunâtres ou
rongeâtres , distillant un suc Uùteux très-àcre , ce qui n'eni-
piHlie pas qu'il soit souvent rongé par les lièvres et les la-
pins, etc., etc.
On distingue parmi les agarics un groupe assez remar-
quable par la propriété de se fondre en une eau noire à l'c-
pmjue de sa destruction. La plupart de ces champignons crois-
sent dans des lieux inlects, sur les substances putrides ; leur
existence est d'ordinaire de courte durée : par exemple, l'c-
garic éphémère, qui ne dure qu'un jour, etc.
11 est enlin des agarics caractérisés par des qualités par-
ticulières. Vagaric styptique lorsqu'on le mâche produit
au bout de quelques instants un étranglement analogue à
celui du vitriol. La saveur de l'flj/arJc/tYirfe est poivrée, etc.
L'agaric minéral est la chaux carbonatée spongieuse
d'HaiJy; c'est une substance terreuse, blanche, légère, friable
et analouue à la craie.
AGARIC DES CHÏRURG1E^S. T oyes Amadou.
AGASSIZ ( Louis ), naturahste, est né en 1807, à Orbe
( pays de Vaud ), où son père était pasteur. Il alla en 1822
terminer à Lausanne son éducation, commencée au collège
de Biel. Il étudia ensuite la médecine à Zurich, à Heideiberg,
et enKn à Munich, où il fut reçu docteur en 1830. Dès sa
jeunesse l'étude de la nature avait eu pour lui un attrait
tout particulier. A Heideiberg et à Munich il s'occupa surtout
d'analomie comparée, et se lia dans la seconde de ces
villes avec Marlius et Spix. Spix étant venu à mourir en
1836, Martius lui confia le soin de publier la description de
cent seize espèces de poissons que, celui-ci avait recueillies
au Brésil, et au nombre desquelles il s'en trouvait un
grand nombre de complètement inconnues jusque alors. A
cette occasion Agassiz divulgua ses idées sur la classification
des poissons. L'ouvrage parut sous ce titre : Pisces, etc.,
quos collegit et pingendos curavit Spix, descripsit Ar/ns-
siz (Munich, 1829-1831, avec 91 planches in-folio litho-
graphiées). Conduit par ce travail à faire une étude toute
spéciale de l'iclilhyologie , Agassiz publia une /Tis^ire Jia-
turelle des Poissons cV eau douce de V Europe centrale ,
( Neufchâtel , 1S.'Î9 et suiv., in-fol., avec pi.), quil classe
systématiquement, en mettant au jour une foule de choses
nouvelles sur les mœurs, le mode de reproduction et l'ana-
tomie des poissons qui habitent les lacs des Alpes et les
fleuves de l'Europe centrale jusqu'à leur embouchure dans
la mer. Il fit paraître ensuite ses Recherches sur les Pois-
sons fossiles (Xeufchâtel , 1833 et suiv., in-4", avec pi. lith.
in-fol. ), travail ayant pour base des matériaux d'une ri-
chesse infinie, puisés par l'auteur dans diverses collections
particulières et publiques, notamment à Paris, où il passa
les années 1831 et 1832, et qui combla une importante la-
cune dans l'histoire naturelle, en traitant une partie de la
zoologie qui n'avait encore été jusque alors l'objet que de très-
insuffisantes recherches. L'étude des débris de poissons an-
tédiluviens poussa Agassiz à s'occuper ensuite d'autres ani-
maux fossiles, et d'abord deséchinodermes {Description des
Échinodermes fossiles de la Suisse ( Neufchàtel, 1839 et
suiv., avec pi. in-fol. lith.), travail qu'il a complété depuis,
en agrandissant le champ de ses investigations, dans sa Mo-
nographie d'échinodermes vivants et fossiles , dans ses
Éludes critiques S2ir les Mollusques fossiles { Xeufchâ-
tel, 1840), et dans son Mémoire sur les Moules de Mollus-
ques vivants et fossiles (Neufchàtel, 1840, in-4°, avec pi.
lith. ). Mais de tous ses ouvrages celui qui produisit le plus
de sensation fut celui qui a pour titre Études sur les Gla-
ciers ( Neufchàtel , 1840 , avec pi. lith. in-fol. ), et qui a en
quelque sorte partiellemeut transformé la géologie. L'objet
de ce travail remarquable est l'étude des blocs e r r a t i q u e s ,
ou masses énormes de roches dispersées en tous lieux, dont
la composition intrinsèque i)rouve qu'elles n'ajipartiennent
pas originairement aux terrains dans lesquels elles se trou-
vent aujourd'hui. D'autres avaient déjà pensé que les blocs
erratiques de la vallée du Rlulncdevaieutleiu-transportau lieu
de leur gisement actuel au déplacement d'énormes monceaux
de glaces qui les auraient poussés en avant. M. Agassiz éten-
dit et généralisa cette théorie. Cet ouvrage fut suivi d'un
travail plus complet intitulé Système glaciaire, ou Recher-
ches sttr les glaciers, par L. Agassiz, A. Guyot et E. Dcsor
(Paris, 1847, avec atlas). M. Agassiz avait été nommé
professeur de zoologie à Neutchàtel. Pendant un court séjoiu'
à Paris il publia, en 1846, un A'omenclator Zoologicus
(en 10 livraisons, avec index alphabétique), dans le<iuel
il énumère trente et un mille noms de genres et de familles
dont il donne l'étymologie, la date et la citation la plus
ancienne. Sur ce nombre, il n'y en a pas moins de treize
mille qui font double emploi et devraient être changés, dix
mille sont fautifs dans leur composition granmiaticale. La
même année M. Agassiz accepta une place de professeur
à l'université de Harvard, à New-Cambridge, près Boston.
Il a fait paraître aux États-Unis : Principles of Zoology
i (Boston, 1848); Lake superior (Boston, 1850); T/ie na-
' tural history of the acalephx of north America ( Cam-
bridge, 1855); Contributions to the natural history ofthe
United States of America ( Boston, 1857 et suiv. ) : ce der-
nier ouvrage aura plus de douze volumes. En 1857, le gou-
vernement français offrit spontanément à M. Agassiz la chaire
; de paléontologie au Muséum d'histoire naturelle de Paris,
I vacante par la mort de d'Orbigny. M. Agassiz la refusa pour
î ne pas rompre, disait-il, les liens qui l'attachent aux Élats-
1 Unis. En 1859 l'empereur lui a envoyé la croix d'honneur.
I M. Agassiz est membre correspondant de PAcadémie de»
.sciences, qui lui a accordé un de ses grands prix.
AGATE (Minéralogie), An ïie.n\& Achates en Sicile.
Nom sous lequel on désigne communément plusieurs varié
tés de quartz , que l'on distingue des silex ordinaires à leu^
demi-transparence, à leur cassure cireuse, à la diversité de
leurs couleurs, ordinairement fort vives. Susceptibles de
recevoir un beau poli , elles sont employées connue objet
d'ornement dans la grosse bijouterie , et plus ou moins re-
cherchées selon les accidents de coloration qu'elles offrent.
On les trouve dans toutes les contrées du globe , en rognons,
en masses concrétionnées , dans les cavités qu'offrent cer-
taines roches primitives. Oberstein , sur le Rhin , est un des
gisements les plus célèbres. — La distribution et l'opposition
des couleurs ou de la lumière dans les différentes couches
dont elles sont composées en ont fait distinguer plusieurs
variétés : telles sont les agates onyx ou ruhanèes, à couches
concentriques, nettement tranchées et de nuances diverses;
les agates moi«5ei«es, arhorisées ,A'xa.% l'intérieur desquelles
on aperçoit de petits cristaux simulant par leur arrangement
des mousses, des arbrisseaux; les &%^ie% ■ponctuée , irisée,
œilléet les enhydres, renfermant de petites cavités rem-
plies de gouttes d'eau qui s'y conservent souvent sans alté-
ration. On voit aussi du bois pétrifié et passé à l'état d'agate.
— On peut encore rattacher aux agates plusieurs variétés de
pierres fines qui portent différents noms dans le commerce :
telles sont : les chrysoprases, d'un beau vert-pomme ; les
sardoines, d'un jaune orange; \ei cornalines , rouges; les
calcédoines, d'un blanc bleuâtre; les héliotropes , d'un
vert sombre, ordinairement pointillé de rouge. Le jaspe ne
diffère des variétés précédentes que par son défaut absolu
de transparence et par sa cassure terne, caractères qui dis-
tinguent suffisamment aussi le silex des agates proprement
dites. D"^ Saucerotte.
L'agate se taille, se scie, se polit et se grave en général
avec assez de facilité. On en fait des vases, des bagues,
des cachets, des chapelets, des boîtes, des safières, des
manches de couteaux et de fourchettes, etc. On est parvenu
à colorer et à décolorer à volonté les veines de ces pienes.
On fait aussi des agates artificielles.
AGATHE — AGDE
174
AGATHE (Saillie), vierge de Palcrme, niarlyre, morte
dans les torliires en Sicile, l'an 9.51 de J.-C. Sa fcle est cé-
lébrée le 5 février.
AGAÏIIIAS, surnommé le Scolastiqiie, à cause de la
rare elendue de ses connaissances en jurisprudence , natif
de Myrina, en Étolie, llori-,sait vers le milieu du sixième
siècle de notre ère. Élevé à Alexandrie, il s'établit à Cons-
tantinople vers l'an 554, et se fit plus tard un nom comme
poète et surtout comme bistorien. Nous ne possédons plus
ipic quatre-vingt-dix de ses poèmes et quelques épigrammes
.(u'on a recueillies dans V Anthologie grecque. La riche col-
lection de poésies (lis six premiers siècles qu'il avait réunie
sous le nom de Kyklos, a péri. Mais l'ouvrage historique en
cinq livres qu'il avait composé sur le règne de Justinien
IHsndant les années 553 à 559, et qu'on peut considérer
comme la continuation de Procope , est venu en entier jus-
<pi'à nous. Le style en est incorrect, l'exposition pleine d'en-
llure est surchargée d'expressions poétiques. La première
édition de cette histoire fut donnée par Vulcanius (Leyde,
in-4°, 1594); la plus récente est celle de Niebuhr (Bonn,
1828), et le texte en a été singulièrement corrigé et amé-
lioré.
AGATnOCLE,un des plus hardis aventuriers de l'an-
tiquité. Son père lui lit apprendre le métier de potier à Sy-
racuse. La beauté d'Agathocle lui ayant gagné les bonnes
grâces d'un riche Syracusain, il ne tarda pas à sortir de son
obscurité , et on lui confia même le commandement d'une
armée envoyée contre Agrigcnte. Agathocle épousa la veuve
de son bienfaiteur, et devint, par ce mariage, un des plus
riches citoyens de SvTacuse. Sous la tyrannie de Sosistrate,
il fut obligé de se réfugier à Tarente; mais à la mort de ce
prince il revint à Syracuse , s'empara du pouvoir suprême,
qu'il affermit entre ses mains, en ne reculant pas devant le
sacrilice de la vie de plusieurs milliers de citoyens apparte-
nant aux classes les plus distinguées , et par la conquête de
presque toute la Sicile (an 317 avant J.-C. ). .'» se maintint
au pouvoir pendant vingt-huit ans. Pour occuper l'esprit du
peuple, il poursuivit rexéciition du projet formé par les
Denys d'expulser les Carthaginois de la Sicile. Vaincu par
ces derniers, et même assiégé dans Syracuse, il forma le
plan hardi de passer en Afrique avec le reste de son armée.
11 y fit la guerre pendant quatre ans , et presque toujours
avec succès. Des troubles qui éclatèrent en Sicile le forcèrent
deux fois à quitter son année pour venir les réprimer. Mais
son armée fut battue par les Carthaginois. Il pacifia ensuite
la Sicile, et conclut la paix avec Carthage, l'an 306 avant
J.-C. 11 employa alors ses forces à attaquer l'Italie , où il
vainquit les Brutiens , et pilla Crotone. 11 avait le projet de
remettre la couronne à son dernier fils Agathocle; mais son
petit-fils Archagathe , s'étant révolté, assassina l'héritier pré-
somptif, et lit empoisonner Agathocle.
AG AÏIIODÉMOX ( du grec àYa^ô; , bon , Sa-'iiwv ,
génie), symbole du >'il, adoré par l'Egypte au temps des
Lagides. 11 est représenté par le serpent inoffensif, le corps
replié en nombreux anneaux , un diadème royal sur la tète ,
et la queue terminée en Heurs de lotos ou des épis qui figu-
rent l'abondance et la végétation amenées par les sinuosités
de ce fleuve. — Les Grecs donnaient le nom de coupe d'A-
gathodémon à une coupe consacrée à Bacchus que l'on fai-
sait circuler dans les repas pour que chacun y bût un peu.
Par allusion à la très-petite quantité de vin que buvait alors
chaque convive , Hésychius appelle agathodémonistcs les
gens modérés dans la boisson.
AGATHOX, Athénien contemporain et ami de Platon
et d'Euripide, célèbre par sa beauté , par ses richesses, par
l'élégance de ses mœurs et par ses talents poétiques. 11 avait
compose des tragédies dans lesquelles il s'était écarté de la
voie sui\ie par les tragiques précédents, mais qui ont
péri. 11 eut l'insigne lionncur d'être nn jour couronné aux
jeux Olympiques comme poète tragique. La fête célébrée
à c^tte occasion par Agathon a servi de cadre à Platon
pour celui de ses dialogues qui est intitulé Sijmposion ( le
Repas). Wicland a pris Agathon pour héros d'un roman
philosophique dans l'introduction duquel il a réuni tous
les documents historiques qu'on possède sur ce person-
nage.
AGAVE, genre de plantes monocotjlédonées (famille
des liliacées ) établi par Linné, et qu'on a longtemps con-
fondu avec les aloès. LUes se distinguent par leur périgone
ou enveloppe florale en forme d'entonnoir qui surmonta
d'une part l'ovaire auquel sa base adhère , et de l'autre est
surmonté par les étamines qui s'y insèrent et le débordent.
Du reste, à l'instar des aloès, elles élèvent du milieu d'une
rosace de feuilles longues et épaisses leur tige cylindrique
et écailleuse comme celle d'une grosse asperge. Leur flo-
raison n'a heu qu'une fois pendant toute leur vie; dans
les pays chauds , elle arrive au bout de sept ou huit ans ,
mais dans nos climats tempérés ou froids elle peut être
retardée jusqu'à la quarantième année. Pendant tout ce
temps la plante reste basse et ne s'allonge que fort peu ;
mais lorsque le moment de fleurir est arrivé , on la voit
grandir rapidement et atteindre une hauteur de vingt, trente
et quarante pieds en un mois. 11 y avait là certes de quoi
mettre en verve les amis du merveilleux : aussi s'est-on
plu à dire que la floraison des agaves n'avait lieu qu'au
bout de cent ans, et qu'elle était accompagnée d'une explo-
sion semblable à celle d'un coup de canon.
Les espèces les plus intéressantes sont : Yagave d'Amé-
riqîie ( agave americana). Cette plante fut apportée en Eu-
rope vers le milieu du seizième siècle ; on la trouve aujour-
d'hui en Portugal , en Espagne , en Sicile , sur les côtes de
Barbarie , aux environs de Marseille, en Roussilîon et même
dans quelques cantons de la Suisse. On en possède une
variété à feuilles panachées de blanc et de jaune , dont les
grands bouquets de Heurs disposés le long de la hampe,
comme un gigantesque candélabre, produisent le plus bel
effet. L'agave d'Amérique donne aux campagnes où il est
cultivé un aspect tout exotique. En Espagne on en forme
des haies impénétrables. Les fibres des feuilles de l'agave
sont longues, fortes et déliées; on en fabrique des cordes,
des filets de pêcheurs, des tapis, des toiles d'emballage , des
pantoufles, du papier, et divers autres ouvrages. On dégage
les fibres en faisant rouir les feuilles comme du chanvre
dans une eau stagnante ou dans du fumier; on les écrase
entre deux cylindres ; on les lave , on les bat , et on les
peigne à plusieurs reprises pour les nettoyer et leur donner
de la souplesse. — On retire encore des feuilles de l'agave,
par la trituration , un suc que l'on passe à la chausse et
que l'on fait épaissir par l'évaporalion après y avoir ajouté
une certaine quantité de cendres. C'est une sorte de savon
qu'on emploie pour lessiver le linge.
Vagave pitte ( agave fœtida ) croit dans les mêmes ter-
rains que l'espèce précédente ; on la préfère pour fabriquer
des tissus plus fins. On fait macérer les libres pendant
trois ou quatre heures dans la saumure, puis on les lave
et on les assouplit avec de l'huile, comme cela se pratique
pour le lin. Avec le fil ainsi préparé , on fait dans les îles
de la Méditerranée des bas, des gants et même des étoffes
appelées zapparas.
Vagave du Mexique ( agave cubensis ) est le maguey
des Jlexicains. Lorsqu'on enlève les jeunes pousses placées
au centre de la touffe des feuilles, on forme dans ce point
une cavité , une sorte de cuvette , dans laquelle s'amasse
promptement et en abondance un suc limpide sucré que
l'on enlève et qu'on laisse fermenter, en y ajoutant une
racine que les Mexicains nomment ocpafli; c'est là ce qui
a valu à cette plante le nom de vigne du Mexique. Mais
ce vin, peu agréable au goût, donne une odeur fétide à l'ha-
leine de ceux qui en boivent immodérément.
AGDE. Voyez Hérault (Département de 1').
AGK — AGENDA
175
AGE (Physiologie). La vie de riionime.tlepuis sa nais-
sauce jusqu'à sa mort, forme dilïéientes époipies bien dis-
tinctes qu'on appelle ùges. Cesraetamorplioses doriiommesc
buccèdeiit avec lies transitions plus on moins sensibles, mais
toujours faciles à reconnaître. La division de la vie la plus
généralement adoptée est la suivante : 1" Vcnfatice,nm
dure depuis un an jusqu'à quatorze. Cette époque se sub-
divise en deux parties : la première comprend l'enfance
proprement dite, infanlia, qui commence au moment de
la naissance et dure jusqu'au septième mois; puis vient la
première période de la dentition, qui commence au sep-
tième mois, et dure jusqu'à la deuxième année, et enfin la
seconde période de la dentition, qui dure depuis deux ans
jusqu'à sept. La seconde partie de l'enfance est la puéri-
lité, qui commence à sept ans, et dure chez les garçons
jusqu'à quatorze ou quinze, et chez les filles jusqu'à onze
ou douze, c'est-à-dire jusqu'au développement de la pu-
berté. 2' Vadolescence, ou âge de puberté, qui com-
mence à l'époque oii (inil l'enfance. Dans les climats tem-
pérés cet âge dure chez les bonmies jusqu'à vingt-cinq ans et
chez les femmes jusqu'à vingt. 3° La troisième grande divi-
sion de la vie conmience alors, c'est l'âge de la virilité.
La nature s'arrête à ce moment, et parait rester station-
naire pendant une longue suite d'années. Celle troisième
division comprend cependant trois subdivisions bien fa-
ciles à établir : dans la première, l'homme est encore jeune;
dans la seconde, il est d'âge moyen ; dans la troisième, il
se fait vieux. 4° A soixante ans enfin, comu'.ence le qua-
trième âge de riionmie, la vieillesse. — 11 est probable
que l'enfant ne reçoit d'abord d'autres impressions que
celles des sens. Les facultés de l'àme ne se forment que
plus tard. La jeunesse est l'âge de l'amour, source des plus
délicieux sentiments et des peines les plus amères, mobile
des actions les plus nobles, des égarements les plus ter-
ribles. L'âgevirii est celui de la maturité et de la prudence.
C'est dans l'âge avancé que la raison se montre sous son
jour le plus pur -. on dirait qu'à mesure que le corps se
penche vers la terre, l'esprit s'élève vers le ciel. Dans l'en-
fance la nature développe les appareils de la nutrition;
l'adolescence se distingue par l'évolution de l'appareil gé-
nital. Tous les organes acquièrent leiu's proporlions défini-
tives. En perpétuant son espèce dans l'âge adulte , l'homme
remplit l'objet pour lequel il a été formé; ensuite arrivent
la décroissance de la vieillesse et la mort.
[M. Flourens prolonge la durée des âges humains. I! les
divise en quatre séries , subdivisées chacune en deux pé-
riodes, savoir : \' enfance, première, de la naissance à dix aiis ;
deuxième ( adolescence ) , de dix à vingt ans ; jeunesse ,
première, de vingt à trente ans; deuxième, de trente à
quarante ans ; virilité, première, de quarante à cinquante-
cinq ans; deuxième, de cinquante-cinq à soixante-dix ans;
vieillesse, première , de soixante-dix à quatre-vingt-cinq
ans; deuxième, de quatre-vingt-cinq ans à la mort. Ce sa-
vant physiologiste prolonge l'adolescence jusqu'à vingt ans,
parce qu'alors seulement se termine le développement des
os, et par suite l'accroissement du corps en longueur; il
prolonge la jeunesse jusqu'à quarante ans, parce qu'alors
se termine l'accroissement du corps en grosseur : ce qui
peut survenir après cela n'est qu'une accumulation de graisse.
Jusqu'à cinquante-cinq ans se fait un travail ô'invigoralion
qui rend toutes les parties du corps plus fermes , plus ache-
vées, et l'organisme entier plus complet. Ce travail se main-
tient ensuite jusqu'à soixante-dix ans ou à peu près. La
vieillesse alors commence. Pour M. Flourens, le signe de
cet âge c'est la perte de la force en réserve qui existe pour
tous les autres : le vieillard n'a plus que la force agissante,
colle du moment. L. L. J
AGE (Législation). Époque de la vie où l'on devient
cipable d'exercer certains droits civils ou politi<]ues. Ainsi
la loi a lixc un âge auquel elle suppose «lue les individus
sont aptes aumariage; un ûge pour l'adoplantct l'adopté
dans l'adoption; un âge pour refuser la tu telle, wi s'en
faire décharger; un âge pour la majorité; un âge pour
le testament du mineur, pour l'é m a n ci p a t i o n , pour l'en-
rôlement volontaire; un âge pour être reçu en témoignage;
un âge pour l'appel sous les drapeaux ; un âge pour le ser
vice de la garde nationale, etc.; un âge qui affranchit le
débiteur nonsteliionataire de la contraintepar corps;
elle établit une présomption de survie lorsque plusieurs
personnes héritières l'une de l'autre périssent ensemble dan.'
un même événement , suivant l'âge et le sexe, etc.
L'homme accusé d'un crime ou d'un délit, s'il n'a point
atteint sa seizième année, sur la déclaration du jury qu'il
n'a point agi avec discernement , est acquitté, sauf à subir
s'il y a lieu , une détention limitée dans une maison de
correction. S'il est décidé, au contraire, qu'il a agi avec
discernement, la peine qu'il subit est toujours correction-
nelle; mais elle peut être de vingt ans. A soixaule-dix ans
l'individu dans le cas d'être condamné aux travaux forcés
ou à la déportation ne l'est qu'à la réclusion. S'd subissait
déjà une de ces peines, il est au môme âge renlermé dans
une maison de force pour le temps à expirer de sa peine.
La loi exige vingt et un ans pour être électeur, vingt-cinq
pour être député au corps législatif, ainsi que membre d'un
conseil municipal, maire, etc.; trente pour être juré.
L'âge se prouve en général par l'acte de naissance extrait
des registres de l'état civil, ou à son défaut par d'autres
actes authentiques ou de notoriété publique. Z.
Age (Moyen). Voge:^ Moven Age.
ÂGE D'OR,D'ARGEi\T,elc.Foy. Ages (Les Quatre).
AGÉBITES. Voyez Aclabites.
AGEM. Voyez Adjem.
AGEN, autrefois capitale du comté d'Agénois, aujour-
d'hui chef-lieu du département de L o t - e t- G a r o n n e. Situé
sur la rive droite de la Garonne, Agen est une ville d'ori-
gine gauloise ; Ptolémée la mentionne comme la capitale des
rs'ifiobriges ; elle fut embellie sous la domination romaine,
eut beaucoup à souffrir des invasions des barbares, Visi-
goths, Huns et Vandales, fut prise par les Normands au
neuvième siècle , et passa ensuite tour à tour sous le pou-
voir des rois de France, des ducs d'Aquitaine, des rois
d'Angleterre et des comtes de Toulouse. En 1322 les Fran-
çais s'en emparèrent, mais la rendirent aux. Anglais huit
ans après. Cependant elle secoua bientôt le joug de l'étranger,
et les Anglais ne purent la reprendre. Le traité de Bréligny
la leur rendit encore une fois; mais ils la perdirent presque
aussitôt et pour toujours. En 1418 elle fut saccagée par les
troupes du comte d'Armagnac. Les protestants s'en empa-
rèrent en 1562 , mais elle se déclara pour la Ligue en 1584,
Le comte de la Roche, fils du maréchal de Matignon, la
prit en 1591 ; enfin elle se rendit l'année suivante à Henri IV.
Avant 1789, Agen était le siège d'un présidial , d'un gou-
vernement particulier, d'une sénéchaussée et d'une élection.
C'est maintenant celui d'une cour impériale, de tribunaux do
première instance et de commerce , d'un évôché , fondé ,
suivant la tradition, en 350. Cette ville possède un grand et
un petit séminaire, un lycée impérial, une école normale
priniaire, une bibliothèque publique de 15,000 volumes ,
une manufacture impériale de toiles à voiles , des filatures
de colon , des manufactures d'indiennes, de molletons , de
serges, de cotonnades, etc. Il s'y faU un grand commerce
de blé et de farine pour les colonies, d'eaux-de-vie, de
chanvre, de pruneaux, etc. Entrepôt du commerce entre
Toulouse et Bordeaux, Agen se relie à ces deux villes par
un chemin de fer. Un autre doit un jour le rattacher à Li-
moges. Sa population est de 17,667 âmes.
AGENDA, expression latine qui s\g\n(\e chose à faire^
et qui a été transportée dans notre langue pour désigner un
petit livret portatif, composé de tablettes pour chaque jour,
où chacun peut écrire des noies, marquer d'avance ses ^f-
J76 AGENDA - AGENT DE CHANGE
faites, ses projets, les lieurcs cl les lieux de ses rendez-
vous, les emplois ((ii'il se propose de (aire «le son temps.
AGENT (du latin agere, agir, se mouvoir). Ce mot
exprime toute espèce d'action au propre ou au figuré. 11
est mis par opposition h patient : ainsi , Ion dit Yo'jent et
le patient, pour signifier la cause qui opère et le sujet
passif qui en soufTre.
Dans la physitiue et dans la ciiimie, on nomme agent
foute force naturelle ou toute substance énergique qui pro-
duit un effet, soit sur l'homme, soit sur des corps inertes.
En économie politique, J.-B. Say appelle agents de la
production ce qui agit pour produire; les indiistrieux et
leurs instruments ; ou, si on veut personnifier l'industrie,
c'est l'industrie avec ses instniments. De leurs services
productifs réunis naissent tous les produits. Le même éco-
nomiste appelle la monnaie Yagent de la circulation.
On donne encore le nom d'agent à la personne qui agit,
qui se donne du mouvement dans l'intérêt d'une autre ; à
certains employés ou commis de quelques administrations,
ou enfin à celui qui gère les affaires d'autrui ou une entre-
prise quelconque.
Agent d'intrigues, celui qui se mêle, par goût ou par ca-
ractère , de faire naître des intrigues , des embarras , des dif-
ficultés , des brouilleries, etc., entre les personnes. On
donne aussi ce nom à celui qui fait profession de faire ob-
tenir aux autres des emplois, des faveurs , des honneurs,
l»ar la cabale, les sollicitations, des manèges secrets, etc.;
ou de détruire le crédit d'une personne , de renverser une
entreprise, etc.
Agent d'affaires. C'est une espèce de negotiorum gestor
(pji se charge des affaires d'autrui. Ces agents , en général
peu estimés , sans doute parce que leur intrusion dans les
affaires est presque toujours fatale à ceux qui les emploient,
se consacrent ordinairement aune spécialité : les uns pour-
suivent les affaires contentieuses près les administrations
publiques ou les tribunaux , les autres gèrent la fortune
des particuliers , recouvrent les capitaux , font des place-
ments , des ventes , etc.
Agent de faillite. On donnait ce nom à celui qui gérait
les affaires d'une faillite avant la loi du 28 mai 1838. Ces
agents sont remplacés aujourd'hui pardes syndics provisoires.
Agent comptable. On appelle ainsi certains employés
qui dans les administrations sont chargés du maniement
des fonds.
Agent judiciaire du trésor, employé supérieur des fi-
nances chargé de représenter le trésor public dans toutes
les affaires judiciaires qui le concernent.
Agent de la force publique se dit de tous ceux qui sont
chargés de veiller à l'exécution des lois , des jugements et
actes : tels sont les procureurs généraux et impériaux,
les huissiers, les gardes du commerce, les gendarmes,
ceux f)ui sont charges de veiller à la tranquillité publique
ou préposés à la police municipale et nirale , conmie les
commissaires de police et leurs agents , les maires et leurs
adjoints , les gardes champêtres et les gardes foi-estiers, etc.
• Les violences dirigées contre un agent de la force pu-
blique, dit le Code Pénal, si elles ont eu lieu pendant l'exer-
cice de son ministère , seront punies d'un emprisonnement
d'un mois à six mois. »
Agent de police, préposé ou surveillant nommé par l'au-
torité locale pour maintenir l'ordie dans une ville, une
commune, etc.
Agent provocateur, celui qui excite quelqu'un à faiie
quelque chose, et surtout à commettre un crime, un délit.
On désigne particulièrement sous ce nom d'agent provoca-
teur celui qui, dans un moment d'effervescence publique,
pousse les citoyens à la révolte , ourdit des complots , pro-
voque à l'émeute et fait tomber ses imprudents complices
dans les mains de la justice.
Agent municipal, nom que l'on donnait sous la pre-
mière république à l'officiernommé par l>es communes dont
la population ne s'élevait pas à cinq mille âmes pour exercer
les fonctions municipales. La réunion de tous les agents mu-
nicipaux des conmiunes formait la municipalité du canton.
Agent diplomatique , fonctionnaire qu'un gouvernement
envoie et accrédite près d'un autre gouvernement pour lui
servir d'intermédiaiie, et pour protéger en pays étranger
les sujets de la nation qu'il représente. Il y a quatre classes
d'agents diplomatiques officiels, suivant l'ordonnance du
16 décembre 1832 : les ambassadeurs , les ministres plé-
nipotentiaires, les résidents, et les chargés d'affaires.
Quant aux consuls généraux et aux consxils , ils forment
un ordre à part dans la diplomatie, et ne sont en général que
des agents puremer't commerciaux. Après la révolution de
Février, le gouvernement provisoire avait décidé , par me-
sure d'économie, et à l'exemple de la Prusse, que la France
ne serait représentée à l'étranger tout au plus que par des
envoyés extraordinaires, ministres plénipotentiaires; depuis
l'empire on a nommé plusieurs auibassadeins. Les ambas-
sadeurs du Saint-Siège prennent les noms de légats et de
nonces apostoliques.
On nomma agent secret celui qui est chargé d'une mis-
sion secrète, inconnut; souvent à l'envoyé officiel.
Agent voyer, agent chargé de diriger les travaux de
voirie dans une division administrative. *
AGENT DE CiiANGE. Agent intermédiaire pour les
. actes de commerce, officier public ayant seul qualité pour n('-
gocier, soit les effets publics et ctiangers, soit tout autre effet
susceptible d'être coté ; de faire pour le compte d'autrui les
négociations de lettres de change ou de billets et de toutes
sortes de papiers comraerçabies, et d'en constater le couis,
ainsi que celui des matières métalliques dont il fait aussi les
négociations et le courtage de vente ou d'achat, concurrem-
ment avec les courtiers de marchandises ; mais seuls les agents
de change ont le droit d'en constater le cours.
Jusqu'à Charles IX le commerce de l'or, de l'argent , de
billets ou de marchandises se faisait librement, et il n'y avait
aucune différence entre les courtiers de marchandises et
les agents de change , titres nouveaux que ces derniers ne
commencèrent à porter qu'en 1639. Louis XTS'^, en 1705, sub-
stitua aux anciens agents de cb.ange établis dans toute l'é-
tendue du royaume cent seize nouveaux officiers avec la
qualité de conseillers du roi, agents de banque, change,
commerce et finances. On supprima encore ou on créa de
nouveaux offices de ces agents; enfin un édit de 1723 régla
leur nombre, leurs attributions et leurs droits. La loi du 17
mars 1791, qui proclama la liberté illimitée de toutes les pro-
fessions , supprima les agents de change, qm furent rétablis
par la Convention le 28 ventôse an IX. Leur existence est
consacrée par le Code de Commerce.
Aujourd'hui il y a des agents de change dans toutes les
villes qui ont vme Bourse de commerce. Ils sont nommés
par l'empereur. Ils doivent fournir un cautionnement qui
varie de 4,000 à 125,000 francs. Le nombre des agents de
change est fixé à soixante [)0ur la Bourse de Paris. La
compagnie nomme tous les ans une chambre syndicale,
composée d'un syndic et de six adjoints. Cette chambre,
étant instituée pour la discipline du corps, doit veiller à ce
(jue tout agent de change se renferme dans les limites de
ses fonctions : elle peut suspendre un agent de change, et
elle peut provoquer sa destitution auprès du ministre com-
pétent.
Nul ne peut être nommé agent de change s'il ne jouit dos
droits de citoyen français , s'il a fait faillite, abandon de biens
ou attermoiement sans avoir été réhabilité. Tout individu
qui empiéterait siu- les fonctions qui sont attribuées aux
agents de change serait passible d'une amende du douzième
au sixième du cautionnement de ces oflicicis publics.
Les agents de change sont obligés d'avoir dos livres cotés,
parafes ^t visés , soit par un des juges du tribunal de
AuENT DE CIlAiXGt: — AGGLOMÉRATION
177
commerce', soit par le maire ou un adjoint dans la forme or-
dinaire et sans fiais. I!s sont tenus de consi';ner dans ces
livres jonr par jour et par ordre de dates, sans ratures, in-
terlignes ni transpositions , sans abréviations ni chiflres ,
toutes les conditions des ventes , achats , assurances , et en
général de toutes les opérations faites p;ir leur ministore.
Ils ne peuvent dans aucun cas et sous aucun prétexte faire
des opérations de commerce ou de banque pour leur compte.
Us ne peuvent s'intéresser directement ni indirectement, sous
leur nom ou sous un nom supposé , dans aucune entreprise
commerciale. La loi leur défend de signer des effets de
change , et des arrêtés les rendent responsables de la der-
nière signature des ellets qu'ils négocient. Us ne peuvent
recevoir ni payer pour le compte de Iciu-s commettants , ni
se rendre garants des marchés dans lesquels ils s'entremet-
tent. Toute contravention à ces dispositions entraîne la des-
titution et la condamnation à une amende qui ne peut
excéder trois mille francs, sans préjudice de l'action des par-
ties en dommages-intérêts. — Tout agent de change des-
titué ne peut être réintégré dans ses fonctions. En cas de
faillite , l'agent de change doit être poursuivi comme ban-
queroutier.
Les agents de change doivent le secret le plus inviolable
à leurs cUents lorsque ceux-ci ne consentent pas à être nom-
més ; ils ne peuvent se faire représenter que par un de leurs
collègues chargé de leur procuration , et dont ils sont res-
ponsables. A Paris il leur est permis, pour certaines de
leurs fonctions, de se faire remplacer par un commis reçu
par la compagnie, et révocable au gré de son p.itron ou fie
cette compagnie. Leurs droits sont (ixés d'un huitième à un
quart pour cent pour chaque opération, dont ils î^ont d'ail-
leurs personnellement responsables. La cour impériale de
Paris a refusé aux agents de change le droit de poursuivre
leurs clients pour les différences provenant des jiux de
bourse. — Les agents de change, leurs veuves, enfants ou
héritiei-s peuvent présenter des successeurs, poumi qu'ils
réunissent les conditions exigées ; cette faculté n'a pas lieu
pour ceux qui ont encouni la destitution.
ÂGES (Les quatre). L'idée qu'il y a eu autrefois une
époque de bonheur parfait pour le genre humain , époque
que la corruption toujours croissante des hommes a fait
cesser, a , malgré la sensation pénible qu'elle fait éprouver,
quelque chose de trop attrayant , et pour l'homme pensant
sous l'impression des circonstances qui l'environnent, et
pour l'imagination des poètes , pour c[ue ceux-ci n'aient pas
de fort bonne heure essayé la description de cette époque
idéale. Hésiode et Ovide sont les premiei-s poètes qui nous
aient laissé une description à peu près complète et attrayante
de cette époque et de sa dégénérescence. D'après la tradi-
tion exposée par le dernier, dans ses Métamorphoses ,
quatre âges différents se sont succédé depuis l'origine du
monde, à savoir : i" Ydge d'or, sous le règne de Saturne.
Les hommes vivaient alors libres , sans lois , sans juges ,
sans armes, sans guerriers, sans guerres. Leurs champs pro-
duisaient spontanément les fruits les plus délicieux, et ils
jouissaient d'un éternel printemps. 2° Sous le règne de Ju-
piter, suivit Td^fe d'argent. Jupiter partagea l'année en quatre
saisons. Les hommes, qui auparavant avaient habité les
champs et les bois, commencèrent à construire des maisons et
à cultiver la terre. 3° Vint ensuite Vdge d'airain, dans le-
quel se manifesta déjà le caractère farouche de l'homme et
son goût pour la guerre, mais dans lequel la race humaine ne
se rendit cependant coupable d'aucun crime. 4° Parut enfin le
siècle rfe/e7'. La fidélité, la probité et la sincérité disparurent
alors de la teiTe; la cupidité, la violence, le mensonge et la
ruse prirent leur place. On commença à constniire des vais-
seaux, à démarquer les propriétés ; on rechercha avec avidité
des richesses cachées dans les entrailles de la terre; on décou-
vrit le fer, on en foigea des armes ; le brigandage, le meurtre
et la guerre envahirent la terre, et Ast^ée remonta aux
DICT. DE I.\ CONVEI;S. — T. I.
cieux. C'est alors que les Géants tentèrent d'escalader le
ciel. — Les poètes et les philosophes ont souvent imité et
diversement traité cette exposition des quatre Ages d'Ovide.
Hésiode intercale, en outre, entre l'dge d'airain et l'âge de
fer l'âge héroïque, qui comprend les siècles héroïques de la
Grèce. On trouve dans les Jugs des Indiens quelque ana-
logie avec ces quatre Ages du monde.
AGÉSANDRE , habile sculpteur de Rhodes, auteur du
beau gioupe de Laocoon, qui fut retrouvé sous Jules 11
par Félix de Fredis, et que l'on regarde comme un des chefs--
d'œuvre de la statuaire antique. On ne s'acconie pas sur le
temps où vécut Agésandre ; les uns le font vivre à l'époque
la plus brillante de la Grèce, les autres le placent sous le-.
premiers empereurs romains, ou même sous Yespasien, peu
avant Pline l'ancien, qui cite et qui décrit le Laocoon.
AGÉSILAS , roi de Sparte de l'an 390 à l'an 360 avant
J.-C. Après la mortdesonfrèreAgis,Lysandrelelitmonter
sur le trône, avec l'intention de l'en précipiter plus tard;
mais les projets de Lysandre furent découverts et déjoués.
Appelé par les Ioniens pour les secourir contre Artaxerxès,
il commença sa glorieuse canière en Asie par une victoire
qu'il remporta sur les Perses. 11 fut obligé par la suite de
tourner ses armes contre Thèbes et Coriiithe, qui s'étaient
liguées contre Sparte, et de combattre contre Épami-
nondaset Pélopidas, les deux plus grands capitaines
de l'époque. Agésiïas parvint par sa prudence et sou habi-
leté à sauver Sparte, en évitant une bataille rangée. Quoi-
que octogénaire , il triompha d'Épaminondas , et sauva la
ville , qui était déjà tombée au pouvoir de ce général. Au
retour de la dernière campagne qu'il fit en Egypte , sa tlotte
fut jetée sur les côtes de la Libye : il y mourut, à l'âge de
quatre-vingt-quatre ans , couvert de gloire , et regretté de
tous ses concitovens.
AGÉSIPOLiS I-III, rois de Sparte, de la dynastie des
A g ides. Le premier, lils de Pausanias, lui succéda, l'an 397
avant J.-C. Il remporta une grande victoire sur les JManti-
uéeus, et mom'ut l'an 380. Le deuxième, fils de Cléombrote, ne
régna qu'un an, 371 avant J.-C. Le troisième, étant encore très-
jeune au moment de son avènement, l'an 219 avant J.-C.,
fut mis sous la tutelle de Cléomène et de Lycurgue. Ce
dernier lui ravit la couronne. Voyez Sparte.
AGÉTORIE, fête en l'honneur de IMercure Agetor
ou conducteur. — Apollon était aussi nommé Agétor chez les
Argiens , parce qu'il passait pour avoir été le conducteur
des Héraclides chez les Lacédémoniens. — Ces fêtes portaient
le nom de Carnées.
AGGÉE , un des douze petits prophètes. On ignore et
sa naissance et l'époque de sa mort. Sa prophétie , qui
forme deux chapitres seulement , nous apprend que la pa-
role du Seigneur se révéla à lui dans la seconde année du
règne de Darius ; ce qui jjermet de placer sa vie à la fin du
sixième siècle avant J.-C. , peu de temps après le retour des
Hébreux de la captivité de Eabyloue. Aggée excita ses com-
patriotes à rebâtir le temple de Jérusalem ; une année de
stérilité vint à frapper les Juiis , et ils se mirent plus vigou-
reusement à l'œuvre. Comme la médiocrité du nouvel édi-
fice arrachait des larmes à ceux qui se souvenaient de la
magnificence du temple bâti par Salomon , Aggée leur rendit
le courage en annonçant que la gloire de cette dernière
maison serait encore plus grande que celle de la première.
Les théologiens ont appliqué cette prophétie à la venue du
Cliiist , qui honoia ce temple de sa présence.
AGGEUHUUS. Voyez XonvÈCE.
AGGLOMÉRAT. On appelle ainsi, en minéralogie et
en géologie , des masses composées de substances dissem-
blables , formées à diverses époques après avoir été long-
temps séparées.
AGGLOMÉRATION. Dans les sciences naturelles,
on se sert fréquemment de ce nom, qui signifie réunion en
aynas. On l'applique en géologie au mode de formation des
23
«78
foclies qui .n'ont pas une orij^inc instanlam^e, coninio les
roches agrégées, et qui sont composées de fragments de
roclies d'une époque antérieure , agglomérés par un ciment
quelconfpie. Les roches formées par agglomération prennent
le nom i\ agglomérats ou de conglomérats. — On dit éga-
lement qu'il y a agglomération d'individus réunis par une
partie connnune vivante, lorstpril s'agit de détemiiner
le genre d'individualité propre aux végétaux dont la tige
représente la souche ou la partie commune vivante, et
dont les divers organes appendiculaires, depuis la feuille
cotylédonaire jusqu'à la feuille carpellaire, sont alors
considérés comme autant d'individus qui fonctionnent, les
uns comme agents de nutrition , et les autres comme or-
ganes de reproduction. Certains animaux zoophytes, qui
forment le groupe des pennatulaires , sont également com-
l)osés d'une partie commune vivante, sur laquelle sont ag-
glomérés un grand nomhre d'individus.
AGGLUTINATIFS, emplâtres collants qu'on étend
sur du papier, du linge et du cuir. Comme ils ont la pro-
priété d'adhérer fortement à la peau , on s'en sert , sous le
nom de sparadraps , pour maintenir réunies les parties
divisées. L'usage des bandelettes agglutinatives est jour-
nalier en chirurgie. Les principaux agglutinatifs sont les
empl;■ltre^ de diapalme et diachylon gommé. Le taffetas d'An-
gleterre jouit d'un grand créilit dans le peuple, comme des-
siccatif des plaies. Un grand nombre d'agglutinatifs , surtout
s'ils sont mal préparés , ont l'inconvénient d'irriter les lis-
sus sur lesquels on les applique. Aussi a-t-on varié à l'in-
fini les formules de leur composition , pour tâcher d'éviter
cet inconvénient.
AGGRAVANTES (Circonstances). Dans la législation
criminelle, on appelle ainsi les faits accessoires qui, en ve-
nant s'ajouter à un fait principal, relèvent graduellement sur
l'échelle du crime, et le rendent proportionnellement pas-
sible d'ime pénalité plus forte. Ainsi le meurtre devient as-
sassinat par la circonstance aggravante de la préméditation,
et la peine de mort est susceptible elle-même d'être aggra-
vée si le meurtrier a pris pour victime l'un de ses ascendants
légitimes , ou ses père et mère légitimes , naturels ou adop-
lifs. Ainsi le vol simple, qui est rangé dans la catégorie des
délits, et qui est de la compétence des tribunaux correc-
tionnels , se change en crime et tombe dans la juridiction
des cours d'assises par le concours de l'une des circons-
tances aggravantes qui suivent : l'effracUon , l'escalade , la
nuit, la maison habitée, le chemin public, la pluralité des
coupables , le port d'armes , la violence ou la menace des
armes , les fausses clefs , les faux titres et les faux ordres.
Suivant que ces circonstances se rencontrent en plus ou
moins grand nombre dans une accusation de vol , la peine
applicable s'élève de la réclusion aux travaux forcés à temps,
aux travaux forcés à perpétuité et jusqu'à la mort. Le faux,
les attentats à la pudeur , et généralement tous les délits et
tous les crimes prévus et punis par le Code Pénal, soit qu'ils
aient été dirigés contre la sûreté de l'État, soit qu'ils aient
porté atteinte aux personnes ou aux propriétés, peuvent
être accompagnés de circonstances aggravantes. — L'accu-
sation doit toujoui-s spécifier et préciser ces circonstances,
et le jury doit être appelé à répondre distinctement sur cha-
cune d'elles. Mais s'il y a nécessité de déterminer et de dis-
tinguer les faits d'aggravation, considérés en eux-mêmes et
dans leur rapport avec l'accusation , cette distinction est-elle
é^ialement indispensable à l'égard de chacun des accusés? La
cour (le cassation l'a décidé négativement par arrêt du 10
lévrier 1844. Laurent ( de l'Ardèche).
AGIIA. Voyez Aca.
AGHUIDAGH. Voyez Aharat.
AGIDES. Lorsqueles H éraclidescliassèrentde Sparte
les descendants de Pélops , Eurysthène et Proclès , fils d'A-
ristodème , mort pendant l'expédition ( 1173 avant J.-C),
furent les premiers rois de la race d'Hercule qui résnèient
AGGLOMÉRATION — AGIER
PU Laconie. Les descendants de ces deux princes conser-
vèrent l'autorité suprême, de manière que l'État fut toujours
gouverné en commun par deux rois tirés de chacune de ces
branches. Eurysthène eut pour fils Agis , d'où les princes de
sa lignée furent appelés Agïdes ou Eurijsthén'ules. Proclès
transmit son nom aux ProcUdcs, ses descendants. La
branche des Agides donna trente rois,d'Euryslhène à Cléo-
mène III, qui mourut en Egypte. Cette race finit avec Agé-
sipolis III ; mais on ne sait comment ce prince termina ses
jours. Voyez Sparte.
AGIER (Puilippe-Jean), président de chambre à la
cour royale de Paris, mortdoyen d'ûge de cette cour en 182.3,
était né le 28 décembre 174S. Fils d'un procureur au parle-
ment , il exerçait la profession d'avocat consultant , lorsque
la révolution éclata. 11 fut nommé en 1789 député sup-
pléant de Paris aux états généraux et membre de la commune
formée au 14 juillet, où il fit partie du fameux Comité des
recherches. Cependant on n'eut aucun excès à lui reprocher,
et l'Assemblée constituante le désigna parmi les candidats pour
la place de gouverneur du daupliin. 11 était en août 1792
président du tribunal du cinquième arrondissement, séant
aux Petits-Pères; mais ayant été appelé à la commune,
avec ses collègues, pour y prêter le serment de liberté et
d'égalité, Agier s'y refusa ; ce qui le fit mettre à la retraite.
Étranger aux affaires publiques pendant la Terreur, il fut
nommé en 1795 président du tribunal révolutionnaire ré-
généré. Ses nouvelles (onctions cessèrent complètement
au bout de trois mois. Désigné en 1796 juré près la haute
cour nationale devant laquelle étaient traduits Babeuf et ses
complices , Agier se récusa, comme ayant été inscrit par les
prévenus sur une liste de proscription. Sa récusation ne fut
point admise ; mais il s'abstint de voter dans les délibéra-
tions du jury. "Vers le même temps , il devint membre du
comité du contentieux de la dette publique , et enfin , après
l'établissement du gouvernement consulaire , il fut nommé
juge, puis bientôt après vice-président au tribunal d'appel
de Paris. En 1816 il fut confirmé par Louis XVIII dans ces
honorables fonctions. Doué d'une rare activité d'esprit , il a
publié plusieurs ouvrages estimés en matière de droit civil
et politique , entre autres le Jurisconsulte national , ou
Principes sur les droits les plus importants de la nation
(1789, in-8°); Vues sur la réformation des lois civiles
( 1793, in-8°) ; Du Mariage dans ses rapports avec la re-
ligion et avec les lois nouvelles de France ( 1801 , 2 vol.
in-S"). Ses écrits religieux décèlent un zèle tellement exagéré
pour les libertés de l'Église gallicane qu'on l'a accusé de
jansénisme outré. Son travail sur les psaumes , qu'il a tra-
duits et mis dans leur ordre naturel, avec des explications et
des notes critiques , est fort estimé. Son commentaire sur
V Apocalypse et son ouvrage sur le second avènement de
Jésus-Christ prouvent que cet excellent esprit était tombé
dans les erreurs des millénaires.
AGIER (Cuarles-Glv- François), cousin du précé-
dent, né en 1753 , à Niort, était avant la révolution lieu-
tenant-criminel au siège royal de Saint-Maixent. Député du
tiers état aux états généraux , il se fit remarquer par sa mo-
dération et par son utile coopération aux travaux des co-
mités. Il fut incarcéré sous le régime de la Terreur. Nommé
en 1 800, par le gouvernement consulaire , commissaire près
le tribunal civil de Niort , il fut sous la Restauration élevé
aux fonctions de procureur général près la cour royale du
ressort, et mourut en fonctions en 1828.
AGIER (François-Marie), fils du précédent, avait
débuté an barreau, à l'âge de vingt-deux ans, comme dé-
fenseur de deux complices de Moreau (1804). Quoiqu'il
ertt rempli pendant cinq ans des fonctions judiciaires sous
Napoléon , il se prononça vigoureusement en faveur de la
Restauration, et refusa sous les Cent Jours de signer l'Acte
additionnel. A la tête d'une compagnie de volontaires roya-
listes, il apporta à la chambre des représentants de isiâ
AGIEU —
une pélilion iiiipiliinV' où l'on demandait le rétablisscniont
deî> lîourbons. Sous la Restauration , Agier devint iirésident
d'une société ultra-royaliste dite des Francs régénéras , re
qui lui valut la disgnke du gouvernement, et niùme une
destitution en ISlS. Il coopéra ensuite à la rédaction du
Conservateur, et à l'arrivée de M. de Villèlc au ministère
il fut rappelé dans la magistrature. Élu par le département
des Deux-Sèvres à la chambre des députés dite septennale,
Agier y prit place au centre droit. Il contribua avec trente
députés votant sous son influence, et que pour cela on ap|)ela
la défection Agier, à corroborer cette majorité des 29.1 ,
qui eut en 1830 une si puissante influence sur les destinées du
pays. Réélu après la dissolution prononcée par le ministère
Polignac, il accourut prendre part aux délibérations qui con-
sommèrent la révolution de 1830 en appelant Louis-Philippe
au trône. Agier ne fut pas réélu en 1831 ; mais il revint à la
chambre en 1834, pour échouer de nouveau en 1836. En 1842
le gouvernement le nomma président de chambre à la cour
royale de Paris ; il dut prendre sa retraite après la révolution
de février, et mourut peu de temps après, le 16 mai 1848.
AGILES (Raymond d'), chanoine du Puy, accompagna
Adhémar de Monteil à la première croisade , et fut promu au
sacerdoce pendant le saint voyage. Raymond IV le distin-
gua parmi ses vassaux; il fut nommé chapelain de ce prince,
qui avait remarqué son esprit et ses connaissances, et qui
l'admit dans ses conseils et dans son intimité. Au nombre de
ceux qui avaient accompagné en Orient le célèbre comte de
Toulouse et de Saint-Gilles , le chapelain distingua surtout
Pons de Bahazun , qui à la valeur du guerrier joignait les
talents de l'homme de lettres ; tous deux formèrent le projet
décrire l'histoire de la croisade, surtout en ce qui avait
rapport à l'évèque Adhémar et à Raymond IV; mais Pons
de Bahazun mourut au siège d'Archas, en 1099, et Raymond
d'Agiles, revenu en Languedoc après la prise de Jérusalem,
s'occupa, dans les loisirs que lui laissaient ses devoirs de
chanoine, du soin d'écrire les faits d'armes des croisés en
Orient jusqu'au départ de Jérusalem et au passage du Jotu-
dain par l'armée toulousaine. Le latin de Raymond d'Agiles
est assez pur, et même assez élégant, selon M. Michaud,
qui le critique cependant, parce que, dévoué à son prince, il
a raconté les méfaits et les erreurs des croisés du nord de
la France. Guillaume de Tyr a presque entièrement adopté
les récits de Raymond d'Agiles, et cette estime marquée pour
l'historien du comte de Toulouse est un éloge de la véracité
de cet écrivain.
AGILOLFINGES, dynastie ducale de Bavière. Vers
le miheu du sixième siècle, les Souabes, ainsi que les Ba-
varois , paraissent s'être unis par des traités à l'empire des
Francs , qui s'étendait sur tonte l'Allemagne méridionale.
C'est ce que Luden établit parfaitement dans son Histoire
du peuple Allemand. Les rois francs laissèrent aux Bavarois
leurs ducs particuliers, qu'ils confirmaient dans leur dignité
après l'élection, laquelle portait toujours sur un prince de
la famille d'Agilolf. L'histoire n'en connaît pas d'antérieurs
à Garibald, qui est appelé duc par Grégoire de Tours. La
loi des Bavarois (titre II, chap. 20, 3 ) dit : Dux rite sem-
per de génère Agilolfingorum fuit et. débet esse, quia sic
reges anlecessores nostri conccsservnt eïs. On ne sait pas
l'origine des AgiloKinges, ni quel était Agilolf, mais sans
aucun doute il était au nombre des ancêtres de Garibald. Il
est vraisemblable aussi que le traité qui unit les Bavarois
aux Francs stipulait des avantages particuliers pour les
membres non régnants de la famille ducale. Cinq races sont
nommées dans la loi des Bavarois, De Golbéry.
AGIXCOURT. Voii. Seuocx d'Acincoubt.
AGIO (d'un mot italien qui signifie aider), terme de
banque, qui exprime la somme nécessaire pour couvrir la
différence de la valeur nominale et de la valeur réelle des
monnaies. Cinq pièces de 20 francs, au ulre *;t au poids de
leur création, valent 100 francs. Mais cj. d, j ujj, n^u'elles sont
AGIOTAGE 179
en circulation, le frottement ou la main du faussaire a ré-
duit leur poids de 5 pour 100, il est évident que leur valeur
réelle n'est plus que de 95 francs, quoique leur valeur no-
minale soit toujours de 100 francs. La somme de 5 francs,
nécessaire pour éj^aler la valeur réelle à la valeur nominale ,
est ce qui constitue l'agio.
Il faut cependant remarquer qu'on ne l'exige pas dans les
relations commerciales d'un pays. Chacun donne la mon-
naie comme il la reçoit, et la valeur réelle ne se distingue
pas de la valeur nominale. L'agio n'a lieu que lorsque la
monnaie se dégrade sensiblement et s'éloigne beaucoup de
sa valeur. Mais dans les relations commerciales de peuple à
peuple, celui qui accepterait des monnaies dégradées sans
rétablir le prix par l'agio éprouverait un grand dommage.
Afin de prévenir cet inconvénient, les peuples qui faisaient
un grand commerce, comme les Hollandais, les Vénitiens,
établirent des b a n q u e s d e d é p ô t , qui ne recevaient et ne
donnaient la monnaie qu'au titre et au poids légaux. Cette
première mesure fut suivie d'une seconde plus efficace en-
core : on obligea tous ceux qui donnaient à l'étranger des
lettres de change sur le pays, de les stipuler payaiiles en
monnaie de la banque de dépôt. Ce fut un moyen de se sous-
traire au désastreux agio.
On se sert aussi du mot agio pour exprimer le profit que
l'on fait sur le change des monnaies d'un métal différent.
Ainsi, lorsque l'or était rare, comme il était recherché par
moments, à cause de sa plus grande valeur sous un moindre
poids, il fallait donner une certaine somme en prime pour
convertir l'argent en or : c'est cette prime que l'on nomme
agio. Après la révolution de février, nous avons vu l'agio
de l'or monter à 95 fr. pour 1,000 fr. : aujourd'hui ce métal est
au pair avec l'argent, ou plutôt l'agio serait en faveur
del'aigent. — Il y a encore lieu à un payement d'une diffé-
rence quand on échange du papier contre des valeurs métal-
liques : le bénéfice que réalise le banquier se nomme agio.
et la perte que supporte la personne qui éciiange les va-
leurs prend le nom d'esco/np/e (l'o^T- Change). Z.
AGIOTAGE. On désignait autrefois par le terme d'o-
giotage tout ce qui concernait le commerce des espèces mé-
talliques ou du papier, commerce qui constitue aujourd'hui
la profession de banquier. Cette industrie importante fut d'a-
bord exercée à Venise, puis dans d'autres cités commerçan-
tes de l'Italie, et de là elle ne tarda pas à se répandre dans
les principales villes de l'Europe. L'agiotage , ainsi que son
nom l'indique, consistait à prélever l'agio, à titre de rému-
nération des frais de transport, de compensations des ris-
ques, etc., que nécessite le change d'une valeur contre une
autre valeur. Ce terme fut bientôt détourné de son sens pri-
mitif, et on s'en servit pour désigner la spéculation sur les
actions , effets publics , etc. C'est à l'époque du fameux sys-
tème de Law que l'agiotage prit en France pour la pre-
mière fois un développement scandaleux. Il en fut de même
pendant les orages de la révolution française. Aujourd'hui
l'agiotage désigne donc surtout les spéculations dont la dette
publique et autres valeurs mobilières sont le (irétexte.
Agioter, c'est acheter des rentes, des actions, lorsqu'elles
son ta bas prix pour les revendre lorsqu'elles auront haussé,
et réaliser ainsi un bénéfice. On comprend tout lie suite
pourquoi l'agiotage est voué à la ré|(robation publique, c'est
que par lui il n'y a pas de production, pas d'accroissement
rfiel de produits; il n'y a (ju'im dé]i!acement de valeurs,
enrichissement de l'un par la ruine de l'autre. Les négocia-
tions sérieuses ont presque disparu pour faire place à des
ventes ou achats fictifs , que l'on connaît sous le nom de
marchés à terme et de marchés à primes {voyez Bourse).
L'agiotage ne s'exerce pas seulement sur les valeurs publi-
ques, etc., mais aussi sur les objets de production réelle,
les vins, les eaux-de-vie, les huiles, les cafés, les colons.
Dans ces marchés on s'engage d'une i)art à livrer, d'auire
part à recevoir telle quantité d'une marcliaiidise à certaine
(SO
AGIOTAGE — AGLABITES
I poque moyennant un prix convenu. Non que l'on veuille
vendre ou acheter réellement ; c'est encore un pari de la na-
ture de celui (pii se fait sur les rentes. Au terme marqué, le
marché se résout par le payement de la différence entre le
cours au jour de l'échéance elle prix convenu.
Ces opérations sont une source de désordies, une cause
de ruines que la loi flétrit ; mais en voulant les empêcher, elle
serait exposée à interdire une foule d'opérations sérieuses
et utiles. L'agioteur prerjd tous les moyens pour être au
courant des nouvelles; il spécule même quelquefois sur
riionneur du pays; s'il a des accointances auprès des hom-
mes politiques , il peut jouer à coup sih-; avec de grosses
sommes , il est maître de la place , et il a été un moment où
une .seule maison de haiique à Taris jouait sur la rente; au-
cune autre n'osait lutter avec elle.
AGIS, riusieurs rois de Sparte ont porté ce nom. —
Agis !"■, fds d'iiurystliène, régna vers l'an 1060 avant J.-C.
Ce fut lui, suivant Strabon, qui prit la ville d'Hélos, et en
réduisit les habitants {voyez Ilotes) en esclavage. Ses des-
cendants , i{ui régnèrent à Sparte concurremment avec ceux
de Troclès, son oncle, prirent de lui le nom d'j4 ^rides. —
Agis II, iilsd'Archidanuis II, de la race des Proclulcs, régna
de 427 à 301) avant J.-C. Il se distingua dans la guerre du
réioponnèsc, remporta en'4l8, à Mantinée, une impor-
tante victoiie sur les Argiens et leurs alliés, lit ensuite in-
vasion dans l'Attique, et y fortilia Décélie; ce qui, suivant
riutarque, contribua plus que toutes les victoires de Lacé-
<lémone à la ruine de la puissance athénienne. Alcibiade,
réfugié à Sparte, séduisit la femme d'.Agis, et en eut un fils,
Léotychide, que ce prince désavoua d'abord, et qu'il recon-
nut dans la suite ; ce qui n'empêcha pas les Spartiates de
l'exclure du trône, pour y placer Agésilas. — Agis HT,
fils d'Arcliidamus 111 et petil-fils d'Agésilas, régna de .347 à
.338 avant J.-C. Quoique opposé au parti macédonien, il
attendit pour se déclarer contre Alexandre que ce prince
eût passé en Asie et se fût engagé dans son expédition contre
Darius. Ce dernier lui fournit alors des subsides considé-
rables, dont il se servit pour enrôler huit mille mercenaires
échaitpés à la bataille d'Issus, et pour équiper une flotte avec
laquelle il se rendit maître de la plus grande partie de l'ile
de Crète. Il revint ensuite dans le Péloponnèse, dont la plus
grande partie fut bientôt soulevée contre les IMacédoniens ,
et il alla, avec 20,000 hommes de pied et 2,000 chevaux ,
mettre le siège devant Mégalopolis. IVIais Antipater, qui
commandait en :\Iacédoine, se hâta d'accourir au secours de
celle ville. Son armée s'élevait à 40,000 hommes; Agis
n'hésita cependant pas à lui livier bataille, et il eût rem-
porté la victoire sans la défection d'une partie de ses alliés.
Les Lacédémoniens, après des prodiges de valeur, avaient
été enfin obligés de céder au nombre; (juatre guerriers em-
portaient Agis grièvement blessé. Celui-ci, les voyant sur le
point d'être enveloppés i)ar l'ennemi, leur ordonna de le dé-
poser à terre et de pourvoir à leur sûreté ; puis, se mettant à
genoux, ilattcndit dans cette positionles Macédoniens, en tua
encore plusieurs, et tomba enfin, percé de part en part d'un
javelot lancé de loin contre lui. C'est en apprenant cette vic-
toire de son lieutenant qu'Alexandre dit à ses amis, avec un
sourire de pitié : « Tandis que nous chassions l'Asie devant
« nous, il y avait en Grèce un combat de souris! »— Agis IV,
fils d'Eudamidas II, de la race des Proclides, monta sur le
trône en '232 avant J.-C. Sparte était alors bien déchue :
c'était à peine, dit Plutanpie, si l'on y comptait encore
.sept cents citoyens; et sur ce nombre il y en avait six cents
qui ne possédaient rien ; tout Icteriitoircapparfenaitauxcent
autres, (jui passaient leur vie dans la mollesse et la débau-
che , et semblaient avoir mis dans un oubli complet les
lois de Lycurgiie. Agis voulut opérer une réforme politique,
et, aidé de Lysandre, le plus considéré de tous les Spar-
tiates, qu'il était parvenu à faire nommer éphore, de Man-
ilroclidas, qui passait pour le plus habile des Grecs dans la
conduite des affaires , de son oncle Agésilas, et enfin de sa
mère Agésistiate, à qui son immense fortune donnait dans
la ville une grande influence, il essaya de faire adopter deux
mesures qui devaient amener le retour de la république à
cette législation à laquelle elle avait dû sa grandeur : l'abo-
lition de toutes les dettes, et un nouveau partage des terres.
La première fut seule décrétée; Agésilas, dont les biens
étaient considérables, mais qui devait encore plus qu'il ne
I)ossédail, essaya d'arrêter là la réforme, et abandonna son
neveu quand celui-ci voulut aller plus loin. Agis fut alors
chargé de conduire aux Achéens , en guerre avec les Élo-
liens, le secours que Sparte devait leur fournir comme leur
alliée. Pendant son absence, ses ennemis reprirent le dessus;
son collègue Léonidas, qui s'était déclaré le chef du parti
opposé aux réformes , et que Lysandre avait fait exiler et
remplacer par Cléombrote , fut rappelé , et remonta sur le
trône; le peuple, qui n'avait rien gagné à l'abolition des
dettes , s'en prit à Agis de l'ajournement du partage des
terres, et ce malheureux prince, accueilli, à son retour, par
une émeute terrible, ne put échapper à la fureur de ses en-
nemis qu'en se réfugiant dans le temple de MineiTe Chalcia-
que. 11 n'y fut pas longtemps en sûreté : les éphores l'en
arrachèrent pour le livrer aux bourreaux. Son aïeule Archi-
damie et sa mère Agésistrate furent ensuite mises à mort ;
puis Léonidas força la veuve de son collègue à épouser son
petit-fils Cléomène, qui alors était à peine nubile, mais qui,
devenu roi à son tour, renouvela les efforts d'Agis pour le
rétablissement des lois de Lycurgue, et ne réussit pas mieux
que lui. Pluîarque a écrit les Vies d'Agis et de Cléomène,
et ce ne sont pas les moins intéressantes de ses admirables
biographies. Léon Renieu.
AGITATEUR (du latin agito, fréquentatif d'op'o, agir),
celui (jui excite les passions du peuple et occasionne des
troubles dans l'État. O' Connell avait reçu le surnom de
grand agitateur de l'Irlande. On se rappelle en effet avec
quelle facilité ce vol sans couronne soulevait et apaisait des
flots de peuple dans son pays. En 1847 nous avons vu en
France de petits agitateurs chercher à peser sur le gouver-
nement au moyen de l'agitation des banquets , et produire
la révolution de février. — Les officiers que l'armée anglaise
élut en 1643, pendant les troubles politiques de cette
époque, pour veiller aux intérêts de l'État, avaient aussi
reçu le nom (!l agitateurs.
AGITATION. On appelle ainsi , en pathologie, une
sorte de mouvement continuel et fatigant du corps, accom-
pagné de malaise , que l'on observe en général au début des
maladies , et quelquefois à la suite d'une simple indisposi-
tion. Une mauvaise digestion, les excitants, le café, les li-
queurs alcooliques peuvent également produire de l'agita-
tion. L'agitation morale détermine aussi souvent l'agitation
physique. Ce symptôme a ordinairement peu de gravité au
début des maladies , mais il en acquiert lorsqu'il se pro-
longe ou lorsqu'il se manifeste au milieu d'une affection
qui suivait un cours régulier.
AGITATO , terme de musique , indique le trouble et
l'agitation. Son expression réclame un mouvement rapide :
aussi le mot agitato se rencontre-t-il le plus souvent à la
suite du mot allegro.
AGLABITES ou AGÉBITES, dynastie qui a gouverné
une partie de l'Afrique septentiionale pendant cent douze
ans, depuis l'an de l'hégire 184 jusqu'à l'an 296 ( 800-909 de
l'ère chrétienne). Ils descendaient d'Ibrahim, fils d'Aglab,
général du khalife Haroun-al-Raschid, qui l'envoya gou-
verneur en Egypte vers l'an 800. Ibrahim conquit pour
son compte tout le littoral africain jusqu'à Tunis, et ne
releva plus du Khalife de Bagdad que pour la forme. Ce-
pendant, comme on peut suivie dans Ihistoire des khalifes
la série des gouverneurs d'Egypte, il est évident «pie les fils
d'Ibraliim ne furent souverains indépendants que de cette
contrée de l'Afrique que les anciens appelaient la Tentapolect
AGLABlTIilS
la C yrénaïque , et que le khalife Omar avait dfyà fait occuiior
par ses gént^raiix. I,h se trouvent les ailles ilc Barca, de
Tripoli et de Caïrwan. Cette dernière était l'antique Cyrone;
et quoique certains Orientaux aient écrit qu'elle ne fut réta-
blie que par le chef de la dynastie des Fathimites, vei-s 910 de
l'ère chrétienne , quelques notions éparses dans l'histoire des
khalifes prouvent que les Aglabites en avaient déjà fait leur
capitale, puisque cette même histoire les appelle partout kha-
lifes ou émirs de Caïrwan. Abdallah fut le second prince de
cette dynastie. C'est lui, qui, l'an 212 de l'hégire (828), s'em-
para d'une partie de la Sicile , sous le khalifat de Mamon.
Mahomet l*"^, son fds, lui succéda, soumit les villes de Mes-
sine, de Lipaii et de Palcrme, et prit le titre d'émir de Si-
cile en l'an 228 de l'hégire (843), sous le khalifat de Wathek.
Mahomet régna neuf ans, et son fds Abou-Ibrahim-Ahmed
lui succéda. Il parait qu'à cette époque les Aglabites de Sicile
s'étaient déclarés indépendants du khalife de Caïrwan, dont
ils se bornaient à demander l'investiture. Le premier de ces
émirs particuliers se nommait Al-^Vbbas , le second Abdhal-
lali ; c'est Al-Abbas qui s'empara de Raguse , sur la terre
<erme. Au second succéda sou fds, Ebn-Solian ; à celui-ci
Mahomet- Ebn-Khatajub, dont l'élection fut confirmée par
Maliomet II, khaUfe de Caïrwan , l'an 255 de l'hégire (869 de
l'ère chrétienne), et c'est ainsi que l'histoire nous révèle le
nom du cinquième des Aglabites. Mahomet régna vingt ans,
et mourut l'an 2G2, ou 875 de J.-C. Ibrahim, son frère, fut
le sixième. 11 envoya des troupes en Sicile, s'y transporta
lui-même, y remporta quelques victoires, et mourut en 903
(291 de l'hégire). Son fils et successeur, Abou-Nasser-Zia-
dat-Allah , fut le dernier de cette dynastie, que le khalife de
Bagdad lit détrôner par un de ses généraux, en 909. Obéid-
Allah fut mis à sa place, et commença la dynastie des Fa-
thimites. Le dernier des Aglabites alla mourir à Ramla ,
dans la Palestine. Viennet , de rAcadémie Française.
AGLAE {Aglaïa). Suivant Hésiode, ime des trois Grâ-
ces, fdle de Jupiter et d'Eurinome; suivant d'autres , la
mère des Grâces , et épouse de Yulcain.
AGLAR. Vojjez Aquilée.
AGXADEL ( Bataille d' ). Le pape J ules II étant par-
venu à faire conclure la ligue de Cambrai, Louis XII se
disposa à marcher contre Venise. Les Vénitiens ne furent
avertis du complot qui se tramait contre eux qu'au com-
mencement de 1509, peu de mois avant le terme fixé pour
leur déclarer la guerre ; mais ils pressèrent tellement leurs
préparatifs que dès les premiers jours d'avril ils réunirent
à Pontevico , sur l'Oglio , une armée de trente mille hom-
mes d'infanterie et sept mille chevaux, sous les ordres du
comte de Pitigliano et de Barthélemi l'Alviane. L'armée
française, qui s'assemblait à IVIilan, n'était que de dix-huit
mille hommes d'infanterie et deux mille gendarmes d'or-
donnance. Le 15 avril les hostilités commencèrent, en
même temps que Louis XII faisait déclarer la guerre à Ve-
nise. L'armée vénitienne se porta alors en avant sur Triviglio,
qu'elle prit, et vint camper vers Arsago, derrière le canal
de la Roya Commune, ayant Rivolta devant sa droite, et
sa gauche s'étendant dans la direction de Vailate. Louis XI 1,
ayant appris la prise de Triviglio , se hâta de marcher avec
son armée sur Capario , pour y passer l'Adda. On s'atten-
dait que les Vénitiens auraient occupé l'île que forme à
l'extrémité du pont le canal appelé Ritardo. Le maréchal
Trivulzi avait annoncé qu'on les y trouverait retranchés.
Mais le comte de Pitigliano, qui commandait en chef les
Vénitiens, voulant à tout prix éviter un engagement, avait
négligé cette position importante. L'armée française jtassa
donc l'Adda sans obstacle , et vint se déployer devant les
Vénitiens, qui restèrent sur les hauteurs qu'ils occupaient,
et refusèrent la bataille. Louis XII, pour les y contraindre,
fit le lendemain attaquer Rivolta; Pitigliano laissa em-
porter la place d'assaut sans la secourir. Alors le roi de
Viàiice forma le projet de se rendre maître de Vailnte, afin
— AGNAT 181
de couper aux Vénitiens la communication de leurs maga-
sins, établis vers Crema et Crémone. Pour y arriver, il fal-
lait faire un détour par Boidrina et Agnadel ou Agnadello,
tandis que les Vénitiens, plus près de Vailate, pouvaient
s'y rendre directement par le chemui de Crema. D'un autre
côté , l'armée française , dans sa marche au travers d'un
pays coupé de canaux , prêtait le flanc à l'ennemi. Mais
Louis XII comptait précisément sur l'avantage qu'il leur
offrait pour amener les Vénitiens à une bataille qu'il
désirait.
Le 1 4 mai l'armée française se mit en marche. Dès que
ce mouvement fut aperçu, l'armée vénitienne se mit égale-
ment en mouvement pour se rendre à Vailate; l'Alviane
en commandait l'arrière-garde , et on croyait toujours pou-
voir éviter le combat. Mais l'avant-garde française , com-
mandée par Chaumont et Trivulzi, avait fait une telle di-
ligence, que l'Alviane fut attaqué entre Agnadello et Vai-
late. Il fit d'abord occuper par son infanterie des vignes et
une digue qui couvraient les débouchés de la plaine, et fit
avertir Pitigliano d'accourir avec le reste de l'armée, une
bataille étant inévitable. L'attaquÊ des Français fut impé-
tueuse , et la résistance de l'Alviane digne de ses talents et
de son courage. Mais Pitigliano ayant mis quelque peu de
lenteur dans son mouvement , le reste de l'armée française
eut le temps d'arriver au secours de son avant-garde. Alors
le roi fit attaquer les vignes par l'infanterie gasconne, et
la digue par les Suisses, malgré le conseil qu'on lui donnait
de cesser le combat , puisqu'il avait été prévenu à Vailate
par l'ennemi. Il sentait bien qu'il tenait l'armée vénitienne,
et qu'en débouchant dans la plaine , tout l'avantage de la
bataille était pour sa cavalerie. Les Suisses , d'abord rompus
par l'artillerie qui défendait la digue, finirent par l'em-
porter après un combat sanglant. Les Gascons , fort mal-
traités, commençaient à plier, lorsque le roi ariiva près
d'eux. Sa présence ranima le combat, et les vignes furent
également occupées. Alors la gendarmerie française put
déboucher dans la plaine , et les armées se trouvèrent en
présence. La cavalerie ennemie , ayant été rompue au pre-
mier choc, jeta le désordre dans l'armée vénitienne , qui fut
facilement mise en déroute. Elle perdit à cette journée
huit mille morts, quinze mille prisonniers, trente-six ca-
nons et ses bagages. L'Alviane , blessé , fut fait prisonnier,
combattant toujours et couvert de sang. Pitigliano ne put
rallier les débris de son armée qu'à Brescia.
Général G. de Vaudoncocrt.
AGNALîES. Voyez Agonales.
AGNANO (Lac d'), lac du royaume de Naples, à 8 kilom.
sud-ouest de la capitale , formé par le cratère d'un ancien
volcan. Jl a environ 3 kilom. de circonférence. Près de là se
trouvent la fameuse grotte du Chien, célèbre par ses exha-
laisons méphitiques, et, dans la vallée de la Solfatara, les
eaux thermales de San-Germano, renommées par leur vertu
contre la syphilis, la goutte et les rhumatismes. De temps
en temps les eaux du lac, quoique froides, semblent être
en ébuUition. — Acnano est encore le nom d'une petite ville
de Toscane qui possède des eaux thermales acidulés.
AGIVAT, AGNATION. Les Romains distinguaient deux
sortes de parenté, la parenté naturelle qu'ils appelaient
cognation , et la parenté civile qu'ils nommaient agna-
tion. Le titre de cognats était générique, celui d'agnats
était spécial et n'appartenait qu'à certains parents , à ceux
que le dioit civil réunissait dans une seule et même fa-
mille, sous la puissance d'un même père de famille, chef
et propriétaire de la famille. Cependant l'agnation subsis-
tait encore lorsque le lien de famille était brisé par la mort
du père, et les nouvelles familles qui en résultaient ne ces-
saient pas de former la famille générale ; chaque membre
avait le titre commun d'agnat. Mais si l'un des membres de
la famille venait à en sortir d'une autre manière, par l'é-
mancipation, l'adoption par exemple, l'agnation ceS'
182
sait. Il ne restait plus alors de la communauté d'origine que
la simple parenté naturelle ou cognation, qui ne pouvait
changer.
Les enfants n'étaient jamais agnals de leur mt'^re quand
«lie n'avait pas passé dans la famille de son mari ; ils ne
l'étaient jamais de ses parents, parce qu'appartenant à la
famille de leur père, ils ne faisaient jamais partie de celle de
leur mère.
La famille ne se continuant que par les mâles, c'était
donc uniquement dans leur descendance qu'il pouvait se
trouver des agnats : aussi a-t-on défini les agnats : des pa-
rents par le sexe masculin. Distinction inexacte; car outre
qne des parents par uuiles peuvent avoir perdu l'agnation, l'a-
dopté acquérait tons les droits d'agnat dans la famille où il
entrait : c'est l'unité de famille qui la constitue.
Les agnats seuls composant à Rome la famille légale,
eux seuls, d'après la loi des Douze Tables, étaient appelés à
la tutelle quand le i)ère de famille n'avait point fait de tes-
tament, ou n'y avait pas nommé de tuteur à ses enfants; eux
seuls avaient le droit de venir en second ordre à l'hérédité ,
à défaut de ceux qui recueillaient la succession de préférence
à tous, et qu'on appelait héritiers siens. Si plus tard les co-
gnât» furent aussi appelés à l'hérédité, ce ne fut que par le
droit prétorien.
Dans le droit primitif, la femme passait entièrement sous
la jinissance et dans la famille de son mari; elle y prenait
une place d'enfant, de fille : elle devait donc être comptée
au nombre des agnats. Le titre d'agnat appartenait égale-
ment à toutes les femmes de la famille , tant qu'elles n'en
étaient i>as sorties. Mais plus tard, par une interprétation de
la loi Vocnnio, pour conserver les biens dans chaque fa-
mille, on décida que les femmes ne devaient pas participer
au droit d'agnation, auquel les mâles seuls furent admis.
Sous Justinien, l'agnation disparut; le lien du sang fut dé-
finitivement reconnu comme donnant droit à succéder. La
cognation l'emporta alors sur le lien de parenté civile.
Trois classes d'héritiers furent instituées, les descendants, les
ascendants et les collatéraux. Cette division simple, et fon-
dée sur les affections présumées du défunt, passa en France
dans les coutumes du droit écrit, et les rédacteurs du Code
Civil l'adoptèrent comme base du droit de succession qui
régit la Frauce.
Les disposilions de la loi salique suivie pour la succes-
sion de la couronne de France rappelaient assez la législation
romaine sur les agnats.
L'agnation est encore de la plus grande importance dans les
pays où l'on suit le droit féodal, en Allemagne et en Italie.
Le plus prochain des agnats est toujours appelé à la suc-
cession des fiefs par une espèce de substitution perpétuelle;
il peut faire révoquer l'aliénation du fief faite par le précé-
dent possesseur, s'il n'y a prêté son consentement. Enfin, l'a-
piafion réglait la succession de nos anciens duchés-pairies,
l't elle règle encore aujourd'hui la transmission héréditaire
<les biens érigés en majorais.
AGIVEAU. Voyez Mouton.
AGAEAU PASCAL. Chez les Juifs la manducation
de Vagnemi pascal était une des cérémonies les plus impor-
tantes de la loi. Longtemps chez les chrétiens les fidèles fu-
rent dans l'usage de pratiquer une cérémonie identique et
de manger un agneau btinit le jour de Pâques. Walafride-
Strabon blâme fort cette coutume, coiimie empreinte de ju-
daïsme. Mais le savant cardiiKil lîona l'a justifiée; il dit
qu'elle subsistait encore de son temps. A Marseille le joiu-
de Pâques on mangeait autrefois un agneau rOti. Cette céré-
monie avait lieu après l'heure de tierce, et pendant ce temps
on lisait le livre de la Cite de Dicu,(\Q saint Augustin.
11 y a longtemps que cette coutume est abolie. On retrouve
la même cérémonie chez les Arméniens. L'évètnie, les prê-
tres et les fidèles ))renaient part à ce festin symbolique, qui
uvait lieu à l'église. Suivant le onzième ordre romain, c'était
AGNAT — AGNÈS SOREL
le souverain pontife qui bénissait l'agneau pascal; et l'on
voit dans le douzième ordre romain que cet agneau était
béni par le plus jeune des cardinaux. 11 serait assez difficile
d'expliquer la cause de ce changement de personne. Le
pape Benoît XTV, dans son Traité des Fêtes, ne fait aucune
meutipn (Je Ijftgneau pascal pour le jour de Pâques.
AGIVÈLET ou AIGNEL , nom d'une ancienne monnaie
d'or, fabriquée pour la première fois , en France , sous le
règne de Louis VII, au titre de 24 carats et du poids de 26
gros. Elle portait pour effigie un agneau, et tirait son nom
de cette empreinte. Autour de l'agneau on lisait : Agnus
Lei, qui iollis peccuta mundi, miserere nobis; et, der-
rière, une croix llcurdelisée avec la légende XPS ( Christus)
vincil, XPS régnât, XPS imperat. Saiut Louis en fit fa-
briquer de la valeur de 12 sous d'argent et 6 deniers, re-
présentant environ 13 francs de notre monnaie. Les agnelets
du roi Jean, an titre légal de 990, représentaient une valeur
actuelle de IG francs 50 centimes. — Presque tous les rois
de France, jusqu'à Charles VII, firent frapper de ces espèces,
très-recherchées dans les transactions, et qu'on nommait aussi
assez communément moutons d'or à la grande laine ou
à la petite laine. A l'imitation de nos rois, différents princes
étrangers firent fabriquer des pièces d'or du même poids,
du même titre et à la même empreinte.
AGNES ( Sainte ), jeune vierge d'une beauté remarqua-
ble et d'une vertu éprouvée, appartenait à une illustre fa-
mille romaine. Soupçonnée d'avoir embrassé le christia-
nisme, Agnès fut enveloppée dans la persécution qu'or-
donna Dioclétien. La légende rapporte qu'un miracle pré-
serva sa chasteté d'un attentat odieux ; le soldat chargé de
lui enlever sa virginité fut frappé de cécité; mais la sainte
lui rendit la vue. Elle subit le martyre l'an 303 avant J.-C.
L'Église célèbre sa fête le 21 janvier.
AGNÈS (Rôle d'). C'est, au théâtre, celui d'une jeune
personne naïve et siuiple, sans expérience. Ce nom est de-
venu synonyme d'ingénue depuis que Molière l'a donné à
la jeune fille de l'École des Foiunes ; il la caractérise ainsi :
Dans ses siniplicilés à tous coups je l'admire;
Et jiarfois clic en dit dont je pâme de rire.
L'autre jour ( pourrait-on se le persuader ? )
Elle était fort en peine, et me vint demander.
Avec une innocence à nulle autre pareille.
Si les eiilauls qu'on fait se faisaient par l'oreille.
Destouclics a donné une Fausse Agnès au théâtre.
AGNÈS DE MÉRANIE. Voyez Puiuppe II.
AGNES SOREL, maîtresse du roi de France Char-
les VII, était la fille d'un gentilhomme attaché à la maison
de Clermont, et naquit en 140'J, à Fromenteau, en Touraine.
Elle perfectionna si bien les dons qu'elle avait reçus de la
nature, qu'elle fut du nombre des femmes les plus distin-
guées de cette époque, tant par ses charmes personnels que
par son esprit et son instruction. Dame d'honneur de la
duchesse d'Anjou Isabelle de Lorraine , elle vint à la cour
de France, en 1431 , avec cette princesse. Sa rare beauté
captiva le cœur du roi; pour l'attacher à sa cour ce
prince la nomma dame d'honneur de la reine. Après quel-
que résistance , Agnès céda aux impétueux désirs du mo-
narque; cependant leur liaison resta quelque temps secrète.
Les Anglais étaient alors maîtres de la moitié du royaume ;
Charles VII, naturrllement brave, mais inférieur à la
crise dans laqitelle il se trouvait , était tombé dans la
[rliis fatale apathie. Acnés Sorel , d'aurès nianlôir.c, réussit
à l'en faire sortir, et a lui rappeler ce (ju'il devait à sa gloire.
Le succès qui s'attacha dès lors aux armes du roi lui
rendit sa maîtresse encore plus chère ; elle n'abusa tou-
tefois jamais de sa faveur, et se retira même dès l'an 1442
â Loches, où le roi lui avait fait construite un château.
Charles Vil lui donna en outre le coiuté de Penthièvrc en
Rrotngnc, les chùtellenies de la Roche-Servière et d'Issou-
dim dans le lîeiri , et le château de Deauté sur les bords de
AGNÈS SOREL — AGONALES
la Marne, d'oii elli' prit le nom »lo danu» de I5oaiito. Klle y
habitait depuis cimj ans , toujours en relation intime avec
le roi, qui lui rendait de fréquentes visites, lorsqu'en 144!)
la reine l'invita à revenir à la cour. Agnès Sorel se rendit à
cette invitation, et , pour se rapprocher davantage du roi ,
vint habiter le cluUcau du ^lesnil, à un quart de lieue de
Jumiejjes, où elle niounit, le 9 février I4i9, si subitement
([u'on soupçonna avec raison qu'elle avait été emiioisoniu>c.
Plusieurs historiens prétendent que le crime fut commis par
Tordre du dauphin, depuis Louis XI, qui ne l'aimait point,
parce que son père l'aimait trop; mais c'est une conjecture
qui ne repose que sur le caractère cruel et vindicatif de ce
jirince. Agnàs Sorel laissa trois lilles, qui, reconnues parle roi,
furent établies aux frais de la couronne.
AGXESl (Mahie-Gaetane), l'une des gloires de son
sexe, naquit à Milan, le ifi mai 1718. Elle était fdlede don
l'edro di Agnesi, seigneur de Monteveglia, professeur de ma-
thématiques à Bologne. Dès l'âge de neuf ans elle pailait
le latin avec la plus grande facilité , et elle prononça un dis-
cours, qui hit imprimé plus tard à Milan, en 1727, dans le-
quel elle s'efforçait de démontrer que les femmes ne doivent
pas demeurer étrangères à l'étude des langues classiques.
On assure qu'à l'ûge de onze ans elle parlait le giec avec
autant de facilité que sa langue maternelle. Elle mit autant
d'ardeur à étiulier les langues française, espagnole et alle-
mande, ainsi que la géométrie et la philosophie spéculative.
Son père favorisa encore ses raies dispositions pour les
sciences en réunissant dans sa maison un cercle de liltéra-
teui^s et de savants au milieu desquels sa tille, riche de beauté
et de talents , dirigeait la conversation , exposant et défen-
dant ses idées particulières en philosophie , qui ont été en
partie rendues publiques par son père dans les Proposi-
iiones philosophie X publiées à Milan en 1734. A partir de
l'âge de vingt ans Marie-Gaetane Agnesi se Uvra avec une ar-
ileur toute particulière à l'étude des mathématiques. Elle
écrivit une dissertation des plus remarquables sur- les sec-
lions coniques, mais qui n'a point été imprimée, et pubUa
les Instituzioni analitiche, 2 vol.. Milan, 1748, in-4"' (tra-
duites en français par d'Antelmy, sous le titre de Traites élé-
mentaires du calcul différentiel et du calcul intégral ,
avec des notes deBossut, Paris, 1775); ouvrage qui accrut
à ce point sa réputation que le pape Benoît XIV n'hésila
pas à la nommer professeur titulaire de mathématiques à
l'université de Bologne, en remplacement de son père, affaibli
par l'âge et parla maladie. Elle n'avait alors que trente-deux
ans. Mais l'élude des mathématiques eut pour résultat de lui
faire perdre la gaieté de caractère qui lui était naturelle.
Bientôt elle renonça à tout commerce avec le monde, entra
dans une sévère congrégation leligieuse , pour se consacrer
exclusivement au soulagement des malades et des pauvres.
Elle mourut en 1799. — Sa sœur Marie-Thérèse AcNEsi.est
auteur de plusieurs cantates et de la musique de trois opéras,
Sofonisbe, Ciro in Armenia et Nitocri, qui eurent du
succès.
AGNOÈTES (du grec àyvosîv, ignorer), hérétiques
qui soutenaient avec Théophrone de Cappadoce que la pres-
cience de Dieu n'est pas la même que sa connaissance du
présent et du passé. Ils changèrent aussi dans la formule du
baptême le nom de la Trinité pour celui de Jésus-CInist. Ce
Théophrone se fit chef de secte quand les Eunomiens , en
dissidence avec lui, l'eurent chassé de leur commimion, sôus
Yalens, vers 370. — Une autre secte porte encore ce nom.
Détachée de celle des Eutychiens au sixième siècle, elle avait
pour chef Thémistius, et prétendait que Jésus-Christ comme
homme a ignoré plusieurs choses, et entre autres le jour du
jugement; qu'il a paru timide, faible et abattu dans le temps
de la Passion.
AGA'US CASTUS. Voyez Gattu-ier.
AG\US DEI (agneau de Dieu). On appelle ainsi une
prière de la liturgie catholique romaine qui commence par
183
ces nuits, et que l'on chante avant la communion. Suivant
une bulle du pape Sergius l" , de 688, elle doit terminer
la messe. — C'est aussi un morceau de cire rond et filat
sur lequel est imprimé l'image de l'agneau pascal avec le
labarum , ou la ligure de saint Jean , et portant pour exer-
gue l'année et le nom du pape. Les papes béiusscnl ces
morceaux de cire, et en dorment un très-grand nombre en
présent. Originairement c'était le bout des cierges de Pâques
que l'on distribuait au peuple dans les églises de Rome , et
que les fidèles achevaient de brûler chez eux pour s'attirer
les faveurs célestes. Quand le nombre des demandeurs d'.-]-
gnus Dci devint trop grand, on imagina l'expédient de cette
espèce de médaille en cire actuelle pour satisfaire tout le
monde. — On appelle encore Agnus Dei le morceau d'une
messe en musique qui se chante sur la prière de ce nom au
moment de la communion.
AGOBARD, archevêque de Lyon, naquit en 779. Il
fut un des soutiens de la révolte des fils de l'empereur Louis
le Débonnaire;etquandla fortune eut trahi ce monanpie,
il le déposa dans l'église Notre-Dame de Soissons. Mais
lorsque l'année suivante Lothaiie fut défait à son tour et
que Louis reprit le pouvoir, Agobard fut privé de son siège.
Quelques années après, Louis, toujours clément, lui permit de
le reprendre ; et en 840, dans un voyage qu'il fit en Aqui-
taine, il lui confia le soin des affaires de ce royaume. Ago-
bard mourut cette même année à Saintes. Il fut canonisé
sous le nom de saint Agebaud. Agobard est une des plus
grandes figures de ces temps demi-barbares. Homme ins-
truit et éclairé, il combattit la doctrine de Félix d'Urgel
sur Jésus-Christ, écrivit un traité contre la loi Gombette
et les combats singuliers. Il condamna aussi les jugements
de Dieu , c'est-à-dire les épreuves par l'eau et par le feu.
II se prononça contre le culte des images, qu'il ne veut
pas même appeler saintes. Les œuvres d'Agobard, si intéres-
santes pour l'histoire et la connaissance de ce qu'était il
y a mille ans l'esprit humain , furent retrouvées, par Pa-
pyre Masson, chez un relieur qui allait mettre en pièces,
pour en couvrir des livres, le manuscrit en parchemin qui
les contenait. Une première édition parut à Paris en 1606
in-8°. Baluze en 1666 en fit paraître une seconde.
AGON, mot grec qui signifie lutte , en général toute
espèce de combat : de là le mot agonie. On appelait aussi
de là agones les jeux que les anciens Grecs célébraient à
certaines fêtes , et qui consistaient non-seulement en luttes
gymnastiques , mais encore en combats de musique, de
poésie et de danse ; des juges , nommés agonarques, y
maintenaient les règlements et les lois instituées , déci-
daient les différends entre les concurrents, et décernaient
les prix. Voyez Jeux.
AGONALES, fêtes instituées par Numa en l'honneur
de Janus. On les célébrait le 9 de janvier; elles furent nom-
mées d'abord Agonies. Ovide rapporte plusieurs étymolo-
gies sur l'origine et le nom de ces fêtes ; mais il donne la
préférence à celle qui tirait son nom de celui iVagonie,
qu'on donnait au bétail dans les premiers temps , proba-
blement parce qu'on le chasse devant soi. On avait même
consei-vé dans ces fêtes l'usage de conduire de force à l'autel
le bélier qu'on devait immoler. D'autres croyaient que les
Agonales étaient d'origine grecque , et qu'elles rappelaient
les jeux, agones, qui en avaient fait partie. Ce mot, sui-
vant d'autres , pouvait venir à^agm(s, agneau ; car ces fêtes
furent d'abord appelées agnalies. On a aussi regardé
comme une des étymologies des Agonales la formule agone,
par laquelle le viclunaire demandait au prêtre la permission
d'égorger la victime : c'est le sentiment de Varron ; mais
cette formule étant usitée dans les sacrifices , elle n'aurait
donné son nom à ces fêtes qu'en admettant qu'elles furent
les premières (car elles étaient fort anciennes) où l'on s'en
servit. H y avait aussi des agonales le 21 mai et le 11 dé-
cembre : ces jours étaient réputés malheureux.
ISI
AGONIE — AGOUTÎ
AGOIVIE («lu K'fc àycov, lulle). On appelle ainsi lY'tat
qui préct-de immédiatement la mort, moment où elle lutte
avec la vie, dont elle finit par triompiier. Selon la diversité des
causes qui amènent la mort , l'agonie est environnée de phé-
nomènes différents. Tantôt le malade éprouve une complète
prostration de forces, tantôt il y a en lui une lutte effroya-
ble de tous les principes vitaux au milieu de la plus violente
aj^itation , (jui se termine, après un délai plus ou moins long,
par la mort. Souvent le moribond, longtemps avant d'expi-
rer, a perdu toute espèce de connaissance; parfois, au con-
traire, il conserve l'usage entier de toutes ses facultés intel-
lectuelles jusqu'au dernier moment. Lliomme qui lutte ainsi
contre la mort est déjà à moitié cadavre ; son visage est pâle,
jaunâtre, ses yeux ternes et caves, sa peau ridée, son nez con -
tracté et blanc , ses oreilles et ses tempes abattues ; une sueur
froide et fébrile découle de son front et de ses membres ; les
évacuations du siège et de l'urine sont involontaires; la res-
piration devient rauque, de plus en plus embarrassée , puis
îinit par s'arrêter : c'est l'instant de la mort. La durée de cet
état est très-variable : tantôt elle n'est que de quelques
minutes , tantôt elle se prolonge pendant plusieurs jours.
Quand une fois l'agonie a véritablement commencé, il n'est
plus d'espoir de sauver le patient. Cet instant ne peut plus
ftre adouci que par les prières, la sollicitude, les consola-
tions de ceux qui entourent le moribond, et qui ne doivent
pas s'en abstenir, alors môme qu'il paraît avoir perdu toute
espèce de connaissance. Qui pourrait, en effet, assurer qu'il
ne conserve pas jusqu'au dernier moment la conscience de
ce qui se passe autour de lui? Tant que le moribond peut
encore avaler, on doit lui donner de temps à autre un peu de
vin ou de quelque boisson fortifiante. Les médicaments sont
alors inutiles, odieux au patient, et ne doivent être employés
que dans le cas seulement où l'agonie n'est pas bien décidée,
etoùie maladene se trouve que dans une prostration dont on
peut espérer de le faire sortir. Nous ne terminerons pas cet
article sans signaler ici , pour le flétrir, l'usage vraunent bar-
bare qui existe dans certaines localités, d'ôter au moribond
l'oreiller qui soutenait sa tète, ou de couvrir sa figure d'un
drap. Un soin religieux doit garantir les derniers instants de
l'homme. Si le médecin n'a plus rien à faire dans ce moment,
le prêtre doit venir mêler ses consolations à celles de la famille
et soutenir le courage de l'homme qui va mourir. L'Église
catholique administre au moribond le dernier des sacre-
ments , l'extrême-onction , avant de le munir du saint via-
tique , et récite à son lit de mort des prières qui ont pris le
nom de prières des agonisants.
AGOiMISTIQUES. Les donatistes donnaient ce nom à
ceux de leur secte qui se répandaient dans les provinces pour
combattre les erreurs des catholiques et propager leur doc-
trine. Ce nom veut dire combattants, et les violences aux-
quelles se livraient ces missionnaires doivent les faire con-
fondre avec ceux que les mômes hérétiques appelaient
circonceliions. Voyez Donatistes.
AGOSÏIiVI (JNicoLo), poète vénitien du seizième siè-
cle , continua le célèbre itoëme de Roland amoureux, que
Boïardo avait laissé inachevé. Les trois derniers livres, qui
sont l'œuvre d'Agostini , sont loin de valoir le commence-
ment. — Un autre Agostim ( Leonardo ), né à Sienne, dans
le dix-septième siècle , a publié un recueil estimé, intitulé
Gemme antichcjigurate.
AGOUli (Josi:iMi), orientaliste distingué, naquit au Caire,
en 17yr), fit ses études à Marseille, et fut nommé professeur
d'arabe au collège Louis-lc-Grand en 1820. 11 mourut
en 183?. , à Marseille. 11 a collaboré à la Revue Encyclopé-
dique, au Journal de la Société Asiatique, au Bulletin
universel des Sciences, et a laissé en outre plusieurs poèmes,
contes et discours relatifs à l'Orient, traduits ou imités de
l'arabe.
AGOULT (Famille d'). La maison d'Agoult, dont cel-
les de Simiane et de Pontcvès ne sont que des branches, est
une des plus anciennes et des plus illustres de la Provence;
Chérin , généalogiste des ordres du roi , ne craint même pas
de la placer la première et de la mettre hors de comparaison.
Hospitalité et bonté d'Agoult, vieil adage du roi René, qui
a si ingénieusement caractérisé toutes les grandes familles
de sa cour , est resté en proverbe dans le pays, et atteste les
vertus de cette maison. Les seigneurs d'Agoult furent d'a-
bord princes souverains d'Apt et barons de SauU, petits
Etats qu'ils détachèrent du comté de Provence, et dont ils
assurèrent l'indépendance , à la faveur de la faiblesse des
rois d'Arles et de la lutte contre les Sarrasins.
AGOULT ( Charles - Constance- César- Louis - Joseph-
Matthieu n'), né à Grenoble en 1747, mort à Paris en
1824, fut sacré évoque de Pamiers en 1787, émigra et rentra
en France en 1801, 'après avoir donné sa démission. H a^écrit
sur les finances, les impôts et la politique.
AGOULT {Ai\toine.-Jean , vicomte n'), pair de France,
né à Grenoble le 22 novembre 1750, était mestre de camp
en 1791, époque où il quitta la France pour se rendre à Tar-
uiée des [irinces. Il rejoignit ensuite Louis XVIII à 'Vérone,
l'accompagna en Russie , en Allemagne et en Angleterre, et
ne voulut rentrer en France qu'à sa suite. Ce prince le nomma
en 1814 lieutenant général et gouverneur du château de
Saint-Cloud. En 1822 il reçut la grand' croix de l'ordre de
Saint-Louis; et fut élevé à la pairie le 28 décembre 1823.
Dernier rejeton de sa branche, il mourut le 10 avril 1828.
AGOULT [Hector-Philippe, comte d'), de la branche de
Voreppe, naquit à Grenoble, le 16 septembre 1782, futnonmié
secrétaire d'ambassade en Espagne en I8l4, ministre plé-
nipotentiaire en Hanovre en 1819, à Stockholm l'année sui-
vante, à La Haye en 1823, et plus lard à Berlin. Une or-
donnance royale lui transmit la pairie du vicomte d'Agoult,
son cousin; après la révolution de 1830 il se retira à Vo-
reppe (Isère), où il mourut en 1856. — Madame la comtesse
d'AcoL'LT (MarieDE Flwigny), née en 1805 àFrancfort-sur-
le-Mein, mariée en 1827, est connue dans le monde littéraire
sous le nom de Daniel Stem ; elle a publié des romans, des
portraits littéraires et des ouvrages politiques, parmi lesquels
on cite : Hervé ( 1841) , Valentia (1842), Nélida (1845),
Lettres républicaines (1848 ) , Esquisses morales et poli-
tiques (1849), Histoire de la révolution de 1848 (1851 ).
AGOUTI , genre de mammifères rongeurs, caractérisé
par quatre doigts devant, trois derrière, quatre molaires de
chaque côté et à chaque mâchoire; ces molaires offrent une
couronne plate, à sillons irréguliers, un contour arrondi et
échancré au bord interne dans les supérieures, et à l'externe
dans les inférieures. — Ces animaux ont les jambes de der-
rière notablement plus longues que celles de devant, à peu
près comme nos lièvres. Leur poil est rude, droit, et se détache
facilement. — L'espèce la plus connue est l'agouti ordi-
naire; sa taille estcelle du mpin. Son pelage est brun, un peu
mêlé de roux en dessus, jaunâtre en dessous, et sa queue
est réduite à un simple tubercule. Cet animal habite de pié-
férence les collines boisées, et se loge dans les fentes des
rochers. Plusieurs naturalistes affirment cependant qu'il se
creuse des terriers comme le lapin. C'est surtout le soir qu'il
sort de sa demeure ; car il y voit fort bien la nuit , et paraît
redouter l'éclat du soleil. L'agouti est dans les Antilles et les
parties chaudes de l'Amérique le représentant de nos lapins.
Les chasseurs le poursuivent constamment, et dès 1789
l'espèce en était déjà détruite à Saint-Domingue. Sa chair se
mange , mais les Européens l'estiment assez peu. 11 s'appi i-
voise très-aisément, et il est très-facile à élever, car il est
omnivore — Les autres espèces connues de ce genre sont
au nombre de quatre. — Le cotia ou acouti de d'Azara ; sa
taille dépasse celle des plus grands lièvres, et sa queue a dix-
huit millimètres de longueur. Le poil de ses flancs est un mé-
lange de brun fauveetdejauneverdàtre, d'où lui vient le nom
de chloromys ( en grec yloaçôi, vert, et (lO;, rat), donné au
genre agouti par Cuvier. — L'acouchi est un peu plus petit
AGOUTI -
que l'agouU. Sa queue csl du «iuiible plus longue que relie
«le ce dernier. — Vagouti huppé proscnle sur l'orciput,
<it'lHiis riutorvalle des yeux, une sorte de criMe formée de
jtoiis trî's-allongés et un peu rele\és. — EnCin le mara , ou
nyouti des Patagous, est une espi-ce d'agouti à plus lon-
gues oreilles. Le niara est plus grand que le cotia, et diffère
lie tous les autres agoutis en ce qu'il a cinq molaires de clia-
(t;ie côté aux deux mâchoires. DWzara lui a donné le nom
»;•.' liècre des Pampas. Ces quatre espèces ne se trouvent
que dans l'Amérique méridionale.
AtiliA. <iier-lieu d'une province de la présidence de
Oalcntta , dans rinde anglaise , bâtie sur le Djouinna, nf-
!l;:entiiu Gange, jadis capitale et résidence du puissant Ak-
har, grand mogol, était alors une dés plus brillantes villes de
l'Asie. On n'y comptait pas moins de huit cent mille âmes ;
elle n'en possédait guère que soixante mille à l'époque de l'in-
surrection de 1857. En 1829 on y voyait près de trente mille
maisons, cent cinquante-trois temples indous, cent sept
!uosquécs , et deiix églises chrétiennes. La fabrication et
le commerce des étoffes de coton et de soie y prirent d'ino-
menses proportions. Du milieu de ruines colossales, de cons-
tructions magnifiques, s'élève le fort Akbarabad avec le
Mouti-Medjid, ou mosquée des perles, l'im des pins
beaux temples musulmans de toute l'Asie. A peu de dis-
tance d'Agra , on trouve le célèbre mansolre Taaclie-Maal
«Il Tadje-Makel, construit par l'empereur Chah-Djehan en
l'honneur de la suWane Kour-Djeliau , et que l'on peut re-
garder comme un des plus beaux et des plus magnifiques
monuments qu'il y ait sur la terre. Agra n'était d'abord
qu'un village, sur l'emplacement duiiuel Sekunder-Lody
fonda, en 1501, Badulghur, qui devint la capitale de ses
États. Dans le seizième siècle, son nom fut changé par
Akbar en celui d' Akbarabad , et en 1G47 en celui d'Agra,
(lu'eile a conservé. En recevant le nom d'Agra, cette ville
perdit en grande partie son ancienne splendeur, parce qu'à
la même époque (1647) le siège de l'empire fut transfépé
à Delhi. Agra, environnée d'une forte muraille, d'un fossé
de cent pieds de large, et défendue par une forteresse im-
portante, fut prise par les Mongols en 1784, et par les An-
glais en 1S03. Ceux-ci la réunirent à leurs vastes possessions.
Agra fut avec Delhi le principal siège de l'insurrection dans
les I n il es en 1857. Les troupes anglaises durent se retirer
dans le fort le 5 juillet, mais le 10 octobre, le colonel Great-
lied battit les insurgés près d'Agra, leur tua deux mille
hommes et leur prit tous leurs canons.
AGRAFE. En serrurerie on nomme ainsi un morceau
de lerplat, recourbé aux deux extrémités et que l'on fixe
par un des bouts dans une pierre , dans une pièce de cliam-
branle, on dans une pièce de bois, et par l'aidre à la pièce
avec laquelle on veut l'ajuster, en les liant solidement en-
semble. On appelle aussi agrafe l'espèce de boucle dans
laquelle pa«se le [)anneton d'une espagnolette.
Dans l'architecture, on décore du nom iVugrafe tout or-
nement qui semble unir plusieurs membres d'architecture les
uns avec les autres : tels sont les ornements en forme de
console qui sont placés à la tète des arcs, et paraissent re-
lier les moulures de l'archivolte avec la clef de l'arc; telle
est encore la décoration du parement delà clef d'une croisée.
Le nom (Tagrajc s'applique tout particulièrement à une
sorte de petit crochet métallique qui en s' ajustant dans ime
porte seit à tenir fermés les habits, les robes, les manteaux,
les vêtements de toute nature. On faille plus généralement
les agrafes en fil de lailon étamé, ou bien on les blanchit en
les faisant bouillir dans un bain d'étain et de crème de tar-
tre, ou bien encore on les recouvre d'une sorte de vernis
noir. Autrefois, la fabrication des agrafes était en quelque
sorte ie privilège des pompiers à Paris, qui pour la plupart
n'avaient d'autre occupation dans leurs torps-de-garde, en
ai tendant les alertes, que de contourner du fil de 1er ou de
lailon en milliers d'agrafes avec l'aide seulement de la
DICT. DF. L\ tOVEHSATI'J.N. — 1. 1.
AGUAIKES
1S5
pince à bec de corblu. Vers \f,ic>, un mécanicien, iionmié
lloyau, leur enleva cette pelile industrie en imaginant une
machine qui iicrmet ;\ nn seul ouvrier de fabriquer aujour-
d'hui trois cent cinq>iantc-deux mille huit cents portes ou
crochets par jour de douze heures. Dix opérations ont lieu
successivement dans cette curieuse machine par chacun des
tours de la manivelle qui lui donne le mouvement. Ainsi le
fil est pris, dressé, arrêté à la longueur voulue, coupé par
une cisaille qui fait les deux temps de se lever et de couper;
puis il est dégagé par un guide , et conduit pour être courbé
par le milieu ; ensuite il est replié aux deux bouts pour faire
les yeux, et l'agrafe est chassée au dehors, en même temps
que par un autre mouvement toutes les pièces rentrent à
leur première position. L'agrafe est alors reprise et portée à
la main sous une machine qui l'aplatit; puis enfin elle est
courbée en crochet également à la main. Dans ces derniers
temps on a proposé des agrafes à verrou , qui permettent de
serrer plus ou moins le vêtement.
Les bijoutiers font aussi des agrafes en or et en argent,
de formes diverses , et avec des ornements plus ou moins
riches, dont l'usage est toujours de servir d'attaches faciles à
promptement accrocher et ouvrir.
AGRAIRES (Lois). C'a été une erreur généralement
admise que les lois agraires chez les Romains avaieiit pour
but l'abolition de la propriété ou tout an moins le partage
des terres. Mably , Montesquieu avaient professé cette fausse
opinion. La Convention la partageait également , quand
elle prononça dans sa loi du 17 mars 1793 la peine de mort
contre quiconque proposerait une loi agraire, c'est-à-dire
tendant au partage égal des terres entre tous les citoyens.
Les Allemands Ileyne, Savigny, Mebubr réclamèrent les
premiers en faveur de la vérité historique. Leurs magni-
fiques travaux ont prouvé que les lois agraires ne pouvaient
pas avoir pour but, soit la négation de la propriété, soit
une limite imposée à l'exercice de ce droit, soit l'abolition
de l'héritage, soit enfin ie partage égal des terres entre tous
les citoyens de la république. On sait de quel respect les
Romains entouraient la propriété. Esprits essentiellement
pratiques et positifs , les Romaijis ne pouvaient songer à
mettre en lois des spéculations impossibles à réaliser. Plutar-
que, bien qu'il connût parfaitement la nature des lois
agraires à Rome, a peut-être contribué au malentendu que
nous signalons ici par son parallèle entre Agis , Cléomène
et les Gracques. On sait, en effet, (pie Lycurgue fit à Sparte
un partage individuel des propriétés privées, que voulurent
renouveler plus tard Agis et Cléomène.
On appelait loi agraire à Rome toute disposition que
faisait la république des terres qui lui appartenaient en
propre. Il était de droit public que la conquête emportait
la confiscation du territoire ennemi ; la répubUque ne s'ap-
propriait que rarement le tout, si ce n'est dans le cas de trahi-
son flagrante. Telle est l'origine du domaine public, que vin-
rent agrandir plus tard, outre les additions volontaires de
peuples alliés, les testaments de rois, Attale, Nicomède, etc.,
les confiscations des biens des condamnés ou des prévenus,
la succession des biens vac<ints , etc. Sur ce territoire les
Romains fondaient des villes ou bien envoyaient des colons.
Ces colonies leur servaient de défense. De ce domaine,
fruit de la conquête, la partie cultivée était toujours ad-
jugée aux nouveaux colons, soit à titre gratuit, soit par
vente , soit par bail à redevance. Quant à la partie inculte,
presipie toujours la plus considérable, on n'avait pas cou-
tume de la mettre en distribution, mais on en abandonnait
la jouissance à qui voulait la défricher et la cultiver, en
léservant au domaine la dixième partie des moissons et la
cinquième partie des fruits perçus. On mettait également un
impôt sur ceux qui élevaient du grand et du petit bétail.
Les riches s'emparèrent peu à peu de cette portion de fer-
res non partagées et livrées au premier occupant; puis, se
confiant dans la durée de leur possession, ils a( hetèrent dô
?4
180
t;r6 à gré ou enlevèrent par la force aux petits propriétaires
voisins leurs modestes héritages, formant ainsi ces vastes
rloniaines (jui , suivant l'éloquenlc expression de Pline, ont
perdu ritalie. Le plus souvent même estaient des compa-
gnies industrielles qui se rendaient adjudicataires ; le plus
souvent elles étaient composées de chevaliers que Mon-
tesquieu appelle les traitants de la république. On com-
prend facilement que les fermiers de l'État dans ses domai-
nes , s'ils étaient riches et puissants , n'avaient qu'un pas à
faire pour se considérer comme propriétaires de biens dont
ils n'étaient i\\\c possesseurs.
De là les plaintes des tribuns, de là les lois agraires.
Suivant Savigny et Niebuhr, le domaine public lui-même
se divisait en deux parties distinctes , Vagcr publicus pro-
prement dit et Vager vectigalis. Vagcr publicus parait
avoir été , soit celui dont l'État se réservait nettement la
propriété en le laissant sans disposition précise et comme
ressource éventuelle , soit celui où l'on fondait des colonies
et que l'on partageait au peuple. Vager vectigalis , objet de
nombreuses dispositions dans le droit i.mpérial, était celui
que frappaient des redevances par suite de ces adjudications
faites par les censeurs au nom de la république, ou des sous-
concessions faites par les adjudicataires primitifs , les villes,
les collèges de prêtres , les vestales , etc.
Quoi qu'il en soit , l'usucapion n'était pas admise sur le
domaine public ; l'État avait un droit permanent de ressaisir
les terres usurpées ou concédées. Ce fait est maintenant hors
de doute.
Heyne a distingué trois espèces de lois agraires : 1° celles
qui eurent pour objet la division ou le partage entre les plé-
béiens des terres du domaine public usurpées parles grands;
2° celles qui eurent pour objet de diviser des terres ou ré-
cemment conquises ou laissées depuis plus ou moins long-
temps dans le domaine de l'État, pour y fonder des colonies;
3" enfin, dans les derniers temps de la république, sous Ma-
rius, Sylla, Pompée, César, Antoine et môme Octave, les
usurpations violentes de terres publiques et souvent même
lie propriétés particulières distribuées aux légions, aux soldats
.les généraux qui avaient combattu et triomphé dans les guer-
res civiles. Les deux premières espèces sont de véritables lois
agraires. Mais l'une, mesure générale , difficile, souleva une
foule de réclamations, et ne fut jamais entiLTcment exécutée,
tandis que l'autre , mesure partielle , d'une exécution facile,
utile à toutes les classes de l'État, ne vit jamais son principe
contesté , alors môme qu'on contestait son opportunité. La
troisième espèce eut pour résultat la fondation de colonies
d'un nouveau genre, exclusivement militaires, qui accrurent
la puissance déjà excessive des soldats dans les derniers
ten)ps de la république.
Lois agraires ayant pour but le partage du domaine
public entre les plébéiens. Les lois agraires sont aussi an-
ciennes que Rome; on en trouve sous les rois. Romulus,
Numa, Scrvius Tullius en ont porté; et ce dernier peut même
être considéré comme la première victime des lois agraires.
Après l'expulsion des rois, révolution toute aristocratique, la
question prend une nouvelle face. On trouve encore quelques
concessions individuelles, mais extrêmement rares. L'aristo-
cratie agit alors sur les terres du domaine public comme si
elles lui appartenaient; elle cessa de payer la redevance, le
vectigal qui augmentait les revenus de l'Etat et était em-
ployé aux services publics, elle vendit et elle aliéna. Ces
progrès du mal et de l'injustice furent si rapides, que vingt-
r^nci ans après la fondation de la république, le consul Spu-
I lus Cassius proposa une loi agraire dans un double but : il
exigeait que la redevance fût réellement versée dans le tré-
sor public par les fermiers de Yagri publici et employée à
donner la paye aux soldats; et comme un traité conclu avec
les Ilcmiipies venait de leur enlever les deux tiers du terri-
toire, Cassius proposait de partager ces terres entre les Ro-
mains et les Latins , avec celles que l'aristocratie détenait
ÂGIUIRES
à tort. Les patriciens, menacés dans leurs usurpations , eu-
rent l'adresse de gagner le collègue de Cassius, Proculus
Virginius, qui s'opposa à cette loi. Ils accusèrent Cassius
d'aspirer à la tyrannie, et les tribuns du peuple eux-mêmes,
jaloux de la popularité d'un aristocrate , prirent parti contre
lui. Il fut mis à mort à la sortie de son consulat.
C'est à tort que Denys attribue à Appius Claudius, le fou-
gueux patricien , si attaché aux prérogatives de son ordre ,
l'initiative d'une loi agraire. En 484 le peuple s'agita de
nouveau pour obtenir une loi agraire, que le sénat persista
à refuser. Dans les années qui suivirent immédiatement , les
mêmes propositions furent reprises par.Menius, Spurius, Ici-
lius et Ponlificius. En 477 Fabius Cœson, personnage consu-
laire, reconnut formellement le principe et le caractère des
lois agraires ; mais il ne put vaincre les refus des patriciens.
Q. Considius, T. et Cn. Genucius ne furent pas plus heureux
dans leurs motions. Appius Claudius résista à toutes les ten-
tatives des tribuns, malgré les instances des consuls Valerius
et yEmilius. Cependant Fabius trouva un moyen terme, qui
consistait à envoyer une colonie à Anlium ; mais les plé-
béiens, qui ne voulurent pas perdre leurs droits politiques,
refusèrent d'y aller habiter.
Enfin, en 454, est portée la lo ' Icilia, la première loi
agraire qui ait été adoptée et exéa tée depuis la république.
Le mont Aventin, qui jusque alors ne faisait pas partie de la
ville, fut partagé entre les plébéiens.
Cependant la lutte continua entre les deux ordres. Peti-
lius et le fils de Spurius Meiius, ce chevalier romain qui dant
un temps de disette avait employé ses immenses revenus à
distribuer gratuitement du blé au peuple et que l'aristocratie,
inquiète, avait mis à mort sans jugement comme aspirant à
la royauté, se consumèrent en vaines tentatives pour géné-
raliser la loi Icilia. En 411 le tribun L. Sextius proposa
de partager le territoire de Boles. En ?.90 le territoire de
Véies fut partagé entre les plébéiens , et sept arpents furent
assignés à chaque personne libre dans une famille. En 379 il
en (ut de même pour le territoire de Poaiptinum. A peu
près à cette époque , Manlius Capitolinus proposa une loi
agraire sur laquelle on manque complètement de renseigne-
ments. Les patriciens recoururent cette fois encore au vieux
moyen qui leur réussissait toujours : ils accusèrent Manlius
d'ambitionner la royauté, et l'homme qui avait sauvé Rome
des Gaulois fut précipité de la roche Tarpéienne.
Pendant le siècle qui sépare Spurius Cassius de Licinius
Stolon le mal s'accrut avec une rapidité effrayante. L'aris-
tocratie sait éluder toutes les propositions de lois agraires :
toutes les fois qu'elle en est menacée , elle propose l'envoi
de colonies dans les terres d'acquisition récente, gagnant
ainsi de la popularité, se fortifiant dans les domaines usur-
pés, et prolitant de l'expulsion de la partie la plus turbu-
lente de Rome qu'elle envoie habiter ces colonies. Enfin ,
l'an de Rome 377 , Licinius Stolon, plébéien , gendre du pa-
tricien Fabius Ambustus, aidé de son beau-père et du tri-
bun du peuple Luciiis Sextius, jeune homme de cœur, à qui
i! ne manquait qu'ime naissance patricienne , proposa à la
fois trois lois, dont la première admettait les plébéiens à l'une
des deux places de consul ; la seconde était une nouvelle
loi agraire, et la troisième réglait le payement des dettes à
l'avantage des débiteurs. Voici les dispositions de sa loi
agraire : Personne ne pourra posséder plus de cinq cents ar-
pents de terres publiques. Sur cette étendue de terres on
ne pourra pas faiie paître plus de cent têtes de gros bétail,
plus de cinq cents de petit; on sera tenu d'y entretenir
un certain nombre d'hommes libres, surtout pour surveiller
les travaux. Une amende frappera tous les violateurs de
celte loi. La partie des terres publiques retirée à tous ceux
qui en posséderont iilus de cinq cents arpents sera distri-
buée aux pauvres à des conditions équitables. — Le .sénat ne
se résigna pas sur-k'-champ à accorder cette juste satisfac-
tion Mais Licinius Stolon [)erscvcra pendant dix ans , lui-
AGRAIRES
187
tant avec habileté et sagesse contre le parti pris des patri-
ciens; il linit par triompher.
Cette loi, œuvre admirable de modération, eut les plus
heureuses conséquences. Elle arrêta l'absorption de la petite
propriété par la sjrande, dont les conséquences déplorables
se faisaient déjà sentir; elle empêcha cette mule et rude po-
pulation de laboureurs qui quittaient la charrue pour com-
battre de disparaître devant la culture moins dispendieuse
des esclaves. Quoi qu'on en ait dit, la république dut aux lois
liciniennes un calme profond, la pratique des vertus privées
et publiques et les conquêtes rapides qu'elle lit jusqu'aux
Gracques. Licinius Stolon doit donc être compté au nombre
des grands citoyens de la république; et pourtant (ô na-
ture humaine ! ) il fut condamné par sa propre loi , qu'il
avait éludée en émancipant son fds et en faisant passer sur
sa tête cinq cents arpents.
Dans l'intervalle de deux cents ans qui sépare Licinius
Stolon des Gracques, le sénat fit plusieurs distributions
spontanées. Flaminius porta une loi agraire qui distribuait
le territoire gallo-romain entre Rimini et le Picénura , et
Scipion , de retour de Carthage, fit la première distribution
de terres aux soldats que l'histoire mentionne.
Au moment où les Gracques parurent sur la scène
politique , Rome n'était plus cette ville des Quirites au
génie farouche, aux mœurs austères. Elle s'était étendue
d'abord sur le Latium, puis sur toute l'Italie. Elle avait
ruiné Carthage , conquis les lies de la Méditerranée, l'Afri-
(jue , l'Espagne , la Grèce , une partie de l'Asie. Mais à cha-
que conquête, à chaque assimilation de peuples vaincus,
elle avait perdu quelque trait de son caractère national. A
l'intérieur , par suite des courageux efforts des tribuns du
peuple, des plébéiens étaient entrés à plusieurs reprises au
sénat ; mais ces parvenus, reniant leur origine, s'efforçaient,
à force de complaisances pour l'aristocratie, de lui faire ou-
blier leur passé. Le peuple, au lieu de trouver en eux des
soutiens fervents, n'avait pas de plus acharnés adversaires.
Le nouveau patriciat était d'ailleurs corrompu par les riches-
ses qui affluaient de toutes parts à Rome. L'ordre des che-
valiers avait surtout acquis une influence considérable ; les
hommes d'argent étaient tout-puissants. Les abus étaient si
grands, qu'on avait été obligé d'instituer un tribunal per-
manent pour faire rendre gorge aux publicains quand leurs
exactions dépassaient toute mesure. Les fortunes s'étaient
accrues dans une proportion énorme, ainsi que les proprié-
tés territoriales. L'agriculture disparaissait peu à peu de l'I-
ialie; à la culture économique des prairies, qui remplaçait
depuis longtemps celle du blé, les propriétaires de ces ma-
gnifiques villas, qui couvraient déjà l'Italie, avaient substitué,
comme plus lucrative, l'élève des poissons les plus délicats
ou des oiseaux les plus rares. D'ailleurs, le grand nombre
des esclaves rendait toute agriculture impossible pour le
peuple. Aussi , la populace romaine , sans moyens d'exis-
tence, n'avait-elie d'autres ressources que les distributions
gratuites , les lois frumentaires et le trafic des votes. Joi-
gnons à ce tableau l'influence toujours croissante et démora-
lisatrice des affranchis, et l'on aura une idée de la haute
et superbe mission que les Gracques voulurent accomplir.
Au rapport de Plutarque , ce fut au retour d'im voyage
en Italie qu'effrayé et désolé par le spectacle affligeant qu'il
avait eu sous les yeux , Tibérius Gracchus , tribun du peu-
ple, porta sa fameuse loi Sempronia, dont les dispositions
ne faisaient que renouveler celles des lois Liciniennes. Seu-
lement , tenant compte de la différence des temps et des
mœurs, aux cinq cents arpents de terres publiques il en
ajoutait deux cent cinquante pour chaque enfant. Pour oter
tout prétexte au mauvais vouloir des patriciens , il avait
même poussé la modération jusqu'à stipuler une indemnité
payée aux frais du trésor public pour le surplus des terres
usurpées du domaine public qui serait enlevé à leurs déten-
teurs. En outre, comme il connaissait bien ce peuple cor-
rompu qu'il voulait régénérer, il avait eu la précaution d'in-
terdire l'aliénation de la portion concédée, qui du reste l'était
à perpétuité.
La loi agraire fut adoptée, malgré l'opposition d'Ocfavius,
son collègue, que Tibérius eut le tort de faire déposer, don-
nant ainsi l'exemple de violer l'inviolabilité tribunitienne
qui l'aurait peut-être sauvegardé plus tard lui-même.
Sur ces entrefaites, eut lieu le testament d' A ttale, en
faveur de la république romaine. Tibérius Gracchus com-
mit alors la faute de proposer le partage de ce nouveau
territoire en y admettant les Itahens; motion )nipoliti(|ue
pour sa popularité , mais qui témoigne du moins de l'élé-
vation de son esprit. Ayant mécontenté à la fois les Italiens
par sa loi agraire, et les Romains par sa motion en faveur des
Italiens, il voulut s'appuyer sur les chevaliers, et proposa de
retirer au sénat le pouvoir j\idiciaire pour le donner à ces
hommes d'argent si fréquemment justiciables des tribunaux.
Ces fautes accumulées le perdirent, et bientôt les jjatricicns
se débarrassèrent de ce grand homme par un odieux assas-
sinat.
Malgré la réaction aristocratique qui s'ensuivit , la loi
agraire ne fut pas abandonnée ; de zélés citoyens , parents
ou amis de Tibérius, essayèrent de la mettre en pratique.
Son frère Caius, une fois arrivé au tribunat, renouvela sa loi,
et réalisa les autres projets de son frère. Caïus accoida le
droit de cité aux aUiés de Rome en Italie; aux chevaliers, le
privilège dont jouissaient les sénateurs de rendre la justice
dans les tribunaux permanents, établis quelque temps aupa-
ravant. Mais le sénat gagna son collègue Livius Drusus, qui,
en exagérant ses motions, parvint à lui enlever toute sa po-
pularité, qu'avait déjà compromise son séjour à Carthage ,
où il avait été fonder une colonie. Enfin le consul Opimius
fit abolir les lois des Gracques ; une insurrection éclata dans
Rome , et Caïus Gracchus y trouva la mort.
Dans la période qui suivit la mort de Caius Gracchus, jus-
qu'au tribunat de Saturninus , c'est-à-dire entre les années
121 et 100, on porta encore trois lois agraires; mais cette
fois elles furent l'ouvrage de l'aristocratie victorieuse, et
leur résultat fut déplorable. La première, dérogeant à la
loi Sempronia, permettait de vendre la portion concédée des
terres publiques. La seconde défendait de partager à l'a-
venir le domaine public, qui devait rester aux possesseurs
moyennant une redevance que l'on distribuerait aux citoyens.
L'aristocratie ne s'arrêta pas dans cette voie. Une loi qu'on
a lieu de croire émanée de Spurius Thorius , tribun du peu-
ple , vint affranchir les possesseurs de cette redevance. Puis
vinrent les lois agraires de Marcius Philippus et de Saturni-
nus, dont les dispositions principales tendaient à faire dis-
tribuer au peuple les terres récemment conquises sur les
Cimbres et qui naguère appartenaient aux Gaulois ; c«lle de
Titius et de Livius Drusus, qui demandait le droit de cité
pour les Italiens, l'établissement de colonies en Sicile et en
Italie, où les pauvres de Rome iraient habiter ; mesure depuis
longtemps décrétée, mais toujours ditîérée par le mauvais
vouloir tant des patriciens que du peuple lui-même, auquel
le séjour de Rome convenait beaucoup mieux. De plus, elle
adjoignait cent nouveaux membres plébéiens au sénat, et
revenant sur la fâcheuse loi des Gracques, lui rendait la
justice. Ces lois furent adoptées, mais éludées, surtout quant
aux droits des peuples italiens ; droits incontestables et sa-
crés pourtant, car à qui Rome était-elle redevable de ses im-
menses conquêtes, si ce n'est à ces Italiens qu'elle repoussait
de son sein? Cette mauvaise et injuste poUtiquedu sénat
causa la guerre sociale.
Cinquante-sept ans après la mort du dernier des Grac-
ques, Servilius Kullus, tribun du peuple, imagina un nouveau
projet de loi agraire, dont voici les principales dispositions :
on aurait commencé par vendre les terres conquises récem-
ment, ainsi que quelques autres domaines peu productifs
liour l'État ou impossibles à iiaitager entre les citoyens, et,
2i.
188
avec raiRont qui proviendrait «le cc^ vailles, on aurait
acheté des terres que l'on aurait distribuées ensuite aux ci-
toyens pauvres. Des décenivirs investis d'un pouvoir absolu,
cliar{;és de l'exécution de cette loi, étaient autorisés à établir
«le nouvelles colonies. Ici Rullus commettait une première
faute : c'était de ne pas désij-ner avec précision les lieux
où l'on fonderait ces colonies. 11 conunit une faute plus grave
encore en demandant que ces décemvirs ne fussent pas
nommés par les trente-cinq tribus, mais dans une assemblée
de dix-sept tribus seulement, lesquelles éliraient par rou'
séquent a la simple majorité de neuf dentre elles. En outre,
coite élection n'aurait pas été ratifiée dans une assemblée par
centuries, mais dans les comices par c u r i e .s, qui n'exis-
taient plus que de nom. Bien plus, si, par impossd)le, les cu-
ries relusaient de sanctionner, on devait passer outre. Enfin
Poni[)ee était exclu du décemvirat, sous prétexte de ne pas
interrompre le cours de ses victoires; mais en revanche l'au-
teur du jirojet, Rullus, en faisait partie de droit. On com-
prend facilement tout ce que ces exagérations ridicules et
ces vues personnelles inspirèrent d'amertume et d'autorité à
l'éloquence de Cicéron : il fit rejeter la loi, dont le principe
général était pourtant excellent. Une particularité très-remar-
(piablc des discours qu'il prononça à cette occasion , et qui
vient conlirmer TiJce plus juste que l'on se fait maintenant
des lois agraires, c'est le respect singulier que Cicéron, par-
tisan de l'aristocratie, professa pour la mémoire des Gracques
et la justice qu'il rendit à la loi Sempronia.
Quelques années plus tard , Flavius proposa une loi agi'aire
en faveur des vétérans de Pompée, et l'on voit môme Cicé-
ron s'associer à ce projet par les modifications qu'il propose.
lilnlin César est consul. 11 ftit passer une loi agraire qui
partage la Campanie, jusque alors affermée au profit de l'ii-
tat, entre ceux des citoyens qui ont trois enfants. On devait
suppléer à l'insuffisance possible de ce domaine par l'achat
de propriétés particulières avec l'argent que Pompée a retiré
de ses conquêtes. En outre. César fit remise aux. publicains
du tiers de leurs fermages. Cette loi eut des résultats admi-
rables : vingt mille pères de famille en profitèrent, et cent
mille personnes au moins en Italie em'eut des terres à cul-
tiver; Rome fut délivrée d'une populace insoumise et avilie;
l'Italie se repeupla d'hommes libres; la république put
espérer des recrues pour ses armées. Cicéron, qui avait, il est
vrai, cond)atlu une loi agraire, mais qui s'était déjà conveili
pour celle de Flavius, se décida à payer à la loi de César un
pompeux tribut d'éloges.
Avec la réfniblique finirent les lois agraires d'un intérêt
général. La cause en est simple : le peuple, d'un côté, nourri
aux dépens du maîtie, ne demande plus que du pain et des
spectacles ; et, de l'autre, il n'y a plus à proprement parler
de domaine public, les empereurs l'absorbent dans leur
domaine privé.
Des colonies. Les distributions de terres pour la fonda-
tion des colonies forment la seconde espèce de lois agraires,
puisque, comme les lois agraires générales , elles partent du
principe que l'État pouvait disposer de ses domaines et «pie
les terres distribuées aux colons étaient prises sur le do-
uiaine public. Voyez Colonies kom.mnes.
Distributions de terres aux soldats. C'est la troisième
espèce de lois agraires ; encore quelquefois ces distribu-
tions de terres atteignirent la propriété privée, respectée jus-
qu'aux guerres civiles, et amenèrent des dépossessions vio-
lentes. Les légions romaines avaient perdu leur antique dis-
< ipline depuis Marins et Sylla; les soldats s'attachaient à un
homme, leur chef, dont ils suivaient la fortune, et les plus
graves désordres étaient le résultat de ce nouvel état de cho-
ses. Les proscriptions de Sylla et de Marins offrirent natu-
rellement l'occasion de distribuer aux vétérans les terres con-
fisquées. César suivit o;;alement cet exemple; il distribua des
terres aux soldats qui l'avaient fait triompher dans les guer-
res civiles. Après la mort de César, les soldats se trouvèrent
.\GRAIRKS — AGRAM
tout-puissants ; chaque ambitieux qui prétendait à la sncces-
sion du grand homme leur faisait des avances et des flatte-
ries. Antoine, Octave, Cicéron et le sénat multiplièrent ces
distributions. Octave surtout, après la guerre de Modène, la
bataille de Philippes, la gueire de Pérouse, celle contre
Sextus Pompée et la bataille d'Actium. Mais ime fois empe-
reur, Auguste organisa les cohortes urbaines et les cohortes
prétoriennes, qui finirent plus lard par remplacer l'influence
des légions. Les prétoriens aimaient beaucoup mieux le dé-
sordre des camps et d'une grande ville comme Rome que
la vie sédentaire d'une colonie. Aussi le donativum , lar-
gesse que faisait l'empereur à son avènement, remplaça pour
toujours les distributions de terres.
En résumé, les lois agraires, si l'aristocratie avait eu l'in-
telligence de les exécuter, auraient empêché tous les maux
qui à la longue détruisirent la république romaine. 11 y au-
rait eu à Rome des classes moyennes, intéressées à l'ordre
et au maintien de la république, et des classes populaires la-
borieuses et paisibles. La poi)ulace ne se serait pas avilie et
abrutie en vendant ses votes et en vivant sans travailler aux
dépens du trésor public. L'Italie aurait vu se repeupler .ses
solitudes ; la Péninsule, qui exportait jadis des blés, n'aurait
pas été réduite à recevoir sa subsistance de la Sicile, de
l'Afrique et de l'Egypte; la république aurait eu des sol-
dats , et n'aurait pas été obligée de les recruter parmi le.s
esclaves et les peuples étrangers. Le grand argument des
patriciens était d'empêcher la dilapidation du domaine pu-
blic; mais ils le dilapidèrent bien davantage eux-mêmes
par leurs distributions aux soldats. Un seul moyen de salut
était offert à la république et à l'aristocratie elle-même; elle
mit tout en œuvre pour le repousser, le courage, la ruse , le
crime et l'éloquence. Le monde romain fut perdu.
On peut consulter sur les lois agraires Ileyne, Opuscula
Àcademica , t. IV; Niebuhr, Histoire Romaine, i. 11;
Savigny, Droit Romain ; et le remarquable travail de M. A.
Macé, Des Lois agraires chez les Romains (Paris, 1S46) :
c'est à ce dernier ouvrage que nous avons emprunté les
matériaux de notre article. W.-A. Ducrett.
AGRAiVI ( Comitat d' ), en Croatie, a, sur 5,920 kilomè-
tres carrés, une population de S50,000 habitants, presque toiis
Croates et catholiques. C'est un pays riche en bois et fertile
dans les vallées ; on y récolte des grains en quantité à peine
suffisante ; mais on y cultive aussi le tabac, la vigne et dif-
férents fruits, la prune, la châtaigne. Les principales rivières
sont : la Save , la Lonya et la Krapina. Le comitat d'Agrani
contient deux districts , celui d'Agram et celui de Saint-
Istvany, et renferme deux villes libres, Agram et Karlstadt,
douze bourgs et neuf cent soixante-quatre villages et ha-
meaux.
La ville iY Agram, en croate Zagor , sur la Save, a neuf
mille habitants; elle est non-seulement la capitale du comi-
tat , mais on la considère aussi comme celle de la Croatie.
Le ban, ou gouverneur de Croatie, l'évêque, la chancellerie,
la diète et les commandants militaires des deux provinces
de la Croatie et de la Slavonie , ont à Agram leur résidence.
La ville a une haute école académique, avec dix professeurs,
une bibliothèque publique, un séminaire, un gymnase et une
école normale. La haute cour de justice de Croatie et Sla-
vonie, la cour d'appel de ces deux divisions de l'empire y
ont aussi leur siège. Parmi les édifices il faut citer le pa-
lais épiscopal, le palais des États de Croatie, le pont sur la
Save , et surtout l'église cathédrale, bâtie par saint Ladis-
las. Agran) se compose de trois parties, dont chacune a sa
propre juridiction, de la ville libre, de la ville de l'évêque,
et de la ville appartenant à la juridiction des chanoines.
Agram a des manufactures de tabac et une fabrique de cire.
Elle expédie pour Fiume et pour les côtes de la Dalmatie,
beaucoup de sel, de tabac et de vins. A trois lieues d'.\-
gram, sur la Gradna, un martinet appartenant au village de
S/amborfo'unit de deux à cinq mille quintaux de cuivre par
AGRAiM — AGRÂVIADOS
1 S'.)
an, clàciiiq licnfô d'Agram les malades prennent les eaux
tliermaltN t!e Sludza.
AGRAMANT (Camp d'). Cette poétique création de
TAriostc est rorigine du proverbe : La discorde est an camp
d'Agramant. — L'épisode qui sert en quelque sorte de base
3u poeuie de Roland furieux est le |)rétcndu siège de l'aris
par les Sarrasins. Agraraant, et les autres cbefs, Hodomont ,
Sacripant, dont les noms sont aussi devenus des types pro-
verbiaux, sont au moment de s'emparer de cette capitale,
que défendent avec intrépidité Charlemagne et ses preux.
C'en est fait de l'empire des Carlovingicns, et peut-être du
christianisme lui-uiéme! Mais l'Éternel veille du haut dos
cieux sur la ville fidèle. L'archange saint Michel reçoit l'or-
dre d'aller chercher le Silence et la Discorde. Le Silence
enveloppera l'armée de Renaud dans un nuage, et lui per-
mettra d'arriver sans être aperçue sur les bords de la Seine.
La Discorde troublera et dispersera les assiégeants. L'ar-
change .Michel, en cherchantle Silence dans le centre des cloî-
tres, \ rencontre seulement la Discorde; il est obUgé d'aller
relancer la taciturne divinité au fond de l'Arabie. L'armée
de secours arrive, en effet, aux bords de la Seine. Déjà la
Discorde avait accompli une partie de sa mission , mais elle
s'en lasse bientôt : les chefs sarrasins ne lui fournissent pas
assez d'occupation , elle préfère retourner chez ses moines.
Saint Michel va gourmander la Discorde dans la retraite où
il l'avait trouvée d'abord , et la ramène par les cheveux. La
seconde entrée de la Discorde au camp d'Agramant produit
beaucoup plus d'efl'et que la première. Mandricard querelle
Roger au sujet de laigle blanche qu'il a fait peindre sur la
Lurandale, célèbre et redoutable épée de Roland , qui devient
le prix d'un conflit sanglant. Sacripant, le roi de Circassie, se
plaint à Agramant de la manière dont le perfide Brunel lui
a dérobé son cheval Frontm, pendant son sommeil, en le
laissant sur la selle, qu'il avait appuyée sur quatre pieux.
Agramant, au heu de faire pendre Brunel, l'avait créé roi
de Tingitane. Cette injustice excite le courroux de l'amazone
Marpliise. Celle-ci marche contre le nouveau roi de Tingi-
tane , l'enlève d'une seule main , et le porte tout près d'A-
gramant, disant qu'elle veut pendre Brunel de ses mains ,
parce qu'il lui a dérobé son épée. Le sage roi Sobrino arriva
à propos pour calmer la fureur d'Agramant ; mais les affai-
res des Sarrasins , des Circassiens et des Séricassiens n'en
allèrent pas mieux. La Discorde, jugeant alors qu'elle avait
fait d'assez bonne besogne, sauta de joie et éleva vers le ciel
un cri perçant , afin d'annoncer à l'archange Michel le succès
de son entreprise. Cependant les exhortations d'Agramant
eurent enfin leur effet. Rodomont, le roi d'Alger, consent
à s'éloigner, et va coucher dans une auberge, dont l'hôte,
pour charmer ses ennuis, s'amuse à lui raconter l'histoire
de Joconde. Grâce à tout ce fracas , la capitale de la France
est délivrée ; mais le poète retarde le plus qu'il peut le dé-
noùment. C'est à ses incessantes et ingénieuses digressions
que nous devons le tableau merveilleux des amours d'An-
gélique et Médor, d'Isabelle et de Zerbino, et enfin la folie
de Roland, qui est le motif, ou pour mieux dire le prétexte
de tout le poème. Breton.
AGRAMES, AGRL\NIES, AGRIONIES, fêtes d'Ar-
gos en l'honneur d'une fille de Praetus. On les célébrait la
nuit et on s'y couronnait de lierre. Les femmes faisaient
semblant de chercher Bacchus Agrionos, féroce; ne le trou-
vant point, elles disaient qu'il s'était retiré chez les Muses.
Elles soupaient ensemble , et se proposaient des énigmes. 11
se commettait , dit-on , de grands excès dans ces fêtes ; elles
avaient lieu tous les deux ans à Orchcmène. Les femmes
descendant de Minyas en étaient exclues; le prêtre de Bac-
chus, l'épée à la main, les empêchait d'approcher; s'il en
rencontrait une, il pouvait impunément la tuer. Voici le
motif de cette exclusion : les (illes do Minyas, dans leur
enthousiasme bachique , avaient égorgé Hippasus, fils de
Leucippe, et avaient fait un horrible festin de ses membres.
Le nom d'rtCo/(V.">, ou cruelles, était resté aux Minyenne.^.
La poursuite de leur crime était encore dans sa vigueur au
temps de Plutarque. Cet auteur cite un prêtre nommé Zoïlus
qui en tua une, mais il ajoute qu'il mourut misérablement
d'un ulcère. Les Orchoméniens, ayant été ensuiie affligés de
plusieurs fléaux, les regardèrent comme une punition du ciel,
et ôtèrent la prêtrise à la famille de Zoilus. — Bacchus étail
surnommé ylr/rjonos, sauvage, soit à cause des excès où
porte le vin , soit parce qu'il était sans cesse environné dfl
panlhères et d'autres bêtes carnassières. On l'appelait môme
Ornas fi's, mangeur de chair crue.
AGRARIENS. C'est le nom que s'est donné lui-mênip
aux Étals-Unis un parti nombreux et puissant qui voulait
ressusciter, selon sa propre expression , l'esprit des Grac-
ques. Il y a. en efïef, une analogie incontestable entre les
([iiestionsque soulevèrent à Rome les lois agraires et les
agitations (|ui se sont produites à un moment dans les États-
Uni.?. L'Union possède un milliard quatre cents millions
d'acres de terres publiques , dix fois l'étendue de la France.
Pourtijer parti de ces immenses richesses, l'État avait ob-
ttmu une loi qui permettait de les vendre pour payer les
frais des guerres qu'il avait à soutenir. Depuis longtemps la
dette est acquittée, et cependant la vente continue à raison
de un dollar l'acre , ce qui ramène le prix de l'hectare à
douze francs cinquante centimes à peu près. Il semblerait
(jue ce bon marché incroyable dût permettre à tout le
monde d'acquérir. Il n'en est rien pourtant. Des sociétés
d'accaparement se sont formées qui rendent la concur-
rence tellement impossible, que déjà en 1832 le président
Jackson réclamait contre cet état de choses dans son mes-
sage au congrès. D'ailleurs , ces terres sont incultes ; les spé-
culateurs peuvent seuls faire le voyage , défricher, avancer
ou hasarder des fonds , acheter les instruments de culture.
Voici donc ce que demandent les Agrariens : tout en res-
pectant la propriété privée , ils voudraient qu'on abolît la
vente des terres publiques , et qu'on les divisât en lots de
cent soixante acres. L'État garderait un droit permanent
sur ces terres, dont il conserverait la propriété, et dont il
ne pourrait abandonner que la jouissance ou la possession
moyennant une redevance. D'un autre côté, tout chef de
famille aurait droit à une ferme de cent soixante acres, à la
condition de la cultiver et de l'exploiter par lui-même ou
par ses enfants ; nul ne pourrait d'ailleurs posséder plus
de cent soixante acres. Ne se croirait-on pas à Rome nu
temps de Licinius Stolon? Pour un inslant pourtant, les
agrariens parurent vouloir s'écaiter du respect (pi'ils pro-
fessaient pour la propri-été privée, et adopter des tendances
communistes. Cette exagération regrettable pourrait com-
promettre une cause juste et des réclamations fondées.
W.-A. DCCKETT.
AGRAULE, fille de Cécrops et d'Agraule ou Agrauie ,
fille d'Acte. Voyez Aghaulies. — C'était aussi le nom d'un
bourg de l'Attique , près d'Athènes, de la tribu Ércchthéide.
AGRAULIES, fête athénienne en l'honneur de Mi-
nerve et d'Agraule ou Aglaure , fille de Cécrops, qui se dé-
voua pour sa patrie en se précipitant de l'acropole , et à
laquelle on avait élevé un temple et consacré des mystères
et des initiations. Les Athéniens, à l'âge de vingt ans, prê-
taient sur son autel serment de dévouement à leur patrie.
On célébrait dans l'île de Chypre, au mois aphrodisius, det
agraulies, et l'on y sacrifiait un homme à Agraule : cet usage
subsista jusqu'à Diomède.
AGRAVIADOS, mot espagnol qni s\gn\iiepersécn(cs,
mécontents. On désignait autrefois en Espagne par la qua-
lification d'(7{/?"oyiof/o.ç ou agrcviados une classe de seigneins
auxquels les rois issus de la maison de Bourbon n'avaient
pas voulu reconnaître ou conférer la dignité de grand d'Es-
pagne ( voyez GiîANDEssF.), parce qu'on lessupposait dévoués
aux intérêts autrichiens et partisans des prétentions do
l'arclîiduc, par conséquent opposés aux prétentions du pi ince
,90 AGRAVIADOS — AGRÉGÉ
petit-fils de Louis XIV, appclii à succ(^der h Cliarles II. Au-
joiir«riiiii encore on trouve en Catalogne des familles nobles
([u'on dd.si;i;ne sous le nom à'agraviados , parce qu'on y a
consené intactes , de père eu fils , les préoccupations poli-
tiques des premières années du dix-huitième siècle, et qu'on
y regrette encore la maison d'Autriche. La plus grande par-
tie de ces seigneurs agraviados descendant, comme les
grands d'Espagne, des rJco5 hombres, les grands d'Espa-
gne se sont toujours fait im point d'honneur de les regarder
et de les traiter en toute occasion comme leurs égaux.
AGREDA (Maiiie d' ) , visionnaire espagnole, née
en 1602, dans la ville d'Agreda ( Vieille-Castille ) d'une
ftimille pieuse qui portait le nom de Coronel. Ses parents
ayant fondé, en 1G19, un couvent de VImmaculéc Con-
ception dans leur propre maison , pour obéir à une révéla-
tion particulière , la jeune Marie y prit l'habit de religieuse
le môme jour que sa mère et sa sœur ; elle y prononça ses
vœux le 2 février 1C20 , avec sa mère : la profession de sa
sœur fut différée, parce qu'elle n'avait pas l'ùge voulu. En
1627, elle devint abbesse du couvent. Depuis lors, jus-
qu'en 16.37 , elle reçut, à plusieurs reprises , de Dieu et de
la Vierge Marie , l'ordre d'écrire la vie de la sainte Vierge.
Après avoir résisté à ces ordres pendant dix ans , elle se
mit enfin en devoir d'obéir. :Mais lorsqu'elle eut achevé
cette vie , elle la brûla avec plusieurs autres écrits , par le
conseil d'un confesseur qui la dirigeait en l'absence de son
confesseur ordinaire. Ses supérieurs et le premier confes-
seur l'en reprirent aigrement, et lui commandèrent d'écrire
une seconde fois la vie de la mère de Dieu. Le même com-
mandement ayant été renouvelé par Dieu et la Vierge, elle se
mit de nouveau à l'ouvrage, et publia , en 1655 , le recueil
des visions qu'elle avait eues à ce sujet. Elle mourut en 1665.
Son livre a été traduit en français par le père Thomas
Crozet, récollet, sous le titre : La mystique Cité de Dieu, etc.
(Marseille, 1696, 3 vol. in-4''). — Ce livre est un tissu de
visions ridicules, qui vont parfois jusqu'à l'indécence. Les
folies y abondent tellement , que la faculté de théologie de
Paris crut devoir en faire la censure dans le temps même
où l'on travaillait à Rome à faire canoniser Marie d'Agreda.
On y trouve le récit de ce qui arriva à la sainte Vierge pen-
dant les neuf mois qu'elle fut dans le sein de sa mère,
sainte Anne. Entre autres extravagances , il y est dit que la
sainte Vierge , avant l'âge de trois ans , balayait la maison ,
et que les anges l'aidaient. — On peut citer ce livre comme
un des produits de la dévotion outrée pour la sainte Vierge,
et du cuile superstitieux qu'on en est venu à lui rendre. En
1855 -M. G. de la Vigne a publié une partie lie la correspon-
dance le. Marie d'Agreda avecPliilippelV. Aiitald
AGREE, jurisconsulte qui postule devant certains
tribunaux de commerce , avec l'autorisation et l'agrément
de ces tribunaux. Pour donner plus de simplicité , d'éco-
nomie et de promptitude à la procéduie devant les tribu-
naux de commerce, la loi affranchit les plaideurs de l'obli-
gation de comparaître assistés d'avoué ou d'avocat. Mais
dans les grandes villes l'absence d'officiers publics pou-
vait avoir ses dangers. On forma donc un corps d'agréés,
qui représentent les parties sans que leur ministère soit
forcé. Les agréés ne sont pas des officiers ministériels ins-
titués par la loi ; leur existence a pour base non les dispo-
sitions de la loi , mais uniquement son silence. 11 résulte, en
effet, de la discussion du projet du Code de Conunerce au
conseil d'État impérial, que l'on a évité de s'expliquer sur
les agréés précisément pour laisser à chaque tribunal con-
sulaire la faculté de conserver ses usages. Ainsi les tribu-
naux de commerce peuvent instituer des agréés et faire des
règlements sur l'exercice de cette profession. Le 21 dé-
cembre 1809 le tribunal de commerce de Paris régla l'or-
ganisation des agréés, établit une chambre disciplinaire , et
détermina sa composition et ses fonctions. Quelques années
plus tard, le 10 juin 1313, le môme tribunal de commerce,
reconnaissant que le nombre des agréés , qui était alors de
vingt et un, était au-dessus de celui que pouvaient comporter
les affaires et les besoins du service, le réduisit à quinze,
en faisant désintéresser et éteindre les six cabinets les
moins occupés, au moyen d'une indemnité de 225,000 fr.
que les agréés restants payèrent en proportion des affaires
qu'ils faisaient. Il en est résulté une sorte de propriété pour
ces cabinets, qui depuis se sont vendus comme des offices
ministérie_ls.
AGRÉGAT. On appelle ainsi , en minéralogie et en
géologie , la réunion de plusieurs matières pierreuses , plus
ou moins considérables et plus ou moins homogènes, agglu-
tinées ensemble à l'époque de leur formation. Ainsi le mar-
bre est un agrégat. — Les chimistes donnent ce nom à l'é-
tat d'un corps dont toutes les molécules sont réunies entre
elles de manière à former une seule masse. — Dans la langue
des mathématiques , agrégat s'enienà d'un a.ssemblage de
plusieurs termes positifs ou négatifs : il exprime les sommes
et les différences.
AGRÉGATION {Histoire naturelle). On désigne en
géologie sous ce nom , qui signifie réunion en troupe, le
mode de formation des roches, considérées minéralogique-
ment, qui se sont constituées instantanément et à la même
époque, telles que le granit, le porphyre, le schiste micacé,
le calcaire. Ces roches sont nommées agrégats ou roches
agrégées , ^ouT les distinguer des agglomérats ou roches
agglomérées (voyez Agglomération). — On connaît aussi en
zoologie des espèces animales dont un certain nombre d'in-
dividus sont naturellement réunis, soit sous une même peau
commune, depuis leur origine ou leur formation dans l'œuf
(alcyonelle, cristalette , etc. ) , soit soudés ou greffés seu-
lement par des parties adjacentes de leurs corps (botrylles,
pyrosomes) après qu'ils sont sortis de l'œuf. Ces groupes na-
turels d'animaux sont des agrégations d'individus que l'on
prenait, dans les premiers temps de la science, pour un seul
animal. Le caractère des agrégations animales est l'union
des individus sous une peau commune, ou la soudure ou la
greffe des individus sur les points adjacents de la peau.
C'est ce qui distingue les agrégations des agglomérations et
des associations. L. Ladrent.
AGRÉGATION (Chimie). Toutes les substances
composées de la nature sont formées par la réunion d'un
certain nombre de corps simples unis deux à deux ou en plus
grand nombre; la force qui les unit est désignée sous le
nom d'o/Jinité. Elle est de nature chimique, et ne peut
être détruite que par des forces chimiques ; mais la masse
des corps simples ou composés est formée par la réunion de
petites parties toutes semblables aux 7?2oZecM?é'5 maintenues
par une force qui porte le nom à^agrégation ou cohésion.
Cette force est de nature physique , et peut être surmontée
par des actions de cette même nature. Ainsi, dans le soufre,
l'argent , l'or, etc., qui sont des corps simples, les molécules
sont réunies entre elles de la même manière que les molé-
cules de craie, d'or et de cuivre dans une monnaie, etc.,
sont réunies pour former une masse plus ou moins considé-
rable ; on voit d'après cela que dans un corps simple il
n'existe qu'une seule force , Yagrégation , tandis que dans
les corps composés il s'en trouve deux, puisque Ya/finité
est nécessaire pour produire des combinaisons. Ainsi , dans
la craie, la chaux et l'acide carbonique sont unis chimique-
ment, comme l'or et l'argent dans la monnaie. — Une action
physique, comme le choc, la percussion , la traction , lompt
la masse des corps et en sépare des parties, mais qui restent
toujours avec leur môme nature; le fragment de soufre est
toujours un corps simple, comme le fragment de craie est tou-
jours un composé chimique. H. Gaultier de Clalbrv.
AGRÉGÉ. Pour arriver au professorat dans les lycées
et dans les collèges français , outre le grade de licencié ès-
lettres obligatoire pour les classes supérieures des lettres, de
licencié ès-sciences également obligatoire [)oi!r celles de
AGRÉGÉ — AGIUCOLA
mathématiques élémentaires et spéciales , de sciences phy-
siques, naturelles et de chimie, il y a de plus l'obUgation
•Vobteuir aii concours le titre spécial d'agrégé.
rarallélonient ;\ l'École Normale, dont elle reçoit l'im-
rndsiou et qu'elle excite par la concurrence, l'agrégation
est destinée à assurer le renouvellement et la force de l'ins-
îruction secondaire. Empruntée à un règlement du dernier
siècle qui créait dans l'Université de Paris soixante places
de docteurs agrégés, nommés au concours, pour la philoso-
phie, les lettres et la grammaire , cette institution fut éta-
blie en principe pour toute la France par le décret du
17 mars 1808, sous la réserve du mode d'examen que de-
vait fixer le conseil de l'Université.
Par divers motifs , l'institution tarda à Ctre mise en pra-
tique. Le titre d'agrégé fut même pendant quelque temps
donné par simple collation , comme l'étaient aussi les di-
plômes de grade. Les premiers concours n'eurent lieu
qu'en 1S21 pour les lettres, la grammaire et les sciences.
De nouvelles agrégations furent établies ensuite, d'abord
une agrégation d'histoire, supprimée en 1852 et rétablie en
1860, puis une agrégation des sciences physiques et naturelles
distincte de celle des sciences mathématiques.
Le-" aspirants doivent être âgés de vingt-cinq ans, avoir
fait la classe pendant cinq ans dans un établissement pubhc
ou dans un établissement libre, être pourvus du diplôme
de licencié es lettres ou de deux au moins des trois diplômes
de licencié es sciences , suivant l'agrégation à laquelle ils
aspirent. Des avantages spéciaux sont accordés aux élèves
de l'École normale. Le diplôme de docteur es lettres ou de
docteur es sciences compte pour deux années de classe.
Les épreuves sont de deux sortes : les épreuves prépara-
toires, qui consistent en compositions écrites, et les épreuves
définitives, qui sont orales et publiques.
Il y a encore des agrégés pour l'enseignement supérieur
dans les facultés : ils se divisent en agrégés en activité et en
agrégés libres. Il y a des agrégés près chaque faculté de
droit, de médecine, des sciences, et des lettres. 11 y en a
enfin pour les écoles supérieures de pharmacie.
Dans les facultés de médecine les agrégés sont chargés
d'aider et de suppléer les professeurs. Les élèves en
médecine ont, en effet, besoin à chaque instant de secours
pour puiser dans les collections, pour s'instruire aux pré-
parations, aux appareils , aux dissections , pour répéter les
cours des professeurs, pour compléter par des cours acces-
soires les leçons officielles obligatoires. Le corps des agrégés
remplit cet objet. L'agrégation se donne au concours. Au
bout d'un temps d'exercice, si les agrégés n'ont pas obtenu
une chaire de professeur, ils deviennent agrégés libres.
L'institution des agrégés en médecine avait eu pour but
dans la principe de former une pépinière de professeurs ;
elle perdit en partie cet effet par suite de l'admission de
tous les docteurs au concours pour le professorat. Elle a
néanmoins produit d'heureux résultats en plaçant dans les
écx)les de médecine un élément mobile et jeune qui ne
permet pas à l'enseignement de rester stationnaire. Il y a
dans le!\ facultés de médecine des agrégés pour les sciences
anatomiques et physiologiques, pour les sciences physiques,
poii-r la médecine proprement dite et la médecine légale ,
|.oiu- i;i f liinirgie et les accouchements. *
AGRÉIEEXT, AGRÉMENTS. Il y a d'importantes dis-
tinctions à faire dans l'emploi de ces mots. Le mot agrément
s'emploie fréquemment comme synonyme ^^approbation
ou de consentement ; il se rapporte, comme eux, aux actes
de la volonté d'une personne , et s'applique également au
présent, au passé, à l'avenir. Au premier coup d'oeil la
valeur de ces termes paraît la même ; mais la réflexion y
découvre quelques dificrences. Ainsi, le consentement se
demande aux personnes intéressées dans une affaire; mais
avant de faire certaines démarches il est bon d'avoir Vagré-
mcni de ceux tpii ont quelque autorité, c'est-à-dire de leur
191
agréer, de ne pas leur déplaire. On n'ac(iuiert point d'emploi,
même subalterne, dans une grande maison, sans Yagrément
du maître. — Agrément au singulier se dit aussi d'une chose
qui est agréable, qui procure quoique avantage ou quelque
plaisir. — Mais en passant au pluriel ce mot sert excltisive-
ment à désigner un assemblage de traits, soit au physique,
soit au moral, qui l'emportent souvent sur ce qui est régu-
lièrement beau. Cependant il s'applique plus ordinairement
aux dons de l'esprit. Ainsi l'on dit très -bien d'une personne
que sa conversation est pleine S' agréments. Le mot agré-
ments en parlant des arts conserve la même signification.
La proportion, la beauté, peuvent n'être point agréables, ne
point offrir d'agréments. Un ouvrage peut être sans agre-
nunts, sans que cet ouvrage ait le moindre désagrément
{voyez Gr.\ce). Cu\mpac.\.\c.
Les passementiers nomment agréments des ornements en
or, en argent, en soie ou en laine, destinés à être appliqués
sur les robes de femmes, sur les manteaux, ou sur les
meubles.
Dans la musique on appelle ?<o/e5 d'agrément des notes
qui s'ajoutent dans le cours d'un morceau, et que l'exécutant
peut omettre ou rendre et même varier à volonté. Ces notes
ne sont pas indispensables à la contexture de la phrase mu-
sicale. On ne les compte pas dans la mesure, et on les écrit
ordinairement en caractères plus petits. Si l'emploi modéré
de ces notes ajoute parfois à l'agrément du morceau, leur
abus devient fatigant et nuit à l'effet du morceau, dont elles fi-
nissent par écraser le motif.
AGRES. On désigne par ce mot tous les objets néces-
saires à la mâture d'un vaisseau , les mâts , les voiles, les
vergues, les poulies, etc., enfin tout ce qui n'est pas coque,
vivres ou chargement. La coque, les agrès et apparaux sont
hypothèque de l'équipage ( Cod. Civ., art. 271 ). L'armateur
ne doit pas oublier de s'assurer sur coque , quille , agrès et
apparaux ; sans quoi les assureurs refuseraient de payer les
câbles, mâts ou voiles perdues, etc. — On ne doit pas con-
fondre le mot agrès avec celui de grécment , qui a une si-
gnification toute dilférente.
AGRESSEUR, AGRESSION ( du latin aggredi, at-
taquer ). L'agresseur est celui qui fait naître une querelle,
soit en injuriant, soit en menaçant , soit en attaquant. Le
rôle d'agresseur est toujours mal vu par la justice; il im-
porte par conséquent de savoir celui qui a commencé la
querelle. C'est un principe de droit naturel que l'homme
attaqué a le droit de se défendre. Les lois humaines ne por-
tent pas de peine contre le meurtre commis en cas de légi-
time défense. Cependant, si cet homme a fait plus que ne
lui commandait sa défense, la loi ne considère l'agression
que comme un simple cas d'excuse, dont l'effet est de di-
minuer la peine encourue.
AGRICOLA ( Cnéics-Julius), général et consul ro-
main, beau-père de Tacite, naquit à Fiéjus, l'an 37 de J. C.
"Vespasien l'envoya, l'an 77, dans la Grande-Bretagne, qu'il
soumit à la domination romaine et qu'il gouverna jusqu'à
l'an 85. A la mort de Titus , le nouvel empereur Domi-
tien , Jaloux des succès d'Agricola , rappela ce grand général
de son gouvernement, oii il s'était fait chérir par la dou-
ceur de son administration. Agiicoia passa le reste de ses
jours dans la retraite, et il mourut à l'âge de cinquante-six
ans, empoisonné peut-être par Domitien. Tacite a écrit
sa vie.
AGRICOLA ( Jean). Son véritable nom était Schnei-
der ou Schniiter ( moissonneur). Fils d'un simple journa-
lier, il naquit à Eislebeii, en 1492, et est nommé dans
quelques ouvrages Magister Islcbius , d'autres fois -nus'-.i
Jean Eislcben. 11 fut un des plus zélés propagateurs de la
doctrine de Luther. Après avoir terminé ses études avec
beaucoup desuccès à Leip/ig et à W'ittemberg , il fut nommô
recteur et prédicateur de .sa ville natals , ensuite prédica-
teur à Fiancfort-sur-le-Mein, et remplit eu 1527, à la diète
102
de Spire , les fonctions de prédicateur de la cour de Jean ,
électeur de Saxe. Par la suite, il devint prédicateur de la
cour du comte Albert de Mansfeld, prit part à la confes-
sion d'A u g s 1) 0 u r s , et signa les articles de S m a 1 k a 1 d e.
En 1537 il se rendit, en (jualité de professeur, à Wittem-
berg, où il commença la controverse de Tant i no mis me
contre Luther et Mélanclilhon , en soutenant que la loi
évangélique n'était pas nécessaire pour être sauvé. Les
(jucrelles qui en résultèrent le forcèrent à se réfugier à Ber-
lin , où il écrivit une rétractation. Il fut alors nommé pré-
dicateur de la cour de l'électeur de Brandebourg , et mou-
rut dans cette résidence, en 15GG, après s'être attiré de
nouvelles discussions par la part qu'il prit à la rédaction du
fameux fnterim. Nous passons sous silence les nombreux
écrits théologiques et polémiques d'Agricola , et nous ne
citerons que l'ouvrage véritablement national qu'il publia
en bas-allemand sous le titre de Proverbes usuels alle-
tnmicls, avec leur explicntion ( Magdebourg , 1528). L'é-
dition en haut-allemand parut en 1529, àHaguenau, 2 vol.,
et une réimpression corrigée en 1592, à Wittemberg. Les
principes patriotiques, la morale pure et le langage franc
qui régnent dans ce livre lui assignent , après la traduc-
tion de la lîible par Luther, lu première place parmi les
ouvrages en prose allemande de cette époque.
On a quelquefois confondu Agricola Islebius a.\ec Etienne
AcKicoLA, mort en 1547, qui fut aussi un des premiers
soutiens de la réforme de Luther, — et avec Jean Agkicola
de Spremberg, aussi son contemporain, comme lui théo-
logien saxon et poète sacré, et qui fut pendant quelque temps
secrétaire de Luther.
Un autre théologien protestant du nom d' Agricola ( Michel )
a traduit le Nouveau Testament dans la langue vulgaire de
la Finlande. Il est mort en 1557.
iVGUICOLA (Rodolphe), dontlenoni véritable, qu'U la-
tinisa lui-même, suivant l'usage du temps, était Rolef Hnys-
vumn ou Ilausmann, appelé aussi, du lieu da sa naissance,
Frisius ou Rodolphe de Groningue, et encore, d'après
l'abbaye de Silo, où il séjourna pendant quelque temps, Ro-
dolphe de Ziloha, était né en août 1443, au village de
Ilado , près de Groningue. D'abord disciple de Thomas de
Kempcn à Zwoil, il alla à Louvain, puis à Paris, et de là
eu Italie, où, dans les années 1476 et 1477 , il suivit à Fer-
rare et à Pavie les leçons des savants les plus célèbres de
son siècle. 11 s'y lia d'une étroite amitié avec Dalberg, de-
venu plus tard évéque de Worms. Il fut le premier Alle-
mand qui, coaniie professeur, se «listingua en Italie, non-
seulement par son érudition , mais encore par la beauté du
langage et par la linesse de la prononciation. Il se fit en
outre une grande réputation comme musicien consommé, et
(juolques-unes de ses compositions eurent une grande vogue
en Italie. A son retour en Allemagne, il s'efforça avec plu-
sieurs de ses anciens condisciples et amis, notamment
Alexandre Ilegius et Rodolphe Lange , d'y propager l'amour
des lettres et la culture de l'éloquence. Plusieurs villes de
Hollande rivalisèrent vainement entre elles pour le fixer
dans leurs nuus au moyen de fonctions publiques ; et les
offres biillantes qui lui furent faites à la cour de l'enqiereur
Maximilien l'^'', où il s'était rendu dans les intérêts de la
ville de Groningue, ne purent non plus le déterminer à re-
noncer à son indépendance. Ln 1483 il linit par se rendre
aux sollicitations de Dalberg, devenu chancelier de l'élec-
teur palatin et évêque de Worms, et vint s'établir dans
le Palalinat, où il séjourna alternativement à Heidelberg et
à Worms, jiartageant son temps entre ses études particu-
lières et des coui-s publics , et jouissant d'une immense con-
sidération. 11 se distingua aussi comme peintre; et pour
pouvoir étudier la théologie il apprit encore avec ardeur
en I48'i la langue hébraïque. L;» même année il fit un
voyage en Italie avec D.ilberg, et mourut le 28 octobre 1 'iS5,
l<cu de temps après son retour en Allemagne. La répulalion
AGKICOLA — AGRICULTURE
dont il jouit de son vivant reposait plutôt sur son action
pei-sonnelle que sur ses ouvrages, tous écrits en latin, moins
nombreux d'ailleurs et aussi moins importants que la plu-
part de ceux des savants de son époque. La première édition
à peu près complète qui en ait été donnée est celle d'Alard
(Cologne, 1539, 1 vol. in-4"). Elle porte le titre de Liicu-
brationes. Oncite parmi ces écrits le discours In tandem
philosophix et le traité De Inventionc diulectica,
AGRICOLA ( Georges ), dont le véritable nom était
Baiier, naquit le 24 mars 1490 à Glauchau , et mourut à
Chemnitz le 2 1 novembre 1555. Apiès avoir été de 1 5 1 8 à 1 522
recteur de l'école de Zv\ickau , il alla étudier la médecine à
Leipzig, puis il se rendit en Itidie. A son retour, en 1527, il
s'établit comme médecin praticien h Joachimstlial en Bohêuie,
et en 1531 à Chemnitz, où il se livra désormais tout entier à
la minéralogie. Convaincu que la Saxe recelait dans ses mon-
tagnes d'immenses richesses minérales , il fit d'inutiles ef-
forts pour faire partiiger ses convictions aux différents
princes saxons. L'électeur Maurice le récompensa de ces
travaux en lui accordant une pension et un logement gratuit
à Chemnitz, où plus tard il devint médecin communal et
bourgmestre. En rentrant dans le giron de l'Église catho-
lique il provoqua des haines si ardentes qu'à sa mort on
refusa les honneurs de la sépulture à sa dépouille mortelle,
et qu'il fidlut le transférer à Zeitz. Les plus importants de
ses ouvrages sont intitulés : De Or tu cl causis Sublcrra-
nxorinn, etc. (Bàle, 154G et 1558, in-fol.) ; De Re Metal-
lica (Bàle, 15G1, in-fol.); et De Mcnsuris et Fonderibns
Romanorum atciue Grœcorum (liâle, 1533 et 1550 , in-fol.).
Schmidt a publié son Bergmannus^ ou Dialogues siir l'ex-
ploitation des »}(/»« (Fribourg, 1806 ;. Agricola fut le
premier qui fit en Allemagne de la minéralogie raisonnée.
Il rendit de grands services à cette science, bien qu'il ne fût
pas exempt des piéjugés de son temps : c'est ainsi qu'il
avoue franchement croire à l'influence hostile des gnomes du
monde souterrain. 11 a aussi écrit un traité De Lapide
Philosophico (Cologne, 1531).
AGRICOLA (Martin), l'un des premiers qui en Alle-
magne substituèrent à la tablature les notes aujourd'hui en
usage , né à Sorau en 148G , mort le 10 juin 1556, fut, après
la réformation , premier chantre et directeur de musique à
Magdebourg. Il avait acquis des connaissances étendues, non
pas seulement en musique, mais encore dans les langues an-
ciennes. Ses différents ouvrages sont d'un grand prix pour
qui veut bien connaître l'état de la musique au seizième
siècle, et notamment sa Musica instrumentons (Witten-
berg, 1529, 2^ édit., 1545) pour l'histoire des instruments,
attendu que les dessins qu'on y a joints sont de beaucoup
préférables à ceux qui accompagnent l'ouvrage de Prav
torius sur le même sujet.
AGRICOLA (Jean-Frédéuic), l'un des plus grands or-
ganistes et des plus habiles musiciens du dix-huitième siècle,
né le 4 janvier 1720, à Dobitschen, dans le pays d'Altenbourg,
étudia d'abord le droit à Leipzig, puis la nmsique sous
Sébastien Bach. Son intermède FilosoJ'o convinto lui valut,
en 1750, une place au théâtre de Potsdani, où il épousa la
célèbre cantatrice Uenedetta Émilia Molteni. A la mort de
Graun, en 1759, il fut nommé directeur de la chapelle de
Frédéric II, fonctions honorables, mais difficiles, qu'il con-
serva jus([u'à sa mort, arrivée en 1774. Il a conqiosé plu-
sieursopéras, Achille à Sajros, Iphigcnie en Tauride, etc.
Sa traduction de V Introduction à l'Art du Chant par Tosi
(Berlin, 1757, in-4''), à laquelle il ajouta de précieuses an-
notations, explique clairement l'ancienne solmisation.
AGRICOLE (Système). Voyez- PnvsiocnATiotF..
AGRICULTURE. Obtenir par le travail le plus de
produits possibles de la terre, sans toutefois lépuiser, tel
est le but et l'objet de l'agriculture. La théorie de l'agri-
culture se compose : l" de la physique et de la chimie
agricoles , sciences des éléments favorables ou nuisibles à
la voi^étation , des diverses naliires de terrain et de leurs
jiropriétés; 2" de la connaissance des principes généraux
de la ciiKure des terres, ce qui comprend tous les détails
relatifs aux instruments aratoires, ustensiles et outils, et la
théorie des engrais et des amendements, ainsi que
des semis et plantations; 3° de /'or^ vétérinaire;
4" de l'architecture rurale, pour construire avec salu-
brité les habitations des cultivateurs et les logements des
animaux, les caves, greniei-s, meules, granges, etc.
D'autres sciences, comme la géométrie, la mécanique, la
météorologie, la holanique, l'hydraulique, l'hygiène, la géolo-
gie, la statistique et même le droit civil peuvent contribuer
beaucoup à éclairer sa marche et à assurer ses pas.
En ne considérant que l'agriculture pratique, on peut la
diviser en tjra.idc et petite culture. La grande culture a
lieu dans les grands domaines : son objet principal et pres-
que unique est la culture des céréales. Elle appelle à son
secours les grandes machines aratoires ; elle se sert des che-
vaux, parce qu'ils ont l'allure plus vive que les bœufs; ceux-
ci ne sont employés qae rarement, sauf en plaine. Les con-
ditions de sa prospérité sont : le voisinage des grandes villes,
des grands marchés pour l'écoulement des produits, et sur-
tout les qualités essentielles que doit posséder le fermier
qui la dirige : l'intelligence et l'activité, une grande expé-
rience de la culture des terres, des connaissances positives
sur leurs principes constitutifs et sur les mélanges qui peu-
vent les améliorer, l'économie de temps et de moyens. II
f;iut de plus, pour la grande culture, des capitaux considé-
rables,atin de pou voir confectionner les instruments d'exploi-
tation et parer aux pertes qu'occasionnent les saisons dé-
favorables.
Le fermier, faisant l'avance d'un certain capital et de son
industrie, dispose pour lui-même des produits du domaine
moyennant la redevance annuelle qu'il paye, sous le nom de
fermage, à un régisseur ou intendant, qui administre la pro-
priété pour un salaire fixe. La méthode d'exploitation par
régisseur est fort commune en Allemagne , et tend à se gé-
néraliser en France. Il faut aussi mentionner le mode d'ex-
ploitation par colons partiaires, métayers, ou grangers, les
associations en commandite, enfm les colonisations dirigées
soit par le gouvernement, soit par des sociétés particulières.
La petite culture, ainsi nommée par opposition à la
grande , peut , à la quantité près , comprendre et les
céréales, objet principal de celle-ci, et tous les autres pro-
duits, selon les localités, les climats, la nature du sol et ses
voisinages. Les petites fermes et les métairies sont par con-
séquent comprises dans cette classe. Ses moyens d'exécution
sont les chevaux , les bœufs, les ânes même , selon la posi-
tion du sol. Elle a pour objet : les pâturages, les prairies
naturelles et artificielles, les pommiers à cidre, mûriers,
vignes, oliviers, tous les arbres fruitiers, plantes oléagi-
neuses et tinctoriales, l'entretien et l'éducation des bestiaux.
Elle se pratique sur un sol varié, plaines, collines, monta-
gnes. Elle exige moins de capitaux que la précédente. Le
fennier doit avoir un sens droit, du discernement, des con-
naissances générales sur la nature des végétaux, et positives
sur la manière de les cultiver. Cette classe de cultivateurs,
moins riche fpie les grands propriétaires, mais ijeut-être
plus laborieuse, mérite toute la sollicitude du gouvernement.
C'est d'ailleurs le plus souvent le propriétaire qui exploite
lui-même son patiimoine. Dans la petite culture il faut aussi
comprendre celle «pii se pratique à bras d'homme. Son objet
principal est la culture des légumes, des plantes alimentaires,
oléagineuses, tinctoriales, arbres fiiiiliers, etc. Cette der-
nière classe est pauvre ; à l'ordinaire elle ne récolte que pour
Res besoins ; à peine lui leste-t-il assez, pour payer les impôts
et les droits. Quoique inférieure aux autres, la petite culture
n'en est pas moins utile ; c'est d'ailleurs de la réunion de
toutes trois que résulte cet ensemble de productions variées,
qui charme la vue, suffit aux besoins généiaux. et qui donne
IlICT. DF. LA CONVF.nS, — T. I.
AGUICULTURK 193
l'idée la plus vraie de la fertilité du sol, de l'activité des
cultivateurs, et de l'état prospère où se trouve l'art agricole
dans un pays.
Relativement aux produits que l'on veut retirer de la
terre, l'agriculture reçoit encore diverses dénominations.
Vagriculture proprement dite est celle qui s'applique ex-
clusivement aux céréales. L'horticulture ne demande
pour ses opérations que d'étroits espaces et le travail ma-
nuel de l'honune, et se divise elle-même en plusieurs ra-
meaux, tels que la pomologie, la floriculture, l'art du ma-
raîcher, etc. Vient ensuite làsilviculture, ou agriculture
forestière, qui a trait à tout ce qui concerne les forêts, l'en-
tretien des arbres, la taille et l'aménagement ; la viticulture,
qui s'occupe spécialement de la vigne, de l'art de faire du
vin et de le conserver. — On a aussi donné le nom do
zoopeclie à la partie de l'agriculture qui concerne l'élève
des bestiaux et des autres animaux domestiques. On peut
y joindre ïapiculture, ou l'art d'élever les abeilles; la se-
riciculture , ou l'art de produire la soie ; Vaviculture, ou
art d'élever les oiseaux, et \dL pisciculture , art de peupler
nos viviers. On réserve l'expression ^'économie rurale à
cette partie de la science agricole qui apprend à diriger
les moyens dont dispose le cultivateur, et à les combiner
entre eux de la manière la plus favorable au succès de l'en-
treprise.
Le problème de l'agriculture se résout par différents pro-
cédés. L'homme a plusieurs moyens de réparer l'épuise-
ment du sol causé par les récoltes qu'il en tire, entre autres
les engrais, qui renouvellent les matières propres à la nu-
trition des plantes; les différents labours, qui font absor-
ber au sol les principes vivifiants de l'atmosphère; la com-
binaison des récoltes, que nous donne la théorie des
assolements, c'est-à-dire la succession alternante de
plantes qui, ne se nourrissant pas des mêmes substances ,
permettent au sol de réparer successivement ses pertes. Les
irrigations ajoutent encore à la fertilité du sol par la for-
mation de prairies artificielles.
Un savant praticien énumérera, à l'article Agronomie,
les connaissances indispensables à l'agriculteur.
L'origine de l'agriculture est sans doute contemporaine
du fait de l'appropriation du sol ou de la constitution de la
propriété. Dans cet état hypothétique de l'humanité auquel
on donne le nom de société primitive , la richesse agricole
consistait uniquement en bestiaux que l'on faisait voyager
d'un lieu à un autre pour chercher de nouveaux pâturages
et des eaux vives ; mais à mesure que le genre humain s'ac-
crut , la population se fixa. Pour cela il fallut exécuter sur
le sol certains travaux qui fussent , pour ainsi dire , le prix
de son appropriation à un seul possesseur. C'est seulement
à partir de ce moment que put naître l'agriculture propre-
ment dite. Jusque alors l'homme s'était contenté de con-
sommer les produits naturels qu'il rencontrait; dès ce
moment il chercha à les multiplier par la culture.
L'agriculture dépend principalement du climat, de l'ag-
glomération plus ou moins grande de la population sur un
territoire , et du degré de civilisation auquel cette population
est parvenue. Dans les climats chauds, où la nature produit
une énorme abondance de fiuits pour la subsistance de
l'homme et des animaux, où il n'est pas nécessaire de se
livrer à un travail incessant pour satisfaire aux différents
besoins de la vie , l'agriculture en général fait peu de progrès.
Il en est de même dans les contrées où règne constanmient
un froid rigoureux ; mais ici ce sont les obstacles naturels
qui s'opposent au développement de la culture. Ainsi, par
exemple, dans le Groenland et le Kamtschatka , où la terre
est couverte de neige pendant neuf mois de l'année, on ne
peut cultiver qu'une ou deux espèces de céréales , et les
liabitants se nourrissent principalement du produit de leur
chasse et siulout de leur pêche. \\\ contraire, dans les régions
tempérées, l'homme ixnit travailler pendant piesque toutû
25
194
AGRICULTURE
l'année le sol qui le nnnrrit, et il en peut tirer ine extrême
variété de productions.
11 suflit de suivre la cIironoloj];ie de l'histoire générale
pour constater ce fait, que les peuples s'adonnent naturelle-
ment à l'agriculture sous certains climats qui lui sont favo-
rables. Lorsqu'on ouvre les livres des Juifs, on voit qu'elle
était l'occupation principale des patriarches, et que dès les
temps les plus reculés elle était i)ratiquée dans la Mésopo-
tamie et la Palestine. Osias, roi de Juda, dirigeait lui-même,
sur les mont;ignes du Carmel, les travaux de ses cultiva-
teurs, et il étendait sa sollicitude d'une manière toute pa-
ternelle sur ceux de ses sujets qui s'occupaient exclusive-
ment de la culture des champs et du soin des troupeaux.
On sait que l'agriculture était florissante chez les Assyriens,
les I\Ièdeset les Perses. Selon Bérose, elle était si ancienne
chez les Babyloniens, qu'elle remontait au premier siècle de
l'existenc»^ de ce peuple. Les Egyptiens lui attribuaient une
origine céleste : suivant leurs traditions , la déesse Isis avait
découvert le blé, et le dieu Osiris avait inventé la charrue et
la culture de la vigne. Au reste, les travaux que les Égyptiens
ont exécutés pour fertiliser l'Egypte sont les plus éloquents
témoignages de l'importance qu'ils attachaient à l'industrie
agricole. A leur exemple, les Grecs attribuèrent également
aux dieux les premières notions qui leur furent révélées sur
cet art. La mythologie nous montre Cérès, déesse des mois-
sons, enseignant aux premiers habitants de l'Attique l'art
d'ensemencer les terres, de recueillir le blé et défaire le pain.
Elle attribue à Bacchus la culture de la vigne et la fabrica-
tion du vin. Le poème d'flésiode intitulé Les Travaux et
les Jours nous donne quelques notions sur ce qu'était l'a-
griculture à cette haute antiquité. H y est fait mention de
la charrue, du soc, de la flèche, du manche , du râteau, de
la faucille, de l'aiguillon du bouvier, et d'une voiture à roues
très-basses qui avait sept pieds et demi de largeur. On voit
dans ce poème que le sol recevait trois labours , le premier
en automne , le second au printemps et le dernier immédia-
tement après les semailles. A une époque moins reculée,
Théophraste parle des engrais, découverte d'Augias, suivant
Pline, des dépiquages des grains par les pieds des chevaux,
des soins donnés à la multiplication des bestiaux ainsi qu'au
nourrissage des porcs et des chèvTes , et enfin de l'éduca-
tion des chevaux de labour et de luxe. Ces résultats in-
contestables d'une culture avancée font assez voir les progrès
que les Grecs avaient accomplis dans l'art de cultiver le sol et
en quel honneur ils le tenaient.
Les Romains , à leur tour, regardèrent cet art comme le
plus utile à une nation, et les productions de la terre comm.e
les biens les plus justes et les plus légitimes qu'il soit donné à
l'homme d'acquérir. Il fallait dans les premiers temps pos-
séder un champ , si modique qu'il fût, et le cultiver soi-même
pour être admis au nombre des défenseurs de la patrie. Les
tribus rustiques étaient les plus honorées. Le propriétaire
cultivait son domaine à la bêche, mode de culture qui était
jugé plus favorable à la production. En outre, des lois sévères
veillaient au respect des moissons sur pied et des limites des
champs, et, grâce à la réserve d'un domaine public consi-
dérable, dont une partie était affermée an profit de l'État, les
particuliers n'avaient pas à gémir sous le poids des impôts.
Le droit de parcours était inconnu ; on multipliait les mar-
chés et les foires, tout en laissant chacun libre d'y porter ses
denrées; on ouvrait et l'on entretenait avec soin des voies
de connnunication pour faciliter les transports. Mais lorscpie
les usur|>ations patriciennes siu- le domaine ])uhlic d'abord ,
sur la propriété privée ensuite, eurent absorbé le sol juscpie
alors si fertile de l'Italie, et que.malgré les lois agra i res, les
rudes travaux de l'agriculture furent abandoiniés aux es-
claves, les campagnes, négligées, ne fournirent plus le hlé
nécessaire à la subsistance du peuple romain, qui dut s'ap-
provisionner ailleurs , et l'on ne s'occupa plus guère que des
pâturages et de l'élève des bestiaux. I^e revenu foncier n'était
plus que d'environ soixante litres par hectare sous l'em-
pereur Claude , tandis qu'il était encore de deux cent cin-
quante litres à l'époque où vivait Cicéron. — Catou le Censeu.,
^'arron, Colunielle, Virgile , Pline et Palladius nous ont laissé
des documents intéressants sur la situation et les progrès de
l'agriculture aux diverses époques delà grandeur des Romains
et de leur décadence. On connaissait parfaitement, du
moins dans l'origine , toute l'importance du travail et de
l'inspection personnelle; mais quand, par les causes rap-
portées plus haut, les propriétaires ne cultivèrent plus par
eux-mêmes, ils confièrent d'abord l'exploitation à des par-
tuarii, qui n'avaient tout au plus qu'un cinquième du pro-
duit , mais ne fournissaient ni les semences , ni les bes-
tiaux, ni les instnnnenls. 11 y eut ensuite des coloni, sorte
de fermiers qui payaient une redevance en argent pour la
jouissance d'une partie ou de la totalité des produits. Du
temps de C'aton le fonds qui avait le plus de valeur était
celui qui était plantéen vigne, quoique les vins de l'Itahe fus-
sent peu estimés. En seconde ligne venaient les jardins , les
saussaies, les vergers d'oliviers, les prairies, les terres à blé, les
bois taillis, les pièces couvertes d'arbres destinés à soutenir
les ceps de vigne , enfin les forêts à glands. On mettait le
plus grand soin à varier les cultures d'après les terrains qui
leur sont propres, et l'on suivait différents systèmes ou cours
de culture sur ces diverses espèces de sol ; mais la rotation
la plus ordinaire était une récolte de céréales suivie d'une
jachère, ou le système biennal. Quelquefois encore on rom-
pait les vieilles prairies pour les mettre en culture pendant
trois ans de suite ; au bout de ce temps on rétablissait l'état
primitif. Les Romains possédaient un grand nombre d'ins-
truments aratoires, entre autres Yirpex, l'équivalent de
l'instrument que nous appelons cultivateur ; le cratcs, sorte
de herse; le râteau, le hoyau, la bêche, le sarcuhan, la
mnrsa, etc. Ils ne connurent la charrue à roues qu'à la fin
de la république. Parmi les meilleurs engrais, ils comptaient
ceux que fournissaient les cloaques , les basses-cours ; ils sa-
vaient également fumer les terres , soit en renversant les
plantes légumineuses au moment de leur floraison pour les
faire pouiTir dans les sillons, soit en brûlant sur place les
chaumes, soit en faisant parquer les bestiaux en plein air.
Les Romains pratiquaient le labour léger que nous nom-
mous binage , le buttage et le sarclage. On ne liait pas le blé
en gerbe ; sitôt qu'il était coupé on ^envC^yait à l'aire pour être
battu. On faisait brouter aux moutons vers le printemps
celui qui poussait avec trop de vigueur. Leur système d'irri-
gation et de dessèchement était admirablement entendu.
Ils cultivaient presque toutes les céréales , les légumes et les
fourrages que nous possédons , notamment notre froment
ordinaire, qu'ils nommaient 7-oi!/5, notre froment blanc, qu'ils
nommaient siligo, et le/o;", que l'on croit être le maïs. Us
avaient porté à un très-haut degré l'art de former des pi-airies
artificielles de plantes fourragères , comme la luzerne, ainsi
que la culture de la vigne et des oliviers.
Quelle était l'agriculture des autres peuples de l'antiquité?
C'est ce que nous ne savons qu'imparfaitement. L'Espagne
et le midi de la Gaule, ayant été civilisés par les Grecs et les
Carthaginois, avaient du être initiés de bonne heure à la
culture des terres. Dans le nord même de la Gaule, et dans
l'île des Bretons, les nations celtiques avaient une agricul-
ture passablement avancée, puisqu'elles employaient la marne
pour amender les terres et qu'elles cultivaient une assez
grande quantité de végétaux. Ce qu'il y a de certain, c'estque
la population de ce pays était très-nombreuse, fait qui
témoigne d'une agriculture avancée. Sous la domination
lomaine , les Gaulois firent de rapides progrès dans la civi-
lisation, et l'agiicultiue participa à ce mouvement général.
Mais l'invasion des tribus germanifiues, que l'amour seul
du pillage rassemblait autour d'un ciief , couvrit le pays de
mines, et y tarit toutes les sources de la production. Le
régime politique qui suivit l'établissement des Francs dans
AGRICULTURE
195
la Gaule était loin de pouvoir relever ragriculture du triste
<?tat daus lequel elle était tonibfe. En elïel, les Gaulois,
l>long(5s dans la servitude , étaient soumis à la domination
arbitraire des Francs, possesseurs d'alleux ou de bi^ncMices.
Or, entre les mains d'esclaves jtaresscux et craintifs les ter-
res les meilleures deviennent bientôt infertiles.
Ce ue fut que sous les rois de la seconde race que l'agri-
culture commença à se relever, grâce à l'intelligence et à
l'activité des moines, qui se livrèrent avec zèle au défricbe-
raeut des terres. Qui ue sait, en elTet, que les prémontrés,
les bénédictins, etc., ont défriché dans toute la France bien
des forêts et des landes que remplacent aujourd'hui des
vignobles ou des moissons? Le progrès de l'agriculture dut
beaucoup aussi au capilulaire de Charlemagne sur l'entretien
de ses fermes {de Villis ); mais, après la mort de ce prince,
il fut bientôt arrête par les incursions des Normands, des
Sarrasins et des Hongrois aux neuvième et dixième siècles,
et surtout par le système féodal . Comment, en effet, l'agri-
culture aurait-elle pu fleurir à une époque où ie serf était
arbitrairement taxé, taillé, soumis à des corvées et traîné à
des guerres perpétuelles? C'est ce qui explique ces famines
si fréquentes et si longues , ces pestes meurtrières et multi-
pliées, la dépopulation des campagnes, la misère et l'igno-
rance générales. Aussi est-ce parmi les Maures d'Espagne
qu'il faut chercher de bons modèles de culture pendant
le moyen âge : l'ouvrage de l'Arabe Ehu-El-Aram en est
un monument curieux. Lu auteur chrétien du même pays,
MÏnt Isidore de Séville, a aussi laissé un traité très-
complet sur l'agriculture dans le livre dix-septième de ses
Origines, intitulé : De Rébus Rusticis.
Au treizième siècle, à l'époque des croisades, beaucoup de
seigneurs vendirent la liberté à leurs serfs, afin de se pro-
curer les sommes nécessaires aux expéditions d'outre-mer.
De nouvelles plantes furent introduites en Europe par les
croisés qui revenaient de l'Orient, notamment le mais ou blé
de Turquie, envoyé en France par Boniface de Montferrat
a[)rès la prise de Constantinople , les pruniers de Damas ,
les échalotes , etc. Dès lors l'influence du travail libre ne
tarda pas à se faire sentir dans la production agricole. L'af-
franchissement des communes vint encore favoriser ce
mouvement ; toutefois ce ne fut guère qu'au seizième siècle
(jue l'agriculture reçut une impulsion toute nouvelle. Elle
devait naturellement se ressentir, comme toutes les sciences
et tous les arts, des grandes découvertes de l'esprit humain
à cette époque. La plupart des ouvrages de l'antiquité sur
l'agriculture furent traduits dans les diverses langues mo-
dernes; puis parurent à de courts intervalles, en Italie, les
Vinti Giornate deW Acjricoltura, par Gallo, et le Rieordo
d' Agricoltura par Camille Tarello, de Venise, qui proposa
le premier d'alterner les cultures ; en Espagne, l'ouvrage de
Herrera ; en Allemagne, celui de Heresbach ; en Angleterre, le
traité de Fitz Herbert, intitulé : the Book 0/ Ilnsbandnj, où
nous ^ oyons qu'à cette époque les Anglais se distinguaient
déjà dans l'éducation des animaux domestiques; en France,
le Théâtre d'Agriculhire et Icménagedes champs, dans le-
quel est représenté tout ce qui est requis et nécessaire pour
bien dresser et gouverner, enrichir et embellir la maison
rustique, par Olivier de Serres, seigneur de Pradei, qui a
mérité d'être surnommé le père de l'agriculture française.
I)n lui doit la première notice détaillée siir la pomme de terre,
alors récemment importée d'Amérique, ainsi que l'extension
et le perfectionnement de la culture du mûrier.
A partir du dix-se|)tième siècle le progrès est général dans
presque tous les Étals de l'Europe , où il s'effectue plus ou
moins rapidement. Entre les promoteurs de l'art agricole en
Angleterre, on doit citer im réfugié polonais, nommé
Ilartlil), qui, dans son Discourse 0/ Flander 's Husbandry,
lit connaître à sa nouvelle patrie la cidture si soigneuse des
Belges; Tull , qui le premier, dans son livre Horse-hoeing
Husbandry, recommanda la culture en lignes, mais eut
le tort de se déclarer l'ennemi des engrais et de vouloir
y suppléer par des labours nudtiiiliés. Bakewell, qui façon-
nait , pour ainsi dire , à son gré les races d'animaux , en
appariant de génération en génération les imhvidus doués
des qualités qu'il s'agissait de fixer ou de développer encore
davantage; Arthur Young , Marshal et Sir John Sinclair, à
qui l'on doit tant d'ouvrages excellents et de si notables
améliorations ; enfin Loudon, qui a publié une Encyclopédie
de l'Agriculture. En somme, l'Angleterre a porté son agri-
culture à la même perfection que les produits de ses manu-
factures. Elle n'a pas de rivale pour la culture en lignes , la
rotation des récoltes , et principalement pour l'amélioration
des animaux domestiques. L'Ecosse, encore barbare, il y a cent
ans à peine, joint à ses titres d'honneur celui d'avoir répandu
plus d'instruction parmi les habitants de ses campagnes.
Mais en revanche l'Irlande voit son sol si fertile appauvri par
la culture des pommes de terre, l'impôt et l'absentéisme.
La France, que la nature a douée d'un climat plus favo-
rable que sa voisine d'outre-Manche, est un pays essentielle-
ment agricole. Sidly voyait dans le pâturage et le labourage
les mamelles de l'État. Le règne de Louis XIV fut peu favo-
rable au développement de l'agriculture ; le commerce et
l'industrie , les arts et la guerre, attirèrent toute l'attention
de ce prince , et Colbert subordonna toujours l'agriculture à
l'industrie. Cependant les routes et les canaux qu'ils firent
construire multiplièrent les relations, et ser\irent autant les
laboureurs que les artisans. Sous le règne suivant, le sys-
tème de Law et la fureur d'agiotage qui s'em.para de tous
les esprits, surtout durant la régence, accablèrent l'agricul-
ture, qui ne se releva que vers le milieu du dix-huitième
siècle. Les travaux de Quesnay , Turgot , Duhamel , Rozier,
Raynal, Trudaine, Condorcet, Mirabeau, Dupont de Ne-
mours , appelèrent l'attention du gouvernement sur l'agri-
culture, et amenèrent d'utiles réformes. Dès 1754 un édit
fut publié qui permettait le libre commerce des grains dans
l'intérieur de la France et en autorisait l'exportation dans
de certames limites. Des écoles vétérinaires furent fondées à
Lyon et à Alfort. En 1756 on exempta d'impositions les
terres nouvellement défrichées; en 1776 on supprima les
corvées ; de nombreuses sociétés d'agriculture se formèrent,
et s'occupèrent des moyens de perfectionner et la théorie et
les instruments. Mais pour que l'agiiciilture reçût une im-
pulsion puissante, il ne fallait rien moins qu'une rénovation
politique qui changeât les conditions mêmes de la propriété
territoriale et la rendit moins onéreuse, plus libre, plus acces-
sible à tous. C'est donc à la destniction des dernières lois
féodales, de celles sur la chasse par exemple, à la suppression
des dîmes , à l'aliénation des immenses propriétés du clergé
et de la noblesse , à l'égal partage des biens entre les en-
fants, au morcellement qui en résulta, à notre révolution, en
un mot, malgré les réquisitions et le maximum de la Con-
vention, que la France doit les immenses progrès de son agri-
cidture , depuis que la fin des guerres de la Répidslique et
de l'Empire a permis au nouvel état de choses de porter ses
fruits. Trois contributions foncières , triste nécessité d'un
gouvernement militaire, furent successivement établies par
l'administration fiscale. Toutefois, n'oublions pas que nous
sommes redevables à Napoléon de la culture en grand de la
betterave, et que dès Louis XVI notre pays avait acquis
par les travaux de Parmentier la culture de la pomme de
terre. Jlalgré le mauvais vouloir de la Restauration, qui
tendait à l'agglomération des terres dans la main des ci-de-
vant seigneurs, et celui du gouvernement de Juillet, qui
réservait surtout sa sollicitude pour le commerce et l'in-
dustrie, il faut reconnaître que depuis 1815 on s'est occujid
sans cesse de perlectionner les théories et les instruments
agricoles; on a créé à Roville et à Grignon, au Verneuil, des
feinies-modèles où de nombreux jeunes gens sont initiés aux
meilleures théoriesainsi qu'à l'application de toutes les sciences
à l'agriculture. Les propriétaires, en fixant leur résidence sur
19G
It-urs terres et en dirigeant par eux-mômes les travaux, ontcon-
tiibui! a faire adopter des procédés que repoussait la routine.
La sultsliltition du système des assolements à celui des jachè-
res, la multiplication des races d'animaux domestiques, de
nombreux percements de routes et de ciicmiiis, ont relevé
l'agriculture, qui semble devoir bientôt trouver un appui
«jaus de nouvelles macliines, comme les faucii eu ses, les
moissonneuses, les batteuse», etc., et demander le se-
cours'leia vapourpour remplacer lelravaildes Iionimes et des.
animaux par deslocomobiles. Certes ragricuilure n'a pas dit
son dernier mot. Après la révolution de tévriej , une certaine
réaction se produisit en France en faveur de l'agriculture :
un institut agronomique fut fond»' à Versailles, mais il n'a
pas survécu aux événements de 1851 ; des écoles régionales
ont été instituées à Grignon ( Seine-et-Oise), à GrandJouan
(Loire-lnféri.upp), à la Saulsavc (Ain) et à Saint-Angeau
(Cantal). Les trois premières existent encore. Trois bergeries
et une vacherie furent achetées par l'État; des fermes-écoles
ont élé créées dans un grand nombre de départements :
enfin des concours régionaux et généraux distribuent des
récompenses à tous les progrès. Dès encouragements ont
<^té donnés au drainage et au dessèchement des marais
Od s'est encore occupé des lan des et des biens com-
munaux. Pres(|ue tous les déparlements possèdent des .so
ciétés d'agriculture et des comices a gricoles; mais ce
qui manque surtout à l'agriculture ce sont les bras et le crédit.
Chaque contrée de l'Europe a une agriculture pratique
toute particulière. En Toscane on cultive U-s collines en
terrasses, on pratique des défoncements ii la bêche; les
mareumies et les métairies s'y transn)ettent héréditairement.
En Suisse on trouve une culture pastorale , et d'une sim-
plicité primitive , à laquelle s'harmonient merveilleusement
les gracieux chalets au milieu des glaciers. Les Hollandais
ont conquisleurs champs sur rOcéan. Les Flamands, de tout
temps peuple agriculteur, ont découvert plusieurs espèces
d'engrais et d'amendements. Ils n'ont pourtant presque rien
écrit sur cette science, dont ils sont assurément les maîtres;
à peine peut-on citer V Agriculture pratique de la Flandre,
par iM. Van Aelbrœck, livre du reste très-complet et bien
conçu. La Pologne, un des pays les plus fertiles de l'Europe,
produit les céréales en abondance, presque sans soin et sans
culture. Le Danemark et surtout les duchés allemands de
Schleswig-Holstein sont admirablement cultivés. On y suit
les procédés de ïhaer, le plus célèbre des agronomes mo-
dernes , qui recommande surtout l'analyse chimique du sol
pour calcider ses degrés de chaleur et de fertilité naturelle,
et évaluer ce que la fermentation des engrais de toute es-
pèce peut y ajouter. En Saxe et en Silésie, on a créé la race
des brebis électorales, qui ont une laine si fine. Le Mecklem-
hourg est fier de .sa magnifique race de chevaux, qu'il doit à
l'étiit avancé de son agriculture. En Bavière, les enfants des
paysans apprennent l'agriculture dans des catéchismes, abso-
lument comme la religion. L'Espagne restera nécessairement
en arrière des autres Etats tant que le tiers de son territoiie
appartiendra aux moines. La Russie, dont le sol est admirable-
ment fertile, surtout dans ses provinces méridionales, a tout
à gagner à l'émancipation prochaine des serfs. En dehors de
l'Europe, il ne faut pas omettre la Chine, où la condition
d'agriculteur est si fort estimée, qu'elle vient immédiate-
ment après ceNe des lettrés et des officiers d'État , et que
l'empereur lui-même se rend une fois par an aux champs,
avec un nombreux cortège, et, prenant la charrue, trace un
sillon, afin d'honorer letravail deschamps et de donner ainsi
l'exemple à ses sujets. C'est peut-être le peuple le plus avancé
du globe sous ce rapport, ainsi que send)lent le i)rouver
les procédés intelligents qu'il emploie pour les engrais et
la multiplicité des opérations manuelles. En Amérique, les
anciens habitants du Mexique et du Pérou avaient porté
l'agriculture à un très-haut degré de perfectionnement, et
de nos jours les infatigables défricheurs des États-Unis
AGRICULTURE
méritent bien de l'humanité en conquérant à la production
les immenses solitudes des prairies et des forêts vierges. De
l'état actuel de l'agriculture chez tous les peuples civilisés
il résulte clairement qu'elle est en rapport direct avec les
progrès des sociétés, et qu'il importe de plus en plus d'é-
clairer la classe agricole. La loi sur l'instruction primaire,
celle sur les chemins vicinaux en France, ont déjà fait beau-
coup ainsi que les fermes-modèles et les comices
agricoles.
Parmi les instituts et sociétés d'agriculture, il faut citer
particulièrement la Société Centrale de Paris, VAcadnnie
des Géorgophiles de Florence, la Société des Montagnes
d'Ecosse, V Académie de Mœglin, etc.
Quant à la littérature agricole, elle n'est pas moins encombrée
que toutes les autres branches de littérature; elle a ses piéten-
tions, ses répétitions, ses fatras. Les blés, les vins, les vers à
soie, les colombiers, les bêtes à laine ou à cornes, la médecine
vétérinaire, ont élé traités dans plusieurs milliers de volumes.
Chaque plante cultivée, chaque bête de labour a[)partenant à
l'exploitation rurale, a ses traités particuliers. 11 faut sou-
lever toute cette masse de livres pour trouver ce qu'il y a
de vrai, de raisonnable et d'applicable an pays, et imiter ces
habitants des rives du Rhône qui soulèvent des montagnes
de sable pour cueillir quelques paillettes. Quand nous les
aurons recueillies, ouvrons nos sillons, cultivons par nous-
mêmes, consultons sans cesse les laboureurs du voisinage,
et nous verrons jusqu'à quel point les théories sont appli-
cables à notre sol. On peut citer cependant les Principes
raisonnes d'Agriculture, parThaer, traduits par Cmd ; VA-
griculture pratique et raisonnée, de sir John Sinclair; les
A7inci''es Agricoles de Roville, par Mathieu de Dombasle,
1830; le Calendrier du bon Cultivateur, par le même; les
Annales de l'Académie de Mœglin; le Dictionnaire d'A-
griculture pratique, par François de Neufchàteau, Dupetit-
Thouars, etc. (1827), 2 vol. in-8°; le Manuel pratique du
Laboureur, par Chabouillé du Petit-Mont, 2 vol. in-12;
les Éléments de Chimie agricole, par sir Humphry-Davy,
traduits en français, 2 vol., in-8°; la Chimie appliquée à
l'Agriculture, par Chaptal, 2 vol., in-8"; le Cours de Cul-
ture et de naturalisation des Végétaux, par Thouin; la
Maison Rustique du dix-neuvième siècle, par une réunion
de savants et de praticiens; le Nouveau Cours complet
d'Agriculture théorique et pratique, sur le plan de celui de
l'abbé Rozier, par les membres de la section d'agriculture de
rinsfitut ; le Cours d''Agriculttire de M. de Gasparin; l'En-
cyclopédie de VAqriculteur, par M. Moll, etc.
AGRICULTURE (Minislère de l'), DU COMMERCE
ET DES TRAVAUX PUBLICS, ministère de formation ré-
cente, tour à tour démemliré et réuni au ministère de l'in-
térieur et à d'autres, scindé, divisé , détruit et reformé. En
1812 Napoléon avait créé un ministère du commerce et des
manufactures; mais c'était moins pour protéger les rela-
tions commei'ciales que pour veiller à l'observation rigou-
reuse du blocus continental. Ce ministère ne survécut pas à
l'empire. Sous la Restauration il fut remplacé par un bu-
reau du commerce, et le 4 janvier 1S2S une ordonnance
rovale nomma un secrétaire d'Etat président du conseil su-
périeur du commerce et de? colonies. Le 20 du même mois
ce secrétaire d'État prit le titre de ministre au département
du commerce et des manufactures. Cette institution ne se
soutint pas longtemps; et lors de la formation du minis-
tère du s aoi1t 1829, l'administration du commerce retomba
dans les limites étroites d'un bureau. Apres la révolution de
Juillet un ministère du commerce -et de l'industrie fut ré-
tabli par l'atbninistration du 13 mars 1831 ; mais on y joi-
gnit les travaux publics, qui en furent séparés en 1834, |)our
former un ministère spécial. Le nunistèie dont nous nous
occupons prit alors le nom de ministère du connnerce. « 11
doit concentrer, disait-on dans le rapjiort au roi sur les at-
tributions de ce ministère , toute l'action du gouvernement
AGRICULTURE — AGRIPPA
197
8«r les inti^rêts matériels A économiques de la société.
Asriciilliiie, nianuractiires, commerco, voilà le triple objet
de ces travaux. C'est en quelque sorte le ministi''re de la
production et de la circulation des richesses publi(]ues. »
Le 19 septembre 1830, un niinistiVe de l'aRriculture, du
commerce et des travaux public^; est institué pour M. Martin
(du Nord). Le t2 mai 1839, un ministère spécial de l'a-
griculture et du commerce est confié à M. Cunin-Gridaine.
Dans le cabinet du 1"^' mars 1840, M. Gouin prend seule-
ment le titre de ministre du commerce. M. Cunin-Gridaine
lui succède le 29 octobre de la même année. Après la ré- .
volution de février nous voyons M. IJetlimont ministre de
l'agriculture et du commerce, M. F. Flocon lui succède le
11 mai 1843, et M. Tourret remplace ce dernier le 28 juin;
BI. Bixio remplace M. Tourret le 20 décembre, et est rem-
placé lui-uK^iue par M. Buffet le 29 du même mais. M. J.-B.
Dumas prend ce ministère le 31 octobre 1849 et le cède
à M. Bonjean le 9 janvier 1851. M. Schneider l'occupe le
24 janvier suivant et le rend à M. Buffet le 10 avril de la
même année. Le 26 octobre, M. Casablanca prend le titre
de ministre du conmierce. Le 23 juin 1853, l'empereur Na-
poléon III rétablit un ministère de l'agriculture, du com-
merce et des travaux publics, et le confie à M. ftlagne qui
le cède à M. Rouher le 5 février 1855. C'est sous ce mi-
nistère que les chemins de fer ont pris tout leur développe-
ment et qu'a été préparée la réforme des droits de douanes.
L'organisation de ce ministère comprend le secrétariat
général, la division du personnel et la division de la compta-
bilité. La première seclion comprend le bureau de la sta-
tistique générale de la France, la division de l'agriculture,
la division du commerce intérieur et la divisiou du com-
merce extérieur. La division des haras qui en faisait partie
en a été distraite le 24 novembre 1860 pour être jointe au
ministère d'État. La section des chemins de fer renferme
la division des études et travaux, et la division de l'exploi-
tation. La troisième section, dite des ponts et chaussées,
comprend la division des routes et ponts et la division de
la naviuation. La quatrième section, dite des mines, ren-
ferme seulement la division des mines et usines. C'est da
bureau de la statistique qu'émanent ces grosses publications
connues sous le nom de statistiques officielles, et qui se
rapportent surtout au mouvement de la production et de la
populiition de la France. La division du commerce exté-
rieur comprend les bureaux de la législation et des tarifs de
douanes rn France, et à l'étranger, et le bureau du mou-
vement général du commerce et de la navigation. Elle publie
les Annales du commerce extérieur, bulletin mensuel où
les négociants peuvent trouver quelques renseignements.
Il exi-fe près de ce ministère un conseil supérieur du
commerce, de l'agriculture et de l'industrie, un conseil gé-
néral de l'agriculture, une commission pour la fixation an?
nuelle des valeurs de douanes, une commission du registre
matricule pour l'inscription des animaux de race pure de
l'espèce bovine, etc. Les services extérieurs comprennent
les écoles impériales d'agriculture, les fermes-écoles, les
écoles vétérinaires, les écoles impériales des ponts et chaus-
sées et des mines, l'école des mineurs de Saint-Etienne,
l'école pratique des maîtres ouvriers mineurs d'Alais, etc.
Les colonies et asiles agricoles, les associations et comices
agricoles, les missions agronomiques, les concours d'ani-
maux et de produits agricoles, les encouragements à l'agri-
culture, les dessèchements et assainissements, le diainage,
les irrigations, la police rurale, la mise en culture des lau-
des, le reboisement, les secours pour épizootie, inonda-
tions, grêle, incentiies, les mercuriales des grains, les foires
et marchés , les règlements de la boucherie, boulangerie,
les abattoirs, etc., ressortissent également à ce ministère,
ainsi que les chambres du commerce, les bourses, les agents
de change, les courtiers, les sociétés anonymes, les caisses
«l'épargne, les caisses de retraite pour la vieillesse , les assu-
rances, les tontines, les sociétés d'encouragement, les sociétés
de crédit foncier, le comité consultatif elles chambres consul-
tatives des arts et manufnctures; le Conservatoire des Arts
et Métiers, les écoles impériales des arts et métiers dt Châlons,
d'Angers et d'Aix , l'École centrale des arts et manufactures,
les écoles industrielles, les conseils de prud'hommes, les bre-
vets d'invention, les dessins et marques de fabrique, les li-
vrets d'ouvriers, le travail des enfants dans les manufac-
tures, les expositions des produits de l'industrie, les conditions
publiques des soies, les encouragements à l'industrie, le co-
mité consultatif d'hygiène publique, les commissions et
agences sanitaires , les lazarets, les quarantaines, les épi-
démies, les encouragements pour la propagation de la vac-
cine, la police médicale, les remèiles secrets, les eaux mi-
nérales, les établissements dangereux , insalubres ou in-
commodes, la vérilication des poids et mesures, la pêche
maritime, les mesures relatives à l'émigration, etc. Outre
les chemins de fer, il s'occupe encore «les ports de com-
merce , des canaux, des phares, de la navigation des neu-
ves et rivières, des barrages, écluses, quais, bas-ports, du
flottage, des travaux de défense contre le débordement des
cours d'eau, des bacs, ponts, etc., des concessions des mines,
de la surveillance des mines, carrières et tourbières, de l'a-
ménagement et de la conservation des sources d'eaux mi-
nérales, des machines et bateaux à vapeur, de la police des
usines, etc. Z.
AtiRlGENTE, en grec Acragas, nommée ainsi à cause
du fleuve qui coulait le long de ses murs : telle est du moins
l'opinion «i'Étienne de Byzance. Agrigente est située non
loin de la côte méridionale de la Sicile; elle tut fondée, selon
les uns par une colonie d'Ioniens, selon les autres par les
habitants de Gela, 604 ans avant J.-C. Une troisième opi-
nion lui accorde une antiquité moins reculée, et fixe à l'an
572 seulement la fondation de cette ville. La fertilité de son
sol était généralement appréciée, et l'on croit même en re-
trouver l'indication dans son nom. Le commerce d' Agrigente
avec Cartilage porta la première de ces villes àun haut degré
de prospérité; elle s'enrichit de monuments remarquables :
on vante surtout la magnificence du temple de Jupiter, le
plus grand de tous ceux de la Sicile. On rapporte que ses
colonnes avaient cent vingt pieds de haut, et qu'un homme
pouvait se cacher dans chacune de leurs cannelures. Il y
avait hors de la ville un lac creusé de main d'homme et
peuplé de poissons pour le luxe des festins. En la troisième
année de la quatre-vingt-treizième olympiade, Exénèted'A-
grigente, ayant été vainqueur à la course du stade, (it son
entrée dans la ville, et l'on vit à sa suite trois cents chars
attelés chacun de deux chevaux blancs, que l'on dit avoir
été tirés d'Agrigente. On raconte aussi des choses merveil-
leuses sur riiospitaiité exercée par les riches envers les
étrangers, et, pour en citer un exemple, cinq cents cavaliers
de Gela ayant passé par Agrigente, Gellias les reçut tous
dans sa maison, et fit présenta chacund'une tunique et d'une
robe. On cite encore Antislhène, qui traita tous les citoyens
<à l'occasion des noces de sa fille. — Sa population au temps
de sa prospérité était de 800,000 âmes. — Assiégés par les
Carthaginois (405 av. J.-C), les habitants sortirent de leur
ville escortés par leur milice jusqu'à Gela, et Syracuse leur
donna la ville des Léontins pour habitation. Les Carthaginois
arrachèrent des temples tous ceux qui s'y étaient réfugiés,
elles massacrèrent; Gellias était dans celui de Minerve,
qu'il brûla pour échapper à la fureur des barbares; les
autres édifices furent pillés. Beaucoup d'objets d'art fuient
envoyés a Carthage, entre autres un taureau de Plialaris,
qui était d'un prix inestimable. Agrigente se rétablit; mais
jamais elle ne put arriver à son antique splemleur. — Au-
jourd'hui cette ville s'appelle Girgenti. De Golbéry.
AGRIONIES. Voyez Agranies.
A<iRIPPA (M^RCUsViPS.uxiiJs), contemporain et gendre
d'Auguste, sous le règne duquel 11 fut deux fois consul, était
198
AGRIPPA — AGRONOMIE
1)6 Tan Gi avant J.-C. Quoique d'une basse extraction, il
sY'Ieva par srs taii-nts aux plus hautes dignités. 11 se distin-
gua comme p'iiéral, et comnjanda la flotte d'Octave à la ba-
taille d'Actium. Agrippa épousa Julie, fille d'Auguste, et
fut désigné pour succéder à l'empire; mais il movirut avant
l'empereur, l'an 12 avant J.-C, au retour d'une expédition
rontre les Païuioniens. C'est lui qui lit construire ;i T.ome le
l'anlliéon, aujourd'liui >otre-Dame de la Uotonde. Agrippa
laissa trois (ils, (pii furent adoptés par l'empereur, mais qui
tous périrent d'une manière tragique. Sa fille Agrippine
épousa Germanicus.
AGRIPPA (Menemls). Voyez MeneiMus.
AGRIPPA (HÉr.ODE). Voyez Hérode.
AGRIPPA ( IIenri-Corneillc ) de Nettesheim, savant
remarquable comme écrivain , comme médecin et comme
philosophe, Iionnne qui unissait de grands talents et de vastes
connaissances à beaucoup de forfanterie, d'envie de faire
parler de soi et de charlatanisme, était né à Cologne, en
148C. Sa vie fut aussi agitée qu'aventureuse. Placé à Dole
en qualité de professeur de théologie, il fit d'abord une vive
sensation par son enseignement ; mais ses mordantes satires
ameutèrent contre lui le parti monacal , et, accusé d'hérésie,
il dut bientôt abandonner cette ville. Il enseigna ensuite pen-
dant quelque temps la théologie à Cologne, s'occupanl en
même temps d'alchimie ; puis il fit un voyage en Italie, où il
prit du service dans l'année de Maximilien r"", parvint au
grade de capitaine, et reçut l'accolade de chevalier. Plus tard
il se fit recevoir docteur en droit et en médecine, et fit
des cours à Paris jusqu'au moment où, accablé de dettes, il
dut s'enfuir à Casale. Au bout de quelque temps, il accepta
les fonctions de syndic à Metz ; mais dès l'année 1520 on le
retrouve à Cologne, parce qu'en prenant la défense d'une
sorcière il s'était mis à dos cl l'inquisition et les moines de
Metz. Les rancunes de ceux-ci Tayanî poursuivi à Cologne,
il se rendit à Fribourg en Suisse, et s'y établit comme méde-
cin praticien. En 152'» cependant il revint à Metz, et s'y fît
une si grande réputation, que la mère du roi François I'"' le
prit pour médecin particulier. S'étanl refusé à pronostiquer
le résultat de la campagne entreprise en 1525 par François P""
en Italie, il perdit sa charge, et se retira dans les Pays-Bas.
Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas, lui fit
donner le titre d'historiographe de l'empereur son frère. C'est
alors qu'il composa son li>Te intitulé : Declmnatio de Nobili-
ta(e et Prsccellentia Feminei Sexus, ainsi que son célèbre
ouvrage De Incertitud'ine et Vamtate Scientiarum (Colo-
gne, 1527) , satire mordante de l'état où se trouvaient alors
les sciences. 11 y soutient ce paradoxe, qu'il n'y a rien de plus
pernicieux et de plus dangereux pour la vie des hommes et pour
le salut de leur ûme que les sciences et les arts. Accusé pour
ce livre auprès de Charles-Quint, il dut fuir encore, et se re-
tira à Lyon. La haine de ses ennemis l'y poursuivit et l'y fit
arrêter; mais ses amis parvinrent à le rendre à la liberté,
et il se relira à Grenoble, où il mourut en 153.5. C'était une
Lelle intelligence. Il eut le mérite de combattre bon nombre
des idées fausses et des préjugés de son siècle. Son ouvrage
qui a pour litre : De Occulta P/iilosopItia (Cologne, 1533),
contient le vrai système de la cabbale. La collection la plus
complète de ses o-uvres est celle qui a paru à Lyon en deux
volumes, sans indication de date (vers 1550).
AGRIPPIXE. Trois femmes romaines ont porté ce
nom célèbre.
AOr.ll'PIM:, petite-fille de Pomponius Atficus, femme
de l'empereur Tibère, fut répudiée par lui, malgré l'a-
mour qu'il lui portait, lorsqu'il épou?a Julie, fille d'Auguste.
Agrippine .se maria ensuite à Asinius Gallus , qui fut con-
danmé à une prison perpétuelle par Tibère, toujours épris
de sa première fennne.
AGRIPPIM:, femme de Germanicus et fille d'Agrippa
et de Julie, se distingua par de grandes vertus et par .son
rare pulnolisme. Elle accompagna Germanicus dans toutes
ses campagnes ; après sa mort , elle rapporta ses cendres en
Itafie, et accasa elle-même devant les tribunaux les meur-
triers de son époux. Le tyran , qui la redoutait à cause de
ses vertus et des nombreux partisans qu'elle comptait parmi
le peuple , l'exila dans l'ile Pandataria , où elle mourut de
faim l'an 33 de J.-C. Elle donna le jour à Caiigula et à une
autre Agrippine, mère de Néron.
AGRIPPINE, fille de Germanicus et de la précédente,
naquit à Cologne, qu'elle fil agrandir plus tard et qu'elle
nomma Colonia Agrippina. Elle épousa en premières noces
Domilius .Enobarbus , dont elle eut Néron. Devenue veuve,
Claude , son oncle , l'épousa en troisièmes noces , après
Messaline. Elle avança la mort de son deuxième époux , afin
d'assurer à son fils le trône qui appartenait de droit à B ri-
tan ni eu. s. Parvenu à l'empire, Néron , que sa mère impor-
tunait de ses reproches , résolut de s'en débarrasser par la
mort. Un vaisseau qu'elle montait devait être submergé en
mer ; mais elle échappa à ce danger : son fils la fit alors assas-
siner par un affranchi , l'an 59 de J.-C. Poursuivie par son
meurtrier, elle lui dit en se retournant, et par une sorte d'i-
roniesublime : « Frappe au ventre. » Celte princesse joignait
à une grande beauté un esprit artificieux , un caractère
violent, impétueux , une dissolution de mœurs inouïe et la
plus froide ci uauté.
AGRO\O.^IIE (du grec àypô;, champ, et v6|xo;, loi),
théorie de l'agriculture.
Toute plante provient d'un œuf qu'on nomme graine ou
semence. Cet œuf, arrivé à terme, brise le placenta, se dé-
tache de sa mère, soit par une force élastique qui lui est
particulière, soit en vertu des lois générales de la gravita-
tion, et vient demander aux éléments une couveuse et une
nourrice. — Le soleil, qui est le grand incubateur du monde,
l'érhauffe de ses rayons ; la terre le nourrit de ses sels, et
développe en lui deux mamelles, nommées cotylédons, qui
l'abreuveront d'un lait délicat dans les jours de sa faiblesse,
et qui disparaîtront aussitôt que ses organes pourront sup-
porter une nourriture plus substantielle. — Comme l'être
animé qui sort de cet embryon est d'une nature amphibie, il
se développe en lui deux organes manducateurs : l'un, sous
le nom de radicule, s'enfonce dans la terre pour en pomper
les parties solubles; l'autre, sous le nom de plumule, s'é-
lève dans les airs pour en sécréter les fluides et pour excréter
les parties qu'il n'a pu s'assimiler. — De là l'indispensable
nécessité pour tous ceux qui s'occupent de l'éducation de
ces êtres animés , de savoir ce qui se passe dans la terre et
dans les airs durant les diverses périodes de leur existence,
l'incubation, la germination, la floraison, la fruclificalion, la
maturité, et de les aider de tous les moyens que l'intelli-
gence humaine peut suggérer pour leur faire accomplir heu-
reusement leurs destinées. — Dans le sein de la terre l'a-
gronome doit rechercher et étudier toutes les matières assi-
milables, et qui sont susceptibles d'être saisies par les su-
çoirs végétaux ; et comme les plantes sont essentiellement
salivores, il a d'abord à s'occuper des sels. 11 doit apprendre
comment ces sels s'attirent ou se repoussent , se composent,
se métamorphosent les uns dans les autres, et reprennent leur
nature propre, et comment , dans leurs caractères primitifs
ou combinés, ils agissent sur les plantes, soit comme irri-
tants ou excitants, soit comme alimentaires ou nourriciers,
soit comme principes délétères ou morbifiques. — Dans l'at-
mosphère , qui est le chapiteau de ce grand alambic dont
le foyer est la terre, l'agronome reconnaît comme partie
principale et constituante l'azote, qui en forme presque
les trois quarts, et qui enchaîne l'activité de l'oxygène, le-
quel sans l'azote acidifierait et brillerait fout , tandis que
l'azote privé de l'oxygène alcaliserait et stupéfierait tout. —
Au sein de ces deux éternels ennemis vient se placer le gaz
hydrogène, qui est plus léger; le gaz acide carbonique,
(lui est plus pesant, et plusieurs autres gaz, dont quelques-
uns , impondérables et insaisissables, fonr.eat la nourriture
AGRONOMIK
199
Réricnne ilcs j>!anlcs, et satisfont l'apiu'iit île cet organe
léger dont la partie infoiieure poniiietout ce qui lui est as-
similable, et la partie supérieure aspire ce qui n'a pu lui ôtre
assimilé.
L'agronome e?t donc obligé d'étudier la météorologie dans
tous ses rapports avec le règne végétal, la formation des
nuages, des brouillards, des rosées, de la pluie, de la griMe,de
la neige, la théorie des vents ou le défaut d'équilibre de l'air.
Considérant ensuite les plantes en elles-mêmes, l'agronome
arrive à étudier leur organisation, ce que la science appelle la
physiologie végétale, cause de querelles pour les savants,
qui sont loin d'être d'accord sur le jeu des organes des plantes.
— On peut juger combien des êtres aussi compliqués que le
sont les végétaux, en point de contact avec tant d'éléments
si variables, sont sujets à être affectés ou altérés, soit par
la quantité, l'absence ou l'excès des aliments, soit par les
variations d'une atmosphère dont toutes les parties discor-
dantes ne peuvent, d'après leur nature même, demeurer un
instant en repos. — De là résulte pour un agriculteur la né-
cessité d'étudier l'hygiène et la pathologie végétales, ou les
moyens curatifs et préservatifs de tant de maladies, qui va-
rient suivant les diverses espèces. — Pour les céréales seules,
ces maladies sont la nielle, la coulure, la rouille, le charbon,
la carie et l'ergot ; pour les plantes ligneuses, la gelivure, la
décurtation, l'exfoliation, les exostoses, panachures, cloques,
mousses, blancs ou meuniers, bnllures, excroissances, hé-
morrhagies, et pour tous les végétaux la chlorose, la plé-
thore, la champlure, l'ictère ou jaunisse, l'anasarque, la
gangrène , la flétrissure , la phthiriasis, qui est aux végétaux
ce que la maladie péiliculaire est aux animaux. — Le be-
soin d'administrer avec discernement des remèdes puisés
dans les trois règnes à des êtres sujets à tant de dérange-
ments ramène l'agronome à étudier d'une manière plus par-
ticulière la sensibilité , ou si l'on veut l'irritabilité végétale,
la circulation, ou si l'on veut l'oscillation de la sève, et
tout ce qui a rapport à la nutrition, digestion, excrétion et
reproduction.
Comme la plupart des espèces végétales, semblables à des
peuples nomades qui ne sont pas encore fixés, vivent entre
elles dans un état de guerre permanent, et se disputent sans
cesse le terrain et la nourriture, l'agronome doit connaître
l'instinct, les mœurs, les habitudes de ces familles, afin
d'établir entre elles une sorte de pofice, et de protéger la
végétation civilisée contre les invasions de la population
barbare. Ceci le conduit à l'étude de la botanique, c'est-
à-dire à la connaissance des classes, des ordres, des sec-
tions, des genres, des espèces, des variétés. Comme le règne
animal se divise naturellement en deux parties, l'une vivant
sur lui-même, l'autre vivant sur le règne végétal, l'agronome
est nécessairement obligé d'étudier cette moitié qui vit du
pillage et de la dilapidation des produits agricoles. — Prenant
la zoologie à son sommet, il s'attache d'abord à la classe des
mammifères vertébrés, vivipares, à sang chaud et à double
système nerveux, et il y trouve les quadrupèdes rongeurs à
dents incisives, les glirins, les loirs, les campagnols, rats,
taupes, les léporiens, les hystriciens, les onguiculés, et ceux
qui ont des molaires sansincisives,ou des ongles sans incisives
ni molaires. Et passant aux vertébrés sans mamelles, il trouve
parmi les oiseaux déprédateurs les picoïdes, les rapaces,
h'S grimpeurs, les piqueurs, suceurs, màcheurs et grigno-
teurs. — Passant de l'ornithologie aux annélides, il doit étu-
dier les espèces de vers vêtues de fourreaux, et celles qui en
sont dépourvues. Dans le premier genre il rencontie les
arénicoles, les furies et les planaires, et dans le dernier les
dentales, les serpules, les vagiuelles, comme les fii\i!!\ de
l'agriculture. — Dans l'étude des mollusques il dislingue
ceux qui marchent nus et ceux qui marchent dans des mai-
sons qu'ils traînent après eux, et desquelles ils sortent à vo-
lonté. — Il trouve en première ligne dans les céphalés le
limaçon, armé d'un cioissant avec lequel il tond les jeunes
pousses et fait disparaître quelquefois en une seule nuit, par
un temps humide, une récolte naissante, qui la veille en-
core donnait les plus belles espérances. — Passant de là
aux insectes, il étudie linstinct et les mœurs de ces des-
tructeurs étemels de la végétation; il trouve dans les né-
vroptères les demoiselles et les libellules, les termites, les
cloportes, les scorpions, les arachnides ou araignées, parmi
lesquelles il faut soigneusement distinguer les tapissières,
les (ilandières, les tondeuses, les sauteuses, les chercheuses,
et les voyageuses, qui aiment à se reposer des fatigues do
leurs voyages sur les arbres à plein vent et sur les espaliers.
— Faut-il parler des diverses espèces de mantes , de vers ,
de chenilles, de fourmis, de puces , de poux, de punaises ,
invisibles armées qui entrent en campagne au premier souQlo
du printemps , et qui , avec leurs crochets et leurs tenta-
cules, leurs dents et leurs pinces, leurs lances, leurs trompes,
leurs aiguillons, leurs vrilles, leurs lancettes et leurs su-
çoirs, dévorent les semences aussitôt qu'on les a jetées en
terre, les cotylédons qui s'y forment ou la plumule qui com-
mence à germer ; s'introduisent dans le chevelu des racines,
dans le parench)Tne des feuilles, dans le réseau des écorces,
dans le tissu vasculaire des tiges, dans les anthères et calices
des fleurs ( dont elles empoisonnent ainsi l'hyménée ) , dans
l'intérieur des fruits, des tubercules et des bulbes, y déjiosent
une famille qui, à peine visible, se développe successivement,
et finit par dévorer la maison entière dans laquelle elle est
logée? — Plusieurs de ces espèces consomment dans un seul
jour im volume végétal six fois plus considérable que ce-
lui de leur corps, surtout dans les moments qui précèdent
leurs diverses métamorphoses envers, larves, nymphes,
chrysalides, papillons , mouches, phalènes ; crises par les-
quelles se régénèrent ces vilaines bêtes, transformations tou-
jours précédées d'une consommation d'autant plus dispen-
dieuse qîi'elle est plus prochaine, et nécessairement accom-
pagnée d'une abstinence après laquelle ces néophytes se
livrent, sous d'autres formes, aux plus coupables dépréda-
tions. L'agronome doit chercher dans la nature des engrais,
dans des préparations chimiques, dans le choix des époques
de labour et de semage , dans celui des graines et des terres
moins sujettes à l'invasion de ces insectes, des moyens de
les préseiTer de ce fléau , qui réunit contre les espèces vé-
gétales tout ce que peuvent développer de plus odieux contre
l'espèce humaine la guerre, la peste et la famine.
En examinant ensuite les végétaux cultivés sous le rapport
de la quantité de substance nutritive que chaque espèce con-
tient, on voit que, parmi les céréales, le froment donne en
gluten ou albumine (celle de toutes les substances végétales
qui approche le plus des substances animales ) dix-huit à vingt
pour cent de son poids ; l'orge, de cinq à iuiit pour cent ;
l'avoine, de deux à deux et demi pour cent ; le seigle, de
deux à deux et demi pour cent ; et parmi les tuberculeuses
et bulbeuses, la pomme de terre rend, en matière soluble
et nutritive, deux cents parties sur mille, à peu près le
quart de ce que rapporte le froment. — La betterave rouge,
le turaeps et la carotte rendent cent à cent cinquante par-
ties sur mille. — Quoique les végétaux fournissent , par
leur décomposition , le mucilage , la gomme , l'amidon , le
sucre , l'albumine , le gluten , les gaz élastiques , l'extrait,
le tannin, l'indigo , le principe narcotique , le principe amer,
la cire, la résine, le camphre, les liuiles fixe et volatile,
les acides, les alcalis, les oxydes métalliques, et grnéra-
lement tous les composés salins, tout cela, réduit aux
principes les plus simples , n'offre plus que l'oxygène, l'a-
zote, l'hydrogène et le carbone , et c'est avec ce petit nom-
bre d'éléments élaborés dans dos moules dont la nature
sait le secret, qu'elle produit et varie jusqu'à l'infini en
couleurs, en foruies, en saveurs et en iiarl'ums, tous les
ouvrages qu'elle nous offre avec une abondance qui ressem-
ble souvent à la prodigalité.
Ai)rès s'être assure que les terres les plus fécondes (ou en
200 AGRONOMIE
d'autres tcrmrs, les terres qui posst''(lont au plus haut degré
la facullo (l'absorption) se composent de silice, d'alumine,
de chaux et de magnésie, combinées dans de justes propor-
tions entre elles, et avec la profondeur, la couleur et l'expo-
sition du sol , l'agronome doit s'occuper des engrais destinés
à donner de l'activité aux matières terreuses. On les distin-
gue en engrais stimulants (et tels sont principalement les
minéraux ) et en engrais nutritifs , qui se composent de par-
ties salines et solubles que les Jluides aqueux portent et dé-
posent avec leur oxygène dans les divers végétaux. — Plu-
sieurs espèces de .sels de la même nature , quoique dans des
pro[)ortions dilférentes , se trouvent dans les deux espèces
d'engrais ; mais ce qui distingue les engrais animaux des
engrais végétaux , c'est la graisse, le mucus , l'urée , les aci-
des uri(jueet phospiiorique, ou, pour s'exprimer avec plus
de précision , la fibrine , l'albumine , le caséum , la gélatine,
qui à l'analyse donnent de quarante-sept à soixante par-
ties de carbone , de douze à vingt-quatre parties d'oxygène,
de sept à huit parties d'hydrogène , et de quinze à vingt
parties d'azote. — Les os brisés contiennent moitié phos-
phate , moitié gélatine , et ils sont par consécpient stimulants
et nutritifs. — Les cornes , les ongles , les rognures et raclu-
res des cornes employées dans les arts, les poils , les plumes,
les laines et la matière savonneuse appelée sîiint , les excré-
ments des oiseaux , toujours préférables à ceux des quadru-
pèdes, sont d'excellents engrais, à la tète desquels il faut
cependant placer les larves ammoniacales du bombyx. —
Parmi tous les végétaux , celui qui offre le plus de parties
salines et solubles doit être préféré pour former des en-
grais. — La paille du froment , ne fournissant de matière
soluble que deux ou trois pour cent de son poids, ne doit
être considérée que comme excipient d'engrais. — Les
jilantes à large feuillage , arrachées lors de leur floraison ,
fournissant vingt pour cent , sont inliuiment préférables.
Ses terres arables étant suflisamnient amendées , labou-
rées et fumées , l'agronome doit s'appliquer à former un
bon assolement, ou , ce qui est la même chose, une suc-
cession bien entendue de récoltes de nature diverse. — Les
plantes se nourrissant de sels divers , et les cherchant à
diverses profondeurs , le soleil ne chômant point , la terre
continuant de travailler et de produire toujours , il semble
que les règles de l'art doivent se conformer aux règles de
la nature : conséquemment, on peut considérer les jachères
conune un contre-sens. — Les céréales épuisent la terre
moins par les sels qu'absorbent leurs tiges que par la nourri-
ture et l'élaboration qu'exigent leurs graines , et par la quan-
tité d'herbes parasites que la ténuité des pailles laisse pou.s-
ser. — Lorsqu'en échange des graines que vous fournit une
terre, vous ne lui restituez que la paille, c'est comme si
\ous preniez cent et que vous rendissiez un. Le meilleur
sol ne saurait supporter longtemps un tel régime : aussi
fait-on succéder à une récolte de céréales des plantes à large
feuillage, telles que des turneps et des tuberculeuses, qui
demandent beaucoup à la terre , mais qui lui rendent beau-
coup plus encore. — A cette récolte on fait succéder des
plantes fourrageuses , que l'on fait couper en vert , et que
l'on fait enfouir en terre; ce qui produit un engrais abon-
dant pour le froment qui vient immédiatement après.
Conune les terres ont besoin d'être souvent remuées, afin
d'être saturées dé gaz aériens , purgées de toute végétation
parasite , et réduites en parties tellement ténues qu'elles ne
gênent point, mais qu'elles facilitent, au contraire, la germi-
nation, l'agronome doit s'occuper des labours, de leurs
modes divers , et se proposer à lui-même la solution du
problème suivant : « Produire sur le fonds de terre propre
à la végétation le plus d'effet possible avec le moins de force
possible. » De là résulte le besoin de calculer la puissance
motrice des attelages suivant l'espèce des animaux qu'on y
emploie, et la forme qu'on doit donner aux divers leviers,
tels que l'araire, la binette , la charrue avec ou sans chariot,
avec une ou plusieurs oreilles, avec un ou plusieurs socs,
le sarcloir, le butoir à cheval, le scarificateur et le tritura-
teur enq)Ioyés eu Angleterre et en Belgique, la herse à dents
de bois ou de fer, le cylindre ou rouleau en bois ou en pierre,
et, parmi les instruments manuels, la bêche, le louchet, la
pioche, la houe, le crochet, suivant la nature du terrain et
l'espèce de culture qu'on y pratique. — A cette élude doit
nécessairement succéder celle des instruments de transport
les plus convenables au pays, depuis le chariot soutenu par
des roues à jantes de huit pouces , jusqu'à la simple brouette.
Une étude non moins importante est celle de l'archilecture
rurale, ou de la forme la plus salubre , la plus commode et
la moins dispendieuse à donner à l'habitation, à la bergerie,
aux écuries, aux étables, aux granges, aux cours, aux
pressoirs, aux greniers, aux colombiers et aux poulaillers;
et le problème qui consiste à réunir la plus grande salubrité
animale à la plus grande fécondité végétale est difficile à
résoudre, car les animaux ont besoin de respirer un air vital
composé de six septièmes d'azote et d'un septième d'oxy-
gène , et les végétaux ont surtout besoin d'hydrogène et de
carbone, éléments délétères pour les êtres vivants. — La
prospérité d'une ferme exige cependant la santé des bonmies
et des bêtes , et la force d'une vigoureuse végétation. Pour
résoudre approximativement le problème, il faut tenir le
fumier et les végétaux en dissolution dans des lieux couverts
et écartés de l'habitation, curer et dessécher les mares qui
en sont trop voisines , passer à l'eau de chaux les étables et
les écuries, et donner à leur pavé la pente nécessaire pour
l'écoulement des urines, changer fréquemment les litières;
car toute bête, et même celle qui a entre toutes la réputation
d'être la plus sale , veut être tenue proprement.
Ce serait ici le lieu de parler des soins qu'exigent les di-
vers animaux d'une ferme, considérés comme laboureurs,
comme fournisseurs d'engrais, d'ahments, etc. , et l'éduca-
tion propre à chacune des espèces; comment on entretient
leur santé , comment on prévient ou guérit leurs maladies ,
et comment on en tire le meilleur parti possible, en formant
des élèves et en les vendant après les avoir engraissés ; du
parti que l'on doit tirer des soies, des laines, et de toutes les
manipulations qu'exigent une laiterie, une magnanerie, un
rucher, un pigeonnier, et du bénéfice que l'on doit retirer du
tout; car l'agriculture n'est pas une affaire de luxe ou de
curiosité, une spéculation scientifique ou philosophique.
Dans la théorie , elle doit être considérée comme une ma-
nufacture dans laquelle les fabricants s'occupent sans cesse
à convertir, au moyen de moules organiques , l'oxygène ,
l'azote, l'hydrogène et le carbone en produits végétaux et
animaux de toute espèce.
La dépense doit donc être réglée comme celle <J'une fa-
brique. — Avant de se livrera une exploitation de ce genre,
il fiiut connaître le prix des matières premières qu'on y em-
ploie , celui des mains-d'œuvre , le salaire des serviteurs à
gages , les impositions de toute nature , la dépense que né-
cessitent l'entretien des bâtiments et des instruments agri-
coles , le charronnage , le ferrage , le chauffage et l'éclai-
rage. Quant à la recette, il faut tous les jours être au cou-
rant du prix des denrées et des bestiaux , de celui des trans-
ports et des voitures, des lieux de marché, des fumiers et
des délais de recouvrement , et généralement des lois qui
règlent les transactions commerciales.
La connaissance dont un agronome peut le moins se pas-
ser, c'est la connaissance des hommes et l'art de les diriger
dans une exploitation rurale. — Le gouvernement paternel
est le seul qu'un agriculteur doive adopter envers ses servi-
teurs à gages et ses ouvriers. — Tl doit toujours les consi-
dérer comme des compagnons de voyage, destinés à traverser
péniblement avec lui le désert de la vie. Chargé de la di-
rection et des frais du pèlei inage , il est de son devoir de
leur en adoucir les fatigues jusqu'à son arrivée à cette
destination où l'on ne connaît plus les catégories de pro~
AGRONOMIE — AGUADO
201
pruMalics cf de salariés , de maîtres et de valets , et où les
arrivants ne sont distingués qvie coninie bons ou mauvais ,
durs ou bienl"ais;ints. Lorsque les serviteurs d'un domaine
montrent du zèle, de ractivité et de la vertu, le maitredoil
s'y montrer toujours sensible; mais lorsqu'ils en manquent,
ils ne doivent essuyer aucun mauvais traitement de sa part.
]| voit leurs vices avec miséricorde et leurs misères avec
une compassion sympathique. Il doit considérer l'iionmie en
société comme un excipient obliiîé de toutes les émanations
de l'atmosphère dans laquelle il respire. — Son caractère
moral est le résultat d'une organisation qu'il n'a pas été
libre de se donner, d'une éducation qu'il n'a pas pu diriger,
d'institutions qu'il n'a pu ni créer ni modifier, des hasards,
et d'une fortune qu'il n'a pu ni calculer ni maîtriser. Pour
ôtre juste envers chacun , il faudrait savoir ce qui vient de
lui et ce que les autres y ont mis , connaître la force de ses
organes, apprécier le degré de résistance dont il a pu être
capable , et ce qui lui est resté de liberté morale. — Si l'on
se livrait à de tels calculs , on verrait que la part des cir-
constances et des positions est fort grande, et celle de la
volonté personnelle fort petite. On porterait avec moins
de légèreté des jugements absolus sur des créatures si fai-
bles et si compliquées. L'infection des grandes sociétés ur-
baines et l'égoisme sauvage des populations rustiques sont
des effets aussi nécessaires que le sont les exhalaisons alca-
lescentes des matières animales ou l'hydrogène des marais.
S'irriter, s'emporter avec violence contre de tels effets est
puéril , se venger est dur et injuste ; mais prévenir, sur-
Neiller, se préserver, diriger sans cesse, réprimander sou-
vent pour n'avoir jamais à punir, ce doit être la maxime
du sage. ^ Le comte Français ( de Nantes ).
AGTÉLEK ( Caverne d'), en hongrois Baradlo, ce qui
signifie lieu suffocant; l'une des plus vastes et des plus re-
marquables cavernes de la terre, près du village d'Agtélek,
d'où elle tire son nom, à Textrémité du comitat de Gomor
en Hongrie , non loin de la route conduisant de Bude à Kas-
chau. Cette caverne , dont l'ouverture, située au pied d'une
montagne, n'a pas plus de trois pieds et demi d'élévation sur
cinq de largeur, se compose d'une suite de grottes et de ca-
vités communiquant les unes avec les autres , qu'il est fati-
gant et dangereux de visiter, et dans lesquelles on ne sau-
rait souvent même pénétrer, à cause de l'élévation de la
rivière souterraine qui y coule. La partie supérieure et les
|>arois de chacune de ces grottes et cavités sont couvertes
«les plus magnifiques stalactites qu'on puisse voir, affectant
les formes les plus diverses ; d'où ces grottes ont reçu les
différentes dénominations sous lesquelles elles sont célèbres,
comme la Grande Église, VA^ctel mosaïque, ]& Sainte 31èrc
de Dieu, etc. La plus grande, celle dont l'effet est le plus im-
posant et le plus admirable , située à environ deux cents pas
de l'ouverture de la caverne , est appelée le Jardin des
Plantes , parce que le sol en est entièrement boidé par un
entrccolonnement de stalactites d'une délicieuse délicatesse,
affectant les formes des treillages architectoniques tels qu'on
en voyait autrefois dans les jardins dessinés dans le genre
français. Elle a environ trente mètres d'élévation sur trente
mètres de largeur et trois cents de profondeur. La voûte de
cette immense salle est entièrement en stalactites , et le sol,
presque plane dans toute son étendue et traver.sé par un pe-
tit ruisseau, y est recouvert d'une couche de molle argile
d'alluvion. — C'est en l'année 1785 que la caverne d'Agtélek
fut pour la première fois scientifiquement explorée par une
commission de savants envoyés à cet effet par la Société
royale de Londres.
ÀGUADO (Alexandre-Marie), marquis de LAS MA-
RISMAS DEL GUADALQUIVIR , l'un des plus riches ban-
quiers des temps modernes, né à Séville, le 29 juin 178i,
descendait d'une famille juive de Portugal. Soldat dans sa
jeunesse, il parvint à d'assez hauts grades tant au service
d'Espagne qu'à celui de France, et à l'époque de l'occu-
DICT. DE L\ CoriVEUSATIO.N. — T. 1.
pation de l'Espagne pai' le maréchal Soult il remplit auprès
de lui les fonctions d'aide de canqi. Mis ;\ la retraite en 1815
avec le grade de colonel , il se relira à Paris , où il demanda
au commerce des moyens de subsistance, et fit pendant
longtemps la commission des vins d'Espagne et des cigares
de la Havane introduitsen contrebande. Actif et intelligent, le
cercle de ses relations et de ses opérations alla toujours en
s'élargissant, et bientôt il put à la commission adjoindre
quelques opérations de banque. Presque constamment heu-
reux dans ces spéculations , sa fortune s'accroissait d'année
en année, et vint enfin le moment où la haute banque dut
l'admettre dans son cénacle , et lui faire sa part dans toutes
les grandes opérations financières de l'époque. Cependant
les plus fructueuses qu'il fit jamais furent les empiunts
qu'il conclut au nom de l'Espagne. 11 est avéré aujourd'hui
que ces différentes négociations eurent lieu de compte à
demi entre lui et le roi Ferdinand VIT. Le premier emprant
ainsi émis eut lieu en 1823, au moment du rétablissement
delà monarchie absolue , par suite de l'invasion de la pénin-
sule par une armée française aux ordres du duc d'Angou-
lême. 11 était de cinq cent mille piastres fortes, et fut placé
au taux de soixante et demi pour cent, avec deux et demi pour
cent de commission. Quand, en 1828, laFrance et l'Angleterre
insistèrent toutes deux pour obtenir du cabinet de IMadrid le
payement des sommes considérables qui leur étaient dues
par la trésorerie espagnole, la France ayant menacé de no
point évacuer l'Espagne tant qu'il n'aurait pas été fait complé-
tementdroit à ses réclamations, s'élevant à 92,000,000 francs,
un échange des notes les plus vives eut lieu entre les deux ca-
binets. A ce moment critique, Aguado vint encore une fois
au secours de l'héritier de la monarchie de Philippe II; ou,
pour mieux dire, ces exigences si pressantes des puissances
étrangères pour faire liquider leurs créances respectives servi-
rent admirablement les npénrtioivs financières de Ferdi-
nand VII, dont les énormes émissions de bons royaux se trou-
vaientainsijustifiéesaux yeux du vulgaire des agioteurs. L'art
du courtier qui en opéra le placement consista à faire recher-
cher d'autant plus vivement ces valeurs fantastiques qu'elles
étaient de la part de la presse indépendante l'objet des plus
vives critiques. Il y a tout lieu de croire, en effet, que le ban-
quier n'était pas étranger aux articles imprimés par les jour-
naux, dans lesquels ou attaquait avec la plus grande énergie
les scandaleux tripotages de bourse auxquels donnait lieu sur
les différentes places de l'Europe la négociation des certi-
ficats des emprunts i"oyaux d'Espagne; car leur correspon-
dance était calculée de manière à ne pas nuire au crédit
des valeurs émises, et, tout au contraire, à exciter la spécu-
lation à se disputer des titres dans la négociation desquels
on faisait rapidement fortune. La révolution de juillet 1830
vint mettre un terme à ce fructueux commerce. Le trésor
de Madrid cessa alors de payer toute espèce d'intérêts , et
ce ne fut plus un mystère pour personne qu'il n'avait été si
exact de 1824 à 1830 à servir l'intérêt de ses différents em-
prunts , qu'en jetant incessamment de nouveaux titres sur
les diverses places de l'Europe. La réaction fut rapide, et
des valeurs cotées naguère à soixante-seize, et même à qua-
tre-vingts, ne se placèrent plus qu'à seize ou dix-huit. Mais
le tour était fait. Le roi Ferdinand VII avait acquis une
fortune privée évaluée à plus de quatre-vingts millions de
francs, et Aguado, son entremetteur, ne s'était point oublié
dans le partage du gâteau. Aussi bien le roi catholique recon-
naissant non-seulement l'avait décoré du titre de banquier de
sa cour et delà croix de divers ordres, mais l'avait en outre
créé marquis de las Marismas del Guadalquivir. L'octroi
de cette savonnette à vilain fournit dans le temps au Chari-
vari une de ses bonnes plaisanteries ; il ne désigna plus dès
lors l'opulent banquier que sous le nom de Blaguado de las
Macairismas. Aguadoeutà ce moment le bon esprit de renon-
cer sux affaires, et de ne plus s'occuper que de la lifjuida-
tion de sa fortune; on l'évaluait à plus do cinquante millions
2U
2C2 AGUADO
de francs. Il en faisait d'ailleurs un assez noble usage Les
beaiix-aris avaient trouvé en lui un protecteur plus généreux
peut-être qu'éclairé; et la galerie de tableaux qu'il avait pu-
nis dans son bel liôlel de la rue Gran;;e-Bateiière possédait
quelques toiles dignes de ligurer dans les gran Is musées.
Agiiado (ut en outre pendant longtemps le commanditaire de
l'Opéra, c'est-à-dire de l'entrepreneur privilégié et subven-
tionné de cette grande scène nationale.
Naturalisé Français en 1828, Aguado devint maire de Pe-
tit-Bonrg, et fit conslruireà ses (rais un joli pont suspendu
sur la Seine. Il s'entremit encore dans la négociation de l'em-
prunt grec, que garantirent les trois grandes puissances pro-
tectrices, et à celte occasion il reçut du roi Otiion l'ordre
du Sauveur de Grèce. Dans l'hiver de 1841 à 1842 il par-
lit pour les Asturies, oii il avait de grandes exploitations de
houilles à organiser. En allant d'Oviélo à Gijoii, il fut
surpris par la neige, au milieu d'une roule qu'il avait fait
construire dans les montagnes. Forcé d'abandonner ses
voitures, il voulut poursuivre sa route à pied ; m.ais il risqua
de se perdre plusieurs fois, et, après quelques heures d'une
marche pénible, accablé de fatigue et de froid, il périt dans
une misérable poaoda, fournissant un nouvel et bien frappant
exemple de linanilé des biens de ce monde. Son corps,
rapporté en France, a été inhumé au cimetière du Père-la-
Chaise, après des obsèques magnifiques à l'église Notre-
Damcde-Lorelte. Aguado a laissé une veuve et trois lils,
dont l'ainé a été attaché à la diplomatie française.
AGUESSEAU(d'). Voyez Uaguesseac.
A GUI L'AN ]V EU F. Locution relative aux fêtes drui-
diques qui se célébraient lors du renouvellement de l'année
chez les Gaulois, pendant lesquelles on coupait le gui sacré
dans les forêts de chênes consacrés à leurs divinités, et dont
Lucain nous a donné une idée bien poétique par sa descrip-
tion de celle de Marseille. Des vestiges de ces antiques
usages du paganisme ont longtemps subsisté en France,
particulièrement en Bretagne et en Picardie, où la veille de la
nouvelle année les pauvres allaient quêtant leurs étrennes
au cri de à gui l'ati neuf. A cette occasion on fit long-
temps aussi des quêtes pour les cierges de l'église; et ces
quêtes, faites par les jeunes gens de chaque endroit, que
guidait un chef DO\ûmé follet, avaient lieu au cri de à gui
Van neuf, resté jusqu'à nos jours dans quelques campa-
gnes un cri de réjouissance particulier aux derniers jours
de l'année. de Reiffexberg.
AHA\,AHANER. Voici encore de ces vieux mots pit-
toresques et expressifs qui ont disparu de notre langue sans
êire remplacés. Il n'est pas de terme qui, aussi bien que
ahan, représente un grand effort, ôlant presque la faculté de
respirer. C'est l'expression du bûcheron, du charpentier, des
manœuvres pour reprendre leursoufde et se donner la force
nécessaire pour bien porter leur coup. Ce mot était très-
familier à nos vieux écrivains. Rabelais, Montaigne, Amyot,
l'emploient avec une sorte d'aifection. On en a fait ahaner,
travailler avec peine, avec ahan. Ahan était aussi passé
dans le style figuré, pour exprimer de pénibles travaux d'es-
prit et le tourmtiit d'une personne agitée par l'incertitude.
An.\SVERL'S ou ABBASUERUS. Voyez Kw err\.nt.
AII.MED. Voyez kcauEi.
AHMKD, bey de Conslanfine. Voyez Hadji-Ahmcd.
AH.MS:i), bey de Tunis. Voyez Tg.ms.
AUilED-ABAD, ville de l'Hindoustan anglais, située
sur la rivière navigable de Sahermate, dans la présidence de
Bombay, et chef-lieu du district qui porte son nom. Celte
ville est bien déchue de son importance primitive. Elle lut au
quinzième siècle la capitale d'un État indépendant, et Irès-im-
porlante par son commerce et son industrie. Sa population
est encore évaluée à 100,000 ûmes. On y trouve de belles et
nombreuses ruines.
AHMED-FETIH-PACÏIA, grand maîlrc de l'arlil-
lerie ottomane, né vers isoo, d'une riche famille de Pile
— AIDE
de Rhodes, reçut une éducation di.stinguée, et se fit remar»
quer à la guerre par une action d'éclat qui lui valut le
surnom de Fetbi (Victorieux). Mahmoud II le fit successive-
ment grand maréchal du palais, gouverneur général d'Aïdin,
ambassadeur à Vienne en 1834 ctàl'arisen 1838. Deretourà
Constantinopleen 1840, il prit la direction du ministère du
commerce et épousa une fille du sidian. Président du con
seil d'État en 1844, il devint bientôt directeur du matériel
de la guerre et grand maître de l'arlillerie, place compre-
nant à la fois le génie militaire, les fortifications et les qua-
rantaines. Il remplissait encore ces fonctions lorsqu'il mou-
rut en février 1858. La Turquie lui doit en grande partie
l'organisation de ses quarantaines. L. L.
AII.MED-PACIIA, fils aîné d'Ibrabim-P acba, na-
quit au Caire en 1S2J. Il suivit son père dans plusieurs voya-
gent dans sa campagne de Syrie. Envoyé ensuite à Paris
pour y compléter son éducation, il retourna en Egypte en
1848, et se fit remarquer par les réformes qu'il introduisit
dans l'administration des grands biens que lui laissa son
père. Les mécontents de sa famille cherchèrent à le mettre à
la tête de leur opposition contre A b b a s - P a c h a. Il partit
en ISôl pour Constantinople, y reçut le titre de pacha et de
général de division, et revint en Égypie. Héritier présomp-
lif de la vice-royauté d'Egypte sous Saïd-Pacha, il était
depuis 1856 président du conseil délibérant de ce pays
lorsqu'un accident fit tomber le wagon qui le portait dans
leiNil, oii il senoya le 14 mai 1858, à Kafr-Lès. Il était très-
aimé au Caire. L. L.
AilSiJMANE. C'est dans l'antique religion des Parses
le nom de l'uu des deux principes qui gouvernent l'uni-
vers. Alirimane, principe du mal et des ténèbres, est en lutte
continuelle avec Ormuzd, princijje du bien et de la lumière; et
c'est de cet antagonisme que résulte l'alternative de bien et
de mal que présente l'univers. Suivant la croyance orllio-
doxe des mages, Ormuzd seul était incréé ; selon quelques-
uns même, ce fut lui qui créa Alirimane, pour se donner le
plaisir detriompherd'un rival redoutable, dont l'abaissement
servirait un jour à relever l'éclat de sa gloire et de sa puis-
sance.— Le mauvais génie inspirait aux Parses une profonde
horreur; jamais ils n'écrivaient son nom qu'en renversantles
lettres. Les poissons, les reptiles et d'autres animaux impurs
ou ennemis de la lumière lui étaient consacrés, et l'une des
pratiques religieuses de son culte consistait, dit Plutarque, à
lui offrir une pâte composée d'une plante appelée onwnii et
de sang de loup. Cette oblation se déposait dans des cavernes
profondes oùlejour ne pénétrait jamais.
AHUMADA (Duc d'). Voyez Giron.
Al {Histoire naturelle). Toye- Bradvpe.
AI ou AY(Geo(;rflp/j(e), jolie pelite ville, de 3,430 habi-
tants, dans le département de la Marne, cliel'-lieu de can-
ton, à 20 kilomètres de Reims et à 140 de Paris, renommée
pour ses excellents vins mousseux, auxquels elle a donné
son nom. T'oye; CnAMPAGNE (Vins de).
AICHA ou AIESCHAH. Voyez AvÉcnA.
AIDE. On a donné ce nom aux personnes chargées
d'aider le chirurgien dans une opération ou dans un panse-
ment. — Dans l'art militaire, il y avait Vaicle-major, qui
était un officier placé sous la direction immédiate du ma-
jor et le remplaçait en sonab.sence. Les adjuila nts-ina-
jors remplissent maintenant ces fonctions. Vaide-major
de place est remplacé aujourd'hui par l'adjudant de place.
Vaide-major général était un officier qui exerçait auprès
des détachements les fonetioiis de major général ; c'est en-
core un officier général sous les ordres directs du major
général. Le chirurgien aide-major est un chirurgien ndli-
taire d'un grade intérieur à celui de chirurgien-major. II y
en a plusieurs par ré>;i:iient. D'autres sont attachés aux
hôpitaux militaires, ils ont le rang de lieutenants. — Dans
la marine il y a Yaide-charpender, Vaide-canonnier,
Vaide-timonier, etc. — Enfin le bourreau aaussisesa;rf£5.
AIDE — AIDKS
»Dans un autre sens , on appelle aides toutes les pièces de
dégapoir.ent ménagées ai:pi\s des pièces de service dans un
apparti'mcnt. — Eu ternie de manège aides se dit des se-
cours et soutiens que Ton tire des eflets modérés de la
bride, de l'éperon, de la voi\, du mouveuient des jambes,
des cuisses, et du talon. C'est ainsi que Pou dit qu'un cheval
connaît les aides , répond bien aux aides. *
AIDE DE CA.'^IP. Ou appoUo ainsi rotlicier attaché à
un générai, et chargé de transuiellre ses ordres partout où le
service les rend nécessaires, et particvdièrement sur les
champs de bataille. Ces fonctions paraissent aussi an-
ciennes que rorgani>ation régulière des troupes. Beaucoup
de jeunes geutils-iiomnies les remplissaient gratuitejnent au-
tretvis comme volontaires ; aujounlluii c'est seulement dans
le corps d'état-major que se recrutent les aides de camp en
France. Au seizième et au dix-septième siècle ils avaient
la dénomination (Taides des maréchaux de camp des ar-
mées du roi , parce qu'ils étaient attachés particulièrement
au maréchal de camp pour le seconder dans la distribution
des quartiers de l'armée. Le duc d'Enghien en avait vingt-
deux lorsqu'il fit le siège de Thionville , en 1643. Louis XIV
allouait à chaque aide de camp 300 francs par mois de
traitement. H en donna quatie à chaque maréchal ou com-
mandant d'armée , deux à chaque lieutenant général , et un
à chaque maréchal de camp en campagne. Le nombre et
le grade des aides de camp varient encore en raison de l'é-
lévation du grade de l'emploi du général. Les souverains
attachent à leur personne un certain nombre d'aides de
camp et en accordent de même aux membres de leur fa-
mille. Ces aides de camp sont presque toujours des officiers
généraux ou au moins supérieurs. L'empereur a ainsi attaché
à sa personne des aides de camp, même du grade de général
de division, et des officiers d'ordonnance.
AIDES 9 sorte d'assistance pécuniaire que le vassal de-
Tait à son seigneur. Les principales étaient l'aide de reliej;
taxe due par les vassaux à la mort de leur seigneur , et
destinée à aider ses héritiers à relever le fief héréditaire ;
Yaide-chevel, qui se subdivisait ainsi : l'aide de mariage ,
quand le seigneur mariait ou dotait sa fille; l'aide de che-
valerie, quand il voulait armer chevalier son fils aîné ; l'aide
de rançon, quand, prisonnier, il avait à se racheter. On nom-
mait encore les aides-cht^vcls droits de complaisance, ai-
des de noblesse, aides coutumières et communes, baux,
devoirs et loyaux aides.
11 y avait, en outae, les aides libres et gracieuses, que le
vassal offrait volontairement à son seigneur dans les cas ex-
traordinaires et imprévus ; les aides raisonnables, qui
étaient taxées à raison des facultés de chacun ; les ai-
des de l'hostetde chevauchée, autrement A^ûq^ subsides de
guerre, étaient celles dont le vassal était tenu envers son sei-
gneur, lorsque, par un motif quelconque, il se trouvait dis-
pensé en personne du service militaire.
Il y avait aussi , au profit des évoques , des aides, autre-
ment dites coutumes épiscopales ou synodales, ou bien
} encore denier de Pdques. Ces aides avaient lieu à l'occa-
sion de leur avènement ou de leur sacre, lorsqu'ils étaient
appelés au Vatican ou à un concile, et même lorsque le roi
venait les visiter dans leur palais.
Sous les premières races, les rois , possesseurs de reve-
nus considérables, ne frappaient de contributions sur leurs
sujets que dans les temps de grandes crises ; ces sortes de
contributions , essentiellement temporaires, disparaissaient
avec ces crises mêmes. Plus tard on établit des impositions
annuelles; puis les besoins de l'État augmentant sans cesse,
on en établit d'autres pour plusieurs années, et ces derniè-
res finirent même par devenir permanente? et perpétuelles.
Les aides proprement dites, ou impositions sur les denrées
et marchandises qui se vendaient et se transportaient dans
l'étendue du royaume, furcut établies, dit-on, sous Phi-
lippe le Bel ou Jean I^""; d'autres assurent que ce ne fut
2o:î
que sous Charles V. En tout cas , elles ne devaient se perce-
voir que du consentement des états.
Sous Philippe le Del les aides s'accrurent au point de né-
cessiter la création de commissaires spéciaux ; et sous le rè-
gne de Jean cet accroissement fut tel que les états du pays
de la Langue d'Oil n'accordèrent de nouveaux .subsides qu'a-
près avoir institué des rccp?;ewrs/i<7>7fCH/ie/-s, chargés exclu-
sivement de leur perception. Us instituèrent en outre, d'ao-
cordavecle lox.nmicommissaires généraux, dits superin-
tendants, choisis, en nombre égal, parmi les trois ordres
du tiers état, du clergé et de la noblesse. Ces agents étaient
chargés de vérifier les opérations des receveurs particuliers
ainsi que l'emploi des deniers, et, en outre, de statuer sou-
verainement sur tous les procès civils ou criminels auxquels
donnait Ueu la perception des subsides. Après cela, ils étaient
tenus de rendre compte aux états du résultat de leur inspec-
tion. Quant à la levée des aides féodales et coutumières,
le roi en chai-geait directement ses officiers : c'est ce que
fit Jean II, le Bon, prisonnier des Anglais, pour la percep-
tion du montant de sa rançon.
Le mot aides fut jusqu'à Louis XIY appfiqué , comme
terme générique, à tous les genres d'impôts, gabelles, dé-
cimes ou autres ; mais sous son règne une ligne de démar-
cation s'étant établie entre les impôts directs et les impôts
indirects, le mot aides désigna exclusivement ces derniers.
Nos impôts indirects et nos octrois d'aujourd'hui n'ont pas
d'autre origine.
Dans quelques provinces les habitants parvinrent, au
moyen d'équivalents , à se rédiraer des droits d'aides ; cer-
tains pays d'états obtinrent même du roi le privilège de s'im-
poser directement. Sous le dernier régime la perception
des aides se faisait non par des agents directs de l'État ,
mais par les fermiers généraux , avec lesquels l'État traitait
à forfait.
AIDES (Cour des), cour souveraine établie sous le
règne du roi Jean , pour juger en dernier ressort et toute
souveraineté tous les procès civils et criminels en matières
fiscales, aides, gabelles, tailles et autres impôts. Les étais
généraux de 1355 avaient décidé que les nouveaux impôts
qu'ils venaient de voter ne seraient point perçus par les
préposés du ministre, et, pour prévenir de nouvelles dilapi-
dations, il fut résolu que des commissaires spéciaux, choisis
par l'assemblée, se rendraient dans les provinces pour y
diriger la perception et l'emploi des contributions. Une com-
mission centrale avait été établie à Paris ; les délégués dans
les provinces correspondaient avec elle et recevaient ses
instructions. L'assemblée comprit qu'elle excédait les limites
de ses attributions constitutionnelles , et , pour concilier ce
qu'elle devait aux intérêts de ses commettants et aux exi-
gences de la prérogative royale, les délégués reçurent une
commission spéciale du roi. La commission centrale des
états généraux fut ainsi convertie en commission royale.
Ce qui n'était que provisoire et de circonstance devint défi-
nitif. Telle fut l'origine de la cour des aides , dont les pou-
voirs devinrent aussi judiciaires, en vertu de deux ordon-
nances royales , attribuant aux résolutions de la cour des
généraux des aides la même autorité qu'aux arrêts du par-
lement.
Dans les premiers temps du règne de Charles VI les
aides et la cour des aides furent abolies à la suite d'une
révolte populaire. Jkiis le nouveau monarque, après avoir
longtemps sollicité en vain des états le rétablissement de
cette cour, prit enfin le parti de la rappeler lui-même en
veilu de sa propre prérogative. On convoqua bien encore ,
il est vrai, de loin en loin les états généraux, mais c'était
toujours à la dernière extrémité, uniquement pour la forme
et en vue d'en obtenir de nouvelles augmentations d'impôts.
Charles VII , essayant la voie des rél'ormes fiscales, sépara
complètement les attributions des officiers des aides ; il eu
forma deux classes : l'une chai-gée de la levée de.s subsiiies ,
•lij.
204
AIDES — AIDE-TOI, LE CIEL T'AIDERA
et rautre, tic l'application <le la justice aux matières pure-
ment fiscales. Louis XII ilélinit nettement la compétence de
ces nouveaux ofiiciers judiciaires, et Henri II leur attribua le
titre proprement dit de cour des aides, titre qui leur est
resté depuis. Au temps de la Ligue, Henri III, ayant trans-
féré le [)arlement de Taris à Tours, essaya de transférer éga-
lement dans cette dernière ville la cour des aides. Les li-
gueurs s'ét^uit opposés, par tous les moyens, à l'exécution
de cette mesure, Henri III trancha la difficulté en trans-
portant au i)ariciiient la juridiction de cette cour. Plus heu-
reux que son prédécesseur, Henri IV parvint à transférer à
Chartres d'abord, à Tours ensuite, la cour des aides, qu'il
rappela enlin à Paris, lors de sa rentrée victorieuse dans
cette capitale. En 1G35, Louis XIII ajouta une troisième
chambre aux deux qui existaient déjà.
Indépendamment des matières fiscales, cette cour con-
naissait encore, en premier comme en dernier ressort , du
contentieux en ce qui concernait les revenus royaux, des
débats (les comptes-rendus de la chambre des comptes, de
la discussion des biens des agents comptables, des affaires
litigieuses concernant les privilèges de l'hôtel-Dieu et de
l'hôpital général, de celles relatives au payement des rentes
assignées sur les contributions, des marchés entre fermiers
généraux, sous-fermiers, munitionnaires ou traitants, en un
mot de tous les différends nés du fait de la levée des sub-
sides. Comme , dans l'ancien régime, la noblesse et le clergé
avaient, entre autres privilèges, celui d'être exempts de cer-
tains impôts, la cour des aides connaissait encore, exclusi-
vement à toutes autres cours, des contestations qui nais-
saient à chaque instant de l'obtention soit des titres de
noblesse, soit même des titres de réhabilitation. Enfin, la
cour des aides statuait souverainement sur les appels des
sentences des élections, greniers à sel, juges des dépôts des
sels, juges des traités ou maîtres des ports, et de celles
rendues en matière d'octroi. — Les charges delà cour des
aides de Paris conféraient la noblesse aux titulaires.
Les attributions et le nombre de ces cours se sont suc-
cessivement augmentés. La première était celle de Paris :
elle se composait , lors de sa suppression définitive , d'un
premier président, de neuf présidents, de cinquante-deux
conseillers, d'un procureur génà'al et de trois avocats gé-
néraux. Elle avait le droit d'adresser des remontrances au
roi, et chacun de ses membres n'était justiciable que de
ses propres pairs. Dans l'origine la cour des aides de Paris
existait seule , et son ressort s'étendait à tout le royaume.
Dans la suite, d'autres cours des aides furent successive-
ment établies : les principales avaient leur siège à Lyon,
liordeaux, Nantes, Rouen, Metz, Rennes, Montpellier, Aix,
Dijon, Caen, Agen, Clermont, Chàlons, Périgueux, Gre-
noble, Montauban, Pau, Cahors, Dôie, Montferrand, etc.
Ces tours furent, en grande partie, successivement réunies
à des parlements, à des chambres des comptes ou même à
d'autres cours des aides. En 1789 les trois cours de Bor-
deaux, Montauban et Clermont-Ferrand avaient seules con-
servé une existence propre.
Souveraines dans leurs attributions, exclusivement judi-
ciaires , les cours des aides n'avaient point l'influence poli-
tique des parlements ; plus dépendantes des ministres , elles
subirent de fré(iuentes mutations de sièges, et même de
titres et d'attributions; celle de Paris ne put échapper au
sort commun. L'abbé Terray, contrôleur général depuis 1709,
lit supprimer en 1771 la eaux des aides de Paris. A l'avéne-
incnt de Louis XVI la cour des aides reprit son titre et ses
fonctions. Les cours des aides s'associèrent à l'opposition
parlementaire contre les «idits bursaux. Le comte d'Artois
fut chargé d'aller à la cour des aides exiger l'enregistrement
des nouveaux édits. Le premier président, Barantin, fit en-
tendre au prince des paroles sévères. La cour des aides avait
commencé la procédure confie les auteurs présumés de l'in-
«;eudie des barrières de Paris. Celte procédure fiit annulée '
par une loi du i" juillet 1790, et la cour fut supprimée le
7 septembre suivant par une loi qui transféra ses attributions
soit aux tribunaux civils ou criminels, soit aux coi-ps admi-
nistratifs. Cependant, les droits connus sous le nom d'aides
ne furent définitivement abolis que le 2 mars 1791.
AIDE-TOI, LE CIEL T'AIDERA. Cette moralité
de bon sens, qui termine une des plus jolies fables de La Fon-
taine, devint le titre d'une société politique née sous la Restau-
ration, continuée jusqu'aux lois de septembre, et qui, dans ses
phases diverses, rendit assez de services pour attirer l'atten-
tion générale et mériter une certaine renommée. Le titre du
reste , s'appliquait avec à-propos et au but qu'on se propo-
sait et aux circonstances au milieu desquelles on fondait cette
association. Le ministère Villèle , appuyé à la chambre des
députés par une majorité docile, tenait dans sa main toutes
les forces publiques et les faisait mouvoir à son gré ; le corps
électoral paraissait confisqué; la chambre des pairs, où
quelques mécontents essayaient d'une opposition très-mo-
dérée, déUbérait à huis clos; la presse, avertie de temps en
temps, par le retour de la censure, que la liberté était à
peine tolérée, se voyait encore atteinte par les procès de
tendance; le jury lui avait été ravi; la loi d'aînesse avait
succédé à la loi du sacrilège , la grande propriété se recons-
tituait peu à peu ; le milliard d'indemnité était accordé aux
émigrés ; l'éducation était tout entière sous la direction des
prêtres ; les missionnaires inondaient les provinces , les jé-
suites de toutes les robes envahissaient l'administration;
l'ancien régime enfin, qui, d'infdtration en infiltration, avait
engorgé toutes les artères du corps politique, attaquait le
cœur même de la société , et cette société paraissait s'aban-
donner elle-même. Une apathie universelle semblait tout
permettre à la réaction. Au dehors, les insurrections de la
Calabre et de la Romagne avaient été étouffées, l'Espagne
était rentrée sous le régime de l'absolutisme , le congrès de
^'érone avait cimenté la Sainte Alliance, le silence des évé-
nements était complet.
C'est au moment où le char de la Révolution paraissait
tomber dans ces profondes ornières , que quelques écrivains
crièrent à la classe moyenne : Aide-toi, le ciel f aidera!
Ils voulurent donner un centre aux idées, exciter l'émula-
tion , diriger les efforts, et rester dans la légalité pour échap-
per à la police, et à la justice, sa fidèle auxiliaire. Ils cons-
tituèrent donc la société Aide-toi, dont le but était d'agir
sur le corps électoral par des conespondances et des publi-
cations. La plupart des fondateurs appartenaient au parti
doctrinaire, et ils avaient le Globe pour chef-lieu : c'étaient
MM. Guizot, Duchàtel, Duvergier de Hauranne, Dubois,
Lherminier, Paravey , etc. L'association réunit bientôt en-
viron une centaine de membres; la direction fut confiée à
un comité élu au scrutin, tous les trois mois, en assemblée
générale; tout membre résidant ou correspondant devait
verser une cotisation mensuelle. Le comité choisissait enfin
un secrétaire, qui était spécialement chargé de l'emploi des
fonds, et de la mise en eeuvre des résolutions du comité di-
recteur. Ce secrétaire, dont l'intelligence, l'infatigable acti-
vité, la précision dans la mémoire , l'exactitude dans l'exé-
cution, contribuèrent puissamment à l'extension et à l'in-
fluence de la société Aide-toi, fut André Marc hais. La
comité se modifia, le secrétaire demeura inamovible , non
pas que les règlements l'eussent déterminé, mais parce qu'on
avait reconnu dans M. André Marchais les quahtés les plus
propres à remplir les fonctions qui lui étaient attribuées.
On s'aperçut bientôt dans le monde polilicpie du mouvement
imprimé par la société nouvelle. Des pétitions arrivaient en
nombre considérable à la chambre , et fournissaient à la très-
vigoureuse opposition d'alors un texte souvent heureux de
discussions élevées ; les brochuies se succédaient rapidement ;
l'action de la presse était plus hardie; chaque jour amenait,
du camp oppoi^é, des désertions considérables, et les jour-
naux du jjouvoii- dénonçaient aussi chaque jour ce terrible
AIDE-TOI, LE
comitc^ direrleiir qiie l'on faisait se rassemlilcr dans des
Mves pour conspiior le bouleversement universel, comme
ces anges de téni''bres du poète anglais qui s'agitent dans
le Pandémoniuin. La société Aide-toi se renforçait incessam-
ment, et dans les publications sorties de son sein on voyait à
coté d'un écrit signé Un jeune pair de France (M.deMon-
talivet), d'autres écrits sérieux ou badins, parmi lesquels on
peut se rappeler les Lettres à la Girafe, de M. de Salvandy.
Cependant il restait à côte de cette société un grand nombre
de jeunes bommes actifs, énergiques, pleins de foi et d'ar-
deur, qui déjà s'étaient enrôles dans une association plus
l>ériUeuse et plus résolue. Us avaient des doctrines plus fer-
mes, des idées moins vagues, un but plus déterminé. Mo-
teurs principaux du carbonarisme, ils ne voulaient point
pactiser avec la contre-révolution , mais l'attaquer corps à
corps et la détruire. Us n'étaient ni des bâtards ni des colla-
téraux de la révolution, mais ses béritiers directs et légitimes.
Ils en acceptaient la succession , ils voulaient en continuer le
travail; et ce qui se passait sous leurs yeux, les confessions
mêmes des hommes qui étaient venus réclamer le prix de
leur trahison, les avaient avertis combien l'œuvre de leurs
pères avait été calomniée. Purs de souillure, placés loùi des
événements, ils en avaient étndié l'histoire, et la réaction
qu'ils subissaient leur rendait plus admirable et plus cher ce
mouvement immense de tout un peuple qui, en changeant
toutes les zones de sa sphère sociale, avait préparé, amené
le commencement d'une saison nouvelle pour l'humanité.
Leur cœur était haut conanie leurs principes , et au milieu
de ces opinions languissantes ou irrésolues qui attaquaient
le ministère en se prosternant devant la légitimité, eux pro-
clamaient sans détour qu'ils voulaient réaliser dans les faits
les idées démocratiques dont ils avaient ressoudé la chaîne.
De pareils auxiliaires parurent utiles à des mécontents
poussés à bout ; et vers la fin du ministère Villèle, il fut dé-
cidé que le comité , composé de douze personnes , aurait
la faculté de choisir lui-même et de s'adjoindre quatre mem-
bres étrangers. Les nouveaux élus furent MM. Jules Bas-
tide, Boinvilliers, Joubert et un quatrième, appartenant tous
à l'opinion républicaine. Ceux-ci, qui avaient déjà pratiqué
le prosélyiisme dans les ventes de carbonari, firent tous leurs
efforts pour amener à la société Aide-toi le plus grand
nombre de leurs amis. Us y réussirent si vite et si bien cpi'aux
élections trimestrielles suivantes, ils eurent une majorité
considérable : l'élément doctrinaire fut dépassé, et il ne fut
représenté au comité que par trois ou quatre noms. L'action
de la société reçut alors toute la vigueur de l'impulsion dé-
mocratique ; et l'on put s'en apercevoir lorsqu'à quelque
temps de là les élections générales agitèrent le pays. Tous
les correspondants de la société, présents partout, remuèrent
jusqu'aux couches les plus inertes du sol électoral. On ré-
veilla la léthargie, on réchauffa la tiédeur, on dirigea le zèle
en le stimulant ; des jeunes gens non électeurs devinrent les
agents les plus actifs de l'élection ; les fils conduisaient et
fortifiaient les pères ; les anciens carbonari, avocats, méde-
cins, notaires, parcouraient les campagnes et ramenaient au
chef-lieu quelque nouveau votant pour l'opposition. Le pou-
voir, de soncôlé, réunit tous ses efforts ; mais il succomba
dans la bataille, et le ministère Martignac remplaça bientôt
le cabinet Villèle.
C'était l'avènement d'une poliUque semi-libérale, qui allait
parfaitement au tempérament des premiers fondateurs de la
.société Aide-toi. Us se rallièrent pour la plupart à ce pavil-
lon d'un fond blanc très-mat, sur lequel le vent de l'opinion
avait jeté une très-légère poussière d'indigo bourgeois que le
moindre soulfle aurait du reste emportée. U n'en fallut pas
davantage pour que les doctrinaires se déclarassent satisfaits.
Uslircnt halte, etvoulurent même ladissolutionde la société.
Ce fut un moment de crise; mais les démocrates la traver-
sèrent victorieusement. A leurs yeux rien n'était changé; le
même esprit animait le pouvoir, qui avait adouci ses (ormes
CIEL T'AIDERA
205
et pris di s instruments moins usik. Le mal n'était pas an
ministère, mais à la cour ; c'était jusque là qu'il fallait aller,
et ils étaient décidés à laisser en route ceux qui manque-
raient dejaiTCt. Cette discussion, qui avait été très-vive au
comité des Seize , se renouvela à l'assemblée générale du
trimestre. Toute la phalange doctrinaire donna. Le parti
opposé soutint vigoureusement la lutte, et la majorité lui
fut acquise. Alors la plupart des fondateurs s'éloignèrent ;
presque toute la faction doctrinaire émigra , y compris
M. Barthe, qui, après avoir combattu la dissolution devant
l'assemblée, crut prudent toutefois de suivre les hommes qui
se rapprochaient du pouvoir. Au nombre de ceux qui ne don-
nèrent pas leur démission était M. Guizot, qui se tint sans
doute à l'écart du comité , mais qui , par une clainoyance
particulière, voulut demeurer membre de la société Aide-toi.
C«lle-ci prit alors une allure complètement démocratique :
ses correspondants devinrent plus nombreux ; elle multiplia
ses circulaires, émit son avis dans la plupart des discussions,
et son influence s'accrut d'une manière considérable. Le co-
mité directeur avait pour principaux membres MM. Odilon
Barrot, Lamy, Boinvilliers , Guinai-d, Cavaignac, Joubert,
Bastide , Thomas , Chevallon, Aylies, André Marchais, etc.
La société n'avait pas alors d'organe spécial, comme au
moment où elle disposait du Globe; celui-ci même la bou-
dait un peu, et plus d'un article porta l'empreinte de sa maii^
vaise lumieur. Mais la presse quotidienne venait en aide
au nouveau comité : tous les journaux indépendants rece-
vaient ses communications, en sorte qu'au lieu d'agir seu-
lement sur les lecteurs de la famille doctrinaire, elle entrait
par tous les journaux libéraux dans toutes les couches de
l'opposition. La situation était donc excellente, et son in-
fluence très-développée au moment où le ministère Polignac
vint renverser violemment le cabinet présidé par M. Maifi-
gnac. U y a des noms qui sont des principes ; à côté de ]\L de
Polignac se trouvaient Bourmont, Labourdonnaye, bientôt
remplacé par M. de PevTonnet. C'était la contre-révolution
toute nue, mais armée et inflexible : le défi était formel ; il
faUait désormais la tuer ou être tué par elle. Le ministère
nouveau, cependant, ne se montra pas violent dès la pre-
mière heure, et il criait à ses ennemis : « Attendez nos
actes. " Vos noms sont des actes, lui répondait l'opinion in-
dignée. Ce retour si subit et si vif de la Restauration aux
hommes selon son cœur démontre combien les démocrates
de la société Aide-toi avaient eu raison de ne pas désarmei".
Us redoublèrent d'activité et d'énergie. Restés toujours dans
les voies légales, ils agirent à Paris sur les députés, qu'ils
influençaient par les élections; dans les provinces, sur les
électeurs, qu'ils préparaient à une nouvelle lutte. Elle se
présenta bientôt, et à ce moment M. Guizot se rendit à une
assemblée trimestrielle, avec l'arrière-pensée de se faire re-
commander aux électeurs de Lisieux. Sa présence causa
une agitation qui lui fut peu favorable : il s'entendit repro-
cher avec quelque amertume et une vivacité foit peu sou-
cieuse des termes dont elle se servait, et son voyage à Gand,
et sa justification de la censure, et sa participation à la loi
des cours prévôtales, et sa complicité en un mot dans toutes
les mesures d'un ministère réactionnaire où il remplissait,
en 1815, les fonctions de secrétaire général. M. Guizot put
avoir le pressentiment de ce qui l'attendait sur une autre
scène et sur un plus grand théâtre; et il dut se convaincre
que dans ce pays, qui semble si oublieux, il arrive un jour
où l'on se souvient de tout, et où le châtiment atteint et
frappe sans pitié toutes les fautes et les crimes dont un re-
pentir public n'a pas fait l'expiation. Le désagrément arrivé
à M. Guizot l'empOcha de revenir, soit aux réunions tri-
mestrielles, soit au siège du comité; mais il prit son parti
en philosophe, et il se garda bien de renoncer pour cela à
l'appui de ce comité auprès des électeurs de Lisieux. Il s'é-
tait produit à la dernière assemblée sous le chaperon de
M. Odilon Barrot ; ce fut à lui qu'il s'adressa pour êlre re-
206 AIDE-TOI, LE CIEL
commandé aux suffrages des Bas-Normands. 11 fallait avoir
surtout la si.!:;nnture du secrétaire. André Marchais se laissa
entraîner, et il la donna. Tout cela se lit à Tinsu du comité,
et ausi^itôt que le fait lui fut connu, une prolestalion fut
adre'îsée à Lisieux dans laquelle on refaisait la biographie
de M. Guizof, en conseillant un tout autre choix. Mais il était
trop tard; la candidatiire était lancée, la nouvelle lettre ne
fiorlait le nom d'aucun autre candidat ; et, grâce à un sub-
terfuge, M. Guizot remit le pied sur l'éclielle politique, au
haut de laquelle nous l'avons vu se cramponner comme un
pilote au bout du màt du navire heurté, presque brisé par
les vagues d'un très-gros temps (1).
La société AkIc-(oi exerça une influence décisive sur la
résolution des 221 , et la révolution de Juillet en sortit. —
Ceux qui l'avaient prévue et souhaitée ne furent pas des
derniers à descendre dans la rue ; ils prirent au combat une
part importante, mais individuelle, et ils firent pailie plus
tard de la commission des récompenses nationales. Après
le triomphe du peuple, la société Aide-toi continua d'exister;
mais l'ancien comité s'était dissous sous la pression des
événements (2) ; M. Garnier-Pagès le résuma, et devint seul le
directeur de la correspondance électorale. 11 publia cepen-
dant aussi plusieurs brochures , et en particulier des bio-
graphies rapides de députés , où il relevait leurs votes. Ce
sont des recueils utiles à consulter pour l'histoire des vaiia-
tions .si nombreuses dont nous avons eu le triste spectacle.
La société /Ijf/e-^j dura ain.si jusqu'en 1834; elle ne fui
pas violemment emportée, mais indirectement atteinte par
ce torrent de réaction qui déborda sur le pays et finit par
.•;e résumer dans les lois de septembre. Il n'en resta plus
que d'anciens registres portant ces noms d'affiliés, de fon-
dateurs ou d'acteurs, unis jadis, séparés plus tard , et que
l'on retrouve, les uns an ministère, aux assemblées, au
conseil d'iital, dans les adininistralioiis; les autres dans les
bureaux des feuilles d'opposition, sur les livres d'écrou de
la prison ou sur le livre plus triste encore de l'exil (3).
Armand Marrast,
ancien président de l'Asscinbléc consl'tusDte.
(1) En apprenant que noas remédions sons presse cet article,
M. André .Marchais, secrétaire de la société dont il s'agit ici , nous a
adressé une pelite rectification à laquelle notre impartialité nous
commande de donner place. 11 dit que, malgré le rude accueil qui,
selon M. Marrast, fut fait à M. Guizot dans cette séance, ce publi-
cistc n'en fut pas moins élu membre du comité. M. Guizot demanda
naturellement le concours de ses collègues pour sa candidature de
Lisieux. Le jour où la question fut posée le comité étairt peu nom-
breux. On remit à la prochaine séance, en décidant que la convo-
cation indiquerait le Imt de la réunion. Deux convocations consé-
cutives furent ainsi faites, et les membres qu'on pouvait croire
opposes à la cuudidature de M. Guizot n'y parurent pas. Les cinq
membres qui se présentèrent furent d'avis d'appuyer M. Guizot. Le
secrétaire eut donc nun-seulement le droit, mais ce fut un devoir
pour lui de donner sa signature. Quant à la protestation dont parle
M. Marrast, elle n'était signée que par trois membres de l'associa-
tion : Jules Bastide, Hubert, ancien notaire, et Ch. Teste. Le pre-
mier seul était membre du comité.
^2) M. André Marchais nous écrit encore que ce n'est pas précisé-
ment sous la pression des événements que le comité existant
en 1830 s'est dissous, mais bien parce que la société ne lui fournis-
sait pas les moyens d'assurer au peuple les conséquences de sa
victoire de 183U, ainsi qu'il le dit dans sa démission, en date du
2 décembre 1830.
(3) Nous tenons de l'obligeance de M. Marchais la liste des membres
de l'association et de ses correspondants. On nous saura gré sans doute
d'en extraire les noms qui nous ont frappé : on retrouvera une grande
partie de ces noms dans notre ouvrage, à leur ordre alphabétique.
Membres de la société Aide-toi, le ciel t'aidera : .Allègre, Allier,
Ambert, Andréossy, Et. Arago, Audiat, Audry de Puyraveau ,
Aylies, Ilarillon, Ferdinand Barrot, Odilon Barrot, Barthe, Bastide,
Bavouxfils, licranger(lepnêtei, Jh. Bernard, Jules Bernard, Berville,
Aug. Blanqui, Bocage, Bobain , Boinvilîiers , Bonnarie , Borrego ,
Bouchené-Lefer, Boutron-r.harlard , Brice, Cabct, Carnot (Sidi),
Armand Carrel, Casenave, God. Cavaignac, Cave, CUambolIe,
Chevallier, Chevallon, Chodzko, Ch. Comte, O'Connor Corcclles fils,
f;oulombier, Uamiron, d'.Argensoo, Decaisne, Derruzy. K. Degeorges,
li. Dejpan, général Ucmarray, Oesclozeaux, Drolling, Dubochet, Du-
bois, Tanneguy-Duchùtel , Christian Pumas, llupont (de Bussac),
Dupont-While , Dussart , Maurice Duval , Duvcrgier de llauranne ,
Feuet, llocou, Forel , Krayssinaud, Ercuîsard, 1 ulchiron, Car-
T'AIDERA — AIGLE
AÏEUX, ANCÊTRES. Ceux de qui l'on descend. Ces
mots s'emploient souvent indifféremment l'un pour l'autre ;
cependant quelques traités de synonymes font des distinc-
tions : les uns disent que les ancêtres sont les aïeux les
plus reculés, tandis que les aïeux sont les intermédiaires
entre les pères et les ancêtres; d'autres disent que le nom
à'aieux est restreint à la famille, tandis que l'acception du
mot des ancêtres s'étend aux peuples. Les Gaulois et les
Francs ont été nos ancêtres. Un gentilhomme parlait de
ses aïeux , un plébéien de ses pères. Le mot aïeux doit
toujours s'entendre de tous les ancêtres qui précèdent le
grand-père; autrement, il faut dire mes aïeuls lorsqu'on
désigne précisément son grand-père et sa grand'mère.
AJGLE {Histoire naturelle) , du latin aquila. Cet oi-
seau de proie est le type d'un genre de l'ordre des rapaces,de
la famille des faucons , dont les caractères principaux sont
un bec très-fort, courbé seulement vers sa pointe, et dont la
base est garnie d'une cire poilue ; des tarses robustes, courts
ou moyens, emplumés jusqu'aux doigts; des doigts forts,
peu allongés; des ongles puissants, très-arqués, creusés
en dessous en gouttière , dont les bords forment des lames
tranchantes ( celui du milieu a trois lames ) ; des ailes longues,
obtuses , dont les pennes sont inégales , la quatrième étant
ordinairement la plus longue de toutes.
L'aigle n'a pas dans la forme de ses doigts de grands
moyens de préhension; mais ce qui lui manque sous ce rap-
port est bien compensé par la force de ses ongles , dont le
grand développement et les lames inférieures comprimées
font de ses serres des poignards acérés, à plusieurs tranchants,
nier-Pagès, Ganja, Gervais (de Cacn) , Gisquet, Guinard, Guizard,
Guizot , Haussman, Ilingray, Hubert , llumann , Isambert , Jaubert,
Joubert , Alexis de Jussieu , Klein, I.acaze de Montauban , Lafayette
père , Lafayette fils , L. Lagarde, Lamy, Lanjuiuais, Laprée, La-
rabit, Las-Cases, J. Lasteyrie, Lavalette, Lavocat, Lebon, Lcpage,
Lerminier. Cauchois-Lemaire , Levasseur, Liadières, Littré, Loéve-
Veiraar, .Mabrun, Manuel, Marchais, Marchai, Mcrilhou aîné,
Montébello, Morhèry, Pages (de l'Ariége), Pauca, Paravey, Perdonr
net, Léon Pillet, Qninette , P.avean , Recurt, Ch. de Kémusat, Ch.
Renouard, Rieublanc, E. Salverte, Sarrans, Savoye, J.-B. Say ,
Schœlcher, Sébire, Sentis, Snbervic, Taillandier, Tascherean ,
Ternaux, Ch. Teste, Thiars, Thomas, Tonnet,de Tracy, Trélat,
Louis Viardot, Visinet, Vitet , J. de Wailly, ^Valfcrdin, Willocq.
Correspondants de la société : Alleman , Armez, Célestin Baa-
chart, C. Bandin, Baze, Berthomieux, II. Blanc, Boncbotte, Eroglie,
Casimir Captier, Chanay, Charassin, Clogenson , Creton, Daverne,
Daniel aîné, nemadiéres, Deville, IJornez, Drault, Léon Ducos, Du-
long, Silvain Dumon, Dupont ^de l'Eure), Estanceliu , Fiéron , Henry
Fonfrède, Génie, Gallos, Félix Gillon, Augustin Giraud, Gleiie Cri-
velli , Paul Gnichenné, .Aristide Guilhem, Guiter, Guyonnet, Haniard,
Hello, llernoux, His, Jacqueminot, JoUivet, Julien, Junien, Lacaze
de Montauban , Lafontaine, Lallemand , Landrin , Lareveillére-Lé-
panx, Laurence, Lebon, Lefebvre-Duruflé, Liecbtemberger, Lortet,
Madier de Montjeau père, Victor Mangin, Maréchal fils, A. Marie,
Alfred Marquisel, Ach. Marrast, Auguste .Martell , .Martin, !»!as-
son , Michel (de Bourges), Mouchons, Scipion Jlourgues, Démos-
théne OUivier, A. Périer, de Podenas , Poire! , A. Reyiiaud , Félix
Robert, Romiguiéres, Salveton, général Sémelé, Senart, Victor Suin,
Terme, Teulon, général Thiars, Vaissieres, Vialard, Visinet.
La réunion où la formation de la société a été décidée s'est tenue
chez M. Ch. Paravey, qui fut depuis conseiller d'Etat : M. Guizot
présidait cette réunion, .M. de .Moutalivel y assistait. La raison so-
ciale ou devise fut proposée par M. Vitet.
I.e premier comité elait compose de M.M. Damiron , Bcsclozeanx ,
Desloges, Dubois (de la Loire-Inférieure) , T. Ducbâtel, Duvergier
de tianranne, Joubert, Lerminier, Marchais , Paravey, Rémusat,
Ch. Renouard, Sautelet, Vitet.
Le second comité était composé de M.M. Bastide, Boinvilîiers,
B. Dejean, Dubois (de la Loire-Inférieure ), T. Duchàtel, Duvcrgier de
Uauraune, Guizot, Joubert, Marchais, Paravey, Rémusat, Vitet.
Le comité nommé à l'avènement du ministère Martignac, après la
retraite des doctrinaires, fut composé de M.M. Odilon Barrot, Bas-
tide, Boinvilîiers, Cavaignac, Chevallon, Decruzy, Gainard , Lamy,
Lanjuinais, Marchais, Taschereau , Thomas.
Le comité qui se trouvait en exercice au moment des journées de
Juillet 1830 se composait de ,MM. OJilon Barrot, Bastide, J. Ber-
nard, Berville, Boinvilîiers, G. Cavaignac, Chevallon, Corcelles,
Decruzy, Gassicourt, Guizot, Lamy, l.anjuinais. Marchais, E. Sal-
verte . Taschereau, Thomas.
Enfin un cinquième comité, qui fut nommé enaoiit 1830, .se compo-
sait de M.M. O. Barrot, Bastide. Boinvilîiers, God. Cavaignac, Cheval-
lon, Decruzy, Guinard, Lamy, Lanjuinais, l.as-Cases, E. Leiirelon,
Marchais, E. Salverte, Taschereau , Ch. Teste, Thomas, Tonuet.
ATG
au moyen desquels il saisit et lacère sa proie. Ce n'est qu'a-
près cinq ou six mues , c'est-à-dire cin([ ou six aiîuées , que
le plumage des aii^les a atteint sa perfection et l'état inva-
riable qui disliuiiue les espaces. Les grandes pennes des ailes
, et de la queue sont les dernières parties qui changent de
couleur. Dans le cours de ces différentes mues non-seule-
ment les couleurs du plumage varient, mais la longueur
proportionnelle de la queue et dos ailes présente des diffé-
rences très-mai-quées. Ainsi, chez le jeune aigle la queue est
bien plus longue que chez l'adulte. La femelle , plus grande
que le niùle, atteiiit quelquefois huit pieds d'envergure.
Les aigles surpassent en courage tous les autres oi-
seaux; leur regard est étincelant ; leurs yeux, perçants, dis-
'tinguent du haut des airs l'humble animal rampant sur
l'herbe ; leur démarche est hardie, tous leurs mouvements
très-énergiques ; dans le repos ils tiennent la tête haute, et
restent fièrement dressés sur leurs membres.
Les aigles habitent particulièrement, comme les vautours,
les grandes chaînes de montagnes, oii ils chassent les oi-
seaux et les mammifères ; parmi ceux-ci ce sont pour la plu-
part les lièvres, les agneaux, les chevreaux, les jeunes daims
ou cerfs qu'ils préfèrent. Ils ne se nourrissent en général que
de proie vivante; cependant, quand celle-ci leur manque,
ils se rabattent sur les cadavi'es.
Ils vivent en monogamie, et il est très-rare d'en trouver
plus d'une paire dans la même portion de montagne. Ils se
construisent dans un lieu inaccessible, entre deux rochers
ou sur un arbre élevé , un nid qu'on appelle aire, et qu'ils
conservent ordinairement toute leur vie. Ce nid est tout plat,
et a pour abri des branchages ou une avance de rocher.
C'est une espèce de plancher large de plusieui's pieds, formé
de perches appuyées par leurs deux bouts, traversées par
d'autres branches flexibles , et recouvertes de plusieurs lits
de joncs et de bruyères. C'est là que l'aigle et sa femelle trans-
portent leur proie, quand ils ne la dévorent pas sur place ,
et qu'ils déposent chaque année deux ou trois œufs au plus,
dont l'incubation dure trente jours. Lorsque leurs ai'jlons
sont assez forts pour voler, ils les chassent au loin , et les
empêchent de revenir. — La vie de l'aigle est fort longue,
et peut, assure-t-on, dépasser cent ans; s'il faut même en
croire Klein, leur existence s'étendrait à plusieurs siècles.
Le genre aigle renferme plusieurs esiièces ; nous ne cite-
rons que les principales.
Vaifjle royal ou aigle comimtn est l'espèce la plus ré-
pandue dans toutes les grandes contrées montagneuses de
l'Europe. Il est long de trois pieds et demi environ, d'un brun
plus ou moins fonce ; les plumes de la tête effdées, d'un
roux doré; la queue noirâtre, marquée de bandes irrégu-
lières et cendrées. Dans la jeunesse , il a la queue blanche
dans sa moitié supérieure, noire dans l'autre.
Vaigle impérial, long de trois pieds pour la femelle et
de deux pieds et demi pour le nulle , a les ailes plus lon-
gues proportionnellement que l'aigle royal, le sommet de
la tête et l'occiput tout garnis de plumes acuminées, rous-
Rûtres, bordées de roux, la poitrine noirâtre, le ventre
roux, le manteau brun avec quelques plumes blanches,
la queue cendrée avec des bandes noires. La femelle est d'un
fauve taché de brun. L'aigle impérial se trouve dans les
grandes forêts montagneuses de l'est et du midi de l'Europe;
il est très-commun en Egypte. Il surpasse en force l'espèce
précédente , et est plus redoutable qu'elle pour les autres
oiseaux. Son cri est sonore, terrible. Il donne la chasse aux
daims et aux chevreuils, dont il emporte dans son aire des
lambeaux énormes.
Vaigle criard , ainsi nommé à cause du cri plaintif qu'il
répète fréquemment , est d'un tiers environ plus petit que
les précédents. 11 est aussi beaucoup uioins hardi, et ne se
nourrit que d'animaux faibles. Il hai);le les forêts monta-
gneuses de l'Allemagne, de la Russie, du midi de l'Euroue
et de l'Afrique orientale.
LE 207
AIGLE (S{/î;j;>o//5;He). L'aigle est d'un fréquent usage
dans l'allégorie. Ainsi dans la mythologie antique, l'aigle,
comme roi des oiseaux , était l'oiseau par excellence de Ju-
piter et portait la foudre dans ses serres. Cet oiseau est con-
sidéré comme l'emblème de la toute-puissance. C'est pris
dans ce sens que nous le voyons servir de symbole à des
peuples, à des princes, à des armées.
Chez les Grecs l'aigle avait donné son nom au fronton,
soit que cette partie des monuments rappelât la forme de cet
oiseau , les ailes éployées, soit que l'aigle en lût l'ornement
ordinaire, ou qu'il la dominât seulement.
Les anciens peuples avaient déjà reconnu la nécessité
d'avoir à la guerre des signes de ralliement ; on croit géné-
ralement que les Perses furent le premier peuple de l'anti-
quité qui adopta l'aigle pour enseigne. Parnd les attributs
de la royauté que les Étrusques envoyèrent en signe d'a-
mitié aux Romains, se trouvait un sceptre surmonté d'un
aigle en ivoire ; c'est depuis cette époque que l'aigle devint
un des principaux attributs de la république romaine, at-
tribut que les empereurs conservèrent religieusement. Les
Romains eurent bien encore, pendant les cinq premiers
siècles qui suivirent la fondation de Rome, d'autres en-
seignes pour conduire leurs légions à la conquête du monde;
mais, en l'an de Rome 650, Marins les supprima toutes sans
exception, et fit de l'aigle l'enseigne principale et unique
des armées de la république. On voit encore figurer l'aigle
romaine dans les armées de Valenlinien II, de Justinien, de
leurs successeurs, jusqu'à la fin de l'empire grec. L'aigle
portée en tête des armées perses était d'or, aux ailes éployées.
Chez les Roniams les aigles furent d'abord en bois, accom-
pagnées plus tard de com-onnes, puis en argent avec des
éclairs d'or entre leurs serres. Sous César et ses successeurs
elles furent d'or massif, mais sans foudre. L'aigle était fixée
au haut d'une lance et servait de guide aux légions.
A la chute de l'empire d'Occident on vit disparaître
aussi les aigles romaines. Napoléon adopta l'aigle pour l'em-
bième de la France impériale. On vit l'aigie romaine figurer
non-seulement sur la hampe des drapeaux français, mais
sur las armes de l'empire, sur le sceau de l'État, sur le revers
de la Légion d'Honneur, dont le plus haut grade était celui
de grand aigle, avec un aigle d'or pour attribut, eîc , etc.
Lorsque en 1830 la France reprit le drapeau tricolore, elle
répudia l'aigle belliqueux pour le coq. Elle l'a repris en 1852.
Vaigle à deux têtes fut d'abord en usage chez les empe-
reurs d'Orient, qui, dit-ou, par ce symbole désignaient
leurs droits à l'empire d'Orient et à celui d'Occident. Les
empereurs d'Occident empruntèrent plus tard ce symbole à
l'Orient. Mais ou n'est pas d'accord sur le premier qui se servit
de ce signe : les uns nomment Othon lY, les autres Sigismond.
L'aigle à deux tètes se trouve encore dans les armoiries
d'Autriche et de Russie. La Pi-usse a adopté pour armoirie
l'aigle noir, et la Pologne avait de même l'aigle blanc. La
Sicile et la Sardaigne, ainsi qu'un grand nombre de prmces,
de comtes et de barons de l'empire d'Allemagne, ont adopté
des emblèmes où se trouve figuré ce roi des oiseaux. L'aigle
devint aussi l'emblème de beaucoup d'ordres de chevalerie,
tels que l'ordre Teutonique, de Jérusalem, l'ordre de
l'Aigle Blancde Pologne, les deux ordres de l'Aigle Rouge
et de l'Aigle Noir de Prusse, les ordres russes de Saint-An-
dré et de Saint-Alexandre Nevvski. L'aigle figure sur
les étendards des puissances qui l'ont dans leurs armes.
Dans la guerre de l'Indépendance , les, États-Unis prirent
pour drapeau une aigle sur champ d'azur semé d'étoiles.
Lorsque l'ordre de Cincinnatus fut fondé en Amérique,
l'aigle en fut la décoration. Cet oiseau figure en outre sur les
monnaies américaines. De là vie'it qu'on désigne sous le nom
û'aigle une monnaie d'or des Etats-Unis valant 5 dollars ou
27 francs 60 centimes. Il y a aussi aux États-Unis des
doubles aigles et des demi-aigles.
Considéré comme emblèiiie , le mot aigle est ordinaire'
208
AIGLE — AIGRE
ment féminin; cependant on fait exception dans le blason
ymrVaifjte noir, Wti'jlc blanc, olc, et plusieurs poëtes ont
gardé le masculin même \)mr les aigles romaines; nous
ne citerons que Delille et Boileau qui ont donné ce genre,
le premier à l'aigle romain, le second à l'aifile germanique.
On a encore donné le nom iVniglc au pupitre des églises
qui représente cet oiseau les ailes étendues et «pii reçoit les
livres placés devant les chantres.
Enfin les alchimistes employaient ce nom avec un adjectif
pour désigner diverses substances chimiques, et dans l'as-
tronomie c'est le nom d'une constellation boréale.
AIGLE( IJois d' ). Voi/ez Acaixocue.
AKiLE ( Pierre d' ). i'oijez Ai;tite.
AIGLE-AUTOUR, genre d'oiseaux de proie de la
famille des falconidées, qui offrent dos rapports évidents
a\ec les aigles et les autours; ce qui lui a fait donner leur
nom. A la forme du bec, aux tarses emplumés des aigles,
ils joignent la hauteur des pattes , la brièveté des rémiges et
la longueur de queue des autours. Ils ont les doigts courts ,
les ongles très-arqués ; les plus longues plumes de leurs
ailes atteignent à peine dans le repos le tiers de la queue ,
qui est ordinairement fort longue et terminée carrément. La
plupart des espèces sont ornées d'une huppe occipitale tom-
bante. Les (iKjles-nutours habitent l'ancien et le nouveau
continent. L'Amérique en offre entre autres une espèce re-
marquable par la beauté de son plumage. Ces oiseaux ont
en partie les mœurs des aigles et des autours.
AIGLE BLAIVC (Ordre de 1'), ordre polonais, créé
en 1323, par Aladislas V, lors du mariage de son fds Ca-
simir avec la fdle du grand-duc de Lilluiauie. Les cl'evaliers
portaient une chaîne d'or, d'où pendait sur la poitrine un
aigle d'argent couronné. L^ordre de V Aigle Blanc fut renou-
velé, en 1705, par Frédéric-.-kuguste, électeur de Saxe, roi
de l'ologne sous le nom d'Auguste II. Les insignes de cet
ordre sont une croix d'argent à huit pointes émaillées de
gueules, avec quatre tlannnes de même aux angles : au
milieu de la croix figure un aigle couronné d'argent, por-
tant sur l'estomac une croix ornée tout autour des trophées
de l'électoral de Saxe. Le collier est une chaîne ornée d'ai-
gles couronnés, le tout d'argent; la croix est fixée au collier
par un chaînon qui joint une couronne royale, enrichie de
diamants. Les chevaliers de WMçjle Jllanc portent sur l'é-
paule gauche un ruban bleu. Depuis 1831 l'ordre de l'Aigle
Diane (le Poloi;nc est réuni aux ordres impériaux de Russie.
AIGLE D'OR (Ordre de 1') , en V/urtemberg, fondé en
1702; il a reçu d(> nouveaux statuts en 1809 de Frédéric l",
premier roi (le Wurtemberg.
AIGLE i\OIR (Ordre"der).Ilfut fondé, enl701, parle
premier roi de l'russe, Frédéric T"", le jour qui précéda son
couronnement, sous le nom A'ordre de la Fidélilé. Les
insignes de cet ordre sont une croix d'or à huit pointes,
émaillée d'a/ur et ornée aux angles de quatre aigles de sable.
Au centre de la croix sont entrelacées les deux lettres F. R.,
qui signifient Frcdcricus rex. Cette croix est attachée à
\\\\ ruban orange, porté en écliar|)e, de l'éiwulc gauche à
la hanche droite, par-dessus l'habit. On prétend que cette
couleur fut choisie en mémoire de la princesse d'Orange,
mère de Frédéric. Les chevaliers portent aussi sur le côté
gauche de leur habit une croix d'argent brodée en forme
d'étoile, au milieu de laquelle se trouve un aigle en broderie
d'or sur un fond orange. L'oiseau tient dans l'une de ses
serres une couronne de laurier, et dans l'autre un foudre avec
cette inscription : Stitini cuique. C'est l'ordre le plus dis-
tingué qu'il y ait en Prusse. H se confère aux princes de la
famille royale etaiix membres des maisons souveraines étran-
gères, de même qu'aux grands fonctioimaires de l'Klat, pour
qui il constitue la plus haute distinction dont ils puissent
être l'objet. Il confère la noblesse personnelle, et donne dr.)it
à la qualification d'excellence.
AIGLE ROUGE (Ordre de F). Fondé à l'origine,
en 1712, sous la dénomination d'ordre de la Sincérité, par
le margrave Georges-Guillaume de Baireuth, il fut trans-
mis à la Prusse, en 1792, en même temps que la succession
aux principautés de Franconie, Anspach et Baireuth. Fré-
déric-Guillaume II décida à cette occasion qu'il formerait
désormais le second ordre de son royaume. Frédéric-Guil-
laume III en élargit encore les bases en le divisant en quatre
classes. Les chevaliers de la troisième classe se distinguent
à la rosette; les chevaliers de la seconde, à l'étoile, ou guir-
lande de chêne ; ceux de la première, enfin , portent égale-
ment la guirlande de chêne, mais en diamants. La décoration
commune atix quatre classes consiste en une médaille d'ar-
gent avec cette inscription : Pour services rendus à l'État,
qu'on suspend àla boutonnière avec le ruban de l'Aigle Rouge.
AIGIV/VN (Etienne), de l'Académie Française , naquit à
Beaugency-sm-Loire, en 1773. Il a fait des traductions qui
ne sont pas sans mérite : celle de Y Iliade en vers a obtenu
du succès; celle de VOdijss^'e n'a pas été imprimée. On lui
doit aussi la traduction de ï Essai sur la critique de Pope,
et de quelques romans anglais , parmi lesquels on remarque
le Vicaire de Wahelicld. Aignan a fait pour le théâtre les
tragédies de Brunehaut, A' Arthur de Bretagne, et de Po-
Ujxcne, et l'opéra de Ncpktali (musique de Blangini), qui
n'eurent qu'un petit nombre de représentations. Parmi ses
écrits politiques nous citerons les brochures intitulées : Sur
leJwy;de l'Étal des Prolestants en France depuis le
quinzième siècle jusqu'à nos jours; cl Des Coups d'État.
Enfin Aignan fut l'un des rédacteurs de la Minerve française.
Lorsque ce journal cessa de paraître , Aignan se retira à la
campagne , où il composa sa Bibliothèque historique , re-
cueil de morceaux inédits relatifs à l'histoire nationale. Il
avait succédé, dans l'Académie Française , à Bernardin de
Saint-Pierre , dont il prononça l'éloge dans son discours de
réception en 1815, pendant les Cent Jours. Un style pur, une
pensée forte et indépendante , et cependant toujours modé-
rée, distinguent cet écrivain, qui montra en 1793 un grand
courage en publiant la tragédie de la Mort de Louis XVI
quelques semaines après l'exécution de ce prince. Quoique
bien jeune encore, il tenta en 1793 de s'opposer aux exct>s
de cette époque : il fut mis en captivité pour prix de ses
efforts. Sous l'empiie il dut à l'amitié de M. de Luçay la
place de secrétaire du palais impérial, et en 1808 Napoléon
le nomma aide des cérémonies et secrétaire du cabinet de
l'intriuluction des ambassadeurs. Aignan est mort à Paris,
le 21 juin 1824.
AIG^'EL. Voy. Agnelet.
AIGOMAi\CIE ( du grec dXl, a'iyoç , chèvre ; (AavTet'a,
divination ), art de prédire l'avenir par les mouvements ou
le bêlement d'une chèvre.
AIGRE (du latin acer, acris, acide, piquant au goût),
saveur acide, piquante, que présentent surtout les substan-
ces qui subissent la fermentation acide. Le vin devient aigre
lors(pi'il est exposé à l'air. Le lait , le bouillon qui se gâtent,
deviennent aigres ._ tournent à V aigre. Des fraises tournées
sont aigres. On donne encore le nom iVaigres à certains
fruits qui ont quelque chose de piquant, d'âpre au goût :
cerise aigre, pomme aigre. — On appelle cidre aigre celui
qui, ayant acquis ce défaut en vieillissant, a perdu son âpreté
en passant sur du marc nouveau. — L'odeur aigre est celle
qui s'exhale de quelques substances altérées. — Les phar-
maciens et les parfumeursdonnentle nom d^iigre de cidre,
de limon, de bigarade , aux sucs de cédrat, de limon de
bigarade, qui viennent surtout des environs de Gênes, et
que l'on mêle avec de l'eau poiu" obtenir une boisson ra-
fraîchissante très-agréable. — On dit encore que l'air, que le
vent est aigre, lorsqu'il est froid. — Au figuré, ce mot s'ap-
plique aux personnes qui ont <le l'aigreur dans le carac-
tère, dans l'humeur. On dit d'une personne revêche, aca-
riâtre, (pfelle est aigre comme citron vert, comme verjus.
— lin son aigre est un son rude à l'oreille, un bruit aigu.
AIGRE — AIGU
209
tau\ et perçant. On le dit aussi d'une voix dés;igi âUile et
rude. — Dans la métallurgie , ce non» s'applique aux mor-
ceaux de métal qui manquent de ductilité, qui sont cassants,
parce que leurs i)arties, mal liées, se séparent facilement les
unes des autres. Du IVr, du cuivre aigre. — In terrain aifjre
s'entend d'un terrain dil'licile à cultiver, jiarcc que les pluies
le transforment en marais, et que les sédieresses en reiuiinit
la surface dure comme de la pierre. — Enlin , en peinture
on dit que les couleurs d'un tableau sont aij;res quand elles
ne sont pas Rées par des dégradations qui les fondent, les
accordent , les harmonisent.
AIGRËFEUILLE ( Fclcrand, marquis d'), célè-
bre dans les .annales de la gastronomie, né vers l'année IT^ô,
était avant la révolution chevalier de Malte et procureur
général à la cour des aides de Montpellier. 11 tenait dans
cette ville table ouverte , et comptait quelquefois parmi ses
convives un homme qui plus tard lui rendit à usure ses
bons repas : c'était Cambacérès, conseiller à cette même
cour des aides, qui, devenu député à la Convention natio-
nale, usa de son crédit pour protéger d'Aigrefeuille contre
les effets de la Terreur. Mais là ne s'arrêta pas la fortune de
Cambacérès : second consul après le 18 brumaire, il admit
son ancien procureur général dans sa société intime. D'Ai-
grefeuille devint en quelque sorte le maître des cérém.onies
de cette petite cour, où l'on se piquait de rappeler la gravité
des manières parlementaires de l'ancien régime , et surtout
de savourer avec une savante recherche les plaisirs de la
table. Ce qui perpétua le crédit de d'Aigrefeuille auprès de
Cambacérès , c'est que jamais il ne parut se souvenir qu'au-
trefois il avait été dans une position bien plus élevée que
son patron. Puis, quand avec l'établissement impérial re-
vinrent les qualifications de l'ancienne étiquette, jamais,
même dans le tête-à-tête, il ne manqua de qualifier d'altesse
sérénissime Cambacérès , devenu prince archichancelier. On
raconte à ce propos qu'un jour, dans une naïveté d'orgueil
qui avait un air de modestie , le patron lui dit : « Mon cher
« d'Aigrefeuille , dans l'intimité , pas d'altesse sérénissime ;
« entre nous, appelez-moi tout bonnement Monseigneur. »
C'est à d'Aigrefeuille que Grimod de la Reynicre a dédié la
première année de son Almanach des Gourmands. D'Ai-
grefeuille aimait la bonne chère , mais il l'aimait en convive
délicat ; il découpait à merveille, et possédait surtout, dit-on,
le talent de laisser tomber comme involontairement , dans
un coin du plat, le meilleur morceau de la pièce qu'il s'était
chargé de dépecer. Il avait de l'esprit , l'usage du monde ,
une politesse exquise, des reparties heureuses et de l'ins-
truction. 11 était petit et d'une rotondité remarquable; sa
figure, passablement enluminée,
Semblait d'ortolans seuls et de bisques nourrie.
Il portait une petite épée, se dandinait en marchant comme
son illustre patron, et formait un contraste parfait avec un
autre commensal du prince, le marquis de la \ illevieille ,
personnage long, sec et pâle. Sous l'empire, les longues
promenades que faisait régulièrement au Palais-Royal ce
trio , bien propre à inspirer le génie de la caricature, avaient
le privilège de faire sourire les passants et d'attirer les cu-
rieux. Qui, parmi les contemporains, ne se rappelle encore
aujourd'hui ce burlesque cortège de badauds suivant à dis-
tance respectueuse, sous les galeries de pierre et dans le
jardin , le prince archichancelier, couvert de rubans et de
crachats, flanqué de ses deux acolytes toujours en luibit à
la française, le claque sous le bras et ré[tée au coté? .^lais
avec le retour de Louis XVIII, Cambacérès réforma sa cui-
sine ; il eut même quelipics raisons d'éloigner de lui d'Aigre-
feuille, qui mourut en 1818, assurément bien maigri , et
vivant à peine d'une indemnité de cent louis par an que lui
faisait le ministre de la police générale. Cli. du Rozoir.
AIGREFIX. Voyez Eciîtrix.
AIGRETTE. On appelle ainsi en bolaniqtie im o:-
DICT. DE LA CO.NVr.RS. — T. 1.
gane appendiculaire composé d'une petite touffe de poils
soyeux, cpii surmonte quelquefois le péricarpe. L'aigiette est
dite scssile lorsqn'elle est immédiatement appliquée sur le
sommet de l'ovaire, sans aucun corps intermédiaire; elle est
appelée slip'déc lorsqu'elle est portée, au contraire, sur une
espèce de petit pivot ou support particulier nommé slipe.
Quand les poils qui composent l'aigrette sont simples, l'aigrette
est appelée simple ou poilue; on la nomme plumCuse lors-
que les poils offrent sur leurs parties latérales d'autres petits
poils plus fins, plus déliés et pluo courts, qui lui donnent
l'apparence d'une plume. Il y a en outre des aigrettes mem-
braneuses , squameuses ou soyeuses, suivant l'apparence
de leur tissu. — En ornithologie on appelle aigrette un
faisceau de plumes effilées qui orne le dessus delà tête de
certains oiseaux, comme le paon, la grue couronnée, etc. —
C'est aussi le nom d'un oiseau du genre héron, qui porte sur
le dos de longues plumes blanches, droites et soyeuses. Ces
plumes gardent le môme nom lorsqu'elles passent dans la
toilette des dames, qui les emploient pour orner et relever
leur coiffure. Par extension on a encore donné ce nom à tout
ce qui rappelle la forme de cet ornement. — .\insi, dans la
joaillerie on appelle aigrettes certains bouquets de pierres
précieuses disposées en aigrette. — Dans la pyrotechnie on
désigne par ce nom une pièce d'artifice qui fait jaillir des
étincelles imitant les aigrettes. — Aigrettes se dit aussi du
faisceau de rayons lumineux, divergents entre eux , qu'on
aperçoit aux extrémités et aux angles des corps électrisés. —
Une espèce de singe porte le nom d'aigrette, à cause d'une
touffe de poils qu'il porte au milieu du front. — Plusieurs co-
quilles ont aussi ce nom. — Enfin, dans l'entomologie on dé-
signe par là des faisceaux de poils qui se trouvent sur une
.partie quelconque du corps des insectes, et qui sont tantôt
simples et tantôt en forme de plumet.
Dans le costume militaire , l'aigrette a été longtemps la
parure du casque : le sultan en porte une comme oruejnciit
à son fez, et les grands dignitaires turcs en ont oyilenwnl.
Au conmienccment de ce siècle elle fut adaptée au chapeau
à cornes, puis au scliaKodes officiers généraux et des officiers
supérieurs de notre armée. Ces derniers la portent encore ,
ainsi que les officiers supérieurs de la garde nationale. Sous
l'empire l'aigrette passa des généraux aux soldats; en 1812
les grenadiers et les voltigeurs de l'armée portèrent à leur
schako une aigrette, rouge pour les premiers, jaune pour les
seconds. Abandonnée par la Restauration, l'aigrette reparut
en 1821. Elle fut définitivement supprimée en 1832.
AIGREUR, au propre qualité de ce qui est aigre ^
et au figuré disposition d'esprit et d'humeur qui porte à of-
fenser les autres par des paroles piquantes, blessantes.
Je m'emporte peut-être, et ma muse en fureur
Verse dans ses discours trop de fiel et d'aigreur,
( BolLEAU. )
En pathologie on appelle aigreurs les rapports de gaz ou
de liquides aigres qui accompagnent les digestions laborieuses,
et qui même dans certaines afièctions ne sont pas nécessaire-
ment le résultat d'aliments préalablement ingérés. Dans tous
les cas, ce phénomène indique un état maladif de l'estomac,
que cet état soit constant ou bien seulement accidentel. Pour
combattre cette indisposition les médecins recommandent
l'emploi de substances propres , comme la magnésie, par
exemple, à s'emparer des liquides que la science considère
comme en étant la source. Voyez Absorbants.
Dans les arts plastiques, particulièrement dans la gravure
à l'eau-forte, on se sert du mot aigreurs pour désigner cer-
tains traits, certaines teintes, des touches noires et trop enfon-
cées, causées parl'inégalité des tailles où l'acide atrop mordu.
AIGU, adjectif dont le sens propre représente à l'es-
prit quelque chose de terminé en pointe ou en tranchant,
et propre à percer ou à fendre ; et qui se dit aussi au figuré
de sens clairs et perçants, ou encore d'une douleur vive et
•27
210
AIGU
piquante. Appliqué au son , il est alors l'opposé tle grave.
Plus les vibrations des corps sonores sont fréquentes, et
plus le son il<'\ient aigu. En paliiologic on appelle mala-
dies aiguë.'! ci'iles qui se déclarent avec violence et se
terminent en peu de temps. On les distingue ainsi des ma-
ladies chroniques , qui s'annoncent avec moins de rapi-
dité et avancent plus lentement à leur terme. — Four Vangle
aigu, voyez Anci.k; pour Vaccent aigu, voyez Accent.
AIGUADE, lieu où l'on va prendre et embarquer de
l'eau douce [)Our le service des vaisseaux à la mer. Le be-
soin de faire ai^niade est un motif de relàclie.
AIGUE-MARIIVE , de deux mots latins , aqua ma-
rina , signifiant eau de mer. On appelle ainsi en minéra-
lope une pierre précieuse formée d'alumine, de silice, de
glucyne , de cliaux et d'oxyde de fer, dont la couleur est
assez semblable h celle de l'eau de mer, et qui a beaucoup
de rapport avec l'émeraude. Ce qui les dilférencie , c'est
que l'émeraude est un silicate d'alumine et de j^lucyne co-
loré en vert par de l'oxyde de chrome , tandis que c'est
l'oxyde de fer qui produit la coloration en vert de l'aigue-
marine. On la trouve en diverses contrées , mais surtout en
Russie. Cette pierre , médiocrement recherchée , et qui u'est
guère employée que pour la bijouterie commune ( on en cite
cependant im échantillon (pi'on a trouvé assez beau pour
en former le globe qui surmonte la couronne des rois d'An-
gleterre), est une espèce de béryl; elle jouit de la
propriété de causer aux rayons de lumière une double ré-
fraction.
AIGUES-MORTES, petite ville du département du
Gard, arronilissement d'Uzès, chef-lieu de canton, pos-
sède 2,897 habitants. Cette ville, en forme de parallélogramme
carré, est enceinte d'une muraille crénelée et flanquée de
grosses tours. Elle doit son nom aux marais qui l'entouraient
et en rendaient le séjour malsain. On est parvenu , il y a
quelques années , aies dessécher. Les immenses salines du
Peccais , terrain aride et sablonneux , dont le produit est
incalculable , lui donnent aujourd'hui une grande impor-
tance. Aigues-Mortes possède un port sur la Grau du Roi. On
sait que c'est à Aigues-Mortes que saint Louis s'embarqua
en 1248 pour son expédition de la Palestine. Il règne encore
une grande incertitude historique sur le point de savoir si
cette ville était alors baignée par la Méditerranée , ou bien
si elle s'en trouvait, comme aujourd'hui, éloignée de près de
cinq kilomètres. En 1538, François 1^' eut à Aigues-Mortes
une entrevue avec Charles-Quint. Napoléon avait conçu le
projet de faire creuser, à Aigues-Mortes , un large bassin ,
bordé de quais, oîi viendraient affluer, smtout à l'éjjoque des
foires de Reaiicaire , tous les navires de long cours , jusque
alors privés d'abri dans ces parages.
AIGUILLE (du latin acicula, diminutif d'ocifs, pointe),
petite verge métailifpie pointue par un bout et percée par l'au-
tre pour y passer du (il, de la soie, etc., et dont on se sert
pour coudre, pour broder, pour faire de la tapisserie, etc.
Il est fort vraisemblable que les premières aiguilles à cou-
dre ont été d'abord des épines o\i des arêtes de poisson per-
cées vers le bout le plus gros ; il est constant (juc les anciens
taisaient usage d'aiguilles en meta! , travaillées assez gros-
sièrement, s'il faut en juger par celles qui se voient dans
les cabinets d'antiquités; mais chez les modernes ce petit
instrument a acquis une très-grande perfection. — L'aiguille
à coudre, qui a donné son nom à toutes les autres espèces,
se fabrique de la manière suivante : on prend du (il d'acier de
la grosseur (pie l'aiguille doit avoir, et on le coupe, au moyen
de cisailles , en bouts d'une longueur suffisante pour faire
detix aiguilles ; on aiguise les deux extrémités de ces bouts
d'acier sur une meule de grès, et l'on termine les deux poin-
tes sur une roue de noyer, ap[ielée oïdinairenientpo/i.'î.so/rr,
sur laquelle on répand de l'éineri en poudre délaye dans «le
l'huile. Après cette oi)eration, on coupe les morceaux d'acier
par le milieu, et on les palme. Palmer les aiguilles, c'.ist
AIGUILLE
les prendre par petites poignées de quatre ou cinq, plus on
moins, et les tenir par la pointe entre l'index et le pouce, de
manière qu'elles représentent les cotes d'un éventail déve-
loppé , et ai)!atir le gros bout sur un tas : c'est dans ce bout
aplati que doit être percé le trou ou c/ias de l'aiguille. Lors-
que les aiguilles sont palmées, on les fait recuire pour amol-
lir le bout, que le palmage a dû nécessairement durcir en
l'écrouissant. On a pu observer que les tètes des aiguilles à
coudre ne sont pas parfaitement plates , mais qu'elles portent
deux petites gouttières ou cannelures. Autrefois ces gout-
tières se faisaient à la lime ; aujourd'hui on les pratique au
moyen d'un petit balancier qui fait jouer deux poinçons à la
fois , lesquels agissent sur l'aiguille , que l'on a placée entre
eux de la même manière que deux de nos dents incisives ,
dont l'une supérieure et l'autre inférieure, formeraient une
empreinte sur un crayon, par exemple, que nous presserions
entre elles ; en imprimant les cannelures , on écrouit la ma-
tière: voilà pourquoi il faut recuire de nouveau l'aiguille avant
de la percer.
Le trou de l'aiguille se fait en trois fois -. l'ouvrier, muni d'un
poinçon de grosseur convenable, pose l'aiguille sur une masse
de plomb, applique le poinçon sur une des faces aplaties de
l'aiguille, et trappe un coup de marteau dessus; puis il re-
tourne l'aiguille pour en faire autant du côté opposé : le trou
est ébauché des deux côtés , mais il n'est pas encore ouvert.
Un autre ouvrier, chargé de terminer cette opération, porte les
aigmlles sur un bloc de plomb, et, à l'aide d'un autre poinçon,
il détache le petit morceau d'acier qui était resté dans l'œil de
l'aiguille, et qui le tenait bouché. Cette opération s'appelle
troquer les aiguilles. Les ouviiers qui percent les aiguilles
sont ordinairement des enfants; ils ont tant de justesse dans
le coup d'œil qu'il s'en est vu qui perçaient un cheveu d'un coup
de poinçon, et qu'ils en passaient unautredansle trou, comme
on passe un fil dans une aiguille. — Une aiguille mal percée
coupe le fil; cela provient de ce que les arêtes de son clias
sont trop vives , ou qu'elles ont des bavures tranchantes.
Pour faire disparaître cet inconvénient autant cpie possible,
on C'barbe les trous après le perçage, au moyen d'instruments
dont on peut aisément se faire une idée ; on arrondit aussi le
bout aplati, ce qui s'appelle/aire le chapeau de l'aiguille.
Après ces diverses manœuvres, l'aiguille esta peu près ter-
minée ; il reste encore à la tremper et à la polir. Pour tremper
les aiguilles, on les range sur un fer plat, étroit et un peu
recourbé par un bout ; on le tient par l'autre au moyen de
pinces, et on le pose sur un feu de charbon; lorsque les ai-
guilles ont reçu le degré de chaleur que l'on juge convenable,
on les fait tomber dans un bassin d'eau froide. L'opération
de la trempe est fort délicate et une des plus importantes; si
la trempe est trop dure , l'aiguille est cassante ; dans le cas
contraire, elle est molle et dépourvue de ressort. On rectifie
l'opération de la trempe par le recuit; pour recuire les aiguil-
les, on les étend dans une poêle de fer placée sur un réchaud,
où elles prennent un degré de chaleur que l'œil de l'ouvrier
expérimenté peut seul juger satisfaisant. Le recuit rend les
aiguilles moins cassantes, sans rien leur faire perdre de leur
élasticité. — Tout le monde sait qu'une pièce d'acier qui est un
peu longue, relativement ;i la grosseur, se courbe et se tour-
mente plus ou moins quand on lui donne une trempe un peu
forte : cela arrive à la plupart des aiguilles que l'on trempe;
aussi est-on obligé de les dresser les imes après les autres au
marteau après le recuit , après quoi il ne reste plus qu'à les
polir.
Le polissage des aiguilles se pratique de cette manière : on
en prend douze à quinze mille, que l'on arrange par petits
paquets placés les uns à coté des autres sur un morceau de
treillis neuf, couvert de poudre d'émeri;cela l'ait, on répand
sur les aiguilles une autre couche d'émeri , que l'on arrose
d'huile ; on roule le treillis, dont on forme une espèce de sac
en le fiant par les deux bouts ; on le serre également dans
toute sa longueur avec des cordes ; on porte ensuite ce rou-
AIGUILLE — AIGUILLETTE
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kau ou ce boudin sur la table à polir. La machine Ji polir se
compose d'une table ordinaire, de figure rectant^ulairc, un peu
forte, et d'un plateau aussi rectangulaire, nuiui de manches
ou poignées vers ses deux bouts; les rouleaux contenant les
aiguilles sont placés entre la table et le plateau ; ce dernier
est chargé d'un poids; un ou deux ouvriers font aller et venir
le plateau ainsi chargé pendant mi jour et demi ou deux jours ;
les paquets roulant continuellement sur eux-mêmes, le poids
qui pèse dessus oblige les aiguilles à se frotter les unes contre
les autres, et à se polir réciproquement par relfet de l'émeri
interposé entre elles. Dans les grandes fabriques les machi-
nes à pol'u: sont mises eu mouvement par la vapeur, des chu-
tes d'eau , etc.
Lorsque les aiguilles sont polies, on les tire de la bourse,
et on les jette dans une lessive d'eau chaude et de savon,
jiour les débarrasser du cambouis formé par l'huile, l'é-
meri et les particules d'acier que le polissage a détachées.
Pour achever de nettoyer les aiguilles, après les avoir lessi-
vées , on les enferme avec du son dans une boîte carrée,
portée horizontalement sur un arbre, que l'on fait tourner
au moyen de la manivelle dont il est muni. Cette opération
s'appelle ffiHner les aiguilles. On renouvelle le son plusieurs
fois, on tire les aiguilles du van , et l'on procède au triage ;
car bon nombre d'entre elles ont dû perdre leur pointe ou leur
chas, soit dans l'opération violente du polissage, soit dans
le van ; on met donc à part toutes celles qui n'ont perdu que
la pointe. Un ouvrier en prend plusieurs entre le pouce et
l'index , dont il refait la pointe en les faisant rouler sur une pe-
tite meule à polir, qu'U entretient en mouvement au moyen
d'un rouet qu'il fait tourner de l'autre main. Voilà la dernière
opération de la fabrication des aiguilles ; elle a reçu le nom
à\iffinage. Lorsque les aiguilles sont affinées, on les essuie
avec des linges gras et huilés, et on les distribue par pa-
quets sur des papiers.
Dans la plupart des manœuvres qui viennent d'être dé-
crites, il est nécessaire que les aiguilles soient toutes rangées
dans le même sens ; les ouvriers habitués à ces maniements
ont acquis une telle dextérité, que, prenant une poignée
d'aiguilles dans chaque main, ils leur impriment, en les ba-
lançant, un mouvement tel que toutes leurs pointes se tour-
nent du même côté. Teyssèdre.
On ne flxe pas pour l'invention des aiguilles telles que
nous les connaissons, une date plus reculée que 1545. L'his-
toire n'a pas même gardé le nom de l'inventeur, qu'on dit
être un Indien, qui aurait importé son procédé en Angleterre.
On essaya aussi d'en fabriquer en France, mais avec moins
de succès, et avant la révolution il y avait à Paris une com-
munauté à^aiguillcrs. Les aiguilles de Paris avaient quelque
renommée , et le nom d^aiguilles de Paris est resté à une
espèce d'aiguilles choisies et de bonne qualité. Les aiguilles
de premier choix sont marquées d'un Y. La France compte
encore plusieurs fabriques d'aiguilles à Paris, à Lyon, à Be-
sançon, à Metz, à L'Aigle, à Rugles, etc. En Prusse, on en
fabrique à Berlin, à Aix-la-Chapelle, à Stolberg, à Bor-
cette, etc. On en fabrique aussi à Liège, à Vienne en Autri-
che, à Nuremberg, etc. ; mais les aiguilles d'Allemagne sont
moins recherchées que les aiguilles d'Angleterre, parce que
celles-ci sont en général d'un acier i)lus dur et moins flexi-
ble, ce qui permet de leur donner plus de longueur relative-
ment à leur grosseur, et parce que leur poli est plus parfait.
Le nom d'aiguille se donne encore à différentes petites
verges de fer ou d'autre métal qui servent à dilférents usages.
C'est ainsi que \^% aiguilles à ^/ico^er sont tout bonnement
des tiges métalliques sans pointe ni chas. Les aiguilles du
métier à bas sont de petits crochets enchâssés dans du
plomb ; les aiguilles à broder sont analogues aux aiguilles
à coudre ; les brocheuses emploient des aiguilles un peu
courbées. Les grosses aiguilles d'emballage, les carrelets des
cardeurs de matelas, des tapissiers, sont de grandes aigiulles
grossières. On nomme aussi aiguilles à insectes des pointes
de mêlai dont on se sert pour garder des insectes dans les
collections.
Dans la chirurgie on a donné le nom d'aiguilles à des
instruments qui se rapprochent plus ou moins de l'aiguille
à coudre. Pour pratiquer les sutures de plaies qu'on veut
réunir, on se sert d'aiguilles droites ou courbes , rondes ou
plates. Les aiguilles employées dans l'acupuncture sont
tout simplement de petites tiges d'acier pointues par un bout.
Vaiguille à selon est plate et de forme lancéolée vers la
pointe : on en fait peu usage. L'aiguille à cataracte est une
petite lance à pointe droite ou un peu courbe sur le plat, et
ajustée à un manche léger sur lequel un petit point de cou-
leur indique la face qui correspond au plat de l'aiguille.
Vaiguille de Deschamps est un instrument inventé par
un chirurgien de ce nom pour passer les ligatures sous les
vaisseaux profonds. Toutes ces aiguilles peuvent être en ar-
gent, en or, ou en acier; celles qui sont destinées à demeurer
longtemps dans les tissus doivent être en métal non oxyda-
ble. Leur force, leur épaisseur, leur courbure varient selon
l'usage auquel elles sont destinées. Il y en a d'un décimètre
de longueur; d'autres à peine de quelques millimètres,
comme celles de Dilfenbach pour la suture du voile du
palais.
On appelle aussi aiguilles les lames métalliques mobiles
qui indiquent les heures sur les cadrans. Un petit barreau
d'acier aimanté forme l'aiguille de la boussole.
Dans l'architecture on qualifie d^aiguilles des espèces de
pyramides en pierres ou en charpente , comme les clochers
des églises, lorsqu'elles sont extrêmement pointues. Les
obélisques prennent aussi ce nom. — Dans l'hydrau-
hque les aiguilles sont des espèces de vannes avec lesquelles
on ferme les pertuis. — Dans les chemins de fer on nomme
aiguille un instrument qui rapproche ou éloigne des parties
de rails de manière à faire changer de voie. *
AIGUILLE AIMANTÉE. Voyez Aimant.
AIGUILLES (Cap des), dans la colonie anglaise du cap
de Bonne-Espérance ; c'est le point le plus méridional du
continent africain. 11 est situé sur l'océan Antarctique, à 1.30
kilomètres sud-est du cap de Bonne-Espérance, par 34° 51'
de latitude sud , et 17° 36' de longitude est.
AIGUILLETTE , tresse ou lacet formé d'un tissu d'or,
d'argent, de soie ou de laine, dont les bouts sont en pointe de
métal. Dans le moyen âge, et depuis l'usage des armures
complètes, on donna le nom d'aiguillette aux cordons qui
en liaient les différentes parties.
Lorsque chacun avait le costume prescrit par les règle-
ments pour la classe à laquelle il appartenait, et quand sou-
vent même on portait les insignes de sa profession, les gardes
préposés à la police avaient sur l'épaule un trousseau de pe-
tites cordes destinées à attacher les malfaiteurs qu'ils arrê-
taient. Dans la suite, on en fit une espèce d'ornement pour
la maréchaussée, dont la gendarmerie de nos jours est l'héri-
tière directe. Ces petites cordes ou aigtiillettes, tantôt ron-
des, tantôt plates , servirent ensuite à distinguer les différentes
armes et les différents grades. On les plaçait indifféremment
sur l'une ou l'autre des deux épaules; on les fixait à un bou-
ton attaché près le collet de l'habit, et elles s'y adaptaient au
moyen d'une ganse posée à l'extrémité de l'épaule. — Quel-
ques régiments de dragons, les chevau-légers, les gardes de
la marine, les cadets-gentils-liommes et la maréchaussée por-
taient des aiguillettes. Elles furent réservées plus tard aux
armes spéciales et à quelques troupes d'éhte, telles que la
garde impériale et la garde royale. — Les officiers du
corps d'état-raajor et de la garde impériale, quelques corps
de cette garde, la garde de Paris et la gendarmerie en sont
décorés. — Elle est la marque distinclive du grade pour les
aspirants de marine. — Les pages des souverains en
France portèrent Vaiguillette tout le temps de leur existence.
— Les domestiques des grandes maisons la portent encore.
— Le.xpression familière nouer Vaiguillelle, qu'on icu-
27.
212
AfGUILLETTE — ÀIGUISERIE
contre n<;sez soiivent dans nos conlonrs du £eizit''n»e çièclc ,
pour désigner rinipossibilité momcnfanée où se trouvait un
jeiino marié de satisfaire au devoir conjugal , provenait de ce
(jue ilu temps des braques et des braguette-, cette dernière
Ijarlie du vttenient se fermait au moyen (Vaiguillel/es. Le
plus souvent cette impossibilité physique était attribuée à un
maléfice, et alors on exprimait décemment iidée attachée à
cet état d'impuissance du marié en disant que son aiguil-
lelle était nouée.
— On donne aussi Je nom à'aigîtiUette à une tranche de
chair effilée prise le long du dos d'un oiseau de rivière servi
sur table.
AIGUILLOX. En ternies de botanique, l'aiguillon est un
piquant qui prend naissance dans l'écorce, et n'a aucune
liaison avec le bois, ce qui le distingue de l'épine. L'ai-
guillon se détache facilement de la plante, comme on peut le
voir dans le rosier.
— Ln zoologie on appelle aiguillon une arme commune à
quelques insecles et qui est placée à l'extrémité de l'abdo-
men. 11 y en a de deux sortes, celui qui est caché et qui
sort à volonté de l'animal, comme dans les abeilles, les guè-
jies, etc., et celui qui reste toujours apparent, et ne peut ja-
mais rentrer en entier dans l'abdomen, comme dans les mou-
ches à scie, etc. ; cette dernière espèce porte particulièrement
le nom de tarière. Le plas ordinairement, les femelles et les
neutres seulement sont pouiTus d'un aiguillon , et les mâles
en sont privés. Cette arme, dit M. Ilippolyte Cloquet,est en
général composée de plusieurs parties cartilagineuses enve-
loppées par des muscles , et au-dessus desquelles s'élève un
étui de même nature, où glissent deux lames, entre lesquel-
les existe une gouttière. C'e^t dans cette rainure que coule
une liqueur venimeuse, préparée par des canaux tortueux ,
qui viennent se rendre à une petite vésicule, dont le conduit
aboutit à la base de l'aiguillon , liqueur qui produit tous les
accidents des piqûres des hyménoptères. Un grand nom-
bre de remèdes ont été indiqués pour apaiser la douleur pro-
duite par les piqilres d'abeilles ou de tout autre insecte porte-
aiguillon. On a préconisé tour à tour l'ammoniaque, rhuile
d'olive, l'eau-de-vie, la salive; mais aucun de ces remèdes
n'est bien certain. Le moyen qui réussit le mieux, c'est de
sucer l'endroit piqué pendant un quart d'heure environ.
Lorsque l'aiguillon est resté dans la plaie, il faut en couper la
base le plus près possible de la peau , oj l'arracher avec des
pinces, en évitant de presser la base, où se trouve la vésicule
qui renferme le venin.
AIGUILLON ( Famille n'). Aiguillon est une petite
ville du département de Lot-et-Garonne , près d'Agen ,
d'origine ancienne, que Henri TV érigea en duché-pairie
en faveur du duc de Mayenne. Louis XIII donna ensuite
ce duché au seigneur de Puylaurcns, et en lG:i8 à Made-
leine de Vignerod, fille de René de 'V'iguerod et de Fran-
çoise Dupies-sis, sœur du cardinal de Richelieu, dame d'hon-
neur de la reine, qui jouissait d'une grande faveur à la cour.
Ln 10:^0 elle épousa Antoine du Roure de Combalet, qui la
laissa veuve quelque temps après , et elle mounit en 1G75.
— Son petit-neveu, Armand-Lovis de Vignerod, duc d'Ai-
ciii.i.oN, né en icsn, connu d'abord sous le nom de mar-
quis de Richelieu, mounit en 1750. Il a laissé quelques
compositions obscènes , faites en société avec l'abbé Gré-
court, le père Vinot et la princesse de Conti.
Armand Vignerod Duplcssis de Richelieu, duc d'Ai-
ciiLLON, ministre des affaires étrangères sous Louis XV,
était le fds du précédent. ISé en 1720, il obtint dès qu'il
parut à la cour les bonnes grâces de la duchesse de CIk\-
tcauroux; et, dans la crainte de trouver en lui un rival au-
près de sa favorite, le roi l'envoya à Tannée d'Italie. Xoumié
gouverneur d'Alsace, puis de Rictagne en 1756, il souleva
le parlement de cette province par ses actes arbitraires. Les
Anglais ayant fait une descente sur les côtes de Bretagne,
en 1758, furent repousses avec perte; mais d'Aiguillon s'é-
tait tenu, à ce qu'il paraît, durant l'action dans un moulin,
ce qui fit dire à ses ennemis que « s'il ne s'était pas cou-
vert de gloire, il s'était du moins couvert de farine ». Le
parlement de Bretagne, guidé par La Chalotais, son pro-
cureur général, accusa le gouverneur d'exactions et de
crimes énormes. Une enquête fut commencée contre le duc;
mais d'Aiguillon retourna l'accusation contre ses adversaires,
et La Chalotais, accusé par lui, auprès de la cour, d'un
complot tendant à renverser les lois de la monarchie, fut
arrêté et conduit avec son fils et trois conseillers dans la ci-
tadelle de Saint-.'^îalo. Les accusés furent soustraits à leur
juges naturels et renvoyés devant une commission. Le par-
lement de Paris prit la défense de La Chalotais, et, grâce au
duc de Choiseul, le procès fut arrêté; mais un édit con-
damna les accusés à l'exil. C'était un triomphe pour d'Ai-
guillon, qui tenta dès lors de détruire ou du moins d'an-
nuler le parlement de sa province, à qui il voulait enlever le
droit de fixer et de lever l'impôt. Des plaintes nouvelles s'é-
levèrent ; le duc fut rappelé, et son procès repris. Mais le chan-
celier Maupeou évoqua l'affaire à la cour des pairs ; et en
1770 le roi vint dans un lit de justice justifier lui-même son
lieutenant. Peu après, le duc de Choiseul fut disgracié, et le
duc d'Aiguillon, que l'on regardait comme un des plus fer-
mes soutiens de l'autorité royale, fut nommé en 1:71 mi-
nistre des affaires étrangères. Il forma donc avec Mau-
peou et l'abbé Ter ray ce trop fameux ministère qui
détruisit les anciens parlements, réduisit les rentes, et laissa
consommer le partage de la Pologne par les cours du Xord.
D'Aiguillon se vantait aussi d'avoir préparé la révolution
qui s'opéra en Suède en 1772. A l'avènement de Louis XVI
le due d'Aiguillon fut remplacé au ministère par le comte
de Vergennes. Il retourna dans son ancien gouvernement
de Bretagne, où il mourut en 1780.
Son fils, Armand Vignerod, duc d'Aiccillon, suivit une
conduite opposée. Pair de France, colonel du régiment de
Royal-Pologne, commandant des chevau-légers du roi,
député de la noblesse d'Agen aux états généraux en 1789,
il se montra zélé partisan des idées nouvelles. Il fut au
nombre des membres de la minorité de la noblesse qui se
réunirent au tiers état le 25 juin, et le 4 août il fut le second
de son ordre à renoncer à ses privilèges féodaux. La guerre
ayant été déclarée à l'Autriche, le duc d'Aiguillon prit le
commandement des troupes qui occupaient les gorges de
Porentruy ; mais ayant accusé l'Assemblée d'usurpation de
pouvoir dans une lettre qu'il écrivait à Bamave après le 10
août, et qui fut interceptée, il fut décrété d'accusation, et il
n'eut que le temps de passer la frontière. Il se retira à
Londres, et mourut à Hambourg en isoo.
AIGUISERIE, usine dans laquelle on donne la pointe
ou le poli aux armes blanches et aux autres instruments tran-
chants, à l'aide de meules de grès ou de bois de tout dia-
mètre, et mues par différents moteurs, suivant les localités.
Les meules à dégrossir, ordinairement en grès, ont de
2 à 3 décimètres d'épaisseur, sur 14 à 24 décimètres de dia-
mètre (de 7 à 11 pouces, sur 4 à 7 pieds), et font par minute
de 250 à 500 tours de rotation sur elles-mêmes. On ne les
mouille point. Les ^o/(55oJr5 ou meules à polir sont en
bois, et la grandeur en varie de 1 à 9 décimètres de dia-
nîètre. On les enduit d'émeri délayé dans l'huile de navette
ou bien du charbon léger dont on frotte la circonférence. —
Le tiavail des aiguiseries est en général fatal à la santé des
ouvriers, à cause de la poussière métallique et pierreuse que
produisent le mouvement rapide et le choc des pierres à
aiguiser. Ainsi , les aiguiseurs d'aiguilles meurent le plus
souvent fort jeunes , et ceux qui font la pointe des épingles
éprouvent en outre la pernicieuse inlluence de l'oxyde de
cuivre, qui finit bientôt par faiie prendre à leur chevelure
une teinte verdâtre, et qui rend leur tempérament rachiti-
que. Un Anglais , Prlor, a cependant imaginé dans ces der-
niers temps un mécanisme ingénieux propre à prévenir ces
AIGUISERIE - AILE
313
fîlchciix résultats : c'est un ventilateur garni de soufllets
entrninaiit la poussière dans une direction oppost'e à la res-
piration de Taiguiseur, qui doit avoir en outre la tigure
couiploteuient isolée de la meule j'ar une espère d'écran en
verre, ne nuisant d'ailleurs en rien h la Mie non plus qu'à
raction des mains. Ces travailleurs sont en outre exposés à
<!tre plus ou moins grièvement blessés par des éclats que la
rapidité extrême du mouvement de rotation détache trop
souvent des meules, et quelquefois même par leur explo-
sion et leur rupture avec violence.
AIKIN (Jon.v), littérateur anglais, né en 1747, à Kel-
v.oth, exerçait vers 1700 la médecine à Yarniouth, où il se
fit remarquer par l'exaltation d'idées avec laquelle il em-
luassa la défense des principes de la révolution française.
La violence de quelques écrits qu'il publia pour exposer ses
doctrines politiques lui ayant fait de nombreux ennemis dans
cette petite ville, il se décida, en 1792, à venir s'établir à
Londres, où il ne tarda pas à renoncer h la pratique de son
art pour ne plus se livrer qu'à l'élude des lettres. 11 est mort
en 1S5'2. — Aikin est auteur d'une Biographie universelle
en 10 volumes in-4'', publiée de 1799 à 1815; d'une Géo-
graphie de l'Angleterre, fort estimée; d'une Histoire du
règne de George III, et de diverses œuvres de littérature
et de morale , qui toutes ont eu les honneurs de nombreu-
ses éditions et ont été traduites en diverses langues étrangè-
res. — On doit à sa fille, miss Lucy Aiein , de curieu\ mé-
moires sur la cour de la reine Elisabeth. Cette dame a aussi
publié une intéressante biographie de son père , où elle nous
le montre lié de l'amitié la plus intime avec , entre autres
hommes célèbres, Priestley, Roscoe et le vertueux Ho-
ward , dont il a écrit la vie.
AIL (Alliiun), au pluriel aulx. Genre de plantes de la
famille des asphodélées, dont l'ail commun est l'espèce
I)rincipale, et qui renferme plus de cent soixante espèces
différentes , répandues dans presque toutes les contrées du
globe , mais plus particulièrement dans les régions tempé-
rées , où on les trouve dans les champs , les bois , les vi-
gnes. On cultive plusieurs espèces comme plantes potagères
et quelques-unes comme plantes d'ornement. Les plus com-
munes sont Yail commun , la rocambole, le poireau, etc.,
qui ont les feuilles planes ; ro((7?20H commun, Véchalotte ,
la ciboule, la civette, etc., qui ont les feuilles cylindri-
ques et creuses. Nous ne nous occuperons ici que de Yail
commun et des espèces qui portent vulgairement le même
nom. Les autres auront des articles particuliers.
Le bulbe de l'a îZ est arrondi. Il contient depuis six jusqu'à
dix petits bulbes oblongs , connus sous le nom de gousses
ou caïeux, qui «dhèrent légèrement au petit disque d'où
sortent les racines , et sont recouverts par des membranes
minces, blanches et sèches, qui sont les bases de la tige
feuillue de la plante. Ces gousses sont renfermées dans plu-
sieurs enveloppes générales très-minces , de couleur blan-
che ou violacée. Leur réunion est ce qu'on appelle une tête
d'ail. Entre les pédicules des fleurs il se forme quelquefois
de petits bulbes ou soboles, semblables aux caïeux de la
racine, mais plus petits et plus secs, à raison de leur éloi-
gnement de la terre.
Les gousses ont une saveur acre et une odeur piquante,
qui de tout temps ont donné lieu à de grandes différences
d'opinions. Les anciens Égyptiens faisaient de l'ail un dieu ;
il était en liorreur aux Grecs. Chez les Romains il faisait
partie de la nourriture ordinaire des soldats : Horace a lancé
contre lui des imprécations. Chez nous il excite, dans le
Kord, une répugnance presque générale, et n'y est guère
en usage que comme condiment, pour relever la fadeur de
certains aliments ; pour la généralité des habitants du Midi,
au contraire , c'est un mets délicieux. Disons ici, en passant,
aux personnes qui aimant le goût de l'ail se privent d'en
manger à cause de l'odeur désagréable qu'il commimique à
l'haleine, qu'il suflit pour faire disparaître cette odeur de
manger de la betterave rouge cuite sous la cendre, ou des
fèves cnies, ou du persil.
L'ail est, du reste, un sliundant très-actif; sous ce rap-
port il jouissait déjà chez les anciens d'une grande réputa-
tion. On prétend que les soldats romains en mangeaient
jiour s'exciter au combat. Virgile parlf, dans ses Églogues,
d'un mélange formé de serpolet et d'ail qu'on servait aux
moissonneurs accablés par la chaleur du jour ; encore aujour-
d'hui on le donne aux coqs et aux chevaux, dans le but
d'augmenter leur ardeur pour les combatsou pour la course.
Lu médecine les usages de l'ail sont très-variés. Il peut être
utile à certains estomacs et nuisible à d'autres. Les estomacs
vigoureux peuvent le supporter en certaine quantité; chez
les personnes dont l'estomac est faible il trouble la diges-
tion et occasionne des renvois fétides. Appliqué sur la peau,
il agit à la façon des vésicatoires, et détermine d'abord la
rubéfaction, puis la vésication; cette action est accompa-
gnée d'un mouvement fébrile. Il est regardé depuis la plus
liante antiquité comme anti-pestilentiel; ceux qui craignent
de contracter des maladies par contagion portent sur eux
quelques gousses d'ail. L'ail a des propriétés vermifuges
réelles , surtout contre les vers dits ascarides, lombricoides,
ou vers ronds. On le donne à manger aux enfants affectés
de ces vers, soit cru, soit mêlé à du beurre, ou infusé dans
du lait chaud , à la dose de deux ou trois gousses ; mais il
peut occasionner des accidents. L'ail doit les propriétés
dont nous venons de parler à une huile volatile très-âcre
renfermée dans ses bulbes, qu'on extrait par l'esprit de
vin et le vinaigre très-concentré. La chaleur la fait évaporer.
L'ail, originaire des contrées méridionales de l'Europe,
se propage par ses graines ou ses caieux. Ceux-ci font leur
plante dans l'année même, tandis que la grame ne donne
la récolte qu'à la seconde ou à la troisième année. — La
plus grande culture de l'ail a lieu dans le midi de la
France, où des champs entiers d'une grande étendue sont
annuellement couverts de cette plante. Elle donne lieu à un
commerce considérable.
Vail dorf, qui croît naturellement dans les montagnes
des parties méridionales de l'Europe , est cultivé dans les
jardins pour la brillante couleur jaune de ses fleurs, qui se
développent au milieu de l'été. — Vail à trois coques, qui
vient de l'Amérique septentrionale; Vail velu, qui habite
le midi de la France; Vail musqué, indigène aussi dans nos
contrées méridionales, et dont les fleurs ont une odeur de
musc très-agréable , sont également cultivés comme plantes
d'agrément. — Vail des vignes a la tige cylindrique, les
fleurs rougeàtres , et porte presque toujours des soboles. Il
est propre à l'Europe . et croît dans les vignes , dans les
champs et dans les haies. Son abondance devient souvent
un fléau pour les cultivateurs, qui parviennent difficilement à
l'extirper de leurs terres. Les soboles , qui ont la grosseur
d'un grain de froment , restent dans le blé , et communiquent
leur odeur à la farine qui en provient. Les vaches qui en
mangent donnent un lait désagréable. — Mentionnons aussi
Vail noir, Vail à feuilles de plantain, qui croissent natu-
rellement dans nos départements méridionaux , et dont les
bulbes ont une saveur plus douce que celle de l'ail commun.
AIL \NTE. Vn?/pz Aviantr.
AILE. Ce mot désigne dans les oiseaux, et dans quelques
autres animaux , les parties qu'ils mettent en mouvement
pour se diriger dans l'air. Les ailes des oiseaux sont formées
déplumes fortes et superposées de manière à frapper l'air
avec vigueur. L'aile des oiseaux est composée d'un appareil
solide autour duquel viennent se réunir les tendons , les
muscles et les téguments destinés à fixer et à rassembler
les plumes qui la recouvrent. L'aile est une soile de bias,
avec un avant-bras et une espèce de main. On y trouve
l'humérus, qui est attaché à une omoplate, ainsi que la cla-
vicule, un radius et un cubitus, enfin un véritable caipe,
et le métacarpe ; ces derniers os diffèrent sm tout des os ana^
214
AILE — AILLY
logucs chez les mammifères ; souvent môme il est difficile de
les reconnaître. Les plumes qui garnissent les ailes varient
suivant les oiseaux et selon leur position sur l'aile. On ap-
pelle rémiges ou pennes celles qui composent l'aile projjre-
inent dite ; les dix extérieures, dont quatre garnissent la lon-
gueur des doigts, sont les rnn'xjes primaires; les secondai-
res, en plus grand nombre ordinairement, ont leur attache
le long de l'avanf-bras ; on aperçoit en outre trois ou cinq
plumes beaucoup plus petites et plus étroites que les rémi-
ges, qui sont insérées au poignet le long du pouce; elles for-
ment Vnileron ou \c fouet de l'aile. Les plumes molles qui
recouvrent les rémiges sont appelées tectrices.
Les ailes des cliauves-souris .sont des membranes de peau
soutenues et fixées par des os ; les ailes de quelques insectes
sont un réseau trés-délié et transparent; les scarabées, lors-
«lu'ils sont dans l'inaction, ont leurs ailes repliées et couver-
tes par des ailes coru»'i> qui leur servent d'étui ; les ailes des
papillons sont aussi un réseau fort délié, recouvert de plu-
mes variées de couleurs et si menues qu'on les prend pour
«le la poussière; la simple pression des doigts suffit poiw les
enlev<T. La forme des ailes chez les insectes sert à classer
ces animaux.
On dit qu'un oiseau étend ses ailes, déploie ses ailes,
vole à tire d'ailes, bat des ailes ; un oiseau bl&ssé ne bat
qne d'une aile; une poide rassemble ses poussins sous ses
ailes. La fauconnerie étant une chasse féodale, il est natu-
rel de trouver des ailes parmi les pièces du blason; mais
les termes dont on se sert dans ce cas sont ceux de vol
ou demi-vol, suivant qu'il se trouve deux ailes ou une
seule aile.
La Bible |>arle des ailes des anges, de celles des chéni-
bins. La mythologie donne des ailes à l'Amour, à la Victoire,
à la Renonnnée, au Temps, aux Heures, au cheval Pégase;
Mercure en a (luelquetois aux talons; quelquefois aussi on
en donne à la .Mort , mais ce sont des ailes de chauve-sou-
ris; les poètes parlent des ailes du Vent, de celles de Zé-
pliire. On a aussi donné des ailes aux harpies, aux dragons,
au( chimères.
Dans certaines plantes alternes et dans quelques arbres,
on a donné le nom d'ailes aux brandies principales qui ac-
compagnent la tige. On dit aussi les ailes d'un artichaut,
pour désigner les pommes qui viennent sur les côtés et ne
sont jamais aussi grosses que celle du milieu; on donne le
nom d'ailerons aux pommes qui quelquefois accompagnent
les ailes et sont encore plus petites. On donne aussi le nom
à'ailes aux deux pétales latéraux des (leurs de la classe des
légumineuses et aux feuillets mendjraneux qui accompagnent
la tige de quelques plantes. L'érable , le sycomore , le frêne
et d'autres arbres ont des graines ailées, c'est-à-dire que leur
semence est accompagnée de deux parties légères qui don-
nent au vent la facilité de les porter au loin. — Les parties
cliarniics qui forment les narines sont quelquefois nouuuées
ailes du nez. On dit aussi Vaile de l'oreille , c'est le pavil-
lon; et l'aile d'une coquille, c'est alors la partie prolongée
d'ur.e des lèvres.
On donne le nom d'r/i /m aux parties latérales d'im bat iment,
.soit qu'elles s'étendent sur la même ligne que la façade, soit
qu'elles se trouvent en retour d'équerre : ce bâtiment est
iuq)arlait, il n'a qu'une aile; les ailes du palais de Versail-
les ont beaucoiqi trop d'étendue relativement au corps prin-
cipal. — On donne aussi le nom d'ailes aux deux bras de la
croisée d'ime église : le portail de Vaile gauche est plus
moderne et d'une architecture bien diiférente de celui de
Vaile droite. — Dans un théAtre, on donne le nom d'niles
aux deux côtés hors de la scène où se meuvent les châssis
des décorations et oii se tiennent les acteurs et les figurants
avant d'entier en .scène. — Les ailes d'un pont sont les éva-
sures qu'on praliciue sur les culées pour lendre les issues
plus commodes.
Les ailes d'un moulin à vent sont les châssis garnis de
toile qui donnent prise au vent pour faire tourner l'axe par
le moyen duquel les meules sont mises en mouvement. Or-
dinairement les ailes sont au nombre de quatre , mais quel-
ijuefois il n'y en a que deux ; dans tous les cas , les ailes ont
une légère inclinaison, et ne sont pas placées directement
au bout l'une de l'autre, mais un peu de côté, ce qu'on
nomme placé en ailes de moulin.
Le mot aile est encore employé dans plusieurs arts et
métiers : ainsi le charpentier nomme ailes ou joues les deux
côtés d'une lucarne ; le maçon nomme ailes les deux parties
plates ou inclinées d'une grande cheminée qui en rétrécis-
sent l'àtre ; leserrurier donne ce même nom d'ailes aux deux
parties mobiles des charnières, des couplets ou des fiches;
le vitrier de son côté le donne aux deux parties minces de la
lame de plomb qu'il emploie pour former les panneaux dans
les grandes verrières.
Les deux extrémités d'une armée rangée en bataille sont
désignées sous les noms d'aile droite et d'aile gauche. C'est
aux ailes que se place la cavalerie quand elle n'est pas en
réserve.
Le mot aile s'emploie souvent dans le style figuré; ainsi
on dit : Cette jeune personne n'a pas quitté Vaile de sa
mère; cet homme ne but phts que d'une aile; il en a
dans l'aile, ce qui veut dire aussi qu'il a passé cinquante
ans , nombre que l'on marque avec une L ; on lui a tiré une
plume de l'aile; on lui a 7-ogné les ailes ; il a voulu vo-
ler avant d'avoir des ailes; voler à tire d'ailes; la peur
lui a donné des ailes.
AILEROIV, partie extrême de l'aile des oiseaux. —
Dans l'entomologie on appelle aileron ou cueilleron une
petite écaille membraneuse convexe , placée au-dessous du
point où naissent les ailes des diptères. — Dans la marine on
nomme aileron une planche que l'on cloue provisoirement
sur les deux côtés du safran du gouvernail , plus bas que le
niveau de l'eau , et avec un peu d'inclinaison. — En ar-
cliitecture les ailerons sont de petites consoles renversées.
Dans l'architecture hydraulique les ailerons sont des plan-
ches qui reçoivent le choc de l'eau dans la roue des mou-
lins et servent à la faire tourner. On donne aussi ce nom
aux rebords minces des petites lames en plomb qui reçoi-
vent dans leurs rainures des vitres de différentes grandeurs,
comme celles des églises gothiques. *
AILIIAUD (J.), charlatan habile, qui vivait au siècle
dernier et qui mourut en l'année 1756. 11 se fit une grande
fortune par la vente d'un spécifique propre à guérir toutes
les maladies, connu sous le nom <Ie poudre Ailhaud , la-
quelle était composée de scammonée, de résine et de suie.
AILLY ( Pierre d' ), l'un des hommes les plus remar-
quables qu'ait produits l'Université de Paris, surnommé le
Marteau des hérétiques, V Aigle des docteurs de France,
naquit à Compiègne, en I.jSO, dans une condition obscure,
et si pauvre, dit-on , qu'étant venu à Paris pour faire ses
études au collège de Navarre , il fut obligé de servir le por-
tier de ce collège. Lorsqu'il eut terminé son cours de théo-
logie et obtenu le doctorat , il devint , en I3S1 , grand-maître
du collège de Navarre, où il avait fait ses études. Déjà,
en 1372, il avait été procureur de la nation de France. En
1383 il était aumônier du roi Charles VI, qui l'envoya à
Avignon négocier des atTaires importantes auprès du pape
Clément VII. Il avait de la fermeté et les qualités nécessaires
pour mener une affaire à bonne fin. En 1385 Jean de Tré-
lon, qui avait été recteur dix-neuf ans auparavant, ayant
tenu sur lui des propos désobligeants, Pierre d'Ailly en obtint
réparation en pleine assemblée de la faculté des arts à Saint-
Julien le Pauvre, et, dans la querelle de l'Université contre
le chancelier DlanKaert , il soutint avec vigueur les droits
et la liberté de la compagnie. En 13SS il fut chef de la dé-
pntation que l'Univeisité envoya au pape Clément VU ,
pour défendre , contre Jean de Montson , le dogme de l'im-
maculée conception de la Vierge. L'année suivante il suc-
AILLY — AI MAINT
215
céda dans la place de chancelier de l'Université à Jean de
Guignecoiirt. Dans la même année où il fut nommé chan-
celier il lit encore un voyage à Avii;non , pour solliciter, au
nom du roi , de l'Université et du clergé de Paris, la béatili-
calion du cardinal Pierre de Luxembourg, parent du roi,
élève de l'Université et chanoine de l'église de Paris; mais
il ne réussit pas. C'est lui qui fournit , avec Gilles des
Champs , les matériaux du fameux mémoire que l'Univer-
sité présenta, en 1394, sur les moyens de finir le schisme,
et que rédigea Clémengis.
Cliarles VI l'envoya auprès de Pierre de Lune pour en-
gager cet antipape à céder volontairement à Boniface IX la
tiare qu'il lui disputait. .Mais le rusé pontife sut attirer d'.Ailly
dans ses intérêts, si bien que celui-ci lit reconnaître Be-
noît XIII connue pape légitime par le conseil du roi. Succes-
sivement pronm aux évèchés du Puy et de Cambrai, d'Ailly
n'accepta que ce dernier en 1398 , et en même temps il se
démit des fonctions de chancelier, qui passèrent dans les mains
de son disciple Gerson. Lorsqu'on sévit à Paris contre
certains messagers ou partisans de Benoît, l'Université vou-
lut impliquer dans cette affaire l'évèque de Cambrai, Pierre
d'Ailly ; elle avait même obtenu du roi un ordre de Tarrôter
et de l'amener à Paris. Mais Pierre d'Ailly obtint du roi un
sauf-conduit et des lettres pour n'être jugé que par le roi
en son conseil.
En 1409 d'.\illy assista au concile de Pise, où, pour met-
tre fin au schisme, il lit déclarer la destitution des trois
ccntendants qui se disputaient le siège pontifical. Il fut
créé cardinal par le pape Jean XXUI, qui le nomma ensuite
son légat en Allemagne. C'est comme légat que d'Ailly
figura au fameux concile de Constance. Il y soutint avec
•vigueur la supériorité des conciles sur les papes et la néces-
sité de réformer l'Eglise. D'autre part, il fit partie de la
commission chargée de l'extirpation des hérésies , et il eut
une grande part au supplice du réformateur bohème Jean
Huss. Nous n'avons pas à retracer ici l'histoire du concile
de Constance ; un article spécial lui sera consacré.
Dès 1411 d'Ailly s'était démis de l'évêché de Cambrai,
et le pape Martin V le nomma son légat à Avignon , où il
resta jusqu'à sa mort, arrivée de 1419 à 1425; car on est
incertain sur l'époque précise.
D'Ailly fut l'un des plus habiles théologiens de son temps.
Il était aussi habile astronome , assez du moins pour re-
marquer et prouver les défauts du calendrier Julien , et pour
en assigner le remède. Il proposa d'omettre un jour bis-
sextile à chaque révolution de 130 ans : ce qui revient au
môme pour le fond que la réforme grégorienne, qTie nous
suivons aujourd'hui. Malheureusement , d'Ailly donna aussi
dans quelques erreurs de l'astrologie. Du reste , son style est
meilleur que celui des autres théologiens de son temps , et
ses écrits, tous sérieux par leur objet, « sont (dit un his-
torien ) de temps en temps semés de quelques fleurs qu'il
prend soin de cueillir dans les bons modèles de l'antiquité. »
Il fut constamment attaché à la secte des nominaux, et
la sympathie que montra très-formellement Jean Huss à la
secte des réalistes ne fut peut-être pas étrangère à la part
active que d'Ailly prit àla condamnation de cet hérétique. —
On a conservé de d'.\illy un grand nombre d'ouvrages pu-
bUés, soit séparément, soit dans des recueils.
Aug. Satacneh.
AIMACOURIES,fête du Péloponnèse, dans laquelle on
fouettait des enfants jusqu'au sang sur le tombeau de Pélops.
On ne voit pas dans l'histoire de Pélops ce qui avait pu enga-
ger les Péloponnésiens à lui rendre des honneurs si barbares.
AIAlAiXT. On donne ce nom à une espèce de mine de
fer qui a la propriété d'attirer le (ér, l'acier, le cobalt et le
nickel. Presque toutes les mines de fer qui ne sont pas entiè-
rement saturées d'oxygène jouissent de cette propriété.
On distingue deux sortes d'aimants, les amants naturels
et lesahnants artificiels.
L'aimant naturel est d'une texture compacte et granu-
leuse, d'une couleur gris d'acier, un peu plus foncé et tirant
sur le noir quand il est réduit en poudre. Sa cassure, sou-
vent inégale, est lamellaire, écailleuse, conchoide ou grenue.
L'aimant est une substance très-abondamment répandue à
la surface de la terre. Il forme une montagne entière dans
le Smoland, en Suède; il se trouve dans un grand nombre
de localités du même royaume, dans la Norvège, le Piémont,
et aux États-Unis d'Amérique, intercalé en couches puis-
santes dans lUverses roches anciennes stratifiées. Le gisement
le plus remarquable est celui de Danemora, en Suède , où
le banc d'aimant a plusieurs centaines de pieds d'épaisseur.
On le trouve aussi en veines, en nids, en rognons, et en par-
ticules très-fines.
Lorsqu'on roule un aimant dans de la limaille de fer, on
observe que cette limaille s'accumule et s'attache principa-
lement vers deux points opposés de sa surface. Ces deux
points ont reçu les noms de pôles de l'aimant. Le fer est
attiré également par l'un et l'autre pôle ; mais ce qui est fort
singulier, c'est que deux aimants s'attirent par deux de
leurs pôles, et se repoussent par les deux autres. Désignons
les pôles du premier aimant par .\ et B, et ceux de l'autre
aimant, qui sont analogues à ces derniers, par a et b. Si l'on
présente le pôle a au pôle A, les aimants se repousseront ; ils
se repousseront encore si l'on présente le pôle b au pôle B ; ils
s'attireront, au contraire, si l'on présente le pôle a au pôle B
et le pôle b au pôle A. C'est pourquoi l'on désigne les propriétés
des aimants en disant que les pôles de même nom se repous-
sent et que les pôles de 7wm contraire s'attirent. L'action
des aimants s'exerce à une certaine distance ■• si l'on suspend
une petite aiguille de fera un fd de soie non tordu, et qu'on
lui présente un des pôles d'un aimant à distance, on observe
qu'elle est attirée par cet aimant. Aucune substance inter-
posée entie une aiguille ainsi suspendue librement et un ai-
mant ne peut neutraliser ou diminuer l'action de celui-ci, qui
a lieu aussi bien dans le vide qu'à l'air. Si l'on met un aimant
sous un plateau de verre, de carton, ou de toute autre ma-
tière non attirahle par l'aimant, et si l'on répand ensuite do
la limaille de fer sur le plateau, les grains se disposent en ordre
et forment des lignes courbes qui aboutissent à deux points
du plateau, sous lesquels répondent les pôles de l'aimant.
D'après cette singuUère propriété qu'ont les aimants d'agir à
travers les substances étrangères, il est très-facile de les ca-
cher, ainsi que le fer que l'on veut soumettre à leur action.
C'est sur ce principe que sont constniites les petites macliines
magnétiques dont on se sert pour faire des tours d'adresse.
Entre les pôles d'un aimant, se trouve une ligne ou limite
imaginaire sur laquelle la limaille de fer ne s'attache point ;
cette ligne s'appelle ligne moyenne, ligne neutre ou cqua-
teur. t'n coupant l'aimant par cette ligne, on pourrait croire
d'abord qu'il n'a plus qu'un pôle; il n'en est pas ainsi.
Chacune des deux portions de l'aimant acquiert un nouveau
pôle de nom contraire à celui qu'elle avait déjà, c'est-à-dire
que la portion qui avait, par exemple, le pôle B quand l'ai-
mant était entier, acquiert le pôle A après le partage.
Nous ignorons complètement la nature de la substance
qui produit les phénomènes magnétiques, comme nous igno-
rons celle de la chaleur, de la lumière, de l'électricité. Poui
expliquer les phénomènes magnétiques, les physiciens ont
recours à une hypothèse fort simple , la même qu'ils ont
adoptée pour rendre raison des phénomènes électriques ; ils
supposent qu'il existe dans les aimants deux fluides diffé-
rents, que nous désignerons, l'un par A , et l'autre par B, et
ils disent que les molécules du fluide A se repoussent mu-
tuellement, et qu'elles ont de la sympathie, de l'affection
pour celles du fluide B, lesquelles se repoussent aussi mu-
tuellement. Le fluide A se porte vers l'un des pôles, et le
fluide B vers le pôle contraire. Suivant la même hypothèse,
tous les barreaux de fer, de nickel , etc., pov-èdent les deux
fluides magnétiques ; et s'ils n'ont pas la faculté d'attirer la
2lG
limaille de fer, cela vient de ce que les deux fluides A et B
sont combinés entre eux dans ces barreaux , et que leurs
forces se neutralisent réciproquement. Mais si, par un moyen
quelconque, on i)arvient à séparer les deux lluides, le bar-
reau manifeste les vertus maf;nétiques. Ces principes élant
admis, il est très-facile d'expliquer pourquoi un aimant, sans
rien perdre de ses vertus, peut les conmiuniquer à un bar-
reau de fer mis en contact avec l'un de ses pôles. Le fluiile
qui se trouve vers le pôle de l'aimant avec lequel on touche
le barreau repousse le (luide qui est de même espèce que
lui, et il attire l'autre fluide qui est de nature différente, de
manière que les deux fluides, qui étaient combinés entre eux
dans le barreau, se séparent et se portent vers ses extrémi-
tés, l'un d'un côté, et l'autre de l'autre. Le barreau se trouve
doué de deux pôles comme l'aimant, et il a, comme lui, la
propriété d'attirer le fer ; mais si ce barreau est de fer doux
et bien pur, il perd ses propriétés magnétiques aussitôt qu'on
l'éloigné de l'aimant , par la raison que les deux fluides, se
retrouvant en liberté, se combinent entre eux comme aupa-
ravant.
Le barreau de fer qui est suspendu à l'un des pôles d'un
aimant a la propriété d'en soutenir un second , celui-ci un
troisième, et ainsi de suite , tant que Je poids total de ces
l)arreaux n'excède pas la force d'attraction dont jouit l'ai-
mant. Cela se conçoit facilement : l'aimant ayant disjoint
les fluides du premier barreau , celui-ci décompose à son
tour les fluides combinés du second barreau , lequel agit de
la même manière sur le troisième, etc.
Le fer est à l'aimant ce que les corps pesants sont à la
surface de notre globe. Comme pour l'attraction de la terre,
la force attractive de l'aimant décroît à mesure que la dis-
tance augmente. Du reste l'attraction est réciproque , et le
fer attire autant l'aimant qu'il est attiré par celui-ci. Comme
nous l'avons dit , la force attractive n'est pas égale dans
toutes les parties de l'aimant; elle est à peu près nulle à la
ligne moyenne.
Aimant artificiel ; manière d'aimanter. — Pour com-
muniquer les vertus magnétiques à un barreau de fer, il faut
le frotter à plusieurs reprises avec l'un des pôles d'un ai-
mant. Voici la meilleure manière de procéder lorsqu'on n'a
qu'un seul aimant à sa disposition : on pose un des pôles de
l'aimant, que l'on tient un peu incliné, sur le milieu du bar-
reau; on le presse un peu fortement sur ce dernier, et on le
pousse jusqu'à une de ses extrémités; après quoi, on reporte
de nouveau l'aimant sur le milieu du barreau en le tenant
de la même manière, puis on le pousse comme auparavant
jusqu'à la môme extrémité. On répète cette manœuvre un
certain nombre de fois; on retourne ensuile l'aimant, et, le
tenant incliné, on le pose sur le milieu du barreau, et on le
pousse jusqu'à l'autre extrémité de ce dernier , opération que
l'on répète autant de fois ipie l'on a déjà fait pour l'aiman-
tation de l'autre moitié du barreau. Le succès de cette ma-
nière d'opérer s'explique aisément : le pôle de l'aimant, que
l'on promène vers une des extrémités du barreau, attire de ce
côté le fluide de nature contraire à celui qu'il contient, et il
repousse vers l'autre extrémité du barreau le fluide de même
nom que le sien. Paieille cliose arrive quand on frotte l'autre
moitié du barreau avec l'autre pôle de l'aimant. Cette se-
conde opération ne fait que compléter la première. L'ai-
mantation n'aurait pas lieu , ou elle serait du moins très-
imparfaite, si l'on n'avait pas l'attention de ne frotter le bai-
reau qu'en allant toujours dans le même sen-^ ; en retotunant
en arrière, l'aimant détruirait l'effet qu'il aurait produit en
allant. Cette manière d'aimanter s'appelle la méthode de
la .">/»iyj/e/o!/c/;c. La méthode delaf/oi<6/e/oî<c//e a plus d'ef-
ficacité, mais il tant opérer avec deux aimants. On les pose
l'un et l'autre à la fois sur le milieu du barreau, en les tenant
inclinés, l'un d'un côté et l'autre de i'arrtre, vers les extré-
mités du barreau, et Ion lait en sorte que l'un d'eux touche
ce dernier par le pôle 13, et l'autre par le pôle A; puis on
AIMANT
pousse les deux aimants à la fois vers les extrémités du bar-
reau, en écartant les mains ; on les retire, on les reporte sur
le milieu du barreau pour répéter la même opération autant
de fois qu'on le juge nécessaire. Les extrémités du barreau
ainsi aimantées prennent des pôles de noms différents de ceux
des aimants qui les ont frottées ; c'est-à-dire que la moitié du
barreau qui a été frottée par le pôle B acquiert le pôle A ; et
l'autre moitié , qui a été frottée par le pôle A , acquiert le
pôle B. On fait encore usage d'autres manières d'aimanter
plus compliquées, qu'il serait trop long d'exposer ici. Les ai-
mants dont on se sert pour communiquer les propriétés ma-
gnétiques ne perdent que peu ou point de leurs forces, lors-
qu'on opère comme il vient d'être dit , sans jamais ramener
l'aimant sur lui-même en sens contraire ; de façon qu'avec
un seul aimant on peut communiquer le pouvoir magné-
tique à un nombre indéterminé de barreaux de fer, lesquels,
réunis en faisceau, forment un aimant d'une très-grande force ;
cet appareil s'appelle magasin magnétique.
Le fer devient magnétique quand on le bat à froid ou
qu'on le tord , et aussi lorsqu'il est soumis à un courant
électrique. Le fer doux s'aimante facilement , mais il con-
serve peu de temps les propriétés magnétiques. L'acier
trempé, au contraire, acquiert plus lentement et conserve
plus longtemps les vertus magnétiques que le fer doux. Ou
donne pour raison de cette différence la petite quantité de
carbone que contient l'acier. Cette substance , n'étant pas
de même nature que le fer, s'oppose d'abord à la disjonc-
tion des fluides magnétiques qui sont combinés dans lo
barreau d'acier avant qu'on l'aimante; le même carbone
contrarie la tendance qu'ont les deux fluides à se réunir do
nouveau quand l'action d'un aimant cesse d'agir sur eux.
L'aimantation ne change point le volume des corps. Le fer
rougi à blanc perd toutes les propriétés magnétiques dont il
pouvait jouir auparavant. Lorsque l'aimantation , par une
cause quelconque , n'est pas bien faite , il se forme des
points conséquents. On appelle de ce nom les pôles qui se
forment entre les deux pôles extrêmes. Les points consé-
quents contrarient plus ou moins l'action des pôles de l'ai-
mant. On peut parvenir à faire disparaître cet inconvénient
d'un aimant artiliciel en le frottant avec deux autres à plu-
sieurs reprises, partant toujours du milieu du barreau.
Des armatures. — L'expérience a démontré que les
aimants conservent plus longtemps leurs propriétés et quo
même ils acquièrent plus de force lorsqu'ils sont enveloppés
de limaille de fer. Cette observation a fait naître l'idée des
armatures. On nomme ainsi des lames de fer doux que
l'on applique sur les pôles d'un aimant , et que l'on con-
tourne de manière que deux de leurs extrémités se termi-
nent sur un même plan, de sorte que l'aimant ainsi armé
semble avoir deux pieds; le tout est couvert d'une enve-
loppe de cuivre et suspendu au moyen d'un anneau. Cha-
cune des extrémités des bandes de fer doux , qui sert
comme de pied à l'aimant , a les propriétés du pôle de l'ai-
mant qui est en contact avec la bande dont elle fait partie ;
une pièce de fer, qu'on appelle ancre, s'applique sur les
nouveaux pôles de l'appareil , et c'est à l'ancr-e qu'on sus-
pend les matières dont on charge l'aimant. Quand l'aimant
est artificiel , on le contourne en fer à cheval , afin que ses
pôles puissent s'apjiliquer à la fois sur un même barreau;
de cette manière , l'aimant peut supporter un poids doui>!e.
La force des aimants n'est point proportionnelle à leur vo-
lume : il se rencontre de gros aimants qui ont peu de force;
en général , les petits aimants ai'tilrciels ont ])roporfionnel-
lerr.ent plus de force que les grands , soit naturels , .soit
artificiels; on en a fait qui soutenaient cent fois leur propre
poids. Si on augmente progressivement la charge d'un ai-
mant, ses forces s'acci-oissent pour la soutenir jiisi)ir'à un
certain point, au delà duquel la charge tombe et l'aimant
perd toute sa force.
Aiguilles magnétiques. — Si une aiguille d'acier non
AIMANT — AIMOIN
217
trfinant(^ est plac<5e sur une pointe aiguë et ilispos<5c en
iHjuilibre , elle ne penchera pas plus d'un côté que de l'au-
tre; mais si on la place de la niOme manière après l'avoir
aimantée , on observera , dans nos climaL^ , que celle de ses
pointes qui sera tournée vers le nord s'inclinera vers la
terre ; et si l'on porte la même aiguille de l'autre cùlé de l'é-
quateur, l'inchnaisou de l'aiguille se fera en sens contraire,
ce sera la pointe tournée vers le sud qui s'abaissera. La
meilleure manière de disposer les aiguilles aimantées pour
taire des observations , c'est de les suspendre par leur cen-
tre de gravité à un lil de soie tel qu'il sort du cocon. Une
aiguiQe ainsi suspendue dans nos climats s'inclinera vers la
terre du côté du nord ; mais encore, si on la détourne à droite
ou à gauche de la direction qu'elle aura prise d'elle-même,
elle y reviendra en faisant plusieurs oscillations , à la ma-
nière des pendules que l'on écarte de la perpendiculaire : de
là la distinction des aiguilles aimantées en aiguilles de
déclinaison et aiguilles d'inclinaison. L'aiguille de décli-
naison conserve toujours sa position liorizontale , parce que
l'on fait l'extrémité de cette aiguille qui se trouve vers le
nord plus légère que l'extrémité qui se dirige vers le sud,
de fa(,on qu'elle ne peut plus s'incliner vers la terre du côté
du nord. La direction de l'aiguille de déclinaison est très-
variable, suivant les lieux où on la porte, et suivant les
temps. A Paris , par exemple , elle s'écarte de la méridienne
de cette ville d'environ 19» 42' vers l'ouest. En 1678 son
écartement n'était que d'un degré un tiers; on prétend
qu'aujourd'hui elle se rapproche de nouveau du méridien.
On trouve sur le globe terrestre plusieurs lignes courbes sur
ksquelles la déclinaison de l'aiguille est nulle ; c'est-à-dire
qu'étant portée sur un point quelconque de ces courbes,
elle se dirige exactement vers le nord. La direction de
l'aiguille de déclinaison varie aussi de quelque chose à cer-
taines heures de la journée. Le maximum de déclinaison a
lieu de midi à trois heures du soir ; l'aiguille a repris sa
première position à huit heures , puis elle demeure station-
naire toute la nuit. C'est entre les deux équinoxes de prin-
temps et d'automne qu'ont lieu les plus grandes variations
diverses. Ces variations ne sont pas les mêmes dans tous les
pays. L'aiguille aimantée est encore sujette à des varia-
tions brusques et accidentelles , qui se manifestent surtout
à l'apparition des aurores boréales ; les tremblements de
terre la détournent , et la foudre lorsqvi'elle tombe auprès
renverse quelquefois totalement ses pôles, c'est-à-dire que
]a pointe qui se dirigeait vers le nord se tourne brusque-
ment vers le sud. On dit alors qu'elle affole. La bous-
sole est une application des propriétés de l'aiguille de
déclinaison.
L'aiguille d'mclinaison se construit avec une lame d'acier
mince, suspendue par son centre de gravité sur un petit ar-
bre horizontal, qui tourne sur ses deux extrémités comme
une roue de montre sur ses pivots. Quand cette aiguille
n'est pas aimantée, elle prend une position horizontale;
mais lorsqu'on lui a communiqué les propriétés magné-
tiques, elle s'incline vers la tene du côté du nord, ou du
côté du midi, suivant qu'elle est portée en deçà ou au delà
d'un cercle qui se trouve dans le voisinage de l'équateur
terrestre, et qu'on appelle Equateur magnétique, parce
que l'aiguille d'inclinaison, étant portée sur un point quel-
conque de ce cercle, prend une position parfaitement hori-
zontale; dans tout autre lieu de la terre elle s'incline plus
ou moins; il existe à coup siir des pôles magnétiques, où
elle se tiendrait verticalement. L'énuateur inagiiétifinep-t fort
irrégulier : il forme plusieurs coudes, puisqu'il coupe l'équa-
teur terrestre en quatre endroits différents. Pour que l'aiguille
d'inclinaison agisse en toute liberté, il faut la diriger suivant
le méridien magnétique, dont la direction est indiquée par
l'aiguille de déclinaison; nous voulons dire que l'axe qui la
porte doit faire quatre angles droits avec la direction qui
est indiquée par l'aiguille de déclinaison. L'aiguille d'incli-
tolCT. DE LA CO>YERSATIO>. — T. 1.
naison, aussi variable que l'aiguille de déclinaison, n'est pas
à beaucoup près d'une aussi grande utilité , parce que ses
variations ne sont ni régulières ni constantes. Deux aiguilles
s'inclinent différemment dans le même temps et dans le
même lieu. On évaluait l'inclinaison magnétique à Paris eu
1S31 à 67" 40' ; en 18 J8 , à G6° 16' ; en 1859 , à 66° 15'.
L'inclinaison de l'aiguille aimantée augmente avec la la-
titude. Les voyageurs qui ont pénétré dans les régions polai-
res ont trouvé des inclinaisons voisines de 90°, c'est-à-dire
presque verticales, mais jusqu'à présent on n'a pas rencontré
le lieu oii l'aiguille aimantée coïnciderait avec le fil à plomb.
Action du globe terrestre sur les aimants. — Les phé-
nomènes que les aiguilles aimantées indiquent sont attri-
bués à l'action du globe terrestre. En effet , les physiciens
admettent ou supposent que les diverses masses de fer qui
sont ensevelies dans les entrailles de la terre jouissent des
propriétés magnétiques ; que leurs actions s'ajoutant , il en
résulte que le globe agit comme un gros aimant ayant ses
pôles, l'un vers le nord, l'autre vers le sud ; qu'enfin il agit
sur les autres aimants suivant les lo'is qui régissent les flui-
des magnétiques. Ainsi donc, une aiguille aimantée qui peut
tourner librement sur un pivot prendra forcément une di-
rection qui s'écartera peu ou point de la méridienne du lieu
où on la placera. Appelons A le pôle de l'aùnant terrestre qui
est du côté du nord, et B le pôle qui est du côté du sud, et
désignons par a et 6 les pôles de l'aiguille aimantée. Le
fluide contenu vers le pôle a étant de même espèce que celui
du pôle A de la terre , ce pôle a sera repoussé par le pôle
A, et il sera attiré par le pùle B ; et par la même raison ,
comme nous l'avons dit plus haut , le pôle b sera attiré par
le pôle A , tellement que la pouite de l'aiguiUe vers laquelle
sera le pôle b se dirigera vers le nord , et l'autre pointe vers
le sud : d'où il suit que si l'on appelle les pôles de l'aimant
représenté par la terre austral el boréal, et que, par ana-
logie, on donne les mêmes noms à ceux de l'aiguille aiman-
tée, il est évident que celle de ces pomtes qui se tournera
vers le nord portera le nom de pôle austral , et que le pôle
boréal de la même aiguille se tournera vers le sud.
C'est encore , dit-on , à l'influence du globe terrestre qu'il
feut attribuer les vertus magnétiques qu'acquièrent avec le
temps, ainsi que Gassendi l'a remarqué le premier, les croix
des clochers et des barres de fer disposées verticalement
pendant un certain temps. Dans nos climats le fluide du
pôle boréal de la terre attire vers celle-ci le fluide de nom
contraire de la barre de fer, et il repousse l'autre qui est
de même nature que lui , de façon qu'à la longue la barre
acquiert les propriétés d'un aimant.
Les propriétés de l'aimant sont d'une grande utilité pour
se diriger avec certitude en tout temps, la nuit comme le
jour, sur terre, sur mer et dans les souterrains. Sans le
secours de la boussole, les longs voyages maritimes seraient
impossibles ou très-dangereux.
Les Égyptiens et les Grecs employaient l'aimant en méde-
cine sous forme d'emplâtre ou de poudre auxquels ils attri-
buaient des propriétés merveilleuses. Ces préparations sont
complètement abandonnées aujourd'hui. On a imaginé de-
puis l'usage de plaques aimantées, qui, par les courants élec-
triques qu'elles déterminent au travers des organes dans le
voisùiage desquels elles sont appliquées , peuvent apporter
un soulagement réel dans une foule de maladies nerveuses.
Quant aux bagues aimantées, que quelques personnes portent
au doigt pour prévenir la migraine , elles n'ont sans doute
d'action que sur l'imag'mation des malades. L. L.
AOlOIiV, chroniqueur français, naquit vers l'année 950^
à Villefranche, en Périgord, et mourut en l'an 1008. Entré
au cloilre des Bénédictins de Fleury-sur-Loire, il devint un
des disciples de l'abbé Abbon. 11 a laissé une Histoire des
Français, qui comprend cinq livres. Les trois premiers em-
brassent une période qui se termine à la seizième année du
règne de Clovis IL Quant aux livres quatrième et cinquième,
28
218 AIMOIN -
on a lieu de supposer qu'ils n'ont pas été composés par
Ainioin.
AIMOX (Les quatre fils). Voyez Aymon.
AIX ( IXi)artement de 1' ). Composé de l'ancienne Bresse,
du Uiiyey, du Vairomey, du territoire de Gex et de la prin-
cipauté de Doinbes, il estljorné au nord par le département
du Jura, à Test parla Suisse et les départements de la
Haute-Savoie et de la Savoie, au sud par le Rhône qui le sé-
pare du département de l'Isère, et à l'ouest parla Saône qui
le sépare des départements du Piliône et de Saône-et-Loire.
Divisé en cinq arrondissements, dont les chefs-lieux sont
Bourg, Belley, Gex , Nantua et Trévoux , il compte 35 can-
tons et 446 communes. Il envoie trois députés au corps
législatif; forme avec le RiiAiic et Saône-et-Loire la 17^ con-
servation forestière; constitue la 4"^ subdivision de la 8' di-
vision militaire, dont le quartier fiénéral est à Lyon; res-
.sortit à la cour impériale de la même ville, et compose le
diocèse de Belley, suffragant de l'archevêché de Lyon. Son
académie comprend 1 lycée impérial, 1 collège communal,
1 institution, 7 pensions, 784 écoles primaires.
Sa superficie est de 592,674 hectares, dont 246,608 en
terres labourat>les , 119,863 en bois, 12,139 en forêts et do-
maines non productifs, 81,143 en prés, 16,869 en vignes,
2,102 en vergers, pépinières et jardins, 19,834 eu étangs ,
mares, canaux d'irrigation, 4,119 en rivières, lacs et ruis-
seaux, 76,587 en landes et bruyères , 4,198 en propriétés
bâties, etc. Sa population est de 370,919 hahiîants. L'an-
cienne principauté de Dombes, formant l'arrondissement de
Trévoux, est couverte d'étangs a\i nombre de 16,000, sur
20,000 hectares, alternativement remplis d'eau et cultivés :
une loi de 1857 en règle et facilite l'assèchement.
Ce département est arrosé par l'Ain, qui lui donne son
nom, par la Bienne, la Reyssouse, la Valserine, la Veyle, la
Chalaronne et le Furan. L'Ain, qui prend sa source dans le
déparlement du Jura, et va se jeter dans le Rhône à 28kilom.
au-dessus de Lyon, traverse le département du nord au sud,
elle divise en deux régions. La partie orientale, sur sa droite,
forme un vaste plateau ondulé, couvert de terrains argileux
et marécageux; la partie occidentale, siu: sa gauche, est hé-
rissée de montagnes de l ,400 à l ,S00 mètres d'élévation, qui
se rattachent aux Alpes par le Jura, et sillonnée de vallées
profondes, presque toutes dirigées du nord au sud, et tra-
versées par des torrents rapides. Dans la région orientale,
l'agriculture, qui forme la principale occupation des habi-
tants, leur fournit des récoltes suffisantes pour leur con-
sommation; le sol leur donne de la tourbe et quelques
bancs de houille. Dans la région occidentale, on cultive
des terres lertiles, on élève des bœufs , des moutons et des
cl>evaux ; on exploite du fer et d'excellents matériaux pour
les constnictions.
Dans ce département, les rivières sont poissonneuses ; les
aloses et les truites qu'on y pêche sont particulièrement re-
nommées. Les essences dominantes dans les forêts sont le
chêne, le hêtre et le sapin. La truffe noire est assez com-
mune. La mine de fer de 'Villebois-sous-Belley est la seule
exploitation métallurgique de l'Ain; mais les carrières de
marbre, de pierres de taille, de marne, d'argile à potier, de
gypse , y sont nombreuses et importantes. On y trouve de
ralbûtre, des stalactites en grandes masses, qui présentent
des formes et des nuances curieuses. Les pierres lithogra-
phiques de l'arrondissement de Belley sont les meilleures de
lYance. Plusieurs localités possèdent des tourbières, et les
mines de bitume de Seyssel et de PjTimond sont l'objet
d'une exploitation avantageuse.
L'industrie agricole y est florissante. On y cultive la vigne,
le froment, le seigle, forge, l'avoine, le mais, le millet, le
cbanvre, la pomme de terre. L'élève des chevaux et «les bes-
tiaux occupe un grand nombre de cultivateurs ; les porcs
cras, la volaille de Bresse, les poissons des élangs sont l'objet
d'une glande exploitalion. Depuis quelques années on s'y
AINESSE
livre à l'éducation des vers à soie, qui donne déjà de très-
bons résultats. 11 existe à Naz, près Gex, un établissement
pour l'élève des bêtes à laine superline.
L'industrie manufacturière consiste en papiers, peaux mé-
gissées , fds de chanvre et belles toiles de Saint-Lambert,
draps moyens, tissus de soie unis fabriqués dans les cam-
pagnes, beaux chapeaux de paille de Lagnieu, planches de
sa|)in , chaux hydrauliipie , plûtre, poterie de terre et de
grès, taillanderie, boissellerie, tourneiie, tabletterie, fro-
mages très-estimés, eaux-de-vie de marc.
Les voies de communication du dé(iailement comptent
six routes impériales, seize routes départementales, et douze
cent vingt-six chemins vicinaux.
Il ne renferme que des villes peu importantes. Bourg,
.stirnommé en Bresse, du nom de l'ancienne province dont
il était la capitale, est aujourd'hui le cliel-licu cl la prin-
ci[)ale ville du dciiartement. — Belley était la capitale du
Bugey , pays riche en sites pittoresques , en souvenirs an-
tiques, et dont le territoire forme actuellement les arrondisso
ments de Belley et de Nantua. — Le petit village de Frébuge,
près de Kantua, est le Forum Sebusiamtm, cité principale
des Soàusiani. — Dans une gorge entourée par des rocs es-
carpés, paraît Nantua, qui reçut ce nom des anciens Nan-
tuates. Elle renferme des lilatures, des fabriques de papiers
et de peignes de corne. — La ville de Gex, mal bâtie et
d'un accès difficile, est renommée pour ses fromages. —
Dans un joli vallon se trouve Fern ey ou Fernay , célèbre
parle séjour de Voltaire. — Trévoiix est bâti en amph'ithéà-
tre, sur la rive gauche de la Saône. — .\ Montluel on fabrique
du drap pour l'armée. — Pont-de-Vaux, sur la rive droite
de la Reyssouse, et près de la rive gauche de la Saône,
possède une fontaine d'eaux minérales, fabrique du coton,
de la faïence , de la tannerie et de la chamoiserie. — Seys-
sel, sur le Rhône, est connu pour son asphalte. — Thoissey,
sur la Chalaronne, a des fabriques de bougies , de vannerie,
de tannerie, etc. *
AIXE (du latin inguen; on a dit autrefois aingne, et
phis tard aigne, puis aisne, et enfin aine). On appelle ainsi,
en anatomie, l'espace qui sépare l'abdomen ou bas-ventre
du haut de la cuisse, et qui s'étend obliquement de la saillie
formant l'épine du pubis à l'extrémité antérieure de l'os de
la hanche, c'est-à-dire les deux parties latérales de la région
hypogastrique inférieure de l'abdomen. Limitée intérieure-
ment par les organes de la génération , l'aine se trouve en
contact immédiat avec les viscères renfermés dans la cavité
abdominale , et contient dans l'épaisseur de son tissu trois
canaux, Yinguinal , le crural et le sous-pubien , par les-
quels ces viscères peuvent, à la suite d'un effort exagéré,
trouver issue et constituer une hernie. C'est aussi le plus
souvent dans cette partie du corps , qu'à la suite des hernies
on voit s'établir la dégoûtante infirmité qu'on appelle amis
anormal. Les contusions , les tumeurs et les plaies, dans
cette partie du corps humain , peuvent avoir les plus graves
conséquences , et exigent de la part du praticien une vigi-
lance^ extrême.
AlXESSE ( Droit d'). Le bizarre et inique privilège qui
donnait autrefois à l'aîné d'une famille noble le droit de prendre
dans la succession de ses père et mère une portion plus con-
sidérable que celle de chacun de ses frères et sœurs en par-
ticulier, est d'origine toute féodale , et s'appelait chez nous
droit d'aînesse ou de primogcniture.
L'histoire d'É s a li, dans l'Ancien Testament, nous indique
bien qu'il existait chez les Hébreux quelque cbose de sem-
blable au droit d'aînesse ; mais nous ignorons en quoi il
consistait , et nous pouvons tout au plus conclure de la ces-
sion que fit Ésaii du sien pour un plat de lentilles cuites à
point, que ce privilège n'avait vraisemblablement pas grande
importance. — Des publicistes, Dumoulin, par exemple, dans
son Traité des Fiefs, ont vainement essayé de démontrer ([ue
le droit d'aincsse avait toujours suljsiilc depuis les patriar-
Am^ESSE — AIN-MADIIY
219
c1u?s , qui on seraient h^ K'gislaleurs. On ne trouve de ce
fait aucune trace, pas plus cliez les Grecs que chez les Ro-
mains ; et tous les documents liistoriques sont d'accord pour
nous apprendre que sous les deux premières races de nos
rois l'ainé partagea toujours également avec ses frères et
sœurs. Le5 exceptions à celte règle , si tant est qu'on en
puisse citer de bien authontiquement prouvées, ne se rap-
jHirteraient jamais qu'aux règnes des derniers Carloviugiens.
— C'est donc à la révolution qui porta les Capétiens au tronc
qu'il faut reporter l'origine première de cette institution
dans notre pays. A cette époque, en etTet, tous les seigneurs
voulurent donner de l'extension à leurs droits, et même s'en
créer de nouveaux. Plus tard, il f;\llut bien réunir dans une
seule et même niain toute la puissance , tous les moyens
d'exécution dont avait disposé le père, pour soutenir l'œuvre
de son injustice et de ses violences ; de là aussi sans doute
l'institution du droit d'ainesse.
Ce droit compétait à l'aîné niàle habile à hériter, alors
même qu'il était le puîné des femmes. Quand il était inha-
bile à succéder, c'est-à-dire lorsqu'il était ou mort civile-
ment , ou cxhérédé , ou religieux profès , son droit passait
au plus âgé des puînés. Quand il n'y avait pas d'autres hé-
ritiers que des filles , aucune de celles-ci n'était admise à
invoquer le droit d'aînesse, et elles partageaient toutes
également. En effet , comme le droit d'aînesse n'avait été
institué que pour conserver le nom et la splendeur des famil-
les , il ne pouvait produire ses effets dans la persoime des
filles , dont le nom se perd quand elles se marient , et ne
pouvait pas être invoqué comme lorsqu'il y avait un héritier
mâle, propre dès lors à perpétuer le nom de la race.
La révolution de 17S9 raya enfin de notre législation
cette flagrante insulte à l'esprit d'égafité, qui depuis un siècle
était le fonds même de nos mœurs publiques. Les lois des
15 mars 1790 et 8 avril 1791 abolirent toute espèce de droit
de primogéniture, et ne firent d'exception à la règle générale
que pour la transmission du tiùne — Quand, eu 1815, les
baïonnettes étrangères nous ramenèrent les Bourbons, on
dut s'attendre à voir cette famille de princes, qui n'avaient
rien appris ni rien oublié, s'efforcer de ressusciter toutes les
vieilleries féodales que la tourmente révolutionnaire avait à
jamais balayées du sol français. En 1826 uiie loi fut présen-
tée à la chambre des pairs , non pas précisément pour réta-
blir l'hérédité telle qu'elle existait autrefois , mais pour at-
tribuer à l'aîné des enfants mâles, à titre de préciput légal,
toute la quotité légalement disponible dans la succession d'un
père payant 300 francs d'impôt foncier, sauf à celui-ci à or-
donner par testament le partage légal. On voulait ainsi ren-
verser complètement les dispositions du Code qui avaient fait
de l'égalité le principe de la loi des successions en faisant
l'inégalité facultative. Le chiffre de 300 francs, qui était celui
du cens des électeurs, montrait clairement d'ailleurs qu'il
s'agissait de constituer héréditairement le droit électoral dans
certaines familles. La loi succomba devant la réprobation
générale, et la chaftibre des pairs la rejeta le 8 avril 1826.
Le droit d'aînesse était pourtant aussi l'ordre de successi-
bilité de la pairie sous la Restauration. — Napoléon, lui aussi,
avait cru trouver une force et un appui dans la quasi-résur-
rection du droit d'aînesse : il avait donc autorisé sa noblesse
à se constituer des majorais. On sait combien les événe-
ments de 1813 et 1814 lui prouvèrent qu'à cet égard il s'é-
tait trompé, et qu'en s'appuyant sur des privilèges et des
exceptions, il n'avait fait que construire sur le sable. —
L'opinion publique força le pouvoir issu des événements de
Juillet à rejeter d'abord l'hérédité de la pairie, et plus tard
à proposer aux chambres des mesures législatives tendant à
limiter et à circonscrire le mal créé par les fausses mesures
de l'empereur et par l'esprit rétrograde de la Restauration
dans la question des majorais.
L'Angleterre, on le sait, est la terre classique du droit
d'ainesse, successivement effacé des codes des différentes
nations germaniques; et c'est giâce à te partage inégal et
inique des héritages , qui attribue tout à l'aîné et rien aux
puînés, que l'aristocratie anglaise se maintient en jouissance
de ces immenses propriétés , de ces fortunes colossales, dont
plusieurs sont trois et quatre fois plus considérables que la
liste civile de certains rois du continent.
AÎi\ESSE DE NORMANDIE. Par le mot aînesse
on désignait en Normandie un ténement divisé entre plu-
sieurs personnes, et chargé de redevances qui étaient payées
au seigneur par un tenancier principal, appelé aine, et
auxquelles les puînés , autrement dits ses co-teneurs , con-
tribuaient solidairement pour leur part et portion : l'ainesse
de Normandie avait assez d'analogie avec ce qu'on dési-
gnait dans le Lyonnais et l'Auvergne par le mot pagésie ,
et par celui àefréche dans le Maine et l'Anjou.
AIN-MADFIY, ville du désert algérien, à 330 kilomè-
tres au sud de Mascara, et à 260 snd-sud-ouest de Tagdempt.
Cette ville est bâtie sur un rocher au milieu d'une plaine
aride; elle est entourée de jardins très-boisés, et forme ainsi
une oasis à six journées de marche dans le désert. Au nord-
ouest de la ville coule un petit ruisseau nommé Oued-Aïn-
Jladhy, qui prend sa source dans le Djebel Amour, et qui se
perd dans les sables à quelques lieues de la ville. Aïn-Madhy
ne compte guère , dit-on , que deux cents maisons et deux
mille habitants; une muraille épaisse, flanquée de douze
forts, l'entoure. Cette ville a trois portes fortifiées. Elle est
percée de deux rues principales. La Kasba est la résidence
habituelle du marabout qui règne sur ces contrées. Elle est
entourée de murailles crénelées et renferme un puits et des
magasins. Les Arabes comparent la forme d'Aïn-Madhy à
celle d'un œuf d'autruche , dont la pointe est dirigée vers
la porte du sud. — La famille des Tedjini, qiù règne sur
celte ville, est originaire de JMaroc, où elle jouissait d'une
grande réputation de sainteté, qu'elle a conservée. Un des
ancêtres des Tedjini vint à la têle d'un parti nombreux at-
taquer Aïn-Madhy, qui était au pouvoir des Oulad-Sidy-3Ia-
homed-ben-Aly ; il s'en empara : depuis, liniluence des
Tedjini s'établit, et s'ctendit même par un gouvernement
modéré et par l'autorité religieuse qu'ils surent prendre sur
les esprits. On attribue à leurs prières une grande efficacité.
— L'importance de cette ville est bien moins dans les forces
dont elle dispose que dans sa situation au milieu d'immenses
espaces où les points de station sont rares. L'oasis où elle est
située est le passage obligé des caravanes et sert de liaison
entre des points nombreux de l'intérieur. Les habitants ne
vivent que de commerce et n'ont pas d'industrie ; chaque
maison est une sorte d'entrepôt où les Arabes du dehors
mettent en sûreté leurs récoltes, qu'ils échangent ensuite. A
quelque distance au delà d'Aïn-^Iadhy , il n'y a plus de
terre habitable jusqu'à Ouerkelah, ville à quinze jours de
marche. Trois routes conduisent à Aïn-]\Iadliy, de Mascara,
de Tagdempt ou de Frendah. — La domination des Turcs
sur Am-Madhy était plutôt nominale que réelle. Cependant
elle était soumise à un tribut, et chaque fois qu'elle essaya
de s'y dérober, des expéditions rapides la forcèrent à recon-
naître la souveraineté turque. — Après le traité de la Tafna
Abd-el-Kader déclara la guerre à Tedjini, voulant sans doute
consacrer par la soumission d' Am-Madhy sa prise de pos-
session des parties avancées du Sahara de l'ouest, et peut-
être aussi se ménager un pomt d'appui contre l'atteinte des
Français en cas de rupture. Le marabout Tedjini repoussa
les prétentions de l'émir. Celui-ci partit de Tagdempt, le
Il juin 1838, avec deux mille fantassins, trois cents che-
vaux et deux obusiers servis i)ar vingt-quatre canonniers :
quinze cents chevaux portaient ses bagages et ses vivres. La
population d'Aïn-Madhy se composait alors d'Arabes attachés
à Tedjini, ou par la parenté, ou par le prestige , ou par des
liens de dépendance et de domesticité; d'un grand nombre
de nègres, presque îo-.is esclaves de Tedjini, et de quelques
familles juives. Un bon nombre d'Arabes des tribus voisines
250
vinrent se joindre aux défenseurs de la place. L'émir croyait
s'emparer d'Aïn-Madhy en moins d'un mois ; mais il fut
trompé dans ses espérances. 11 fit encore venir du canon ,
des vivres, et le 2 décembre 1838 il obtint de Tedjini une
capitulation par laquelle rclui-ci s'engageait à quitter la ville
avec sa famille dans quarante jours. Tedjini profita sans
doute de cette trêve pour ravitailler la ville et y introduire
de nouveaux défenseurs. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'en
juin 1839 Abd-el-Kader n'y avait pas encore pénétré. 11 finit
par en lever le siège. Alors il recommença la guerre contre
les chiétiens, et le canon ne tarda pas à déchirer le traité
de la Tafna. L. Louvet.
AIXOS ou AINOUS (c'est-à-dire ho)nmes), nom des
habitants primitifs de l'île de Jesso et de la partie mé-
ridionale de Sakhalin, refoulés par les Japonais. Krusenstern
et Laiigsdorf les représentent comme petits de taille, presque
noirs de peau , ayant la barbe noire et forte , les cheveux
hérissés , ayant pourtant des traits assez réguliers et un ca-
ractère très-doux. Les deux voyageurs que nous venons de
nommer donnent d'intéressants détails sur la langue de ce
peuple , du reste peu nombreux.
AIA'SVYOUTII ( William-Harrison), romancier an-
glais, né à Mancliosler le 4 lévrier 1805, est le lils d'un
avoué. Il étudia le droit et s'adonna à la littérature. H
commença par composer des articles pour les Magazines, et
écrivit un volume de poésies sous le nom de Clieviot Tiche-
bourne. Venu à Londres, il fit paraître un roman, épousa
la fille d'un libraire, fonda VAinsivorth''s Magazine, et
édita le Keepsake. Parmi ses productions on cite .Sir John
Chiverlon ii82b), Rookwood {i83i), Crichton (1837), Guy
Fawkes (1840), Le château de Windsor ( 1843), La Tour
de Londres (1846), etc. Ciuikshank a illustré les Contes
de décembre et le Jack Sheppard d'Ainsworth. Z.
AIR ( du latin acr ). Toute la surface de notre globe ter-
restre est enveloppée d'une masse gazeuse qu'on appelle
atmosphère. L'air est le gaz qui constitue cette atmo-
sphère ; et par conséquent c'est le milieu dans lequel se dé-
veloppent la plupart des corps organisés et se produisent
presque tous les phénomènes que l'homme peut observer.
Aussi peut-on dire que c'est à la découverte de la composi-
tion et des propriétés chimiques de l'air, ignorées si long-
temps, que l'on a dû les immenses progrès de la physiologie
animale et végétale, ainsi que la grande révolution de la
chimie.
L'air est un gaz permanent, c'est-à-dire qu'il ne se laisse
ni liquéfier ni solidifier; il nous parait être sans odeur et
sans saveur, quoique plusieurs faits semblent prouver le
contraire, par exemple le goftt fade de l'eau que l'ébuliition
a privée de l'air qu'elle contenait. Pris en petite quantité,
l'air est parfaitement incolore et transparent; mais en grande
masse il présente une couleur bleue, due à l'inégalité d'ac-
tion avec lacfucUe il transmet les différentes parties des
rayons lumineux qui le traversent. L'air est un corps pe-
sant; cette vérité fut entrevue par Aristote, mais n'a été dé-
montrée qu'en 1644 par Torricelli. L'appareil qu'il em-
ploya à cet effet , après plusieurs modifications ingénieuses ,
est devenu le baromètre. Par sa pression, l'air fait équi-
libre à une colonne d'eau de 10 mètres 40 centimètres et à
une colonne de mercure de 76 centimètres.
Une expérience fort simple fait connaître la pesanteur de
l'air : on prend un vase de verre muni d'un robinet, dont
la capacité est de quelques litres, on le pèse rempli d'air à
la température de la glace fondante, après quoi on le porte
sur le plateau de la machine pneumatique; on adai)te le
goulot à l'extrémité du tuyau de la pompe, on ouvre le ro-
binet et l'on extrait l'air du vase. Quand le vide est aussi
parfait que possible, on ferme le robinet et l'on pèse le
vase; on trouve que son poids est plus faible (jiie lorsqu'il
était plein d'air, la diflérence est de 1 gr. 2,9S6 par litre
'd'air extrait; d'où l'on conclut que le poids d'un litre d'air
AIN-MADHY — AIR
à la température de la glace fondante est de 1 gr. 2,986. Un
litre d'eau pesant mille grammes, il s'ensuit que le poids de
l'air est à celui de l'eau comme 1,3 est à 1,000, ou comme
1 est à 770.
L'air est un corps éminemment élastique, comme tous les
gaz; il a la propriété de pouvoir être comprimé indéfini-
ment et de reprendre exactement son volume primitif quand
on a cessé de le presser. La compressibilité et l'élasticité de
l'air sont faciles à reconnaître. Le briquet à air met ces
propriétés en évidence, et, sans avoir recours à cet appareil,
il suffit de presser une vessie pleine 'd'air pour s'assurer que
ce gaz se comprime sous sa pression, diminue de volume, et
le reprend exactement aussitôt que sa pression cesse. Quand
il est enfermé dans un vase parfaitement clos, il exerce une
pression égale sur toutes les parties des parois de ce vase ; en
sorte que si on y adapte im manomètre, la hauteur à la-
quelle le hquide s'élève dans cet instrument mesure la ten-
sion ou, si l'on veut, la force élastique de l'air renfermé dans
le vase. Mariette découvrit le premier que l'air se comprime
sous les poids dont on le charge d'une manière proportion-
nelle à ces poids : cette loi n'avait d'abord été vérifiée que
sous de petites charges. MM. Dulong et Arago l'ont confir-
mée depuis jusqu'à la charge énorme d'une colonne de mer-
cure de 20 m. 499, ce qui correspond à une pression de vingt-
sept atmosphères. L'élasticité de l'air étantégaleàsa pression,
il s'ensuit qu'un très-petit volume d'air peut faire équilibre à
un poids égal à celui de l'atmosphère. C'est ce qui explique
conmiient une éprouvette remplie d'air et maintenue au-
dessus d'une surface d'eau ne permet pas à l'eau de monter
dans l'intérieur de cette éprouvette, quoiqu'elle soit pressée
extérieurement sur tofute sa surface par tout le poids de
l'atmosphère. C'est à l'élasticité de l'air qu'est due la propa-
gation des sons. La chaleur dilate l'air des 0.00367 de son
volume par chaque degré du thermomètre centigrade. La
plupart des gaz permanents sont soumis à cette loi , quelle
que soit la pression , pourvu qu'elle reste constante pendant
toute la durée de l'expérience. Comme le volume de tous
les corps, mais surtout des corps gazeux, augmente ou di-
minue suivant le degré d'élévation ou d'abaissement de la
température, il est important de tenir compte de l'indica-
tion thermométrique dans les analyses, et surtout dans la
détermination des poids spécifiques.
C'est à la densité de l'air prise comme unité que l'on
compare celle des différents gaz. Sa puissance réfiactive est
également prise pour unité quand on veut évaluer celle des
autres gaz. L'air est mauvais conducteur du calorique et de
l'électricité , à moins qu'il ne soit humide.
Les anciens regardaient l'air comme un élément. Ce ne
fut même qu'à la fin du siècle dernier que l'on déconviit
sa composition. Déjà en 1630 Jean Rey, ayant vérifié l'expé-
rience de Brun sur l'augmentation de poids de l'étain quand
il se transforme en chaux (oxyde), expliqua ce phénomène
en disant que l'air avait été absorbé par le métal. Mais les
idées de Jean P>ey restèrent ensevelies dans l'oubli. En «774
Priestley, en soumettant de la chaux de mercure placée sous
une cloche remplie de ce métal à l'action des rayons solaires
concentrés par une forte lentille, observa que la cloche se
remplissait d'un gaz éminemment propre à entretenir la com-
bustion et la respiration , ce qu'il attribua à l'absence du
p h logistique, soupçonnant toutefois que l'air était le
produit de ce gaz et d'un air phlogistiqué, et ébranlant ainsi
le principe de la simplicité de composition de l'air. Bayen, de
son côté , prouva par des expériences décisives que tous lea.
corps qu'on désignait sous le nom de chaux métalliques
doivent leur excès de poids et tous les caractères qui les
distinguent du métal qui s'y trouve, à l'absorption d'un des
éléments de l'air atmosphérique. Lavoisier à son tour s'em-
pare des idées de Priestley et de Bayen ; il les féconde par
son génie, et ses recherches sur l'air changent la face de la
science. Les travaux des chimistes modernes n'ont fait que
AIR
221
confirmer les points fondamentaux dos d«^couvertes de La-
voisier relativement à la composition de l'air; seulement les
proport ious des principes constituants sont aujourd'hui con-
nues d'une manière beaucoup plus exacte. Cent volumesd'air
renferment, terme moyen, vin^tet un volumes d'oxy i^ène
et soi\ante-tlix-neuf volumes d'azote. L'acide carbonique
et la vapeur d'eau s'y trouvent dans la proportion de quel-
ques millièmes. L'air contient en outre des particules très-
petites de substances animales et végétales dont les quantités
varient suivant les localités. On peut facilement démontrer
la présence de ces ditTérents corps dans l'air. Pour prouver
la présence de l'oxygène et de l'azote, on chauffe pendant
plusieurs jours du mercure métallique à un degré voisin de
son ébullition , en le tenant en contact avec une masse d'air
renfermée dans un appareil. Au bout de ce temps presque
tout l'oxygène a été absorbé par le mercure et a formé un
oxyde rouge. Que si on calcine au rouge cet oxyde, on régé-
nère d'une part le mercure et de l'autre l'oxygène qui avait
été absorbé, et ce dernier gaz, mélangé avec le gaz azote qui
en avait été séparé, forme de nouveau un corps gazeux en-
tièrement identique avec l'air atmosphérique. Pour démon-
trer la présence de l'acide carbonique, on expose à l'air de
l'eau de chaux parfaitement limpide : la surface du liquide se
recouvre immédiatement d'une pellicule très-légère de carbo-
nate de chaux ; et si on l'agite de temps en temps , on obtient
en quelques jours un dépôt dont on peut extraire une quantité
très-notable d'acide carbonique. La présence de la vapeur
d'eau dans l'air se démontre directement de la manière sui-
vante : lorsqu'on tient un vase rempli d'eau froide dans une
chambre chaude, les parois extérieures se recouvrent d'une
rosée. Or, cette rosée est produite en vertu des propriétés des
gaz non permanents , par la précipitation de la vapeur, qui
vient se condenser sur la surface refroidie avec laquelle elle
se trouve en contact. Enfin, pour les molécules organiques ,
lorsqu'on laisse par une petite ouverture pénétrer dans une
pièce obscure un rayon direct du soleil , on remarque au
milieu de ce rayon une foule de petits corpuscules semblables
à de la poussière qui s'agitent en sens divers.
L'analyse exacte des proportions relatives de ces divers
principes constitue une série d'opérations très-délicates.
L'analyse par l'eudiomètre consiste à introduire un mé-
lange d'air et d'hydrogène dans un tube de verre, gradué et à
parois épaisses et à y faire passer ime étincelle électrique.
La combinaison de l'hydrogène et de l'oxygène de l'air a lieu
instantanément; il se forme de l'eau, ce qui permet de trou-
ver la proportion d'azote, par suite celle de l'oxygène. La
quantité d'acide carbonique contenue dans l'air est si faible
que , pour en doser une quantité notable , il faut nécessaire-
ment opérer sur une quantité considérable. On prend un
grand ballon de verre dont on connaît la capacité , on y in-
troduit de l'eau de baryte; on ferme le robinet, et on agite ;
au bout de quelques minutes l'acide carbonique est absorbé.
On fait ensuite le vide, et on introduit une nouvelle quantité
d'air. On recommence la même opération à dix reprises ,
jusqu'à ce qu'on ait un dépôt suffisant de carbonate de
bary te. Le poids de ce corps étant connu , on en déduit la
quantité d'acide carbonique contenue dans le volume d'air
sur lequel on a opéré. La quantité de vapeur d'eau contenue
dans l'air est très-variable. Après avoir recueilli les indica-
tions de l'hygromètre et du thermomètre dans l'air qu'il
s'agit d'analyser, on cherche d'une part dans les tables d'hy-
grométrie la fraction de saturation correspondante au degré
de l'hygromètre , et d'autre part la quantité d'eau contenue
dans l'air saturé à la température qu'indiquele thermonn tre :
le produit de ce nombre par la fraction de saturation donne
la quantité d'eau cliercliée.
Quelques chimistes ont pensé que l'air n'était pas un mé-
lange, mais bien une combinaison, en se fondant prin-
cipalement sur les rapports constitutifs de l'oxygène et de
l'azote, qu'ils regardent comme simples, c'est-à-dire entiers
(1 à 4). Mais l'analyse démontre rigoureusement en vo-
lume 20.8 d'oxygène et 79.2 d'azote : donc le rapport n'est
pas .simple; en outre, 79 volumes d'azote unis à 21 d'oxy-
gène n'amènent aucun changement de température et ne don-
nent lieu à aucune condensation de volume ; d'autre part,
les phénomènes de réfraction de la lumière se comportent
comme si l'air était un mélange. Enfin, la preuve la plus
concluante est celle-ci : l'air est soluble dans l'eau, qui en
dissout dans les circonstances ordinaires environ la tren-
tième partie de son volume ; lorsqu'il est en dissolution , il
n'offre plus la même composition; il renferme alors 0.32
d'oxygène à peu près pour 0.68 d'azote, parce que la solubilité
de l'oxygène est supérieure à celle de l'azote.
On sait que l'air est indispensable au développement et au
maintien de la vie chez tous les êtres organisés, tant animaux
que végétaux. Voyez Respiration , Végétation.
Un agent d'une si giande importance mérite que l'on s'oc-
cupe des variations qu'il peut subir. Les proportions des
éléments de l'air ne varient que dans des limites excessive-
ment étroites. L'analyse de l'air recueilli à toutes les hauteurs
a donné, contrairement à l'hypothèse deDalton, absolument
les mêmes quantités d'azote et d'oxygène. IVIais dans les lieux
où se trouvent rassemblées un grand nombre de personnes,
et dans une foule d'autres circonstances, il s'opère un déga-
gement d'acide carbonique tel qu'il augmente notablement la
proportion de ce gaz ( voyez Asphyxie ). Dans les orages il se
forme accidentellement dans l'air de l'acide nitrique et de
l'ammoniaque; ce fait s'expHque facilement, attendu que les
divers éléments nécessaires à la production de ces gaz,
oxygène, hydrogène, azote , se trouvent, sous l'influence
des décharges électriques, dans les conditions voulues pour
que ces combinaisons aient lieu. — Dans les environs des
volcans l'air renferme habituellement du gaz acide sulfureux
et du gaz acide chlorhydrique ; et dans le voisinage des fa-
briques on peut trouver une foule de gaz et de vapeurs plus
ou moins compliqués, qui altèrent la pureté de l'air au point
de le rendre nuisible non-seulement à la santé des individus,
mais encore à la végétation. Du reste, l'action de ces causes
ne se fait en général sentir que dans un rayon peu étendu.
Au contraire, une cause dont l'influence est extrêmement per-
nicieuse , c'est le dégagement des m i a s m e s qui se dévelop-
pent en abondance dans tous les fieux où des matières vé-
gétales privées de vie sont exposées à l'action de la chaleur
et de l'humidité. Quant à certains endroits dont l'insalubrité
est bien reconnue , comme les amphithéâtres d'anatomie, la
présence dans l'air de particules en décomposition est suf-
fisamment prouvée par l'odeur infecte qu'ils exhalent.
L'influence de l'air sur l'économie animale est variable
suivant les différents degrés de pesanteur, de température et
d'humidité. L'air condensé ralentit la circulation et déter-
mine une sensation générale de froid. Les ouvriers placés
sous la cloche à plongeur ressentent un froid disproportionné
à la température du milieu où ils sont placés. Il diminue
rapidement l'état inflammatoire et l'état fébrile; il semble
être efficace dans les maladies des voies respiratoires. Les
individus qui passent leur vie dans les mines ont générale-
ment une santé languissante; mais ils sont environnés de
tant de causes d'insalubrité qu'il est presque impossible de
distinguer l'influence de l'augmentation de la pesanteur de
l'air. On connaît davantage les effets d'un air raréfié.
Nous nous occuperons ailleurs des effets que produit le
manque d'air, ou le vide, tel qu'on l'obtient au moyen
de la machine pneumatique.
Outre que l'air est le principal agent de beaucoup d'opéra-
tions, de la combustion, de la fermentation, etc., les arts
et l'industrie ont mis à profit toutes ses propriétés. Son ex-
trême mobilité constitue les vents. La résistance de l'air
forme le principe essentiel de la cloche à plongeur. On
peut s'en faire une idée en faisant pénétrer un verre dans
l'eau, les bords les premiers : non-seulement le verre surnage.
222
AIR
mais l'eau ne pénètre pas jusqu'au fond du vase; et si une
force quelconque, un poids, par exemple, fait descendre le
verre dans le liquide , celui-ci ne mouille jamais le fond , à
moins que l'air n'en soit tiré. Une autre preuve de la résis-
tance de l'air se trouve encore dans l'expérience des hé-
misphères de Magdebourg. Puisque l'air est pesant, il
doit tendre à faire élever les corps plus légers que lui, comme
l'eau fait surnager le liège. C'est le principe des aérostats.
La chaleur le dilate et le rend plus léger, de- là l'origine des
montgoUières ; elle augmente son élasticité, de là son emploi
comme moteur dans les machines à air et à feu ou pyro-
pneumatiques. C'est encore sur le principe de l'élasticité de
l'air que sont faits les fusils à vent , les machines de com-
pression pour élever l'eau, comme la fontaine de Héron,
la pompe foulante, dont dérive la presse hydrau-
Tuiue. La pression que l'air exerce sur tous les corps produit
l'ascension de l'eau dans les pompes aspirantes; et
dans les machines àvapeurà simple effet elle fait re-
descendre le piston et entretient le mouvement alternatif.
L'air comprimé a été encore employé à de nombreux
usages. MM. Pravaz et Tessié du Motey en ont composé des
bains d'une nouvelle espèce; et ces bains, ils s'en ser-
vent contre les douleurs rhumatismales, les gonflements
et les névralgies. M. E. Guillaumet a de même tiré parti de
l'air condensé pour établir une machine de submersion qui
puisse permettre de séjourner sous les eaux , au fond de la
nier, soit pour la pèche des perles et du corail, soit pour
des opérations de sauvetage , pour visiter et radouber des
navires, ou pour porter secours à des incendiés. M. Triger
s'en est servi à son tour pour évacuer les eaux de la Loire
d'un puits de houille dont l'exploitation aurait dû être in-
terrompue pendant la crue des eaux. Il a proposé le même
moyen pour établir des piles de pont sans barrage préalable.
Enlin M. Letellier, avec le concours de l'air comprimé et
d'une vis d'Archimède, a composé une pompe beaucoup plus
serviable et d'un Jeu inliniment plus doux que les pompes
vulgaires.
L'action chimique de l'air est de la plus haute importance :
on lui doit la plupart des phénomènes d'oxydation, de colo-
ration, de blanchiment , d'efllorescence et de déliquescence
des sels, etc., etc. L'action de l'air est toute-puissante sur
la végétation; la terre elle-même a besoin d'air comme
les végétaux , et les marnes , les chaux qui en absorbent le
plus sont les plus fécondantes. W.-A. Dlckett.
De l'influence de l'air dans la vie organique. Les plan-
tes, les animaux, l'homme, renferment de la matière. D'où
vient-elle.' Que fait-elle dans leurs tissus et dans les liqui-
<les qui les baignent.' Oii va-t-elle quand la mort brise les
liens par lesquels ses diverses parties étaient si étroitement
unies? Voilà les questions que nous devons aborder ici. Nous
avons reconnu qvi'aux nombreux éléments de la chimie mo-
derne , la nature organique n'en emprunte que trois ou
quatre ; qu'à ces matières végétales ou animales, maintenant
nndtipliées à l'infini, la physiologie générale n'emprunte pas
plus de dix à douze espèces , et que tous ces phénomènes
de la vie, si compliqués en apparence , se rattachent , en ce
qii'ils ont d'essentiel, à une formule générale si simple
qu'en quelques mots on a pour ainsi dire tout énoncé, tout
rappelé , tout prévu.
Nous avons constaté , en effet , par une foule de résiU-
tals, que les animaux constituent, au point de vue chimique,
de véritables appareils de combustion au moyen desquels
du carbone bnilé sans cesse retourne à l'atmosphère sous
forme d'acide carbonique; dans lesquels de l'hydrogène
lirùlé sans cesse, de son coté , engendre continuellement de
l'eau ; d'où enfin s'exhalent sans cesse de l'azote libre par
la lespiration , de l'azote à l'état d'oxyde d'anuuoninm par
les urines. Ainsi, du règne animal considéré dans son
ensemble -'échappent conslauiment de l'acide carbonique,
de la vapeur d'eau , de l'azote et de l'oxyde d'annuonium
matières simples et peu nombreuses dont la formation se
rattache étroitement à l'histoire de l'air lui-même.
Nous avons constaté d'autre part que les plantes, dans
leur vie normale, décomposent l'acide carbonique pour en
fixer le carbone et en dégager l'oxygène; qu'elles décompo-
sent l'eim pour s'emparer de son hydrogène et pour en dé-
gager aussi l'oxygène ; qu'enfin elles empruntent tantôt di-
rectement de l'azote à l'air, tantôt indirectement de l'azote
à l'oxyde d'ammonium, ou à l'acide nitrique, fonctionnant
de tout point ainsi d'une manière inverse de celle qui ap-
partient aux animaux.' Si le règne animal constitue un im-
mense appareil de combustion, le règne végétal, à son tour,
constitue donc un immense appareil de réduction où l'acide
carbonique réduit laisse son charbon, où l'eau réduite laisse
son hydrogène, où l'oxyde d'ammonium et l'acide azotique
réduits laissent leur ammonium ou leur azote.
Si les animaux produisent sans cesse de l'acide carboni-
que, de l'eau, de l'azote, de l'oxyde d'ammonium, les plantes
consomment donc sans cesse de l'oxyde d'ammonium , de
l'azote, de l'eau, de l'acide carbonique. Ce que les uns don-
nent à l'air, les autres le reprennent à l'air, de sorte qu'à
prendre ces faits au point de vue le plus élevé de la phy-
sique du globe , il faudrait dire qu'en ce qui touche leurs
éléments vraiment organiques, les plantes, les animaux
dérivent de l'air, ne sont que de l'air condensé, et que, pour
se faire une idée juste et vraie de la constitution de l'at-
mosphère aux époques qui ont précédé la naissance des pre-
miers êtres organisés à la surface du globe, il faudrait rendre
à l'air , par le calcul , l'acide carbonique et l'azote dont les
plantes et les animaux se sont approprié les éléments.
Les plantes et les animaux viennent donc de l'air et y re-
tournent donc ; ce sont de véritables dépendances de l'at-
mosphère. Les plantes reprennent donc sans cesse à l'air ce
que les animaux lui fournissent, c'est-à-dire du charbon, de
l'hydrogène et de l'azote, ou plutôt de l'acide carbonique, de
l'eau et de Paimnoniaque. Reste à préciser maintenant com-
ment à leur tour les animaux se procurent ces éléments
qu'ils restituent à l'atmosphère, et l'on ne peut voir sans
admiration pour la simplicité sublime de toutes ces lois de
la nature, que les animaux empru.itent toujours ces éléments
aux plantes elles-mêmes.
Nous avons reconnu , en effet, par des résultats de toute
évidence, que les animaux ne créent pas de véritables ma-
tières organiques, mais qu'ils les détruisent ; que les plantes,
au contraire, créent habituellement ces mêmes matières et
qu'elles n'en détruisent que peu et pour des conditions par-
ticulières et déterminées.
Ainsi, c'est dans le règne végétal que réside le grand labo-
ratoire de la vie organique ; c'est là que les matières végé-
tales et animales se forment, et elles s'y forment aux
dépens de l'air. Des végétaux , ces matières passent toutes
formées dans les aninvaux herbivores, qui en détruisent une
partie et qui accumulent le reste dans leurs tissus; des
animaux herbivores , elles passent toutes formées dans les
animaux carnivores, qui en détruisent ou en conservent
selon leurs besoins; enfin pendant la vie de ces animaux ou
après leur mort ces matières organiques, à mesure qu'elles se
détruisent, retournent à l'atmosphère, d'où elles proviennent.
Ainsi se ferme ce cercle mystérieux de la vie organique à
la surface du globe. L'air contient ou engendre des produits
oxydés, acide carbonique , eau , acide azotique, oxyde d'am-
monium. Les plantes, véritables appareils réducteurs, s'ein-
paient de leurs radicaux, carbone, hydrogène, azole, ammo-
niimi. Avec ces radicaux elles façonnent toutes les matières
organiques ou organisables , qu'elles cèdent aux animaux.
Ceux-ci à leur tour, véritables appareils de combustion ,
reproduisent à leur aide l'acide carbonique, l'eau, l'oxyde
d'ammonium et l'acide azotique, qui retournent à l'air pour
reproduire de nouveau et dans riuunensitc des siècles les
mêuies phénomènes.
AIR
223
Et si l'on ajoute à ce tableau, déjà si frappant par sa sim-
plicité et sa grandeur, le rôle incontesté de la lumière so-
laire, qui seule a le pouvoir de mettre en mouvement cet
immense appareil, cet appareil inimité jus(iue ici, que le ré-
gne végétal constitue et où vient s'accomplir la réduction des
produits oxydés de l'air, on sera frappé du sens de ces pa-
roles de Lavoisier :
« L'oi^anisation, le sentiment, le mouvement spontané,
» la vie n'existent qu'à la surface de la terre et dans les
« lieux exposés à la lumière. On dirait que la fable du fliun-
« beau de Prométhée était l'expression d'une vérité philoso-
« pliique qui n'avait point échappé aux anciens. Sans la lu-
n miére la nature était sans vie, elle était morte et inanimée :
«» un Dieu bienfaisant , en apportant la lumière , a répandu
« sur la surface de la terre l'organisation, le sentiment et la
« i)ensée. » ^
Ces paroles sont aussi vraies qu'elles sont belles. Si le
sentiment et la pensée, si les plus nobles facultés de Tàme
et de l'intelligence ont besoin pour se manifester d'une en-
veloppe matérielle, ce sont les plantes qui sont chargées
d\n ourdir la trame avec des éléments qu'elles empruntent
à l'air et sous l'influence de la lumière que le soleil , où en
est la source inépuisable, verse constamment et par torrents
à la surface du globe. Et comme si dans ces grands phéno-
mènes tout devait se rattacher aux causes qui en paraissent
le moins proches, il faut remarquer encore comment l'oxyde
d'ammonium, l'acide azotique, auxquels les plantes emprun-
tent une partie de leur azote, dérivent eux-mêmes presque
toujours de l'action des grandes étincelles électriques qui
éclatent dans les nuées orageuses et qui, sillonnant l'air sur
une grande étendue, y produisent l'azotate d'ammoniaque
que l'analyse y décèle.
Ainsi , des bouches de ces volcans dont les convulsions
agitent si souvent la croûte du globe s'échappe sans cesse la
principale nourriture des plantes, l'acide carbonique; de
l'atmosphère enflammée par les éclairs et du sein même de
la tempête descend sur la terre cette autre nourriture non
moins indispensable des plantes, celle d'où vient presque
tout leur azote, le nitrate d'ammoniaque, que renferment les
pluies d'orage. "Se dirait-on pas comme un souvenir de ce
chaos dont parle la Bible, de ces temps de désordre et de
tumulte des éléments qui ont précédé l'apparition des êtres
organisés sur la terre?
Mais à peine l'acide carbonique et l'azotate d'ammoniaque
sont-ils formés, qu'une force plus calme, quoique non moins
énergique, vient les mettre en jeu : c'est la lumière. Par elle
l'acide carbonique cède son carbone , l'eau son hydrogène ,
l'azotate d'ammoniaque son azote. Ces éléments s'asso-
cient, les matières organisées se forment, et la terre revêt son
riche tapis de verdure.
C'est donc en absorbant sans cesse une véritable force, la
lumière et la chaleur émanées du soleil, que les plantes
fonctionnent, et qu'elles produisent cette immense quantité
de matière organisée ou organique, pâture destinée à la con-
sommation du règne animal. Et si nous ajoutons que les
animaux produisent de leur côté de la chaleur et de la force
en consommant ce que le règne végétal a produit et a len-
tement accumulé, ne semble-t-il pas que la fin dernière de
tous ces phénomènes, que leur formule la plus générale se
révèle à nos yeux ? L'atmosphère nous apparaît comme ren-
fermant les matières premières de toute l'organisation; les
volcans et les orages, comme les laboratoires où se sont fa-
çonnes d'abord l'acide carbonique et l'azotate d'ammoniaque
dont la vie avait besoin pour se manifester ou se multiplier.
A leur aide, la lumière vient développer le règne végétal,
producteur immense de matière organique; les plantes ab-
fsorbent la force chimique qui leur vient du soleil pour décom-
poser l'acide carbonique, l'eau et l'azotate d'annnoniaqiie,
comme si les plantes réalisaient un appareil réductif supé-
rieur à tous ceux que nous connaissons ; car aucun d'eux
ne décomposerait Tacidc carbonicpie à froid. Viennent en-
suite les animaux, consommateurs de matière et produc-
teurs de chaleur et de force, véritables appareils de combus-
tion. C'est en eux que la matière organisée revêt sa plus
haute expression sans doute , mais ce n'est pas sans en souf-
frir qu'elle devient l'instrument du sentiment et de la pen-
sée ; sous cette influence la matière organisée se brûle, et en
produisant cette chaleur, cette électricité qui font notre
force et qui en mesurent le pouvoir, ces matières organi-
sées ou organiques s'anéantissent pour retourner à l'atmo-
sphère d'où elles sortent.
L'atmosphère constitue donc le chaînon mystérieux qui lie
le règne végétal au règne animal. Les végétaux absorbent
donc de la chaleur et accumulent donc de la matière qu'ils
savent organiser. Les animaux, par lesquels cette matière or-
ganisée ne fait que passer, la brûlent ou la consomment
pour produire à son aide la chaleur et les diverses forces
que leurs mouvements mettent à profit. Qu'il nous soit donc
permis, empruntant aux sciences modernes une image assez
grande pour supporter la comparaison avec ces grands phé-
nomènes, d'assimiler la végétation actuelle, véritable maga-
sin où s'alimente la vie animale , à cet autre magasin de
charbon que constituent les anciens dépôts de houille, et
qui , brûlé par le génie de Papin et de \\'att, vient produire
aussi de l'acide carbonique, de l'eau, de la chaleur, du mou-
vement, on dirait presque de la vie et de l'intelligence. Pour
nous le règne végétal constituera donc un immense dépôt de
combustible destiné à être consommé par le règne animal,
et où ce dernier trouve la source de la chaleur et des forces
locomotives qu'il met à profit.
Ainsi un lien commun entre les deux règnes, l'atmos-
phère ; quatre éléments dans les plantes et dans les ani-
maux, le carbone, l'hydrogène, l'azote et l'oxygène ; un très-
petit nombre de formes sous lesquelles les végétaux les ac-
cumulent, sous lesquelles les animaux les consomment;
quelques lois très-simples , que leur enchaînement simplifie
encore : tel serait le tableau de l'état de la chimie orga-
nique la plus élevée.
Puisque tous les phénomènes de la vie s'exercent sur des
matières qui ont pour base le carbone, l'hydrogène, l'azote,
l'oxygène; puisque ces matières passent du règne animal au
règne végétal par des formes intermédiaires, l'acide carbo-
nique, l'eau et l'oxyde d'ammonium; puisqu'enfin l'air est la
source où le règne végétal s'alimente , qu'il est le réser-
voir dans lequel le règne animal vient s'anéantir, nous som-
mes conduits à étudier rapidement ces divers corps au point
de vue particulier de la physiologie générale.
L'eau se forme et se décompose sans cesse dans les ani-
maux et les plantes; pour apprécier ce qui en résulte, voyons
d'abord quelle est sa composition. Des expériences fondées
sur la combustion directe de l'hydrogène, et où j'ai produit
plus d'un iiilogrararae d'eau artificielle; expériences très-
difficiles, très-délicates, il est vrai, mais dont les erreurs se-
raient, du reste , sans importance pour les circonstances qui
nous occupent , rendent très-piobable que l'eau est formée ,.
en poids ,
de I partie d'hydrogène
et 8 parties d'oxygène,
et que ces nombres entiers et simples expriment le véritable
rapport suivant lequel se combinent ces deux éléments pour
constituer l'eau. Comme les matières se représentent toujours
aux yeux du chimiste par des molécules , comme il cherche
toujours à rattacher dans sa pensée au nom même de cha-
que matière le poids de sa molécule, la simplicité de ce
rapport n'est pas sans quelque importance. En effet, ciiaqiie
molécule d'eau se trouvant formée d'une molécule d'hydro-
gène et d\me molécule d'oxygène, on arrive à ces nombres
simples qui ne s'oublient plus : une molécule d'hydrogène
pèse 1 , une molécule d'oxygène pèse 8, et une molécule d'eau
pèse i).
224
AIR
L'acide carbonique se produit sans cesse dans les animaux,
et se décompose sans cesse dans les plantes; sa composition
mérite donc une attention spéciale à son tour. Or, l'acide
carboniiiue, conmie l'eau, se représente par les nombres les
plus simples. Des expériences fondées sur la combustion di-
recte du diamant et sur sa conversion en acide carbonique
m'ont prouvé que cet acide se forme de la combinaison de
« parties eu poids de carbone pour IC parties en poids d'oxy-
gène. On est donc conduit à se représenter l'acide carbo-
t\u\m connue étant formé dune molécule de carbone pesant G
I)our deux molécules d'oxygène pesant 16, ce qui constitue-
rait une molécule d'acide carbonique pesant 22.
lùifin l'ammoniaque, à son four, semble formée en nombres
entiers de 3 parties d'hydrogène pour 14 d'azote, ce qui peut
se représenter par 3 molécules d'hydrogène pe?ant 3 et par
une molécnie d'azote pesant 14. .\insi, comme pour montrer
mieux toute sa puissance, la nature n'opère, quand il s'agit
de l'organisation, que sur un très-petit nombre d'éléments
combinés dans les rapports les plus simples.
Tout le système atomique du physiologiste roule sur ces
quatre nombres : 1, G, 7, 8.
1, c'est la molécule d'hydrogène;
C, celle du carbone;
7 , ou deux fois 7 , c'est-à-dire 14 , celle de l'azote ;
8, celle de l'oxygène.
Qu'il rattache toujours ces nombres à ces noms; car pour
le diimiste il ne saurait exister ni hydrogène, ni carbone,
ni azote , ni oxygène abstraits. Ce sont des êtres dans leur
réalité qu'il a toujours en vue ; c'est de leurs molécules qu'il
parle toujours , et pour lui le mot hydrogène peint une mo-
lécule qui pèse l , le mot carbone une molécule qui pèse 6,
et le mot oxygi ne une molécule qui pèse 8.
L'air atmosphérique, qui joue un si grand rôle dans la
nature organi([ue, possède-t-il aussi une composition simple,
comme l'eau, l'acide carbonique et l'ammoniaque ? Telle est
la question que nous avons récemment étudiée , M. Bous-
singault et moi. Or, nous avons trouvé, comme le pensaient
le plus grand nombre des chimistes, et contrairement à l'o-
pinion du docteur Prout, à qui la chimie doit tant de vues
ingénieuses, que l'air est un mélange, un véritable mélange.
En poids, l'air renferme 2, ."500 d'oxygène pour 7,700 d'a-
zote; en volume, 20S du premier pour 792 du second. L'air
renferme en outre de 4 à G/1 0,000''^ d'acide carbonique en
volume, soit qu'on le prenne à l-aris, soit qu'on le prenne à la
campagne. Ordinairement, il en renferme 4/1 0,000'"*. Déplus,
il contient une quantité presque insensible de ce gaz hydro-
gène carboné, qu'on nouune gaz des marais, et que les eaux
stagnantes laissent dégager à chaque instant. Nous ne parlons
pas de la vapeur aqueuse, si variable, de l'oxyde d'ammonium
et de l'acide azotique, qui ne peuvent avoir dans l'air qu'une
existence momentanée, à raison de leur solubilité dans l'eau.
L'air constitue donc un mélange d'oxygène, d'azote, d'a-
cide carbonique et de gaz des niarais.
L'acide carbonique y varie, et même beaucoup , puisque
les différences y vont du simple au double, de 4 à G/10,000.
Ne serait-ce pas la preuve que les plantes lui enlèvent cet
acide carbonique et que les animaux lui en reprennent? ne
serait-ce pas, en un mot, la preuve de cet équilibre des élé-
ments de l'air attribué aux actions inverses que les animaux
et les plantes produisent sur lui ? Jl y a longtemps , en effet ,
qu'on l'a remarqué, les animaux empruntent à l'air son oxy-
' gène et lui rendent de l'acide carbonique ; les plantes à leur
tour décomposent cet acide carbonique pour en fixer le car-
bone, et restituent son oxygène à l'air. Comme les animaux
respirent toujours , comme les piaules ne respirent que sous
linlliience solaire ; comme en hiver la terre est dépouillée ,
tandis qu'en été elle est couverte de verdure , on a cru que
l'air devait traduire toutes ces iniluences dans' sa consfi
tution. L'acide carbonique devait augmenter la nuit et di-
minuer le joiu-. L'oxygène à son tour devait suivre une mar-
che inverse. L'acide carbonique devait aussi suivre le cours
des saisctis, et l'oxygène subir le même sort. Tout cela est
vrai , sans doute , et très-sensible pour une portion d'air li-
mitée et confinée sous une cloche; mais dans la masse de
l'atmosphère toutes ces variations locales se confondent et
disparaissent. Il faut des siècles accumulés pour que cette
balance des deux règnes au sujet de la composition de l'air
puisse être mise en jeu d'une manière efficace et nécessaire;
nous sommes donc bien loin de ces variations journalières
ou annuelles qu'on était disposé à regarder comme aussi fa-
ciles à observer qu'à prévoir. Relativement à l'oxygène , le
calcul montre qu'en exagérant toutes les données, il ne fau-
drait pas moins de 800,000 années aux animaux vivants à
la surface de la terre pour le faire disparaître en entier.
Par conséquent, si l'on supposait que l'analyse de l'air eût
été faite en 1800, et que pendant tout le siècle les plantes
eussent cessé de fonctionner à la surface du globe entier,
tous les animaux continuant d'ailleurs à vivre, les analystes
en 1900 trouveraient l'oxygène de l'air diminué de 1/8,000
de son poids, quantité qui est inaccessible à nos méthodes
d'observation les plus délicates, et qui à coup sûr n'inllue-
rait en rien sur la vie des animaux ou des plantes.
Ainsi nous ne nous y tromperons pas, l'oxygène de l'air
est consommé par les animaux, qui le convertissent en eau
et en acide carbonique ; il est restitué par les plantes, qui
décomposent ces deux corps. Mais la nature a tout disposé
pour que le magasin d'air fût tel relativement à la dépense
des animaux que la nécessité de l'intervention des plantes
pour la purification de l'air ne se fit sentir qu'au bout de
quelques siècles. L'air qui nous entoure pèse autant que
581,000 cubes de cuivre d'un kilomètre de coté; son oxygène
pèse autant que 134,000 de ces mômes cubes. En supposant
la terre peuplée de mille millions d'hommes , et en portant
la population animale à une quantité équivalente à trois
mille millions d'hommes , on trouverait que ces quantités
réunies ne consomment en un siècle qu'un poids d'oxygène
égal à 15 ou IG kilomètres cubes de cuivre, tandis que l'air
en renferme 134,000. Il faudrait dix mille années pour que
tous ces hommes pussent produire sur l'air un effet sensible
à l'eudioraètre de Yolta, même en supposant la vie végétale
anéantie pendant tout ce temps.
En ce qui concerne la permanence de la composition de
l'air, nous pouvons dire en toute assurance que la proportion
d'oxygène qu'il renferme est garantie pour bien des siècles,
même en supposant nulle l'influence des végétaux , et que
néanmoins ceux-ci lui restituent sans cesse de l'oxygène en
quantité au moins égale à celle qu'il perd et peut-être supé-
rieure ; car les végétaux vivent tout aussi bien aux dépens
de l'acide carbonique fourni par les volcans qu'aux dépens de
l'acide carbonique fourni par les animaux eux-mêmes.
Ce n'est donc pas pour purifier l'air que ceux-ci respirent
que les végétaux sont surtout nécessaires aux animaux,
mais bien pour leur fournir, et pour leur fournir incessam-
ment, de la matière organique toute prête à l'assimilation ,
de ta matière organique qu'ils puissent brûler à leur profit.
Il y a donc un service nécessaire sans doute , mais si
éloigné que notre reconnaissance en est bien petite, que les
végétaux nous rendent en purifiant l'air que nous consom-
mons. Il en est un autre tellement prochain, que si pendant
une seule année il nous faisait défaut , la terre en serait
dépeuplée : c'est celui que ces mêmes végétaux nous ren-
dent en préparant notre nourriture et celle de tout le règne
animal. C'est en cela surtout que réside cet enchaînement
des deux règnes. Supprimez les plantes, et dès lors les ani-
maux périssent tous d'une affreuse disette , et la nature or-
ganique elle-même disparait tout entière avec eux en quel-
ques saisons.
Cei)endant , avons-nous dit , l'acide carbonique de l'air
varie de 4 à G/ 10,000. Ces variations sont très-faciles à
observer et très-frcqucnlcs. ^'est-ce pas là un phénomène
AI
qni accii«e rinfluenc* des animaux qui iiitro«luisont cet acide
dans Tair et celle des végétaux qui le lui enlèvent?
Non , ce pliénouit'ne est un simple phénomène météorolo-
gique. 11 en est de Tacide carbonique connue de la vapeur
aqueuse , qui se forme à la surface des mers , pour se con-
denser ailleurs , retomber en pluie et se reproduire encore
sous forme de vapeur. Cette eau (jui se condense et tombe
dissout et entraîne l'acide carbonique; cette eau cpii s'éva-
pore abandonne ce même gaz à Pair. 11 y aurait donc un
grand intérêt météorologique à mettre eu regard les variations
de riiygromètre et celles des saisons ou de l'état du ciel
avec les variations de l'acide carbonique de l'air; mais jus-
qu'ici tout tend à montrer que ces variations rapides cons-
tituent un simple événement météorologique , et non pas ,
comme on l'avait pensé, un événement physiologique, qui ,
considéré isolément, produirait à coup sur des vaiiations
inliniment plus lentes que celles qu'on observe en réalité
tant dans les villes qu'à la campagne elle-même.
Ainsi l'air est un immense réservoir, où les plantes peu-
vent longtemps puiser tout l'acide carbonique nécessaire à
leurs besoins ; où les animaux , pendant bien plus long-
temps encore , trouveront tout l'oxygène qu'ils peuvent con-
sommer. C'est aussi dans l'atmosphère que les plantes puisent
leur azote, soit directement, soit indirectement; c'est là que
les animaux le restituent en définitive. L'atmosphère est
donc un mélange qui reçoit et fournit sans cesse de l'oxygène,
de l'azote ou de lacide carbonique, par mille échanges dont
il est maintenant facile de se former une juste idée, et dont
une analyse rapide va nous permettre d'apprécier les détails.
Que l'on jette une semence en teiTe, et qu'on la laisse
germer et se développer, qu'on suive la nouvelle plante jus-
qu'à ce qu'elle ait porté fleurs et graines à son tour, et l'on
verra par des analyses convenables que la semence primi-
tive en produisant le nouvel être a fi xé du carbone, de l'hy-
drogène, de l'oxygène, de l'azote et des cendres.
Le carbone provient essentiellement de l'acide carbo-
nique , soit qu'il ait été emprunté à l'acide carbonique de
l'air , soit qu'il provienne de cette autre partie d'acide car-
bonique que la décomposition spontanée des engrais dé-
veloppe sans cesse au contact des racines. ]\Iais c'est dans
l'air surtout que le plus souvent les plantes puisent leur
carbone. Comment en serait-il autrement quand on voit Té-
norme quantité de carbone qu'ont su s'approprier des arbres
séculaires par exemple, et l'espace si limité pourtant dans
lequel leurs racines peuvent s'étendre ? A coup sûr, quand a
germé le gland qui a produit il y a cent ans le chêne qui fait
notre admiration maintenant , le terrain sur lequel il était
tombé ne renfermait pas la millionième partie du charbon
que le chêne lui-même renferme aujourd'hui. C'est l'acide
carbonique de l'air qui a fourni le reste, c'est-à-dire la niasse
à peu près entière. Mais quoi de plus clair et de plus con-
cluant d'ailleurs que celte expérience de M. Boussingault où
des pois semés dans du sable, arrosés d'eau distillée et ali-
mentés d'air seulement , ont trouvé dans cet air tout le car-
bone nécessaire pour se développer, fleurir et fructifier?
Toutes les plantes fixent du caibone, toutes l'empruntent
à l'acide carbonique, soit que celui-ci soit pris directement
à l'air par les feuilles , soit que les racines puisent dans la
terre les eaux pluviales imprégnées d'acide carbonique, soit
que les engrais, en se décomposant dans le sol, foc ■•nissent
de l'acide carbonique dont les racines s'emparent aussi pour
le transporter aux feuilles.
Tous ces résultats se constatent sans peine. M. Doussin-
gault a vu des feuilles de vigne enfermées dans un ballon
prendre tout l'acide carbonique de l'air qu'on dirigeait au
travers de ce vase, quelque rapide que fut le courant.
M. Boucherie a vu à son tour s'échapper du tronc coujk!
des arbres en pleine sève des quantités énoimes d'acide
carbonique évidemment aspiré du sol par les racines.
Mais si les racines puisent dans le sol cet acide carbonique,
DIOT. DE LA CONVEUS. — T. '.
R 225
si celui-ci passe dans la tige et de là dans les feuilles, il finit
par s'exhaler dans l'atmosphère sans altération, quand
aucune force nouvelle n'intervient. Tel est le cas des plantes
végétant à l'ombre ou dans la nuit. L'acide carbonique du
sol filtre au travers de leurs tissus et se répand dans l'air.
On dit que les plantes produisent de l'acide carbonique pen-
dant la nuit ; il faut dire que les plantes en pareil cas lais-
sent passer de l'acide carbonique emprunté au sol. Mais que
cet acide carbonique venant du sol ou pris à l'atmosphère se
trouve en contact avec les feuilles ou les parties vertes, que
la lumière solaire intervienne d'ailleurs, et alors la scène
change tout à coup : l'acide carbonique disparaît; des bulles
déliées d'oxygène se développent sur tous les points de la
feuille, et le carbone se fixe dans les tissus de la plante.
Chose bien digne d'intérêt, ces parties vertes des plantes ,
les seules qui jusqu'ici puissent manifester cet admirable phé-
nomène de la décomposition de l'acide carbonique , sont
aussi douées d'une autre propriété non moins spéciale , non
moins mystérieuse. En effet, vient-on à transporter leur image
dans l'appareil de M. Daguerre, ces parties vertes ne s'y trou-
vent pas reproduites , comme si tous les rayons chimiques
essentiels aux phénomènes daguerriens avaient disparu dans
la feuille, absorbés et retenus par elle. Les rayons chimi-
ques de la lumière disparaissent donc en entier dans les
parties vertes des plantes; absorption extraordinaire sans
doute, mais qu'explique sans peine la dépense énorme de
force chinùque nécessaire à la décomposition d'un corps
aussi stable que l'acide carbonique.
Quel est d'ailleurs le rôle de ce cnrbone fixé dans la plante ?
A quoi est-il destiné? Pour la majeure partie sans doute, il
se combine à l'eau ou à ses éléments, donnant ainsi naissance
à des matières de la plus haute importance pour le végétal.
Que 12 molécules d'acide carbonique se décomposent et
abandonnent leur oxygène, et il en résultera 12 molécules
de carbone , qui avec 1 0 molécules d'eau pourront consti-
tuer soit le tissu cellulaire des plantes , soit leur tissu
ligneux, soit l'amidon et la de\îrine qui en dérive. Ainsi,
dans une plante quelconque, la masse presque entière de
la charpente formée conmie elle l'est par du tissu cellulaire,
du tissu ligneux , de l'amidon ou des matières gommeuses,
se représentera par 12 molécules de charbon unies à 10 mo-
lécules d'eau. Le ligneux , insoluble dans l'eau ; l'amidon ,
qui fait empois dans l'eau bouillante, et la dextrine, qui se
dissout si bien dans l'eau à froid ou à chaud , constituent
donc , comme l'a si bien prouvé M. Payen, trois corps doués
exactement de la même composition, mais diversifiés par un
arrangement moléculaire différent. Ainsi , avec les mêmes
éléments , dans les mômes proportions , la nature végétale
produit ou bien les parois insolubles des cellules du tissu
cellulaire et des vaisseaux , ou bien l'amidon qu'elle accu-
mule comme aliment autour des bourgeons et des embryons,
ou bien la dextrine soluble que la sève peut transporter d'une
place à l'autre pour les besoins de la plante. Admirable fé-
condité, qui sait du môme corps en faire trois différents et
qui permet de les transmuter l'un en l'autre avec la plus
faible dépense de force toutes les fois que l'occasion l'exige.
C'est encore au moyen du charbon uni à l'eau que se pro-
duisent les matières sucrées si fréquemment déposées dans
les organes des plantes pour des besoins spéciaux que nous
rappellerons bientôt; 12 molécules de carbone et 11 molé-
cules d'eau forment le sucre de canne; 12 molécules de car-
bone et 14 molécules d'eau font le sucre de raisin.
Ces matières ligueuses , amylacées, gommeuses et sucrées,
que le charbon , pris à l'état naissant, peut produire en s'u-
nissant à l'eau, jouent un rôle si large dans la vie des plantes,
qu'il n'est plus difficile de s'expliquer, quand on les prend
en considération, le rôle important que joue dans les plantes
la décomposition de l'acide carhonicpie.
De même que les plantes décomposent l'acide carbonique
pour s'approprier son carbone et pour former avec celui-ci
29
226
AIR
tous les corps neutres qui composent leur masse presque
entière ; de mtmc, et pour certains produits qu'elles forment
en moindre abondance, les plantes décomposent l'eau et en
fixent l'hydrogène. C'est ce qui ressort clairement des exié-
riences de M. Boussinsault sur la végétation des pois on
vaisseaux clos. C'est ce qui ressort plus clairement encore
«le la production des huiles grasses ou volatiles, si fréquentes
dans certaines parties des plantes et toujours si riches en
hydrogène. Celui-ci ne peut venir que de l'eau , car la plante
uè reçoit pas d'autre produit hydrogéné que l'eau elle-même.
Ces corps hydrogénés, auxquels donne naissance la fixa-
tion de l'iiydrogènc emprunté à l'eau, sont employés par les
plantes à des usages accessoires. Ils constituent en effet les
huiles volatiles, qui servent de défense contre les ravages
des insectes; des huilas grasses ou des graisses dont la
graine s'entoure , et qui servent à développer de la chaleur
en se briMant au moment de la germination ; des cires, dont
les feuilles ou les fruits se revêtent pour devenir imperméa-
bles à l'eau. Mais tous ces usages ne constituent que des
accidents de la vie des plantes : aussi les produits hydrogénés
sont-ils bien moins nécessaires, bien moins communs dans
le règne végétal que les produits neutres formés de charbon
et d'eau.
Pendant sa vie, toute plante fixe de l'azote, soit qu'elle
emprunte de l'azote à l'atmosphère, soit qu'elle le prenne
aux engrais. Dans les deux cas il est probable que l'azote
n'arrive dans la plante et ne s'y utilise que sous forrae d'am-
moniaque ou d'acide azotique.
Les expériences de M. Boussingault ont prouvé que cer-
taines plantes, comme les topinambours, empruntent à l'air
une grande quantité d'azote; que d'autres, comme le fro-
ment, ont, au contraire, besoin de tirer tout leur azote des
engrais; distinction précieuse pour l'agriculture, car il faut
évidemment dans toute culture commencer par produire
les végétaux qui s'assimilent l'azote de l'air, élever à leur
aide les bestiaux qui fourniront des engrais , et tirer parti
de ces derniers pour la culture de certaines plantes qui ne
savent prendre l'azote que dans les engrais eux-mêmes.
L'un des plus beaux problèmes de l'agriculture réside
donc dans l'art de se procurer de l'azote à bon marché. Pour
le carbone, il n'y a pas à s'en inquiéter; la nature y a
pourvu; l'air et l'eau pluviale y suffisent. Mais l'azoîe de
l'air, celui que l'eau dissout et entraîne, les sels ammonia-
caux que l'eau pluviale recèle elle-même, ne sont pas tou-
jours suffisants. Pour la plupart des plantes de culture im-
portante il faut encore entourer leurs racines dun engrais
azoté, source permanente d'ammoniaque ou d'acide azo-
tique, dont la plante s'empare à mesure de leur production.
C'est là, comme on sait, une des grandes dépenses de l'a-
griculture, un de ses grands obstacles; car elle ne retrouve
que l'engrais qu'elle produit elle-même. Mais la chimie est
assez avancée sur ce point pour que le problème de la pro-
duction d'un engrais azoté purement chimique ne puisse
tarder à être résolu.
Mais à quoi sert donc cet azote dont les plantes semblent
avoir un besoin si impérieux.' Les recherches de M. Payon
nous l'apprennent en partie ; car elles ont prouvé que tous
les organes de la plante, sans exception, commencent par
être formés d'une matière azotée analogue à la fibrine , à
laquelle viennent s'associer plus tard le tissu cellulaire , le
tissu ligneux, le tissu amylacé lui-même. Cette matière
azotée, véritable origine de toutes les parties de la piaule,
ne se détruit jamais; on la retrouve toujours, quelque abon-
dante que soit la matière non azotée qui est venue s'inter-
poser entre ses propres particules.
Cet azote fixé par les plantes sert donc à produire une
substance fihrineuse concrète, qui fait le rudiment de tous
les organes du végétal. 11 sert à produire en outre l'albu-
mine liquide, que les sucs congulables de toutes les plantes
recèlent, et to caséum, si souvent confondu avec l'albu-
mine, mais si facile h reconnaître dans beaucoup de plantes.
La fibrine, l'albumine, le casé u m existent donc dans
les plantes. Ces trois produits, identiques d'ailleurs dans
leur composition, ainsi que M. Vogel l'a prouvé depuis
longtemps, présentent une analogie singulière avec le li-
gneux, l'amidon et la dextrine. En effet, la fibrine est inso-
luble comme la matière ligneuse; l'albumine se coagule à
chaud comme l'amidon; le caséum est soluble comme la
dextrine. Ces matières azotées sont neutres d'ailleurs aussi
bien que les trois matières non azotées parallèles , et nous
verrons qu'elles jouent, parleur abondance dans le règne
animal, le même rôle que ces dernières nous ont offert dans
le règne végétal. En outre, de même qu'il suffit pour former
les matières non azotées neuties d'unir du carbone à l'eau
ou à ses éléments, de même, pour former ces matières
azotées neutres il suffit d'unir le carbone et l'ammonium
aux éléments de l'eau. Quarante-huit molécules de carbone,
six d'ammonium et quinze d'eau constituent ou peuvent
constituer la fibrine, l'alJnmiLne et le caséum. Ainsi, dans les
deux cas, des corps réduits, carbone ou ammonium, ajoutés
à de l'eau, suffisent pour former les malières qui nous occu-
pent, et leur production rentre tout naturellement dans le
cercle des réactions que la nature végétale semble surtout
propre à produire. Le rôle de l'azote dans les plantes est donc
digne de la plus sérieuse attention , puisque c'est lui qui sert
à former la fibrine qu'on retrouve comme rudiment dans tous
les organes; puisque c'est lui qui sert à produire l'albumine
et le caséum si largement répandus dans tant de plantes, et
que les animaux s'assimilent et modifient pour leurs propres
besoins.
C'est donc dans les plantes que réside le véritable labo-
ratoire de la chimie organique; le carbone, l'hydrogène,
l'ammonium et l'eau sont donc les principes que les plantes
élaborent; la matière ligneuse, l'amidon, les gommes et les
sucres d'une part, la fibrine, l'albumine, le caséum et le
gluten de l'autre, sont donc les produits fondamentaux des
deux règnes ; produits formés dans les plantes et dans les
plantes seules, et transportés par la digestion dans les ani-
maux.
Une immense quantité d'eau traverse le végétal pendant
la durée de son existence. Cette eau s'évapore à la surface
des feuilles et laisse nécessairement pour résidu, dans la
plante , les sels qu'elle contenait en dissolution. Ces sels
constituent les cendres, produits évidemment empruntés au
sol, et qu'après leur mort les végétaux lui restituent. Quant
à la forme sous laquelle se déposent ces produits minéraux
dans le tissu végétal, rien de plus variable. Remarquons
toutefois que parmi les produits de cette nature, l'un des
plus fréquents et des plus abondants consiste en ce peclinate
de chaux reconnu par M. Jacquelein dans le tissu ligneux de
la plupart des plantes.
Si dans l'obscurité les plantes fonctionnent comme de
simples filtres que traversent l'eau et les gaz ; si sous l'in-
fiuence de la lumière solaire elles fonctionnent comme des
appareils réducteurs qui décomposent l'eau, l'acide carbo-
nique et l'oxyde d'ammonium , il est certaines époques et
certains organes où la plante revêt un autre rôle , un rôle
tout opposé. En effet, s'agit-il de faire germer un embryon,
de développer un bourgeon, de féconder une fleur, la plante
qui absorbait la chaleur solaire, qui décomposait l'acide
carbonique et l'eau, change tout à coup d'allure. Elle brûle
du carbone et de l'hydiogène, elle produit de la chaleur;
c'est-ù-<lire qu'elle s'approprie les principaux caractères de
l'animalité. Mais ici une circonstance remarquable se révèle.
Si l'on fait germer de l'orge, du blé , il se produit beaucoup
de chaleur, d'aci<le carbonique et d'eau. L'amidon de ces
graines se change d'abord eu gomme, puis en sucre; yjuis
il disparaît en produisant l'acide carbonique ohsené. Une
pomme de terre germe-t-el!e, c'est encore son amidon qui se
change en dextrine, puis en sucre, et qui produit enfin de
AIR
227
i\irjde carbonuinc et de la chaleur. Le sucre semble donc
l'agent au moyen duquel les iilaiitos développent de la cha-
leur an besoin.
Conuiient nVtre pas frappé dès lors de la coïncidence des
fait.s suivants : la lécondation est toujours accompagnée de
chaleur, les Heurs respirent en produisant de Tacide carbo-
nique : elles consomment donc du charbon ; et si Ton de-
mande d'où vient ce chaibon, on voit que dans la canne
îi sucre, par exemple, le sucre accunnilé d;uis la tige a dis-
paru en entier quand la floraison et la fructification sont
accomplies. Dans la betterave le sucre va de même en
augmentant dans la racine jusqu'à la floraison; mais la bet-
terave porte-graine ne contient plus trace de sucre dans sa
racine. Dans le panais , le navet , la carotte , les mf-mes phé-
nomènes se reproduisent. Ainsi donc, à certaines époques,
dans certains organes , la plante se fait animal , elle devient
comme lui appareil de combustion ; elle brûle du carbone et
de l'hydrogène; elle développe de la chaleur. Mais à ces
mêmes époques elle détruit en abondance des matières su-
crées qu'elle avait lentement accumulées et emmagasinées.
Le sucre ou l'amidon converti en sucre sont donc les ma-
tières premières au moyeu desquelles les plantes développent
au besoin la chaleur nécessaire à l'accomplissement de quel-
ques-unes de leurs fonctions. Et si nous remarquons avec
quel instinct les animaux , les hommes eux-mêmes , vont
précisément choisir pour leur nourriture ces parties du vé-
gétal où celui-ci avait accumulé le sucre et l'amidon qui lui
servent à développer de la chaleur, ne devient-il pas pro-
bable que, dans l'économie animale, le sucre et l'amidon sont
aussi destinés à jouer le même rôle, c'est-à-dire à se brûler,
pour développer la chaleur qui accompagne le phénomène
de la respiration?
En résumé , tant que le végétal conserve son caractère le
plus habituel, il emprunte au soleil de la chaleur, de la
lumière et des rayons chimiques. Il reçoit de l'air du car-
bone ; il prend de l'hydrogène à l'eau, de l'azote ou de
l'ammonium à l'oxyde d'ammonium , au sol divers sels. Avec
ces matières minérales ou élémentaires il façonne des ma-
tières organisées qui s'accumulent dans ses tissus. Ce sont des
matières ternaires : ligneux, amidon, gommes, sucres, corps
gras. Ce sont des matières quaternaires : fibrine , albumine,
caséum, gluten. Jusque là le végétal est donc un producteur
incessant; mais si par moments, si pour satisfaire à certains
besoins le végétal se fait consommateur, il réalise exactement
les mêmes phénomènes que l'aninial va nous offrir.
Un animal, en elTet, constitue un appareil de combustion
d'où se dégage sans cesse de l'acide carbonique, où sans
cesse se brûle par conséquent du carbone.
Nous ne seions pas arrêtés i)ar cette expression d'o?îi-
maux à sang froid, qui semblerait désigner des animaux
dépourvus de la propriété de produire de la clialeur. Le fer
qui brûle avec éclat dans l'oxygène produit ime clialeur que
jiersonne ne voudrait nier; mais il faut de la réflexion et
quelque science pour s'apercevoir que le fer qui se rouille
lentement à l'air en dégage tout autant, quoique sa tempé-
rature ne varie pas sensiblement. Le phosphore enflammé
brûle en produisant une grande quantité de chaleur, per-
sonne n'en doute. Le phosphore à froid brûle encore dans
l'air; et pourtant la chaleur qu'il développe en pareil cas a
été longtemps contestée. Ainsi est-il des animaux : ceux qu'on
appelle à sang chaud brûlent beaucoup de charbon dans un
temps donné, et conservent un excès sensible de chaleur sur
les corps environnants; ceux qu'on nomme à sang (roid
brûlent beaucoup moins de charbon, et conservent consé-
quemment un excès de chaleur si faible ([u'il devient diiïicile
ou impossible à observer. ISlais néanmoins le raisonnement
nous fait voir que le caractère le plus constant de l'animalité
réside dans celte combustion de cliarl)on et dans le dévelop-
jiement d'acide caiboniqiie qui en est la conséquence, par-
tant aussi dans la production de chaleur (juc toute combu:-:lioii
do charbon détermine. Qu'il s'agisse d'animaux supérieurs
ou inférieurs, que cet acide carbonique s'exhale du poumon
ou de la peau, il n'importe; c'est toujours le môme phéno-
mène, la même fonction.
En même temps que les animaux brûlent du carbone, ils
brûlent aussi de l'hydrogène ; c'est un point prouvé par k
disparition constante d'oxygène qui a lieu dans leur respi-
ration. En outre, ils exhalent constamment de l'azote.
J'insiste sur ce point. Quelques observateurs ont admis une
absorption d'azote dans la respiration , qui ne se présente
jamais qu'avec des circonstances qui la rendent plus que
douteuse. Le phénomène constant , c'est l'exhalation de ce
gaz, comme l'a très-bien remarqué M. Despretz. Il faut donc
en conclure avec certitude que nous n'empruntons jamais
de l'azote à l'air; que l'air n'est jamais un aliment pour
nous; que nous nous bornons à lui prendre l'oxygène néces-
saire pour former avec notre carbone de l'alcide carbonique ;
avec notre hydrogène , de l'eau.
L'azote exhalé provient donc des aliments, et il en pro-
vient tout entier. Celui-là , dans l'économie générale de la
nature, pouna dans des milliers de siècles être absorbé par
les plantes qui, comme les topinambours, empruntent direc-
tement leur azote à l'air ; mais ce n'est pas là tout l'azote
que les animaiLx exhalent. Chacun de nous rend par ses
urines, terme moyen, comme l'a constaté ]\L Lecanu, quinze
grammes d'azote par jour, azote évidemment emprunté à
nos aliments, comme le carbone et l'hydrogène que nous
brûlons.
Sous quelle forme cet azote s'échappe-t-il ? Sous forme
d'ammoniaque. Ici se présente même une de ces observations
qui ne manquent jamais de nous pénétrer d'admiration pour la
siraphcité des moyens que la nature met en œuvre. Si dans
l'ordre général des choses nous rendons à l'air l'azote que
certains yégétaux pourront utiliser directement un jour, il
devait arriver que nous étions tenus de lui rendre aussi de
l'ammoniaque, produit si nécessaire à l'existence , au déve-
loppement de la plupart des végétaux. Tel est le principal
résultat de la sécrétion urinaire. C'est une émission d'am-
moniaque , qui retourne au sol ou à l'air.
Mais, est-il besoin d'en faire ici la remarque? les organes
urinaires seraient altérés dans leurs fondions et leur vitalité
par le contact de l'ammoniaque; ils le seraient même par
le contact du carbonate d'ammoniaque. Aussi la nature nous
fait-elle excréter de l'urée.
L'urée, c'est du carbonate d'ammoniaque; c'est-à-dire de
l'acide carbonique comme celui que nous expirons , et de
l'ammoniaque tel que le veulent les plantes. Mais ce carbo-
nate d'ammoniaque a perdu de l'hydrogène et de l'oxygène
ce (pi'il en faut pour constituer deux molécules d'eau.
Privé de cette eau, le carbonate d'ammoniaque devient de
l'urée; alors il est neutre, inactif sur les membranes ani-
males : alors il peut traverser les reins, les uretères, la
vessie, sans les enflammer. l\Iais parvenu à l'air, il éprouve
une fermentation véritable, qui lui restitue ces deux mo-
lécules d'eau , et qui fait de cette même urée de véritable
carbonate d'ammoniaque : volatil, pouvant s'exhaler dans
l'air; soluble, pouvant être repris par les pluies; destiné en
conséquence à voyager ainsi de la terre à l'air et de l'air à la
terre, jusqu'à ce que, pompé i)ar les racines d'une plante
et élaboré par eUe , il se convertisse de nouveau en matière
organique.
Ajoutons un trait à ce tableau. Dans l'urine, à côté de
l'urée, la nature a placé quelques traces de matière animale
albumineuse ou muqueuse, traces presque insensibles à
l'analyse. Celle-ci pourtant, parvenue à l'air, s'y modifie, et
devient un de ces ferments comme nous en trouvons tant
dans la nature organique; c'est lui qui détermine la con-
version de l'urée en carbonate d'ammoniaque. Ainsi nous
émettons de l'urée accompagnée de ce ferment, de cet
arlilice qui, jouant à un moment donné, va tjansformcr
29.
228
AIR
cette urde en carbonate d'ammoniaque. Si nous rendons au
phénoiiit-ne général de la combustion animale cet acide
carbonique du carbonate d'ammoniaque qui lui appar-
tient de droit, il reste de l'ammoniaque comme produit
caractéristiiiue des urines.
Ainsi, par le [)Oumon et la peau, acide carbonique, eau,
azote; par les urines, ammoniaque. Tels sont les produits
constants et nécessaires qui s'exhalent de l'animal. Ce sont
précisément ceux que la végétation réclame et utilise ; tout
comme le végétal rend à son tour à l'air l'oxygène que l'a-
nimal a consommé.
U'où viennent ce carbone, cet bydrogène brûlé par l'a-
nima!, cet azote qu'il a exiialé, libre ou converti en am-
moniaque? Ils viennent évideumient des aliments.
En étudiant la d i gestion à ce point de vue, nous sommes
conduit à la considérer d'une manière bien plus simple
qu'on n'a coutume de le faire et qui va se résumer en quel-
ques mots.
En effet, dès qu'il a été prouvé pour nous que l'animal
ne crée point de matière organi(iue, qu'il se borne à se
l'assimiler ou à la dépenser en la brûlant, il ne fallait plus
chercher dans la digestion tous ces mystères qu'on était
bien sûr de n'y point trouver. C'est qu'en effet la digestion
est une simple fonction d'absorption. Les matières solu-
bles passent dans le sang, inaltérées pour la plupart; les ma-
tières insolubles arrivent dans le chyle, étant assez divisées
pour être aspirées par les orifices des vaisseaux chylifères.
D'ailleurs, la digestion a évidemment pour objet de resti-
tuer au sang une matière propre à fournir à notre respira-
tion ces douze ou quinze grammes de charbon ou l'équiva-
lent d'hydrogène que chacun de nous brûle à l'heure, et de
lui rendre ce gramme d'azote qui s'exhale par heure aussi,
tant par le poumon ou la peau que par les tnines.
Ainsi les matières amylacées se changent en gomme et
sucre ; les matières sucrées s'absorbent ; les matières grasses
se divisent, s'émulsionnent, et passent ainsi dans les vais-
seaux, pour former ensuite des dépôts que le sang reprend
et brûle au besoin. Les matières azotées neutres, la fibrine,
l'albumine et le caséum , dissoutes d'abord, passent dans le
sang.
Ainsi l'animal reçoit et s'assimile presque intactes des
matières azotées neutres qu'il trouve toutes foi mées daiiî
les animaux ou les plantes dont il se nourrit ; il reçoit des
matières grasses qui proviennent des mômes sources; il
reçoit des matières amylacées ou sucrées qui sont dans le
même cas.
Ces trois grands ordres de matières, dont l'origine re-
monte toujours à la plante , se partagent en produits assi-
milables, fibrine, albumine, caséum, corps gras, qui servent
à accroître ou à renouveler les organes ; et en produits com-
bustibles, sucre et corps gras, que la respiration consomme.
L'animal s'assimile donc ou détruit des matières organiques
toutes faites ; il n'en crée donc pas. La digestion introduit donc
dans le sang des matières organiques toutes faites; l'assimi-
lation utilise celles qui sont azotées ; la respiration brûle les
autres.
Si les animaux ne possèdent aucun pouvoir particulier
pour produire des matières organiques , ont-ils du moins ce
pouvoir spécial et singulier qu'on leur a attribué de pro-
duire de la chaleur sans dépense de matière? En discutant les
expériences de MM. Dulong et Desprctz, on voit positive-
ment le contraire en ressortir. Ces habiles physiciens ont
supposé qu'un animal placé dans un calorimètre à eau froide
en sort exactement avec la température qu'il possédait à
l'entrée; chose absolument impossible , on le sait aujour-
d'hui. C'est ce refroidissement de l'animal, dont ils n'ont pas
tenu compte, qui exprime dans leurs tableaux les excès de
chaleur attribués par eux et par fous les physiologistes à un
pouvoir calorilique particidier à l'animal et indépendant de
la respiration.
Il m'est démontré que toute la chaleur animale vient de
la respiration, qu'elle se mesure par le charbon et l'hy-
drogène brûlés. 11 m'est démontré , en un mot , que cette
assimilation poétique de la locomotive du chemin de fer à
un animal repose sur des bases plus sérieuses qu'on ne l'a
cru peut-être. Dans l'un et l'autre , combustion , chaleur,
mouvement , trois phénomènes liés et proportionnels.
Vous voyez qu'à la considérer ainsi , la machine animale
devient bien plus facile à comprendre : c'est l'intermé-
diaire entre le règne végétal et l'air; elle emprunte tous ses
aliments au premier, pour rendre au second toutes ses ex-
crétions.
Faut-il rai)peler comnient nous envisageons la respira-
tion , phénomène plus complexe que ne l'avaient cru Laplace
et Lavoisier, que ne l'avait pensé Lagrange, mais qui, préci-
sément en se compliquant, tend de plus en plus àrentrerdans
les lois générales de la nature morte ? On sait que le sang
veineux dissout de l'oxygène et dégage de l'acide carbo-
nique; qu'il devient artériel sans produire trace de chaleur.
Ce n'est donc pas en s'artérialisant que le sang produit de
la chaleur. Mais sous riulluence de l'oxygène absorbé les
matières solubles du sang se convertissent en acide lac-
tique, comme l'ont vu M.NL Jlitscherlich, Doutron-Charlard
et Frémy; l'acide lactique se convertit lui-même en lactate
de soude ; ce dernier, par une véritable combustion, en car-
bonate de soude , qu'ime nouvelle portion d'acide lactique
vient décomposer à son tour. Celte succession lente et con-
tinue de phénomènes, qui constitue une combustion réelle,
mais décomposée en plusieurs temj)s, où il faut voir une
de ces combustions lentes sur lesquelles M. Chevreul a de-
puis longtemps fixé l'attention , c'est là le véritable phéno-
uiène de la respiration. Le sang s'oxygène donc dans le pou-
mon ; il respire réellement dans les capillaires de tous les
autres organes, là où la combustion du carbone, la produc-
tion de chaleur se réalisent surtout.
Une dernière réflexion. Pour monter au sommet du Mont-
Blanc, un homme emploie deux journées de douze heures.
Pendant ce temps il brûle en moyenne 300 grammes de car-
bone ou l'équivalent l'hydrogène. Si une machine à vapeur
s'était chargée de l'y porter, elle en aurait brûlé 1,000 à
1,200 pour faire le même scrAice. Ainsi, comme machine
empruntant toute la force au charbon qu'il briîle, l'houime
est une machine trois ou quatre fois plus parfaite que la plus
parfaite machine à vapeur. Nos ingénieurs ont donc encore
à faire ; et pourtant ces nombres sont bien de nature à prou-
ver qu'il y a communauté de principes entre la machine vi-
vante et l'autre; car si l'on tient compte de toutes les pertes
inévitables dans les machines à feu et si soigneusement évi-
tées dans la machine humaine, l'identité du principe de leurs
forces respectives ressort manifeste et évidente aux yeux.
Si nous nous résumons, nous voyons que de l'atmosphère
primitive de la terre il s'est fait trois grandes parts :
L'une qui constitue l'air atmosphérique actuel ; la seconde
qui est représentée par les végétaux; la troisième, par les
animaux.
Entre ces trois masses, des échanges continuels se passent :
la matière descend de l'air dans les plantes, pénètre par
cette voie dans les animaux, et retourne à l'air à mesure que
ceux-ci la mettent à profit.
Les végétaux verts constituent le grand laboratoire de la
chimie organique. Ce sont eux qui avec du carbone, de l'hy-
drogène, de l'azote, de l'eau et de l'oxyde d'ammonium,
construisent lentement toutes les matières organiques les
plus complexes.
Us reçoivent des rayons solaires, sous forme de chaleur
ou de rayons chimiques, les forces nécessaires à ce travail.
Les aniniaux s'assimilent ou absorbent les matières orga-
niques formées par les plantes. Ils les altèrent peu à peu, ils
les détruisent. Dans leurs tissus ou leurs vaisseaux, des
1 matières organiques nouvelles peuvent naître; mais ce sont
AIR
22a
toujours des matières plus simplos , plus rapprocliées de
l'état élémentaire que celles qu'ils ont reçues.
lis délont doue peu à peu ces matitres organiques créées
lentement par les plantes. Ils les ramènent donc peu à peu
vers l'état d'acide carbonique, d'eau, d'azote, d'ammonia-
que, état ipii leur permet de les restituer à l'air.
En brillant ou en détruisant ces matières organiques , les
animaux produisent toujours de la chaleur, qui rayonnant de
leur corp;; dans l'espace va remplacer celle que les végétaux
avaient absorbée.
Ainsi , tout ce que l'air donne aux plantes , les plantes le
cèdent au\ animaux, les animaux le rendent à l'air; cercle
étemel , dans lequel la vie s'agite et se manifeste , mais où la
matière ne lait que changer de place.
La matière brute de l'air, organisée peu à peu dans les
plantes, vieuf donc fonctionner sans changement dans les
animaux et servir d'instrument à la pensée; puis, vaincue
par cet eflort et comme brisée, elle retourne matière brute au
grand résenoir d'où elle était sortie.
J.-B. Dm AS, de l'Acadcmie drs Sciences ,
scnalcur, ancien minisire de l'agricullure et du commerce.
AIR ( Musique) , de l'itahen aria. L'idée la plus générale
et la plus précise que l'on puisse se faire d'im air, quels
qu'en soient d'ailleurs le genre et l'espèce, est celle d'un
morceau de musique, tantôt fort court, tantôt très-dé veloppé,
dans lequel la mélodie d'une partie dominante attire princi-
palement l'attention. Cette définition s'applique sans difli-
culté à toutes les sortes d'airs.
Les différences qui constituent chacun d'eux naissent en
premier lieu des organes auxquels l'air est destiné : il y a
en conséquence l'air vocal et l'air instrumental ; en second
lieu, des circonstances dans lesquelles on l'exécute, et qui se
distinguent selon qu'il appaitieut au style d'église, de chambre
ou de théâtre.
L'air vocal se règle naturellement quant à l'expression ,
et par suite quant à la coupe et à l'étendue, sur les paroles
que le poète a livrées au compositeur. Or celui-ci, devant y
chercher ses inspirations musicales, compose une mélodie
gaie ou mélancolique, calme ou agitée, simple ou grandiose;
il lui donne un mouvement lent ou précipité, il l'étend large-
ment ou la resserre dans d'étroites limites, il raccompagne
d'une harmonie légère ou étoffée , il la coupe d'interludes
ou lui donne une impulsion continue, etc., selon que le re-
quiert le sens des paroles, qu'il ne doit jamais perdi-e de vue
si c€lles-ci ont de l'importance. On conçoit d'après cela que
le compositeur de\Ta jouir d'une certaine liberté, et s'écarter
en plusieurs cas des habitudes ordinaires, puisqu'il est dans la
nécessité de se soumettre à des obligations extérieures ; cette
liberté n'aura même véritablement d'autres limites que la
violation des règles essentielles de l'art ou de celles que
l'expérience a le droit d'imposer. Mais fort souvent il arrive
que des paroles d'ailleurs excellentes pour la musique ont
fort peu d'importance littéraire . ce sont celles qui , se dé-
veloppant sur des idées vagues et d'un caractère peu saillant,
exigent seulement du compositeur une couleur générale telle
que la musique ne contraste pas avec les paroles. Alors il se-
rait inexcusable de ne pas s'astreindre aux règles ordinaires
et à la distribution commune de la mélodie, puisque rien ne
l'oblige à s'en écarter et que d'excellents modèles sont sous
ses yeux.
Il y a peu de chose à dire sur les airs du style d'église :
ils se composent d'im seul mouvement, si ce n'est pour
certains motets, qui en admettent deux. Ces sortes d'airs ren-
trent dans la classe de ceux qu'au théâtre on appelle de
demi-caractcre , et dont il sera parlé plus loin. Le lieu où
ils s'exécutent et l'objet qui réunit l'auditoire excluent né-
cessaireujent une expression trop passionnée, môme lors-
que les paroles res|>irent une grande énergie , comme, par
exemple, celles de certains |)saumes. Le grand art du mu-
sicien est alors de donner à ses airs d'église une teinte re-
ligieuse et d'éviter toute exagération dans la peinture des
sentiments. Tout le monde comprendra que, par exemple,
l'allégresse qu'expriment certains passages de la liturgie ne
saurait se rendre à l'église par les moyens qu'on emploierait
dans un opéra-luiffa; c'est même là une des difficultés les
plus considéraliles que rencontrent ceux qui veulent écrire
des airs d'église sans en avoir l'iiabitude. La forme doit
d'ailleurs être plus régulière, et la stricte observation des lois
de la mélodie est ici de rigueur.
Les airs du style de chambre sont ceux qui se chantent
par amusement, et qui, destinés surtout aux amateurs, n'ap-
partiennent pas seulement aux salons, mais qui, reproduits
avec plus ou moins d'exactitude, descendent dans l'atelier
ef même dans la me, et deviennent la propriété et le patri-
mo'ne musical du peuple. C'est surtout dans cette classe
qu'il s'en rencontre que tout le monde Unit par connaître, et
qui dès lors sont x(-\^u{é% populaires. Elle renferme, sans y
comprendre les airs de danse, des subdivisions fort nom-
breuses, en tête desquelles se placent les airs patriotiques,
qui dans chaque pays ont pour objet de célébrer les liants
faits de son histoire, sa délivrance de la tyrannie étrangère
ou domestique, et quelquefois de pleurer sur ses revers, de
réveiller dans le cœur des citoyens l'amour de la liberté et
la haine de l'oppression. A la suite de ces airs, inspirés par
les circonstances, viennent les airs tendres ou joyeux, ro-
mances, chansons, chansonnettes, les barca-
rcles , les tonad illes , les airs de table ou airs bachi-
ques, etc. Remarquons en passant que toutes ces compo-
sitions sont des pièces à couplets, c'est-à-dire dans les-
quelles la musique , écrite pour la première ou les deux
premières strophes ou divisions poétiques du morceau, sert
pour les autres divisions semblables qui viennent ensuite.
Et là ne s'arrête pas la reproduction ; car ces mêmes airs
servent de timbres à une foule de nouvelles poésies de
même mètre pour lesquelles on n'a point composé de mu-
sique spéciale : en sorte qu'un air unique s'adapte souvent
à des milliers de chansons.
C'est dans le recueil de ces airs de genres différents que
l'on trouve le corps des airs nationaux particuliers à
chaque peuple, et qui portent une empreinte plus ou moins
vive des pays qui les ont vus naître. En effet, parmi ces airs
il en est dont la tonalité, le rhylhme, une particularité quel-
conque de composition offrent à l'oreille un trait caracté-
ristique d'autant plus facile à observer qu'il se trouve
dans des compositions courtes et précises, faciles à com-
prendre et à retenir, et chantées le plus ordinairement par
des gens qui n'ont aucune notion musicale. C'est parmi ces
airs que se trouvent ceux qui dans chaque localité remon-
tent à une époque souvent fort reculée, et dont par cette
raison l'on ignore les auteurs : telles sont, par exemple, les
mélodies irlandaises et écossaises que l'on a recueillies en
ces derniers temps, et dont l'ancienneté est incontestable.
Ces airs sont d'une extrême utilité au compositeur ; et lors-
qu'il veut donner à un ouvrage une certaine couleur locale,
il ne sait rien faire de mieux que de les reproduire ou de
les imiter. Observons que chez les peuples où la musique a
fait de grands progrès et fleurit depuis longtemps, les airs
nationaux primitifs ont fini par se perdre. Et il est facile
d'en donner la raison : de nouvelles compositions étant
chaque jour mises en circulation , quelques-unes des plus
anciennes vont aussi chaque jour s'oubliant et mourant avec
les vieillards qui en avaient conservé le souvenir. 11 suffit
pour s'en apercevoir de remarquer, par exemple, que la
plupart des timbres qui au commencement de ce siècle ser-
vaient pour les chansons nouvelles et pour les couplets des
petites comédies appelées vaudevilles, sont à peu près aban-
donnés, seront bientôt tout à fait oubliés, et se perdraient al>
solument si l'impression ne les avait conservés. Cet abandon
n'est nullement pour ces airs une marque d'infériorité;
mais de plus nouveaux sont venus se substituer à eux, et
230
AIR
ont t^lc^. pr(^f6rt^s parce qu'ils éfaienl à la mode. Voilà com-
iiicnt rUalic, la Kranre, l'AIlema{;iic ont iienlu le plus grand
noiiiltn! d{! leurs airs antiques, tantiis qu'il s'en est con-
servé un assez grand nombre dans les montagnes de l'É-
tosse et de la Suisse, sur les glaces de l'Islande, de la
Russie, de la Norvège, parce (pic dans ces lieux il s'en
compose fort peu de nouveaux, et (pie jusqu'à nos jours, où
Ton a pris la peine de les noter et île les recueillir, ils ne se
transmettaient que par tradition et ne s'apprenaient que
de routine. Sans nous arrùter ici au caractère spécial de ces
airs chez chacun des diflérents jieuples qui les possèdent,
nous devons remarcpier qu'en général les airs originaires du
Kord sont tous mélancoliques, et, chose assez singulière, il
en est de même des airs orientaux: seulement ceux-ci sont
exécutés avec une si prodigieuse surcharge d'ornements de
toutes sortes, que l'expression de tristesse qu'ils portent avec
eux semble d'une nature fort différente.
Les airs du style théûtral sont ceux q\a dans cet article
doivent plus particulièrement lixer notre attention. Ce qui
leur donne un caractère propre, c'est qu'ils sont intimement
liés à une action dramatique, qui les domine d'une manière
absolue , qu'ils sont exécutes dans un vaste local et en pré-
sence de nombreux auditeurs, enlin qu'ils sont accompa-
gnés par l'orchestre et au besoin par les chœurs. Les airs
vont dans les opéras une des parties auxquelles le public
attache le plus d'importance, et fort souvent de la beauté
d'un air et de sa bonne exécution dépend le succès d'un
opéra.
L'air proprement dit, appelé souvent grand air, et qui
à plusieurs égards mérile ce titre, exprime presque toujours
des sentiments élevés, des images nobles et pathétiques, ou
bien dans le genre comique des idées divertissantes et bouf-
fonnes; il admet des descriptions d'événements importants,
et dans ce cas il a le droit très-naturel d'empiéter sur le
récitatif libre ou obligé. On distingue dans les grands airs l'air
(le caractère ou de sentiment; il peut être sérieux et tra-
gi(pie, ou bien gai, comique, bouffon; et c'est à lui que
s'applique particulièrement ce qui vient d'être dit. L'air
de chant ou air chantant, appelé aussi air de demi-carac-
tère, où le compositeur cherche une mélodie vague,
agréable et limpide, sans courir après une expression
positive, que n'exige point la situation ; l'air déclamé et l'air
2iarlé, dans lequel la mélodie sur laquelle se dessinent des
traits d'orchestre se rapproche constamment soit du réci-
tatif, soit mêm(î du discours habituel ; l'air de bravoure,
destiné uniquement à faire briller la voix et le talent d'un
chanteur habile; enfin, en Italie on établit d'autres distinc-
tions, pour les airs de 5ecoH(/e7)rtr^/e,con(iésàdes chanteurs
<le second ordre; les airs de convenance, que le chanteur
introiluit dans un ouvrage auquel ils n'appartiennent pas;
les airs de pacotille, qui sont ceux que le compositeur ou le
chanteur tieiment toujours prêts pour s'en servir à l'occasion ;
enfin, pour désigner un air mauvais ou médiocre, qui ne peut
exciter aucun intérêt, on le nonnne air de sorbet, parce
(pie tandis que le chanteur l'exécute on se retire pour
piendre des glaces.
Ce que nous disions en commençant sur la nécessité ce
subordonner dans les airs la disposition musicale à la poésie
s'applique essentiellement aux airs de théâtre, et voilà pour-
quoi l'air chamatique n'a pas de règles positives et absolues;
quelle que put être leur multitude, le compositeur aurait
tout droit de les violer si la situation ou le sens des paroles
l'exigeait, ou si enlia la fougue de l'imagination et le (eu du
génie l'y autorisaient. On pardonne tout au compositeur
dramatique, s'il est réellement inspiré. Pour appeler cette
inspiration, il cherche d'abord à bien se pénétrer du sens
des paroles; lorsqu'il a rélléchi sur la mesure des vers,
reconnu et fixé les points des grands repos périodiques, il
voit comment les vers s'accouplent, afin d'obtenir les demi-
cadcncos; quand il a trouvé son premier motif, il cheichc
comment des vers ou parties de vers prises a\ et là peuvent
convenablement se rapprocher, ^associer et servir au dé-
veloppement des pensées nmsicales. Dans les airs bien faits,
les vers sont presque toujours présentés d'abord tels que le
poêle les a disposés : de cette manière le sens en est tout de
suite compris par les auditeurs, et les nouveaux sens que l'on
peut former au moyen des mêmes paroles ne causent alors
aucune confusion. Il est très-permis néanmoins de répéter
dès le connnenceincnt quelque vers , quelque petite phrase,
quelque mot, surtout lorsque la mélodie étend ou détermine
le sens des paroles. Le compositeur ne saurait trop, pour la
phrase principale de l'air qu'il écrit, invoquer le génie inspi-
rateur ; car si sa première pensée est naturelle, claire, neuve
et convenablement adaptée à la situation, s'il lui vient de ces
idées que l'artiste puise dans sa propre sensibilité , et non
dans les formules de son art , le public est à lui , et môme
pardonnera volontiers quelques écarts dans le cours de la
composition ; mais pour cela il est nécessaire que l'auditeur
ait été réellement électrisé. A l'égard de la coupe du mor-
ceau, la manière la plus usitée aujourd'hui est de présenter
après le récitatif un cantabilc qui respire la mélancolie et
môme la tristesse; c'est là que le musicien doit déployer
toutes les émotions de son àme. Ce premier mouvement est
suivi d'un allegro qui se termine lui-même par une coda
nommée cabaletle, qui commence à l'endroit où l'on serre la
mesure. L'air finit habituellement dans le ton où il a com-
mencé ; mais le contraire peut arriver quelquefois. La coupe
qui vient d'être indiquée est la plus en usage. On trouve
aussi beaucoup d'airs modernes formés de l'assemblage de
trois mouvements différents. Encore une fois, il n'y a ici rien
d'obligatoire; le compositeur est maître d'imaginer d'autres
coupes et de les employer con)me bon lui semble , il suffit
que la situation s'y prête.
Les airs de plus petite dimension, appelés au théâtre pe-
tits airs, sont les romances , chansons ou cavatines; les
deux premières rentrent, sauf les convenances scéniques,
dans la catégorie des airs de chambre. La cavatine ap-
partient seulement à la musique dramatique ; c'est un air
court et presque toujours d'un seul mouvement, quekpiefois
de deux. A elle se rapportent d'autres petits airs que l'on
tiaite souvent en rondeau et qui en suivent les règles.
Au reste, qu'il s'agisse de grands ou de petits airs, le com-
positeur draniatique a pour en augmenter la valeur une
ressource bien utile, et dont parfois il lui arrive d'abuser :
c'est l'orchestre, qui souvent se trouve là pour relever les
endroits faibles, et jette, parla variété des formes, par la dif-
férence des timbres et par les dessins mélodiques et harmo-
niques, une grande variété dans un air qui, entouré de moins
d'appareil, pourrait fatiguer par son étendue , ou se mon-
trer trop inconsistant.
Les airs que nous avons placés dans la deuxième section
sont ceux qui ont pour organe non plus la voix humaine,
mais un ou plusieurs instruments. S'il s'agit d'un air destiné
à un instrument unique exécutant tout à fait seul, ou ac-
compagné par d'autres qui ne jouent qu'un rôle secondaire,
il rentre dans la catégorie des airs vocaux en style de
chambre, et c'est même souvent un de ceux-ci dans lequel
seulement l'instrument est substitué à la voix. Que le thème
ou motif soit d'invention, ou bien qu'il soit emprunté à la
musique vocale, si l'on veut en reproduire plusieurs cou-
plets, la différence des paroles n'existant plus à chacim
d'eux, et la répétition continue d'une même mélodie sans
paroles ne pouvant manquer de devenir bientôt fastidieuse,
on cherche à captiver l'attention de l'auditeur en présentant
chaque couplet sous un aspect nouveau où l'on conserve le
fond du thème, en renouvelant chaque fois sa forme exté-
rieure, et pour ainsi dire en le faisant toujours reparaître
vêtu d'un nouveau costume. En ce cas, dans le langage vul-
gaire on désigne cet air par le mouvement indicpié en lête,
et Tondit {mandu}ile, un grazioso, un allcgrcllo avec
Am -
vaiialions. Si lo molif osl empninlé h quelque pièce de
tluàtre ou de ciiaïubre, on le désigne par le nom qui lui
appartient, en ajoutant qu'il est destiné à tel ou tel instru-
ment.
Les airs qui doivent être exécutés par plusieurs instru-
ments à la fois sont de deux genres , les uns semblables à
ceux dont il vient d'être question, les autres destinés par-
ticulièrement à s'unir ïi la danse et à en régler et diriger
les mouvements et les attitudes. Ceux-ci s'appellent airs île
danse, airs ballatoires ou airs de ballet. Pour les premiers,
le compositeur, ayant à sa disposition des organes plus ou
moins nombreux et des timbres différents, reproduit le
motif en le faisant passer d'un instrument à un autre, sou-
vent sans le varier, car la différence de timbre suflit pour
exciter et nourrir l'attention; mais le plus ordinairement à
chaque fois que le thème se rencontre, l'harmonie est ren-
forcée , réchauffée , renouvelée par tous les moyens que l'art
fournit, et de plus le musicien ne s'interdit pas les variations
quand il juge convenable d'en faire usage. Les seconds
mouvements de beaucoup de symphonies et quatuors sont
conçus de cette manière , et l'œuvre de Haydn offre à cet
égard comme à bien d'autres d'admirables modèles.
Les airs de danse se lient intimement à cliacune des dan-
ses particulières dont ils ont déterminé le mouvement ,
soit qu'ils s'appliquent à quelqu'une des nombreuses ligures
imaginées depuis trois siècles, telles que t r a n Z e s, g / gués,
chaco unes, boiirrées,s au t eu s es, contredanses,
walses, polkas, mazxirkas, etc., soit qu'ils se ratta-
chent à une action mimodraraatique. C'est donc à l'article
particulier de chaque danse et à l'article Ballet que l'on
trouvera l'indication du caractère des pièces de musique
qui en dépendent. Adrien de Lafage.
AIR L\FLAJ\OIABLE. Voye:^ Hydrogène.
AIRAIX. Ce mot répond au mot ws des Latins, par
lequel ceux-ci ont désigné quelquefois le cuivre pur, mais
plus fréquemment les alUages de ce métal avec un grand
nombre d'autres substances métalliques , et notamment l'or,
l'argent, le zinc, le pîomb, l'étain.
H n'y a plus guère que les poètes qui se servent aujour-
d'hui de ce mot pour désigner des pièces formées de quelque
alliage de cuivre. L'airain a pris chez les modernes le nom
de bronze.
La fabrication de l'airain était une partie importante des
arts métallurgiques chez les anciens ; car ils se servaient de
ce métal pour un grand nombre d'usages, et principaiemeut
pour en faire des statues et des monnaies. On sait que les
Romains l'employèrent d'abord en masse comme moyen
d'échange , et que ce fut leur roi Servius Tulhus qui le
premier fit monnayer cette substance. Ce n'est que cinq
ans avant la guerre Punique (i'an 585 de Rome) que Ton
commença à battre de la monnaie d'argent.
Les anciens faisaient un prodigieux emploi de l'airain :
les entablements , les portes , les chandeliers , les statues
des dieux , et autres ornements des temples étaient faits avec
ce métal; ils s'en servaient pour conserver la mémoire des
hommes qui avaient rendu de grands services à leur patrie ,
qui avaient remporté trois années de suite les prix aux jeux
olympiques , etc.
La statue colossale de Rhodes, ouvrage d'un élève du
fameux Lysippe, était en airain. On fabriquait encore des
armes et des ustensiles de ménage en airain; de tous les al-
liages de cuivre en usage chez les Grecs , le plus estimé était
l'airam fabriqué dans l'ile de Délos et d'Égine.
Les anciens attribuaient l'alliage magnifique appelé ai-
rain de Cortnthe au hasard , à la fusion et au mélange de
plusieurs métaux lors de l'embrasement de cette ville, qui
eut lieu cent quarante-six ans avant J.-C. Mais ce beau
bronze, dont les Romains faisaient tant de cas, était sans
doute plus ancien. On a peine à croire à cet alliage fortuit
de l'airain de Coiintlie quand on sait avec quelle diflicrJté
AIRE
291
s'opèrent le mélange et la combinaison de plusieurs métaux
de pesanteurs spécifiques différentes, et combien il faut les
reuuier ou les brasser. Plusieurs métaux, tels que l'or, l'ar-
gent, le bronze, l'étain, le plomb, etc., abandonnés à la
seule action du feu, n'auraient formé , même en supposant
une fusion simultanée , que des masses confuses , composées
de plusieurs couches, selon la pesanteur spécifique et la
quantité de chaque métal ; ou ils ne se seraient qu'imparfai-
tement mélangés , et il n'aurait pu en résulter un tout éga-
lement combiné , et propre , par exemple , à servir à la
fonte des ouvrages du statuaire. Pline dit que l'on imitait
l'airain de Corinthe par im alUage de cuivre, d'or et d'ar-
gent. Mais les connaissances en métallurgie et en analyse
chimique étaient-elles alors parvenues au point de faire
trouver la composition de ce bronze et les proportions de
son alliage? C'est ce dont il est permis de douter. Pline
parle de trois espèces d'alliages : la première était blanche ,
et l'argent y dominait; la seconde avait la couleur de l'or,
ce métal n'y entrait probablement qu'en petite quantité;
s'il y eilt été réparti uniformément, il se serait opposé, en
conservant sa couleur , à ce que le temps produisît facile-
ment cette belle teinte verte que les anciens aimaient à voir
au bronze. Dans la troisième espèce, les métaux étaient
combinés par parties égales.
H y avait un airain noir, nommé hêpatizon, à cause de sa
couleur d'un rouge brun foncé, qui avait assez de ressemblance
avec celle du foie (en grec 'n-Kaç) -. Pline n'en connaissait
pas la composition ; il paraît qu'elle était due au hasard. Ce
bronze était moins estimé que celui de Corinthe , mais plus
que ceux de Délos et d'Égine.
AIÎIAÏIV ( Serpent d' ). Voyez Serpent.
AIRE (du latin area). En géométrie on appelle ainsi
l'espace que renferme une figure rectihgne, cuniligne ou
mixtiligne. Dans ce cas rrireest synonyme de surface ou
superficie ; mais il s'emploie plus particulièrement en parlant
d'une portion de surface, bien qu'il puisse s'appliquer aussi
à une surface entière. — En mécanique , on appelle /jr/nc/^e
des aires ou conservation des mouvements de rotation un
principe général posé par Newton , et qui s'applique particu-
lièrement à un système de points matériels soUicités par les
actions mutuelles et par des forces dirigées vers un point
fixe. — En astronomie , Kepler a donné le nom de loi des
aires proportionnelles à une des lois auxquelles obéissent
les planètes dans leurs mouvements; découverte que ce
grand astronome , notons-le en passant , fit en même temps
que celle de la figure elliptique des orbites de ces mêmes pla-
nètes. Cette loi consiste en ce que lerayonvecteur, mené
du centre du soleil au centre de la planète qui tourne autour
de lui, parcourt des secteurs égaux dans des temps égaux.
Ainsi , que la planète soit deux fois plus éloignée du soleil ,
elle ira deux fois plus lentement ; de sorte que le triangle du
secteur parcouru étant deux fois plus étroit, quoique deux
fois plus long, la surface sera la même. De la découverte de
cette loi , Kepler conclut que le mouvement des planètes
devait nécessairement être produit par une force dirigée
constamment vers le soleil et combinée avec une force ini-
tiale. — En termes d'architecture , on appelle aire toute
surface plane d'une construction : ainsi , Vaire d'un pont est
le dessus d'un pont , la partie sur laquelle on marche; Vaire
d'un bassin est un massif d'environ 33 centimètres d'épaisseur,
composé de chaux et de ciment avec des cailloux ou un corroi
de glaise , pavé par-dessus, et qui fait le fond d'un bassin;
Vaire d'un plancher est l'enduit en plâtre, en plâtras ou en
mortier que l'on fait au-dessus , au-dessous et entre les so-
lives d'un plancher, etc. — En agriculture on donne ce nom
à une sui face plane et circonscrite par les bords, ménagée
sur le sol , et sur laquelle on bat les gerbes de blé pour sé-
parer le grain de la paille. — En numismatique, aire est sy-
nonyme de champ, et désigne la surfilée plane de la médaille
sur laquelle est giavc le sujet de la légende. — Aire se dit
232
AIRE -^ AISNE
aussi , en ornilliologie , du nid des grands oiseaux de proie.
Il est rond, aplati, très-peu concave et fort ample : des
hramlies et de jeunes rameaux composent son tissu , et il e^t
garni de mousse, de poil et de laine. — Kn termes d'eaux
et forôts, on entend par coupes à tire et à aire celles qui
doivent être faites entre des lisièi es marquées pour faire un
champ ou une aire, dans laipielle on ne laisse que des ar-
bres de réserve. — Dans la marine on nomme aire ou air de
vent une des trente-deux divisions de la boussole ou rose des
vents. I.a circoiifcionce de l'iiorizon est divisée en trente-
deux parties auxquelles on a donné des noms empruntés
aux points cardinaux; et la rose des vents est divisés en
trenti-deiix aires, qui répondent aux divisions de l'horizon.
AIRI'^KWtS. Voyez Alokbs.
AIRELLE, nom conmuiu d'un genre de plantes que les
botanistes noumient vaccinium, et qu'ils rangent dans la
famille des éricacées. — Les forêts du nord de rEurojic, celles
de l'Allemagne, et en France celles des Vosges surtout, ren-
ferment dans leurs sites les plus ombragés et les plus troids
iMi arbuste qui n'a qu'un pied de hauteur, et qui dans plu-
sieurs positions domine néanmoins tellement le sol, qu'il
l'occupe seul sur de grandes superlicies, à l'exclusion de tout
autre végétal ; c'est Vairelle imjrtil ou myrtille. Cet ar-
buste produit des fruits bleus ayant le volume de petits rai-
sins, légèrement acides, très-agréables à manger, dont on
fait un excellent sirop, des tartes aussi délicates que celles
de raisins de Corintbe, et dont il se fait une très-grande
consonnnation dans les Vosges et ailleurs. Les Vosgiens, à l'i-
mitation des habitants de l'Amérique septentrionale, qui pré-
parent avec l'airelle de Pensylvauie des tourteaux de confi-
tures, font avec l'airelle des Vosges des conlitures sèches
façonnées à la manière américaine, qui, mises en lieu sec,
se conservcut [)lusieurs années. — Mais le principal em-
ploi du fruit de l'airelle myrtil est de colorer le vin, auquel
il donne, en outre, un petit goût piquant, qui ajoul'e à
la (pialité des vins ordinaiies. — Il y a déjà quelque temps,
une quantité remarquable de fruits d'airelle myrtil secs, en
balles, envoyés de l'Allemagne sur la place de Paris, servi-
rent, avec de l'alcool et une matière sucrée , à faiie des vins
artificiels agréables et d'une belle couleur, qui s'écoulèrent
par la voie du commerce, et furent consommés dans cette
ville sans danger pour la santé pubUque. Du reste, il est cer-
tain que pour colorer le vin ce fruit est préférable aux baies
de sureau , qui ne sont pas sans danger dans certaines cir-
constances, tandis que l'airelle myrtil n'est jamais dange-
reuse. — L'airelle myrtil , déjà multii)liée dans nos jardins,
sera vraisemblablement un jour un objet de culture de quel-
que importance parmi nous , et surtout dans le ÎNord, moins
pour faire le vin (jue pour le colorer, ou comiiie plante tinc-
toriale , dont les ap|)lications ne sont pas encore suflisamment
connues. — L'airelle myrtil i)orle encore les noms de muret ,
brimbelle, raisin de bois et teint-vin.
L'airelle de J'ensijlvanie s'élève à la hauteur de six à
sept pieds, et croi«l abondamment dans r.\mérique septen-
trionale, oii l'on consonune ses fruits comme aliment, à l'é-
tat frais, sur toutes les tables. Cette plante est d'une giande
importance pour les peuplades qui vivent au sein des Ibrèts.
On en fait dans les États-Unis des conlitures très-délicates,
qui se conservent plusieurs années si on a soin de les tenir
dans un lieu sec. C. Tollakd aine.
l'ainii les autres espèces on cite : Vairelle des murais,
qui croit dans les Alpes, dont les fleurs sont blanches ou
roses, a\ecdes baies noirâtres; Vairelle ponctuée, dont les
feuilles sont ponctuées en dessous, les Heurs rougeàtres, et
les ba'es ronges très-acides et rafraichissanles. Cet arbuste
croit jusqu'en Laponie, où on mange ses baies crues. Dans
(fiielipies contrées d'.\llemagne elles servent d'assaisonne-
ment, lue aidie espèce, Vairelle carneberge ou coussinet,
croît d.ins ks marais tourl)eu\ ; ses baies rouges, très-acides,
sont abandonnées aux oiseaux.
AIRY(Georces-Riddell), astronome anglais, né le 27
juillet 1801, à Alnwick (Norihumberland), fit ses études au
collège de Colchester et à l'université de Cambridge, où il
devint professeur d'astronomie en 1828 et directeur de
l'observatoire. En 1833 il obtint la charge d'astromime royal
à Greenwich. Ou lui doit le perfectionnement et l'invention
de plusieurs instruments, des méthodes plus simples de calcul,
et des recherches sur le magnétisme, la météorologie, la
photographie, etc. Il a indiqué un moyen de corriger les
déviations delà boussole sur les navires en fer, et il a fait
dans les mines et près des montagnes une série d'expériences
avec le pcmlule pour déterminer la pesanteur de la terre et
par suite la densité des autres corps célestes. Membre de
la Société royale de Londres, il a été décoré de la Légion
d'honneur en 1855. On cite son travail sur les inégalités de
Vénus ( 18.33 ), ses Astronomical observadons (1829-1836)
et ses Traités mathématiques, ou les théories de la lune
pt des planètes, la figure de la terre, etc. Z.
AÏS, d'un mot latin signifiant soliveau, planche de bois.
Ses ais demi-pourris, que l'âge a relâchés,
Sont à coups de maillet unis et rapprocbés,
a dit Boileau. Ce mot, qui appartient au vieux langage fran-
çais du quiiuième et du seizième siècle, n'est presque plus
employé que dans le langage spécial de la technologie. Les
imprimeurs ont des ais à tremper età desserrer ; les relieurs,
des ais à rogner, à presser ; les vitriers , des ais feuilles et
à rainure, dans lesquels ils coulent l'étaiii , etc.
AISANCES. Voyez Lieux d'aisances. Fosses d'ai-
SA.xcEs, etc.
AISXE (Département de 1'). Formé du Laonnaiset du
Soissonnais, qui dépendaient de l'Ile-de-France, du Ver-
mandois et de la Thiérache, lesquels faisaient partie de la
Picardie, et d'une portion de la Brie, qui appartenait à la
Champagne , le département de l'Aisne est borné au nord
par celui du Nord, à l'est par celui des Aidennes et partie
de celui de la iMarne, au sud par une partie des départements
de la Marne et de Seine-et-Marne , à l'ouest par ceux de
l'Oise et de la Somme.
Il est divisé en cinq arrondissements, dont les chefs-lieux
sont Laon , Chàleau-Tbierry, Saint-Quentin , Soissons et
Vervins. Il compte 27 cantons et 838 communes. Sa popu-
lation est de 535,039 individus. Il envoie quatre députés
au corps législatif. Il forme , avec le Nord , le Pas-de-Calais
et la Somme, le 7" arrondissement forestier ; constitue la
2'-' subdivision de la 4^ division militaire, dont le quartier
général est à Chàlons-sur-Marne ; fait partie du diocèse de
Soissons, et ressortit à la cour wupenalt d'Amiens. Son aca-
démie comprend 5 collèges communaux, 5 institutions,
21 pensions, 1,150 écoles primaire^;.
^a superficie est de 728,330 hectares, dont 496,730 en
terres labourables, 96,287 en bois, 42,568 en prés, 20,906
en vergers, pépinières et jardins, 11,972 en cultures diverses,
1 1,420 en landes, pâtis, bruyères, etc., 9,076 en vignes, 8,859
en forêts, domaines non productifs, 5,276 en oseraies, an-
nales, saussaies, 4,344 en propriétés bâties, 2,337 en rivières,
lacs, ruisseaux, 1,462 en étangs, mares, canaux d'irriga-
tion, etc. — On y compte 116,794 maisons, 1,089 mou-
lins à eau et à vent, deux forges et fourneaux, 329 fabriipies
et manufactures. — Il a payé 5,211,370 fr. d'impôt foncier
eu lH58et 25,748,994 fr. de contributions do toutes natures.
Le département de l'Aisne est arrosé par sept rivières navi-
gables : l'Aisne, la .Marne, l'Oise, l'Ourcq, la Serre, la Somme
et la Vesle. L'Aisne, qui lui donne son nom, en tiaverse de
l'est à l'ouest la partie moyenne, venant du département des
Ardcnnes, où elle a sa source, et se dirigeant vers celui de
l'Oise. 11 fait partie du bassin de la Seine, à l'exception
d'une étroite zone au nord, qui renferme les sources de la
Somme, de l'Escaut et de la Sambre. Ce département est un
pays de plaiiies ondulées, sillonné par des chaînes de pla-
AISNE — A IX
233
(paiix à pentes abruptes , et dont les pointa cnlminanls
atteifjnenl à peine 200 mètres d'altiliule. La siirlace de ces
plateaux, dont la niasse se compose de formations argileuses,
siliceuses et calcaires, est recouverte d'une couche végétale
assez fertile; mais le sol des vallées surtout, résultant d'al-
luvions fluviales, est remarquable par sa fécondité. Le dé-
partement de l'Aisue est boisé, et présente un assez grand
nombre de lacs et d'étangs, dont le plus considérable est
celui de Saint-Laurent.
Les forêts qui le recouvrent recèlent un grand nombre de
bètes fimves et d'animaux sauvages. On pÔL-lie des sangsues
dans les étangs ; l'écrevisse y est conmiune et d'une gros-
seur remarquable. Les essences dominantes dans les forêts
sont le cbêne, le charme, le liôtre, le frêne et le bouleau.
Le sol, généralement calcaire ou crayeux, ne renferme pas
démines métalliques susceptibles d'exploitation; mais il
abonde en pierres à bâtir, en marbres, en argile à creusets,
en terres pyriteuses et alumineuses, en gypse, grès, lignite,
tourbe.
L'art agricole est fort avancé dans ce déparlement. La
culture prédominante est celles des céréales, qui occupent
annuellement les cinq septièmes environ de l'étendue du sol.
On y cultive les plantes oléagineuses, les betteraves à sucre,
les poiriers et les pommiers pour le cidre, le houblon, les
haricots renommés de Soissons. Les vignes ne produisent que
des vins de médiocre qualité. L'exploitation des forêts forme
une brandie très-importante de l'industrie agricole. L'en-
grais des bestiaux et l'élève des chevaux et des moutons y
ont acquis quelque développement. Les animaux de basse-
cour sont aussi l'objet de spéculations de la part d'un graud
nombre de cultivateurs.
L'industrie manufacturière du département de l'Aisne est
très-importante. Ses principaux produits consistent en tis-
sus dits articles de Saint-Quentin, toiles de Thiérache, tulles
brodés, châles et tissus cachemires, glaces de Saint-Gobain,
verreries de Folembray, farines, sucre de betteraves, huiles,
cidre, charbons de bois, boissellerie, vannerie, plâtre, bri-
ques, toiles, produits chimiques.
Le département de l'Aisne possède plusieurs canaux -. les
canaux de Crozat, des Ardennes, de Manicamp, de La Fère,
de la Somme, de la Sambre à l'Oise, et le canal de Saint-
Quentin, qui lie la Somme à l'Escaut. 11 est en outre sillonné par
12 routes impériales, 15 routes départementales, et 1,790
cliemins vicinaux. Le chemin de fer deCreil à Saint-Quentin
relie ce département à Paris ; un embranchement passant
près de Laon le rattache au chemin de fer de l'Est par Reims.
Ses principales villes sont: Laon, chef-lieu du départe-
ment. Saint- Quentin, Soissons, Château-Thierry,
Vervins, Guise, La Fère. LaFerté-Milon est la patrie
de Racine. *
AISSAOUAS, secte musulmane qu'on rencontre sur-
tout dans le nord de l'Afrique, en Algérie et au Maroc, et
dont les membres pratiquent des tours d'adresse, comme de
jouer avec le feu, avec des serpents, etc. Ils tirent leur
nom d'Aïssa, marabout du seizième siècle. Z.
AISSÉ (Mademoiselle), Circassienne devenue célèbre
par ses aventures, fut achetée à l'âge de quatre ans, en 1698,
moyennant la somme de 1,500 fr., par le comte de Feniol,
am.bassadeur de France à Conslantinople : le marchand d'es-
claves assurait qu'elle était princesse circassienne; du reste,
elle promettait déjà une rare beauté. M. de Ferriol l'amena
en France, et la confia à sa belle-sœur, sœur de madame de
Tencin. M"» Aïssé reçut donc une éducation brillante. Son
bienfaiteur voulut se payer de ses soins en la séduisant.
Elle résista aux offres du Régent. Au nombre de ses
adorateurs, elle distingua le chevalier d'Aydie, et cet amour
remplit le reste de sa vie. M. d'Aydie était chevalier de
Malte : il voulut se dégager de ses vœux ; mais elle s'y op-
posa constamment, et alla en Angleterre, où elle donna
naissance au fruit de leur liaison. Bientôt les remords les
citT. Dt LA co^vtut)A;lo^. _ i ,
plus amers vinrent accabler mademoiselle Aïssé; ne pou-
vant vaincre sa passion, elle ne voulut point du moins y
céder denouveau, et sa vie se consuma dès lors en chagrin.
Elle mourut à Paris en 1733. Elle a laissé des lettres rem-
plies de grâces et d'agrément; elle y peint les faiblesses de
son cœur avec franchise et abandon ; on y trouve aussi des
anecdotes sur ses contemporains. Ces lettres, imprimées
d'abord avec des notés de Voltaire, ont été depuis réunies
à celles île mesdamesde Villars,de La Fayette et de Tencin,
et ont obtenu plusieurs éditions, parmi lesquelles on cite
celle d'Aiiger, avec une notice de M. de Tarante, et celle
de M. Ravenel avec une étude de M. Sainte-Beuve. *
AISSKLLE (^lu latin axJWa ), cavité qu'on remarque
au-dessous de l'épaule, à la naissance de l'articulation du
bras, entre ce dernier membre et le côté de la poitrine; on
l'appelle aussi le creux de Vaisselle. Cette cavité, en forme
de triangle mobile, suivant les divers mouvements qu'affecte
le bras, se trouve bornée par deux espèees de saillies sous-
cutanées, dont la première en avant est formée par une
partie du muscle grand pectoral , et la seconde en arrière
par les muscles grand dorsal et grand rond. La peau de
l'aisselle est de légère épaisseur, plus ou moins garnie de
poils à l'âge de la puberté. Une assez grande quantité de
ganglions dits sébacés sécrètent une espèce de matière
muqueuse dont l'exhalaison est désagréable. La peau se rat-
tache à la région que forme le creux de l'aisselle au moyen
d'une bride, qui se relie elle-même avec la coracnide. On dé-
couvre immédiatement au-dessus de la peau une légère couche
de tissu cellulaire, puis ensuite une aponévrose, laquelle .se
trouve elle-même enveloppée dans une nouvelle couche plus
considérable de tissu cellulaire. C'est au sein de cette der-
nière région qu'an rencontre les vaisseaux axillaires ainsi
que les nerfs du plexus brachial. Les maladies principales
de l'aisselle sont les abcès, les bubons, les furoncles, les
plaies des vaisseaux axillaires, l'anévrysme de l'artère axil-
laire, l'engorgement des ganglions lymphatiques, etc.
Par analogie, on donne le nom à'' aisselle, en botanique,
à l'angle formé par une feuille ou par un rameau sur nne
branche ou sur la tige.
AIS'VARIKA, nom des sectes bouddhiques qui ad-
mettent l'existence d'un être primitif, créateur du monde
et maître de toutes choses ; tandis que les svabhavikas at-
tribuent l'origine de toutes choses à la force productrice de
la seule nature (svabhava), dont les productions sont le
résultat nécessaire de lois éternelles, préexistantes et im-
muables. Lesais'varikas sont à leur tour partagés en deuK
grands partis, dont l'un admet un Dieu éternel et immortel
comme cause unique et principe immédiat de tout ce qui
est; et l'autre, tout en reconnaissant ce même Dieu, avec
les mêmes attributs, cette mêmecauseavec les-mêmes résul-
tats, ajoute qu'ils sont unis à un principe matériel, quoi-
que éternel. Comme d'autres sectes bouddhiques, les ais'va-
rikas admettent l'existence de deux mondes, celui de l'action
et celui du repos ; mais ceux-là même qui croient en un
seul Dieu immatériel par es.sence n'admettent ni sa provi-
dence ni son autorité. Ils pensent que l'homme vertueux
peut arriver au bonheur par l'abstraction mentale et par
les efforts de l'abnégation qu'il professe pour toutes Jes
choses extérieures. *
AlTO;\ (William), botaniste anglais, né en 1731 près
d'Hamilton, comté de Lanark (Ecosse), était d'abord un
simple jardinier. Venu à Londres, il fut nommé en 1759,
surintendant du jardin botanique de Kew , et contribua
beaucoup à l'enrichir. En 1789 il publia avec Solander et
Dryander YHortus Kewensis, .3 vol. in-S", qu'un de ses fils
a continué. Aiton mourut en 1793. Tbunberg lui a dédié
un genre de plantes. Z.
AIX. C'est VAqitse Sextix des Romains. Ville de France,,
ancienne capitale de la Provence, aujourd'hui chef-lieu
d'arrondissement des Bouchcs-du Rhône, près de la riv;èî&
30
Î3.4
AIX - AIX-LA-CHAPELLE
«l'Arc, ;i 9.0 l»ilom. nord de, Marseille. Population, 2G, llOlia-
Litants. Klle fut fondée en Tan 124 avant J.-C, près d'une
source d'eaux thermales, par le consul C. Sextius Calvinus,
dont die [)rit le nom. Elle est le siège d'un archevt^clié ,
d'une cour impériale, d'im tribunal de première instance
et d'un tribunal de commerce; son académie comprend
les départements des BasRes-.\lpes, des Douclies-du-Rhône,
de la Corse, du Var, de Vaucluse et des Alpes-Maritimes ;
Aix possède des facultés de droit, des lettres et de théologie,
un collège communal, une école normale primaire, une école
impériale d'arts et métiers, un cabinet d'histoire naturelle,
un musée rie tableaux; et d'antiquités, augmenté de la galerie
de Granet, et une ricke bibliothèque publique. Aix a de
magnifiques hôtels, <le belles rues, une grande place publique
et de superbes promenades. Ses bains chauds ne jouissent
jilus de la vogue qui fit leur splendeur. Son industrie du
coton est déchue; mais elle trouve une large indemnité
dans l'éducation des vers à soie et la fabrication des soie-
ries. Les huiles d'Aix jouissent d'une réputation européenne,
et le succès avec lequel on y a acclimaté les légumes et
les fruits de l'Italie est devenu pour les habitants de son
territoire une source de richesses. A la fin du douzième
siècle, Aix fut pour ainsi dire le cenKe et le foyer
de la littérature provençale; et elle resta la capitale
des comtes de Provence jusqu'à l'extinction de leur race. On
y conserve encore le souvenir du roi René, auquel on a élevé
une statue en 1819. Quelque temps après sa fondation, Aix
fut embellie par Marius, et César y envoya une colonie :
plus tard , elle devint la métropole de la seconde ^arbon-
naise. Lors de l'invasion des Bourguignons et des W'isi-
goths elle vit son territoire entièrement dévasté; enfin
survinrent les Sarrasins, qui mirent la ville à feu et à sang.
On ne commença à la rebâtir qu'en 796. Sous le règne de
François I" Aix fut pillée par les Marseillais et prise , en
153.5, par Charles-Quint, qui s'y fit couronner roi d'Arles.
AIX, l'ancienne Aquas Sabaudicx, chef-Ueu de canton'
du département de la Savoie, à 12 kilom. de Chambéry, près
du lac de Dourget; elle a 2,882 habitants. On y voit les belles
ruines de YAqua; Gratiame des Romains. C'est dans celte
ville qu'eut lieu la cession de la Savoie et de la Maurienne à
Bérold par Rodolphe, en 1000. Elle renferme des eaux ther-
males en grande réputation. Ces eaux étaient connues des Ro-
mains, et l'on attribue l'établissement de ses bains au procon-
sul Domitius , qui vivait vers la fin du quatrième siècle, sous
l'empire de Gratien ; celui-ci y fit faire ensuite de grands em-
bellissements. Les bâtiments qui existent maintenant sont
dus à l'ingénieur Capellini,qui les construisit d'après les ordres
du duc Amédée 111. Les eaux d'Aix sont sulfureuses; elles
coulent de deux sources qui sortent d'un rocher calcaire ser-
vant d'enceinte à la rille. La première est appelée source
d'alun ou de Saint-Paul , ou thermes de licrthollet, en
mémoire du célèbre chimiste qui était né dans ces contrées;
la seconde est appelée source de soufre. La chaleur des
eaux d'alun est de 3S°,2 ; celle des eaux de soufre, de 4.3°, 7.
La température des eaux sulfureuses d'Aix ne baisse que
temporairement, au moment de la fonte des neiges et des
pluies équiuoxiales. L'eau est parfaitement transparente,
im peu onctueuse au toucher. L'analyse chimique y dé-
montre, selon M. Buonvicino, la présence des matières
suivantes : acide sulfliydrique, carbonates de chaux et de
fer, chlorures de calcium et de magnésium , sulfates de
chaux, de magnésie et de soude, ainsi que quelques traces
de matière extractive animale. On les administre en bois-
sons pour les affections de poitrine, telles que l'asthme, les
catarrhes chroniques et la i>btliisie commençante; en bains
et en boisson dans les paralysies incomplètes , les tumeurs
blanches, les maladies des articulations , les rhumatismes,
les anciennes blessures et les vieux ulcères
AIX (lie d'), |ietite île de l'océan Atlantique, àTembou-
ciiuie de la Charente, oii les vaisseaux partis de Rocliel'orI
viennent s'abriter. Ses fortifications contribuent à la sûreté
du port de Rochefort. En 1757, les Anglais y opérèrent une
descente, et en firent sauter les forts. En 1806 sa rade fut
le thèiitre d'un terrible combat naval entre la frégate fran-
çaise la Minerve et la frégate anglaise la Pallas. En 1854
nie d'Aix a servi de résidence aux prisonniers russes. *
AIX-LA-CHAPELLE, en allemand Aachen, chef-
lieu de l'arrondissement du même nom dans la province
Rhénane prussienne, est située par 50° 47 de latitude sep-
tentrionale et 3" 55' de longitude orientale , à 1 60 mètres au-
dessus du niveau de la mer, dans une fertile vallée , arrosée
par la Wurm et couronnée par les premiers prolongements
des llautes-Tanges. On y compte environ 47,000 habitants,
dont 2,000 protestants et 300 juifs, au centre d'un pays
de riche culture, elle est aussi un grand foyer d'industrie
célèbre pour la fabrication des draps fins et des aiguilles.
On y a établi une manufacture de glaces. Principale station
du chemin de fer belge-rhénan, elle est d'une haute impor-
tance pour le commerce prussien. Ses sources d'eaux miné-
rales l'ont rendue célèbre dans le monde entier, et elle abonde
en souvenirs historiques. Son nom indique son origine toute
romaine; car l'allemand Ahha est évidemment un mot ori-
ginairement dérivé du latin aqtia ; et ce mot fut sans doute
créé pour désigner les sources qui s'y trouvent. Le nom d'^l-
quiscjramim, qui n'apparaît qu'au huitième siècle, est peut-
être dérivé de Granus, surnom sous lequel les Romains ho-
noraient Apollon dans les sources thermales. Le nom français
à'' Aix-la-Chapelle provient de la chapelle du palais, oii dès
l'an 765 Pépin célébra la solennité de Noël. C'est à Charle-
magne qu'elle est redevable de sa glorieuse réputation. Il
est douteux qu'elle ait été son berceau; mais c'est là qu'il
fut enterré, en l'année 814. Cette ville, comme faisant partie
de l'héritage de Cbarlemagne, jouissait de nombreuses fran-
chises. Ses habitants étaient exempts dans tout l'empire de
corvées et de service militaire, de la peine d'emprisonnement
et de tout impôt. Elle était ville libre impériale du cercle de
\Nestplialic. Il suffisait de respirer l'air d'A.ix-la-Chapelle,
fùt-on au ban de l'empire, pour jouir d'une complète liberté.
— En 1794 les Français occupèrent Aix-la-Chapelle; la paix
conclue à Lunéville en 1801 la comprit désormais dans le
territoire français, oii elle devint le chef-lieu du département
de la Roer; mais les événements de 1815 la placèrent sous
l'autorité de la Prusse.
Vers l'an 796 Cbarlemagne fit complètement reconstruire
le château et la chapelle. Tous deux furent reliés par une
coloimade qui , vraisemblablement à la suite d'un trem-
blement de terre, était déjà en ruines du vivant même du
grand empereur. Tandis que plus tard on construisait l'IiA-
tel de ville sur les ruines du palais impérial, la chapelle de-
venait et est restée le noyau de la cathédrale. Celle-ci est
de forme octogone et entourée d'une galerie à deux étages
avec laquelle elle forme extérieurement un hexadécagone.
Au centre de l'octogone une pierre avec cette inscription :
Carolo Magna, indique le lieu oii fut enseveli Cbarlemagne.
Olbon 111 fit ouvrir ce tombeau en l'an 1000. Le cadavre fut
trouvé encore bien conservé, assis sur un siège de marbre,
revêtu des ornements impériaux , avec le sceptre à la main,
le livTe des Évangiles sur les genoux, un fragment de la sainte
croix sur la tète, avec la panetière autour des hanches. Le
caveau fut ensuite muré de nouveau, apris qu'on eut prati-
qué les quelques réparations intérieures qu'on jugea néces-
snires. L'empereur Frédéric Y' fit de nouveau ouvrir le
tombeau en 1165. On plaça alors les ossements dans un
cercueil d'or et d'argent; et on suspendit au-dessus du tom-
beau, en commémoration, une grande couronne d'un beau
tnivail. Le siège en marbre blanc , recouvert plus tard de
pl;'.(iues d'or, servit jusqu'en l'année 1558 au couronnement
des empereurs. L'empereur nouvellement élu y prenait place
quand il recevait les félicitations des princes étrangers. Le*".
! in igncs impériaux furent transférés en 1795 à Vienne. A
AIX-LA-CHAPELLE
235
lYpoquo ilu qualorT.it''ino sii-clc on ajouta du ciW. de l'orient
un durur do style iiolhiiiue à l'octogone tonstiuit dans le
style byzantin , tandis qu'à l'ouest s'y relie un clocher qua-
dranguiaire llanqué de deux petites tours formant escaliers
et conduisant à la chambre des reliijues. Cest là qu'on con-
serve ce qu'on appelle les grandes reli(iues, que tous les sept
ans on montre au peuple de la galerie de la tour, et qui au
mois de juillet attirent à Aix-la-Chapelle ilusicurs milliers
d'iHrangers. Si des maisonnettes et des boutiques adossées à
l'édifice nuisent à son aspect inqiosant, tout son ensemble et
la profusion d'ornements architectoniques qu'on y trouve ,
par exemple au portail du Loup, témoignent d'une antiquité
vénérable et riche en traditions et légendes. L'hôtel de ville
orne la place du Marché ; à sa droite s'élève la tour de Gra-
mts, dont le nom rappelle l'époque romaine, et à sa gauche
la tour du beffroi. A l'intérieur, on remarque surtout la
grande salle du couronnement , avec le portrait de tous les
empereurs et une foule de précieux restes de l'ancien art al-
lemand. On y voit aussi les portraits de Napoléon et de Jo-
séphine, peints par David. Devant l'hôtel de ville s'élève
une belle fontaine jaillissante, avec la statue en bronze de
Charlemagne. On admire dans l'église des Franciscams une
magnifique Descente de croix de Rubens. Du milieu des en-
virons d'Aix-la-Chapelle, qui ne forment pour ainsi dire
qu'un vaste parc, s'élève le Lousberg, ou plutôt Louisherg,
«lont le point culminant est à 260 mètres au-dessus du ni-
veau de la mer, avec une magnifique vue et un délicieux
belvédère. A une petite lieue d'Aix-la-Chapelle on rencontre
les ruines de Frankenberg , séjour favori de Charlemagne.
Kon loin de là est situé Burtscheid.
Six sources d'eaux minérales chaudes et deux froides
jaillissent à Aix-la-Chapelle. Les sources chaudes appar-
tiennent aux eaux thermales alcalines muriatiques, et sont
divisées, d'après leur situation même, en sources supérieures
et inférieures. La température des premières est plus élevée
que celle des secondes, de même qu'elles donnent une plus
grande quantité degaz hydrosulfureux. Laprincipale des sour-
ces supérieures est la source de l'Empereur, qui jaillit au milieu
de l'auberge du Bain-de-l'Empereur ; vient ensuite une petite
source située devant le Bain-de-l'Empereur, et la source
Quirinus. Parmi les sources inférieures, il faut citer l'an-
cienne source à boire , et le nouveau puits à boire organisé
en 1827, le puits d'Élèse, la source du Bain-de-Rose , et la
source de Cornélius. Les bains eux-mêmes ont de quatre à
cinq pieds de profondeur, sont complètement massifs et
construits à l'ancienne mode romaine. Les sources acidulées
ferrugineuses sont des sources froides, et peu riches. La plus
forte de toutes est encore la source de la Lanterne. Celle qui
se trouve dans le Drischstrass est moins abondante; on
l'appelle le puits de Spa, en raison de l'analogie de son eau
avec "eau de Pouchon à Spa.
Les eaux chaudes d'Aix-la-Chapelle ont une odeur sulfu-
reuse, pénétrante et un goût hépatique. Leur température
varie de 33 à 40° R. Elles contiennent de l'azote, de l'acide
carbonique et de l'hydrogène sulfuré, du carbonate, du
muriate et du sulfate de soude, des carbonates de chaux et
de magnésie, et de la silice. Les eaux d'Aix-la-Chapelle sont
très-excitantes, irritent la peau et le système nerveux. On
les prescrit contre les paralysies, les rhumatismes chroni-
cjues , les affections goutteuses , les anciennes maladies de
la peau, les affections sj-philitiques invétérées, les maladies
de la vessie et des voies urinaires, les engorgements , et les
alTections chroniques des organes abdominaux. Elles sont
administrées sous toutes les formes , en boisson , en lotions ,
en bains et en douches. On doit les boire à petites doses;
lorsqu'on en boit un ou deux htres, elles deviennent purga-
tives. On peut les mêler avec du lait de vache ou d'ànesse :
quand elles causent des nausées ou des vertiges, il faut les
boire refroidies.
Deux traités de paix et un congrès ont donné dans ces
derniers temps un inic'rrt histori(pie tout particulier à Aix-
la-Chapelle. Le premier de ces traites mit lin à la guerre de
dévolution déclarée en 1007 à l'Espagne par Louis XIV,
parce (pie, i> la mort de son beau-père, Philippe IV, il pré-
tendait à la possession d'une grande partie des Pays-Bas, en
se fondant sur le droit de dévolution en vigueur dans le
Brabant et le pays de Naimir parmi les particuliers, et en
agissant au nom et du chef de sa femme, l'infante Marie-
Thérèse. Les progrès victorieux de Louis XIV furent arrè-»
tés par la triple alliance que conclurent l'Angleterre, la Hol-
lande et la Suède. Les coalisés prescrivaient à l'Espagne de
céder à Louis XIV, ou la Franche-Comté, ou la partie de la
Flandre déjà conquise par son armée, à savoir : Charleroy,
Ath, Oudenarde, Douai, ïournay et Lille, menaçant de
se tourner contre celle des parties contendantes qui refuse-
rait d'en passer par cette décision. Louis XJV ayant accepté
ces conditions à Saint-Germain-en-Laye, et l'Espagne de
son côté ayant recouvré la Franche-Comté au moyen de la
cession des places fortes de la Flandre, les puissances signa»
taires de la triple alliance conclurent à Aix-la-Chapelle,
le 2 mai 1GG3 , le traité de paix définitif, que corrobora en-
core un second traité, signé en 1669. — Le second traité de
paix d'Aix-la-Chapelle mit fin à la guerre de la succession
d'Autriche, provoquée par les prétentions que l'électeur
Charles-Albert de Bavière éleva en 1740 au trône de Marie-
Thérèse, qui dura huit années, avec des intermittences de
succès et de revers pour chacune des parties beUigérantes,
et dans laquelle la France, l'Espagne, Modène et Gènes
épousèrent les intérêts de la Bavière, pendant que la Sardai-
gne-, l'Angleterre , la Saxe et la Hollande prenaient fait et
cause pour l'Autriche. Le malheur qui s'attacha aux armes
de cette puissance amena en Allemagne un corps russe auxi-
liaire, commandé par le prince Repnin, et à la solde des
puissances maritimes. L'arrivée de ce puissant renfoit sur
les bords du Rhin hâta la conclusion des préliminaires, qui
furent signés le 30 avril 1747, entre la Fiance et les deux
puissances maritimes. Ce traité préliminaire fut transformé
le 18 octobre 174s en un traité définitif, auquel accédèrent
l'Espagne, l'Autriche, Gênes et la Sardaigne, après que la
Saxe et la Bavière eussent déjà renoncé à la lutte. Ce traité
confirma tous les traités précédents ainsi que la garantie de
la Pragmatique sanction. On reconnaissait à chacune des
puissances intéressées la possession des territoires qu'elle
possédait avant la guerre. La Sardaigne conseiTa les pla-
ces du Milanais qui lui avaient été cédées pendant le cours
de la guerre. Parme, Plaisance et Guastalla furent cédées à
l'infant d'Espagne Philippe , second fils d'Elisabeth , sous
certaines réserves de droits de retour à l'Autriche. La pos-
session de la Silésie et du comté de Glatz fut garantie à la
Prusse. L'Angleterre obtint de nouveau le traité d'e^ As-
siento pour quatre ans et le déniant ellement de Dunkerquedu
côté de la terre. La France s'engagea à expulser de son terri-
toire le prétendant Edouard. Grâce à l'habileté du ministre
Kaunitz , l'Autriche se tirait de cette guerre par de tr^s-
faibles sacrifices , tandis qu'elle coûtait à l'Angleterre , en
dépit de ses brillantes victoires navales, 80,000,000 liv. st.
ajoutés à sa dette publique.
Le congrès que les trois souverains de Russie, d'Autriche
et de Prusse tinrent à Aix -la-Chapelle, au mois d'octobre 1 8 1 s,
eut pour olijet de délibérer sur le retrait des troupes confé-
dérées restées en France comme corps d'occupation , et
par là d'affermir la confiance dans la paix générale. Le signal
officiel d'une réconciliation avec la France fut une invitation
adressée le 4 novembre, au nom de leurs souverains respec-
tifs, par Metternich, Castlereagli, "Wellington, Hardenherg,
Bemstoff, Nesselrode et Capo d'istria, au duc de Richelieu,
de venir joindre ses efforts aux leurs pour asseoir sur d&s
bases solides la paix de l'Europe. Cette invitation ayant été
acceptée, un protocole fut signé, le 15 novembre suivant, par
l'Autriche, la France, la Russie, la Grande-Bretagne, la
236
AIX-LA-CHAPELLE — AJUSTER
Prusse, ilans lequel furent confirmés tous les principes pro-
clamés parla Sain te- Alliance, et qui lui servaient de
base. Le contenu en fut notifié à toutes les cours de l'Europe
dans une déclaration à la suite de laquelle il était formelle-
ment dit que la nouvelle alliance n'apportait aucune modifi-
cation aux rapports consacrés par les traités précédents, et
que, tout au contraire, les souverains avaient résolu de ne ja-
mais, dans leurs rapports mutuels ou avec d'autres États,
s'éloi^jner dos principes qui constituent le droit des peuples.
AJACCIO, chef -lieu du département de la Corse ,
à 87Ô kiioinùties sud-est de Paris, ancienne ville maritime
->ur la cote occidentale de l'Ile , au fond du golfe du môme
nom. Sa population est de 12,109 habUants. On croit
qu'elle fut fondit par les Lesliiens, qui lui donnèrent le nom
d'Ajasso, d'après une petite ville de l'île de Lesbos, qui existe
encore. Les Romains la mommèrent Vrcïnium, à cause de
SCS excellentes fabriques de poterie ; mais la ville actuelle,
bAtie, en 14'J5, par les Génois, se trouve à 2 kilomètres plus
au nord de l'ancienne Ajaccio. Siège d'une subdivision mi-
litaire, Ajaccio possède un évêché, dont l'île forme le diocèse,
des tribunaux de première instance et de commerce, un
collège communal, une école normale primaire départemen-
tale , un séminaire , une société d'agriculture, une école de
navigation, un jardin botanique, une cathédrale, et une bi-
bliothèque publique, composée de 14,000 volumes. Elle est
assez bien constniite, et ses rues sont droites, larges et bordées
de maisons agréables. Son port, le plus beau de toute l'île,
est spacieux et commode, bordé par un très-beau quai, et
les gros vaisseaux y trouvent un bon mouillage protégé par
une citadelle, qui en défend très-bien l'approche. Son com-
merce principal consiste en blés, vins, huiles, oranges, etc.
On pèche le corail sur les côtes. Ajaccio est la patrie de Na-
poléon ; la maison où il naquit est visitée avec empresse-
ment par tous les étrangers qui abordent dans l'île.
AJAN (Côte d'). On comprend sous ce nom la côte
d'Afrique, aride, sablonneuse et presque déserte, qui s'étend
depuis le Zanguebar jusqu'au cap Guardafui , ainsi que le
pays des Somaulis, qui occupent le territoire compris depuis
le Magadoxo et la côte d'Ajan jusqu'aux confins de l'Abys-
sinie et jusqu'à la côte méridionale du golfe d'Aden. Cette
vaste contrée est babitée par des peuplades nègres, indépen-
dantes les unes des autres , et professant le maliométisme.
La côte d'Ajan comprend le royaumed'Adel,où le commerce
Tient s'approvisionner d'ivoire et de poudre d'or. *
AJASSO\ DE GRAXDSAGXE (J.-B.-Fr. Etienne
ou Stéi'Uane, vicomte), connu par un grand nombre de
publications populaires, des traductions, et surtout comme
directeur de la Bibliothèque, populaire, était né à La Cli;\tie
en iSO? et mourut subitement à Lyon le 9 mai 1845. Z.
AJAX. Parmi les princes grecs qui assistèrent au siège
de Troie , il y eut deux AJax , l'un fils de Télamon , l'autre
fils d'Oïlée.
Le premier était roi de Salamine; suivant Homère, il
était le plus beau et le plus vaillant des Grecs après Achille ;
il avait une taille énorme, et ressemblait, dans les com-
bats, au dieu Mars. Ajax combattit pendant un jour en-
tier contre Hector sans ])ouvoir décider la victoire : les
deux gueniers ne se séparèrent qu'à la nuit, et ils échan-
gèrent entre eux des présents. Malgré sa bouillante valeur, le
fils de Télamon ne fut jamais blessé, ce qui le lit passer,
aux yeux des Troyens, pour invulnérable. Après la mort
d'Achille, il réclama les armes de ce héros, fondant ses
droits sur sa parenté et sa bravoure. Ulysse, son concur-
rent, l'ayant emporté sur lui, il tomba aussitôt en proie i
une démence furieuse. Revenu plus tard à lui, honteux
d'avoir seni deriséeà tous, il se perçai le ccPiir avec son é[!ée. .
Le second Ajax était roi des Locriens. 11 se rendit de-
vant Troie, impatient «le venger l'outrage fait à la Grèce
par l'enlèvement d'Hélène, dont il était un des adorateurs.
1! était renommé pour sa grande agilité et pour son indomp-
table courage , bien que celni-ci dégénérât parfois , dans la
chaleur du combat, en iine sorte de frénésie. Lors du sac
de Troie, il poursuivit Cassandre jusqu'aux pieds de la
statue de Pallas , l'en arracha par les cheveux , et se livra
sur elle aux excès de la plus révoltante bî-utalité. Ulysse dé-
nonça cette infâme violence: Ajax se justifia par le serment;
mais Pallas, irritée, le poursuivit de sa vengeance et le fit
périr dans les flots. On raconte qu'Ajax , luttant contre la
tempête, parvint à gagner un rocher, qu'il blasphéma alors
contre les dieux, mais que Neptune frappa le rocher de
son trident et engloutit ainsi le blasphémateur.
AJAXTIES. Ajax , fils de Télamon , proche parent
et ami d'Achille, et le plus brave des Grecs après le fils de
Thétis , fut mis , comme lui , au rang des immortels. On lui
rendait des honneurs divins, et il avait un temple à Sala-
mine. Sa statue y était d'ébène. Tous les ans, à sa fête, on
portait sur un lit très-orné une figure armée de toutes piè-
ces. Les Athéniens honoraient aussi Ajax ; ils avaient donné
son nom à une de leurs tribus, l'.'Eantide.
AJOIXC. Cet arbuste épineux, connu encore sous le
nom de jean, hande, jonc marin, et (lenct épinerix, est
célèbre par la propriété dont il jouit d'utiliser de mauvaises
terres, où on le sème avec avantage pour en obtenir, en le
coupant tous les deux ou trois ans, du menu bois pour le
chauffage et pour faire des clôtures. Quelquefois la pousse
de la première année est coupée en herbe , et sert de four-
rage. L'ajonc fertilise tellement le sol que la sixième année
on peut le détruire et le remplacer par du froment, ou toute
autre céréale, qui y réussit parfaitement. Mais c'est surtout
pour faire des haies que l'ajonc est recommandable à cause
de ses innombrables épines et de sa rusticité. Pour obtenir
des haies d'ajonc, il faut en semer les graines en place, et
non pas les planter, parce qu'il est d'une reprise difficile,
même en employant du plant de pépinière, quoique ce der-
nier soit moins mauvais que celui qu'on aurait fait arracher
dans les vieilles haies d'ajonc ou dans les terres où cet ar-
buste aurait été semé. — L'ajonc est un arbuste à fleurs
jaunes , solitaires , très-rameux, plus ou moins velu, épineux,
sans feuille. Il croît naturellement dans toute l'Europe sur les
terres incultes ou abandonnées , et surtout dans les sables
légers et mobiles, qu'il iixe, utilise et fertilise. l\ appartient
à la famille des légumineuses. On en connaît trois espèces,
ou plutôt trois variétés. C. Tollaud aîné.
A JOUR . C'est l'expression dont on se sert pour indi-
quer un genre de monture qu'on adapte aux pierres fines. Un
cercle entoure la pierre, dont les deux faces sont visibles,
ce qui étal)lit la transparence. — On se sert de cette expres-
sion en comptabilité commerciale : les livres sont à jour ;
mettre un compte à jour, c'est-à-dire les comptes sont ame-
nés sans lacune jusqu'aux dernières opérations, il n'y a pas
d'écriture en arrière.
AJOURNEMENT se dit, en procédure, de l'assi-
gnation ou avertissement qu'on fait donner par un offi-
cier public à une personne pour qu'elle se présente devant
un tribunal à jour et heure fixes. Dans l'ancienne procé-
dure criminelle on appelait ajournement personnel l'assi-
gnation donnée à quelqu'un, en vertu d'une ordonnance ou
d'un décret du juge, pour comparaître en personne et ré-
pondre sur les faits dont il était accusé. — Jacques de
Mol ai, du haut de son bûcher, ajourna, dit-on, Philippe
le Bel et Clément V devant le tiibunal de Dieu. — Notre lan-
gage parlementaire a emprunté aux Anglais le mot ajourne-
ment pour désigner le renvoi d'une discussion à un autre
jour, ce qui peut être une fin de non recevoir.
AJUDA, palais du roi de Portugal, à 4 kilomètres de Lis-
bonne. Quoique inachevé, il se dessine majestueusement
à l'entrée du Tage, et sa façade est un des points les plus
remarquables du panorama de la ville. Z.
AJIjSTER. Dans lart militaire, ajuster, c'est régler la
position (le son fusil en raison du but qu'on veut faire at-
AJUSTER — AKERBLAD
237
t.'iiulre à la balle, et de la distance qu'elle doit parcourir.
Pendant longtemps on a agité la question de savoir s'il
importe à l'art mililaire que l'infanterie, quand elle se bat en
ligne, ajuste son feu. On disait que l'infanlerie en masse
tirant sur des masses son feu devait toujours porter, et qu'il
valait mieux tirer plus de coups que de vouloir ajuster.
Néanmoins, il a paru si important que le fantassin tire juste
qu'on a fondé à Vincennes une école de tir oîi chaque régi-
ment envoie tour à tour des officiers, des sous-ofliciers et
même des soldats, qui, en retournant à leurs corps une fois
que leur instruction est achevée, y portent et y propagent la
connaissance des vrais principes du tir.
AJUSTEUR. En termes de technologie, ajttster c'est
réunir les pièces diverses d'une machine, exécutées par
d'autres ouvriers, qui travaillent sans bien savoir ce qu'ils
fout, tandis que Yajusteur (on l'appelle encore plus souvent
peut-être le monteur) connaît la place que doit occuper
dans la machine chacune de ces pièces, et sait comment il
devra les poser pour s'assurer si elles s'ajustent bien, et si
une fois réunies elles produisent le jeu et l'effet attendus.
On nomme plus spécialement ajusteurs : 1° les ouvriers
balanciers , qui fabriquent les poids et les mesures confor-
mément aux étalons légaiix ; 2" les employés des hôtels des
monnaies chargés de constater le poids des flans, avant
qu'ils soient soumis au balancier pour recevoir l'empreinte
monétaire; de renvoyer à la fonte ceux qui sont trop faibles,
ou bien, quand ils sont trop forts, de les couper et de les
limer pour leur donner le juste poids qu'ils doivent avoir.
AJUTAGE. Ce mot désigne un petit tube conique ou
cylindrique qui s'adapte à l'extrémité d'un tuyau de plus
grand diamètre pour produire un jet d'eau. On emploie
les ajutages , soit isolément , soit en les combinant ; et on
leur donne différentes formes qui produisent les effets les
plus variés. Tantôt l'eau jaillit en gerbe élincelante, tantôt
elle forme un gracieux berceau pour retomber ensuite en
larges nappes , en flots écumeux ou en pluie fine et diaman-
tée. On dissimule les ajutages en les faisant passer dans des
statues d'hommes ou d'animaux; le plus souvent on les
cache dans la gueule entr'ouverte d'un poisson monstrueux,
que tient une humide Naïade ou quelque Amour bouffi.
AKAKIA (Maktin), professeur de médecine dans l'uni-
versité de Paris, né à Chàlons-sur-Saône, devint, par son
mérite , l'un des principaux médecins de François 1"'. Ce
docteur mourut en 1551. Il avait traduit plusieurs écrUs
relatifs à son art. On cite les suivants : Ars medica, qux
est arsparva,ei De Ratione Curandi, de Galien. Cette der-
nière traduction est accompagnée d'un Commentaire. —
Martin Akari.v, fils du précédent, fut médecin comme son
père et professeur royal en chirurgie; il mourut en 1588,
âgé d'environ quarante-neuf ans. On a sous son nom un
traité intitulé : ConsUïa Medica, 1598, in-folio. Mais, suivant
quelques auteurs, cet ouvTage, ainsi que celui qui traite des
iTialadies des femmes, et qui lui est généralement attribué, ap-
partient à son père. — Cette famille a fourni plusieurs autres
médecins. — Tout le monde connaît la piquante Diatribe
du docteur Akakia, médecin du pape. \o\\.ai\re,\''aaieuT de
ce pamphlet , emprunta ce nom, connu dans la médecine,
pour ridiculiser un livre de Maupertuis; cette diatribe est
une continuelle allusion à tous les passages de ce livre qui
étaient l'objet de la moquerie pubUque. Champacnac.
AKBAR(DjÉLAL-EDDiN-MonAMMED), cmpercur de l'Hin-
doustan , de la race de Tamerlan , et l'un des plus grands
princes de l'Asie dans les temps modernes, naquit à Amerkat,
en 1542, et avait treize ans quand , à la mort de son père
Houmàjoùn , il parvint au trône sous la tutelle du ministre
Beyram. Il se distingua très-jeune encore par des talents
remarquables, et surtout par la bravoure et l'activité qu'il
développa dans une guerre qu'il eut à soutenir contre ses
sujets révoltés, parmi lesquels se trouvait Beyram lui-même.
Malgré les guerres continuelles qu'il eut à soutenir contre
ses voisins ou contre ses propres sujets , et qui l'entraînè-
rent successivement dans toutes les provinces de son em-
pire, il cultiva les sciences, principalement l'histoire, et
donna les plus grands soins à l'administration de ses États.
11 fit faire le dénombrement de ses peuples, et ordonna des
recherches sur la nature et les produits de l'industrie de
chacune de ses provinces. Le résultat de ce travail statis-
tique a été réuni en corps d'ouvrage par son ministre A b ou I-
Fazel, sous le titre de Ajin-Akbmi. Akbar mourut en lfi04^
après un règne de quarante-neuf ans. Aux environs d'Agra
on voit encore un superbe monument funéraire avec cette
seule inscription : « Akbar ». Son fils Sélim lui succéda, sous,
le nom de Djihangir.
AKBAR-ABÂJD. Voyez Agra.
A KEMPIS (Thomas). Voyez Thomas a Kempis.
AKÈNE ( du grec à privatif; yaivti, je m'ouvre ). On
nomme ainsi un genre de fruit, très-commun dans la nature,
dont le péricai-pe est sec, n'a qu'une seule loge, contenant
une seule graine, est indéhiscent , et non soudé avec la
graine. L'akène peut provenir d'un ovaire infère, ou d'un
ovaire supère, et offrir même quelques autres modifications.
Ainsi l'akène est tantôt couronné par les dents du calice,
tantôt il est nu ; assez souvent il est terminé par des soies ,,
des paillettes, c'est-à-dire par une aigrette. Ces modifications,
de peu d'importance d'ailleurs , ont donné lieu à de Mirhel,
Desvaux et autres botanistes de faire des espèces. Le fruit des
synanthérées , des polygonées , appartient au genre akène.
AKENSIDE (Marc), médecin et poète anglais, né
en 1721 à Newcaslle-sur-Tyne, était fils d'un boucher. A dix-
huit ans , il fut envoyé à l'université d'Edimbourg pour y
étudier la théologie , qu'il abandonna bientôt pour la méde-
cine ; son goût dominant l'entraînait toutefois vers la poésie.
Reçu docteur en médecine en 1744, à Leyde, il se rendit
l'année suivante en Angleterre, où il exerça successivement
sa profession à Northampton , à Hampstead et à Londres.
11 eût vécu longtemps dans une grande médiocrité, an milieu
de cette dernière ville, sans un ami généreux , Jérémie Dy-
son , qui le força d'accepter une pension de 300 livres ster-
ling. Il donna des leçons publiques d'anatomie , et devint
membre de la Société royale et du Collège des Médecins de
Londres, docteur de Cambridge, et médecin de la reine. Il
mourut en 1770. Il a laissé quelques dissertations de méde-
cine estimées, une entre autres sur la dyssenterie. Ses
poésies , dans les genres didactique et lyrique, ont été
réunies et publiées à Londres par Dyson, en 1772, en 1 vol.
in-4°. Son poëme le plus remarquable est intitulé : Les
Plaisirs de r Imagination. Cet ouvrage , qu'il publia à
vingt-trois ans, lui valut les suffrages de Pope, et fit sa
réputation. Relouché plus tard par son auteur, il a été tra-
duit en français, en prose, par le baron d'Holbach ( Am-
sterdam, 1769, et Paris, 1805). Lord Chesterfield disait:
a C'est le plus beau des livres que je n'entends pas. » *
AKERBLAD (Jean-David) , célèbre philologue et ar-
chéologue suédois , était employé à la chancellerie royale
depuis 1783, lorsqu'en 1789 il fut nommé interprète pour la
langue turque. En 1795 il se rendit en qualité de secrétaire
de légation à Constantinople, d'où il fut rappelé en 1797. Il
habita ensuite pendant quelque temps, vers 1800 , Gci-ttin-
gue, fut nommé en 1802 secrétaire de légation à La Haye,
et l'année suivante à Paris , d'où il fut cependant encore
rappelé en 1804. Mécontent des changements politiques sur-
venus dans sa patrie, il résolut, à ce qu'il paraît, de renon-
cer complètement à la Suède, et se retira à Rome, où il trouva
dans la duchesse de Devonshire et quelques autres amis des
lettres les secours et l'appui nécessaires pour lui permettre
de se livrer en paix à de vastes travaux littéraires, dont nous
avons les fruits dans un ouvrage également impoitant pour
la paléographie etl'épigrapliic, et intitulé : Inscrizionegreca
! sop7-a una lamina di piombo trovaia in un sepolcro
' nclle vicinanze d'Atcnc (Rome, in-'i", 1813). Dans les
23g AKERBLAD
«krnières annexes de sa \ic , AKeiblad subsistait à Rome en
exerçant Tobsciir métier de cicérone, se faisant passer pour
un Danois auprès des étrangers à qui il montrait les monu-
ments de la ville étemelle. Ses ouvrages témoignent d'ime
profonde connaissance des langues orientales et occidentales,
lin effet, non-seulement il les parlait, mais il les écrivait avec
facilité. Akerblad mounit à Rome, le H février 1819. On
cite encore de lui : Lettre à M. Silvestre de Sacy sur l'é-
criture cursive copte; Lettre à M. de Sactj sur l'inscrip-
tion égyptienne de Rosette; Notice siir deux inscriptions
en caractères runiques trouvées à Venise, et sur les Va-
rangcs , avec les remarques de M. d'Ansse de Villoison,
morceaux imprimés dans le Magasin encyclopédique, an-
nées 1801, 1S02 et 1804. Akerblad était correspondant de
rinstitut de France , et membre de beaucoup d'académies.
AUUALZllîlI ( Ancien pachalik d'), le Sa-atabago des
Géorgiens , forme aujourd'liui l'un des onze arron«lissernents
du gouvernement grousio-iméréthien des possef.sions russes
au delà du Caucase, sur les bords du Kour supérieur. Il est
borné au nord-ouest par les arrondissements d'Osourgéti et
de Koutniss, au nord et au nord-est par celui de Tiflis, au
sud-est par celui d'Alexandropol, enSn au sud par les cercles
turcs de Tschaldir et de Kars. Dans les vallées ou Kour et du
Poskho se trouvent de riches pâturages et des cliamps fertiles,
tandis que la vigne est cultivée avec succès sur les collines;
néanmoins, Taspect général de cette contrée est nu et désert.
La vallée supérieure du Kour et du Poskho s'appelait jadis
Semo-Karthli ( Karthli supérieur ) ; elle était habitée par les
Géorgiens, et fut toujours pour eux un lieu d'aeile assuré.
Vers la fin du premier siècle de l'ère chrétienne , Erowant
d'Arménie fit la conquête du Semo-Karthli , qui ne repassa
sous la domination des rois de Géorgie qu'après une lutte
aussi longue qu'acharnée et sanglante. Réunie alors de nou-
veau à la Géorgie par des hens politiques plus intimes, cette
contrée parvint, grâce à la bienfaisante influence du chris-
tianisme , à un haut degré de civilisation. Elle était admi-
nistrée par des gouverneurs appelés atabegs; le plus an-
cien de ces fonctionnaires dont l'histoire ait conservé le
souvenir s'appelait Sargis, et mourut en 1334.
Pendant la guerre qui eut lieu entre les Turcs et les Per-
sans, au milieu et vers la fin du seizième siècle, le pays
d'Akhalzikh devint fréquemment le théâtre des pins horri-
bles dévastations. Malgré l'héroïque résistance des deux fib
tic Talabeg Kaecliosrow, Kouarkouar et Manoutschur, e>
Turcs réussirent à s'en rendre maîtres. Cependant iMa-
noutschar y reçut l'investiture souveraine, sous le titre de
pacha de Saalabago. En l'an 1025 les Turcs assurèrent
encore plus complètement leur domination sur ce territoire
en en expulsant complètement l'ancienne famille régnante,
qu'Amuratli IV remplaça par Sapliar-Pacha, dont les des-
cendants continuèrent à le gouverner. Le territoire, dévasté
et appauvri sous l'administration turque, fut divisé en
sandjahs, dont les cinq suivants : Akhalzikh , Atskwer,
Aspindse, Chcrtwis et Achalkalaki, ont été cédés en 1829
à la Russie par le traité de paix conclu à Andrinople.
Beaucoup de familles musulmanes émigrèrent alors , et la
popiilation diminua.
La capitale de l'Akhalzikh est la ville du môme nom. place
forte bâtie sur le Poskho ( Dalka ou Dalki), défendue par
une bonne citadelle, et qui compte 11,000 habitants. Celte
\ille fut prise le 27 août 1828 par le feld-maréchal prince
Paskewitch, et occupée par un bataillon russe. Quand les
pachas de Kars et d'Erzeroum apprirent la prised'Aklialzikh,
ils tentèrent, à la tôte d'un corps de dix-huit mille hommes,
de reprendre cette ville, qui est la clef septentrionale de l'A-
natolie ; mais cette entreprise échoua, par suite de la vigou-
reuse résistance de la garnison russe. Le gouvernement
russe ordonna l'èlahlissement d'une nouvelle ville sur la
rive droite du Poskho; cette cité nouvelle a été peuplée
de colons arméniens. Akhalzikli ayant cessé d'èlre un grand
— ARJERMANN
marché d'esclaves, a singulièrement perdu de son importance
On y compte huit églises, pour laplupartarméniennes, et une
synagogue; ses nombreuses mosquées sont tombées en
ruines, à l'exception de celle d'Achmed, située dans la
citadelle, et qui avait été bâtie sur le plan de Sainte-Sophie
de Constantinople : elle aété consacrée par les Russes au culte
grec. A cette mosquée était jadis annexé un collège, dont la
bihliothèque passait pour l'une des plus riches de l'Orient;
les livres les plus précieux en ont été transportés à Saint-
Pétersbourg.
Pendant la guerre d'Orient, dix-huit mille hommes de
troupes turques, sous les ordres du lérik Ali-Pacha, .s'avancè-
rent jusqu'à Akhalzikh et se fortifièrent au village de Soupliss.
Le général Andronikoff marcha au secours d'Akhalzikh,
où il arriva le 24 novembre 1853. Le 26 les Russes, après
une vive canonnade, traversèrent le Poskho et parvinrent à
chasser les Turcs de leurs positions, en leurtuantun millier
d'hon-imes et leur prenant 12 canons, 5 drapeaux, une
grande quantité d'armes et de munitions. Les Russes pour-
suivirent les Turcs jusque sur leur territoire, et le lieute-
nant-colonel Zimmermann pénétra, le l''' décembre, jusqu'à
Didveri. Z.
AKHTlRKAy villede Russie, dans le gouvernement de
Kharkof , sur la rivière de son nom. Cette ville , chef-lieu
d'un district, compte 15,832 habitants. On y récolle des
fruits estimés et on y fabrique des lainages. Dans l'une des
églises se trouve l'image miraculeuse de Notre-Dame d'Akh-
tirka , qui est le but d'un pèlerinage célèbre. Akhtirka a été
fondée par les Polonais, en 1641.
AKIBA, fils de Joseph, célèbre docteur de la loi et de la
Mischna chez les Juifs, vécut en Judée vers l'an lOO après
J.-C. Bien qu'il ne se fût livré à l'étude que dans un âge déjà
assez avancé, il ne tarda pas à l'emporter sur tous ses con-
temporains , autant par l'étendue que par la profondeur de
ses connaissances, et les fondateurs de la Mischna furent
tous ses disciples. Il fit de grands voyages dans les trois par-
ties du monde, s'efforçant partout et toujours d'améliorer la
condition des Juifs , alors soumis au joug de fer des Ro-
mains. Impliqué, en 135, dans l'insurrection du fameux
Barkokéhas, Un fus le (it écorcher vif. Les écrits cabalis-
tiques qu'on lui atlrihue sont tous apocryphes.
AKJERMANNou AKKERMANN, ville de la Bessarabie
turque, à l'embouchure du Dniester dans la mer Noire , avec
une citadelle et un port. C'est VAlba Julia des Romains, qui
périt presque complètement à l'époque de la grande migra-
tion des peuples, ne fut relevée de ses ruines que beaucoup
plus tard par les Génois, et devint ensuite la proie des Turcs.
Les auteurs ne sont pas d'accord sur le chiffre de sa population,
que les uns évaluent à 14,000, et les autres à 20,000 âmes.
La convention signée dans cette ville, le 6 octobre 18?.(;,
entre la Porte Othomane et la Russie , représentée par le
conîte W'oronzof et le marquis de Ribeaupierre , avait
pour but d'arranger la question turco-russe , qui n'avait fait
que se compliquer toujours davantage depuis la paix de
Boukarest. Cette convention additionnelle aux stipula-
tions du traité de Doukarest se composait de huit articles,
et avait pour corollaire deux actes additionnels relatifs
à la Moldavie et à la Servie. Elle «issurait à la Russie la libre
navigation de la mer Noire pour son pavillon, protégé désor-
mais d'une manière efficace contre les corsaires des États
barbaresques. Elle stipulait en outre la création de divans
en Moldavie et en Vaiachie, le rétablissement des privilèges
de la Servie , province dont les troupes turques devaient se
boiner à occuper les places fortes, ainsi que la reconnaissance
des réclamations élevées par les sujets russes , et dont la
liquidation devait être opérée par une commission mixte.
Les frontières des deux puissances contractantes devaient
rester en Asie telles qu'elles étaient au moment de la signa-
ture de la convention : c'était dire que la Russie conserve-'
rait les places fortes turques dont elle s'était emparée en
AKJERMANN — AL-ACSA
Asie. Le non-acioinplissenienl par la Porto dos stipulations
(le la coiivoiitiou d'Akjermaim ont pour résultat, eu 182S,
la guerre à laquelle la paix d'And ri nople mit un terme.
AK-KOYUXLU. Voijcz Ac Coinlu.
AKOYA ( Baronuie lî' ). Le pays d'Akova est situé au
milieu des luoutagnes de l'ancienne Arcadie , sur la rive
orienlîde du Ladon. Au moment de la coniiutMe de la Morée
par les Français, en i-lOh, Akova fut donnée à titre de haute
baronuie, ayant droit de haute justice , de guerre privée, de
forteresse et d'évêché, à Gaultier de Ronclicres ou de Ro-
zière, avec yingt-quatre tiefs de cavalerie. A la mort de Gaul-
tierde Ronchères, qui ne laissa pas d'héritiers, labaronnied'.\-
kova passa à sa nièce , Marguerite de Neuilly ; mais ce/le-ci
ne put prendre possession de ce lief. Cependant Guillaume de
Aillehardouin lui en rendit le tiers , et elle l'apporta en dot
à la maison de Saint-Omer par son «nariage avec Jean de
Saint-Omer.
ALABAMA, vaste territoireadmisen l'année 1819 au
nombre des Etats souverains composant J'Uniou américaine
«l'i Nord , est limité au nord par l'État de Tennessee, à l'est
par la Floride occidentale, à l'ouest par l'état de î\Iississipi,
et au sud par le golfe de Mexique. 11 s'étend du 30° 10' au
35° de latitude septentrionale , et du 87° 24' au 90° 49' de
longitude occidentale. Sa moyenne longueur peut être éva-
luée à environ 340 kilomètres, sa largeur à environ 200 kil.,
sa superticie totale à 53,000 kilomètres carrés. En ISiO la
population ne s'élevait pas à plus de 20,000 habitants ; en
IS20 elle atteignait déjà le chilTie de 127,901; en 1830 ce
cliiffre était de 407,527, et en 1845 de 624,827 âmes, dont
253, i32 esclaves et 2,039 nègres libres. Dans ces derniers
temps le nombre des esclaves s'y est presque quintuplé ;
car sous un climat chaud et avec un soi d'une luxuriante
fccx>ndité les noirs se propagent beaucoup plus rapidement
que les blancs. L'importation des nègres de l'Afrique ou des
Indes occidentales y est punie de mort.
La chaîne la plus occidentale des monts A 1 légha n y s
sépare l'Alabama du nord de l'Alabama du centre et de
l'Alabamadu sud. L'Alabama du nord est montagneux, et
le sol en est propre àla culture des céréales, quoiqu'elle y soit
négligée. L'Alabamadu centre est plus fertile ; son produit
principal est le colon (environ 100,000 balles par an ) ; on y
cultive aussi le sucre et l'indigo, et le riz prospère dans les
terrains d'alluvion aux environs du golfe de Mexique. L'Ala-
hamadusudest un pays de plaines immenses, couvertes d'une
espèce de roseaux appelés canes breaks. Les forôts de la
partie septentrionale fournissent le meilleur bois que l'on
connaisse pour laconslruction desnavires, celui àa chêne dit
dévie, e\ autres essences précieuses. Dans les parties cen-
trale et méridionale croissent les pins ; dans leur voisinage
l'air est sain , mais le sol stérile et presque sans valeur.
C'est là que viennent se réfugier les habitants du reste de
l'État aux époques où sévit la fièvre jaune. Des mines d'or
sont exploitées dans l'Alabamadu nord. Les débris des Clié-
rokees, des Creeks, des Chacktaset des Chikasas, ainsi que
d'autres peuplades indiennes, habitants aborigènes de ce
pays ont insensiblement péri ou ont émigré à l'ouest du
Mississipi. Le séjour de l'Alabama est d'ailleurs fatal aux
émigrants , et son climat est très-insalubre en certains en-
droits et pendant certains mois.
VAlabama, (leuve navigable dans la plus grande partie
de son cours, et qui donne son nom à l'État, est le plus
grand cours d'eau de ce territoire , qu'arrosent en outre
le Tallapousa, la Cousa, la Cahacoba, leTombigbee et le
Black-Warrior , lesquels , après leur réunion , forment
la Mobile et se déchargent en deux grands bras dans
la baie de Mobile. Le Tennessee traverse la partie septen-
trionale de l'État. L'Appalachicola, formé par la jonction
du Chattahouche et de la Flint-River, et les torrents de
Yellow-Water, d'Escambia et de PerdiUo, déversent leurs
eaux dans le golft Ju Mexique.
231
Mobile est le contre commercial de l'Alabama. Tuscn-
lousa, capitale de tout l'État sur la rive méridionale du
Black-Warrior, est le siège du gouvernement et d'une uni-
versité; sa population estd'à pou près 2,000 habitants. On
peut encore citer Blakely ( situé en face de Mobile), Mont-
gomery, Florence, Tuscumbia , Cahacoba et Huntsville.
L'État d'Alabama concourait pour sept voix à l'élection du
président de l'Union. 11 envoyait cinq députés au congrès.
Le pouvoir législatif est confié à une assemblée générale
composée d'un sénat et d'une chambre des représentants. Les
sénateurs, au nombre de trente-trois, sont élus pour trois ans;
les représentants, au nombre de cent, ne le sont que pour
un an. Tout citoyen blanc âgé de vingt et un ans et domi-
cilié depuis un an dans l'État y jouit du droit électoral. Le
pouvoir exécutif est délégué à un gouverneur élu pour
dix ans par l'assemblée générale, laquelle nomme aussi les
membres de la cour suprême pour six ans. Après l'é-
lection deM. Lincoln, en 1860, comme président des États-
Unis, l'Alabama a déclaré se séparer de l'Union. Z.
ALABAIVDIiVE (d'Alabanda, villede l'Asie Mineure).
Nom donné par les anciens à une pierre précieuse dure, d'un
rouge foncé, qu'on tirait des mines d'Alabanda, et qui pa-
raît être une variété de grenat. M. Beudant a aussi donné ce
nom au manganèse sulfuré.
ALABASTRITES, grosses perles et vases à parfum
faits en poire. Phne dit que l'on appelait ainsi les boutons
de rose , ce qui indique bien la forme de ces perles et de ces
vases. On nomma d'abord alabastra les vases à parfum ,
parce qu'ils n'avaient point d'anses , de l'a privatif et de
Xaêrj, anse. Comme on employait souvent à cet usage une
espèce de pierre orientale transparente , on lui donna le
nom à'alabastnun {voyez Albâtre), quoiqu'on fit des ala-
bastra d'or et de plusieurs autres matières précieuses.
ALACOQUE ( Marie ), religieuse visitandine, devenue
célèbre, dans son temps, par ses extases, ses visions et ses
prédictions. Toutefois , malgré la part qu'elle a eue à l'ins-
titution de la fête du Sacré-Cœur , son nom, resté obs-
cur, serait peut-être difficilement parvenu jusqu'à nous, s'il
ne nous avait été transmis par Vert-vert, qui, on le sait,
était lui-même élève du couvent de la Yisitalion, ei dont le
poète a dit :
11 savait môme ud peu du Soliloque
Et des traits tios de Marie Alacoque.
Elle naquit le 22 juillet 1647, à Lauthecour, près d'Autun.
Atteinte d'infirmités dès l'enfance, elle était déjà, à l'âge
de huit ans , au couvent de Charolles. Ayant été guérie
d'une paralysie , elle fit honneur de sa guérison à la Vierge,
et par reconnaissance substitua désormais le nom de Marie
à celui de Marguerite , qui était le sien. Poussée par une vo-
cation irrésistible, elle prit l'habit de novice au couvent
des Visitandines de Paray-le-Monial le 24 août 1671, et
elle y prononça ses vœux le 6 novembre 1672. Là, ses dis-
positions naturelles au mysticisme s'exaltèrent , et elle re-
çut, au dire de ses biographes, le don de prophétie, d&
révélations , et même le don des miracles. Le fruit de ses
contemplations mystiques fut un ouvrage qu'elle composa
sous ce titre : La Dévotion au cœur de Jésus. Il fut pu-
blié en 1698, après sa mort, par le père Croiset. Ce fut là
l'origine du culte du Sacré-Cœur. Marie Alacoque raconte
elle-même le plaisir ineffable qu'elle éprouva en gravant
sur son sein, avec un canif, le nom de Jésus en gros ca-
ractères. Elle mounit le 17 octobre 1090, après avoir prédit
avec exactitude le jour de sa mort. C'est du moins ce que
disent ses biographes, et, entre autres, l'évêque Languet,
qui a publié sa vie en un volume in-4°, Paris, 1729.
Artaud.
AL-ACSA est le nom d'une des deux principales mos-
quées de Jérusalem , qui furent pillées et saccagées par les
croisés, lorscpi'ils s'emparèrent de cette ville, l'an 10J9. -»
240
AL-ACSA — ALAINS
Ce mot arabe, qui signifie le dernier, a été donné par les
Arabes à la partie la plus occidentale de rAni(pie septen-
trionale; ils l'apiiellcnt Magreb al-Acsa (le dernier occi-
dent). C'est la Mauritanie occidentale, qui s'étend, de l'est
à l'ouest , depuis Tlemcen jusqu'à l'Océan , et, du nord au
sud, depuis Tan};er et Ceuta jusqu'à Maroc.
AJLADIX, ou mieux ALA-liUDlN, surnommé le
Vieux de la Montagne, prince des Assassins, parvint,
après bien des aventures , à se créer, dans les montagnes de
l'ancienne Partliie, une souveraineté à peu près indépendante.
Les meurtres sans nombre auxquels se livrèrent ses sujets
répandaient autour de lui une si grande terreur, que les rois
ses voisins et même plusieurs princes cbrétiens se virent
obligés de lui adresser das présents. Lors de sa croisade en
Palestine, saint Louis se montra non-seulement inaccessible
à toute espèce de crainte, mais il réussit môme à forcer le
farouche tyran à lui adresser solennellement une ambassade
avec des présents. — Un autre ALA-EDDiN-KAïrvOD\n, prince
seldjouKide, fut sultan d'Iconium de 1219 à 1237.
ALADIiV { Lampe d' ). Qui de nous n'a rôvé parfois à
cette lampe merveilleuse des Mille et une nuits, qu'il suffit
de frotter pour qu'un génie tout-puissant vienne se mettre à
la disposition de son possesseur, et lui apporter des riches-
ses de toutes sortes, lui fournir à manger, lui donner des es-
claves , des habits magniliques , des chevaux , lui bâtir en
une nuit un palais de toute beauté , transporter ce palais de
Chine en Afrique, et d'Afrique en Chine , en un clin d'œil.'
Aladin , pauvre fils de tailleur, sans état, sans fortune, grâce
à ce fameux talisman, qu'il a failli payer de sa vie, devient
le gendre du sultan, et sultan lui-même. De la classe la plus
infime il s'élève à la puissance suprême, et il semble mériter
cette élévation par le bon usage qu'il fait de ses ricliesses.
Aussi cette lampe a pu passer à juste titre en proverbe,
et chacun sait ce qu'il pourrait faire s'il avait la lacipe d'A-
ladin.
ALAIDIAR f Moiiammed-Aden-), fondateur du royaume
de Grenade, était un de ces ciiefs arabes qui, au treizième
siècle, avaient conservé en Espagne une faible puissance
dont ils ne se servaient que pour se nuire et se dépouiller
réciproquement, préparant ainsi une proie ticile aux chré-
tiens. Alahmar conçut le hardi projet de réunir sous son
autorité les pays qui n'étaient point encore tombés sous la
domination chrétienne. Après s'être emparé de Grenade, il
serrait de près dans Murcie le fils d'Aben-Houd , qiwnd celui-
ci , pour ne pas tomber dans la puissance de son adver-
saire, fit hommage de ses États au roi de Castille. L'infant
don Alphonse s'empressa d'en venirprendre possession. Après
une résistance opiniâtre, (jui dura plus d'un an, Ahihinar,
voyant sa position tout à fait désespérée, résolut de tuiie sa
soumission. 11 se rendit, sans aucune suite, au camp du
roi de Castille, se fit conduire à sa tente, et lui baisa les
mains en signe de vassalité. Cette démarche flatta le roi, qui
le traita favorablement. Un arrangement eut lieu entre ces
<!eux princes , et il fut convenu qu'.\lahniar conserverait la
jirovinre de Grenade sous la suzeraineté et la protection
de Ferdinand, auquel il payerait un tribut annuel , et fourni-
rait des troupes quand il en serait requis.
Quoique vassal et tributaire du roi de Castille, Alahmar
jeta les fondements du royaume de Grenade, qui finit par
acquérir de l'importance et de la force. Cette province devint
le refuge des populations musulmanes, et en 1266 tout ce
qui restait de musulmans en Espagne vivait sous l'auto-
rité d'Alahmar. Il se conduisit avec tant de pnidence dans
ses rapports avec les princes chrétiens, qu'il s'en fit estimer
et respecter, et put défendre d'une manière eflicace les inté-
rêts de ses compatriotes auprès des Espagnols. La paix ab-
solue dont jouit Grenade jusqu'à sa mort (en 1273) lui permit
de constituer assez solidement le royaume qu'il avait fondé.
On s'accorde à louer Alahmar pour sa modération , sa justice
et les efforts constants qu'il lit pour la prospérité de son
pays. 11 encouragea l'agriculture, l'industrie et les beaux-arts,
il établit de nombreuses manufactures , fonda des hospices ,
créa partout des écoles. Le célèbre palais de l'Alhambrà
est l'ouvre d'Alahmar, qui en fit sa résidence royale.
ALAIX CIIARTIER. Voyez Chartier.
ALAIAf DE L'ISLE, ainsi nommé du lieu de sa
naissance, bien que l'on ne sache pas au juste à quelle ville
la rapporter, fut surnommé le Docteur universel, à cause
de ses vastes connaissances. Né vers le milieu du douzième
siècle, il devint professeur de théologie à l'université de
Paris, et s'y acquit une grande réputation, s'appliquant
surtout à revêtir le langage de la philosophie de formes sé-
duisantes et poétiques. Alain de l'isle passa les dernières
années de sa vie dans l'abbaye de Cîteaux. Il mourut en
1203. On a de lui un assez grand nombre d'écrits latins,
soit en vers, soit en prose, qui ont été publiés en 1654, à
Anvers, en un volume in-folio. On y remarque un Anti-
Claudien, poème philosophique, et \e Livre des Paraboles.
qui a été traduit en français par Antoine Vérard. On lui
attribue des apliorisraes hermétiques. *
ALAIXS. Les Alains , peuple de race scythique , habi-
taient dans l'origine entre le Pont-Euxin et la mer Cas-
pienne. Ils étendirent leurs conquêtes depuis le Volga jusqu'au
Tanais, pénétrèrent au nord jusque dans la Sibérie, et
poussèrent au sud leurs incursions jusqu'aux frontières de la
Perse et de l'Inde. Le mélange des races sarmates et ger-
maines avait un peu rectifié les traits des Alains. Ils étaient
moins basanés que le reste des Tatars, moins ditTormes et
moins sauvages que les Huns, sans leur rien céder du côté
de la bravoure. Passionnés pour la liberté, les Alains ne
plaçaient la gloire et la félicité du genre humain que dans
îepillage et les combats. Un cimeterre nu, fiché en terre, était
l'objet de leur culte. Leurs forces militaires, comme celles
de presque tous les Tatars, se composaient d'une nombreuse
cavalerie ; ils caparaçonnaient leurs chevaux avec les crâ-
nes de leurs ennemis , et méprisaient, dit Jomandès, les
guerriers pusillanimes qui attendaient patiemment les in-
firmités de l'âge, ou qui souffraient les douleurs d'une
longue maladie. Aussi , dans ce déluge de hordes barbares
qui , vers le cinquième siècle, inondèrent le monde civilisé,
les Alains se montrèrent-ils les plus cruels et les plus san-
guinaires.
L'an 73 de J.-C, ayant franchi le Caucase, ils se jetèrent
sur la Médie, et la dévastèrent. Ils furent moins heureux
sous le règne d'Adrien, et éprouvèrent une grande défaite
en 130. Arrien avait enseigné aux Romains une tactique mi-
litaire particulière contre eux. Vers l'an 276 ils recom-
mencèrent leurs incursions dans l'empire Romain. Peu de
temps avant sa mort, l'empereur Aurélien, se disposant à
aller porter une seconde fois la guerre en Orient , fit avec
eux un traité par lequel ils s'engagèrent à envahir la Perse
avec un corps nombreux de cavalerie. Ils exécutèrent fidèle-
ment leurs engagements; mais, la mort de l'empereur ayant
fait abandonner le projet de la guerre contre les Perses , on
ne tint pas les promesses qu'on leur avait faites : pour se
venger, ils envahirent l'empire, et se rendirent maîtres en
peu de temps des provinces de Pont, de Cappadoce, de
Cilicie et de Galatie. Le successeur d'.Aurélien , l'empereur
Tacite, voulant à tout prix délivrer ses États des barbares
qui les désolaient, s'empressa de remplir les engagements
contractés par son prédécesseur, et les Alains, satisfaits de
cette démarche , se retirèrent pour la plupart dans leurs dé-
serts, au delà du Phase. Quelques-unes de leurs tribus, qui
se refusèrent à cette transaction, furent exterminées vers
l'an 376. Le pays des Alains fut envahi par les Huns, venus
des frontières de la Chine; et les Alains , vaincus après une
longue résistance, quittèrent de nouveau leurs retraites.
Quelques tribus se réfugièrent dans les montagnes du Cau-
case, où elles conservèrent leur nom et leur indépendance.
D'autres s'avancèrent jusqu'à la mer Baltique, et s'asso-
ALAKNS — ALAMBIC
ctt^ront au\ tribus scptontnonalcs de r.\l!ouîa?;no; mais la
plus grande partie de la nation accepta l'alliance avanta-
geuse qui lui fut otTerte par les vjiinqueurs, et se réunità eux
pour envahir l'empire des Goths.
A partir de celte époque jusqu'au moment de leur entier
anéantissement en Espagne , les Alains n'occupent plus dans
l'iiistoire des peuples barbares qu'un rang secondaire. Plu-
Kieurs tribus de cette nation faisaient partie de l'armée de
Radagaisc, lorsqu'au printemps de l'année 'lOO il envahit
l'Italie; mais le corps de la nation s'était alors confédéré
«vec les Suéves , les Vandales et les lîourguignons. Quel-
ques tribus étaient aussi au service do l'empire. Après la
défaite et la mort de Hadagaise, les quatre nations confédé-
rées , échelonnées entre les Alpes et le Danube , rebrous-
sèrent chemin vers la Germanie occidentale, dans le dessein
de se rejeter sur la Gaule. Les Francs Ripuaires es.sayèrent
en vain de défendre «"tte barrière; ils furent mis en dé-
route par l'impétueuse cavalerie des Alains , qui vengèrent
ainsi la défaite et la mort du roi des Vandales , Godégisile ,
tué dans l'action. Le 31 décembre 406, le Rhin fut forcé
près de Mayence, et pendant plus de deux ans la Gaule fut
ravagée par ces barbares. En 409 , à l'exception des Bour-
guignons, qui s'étaient détachés de la confédération, les
alliés abandonnèrent les provinces dévastées de la'Gaule ,
et le i:î octobre ils franchirent les l'yrénées, appelés par
Gérontius, qui leur fit embrasser la cause du t^ran Maxime.
Ainsi l'Espagne, qui depuis quatre siècles jouissait d'une
paix profonde, se vit tout à coup envahie par les Suèves,
les Alains et les Vandales , qui devaient s'y livrer de san-
glants combats. Ils avaient été remplacés dans les Gaules
par les Visigoths; mais le comte Constance, résolu de
tout faire pour éloigner ces nouveaux barbares de la Gaule ,
leur montra les richesses de l'Espagne, et les décida à passer
à leur tour les Pyrénées ; sa politique était de détruire les
baibarcs les uns par les autres , en mettant ainsi les Gotlis
aux prises avec les Suèves , les Vandales et les Alains. En
effet, dans les divers combats que les Visigoths, sous la
conduite de Wallia , livrèrent aux autres barbares , la nation
des Alains fut presque anéantie , et ses débris se fondirent
dans celle des Vandales, dont ils suivirent la fortune;
depuis lors ils ne reparaissent plus dans l'histoiie comme
formant un corps de nation.
ALAÏS, ville du Languedoc et ancienne capitale des
Cévennes, aujourd'hui chef-lieu d'arrondissement du Gard,
sur la rive gauche du Gardon , à 074 kilomètres de Paris.
Cette ville est parvenue, depuis 1819, à un tel degré de
))rospérité, qu'elle a vu, dans un intervalle de trente-sept
années, à peu près doubler sa population, qui était en 1836
de 20,084 habitants. Elle le doitsurtoutàîon bassin houiller,
l'un des plus riches peut-être de la France. Elle i)os-
sède de grandes usines et des fileries de soie fort renommées ,
et fait un commerce considérable de grains, de vins, d'o-
lives, de bestiaux. Elle possède un tribunal civil, un tri-
bunal de commerce, un conseil de prud'hommes, un col-
lège communal, une bibliothèque publique, une église
consistoriale calviniste , et ime école des maîtres et ouvriers
mineurs. Saint Louis acheta Alais et Anduze, en 1243, à la
maison de Bermond , une des plus anciennes du Languedoc.
Devenue comté en 1396, la ville d' Alais passa successive-
ment dans la maison de Montmorency et dans celle des
princes de Conti. Louis XIII la soumit en 1629 ; quelques
années plus tard, Louis XIV en lit le siège d'un évêché , et
y bâtit une citadelle après la révocation de Tédit de Nantes.
11 y a un chemin de fer d'Alais à Nîmes. *
AL AM AK , une des étoiles de la constellation d'An-
dromède.
ALA.MAXXI. Voyez Alemans.
ALAM^VXNl (Llici ), célèbre poëte italien, né à Florence,
le 2S octobre 1495 , descendait d'une des familles les plus
nobles et les plus illustres de celte république. Sa mère était
DICT. DE LA CONV. — T 1.
^4}
Giiicvra PignalcUi ; f^on père, Franccsco Alamann:, était
un zélé partisan des Métlicis. Longteiups il jouit lui-mènte
d'un grand crédit auprès du cardinal Jules, (pii gouvernait au
nom du pape Léon X ; mais s'étant cru vicliine d'une ii<-
justice, il entra ilans une conspiration contre la vii> du cardi-
nal. Le complot ayant été découvert, Alamanni se réfugia à
Venise, où il trouva dans le sénateur Carlo Cappello \\n pro-
tecteur. Plus tard, lorsque le cardinal fut promu h la chaire
de saint Pierre, sous le nom de Clément VII , il dut s'enfuir
en France; mais les malheurs qui signalèrent le pontificat
de ce pa|)e ayant fourni à l'iorence l'occasion de recouvrer
sa liberté, Alamanni put y revenir eu 1327. Ce fut lui qui con-
seilla à ses concitoyens de se placer volontairement sous la
protection de Charles-Quint, et il leur offrit à cet effet son
protecteur André Doria comme intermédiaire. Les républi-
cains austères déclarèrent qu'un tel conseil n'était qu'une tra-
hison. En conséquence Alamanni restaauprès de Doria, qui le
conduisit en Espagne avec sa (lotte. A quelque temps de là,
il revint à Florence à bord de la même ilotîe ; mais alors ,
proscrit de nouveau, il dut aller chercher un asile en France,
où François ï" ne tarda pas à faire tellement cas de lui
qu'après la paix de Crespy , conclue en 1344, il le nomma
son ambassadeur auprès de Charles-Quint. Alamanni ne jouit
pas d'une considération moindre auprès de Henri II, qui
l'employa dans diverses négociations. 11 mourut à Araboise,
en 1556. De tous ses ouvrages, celui qui porta le plus haut sa
réputation fut son poème didactique la Coltivazionc (Paris,
1546 ; dernière édition, Florence, 1S30). Son poème héroïque
en vingt-quatre cliants, Girone il cortese, est imité d'un vieux
poème français. Dans une autre épopée, aussi en vingt-quatre
chants , l'Avarchkle , dont le sujet est le siège de Bourges
{Avaricion), il a imité avec peu de bonheur Homère. 11
publia ses œuvres diverses sous le titre à'Opere Toscane
( 2 vol., Lyon, 1332). Il écrivit une comédie, Flora, et une
hn\t3iUondeYAnfigoneHeSop\ioc\e.SesEpigi-am)niToscani
(Mondovi, 1570) firent grand bruit. Ses ouvrages se recom-
mandent par la légèreté, la clarté et la pureté du style ; mais
la vigueur et la verve poétique y font trop souvent défaut.
Alamanni fut le premier qui introihiisit les vers blancs
(versi scïolti) dans la littérature italienne; mérite que
Trissino pourrait peut-être revendiquer pour lui-môme, mais
dont, en tout cas , ses compatriotes lui tiennent médiocre-
ment compte.
ALAJVIBÎC (du mot grec âixoi?, vase, pot, et de l'article
arabe al ). Toutes les fois qu'il s'agit de séparer des produits
inégalement volatils , on a recours à une opération qui porte
le nom de distillation, dont le but est de volatiliser
certains corps et de les condenser à l'état liquide. Lorsqu'on
opère sur des quantités de substances assez considérables,
on emploie des alambics , vases dont la forme a singulière-
ment varié, mais consistant toujours essentiellement en un
récipient renfermant le produit à distiller et muni d'appa-
reils propres à refroidir et à liquéfier les produits volatilisés.
Le récipient se nomme ordinairement CiUi^r^/^c ,1a partie de
l'appareil où les vapeurs se réunissent prend le nom de
chapiteau, et le tuyau où elles se condensent s'appelle
le serpentin, à cause de sa forme. C'est ainsi, par exemple,
que l'on obtient l'eau-de-vie, i'esprit-de-vin , les essences,
les eaux de Cologne et de mélisse, l'eau pure ou distillée, etc.
— Dans certains cas, les substances sur lesquelles on opère
pourraient éprouver par la chaleur une altération qui modilio-
rait ou altérerait les produits volatils ; on renferme alors la
partie inférieure de l'alambic dans un vase appelé bain-
marie , enveloppé d'eau ordinaire ou salée, qui la chauffe
par intermédiaire. — Les pioduits volatilisés pourraient se
condenser partiellement parle refroidissement qu'ils éprouve-
raient en traversant des appareils en contact avec l'air par
toutes leurs parois extérieures; mais une fois échaulïés, ces
vases en laisseraient échapper la plus grande partie. C'est
pour déterminer imc condensation complète que les appareils
Jl
242
sont enveloppés treaii fioide que l'on lenoiivelle à mesure
(lu'elle s'écliauiïe. — Des tuyaux citciilaires ou plats sont
renfermés dans un vase rempli de ce liquide ; h leur ex-
trémité supérieure , ils reçoivent les vapeurs, et par leur ex-
trémité inférieure s'écoule le liquide condensé. L'eau employée
jiour le refroidissement arrive par la partie inférieure du ré-
frif^érant, donrelle occupe ie fond, à cause de sa plus grande
densité , et l'eau chaude , plus légère , s'écoule par un con-
duit placé supérieurement. — Quand il s'agit de préparer
à la fois de l'alcool à divers degrés de force en distillant du
vin ou d'autres liquides alcooliques, les réfrigérants sont plus
compliqués , parce qu'on est alors obligé de condenser à des
températures variées les produits volatils ; de cette manière,
on recueille des liquides marquant des degrés très-différents.
H. Gailtikr de Claibrv.
AL.W'D (Iles d') , groupe d'environ trois cents Iles et
llolsdans legolfede Bothnie, «iont quatre-vingts sont habilé>:
d'à peu près quatorze mille âme.>. Le soi en est si pierreux
et recouvert d'une couche de terre si légère, que dans les
élés chauds les grains s'y dessèchent avant de mûrir, et que
les arbres 5 fruit n'y produisent presque rien. La navigation
et la pêche du hareng constituent la principale ressource
des habitants, qui sont originaires de la Suède. En 1714,
un combat naval eut lieu près de ces Iles entre les Russes
sous les ordres d'Apraxin et les Suédois commandés par
Ehreiiskœld : les premiers restèrent vainqueurs. Aux termes
de la paix de 1809, la Suède dut faire cession de lar-
chipel d'Aland à la Russie. L'Ile principale, qui a onze
lieues de long sur neuf de large, et qui a donné sou
nom à l'archipel, a ses côtes coupées d'un grand nombre
de baies. Elle possède une ville qui porte le même aom.
C'est dans la partie orientale de cette Ile que se trouve
la baie de Lumpar, où une flotte entière peut mouiller en
toute sûreté, et à l'extrémité de laquelle est située la forteresse
de Bomarsund, dont les Français et les Anglais s'empa-
rèrent au mois d'août 1854. Par le traité de Paris du 30 mars
1856 la Russie s'est engagée à ne pas fortilier les îles d'Aland
et à n'y maintenir ni créer aucun établissement militaire ou
naval. Z.
ALARCON Y MENDOZA ( Don Juan Ruiz de ),
auteur dramatique espagnol qui se place immédiatement
après Lope de Véga et Caldéron. Schlegel , Bouterwek
et Sisinondi, qui se sont spécialement occupés du Ihéàtie
espagnol , passent sous silence cet homme remarqua-
bl« , dont Corneille admirait le génie. Ses compatriotes
mêmes l'ont oublié; à peine le nom d'Alarcon apparait-
il de temps à autre, de la manière la plus vague , dans
leurs annales littéraires : on ne le cite jamais. Pendant sa
vie, plusieurs faussaires lui dérobèrent ses titres degloire;
après sa mort, les critiques ne parvinrent à les retrouver
et à les lui rendre qu'avec difficulté; Corneille lui-même,
en lui empnmtant le Menteur, comédie qui a ouvert la
carrière de notre gloire théâtrale, attribuait à Lope de Véga
cette œuvre, qu'il appelle « la merveille du théâtre, et à la-
quelle, dit-il, il ne trouve rien de comparable en ce genre
chez les anciens ni chez les modernes ■>. Victori/i Fabre
attribuait à Francesco de Rojas la Verdad Sospechosa,
œuvre prototype du Menteur, et il a fallu toutes les re-
cherches réunies et successives de Nicolas Antonio, de
M. Salva , de M. Ferdinand Denis et de l'auteur de cet ar-
ticle, pour savoir enfin à peu près comment Alarcon. a vécu
et où il a vécu.
Alarcon axait reçu de la nature et de la société plusieurs
<lons singuliers et disparates , qui se détruisaient mutuelle-
ment : \m génie original , un violent orgueil , une naissance
noble, un berceau étranger, une grande distinction de ma-
nières et une difformité naturelle. 11 était Indien, c'est-à-dire
né au Mexique, et il faut voir avec quelle supériorité de dé-
dain les Espagnols ont longtemps traité les enfants de leurs
colonies. Dernièrement encore, tout en se donnant à elle-même
ALAMBIC — ALARCON
une constitution libre, l'Espagne a retenu sa dernière colo-
nie, la Havane, dans la servitude la plus complète. Malgré
celte extraction indienne, Alarcon occupait à la cour de
Madrid un poste honorable et surtout lucratif, à une épo-
que où , comme le dit le marquis de Louville , il y avait à
peine assez d'argent dans les caisses pour fournir une olla-
podrida à Leurs Majestés , et où commençait la rapide déca-
dence de la monarchie espagnole. Au lieu de trahier sa vie
dans cette pauvreté amère qui dévora les jours du Camoëns
et de Cervantes , Alarcon se trouva de niveau avec les
grands seigneurs du temps, qui devaient mépriser fort,
néanmoins , du sommet de leur ignorance et de leur fierté
castillane, un poète, homme de finances , Indien et bossu.
Ce dernier malheur, dont semble douter un peu le spirituel
et récent auteur d'une Histoire comparée des Littératures
Espagnole et Française (M. Adolphe de Puibusque ), est
néanmoins confirmé |)ar les nombreuses épigrammes que
les poètes ses contemporains dirigèrent contre sa gibbosité.
L'un dit qu'il << prend cette bosse pour le mont Hélicon ; »
l'autre, que « si sa bosse était grosse comme son orgueil,
« Pélion et Ossa ne l'égaleraient pas. » Il paraît peu pro-
bable que la malice contemporaine se soit égayée sur une
difformité chimérique; être bossu , Indien et homme de gé-
nie, ce sont trois malheurs dont on aurait pu après tout se
consoler avec un peu de tact,d'esprit et de réserve. Mais,
pour achever le désastre de sa gloire et de son repos, Alarcon
joignait à ses autres dons le plus infernal orgueil dont
une âme humaine ait jamais été pétrie. « Canaille, dit-il
« au public ( al volgo ), dans ime de ses préfaces, bête fé-
« roce, je m'adresse à toi ; je ne dis rien aux gentils-hommes,
« qui me traitent mieux que. je ne le désire ; je te livre mes
« pièces, fais-en ce que tu fais des bonnes choses; sois in-
« juste et stupide à ton ordinaire. Elles te regardent et t'af-
n ft-ontent ; leur mépris pour toi est souverain. Elles ont tra-
« versé tes grandes forêts ( le parterre ). Elles iront te cher-
« cher dans tes repaires. Si tu les trouves mauvaises , tant
« mieux, c'est qu'elles sont bonnes. Si elles te plaisent,
« tant pis, c'est qu'elles ne valent rien. Paye-les, je me ré-
« jouirai de l'avoir coûté quelque chose. » Ce terrible bossu
ameuta nécessairement contre lui toute l'armée des écri-
vains roturiers , sans que les gentils-hommes de Castille dai-
gnassent prendre en main la défense de l'Indien. Aussi fit-
il d'excellents drames que personne ne vanta , que plusieurs
s'attribuèrent , dont Corneille profita sans savoir à qui il
les devait, et qui ne valurent à leur orgueilleux père qu'une
réputation posthume et contestée.
Né, selon toutes les probabilités, vers le commencement
du dix-septième siècle, dans la province mexicaine de Tusco,
province qui fait partie du district de Cuença , don Juan
Ruiz de Alarcon appartenait sans doute à cette grande fa-
mille des Alarcon qui s'est signalée dans les guerres de la
conquête , dont le marquis de TrocifaI a publié la généalo-
gie , et qui a donné plusieurs gouverneurs généraux à l'île
de Cuba, où elle existe encore. Dès cette époque , le prince
de Esquillache avait fondé à Mexico un collège pour les
jeunes gentils-hommes , collège où il est probable que le
poète fit ses études. En 1621 ou 1622 il passe en Europe,
obtient en 1625 le titre et le grade de licencié, est nommé
ensuite rapporteur du conseil royal des Indes ( relatordel
real consejo de las Indias ) , vit à la cour, s'amuse à écrire
des comédies, dont il publie huit, composant un premier vo-
lume ( 1628, ISIadrid ) , et ensuite douze, composant un se-
cond volume ( 1634, Barceloua). La première partie est dé-
diée au grand-chancelier du conseil des Indes, don Ramiro
¥e\\])e de Gusman , duc de Médina de las Torres, son Mé-
cène , dit-il , mais auquel il s'adresse plutôt du ton cour-
tois d'un gentil-homme qui parle à son égal avec une af-
fection dévouée et chevaleresque , que du ton obséquieux
d'un poète de cour et d'un protégé. On ne sait rien de sa
' mort ; peut-être , fatigué des épigrammes dont les poètes
ALAUCOM
criblaient le genlil-hoinnie boisu, retouina-t-il en Amérique.
Dojà en 1G42 sa meilleure conaïklie , la Verdad Sospe-
chosa, ijnprimée dans le second volume de son recueil, était
attribu»^? à Rojas et à Lope, tant on avait accordé peu d'at-
tention au volume et à l'écrivain. C'était un drame bien in-
venté et bien conduit , qui , imprimé séparément , tomba ,
sans nom d'auteur, entre les mains d'un jeune Français né en
Normandie. Ce dernier s'occupait beaucoup de théâtre, et,
selon le conseil d'un de ses vieux amis, étudiait, imitait et
exploitait, en les soumettant à une régie plus sévère , les
fertiles carrières du draine espagnol. Pierre Corneille (il
s'agit de lui ) fut émerveillé de la vigueur du dialogue, de la
simplicité des ressorts et de la haute moralité de l'ensemble.
Il imita la Verdad Sospcchosa avec la supériorité de son
génie, en fit le Menteur, et dota la France de la comédie
de caractère. Seulement , en aùoucissant ({uelques teintes es-
pagnoles, et en remplaçant le vers facile et rapide d'Alarcon
par l'énergique et imposante naïveté de son vers hexamètre,
notre grand poète conserva malgré lui certaines nuances et
certains tableaux tout castillans , qui produisent un effet
singulier au milieu des mœurs françaises et provinciales de
la ville de Poitiers, où il reporte son action. Le plus re-
marquable de ces traits espagnols est la gronde Jlesta, la
fête et la sérénade données sur l'eau par un galant à sa
maîtresse, description fort convenable aux mœurs des rive-
rains du Guadalquivir et du INIançanarès , mais peu en har-
monie avec les rustiques habitants des bords du Clain , qui
baigne les murs de Poitiers. Le caractère du talent , disons
mieux , du génie d'Alarcon , n'était pas sans analogie avec
celui du grand Corneille : c'est la fierté de la conception et
du langage. On retrouve cette simplicité hautaine , cette hé-
roïque grandeur dans toutes ses comédies , telles que Y Exa-
men de Maridos, et surtout dans le beau drame eu deux
parties {el Texedor de Segovia), que M. Feidinand Denis
a traduit ( Chroniques de l'Espagne, tome II ) avec un talent
et une fidélité remarquables. On peut consulter sur Alarcon
le grand ouvrage de IVI. de Puibusque que nous avons cité ,
la notice de M. Ferdinand Denis , et la série d'études que ,
le premier en France , l'auteur de cet article a consacrées à
Alarcon dans la Revue de Paris de 1832.
Philarète Chasles.
ALARD (Marie-Joseph-Louis-Jean-François-Antoine),
médecin en chef de la maison de la Légion d'Honneur de
Saint-Denis, naquit à Toulouse, le 1""^ avril 1779. En 1794
il prit du service dans l'armée du Rhin comme chirurgien
sous-aide; puis il fut attaché à l'état-major de la dix-sep-
tième division militaire , dont la capitale était alors le siège.
Rentré quelques années après dans la vie civile, il com-
mença de sérieuses études médicales, et se fit recevoir doc-
teur à Paris en 1803. Condisciple de Bichat, de Cuvier, de
Duraéril , Fouquier et Dupujiren , il resta un des rares amis de
ce dernier. Suivant les cours du Jardin des Plantes en même
temps que ceux de l'École de médecine, il connut au Muséum
d'Histoire Naturelle Lacépède , avec lequel Use lia. Lacépède,
devenu sénateur et grand chancelier de la Légion d'Honneur,
choisit Alard pour médecin , puis il l'institua en 18 î 1 méde-
cin en chef des maisons d'éducation de la Légion d'Honneur,
et plus particulièrement de la maison de Saint-Denis. Alard
garda celte place après la chute de l'empire, et même après
la chute des deux branches des Bourbons. Il est mort dans
la même position en 1850. — Sa place l'avait mis nécessai-
rement en relation avec de grandes dames dont il avait été
le médecin d'enfance , et sa clientèle était devenue brillante
et nombreuse. Ciievalier de la Légion d'Honneur en 1820,
officier en 1 828 , il avait été nommé membre de l'Académie
de Médecine dès la création. Choisi pour secrétaire général
en 1S21 par la Société Médiaile d'Émulation, Alard rédigea le
septième tome des Actes de cette compagnie, où il inséra un
éloge du voyageur Pérou. En même temps il avait la rédac-
tion el la direction du Bulletin des Sciences Médicales
ALAUIC
2 43
publié parcelle socicté. Ha en outre fait paraître une tra-
duction de l'ouvrage de James Hendy sur les Maladies
Glanduleuses de la Barbade (1800)', une Dissertation
inaugurale sur le Catarr/iede l'Oreille (1803), une Histoire
de l'Éléphantiasisdes Arabes, 1806, in-8°,dont la deuxième
édition, imprimée en 1824, porte pour titre : De l'inflamma-
tion des vaisseaux absorbants lymphatiques , dermoides
et sous-cuta)iés, maladies désignées par les auteurs sous
les dij/érents noms d'cléphantiasis des Arabes , d'œdème
dur, de hernie oléagineuse, de maladie glandulaire de la
Barbade, etc., in-8°, avec4 pi.; Du Siège et de la nature des
Maladies, ou co7tsidérations sur la véritable action dusys-
tèmc absorbant dans Vécoywmie animale, 1827, 2vol.in-8°.
Ces deux ouvrages ont d'autant plus d'intérêt que les vais,
seaux lymphatiques, dont ils traitent , n'ont été découverts
que depuis une centaine d'années. D' Isid.BocnnoN.
ALARIC, roi des 'S'isigoths , rompit l'alliance que sous
le règne de l'empereur Théodose les Gotlis avaient conclue
avec les Romains, el envahit, en l'an 395, la Thrace, la Macé-
doine, laThessalie et l'IUyrie, où il porta en tous lieux le
fer et le feu. Stihcon, qui aurait voulu mettre un terme à ces
dévastations, en fut empêché par la jalousie de Rufin, mi-
nistre d'Arcadius ; et ce ne fut que lorsque Alaric , après avoir
traversé la Grèce, où il prit Athènes, fut entré dans le Pélo-
ponnèse, que Stilicon put l'y joindre. Alaric s'enfuit alors en
lUyrie, dont, en 386, Arcadius lui-môme lui confia le gou-
vernement supérieur. C'est de là qu'en l'année 402 il partit
pour envahir la haute Italie ; et Honorius, ne se croyant plus
en sûreté, se réfugia alors à Ravenne, ville mieux" fortifiée.
Alaric était en route pour passer en Gaule , quand Stilicon
le rencontra et le battit à Pollentia sur le Tanaro : mais ce
ne fut que dans l'automne suivant que le roi des Visigoths ,
battu de nouveau à Vérone, se retira en lilyrie. Dos l'an-
née 404 Alaric trouvait un prétexte pour envahir de nou-
veau l'Italie ; mais à ce moment un traité qu'il conclut avec
Honorius par l'intermédiaire de Stilicon le décida à rebrous-
ser chemin et à se jeter dans l'Épire pour y opérer sa jonction
avec l'armée de Stilicon et attaquer de concert Arcadius.
L'expédition projetée n'eut pas lieu ; mais Alaric n'en ré-
clama pas moins une indemnité , et , d'après le conseil de
Stilicon, Honorius lui promit 4000 livres pesant d'or. Après
le supplice de Stilicon, qui eut lieu en 408, Honorius ayant
refusé de tenir ses engagements, Alaric envahit l'Italie à la
tête de son armée, et vint assiéger Rome, qui ne put éloigner
les barbares de ses murailles qu'en promettant de leur
payer 5,000 livres pesant d'or et 30,000 livres pesant d'ar-
gent. Les négociations entamées pour la paix à la suite de
ces conventions préliminaires n'ayant amené aucun résultat
définitif, Alaric revint mettre le siège devant Rome pour la
seconde fois. La famine, qui ne tarda pas à régner dans cette
ville contraignit les habitants à capituler, el le sénat pro-
clama alors empereur, en remplacement d'Honorius, A tt a 1 e,
qui avait présidé à la défense. Toutefois, celui-ci fit preuve
de tant d'incapacité , qu'Alaric lui enjoignit publiquement
de déposer la pourpre impériale. Les négociations engagées
de nouveau avec Honorius n'amenèrent aucun résultat. Une
surprise qu'on tenta à Ravenne contre Alaric l'irrita telle
ment, qu'il vint assiéger Rome une troisième fois. Le 24
aoit 410 ses bandes victorieuses entrèrent dans la ville
éternelle, qu'elles livièrent pendant trois jours au pillage et
dont elles incendièrent ensuite une grande partie. Les an-
ciens historiens n'en exaltent pas moins la modération dont
Alaric fit preuve en ordonnant d'épargner les églises et les
l)ersonnes qui s'y étaient réfugiées. 11 paraît d'ailleurs que
les anciens édifices et les œuvres d'art souffrirent moins de
cet effroyable sinistic que ne l'ont dit les historiens moder-
nes. Alaric ne quitta Rome que pour aller entreprendre la
conquête de la Sicile ; mais la mauvaise constiuction de ses
navires le força de renoncer à ce projet, el la mort vint le
frapper lui-même avant le temps àCoseuza enCalabie, en
31.
244
ALAiUC — AL AUX
l'an 410. Onrenteiradaos le lit du ficave, afin que les Romains
ne pussent jamais retrouver ses cendr&s , et les prisonniers
qui avaient été employés à ce travail furent ensuite égorgés.
Itome et l'Italie célébrèrent celte mort par des réjouissances
publiques, et le monde eut alors quelques instants de calme
et de repos. Mais Alaric avait appris aux barbares le clie-
min de Rome, et leur avait révélé le secret de l'impuissance
de l'ancienne reine du monde.
ALAUIC H, roi des Visigotbs de 487 à 507, fils d'Eu-
ric , régnait sur l'Espagne et la partie des Gaules comprise
entre les Pyrénées, le Rhône et la Loire. Il livra à Clovis le
général romain Syagrius, qui s'était réfugié près de lui;
mais cette làcLeté n'empèclia pas le roi des Francs, qui cou-
voitaitles riches provinces du midi, de lui déclarer la guerre.
Alaric était arien ; le prétexte fut tout trouvé. Clovis s'em-
para de Tours, et rencontra l'armée des Visigoths dans la
plaine de Vouglé près Poitiers; les Francs furent vain-
queurs, et Alaric périt dans la mêlée de la main même de
Clovis. 11 avait fait rédiger à l'usage de son peuple un
abrégé du code Théodosien , connu sous le nom de Code
d' Alaric.
ALARME , dérivé de l'italien alV arme ! ( aux armes ! )
— C'est un mouvement de troupes, causé, en temps de
guerre, dans un camp, dans une ville fortifiée, dans un
poste ou dans un cantonnement , par l'approche de l'ennemi
ou la crainte d'un danger imminent, d'une attaque imprévue.
I/alanne est annoncée par le canon, la cloche, la caisse ou
la trompette : à ce signal , bien connu du soldat, les corps
l)iennent aussitôt les aimes , se rendent dans les lieux qui
leur sont assignés et s'y mettent en défense. Ce qu'il importe
surfoiit d'éviter dans une alarme, c'est la confusion ; car si
elle s'introduisait parmi les troupes , son effet paralyserait
les di«positioas prises pour repousser avec succès l'attaque
de l'ennemi , et pourrait compromettre la sûreté de l'armée
sur un autre point. — On dit \e poste d'alarme, le canon
d^alarme, sonner l'alarme. En campagne et dans une place
de guerre, le poste d'alarme est le lieu assigné à un régi-
ment, un bataillon, un détachement, en cas d'alarme; on
appelle /)(èce d'alarme, le canon placé à la tète d'un camp,
et qui est prêt à faire feu au premier signal.
Alarme se dit figurément de toute sorte de frayeur et d'é-
pouvante subite , ou encore , par extension , d'inquiétude ,
de souci, de chagrin. Mais dans cette dernière acception
11 .s'emploie ordinairement au pluriel. Sicard.
ALARMISTES. On appela de ce nom , aux temps de
notre première révolution , ceux qui faisaient métier de ré-
pandre des alarmes fausses ou réelles , des nouvelles propres
à jeter le trouble et l'effroi dans les masses. Une motion
présentée le 17 septembre 1793 à la Convention, par Bar-
rère, avait pour but de rendre les alarmistes passibles de
la peine de mort. — Ce mot revint à la mode après la ré-
volution de février.
ALARY ( Pierre-Joseph ) , membre de l'Académie
Française, né à Paris, le 19 mars 1690, embrassa l'état ec-
clésiastique, vint à la cour, et dut sa foilime à une circons-
tance qui povivait le perdre. Accusé en 1718 d'avoir pris part
à la conspiration de Cellamare , il se justifia si bien auprès
du régent que ce prince lui dit : « Vos accusateurs nous
« ont servis l'un et l'autre en me procurant l'occasion de
« vous connaître. » Alary fut alors nommé sous-précepteur
de Louis XV, auquel il fut chargé d'apprendre à lire. Il
exerça le même emploi auprès du dauphin et des enfants de
France. Il ne fut pas moins bien venu du cardinal de Fleury,
<iui lit sa fortune. Entre autres bénéfices, Alary possédait le
prieuré commcndataire de >'otre-Dame de Gournay-sur-
.Mame. Son titre de sous-précepteur lui ouvrit les portes de
l'Académie française, ofi il fut reçu en 17:53. Il n'a pourtant
rien écrit , mais il avait dans le caractère cette droiture, dans
l'esprit celte finesse, qui rendent faciles les succès dans le
monde. Depuis longtenq)sil avait quitté la cour et vivait dans
la retraite, lorsiiu'il mourut à Paris, le 23 décembre 1753.
Lors de l'éleclion de l'abbé Alary comme académicien, le
poète Roy avait fait contre lui des épigrammes, et fut mis à la
Bastille. La verve de Piron n'épargna pas non plus l'abbé
Alary, qui eut toujours des protecteurs assez zélés et assez
puissants pour ne pas s'affecter de la nullité qu'on lui repio-
ciiaif. C'flait chez lui, dans son entre-solde Ih place Ven-
dôme, quesc tenait la fameuse société dite de l' Entre-sol.
Ajary eut pour successeur à l'Académie l'iiistorien Gail-
lard. •
ALASKA est le nom d'une péninsule située entre 55»
et 62° de latitude nord, et appartenant aux Russes, dans
l'Amérique septentrionale. Presque séparée du continent de
l'Amérique par le lac Chélékof , elle s'étend vers le sud-
ouest jusqu'aux îles Aléoutiennes, et un détroit la sépare
de celle d'Ounimak. Cette presqu'île fait partie du domaine
de la compagnie américaine-russe ; ses habitants, assez nom-
breux, sont appelés Konia, Korenga, ou Kagataya-Kounga,
et l'on croit qu'ils appartiennent à la race aléoutienne.
ALASTOR , fils de îNélée et frère de Nestor, selon As-
clépiades; selon d'autres, un des douze fils de Nestor et de
ClUoris , eut pour femme Harpalyce, héroïne d'une merveil-
leuse beauté , fdle de Climène. Celui-ci , depuis longtemps
épris pour son propre sang d'une passion incestueuse, arra-
cha Harpalyce des bras de son époux , qu'il tua. Il ramena
sa fdle sous le toit maternel, lui fit violence, la rendit mère
d'un fils qu'elle égorgea dans sa honte et qu'elle servit à la
table de son père. Cette autre Progné fut cliangée par les
dieux en oiseau. On eut pitié de son sort et de sa démence ;
des jeux furent institués en son honneur; les jeunes filles y
chantaient une chanson appelée, de son nom, l'Harpalyce.
C'est Apollodore qui raconte ce mythe bizarre.
Ala^tor est aussi le nom d'un chef grec, frère d'Ajax ,
fils de Telamon. — C'est encore le nom d'un des chevaux
de Pliiton dans le Rapt de Proserpine de Claudien. —
C'est aussi celui d'un mauvais génie — Dans Ménandre, c'est
le nom de Jupiter vengeur des meurtres. — Enfin on a donné
ce nom aux Euménides.
ALAUDIDÉS. Voyez Co.'^irostres.
ALAUX (Jean), peintre d'histoire d'une grande fécon-
dité, est né à Bordeaux en 1786. M. Alaux (ut d'abord élève
de Vincent, et, après plusieurs essais infructueui, il obtint,
en 1815, le grand prix de l'école des Beaux-Arts sur ce su-
jet : Briséis retrouvant chez Achille le corps de Patrocle. Il
était encore à Rome lorsqu'il exposa pour la première fois, au
salon de 1824 , une Scène du combat des Centaures et des
Lapithes et Pandore apportée dit ciel par Mercxire. Ce
dernier tableau, d'un ton clair et d'un goût un peu fade, dé-
core aujourd'hui le plafond d'une des salles du palais de
Saint-Cloud. En 1827 M. Alaux exposa deux peintures re-
ligieuses , l'Ascension et Saint Hilaire, et une composition
allégorique exécutée en collaboration avec M. Pierre Fran-
que, la Justice veillant sur le repos du monde ( Musée du
Luxembourg ). Plus tard , lorsque le roi Louis-Philippe en-
treprit la décoration du palais de Versailles , M. Alaux ,
peintre à la main facile , au talent complaisant , fut l'un des
premiers qu'il voulut employer. Versailles est plein des
oeuvres de M. Alaux. Il nous suffira de rappeler qu'il y a
peint le portrait en pied de Gassion et les portraits équestres
deRantzau ( 1835) et du duc de Brissac ( 1S36), la Bataille
de Villaviciosa ( 1837 ), la Prise de Valencienncs ( 1838 ),
]à Bataille de Denain ( 1839), etc. Indépendamment de
ces tableaux , M. Alaux a exécuté, au-dessus des portes et
dans les encadrements, des sujets militaires de petite dimen-
sion , et pour ce travail il a souvent servi de collaborateur à
.MM. V. Adam, Ilip. Lecomte, Philippoteaux, etc. « Alaux
dessine bien, il compose bien , il n'est pas cher, et il est co-
loriste », disiiit, à ce qu'on assure , le roi Louis-Philip|)e ; et
c'est sans doute jioiir cela (pie l'artiste fut chargé presque
seul lie la décoration de la salle des Etats généraux : on sail
ALAUX
on effet qu'il n'y a pas exéciiU^ moins lie quinze panneaux,
lie haute ou de petite taille. C'est t'i^alemcut pour Versailles
que M. Alaux avait peint la Lecture du Tcstnmcnt de
Louis XIV, qui a figuré, avec un méciiocrc lionneur, au
salon de 1851, et que les héritiers du roi ont ensuite mis en
vente. M. Alaux a eu aussi une grande paît dans la restau-
ration des peintures de la salle de Henri II à Fontainebleau.
En l8iG M. Alaux, présenté le second par l'Acailémie des
lieaux-.\rts pour remplacer M. Schnetz comme directeur de
l'école fraoçaise à Rome, fut nommé, par suite de la retraite
de M. Couder. Cette place, qu'il occupa depuis le l'"'' jan-
vier J847 jusqu'à la fin de 1852, fut peut-être son meilleur
titre académique. Il a été en effet appelé à l'Institut le 22
février 1851, à la place de DrôUing. Peintre sage jusqu'à
la froideur et prudent jusqu'à la banalité, M. Alaux ne
se distinguerait pas des maîtres de son école, s'il n'avait
un défaut qui le singularise : nous voulons parler de son
coloi is, ordinairenaent violet ou lie de vin , ton bizarre et
faux qui donne, à ses productions le plus étrange aspect.
Paul M.4NTZ.
M. Alaux avait deux frères qui s'occupaient aussi de
peinture. L'un, directeur de l'école de dessin de Bordeaux,
mourut dans celte ville à la fin de janvier 1858 ; l'autre,
Paul Alaux, peignait le paysage. Propriétaire du Pano-
rama dramatique à Paris, il fonda dans cette ville le Néo-
rama, où il exposa la Basilique de Saint-Pierre etPAb-
baye de Westminster. Il est mort à Paris aussi en 1858.
Le musée de Bordeaux possède de lui une Vue prise àFloi-
rac, qui avait été exposée au salon de 1827. Z.
A LAVA, la plus méridionale des trois provinces bas-
ques de l'Espagne, a pour limites au nord le Guipuzcoa
et la Biscaye, au sud-est laVieille-Castille, et au sud-ouest
la Navarre. Cette province forme, en s'avançant au midi
jusqu'à i'Èbre supérieur , une succession de plateaux, con-
tinuation des montagnes dont sont hérissées les côtes can-
tabres, et qui, sous les noms de Sierra-Alta, Montés de
Altubé et Sierra de Aranzaza, ceignent tout son territoire.
Elle est arrosée par la Zadora et d'autres petits affluents de
I'Èbre. On voit bien rarement tomber de la neige dans les
vallées, où presque partout réussissent la vigne et même l'o-
livier. De magnifiques forêts de chênes, l'élève des bêtes
à cornes, des moutons et des chèvres, la culture du froment,
du mais, du chanvre, du lin et de la vigne, de riches mines
de fer et de cuivre, des sources salines presque inépuisa-
bles, fournissent en abondance aux habitants des produits
avantageux pour l'exportation. Ce pays est traversé par les
routes de Burgos à Bilbao et à Bayonne par Tolosa. *
ALAVA ( Don Miguel Ricardo de ) , général espagnol,
né à Vittoria, en 1771 , était parvenu au grade de capitaine
de frégate quand il passa dans le service de terre. Après
l'abdication de Ferdinand VII il adhéra, comme membre
de l'assemblée de notables convoquée à Bayonne, à lanou-
velle constitution donnée à son pays par la France. Toute-
fois, en 1811, il embrassa la cause nationale. Adjoint à
l'état-major de Wellington, il se fit remarquer dans la
guerre de l'indépendance. Suspect de libéralisme, il futjetépn
prison à la restauration ; mais le crédit de son oncle, l'in-
quisiteur Ethénard, et la protection de Wellington lui valu-
rent sa liberté et sa nomination au poste de ministre plénipo-
tentiaire à La Haye. Il revint en Espagne en 1820, après la
révolution. Nommé alors capitaine général d'Aragon , il se
fit remarquer parmi les exaltados. Député de sa province
aux certes, il vota à Séville ( 1823) pourlasuspensionduroi,
et prit part à Cadix aux négociations entamées avec le duc
d'Angoulême. Le rétablissement du pouvoir absolu dans la
Péninsule le contraignit à se réfugier d'abord à Bruxelles,
puis en Angleterre ; à la mort de Ferdinand, la régente le
rappela et le nomma procsr du royaume. En 1834 Ma r-
tinez de laRosa l'envoya comme ambassadeur d'['2s-
pagne à Londres. Ce fut sur sa recommandation que Me u-
— ALBAN 2îi
I dizabal fut nommé ministre desfinanc.es. Vers la fin de
I 1835 il accepta une mission à Paris. Sous l'administra-
I tion d'Isturiz on le vit solliciter l'intervention française,
I qu'il avait repoussée de toutes ses forces pendant son am-
[ bassade à Londres. Après l'insurrection de la Granja, il
refusa de prêter serment à la constitution de 1812, décla-
I rant qu'il était fatigué de prêter constamment de nouveaux
serments. Il donna sa démission, et se retira en France.
Il est mort en 1843, à Baréges. *
! ALAVOINE (Jean-Antoine, chevalier), architecte,
' né à Paris en 1778, mort dans la même ville en 1834 , étudia
son art sous Dumas, Faivre et Thibaut. On lui devait le
projet de la fontaine de rÉléi)hant pour la place de la Bas-
tille , où il fut chargé d'élever la colonne de Juillet, après la
révolution de 1830. Il a aussi dirigé la consolidation de la
; cathédrale de Seez et la reconstruction d'une des flèches de
cette église. Le monument de Louis XIV, sur la place des
Victoires à Paris, est encore de lui. Z.
ALB. Voyez Alp.
ALBAN (Saint), martyr anglais, naquit à Vérulam.
Il servit d'abord dans les armées de l'empereur Dioclétien.
De retour en Angleterre, il embrassa la foi chrétienne. Il
fut mis à mort en l'an 286 selon les uns , en l'an 303 selon
d'autres. On érigea en mémoire de son martyre un monastère
auquel la ville moderne de Saint-Alban a emprunté son
nom. L'Église célèbre sa fête le 22 juin.
ALBAN , un des directeurs de la fabrique de Javel avant
la révolution, a fait avec son associé Vallet,un des plus
heureux essais de direction aérostatique que l'on connaisse.
Dès le mois de janvier 1784 ils produisaient dans leur usine
le gaz nécessaire aux aéronaules. Ils inventèrent pour la
conduite des aérostats une sorte de mécanisme ressemblant
à des ailes de moulin à vent qu'ils adaptèrent d'abord à
une civière maintenue par un contre-poids , puis à un ba-
teau auquel ils firent traverser la rivière ; enfin, fixant ces
ailes à une forte nacelle, ils arrivèrent à faire avec un ballon
qu'ils nommèrent le comte d'Artois, une suite d'expériences
curieuses. Ils annoncèrent même publiquement un cours
de direction aérostatique, et le 24 aoilt 1785 ils tentèrent
d'aller à Versailles en ballon libre. Ils ne prirent pas de
lest et s'embarquèrent avec un garçon charpentier nommé
Truchon, à quatre heures vingt-cinq minutes du matin,
par un vent sud est peu favorable. Élevés à 200 pieds
seulement, ils traversèrent la Seine, et faisant mouvoir
leurs ailes de bas en haut, ils descendirent dans la plaine
de Boulogne. Enlevés de nouveau , ils se portèrent vis-à-vis
de Saint-Clond. Pour traverser les hauteurs de cette ville,
ils agitèrent leurs ailes de haut en bas et montèrent à plus
de 300 pieds. A cinq heures ils étaient au-dessus du château
et se dirigèrent vers la plaine de Garches ; mais le vent de-
vint trop fort et ils durent descendre : le vent s'étant main-
tenu ils revinrent à Javel à huit heures du soir. Le 13 sep-
tembre ils allèrent sur Issy , revinrent à Javel, se dirigè-
rent sur Vaugiiard et revinrent encore à Javel. Les 17 et 18
ils firent de nouvelles expériences; le 19 ils allèrent des-
cendre dans la courduchâteau de Saint-Cloiid, où le roi et
la reine vinrent les voir. Par les manœuvres de leur app.a-
reil, ils purent monter et descendre, mais ils ne purent
lutter contre e vent qui s'était élevé, et ils durent se faire
remorquer à Javel. Le comte d'Artois, qui était devenu leur
protecteur, fit plusieurs voyages avec eux. En 1786 ils se li-
vrèrent à de nouvelles recherches. Dans le temps calme ils
se portaient en avant et en arrière et parcouraient un cercle
de 250 pieds de diamètre. Ils parvenaient à vaincre le cou-
rant de l'air en formant avec la ligne du vent un angle de
20 à 25°. Plusieurs fois ils allèrent à Saint-Cloud , Bellevue,
etc. Ils se servaient de lieux rames à jalousie, d'un mou-
Hnet à la proue et d'un gouvernail à la poupe delà gondole.
Ils montaient et descendaient sans perdre de lest ni de gaz
et par le simpie jt-u de !eurs appareils. L. Lolvet.
'21 G
ALBANAIS — ALBAiME
ALliA\AIS. Voyez Aldame.
ALUWE, un des trois princiiies immédiats de la
giilta percha dans la composition de laquelle il entre
pour 14 à 19 centièmes. Z.
ALBAA'I (Fka>cksco), peintre célèbre, né à Bologne,
en 1578, et plus connu sous le nom franclséde rAlbanc, était
le fds d'un marchand de soie, qui \oulait lui faire embrasser
sa profession ; mais l'Albaiie aimait i)assionnémont la pein-
ture. ]1 étudia d'abord cet art chez le Flamand Denis Cal-
vart,où il rencontra le Guide. Ils se lièrent d'amitié, et tous
deux passèrent dans l'école des Carraclies, fameuse alors
dans toute l'Italie. L'Albane exécuta de grands travaux à Bo-
logne, a Florence, où le cardinal de Toscane le fit venir pour
décorer son palais de Mezzo-.Monte. L'Albane peignit de
grandes galeries et beaucoup de tableaux d'autel. Tous les
souverains voulaient avoir de ses tableaux, qu'il peignait sur
des lames de cuivre pour que le transport en fût plus facile.
I.cs carnations de fenimes et d'enfants lui convenaient mieux
«pie les corps musclés des hommes. On l'a mis pendant
longtemps au-dessus de tous les peintres pour l'étude des
formes féminines; cependant le Corrège lui est bien su-
périeur sous ce rapport. Ses comjjositions les plus estimées
sont : les Amours de Vénus et d'Adonis, gravé par Au-
dran; la Toilette et le Triomphe dé Vénus; les Quatre
Éléments, etc. On lui reproche de dessiner avec incorrection
et de répéter ses sujets ; ses têtes d'enfants , de femmes et
de vieillards ont trop de ressemblance. Il a réussi admira-
blement à reproduire la véritable couleur des arbres et de
la verdure, la limpidité des eaux et la clarté de l'air; mais
il se complaît trop souvent dans ces effets, et les reproduit
trop fréquemment. Néanmoins la légèreté, l'enjouement, la
facilité, la grâce, caractérisent les ouvrages de l'Albane,
qu'on a surnommé VAnacréon de la peinture. 11 ne com-
prenait pas son art à la manière des grands maîtres : « De
même, disait-il, qu'un poète est responsable de la moindre
syllabe de ses vers, le peintre doit rendre compte des plus
pelits détails qu'il met dans son œuvre. » Ses dessins sont
fort rares. Ils sont lavés au bistre et à l'encre de Chine, par-
fois relevés de blanc. D'autres sont entièrement à la pliirae,
avec des couleurs et des têtes pointillées. On y remarque peu
de facilité de main, un crayon embarrassé, des figures lourdes,
mais des draperies bien jetées. Homme de mœurs douces ei
pures, irréprochable dans sa vie privée, Francesco Albani
avait épousé en secondes noces une très-belle femme, qui
lui servit très-souvent de modèle. Il en eut douze enfants,
qu'il prit aussi plaisir à peindre en Amours. Son talent bais-
sait de plus en plus lorsqu'il mourut en 1660, à l'âge de
<piatre-vingt-deux ans, après avoir survécu à sa gloire.
L'Albane cultiva toute sa vie les belles-lettres; il a laissé
•des écrits qui nous ont été consenés par Malvasia.
ALB^VA'I (Famille). Cette riche et célèbre maison de la
noblesse romaine est originaire de l'Albanie, qu'elle aban-
■donna au seizième siècle pour venir chercher en Italie un
refuge contre les Turcs, et dont elle prit le nom. A son ar-
rivée sur le sol italien , elle se divisa en deux branches,
<lont l'une fut anoblie à Bergame et l'autre à Lrbino. Cette
famille doit d'ailleurs son illustration à l'heureux hasard (jui
'voulut que ce fût un. \lbani qui apportât au pape Urbain VIII
la nouvelle de la prise d'Urbino. Elle acquit encore bien
autrement d'iniluence quand un de ses membres, Giovanni
Francesco Ai.ca.m, acquit la tiare , en 1700, sous le nom
de Clément XL — Annibale Alhvni, né à Urbino, le l."}
août 16S?., se rendit à Vienne en 1709, comme ambassadeur
de Clément XI, avec mission d'opérer ime réconciliation
entre le pape et l'empereur : ce à quoi il réussit. En 1711)
il fut app-clé aux importantes fonctions de camerlingue de
riiglise romaine; mais en 1747, sous le pontilicat de
Benoit XIII , il se relira dans son évôché d'Urbino, afin de
s'y vouer exclusivement désormais à la cultiue des sciences,
«ty mourut, le 21 sei'Ieuibre 1751. Une bibliothèque ma-
gnifique, une riche collection de tableau) et de statues,
un cabinet de médailles dont Rod. Venuti a donné la des-
cription (2 vol. in-fol., Rome, 1739) , et qui plus tard fut
réuni à celui du Vatican, dont il compose la partie la plus
précieuse , enfin quelques ouvrages d'érudition originaux ,
par exemple : Memorie concerncnti la cilta di Urbino
(in-fol., Rome, 1724), témoignent de la diversité de ses
connaissances — Alessandro Aluam, frère du précédent, né
le 19 octobre 1692 , embrassa l'état ecclésiastique sur le vœu
formel qu'en exprima Clément XI , et fut |)romu au cardi-
nalat dès l'année 1721 par le pape Innocent XIII. Nonce
apostolique près la cour de Vienne depuis 1720, il fut plus
tard nommé par l'impératrice Marie-Thérèse ministre d'Au-
triche à Rome , et co-protecteur de ses États. 11 prit une
part des plus actives aux nombreuses querelles suscitées à
cette époipie au gouvernement pontifical, d'autant plus que
c'était un ardent partisan des jésuites. Le cardinal était fier
et heureux de sa belle collection d'objets d'art. Winckel-
mann, qu'il avait décidé à embrasser le catholicisme et
qui l'institua son héritier, l'aida de ses conseils dans la for-
mation et dans la mise en ordre de ce musée , que IMarini,
Fea et Zoéga ont rendu célèbre, de même qu'ils lui doivent
une partie de leur propre réputation. Le cardinal Albani
mourut le 11 décembre 1779. Sa longue vie avait constam-
ment été des plus occupées; cependant il n'avait jamais
rien écrit. — Carlo Albam, frère du précédent , né en 1687,
acheta en 17151e duché de Soriano, fut créé prince en 1721,
par le pape Innocent XIII, et mourut en 1724. — Giovanni-
Alcssandro Albam, fils du précédent, né le 26 février 1720,
fut nommé très-jeune encore évêque d'Ostie et de Velletri ,
et cardinal dès l'âge de vingt-sept ans. Son extérieur agréable,
son esprit, la diversité et l'étendue de ses connaissances, le
faisaient vivement recbercher dans tous les cercles ; aussi
négligea-t-il d'abord les affaires de l'Église pour mener la
vie insouciante d'un jeune homme. Mais, grâce à la protec-
tion des jésuites, dont en toute occasion il se montra le zélé
défenseur, il jouit toujours d'une grande influence. Adver-
saire déclaré des Français, il s'enfuit de Rome à la première
approche d'une armée française ; il ne revint dans cette ca-
pitale que lorsque Pie VII, à l'élection de qui il contribua
beaucoup, eut pris place dans la chaire de saint Pierre. II
mourut en septembre 1803. — Le prince GinseppeAt^wi,
neveu du précédent, né à Rome le 13 septembre 1750, reçut
de Pie VII, le 23 février 1801, le chapeau de cardinal. 11
avait passé sa jeunesse dans l'oisiveté, préférant lamusi(pie
à toute autre occupation. 11 n'en déploya pas moins de bril-
lantes facultés quand la nécessité lui fit un devoir de s'oc-
cuper de choses sérieuses. Fidèle aux traditions de sa fa-
mille, ilpritparti pourl'Autrichecontrela France. Des lettres
qu'il écrivait de ^'ienne, où il séjournait dans les intérêts
du saint-siége en 1796, ayant été interceptées, servirent de
prétexte aux Français pour rompre l'armistice et occuper
Rome. Il perdit alors les bénéfices considérables qu'il possé-
dait dans la haute Italie. Son palais fut li\Té au pillage; et
il vécut depuis ce temps-là dans l'obscurité, à Vienne, jus-
qu'en 1814, époque où il put rentrera Rome. Léon XII le
nomma légat à Bologne; et Pie VIII, à l'élection duquel il
avait puissamment contribué, le choisit en 1829 pour secré-
taire d'État. Lors des troubles dont les Légations furent le
théâtre en 1831, on l'envoya avec des troupes à Bologne en
qualité de commissaire apostolique dans les quatre Léga-
tions; mais les résultats de sa mission furent nuls. A peu de
temps de là, il se démit de ses fonctions, et se retira à Pesaro,
où il mourut le 3 décembre 1834.
ALBAA'!E, contrée de la Tunpiie d'Europe dépendante
de l'eyalet de Roumélie, formée des anciens royaumes d'E-
pireetd'lllyrie; elle est située entre 39" et 43" de latitude
septentrionale, 17" et 19" de longitude orientale, et comprend
une siq)erficie d'environ 38,000 kilr)mèlres carrés. Elle est
bornée au nord par le Mon!énég:o, la Servie, la Bosnie à
ALBAME
247
l'ouest par lu mer Adiiatitino ot la iiior loiiiiMint', a» sud
par la Li\ aille et le golle d'Arta, ;\ l'est eiiliii par les monts
d'Argentaro et d'Ai^rafa , qui la séparent de la Macédoine et
de la Thessalie. Son climat est beau , la terre y est si fertile
qu'en plusieurs endroits on récolte deu\ moissons par an
conmie en ligyple. Le^ productions de l'Albanie se compo-
sent de maïs , d'orge , de riz , de tabac , de lin , de chanvre ,
de blé, d'huile, de coton , de sel minéral , de bois de cons-
truction, et d excellents vins. On trouve dans ([uelques can-
tons des pêchers, des oliviers, du sumac, de la résine, ainsi
que de gras i>âturages où l'on élève une belle race de che-
vaux.
Panni les lacs il faut citer, pour les souvenirs qui s'y rat-
tachent, le lac Achénisien. Les principales montagnes sont
le Monténégro et le Chimera ; et les rivières les plus remar-
quables sont le Drino , la Bojana, l'Aspro et le Sconibi.
l'armi les villes on doit citer Scutari, siège d'un pa-
chalik et d'un évéché catholique ; Janina, cité considé-
rable et siège d'un pachalik, détruite par Ali-Pacha; Del-
\ino; Argyro- Castro; Durazzo, autrefois Epidammtis, puis
Dyrraclimm, le grand passage de la Grèce en Italie; II-
bessan, siège d'un pachalik ; Croia, illustré par les exploits de
Scanderbeg ;Souli, Parga, etc.
La population de l'Albanie dépasse 1,900,000 âmes. C'est
un mélange de Turcs, de Grecs, de Serbes , de Juifs et d'Al-
banais. Ces derniers se nomment eux-mêmes Skypétars ;
lesGrecs les appellent Arvanitès, et les Turcs Arnautes. Des
Skypétars, les uns sont demeurés chrétiens, les autres ont
enjbrassé la religion musulmane. Les chrétiens se divisent
en latins et en grecs , les mahométans en sunnites et en
chiites. Les Skypétars fonnent quatre familles différentes ,
les Guègues et les Mirdites , les Toxides, les lapyges et les
Chamides, qui parlent quatre langues diverses. Tous sont
grands, rol)ustes, braves jusqu'à la témérité. Chez quelques-
uns on retrouve l'ancien costume héroïque : cothurne ,
chlamyde et cotte tombant sur les genoux. D'autres font
parade de leur saleté comme d'une manpie de valeur, et
laissent pourrir sur leur corps le linge grossier et la bure
dont ils se vêtissent. Les Skypétars sont entièrement dé-
pourvus de liens communs et d'administration publique.
Les vols et les larcins sont traités avec indulgence par ce
peuple, chez qui le brigandage est une partie de l'industrie
nationale. Le vol public est môme regardé comme une
preuve de bravoure et d'audace : au point (|ue les Albanais
s'honorent du nom de Klephtes , qui signilie voleurs. Ceux
qui habitent les rivages de la mer allument des fanaux
perfides pour attirer au milieu des écueiis les navires
qu'ils aperçoivent, enchaîner les malheuieux que la tem-
pête a épargnés et piller la cargaison. Ils sont très-supersti-
tieux, sobr€s par nécessité plutôt que par nature. Les musul-
mans ne s'abstiennent pas du vin comme ceux des autres
provinces. Ils sont généralement pauvres : cent chèvres, cent
moutons, deux mulets, quelques paires d'ànes sont une
fortune pour eux. Les Skypétars ont encore cela de parti-
culier, que les chrétiens et les mahométans s'unissent très-
fréquemment entre eux par ie mariage.
La vengeance est une de leurs passions dominantes, et la
loi du talion est à peu près toute leur justice. Les femmes al-
banaises sont généralement belles et fécondes; mais leur
sort est loin d'être heureux. Sans être renfermées comme
celles des peuples orientaux, elles n'en vivent pas moins
dans une sorte de servitude, assujetties aux travaux les plus
rudes et souvent même en butte à de mauvais traitements.
Cependant presque toute l'industrie de la contrée est dans
leurs mains; elles fabriquent avec le poil de chèvre tme
sorte de hure épaisse qui sert aux vêtements de la famille.
Les Sk-j-pétars ont l'habitude de s'engager à l'étranger, et
ils ont à cet effet des recruteurs nonmiés boiUouk-baclii. Us
ne continctent jamais d'engagement pour plus d'une année ;
cai- ils sont fortement altacliés au sol de leur patiie. Leur
équipement, d'ailleurs peu dispendieux, esta leurs frais; ils
ont fourni des soldats à plusieurs puissances chrétiennes.
On vit des Albanais parmi les troupes auxiliaires qui ser-
vaient en France, au temps de la Ligue , sous les drapeaux
de Henri IV. Charles 111 , roi de Naples, avait un régiment
royal-macédonien qui était composé d'Albanais. Les Skypé-
tars mahométans ne s'expatrient que pour servir les Turcs.
Avant de faire l'histoire des Skypétars , il faut dire un
mot de leur origine. Il est très-probable qu'ils descendent
des anciens Illyriens, (pioiqu'on en ait fait une nation scythe,
issue des Albaniens qui habitaient le bord de la mer Cas-
pienne. Les Skypétars suivirent le sort du royaume de Ma-
cédoine; leur pays finit par tomber sous la domination
romaine. Connue le reste de l'Europe, ils se convertirent au
christianisme , à ce que l'on assure , même dès le premier
siècle. On raconte que sous Néron des proscrits chrétiens
s'étant réfugies dans les montagnes de l'IUyrie Macédonienne,
étonnèrent ce peuple simple et naïf par leurs vertus et le
convertirent par leur courage. A l'époque du partage de
l'empire Romain , l'Albanie, ainsi que toute la Grèce, fit
partie de l'empire d'Orient ; TlUyrie méridionale devint la
province d'Epirus nova. L'invasion des barbares causa de
grands maux à ce pays ; il fut d'abord ravagé par les Vi-
sigoths au cinquième siècle , puis conquis par les Bulgares ,
qui y fondèrent un royaume, renversé quelque temps après
par les empereurs d'Orient. Lors du scliisme entre l'Église
d'Orient et la papauté, les Guègues et les Mirdites restèrent
fidèles à l'Église d'Occident ; les Toxides , les lapyges et les
Chamides s'attachèrent au culte grec. L'empereur Jean
Cantacuzène parle d'eux comme de montagnards libres,
presque aussi redoutables à Constantinople que l'avaient
été les Bulgares. Ils s'emparèrent de toutes les montagnes
du côté de la Macédoine , de la Dardanie et de toute l'É-
pire; mais toutes ces contrées étaient partagées entre plu-
sieurs petits princes , division qui facilita beaucoup les pro-
grès des Turcs. En 1395 les Turcs firent chez eux un grand
nombre de prisonniers; en 1424 Janina est saccagée, les
Guègues embrassentia religion musulmane. S canderbeg
lutta seul pendant vingt-trois ans contre toute ia puissance
oîiiomane, et contraignit Mahomet II à lui accorder la jjaix
en 1461. Scanderbeg une fois mort , les Skypétars furent
subjugués. Ordre leur fut intimé d'embrasser le maho-
mctisme. La plaine obéit ; beaucoup se réfugièrent dans les
montagnes, d'autres émigrèrent; toutefois les Mirdites surent
faire respecter leurs capitulations, et demeurèrent inébran-
lables dans la religion de leurs pères. Les Skypétars devenus
musulmans prirent ,'place, sous Bajazet, dans les hordes de
janissaires. Lors de l'insurrection malheureuse de 1770, les
Skypétars musulmans, au nombre de vingt mille, qui ser-
vaient en Morée, mécontents du retard de leur solde, se
révoltèrent , et .••epoussèrent successivement les efforts de
onze pachas envoyés de Constantinople pour les expulser
du Péloponnèse. Hassan-Pacha Imit par les dompter dans
une bataille qu'il leur livra sous les murs de Tripolitza. Ils
furent tous massacrés dans les versants des monts Œniens.
La Porte n'a jamais eu en Albanie qu'une autorité chance-
lante. Ali-Pacha seul put l'asservir en se .servant des haines
intestines des Skypétars pour les détruire les uns par les
autres. Jusqu'au dix-huitième siècle il n'y eut pas chez eux
de vizir absolu ; il existait même dans le pachalik de Scutari
des Souliotes et des Monténégrins libres, ainsi que d'autres
commîmes indépendantes dans le voisinage de l'ancien ter-
ritoire vénitien, qui fait actuellement partie des possessions
autrichiennes. Ces communes, protégées secrètement par la
république de Venise, purent se maintenir aussi bien contre
la puissance extérieure de la Turquie que contre les tra-
casseries intérieures des gouverneurs particuliers. Le gou-
vernement français de l'illyrie observa à leur égard la même
conduite pohtique. Dans la dernière insurrection des Grecs,
lesSkypL'tursiiialiunit.laus servirent sous les drapeaux turcs.
248
ALBANIE — ALBATÉGNI
Depuis, l'élémcnlRrec a fail lîes prourr's cii Albanie, et pen-
dant la guerre d'Orient il y eut dans (cllecontiéc des soulè-
vements qui ont «Ué durement réprimes par les Turcs. Les
Sliypt'lars ont fondé des colonies dans la Grèce : on en ren-
contre dans riilide, la iMorée, la Corintliie etrAtliquc; à
Lala, Barlwnnia, Sycione; à Argos, qu'ils ont relevée de ses
ruines; dans les lies, en Béotie , aux Thcrmopy les, et jus-
que dans l'Eubée. Ils ont aussi formé des établissements
dans le royaume de Naples.
Les anciens donnaient le nom AWlhmùr h une contrée de
l'Asie située entre la mer C'aspierme el l'Ilxirie, qui forme
maintenant le Cli i rwa n et le Ua;;lii;st an. lille lit partie
de l'empire l'erse, de celui des Partlics et du royaume d'Ar-
ménie, et fut incorporée à l'empire d'Orient sous Justi-
iiien IL — Le déliié de Uerbend, qui conduit du Caucase
dans l'ancienne Albanie asiatique, portait le nom de Portes
Alhanientics. *
L'I'xwsc s'est aussi appelée Albanie. Voyez aldany.
ALBi\J\0. Sur remplacement occupé par Albe la
Longue, ville qui, suivant la tradition, fut détruite de bonne
heure, s'éleva plus tard la ville municipale Albanum, au-
jourd'hui Albano, à laquelle les vastes et magnifiques mai-
sons des grands de Rome, notamment de Pompée, de
Domitien, de Claudius, etc., servirent de premier noyau.
Elle est située sur le dernier versant du rempart de lave qui
entoure le lac de Castel-Gandolfo. On voit encore aux en-
virons de cette ville, sur la voie Appienne, les ruines d'un
anipliithéùtre et celles d'un tombeau du style étrusque. Le lac
d'Albnnum , appelé aujourd'hui lago di Castello, est le cra-
tère d'un volcan éteint. A l'époque de la gueiTe de Véies, l'an
3t)5 avant J.-C, pendant un été d'une chaleur extrême, ce
lac subit une crue extraordinaire, sans qu'aucune cause
visible pût donner l'explication de ce phénomène. Le bruit
s'étant répandu que les devins étrusques avaient annoncé
que le sort de Véies tenait à ce que le lac conservât désormais
toujours la même masse d'eau, les Romains entreprirent la
construction d'un canal qui pût lui servir d'issue. Ils s'initiè-
rent ainsi à l'art que possédaient déjà les Étrusques de cons-
truire des canaux souterrains, et appliquèrent bientôt cette
invention à creuser des galeries souterraines sous les ouvra-
ges de défense de Véies ; ce qui leur facilita la prise de cette
ville. Le canal de dérivation ou émissoire du lac Albanum a
une étendue de 3,700 pas, 2 mètres de profondeur, 1 mètre
1 0 cent, de largeur, et fonctionne encore aujourd'hui sans avoir
jamais été l'objet de la moindre réparation. Sur le mont Alba-
num, appelé aujourd'hui Monte-Cavo , situé à l'est du lac et
à une hauteur d'environ 850 mètres au-dessus du niveau de
la mer Tyrrhénienne , s'élevait le magnifique temple de
Jupiter Laliaris, auquel conduisait un chemin pavé qui subsiste
encore en partie aujourd'hui, et qui servait aux cortèges
solennels lors des fêtes de la confédération latine ( Ferkc
Latinx), et aussi lors des ovations des généraux romains.
La pierre d'Albanum, appelée aujourd'hui peperino , avait
une grande célébrité. C'est une espèce de tuf volcanique de
couleur grise ou cendrée, et dont on se sert encore beau-
coup à Albano.
ALBAJVY ou ALBAIN, nom donné primitivement à
toute l'Ecosse, [luis à un duché comprenant les districts d'A-
thol, de Glenurchy et de Breadalbané, ou partie des comtés
d'Inverncîs, de Pcrth et d'Argyle. Ce duché formait l'apa-
nage de l'un des jjrinces de la famille royale d'Ecosse. Robert
Sluart le jeune, lils de Robertll, roi d'iicosse, fut le preuiier
duc d'Albany. Devenu en 1406, après la mort de Robert 111,
régent du royaume, il mourut en 1420. L'extinction de cette
première branche des ducs d'Albany eut lieu vers I4f>0, en
la personne de Henri Stuart. Alexandre Stuart, duc d'Al-
bany, second fils de Jacques H, roi d'Lcosse, devint la sou-
che d'une nouvelle branche. Exilé par Jacques 111, son frère,
ce prince mourut en France en 1485. Le dernier duc d'Al-
bany fut Jean Stuart, fils du précédent, le même qui s'at-
tacha au service de Louis XII , el Tr-^compagna à Gênes. De
retour en Ecosse , il fut nommé gouverneur de ce royaume
en ISKJ; mais il le quitta pour suivre François F"' dans ses
campagnes d'Italie. Après la hinesle bataille de Pavie, il
rentra en France, oii il mourut en 1530. En sa personne
s'éteignit la dernière branche des ducs d'Albany. — Le préten-
dant Charles-Edouard Stuart prit plus fard le titre
de duc d'Albany. Nous consacrerons seulement ici quelques
mots à la ifuchesse d'Albany, sa femme.
ALBANY (Loi'ise-Marie-Caroune, ou Aloyse, com-
tesse d'), épouse du prétendantanglaisCharles-Édouardj pe-
tit-fils de Jacques II , était née en 17..2 et était fille du prince
Gustave-Adolphe de Stolberg-Gedem , mort en 1757 à la
bataille de Leuthen. Lors de son mariage, qui fut célébré
en 1772, elle prit le nom de comtesse d'Albany. Son union
avec le prétendant demeura stérile, et fut des plus malheu-
reuses. Pour échapper aux actesde brutalité de son mari, qui
vivait dans un état presque constant d'ivresse, elle se réfugia,
en 1780, dans un couvent. A la mort du prince, arrivée
en 1788 , la cour de France lui assura une pension annuelle
de 00,000 fr. Elle survécut d'ailleurs à la maison des
Stuarts, qui s'éteignit en 1807, en la personne de son beau-
frère, le cardinal d'York, et ne mourut qu'en 1824 à Flo-
rence, ville qu'elle habitait ordinairement. Les ouvrages
d'Alfieri et son autobiographie transmettront à la posté-
rité le nom et le souvenn des malheurs de cette femme : elle
fut la muse inspiratrice de son génie ; il avoue lui-même que
sans son amitié il n'eût jamais été capable de faire quelque
chose qui méritât d'être dérobé à l'oubli. Les restes mor-
tels de la comtesse d'Albany et ceux d'Alfieri reposent au-
jourd'hui dans la même tombe, dans l'église de la Sainte-
Croix à Florence , entre les tombeaux de MôCliiavel et de
Michel-Ange.
ALBANY, capitale et siège du gouvernement de l'État
de New-York, sur la rive droite de l'Hudson, dans une con-
trée aussi fertile que bien cultivée. L'Hudson est navigable
j usqu'à Albany pour des bâtiments de cent cinquante tonneaux
et pour les plus grands bateaux à vapeur, dont un bon nombre
font chaque jour le service entre cette ville et New-York.
Les canaux Érié et Champlain se réunissent au nord d'Al-
bany, qu'un chemin de fer relie d'ailleurs à New-York et
à Boston. En outre, deux grandes routes commerciales,
l'une par la voie de terre , et longue d'environ 298 kilo-
mètres, l'autre, le canal Érié, long de 363 kilomètres, con-
duisent de ce point à Buffalo, clef de tout le commerce de
l'ouest, et au Canada. Albany est une ville manufacturière
et commerçante. On y travaille le fer, le coton et la laine;
il s'y publie deux journaux, et elle possède un institut lit-
téraire et scientifique , ainsi qu'une école de médecine.
Après Jamestovvn,en Virginie, Albany est la plus ancienne
ville de l'Union; elle fut fondée en 1014 par des Hol-
landais, qui l'appelèrent for^O?•û?Jpe. En 1790 on y comp-
tait 3,498 habitants ; en 1810, 9,356 ; en 1830 , 24,238 ; en
1845, 41,139. Parmi les édifices remarquables qu'elle ren-
ferme, il faut citer le Capitole, palais du gouvernement, bâti
en marbre blanc , la cathédrale catholique , le théâtre et le
muséum.
Le comté du même nom comprenait en 1840 une popu-
lation totale de 68,593 habitants ; et indépendamment du
cheMieu que nous venons de décrire , on y remarque le*
villes de Bethléem ( 3,240 h. ), Berne ( 3,74o h. ), Guilder-
/flrtrf (2,790 h. ), Rcusselaerville{2,100), Wesierloo {iyOao)
et WatervUet (10,140 h.). — Dans ce comté, les droits
féodaux , introduits dans l'origine par les Hollandais, sub-
sistent encore en paitie : anomalie qui dans ces derniers
temps a donné lieu à de sanglantes collisions entre les pro-
priétaires de terres et leurs fermiers.
ALBATÉGiXI ( Mohammed -Ren-Geber- Ben-Se>an-
Abou-Aedallau), né à Batan, en Mésopotamie, d'où lui
vient le nom (TAlbatanij, latinisé en Albalenius, connndJi-
ALBATKGNI — ALBATROS
249
da\l**n Syrie pour les khiJifes de Bagdad, et fit des obser-
\ alions astronomiques vers la lin du neuvième siècle de
notre ère, soit à Antioche, siège de son gouvernement, soit
à Ki.cc« ( Aracte), où il faisait son séjour ordinaire. On Ta
surnommé le Ptolcmte des Arabes ; et c'est avec raison ,
car l'ouvrage qu'il nous a laissé sur la connaissance des corps
cèU^tesa pendant plusieurs siècles représenté l'ensemble des
travaux de l'école de Bagdad , de même que l'Almageste
nous offrait le dernier terme des découvertes de l'école d'A-
lexandrie : aussi Lalande n'hésite-t-il pas à le placer parmi
les plus célèbres astronomes qui aient jamais vécu. 11 faut
reconnaître en effet que depuis le quinzième siècle jusqu'au
dix-neuvième Albatégni a défrayé tous les écrivains qui se
sont occupés de l'histoire des sciences chez les Arabes , et ce
n'est que depuis un petit nombre d'années que l'on a pu
s'assurer que les découvertes inscrites sous son nom n'étaient
pas tout à fait sa propriété exclusive. Xous savons très-bien
que Ptolémée a mis les ouvrages d'Hipparque à contribution :
lui-même nous l'apprend avec une entière bonne foi; mais
ces ouvrages immortels du plus grand des observateurs grecs
ne nous sont pas parvenus , et la gloire de son successeur a
dû naturellement s'en accroître. Albalégni se trouve mal-
heureusement dans une position moins favorable : il a été
considéré pendant six siècles comme le premier des astro-
nomes arabes, parce que l'on ne s'était pas doimé la peine
d'examiner les traités de ceux qui l'avaient précédé ou suivi ;
mais ces traités existent, et maintenant que l'on commence
à mettre un peu plus d'importance à l'étude des écrits scien-
tifiques des Orientaux , on a déjà rectifié bien des idées
fausses que certaines personnes, restées étrangères aux pro-
yjèi de la science hislorique dans cette branche si intéres-
sante des connaissances humaines , peuvent encore cliercher
à propager çà et là, mais qui disparaîtront nécessairement
devant la vérité des faits. Cest ainsi qu'on supposait que
les quatre observations dont Albatégni se dit l'auteur étaient
les seules qui eussent été faites pendant la période de près de
sept siècles qui sépare les Grecs des modernes ; Longomon-
tan n'avait pas hésité à l'affirmer , et aujourd'hui nous avons
une indication précise d'une suite d'observations continuées
avec la plus louable persévérance par les astronomes arabes
pendant toute la dui ée du neuvième et du dixième siècles ;
nous pouvons y ajouter celles d'Aboul-Wéfa à Bagdad,
<i Ebn-Jounis au Caire, d'Arzachel à Tolède, de Nassir-Eddin-
'l'Iiousi à IMeragah, d'Oloug-Beg à Samarcande, etc. Si,
d'un autre côté, Albatégni s'est appuyé sur les travaux de ses
devanciers pour établir d'une manière plus exacte que Pto-
lémée le mouvement de préression , l'excentricité de l'orbite
solaire, la durée de l'année, d'après le passage si curieux et
si controversé où il fait intervenir les Chaldéens et les Égyp-
tiens; s'il n'a pas lui-même signalé le mouvement de l'apo-
gée du soleil , s'il n'a pas substitué le premier les sinus aux
cordes , il n'en a pas moins rendu un véritable service à la
science en nous présentant le tableau des résultats obtenus
de son temps ; seulement, en rendant à chacun ce qui lui
appartient, on ne s'avisera plus , comme l'ont fait Delambre
et ceux qui se sont servis de son livre, d'accuser Alfragan,
<iui Ilorissait en 830, et non pas en 950, d'avoir copié les pre-
miers chapitres d'Albatégni, mort en 928. — Nous avons une
traduction latine de l'ouvrage du savant astronome de Racca ;
mais le texte original a disparu, et l'on n'a pu s'assurer s'il
en existait quelque manuscrit au Vatican ou à la bibliothèque
de l'Escurial : c'est une perte très-regrettable pour les astro-
nomes et les orientalistes. L.-Am. Sfdillot.
ALliÀTRE (du grec àXâoaaxpov , insaisissable, voyez
ALABASTRiTts). On distingue deux sortes d'albâtre, Valbàire
calcaire et YalbcUrc gijpsevxoii blanc.
L'albdtre calcaire est du carbonate de chaux concré-
lionné, provenant des stalactites et des stalagmites,
ou plutôt c'est la substance même qui compose ces forma-
tions. Cette variété de calcaire est formée de couches suc-
L';CT. l't LA (.('NVERSATIOM. — T. I.
ccssives , ondidées, qui se dessinent en veincB à la surface ;
sa cassure est imparfaitement cristalline et comme striée; sa
couleur est le blanc-laiteux, un peu roux, ou jaune de miel.
Cette pierre est remarquable par sa demi-transparence et 1<3
beau poli dont elle est susceptible. L'albâtre est très-précieux
pour la décoration des monuments. On le taille en coupes, en
vases élégants, en châsses de i)endules , et les anciens en
faisaient des statues, des colonnes, des tables, etc. On donne
le nom d'alhdtre oriental à celui dont les couleurs sont
vives, la translucidité parfaite : tel est celui que les anciens
tiraient de l'Egypte sous le nom de marbre onyx, et dont
est laite la statue egyplienni' que (lO.^^^■<le noir.' Musée du
Louvre. On a trouvé à Montmartre, près lit' Paris, un albâtre
d'un beau jaune de miel, dont on a pu faire quelques
coupes d'un assez bel effet ; mais il y est rare , et toujours
en masses peu volumineuses.
Valbûtre gypseux est de la chaux sulfatée compacte ou
sulfate de chaux hydraté. 11 est translucide , d'un grain fin
et serré et susceptible de recevoir un beau poli. Il offre sou-
vent la blancheur la plus parfaite, quoique cette qualité ne
lui soit point essentielle, et c'est à cette variété que se rap-
porte l'expression proverbiale blanc comme l'albâtre. Cette
espèce de chaux se trouve en masses considérables dans les
terrains primitifs , et aussi assez communément dans ceux
de troisième formation. Les carrières de Lagny-sur-Marne
fournissent une variété d'albâtre veiné , de couleur grise ou
blanc jaunâtre, qu'on exploite d'une manière avantageuse.
Le plus beau est celui que l'on trouve à "Volterra en Toscane,
et qrie l'on travaille à Florence, où d prend, sous le ciseau
du statuaire , les formes les plus variées et les plus élé-
gantes. On fait avec l'albâtre gy-pseux des vases, des
lampes, des châsses de pendules, de petites statues , des re-
vêtements de cheminées, etc.
Valbûtre gypseux et Yalbâtre calcaire diffèrent entre
eux autant par leurs caractères physiques que par leur com-
position chimique. Le premier est composé de trente-deux
parties de chaux, de quarante-six d'acide sulfurique et de
vingt-deux d'eau ; le second, de cinquante-cinq parties de
chaux, de trente-quatre d'acide carbonique, et de onze d'eau.
L'albâtre calcaire est assez dur pour rayer le marbre blanc, et
par l'action d'un acide il se décompose en faisant une vive
effervescence , tandis que l'albâtre gypseux , beaucoup plus
tendre et plus fragile, se laisse rayer par l'ongle et ne peut
être attaqué par les acides. Le moindre frottement suffit
pour lui enlever son poli et son éclat, et il perd prompte-
ment sa transparence quand il est exposé au feu. Aussi est-
il beaucoup moins estimé que l'autre.
ALBATROS ou ALB\TROSSE, oiseau qui forme le
genre dtomedea de Linné. Ses caractères sont : bec sans
dentelures, grand, fort et tranchant, offrant plusieurs su-
tures, dont l'extrémité est en forme de croc, qui y semble
articulé; narines en forme de rouleaux courts, couchés sur
les côtés du bec ; jambes courtes, pieds sans pouce ; les frois
doigts antérieurs longs et entièrement palmés ; ailes longues,
étroites et tout à fait aiguës. G. Cuvier l'a placé dans la fa-
mille des longipennes ou grands voiliers, de l'ordre des pal-
mipèdes. De tous les oiseaux d'eau les albatros sont les
plus grands et les plus massifs. L'envergure de leurs ailes est
de trois à quatre mètres. L'espèce la plus connue est nommée
par les navigateurs mouton du Cap, à cause de sa grande
taille, de son plumage blanc et noir. Elle a été appelée par
les Angh\?, vaisseau de guerre. Sa voix est, dit-on, aussi
forte que celle de l'âne. Il se nourrit de poissons volants,
fait un nid de terre élevé et pond des œufs nombreux, bons à
manger. Les diverses espèces de ce genre habitent les mers
australes, et vivent de frai de poisson et de mollusques.
Malgré leur grande taille et leur force, les albatros sont des
oiseaux lâches, qui se laissent battre pardes espèces plus fai-
bles , telles que les goélands et les mouettes, et leur abandon-
nent leur proie qu'ils ne savent ou n'osent îeur disputer.
32
250
ALBE
ALBE {Alba Longa), ville considérable du Latium,
passe pour avoir été batic par Ascagne, fils d'Énée , et gou-
vernée après sa mort par Sylviiis, second fils d'Énée. Il
régna ensuite à Albe une assez longue série de princes, parmi
lesfiuels figurent Numitor, père de Rliéa Sylvia et aïeul de
liénuis et de Romulus. Albe se glorifiait d'avoir fondé trente
colonies ; et à l'époque de la fondation de Rome elle était la
métropole du Latium. La royauté y fut abolie à peu près
dans le même temps (pi'à Rome , par une révolution que
nous ignorons, et fut remplacée par une dictature élective
et probablement temporaire. Tite-Live a écrit un curieux
récit sur la guerre d'Albe et de Rome ; il est aisé de retrouver
dans le combat des Horaces et des Curiaces les fragments
défigurés d'un poëme symbolique. Ce combat, en effet, est
probablement celui des deux nations sœurs et de ses trois
tribus personnifiées. Quelque douce que fût la domination
romaine , la masse des Albains supportait impatiemment le
joug. De là le soulèvement de Fidènes, la trabison de Suffé-
tius. Les Romains s'en vengèrent cruellement : Albe, sur-
prise par lin corps de cavalerie, fut rasée, à l'exception des
temi)k's que Tullus ordonna d'épargner. Voilà tout ce que
l'on sait d'Albe jusqu'à sa cliute. Mais, la ville détruite, le
mont Albain n'en resta pas moins le siège révéré des reli-
gions du Latium, et sous ce rapport le rival du Cap il oie.
Au temps d'Auguste, les Fériés Latines s'y tenaient encore.
Sur ses ruines s'élève aujourd'hui la ville d'Albano.
ALBE, ville des États Sardes, chef-lieu de la province
de son nom , située à 57 kilomètres de Turin , sur la rive
droite du ïanaro. Sa population est de 7,500 habitants.
Elle est le siège d'un évôcbé suffragant de Turin, pos-
sède un collège royal et un séminaire, et fait un com-
merce considérable de bestiaux. C'est Y Alba Pompeia des Ro-
mains. — L'histoire de cette ville n'est pas très-connue. Albe
obtint de Rarbcrousse les droits régaliens en 1183; en 1215
elle était alliée avec les marquis de Saluées; en 1239 cette
ville était gibeline, et guerroyait contre Gènes; en 1264 elle
avait changé de drapeau , et obéissait à Charles d'Anjou,
comte de Provence, roi de IS'aples; en 1314 Henri VII, em-
l)ereur, l'inféoda au marquis de Saluées, qui la garda peu de
temps ; en 134S Lucbino Visconti s'en empaia ; ensuite elle
tomba sous la domination du marquis de JMont ferrai, qui en
garda la possession jusqu'en 1631. A cette époque Albe,
avec soixante-treize villages du Moutferiat, fut adjugée par
le Iraili' de Quérasqne à Victor-Amédée 1". Ciiikario.
ALBE (Fernando-Alvarez de Tolède, duc d'), mi-
nistre d'État et général des armées impériales, né en 150S,
d'une des familles les plus distinguées (l'Espagne, il fut élevé
sous les yeux de son grand-père, Frédéric de Tolède, qui lui
enseigna l'art militaire et l'initia aux affaires politiques. Il fit
ses premières armes, encore fort jeune, contre la France, sous
le connétable de Castille, et assista à la prise de Fontaiabie.
L'année suivante il se distingua à la bataille de Pavie ; sous
Cbarles-Quint, il commanda en Hongrie, au siège de Tunis,
et à l'expédition contre Alger. Il défendit Perpignan contre
les Fiançais, et se distingua en Navarre et en Catalogne. Son
caractère prudent et circonspect, joint à son penchant pour
la politique, donnèrent d'abord une idée médiocre de ses ta-
lents militaires. Charles-Quint, à qui en Hongrie il avait con-
seillé de faire plutôt un pont d'or aux Turcs que de leur li-
vrer une bataille décisive, le regardait comme incapable d'un
commandement supérieur, et lui conféra cette haute dignité
plutôt comme à titre de faveur qu'en reconnaissance de ses
talents. Ce mépri<; nffon'Ja son orgueil naturel , et donna à
son génie un clan tel qu'il fit des actions dont le souvenir
mérite cciles d'être con-^ervé par l'histoire. Par sa conduite
prudente, il gagna à Charles-Quint, en 15»7, la célèbre ba-
taille de M II h Iberg, contre Jean-Frédéric, électeur de
Saxe. Ce dernier fut fait prisonnier. Leduc d'Albe, qui pré-
sidait le conseil de guerre, le condamna à mo't, et |)ria ins-
tamment lemperenr de ne point commuer la peine. Si cet
arrêt ne fut pas exécuté, la faute n'en fut pas au duc ; car
ayant suivi l'empereur à Wittenberg, il osa même lui proposer
•le violer la tombe de Luther pour brûler son corps. Cbarles-
Quint avait plus d'élévation dans l'Ame; il répondit à son
lieutenant : « Je fais la guerre aux vivants, mais je respecte
le repos des morts ! » En 1552 le duc d'Albe échoua au siégo
de Metz, que défendait François de Guise.
En 1555 il fut chargé d'aller combattre en Italie les Fran-
çais et le pape Paul IV, ennemi irréconciliable de Fempereur.
Il remporta plusieurs victoires, fit lever le siège de Milan ,
alla à Naples , et y raffermit la prépondérance espagnole.
Lorsque Charles-Quint eut remis les rênes de l'État aux
mains de son fils Philippe II, le duc garda le commande-
ment supérieur de l'armée. 11 fit la conquête des États de
l'Église, et paralysa les efforts des Français ; mais lorsque
Philippe eut gagné sur le duc de Guise la bataille de Saint-
Quentin , d'Albe, a ijui sa superstition reprochait la guerre
qu'il avait faite au saint-père , s'empressa d'accepter la paix
offerte par Paul IV, lui rendit tout ce qu'il lui avait enlevé ,
et courut à Rome implorer son pardon.
Rappelé d'Italie, il parut à la cour de France en 1559,
pour épouser, au nom de son souverain, Elisabeth, fille de
Henri II, qui avait été promise au prince royal don Carlos.
Sur ces entrefaites, les Pays-Bas se soulevèrent ; la noblesse
forma une ligue à laquelle le propos insolent d'un courtisan
fit donner le nom de ligue des Gueux , et le duc d'Albe
conseilla au roi d'étouffer ces troubles par la force. Le roi
lui confia une armée considérable et l'investit d'un pouvoir
illimité, avec ordre de soumettre les Pays-Bas au régime de
la force et de l'inquisition. A peine le duc fut-il arrivé en
Flandre (1556), qu'il organisa un tribunal sanguinaire, à la
tête duquel il plaça son affidé Jean de Vargas. Tous ceux
dont l'opinion parut suspecte ou dont les richesses excitè-
rent la cupidité des juges furent condamnés sans distinction.
On fit des procès aux présents, aux absents, aux vivants et
aux morts, et leurs biens furent confisqués. Beaucoup de
marchands et de manufacturiers émigrèrent en Angleterre ;
il y en eut plus de cent mille qui abandonnèrent ainsi leur
patrie. D'autres allèrent se ranger sous les drapeaux du
prince d'Orange, qui était proscrit. Aigri par la défaite
de son lieutenant, le duc d'Aremberg, le duc d'Albe fit périr
sur l'échafaud les comtes d'Egmont et de Horn. Puis ii
battit le comte de Nassau dans les plaines de Gemmingen.
Quelque temps après, le prince d'Orange se présenta avec
une armée imposante. Le jeune Frédéric de Tolède envoya
un message à son père pour en obtenir la permission de li-
vrer bataille. Le duc, qui exigeait de ses inférieurs une sou-
mission aveugle, lui fit répondre « qu'il lui pardonnait en
faveur de .son inexpérience ; mais qu'il eût à .>e garder de
le presser davantage, car il en coûterait la vie à celui qui
oserait se charger d'un pareil message ».
Le prince d'Orange fut obligé de se retirer en Allemagne.
Le duc d'Albe flétrit sa réputation militaire par de nouvelles
cruautés : ses bourreaux versèrent plus de sang que ses
soldats ; le pape lui envoya une épée et un chapeau bénits,
honneur qui jusque alors n'avait été accordé qu'à des prin-
ces. Non content de cette distinction, lui-même s'en accorda
une autre en s'érigeant au milieu de la citadelle d'Anvers une
statue d'airain qui le montrait foulant aux pieds deux figures
allégoricpies, dont l'une représentait l'iiérésie et l'autre la rébel-
lion. Cependant, la Hollande et la Zélande résistaient encore
à ses armes victorieuses. Une (lotte qu'on avait expédiée d'a-
près son ordre fut anéantie , et partout dans ces contrées
il rencontrait un courage aussi opiniâtre qu'invincible. Ce
motif, joint à la crainte qu'il avait de perdre la faveur du
roi, le détermina à solliciter son rap|)el. Philippe lui accorda
volontiers sa demande; car, voyant que les cruautés du duc
d'Albe ne faisaient qu'accroître la résistance des rebelles, il
résolut d'avoir recours à des moyens plus doux. En dé-
cembre 1573 le duc d'Albe fit proclamer une amnistie, rc-
ALBE — ALBERONI
mil le commandement îles troupes à Louis ûe Requesens ,
et alKmdonna un pays où il avait, connue il s'en vantait, lait
périr dans les supplices dix-huit mille personnes, allumé une
guerre qui exerça ses ravages pendant soi\ante-liuit ans, et
coûté à rEsi>agne huit cents millions d\'cus, ses meilleures
troupes , et enlin sept des plus belles provinces néerlan-
daises.
Le duc d'Albe fut accueilli h Madrid avec distinction ;
mais il ne jouit pas longtemps de son ancien crédit. Son lils,
Frédéric de Tolède, marquis de Coria, séduisit une dame
4'lionneur de la reine, et refusa de l'épouser, malgré l'ordr'!
formel du roi. On le jeta en prison ; mais son père favorisa
son évasion, et lui lit épouser sur-le-champ sa cousine. Aussi
le duc fut exilé de la cour à son château d'Uzéda, où il
passa deux années dans la retraite.
L'entreprise de don Antonio, prieur de Crato, qui s'était
fait couronner roi de Portugal , força Philippe d'avoir re-
cours à l'homme dans les talents et à la foi duquel il avait une
entière confiance. D'Albe conduisit une armée en Portugal,
gagna deux batailles en trois semaines, chassa don Antonio,
et soumit, en 1581, tout le Portugal à son souverain. Il
s'empara des trésors de la capitale, et permit à ses soldats
de piller, avec leur cruauté accoutumée, les faubourgs et les
environs de Lisbonne. Philippe, mécontent de ces actes ,
voulut faire examiner la conduite de son général, qu'il soup-
çonnait, d'ailleurs, d'avoir détourné à son profit les richesses
conquises sur les vaincus; mais une réponse hautaine de
celui-ci et la crainte qu'il ne se révoltât l'en empêchèrent.
Le duc mourut le 21 janvier 1582,àràge de soixante-qua-
torze ans. D'Albe avait la contenance superbe, le regard hau-
tam et un corps robuste; il Uoniiuu i». n. travaillait etécri-
vait beaucoup. On prétend que pendant les soixante années
qu'il fit la guerre contre différents ennemis, il ne se laissa ja-
mais ni battre ni surprendre ; mais son orgueil, sa dureté et
sa cruauté ont tlétri sa gloire, et son nom est resté synonyme
de tyrannie.
ALBE (Bâcler d'). Voyez Bâcler.
ALBE3LARLE , nom ancien de la ville de Normandie
que par contraction nous nommons A u m a 1 e, et qui est resté
en Angleterre le titre d'un duché nominal depuis que la ville
d'Aumale a été enlevée à Richard d'Angleterre par Pliilippe-
Auguste, en 1194. Ce titre a été porté par Monk et par
Arnold-Jean Van Keppel, né dans la Gueldre, en 1669, mort
en 1718,favori deGuillaumelIl. Il est encore dans sa famille.
ALBEXDORF, village de Prusse , dans la Silésie , ré-
gence de Breslau,à 12 kilomètres de Glatz, avec 1,000 habi-
tants, est célèbre par son sanctuaire de la Nouvelle Jérusalem,
visité annuellement, dit-on , par plus de 80,000 pèlerins,
qui vieiment principalement de la Bohême. L'église est riche
ii'ex-voto offerts en mémoire de prétendues guérisons.
ALBERGATIC APACELLI ( Francesco, marquis d')
l>oëte comique italien, l'ami et l'émule de Goldoni, né à
Bologne, en 1728, mort en 1804, descendait d'une vieille
famille patricienne de Bologne, et reçut une éducation con-
forme à sa naissance. Après l'annulation d'un mariage qu'il
n'avait contracté que par suite des obsessions de sa famille,
il se retira dans son domaine de Zola, où il vécut jusqu'en
l'année 1766, tout entier à ses études et au commerce de
quelques amis choisis. 11 y fit élever un théâtre qui pouvait
contenir trois cents spectateurs, et y fit représenter des pièces
de sa composition, dont le mérite ne tarda pas à être apprécié
dans \m cercle plus étendu. Des contrariétés qu'il éprouva
de la part des autorités locales le contraignirent à aban-
donner sa patrie et à aller s'étabhr à Vérone. Il fit ensuite
quelque séjour à Venise, puis s'en revint à Zola, où il
vécut avec moins d'éclat sans doute qu'auparavant, mais
avec plus de calme et de bonheur réel. La douceur et l'ama-
bilité de son caractère étaient si grandes qu'il fiit toujours
assez lieureux pour ignorer ce que c'était que de perdre un
aniL 11 fut d'ailleurs en correspondance suivie avec toutes
251
. les illustrations de son siècle, et Voltaire lui dédia une de
ses tragédies. — On a réuni et publié en 12 volumes in-8" le
théâtre d'Albergali-Capacelli. — Sans doute ses pièces sont
inférieures en mérite à celles de Goldoni sous le rapport
de l'invention et de l'art de tracer les caractères , mais on y
remarque une meilleure entente des effets scéniques et une
bien plus grande pureté de style. On représente encore
aujourd'hui sur toutes les scènes italiennes, aux applaudisse-
ments des connaisseurs, son Saggio Amico et son Ciarlator
maldicejite. U existe un éloge d'Albergati par son ami
Zacchiroli, en compagnie de qui il avait écrit ses Lettere
capricciose (Venise, 1780).
ALBERGE. Voyez Abricotier.
ALBÉRIC, religieux de l'ordre de Citeaux et moine de
l'abbaye des Ïrois-Fontaines, vivait au milieu du treizième
siècle. Il reste de lui une Chronique qui commence à la
création du monde , et se termine à l'année 1241. Cette
chronique se trouve imprimée dans les Accessiones historicx
de Leibnitz.
ALBEROXI (Jules), cardinal de l'Église romaine, et
premier ministre d'Espagne, né le 30 mars 1664, à ¥[-
renzuola, dans le duché de Parme , était fils d'un jardinier,
et déploya presque autant d'habileté pour entrer dans les
ordres qu'il lui en fallut ensuite pour gouverner l'Espagne.
Il commença par être sonneur de la cathédrale de Plaisance ,
et reçut par charité une espèce d'éducation dans le couvent
des Barnabites. Doué d'une rare pénétration, il devint bientôt
ciianoine, puis chapelam et favori du comte Roncovieri ,
j évêque de Saint-Donino. Celui-ci ayant été envoyé par le
duc de Parme auprès du maréchal de Vendôme, reuM
en Italie pour commencer la campagne a la tête de l'armée
française, se démit bientôt de sa mission, et la céda à Albe-
roni. Le duc de Vendôme le prit en faveur, et l'emmena à la
cour de France, où il le présenta à Louis XIV. Alberoni ne
quitta plus son protecteur, ni dans ses campagnes des Pays-
Bas en 1707 et 1708, ni dans sa retraite à son château d'Anet,
ni en Espagne, où la fortune l'attendait. Dans cette guerre d*?
la succession d'Espagne, où Vendôme se couvrit de
gloire , Alberoni servit puissamment de son habileté les af-
faires de Philippe V, et gagna sa faveur. Quelque temps
après il eut l'occasion d'être utile auprès du roi d'Espagne ;i
son ancien maître le duc de Parme, qui l'en récompensa en
lui donnant l'occasion de revenir avec le titre de son envoyé
à la cour de Madrid, cpi'il avait quittée depuis la mort du duc
de Vendôme. Deux personnes portaient ombrage à l'ambi-
tion d'Alberoni , le cardinal del Giudice et la princesse des
Ursins. Il eut l'habileté de s'en débarrasser, en donnant
pour femme au roi la nièce du duc de Parme, Elisabeth
Farnèse. Parvenu enfin au ministère et au cardinalat, il
voulut rendre à la monarchie espagnole toute sa splendeur.
11 réforma les abus, organisa une marine, disciplina l'armée
espagnole à l'instar de l'armée française, et rendit le royaume
plus puissant qu'il n'avait jamais été depuis PliiHppe II. Il
avait formé le vaste projet de rendre à l'Espagne tout le
territoire qu'elle avait perdu en Italie. Le duc d'Orléans, ré-
gent de France, s'étant dégagé de l'alliance de l'Espagne
pour s'unir à l'Angleterre , l'orgueilleux prélat ne renonça
pas à son système; bien au contraire, il jeta le masque, at-
taqua l'empereur, et lui enleva la Sardaigne et la Sicile. La
Hotte espagnole ayant ensuite été entièrement détruite par la
Hotte anglaise commandée par l'amiral Byng, le cardinal
résolut d'exciter une guerre générale. Il rechercha à cet effet
l'alliance de Charles XII et de Pierre le Grand, s'efforça
d'engager l'Autriche dans une guerre contre les Turcs, et
d'exciter un soulèvement en Hongrie ; enlin il fomenta une ré-
volte en France, la conspiration de Cellamare, et tenta de
faire arrêter le duc d'Oriéans lui-même avec le secours d'un
parti puissant qu'il avait su se former à la cour. Son projet
fut découvert. Le régent, fort de l'appui de l'Angleterre, dé-
clara la guerre à l'Espagne, et dévoila dans un manifeste toutes
32.
2i2 ALBERO.M
les intrigues du cardinal. Une tentative que fit en Angletpne
le prétendant, échoua. Une année française entra en Espagne,
et, quoique Alberoni eût essayé, par des troubles qu'il sus-
cita en Bretagne , d'arrêter les entreprises de la France , le
roi d'Espagne n'en perdit pas moins courage, et fut contraint
de signer un traité de paix , dont la principale clause était
l'exil du cardinal. En conséquence, celui-ci reçut, le 20 dé-
cembre 1720, l'ordre de quitter Madrid dans les vingt-
quatre heures, et d'être hors du territoire espagnol dans l'es-
pace de cinq jours. Il demeura ainsi exposé à toute la ven-
geance des puissances, dont il s'était attiré la haine, et ne
trouva pas un seul endroit où il pût espérer d'ôtre en sûreté.
II n'osa même pas retourner à Rome , attendu qu'il n'avait
pas moins trompé le pape Clément XI pour obtenir le cha-
I)eau de cardinal. A peine eut-il dépassé les Pyrénées, que
sa voiture fut attaquée, et un de ses domestiques tué. Lui-
même, pour sauver sa vie, fut obligé de se déguiser et de
continuer sa route à pied. Il erra longtemps sous des noms
supposés, et fut arrêté sur le territoire de Gênes, à la de-
mande du pape et du roi d'Espagne; mais les Génois lui ren-
dirent bientôt la liberté. On lui fit son procès à Rome, et
le libertinage de sa vie privée fut au nombre des accu-
sations qu'on fit peser sur lui. 11 fut condamné à quatre ans de
réclusion, dont il ne fit qu'une année, dans un établissement
de jésuites. Innocent XIV le réintégra dans tous les droits et
prérogatives du cardinalat. Alberoni se ^^t même sur le point,
à la mort de Clément XII, de reparaître sur l'horizon poli-
tique comme souverain pontife : avec quelques voix de plus,
le génie d'Alberoni aurait encore pesé sur les destinées du
monde. Il mourut en 1752 , à Tige de quatre-vingt-sept ans.
La fortune d'Alberoni fut si rapide qu'elle a donné lieu à mille
suppositions. Tout le monde sait ce que raconte Saint-Simon
.^ur rorigine de l'aniitié du duc de Vendôme pour ce per-
sonnage; nous ne nous permettrons pas de le répéter.
ALliERT. Six ducs d'Autriche ont porte ce nom ; le
premier et le cinquième furent en même temps empereurs
d'Allemagne.
ALBERT r% duc d'Autriche, et plus tard empereur d'Al-
lemagne, né en 1248, était fils de Rodolphe de Habsbourg ,
qui , peu de temps avant sa mort, avait inutilement tenté
de placer la couronne impériale sur la tête de son fils.
Après la mort de son père, Albert voulut succéder à toutes
ses dignités, et, sans attendre la décision de la diète, il
s'empara des insignes de l'empire. Cette démarche violente
détermina les électeurs à lui refuser leurs voix, pour nommer
à sa place Adolphe de iS'assau. Des troubles qui venaient
d'éclater contre lui en Suisse et une maladie qui le priva
d'un œil le décidèrent à céder. Il déposa les insignes de
l'empire , et jura foi et hommage au nouvel empereur. A
peine avait-il apaisé la révolte des Suisses, qu'il eut de nou-
veaux démêlés avec ses sujets d' .Autriche et de Styrie, par-
ticulièrement avec l'évêque de Saltzbourg, qui, sur le bruit
de sa mort, avait fait une incursion dans ses États. Cepen-
dant Adolphe, après un règne de six ans, s'était aliéné tous
l&s princes de l'empire : Albert chercha à profiter de ce mé-
contentement, et par sa douceur hypocrite il sut si bien
tromper les électeurs qu'à la diète de 1298, où Adolphe fut
déposé , ils le créèrent empereur. Mais pour que cette élec-
tion pût avoir son effet il fallait que les armes décidassent
entre les deux concurrents. Us se rencontrèrent, à la tète
de leurs années, près de Gelheim, entre Spire et ^Vorms.
Albert feignit une retraite pour tromper Adolphe et l'engager
à le poursuivre avec sa seule cavalerie. Bientôt les deux
rivaux se trouvent en face. « Tu vas porilre la couronne et la
vie! u crie Adolphe à son adversaue. " Le ciel en décidera! »
répond celui-ci; et en même temps de sa lance il le frappe
à la figure. Adolpiie tomba de cheval, et fut tué par les com-
pagnons de son rival.
.Albert ne vit plus alors aucun obstacle entre lui et le pou-
voir suprême; mais il coniprit ([iie c'était l'occasion de se
— ALBERT
montrer généreux. 11 renonça de lui-même à la couronne,
qu'on lui avait déférée dans la dernière élection, et, comme
il l'avait prévu, il fut élu une seconde fois. Sou couronne-
ment eut lieu à Aix-la-Chapelle, au mois d'août 1298, et il
tint sa première séance impériale à Nuremberg avec la plus
grande solennité. Mais un nouvel orage le menaçait. Le pape
Boniface VIII prétendit que les électeurs n'avaient pas le
droit de disposer de l'empire, et déclara que le pape seul
était le véritable empereur, le roi légitime des Romains. En
conséquence , il somma Albert de comparaître devant lui
pour lui demander pardon, et pour se soumettre à la péni-
tence qu'il lui infligerait; en même temps, il défendit aux
princes allemands de le reconnaître, et les délia de leur ser-
ment de fidélité envers lui. L'archevêque de Mayence, en-
nemi d'Albert, dont il avait d'abord été l'ami, se ligua avec
le pape. De son côté l'empereur fit aUiance avec Philippe
le Bel, roi de France, s'assura de la neutralité de la Saxe et
du Brandebourg, et, entrant tout à coup dans l'électorat de
Mayence , força l'archevêque non-seulement à renoncer à
son alliance avec le pape, mais encore à se liguer avec lui-
môme pour cinq ans.
Boniface, effrayé par ce prompt succès, entama avec Al-
bert des négociations où ce dernier montra de nouveau
toute la fausseté de son caractère. Il rompit son alliance
avec Philippe, et convint que les empereurs d'Occident ne
régnaient que par suite de la renonciation des papes en
leur faveur. Pour reconnaître ces concessions, Boniface ex-
communia Philippe le Bel, le déclara déchu de la couronne,
et donna le royaume de France à Albert. Mais Philippe
châtia le pape, et garda sa couronne. Albert, après avoir
échoué dans ses guerres contre la Hollande , la Zélande , la
Frise , la Hongrie , la Bohême et la Thuringe, s'apprêtait à
diriger ses forces contre les Suisses, qui venaient de se ré-
volter de nouveau contre sa tyrannie (1*' janvier 1308). Mais
une nouvelle injustice de ce prince, vengée par un crime,
mit un terme à son ambition et à sa vie. La Souabe appar-
tenait par droit de succession à Jean, son frère, qui avait en
vain réclamé plusieurs fois cette province. Lorsque Albert
partit pour la Suisse, Jean renouvela sa demande ; mais
l'empereur, joignant la raillerie à l'injustice, lui dit en lui
présentant un bouquet de fleurs : « VoUà ce qui convient à
« ton âge, laisse-moi les soins du gouvernement. » — Jean,
de concert avec son précepteur et son maître, Walter
d'Eschenbach , et avec trois amis, Rodolphe de la Wart,
Rodolphe de Palm et Conrad de Tegelfeld, jura la perte
d'Albeit. Les conjurés profitèrent du moment où lempereur,
dans une excursion à Rheinfeld, se trouvait séparé par la
Reuss du reste de son escorte, et le renversèrent de cheval,
mortellement blessé. C'est ainsi que mourut, le l'^'mai 1.308,
ce prince ambitieux. On verra dans l'article de Jean le
Parricide avec quelle cruauté Agnès, reine de Hon-
grie, vengea la mort de son père.
ALBERT II, duc d'Autriche, fils de l'empereur Albert I",
naquit en 1298. Il régna quelque temps avec son frère
Olhon, après la mort duquel il resta seul de sa famille. Un
poison qu'on lui avait fait prendre, à l'âge de trente-deux
ans, lui occasionna une paralysie, qui ne l'empêchait pas
cependant de commander son armée en personne. Il se fai-
sait tantôt porter dans une litière , tantôt attacher sur son
cheval. Le pape Jean XXII lui offrit la couronne impériale,
mais il la refusa. Il échoua dans ses entreprises contre la
Suisse. Contraint de lui céder sur tous les points, il retourna
à Vienne, où il mourut, consumé de chagrin, le 16 août
1.338, laissant quatre fils, qui lui succédèrent. Les deux pre-
miers étant morts peu de temps après, les États héréditaires
d'Autriche restèrent aux deux derniers, Albert et Léopold,
dit le Preux. Il se distinguait par son activité, ses connais-
sances, son économie, sa patience, son esprit sage et pré-
voyant, et l'histoire lui a donné le surnom de Sage. Le
premier il chercha à introduire le droit de primogéniliire dans
ALBKRT
253
les États liértslitaires de la maison «l'Autiidie. Mais celte
loi ne fut observée qn'ajiFès Maximilien l"'.
ALBERT III. Après la mort de leurs frères aînés, Albert
et Léopolii, fils d'Albert II, continuèrent à gouverner leurs
États en couinuin; mais en 1370, à la suite d'un partage (pii
eut lien entre les deux princes, Albert obtint l'Autriclie, et
Leopold la Carinthie, avec les possessions d'Alsace, de Souabe
et de Suisse. A la mort de Léopol<l, qui fut tué à la bataille
de Senipacli , dans la guerre de ce prince contre les c^mtons
de Zurich, de Zug et de Berne, Albert demeura seul chargé
du poids des affaires. En 13S0 il mit fin aux hostilités en
concluant avec les ciintons une trêve de sept ans, qui fut
plus tard prolongée ixnir douze, puis pour cinquante ans. 11
mourut en Bohème en 1395. Ce prince se distinguait par des
vertus toutes pacifiques. Il cherclia à améliorer l'administra-
tion et à opposer un frein à l'ambition remuante des seigneurs ;
il cultiva les sciences et les arts , encouragea les lettres et
les hautes études , et fonda plusieurs chaires nouvelles dans
l'université de Vienne.
ALBERT IV , dit le Pieux, fds du précédent , succéda à
son père à l'âge de dix-huit ans , sous la tutelle de son
cousin Guillaume. Quand il eut atteint sa majorité , ce
dernier le lit souscrire à un traité en vertu duquel la pos-
session de l'Autriche demeura indivise entre eux. Quelipie
temps après, il abandonna ses États pour faire un pèlerinage
dans la Terre Sainte. A son retour, il épousa la fille du duc
de Bavière. A la suite de troubles survenus en Moravie , il
prêta à Sigismond , roi de Hongrie, le secours d'une armée,
et mourut au siège de Znauu, les uns disent d'une dyssen-
lerie, les autres de poison.
ALBERT V, duc d'Autriche et empereur d'Allemagne sous
le nom d'ALBEKT H , surnommé le Magnanime, lils d'Al-
bert IV, né en 1 399. 11 succéda en 1404 à son père dains ses
États héréditaires d'Autriche , sous la tutelle successive de
ses oncles Guillaume , Léopold et Ernest. Il inaugura les
premiers temps de son règne par une altitude ferme et éner-
gique, qui mit fin aux troubles de sa minorité, et rétablit par-
tout l'ordre et la paix dans ses États. En 1422 Elisabeth,
fdle de l'empereur Sigismond , lui apporta en dot plusieurs
villes de iMoravie. A la mort de son beau-père , survenue
en 1437, il devint presque coup sur coup roi de Hongrie,
empereur d'Allemagne et enfin roi de Bohême. Après son
avènement à l'empire, qui eut lieu le 31 mai 1438, il prit
les armes contre les Hussites, et les défit. Cette année même
il fit adopter par la diète de Nuremberg plusieurs mesures
d'intérêt général pour l'empire. Cependant les Turcs d'A m u-
rath II, après avoir subjugué la Grèce , ravagé la Servie et
la Transylvanie , se préparaient à envahir la Hongrie. Albert
marcha en personne à leur rencontre ; mais, Ibrcé bientôt à
la retraite par les maladies et défections qui décimaient ses
troupes, atteint lui aussi du mal qui dévorait ses soldats,
il mourut le 27 octobre 1439, dans un bourg ignoré de la
Hongrie, à i'àge de quarante-cmq ans, laissant sa femme
enceinte d'un fils. Ce fils , nommé Ladi-slas , fut plus tard
duc d'.^utriche , roi de Hongrie et de Bohème.
ALBERT VI , sixième fils de l'empereur JMaximillen II,
naquit en 1559. il fut nommé par Philippe II, son beau-
frère , gouverneur des Pays-Bas , où il s'appliqua à réparer,
par tous les moyens possibles, les maux causés par le duc
d'Albe ; mais i! échoua dans son entreprise de reconquérir
la Hollande , qui avait secoué le joug des Espagnes. 11 mou-
rut en 1621.
ALBERT l'Ours, margrave de Brandebourg, i'un
des princes les plus remarquables de son siècle, né en l'an
1106, succéda à son père, Othon le Riche, comte de Ballen-
stœdt et d'Ascanie, lequel mourut en 1123 et avait épousé
É:ilica, fille aînée du duc de Saxe Magnus, dernier prince
delà maison de Billiing. L'empereur Lolliaiie, envers qui il
avait fait preuve de fidélité, lui octroya, en l'an 1125, ia Lu-
sacc, à titre de fief de rEmpirc. Mais le duciié de Saxe, sur le-
quel, en sa qualité île fils de la fiHc aînée du dernier duc, il
élevait des prétentions, fut concédé en l'an 1127 au duc
Henri le Fier de Bavière, fils de la fille cadette. Par compen-
sation, il fut nommé, en 1133, margrave delà Marche sep-
tentrionale. Ce ne fut qu'en 1138, après que Conrad entêté
élu roi d'Allemagne et que Henri eut été mis au ban de
l'Empire, que le duché de Saxe fil retour à Albert l'Ours,
qui prit alors le tilre de duc de Saxe. Cependant Henri ne
tarda pas à l'emi>orler de nouveau; et Albert, contraint de
fuir devant lui, dut se contenter du margraviat de la Saxo
septentrionale et de l'arcliibailliage de Souabe pour indem-
nité. Oe retour dans ses États, il fit ériger en fief héréditaire
de l'Empire les contrées qu'il avait conquises sur les
Wendes, et devint ainsi le fomlateur du nouvel État de Bran-
debourg en même temps que le premier margrave de Bran-
debourg. Une révolte des Wendes, qu'il parvint à dompter
en 1157, le détermina à prendre à l'égard des vaincus des
mesures d'une rigueur extrême, et dont le résultat fut de dé-
peupler les contrées qu'ils habitaient et où il appela des co-
lons fiamands. 11 entreprit avec sa femme le voyage de In
Palestine, et en revint en 1 1 59. Après s'être efforcé dans les
dernières années de sa vie d'extirper la langue wende et
d'introduire le christianisme dans ses nouveaux États , il
mourut en 1170, à Ballenstaîdt, où on l'enterra.
ALBERT, dit le Bienheureux, législateur et saint de
l'ordre des Carmes, naquit près de Parme. D'abord évoque
de Babio et de Verceil, il fut ensuite appelé, en 1204, au pa-
triarcat de l'église latine de Jérusalem. La ville sainte étant
occupée par les musulmans, il avait fixé sa résidence à Saint-
Jean d'Acre. Il fut assassiné dans cette ville, le 14 sep-
tembre 1214, au moment où il allait partir pour le concile
de Latran.
ALBERT LE GRAND {Albertus de Colonia, Al-
bertus Teutonicus, Albertus Ratisbonensis, Albertus Gro-
tus), né en Souabe, à Lauingen, en 1193, selon d'autres
en 1205, était de la famille des comtes de Bollstecdt. 11 étu-
dia à Padoue, et entra en 1223 dans l'ordre des dominicains
d'après les conseils de Jordanus. Des membres de cet ordre
occupaient des chaires dans plusieurs universités importan-
tes. Albert, que ses talents hors ligne eurent bientôt fait dis-
tinguer, enseigna successivement à Cologne, à Ratisbonne,
à Strasbourg, à Hildesheim. Vers 1230 il se rendit à Paris,
dont les écoles avaient alors une grande réputation ; il y
ouvrit un cours particulier de philosophie à la manière des
premiers enseignements d'Abélard , car à cette époque l'U-
niversité de Paris n'avait pas encore admis dans son sein les
humbles frères de Saint-Dominique. 11 expliqua Aristole,
malgré la défense expresse de l'Église, et obtint un tel succès,
que les salles consacrées à ses leçons s'étant trouvées trop
étroites pour contenir l'affluence de ses auditeurs, il fut
obligé de professer en plein air sur une place que l'on appela
de son nom Place de Maître Albert, et ensuite, par cor-
ruption, Place Maubert. Après avoir été reçu docteur
à Paris et y être ('emeuré trois ans , il retourna professer à
Cologne. Saint Thomas d'Aqnin, son disciple assidu,
qui l'avait suivi à Paris, l'y accompagna encore. Six ans
après il fut élevé à la dignité de provincial de son ordre
pour l'Allemagne, puis envoyé en qualité de nonce en Po-
logne, pays encore barbare, quoique chrétien. Le pape
Alexandre IV, jaloux de posséder à Rome un liomme siémi-
nent, le fit maître du sacré palais ; c'est dans la capitale
de la chrétienté qu'AUjert commenta publiquement les épî-
tres canoniques et l'Évangile de saint Jean. En 1260 i! fut
promu à l'évêché de Ratisbonne , mais il se démit de ces
hautes fonctions trois ans après, et revint reprendre ses le-
çons à Cologne, en 1203. U lut de nouveau arraché à ses
études pour aller prêclier la croisade en Bohême et en Alle-
magne, et, après avoir assisté au concile générai de Lyon
en 1274, comme envoyé de l'empereur, il retourna à Co-
logne, où ii mourut, en 1280, dans le monastère qu'il avait
264
AL13ERT
choisi pour asile de sa vieillesse. Ses facultés inlcllcctiiellcs
ravaifiit abandonné depuis quelque temps.
Albert a laissé un grand nombre d'écrits; Pierre Jammy,
dominicain, en a donné une édition (Lyon, 1051, 21 vol.
in-fol. ). qui e4 loin d'être complète. On lui attribue en
outre un Rrand nombre de livres apocryplies , entre autres
celui qui est intitulé De Secrelis.VitUerum, et qui fut très-
répandu au moyen ùge. Son érudition était surtout pui<éc
dans les travaux des Arabes et des rabbins , et ses œuvres
se composent princi|)alement de commentaires sur Aristotc.
IJieu qu'il ait écrit sur la théologie, et notamment des com-
nientaues sur les Sentences de Pierre Lombard, la dialectique
et les sciences physiques et mathématiques paraissent avoir
touJDurs formé le principal objet de ses études. Son grand
savoir, inouï pour le siècle d'ignorance et de ténèbres où il
vivait,' le lit passer après sa mort, peut-être môme de son
vivant, pour un homme doué d'une puissance surnaturelle.
Ses travaux sur l'alchimie ont été regardés comme ayant eu
pour but la recherche de la pierre philosophale. On prétendit
même qu'ils avaient été couronnés de succès. Ses connais-
sances en chimie et en mécanique furent considérées pen-
dant tout le moyen âge comme le résultat de la sorcelle-
rie et de la rnagie. C'est ainsi que, sous le nom de Secrets
du Grand et du Petit Albert, d'absurdes pratiques super-
stitieuses ont été mises sur son compte, et se réimpriment
encore tous les jours. Une tradition allemande porte que
voulant traiter dignement le roi des Romains, Guillaume
de Hollande, lors de son passage à Cologne, il lui donna
dans le jardin de son couvent un banquet magnilique pen-
dant lequel il métamorphosa autour des convives la rude
saison d'hiver en un été paré de fleurs et de fruits. Tout le
sortilège consista sans doute à faire dresser le couvert dans
une serre chaude. La postérité a vengé sa mémoire , et a
rendu pleine justice à cet illustre savant du treizième siè-
cle. La science moderne s'est aussi préoccupée de quelques
hypothèses développées dans ses écrits , par exemple sur
les fonctions du cerveau.
On nomme Alberlisles les scolastiques qui suivaient les
opinions d'Albert le-Grand.
ALBERT (Casimir), duc DE SAXE-TESCIIEN, (ils
du roi de Pologne Auguste III, naquit le 12 juillet 1738
à .Moritzbourg, près Dresde. Lors de son mariage, en 1766,
avec l'archiduchesse Christine, fille de Marie-Thérèse,
celle-ci lui constitua en dot la principauté de Teschen , si-
tuée dans la Silésie autrichienne, qu'il administra avec sa
fcjnme, laquelle portait le titre de gouvernante des Pays-
Bas autrichiens. Il résidait ordinairement à Bruxelles. L'in-
surrection qui éclata dans cette ville en 1789 le contraignit
à se réfugier à Vienne, d'où il revint à Bruxellles dès que l'in-
surrection y fut comprimée. Dans la guerre de 1792 contre
la France, il commanda l'armée chargée du siège de Lille
(du 21 septembre au 10 octobre). Forcé d'abandonner ce
siège , il ne tarda pas , après avoir été battu àJemmapes
avec Beau lieu, à être obligé d'évacuer la Belgique, où
Diiinouriez réussit à se maintenir. Dans la campagne
suivante il quitta l'armée, et résida depuis lors à Vienne.
Le faubourg Maria-Hilf, dans cette capitale , est redevable
à l'archiduchesse sa femme, morte sans avoir eu d'enfants ,
/e 24 juin 1798, de la construction d'un magnifique aqueduc.
Le duc de Saxe-Teschen faisait le plus digne usage de sa
grandi; fortune. Il a fait élever à sa femme un superbe mo-
nument parCanova. Il consacrait chaque année des sommes
considérables à augmenter sa galerie, qui était surtout riche
en gravures, et qui contenait aussi beaucoup de tableaux
des premiers maîtres des écoles italienne, allemande et fla-
mande. Il en constitua un fidéicommis dont l'archiduc Charles
lut ensuite possesseur. Le duc Albert de Saxe-Teschen
mourut à Vienne, le 11 février (822. Sa collection de des-
sins a fourni les matériaux des Copies lithographiques de
dessins originaux d'anciens maitrcs, tires de la galerie
de Varchiduc Charles publiées par Fœr>lcr (Vienne,
1830-1«42, grand in-fol.)
ALBERT ( FuANÇois-AccusTE Charles- Emmanuel), duc
de SAXE-COBOURG-GOTHA,pri«ce-époMj; d'Angleterre ,
mari de la reine Victoria, est né le 26 août 1819, au châ-
teau de Rosenau . Second (ils d'Ernest, duc de Saxe-Cobourg-
Gotha, il reçut une éducation soignée et alla étudier le
droit à l'université de Bonn en 1837. L'année suivante il
assista avec son père au couronnement de la reine d'.\ngle-
terreVictoria.à quiilsut plaire, et le 28 novembre 1839cette
princesse déclara publiquement son intention de s'unir
à lui. Le mariage (ut célébré en effet à Londres le 10 fé-
vrier 1840. Le prince, q»ii avait été naturalisé Anglais, reçut
les titres d'altesse royale, de feld -maréchal, de conseiller
privé, et obtint une liste civile de 30,000 liv. st. Il est en
outre colonel du I r de hussards, et des grenadiers de la garde,
gouverneur de Windsor, chevalier de l'ordre de la Jarre-
tière, chancelier de l'université de Cambridge, etc. La reine
lui a conféré en 1857 le titre de prince-époux (prince con-
sort). Quelques-uns l'ont quelquefois accusé de trop se
mêler de la politique du pays, mais d'autres ont défendu
ses droits, et il a su se faire respecter de tous. Ami des arts,
qu'il prati(jue lui-même, des sciences et de l'industrie, aux-
quelles il n'est pas étranger, il a conçu et exécuté le plan
de cette gigantesque exposition universelle faite au Palais de
Cristal à Londres en 1851. En 1854 il reçut avec la reine
l'empereur et Pimpératrice des Français, et l'année suivante
il vint en France avec la reine. Il a eu de nombreux en-
fants de la reine Victoria; sa (ilie aînée a épousé le prince
royal de Prusse, la cadette doit épouser un prince de Hesse.
Son fils aine, Albert-Edouard, prince d-* Galles, colonel
dans l'armée anglaise et chevalier de lu Jarretière, a fait
plusieurs voyages sur le continent, visité le Canada en 1860
et obtenu une véritable ovation en Amérique. Z.
ALBERT (Frédéric-Adolphe), archiduc d'Autriche,
fils de l'archiduc Charles et de la princesse Henriette de
Nassau, est né le 3 août 1S17. Il entra de bonne heure
dans l'armée autrichienne et se distingua comme général de
cavalerie. En 1S40 il commanda une division en Italie et
prit part à la bataille de No vare. Il reçut, après la cam-
pagne, le commandement du 3" corps d'armée, et devint en
1851 gouverneur civil et militaire de la Hongrie, dont il prit
le titre de gouverneur général en 1850. En 1857 il fut ap-
pelé à la présidence du conseil de guerre, et en 1859, après
un voyage à Varsovie, il a été chargé du gouvernement du
Tyrol, où il a ouvert les séances de l'assemblée des nota-
bles, réunis pour la révision de la loi communale. Il a
épousé en 1844 la princesse Ilildegarde, tille du roi Louis
de Bavière; deux tilles sont nées de ce mariage. Z.
ALBERT ( Famille d' ). Le haut éclat dont a brillé lout
à coup la maison d'Albert par l'élévation de Charles d'Al-
bert de Liiynes à la dignité de connétable, sous Louis XIII,
n'a fait qu'épaissir les ténèbres qui couvrent le berceau <le
cette famille. Les uns, détracteurs acharnés, lui ont donné
l'origine la plus infime, et Tallemant des Réaux a renchéri
sur eux encore, en rattachant son ascendance à l'union illé-
gitime d'un moine et d'une religieuse. Les autres, généalo-
gistes complaisants, attribuent à la maison d'Albert une
souche commune avec les Alberti, seigneurs de Catenaia,
famille puissante de Florence, qui fut exilée vers la fin du
quatorzième siècle. Les preuves faites par le connétable de
Luynes pour être reçu chevalier des ordres du roi ne remon-
tent qu'à Thomas Alberti, avocat et viguier royal du Pont-
Saint-Esprit, en 1415. — Pierre Alberti, fils de Thomas, se
distingua au siège de Beaucaire, et s'attacha au service du
dauphin , depuis Charles VII, dont il devint le panetier
après son avènement au trône. — Honoré d'Albert, ar-
rière-pelit-fils du précédent, et chambellan du ducd'Alençon,
se battit en champ clos au bois de Vincennes, en présence
du roi et delà cour, en 1570, avec le capitaine Panier,
ALBERT — AI.BKRTirr
exempt de la compagnie des gardes du corps écossais, qui
l'avait accusé d'avoir, deux ans auparavant, favorisé l'éva-
sion du duc d'Alençon et du roi de Navarre, depuis Henri IV,
cliffs tous dou\ du p:irti i\f!i politique.'!. Il tua son ad-
versaire et eut toute lajiloire de ce couibaf,qui fut le dernier
duel autorisé par nos rois. — Honoré fut père de Charles
d'Albert, favori de Louis XIII, qui reçut la diijnité de con-
nétable, et obtint, par letlres patentes de 1019 et de 1021,
l'érection des duchés-pairies de Lnynos et de Cbevreuse ,
noms sous lesquels les rejetons de la famille d'Albert ont
toujours été connus depuis. Voyez Cuevuelsk et Livnes.
ALBERT (Alexandiïe MARTIN, dit), ouvrier, membre
du gouvernemeni provisoire après la révolution de février
1848, naquit en iSlô à IJury (Oise), où son père était cul-
tivateur. Il entra comme apprenti cliez un de ses oncles,
mécanicien modeleur. Lorsqu'il fut devenu ouvrier, et tout
jeune encore, il commeuça son tour de France. Eu 1840
il fonda à Taris le journal L'Atelier, leuille rédigée ex-
clusivement par des ouvriers et tout entière consacrée à
la défense des intérêts populaires. La révolution de 1848
trouva Albert encore ouvrier et membre du conseil des
prud'liouunes de la Seine. La veille du jour où fut pro-
clamée la république, il travaillait dans l'atelier d'un fabri-
cant de boutons. Sur la désignation de M. Louis Blanc, qui
voul&it un ouvrier dans le gouvernement provisoire, il fut
appelée faire partie de ce gouvernement ; et dès le 25 février
Albert lisait lui-même au peuple la proclamation dans la-
quelle le gouvernement promettait d'assurer l'existence de
l'ouvrier par le travail. Il devint bientôt vice- président de la
commission des délégués du Luxembourg. Cependant, si
Ton en croit M. Barocbe, « le rôle d'Albert paraît avoir
été assez peu actif dans le gouvernement provisoire et
dans la commission du Luxembourg, et il semble n'avoir
été appelé là que pour donner une seconde voix à Louis
Blanc, dont il adoptait toutes les idées, soutenait toutes
les propositions. » Albert fut nommé ensuite président
de la commission des récompenses nationales ; mais il
donna bientôt sa démission. Nommé représentant de la
Seine, avec douze mille voix de plus que M. Louis Blanc,
Albert siégeait à l'assemblée lors de l'attentat du 15 mai
1848; il fut accusé d'avoir été un des chefs du mouvement
et traduit devant la haute cour de justice de Bourges. Al-
bert déclina la compétence de ce tribimal , et refusa de
répondre à toutes les questions qui lui furent adressées.
On lui reprochait d'avoir dit à M. Ledru-Rollin , dans la
jwi'-iiée du 15 mai : « Dans une demi-heure, votre triste
chambre aura cessé d'exister. « Mais M. Ledru-RolIin dé-
mentit ces paroles à l'audience du 19 mars 1849. C'est Al-
bert, dit-on, qui écrivit le décret qui nommait MM. Louis
Blanc, Albert, Ledru-Rollin, Barbes, Raspail, Pierre Leroux,
Tlioré, membres de !a commission de gouvernement ins-
tituée par l'insurrection. On sait comment finit cette tenta-
tive: Albert fut condamnéà la déportation. Renfermé d'abord
à Douliens, il (ut transféré en 1850 dans la prison de Belle-
Isle, d'où il passa à Vannes, puis à Tours en 1854, pour motifs
de santé. Il était détenu à Corte en 1859, lorsque l'am-
nistie générale du 15 août lui a rendu la liberté. L. L.
Un autre Albekt [l'ierre-Jean-Marie-Édoiiard) , né
à Riom en 1801, se trouva impliqué dans le procès d'avril
1834, et fut condamné en 1835 à la déportation par la cour
de pairs. Celui-ci avait pris part à la révolution de juillet,
et avait fondé à Lyon le journal la Glaneuse, dont la
rédaction caustique avait dû plusieurs fois être traduite de-
vant les tribunaux. Il venait d'être condamné à 5,000 fr.
d'amende lorsque Lyon se mit en insurrection. Albert
y prit part, et ce fut lui, dit-on, qui fit adopter aux ouvriers
de cette ville la fameuse devise : Vivre en travaillant,
oumoarir en combattant. On ignore ce qu'il est devenu
depuis et on l'a confondu avec le précédenl. Z.
ALBERT (Thérèse VLRNET, femme RODRIGUES,
dite M"'), actrice, née h Toulouse en 1805, débuta à l'âge de
quatre ans à Montpellier. Sa grand'mèrc. M""" Cn^sicnl
eut la fantaisie, un jour que l'on représentait le liai de Co-
cagne, de métamorphoser sa petile-lille en une j^ouvcr-
nantede soixante-dix ans. On (itde l'enfant une petite vieille,
qui singeait parfaitement sa grand'mère, ce qui amusa
beaucoup les spectateurs.
La jeune actrice suivit sa grand'mère et sa mère, qui jouait
aussi la comédie , à Perpignan et à Nîmes. Dans le Chau-
dronnier de Saint-Flour et dans les Petits fiavotjards,
elle acquit une grande réputation en province : elle avait
neuf ou dix ans. Douée d'une jolie voix , elle chanta l'opéra
à Toulouse et plus tard à Bordeaux, où elle se maria. En-
gagée à l'Odéon, comme première Dugazon, elle y joua le
rôle de Nancy dans Robin des Bois , et devint cantatrice
de la chapelle du roi Charles X. Elle débuta ensuite aux
Nouveautés, dans le Coureur de Veuves, puis joua dans Ca-
leb, Faust, la Fiancée du fictive, la Poitrinaire, et dans
bien d'autres pièces. Après la révolution de juillet, elle passa
au théâtre du Vaudeville, où Madame Dnbarry, Un duel
sous Richelieu, l'Ami Grandet, Lcontine , Arthur, la
Dame de l'Empire, Georgette, la Camargo , lui valurent
une .suite de succès. Depuis, les chutes successives du
Vaudeville la forcèrent plusieurs fois à retourner encore en
province. En 1855 elle a joué exceptionnellement le rôle de
laCarconte dans le Retour du Pharaon, de M. Alex. Du-
mas, à la Gaîté. Elle est morte en 1860, veuve de Bignon.
M™® Albert ne doit pas être confondue avec une actrice du
même nom (Ca?'o/iHe Boisseau) qui a ligure dans le fa-
meux procès Beauvallon, et chez laquelle Dujarrier
rencontra pour la première fois Beauvallon. Dujarrier avait
fait des articles pour cette actrice dans les différents jour-
naux dont il était propriétaire. Dujarrier ayant vu Beau-
vallon chez elle , lui dit qu'il ne viendrait plus la voir. Elle
répéta ce propos à Beauvallon , et cette indiscrétion ne put
qu'aigrir ces deux hommes l'un contre l'autre. *
ALBERT (ECUS d'). Voyez Albertlns.
• ALBERT, ou ANCRE, chef-lieu de canton du départe-
ment de 1^ Somme, à 177 kilom. de Paris, renferme 3,000
habitants. Cette petite ville est située sur l'Ancre, qm y
forme une belle cascade. — Ancre était autrefois un mar-
quisat, qui appartint successivement aux Coucy, aux Mont-
morency, aux d'Humières. Le Florentin Concini l'acheta
en 1010, et prit d'elle le titre de maréchal d'Ancre. A la
mort de ce ministre, Albert de Luynes, favori de Louis XIII,
obtint du roi toutes les dépouilles de Concini, et fit changer
son marquisat d'Ancre en duché d'Albert.
ALBERTAS (Famille d'), ancienne famille de Pro-
vence, originaire d'Italie , a pour premiers auteurs con-
nus Antoine Albertas et son frère , riches négociants de la
ville d'Albe qui vinrent se fixer en France vers 1300. Jean-
Baptiste d'Alcertas, marquis de Boue, premier président
de la cour des comptes de Provence, périt en 1790, assas-
siné par ses vassaux , à la suite d'une fête qu'il leur avait
donnée. — Jean-Baptiste-Suzanne , marquis d'Albertas,
son fils, né à Aix en 1748 , mort en 1829 , n'émigra pas et
se livra à des spéculations commerciales qui décuplèrent
sa fortune. En juin 1814 il fut nommé préfet des Bouches-
du-Rliône.A son retour, Louis XVllI l'eleva à la dignité de
pair de France, le 17 août 1815.
ALBERTAZZI (N HO'^'SON, madame), était
née en 1812, d'un père qui était professeur de musique. A
l'âge de seize ans elle se maria, et le 19 avril 1837 elle
débuta de la manière la plus brillante au théâtre de la Reine
à Londres, dans la Cenerenfola. En 1840 elle eut le plus
grand succès à Drury-Lane dans la Gazza ladra. Madame
Albertazzi mourut de consomption, Je 25 septembre 1847,
à sa résidence de Saint-John's-Wood. Z.
ALBERTET, poète provençal, né à Sisteron, lloris-
sait sur la fin du treizième siècle. Très-porté à la gal.iulerie,
256
ALBKRTET — ALBIGEOIS
il choisit pour l'olijet de sa passion la marquise de Malc-;-
pine, femme accomplie, à la louange de laquelle il (il plu-
sieurs pièces de poésie , qui plnient tant à cette dame, (pfelle
lui en marqua sa reconnaissance par des présents de che-
vaux , de bijoux et d'arj^ent. Cependant , s'étant aperçue
que les assiduités d'Alherfet faisaient tort à sa réputation,
clic le pria de la quitter. Alhertet obéit avec douleur, et se
retira à Tarascon , où il continua à chanter sa belle mar-
quise. Il y mourut d'amour et de chagrin.
ALIiEKTI (Li;o Battista), homme d'une érudition
très-variée et qui se lit surtout un nom comme architecte, né
à Florence en i.30s, mort vers l'an \i'?., descendait d'une
ancienne et ilhistre l'amille. Après avoir reçu une éducation
des plus comiilètes , il se consacra d'abord à l'étude du
droit. Il réussit si bien à s'assimiler les langues anciennes,
qu'Aide Manuce le jeune imprima en 1588, comme étant
du comique Lépide, une comédie d'Alberti intitulée : Fhilo-
iloxios ; il est vrai que quebiues criticpies attribuent cette
comédie, avec assez de vraisemblance, à l'Arétin (mort
en 1433). Alberti composa encore d'autres ouvrages, relatifs
pour la plupart aux sciences , les uns en langue latine et les
autres en italien. Ses progrès en musitpie avaient été tels,
qu'on le considérait comme l'un des meilleurs organistes de
son siècle. Il ne réussit pas moins dans la peinture, et son
invention de tableaux de perspective optique produisit une
vive sensation. Un traité qu'il composa sur la peinture
obtint plus tard de nombreuses éditions. Mais c'est encore
l'architecture qui reste la principale base de sa renonunée.
Après s'être livré avec la plus grande ardeur à l'étude des
constructions antiques, il s'efforça d'en appliquer les prin-
cipes dans la pratique. Efl'ectivement, les édifices qu'il cons-
truisit portent tous l'empreinte la plus pure du style de l'ar-
chitecture antique. Tlorcnce en possède plusieurs; mais les
plus importants sont les églises de Saint-André à Mantoue
et de Saint-François à Rimini. L'ouvrage théuiique qu'il
com|tosa sur l'architecture, de Re Jidijkatoria (Florence ,
in-folio, 1485 j, qui fut traduit en italien, en français, eu
espagnol et en anglais, n'a pas moins d'importance que les
travaux d'architecture auxquels il a attaché son nom.
ALBERT1.\E (Ligne). Voyez Saxe (Maison de).
ALliEllTIXS, ou écusd\ilberi, Albertusthaler, ap-
pelés encore tfialers à la croix , thulers de Brabcatt ,
de Bourgogne , pièces de monnaie mises en circulation a
partir de l'année 1588, et qui furent ainsi nommées de l'ar-
chiduc Albert, gouverneur des Pays-Bas méridionaux. Il en
entrait neuf trois cjuarts au marc d'argent lin, et l'usage en de-
vint à peu près général à cette époque, parce que c'est la
monnaie dans lariuelle furent acquittés par les Pays-Bas les
nomhiei.x emprunts, subsides et impôts levés par l'Espagne.
La jdus grande partie en (ut frappée avec l'argent arrivant
d'Amérique. Plus tard, les albertins furent vivement re-
cJiercliés en Russie, en Pologne et en Turquie, où ils ser-
vaient à solder les produits bruts tirés de ces contrées et
furent pendant longtemps presque la seule monnaie en cir-
culation. Aussi en fut-il frappé par d'autres États européens,
qui se trouvaient obligés d'effectuer des payements consi-
«lérahles dans ces pays. Les premiers furent frappés en 1747
à Brunswick; en 1752, l'impératrice Marie-Thérèse en fit
frapper avec la croix de Saint-André ; ensuite il en fut frappé
par le duc de Ilolstein, Pierre, grand-duc de Russie, eu 1753 ;
par le roi de Prusse, Frédéric II, en 17G7, et par son suc-
cesseur, Frédéric-tluillaume II, en 17'J7. Les ducs de Cour-
lande en firent frapper de 1752 à 1780 comme monnaie
courante du pays. — Il y eut aussi des y/oci»,? d'Albertus et
ties (jroa d'Albertus, conmie monnaie de compte en Cour-
lande, en Sémigalle,eteB Livonie. Il fallait trois llorinsd'alber-
tus ou trente grosd'.Vlliertus jiour faire un Ihaler d'Albertus.
ALHERTllAiXDY (Juan-Baptistf.), l'un des hommes
qui pendant la seconde moitié du dix-huitième siècle ont
le plus cuntrilnie à réveiller en Pologne le goût des sciences,
était né à 'Varsovie, en n.Tl. Son père, qui avait abandonné
l'Italie, sa patrie, pour venir s'établir en Pologne, lui fit
donner une éducation distinguée dans un établissement de
jésuites, dont Albertrandy prit l'habit. Professeur à Poul-
chontou-k,a Plock et a NVilna, il devint conservateur delà
bibliothèque de J. Zalouski, lorsque celui-ci en permit l'accès
au public. En 1764 Albertrandy fut chargé par le primat
Lubienski de l'éducation de son petit-neveu Félix Lubienski.
A la mort du primat, Albertrandy se retira à Sienne, où il
(piitta l'ordre des jésuites, et devint prêtre séculier. 11 visita
Rome plusieurs fois, devint directeur de la bibliothèque
du roi Stanislas-Auguste , et fut enfin nonmié évéque de
Zénopol. Il entreprit encore un voyage à Stockholm et à
Upsal pour fouiller la bibliothèque, et à la mort du roi son
protecteur il se trouva même un moment dans le besoin.
Il mourut le 10 août 1808, laissant une Histoire de Henri
et d'Etienne Bathory, et une Histoire de l'administration
des Jagellons Kasimir, Jean Alhrecht et Alexandre.
Ces deux ouvrages ont été publiés longtemps après sa mort
par le professeur Onacewitz, chacun en 2 volumes in-S», à
Varsovie , le premier en 1823 , le second en 1824.
ALBI, ancienne ville du Languedoc, aujourd'hui chef-
lieu du département du Tarn, à C81 kilomètres sud de Paris,
siège d'un archevêché, est située sur une ^.minence au pied
de laquelle coule le Tarn, et renferme 14, 656 habitants. Elle
possède un tribunal de première instance et un tribunal de
commerce, une académie, un collège communal, une biblio*
thèque publique, composée de 14,000 volumes, un musée, un
cabinet d'histoire naturelle, une ferme-école. On y trouve des
fabriques de toiles, de molletons, de couvertures de laine, des
filatures de coton , des papeteries, etc. Son commerce con-
siste principalement en grains, vins, chapellerie, orfèvrerie,
fruits secs, safran, etc. Quoique fort mal bâtie, la ville d'Albi
possède quelques monuments remarquables. Sa cathédrale
surtout, ornée intérieurement de vieilles peintures à fresque,
dues au pinceau de Jean d'Udine, est un chef-d'œuvre d'élé-
gance et de hardiesse, et l'on rencontre, au bout de la pro-
menade appelée la Lice, une belle terrasse d'où la vue
plonge sur une plaine magnifique. On y admire encore l'hôtel
de la préfecture, qui fut autrefois le palais épiscopal et, à
une époque plus éloignée , celui des anciens comtes de l'Al-
bigeois ; l'hospice, qui est une superbe construction ; le pont
sur le Tarn et la jolie fontaine de Verdusse. Le nom latin
de cette ville, Albiga, prouve qu'elle était la principale cité
des Albigi, comme elle fut depuis la capitale du pays des
Albigeois. En 730 elle fut dévastée entièrement par les Sar-
rasins, et tomba en 765 au pouvoir de Pépin. Du huitième
au treizième siècle elle eut pour gouverneurs des vicomtes
dont la puissance s'accrut graduellement. Le dernier fut
Raymond-Roger, qui, après la croisade contre les Albi-
geois, partagea le sort de Raymond YI, comte de Tou-
louse, et fut réduit à livrer Albi à Simon de Montfort. Sous
Louis XIII, le cardinal de Richelieu se rendit maître de la
ville d'Albi, qui comptait un grand nombre de protestants;
et sous le règne suivant une partie de ses habitants se vit
forcée, par suite de la révocation de l'édit de Nantes,dequitter
le sol de la France. Il s'est tenu à Albi deux conciles, l'un
en 1176, oîi fut condamnée la secte des Albigeois, et l'autre
en 125i. Albi est la patrie de l'infortuné Lapeyrouse, auquel
on a érigé, en isi», une statue eu bronze sur une des prin-
cipales places publiques de la cité.
ALBIGEOIS, pays faisant partie du Languedoc, à
l'ouest des Ce venues, entre cette chaîne de montagnes, le
Quercy, l'Armagnac, le Rouergue et le haut Languedoc, et
présentant une étendue de vingt lieues carrées. Albi en
était la capitale. Il appartient maintenant au département
du Tarn. L'Albigeois fut gouverné par des vicomtes, dont
on fait remonter la liste jusqu'à l'année 918. En 1247 saint
Louis acheta celte vicomte à Raymond -Roger, treizième
vitumte d'Albi.
ALBIGEOIS
ALBIGEOIS (Guerres des). La croisade conlre les
Albigeois, <lc I20tî à IS^O, est, dit ChiUeaubriand, un abo-
minable épisode de notre bistoire. Si l'on se reporte aux
sources oriijinales, on voit de part et d'autre beaucoup de
passion ; ou trouve la même i)artialité cbez les compilateurs
nio<lernes. Cependant, Sismomli et Sclioll ont, dans leurs
grandes bistoires, le premier surtout, esquisNé quehpies
parties de ce drame sanglant d'une manière ipii laisse peu à
désirer. Nous n'avons pas à tiailer ici ce sujet à fond , il
nous suflira de présenter sur cette croisade de cbrétiens
contre chrétiens, de Français contre Français, quelques
souvenirs, quelques considérations. Ce qu'on n'a pas as-
sez remarqué, c'est que c*tte pei-sécution si atroce des
-■Vlbigeois était un phénomène nouveau dans l'Église latine,
rius d'une fois l'Ëglisc grecque s'était montrée persécutrice;
depuis Constantin on avait vu presque tous les empereurs
s'armer du glaive pour extirper ce qu'ils appelaient l'hérésie.
Cependant l'Occident était encore étranger au lléau de la
persécution, bien que de temps en temps il se fût élevé en
France et en Espagne quelques hétérodoxies. Ainsi , dans
le onzième siècle, Béranger, archidiacre d'Angers, qui atta-
quait le dogme de la transsubstantiation, et qu'avaient con-
damné cinq conciles, échappa à toute punition, grâce à
la tolérance de Grégoire VII, qui réprouva sa doctrine sans
permettre qu'on persécutât sa personne. Mais au douzième
siècle les évèques de Rome, jusque alors si tolérants, de-
vinrent tout à coup persécuteurs. Pourquoi ce changement
déplorable? La différence provient de celle qui existait
entre les hérétiques du douzième siècle et ceux qui les
avaient précédés. C'était seulement sur des points dogma-
tiques que les ariens, les nestoriens, les pélagiens , les
disciples de Béranger et quelques autres sectaires s'étaient
séparés de l'autorité ecclésiastique. Les nouveaux hérétiques
attaquaient non-seulement le dogme, mais l'autorité, l'exi-s-
tence même de l'Église ; ils prétendaient renverser l'insti-
tution, comme s'étant écartée de son but ; enfin ils voulaient
ramener la Rome des Grégoire YII et des Innocent IIl à la
simplicité toute populaire, à la discipline toute répulilicaiue
du christianisme naissant. Voilà ce qui explique la fureur ,
alors sans exemple, qu'excita chez les partisans du clergé
romain la secte des albigeois, vaudois, cathares, etc. : car
combien de noms différents n'a-t-on pas donnés à ce parti,
non moins politique peut-être que religieux!
Un riche négociant de Lyon , Pierre de Vaux ou Valdo,
après avoir distribué sa fortune aux pauvres, s'érigea en
réformateur des mœurs, et prêcha d'abord contre l'irréligion
et la débauclie, contre les dissolutions du clergé et les abus
de la discipline ecclésiastique. Bientôt, attaquant le dogme,
^'aldo, ou du moins ses successeurs, prêcha une doctrine
analogue en tout point à celles de Luther et de Calvin (1).
Rome d'abord ne conçut aucun sentiment de défiance contre
lespatarins, les catharins ou pauvres de Lyon ; elle parut
même considérer leur doctrine comme un projet de sancti-
fication, et leurs associations comme autant d'ordres de
moines qui réveillaient la ferveur publique sans songer à
secouer le joug de l'Église. De Lyon et des environs, l'esprit
d'innovation et de mysticisme se répandit dans la Provence
et le Languedoc, au commencement du treizième siècle.
Allant beaucoup plus loin que les premiers vaudois, les
nouveaux sectaires enseignaient que la loi du Christ avait
été abolie par celle du Saint-Esprit; ({ue le Christ né à
Bethléem et crucifié était un être mauvais; que le bon Christ
n'a pas été incarné, et qu'il n'est venu sur la terre qu'en
esprit dans le corps de l'apôtre saint Paid. Connus d'abord
sous le nom d'hérétiques delà Provence, ces religionnaires le
furent plus tard sous celui lY albigeois, non parce que Albi
a été leur principal siège , car ils étaient plus nonibreux à
257
(1 ) Oq peut en Toir la preuve dans le Choix de Poésies originales
des Troubadours, recueil dans lequel se trouvent quelques pièces de
poètes Taudois conipusées dès le douzième siècle,
DICT. DE LA CO.NVEUS. — T, I.
Toulouse, h Carcassonne et h Narbonne, mais parce ipie
las premiers soldats de la Croix qui les combattirent furent
envoyés contre Raymond Roger, vicomte d'.^lhi etdeBéziers.
Les idées nouvelles firent d'autant plus de progrès dans
ces contrées de la langue de Provence ( Provence et Lan-
guedoc), que le clergé y méritait plus la critique. Les pré-
latines étaient réservées aux membres des familles puissantes,
qui vivaient en grands seigneurs, c'est-à-dire dans le luxe
et dans le désordre, tandis que les curés et prêtres infé-
rieurs, pris parmi les vassaux des seigneurs, pai-mi leurs
paysans et leurs serfs, conservaient la brutalité, l'ignorance
et l'abjection de leur origine servile. D'une autre part, le
Languedoc et la Provence, qui, ainsi que la Catalogne et
les pays environnants , relevaient du roi d'Aragon , étaient
habités par une race d'hommes industrieuse, spirituelle,
adonnée au commerce et aux arts, principalement à la
poésie. Les nombreuses cours des petits princes qui se par-
tageaient ces contrées, la multiplicité des villes commer-
çantes, les libertés répubUcaines dont elles jouissaient la
plupart, enfin le voisinage de l'Italie, tout avait contribué
à bâter le développement de la civilisation dans ce pays, où
s'étaient conservés d'ailleurs tant de vestiges de l'adminis-
tration et des mœurs romaines. Le clergé provençal était
demeuré étranger à ce mouvement, par les motifs que l'on
vient d'énoncer. C'était un grand mal au milieu d'une po-
pulation trop éclairée pour que les vices des ecclésiastiques
ne les exposassent point au mépris pubhc. On voit dans le.î
chroniqueurs du temps que les expressions les plus offen-
santes pour les gens d'Église avaient passé en proverbe :
Il J'aimerais mieux être prêtre que d'avoir fait une telle
chose n , était un dicton provençal. Cependant, chez cette
nation, alors tout h fait distincte de la nation française, la
disposition était religieuse, et celte dévotion élevée que les
Provençaux ne pouvaient trouver dans l'Église, ils allaient la
chercher auprès des sectaires. Ces derniers étaient nom-
breux, surtout à Toulouse, dont le nom, selon la réflexiou
de Pierre de Vaux-Cernay, auteur contemporain, aurait
plutôt dû être Tôt a dolosa.
Ce fut le pape Alexandre III qui , s'écartant de la sage po-
litique de Grégoire VII , autorisa , l'an 1 179 , la persécution
contre les sectaires de la Provence. Lan 1181, son légat,
Henri, abbé de Clairvaux, puis cardinal-évêque d'Albano,
unis? ant l'épée à la crosse , prit d'assaut Lavaur, à la tête
d'une nombreuse armée , et obligea Roger II , vicomte de
liéziers, à abjurer les nouvelles doctrines. L'abbé de Sainte-
Geneviève de Paris , que Philippe- .Auguste avait envoyé en
mission auprès de ce rude convertisseur, écrivait en ces
termes à ce prince : « Je ne sais oii Je pouiTai trouver le
légat ; Je le suis à la trace , et dans un pays que son expé-
dition a ruiné. Je passe à travers des montagnes et des val-
lées, au milieu des déserts, où je ne rencontre que des villes
consumées par le feu , ou des maisons entièrement démo-
lies, n 3Iais rien ne put arrêter le torrent des opinions nou-
velles, et, seize ans après, Innocent III fut obligé d'en-
voyer de nouveaux légats. Leur faste, encoie plus que leur
cruauté , souleva tous les esprits. Un pieux prélat espagnol,
Diego de Azebez , évêque d'Osma , qui voyageait alors en
Fiance avec Dominique Gusman, sous-prieur de sa cathé-
drale, trouva les légats à Montpellier, leur conseilla de renon-
cer à la pompe mondaine dont ils s'entouraient, et de conti-
nuer leur mission à l'exemple des apôtres, à pied , et sans
porter de l'argent sur eux. Diego et Dominique leur en don-
nèrent l'exemple ; ils parcoururent le pays nu-pieds, dis-
putèrent avec les sectaires, et le firent avec succès. Il semble,
en lisant la Chronique de Guillaume de Puylaurens, qu'ils
étaient quelquefois impatientés de ce que leurs adversaires
n'étaient pas plus habiles. Un jour que 1 evêque d'Osma, par
des questions ca[)tieuses, était parvenu à leur faire dire que
les jambes du Fils de l'homme, qui est dans le ciel, étaient
aussi longues que toute la distance qui sépare les cieux de
3J
358 ALBIGEOIS
la terre : » Que le bon Dieu vous maudisse, comme des !ié-
rétiques grossiers que vous êtes ! s'(''cria le prélat ; je croyais
que vous aviez plus de subtilité que cela. » Une autre fois,
qu'il avait embarrassé ses adversaires, et qu'il les avait
vaincus suivant toutes les refiles de l'absurde dialectique
alors en usage dans les écoles , l'évéque d'Osma dit aux lia-
bilants : <> Pourquoi ne les cbasscz-vous pas? pourquoi ne
les exterminez-vous pas? — Nous ne le pouvons, répondi-
rent-ils : nous avons des parents parmi eux , et nous voyons
combien leur vie est honnête. « Le môme Guillaume de
Puylaurens se scandalise de cette réponse, et ajoute cette
réflexion : « C'est ainsi que l'esprit de mensonge , par la
seule apparence d'une vie nette et sans tache , soustrayait
ces imprudents à la vérité. »
Disons-le, les persécuteurs avaient alors pour eux l'opi-
nion publique, sinon en Provence, du moins dans le reste de
la monarciiie française. Mais le fougueux Pierre de Castel-
nau, l'un des légats du pape, passa bientôt à des mesures
d'une violence inouïe : il excita secrètement une ligue de
quelques seigneurs voisins contre Raymond VI , comte de
Toulouse, qui refusait de prendre l'épée pour convertir ses
sujets , moins peut-être parce qu'il partageait leurs idées re-
ligieuses que par un esprit de tolérance qui dans ce sii^cle
était regardé comme la preuve d'une pen'ersité absolue.
Castelnau lança contre lui l'excommunication , et écrivit
au pape pour obtenir la confirmation de cette sentence. Jus-
qu'alors Innocent III avait recommandé à ses délégués de
ne pas pousser trop loin la rigueur ; mais il ne démentit
point l'audacieuse démarche de Castelnau , et l'on vit le
pontife de Rome adresser des lettres à tous les princes de la
chrétienté pour les inviter à se croiser contre l'arrière-petit-
fds de ce Raymond de Saint-Gilles qui avait joué un rôle
si brillant dans la première croisade en Palestine. Bientôt
Pierre de Castelnau est assassiné par un gentil-homme de
Beaucaire qu'il avait offensé. Le soupçon d'avoir commandé
ce meurtre , qui rappelait celui de Thomas Becket de Can-
torbéry , tomba sur le comte de Toulouse. Innocent III ful-
mina contre lui de nouveaux anathèmes , et délia ses sujets
du serment de fidélité. Ce fut dans toute la France à qui se
croiserait contre les Provençaux. Innocent, emporté par la
haine, prodiguait à ces nouveaux soldats de l'Église des in-
dulgences inliniment plus étendues que celles que ses pré-
décesseurs avaient accordées aux croisés qui avaient tra-
vaillé à la délivrance de la Terre Sainte. Us étaient mis sous
la protection du saint-siége , dispensés de payer les intérêts
de leurs dettes, soustraits à tous les tribunaux ; « et la
guerre (ju'ils étaient invités à faire à leur porte, ditSisraondi,
presque sans danger et sans dépenses, devait expier tous
les vices et tous les crimes d'une vie entière... Ce fut donc
avec des transports de joie que les fidèles reçurent les nou-
veaux pardons qui leur étaient offerts : d'autant plus que ,
loin de regarder comme pénible ou comme dangereuse la
chose qu'on leur demandait en retour, ils l'auraient faite vo-
lontiers pour le seul plaisir de l'accomplir. La guerre était
leur passion, et la pitié pour les vaincus n'avait jamais trou-
blé ce plaisir. La discipline des guerres sacrées était bien
moins sévère que celle des guerres politiques; les fruits de
la victoire étaient bien plus doux : là on pouvait sans re-
mords, comme sans obstacle de la part de ses officiers,
piller tous les biens, massacrer tous les hommes, violer les
femmes et les enfants... On leur offrait la récolte du champ
voisin, la dépouille delà niaison voisine, qu'ils pourraient
transporter chez eux en nature, et des captives abandon-
nées à leurs désirs qui parlaient la même langue queux. »
Les moines de Cîteaux se distinguaient par leur zèle à prê-
cher cette guerre, alors sacrée ; ils promettaient, au nom du
pape, de saint Pierre et de saint Paul, rémission entière
de tous les péchés commis depuis le jour de la naissance
jusqu'à la mort à tous ceux qui périraient dans cette ex-
pédition. Une congrégation nouvelle, autorisée par Inno-
cent III, et à la tête de laquelle il mit Dominique Gu»-
man, jetait les fondements du tribunal de l'inquisition : c'é-
tait le digne fruit de la semence jetée par Castelnau. Les nou-
veaux frères prêcheurs parcouraient à pied et deux à deux
les villages ; ils sermonnaient les habitants, entrant en con-
troverse avec eux ; et, à la faveur de la confiance qu'inspi-
raient la simplicité de leurs manières , la familiarité de leur
discussion, ils obtenaient des renseignements exacts sur tous
ceux qui s'étaient éloignés du sein de l'Église, pour les faire
brûler dès que les catholiques seraient les plus forts. Foul-
ques , évoque de Toulouse , qui avait suggéré au pontife les
principaux règlements de cet ordre , et qui les fit cruelle-
ment exécuter dans son diocèse, était un troubadour connu
jusqu'alors par la grâce de ses poésies et la liberté de ses
mœurs.
Ce fut au printemps de l'an 1209 que trois cent mille
croisés selon les uns, cinq cent mille selon les autres, et
selon l'abbé de Vaux-Cernay cinquante mille seulement ,
allèrent fondre sur le Languedoc. Le comte de Toulouse es-
père conjurer l'orage par une prompte soumission. Inno-
cent III feint de s'adoucir, et accueille ses envoyés. Dans
les instructions adressées à ses légats, faisant une applica-
tion sacrilège des textes de l'Écriture, il leur disait : « Nous
vous conseillais, avec l'apôtre saint Paul, d'employer la
ruse à l'égard de ce comte; car dans ce cas elle doit être
appelée prudence. Il faut attaquer séparément ceux qui sont
séparés de l'unité, laisser pour un temps le comte de Tou-
louse, usant avec lui d'une sage dissimulation, afin que les
autres hérétiques soient plus facilement défaits, et qu'on
puisse l'écraser ensuite quand il se trouvera seul. » Ici se
place la scène de l'église de Saint-Gilles, où l'on vit le comte
Raymond fustigé de la main du légat; et tel était l'esprit du
temps, que les fidèles qui assistaient à cette cérémonie, dont
le seul récit nous scandalise , n'y trouvaient rien d'extraor-
dinaire. Une honte sans doute encore plus poignante pour
Raymond le fustigé , et qui méritait bien de l'être , puis-
qu'ayant l'épée au côté il souffrait cette odieuse humiliation,
fut l'obligation de se croiser contre ses propres sujets, contre
son neveu, le vaillant Raymond Roger, vicomte d'Aibi et de
Béziers.
On eût dit que tous les peuples de la langue de France s'é-
taient ébranlés pour aller dénationaliser la Provence. Bour-
guignons , Nivernais , Picards, Normands , marchaient à la
suite d'Eudes III , duc de Bourgogne, de Henri , comte de
Nevers, puis des évêques de Sens, d'Autun, de Clermont,
de Lisieux, de Bayeux, etc. Le nom de tous ces chefs s'ef-
face devant celui de Simon de M o n tf ort , qui aujourd'hui
vit encore dans la mémoire des peuples pour être exécré •
compensation assez bizarre des éloges excessifs qu'il a reçus
de ses contemporains dabord , puis ensuite de la tourbe
servile qui pendant quatre ou cinq siècles a en France
écrit l'histoire. Pour ces apologistes Monlfort est tout à
la fois un Hercule, un Gédéon, un Macchabée ; c'est l'homme
fort des livres saints, c'est le bras droit du Très-haut. Pour
nous cet homme est un cadet d'illustre lignage, possesseur
d'ime assez mince seigneurie dans l'Ile-de-France, qui, armé
d'une piété fervente, d'un cœur impitoyable, d'un esprit subtil
et perfide , puis , par-dessus tout , d'une ambition calme et
persévérante, sut, en se faisant le soldat du clergé, con-
quérir pour lui de vastes domaines, en léguer une partie à
ses descendants , et monter au rang des grands feudataires
de la couronne. Nul ne fit la guerre avec plus de férocité :
à l'incendie de Béziers, au dire d'un de ses biographes, Vul-
son, « il fit passer par le fer et par le feu tout ce qui s'y ren-
contra, pour donner de la terreur aux autres, et les obliger
à se soumettre à la force, puisque la douceur n'avait fait que
les irriter davantage ». Dans ce massacre il ne périt pas
moins de trente-cinq à quarante mille individus, tant catho-
liques que sectaires. Le^ prêtres mêmes ne furent pas épar-
gné;». Des contemporains comptent jusqu'à soixante mille
1
ALBIGEOIS
victimes. Tuez-ks tmts , avait dit de sang-froid avant las-
saut, et dans le conseil de guerre, Arnaud Anialrio, légat du
paiH?, le Seigneur conuaitni bien ceux qui sont à lui. Il y
eut sept mille cadavres dans une seule église. En reprodui-
sant de pareils détails, on serait tenté de préférer les siècles
de parfaite indifférence en matière de religion, puisque, mal
entendue , elle a pu autoriser de pareilles atrocités et les
préconiser dans tous les auteurs catUoliqucs jusqu'au siècle
dernier.
Attaqué dans Carcassonne, le vicomte Raymond Roger,
après avoir deux fois repoussé les croi.sés, ose attendre de
Montfort et du légat une capitulation honorable. 11 se rend
dans leur camp pour négocier. Le légat, pénétré de cette
maxime, que c'est manquer à la foi que de garder la
foi à ceux qui n'ont pas la foi, lait arrêter le vicomte , et
Montfort devient son geôlier. Après l'occupation de Caieas-
sonne, Montfort et le légat obligèrent les habitants à se
rendre à discrétion , la corde au cou et les parties honteuses
découvertes , scandale jnoins profitable aux croisés que le
viol des femmes et dés filles. Ils firent ensuite brûler vifs
quatre cents chevaliers ou bourgeois , et pendre cinquante
autres. De semblables exécutions avaient lieu partout sur le
passage des croisés. Les seigneurs français commençaient à
sentir quelque honte de tant de sang versé. ÎSIais le légat et
Montfort n'en avaient point assez. « Pour faire rétrograder
la civilisation, observe Sismondi, pour faire perdre la trace
des progrès de l'esprit humain, ce ne sont pas quelques mil-
liers de victimes qu'il suffit de sacrifier comme un exemple :
il faut tuer la nation ; il faut faire périr en même temps tout
ce qui a participé au développement de la pensée et des
connaissances, et n'épargner tout au plus que ces hommes
de peine dont l'intelligenc* est bien peu élevée au-dessus du
bétail dont ils partagent les travaux. » Le légat, qui mettait
ainsi en coupe réglée la population provençale, ne se trompa
point sur les moyens qui devaient conduire au but qu'U se
proposait. Il offrit les États de Raymond Roger à Eudes III,
duc de Bourgogne ; mais celui-ci refusa, et son noble exemple
fut imité par les comtes de Nevers et de Saint-Pol, à qui le
légat fit la même proposition. Montfort, après avoir aussi un
moment joué l'homme désintéressé, accepta la souveraineté
de tous les pays conquis par les croisés ; et c'est de ce mo-
ment que date l'établissement des Français en Provence
(1209). Raymond Roger était toujours prisonnier dans la
tour de Saint-Paul à Carcassonne; il moumt, et les lettres
d'Innocent III, qui désapprouva ce crime, donnent à penser
(jue Montfort avait, par quelque moyen violent, hâté la fia
de ce malheureux prince.
Tel est le premier acte de la croisade contre les albigeois ;
mais le but des persécuteurs n'était pas atteint : un seul des
États où régnaient les nouvelles doctrines, l'Albigeois, avait
été dévasté, dépeuplé, soumis au joug des Français ; mais
les idées nouvelles régnaient encore dans le Toulousain, le
Querci, les pays de Foix, de Comminges, etc. Chaque année,
après le départ des croisés, Montfort et les chevaliers de
rile-de-France et de Picardie qu'il avait associés à sa con-
tpiète, se voyaient menacés par la haine des populations. 11
fallait ou finir par regagner les tristes manoirs du Nord, ou
éteindre par le fer et par le feu ces populations si fières à
défendre leur croyance et leur nationalité. Innocent III com-
mença à sentir qu'il avait été trop loin ; il montra de l'in-
térêt à Raymond VI, qui était venu à Rome implorer sa jus-
tice et sa clémence. Mais le pontife ne fut pas assez puissant
pour arrêter les passions fanatiques que lui-même avait
déchaînées. Lui aussi subissait l'influence de son clergé,
qui le servait avec tant de zèle , et qui ne le servait qu'à ce
prix. Bien qu'il eût enfin reconnu la justice de la cause de
Raymond VI, il n'osa point écouter la voix de sa cons-
cience , et renvoya le sort de ce malheureux prince à la dé-
cision des évêques du pays, qui l'abreuvèrent d'outrages.
Raymond finit par où il aurait dû commencer : aux armes
2&9
il opposa les armes, et parvint, sinon à vaincre Montfort,
du moins à l'inquiéter, à l'arrêter quelquefois dans ses con'
(piêfes. Alors commence une suite de campagnes, dans les-
quelles on voit ce chef des croisades se couvrir de gloire
conmie guerrier, mais déshonorer complètement chacun de
ses succès par les plus atroces cruautés. Tantôt il faisait
mutiler les vaincus de la manière la plus barbare, tantôt il
faisait pendre des populations entières, tantôt il faisait pré-
cipiter dans les bûchers les hommes et les femmes par mil-
liers. Pendant ces massacres les prêtres et les soldats croi-
sés chantaient le Veni Creator. Pour se faire une idée du
caractère propre à ces exécutions religieuses, il faut en lire
la description dans les récits contemporains, surtout dans
la Chronique de l'abbé de Vaux-Cernay. C'est avec une
sorte d'exaltation, de gaieté môme, qu'il nous représente les
tortures des hérétiques et la joie extrême qu'éprouvaient
les spectateurs catholiques; ces mots : cum ingenti gau-
dio, terminent chacun de ces tableaux révoltants de béate
naïveté.
Faut-il en conclure que Montfort ait été à tous égards
un de ces monstres dont toutes les actions furent des cri-
mes? Loin de là, on trouve dans sa vie plus d'un trait ho-
norable : très-réglé dans ses mœurs , il n'en avait pas
moins dans ses manières une grâce, une courtoisie, qui dé-
notaient un chevalier de haut lignage. Mais faisons ici une
remarque qui s'applique aussi aux compagnons de Mont-
fort : prêts à se donner entre eux des preuves de générosité,
de compassion, d'affection, les croisés regardaient les héré-
tiques comme étant hors de la race humaine , et ils agis-
saient en conséquence. Accoutumés à se confier aveuglé-
ment à la voix de leurs prêtres, à ne jamais soumettre au
jugement de la raison ce qui appartenait à la foi , ils se
croyaient d'autant meiUeurs chrétiens qu'ils travaillaient
avec plus d'ardeur à la destruction des sectaires. S'ils éprou-
vaient un mouvement de pitié en assistant à leur supplice,
c'était à leurs yeux une révolte de la chair dont ils allaient
s'accuser au tribimal de la pénitence. Au reste, toute l'Eu-
rope partageait le zèle de Montfort et des personnes de sa
famille : une armée de croisés lui fut amenée par sa femme
Alix de Montmorency, par sa belle-mère et par son beau-
frère, le sire Bouchard de Montmorency et de Marly. Un
Léopold, duc d'Autriche; un Guillaume, comte de Juliers;
un Adolphe, comte de Mons, vinrent se ranger sous la ban-
nière de ce gentil-homme de l'Ile-de-France, dont l'autorité
militaire et religieuse n'était pas moins respectée qu'avait
pu l'être en Palestine celle de Godefroi de Bouillon. Plus
tard, le fdsde Philippe-Auguste prit part à cette croisade;
et comme la terre albigeoise avait été conquise non par les
armes du roi de France, mais par le pape, on ne permit à
l'héritier présomptif du royaume de paraître à l'armée qu'en
simple particulier. Louis ne crut pas faire im sacrifice en
se soumettant aux ordres de Montfort.
Un fait encore bien remarquable de cette croisade, et
qui, comme le précédent, ne s'explique que par la connais-
sance des mœurs de l'époque, c'est de voir ce même Mont-
fort, que depuis six années le saint-siége préconisait comme
le chef de l'armée du Seigneur, IWontfort, pour l'amour
duquel on avait excommunié, spolié le comte de Toulouse,
être à son tour excommunié par le légat du pape; mais
bientôt il rentra en grâce, et Honoré III, successeur d'Inno-
cent III, lui confirma la donation du comté de Toulouse. Un
tort, qui appartient à l'homme, et non à l'époque, c'est quand
Simon de Montfort, s'écartant du but d'une guerre reli-
gieuse, conduisit l'armée des croisés dans l'Agénois et dans
d'autres contrées catholiques, dont la conquête était à sa
convenance. Un toit non moins grave , une inconséquence
qui eut contre elle l'opinion d'alors, quelque peu éclairée
qu'elle fût, c'est quand le légat du pape, Arnaud Amalric,
après s'être fait archevêque de Narbonne, déclara le duché
de Narbonne acquis au premier occupant, puis se hàfa d'aller
33.
2Ç0 ALBIGEOIS
dans cette tUIc cumuler, au grand mécontentement de
Montfort, avec la mitre d'évèque, la couronne ducale. D'au-
tres usurpations semblables, au profit des moines de Citcaux,
ces zélés prêcheurs de la croisade albigeoise, prouvèrent au
peuple que ces religieux avaient eu trop en vue dans cette
expédition les biens de ce monde. Mais si l'opinion parmi
k's calboliques se sentait péniblement affectée par la cupi-
dité de ces moines, elle ne faisait aucun reproche à l'évèque
de Toulouse, Foulques, qui avait dans cette cité organisé la
guerre civile entre les catholiques et les dissidents; qui en-
suite , forcé de s'éloigner, se mêla avec tout son clergé dans
les rangs des croisés, ne cessant d'appeler sur son troupeau
les fléaux de la guerre et de la persécution. Toulouse, as-
siégée jusqu'à trois fois par le comte de Montfort, brava la
première fois ses efforts; la seconde fois, elle voulut bien
se donner au prince Louis, fds de Philippe-Auguste; la
troisième fois, elle fut l'écueil où se brisa l'existence agitée
du nouveau Gédéon. Une pierre lancée par un mangonneau
emporta la tète de cet homme , « qui en faisant tant de
mal, dit Voltaire, avait acquis tant de renommée n. «Le
Iruit de ses conquêtes, dit le biographe Vulson, tomba avec
sa tète. »
Le plus signalé de ses triomphes , la victoire de Muret ,
où périt le roi d'Aragon , avait eu principalement pour ré-
sultat de préparer au joug français toute la partie arago-
naise de la Gaule, et de procurer dès lors au roi Philippe-
Auguste la souveraineté de la puissante commune de Mont-
pellier. La mort prématurée de Montfort, en brisant la
main ferme qui seule aurait pu conserver ces acquisitions,
fut encore plus avantageuse à la couronne capétienne. 11
laissait un fds, Amaury de P.îontfort, à qui le pape adjugea
les domaines accordés à Simon ; mais il ne put lui trans-
mettre ni le crédit ni les talents de son père. Amaury sou-
tint faiblement la guerre contre les comtes de Toulouse,
Raymond YI et Raymond VII, et finit par céder ses préten-
tions sur le comté de Languedoc au roi de France Louis VIII.
On sait quel fut le résultat de la croisade royale de ce prince
contre les albigeois. Après avoir, à la tète de deux cent
mille hommes, ravagé le Languedoc et assiégé la puissante
commune d'Avignon, dont il n'avait reçu aucune offense, il
périt frappé de la contagion qui dévorait son armée (1226).
Durant la minorité de saint Louis , la guerre entre les
Français du nord et les habitants du Languedoc ne discon-
tinua point. Humbert de Beaujeu, lieutenant du roi de
France , et Gui de Montfort , frère de Simon , étaient à la
tète des croisés. Gui trouva la mort dans un combat. Le
vieux Raymond VI avait cessé de vivre , et ses ossements
ne trouvèrent point de tombeau. On les voyait avant la ré-
volution de 1780, dans un coflre, tout profanés et à moitié
rongés des rats, dans le coin obscur d'une église de Tou-
louse. Le jeune Raymond VII se défendit avec assez de per-
sévérance. Mais cette guerre, qui fut marquée par un nou-
veau siège de Toulouse, ne présente plus la même impor-
tance. Chateaubriand admire la conduite des Toulousains :
« Une simple commune de France , dit-il , la petite répu-
blique de Toulouse, brava pendant vingt ans les anathèmes
des papes, les fureurs de l'inquisition , les assauts de trois
rois de France. » Il ne faut pas oublier que l'implacable
évèque Foulques était à ce siège. Ce fut lui qui amena la
reddition de cette ville, par le conseil qu'il donna aux as-
siégeants d'affamer son troupeau en détruisant méthodi-
quement toute la végétation , tous les produits de la terre
dans un rayon de plusieurs lieues.
Toutefois, Is fanatisme commençait k se lasser : d'ail-
leurs, les villes et les campagnes dépeuplées ne promettaient
plus aux gibets et aux bûchers le même nombre de vic-
times. A une ardeur impatiente pour la destruction des hé-
rétiques .avait succédé une calme indifférence, mais sans
que la tolérance y gagnilt : rois, nobles, prêtres, peuples,
étaient d'accord pour penser que les non-catholiques de-
- ALBINI
valent être mutilés par le feret par le feu ; et ce fut sans pas-
sion qu'on appliquait, soit après le combat, soit dans les
nouveaux tribunaux d'inquisition , cette doctrine, passée en
axiome de justice publique. Désormais dans l'Albigeois on
fit une guerre sans éclat ni intérêt et tout à fait semblable
à celle qui vers la fin du règne de Louis XIV désola les
Cévennes. Les prêtres ne pardonnaient pas aux Languedo-
ciens, et ceux-ci n'épargnaient point les prêtres : tout pri-
sonnier était mis à mort, toute place rendue réduite en
cendres ; mais tout cela se faisait sans bruit et comme une
chose consacrée par l'usage. Enfin le traité de Meaux vint
en 1229 mettre fm à cette odieuse continuité de massacres
et de guerres civiles. Le comté de Toulouse et l'Albigeois fu-
rent réunis à la couronne ; quelques parties de ces États hé-
réditaires furent laissées à Raymond VII, et le mariage de sa
fille Jeanne fut stipulé avec Alphonse de Poitiers, frère du
roi de France, Louis IX.
Dès ce moment, les peuples de la langue de Provence ces-
sèrent de former une nation distincte ; il n'y eut plus aussi
de France aragonaise. La couronne capétienne recueillit le
fruit des crimes de Montfort; elle acquit de nouvelles et
vastes provinces, mais flétries, mais dévastées, mais dé-
peuplées. Alors, la langue picarde ou le français wallon se
répandit dans les villes du Languedoc. La belle langue ro-
mane se perdit avec les antiques libertés du pays, comme
se perdit aussi sa civilisation toute romaine. Ces restes pré-
cieux d'un bel ordre social avaient pourtant trouvé grâce
devant le vainqueur d'Alaric ; mais Clovis était éclairé par
le christianisme pur et sans mélange de saint Rémi. Avec le
triste avantage d'arrondir le domaine des rois capétiens, les
provinces de la langue de Provence acquirent l'inquisition,
et se virent frauduleusement dépouillées de la plupart de
leurs franchises mimicipales. Despotes assez doux , les Ca-
pétiens n'en ont été que des ennemis plus dangereux pour
la liberté des peuples. Enfin, ces belles contrées, qui sous
leurs princes nationaux avaient marché en avant du reste
des Gaules dans la voie de la civilisation et de l'émancipation
intellectuelle, sont toujours depuis restées fort en arrière.
Aujourd'hui encore on peut y retrouver des traces flagrantes
des vingt années de la croisade albigeoise. A la révolution
de 1789 les fils des vieux Languedociens se réveillèrent;
ils se soulevèrent contre les descendants de familles impor-
tées chez eux par le farouche Montfort; et lorsqu'en 1815
quelques nobles de ce pays , issus de ces races étrangères ,
signalèrent dans nos assemblées délibérantes leur fanatisme
religieux et politique, leurs adversaires ne manquèrent pas
de leur rappeler ce précédent , indélébile aux yeux du pa-
triote provençal. Cii. Du Rozoir.
ALBliVI (François-Joseph, baron d' ), homme d'État
distingué, né à Saint-Goar, en 1748, débuta dans la carrière
politique en qualité de conseiller de régence au service du
prince-évèque de Wurtzbourg. En 1774 il fut nommé
assesseur au kanvncrgericht, et en 1787 conseiller intime
et référendaire de l'électeur de Mayence , fonctions qui le
mirent en relations directes avec l'empereur Joseph II, qui
l'honora de sa confiance toute particulière, et qui le chargea
de missions extraordinaires auprès de diverses cours d'Al-
lemagne. A la mort de ce prince il passa au service de
l'électeur de Mayence, en qualité de ministre et de chancelier
de cour. Son administration eut les suites les plus bienfai-
santes pour ce petit État; mais la guerre qui éclata en 1792
en détruisit les effets. Le baron d'Albini assista en 1797 au
congrès de Rastadt. Il conçut le plan d'une levée en masse
( Landsturm ) de l'Allemagne pour expulser les armées
françaises du sol allemand, et il se mit lui-même, en 1799, à
la tête de la landsturm de Mayence. L'électeur Fiédéric-
Charles-Joseph étant venu à mourir le 25 juillet 1802, au
moment où Albini dirigeait les négociations relatives aux
indemnités à répartir entre les différents princes de l'Empire,
celui-ci fit immédiatement prêter par les troupes et par les
ALBINI —
aiitoiités civiles serment de fuliUité a» nouvel électeur de
Dalben^ ; et comme il possédait toute sa conliance, leclian-
j;eineiit de W'i^ne n'apporta aucun clianijeniont dans Tadmi-
lûstration et les alVaires. Le baron d'Albini resta ('{ialeiuent
au service de l'électeur quand celui-ci eut été créé prince-
|)riuiat de Ratisbonne; et loisipi'il fut nommé {"rand-duc de
Trancfort , ce fut lui qu'il investit de la jirésidence de son
conseil. Le baron d'Albini, dans toute sa conduite politique,
resta toujours lidéle aux intérêts de rAllemagne ; et au mois
d'octobre lSi:î les puissances alliées lui donnèrent une
preuve de leur estime en lui confiant la présidence du con-
t-eil des ministres du grand-duclié de Irancfort dont elles
venaient de prendre possession. Il poidit néanmoins ses
autres emplois; aussi en 1S15 eutra-t-il au service au-
trichien, il venait d'être nommé ministre. plénipotentiaire de
cette puissance prés la diète germanique, lorsqu'il mourut
à Diebourg, le 8 janvier 1 8 lO, avant même que cette as-
semblée eiit commencé à fonctionner.
ALBIXOS. Ce mot d'origine portugaise ( Albïno, de al-
bus, blanc) a été appliqué à des individus qu'on rencontre
dans toutes les races humaines, et qui, loin d'offrir la colo-
ration propre à chacune d'elles, s'en distinguent surtout par
la rougeur des pupilles et la coloration blanche de la peau
et du système pileux, coloration qu'on a désignée sous le
nom à'albhiie ou (Talbinisme. A une époque fort reculée
on avait déjà recueilli des notions exactes sur les albinos;
l'iine le naturaliste en a parlé. Ils sont plus connnuas en
Afrique et dans les contrées équatoriales habitées par les
nègres que partout ailleurs; c'est ensuite en Américpie,
principalement au ^Mexique, au Brésil, en Colombie et aux
Antilles, qu'on les observe le plus fréquemment ; ils existent
aussi en petit nombre dans les Indes orientales , à Ceyian ,
aux îles de la Sonde, aux Moluques, aux Philippines, aux
lies des Amis et de la Société, et il n'est pas très-rare d'en
rencontrer en Europe. Selon Humboldt , l'état désigné sous
le nom à''aU)inie s'observe en général d'autant plus sou-
vent dans les diverses nations qu'elles ont la couleur de la
l>eau plus foncée et habitent un climat plus chaud : aussi
est-il peu commun dans la race cuivrée, et devient d'autant
plus rare que les naturels ont une peau plus blanche; rap-
port très-remarquable, si on le rapproche de cette observa-
tion de géographie zoologique , savoir : que la couleur
blanche est d'autant plus fréquente chez les animaux à l'é-
tat normal qu'on se rapproche davantage des pôles. — On
nomme les albinos dondos en Afrique , béders à Ceyian,
liacrelus ou kakerlahs à Java ; à l'isthme de Darien on les
appelle albinos; en France on les a décrits sous le nom de
blafards, de nègres blancs et d'albinos.
Leur peau est d'un blanc fade, souvent bouffie, quel-
quefois rude ou semée de rides ou de taches lenticulaires;
généralement un duvet fin et blanc, laineux chez quelques-
uns, recouvre tout leur corps. Tout le système pileux est dé-
coloré chez eux ; les cheveux sont habituellement d'une
grande blancheur, dans quelques cas d'un jaune sale et
comme roussis, longs ettrainanlsen Asie, laineux et frisés en
Alriqiie, ordinairement droits dans les autres contrées et res-
semblant aux poils blancs de la chèvre ; les sourcils et les cils
sont blancs connue la totidilé des poils , tantôt droits, tan-
tôt semblables au duvet de l'eider. L'iris est rouge sanguino-
lent, Tose pâle, bleu rosé ou bleu pâle , en même temps que
les pupilles offrent une rougeur iJiononcée très-caractéris-
tiipie. Les albinos sont généralement atteints de myopie ; et
il n'est pas rare, selon Siebold etMansfeld, de les voir frap-
pés de cécité pendant un temps plus ou moins long par la
persistance temporaire de la membrane pupillaiie ; prescpie
toujours ils sont nyctalcpes, c'est-à-dire qu'ils voient mieux
la nuit que le jour. La i)hysionomie des albinos est dépourvue
de mobilité; ils ont les lèvres décolorée?, une constitution
grêle et les chairs molles : leur taille est habituellement
médiocre. L'all}inisme s'observe plus fréquemment chez les
ALBINOS 2G1
femmes, lesquelles possèdent d'ailleurs tous les attributs de
leur sexe. Les albinos sont en général frappés d'idiotie; ce-
pendant on aurait tort de croire que tous les albinos olfrent
une lésion de l'entendement , car on a observé [ilusieurs al-
binos qui étaient très-distingués par l'étendue de leur in-
telligence. Comme les albinos offrent autant d'imperfections
physiques que d'infirmités morales, il en résulte naturelle-
ment pour eux, dans les contrées non civilisées, une grande
faiblesse et l'impossibilité d'attaquer et de se défendre.
Non-seulement l'albinisme, qui a été considéré pendant
longtemps comme une modification propre seulement à une
des deux races d'hommes , peut se produire chez toutes d'une
manière accidentelle , mais encore il apparaît chez les ani-
maux d'un ordre inférieur, et même plus souvent que dans
l'espèce humaine : c'est ainsi que Tiedemann cite un grand
nondjie d'animaux atteints d'albinisme, et que .^I. Is. Geof?
froy Saint-ililaire a rencontré cet étal à un degré plus ou
moins marqué parmi les mammifères et oiseaux sauvages et
domestiques , chez des poissons, et même dans queUjues
genres de mollusques. Qui n'a entendu parler des éléphants
blancs, si célèbres dans l'Orient, et que les Indiens vénéraient
parce qu'ils les croyaient animés par les âmes de leurs an-
ciens rois? De tous les phénomènes présentés par les al-
binos , les plus remarquables consistent dans la coloration
des yeux , de la peau et des poils. Dans l'état naturel , ces
parties sont colorées par une substance nommée pigmen-
tum, formée de molécules noires , insoluble dans l'eau et que
la plupart des auteurs rapportent aujourd'hui à la matière
colorante du sang. C'est à l'identité et au dépôt proportion-
nel du pigmentura dans les diverses parties du corps qu'est
dû le rapport habituellement signalé entre la couleur de la
peau, celle des yeux et celle des poils : si le pigmentian est
abondant, la peau est brune, les cheveux et les yeux sont
noirs ; et quand cette matière existe en quantité moindre ,
les cheveux restent blonds , les yeux bleus et la peau blan-
che : en sorte que l'intensité de coloration de ces parties du
corps est en raison directe de la quantité de pigmentum qui
y est déposée. C'est ce qui explique comment les albinos aux
yeux bleus forment un degré moins avancé de l'albinisme,
que ceux aux yeux rouges offrent au maximum , parce que
chez les premieis il y a absence moins complète de pigmen-
tum que chez les autres. La coloration des yeux , de la peau
et des poils chez les albinos s'explique donc par le défaut de
sécrétion plus ou moins complet du pigmentum dans ces
diverses parties , selon Blumenbach, soit que le réseau mu-
queux ou réticulaire de Malpighi n'existe point , ou que, s'il
existe, sa sécrétion soit très-incomplète. L'albinisme est
considéré par quelques savants , entre autres par Blumen-
bach , Otto , Sprengel et Blandin , comme une maladie orga-
nique , et par d'autres simplement comme une anomalie.
Jelferson, tîallé , Béclard et Mansfeld se montrent partisans
de cette dernière opinion. Les principales raisons qu'on fait
valoir pour considérer l'albinisme comme une maladie sont
celles-ci : la décoloration chez les albinos est jointe à une
grande débilité; la peau des nègres se décolore dans leurs
maladies ; l'exagération du tempérament lymphatique s'ac-
compagne d'une grande blancheur de la peau : placées dans
l'obscurité et l'humidité, les plantes s'étiolent, deviennent
malades et blanchissent; l'albinisme sévit souvent sur les
animaux mal nourris , soustraits à rinfluence delà lumière
et privés d'exercice. Les raisons qid militent en faveur de
l'albinie envisagée comme anomalie sont moins nombreuses:
celle qui consiste à l'attribuer à un arrêt de développement
[irésente une certaine valeur. 7tlais pour bien compiendre
cette explication il faut savoir que chez le foilus humain
l'ouverture de l'iris est fermée par une membrane dite pupil-
laire juscprau .septième mois de la grossesse ; que pendant
la vie iutra-utérine la peau est couverte d'un (luvet abon-
dant, et qu'au moment de la naissance, et surtout dans les
premiers mois de la gestation , l'enveloppe cutanée offre la
262 ALBINOS
même coloration chez tous les enfants, à quelque race qu'ils
appartiennent. Si on rapproche donc ces phénomènes de
ceux observés dans l'albinisme , on ne peut s'empêcher de
trouver entre eux la plus grande analogie ; car la persistance
«le la membrane pupUlaire s'observe chez quelques mdivulus,
la présence d'un duvet sur tout le corps se remarque chez
un grand nombre d'entre eux, et chez tous la blancheur de la
peau peut Ctre constatée. L'albinisme complet est toujours
congénial dans l'espèce humaine. Les albinos naissent quel-
quefois de parents blancs. On ne connaît pas de fait bien
avéré qui établisse l'aptitude des albinos de la race nègre à
se reproduire entre eux : les femmes albinos de cette race
non-seulement peuvent devenir mères, mais encore être
très-fécondes. En Europe, au contraire, les albinos sont
aptes à la propagation , comme l'ont prouvé les deux albinos
intelligents cités par Esquirol , lesquels se marièrent et cu-
rent tous deux des enfants non albinos et même très-bruns.
Quant à Valbinie partielle, les exemples en sont fré-
([uents et variés. En Ethiopie, la lèpre alphos et le vitiligo
sèment la peau de taches blanches qui se heurtent avec le
noir et caractérisent les nègres pies. Une autre variété de
ces derniers résulte quelquefois de l'union de deux noirs ou
d'un nègre et d'une femme blanche. Ou peut «lire que l'al-
binie congéniale est toujours incurable, et que la vie des al-
binos est généralement très-bornée ; cependant on cite quel-
ques raies exceptions à cette observation générale.
D"^ Alex. Dlcrett.
ALBIXOVAJVUS (C. Tedo), contemporain et ami
d'Ovide, qui, du fond de son exil dans le Pont, lui adressa
une lettre, se distingua dans la poésie épiiiue. D'un grand
poëmeoùil célébrait les hauts faits de Germanicus, un
petit nombre de vers seulement sont parvenus jusqu'à nous.
\\ crnsdorf les a recueillis dans son édition des PoeLv la-
tiiii minores {it vol. in-i" ). On lui attribue aussi une élégie
<|iii n'est pas sans mérite. Elle est intitulée : Consolatio ad
lAriam Aiigustam, de morte Drusï. Beck l'a puljliée
dans son recueil (Leipzig, 1783).
ALBINUS (Decius Clodius Sfitimus), général des ar-
mées romaines sous Marc-Aurèle, Commode etPertinax,
commandait en Bretagne, lorsque celui-ci fut assassiné. A la
nouvelle que l'empire avait été mis aux enchères par les sol-
dats, et que Didius Julianus, qui en avait donné le plus haut
prix, était proclamé césar, Albinus, Pescennius Niger, qui
commandait en Orient, et Septime-Sévère enlUyrie, irrités
de leur exclusion, marchèrent simultanément sur Rome pour
renverser Didius. Mais Sévère était le plus près ; ce fut lui
qui l'emporta. Apres avoir mis à mort Didius et les assas-
sins de Pertinax , il tourna ses armes contre ses deux com-
liéliteiirs. Pescemiius fut vaincu à Nicée , et Albinus, après
qiiehpies avantages, futdéfait complétementà Lyon, l'an 1 '.)7.
Sévère, devant lequel il fut amené prisonnier, lui fit tran-
cher la tète.
ALBIXUS (Bernhard-Siecfried), né le 24 février 1697,
à l"rancfort-sur-roder, oii résidait alors son père, liernliard
ALRiNis , dont le véritable nom , latinisé, suivant l'usage du
temps, était Weiss, et qui alla ensuite occuper la chaire de
médecine à l'Université de Leyde. Après avoir suivi les le-
çons de son père et celles de Rau , de Bidloo et de Boer-
haave, il viulétudierà Paris l'anatomie et la botanique sous
^Villslo^v, Senac et Vaillant. Dès 171!) il élait appelé à oc-
cuper la chaire d'anatomie à Leyde. Après la mort de son
père ( 1721 ), il le remplaça dans sa diaire de médecine et
d'anatomie, et devint bientôt l'une de•^ gloires de l'école de
Leyde, non-seulement comme prolesseuret comme écrivain,
mais encore comme praticien. On le considérait comme lé-
iniile et l'égal de Boerhaave, et il ét:iiî d'ailleurs des pre-
miers à rendre hommage à la simplicité des principes de
cet oracle de la médecine moderne. Son amphithéâtre ne réu-
nissait pas .seulement une foule d'étudiants , mais attirait
encore de toutes les parties do rEuro])e un grand nombre de
— ALBOIN
médecins. De toutes parts les malades affluaient autour de
lui ou le consultaient par voie de correspondance. On rend
universellement justice aux services qu'il rendit à l'anatomie;
et ses nombreux ouvrages occuperont toujours une place
honorable dans les archives de la science , parce qu'il y mit
constamment le soin le plus consciencieux , souvent même
le plus minutieux , ne reculant devant aucune espèce de
dépense pour les porter aussi près que possible de la per-
fection. Nous devons surtout mentionner ici ses Tabulx
sceleti et musculorum corporis huynuni (Leyde, 1747,
in-fol.), ornées de magnifiques planches gravées par Wande-
laar, et dont la publication ne lui coûta pas moins de 30,000
florins. Il poursuivit sans relâche ses travaux scientifiques
et littéraires prescpie jusqu'au dernier moment de sa vie,
et mourut le 9 septembre 1770. — Son frère, Frédéric-
Bernard Albinus, qui lui succéda dans sa chaire, et qui
mourut en 177S, bon anatomiste et savant physiologiste ,
ne saurait cependant lui être comparé.
ALBION, ou Britannia major; c'est ainsi que les
Romains nommaient l'île qui forme aujourd'hui l'Angle-
terre et l'Ecosse , pour la distinguer du pays qu'ils appe-
laient l?n/(7«nja 7H(?20J' ( aujourd'hui la Bretagne, province
francai.se). Sprengel , dans V Histoire générale de la Grande-
Bretagne, prétend que le nom d'Albion est d'origine gal-
lique , et que c'est le même mot qu'Alban ou Alhain , qui
dans la langue des Highlanders désigne aujourd'hui les Hi-
ghlands d'Ecosse. Cest, selon lui , le pluriel du mot Alp ou
Ailp , qui signifie chaîne de rochers; et ce nom , dit-il , a
été donné à la Grande-Bretagne , parce que les côtes d'An-
gleterre, vues du rivage opposé de la Gaule ou France, figu-
rent une longue suite de roches escarpées. D'autres croient
que le nom d'Albion doit son origine à la couleur blanche
des roches de craie qui forment le rivage méridional de
l'Angleterre.
ALBITE (du latin albidus, blanchâtre ), espèce de
feldspath à base de soude , dont la forme primitive est un
prisme oblique non symétrique, et qui offre trois clivages,
non à angle droit. C'est un silicate d'alumine et de soude.
L'albite est l'ancien schorl blanc du Dauphiné. Les pre-
mières variétés connues étaient toutes d'un blanc mat ou
laiteux ; il en existe aujourd'hui de plusieurs couleurs.
ALBITTE (AsToiNE-Louis) était avocat à Dieppe
lorsque la révolution éclata. Envoyé à l'Assemblée législative,
en 1791, par le département de la Seine-Inférieure, il se
mêla de l'organisation militaire, demanda la démolition de
toutes les fortifications des villes de l'intérieur, et le 1 1 août
1792 il fit décréter le renversement des statues des rois et
leur remplacement par celle de la Liberté. Réélu à la Con-
vention, il demanda qu'on vendît les biens des émigrés,
vota la mort de Louis XYI, sans appel et sans sursis, et le
215 mars 1793 il lit décréter la peine de mort contre les
émigrés, armés ou non armés, qui souilleraient de leur
présence le territoire des pays envahis par les Franç^iis.
Envoyé comme commissaire aux armées des Alpes et d'Italie,
il fit preuve d'énergie et de courage au siège de Toulon. Il
fut ensuite chargé de plusieurs missions dans différents dé-
partements. Accusé d'avoir pris part au mouvement insur-
rectionnel du 1'^'" prairial, Albitte fut condamné à mort par
contumace. Après l'amnistie du 14 brumaire an IV, ildevint
maire de Dieppe, et ensuite sous-inspecteur aux revues. Il
mourut de misère en 1812, dans la retraite de Moscou.
ALBOIN, roi des Lombards, succéda, en l'an 561, à
son père Audoin. Sa domination s'étendait sur la Norique
et la Pannonie, pendant que Kunimund, roi des Gépides,
régnait sur la Dacie et la Syrmie, et que Bajan ou Kagan,
roi des Avares, achevait de soumettre les contrées que re-
présentent aujourd'hui la Moldavie et la Valachie. B é 1 i s a i r e,
général de Juslinien, rechercha son alliance, et fut secondé
par lui dans la guerre ipi'il eut ii soutenir contre loti la,
loi des Ostrogolhs. Uni aux Avares, il vainquit les Gépides
ALBOIN —
et tua Je sa propre main leiir roi Kuniiiiund, dans uno
grande baLtille livrt'e en âC6. A la mort de sa leninie Klo-
doiMJiida, il opoiisa Rosamunde , fille de Kunimund, qui
se trouvait au noml»e de ses prisonniers, lùn l'an ôGS il en-
treprit avec son peuple et 20,000 auxiliaires saxons la con-
quête de l'Italie, oii Narsès, qui avait soumis cette contrée
à Juslinienet en avait été fort mal récompensé, trouva en lui
un vengeur. Chaque année il faisait de nouveaux progrés
dans la péninsule; car il n'y avait qu'un bien petit nombre de
villes qui osassent lui résister. Après un siège qui avait duré
trois ans, Pavie tomba enfin en son pouvoir. Dans l'ivresse
d'une fête célébrée à Vérone, ayant présenté du vin à sa fem-
me dans le crâne de Kunimund, celle-ci le fit assassiner, en
574, par Helmicbis, son amant, et par Peredecus. Kosa-
munde se réfugia avec Helmicliis à Ravenne auprès de
l'exanjuc grec Longin. Longin s'étant mis sur les rangs pour
obtenir sa main, Rosamunde présenta du poison à Helmi-
cbis; mais HeJmichis, pressentant la trahison, la contraignit
à boire elle-même le restant de la coupe fatale.
xVLBOX ( Famille d' ). Le comté d'Albon , après avoir
appartenu aux dauphins du Viennois de la première race,
de^int le patrimoine d'une des plus anciennes et des [ilus
illustres maisons du Dauphiné , qui a pour premier auteur
André d'Albon, seigneur des Acris, au Mont Dore, vers 1250.
Jacques d'Alboi; , seigneur de Saint-André, maréchal de
France , issu d'André à la neuvième génération, fut un des
plus grands capitaines de son époque. Il est devenu célèbre ,
sous le nom de maréchal de Saint-André, par ses exploits
et par la faveur du roi Henri II. H était, disent les mémoires
du temps, brave, bien tait , magnifique, insinuant, qualités
qui lui acquirent l'amitié de ce prince encore dauphin. Saint-
André se distingua à la bataiHe de Cerisoles et au siège de
Boulogne , pendant lequel il fit d'inutiles efforts pour se
jeter dans la place. Henri n l'honora , en 1547, de la dignité
de maréchal de France , puis de celle de premier gentil-
tiomme de sa chambre. Il commandait à la bataille deRenty,
et en 1557 à celle de Saint-Quentin, où il fut fait prisonnier
« l'épée sanglante à la main, » La journée de Dreux, en
1562 , lui fut encore plus funeste. Après l'action, s'étant mis
avec trop d'ardeur à la poursuite des fuyards, son cheval
s'abattit, et un gentilhomme huguenot , l'ayant reconnu, lui
caisa la tôte d'un coup de pistolet. C'était le dernier rejeton
de la branche cadette de la maison d'Albon.
André-Suzanne, marquis d'Albon, issu d'une autre bran-
che héritière de la seigneurie d'Yvetot, dont les possesseurs
avaient porté quelque temps le titre pompeux de roi , na-
quit à Lyon, le 15 mai 1761. De retour de l'émigration en
1801 , il vécut dans la retraite jusqu'en 1813, époque où
il fut nommé maire de Lyon par l'empereur. Lors des évé-
nements de 1814 il se déclara un des premiers contre son
nouveau protecteur, et refusa des armes aux bourgeois qui
voulaient défendre leur ville contre les armées autrichien-
nej. Nommé membre de la chambre des députés en 1816,
il y vota constamment avec la majorité , et se montra l'un
des pins chauds partisans de la loi contre les régicides. L'exa-
gération de ses principes ayant fait repousser, en 1817, sa
nouvelle candidature , il resta éloigné des affaires politiques
jusqu'en 1827, où une ordonnance en date du 5 novembre
l'appela à la pairie. Éliminé de la chambre haute par la ré-
volution de juillet, il alla mourir à Avauge, près Tarare, en
1834. Il avait épousé la fille unique du marquis de Vien-
nois, dernier descendant mâle d'Amédée de Viennois, fils
naturel de Humbert H de la Tour-du-Pin, qui avait cédé
le Dauphiné à Philippe de Valois en 1344. De ce mariage
il a laissé trois fils.
ALBOM ( Marietta ), comtesse de PEPOLI, célèbre
cantatrice, est née en 1824, à Cesena, dans laRomagne. Son
père lui fit donner une éducation soignée, et elle parle plu-
sieurs langues avec facilité. Un musicien de sa ville natale lui
donna les premières leçons de solfège. A onze ans elle savait
ALBORNOZ
263
! liretoutcmusiqucâ première vue. Ses parents l'ayant conduite
plus tard à Bologne, la présentèrent à Rossini, qui après
l'avoir entendue , lui conseilla de recommencer ses études
de chant, et lui donna à ce sujet des conseils et des leçons.
Mademoiselle Alboni avait à peine quinze ans quand elle
débuta à Bologne, au théâtre communal. De là elle passa
sur la vaste scène délia Scala, à Milan , et le retentissement
de ses triomphes d'Italie la conduisit bientôt en Allemagne,
en Russie, en Angleterre, où elle balança les succès de ma-
demoiselle Jenny Lind. Un dernier bonheur lui manquait
pourtant, c'était l'approbation parisienne. Elle débuta à
notre grand Opéra au mois d'octobre 1847, mais seulement
dans des concerts. Elle passa ensuite au Théâtre Italien,
où elle joua te rôle d'Arsace, dans Semiramide. Depuis elle
a paru alternativement sur l'une et l'autre scène.
« La voix de mademoiselle Alboni, disait M. Berlioz, est
un contr'alto magnifique , d'une immense étendue (deux oc-
taves et une sixte ; presque trois octaves , du mi grave
à I'm^ aigu), dont la sonorité est parfaite partout, même
dans les dernières notes du registre inférieur, notes fâ-
cheuses chez la plupart des cantatrices qui croient posséder
un contr'alto, et dont l'émission a presque toujours l'air
d'un râlement , notes hideuses en ce cas , et qui révoltent
l'oreille. La vocalisation de mademoiselle Alboni est d'une
grande légèreté , peu de soprani se montrent aussi agiles.
Les registres de sa voix sont si parfaitement unis entre eux,
que dans les gammes on ne sent jamais le passage d'un re-
gistre à l'autre ; le timbre en est onctueux , caressant, ve-
louté, mélancolique, comme celui de tous les contr'alti, mais
moins sombre cependant que celui du contr'alto de la Pisa-
roni et incomparablement plus pur et plus limpide. Comme
les sons naissent sans effort, cette voix est propre à toutes
les nuances ; aussi mademoiselle Alboni peut-elle chanter
depuis le piano le plus mystérieux jusqu'au /or^e le plus
éclatant. »
En 1850 M"« Alboni joua le rôle de Fidès, du Prophète,
après M™^ Viardot, à l'Opéra. Elle fit ensuite un voyage à
Madrid. L'année suivante elle obtint un grand succès à Paris,
dans la Favorite, et créa le rôle de Zerline dans la Corbeille
d'oranges de M. Auber. En 1852 elle visita l'Amérique, et en
1853 elle épousa le comte Pepoli. Elle a encore obtenu de
nombreux succès à Londres et à Paris dans il Barbiere,
la Gazza ladra, don Juan, la Doua del Lago, la Cene-
reniola,il Trovatore,l' Italiana in Algeri, il Giuramento,
il Matrimonio segreto, etc. Simple et gaie de caractère,
elle a su se faire aimer de ses camarades ; un peu trop de
santé nuit peut-être maintenant à son jeu, mais la beauté
de sa voix efface tout. L. L.
ALBORAK, mot arabe qui signifie ;e^er des éclairs.
C'est le nom de la jument miraculeuse sur laquelle Mahomet
monta de la Mecque au ciel, à ce qu'assurent les musul-
mans. Ils ajoutent à cette merveilleuse légende que le divin
quadrupède était pourvu d'ailes ; qu'il avait la face humaine;
qu'à la faculté de penser il unissait celle de parler; enfin,
que sa robe était toute scintillante de diamants, de rubis
et d'émeraudes. — Ce nom à^Alborak fut donné au mer-
veilleux animal, soit à cause de son éblouissante blancheur,
soit à cause de l'incroyable vitesse dont il était doué, et
qui était telle qu'il put conduire Mahomet au ciel et le ra-
mener sur la terre en moins de temps encore qu'il ne nous
on faudrait pour remuer l'œil.
ALBORDJ. Voyez Elbours,
ALBORXOZ (Gilles-Alv\rez-Carillo), issu par son
père des rois de Léon et par sa mère de ceux de Castille,
naquit à Cuenza, dans le royaume de Tolède , et fut promu,
très-jeune encore, au siège archiépiscopal de Tolède, par
Alphonse XI. Après avoir étudié à Toulouse le droit-canon,
il avait déjàélé nommé archidiacre à Tolède, puis aumônier
de la cour, lorsque ces hautes fonctions lui furent confiées.
Albornoz esttont à fait le type du prélat guerrier au moyen
264 ALBORNOZ
A^fl. C'est ainsi que nous le voyons suivre le roi sonprotec-
tuiir dans ses campagnes conlre les Maures, et lui sauver
la vie par sa bravoure et sa présence d'esprit à la baLiille de
Tarifa, action d'éclat en récompense de laquelle 'Alphonse
l'arma chevalier. Plus tard il lui confia la direction du sii^ge
d'AlKésiias. Sous le règne de Pierre le Cruel, successeur d'Al-
phonse XI, Albornoz ne jouit pas de la même faveur; et ayant
o>é blûmcr la conduite dissolue de ce prince, il dut se ré-
fugier, en 1350 , à Avignon, auprès du pape Clément VI, qui
le nomma cardinal dès la même année. Innocent AI, succes-
seur de Clément VI, mit à profit les talents guerriers d'Al-
bornoz, et le chargea de reconquérir les États de l'Église;
entreprise aussi hardie que périlleuse , mais qui réussit com-
plètement, grice au soin qu'avait eu Albornoz d'intéresser
à son succès le fameux tribun Colas Rienzi, qu'il ramena
avec lui d'Avignon à Rome, où il fut reçu avec enthousiasme.
Montetiascone, Vitcrhe, Orvieto, étaient déjà tombés en son
pouvoir, lorsque Albornoz se vit rappelé à Avignon (1.357 ).
Son successeur perdit bien vite tous les avantages obtenus par
Albornoz. Celui-ci, remis à la tète des troupes pontificalas,
eut bientôt rétabli les affaires, et, moins de trois mois
après , la conquête et la pacification des Élats de l'Église
étaient si complètes, qu'il put engager Urbain V, successeur
d'Innocent VI, à reprendre la route d'Italie et à rétablir à
Rome le séjour de la cour pontificale. Albornoz mourut
à Viterbe en 1307.
ALBOUIS. Voi/ez Dazincolrt.
ALBRECUTSBERGER ( Jew-Georces), l'un des
plus savants contrepointistes des temps modernes, naquit
le 3 février 1729 à KIosterNeubourg près de Vienne, et
eut pour maître d'accompai;nement et de composition l'or-
ganiste de la cour, Mann. Après avoir rempli les fonctions
d'organiste à Raab, puis à Maria-Taferl, et plus tard à Mœlk;
il fut nommé en 1772 organiste de la cour et membre de
l'Académie de musique, et en 1792 maître de chapelle de
Saint-Étienne à Vienne , où il mourut le 7 mai 1809. Beetho-
ven et le chevalier de Seyfried furent au nombre de ses
élèves pour le contrepoint. Ses nombreuses compositions
de musique religieuse, dont vingt-sept seulement ont été
imiirimées, et son Traité de Composition (Leipzig, 1790,
troisième édition, 1821 ), conserveront toujours une grande
valeur. Ses ouvrages théoriques sur la basse générale, les
principes d'harmonie, etc., ont été publiés par le chevalier
de Se\fried (3 vol.; Vienne, 1826).
ALBREDA, ancienne factorerie française ou comptoir
situé sur la rive septentrionale de la rivière Gambie (côte
occidentale d'Afrique), a été cédée par l'empereur des
Française la reine de la Grande-Bretagne, en vertu d'une
convention du 7 mars 1857, en échange de la renonciation de
la part des Anglais du droit de trafiquer depuis l'embouchure
de la rivière Saint-Jean jusqu'à la baie et au fort de Portendic
inclusivement. Z.
ALBRET, dynastie qui a régné sur la Navarre. Elle
tire son nom du château d'Albret, dans le diocèse de Bazas,
et remonte jusqu'à fan 1050, époque où vivait un Amanieu,
seigneur de ce fief. Jean d'Albret II, le quinzième seigneur
de cette maison, épousa Catherine, petite-fille de Gaston IV,
comte de Foix et de Bigorre, et roi de Navarre par son ma-
riage avec la reine Éléonore. Catherine apporta ce royaume
en dot, l'an 1484, à son époux, Jean d'Albret, qui fut
couronné à Pampelune, le 10 janvier 1494. Ferdinand V,
roi d'Aragon et de Castille, après l'avoir longtemps amusé
par des négociations sans résultat, manifesta tout à coup
son dessein secret de s'emparer de la Navarre. Leduc d'Albe
chassa Jean d'Albret de sa capitale, en juillet 1512. Le roi
de France Louis XII, dont ce malheureux prince vint à
Paris implorer le secours, y envoya le duc de Valois, qui
fut depuis François 1". Les deux princes parurent un mo-
ment devant Pampelune; mais une nouvelle armée de Fer-
dinand .e Catiiolique leur en fit lever le siégo, et Jean d'Al-
— ALBUM
j bret , abandonné par la France, fut réduit h la partiede ses
États qui était en deçà des Pyrénées. Le chagrin termina sa
vie; il mourut au mois de juin Ijlo , et Calherine lui sur-
vécut à peine huit mois. — Henri H , l'alné de leurs
quatorze enfants, succéda au titre de roi de Navarre sous la
protection de François I". 11 tenta de reprendre Pampelune;
mais .son général fut battu par le général de Charles-Quint,
et la Navarre espagnole resta sous la domination de ce
prince. Henri II alla se faire prendre à la bataille de Pavie;
mais, plus heureux que François I", il se sauva de sa
prison, épousa, en 152G, Marguerite de Valois, et mourut
à Pau en Béarn , en 1555, à l'âge de cinquante-trois ans.
— Jeanne d'Albret, fille unique de Henri H, épousa en
1548 Antoine de Bourbon, et fut la mère de Henri III, qui
devint notre Henri IV. Viennet, de l'Académie française.
ALBRIZZl (Isabelle THÉOTOKI, comtesse d'), sur
nommée par lord Byron « la M""^deStaèl de Venise, » née à
Corfou en 1770, morte à Venise en 1836, a publié des Ai-
iratti ou portraits de ses contemporains (Brescia, 1807), et les
Opère di plastica di Canova ( 1 822 ). Elle était veuve de Ma
rino lorsqu'elle épousa le comte Joseph Albrizzi. Z.
ALBUFÉRA, lac poissonneux assez considérable, qui
cependant se dessèche en partie et forme une espèce de
marais pendant l'été. Il est situé au nord de la ville de Va-
lence en Espagne, et communique avec la mer Méditerra-
née au moyen d'un canal étroit. C'est de ce lac que vient le
titredediic d'Albuféra que reçut le maréchal Suc het pour
avoir enfermé et fait prisonnier dans Valence le général
anglais Blake, après un combat livré près de ce lac. Valence,
ouvrit ses portes aux Français le 9 janvier 1812.
ALBUFÉRA (Duc d'). Voyez Suchet.
ALBUGIXÉE ( Membrane ). On donne ce nom , ou
celui de membrancfibreuse ou péritestc , à une membrane
analogue à la sclérotique, forte, très -résistante, d'un blanc
opaque, d'un tissu serré et fibreux, qui enveloppe immé-
diatement le testicule. Sa surface externe est tapissée par
la tunique vaginale, et l'interne, appliquée sur le paren-
chyme du testicule, lui envoie des prolongements filiformes
ou aplatis, qui se dirigent tous vers le bord supérieur de cet
organe, et partagent l'intérieur de la tunique albuginée en
plusieurs loges triangulaires occupées par les vaisseaux sé-
minifères.
ALBUGO ( du latin albus, blanc). On désigne sous ce
nom une tache blanche et opaque ayant son siège sur une
partie de la cornée transparente de l'œil. Cette tache, va-
riable dans sa forme, est plus dense au centre qu'à la circon-
férence ; elle est bleuâtre quand elle commence à paraître,
et blanchâtre quand elle est tout à fait formée. L'albugo est
produit par l'cpaississement de la muqueuse conjonctive
qui ta|)isse la cornée, ou par l'épanchement d'un liquide
qui se coagule entre les lames de la cornée. Il arrive sou-
vent à la suite d'une ophlhalmie violente; dans certaines
maladies, comme la syphilis, les dartres, les scrofules, on
l'a vu se développer spontanément. Lorsque la tache existe
à la partie superficielle de la cornée, on la nomme
leucoma. L'albugo est connu aussi généralement sous le
nom de taie.
ALBUilERA ou ALBUERA, bourg d'Estramadure,
est célèbre parla bataille qui se livra sous ses murs, le 16 mai
1811, entre le maréchal Beresford, à la tète d'une armée
(le trente mille .\nglais, Espagnols et Portugais, et le maré-
chal S ouït, qui n'avait guère que vingt-cinq mille hommes
sous ses ordres, mais qui compensait cette infériorité nu-
mérique par une artillerie formidable. Le marchai Soult
voulait faire lever le siège de Badajoz, aux Anglais; mais il
dut battre en retraite sur Séville, après avoir perdu neuf
mille hommes. Lesconfedérés n'évaluèrent leur propre perte
qu'à sept mille hommes.
ALBUM. Ce mot, chez les Romains, désignait des fa-
blettes blanches sur lesquelles on écrivait des renscign&.
y^
ALBUM — ALBUQUERQUE
2 G.
meiits oflkiels. Ou distinguait ces tablettes les unes des an-
tres par le nom des diverses autorités : par exemple, l'a/-
bum pon///à'Mm était la chronique de l'État. C'est pourquoi
le mot album sert aussi à désigner les mafricules ou re-
gistres sur lesquels on inscrit les noms des personnes qui font
partie d'une association quelconque, d'un corps de troupes,
d'une corporation ou communauté ; puis les tables d'an-
nonces^ ou planches noires des universités, et les Stariim-
buch, proprement dits livres généalogiques, ou recueils de
souvenirs. — Un album est une sorte de portefeuille , très-
commun en Allemagne et dans le nord de l'Europe, en
Suisse, en Angleterre, etc., composé de feuilles détachées,
reliées souvent avec beaucoup de luxe et d'élégance, sur
lesquelles les personnes que Ton désire pouvoir se rappeler
écrivent leurs noms , des pensées en prose ou en vers, des
romances et des airs notés, peignent des portraits ou des
fleurs, dessinent des paysages, des sites curieux, dos monu-
ments remarquables, ou bien placent des ouvrages en che-
veux, en broderie, etc., et consacrent ainsi , d'une manière
plus ou moins expressive et ingénieuse, leurs sentiments ou
leurs souvenirs. — L'a/ÔMm et l'agenda sont deux sortes
de livrets, dont la destination est très-différente. — Valbum
est le livre du passé; c'est un mémorial, dépôt de souve-
nirs, qui fait passer rapidement en revue les personnes que
l'on a connues, que l'on a aimées , les lieux que l'on a par-
courus. M.-A. JCLLIEN, de Paris.
ALBUMAZAR. Voyez Aboo-Maschar.
ALBUilEA', nom latin du blanc d'œuf. — En bota-
nique, ce mot est synonyme d 'endosper me.
ALBUAIIAE (du latin albumen, blanc d'œuf). Cette
.substance, qui forme presque à elle seule le blanc d'œuf, fait
partie constituante de nos tissus, en particulier du sang;
l'humeur vitrée de l'œil n'est presque formée que d'albu-
mine. On en troure en quantité plus ou moins grande dans
la synovie articulaire, dans l'eau de l'Iiydrocèie, de l'ascite,
de plusieurs kystes, dans les tissus blancs en général, dans
les muscles, etc. L'urine en contient dans la néphrite
albu mineuse. Quelques chimistes modernes regardent
l'albumine comme l'équivalent de la fibrine.
L'albumine liquide est visqueuse, transparente, incolore,
plus {»esante que l'eau, dans laquelle elle semble soluble,
légèrement alcaline à cause de la petite portion de soude
qu'elle contient : à la températiu-e de -|- 74° cent, elle se
coagule: elle est alors solide, blanche, insoluble dans l'eau
et soluble dans les alcalis et dans l'acide acétique. Desséchée
au soleil, elle fournit une masse jaunâtre, parfaitement
soluble dans l'eau froide. Les acides un peu forts , excepté
les acides phosphorique et acétique, se combinent avec elle,
et donnent lieu à des précipités. M. Melsens l'a coagulée par
des actions mécaniques.
L'albumine du blanc d'œuf est composée, selon RL Dumas,
de 5,337 de carbone, 7,10 d'hydrogène, de 15,77 d'azoto,
23,76 d'o>ygène, etc. L'albumine du sérum de l'homme
contient 0,05 de moins de carbone, 0,19 de plus d'hydro-
gène, 0,07 de moins d'azote , et 0,07 de moins d'oxygène.
L'albumine de la farine contient 0,37 de carbone de plus
que celle du blanc d'œuf, 0,01 de plus d'hydrogène, 0,11 de
moins d'azote , et 0,26 de moins d'oxygène : l'albumine de
l'œuf renferme en outre du mucus, de la soude et du soufre.
L'albumine est employée comme aliment léger dans cer-
taines maladies, dans les convalescences, dans les gastrites
chroniques. Dans ce dernier cas , on prépare des blancs
d'œuf très-frais, en les écrasant et en les faisant passer par
un filtre, afin de séparer l'albumine de la rnembranule al-
véolaire qui la renferme dans les œufs; on la délaye dans de
l'eau ou dans du bouillon froid. On peut aussi édulcorer la
solution aqueuse et la donner comme tisane. A l'extérieur
l'albumine est plus souvent employée en médecine. On s'en
servril autrefois dans le traitement des fractures par l'appa-
reil inamovible, oii on Li iem|)lace aujourd'hui par l'amidon
Li.i-i. hi. L.\ c^;.^vtllbAllo^■. — i. i.
ou la dextriiie. Dans le premier pansement des biftlures, on
se sert utilement du blanc d'unif battu, dans lequel on mêle
de l'alun en |)Oudre ou de l'acétate de plomb liquide; des
linges sont trempés dans ce mélange, et appliqués sur les
parties malades. L'albumine est encore employée dans les
arts ; les pharmaciens, les raffineurs et les confiseurs s'en
servent pour clarifier à chaud ou à froid différentes li(|ueurs :
à chaud, l'albumine se coagule et entraîne avec elle les im-
puretés ; h froid , elle est coagulée par le tannin, et le même
phénomène est produit. Les relieurs se servent de l'albumine
pour vernir les livres.
[En soumettant' les liquides albumineux à l'épreuve de
l'endosmomètre, MM. Mialhe et Pressât ont reconnu que
l'albumine, franche de toute altération, ne passait jamais
d'une cellule dans l'autre, d'où ils ont conclu que l'albumine
du sang, comme celle du blanc d'œ-uf, est une suhstancii
véritablement organisée, suspendue, mais non dissoute dans
l'eau qui lui sert de véhicule. Cependant, pour entrer dans
l'économie, il faut que l'albumine passe à l'état liquide; elle
se transformerait alors en une substance isomérique que
MM. Mialhe et Pressât nomment albumïnose. Pour cette
transformation, l'albumine passerait d'abord par un état
moyen dans lequel déjà soluble elle constituerait l'albumine
amorphe. Sous ces trois états isomériques, l'albumine aurait la
môme composition chimique, mais, bien que toujours pré-
cipitable par les sels de plomb, d'argent, de mercure, par
la créosote, le tannin, l'alcool, etc., l'albumine se laisse-
rait distinguer sous ces états divers par la manière dont
elle se comporte avec la chaleur et l'acide nitrique. Le
passage de l'albumine dans les urines aurait ainsi sa cause
dans une modification anormale de l'albumine du sang
plutôt que dans une affection spéciale des reins. Z.]
ALBOII\URIE. Voyez Néphrite albumineuse,
ALBUQUERQUE (Alphonse d'), vice-roi des Indes,
surnommé le Grand et le Mars portugais, naquit à Lis-
bonne, en 1463, d'une famille issue du sang royal. Sa na-
tion se distinguait dans ce siècle par son héroïsme et par le
génie des découvertes ; elle avait découvert et soumis une
grande partie de la côte occidentale de l'Afrique, et commen-
çait aussi à étendre sa domination sur les mers et sur les
peuples de l'Inde. Alhuquerque, nommé vice-roi de ces
nouvelles possessions, aborda le 26 septembre 1503, avec une
Hotte et quelques troupes, sur la côte de Malabar, conquit
Ooa, doHt il fit le centre de la domination portugaise et du
commerce en Asie. Il soumit ensuite tout le Malabar, l'ile
de Ceyian, les lies de la Sonde et la presqu'île de Malacca.
En 1507 il s'empara de l'île d'Ormus, à l'entrée du golfe
Persique. Lorsque le roi de Perse fit réclamer le tribut que
les princes de cette lie avaient acquitté jusque-là, Alhuquer-
que présenta aux envoyés une balle et un sabre, et leur dit :
« Voilà en quelle monnaie le Portugal paye son tribut. » Il
fit respecter le nom portugais par tous les peuples et par tous
les princes de l'Inde ; et plusieurs , en particulier les rois de
Siam et de Pégou , recherchèrent son allianceet sa protec-
tion. En 1513 il fit une expédition dans l'Arabie Heureuse ;
mais il échoua , et ne fut pas plus heureux lorsqu'il renouvela
une seconde tentative contre Ad en. Toutes ses entreprises
avaient quelque chose de grand et d'extraordinaire. Il main-
tenait une sévère discipline dans son armée ; il était actif,
prévoyant, sage, humain, équitable, estimé et craint de ses
voisins, aimé de ses sujets. Ses vertus firent une telle im-
pression sur les Indous, que longtemps encore après sa
mort ils se rendaient en pèlerinage à son tombeau pour hii
demander son assistance contre les vexations de ses suc-
cesseurs. Malgré la grandeur de ses services , il ne put
échapper à l'envie des courtisans et à la défiance du roi
Emmanuel, qui envoya Lopez Soarez, ennemi personnel
d'Albuquerque, pour lui succéder dans le poste de vice-roi.
Il supporta cette ingratitude avec un profond chagrin, écri-
vit une courte lettre au roi pour lui rccooimander tou
34
•266
tils unique, et mourut quelques jours après à Goa , l'an
1515. Emmanuel lionora sa mémoire par un long repentir
et éleva le fils d'Albuquerque aux premières dignités de
l'État. — Le fils du grand Albuquerquc, Z?/aJ5e-^l^p/ionse
d'Alblqlerque, a publié les mémoires de son père ( Lis-
bonne , 1570, in'fol.).
ALBUS ou Pfennig blanc, petite monnaie d'argent qui
fut frappée à partir de l'an 1360, sous le règne de l'empereur
Charles IV, et qui avait surtout cours dans l'électorat de
Cologne et dans la Hesse-Cassel. Elle valait neuf pfennigs,
mais n'e;;t plus aujourd'Inii en wage.
ALCAliALA ou ALCAVALA, tribut prélevé sur le
prix des ventes publiques en Espagne et dans les pays de
la domination espagnole. Il fut pour la première fois voté
par les États de Castille à Alcala de Ilénarès, en faveur du
roi Alphonse II, vers l'an 1.130. Cet impôt ne devait servir
qu'à la conquête de la ville d'Algésiras, puis à la guerre
contre les Maures ; mais il devint ensuite permanent et fut
basé sur le dixième du prix de toutes les marchandises.
ALCADE (en espagnol a /crtWe), mot dérivé de l'a-
rabe al cadh, le cadi, qui sert à désigner en Espagne des
magistrats qui ont remplacé le cadi musulman après l'ex-
pulsion des Maures. Les attributions des alcades sont à la
fois de l'ordre civil et de l'ordre judiciaire. Il y en a de plu-
sieurs sortes. Les principaux sont les alcades nommés par
voie d'élection dans les villes. Ce sont des espèces de juges
et d'officiers municipaux. Us portent comme marque de leurs
fonctions une longue baguette blanche ornée d'une main
d'ivoire. Il y a, en outre, Y alcade de casa cor te y rastro ,
alcade de la maison et cour du roi ; Yalcade de obras y
bosques, alcade des bâtiments et forêts, avec juridiction
civile et criminelle sur les maisons et forêts royales hors de
Madrid ; Yalcade de noche, alcade de"nuit ; Yalcade alamin,
juge pour les arts et métiers ; Yalcade de la inesta, nommé
pour connaître des contestations qui peuvent naître dans le
commerce des bêtes à laine.
ALCAÏQUE, espèce de vers inventé par Alcée, et
([u'on retrouve fréquemment dans la poésie lyrique grecque
ou latine. Le vers alcaïque se compose de quatre pieds , un
épitrite, deux choriambes, et un bachique. Horace l'a adopté
dans un grand nombre de ses odes ; il a aussi été employé
par plusieurs poètes allemands, en particulier par Klopstock
dans son Ode au Rédempteur et dans celle à Fanny. Il y
a aussi le vers alcaïque-dactyliqiie , qui commence par un
ïambe ou spondée, suivi dun second ïambe, d'une césure,
et de deux dactyles, ou bien encore qui se compose de deux
dactyles et de deux trochées. — On nomme également
alcaïque une sorte d'ode grecque ou latine dont chaque
strophe a quatre vers qui sont : les deux premiers, alcaïques-
dactyliques; le troisième, ïambique; et le quatrième, al-
caïque simple.
ALCALA , nom arabe commun à plusieurs villes d'Es-
l)agne. Les plus importantes sont : Alcala de Ilénarès, dans
la Nouvellc-Caslille, à trois myriamètres à l'est de Madrid,
sur le Hénarès , l'un des affluents de la rive droite<du Tage;
et Alcala la Real, en Andalousie. — Alcala de Hénarès ,
l'ancien Complutum des Romains, ruiné au neuvième siècle,
est le siège d'une université fondée en 1499, par le cardinal
Ximénès, et dont la réputation s'étendait autrefois en tous
lieux. Ce fut par les soins des membres de ce corps savant,
et aux frais de son protecteur, que fut imprimée dans cette
ville la célèbre Cible polyglotte (textes hébreu , chaldéen ,
grec et latin ) dite de Complute. — Cervantes était né à
Alcala de Hénarès.
ALCiVLESCENCE. En chimie ce mot se prend dans
un sens actif et dans un sens passif. Dans le premier il désigne
le mouvement qui s'opère dans une substance lorsqu'elle de-
vient alcaline; dans le second il indique l'état des sub-
stances animales ou végétales dans lesquelles il s'est déve-
loppé spontanément de l'ammoniaque. L'aJcalescence est
ALBUQUERQUE — ALCALI
toujours le résultat de la décomposition des substances qui
renferment de l'azote, l'un des principes de lammoniaque.
— En médecine, les humoristes nommaient alcalescence
des humeurs une disposition des corps à éprouver la fer-
mentation alcaline et putride.
ALCALI ou ALKALI (de l'arabe al, et kali, soude).
Ce mot a d'abord été employé pour désigner une plante ma-
rine, h salsola soda , qui fournit la soude par son inciné-
ration et le lessivage de ses cendres. Ce nom resta commun
à la soude et à la potasse, que l'on regarda conmie des corps
identiques jusqu'à ce que Margraff les séparât en 1736. Ce
savant chimiste appela la potasse alcali fixe végétal, parce
qu'on la retirait des cendres des végétaux; et il api)ela la sonde
alcali fixe minéral, parce qu'elle existe dans le sel genune.
Le nom d'alcali fut ensuite donné à l'ammoniaque , qui pré-
sente quelque analogie avec la soude et la potasse. Le nom
d'alcalis aérés équivalait dans l'ancienne chimie à celui d'al-
calis carbonates. Maintenant le nom d'oZcaZi s'applique à tout
corps composé capablede verdir les couleurs bleues végétales,
de ramener au bleu les mêmes couleurs rougies par des acides
et de saturer les acides, avec ou sans effervescence , en for-
mant des sels solubles. On distingue deux classes d'alcalis,
les inorganiques ou minéraux, et les organiques ou végé-
taux et animaux. Ces derniers sont appelés alcaloïdes ,
parce qu'ils manquent de quelques-unes des propriétés des
alcalis. Les alcalis minéraux étaient autrefois réputés des
corps simples ; on les divisait en trois classes , en alcalis
proprement dits, en terres alcalines, et en terres. Cette di-
vision a été conservée par Berzelius. Les alcalis proprement
dits sont au nombre de quatre : la potasse, la soude, la
lithine et l'ammoniaque. Cette dernière est appelée
anssialcalivolatil, paropposition avecles trois autres, qu'on
nomme alcalis fixes. L'ammoniaque n'est cependant pas
composée de la même manière que les autres alcalis ; mais
elle a une si grande analogie avec les alcalis par toutes ses
propriétés qu'on ne peut la ranger dans aucune autre caté»
gorie de la classification chimique. Les terres alcalines sont
aussi au nombre de quatre : la baryte, la strontiane,
la chaux et la magnésie. Elles diffèrent des alcalis par
leur peu de solubilité dans l'eau lorsqu'elles sont pures et
par l'insolubilité de leurs carbonates neutres. Les terres sont
au nombre de cinq : l'alumine, la glutine, l'yttria,
la zircone et la thorine. Autrefois on rangeait aussi
dans cette classe la s i 1 i c e , qu'on regarde aujourd'hui comme
un acide.
Les alcalis et les terres alcalines se distinguent des autres
bases sali fiables par différents caractères que voici :
1° une saveur particulière appelée lexivielle, et la propriété
plus ou moins prononcée de dissoudre et de détruire les
matières animales, propriété dont ils ne jouissent qu'à l'état
de pureté , état dans lequel on les désigne par l'épithète de
caustiques : ils forment alors des poisons violents, dont les
antidotes sont les acides étendus, notamment l'eau vinaigrée.
L'ammoniaque a une odeur qui lui est propre , tandis que les
alcalis fixes, au contraire, sont inodores à la température
ordinaire de l'air, et n'acquièrent une odeur faible et caracté-
ristique et qui se ressemble pour tous, que dans leurs dissolu-
tions concentrées bouillantes, ainsi que dans les vapeurs qui
se dégagent quand les terres alcalines caustiques s'échauffent
avec de l'eau; 2° la propriété de verdir diverses couleurs
végétales bleues et rouges, comme, par exemple, le principe
colorant delà violette, du; chou rouge, de la rose rouge, etc.,
et de faire passer différentes couleurs rouges au bleu, comme
le tournesol et le fernambouc rougis par les acides ; enfin
de brunir ceilaines couleurs jaunes, telles que le curcuma,
la rhubarbe, le bois du Grésil. Cette propriété prend le nom
de réaction alcaline. La plupart des alcalis inorganiques
s'unissent avec les corps gras pour former des savons.
Les alcalis végétaux et animaux on organiques n'ont
été découverts que dans ces dernières aimces , et n'ont de
ALCALI — ALCALOÏDES
Sf)7
comiimn avec les alcalis minéraux que la propriété de satu-
rer les acides et ilc former des sels. Leur goût est généra-
ieinent amer; ils paraissent renfermer le principe actif des
plantes dont on les tire : on en connaît un grand nombre.
Voyez Alcaioïdes.
ALCALIGÈNE, nom donné par Fourcroy à l 'azote ,
lorsque DerthoUet eut démontié que ce gaz constitue , par
sa combinaison avec Thydrogène , l'ammoniaque ou alcali
volatil.
ALCALIMÈTRE (du français alcali, et du grec
(xîTpov, mesure), appareil qui sert à mesurer la quantité
d'alcali contenue dans les potasses ou les soudes du com-
merce. On sait que ces substances ( carbonates de potasse
ou de soude) ne sont jamais pures, et qu'elles renferment
plus ou moins de matières étrangères. Il est donc d'un
grand intérOt pour l'aclieteur de connaître la quantité d'al-
cali qu'elles contiennent. On sait en chimie que 3 grammes
d'acide sulfuriqno pur et concentré saturent exactement
4 gr. 807 de potasse, pour former un sulfate neutre de po-
tasse. Si donc ou ajoutait à 4 gr. 807 de potasse en dissolution
un peu plus de 5 gr. d'acide sulfurique, il resterait dans la
liqueur un peu d'acide à l'état libre, qui suffirait pour rougir
la couleur bleue de tournesol qu'on y plongerait. Si , au
contraire , on mettait dans la dissolution de potasse moins
de 5 gr. d'acide, la liqueur contenant un peu de potasse à
l'état libre resterait alcaline, et ramènerait au bleu la tein-
ture de tournesol rougie par un acide. C'est sur ces principes
que repose le procédé de V alcalimétrie. — On met dans un
tube gradué 5 gr. d'acide sulfurique pur et concentré , et on
y ajoute assez d'eau pour que l'acide étendu occupe 100 di-
visions. Ce liquide, ainsi préparé, s'appelle oc(c/es2///Mr<j«e
normal. — On dissout dans de l'eau distillée 4 gr. 807 de la
potasse du commerce que l'on veut essayer; on mêle avec
c«tte dissolution de la teinture de tournesol. Cela fait, on
verse graduellement dans cette liqueur celle de l'acide sul-
furique. A mesure qu'on en ajoute , la potasse dégage l'acide
carbonique, qui colore en rouge vineux la teinture bleue de
tournesol. Tant que cette coloration persiste, on continue
d'ajouter de l'acide sulfurique étendu, mais par petites
quantités à la fois. On s'assure que c'est l'acide carbonique
qui rougit le tournesol , quand , après avoir trempé un
morceau de papier bleu de tournesol et l'avoir exposé un
peu à la chaleur, il reprend sa couleur primitive. Enfin il
arrive un moment oii l'acide sulfurique a chassé tout l'acide
carbonique du carbonate de potasse. Si alors on continue
d'ajouter un peu du liquide acide, et que la teinture de tour-
nesol se colore en rouge pelure d'oignon, l'opération est ter-
minée ; cette coloration annonce que toute la potasse con-
tenue dans l'échantillon mis en dissolution est saturée. Si,
après avoir trouvé que pour arriver à ce résultat il a fallu,
par exemple, les 20 centièmes de l'acide sulfurique étendu
ou 20 divisions du tube, on en conclura que la potasse du
commerce essayée ne contient réellement , en potasse pure,
que les 20 centièmes environ de son poids; c'est-à-dire que
si l'on a acheté 100 kil. de cette potasse, on n'a en réalité que
20 kil. de potasse pure. On dit qu'elle est au titre de 20.
Pour évaluer le titre de la soude, on procède de la même
manière; seulement on doit se rappeler qu'il ne faut que
3 gr. 183 de soude pour saturer 5 gr. d'acide sulfurique.
ALCALINS. Dans la thérapeutique , on donne spécia-
lement ce nom aux carbonates alcalins, dont l'usage
comme médicament s'est beaucoup répandu dans ces der-
niers temps.
ALCALOÏDES. On a donné ce nom aux substances
tirées du règne végétal et du règne animal susceptibles de
neutraliser les acides et de former des composés semblables
aux sels minéraux {voyez Bases). Parmi les principaux
alcaloïdes, nous citerons la cinchonine et la quinine,
qu'on tire du quinquina; Varicine, qui provient de l'écorce
d'un arbre de Pérou ; la sabadilline, qui s'extrait de l'ellé-
bore blanc; \adelphinc, qui vient de la staphysaigre ; la
strychnine, qu'on trouve dans la noix vomique ; la codéine,
la morphine, la narcéine, la narcotine, qui se trouvent
dans l'opium; la hrucine, qui provient de la fausse angus-
ture; la vératrine, qu'on extrait de la cévadille; Yatropine,
qui vient de l'atropa belladona; la solanine, delà morelle;
la ménispermine, delà coque du Levant ; Yémétine , i\e
l'ipécacuanha ; la mélamine, qu'on produit artificiellement,
ainsi que Yamméline.
D'autres alcaloïdes, dont l'existence n'est peut-être pas
aussi bien constatée que celle des précédents, sont -.lanicotin e,
trouvée dans les feuilles de tabac; Y hyosciamine , trouvée
dans les semences de Yhyoscyamus niger; la daturine,
trouvée dans les semences du datura stramonhan ; la col-
chicine , extraite du colchicum autumnale ; Yaconitine ,
trouvée dans les feuilles sèches de l'aconit napel ; la ciira-
rine, extraite du poison des Indiens nommé ciirara.
Tous ces alcaloïdes sont solides, blancs, sans odeur ; leur
saveur est généralement acre ou amère ; ils ramènent au bleu
la teinture de tournesol rougie par les acides , et leur pesan-
teur spécifique est supérieure à celle de l'eau. Les acides
faibles et les acides puissants étendus d'eau les dissolvent et
forment des sels de diverses saturations. L'acide azotique
concentré décompose à froid tous les alcaloïdes, et forme
avec presque tous à chaud de l'acide oxalique ; cependant,
lorsqu'il est étendu, il se combine avec eux sans les décom-
poser. L'acide sulfurique agit à peu près de la même ma-
nière. Les oxydes alcalins et celui de magnésium enlèvent
les acides de tous les sels à bases alcaloïdes. Ces bases en-
lèvent à leur tour les acides de presque tous les autres oxy-
des. L'mfusion de noix de galle produit dans les disso-
lutions de tous les sels neutres à bases organiques un pré-
cipité que les acides redissolvent. Soumis au courant de la
pile de Volta, tous les sels à bases organiques sont décom-
posés ; l'acide se porte au pôle positif, et la base au pôle né-
gatif. Tous sont décomposables par le feu. Les alcaloïdes
sont peu ou point solubles dans l'eau, maistrès-solubles dans
l'alcool. Leurs sels sont généralement solubles dans l'eau, à
l'cKception des tartrates , oxalates et gallates neutres ; mais
ceux-ci le deviennent par un excès d'acide. C'est sur ces
propriétés qu'est fondé le procédé le plus généralement em-
ployé pour extraire les bases organiques, qu'on ne rencontre
ordinairement dans les végétaux qu'unies à des acides , c'est-
à-dire à l'état de sel. On fait infuser les substances végé-
tales, puis on verse dans cette infusion, chauffée convenable-
ment, de la magnésie ou de l'hydrate de chaux, ce qui pré-
cipite les bases organiques; on les recueille, on les lave, et
enfin on les traite par l'alcool bouillant, qui ne s'empare que
des bases pures, d'oii on les retire par évaporation. Ce pro-
cédé doit être modifié suivant la nature des substances vé
gétales.
La propriété qu'offrent un certain nombre de corps de se
combiner avec les acides pour former des sels n'avait en-
core été reconnue que dans le règne minéral , lorsqu'un
pharmacien allemand , Sertuerner, signala dans l'opium
l'existence d'une base salifiable organique ; mais son travail
resta inaperçu, malgré l'importance de cette découverte. Ce
ne fut que quelques années après que, revenant sur le
même sujet, l'auteur publia un travail nouveau qui fixa
l'attention des chimistes et conduisit en peu de temps à la
découverte d'un grand nombre de produits analogues, qui
reçurent d'abord le nom (Yalcalis végétaux, ou, mieux, d'o/-
caloïdes. La morphine, trouvée par Sertuerner, permet
d'administrer comme médicament et sous un très-petit vo-
lume unesubstance très-énergique, possédant quelques-unes
des propriétés de l'opium ; depuis , on rencontra dans le
môme corps quatre autres alcaloïdes. Les chimistes qui ont
fait connaitie le plus grand nombre d'alcaloïdes sont Pelle-
tier et Caventou , à qui on doit suitout la découverte si
importante de la quinine et , par suite, de son sulfate, spé-
ii.
268 alcaloïdes
cifique si admirable pour la guérison des lièvres intermit-
tentes , et dont l'application a été un si grand bienfait pour
lliumanité. —Un fait bien important, c'est que presque
toutes les plantes vénéneuses ou douces ont des propriétés
très-énergiiiues et les doivent à des alcaloïdes. Dans les
plantes du même genre , on rencontre ordinairement ou les
mêmes alcalis ou des alcalis qui olTrent entre eux beaucoup
de rapports. La noix vomiquc doit l'énergie de son action à
la strijch nine, dont la plus petite quantité occasionne le
tétanos. La brucine, qui se rencontre avec cette môme base
dans la fausse angusture, est aussi Tun des poisons les plus
violents. La feuille du tabac fournit par distillation un al-
caloïde très-volatil et excessivement vénéneux. — Dans ces
derniers temps la chimie est parvenue à former artificielle-
ment divers alcaloïdes.
ALC-VXTARA , ville ancienne et fortifiée de la province
d'Estramadure en Espagne, dont la population s'élève à
3,000 âmes. Elle fut fondée par les Maures. On y arrive par
un l>eau pont jeté sur le Tage, de 223 mètres de long et de
9 mètres de large, que décore un arc de triomphe élevé en
Ihonneur de Trajan.
Vordre d' Alcantara , l'un des trois anciens ordres reli-
gieux de l'Espagne , fut fondé au douzième siècle par les
frères de l'ordre de Saint-Julien dcl Paijrero ( du Poirier ).
Vers l'an 1217 il obtint de l'ordre de Calatrava, en ré-
compense du courage héroïque dont ses membres avaient
fait preuve contre les Maures, la ville d'Alcantara, dont il
prit désormais le nom. 11 fut ensuite réuni à la couronne
d'Espagne après que Ferdinand lui eut donné pour admi-
nistrateur, en l'année 1404, le grand maître don Juan de
Zuiiiga. Indépendamment des vœux communs aux différents
ordres de chevaliers, ceux d'Alcantara font aussi celui de
défendre envers et contre tous l'Immaculée Conception de
la sainte Vierge; mais depuis l'an 1540 ils ont le dioit de
se marier. La décoration de Tordre consiste en une croix
d"or lleutdelysée. Sur l'écu on voit un poirier et deux fasces.
ALCARAZAS. C'est le nom que les Espagnols don-
nent à des vases propres à rafraîchir l'eau. Ces vases sont
poreux, et leur propriété réfrigérante tient à ce qniis laissent
transsuder l'eau, qui en sévaporant enlève assez de calo-
rique pour abaisser de plusieurs degrés la température gé-
nérale de l'alcarazas. Pour accélérer l'évaporaîion on a soin
d'exposer ces vases à l'ombre et dans un courant d'air. On
peut suppléer aux alcarazas en enveloppant un vase quel-
conque de linges maintenus humides. La matière qui sert
à fabri(iuer les alcarazas se compose de cinq parties de terre
calcaire et de huit parties de terre argileuse. Lorsque l'ar-
gile se trouve être trop compacte, on la mélange avec du
sel marin. Ce sel est dissous par la première eau que l'on
verse dans le vase et y laisse une multitude de pores. De
plus, on a soin de ne donner aux alcarazas qu'une demi-
cuisson de dix à douze heures. L'invention en a été attri-
buée aux Égyptiens et aux Arabes. Il s'en fabrique depuis
([uclques années à Paris, où on les nonmie hydroccrames
ALCATIIOEES, fête des .Mégariens en l'honneur
d'.\lcathons, (ils de Pélops. 11 avait délivré leur pays d'un
lion furieux, et il épousa la fille de leur roi Mégaréus.
ALC.VZ.VR (L'). Voyez. Séville.
ALCEE. Dans les temps héroïques, Alcée régnait à Ti-
rynthe , en Argolide. Il fut le père d'Amphitryon , qui épousa
Alcmène, et le grand-père d'Hercule , qui lui emprunta
le nom d'Alcide.
Un autre Alcée, fils d'Hercule et dOmphale, selon les
uns, et de Janlnne nu de Malis , suivantes de cette reine de
Lydie, selon les autres, commença à régner vers l'an 1292
avant J.-C. Il fut, selon la fable, la lige des //éracZirfes.
ALCEE , l'un des plus grands poêles lyriques de la
Grèce, né à Milylène, dans l'île de Lesbos, y llorissait vers
l'an 604 avant J.-C. Contempornin de .Sapho, il rendit hom-
mage aux charmes de son illustre concitoyenne, mais sans
— ALCHIMIE
pouvoir la rendre sensible à sa passion. Doué d'une âme ar-
dente, il aspira à la double gloire des combats et de la poésie ;
c'est à tort qu'on lui a reproché comme une lâcheté l'acci-
dent qui lui fit perdre son bouclier dans une guerre des Mi-
tyléniens contre les Athéniens. Les dissensions qui agitèrent
sa patrie l'entraînèrent aussi dans la guerre civile. 11 com-
battit pour la liberté avec la lyre et avec l'épée : d'abord
du parti de Pittacus, il se rangea ensuite dans le parti con-
traire, lorsque après la chute des petits tyrans, ce sage saisit
lui-même les rênes de la toute-puissance. Les circonstancas
ayant obligé Alcée à quitter Mitylène, il erra longtemps sur
la terre étrangère; et lorsqu'à la tête des exilés il voulut
rentrer à main armée dans sa ville natale, il tomba au pou-
voir de Pittacus, qui lui pardonna généreusement. Les chants
d' Alcée ressemblèrent à sa vie. Lors même qu'il célébrait
les plaisirs de l'amour et du vin, sa pot'sie était animée
d'un mâle enthousiasme patriotique. Mais l'élévation de son
génie brillait dans tout son éclat lorsqu'il chantait la valeur,
lorsqu'il châtiait les tyrans, ou lorsqu'il décrivait le bonheur
de la liberté, les opprobres et les fatigues de l'exil. Sa muse
se pliait à toutes les formes et à tous les sujets de poésie
lyrique, et l'antiquité cite parmi ses œuvres des hymnes,
des dithyrambes, des odes et des chansons. Il ne nou.s
est resté de lui que quelques fragments, et dans quelques
odes d'Horace nous retrouvons un léger écho de sa poésie. H
écrivit dans le dialecte éolien , et est l'inventeur du mètre
qui, de son nom, fut a\>[)e\éalcaïq2te, et qui, parmi les
mètres lyriques , est un des plus beaux et des plus harmo-
nieux. Jani a recueilli les fragments d'Alcée. On en trouve
aussi dans les Analecta de Brunk et dans V Anthologie de
Jacobs.
ALCESTE, fille de Pélias et épouse d'Admète, roi de
Tbessalie. L'oracle de Delphes avait déclaré que son époux
malade ne pourrait prolonger sa vie que si quelqu'un de ses
proches s'offrait volontairement à la mort pour lui. Alceste,
au défaut des père et mère d'Admète , fit secrètement aux
dieux le sacrifice de sa vie ; elle tomba malade, et son mari
fut guéri. Hercule força Phiton à rendre Alceste à son époux.
Suivant une autre version, Proserpine la lui renvoya spon-
tanément, en récompense du sacrifice que lui avait inspiré
l'amour conjugal. Ce dévouement d' Alceste et son retour à la
vie font le sujet d'une des tragédies d'Euripide.
ALCHIMIE. Il est probable que chez les peuples les
plus anciens, dès que l'on commençaà fondre les métaux, on
fut frappé des phénomènes qui accompagnent cette opéra-
tion, et qu'en remarquant que le mélange de divers métaux
produit des masses d'une tout autre couleur; que le cuivre,
par exemple , avec le zinc forme un alliage qui imite l'or,
on tira naturellement cette conclusion qu'il était possible de
transformer un métal en un autre.
Les prêtres de Tlièbes et de Memphis paraissent avoir été
les premiers adeptes de l'alchimie, quel'antiiiuité appelait ar/
sacré. Les couleurs qu'ils employaient dans la peinture des
hiéroglyphes, à défaut d'autres preuves, suffiraientà constater
l'étendue de leurs connaissances chimiques. Ils altribuaient à
Hermès Tri smégiste, un de leurs dieux, la révélation de
cet art sacré, que les Grecs appelaient aussi art hermétique.
Leurs pratitiues étaient enveloppées de mystères; ils ne les
nivelaient qu'à un petit nombred'initiés, qui s'étaient engagésà
ne les pas divulguer, sous peine de perdre la vie en cas de ré-
vélation ; les prêtresse débarrassaient del'indiscretou dutrat-
tre par un poison tiré de la feuille et de l'amande du pécher,
sans doute l'acide hydrocyanique. Comme ils étaient parvenus
à décomposer et à recomposer certains corps, qu'au moyen f
de la coupeUation ils avaient obtenu de l'argentavec
du plomb argentifère, qu'ils avaient observé que les va-
peurs d'arsenic blancliissent le cuivre, fait connu dès une
haute anliipiité et qui avait donné naissance à une multi-
tude d'allégories mystitpies sur les moyens de transformer
le cuivre en argent, ces prêtres aspiraient à reproduire l'a-u-
ALCHIMIE
269
vre tic la cn^ation, et, pensant pouvoir saisir les prociHlôs
les plus secrets île la nature, ils voulaient contraindre là
matière à prendre les formes qu'ils lui imposeraient. Cctic
orgueilleuse espérance, d'ailleurs fondée sur des faits réels
qu'ils avaient observés, ne doit pas être traitée d'absurdité
par un esprit judicieux et élevé. « Tout est dans tout >> était
leur axiome de prédilection ; et une des plus vastes concep-
tions pliilosopliiques , l'unité de la cliose créée , formait le
Jond général du système. En outre, les transformations mer-
veilleuses que l'homme voit s'accomplir sous ses yeux dans
les corps organisés, et même dans quelques substances inor-
ganiques, ne légitimaient-elles pas ridée de la transmutation
des métaux? Lorsque l'on fuit tomber du mercure en pluie
fine sur du soufre en fusion, ou obtient une matière noire,
qui, chauffée dans un va<e fermé, se volatilise sans s'altérer
et se transforme en une belle matière rouge. Ce phéno-
mène, encore inexpliqué aujourd'hui, car notre mot iso-
mérie n'explique rien, était considéré par cette caste sacer-
dotale, dépositaire du pouvoir et de la science, comme le
symbole du bien et du mal, de la lumière et des ténèbres, et
a contribué fans doute à établir ce fameux principe , point
de départ de toute l'alchimie, que tous les corps, et particu-
lièrement les métaux, sont des composés de soufre et de
mercure. Les livres juifs témoignent du pouvoir surnaturel
des prêtres égyptiens, et Moïse, qui avait été leur adepte, y
est représenté brûlant dans un fourneau le veau d'or et le
transformant en or potable, problème presque aussi difficile
que celui de la transmutation directe. Les plus anciens ou-
vrages d'alchimie que l'on ait sont ceux que l'on attribue à
Hermès ; mais ils ne remontent pas au delà de l'école d'A-
lexandrie. Les principaux sont \e Pimandre,le traité des
Sept Chapitres et la Table d'Émeraude. A dater de l'époque
de la prise d'Alexandrie par les Arabes, en 640, la science
d'Hermès parut tomber dans l'oubli ; toutefois, elle continua
d'être l'objet de patientes et secrètes recherches, et dès que
l'empire des califes fut fondé et que les Arabes commencè-
rent à cultiver les diverses sciences connues de leur temps ,
l'art hermétique devint, sous le nom, moitié grec, moitié arabe,
à! alchimie, le but des travaux d'un grand nombre d'iicmmes
remarquables ; et ce culte pour l'alchimie se maintint pendant
tout le moyen âge, jusqu'au moment où la chimie se con-
stitua en science positive et indépendante.
Pendant toute cette période l'alchimie se proposa im
double but. La passion de l'or et de l'argent, et aussi une
plus haute et plus noble ambition, celle de pénétrer les se-
crets de la création, inspirèrent l'espoir de transformer les
métaux ^ils en métaux précieux. En même temps l'amour de
l'existence fit naître le désir de trouver un remède général
contre toutes les maladies, un moyen de soulager les infir-
mités de la vieillesse, de rajeunir et de prolonger la vie.
Santé et richesses, voilà le côté essentiellement pratique du
grand œuvre, tandis que le côté théorique se rattachait aux
mystères de la religion, de l'astrologie et de la cosmogonie.
Pour transformer les métaux, les alchimistes croyaient avoir
besoin d'une substance qui , contenant en elle-même le prin-
cipe de toutes choses , eût la vertu de décomposer un corps
en ses diverses parties. Ce moyen général d'analyse ou
menstruum universale, qui devait en même temps purger
le corps de tout principe de maladie et renouveler la vie, fut
appelé pierre philosophale , elixir philosophai, pa-
nacée universelle. Une catégorie plus élevée des adeptes
chercliait en outre l'âme du monde, qui devait donner la
suprême félicité dans le commerce de Dieu et des esprits.
La recherche de la pierre philosophale pouvait se faire de
deux manières, par la voie sèche et par la voie humide. La
première, qui était celle oii l'on employait la calcination, don-
nait la pierre philosophale sous forme d'une poudre rouge
ou blanche, qui constituait la poudre de projection. La
blanche projetée sur le métal inféiieur ne pouvait donner
naissance qu'à l'argent j la rouge seule produisait l'or. Dans
les recherches par la voie humide, on avait recours principa-
lement à la distillation. Moins était claire l'idée que les al-
chimistes eux-mêmes se faisaient des phénomènes qui ac-
compagnaient leurs expériences, plus ils enveloppaient leurs
recherches d'allégories mystiques et symbolitiues. Mais cela
ne doit pas surprendre quand on se reporte à l'esprit gé-
ntral du moyen âge, où le phénomène le plus simple était
toujours supposé produit par une cause fantastique, et où les
sciences physiques s'appelaient sciences occultes.
Le premier qui ouvre l'histoire moderne de l'alchimie est
Abou-Moussah Djafar-al-Sofi, si connu sous le nom de Ge-
ber. Il vivait au huitième siècle. On trouve dans les ouvrages
qui portent son nom de nombreuses préparations de métaux
pour les approprier à l'œuvre. Geber présente son élixir
rouge, qui n'est autre chose qu'une dissolution d'or, comme
un moyen de prolonger la vie indéfiniment et de rajeunir
la vieillesse. Les écrits de Geber répandirent tellement le goût
de l'alchimie chez les Arabes, que la plupart des savants
qui ont illustré cette nation ont cultivé la science henné-
tique avec ardeur. Parmi les plus illustres d'entre eux on
peut citer : Mohammed Abou-Bekr Ibn-Zacaria (Rhazès),
aux neuvième et dixième siècles ; Abou-AliHosséin Ibn-Sina
(A V i c e n n e), dixième et onzième siècles ; Ibn-Rochd ( A v e r-
rhoès), douzième siècle. — Un des plus anciens alchimis-
tes de l'Occident dont on ait gardé la mémoire est Hortulanus,
qui vers le milieu du onzième siècle alla étudier en Es-
pagne , et qui à son retour écrivit un commentaire sur la
Table d'Émeraude. Les plus célèbres furent Albert le
Grand, saint Thomas d'Aquin, que son traité De Re
Metallica peut faire considérer comme un des adeptes; Ray-
mond Lulle , des îles Baléares , qui , pendant son séjour à
Londres, transmuta, dit-on, pour le roi Edouard I" une masse
de cinquante mille livres pesant de mercure en or, avec le-
quel furent frappés les premiers rosenobles ; Roger Bacon,
un des esprits les plus avancés du moyen âge, auteur de
traités sur l'alchimie où il fait preuve d'un grand savoir et
d'une connaissance approfondie des écrits des Arabes. C'est
probablement d'eux qu'il tenait le secret de la poudre à
canon. \\ faut encore citer, en France, Arnauld de Ville-
neuve et Pierre de Villeneuve son frère, Nicolas Flamel,
écrivain-libraire de l'université de Paris ; Guide de Montanor ;
JeanFernel ; le célèbre auteur du Roman de la Rose, Jean de
Me un g; en Italie, Pierre de Salente, Trévisan; Aurelius
Augurellus, Jean de Rupescina, Jean Chrysippe; en Alle-
magne, Bemhard de Trêves; Jean Isaac de Hollande; Georges
Ripley, et surtout Basile Valentin, si célèbre par ses travaux
sur l'antimoine , auteur des Douze Clefs , du Lever des
Planètes, etc.
Le quinzième siècle vit l'alchimie prendre en quelque
sorte une direction nouvelle ; elle enrichit la thérapeutique
d'un grand nombre de préparations ciùmiques. Mais ce
fut surtout dans le siècle suivant que l'application de l'al-
chîmie à la médecine reçut un prodigieux accroissement ,
grâce aux efforts deParacelse; cet illustre savant croyait
à la génération de l'or, mais il renonça à la recherche de
la pierre philosophale pour se livrer avec ardeur à celle de
la panacée universelle. Par suite de la nouvelle impulsion
qu'il communiqua à la science, la question de la transmu-
tation devint tout à fait secondaire. Cependant on cite en-
core les noms de Pliilaièthe, de Becker, et surtout de
Glauber, et de Kunckel de Lœwenstern, qui a écrit ces
sages paroles : « Dans la chimie il y a des séparations , des
combinaisons , des purifications ; mais il n'y a pas de trans-
mutations. L'œuf éclot par la chaleur d'une poule. Avec
tout notre art nous ne pouvons pas faire un œuf ; nous
pouvons le détruire et l'analyser, voilà tout. » Le docteur
Price est le dernier des adeptes dont le nom ait quelque
célébrité , et c'est avec une vive surprise qu'on le voit à la
fin du dix-huitième siècle, en 1781, exécuter publiquement,
à sept reprises différentes, la transformation de mercure en
I
270
ALCHIMIE — ALCIBIADE
argent ou en or, au moyen tVune pondre de projection.
Comme il était membre de la Société royale de Londres ,
cette académie se préoccupa vivement de ses expériences ;
en conséquence, elle nomma des commissaires pour assister
aux essais de Price. Mais lorsque ce dernier se vit contraint
d'opérer sous les yeux de juges aussi compétents, il prétendit
n'avoir plus de poudre : on lui laissa donc le temps d'en
préparer de nouvelle. Enlin, pressé par la Société royale, il
donna à sa comédie un dénoùment tout à fait tragique, en
s'empoisomiant avec riuiile volatile du laurier-cerise, choi-
sissant ainsi sans le savoir le môme genre de mort qui deux
mille ans auparavant punissait la trahison des initiés de
Memphis. Ce fut le coup de grâce de l'alchimie. Cependant
quelcjues personnes à l'esprit enthousiaste, séduites par la
lecture d'anciens ouvrages sur la science hermétique, entre-
prirent encore de longs travaux, où elles dissipèrent en pure
perte leur temps et leur fortune, pour obtenir la pierre phi-
losophale, et de nos jours même bien des gens se livrent
encore avec ardeur à la recherche de la poudre de projection.
Sans rappeler tout ce que nos sciences modernes doivent
à l'alchimie , aux patientes recherches et aux travaux gi-
gantesques de ces chercheurs infatigables qui ont doté l'hu-
manité de ses plus fécondes découvertes, entre autres du phos-
phore, des préparations du mercure, du kermès minéral, de
la porcelaine, etc., il est évident que les alchimistes du
moyen âge et peut-être de l'antiquité ont eu connaissance
de la plupart de nos découvertes modernes, du gaz hydro-
gène par exemple. Si elles se sont perdues , c'est que la
science était obligée, dans ces temps d'ignorance générale, de
se cacher et de se taire. L'exemple de Roger Bacon , con-
damné à passer une partie de sa vie en prison , malgré son
éloquente déclaration sur la nullité de la magie, en est une
preuve trop convaincante. En résumé , s'il n'appert pas
expressément que les alchimistes soient parvenus à trans-
muter les métaux, des savants du premier ordre, entre autres
sir Humphry Davy, ont pensé que des recherches herméti-
ques pouvaient avoir des résultats satisfaisants. M. Dumas
lui-même s'exprime en ces termes : n Serait-il permis d'ad-
mettre des corps simples isomères? Cette question touche
de près à la transmutation des métaux. Résolue aflinnati-
vement, elle donnerait des chances de succès à la recherche
de la pierre philosophale. . 11 faut donc consulter l'expé-
rience, et l'expérience, il faut le dire , n'est point en opposi-
tion jusqu'ici avec la possibihté de la transmutation des
corps simples... Elle s'oppose même à ce qu'on repousse
cette idée comme une absurdité qui serait démontrée par
l'état actuel de nos connaissances. » — Consultez : Hoefer,
Histoire de la Chimie; Sclmeider, Histoire de la Chimie
(en allemand); J.-B. Dumas, Leçons sur la Philosophie
chimique; L. Figuier, V Alchimie et les Alchimistes.
ALCIAT, célèbre jurisconsulte du seizième siècle, né
à Milan, en 1490, publia dès l'âge de vmgt-deux ans ses Pa-
radoxes du droit civil. C'est un examen philologique des
termes grecs qui sont dans le Digeste. Cet ouvrage avait
donné déjà une haute opinion du jeune docteur; bientôt il
imprima ses Prxtermissa et son traité de Verborum Si-
gnificatione, Alciat comprit l'un des premiers toute l'in-
fluence que l'étude de l'histoire devait exercer sur celle du
droit. Il réunit à ses cours à Avignon, en 1521, une afiluence
immense d'auditeurs, puis retourna à Milan. François \"
profita des persécutions qu'Alciat éprouvait en Italie pour
l'attirer en France, et le fit professeur à Bourges; mais
François Sforze l'ayant menacé de confisquer ses biens s'il
ne revenait dans sa patrie, Alciat y retourna et fut profes-
seur à Pavie, à Bolo^'ne, encore à Pavie, à Ferrare; enfin
il termina sa carrière à Pavie, oii il mourut d'une indiges-
tion, à l'âge de cinquante-liuit ans; car s'il était avare, il
était encore plus gourmand. On reproche aussi à son carac-
tère un excès d'orgueil. Le pa[)e l'avait fait piotonotaire, et
Charles-Quint lui avait conféré la dignité de comte palatin.
— Les œuvres d'Alciat ont été réunies et publiées ^ Lyon ,
1560, 5 vol. in-f^; Bâle, 1571, 6 vol. in-f>; Bâle, 1582,
4 vol. in-f>; Strasbourg, 1616, 4 vol. in-f'; Francfort-sur-
le-Mein, 1617, 4 vol. in-f. Plusieurs de ses ouvrages ont
été imprimés séparément. On doit à Alciat quelques traités
purement liistoriques ou littéraires, comme ses notes sur
Tacite, son Traité des Poids et Mesures, son Histoire de
Milan. — L'un de ses neveux, François Alciat, célèbre
aussi comme jurisconsulte, eut pour disciple saint Charles
Borroméc, et devint cardinal. Muret, dans une de ses haran-
gues, dit qu'il fut i'ornement de son siècle. De Golbéry.
ALCIBIADE, fils de Clinias et de Dinomaque, naquit à
Athènes, dans la 82" olympiade (vers l'an 450 avant Jésus-
Christ). 11 perdit son père à la bataille de Chéronée, et fut
ensuite élevé dans la maison de Péri cl es, son grand-père
maternel. Celui-ci était trop occupé des affaires de l'État
pour pouvoir donner à l'éducation de son petit-fils tous les
soins qu'aurait exigés l'impétuosité de son caractère. Aici-
biade annonça dès son premier âge ce qu'il serait dans la
suite. Un jour il jouait aux dés dans la rue avec quelques '
enfants de son âge ; un chariot survient : il prie le conduc-
teur d'arrêter ; et, sur le refus de celui-ci, il se jette devant
la roue , et s'écrie : « Avance maintenant , si tu l'oses ! »
Il s'essaya avec succès dans tous les genres d'étude et dans
tous les exercices gymnastiques, Sa beauté, sa noblesse, le
rang de Périclès , son tuteur, lui attirèrent une foule d'amis
et d'admirateurs, mais donnèrent naissance en même temps à
des bruits injurieux pour ses mœurs. Socrate lui avait
accordé son amitié , et espérait par ce moyen le diriger vers
le bien. En effet, il obtint une grande influence sur lui, et,
au milieu de sa vie dissipée, Alcibiade revenait toujours vers
le philosophe. Il fit ses premières armes dans l'expédition
entreprise contre Potidée , et il y fut blessé ; Socrate , qui
combattait à ses côtés, le défendit et le ramena. A la bataille
de Délium, il se distingua dans les rangs de la cavalerie,
qui combattit victorieusement ; mais , après la défaite de
l'infanterie , il fut obligé de fuir avec le reste de l'armée.
Dans sa fuite , il rencontra Socrate , qui se retirait à pied ,
l'accompagna et veilla à sa sûreté. Tant que vécut le déma-
gogue Cléon , Alcibiade ne se fit connaître que par son luxe
et sa prodigalité , sans prendre aucune part aux affaires de
l'État.
Après la mort de Cléon (422 ans avant J.-C), Nicias
réussit à faire conclure une paix de cinquante ans entre les
Athéniens et les Lacédémoniens. Alcibiade , jaloux de l'in-
fluence de Nicias , et piqué en même temps de ce que les
Lacédémoniens , auxquels il était uni par les liens de l'hos-
pitalité , ne se fussent pas adressés à lui , profita de quelques
mésintelligences survenues entre les deux nations pour ame-
ner la rupture de la paix. Les Lacédémoniens avaient envoyé
des députés à Athènes ; Alcibiade les reçut avec beaucoup
de démonstrations de bienveillance , et leur conseilla de
cacher leurs pouvoirs , afin que les Athéniens ne pussent pas
leur dicter des lois. Us se laissèrent persuader, et lorsqu'ils
furent mandés dans l'assemblée du peuple, ils déclarèrent
qu'ils n'avaient pas de pouvoirs. Aussitôt Alcibiade se leva
contre eux, leur reprocha leur mauvaise foi, et détermina
les Athéniens à une alliance avec les Argiens. Ce fut là l'oc-
casion de la rupture avec Lacédémone. Alcibiade commanda
à diverses reprises les flottes athéniennes qui ravageaient le
Péloponnèse ; mais même alors il ne renonça ni au luxe ni
à la volupté. A son retour, il se livra plus que jamais à
toutes sortes d'excès. Un jour qu'U sortait d'une orgie noc-
tiune, en société de quelques amis, il lit le pari de donne; f
un soufflet au riche Hipponicus , et il le lui donna en effet.
Cet outrage fit beaucoup de bruit dans !a ville; mais Alci-
biade se rendit chez l'offensé, et, après avoir quitté son
vêtement , il l'invita à se venger lui-même à coups de verges.
Ce repentir pubhc apaisa Hipponicus; il lui pardonna,,
et dans la suite il lui donna même en mariage sa lille Hip
I
ALCIBIADE —
parète, avec une dot de dix talents. Cependant le maria'ie
ne le corrigea pus de sa It^gÎTeté et de sa prodigalité. Celle-ci
éclata surtout aux jeux olympiques , où il parut dans la lice,
non pas avec un char, connue d'autres riches, mais avec
sept, et où il remporta les tiois premiers prix. Il triompha
aussi aux jeux isthmiques et aux jeux néméens. Il passait
les jours et les nuits en banquets dans les bras de folles
femmes , enlevant celles qui lui résistaient et se parant avec
ostentation de magnifiques robes de pourpre. Il se fit faire
un écu doré qui ne portait ni devise ni enseigne, à la manière
ordinaire des Athéniens, mais l'image de l'Amour lançant la
tondre. Tout cela lui attira la haine d'un grand nombrede ses
concitoyens , et il aurait succombé à l'ostracisme si, de
concert avec Nicias et Pliœax , (pii craignaient le même sort
que lui , il n'avait si bien pris ses mesures qu'il fit con-
damner à l'exil celui-là même qui comptait le renverser.
Peu de temps après, les Athéniens résolurent une expédi-
tion contre la Sicile, et le nommèrent général en chef, avec
Nicias et Lamachus. Pendant qu'on faisait les préparatifs,
les statues de Mercure furent toutes mutilées en une seule
nuit. Les ennemis d'Alcibiade firent tomber sur lui le soup-
çon de ce crime ; mais ils différèrent l'accusation. A peine
tùt-il embarqué qu'ils soulevèrent contre lui les esprits des
Athéniens , qui le rappelèrent pour le juger. AlcLbiade avait
déjà obtenu de brillants succès en Sicile lorsqu'il reçut
l'ordre qui le rappelait. Il obéit, et s'embarqua ; mais arrivé
à Thurium, il descendit à terre pour se cacher. A Athènes on
le condamna à mort. Lorsqu'il en reçut la nouvelle, il s'é-
cria : « J'apprendrai aux Athéniens que je vis encore. » Il
passa d'abord à Argos, puis à Sparte, où il sut si bien se
plier aux mœurs sévères du pays que là aussi il devint le
favori du peuple. Il réussit donc à engager les Lacédémo-
niens dans une alliance avec le roi de Perse , et , après l'is-
sue malheureuse de l'expédition des Athéniens contre la Si-
cile , il les détermina à secourir les habitants de Chios pour
les délivrer du joug d'Athènes. Il s'y rendit kiimême. A son
arrivée dans l'Asie Mineure , il souleva toute l'Ionie contre
les Atliéniens , auxquels il fit beaucoup de mal. Jlais Agis
et les premiers personnages de Sparte furent jaloux de ce
succès , et ordonnèrent aux généraux qui commandaient en
Asie de le faire tuer. Alcibiade découvrit leur projet , et se
rendit auprès de Tissapheme, satrape du roi de Perse, qui
avait ordre d'agir de concert avec les Lacédémoniens. Là ,
il changea encore une fôis de mœurs , se plongea tout entier
dans le luxe de l'Asie , et sut se rendre indispensable au sa-
trape. Comme il ne pouvait plus se fier aux Spartiates , il
entreprit de servir sa patrie, et représenta à Tissapheme
qu'il serait contraire aux intérêts du grand roi d'épuiser
entièrement les Athéniens ; qu'il valait bien mieux affaiblir
Athènes et Sparte l'une après l'autre. Tissapheme suivit ce
conseil , et laissa quelque répit aux Athéniens. Ces derniers
avaient alors des forces assez considérables à Samos. Alci-
biade fit dire aux généraux que s'ils promettaient d'arrêter
la licence du peuple et de remettre l'autorité aux mains des
grands, il leur concilierait l'amitié de Tissapheme., et em-
Iiêcherait la jonction de la flotte phénicienne avec la Hotte
des Lacédémoniens. Ces conditions furent acceptées par les
généraux , et ils envoyèrent à Athènes Pisandre , l'un d'eux ,
qui fit remettre le gouvernement à un conseil composé de
quatre cents personnes; mais comme las membres de ce
conseil ne songeaient pas à rappeler Alcibiade , l'armée de
Samos lui déféra le commandement , et le chargea d'aller
aussitôt à Athènes pour renverser les tyrans. Cependant il
ne voulait pas retourner dans sa patrie avant de lui avoir
rendu quelques services. Il attaqua donc la Hotte des Lacé-
démoniens, et la battit complètement. Il retourna ensuite
auprès de Tissapheme, et ce satrape le fit arrêter à Sardes
pour n'être pas soupçonné par le roi de Per.se d'avoir pris
part à cette expédition ; mais Alcibiade trouva moyen de
s'échapper, se mit à la lête do l'arniée, défit les Lacédémo-
ALCIDAMAS 27!
niens et les Perses près de Cyzique, sur terre et sur mer,
enleva Cyzique , Chalcédoine et Byzance , rendit aux Athé-
niens l'empire des mers , et retouma enfin dans sa patrie ,
où il avait été rappelé sur la proposition de Critias. Il y fut
reçu avec un enthousiasme universel , parce que les Athé-
niens avaient considéré son exil comme la source de tous
leurs malheurs. Cependant ce triompiie fut de courte durée.
On l'envoya de nouveau en Asie tivec cent vaisseaux ; mais
comme il ne recevait pas d'argent pour la solde de ses
troupes , il se vit contraint d'aller chercher des secours en
Carie , et confia le commandement pendant son absence à
Antiochus, qui se laissa attirer par L y sandre dans une
embuscade , où il perdit la vie avec un grand nombre de ses
vaisseaux. Les ennemis d'Alcibiade profitèrent de cet acci-
dent pour l'accuser et pour faire nommer d'autres géné-
raux.
Alcibiade se rendit alors à Pactyes dans la Thrace , y ras-
sembla des troupes, et fit la guerre aux peuples libres de cette
contrée. Il étonna par son intempérance les rois de ce pays,
jaloux de voir qu'il supportait encore mieux qu'eux l'excès
du vin. Il fit un butin considérable , et assura le repos des
villes grecques voisines. La flotte athénienne était alors à
jEgos-Potamos. Il avertit les généraux du danger qui les
menaçait, leur conseilla d'aller à Sestos, et leur offrit son
secours pour forcer le général Spartiate Lysandre à une ba-
taille ou à la paix ; mais ils n'écoutèrent pas ces proposi-
tions , et furent bientôt complètement battus. Alcibiade ,
qui craignait la vengeance des Lacédémoniens , se retira en
Bithynie, d'où il voulait passer à la cour du roi de Perse
poui- l'attirer à la cause de son pays. Cependant les trente
tyrans que Lysandre avait établis à Athènes après la con-
quête de cette ville avaient prié ce général de faire tuer Al-
cibiade ; mais Lysandre avait refusé de se rendre à ce désir,
jusqu'à ce qu'il reçût le même ordre de sa patrie. Il en confia
l'exécution à Pharnabaze. Alcibiade se trouvait alors en
Phrygie avec Timandra, sa maîtresse. Les émissaires de
Pharnabaze mirent le feu à sa demeure pendant la nuit, el
le tuèrent à coups de flèches au moment où il venait d'é-
chapper à l'incendie. Timandra lui rendit les honneurs *i
la sépulture.
Ainsi mouret Alcibiade , 404 ans avant J.-C, environ
à l'âge de quarante-cinq ans. La nature l'avait orné de so-
dons les plus rares ; il possédait à un haut point le ta-
lent de séduire et de dominer les hommes, et son éloquence
était entraînante, quoiqu'il ne pût prononcer la lettre r et
qu'il bégayât. Jlalheureusement , ces qualités extraordi-
naires , les circonstances seules en réglèrent l'usage. Il était
privé de cette grandeur d'âme qui accompagne toujours la
vertu; mais il avait cette audace qu'inspire la conscience de
la supériorité , et qui ne recule devant aucun obstacle , parce^
qu'elle n'hésite jamais sur le choix des moyens qui peuvent
conduire au but. Parmi les auteurs anciens , Plutarque et
Cornélius Népos ont écrit sa vie.
ALCID AIMAS, rhéteur grec , né à Élée, ville de l'Asie
Mineure , florissait vers l'an 420 avant J.-C, à la même épo-
que qu'Isocrate. 11 avait été disciple de Gorgias, et avait
composé divers ouvrages qui ne sont pas parvenus jusqu'à
nous. Plutarque prétend que c'est dans un traité de rhéto-
rique d'Alcidamas que Démosthène puisa les premières no-
tions de son art ; et Cicéron vante le talent dont il avait fait
preuve dans un éloge de la mort. Aristote , de son côié , cite
les écrits de ce rhéteur comme les modèles du style froid et
ampoulé. Deux dissertations ou déclamations d'Alcidamas,
ou du moins qui lui sont attribuées par les anciens, ont éîô
recueillies dans la collection de Henri Esticnne et dans cello
de Reiske : l'une est une Accusafion d'Ulysse contre Pala-
mède, pour cause de trahison ; l'autre est dirigée contre les.
rhéteurs et sophistes contemporains de l'auteur; il leur re-
proche de n'avoir pas le talent de l'improvisation et d'avoir
recours à l'éloquence érrifc. Toutes deux sont icmaniuahlss.
572
ALCIDAMAS — ALCOOL
par la sage simplicité du sljle , simplicité qui n'exclut pas
IVh'finncc.
ALCIDE, surnom d'Hercule, que, d'après rexjUication
la plus couunime , on fait dériver d'Alcée , son grand-père ,
père d'Anipliitryon.
ALCIDE TOUSEZ. Voyez Tolsez.
ALCLXOilS, roi des riicacicns, dont Homère, dans
rodyssc'e, vante les admiraMcs jardins, et qui accueillit
Ulysse lorsque, après la prise de ïroie, telui-ci cliercliait à
revenir dans sa patrie, sans pouvoir y rentrer. L'ile des
Pliéaciens était celle (le Corcyre, aujourd'hui Corlou. Al-
cinoiis avait pour liiie ^ausicaâ.
AL(>IXOiJS, philosophe platonicien du second siècle,
un de ceux qui préparèrent le syncrétisme , n'est connu que
par un ouvrage qu'il a laissé sous ce titre : In/roducOon à
la rhilosopliie de Platon. Ce livre a été traduit plusieurs
fois en latin , entre autres par Marsile Ficin ( Aenisc, 1497 ,
et Paris, 1537 ), et aussi par D. Lambin (Paris, 15G7). Ces
éditions sont assez rares, rischor en a publié une , «pi'il a
jointe à ÏEulliyi)liron de Platon (Leipzig, 17«7, in-b" ).
Jl existe une traduction française du livre d'Alcinoiis, par
Combes-Dounous ( Paris, ISOO , in-12).
ALCiPlIROA' , le premier des épistolograpbcs
grecs , c'est-à-dire des beaux-esprits qui ont composé des
lettres. On ne sait rien de sa vie ; l'époque même où il a
vécu est incertaine; on le croit pourtant, d'après un pas-
sage d'Aristénète , contemporain de Lucien, qui écrivait au
deuxième siècle de l'ère chrétienne. Nous avons de lui cent
seize lettres, presque toutes datées d'Athènes, dont il a ima-
giné les sujets , et où son but paraît être de mettre en scène,
à la façon de la comédie, des hommes de certaines condi-
tions, de certaines classes bien tranchées, pour leur faire
décrire à eux-mêmes leur vie, leurs travaux, leurs actions,
leurs pensées et leurs sentiments. Ces lettres se distinguent
par la pureté, la clarté et la simplicité du langage et du
style; elles sont utiles à consulter pour la connaissance par-
faite de l'anticpiité et des dialectes grecs au deuxième siècle.
On cite les éditions de Genève, 1606 ; de Leipzig, 1Â15 et
17"JS, par J.-A. NYagner; ces lettres ont été traduites en
français par l'abbé Richard ( Paris, 1785 ).
ALCJ\IAI\ , poète grec , lils d'un esclave Spartiate , né à
Sardes, en Lydie, vers l'an 670 avant J.-C. H paraît qu'il
passa la plus grande partie de sa vie à Sparte , où il avait
obtenu le droit de cité et où son talent de poète était tenu
en grand honneur. Les Lacédémuniens lui élevèrent un mo-
nument après sa mort, et quatre grammairiens d'Alexandrie
commentèrent ses ouvrages, dont nous n'avons aujourd'hui
<iue quelques fragments très-remarquables. NYelcUer a publié
en 1S15, à Giessen, ce qui nous reste de ses hymnes et autres
poèmes lyriques , écrits en dialecte dorique.
ALCMAA'IEN, sorte de vers inventé par Alcman.
Ce poète, rapporte Suidas, bannit le vers hexamètre des
poésies lyriques ou chantantes, pour y substituer une me-
sure plus légère et plus gracieuse; il créa, à cet effet, le
vers ([ui a conservé son nom, et qui se conq)osc de trois
dactyles suivis d'une syllabe.
ALCMEA'E, tille d'Électryon et femme d'Amphitryon.
Jupiter, en étant devenu amoureux, prit la figure de son
époux pour la tromper. Elle en eut un lils, qui devint célèbre
sous le nom d'il e r c u 1 e.
ALOIEOX, lils d'Amphiaraiis et d'Ériphyle, naquit à
Argos. Ayant été élu chefdes sept épigones, il prit d'as-
saut la ville de Thèbes, et la saccagea. Pour venger la mort
de son père Amphiaraùs, il tua sa mère Lriphyle, et par son
ordre. Depuis ce parricide, Alcnuon fut tourmenté jiar les
riiries. Unoratle lui avait prédit qu'il n'en serait délivré que
loisipi'il arriverait dans un pays (jui n'aurait point existé
au moment où sa mère l'avait maudit. Aicméon trouva
enllii le repos dans une ile qui venait de se former dons le
fleuve Achéloiis. S'y étant lixé, il éiioùsa Callirhoé, la tille
de ce neuve, après avoir répudié sa première femme, Arsl-
noé, fdle du prêtre Phégée. Aicméon ne jouit pas longtemps
de sa nouvelle conquête. Sa femme lui ayant demandé le
collitT d'Hermione , dont il avait fait présent à sa première
fcuune , Aicméon se rendit auprès de Phégée et le lui déroba.
Les lils de Phégée se mirent à sa poursuite, et le tuèrent.
ALC;\IEOI\ , philosophe pythagoricien , né à Crotone
vers 500 avant J.-C. Aicméon avait entendu Pythagorc sur
la lin de sa vie. 11 se fd un nom dans la suite par l'élude de
la nature et par la pratique de la médecine. 11 passe pour
être le premier qui ait disséqué des animaux. Cet élève de
Pythagore attribuait les éclipses à la révolution de la lune; —
il croyait que les planètes .se mouvaient d'un mouvement
contraire à celui des étoiles fixes; — que l'âme habitait
principalement dans le cerveau ; — que dans le développe-
ment de l'embryon la tête se formait la première; — qne
la santé dépendait d'une égalité dans la chaleur, la séche-
resse, le froid, l'humidité, la douceur, l'amertume et au-
tres qualités semblables. Selon Aicméon, les maladies nais-
saient lorsque l'une de ces choses dominait sur les autres
et en rompait ainsi l'union et l'équilibre : ces idées ont été
les premiers fondements <ie toutes les théories anciennes,
des différentes classes à' intempéries, et les distinctions
fameuses reçues encore aujourd'hui chez les modernes , de
quatre tempéraments.
ALCOOL. Depuis \m temps immémorial on sait que
les sucs de certains fruits donnent , dans des circonstances
particulières , des liqueurs plus ou moins analogues au vin^
et qui, comme lui, ont la propriété d'enivrer. Toutes ces
liqueurs sont susceptibles de donner par la distillation un
autre liquide spiritueux qui porte le nom di alcool, esprit
de vin ou eau-de-vie. Ce liquide a des propriétés qui sont
constamment les mêmes ; mais il en présente quelques-imes
de particulières, selon l'espèce de hqueur fermentée d'où
on Ta retiré, et qui permettent de distinguer son origine.
C'est ainsi que l'eau-de-vie de mélasse , ou rhum , celle de
cerises noires, ou kirsch-xcasser, celle de grains , se distin-
guent de l'eau-de-vie de vin. Quelques fois la saveur parti-
culière des liqueurs alcooliques les fait rechercher pour
l'usage domestique, et n'offre rien que d'agréable; d'autres
fois elle présente des inconvénients auxquels l'habitude
seule peut rendre indifférent. C'est ainsi que le rhum et le
kirscli-wasser ont une saveur qui est généralement goûtée,
tandis que l'eau-de-vie de pommes de terre et de grains en
a une acre et brûlante , à laquelle beaucoup de personnes
ne peuvent s'accoutumer. La première est due à un prin-
cipe aromatique qui n'a pu en être isolé ; celle de Teau-de-
vie de grains l'est, au contraire, à une substance huileuse,
dont l'àcreté est telle que quelques gouttes suffisent pour
gâter une pièce de ce liquide. Comme cette huile est moins
volatile que l'eau-de-vie, on peut la séparer par des distilla-
tions convenables , et enlever presque entièrement à l'eau-
de-vie la saveur (pi'elle devait à celte substance. L'alcool
pur ne di Itère de l'eau-de-vie que par la quantité d'eau que
celle-ci renferme; cependant on trouve une très-grande
différence de saveur entre un mélange d'alcool et d'eau et
de l'eau-tle-vie au même degré de force : cela peut tenir à
une combinaison plus intime de l'eau et de l'alcool , ou à
l'existence d'une petite ipiantité de substance aiomatique
que renferme l'eau-de-vie, qui, en raison de sa moindre
force, a été obteiuie à une plus haute température.
L'alcool pur, que nous prendrons pour exemple des pro-
priétés de ce corps, est un lifpiide incolore, d'une saveur
forte et brûlante , d'ime odeur agréable et d'une pesanteur
spécifique de 0,7i)2. D'après les meilleures analyses, l'alcool /
rectifié résulte des trois éléments suivants : carbone, 2 ato-
mes; hydrogiue, 6 atomes; oxygène, 1 atome. L'alcool
absorbe un grand nombre de gaz, tels que l'oxygène, l'acide
carbonique, le protoxyde d'azole. 11 brûle avec la plus
grande facilité, eu se décomposimt eu eau et en acide car-
ALCOOL — ALCOVE
honiqiio. Son pouvoir réfrigt^ianl est consitli'iable ; sa flamme
ne laiss;e i>as déposer de noir do l'innée , comme lo font d'au-
tres substances trés-combustibles. Lorsqu'on nu'lc faicool
pur avec l'eau, il se doi;age de la chaleur; mais si, au con-
tialre, on le mi'le avec de la nci^e on de la glace pilée, il se
produit un abaissement de température : c'est ainsi (jue lors-
<lu'on niéle de l'alcool anhydre avec de la neige à la mCme
température, le froid peut descendre jusqu'à 37"' quand la quan-
tité de neige excède celle que l'alcool peut fondre. Le froid
le |)lus vif qu'on ait pu produire n'a pu solidifier l'alcool. La
plupart des acides minéraux décomposent l'alcool et le
transforment en éther. Il dissout le soufre, l'iode , le phos-
phore, les alcalis minéraux et végétaux et les sels déliques-
cents. Les résines , les huiles , les baumes , les savons , etc. ,
s'y dissolvent en général facilement. On ne peut obtenir di-
rectement l'alcool anhydre par la distillation ; dans ce cas
le produit le plus concentré renferme toujours une quantité
d'eau assez considérable. Mais en laissant quelque temps
en contact cet alcool avec une substance très-avide d'eau ,
comme la chaux vive ou le chlorure de calcium , et distillant
ensuite à une température très-douce, on obtient un alcool
plus fort. L'alcool bout à une température d'autant moins
élevée qu'il est plus pur; l'alcool absolu , ou anhydre , bout
à 78°. Veaic de vie contient 50 à 52 pour 100 d'alcool; ce
qui correspond à la densité de 0,9 à 0,95. Valcool rectifié
contient de 66 à 70 p. 100 d'alcool; sa densité est de 0,88
à 0,89. Valcool absolu renferme 90 p. 100 d'alcool ; sa
densité est de 0,836 à 0,841, à la température de I5°,55
centigrades. Si on fait chauffer un mélange d'eau et d'alcool,
il se séparera d'abord une portion de celui-ci mêlée d'une
petite quantité d'eau ; à mesure que l'on avancera, la pro-
portion de l'eau deviendra plus grande , et par conséquent
l'alcool s'affaiblira , de sorte que les dernières portions seront
à peine alcooliques. C'est sur ce principe qu'est fondé l'art
de la distillation.
Si on renferme un mélange d'alcool et deau dans un vase
dont on ferme l'ouverture avec un morceau de vessie , on
trouve, après quelque temps, que la liqueur a acquis de la
force : cet effet se continue pendant un certain temps.
L'eau, se réduisant en vapeurs, traverse plus facilement la
vessie que ne le fait l'alcool, et donne lieu à la concentration
de la liqueur. Cette singulière propriété, découverte par un
chimiste allemand , avait été regardée comme susceptible
d'une application utile; mais son effet paraît être trop borné
pour qu'elle le soit réellement.
iVous avons dit précédemment que toutes les liqueurs qui
ont subi la fermentation donnaient, quand on les distil-
lait , de l'alcool dont la nature était toujours la même. Les
chimistes sont restés longtemps divisés sur la question de
savoir si l'alcool existait dans les liqueurs fermentées, ou
s'il se formait dans la distillation : les faits qui ont ])rouvé
l'existence de l'alcool dans le vin .sont trop curieux pour que
nous ne les rapportions pas ici : ils sont dus à M. Gay-
Lussac. En distillant du vin dans le vide à une tempéra-
ture de 15°, plus de moitié moindre que celle du corps
humain , on en obtient de l'alcool, qui ne peut se former à
une aussi faible température s'il ne l'est déjà, puisque celle
de l'atmosphère est très-souvent supérieure. En agitant du
vin avec de la litharge en poudre fine , on le décolore entiè-
rement. Si on y jette, jusqu'à ce qu'il refuse d'en dissoudre,
du sous-carbonate de potasse, celui-ci s'empare de l'eau,
et l'alcool vient former à la surface une couche plus ou
moins épaisse , que l'on peut séparer facilement. — Il n'est
pas nécessaire que des liqueurs fermentées soient potables
pour qu'on puisse en extraire de l'alcool, et, par différents
procédés, on en prépare très en grand dans le but seul de
les soumettre à la distillation , tandis qu'il serait impossible
de les faire servir aux usages de la table.
L'alcool, à .ses divers degrés de force, est employé à une
foule d'usages, soit comme boisson , soit pour la prépara-
niCT. DE LA COiNVEUS. — T. I.
273
lion d'un grand nombre de substances utiles dans les arts,
ou de médicaments. Comme l'alcool pur est très-avided'eau*
et qu'il l'enlève aux matières avec lesquelles il est mis ei'i
contact, il est d'un usage précieux pour la conservation
des pièces anatomiqiies. On en fait une grande consom-
mation pour la fabrication des vernis. Les eaux-de-vie
connues sous les nom de rhum, de rach, de kirscJi-
wasser, de tafia, ne sont jamais employées que pour la
table. Les arts peuvent également faire usage de celles qui sont
extraites de toutes les liqueurs fermentées L'eau-de-vie est
habituellement colorée, quoiqu'on sortant des appareils de
distillation elle soit absolument incolore; l'usage le veut
ainsi, et on la colore artiliciellement, soit en la plaçant dans
des fûts neufs, dont le bois lui cède une petite quantité de
matière colorante, soit en y mêlant un peu de caramel : du
reste, cela ne change rien à ses propriétés. Quoique l'usage
trop répété des liqueurs alcooliques présente des inconvé-
nients graves pour la santé, il ne résulte pas d'accidents im-
médiats de leur emploi, tandis que l'alcool concentré pour-
rait en produire, et donner môme la mort si on en avalait une
quantité assez considérable. Cet effet est dii à la facilité avec
laquelle il s'empare de l'eau : il agit alors sur les tissus aïii-
inaux en les racornissant. Affaibli et pris en petite quantité,
il occasionne une chaleur plus ou moins vive à l'épigastre'
une irritation plus ou moins grande du système nerveux \
l'accélération de la circulation, en un mot une excitation gé-
nérale. En grande quantité, il détermine l'ivresse, carac-
téri,séeparun coma profond, l'inflammation de l'estomac, etc.,
et il peut même déterminer la mort. Quand l'alcool est
abandonné dans l'air, il en attire l'humidité, et perd plus ou
moins de sa force ; si on le mêle avec de l'eau, il en résulte
M\\ effet semblable ; mais il offre un phénomène singulier :
c'est que le mélange occupe plus ou moins de volmiie que
les deux liqueurs réunies, selon ses proportions, et que sa
densité varie aussi. H. Gaultier de Clacbrv.
Le haut prix des vins a donné une grande importance à la
fabrication de l'alcool tiré d'autres substances. On en obtient
surtout de la betterave , de divers légumes, de l'asphodèle ,
des figues, etc. Il a été interdit d'en extraire des grains sans
permission. 2.
ALCOOLAT , ALCOOLE. Le premier de ces' mots
a été inventé par Chaussier pour désigner les préparations
alcooliques médicamenteuses faites à l'aide delà distillation;
l'esprit de cannelle, par exemple, qui se prépare en distillant
une partie de cette écorce dans huit parties d'esprit-de-vin,
est un alcoolat : le baume de Fioraventi , qui résulte de la
distillation du même liquide sur un mélange bizarre d'une
quinzaine de substances diverses et de térébenthine, est aussi
un alcoolat : il en est de même de l'eau de Cologne. On
peut donc dire qu'un alcoolat n'est que de l'alcool impré-
gné intérieurement d'une ou plusieurs huiles essenliellt^^.
moyennant la distillation. — Par alcoolé on désigne les
mêmes préparations alcooliques faites à froid par simple
solution ou macération, comme l'eau-de-vie camphrée, i;ar
exemple, ainsi que plusieurs liqueurs aromatisées qu'on sert
sur les tables. — On voit donc que, sous le nom. d'alcoolat
ou sous celui d'alcoolé, il faut entendre une préparation
dont le degré d'énergie est en raison composée de la quan-
tité d'alcool , de sa rectification , de la nature et de la
quantité des substances qu'il s'est assimilées.
ALCOOLOMÈTiRE. Voyez Aréomètre.
ALCORAIV. Voijez Coran.
ALCÔVE. C'est, dans une chambre à coucher, la partie
où est placé le lit, quelquefois avec de menus meubles dont
on peut avoir besoin. Deux petits cabinets sont souvent
placés aux deux côtés de l'alcôve ; dans tous les cas, une
décoration particulière , soit en menuiserie, .soit en étoffe,
fait de l'alcôve une partie distincte du reste de la chambre à
coucher. On a aussi fermé les alcôves par de grandes por-
tes qui ne restent oiivei tes que ia nuit; on a renoncé à cette
35
274 ALCOVE —
«lisposition, qui est malsaine, le lit et les vêtements de nuit
ayant besoin d'«5tre aérés. Autrefois, dans les appartements
dos princes, les alcôves étaient assez grandes pour qu'on put
y admettre et y faire asseoir quelques personnes de la plus
narfa'*' intimité. Les anciens ont aussi eu des alcôves; on
en a trouvé à Pompéi et à la villa Adriana. — Le mot al-
côve vient certainement de l'espagnol atcoba, et il est pro-
bable que celui-ci dérive des mots arabes al koba, la ca-
bane, la chambre, l'endroit où on couche.
ALCUDIA (Duc d'). Voyez Godoï.
ALCUIIV ( ALCir.NLS Flacccs ) fut le maître et l'ami de
Char le magne. Il naquit en 732, selon les uns à York,
selon les autres à Londres. Élève de Bède et de l'évèque
Eckert, deux des savants les plus illustres du temps, il dut
à la protection de ce dernier l'abbaye de Cantorbéry. S'é-
lant arrêté à Parme au retour d'un voyage qu'il avait fait
à Itome, il eut occasion de voir Cbarlemagne, qui s'y trou-
vait alors. Ce prince conçut pour lui tant d'estime, qu'il
lui conlia, en 7»2, la direction intellectuelle de son empire.
Alcuin s'empressa de ranimer les études en France, où le
clerçé avait oublié jusqu'à la langue dans laquelle sa li-
turgie était écrite. Charlemagne le seconda dans cette tâche
difficile, et adressa une sorte de lettre encyclique à tous les
évêques et abbés de son royaume sur l'état de l'instruc-
tion. Les efforts de l'empereur et de celui auquel il donnait,
en lui écrivant, le titre de maître et de précepteur, ne tar-
dèrent pas à aboutir à de féconds résultats. Lyon, Orléans,
Tours et plusieurs autres villes importantes eurent bientôt
un enseignement complet. Alcuin ne se contenta pas seule-
ment de diriger; il écrivit une foule de petits traités sous
forme de dialogues, dont Charlemagne est toujours l'interlo-
cuteur, et il établit à la cour une académie qui prit le
nom d''Académie Palatine. Chargé de la surveillance de
tous les couvents, il y répandit son instruction et ses lu-
mières. Il ouvrit en France plusieurs écoles, et fonda, entre
autres, l'abbaye de Saint-Martin. — En 801 il quitta la cour,
et se retira à l'abbaye de Saint->îartin, d'où il entretint
jnsqu'àses derniers moments une correspondance suivie avec
l'empereur. Il mourut en 804. — Alcuin fut un des hommes
célèbres de son temps. Il possédait à fond les langues latiue,
grecque et hébraïque. On a aussi de lui quelques essais
poctitpies qui se ressentent de la baibarie de l'époque. Ses
ouvrages furent publiés à Paris en 1617, et à Ratisboime
en 1777, en deux volumes in-folio. Ils sont un monument
précieux de l'état des connaissances humain*>s et de la foi
catholique au huitième siècle. — Alcuin est aussi connu
sous le nom de Flacats Albïnus, nom sous lequel il fut
béatifié et qu'il prit comme membre de PAcadéraie Pala-
tine.
ALCYON. Ce nom , qui rappelle la fable de Céyx et
d'.\lcyone, a été donné par les anciens à un oiseau dont
ou ignore aujourd'hui re,spèce. Quelques naturalistes veu-
lent que ce soit \& pétrel; quelques autres, Vkirondelte sa-
lanqxie, dont les nids sont recherchés par les Chinois comme
un mets délicieux. Cejiendant on désigne assez généralement
sous ce nom le mariin-péckeur à dos bleu de nos climats.
Voyez MxRTtN-I'ÊCUElR.
ÀLCYOXE, ou HALC^ONE, était fdle d'ÉoIe. Ayant
rencontré un jour sur les bords de la mer le cadavre de son
époux Céyx, qui venait d'être englouti dans les abîmes par
une tempête, elle se précipita to\it éperdue sur ces pré-
cieux restes, et les dieux, touchés de ses pleurs et de son dé-
sespoir, les métamorphosèrent l'un et l'autre en oiseaux que
les anciens apfielaient alcyons, et voulurent que désor-
mais la mer restât calme pendant tout le temps que ces oi-
seaux mettaient d'ordinaire à faire leur nid et à couver
leurs œufs. — La mythologie cite une autre Alcyone, lille
d'Atlas et de Pléione, qui fut rendue mère d'Aréthusepar>f|)-
tune,et d'fileuthère par Apollon. Alcyone, métamorphosée
enétoile, forma avec ses sœurs la constellation desPléiades.
ALDEHYDE
ALCYO\'IEIVS. Un genre de polypes connus sous le
nom il\ilcyo)is ont été pris jwur ty|»e d'un groupe considé-
rable de poly|)es , (jue M. Milne Edwards a proposé d'ériger
en famille sous le nom d'alcyonicns. Ces zoophytes forment
sa troisième famille dans l'ordre des polypes parenchyma-
tcux. Les alcyoniens sont des animaux dont la bouche, en-
tourée de tentacules pinnés au nombre de six ou huit seule-
ment, conduit dans une cavité digestive précédée d'un
œsophage, qui a ses parois garnies dehuit ou six lames ova-
riennes. Celte famille comprend cinq tribus, savoir : les al-
cyoniens pierreux ( genres tubipore, favosite, caténi-
pore, etc.), ie^ alcyoniens dendroïdes (corail, isis, gor-
gones, etc.), les alcyoniens libres (pennatulaires), lesa/-
cyoniens rampants (genre cornulaire) et les alcyoniens
massifs (genre alcyon proprement dit et alcyonide ). — Les
alcyonides offrent, d'après les observations de M. Milne
Edwards, un caractère qui les distingue de tous les autres
alcyoniens, et qui consiste en ce que leur canal intestinal
communique avec une cavité commune ; et les aliments
avalés par un des polypes peuvent profitera tous les autres,
puisqu'il y a un seul estomac sans anus et autant de bouches
que de canaux intestinaux individuels. Suivant le même
zoologiste, il existe aussi des alcyons qui sont des individus
isolés et non réunis, comme dans tous les genres des tribus
qu'il a établies. L. Lairent.
ALCYOIViVELLE. Genre de polypes institué par La-
marck d'après une production subérilorme découverte par
Eruguières, qui Tavait rangée parmi les alcyons. M. de Blain-
ville caractérise ainsi Talcyonnelle : animaux hydriformes ,
pourvus de tentacules assez nombreux, disposés en fer à
cheval ou cercle incomplet, rétractiles dans une sorte de
polypier fixé, subéreux, composé de tubes verticaux , sub-
pentagonaux, remplis de corpuscules graniformes. L'alcyon-
nelle, réunie à d'autres polypes à panache en fer à cheval
ou en cercle, a été d'abord élevée au rang de troisième sous-
classe de polypiaires, sous le nom de polypes douteux, par
le même zoologiste. L'élude plus approfondie qu'on a faite
dans ces derniers temps de l'organisation de l'alcyonnelle et
des autres polypes douteux a permis à MM. Elu-enberg,
rsordman, Vanl)eneden et Dumortier, d'obtenir des résul-
tats qui autorisent le rapprochement qu'on en a fait des mol-
lusques acéphales connus sous les noms d'ascidies ou de tu-
nicicrs. Voyez Bryozoaires. L. Laure.nt.
ALDE. Voyez Mancce et Aldines (Éditions).
ALDÉBARAIV. C'est le nom donné à une étoile pri-
maire un peu rougeàtre de la constellation du Taureau : on
l'appelle aussi Œil du Taureau.
ALDEG ONDE (Seigneur du MONT-SALNT-). Voyez
.Mar.mx (Philippe de).
ALDEGREVER (Henri), ou ALDÉGRAF, connu
aussi sous le nom d'' Albert de Westphalie , peintre et gra-
veur, né à Soëst, en 1502, mort dans la mênie ville en 1562.
Il se foiTua à Nuremberg, dans l'atelier d'Albert Durer;
aussi ses œuvres se rapprochent-elles beaucoup du style
de ce maître. Ses toiles sont devenues d'une grande rareté.
Les galeries devienne et de .Munich en possèdent cependant
plusieurs. Ses gravures sont exécutées avec une grande ha-
bileté et un soin extrême. A cet égard il occupe l'une des
premières places parmi ce qu'on appelle les petits-maîtres,
cest-à-dire parmi les artistes allemands qui ont exécuté de
petites gravures avec autant de lini que de délicates.se.
ALDÉHYDE, mot barbare, formé par contraction du
nom alcool deshydrogéné , et par lequel on désigne un
corps qui se produit en diverses circonstances, particulière- ^
ment lorsqu'on fait passer des vapeurs d'éther ou d'alcool à T
travers un tube chauffé au rouge obscur, ou lorsqu'on traite
par le chlore l'alcool étendu deau. L'aldéhyde est un li-
quide incolore, dune odeur éthérée particulière; il brûle
avec une flamme blanche très-pile. Il se transforme à la
longue en deux produits isomériques : I un solide, nommé
ALDEHYDE — ALDINES
!75
mctoldvhtjde ; l";nitre li(|iiiile, appelé claldi'/iydc. L'rcide
aldi'hydtque «.' prinluit lorstiiroi» chauffe tld'oxyded'argent
«lans (le l'aldohyili'. Il reste combiné avec l'argent ; mais oh
Pen sé|>are an moyen de l'acide sulfliydriqne. — On désigne
également sous le nom d'aldéhyde une classe de composés
neutres jxtuvaiit se transformer directement en oxydes mo-
itoltasique^i jKir la fixation de deux équivalents d'oxygène,
M)it au moyen du contact de l'air, soit au moyen des corps
«uydants. Les aldéhydes existent tout fonnés dans les végé-
taux , et y constituent des huiles essentielles : telles sont
Vcssence de cauiielle et celle de ctiinin.
ALDEXIIOVEN, bourg de l'arrondissement d'Aix-la-
Chapelle { Trusse), non loin de Juliers, a acquis de la célé-
brité jiarce que, le l"""^ mars 1703, il fut le théâtre d'une
affaire par laquelle s'ouvrit la campagne de 1793. Après la
perte de la bataille de Jemmappes, les Autrichiens s'étaient
vus forcés d'évacuer la Belgique, Luxembourg et Maestricht,
et de se retirer derrière la Roer, pendant que Dumouricz
menaçait la Hollande d'une invasion. Pour l'en empêcher
et en même temps débloquer ^laestricht, le prince de Co-
iKturg concentra derrière la Roer son armée composée de
quarante mille .\utrichions, à la tête de laquelle il effectua
le l" mars le passage de cette rivière à Duren et à Juliers.
L'archiduc Jean commandait lavant-garde ; l'aile gauche
était aux ordres du feUl-maréchal -lieutenant prince de
\Vurtenil)erg. Les Français, complètement mis en déroute ,
perdirent six mille hommes tués ou blessés et quatre raille
prisonniers. Le lendemain le prince de Cobourg occupa Aix-
la-Chapelle et Liège, débloqua Maestricht, et poursuivit vive-
ment les Français. L'année suivante, le 2 octobre 1794,
Jourdan remporta au même endroit une victoire sur les
Autrichiens.
ALDERJLVN, en anglo-saxon xldorman, c'est-à-dire
ancien. Ce mot désigne tout à la fois un degré de noblesse
et une fonction de magistrature. Dans la constitution anglo-
saxonne, les chefs de toutes les corpoiations étaient quali-
fiés à'oldermen (pluriel (Taldermaji) , comme aussi les
liauts fonctionnaires des cercles ou comtés (s/iires) et les
anciens (scnatores) de tout le royaume, qui avaient voix
délibérative dans les assemblées du peuple {u'ittenagemot)
et qui en temps de guerre marchaient à la tête des hommes
d'armes de leurs comtés. A l'origine ils étaient à la nomi-
nation des rois; ils furent élus par les possesseurs de biens
libres. .\près la conquête de Tile par les Danois, ce mot fut
remplacé par le xao\àa.nQ\?,jarls{earls). — Aujourd'hui en
Angleterre, et aussi dans une grande partie des États-Unis
d'Amérique, les membres des corporations municipales, re-
présentant le conseil de la ville, et que préside le maire
(qualifié à Londres de lord maire), portent le titre d'aWe/--
men. Le lord-maire de Londres est élu chaque année dans
le corps des aldermen , lequel est lui-même le produit de
rélection faite par les électeurs de chaque quartier {ivnrd).
La principale attribution des fonctions d'alderman consiste
à sur\eiller l'exécution des lois et règlements de police dans
le district particulier que représente chacun d'eux dans le
conseil municipal ( Common council ). Les trois plus anciens
(ildcrmen, et aussi ceux qui ont déjà rempli les fonctions de
maire, sont eji même temps juges de paix. Beaucoup de
considération et de respect s'attache aux fonctions et au titre
«ralderman.
AL-DERRIIIIM. Voijez Derahim.
ALDLXES (Lditions). On design*; ainsi les ouvrages
sortis des presses de la famille Manuce, et surtout d'Aide
Manuce (Aldus Manutius). Files ne se recommandent pas
«joins par leur valeur intrinsèque que par leur exécution
matérielle, et sont aussi esliuK'es des savants que recher-
cl«ces par les bibliophiles. Beaucoup d'entr-e elles sont ks
premières éditions (edi/iones principes) qu'on ait laites
des classiques grecs et latins; d'autres re(M0<lniseiit ks
textes de diveis auteurs classiques moderhes, tels cpie l'c-
trarque, le Dante , Boccac« , etc., soigneusement restitués
d'après les manuscrits. Toutes brillent en général par une
remarquable correction typographique ; ce|>cndant les édi-
tions des auteurs grecs sont sous ce rapport quelque
peu inférieures aux éditions latines et italiennes. Les
é<litions publiées par Aide le père font en outre époque
dans les annales de l'imprimerie , parce qu'elles contribuè-
rent singulièrement au perfectionnement des types. Jamais
imprimeur n'avait encore avant lui employé de si beaux
tjrpes grecs. Il en fit successivement graver et fondre sur
neuf corps différents. Quant aux caractères romains , il en
employa quatorze corps différents. C'est à lui, ou plutôt au
graveur Francesco de Bologne , qu'on est redevable de l'in-
vention du caractère dit itnligîic.l\ l'employa pour la pre-
nuère fois dans son édition in-S" de classiques anciens et
modernes, qu'il commença (en 1501 ) par Virgile. Il n'y a
pas jusqu'aux caractères hébreux dont il ne possédât jusqu'à
trois corps différents. Ses éditions in-S" sont dépourvues
de gravures sur bois , toujours rares d'ailleurs dans les ou-
vrages sortis de ses presses. V Hypnerotomachia PoU-
phili ( 1499 , in-fol. ) est une remarqualile exception à cette
règle. Ses impressions sur parchemin sont d'une incompa-
ral)le beauté. Manuce le père fut le premier imprimeur qui
introduisit l'usage de tirer quelques exemplaires sur dn
papier meilleur, plus fin , ou plus fort , que celui du reste
de l'édition. Les Epislolœ Grxcee (1499) en offrent le pre-
mier exemple. A partir de 1501, dans son édition de Philos-
trate, il tira aussi quelques exemplaires sur grand papier ;
les premiers exemplaires qu'on ait sur papier bleu sont de
1514. Un petit nombre d'exemplaires de ses éditions des
Libri de Re Rustica et de Quintilien furent ainsi tirés. Per-
sonne, avant ni après lui, n'a fait preuve dans l'impression
des reu^Tes des auteurs classiques d'autant de zèle, de goiit
et de profondes connaissances en littérature. Jamais itiiijri-
meur ne fit non plus tant de sacrifices pour arriver à la
correction. Après sa mort , arrivée en 1515 , son imprimeiie
fut dirigée par son beau-père, Andréas Asulanus, qui sut le
remplacer. Paul , fils d'Aide , eut pour les classiques lafin;^
le même enthousiasme que son père avait éprouvé pour les clas-
siques grecs. L'imprimerie fondée par Aide Manuce le père
subsista pendant cent années , et dans cet espace de temps
imprima neuf cent huit ouvrages différents. Sousladirectio:»
du petll-filsdu fondateur. Aide, fils de Paul, mort à Rome
en 1597 , elle perdit la supériorité qu'elle avait constam-
ment eue sur toutes les autres imprimeries d'Italie, et dut
finir par se fermer. Comme de très-bonne heure ou rechercha
extrêmement les diverses impressions provenant de cette
officine, notamment celles qui remontent aux premières
années de son existence, les imprimeurs de Lyon et les
Giunti de Florence, à partir de 1502 , trouvèrent du profit
à les contrefaire. Leurs mauvaises et frauduleuses réimpres-
sions furent souvent confondues, et jusqu'au commencement
du dix-neuvième siècle, avec les éditions aldines originales,
h'aldomanie a du reste beaucoup diminué dans ces der-
niers temps, surtout en Allemagne. Parmi les ouvrages deve-
nus aujourd'hui les plus rares qui soient sortis des presses
des Aides, il faut citer les Hone bcntae Marix Virginis
de 1497, le Virgile de 1501 et les Rhetores Graci, sans
compter les éditions, extrêmement rares , datées de 1494 a
1497. Parmi les collections d'éditions aldines, on citait celle
du libraire Renouard, quia été dispersée; on cite encore
celle de Florence et celle de M. A. Firmin Didot, lequel a
donné une savante et curieuse notice sur les Manuce dans
la Biographie générale. Renouard a lait paraître les An-
nales de l'Imprimerie des Aides, oh Histoire des trois
Manuce et de leurs éditions, etc. (Paris, 3' édition, 1834,
1 vol. in-S" : la 2" édition avait 3 vol.). Ébert a publié eu
supplément au premier volim>e de son DJc^îOH??«?re&i''//o-
graphique le catalogue de toutes les éditions aldines aiillien-
tiques. * .
ALDINI — ALDROVANDE
ALDL\1 (Antomo, comte), n.» en l7jG, à Bologne,
dait [iiolesseur de droit dans sa ville natale , lorsque, par
suite de l'invasion française en Italie, elle se sépara des
ttats pontificaux. Il fut alors envoyé à l'aris par ses con-
ciloyens pour les y re|trésenter. Plus lard il (it partie du
Consiùl des Anciens de la république Cisalpine. En 1801 il
fut appelé à faire partie delà consulte de Lyon, et plus tard
aux fonctions de président du conseil d'Etat, qu'il ne conserva
d'ailleurs que peu de temps. En 1805 Napoléon le créa comte
et le nomma ministre secrétaire d'État pour le royaume
d'Italie. Le comte Aldini avait fait construire dans les bois
de Montmorency, près Paris, un château qui coûta des
.sommes énormes, et qui fut détruit en 1815. Après la disso-
lution du royaume d'Italie, il vécut dans la retraite et l'iso-
lement, à Milan, où, à partir de 1819, il parvint à gagner
également la confiance du gouvernement autrichien , et
mourut à Pavie, le 5 octobre 1826. Peu de temps avant sa
mort, A n f 0 m m a r c h i lui avait apporté un adieu suprême
de iNapoléou, qui jusqu'au dernier moment de sa vie avait
conservé de lui le souvenir le plus affectueux. En 1857 on
a annoncé à Paris les Mémoires du comte Aldini.
Son frère, Giovanni Aldini, était né le 10 avril 1762, à
Bologne, et fut nommé en 1798 professeur de physique à
l'université de cette ville. En 1811 l'influence d'Antonio
le (it appeler aux fonctions de conseiller d'État; et plus tard
il le suivit dans sa retraite à Milan, où il mourut le 17 jan-
vier 1S34. Il s'était surtout occupé de questions pratiques,
comme l'application du galvanisme à la médecine , l'éclai-
rage au gaz, la construction et l'éclairage des phares,
l'emploi de la vapeur pour chauffer l'eau des bains, etc. Ou
a lie lui: Précis d'expériences galvaniqîies{Vain!i, 180.3);
£ssui historique et expérimental sur le galvanisme
(Paris, 1804); Expériences sur le levier hydraulique
(Milan, 1811) et Recherches swr V application de la va-
peur au dévidage des cocons devers à soie (Milan,
1818). Il avait inveiilé un appareil de sauvetage, sorte de
cotte de maille en asbeste pour le cas d'incendie, qu'il a dé-
crit dans son Art de se préserver de l'action de la flamme
(Paris, 1830). Cet appareil avait été essayé avec succès à
Genève , à Vienne, à Paris, à Londres et en Italie. L'Acadé-
mie des sciences lui décerna pour cet appareil un prix de
8,000 fr. sur le legs Montyon, en 1830; la Société royale de
Londres lui donna la grande médaille d'or, et l'empereur
d'Autriche le décora de la Couronne de fer. Aldini , neveu
de Galvani, fut un des premiers membres de l'Institut na-
tional d'Italie. Il a légué à sa ville natale une somme consi-
dérable pour l'établissemsnt d'un cours de physique et de
Lhimie en faveur des ouvriers. Z.
AL-DJÏIIED ou ALGIHAD. Ce mot arabe, qui signifie
guerre, est donné spécialement par les musulmans à la
guerre qu'ils font aux peuples qui ne suivent pas la religion
de Mahomet, et surtout aux chrétiens. Us appellent al-gha-
ziah (d'où nous avons fait razzia) une campagne contre
les inlidèles. Le premier nom est le but, et le second l'exé-
cution. Dans les premiers siècles de l'islamisme et au moyen
âge , les princes musulmans de l'Asie, de l'Afrique et de l'Es-
pagne faisaient prêcher Val-djihed ou guerre sainte contre
les chrétiens; et lorsqu'ils leur accordaient ou leur deman-
daient la paix, ce n'était réellement qu'une trêve , ainsi que
l'indique du reste le sens du mot qu'ils employaient. —
Parmi les nombreux ouvrages musulmans qui traitent des
devoirs et des mérites de la guerre sainte , il y en a un
écrit en arabe qui a été imprimé en Egypte par ordre du
vice-roi Méhémet-Ali. H. Audiffret.
ALDOBRAXDI\'ES (Noces), antique peinture à
fresque, datant vraisenil)lablement de l'époque d'Auguste,
«jui fut découverte sous le pontificat de Clément VIII, non
loin de Sainte-Marie-Majeure, là où étaient autrefois situés
les jardins de Mécènes , et qu'on transporta d'alwrd dans la
villa du prince Aldobrandini, d'où lui vient la dénomination
' sous laquelle elle est connue. Elle y resta pendant plus de
; deux .siècles, jusqu'à ce que cette villa, située sur le mont
Quirinal, passât dans la famille Borghèse. Celle-ci fit vendre
ce tableau en même temps que d'autres trésors artistiques.
i Cette peinture, placée depuis lors sous verre au Vatican,
I aété réparée avec bonheur parle peintre Domenico del Frate.
Elle offre un groupe de dix figures, et représente la célé-
bration d'une noce. Winckelmann veut qu'il s'agisse des
noces de Pelée et de Thétis ; suivant Bondi, ce seraient celles
de Manlius et de Julia. Nicolas Poussin en avait lait une
copie célèbre, et Carloni en fit une planche sur cuivre tirée en
couleur. On peut consulter sur l'histoire et l'explication dece
beau morceau de peinture la dissertation pubhée par Bœtti-
gcret .Meyer Sur les Noces Aldobrandines (texte allemand ;
Dresde, 1840); lettera suW antica célèbre pittura co-
nosciuta sotto il nome délie !\'ozze Aldobrandine ( Rome,
in-4'', 1815), et le second volume des petits Mémoires ar-
chéologiques de Bœttiger ( Dresde , 1838).
ALDOBRAJ\DI!\I (Famille). Cette famille, qui s'étei-
gnit en 1681, par la mort d^Octavie, fille de Jean-George
Aldobrandini, prince de Rossano, était une des plus il-
lustres maisons de Rome. Plusieurs membres de cette fa-
mille se sont distingués dans les sciences , dans l'histoire
ou dans les lettres. Sylvestre Aldobrandini, né à Florence
en 1499, mort à Rome en 1558, fut un des plus célèbres ju-
risconsultes de son tei!i|is. — Un de ses fils, Hippolyte Al-
docr.\ndini, devint pape sous lenomde Clément VIII. —
Un autre, Jean, fut cardinal auditeur de Rote, puis évê-
que d'imola, et mourut à Rome en 1573. — Un troisième,
appelé Pierre, succéda à son père dans la charge d'avocat
de la chambre apostolique. ■ — On possède de Thomas Al-
dobrandini, le plus jeunedes fils de Sylvestre, une traduction
estimée de Diogène Laeice ( Rome, 1594, in-fol. ). — Un
neveu de Clément VIII, Cintio Passero, prit le norad'AI-
dobrandini , de sa mère, qui appartenait à cette famille ; il
devint cardinal en 1593. — Pierre, frère du précédent, car-
dinal et légat en France, termina les différends qui exis-
taient entre le duc de Savoie et Henri IV. — Un autre
membre de la même famille, Alexandre, né à Florence,
en 1674, fut cardinal, nonce à Naples, à Madrid, à Venise,
et archevêque de Rhodes. Il mourut en 1742. Les biens
de cette famille passèrent aux maisons PamCli et Borghèse.
ALDRINGER ou ALTRINGER (Jean), seigneur de
ROSCHITZ, comte de LIGMA, feldmaréchal autrichien,
était issu d'une famille pauvre du Luxembourg. Engagé vo-
lontaire, il servit sous Wallensteia et sous Colalto, et s'é-
leva par sa bravoure jusqu'au plus haut grade. Il prit Man-
toiie en 1629, fut blessé au passage du Lech en 1632 , en-
vahit la Bavière en leS."?, et périt dans l'Isar en 1634.
ALDROVANDE , et mieux ALDROVANDI( Ulysse),
savant naturaliste italien, né à Bologne le il septembre
1522, mort dans la même ville en 1605, consacra toute sa
vie à l'étude des sciences naturelles, pour les progrès des-
quelles il dépensa toute sa fortune en recherches, en voya-
ges , emmenant avec lui, dans chacune de ses excursions
scientifiques , des peintres et des graveurs , entretenus à
grands frais, et qu'il faisait travailler au grand œuvre qu'il
avait entrepris. Aussi laissa-t-il à sa patrie la plus complète
collection qui eût encore était formée. Il n'eut pas, au reste,
le temps de mettre lui-même en œuvre l'énorme quantité de
matériaux qu"il avait rassemblés pour une Histoire natu-
relle, dont il ne put publier que quatre volumes , sur les
trente dont elle se compose. Le sénat de Bologne, légataire
de son cabinet et de ses manuscrits, se chargea de terminer
cette belle et consciencieuse publication. Sans aucun doute
elle a bien vieilli-, mais aujourd'hui encore, quoi qu'en aient
dit Buffon et d'autres naturalistes, qui n'y voyaient qu'une
iu)mense compilation , elle est une source aussi précieuse
qu'abondante, à laquelle vont bien discrètement puiser
force savant- , qui n'ont garde de s'en vanter ; car il s'y
ALDROVANDE — ALÈGUE
277
Iroiive lies iltUails et surlonl îles graviiies qu'on clicrcherait
ailUnirs inutilement.
ALDUDES ( Combat des), ou d'ISE'ÉGUI. Legt^néral
Mulicr, conunaiidant l'armée des Pyrénées occidentales,
voulant tenter une expédition sur le territoire espagnol par
la vallée de Bastan, lit attaiiuer les positions des Aldudes
et d'Ispégui le 3 juin 1794. La défense fut énergique, et les
troupes françaises se virent plusiems (ois contraintes de se
reployer; mais l'adjudant général Harispe combattit si vail-
launnent à la tête des Basques , qu'il finit par enlever les re-
doutes de l'ennemi et par le chasser des positions qu'il oc-
cupait.
ALE ( prononcez aile ou êle ) , nom d'une bière de
table , claire, forte, d'une piquante amertume, dont il se fait
en Angleterre une immense consommation, et qui est la
plus forte des bières qu'on connaisse. Elle contient près de 7
pour 100 d'alcool. La fabrication de l'aie demande beaucoup
de soins. On n'y doit employer que le malt le plus beau , le
mieux torréfié, et le houblon le plus récent et le mieux con-
servé ; on dirige la fermentation de telle sorte que la levure
en soit à la vérité complètement séparée, mais que beau-
coup de sucre y reste non décomposé ; ce qui est la cause de
la faculté de se conserver pendant longtemps que cette
espèce de bière possède à un haut degré, ainsi que du goilt
qui lui est particulier. On exporte l'aie avec beaucoup de fa-
cilité. Il s'en fait aujourd'hui une assez importante consom-
mation sur le continent. Comme le procédé employé dans
les brasseries anglaises est parfaitement connu, on fabrique
de l'aie dans divers pays avec le plus grand succès.
ALEA, ville d'Arcadie, fondée, dit-on, par Aléus, non
loin de Mégalopolis, oii Minerve, Bacchus et Diane avaient
chacun un temple. On y célébrait en l'honneur de Eacchus
une fête dans laquelle les femmes se déchiraient de coups
de fouet, comme dans les fêtes de Diane Orthia , à Lacédé-
mone.
ALÉATOIRE ( du latin alea , jeu de hasard ), adjectif
qui dans notre langue n'a point de substantif, et se rapporte
à tout ce qui dépend d'un événement incertain , tel qu'un
coup de dés; il s'applique, surtout en droit, aux contrats
ou conventions dans lesquels , soit les deux parties , soit
lune d'elles , s'en remettent pour l'exercice de leurs droits
à un événement incertain entièrement subordomiéau hasard.
Dans l'origine de notre législation, les décisions judiciaires
elles-mêmes étaient souvent aléatoires ; le plaignant avait à
soutenir sa plainte , et le prévenu à prouver son innocence
par les armes; d'autres fois, le prévenu était soumis à de
certaines épreuves judiciaires, soit du fer, soit du
feu , soit de l'eau , qui décidaient de son sort ; c'était ce que
l'on nommait alors lejugementdeDieu: le hasard fai-
sait les arrêts.
Parmi les conventions, celles qui sont purement aléatoires,
et qui dépendent, soit d'un coup de dés, soit d'un jeu
de hasard , ont toujours été sévèrement proscrites comme
contraires à la morale publique et au bon ordre. Ainsi , la
loi ne reconnaît ni les dettes de jeu ni les paris; e1. Lien que
les parties contractantes soient liées à cet égard par une
obligation naturelle, puisqu'elles ont volontairement con-
senti à courir des chances qu'elles réputaient égales, il leur
est interdit d'exercer aucune action en.jiistice , soit pour exi-
ger ce qui a été gagné, soit pour redemander ce qui a été
payé après avoir été perdu. Les jeux de cartes, les jeux de
dés , les jeux de Bourse , sont expressément compris dans
cette proscription ,^qui cependant n'est point générale, car
elle ne s'étend pas aux jeux qui tiennent à l'adresse et à
l'exercice du corps; à cet égard, l'action est ouverte, et
peut être poursuivie; mais les tribunaux ont le pouvoir
discrétionnaire de régler le montant des condamnations,
ou de rejeter entièrement la demande , suivant les circons-
tances. 11 y a du reste un assez grand nombre de conven-
tions aléatoiies qui sont paifaitement licites et d'un usage
habituel : tels sont tous les contrats dans I(s<piels les parties
stipulent sur un événement incertain qui présente pour cha-
cune d'elles, ou pour l'une d'elles, des chances égales do
gain ou de perte , soit que les deux parties consentent éga-
lement à courir des hasards contraires, comme dans le con-
trat d'assurance , soit que l'une d'elles cède pour une sonnne
fixe et déterminée des droits réels qui lui sont acquis , mais
dont elle ignore l'importance , comme dans la cession d'une
créance litigieuse et de droits héréditaires non réglés , ou
dans la vente d'un coup de filet. Dans ces sortes de conven-
tions, c'est aux parties à faire respectivement l'évaluation
de leurs espérances et des chances qu'elles peuvent avoir à
courir ; mais une fois le contrat arrêté , quelles que soient
leurs stipulations , et quel que soit l'événement , les parties
sont iriévocablemcnt liées.
Outre les conventions générales qui peuvent contenir des
dispositions éventuelles , et qui forment ainsi de véritables
contrats aléatoires, les principaux de ces contrats sont :
1° les donations contractuelles que se font d'ordinaire les
époux par leur contrat de mariage, et dont l'effet est
subordonné au prédécès de l'un d'eux ; 2° le contrat d' as-
surance, soit terrestre, soit mai'itime, soit sur la vie;
3° le prêt à la grosse aventure; 4° enfin le contrat à
rente viagère. Nous parlerons de ces différents contrats
à leurs articles respectifs.
ALECTO. Vot/ez Fdriks.
ALECTRIOMANCIE ou ALECTOROMANCIE (du
grec àXÉxTwp, coq, et |j.avTst'a, divination), sorte de divination
qui se pratiquait par le moyen d'un coq , qu'on plaçait au
milieu d'une figure, en forme de carré ou de cercle, tracée
sur le sable et divisée en vingt-quatre compartiments. Cha-
cune des cases , marquée d'une lettre de l'alphabet , conte-
nait un grain de blé. On fabriquait un mot des letties, sui-
i vaut Tordre dans lequel le volatile avait mangé le grain
j placé sur chacune d'elles, et on en tirait un pronostic.
C'est ainsi , dit-on, que fut prédit, sous l'empereur Valens,
i l'avènement de Théodose le Grand. On pourrait ranger dans
la même catégorie ces poulets sacrés de l'ancienne Rome
dont le plus ou moins d'appétit décidait du sort de l'État.
ALECTRIOIVOiV, c'est-à-dire combats de coqs. Ce fut
Thémistocle , dit-on, qui les établit en mémoire de sa vic-
toire sur les Perses. Avant de livrer bataille , il avait tiré un
heuieux présage du chant d'un coq. D'autres disent qu'ayant
vu avant le combat deux coqs se battre avec fureur, il les
avait fait remarquer à ses soldats , pour les animer par cet
exemple. — Ces espèces de jeux se célébraient avec solen-
nité dans le grand théâtre d'Athènes , vers le 20 de boédio-
mion (septembre). On les faisait précéder de prières et de
sacrifices. Il paraît cependant que ces jeux étaient connus
en Grèce avant Thémistocle , ainsi que les combats de cailles
et de perdrix , mais que ce général leur donna l'appareil
d'une fête religieuse. Lucien dit que tous les jeunes gens en
âge de puberté étaient obligés d'assister à ces combats de
coqs. — Nous retrouverons ces jeux chez les modernes.
Voijez Combats de Coqs.
ALÉES, fêtes des Tégéates en l'honneur de Minerve
Aléa. Ce surnom de la déesse venait d'Aléus , dixième roi
d'Arcadie et père d'Augé, qui eut d'Hercule un fils nommé
Télèphe. Aléus éleva à Minerve un temple, l'un des plus
anciens de la Grèce, et dont l'asile était le plus respecté.
Les prèlrcsses qui le desservaient étaient de jeunes filles
dont le sacerdoce cessait à l'âge de puberté. Ces fêtes avaient
lieu en mémoire d'une victoire que les Tégéates avaient rem-
portée sur les Lacédémoniens, dont ils avaient fait un grand
nombre de prisonniers. Les Alées étaient suivies de jeux. On
les nonimait aussi Aloties, d'à).6w, je prends.
ALÈGRE. La maison d'Alègre est originaiie de la
province d'Auvergne, où elle ac(iuit un rang distingué dans
la noblesse par ses alliances et ]iar les grands officiers qu'ellt;
a produits. — Mot 'mot, huion d'ALi:ciiL, fut conseiller tt
ALEGRE — ALENÇON
278
chambellan du roi Charles VI. — Yves , son anitre-pctit-
fils, suivit à la conquête du royaume de Naples le roi Char-
les VIII, qui le nomma commandant de la Basilicate, et le
roi Louis XII, qui lui donna le gouvernement du Milanais.
— Yves, marquis d'ALfecKE, issu du précédent, naquit en
1653; il entra dans les gardes du corps en 1675, et servit
d'abord sous le duc de Luxembourg et sous les maréchaux
de Créqui,de Lorges et de Villeroi. Créé lieutenant gé-
néral des armées du roi en 1702, il servait dans l'armée
de Flandre, lorsque les alliés, à la faveur de la nuit,
surprirent, le 18 juillet 1705, les lignes qui couvraient nos
|K)ssessions dans les Pays-Bas espagnols. Le marquis d'Alègre
y soutint un combat opiniâtre, dans lequel il eut un cheval
tué sous lui. 11 fut fait prisonnier et conduit en Hollande,
où le roi lui expédia un plein pouvoir pour conclure la paix
avec celte république. Échangé en 1712, après Taffaire de
Denaiii, il lit les campagnes d'Allemagne et du Rhin , qui
amenèrent le traité d'Utrecht. Il reçut le 2 février 1724 le
bâton de maréchal, et fut créé quatre ans après chevalier
des ordres du roi. Il mourut en 1733.
ALEMAÎV ( Matthieu), écrivain espagnol, né à Séville,
vers le milieu du seizième siècle, mort vers 1C20, fut pen-
dant longtemps, sous le règne de Philiiipe II, surintendant
et contrôleur des linances. H voyagea au Mexique, et quitta
ensuite les affaires pour se vouer exclusivcmment à la car-
rière des lettres. Il est auteur de plusieurs ouvrages, entre
autres du roman de Guzmun d'Al/arache (Madrid, 15'Jy),
que Le Sage a plutôt imité que traduit.
ALÉMiVNMQUE (Dialecte). On nomme ainsi un
dialecte allemand qui n'a pas subi les modifications et le
perfectionnement que les autres idiomes de l'AllerAagne ont
généralement reçus depuis le seizième siècle. Il se parle
«lans l'ancien pays des Aleraans, en Alsace, en Souabe et
dans (luehiues parties de la Suisse. Ile bel a écrit ses poésies
en dialecte alémannique.
ALEMAIXS (des mots allen^ands aile manncn , qui
signifient gens de toute origine). C'est le nom d'une confé-
dération guerrière de plusieurs peuples germaniques, entre
autres des Teuctères et des Usipiens, qui vers le commence-
ment (lu troisième siècle s'approchèrent de l'empire Romain.
i: ai a ca 1 1 a tut défait par eux sur les bonis du Rhin ainsi
qiu' M. :x andre Sévère. Maximilien lut le premier qui
les battit, en 23(i, et les refoula en Germanie. Mais après sa
mort ils envahirent de nouveau la Gaule. Postbumius les
4lclit complètement, les poursuivit au delà du Rhin; et pour
niettri- dorénavant l'empire à l'abri de leurs incursions,
il lit élever le long des frontières des reu)parts garnis de
lossés et défendus de distance en dislance par des forts.
Il existe encore aujourd'hui des débris de ces fortifications à
IMiiring sur le Danube, ainsi que dans la principauté de
Hohenlohe jusqu'il Jaxlhausen, et sur la rive septentrionale
<lu Mein (vor/ez Mur du Diahle). Les Alemans n'en conti-
nuèrent pas moins leurs incursions, et furent sureessivement
Lattus et rejetés en Germanie par Lollianus, successeur de
l'oslhumius , et jtar l'empereur Probiis. Apres la mort de ce
<lernier, cédant à la pression des Bourguignons venus du
jiord-est, ils sétabliient au delà de la nunaille romaine
<lepuis Mayence jusipiau lac de Constance , des deux côtés
<lela forêt d'Odenel delal'orét-Noire. Enfin, l'an 307, Julien
l'ut envoyé en qualité de césar dans les Gaules. Les Alemans
avaient continuellement porté leurs ravages .surson tenitoire
iiinsi «pi'à l'est siu- celui de la ÎNorique. .lufien contraignit
<le nouve^ui lei Alemans à repasser le Rhin ; ies huit princes
<iui les commandaient iniplori-rent la paix. L«'its forces réimies
<!ans la bahrille rangée que leur livra Julien se montaient
il 35,000 hommes. Bientôt après se joignirent à eux riir le
Danul>esupérieurlesJullmnges,dontie nom disparait au cin-
<|uième siècle. Le peuple confédcié porta par la suite le nom
4VAtemfins ou Siièves, dont on lit Sounhcs, eniployt- comme
dcnomination g-néiique. Au qiuitiième siècle ils se répan-
dirent sur toute la rive gauche du Rhin jusqu'aux Vosges, él
au sud jusqu'aux Alpes helvétiques. Enfin Clovis anéantit
leur puissance à Tolbiac (396), elles .soumit à la domina-
tion franque. Un grand nombre d'entre eux se réfugièrent
alors auprès de Théodoric , roi des Ostrogoths , en Italie et
dans les Alpes. La partie septentrionale du pays des Alemans
devint le domaine particulier des rois francs. Le reste du
territoire, qui en était la plus grande partie, forma le duché
(ÏAlenwnnie, qui s'étendait au sudjusqu'au mont Saint-Go-
thard, à l'ouest jusqu'au Jura (plus tard seulement jusqu'à la
Reuss), ;u nord sur le Rhin jusqu'à la Sur et la .Murg, .sur
le Necker jusqu'à l'Enz, et à l'est jusqu'à la Wamitzet le Lech.
L'Alsace, qui en fut pendant quelque temps séparée, lui fut
de nouveau réunie sous l'empereur Henri F'', et en fit partie
jusqu'au treizième siècle. A partir du règne de Henri IV le
nom de Souabe devint en usage pour désigner la partie de ce
duché située à l'est, sans y comprendre les fiefs de Hohens-
taufen et de Z<Thringen.
ALEMBERT (d'). I''oys; D'Alembert.
ALEMBllOTII , mot chaldi-en dont se .servaient les
alchimistes pour signifier la clef de l'art. Cette clef faisait
entrer le chimiste dans la transmutation. Celui qui la possé-
dait savait le grand œuvre. Les alchimistes appelaient set
d'alembroth ou sel de la sagesse un produit obtenu en
sublimant le calomélas avec le chlorure d'ammonium. En
pharmacie on nomme sel d''alembroth une sorte de mé-
lange salin médicamenteux considéré comme fondant , diu-
rétique, apéritif. Le moi alembrotli cfX au.ssi employé par
quelques chimistes pour désigner un sel fondant ou alr^ilin ,
aidant à la fusion des métaux.
ALEM-TEJO ou ALENTEJO, province administrative
du Portugal, bornée au nord par lEstramadure et la Beira ,
à l'est par l'Estramadure espagnole , au sud |)ar l'Algarve et
à l'ouest par l'océan Atlantique. Elle a quarante-quatre lieues
de longueur, sur une largeur à peu près égale , et ne ren-
ferme que 384,000 habitants. Cette province est traversée
par une chaîne de montagnes appelée la Sierra Monohique,
et arrosée par le Tage , la Guadiana , le Zadao et un grand
nombre de petites rivières. Son territoire est montueux et
sabionneiix dans quelques endroits, et fertile dans d'autres ,
mais partout mal cultivé. Des marécages nombreux et éten-
dus en occupent une bonne partie. Cependant le sol y est
en général si riciie qu'il fournit en surabondance des récoltes
de blé, de riz, d'iuiile, de vin, d'oranges, et autres fruits.
Les pâturages sont excellents et couverts de nombreux
troupeaux de moulons à laine fine, de chèvres et de porcs.
Les fromages qu'on prépare dans ce pays sont renommés.
Il y a des mines d'or et d'argent , qu'on n'exploite pas faute
de combustible; mais on exploite des carrières de marbre
et une belle terre dont on fait des vases et d'autres ustensile.s
qui .s'exportent en Espagne. Le commerce de cette province
est très-restreint, et la f.djrication se borne à des draps et
des lainages de médiocre qualité. L'.Mentejo se divise en
huit districts ou camarias; ce sont ceux iïÉvora , chef-lieu
de la i)rovince , de liéja , d'Elvas , de Portalègre , d'Ourique ,
de Villa-Viciosa , de Crato et d'Aviz.
ALEXÇO\, jolie ville de France, chef-lieu du dépar-
tement <le î"Orne, située dans une grande et fertile plaine,
entourée de forêts , au continent de la Sarthe et de la Bril-
lante, à 193 kilomètres sud-est dt Paris. Sa population est
de 10,473 habitants. Elle est aussi le chef-lieu du quinzième
arrondissement forestier. Elle possède des tribunaux de pre-
mière instance et de coinmetce, une chambre de commerce,
un conseil de prud'hommes, un collège communal, une
école normale primaire départementale, une bibliothecpie pu-
blique, qui renferme de riches colleclions, ainsi que les ma-
niisi rils de l'abbaye de Saint-Évroiil, parmi lesquels (m re-
maniue un autographe d'Orderic Vital et un de l'abbé de
r.ancé. Ses principaux monuments sont : l'église collégiale,
édilice du seizième siècle, l'hôtel de la prélecture , et l'hôtel
ALENCOIV
279
(le villo, con>;truit en 17S3, sur IViniiIaconu'nt de raïuicn
cliAtt-aii. On y >oit encore les restes de l'ancien cliAteau des
dm s d'Alenv on.
Cette \i\\c a uni' industrie trt"s-active. Elle est renoniniée
innir son ancienne fabrication de dentelles dites point
(r.Alcnfon, et pour sa fabrication de tuiles, de blondes, de
mousselines, de toiles et de cliape;ui\ de i)aille fine. Klle
posstVle d'importantes fdatures de coton et de clianvre, des
fabriques de bouïiran, des blanchisseries considérables, des
tanneries, etc. Elle tient au chemin de fer de Cherbourg.
On exploitait jadi* prèsd'Alençon un quart/ cristallisé que
1 on travaillait sous le nom de d lamants d' Aleiiçon. La belle
lubritpie de pohit d'Alençon , qui a lonjitemps joui d'mie
l)rillanle rt^pntation, due à la beauté de son exécution, à la
l'Urelé de ses dessins, à la solidité de son magnifique tra-
vail, fut apiK'lée de Venise par Colbert. Ce fut le 5 aoîit 1675
que les lettres patentes consolidèrent le nouvel établissement
à Alençon ; neuf ans après on i>rohiba les dentelles de Ve-
nise, de Gènes et de Flandre. Vers 1750 on comptait douze
cents femmes occu|)ées aux diverses parties du point d'Alen-
çon : ces ouvrières étaient en 1772 au nombre de dix mille ;
mais cet état de prospérité ne fut pas durable. Avant 1789
les dentelles plus légères, mises à la mode par Marie-Antoi-
nette, établirent une concurrence, qui peu à peu devint très-
préjudiciable aux points d'Alençon et d'Argentan (car cette
dernière ville avait mis en grand renom son point de France,
à peu près pareil à celui d'Alençon ). Le baron Mercier par-
\ int sous Tempire à remettre en honneur pendant quelques
années ce beau produit de notre industrie, qui est retombé
depuis dans un nouvel état de ruine.
Autrefois capitale d'un comté, puis d'uuduché de son nom,
Alençon n'est pas cependant une ville très-ancienne. Au
neuvième siècle ce n'était encore qu'un simple bourg. Guil-
laume de Bellesme y fit construire, en 1026, un château
fort. Geoffroy Martel, comte d'Anjou, s'en empara en 1052 ;
elle fut reprise la même année par Guillaume le Conqué-
rant, lin 11 35 elle fut prise par Henri II , roi d'Angleterre. Les
grandes compagnies du quatorzième siècle la dévastèrent
plusieurs fois. En 1417 elle tomba de nouveau au pouvoir
des Anglais, qui furent forcés de la rendre aux Français
en 1421. Les Anglais y rentrèrent en 1428, en furent chas-
sés eu 1440, la reprirent en 1444, et furent enfin contraints
del'abandonner pour toujours en 1450. Elle est une des villes
qui eurent le plus à souffrir des guerres de religion. Cepen-
dant elle fut préservée des massacres de la Saint-Barthélémy
par le maréchal de Matignon, qui y couunandait à cette
époque. En 1589 elle tomba au pouvoir des Ligueurs, mais
Henri IV la leur reprit en 1590, et fit démolir une partie
du château. La révocation de l'édit de Nantes y fut aussi la
cause de graves désordres.
AXiEIVÇOiV ( Comtes et ducs d' ). Les premiers seigneurs
d'Alençon furent comtes de Bellême, depuis Yves de Creil,
lequel, de comte de Belléme, devint, vers 941, comte d'A-
lençon, territoire qui jusque alors avait eu peu d'importance.
Ainsi, le Perche, et l'Alençonnais, qui embrassait tout le
diocèse de Séez, furent réunis sous la même main. Cinq
comtes d'Alençon sortirent de la famille des Bellêmes : Yves,
dont nous venons de parler, Guillaume l", Robert I",
Guillaume II et Arnoulfe ou Amoul. Pour prix de ses ser-
vices, le premier de ces seigneurs reçut du duc de Norman-
die, Richard I*'', le territoire d'Alençon etcelui de Domfront. —
Guillaume I", surnommé Talvas, se brouilla avec le bien-
faiteur de son père : il fut vaincu, et Alençon fut pris
en 1028. On voit encore à Domfront les débris du tom-
beau de ce seigneur. — Le comte Robert fut assassiné dans
sa prison, vers 1033. — Sous Guillaume If, Alençon et
Doinfiontlui furent enlevés de vive force par Geoffroy-Mar-
tel, comte d'.\njou. — Mabile, fille de Guillaume , ayant
épousé Roger II de Montgomeri, les seigneuries d'Alençon et
de Domfront passèrent dans cette maison, très-illustre, à dé-
faut d'héritiers du comte Arnoulfe. Ainsi, la maison d.^
Montgomeri remplaça celle de Bellême. — Roijcr se dist'ui-
gua vaillamment A cette bataille d'Hastings ( en 1060), qui
mit la couronne d'Angleterre sur le front de Guillaume le Bâ-
tard, duc de Normandie. — Robert II succéda à Roger, et
fut connu sous le nom de Robert II de Bellême, parce que
alors cette ville était la plus importante du comté. S'étant
brouillé avec Henri 1"", duc de Normandie et roi d'Angle-
terre, qui lui avait ravi Domfront, il fut battu et jeté dans la
prison de Verham en Angleterre, où il finit misérablement
ses jours. — Guillaume III, surnommé Talvas, comme ses
homonymes, joignit du chef de sa mère le titre de comte de
l'onthieu à ceux qu'il possédait déjà. A son retour de la
croisade, en 1147, il mourut à Alençon, le 29 juin 1172. —
Jean 1", que l'Art de vérifier les dates regarde à tort
comme le premier comte d'Alençon, mourut le 24 fé-
vrier 1191. — Robert III, son frère, suivit Richard Cœur
de Lion en Palestine , puis, après la mort de ce grand mo-
narque, se soumit à Philippe-Auguste. Ses successeurs vé-
curent très-peu de temps. La branche des Montgomeri
finit sous Robert IV. Alors Philippe-Auguste réunit à la cou-
ronne le comté d'Alençon, en 1219. — Louis IX ayant don-
né cette seigneurie pour apanage à son cinquième fils, la
branche des comtes d'Alençon-Valois y commença une nou-
velle dynastie. Elle donna d'abord Pierre I", qui fit avec
son père la campagne de Tunis. Comme Pierre mourut sans
enfants, Philippe le Hardi, son frère, disposa d'Alençon en fa-
veur de son troisième fils, Charles I", en mars 1284. La
mort de Charles \" eut lieu le 16 décembre 1325. — Il
laissa pour successeur Charles II, son fils, qui fut tué à la
bataille de Créci, en 1346. Le comté d'Alençon fut en sa fa-
veur érigé en pairie. — Charles III, Pierre III, viennent
ensuite ; puis /ean III, qui prit le titre de duc lorsque Alen-
çon fut érigé en duché-pairie, le l" janvier 1414. C'est ce
prince, et non Charles l", qui périt à la bataille d'Azincourt,
le 25 octobre 1415. — Jean IV, que l'on a mal à propos
appelé Jean II, fils du précédent, se distingua dans les
guerres contre les Anglais, et finit, après leur expulsion, par
rentrer dans ses domaines. Deux fois condamné à mort pour
conspiration en faveur de l'Angleterre, Jean obtint deux
fois sa grâce, et alla mourir prisonnier à Loches, eu 1476,
— René, son fils, ne fut guère plus heureux : jeté aussi dans
les fers en 1481, il ne recouvra sa liberté qu'en li85, après
la mort deLouisXI.il mourut à Alençon en 1492; il avait eu
pour femme ]\larguerite de Lorraine, qui lui survécut trente
ans. — Leur fils Charles /T' épousa l'illustre Marguerite de
Valois, qui le perdit en 1524, et n'en conserva pas moins
jusqu'à sa mort le duché d'Alençon, par une faveur de
François I^', son frère. A cette époque, le duché fit retour à
la couronne. — La fameuse Catherine de Médicis fut quelque
temps duchesse d'Alençon, titre dont, en 1566, Charles IX
disposa en faveur de son jeime frère François, qui est
connu généralement sous le titre de duc d'Anjou, et à la
mort duquel Alençon fut encore réuni à la couronne en 1584.
— En 1606 Henri IV l'engagea au duc de Wurtemberg,
lequel mourut en 1608 et le transmit à son fils, qui le pos-
séda jusqu'en octobre 1612. Marie de Médicis, ayant rem-
boursé ce qui était dû au duc de Wurtemberg, jouit de cet
apaî/age dès cette même année. — A la mort de cette prin-
cesse, Gaston, frère de Louis XIII, eut dans sa part le du-
ché d'Alençon. — Elisabeth d'Orléans , seconde femme de
Gaston, obtint ce duché, qiii lui fit donner le nom de Ma-
demoiselle d'Alençon, qu'elle porta quelque temps. Deve-
nue veuve de Louis-Joseph de Lorraine, duc de Guise,
elle porta ce dernier nom. Leur fils mourut à l'âge d'en-
viron cinq ans, en 1075, et le duché d'Alençon retourna en-
core à la couronne. — Le même retour eut lieu en 1713,
à la mort de Charles de Berri. — Loiiis-Stanislas-Xavier,
comte de Provence, depuis Louis XVIII, porta aussi le
nom de duc d'Alençon. Enfin, le deuxième fils du duc ue
5S0 ALENÇOIS
Nemours, Fcrdinnnd-rhiUppe-Mnrie (\'Ox\(-tiX\^, n<^ le 19.
juillet is4'i, reçut le titre de duc d'Alenron en naissant.
Louis DU Bois.
ALÉOUTIEMVES (lies ), ou Archipel de Catherine,
grctipe d'iles au nombre de plus de cent cinquante et occu-
pant une superficie d'environ 450 myriamètres carr(''S, qui fait
partie de l'Amérique russe , et forme comme une continua-
tion insulaire de la presqu'île Alaska, df'-jx-ndance de l'Anié-
rique septentiionale, un arc s'avançant presque jusqu'au
Kamtchatka, et séparant au nord du 50" de latitude septen-
trionale la mer du Kamlcliatka ou la merde Bering du Grand-
Océan. Ces île* sont divisées en cinq groupes : les îles de
Béri ng , avec Mednoi ou l'île de Cuivre ; les îles de Sasi-
gnan, avec Attou, Agattou et Semitsclii ; les îlesdes Rats, avec
Bouldyr,Kiska, Amschitka et Krysiù-Ostrow; les îles An-
dreanolf, avec Samidopotsclienoi, Goreloi ou île de Brand,
Bobrowoi, Tanaga, Atsclia, Aralja ou Amiak, etc. ; les île? des
Renards, avec Unimak, Unalasclika,Uinnak,etc. Toutes sont
hérissées de rochers et portent la trace de violentes com-
motions intérieures. Aujourd'hui encore plusieurs volcans y
sont périodiquement en activité ou lancent continuellement
de la fumée ; les sources chaudes volcaniques y sont aussi
très-nombreuses. Sons un climat dont le long et rigoureux
hiver n'est interrompu que pendant très-peu de temi>s par
un printemps nuageux et un été d'une chaleur extrême, le
sol de ces îles n'est susceptible que de produire des buissons
rabougris au lieu d'arbres, beaucoup d'herbes, de n«ous-
sesetde lichens. En revanche , on y rencontre en abon-
dance des poissons, des renards, des chiens, des rennes et
des loutres de mer. Les habitants , dont le nombre peut
être évalué à 6,000, sont d'origine kamtschadale. Lâchasse
et la pêche forment leur principale occupation. Leur état
moral est des plus abjects , attendu que les agents de la
compagnie russe de commerce exercent sur eux l'oppressiou
la plus tyrannique, et que le vice de l'ivrognerie est de-
venu général parmi eux. La population a diminué d'une
manière effrayante depuis la domination russe. Les îles
Aléoutiennes forment une station importante pour le com-
merce des pelleteries et du poisson, dont l'entrepôt pri-icipal
est à Alexandria , dans l'île Kodjak , en face de la côte
sud-ouest d'.Vlaska. En 1833, des vaisseaux anglais et fran-
çais visitèrent ces îles aprèsavoir ruiné Pétropawlosk. *
ALEP ou HALEB , capitale de l'eyalet du même nom
situé au nord de la Syrie. Elle est bâtie entre l'Oronte et
TEuphrate, sur les bords du Koïk, petite rivière du désert
ordinairement appelée i\Aor-e?-//a/e&,àrentrée nord-ouest
du grand désert de Syrie et d'Arabie. Les fertiles jardins
qui garnissent les deux rives de cette rivière, et qui sont
justement renommés pour leurs belles plantations de pis-
tachiers, offrent un agréable contraste avec le morne aspect
de toute la contrée environnante . Alep, qui par le style gé-
néral de ses constructions appartient aux plus belles villes
de l'Orient, comptait encore il y a soixante ans une popula-
de 300,000 âmes. On y voit un magnifique bazar, composé
de plusieurs nies, entièrement voûté, et recevant le jour
qui lui est nécessaire par des fenêtres pratiquées en partie
dans des coupoles spécialement destinées à cet usage. Le
tremblement de terre du 13 août 1822 ensevelit les deux
tiers des habitants d'Alep, et transforma en un mon-
ceau de ruines la citadelle, située au milieu de la ville.
Depuis lors la population , qui atteint à peine aujourd'hui
le chiffre de 80,000 ùmes, n'a jamais pu regagner son antique
prospérité. La nouvelle citadelle a été construite au nord-
ouest de la ville, et renferme une grande caserne. Alep, ville
au caractère et à la physionomie essentiellement arabes, est
une des principales étapes du commerce entre l'Europe ,
l'Inde, la Perse, l'Arabie et l'Arménie. C'est là que s'opère
iéchange des produits de l'Europe contre ceux de l'o. ient,
Elle est aussi le centre d'un grand commerce en étoffes de
colon et de soie, en cuirs, tabacs et vins. — Une révolte
ALESSI
ayant éclaté à Alep en 18.30 , treize chrétiens y perdirent la
vie , trois églises furent incendiées. Le 7 novembre Kerim-
Pacha fit venir les chefs de la rébellion, et les arrêta. L'in-
surrection recommença aussitôt ; à la tête de 4,000 hommes ,
Kérim-Paclia repoussa les insurgés après une lutte de vingt-
quatre heures. Dix-huit cents rebelles tombèrent sous les
coups du pacha turc; trois quartiers de la ville, Karleh,
Bab-Kusa et El-Bab-Beyrak, foyers de la révolte, furent dé-
truits dans cette sanglante répression, qui montra dq moins
la volonté formelle du sultan de protéger les chrétiens.
ALERTE, mouvement excité dans une troupe par
quelque indice ou par un ordre supérieur, pour lui faire
prendre les armes avec promptitude ; elle se tient alors sur
ses gardes et prête à obéir au premier ordre qui pourrait
lui être donné. Dans les camps, les places de guerre et dans
les postes militaires, on donne quelquefois dc/aw.we.$ o/er-
tes, pour habituer les corps à se porter avec rapidité et en
silence dans les lieux qui leur ont été assignés pour les cas
d'attaque ou d'incendie. Aux termes des ordonnances sur
le service des places et des troupes en campagne, un général,
un gouverneur, un commandant d'armes, un commandant
de poste militaire, doivent, à des époques indéterminées,
ordonner de fausses alertes. Ils sont tenus, dans ce cas, d'en
informer les autorités locales.
ALESIA. Voyez Alise.
ALÉSOIR, instrument ou machine qui sert à agrandir,
calibrer, polir un trou ou les parois intérieures d'un tube,
comme un corps de pompe, un cylindre de>machine à va-
peur, un canon de fusil, l'àrae d'une bouche à feu. Les alé-
soirs sont en général des barreaux d'acier ayant des coupes
propres à régulariser et à faciliter leur mouvement dans le
cylindre qu'on veut aléser. On leur imprime ce mouvement,
soit à la main, soit au moyen d'un vilebrequin ou d'une es-
pèce de tour, suivant la puissance de progression qu'on doit
leur communiquer. Les corps de pompe ou cylindres sont
fondus d'un seul jet. Quelques précautions qu'on prenne
dans cette opération , la cavité de ces pièces n'est pas par-
faitement cintrée et circulaire , et ses parois sont couvertes
d'aspérités. C'est pour corriger ces imperfections qu'on a
recours à une seconde opération, celle de Valésage. L'alé-
sage peut être employé aussi bien pour un trou conique
que pour un trou cylindrique. C'est de l'alésage que dé-
pendent la précision et la facilité du jeu des pistons dans
toutes les machines à vapeur, et la justesse du tir dans les
fusils et les bouches à feu. On distingue deux espèces d'alé-
soirs, Valésoir horizontal et Yalésoir vertical.
ALESSANDRI (Alessandro), connu aussi sous le
nom (TAlexander ab Alexandre, né à Naples vers l'an
1460 , et qui y exerça pendant quelque temps la profession
d'avocat, se laissa déterminer par les beaux travaux archéo-
logiques de Filelfu et de Calderino, à se consacrer, lui aussi,
à l'étude de l'antiquité classique. Quoiqu'il ne soit jamais par-
venu à mériter le titre d'archéologue , le grand ouvrage dans
lequel, à l'instar des Nuits Attiques d'Aulu-Gelle, il a traité,
sous le titre de Dies Géniales {Rome, 1322; souvent réim-
primé depuis ) et en forme d'entretiens avec des amis ins-
truits, d'une foule de points et de questions ayant trait pour
la plupart à l'antiquité classique, obtint un rare succès.
Alessandri mourut le 2 octobre 1523 à Rome, où il rem-
plit pendant quelque temps les fonctions de protonotaire na-
politain.
ALESSI (Galeazzo ), célèbre architecte, né à Penigia,
en 1500, mort dans la même ville, en 1572. C'est à Rome
qu'il se forma comme artiste, et il y eut pour maître Michel-
Ange. Par la suite il s'établit à Gênes, ville qui fut le théâtre
de ses plus importants travaux. Ce fut lui qui y répandit le
goût pour l'architecture m.oderne. Une foule de palais, de
villas et d'églises y furent constniits sous sa direction. On
admire dans ces divers ouvrages la richessed'une imagination
qui ne se laisse jamais aller aux écarts de la fantaisie , ainsi
ALESSl — ALEXAINDRE LE GRAND
281
qu'on l'oliscrve chi^z. Li pluivut (ks architeclos de ce temps-
là. ol chez Michel-Ange lui-inonie. Les comlitionsextériciiies
sous remplie de^cpielles il eut lieu d'exercer son talent ,
uotamment le sol si accidenté de Gônes, lui fournirent l'oc-
ca.-ion dVtre conslaiument neuf et original dans ses pro-
ductions. Les parties mlérieures de ses palais, leurs escaliers,
leurs cours, etc., sont toujours disposées de la manière la
jtlus pittoresque et la plus agréable.
ALÉTIDES, sacrilices solennels oiïerts par les Athé-
niens iK)ur apaiser les mines d'Érigonc, qui avait erré long-
temps en clH?rchant son p;re Icarus, et qui s'était pendue
de désespoir de ne l'avoir pas trouvé. Les fdles s'y balan-
» Mitiii Mil (les escarpolettes en chantant lMZeA»5 ou la Vaga-
bonde (d'àXr.TsJu), j'erre): ce chant avait été composé par Théo-
dore de Colophon. Quelques-uns ont cru que cette fête était
en l'honneur du roi Témahis, ou d'1';gistlie et de Clytem-
nestre, qui ne le méritaient gnèrcs D'autre, pensent qu'elle
fut instituée en mémoire d'Érigone, lille d'Egi>te et de Cly-
leiunestre, qui poursuivit Oreste devant l'aréopage après la
mort de son père et de sa mère, et qui se pendit de déses-
poir de n'avoir pu réussir à le faire condamner. Mais cette
opinion n'était pas fort suivie. D'autres auteurs prétendent
jième qu'Érigone épousa Oreste, et en eut Penthilus. Ces
Sites se nommaient aussi Eores ou Eudeipnos.
ALEUROM ANCIE ( du grec àXsupov, farine ; (xavieta,
divination), sorte de divination qui se pratiquait au moyen
cJc la farine de froment.
ALEUTIE^^XES (Iles). Voyez Aléoutiennes.
ALEVIIV, nom donné aux jeunes poissons que l'on met
dans les étangs on les rivières pour les peupler. Il se dit
surtout des jeunes carpes.
ALEXAXDERSBAD , petite ville de Bavière , près
de Wnnsiedel, dans une magniliqiie contrée du plateau des
Fichlelgebirge , au i)ied des monts Kœsscine. Sa source,
qui contient une énorme quantité d'acide carbonique et de
fer, fut découverte en 1737 par un paysan appelé Brodmer-
kel. En 1741 on s'occupa d'en régulariser la distribution,
et en 1783 le margrave Alexandre d'Anspach y fit construire
un établissement de bains. En 1838 on l'a augmenté d'un
établissement hydrothérapeutique. Le charmant château de
Luisenburg a pris son nom du séjour qu'y fit la reine Louise
de Prusse. L'eau d'Alexandersbad s'emploie surtout en bois-
son, maison peut aussi s'en servir en bains, pourcombattre
les blennorrliées chroniques, la chlorose et les flux de sang.
ALEXANDRA FÉODOROWNA (Fuédériqce-Lolise-
CnARLOTTE-W'iLUELMiNE ), impératrice de Russie, née le 13
juillet 1798, fille aine du roi de Prusse Frédéric-Guillaume III
et de la reine Louise, épousa, le 13 juillet 1817, l'empereur
NicolasI^'', qu'elle perdit le 2 mars 1855. Elle mourut
elle-même le 27 octobre 1860. Dévouée à son mari et à ses
enfants, elle eut, depuis son avènement au trône, une santé
débile qui ne l'empêchait pas de se livrer avec ardeur aux
plaisirs de la société. Après le rétablissement de la paix,
an 185fi,eile passa une partie de son veuvage en Italie. Z.
ALEXAJVDRE LE GRAND naquit au moment de
la plus haute puissance de son père, Philippe, roi de Ma-
cédoine, l'an 356 avant J.-C, la première année de la
V)is' olympiade. La nuit de sa naissance fut marquée par
l'incendie du fameux temiile de Diane, à Éphèse. — D'après
quelques historiens, Alexandre descendait d'Hercule par son
jw-re , et, par sa mère Olympias ( fille de Néoptolème,
roi d'Épire), de la foilc race desÉacides. Alexandre annonça
dès son jeune âge les dispositions les plus heureuses : les
premières leçons d'Olympias, sa mère, trouvèient une in-
telligence ouverte et déjà préparée. A douze ans il fut confié
aux soins d'A ri stote, après être resté (pielque temps entre
les mains de Lysimaque, homme savant, mais llatteur et
corrompu. Aristote, devinant les dispositions du jeune prince
et comprenant l'importance de son rôle futur, résolut de
refaire entièiement son éducation. — Fuyant le bruit de la
Lier. DE L\ CO.NVbUSATHJ^. — 1. 1
cour, il se retira avec lui dans la solitude de Mieja , sur les
bords du Stiymon. Pltitarque dit que de son temps on y
voyait encore les pierres (pii leur servaient de sièges. C'est
là qu'ils raisonnaient sur les détails éclaircis à celte époque
de tontes les connaissances humaines. Aristote avait com-
posé pour son élève un traité sur VArt de régner; ce traité
a été perdu, nous n'en possédons aucun fragment. Il avait
annoté pour lui V Iliade ; et l'on sait l'admiration profonde
d'Alexandre pour Homère, dont le poème, enfermé dans une
cassette d'or, le suivait dans toutes ses expéditions. Il acquit
une somme de connaissances extraordinaire à celte époque;
son intelligence lucide , l'élévation de son esprit, la netteté
de ses vues, lui facilitaient la compréhension de tous les su-
jets, et lui permettaient de retirer de chaque tait de la vie
<run héros un exemple qui pilt servir de règle à la siemie.
Au milieu de tous ces travaux intellectuels, l'éducation phy-
sique, SI importante alors , n'était pas négligée. Alexandre
n'avait pas été moins favorisé pour la force du corps que
pour la grandeur de rintelligence. Hardi, adroit, souple,
courageux, il courait aux choses extraordinaires, recherchait
les actions impossibles : à peine sorti de l'enfance, il dompta
un cheval fougueux qui avait effrayé et rebuté les plus ha-
biles écuyers de la cour. Ce cheval, appelé Bncéphale, de-
vint depuis sa monture favorite. En même temps qu'il com-
mençait à avoir le sentiment de sa puissance et de sa force,
sa fieilé et son orgueil s'éveillaient en lui. Les historiens ont
cité différents traits qui peuvent servir à l'étude de son ca-
ractère. On sait avec quelle grandeur, quel esprit et quelle
noble fierté il reçut les envoyés du grand roi Darius, sou-
verain des Perses. — On se rappelle sa réponse aux cour-
tisans qui l'engageaient à disputer la palme aux jeux olym-
piques : « J'irai , dit-il , s'il y a des concurrents dignes de
moi : qu'on trouve un autre Alexandre , fils de Philippe ! ■>
— 11 pleurait en apprenant les victoires multipliées de Phi-
lippe : « Mon père ne me laissera donc rien à faire! » s'é-
ciiait-il; et pour tromper son impatience et son courage,
il allait à la chasse, combattant les lions, contre lesquels il
s'acharnait.
Alexandre atteignit ainsi l'âge de seize ans. Ce fut à cette
époque, l'an 340 avant J.-C, que Philippe partit pour la
conquête de la Thrace. Il chargea son fils de la conduite du
royaume pendant la durée de son absence, sur déjà de son
habileté et de son courage. Cette confiance ne fut pas trom-
pée : les Médares, peuple tributaire de la Macédoine, ayant
essayé de profiter de l'iibsence de Pliili[)pe pour se révoltei,
Alexandre les battit complètement, et, entraîné par son désir
de victoires, il eût tenté d'autres conquêtes si son père, crai-
gnant les dangers de son impétuosité, ne l'eût appelé à By-
zance, où il venait de réunir ses troupes. Quelque temps
après, à la bataille de Chéronée, où il commandait sous
les ordres de Philippe, Alexandre tailla en pièces le célèbre
bataillon sacré des Thébains. Après s'être ainsi signalé
conuue soldat, Alexandre fut envoyé enambassade à Afliènes,
où il se distingua par une prudence et une modération peu
ordinaires à une si extrême jeunesse et à un si grand cou-
rage. Philippe, cédant à un élan de tendresse et d'admiration,
lui dit, les larmes aux yeux : « Cherche un autre royaume,
mon fils, le mien n'est pas assez grand pour toi! » Jusque
alors le père et le fils étaient restés complètement unis :
Alexandre aimait tendrement Philippe; mais sa plus grande
part d'affection était pour sa mère Olympias , qu'il avait en
profonde vénération. Aussi, lorsque Philippe voulut la ré-
pudier, Alexandre le quitta, et suivit sa mère à la cour
d'Alexandre Molosse, roi d'Epire et frère d'Olympias. 11 se
préparait à venir réclamera main armée les droits de celle-ci
confie son père, lorsque la réconciliation s'opéra : Olympias
et Alexandre revinrent en Macédoine pour le mariage du roi
d'Épire avec Cléopàtre, fille de Philippe. C'est au milieu de?
fêtes de ce mariage que Philippe fut assassiné, l'an 337
avant J.-C.
36
282
Lorscjuc Alexandre monta sur le trône, il n'avait pas en-
core atteint sa vingtième année. On vit alors cet exemple
iiioiii d'un jeune homme que son bouillant courage entraînait
aux con(iuéte.s l«s plus hardie-;, modérer toutes les inspira-
tions de ce courage et les soumettre au jugement d'une raison
froide et saine avant de s'y abandonner. Il remplaçait l'ex-
périence par l'intuition. Son vaste génie devinait ce que les
années api»ortent de science à l'âge mûr.
Philippe était mort en préparant le projet d'une expédition
contre les Perses. Ce projet flattait les penciiants de tout le
peuple grec depuis que diverses tentatives, particulièreîuent
celle d'Agésilas, avaient montré que ces idées n'étaient pas
impraticables. — Alexandre résolut de mettre à exécution le
projet de son père. Avant de quitter .ses États pour tenter
cette immense conquête , le jeune roi voulut dégager ses
frontières des ennemis qui les menaçaient. Il vainquit les
Thraces; puis, leur offrant une paix honorable, il enrôla sous
ses drai>eaux leurs meilleurs soldats et leurs plus braves ca-
pitaines. 11 défit également les Tribaiies et les Gètes, tou-
jours en état d'agression contre sa puissance. Tranquillisé
désormais de ce côté , il se fit reconnaître pour chef par les
députés de la Grèce, réunis pour cette élection dans l'isthme
de Corintiie. 11 se mit alors a la tète de son armée , traversa
rapidement les pays jusqu'au Danube, qu'il franchit, et força
Clilus, roi d'Iliyrie, d'abandonner son royaume au vainqueur.
Pendant ce temps , le bruit s'étant répandu dans la Grèce
qu'Alexandre avait péri dans la bataille , les Athéniens , les
Thébains et d'autres peuples grecs, enhardis par les discours
de Démostliène et de Lycurgue, se levèrent contre la Ma-
cédoine, et quelques officiers macédoniens furent égorgés
dans Thèbes la nuit même où l'on apprit cette fausse nou-
velle. Instruit de cette trahison , Alexandre traversa la Ma-
ccdoine, une partie de la Thessalie, franchit les Thermopyles
et vint assiéger Thèbes, qu'il prit d'assaut et qu'il saccagea :
toute la ville fut rasée , à l'exception des temples et de la
maison où était né Pindare. Ayant ainsi prouvé sa force,
Alexandre voulut montrer sa clémence : il pardonna aux
Athéniens, et assura de la sorte, par la crainte et par la re-
connaissance , sa domination sur toute la Grèc«. 11 se pré-
para ensuite à la conquête de l'Asie : ses immenses prépa-
ratifs furent achevés en un hiver. Le printemps suivant, l'an
334 avant J.-C., il traversa l'Hellespout avec une armée de
trente-deux mille hommes de pied et de cinq mille chevaux,
des vivres pour un mois et soixante-<"lix talents dans sa caisse.
11 avait laissé à Antipater l'administration de son royaume.
En quittant la Grèce , il s'était tait dire par la prêtresse d'A-
pollon que rien ne pouvait lui résister ; à Gordium , il con-
firma l'oracle en tranchant le nœud gordien, à la solution
duquel on attachait l'empire de l'Asie. Son premier acte en
arrivant en Asie fut d'implorer les dieux et de célébrer des
.•sacrifices en l'honneur d'Achille, son héros favori. 11 s'a-
vança alors vers le Granique, qu'il traversa, et où il paya
de sa personne comme le plus obscur et le plus valeureux
soldat. 11 marcha ensuite à la conquête de l'Asie Mineure, for-
çant toutes les villes à lui ouvrir lems portes. 11 traversa
ainsi une partie de ce pays comme un triomphateur, jus-
qu'à Tarse, ca|titale de la Cilicie, où il tomba malade pour
s'être baigné , couvert de sueur, dans les eaux froides.du
Cydnus. On connaît le courage qu'il déploya en cette occa-
sion : comme Darius s'avançait avec des forces immenses
pour lui fermer les issues duTaurus, Alexandre avait besoin
d'une i>rompte guérison ; son médecin Philippe lui arrangea
un breuvage qui devait avoir, selon lui, un effet immédiat;
au moment où Alexandre allait prendre ce breuvage, on lui
apportai une lettie de Parménion qui accusait Philippe de
vouloir em[)oisonner le roi ; celui-ci montra la lettre à son
médecin, et pendant qu'il la lisait avala le breuvage salu-
taire. Celle confiance amena ime prompte convalescence, et
à peine rétabli Alexandre s'avança contre Darius. Celui-ci,
i\ix une armée beaucoup plus forte que celle d^s Macédo-
ALEKANDKE LE GRAND
niens, était campé près d'Issus, non loin de la mer. Après
un court combat, cette belle aimée fut entièrement détruite ;
Darius, obligé de s'enfuir, abandonna ses trésors et ses ba-
gages aux vainqueurs, laissant au pouvoir d'Alexandre sa
mère, sa femme et ses enfants. Le roi de Macédoine respecta
ces nobles victimes, et ordonna qu'elles fussent entourées
d'hommages et de soins, générosité rare alors chez le plus
fort ou le plus habile. Il laissa fuir Darius sans l'inquiéter,
no songeant qu'à établir sa puissance sur tout le littoral de
la Méditerranée; il y réussit facilement. La ville de Tyr,
seule, fit plus longue résistance, voulant garder la fidélité
qu'elle avait jurée au roi des Perses. Elle finit pourtant par
tomber au pouvoir d'Alexandre, qui la détruisit , ainsi que
Gaza, ville qui avait voulu imiter Tyr dans sa résistance. Le
vainqueur fit, dit-on, attacher à son char Bétis, gouverneur
de Gaza, et le fit ainsi traîner autour des murs, la tête sur
le sol, disant qu'il voulait imiter Achille. — Nous dcxons
ajouter que Quinte-Curce seul raconte ce trait de féroce
cruauté; ni Arrien ni Plutarque n'en disent un mot.
L'historien Josèphe place vers ce temps l'expédition d'A-
lexandre contre Jérusalem. On sait comment le grand prê-
tre Gaddus le fit se retirer des murs de la ville sainte en lui
expliquant les prophéties de Daniel. Il tourna ses vues
vers l'Egypte, qui était aisposée a voir en lui un libérateur
plutôt qu'un conquérant : elle se mit volontiers sous le joug
de la Grèce pour secouer celui de la Perse , qui lui était
odieux. Ce fut alors qu'Alexandre fonda cette ville à laquelle
il donna son nom , et qui dès son origine devint une des
premières places du monde: Alexandrie. Ces choses
faites, il voulut, pour aller consulter l'oracle d'Ammon, tra-
verser les déserts de Libye : l'oracle lui confirma qu'il était
fils de Jupiter. Dans toutes ces conquêtes « Alexandre res»
pecta, dit Jlontesquieu, les traditions anciennes et tous les
monuments delà gloire et de la vanité des peuples. Les rois
de Perse avaient détruit les temples des Grecs , des Babylo-
niens et des Égyptiens : il les rétablit. Peu de nations se
soumirentà lui sur lesautels desquelles il ne fit des sacrifices ;
il semblait qu'il n'eût conquis que pour être le monarque
particulier de chaque nation et le premier citoyen de chaque
ville. Les Romains conquirent tout pour tout détruire , il
voulut tout conquérir pour tout conserver, et, quelques pays
qu'il parcourût , ses premières idées, ses premiers desseins
furent toujours de faire quelque chose qui pût en augmenter
la prospérité et la puissance. Il en trouva les meilleurs moyens
dans la grandeur de son génie; les seconds, dans sa frugalité
et dans son économie particulière; les troisièmes, dans son
iiimiense prodigalité pour les grandes choses. »
Pendant son séjour en Egypte les recrues macédo-
niennes avaient eu le temps de se former en armée et de
venir le rejoindre. Il résolut alors de combattre Darius au
co'ur même de ses États. Celui-ci, effrayé, malgré les forces
énormes dont il disposait, fit demander la paix, olTrant à
Alexandre la main de sa fille, 10,000 talents de rançon
pour les autres princesses, et la cession de toutes les
provinces d'Asie depuis l'Euphrate jusqu'à l'Heilespont.
Alexandre ayant communiqué ces conditions aux principaux
ofliciers de son armée : « J'accepterais, dit Parménion, si
j'étais Alexandre. — Et moi, dit Alexandre, si j'étais Par-
ménion. » Et il refusa. Darius, irrité, rassembla toutes ses
forces : son armée comptait im million de combattants et
trois mille chariots armés de faux ; elle couvrait les plaines
d'Ar belles; les généraux d'Alexandre en furent effrayés,
lui seul resta (uilme et assuré de la victoire. Le matin qui
précéda la bataille, on le trouva profondément endormi : il
fallut l'éveiller ; les préparatifs du combat commencèrent. Six
heures après , la victoire des Macédoniens était complète ,
Darius fuyait , et Alexandre se trouvait maître absolu de
l'empire des Perses. Pen tant que le roi vaincu se cachait
dans les montagnes de la Mcdie , Alexandie prenait posses-
sion de Pcrsépolis, de Su/.e, de Babylone et de leurs
ALEXANDRE LE GRAND
immenses richesses. 11 renvoya aux Athéniens les bustes
d'Harnioilius el d'Aristogiton qu'avait emportés Xerxès à
Persépoiis. Cet acte d'halille politique valut h Alexandre
l'amitié des Athéniens et plus tard leur neutralité lorsque
le roi Agis insurgea Sparte contre lui.
Alexandre, parvenu au comble d'une puissance inconnue
jusque alors, perdit la dignité de mœurs qu'il avait montrée
dans sa jeunesse. Il s'abandonna aux joies de l'orgie :
s'il faut en croire les historiens grecs, perdant tout sens
moral , il incendiait des palais pour satisfaire un caprice de
courtisane; mais ces oublis de lui-mt^uie ne duraient pas
longtemps : les fautes qu'il commettait dans ces moments
d'ivfesse lui causaient des repentirs sincères; les actes bru-
taux auxquels il s'abandonnait lui faisaient bientôt hor-
reur : « on les oublie, dit Montesquieu, pour se souvenir
de son respect pour la vertu , de sorte qu'ils furent consi-
dérés plutôt comme des malheurs que comme des choses
qui lui fussent propres. »
Cependant Darius fuyait vers le nord de l'empire;
Alexandre se mit à sa poursuite, et l'atteignit près des fron-
tières de la Bactriane. Darius venait d'être assassiné par
un de ses satrapes , Alexandre punit de mort l'assassin, et
fit rendre au malheureux prince les plus grands honneurs
mortuaires en usage chez les Perses. 11 soumit ensuite
la Parthiène , la Sogdiane et l'Hyrcanie. — Voulant tou-
jours marcher en avant, et n'assignant pas de bornes à son
ambition, Alexandre franchit i'Indus, l'an 327 avant J.-C. !l
s'assura, en arrivant, l'alliance de Taxile, un des rois les
plus puissants de ces contrées; il s'avança ensuite jusqu'au
Gange, où l'attendait Porus, roi indien, habile, courageux,
persévérant , qui avait réuni toutes ses troupes pour com-
battre le vainqueur : le combat fut long et plus terrible que
tous ceux hvrés contre les Perses. Cependant Porus fut
vaincu et fait prisonnier. Alexandre, touché de son courage
et de ses vertus, lui demanda comment il voulait être traité :
" En roi ! » répondit Porus ; et il s'abandonna à la magna-
nimité d'Alexandre, dont il devint bientôt l'ami.
Après quelques autres conquêtes , les Macédoniens refu-
sèrent de suivre leur roi plus avant. Ils voyaient avec regret
qu'Alexandre traitait les nations soumises non en peuples
vaincus, mais en alliés. Il voulait, en effet, s'attacher tous
les peuples sans les opprimer. Son projet était de fondre en
un seul peuple les vainqueurs et les vaincus. 11 ne faisait
plus de distinction entre les Perses et les Macédoniens;
ceux-ci furent blessés de cette sage pohtique, dont ils ne
comprenaient pas le but. Alexandre se vit obligé de ré-
primer des complots et de punir plusieurs de ses généraux,
entre autres Clitus, Philotas, Parménion, etc. Nous ne
devons pourtant pas croire légèrement les récits que font les
historiens grecs des froides cruautés d'Alexandre : eux
seuls l'en ont accusé ; les traditions des Perses et des autres
peuples vaincus n'en font nulle mention. Les Grecs seuls ,
qui ne pouvaient pardonner à Alexandre sa toute-puissance,
ont tant accablé sa mémoire.
Abandonné de son armée s'il voulait encore marcher en
avant, Alexandre se vit forcé de reculer jusqu'à l'IIydaspe,
oii il divisa ses troupes en deux parties : il confia l'une à
Né arque, pour aller tenter d'établir une communication
entre l'IndOS, l'Euphrate et le Tigre ; se mettant à la tête de
l'autre, il se dirigea vers Babylone, à travers les déserts
de la Gédrosie. 11 ne voulait rien commencer avant la jonc-
tion de l'armée deNéarque à la sienne. Ce fut avant cet in-
tervalle que mourut son ami Éphestion : il en ressentit
une telle douleur, qu'il oublia un moment son grand rêve
d'unité et ses gigantesques projets ; il fit tuer, dit-on, le
médecin qui n'avait pas pu sauver son ami. — Sur ces
entrefaites, Néarque arriva à l'embouchure de l'iùipiirate.
A cette nouvelle, l'énergie revint à Alexandie; il lit les pré-
paratifs d'un immense i>lan de campagne : « Conmie il allait
reconnaître le golfe Persique, dit Montesquieu, comme il
383
avait reconnu la mer des Indes , comme il fit construire un
port à Babylone pour mille vaisseaux et des arsenaux,
comme il envoya 500 talents en Phénicie et en Syrie pour eu
faire venir des nautoniers qu'il voulait placer dans les
colonies qu'il répandait sur les côtes ; connue enfin il fit
des; travaux immenses sur l'Euphrate et les autres fleuves
de la Syrie, on ne peut douter que son dessein ne fût de
faire faire le commerce des Indes par Babylone et le golfe
Persique. »
La mort vint réduire à néant ces merveilleux projets -.
Alexandre succomba à Babylone aux accès d'une fièvre
violente, l'an 324 avant J.-C. à l'âge de trente-deux ans. 11
avait régné pendant treize années. L'opinion la plus générale
est qu'il fut empoisonné par Antipater ; quelques-uns
disent qu'il mourut des excès de débauche et de tiavail : les
veilles trop répétées et la tension incessante des organes du
cerveau furent , selon ces derniers , la seule cause de sa mort.
Alexandre fut un de ces immenses génies, une de ces
puissantes volontés auxquelles il est presque impossible de
ne pas attribuer une mission surhumaine. En treize ans il
avait élevé un empire plus vaste que ne le fut jamais celui
des Bomains du temps de leur plus grande puissance, apiès
dix siècles de combats. « Dans l'espace de quatorze ans,
dit une légende poétique de la Perse, Iskander ( Alexan-
dre ) parcourut les routes , les déserts et les montagnes
du globe. Les pieds de ses coursiers agiles et étincclants de
feu inscrivaient sm- les montagnes élevées et inaccessibles
des vers dont voici le sens : Le jour il est dans la Grèce, et
la nuit dans l'Inde ; le soir à Damas , et le matin à Nous-
chad ; son cheval se désaltère le même jour aux eaux du
Gihoun et dans celles du Tigre , qui arrose Bagdad. »
A sa mort l'empire d'Alexandre comprenait : en Europe,
la Grèce , la Jlacédoine , une partie de la Thrace ; en Asie ,
l'Asie Mineure (à Texception de quelques provinces), la
Syrie, la Phénicie, ia Palestine, tous les États du Tigre et
de l'Euphrate , la Médie, la Perse, le littoral de l'Océan jus-
qu'à I'Indus , et dans le nord la Bactriane et la Sogdiane ; en
Afrique, l'Egypte jusqu'aux cataractes au-dessus de Syène,
et les côtes de la Méditerranée jusqu'au pays de Cyrène.
Ce vaste empire ne devait pas lui survivre. Sentant la mort
s'approcher, et sans héritier capable de lui succéder, il
laissa le pouvoir au plus dir/ne; mais il eut à peine fermé
les yeux, que ses lieutenants se livrèrent des luttes san-
glantes , et l'immense monarchie née de son génie périt
aussitôt dans les convulsions d'un démembrement.
Olympias, mère d'Alexandre, survécut à ce prince, ainsi que
son épouse Statire, fille de Darius; il laissa un fils imbécile,
Hercule, qu'il avait eu d'une concubine, Barsine; une autre
épouse légitime du héros , Koxaue , était à sa mort enceinte
d'un enfant, roi plus tard sous le nom d'Alexandre l\.
A toutes les qualités qui font le grand homme de guerre
Alexandre joignait les vertus qui peuvent faiie le grand
homme d'État. Il était assuiément le plus instruit et le plus
intelligent de son armée; il avait au plus haut degré
l'amour des belles-lettres et des sciences : il entretenait
une correspondance scientifique avec Aristote au même mo-
ment où il conquérait l'Asie; il apprenait la médecine
la veille des batailles; la cassette d'or qui contenait 1'/-
liade était chaque jour placée sous son chevet ; enfin il lisait
Pindare le lendemain d'une victoire. Évidemment la civili-
sation conquérante ne fut jamais mieux représentée que par
Alexandre.
L'histoire d'Alexandre a été écrite par Aristobule et par
Ptolémée , fils de Lagus, dont les ouvrages sont perdus.
Arrien du moins les avait sous les yeux lorsqu'il composa
le sien. Plutarque a écrit la vie du héros macédonien.
Quinte-Curce tombe dans le roman en se servant de sources
aujourd'hui perdues. Voir Sainte-Croix, Examen ailique
des anciens Historiens d'Alexandre le Grand (Paris,
2*^ édit., ISO'i, iu-i").
284
ALEXANDRE (Roman d'). C'est le privilège des
hommes dont la gloire ou le génie frappe vivement l'ima-
gination des peuples de léguer à la postérité un double
souvenir. Tandis que l'histoire prend note des faits réels
qui servent de texte aux biograpliies, le prestige de l'Iié-
roisnic et le prisme de la distance décomposent en quelque
sorte la vérité pour la convertir en légendes. A côté de
la physionomie humaine et vraie d'un grand homme se des-
sine, après sa mort, et parfois même de son vivant, sa
figure poétique et idéale, agrandie par l'enthousiasme popu-
laire. Une admiration superstitieuse l'entoure d'une mer-
veilleuse auréole : il cesse d'être un chef de peuple ou
d'armée ; il devient un héros, un dieu. Telle fut la destinée
d'Alexandre le Grand.
Nous allons exposer ici comment la figure légendaire d'A-
lexandre, créée par la superstition enthousiaste du peuple
et des soldats, vint à travers les pays et les âges se refléter
dans l'œuvre de deux poètes français, et comment ceux-ci,
grâce à un singuher mélange de souvenirs antiques et
d'idées modernes, arrivent à nous montrer dans le roi de
Macédoine le type du parfait chevalier.
C'est à l'époque où l'histoire grecque entrait dans sa pé-
riode de décadence que les compagnons d'Alexandre, Pto-
lémée, Aristobule, Clitarque et Callisthène, entreprirent
d'écrire la biographie et les exploits du roi qui les avait en-
traînés à une expédition tentée jadis par des demi-dieux.
Hercule et Bacchus. Mis en contact avec le monde asiatique,
le génie des historiens grecs laisse corrompre sa franchise
naive et fausser la justesse de son coup d'œil. On voit éclater
chez eux un mépris absolu de la vérité et de l'évidence, une
recherche prétentieuse des faits surnaturels, une exagération
perpétuelle des actions les plus simples, une métamorphose
incessante de l'histoire en roman. Aussi la tradition légen-
daire dont le héros était le roi de Macédoine, après être
sortie des tentes mêmes du camp d'Alexandre, après avoir
passé entre les mains de Plutarqne, de Justin, de Diodore,
de Quinte-Curce, qui l'incorporent à leurs écrits, finit-elle
par se confondre de plus en plus, durant les âges suivants,
avec les matériaux réellement historiques, et à les con-
vertir, si l'on peut parler ainsi , on sa propre substance.
De la sorte , à côté des biographies, qui essayent de repro-
duire l'image lidèle et vraie du prince qu'elles suivent dans
ses conquêtes, en débarrassant, autant qu'elles peuvent, leurs
récits des circonstances merveilleuses que les mémoires des
auteurs contemporains du roi leur ont léguées, nous en trou-
vons d'autres qui acceptent sans réserve la tradition po-
pulaire, qu'elles modifient au gré d'une imagination intaris-
sable; elles inventent des détails surprenants, des exploits
impossibles, et font du roi macédonien le fils d'un dieu, ou
tout au moins d'un sorcier, d'un enchanteur égyptien, digne
en tout de son père. De ces biographies , les premières, qui
sont, pour ainsi dire, classiques, semblent s'arrêter au siècle
d'Adrien ; les secondes, commencées par les récits des compa-
gnons du roi, prennent à ce moment une nouvelle extension.
La poésie, qui s'en empare et qa\ les teint de ses couleurs, ne
fait qu'y ajouter d'audacieux ornements. Klienne de Dyzance
cite une Alexandriade composée par l'empereur Adrien.
Cet exem,ple auguste paraît avoir provoqué les imitations de
Nestor de Laianda , contemporain d'Alexandre Sévère , et
de Solérichus d'Oasis , qui vécut sous Dioclétien. Adrien
lui-même ne faisait probablement que recueillir l'héritage
poétique d'un nommé Chérilus d'Iasos, l'un des compagnons
d'Alexandre, d'un Agisd'Argos, détestable imitateur du très-
médiocre Chérilus, enfin d'un certain Arrien, qui n'a d'autres
rapports avec le célèbre historien que la ressemblance du
nom. On attribuait encore un poème semblable au philo-
sophe Anaximène de Lampsaque. Ces détails nous prouvent
que les Alexandriadesdu moyen âge avaient leurs analogues
dans l'antiquité. La combinaison de ces divers éléments,
empruntés à la prose et à la poc-io, ot dans lesquels venaient
ALEXANDRE
se mêler les récits vrais et les légendes , les amplifications
de la prose et les machines dramatiques de la poésie , les
traditions de la Grèce et de l'Orient, celles de la Judée et
de l'Egypte, enfanta au septième et au huitième siècle une
œuvre émanée de quehpie romancier byzantin, qui se cacha
sous le nom grec de Callisthène ou d'yEsopus, et qu'un autre
pseudonyme, Julius Yalérius, traduisit ou plutôt imita libre-
ment-en latin. C'est à ces sources, augmentées peut-être des
travaux deSiméon .Seth, protovestiaire de l'empereur Michel
Ducas, au onzième siècle, et traducteur grec d'une biographie
persane d'Alexandre, que paraissent avoir puisé nos vieux
auteurs, Lambert le Court et Alexandre de Bernai.
Ce sont, en effet, ces deux trouvères que les écrivains
qui ont parlé du roman d'Alexandre s'accordent tous a en
considérer comme les auteurs, quoiqu'ils n'aient pas trouvé
la même unanimité lorsqu'il s'agit de fixer la part d'œuvre
qui revient à chacun d'eux. Suivant la conjecture la plus
probable , le poëme composé d'abord par Lambert le Court
n'existe plus aujourd'hui , et l'ouvrage qui nous reste est
simplement une restitution , une recension due à la main
intelligente d'Alexandre. D'après cette hypothèse, Alexandre,
arrangeur habile, aurait donné plus de régularité aux vers de
l'auteur original, rajeuni le style et remplacé les assonnauces
grossières par des rimes exactes et harmonieuses.
Il est impossible de fixer avec précision la date à laquelle
parut manuscrite pour la première fois cette œuvre, chantée
d'abord par les trouvères : le manuscrit 6987, un des plus
anciens, n'est pas antérieur à 1330. Toutefois , comme il
parait certain que Lambert et Alexandre ont vécu au dou-
zième siècle , nous nous croyons fondé à croire que cette
chanson de geste , chantée sous des formes plus ou moins
changeantes, puis reprise, remaniée, étendue par les poètes
auxquels on l'attribue, commença à circuler écrite lorsqu'ils
lui eurent donné la dernière main, et qu'ensuite leur manus-
crit servit de modèle aux copistes des âges suivants.
Il existe à la Bibliothèque Impériale vingt manuserits du
poëme légendaire d'Alexandre. Quelques-uns se ressemblent
presque identiquement ; d'autres offrent quelques différences.
11 en a été publié en 184G, par la Société littéraire de Stutt-
gart, une édition dont la révision a été confiée à M. Henri
JMichelant.
Il serait trop long de doimer ici une analyse de ce roman :
les auteurs , usant de leurs droits de trouvères , donnent à
Alexandre douze pairs, lui prêtent les sentiments et le
langage d'un chevaUer contemporain des Guillaume, des
Robert et des Tancrède. Ils prennent le héros à sa naissance,
dont ils décrivent les circonstances merveilleuses; ils
racontent les prouesses de son jeune âge jusqu'au jour où il
put enfin abandonner les lions pour combattre des guer-
riers et devenir homme de guerre. Arrivés là, les deux poètes
se jouent tout à leur aise des détails de l'histoire : ils cor-
rompent les noms , transposent les événements, et s'aban-
donnent à toute la richesse de leur imagination : à un cer-
tain endroit du poème, Alexandre fait la rencontre du Diable,
dans un val mystérieux où chaque fleur est une jeune fille,
et où l'astre du soleil et celui de la lune lui prédisent sa
mort prématuiée. On voit qu'il serait impossible de raconter
ce poème sans s'éloigner par trop des détails de l'histoire.
Le Roman d'Alexandre est d'ailleurs origùial, plein de
détails curieux sur la chevalerie , les coutumes du moyen
âge, les luttes héroï(iues de l'époque des croisades. La forme
en est généralement coulante, malgré l'uniformité des tirades
monorimes : quelques éclairs de poésie réelle, d'éloquence
entraînante y brillent par intervalles et animent la longueur
parfois faiigante du récit. Ces beautés incontestables jus-
tifient l'immense réputation dont ce livre a joui chez noi
aïeux, ainsi que le nom donné au vers alexandrin don»,
firent usage les deux poètes qui consacrèrent leurs étudet
et leur talent à la gloire d'Alexandre.
Eugène TalbOT, professeur au lycée Louis-lo-Grand.
ALEXANDRE
28.>
ALEXAXDRE (Ère A'). Voi/cz Kue.
ALKXAXDIIE, rois de Macotloine. Outre Alexandre
le C'.raïul, quatre princes portirent ce nom sur le trône de
MaciHloiue. Le premier, tils d'Ainyntas 1"", régna de 497 à
454 avant J.-C. — Le second, fils d'Anivntas II, régna de
371 à 370. — Le Iroîsièine fut Alexandre le Grand. — Le
quatii-nie, (ils posthume d'Alexandre le Grand, avait pour
mère Roxane. 11 porta un instant le titre de roi après sa
naissance ; mais Cassandre le lit tuer dans sa première en-
fance. — Alexandre V, lils de Cassandre, régna d'abord
avec son frère .\ali|)ater, de 207 à 21)4 avant J.-C. Voyez
MaCÉDOI.NE et .\NTn'\TlUDES.
ALEXAXDRE, tyran de Phères, enThessalie, lan
3r>'.i avant J.-C, fameux par ses cruautés, fut vaincu par
l'elopidas, général tliébain, et tué par Thébé, sa femme,
l'an 3ô7 avant J.-C".
ALEX.WDRE I-II, rois d'Épire. Vo!jez Épire.
ALEXAXDRE. Deux usurpateurs du trône de Syrie
ont porté ce nom. L'un, Alexandre Balx , dont le véritable
nom était Pompala, Rhodien d'origine, se fit passer pour
fds d'Anliochus Éplphane, et réussit à détrôner Démé-
trius Soter, l'an 149 avant J.-C, grâce au secours que lui
avait prêté le roi a'Égypte Ptolémée Pliilométor. Aban-
donné par ce prince, qu'il avait tralii, il fut lui-même
détrôné par Démétrius >'icator, l'an 144 avant J.-C. —
Alexandre Zf.cina, fds d'un fripier d'Alexandrie, se pré-
tendant le lils d'Alexandre Bala, et soutenu par Ptolémée
Physcon, roi d'Egypte, parvint à s'emparer du trône qu'oc-
cupait Démétrius >"icator, l'an 125 avant J.-C. Antiochus
Grypus, fds de Nicator, le fit mettre à mort quatre ans après.
ALEXAXDRE JAXXÉE. Yoyez Maccabées.
.\LEXAADRE SÉVÈRE (M. Alrélrs), vingt -sep-
tième empereur romain, ré^a depuis l'an 222 après J.-C.
jusqu'à l'an 235 ; il appartient à cette race impériale syrienne
qui tirait son nom de Julia Domna, épouse de Septime
Sévère , née à Émèse. Cette impératrice remplit de Syriens
le conseil de l'empereur, et tous les Sévères, dans la suite,
furent considérés comme emi)ereurs syriens. Ces princes
sont : Caracaila et Géta ; puis , après l'usurpateur Macrin ,
Bassien, Iléliogabale ; enfin Alexandre Sévère, dont le vé-
ritable nom était Bassien , car il n'est connu dans Thistoire
que par ses deux surnoms : celui à'Alexandre, parce qu'il
était né à Arsène , en Syrie , dans un temple consacré à
Alexandre le Grand; celui de Sévère, à cause de sa ver-
tueuse rigidité envers les courtisans, les soldats. Bassien était
cousin et peut-être frère de père de l'infâme Héliogabale.
Il semble, en Usant le règne d'Alexandre Sévère dans
Lampride , que cet historien se soit complu à représenter
l'idéal de la puissance souveraine exercée par un adolescent,
au visage aussi beau que son âme était pure, son cœur chaste,
son esprit élevé. Le sénat lui conféra en un seul jour tous
les pouvoirs impériaux, comme àun vieil empereur, et lui
offrit successivement les titres ù'Antonin et de Grand; il
les refusa , et Lampride nous donne la longue discussion
qui eut lieu à ce sujet. Dès sa plus tendre enfance Alexandre
Sévère avait été instruit dans les lettres grecques et latines. 11
avaiteu pour maîtres les plus célèbres rhéteurs de son temps;
il ne fit pourtant pas de grands progrès dans l'éloquence la-
tine ; mais il réussit dans les lettres grecques, et composa en
vers dans cette langue la vie des bons princes. Ses lectures
favorites étaient le traité des Offices et celui de la Répu-
blique de Cicéron. Il lisait aussi la vie d'Alexandre, dont
il n& proposa d'imiter les veitus , tout en condamnant dans
ce prince l'ivrognerie et la cruauté envers ses amis. 11 aimait
les poètes latins, 'surtout Virgile, qu'il appelait le Platon des
poètes. Assuré de mériter le respect , il rejetait les titres fas-
tueux, les obséquieuses formules. Les entrées chez lui étaient
libres, et , à la dilTérence de ses prédécesseurs, il se laissait
aborder par tout :e monde. 11 vivait si familièrement avec
ses amis qu'à table il partageait avec eux le môme lit , allait
.■îans façon manger chez eux, et les recevait de même. Il le?
visitait quand ils étaient mahuU-?, de quelque rang qu'ils lii<-
Gcnl ; il aimait que chacun lui dit librement sa pensée ; eiî
sa présence, il voulait que chacun fût assis, et s'informait
soigneusement des absents. Sa mère, Mammée, et Memmia,
son épouse , lui reprochaient sa trop grande affabilité, et lui
disaient qu'il affaiblissait ainsi son pouvoir. — " Dites plutôt,
répondit-il, que je l'affermis et le rends plus durable. » Ban-
nissant de son costume l'or et les pierres précieuses, dont ?e
couvrait Héliogabale, il portait toujours une toge de lin d'une
éclatante blancheur. 11 avait tant de vivacité dans les yeux,
qu'on ne pouvait longtemps soutenir son regard. Pour l'air
martial, la vigueur et l'agilité , c'était un vrai soldat , et il
passait pour le meilleur lutteur de son temps. 11 était doué
d'une perspicacité extraordinaire et d'une mémoire prodi-
gieuse.
k peine monté sur le trône, Alexandre éloigna les juges
et tous les employés que l'impur Héliogabale avait tirés de
la classe la plus abjecte : il ne voulut conserver dans le pa-
lais impérial que les gens absolument nécessaires , supprima
toutes les sinécures, et s'engagea par serment à n'en point
créer. En général , il n'admettait dans sa société que des
gens honnêtes et bien famés; de même, il défendit aux
femmes d'une réputation équivoque de faire la cour à sa
mère et à sa sœur. Il se montra fort sévère pour les cour-
tisans qui trafiquaient de leur crédit. L'histoire cite un
homme qu'il Ut mettre en croix pour ce délit, puis un
autre qu'il fit étouffer au milieu d'un feu de paille, afin, di-
sait-il, de punir par la fumée celui qui avait vendu de
la fumée. Un de ses secrétaires avait fait un faux exposé
d'une affaire au conseil du prince : Alexandre l'exila, aprè^
lui avoir fait couper les nerfs des doigts , de manière à ce
qu'il ne put plus écrire. Il condamnait à mort les tjibuns de
légion qui s'étaient enrichis aux dépens du soldat. Dans
les différends survenus entre les soldatî et les officiers, il
punissait ceux-ci sans pitié quand ils étaient coupaiiles. » Du
reste, en quatorze années de temps, dit Hérodien, historien
peu favorable à Alexandre, il ne répaudit pas une seule goutte
de sang innocent ; et l'on ne nommera pas un seul homme
qui pendant ^ni si long règne ait été condamné sans qu'on
lui ait fait auparavant son procès dans toutes les formes.
Quelquefois même il ne pouvait se résoudre à condamner
à mort des gens coupables de fort grands crimes. » Les ju-
risconsultes compilateurs des lois romaines nous appren-
nent qu'il aboUt presque entièrement les recherches poin-
crimes de lèse-majesté impériale, et ce ne fut pas pour lui
une petite affaire que d'arrêter le zèle des juges qui croyaient
faire leur cour en appliquant cette législation cruelle. Il fit
nombre de lois fort douces relativement aux droits du
peuple et à ceux du fisc ; il destina les impôts que payaient
les villes à l'entretien de leurs édifices; il plaça les deniers
pubUcs à quatre pour cent, et de ce produit il prêtait sans
intérêt à des particuliers, pour les aider dans leurs affaires;
U accorda, pour les attirer à Rome, des indemnités consi-
dérables aux négociants. Outre les distributions d'usage qu'il
faisait au peuple, il prit des mesures piévoyantes pour di-
minuer le prix des denrées. Sa vie simple, frugale etréguUère,
était une leçon vivante pour les Romains. Afin d'arrêter le
luxe, il eut la pensée de distinguer les conditions par les vê-
tements. 11 ne voulait point faire entrer dans le fisc les con-
trUjutions établies par Caligula sur les lieux de débauche, et
consacra ces revenus de la corruption à l'entretien des théâ-
tres et des jeux du cirque.
Sous ce prince les chrétiens cessèrent d'être persécutéi
et les Juifs conservèrent leurs privilèges. Alexandre avait
emprunté à nos livres saints cette maxime : Aefais pas à
autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fit à toi-
même, et il la fit graver sur le frontispice de son palais et
de plusieurs édifices publics. Dans son oratoire on voyait
les images de Jésus-Christ et d'Abraham à côté de celles
28G
ALEXANDRE
I
d'Orphée et d'Apollonius de Tyane. Il voulut mt^nie bâtir
un temple au Christ.
Tels sont les principaux traits du tableau animé, mais
sans ordre, que Lainpride nous trace de la personne d'A-
lexandre Sévère. Il nous apprend encore que ce jeune em-
pereur avait la faiblesse de rougir de son origine syrienne ,
et se composa un arbre t;énéalogiquc qui le faisait descendre
des Métellus. Veut-on connaître les passe-temps par les-
quels il se délassait des soins du trône ? Il entretenait dans
.son palais une infinité d'oiseaux de toutes espèces, entre au-
tres vingt mille ramiers ; il aimait à faire battre entre elles
des perdrix, et à faire jouer des jeunes chiens avec déjeunes
cochons. Ces amusements d'enfant convenaient sans doute à
son âge, à son ûme innocente ; mais ils sont fort à remarquer
dans la vie d'un prince qui , sans avoir encore de barbe au
menton, régnait comme Trajan et parlait comme MarcAurèle.
Tous les auteurs s'accordent à vanter sa tendre piété pour
sa mère et son attachement fidèle à son épouse ; mais si
l'on en croit Hérodien , Alexandre poussa la déférence fi-
liale jusqu'à la faiblesse. Selon lui , l'impérieuse Mammée
s'abandonnait contre sa bru à tous les excès d'une jalousie
furieuse, et Alexandre le souffrait.
Auguste , si l'on en croit Sénèque , avait fait un consul de
Cinna pour le punir d'avoir conspiré contre lui. Alexandre
Sévère se vengea d'une manière analogue d'Ovinius Camil-
lus, sénateur de haute naissance, mais efféminé, dissolu,
et qui affectait des prétentions à l'empire. Il le créa césar,
l'associa à sa puissance . multiplia autour de lui les fatigues
et les embarras du trône, et le força ainsi de rentrer dans la
vie privée. Moins heureux que Cinna , Ovinius fut plus tard
massacré par les troupes, et l'on n'a point imputé cette mort
à Alexandre Sévère, qui, selon le témoignage unanime des
historiens , mérita qu'on dit de lui comme de Marc-Aurèle,
qu'il ne fit mourir aucun sénateur.
Ce prince n'est pas moins intéressant à suivre dans sa
conduite politique : « Il eut, dit Heeren, le courage d'être
un réformateur à une époque où les vertus étaient plus dan-
gereuses pour un souverain que les vices. « Il voulut faire
revivre les sentiments romains; souvent il haranguait le
peuple, l'appelait quelquefois aux suffrages, et rendit au sé-
nat une grande influence. En un mot, comme tous les bons
empereurs de Rome, il affectionna les formes répubhcaines.
Alexandre Sévère s'était porté sur les bords du Rhin pour
surveiller les mouvements des barbares de la Germanie.
Les légions de la Gaule, qui ne le connaissaient que par
ses réformes , se rendirent l'instrument de l'ambition du
Thrace Maximin. Elles tuèrent Alexandre avec sa mère dans
le bourg de Sécila , près de Mayence, l'an 235 .
Dans la quatrième année du règne de ce prince , Artaban,
dernier rejeton de la race des Arsacides, avait succombé
sous les coups d'un soldat de fortune, Artaxerce, chef de la
dynastie des Sassanides, et qui fit quitter à ses compatriotes
le nom de Parthes iwur reprendre celui de Perses (l'an 226).
Avec le titre de grand roi , Artaxerce affecta le langage des
successeurs de Cyrus. Pour toute déclaration de guerre, il
ordonna, par une lettre , à l'empereur Alexandre Sévère
d'abandonner l'Egypte et l'Asie, puis il envahit la Mésopo-
tamie et la Syrie. Alexandre, après avoir répondu avec une
noble modération, fit avec vigueur ses préparatifs, passa
en Orient, et sortit vainqueur de cette lutte, qui dura trois
ans. C'e.4 du moins ce qui résulte du récit de Lampride,
appuyé par les abrégés d'Aurélius Victor, d'Eutrope , de
Zonaras, etc. Hérodien seul représente cette expédition
comme malheureuse, par suite de l'inexpérience d'.Mexandre
Sévère et de son défaut de courage. C'est sans doute le lan-
gage qui convenait à im historien trop favorable à l'usurpa-
tion du farouche Maximin ; mais son récit présente eu outre
des obscurités et dos contradictions. L'opinion de Lampride
a prévalu, appuyée qu'elle est par les monuments triom-
phaux de l'empire. Lnlin Artaxerce , jiendant le reste de
son règne, qui fut de huit ans, n'osa pas môme attaquer
la Mésopotamie, malî^rc les guerres intestines qui occu-
paient les légions de l'empire. La mort prématurée d'A-
lexandre Sévère , dont cependant le règne est un des plus
longs de l'époque, mit Rome sous le despotisme militaire
de Maximin , ce persécuteur cruel du sénat , qu'Alexandre
Sévère avait voulu relever. En admettant que le portrait du
fils de Mammée, tracé par Lampride, soit quelque peu
flatté, il est toujours glorieux pour ce jeune empereur d'a-
voir été choisi au temps de Constantin, par un des auteurs
de l'histoire impériale, comme type de la vertu romaine ,
heureusement modifiée par l'accession des plus belles maxi-
mes du christianisme. Sous ce rapport l'on peut mettre la
pure et noble figure d'Alexandre Sévère en regard de l'i-
mage auguste et vénérable de Marc-Aurèle, type exclusif
des philosophes païens. Ch. du Rozoïn.
ALiEX ANDRE. Huit papes ont porté ce nom.
ALEXANDRE 1^', qui régna depuis 109 jusqu'à 119, n'est
connu que par l'introduction de l'eau bénite , qu'on lui at-
tribue. Il mourut de mort violente. L'Église le compte au
nombre de ses martyrs. On l'honore le 3 mai.
ALEXANDRE II {Anselme de BAGio),de Milan, ancien
évêque de Lucques , fut porté , en 1061, au trône pontifical
par le parti du fameux Hildebrand (Grégoire VII), tan-
dis que les partisans du roi d'Allemagne et de la noblesse
romaine faisaient éUre à Bâle l'antipape Honorius II.
Celui-ci chassa Alexandre de Rome ; mais Hildebrand, qu'on
pouvait dès lors regarder comme l'àme du gouvernement
papal, prit vivement sa défense, et le fit reconnaître au
synode de Cologne en 1062. Les Romains eux-mêmes ayant
abandonné Honorius en 1063 , Alexandre demeura paisible
possesseur du saint-siége jusqu'à sa mort, arrivée en 1073.
Pendant tout le temps de son pontificat , ce fut Hildebrand
qui gouverna réellement en son nom. Aussi les ordonnances
de cette époque contre l'investiture par des laïques , contre
le mariage des prêtres , et surtout la fameuse bulle contre
le divorce de Henri rv, qui cita ce prince en cour de Rome,
doivent être exclusivement imputées à Hildebrand, qui se
seiTait du faible Alexandre comme d'un instrument pour
exécuter ses plans ambitieux. Ce fut sous le pontificat d'A-
lexandre II qu'on vit pour la première fois un pape s'opposer
aux persécutions que les chrétiens exerçaient contre les
juifs.
ALEXA]SDRE III ( Orlando Rainuccio ) était né de
parents pauvres, à Sienne, en Toscane. Il eût pu rester
chanoine toute sa vie si le pape Eugène III , frappé de son
mérite et de ses vertus , ne l'eût tout à coup proclamé car-
dinal-diacre, puis cardinal-prêtre, et enfin élevé à la dignité
de chancelier du siège apostolique. Alexandre III régna de-
puis 1159 jusqu'en 1181, et combattit avec des succès variés,
mais un courage inébranlable, le parti de l'empereur Fré-
déric r"" et des antipapes Victor III, Pascal III et Ca-
lixte III , qui s'élevèrent successivement contre lui. Obligé
de se réfugier en France en 1161 , il y demeura à Sens jus-
qu'à ce que, quatre ans après, en 1165, les querelles sur-
venues entre les Lombards et l'empereur Frédéric , l'appui
des princes ecclésiastiques de l'Allemagne et les vœux una-
nimes des Romains, lui eussent rouvert les portes de Rome.
Son premier soin fut de contracter une étroite alliance avec
les villes lombardes. Forcé de fuir de nouveau , en 1177,
devant l'armée impériale, il se retira successiven)ent à Réné-
vent, Anagni et Venise. Mais Frédéric ayant été complète-
ment battu prcs de Legnano par les Lombards , .\lexandre
profita de leur victoire pour contraindre ce prince à l'Ini-
miliant traité devienne; et, après avoir vu l'empereur d'Al-
lemagne réduit à lui baiser les pieds et à lui tenir l'étrier, il
rentra dans Rome en triom[tliaîeur (1178). Fidèle à marcher
sur les traces de Grégoire Vil, il fit sentir au roi d'Angle-
terre Henri II, lors de l'assassinat de Tiiomas Beckef,
archevêque de Cantorbéry, tout le poids de la puissance
ALEXANDRE
pontificale, donna la couronne de Portugal au roi Al-
piionj^c II, frappa l'Ecosse d'interdit, pour la punir de la
désobéissance de son roi , publia une nouvelle croisade qui
fut aca'ptée par Philipjxî-Auguste et Henri II ; et jusqu'à
sa mort , arrivée en 1 ISI , pendant vingt-deux ans de jwn-
tilicat, il s'efforça par tous les moyens d'établir la supré-
matie du saint-siège sur les princes de l'Europe. Alexandre HI
a laissé dans l'histoire le renom d'un pape pieux, d'un
lionuue de courage, et d'un polititjue habile : « il était très-
éloquent, dit un liistorien, et suflisaniraent instruit aux
écritures divines et humaines, bénin, patient, sobre,
chaste, bon aumônier, et toujours attentif aux œuvres
agréables et plaisantes à Dieu. »
ALEXANDRE IV, comte de Ségoa, né à Anagni, ancien
évéqiie d'Ostie, fut revêtu de la dignité pontificale à une
époque peu favorable au saint-siège, en 1254. Battu par
Manfred de Sicile , impliqué dans les querelles des Guelfes
et des Gibelins , méprisé dans ses propres États , ce pape,
bien intentionné et pacifique , ne put apaiser les troubles
qui désolaient l'Italie , ni par des prières ni par des excom-
munications. Il mourut en 12S1, après avoir eu à lutter pen-
dant toute la durée de son pontificat contre des ennemis et
des malheurs auxquels il n'opposa ni assez de force ni assez
de dignité; il se laissait d'ailleurs trop influencer par les flat-
teurs à la prière desquels il prodiguait les privilèges , les
bulles et les dispenses. Ce fut Alexandre IV qui , sur la
demande de saint Louis, établit en France l'inquisition.
ALEXANDRE V (Pierre Philarci), né à Candie de
parents très-pauvres, fut obUgé de mendier son pain de porte
en porte. Un cordelier italien, qui remarqua en lui d'heu-
reuses dispositions , le fit recevoir dans son ordre ; il se mit
à travailler avec ardeur, et bientôt on le vit briller aux uni-
versités d'Oxford et de Paris. Galéas Visconti le nomma pré-
cepteur de son fds, et, après avoir obtenu pour lui les évêchés
de Vicence et de Novare, le fit nommer à l'archevêché de
Milan. Innocent Vil le revêtit de la pourpre, et le nomma
son légat en Lombardie. En 1409, Alexandre fut élu par
le concile de Pise. Ses grandes connaissances , la pureté de
ses mœurs, et le respect que la sagesse de son administra-
tion avait inspiré, l'avaient fait élever au pontificat ( 1409),
dans l'espérance qu'il saurait mettre un terme au schisme
d'Occident; mais il ne répondit pas à la haute opinion qu'on
avait conçue de lui. Devenu pape après avoir été mendiant,
Alexandre n'éleva point sou caractère au-dessus de son
ancien état, cl , par un faux sentiment d'humilité , il fit
rentrer les religieux mendiants dans des privilèges qui bles-
saient les intérêts de l'université de Paris et le décret du
concile de Latran. 11 eut la faiblesse de se laisser gouverner
par le cardinal Cessa , qui le retint à Bologne et finit par
l'empoisonner. Alexandre V mourut dans cette ville, le
3 mai 1410, après avoir occupé le saint-siége moins d'une
année ; la mort le surprit au moment où il fulminait des con-
damnations contre les doctrines de Wiclef, en même temps
qu'il se préparait à punir Jean Huss, le réformateur bohé-
mien. Il favorisa les lettres, et s'opposa de tout son pouvoir a
rétablissement de la secte des flagellants, dont il désapprou-
vait les honteuses mascarades.
ALEXANDRE VI {Rodrigue Lenzuolo Boro[a), deux
cent vingt-troisième pape, naquit à Valence, en Espagne,
l'an 1431. Godefroi Lenzuolo, son jjèro, avait acquis, par les
divers emplois qu'il occupait à la cour d'Aragon, une for-
tune assez brillante pour que le fier Alphonse Borgia, arche-
vêque de cette ville, lui donnât sa S(eur Joanna en mariage.
Ce prélat, devenu cardinal en 1444 et pape en 1445, perniit
même à son beau-frère de prendre le nom de Borgia , et
Lenzuolo le transmit à ses descendants. Cinq enfants naqui-
rent de ce mariage. P.odrig'je, dont il est ici question, mon-
tra de bonne heure les heureuses et les mauvaises disposi-
tions qui rélevèrent à la plus haute fortune de son temps ,
el à une si honteuse célébrité que la satire et l'histoire sc-
2S7
raient dans l'impuissance de calomnier ses mœurs et son ca-
ractère. Il se distingua si bien dans ses études , qu'à l'âge
de dix-huit ans son père se reposait sur lui du soin de
traiter les affaires les plus importantes. Les grands talents
qu'il déploya comme avocat lui procurèrent des sommes
considérables ; mais son inconstance naturelle le détourna
de cette profession, et le jeta dans le métier des armes où
son penchant à la débauche se manifesta bientôt par de
scandaleux éclats. Une veuve et ses deux filles , nouvelle-
ment arrivées de Rome, furent à la fois les objets de sa pas-
sion déréglée. La mère morte, il mit l'une des filles dans un
couvent, et continua à vivre avec l'autre, qui était la cé-
lèbre Vanozza.
L'exaltation de son oncle Alphonse Borgia , sous le nom
de Calixte III, lui inspira une ambition nouvelle. Il avait
alors vingt-quatre ans, et possédait un revenu de 32,000 du-
cats. Le pape le fit venir à Rome, ajouta un bénéfice
de 12,000 écus à sa fortune, le fit archevêque de Valence
dans la même année, le promut au cardinalat en 1456. sous
le titre de Saint-Nicolas in carcere Tulliano, et lui conféra
la dignité de vice-chancelier de l'Église, à laquelle était en-
core attaché un revenu de 28,000 écus. Calixte ne voyait
que le mérite et la capacité de son neveu , il en igno-
rait les dérèglements, et Rodrigue, à qui la nature n'avait
épargné aucun vice , avait réussi à couvrir du manteau de
l'hypocrisie la dissolution de sa vie privée. La belle Vanozza
et ses enfants l'avaient suivi en Italie, mais il les tenait à Ve-
nise, loin des yeux de son oncle et de la cour de Rome. Cette
séparation lui était pénible. Il avait même hésité à accepter
la dignité de cardinal, qui lui imposait cette obligation. Mais
l'ambition lui montra le saint-siége en perspective, et cet
homme, dévoré de vices, ne parut plus aux yeux du monde
que sous les dehors de la piété la plus austère. Vanozza
seule était dans le secret de son âme ; il se consolait en lui
écrivant, et mêlait aux expressions de l'amour le plus tendre
et le plus passionné les hautes espérances de son hy-
pocrisie. C'était s'imposer une longue contrainte ; car il
n'avait que vingt-sept ans à la mort de Calixte III, et quatre
pape^ devaient le précéder encore sur la chaire de saint
Pierre. L'histoire ne l'a cité sous les pontificats de Pie II et
de Paul II que pour avoir contribué à l'élection du premier
en désertant le parti du cardinal de Rouen, auquel il avait
promis sa voix. Mais la grande part qu'il eut à l'élévation
de Sixte IV lui valut, en 1471, l'abbaye de Saint-Jacques, et,
l'année suivante, la légation d'Espagne. Il reçut de grands
honneurs dans sa patrie ; il s'y montra politique habile, et
suscita contre Louis XI la ligue des souverains d'Aragon,
d'Angleterre et de Bourgogne; mais il n'oublia ni sa fortuné
ni ses plaisirs, se replongea dans la débauche la plus effrénée,
pour se dédommager des austérités mensongères auxquelles
le condamnait le séjour de Rome, et n'eut point de plus sé-
rieuse occupation que de pilier les pays où il exerçait ses
fonctions de légat. 11 n'en retira cependant d'autre fruit que
la honte ; car la galère où il avait entassé ses richesses périt
sur les côtes d'Italie, et il revint à Rome comme il en était
parti, pour cabaler en faveur d'Innocent VIII.
Rodrigue Borgia avait alors cinquante-trois ans, et depuis
vingt-sept ans il vivait loin de Vanozza et de ses enfants,
qu'il n'allait voir qu'à de longs intervalles , et qu'il aimait
avec passion. Son impatience ne put plus se contenir; il les
fit venir à Rome sous le chaperon de son intendant, qu'il
fit passer pour le mari de sa maîtresse, et qu'il baptisa du
nom de comte Ferdinand de Castille ; grâce à cette précau-
tion , l'hypocrite jouit à la fois des plaisirs du vice et des
honneurs de la vertu. Sa piété simulée n'aurait point suffi
cependant jiour le conduire au but de son ambition , si , à
la mort d'Innocent VIII , il n'eût pris enfin le parti d'ache-
ter la diaire aposfoliciue. Vingt-deux cardinaux , payi's à
beaux deniers comptant , ou pourvus d'avance de paiai:-,
de légations et de riches bénéfices, le saluèrent onfin du
288
nom aUlcxaiulrc VI , nialgiu l'opposition des cinq aiilrcs ,
le 2 aortt 1492. Mais ces mystères du conclave n'étaient pas
plus connus du peuple que les déréglenientsdu nouveau pon-
tife Sa réputation de sainteté couvrait si bien toutes ces in-
famies, que la joie et les resjjects des Romains éclatèrent sur
son passage avec une vivacité et une magnilicence qui n'a-
vaient pas eu d'exemple. Les princes chrétiens partagèrent
cette allégresse , et le félicitèrent par de solennelles ambas-
sades Leleul Ferdinand, roi de Naples, n'y fut pas trompé;
il versa des pleurs à cette nouvelle, prédit de grands dé-
sordres à l'Église, et Alexandre VI, impatient de justifier
cette prédiction , se délivra sur-le-champ de la rude et lon-
gue contrainte que .son ambition lui avait imposée. Rome
apprit en i)eu de jours que le pape avait une maîtresse et
cinq enfants, dont trois au moins étaient nés depuis .sa pro-
motion au cardinalat, et qui tous étaient aussi vicieux que
leur père. L'infâme ne parut s'être élevé sur la plus haute
émiiience de la terre chrétienne que pour donner aii monde
le s])cctacle de ses vices, et ajouter à ses jouissances le
plaisir de braver les mépris de la chrétienté.
Les troubles de la Hongrie et le schisme des hussites oc-
cupèrent d'abord sa politique; il poursuivit le projet de la
croisade que ses prédécesseurs avaient prèchée contre les
Turcs, sanctionna l'ordre des Minimes, étaidit quatre ca-
thédrales dans le royaume de Grenade, et adjugea de sa
pleine autorité à Ferdinand et Isabelle tous les pays que
\enait de découvrir Cluistoiiiie Colomb. Mais son occupa-
lion principale fut l'agrandissement de sa famille, qu'il en-
riciiit par les proscriptions , les empoisonnements , les meur-
tres et les confiscations les plus odieuses. Les Ursins , les
Colonne , les Savelli , le cardinal La Rovère , furent tour à
tour les objets de ses persi'cutions intéressées , et résistè-
rent par les armes à l'aiabition des enfants du pape. Les
exactions , la vénalité des charges , étaient encore pour eux
des moyens de fortune, et quand les ministres de leur ava-
rice ne trouvaient plus oii prendre, la famille papale les
détruisait eux-mômes pour s'approprier le fruit de leurs
rapines particulières. L'insatiable Alexandre créait tous les
jours de nouveaux emplois , qu'il faisait payer le plus clier
qu'il pouvait. Aussi dit-on de lui :
Vendit Alcxandcr claves , altaria , ChrisUim.
Fiuerat ille prius, vendere jure polest.
Ce distique fut appliqué avec deux autres contre une sta-
tue mutilée qui était à la porte d'un tailleur facétieux, nommé
Pasquino, et devint l'origine des pasquinades. Les simo-
ires , les cruauttis et les déportements du pape accrédi-
tèrent promptement celte invention de la vengeance popu-
laire. La statue parla tous les jours , et les tlatteurs d'A-
lexandre VI lui conseillèrent de la jeter dans le Tibre. « Elle
se changerait en grenouille, répondit l'impudent pontife,
et j'en serais importuné nuit et jour ; j'aime mieux une
pierre muette. »
L'or ne suffisait pointa l'amliilion de cette famille; elle
était aussi avide de dignités, de lîefs et de titres (pie de
richesses. Dès la première année de ce pontificat, dans une
promotion de douze cardinaux, presque tous espagnols,
car ce pape détestait les Italiens, fut compris César Bor-
pia, son second fils, qui lui succéda à l'archevêché de
Valence , et fut connu dès lors sous le nom du cardinal Va-
lenlin. Mais ce fut sur les fiefs du royaume de Naples que
le jière de ces brigands jeta sou dévolu. Alphonse, duc de
Calabre, et (ils du roi Ferdinand, lui ayant refusé dona
Sancia, sa fille naturelle, pour un de ses enfants, il pro-
fila, pour réduire l'orgueil de ce prince, des brigues que
forma't eu Italie l'ambition de Ludovic Sl'orce. Cet autre
assassin régnait dans Milan sous le nom de Jean Galéas ,
son neveu , et gendre de ce même duc de Calabre ; et comme
la puissance d'Alphonse était un obstacle à l'usiirpalion (juc
méditait Ludovic , celui-ci rechercha l'alliance du p;tpe, que
ALEXAP^DRE
venait d'irriler le refiis de ce prince. Alexandre VI enfn»
dans cette ligue , et y entraîna la république de Venise.
Alphonse s'allia de son côté à la maison de Médicis , aux
Colonne , aux Ursins , à La Rovère , à tous les ennemis du
pontife , pour renverser à la fois Ludovic et les Borgia. Mais
le vieux Ferdinand , menacé par Charles VIII , sentit la
nécessité de ne pas se brouiller avec le pape , et rompit les
projets de son fils Alphonse pour négocier un accommode-
ment avec la cour de Rome. Ludovic pressentit l'incon-
stance d'Alexandre VI , dont il connai.ssait les secrètes pen-
sées, et se tourna vers le roi de France. Charles VIII pré-
tendait au royaume de Naples, comme héritier de la maison
d'Anjou, en vertu du testament de Charles IV, neveu du
roi René. Fort de l'alliance du perfide Sforce , il pressa sa
marche vers l'Italie , et le duc de Calabre, quoique devenu
roi de Naples par la mort de son père , se vit foicé par cet
Incident nouveau à en adopter la politique, de peur que le
pape n'ajoutât à ses embarras le refus de l'investiture qu'il
était obligé de demander au saint-siége. Alexandre VI ne
rougit point d'abuser de la position de ce faible monarque,
que la fortune mettait ainsi à sa discrétion. Il lui fit payer
1000 ducats pour son couronnement , obtint pour son fils
Giuffie la main de dona Sancia, avec la principauté de Sqiiil-
lace , le comté de Cariati , le prolonotariat de Naples , et
une garde de trois cents hommes payés par le trésor d".41-
phonse;ilexigeaencore pour le duc de Gandie, son fils aîné,
un revenu de 10,000 ducats, avec un commandement dans
l'armée napolitaine, et le cardinal Valentin reçut en mémo
temps la promesse des plus riches bénéfices d'un royaume
qui était à la merci de son ambition.
Alexandre VI fut moins heureux auprès de la république
de Venise ; il essaya vainement de la détacher de l'alliance
de Ludovic Sforce , qu'il avait cimentée lui-même ; et, dans
le besoin où il était de chercher des secours contre Char-
les VIII, il dirigea ses raes vers Bajazet, ce môme empe-
reur des Turcs contre lequel il avait tenté de soulever les
princes chrétiens. La haine qu'il portait aux Français lui
faisait oublier ainsi les intérêts de la religion dont il était le
chef. Laipolitique de Bajazet saisit avidement l'espoir de
cette étrange alliance , qu'il avait un grand intérêt à ména-
ger. Son frère Zizim, qu'il avait dépouillé de ses États,
réfugié d'abord à Rhodes et en France, était alors sous la garde
de la cour de Rome, qui s'en servait pour effrayer le pos-
sesseur de la couronne ottomane. Bajazet offrit 300,000 du-
cats au pape Alexandre s'il voulait le défaire du prince
Zizim , et promit un secours de douze mille hommes pour
défendre le royaume d'Alfonse. C'était plus qu'il n'en fallait
pour décider les Borgia; mais la rapidité de Charles VIII
prévint l'exécution de cette promesse. Le roi de France
vint réclamer l'investiture du royaume de Naples , et , sur
le refus du pape, sans égard pour ses anathèmes, il entra
dans Rome sans combattre, et y fit des actes de souverai
neté. Tous les ennemis d'Alexandre VI se réveillèrent : les
Colonne, les Ursins, les cardinaux italiens, sollicitèrent tous
une élection nouvelle , et l'accusèrent de tous les crimes qui
pouvaient justifier sa déposition. Mais le roi de France
n'osa pousser jusque là sa vengeance, et le pape, retiré dans
le château Saint-Ange, employa ses trésors et son adresse à
triompher de ses ennemis. Il séduisit avec un chapeau de
caidinal l'ambitieux Briçonnet et l'évêque du Mans, minis-
tres favoris de Charles VIII, remit àceroi son fils, le cardinal
A'alentin , comme garant de sa bonne foi , et lui livra le
prince Zizim pour lui prouver qu'il rompait avec l'empe-
reur Bajazet. Mais le sc^Mérat aAait auparavant empoisonné
ce prince pour gagner à la Ibis l'argent de son frère et l'a-
mitié du roi de France. Il donnait avis en même temps aux
Turcs de tous les mouvements de Charles VIII, de toutes
les intelligences cpie ce roi pratiquait dans la Grèce, et il
attirait aïnsi sur les chrétiens de cette contrée les terri-
bles vengeances du sultan. On porle à cinquante mille le
ALEXANDRE
280
nombre des victimes dont ses délations causèrent la perte.
La conqiit'te de >aples ne coûta pas un coup dVpée à
Charles VIII; mais ce roi la perdit avec la nii'me fa(i!ili\
et trouva sur ses derrii^res les ennemis qu'Alexandre NI lui
avait suscités. Ludovic Sforce, usurpateur du duclie de
Milan, devint aussi ardent à chasser les Français d'Italie
qu'il avait montré d'empressement à les y appeler. Les Vé-
nitiens changèrent comme lui. Le roi de Castille, le roi des
Romains, entrèrent dans cette ligne , et le pape dévoila ses
mauvais desseins en fuyant de Rome à rapproche des Fran-
çais, qui revenaient de Naples ; il somma même Charles \IU
de quitter l'Italie dans dix jours avec ses troupes, sous
peine d'excommunication. Le jeune roi se moqua de ses
menaces ; mais il avait trop d'ennemis sur les bras pour se
flatter de les vaincre , et il tut forcé , pour regagner ses États,
de passer sur le corj^s des quarante mille combattants qu'ils
avaient rassemblés à Fornoue.
Alexandre \l , délivré des Français , reprit le cours de ses
trames contre les barons romains , que le duc de Gandie ,
son lils, poursuivait à outrance; mais il fut battu par les
l'rsins , et le jeune Ferdinand , fds et successeur du roi Al-
fonse, fut obligé d'envoyer au secours de "Rome le fameux
Gonzalve de Cordoue, qui fit payer sa médiation au
pape par des mépris dont ce dernier faisait fort peu de cas.
Il s'accommoda cependant avec les Ursins, qui passèrent au
service du roi d'Espagne ; mais ce roi s'unit vainement au
roi de Portugal pour essayer de mettre un terme aux désor-
dres de l'Italie et aux dérèglements de la famille pontificale.
Le pape reçut leurs ambassadeurs avec colère, et menaça
de les faire jeter dans le Tibre; mais il ne put vaincre leur
résistance relativement à la principauté de Bénévcnt , qu'il
voulait faire adjuger au duc de Gandie. La faveur dont
jouissait cet aîné de ses fils n'irritait pas seulement les sei-
gneurs qui en étaient les victimes, elle excitait aussi la ja-
lousie du cardinal Valenîin , et un autre motif de haine s'é-
levait entre les deux frères. Lucrèce Borgia , fille unique du
pape, et femme de Jean Sforce, seigneur de Pesaro, vivait
en même temps avec son père et ses deux frères , César et
le duc de Gandie. Le cardinal ne put souffrir ce partage; le
duc disparut , et quelques jours après on trouva son cadavie
dans le Tibre. Alexandre VI en éprouva un chagrin d'au-
tant plus violent qu'il préférait ce fils à tous les autres ; il
resta trois jours sans manger , mais il finit par oublier ctt
assassinat, et célébra le retour du meurtrier, qui s'était ré-
fugié à >'aples , par une grande chasse que signalèrent le
faste et la débauche la plus immodérée. Rome , disent les
historiens du temps, était une caverne de voleurs, un
sanctuaire d'iniquité; et Pontanus a consacré les déporte-
ments de Lucrèce Borgia et de son père par cette épitaphe :
Hoc tnmulo dorniil Liicrctia Domine, sed re
Tliais , Alexandri filia , nupta , nuriis.
Cette Messaline faisait ouvertement les honneurs du palais
pontifical; elle y rassemblait tout ce que Rome renfermait
de femmes impudiques , donnait audience aux cardinaux ,
maniait toutes les affaires , ouvrait la correspondance de son
père, expédiait les brefs, et poussait l'effronterie, ajoute le
journal de Burchard, jusqu'à paraître dans la basilique de
Saint-Pierre avec ses compagnes de débauche, aux grandes
solennités de l'Église. Les hommes les plus recommandables
de ces temps d'immoralité prêchaient en vain contre ces dé-
sordres; en vain la faculté de théologie de Paris réclamait
un concile général pour y mettre un terme. Le prédicateur
Savonarole expia sur un bûcher sa généreuse indignation,
et la mort de Charles VIII changea les dispositions de la
cour et de l'Église de France.
Louis Xll, son successeur , avait besoin d'Alexandre VI
pour faire casser son mariage avec Jeanne la Boiteuse , et le
pape s'empressa de le satisfaire. Mais cette complaisance ne
lui point gratuite. Le caidinal Valentin , ou César Borgia,
DlC. DE LA CO.XVtr.S. — T. I.
abdiquant cette dignité pour rentrer dans le n.onde, reçut
du nouveau roi de France le titre de duc do Valentinois,
avec un revenu de ?.0,000 francs et une compagnie de cent
lances, qui en valait autant; et Louis XII put épouser à c?
prix.\nnede Bretagne, malgré les intrigues de Ferdinand
et d'Isabelle de Castille , dont les ambassadeurs mirent tout
en oeuvre pour empèc her le consentement du pape. Ils s'en
vengèrent par des emportements et des menaces ; mais le
fier Alexandre VI leur répondit sur le même ton, et, bra-
vant les reproches de la cour de Madrid , il recommença
ses cruautés, ses débauches et ses simonies. Le jubilé de
1500 fut pour lui une ample moisson d'or, et il fallait une
forte dose de superstition pour croire aux indulgences que
distribuait un pareil monstre. Il colorait cette levée de de-
niers par la reprise de ses préparatifs de guerre contre les
infidèles , mais il n'avait d'autre intention que d'ajouter aux
richesses de sa famille. Pendant ce jubilé le ciel parut
vouloir en purger la terre. Une violente tempête renversa
l'appartement dii il causait avec son fils César, et une forte
blessure à la tète fit espérer enfin la vacance du saint-siége.
Cette joie du peuple fut de courte durée. Le pape guérit
malgré ses soixante-dix ans , et fit tomber sa vengeance sur
ceux qui s'étaient réjouis de son malheur. La famille des
Cajetani fut cette fois l'objet de ses persécutions ; leurs
terres furent confisquées, et passèrent dans les mains de
l'inlame Lucrèce.
L'arrivée de Louis XII et de son armée en Italie servait
alors les projets des Borgia, ses alliés, qui ne mettaient
plus de bornes à leurs attentats. Chaque soleil éclairait un
de leurs assassinats , de leurs empoisonnements ou de leurs
pillages. Les seigneurs , les évêques , tout éprouvait la fu-
reur de cette famille, qui engloutissait ainsi les richesses
de ses victimes. Alexandre s'était déclaré l'héntier de tous
les ecclésiastiques au préjudice de leurs parents , et il était
trop impatient de jouir pour laisser à la mort naturelle le
soin de le mettre en possession de ces héritages. C'est ainsi
que François Borgia, quatrième fils du pape, acquit l'ar-
chevêché de Cosenza , dont le poison avait anéanti le titu-
laire Agnelli. Ce scandale fut poussé si loin, que les princes
d'Italie défendirent à leurs sujets d'acheter des bénéfices
dans la Romagne. :\Iais les revenus de l'Italie ne suffisaient
plus à la rapacité de cette maison. Sous l'éternel prétexte
d'une guerre sainte, qui n'arrivait jamais, le pape réclama
le dixième de tous les revenus ecclésiastiques de la chré-
tienté, et imposa sur les juifs une taxe exorbitante. Les
sommes incroyables que lui valurent ces deux bulles furent
dévorées par les guerres que César Borgia soutenait contre
les ennemis de sa famille. On eut beau multiplier les pam-
phlets, les remontrances, les satires, les noms d'Antéchrist,
de ^'éron , de Caligula, les villes n'en furent pas moins pil-
lées, le patrimoine même de saint Pierre n'en fut pas moins
aliéné au profit des enfants du pape.
La principauté de Piombino fut la dernière conquête du
duc de Valentinois, et le portrait de Vanozza, placé en
gm'se de Vierge dans l'église de Sainte-Marie-del-Popolo ,
fut la dernière impudence de son pè'e. Un tel homme devait
cependant finir, et le ciel lui devait une mort toute particu-
lière, ea lui faisant trouver dans ses crimes mêmes le châ-
timent de son exécrable vie. Les prodigalités de César
Borgia ayant surpassé ses dilapidations, il songea à se dé-
barrasser des trois ou quatre plus riches cardinaux du sacré
collège. Le pape sourit à ce nouveau moyen de battre mon-
naie. Il invita Corneto et ses amis à un souper splendide,
qu'il fit préparer dans la villa même de ce cardinal, et
César Borgia fit apiiorter du vin empoisonné, en recom-
mandant de n'en servir à personne sans son ordre. Mais ie
pape et son digne fils étant arrivés par une chaleur extraor-
dinaire, le maître de l'hôtel ou l'un de ses garçons, car
riiistoire est incertaine là-dessus, croyant que ce vin n'était
ainsi réservé que pour sa qualité supérieure, s'emiressa
2 no
ALEXANDRE
«l'en servir aux deux scélérats. L'eiïet du poison fut rapide.
Le pape mourut au bout de quelques lieines dans des con-
Tulsions iiorrii)les, et son (Ils n'échappa à cette juste mort que
parce qu'il avait l'iialtitude de ne boire que de l'eau roupie.
Ce fut le 18 août lyO:i que le monde et la chrétienté furent
purgés de ce monstre, après un régne de douze années, ipii
furent douze siècles pour les peuples qu'il opprimait. Les
historiens varient sur les détails de cet empoisonnement,
mais le fait et la cause ne sont contestés par personne, et il
importe fort peu de remarquer qu'un tel pécheur reçut avec
dévotion les sacrements de l'ERlise. On ne trouve d'ailleurs
cette particularité que dans le journal de la maison de Bor-
gia, et la source en est suspecte. César, son lils, quoique
luttant contre le poison, eut encore la force de s'emparer du
trésor pontifical, et n'annonça la mort de son père qu'après
cette expédition domestique. La joie du peuple et du clorRé
fut inexprimable. 11 Hillut forcer les moines et les confréries
à assister à ses obsèques. Ses parents avaient d'autres soins
h prendre pour se soustraire à la juste vengeance des Ro-
mains. Le corps fut insulté par les gardes eux-mêmes, qui
chassèrent les prêtres, et qui furent cependant forcés de
l'exposer dans l'église de Saint-Pierre pour satisfaire la cu-
riosité du peuple, qui voulait contempler les traits de son
oppresseur. Cette figure, où la nature avait imprimé une
grande majesté, était devenue hideuse par l'effet du poison.
Jl ne se rencontra point un homme assez hardi pour lui
Jiaiscr la main suivant l'usage , et le cercueil s'étant trouvé
trop court , les crocheteurs et charpentiers chargés de l'in-
humer poussèrent la vengeance jusqu'à la profanation en y
faisant entrer le cadavre i^i grands coups de poing et avec de
grands éclats de rire. Il fut enterré à gauche du grand autel,
et le poète Sannazar grava ces vers sur son tombeau :
Portasse nescis cujus bic liimulus siet.
Ad.sta, \iator, ni pigct.
Tumiihiin qiiem Alcxandri vides, haud illiiis
M:]f;iii est, sed Liijns qui modo
Libidinosa sangiiinis c.nptus sili,
Tôt civitates inclytas,
Tôt rejçna vertit, lot duces Iclbo dcdit,
ISatos ut implcat suos.
Orbem rapinis , ferro et igné fundilùs
Vaslavit, baiisit, eruit ;
Humana jura, nec minus cœleslia ,
Ipsosqne snstulit deos ;
Ct scilicet liccrct (bcu scclus!) palri
[Natce sinum pcrmingere,
Nec cxsecrandis abstinere nuplii.s.
Timoré snblalo scmel.
Disons toutefois que la nature avait donné de grands
talents h ce monstre : sa pénétration, sa mémoire, son élo-
quence, étaient remarquables. Personne ne présentait avec
plus d'art les questions q\i'il soumettait au jugement des
autres, et ne s'accommodait, quand il le voulait, avec plus
de facilité à leur caractère ou à leur génie. Grave ou plai-
sant suivant l'occasion , intrépide dans le danger, passionné
pour les plaisirs, mais d'une grande régularité dans les
affaires, il s'en occupait sans relâche , sans que la débauche
même pût l'en distraire , et marchait droit à son but sans
^tre arrêté ni par les obstacles ni par sa conscience. Rome
sous son règne n'éprouva jamais de disette. Jamais les
soldats ni les ouvriers ne furent privés de leur salaire ; et
par là s'explique la fidélité que les troupes conservèrent à
son fils César [îorgia , qui imposait encore aux cardinaux
pendant le conclave qui suivit la mort d'.Alexandrc VL
Mais ce digne (ils du tyran ne jouit pas du fruit de ses ra-
pines. Les Ursins, les Colonne, les Malatesta, les La Rovère,
le duc d'Urbin, tous les seigneurs dépouillés rentrèrent
dans leurs domaines sous la protection de Gonsnlve de Cor-
doue. L'amitié de Louis XII et le crédit des cardinaux es-
pagnols ne firent que retarder la chute du duc de VaU'ii-
tinois. Le cardinal La Rovère se servit de lui cl de sa faction
pour monter sur la chaire de saint Pierre. Il alla même
jusqu'il lui dire qu'il avait eu les faveurs de Vanozza en
même temps qu'Alexandre VI, et qu'il était son véritable
père. César Borgia eut la sottise de le croire , et quelques
jours après son exaltation Jules II, le dépouillant du
reste de ses biens, le fit jeter dans un cachot. C'était venger
l'Italie et la chrétienté par une lâche ingratitude; mais c'é-
taient les mœurs du temps, et Jules II était de son siècle.
Voyez BoiiClA. Viennet, de l'Académie Française.
ALEXANDRE VII (Fnbio Cnici) naquit à Sienne, en 1599.
Sa famille était très-ancienne ; elle commença à se faire, re-
marquer à la cour de Rome sous le pontificat de Jujes II.
D'abord nonce en Allemagne, inquisiteur à Malte, vice-
légat à Ferrare, évêque d'Imola et cardinal, il fut élu pape
h ia mort d'Innocent X, en 1655. Avant cette époque, sur-
tout pondant les négociations relatives à la paix de Muns-
ter, il avait fait concevoir de ses talents la plus haute opi-
nion , et la véhémence avec laquelle il déclamait contre les
abus et les désordres du clergé pouvait faire croire que l'É-
glise aurait en lui un chef d'une grande austérité. Les com-
mencements de son pontificat prouvèrent, en effet, qu'on ne
s'était pas trompé , mais il n'en fut pas toujours de même;
devenu prodigue sur la fin de .sa vie, il dissipa en dépenses
de luxe les deniers de l'Église , et ne refusa plus rien aux
membres de sa famille , qu'il avait traités d'abord avec une
sage réserve. — Le premier acte d'Alexandre VII en mon-
tant sur le trône pontifical avait été de confirmer par une
bulle celle d'Innocent X, qui condamnait les cinq propositions
de Jansenius. Cette démarche le brouilla en France avec la
Sorbonne et le parlement, et, quelques années après, une af=-
faire d'un autre genre, l'insulte faite par la garde corse au
duc de Créqui , vint lui causer encore de plus violents em-
barras. Ce fut en vain qu'il envoya à Paris le cardinal Chigi,
son neveu , pour faire des excuses à Louis XIV ; qu'il chassa
la garde corse et qu'il fit construire devant leur ancienne
caserne une pyramide sur laquelle l'outrage et la réparation
étaient consignés : il y perdit encore Avignon et le Comtat
Venaissin , que le grand roi crut devoir confisquer. — Pro-
lecteur des sciences et des lettres, qu'il avait cultivées
dans sa jeunesse avec quelque succès, Alexandre embellit
Rome de nombreux monuments, et dépensa des sommes
considérables pour achever le collège de la Sapience. La
reine Christine vint se fixer à Rome sous son pontificat.
Ce pape ne manquait ni de bonnes intentions ni de vertus
morales; mais il est toujours resté au-dessous du rôle dont
il s'était chargé , et c'est pour cela que ses contemporains
l'ont jugé si sévèrement. Il mourut en 1667, peu regretté
des catholiques.
ALEXANDRE VIII ( Pierre Ottoboni ), fils de Marc
Ottoboni , grand chancelier de la république de Venise ,
naquit dans cette ville, en 1610; il fit ses études à Padoue
et à Rome. Tous les papes depuis Urbain VIII l'employè-
rent dans les affaires les plus impoilantes. Après avoir été
nommé successivement évêque de Brescia et de Frascati ,
puis cardinal, il fut élevé, en 1CS9, à la chaire de saint
Pierre. Après la mort d'Innocent XI Louis XIV lui restitua
Avignon et le Comtat Venaissin, espérant obtenir en échange
le droit de franchise et celui de régale. Mais Alexandre VIII
se montra inflexible; il publia une bulle contre les quatre
articles du clergé de France de 1682, et refusa, comme
Innocent XI , de reconnaître les prélats qui avaient été de
cette assemblée. Au lit de mort , il assembla les cardinaux ,
et leur exposa avec énergie les motifs qui l'avaient engagé
à publier sa bulle contre le clergé gallican. Alexandre VIII
mourut en 1691, dans sa quatre-vingt-deuxième année,
n'a>ant occupé le saint-siége que pendant seize mois. En-
nemi des jésuites, il repoussa leur doctrine sur le péché
philosophique , ce qui ne l'empêcha pas de condamner les
trente et un dogmes des jansénistes. 11 se montra libéral en-
vers les pauvres, et surtout envers ses parents , fournit aux
ALEXAJNDRE
291
vr-nitions et à reuipercur Li^opold dos sommes consitlérables
|iour laire la guerre aux Turcs , et aclieta la magnilique
bibliolliiViue de la reine Christine, qui mourut à Rome sous
son poatilicat.
ALEXAXDRE Poi.YîiisTon. Cet écrivain grec naquit,
selim les uns en i'Iuygie, selon d'autres à Milet, ville de
l'Asie Mineure. On ignore la date de sa naissance ; on sait
seulement que, fait prisonnier dans la guerre contre IMi-
tliridate (l'an 85 avant J.-C. ), il devint esclave de Cornélius
LentiJus, qui, distinguant son rare mérite, l'affrancliit et en
fit le précepteur de ses enfants. — Alexandre avait été
nommé Poltjhistor (c'est-à-dire qui sait beaucoup) à
c^use de sa vaste érudition. 11 a écrit sur la géographie, sur
l'histoire et sur la philosophie des traités dont la plupart
sont perdus; il n'est parvenu jusqu'à nous que quelques
fragments d'un Traité sur les Juifs, et d'une Histoire des
Peuples de l'Orient, conservés par Plutarque, Pline, Athé-
née, Eusèbe et Suidas. — Alexandre Polyhistor mourut vers
Tan 74 avant J.-C.
ALEXANDRE d'Aphrodisie, en Carie, vécutet enseigna
à Athènes et à Alexandrie vers la fin du deuxième siècle et au
commencement du troisième siècle de notre ère. Comme com-
mentateur d'Aristote, il fitpreuved'une telle fécondité etétait
en telle estime, qu'on l'appelait par excellence VExégète. Ses
disciples , désignés d'abord sous le nom d'Alexandréens,
furent plus tard appelés Alexandristes. Indépendamment de
ses Commentaires sur Aristote, nous avons encore de lui
une Dissertation sur la liberté et la volonté, et des Ques-
tions sur la physique (Venise, 1536), enfin deux ouvrages
sur le sort ei sur l'âme, publiés tous deux par Orelli
(Zurich, 1824). Dans le premier, il déclare la doctrine des
stoïciens sur le destin (Ffl?«w) incompatible avec la morale;
dans le second, s'écartant des principes d'Aristote, il s'ef-
force de démontrer que l'àme, n'étant point une substance
particulière, mais uniquement la forme du corps organique ,
ne peut pas davantage être immortelle.
ALEXANDRE de Tralles, médecin grec, naquit au
commencement du sixième siècle , àTrallcs, Tille de Lydie. Il
parcourut à diverses reprises la Gaule , l'Ilalie, l'iilspagne,
et alla enfin se fixer à Rome, où sa ré|)iitation ne fit que
grandir; il était aussi habile dans la pratique que dans l'ex-
plication de son art. Ses écrits sont encore estimés, bien
qu'il recommande parfois des pratiques superstitieuses et des
amulettes ; son principal ouvrage ( B.êXia larpt/.à Suoxaîoexcz)
s'appuie sur des expériences personnelles et répétées ; il est
de tous points supérieur aux autres écrits de l'époque , qui
ne contiennent pour la plupart que îles discussions dogma-
tiques et théoriques , souvent hasardées et paradoxales. —
Une des i»'illeures éditions d'Alexandre de Tralles est celle
de Wintlier d'Andernacli (Bàle, 1556, in-S"), *
ALEXANDRE de Bernw , couuu aussi sous le nom
A' Alexandre Paris , ou de Paris , parce qu'il habiîa long-
temps cette dernière ville, était né à Rernay ( Eure ) , dans
le douzième siècle. 11 travailla au fameux pocree sur Alexan-
dre le Grand, dont nous avons parlé à l'article Rom.an d'A-
LEXANDRE. On pense qu'il corrigea ce poème , commencé
ou plutôt ébauché par Lambert le Court ou II Cors.
Alexandre de Bernay a laissé en outre les romans Athis et
Prophilms; Hélène, mère de saint Martin; Drlson.
ALEXANDRE de Hales, religieux franciscain du cloî-
tre de Haies, dans le comté de Glocester, fit ses études à
Oxford et à Paris, et enseigna dans l'université de la seconde
de ces villes la théologie scolastique, en la pliant aux for-
mes de l'aristotclisme d'ime manière bien autrement |)ro-
noncée qu'on n'avait encore osé le faire avant lui. Il mourut
en 1245. La grande sagacité dont il faisait preuve en toute
circonstance lui avait valu le siiniom de Doclor irrc/ra-
gubilis. Il dépassa saint Tliomas d'Acpiin lui-même dans
son zèle à (ionner des basos|)liilosoplii(iues à l'enseignement
de la tliéoiog'e; mais, dans raccomplissement de la tâche
qu'il s'était imposée, il lui arriva souvent de fmre preuve
d'un esprit ridiculement étroit. Par exemple, il discutait it
résolvait affirmativement des questions telles que celle-ci :
« L'ne souris qui ronge une hostie dévore-t-elle le corps
lîe Jésus-Christ? » Le plus grand service qu'il renilit à l'Église
de Rome fut d'inventer la doctrine du trésor des mérites
superflus de Jésus-Christ et de ses saints. Son principal
ouvrage, qui fut achevé par ses disciples, a pour titre : Sum-
ma universx- Theologix : la meilleure édition est celle de
Venise (4 vol.in-fol., 1576).
ALEX.\NDRE FARNÈSE. Voyez Farnèse.
ALEXANDRE JAGELLON. Voyez Jagkllon.
ALEXANDRE MÉDICÏS. Voyez IMédicis.
ALEXANDRE NEVVSKY, héros et saint moscovite,
né en 1219, était fils du grand-prince laroslaf. Pour pou-
voir mieux défendre l'empire, pressé de toutes parts par
des ennemis extérieurs, et surtout par les Mongols , laroslaf
partit de Novgorod , et laissa pendant son absence la ré-
gence de l'empire à ses deux fils, Fédor et Alexandre, dont
le premier mourut peu de temps après. Alexandre repoussa
avec vigueur plusieurs irruptions de l'ennemi ; ce qui n'em-
pêcha pas qu'en 123S la Russie ne tombât sous le joug des
Mongols. Alexandre, prince de Novgorod, défendit ensuite
la frontière occidentale contre les Danois , les Suédois et
les chevaliers de l'ordre Teutoniqne. En 1240 il remporta
sur les Suédois une victoire signalée sur les bords de 4a
Neva, victoire qui fut l'origine de son surnom. En 1242 il
battit les chevaliers de l'ordre Teutonique sur le lac de Pei-
pus , qui se trouvait alors complètement glacé. Cette victoire
eut pour résultat d'obliger les ennemis d'abandonner leurs
conquêtes dans le pays de Pskof et d'accepter la paix aux
conditions proposées par Alexandre. L'année suivante il
battit les Lithuaniens, et remporta sur eux sept victoires en
sept jours. Après la mort de son père, arrivée en 1247, et
après les courts règnes du frère et du fils aîné d'Iaroslaf ,
Alexandre devait monter sur le trône de Vladimir; son
frère André usurpa ses droits , et Alexandre fut obligé d'aller
demander justice au khan de la horde d'Or, de qui il obtint
amitié et protection ; avec son aide il chassa du trône l'u-
surpateur, et commença à régner en 1252. Il n'eut plus alors
à combattre que les ennemis des frontières : les Tchoudes ,
les Suédois , les Livoniens , les James, dont il repoussa tou-
jours les tentatives d'invasion. Il mourut en 1263, regretté
de tous. La reconnaissance de la nation russe a perpétué la
mémoire de ce héros dans des chansons populaires , et en a
mèuie fait un saint. Pierre le Grand bâtit en son honneur
uti magnifique cloître à Saint-Pétersbourg , et fonda l'ordre
d'Alexandre-Newsky, en commémoration de ses hauts faits.
ALEXANDRE NEWSlîi ( Ordre de SAINT-), ordre
russe institué par Pierre le Grand, empereur de Russie, en
mémoire de saint Alexandre Newsky. Cet ordre a été conféré
pour la première fois sous le règne de Catherine I" , en 1725.
Les insignes en sont une croix rouge avec des aigles , sus-
pendue à un ruban ponceau.
ALEXANDRE I" PAULOWITCIÎ , empereur de
Russie, était fils de Paul Y' et de Marie Fœderovna, prin-
cesse de Wurtemberg. 11 naquit le 23 décembre 1777. Paul P'
n'eut aucune part à l'éducation de son fils ; Catherine II
eîi prit seule la direction, et c'est h peine si elle permit à la
grande-duchesse Marie, mère du jeune prince, d'exercer sur
lui son autorité naturelle. Catherine II écrivit elle-même un
pian d'éducation, et en confia l'exécution au comte Sol-
tikof : au nombre des choses dont il ne fallait pas parler
à Alexandre, Catherine avait mis la poésie et la musique,
comme prenant un temps qu'on pouvait employer plus pré-
cieusement à l'éducation d'un souverain. César Laliarpe,
juol'esseur suisse, très-partisan des idées libérales, fut
i'iîoiîîriio que clioisU le comte de Solîikof. Le choix élait
e\celleiit. Laliarpe, su:is tenir nu! compte des préjugés de
la cour, doiina à sou élève une éducalion toute remplie (ki
S7.
>92
ALEXANDRE
principes de tolérance et d'inimanid''. Il ne n*5ç;lic;pa aucune
brandie des sciences. 11 s'attacha à dc-velopper, à dégager le
sens droit, le jugement sain, la promptitude de coup d'œil
que le jeune prince avait reçu'; de la nature, et il en fit un
«les hommes les plus instruits de l'empire. Alexandre garda
toujours pour son maître les sentiments d'une grande recon-
naissance; il ne le quitta qu'en 1793, à l'ûge de seize ans,
jtour épouser la princesse de Bade, Louise- .Marie- Auguste ,
plus connue depuis sous le nom dÉlisabeth Alexéiewna,
«lu'elle prit lors de sa conversion h la foi de l'f.glise grecque,
lillle était ilgée de quatorze ans, et a\ait une beauté accomplie
et de grandes vertus; mais Alexandre, emporté par l'ardeur
de la jeunesse , ne sut pas reconnaître les qualités de sa jeune
femme : il s'abandonna à toutes les fantaisies de ses passions,
dédaignant l'amour qu'elle avait pour lui. Catherine II mou-
rut trois ans après ce mariage, laissant la toute-puissance
à son fils Paul 1", qr.i fut ass::ssiné cinq ans apii's, sans
qu'aucune recherche des coupables fût ordonnée par .Mcxaa-
«Ire, qui lui succéda le 24 mars 1801. On a accusé Alexandre
d'avoir trempé dans la conspiration des courtisans contre
son jM^'re ; mais la vérité de cette accusation n'a jamais pu
Otre établie.
L'avènement d'Alexandre au trône fut célébré par les
poètes de toutes les nations : Kl op stock, alors très-vieux,
iit en son honneur une ode à l'Humnnité; le peuple, heu-
reux dï'trc délivré du joug de Taul 1", salua le nouvel em-
pereur de ses vœux de bonlieur. Dès qu'il fut chef de
l'empire, Alexandre tûcha de réparer les injustices commises
sous le dernier règne ; il rappela beaucoup de ceux qu'avait
exilés son père. 11 s'appliqua ensuite à donner à ses États une
bonne administration intérieure. 11 témoigna du plus grand
respect pour les lois du pays , déclarant « qu'il ne recon-
naissait comm.e légitime aucun pouvoir s'il n'émanait des
lois ». Il abolit la censure, le tribunal secret et la toiiure. Il
permit les publications des comptes-rendus relatifs à la ges-
tion des affaires publiques. Il rétablit pour les divisions
territoriales du royaume l'ordre adopté par Catherine II;
il fit de mc^me pour l'armée. Ayant mis ord:e à toutes ces
choses, il tourna ses vues vers les réformes à ri;/-ier dans
le commerce et l'instiniction publicpie. Par les traités qu'il
conclut avec les puissances étrangères, et par d'autres me-
sures non moins utiles, il permit au commerce de la Russie
dédoubler sa valeur, et d'avoir pour la première fois des
débouchés dans les divers marchés de l'Europe. C'est à lui
que la Ru.ssie est redevable de cette organisation de l'édu-
cation nationale (pii lut si vite en plein développement. Il
sut s'entourer d'hommes savants, distingués, qui contribuè-
rent puissamment à D'pandre dans l'aristocratie russe le goût
des sciences et des arts. Par leurs conseils et avec leur aide,
il réorganisa ou fonda sept grandes univei-sités, plus de
deux cents gymnases et environ deux mille écoles primaires.
)1 protégea les artistes et les savants , qu'il attirait à sa
cour; il encouragea et soutint la publication de beaux ou-
vrages nationaux; il adoucit les peines infligées aux soldats
et aux paysans, et fit enfin faire à la Russie un pas im-
mense dans la civilisation. Sa piété, qui plus tard dégénéra
en un mysticisme étroit, lui concilia les prêtres, comme ses
efforts et ses bienfaits lui avaient concilié toute la nation.
lin 1801, Alexandre avait signé avec rsapoléon, alors
premier consul , un traité d'amitié qui ne fut rompu (juc lors
de l'exécution du duc d'Kughien. Quelque temps après,
Alexandre entra dans la troisième coalition formée contre la
France par l'Autriche, l'Angleterre et la Suède. De là la
!)ataiile d'Austerlitz, où Alexandre commandait en per-
sonne l'armée russe ; l'alliance d'.4lexandre avec Frédéric-
Guillaume 111, les batailles d'Ky la u, de Friedland, et toute
cette série de combats où la France était toujours attendue
par la victoire. Nous n'avons pas à entrer ici dans les dé-
tails de toutes ces batailles; bornons-nous à dire que toutes
oes campagnes se terminèrent par la paix de Tilsitt, qui
fait époque dans les institutions militaires de la Russie.
Cette paix ouvrit à Alexandre non-seulement la voie de la
conquête de la Finlande ( 1800 ) et de deux erobouchures du
Danube (1S12), mais encore elle lui donna le temps' de
remédier aux in)perfections du système militaire suivi jus-
qu'alors. Il y réussit si bien , et avec tant de rapidité , que
dans les campagnes de 1812 à 1814, l'équipement, la disci-
pline et la précision des troupes russes furent généralement
admirés à l'étranger. En descendant ainsi dans tous les
détails de l'administration , Alexandre s'acquit la confiance
illimitée de ses peuples. Au reste, si l'armée russe succom-
bait sous les coups des Français, elle était plus heureuse ayec
ses autres ennemis : Alexandre battit les Suédois, iit la
conquête de la Finlande, prit sur les Turcs les forteresses de
Silistrie, Rutchuk et Giurgévo, et battit les Perses, qui furent
obligés de lui céder une partie de leurs possessions. — Tous
ces combats ne lai faisaient pas oublier le soin «les affaires
intérieures : il institua en ISIO le conseil de L'empire, ou
les lois et règlements sont soumis à une délibération provi-
soire ; il prit diverses mesures pour le développement du
commerce national ; il définit nettement l'organisation des
divers ministères, et ne négligea rien pour l'embellissement
de sa capitale. Tels lurent les travaux utiles et niuUipliéâ
d'Alexandre.
Quoiqu'il eût, lors delà paix de Tilsitt et depuis, professé
pour iSapoléon des sentiments d'admiration et d'amitié, quoi-
qu'il eût subi, sans lutter contre elle, la fascination profonde
exercée par Napoléon sur tous ceux qui l'entouraient, quoi-
qu'il fût frappé de son intelligence, de son activité cl de la
loyauté qu'il avait apportée dans leurs relations, quoiqu'un
accord parfait semblât régner entre eux, de nouveaux nuages
ne tardèrent pas à paraître. Napoléon se plaignit avec hu-
meur de quelques molificntions faites par l'empereur
Alexandie au système continental. Le fait est qu'Alexandre
avait pris à cet égard des engagements qu'il ne pouvait pas
tenir. La mésintelligence alla toujours en augmentant, jus-
qu'à ce qu'enfin la guerre fut de nouveau déclarée, en 1812.
On en connaît les désastreuses conséquences pour la
France. Alexandre se trouva à cette époque devenu en peu
de jours le héros européen. Sa proclamation en date de Ka-
iisch , du 25 mars 1813, dans laquelle, en appelant aux
armes les peuples de l'Allemagne, il leur promettait, au nom
des souverains, des constitutions qui assureraient leur liberté
et leur indépendance, souleva contre la domination française
une nation que ses accents de liberté tirèrent de son apa-
thie. On sait quels nobles sacrifices r.\llemagne fit alors pour
son indépendance. On sait aussi comment elle en a été
plus tard récompensée! L'histoire, dans .sa justice, dira du
moins d'Alexandre qu'il fut un vainqueur généreux. Ce fut
lui qui en 1814 insista pour qu'après la prise de l'aris les
souverains alliés traitassent toujours avec Napoléon de sou-
verain à souverain. A cette époque il fut l'objet du plus vif
enthousiasme de la part des Français, et particulièrement des
Parisiens, qui virent bien moins en lui un conquérant étran-
ger qu'un héros pacificateur, et qui admirèrent en lui le
conservateur généreux de leurs monuments et de leurs ri-
chesses nationales. Il passa en juin de la même année en
Angleterre, où il fut reçu avec plus d'enthousiasme encore,
et rentra à Saint-Pétersbourg le 25 juillet, où il refusa mo-
destement le surnom de Béni , que vint lui offrir le sénat.
La neutralité de la Suisse respectée ne prouva pas moins
que sa conduite ferme et énergique lors de la rentrée de
Napoléon en France, en mars 1815, la constance d'.\lexandre
dans ses principes politiques. Cette fois, ce fut l'.^ngleterre
qui portii le coup mortel au colosse du siècle. Alexandre ar-
riva trop tard avec ses Russes, Paris était déjà au pouvoir
des armées all'ées; il y fit son entrée le il juillet. Mais les
temps étaient changés. Les Français de toute opinion avaient
compris que c'était bien moins les funérailles de l'empire
que celles de la patrie qui avaient été célébrées à Waterloo*
ALEXANDRE
29;
Alexaiulie fut reçu avec une froiilpiir marquée dans une
ville où sa vue un ;ui auparavant sullisait pour produire le
plus \ir entliousiasuic. Ce contraste l'aHlii^ea. CVsl pendant
«'es«'jourà Taris qu'il connut madame deKrudener, deve-
nue, après une vie de galanteries et de plaisirs, un des ap-
puis <iu mysticisme. Alexandre avait pour celle fennne
une grande amitié, et beaucoup de confiance en ses conseils :
ce fut sous rinll'.ienoe des extases mys|i(]iies de madame de
Krudener qu'il conçut le projet delà Sainte-Alliance.
Il considérait des lors Napi)léon conunû un impie, un enne-
mi de Dieu, le démon de la i;iierre, et se rci;ariiait iui-ménie
comme le génie du bien et de la paix : les extases de ma-
dame de Krudener expliquaient cela par les dénominations
d'auge 7Wir et ô'aïKje blanc. Alexandre voyait dans le
traité de la Sainte-Alliance l'établissement définitif de la
paix dans l'humanité ; il y apporta la foi des monarques qui
partaient au moyen âge pour les croisades. Madame de
Krudener le suivit ((uelque temps , et ne fut pas élran-
^ere aux traités conclus à cette époque. On sait couuiient
Alexandre changea de sentiments à son égard : en 181 S
il lui fit défendre l'entrée de Moscou et de Saint-Péters-
bourg.
Cependant, attriste, comme nous l'avons dit, du froid ac-
cueil des Parisiens, Alexandre, après avoir passé ses troupes
en revue , repartit pour Bruxelles , où il assista au mariage
de sa sœur avec le prince d'Orange , et de là se rendit à
Varsovie, où il accorda aux Polonais, devenus ses sujets
par une décision du congrès de Vienne, une constitution
qui eiit pu faire leur bonheur si elle avait été franchement
exécutée ; mais Alexandre, effrayé des progrès des doctrines
de liberté en Europe , en redouta la contagion pour ses États,
et voulut les arrêter autant que possible partout où elles se
manifestaient le plus visiblement. Il fut l'àme des congrès de
T roppau et de Laybach. Après avoir appelé de ses vœux
l'indépendance de la Grèce, il réprouva formellement l'in-
surrection qui éclata en 1820 dans ce pays, et qui, après
une lutte de dix années, a fini par assurer son indépen-
tlance. Il contraria par la l'opinion nationale de son peuple ,
qui s'intéressait vivement au triomphe de coreligionnaires
opprimés par les ennemis constants et naturels de la Russie.
Alexandre , dominé par le besoin de rapporter à une vaste
organisation révolutionnaire tous les mouvements de per-
turbation auxquels était en proie l'Europe, déchirée alors
on tous sens par des tiraillements intérieurs , ne vit dans
la généreuse levée de boucliers des Hellènes que l'exécution
ponctuelle d'un ordre émané du grand comité directeur de
Paris. Il nuisit donc autant qu'il lui fut possible à une cause
qui était la sienne , et au triomphe de laquelle se rattachait
la réalisation des plans favoris de la politique de Catherine,
l'expulsion des Turcs de l'Europe. On dit cependant que
dans les derniers temps ses idées s'étaient rectifiées à ce
sujet , et qu'il avait commencé à s'apercevoir qu'il avait été
dupe d'une vaine fantasmagorie. IMais , quoi qu'il en soit , il
oublia un peu le plan de conduite politique libéral et géné-
reux qu'il s'était formé dans sa jeunesse : il rétablit la cen-
sure , se laissa guider par la politique étroite et despotique
de l'Autriche, ([u'il poussait contre l'Italie, en môme temps
«m'il poussait la France contre l'Espagne ; il négligea l'a-
chèvement des réformes intérieures qu'il avait tentées avec
tant d'intelligence, et s'abandonna complètement aux pra-
ti(iiies d'une dévotion méticuleuse. Tontes ces fautes ne pu-
rent lui enlever l'affection de son peuple : sa bonté , sa dou-
ceur, le souvenir de ses bienfaits, le courage qu'il montra
lors de la terrible inondation de Saint-Pétersbourg, en 182'!,
sauvant au péril de ses jours les malheureux qui se
noyaient, réparant les pertes tant qu'il le put, toutes ces
ciioses lui gardèrent le cœur de ses sujets.
Selon quelques historiens, Alexandre, revenu à des idées
plus justes, à celles qui l'avaient si longtemps guidé, mé-
ditait d'importantes réformes pour son empire, (piaiid la
mort vint brusquement le frapper sur les rives de la mer
Noire, à cinq cents lieues de sa capitale, au milieu d'un
voyage qu'il avait entrepris dans les provinces méridionales
de son empire , conjointement avec l'impératrice , dont la
santé délabrée demandait un air mains rude, un soleil moins
rare que celui de Saint-Pétersbourg. 11 choisit Taganrog
pourpoint principal de sa résidence; il allait de là faire
différents voyages dans les pays du Don , laissant à Tagan-
rog l'impératrice, qui soignait sa santé. 11 se disposait au
voyage d'Astrakan, lorsque le comte Woronzof l'engagea à
visiter les peuples de la Crimée. Alexandre partit aussitôt ,
accompagné de ses amis. Ce vovaize devait être long ; on
traversa rapidement la côte méridionale de la Crimée ; mais
une indisposition , qui eut sa cause dans un froid trop vif,
lui donna tout à coup la fièvre, et il commanda qu'on le ra-
menât immédiatement à Taganrog, L'empereur eut dès lors,
dit-on , les plus effroyables soupçons , et refusa positive-
ment les médicaments qui lui furent offerts. Il demandait
toujours à ses domestiques de l'eau glacée : « Elle me calme,
disait-il, tandis que leurs potions m'ont brûlé... • La ma-
ladie d'Alexandre dura à peu près onze jours; n expira
Ift i" décembre 1825. Peu d'heures après l'indication offi-
cielle de sa mort, sa figure était très-visiblement chan-
gée. Quand, trois jours après , il fallut le montrer au peuple
pour le baisement des mains , on lui couvrit le visage avec
un voile. La figure était devenue noire. Deux jours après
l'autopsie , qui avait été immédiate , le corps prit une teinte
livide , circonstance rare , et qui resterait à expliquer dans
une saison et dans un pays si froid. Des ordres partis de la
cour prescrivirent, au dépait,de laisser le cercueil fermé
jusqu'à Saint-Pétersbourg; ils furent remplis.
Le règne d'Alexandre a exercé sur toute l'Europe une
ir.iluence qu'il importe de constater : c'est depuis ce règne
seulement que la Russie , considérée autrefois comme une
nation demi-asiatique, a définitivement pris place au rang
des nations européennes. L'histoire citera ce règne au nom-
bre de ses plus belles pages ; toutes les fautes d'Alexandre ne
peuvent effacer le souvenir de ses bienfaits et de sa sagesse :
malgré ses efforts, ce prince n'a pas pu détruire entièrement
les bonnes choses qu'il avait créées.
[ Voici comment Napoléon jugeait Alexandre : « Si cela
rentrait dans les limites de mon pouvoir, disait-il, je choi-
sirais Alexandre pour mon successeur. Grand cœur, âme
noble, rusé comme un Grec du Bas-Empire , fier et superbe
comme un vieux Romain, il a été mon ennemi souvent,
mais je l'ai toujours admiré... C'est un vrai César; Alexan-
dre serait le seul homme capable de continuer mon œuvre
en Europe, si au lieu d'être Russe, il était Français. » L. ]
ALEXANDRE 11 NICOLAÉWITCH, empereur de
Russie, fils aîné de l'empereur Nicolas et d'Alex and r a
Féodorowna, est né à Moscou le 29 avril 1818. Élevé d'a-
bord par sa mère, il eut pour gouverneur le général Mœrder,
et son éducation fut achevée par le poëte Joukofski, Son
père lui-même se chargea , dit-on, de l'initier aux habitudes
militaires. Le 4 mai 1834, le césarévitch Alexandre fut
déclaré majeur, et il devint commandant des lanciers de la
garde , ataman des cosaques , premier aide de cair^p de
l'empereur. A la suite d'un voyage en Allemagne, il épousa,
le 28 avril 1841, la princesse Maximiiienne-Wilhelmine-Au-
giiste-Sophie-Marie, fille du grand-duc de Hesse Louis II,
qui prit à son entrée dans l'Église russe le nom de Marie
Alexandrowna. Chancelier de l'université de Finlande, le
grand-duc Alexandre encouragea les études finnoises, fonda
une chaire de langue et littérature finnoises à l'université
d'Helsingfors, prit l'académie finnoise sous sa protection et
récompensa les lointaines explorations de savants finnois.
A la mort du grand-duc Michel, son oncle, il prit la haute
direction des écoles militaires de l'empire. L'empereur Ni-
colas le félicita publiquement du soin qu'il prenait d'élever
la jeunesse dans le véritable esprit russe. En 1850 le grand
294 ALEXANDRE
•■iuc Alexandre visita la Russie mi^'-vdionale, Nicoiaief , Sébas-
topol , Tiflis , Érivan, DeiDeiit, et Ici mina ce voyage en al-
lant se battre contre les Circasfiens. A la mort de INicolas,
dont il reçut le dernier soupir et les dernièies instructions,
le 2 mars 1855 , il monta sur le trône, jurant » de rester
fidèle à tous les sentiments de son père et de persévérer
dans la ligne des principes politiques qui lui ont servi de
règle. » Dans un rnanilesie adressé aussitôt à ses peuples ,
il disait : « Fasse Ja Providence, qui nous a appelé à cette
liaute mission, que, guidé et protégé par elle, nous puissions
affermir la Russie d;uis le plus haut degré de puissance et
de gloire ; que par nous s'accomplissent les vues et les
désirs de nos illustres prédécesseurs, Pierre, Catherine,
Alexandre le bien-ainié, et notre auguste père d'impéris-
sable mémoire. » La lutte engagée en Orient par Nicolas
continua donc avec les puissances occidentales alliées à la
Turquie. Alexandre visita Cronstadt, Moscou , Varsovie,
et partit pour la Crimi^e. « Dieu a voulu soumettre la Russie
aux épreuves , disait-il dans un rescrit au commandant de
Moscou. Combattons pour l'intégrité de l'empire. Dieu dé-
fendra la l'.ussio orthodoxe qui a pris les armes pour la
défense de la bonne cause, la cause du christianisme. »
Arrivé à Sébastopol , on dit qu'il s'écria devant ces ruines :
« Aujourd'hui la paix est impossible. » Dans une dép^îche au
r«i de Prusse, il di.sait encore : « La Russie ne fera jamais
la paix après im désastre. » On lui avait aussi entendu pro-
noncer ces paroles : « J'aimerais mieux n'avoir plus à Saint-
Pétersbouri; de tuiles sur mon toit que de perdre uu pouce
de terrain en Crimée. »
Bientôt pourtant les Russes , qui avaient perdu , outre
Sébastopol et Bornarsund, Kericii, Kamiesch, Kinburn,
Anapa, et d'autres places, purent s'emparer de Kars contre
les Turcs. Ce succès permit à l'empereur Alexandre II d'é-
couter les propositions de paix. Il accepta les conditions
que lui faisaient la France et l'Angleterre, envoya des mi-
nistres à Paris, où, après un congrès, la paix fut signée, le
30 mars 1836. Dans un manifeste publié à cette occasion,
Alexandre disait que « alin de bâter la conclusion de la paix
et d'écarter pour l'avenir même jusqu'au soupçon de vues
ambitieuses, il avait consenti à l'adoption de mesures de
précaution dcstimes à éviter toutes collusions entre ses
forces navales et celles de la Turquie. » Voulant dès lors se
consacrer entièrement à l'amélioration matérielle de son
empire, Alexandre II communiqua un grand mouvement à
l'industrie russe, facilita les échanges avec l'étranger, ordonna
de grands travaux , et encouragea la construction des che-
mins de 1er. Il s'était montré disposé à un rapproche-
ment avec le saint-siège et à de grandes concessions en fa-
veur du cierge catholique en Pologne ; il accorda des faci-
lités pour l'enseignement dans les universités , créa une
faculté des langues orientales ii l'université de Saint-Péters-
bourg, et plaça l'instruction publique sous sa surveillance
personnelle. Bientôt il accepta la démission du comte Nes-
selrode et conlia la direction des affaires étrangères au
princeGortscbakof.il acheva l'émancipation des serfs
du domaine et prépara celle des serfs des particuliers, qui a
enfin été proclamée en mars 1861. Il donna d'abord quel(jue
espérance à la Pologne, autorisa la rentrée des émigrés,
moyennant un acte de soumission et sans restitution des biens
conlisqués ; mais dans un voyage à Varsovie il dit à la noblesse
polonaise: « Avant tout point de rêveries, ceux qui vou-
draient continuera nourrir des illusions, je saurai les main-
tenir dans le devoir. La Pologne et la Finlande me sont aussi
chères que toutes les autres provinces de mon empire; mais
pour le bien des Polonais eux-mêmes, il faut qu'ils restent
unis pour toujours à la grande famille des empereurs de
Russie. »
Le 7 septembre 1856, l'empereur Alexandre II se fit
sacrer solennellement à Moscou. 11 s'était rapproché de la
France. Au mois de septembre 1857 il eut une entrevue
— ALEXANDRIE
avec l'empereur Napoléon III à Stutlgard, Lorsque les
affaires d'Italie furent sur le point d'amener un contlit
entre la Sardaigne et rAiitriclie, la Russie proposa un
congrès. L'Autriche précipita les événements et la guerre
éclata; la France intervint et la Russie resta calme. « La
Russie ne boude pas, avait dit le prince Gortscbakof; elle
se recueille. » Après la paix de Villafranca, l'empereur
Alexandre se rencontra à Varsovie avec le roi de Prusse et
l'empereur d'Autriche; rien n'y fut conclu. La Russie de-
vait se souvenir de l'abandon de l'Autriche pendant la guerre
d'Orient et au congrès de Paris ; on croit môme que l"Au-
Iriclie refusa encore à ce moment de revenir sur le traité
de 185(;, que la Russie trouve injuste, et que la France ne
seniit pas éloignée de modifier. Cependant lorsque Victor-
Emmanuel fit entrer ses forces dans le royaume de Naples
envahi par Garibaldi, la Russie rappela .son envoyé de
Turin. Après la reddition de Gaëte, Alexandre II fit remettre
le grand cordon de ses ordres au roi François IL-
Le 25 lévrier 1861 les Polonais répondirent aux paroles
de l'empereur par une manifestation en Ihonneur de leurs
compatriotes morts à Grochow en l8:il. Cette manifestation
fut dispersée à coups de fusil ; elle recommença le lende-
main, et il y eut de nouvelles victimes. Des Polonais se
chargèrent de rétablir l'ordre; mais ils adressèrent une pé-
tition à l'empereur pour réclamer leur nationalité, rede-
mander les immunités de leurs écoles, les privilèges de
leur église, les moyens constitutionnels de faire parvenir
leurs vœux au trône. Cette pétition n'a pas été repous>ee
par l'empereur Alexandre, qui, le 2 avril, accorda à la Po-
logne un conseil d'Etat formé de hauts personnages , des
conseils de gouvernements et des conseils mimicipanx ba.sés
sur réicction, et une organisation distincte pour les affaires
ecclésiastiques et l'instruction publique.
L'empereur a cinq fils et une fille : l'aîné , Nicolas , est né
le 20 septembre 1843. L. Loiivet.
ALEXANDRE lîARADJORDJEWICZ. Voyez
Serbie.
ALEXAi\DRETTE,en latin Alexandha ad Issum,
en arabe Iskanderoun, ville de Syrie, située sur le bord de
la Méditerranée, près du ruisseau de Beloum, lut fondée par
Alexandre le Grand auprès de Myriandrus, non loin du
champ de bataille d'Issus. Dès que la Syrie fit un royaume
à part, les Séleucides s'établirent à Antioche, et Alexan-
drelle tomba en ruines. Rebâtie par l'un des khalifes oin-
miades , elle devint une place forte des frontières , et n'eut
pas d'autre importance. Tancrède la prit d'assaut et la livra
aux flammes. La domination des Osmanlis ne la releva pas.
Le commerce de l'Europe ayant repris quelque activité avec
l'Orient, des Francs s'établirent à Alexandrette, qui devint le
port d'Alep. L'insalubrité de l'air ne lui permit pas de
s'accroître. On n'y voit plus que qiu'lques chétives habita-
tions, et des marais pestilentiels entourent la ville. Vers le
sud , à un quart de lieue de la mer, sur la gauche du chemin
qui mène à Beylan, on voit encore un château en ruines,
nommé le château d'Alexandre : au delà de ce château ,
d'une architecture évidemment moderne et peut-être con-
temporaine des croisades, gisent d'autres ruines et des
vestiges de constructions antiques. Les croisés avaient ap-
pelé Alexandrette Alcxandria Scabiosa. E. B.
ALEXANDRIE, apiielée par les Turcs et les Arabes
Uhandèriék ou Skandciich, fondée l'an 331 avant Jésus-
Christ par Alexandre le Grand, était située à l'origine dtips
les terrains plats et bas qui séparent le lac Maréotis de la
Médilerranée, à environ un myriamètre de Canope. En
avant, dans la Méditerranée, on trouvait l'ile de Pharos, à
l'extrémité nord-ouest de laquelle s'élevait la tour célèbre
qu'on éclairait la nuit (voyez Piiaiie) pour guider les
navigateurs, et qu'une jetée appelée Hcptastadlum unis-
sait à la terre ferme en formant les deux grands ports de
la ville. Il y avait en outre daus le lac Maréotis un port
aiiv eaux slapianîos et niart'cagoiises , h rcmbouchurp
du canal du Ml , le port appelé Kiliolor, el deux ports de
moindre étendue à raiigle nord-ouest du grand jiort situé
à l\-st de la jetée. Alexandrie , dont le plan avait été drossé
par l'architecte Dinoc.rate, occupait autour de ces deux
guands ports un emplacement s'étendant du nord-est au sud-
ouest sur une longueur totale d'à peu près trois myriamètres.
Deux grandes rues, larges cliacune d'environ 33 mètres, et
ornées dans toute leur longueur de colonnades , la traver-
saient d'une extrémité à l'autre et se coupaient à angle droit.
La ville était d'ailleurs très-régulièrement construite. La
partie la plus brillante était le quartier appelé J>nic/iiui)i ,
voisin du port de l'est. Là se trouvaient les palais des Plolé-
mées avec le Musée et la BibliotUèque, le So)na ou Sema,
les tombeaux d'Alexandre le Grand et des Ptolémées , le
PosUlonium , le 'fmocrium et le grand théâtre. Plus loin
à l'ouest on rencontrait VEmporium , les cbantiers de vais-
seaux, sur la petite pointe de terre qui, avec YHcptasta-
diiim, son prolongement artidciel , sépaiait les deux giauds
ports, là où était situé jadis un village appelé Rkacotis, le
Serapeum avec sa riche bibliothèque et le Gymnase. A l'ouest
de la ville était située la grande ÎNécropole ( ville des morts )
avec ses tombeaux , et à l'est la Lice et la Mcopole. Des ci-
ternes pratiquées dans le roc calcaire , et contenant l'eau
nécessaire à la consommation des habitants pendant une
année entière , occupaient presque toute la superficie sou-
terraine de la ville. Dès sa fondation Alexandrie fut la ca-
pitale grecque de l'Egypte. Sa population , évaluée à l'époque
de sa plus grande [)rospérité à 300,000 habitants libres, et qui,
en y comprenant les esclaves et les étrangers , devait s'élever
à plus du double de ce chiffre , se composait surtout de
colons grecs, d'Egyptiens proprement dits, et de Juifs venus
de bonne heure s'y établir, et qui n'avaient pas tardé à y
adopter la langue et les coutumes des Grecs.
Après la mort d'Alexandre le Grand, Alexandrie échut aux
Ptolémées, qui y établirent leur résidence et en firent la
plus magnifique ville de l'antiquité avec Rome et Antioche ,
de même que le centre de l'érudition et de la civilisation
grecque de ce temps-là , d'où elles se propagèrent ensuite
dans une grande partie de l'Asie et de l'Afrique. L'heureuse
situation de cette ville, au point de partage entre l'Occident
et l'Orient , en eut bientôt fait le centre du commerce du
monde, qui porta au plus haut degré sa prospérité matérielle.
Alexandrie était arrivée au faîte de ses richesses et de ses
grandeurs, quand elle tomba au pouvoir des Romains, l'an
29 avant Jésus-Christ. C'est de cette époque que date sa
décadence, d'abord peu sensible, mais qui plus tard, à la
suite de la translation à Rome des chefs-d'œuvre de l'art
qui la décoraient , des massacres commis par Caracalla , de
la dévastation du Bruchium par Aurélien , du siège et du
pillage par Dioclétien, et enfin de la prospérité toujours
croissante de Constantinople , devint en peu de temps ti ès-
yensible, de telle sorte qu'au quatrième siècle de notre ère
le temple de Sérapis était le seul monument architectural
de quelque importance qui y subsistât encore. La lutte
entre le christianisme envahisseur et le paganisme provoqua
dans Alexandrie les désordres les plus sanglants. La prise
d'assaut du Serapeum , dernier refuge de la théologie et de
l'érudition païenne, en l'an 389, par les chrétiens, et sa
transformation en une église chrétienne, «ous l'invocation de
saint Arcadius, portèrent le dernier coup au paganisme ago-
nisant. Alexandrie devint alors le chef-lieu de la théologie
chrétienne, et conseiTa ce caractère jusqu'à ce qu'elle eût
été conquise par les Arabes, en l'an 042. La prise de la ville
par les Turcs , en l'année 8G8, acheva de l'anéantir. Ll!e se
releva phis tard, il est vrai, sous la domination des khalifes,
et resta pendant toute la durée du moyen âge le grand en-
trepôt des produits de l'Orient et de l'Occident; mais la dé-
couveite de l'Amériijue et de la route des Grandes-Indes
par le cap de Coiine-Espjiancc anéantit complètement son
ALEXANDRIE 295
commerce. Enfin la domination des Mameloucks, et ensuite
la conquête qu'en firent les Osmanlis, achevèrent de détruire
jusqu'à ce qui y était l'œuvre des Arabes. C'est ainsi qu',\-
lexandrie en arriva à ne plus compter en 1778 que cinq mille
habitants. La conquête de ri':gypte par les Français à la fin
du dix-huitième siècle conmiença à la faire sortir de ses
ruines; et sous la domination de Méhémet-Ali , qui y
établissait sa résidence pendant une partie de l'année, elle
se releva tellement qu'elle est aujourd'hui l'une des, places
les plus importantes de la Méditerranée. Le commerce ^vec
les Indes reprend de nos jours la voie qu'il abandonna au
seizième siècle. Alexandrie avait 30,000 âmes en 1798,
230,000 en 1817, 400,000 en 1859.
La ville actuelle n'occupe pas le même emplacement que
l'antienne. Elle s^élève f^ur V fleptastadiiun, transformé par
des alluvions en une large langue de terre , entre les deux
grands poris qui existent toujours. Miiis celui qui est siiué
au nord-est, et qu'on appelle aussi le Port-\eiif , est en-
sablé. Le canal de Ramanieh , terminé en 1820, et un
chemin de fer mettent le Caire en communication avec
Alexandrie, qui du côté de la mer est protégée par divers
ouvrages de fortification. Comme la plupart des villes de
rOrienl, Alexandrie est aussi sale que misérablement bâtie.
Ses édifices les plus remarquables, tels que le nouveau
palais , la douane, l'arsenal de la marine, sont tous l'œuvre
de Méhémet-Ali. La Bourse a été terminée en 1859.
Cette ville, habitée par des Arabes, des Turcs, des Juifs, des
Coptes, des Grecs et des Francs, est le siège des consuls eu-
ropéens, d'un patriarche copte, des établissements mari-
times et commerciaux du pacha, ainsi que des écoles mi-
Htaires et de marine égyptiennes. De tous les monuments
antiques qu'elle renfermait autrefois, elle ne possède plus
que la colonne de Pompée , produit de l'art grec, placée
sur un fût de vingt et un mètres de long, qui vraisembla-
blement ornait à l'origine le Serapeum, renversée plus
tard, puis redressée par ordre d'un gouverneur de Dioclé-
tien , et surmontée alors de la statue d'un empereur qui
depuis longtemps en a été arrachée ; ce que l'on appelle
les Aiguilles de Cléopdtre, deux obélisques, dont l'un est
à moitié en ruines , mais dont l'autre , monolithe de vingt
mètres de hauteur, est encore debout: enfin, plusieurs
tombeaux de l'antique nécropole, et les citernes, en ruines
pour la plupart.
ALEXiVA'DRÎE ( Bibliothèque d'), fondée principale-
ment par les libéralités des Ptolémées , contenait , dit-on,
dans 400,000 volumes ou rouleaux, toute la littérature
romaine, giecque, indienne et égyptienne , dont nous ne
possédons plus aujourd'hui que quelques débris. La plus
grande paitie en était placée dans le plus beau quartier de
la ville, le Bruchium, et fut brûlée lors du siège de cette
ville par Jules César, mais fut ensuite remplacée par la
bibliothèque de Pergame, dont Antoine fit présent à Cléo-
pàtre. Le reste se trouvait dans le Serapeum, le temple de
Jupiter Sérapis, et se conserva jusqu'à l'époque de Théodose
le Grand. Mais quand ce prince fit détruire tous les temples
païens de l'empire , le magnifique temple de Jupiter ne fut
pas plus épargné que les autres; im rassemblement furieux
de chrétiens fanatiques,conduits par l'archevêque Théophile,
l'assaillit et le mit en ruines. On rapporte qu'au milieu de
ces scènes de dévastation, la bibliothèque fut en partie brûlée
et en partie dispersée, et Orose Thistorien n'en vit plus que
les rayons vides. Par conséquent ce furent des barbaies
chrétiens, et non pas, comme on le croit généralement, des
Arabes commandés par Omar, qui firent éprouveraux scien-
ces cette irréparable perte. On a cru découvrir les ruines de
celle bihiiotlièque en 1854.
ALEXANDRIE ( Coded'). On appelle ainsi un manus-
crit de toutes les saintes Écritures eu langue grecque^ qui
se trouve au BrisHsh Muséum à Londres, et qui est d'une
haule importance pour la critique. Il est écrit sur parcheniin.
5or>
ALEXANDRIE
en lettres onciales, sans esprits ni accents, date, suivant toute
vraisemblance, de la seconde moitié du sixième siècle, et
contient toute la Bible eu grec (l'Ancien Testament d'ajirès
la traduction des Septante) avec les Kpîtres de Clément le
Romain; mais il offre trois lacunes dans le Nouveau Testa-
ment, l.e texte en est d'une importance toute particulière pour
la critique des lii)ltres du Nouveau Testament, attendu que
le manuscrit original que le copiste avait devant lui pour
les Évangiles était évidemment beaucoup plus défectueux.
Ce manuscrit célèbre faisait partie, dès l'an 1098, de la col-
lection de livres du patriarche d'Alexandrie. Le patriarche
de Constanlinople Cyrille Lucar, qui l'adressa à titre de
présent au roi d'Angleterre Charles I", en 1628, assura
l'avoir reçu d'Egypte , et diverses circonstances, tant inté-
rieures qu'extérieures, témoignent qu'il fut réellement écrit
dans ce pays. Grabe le prit pour base dans son édition des
Septante (4 vol. in-fol., Oxford, 1707-1720). Woid a donné
la reproduction complète et diplomatiquement fidèle du
Nouveau Testament ( Londres , 178G, in-fol. ). Baber com-
mença en 1816 un travail identique pour l'Ancien Testament.
ALEXANDRIE (Dialecte d'). On appelle ainsi le dia-
lecte particulier de la langue grecque qui se forma peu à peu à
Alexandrie dans la langue parlée et écrite, après que la civi-
lisation et la science grecque s'y furent implantées , et qui
difTérait de l'ancienne langue des habitants de TAttique par
le mélange qu'il avait admis de nombreuses formes et
expressions macédoniennes et doriennes.
ALEXANDRIE (Guerre d'). C'est celle dans laquelle
fut entraîné, au mois d'octobre de l'an 48 avant Jésus-Christ,
peu de temps après la bataille de Pharsale, César, alors à la
poursuite de Pompée , lorsqu'il arriva à Alexandrie. Ayant
décidé en faveur de Cléopàtre le différend à ce moment pen-
dant entre elle et son frère Ptolémée-Dionysus pour le par-
tage de l'héritage paternel, les Égyptiens, conduits par
Pothinus et Achillas , chef» du parti de Ptolémée, se révol-
tèrent contre lui. César, qui n'avait que 4,000 hommes à sa
disposition, se vit bientôt assiégé dans un quartier d'Alexan-
drie par les habitants de cette ville, qu'appuyait une armée
de 20,000 hommes, commandée d'abord par Aciiillas, et après
la mort de celui-ci par Ganymétlès. Sa position devint
extrêmement critique, et il faillit même perdre la vie dans
une tentative qu'il lit pour se rendre maître de lilede Pharos.
Ce ne fut qu'en mars 47, lorsque jMithridate de Pergame eut
réussi à lui amener des renforts d'Asie, qu'il pai vint à domi-
ner le danger. Le roi Ptolémée périt en combattant ; Alexan-
drie fut réduite à capituler, et Cléopàtre, qui avait gagné
l'amour de César, fut mise en possession du pouvoir sou-
verain conjointement avec sou plus jeune frère, appelé éga-
lement Ptolémée. L'histoire de la guerre d'Afrique qu'on
trouve à la suite des Commentaires de César, a vraisembla-
blement pour auteur son légat A. Hirtius.
ALEXANDRIE (École d'). Les Ptolémées , à cause de
cet amour des lettres , des sciences et des arts qui fut pour
ainsi dire le génie de leur dynastie, firent d'Alexandrie
le rendez-vous de tous les esprits éclairés de leur temps. Les
grammairiens, les savants, les philosophes furent attirés
vers cette ville célèbre, oii Ptolémée Philadelphe fonda le
Musée, qu'on regarde à juste titre comme la première Aca-
démie du monde, et établit cette fameuse bibliothèque
(voyez Bibliothèque d'ALKwxDRiE ) que l'histoire a tou-
jours considérée comme la plus précieuse de l'antiquité. Ce
concours de lumières et de protection royale était l'ait pour
qu'Alexandrie devint avec le temps ce qu'.Vthènes avait élé
déjà à Tépoipie de Périclès. De la le nom d'école d'Alexan-
<k\e donné à l'ensemble des systèmes philosophiques qui
suivirent le périi)atélisine et le platonisme, dernières lueurs
du paganisme mourant, et dont le foyer principal était la
ville d'.Mexandre. Celle école, rcmanjuable par ses origines,
par le pénie de ses penseurs, par la richesse et la profondeur
de ses doctrines, par sa longue durée, par son rôle histo-
rique , par son influence sur les doctrines du moyen âge et de
la Renaissance, mérite une place à part dans l'histoire de la
philosophie. Elle commence vers la fin du troisième siècle
de l'ère chrétienne, et ne finit que vers 539, avec l'antiquité
elle-même. Pendant cette longue période elle change dans le
cours de son développement de situation , de rôle , de
théâtre; elle garde invariablement ses principes et son es-
prit, tout en subissant l'influence des hommes et des cir-
constances. Essentiellement rationnelle avec Ammonius,
Plotin et Porphyre, elle dégénère en pratiques théur-
giques avec Jamblique, Chrysanthe, Maxime et Julien ;
puis elle reprend une forme plus sévère à Athènes avec
Syrianus, Procluset Damascius.
Ce qui caractérise d'abord l'école d'Alexandrie, c'est une
idée noble et hardie : ses phUosophes travaillèrent à la com-
binaison de tous les systèmes connus. Après bien des siècles
de civilisation , d'activité et d'éclat , l'esprit humain sembla
prendre repos à l'ombre du trône des Lagides ; mais, comme
la foi et toutes les croyances religieuses l'avaient abandonné,
trop épuisé pour créer et fonder, U voulut faire un faisceau
de toutes les spéculations de la Grèce et de l'Asie. Une pa-
reille initiation valut aux pliilosophes le surnom iV éclec-
tiques. Ammonius Saccas fut son fondateur. Cependant
l'École d'Alexandrie ne fut pas seulement éclectique, elle se
laissa aussi entraîner au mysticisme. La recherche de l'ab-
solu, tel fut le problème que ses philosophes se proposèrent.
Mais pour atteindre leur but , la raison parut trop débile
aux Alexandrins. Aussi, impuissants à s'acquitter de leur
tâche, par cela même qu'ils renonçaient à se servir de la
raison et qu'ils la regardaient comme une faculté trompeuse,
ils empruntèrent à Xcnophanes et à Parménides leur Dieu
absolu, c'est-à-dire Tètre immuable et ineffable, sans rap-
ports possibles avec la génération , et qu'ils ne purent con-
cevoir qu'à l'aide de la perception immédiate , base néces-
r,dire au mysticisme. De ce premier point à l'extase il n'y
avait qu'un pas , et les Alexandrins le franchirent ; car en
voulant comprendre et décrire la nature incompréhensible
de Dieu, que la raison ne pouvait saisir et expliquer, ils fu-
rent obligés démettre au-dessus de la raison une facnilé,
et cette facullé fut la faculté mystique de l'extase. Le
mysticisme des Alexandrins est plus observateur, plus mé-
taphysicien qu'il n'est enthousiaste : c'est ce qu'il est facile
de constater par l'examen des ouvrages de Plotin , le repré-
sentant le plus illustre du mysticisme de l'école d'A-
lexandrie.
Pendant que l'école d'Alexandrie s'efforçait d'opérer la
fusion parfaite du génie grec et du génie oriental , un rival
redoutable s'élevait contre elle. Le christianisme ve-
nait à peine de se montrer au monde avec son bref et
ferme symbole , ses dogmes arrêtés , sa morale sublime , sa
puissante hiérarchie, que déjà l'antiquité païenne, seô dieux,
ses croyances, sa morale plus ou moins austère, son orgueil
justifié par plusieurs siècles de grandeur et de beauté dans
ses créations, ses vertus les plus applaudies, tout en un mot
de ce qui se rattachait à l'Olympe d'Homère ou en faisait
partie, était fortement ébranle. Contre cette religion inconnue
encore, mais faisant partout des prosélytes, fondant des
églises, consacrant des prêtres, les Alexandrins composèrent
en quelque sorte le parti de la résistance. Plotin, Long in,
Origène, Erennius, Porphyre et Jamblique déploient
dans cette lutte de deux civilisations toute IVnergie de la
pensée, une vaste érudition, une élévation de style sans
cgide : on dirait qu'ils réunissent à eux seuls toutes les for-
ces de la Grèce et de l'Orient qui vont périr, pour mieux
combattre resjirit nouveau. Un instant vaincpieurs, après
beaucoup de défaites, pendant le règne de Julien, les phi-
losophes et les rhéteurs de l'école d'Alexandrie rentrèrent
dans Tobscurilé, et virent leurs temjjles rasés par l'ordre
de ihéodose. Durant cette polémicpie, chrétiens et Alexan-
drins employèrent leurs veilles à produire des miracles,
ALEXANDRIE
comme éh^mcnts de conviction de ce qu'ils avançaient de
part et d'autre. Un mysticisme exailé troublait les esprits, et
leur faisait croire à la réalité de leurs prétendues illumina-
tions. Les Alexandrins, au lieu de combattre leurs adver-
saires, occupés à la propagation des merveilles de leur reli-
gion , au lieu de nier leurs mii-acles ou de les détruire par
le raisonnement , s'en attribuèrent à leur tour; ils ne man-
quaient pas aussi d'écrire l'bisloire de leurs prédécesseurs,
de les supposer auteurs de certains prodiges , et d'ojiposer
à la vie de Jésus-Cluist les travaux d'Apollonius de Tyane
ou de P\1hagore.
Quels qu'aient été les résultats ou la justice des moyens
dont on lit usage dans les deux camjis ennemis , il ne faut
pas oublier que cet éclectisme que les Alexandrins appli-
quèrent aux anciens cultes , apnXs l'avoir appliqué aux prin-
cipaux systèmes de l'antiquité grecque, impliquait le dépé-
rissement de toute religion, le triomphe de la philosophie,
et avecle triomphe de celle-ci la liberté d'interpréter et de
choisir. Les philosophes de cette école qui les premiers,
dans un moment de défense , soumirent à un contrôle sé-
rieux et profond toutes les vieilles croyances des religions
passées, leurs dogmes et leurs superstitions, ont donné aux
générations futures un exemple salutaire, celui delà liberté
d'examen. Jusque alors l'imposture ou le mensonge avaient
caché bien des vérités ; mais le jour de mort étant arrivé,
prêtreset philosophes communiquèrent ensemble dans l'inté-
rêt commun. Le résultat de cetteentente fut funeste à la reli-
gion comme à la philosophie d'abord; mais celle-ci aura jeté
une semence qui fructifiera dans d'autres temps et d'autres
lieux.
Entre le christianisme et l'école d'Alexandrie la critique
moderne a cru apercevoir certains rapports qu'il n'est pas
inutile de rappeler. Les Pères de l'Eglise, en effet, ne
semblent pas exempts d'emprunts au platonisme et à d'autres
doctrines enseignées à Alexandrie et à Athènes. Sans doute
les deux doctrines avaient des bases opposées ; mais il se-
rait injuste de dire que la religion nouvelle n'a rien appris
pendant quatre siècles de l'école d'Alexandrie. Comment
supposer qu'Alexandrins et chrétiens aient pu vivre si long-
temps à côté les uns des autres , se disputant i)€rpétuelle-
nient, dénouant quelquefois lems dissensions sur la place
publique par les persécutions et par l'émeute, sans que le
christianisme ait cherché à s'approprier ce qu'il y avait de
vrai et d'utile dans la philosophie profane ? Saint Clément
d'Alexandrie nous offre sur ce point un témoignage inécu-
sable, lorsqu'il avoue que la philosophie des écoles peut
servir à commenter les vérités de la foi , à les démontrer et
à les développer. Qu'on ouvre encore saint Augustin, et
dans la Cité de Dieu chacun croira lire un platonicien. Le
mystère de la Trinité lui-même, dans la religion chré-
tienne , ne manque pas d'offrir une ressemblance assez cu-
rieuse avec la Trinité de l'école d'Alexandrie. Sous ce rap-
port les Ennades de Plotin, après le Timée et le sixième
livre de la République de Platon, pourraient offrir plus
d'un trait piquant à la critique philosophique.
La plupart des grands noms que comprend l'école d'A-
lexandrie ne se rattaciient qu'indirectement à Alexandrie
même : Plotin vécut à P>onie, Proclus à Athènes; mais Alexan-
drie n'en a pas moins été le centre du monde grec, le terrain
des plus grandes luttes. L'école d'Athènes , sa rivale, n'est
qu'un développement sur un autre théâtre de la philosophie
alexandrine. L'école d'Alexandrie s'éteignit obscurément,
vers le milieu du sixième siècle, et avec elle finit la philo-
sophie grecque, déjà frappée par un décret de Justinien, qui
ferma l'école d'Athènes en 529. La clôture des écoles païen-
nes par l'édilde Justinien anéantit l'école d'Alexandrie, mais
non ses doctrines. Le néo pi aton i sme, recueilli dans d'ob-
scures compilations, passa à travers les écoles du Bas-Em-
pire dans la philosophie du moyen âge, et inspira tous les
esprits rebelles au jong d'A r i s t o t e et de la se o I a s t i q u c;
uicr. UL LA co\vi:i;sAiio:s. — t. /
297
puis, ,'i la Renaissjuice, il devint la source de toutes les doctri-
nes idéalistes et mystiques des quinzième et seizième siècles.
Tout le travail de l'école d'Alexandrie ne se borne point
à celui qui a été fait dans le champ des spéculations philo-
sophiques. A côté des philosophes il y a aussi des sa-
vants, des grammairiens, des poètes. Les grammairiens
ne s'occupaient pas seulement de ce que nous appelons
grammaire; ils ne se contentaient pas d'éplucher des mots
de distinguer des phrases; c'étaient des critiques instruits '
dos philologues qui possédaient des connaissances positives!
On compte parmi ces grammairiens Zenodote d'Éphèsej
Aristarque de Samothrace, Cratès deMalles[
I>enys de Thrace, Apollonius le Sophiste et
Zoïle. Le grand mérite de ces philologues, c'est d'avoir
recueilli les monuments de la littérature et de la civilisation
des siècles passés, de les avoir soumis à une critique savante
et judicieuse , et de les avoir transmis à la postérité. Parmi
les poètes nous remarquerons Apolloni us de Rhodes,
Lycophron, Aratus, Nicandre, Euphorion, Cal-
limaque, Tliéocrite, Philétas, Phanoclès, Timon le
Phliasien, Denys, et les sept poètes tragiques que
l'on appelait la Pléiade d'Alexandrie. Les poètes de cette
école se distinguent surtout par l'élégance , la pureté , la
correction savante du style ; ce qui leur manque , c'est le
talent, l'esprit créateur qui inspirait les poètes grecs des
siècles préctnients. Érudits sans âme, philologues laborieux
et froids, ils cherchaient à suppléer à l'enthousiasme par l'art
et le savoir. Les poètes de l'école d'Alexandrie sont , à peu
d'exceptions près, d'habiles tourneurs de vers, des écrivains
pleins de science , mais sans verve , sans inspiration.
Cette école produisit également un grand nombre de ma-
tliématiciens, tels que E u c I i d e, le créateur de la géométrie
scientifique ;ApolloniusdePerge,dansla Pamphylie,
qui a laissé un ouvrage sur les sections coniques; Ni co-
in a q ue , qui le premier réduisit l'arithmétique en système;
Kratosthène, auteur des Catastérismes ; Aratus, auteur
d'un poëme didactique intitulé Phanomètre ; ^lénéXAS , et
surtout le géographe Ptolémée, auquel nous devons la
Jtfarjna Syntaxis (voyez Almageste). Ces astronomes ap-
pliquèrent les hiéroglyphes à la dénomination des constella-
lions de la sphère boréale, et corrigèrent la théorie du calen-
drier Julien. Mentionnons encore parmi les savants de
quelque renom l'anatomiste Hérophile, le naturaliste
Erasisti'atus , et Démosthène Philalèlhe, auteur du plus
ancien ouvrage qui existe sur la maladie des yeux.
On peut consulter sur l'école d'Alexandrie l'ouvrage de
M. .Matler, Sssai historique sur l'École d'Alexandrie;
— l'Histoire de l'École d'Alexandrie, de M. Jules Simon;
— Y Histoire critique de l'École d'Alexandrie, de M. "V'a-
cherot,et le Pxapport de M. Barthélémy Saint-Hilaire à l'A-
cadémie des Sciences morales et politiques sur le concours
ouvert par elleàpropos de l'école d'Alexandrie ( 1845,in-8°).
ALEXANDRIE ( Chronique d'). On appelle ainsi une
compilation de plusieurs auteurs grecs faite sous Héraclius,
au règne duquel elle s'arrête. Cette chronique fut découverte
en Sicile vers le milieu du seizième siècle, et imprimée en
1G15, par les soins du jésuite Raden:s, qui, ayant trouvé en
tête du manuscrit le nom de Pierre d'Alexandrie, lui donna
la dénomination qu'elle porte.
ALEXiVKDRIE {Alessandria délia Paglia, Alexan-
drie de la Paille). Cette ville, qui s'appela d'abord Césaree,
est située dans une contrée marécageuse, au confluent du
Tanaro et de la Bormida. C'est une place forte, chef-lieu
delà province du Piémont. Elle fut fondée en 1178 par les
habitants de Crémone et de Milan ( la ligue Lombarde ), au-
tant pour leur senir de boulevaid contre l'empereur Frédé-
ric l" Barberousse qu'en mémoire des succès que la ligue
Lombarde avait déjà remportés sur lui. A peine la ville était-
elle construite que Barberousse vint l'assiéger : elle repoussa
l'ennemi ; mais on y vit aussitôt éclater des dissensioas m-
298
ALEXANDRIE — ALEXIS
t:Tie'.ire<;. Le chroniqueur Ventura raconte que tic son temps
l! y avait en sept expulsions d'une faction par l'autre. Cc'snrée
• \vMU\ son nom pour prendre celui (Y Alexandrie, en l'iion-
lîciir du pape Alexandre III, qui y avait (^tal)li le siège d'un
<^v6cl)C. Cette ville a été souvent l'objet des luttes les plus
sanglantes. Vers la (in du treizième siècle, le marquis de
Montferrat et Matthieu de Visconti, seigneur de Milan, s'en
<lispulèrent la possession; elle finit par rester au pouvoir
«les Visconti, et fut annexée au duclii- de Milan. Montferrat
(ut enfermé dans une cage de bois, où il mourut dix-huit
ntois après, lui 1522 Alexandrie fut prise d'assaut el livrée
iui pillage par le duc de Sforze; en 1G57 les Français,
«:ommandés par le prince de Conti, l'assiégèrent inutile-
ment; en 1707 le prince liugène s'en rendit maître après un
siège long et meurtrier. Plus tard l'empereur Joseph l*""
abandonna celte pi.ice au duc de Savoie- Klie passa sous la
iloniinalion française en 1700. La France la perdit ; mais
le 1(5 juin 1800, après la bataille de M aren go, le général
M ''las y conclut avec Donaparte un armistice par lequel
il lui livra l'Italie supérieure jusqu'au Mincio. En 1802 elle
devint ie chef-lieu du d^-partement de Marengo. En 1814
(Ile retourna à la Sanlaigiie. Aujourd'hui Alexandrie est une
ville de 30,000 Am;\s. Son commerce consiste surtout en
toiles et en étoffes de laine et de coton. Les fortilications
li'Alexandrie se composent d'une enceuite bastionnée, d'une
riladelle garnie de défenfes extérieures, et d'une tête de
pont siu- la rive droite de la Bormida. Un pont de pierre
reiie la citadelle à la ville. Aux termes de l'armistice conclu
après la bataille de Xovar re, le 26 mars 1849 , les Autri-
chiens composèrent la moitié de la garnison d'Alexandrie
jusqu'à la paix. En I8..16 les fortilications d'Alexandrie fu-
rent considérablement augmentées, et une souscription pu-
blique fut ouverte pour l'armer de canons. Pendant la cam-
pagne d'Italie elle a servi de premier quartier général aux
alliés, et de pivot à leurs opérations contre les Autrichiens
qui s'étaient approchés de ses murs. *
ALEX-iVNDRir^', épithète qui désigne dans la poésie
française la sorte de vers affectée depuis longtemps, et vrai-
fiend)lablement pour toujours, aux grandes et longues com-
positions, telles que le poème é[)ique et la tragédie, sans
être toutefois exclue des ouvrages de moindre baleine. Le
vers alexandrin est divisé par un repos en deux parties
qu'on appelle hémistiches. Dans le vers alexandrin, mas-
culin ou féminin, le premier hémistiche n'a jamais que
six syllabes qui se comptent : je dis qui se comptent, parce
que s'il arrive que cet hémistiche ait sept syllabes, la der-
nière finira par un e muet et la première du second hémis-
tiche commencera par une voyelle ou par une h non aspirée,
à la rencontre de laquelle Ye muet s'élidant, le premier
hémistiche sera réduit à six syllabes. Dans le vers alexan-
drin masculin, le second hémistiche n'a non plus que six
syllalîes qui se comptent, dont la dernière ne peut être une
syllable muette. Dans le vers alexandrin féminin, le second
liémistiche a sept syllabes, dont la dernière est toujours une
syllabe muette. Le nombre et la gravité forment le caractère
de ce vers; c'est pourquoi je le trouve trop éloigné du ton
de la conversation ordinaire pour être employé dans la
comédie. Une loi commune à tout vers partagé en deux
hémistiches, et principalement au vers alexandrin, c'est que
le premier hémistiche ne rime point avec le second ni avec
aucmi des devix du vers qui précède ou qui suit. On dit que
notre vers alexandrin a été ainsi nommé ou d'un poème
français de la vie d'Alexandre ( roycc Roman d'ALEXANonr,),
couiposo en cette mesure jiar Aicxandrc de Paris, Lambert
Li Cors,.Iean le Nivelais et autres anciens poètes, ou d'un
poème latin intitulé YAlcxandriade, et trarhiit par les deux
l)remiers de ces poètes, en grands vers, en vers alexandrins,
en vers héroïques; car toutes ces dénominations sont sy-
nonymes, et désignent indistinctement la sorte de vers que
nous venons de dctlnir.
Le vers alexandrin nous tient lieu du vers hexamètre,
et h sa pince nous l'employons dans nos po('mes héroïques;
mais quant au nombre et au mètre, c'est au vers asclé-
p i ad e latin que notre vers héroïque ré[)ond. Il en a la coupe
et les nombres, avec cette seule difféience que le premier
hémistiche de l'asclépiade n'est pas essentiellement séparé
du second par un repos dans le sens, mais seulement par
une syllabe qui reste en suspens après le second pied.
Plus le vers héroïque français approche de l'asclépiade
par les nombres, et plus il est harmonieux. Or ces nombres
peuvent s'imiter de plusieurs façons, ou par des nombres
semblables, ou par des équivalents.
On sait que les nombres de l'asclépiade sont le spondée
et le dactyle , et que chacun de ces deux pieds forme une
mesure à quatre temps. Ainsi, toutes les fois que le vers hé-
roïque français se divise à l'oreille en quatre mesures égales,
que ce soient des spondées, des dactyles, des anapestes, des
dipyrriches , ou des amphibraches , il a le rhythme de l'as-
clépiade, quoiqu'il n'en ait pas les nombres.
Le mélange de ces éléments, étant libre dans nos vers fran-
çais, les rend susceptibles d'ime variété que ne peut avoir
l'asclépiade, dont les nombres sont immuables. Cependant
nos grands vers sont encore monotones, et celte monotonie a
deux causes : l'une, parce qu'on ne se donne pas assez de
soin pour en varier les repos; l'autre, parce que, dans nos
poèmes héroïques, les vers sont rimes deux à deux; et rien
de plus fatigant pour l'oreille que ce retour périodique de
deux finales consounantes répétées mille et mille fois.
Il serait donc à souhaiter qu'il fût permis, surtout dans
un poème de longue haleine, de croiser les rimes, en don-
nant, comme a fait Malherbe, une rondeur harmonieuse à
la période poétique. Peut-être serait-il à souhaiter aussi que,
selon le caractère des images et des sentiments qu'on aurait
à peindre, il fût permis de varier le rhythme et d'entre-
mêler, comme a tait Quinault, différentes formes de vers.
Marmontel.
ALEXIEIVS. Voyez Lollhards.
ALKXIPIIARMAQUE. (du grec à)i|a), je repousse;
çàppiaxov, venin). On donnait autrefois ce nom à des re-
mèdes propres à expulser par les ouvertures de la peau le
préfendu poison qui troublait, suivant certains systèmes
médicaux, les fonctions animales dans les maladies aiguës;
en ce sens, alexipliannaque était synonyme de sudori-
fiqiie. A une époque plus reculée , on appelait ainsi tout
remède dont la vertu principale était de repousser ou de
prévenir les effets délétères des poisons absorbés intérieu-
rement.
ALEXIS COAINÈIVE. Voyez Comnène.
ALEXIS { Le Faux), célèbre imposteur qui au douzième
siècle, sous le règne d'Isaac l'Ange , prince aussi faible que
vicieux, profita de sa ressemblance extraordinaire avec
Alexis II, fds de Manuel Comnène, pour exploiter le mé-
contentement des populations et usurper le pouvoir suprême.
Azedd , sultan d'Iconium , «jui favorisa d'abord sa levée de
boucliers faite en Asie, parce que le premier il avait cru à la
sincérité de ses allégations relativement à son illustre origine,
l'abandonna dès qu'il lut désabusé. Le faux Alexis, grâce à
la complète incapacité d'.\lexis III, n'en parvint pas moins
à réunir sous ses étendards des forces assez considérables;
mais ces troupes , vil ramassis de mahométans et de pil-
lards, ravagèrent les provinces qu'elles avaient mission de
soumettre à leur chef , et les profanations ainsi que les
excès et les cruautés de toute espèce auxquels elles se li-
vraient excitèrent bientôt la haine et le fanatisme des ha-
bitants. Aussi un moine, interprète de l'indignation générale,
s'introduisit à la faveur de la nuit dans la chambre à cou-
cher du faux Alexis, saisit son épée, suspendue au chevet de
son lit, et l'assassina. Le chef de la révolte mort, sesadhérent*
se débandèrent, et quelques jours après cette armée n'exis-
tait plus (an de J.-C. 1 llU ).
ALKXIS — ALFIERI
203
ALEXIS MICÏÏAELOWiTCiI,czar de Moscovio.
né en Ui;îO , succéda, eu lOlG, à son père, le czar Miclu-l
Fœdoiowitch RonianoC. Son long règne fut troublé par des
guerres intestines et étrangères , et il lui fallut à la fois
etoufler des révoltes parmi ses sujets et combattre les l'o-
lonais et les Suédois. S'il reprit les places et les provinces
cétlées aux Polonais sous le régne précédent, il fut moins
heureux contre les Suédois, qui le battirent, mais dont en
définitive il repoussa l'armée, cpii avait envahi la Lithuanie.
Un soulèvement des Cosaciues du Don , (pii avaient pour
chef un certain StenKo-Razine ( 1009), ébraida d'abord assez
fortement son autorité. Stenko, à la tète de deux cent mille
hommes , s'empara d'Astrakhan ; cependant Alexis réussit
à comprimer entièrement ce mouvement en 1671. Trois ans
plus tard il combattiiit avec les Polonais les armées du
grand seigneur, et aidait au célèbre Jean Sobieski à rem-
porter la victoire de Chokzim (1G74 ). Cette alliance des deux
peuples contre l'ennemi commun devait pourtant amener des
rivalités entre eux , puis des collisions : aussi les Polonais
finirent-ils par s'emparer de l'Ukraine. Alexis Michaélowifch
mourut sur ces entrefaites : c'était en 1677. — D'un se-
cond mariage il laissait trois fils, dont l'un fut le célèbre
Pierre l", et cinq filles. — Les premières années du règne
d'Alexis n'avaient fait présager que de la faiblesse , car son
gouverneur Morousof, qui à une ambition démesurée joignait
une extrême avarice , avait profité de son caractère inap-
pliqué et de son extrême jeunesse pour gouverner en son
nom. La mauvaise administration de cet homme excita donc
de vifs mécontentements parmi les boyaids, à la vengeance
desquels Alexis eut de la peine à le soustraiw. Mais dès (pie
le czar eut pris en main les rênes du gouvernement , il fit
preuve d'autant de vigueur que de capacité. La guerre ne
détourna jamais son attention des affaires intérieures de
l'empire ; il favorisa l'industrie, dota la Russie d'un code de
lois, et, on peut le dire, fraya la voie aux réformes autre-
ment énergiques et puissantes de Pierre le Grand. C'est le
premier czar qui ait entretenu des relations diplomatiques
avec les autres puissances de l'Europe, et en 1052 il noua
avecla Chine les premières relations commerciales qui eussent
encore existé entre les deux empires.
ALEXIS PÉTROWÏTCU , fils aîné de Pierre le
Grand etd'Eudoxie Lapouchine, né à Moscou, le 18 février
IC90, témoigna tant d'aversion pour les réformes et les in-
novations introduites par son père, que celui-ci résolut de
l'exclure de la succession au trône. Alexis feignit d'être
parfaitement content d'une telle décision , renonça volon-
tairement à tous ses droits à la couronne, et déclara que son
intention était de se faire moine. Mais quand Pierre le
Grand fut parti pour son second voyage dans le nord de
l'Europe, Alexis s'enfuit, en 1717, à Vienne, et de là à Naples,
sous prétexte d'aller rejoindre son père, qui l'avait mandé
auprès de lui. Obéissant aux ordres de l'empereur et cédant
aux représentations du capitaine des gardes Roumanzof et
du conseiller intime Tolstoï, envoyés à cet effet en mission
expresse près la cour de Vienne, Alexis revint, il est vrai,
en Russie ; mais Pierre, irrité, considéra ce départ furtif comme
un crime de lèse-majesté , et déshérita son fils par un oukase
en date du 2 février 1718. Les suites de la procédure enta-
mée à cette occasion ayant fait découvrir qu'Alexis avait eu
en secret le projet de revenir sur son acte de renonciation
à la couronne et de revendiquer ses droits héréditaires ,
l'empereur non-seulement envoya au supphce tous ceux qui
avaient pris [)art au complot tramé par son fils , mais encore
le fit condamner lui-même à la i)eine capitale, et commanda
qu'on lui donnât lecture de la sentence de mort rendue
contre lui à l'unanimité i)ar cent quarante-quatre juges. En
vain on annonça peu <]e temps après à cet infortuné que son
père lui faisait grâce de la vie , l'impression de iirolonde ter-
reur proiluiti; sur son esprit par tous les incidents de ce
procès eut de si déplorables suites qu'il mourut à quelques
jours de \h, le 7 juillet (26 juin ) 1718. Suivant une autre
version, il aurait été décapité dans sa prison; et l'un des
principiiux acteurs de ce drame judiciaire et de l'exécution
(jui le termina aurait été un généra! allemand appelé Adam
Weid. Afin d'éviter toute apparence d'injustice, Pierre le
Grand fit publier les actes du procès. Alexis Petrowitcli
laissait de sa femme , Charlotte-Christine-Sophie , princesse
de Brunswick-Wolfenbuttel, qui eut beaucoup à souffrir de
la sauvage violence de son caractère, et morte dès l'année
1715, une fille, qui mourut en 1728, et un fils, qui régna
plus tard sous le nom de Pierre 11.
ALEXISB AD , l'une des sources ferrugineuses les plus
riches que possède l'Allemagne , située dans la délicieuse
vallée de Selke , dans la partie du Harz dépendant de la
principauté d'Anhalt-Bernbourg , fut organisé comme éta-
blissement thermal en 1810, aux frais du duc Alexis-Frédéric-
Cluistian d'Anhalt-Bernbourg. On a su admirablement tirer
parti des avantages naturels de la localité, afin d'en rehaus-
ser encore le charme par de charmantes promenades ; et les
baigneurs n'ont que l'embarras du choix pour se procurer
d'agréables distractions au moyen d'excursions dans les en-
virons, notamment à Victorshcehe , à Rosstrappe, à Stuben-
berg , à Ballenstedt , à Falkenstein, au Maigdesprung, à
Harzgerode et à Josephshœhe. Le Mœgdesprung , situé à
trois quarts d'heure de distance d'Alexisbad, est une des
forges les plus considérables de l'Allemagne. Indépendam-
ment de ses délicieux environs , il est célèbre par l'obélisque
en fer fondu , haut d'à peu près dix-neuf mètres , qui y a
été élevé, le 3 août 1812, en l'honneur du créateur de cette
usine, le prince Frédéric- Albert , mort en 179G. Deux em-
preintes assez semblables à celles que laisseraient des pieds,
qu'on voit là dans un rocher, ont donné naissance à l'une
des légendes populaires du Harz, et sont l'origine du nom
particulier de la localité. — On boit rarement l'eau d'A-
lexisbad, qu'on emploie plutôt en bains. Dans ce cas il est
bon de la mélanger avec l'eau de Beringerbad, autre source
située à trois quarts de lieue de là, à Suderode ; et elle est
alors efficace surtout contre les scrofules et le rachitisme. On
distingue à Alexisbad les trois sources de Selke , d'Alexis et
d'Ema. Gra^fe est le premier qui ait analysé ces eaux dans
un Mémoire sur les eaux ferrugineuses et salines de la
vallée de Selken dans le Harz (Leipzig, 1809).
ALEXITERE (du grec àXé^u, je repousse; Ovi?, bâte
venimeuse). Ce mot était usité autrefois pour indiquer un
remède employé contre la morsure des animaux venimeux.
ALÈZE, ALÈSE ou ALAISE, pièce de toile pliée en plu-
sieurs doubles dont on garnit le lit des malades pendant ou
après certaines opérations chirurgicales.
ALFA. Voyez Spart,
ALFAQUÎNS, prêtres maures cachés en Espagne après
l'expulsion de leurs compatriotes. C'étaient des mission-
naires musulmans qui prêchaient les chrétiens en secret,
les retenaient ou les attiraient dans l'islamisme, et qui,
déclamant surtout contre l'exercice et l'autorité de l'inqui-
sition, étaient, avec les juifs, les figurants les plus ordi-
naires des auto-da-fé.
ALFARABÏ (Auoi'-Nasr Mohammed Icn-Tarkuan )
naquit, au commencement du dixième siècle, à Farab, ville de
la Transoxiane, d'où il prit son nom. C'est un des plus grands
philosophes dont s'enorgueillisse la civilisation musulmane. A
commenta Arislole, et a laissé des traités sur les Principes
de lanalure, VEssencede l'âme, ïa Logique el \3i Musique,
ainsi qu'une Encgclopédie des Sciences. 11 mourut en 950.
Avicenne a beaucoup emprunté à Alfarabi.
ALFBERI (ViTTOKio, comte d') naquit en t7-'i9, à Asti,
en Piéuiont, de parents nobles et riches. Son oncle Pellegri-
no Alficri, gouverneur de Coni, qui était en niême temps son
tuteur, le pinça à Tiicadémie deTinin ; mais Alfieri «i sor-
tit à peu près aussi ignorant qu'il y était entré, et fut lait
presque aussitôt officier dans un régiment provincial, qui ue sa
38.
300
ri^unissait qu'une fois par an, et seulement pour peu de jours.
Poussé par un vague désir (le voir le inonde, Alfieri parcourut
l'Italie, la France, l'Anglef erre et la Hollande. A peine de re-
tour, l'ennui que lui c;insait l'étude de la i)iiilosopliie, qu'il ve-
nait d'entreprendre, le détermina à faire de nouveaux voyages;
il vit, pour ainsi dire, au gidop presque tous les pays de
rijirope, sans rien observer, sans rien apprendre. Mais, quoi-
qu'il n'eiH retiré aucun fruit de ses voyages pour son ins-
truction, ils eurent une puissante influence sur son carac-
tère ; ils lui furent utiles sous un autre rapport : l'aspect
de tant de i)euples avilis par le despotisme révolta son àmc
lière et indépendante , et lui inspira cette haine énergique
de la tyrannie, cet ardent amour de la liberté, qui sont le ca-
ractère distinclif de sa poésie. Quoiqu'il fût encore incertain
sur le choix d'une carrière, Alfieri se hâta de (piilter le ser-
vice. Pendant quelque temps il mena une vie entièrement
désœuvrée. Bientôt une passion violente pour une femme
qui n'en était pas digne enchaîna toutes les facultés de ce
vigoureux génie.
Ayant réussi, après de longs et cruels combats, à briser
c^s iionteux liens, la liberté iidellectuelle et morale qu'il ve-
nait de reconquérir lui fit sentir d'autant i)lus vivement le
besoin de fournir un aliment à l'activité de son esprit. Un
essai dramatique qu'il avait tenté quelques années aupara-
vant, dans \\n moment d'ennui , lui étant tombé par liasard
entre les mains, il crut entendre comme une voix intérieure
qui lui révélait sa vocation pour la poésie dramatique. 11 se
mit aussitôt à l'ouvrage. Sa première tragédie, Clcopâlre,
obtint uu succès qu'elle était loin de mériter, ainsi qu'une
petite pièce intitulée les Poêles, dans laquelle il faisait lui-
même la critique de sa tragédie. A l'âge de vingt-sept ans ,
Alfieri prit avec lui-même l'engagement solennel de se con-
sacrer tout entier au théâtre. C'est alors que, mesurant ses
forces et ses moyens, son ignorance se montra pour la pre-
mière fois à ses yeux dans toute son étendue. Il eut le cou-
rage de se remettre aux premiers éléments de la grammaire
latine, puis il se rendit à Florence pour s'adonner à l'étude
du pur idiome toscan. C'est à Florence qu'il rencontra
Louise Stolherg, comtesse d'Albany, femme du préteudiuit
d'Angleterre. Cette femme distinguée lui inspira un attache-
ment passionné; elle méritait d'être aimée par une àme
aussi belle, aussi généreuse que celle d'.MIieri. Cet amour ,
qui ne s'éteignit plus qu'avec sa vie, enflamma de plus en
plus son entliousiasme pour la poésie. Pour vivre tout à fait
ifldcjiendaiit, pour pouvoir consacrer tous ses instants à
l'étude et à la composition, il céda sa fortune à sa sœur
contre une rente modique. Il vécut alternativement à Rome
et à Florence, et acheva, en moins de sept années, quatorze
tragédies ■.Philippe II, Polyvice, Antigone, Agcmemnon,
Virginie, Oreslc, la ConjuraUon des Pazzi , Don Garcia,
Rosemonde, Marie Sluart, Timoléon, Octavie, Mérope,
Saùl. 11 fit encore paraître plusieurs autres ouvrages , soit
en prose, tels que le Trailé de la Tyrannie et la Traduc-
tion de Salluste ; soit en vers, comme l'Élrurie vengc'e,
poème en quatre chants, et les cinq Odes sur la révolution
de l'Amérique du i\ord.
Quand la comtesse d'.\lbany se trouva libre par la mort
de son époux, les deux amants se réunirent pour ne plus se
sé[mrer, et vécurent soit à Pari», soit en Alsace. Alfieri écri-
vit Agis , Sophonisbe, Myrrha et les Deux Brutus, en
même fenips qu'il rédigeait son Traité du Prince et des
Leltres, le Panégyrique de Trajan, la Vertu méconnue, et
l'Amérique libre.
Alfieri salua avec enthousiasme la révolution française, et
célébra le triomphe de la liberté dans une ocle sur la prise
de la Bnstille ( Pariyi Sbastiglialo ) . Mais son àme généreuse
s'indigna des excès qui vinrent souiller la cause populaire;
il quitta la France, et se rendit en Angleterre : la baisse des
assignats le força de revenir à Paris vers la fin d'août 17y3;
il éciiappa par la fuite aux massacres de septembre. II per-
ALFIERI
dit ses li\Tes et la plus grande partie de ses tragédies, qirt
venaient de paraître chez Didot , en cinq volumes. A cette
époque il se fixa à Florence. Il avait conçu une haine vio-
lente pour la France, qui l'avait si mal récompensé ; les évé-
nements survenus dans l'année 179S en Italie lui inspirè-
rent une satire amère, intitulée Miso-Gallo. A cinquante ans
il entreprit d'apprendre le grec; il y réussit parfaitement. Il
avait conçu une si grande admiration pour Homère, qu'il
voulut créer un ordre de chevalerie en son honneur. Les in-
signes étaient un collier en pierres bleues, sur lesquelles
étaient gravés les noms de vingt-trois poètes anciens et mo-
dernes. Au bas était suspendu un camée représentant les
traits d'Homère.
Alfieri mourut le 8 octobre 1803. Il est enterré à Flo-
rence, dans l'église de la Croix. Son tombeau, chef-d'œuvre
de Canova, est placé entre celui de Machiavel et celui de
Micliel-Ange.
Comme poète dramatique, Alfieri s'est essayé danstr ois gen-
res différents. On a de lui vingtet une tragédies, six comédies,
et une œuvre à laquelle il a donné le nom de Tramélogédie.
]Mais tous ces ouvrages trahissent l'absence de spontanéité
en même temps que cette opiniâtreté avec laquelle il faisait
violence à lui-même et à l'art. Il s'était imposé la règle,
ainsi qu'il le raconte lui-même dans sa vie , de ne jamais
lire de poète, afin de ne point déflorer la virginité de sa
propre muse. Son inspiration était bien plutôt politique que
poétique. Voulant réveiller l'amour de la liberté dans des
cœurs engourdis, il considérait le théâtre comme une école où
le peuple devait venir apprendre à être libre, fort et noble.
Gœthe définit admirablement cette ivresse de la liberté dans
laquelle il vivait, quand il dit : « Les pièces d'Alfieri s'ex-
« pliquent par sa vie. Il tourmente ses lecteurs et ses audi-
■I leurs , de même qu'il se tourmentait lui-même comme
« auteur. Nature esseutiellement aristocratique, il ne haïssait
« tant les tyrans que parce qu'il se sentait en lui-même une
« veine de tyran. Cette nature de gentilhomme et d'homme
« de course trahit d'une façon fort comique sur la fin de sa
« vie, alors qu'il n'imagine pas de meilleur moyen de ré-
« compenser son propre mérite que de créer un ordre de
« chevalerie spécialement à son usage. » Alfieri avait la
prétention de ne produire de l'effet qu'en employant les
moyens les plus simples. Il renonça à toute espèce d'orne-
mentation , pour ne plaire que par une virile gravité. Ses
tragédies sont froides et roides , ses plans d'une simplicité
qui va jusqu'à la pauvreté , ses vers durs et désagréables à
l'oreille. Son style manque en outre complètement de ce
magique éclat à l'aide duquel seulement le poète peut aller
jusqu'au plus profond des cœurs.
Les services qu' Alfieri rencUt à la tragédie italienne n'en
sont pas moins immenses , et ont été célébrés à bon droit
par ses compatriotes , encore bien qu'il y ait eu pendant
quelque temps de l'exagération dans leurs éloges. Le
grand mérite de cet écrivain consiste à avoir su faire jus-
tice du goi'it efféminé qui dominait à l'époque où parurent
ses premiers essais , et de la pédanterie qui portait alors les
poètes à prendre servilement les Grecs jwur modèles. Ceux
qui vinrent après lui s'efforcèrent de reproduire dans leurs
œu\Tes sa mâle vigueur et sa simplicité.
Dans la comédie, la direction d'Alfieri est tout à fait
grave, et le plus souvent aussi politique. L'invention chez
lui est vide , l'intrigue sans intérêt , et , comme dans ses
tragédies , les caractères , qui ne sont que des contours gé-
néraux , manquent d'individualité ; ses comédies sont donc
encore bien inférieures à ses tragédies.
Le meilleur de ses ouvrages dramatiques paraît être son
Abel, production qu'il a appelée tramélogédie, pour lui
donner sans doute un nom répondant à tous égards à son
éiiangelé. Alfieri, inventeur de ce genre bâtard, tenant le
milieu entre la tragédie et l'opéra, s'était proposé de com-
poser six pièces de ce genre.
ALFIERI - ALFRED LE GRAND
301
Outre ces ouvrages dramaliiines originaux , on a de lui
on |Kieuie (5pi«iue eu quatre chants, iilusieurs poèmes ly-
riques, seize satires, et quelques traductions en vers de
passages de Tt^rence, de Virgile, d'Eschyle, de Sophocle,
d'F.uripide" et d'Aristophane. Après sa mort, ou lit paraître
son Miso-Gallo , monument de la haine qu'il avait vouée à
la nation française, ses (lùivres conipkHes (37 volumes,
Padoue et lîrescia, 1 800-18 10), et son autobiographie, ou-
vrage à l'aide duquel on apprend à connaître Tindividualité
de cet écrivain.
La collection des Œuvres complètes d'AIfieri aétépuhliée
plusieurs fois en Italie. Une édition en 22 vol. in-S" a été
imprimée à Paris. Les tragédies forment G vol. in-8". Pe-
titot et J.-A. de Gourbillon en ont donne une traduction.
ALFORT, petit village du département de la Seine,
à 8 kil. sud-est de Paris, sur la rive gauche de la !\k»rne,
avant 700 habitants, doit son impof tance à l'École impériale
vétérinaire qui y existe.
V École d'AI/orf tire son nom d'un ancien château où elle
fut établie dés l'origine. Ce château , érigé autrefois en (ief
>ous*le nom de Maisonville , fut acheté du baron de Bor-
nies, en 17C5, par le ministre des finances Bertin. C'est là
que ce ministre (onda, sur les plans de Bourgelat, l'école
vétérinaire qui devait bientôt faire oublier celle de Lyon.
Aucune dépense ne fut épargnée dès le principe pour lui
donner des développements et même de l'éclat. Bour-
gelat fut chargé de sa direction , et les plus savants pro-
fesseurs y furent appelés. Broussenet et Daubenton
y donnaient des leçons d'agriculture et d'économie rurale;
Vicq-d'Azyr, d'anatoniie comparée; Fourcroy y dé-
montrait la chimie ; un peintre de réputation y enseignait
l'art de représenter fidèlement les animaux. Un amphithéâtre
magnifique , un riche laboratoire de chimie , des troupeaux
fins, un cabinet dhistoire naturelle, furent accordés avec
magnificence. Des encouragements furent donnés aux élèves.
En 17C9 un ordre du ministre de la guerre enjoignit à tous
les colonels de cavalerie de détacher chacun un sujet pour
être instruit dans l'art vétéiinaire , afin d'exercer ensuite cet
art avec le grade de maréchal-des-logis. Bourgelat étant mort
en 1779 , Chabert , son élève, lui succéda. Depuis cette époque
l'école d'Alfort n'a cessé de recevoir des agrandissements
et des améliorations. Son jardin botanique est un des plus
beaux de l'Europe , et ses collections d'histoire naturelle et
d'anatomie se sont considérablement augmentées. Elle ren-
ferme des hôpitaux où l'on soigne , moyennant rétribution ,
les animaux malades qui y sont amenés par les particuliers.
On admire dans ses bergeries un superbe troupeau de mé-
rinos et de chèvres de Cachemire. Une machine hydraulique
de Perrier fournit à l'établissement toute l'eau dont il a be-
soin. Le ministre de la guerre entretient aujourd'hui à cette
école quarante élèves militaires pour le service des corps
de troupes à cheval. Les cours y sont faits par six pro-
fesseurs.
ALFRAGAN (Ahmed-Bf.n-Ketiu), né à Ferganah,
TÏfle de la Sogdiane , prit part , selon toute apparence , à la
révision des Tables astronomiques de Ptoléméc, ordonnée
par le khalife Almamoun, vers 825 de J.-C. Il composa plu-
sieurs traités sur VobliquUé de V ccUptique , sur la cons-
truction de l'astrolabe, les cadrans solaires, etc. Ses
éléments d'astronomie nous sont seuls parvenus. Ils furent
traduits au douzième siècle par Jean Hispalensis; cette tra-
duction a été imprimée à Ferrare en 14"J3 , et à Nuremberg
en 1537, avec une lettre de Mélanchthon, servant de préface,
et un discours de Régiômontan. Christmann en publia une
seconde, faite par Frédéric, moine de P.alisbonne, en 1447,
ou d'après une version hébraïque du juif J. Anloli; et Go-
iius, une troisième en 1GG9, avec un commentaire rempli
de faits et de remarques intéressantes, que la moil ne lui
permit pas de compléter. Delambre , dans son JJistoire de
l'Astronomie aie vioyen dge, nous a donné une analyse fort
exacte du traité d'Alfragan ; seulement il s'est trompé en
le plaçant, avec Christmann, parmi les écrivains arabes du
neuvième siècle : il florissait cinquante ans avant Albatégni,
et Ebn Jounis le cite connue l'un des auteurs de la Table
vcri/iée, qui pendant deux cents ans a servi de hase aux
grands travaux des astronomes de Bagdad, ctqu'Aboul-
wefa devait revoir et compléter vers l'an 980 de notre ère.
L.-Am. Skdillot.
ALFRED LE GRAND, sixième roi d'Angleterre de la
dynastie saxonne, né en 849, à Wantage, dans le Berkshire,
était le plus jeune des cinq fils d'Ëthehvolt'. Son ptîre, qui avait
pour lui une prédilection particulière , l'envoya tout enfant à
Rome, et le fit couronner par le pape. Quelque temps après,
il l'emmena à la cour (ie France, où il allait épouser Judith,
fille de Charles le Chauve. Mais ils furent bientôt rappelés
tous deux par une révolte qui venait d'éclater en Angleterre
dans le sein même de la famille royale. Éthelbald, le fils aîné
d'Éthelwolf, était à la tète des rebelles; une réconciliation
entre le père et le fils, devenus rivaux, épargna au pays une
guerre civile, et la mort ne tarda pas à les faire disparaître
l'un et l'autre. Alfred succéda en 871 à son frère Ethelred,
qui lui avait confié le commandement des troupes et les
rênes de l'administration , et dont la mort le laissa à vingt-
trois ans maître d'un royaume presque entièrement envahi
par les Danois.
Les premières tentatives d'Alfred pour combattre les op-
presseurs de sa patrie ne furent pas heureuses. Accablé par
le nombre , abandonné des siens dans leur découragement,
réduit à prendre la fuite, U résolut d'attendre dans la plus
profonde obscurité le moment favorable de délivrer sa
patrie; il se mit au service d'un pâtre. Un an s'était à peine
écoulé que les Anglais, impatients du joug qui les opprimait,
songèrent à reprendre les armes et à profiter des divisions
de lems ennemis. Instruit de ce qui se passait, Alfred
conçoit et exécute le hardi projet de pénétrer dans le camp
danois. Sous le costume d'un barde , une harpe à la main ,
il se mêle parmi les soldats , s'introduit auprès des chefs ,
gagne leur confiance par l'affabilité de ses manières, assiste
à leurs repas et à leurs conseils, et, après avoir pénétré
leurs projets et leurs moyens , il revient à la tète d'une poi-
gnée de braves porter le carnage et la mort dans ce même
camp qu'il charmait naguère par ses accords mélodieux. Ce
premier succès fut pour l'Angleterre le signal de la liberté;
les Danois furent repoussés de toutes parts , et Alfred , trop
habile pour ranimer leur courage en les réduisant au déses-
poir, renversa leur domination à force de générosité. Tous
ceux qui voulurent se soumettre et embrasser le christia-
nisme eurent la permission de rester en Angleterre ; les au-
tres purent regagner librement leur pays sous la conduite
d'un chef qu'il leur désigna ; enfin , ceux qui entreprirent de
lui résister, battus devant Rochester et chassés de Londres,
cherchèrent vainement un refuge sur leurs vaisseaux , où la
flotte anglaise, qu'il avait créée, acheva de les anéantir.
Tranquille au dedans, sans crainte du dehors, Alfred ne
s'occupa plus que de la civilisation et du bonheur de ses
sujets. Il voulut faire de l'Angleterre un seul royaume, régi
par une administration et des lois uniformes. L'union des
tribus saxonnes, qui sousEgbert n'avait été que nomi-
nale, fut réalisée par Alfred. En 893 il eut encore à combattre
une invasion des Danois commandés par Hasting. 11 mou-
rut en 900 , un an après avoir déposé les armes.
Alfred le Grand avait pris pour modèle Charlemagne : il ne
lui est pas resté inférieur. Ses mesures administratives .sont
mieux connues que ses actes législatifs. Les plus belles insti-
tutions anglaises lui sont attribuées, le jury entre autres . Per-
suadé que le meilleur moyen de rendre les hommes heureux
est de les éclairer, il établit l'université d'Oxford , et y fonda
une bibliothèque d'ouvrages qu'il fit venir de Rome. Le
meilleur historien de son siècle, et poète remarquable, il
encouragea les lettres, protégea les crts, attira les savants
302
h sa cour, et fil sortir la nation anglaise de l't^tat (rapatliie
où l'avait [)longre le desi)otisiiic harbanr des Danois. Jamais
prince ne lit tant pour son pcuide, et Voltaire Ta bien jugé
lors(iii'il a dit, avec autant de force que de vérité : " .le ne
sais s'il y a jamais eu sur la terre un homme plus dii;ne des
respects de la postérité qu'Alfred le Grand. L'histoire, qui
d'ailleurs ne lui reproche ni défauts ni faiblesse, le met au
premier rang des héros utiles au genre humain, qui, sans
ces hommes extraordinaires, eut toujours été semblable aux
bûtes farouches. >. — .\lfred le Grand fut enseveli dans le
monastère <le Winchester, (in'il faisait bâtir. M. G.Gui/ot a
fait paraître en 1850 une étude sur Alfred le Grand.
ALGALIE, nom d'un instrument de chirurgie, servant
à donner issue à l'urine quand elle est retenue et accumulée
dans la vewie par un eflet commun à plusieurs maladies
dilTérentes. C'est à tort que , dans l'usage commun , on sub-
stitue à ce mot celui de sonde. L'action d'introduire une
algalie dans la vessie s'appelle Cfl^/i é^^ ris ?>ie. — Il n'est
pas certain que les Grecs connussent l'emploi de l'algalie
dans les maladies des voies nrinaires; mais nous savons
positivement que les Latins en faisaient usage. En effet ,
Celse recommande de se servir de cet instrument dans la
rétention d'urine, provenant soit de débilité sénile, soit
d'un calcul vésical, ou encore d'un état inflammatoire; et
il décrit très-bien la manière dont on doit l'introduire. La
forme et le volume des algalies varient suivant les circons-
tances, de mi'me que la matière dont on les fabrique, sui-
vant qu'on les veut flexibles ou solides. On en fait en gomme
élastique , en argent et en platine ; mais les premières ,
d'invention encore assez récente , sont préférables aux al-
galies métalliques , et peuvent être regardées comme une
des plus belles inventions de la chirurgie moderne.
ALGAIIDI ( Alessandro ), en français VAlqarde, cé-
lèbre sculpteur, né à Bologne, en IGÛ'2, d'une bonne famille,
se forma sous la direction de Louis Carrache. A l'ûge de
vingt ans , l'Algarde se rendit à Mantoue , où il s'exerça à
mouler en plâtre , d'aiirès les célèbres tableaux de Jules
Romain. Ces essais donnèrent une fausse direction à son
talent. Le désir de se perfectionner dans son art le con-
duisit à Venise, et de là à Rome. Le cardinal Ludovisi,
auquel il avait été recommandé par le duc de IMantoue ,
donna de l'occupation au jeune artiste, et lui fit faire la
connaissance du Dominiquin. Pour gagner sa vie , Algardi
confectionnait des modèles en cire pour les orfèvres , et
restaurait les statues endommagées. La statue de sainte
Madeleine , qu'il lit pour l'église Saiut-Silvestie au mont
Quirinal , fonda sa réputation. Bientôt les cardinaux et les
princes s'empressèrent de lui commander des ouvrages : ia
cour de France chercha à l'attirer à Paris ; mais Algardi
préféra rester à Rome, où il mourut le 10 juin 1G54 ; il est
enterré à l'église San-Giovanni de Bolognesi. La production
la plus célèbre de l'Algarde est un bas-relief en marbre,
représentant la fuite d'Attila, qu'on voit à Saint-Pierre, au-
dessns de l'autel de Saint-Léon. 11 n'a pas fallu moins de
génie à l'Algarde pour tirer du marbre une telle composition
qu'à Raphaël pour traiter sur la toile le même sujet. Son
exécution fut même si parfaite , qu'il parut avoir trouvé le
clair-obscur avec son ciseau. Les figures du premier plan
sont presque de ronde-bosse ; ce sont de véritables statues.
Celles qu'il a placées derrière ont moins de relief, et leurs
traits sont plus ou moins marcpiés suivant qu'elles s'enfon-
cent ))lus ou moins dans le lointain ; cnlin la composition liait
par plusieurs figures dessinées au trait sur le marbre. Sa sta-
tue représentant le dieu du Sommeil a souvent passé pour
un ouvrage de l'antiquité. — Il existe un giand nombre de
gravnrcs de la Fiiile d'Attila. La dernière a paru dans la
Stnrifi dcHfi Scoltiira, par Cicognara.
AL(iAl\OïiI ( Poudre d'), ainsi appelée du nom de
son inventeur, et cpi'on employait autrefois comme émé-
tiqiie cl piirijalil". On l'obtieiit en Uaitanl le chlorure d'anti-
AL^RED LE GRA^'D — ALGARVE
moine par l'eau , opc-iation dans laquelle il se forme un
précipité blauc , pulvérulent , d'oxychlonire d'antimoine,
On lui donnait aussi le nom de mercure de vie.
ALGAIlOTTi ( lMiANCh:sco , comie d'), auteur italien
qui a réuni le gnùt des sciences à la culture des arts et des
lettres, naquit à Venise, le 11 décembre 1712. Il lit ses étu-
des à Rome , à Venise et à Bologne ; ses progrès dans les
matliémati(]iies, l'astronomie, la philosophie et la phy-
sique, furent des plus rapides. Il s'adonna ]ilus particulière-
ment à celte dernière science, ainsi (pi'a l'anatomie. Alga-
rotti savait très-bien le latin et le grec, et donna toute son
attention à la langue toscane. Il visita la France , l'Angle-
terre, la Russie, l'Allemagne, la Prusse et toutes les villes
importantes de l'Italie. A l'âge de vingt ans il écrivit à
Paris la plus grande partie de son Neutonianismo per le
donne ( 1737 ) , à l'imitation de la Pluralité des Mondes ,
de Fontenelle : cet ouvrage commença sa réputation. Alga-
rotti vécut tour à tour à Paris et à Cirey, chez la marquise
du Châtelet, jusqu'en 1739 , où il partit avec lord Baltimore
pour Pétersbourg. A son retour, il passa par Rheinberg , oii
il fut présenté à Frédéric II , qui était alors prince royal.
Quand Frédéric fut monté sur le trône , il appela le savant
Italien à sa cour, et lui conféra le titre de comte pour lui
et ses descendants. Le roi de Pologne, Auguste III, avait éga?
lement une haute estime pour Algarotti ; il lui donna le
titre de conseiller intime. Plus tard , î"rédéric II le lit son
chambellan et chevalier de l'ordre du Mérite. Voltaire faisait
grand cas de lui , et il le célébra dans plusieurs de ses écrits.
Après avoir vécu alternativement à Dresde et à Berlin ,
Algarotti retourna dans sa patrie en 1747. 11 se rendit d'a-
bord à Venise , ensuite à Bologne ; enfin il se fixa à Pise ,
où il mourut en 1764, par suite d'une phthisie. Algarotti
avait fait lui-même le dessin du tombeau que Frédéric lui
fit ériger à Pise. Algarotti possédait des connaissances va-
riées et approfondies : en fait de peinture, de sculpture et
d'architecture, c'était un des plus grands connaisseurs de
l'Europe. Un grand nombre d'artistes se sont formés sons
sa direction. Il dessinait très-bien et ^''^'^'ait à l'eau-forte.
Dans ses ouvrages , qui roulent sur un grand nombre de
sujets , on trouve des vues neuves , des pensées ingénieuses
et brillantes. Ses pensées manquent de chaleur, mais elles
sont pleines de grâce et d'élégance ; ses lettres sont des
modèles de style épistolaire. La dernière édition de ses ou-
vrages a paru à Venise, en dix-sept volumes, de 1791 à
1794. Nous citerons les Snggi sopra le Belle Arti. Ses
Letterefilologiche ont été imprimées à Venise en 1826. Son
Newton ianisme des Dames a été traduit en français, ainsi
que son Essai sur la Peinture.
ALGARVE (de l'arabe cZ Garb, le coucbant), province
administrative (avecle titre de royaume) et lapins méridionale
du Portugal , dont le chef-lieu est Tavira , bornée au sud
et à l'ouest par l'océan Atlantique, au nord par l' Alentéjo,
dont elle est séparée par la Sierra ÎMouchique, et à W>i par
l'Espagne, dont elle est séparée par la Guadiana et la Cliauxa.
Cette province a trente-trois lieues de long sur dix de large,
et renferme 135,000 habitants environ. Elle est traversée
du sud au nord-est par la Sierra Mouchique , et arrosée p.ar
la Guadiana , le Zadao et autres rivières de moindre impor-
tance. La neige ne tombe jamais dans cette contrée , et la
températiire.y est très-douce en hiver. Son territoire monta-
gneux est en général peu fertile; la récolte des céréales est
insulfisante pour la consommation des habitants ; mais elle
produit en quantité des citrons, des oranges, des figues,
des amandes, grenades, dattes, olives, qu'elle livre au com-
merce. Ses vins sont excellents. Il y a des salines, des mines
de sulfure d'antimoine exploitées. Il existe à quelques lieues
de Tavira une mine d'argent et de cuivre. Cette province est
divisée en trois districts, ceux de Tavira, de Lagos cl de
Faro.
La province dont nous parlons, qui était connue des
ALGARVE - ALGÈBRE
wicieii:; Rons le nom de Cimeiis, nVst qu'une partie de
l'ancioniH" Alfiane, qui comprenait en outre une portion du
ton itdirc de l'Andalousie. Cfllc coût réélut l'une des prcinièros
cnn(pKMcs des Arabes en lùirope, et c'est à cu\ (pfelle doit
ton nom. Ils la possédèrent du huitième au treiziiine siècle.
En 1550 .Vlplionse 111 de Portu;4al la prit, et céda en 1254
la portion orientale, à l'est de la Guadiana, au roi Al-
phonse X de Caslille : d'où le nom d\llgaive espagnole
que cette portion conserva longtemps, et celui d'Algarve
portrignise.
ALGAZALI (Abou-Hamed MonAsiMED InN- Mohammed),
encore appelé. l/^?^;?/, né vers 1058, à Tus, dans le Koraçan,
enseigna la philosophie avec éclat à Bagdad, Damas, Jérusa-
lem et Alexandrie. H a combattu .\ristote et les philosophes
arabes qui l'ont précédé; A ver rho es l'a réfuté. Il a laissé
un traité des sciences religieuses, très-estimé des Orientaux.
ALGÈliUE, science dont le nom dérive de l'arabe ol
gebrxral mokdbaln, équation. Tous les pliénomènesde l'u-
nivers se produisant dans le temps et l'espace donnent lien
à des considérations de nombre. L'idée de nombre dut d'a-
bonl paraître à l'homme inhérente aux objets qu'il consi-
d rail. Mais il s'aperçut bientôt que les opérations exécu-
tées sur les nombres restent constamment les mêmes, quelle
que soit la nature des objets auxquels l'idée de nombre est
appliquée. L'esprit humain s'éleva donc à un système de
calculs abstraits, dans lequel le nombre fut dépouilléde toute
valeur concrète; ce fut l'origine de raritlimétique. L'idée
de nombre était ainsi séparée de toute qualité physique, mais
les nombres conservaient leur valeur propre et restaient dé-
terminés quanta la quantité. Plus tard, on arriva à la décou-
verte de ce fait Ccfpital, que les nombres eux-mêmes peuvent
devenir l'objet de nouvelles considérations , abstraction faite
de toute idée de quantité ou de valeur propre attribuée ; ce fut
l'origine de l'algèbre. Ainsi le passage de l'idée de nombre du
concret à l'abstrait a donné lieu à l'arithmétique; le pas-
sage de l'idée de nombre du particulier au général a don-
né naissance à l'algèbre. 11 convient donc d'admettre la dé-
finition qu'a donnée .M. ^Yronski : L'algèbreest la science des
lois des nombres, tandis que l'aiithmétique est la science des
faits des nombres.
L'algèbre, considérée dans toute son étendue, est souvent
désignée sous le nom d'analyse mathématique, et
alors elle comprend non-seulement l'algèbre élémentaire,
mais encore l'algèbre supérieure ou transcendante, qui n'en-
tre pas dans la composition ordinaire des traités d'algèbre.
Newton avait proposé le nom Ci arithmétique universelle
pour désigner la science des nombres dans son ensemble ,
comprenant l'arithmétique et l'algèbre. Ampère , dans sa
classification des connaissances humaines, emploie le mot
arithmologie ; enfin plusieurs mathématiciens distingués se
servent de préférence du mot algorithmie.
L'algèbre représente les nombres et les calculs auxquels
ils peuvent donner lieu d'une manière très-générale par des
symboles conventionnels; et c'est à son système si parfait de
notation que cette branche des mathématiques est redevable
des immenses progrès qu'elle a faits. Les symboles qu'em-
l)loie l'algèbre sont de deux sortes : les ur.s servent à
représenter les (piantiîés ou grandeurs, (juelle que soit d'ail-
leurs leur nature : ce sont les lettres de l'alphabet, soit
latin, soit grec; les autres indiquent les rapports qu'on peut
établir entre les quantités et les opérations qu'on peut leur
faire subir : ce sont les signes. Aussi a-t-onditde l'algèbre
(pi'elle éfait la plus concise, la plus étendue, la (lius com-
mode de toutes les langues que les hommes aient parlées ou
inventées jusque ici. L'exemple suivant, emprunté au Traité
cV Algèbre de Lacroix, le fera encore mieux conipicndre :
Problème. Partager un nombre donné en trois pallies
telles que l'excès de la moyenne sur la plus petite soit un
nond)rt* donné, et (pie l'excès de la plus gnuidc sur la
moyenne soit un astre nombre donné.
803
SoLLTioji. Avec le langage ordinaire. La moyenne partie
sera la plus petite plus l'excès delà moyennesur là plus petite.
La plus grande partie sera la moyenne plus l'excès de la
plus grande sur la moyenne.
Les trois parties réunies forment le nombre proposé.
Donc la plus petite partie, plus la plus petite partie, plus
l'excès de la moyenne sur la plus petite, plus encore la plus
petite partie, plus l'excès de la moyenne sur la plus petite,
plus l'excès de la plus grande sur la moyenne, égalent le
nombre à partager.
Donc, trois fois la plus petite partie, plus deux fois l'excès
de la moyenne sur la plus petite, plus encore l'excès de la
plus grande sur la moyenne, égalent le nombre à partager.
Donc trois fois la plus petite partie égalent le nombre à
partager moins deux fois l'excès de la moyenne sur la plus
petite, et moins encore l'excès de la plus grande sm- la
moyenne.
Donc enfin la plus petite partie égale le tiers de ce qui
reste après qu'on a ôté du nombre à partager deux fois l'excès
de la moyenne sur la plus petite, et encore l'excès de la
plus grande sur la moyenne.
Avec l'écriture algébrique. Soit a le nombre à partager,
b l'excès de la partie moyenne sur la plus petite , c l'excès
de la plus grande sur la moyenne, la plus petite étant x;
la moyenne sera x -\-b;
la plus grande sera x-\-b-\-c.
Donc x-\-x-\-b-\-x-\-b-\-c = a.
Zx-\-2b-\- c — a,
Zx= a — ?.b — c,
a — ib — c
X == .
3
Dans cet exemple on a eu à considérer plusieurs équations
ou a-sseinblages de quantités séparées par le signe d'égalité et
renfermant des inconnues. On a dCi aussi effectuer plusieurs
des opérations fondamentales de l'algèbre, telles que l'addi-
tion, la soustraction, la multiplication, la divi-
sion, etc., pour arriver à la détermination de Vinconnue.
Comme nous l'avons dit, l'algèbre se propose la résolution
de toutes les questions possibles sur les nombres. Or , les
symboles qu'elle emploie étant parfaitement généraux, on
arrive par leur moyen à créer des /or?)î?(/e.s qui non-seule-
ment fournissent la solution des questions particulières,
conformément aux conditions des problèmes donnés, mais
encore permettent d'obtenir la solution de toutes les ques-
tions d'un même ordre. Exemple : La somme de deux nom-
bres dont un surpasse l'autre d'une quantité représentée
par b, est égale à une quantité représentée par a : quels
sont ces deux nombres? Soit .rie plus petit nombre, x-\-b
représentera le plus grand ; et puisque ces deux nombres
ajoutés ensemble sont égaux à une quantité représentée par
G , on a les équations
x-\- x-\-b = a,
{2x-{-b=^a) {2x = a — b)
et par conséquent x-\-b, ou le plus grand des deux nom-
bres, doit être égal à
(^^0
En effet, si k j:, premier membre de l'équation
a
X = —
2
on ajoute -j- &, il faut îijouter la même quantité -\- b nu
.second membre, afin que l'égalité ne soit pas détruite; mais
l'équation
I r " '''il.
304
est susceptible d'ôtre simplifiée , car dans le second membre
nous voyons \-b; ce qui signifie qu'après avoir dimi-
nué - d'une moitié de b, il faut augmenter le reste de b tout
2
entier; par conséquent cela se réduit à ajouter une demi 0,
ou 4- - à - : il vient pour nouvelle équation
a , b
Les valeurs des deux nombres cberchés sont représentées ,
celle du plus petit par
celle du plus grand par
' 2 2
a b ,
Les expressions et
-| — , auxquelles on est défi
a
2 2 2
nitivement parvenu dans la solution du problème ci-dessus
sont desfornuiles. Les formules indiquent la manièrede ré-
pondre sur-le-cbamp à toutes les questions de même nature
dans lesquelles on fait varier seulement les valeurs numé-
riques des données. La première formule
a b
2 " "2
peut se traduire ainsi : Pour avoir le plus petit des deux
nombres, prenez la moitié de la somme a des deux nombres,
et de celte moitié retranchez la moitié de la différence b. En
effet, supposons que la somme donnée soit 4G, et la dilfé-
rence 10 : mettant 46 à la place de a dans la formule ci-des-
sus, et 10 à la place de b, le plus petit nombre égalera
46 10
2 2
OU
46 — 10 36
La seconde formule nous dit : Pour avoir le plus grand des
deux nombres, prenez la moitié de la somme a, et ajoutez-
y la moitié de la différence b ; celte dernière somme satisfera
à la demande. Mettons donc 46 à la place de a et 10 à la
place de b dans celle formule , nous aurons : le plus grand
nombre égale
46 , 10 56
^ - = — = 28.
2 2 2
Ces résultats sont exacts , car
28 -i- 18 = 46, et 28 — 18 — 10.
La formule que nous avons employée pour arriver à la
solution de cette question est d'une application jiénérale. Si
donc on prend d'autres nombies pour la somme et la diffé-
rence données, on obtiendra également la solution de la
nouvelle question ainsi que de toutes les questions de ce
genre. Dès lors on conçoit tout l'avantage que présentent
les formules algébriques, puisqu'il siiftit d'exécuter, pour
ainsi dire, mécaniciuement les calculs indiqués par ces for-
mides suivant la nature du problème à résoudre. Le raison-
nement dont elles sont l'expression a été fait une fois pour
toutes; et si le matériel du calcul cbangc avec les nombres
donnés, l'ordre et la nature des opérations à pratiquer res-
tent invariablement les mêmes. 11 suffirait donc à l'esprit
humain de posséder un tableau de formides propres à dé-
terminer les calnds auxquels donne lieu chaque ordre de
questions numériques, pour qu'il arrivât infailliblement à la
.solution de toutes les questions ou phénomènes particuliers
dans lesquels ces lois préalablement établies reçoivent nue
réalisation concrète.
ALGEBRE
On a distingué l'algèbre Hî»Ht'rîi7?/e et l'algèbre spectCM5c
on litlvralc. La première est celle des anciens algébristes;
elle n'a été employée que dans la résolution de questions
arithmétiques. La quantité cherchée y est exprimée par
une lettre, mais son < "efficient et les quantités données
sont représentés par des nombres. La seconde est celle où
toutes quantités, connues ou inconnues, sont exprimées par
des lettres d'une manière générale. Elle mérite seule le nom
d'algèbre.
Nous n'avons point à parler ici du calcul algébrique pro-
prement dit, non plus que de l'application de l'al-
gèbre à la géométrie; nous renvoyons aux articles
spéciaux.
On a longtemps agité la question de savoir à quelle époque
et dans quelle contrée l'algèbre fut inventée, quels sont sur
cette matière les plus anciens écrivains , quelle fut la marche
de ses progrès, et enfin de quelle manière et dans quel temps
cette science s'est répandue en Europe. C'était une opi-
nion généralement admise dans le dix-septième siècle que
les anciens mathématiciens grecs durent posséder une ana-
lyse de la nature de notre algèbre moderne, à l'aide de la-
quelle ils découvrirent les théorèmes et la solution des pro-
blèmes que l'on admire le plus dans leurs ouvrages. On
croyait qu'ils cachaient soigneusement leurs moyens de
recherche, pour ne donner que les résultats obtenus en
les accompagnant de démonstrations synthétiques. Cette
idée ne saurait être admise aujourd'hui. Une plus pro-
fonde connaissance des ouvrages des anciens géomètres a
prouvé qu'ils avaient une analyse, mais que cette analyse
était purement géométrique et essentiellement différente de
notre algèbre. Vers le milieu du quatrième siècle de l'ère
chrétienne, dans un temps où la science des mathématiques
commençait à tomber en décadence, ceux qui la cultivaient,
au lieu de produire des ouvrages originaux, se contentèrent
de commenter ceux de leurs plus illustres prédécesseurs, et
ils y firent des additions importantes. Tel fut le traité de
Diop hante sur l'arithmétique, qui originairement se com-
posait de treize livres , mais dont les six premiers seulement,
et une partie d'un autre, qui traite des nombres polygones,
et qu'on suppose être le treizième, sont parvenus jusqu'à
nous. Ce fragment précieux ne nous donne rien qui res-
semble à un traité complet sur l'algèbre, il s'agit plutôt
d'une classe particulière de questions arithmétiques qui
appartiennent à ce que l'on appelle maintenant l'analyse
indclcnninee. Diophanle peut avoir été l'inventeur de l'al-
gèbre chez les Grecs; mais il est plus vraisemblable que les
principes de cette science n'étaient pas inconnus de son
temps, et que, la prenant dans l'état où il la trouva comme
la base de ses travaux, il l'enrichit de nouvelles applica-
tions. Les élégantes solutions de ce mathématicien montrent
(pi'il possédait une grande habileté dans la branche parti-
culière dont il s'occupa, et qu'il était bien capable de ré-
soudre les équations déterminées du second degré; pioba-
blement ce lut là la plus grande extension donnée à la
science chez les Grecs, l-u effet, dans aucun pays elle ne
dépassa ces limites jusqu'à ce qu'elle eut été transportée
en Italie lors de la lîenaissance. La célèbre Hypatia, fille
de Théon , composa un commentaire sur l'ouvrage de Dio-
plianîe, mais il n'est point parvenu jusqu'à nous, non plus
qu'un semblable travail de cette illustre mathématicienne
sur les coniques d'Apollonius.
"N'ersle milieu du seizième siècle, le texte grec des œuvres
de Diopbante fut découvert à Piome, dans la bibliothèque
du Vatican, où probablement il avait été apporté lorsque
les Turcs s'emparèrent de Constantinople. Une traduction
latine fut publiée par Xylander en 1575, et une autre tra-
duction beaucoup plus complète, accompagnée d'un com-
mentaire, fut publiée en 1621 parBachet deMéziriac, l'un
des plus anciens membres de l'Académie Française. Uachet
élait éminemment savant dans l'analyse indéfinie, et par
ALGKBRE
ron'=t'iuient bien capable île commenter son original; mais
le le\U- tle Dioplumle était tellement altéré, qu'il fut sou-
vent obligé lien deviner le sens , ou «le suiipléer ce qui
manquait. Quelipie tem|)s après, le célèbre mathématicien
français Fermât, dans ses additions au commentaire de
Hacliet sur les ouvrages de l'algébriste grec , y ajouta des
notes de la plus haute importance, et son édition, la meil-
leure de celles qui existent, parut en 1C70.
lîien qu'il faille regarder la découverte des ouvrages de
Diophanle con)mc un événement important dans l'histoire
des mathématiques, cependant ce ne fut point par eux que
l'algèbre conmiença d'être connue en Europe. Il parait que
cette admirable invention, ainsi que les caractères arithmé-
tiques dont nous nous servons aujourd'hui, nous viennent des
Arabes. Ce qui est certain, c'est qu'ils recueillirent avec soin
les ouvrages des mathématiciens grecs, les traduisirent
dans leur langue, et cherchèrent à les éclairer par des com-
mentaires. Les Arabes attribuent l'invention de l'algèbre à un
de leurs mathématiciens, Mohammed-lîcn-!Musa ou Mosès,
nommé aussi Mohammed de Buzana , qui florissait vers le
milieu du neuvième siècle. Quoi qu'il en soit , il est cons-
tant que cet écrivain composa un traité sur la matière, car
pendant un temps il en exista en Europe une traduction
italienne, qui est perdue aujourd'hui. Heureusement une co-
pie de l'original arabe, dont la date de transcription corres-
pond à l'année 1342 , se retrouva dans la bibliothèque Bod-
iéienne, à Oxford. Le titre de ce manuscrit prouve l'Identité
de son auteur avec l'ancien mathématicien arabe; une note
marginale , qui déclare plus loin que l'ouvrage est le premier
traité sur l'algèbre composé parmi les croyants , vient en-
core confirmer cette identité. Du reste, les sciences mathé-
matiques firent peu de progrès entre les mains des Arabes.
L'algèbre resta chez eux presque dans le même état de-
puis leurs premiers écrivains sur cette matière jusqu'à Be-
hujidiu, l'un des derniers, qui vécut entre les années 953
et 1031.
On a de fortes raisons de croire que les nations européennes
sont en partie redevables de cette science à un marchand de
Pise, nommé Leonardo Bonaccio.qui avait résidé dans sa
jeunesse en Barbarie , et que ses affaires de commerce
conduisirent successivement en Egypte, en Syrie , eu Grèce
et en Sicile; il dut se familiariser avec les différents sys-
tèmes de numération en usage dans ces divers pays. Le sys-
tème indien lui parut de beaucoup le meilleur. En con-
séquence , il en fit une étude spéciale , et , joignant à la
connaissance qu'il parvint à en acquérir quelques idées qui
lui étaient propres , s'aidant en outre de la géométrie d'Eu-
clide, il composa un traité sur l'arithmétique. A cette époque
l'algèbre n'était considérée que comme une extension de cette
science. Elle en était, en effet, la partie la plus élevée, et
sous ce rapport ces deux branches furent traitées dans l'ou-
vrage de Leonardo, qui dans le principe parut en 1204,
et fut ensuite publié en 1228 , après avoir été refondu. 11 ne
faut pas oublier que cet ouvrage fut composé deux siècles
avant l'invention de'l'imprimerie , et comme le sujet n'était
pas d'un intérêt général, il n'est pas étonnant qu'il ait été peu
connu : aussi demeura-t-il manuscrit, de même que quel-
ques autres traités du même auteur, qui restèrent oubliés
jusque vers le milieu du siècle dernier, où on les découvrit
à Florence, dans la bibliothèque Magliabecchia. Les con-
naissances de Leonardo ne s'étendirent guère plus loin que
celles des écrivains arabes ses prédécesseurs. 11 résolut les
équations du premier et du second degré , et il était spécia-
lement versé dans l'analyse de Diophante. Comme il avait
aussi de grandes connaissances en géométrie, il les em-
ployait pour la démonstration de ses règles algébriques.
De même que les mathématiciens arabes , il se servait, dans
ses raisonnements, de mots entiers , mode on ne peut plus
défavorable au progrès de la science. L'usage des signes et
l'art de les combiner afin de pouvoir embrasser ù'un seul
DICT. ne l.A COSVF.RS. — T. I.
305
coup d'œil une longue suite de raisonnements sont une in-
vention bien postérieure à Leonardo.
Entre le temps où vivait cet algébriste et l'invention de
l'imprimerie on cultiva l'algèbre avec une attention particu-
lière. Des professeurs l'enseignèrent publiquement. Plusieurs
traités furent comjiosés sur cette partie de la science, et deux
ouvrages des algébristes orientaux filrent traduits de l'arabe
en langue italienne. Le plus ancien livre imprimé sur l'algèbre
fut composé par un frère mineur nomme Lucas Paciolo ou
Lucas de lîorgo. Cet ouvrage, imprimé pour la première fois
en 1404, et réimprimé en 1523, avait pour titre : Summa
de Âritfimetica , Geometrin, Proportione et Proportio-
nal'tta. C'était pour le temps où il parut un traité complet
d'arithmélique, d'algèbre et de géométrie; Paciolo a de plus
le mérite particulier de nous avoir conserve les ouvrages de
Leonardo , sur les traces duquel il marcha pas à pas. Sous
le rapport de la commodité et de la brièveté d'expression ,
l'analyse algébrique était encore fort imparfaite au temps de
Lucas de Borgo. Les seuls signes employés étaient de lé-
gères abréviations faites aux mots ou aux noms qui se ren-
contraient dans la suite des calculs, espèce de tachygra-
phie, qui était bien loin de la perfection du système de signes
dont on se sert aujourd'hui.
L'application de l'algèbre était encore à cette époque ex-
trêmement limitée. Les algébristes s'arrêtaient alors à la
soluiion des équations du premier et du second degré, et
ils classaient ce second degré en différentes catégories, à
chacune desquelles était adaptée une méthode particulière
de solution. On ne connaissait point encore cet important
résultat de l'analyse au moyen duquel la résolution de tous
les cas d'un problème peut être comprise dans une seule
formule, qui elle-même peut être obtenue par la solution
d'un seul de ces cas avec un simple changement des signes.
On resta si longtemps sans comprendre cette vérité, que le
docteur Halley s'étonnait de ce qu'une formule d'optique
qu'il avait trouvée pouvait donner, à l'aide d'un simple chan-
gement de signes , le foyer des deux rayons convergents
et divergents, qu'ils soient réfléchis ou réfractés par un mi-
roir ou une lentille convexe ou concave , et que JMolyneux
pariait de l'universalité de la formule d'Halley comme d'une
chose qui tenait de la magie.
L'algèbre est indépendante des principes de la géométrie,
quoique dans bien des cas ces deux sciences puissent se
prêter un secours mutuel. En effet, d'après l'exemple de
Leonardo, Lucas de Borgo jugea convenable d'employer
les constructions géométriques à prouver la vérité des règles
à l'aide desquelles il résolvait les équations du deuxième
degré, dont il ne comprenait pas complètement la théorie.
Il résuma ses méthodes en vers latins, qui sont loin de va-
loir son poème, bien connu, qui a pour titre : V Amour des
Triangles.
La science resta presque stationnaire depuis le temps de
Leonardo jusqu'à celui de Paciolo , pendant une période
de trois siècles. Mais l'invention de la typographie donna
une grande impulsion à toutes les sciences mathématiques.
Jusque là une imparfaite théorie des équations du deuxième
degré était le point le plus avancé où la science frtt par-
venue. Mais enfin cette bariière fut franchie, et vers l'année
1505 un cas particulier d'équations du troisième degré fut
résolu par Scipion Ferreo, professeur de mathématiques à
Cologne. C'était un pas important, parce qu'il montrait que
la difficulté de résoudre les équations d'un ordre plus élevé,
au moins celles du troisième degré, n'était poii.t insurmon-
table, et qu'une nouvelle route était ouverte à la décou-
verte. A cette époque ceux qui cultivaient l'algèbre avaient
pour habitude lorsqu'ils avaient (ait un pas de le cacher
soigneusement à leurs contemporains, et de les délier à
résoudre des questions d'arithmétique posées de telle sorte
que pour les résoudie il fallait absolument connaître la
nouvelle règle par eux trouvée. Ferreo lit donc un secret da
■M
306
ALGÈBRE
sa df'coiivertc. Il fa communiqua cependant h nn Vénitien
nommé Floriilo, son disciple favori. Vers Tan 1535, celui-ci,
ayant fixé sa résidence à Venise, défia Tartaglia de Dres-
cia, homme d'un grand mérite, à lutter de science en ré-
solvant des problèmes au moyen de Talgèbre. Flondo posa
ses questions de manière que pour les résoudre il fallait
connaître la règle que lui avait ajiprise son maître Ferreo.
Mais cinq ans -auparavant Tartaglia avait devancé Ferreo,
et il était pour Fiorido un adversaire trop redoutable. Il ac-
cepta donc le défi, et un jour fut désigné dans lequel cha-
cun d'eux devait proposer à son adversaire trente questions.
Avant le jour indiqué il se remit à travailler les équations du
troisième degré, et il découvrit la solution de deu\ nouveaux
cas en sus des deux qu'il avait déjà trouvés. Les questions
de Fiorido furent telles qu'on n'avait besoin pour les ré-
soudre que de la règle de Ferreo, tandis qu'au contraire
celles de Tartaglia ne pouvaient être résolues que par l'une ou
l'autre de trois des règles que lui-même avait trouvées, sans
pouvoir l'être par la quatrième , qui était aussi connue de
Fiorido. On comprend facilement d'avance l'issue de la
lutte; Fiorido ne put résoudre une seule des questions de
son adversaire, tandis que Tartaglia résolut toutes les
siennes en deux heures.
Cardan était contemporain de Tartaglia. Cet homme re-
marquable, médecin et professeur de mathématiques à Milan,
était alors sur le point de terminer l'impression d'un ouvrage
sur l'arithmétique, l'algèbre et la géométrie. Mais, désirant
ardemment enrichir son livre des découvertes de Tartaglia,
qui fixaient à cette époque l'attention du monde savant
en Italie, il s'efforça de tirer de lui la révélation de ses
règles. Tartaglia résista longtemps aux prières de Cardan ;
mais enfin, vaincu par ses importunités et par l'offre qu'il
lui fit de jurer sur les saints Évangiles, l'honneur d'un gen-
tilliomme et la foi d'un chrétien, de ne jamais les publier,
et de les employer en chiffres, de telle sorte que mèn.e
après sa mort elles ne pussent être intelligibles pour qui
que ce fût, il s'aventura, après beaucoup d'hésitation, à lui
révéler ses règles prati(pies, et il lui en donna la clef en
quelques vers italiens, qui étaient eux-mêmes, jusqu'à un
certain point, fort énigmatiques : il en retint toutefois la dé-
monstration. Cardan eut bientôt découvert la raison des
règles, et même il les perfectionna tellement qu'il se les
appropria en quelque sorte. De l'essai imparfait de Tartaglia
il déduisit une méthode ingénieuse et systématique poi:r
résoudre toutes les équations du troisième degré , quelles
qu'elles soient. Mais, oubliant bientôt la parole sacrée qu'il
avait donnée, il publia en 1345 les découvertes de Tartaglia
combinées avec les siennes, comme supplément à son traité
sur l'arithmétique, l'algèbre et la géométrie, qu'il avait pu-
blié six ans auparavant. Cet ou\Tage est remarquable pour
avoir été le second livre imprimé sur l'algèbre. L'année sui-
vante Tartaglia publia aussi un ouvrage sur l'algèbre, qu'il
dédia à Henri VIII, roi d'Angleterre.
Le pas que fit ensuite la science de l'algèbre fut la décou-
verte de la méthode pour résoudre les équations du qua-
trième degré. Un algébriste italien proposa une question qui
ne pouvait être résolue par les règles nouvellement inven-
tées. Quelques-uns prétendaient que ce problème était im-
possible à résoudre ; mais Cardan ne partageait pas cette
opinion : il avait un élève , nommé Ludovico Ferrari , jeune
lioumie d'un grand génie, et qui étudiait avec ardeur l'a-
nalyse algébrique. Cardan lui confia la solution de cette
difficile (luestion, et il ne fut point trompé dans son attente :
non-seulement Ferrari résolut le problème , mais encore il
trouva une méthode générale pour résoudre les équations
du quatrième degré , en la faisant procéder de la solution
des équations du troisième degré. C'était là un immense
progrès, que n'ont point encore dépassé les plus grands
elforts de l'analyse moderne. Vers le milieu du seizième
siècle, un matliématicicn allemand, Stifcl, dans son ouvrage
intitulé Arithmctïca intégra, inventa les signes de l'addi-
tion ( + ) et de la soustraction ( — ), ainsi que le radical
(v/)- Le premier traité sur l'algèbre écrit en anglais fut
composé par Recorde, médecin et professeur de mathéma-
tiques à Cambridge. Recorde publia un traité d'arithmé-
ti(iue dédié à Edouard VI, et un autre sur l'algèbre intitulé :
tlie Whclslone of Wit, etc. Il y introduisit pom- la pre-
mière fois le signe indiquant l'égalité ( = ). Il fit choix de ce
symbole parce que, dit-il, il ne peut y avoir deux choses plus
égales entre elles que deux lignes parallèles. Raphaël Bom-
binelli ( 1579) et Richard Steven (1585) ajoutèrent quelques
perfectionnements à la science.
Enfin, parut Vie te, mathématicien français, qui fit faire à
l'algèbre un pas de géant. Le premier il employa des caractè-
res généraux pour représenter des quantités connues et incon-
nues. Ce progrès, qui paraît si simple, eut cependant d'im-
portantes conséquences. On doit regarder Viète comme lo
premier qui ait appliqué l'algèbre à l'avancement de la géo-
métrie. Les anciens algébristes avaient en effet résolu des
problèmes géométriques , mais chaque solution était parti-
culière; tandis que S'iète en introduisant ses signes géné-
raux donna des formules générales, qui étaient applicables
à tous les problèmes de la même espèce. L'heureuse ap-
pHcation de l'algèbre à la géométrie eut d'immenses consé-
quences ; elle conduisit Viète à la doctrine des sections an-
gulaires. 11 trouva aussi la théorie des équations algébriques,
et il fut le premier qui donna une méthode générale pour les
résoudre par approximation. Comme il vécut entre l'année
1540 et l'année 1603, ses ouvrages appartiennent à la der-
nière période du seizième siècle. Il les fit imprimer à ses
frais, et les distiibua généreusement à ceux qui s'occupaient
de la science.
Le mathématicien flamand Albert Gérard étendit la théo-
rie des équations un peu plus loin que Viète , mais il n'ap-
profondit pas entièrement leur composition ; il fut le premier
qui introduisit l'usage du signe négatif dans la résolution
des problèmes géométriques, et le premier aussi il parla
des quantités imaginaires, sujet qui cependant ne fut
pas bien approfondi , et il en inféra , par induction , que
chaque équation a autant d'espèces qu'il y a d'unités dans
le nombre qui exprime les degrés. Son Algèbre parut en 1629.
Thomas Harriot, mathématicien anglais, né à Oxford,
en 15G0 , est auteur de découvertes importantes en algèbre :
le premier il égala au besoin les équations à zéro , en fai-
sant passer le second membre du même côté que le premier,
et en affectant ses ternies d'un signe contraire à celui qu'ils
avaient ; mais il ne fit pas tout l'usage qu'il aurait pu de cette
méthode. Le prmcipal service qu'il ait rendu aux mathé-
matiques, c'est d'avoir observé que toutes les équations
d'ordre supérieur sont des produits d'équations simples :
cette découverte est d'une grande importance. 'Wallis,
mathématicien anglais , a fait l'impossible pour prouver que
Harriot fut au-dessus de tous les algébristes de son époque.
Sous le rapport de l'invention , les ï'rançais , jaloux de la
gloire si bien méritée de leur compatriote Viète, prouvent,
sans beaucoup de difficulté, que Harriot ne fut en grande
partie que son imitateur. D'ailleurs, la préface que Harriot
mit à la tête de ses ouvrages donne un démenti formel aux
assertions de Wallis. Au reste, Harriot occupe une des pre-
mières places dans le rang secondaiie des mathématiciens.
Les signes < et > (plus petit et plus grand ) sont de son in-
vention. Ougthred à la même époque introduisit le signe X
pour désigner la multiplication.
Après eux parut Descartes. Ce grand géomètre ouvrit un
vaste champ de découvertes en appliquant l'algèbre à la
théorie des lignes courbes. En rapportant chaque point
d'une courbe à ses coordonnées, il exprima le rapport
entre les différents points au moyen d'une équation qui
sert de caractéristique pour distinguer la courbe, et dont
on peut déduire toutes ses didérentes propriétés géouaé-
ALGÈBRE — ALGER
triques à l'aide des procédés ordinaires de l'algèbre. Des- I
cartes indiqua en outre sa manière de construire ou de repré-
senter géométriquement les équations des degrés supérieurs.
Il donna une régie pour résoudre une équation du quatrième
degré au moyen d'une équation cubique et de deux équations
du seœnd degré.
Depuis, une foule de simplificalions nouvelles ont été
apportées dans les notations; l'usage des exposants in-
tro<luit par Descartes est devenu général ; l'algèbre a (Hé
encore perfectionnée dans tous ses détails , et on en a sin-
gulièrement étendu et varié les applications. Citons pour
mémoire la découverte des logarithmes par Néper, les
calculs de Kepler sur les surfaces formées par la révolution
des lignes courbes, la géométrie des indivisibles de Cava-
lieri, l'arithmétique des infinis de Wallis, et par-dessus
tout la méthode des fluxions de Newton, et le calcul
intégral et différentiel de Leibnitz. Les travaux
derHospital,deRoberval,deFermal,d'Huygeus,
des deux Bernoulli, de Herman, de Pascal, de
Barrow, de James Gregory, de \Yren, de Cotes, de
Lambert, de Taylor, de Halley, de Moivre, de
M a cl au ri n, de Slii-ling, de D'Alenibert , de Mau-
pertuis, d'Euler, agrandirent encore le domaine de la
science. Plus tard, Lagrange créa la théorie dest'onc-
tions analytiques. Laplace appliqua une analyse sa-
vante à la mécanique céleste; enfin les investigations de
Legendre, Poisso n, Abel, Gau s s , Wronski,
C au c hy, Sturm ,etc., ont encore accru la somme de nos
connaissances dans l'analyse et perfectionné ses méthodes
d'investigation.
L'attention des savants s'est portée dans ces derniers temps
sur une branche nouvelle de l'histoire de l'algèbre : nous
voulons parler du haut degré de perfection que cette science
avait atteint dans les Indes. C'est à M. Reuben-Barow que
nous sommes redevables des premières notions sur ce point
intéiessant. Le désir d'éclaircir l'histoire des sciences mathé-
matiques le décida à faire une collection de manuscrits orien-
taux, dont quelques-uns, en langue persane, furent légués
à M. Calby, professeur au Collège royal militaire, qui vers
l'année ISOO les communiqua à tous ceux que ce sujet pou-
vait intéresser. En 1813 M. Edouard Stracliey traduisit
du persan le Bija Gannita ( ou Vija Ganïta ), traité indou
sur l'algèbre, et en 1816 le docteur Taylor publia à Bom-
bay une traduction du Lilavati faite sur le sanscrit original.
Ce dernier ouvrage est un traité sur l'arithmétique et la
géométrie, et tous deux ont été faits par un algébriste orien-
tal, Bhascara-Acharya. Enfin, en 1817 parut l'ouvrage
intitulé : Algèbre , Arithmétique , l'Art des Mesures, tra-
duit du sanscrit de Brahmegupta et Bhascara par Henri
Thomas Colebrooke. Cet ouvrage contient quatre traités
diflérents, originairement écrits en vers sanscrits, savoir :
le Vija Gonita, et le Livati de Bhascara Acharya , et les
Ganita d'Haya et Cuttaca d'Hyaya de Brahmegupta. Les
deux premiers forment la partie préliminaire du cours d as-
tronomie de Bhascara , intitulé : Sldd' hanta Siromanï , et
les deux derniers sont le douzième et le dix-huitième cha-
pitre d'un cours semblable d'astronomie intitulé : Bralima-
Sidd' hanta. Le temps où écrivait Bhascara est fixé avec
la plus grande certitude, par son propre témoignage et
d'autres circonstances , vers l'année 1 150 de l'ère chrétienne.
Les ouvrages de Brahmegupta sont extrêmement rares , et
l'époque à laquelle il vécut est très-incertaine. On sait
que le traité de Bralime{?iipta ne fut pas le premier ouvrage
écrit <!ans l'Imle siu- la matière. Ganessa , astronome et
mathématicien distingué, et le plus célèbre des commenta-
teurs de Bhascara, cite un passage d'un auteur beaucoup
pins ancien, Arya Chatta, qui est regardé par d'autres com-
mentateurs comme le chef des anciens écrivains. Non-seu-
lement les Hindous applicjuèrent l'algèbre à l'astronomie et
à la géométrie, mais réciiiroipiemcnl ils appliquèrent la
807
géométrie à la démonstration des règles algébriques. En
effet , ils cultivèrent l'algèbre avec beaucoup d'assiduité et
beaucoup plus de succès que la géométrie : l'état peu avancé
de leurs connaissances dans cette dernière science et le haut
degré de perfection qu'ils avaient atteint en algèbre le
prouvent incontestablement. M. Colebrooke établit une
comparaison entre les algéliristes indiens et Diophante, et
il arrive à conclure que, tout considéré , les premiers ont
été plus loin dans la science que ce dernier. Suivant lui ils
ont le mérite d'avoir atteint et même dépassé les décou-
vertes modernes dans la solution des équations du quatrième
degré ; d'avoir trouvé des méthodes générales pour la solu-
tion des problèmes indéterminés du premier et du second
degré, dans lesquelles ils sont allés beaucoup plus loin que
Diophante et ont primé les découvertes des algébristes grecs;
d'avoir appliqué l'algèbre aux recherches astronomiques et
aux démonstrations géométriques , dans lesquelles ils ont
aussi touché quelques matières qui ont été inventées dans
les temps modernes.
Les applications de l'algèbre sont nombreuses , et c'est
une des raisons pour lesquelles on ne saurait trop apprécier
cetîe science admirable. Dépourvues de ses secours , où en
seraient la géométrie supérieure, la mécanique, l'astronomie
et la physique? L'algèbre est la ba^e de la trigonométrie,
dont les calculs sont d'un continuel emploi dans la naviga-
tion ; la stéréotomie lui emprunte ses formules ; l'astronome,
guidé par elle, trace plusieurs siècles d'avance la route des
comètes, ou découvre, plus sûrement qu'avec un télescope,
des astres jusque alors inconnus. Non-seulement elle contribue
partout à de nouvelles conquêtes de l'esprit humain; mais
elle offre le précieux avantage de la rapidité des moyens :
et si l'on en voulait un exemple , il suffirait de comparer
la détermination des éclipses chez les anciens et chez les
modernes.
ALGEMAD. Voyez Al-Djiiied.
ALGÉNÎB , une des deux étoiles secondaires de la cons-
tellation de Pégase.
ALGER, ville principale de l'Algérie, chef-lieu du
département de son nom et siège du gouvernement général
des possessions françaises dans le nord de l'Afrique , est
située sur la Méditerranée , vis-à-vis de IMajorque , par
0''39'43" de longitude orientale et 36" 48' 36" de latitude sep-
tentrionale , à sept cents kilomètres de Toulon et à huit
cents kilomètres de Marseille, trajet que l'on fait ordinaire-
ment en quarante-huit heures. Alger possède un évêché suf-
fragant d'Aix, érigé en 183S, une pretécture, une académie
d'instruction publique, une cour impériale, un tribunal de
première instance , un tribunal et une chambre de com-
merce, une ban(i,ue, un mont-de-piété et une caisse d'é-
pargne, etc. Il s'y publie plusieurs journaux : VAkhbar; le
Mobacher, journal arabe français; ['Algérie nouvelle, etc.
On y trouve en outre un théâtre.
Cette ville, que les Arabes appellent al Djézaïr (l'Ile), et
qui paraît occuper la place de l'antique Jcosium, est bâtie
en arnphitliéàtre, sur une colline décent dix-huit mètres d'é-
lévation , dont elle occupe tout le penchant qui fait face à la
mer. Elle a ainsi la forme d'un triangle dont le plus grand
côté, lui servant de base, s'appuie sur le rivage, et au sommet
duquel se trouve la Casbah, ou citadelle. Ses maisons, blan-
chies et terminées par des terrasses, offrent une mas.se
non interrompue qui s'aperçoit à une grande dislance en
mer. Le grand nombre de maisons de campagne dont elle
est environnée lui donnent l'aspect d'une ville riche et com-
merçante.
On compte à Alger et sa banlieue 60,647 habitants, dont
18,722 indigènes, parmi lesquels il y a des Arabes, des
Kabyles, des Israélites et des nègres. Par décret du l'^'' mai
18.^4, la municipalité d'Alger se compose d'un maire, de trois
adjoints domiciliés à Alger, de trois adjoints pour les sec-
tions suburbaines, nommés par l'empereur sur le rapport du
808
luinistie delà guerre et d'.ip'fîs •'* proposition du j^oiivcr-
neur général, et d'un consoil iiiuiiici|ial de seize iiieiid)ie.s,
dont dix Français ou naturalises, trois étrangers, deux in-
digènes musulmans , un indii;èiie israélite, noimucs par le
gouverneur général sur la prtsenlatiou du préleL
Alger se trouve vers l'ouverture occidentale d'une vaste
baie occupant un espace de s à !) milles, de l'est à l'ouest,
ayant près de 4 milles de profondeur, et à l'ouverture orien-
tale de laquelle est le cap Matifou. Au fond de celte baie
est l'embouchure de l'Harach, larf;e de quarante mètres,
mais souvent obstruée par un banc de sable. L'ancienne rade
d'Alger était complètement ouverte aux vents du large ; la
petite darse qui formait le port avait été construite à l'extré-
mité ouest et à l'entrée de cette rade. Sa fondation remonte à
l'an 1 5.30. Elle est l'ouvrage de Khair-Eddin, frère de Bar-
berousse, qui, s'étant rendu maître d'un petit ilôt situé en face
de la ville, sur lequel les Espagnols avaient une forteresse,
résolut, pour s'en assurer la possession, et en même temps
pour avoir devant Alger un port à l'abri des vents et de la
mer du large , de la réunir à la ville au moyen d'une jetée
qu'on nomme la jetée Khair-Eddïn. Elle a cent soixante-
(piinze mètres de longueur, trente-six mètres de largeur en
couronnement ; sa direction est à peu près celle de l'est-
nord-est à l'ouest-sud-ouest. Indépendamment de la jetée
Kliair-Eddin, on en a construit une seconde, parallèle à
la direction de l'île , et qui couvre le port des vents de
l'est : c'est celle que l'on nomme le Môle proprement dit.
Elle a cent vingt-cinq mètres de longueur, et quatre-vingt-
quinze niètres dans sa plus grande largeur; sa direction
est du nord-ouest au sud-ouest. Ces deux jetées avec le
petit môle du lazaret formaient l'enceinte de la darse, qui
avait trente-neuf mille huit cent douze mètres carrés de
superlkie, et pouvait contenir soixante bâtiments, dont trente
environ du port de trois cents tonneaux, et quelques-uns seu-
lement de huit cents tonneaux. Les navires d'un plus tort
tonnage mouillaient hors de la darse , exposés à mille acci-
dents. Depuis 1836 on a entrepris de grands travaux pour
agrandir ce port. Au moyen d'énoinies blocs de béton de
soixante à quatre-vingt-dix mètres cubes chacun, on a pro-
longé une jetée en avant du môle et dans la direction de
l'ouest au nord, qui doit garantir les na\ires des vents du
large et les défendre au besoin contre les entreprises de
l'ennemi. Une autre jetée partant de terre aux environs du
fort Bab-Azoun doit un jour compléter l'enceinte du port
d'Alger. La roche, sans nom, qui gênait, a été dérasée.
Sur le petit îlot dont nous avons parlé, et qu'on nomme
la Marine, se trouvent un parc d'artillerie et d'autres éta-
blissements maritimes; près de la jetée Khaïr-Eddin il
existe un phare, mal entretenu par les Turcs, mais possé-
dant aujourd'hui, à trente-cinq mètres d'élévation au-dessus
du niveau de la mer, un feu tournant de quatrième gran-
deur, à éclipse, et visible jusqu'à cinq lieues en mer. Près de
là il y avait une poudrière qui fit explosion le 8 mars 1845.
Aussitôt après la prise d'Alger on s'occupa d'assurer
la défense de la place. Les abords de la Casbah furent dé-
gagés des maisons qui les obstruaient; de nouveaux aligne-
ments de rues furent tracés; en même temps qu'au fort
de l'Empereur la brèche causée par l'explosion qui nous
avait ouvert cet ouvrage était réparée, on s'empressait d'a-
méliorer à l'intérieur d'Alger tout ce qui pouvait augmenter
sa résistance contre une attaque. Des déblais étaient entrepris
au fort Neuf pour l'envelopper d'un fossé, et assainir ainsi
les beaux souterrains (jui s'y trouvaient; une batterie terr;isscc
à barbette était élevée près de la Pêcherie; on restaurait
les ]>arties d'enceinte avoisinant la rue Macaron ; néanmoins
la faiblesse de l'enceinte turque fit entreprendre une nouvelle
muraille bastionnée, en 1841. Comme les projets d'agian-
«lissement du port lui assignaient l'espace compris entre le
fort Bab-Azoun et la darse existante, l'enceinte nouvelle
dut s'étendre jusqu'à ce fort, et par suite le faubourg Bab-
ALGER
Azoun fut enfermé dans la ville nouvelle. L'enceinte turque,
qui séparait la ville de ce faubourg, a depuis été démolie, ef
le reste de l'enceinte rectifié et fortifié , en même temps
que la citadelle ou Cnsbah était agrandie et pourvue des
établissements nécessaires. De plus , Alger a été couvert
d'une ligne de forts détaclu'S.
Le faubourg Bab-.\zoun , qui avant la conquête était dé-
sert et int(>ct, s'est couvert de belles maisons et d'établisse-
ments importants, construits suivant des alignements régu-
liers. Il est devenu le plus beau quartier de la ville. —
Du côté opposé, à l'ouest d'Alger, se trouve le faubourg Bab-
el-Oued.
Le palais du gouverneur est un hôtel successivement
agrandi et embelli. De belles casernes ont été construites, des
prisons appropriées; les services publics ont été installés
convenablement, dans des locaux choisis à cet elfet, au fur
et à mesure des besoins. Enfin les souterrains, assainis et
réparés, ont pu servir de magasins d'approvisionnements.
La calhédrale d'Alger est sous l'invocation de saint
Philippe. C'est une ancienne et fort jolie mosquée. Ses pro-
portions n'étant pas d'abord celles qui convenaient à une
église métropolitaine , des travaux importants de res-
tauration et d'agrandissement furent entrepris pour doubler
la superficie de l'édifice et y anneser toutes les dépendances
nécessaires. Les travaux ont été exécutés dans le style
mauresque de l'ancienne mosquée.
Une maison mauresque des plus élégantes a été affectée
à l'évêché d'Alger ; elle est située en face de la cathédrale, et
dans ses dépendances sont logés les chanoines et les prêtres
de Saint-Philippe.
L'église Saint- Augustin, rue Bab-el-Oued, est une ancienne
mosquée qui depuis l'occupation avait été affectée au ser-
vice du campement. Des travaux d'appropriation ont été
exécutés dans son intérieur, et elle sert d'église paroissiale
pour le quartier de Bab-el-Oued.
Le temple protestant , commencé en 1843, a été achevé
en 1845. Un logement pour le pasteur et une école y sont
annexés.
Alger possède en outre quatre grandes mosquées et une
trentainede petites, deux grandes s}Tiagoguesetdou7.e petites.
Vhospice civil est établi dans l'ancienne caserne des ja-
nissaires de Kharratine. Eu ISSlon établit l'hôpital de la
Salpétrière hors de la porte de Bab-el-Oued , en utilisant
d'anciennes constructions ; en 1832 l'hôpital du Dey a été
formé également de bâtiments maures dans le même fau-
bourg. Depuis , ces deux élahiissements ont été considéra-
blement augmentés et améliorés. Un bureau de bienfai-
sance musulman a été déclaré d'utilité publique à Alger eu
1857.
Le lazaret d'Alger, construction remarquable, commencé
en 1840, a été terminé en 1843. Il est placé sur un terrain
au sud et à peu de distance du fort Bab-Azoun , au-dessus
d'une crique où il est facile de débarquer.
La bibliothèque publique d'Alger, dont la fondation se
pré[)arait depuis 1835, fut définitivement constituée enlS38,
au moyeu de dons d'ouvrages faits par les divers départe-
ments ministériels, auxcpiels vinrent se joindre des manus-
crits arabes recueillis par M. Berbrugger, conservateur de
l'établissement, ainsi que dans nos expéditions militaires, et
surtout à la prise de Constantine, en 1837. Elle est in.stallée
dans une dépendance de l'ancienne caserne des janissaires,
transformée en lycée; le public y est admis trois fois par
semaine. En 1840 elle comptait 1,473 ouvrages imprimés,
087 manuscrits contenant plus de deux mille ouvrages, et
quelques cartes.
Le musée d'Alger, commencé en même temps que la
bibliothèque, a grandi et s'est développé successivement,
au point que , l'espace ayant manqué pour disposer conve-
nablement les collections dans le bâtiment du lycée, on a
du réunir les objets d'art anti'pies cl les curiosités indigènes
ALGER —
dans quatre sallos <ie la J.'niiia. I.e musée se divise en
plusieurs sections : ol^jets iriiistoire n.idirelle, minéralopiie,
fossiles, hiscri^itions, iin-daillfs et ecliantillon^ divers. On y
voit le tomheau du fameux Ha-san-Aglia, qui défendit Alger,
en 1541, contre Charles-Quint.
Le lycée est installé dans une ancienne caserne de janis-
saires. Alser compte en outre un colloiie arabe français, une 1
école préparatoire de médecine et de pharmacie, deux écoles |
françaises de garçons, une école maure française, une école j
juive française, ime école des sœurs, une école de jeunes
juives, ime salle d'asile, et plusieurs écoles privées.
Les rues de jirande voirie d'Al;;er, dont le développement
est de 1,7S6 mètres, forment, d'après leur position dans la
ville basse, les principales artères de la cité ; ce sont: la nie
de l'Amirauté, longeant la jetée Kliaïr-i:<Idin, du côté du
port; la rue de la Marine, qui fait suite à la précédente ,
joint la porte de France à la place du Gouvernement, et
borde le côlé nord de cette place ; la rue [Îah-Azoun, qui
suit le côté ouest de la même place et conduit à la porte
d'Azoun; la rue Bab-el-Oued, qui mène à la porte de ce
nom, et prend naissance à l'angle nord-ouest de la place
du Gouvernement ; les rues Philippe, Traversière et des
Consul'!, qui mettent en communication la partie nord de
la rue Bab-el-Oued avec l'extrémité est de la rue de la Ma-
rine. A l'exception des rues Philippe et des Consuls , les
rues de grande voirie à Al^er sont couvertes de chaque côté
par des arcades. Celles de la Marine, Bab-Azoun et Bab-
el-Oued ont huit mètres de voie charretière et sont bordées
dcgaleriesà arcadesqui abritent des trottoirsde deux mètres
quarante centimètres de largeur dans œuvre. La rue de la
Lyre, percée en 1847, large de huit mètres et pourvue d'ar-
cades, va de la place du Gouvernement à la porte d'fsly.
Au milieu des démolitions qui suivirent la conquête, on a
établi la place du Gouvernement; puis la place de Chartres,
destinée à devenir le grand marché de la ville; el enfin la
place du Soudan, qui dégage le palais du gouverneur, la
cathédrale, l'évêché; la place d'Isly , etc.
Les égouts d'Alger servent non-seulement à l'écoulement
des eaux pluviales et ménagères, mais aussi au dégorge-
ment des fosses d'aisances des maisons particulières. La pente
rapide du sol de la ville, bâtie en amphithéâtre, permet un
écoulement facile et prompt. Les Turcs avaient lais.sé ce3
égouts dans un état déplorable. L'administration française
les a améliorés. Tous ces égouts sont dirigés vers la mer,
les uns du côté de Bab-el-Oued, depuis la jetée Khaïr-Eddin
jusqu'au fort Neuf; les autres, et c'est le plus grand nombre,
du côté de Bab-Azoun, depuis la même jetée Khaïr-Eddin
jusqu'à la porte Bab-Azoun. Ceux qui se jettent à la mer
du côté de Bab-el-Oued ne présentent aucun inconvénient;
les immondices sont battus et enlevés par la mer libre.
Ceux qui se jettent du côté de Bab-Azoun se déversent dans
le port, et tendent non-seulement à le combler, mais encore
à le rendre plus infect. Poui- éviter ces inconvénients, on
a pensé f.ure un grand égout de ceinture à point de partage
recevant tous ceux qui s'écoulent dans le port, et portant
les résidus à la mer, d'un côté au nord de la jetée Khaïr-
Eddin, et de l'autre au sud du fort Bab-Azoun.
Les aqueducs qui alimentent Alger sont au nombre de
quatre, savoir : le Hamma, le Telendi, l'Aïn-Zeboudja, et le
Birtreriah. Ilsfournissentensembleun volumede 23,880 hec-
tolitres par vingt-quatre heures. Les aqueducs deTelemli et
d'Aïn-Zeboudja ont .subi en 1845 des avaries qui ont néces-
.silé leur reconstruction. En i si 1 il y avait soixante fon-
taines publiques à Alser, consommant 8,014 heclol'tres
d'eau. Ce~ fontaines sont uuinies de bassins et d'abreuvoirs.
Depuis ce temps le nombre des fontaines a augmenté.
L'industrie est peu importante à Alger. On y fabrique des
soieries, des tapis, des tissus de laine, des armes à feu, des
objets de sellerie, de bijouterie, d'norlogerie, des cuirs, etc.
Cependant Alger possède maintenant quelques usines à va-
ALGÉRIE 309
peur. Celle de Balvel-Oued subvient à peu près exclusivement
à la mouture de l'armée. Le commerce y a plus d'impor-
tance; entrepôt naturel des éciianges entre la métropole et
la colonie arabe, il s'y fait aussi un certain mouvement de
cabotage. Alger possède des chantiers de construction et un
certain nombre de bâtiments. La pépinière du gouvernement,
situi'eà Hamma, a beaucoup contribué à l'accliiualation des
plantes exotiques en Algérie, et sert également à préparer
la naturalisation de végétaux pour la métropole. Enfin la
douceur du climat doit im jour attirer en grand nombre
d'étrangers à Alger en hiver. L. Locvet.
ALGÉRIE, autrefois régence d^Alger, un des anciens
États Barbaresques, soumis aujourd'hui à la puis-
sance de la France.
DescJ-ipfion géoçiraphique. L'Algérie est bornée au nord
par la Méditerranée, à l'ouest par l'empire de Maroc, à l'est
par la régence de Tunis, au sud par Je Sahara. Elle s'étend
de 6" 30' de longitude orientale à 4° de longitude occidentale.
Ses frontières ont été fixées par un traité spécial auprès
du cap Malonia du côté du Maroc, et du côté de Tunis elles
s'arrêtent vis- à-vis l'ile de Tabarkah, au c?p Roux . Il a long-
ternos été difficile de déterminer les limites de l'Algérie au
sud'; mais on peut dire qu'elles sont natm-e'.lemcnt tracées
par la fin de la ligne des oasis et le commencement de l'uu-
mense Sahara-Belama.
L'Algérie est aujourd'hui divisée en trois provinces et trois
préfectures, ayant pour chefs-lieux Alger, Oran, Cons-
tantin e. Sa population est évaluée à 180,472 Européens.
Sa population indigène dépasse 2,500,000 âmes. A la tête de
l'administration se trouve un gouverneur général; un sou.s-
gouverneur le supplée en cas d'absence. Dans chaque
province un général commande la division et administre le
territoire militaire. L'administration départementale est
confiée à trois préfets. Blidah , Mo.staganem , Bone , Phi-
lippeville, Médéah, Miliana, Mascara, Tlemcen, Gm-lma et
Sétif, ont des sous-préfets. Des commissaires civils exerçant
un pouvoir qui tient du pouvoir municipal et judiciaire se
trouvent à la tète de certains districts; des maires et adjoints
administrent les communes constituées. Des conseils .sont
placés auprès des différentes autorites. La hiérarchie militaire
comprend des officiers supérieurs de divers grades dirigeant
des subiiivisions et des cercles. Les services des ponts et
chaussées, des mines, des bâtiments civils, des domaines, des
hypothèques, des douanes, des postes, descontributions indi-
rectes, des forêts, sont partout organisés. La justiceest rendue
pardes juges depaix, des tribunauxde commerce, des tribu-
naux de première instance et une cour impériale qui siège
à Alger. En outre , des kadis et des tribunaux indigènes
rendent la justice sous notre surveillance. Des bureaux
arabes , présidés par des officiers français, veillent à tout
ce qui regarde l'administration des indigènes, qui doivent
obéir à des khalifas, des agas, des bach-agas, des kaids,
et des amins, institués par le gouvernement français. Un
évêché existe à Alger. Presque tous les grands centres de
population ont leurs églises, leurs mosquées ou leurs syna-
gogues. Des postes télégraphiques sont établis, et un com-
missariat central de police existe à Alger. L'académie d'Alger
comprend les trois départements : elle est dirigée par un
recteur, deux inspecteurs d'académie, un insjiecteur pri-
maire et deux sous-inspecteurs. Elle compte un lycée, un
collège arabe français, des collèges, des pensions et de
nombreuses écoles primaires.
La chaîne de montagnes qui forme la ligne de partage
des eaux entre la Méditerranée et le Grand Désert porte le
nom général 'X'Atlas. Les géographes ont longtem(is dis-
tingué le grand et le petit Atlas, désignant par ce dernier
nom cette cliaîue peu élevée, mais escarpée, qui suit le lit-
toral depuis le détroit de Gibraltar à travers le .■\Iaroc et
l'Algérie jusqu'à Tunis. Mais cette distinction n'est point
exacte, car les deux chaînes ne sont parfaitement dislinclei
3,0 ALGÉRIE
on aucun endroit, et l'intervalle qui les géparc est lui-mCme
un pays de montagnes entrecoupé de profondes vallées.
Aucune des cimes de l'Atlas ne s'élève jusqu'à la région des
neiges perpétuelles ; elles sont presque toujours couronnées
de vastes et magnifiques forêts de pins. Le massif du Jur-
jura et surtout les monts Aurès semblent ôtre les points
culminants.
La constitution géologique de ces montagnes présente
des calcaires anciens alternant avec un schiste talqucux et
passant souvent à un micaschiste bien caractérisé et au
gneiss. La stratification du gneiss est également très-irrégu-
lière, il ne présente pas de débris organiques; puis vien-
nent des marnes schisteuses alternant avec des calcaires se-
condaires; enfm des calcaires grossiers avec des marnes
blancliâtres, des sables ferrugineux reposant sur des
marnes bleues gypseuses. Ce terrain est particulièrement
développé près d'Oran , et les plaines dont le sol en est
formé sont d'une grande fertilité, tandis que du côté d'Alger
il paraît peu propre à la végétation. On a également trouvé,
mais en petites quantités, des roches volcaniques, des tra-
chytes , des laves , des ponces et des scories. Parmi les
gemmes, il faut citer les diamants, les calcédoines, les gre-
nats, les macles, les tourmalines, des cristaux, du quartz et
de belles lames de mica. Il y a aussi des mines d'or, d'ar-
gent, d'antimoine, de fer, de plomb et de cuivre. Ces trois
derniers métaux surtout se rencontrent en gisements nom-
breux et puissants.
Au milieu des reliefs montagneux qui sillonnent l'Algérie
s'étendent de nombreuses vallées qui s'étendent parfois en
vastes plaines , parmi lesquelles on cite en première ligne
celles de la Métidja et delaMedjana; au versant mé-
ridional de l'Atlas, celles de Seresso, d'El-Mehaguen, d'El-
Mansef, d'El-Mita, d'El-Ouazâren.
L'iiydrographie de l'Afrique commence à être mieux
connue. Les principaux cours d'eau sur le versant de la
Méditerranée sont la Mafrag,la Seihouse, qui se jettent
dans la mer près de Cône, ainsi que iaEoudjinia, petite ri-
vière dont le cours est fort lent; le Béni-Meiki, qui dé-
bouciie dans le golfe de Stora; rOued-el-I\ebir ouR ummel;
le Boufcerak, l'Isser, l'Hamise, lilaracii, le Maza-
fran , le Chélif, ie fleuve le plus important de toute l'Al-
gérie, la Macta, le Rio-Salado et la ïafna; sur le versant
du désert, l'Oued-iMedjerdah et l'Oued-Milleg, l'Oued-Rosran,
rOued-Bedjer, l'Oued-Djellàl , lOued-el-Djedi, dont le par-
cours est considérable et dont les principaux allluents sont
rOued-el-Arab , l'Oued-el-Abied , l'Oued-Hadjer, TOued-
Oulad-Abdi , l'Oued-el-Tell , lOued-Djeaii et l'Oued-ei-
Fcirad. Les autres cours d'eau sont peu considérables et
imparfaitement connus.
Parmi les lacs il faut citer : dans le département de Cons-
tantine, le Guérah-el-Hout, leGuérah-el-Bolieira, le lac l'et-
zara, la Sebkha-Zerkak ; dans le département d'Alger, le lac
Alouta ; dans le département d'Oran, la S e b k h a ou lac Salé,
et quclciues autres plus petits. Le Sahara algérien contient
un grand nombre de lacs, oii se jettent les fleuves qui l'ar-
rosent. Les plus importants sont le lac de Zaghez, le Chot-
cl-Saïda, le lac de Nsiga, le lac Feighigh, le lac Melgliigh et
le lac de Cliegga.
Pour la description des côtes de l'Afrique que les indigènes
appellent S « A e /, nous les suivrons de l'ouest à l'est à
partir des frontières de Maroc. Le cap Malouia est !e pre-
mier que l'on rencontre depuis la fixation des frontières;
on passe ensuite devant Djeinmâa-Gliazaouali , place occu-
pée par nos troupes; après, on trouve le cap llone, jtlus loin
le cap Noé, formé de leiTes hautes et coupées à pic du côté
lit; la iner, le caj) légalo, un des plus avancés de la cùle, très-
escarpé et presque taillé à pic; le cap Lindlès, puis une baie
profonde, l)ordée île plages et de falaises ; le cap l'aieon, !a
baie de las Aguadas, la baie d'Oran. Le mouillage d'Oran
est détendu des vents d'ouest et nord-ouest par la poiule du
fort Lamouna; et le fort Mer s-el-Kebir, qui s'avança
comme un môle vers l'est, en fait le meilleur al^ri que l'on
puisse trouver sur la côte d'Algérie. Le cap Ferrât sépare la
baie d'Oran de celle d'Arzeu, qui offre un excellent mouil-
lage pour toutes les saisons aux bâtiments ordinaires du
commerce. Vient ensuite la pointe du Chélif, puis une suite
de falaises ou de terres peu élevées, le cap Ivi, une cour-
bure de la côte, peu sensible, mais prolongée, et le cap Té-
nès; le port de Cherchell, situé dans une petite anse
circulaire, dont l'ouverture est tournée au nord-ouest et qui
n'est aujourd'hui praticable que pour les petits bâtiments.
On trouve ensuite le Raz el-Amousch , composé de terres
hautes qui occupent une grande surface, la presqu'île de S i d i -
Fer rue h elle capCaxine. La baie d'Alger vient ensuite ;
la côte est rocailleuse d'abord , puis forme une large plage
qui tourne à l'est-sudest et se courbe insensiblement en
remontant enfm vers le nord jusqu'à l'Hamise. Là le sable
disparaît; c'est une falaise qui, se levant graduellement jus-
qu'au cap Matifou, forme la partie orientale de la baie d'Al-
ger. Jusqu'au cap Bengut il n'y a ni abri ni mouillage. A
partir de Del lys la côte est sans sinuosités remarquables
juscpi'au cap Corbelin. Une longue plage de sable terminée
par de basses lalaises forme le cordon de la côte jusqu'au
cap Sigli, De ce point au cap Carbou la côte présente à la
mer une muraille perpendiculaire de grands rochers. La baie
de Bougie vient ensuite, et offre un abri sûr en toutes sai-
sons. Jusqu'au port de Djidjelli la côte n'est qu'une suite
de bas rochers. Du cap Boudjaroni, point le plus septentrio-
nal de toute la côte d'Algérie, jusqu'à la baie de Collo, la
côte est variée et pittoresque ; puis on trouve le Raz-Bibi ,
formé de mamelons disposés en pointe étroite, une côte
soutenue par d'énormes rochers ; ime baie de nouveaux es-
carpements de rochers ; la petite anse de S t o r a , que les in-
digènes regardent comme le meilleur port du littoral, et
enlin le cap Filfila. Le grand enfoncement compris entre
ce cap et le cap de Fer se nomme golfe de Slora. La côte
se redresse après avoir dépassé Philippevi Ile vers le
nord-est jusqu'au cap de Garde. La plage qui borde la ville
de Bone tourne au sud et la portion de la côte comprise
entre les caps de Garde et Rosa forme le golfe de Bone.
Immédiatement après, nous trouvons la Calle, ancien
établissement de la compagnie d'Afrique , et le cap Roux ,
limite de l'Algérie.
Nous venons de citer les principales villes de l'Algérie
qui se rencontrent sur les côtes ; il ne nous reste plus qu'à
rappeler celles de l'intérieur ; presque toutes auront des ar-
ticles dans notre ouvrage. Dans le Tell algérien nous trou-
vons d'abord : dans la province d'Alger : Blidah, Bouf-
farick, Orléansville, Medjadja , Miliana, Médéah,
Teniet-el-Haad,Boghar; dans la province d'Oran, T 1 e-
mecen. Mascara, Mostaganem, Zebdou, ïiaret,
Tagdemt; dans la province de Constantine : Milab,
Msilah, Sétif, Djemilab, Gbelma, ïiflèch. Dans le
Salwra algérien on doit citer comme stations principales
des caravanes et sièges des marches, Bou-Sada, Ain-Ma-
dhy, El-Aghouat, El-Alleg , Bouferdjoiin , Biskarali,
Zaalcha, Tuggurt, El-Guérara, Ouaregla, Ghardéia,
Methli, El-Abiedh, Lelmaia, El-Ghaçoul, Stiten, El-Moqta,
Taouiala.
Située dans la plus chaude moitié de la zone tempérée,
mais encore loin du tropique, l'Algérie doit à celle heureuse
position ainsi qu'à l'élévation montueuse du sol el an voi-
sinage de la mer un climat extrêmement doux el saiuhrc
sur les pentes septentrionales de l'Atlas; l'hiver offre une
température moycnnede 12° à 18°, et dans l'été elle atteint
de 30" à 40"; des vents frais et des brises régulières
viennent en modérer l'ardeur. D'avril en octobre, le ciel est
constamment pur ; puis viennent les pluies, qui durent jus-
qu'en mars. Le nombre des jours pluvieux n'est guère
que de quarante dans l'année, mais la (ptantilé d'eau tombée
est conskWn\blo, et se peut évaluer h une moyenne de soixan-
te-seize centimètres. Les vents les plus communs sont ceux
du nord et du nord-ouest, les plus rares sont ceux d'est et
d'ouest ; le vent du sud , ou simoun, qui souflle trois ou
quatre fois par mois, produit une chaleur accablante; mais
il est rare qu'il dure plus de vingt-quatre heures.
La végétation est telle qu'on la doit attendre du climat,
et la contrée n'a point dégénéré ; c'est toujours cette ferti-
lité si renommée chez les anciens. Tous les fraits de l'I-u-
rope méridionale y croissent en abondance. Les oranges,
les citrons, les amandes, les jujubes, les caroubes, les figues,
les bananes, les noix, les mûres, les raisins, et généralement
tous nos fruits à pépin et à noyau y sont d'une qualité su-
périeure. Le dattier, le pistachier, l'olivier, l'arbousier, la
vigne môme et l'oranger sont des produits spontanés du
sol. Les plaines donnent les plus riches moissons de cé-
réales ; le riz se cultive dans les vallées, plus humides. Tous
nos légumes et nos herbages potagers y réussissent par-
faitement, ainsi que toutes les variétés de melons. L'indigo,
le café, et surtout le tabac, y ont été introduits depuis la
conquête, et font déjà prévoir une immense source de re-
venus pour l'Algérie.
Tous nos arbres et nos fleurs d'agrément y croissent na-
turellement côte à côte de la raquette, de l'agave, du sumac,
des cystes, du gonêt épineux, de l'absinthe, de la menthe et
de la sauge. Le.^ forêts sont peuplées de lièges, d'yeuses, de
thuyas, de cyprès et de pins. Dans les marécages on trouve
beaucoup de joncs et de roseaux.
Dans le rogne animal, on doit citer : parmi les zoophytes,
le corail et l'éponge; parmi les insectes, la sauterelle, la pu-
naise, les moustiques et la puce surtout, véritable fléau pour
l'épiderme déhcat de l'Européen. L'eau des mares contient
des petites sangsues presque imperceptibles, qui occasionnent
de fréquents accidents. Les scorpions et les tarentules sont
très-dangereux. Les poissons de mer et d'eau douce sont
les mêmes que ceux des côtes et des rivières de la Provence.
Les reptiles sont très-communs et très-variés, les crapauds
d'une taille remarquable, les lézards très- multipliés ainsi
que les caméléons. Les tortues déterre et d'eau douce sont
extrêmement nombreuses, sans parler de celles que la Mé-
diterranée apporte sur les côtes. Les oiseaux sont à peu
près ceux de l'Europe. Quant aux mammifères, parmi les
carnassiers on rencontre le lion, la panthère, l'once, le lynx,
le chacal, la hyène, l'ours, le loup, le chien, le chat, le re-
nard, la genette et l'ichnenmon ; parmi les rongeurs , les
rats, la gerboise, le porc-épic, les lièvres ; parmi les singes,
des guenons et des babouins ; entre les pachydermes non
ruminants, le sanglier ; parmi les narainants, les antilopes et
les gazelles, et enfin les animaux domestiques, comme le
cheval, l'une, le mulet, le chameau, le dromadaire, le bœuf,
le mouton et la chèvre.
11 n'y a peut-être pas de pays où l'on rencontre autant
de races d'hommes différentes, pures ou mélangées. On
admet d'ordinaire, en mettant à part les colons européens,
des Arabes, des Kabyles ou Berbers, des Turcs, des Juifs,
des Nègres et des Coulouglis. La dénomination de Bédouins
(nomades) s'applique indifféremment aux Kabyles et aux
Arabes, ces deux peuples si distincts d'origine. Quant à cello
de Maures, par laquelle on préfendait désigner les restes
du peuple que les Romains appelaient ainsi, elle est erro-
née. Mais ces sept races d'hommes ne se rencontrent pas
quelquefois pures de tout mélange, soit entre elles, soit avec
des éléments étrangers. Ainsi, dans les Kabyles on retrouve
facilement des descendants des Vandales, encore reconnais-
sablés à leurs cheveux blonds et à leurs yeux bleus. Les
Turcs (et il en reste peu) ne sont pas de véritables Os-
manlis, mais descendent de ce ramas de gens de toutes soiles
et de toutes origines , Turcs , Grecs, Circassiens , Albanais ,
Corses, Mallais, que la soif du pillage avait réunis dans le
repaire de la piraterie. Les Coulouglis ( fiis de sollats) étaient
ALGÉRIE 311
la postérité issue de ces Turcs avec des femmes indigènes.
Il ne faut pas croire non plus que la classe des Juifs, si
nombreuse dans les villes, descende en droite ligne d'Abra-
ham ; les historiens arabes ne laissent point ignorer qu'aux
septième et huitième siècles une grande partie des habitants
de l'Afrique professaient le judaïsme, et que la prédication
musulmaiie fut loin d'opérer une conversion universelle. En-
fin la race nègre doit son origine aux esclaves successive-
ment amenés par les caravanes des divers pays de l'inté-
rieur de l'Afrique.
La langue arabe est la plus généralement répandue , la
plupart des Juifs la parlent; la langue berbère se parle
dans toutes les tribus kabyles. Le turc et la langue franque
ont complètement disparu depuis que le français a fait élec-
tion de domicile dans l'ancienne régence d'Alger. Les indi-
gènes l'apprennent et le parlent avec facilité. L'espagnol se
parle beaucoup dans la province d'Oran.
La religion dominante est la religion musulmane; la ma-
jorité est sunnite ou orthodoxe, une partie des indigènes
est chyite ou schismatique. Le judaïsme est exactement
pratiqué par ses sectateurs. Le paganisme originel desîN'ègres
s'est perpétué dans quelques pratiques superstitieuses.
La plus grande diversité existe également dans les cou-
tumes et les mœurs de ces peuples. L'Arabe est générale-
ment nomade ; il habite sous des lentes , dont la réunion
forme des douars. Ces tentes, en tissu de peau de chameau,
sont disposées en cercles de manière à laisser au centre un
grand espace où les troupeaux sont enfermés la nuit. Les
chevaux sont entravés avec des cordes tendues auprès de
chaque tente ; les armes et les selles sont toujours prêtes ,
de sorte qu'en cas d'alerte le douar est sur pied en peu
d'instants. La richesse de l'Arabe consiste en nombreux trou-
peaux. Quand il a chargé sa tente sur le dos d'un mulet ou
d'un chameau, il emporte avec lui sa patrie. Le Kabyle, au
contraire , habite de beaux et nombreux villages. Les mai-
sons sont construites en pierres et en briques ; le toit est
couvert en chaume, en tuiles pour les riches; des étables,
des écuries servent à abriter le bétail et les chevaux. En outre,
les Arabes ont une organisation essentiellement aristocra-
tique ; tandis que les Kabyles affectionnent les formes démo-
cratiques. La différence de rangs est très-marquée chez les
premiers : les guerriers et les marabouts forment dans
chaque tribu l'ordre des grands , et de nombreuses et an-
ciennes familles exercent une très-grande influence. Cela
ne se rencontre pas chez les Berbers. L'Arabe déserte
le travail ; essentiellement paresseux, pendant neuf mois de
l'année il ne s'occupe que de plaisirs , il court de fête
en fête. Le Kabyle, cultivateur par excellence, attaché
au sol, travaille sans cesse. En outre, il exploite les mines,
qui se trouvent en quantité dans ses riches montagnes, et
dont il letire du plomb pour fondre des balles, du fer dont
il façonne des couteaux, divers ustensiles, et des canons
de fusil ; du cuivre et de l'argent, qu'il emploie à divers
usages et à sa parure. 11 file et tisse la laine de ses trou-
peaux , le lin de ses récoltes ; il amalgame l'huile grossière
qu'il retire des oliviers avec la cendre des varechs , en un
savon noirâtre; de ses ruches il retire, outre le miel, une
cire qu'il épure pour en former ces chandelles qui, du pre-
mier port où notre commerce les a trouvées, ont reçu le
nom de buttyic.s. En revanclie, toute l'industrie de l'Arabe
nomade consiste principalement à fabriquer des ustensiles de
bois et de vannerie, à filer et à tisser la laine, le poil de cha-
meau, le lin, l'agave. Enfin, l'habitant des villes exerce tous
les métiers qui sont nécessaires aux besoins de la cité ; mai?
les arts mécaniques et les arts libéraux sont en enfance.
Les principaux objets des exportations de l'Algérie soni
les laines, les tabacs, les céréales, les huiles d'olives et
d'autres graines, les minerais de plomb et de cuivre, les
moutons, les bœufs, les peaux, ftc.
Au nombre de ses importations figurent les tissus de
312
ALGERIE
coton, de lame , de soie , de dianTre et de lin ; vins et eanx-
de-vie, houilles, vêtements, sucre, café, linge, outii'^, pa-
pier, savons, huiles éjuirées, peaux préparées, fruits, etc.
Presque tous ces articles proviennent de France.
Le commerce extérieur de l'Algérie se réduit à peu près
à celui de ses ports. Son négoce avec les États voisins, ou
par la voie des caravanes avec l'intérieur de l'Afrique, n'a
pas encore atteint une graiide extension. Le premier consiste
dans l'exportation du froment, orge, préférable aux dilfé-
rentes orges importées dans la colonie; bétail, cette richesse
des indigènes; cuirs et peaux, corail, sangsues, cire,
gomme, liège, kermès, lichens tinctoriaux, fruits, huile
de la Kabylie , la meilleul-e pour la fabrication du savon , et
des draps ; fruits, ivoire, plumes d'autruche, terres savon-
neuses; laines, qui motivent cbaque année des opérations
considérables sur les marchés de Tiaret et de Boghar.
Undécret impériaidu 25juin 1860a ouvert la frontière sud
de l'Algérie, de Géryville à Lagliouat et à IJiskra à l'impor-
tation en franchise des produits naturels et fabriqués ori-
ginaires du Sahara et du Soudan.
Grâce aux Européens, la culture, négligée par les Arabes
et exploitée avec intelligence par les Kabyles, a réalisé
d'incontestables améliorations. Ses produits sont : partout,
le froment et l'orge ; dans certaines contrées , le nia>s, le
millet et le riz. Les autres récoltes se composent de fèves,
lentilles, haricots, pois, légumes verts, melons et fruits
excellents. Les plantations les plus nombreuses sont celles
des llguiers, des grenadiers, des amandiers, des mûriers,
des oliviers et des dattiers, splendide et lucratif ornement
du versant méridional de l'Atlas.
La vigne tend à se propager. Elle n'occupail pourtant
encore en 1857 que 3,637 hectares. Le coton s'y est parfai-
tement acclimaté. Encouragée par des prix et des achats
directs, celte culture occupait en lSô8 2,058 hectares :
elle avait fourni en 1857 200,000 kilogrammes de coton.
L'abolition de l'esclavage en Amérique pourrait donner
une grande importance à la culture du cotonnier en Al-
gérie, qui produit également la canne à sucre, l'indigo
et la cocheuille. Le tabac , des deux cultures arabe et
européenne, fournit de très-bonnes qualités qu'achètent l'ad-
ministration; les sortes inférieures restent à la fabrication
et à la consommation de la colonie. En 1858, 5,132 hectares
ont produit 4,765,692 kiiogiammes de feuilles de tabac
achetés par l'État 4,133,501 fr. Les soies, industrie euro-
péenne du Sahel d'Alger, sont appelées à prendre un notable
et fructueux développement. L'.\lgérie expédie en France,
comme primeurs, des légumes, des fruits, desartichauts, de*
pois, des choux-lleurs, des bananes, des oranges, des
citrons, etc.
Parmi les produits de l'exploitation algérienne, nous si-
gnalerons le fer, le plomb argenti-aurifère de Kefoum-
Theboul et de Gar-Roublan , le cuivre de Tenès et de
Mouzaïa ; le sel extrait des lagunes d'Arzeu, après l'évapo-
ration des eaux; le salpêtre, obtenu en abondance par le
lavage des terres; les gypses, les pierres de chaux, les terres
savonneuses, les marbres blancs du Fillila, le marbre-
onyx translucide d'Aiu-Tekbalet, etc. Enfin, la pèche est
depuis longtemps l'ime des meilleures sources du revenu
algérien, surtout celle du corail, inépuisable entre Bone et
rileTabarkah.
Quant à l'industrie de fabrication, elle comprend le
tissage des étoffes de laine et de celles de poil de chèvre ;
les étoffes de soie; les mousselines brochées d'or et d'argent,
les tapis, les toiles grossières, les cuirs, les maroquins, les
articles de sellerie, les armes, et les objets d'horlogerie et
de bijouterie ; mais elle décline nécessairement devant la
concurrence des produits similaires de la métropole.
Aperça sur Iti ciiloiiistifion Jrauçaise. — Ahe était
depuis peu de temps en notre pouvoir, le pied dc'nos sol-
dats avait à peine louché les premiers contreforts de J'A-
r tlas, et déjà de hardis colons venaient s'établir dans la
plaine de la Métidja. Nous ne parlons pas de ces spécula-
teurs moins courageux et moins recommandables qui l'ont
achetée tout entière, sans la visiter, d'Arabes aussi peu
scrupuleux qu'eux-mêmes. Nous rappelons les efforts de
quelques vrais propriétaires , qui dèà le-s premières années
ont eu foi dans l'aVenir de l'Afrique , qui lui ont porté leurs
familles et leurs fortunes ; et il en est quelques-uns qui ont vu
plus tard tous ses désastres sans lais&er un instant ébranler
leur courage.
En même temps des populations agglomérées commen-
çaient à former des villages nouveaux. En 1832 des familles
alsaciennes arrivèrent du Havre à Alger ; le duc de Rovigo
les plaça dans le Sahel d'Alger, à Dély-lbrahim et à Kouba.
En 1836, sous l'administration du maréchal Clauzel , un
centre de population fut créé à Bouffarick. Ses habitants
eurent beaucoup à soufl'rir de la guerre et de l'insalubrité
du territoire qui les entourait. LavilledeCherchell, ayant été
complètement abandonnée, fut repeuplée en 1840 par les
soins du maréchal Valée. Des groupes s'établissaient sponta-
nément sans intervention de l'autorité dans la banlieue
d'Alger , en choisissant de préférence les lieux oii se trou-
vîiient des camps ou des stations militaires , comme Hus-
séin-Dey, Birkadem , Birmadrais, Texeraïn. D'autres avaient
élevé leurs habitations plus avant, au cœur du Sahel , près
des camps de Douera et de Maelma. Cependant les premiers
essais de colonisation , à proprement parler, ne remontent
pas au delà de 1841. On était au milieu de la guerre, les
hostilités s'étendaient jusqu'à la banlieue d'Alger. On songea
à faire de la colonisation où l'élément militaire prédominât.
On pensa qu'il fallait l'enfermer dans des fossés , dans des
enceintes continues. On commença Yobstacle, et on créa les
grands villages militaires de Fouka et de Mered, entourés
de murailles , à l'abri desquelles étaient les maisons des co-
lons, bâties sur un plan uniforme par le génie militaire. Ils
devaient être peuplés par des soldats libérés , organisés en
compagnies et commandés militairement.
Fouka seul fut peuplé de cette manière. Mais on ne tarda
pas à reconnaître les difficultés et les dépenses excessives
propres à un système qui faisait de la colonisation avec des
célibataires sans ressources , qu'il fallait marier pour leur
donner une famille , doter, loger, nourrir et habiller, et qui
travaillaient en commun.
Pour peupler Mered on employa des soldats encore atta-
chés au drapeau , résolus à se fixer en Algérie et ayant des
habitudes agricoles. Une compagnie ainsi recrutée fut ins-
tallée dans ce village, et une autre dans le camp de Maelma.
On voulut ensuite faire de la colonisation civile. Un arrêté
en date du 18 avril 1841, relatif à la formation de nouveaux
centres et aux concessions à y faire , vint régler l'action des
diverses branches de l'administration publique appelées à
prendre part aux opérations de la colonisation , devenue
ainsi une œuvre administrative et gouvernementale. 11 at-
tribua à la direction de l'intérieur la part essentielle dans
cette œuvre , le choix des emplacements , le levé et l'allo-
tissement des terres , le placement des familles , l'établisse-
ment des routes et la construction des éoiflces publics , la
délivrance des titres provisoires de concession. Le conseil
d'administration eut l'examen des projets d'arrêtés de créa-
tion, qui ne pouvaient être exécutés qu'après avoir été ap-
prouvés par le ministre. La direction des finances ne dut
intervenir dans la formation des nouveaux centres que pour
la remise des immeubles domaniaux à comprendre dans
leur périmètre , et pour la délivrance des titres définitifs
de propriété. L arrêté stipulait la gratuité des concessions.
Des règlements particuliers déterminèrent les conditions
exigées pour être admis à titre de colons concessionnaires
dans les centres de nouvelle formation. Le minimum des
ressources pécuniaires fut fixé de 12 à 1,500 francs. Toute
famille admise dans un village eut droit au permis de pas^
1
ALGERIE
S13
snge gratuit de Toulon on de Marseille à Alger. Les préfels
pouvaient en outre délivrer des secoins de route jusquau
port d'embarquement. Chaque concessionnaire reçut, pour
l'aider d.ins la construction «le sa maison , dis matériaux à
Mtir pour une valeur de 600 (r. 11 lui lut i>reté des hœnfs
pour la mise en culture de sa concession ; il lui fut délivré
des instruments aratoires, des semences et des arbres ; en
certaines circonstances même, on lui lit défricher par l'ar-
mée un ou deux hectares.
C'est d'après ce système que furent créés et constitués,
du 12 janvier 1842 au 24 décembre 1S43, douze centres nou-
veaux, savoir : Drariali, r.^chour, Cheraga, Douera, Saoula,
Ouled-Fayet, lîaba-Hassan, IVlonlpensier, Joinville, Krecia,
DouaoudaeluneannexedeMered;en lS4ô, Souma et Notre-
Dame de Fouka, Sidi-Chami , Mazat-ran, Saint-Denis du Sig,
Arzeu, .\in-Silia. Trois centres déjà créés ont été complétés
suivant ce mode , Dely-lbrahim, Boulfarik, Cherchell.
Plusieurs villages ont été établis dans les parties extrêmes
du Sahel par les condamnés militaires. Saint- Ferdinand et
Sainle-.\niélie. En 1844 ils ont construit les villages de
Maelma et Zéralda dans le Sahel d'Al^zer; de Dalmatie à
l'est de Blidah et du Fondouck au pie.l de l'Atlas, de Daui-
rémont, Yalée et Saint-Antoine auprès de Phihppeville,
ainsi que plus tard Gastonville, Robertvilie, etc.
D'antres villages ont été créés par les grands propriétaires
du sol , entre autres : Saint-Jules et Caussidou , situés sur le
revers méridional du Sahel , en face de la Métidja, à gauche
de la route d'Alger à Bhdah par Douera.
Une société religieuse renommée par ses habitudes agri-
coles et ses mœurs rustiques, les trappistes, forma le projet,
à la fin de 1842, de fonder en Algérie une vaste exploitation.
Les propositions qu'elle fit dans ce but, et qu'appuyèrent
plusieurs membres des deux chambres, furent favorablement
accueillies. Après un voyage d'exploration en Afrique, les
chefs de celte communauté demandaient la concession de
l'ancien camp de Staoueli, d'une contenance de 1,020
hectares, limitée au nord par la mer, au sud par l'Oued-
Bridia, à l'est par l'Oued-Bakara et la plaine, à l'ouest par
la plaine. Us se constituèrent h cet effet en société civile, et
obhurenl la concession. Les trappistes ont défriché cette
terre, planté des arbres d'essences variées, >emé des céréales ,
institué des prairies, planté une vigne, de grands jardins po-
tagers, et une magnifique pépinière; ils ont essayé un grand
nombre de cultures, parmi lesquelles il faut compter celle du
tabac, qui a réussi complètement ; indépendamment des tra-
vaux agricoles, ils ont exécutédes constructions considérables.
En dehors de ces concessions faites par la direction de
l'intérieur à titre gratuit, la direction des finances a opéré
la concession d'un grand nombre d'immeubles ruraux ap-
partenant au domaine. Les concessionnaires de ces im-
meubles étaient tenus d'y construire des bâtiments d'exploi-
tation , d'y faire des travaux d'assainissement , de mettre les
terres en culture dans un délai fixé, de faire des plantations,
de greffer des oliviers.
Après la révolution de Février, l'Algérie joua un rôle dans
les utopies gouvernementales. On en fit un lieu de irans-
portalion. Des milliers de bras étaient inoccupés : on réso-
lut de s'en servir pour hâter la colonisation de l'Afrique
française. L'Assemblée nationale mit une grande précipita -
lion à voter un crédit de 50 millions pour l'établissement
de colonies agricoles; nouvelle expérience qui a coûté quel-
ques milliers d'hommes et quelques millions de francs.
[Depuis la soumission d'Abd-el-Kader, à la fia de 1847,
le guerre a laissé le champ libre à la colonisation. Quelques
^oulèvements, aussitôt réprimés, ont à peine troublé la tran-
quillité du pays, qui dans les guerres d'Orient et d'Italie a pu
voir partir pour ces nouveaux champs de bataille une bonne
partie de ses troupes sans éprouver la moindre inquiétude.
L'expédition de Kabylie, si heureusement et si promptement
terminée, n'a fait qu'ajouter à la sécurité. Les Arabes
niCT. DE LA CO>VtKiAllO>i. — T. I.
eux-mêmes, qu'on pouvait croire un obstacle, semblent sa
pliera la régéuération de l'Algérie; ils cultivent aujourd'hui,
plantent, bâtissent, si)éculent, font des routes, se fixent enfin
et acceptent nos lois. Partout aujourd'hui la sécurité est
garantit'. Les autorités françaises sont partout reconnues;
des fortilicalious mettent les troupes à couvert; le télé-
graphe porte les ordres de l'autorité d'un bout à l'autre
de la contrée ; des roules facilitent les mouvements de
l'armée; des cliemins de fer donneront bientôt une locomo-
tion plus prompte encore; les côtes sont hérissées de canons,
et enfin l'Arabe, qui voit notre force, connaît aussi notre
justice. Plusieurs mesures du gouvernement sont venues
aider à cette transformation. D'abord un décret de 1851
a fondé et leconnu la propriété en Algérie et lui a doimé
des bases certaines. Aux concessions gratuites des terrains
se sont ajoutées plus tard des ventes à l'enchère. Une
foule de nouveaux centres de population ont été créés ; des
communes civiles ont été organisées; bien des points souuns
a l'autorité militaire sont passés sous l'autorité civile; des
municipalités ont été nommées; des conseils municipaux et
des conseils généraux ont été appelés à la vie; enfin l'au-
torité militaire a été réduite autant que possible. De grands
travaux publics ont été entrepris ; des mesures de douanes
plus justes et plus libérales ont été promulguées; des encou-
ragements ont été donnés à la production du tabac, du
colon, des chevaux, etc. Un ministère spécial avait été
créé pour marquer une nouvelle ère aux progrès de la
colonie dans la voie de la liberté civile ; on a supprimé
ce ministère à la fin de 1860, et on en est revenu à un gou-
verneur général qui saura sans doute ne pas se détourner
de la route indiquée. Des compagnies de colonisation se sont
fondées en Afrique, entre autres la compagnie genevoise :
elles peuvent rendre de grands services ; mais le courant d«
l'émigration n'est pas encore vers l'Algérie. Sa population
européenne, qui était de 131,283 individus en 1851, n'était
encore en 1857 que de 180,472. Et pourtant la fertilité du
sol alricain appelle les bras européens. Il pourra pourvoir
en effet à l'insuffisance de la métropole en céréales, en viande
et en chevaux. L'industrie doit également être encouragée
en Airique; car « s'il est vrai que l'agriculture doive être
loni,temps encore la principale occupation des colons algé-
riens , a dit M. Michel Chevalier, il ne l'est pas moins que
l'agriculture a des accessoires industriels qu'on ne peut lui
interdire sans la mutiler. » Z.]
On peut dire aujourd'hui que notre gouvernement est
accepté par l'Algérie tout entière. Dans la société kabyle
ou arabe, la tribu est l'élément, l'unité sur laquelle s'exerce
notre autorité. L'individu, la tente, le douar forment la
vie intérieure de la tribu, échappent à notre surveillance,
et doivent être respectés. Au sein de quelques tribus se
sont élevées de grandes familles ennoblies parle sacerdoce ou
par la guerre. Les chefs de ces familles exercent en quelques
endroits le pouvoir en notre nom. Les bureaux arabes
ont essayé sur quelques points le gouvernement direct des
indigènes. Enfin nous tenons le Tell par une ligne centrale
et par les postes qui sont sur la limite du Sahara. Par la pos-
session du Tell, nous occupons le Sahara, puisque chaque
année , à l'époque des moissons , les tribus sahariennes sont
forcées d'abandonner leur campement et de venir au nord
chercher des céréales pour leur nourriture et des pâturages-
pour leurs troupeaux.
Faisons des vœux pour que cette terre à jamais française
nous récompense de la noble tâche que nous bous sommes
imposée d'ouvrir à la civilisation une contrée que la nature
a comblée de ses dons. Sans parler des immenses débou-
chés que l'Algérie olfreànoi produits ( débouchés que devra
! décupler encore l'établissement de relations avec l'Afrique'
j centrale si le rêve du maréchal Biigeaud vient à se réaliier),
î au point de vue politique, il est incontestable que l'existence
! de déparlements français de l'autre côté de la Méditerranée.
40
'à II
ALGÉRIE
nvec une |K»|)ulaUon évaUiée dt'jà à plusieutr; niUlious
d'dmi's, (loil peser notablement dans la balance des iulcréts
i;uro(iL'ciiî.
Nous y trouverons les «'îléincnts d'une excellente cavalerie
et d'une irifanteriedouéc (les qualités qui donnent la victoire,
la sobriété, l'habitude de la fatigue et le sang-froid, traits
principaux du caractère musulman. Le cabotage et la pèche
sur !.! littoral serviront au recrutornent de notre (lotte. Ces
hardis corsaires devant lesquels s'est huniili^'e aiilrclois la
fii'rlé des nations européennes, seront sur nos vaisseaux de
robustes et intréjiides marins. En outre, la possession de l'Al-
t;érie rattache d('j;'i la France aux nations de race latine, et
son incorporation définitive et prochaine doit avoir la plus
grande influence sur le rôle que notre patiie est destinée à
jouer dans ce grand mouvement d'assimilation et de fusion
(}ui travaille l'Europe.
Les Romains appelaient la Méditerranée Mare nostriim ;
l'Algérie nous donne le droit de dire que la Méditerranée est
un lac français.
Histoire. Rien n'est plus obscur que tout ce qui se rat-
tache aux origines des habitants du nord de l'Afrique. l'armi
toutes ces populations y en a-t-il d'aborigènes? Cette
question send)le devoir être résolue aflirmativement pour
les Rerbe rs ou Kabyles, qui s'étendent depuis les oasis
d'.\udjelali et de Siouah jusqu'au détroit de Gibraltar sur
loules les parties montagneuses et escarpées du littoral. La
langue, le caractère, les habitudes, les traits physiques sont
leur lien commun.
L'antiquité les appelait Libyens. Avant que les Phéniciens
eussent apporté sur la côte de Tuni^ leur civilisation, déjà si
avancée, et que les Grecs eussent débarqué en Cyrénaïque,
la vie des peuplades aborigènes devait être sauvage comme
telle des hôtes iëroces, en si grand nombre dans ces contrées.
Les traditions fabuleuses qu'ont recueillies les historiens de
ranti(piité sur les combats d'Hercule et d'Antée, sur les At-
lantes, sur le jardin des Hespérides, n'étaient sans
<loute que des symboles figurant soit des invasions très-
nîculécs et des iiiigvalions de races, soit la conûguratioa
géographique du pays,
l^anni les pe\iplades dont les noms sont parvenus jusqu'à
nous, les Gétules, les Nomades ou Numides, lesGa-
ramantes oc(;upent le premier rang. A'iennent ensuite les
Mazkpies, les JMaurusiens, et celte nation, presque complète-
ment sauvage, q>ii habitait le pays aride et triste qui borde
les deux Syrtes, les L o t o p h a g e s, les P s y 1 1 e s, les Na-
samons, les Blemmyes. Une distinction fondamentale
partageait cette grr.nde iamillc en deux groupes : le carac-
tère nomade ou sédentaire des tribus. Les Gétules, les Gara-
mantes, les Ma/.iques étaient célèbres de temps immémo-
rial par leur goût pour la vie errante. Sous le nom significatif
de Numides, on les suit depuis les temps antéhistoriques,sous
les dominations carthaginoise, romaine, vandale, arabe et
turque. Ce sont ces cavaliers intrépides, maigres, basanés,
montés sur des chevaux de peu d'apparence, mais rapides
et infatigables , et qu'ils guident avec une corde tressée de
joue en guise de bride. Leur gouvernement était un singulier
mélange de despotisme et de liberté ; leur religion consis-
tait dans l'adoration des astres et de la mer. Quelques tribus,
au témoignage de Léon , prati(piaient le sabéisme.
Lorsqu'une colonie phénicienne fut arrivée sur ces côtes
et eut fondé Carthage, en même temps qu'une émigration
grec(pie donnait naissiuice à la ville de Cy rêne, ces puis-
sants germes de civilisation jetés an sein des peuples barbares
eurent bientôt produit d'admirables résultats.
On sait comment le jjuissant empire de Carthage s'écroula
devant la fortune de Rome et l'inimitié de Masinissa. La
domination des Romains se substitua naturellement à celle du
peuple vaincu. Mais ils ement degrandes difficultés à soumet-
tre le jiays ; ils comiuirent sur .1 u gu f t h a toute la N n m i d i e,
tlladoiinèiciil d'abord a Liocchus, roi de ?»' au ri ta nie. IMus
tard ils en investirent Juba, le fondateur de Jnlia Cœsarea
( aujourd'hui Cherchell ). Ces deux royaumes furent quelque
temps après incorporés à l'Empire. CarUiage avait été rele-
vée. L'Algérie actuelle formait les deux provinces de Numidie
et de Mauritanie Césarienne. Le reste de l'Afrique septen-
trionale se partageait en Tingitane, Mauritanie Sitifienne,
lîyzacène, Tripolilaine et Cyrénaïque, que sa position reculée
liait aux destinées de l'I-gypte.
La province d'Afrique sous les empereurs fut le théâtre
de plusieurs révoltes causées par les exactions des gouver-
neurs. Sous Tibère le soulèvement de Taclarinas faillit
faire perdre à Rome cette riche province qui la nourrissait.
Quand l'empire romain s'écroula à son tour, l'Afrique était
dans un état de prospérité inouïe. Le christianisme y avait
Iiénélré dès le deuxième siècle, et y avait produit une foule
d'hommes illustres : Tert ullien, Cypri en, Augustin;
les lettres et les arts y avaient atteint un haut degré de
perfectionnement. Les luines (pie nos armées retrouvent
aujourd'hui sur tous les points de l'Algérie nous font assez
voir comment la civilisation romaine savait transformer un
pays.
Les barbares Vandales, qui venaient de conquérir l'Es-
pagne, furent appelés en Afrique par le comte B o n i face, et
succédèrent aux Romains. Mais le puissant empire que le
génie deGenséric avait fondé s'écroula sous G é 1 i m e r , et
Bélisaire, qu'avait envoyé Jus tin i en , réunit ces pro-
vinces à l'empire d'Orient.
Vers la fin du septième siècle, les Arabes envahirent
l'Affi(pie septentrionale, et changèrent totalement la face du
pays. Les populations durent embrasser la religion de Maho-
met, et les deux cent quatre-vingt-treize églises épiscopales
qui eÂ.istaient dans les seules limites du territoire algérien
actuel disparurent jusqu'aux derniers vestiges. Les déno-
minations romaines s'effacèrent pour faire place au nom
général de Maghreb. Plusieurs dynasties, soit arabes, soit
berbères, se succédèrent sur divers points de ces nouvelles
possessions des Kitalifes d'Orient. L'Algérie fit tour à tour
partie du royaume des A g 1 .i b i t e s, des lî d r i s i t e s, des
Fat imites, des Zéirites, des Haraadites, des Ouahe-
dites. Ces trois dynasties furent renversées par les Almo-
rav ides, que détruisirent à leur tour les Almohades.
En-.oie la domination passagère de ces derniers fut-elle
prompfement remplacée par celle des Zyaniles de Tlémecen
et des Hcfsites de Bougie.
Les fils des Arabes conquérants de l'Espagne venaient
d'être expulsés de l'Andalousie apiès la chute du royaume
de Grenade. La plupart se réfugièrent sur la côte barba-
lesque, et armèrent de nondjreux corsaires pour inquiéter les
rivages espagnols. Ferdinand le Catholique, pour met-
tre un terme à cet état de choses, s'empara du fort dcMers-
el-Kebir près d'Oran. Cette dernière ville. Bougie, Alger et
diverses autres places tombèrent successivement au pouvoir
des Espagnols. Mais les Algériens appelèrent à leur secours
Salem-ebn-Témi, le plus redoutable des chefs arabes. Celui-
ci, pour assurer le succès de son entreprise, eut recours à
l'assistance d'un écumeur de mer, le premier Barberousse.
Alger dut capituler; mais les Arabes ne firent que changer
de maître. Barberousse se défit au plus tôt de son rival , et
resta posse.sseur de la ville, avec la milice turque. Le (ils ilo
Saiem implora en vain le secours des Espagnols ; une tem-
pête fit échouer l'expédilion. Barberousse r' avait partagé
le |iouvoirav<T. son frère Khaïrod.lin ou Barbe rousse 1 1,
qin lui succéda. En butte à la haine des Arabes et aux atta-
ques des Espagnols, le nouveau souverain s'adressa en i:i9.n
au snltan Sélim, et obtint de lin , en échange d'un acte
formel de soumission, le titre de bey d'Alger, un secours de
deux mille janissaires, de l'artillerie et de l'argent. Avec ces
renforts Kbaïreddin s'empara du fort espagnol , qui tenait
encore, et (it construire par des esclaves chréliens la j( té*'
d'A!-:r.-
ALGER IK
Le sultan Soîimnn a\nnt rappelt^ Kliaireiidin, le <oin-
niamionit'iil d'Ailier dciiiiMita à un eiinuqnt', rciiO};at sardf,
nomiuo Hassan-Aga, qui s'était tendu fumeux par ses pirate-
ries, liieuto», le pape Paul III, alarmé des fré(|UPiites ap-
paritions des Algériens sur les côles d'Italie, et particuliè-
rement sur celles du Patrimoine de saint Pierre, engagea
vivement l'empereur Cliarles-Quint à prendre la défense de
la elirétienfé. Ku lôil une tlotle lut armée contre Al^er.
Cette expédition, à laquelle présida quelque chose de
l'esprit à la fois poétique, clievalerescpie et religieux des
croisades , est un des épisodes les plus curieux de l'Iiisfoire
algérienne. — « I\Ion très-cher empereur et fds , écrivait le
r<?lèbre Doria àCharles-Quint, ne vous engagez point
dans cette entreprise chanceuse et téméraire, sur cette côte
battue des vents, sur cette terre aride. " — Mais qu'impor-
taient les prévisions du vénérable amiral ?
Les forces réelles se composaient d'environ vingt-sept
mille hommes. La Hotte qui emmenait cette brillante année
avec tout son cortège réunissait cent gros vaisseaux, soixante-
dix galères, et cent vaisseaux plus petits : total, deux cent
soixante-dix bâtiments. A l'élite des troupes espagnoles
s'étaient joints une foule de gentils-hommes d'Espagne et
d'Italie, parmi lesquels brillait au premier rang Fernand
Cortez, le conquérant du Mexique , qui se présenta comme
volontaire avec ses trois lils. La terreur régnait à Alger. Huit
cents Turcs et cinq à six mille indigènes formaient pour
l'instant la seule barrière qu'il fût possible d'opposer à cette
nuée d'ennemis. Les autres Turcs étaient en campagne pour
lever les tribuU sur les Arabes. Di;ux jours s'étaient écoulés
depuis ledébarquement.etaueune action remarquablen'avait
eu lieu, quand une violente tempête vint arrêter les efforts des
Espagnols (22 octobre). Le lendemain au point du jour, les
Algériens, qui n'avaient nullement souffert, firent une sor-
tie, et, quoique obligés à la fin de se retirer devant l'armée
entière de l'empereur, ils lui tuèrent un grand nombre de
.soldats. Le jour en naissant éclaira un spectacle encore
plus lamentable. Les vents arrachaient les vaisseaux de leurs
ancres; ils se heurtaient contre les rochers, échouaient sur
le rivage, ou s'abîmaient dans les flots : quinze vaisseaux
de guerre et boixante bâtiments de transport périrent en
une heure ; huit cents hommes furent noyés , et les au-
tres, lorsqu'ils atteignaient la terre à la nage, y trouvaient
des Arabes chargés de les massacrer. Ainsi, les vivres, les
munitions, les moyens de se rembarquer, tout disparais-
sait à la fois. Heureusement, le lendemain matin, un mes-
sager, arrivé sur une barque, annonça que Doria était
échappé à cette tempête, la plus terrible (ju'il eût vue depuis
cinquante ans, et qu'il attendait l'armée impériale sous le
cap de Temend-FoMs. Mais le cap était à quatre jours de
marche. Levoyags de l'armée, épuisée, presque sans pro-
^isions, ralentie parles blessés et les malades qu'elle traînait
à sa suite, ne fut guère moins désastreux que l'événement
(jui le nécessitait; les Turcs ne donnèrent point un instant
de relûche aux malheureux fugitifs. Enlln, l'on toucha à cette
pointe tant désirée , et les débris de la brillante armée espa-
gnole reprirent avec l'empereur le chemin de l'Espagne ; les
chevaliers de Maite revinrent dans leur île avec trois galères
a demi brisées.
Jl était naturel que cet échec essuyé par les armes de
Charles-Quint ajoutât à l'audace des corsaires algériens ,
(jui ju>(iuc vers la lin du dix-septième siècle continuèrent à
désoler impunément les cotes de la Méditerranée. En 1663,
Louis XIV régnait depuis vingt ans. Animé de cet esprit
chevaleresque qui n'est pas son moindre titre à la gloire et
à l'admiration des siècles, il songea à laver l'Europe de la
fxnche honteuse que lui imprimait sa condescendance pour
les Carharesques, et résolut de s'emparer d'ime place à égale
distance d'Alger et de Tunis, alin qu'au besoin ses forces pus-
sent se diriger sur l'une ou l'autre de ces villes. En consé-
quence, une escadre de six vaisseaux paitit deToulon en 1 GO.';,
sous les ordres du lieutenant général maritime Paul, et dé-
barqua six mille hounues sur la côte de Ojidjelli. La com-
pagnie du bastion de France avait là ime factorerie qui pou-
vait devenir le noyau d'une grande colonisation. On se mit
à y construire un fort. Mais les Algériens, auxquels ces nou-
velles constructions étaient à juste titre suspectes, surprirent
la colonie naissante, et chassèrent les Français de leur posi-
tion avant même que le fort fût achevé. Les années 1664
et 1665 se passèrent en guerre. Le duc de Beau fort,
amiral, remporta sur eux plusieurs victoires; mais ces
avantages n'avaient rien de décisif, et les pertes légères qiie
les corsaires souffraient de temps à autre étaient amplement
compensées par les riches produits du vol. Les cOtes de la
Provence et du Languedoc surtout étaient exposées à des dé-
prédations continuelles , presque aussi fatales que celles dont
l'Espagne et l'Italie étaient le théâtre. En vain divers trai-
tés furent signés entre la régence et le roi de France ,
d'abord en 1666 , puis en 1676. Les corsaires profitaient dii
prétexte le plus simple pour violer les traités ; quelquefois
ils venaient sous pavillon tunisien ou tripolitain attaquer les
navires français. Enfin, Louis XIV se résolut à les intimider
par un châtiment exemplaire.
Duquesne fut chargé de cette expédition; Tourville
servait sous lui. Il commença par donner la chasse à des bâ-
timents tripolitains, qui se réfugièrent dans la rade de Chio :
l'amiral les y poursuivit, et, ne pouvant obtenir que le gou-
Aemeur de Pile les fît sortir du port, il foudroya la citadelle,
les remparts et le château , abattit les murailles et les autres
ouvrages du port, et coula à fond quatorze vaisseaux corsaires.
Mais cette victoire n'était que le prélude de ce que la puissance
française méditait contre Alger. Il s'agit ici du célèbre bom-
bardement, premier modèle des opérations de ce genre. Ber-
nard Picnau d'Éliçagaray, jeune Béarnais, dont Colbert
avait deviné le haut génie, venait d'inventer (1679) l'art
d'appliqtier aux vaisseaux les mortiers à bombe, Il osa pro-
poser dans le conseil de bombarder Alger. Chacun se récria,
et le traita de visionnaire. Toutefois , Louis XIV lui permit
l'essai de cette nouveauté, et le vieux Duquesne partit à la
tête de douze vaisseaux de guerre, quinze galères, trois
brûlots et quelques flûtes et tartanes armées en guerre : cinq
galiotes à bombes sous les ordres de Renau complétaient
cet armement, duquel l'amiral n'attendait aucun succès. 11
en fut tout autrement; et quoique trois cents pièces d'artil-
lerie fissent feu sur les galiotes à bombes, quoique la gai'ni-
son de la ville eût m.ême essayé une sertie contre les cha-
loupes armées, une pluie de bombes incendia la capitale des
Algériens, mit en cendres leur plus belle mosquée et inspira
un tel effroi, que toute la population sortit de la ville et con-
traignit le dey a relâcher le consul français, qu'il avait mis
dans les fers, et à l'envoyer à l'amiral pour traiter de la paix.
Duquesne refusa d'entrer en négociation, et continua ses
opérations jusqu'à ce que l'approrhe de la saison des vents
le forçât à ramener son escadre à Toulon.
L'année suivante, il mit à la voile dès le commencement
de juin, et reparut devant Alger le 26. Les galiotes étaient
pins nombreuses et servies par un nouveau corps d'officiers
d'artillerie et de bombardiers, ftenau, de son côté, avait in-
venté de nouveaux mortiers qui lançaient les bombes jus-
qu'à dix-sept cents toises. On répéta les manœuvres de l'an-
née précédente; sept galiotes décrivaient un cercle autour
du môle, et furent halées sur les ancres d'autant de vais-
seaux stationnés derrière elies et destinés à les protéger et à
les recueillir. Dans la nuit du 26 au 27 et dans la journée
suivante, deux cent vingt bombes, foutes de treize à quinze
livres de poudre, tombèrent dans la ville ou dans le môle :
une d'elles renversa la maison du gendre du dey Hassan;
une autre fit couler à fond une barque chargée de cent
hommes; presque toutes les batteries furent démontées. Les
habitants poussaient des rugissements de fureur contre le gou-
vernement; les femmes allèrent trouver Hassan, et portant
40.
110
ALGERIE
»lcT*6t lui la tt'tc de leurs maris, les membres de leurs en-
fants, demandèrent impérieusement la paix. Hassan députa
le consul et le vicaire apostolique Lcvaclier; mais Duqucsne
ne consentit qu'a une trêve, et encore e\igea-t-il que l'on
remît à son bord tous les esclaves chrétiens. Le dey en avait
déjà rendu cinq cent quarante-six, lorsque, le 3 juillet, il
prétendit qu'il lui fallait du temps pour faire revenir ceux
qui étaient disséminés dans les campagnes et les villes éloi-
{;nées de la côte. C'était deinaïuicr la prolongation de la trêve.
L'amiral exigea alors qu'on lui remit plusieurs otages im-
portants pour lui répondre de la fidélité de la régence.
Parmi ceux-ci était le fameux renégat Hadji-Hasséin, connu
sous le nom de Mczzomorto, parce qu'il avait été ramassé
à demi mort sur un vaisseau capturé par les Barbaresques.
En même temps Duquesne donnait à entendre qu'il ne trai-
terait de la paix qu'aux trois conditions suivantes : 1" déli-
vrance de tous les esclaves français ou autres ; 2° indem-
nité égale à la valeur de toutes les prises faites sur la nation
française, ou restitution de ces mêmes prises ; 3" députiition
solennelle du dey à Paris, pour demander pardon au roi des
hostilités commises sur les vaisseaux français.
A la nouvelle de ce qu'exigeait le chef de la flotte ennemie,
les matelots et les soldats de la milice se soulevèrent, et re-
fusèrent nettement de restituer ce qu'ils avaient pris. Du-
quesne allait recommencer le bombardement, lorsque Hadji-
Hasséin obtint de lui son renvoi dans la ville, promettant
que par son crédit il ferait consentir la milice aux conditions
proposées. Ses intentions étaient toutes différentes. A peine
de retour à Alger, il se mit à la tète des séditieux, se dé-
clara en plein divan contre ce qu'il appelait la lâcheté du
dey, qui fut tué la nuit suivante en faisant sa ronde, et se
fit proclamer par tout le peuple et par les janissaires.
:Rompre les négociations et arborer le pavillon rouge ne fut
ensuite que l'affaire d'un moment.
Duquesne fit n^emraencer le bombardement ; le feu était
si violent qu'il éclairait la surface de la mer à plus de deux
lieues ; le sang coulait dans Alger. Les Turcs, dans le délire
de la fureur à la vue de kur ville embrasée, attachent à la
bouche de leurs canons le consul et les captifs français
qu'ils ont encore entre les mains. Les membres de ces
infortunés étaient portes par les explosions jusque sur les
ponts des navires français. Cependant P.cnau ne cessait
de jeter ses bombes : tous les magasins , les palais , les
mosquées s'abîmaient dans l&s flammes , et pas une maison
ne fût restée debout si enfin les bombes n'eussent été épui-
sées. Duquesne, à son grand regret, fit voile pour Toulon,
laissant devant le port d'Alger une division pour le bloquer,
et se proposant <lc reparaître l'année suivante. Mais tant de
pertes avaient abattu l'orgueil des Algériens. Ils sentirent
qu'il devenait impossible de les réparer sans quelques an-
nées de repos. Hadji-Hasséin, informé de la résolution de
ses compatriotes, prit la fuite (2:. avril 1G84 ). Hadji-Djial'ar-
Aga-Etfendi se rendit à la cour de Versailles, oii il demanda,
au nom du dey, du pacha et du divan, pardon de toutes les
insultes que lès corsaires avaient multipliées contre le pa-
villon français, et des atrocités exercées contre les captifs.
On convint en même temps de la paix, qui fut signée pour
cent ans.
Mais trois ans à peine s'étaient écoulés que les Algériens ,
oubliant la tenible catastrophe dont ils venaient d'être vic-
times, violèrent les clauses du traité. La vengeance suivit de
près l'attentat. En 1G87 Tourville dut aller encore une fois
châtier ces incorrigibles pirates. L'année suivante (juin ! Gss)
vit sortir du port de Toulon, sous les ordres du maréclial
d'Eslrées, une Hotte de onze vaisseaux de ligne, de huit
galères, de dix galioles à bombes, et de plusieurs bâtiments
légers. Les mêmes atrocités furent renouvelées par les
janissaires et les défenseurs de la ville, qui fut de nouveau
réduite en cendres, et forcée à s'humilier devant la France.
Pne paix nouvelle fut signée le 27 septembre i6Si). Celle-ci
fut de plus longue durée , et depuis celte époque jusqu'en
1830 il n'y eut plus d'hostilités prolongées entre Alger et la
France.
La Porte avait continué d'envoyer des pachas pour gou-
verner Alger. Cet état de choses dura jusqu'au dix-septième
siècle. A cette époque la milice , mécontente du gouverneur
turc, qui la payait mal, sollicita et obtint du sultan la fa-
culté de se choisir un deii, ou patron, qui , résidant conti-
nuellement à Alger, aurait l'administration de la régence, paye-
rait la milice et enverrait des tributs à Constantinople au
lieu d'en recevoir des subsides. Le pacha nommé par la
Porte devait conserver ses honneurs et ses revenus, mais il
était écarté du gouvernement.
Alger posséda donc un pacha et un dey jusqu'au mo-
ment de l'élévation d'Aly ( 1710 ). Cet homme, sorti de la
milice turque, était doué d'un caractère énergique et résolu.
Une révolte ayant l'clafé, il fit tomber dix-sept cents têtes
pendant le premier mois de son avènement ; cette sanglante
exécution donna naissance à de nouveaux troubles, dont le
pacha fut le principal fauteur. Aly le fit embarquer pour
Constantinople, et il envoya en même temps au sultan Ah-
med III les plus riches présents. Ces moyens de justifica-
tion ne déplurent pas au divan. Aly fut élevé à la dignité de
pacha, et reçut l'investiture de celte dignité par l'envoi des
trois queues. Les deys gouvernèrent des lors sans partage.
Au commencement du dix-huitième siècle Oran était re-
tombée entre les mains des indigènes. Philippe V, en 1732,
chargea le comte de .Alontemar de reprendre la conquête du
cardinal Ximenès. Trois jours après le débarquement, Oran
et Mers-el-Kebir étaient au pouvoir des Espagnols.
En 1732, un même jour vit à Alger l'élection de cinq
deys, qui furent massacrés les uns après les autres. Leurs
tombes sont en dehors du faubourg Bab-el-Oued.
L'Angleterre, la Hollande, s'étaient résignées à payer aux
corsaires algériens de honteuses redevances. Les Danois,
sans cesse offensés dans leur commerce par les incursions
des pirates, envoyèrent , en 1770 , une flotte devant la côte
barbaresque. Mais leur apparition n'inspira pas grand effroi
aux Algériens, puisque pendant huit jours que l'escadre em-
ploya ou plutôt perdit à se promener devant la rade et les
fortifications , on ne daigna pas lui envoyer des remparts un
seul coup de canon.
L'expédition entreprise par les Espagnols en 1775 fut
plus remarquable. Jamais armée navale plus brillante n'était
sortie depuis un siècle et demi des ports d'Espagne : dix-
huit mille deux cents hommes d'infanterie , huit cent vingt
cavaliers, deux cent quarante dragons, trois nulle trois cent
quarante marins , formant ensemble vingt-deux mille deux
cent soixante hommes , élite des forces de tene et de mer ,
étaient portés par une flotte de trois cent quarante bâti-
ments de transport , qu'accompagnaient et protégeaient qua-
rante - quatre bâtiments de guerre. Plus de cent bouches
à feu de campagne et de siège , quatre mille mulets pour
le service de l'artillerie, une grande quantité de munitions
de guerre, de bouche, d'immenses approvisionnements et
matériaux de tout genre , complétaient cet armement. Le
général OReiliy commandait en chef toute l'expédition :
du :îO juin au 1^'' juillet, les deux divisions de cette brillante
armée parurent devant la rade par un vent frais de nord-
ouest, et mouillèrent vis-à-vis de l'embouchure de l'Ha-
rach. Le général O'Reilly avait pris des mesures si peu
eflicaces pour le débarquement , que le 7 au soir , après
plusieurs tentatives inutiles, les soldats étaient encore à
hoid de l'escudie. Enfin, le 8, vers quatre heures et demie
du malin, le déliarquenient commença; mais les barques,
mal choisies pour une telle opération, et mal disposées par
le général, n'agirent qu'a\ec beaucoup de lenteur : les huit
mille hommes amenés par le premier débarquement restèrent
une heure à attendre qu'une seconde division vînt les ap-
puyer. On eut ensuite le tort de ne point les former en co-
ALGERIE
317
Idiines , et de les faire avancer inconsidérément contre quel-
ques i)elotons de Maures qui , tapis derrière les haies d'a-
loés et derrière les inéj^alitos du sol , comme derrière au-
tant de parapets inexpugnables, l;\isaient un feu très-meurtrier
en se retirant vers le pied des montagnes. L'infanterie lé-
gère fut ainsi anéantie. — Vers six iieures O'Reilly com-
manda à l'aile gauche démarcher sur les hauteurs pour s'em-
parer du château de Charles-Quint , qui commande toute la
ville , et dont la prise, en efTet, aurait assuré celle de la ca-
pitale. Mais après des pertes considérables , et qui auraient
pu l'être encore bien i)lus sans l'intrépidité du chef d'esca-
bre Acton , il fut obligé de renoncer à ce dessein , et de
chercher à se retrancher. Le camp , adossé à la mer, et sur
la rive gauche de l'Harach , à trois cents toises environ de
l'embouchure, était exposé au feu de deux batteries algé-
riennes , qui en peu de temps enlevèrent plus de six cents
liOHimes et en Wessèient plus de dix-huit cents. Enfin,
à dix heures, O'Reilly assembla un conseil de guerre, dans
lequel il fut décidé qu'à quatre heures on se rembarquerait.
Le plas grand désordre présida à cette dernière opération.
Les Espagnols se présentèrent encore devant Algerenl783
et 1784, et bombardèrent inutilement cette ville. Dans la se-
conde année du règne du dey Hassan, ils lui cédèrent Oran
et Mers-el-Kebir , qu'un tremblement de terre venait de
ruiner.
En 1793, la France ayant eu besoin de blés pour l'ap-
provisionnement de ses deux armées , le dey Hassan au-
torisa des exportations de blés que fournirent les maisons
juives Bakri et Busnach. Cette fourniture fameuse a été la
cause de la guerre de conquête.
A l'époque de l'expédition d'Egypte, la Porte enjoignit au
dey de déclarer la guerre à la France. Nos établissements
de Bone et de la Galle furent détruits, et le consul français
mis en prison. Mais ces démêlés ne durèrent pas longtemps :
en 1801 un traité de paix fut signé avec la régence. Napo-
léon exigeait que non-seulement la France, mais encore tous
les États réunis sous la domination française fussent res-
pectés par les corsaires. Alger se soumit à cette injonction.
En 1815 une division américaine s'étant présentée devant
Alger, le dey, dont tous les vaisseaux étaient eu course ,
accéda sans dilliculté à toutes les conditions qu'on lui fit.
En 1816, lord Exmouth fut envoyé par le gouverne-
ment anglais à la tète d'une escadre de trente-sept voiles
demander satisfaction au dey des mauvais traitements qu'a-
vaient subis à Bone quelques sujets de l'empire britan-
nique. N'ayant pu l'obtenir, l'amiral anglais bombarda la
ville , et lui fit éprouver des dommages considérables.
Le 8 septembre 1817, une de ces révolutions si fréquentes
à Alger enleva au dey Obar-ebn-Mohammed le trône avec
la vie.
Aly-Codjia, qui l'avait fait périr, lui succéda. C'était un
homme cruel et débauché , mais qui n'était pas dépourvTi
d'instruction et de mérite. Une première conspiration ayant
éclaté contre lui , il fit transporter de nuit dans la Casbah
son trésor. Puis s'entourant d'une garde composée d'Arabes
et de Nègres , il ne dissimula plus son projet de se débar-
rasser des janissaires , et il en avait déjà fait périr quinze
cents quand la peste l'emporta. Husséin-Paclia lui suc-
céda. Le nouveau dey, en 1824, eut à répondre de quelques
actes de piraterie commis sur des sujets britanniques ; une
flotte anglaise se présenta devant Alger, mais le différend
se termina par des négociations.
Ce fut à cette époque que les relations d'Alger avec la
France; prirent un caractère de mauvais vouloir qui amena
bientôt la rupture. La fourniture de 1793 en fut la cause.
La créance à laquelle elle avr«'t donné lieu avait été liquidée
en 1819 à la somme de sept millions de francs. Des Français,
créanciers du juif algérien Bakri, titulaire de la créance, for-
mèrent opposition au payement. Le dey réclamait avec ins-
tance, et, arrêté par le peu de succès de ses réclamations, il
saisissait toutes les occasion*de témoigner son mécontente-
ment au consul franç^iis , M. Deval. Les relations entre les
deux gouvernements prirent un caractère d'aigreur qui fit
présager une rupture prochaine. En effet, le 2.3 avril 1828, le
consul français s'étant présenté, suivant l'usage, pour ofTrir
ses félicitations au dey, à l'occasion de la grande fête que les
musulmans célèbrent à cette époque de l'année , ce prince
lui demanda , d'un ton courroucé , où en était la négocia-
tion relative à la créance dont il réclamait le payement ; et
sur la réponse évasive du consul, il fit, avec l'éventail
qu'il tenait à la main en ce moment , un geste de mépris ;
on a même prétendu qu'il en avait frappé M. Deval. Il
ajouta à cette insulte, faite en présence des autres consuls
européens, l'ordre de quitter Alger. Peu de jours après,
M. Deval revint en France. Le gouvernement français de-
manda satisfaction au dey, qui, loin de l'accorder, fit
détruire par son lieutenant le bey de Constantine l'établis-
sement que les Français possédaient à La Calle sur le bord
de la mer, à quelques lieues de Bone.
Le gouvernement français , qui n'était pas encore décidé
à tenter l'expédition qu'il exécuta deux années après , fit
bloquer Alger. Mais ce blocus , qui cofttait à la France près
de sept millions par an, n'amenait aucun résultat. 11 était, en
effet, impossible de stationner constamment sur une côte
dangereuse : de sorte que les corsaires algériens, pouvant
presque toujours sortir et rentrer librement, continuaient de
troubler la navigation de la Méditerranée , au grand détri-
ment de notre commerce. Plusieurs projets furent présentés
au ministère qui précéda celui de M. de Polignac; mais il
était réservé à ce dernier d'offrir à la France , par la con-
quête d'Alger, une compensation aux maux que son avène-
ment fit peser sur elle , et d'ennoblir par ce brillant fait
d'armes la chute de la branche aînée des Bourbons.
L'expédition, décidée à la fin de 1829, fut poussée avec
une vigueur extrême dans les premiers mois de 1830. Le
commandement en fut donné au général comte de Bour-
mont, ministre de la guerre; l'amiral Duperré eut ce-
lui de la flotte , et fut chargé de diriger le débarquement.
Rien ne fut épargné pour assurer la réussite : trente-cinq
mille hommes furent embarques à Toulon avec tout le ma-
tériel nécessaire. La flotte comptait onze vaisseaux de ligne,
dis-neuf frégates, et deux cent soixante-quatorze bâtiments
de transport. Elle quitta le port de Toulon en trois divisions,
les 23 , 26 et 27 mai. Une tempête, rare dans cette saison et
dans ces parages, força l'amiral Duperré à jeter l'ancre
le 2 juin dans la baie de Palma , île de Majorque , et d'y
rester jusqu'au 10. Le temps, devenu beau, permit de
mettre à la voile et de se diriger sur la baie de Sidi-Fer-
ruch, où, contre l'attente générale, l'amiral Duperré avait ré-
solu d'opérer le débarquement , qui fut effectué heureu-
sement le 14 du même mois. Les Algériens n'attendaient
point les Français sur ce point de la côte ; aussi l'armée
trouva-t-elle peu d'obstacles. Le général en chef et l'amiral
purent faire toutes les dispositions pour compléter l'œuvre
du débarquement , qui eût été troublé par un orage qui sur-
vint, et dura toute la journée du 17 et une partie de celle
du tS, si les Algériens eussent été en force sur ce point. Ce
n'est que le 19 qu'ils se montrèrent, au nombre de quarante
mille, la plupart Arabes, conduits par les beys de Constan-
tine et de Titteri , sous le commandement d'Ibrahim-Aga ,
gendre du dey. Une bataille s'engagea; les Algériens, atta-
qués avec impétuosité , ne purent résister à la bravoure et
à la tactique françaises : ils furent entièrement défaits. Cette
action a été nommée bataille de Staouéli, du nom de l'en-
droit oii Ibraliim-Aga avait établi son camp.
Le général Bonrmont aurait pu dès le 20 marcher sur
Alger; mais la grosse artillerie n'était pas encore débarquée,
et ce ne fut que le 25, et après plusieurs combats, tous avan-
tageux aux Français, mais sans être décisifs, que l'armée
commença son mouvement. Les dispositions durèrent jus-
JI8
ALGÊUIE
qii au 50 , et le 4 juillet les batteries de sii-^e ouvrirent le
Jeu contre le fort de Tlùiipereur; les Turcs qui le défen-
daient l'abandonnèrent après une résistance opiniâtre, et
le firent sauter en l'évacuant.
Le dey Hussein, déjà découragé par les défaites succes-
sives essuyées par ses troupes depuis le Jour du débarque-
ment de l'armée française, fut atterré à la nouvelle de la
chute du fort de l'Kmpereur, qui était réputé inexpugnai)le,
et dont la possession assurait celle de la ville. Céilant aux
conseils de la prudence et aux insinuations du consul d'An-
gleterre, une convention fut arrêtée dans la matinée du
5 juillet, entre lui et le comte de I5ounnont. Klle stipulait
que le fort de la Casbah, les autres forts, le port et toutes
les batteries seraient remis aux troupes françaises, ainsi que
toutes les propriétés du gouvernement, y compris le trésor.
La fortune particulière du dey et de tous les habitants leur
fut conservée. Plus de mille cinq cents canons , la plupart
de gros calibre , et une quantité considérable de munitions
de toute espèce , tombèrent au pouvoir des Français. A part
quelques légers désordres, inévitables dans une première
occupation , et surtout dans un pays où tout dut paraître
étrange aux vainqueurs , la prise de possession ne présenta
aucun i'cidcnt remarquable. Les ligures naturellement
impassibles des Arabes ne laissaient [)as que d'exprimer
Tétonnement extrême dont ils étaient saisis en voyant les
Français user d'une modéraliou sur laquelle ils étaient loin
de compter.
Ainsi tomba cette puissance monstrueuse qui désola pen-
dant si longtemps le commerce des Européens dans la Mé-
diterranée ; gouvernement singuler, qui pourrait être com-
paré à celui de Malte , et dans lequel l'autorité despotique
du dey était dévolue par une milice qui , comme à Malte ,
ne se recrutait jamais dans le pays : les habitants, fussent-
ils nés d'un père membre lui-même de cette corporation
guerrière, ne pouvaient en faire partie. Do toutes les pro-
vinces de l'empire ottoman arrivaient continuellement à
Alger des aventuriers, la plupart soldats turcs, que Unir
inconduite ou l'espoir d'mie meilleure condition détermi-
nait à y venir tenter la fortune. Les renégats chrétiens étaient
admis dans cette associai on ; mais les Arabes, véritables
propriétaires du sol , ces Arabes dont les ancêtres avaient
conquis rtspagne, où leur longue domination jeta tant
d'éclat, ces <lescendanls des Abcncenauos ot (!p< Z>^giis, si
célèbres par leur bravoure chevaleresque, étaient rigoureu-
sement exclus de la milice et de toute part au gouverne-
ment. Quoique moins exposés aux vexations que les juifs ,
qui formaient une portion vérital)le de la population d'Al-
ger, ils vivaient dans un état de dépendance et àc soumis-
sion voisin de l'esclavage; quelques jilaces de l'administra-
tion leur étaient confiées , mais ils ne faisaient jamais partie
du divan, dans le(iuel résidait, sous l'autorité absolue du
dey, l'exercice du pouvoir souverain.
L'État d'Alger était divisé en trois provinces nommées
heylivIiK : celle de Tlémecen à l'ouest , confinant aux fron-
tières de Maroc , et dont la ville d'Oran était devenue la
C'ipilale depuis que les Espagnols en avaient été expulsés ;
<'.t-lle de Titteri au sud , Médéah en était le chef-lieu : cette
province .s'étend depuis le territoire de la ville d'Alger pro-
prement dit jusqu'au Grand-Désert ; celle enfin de Coniitan-
tine, à l'est, qui comprend tout le pays situé entre la ré-
gence de Tunis à l'est, la mer au nord , le Grand-Désert
au sud , et le bcylick de Titteri à l'ouest. Chacune de ces
provinces était gouvernée par un bey nommé par le dey,
cl revêtu d'une autorité absolue , dont il ne lui était jamais
demandé compte, pourvu que le tribut qui lui était imposé
arrivât régulièrement à Alger. Un pareil gouvernement
avait nécessairement dil produire des conséquences dé-
sastreuses : aussi , cette vaste contrée , que la nature s'est
plu à enrichir de ses dons les plus précieux, et où, sous
la domination romaine, on avait comjifé jusqu'à trente-trois
villes, éti'.it-elle tombée dans un état déplorable rous tous
Fes rapports. La jiopulation diminuait tous les jours , et à
peine quelques vallées étaient-elles cultivées à des époques
irrégulières par les tribus d'Arabes répandus sur cette grande
surface ou réunis dans un petit nombre de bourgs. Le tri -
but exigé par le dey d'Alger, tout faible qu'il était , ne se re-
couvrait qu'au moyen des plus cruelles vexations, auxquelles
les Arabes cherchaient souvent à se soustraire en se dépla-
çant. H n'eût pas été possible au dey de subvenir aux dépenses
du gouvernement et à l'entretien de la milice s'il n'avait
eu d'autres ressources que les revenus du pays : aussi la
piraterie était-elle une condition inévitable de son existence.
C'est la portion considérable qu'il s'attribuait sur les prises
maritimes (jui alimentait son trésor. Depuis que les puis-
sances européennes, isolant moins leurs intérêts récipro-
ques , prêtaient appui aux Etats secondaires , et forçaient le
dey à se contenter d'un tribut dont elles se dissimulaient
l'ignominie en le qualifiant de présent, le déficit, de plus
en i)lus considérable , que ce nouvel état de choses faisait
éprouver au dey , le forçait à recourir au trésor amassé de-
puis trois siècles par ses prédécesseurs. Ce trésor , que la
renommée faisait monter à des sommes immenses , n'était
plus que d'un peu moins de cinquante millions de francs au
moment de la conquête; et une investigation sévère, en
prouvant qu'il n'en avait été rien détourné , connue on
l'avait dit , a fait connaître la situation de cette puissanrx; ,
dont la cluitc ne pouvait être éloignée.
M. de Bourmont était loin de prévoir qu'un autre gou-
vernement que celui de Charles X allait mettre à profit la
conquête brillante qui venait de lui valoir le bâton de ma-
réchal. Toujours titulaire du ministère de la guerre, il son-
geait déjà à rentrer en France, et se contentait de quelques
mesures provisoires d'administration locale, se proposant
sans doute d'eu faire prendre de définitives à son retour à
Paris, lorsque la première nouvelle de la révolution de
juillet vint le surprendre et faire évanouir tous ses projets.
— On a dit que M. de Gourmont avait cru possible de rester
à la tête de l'armée d'Afrique , et de la conserver à Charles X.
Quoi qu'il en soit, il atteudit l'arrivée de son successeur, lui
remit le commandement, et quitta Alger le 3 septembre. Le
dey et les principaux ciiefs de la milice turque étaient partis
d'Alger le \1 juillet, avec leurs familles et la plus grande
partie de leur fortune.
Le maréchal Clauzel arriva à Alger le 2 septembre avec
les pouvoirs du nouveau gouvernement : il fut accueilli
avec enthousiasme par l'armée , qui était fière de marcher
sous les ordres d'un des vieux capitaines de iSapoléon.
La capitulation d'Alger n'avait donné qu'Alger mêiue à
la France. Des dispositions hostiles apparurent dès les pre-
miers jours de l'occupation. Le commandant en chef ayant
cru pouvoir s'avancer sur Blidali avec un corps de 1,200
lionmies fut obligé de renoncer à son dessein. Tout autour
les tribus, soulevées contre nous par la haine du nom chré-
tien, menaçaient d'arracher à nos soldats victorieux le sol
sur lequel ils venaient de planter leur drapeau. La révolu-
tion de juillet, qui inspirait au gouvernement de légitimes
incertitudes sur le maintien de la paix avec l'Europe , ne
lui permettait d'ailleurs pas de s'occuper librement des affai-
res de l'Algérie.
Pres(iue partout avaient surgi dans les villes et au sein
des tribus des chefs audjitieux aspirantau pouvoir. L'anar-
chie existait par toute la régence. Le maréchal Clauzel , se
voyant dans l'impossibilité de tenter la soiunissioa du pays,
songea à instituer dans les provinces de Test et de l'ouest des
princes amis , tributaiies de la France , qui devaient épargner
à son armée les périls de la conquête et les embarras, encore
plus grands peut-être, de la consen-ation. Dans l'attente de
la conclusion prochaine d'arrangemenls avec le bey de Tunis
pour des princes de sa maison, le commandant en chef réso-
lut de frapper un grand coup dans la province de ïittcry. II
1
ALGÉRIE
avait confirme h Boii-Mczra;; le beylik de Tilfery; mais cet
ambitieux, qui lùvait la délivrance d'Alger, ayant , trois
mois après son investiture, appelé les Arabes à h\ guerre
sain/ ('M maréclial Clauzel marcha sur Médéah, où il sVtait
installé , dispersa ses partisans, et le ramena prisoimier, en
lui donnant pour remplaçant un Arabe, Mustaplia-Ben-Omar,
auquel il laissa pour le soutenir douze cents Français.
La prise d'Alt;er avait été pour le lieylick d'Orau le signal
d'une insurrection générale des poinilations arabes contre
les Turcs. Pressé entre deux ennemis , le bey Hassan im-
plorait alors notre assistance; on hésitait à accueillir ses
inopositions, mais un ennemi plus puissant, l'emiiercur de
Slaroc, menaçait d'une invasion prochaine. Descendant di-
rect du Prophète et, selon la croyance des musuhnans du
Maghreb , le premier de ses successeurs après le sultan de
Constantinople, Muley-Abd-el-Rhaman devait exciter dans
les tribus la plus vive sympathie. Une armée marocaine,
sous les ordres du neveu de l'empereur, parut devant Mas-
cara, qui ouvrit ses portes; Tlémecen fut ensuite occupée;
mais trois mille Turcs et Coulouglis, renfermés dans la cita-
delle, parvinrent à s'y maintenir. L'intervention française ne
se fit pas attendre. Au mois de novembre 18:50 nous oc-
cupions le fort de Mers-el-Ivebir, et le 10 décembre suivant
la ville d'Oran , dont le bey de Tunis vint prendre posses-
sion, jusqu'à ce que la sanction aux traités qui avaient appelé
les Tunisiens dans cette place eût été refusée.
La courte administration du maréchal Clauzel fut signalée
par l'organisation de différents services publics, tels que la
justice, la douane, par l'établissement de la ferme-modèle,
par la création des zouaves et des chasseurs algériens, par
la formation de la garde nationale algérienne, sous le nom de
milice africaine.
En février 1831 le général Berthezène succéda au
Maréchal Clauzel. Une partie de l'armée avait été rappelée
en France; son effectif, autrefois de 37,357 hommes et de
3,094 chevaux, était alors réduit à 9,300. Avec de si fai-
bles moyens , on était obligé de faire face à de nombreux
besoins. Le fils de IJou-Mezrag , favorisé par des amis puis-
sants* et le souvenir de son père , attaquait Médéah , dont
on avait supprimé la garnison. ÎSotre bey, Mustapha-Ben-
Omar, allait succomber ; il fallut le secourir et le ramener
à Alger. Des troubles survenus aussi à Oran lors du départ
du bey de Tunis nous obligèrent à y envoyer le généial
lioyer avec 1,350 hommes jiour s'y établir. La situation de
la province d'Oran à cette époque était déplorable. Aucun
des liens qui assuraient autrefois la dépendance des tribus
n'avait survécu à la dissolution de l'ancien gouvernement.
A Tlémecen les Arabes occupaient la ville, les Coulouglis la
citadelle, et les hostilités étaient continuelles. Dans quelques
villes, comme Mascara, ils se partageaient le gouvernement.
Le père d'Abd-el-Kader, le marabout Mahi-Edd in, prépa-
rait déjà dans la province l'avènement futur de son fils , et
faisait servir son influence religieuse à la fondation d'une
jinissance purement arabe. Le général Boyer s'occupa d'a-
bord d'entrer en relations avec les garnisons turques et
coulouglies éparses dans la province. Celle de Mascara avait
capitulé, et les Arabes, violant leurs engagements, la massa-
crèrent en entier. Mascara devint pour eux une place de
guerre et un centre d'action contre les forces françaises. Le
même sort menaçait les milices de Moslaganem et de
Tlémecen. A cette crainte, qui maintenait les garnisons tur-
<pies et coulouglies dans nos intérêts, le général Boyer ajouta
l'apjjùt d'une solde mensuelle, et leur résistance continua. Le
général Boyer établit également des rapports avec Arzeu,
jiort situé à dix lieues ;i l'est d'Oran, qui lui procurèrent du
bh-, des fourrages et des bestiaux ; et après avoir mis la ville
en état de délénse et réjjaré en partie les fortifications , qui
avaient été presque comijlétenient déiruiles, il entama des
licgociations avec les Douairs et les Zuiélas, afin de les atla-
ilicr il notre cau^e.
8Iλ
A cette époque une vaste coalition se formait pour dias-
ser les Français de l'Algérie : un Maure, nommé Sidi-Sadi,
récenmient arrivé de Livourne , où se trouvait Husséin-Dey,
avait concerté avec le pacha dépossédé un plan dt; soulève-
ment général , qui , n'ayant pas été exécuté avec ensemble
par toutes les tril)us confédérées, permit au Rénéral Ber-
thezène de les battre séparément au gué de l'Harach et à la
Ferme-modèle. Ces embarras surmontés pouvaient renaître
chaque jour et épuiser lentement nos forces, car les Arabes,
bien que vaincus , n'étaient pas soumis.
Presque toujours occupé à repousser l'ennemi, le général
Berthezène eut peu de temps à donner à l'administration
intérieure de la colonie ; on lui doit cependant quelques éta-
blissements utiles, parmi lesquels il faut citer de belles caser-
nes situées au delà du faubourg de Bab-Azoun , un abattoir,
la place du Gouvernement, la réparation de la jetée, etc.
Enfin, 16,000 hommes de troupes débarquèrent en Afri-
que sous le commandement du duc de Rovigo , pour satis-
faire aux besoins de loccupation et ramener les indigènes
au respect de notre autorité. Le commandement du pays et
de l'armée fut laissé au duc de Rovigo. L'autorité civile fut
rendue indépendante, et résida dans la personne d'un inten-
dant civil, M. Pichon. Ce fut un essai malheureux, auquel il
fallut renoncer après un petit nombre de mois.
La situation de l'Algérie semblait alors plus favorable.
Les tribus étaient découragées. Peu de temps avant son
départ, le général Berthezène avait nommé aga des Arabes
Sidi-Ali-M'barek , marabout vénéré de Coleah, qui mainte-
nait la tranquillité dans la plaine. Sur ces entrefaites , des
envoyés ducbeik El-Farhat, ennemi du bey de Constantine,
Hadji-Ahmed, étaient venus à Alger offrir le concours de leur
maître pour l'expédition qu'ils croyaient projetée contre
Constantine. Ces députés partirent d'Alger chargés de pré-
sents; mais arrivés sur le territoire de la tribu d'El-Ouffia,
ils furent complètement dépouillés par des Arabes inconnus.
Dès le lendemain la tribu d'El-Ouffia fut frappée d'exécu-
tion militaire; son chef, fait prisonnier, fut condamné à mort
et exécuté. A la suite de cet acte de vigueur, une nouvell»»
coalition se forma. Sidi-Sadi , aidé par les marabouts fa-
natiques, mit en circulation des prophéties qui annonçaient
la prochaine et infaillible extermination des Français. L'aga
des Arabes Ali-M'barek se laissa entraîner, et devint dès lors
notre ennemi ; mais les rassemblements formés au pied de
l'Atlas furent bientôt dissipés.
Bone , occupée une première fois en 1830 , avait été pré-
cipitamment évacuée, lorsque la nouvelle des journées de
Juillet était parvenue en Afrique ; les habitants n'y avaient
point rappelé le bey , Hadji-Ahmed , dont ils redoutaient la
tyrannie ; mais la quiétude dont ils jouissaient ne fut pas
de longue durée. Ahmed , sentant sa puissance raffermie ,
dirigea tous ses efforts contre Bone , position commerciale
qui était pour lui de la plus haute importance. Après le
départ des troupes françaises les habitants de Bone avaient
reçu quelques secour> ; mais la ville était étroitement blo-
quée du côté de terre par les troupes d'Hadji-Ahmed ou par
les tribus qui lui obéissaient. Vers la fin de f 831, le chef de
bataillon Houder arriva à Bone avec cent vingt-cinq zouaves.
Bien accueilli d'abord, et ensuite trompé par Ibrahim , an-
cien bey de Constantine , qui se saisit pour son compte de
la casbah , ce malheureux officier fut tué au moment où
il se rembarquait. Cependant Bone , serrée chaque jour de
plus près par les soldats d'Hadji-Ahmed, implorait toujours
les secours de la France. Il était dangereux de laisser le bey
de Constantine reprendre ce port ; l'occupation en fut dé-
cidée. En mars 1832, le capitaine d'artillerie d'Armandy, et
Jou sou f, alors capitaine aux chasseurs indigènes, du-
rent aller aider les assiégés de leurs conseils et leur prêter
main-forte. Mais avant leur arrivée Bone, forcée d'ou-
VI ir ses portes à Ahmed , subit toute l'horreur des cala-
Diifés de la guerre. Quelques braves se maintinrent cepeu»
3'^0 ALGÉRIE
dant dans la casbah , et les Français, ayant eu l'audace d'y
Iiéiiétier la nuit, arborèrent aussitôt le pavillon tricolore,
<iui n'a pas cessé d'y llotter depuis. L'u bataillon d'infan-
terie, et plus tard 3,000 hommes, partis de Toulon avec
le général Monk-d'Uzer, vinrent s'établir sur les ruines de
la place , que l'on s'occupa de déblayer et de rcconstmire
immédiatement. Ibraliim-Ccy, en proie au dépit de l'ambi-
tion trompée, essaya bien de nous en disputer la conquête;
mais il fut repoussé et poursuivi par les indigènes eux-
mêmes. Peu de temps après, deux tribus, lassées de la tyran-
nie d'Ahmetl-Bey, vinrent s'établir sous le canon de la place,
et fournirent des cavaliers pour la police de la plaine.
Notre occupation embrassait donc à Alger la ville et la
banlieue, renfermée presque entièrement dans la ligne de
nos avant-postes; nous dominions sur tout le territoire
compris entre l'Harach, la Métidja, le Maxafran et la mer;
à Oran, nous possédions une lieue autour de la place et le
tort Mers-el-Kcbir. Tlémecen et Moslaganem, occupés par les
Turcs et les Coulougiis, commençaiL-nt à vivre eu bonne
intelligence avec nous. A Donc , bien que l'établissement ne
s'étendit qu"à portée de canon des murailles, nos relations
avec les tribus voisines se formaient d'une manière satis-
faisante. C'est dans cet état que, le lieutenant général Voiro I
trouva l'Algérie française lorsqu'il reçut, par intérim , le
commandement après le départ du duc de Rovigo, (jui re-
vint en France , déjà atteint de la maladie à laquelle il devait
.succomber. Le général Avizard, qui avait pris le comman-
dement au départ du duc de Rovigo, institua pendant sa
courte administration le bureau arabe, celte licureu^e
création, qui a fait et ftjra plus pour notre domination que
vingt ans de combats. Le capitaine Lamoricière fut le
premier chef de ce bureau. Malgré ses étroites limites, notre
domination s'asse\ait solidement; la population civile, im-
perceptible d'abord , s'accrut avec rapidité. On construisait,
on plantait; des routes militaires s'ouvraient; des camps re-
tranchés étaient établis ; les sentiments hostiles s'éteignaient
autour de nous, et la paix faisait des progiès réels. Ces dis-
positions à un rapprochement furent accrues par le succès
([u'oblint , au commencement de mai , une expédition diri-
{^ée contre les Bouyagueb et les Gueroiiaou, dont l'insolence
et les agressions continuelles méritaient un châtiment.
Depuis que lione lui avait échappé sans retour, Hadji-
Ahmed convoitait Bougie , pour en faire son port. Il se
flattait aussi de soun;ettre au sud Médéah , que déchiraient
des factions ; mais les gens de Médéab réclamèrent notre se-
cours, et quoi<iue les auxiliaires demandés ne pussent être
fournis, encouragés par notre bon accueil, ils repoussèrent
le bey de Constantine.
Le général Boyer, après de fréquents combats contre les
Arabes, venait de remettre le commandement d'Oran au gé-
néral Desmichels , et l'empereur de Maroc, dén >iragé par
notre ferme contenance et par les représentations éner-
giques du colonel Delarue, notre envoyé, se détermina à re-
tourner dans ses li^tats. La guerre continuait entre les Arabes
et les Coulougiis de Tlémecen, et le départ des troupes ma-
rocaines n'avcfit pas fait trêve aux hostilités des populations
contre nous. Les marabouts prêchaient sans cesse la ligue
sainte contre les chrétiens. Après la mort de Alahi-Kddin,
reconnu un moment chef des tribus du pays de Mascara ,
Abd-el-Kader se fit proclamer à Tlémecen bey de la pro-
vince, leva des contributions, appela à lui les Arabes des
alentours, et marcha sur Mostaganem pour s'en emparer.
Ar/.eu tomba en son pouvoir, et le cadi de cette ville, qui
avait traité avec les Français, fut décapité par son ordre. Le
général Desmichels sentit la nécessité de balancer les succès
d'A!)d-el-KaJer : il marcha bur ArxtMi, qui ttil occupé le
3 juillet, et prit possession de Most'iganem le 29 liii même
mois. L'émir (titre qu'Abd-el-Kader avait pris depuis long-
temps) fut battu successivement à Ain-Beda le l'"'' octobre,
tl ix Tamezouat le .î décembre. Après ce dernier combat,
où il essuya des pertes considérables , les Douaïrs et les
Zmélas se détachèrent complètement de sa cause , et nous
sont depuis restés fidèles.
Vers cette époque l'occupation de Bougie fut résolue. Oc-
donnée le 14 septembre, l'expédition, sous le commandement
du général Trézel, mit à la voile le 23, et le 9.9, après une as-
sez vive résistance, Bougie devint une ville française.
Au commencement de 1834 quelques tiihus de la Métidja
montrèrent des dispositions amicales; on s'occupait d'or-
ganiser les Outhans raUiés. Des hakems (gouverneurs)
nommés par l'autorité française maintenaient sur les villes
de Blidah et de Coleah une souveraineté nominale. Les tribus
du beylick de Tittery continuaient de repousser les tentatives
d'Ahmed-Bey; celles des environs de Bone se tenaient égale-
ment prêtes à le combattre. Tuggurt, ville des confins du
désert, avait envoyé des députés à Alger pour promettre a
la France son concours et ses sympathies si elle marciiaii
contre le bey de Constantine.
Enfin, à Oran, le général Desmichels, victorieux à Tame-
zouat, avait signé la i)aix avec Abd-el-Kader le 2fi février 1 83 'i ,
et si d'une part la cessation des bostiliiés permettait à Ahd-
el-Kader de tournor ses efforts contre ses rivaux, de l'autre
elle donnait à la France le temps de s'affermir sur tous les
points occupés.
Une commission de pairs et de députés fut chargée par le
gouvernement d'examiner le pays, et d'éclairer la France
sur les inconvénients et les avantages de sa conquête. A la
suite de cette enquête, parut l'ordonnance du 22 juillet ISoi,
qui constitua sur de nouvelles bases l'organisation politique
de la régence, ii laquelle on donna le nom significatif de Pos-
sessions françaises dayis Icnordde l'Afrique. Le gouverne-
ment ne lut plus la conséquence du commandement militaire,
mais le domina. Sous les ordres du gouverneur général, il y
eut un lieutenant général commandant les troupes, et les
services divers reçurent des chefs spéciaux.
Le général Drouet d'Erlon, nommé gouverneur, prit
alors possession de son commandement. Par suite du vo-u
exprimé par les Chambres de voir réduire les dépenses de
l'occupation, il dut, à défaut d'un déploiement de forces
considérables , donner à la composition de l'armée une va-
leur plus cissi rée et un effectif plus réel. On créa, sous le
titre de spahis réguliers, un corps d'indigènes, afin d'uti-
liser ces derniers et de pouvoir en même temps réduire
les corps venus de France.
Les bons rapports qui avaient été établis avec les indigènes
durèrrnt jusqu'à la fin de 1834. !\Iédéah, menacée d'un côté
par le bey de Constantine , de l'autre pressée par les sol-
licitations d'Abd -el-Kader, envoya dr-. députes au gouver-
neur général pour lui demander 1-autorisation d'accueillir
l'émir et de reconnaître un bakem quMl nommerait : en cas
de refus , le général en chef était supplié de pourvoir lui-
même à l'administration et à la défense de la ville. On fit
défendre à Abd-el-Kader de quitter la province d'Oran et aux
habitants de Médéah de le recevoir. On ne put néanmoins
leur envoyer un gouverneur, faute de tioupcs pour le
soutenir.
Le général Trézel, qui remplaça le général Desmi-
chels dans la province d'O'-an, avait pour nnssion de con-
tinuer les rapports pacifiques établis avec Abd-el-Kader;
mais la tâche était difficile : les conditions du dernier traité
n'étaient pas exécutées ; Abd-el-Kader exerçait sur les
Arabes de la province d'Oran et même de la province de
Tittery une influence prépondérante. Le besoin d'ordre et de
gouvernement régulier poussait les populations, à <léfaut de
la France, trop éloignée et souvent invoquée en vain , vers
l'émir, représentant de la nationalité arabe. Médéah, toujours
menacée par le bey <le Constantine, se jeta dans son parti.
.Sur ces entrefaites un chef de tribu du Sahara, Hadjr-Moussa-
el-l)arkaoui, souleva les populations contre les Français et
contre l'émir, coupable d'avoir fait la paix avec les chrétiens ;
ALGÉRIE
mais il fut cU-fait. Abd-cl-Kador entra victorieux dans Mé-
di^ali, et reçut la soumission de Miliana. Outre l'extension qu'il
avait donnée à son autorité, l'émir recevait de rétran;;er des
munitions de guerre ; enfin , la rupture semblait devenir iné-
vitable. A la suite d'une razzia qui menaçait le territoire des
Douaïrs et des Zmélas, la division d'Oran fit une démons-
tration militaire qui fut le signal des hostilités. Les désas-
tres de la forêt Muley-Ismael et delà Macta, où
nous i)erdîmes six cents hommes sur dix-huit cents, ébran-
lèrent malheureusement dans l'esprit des indigènes la con-
viction de notre supériorité, et compromirent notre ascen-
dant moral. Quinze mois d'une paix équivoque dansl'onest
avaient séparé de nous les populations du centre ; le fana-
tisme s'était réveillé : sous le titre de prince des fidèles et de
protecteur de la religion , Abd-el-Kader avait été reçu par-
tout avec enthousiasme ; de Médéah à Tlémeccn, les villes et
les tribus semblaient ne plus reconnaître d'autre chef. Le
bey de Constantine Ahmed paraissait résigné au succès de
son habile rival. La prise de Mascara, l'occupation de
l'île de Harchgoun et l'expédition de Tlémecen , dirigées par
le nouveau gouverneur maréchal Clauzel ( 1835) , raffemii-
rent, il est vrai, notre puissance; mais le contre-coup de
l'échec de la Macta s'était fait sentir dans les autres parties
de l'Algérie : Bone, Bougie, Médéah étaient loin d'être pa-
cifiées. Néanmoins, ce (acheux événement n'eut pas le pou-
voir de faire renaître les coalitions , et les Arabes, fatigués
d'une guerre sans terme, qui les appauvrissait , semblaient
attendre de quel côté pencherait la balance pour se joindre
au parti vainqueur. Les généraux Perre^aux et d'Arlanges ,
l'un sur l'Habrah et la vallée du Chélif, l'autre à l'em-
bouchure de la Tafna , où le gouverneur général avait jugé
nécessaire l'établissement d'un camp pour procurer à la
garnison française de Tlémecen une communication plus
prompte avec la mer, s'efforçaient de maintenir la tran-
quillité et d'établir la suprématie de notre drapeau. Mais la
lutte était trop inégale. Des renforts furent envoyés de France,
sous le commandement du général Bugeaud, qui, pour
débuter, battit complètement l'émir au i)assage de la S i c-
k a k, lui tua douze à quinze cents hommes, et lui prit cent
trente réguliers , qui furent traités avec humanité et trans-
portés en France. Aucun événement important ne signala
du côté d'Oran la fin de 1836. En août et novembre une
brigade put , sans obstacle sérieux , parcourir de grandes
distances et recueilhr la soumission passagère des tribus
détachées de la cause de l'émir. La domination française
avait autour et en avant de Bone fait des progrès réels ; la
Call e venait d'être occupée par le chef d'escadron Jousouf,
récemment nommé bey de Constantine. Cependant depuis
cinq années les Arabes de la province s'étonnaient que la
France laissât le bey de Constantine exercer en paix un pou-
voir qui aurait dû finir avec la régence d'Alger. Le maré-
chal Clauzel, pour préparer l'expédition de Constantine,
fit occuper la position de Dréan , à vingt-quatre kilomètres
sud de Bone. Les forces dont il pouvait disposer lui parais-
saient suffisantes, le succès lui semblait assuré, et, sur la foi
de ces espérances, le corps expéditionnaire, fort de 9,137
hommes, s'ébranla le 8 novembre. Le ISoncanipaitàGhelma,
et le 21 Tarmée prit position sous les murs de la ville, où tant
de déceptions poignantes , de tortures et de misères l'atten-
daient. Après quelques jours d'infructueuses tentatives, la
retraite se fit lentement sur Bone. L'issue malheureuse de
cette expédition aurait pu avoir une influence fâcheuse sur
"nos relations avec les tribus des provinces d'Alger et de Tit-
tery , si les habiles dispositions prises par le général Rapa-
tel n'avaient imposé aux Arabes. Le développement de nos
établissements militaires, l'agrandissement de Ghebna, les
travaux de route, de canalisation , d'agriculture , qui s'exé-
cutaient de toutes parts, prouvaient assez que l'insuccès d'une
entreprise contrariée par le mauvais temps n'abattait pas
notre courage.
DICT. DE L.V CONVERS. — T. I.
321
Dans les derniers jours de mai 1837, le nouveau gouver-
neur général, Dam ré mon t, se disposait à explorer Mihana
et la vallée supérieure du Chélif, et le général Bugeaud, de
son côté, allait commencer la guerre de dévastation dont il
avait menacé les Arabes, lorsqu'Ahd-el-Kader demanda à
traiter, eu reconnaissant la souveraineté de la France. La
convention de la Tafna laissa le gouvernement libre de
porter son attention tout entière sur la^ province de Cons-
tantine; rien ne fut épargné pour que la question depuis si
longtemps indécise entre Ahmed et nous fût enfin tranchée
par la guerre. Bone, Dréan, Ghelma, Nechmeya, Hamman-
Berda, se garnirent de troupes, d'artillerie, de munitions et
d'approvisionnements. On se rapprocha de Constantine, en
occupant fortement la position de Medjez-el-Ahmar, sur
laquelle 10,000 Arabes ne tardèrent pas à se ruer, mais sans
succès. Partie de ce point le 1"^ octobre 1837, l'armée ar-
riva le 6 devant Constantine, et y entra de vive force
le 13. Cette victoire fut chèrement achetée : une foule de
braves, en tête desquels il faut nommer le comte de Dam-
rémont lui-môme, la payèrent de leur vie. Le général Val ée
prit le commandement. La chute de Constantine achevait
la ruine de l'ancienne régence, et la domination sur la pro-
vince tout entière résultait natui'ellement de sa possession.
Assise sur un i)lateau élevé, assez rapprochée des frontières
de Tunis, entretenant avec les peuplades des confins du dé-
sert des rapports fréquents, et débouchant dans les plaines
à l'est des Portes-de-Fer, elle devait exercer sur le pays la
plus utile influence. On répara la brèche ouverte pai- notre
artillerie, et 5,000 hommes y demeurèrent en garnison avec
le fameux bataUlon de Constantine, composé de Turcs
et d'Arabes , qui nous ont depuis rendu de si grands ser-
vices.
Le général Valée arriva sans obstacle à Bone, où il reçut
sa nomination aux fonctions de gouverneur général de l'Al-
gérie. Quelque temps après, le bâton de maréchal de France
le récompensa du glorieux fait d'armes auquel il avait at-
taché son nom.
En janvier 1838 le général Négrier alla reconnaître la
route qui conduit de Constantine à la rade de Stora , dans
le but d'assurer à cette ville des communications plus
promptes et plus faciles avec la mer, et de donner un
port de plus à la province. Il trouva sur son passage, dans
une étendue de vingt-quatre kilomètres, tous les Arabes
paisibles et adonnés aux travaux des champs. Bientôt la
voie, longue seulement de quatre-vingts kilomètres, qui,
par le camp de Smendou , conduit en trois marches de
Constantine à Stora , fut commencée , et les transports de
l'armée ne tardèrent pas à la parcourir en toute sécurité.
Une ville française, sous le nom de Philippeville, s'éleva
bientôt auprès de l'ancienne Stora. Trompé sans doute
par les espérances que lui faisaient trop légèrement con-
cevoir ses partisans , Hadji-Ahmed , avec les cavaliers de
quelques tribus restées fidèles , s'était d'abord avancé dans
le Djérid , puis vers Constantine. Nos troupes marchèrent à
sa rencontre , comprenant bien qu'un tel voisinage porterait
l'incertitude parmi nos alliés. Celte démonstration suffit
pour faire reculer l'ancien bey et détacher de sa cause les
chefs les plus influents qui suivaient encore sa fortune.
Dans les provinces du centre et de l'ouest , l'émir ne
se rendait pas compte des obligations que la paix de la Tafiia
lui imposait envers nous ; il ne veillait pas suffisamment au
maintien de la tranquillité, et devançait, par des actes que le
moment n'était pas venu de réprimer, l'interprétation con-
testée du traité. Une convention supplémentaire , signée à
Alger par le représentant d' Abd-el-Kader , Mouloud-Ben-
Arrach , n'ayant pas été ratifiée par lui , la rupture devint
inévitable. Une partie de l'année s'écoula cependant sans hos-
tilités. Abd-el-Kader de son côté, après avoir assiégé la ville
d'A ï n - M a d h i , s'assurait des sympathies de l'empereur de
Maroc En attendant, les travaux de route et d'assainissement
41
322
ALGÉRIE
se poursuivaient partout avec activité; des postes étaient
établis au pied de l'Atlas , afin de protéger le territoire de
la jMétidja. Les indigènes semblaient eux-mêmes seconder
ces progrès de nos établissements, et s'associer à nos espé-
rances d'avenir. Des familles arabes émigrées revenaient
avec confiance se réfugier sous notre autorité; nos alliés
des tribus de Krachna, Béni-Moussa et Béni-Kbalid, fati-
gués des exactions des lladjoutes, formaient contre eux
une expédition, tuaient leurs guerriers et enlevaient leurs
troupeaux. Dans la province de Constantine , quelques
meurtres isolés commis sur nos soldats ayant motivé de
la paît du général Négrier de sévères admonestations au
klialifat du Sahel, Ben-.Vissa, on vit pour la première fois
des Arabes arrêtés, jugés, condamnés et exécutés par
des Arabes, leurs juges naturels, pour des assassinats sur
des chrétiens. Une attaque des Kabyles contre la garnison
de Ghelma et le cliûliment des Oulad-Agiz, qui avaient as-
sassiné Bou-Agab, notre cheik des Harractas, furent les seules
occasions dans lesquelles nos troupes eurent à signaler de nou-
veau leur valeur et à montrer leur supériorité. Divers évé-
nements , tels que les approvisionnements de INIilah et de
Ghelma, une reconnaissance entre Bone et Philippeville,
ayant pour objet une communication plus prompte entre
ces deux points importants, reliés ainsi à Constantine, l'oc-
cupation de Djomilah et du port de Djidjeli , l'expédition
de Sétif, la soumission de plusieurs tribus non ralliées, l'ar-
rivée du duc d'Orléans, et le passage du Biban, occupè-
rent laborieusement nos armées jusqu'au mois d'octobre
1839.
Vers la fin de l'aimée, les Arabes qui avaient envahi le
territoire d'Alger s'étaient, il est vrai, éloignés de nos postes;
mais leur masse remplissait encore les versants septentrio-
naux des montagnes les plus voisines. La plaine était dépeu-
plée d'Européens, dont les habitations avaient été détruites.
Des partis ennemis se glissaient à la faveur des plis du
terrain jusqu'au voisinage d'Alger ; nulle part la campagne
n'était sûre , et les communications d'un poste à l'autre ne
s'effectuaient plus que par des colonnes.
A cette époque, les Hadjoutes, prévenus des secrètes
dispositions d'Abd-el-Kader, passèrent la Chiffa, et vinrent
exercer des razzias meurtrières contre la tribu des Béni-
Khalib , notre alliée. Le commandant du camp d'Ouad-el-
Aleg, accouru pour les repousser, tombe mortellement
blessé, ^'os soldats, furieux, se précipitent sur l'ennemi, et,
malgré leur infériorité numérique , le refoulent en deçà de
la Chiffa. A ce premier échec l'émir répond enfin par une
franche déclaration de guerre. Dans les premiers jours de
décembre, mille à douze caits Hadjoutes, rencontrés entre
le camp de l'Arba et le cours de l'Harach par une colonne
formée du 62" de ligne et d'un escadron du l""" de ciias-
seurs, furent culbutés et forcés à une prompte retraite,
après avoir subi des pertes considérables. Peu de temps
après, un convoi parti de Bouffarick pour Blidah rencontre
au delà de Méred les bataillons réguliers de l'émir, aux-
quels s'étaient joints un grand nombre de Kabyles. Une
charge vigoureuse du 1" régiment de chasseurs les jette
dans un ravin , et les décime par un feu des plus meur-
triers ; à peine arrêté dans sa marche, le convoi gagne tout
entier le camp de Blidah , en avant duquel , dès le lende-
main, l'ennemi revient s'établir. Le général Rulhières, à
la tête de quatre colonnes immédiatement disposées pour
l'attaque , se lance sur les Arabes , les déloge de leur posi-
tion , et rentre à Boiiffarick , après les avoir foudroyés par
sa mitraille.
La guerre ne tarda pas h agiter aussi la province d'Oran.
Elle est signalée par la défense de Mazagran, un des plus
glorieux faits d'armes de la conquête; en môme temps un
corps expéditionnaire occupe Cherche 11. Un succès plus
important venait d'être remporté le 1" décembre dans la
province d'Alger, entre le camp supérieur de Blidah et la
Chiffa. Toutes les forces des khalifats de Médéah et de
Miliana réunies , l'infanterie régulière de l'émir et sa nom-
breuse cavalerie occupaient le ravin de l'Oued-el-Kebir ; les
2" léger, 23* de ligne et 1"^ de chasseurs, en chargeant sur
elles, gravissent, sans tirer un seul coup de fusil , la berge
opposée du ravin , et atteignent les Arabes , qu'ils mettent en
pleine déroute. Trois drapeaux , une pièce de canon , les
tambours des bataillons réguliers, quatre cents fusils et trois
cents cadavres, furent les trophées de cette brillante vic-
toire. IMais ces rencontres ne pouvaient être décisives ; il de-
venait évident pour tous que l'émir ne serait détruit que par
une suite d'opérations combinées avec une persévérance et
une vigueur extrêmes.
Dans cet état de choses , le gouverneur général résolut
de faire à .\bd-el-Kader une guerre opiniâtre et de l'at-
teindre jusque dans ses principaux établissements. Les com-
bats de Miserguin et de Sihous, la punition des tribus ka-
byles de Béni-Saak , de Béni-Ouaban , de Déni- Moussa et
des Haractas, retardèrent jusqu'au 25 avril 1840 l'ouver-
ture de la campagne. La prise de possession de Médéah et
de Miliana, qui devait couper les communications d'Abd-
el-Kader, étant résolue , neuf raille hommes s'ébranlèrent
pour l'effectuer. L'ennemi , plusieurs fois abordé et vaincu ,
parvint toujours à se dérober, par la fuite, à une défaite
complète; cependant dans la journée du 27 notre in-
fanterie, arrivant au pas de course avec la cavalerie sur
les hauteurs de l'Afroun , le chassa dans la vallée de Bou-
Roumi, et l'obligea à quitter une forte position qu'il oc-
cupait dans la gorge de l'Oued-Djer. Pendant ce temps
Cherchell était attaquée par les Arabes, qui se fatiguèrent
inutilement pendant six jours à en surprendre ou à en
forcer la garnison. Le corps expéditionnaire marcha ensuite
sur Médéah, pour la ravitailler; mais le passage du col de
Mouzaïa lui fut vivement disputé par les Kabyles , embus-
qués dans des ravins Inexpugnables. Médéah tomba en notre
pouvoir le 17 mai. Dans la deuxième période de cette fruc-
tueuse campagne, Miliana fut occupée le 8 juin et ravi-
taillée le 23, presqu'en môme temps que Médéah.
Mais la chaleur ne permettant pas de continuer les opé-
rations dans la province de Tittery , le gouverneur ramena
les troupes sur le territoire d'Alger, après avoir châtié sé-
vèrement les Kabyles de Mouzaïa et les Béni-Salah, qui
depuis le commencement de la guerre s'étaient montrés
très-hostiles et avaient constamment inquiété nos convois.
En quittant le camp de Mouzaïa, qui n'était qu'un poste de
campagne, le gouverneur ordonna des travaux prélimi-
naires à rétabhsseraent d'une route qui permettait de tour-
ner à l'est le col de Mouzaïa , comme on l'avait déjà tourné
à l'ouest. Cherchell , Médéah et Miliana occupés , le terri-
toire des Hadjoutes balayé et l'ennemi repoussé partout oii
il avait tenté la résistance, tels furent les résultats maté-
riels de cette glorieuse campagne. De retour avec l'année,
le maréchal Valée s'occupa immédiatement des dispositions
à prendre pour la campagne d'automne : achever dans la
province de Constantine la soumission des tribus indécises,
et compléter l'approvisionnement de toutes les places jus-
qu'au printemps; dans celle de Tittery, approvisionner pour
six mois Médéah et Miliana , ramener les tribus du terri-
toire à la soumission et détruire l'établissement de Thaza;
dans la province d'Alger, couvrir le Sahel, manœuvrer dans
la plaine pour tenir les Arabes en respect et maintenir les
communications; enfin, dans la province d'Oran, occuper
Mascara et détruire Tagdemt, tel fut le plan que l'on
adopta et dont on entreprit l'exécution à partir du l*"^ no-
vembre ISiO. Le tribut prélevé sur une grande portion du
pays commençait alors à offrir quelques ressources; les
marchés se peuplaient d'indigènes, les Arabes cultivaient
les terres , et la cause française gagnait chaque jour de nou-
veaux défenseurs; près de sept mille musulmans, cavaliers
ou fantassins, s'étaient rangés sous nos drapeaux. Les villes
ALGERIE
323
d'Alger, Oran et Donc , sorties de leurs ruines , prenaient un
rapide développement ; la population européenne , qui s'ac-
croissait dans une proportion constante , atteignait au
21 décembre 1840 le chiffre de 28,000, dont 13,000 Fran-
çais , 9,000 Espagnols , 6,000 Italiens , Maltais ou Allemands.
Du côté des Arabes, la guerre continuait comme d'habitude,
sous forme d'escarmouches, de déprédations, de dévasta-
tions et d'attaques contre les individus isolés ou les faibles
détachements. L'émir ne défendait ni pays , ni villes , ni
camps , ni positions ; il fuyait les rencontres sérieuses , les
engagements décisifs , et , malgré de fréquentes défaites , il
conservait encore des forces iiuposantes et pouvait continuer
de troubler nos établissements. A dire vrai, la seule victoire
réelle remportée sur les Arabes se bornait à l'adoucissement
progressif de leurs mœurs : ils ne tuaient plus leurs pri-
sonniers , les traitaient souvent avec quelque humanité , et
répondaient avec empressement aux offres d'échanges qui
leur étaient faites. La civilisation faisait donc plus que nos
armes.
Le 22 février 1841 le lieutenant général Bugeaud vint
remplacer le maréchal Valée dans son gouvernement.
L'éternelle gloire de Bugeaud sera d'avoir compris que nous
n'avions pas en face de nous une véritable année , mais la
population elle-même , et qu'il fallait par conséquent pour
se maintenir dans un tel pays que nos troupes y restassent
presque aussi nombreuses en temps de paix qu'en temps
de guerre ; d'avoir découvert en même temps que les po-
pulations qui repoussaient notre empire n'étaient pas no-
mades, comme on l'avait cru longtemps , mais seulement
beaucoup plus mobiles que celles d'Europe. Chacune avait
son territoire limité, d'où elle ne s'éloignait pas sans peine,
et où elle était toujours obligée de revenir. Si on ne pou-
vait occuper les maisons des habitants , on pouvait donc
s'emparer des récoltes , prendre les troupeaux et arrêter
les personnes. Dès lors les véritables conditions de la guerre
d'Afrique lui apparurent. Il ne s'agissait plus, comme en Eu-
rope, de rassembler de grandes armées destinées à opérer en
masses contre des armées semblables , mais de couvrir le
pays de petits corps légers qui pussent atteindre les popula-
tions à la course , ou qui , placés près de leur territoire, les
forçassent d'y rester et d'y vivre en paix. On renonça d'abord
atout ce qui encombre la marche des soldats en Europe. On
supprima presque entièrement le canon ; à la voiture on
substitua le chameau ou le muk t. Des postes-magasins, placés
de loin en loin , permirent de n'emporter avec soi que peu
ou point de vivTes. Nos officiers apprirent l'arabe, étudièrent
le pays, et y guidèrent les colonnes sans hésitation et sans
détour. Coname la rapidité faisait bien plus que le nombre ,
on ne composa les colonnes elles-mêmes que de soldats
choisis et déjà faits à la fatigue. On obtint ainsi une rapidité
de mouvements presque incroyable, et à la fin nos troupes,
aussi mobiles que l'Arabe armé , allèrent plus vite que la
tribu en marche.
La mission expresse du général Bugeaud étant de détruire
la puissance d'Abd-el-Kader, l'effectif de l'armée fut porté à
78,000 hommes et à 13,500 chevaux. La grande guerre allait
cesser en Afrique. On renonçait enfin à cette ceinture de
postes isolés qui ne protégeaient rien ; on occupa les villes, et
on mit en pratique le système qui consiste à rayonner au-
tour de soi en partant d'une position permanente. De cette
manière, l'ennemi, toujours maintenu à distance, incessam-
ment menacé dans ses troupeaux et ses moissons, était forcé
de se tenir constamment sur une défensive fatigante et rui-
neuse, qui l'appauvrissait chaque jour davantage.
L'année s'ouvrit sous de favorables auspices. Une co-
lonne de 4,000 hommes, partie d'Oran sous les ordres du
commandant de la place, marche à la rencontre du khalifat
de l'émir, Ben-Tamy, et le contraint à la retraite. Dans la
province de Conslanline, la tribu de Béui-Oualban, cou-
pable de plusieurs meurties commis sur la roule de Piii-
lippeville, est sévèrement châtiée ; dans le même temps, la
garnison de Djidjcli faisait chèrement payer aux Kabyles
leur acharnement etleurperfidie. Les attaques d'El-Berkadi,
autre khalifat d'Abd-el-Kader, furent également repoussées
dans la province de Tittery. L'ennemi y éprouva des pertes
considérables, et, malgré ses efforts, les ravitaillements de
Médéah et de Mlliana purent encore une fois s'opérer avec
succès. Le général Bugeaud, après avoir renforcé Sétif,
Constantine, Ghelma et Bone, confia au général Baraguay-
d'Ililliers le commandement de la division qui devait agir
dans le bas Chélif, pendant que lui-même dirigerait l'expé-
dition projetée dans la province d'Oran. Le maréchal de
camp de Bar reçut le commandement d'Alger et de son
territoire.
A dater de celte époque ( 25 mai 1841 ), une suite non
interrompue de revers vint accabler le fds de Mahi-Eddin.
La prise de Tagdemt, de son fort et de ses magasins,
celle de Mascara, le combat d'Akbet-Khedda, qui lui coûte
400 hommes, la destruction de Boghar et de Thaza,
l'occupation de M s il a h et la défaite de Farhat-Ben-Saïd,
son fidèle allié, préludent tristement à l'anéantissement de
sa puissance. Les tribus des Laghouath et des Bordjia im-
priment aux débris de son armée découragée un funeste
élan de défection ; tout appui lui manque, toute influence
l'abandonne ; désormais son génie se résignera à combiner
des chances de sauvegarde pour les siens, plutôt que des
projets de vengeance contre nous. Réduit à la défensive,
honteux de son impuissance, déchu de sa gloire, le lion
vaincu va chercher un refuge dans les sables du désert.
Pendant la première campagne de 1842 la guerre marcha
avec une rapidité incroyable dans les provinces d'Alger et
de Tittery. Les émigrations, les alarmes continuelles, les
pertes énormes occasionnées par les razzias, les femmes et
les enfants enlevés ou morts de fatigue et de faim, la né-
cessité de vivre pendant tout l'hiver sur les montagnes les
plus âpres, dont les sommets étaient couverts de neige, dé-
cidèrent des soumissions multipliées, et un grand nombre de
tribus firent marcher leurs cavaliers avec les nôtres pour
combattre l'ennemi. Malgré cette tendance générale à la
paix, les opérations militaires ne manquèrent en 1842 ni
d'activité ni d'importance. Le fort de Sebdou, unique
place de la seconde ligne qui restât encore à l'émir , tomba
en notre pouvoir, et quinze tribus nous firent leur soumis-
sion. Les Beni-Menacer, tribu kabyle des environs de Cher-
chell , furent sévèrement châtiés. Plus de vingt tribus im-
plorèrent l'aman du général Bugeaud. En juillet le khalifat
El-Berkani fut entièrement battu et dépouillé. Abd-el-Kader,
fuyant devant le général Lamoricière, s'était réuni au kha-
lifat Ben-Allah, Sidi-Embarak, sur la frontière sud du khalifat
de Milianah, pour faire quelques tentatives sur les tribus
soumises de cette contrée. Celles-ci ayant demandé du se-
cours, \i général Changarnier partit avec ses auxiliaires
pour refouler l'émir dans le désert. Les manœuvres des gé-
néraux d'Arbouville chez les Flitas, et Sillègue dans le
Sétif, du colonel Comman chez les Beni-Djahad et du com-
mandant de place de Bougie, du Courtial, contre les Kabyles
qui avaient cherché à le surprendre, consolidèrent notre
conquête dans les provinces de l'ouest, et parvinrent à cir-
conscrire le foyer de la guerre. Cependant Abd-el-Kader
s'était établi dans les montagnes de l'Ouarensénis, et
dominait sur tout le pays compris entre le Chélif et la Mina.
Une campagne d'hiver fut organisée, qui répondit parfiiite-
ment aux attentes du général Bugeaud. Le général Chan-
gaiTiier dirigea ensuite une expédition contre les populations
voisines de Tenès , où nous n'avions pas encore porté nos
armes. A la fin de l'année voici quelle était la situation : tout
le pays était soumis et organisé depuis le Jurjura jusqu'à la
frontière de Maroc. Les villes du littoral , relevées comme
celles de l'intérieur, s'environnaient alors de villages, pres-
que aussitôt peuplés que construits ; on essayait tous les
41.
324
ALGERIE
moyens pour favoriser la colonisation ; des casernes , des
hôpitaux, des magasius, des éj^lises, des écoles, des
marchés , des fontaines , des édifices puhlics et privés
surgissaient sur tous les points. Des chambres de com-
merce, des entrepôts réels, s'ouvraient sur nos côtes aux
marchamlises étrangères ; des phares éclairaient tous les
ports ; des routcfi nouvelles rayonnaient sur le sol , toutes
couvertes de soldats , de marchands , de voyageurs cir-
culant avec sécurité ; des ponts étaient jetés sur Tisser, le
Rio-Salado et la Mina. On commençait même h exploiter
ces vastes forêts dont rexistence avait été si longtemps
contestée ; l'industrie, le commerce, la culture, s'accrois-
saient en proportion de la population, qui de 28,000 âmes
était en moins de deux ans montée à 42,000 ! Les grains,
les bestiaux, les huiles, cires, laines, fruits, légumes et vo-
lailles, qui nous étaient fournis pendant la guerre par le
commerce maritime , et à des prix excessifs , nous furent
alors vendus à meilleur compte par des indigènes, et les
colons virent enfin cesser leurs privations. Tels furent les
résultats politiques et administratifs qui signalèrent à l'ad-
miration et à la reconnaissance de la France le gouvernement
de r.Ugérie à la fin de cette campagne.
Cependant la situation politique de la contrée entre la
Mina, le Chélif et la mer était loin d'être florissante. Au mois
d'avril 18'43 l'insurrection était encore aux portes de Cher-
chell ; tout le Dahra, sauf la grande tribu des Béni-Zerouals,
subissait encore l'influence d'Abd-el-Kadcr, ainsi que les
tribus riveraines du Chélif et celles de l'Ouarensénis. Les
lettres de l'émir, répandues avec profusion depuis les fron-
tières du Maroc jusqu'au fond du khalifat de Sembaou, agi-
taient profondément nos alliés. A la tête de 2,000 fantas-
sins montés, tant dans la Smala que dans les montagnes du
Dahra et de l'Ouarensénis, il rétablissait peu à peu son as-
cendant sur les populations de nos provinces. Une vigou-
reuse olTensive pouvait en quelques semaines les ramener
au calme et à l'obéissance : aussi résolut-on d'étouffer sur-
le-champ dans leur germe ces nouveaux symptômes de
discordes et de rébellion. Le gouverneur général, avec neuf
bataillons de troupes de Miliana et de Mostaganem , partit
d'Alger pour jeter les bases des établissements permanents
d'Odéansville sur le Chélif central, de Té nés sur le lit-
toral , entre Mostaganem et Cherchell , et de Tiaret sur les
confins du désert. Son heureux combat contre les partisans
de l'émir dans le Dahra lui prépare admirablement les
voies; une razzia énergique poussée sur les Sbeihh lui li-
vre 2,000 prisonniers, 15,000 têtes de bétail et un immense
butin ; les Léni-Madoun, les Hemnis, les Ouled-Faress , les
Béni-Hidja et les tribus de cette partie du Dahra qui
avoisine l'Ouarensénis nous font leur soumission. Pendant
ce temps le général Changarnier créait les postes provisoires
de Teniet-el-IIaad et de l'Oued-Rouina, et ses bataillons,
avant de pénétrer dans la chaîne orientale de l'Ouarensénis,
exécutaient chez les Béni-Ferebh une manœuvre qui les
rendait maîtres d"un riche butin ; ils parcouraient le pays
en tous sens, incendiant les douars, coupant les arbres
fruitiers, détruisant les moissons, et réussissant i>ar tous ces
moyens extrêmes à soumettre enfin les montagnards ter-
rifiés.
De son côté , le duc d'Aumale , pai ti de Boghar, où il
avait établi aussi un poste provisoire, parvient àGoudjilah,
et surprend la smala d'Abd-el-Kader sur la source même
d'Am-Taguin. Malgré l'infériorité numérique de ses cinq cents
chasseurs et spahis, déjà fatigués par des marches de nuit
longues et rapides, le prince, plein d'ardeur et de courage, se
précipite avec impétuosité sur les cinq cents défenseurs de l'é.
mir, en disperse une partie, fait trois cents prisonniers, tue
le reste, et relounie à Boghar avec quatre drapeaux, un canon
et le trésor d'Abdel-Kader. Sa mère et sa femme faillirent
elles-mêmes tomber en notre pmivoir. Avec les débris de .sa
smala flottant çà et là dans le pays, l'émir tombe quelqiies
jours après sous les coups des généraux Lamoricière, Mus-
tapha-Ben-Lsmael et du colonel Géry ; deux mille cinq cents
Ilachems et leurs troupeaux deviennent notre proie, et le
brillant succès du duc d'Aumale est ainsi complété. Mais une
horrible catastrophe vient troubler la joie de l'armée et jeter
la consternation dans tous les esprits. Notre allié fidèle , le
général Mustapha, s'étant obstiné à traverser avec les Douaïrs
les forêts impénétrables des Cheurfas, y est attaqué par les
liabitants du pays. Les cavaliers , courbés sous le poids de
leur butin, égarés dans cet inextricable labyrinthe, n'enten-
dant plus la voix encourageante du chef, se débandent ,
fuient en désordre et laissent frapper leur brave général, qui
tombe dans un guet-apens. Le général Lamoricière, pour le
venger, opère sur les Flitas , et les force à une fuite pré-
cipitée.
L'émir continuait à se diriger vers l'ouest de la province ,
dans le but de dérober les restes de sa smala à nos attaques
incessantes. Le colonel Géry, instruit de sa présence au sud
de Mascara avec 500 cavaliers réguliers et GOO fantassins
environ , se dirige à sa rencontre par une marche de nuit,
qui n'est trahie par aucun des habitants de la contrée , et ,
chargeant sur lui à Timproviste, renverse son camp tout en-
tier. Dans le butin on retrouva les éperons et la selle de
l'émir, qui ne s'était sauvé que par miracle, sur le cheval
d'un de ses khiaias. Le général Bedeau et le colonel Tem-
poure n'étaient pas restés inactifs pendant celte brillante cam-
pagne. La colonne de TIémecen avait aussi sa part de fati-
gues et de glorieuses actions, tant à l'est qu'à l'ouest du
pays desDjaffra; enfin, la division de Constantine, bien que
sur un théâtre tout à fait indépendant de l'influence d'Abd-el-
Kader , n'en rivalisait pas moins d'énergie avec celles d'Oran
et d'Alger. A peine investi du commandement de la province,
le général Baraguay-d'Hilliers avait concentré ses prin-
cipales forces dans le grand triangle entre Bone, Philippeville
et Constantine, où, à très-peu d'exceptions près, on n'avait
jamais reconnu l'autorité de la France : par des combats
meurtriers et des courses incessantes, il parvint à soumet-
tre toutes les montagnes de Collo à la frontière de Tunis,
força l'Édoug à nous obéir , et renversa ainsi le seul pou-
voir qui dans l'est ne fût pas encore subjugué.
Au mois de janvier 1844 l'émir avec 300 chevaux, der-
nier débris de son armée, campait à une journée au sud
d'Ouchda; sa déira (escorte) occupait une vallée au delà
du Chot-el-Gharbi ; puis elle vint à Bouka-Cheba , sur l'ex-
trême frontière. Son dénùment était affreux ; les maladies,
la lassitude, la faim, la misère, éclaircissaient encore cha-
que jour les rangs de ses fidèles. .\ chaque marche nouvelle,
la déira marquait son passage par un nouveau cimetière.
Sur ces entrefaites le général Bugeaud fut nommé maré-
chal de France. Leducd'Aumaleavaitreçu le commandement
de la province de Constantine, et MM. de Lamoricière et
Changarnier passaient lieutenants généraux.
Le gouverneur général mettait à profit cette situation fa-
vorable pour activer les travaux cle colonisation. Dans la
province d'Alger un système de rayonnement, comprenant
la Mélidja, le Sahel et le revers septentrional de l'Atlas, était
en pleine voie de prospérité. Des routes étaient tracées, des
ponts reliaient entre elles les rives jusque alors séparées des
cours d'eau. Fnfin des villages nombreux s'élevaient comme
par enchantement.
Cependant le khalifat d'Abd-el-Kader était panenu à réta-
blir son autorité dans le Zab, réunion de petits villages sur
la frontière du Sahara algérien, dont la capitale est Biskara,
ville d'entrepôt pour les caravanes du désert. Une colonne
expéditionnaire prit possession de cette place; et, après y
avoir laissé une faible garnison, composée d'indigènes, elle se
porta rapidement sur tous les points occupés i)ar Almied,
l'ancien bey de Constantine, et faillit même le faire pri-
sonnier.
Abd-el-Kader n'avaH pas reparu ; mais ses émissaires agis-
saient pour lui ; riin d'eux, Bcn-Salem, qui avait une grande
uifluence sur les tribus kabyles de Test, soulevait les Flissalis.
Le maréthal leur livra combat à Ouarezzivin. L'ennemi laissa
plus de mille morts. Une quarantaine de villages furent in-
cendies. Ben-Zamoun, leur cbef, lit sa soumission.
Le général Maiey-Monge obtenait sur un autre ponit delà
province un résultai éiialcment impoitani, la soumission du
marabout Tedjini.clicikd'Aui-Madhy, rival d'Abd-el-Kader.
Le u)aréclial Bugeaud apprit cnlin qu'Abd-el-Kader s'était
réfugié sur le territoire de la province de Riff dans le Maroc ,
où il chercliait à reconstruire le noyau de sa puissance. Le
gouvernement français se plaignit à l'empereur AbdH?r-
Rhaman, qui déclara que son autorité était à peine reconnue
chez les Riffains, et qu'il ne pouvait obtempérer à la demande
de la France. Ln même temps il nommait Abd-el-Kader kha-
lifat de la province du Riff. Cette nouvelle dignité exalta
l'ambition d'Abd-el-Kader, qui ne dissimulait déjà plus l'es-
poir de s'emparer de la couronne de Maroc. Pour prépa-
rer la voie à son double but, il excitait par tous les moyens
possibles les populations marocaines contre nous , et par
son influence soulevait entre la France et le Maroc une
question de frontière qui amena les troupes d'Abd-er-Rha-
nian à Ouchda, en face du camp et du fort français de Lalia-
Magbrnia. Le territoire français fut violé. Le général Lamo-
ricicre repoussa l'attaque avec un grand succès. Les hosti-
lités étaient donc ouvertes. Des renforts arrivaient de France.
Le maréchal gouverneur prit le commandement supérieur.
Après im engagement sans conséquence à .Mouïla, le maré-
chal posa un ultimatum qui resta sans réponse; le 19 il en-
tra à Ouchda sans coup férir : les troupes marocaines s'é-
taient retirées dans le plus grand désordre.
Le gouvernement français comprit la nécessité de joindre
aux opérations militaires sur les frontières du Maroc une
expédition maritime sur les cotes de l'empire. Une division
navale fut réunie, et le commandement en fut donné au
prince de Joinvilie. Aussitôt Tanger fut bombardé, tous ses
forts démantelés et ruinés.
Cependant les sévères leçons données auK Jlarocains ne
paraissaient devoir porter aucun fruit. De nouvelles levées
en masse s'effectuaient à Fez et dans les environs. Les né-
gociations entamées furent rompues, et le fils de l'empereur
vint lui-m Jme, avec une vingtaine de miUe bouimes, prendre
le commandement des troupes rassemblées sur la frontière.
Le gouverneur général résolut alors de prendre l'iniliativc,
redoutant les suites de toute lenteur, qui pourrait donner
le temps aux tribus de la province d'Oran de se déclarer
contre nous. Le 13 aoîit il se portait en avant, à la tête de
neuf mille quatre cents hommes, et le 14 il remportait la vic-
toire d'Isly. Le lendemain même notre escadre bom-
bardait Mogador.
L'orgueil du Maroc était humilié, et ses populations fana-
tiques commençaient à comprendre la nécessité de faire la paix .
Elle fut accordée aux conditions suivantes : les rassemblements
extraordinaii'cs de troupes marocaines formés sur notre fron-
tière dans les environs d'Oucbda seraient immédiatement dis-
sous ; un châtiment exemplaire serait infligé aux auteurs des
agressions commises sur notre territoire ; Abd-el-Kader serait
expulsé du territoire marocain ou interné, et ne recevrait
plus désormais des populations soumises à l'empereur ni
appui ni secours d'aucun genre. Une délimitation complète
et régulière des frontières serait arrêtée et convenue.
La clause du traité de Tanger par laquelle l'empereur de
Maroc s'obligeait à expulser ou à interner Abd-el-Kader ne
fut pas exécutée. Notre dangereux ennemi resta longtemps
campé sur la rive gauche de la Malouïa. Une tentative contre
le camp de Sidi-Bel-Abbès fut le premier signal d'une lutte
nouvelle. Au moment où le gouverneur de l'Algérie prépa-
rait une expédition contre la Kahylic, on apprit que la guerre
sainte était prèchée de tous cotés par les tribus limitrophes
de la frontière du Maroc. De nombreux émissaires d'Abd-
ALGÉRIE 325
el-Kader parcouraient le pays, et le fanatisme se réveillait à
leur voix. L'enlèvement d'un camp sur la route de Tenès à
Orléansville et l'attaque d'un convoi près de Cherchell pré-
ludèrent à une insurrection générale.
Un compétiteur à la puissance d'Abd-el-Kader venait d'ap-
paraître dans la partie de nos possessions qui semblait le
mieux pacifiée. Le Dahra et l'Ouarensénis étaient en pleine
insurrection. L'instigateur de cette nouvelle levée de bou-
cliers était le chérif B o u - M a z a. Battu par une colonne fran-
çaise, il se vit forcé de fuir de tribu en tribu, essayant, mais
en vain, de soulever encore sur son passage les fanatiques et
crédules habitants du Sahara. C'est alors qu'un sanglant et re-
grettable épisode de l'expédition du Dahra, le massacre des
Ouled-Riah, eut le plus fâcheux retentissement. Sur un autre
point, Abd-el-Kader, encouragé parla nouvelle prise d'armes,
repassait aussi sur notre territoire, mais rentrait presque im-
médiatement sur le sol marocain. Dans la province de Cons-
tantine , le général Bedeau obtenait la souniission des mon-
tagnards de l'Aurès et leur faisait payer des impôts de guerre.
Abd-el-Kader en se retirant sur la îMalouia avait enmiené
avec lui plusieurs grandes tribus du désert au sud de Tlérae-
cen. Par cette nouvelle émigration les Arabes qui partageaient
sa fortime ne s'élevaient pas à moins de trois mille , et pou-
vaient lui fournir environ cinq cents cavaliers. Sa cavalerie
et son infanterie régulière se montaient à peu près à quinze
cents honmies. Seul, Bou-Maza était resté en Algérie, errant
avec un petit nombre de partisans , tantôt dans les montagnes
de la rive droite du Chélif , tantôt dans celles de la rive
gauche. La trahison d'une fraction des Sbéah , qui massa-
crèrent notre agha des Sendjeh et sa suite , lui fournit l'oc-
casion d'essayer de reprendre son rôle politique. Il vint se
placer au milieu de la population coupable pour la diriger
dans sa défense contre nous , et pour s'en faire un levier
avec lequel il put soulever de nouveau le pays. Mais il se
fit battre dans les douars des Sbéah, et quelques jours après
son khalifat Mohamed- Ben -Aicba, ancien porte -drapeau
d'Abd-el-Kader, fut pris et tué par notre agha Ghobrini.
Cependant une insurrection nouvelle et plus terrible vint
montrer sur quel fond reposait la sécurité générale. Le
maréchal gouverneur était en France quand on apprit tout
à coup d'affreuses nouvelles. Une colonne de 450 hommes,
amenée dans une embuscade sur la frontière du Maroc ,
avait été enveloppée par toutes les forces d'Abd-el-Kader et
entièrement écrasée. Non loin de là se passait presqu'au
mémo moment un des plus tristes épisodes de cette nouvelle
insuiTection , mais aussi un des faits les plus héroïques de
nos annales militaires , la défense du marabout de S i d i -
Brahim.
A la nouvelle de ce malheur, l'émotion publique fut grande
en France. Le gouverneur général reçut l'ordre de retourner
immédiatement en Algérie. Abd-el-Kader , profitant habile-
ment du moment où les troupes de la division de Tlémecen
étaient occupées à combattre l'insurrection fomentée par ses
adversaires , se dirigeait sur le pays de Trara, qui s'étend
sur la rive gauche de la Tafna, pays situé à deux journées
de marche de Lalla-^Maghrnia et de Tlémecen, à quatre jour-
nées d'Oran.
Sur ces entrefaites, un petit détachement de 200 hommes,
envoyé au camp d'Ain-Temouchen pour en renforcer la
garnison, fut entouré par une multitude de Ghossels, qui ve-
naient de se prononcer pour l'insurrection , et mit bas les
armes sans combat. Le général de Lamoricière et le général
Cavaignac ayant fait leur jonction au col de Bab-Taza, s'a-
vancèrent dans le pays de Trara ; mais pendant ce temps
l'insurrection gagnait toute la subdivision de Tlémecen à l'ex-
trémité du Tell, et une seconde invasion arrivait du Maroc,
commandée par un nouveau khalifat d'Abd-el-Kader, Bou-
Guerrara. Le général Lamoricière attaqua le col d'Aïn-Kc-
bira, où l'émir s'était retranché. Celui-ci n'accepta pas le
combat, et fit retraite avec les 2,000 cavaliers de sa déira et
32G
ALGÉRIE
qui le poursui-
du Maroc, laissant écraser les insurgés
virent de leurs malédictions.
Lorsque le maréchal Bugeaud arriva à Alger, il trouva le rôle
agressif d'Abd-cl-Kader déjà réduit a une proportion défen-
sive. Néanmoins il se mit en campagne avec sept bataillons ,
quatre escadrons, une batterie de montagne et un détachement
de sapeurs du génie, en tout quatre mille hommes. La pointe
faite par l'émir sur le Maroc après les victoires du général
Lamoricière n'était qu'une ruse nouvelle. Après avoir tra-
versé la ïafna et l'Oued-Mouilah , il passa par Bridgi, entre
Lalla-Maghrnia et Tlémecen, contourna cette ville par le sud,
et prit enfin la direction de Sidi-Bel-.\bbès et de Mascara. Il
fallut abandonner à l'émir toute la partie excentrique de la
province d'Oran, et tous les efforts de nos généraux durent
se borner à préserser d'incursions et à maintenir dans le de-
voir la contrée d'Oran à Mostaganem, ainsi que celle du Ché-
lif, d'Orléansville à Miliana, pour que le trouble ne s'éten-
dit pas jusque dans la plaine d'Oran et la Métidja d'Alger.
Les plans d'Abd-el-Kader s'étaient modifiés d'une façon
inattendue. Depuis la dernière campagne, notre infatigable
ennemi semblait avoir compris l'hnpossibilité de la conquête
ou même d'un établissement provisoire dans la province
d'Oran. Aussi tous ses efforts tendaient-ils maintenant à em-
mener avec lui au Maroc le plus grand nombre possible
de tribus, afin de se refaire un Etat et une armée. C'est ainsi
que les khalifats d'Abd-cl-Kader se montraient occupés à
faire émigrer les tribus bien plus qu'à les mener au combat.
Bou-Hamedi poussait vers le Maroc presque toutes les tri-
bus du cercle de Tlémecen , y compris les Beni-Amers , les
Gharabas elles Chéragas. Bou-Guerrara remplissait la même
mission du côté de ZebJou, et Bou-Taleb dans le cercle de
Mascara.
A la suite des mouvements opérés par le maréchal gou-
verneur, le général Jousouf et le colonel Saint -Ai'uaud, l'émir
fut obligé de retourner au désert. Il en sortit bientôt, et vint
menacer la province de Tittery. Le désastre récent d'une
colonne partie de Constantine et décimée par le froid dans
les neiges des monts Bou-Taleb n'avait pas été sans in-
fluence sur cette nouvelle entreprise. Le premier acte
d'Abd-el-Kader dans sa nouvelle incursion fut de ruiner les
Rhaman, tribu soumise de la lisière du désert, qui joignait
liabituellement son goum à nos expéditions dans le sud.
L'intention de l'émir était de menacer le centre de nos pos-
sessions, de pénétrer en arrière de Miliana ou de .Médéah
jusque dans la province d'Alger, et d'y exécuter une inva-
sion soudaine et rapide, non pas sans doute dans l'espoir de
s'y maintenir, mais en vue de frapper un coup qui ébranle-
rait la sûreté de notre domination et ranimerait pour long-
temps encore les espérances des Arabes.
IMais il se vit bientôt arrêté dans sa marche vers l'est par
l'arrivée du maréchal Bugeaud sur le territoire de la puis-
sante tribu des Ouled-Nails, chez lesquels il avait trouvé un
refuge. Sur un autre point, le chérif Bou-Maza, s'étant
avancé jusqu'à Tadjcna, pour paralyser l'effet de nos succès,
était contraint de disparaître devant le lieutenant-colonel
de Canrobert.
Tout à coup Abd-cl-Kader renonça à son plan d'invasion
de l'est dans la direction du cercle de Sétif. Il remonta ra-
pidement vers le nord-ouest; puis, tournant le Djébel-Dira,
il traversa la plaine d'Hamza, et prit position sur le versant
occidental du Jurjura, chez les Flittas, tribu kabyle du
cercle de Dellys, à trente lieues seulement d'Alger. De là il
menaçait de franchir l'Isser et d'exécuter ime subite incur-
sion dans la Métidja. Son khalifat Bcn-Salem l'avait i)récédé
sur l'Isser avec des contingents nombreux des Kabyles du
Jurjura. Mais le général Gentil, établi sur l'Oued-Corso,
n'eut pas plus tôt appris la marche en avant du lieutenant
d'Abd-el-Kader, qu'il le surprit le 7 février dans son camp
(t lui tua beaucoup de monde. Le maréchal envahit les
liîonlagnes des Fhttas insoumis, et balaya les Kabyles; mais
il ne put atteindre la colonne de l'émir, qui, suivant sa tac-
tique ordinaire, avait abandonne ses alliés , et profitait de
l'insurrection qu'il avait excitée pour couvrir sa retraite.
De ce jour la lutte changeait de face, et les rôles étaient
changés. A son tour, le maréchal Bugeaud prit l'offensive ;
ses colonnes mobiles pénétrèrent profondément dans le sud,
et le sillonnèrent de tous côtés. Les tribus rebelles passèrent
de nouveau sous notre drapeau, et celles qui avaient émigré
du Tell demandèrent à revenir sur leur territoire. Dans les
premiers jours d'avril, l'émir, ne trouvant plus aucun appui,
suivi seulement d'une poignée de cavaliers montés sur des
chevaux exténués, se jeta vers l'ouest du désert. Dans le
même temps les derniers foyers de l'insurrection du Tell
étaient vivement attaqués dans le Dahra et dans l'Ouarensénis.
Cependant la déira d'Abd-el-Kader était toujours campée
sur la frontière marocaine près de la Malouïa. Le général
Cavaignac fit une démonstration qui eut pour résultat d'é-
loigner Bou-Hamedi. L'empereur du Maroc lui-même avait
aidé à ce succès par des manifestations armées. Une af-
freuse nouvelle vint tout à coup troubler la joie causée par
les événements. Dans la nuit du 24 au 25 avril I8'i6, 187 pri-
sonniers français sur 200 avaient éti massacrés à la déira,
par ordre du beau-frère d'Abd-el-Kader, Moustaphabeo-
Tiiamy, qui comptait par là arrêter l'émigration des Beni-
Amers. La déira était d'ailleurs réduite à la dernière mi-
sère.
Enfin, l'année 1847 était destinée à voir s'accomplir notre
œuvre de conquête et de pacification. Quelques combats
furent encore nécessaires pour assurer ce résultat, depuis
si longtemps attendu. Un engagement meurtrier eut lieu le
10 janvier, entre le général Herbillon et les Ouled-Djellal,
que Bou-Maza venait de visiter; un village fortifié fut enlevé
par nos soldats. D'un autre côté, le général Marey-Monge,
qui commandait à Médéah, tombait sur les Ouled-Naïls, qui ,
eux aussi, avaient reçu Bou-Maza et lui avaient fourni des
secours en hommes et en denrées. Quelques jours après ,
Bou-;Maza lui-même était poursuivi entre Teniet-cl-IIaad et
Tiaret ; son escorte était dispersée et son trésor enlevé. Cet
échec fut sans doute pour Bou-Maza la cause d'une réso-
lution extrême. Ce chérif fameux, qui avait allumé la révolte
de 1845, cet imposteur habile, que l'émir lui-même redoutait
comme un rival, se rendit le 13 avril au colonel de Saint-
Arnaud. Bou-Maza fut amené à Paris, oii le gouvernement
le traita avec plus de distinction que sa vie et ses antécé-
dents ne paraissaient le mériter.
Mais le plus dangereux ennemi de la France restait en-
core à dompter. Rejeté par nos armes dans le Maroc, Abd-
el-Kader avait moins songé dans sa fuite à s'y préparer
un refuge qu'un empire. Pendant ce temps, le maréchal gou-
verneur songeait à obtenir la soumission complète de la
Kabylie. La grande insurrection de 1845-46 avait révélé le
péril d'une enclave indépendante à quinze lieues de la capi-
tale. Le 6 mai une forte colonne, sous le commandement
du général Bedeau, quitta Alger, prit la nouvelle route
d'Aumale, que plusieurs bataillons venaient de créer. Après
avoir rallié la garnison mobile d'Aumale, ce qui portait son
effectif à huit mille hommes, la colonne campait le 15 à
Sidi-Moussa, au bord de la Soummam ; sur la rive opposée
s'élevait en amphithéâtre le pays riche , mais difficile , des
Beni-Abbès. Leurs villages nombreux et rapprochés, se com-
mandant et se flanquant l'un l'autre , garnissent une série
de pitons ardus ; le plus inaccessible , et en même temps le
plus considérable, est Azrou, quecouronne un plateau dénudé
sur le faîte du chaînon. Le IG, à la pointe du jour, l'attaque
conmiença. La position d'Azrou , réputée inexpugnable, fut
emportée, les maisons furent brûlées, et les tours qui
dominaient le pays tombèrent sous les coups de notre ar-
tillerie. Le lendemain' tous les chefs des Béni-Abbès étaient
réunis dans la tente du gouverneur, et les conditions de
l'aman leur étaient dictées.
ALGERIE
327
Ainsi fut accomplie en quelques jours la soumission tic tout
ce territoire montagneux que comprend le grand triangle
formé par Hanua, Sétif et Bougie. Celte contrée était liabitée
par cinquante-cinq tribus, ayant trente-trois mille deux cent
soixante fusils. La grande vallée de Sebaou et tout le revers
nord du Jurjura jusqu'à la mer possèdent une population
encore plus considérable. On évalue à plus de qi.araute
mille le nombre des guerriers de ce pays. Toute celte
partie ayant reconnu l'autorité de la France, il en résultait
qu'au total on avait établi notre domination plus ou moins
directe sur des montagnes qui contiennent plus de soixante-
dix mille bonunes armés. En même temps les sept colonnes
du sud avaient aussi rempli la mission de discipliner le
Petit Désert. Le maréchal Bugcaud, arrivé au terme de son
œuvre, donna sa démission, qui fut acceptée. Il fut remplacé
par M. le duc d'Aumale.
Mais tout n'était pas fini pour l'Algérie tant qu'.\bd-el-
Kader campait sur la frontière de Maroc. Si ce n'était plus
vers nos possessions qu'il tournait ses regards , le gouver-
nement français ne pouvait pourtant sans inquiétude le voir
s'essayer à fonder un empire rival sur les ruines de l'empire de
MuIey-Abd-er-Rhaman. Le succès d'une telle entreprise eût
été pour nous le signal d'une lutte nouvelle et terrible , et
nous eût imposé la nécessité d'une sanglante et onéreuse
conquête. La position de l'émir avait surtout augmenté
d'importance depuis que le prince Abd-er-Rhaman , fils de
Muley Soliman, prédécesseur de Muley- Abd-er-Rhaman, dont
celui-ci était le neveu, s'était réfugié auprès de lui. Les
craintes de l'emperem- de Jlaroc au moment d'entrer en
lutte avec l'émir étaient faciles à coniprend.e. Abd-el-Kader
avait de nombreux partisans dans toutes les villes du Maroc
et jusque dans les rangs de l'armée impériale.
Cependant Muley-Hachem , neveu de l'empereur, et son
kaid El-Hamar se rendirent parmi les tribus encore indé-
cises pour les engager dans un mouvement qu'ils prépa-
raient contre l'émir. Mais celui-ci , instruit de ces tenta-
tives , se résolut à porter un coup qui frappât de terreur ses
nombreux ennemis. Deux cents cavaliers marocains étaient
assemblés à quelque distance de son camp ; il courut à leur
rencontre , et les culbuta. La lutte était ouverte, Abd-el-
Kader comprit qu'il fallait la poursuivre avec vivacité. Un
de ses aghas, Ben-Jabia, surprit un camp marocain; le caï.l
El-Hamar fut pris, et eut la tète tranchée.
L'empereur sentit alors qu'un grand déploiement de forces
clait indispensable. On se rappelle que quelques tribus al-
gériennes avaient été l'année précédente entraînées par Abd-
el-Kader sur le territoire marocain. L'émir voulait en faire
le noyau d'une domination nouvelle. Après avoir flotté
pendant plusieurs mois sur la frontière orientale de l'em-
pire, ces tribus s'étaient avancées jusque sous les murs de
Fez, où elles avaient déployé leurs tentes. L'approche
d' Abd-el-Kader les rendit suspectes à l'empereur; il résolut
de les éloigner, et il les poussa vers le sud. Elles devaient,
d'après ses ordres, aller s'établir aux environs de Maroc, où
l'influence de l'émir ne pourrait plus les atteindre. Le
déiir de revoir un sol qu'elles regrettaient les ramena vers
TAlgérie. Elles changèrent brusquement de route, et l'em-
pereur, trompé sur le sens de ce mouvement , les fit pour-
suivre et massacrer impitoyablement.
Cetteénergie inattendue imposa aux montagnards du RilT et
aux autres tribus kabyles, dont la foi était douteuse. Abd-el-
Kader jugea alors qu'un coup de vigueur et de désespoir
pouvait seul le sauver. Méprisant la cohue de combattants
qui se trouvaient devant lui , avec ses 2,000 hommes d'é-
lite , il tomba à l'improviste pendant la nuit sur un des
camps marocains, et s'en empara. Mais le lendemain
toute la masse de ses adversaires se rua contre lui , il fut
oI)'.igé de se retirer vers la Malouia ; toutes les hauteurs
étaient couronnées d'ennemis. Dans la matmée du 12 les di-
vers camps marocains se réunirent, et renfermèrent la déira
dans une sorte d'enceinte vivante. Cependant l'émir, au prix
de la moitié de ses troupes, réussit à forcer le passage, et
essaya avec ses fidèles de tenter encore une fois la route du
désert. Mais le général Lamoricière avait deviné ses projets, et
s'était porté à sa rencontre. Abd-el-Kader, désespérant de sa
fortune , comprit alors qu'une seule ressource lui restait en-
core, la générosité de la France. Il se rendit au général La-
moricière, sous la conilition d'être conduit à Alexandrie ou
à Saint-Jean d'Acre. Cette promesse fut ratifiée par M. le duc
d'Aumalç, mais ne reçut pas la sanction du gouvernement
de Louis-Philippe ni de celui qui lui succéda.
La nouvelle de la soumission d' Abd-el-Kader, propagée ra-
pidement jusque dans le désert, impressionna particulière-
ment la grande tribu des Ilamianes-Garabas , la seule qui
eût persisté jusqu'à ce jour à se tenir en dehors de notre
obéissance. Les trois principales fractions de cette tribu en-
voyèrent une députation au commandant de la subdivision
de Mascara pour demander l'aman. .Vinsi se trouvait com-
plétée la pacification de la province d'Oran.
La déira, composée d'environ cinq à six mille individus ,
fut licenciée. Les familles dont elle se composait furent im-
médiatement remises aux chefs des tribus auxquelles elles
appartenaient et dirigées sm' leurs territoires.
La révolution de fé^Tier n'eut qu'un faible contre-coup en
Africpie. Le duc d'Aumale, en apprenant la chute du trône
de son père, remit sans hésiter ses pouvoirs au général Chan-
garnier, en attendant que le général Cavaignac, qui en éîait
investi, fût arrivé. Le prince de Joinville se trouvait aussi
alors en .Airique. Les deux frères quittèrent noblement ces
rivages , où ils avaient combattu avec nos armées , et pro-
testèrent encore une fois de leur dévouement à la France.
Ainsi s'évanouit cette vice-royauté que le vieux roi avait
peut-être rêvée pour un de ses fils.
Sous le gouvernement républicain , les gouverneurs géné-
raux se succédèrent avec rapidité en Algérie ; mais nos troupes
ayant pu rester en Afrique, les indigènes ne songèrent pas à
organiser une insurrection que nos embarras intérieurs sem-
blaient présager. Bientôt on s'occupa activement de trans-
porter en Afrique un grand nombre de colons , et des cen-
tres de population furent créés. Mais la mort a décimé ces
nouveaux arrivants.
Quelques expéditions de peu d'importance occupèrent
les premiers mois de l'année 1849. Ainsi, dans le Sahara du
sud-ouest , le général Pélissier, le général Mac-Mahon et le
colonel MelHnet opérèrent contre les douars de dissidents
excités à la révolte, sur les frontières du Maroc, par Si-
Chigr-Ben-Taïeb. Quelque temps après, le colonel Maissiat
ordonna aux Hamianes-Garabas, travaillés par l'influence
des marabouts, de repasser le Chot-el-Chergui et de venir
camper sur la rive gauche ; mais ils refusèrent d'obéir ; les
Rezain allèrent même s'installer à Bou-Guem, à l'extrémité
occidentale du Chot-el-Chergui. Une simple démonstration
fit tout rentrer dans l'ordre. Dans la pro^ince d'Alger, une
fraction des Béni-Séliman, les Béni-Siîera, et les Ouled-Sol-
tan, avaient méconnu l'autorité du khalifat Maheddin, chassé
leur caïd et refusé le payement du zekkat. Les Béni-Silem ,
qui s'éiaient le plus compromis, virent leurs villages atta-
qués et brûlés, et durent payer une amende considérable
en argent et en bestiaux.
Ces expéditions avaient coûté peu d'hommes et peu d'ef-
forts ; il n'en fut pas de même pour notre domination sur
les bords du désert. Une révolte éclata kZaatcha, qui fait
partie d'une région d'oasis appelée le Ziban, et dont le
chef-lieu est Biskara. Un marabout très-vénéré, Bou-
Zian, commença, au mois de juin, à prêcher la guerre sainîo.
De sourds mécontentements existaient déjà dans l'esprit des
populations des oasis. Les marabouts , exempts d'impôts ,
venaient d'y être assujettis, et la redevance perçue sur les
dattiers avait été élevée de quelques centimes. Le colonel
Carbuccia expédia à Zaatcha un officier avec quelques
328 ALGÉRIE
cavaliers du cliôik El-Arab pour arrêter Bou-Zian. Le mara-
bout fut enlevé, et on l'emmenait déjà, lorsque son fils sou-
leva le peuple et le délivra. Le colonel Carbuccia vint at-
taquer l'oasis de Zaalclia avec une colonne de 1 ,200 hommes ;
mais il fut repoussé ^vec perte. Cet échec pouvait compro-
mettre la renommée des armes françaises. L'audace des Ka-
byles de l'Aurès s'en accrut, et une petite armée descendit
des montagnes, marchant sur Biskara, sous la conduite du
marabout Si-Afid. Il fut vigoureusement repoussé par le
commandant Saint-Germain. Cependant l'agitation augmen-
tait toujours, propagée par l'association religieuse de Sidi-
Abd-cr-Rhaman , cette vaste société secrète qui enArasse
presque toutes les populations kabyles; elle donnait la main
à une révolte quiavait éclaté au nord, dans le Zouaga, et enve-
loppait toute la frontière méridionale de la province deCons-
tantinc. Depuis trois mois Zaatcha bravait l'autorité fr.ançaise
et Bou-Zian fomentait au loin la ré voile. Une expédition, com-
mandée par le général Herbillon et le colonel Canrobert,
s'empara de cette place après un siège meurtrier de cin-
quante et un jours. Les oasis voisines se rendirent alors sacs
conditions. Le reste de l'insurrection s'éteignit dans le Hodna,
dans l'Aurès , et sous les décombres de Narah, dont les ha-
bitants furent passés par les armes. Le Zibaa était pacifié
pour longtemps.
Cette année fut encore signalée par un différend avec le
Maroc. Les autorités françaises avaient été insultées ; une
démonstration sérieuse amena une réparation éclatante.
Depuis longtemps l'attention du gouvernement se p.ortait
sur les montagnes qui bordent le littoral entre Dellys et
Philippevilie, et qu'on nomme la Petite-Kabylie. Celte par-
tic du pays était restée en dehors de notre autorité, et
pouvait (i'un jour à l'autre nous menacer ; en même temps
plusieurs villes du littoral étaient comme bloquées par une
population ennemie. Au commencement de 1851, le gouver-
nement résolut de mettre un terme à cet état de choses.
Une expédition fut résolue. Dans les premiers jours du mois
de mai, le général de Saint-Arnaud parcourut les eu virons de
Djidjelli. Une insurrection conduite par Bou-Baghla amena
le général Camou aux environs de Bougie , qu'il délivra ; et
enfin l'expédition se tern^ina par des opérations dans le cer-
cle de Collo. Dans cette expédition, nos troupes, avec leur
valeur et leur courage ordinaires, supportèrent des fatigues
de tous genres. Des points inaccessibles furent emportés, et
les Kabyles durent se soumettre. La route qui relie Philippe-
ville à Constantine devint sûre. Djidjelli fut débloquée; des
richesses minérales hirent reconnues dans les montagnes
traversées par nos colonnes ; enfin , les tribus kabyles ac-
quittèrent des contributions île guerre.
D'uu autre côt£ , une loi rendue par l'Assemblée natio-
nale, le II janvier 1851, régla sur un nouveau pied les rap-
ports commerciaux de l'Algérie avec la I-rance , en appelant
cette colonie à une plus grande part dans nos échanges et
en favorisant ses produits. Le 16 juin 1851, la môme As-
semblée adoptait une loi sur la propriété en Algérie, et depuis
elle jeta les bases d'une banque à Alger. W.-A. Dccrett.
Au moment du coup d'État du 2 décembre 1851, le général
Pclissier commandait par intérim à Alger. Il mit aus-
sitôt la colonie en état de siège. Bientôt le général Randon
arriva comme gouverneur général; L'Algérie reçut un grand
nombre de transportés poUtic^ues, réunis surtout à Lambessa.
En 1852 le général Randon parcourut la contrée soumise
par \e général Saint-Arnaud. Le 4 décembre de la même
année , le général Pélissier soumit L a g h o u a t à la domina-
tion française. En 1853 le général Randon dirigea une ex-
pédition contre les monts Babor, qui dominaient la plaine
de Sétif, et qu'on avait dû laisser de côté en 1851. Le
18 mai les troupes partirent de Sétif en deux colonnes ,
l'une sous les ordres du général Bosquet, l'autre sous
tes ordres du général M a c-Ma bon : le gouverneur général
était avec la première. Une trentaine de tribus se mirent
en état de défense. Le gouverneur attaqua le grand Babor
parla gauche, c'est-à-dire par le sud-ouest, tandis que le
général Mac-Mahon l'attaquait par l'est. La division Bosquet
se distingua dans le com'bat des Djermouna, au col de Tizi-
Sikka et à l'assaut du montTararist ; la division Mac-Mahon,
dans des engagements contre les Menalla, les Dracen et les
Krerrata. Le G juin les deux petits corps d'armée se réuni-
rent sur les bords de la mer, à Ziana, après avoir traversé
le pays des Kabyles. Les tribus se soumirent, et le gouver-
neur général donna l'investiture à des chefs indigènes en dé-
terminant les circonscriptions de leurs commandements res-
pectifs, ainsi que lesconditions d'un faible tribut exigé comme
signe d'obéissance. Le 10 juin on se remit en campagne.
On entra dans le cercle de Djidjelli et l'on aborda une con-
trée dont le général Saint-Arnaud avait seulement parcouru
la région maritime en 1851. Les tribus des montagnes s'em-
pressèrent d'apporter leur part de contributions arriérées, et
l'expédition militaire n'eut pas lieu. Plusieurs chefs nous
avaient aidé. Le gouverneur général ordonna de construire
des routes de Djidjelli à Sétif par Djimila, et à Constantine
par Milah;le 1*"^ juillet il rentrait à Alger. En 1854 de nou-
velles opérations furent encore entreprises contre les Kabyles.
Pendant la guerre d'Orient l'Algérie resta avec peu detroupes.
En 1855 elle figura avec honneur à l'exposition universelle
de Paris. La même année quatre colonnes parcoururent les
oasis du désert ; Tuggurt fut visité. Le général Maissiat fit
encore une expédition contre les Kabyles des Babors et
commença de nouvelles roules. Les Kabyles se firent battre
encore par le généralJoussout. Des expéditions eurent lieu
sur les frontièresdu Maroc et sur celles de Tunis pour assurer
la tranquillité. Enfin, en 1857, le moment parut venu de
soumettre la grande Kciby lie, qui prétendait rester en de-
hors de notre action. Au mois de mai des colonnes placées
sous les ordres des généraux Renault , Mac-.Mahon et Jous-
souf, et dirigées par le général Randon lui-même, attaquèrent
les Kabyles du Jurjura. L'enlèvement de Souk-el-Arba amena
la soumission des Beni-Raten. La prise d'Icheriden par la
division Mac-Mahon, et de Taouret-el-Hadjadj parla divi-
sion Joussouf décida la défaite des Beni-Jenni et d'une
foule d'autres tribus. Le fort Napoléon s'éleva au centre
de la Kabylie , des routes furent tracées , le pays organisé,
des otages envoyés en France, et depuis lors la Kabylie est
restée soumise à notre autorité. Pendant que ceci s'opérait,
trois colonnes mobiles parcouraient le reste de l'Algérie pour
empêcher toute tentative de soulèvement.
En 1858 la paix fut à peine troublée dans la province de
Constantine par un mouvement de quelques contingents des
tribus des Babors, qui avaient tenté de s'emparer du bordj
de Takitoul, bravement défendu par quelques Français. Le
général Desmarest accourut de Sétif, fit quelques arresta-
tions et tout rentra dans l'ordre. A la fin de l'année une
nouvelle agitation se manifesta dans l'Aurès, à l'instigation
du marabout Sidi-Sadok. Le 10 décembre un de ses envoyés
lut sur le marché de Sidi-Okba un appel à la guerre sainte ,
et les tribus coururent aux armes. Le général Desvaux, com-
mandant la subdivision de Batna, arriva avec des forces de-
vant Sidi-Okba : les Arabes battirent le contingent de notre
kaid de Biikara à Habbel; le général fit avancer ses troupes
dans les gorges de Tonnegaline et mit les insurgés en déroute.
Sidi-Sadok se sauva, mais poursuivi par les goums des
tribus fidèles, il fut arrêté et conduit à Constantine, traduit
devant un conseil de guerre et condamné à la peine de mort
avec ses trois fils et onze de ses complices. Les débuts de
1859 virent s'accomplir l'occupation définitive du petit port
de Collo entre Philippevilie et Djidjelli. La guerre d'Italie
enleva un grand nombre de troupes à l'Algérie. La mort de
l'empereur de Maroc amena du trouble à la frontière. 11 y
eut quelques invasions de notre territoire et des attaques
contre nos tribus ; le commandant supérieur y envoya des
troupes, et les maraudeurs furent sévèrement punis.
ALGÉRIE — ALGIDE
Ad milieu de ces mouvements guerriers, le gouvernement
aidait à la colonisation. De nouvelles communes , de nou-
veaux commissariats civils, de nouvelles sous-préfectures
étaient créés, des conseils supérieurs étaient fondés, des
conseils généraux et municipaux étaient institués; la cen-
tralisation ministérielle était diminuée, le pouvoir des pré-
fets était étendu, de nouveaux droits étaient reconnus
aux Aral)es, des diminutions de droits de douanes étaient
accordées sur certaines marchamiises, l'administration de
la justice était fortiliée, des chemins de fer étaient commen-
cés, des routes achevées, des puits artésiens forés, des travaux
d'utilité publique poursuivis avec persévérance. Espérons
que toutes ces mesures assureront le repos de l'Algérie et
que bientôt elle pourra être assimilée en partie aux autres
départements de l'Empire. L. Louvet.
ALGÉRIE (Gouvernement général de 1'). Suivant
un décret impérial du 10 décembre 1860 , le gouvernement et
la haute administration de l'Algérie sont centralisés à Alger
sous l'autorité d'un gouverneur général, dont la nomination
est contresignée par le ministre d'État. Le gouverneur général
rend compte directement à l'empereur de la situation poli-
tiqueet administrative du pays. Il commande les forces de
terre et de mer en Algérie; toutefois, le ministre de la guerre
et le ministre delà marine conservent sur l'armée et sur la
marine l'autorité qu'ils exercent sur les armées en campagne
et les stations. Un sous-gouverneur, général de division, chef
d'état major général, supplée le gouverneur généra! en
cas d'absence. La justice, l'instruction publique et les cultes
sont rentrés dans les attributions des départements minis-
tériels auxquels ils ressortissent en France. Toutefois les
écoles françaises-arabes et les écoles indigènes sont restées
dans les attributions exclusives du gouverneur général, lequel
nomme directement à tous les emplois qui étaient à la dési-
gnation du ministre de l'Algérie, sauf en ce qui concerne
l'instruction publique, les cultes, la magistrature française
elles officiers ministériels. Les actes de haute administration
et de gouvernement, les nominations qui doivent émaner
de l'empereur lui sont présentés par le ministre de la guerre
sur la proposition du gouverneur général, qui statue sur
toutes les affaires administratives non placées dans les attri-
butions d'une autre autorité. Un conseil consultatif est placé
auprès du gouverneur général, qui le préside. Le gouver-
neur général prépare le budget annuel de l'Algérie, l'as-
sielle et la répartilion des divers impôts. Ce budget est soumis
à l'examen d'un conseil supérieur et sanctionné par l'em-
pereur. L. L.
ALGÉRIE (Ministère de 1') et DES COLONIES. Ce
ministère, créé le 24 juin 1858, fut confié d'abord au prince
jNapoléon et installé au Palais-Royal. Le 7 mars 1859 il
passa aux mains du comte deChasseloup-Laubat, et l'hôtel
Beauvau (faubourg Saint-Honoré ) fut acheté pour le conte-
nir. Il a été supprimé le 24 novembre 1860, et les colonies
ont été réunies au ministère de la marine , pendant que le
maréchal Pélissier était nommé gouverneur général de l'Al-
gérie. Le ministère de l'Algérie avait successivement ra-
mené dans ses attributions la justice, l'instruction publique
et les cultes, sauf l'obligation de se concerter avec les au-
tres ministères. Il partageait ses attributions avec les mi-
nistères de la guerre et de la marine pour les affaires mi-
litaires et maritimes , et le minislcre des finances avait
conservé la gestion des revenus et des dépenses de la tré-
sorerie, de> postes, des douanes, des tabacs et des contribu-
tions de toute nature. Z.
ALGÉSIRAS (Combat naval d'). Le contre-amiral
L i noi s, commandant une escadre française composée de
trois vaisseaux et d'une petite frégate, venait de donner la
chasse aux vaisseaux anglais qui croisaient sur les côtes de
Provence, et se présentait devant Gibraltar, lorsque six
▼aisseaux de guerre anglais vinrent mouiller dans la même
rade, le 4 juillet 1801. La partie n'était pas égale, et il eût
UICT. Dt LA CO.XVEIISATION. — T. 1.
329
! été très-imprudent aux Français de s'exposer en pleine mer
contre des forces aussi disproportionnées. En conséquence,
Linois évita la rencontre des Anglais, et alla mouiller le
même jour dans la baie d'Algésiras, sous la protection des
batteries dont elle était garnie, ayant eu la précaution d'en-
voyer pour les servir des canonniers de son bord. Le lende-
main les vaisseaux anglais vinrent dans la baie s'embosser
à une portée de fusil des vaisseaux français, et le combat
s'engagea avec chaleur. La division française était de beau-
coup inférieure à l'escadre anglaise; cependant l'avantage
de la position compensa celui des forces, et rétablit un peu
l'équilibre : le courage fut égal de part et d'autre, et le com-
bat n'en devint que plus terrible; mais la victoire resta
fidèle au pavillon français. Les Français perdirent dans celte
journée cent quatre-vingts soldats et deux capilaines, La-
londe et Moncousu. La perte des Anglais s'éleva à quinze
cenls hommes; ils eurent trois vaisseaux mis hors de com-
bat. Le 9 du même mois, l'amiral Moreno", à la tête d'une
division composée de cinq vaisseaux et d'une frégate espa-
gnols, d'un vaisseau et de deux frégates français, se réunit
à l'escadre du contre-amiral Linois, et mouilla à Algésiras.
Le 12, à une heure après midi , toute la flotte appareilla
pour retourner à Cadix. A la nuit, le temps étant obscur et
le vent frais, deux vaisseaux espagnols , se prenant pour en-
nemis, s'attaquèrent avec fureur : tous deux sautèrent. Le
Formidable, monté par le contre-amiral Linois, se sépara
de l'escadre, et se vit le lendemain sur les côles d'Espa-
gne, à portée de l'escadre anglaise. Linois, profitant de l'en-
thousiasme de ses soldats, résolut d'accepter le combat.
L'action s'engagea ; les forces des Anglais consistaient en
trois vaisseaux et une frégate : la frégate reçut quelques
bordées , et s'éloigna ; un vaisseau, le Pompée, fut privé de
ses trois mâts, et rasé comme un pouton. Il restait encore
deux vaisseaux ; Le Formidable fait feu de bâbord et de
tribord , les oblige à lâcher prise , et ramène son vaisseau
victorieux dans le port de Cadix.
ALGHISI ou ALGISI (D. Pakis Francesco), né à
Brescia, en 1666, mort dans la même ville, le 29 mars
1733, fut organiste de la cathédrale de Brescia, et fit repré-
senter sur le théâtre de Venise deux opéras : l'Amore di
Curzio per la patria, et il Trïonfo délia continenza.
Dans sa vieillesse il en était arrivé, à force d'austérité, à ne
plus vivre que d'herbes assaisonnées de sel, et s'était fait
ainsi une réputation de sainteté.
ALGHISI (ToM.vsEo), né à Florence, en 1669, mort
dans la même ville, en 17 13, étudia la chirurgie et fut reçu
docteur en 1703 par l'université de Padoue, après une thèse
soutenue en présence du célèbre Yallisnicri. Alghisi pro-
fessa la chirurgie dans sa patrie; il devint célèbre comme
opérateur, et surtout comme litliotomiste; malheureusement
il mourut dans la force de l'âge et dans tout l'éclat de son
talent, à la suite d'une amputation rendue nécessaire par
l'explosion d'un fusil qui lui avait enlevé la main gauche.
On a de lui : Lilotomia, ovvero del cavar la pietra (Flo-
rence, 1707), traité de lithotomie qui offre un vif intérêt
pour l'histoire de l'art ; ainsi qu'une lettre à Vallisnieri sur
divers sujets , par exemple sur des vers sortis de la vessie,
sur une matière propre à injecter les artères, et sur les ban-
dages employés chez les Égyptiens.
ALGHISI-GALEAZZO-, architecte de la seconde
moitié du seizième siècle, né à Carpi dans le duché de Mo-
dène, fut longtemps au service du duc de Ferrare, et s'oc-
cupa plus particulièrement de l'art des fortifications. Son
traité , publié à Venise en 1570, in-folio, sous le titre de
Alghisci Carpensis Opus , etc., était le meilleur ouvrage
qui eiit encore paru sur celte matière.
ALGIDE (du latin aZç/icfM5, d'à /^ere, avoir froid). Cet
adjectif se dit de certaines fièvres intermittentes, qui sont
accompagnées d'un froid glacial pendant toute la durée de
l'accès. Les fièvres algides appartiennent à la classe de
42
330
ALGIDE — ALHAMBRA
fièvres intermittentes pernicieuses. Elles sont cxtromenient
graves ; souvent les malades succombent au deuxième ou
tioisième accès.
ALGOL , nom arabe d'une étoile changeante de la cons-
tellation de Persée, et qu'on appelle aussi la Télé de Mé-
duae.
ALGONQUIIVS, ou rjramh Esquimaux, peuple sau-
vage de l'Amérique septentrionale. Ils habitent au nord -ouest
delà merd'Hudson, entre le lac des Esclaves et la mer Polaire,
sur les bords du Copper-Mine et du Mackensie. Petits,
trapus et faibles , ces peuples polaires ont le teint plutôt
d'un jaune rougeâtre sale que cuivré. Leurs huttes , de forme
circulaire, sont couvertes de peaux de daim; on n'y entre
qu'en se traînant. Leurs canots , formés do peaux de veau
marin , naviguent avec vitesse. Ces sauvages travaillent pa-
ticmnu'ut une pierre grise et poreuse, appelée pierre de
Labrador, en forme de cruche et de chaudière très-ornées.
Ils conservent leurs provisions de bouche dans des outres
remplies d'huile de baleine. Ceux qui habitent les bords du
fleuve Mackensie se rasent la tête. Ils se servent de traî-
neaux tirés par des chiens. Leurs principales occupations
sont la chasse et la pèche. Ils sont la plupart catholiques,
et vont à Québec remplir leurs devoirs religieux : c'est ce
qui les distingue des autres Esquimaux, qui ont à peine une
klée confuse d'un Être suprême. Les pays algonquins ont
été un peu plus que toutes les autres tribus d'Esquimaux
visités par les Européens : on a même cherché à déterminer
les principes de leurs idiomes, qui ont tous une prononciation
sonore et fortement accentuée. Plusieurs grammaires en ont
été publiées depuis 1643 jusqu'en lb38; mais, quoique pré-
sentant des observations très-utiles, elles sont encore néan-
moins insuffisantes et très-incomplètes. — Du reste , à part
la polygamie , leurs mœurs et leur intérieur sont semblables
à ceux des Esquimaux proprement dits : c'est la vie sau-
vage à peine un peu modifiée par le contact de rares voya-
geurs européens.
ALGORITHME (d'un mot arabe qui signifie racine).
Ce terme, dans la langue des mathématiques, désigne chaque
forme particulière de génération des nombres. Vahjorïth-
miec&t la science qui embrasse tous les algoritlmies, et par
conséquent les faits et les lois des nombres.
ALGUAZIL (des mots arabes al, le , et ghasil, huissier,
archer ) , fonctionnaire secondaire de l'ordre de la police
en Espagne , qui exerce les mêmes fonctions que celles de
la gendarmerie en France. Les lois alphonsines nous ap-
prennent qu'on donnait ce nom d'alguazil à iftie sorte de
grand prévôt du palais chargé de l'arrestation, du jugement
et de la punition d'un coupable ou d'un sujet livré par le
prince au tribunal expéditif de ce magistrat. — On emploie
souvent ce nom d'un manière ironique.
ALGUES (du latin algx). On a désigné longtemps sous
la vague dénomination d'algues une foule de plantes aqua-
tiques qui ont peu ou point de rapports entre elles. Tourne-
fort plaçait des phanérogames et des polypiers parmi ses
algues. Linné nommait ainsi le troisième ordre de sa cryp-
togamie , après en avoir seulement oté toutes les produc-
tions animales. Jussieu restreignit encore le nombre des
algues de Linné; mais il réunit dans ce vaste groupe des
l^lanfes trop disparates pour que leur ensemble méritât d'être
conservé. Et aujourd'imi môme, malgré les nombreux tra-
vaux des cryptogamistes modernes, la signification du
mot fl/£f«x'icst loin d'avoir reçu quelque fixité. Cependant,
on ne peut disconvenir que l'ordre ne commence à se faire
dans le chaos. — • D'après Frics , les algues , dont il a fait
\ine sous-classe, divisée en trois familles ( les p/ujcées ou
algues submergées, les l'icliens ou algues émergées, et
/es btjssaci'es ou algues amphibies), sont des plantes aga-
mes, -sivant dans l'air, au fond des eaux douces ou salées
ou h leur surface, le plus souvent vivaces, remarquables
par une texture cellulaiic ou filamenteuse dans laquelle il
n'entre jamais de vaisseaux ; en général libres , vivant iso-
lément ou en société , nues ou enveloppées dans une sorte
de substance gélatini forme, à végétation continue ou inter-
rompue par intervalles. Ces plantes puisent dans l'humidité
ou le liquide ambiant les matériaux propres à leur accrois-
sement , et dans l'air et la lumière les principes de leur
coloration ; elles se reproduisent, soit par des germes proli-
fiques (gonidies) développés à leur surface, soit par des
sporules ou des séminules résultant, autant du moins qu'on
en peut juger, du seul acte de la nutrition , soit enfin par
des sporidies que contient un nucléus renfermé lui-même
dans des réceptacles diversement conformés.
On distingue aussi les algues d'une manière générale en
algues d'eau douce et en algues marines. Celles-ci, les seu-
les qui présentent quelque intérêt, sont tantôt étendues en
membranes à la surface des rochers, tantôt en lanières simples
ou ramifiées et adhérentes au fond de la mer, au moyen de
pédicules. Leur longueur est quelquefois très-considéra-
ble. Le chorda filum , si commun dans la mer du Nord,
atteint souvent quarante pieds, et le macrocytis pyrifera
jusqu'à quinze cents pieds ; elles se soutiennent à la surface
de l'eau par le moyen de vésicules remplies d'air, et forment
dans certains parages ces prairies marines qui effrayèrent
Christophe Colomb , et à travers lesquelles un bateau a de
la peine à se frayer un passage. Ces végétaux sont vulgai-
rement désignés sous le nom de varechs ou goémons.
Plusieurs espèces d'algues sont d'une grande utilité. Les
varechs ou fucus, que l'on trouve si abondamment sur les
côtes de l'Océan et de la ^léditerranée , sont employés dans
plusieurs contrées pour fumer les terres , ou pour nourrir
les bestiaux pendant l'hiver. On retire des cendres de plu-
sieurs algues, entre autres du fucus vesiculosus , une assez
notable quantité de soude et dépotasse, et c'est des
eaux-mères des sels que fournit la lessive de ces cendres
qu'on extrait l'iode. Quelques espèces, telles que les /mcms
clulcis , escahutus , edulis , le laminaria saccharina, ser-
vent d'aliments aux habitants de certaines contrées mari-
times. C'est du sphxrococcus tenax que les Chinois retirent
le vernis qui recouvre leur papier et leurs étoffes de soie ;
et c'est en se nourrissant du codium bursa que l'hirondelle
nommée hirundo esculenta fabrique ces nids imprégnés
de gélatine dont les Chinois font un commerce considé-
rable. Enfin le gigartina helminlhocorlon , vulgairement
appelé mousse de mer, est un excellent vermifuge que l'on
administre, soit en poudre, soit en infusion, aux enfants
affectés de vers intestinaux.
ALHAMBRA. On n'est pas bien fixé sur le nom du
fondateur de ce palais : les uns en attribuent la pensée et
l'exécution à Alahmar, fondateur du royaume de Grenade ,
qui fut assez heureux pour le commencer et pour le voir
terminer ; d'autres conviennent bien qu' Alahmar en est
le fondateur, mais disent en même temps qu'il ne fut en-
tièrement terminé que sous le règne d'Aboulhaggez , en 1338 ;
d'autres enfin prétendent que l'Alhambra a été bâti par Abou-
Abdallah-ben-Naser, surnommé Elgaleb Billali (Vain-
queur par la fiiveur de Dieu ). Selon les premiers , l'étymo-
logie du mot proviendrait de la corruption du nom d'A-
lahmar; selon les derniers, l'Alhambra viendrait du mot
medinat-alluinira , ou ville rouge, à cause de la cou-
leur des matériaux qu'on employa pour sa construction.
Quoi qu'il en soit , l'Alhambra , tout à la fois palais et for-
teresse, formait autrefois un des quatre quartiers delà
célèbre ville de Grenade, et servait d'habitation aux
rois maures. L'.\lliambra est situé sur le sommet d'un co-
teau escarpé qui borne la ville du côté de l'est; outre les
eaux du Xénil et du Darro, qui l'environnentde toutes parts,
il est encore entouré d'une double enceinte d'épaisses mu-
railles : il devait être imprenable lorsqu'on ne pouvait l'at-
taquer avec du canon. Maintenant l'ancien palais des rois
maures offre à l'extérieur l'apparence d'un vieux château
fort, flanqué de bastions et île tours. Par rentrée principale,
qui s'appelait autrefois la Porte du Jugement , el qui est
pratiquée dans une grosse tour carrée, on pénètre dans la
première cour, entourée d'un portique et pavée en marbre
blanc ; la seconde cour, appelée cour (les Lions, îi cause de
douze'lions de marbre noir qui ornent son bassin, est célèbre
par le souvenir du massacre des A b e n c é r a ? e s et par les co-
lonnes de marbre blanc qui soutiennent la galerie qui l'en-
toure. Les apitartements de l'Albanibra , larges, nombreux ,
sans cesse rafraîchis par l'eau des fontaines, sont sculptés
avec un art inoui, avec une richesse d'imagination, une
hardiesse et une patience d'exécution presque incroyables.
Ce palais est un des plus curieux vestiges de l'art du moyen
âge , et peut-être le plus beau modèle de l'architecture
mauresque en Lurope , quoiqu'il ait sul)i bien des dégrada-
tions. Charles-Quint en fit abattre une partie pour faire
place à un palais mesquin et triste. En 1856 un des grands
murs s'écroula. La reine d'Espagne a ordonné la réparation
de l'Alhambra. — L'Alharabra est encore célèbre par ses
beaux jardins du Généralife, palais de campagne des rois mau-
res , situé sur une colline opposée, et moins bien conservé,
et par une ancienne mosquée , devenue une église sous l'in-
vocation de Sainte Hélène.
AL-HARIZI. Votjez Ciiarizi.
^VLHOY (L.), né à Angers, en 1755, entra de bonne
heure dans la congrégation de l'Oratoire , et professa dans
les collèges de son ordre jusqu'à l'époque de son abolition.
Pendant la proscription de l'abbé Sicard (1797), il fut
choisi pour le remplacer à llnstitution des Sourds-Muets ,
et remplit les fonctions de directeur de cet établissement
jusqu'en 1800. Plus tard il devint membre de la commis-
sion administrative des hospices , et en 1S15 principal
du collège de Saint-Germain-en-Laye. Il mourut en 1S26.
Alhoy cultivait les lettres avec distinction. Il a composé
un Discours sur VÉducation des Sourds-iVuels, et deux
poëme-., les Hospices et les Promenades poétiques dans
les Hôpitaux de Paris. *
ALHUCEMAS, village fortifié et petit port de l'A-
frique espagnole, l'un des présidios, situé sur un îlot près
delà côte de Maroc. En 1856, les Espagnols y soutinrent
un combat contre les Maures. Z.
ALI, cousin et gendre du législateur des Arabes, et
son quatrième successeur au khalifat , naquit à la Mecque,
Ters l'an 600 de Jésus-Christ. Quoiqu'il fût issu , comme
Mahomet, de la puissante tribu de Koraïsch, et que sa
famille fût en possession du gouvernement aristocratique
de la Mecque, il se vit obligé , dans sa première jeunesse,
de se mettre aux gages d'un maître pour gagner son pain.
Mais on voit dans la Bible que jamais la domesticité n'a été
un déshonneur chez les nations de l'Orient. Lorsque Ma-
iiomet commença sa carrière apostolique , .Ali devint un de
ses premiers et de ses plus ardents disciples , et mérita
par ses services , son courage et son aveugle dévouement ,
la main de Fatliemah ou Fat i me, la fille chérie du Pro-
phète. A la mort de son beau-père , qui ne laissait point
d'héritier mâle, Ali semblait appelé detlroit à lui succéder.
11 était son plus proche parent, il avait été son secrétaire,
son lieutenant, son ami; mais sa jeunesse, son caractère
impétueux, et, plus encore , l'induerice d'Ayéchah, veuve
de Mahomet, et fdie d'Abou-Bekr, firent donner la pré-
férence à ce dernier, qui fut le premier khalife ou vicaire
du fondateur de la religion et de la puissance musulmanes.
Ayéchah avait voué une haine implacable à Ali depuis qu'il
l'avait accusée du vivant même de Mahomet d'intrigues
galantes et de trahison. Après Ahou-Bekr, régnèrent Omar
et Osman, toujours à l'exclusion d'Ali.
Osman ayant été assassiné l'an 656 , Ali fut enfin é!u
Khalife, quoique ses ennemis l'accusassent d'avoir trempé
dans le meurtre de son prédécesseur, et qu'il fût du moins
soupçonné de l'avoir faiblement défendu. Trompé par de
ALH AMBRA — ALI 331
perfides conseils , Ali commit la faute de destituer la plu'
part des gouverneurs de province nommés sous les règnes
préci^dents. Cette imprudence fortifia l'opposition qui s'était
toujours manifestée contre lui, et fut la cause de sa perte.
M 0 a w i a h , gouverneur de Syrie , se déclara le vengeur et
le successeur d'Osman. Amrou , privé du gouvernement de
l'Egypte, qu'il avait conquise, se prononça pour Moawiah.
Ce fut à la Mecque que se forma le premier orage contre
Ali. Une armée nombreuse , partie de cette ville , alla s'em-
parer de Bassora. Le khalife quitta Médine, et marcha con-
tre les rebelles, qu'il vainquit complètement à Kharibah,
dans une bataille que les Arabes ont appelée la journée
du chameau , parce qu'Ayéchah était montée sur un cha-
meau , d'où elle animait ses soldats et ses partisans. Cette
victoire ne mit pas fin au schisme qui divisait l'empire mu-
sulman. Moawiah prit le titre de khalife à Damas, et con-
tinua la guerre. Ali pour l'éviter employa vainement tous
les moyens de conciliation : pendant onze mois l'avantage
fut toujours pour lui, dans quatre-vingt-dix combats que
les deux armées se livrèrent sur les confins de la Syrie.
Moavi'iaheut enfin recours à l'artifice : parle conseil d'Am-
rou , il fit attacher au bout de plusieurs lances des exem-
plaires du Coran , portés à la tète des troupes par des gens
qui criaient : Voici le livre gui doit terminer nos dijfé-
rends et arrêter l'effusion du sang. Ce stratagème réus-
sit : les soldats d'.Mi , saisis de respect , posèrent les armes.
Deux arbitres furent nommés pour vider cette grande que-
relle : celui d'Ali , homme probe mais simple , fut la dupe
d'Amrou , son collègue. Après de longues conférences , ils
convinrent de déposer les deux khalifes ; mais lorsque
cette double déposition eut été publiquement prononcée par
le crédule arbitre d'Ali , le rusé Amrou , qui avait à dessein
cédé la parole à son collègue , confirma son arrêt contre le
légitime khalife seulement , et maintint l'élection de l'usur-
pateur. Cette décision ralluma les troubles; mais elle ne
laissa pas d'affaiblir, en le divisant, le parti d'Ali. Après
une suite de victoires éclatantes, mais sans résultats avanta-
geux ou durables , Ali fut assassiné dans la mosquée de
Koufah, où il avait établi le siège de sa puissance, à l'âge de
soixante-trois ans, le 24 janvier 661 . Il avait régné cinq ans.
Humain et généreux, Ali avait trop de franchise pour
être un habile jiolitique ; mais sa valeur était à toute épreuve,
et son sabre, dzoulfékar, qu'il avait reçu de Mahomet,
est encore l'objet de la vénération musulmane; surnommé
lui-même Assad-Allah et Al-Mortadhi (le lion de Dieu,
l'agréable à Dieu ) , il est généralement respecté comme
un des héros de l'islamisme, Ali était savant , et avait
l'esprit cultivé. On a de lui divers recueils de sentences et
proverbes , et de poésies , qui ont été traduits en persan ,
en turc, en latin, en anglais, en français, etc. Son mo-
deste tombeau près de Koufah demeura caché tant que dura
la dynastie des Om mi a de s, fondée par Moawiah. On le
découvrit sous le règne des Abbassides , et on y érigea un
monument somptueux , autour duquel s'est formée depuis
la ville de Mesched-Ali. Voyez Alides.
ALI, pacha de Janina. Ce dominateur de l'Épire mo-
derne et de presque toute l'Hellade naquit vers 1745,
à Tepeleni, bourgade de l'Épire. Son grand'père, Mouc-
tar, périt vers 1715, dans l'expédition des Turcs contre
Corfou , et son père , Véli , ayant été chassé de Tepeleni
par les antres fils de Mouctar, fut réduit pendant quelques
années à faire, pour subsister, le métier de chef d'une
troupe de Klephtes. Véli panint pourtant à reprendre
sur ses frères, qu'il fit périr, l'héritage de son père; mais
il en fut bientôt chassé de nouveau, et il mourut en 175P,
laissant à peine à son iils Ali, alors très-jeune encore,
quelques champs et une cabane. Khaméo, mère d'Ali, était
une femme audacieuse , d'un caractère énergique et cruel :
elle réunit les partisans de son époux , anima le courage de
son fils, et marcha contre les ennemis de sa race. Après
42.
832
ALI - ALIBERT
une alternative de succès et de défaites , Khaméo fut faite
prisonniwe et conduite à Gardiki , avec son fils Ali et sa fille
Chaénitza ; les deux femmes furent outragées et traitées
avec la plus grande barbarie. Khaméo , délivrée de ses en-
nemis par le secours d'un marchand grec, qui paya sa ran-
çon et celle de ses enfants, portées à 75,000 francs, n'ou-
blia jamais ce qu'elle avait souffert. Ali la vengea plus lard
par l'extermination de tous les Gardikiotes.
Ici commence dans la vie d'Ali une suite de crimes et
de brigandages. Obligé de passer en Eubée , il revint bien-
tôt en Épire , s'enrichit par le pillage du canton de Zagori ,
et s'établit de nouveau à Tepeleni. Ses crimes multipliés
attircrent enfin l'attention de Kourd , pacha de Bérat, qui
envoya contre Ali des troupes , qui le firent prisonnier. Ses
compagnons furent pendus, et il aurait dû l'être ; mais sa
jeunesse, sa beauté , quelques relations de parenté et les
prières de Khaméo le sauvèrent. Kourd lui pardonna , et le
renvoya à Tepeleni , avec l'injonction de ne plus troubler
l'ordre public. Ali tint parole : il s'appliqua à étendre ses
relations et à se faire des alliés; il obtint en mariage la fille
de Kapelan, pacha de Delvino, Emineh , dont la beauté,
les vertus et les infortunes furent longtemps célèbres dans la
mémoire des Épiroles. Ali avait environ vingt-quatre ans
lorsqu'il l'épousa. Il espérait par ses alliances obtenir un
pachahk ou tout autre emploi important ; mais il vit tous
ses efforts et toutes ses ruses échouer jusqu'au jour où,
moitié par trahison, moitié par force, il fut enfin mis en
possession du pachaUk de Janina. 11 consolida sa puis-
sance dans ce poste , grâce à un grand despotisme et à
de terribles vengeances; ensuite il tourna son esprit aux
idées d'agrandissement, et à partir de cette époque ses
conquêtes allèrent toujours en s'accroissant. 11 eut bientôt
toute rÉpire sous sa domination , à l'exception pourtant du
canton de Delvmo, où le pacha se trouvait bloqué dans les
montagnes avec celui de Souli , dont les habitants s'étaient
conservés indépendants de la domination ottomane. Ces
montagnards résistèrent pendant trois ans, déployant un
courage désespéré et héroïque , et finirent par succomber
cnl802. Beaucoup furent tués; le reste fut forcé de se
disperser dans la Grèce et les Sept-Iles. AM-Pacha profita de
la ruine de Venise pour s'emparer des possessions de cette
république sur la côte maritime de l'Albanie : de la sorte,
il se vit possesseur de l'Acarnanie , de l'Étolie , et de pres-
que toute l'Albanie, avec le titre de gouverneur de Romélie.
Il avait en outre sous sa dépendance la Morée, où l'aîné de
ses fils était pacha.
Ali était alors au comble de sa gloire et de sa force. Il
avait essayé et essaya encore depuis de nouer tour à tour
des alliances avec la France, avec l'Angleterre, trahissant
sous le moindre prétexte , ou môme sans prétexte. Il recher-
cha l'appui de Napoléon (qui avait envoyé un consul à Ja-
nina), tant que Napoléon fut vainqueur; mais lors des
désastres de notre campagne de Russie il jeta le masque,
et aida ouvertement les Anglais , déjà maîtres de Zante et
de Céphalonie, à se rendre maîtres de Parga et à resserrer
Corfou , espérant obtenir une part de nos dépouilles. Les
traités de Vienne, en donnant les Sept-Iles à l'Angleterre,
trompèrent son espoir. Enfin, en 1818 , la vénalité lui livra
Parga , qui lui avait toujours échappé. Celte malheureuse
ville lui fut vendue par le gouverneur de Corfou, Mnitland,
sous la condition d'une indemnité , dont la moitié fut encore
prise aux malheureux habitants par les commissaires an-
glais chargés de son évaluation.
Enfin, en 1820, le sultan Mahmoud, se croyant as.xz
affermi , mit Ali-Pacha au b^.n de reiiipire. Attaqué par des
forces imposantes, Ali se défendit liéroïquemcnt; mais
abandonné de tous les .siens , il dut se rendre, en se réscr-
•vant la vie sauve. Kourchid-Pacha lui en donna la pro-
messe; mais dès qu'Ali fut en sa possossion, il le fit entou-
rer par ses soldats, et lui présenta un finnan de mort : Ali
répondit en faisant feu de ses deux pistolets, et tomba percé
de coups. — Ceci se passait le 28 janvier 1822.
Ses fils et ses petits-fils, à l'exception d'un, furent décapi-
tés à Kutaych, où ils s'étaient retirés, après avoir capitulé
à Prévésa et Argyro Kastro. Vasiliki, femme courageuse,
qui avait soutenu son époux dans le malheur, et qui lui
était restée fidèle jusqu'au dernier moment , le consolant
par ses vertus, fut seule épargnée parmi les femmes d'Ali et
de ses fils. Quelques années après , lorsque le petit-fils survi-
vant d'Ali fut nommé pacha de Janina , elle l'y accompagna
et jouit des honneurs dus à son rang.
Ali-Pacha était un honune d'une bravoure sanguinaire,
d'un caractère cruel, intrigant et perfide. Son ambition
égalait sa cruauté. Il avouait ses vices, et faisait parade de
ses crimes quand ils pouvaient servir à ses projets. Il n'aima
réellement que deux personnes : Émineh, dont nous avons
parlé, et Vasiliki , jeune Grecque qui la remplaça. Vasi-
liki était d'un village appelé Plichivistas, dont les habitants,
accusés d'être de faux monnayeurs , avaient été saisis et
pendus par ordre d'Ali. Touché des larmes et de la beauté
de la jeime Vasiliki , qui implorait sa pitié pour sa mère
et ses sœurs , il la conduisit à Janina , et en fit son épouse.
A part ces deux affections , Ali ne voyait autour de lui que
des ennemis ou des complices : il tuait les premiers et cor-
rompait les seconds. Il dut sa haute puissance autant à la
ruse et à la trahison qu'à son courage et à son intelligence.
C'était un aventurier liabile et hardi , qui placé en d'autres
circonstances eût pu devenir un grand homme.
AXiIBAUD (Louis), né à Nîmes en 1810, reçut les
éléments d'une éducation libérale au collège de cette ville;
cependant il n'acheva pas ses études, et s'engagea en 1829
dans le 15* régiment d'infanterie légère, en garnison à Paris.
Il quitta le service en 1834, soit qu'il désespérât d'arriver
au grade d'officier, soit qu'il fût dégoûté d'une carrière où
l'obéissance passive est une des qualités les plus nécessaires ;
il laissa au régiment la réputation d'un bon sous-officier.
Obligé d'entreprendre une nouvelle carrière, Aiibaud cher-
cha à entrer dans le commerce , et ne put y parvenir. Il fut
alors employé pendant quelque temps à l'administration des
télégraphes à Carcassonne, puis il alla à Perpignan rejoindre
son père. Là il se lia avec des réfugiés espagnols qui avaient
conçu le projet d'entrer en Espagne pour y opérer un mou-
vement. Il alla même avec eux jusqu'à Barcelone; mais les
mesures prises par le gouvernement espagnol l'obligèrent à
revenir en France. Ce fut alors qu'il se dirigea sur Paris avec
la ferme résolution d'assassiner le roi ; il y arriva en no-
veinbre 1835. S'il faut en croire Aiibaud lui-même, le projet
qu'il méditait alors remontait à 1832. Il aurait eu pour ori-
gine l'idée qu'il s'était faite du despotisme de Louis-Philippe,
Pendant six mois il chercha une occasion favorable de
mettre à exécution son projet, épiant le roi dans ses sorties.
Enfin, le 2G juin 1S3G il se posta au guichet des Tuileries
qui donne en face du Pont-Royal, et lorsque le roi sortait
en voiture avec la reine et madame Adélaïde, il tira sur lui
avec une canne-fusil un coup presqu'à bout portant. Arrêté
immédiatement, on lui trouva un couteau-poignard avec
lequel il voulait se tuer. Traduit devant la cour des pau"s,
Aiibaud y fut défendu par M. Ledni ; puis il prit lui-même
la parole, et se mit à lire une théorie du régicide qu'il avait
préparée ; mais le président l'arrêta au commencement de
sa lecture, et l'empêcha de continuer. Il fut condamné par la
cour à subir la peine des parricides, et fut exécuté le 11
juillet 183G. Aiibaud montra beaucoup de fermeté, soit lors
de son arrestation, soit dans le cours des débals, soit au
montent de sa mort. De tous les assassins qui ont attenté à
la vie de Louis-Philippe, c'est certainement celui qui a mon-
tré le plus d'énerg'e et de courage.
ALIBERT (Jean-Lolis) fut le médecin le plus brillant
et sans contredit le plus littéraire au temps de l'empire et de
la restauration, et il dut ses succès à son esprit naturel et à
ALIBERT
333
son heureuse physionomie beaucoup phis qu'à ses ouvrages,
si nombreux et si ct4èbres qu'ils aient été. 11 naquit à Ville-
franche, dans l'ATeyron, le 12 mai 17C6. Son père, magis-
trat distingué, prit un grand soin de son éducation, à la-
quelle concoururent ses bons exemples. Il fit ses études
sous la direction des pères de la Doctrine chrétienne. On
lui donna pour camarade, à lui d'abord si léger de carac-
tère et si disposé à trop sacrifier h l'imagination, un jeune
homme calme, réfléchi, sensé, le philosophe La Romi-
guière. Après leurs humanités, les deux amis entrèrent
dans je ne sais quelle congrégation chrétienne, dont la ré-
volution, à quelque temps de là, devait interrompre les tra-
vaux et clore la studieuse carrière. Ils vinrent à Paris vers
l'époque où la révolution allait commencer. Alibert, qui avait
vingt-trois ans et l'ambition de se produire, aurait pu prendre
un rôle dans ce bouleversement général qui devançait une
rénovation; mais, soit antipathie pour les mœurs de ce
temps, soit attachement pour l'ancien ordre étabU, ou es-
poir de le voir renaître, il ne voulut point figurer dans le
drame révolutionnaire. Cette neutralité politique et ce dé-
sœuvrement forcé firent de lui un littérateur précoce, à qui
toutefois il manquait une vocation expresse et un but précis.
Après avoir passé quelques mois avec La Romiguière à l'école
Normale, il entra enfin à l'École de Santé, première et in-
forme ébauche de la Faculté de Médecine d'aujourd'hui. —
Rêveur et sentimental, mais causeur élégant et ingénieux,
homme séduisant par les charmes de l'esprit, mais lui-même
très-accessible à toutes les séductions , il contracta des in-
timités fort disparates. C'est ainsi qu'on le vit à la fois l'ami
du docteur Roussel, disciple naïf de Bordeu ; l'élève de Ca-
banis, dont la doctrine, remplie de dangers, semblait conci-
lier Locke et Condillac, tout en exagérant l'un et l'autre
jusqu'au scepticisme; l'ami de Richerand, qui, à son insu
même, outrait encore Cabanis ; lintime de Bichat, qui ré-
cusait ces auteurs encore plus que leurs systèmes, et enfin
de La Romiguière, qui combattait les uns et les autres de
sa dialectique si persuasive et si convaincue. Alibert fut tel
toute sa vie : lui qui devint le serviteur zélé de deux rois
et qui resta l'ami constant de la royauté, il se plut sans cesse
à conamercer avec toutes les opinions, pourvu qu'elles n'a-
bordassent point la politique.
Reçu médecin en 1799 ( an XIU ), après avoir couronné
de brillantes épreuves par une thèse fort remarquée, sur les
fièvres pernicieuses , Alibert fonda alors, de concert avec
Bichat et Ribes, la Société Médicale d'Émulation, dont
il fut longtemps le secrétaire dirigeant et le principal ora-
teur. Ce fut dans cette compagnie qu'il prononça plusieurs
éloges, peut-être trop vantés dans l'origine et certainement
trop oubliés aujourd'hui. Montrant dès lors une grande pré-
dilection pour les périodes harmonieuses , les grands mou-
vements oratoires, lestropesà froid, les artifices d'émotion,
les antithèses et les parallèles, sa pensée paraissait comme
appauvrie et presque invisible sous le luxe effréné des ajus-
tements; et Bernardin de Saint-Pierre lui-même, tout en
battant des mains aux spirituels essais de son jeune imi-
tateur, les trouva déréglés quant aux images et trop sobres
en fait d'idées.
Jusqu'à la restauration, Alibert resta simplement médecin
de l'hôpital de Saint-Louis ; mais, lors de son retour en
France, Louis XVIII le nomma son médecin ordinaire,
sans doute en considération du genre de maladies dont il
faisait sa principale étude plutôt qu'à la recommandation
du baron Portai, son premier médecin. Le roi, en effet,
dès cette époque , souffrait de cotte maladie île jambes
qui persévéra jusqu'à sa mort. A ce titre essentiel , qui fit
infiniment pour sa fortune, A'ibci 1 réunit plus tard celui de
professeur de matière médicale à i'Ixolc de Médecine, celui
de médecin du collège Henri IV et plusieurs autres. Il pro-
fessait sans gravité, mais sa parole avait du charme, et le
son de .sa voix était enchanteur. Ses leçons étaient remar-
quées pour ces mots imprévus et pittoresques dont il finis-
sait lui-même par sourire avec esprit, à l'instigation de ses
auditeurs. Mais ses improvisations les plus remarquables et
les plus applaudies étaient pour l'hôpital Saint-Louis, où il
[irofessait en plein air, sous des tilleuls, à l'ombre desquels
il faisait parader pendant le printemps des malheureux
couverts de dartres. C'est à ce cours célèbre que les méde-
cins de toute l'Europe ont appris pendant vingt ans à con-
naître les maladies de la peau , qu'.\libert a mieux décrites
et mieux représentées qu'aucun de ses devanciers. — Bien
que méditatif et distrait jusqu'à l'excès, Alibert fut constam-
ment un des plus fervents apôtres de la mode. S'il apprenait
qu'à la cour on eût accueilli un jeune poète, vanté ses
vers, lu ses ouvrages , dès le lendemain l'heureux auteur
recevait ses invitations ou sa visite. A ses déjeuners on était
certain de rencontrer les plus jeunes muses, les voyageurs
récemment débarqués , les poètes lauréats , les avocats et
les jeunes orateurs dont les premiers débuts étaient applau-
dis , et même les actrices et acteurs en vogue : c'était là
la brillante contre-partie de ses cours de l'hôpital Saint-
Louis : là l'esprit, les arts et le luxe ; ici les misères et les
souffrances. Après le déjeûner venaient des lectures , puis
la comédie. Son petit théâtre de la rue de Varennes avait
ordinairement pour principaux ordonnateurs l'actrice ma-
demoiselle Fleury, et le célèbre Marchangy, avocat général.
Puis , quand vint à régner Charles X, des sermons rempla-
cèrent le spectacle; cependant le déjeûner du dimanche
persévéra. — Ses cabinets de consultations , qui ne s'ou-
vraient que deux fois la semaine, semblaient une succur-
sale du Jardin des Plantes. On voyait là des volières qui
mettaient à contribution toutes les régions du globe, des
collections magnifiques de papillons et d'insectes, les pein-
tures célèbres de Redouté, représentant les plus belles fleurs,
et à côté de cela les planches de son grand ouvrage , retra-
çant des ichthyoses, des psoriasis, des prurigos, etc. Ali-
bert a toujours aimé les antithèses et les contrastes ; mais fl
sanctifiait ce luxe et cette frivolité par de bonnes actions.
Il paraît certain qu'il fut un des hommes les plus bienfai-
sants de son époque. Sa bienveillance était devenue prover-
biale ; et tels étaient l'aménité de son accueil, le charme de
son entretien , qu'il suffisait de l'avoir entendu et abordé
une ou deux fois pour rester à jamais sympatliique à sa per-
sonne. Son style de tous les jours, son style sans apprêt ,
avait aussi beaucoup de naturel , bien qu'un peu verbeux
et trop orné.
Médecin très-occupé, Ahbert a néanmoins beaucoup étudié,
beaucoup écrit, et composé de nombreux ouvrages, dont voici
les principaux : — 1° Traitédes Fièvres intermittentes per-
nicieuses, 1801. C'est un commentaire de sa thèse, pour
lequel il mit naturellement à contribution l'ouvrage anté-
rieur de Torti. Dans ce traité, qui a eu quatre éditions, dont
la dernière est de 1 81 9, Alibert décrit ces fièvres dangereuses,
et quelquefois travesties, dans lesquelles on ne saurait trop
tôt administrer le quinquina. Ce fût cet ouvrage et les maux
dont il traite qui rendirent le quinquina si cher en 1808, et
qui firent la grande fortune du vin de Séguin. — 2° Des-
cription des Maladies de la Peau observées à l'hôpital
Saint-Louis, elc, ouvrage in-f°, enrichi de 500 planches
gravées et coloriées. C'est un ouvrage de toute beauté et
d'une valeur inestimable : il suffirait seul à la gloire de son
auteur. On le critiqua beaucoup, on le loua jusqu'à l'excès,
et cela même en constate le grand mérite. Quand Alibert se
mettait tristement à craindre l'oubli des hommes, il songeait
à son grand ouvrage des Dermatoses, et ce souvenir le
tranquillisait. Un auteur lui disait im jour : « Je fais un petit
livre (jui, j'espère, contiendra tout ce que la science offre
d'essentiel. » — « Hélas ! reprit .\libert, nous croyons tous
être auteurs de ce livre-là. Tenez, le mien a de jolies images,
mais il est trop gros. » Commencé en 1806, cet ouvrage ne
fut achevé qu'en 1826, ~ 3° Précis théorique et pratique
334
ALTBKRT — ALIDADE
sur les Maladies de la Peau, 1 toI. in-S". C'est !e texte
abrégé du grand ouvrage. Ce précis a eu deux éditions ; la
dernière est de 1822. —4° Éloges de Spallanzani, de
Galvani et de Roussel , in-8°, Paris, 1806. Ce volume est
terminé par : Discours sur les rapports de la médecine
avec les sciences physiques et morales. Ces deux travaux
de sa jeunesse avaient déjà paru isolément. — 5° Éléments
de Thérapeutique et de Matière médicale. La première
édition ne se compose que d'un volume in-S° ( 1814 ) ; mais
la dernière, qui est de 182G, a trois volumes. Le plus lu de ses
ouvrages, ce traité a déjà le sort des ouvrages élémentaires
et systématiques : il est presque oublié. Et cependant que
de travail , que de faits , que de ressources d'esprit , quels
frais de style !>Oublié , précisément parce qu'il retraçait trop
bien, à l'époque où il parut, l'état présent de la science ! La
science a changé, un autre livre a pris sa place, et pour com-
bien d'années? — G° Physiologie des Passions, ou Nouvelle
Doctrine des Sentiments moraux, 4 vol. in-8°, 1825; une
deuxième édition parut en 1837. Voilà ce qui ne changera ja-
mais, ce sont les passions. Aussi Alibert, plus mùr et tou-
jours amoureux d'une gloire durable ,. a fini par là ses
publications essentielles. L'Académie Française décerna une
récompense à cet ouvrage intéressant et moral. !\Iais l'auteur
en fit don à un auteur que les infirmités de la vieillesse
avaient jeté dans le besoin : noble action couronnant un bel
ouvrage. Alibert, à la manière de M. Bouilly, mais avec plus
d'élévation et plus de méthode, consacre une Nouvelle à
chaque passion. — 1° Précis sur les Eaux Minérales ,
in-8", 1826 ; ou\Tage utile à son apparition, mais trop com-
plaisant, et dans lequel l'auteur se montre trop crédule en-
vers les témoins intéressés. — 8° Nosologie naturelle, ou
Maladies du corps humain classées par familles , in-4°,
ouvrage splendide, avec planches coloriées ; ce n'est qu'une
première partie, dont la deuxième n'a point pani. La seule
chose qu'on puisse dire de cet ouvrage, c'est qu'il est impos-
sible de classer les maladies comme dès animaux ou des
plantes. — 9° Monographie des Dermatoses. C'est à peu
près le Précis de lsiO-1822, mais rajeuni et modifié. —
Alibert prenait en pitié tout médecin qui en présence d'une
dartre vive ou d'une ichthyose ne sentirait pas aussitôt son
cœur palpiter ; il le déclarait dès lors dépourvu d'une voca-
tion véritable. — Alibert, profopdément attristé depuis 1830,
mourut tout à^onp le 6 novembre 1837. Quelque temps au-
paravant il avait été victime d'une violente surprise, dont il
resta frappé. Cette aventure, qui fit beaucoup de bruit, bien
qu'on ne se la racontât qu'à l'oreille, restera vraisemblable-
ment toujours entourée de mystère. D"^ Isid. BouRnoN.
ALI-BE Y, dominateur de l'Egypte dans la dernière moitié
du dix-huitième siècle , était né en 172S , dans le pays des
Abazcs . Amené au Caire à l'âge de treize à quatorze ans,
il fut vendu comme esclave à un kiahia ( colond) des ja-
uissaires, appelé Ibrahim, qui jouissait d'une assez grande
mfluence en Lgypte et qui lui fit apprendre le métier des
armes. Affranchi à l'âge de vingt ans par ce kiahia, qui avait
fini par se rendre indépendant dans son commandement ,
Ali-Bey obtint peu de temps après le titre de kachef ou gou-
verneur de district. S'élevant ensuite de grade en grade par
son courage, il panint à se faire admettre au nombre des
vingt-quatre beys qui, sous la suprématie nominale d'im
pacha turc, s'étaient partagé l'administration de ri-.gjpte.
Ali-Bey renversa en 17G6 le pacha qui administrait au nom
du grand seigneur, et prit lui-mèir.e !c titre de sultan, en
s'arrogeant le droit de battre monnaie. 11 rêva le rétablisse-
ment de l'Egypte comme puissance indépendante, et con-
çut les plus vastes projets pour lui rendre son antique im-
portance. A cet effet il conclut des alliances ; et déjà, après
s'être rendu maître dune partie de la Palestine, il était sur
le point d'opérer le démembrement de l'empire turc, lorsque
la trahison de son fils adoptif, Mohammed-Bey, vint l'airèter
au milieu de ses succès. Ali-Bey dut chercher dans la fuite
son salut contre la révolte de sa propre année, et dans ce
grand et soudain désastre fut généreusement recueilli par le
pacha d'Acre. Croyant que sa seule présence en Egypte suf-
firait pour y rétablir son autorité, dont s'était emparé Mo-
hammed-Bey, il ne tarda pas à s'y rendre ; mais à peine
arrivé à .Salehyé avec quelques fidèles, il y fut pris par un
chef de mamlouks, nommé Mourad-Bey, le môme qui plus
tard fit preuve d'une si chevaleresque bravoure dans la dé-
fense de l'Egypte contre les troupes françaises. Quelques
jours après, Ali-Bey avait cessé de vivre ( 1773 ).
ALI-BEY, pseudonyme sous lequel un Espagnol, ap-
pelé Domingo Badia y Leblich, né en 176G, pubha, en 1814,
la relation d'un voyage fait pendant les années 1804 et 1807,
en Asie et en Afrique. Avant de l'entreprendre, Badia avait
étudié la langue arabe ; et quand il se fut bien familiarisé
avec cet idiome, il conçut le bizarre projet de prendre un
nom musulman et même de se faire passer pour l'un des des-
cendants des khalifes abbassides. Il eut, au reste, l'adresse
de rattacher certaines vues politiques à l'exécution de ce
projet, dans lequel il fut secondé par son gouvernement. Dé-
barqué à Tanger en 1803, il visita donc successivement Fez,
Maroc, Tripoli, l'île de Chypre, l'Egypte, la Mecque, Jéru-
salem, Damas et Constantinople; tournée dans laquelle il
put recueillir les documents les plus curieux, et (grâce à
son travestissement, pour la plus complète exactitude duquel
il avait poussé le dévoùment à la science jusqu'à se faire cir-
concire ) connaître des détails auxquels aucun chrétien n'a-
vait pu jusque alors se faire initier. La relation du voyage de
Badia parutà Paris, en 1814. Quelque temps après, il repartit
encore pour la Syrie, mais cette fois sous le nom d'Ali-
Othman, et chargé , dit-on , par le gouvernement français
d'une mission secrète ayant pour but de donner plus d'ex-
tension et d'activité à nos relations commerciales avec l'O-
rient. Il mourut à Damas en 1818; et comme tous ses pa-
piers furent alors saisis par ordre du pacha de Damas, on
supposa que cette mort n'avait pas été naturelle.
ALIBI, mot latin qui signifie ailleurs. Il s'emploie, en
droit criminel, pour justifier que le prévenu n'était point
sur le lieu du crime au moment où il a été commis. C'est
un moyen de défense péremptoire. Si en effet le prévenu
parvient à prouver son alibi par des témoignages irrécu-
sables , l'accusation tombe d'elle-même.
ALIBOUFIER ou STYRAX , genre de plantes de la
famille des ébénacées de Linné. iX'ous n'en possédons en
Europe qu'une seule espèce , Yaliboxifier officinal. C'est un
petit arbre, qui a les feuilles alternes , pétiolées , ovales ,
molles , velues en dessous ; les fleurs blanches , très-odo-
rantes et disposées en grappes axillaires , plus courtes que
les feuilles ; son fruit est un drupe cotonneux en dehors ,
renfermant un noyau monosperme. Cet arbre croît dans le
Levant, l'Italie, la Provence. Il découle des incisions faites
à son écorce une résine connue sous le nom de styrax
solide. On le cultive dans les jardins d'agrément. — Une
autre espèce, Valiboufier benjoin, originaire de Sumatra,
donne la résine connue sous ce nom de benjoi n.
ALICAXTE , port sur la '^Méditerranée, dans le royaume
de Valence, avec 25,000 habitants, qu'un chemin de fer
relie depuis 1858 àMadrid. La même année on a dû démolir
se^ fcriilications pour donner une plus grande extension à cette
cité. Ou exporte de cette ville un vin fort doux, connu foiis
le nom de vin d'Alicanie, ou bien vino tinta, à cause de
sa couleur foncée : ce vin s'expédie en grande partie jiour
l'Angleterre. Alicante est l'entrepôt des productions de Va-
lence et le centre du commerce de l'Espagne avecl'Palie.
Cette ville possède quelques établissements scientili(ip.es
pour la marine.
ALIDADE. Ce mot, emprunté à la langue arabe, dé-
signe la traverse ou règle mobile qu'on applique sur les as-
trolabes , graphomètres , et sur tous les autres instruments
de céométric et d'astronomie qui servent à prendre la me-
ALIDADE — ALIENATION
335
sure des angles ; il ne vient pas, comme le supposait Mon-
tucla, du \ crbe hadda (tuirneravit), Al-JIhidud (tiv-
MERis ), d'où Ton aurait fait dériver Alh' idode, en conser-
vant l'article al pour exprimer le nianêrateur, mais de
H'adhada (juvit, comprehetidit), Al-U'ad/ikl {bra-
chium ), d'où est venu Al-H'idhadoh {mcdiclinhnn , ré-
gula, sive valvcUa ). L'alidade est garnie de deux pinnules
ou plaques percées d'un petit trou, sur la ligne de direc-
tion. Au centre de l'astrelabe on laisse subsister un trou
{ïalme/ian ), qui traverse l'araignée et toutes les tablettes;
ce trou est de forme ronde et entouré d'un cercle {Yalplie-
lath ) ; on y plac« un axe percé à son extrémité , ou un es-
sieu (Valchitot), et on y ajoute un écrou ou clavette en
forme de tête de cheval {Valphérath, le chevalet), qui
sert en même temps à retenir l'alidade. — Nos alidades
sont de diverses espèces ; quelques-unes sont surmontées de
petites lames plates et mobiles qui s'allongent ou se rappro-
chent, selon la nature des opérations. — En termes d'iior-
logerie , l'alidade est une règle mobile sur une plate-forme
destinée à diviser les cadrans. L.-Am. Sédii.lot.
ALIDES ou ALE\MS, descendants d'Ali. Ce khalife laissa
une nombreuse postérité; mais c'est par deux de ses fds,
Hassan et particulièrement Housséin , qu'elle s'est perpé-
tuée. Kés de Fa ti me, sa première femme, ils ont seuls
transrais à leurs descendants, ou soi-disant tels , leurs pré-
tentions au khaUfat, ou du moins au titre et aux fonctions
d'i m a m , ou pontife suprême. Hassan succéda à son père;
mais il ne fut reconnu que dans l'Irak et en Arabie , et ne
put lutter longtemps contre la fortune et les talents de
Moawiah. Au bout de quelques mois il abdiqua, et se
retira à Médine , où il mourut en 669 , empoisonné, dit-on,
par sa femme , que Yézid , fils de son heureux rival , avait
séduite. — Holsséin voulut disputer l'empire à Yézid. Ap-
pelé par les habitants de Koufah , qui l'avaient proclamé
khalife , il se rendait dans leur ville avec sa famille et ses
amis, lorsque attaqué par des forces infiniment supérieures,
il périt près de Kerbelah , en 680 , ainsi que presque tous
les siens , avec un courage et une résignation dignes d'un
meilleur sort , et dont les détails sont extrêmement drama-
tiques. Sa sépulture, située à Mesched Housséin, petite
Tille de l'Irak, a été pillée et profanée, au dix-neuvième siècle,
par les Wahabit«9. Le nom et le tombeau de Housséin ne
sont pas en moins grande vénération que ceux de son père
parmi les chyites. Une fête instituée en commémoration de
sa mort entretient depuis le dixième siècle le fanatisme
des chptes et leur haine contre les sunnites. Les chyites
traitent d'usurpateurs les trois premiers khalifes , ainsi que
ceux des maisons d'Ommiah et d'Abbas , et ne reconnaissent
que douze imams légitimes pour successeurs de Mahomet ,
savoir : Ali , Hassan , Housséin , et neuf de leurs descen-
dants , dont le dernier, Mahdy, enlevé , disent-ils , miracu-
leusement, est attendu par eux comme le Messie. Outre
ces douze imams , plusieurs princes de la maison d'Ali ont
disputé , les armes à la main , le khahfat à ceux qui n'en
étaient à leurs yeux que les usurpateurs. Presque tous ont
péri dans les combats ou dans les supplices. Mais , mal-
gi-é les persécutions et les anathèmes dirigés contre eux, il
en est qui sont parvenus à fonder des monarchies tempo-
raires plus ou moins puissantes. Sans parler des dynasties
obscures qu'ils ont établies à Koufah et dans les provinces
qui bordent la mer Caspienne, nous citerons les schéri/s
édrisides , fondateurs de la ville et du royaume de Fez en
^lauritanie; les Hamoudides, qui régnèrent en Espagne
après les Ommiades; les Obéidides ou Fatimïdes, con-
quérants de l'Afrique et de l'Egypte, et rivaux des khalifes
abbassides, quoique leur généalogie ait toujours été contes-
tée; les schéri/s de la Mecque, qui, malgré leur illustre
origine, se sont rendus vassaux des Turcs-Osmanlis ; enfin,
les schéri/s qui régnent depuis trois cents ans à la INIec-
que, etc., etc. Outre ces branches souveraines de la famille
d'Ali , il en existe encore , dans tous les pays soumis au
joug du Coran, une foule de rejetons jusque dans les plus
basses classes de la société , et dont les seules prérogatives
.sont d'être qualifiés des titres i'cmir, de scid et de schérif
(prince, seigneur, noble), et de porter à leur turban une
mousseline verte , couleur qu'Ali avait adoptée , et pour la-
quelle Mahomet avait beaucoup de prédilection.
H. AUDIFFIIET.
ALIE3I BILL. Ces mots anglais désignent une loi rela-
tive aux étrangers arrivés et résidant en Angleterre. Elle fut
rendue à l'époque de notre première révolution, lorsque dans
nos clubs et nos assemblées populaires on proclamait hau-
tement le projet de propager par tous les moyens possibles,
dans les pays étrangers , les doctrines politiques qui triom-
phaient parmi nous , et qui effrayaient à bon droit les puis-
sances voisines , lesquelles durent songer aux moyens de se
garantir de la contagion des principes révolutionnaires. Pitt
proposa vers la fin de Tannée 1792 , dans la Chambre des
Communes , un bill spécial contenant les règles de surveil-
lance auxquelles seraient désormais soumis tous les étrangers
qui entreraient sur le territoire de la Grande-Bretagne ; bill
qui, en raison de sa destination, fut appelé alicn OUI, et
que Charles Fox et ses amis politiques combattirent avec la
plus violente énergie , comme contraire de tout point aux
principes de liberté qui sont le fond de la constitution an-
glaise. L'éloquence de PUt , appuyée de celle de Burke , qui
s'était déclaré l'adversaire systématique de notre révolution,
l'emporta sur l'opposition , et le bill passa. L'année suivante
lord Granville le fit adopter par la Chambre haute. Les prin-
cipales dispositions de cette loi ordonnaient qu'à l'avenir
tout étranger, en mettant le pied sur le territoire anglais, se
fît enregistrer à l'effet d'obtenir un permis de séjour, permis
qui ne s'accordait qu'après une enquête sévère , et qui sur
le moindre soupçon pouvait être retiré. Il fut en outre dé-
fendu aux étrangers, sous les peines les plus graves, de dé-
barquer en Angleterre avant que le capitaine du navire à bord
duquel ils se trouveraient eût fait sa déclaj'ation, et il leur
fut interdit de sortir du royaume sans s'être préalablement
munis d'un passeport. Ces mesures exceptionnelles étaient
encore aggravées par un luxe de précautions injurieusemcnt
défiantes, dont les enfants et les évêques français émigrés fu-
rent seuls exemptés. — Depuis l'époque de sa promulgation,
Valien &(7Z, dont les effets étaient du reste toujours limités à
une période précise de temps, fut à diverses reprises remis erv
vigueur par le gouvernement anglais , qui y trouva un utile
moyen de défense dans des moments de crise, soit intérieure,
soit extérieure. C'est ainsi que des votes du parlement le remi-
rent successivement en vigueur en 1802, 1803, 1816 et 1818.
Quand , à la mort de Castlereagh , le cabinet de Saint -James
entra enfin dans les voies d'une politique plus libérale et plus
progressive, et lorsque Canning fut appelé à diriger les affaires
de son j^ays, il crut pouvoir renoncer à ces mesures d'excep-
tion, et remplacer Yalien bill de Pitt et de Granville par une
loi qui protège davantage l'étranger contre l'arbitraire d'une
police soupçonneuse et tracassière ; loi qui, au reste, diffère
peu de celle qui en France régit la même matière. Voyez
Étrangers.
ALIENATION. On appelle ainsi, en jurisprudence,
l'acte par lequel une personne , capable de disposer, trans-
fère à une autre , soit à titre onéreux , soit à titre grafuit ,
la propriété d'une chose mobilière ou immobilière. 11 y a
aliénation à titre gratuit dans les donations, les legs, etc.
La vente , l'échange , l'engagement , l'hypothèque , consti-
tuent l'aliénation à titre onéreux, c'est-à-dire ayant lieu
moyennant un équivalent. Bien que le droit d'aliéner soit,
de sa nature , inhérent au droit même de propriété , la loi
française a .spécifié des cas où Yaliénation reste soumise à
des règles particulières , dépendant ou de l'incapacité des
propriétaires , ou de la nature du droit , ou de la nature des
choses mêmes. — C'est ainsi que les miueuis et les iûter-
336
dits ne peuvent aliéner que par rinteriiiédiaire de leurs tu-
teurs , lesquels doivent préalablement requérir et obtenir à
cet elfet l'autorisation de la justice, et que la femme en
puissance de mari doit , avant de pouvoir aliéner sa pro-
priété , obtenir l'autorisation de son mari ou requérir celle
de la justice. Dans ces différentes espèces il y a restriction
apportée à l'usage du droit d'aliénation en raison de l'inca-
pacité des personnes.
La nature du droit même de propriété limite encore quel-
quefois le droit d'aliéner. C'est ainsi que la faculté d'aliéner
est interdite à tout propriétaire dont les biens sont frappés
de substitution; aux gens de main-morte, c'est-à-dire
aux corps et communautés ayant une existence légale, comme
les collèges , les bôpitaux , les cbapitres , etc. ; enfin elle
est interdite aux souverains de France, lesquels ne peuvent
aliéner les domaines de la couronne, dont ils ne sont qu'usu-
fruitiers, et qu'ils doivent transmettre intacts à leurs suc-
cesseurs.
Eniin , en raison môme de la nature de leur destination ,
les routes, les rues , les places , les monuments , etc., sont
regardés comme inalténables ;m&is celte inaliénabilité cesse
du moment où leur destination vient à changer.
AL1ÉIVATI0\ MENTALE. Ce mot est générique,
et doit comprendre dans sa signification toute espèce de
dérangement ou d'imperfection des facultés de l'esprit, tout
état anomal de l'intelligence, ou, pour parler plus exacte-
ment, toute espèce de désordre dans les fonctions du cerveau.
Les progrès que la physiologie du cerveau a faits de nos
jours nous ont procuré la connaissance des véritables facultés
de l'homme , ainsi que la différence qui existe entre les di-
vers penchants, les sentiments, les talents et les facidtés in-
tellectuelles proprement dites. C'est d'après ces connais-
sances, définitivement acquises à la science, que l'étude des
différentes sortes d'aliénations mcnfak s nous a mis à môme
de rectifier le langage scientifique employé jusque ici, et de
préciser chaque espèce d'aliénation bien mieux que ne l'ont
fait nos devanciers. Nous pouvons, par la même raison,
suivre les phases que les malheureux atteints d'une sorte
d'aliénation mentale passent successivement à d'autres es-
pèces de la même maladie jusqu'à la fin. 11 est démontré que
chaque phénomène morbide de l'intelligence est le résultat
d'une altération quelconque dans le cerveau : cela ne peut
pas être autrement.
Beaucoup de médecins, les légistes, les littérateurs, et, en
général, tous ceux qui n'ont pas fait des études spéciales sur
cette matière, emploient indistinctement, dans leurs écrits
ou dans leurs discours, le mot aliénation mentale comme
synonyme de/o lie : c'est confondre le genre avec l'espèce ;
c'est comme si l'on disait fièvre, sans qu'on pût savoir s'il
est question d'une fiôvre pernicieuse , d'une fièvre scarlatine
ou d'une fièvre tj^phoïde. Nous pensons donc , avec les sa-
vants les plus instruits sur cette matière , qu'il faut y atta-
clier un sens plus large : ainsi, il faut placer parmi les
aliénations mentales le délire, la démence, l'extase,
la folie, les hallucinations, l'hypocondrie, l'i-
diotie, la manie, la mon orna nie, etc., etc. Nous donne-
rons à chacun de ces mots , et à d'autres du même genre,
un article spécial ; nous y exposerons , selon l'opportunité,
la doctrine physiologiciue qui explique leur mode d'être et
les différences qui les caractérisent, le traitement dont
chaque espèce est susceptible, et les observations qui se rap-
portent à l'hygiène publique, à la législation, et aux mesures
sanitaires ou de police médicale requises pour chaque espèce
de maladie.
Il y a des aliénations très-difficiles à être saisies et bien
caractérisées, même par les médecins ; car elles conmiencent
d'une manière imperceptible, et elles augmentent par degrés,
sans qu'on s'en doute, au point que depuis l'excentricité de
certains caractères, que l'on remarque à peine , ou l'extrava-
gance de certains individus, dont la raison commenes à
ALIENATION — ALIENATION MENTALE
s'altérer, jusqu'à la manie furibonde, il n'y a eu que des
nuances de la môme maladie. Le commencement du dé-
rangement des facultés passe presque toujours inaperçu
dans les familles : on trouve bien que le caractère d'un
individu est changé, qu'il est plus morose, qu'il est plus
irritable , qu'il n'a plus les mêmes affections , qu'il a du
chagrin , etc. ; mais on ne pense pas que c'est le principe
d'une aliénation. Et en attendant la maladie du cerveau fait
des progrès ; et lorsqu'à la fin l'aliénation éclate dans toutes
ses formes, le médecin est presque toujours dans l'impossi-
bilité de la guérir. Qu'on réfléchisse maintenant à l'impor-
tance de reconnaître les premiers symptômes de cette af-
freuse maladie et à la nécessité d'avoir recours immédiate-
ment à un médecin intelligent.
Les diverses aliénations mentales peuvent reconnaître des
causes différentes. Plus généralement, elles dépendent d'une
mauvaise organisation du cerveau, d'une sorte de prédis-
position que l'on apporte en naissant, soit héréditairement,
soit accidentellement. Quant aux cerveaux bien organisés,
les causes qui en troublent les fonctions sont les travaux de
l'esprit prolongés ou poussés au delà de la puissance cérébrale
que chacun a, ou encore quand quelqu'un se livre à des oc-
cupations d'esprit pour lesquelles il n'est pas né. Pour les
tètes médiocres, qui forment partout la très-grande majorité
des humains , la cause ordinaire du dérangement de leur
esprit est l'excitation constante de leurs penchants et de leurs
sentiments par des impressions souvent répétées qui leur
viennent du monde extérieur. Nous entendons parler ici
généralement des grands centres de civilisation, c'est-à-dire
des capitales et des grandes villes, où la population est
entassée , et où toutes les bonnes comme les mauvaises
passions ont leur grand cours. C'est donc l'excitation à
toutes les passions qui est la cause commune de leur alié-
nation ; c'est l'éducation mal dirigée, la cupidité d'acquérir,
la vanité des distinctions, la superstition aveugle et l'atroce
fanatisme religieux ou politique ; c'est l'épuisement des fa-
cultés par l'abus de toutes les fonctions de la vie matérielle;
finalement, il faut ajouter les lésions de l'encéphale, les ma-
ladies et les malheurs impré^Tis qui arrivent à des per-
sonnes douées d'une trop grande sensibilité. Les affections
de certains organes de la vie végétative peuvent propager leur
irritation au cerveau, et donner heu à une aliénation sym-
pathique.
Nous traiterons dans un autre article des dispositions né-
cessaires pour établir une, bonne maison ou un hospice pour
les aliénés , ainsi que des moyens les plus propres pour les
guérir. Nous avons visité et nous connaissons un très-grand
nombre d'établissements publics destinés à recevoir des
aliénés. Nous y avons trouvé généralement, il faut en con-
venir, des améliorations notables dans leur disposition ma-
térielle, comparativement à ce qui existait autrefois; mais
nous n'avons pas eu à nous réjouir sur le traitement médi-
cal généralement suivi : presque partout les- fausses doc-
trines qui ont dominé fatalement dans les écoles de mé-
decine ont laissé des traces inefl'açables ; ailleurs , un grand
nombre de médecins suivent la routine traditionnelle , et
d'autres, découragés par leurs efforts inutiles , croient que
ne rien faire, c'est le meilleur parti à prendre. Nous regar-
dons donc comme indispensable que le médecin destiné
à la cure des aliénations mentales soit non-seulement bon
praticien pour le traitement des maladies communes , mais
qu'il connaisse à fond la physiologie du cerseau, qui est la
seule bonne philosophie propre à le conduire dans ce la-
byrinthe inextricable d'idées métaphysiques et d'abstractions
que les mauvaises écoles de philosophie nous ont créées et
qui se maintiennent toujours.
Une dernière observation nous reste à fah'e. Lorsqu'on
croit qu'un aliéné, surtout s'il aété atteint d'une monomanie ,
est guéri, il faut s'en méfier et le surveiller toujours, parce
qu'il est sujet à des rechutes fatales, D'^ Fossati.
ALIÉXÉS ( Droit). Le Code, d'accord avec l'Académie,
ne ro^arde comme aliénés que les personnes tiui sont dans
un état habituel de démence, de fureur ou d'imbécillité. Les
aliènes ne perdent leurs droits civils et politiques que par
l'interdiction; c'est-à-dire qu'un jugement est néces-
saire toutes les fois qu'on veut empêcher quelqu'un frappé
d'aliénation mentale d'exercer ses droits. Il est vrai, surtout
lorsqu'il s'agit de donations entre vifs et par testaments,
q\ie les tribunaux peuvent toujours annuler ces actes s'il
est prouvé que le contractant n'avait pas sa raison quand
ils ont été faits.
Il semble aussi que, tant que l'interdiction n'a pas été pro-
noncée, l'aliéné ne devrait pas pouvoir être séquestré dans
une maison de santé ; mais il n'en est rien , et parmi les
malheureux qui se trouvent dans les maisons de santé, il
en est fort peu dont l'état soit légalement constaté. Cela
tient à ce que tant que l'on conserve un espoir de guérison
on craint de le faire évanouir par un procès dont l'aliéné
pourrait entendre parler ; mais , d'un autre côté, cela peut
devenir une source d'abus. Avant la loi du 6 juillet 1838 ,
les aliénés étaient presque hors la loi commune. On prenait
des précautions pour protéger les individus et l'ordre public
contre leur fureur; mais, comme aucune règle fixe n'avait
été établie en cette matière par le législateur, il arrivait que
la sûreté publique n'était point suffisamment garantie, que
la liberté individuelle pouvait être compromise, et que les
soins donnés aux malades n'étaient point toujours conve-
nables. Depuis longtemps on réclamait contre cet état de
choses, lorsque le gouvernement présenta un projet de loi
qui ne passa dans les deux chambres qu'après une foule de
modifications graves , tellement c'était chose peu facile que
de trouver un remède assez puissant pour détruire un mal
si ancien et si affligeant! Depuis la loi de 1838 le sort des
malheureux frappés d'aliénation mentale est confié à une
sage surveillance de la part de l'autorité publique. Cette loi
est éminemment protectrice de la liberté individuelle , et
elle veille constamment à ce que nul individu ne puisse ,
sous prétexte d'aliénation mentale, être privé de la libre
disposition de sa personne. Elle pouvait être , ainsi que l'a
justement fait remarquer M. J.-B. Duverger, plus eu har-
monie avec les dispositions du Code Civil ; mais il n'en est
pas moins VTai qu'elle a parfaitement rempli les vœux qui
la demandaient. Aujourd'hui les établissements destinés à
recevoir et à soigner les aliénés sont surveillés avec une
grande sévérité, et il n'est plus permis d'y recevoir des per-
sonnes réputées atteintes d'aliénation mentale sans les ga-
ranties nécessaires. Disons aussi que toutes les règles pré-
vues par la loi précitée ont trouvé un excellent commentaire
dans l'ordonnance du 17 avril 1840, qui, entre autres choses,
établit d'une manière efficace la responsabilité des chefs
ou directeurs des hospices d'aliénés.
ALIEXES (Maisons et hospices d'). Autrefois les mal-
heureux qui avaient perdu la raison étaient séquestrés dans
des prisons ou des hôpitaux , et traités comme des criminels.
" Ils étaient réduits à une condition pire que celle des animaux,
a ditEsquirol. Partout les insensés, nus ou couverts de hail-
lons, n'avaient que de la paille pour se'garantir de la froide hu-
midité du pavé sur lequel ils étaient étendus. On les a vus
grossièrement nourris, privés d'air pour respirer, d'eau pour
étancher leur soif, et croup'issant dans l'ordure, livrés à de
véritables geôliers. Enfin on les a vus dans des réduits étroits,
sales , infects , sans lumière , enchaînés dans des antres
où l'on craindrait de renfermer les bêles féroces que le luxe
des gouvernements entretient à grands frais. Et l'on est
obligé de dire que ce tableau désolant est encore vrai dans
beaucoup de localités. Cependant d'heureux essais ont été
tentés, soit par les gouvernements, soit par des particuliers,
et chez nous les établissements publics de la Salpêtrière, de
Charenton , de Bicêtre, ceux de Rouen, de Nantes, du
Mans, etc., offrent des exemples qui seront utilement imites. »
DICT. DE LA CONVF.RS. — T. I.
ALlÉiNÉS 337
Tout ce qui a été (;\it pour améliorer la condition des
aliénés et le régime des établissements destinés à le? rece-
voir est moderne , et l'on peut presque dire français. En des
temps de civilisation barbare, encore peu éloignés de nous,
la charité chrétienne inspira des sentiments favorables au
sort des malheureux atteints d'aliénation mentale; diverses
maisons refigieuses s'ouvrirent pour recevoir plusieurs de ces
infortunés. Des pauvres furent admis gratuitement dans ces
maisons, et, par une compensation équitable, les riches du-
rent y payer une pension quelconque pour y être renfermés
jusqu'au rétablissement de leurs facultés intellectuelles. La
maison des frères de la Charité, dite de Saint-Maurice, à Cha-
renton, devint ainsi un pensionnat de fous dès l'année 16G0,
Plus tard , et surtout après la destruction des ordres monas-
tiques en France, diverses spéculations particulières firent
ouvrir des établissements pour le traitement et la séques-
tration des fous , et pour suppléer les hôpitaux.
L'utilité des maisons destinées à la réclusion et au traite-
ment des aliénés est incontestable. Que faire d'un fou dan.s
une famille , surtout s'il est furieux ? Comment le contenir
pour le garantir, lui et ceux qui l'entourent, de ses déter-
minations insensées? Les soins que demande un tel être sont
pénibles, et exigent souvent une sévérité à laquelle des pa-
rents ou des amis ne peuvent se résoudre; d'ailleurs, il
convient communément pour cet état de changer ses habi-
tudes ; en un mot , il faut un local approprié à cette desti-
nation.
Les issues de ces maisons ne devant pas être franchies sans
permission , elles ont plus ou moins l'aspect d'une prison ;
dans quelques-unes, cette apparence est déguisée au dedans,
et les reclus y jouissent d'une liberté proportionnée à leur
état mental. Ceux qui sont frappés de démence et de fureur
sont isolés , renfermés et contenus de manière à être maî-
trisés sans douleur. Ceux, au contraire, chez lesquels la per-
version de l'intelligence n'est que partielle ou sans danger,
jouissent d'une liberté suffisante, et trouvent des distrac-
tions dans divers jeux, dans la lecture, la musique, etc.
Tout enfin est coordonné dans un but médical et philanthro-
pique. L'expérience a démontré l'efQcacité du régime de ces
maisons. Un certain nombre d'individus y ont recouvré la
raison, et ceux qui n'ont pu guérir y ont aji moins trouvé
Tasile le plus convenable à leur situation. Dans les cas de
récidive, il n'est pas rare de voir les personnes qui pressen-
tent le retour de l'aberration de leurs facultés intellectuelles
s'acheminer d'elles-mêmes vers un lieu dont elles ont pu
apprécier les avantages.
« Ces établissements, dit Esquirol, sont des instruments
de guérison, et entre les mains d'un médecin habile c'est
l'agent thérapeutique le plus puissant contre les maladies
mentales. Tout y est à considérer : situation , construction ,
distribution intérieure , mobilier, comme aussi les employés
et serviteurs qui y sont attachés et les chefs qui les diri-
gent.
« Un asile destiné aux aliénés, ajoute ce savant praticien,
doit être situé hors des villes , tant par des considérations
économiques de premier établissement et d'entretien que
par les conditions avantageuses de salubrité , d'étendue et
d'isolement qu'il peut alors réunir. Les constructions pré-
senteront un bâtiment central pour les services généraux
et le logement des fonctionnaires, puis, sur les côtés, des
masses isolées pour loger les malades, en séparant les
sexes et les diverses variétés de folie. Chacun de ces bâti-
ments renfermera une cour entourée de galeries; le troi-
sième côté sera disposé pour les salles de réunion , réfec-
toires, etc.; le quatrième, fermé par une grille, donnera
sur la campagne ; la cour sera plantée avec une fontaine au
milieu. Des calorifères seront établis pour maintenir partout
une bonne températiu'e et servir en même temps au lenou-
vcllement de l'air. Au centre de ces bâtiments séparés s'en
élèveiont d'auties, isolés aussi entre eux, pour les ateliers,
43
ALIÉNÉS — ÂÎ.IGNY
838
les salles de bains, douches, fumigations, infirmeries, etc.
Les habitations des malades bruyants ou malpropres seront
disposées de manière à ce qu'ils ne puissent causer aucune
incommodité aux autres malades, et surtout aux convales-
cents , qui ont besoin d'un calme parfait. Chacune des cel-
lules doit être également adaptée à de certaines exigences.
Il faudra daller en pierres et incliner celles des aliénés qui
salissent, planchéier les autres. Celles des malades atteints
de monomanie suicide seront dépourvues de tout ce qui peut
les aider dans Taccomplissement de leur dessein, et garnies
de coussins propres à amortir les chocs. Les rez-de-chaussée
sont préférables sous le tni)le rapport du service , de la
siuveilkmcc et de la promenade. Quant au bâtiment des
convalescents , il doit se rapprocher, autant que possible,
d'une maison ordinaire, que l'on s'efforcera de rendre
agréable et commode.
.c Le ni'.tériel consiste en hts , qu'il faut adapter aux be-
soins des diverses classes de malades ; solides et garnis de
fournitures faciles à renouveler pour ceux qui sont furieux
ou qui salissent , ils peuvent être semblables à ceux dont
on se sert d'ordinaire pour les malades paisibles ; le linge
de corps et de lit doit être solide et fréquemment renou-
velé. Que les moyens de chauffage soient organisés de ma-
nière à être efficaces et à prévenir les abus et les dangers ;
que des ateliers soient ouverts. Le travail, qui est l'ordre,
est un puissant moyen de distraction , et partant de guéri-
son; mais aucun n'est préférable au travail des champs,
qui réunit l'exercice corporel à la diversion intellectuelle.
On en a tiré un grand parti, de même que de i'équitation
et des exercices gymnastiques.
« Le régime doit être abondant et salubre; la propreté
dans le service est nécessaire , de môme que la régularité
dans la distribution des aliments. Il convient de faire manger
en communauté tous les aliénés chez lesquels rien ne s'op-
pose à cette mesure.
« Le personnel se divise naturellement en administratif
et en curatif, s'il est permis de s'exprimer ainsi : c'est le
second qui doit prédominer, représenté par le médecin. Ce-
lui-ci doit non-seulement diiiger tout ce qui concerne le trai-
tement , mais encore il doit s'entendre avec les autres chefs
de l'établissement, afin que toutes les parties du service
concourent au même but. Les surveillants et surveillantes,
qu'ils appartiennent ou non à des communautés religieuses,
doivent seconder le médecin et entrer dans ses vues par l'ac-
tivité, la bienveillance et la fermeté. Les infirmiers, dont le
nombre doit être beaucoup plus grand pour les aliénés que
pour les autres malades , devraient avoir les mômes qualités
que les surveillants , mais il est bien difficile d'en trouver de
semblables : aussi la surveillance qu'on exerce sur eux doit-
elle être de tous les instants , puisqu'ils sont constamment
en contact avec les malades.
« Qui oserait proposer aujourd'hui l'usage des chaînes et
des moyens de contrainte violents qui ont produit de si fu-
nestes effets? La camisole de force, et surtout la présence
de personnes intelligentes et robustes qui maintiennent le
malade dans les moments de fureur, sont toujours suffi-
santes ; et encore ces moyens de résistance doivent être or-
donnés et surveillés par le médecin. La multitude d'appa-
reils inventés pour maintenir ou réduire les aliénés fait voir
qu'en général on s'est trompé sur la nature de la maladie et
sur le traitement qui lui convient. »
Parmi les établissements d'aliénés célèbres, nous citerons
Charenton, Bicêtre, la Salpêtrière, en France;
Bedlam, en Angleterre; la Charité, à Berlin; l'hospice
d'Aversa, près de Naples; la maison d'.\vanches, près de
Lausanne; la colonie d'aliénés à Gheel, près d'Anvers. Cette
colonie, invention de la philanthropie moderne, offre cela
de remarquable, que ses aliénés, au nombre de quatre cents
à cinq cents, sont distribués chez les habitants, qui en
prennent soin eux-mêmes. On dit que, grâce à ces .soins et
à l'apparence de liberté dont jouissent les malades, beau-
coup recouvrent la raison.
ALIES. Fête qui se célébrait à Rhodes , en l'honneur
du soleil, le 24 du mois gorpiœus, le boédromion des Athé-
niens (septembre). Les jeunes gens s'y livraient des com-
bats ; le Vainqueur recevait une couronne de peupher. Il y
avait aussi des concours de musique.
ALIGIIIERI. Vorjcz Dame.
ALIGiVAN ( Benoît ) , savant moine du treizième siècle,
entra jeune encore dans un monastère de l'ordre de Saint-
Benoît, et y prononça ses vœux. Nommé évêque de Mar-
seille en 1250, par la mère de saint Louis, alors régente, des
dégoûts qu'il éprouva dans l'administration de son diocèse
l'engagèrent, en 1239, à accompagner en Palestine Thibaut,
comte de Champagne et roi de iS'avarre. Dans cette croi-
sade, il eut occasion de rendre de grands services à la cause
des chrétiens. Revenu en Europe en 1242, il assista succes-
sivement, en 1245 au concile de Lyon, et en 1248 à celui
de Valence; il alla ensuite rejoindre saint Louis en Terre
Sainte, d'où il revint encore en Europe en 1264, prêcher une
nouvelle croisade par ordre du pape Alexandre IV. Il mou -
rut en 1268. On a de lui quelques écrits théologiques que
d'.\chery a insérés dans son célèbre Spicileghan.
ALIGIVEMENT, disposition de plusieurs objets sur
une même hgne droite. Presque partout les voies publiques
se sont formées au hasard ; puis, avec l'accroissement de la
population, qui a amené une augmentation dans la circula-
tion, sont survenues des nécessités nouvelles dans un in-
térêt de sécurité et de salubrité; et la législation a dû alors
prescrire partout un système à^élargissement et (Talig^ie-
ment de la voie publique. — En France, tout ce qui re-
garde Valirjnement est confié à des agents spéciaux, appelés
votjers, qui seuls peuvent autoriser l'élévation de construc-
tions nouvelles, et qui ont soin de tenir la main à ce que les
entrepreneurs se conforment aux alignements préalablement
arrêtés par les autorités, à l'effet de redresser les rues exis-
tantes, rues dont les constructions anciennes décrivaient
des lignes irrégulières, et où l'alignement se rétablit au fur
et à mesure que les maisons, en vieillissant, deviennent su-
jettes à démolition et à reconstruction. Les propriétaires
do)it l'on abat ou l'on recule les maisons faisant saillie sur la
voie publique, par suite du plan d'alignement discuté et
adopté en conseil municipal, ont droit à une indemnité dont
les proportions sont fixées par la loi. — Le mot alignement
appartient aussi au langage de la tactique militaire : un of-
ficier aligne des troupes. La manœuvre par laquelle on ar-
rive à disposer et mettre un certain nombre d'hommes sur
une même ligne droite passait autrefois pour une des plus
difficiles. Aujourd'hui le dernier sons-offic;er la dirige tout
au?si bien que pourrait faire l'officier le plus expérimenté. —
En astronomie, la mcthode des alignements facilite singu-
lièrement l'usage du globe céleste, et consiste à déterminer
la position des étoiles au moyen de lignes que l'on imagine
passer par d'autres étoiles connuas. Ainsi, par exemple, l'é-
toile polaire, qui occupe à peu près le pôle nord de l'axe
autour duquel la terre opère son mouvement diurne, est sen-
siblement dans le prolongement d'une ligne droite que l'on
imagine projetée sur la voûte céleste, en passant par les
deux gardes de la Grande-Ourse ou du Chariot de David.
ALIGXEMEXTS. Voyez DniimoiEs ( Monuments ).
ALIGXY (FÉux-TnÉODORECARUELLE), peintre de
paysage, né le 24 janvier 1798, à Chaumes ( Nièvre ), eut
pour maîtres Regnault et Watelet ; mais, dans la manière
originale qu'il a su se faire, il reste peu de traces des leçons
qu'il a pu prendre chez ces doyens de l'école académique.
Il débuta jeune dans les arts; et dès 1822 il exposa Daphnis
et C/iloé, paysage historique, où les figures ne sei-vaient
que de prétexte aux magnificences de la nature grecque.
Depuis l'année IS'^7, où M. Aligny envoya au salon Saiil
et la Pijtfionisse d'Endor, il est peu d'expositions où il'n'ait
ALIGNY — ALLNjE.NTS
339
niontrô de> prouves (run taler.t queliiucfois sans clianno,
mais toujours distingué. On roniarqua surtout le ^fassac^•e
des Druides {\szi), les Carrières de Fontainebleau (1S33),
Promethée (1837) , la Campagne de Rome ( 1S39), la Vue
de Capri (isil), le Bon Samaritain (1S44), JSacc/ius en-
fant (1848) et la Solitude (1S51). L'exécution pénible et
un ixni froide de M. Aligny no se prête point à la peinture
de décor : aussi a-t-on regardé comme des tentatives mal-
heiHOUses les deux grands panneaux qu'il a peints pour un
appartement, la Cfiasse et les Fruits ( 1S48). M. Aligny,
dont la précision est souvent voisine de la sécheresse , dc-
Tait réussir davantage dans la gravure ; et il exposa , en
1846, huit remarquaMes eaux-fortes, feuilles détachées d'un
recueil qu'il a publié à la suite d'un voyage en Grèce. Ces
gravures reproduisent avec exactitude , mais sans effet et
sans poésie , l'aspect des ruines antiques et des campagnes
athéniennes. La dernière œuvre importante de M. Aligny,
et celle peut-être qui nous initie le mieux à ses mérites
comme à ses défauts, c'est la chapelle des fonts baptis-
mauxqu'il a peinte à l'église Saint-Etienne du Monl (1851).
11 semble que ->L Aligny n'ait jamais regardé la nature, tant il
s'étudie à remplacer son charme pittoresque par la froide
combinaison des lignes et des plans, tant il préfère le style à
la vérité, à la couleur, à la lumière. M. Aligny est d'ailleirs
un artiste d'une volonté intelligente et forte : il s'isole dans sa
personnalité ; et s'il n'a point eu de maître , il ne laissera
point d'élèves.
ALIGRE (Famille d'). Etienne d'Aligre, garde des
sceaux et chancelier de France sous Louis XIII, était issu
d'une famille de la bourgeoisie de la ville de Chartres. Il
fut d'abord conseiller au grand-conseil et intendant de Charles
de Bourbon, comte de Soissons, qui le nomma tuteur ho-
noraire de son fils. La réputation qu'il s'était acquise par
ses lumières et son intégrité le fireiit appeler au conseil
d'État par le roi Louis XllI. Le marquis de la Vieuville ,
étant parvenu à nuire dans l'esprit de ce prince au vieux
chancelier de Sillery , fit donner les sceaux à Etienne d'A-
ligre , sa créature, et lui assura quelque temps après l'hé-
ritage de Sillery, qui venait de mourir. Le nouveau chan-
celier s'attira la haine de Gaston d'Orléans, par l'arrestation
et la captivité du maréchal d'Ornano , ancien gouverneur
du prince. Des intrigues de cour lui tirent ôter les sceaux
en 1626 , avec ordre de se retirer à sa terre de la Rivière,
au Perche. Il y mourut en 163.j.
Etienne d'Aligre , fils du précédent, né en 1592, fut in-
tendant en Languedoc et en Normandie , ambassadeur à
Venise, directeur des finances, doyen des conseillers d'État,
garde des sceaux en 1672, et, deux ans après, chancelier
de France; dignité dont il jouit jusqu'à sa mort, en 1677.
Etienne-François d'Aligre, quatrième descendant du
chancelier qui précède, était président à mortier en 1763,
lorsque Louis XV, à l'instigation de Laverdy, lui conféra la
place éminente de premier président du parlement de Paria.
Dans le cours des deux années qui précédèrent la révolution,
il adressa, à la tête de son corjis, plusieurs remontrances
énergiques contre les impôts et contre les opérations hasar-
deuses du ministre îs'ecker. Il se lit surtout remarquer alors
par son énergiqvie opposition à la convocation des élats gé-
néraux. Le rôle qu'il joua dans ces circonstances décisives
était trop évident pour ne point le compromettre avec l'o-
pinion publique. Dénoncé pour ce fait à la municipalité,
puis arrêté , il faillit périr dans les premières commotions
populaires dont furent victimes MM. deBerthier, Foulon, etc.
Échappé connue par miracle à ce danger, il ne s'occupa
plus que des moyens de quitter la France, réalisa la plus
grande partie de ses propriétés , et gagna d'abord les Pays-
Bas, où il passa quelque temps à Bruxelles ; puis il se retira
en Angleterre, où il n'avait pas moins de quatre miliioiis
et demi placés sur la banque de Londres. Une fois qu'il eut
quitté la l'rance, le premier président d'Aligre ne se lit plus
remarquer que par son extrême avarice , jointe h. une cupi-
dité sans bornes, qui le porta à se jeter dans les plus basses
spéculations. Si son caractère y perdit, en revanche sa
fortune, grossie par l'accunuilation des intérêts et par de
honteux bénéfices, se tripla. On cite de son avarice ce trait
assez piquant. Quelqu'un parmi les émigrés venait-il faire
appel à sa bourse en invoquant de vieux souvenirs d'amitié,
le premier président ne manquait jamais de lui faire le plus
souriant accueil, et prenait note devant lui de son nom et
de la quotité de sa demande; puis il le remettait au len-
demain. Quand l'emprunteur , exact au rendez-vous, se re-
présentait devant lui, M. d'^Vligre lui montrait un registre con-
tenant, disait-il, la note de toutes lés demandes semblables
qu'il avait reçues : « Le total actuel de ces demandes, ajou-
'< tait-il, s'élève à plusieurs millions; jugez où j'en serais
« si je les avais accueillies ! » Puis il le saluait et le congé-
diait. Ce mauvais riche mourut à Brunswick, en 1798, lais-
sant des sommes immenses prudemment disséminées dans
les différentes banques de l'Europe.
Etienne , marquis d'Aligre, fils unique du précédent ,
et dernier rejeton mâle de sa famille, naquit à Paris , îe
20 février 1770. Il fut créé pair de France le 17 août 1815.
Rentré en France en 1799, il employa en achats d'immeubles •
les capitaux énormes que lui avait laissés son père, et il
accepta les fonctions de chambellan à la cour de Pauline
Bonaparte. S'il n'était pas le plus riche propriétaire foncier
de la France, il passait tout au moins pour en être le plus
prudent et le plus économe. Comme il n'eut de mademoiselle
Aglaé dePontcarré, sa femme, morte en 1843, qu'une fille,
mariée au marquis de Pommereu, il obtint, par une ordon-
nance du 21 décembre 1825, que ses rang, titre et qualité
seraient transmis au fils né de cette union et à ses descen-
dants en ligne directe et masculine. Le comte de Pommereu
joignit dès lors à son nom celui d'Aligre, qu'il est appelé à
relever. Le marquis d'Aligre est mort en mai 1847, laissant
une fortune évaluée à soixante et quelques millions ; son tes-
tament ôtait à sa fille bien-aimée Xoni ce que la loi lui per-
mettait de lui ôter, c'est-à-dire la moitié de ses biens. H a
institué pour légataires du reste trois parents éloignés, qu'il ne
voyait pas. Il a légué cinq millions pour les diverses commu-
nes sur le territoire desquelles se trouvaient situées ses pro-
priétés. Les femmes de l'Opéra n'étaient pas oubliées sur le
testament du marquis, qui avait la singulière manie de cacher
dans quelques-uns de ses châteaux des lingots d'or d'une
valeur considérable ; quatre de ces lingots, qu'on a retrouvés,
ont été portés à l'inventaire pour une valeur d'un million.
ALIMEIVTS ( Wjrjiène et Physiologie ), de alere,
nourrir. On donne ce nom aux différents corps de la nature
dont l'homme tire sa subsistance , et qui lui procurent les
matériaux propres à son développement et à sa nutrition.
Des trois règnes de la nature , il n'en est que deux qui
fournissent des aliments à l'homme ; ce sont les végétaux
et les animaux : cpiant aux minéraux , ils ne lui présentent
que des condiments et des médicaments. — Les aliments
peuvent être définis : des substances susceptibles d'être digé-
rées et servant à nourrir. Ils diffèrent des médicaments en
ce que ceux-ci affectent l'estomac et les intosîins , sans en
être eux-mêmes attaqués , sans être digérés. — Plusieurs
classifications ont été proposées pour l'étude des aliments ;
la plus sinqjle et la plus pratique est celle qui distingue les
substances alimentaires en végétales et animales, et qui ,
dans chacune de ces deux grandes divisions, forme des grou-
pes fondés sur les principes immédiats (p'.i y prédominent :
ainsi dans les aliments végétaux se tiouvcnt les groupes
suivants : 1° aliments sucrés, 2° aliments amylacés,
3" aliments mucilagincux, 4° aliments huileux; tandis que
dans les substances alimentaires animales se rangent, 1" les
aliments librincux, 2" les aliments gélatineux, 3" les aliments
j alhumineux , 4" les ali;r,enfs gras , 6° les aliments butyro-
caséeux et casécux. Dans la classification adoptée par
43.
uo
ALIMENTS
M. Milne-Edwards, les aliments sont considérés sous le rap-
port : 1" des éléments qui les constituent, 2° des combinai-
sons les plus simples qui les composent, et quïl appelle prin-
cipes alimentaires ; 3" de la combinaison des principes entre
eux pour former les aliments que la nature nous présente
et qu'il désigne par le nom d'a//7;ic;i/s composés. Les élé-
ments qui entrent dans la composition des substances ali-
mentaires sont l'oxygène, l'iiydrogèue , le carbone, l'azote,
le pliosphore, le chlore, le soufre, le potassium, le sodium,
le calcium, le magnésium, le silicium, le fer, le manga-
nèse, etc.; les quatre premiers s'y trouvent en grande
proportion, les autres n'y sont qu'en petites quantités : tous
ces éléments peuvent former des combinaisons binaires, ter-
naires, quaternaires. Les corps ternaires sont formés d'oxy-
gène , d'hydrogène et de carbone ; les quaternaires contien-
nent ces mômes éléments unis à l'azote. Parmi les corps
triples qui peuvent servir d'aliments ou qui entrent dans
leur composition , se trouvent les acides organiques , les
amers , l'alcool , les huiles essentielles , les résines et les
corps gras. Sous le nom de principes neutres , M. Milne-
Edwards désigne les corps triples suivants : le sucre, la
gomme , le ligneux , la fécule , la lichnine et l'énulinc.
Quant aux principes quaternaires, ils se trouvent en abon-
dance dans le règne animal , et en moins grande quantité
dans le règne végétal; ce sont ; la fibrine, l'albumine, la
matière colorante du sang, la gélatine et le caséum. Les
aliments composés sont tirés du règne animal ou du règne
végétal ; les premiers sont la chair des animaux , leur sang
et leur lait; les second»» sont les tiges, les feuilles, les
fleurs , les fruits et les racines.
L'introduction des aliments dans les cavités digestives
ayant pour but la formation d'un fluide assimilable , on con-
çoit que les substances animales qui se rapprochent le plus
de la nature de nos propres tissus devront jouir de cette
propriété à un plus haut degré que les substances végétales,
qui s'en éloignent davantage : c'est ce qui a lieu en effet; car,
à poids égaux , les matières animales nourrissent mieux que
les végétales; seulement on peut dire que ces dernières
sont moins stimulantes que les premières. Aussi, lorsqu'un
malade se trouve dans les conditions de pouvoir prendre
des aliments solides , son estomac est moins fatigué de
l'usage d'une petite quantité de viande maigre, comme celle
du mouton , par exemple , que d'une quantité de légumes
qui renferme la même proportion de matière alimentaire.
On doit remarquer qu'il ne suffit pas que les matériaux
alimentaires soient assimilables; il faut encore que le peu
de cohésion de leur tissu , leur mollesse , les rendent faci-
lement accessibles aux puissances digestives et aux fluides
qui doivent les pénétrer pour les transformer en chyme et
en chyle. Aussi plus l'aliment sera tendre et facile à diviser,
plus les sucs gastriques auront de prise sur lui, et plus fa-
cilement il sera digéré. On sait maintenant, d'après des ob-
senations directes et positives, que les aliments les plus di-
gestibles pour l'homme sont : la chair de veau , d'agneau
et de volaille , les œufs frais à moitié cuits , le lait de vache,
la plupart des poissons cuits à l'eau, sans autre assaison-
nement que le sel et le persil, quelques poissons à l'huile
ou frits; et parmi les végétaux, les jeunes asperges, les arti-
chauts , la pulpe cuite des fraits à noyau ou à pépins ; le
pain, le lendemain de sa cuisson, mais surtout le pain salé, et
principalement encore le pain blanc; le riz, la gomme pure,
les salsifis, les navets, les ponmies de terre nouvelles, etc. Il
faut, au contraire, ranger parmi les aliments les plus in-
dig&stes : la chair de porc et de .sanglier, les œufs durs,
les salades , les carottes , les assaisonnements au vinaigre,
le pain lendre, la pâtisserie, les choux, les parties tendi-
neuses des Viandes, la graisse, le blanc d'œuf quand il est
concret, les morilles, les champignons, les truffes, les
pois, les haricots, les lentilles, les noix, les amandes, les
olives, le cacao, les raisins secs, etc.
ALIMEIVTS (Droit). On nomme aliments ce qui est
nécessaire à la nourriture et à l'entretien d'une personne.
La valeur qui représente les aliments est essentiellement
variable, suivant la position et les besoins de la personne
(pii les reçoit et les facultés de celle qui les doit. C'est aux
tribunaux qu'il appartient d'apprécier toutes ces circons-
tances , de décider si la pension alimentaire demandée est
vraiment nécessaire, et d'en régler la nature. — L'obliga-
tion de payer des aliments dérive principalement de la nais-
sance et du mariage; elle naît aussi de services rendus;
quelquefois elle est la conséquence d'un fait accidentel ;
dans d'autres cas , enfin , elle est purement volontaire , et
c'est alors un contrat de bienfaisance.
Tout individu, à .sa naissance, a droit à des aliments
qui doivent lui être fournis par ses parents jusqu'à ce qu'il
soit lui-même en état de subvenir à ses besoins ; ce qui lui
permet bientôt à son tour d'acquitter la dette qu'il a con-
tractée, en rendant à ses parents , dans leur vieillesse, par
une juste réciprocité, les soins qu'il a reçus d'eux dans son
enfance. Dans l'ordre civil, cette obligation à l'égard des en-
fants est restreinte aux ascendants légitimes; elle ne s'étend
plus, comme autrefois dans quelques provinces, aux
frères et sœurs, oncles et tantes. A l'enfant naturel les ali-
ments ne sont dus que par le père ou la mère qui l'ont re-
connu légalement, et les enfants incestueux et adultérins
ont également droit à des aliments contre leur mère, et
môme contre leur père lorsqu'il peut être désigné par la
justice, dans des circonstances assez rares. Le même droit à
une pension alimentaire existe au profit des enfants aban-
donnés ; mais comme alors il ne se trouve personne qui
puisse être spécialement tenu de l'acquitter, la charge retombe
nécessairement sur la société tout entiire , c'est-à-dire sur
l'Étal. Lors donc que le législateur a prescrit que dans chaque
commune il fût fait les fonds nécessaires pour nourrir
et élever les enfants abandonnés, ce n'est pomt un acte
de pure bienfaisance qu'il a voulu imposer, mais une dette
sacrée qu'il a rappelée au pays.
En principe , l'obligation de fournir des aliments est cor-
rélati\e : d'où il suit que les enfants doivent eux-mêmes des
aliments à leurs père et mère et à leurs autres ascendants,
et qu'en général l'on est tenu de donner des aliments à tous
ceux dont on en aurait pu exiger , sauf le cas où les aliments
ne sont accordés par justice qu'à titre de peine. — Par le
mariage, les époux, outre l'obligation qu'ils contractent en-
vers les enfants qui doivent naître de leur union , s'engagent
à se fournir mutuellement des aliments. Le ir.ariage a éga-
lement pour effet d'assurer au gendre et à la belle-fille des
aliments contre leur beau-père ou belle-mère, comme à ceux-
ci contre leur gendre et leur fille ; mais , comme il ne s'agit
ici que d'un lien civil , l'obligation cesse à la dissolution du
mariage lorsqu'il n'en existe pas d'enfants, ou lorsque après
cette dissolution avec enfants, la belle-fille, devenue veuve,
convole à de secondes noces. — Des services rendus donnent
droit aussi à des aliments : c'est ainsi que le donateur qui
s'est librement et volontairement dépouillé en faveur d'un
donataire qu'il a gratifié de ses biens, a le droit incontestable
d'exiger une pension alimentaire de celui-ci s'il vient à se trou-
ver dans le besoin. C'est encore d'après le même principe que
l'État est tenu de reconnaître par une pension alimentaire les
services de ceux qui lui ont consacré leur rie. Le créancier,
qui fait incarcérer son débiteur, est soumis à l'obligation
de lui fournir des aliments. La loi du 2 mai 1861, modifi.int
l'art. 29 de la loi du 17 avril 1832, dispose à cet égard que
les consignations pour aliments doivent être failes par pé-
riodes de trente jours, que la somme ciin<ignée doit être
de 45 fr. à Paris, 40 fr. dans les villes de plus de cent mille
âmes, et 35 fr. paitout ailleurs pour chaque période; le
défaut (le consignation préalable de^^ aliments emporte la
cessation de la contrainte par cori)s, qui ne peut plus
être ultérieurement exercée pour la même dette.
ALIMPIUS — ALIZARD
ALBIPIUS ( Saint ), moine du couvent des Grottes,
à Kief, qui vivait au douzième siècle, est le plus ancien
jH'intre do la Russie. Il avait appris son art des Grecs , et
re\er(,a au profit de son pays , en peignant s'atniteinent un
grand nomlire d'images saintes pour les églises. Ce qu'il y a
surtout de remarquable dans ses oeuvres, c'est la fraîcheur du
coloris et la durée des couleurs employées par l'artiste , et
que le temps n'a pas pu encore détruire.
ALIMUSIES 9 petits mystères célébrés à Alimus, bourg
de IWtlique près d'Athènes. Cérès et Proserpine y avaient
un tenqile,
ALIOTH. C'est le nom que les Arabes ont donné à une
étoile de la Grande Ourse.
ALIPTIQUE (du grec àkîçstv, oindre). Les anciens
donnaient ce nom à la partie de l'hygiène qui enseignait l'art
d'oindre le coqis pour le rendre plus vigoureux et plus souple.
Ils appeliùent alipte celui qui était chargé de frotter d'huile
les athlètes, et aliplérion la salle où se faisait cette prépara-
tion. Comme en général leurs moyens curatifs étaient très-
simples, ils pensaient que dans certains cas des onctions
faites avec des corps gras ou des substances médicamen-
teuses n'étaient pas sans utilité; et aujourd'hui encore le
système de l'aliptique compte quelques partisans.
ALIQUAIXTE. Sous cette dénomination on désigne les
parties d'un tout qui , répétées un certain nombre de fois ,
ne font pas le nombre complet, mais donnent un nombre plus
grand ou plus petit que celui dont elles sont des parties.
ALIQUOTE. Ce terme désigne les parties d'un tout
qui , répétées un certain nombre de fois , produisent le tout
complet, en égalant ce tout : 1,2,3, 4,6 sont des parties
aliquotes de 12, car tous ces nombres divisent 12 sans reste.
ALISE ou ALÉSIA ( Siège d'), ancienne et grande ville
gauloise, située sur le mont Auxois ( Côte-d'Or ). Vainqueur
à Génabum , à Avaricum et à Gergovie , César passa la
Loire près de Nevers, atteignit l'armée de Ver ci ngéto-
rix dans le pays des Lingons , et la défit dans une bataille.
Le général gaulois , qui s'était réfugié sous les murs d'Alise
avec 80,000 hommes d'élite, y fut suivi par César, qui vint
mettre le siège devant la place. Tandis que Vercingétorix ,
campé à mi-côte , se disposait à une vigoureuse résistance ,
le général romain faisait tirer une ligue de circonvallation
de onze milles d'étendue et fortifiait son camp de vingt-trois
forts. Pendant que les Romains aciievaient ces travaux, un
combat de c<ivalerie s'engage ; les Gaulois sont mis en dé-
route , et ne regagnent leur camp qu'avec peine. Vercingéto-
rix , qui sait que les Romains n'ont pas encore achevé leurs
retranchements , profite de cette circonstance pour renvoyer
sa cavalerie pendant la nuit , avec ordre à chacun de retour-
ner dans son pays pour lui ramener des renforts. César, ins-
truit de cette résolution , prend de nouvelles dispositions de
défense , établit ime ligne de contrevallation garnie de fos-
sés, de terrasses'et de remparts. Cependant la Gaule en-
tière s'était levée à la voix de Vercingétorix ; 8,000 cava-
liers , 250,000 fantassins accourent au secours d'Alésia. Mais
les efforts réunis des assiégés etde leurs auxiliaires sont im-
puissants ; 300,000 hommes viennent se briser contre les re-
tranchements de César, la tactique romaine et le courage
de ses soldats. Vaincus dans trois combats, les Gaulois se
rendent après sept mois d'un siège opiniâtre (l'an 52 av.
J.-C. ). La prise d'Alésia fut le signal de l'asservissement de
la Gaule. La ville fut détruite, et Vercingétorix alla orner
les triomphes du général romain.
[ La question de la position d'Alésia a vivement occupé les
archéologues dans ces derniers temps. En 1855 M. A. Dela-
croix, architecte de la ville de Besançon, chercha à établir
que l'oppidum des Manduhiens qu'assiégea César et où Ver-
cingétorix fut vaincu , était à Alaise , en Franche-Comté ,
au nord de Salins, et non à Alise-Sainte-Reine, sur le mont
Auxoi.', en Bourgogne. Il se basait sur l'inlerprélation des
textes de César, de l'hilarriiic et de Dion Cassiiis, et sur des
Ui
découvertes d'objets d'antiquité. M. Quieherat appuya cette
opinion , que rofutèient M. Rossignol el .M. Dey. M. Lenor-
niant, M. de Saulcy et M. Coyn;u t se môlàrent aussi de cette
discussion. Un prince de la maison d'Orléans à qui les études
de l'antiquité sont familières dit également son mot en gar-
dant l'anonyme. M. I^rnest Desjardins a résumé les diverses
opinions, en se prononçant pour Alaise, tandis que l'Acadé-
mie (les inscriptions paraît tenir pour Alise. M. Ed. Clerc a
donné un alhum des objets trouvés à Alaise. Z. ]
ALIS.MA, genre de plantes herbacées , vivaces, crois-
sant dans les lieux marécageux , sur le bord des étangs et
des rivières , dont la principale espèce est le plantain d'eau,
que l'on cultive dans les bassins des parcs et des jardins.
C'est une grande et jolie plante, à feuilles ovales, aii^i.ës,
portées sur de longs pétioles, et dont les fleuns forment une
sorte de paniculc allongée assez gracieuse. La racine du
plantain (Veau est considérée dans quelques pays comme
un renièiie efficace contre Ihydrophobie.
ALIX DE CHAMPAGNE, fille de Thibaut IV, comte
de Champagne, épousa Louis VII , dit le Jeune , roi de
France , dont eUc eut Phi lippe- A ugus t e, après quatre
années d'une union stérile. A la mort de son mari elle vou-
lut avoir une part d'autorité ; mais Philippe-Auguste neu-
tralisa l'une par l'autre les ambitions rivales de sa mère et
des autres princes, et réussit à échapper à toute tutelle.
Alix , qui un moment s'était mise , par dépit , à la tète des
seigneurs mécontents, et avait même, à l'appui de ses pré-
tentions , invoqué l'appui de Henri II d'Angleterre , céda
bientôt à la fermeté de caractère déployée par son fils dans
ces circonstances critiques ; et elle se réconcilia si com-
plètement avec lui que , lorsqu'il partit pour son expédition
en Terre Sainte, Philippe-Auguste lui confia la régence en
même temps que la tutelle de son jeune fils : acte qui re-
çut l'approbation d'une assemblée de grands vassaux con-
voqués à cet effet. Ce fut dans l'exercice de ses fonctions
de régente qu'Alix eut occasion de déployer la rare habi-
leté de gouverner les hommes qui a immortalisé son nom.
Elle sut en effet contenir dans le devoir les grands vas-
saux de la couronne, résister aux usurpations de la cour de
Rome, dominer toutes les ambitions, protéger les arts et l'in-
dustrie, et faire respecter la justice. Aussi, quand elle mourut
( 4 juin 1206 ), emporta-t-elle au tombeau les bénédictions et
lesregrets des peuples; et l'histoire l'a très-justement placée,
avec Blanche de Castille et Anne de Beaujeu, au rang des
princesses les plus célèbres dont elle ait conservé le sou-
venir dans ses annales.
ALIZARD ( Adolpue-Joseph-Louis ), chanteur d'un
grand mérite, était né à Paris, le 29 décembre 1814. Il perdit
son père de bonne heure , et accompagna sa mère à Mont-
didier, puis à Bcauvais, où elle ouvrit un pensionnat de de-
moiselles. Dans ces deux villes Alizard suivit les cours du
collège, et se prit d'une Ibite passion pour le violon, au
grand regret de sa mère. Des leçons de M. Victor IMagnien
lui firent faire des progrès rapides. En 1833, Alizard vint
à Paris dans l'espoir d'être reçu au Conservatoire, et de
trouver une place dans un orchestre de théâtre. Son espoir
fut déçu, non qu'il et"!! mal joué son morceau de concours ,
mais parce que sa tendance à l'obésité , la brièveté de ses
bras et la grosseur de ses doigts ne laissaient pas espérer
qu'il pût jamais faire un artiste accompli. Cependant Alizard
ne perdit pas courage , et continua d'étudier sous la direc-
tion d'Urhan, qui lui fit avoir une place à l'orchestre du
théâtre de la Gaîté. S'étant enfin aperçu qu'il avait une belle
voix , Alizard résolut d'en tirer parti ; il entra comme
chantre aux Missions-Étrangères, puis à Saint-Eustache, et
il fut ensuite reçu dans les chœurs de i*Opéra. En même
temps il entrait dans la classe de chant de Banderali au
Conservatoire, où il obtint le second prix au bout d'un an,
et le premier l'année suivante. Il débuta alors à l'Opéra
comme sujet le 23 juin 1837, dans le rôle de Gessler de GuiL'
342
ALIZÂRD — ALLA BREVE
laume Tell. Alizard continua à paraître pendant cinq ans
dans des rôles secondaires, qui du reste n'avaient jamais été
si bien rendus. En 1842, sentant sa force et mécontent de
sa position, il quitta Paris , obtint un engagement en Bel-
gique et se rendit en Italie. 11 se fit enicndre au théâtre de
la Scala à Milan ; mais il y fut mal accueilli. De retour en
France , il obtint de grands succès à Marseille, et fut rap-
pelé à Paris avec 18,000 fr. d'appointements. 11 fit sa rentrée
en 1847 dans le rôle de Bertram de Robert le Diable,
puis il joua dans Freijschutz, Moïse, les Huguenots, la
Favorite, Jérusalem, et il chanta encore tous ces rôles
comme ils ne l'avaient jamais été. Enfin il espérait chanter
dans le Prophète un rôle fait pour lui , lorsqu'une grave
maladie lui enleva la voix. Le séjour des iles d'Hyères lui fut
ordonné. 11 s'en trouva bien , puis revint à Paris ; mais une
rechute terrible lui fit reprendre le chemin de Marseille : à
peine y était-il arrivé qu'il expira, le 23 janvier 1850. —
Alizard possédait unemagnifiquevoixde basse, d'une étendue
de deux octaves, de /a en fa, parfaitement égale, cl qu'il
maniait avec la môme facilité dans toute son étendue. La
fermeté de ses intonations et son aplomb dans la mesure
étaient on ne peut plus remarquables ; sa voix, en dépit de
son volume, se pliait à tous les traits d'agilité que les voix
graves abordent rarement avec avantage. Excellent musi-
cien, il aidait puissamment aux effets d'ensemble. L'absence
des avantages physiques, si nécessaires à la scène, se rache-
tait chez lui par un talent qui réunissait à un même degré
la force, la chaleur, la giàce, la noblesse du style et la jus-
tesse de l'expression. Adrien de Lafage.
ALIZARIi\E. MM. Robiquet et CoUin ont donné ce
nom au principe colorant rouge de la racine de garance.
Quan<l on a isolé cette substance, on la voit sous forme de
cristaux d'un rouge orangé , inodore , insipide , très-vola-
tile , et très-soluble dans "eau.
ALIZÉS ( Vents ). On nomme ainsi des vents constants
qui soufllcnt entre les tropiques dans l'Atlantique et le
Grand-Océan. Ils sont dus à réchaulTement et à l'élévation
de l'air sous l'équateur, qui, se déversant sur des couches
plus froides , se dirige vers le pôle ; sa direction est, toute-
fois , modifiée par la rotation de la terre qui lui imprime
un mouvement de l'est à l'ouest. On ne remarque dans les
vents alizés que de petites variations périodiques, occa-
sionnées par les déclinaisons du soleil.
ALIZIER, arbre de la famille des néfliers et des poiriers,
assez commun en France, et dont les fruits, quoique acerbes,
se mangent quand on a le soin , comme on fait pour les nè-
fles,dc les laisser quelque temps sur la paille où ils arrivent
à un état intermédiaire entre la pourriture et la maturité ;
état que l'on appelle blet. — Son bois, dur et incolore, sus-
ceptible de prendre la teinture avec avantage, a une odeur as-
sez agréable, et est assez recherché par les tourneurs. On en
fait des vis de pressoir, des alluchons, des fuseaux pour les
rouagesdes moulins, des flûtes, des fifres. L'alizier commun,
fort répandu dans les bois de la Haute-Marne, dans le Jura
et les Hautes-Alpes, atteint de sept h dix mètres d'élévation.
ALJUBAROTTA, bourg de Portugal (Estrama-
(îure ) , à 24 kilomètres sud-ouest de Leiria , renferme une
population de 2,000 habitants. Jean ^^ roi de Por-
tugal , y remporta en 1385, aidé des Anglais, une victoire
sur les Castillans et les Français réunis.
ALlîÉKEiXGE , genre établi par Tournefort , dont
l'espèce connue sous le nom vulgaire d>> coqucret est le
type. L'alkékenge croit dans les haies et dans les vignes, et
produit un fruit (luclque peu acidulé, contenu dans une
vésicule de couleur rougeâtre. On employait autrefois ces
baies à préparer des trochiques et une eau distillée. Elles
ont un ef:ét purgatif et légèrement diurétique. On les fait
entrer, comme ingrédient , dans la fabrication du siro]) de
rhubarbe ou de chicorée composé. En Espagne et en Suisse,
on sert dans les repas le fruit de l'alkékenge.
ALIÎEA'DI (ABOU-YoUSSOtT-YAKOCB-BEN-ISHAR.), phi-
loso|)he arabe, surnommé le Philosophe par excellence, flo-
rissait sous les règnes de Mamoun et de Motasem. On ne
sait ni la date de sa naissance ni celle de sa mort; mais ce
qu'on peut affirmer, c'est qu'il vivait encore en 861. Il
était fils de Ishak-ben-Al-Sabbah , qui fut gouverneur de
Koufa, sous les khalifes Mahdi et Haroun-Al-Raschid , et
descendait de Kenda, une des familles les plus illustres
parmi les Arabes. Après avoir achevé ses études à Bassora
et à Bagdad, il se mita traduire et à commenter Aristote;
puis il écrivit sur la philosophie, les mathématiques, la mé-
decine, la politique, la musique, etc., un grand nombre de
traités ; dans un de ses écrits il tâche de prouver que l'on
ne peut comprendre la philosophie sans la connaissance
préalable des mathématiques. Quelques écrivains ont fait
d'Alkendi un juif, d'autres en ont fait un chrétien : c'est à
la variété de son érudition qu'il faut attribuer cette confu-
sion; mais on ne peut douter de sa qualité de musulman
quand on a lu ce qu'en a dit l'historien arabe chrétien
Aboulfaradj. Il faut reconnaître, il est vrai , que ses vastes
études lui avaient fait embrasser des opinions qui devaient
rendre ses croyances suspectes aux orthodoxes-: les doc-
trines émises dans un de ses livres furent même réfutées par
Abdallatif, médecin arabe du douzième siècle , dans un traité
sur l'essence de Dieu et sur ses attributs essentiels ; mais
tout cela ne prouve pas qu'Alkendi ait été infidèle au Koran.
ALKERMES,nom d'une liqueur de table, fort agréable,
qui se prépare surtout à Florence, et qu'on obtient en fai-
sant macérer de la cannelle (30 yr.), des clous de girofle
(5 gr.) et de la vanille (8 gr. ) dans 2 litres d'alcool à 32°.
Au bout de quelques jours on unit cette teinture à du si-
rop de sucre. On y mêle ensuite de l'eau de rose distillée
(250 gr.) dans laquelle on a fait macérer un |)eu de coche-
nille ou du kermès (10 gr.) avec de l'alun (50 centigr. )
On ajoute enfin de l'eau de fleurs d'oranger ( 125 gr.). Le
kermès donne une belle couleur rouge à celte liqueur et lui
a valu son nom. Z.
ALK.MAER, petite ville de la Nord-Hollande, à seize
■kilomètres au nord d'Amsterdam ; population, 9,500 habi-
tants. Sa principale industrie consiste dans la fabrication
des parchemins, des toiles à voiles et du sel marin ; on y
f:iit aussi un commerce assez ad if en grains et en fromages ;
l'exportation annuelle de ce dernier article ne s'élève pas
à moins de plusieurs millions de kilogrammes. Un canal
unit avec l'Yssel cette ville , qui est célèbre par la capitu-
lation que le duc d'York et d'Albany fut forcé d'y signer
le 18 octobre 1799 , à la tête d'une armée russo britannique,
après avoir été complètement battu sous ses murs par une
armée franco-batave aux ordres du général Brune.
ALKAIAER (Henri d'), poète allemand, auteur pré-
sumé du Roman du Renard , était, à ce qu'il dit lui-même,
maître d'école et de discipline chez le duc de Lorraine. On
croit qu'il vivait vers la fin du quinzième siècle. Des doutes
ont été élevés sur l'existence et la réalité d'Henri d'Alk-
maer. On a même prétendu que c'était un pseudonyme
sous lequel se cachait un poète du quinzième siècle du nom
de Nicolas Baumann, qui aurait composé cette mordante
satire pour se venger du duc de Juliers, dont il avait à se
plaindre et dont il avait quitté le service pour celui du duc
de Mecklembourg.
ALLA BREVE , A CAPPELLA. On appelle aujour-
d'hui mesure alla brève la seule dos anciennes mesures qui
se .soit conservée dans quelques pièces de chaut destinées à
l'église; car c'est une vainc alïcclation de s'en servir dans la
musique dethéâtre. L'unité de celle mesureestla^j-èt-e ou
carrée , qui vaut trois semi-brèves ou rondes si la mesure
esta trois temps, et doux si !a mesure est à deux temps.
La mesure alla brève ;i trois temps se marque par un cercle
simple ou traversé d'une ligne verticale; à deux temps, elle
est indiquée par un demi-cercle barré ou non , comme ci-
ALLA BREVE — ALLAIiNVAL
343
dessus. Si la bar:v verticale n'existe pas, on bat deux fois
sur chaque brève, et alors la mesure se trouve par le fait
non plus alla brève, mais alla semi-hrcve , déiioiniiiation
qui a été aussi en usage. Lorsque le cercle ou le tloini-ccrclc
sont barrés, les anciens auteurs disent que Ton ne doit battre
qu'une fois sur chaque brève; toutefois l'usage a prévalu
de battre sur chaque semi-brève, mais avec rapidité. Cette
mesure et ses variétés n'étant eu usage qu'à ré{|;lise, on l'a
aussi nommée mesure a cappella, mesure de chapelle ( c'est
s'exprimer vicieusement que de iVwealla cappella), parce
qu'elle s'exécute par les chantres qui font partie des cha-
pelles-musiques attachées aux collégiales ou aux palais des
souverains.
Par extension , on a nommé slijle alla brève celui dans
lequel on fait surtout usage des mesures désignées plus
haut. Ce style se caractérise par l'usage continuel des
formes du contrepoint fugué, et l'on n'y emploie que des
durées en rapjiort avec l'unité métrique ; on y fait par con-
séquent un us;ige fort rare de la croche, et l'on en bannit
absolument la double croche, sauf un petit nombre de cas
où elle favorise la marche mélodique. La cantiléne roule
toujours sur la brève ou carrée , la ronde et la blanche.
Voilà pourquoi en France la musique ainsi composée s'ap-
pelait autrefois du gros-fa.
L'expression style ou musique a cappella désigne plus
précisément les pièces d'église destinées aux voix avec accom-
pagnement d'orgue ; par opposition à la musique alla Pales-
trina , autrement celle qu'exécutent les voix sans aucun
accompagnement instrumental. Adrien de Laface.
ALLACCI (Leone), savant laborieux du dix-septième
siècle , qui a composé la plupart de ses ouvTages en latin ,
et les a signés du nom à'Allat'ms. Les plus célèbres sont
intitulés : Be Ecclesïse occidentalis et orlentalis perpétua
Consensione (Cologne, 1648), ouvrage dans lequel il
s'efforce de prouver la constante identité de foi et de dog-
mes entre l'Église romaine et l'Église grecque; et De Pa-
tria Homeri (Lyon , 1640 ). On y remarque plus d'érudition
que de critique. Né à Chio, en 1586, il alla achever à Rome
des études commencées à l'âge de neuf ans en Calabre ; et
on le voit dès 1622 chargé par le pape Grégoire XY de
transportera Rome la bibliothèque de Heidclberg, don fait
à l'Église par l'électeur de Bavière; plus tard, il devint
bihliotliécaire du cardinal Barberini, et en 1661 biblio-
thécaire du Vatican. Il mourut en 1669, à l'âge de quatre-
vingt-trois ans. — Minutieux et méthodique jusque dans les
plus petits détails , Allacci s'était, dit-on , servi pendant
quarante années de la même plume, et il éprouva un profond
chagrin lorsqu'il perdit ce fidèle instrument de ses travaux.
On raconte encore, comme un trait qui prouve l'originalité
de son esprit , qu'mterrogé un jour par le pape Alexandre VII
sur les motifs qui avaient pu le porter à rester célibataire ,
sans pour cela entrer dans les ordres, il répondit : « Je ne
me marie pas , pour pouvoir prendre les ordres quand je
voudrai ; et je ne m'engage pas dans les ordres , pour pou-
voir me marier si la fantaisie m'en prenait. »
ALLAH , mot arabe qui signifie Dieu , créateur de
toute la nature , le seul être , dit Mahomet , qui existe par
lui-même , auquel aucun autre être ne peut être comparé :
c'est de lui que toutes les créatures ont reçu leur existence ;
il n'engendre point et n'est point engendré ; il est le maître
et seigneur du monde corporel et intellectuel. Dans le Co-
ran , Mahomet recommande l'adoration d'Allah comme le
dogme fondamental de sa rehgion.
Le mot Allah est composé de l'article al et du mot ilah,
qui signifie celui qui est adoré et qui doit être adoré.
ALLAÏL\BAD, c'est-à-dire ville de Dieu, nom d'une
province, d'un cercle et d'une ville de l'Hindoustan. La pro-
vince, située entre le 24" et le 26° de lat. nord, comprenait
sur une superficie d'environ 4,300 mjriamètres carrés , et
peupicede 12milUons d à:p.e?, avant l'insurrection de 1857.
la plus grande partie des dernières conquêtes faites par les
arnî's anglaises dans la partie nord-ouest de la vallée du
r.engale. Celte province s'étend sur les deux vallées du
Gange et du Djumnah , et s'élève au nord ouest jusqu'aux
eliaines les plus élevées de l'Himalaya. L'Allaliabad est en
général bien cultivé, et son sol est fertile. Divers district»
(t \illes célèbres, comme Bénarès jMirsapour, Bundel
Kund, Joiianpour, etc., dépendent de cette province.
Mlahabad, son tlief-lieu, est située au confluent des
deux fleuves sacrés, le Gange et le Djumnah : aussi cette
cité est réputée sainte, et des milliers de pèlerins vien-
nent chaque année s'y baigner dans l'eau sacrée et en em-
portent pour le service des temples situés à des distances
considérables. Une magnifique forteresse en blocs de granit
rouge, construite par l'empereur Akbar, en 1583, coniuiande
la navigation des deux cours d'eau ainsi que la grande voie
de communication entre Delhi et Calcutta. La ville, autour
de laquelle les débris de son antique splendeur forment une
large ceinture , ne comptait déjà plus guère avant 1857
que 20,000 habitants , se livrant avec succès à la fabrica-
tion des étoffes de soie et de colon, et très-renommés pour
leur habileté dans les arts céramiques. Les Anglais possèdent
Allaliabad depuis 1765. Quelques savants y voient l'ancienne
Palibotlira des Grecs et des Romains.
Le 4 juin 1857, un régiment indien, qui avait consenti à
marcher contre les insurgés venus de Delhi vers Ajlahabad,
assassina ses officiers et alla rejoindre les rebelles après
avoir brûlé le terople , toutes les tiabitations de la place et
avoir pillé le trésor. D'autres troupes cependant restèrent
fidèles ; le fort fut gardé par les troupes anglaises , et les
Européens durent se réfugier derrière ses remparts. Les
maisons avaient été abattues par la canonnade , les mai-
sons des champs brûlées. Près de .3,000 prisonniers s'éva
dèrent et commirent toutes sortes d'horreurs. *
ALLAIIWAL (Léonore-Christixe, abbé Soulas d'),
né à Chartres, vers la fin du dix-septième siècle, et mort à
l'Hôtel-Dieu de Paris, le 2 mai 1753, n'est guère connu d«
notre siècle que par V École des Bourgeois, petite comédie
pleine de-veiTcet de gaieté, le seul de ses ouvrages resté au
théâtre. C'est un petit tableau de mœurs qui n'est pas in-
('igne de figurer à la suite de Turcaret. Elle fut donnée en
1728. On y voit l'intérieur d'une famille de traitants et
d'usuriers dont la fille est sur le point d'épouser un gi'and
seigneur. Ce grand seigneur, le marquis de Moncade, pro-
digue, dissipateur, sacrifiant tout à ses plaisirs, suit la mode,
qui commençait à s'accréditer en ce temps-là parmi la haute
noblesse, de chercher dans les coffres-forts roturiers de
qijoi réparer les ruines de sa fortune, et d'employer le riche
fumier des vilains à engraisser des terres épuisées. Le mar-
quis de Moncade a donc pris, comme il le dit lui-même, le
parti de s'encanailler. Il fallait voir l'aisance, le laisser-
aller avec lequel le spirituel acteur Fleury rendait ce mé-
lange d'impertinence et de bon ton exquis, le naturel ini-
mitable avec lequel il reproduisait cette image, aujourd'hui
perdue, des marquis de l'ancien régime. Il y a dans cette
pièce une scène délicieuse et admirablement filée entre
Moncade et M. Mathieu, oncle intraitable, qui s'irrite contre
la folie de sa sœur, madame Abraham, pour s'être entichée
de noblesse , et qui prétend dire son fait au marquis et
rompre le mariage. Avec ses belles manières de cour et au
moyen de quelques mots de politesse , Moncade apprivoise
M. .Mathieu , et l'amène à le supplier à genoux de vouloir
bien épouser sa nièce. Et M. Pot-de-Vin, l'intendant du
marquis, n'est-il pas encore un profil spirituellement es-
quissé? — Le pauvre d'Allainval travaillait à la fois pour la
Comédie-Française, pour la Comédie-Italienne et pour l'O-
péra-Comique, ce qui ne l'empêcha pas de vivre dans la
pauvreté et de finir par mourhr de faim. On cite encore de
lui l'Embarras des Richesses, comme une pièce habile-
ment conduite et heureusement dénouée. Elle fut donnée
344
ALLAIiNVAL — ALLAITEMENT
en 1726. Le besoin lui fit composer aussi des ouvrages
d'un autre genre, tels que : Anecdotes de Russie, sous
Pierre I"; Lettres du cardinal Mazarin ; Éloge de
Car, etc. Autald.
ALLAITEME\T. C'est ralimenlalion de l'enfant du-
rant les premiers temps de son existence : on le divise en
naturel et en artificiel. L'allaitement naturel comprend
l'allaitement maternel, qui est fourni par la mère, et l'allai-
fement étranger, qui est confié à une nourrice.
A moins d'obstacles résultant de la santé générale ou cons-
titutionnelle de la mère, de maladies, de labsence ou de la
mauvaise qualité du lait, les avantages de l'allaitement ma-
ternel sont incontestables pour la mère et pour l'enfant.
L'enfant y trouve une nourriture appropriée à son ûge, et
la mère évite mieux les accidents résultant de l'engorgement
et de l'inHammation aiguë et chronique des mamelles, de la
fièvre de lait, etc. 11 est cependant des femmes dont le lait
ne convient pas à leurs enfants : tel est celui d'une femme
atteinte de scorbut, de scrofules ou de phtliisie, quoique sou-
vent dans ces deux dernières maladies les femmes aient
une grande quantité de lait : leurs nourrissons, gras et frais
pendant qu'ils tettent, dépérissent après le sevrage et finis-
sent toujours par être affectés des mêmes maladies que
leurs mères. S'il est un moyen de les soustraire à la funeste
hérédité qu'ils ont reçue d'elles, c'est de leur faire teter le
lait d'une nourrice pleine de santé et de vigueur, et d'un
tempérament opposé à celui de la mère. 11 en est de même
lorsque la mère est d'une constitution très-faible, sans être
attaquée d'aucune maladie. Les médecins ne sont pas d'ac-
cord entre eux sur l'époque à laquelle, après l'accouchement,
l'enfant doit être approché du sein de la mère : les uns ont
fixé ce temps à cinq ou six heures, les autres à un jour, à
trois jours, ou même davantage. Il est bon toutefois de laisser
la mère se calmer de l'agitation produite par les angoisses
de l'accouchement. L'enfant peut, en général, se passer de
nourriture dans les premières lieures de la vie : quelques
cuillerées à café d'eau sucrée tiède suffisent pour apaiser
ses cris, et servent à délayer les mucosités qui obstnient
les premières voies. Si l'enfant saisit le mamelon et tette
sans répugnance, la mère lui fournit un aliment approprié
à ses besoins : c'est un liquide jaunâtre, séreux, appelé co-
lostrum, auquel on attribue une action favorable sur les
voies digestives, et qui l'aide à rendre le mcconium. De-
sormeaux , le plus habile -des accoucheurs de notre siècle,
regardait ce liquide si utile pour l'expulsion du méconium,
qu'il voulait que dans le cas d'allaitement étranger ou arti-
ficiel, on y suppléât par quelques petites cuillerées de sirop
de chicorée composé, étendu de parties égales d'eau, ou tout
simplement de l'eau miellée. Il est des cas où, la faiblesse
de l'enfant s'opposant à ce qu'il puisse saisir le mamelon et
teter, on lui fait prendre alors avec avantage un peu de
vin sucré coupé d'eau, quelques cuillerées d'une potion lé-
gèrement aromatique , édulcorée avec les sirops d'écorce
d'orange , de menthe , etc. Dans tous les cas, il convient de
faire prendre le sein à l'enfant avant le développement de
la fièvre de lait ; le gonilement qui survient alors aux ma-
melles, et qui efface la saillie du mamelon, s'oppose à la
succion, et les efforts que fait l'enfant déterminent des tirail-
lements douloureux, et par suite des gerçures. En prenant,
au contraire, le sein de bonne heure, l'enfant y trouve plus
de facilité. Par cette conduite, on procure à l'enfant l'avan-
tage d'exercer de bonne heure les organes de la succion, et
par conséquent de les foilifier, et de donner à sa nourriture les
caractères connus de perfectibilité ; car à mesure que la lac-
tation s'exerce , le lait se perfectionne, c'est-à-iUre qu'il
devient de plus en plus nourrissant. La mère en retire elle-
même des avantages réels : la mamelle étant , en effet, dé-
gorgée et stimulée à la fois par la succion , .se trouve
préparée de bonne heure aux fonctions qu'elle doit remplir;
le mamelon et les conduits lactifères sont ramoULs par les
lèvres de l'enfant , et la sortie du lait rendue plus facile.
Dans les premiers temps l'enfant ne tette pas d'une manière
continue : il s'arrête souvent, et semble se reposer; mais
par la suite, devenu plus vigoureux, il s'interrompt beau-
coup moins souvent. Lorsque l'enfant tette à vide, comme
on dit, c'est-à-dire qu'il n'extrait pas de lait de la mamelle
ou qu'il n'a tiré que de la sérosité quelquefois sanguino-
lente, les mouvements de succion ont lieu comme lorsqu'il
tette réellement ; mais les mouvements de déglutition n'ont
lieu que d'une manière incomplète, et ne sont point accom-
pagnés du bruissement déterminé par le passage du liquide
de la bouche dans l'œsophage. La mère doit avoir soin de
donner alternativement l'une et l'autre mamelle, afin qu'elles
soient toutes deux également dégorgées , à moins pourtant
que l'une ne fournisse plus de lait que l'autre.
La fièvre de lait , qui peut manquer complètement , est
presque toujours légère lorsqu'on a allaité l'enfant de bonne
heure, et n'est point un obstacle à ce que l'allaitement soit
continué. Y a-t-il convenance à régler les heures des repas
de l'enfant? Il est impossible de rien préciser à ce sujet :
c'est la voix de la nature qu'il faut écouter. Durant les
premiers mois de la vie l'enfant parait végéter dans le som-
meil, d'où il n'est retiré de temps en temps que par le sen-
timent de la faim, qu'il exprime par des cris. Ce sentiment
lui-même paraît revenir à des distances variables , selon
la constitution de l'enfant et la qualité du lait de la mère ;
en conséquence , il doit être remis à la mamelle toutes les
fois qu'il s'éveille, et que par ses cris il réclame la satisfac-
tion de son appétit. A mesure que l'enfant prend de la force,
ses besoins augmentent, et ses repas deviennent de plus en
plus copieux. Le lait de la mère subit aussi des changements
en harmonie avec ces circonstances ; il devient de plus en
plus substantiel , de moins en moins séreux. Après le troi-
sième mois, l'enfant exerce lui-même sur la mamelle, avec
sa petite main, une sorte de compression qui, en augmentant
l'expression du lait , satisfait à merveille ses besoins. Après
cette époque, ou même avant, on rend l'alimentation de l'en-
fant plus substantieUe en ajf utant à la lactation de petites
crèmes féculentes. C'est alors qu'on pourrait à la rigueur
régler jusqu'à un certain point les heures de ses repas.
L'allaitement comprend ordinairement une période de
douze à dix -huit mois; il touche à son terme lorsque la
sécrétion du lait diminue, et que ce liquide redevient séreux
comme dans le principe ; mais déjà à cette époque l'enfant
se trouve tellement habitué aux farineux , qu'il peut se
passer du lait de sa mère. Il est rare cependant qu'on at-
tende le terme de dix- huit mois pour le sevrer. Souvent l'al-
laitement est interrompu par une nouvelle grossesse. Cette
circonstance n'est pas toujours un obstacle absolu pen-
dant les trois premiers mois ; mais une foule d'autres cir-
constances d'ailleurs peuvent l'empêcher.
Lorsque la mère ne peut s'acquitter elle-même delà tâche
d'allaiter son enfant, on confie ordinairement le nouveau-né
à une nourrice. C'est à ce mot que nous parlerons des
conditions qu'elle doit ollrir.
Autrefois, lorsque la mère ne pouvait ou ne voulait pas
nourrir, on confiait l'allaitement à un animal ; mais cette
espèce d'allaitement est aujourd'hui peu en usage, et en ce
cas on se sert d'une chèvre jeune et de seconde poriée, que
l'on dresse à cet effet assez facilement.
L'allaitement artificiel consiste dans l'administration des
boissons laiteuses à l'aide de biberons, lorsque l'allaite-
ment maternel ou d'une nourrice est impossible. Dans plu-
sieurs hospices d'enfants nouveau-nés on n'emploie pas
d'autre nourriture. On avait autrefois une mauvaise opinion
de ce mode d'alimentation. Il ne vaut pas sans doute l'allaite-
ment maternel ; mais l'expérience a prouvé aujourd'hui que
les enfants allaités au biberon viennent bien s'ils reçoivent
d'ailleurs des soins convenables et respirent un bon air, et
une nuiltitude d'enfants élevés de la sorte pai- leui-s propres
ALLAITEMENT — ALLÉGEANCE
345
mt'res jouissent d'une sanle parfaite. Pour l'ailaiteinent ar-
tificiel, on se sert onlinaireinenl du lait de vache ; et, s'il est
possitile, on préfère celui dune vache jeune, bien portante,
nourrie à la campagne , au grand air et d'herhes fraî-
ches ; quelques médecins recommandent particulièrement
le la't d'ânesse , ou celui de chèvre lorsque Tcnfant com-
Bience à grandir. On prétend que ce dernier lait est trop
substantiel pour les premiers temps de l'arailement.
Une circonstance essentielle à suneiller, c'est que l'a-
nimal qui fournit le lait à l'enfant soit bien portant. Il
faut que le lait qu'on administre à l'enfant soit frais, récem-
ment trait. On le coupe d'abord avec de l'eau d'orge légère
ou de l'eau simple sucrée , dans la proportion de deux tiers
de ce liquide et d'un tiers de lait. Ce mélange doit être tiède,
ce qui s'obtient en versant de l'eau chaude dans le lait ; on
peut aussi le réchauffer au bain-marie : le mélange doit être
souvent renouvelé, surtout en été. Après le second mois, on
rend le !ait plus nourrissant en diminuant graduellement
la proportion et en augmentant la consistance du liquide
aqueux. La décoction d'orge germée qui est sucrée parait
très-favorable à la santé de l'enfant : aussi la mêle-t-on au
lait avec avantage. Quelquefois on joint au lait une forte
décoction, d'orge légèrement torréfiée comme du café brûlé ;
cette substance parait donner à l'enfant de la fraîcheur et
de l'embonpoint. On continue ainsi jusqu'à quatre ou cinq
mois ; on joint alors l'usage des crèmes farineuses ; on di-
minue le nombre des repas au lait, et on arrive peu à peu jus-
qu'à l'époque du sevrage, ou, pour mieux dire, à l'époque
où l'enfant peut se nourrir d'autres aliments que de lait,
quoique l'usage de ce liquide soit encore continué sous forme
de potage ou d'une manière différente.
ALLAX-DORV AL (Madame). Voyez Dorval.
ALLANTOÏDE (d'à)là;, àUâvxo;, boyau; eTSo;,
forme ). Les anatomistes appellent ainsi une membrane assez
semblable à un long boyau et faisant partie de l'arrière-faix
dans la plupart des mammifères. Les opinions sont encore
partagées sur l'existence de l'allantoide dans le fœtus humain :
Haller, Cuvier, Meckel, etc., l'y admettent. C'est un petit
réservoir membraneux, placé entre le chorion et l'amnios,
ou, suivant M. Velpeau, en dehors du chorion, et qui com-
munique avec la vessie par un canal appelé oitraque ; il
est rempli d'un liquide limpide qu'on a considéré comme
l'urine du fœtus, ou plus vraisemblablement comme un dé-
pôt de matières alimentaires; car dans l'œuf humain rien
ne prouve qu'il communique avec la vessie. M. Velpeau, qui
a disséqué un grand nombre d'œufs , n'a jamais rencontré
cette communication.
ALLAQUAIS. Voyez Aventuriers.
ALLARD ( Jean-François ), généralissime de l'armée de
Lahore, né à Saint-Tropez (V^r)» en 1783. Lors des
événements de 1814 il servait comme capitaine de cava-
lerie dans l'armée française. Aide de camp du mar. clial
Brune en 1815, il quitta la France après l'assassinat de
son général, et se dirigea sur Livourne , d'où il comptait
faire voile pour l'Amérique. Mais les conseils d'un ami le
firent renoncer à ce projet; et il se rendit d'abord en
Egypte, puis de là en Perse, auprès d'Abbas-.Mirza,
qui lui accorda le grade et la solde de colonel dans son
armée. Mais n'ayant pas obtenu de régiment à commander,
il donna sa démission , pour passer dans l'Afghanistan ,
d'où il gagna le royaume de Lahore. C'était en I822. 11
entra alors au senice du célèbre Rundjet-Singh, dont
il réussit si bien à gagner les bonnes grâces , que ce prince
ne tarda pas à lui accorder la confiance la plus illimitée et
le combla d'honneurs et de dignités. Dans cette position
il réussit à faire apprécier l'importance de ses connaissan-
ces militaires , en formant à la tactique européenne les po-
pulations guerrières au milieu desquelles il se trouvait. Il
créa en effet à Lahore une armée complètement organisée
sur le modèle des armées <le Napoléon , et en fut nommé
BICT. DE LA C0>\ LR-AIIO.N. — i . 1.
généralissime par Rundjet-Singh. Quelque temps après il
s'y maria avec une indigène. Cependant l'amour de la pa-
trie ne pouvait point être éteint dans un cœur tel que le
sien, et un événement comme celui de la révolution de
juillet dut lui inspirer le plus vif désir de revoir le sol qui
l'avait vu naitre. En 1835 il obtint de Rundjet-Singh, à
qui il promit solennellement de bientôt revenir, la permis-
sion de partir pour la France avec sa femme et ses en-
fants. A son arrivée il fut reçu par les ministres et par
le roi Louis-Philippe avec la plus grande distinction , puis
nommé chargé d'affaires de France près le roi de Lahore
avec autorisation de servir dans ses armées sans pour
cela perdre ses droits ni sa qualité de Français. C'est ainsi
qu'un voyage entrepris d'abor.1 dans un simple intérêt privé
acquit une importance politique réelle. Il ne fut pas moins
utile aux intérêts de la science; car Allard fit présent à
la Bibliothèque royale de sa rit lie collection de coins et de
médailles. Fidèle à sa promesse, il repartit en 1837 pour
Lahore, laissant en France sa femme et ses enfants; et à
son arrivée auprès de Rundjet-Singli il eut occasion de lui
rendre encore de nombreux et importants services en con-
tribuant à diriger d'heureuses opérations militaires contre
les Afghans. Mais, saisi tout à coup de violents vomisse-
ments à Pe^chauer, il y expira, le 23 janvier 1839. Sa veuve,
qui était fille d'un nabab, embrassa la religion catholique
en 1841 et continua d'habiter Saint-Tropez avec ses enfants,
dans le cercle de la famille de son époux.
ALLATIUS. Voyez All.vcci.
ALLÉE COUVERTE. Voyez Druidiques (Monu-
ments ). ^
ALLÉGATIOX. Ce mot , qui dans le largage de la
controverse veut dire citation d'une autorité , énoncé d'un
principe , d'un fait péremptoire , se prend le plus souvent
en mauvaise part dans le langage de la conversation. Allé-
guer dans ce sens, c'est avancer une proposition sans
être bien sûr qu'elle soit vraie, et quelquefois même en
sachant bien qu'elle ne l'est pas. — Le mot allégation
devient alors synonyme d'affirmation dénuée de preuves,
pour ne point dire complètement fausse.
ALLÈGE. Dans la marine , on donne en général le
nom d'allégés à des embarcations de grandeur médiocre ,
qui accompagnent les gros bâtiments, et qui sont destinées
à recevoir une partie de la charge de ceux-ci dans cer-
taines occasions. Dans les ports , les allèges senent aussi
à porter aux gros navires une partie de leur armement ou
de leur chargement. Leur forme varie suivant les pays. —
En architecture, on donne le nom à'allége au mur d'appui
d'une fenêtre, moins épais que l'embrasure. — Le tender
des locoinotives s'appelle aussi allège.
ALLÉGEANCE. En Angleterre on donne ce nom (dé-
rivé d'ad legem ) à la soumission que le sujet doit à son
souverain. Il y a V allégeance naturelle, qai est due par le
sujet né dans le pays , Yallégeance acquise, qui est due
par l'étranger naturalisé , et Yallégeance locale, qui est due
par l'étranger tant qu'il réside dans les États du souverain.
On a encore établi une distinction entre Yallégeance perpé-
tuelle et Yallégeance temporaire.
Les Anglais nomment serment d'allégeance (oath of
allegiance) celui qu'ils prêtent à leur souverain en sa qua-
lité de prince et de seigneur temporel; semient qu'il ne
faut pas confondre avec le serment de suprématie, qu'ils lui
prêtent comme chef de l'Église anglicane. L'établissement
de cet usage remonte au seizième siècle. Plusieurs préten-
dants au trône ayant surgi après la mort de la reine Marie,
Elisabeth fut choisie, et le serment d'allégeance fut établi en sa
faveur. Jacques 1*'' le modifia, et le fit prêter non-seulement
au roi régnant, mais encore à ses héritiers. A la révolution
de 1G88 le serment d'allégeance subit de nouvelles altéra-
tions : il enjoignit la fidélité au roi seul, et autoiisa la dé-
sobéissance aux ordres du souverain lorsqu'ils se trouve-
44
84G
ALLÊGEANCT: — ALLEGHANYS
raient en opposition avec les lois du pays. Les quakers
furent, par une clause particulière, dispensés de ce serment.
Voici la formule du serment d'allégeance, introduit en An-
gleterre en 1 COG , à la suite de la l'ameuse conspiration des
Poudres : « Je proteste et déclare solennellement dé-
fi vant Dieu et les iiommes que je serai toujours lidèle et
« soumis au roi.... Je proteste et déclare solennellement
« que j'abliorre, déteste et condanme de tout mon cœur,
« comme impie et hérétique, cette damnable proposition,
« que les princes excommuniés ou destitués par le pape ou
« le siège de Rome peuvent être légitimement déposés ou
« mis à mort par leurs sujets, ou par quelque personne que
n ce soit. »
Le serment d'allégeance peut être imposé à tout individu,
anglais ou étranger, ûgé de plus de douze ans ; mais main-
tenant on ne l'exige guère que des ministres et des hauts
fonctionnaires.
ALLEGHAIXYS (Monts). La chaîne des Alieghanys,
qui divise en deux parties le territoire de l'Union améri-
caine, s'étend à peu près parallèlement au littoral de l'océan
Atlantique , sur une longueur d'environ 200 myriamètres.
Elle est baignée par la mer au nord ; c'est elle qui forme la
côte des Étati de Massachusets , de Nevv-Hampshire et de
Maine. Au midi elle s'affaisse, et finit par disparaître, à quel-
que distance du golfe du Mexique, après s'être épandue en
un plateau qui couvre une partie des États de Tennessee
et de Géorgie, et des flancs duquel plusieurs cours d'eau
miportants sortent pour aller se décharger, les uns dans
l'Atlantique, les autres dans l'Oliio, d'autres enfin directe-
ment dans le golfe du Mexique. La chaîne est formée d'une
série de crêtes longitudinalement disposées, que séparent de
larges sillons, et qui s'étendent, sauf quelques interruptions,
ou plutôt quelques brèches, d'une de ses extrémités à l'au-
tre. On dirait que ce sont des rides uniformes, dues à un re-
dressement ou à un plissement régulier que les couches de
la croûte terrestre auraient simultanément éprouvé sur cet
immense espace de 200 myriamètres, par l'eflet de la con-
traction que le refroidissement a pu produire dans la masse
du globe, ou par toute autre cause.
La direction générale des Alleghaays est du nord-est au
sud-ouest; mais entre ces deux extrémités elle subit des
inflexions qui modifient l'aspect général de la ciiaîne, le
nombre et l'espacement des crêtes parallèles, et offre des
angles , ou plutôt des nœuds , desquels partent quelques ra-
mitications. Elle décrit un de ces détours, qu'on pourrait
aussi bien qualifier de renflements, dans la Pensylvanie, si
bien que ce vaste État, qui équivaut à peu près au quart de
la France, est presque tout entier compris dans le périmètre
de la chaîne proprement dite. Le nombre des crêtes paral-
lèles varie de six à douze; il est plus habituellement de huit.
Elles changent de nom suivant les lieux et suivant les ac-
cidents de terrain qui les ont réunies ou séparées, La chaîne
occupe une largeur moyenne de 16 à 20 myriamètres.
M. Darby évalue à 6,000 ou 7,000 mètres environ la lar-
geur de la base de chaque crête, ce qui laisserait 15,000 à
17,000 mètres pour largeur moyenne des sillons. Ces sil-
lons sont le plus souvent susceptibles de recevoir une belle
culture; c'est toujours le cas lorsqu'ils reposent sur le cal-
caire bleu de formation ancienne, qui est abondant aux
États-Unis.
D'après la régularité de configuration qui distingue les Al-
Icghanys, on serait tenté de croire que les fleuves et les
rivières ont dû se creuser im lit dans le sens des sillons qui
séparent les crêtes. 1! n'en est rien cependant : ces sillons ne
forment pas de vallées, quoique quelques-unes en portent
le nom; les rivières se rendent à la mer en traversant les
crêtes successives. Elles s'y sont fait jour violemment, sans
doute à la faveur de quelque révolution terrestre. Les crêtes
présentent ainsi des tranchées larges et profondes, par où les
fleuves continuent leur chemin vers la mer, quelquefois
même sans que leur cours soit précisément interrompu en
ce point par des rapides ou des chutes. L'une des plus re-
marquables de ces ouvertures est celle d'Harper's Ferry, où
le Potomac et le Schenandoah, unissant leurs eaux, ont
forcé la crête connue sous le nom de Blue-Ridge ( montagne
Bleue). Ces brèches, qui offrent ordinairement des sites pit-
toresques , sont de la plus grande utilité pour les commu-
nications ; elles donnent le moyen de se rendre d'un sillon
à un autre , sans avoir à franchir aucun sommet. Le défilé
d'Harper's Ferry , par exemple , a été aussi mis à profit
par un canal , par une route et par deux chemins de fer.
Entre l'Hudson et le milieu de la Virginie , la plupart des
fleuves et des rivières prennent naissance sur les flancs
d'une ciête centrale , à laquelle on a donné le nom d'AllC-
ghany ou de montagne Apalache, et qui a une hauteur à
peu près constante de 800 à l,000 mètres au-dessus de la
mer.
Parmi les crêtes allongées qui , marchant parallèles les
unes aux autres , composent la chaîne des Alleghanys , on
en distingue , indépendamment de la crête centrale , deux '
qui renfi/rment entre elles l'ensemble de la chaîne comme
un faisceau. Ce sont le Blue-Ridge , situé à l'est , et la crête
de Cumberland ou de Gauley , placée à l'ouest , qui du
côté du nord porte d'autres noms.
Le Blue-Ridge forme probablement ce qui au nord de
l'Hudson est connu sous le nom des Green Moiintains ; sur
la rive droite de ce fleuve, il constitue les Ilighlands ,
qui partent de West-Point. En Pensylvanie et, plus au sud,
en Virginie , il borde ce qu'on appelle dans ce dernier État
la Valide par excellence , région calcaire , salubre et fer,-
tile. A partir du nord jusqu'à 37° de latitude, il est coupé
par tous les fleuves qui se rendent à l'Océan ; mais arrivé
là , il devient la crête du versant des eaux. Le large sillon
formant cette magnifique vallée, qui depuis l'Hudson se
continue sans interruption au travers de la Pensylvanie , du
Maryland et de la Virginie, sur un espace de plus de 600
kilom., en suivant le flanc occidental du Blue-Ridge, est
borné alors par un éperon massif qui rattache la crête
centrale ou Alleghany au Blue-Ridge , ou plutôt qui marque
la fin de la crête centrale elle-même , comme si à partir
de ce point , elle était confondue avec le Blue-Ridge. Cet
éperon , dirigé à peu près du nord-nord-ouest au sud-sud-
est, est compris entre le Janies-River, qui se rend dans
l'Atlantique , et le New-River, qui va se jeter dans l'Oliio.
De là jusqu'à l'extrémité méridionale de la chaîne, le
Blue-Ridge renvoie à l'Atlantique le Dan , branche du Roa-
noke , le Pedee , la Santee , la Savannah ; à l'Ohio , le iN'ew-
River, qui plus bas prend le nom de Kanawha , et le
Tennessee , et , directement au golfe du Mexique , la Cha-
tahooch.ée et l'Alabama.
La crête de Cumberland , avec les crêtes qui se prolon-
gent ou en dépendent, est dans les États du Sud plus
massive que le Blue-Ridge. En commençant par le nn'di ,
elle a son point de départ à peu de distance de la rivière
Tennessee, qui pour se rendre du plateau du Blue-Ridge
à l'Ohio est obligée de la tourner et de décrire ainsi un
long circuit; parvenue en Virginie, au nord de l'éperon
qui joint la crête Alleghany au Blue-Ridge, elle semble
(iabord se confondre avec la crête Alleghany ; et plus loin,
en se rapprochant du nord , dans la Pensylvanie et dans
l'Étal de >'ew-Vork, elle constitue en arrière de celle-ci,
sur quelques points, la ligne du versant des eaux, quoi-
qu'elle ce?se d'offrir <les sommets élevés , et que sa conti-
nuité .soit moins distincte. Ainsi , dans la Pensylvanie et
dans l'État de New-York elle donne naissance , d'un côté
à la Gencsee , et de l'autre à la .Susquehannah , qui s'ouvre
un passage à travers tontes les crêtes situées entre le pro-
longement du Cumberland et l'Atlantique , tout comme au
midi le New-River, sortant du Blue-Ridge, coupe toutes
les crêtes qui séparent le Blue-Ridge de l'Ohio. Cependant,
ALLEGHANYS
en Pensylvanie la crête AUeghany forme généralement le
partage des eaux.
L'élévation de la chaîne des Alleghanys est peu considé-
rable, nialgré la grande largeur de la chaîne ; elle ressemble
le plus habituellement, sous ce rapport, aux Vosges ou au
Jura , c'est-à-ilire que communément les sommets n'y dé-
passent pas 1,200 ou 1,300 mètres au-dessus de la mer. Les
Alleghanys ne vont pas à 1,000 métrés de hauteur moyenne
pour l'ensemble de chaque créle. Cependant ils offrent au
nord, dans le Maine et d;ins le New-Hampshire , quelques
limes plus élevées. Ainsi le Mooshelock (New-Hampshire)
a 1,530 mètres, le Katahdin (Maine) a 1,790 mètres, le
mont Washington ( New-IIampshire ) a 2,027 mètres. La
masse de la chaîne compose une sorte de plateau assez
e.\ha\issée dans la Virginie, le Kentucky et le Tennessee; en
se rapprochant du nord elle se déprime ; le terrain n'est
plus qu'à 130 mètres environ au-dessus de la mer aux ap-
proches de l'Hudson, dans l'État de ]New-York ; il s'abaisse
même jusqu'à 42 mètres dans un défilé long et étroit qui
court de THuihon au Saint-Laurent. Mais de l'autre côté
de l'Hudson , en poursuivant vers le nord , il se remet de
nouveau à monter, à ce point que c'est dans les latitudes
septentrionales que les sommets atteignent le maximum de
hauteur. Ainsi , le bassin de l'Hudson offre une passe spa-
cieuse, facUe et unique , à travers l'ensemble de la chaîne.
L'une des conséquences de la faible élévation des Alle-
ghanys, c'est qu'il n'y peut exister de ces glaciers ou amas
de neige qui, servant aux fleuves de réservoirs permanents,
les alunentent pendant l'été. C'est une circonstance défavo-
rable à l'établissement de canaux destinés à franchir les
Alleghanys pour reUer les ports de l'Atlantique à la grande
vallée centrale de l'Amérique du Nord. Il n'y a que quelques
cimes isolées où la neige se conserve pendant l'été , et elles
sont situées dans les États septentrionaux du Maine et de
New-Hampshire , où l'on a dû peu s'occuper d'établir de
pareilles jonctions.
Un autre obstacle à la création d'artères navigables au
travers des Alleghanys consiste dans l'absence totale de
lacs, qui caractérise cette chaîne au midi de l'Hudson, c'est-
à-dire dans la seule partie où il importait d'ouvrir de gran-
des lignes. Au midi du 41*' degré de latitude on ne trouve
pas un lac sur le territoire des États-Unis , à moins qu'on
ne qualifie de ce nom les lagunes qui bordent le rivage dans
les États du Sud. Au contraire, de l'autre côté de l'Hudson, les
lacs apparaissent. Ils sont fort multipliés dans le Canada et
dans le Nouveau-Brunswick, et même dans l'État du Maine.
Au nord du 42' degré de latitude c'est à peine s'il existe
en Amérique un cours d'eau qui ne sorte d'un lac et d'un
étang.
La plupart des fleuves qui prennent leur source dans les
Alleghanys ont leur direction générale de l'ouest-nortWouest
à l'est-sud-est. Ces fleuves sont fort nombreux; ils pré-
sentent des bassins généralement très-exigus. Le plus grand
de ces bassins, celui de la Susquehannah, n'est que la moi-
tié de celui de la Loire; et cependant il est presque double
de celui d'Albemarle, qui occupe le second rang, et qui lui-
même se Compose de deux vallées réellement distinctes ^
celles du Roanoke et du Chowan. Il est vrai que si l'on
considère la Chesapeake comme le prolongement de la Sus-
quehannah, ce qui serait raisonnable à plusieurs égards, et
que l'on réunisse au bassin de la Susquehannah les sur-
faces arrosées par le James-River, l'York-River, le Rappa-
hannock , le Potomac, le Patuxent et le Patapsco, ainsi que
YEastern Shore, on a un bassin de 17,896,900 hectares de
superficie , ce qui représente le tiers de la France ou le
bassm de la Loire. — La majorité de ces fleuves et de leurs
affluents ne sont navigables que sur une partie de leur
cours. La chaîne où ils prennent leur source est trop voi-
sine de la mer pour qu'il en soit autrement. Il n'y en a
pour ainsi dire aucun qui à une distance ordinairement
347
faible de la mer ne présente une cataracte ou au moins un
plan incliné insurmontable à la navigation. Cet accident
général dans leur lit paraît occasionné par une bande con-
tinue de terrain primitif , qui , avec la régularité qu'on re-
trouve dans les caractères géologiques du sol des États-
Unis , comme dans sa configuration topographique, s'éten-
drait, dit-on, d'un bout à l'autre de l'Union. Ainsi, en
descendant du nord au midi , on rencontre successivement
les chutes do la rivière Sainte-Croix à Calais, celles du Pe-
nobscot à Bangor, du Kennebcc à Augusta , du Merrimack
à Lowell et à Haverhill, du Connecticut près de Hartfort,
de la Passaïc à Patterson , du Raritan près de New-Bruns-
witk, de la Delaware à Trenton, de Schuylkill près de Phi-
ladelphie, de la Brandywine près de Wilmington, de la Sus-
quehannah entre Columbia et la Chesapeake, du Patapsco
près d'Ellicott's Mills, du Potomac aux Little-Falls et aux
Great-Falls, du Rappahannock à Fredericksburg, du James-
River à Richmond, de l'Appomatox à Petersbourg, du
Rounoke à Munford, de la Neuse à Smitlifield, de la rivière
du cap Fear à Averysboro , du Pedee près de Rockingham
et de Sneodsboro, de la Wateree près de Camden, du Con-
garée à Columbia, du Saluda à sou confluent avec le Broad-
River, de la Savannah à Augusta , de l'Oconee à Milledge-
ville, de l'Ocmulgee à Mâcon. Cette ligne de cataractes
paraît même se poursuivre sur le versant du golfe du Mexi-
que. On en distingue le prolongement sur le Flint-River à
Fort-Lawrence, sur le Chatahoochee à Fort-Mitchell, sur la
Coosa, près de sa jonction avec la Talapoosa, sur la Tom-
bigbce ou Tombekbee , dans le voisinage du fort Saint-
Étienne; le célèbre géographe américain M. Darby pen^e
même l'avoir retrouvée à l'ouest du Mississipi, sur la Oua-
chita ou Washita, au-dessous du confluent de la rivière
Bœuf, et sur la rivière Rouge, aux rapides des envùons
d'Alexandiie. Mais du côté du golfe du Mexique , suivant
le même auteur , dans les États d'Alabama , de Mississipi
et de la Louisiane , le banc de rochers qui coupe ainsi le
cours de toutes les rivières , au heu d'être de nature pri-
mitive, comme sur le versant de l'Atlantique , serait formé
d'un grès assez tendre , dont d'ailleurs il ne détermine pas
l'âge géologique , et l'assimUation qu'il indique est proba-
blement exagérée.
La ligne des cataractes, qui joue un grand rôle dans la con-
figuration du sol américain considéré sous le rapport de la na-
vigation et de la culture, peut et même doit être considérée
comme un premier échelon des Alleghanys. Elle a eu sans
doute pour origine le même soulèvement. Pour l'économiste
et l'ingénieur, c'est l'un des traits les plus curieux de la géo-
graphie américaine. Au nord, efle est très-voisine de l'Atlan-
tique , puisque là les montagnes elles-mêmes sont baignées
par la mer. Ainsi, les chutes des fleuves des six États désignés
sous le nom général de la NouveUe- Angleterre et des États
dits du centre sont fort rapprochées du rivage. Mais quand
on va vers le midi, la ligne des cataractes, restant à peu près
parallèle au pied des montagnes, s'écarte, comme eUes, de la
mer. Il en résulte entre les fleuves du nord et ceux du midi
une diflérence remarquable sur les fleuves situés au noid de
la Chesapeake, ainsi que sur les tributaires de cette baie ,
tels que le James-River et le Potomac : la ligne des cata-
ractes marque le point où la marée cesse de se faire sentir.
La navigation maritime remonte jusque là , mais s'arrête
là. Sur les fleuves méridionaux la marée cesse d'être sen-
sible bien au-dessous de la ligne des cataractes. Entre
cette ligne et la ligne de la marée ils offrent une naviga-
tion naturelle , qui est cependant fort imparfaite et d'un se-
cours plus que médiocre pour le commerce.
La ligne des cataractes partage la région qui borde l'Atlan-
tique en deux parties bien distinctes , aux yeux de l'indus-
triel et à ceux de l'homme d'État , tout comme à ceux du
géographe. Au bas des cataractes , de leur pied à la mer, les
fleuves sont à peu près sans pente et d'une navigation aisée,
44.
348 ALLEGHANYS
surtout au nord ; leur eau est salée ou saumàtre , et monte
ou descend avec la marée ; leurs rives sont plates , et les
eaux y ont peu ou point d'écoulement. C'est un to\ sablon-
neux , très-peu fertile , excepté sur le littoral immédiat des
ruisseaux et des fleuves , et parsemé de flaques d'eaux sta-
gnantes , d'où s'exhalent pendant l'été des miasmes fiévreux.
Cette première zone malsaine , inculte , couverte de forêts do
pins, presque inhabitable et inhabitée, est étroite au nord de
la Chesapeake, au-dessus du 37<= degré de latitude; mais elle
occupe un grand espace au sud, en Virginie, dans les Caro-
lines et en Géorgie. Entre Charleslon ( Caroline du Sud ) et
Augusta (Géorgie) , villes situées sur une ligne à peu près
perpendiculaire au littoral , elle n'a pas moins de deux cents
kilomètres de largeur. Au-dessus de la ligne des cataractes,
h scène change : les rivières ne ressentent plus l'action de
fa marée ; elles ont beaucoup plus de pente ; elles en ont
même trop , car elles sont d'une navigation mauvaise , cl
praticables seulement pour de courts espaces séparés par des
rapides , des rochers ou des bancs de sable. Elles offrent à
l'industrie une force motrice qui semble inépuisable. Le pays
est ondulé ou môme montagneux , salubre , cultivé dans
tous les fonds , richement boisé sur les croupes et les cimes,
couvert de villes et de v illages. 11 y a ainsi , inmiédiateraent
au-dessus de la ligne des cataractes, une admirable zone
qui contourne les Alleghanys, depuis l'embouchure du Saint-
Laurent jusqu'à celle du MissLssipi , de Québec à la Nou-
velle-Orléans , et qui , ayant derrière elle , au delà des Al-
leghanys , le vaste et fertile tenitohe de l'Ouest, est sans
contredit l'un des champs les plus remarquables et les mieux
situés pour le commerce maritime que la civilisation ait
envahis.
La limite de ces deux zones. Tune privilégiée, l'autre mau-
dite , était la place indiquée par la nature pour recevoir les
centres commerciaux du pays. C'est là en effet que sont
posées les grandes villes des États de l'Atlantique. Plus bas
elles eussent été plongées dans un air malsain , éloignées des
terres cultivées , difficiles à approvisionner et hors de la
portée des habitants de l'intérieur ; plus haut , elles n'eus-
sent pas eu de ports. Les fleuves , qui en amont de la ligne
des cataractes sont pendant uue bomie partie de l'année
médiocrement pourv-us d'eau , à cause du peu d'étendue et
de la pente de leur cours , forment en aval de la même li-
"ne des baies ou au moins des rades spacieuses et d'une
entrée commode , généralement allongées , que les plus forts
navires du commerce remontent et descendent avec facilité
par l'effet des vents ou de la marée , ou à l'aide des remor-
queurs à vapeur. Presque toutes les métropoles sont placées
au sommet de ces baies ou de ces bassins : Boston est sur
les bords de la mer, au fond d'une belle rade ; Ncw-Ledford ,
Portland et les villes les plus considérables du Massa-
chuscts , du New - Hampshire et du Maine , sont prcs-
({ue toutes situées de même , parce que dans cette partie
de la côte la ligne des cataractes se confond à peu près
avec le rivage. Providence est en tête de la baie de Nar-
ragansett. New-York est sur la ligne idéale des cataractes,
fort voisin de la mer cependant, et à l'extrémité d'une im-
mense rade. Philadelphie et Baltimore sont, l'une à la pointe
de la baie de Delawaro , l'autre en tête de la Chesapeake.
Les points de Richemond sur le James-River et de Peters-
bourg sur l'Appomatox sont littéralement au pied des ca-
taractes, qui sur l'un et l'autre fleuve, et particulière-
ment sur le second, sont grandioses. Lorsqu'on s'avance
plus au sud , on retrouve au voisinage des chutes de chaque
rivière lUie ville assez importante, niais ce ne sont plus des
ports. La zone stérile s'étant singulièrement élargie, les
baies qui offrent aux bâtiments maritimes une profondeur
suffisante pour leur tirant d'eau s'arrêtent avant d'avoir at-
teint la zone de la culture. Les ports, beaucoup m.oins pros-
pères que ceux du nord , sont alors à une assez grande dis-
tance des terres en produit ; et pour se niellre en rapport
— ALLEGORIE
avec les planteurs de coton et de riz , ils sont dans !â nf.
cessité d'envoyer au loin des bateaux à vapeur, quand il y
a pour porter ceux-ci des rivières comme la Savannah et
l'Alatamaha, ou de jeter au travers du désert des chemins
de fer, comme ceux de Charleston à Augusta et de Savan-
nah à MAcon. Michel Chevalier.
ALLÉGORIE ( du grec â).),o;, autre ; àyopsya) , je dis ).
L'allégorie, comme l'indique l'ctymologie, est la substitution
du langage figuré à l'expression propre, d'un discours dé-
tourné au discours direct. Considérée comme une simple
figure de rhétorique , ce n'est donc qu'une métaphore sou-
tenue et continuée , d'un fort bel effet lorsque le sens en est
parfaitement clair, et que les rapports, comme l'a dit La
Harpe après Quintilien, ne sont ni trop multipliés ni pris
de trop loin. On donne un sens plus étendu à l'allégorie,
quand on appelle de ce nom une fiction poétique où des
êtres moraux sont personnifiés. Dans l'un et dans l'autre
cas, le voile de l'allégorie doit être artistement tissu, mais
transparent, et, comme l'a fort bien dit Lemierre, dans
son poème sur la pemture , en personnifiant lui-mî-me cet
être de raison :
L'Allégorie habite un palais diaphane.
L'allégorie est aussi ancienne que le monde, et, comme le
rappelle M. Tissot, « l'allégorie est la figure universelle
par laquelle le genre humain tout entier entra dans l'ordre
intellectuel et moral n . Les sens matériels chez l'homme étant
frappés avant le sens intellectuel , c'est par les objets exté-
rieurs que ses idées sont éveillées. Il eut la connaissance
des premiers avant d'avoir la conscience des autres; le
besoin fit bientôt naître les termes nécessaires pour nommer
les objets de la vie usuelle ; et quand ce vint aux choses
de l'esprit, aux abstractions, aux produits de sa pensée,
ne trouvant point de mots pour les exprimer, il les revêtit
des formes vivantes , et du nom des objets avec lesquels il
était déjà familier, ou dont la vue provoquait en lui ces
mouvements intérieurs de son organisation intellectuelle et
morale. Le langage primitif de l'homme se trouva donc ainsi
composé d'images , et dans l'enfancç des sociétés l'allégo-
rie, au Ueu d'être un voile, comme chez les modernes,
fut, au contraire, une clef et un flambeau destinés à éclairer,
à expliquer, à rendre sensible enfin ce que le discours ne
pouvait encore interpréter d'une manière claire et précise;
ce fut , en un mot , une traduction des idées de l'homme par
le secours des objets matériels de la nature. De là l'usage
constant chez toutes les nations de représenter les abs-
tractions par les images des objets corporels; de là les
formes symboliques du langage chez les anciens peui)les,
principalement chez les Égyptiens, de qui Pythagore et
d'autres philosophes grecs les empruntèrent pour les adapter
à la langue et aux mœurs de leur pays.
Mais bientôt l'allégorie disparut du langage habituel
pour former une langue à part et devenir le partage de
([uelques privilégiés ; elle tomba dans le domaine de la re-
ligion, qui s'en servit comme d'un mystère de plus. Les al-
légories antiques parvenues jusqu'à nous n'ont pas encore
trouvé leurs égales dans les littératmes modernes : « Ja-
mais les modernes, dit Voltaire, ne trouveront d'allégo-
ries plus vraies, plus agréables, plus ingénieuses que celles
des neuf Muses , de Vénus, des Grâces , de l'Amour, etc.,
qui seront les délices et l'instruction de tous les siècles. •
Ce n'est pas seulement par rapport à leur grand éloigne-
ment que les anciens hiéroglyphes, ou plutôt les allégories
des Égyptiens , des Scythes et de quelqiies autres peuples
de l'Asie , nous semblent inférieures à celles de leurs suc-
cesseurs; c'est surtout par le défaut de relation exacte,
et , par conséquent, de clarté, dont elles sont quelquefois
entacliées. La Harpe, dans son Cours de Littérature , en
cite un exemple qui paraîtra sans doute concluant, et que
nous allons rapporter. Darius , roi des Perses , dans son
ALLÉGORIE — ALLEMAG>^E
expéililion contre les Scytlies , s'étant engagé témcVaircmcnt
tians leurs vastes solitudes , y perdit une partie de son
armée , et y reçut un ambassadeur (pii lui présenta de leur
part c inij lUVhes , un oiseau , une souris , une grenouille ,
et se retira sans rien dire. Un Persan, qui avait quelque
connaissance du caractère et du langage de ce peuple ,
expliqua ainsi leurs présents : « A moins que vous ne puis-
siez voler dans les airs comme les oiseaux , ou vous cacher
sous la terre comme les souris , ou dans les eaux comme
les grenouilles , vous n'échapperez point aux flèches des
Scythes. » Il se trouva qu'il avait bien deviné ; mais Darius
avait interprété cet emblème d'une manière toute diffé-
rente , et pourtant tout aussi plausible. Il prétendait que
c'était un témoignage de la soumission des Scythes, qui
lui faisaient honunage des animaux nourris dans les trois
ékujienfs , et lui abandonnaient leurs armes.
Les premiers Pères de l'Église, qui pour la plupart
étaient platoniciens , empruntèrent de leur maître cet usage
des formes allégoriques , dont on peut dire qu'ils ont quel-
quefois poussé le goût un peu trop loin. Les Écritures
offrent elles-mêmes beaucoup d'allégories , parmi lesquelles
on distingue celles de Natiian et de Jérémie.
On connaît les plus célèbres de l'antiquité : Plutus, Pro-
méthée , Psyché, etc.; ce sont des modèles de l'allégorie
soutenue , c'est-à-dire de celle qui consiste à personnifier
les êtres moraux , qui vit d'images artistement combinées ,
revêtues de couleurs habilement maniées , et de la méta-
phore, qui emploie un langage détourné et des formes
étrangères pour arriver à un sens direct et à un but déter-
miné. Il n'y a guère dans la littérature française d'al-
légories parfaites : elles sont pour la plupart prises en de-
hors des comparaisons harmoniques. Quant aux parades
qui se jouent sur nos théâtres , et que l'on veut bien ap-
peler allégories, il n'y a rien à en dire. De tous les peuples
modernes, les Orientaux seuls ont parfaitement compris le
génie de l'allégorie : leur littérature présente en ce genre
des modèles qui pour la grâce, la vérité et l'imagination,
n'ont presque rien à envier aux chefs-d'œuvi-e de la Grèce.
ALLEGRî (Gr.EGORio), chanteur de la chapelle du
pape, naquit à Rome, en 1590, et mourut dans cette ville,
en 1640. Il était élève de Nanino, et il passe encore aujour-
d'hui en Italie pour un des meilleurs compositeurs de son
temps. La plus célèbre de ses productions est un Miserere
que l'on chantait tous les ans le mercredi-saint, à quatre
heures , dans la chapelle Sixtine , et auquel on attribuait
im effet prodigieux. On attachait tant d'importance à cette
composition , qu'il était défendu de la copier, sous peine
d'excommunication. Mozart prit sur lui d'enfreindre cette
défense : après l'avoir entendue deux fois , il en fit une
copie conforme au manuscrit. En 1771 ce Miserere fut
gravé à Londres; en 1810 il parut à Paris, dans la collec-
tion des classiques. Le pape en envoya une copie au roi
d'Angleterre en 1773.
ALLEGRI (AisTONio). Voyez Couhége.
ALLEGRO, adjectif italien francisé qui sert à détermi-
ner le mouvement d'un morceau de musique, et marque
qu'il doit être exécuté avec une certaine vivacité. C'est le
premier des trois principaux mouvements ; il a au-dessus de
lui le presto, ]e prestissimo et le stretto, indiquant une plus
grande vitesse , et au-dessous Y allegretto , qui annonce au
contraire moins de rapidité. Ainsi, quoiquelemot allegro si-
gnifie proprement gai, il n'est considéré ici que par rapport
au degré de vitesse du morceau et de chacune de ses parties,
et il s'en faut qu'il s'applique toujours à des sujets joyeux :
il convient parfaitement aux situations pathétiques ou bien
respirant l'agitation, l'irritation, ledésespoir, lafureur, etc.
C'est pour cette raison que l'on ajoute souvent au mot al-
legro un autre mot qui , décidant mieux le caractère de
la composition, aide encore l'exécutant à en comprendre à
la fois le mouvement et l'expression, comme c^/e^ro j-ins^o.
349
comodo, maestoso, vivace, agitato, spiriioso, etc., termes
qui s'expliquent d'eux-mêmes. Allegro s'emploie aussi sub-
stantivement : un allegro de Mozart , de Beethoven ; Vallc-
gro de cette symphonie en est la partie la plus brillante, etc.
Adrien de Laface.
ALLELU-LV ou ALLELU-IAIl , mot hébreu qui si-
gnifie louez le Seigneur ! Saint Jérôme est le premier qui
ait introduit le mot alléluia dans le service de l'église.
Pendant longtemps on ne l'employait qu'une seule fois
l'année dans l'Église latine , savoir : le jour de Pâques ;
mais il était plus en usage dans l'Église grecque , où on le
chantait dans la pompe funèbre des saints , comme saint
Jérôme le témoigne expressément en parlant de celle de
sainte Fabiole. Cette coutume s'est conservée dans cette
église, où l'on chante Vallehda même pendant le carême.
Saint Grégoire le Grand ordonna qu'on le chanterait de
même toute l'année dans l'Église latine , ce qui donna lieu
à quelques personnes de lui reprocher qu'il était trop atta-
ché aux rites des Grecs. Dans la suite, l'Église romaine sup-
primale chant alleluiadam l'office de la messe des morts,
aussi bien que depuis la septuagésime jusqu'au graduel de
la messe du samedi-saint , et elle y substitua ces paroles -.
Laiis tibi. Domine, rex asternœ glorix, comme on le pra-
tique encore aujourd'hui. Le quatrième concile de Tolède
en fit même une loi expresse, dans le onzième de ses canons.
ALLELUIA {Botanique). Nom vulgaire d'une plante
qui appartient au genre oxalide, de la famille des géranoïdes.
C'est Voxalis acetosella, oxalide oseille des botanistes : elle
est encore connue sous les noms vulgabes de sûr elle, pain
de coucou, oseille de bûcheron, oseille à trois feuilles.
Cette plante , qui a trois à quatre pouces de haut, et dont
les feuilles sont alternes, à trois folioles en cœur, d'un vert
gai en dessus et rougeàtres en dessous , croit en abondance
dans toute l'Europe septentrionale, dans les terrains hu-
mides , à l'ombre des bois , le long des haies , etc. Quoique
son acidité soit plus agréable que celle de l'oseille, on la
cultive cependant rarement dans les jardins. On la mange
cuite ou en salade. On en fait un fréquent usage en méde-
cine, oans les maladies inflammatoires et putrides. Elle fleurit
ordinairement vers le temps de Pâque ; et son nom à'alle-
luia lui vient de ce qu'à cette époque on recommence
dans les églises le chant à'alleluia , suspendu pendant le
carême. C'est de l'alleluia qu'on tire l'oxalate de potasse ,
connu dans le commerce sous le nom àQsel d'oseille. L'al-
leluia n'est pas la seule plante dont on puisse obtenir l'oxa-
late de potasse ou sel d'oseille. Thomberg annonce que Voxa-
lide comprimée en fournit davantage , et Bosc propose la
culture de Yoxalide corniculée, comme plus riche encore
en sel d'oseille.
ALLEMAGNE , grande et fertile contrée de l'Europe
centrale, offrant tous les climats de la zone tempérée, et for-
mant un grand nombre d'États unis entre eux par la langue.
Géographie physique et politique.
L'Allemagne est bornée à l'est par la Prusse occidentale, le
grand-duché de Posen, la Pologne russe, la Gallicie, à laquelle
a été réuni le territoire de la ci-devant ville libre de Cracovie,
et la Hongrie; ùU sud, par la mer Adriatique et ia haute Italie
(Lombardie) ; à l'ouest, par la Suisse, la France, la Belgi-
que et la Hollande ; au nord , par la mer du Nord , le duché
de Schleswig et la Baltique. Elle est située entre le 22° 30'
et le 36° 40' de longitude orientale , et entre le 44° et le 55°
de latitude septentrionale. Sa plus grande longueur, du nord
au sud, est d'environ ic>0 myriamètres, et sa plus grande
largeur, de l'est à l'ouest , d'environ 1 30 myriamètres.
Au point de^Tie géognosique, on la divise en Allemagne sep-
tentrionale, centrale et méridionale, ou encore en basse et
haute Allemagne , séparées par l'Allemagne centrale. L'Alle-
magne septentrionale ou basse Allemagne, qui a la forme
d'un triangle isocèle, comprend la Prusse, le Holstein, le
350
ALLEMAGNE
Hanovre, le duché de Brunswick , le grand-duché d'Olden-
bourg, les principautés de Lippe, elles trois villes libres,
Hambourg, Lubeck et Brème. Ces contrées forment un
vaste territoire plat , sablonneux , marécageux , qui s'é-
lève insensiblement à mesure qu'on avance vers le sud.
A l'exception du Harz, où le pic de Broken s'élève à 1,150
mètres au-dessus du niveau de la mer, on n'y rencontre
guère de plateau atteignant une hauteur de plus de 150
mètres. L'Allemagne centrale, bornée à Test par un pro-
longement des monts Carpathes , comprend le gi-and-du-
ché de Luxembourg, la Hesse , la Saxe, les duchés d'.\n-
halt et de Nassau, les principautés de Schwartzboiirg, de
Reuss et de Waldeck , et le territoire de la ville libre de
Francfort. A l'intérieur elle est traversée de l'est à l'ouest par
deux chaînes de montagnes : l'une, de largeur médiocre,
s'abaisse et s'efface bientôt ; elle part du Harz , comprend
le Wesergebirge , le Siebengebirge , le Wcsterwald et
VEifel, et va se perdre dans les basses contrées de l'Alle-
magne septentrionale ; l'autre commence en Silésie avec le
Riesengebirge , se continue à travers la Saxe par VErzge-
birge, en Bavière par le Fkhtelgeblrge , puis par le Tliu-
ringerwald, et aboutit aux monts Rhœn, Spessart, Tau-
nus et Vogels , enfin , par delà le Rhin, au Hundsruck.
Ces chaînes communiquent d'un coté avec les Vosges par le
Hundsruck, et de l'autre avec les Alpes par le Schwarzivald
et le Bœhmericald , enfin avec les Carpathes par les monts
Sudètes et les montagnes de la Moravie. L'Allemagne méri-
dionale ou haute .\llemagne comprend les territoires situés
entre les Alpes et les montagnes de l'Allemagne centrale ,
l'Autriche, la Bavière, le Wurtemberg, Bade, les princi-
pautés de Hohenzollern et de Lichtenstein , où l'on rencon-
tre les .\lpes rhétiennes, du Tyrol , de Salzbourg et de Sîyrie,
plus celles de la Carinthie et de la Carniole , avec des pics
dont l'élévation varie entre 2,000 et 4,700 mètres, avec des
glaciers à une hauteur de 1,000 mètres.
Des cinq cents cours d'eau que l'on compte en Alle-
magne , soixante sont navigables ; les plus miportants sont
le Danube, qui a son embouchure dans la mer Noire, le
Rhin, l'Elbe, la Weser, et l'Oder, qui se déchargent
dans la mer du Xord ou dans la Baltique. Le Danube, qui
prend sa source dans le Schwarzwald (Forêt-Noire) et
coule de l'ouest à l'est , a pour principaux affluents Piller,
le Lech , l'Altm-ulil , la Nab , le Regen , l'Isar, l'Inn , l'Ems,
et la .March. Au bassin du Rhin, qui pren l sa source au
mont Saint-Gothard, appartiennent l'Elz, la Kinzig, la Murg,
la Pfinz , le Neckar avec ses affluents , l'Iaxt et le Kocher,
le Main avec la Rednitz et la Nedda , la Nahe , la Lahn , la
Moselle , la Wipper, la Ruhr et la Lippe. Le bassin de TEUie,
fleuve dont la source est située dans le Riesengebirge , corn-
pren 1 la Moldau, l'iiger, la Mulde, la Saale et le Havel avec
la Sprée , son affluent. Au bassin de la Weser, fleuve qui
prend ce nom à Munder, point où la Fulda et la Werra con-
fondent leurs eaux , appartiennent l'Aller avec ses affluents,
la Leine et l'Ocker, la Wummer et la Hunte. Le bassin de
l'Oder, qui a sa source dans les monts Sudètes de Mora-
vie , comprend la Neisse de Silésie, la Katzbach , le Bober,
la Neisse de Lusace et la Wartha avec la Netze , son af-
fluent.
On ne compte en Allemagne qu'un petit nombre de ca-
naux. Les plus importants sont le canal de Schleswig-Hol-
stein, qui met en communication l'Eider avec la Baltique ; le
canal de Muhlrose, qui joint la Sprée à l'Oder ; le canal de
Finow, entre l'0 1er et l'Havel, et le grand canal de l'Havel
au sud , le canal de Vienne et celui de Ludwig.
Cest dans l'Allemagne méridionale et dans l'Allemagne
septentrionale que se trouvent situés les principaux lacs ,
entre lesquels nous citerons ceux de Constance, de Chiem ,
de Wurm, d'Arnmer, de Feder, d'.\tter et de Traun, au sud ;
au nord, ceux de Fleinhuder et de Dummer ; enfin les lacs
de Schwerhi, de Ratzebourg, de Ma'.chow, de Ruppin, de
rlau, etc. On rencontre aussi quelques petits lacs en Bohême
et en Silésie.
Les embouchures de l'Elbe, de l'Ems , de la Weser et de
la Trave forment autant de golfes. Dans l'Allemagne mé-
ridionale la mer Adriatique en forme un autre entre Trieste
et Quarnero. Dans le Slcttiner-Hoff, golfe que forme
l'Oder à son embouchure, on trouve les deux îles d'Usedom
et de Wollin. Un peu i)lus au nord, on rencontre l'île de
Rugen, remarquable par ses roches calcaires. Les îles situées
le long de la Frise orientale et des cotes du grand-duché
d'Oldenbourg dans la mer du Nord, sont insignifiantes.
Le climat de r.\lleinagne est tempéré et généralement
sain. Au nord , et plus particulièrement sur les côtes, il est
humide et inconstant ; dans les parties montagneuses il
est âpre et même un peu froid ; mais au sud il est tempéré
et sec. On rencontre déjà dans le Tyrol les produits par-
ticuliers au sol des contrées du midi , et on y respire l'air
d'Italie. Cependant, toutes les espèces d'arbres à fruits cul-
tivées en Europe réussissent également bien au nord. Les
productions naturelles de l'Allemagne sont aussi nombreuses
qu'abondantes. Le Mecklenbourg et le Ilolstein fournissent
une excellente race chevaline. Les Marches voisines de la
Baltique, et notamment la Frise orientale ainsi que la Suisse,
offrent une espèce bo^^ne remarquable par sa vigueur en
même temps que par l'ampleur de ses formes. On trouve
plus particulièrement dans l'Allemagne centrale , notam-
ment en Saxe et en Silésie , une remarquable race ovine.
La Westphalie est justement célèbre pour ses porcs ,
conmie aussi la Saxe Prussienne et la Bavière. En fait de
gibier, il faut citer le cerf, le chevreuil, le chamois, le
sanglier et le lièvre. En fait de carnassiers , on rencontre
le loup dans quelques parties de la Prusse Rhénane , le
l)Tix dans le Bœlunerwald et l'ours dans quelques contrées
des Alpes. Sur les côtes septentrionales habite le chien de
mer, et la loutre dans presque toutes les parties de l'Alle-
magne. En fait de gibier à plumes, on peut citer les per-
drix, les coqs de bruyère, les cailles, les canards sau-
vages , les bécasses , les faisans , les outardes. L'aigle et le
vautour abondent dans les Alpes. L'élève des oies et l'édu-
cation des abeilles constituent une industrie particulière au
nord de l'Allemagne. La chasse aux alouettes se fait sur
une large échelle en Saxe , et il en est de même dans le
Thuringerwald de la chasse aux oiseaux en général. Les
fleuves et les rivières abondent en poissons de toute es-
pèce : on rencontre l'huître par bancs sur les côtes de la
mer du Nord.
Le règne végétal offre surtout le blé , la vigne , les lé-
gumes et les fruits de toutes espèces , le chanvre , le lin ,
le colza, le tabac, le cumm , l'anis, le fenouil. On ren-
contre d'inmienses forêts de pins et de sapins au nord , de
chênes dans l'Allemagne centrale , d'arbres à feuilles acicu-
laires , de mélèzes et de bouleaux , au sud.
Le règne minéral ne donne pas un momdre nombre de
produits : citons entre autres la terre à porcelaine , le co-
balt, le soufre, l'ambre jaune, la manganèse, la chaux,
le marbre , le plâtre , l'albâtre , l'ardoise , la houille , la
tourbe, le sel, enfin le mercure, le zinc , le cuivre , létain,
l'argent , et surtout le fer et le plomb. On ne compte pas
moins de mille sources d'eaux minérales.
La population totale de l'Allemagne était évaluée en 1852
à 42 millions d'habitants, répartis sur une superficie d'environ
11,000 myriamètres carrés. Dans ce chiffre on comprenait
35 millions d'Allemands et 6 millions de Slaves. C'est à
cette dernière race que se rattachent les Tschèques on Bo-
iiémes, les Kassoubes de la Poméranie, les Wendes de la
Lusace, les Slovaques et les Croates. Il y a en outre 400,000
juifs , disséminés dans les diverses parties du pays ; et on
compte en Illyrie , ainsi que dans le Tyrol , environ 350,000
Italiens. Près de 500,000 Français et Wallons sont dispersés
dans les contrées situées à l'ouest du Rliin ainsi que sur
ALLEMAGNE
351
divers autres points de l'Allemagne. En Aiitriclic on ren-
contre environ 6,000 Grecs et Arméniens, ainsi qu'un petit
nombre de bohémiens nomades. A part les juifs , environ
52 millions d'habitants appartiennent à la religion catho-
lique et 10 millions à réglise protestante. Le nombre des
Hernhutes est d'environ 10,000 ; et on compte encore quel-
ques milliers de mennonites, d'anabaptistes et d'autres sectes
chrétiennes.
L'économie nirale , l'exploitation des mines, l'industrie
manufacturière et le commerce constituent les principaux
moyens de subsistance des populations de l'Allemagne. L'é-
conomie rurale donne d'importants produits et a atteint un
tel degré de perfection que l'agriculture , par exemple , ne
le cède peut-être qu'à celle de l'Angleterre, et l'élève du
bétaU qu'à celle de la Suisse. Quant à l'industrie des mines,
les Allemands l'emportent, sous ce rapport, sur toutes les
autres nations. En ce qui est de l'industrie manufactu-
rière , ils luttent avec avantage , sinon pour le caractère
grandiiose des opérations , du moins pour le fini et la soli-
dité des objets fabriqués , avec les Anglais et les Français.
Les toiles et les linges damassés de la Silésie et de la Lu-
sace sont justement renommés ; la Saxe , la Bohème , la
Moravie et la Prusse , les Provinces Rhénanes surtout , se
distinguent par leurs belles et importantes manufactures
de draps. On fabrique de la blonde et de la dentelle à Neu-
cbâtel et dans l'Erzgebirge. Neuchàtel est célèbre pour la
fabrication des montres et horloges ; A'ienne, pour celle des
objets de quincaillerie, de bimbeloterie et de fantaisie; le
Tyrol, la Bohême, les contrées du Harz, la NVestphalie et
les Provinces Rhénanes, pour la préparation des fers et des
aciers ; la Bohême, pour ses verres et ses cristaux. La Prusse
et la Saxe possèdent de nombreuses manufactures d'éto.Tes
de soie et de coton, qui livrent à la consommation des pro-
duits d'excellente qualité ; et tous les ans on expédie en
Amérique et en Orient pour plusieurs millions de soieries
d'Elberfeld et de cotonnades de l'Erzgebirge. Le cuivre
est traité avec une grande supériorité dans les provinces
du Bas-Rhin; "S'ienne, Augsbourg, Dresde, Prague et Pforz-
heim excellent à trayaiUer l'or et l'argent pour objets de
luxe et d'ornement. La porcelaine de Saxe l'emporte tou-
jours, en ce qui est de la pâte, sur tous les produits ana-
logues fabriqués dans les autres pays de l'Europe ; et sous
le rapport de la peinture , celle de Berlin soutient avanta-
geusement la comparaison , même avec la porcelaine fran-
çaise. On tire des carrières de Zœblitz , dans l'Erzgebirge
saxon, d'excellente serpentine, et elles sont en possession
de fournir les vases et ustensiles confectionnés avec cette
pierre, dont on fait usage dans la plus grande partie des
pharmacies de l'Europe. On fabrique d'excellents creusets
à Passau et à Grossalmerode. La ville de Nuremberg, le
Tyrol , l'Erzgebirge Saxon et le Voigtland ont la spécialité
des jouets et de la bimbeloterie. Le commerce de l'Alle-
magne, qu', grâce à l'esprit industrieux des populations, à
la richesse des produits de son sol , et surtout depuis la
création du Zollverein , a pris d'immenses développe-
ments , est encore tout particulièrement favorisé à l'inté-
rieur par des fleuves (t des rivières navigables, par de
belles et nombreuses routes , par d'excellentes communi-
cations j)ostales , par des chemins de fer, des foires , de
grandes sociétés corn:;.; relaies et de nombreuses compa-
gnies d'assurances. !!aii bourg et Trieste sont les villes de
l'Allemagne où le commerce maritime a pris les plus larges
proportions : vienne; t ci'.suilc Brème , Lubecli , Altona ,
Emden , Kicl , Stettin , Stralsund , Rostock et Wismar.
Leipzig, Cologne, Magdcbourg, Berlin, Vienne, Elbcrfeld,
Francfort-sur-Mainet Francfort-sur-l'Odcr, Breslau, Prague,
Botzen , Laibach , sont des places do premier ordre pour
le commerce intérieur. Les blés, le bois, la laine, la toile,
le fer, le plomb, le zinc, le mercure, la verroterie, le
sel, les étoffes do laiiiu cl de coton, les bCtes à cornes et
les chevaux constituent les principaux articles d'exportation.
Les Allemands ne le cèdent ù aucune autre nation pour
ce qvii est de la culture des sciences, des lettres et des
beaux-arts; ils ont plus particulièrement réussi dans les
études savantes et la philosophie spéculative. Les progiès
qu'ils ont fait faire aux sciences thêologiques , à la con-
naissance du droit romain, à la philologie et à la méde-
cine , sont reconnus même par les nations étrangères , et
un des traits de leur caractère national est de s'assimiler
avec une facilité extrême tout ce qui se fait de bien chez
leurs voisins. Il n'y a pas en Europe de pays où l'on compte
un aussi grand nombre d'établissements ayant pour but de
propager les lumières et l'instruction qu'en Allemagne ;
vingt-trois universités , quatre cents gymnases et lycées, de
nombreuses écoles normales, une multitude d'établissements
d'instruction publique du premier et du deuxième degré ,
une foule de sociétés pour la culture des sciences ou celle
des beaux-arts, contribuent à répandre le goût des arts et
des sciences, non pas, comme en Angleterre et en France ,
dans les capitales seulement , mais même sur les points les
plus reculés du pays, et jusque dans les moindres localités.
Les musées de Dresde, de Vienne, de Munich, de Berlin,
de Cassel, etc., les bibliothèques de Munich, de Vienne,
de Berlin , de Dresde, de Leipzig, de Gœttingue , de Ham-
bourg , de W'olfenbuttel , de Prague , de Weimar, de Gotha,
de Darmstadt, de Cassel, de Francfort, de Breslau, sont
au nombre des plus riches de l'Europe. On trouve en outre
des collections d'antiques à Dresde, à Vienne, à Munich et à
Berlin ; des observatoires à Vienne , à Berlin , à Prague , à
Munich, à Breslau, à Leipzig, à Lilienthal près de Gœttingue,
et à Seeberg près de Gotha ; des collections d'histoire natu-
relle à Vienne, à Berlin , à Gœttingue, à Munich, à Ham-
bourg et à N'emvied. L'exploitation des mines a son école
spéciale à Freyberg ; la syhiculture est enseignée dans les
académies de Tharand, de Dreizigacker, de Mariabrunn,
d'Eisenach ; il existe des instituts d'agriculture rationnelle
et pratique à INIcegelin dans la Marche, à Eldena près Greife-
v.'âld, à Schleisheim en Bavière, à Hohenheim en 'Wur-
temberg , à Tharand en Saxe , à Rugenwalde dans la Po-
méranie-Ultérieure , etc.
Les divisions politiques de l'Allemagne ont beaucoup
varié suivant les époques. L'ancienne division ethnogra-
phique et géograpliique en petits districts appelés rjaue
(pagi), le plus souvent renfermés dans des limites natu-
relles et recevant leurs dénominations particulières, tantôt
d'un cours d'eau, d'une montagne, ou de la nature de leur
sol , tantôt de la peuplade qui les habitait, ou encore d'un
homme éminent , fut la base des partages politiques opérés
sous les rois franks des races mérovingienne et carlovin-
gienne. Quand ils eurent soumis à leur autorité les peu-
plades germaniques fixées dans l'intérieur de l'Allemagne,
ces princes établirent dans les différentes divisions territo-
riales déjà existantes des fonctionnaires chargés de ren Ire la
justice en leur nom, de recueillir l'impôt qui leur était Au,
de conduire à la guerre la partie de la population tenue de
prendre les armes , enfin d'administrer les intérêts particu-
liers des (jaue suivant les usages préexistants. Ces fonction-
naires reçurent la dénomination de comtes {Grafen ), etc.,
et les contrées soumises à leur autorité furent appelées
comtés [Grofschaften). Mais ces gaue différaient beau-
coup les uns des auties sous le rapport du chiffre de leur
population, qui dépendait du plus ou moins de fertilité de
leur sol , comme aussi sous celui de leur étcn;lue, qui tenait
au nombre plus ou moins grand d'habitants venus s'y
éiablir. Les termes de gaue et de comtés {Grafschaftcn )
n'étaient donc pas toujours corrélatifs. Souvent plusieurs
petits (jnuc étaient réunis sous l'autorité d'un même comte ;
quelquefois aussi un vaste gau , subdivisé en gaue moin-
dres, comprenait plusieurs comtés. L'organisation ecclésias-
tique répondait tout à fait à cette prenuère orgaiiisatiou
352
ALLEMAGNE
politique de l'Allemagne , et nous ai<le même aujourd'liui à
nous en faire une juste idée, parce qu'elle dura beaucoup
plus longtemps.
Une autre division politique plus générale de l'Allemagne,
la division en duchés , s'établit lorsqu'à la fin de la grande
migration des peuples, les nombreuses petites peuplades
germaniques se groupèrent pour former plusieurs grandes
nations, comme les Franks, les Saxons, les Frisons, les
Tburingiens , les Bavarois, les Alemans et les Souabes , et
placèrent à leur tête un chef qui prit le titre de duc. Cette
division en duchés fut à la vérité détruite par les rois franks ;
mais le ])artage des populations en groupes distincts qui en
avait été le résultat continua toujours de subsister. De môme,
les Saxons et tout le nord de l'Allemagne gardèrent leur
droit particulier, tandis que le reste des nations allemandes
adoptaient celui des Franks. Les divisions politiques intro-
duites par Cliarlemagne, et consistant en grands arrondisse-
ments administratifs, placés sous l'autorité d'un seigneur
temporel et d'un seigneur spirituel , se rattachèrent même
jusqu'à un certain point à la précédente division de l'Al-
lemagne en duchés ; mais elle ne put pas s'accorder avec la
division ecclésiastique en diocèses métropolitains. Mayence
ayant été érigée par Boniface en Église mère de toute l'Aus-
trasie aussi loin qu'elle s'étendait alors à l'est , refusa par
la suite de restituer les évêchés de Constance et de Stras-
bourg aux antiques sièges métropolitains de Besançon, dont
dépendaient les églises de Lausanne et de Bàle, et de Trêves,
dont dépendaient les églises de Metz, Toul et Verdun. En
revanche , force lui fut d'abandonner à l'église ripuaire de
Cologne, parvenue encore une fois à l'indépendance, et de
laquelle dépendaient les églises d'Utrecht et de Liège, les
évêchés saxons fondés à la fin du huitième siècle. Munster,
Osnabruck, Minden et Brème (ce dernier devenu bientôt
après siège métropolitain pour Ratzeburg , Sclnverin et Lu-
beck ) , et de souffrir qu'un siège métropolitain fût érigé à
Salzbourg pour les évêchés bavarois de Regensburg (Ratis-
bonne), Passau, Freisingen et Brixen. L'archevêché de
Mayence s'étendit donc, à partir du commencement du neu-
vième siècle, sur toute l'Alemanie (Strasbourg, Constance,
Augsl)ourg,Neufchâtel et Coire), la Franconie orientale (Spire,
Worms , \Vuiizbourg et Eicbstœdt ; mais Bamberg relevait
directement du saint-siège), et la Saxe méridionale (Pader-
bom, Hildesheim,Halberstadt et Verden) avec les territoires
slaves qui avoisinaient ses frontières et lui payaient tribut.
Quant aux pays slaves, par suite des progrès toujours plus
grands de l'élément germanique, on érigea plus tard à leur
usage propre des sièges métropolitains à Magdebourg, d'où re-
levèrent les sièges de Mersebourg, de Meissen, deXaumbourg.
Zeitz, de Brandenbourg et de Havelberg, ainsi qu'à Prague
et à Olmiitz. Là aussi on imita l'ancienne division territo-
riale en gmte, sur la base des ziipanies slaves qui y cor-
respondaient; et on groupa un certain nombre de divisions
de ce genre sous l'autorité d'un margrave (Margraf, comte
de la marche). Ces fonctionnaires, qualifiés duces dans les
anciens documents, ne tardèrent pas non plus à parvenir,
en raison de l'étendue de leur juridiction, à exercer une
grande puissance, de sorte que sous les derniers Carlovin-
giens ils purent rétablir les duchés qui avaient existé au-
trefois dans les provinces frontières, la Saxe, la Thuringe,
la Bavière et la Carinthie, à l'instar des ynissi dominici
dans la Franconie orientale et l'Alemanie, et à l'exemple de
ce que la puissance royale avait elle-même établi en Lor-
raine. Les Othons s'efforcèrent vainement d'assurer l'imité
ainsi compromise de l'.Mlemagne en conférant ces duchés à
des membres de leur famille; les tentatives postérieures du
roi Henri 111 pour les réunir de nouveau à la couronne ne
furent pas moins inutiles ; et tout au contraire, sous le règne
orageux de Henri IV, leurs possesseurs parvinrent à assurer
à leurs familles res[)cclives l'hérédité de leurs titres et do
leur puissance. C'est à celte même époque que s'introduisit
également l'hértMité des fonctions de comte , cause prin-
cipale de la désuétude dans laquelle finit par tomber peu
à peu la division politique de l'Allemagne en gaue. En effet ,
grâce à l'hérédité, et surtout sous le règne de princes faibles,
les divers fonctionnaires de l'empire ne tardèrent pas à
s'habituer à considérer comme leurs propriétés privées des
charges qu'ils avaient jusque alors a Iministrées au nom du
roi. C'est pourquoi, à leur tour, un grand nombre de pro-
priétaires fonciers cherchèrent à se dérober à leur juridic-
tion en se plaçant sous la protection immédiate du chef de
l'empire, pendant que d'autres hommes libres invoquaient la
protection des villes ou celle de seigneurs tant spirituels que
temporels. Déjà d'ailleurs un grand nombre de villes s'é-
taient séparées de l'union des gmie, et le clergé surtout
avait réussi de bonne heure à affranchir de toute juridiction
temporelle les biens immenses, jusqu'à des comtés tout en-
tiers, qu'il tenait de la libéralité des princes et des rois, et les
gauc cessèrent ainsi dès lors de constituer une division
politique. On inventa de nouvelles dénominations pour les
subdivisions des souverainetés territoriales de création nou-
velle, et les comtes, de même que les dynastes et autres
nobles , prirent les noms de leurs principaux châteaux et
autres possessions allodialcs. C'est au onzième sièc'e seu-
lement qu'on voit cet usage s'établir en Lorraine ; mais vers
le milieu du douzième siècle les gauc tombèrent également
en désuétude dans tout le reste de l'Allemagne. Il n'y eut
pas jusqu'aux quelques districts que les empereurs eussent
sauvés de ce naufragé général et qu'ils avaient placés sous la
surveillance supérieure de landgraves (£fl?;f'5'/Y//(?n, comtes
du pays) et de grands baillis [Landvœgte, baillis du pays),
par exemple, la Hesse, la Vetteravie, l'Alsace, etc., qui ces-
sèrent alors d'être appelés ^oi/e (pagi) pour prendre la qua-
lification de provinces, provincix; et avec le temps ils se
transformèrent, eux aussi, en souverainetés territoriales
indépendantes.
Les grandes souverainetés territoriales temporelles furent
fondées par les familles qui , comme celles des ducs , des
comtes palatins et des margraves, à l'époque de la décadence
de l'organisation politique par gauc, avaient les arrondis-
sements les plus étendus et qui y possédaient en même
temps non-seulement un grand nombre de propriétés ou allo-
diales ou à titre rémunératoire, mais encore qui avaient plu-
sieurs comtés tout entiers sous leur suiTcillance, par exemple
les Brabants dans la basse Lorraine, les Étichons dans la haute
Lorraine, les Zaehringen dans l'Alemanie et la petite Bour-
gogne, les Mérans en Bavière et en Franconie, les Octen-
burg en Carinthie, les Babenberg en Autriche, les Guelfes
en Bavière , en Souabe et en Saxe , et les Hohenstaufcn en
Alcmanie, en Franconie et en Bourgogne. La lutte entre les
deux dernières de ces puissantes familles amena la disso-
lution de deux duchés , dont l'un , la Saxe , mutilé pour
former ce qu'on appela le duché de ^Vestphalie , qui fut at-
tribué comme propriété allodiale guelfe à l'électoral de
Cologne, et en une foule de tronçons, ne fut plus que no-
minalement conféré à un prince de la maison d'Ascanie ; et
dont l'autre, la Bavière, passa à peu près tout entier sous
les lois de la maison de Wifteisbach. Lors de l'extinction
de la famille de Holienstaufen , les deux autres duchés les
plus importants, la Souabe et la Franconie, furent égale-
ment démembrés. C'est ainsi qu'au milieu du treizième siècle
l'Allemagne nous apparaît fractionnée en une nnillitiide de
territoires de plus ou moins d'étendue, dont les possesseurs
spirituels ou temporels obtinrent, par les privilèges que leur
concéda l'empereur Frédéric II en 1220 et en 1232, la base
de leur future souveraineté , et qui trouvèrent à quelque
temps de là dans l'interrègne l'occasion Aivorable pour la
mieux constituer encore. Que si depuis celte époque beau-
coup de ces territoires se trouvèrent réunis et confondus
avec d'autres , par suite de l'exlinclion d'un grand nombre
de familles , et notamment de la plupart des puissantes mai-
ALLEMAGNE
353
si.ns princières que nous avons menlionnées plus haut , ou
fucore par suite de consoUdalious de fiefs, de droits de sur-
vivance , de mariages , de traités de succession , etc. ; si ,
par conséipient, le nombre des seigneurs temporels de l'em-
pire se trouva considérablement diminué , et si , en revan-
che , l'étendue de certains territoires fut beaucoup aug-
mentée ; enfin siqiiehiucs tiimilles, telles que celles de Habs
bourg, de Wittelsbach et de Luxembourg, qui donnèrent à
l'Allemagne des rois et des empereurs , purent accroître
singulièrement leur puissance tant qu'on n'eut pas mstitué
l'indivisibilité des territoires et le droit de primogénilure ,
auxquels ne pouvait que très-imparfaitement suppléer l'u-
sage qui voulait que certains membres de ces Aunilles en-
trassent toujours dans l'état ecclésiastique, il ne put point
se fonner de puissance territoriale prépondérante, durable,
et il n'était pas rare de voir les héritiers d'une vaste prin-
cipauté bien moins puissants que de simples comtes à qui il
avait été donné de recueillir seuls l'héritage paternel. Mais
une fois que la Bulle d'Or de l'empereur Charles IV eut fixé
le droit de successibihté d'après l'ordre de primogéniture
dans celles des parties de l'empire auxquelles était attachée
la qualité d'électeur, on vit les diverses maisons souve-
raines imiter les unes après les autres cet exemple dans leurs
possessions héréditaires. Dans la Marche de Brandebourg ,
le droit de primogéniture ne fut introduit qu'en 1473. C'est
à cette époque aussi que l'on vit les États de l'empire les
plus faibles s'unir et se liguer entre eux, afin de pouvoir de
la sorte faire contre-poids aux grands États. Plusieurs siècles
toutefois s'écoulèrent encore pendant lesquels beaucoup de
maisons souveraines s'obstinèrent à persévérer dans l'antique
pratique de diviser leurs héritages , persuadées qu'il y allait
de leur grandeur et de leur éclat de compter le plus grand
nombre possible de membres investis d'une part d'autorité
souveraine et ayant droit de voter aux diètes. L'affaiblisse-
ment de puissance territoriale qui en résulta pour elles les mit
hors d'état de pouvoir profiter des circonstances favorables
grâce auxquelles , dans le cours des trois derniers siècles ,
d'autres maisons où n'existait plus la coutume des partages
ont pu s'élever à la puissance et à la hauteur où nous les
voyons aujourd'hui , par la sécularisation des biens ecclé-
siastiques , par des médiatisations , par une grande vigueur
de conduite dans toutes les querelles de successions , etc. ,
en général , en saisissant toutes les occasions possibles de
favoriser et d'assurer leurs agrandissements. La division de
l'Allemagne en cercles eût peut - être réussi à arrêter les
progrès ultérieurs de son incessant fractionnement politique,
si déjà dans les États territoriaux n'avait point existé à un
certain état de développement le germe de leur future in-
dépendance , de même que dans l'empire existait déjà aussi
le germe de sa complète dissolution ; d'où il résulta que cette
institution ne put pas produire les importants résultats que
son fondateur avait peut-être en vue. En effet, déjà à cette
époque , sous prétexte d'abolir le droit du plus fort et de
donner à la justice une meilleure organisation , le roi Al-
bert II songeait à donner une division plus naturelle à
l'Allemagne, qu'on se représentait alors comme composée de
quatre parties, sans avoir égard cependant aux diversités na-
tionales représentées à l'origine dans les duchés de nations
(yolksherzogthûmern), non plus qu'à la distinction existant
entre les peuples de droit saxon et de droit frank. La mort
l'ayant empêché de réaliser ses projets, l'exécution en fut
essayée à diverses reprises sous son successeur. Mais ce
fut Maxirnilien I" qui le premier, en l'an 1500, en sa-
chant faire respecter la paix du pays et prêter main-forte à
l'exécution des sentences prononcées par le tribunal de la
chambre impériale , réussit à établir, sous la présidence de
l'empereur ou de son représentant, un comité des États do
l'empire au nombre de quatorze, c'est-à-<lire composé de tous
les électeurs et de six députés à élire par six cercles insti-
tués à cet effet. Telle fiit l'origine de ce qu'on appela les six
DICT. DE LA CONVERS. — T. I.
anciens cercles de l'empire , ceux de Bavière , de Souabe ,
de Franconic, du Rhin, de Westphalie et de Saxe , lesquels
comprenaient tous les États réellement liés à l'empire, mais
dont par conséquent ne faisaient partie ni la Bohême , ni
la Savoie , ni la Suisse , ni la Prusse , ni la Livonie , etc. ,
à l'exception des domaines de la maison d'Autriche et des
électorals, parce que ceux-ci ne concouraient point à l'élec-
tion des six députés. En 1512 quatre nouveaux cercles fu-
rent créés pour ces derniers pays, à savoir : le cercle d'Au-
triche et le cercle de Bourgogne , pour les pays autrichiens
ainsi divisés à cette époque ; un second cercle du Rhin , dit
cercle du bas Rhin ou Rhénan électoral , pour les quatre
électeurs du Rhin, et un second cercle saxon, dit Saxon in-
férieur, pour la Saxe électorale et l'électorat de Branden-
burg, avec quelques territoires détachés de ce que jusque alors
on avait appelé cercle Saxon supérieur. La constitution mi-
litaire établie par l'empereur Charles-Quint sur la base de
cette division, encore très-défectueuse sous le rapport elhno-
gr-aphique, et étendue à des objets de pure police, tomba peu
à peu en décadence sous ses successeurs, jusqu'au moment
où elle disparut complètement avec le lien commun qui
jusque alors avait réuni toutes les parties de l'empire. Au-
jourd'hui encore il s'agit de savoir s'il sera possible d'or-
ganiser une institution assez semblable, mais répondant
mieux aux besoins de l'époque en même temps qu'ayant
pour base les conditions etimographiques et historiques , et
propre à transformer une confédération en un État fédéral
organique. Voyez l'article CoNFÉDÉnATioN Germanique.
Histoire.
Les Romains ne comprenaient pas seulement sous le noni
de Germanie l'Allemagne proprement dite, mais encore
le Danemark , la Norvège , la Suède , la Finlande , la
Livonie et la Prusse. La grande migration des peuples dé-
truisit cette antique Germanie, dont le nord de l'Allemagne
actuelle ne formait q\i'une faible partie. Des peuplades slaves,
venues d'Orient, refoulèrent les Germains jusqu'aux bords de
l'Elbe et de la Saale et jusqu'au?^ montagnes qui séparent
d'un côté la Bohême et de l'autre la Franconie et la Bavière.
De nouvelles invasions slaves contraignirent les Germains
à se jeter sur les provinces de l'empire d'Occident , puis à
le détruire lui-même. C'est au milieu de ces mouvements
que se constitua l'Allemagne méridionale de nos jours, sur-
tout les parties situées en deçà du Danube et du Rhin. La
vie romaine , qui s'y était acclimatée , y fut bientôt com-
plètement détruite à la suite de l'mvasion des Germains.
Mais cette nouvelle Germanie resta limitée au territoire
situé à l'est du Rhin ; et pendant longtemps encore on con-
tmua de comprendre dans la Gaule la contrée située à
l'ouest de ce fleuve, qui plus tard arriva à faire partie de
l'Allemagne. Cette nouvelle Germanie se constitua vers la
fin du cinquième siècle, mais sans porter encore alors la
dénomination A'AUemagne. Six nations différentes consti-
tuaient la plus grande partie de sa population, les Frisons,
les Thuringiens, les Franks, les Alemanset les
Bavarois. Il est bien remarquable que les destinées de
ces nations n'aient pas tardé à être décidées par un peuple
étranger, quoique également d'origine germaine, qu'on ap-
pelait les Franks Saliens. En soumettant successivement à
leurs lois les différentes peuplades germaniques fixées à
l'est du Rhin, les Franks Saliens opérèrent forcément leur
réunion extérieure et groupèrent ainsi les Germains en corps
de nation, en unité politique, qui auparavant n'avait jamais
existé dans la réalité. Mais la soumission des Germains
par les Franks Saliens ne s'opéra que très-lentement et peu
à peu. Elle commença dans les premières années du quatrième
siècle, et ne fut complète qu'au commencement du neuvième.
Les Saxons furent les derniers d'entre eux à accepter le joug;
et ce ne fut que de l'an 772 à l'an 804 que les Franks, com-
mandé; par Charlem agne, parvinrent à les dompter.
45
354 ALLEM
Tous les Germains dont est issue la na'.ioii allemande se
trouvèrent alors réunis, en ce sens qnc l'empire des Franks
les comprit tous sous son autorité. Ce furent aussi les Franks
qui introduisirent en Allemagne l'aristocratie féodale. Elle
dominait chez les Franks Saiiens même de la Gaule, et
ceux-ci Tintroduisirent parmi les peuples germains de l'est
du Rliin. Basée sur la grande propriété territoriale, cette
aristocratie féodale produisit deux effets principaux. D'a-
bord, elle limita considérablement le pouvoir de la royauté.
Déjà sous Charlcmagne sa puissance était telle, que le roi,
ou, comme il se fit appeler à partir de l'an 800, l'empereur,
ne pouvait rien entreprendre de quelque importance sans
son consentement. Sous les faibles successeurs de Charle-
raagni- la puissante de l'aristocralie s'acrrut si rapidement
que ce fut elle, et non plus la royauté, qui désormais cons-
titua réellemoutle pouvoir public. Un autre pouvoir que les
Franks Sàliens introduisirent au delà du Rhin, et qui se
rattachait d'ailleurs par une foule de points à l'aristocratie,
fut le haut clergé, composé des archevêques et des évéques.
A partir du sixième siècle les évoques étaient déjà en pos-
session, dans le royaume des Franks de la Gaule, de grands
fiefs, et faisaient ainsi partie de Taristocratie. Les souverains
franks, et notamment Cbarlemagne, en établissant l'Église
romaine en Allemagne, paraissent avoir agi sous remf)ire de
cette idée, que pour maintenir la nouvel'e foi religieuse parmi
les population-s germaines, encore grossières alors et à peine
an'achées au paganisme, il était nécessaire d'employer des
moyens temporels. Les nouveaux sièges épiscopaux furent
en conséquence dotés des fiefs les plus importants; et c'est
ce qui explique comme il se fit que dans l'empire d'Alle-
magne les prélats, à qui de nouvelles faveurs furent encore
constamment accordées, finirent par se trouver les membres
presque les plus puissants de la si puissante aristocratie.
Qu.uid les petits-fils de Ciiariemagne se partagèrent IVm-
piie des Franks, Louis, ordinairement appelé le Germanique,
reçut, a'ix termes du traité conclu à Verdun en 8'^'^, loul le
territoire situé à l'est du Rliin, et sur la rive gauche de
ce fleuve K's villes de Mayence, de Worms et de Spire
seulement. Cet État, qu'on peut déjà considérer corame
constituant un empire allemand , bien que longtemps en-
core après on le trouve désigné sous le nom de France orien-
tale ( Oxt-Franken), était compris au total entre le Rhin,
l'LIbe, la Saale et les montagnes du Bœhmerwald. Mais
dans les contrées voisines du Danube, les conquêtes faites
sur les Avares par Cbarlemagne l'avaient étendu jus-
qu'au Ra;ib, Du vaste territoire que l'Allemagne posséiiait
de ce coté à la fin du neuvième siècle, il s'en perdit beau-
coup à la suite de l'invasion des Magyares ; mais elle n'en
conserva pas moins aussi une bonne partie : ce furent les
contrées postérieurement désignées sons les noms d'Au-
triche, de Styrie, de Carinthie et de Carniole. Les Carlo-
viugiens qui régnaient à l'est du Rhin s'emparèrent en
core de la contrée appelée Lorraine ou Allemagne d'outre-
Rhin, et qui était un démembrement de l'ancienne Gaule.
Malheureusement leur race, dont les rejetons allèrent tou-
jours en s'affaiblissant davantage, ne subsista pas longtemps
encore après la conclusion du traité de partage de Verdun.
Louis le Germanique mourut en 876. Après sa mort, trois
royaumespàrticuliersseconstituèrent pendant quelque temps
en Allemagne : ceux de Saxe, d'Alemanie et de Bavière,
pour ses trois fils, Louis, Carloman et Charles. Dès l'an-
née 8S2 , ce dernier, surnommé le Gros , réunissait de
nouveau l'Allemagne sous ses lois, par suite de la mort
de ses frères, et en 884 toute la France elle-même. Ctlte
reconstitution de l'empire de Cbarlemagne était toutefois
plus apparente que réeib'. Kn 887, l'aristocratie déposa
Charles le Gros à la diète de Trihnr, et il y eut alors, à pro-
prement parler, deux empires d'Allemagne, l'un grand et
l'autre petit. Celui-ci se composait delà Suisse allemande
d'aujom-d'hui, où les seigneurs élurent l'un d'entre eux , le
AGNE
fomtc Rodolphe. Arnoulf, fils naturel de Carloman, fut
>'lu roi dans le grand empire. Il mourut en 899, après
ime vie assez insignifiante, dont le seul événement de quel-
que importance fut une victoire qu'il remporta en 891 sur
les >'ormands. Son fils alors encore en bas âge , Louis l'En-
fant , porta le litre de roi jusqu'au milieu de l'année 911 ,
épocpie de sa mort. Avec lui s'éteignit la race carlovin-
gienne en Allemagne.
Vers celte époque, la majorité de l'aristocratie, qui avait
alors jusqu'à un certain point pour chefs les ducs, semble
avoir conçu le plan de laisser la royauté et l'empire s'é-
crouler. Il y eut Ueu de procéder à une élection générale
d'un roi ; mais les grands de la province de Franconie y pri-
rent seuls part, et ils choisirent pour roi un des leurs, Con-
rad l^'', dont toutefois l'autorité ne fut pas reconnue dans
toutes les parties de l'Allemagne. A sa mort, arrivée en l'an-
née 919, les grands de la Saxe et de la Franconie élurent
pour roi Henri, duc de Saxe. Henri 1" rétabbt l'empire
à peu près dan» les limites qu'il avait eues sous les der-
niers Carlovingiens. Il eut fallu une politique d'une ha-
bileté consommée et le travail non interrompu de plusieurs
siècles pour détruire l'essence de cet empire carïovingien
avec sa constitution aristocratique , et pour le remplacer
par un empire véritablement national d'unité. Aucun des
rois de la maison de Saxe ne semble avoir eu l'énergie et la
prudence qui eussent été nécessaires pour arriver à un sem-
blable résultat. A la mort de Henri, arrivée en 936, l'empire
passa à son fils Otbon l''", qui en 962 obtint la cou-
ronne impériale. Indépendamment d'une victoire décisive
qu'il remporta, en 955, sous les murs d'Augsbourg sur les
Hongrois , victoire dont le résultat fut de délivrer à ja-
mais l'Allemagne des ravages de ces redoutables visiteurs,
l'empire et surtout le duché de Saxe furent sous son
règne considérablement agrandis sur les rives de l'Elbe et
de la Saale, par suite de la vigoureuse impulsion qu'il im-
prima à la guerre contre les Slaves , qu'avait déjà com-
mencée Henri \". Othon V mourut en 973. Ses deux succes-
seurs, Otbon II, qui régna jusqu'en 983, et Othon III, qui
régna jusqu'en l'an 1002 , sont d'une complète insignifiance
historique , et nous offrent un nouvel et frappant exemple
de cette fatalité qui semble condamner les grandes maisons
souveraines à périr et à s'éteindre dans la faiblesse et l'é-
tiolement complet de leurs derniers rejetons. A la mort
d'Olhon III , un collatéral de la maison de Saxe , le roi
Henri II , monta sur le trône. Ce prince ne se distingua
que par ses tendances monacales et par son complet as-
servissement au clergé, qu'il combla de richesses en même
temps qu'il ajoutait encore à sa puissance temporelle. Avec
lui s'éteignit en l'année 1026 la maison de Saxe, pour faire
place à la dynastie franke ou salienne. Consultez Ranke,
Annales de. l'Empire d'Allemagne soiis la maison de
Saxe ( en allemand ; Berlin, 1837-1840 ).
Le roi Conrad II fut le premier souverain de la race
salienne, laquelle occupa le frône pendant un siècle entier.
Déjà sous Othon V l'Italie avait été réunie à l'Allemagne;
Conrad II en fit autimt de la Bourgogne, dont une très-pe-
tite partie seulement était allemande. Mais la souveraineté
ainsi acquise par des rois allemands sur des territoires ita-
liens et français , surtout en ce qui est de cette dernière ac-
quisition, ne fut guère jamais que nominale. D'ailleurs Con-
rad II témoigna de la ferme volonté de mettre des digues à
toute nouvelle usurpation de puissance de la part de l'aris-
tocratie ; mais les efforts qu'il tenta à cet effet jusqu'à sa
mort, arrivée en 1039, restèrent à peu près sans résultats.
Son fils et successeur Henri III fit encore plus explicite-
ment connaître quelles étaient ses idées à l'égard de l'aris-
tocratie ; mais sa main de fer et son énergie furent elles-
mêmes impuissantes à triompher d'abus trop profondément
enracinés. Henri III mourut en 1056, et la couronne passa
à son fils Henri IV, alors encore en bas âge. Sous le r^e
ALLEMAGNE
355
de ce prince s'éUiblit, à partir de rannée lOTô, une lutte aussi
violeuto que liocisive entre la royauté et raristocratie, soit
que Henri IV eut véritablement conçu le projet de forcer
l'aristocratie à se soumettre à son autoiité souveraine, soit
que l'aristocratie soupçonnât l'existence de pareilles inten-
tions dans l'esprit de ce monarque. Ce fut le pape Gré-
goire VII qui alluma ce vaste incendie, dans l'espoir de
faire reconnaître et admettre dans l'empire , au milieu de
la confusion générale qu'il causerait, son décret relatif aux
investitures. La mort de Henri, arrivée en IlOG, n'apporta
elle-même qu'une courte interruption à cette effroyable lutte,
qui recommença sous son fils et successeur Henri V, pour
durer jusqu'à la mort de ce prince , quoique avec une
énergie moins sauvage. La race royale de la maison de
Franconie s'éteignit en 1125, avec Henri V. Le plan dont
c^tte maison semble, à partir surtout du règne de Henri III,
avoir poursuivi la réalisation à l'effet d'arriver à anéantir
l'aristocratie dans la forme qu'elle avait alors , avait com-
plètement écboné , et à l'extinction de la race salienne l'a-
ristocratie semble avoir exercé une puissance plus étendue
que jamais par ses principaux représentants , les ducs , les
margraves , les comtes , les arcbevéques et les évêques. Elle
était parvenue à se faire attribuer comme propriété hérédi-
taire ce qui précédemment avait été considéré comme fonc-
tion d'origine royale, et elle avait usurpé les domaines
royaux avec une grande partie des revenus royaux. A côfé
de la grande aristocratie , il s'en était en outre formé une
moindre qui, retranchée dans ses châteaux, opprimait les po-
pulations des pays de plaines; et à ce moment la liberté
n'eut plus d'autre refuge que dans les villes, dont l'impor-
tance et la prospérité toujours croissantes datent de cette
époque. Consultez Stenzel, Histoire de l'Allemagne sous
les empereurs de la maison de Franconie ( Leipzig, 1 828 ) ;
et Gervais, Histoire j)oiitiqt(e de l'Allemagne sot(s le
règne des empereurs Henri V et Lothaire III ( 2 vol.,
Leipzig, 1842 ).
A partir du moment où s'éteignit la maison de Fran-
conie , on peut considérer l'Allemagne comme un véritable
royaume électif dont disposait la haute aristocratie. Le roi
Lothaire, delà maison de Sup'.inbourg , précédemment
duc de Saxe, mort dès l'année 10;39, ne fit sur le trône
royal de l'Allemagne qu'une fugitive et assez insignifiante
apparition. Mais les cent vingt années qui s'écoulèrent en-
suite eurent une grande importance sur l'assiette que l'Alle-
magne arriva à se donner. La célèbre maison de Hohens-
taufen monta sur le trône avec Conrad III. Si ce prince
n'est guère remarquable dans l'histoire que parce qu'il fut la
souche de sa famille en même temps tpie le premier em-
pereur qui organisa une croisade , en revanche l'empereur
Frédéric Barberousse, qui régna à partir de l'an 1152,
' st une figure historique de la plus grande importance. La fa-
liiille de Hohenstaiifen semble avoir compris de bonne heure
que vouloir fonder en Allemagne une souveraineté véri-
table , à l'instar de celle qui commençait à s'établir alors
en France , é!ait une entreprise entourée de beaucoup trop
de difficultés. Elle jeta dès lors son dévolu sur l'Italie, et,
dans l'espoir de parvenir à se constituer un véritable em
pire , l'empereur Frédéric engagea une lutte acharnée contre
les villes lombardes. A partir de ce moment, l'Allemagne
fut en quelque sorte abandonnée à elle-même par ses rois et
par ses empereurs ; et son aristocratie , qui dès lors visa à
jouir d'une autorité souveraine et princière, n'eut plus
d'obstacle qui gênât son ambition. L'empereur Frédéric ,
après avoir échoué dans ses efforts contre l'Italie, trouva
la mort enCilicie, en 1190, pendant une croisade qu'il avait
entreprise. Son fi!s Henri VI hérita pour lui et sa famille
du royaume héréditaire d'Apulie (Naples), et mourut en
1197. Philippe de Souabe, son frère, obtint bien les voix
de quelques seigneurs; mais d'autres princes élurent pour
roi Othon IV, de la maison des Guelfes. La lutte entre ces
deux rois se termina en 1208, par Fassassinat de Philippe.
Mais Othon IV n'occupa pas le trône pendant longtemps ,
car il en fut expulsé dès l'an 1212 par Frédéric II, fils
de Henri VI. L'Italie excita encore bien autrement la con-
voitise de Frédéric que celle de ses aïeux. Désespérant, sui-
vant toute apparence , de pouvoir jamais parvenir à établir
en Allemagne un véritable pouvoir royal , et afin de se créer
de la sorte des appuis dans sa lutte contre l'Italie , il accrut
tellement la puissance de la haute aristocratie , qu'on en vit
les principaux membres devenir alors peu à peu de véritables
princes. Frédéric II ne fit que de rares et courts séjours en
Allemagne. Il avait laissé parmi les Allemands l'un de ses
fils comme vice-roi. Ce fut d'abord son aîné , Henri ; et
quand celui-ci , après l'avoir trahi , eut été vaincu et fait
prisonnier, ce fut, à partir de 1236 , le plus jeune , désigné
dans l'histoire sous la dénomination de roi, Conrad lY.-
iMais ces fils ne purent non plus rien faire en Allemagne
qui contribuât à y fonder un véritable empire , et il semble
môme que jamais pareil projet ne leur vint à l'esprit.
Quant à Frédéric II, ses efforts pour se créer une souverai-
neté solide en Italie l'entraînèrent dans la lutte la plus san-
glante non-seulement avec les Guelfes , mais encore avec
le saint-siége, qui de tous les États souverains de l'Italie était
celui qui voulait le moins entendre parier de la création
d'un grand empire italien. Au synode tenu à Lyon en 1246,
le pape Innocent IV lança môme contre Frédéric II les
foudres de l'excommunication et fit prêcher en Al'emagne
ainsi qu'en Italie la révolte contre les Hohenstaufen, comme
un devoir auquel les fidèles étaient tenus à l'égard de l'É-
glise. Il en résulta dans l'un et l'autre de ces pays la plus
effroyable des confusions, au milieu de laquelle Frédéric II
mourut en Italie, en 1250. Comme Conrad lY se trouvait
dans l'impossibilité de se maintenir plus longtemps en Alle-
magne , il accourut l'année suivante en Italie pour s'y con-
server tout au moins le royaume héréditaire de >'a])!cs, dont
le saint-siége était en train de s'emparer. Mais Conrad IV
y mourut dès l'année 1254; et son fils, C on radin, duc
de Souabe", qui en 1268 abandonna l'Allemagne à l'effet
de veair recueillir son héritage d'Italie , ne tarda pas non
plus à y succomber. Avec lui s'éteignit la maison de Ho-
henstaufen , dont les membres avaient fini par constituer
une fiimille bien plus italienne qu'allemande.
L'époque comprise depuis les dernières années du règne
de Frédéric II Jusqu'à l'avènement du trône de Rodolphe
de Habsbourg fut pour l'Allemagne une période de transi-
tion, pendant laquelle la puissance royale, quoiqu'elle allât
toujours en s'affâiblissant , dem.eurée jusque alors au total
celle qu'avaient exercée les Carlovingiens , perdit complète-
ment ce caractère pour faire place au nouveau pouvoir qui
devait désormais dominer dans l'empire, à la puissance des
princes , puissance dont la formation et les progrès furent
d'ailleurs insensibles. C'est cet intervalle que l'histoire dé-
signe sous le nom d'interrègne , parce que les rois qui à
ce moment-là occupèrent le trône d'Allemagne firent tous
preuve de la plus complète nullité. Ces rois furent Henri
Rasjje, landgrave de Thuringe, opposé en 1246 à Frédéric II
par les princes ecclésiastiques ; Guillaume de Hollande, qui
régna jusqu'en 1256; Alphonse X, roi de Castille , et
Richard, comte de Cornouailles, élus à la mort de Guillaume,
l'un par une partie des princes , l'autre par le reste d'entre
eux. C'est la confusion extrême, résultat de cette période de
transition, qui explique plusieurs faits particuliers de l'his-
toire de ce temps-là : par exemple, l'origine des cours vcli-
miques ou de la Sainte-Vehme, de la Hanse et de la
ligue des villes du Rhin. L'absence d'un droit universel et
de tribunaux universels se fit alors plus particulièrement
sentir, quoique Frédéric II eût institué une m;'gistrature dé-
signée sous le nom de justice aulique, et chargée de faire
respecter la juridiction suprême de l'empereur. L'absence
de tout ordre et de toute sécurité dans les tribunaux fut-
45.
866
cause qu'on vit alors se réveiller avec une nouvelle fureur
l'antique coutume germaine des guerres privées. Tendant
deux siècles tout entiers l'empire fut constamment en proie
aux désordres les plus affreux et le théâtre d'assassinats ,
de brigandages et d'incendies toujours renaissants, sans
que les efforts tentés pour y mettre un terme par quckiucs
princes énergiques, entre autre<s par Rodolplic V, pns.*cnt
lesempôdier, même moinenlanéinent.
L'interrègne finit à l'accession au trône de Rodolphe I",
comte de Habsbourg, élu en 1273, après la mort de Ri-
chard, roi et empereur des Allemands. II est impossible de
ne pas reconnaître que de ce règne date dans l'histoire de l'Al-
lemagne une ère nouvelle, encore bien qu'il ne soit pas très-
facile de tracer bien exactement la ligne de démarcation qui
la sépare de l'ère précédente. A partir de ce moment la
puissance impériale ne fut plus guère qu'une ombre, qu'un
grand souvenir ; et l'empereur, quoique le siècle n'eilt point
à cet égard d'idées bien arrêtées, ne fut plus que le chef de
la grande aristocratie de l'empire, composée essentiellement
de princes temporels ou spirituels, mais en partie aussi d'un
certain nombre de grandes villes, ou plutôt de leurs magistrats,
ayant peu à peu obtenu le droit d'assister aux diètes et d'y
voter. Des assemblées d'états provinciaux avaient déjà com-
mencé sous le règne des Hohenstaufen à se constituer sur les
territoires des diffé.'-ents princes. Ces assemblées limitèrent
l'autorité exercée par les princes sur leurs territoires respec-
tifs, tout comme les diètes des princes avaient mis des bornes
à l'exercice de l'autorité impériale dans l'empire. L'établis-
sement d'innombrables souverainetés indépendantes est le ca-
ractère principal de cette époque. Dans toutes les affaires la
nation dut obéir aux influences les plus opposées; mais quel-
quefois aussi il lui arriva d'être complètement abandonnée
à elle-même. Les suites d'un tel état de choses furent le
développement déplus en plus énergique de lindividualisone,
dont témoignèrent et la prospérité toujours croissante de
tant de villes, et la conquôle de la Prusse, entreprise et ache-
vée dans la période des Hohenstaufen par les chevaliers
del'ordre Teutonique, tandis que d'un autre côté le sen-
timent de la nationalité, de la généralité des intérêts , s'af-
faiblissait toujours davantage dans les cœurs. L'cmpcrcnr
Rodolphe s'efforça avant tout de mettre un terme aux bri-
gandages des guerres privées, tout en sachant mettre à pro-
fit son pouvoir impérial afin de fonder dans son propre in-
térêt et dans celui de sa maison une grande puissance
liéréditaire. La victoire qu'il remporta en 1278 sur Ot-
locar, roi de Bohême , lui offrit à cet effet une occasion
des plus favorables, attendu qu'elle valut en 12â2 à sa
maison l'acquisition de l'Autriche, de la Styrie et de la
Carniole, auxquelles vinrent se joindre, environ une dizaine
d'années plus tard , le Tyrol et la Carinthie. Rodolphe 1"
mourut en 1291. Les électeurs, entre les mains de qui seuls
le droit d'élire l'empereur avait fini par tomber, étaient peu
disposés à favoriser la politique de plus en plus évidente
de la maison de Habsbourg, et consistant à ne briguer le
litre et le pouvoir de roi que pour l'employer à son agrandis-
sement. Au lieu donc d'élire encore un Habsbourg, ils choi-
sirent le comte Adolphe de Nassau. Celui-ci ayant
voulu suivre les traces de Rodolphe , les princes lui oppo-
sèrent le propre fils de Rodolphe, Albert l'"', dont l'an-
tagonisme amena aussi, en 1298, la ruine conq)lète d'Adolphe.
Albert r' se montra encore plus avide de liciiesses et d'a-
grandissements territoriaux que son père, et ses violences
provoquèrent la création de la Confédération suisse. Quand
son neveu, Jean de Souabe, l'eut assassiné, les électeurs rc-
noi'.cèrent encore une fois à la maison de Habsbourg , et
élurent Henri, comte de Luxembourg. Henri VII obtint
pour son fils et sa famille la couronne royale de Cohême, et
envaliil ensuite i'itahe pour y tenter ce qui avait si mal
réussi aux Hohenstaufen ; mais il y trouva la mort en 1313,
empoisonné peut-Otre par une main itahenne. La nouvelle
ALLEMAGNE
élection à laquelle il fallut alors procéder amena la division
parmi les électeurs : les uns donnèrent leurs voix à Louis ,
duc de la haute Bavière ; les autres, à Frédéric le Beau, duc
d'Autriche. De là une longue et sanglante lutte qui se termina
au profit de Louisle Bavarois. C'est sous son règne que
la papauté, dont le siège était alors à Avignon, fît sa dernière
tentative de quelque importance pour se constituer dans l'em-
pire d'Allemagne une puissance temporelle immédiate , en
prétendant y exercer le droit de directe. Louis le Bavarois,
pour avoir combattu une telle prétention, fut d'abord excom-
munié, puis déposé par le pape. IMais il en résulta en 1 338 une
résohition solennelle prise à Rense par les électeurs et les
états de l'empire, qui déclarèrent alors que le pape n'avait
aucun droit de se mêler de l'élection du roi des Allemands,
et que sous le rapport temporel l'empire d'Allemagne était
complètement indépendant du saint-siége. Jlalgré cela, il
est vrai, le pape n'en réussit pas moins, en 1346, à déter-
miner quelques princes à élire empereur Charles dCiMoravie,
devenu la môme année roi de Bohême , par suite de la mort
de son père Jean ; mais avant que la lutte s'engageât Lien
sérieusement entre lui et Louis , ce dernier mourut en 1347.
Charles IV ne parvint pas cependant aussitôt à se trouver
seul maître du trône; car les fils de Louis lui opposèrent
comme anti-roi un petit prince, le comte Guntherde Schwarz-
bourg. Le brave Gunther abdiqua en 1349, et mourut à quelque
temps de là. Jamais empereur n'avait encore autant que
Charles IV fait exclusivement servir son pouvoir à l'agrandis»
sèment particulier de sa maison. Accroître encore et faire fleu-
rir son royaume de Bohème, qui maintenant comprenait la
Jloravie, la Silésie et la Lusace, fut le but principal des efforts
de toute sa vie , et il ne s'inquiétait du reste de l'Allemagne
qu'autant que les intérêts particufiers de sa famille lui en fai-
saient une inévitable néces.sité. C'est aussi dans cette inten-
tion qu'en 1356 il publia la célèbre Bulle d'or, qui concéda
aux sept électeurs de ]Mayence , de Trêves, de Cologne , de
Bohême, du Palatinat, de Saxo et de Brandebourg le droit
exclusif d'élire les empereurs, le droit de co-souveraineté dans
l'empire, et enfin ce qu'on appela le Ji<s de non appellando.
Cette mesure fut surtout prise pour le cas où la maison de
Luxembourg viendrait à perdre encore une fois le trône im-
périal, et où il fallait dès lors que cette famille, qui po;-
sédait deux électorals, ceux de Bohême et de Brandebourg ,
demeurât autant que possible souveraine et indépendante. A
la mort de Charles IV, arrivée en 1378 , la dignité impériale
passa à son fils Wenceslas. Celui-ci, par suite de la tor-
peur naturelle de son esprit , comme aussi des troubles qui
éclatèrent alors en Bohême à l'excitation de Jean H us s et
de l'esprit turbulent dont était animée la noblesse, ne put
guère se mêler des affaires intérieures de l'empù-e. A ce moment
l'Allemagne était sur le point de se dissoudre pour former
une chaîne particulière de fédérations et de confédérations.
Un violent antagonisme qui s'établit entre les fédérations des
villes du sud et du centre de l'empire ( Ligue des villes du
Rhin et de Souabe ) et la fédération des princes de ces mêmes
contrées , provoqua une lutte qui se termina en 1382 d'une
manière malheureuse pour les villes, et empêcha ainsi la dis-
solulion complète de l'empire de s'opérer. En 1400 Wences-
las fut déclaré déchu de ses droits par quelques princes de
l'empire; mais jusqu'à sa mort, arrivée en 1419, il n'en
continua pas moins de porter le titre de roi des Allemands.
Robert du Palatinat, élu à sa place, fut un prince tout à
fait insi^niliant. A la mort de Robert , arrivée en lilO,
une partie des princes élurent pour empereur le frère de
Wenccslas, Sigismond, roi de Hongrie, tandis que les
autres donnaient leurs suffrages à Jobst de Moravie , cou-
sin de Wenccslas. Jobst mourut dès l'an 1411, et Sigis-
mond se trouva en fait le seul roi. Mais les temps où il
vécut furent troublés par les plus violents orages. Le sy-
node tenu à Kostnil/. et le pape avaient condanmé Huss à
être brillé \ if, anathèmatisé ses doctrines et déclaré héré-
ALLEMAGNE
tiques ceux qui les partageaient. Sigismond , qui h la mort
de Wenccslas éleva des prétcnlions au trùuc de lîohi>mc ,
fut repoussé par les Imssites exaspérés , et en 1 i20 le pape
prêcha formellement la croisade contre ces sectaires. L'em-
pire d'Allemagne se trouva donc entraîné , d'une part par
l'Église, de l'autre par Sigismond, dans une guerre contre les
hussites , qui fut d'autant plus sanglante que ce n'était au
fond qu'une guerre de religion. Cette guerre fournit la
preuve manifeste de la faiblesse des Allemands toutes les fois
qu'ils voulaient agir comme puissance unie , attendu que
rien dans l'organisation de l'empire ne se prétait à un tel
but. L'empire n'en réussit pas moins pourtant, non point, il
est vrai , par l'emploi des forces allemandes, mais par d'au-
tres moyens, à anéantir en très-grande partie la réformation
religieuse tentée en Bohème et à assurer à Sigismond le trône
de cette contrée. /
La maison de Luxembourg s'éteignit en 1347 en la per-
sonne de Sigismond. Albert II, duc d'Autriche, monta
aloî-s sur le trône ; mais il mourut dès l'an 1439. Il eut
pour successeur un autre Habsbourg, l'empereur Frédé-
ric m, sous le règne duquel la diète de l'empire se divisa
en ce que l'on appela les trois bancs des électeurs , des
princes et des villes. On s'y occupa aussi des mesures à
prendre pour arriver à la complète abolition des guerres
privées et à l'établissement d'une paix perpétuelle dans
l'empire. La maison de Habsbourg obtint encore du vivant
même de Frédéric III, par le mariage de son fils Maximi-
lien avec .Marie de Bourgogne, la possession des provinces
des Pays-Bas, agrandissement qui ne laissa pas que d'exer-
cer une grande influence sur les affaires intérieures dé
l'empire. Après un long règne, Fré>léric abandonna, en 149,'),
la couronne impériale à son fils Max i mi lien F^ Ce
fut sous le règne de ce prince qu'en 1495, à la diète tenue
à W'orms, on décida, après de longs débats, qu'il fallnil
absolument mettre un terme au\ guerres privées, et que
les personnes ne relevant pas immédiatement de l'autorité
impériale seraient justiciables des tribunaux locaux, tandis
que ceux qui en relevaient immédiatement, c'est-à-dire les
princes et les États, seraient justiciables d'un tribunal auli-
que de l'empire qu'on créerait à cet effet. X di\ erses repi i-
ses d'ailleurs on proposa dans les dièîes d'aviser aux moyens
d'organiser un gouvernement commun à tout l'empire.
En cela la pensée des princes et des États était évidejument
d'arracher ainsi à l'empereur la puissance qui hii restait
encore, et d'organiser une manière de gouvernement repré-
sentatif ou d'États : aussi Maximilien combattit-il toutes
les propositions faites dans ce sens. Le gouvernement de
l'empire ne fut vérita'olcmcnt établi qu'en 1520, après la
mort de Maximilien; mais il ne fonctionna que pendant
très-peu de temps. L'événement le plus remarquable du
règne de Maximilien fut l'apparition sur la scène politique
de Luther, apparition qui eut lieu seulement dans les
dernières années de la vie de ce prince. L'empereur Ma^^i-
milien mourut au commencement de 1519; au mois de
juillet de la même année, son petit-fils , Charles I"" comme
roi de Caslille, et Charles-Quint comme empereur
d'jUlemagne , fût élu pour le remplacer. Une des raisons
qui déterminèrent ce choix fut le besoin qu'on éprouvait
dans l'empire d'une protection suffisante contre les progrès
toujours croissants de la puissance des Turcs; et cepen-
dant , d'un autre côté , c'était là une élection devant la-
quelle devaient à bon droit hésiter les princes, les états
et les villes de l'empire , en songeant que Charles, prince
disposant de vastes possessions territoriales , pouvait tout
aussi bien employer ses ressources et ses forces à accroî-
tre encore la puissance impériale et à soumettre à son au-
torité suprême les princes et les états de l'empire. Ils
cherchèrent donc à se mettre à l'abri d'un tel danger en
imposant des conditions et des prestations de serment au
prince sur lequel ils arrêtaient leurs suffrages; et c'est ainsi
357
qu'on soumit à Charles-Quint la première capitulation
d'élection (wahlcapitulalion). Des nombreuses pos-
sessions territoriales dont il hérita, Charles-Quint ne se
réserva que l'Espagne, l'Italie et les Pays-Bas; en 1522 il
céda à .son frère cadet. Ferdinand, ses États allemands, à
savoir l'^'ilriciie, la Slyric, la Carniole, la Carinthie, !e
Tyrol et la lîifse Auliiciio. Il se posa de bonne heure
en adversaire décidé de la réforraation, qui chaque jour
menaçait de s'étendre et de se consolider davantage; et il
l'eût volontiers étouffée, si les nombreuses guen-es qu'il eut
à soutenir, tantôt avec la France, tantôt avec le Turc, lui en
eussent laissé le temps elles moyens. Les protestants, pres-
sentant les intentions de l'empereur, conclurent pour leur
défense mutuelle la ligue de Schmalkalde . Par les vic-
toires qu'il remporta en 1546 et 1547, l'empereur réussit, il
est vTai , à la dissoudre ; et il s'efforça ensuite, au moyen
de ce qu'on appela l'Intérim, à préparer les voies aux_
protestants pour rentrer dans le giron de l'Église romaine.
Mais Maurice de Saxe et ses alliés, qui faisaient cause
commune avec la France, ennemie jurée de l'empereur, con-
traignirent l'empereur, contre toute attente, à abandonner les
projets qu'il avait conçus et à signer à Passau , en 1552 , un
traité de paix préliminaire. A partir de ce moment Charles-
Quint renonça complètement à se mêler des affaires de l'Al-
lemagne, et chargea de ce soin son frère Ferdinand, qui dès
l'an 1J32 avait reçu le titre de roi des Romains. Pendant
que se préparait la paix de religi o n, conclue en 1555,
Charles-Quint resta complètement étranger aux négcciaiions
qui la précédèrent. Au moment même de la signer on re-
çut dans l'empire la nouvelle de son abdication , et son
frère, Ferdinand I", monta alors sur le trône impérial.
La conclusion de la paix de religion de 1555 termina en
quelque sorte le premier acte des événements dont la ré-
formation fut pour l'Allemagne la cause déterminante. On a
souvent prétendu que de la réformation datait l'affaiblisse-
ment de l'Allemagne, attendu qu'elle avait partagé la
nation en deux camps ennemis, les protestants et les catho-
liques. C'est là une assertion qui manque de vérité. La
scission fut bien moins le résultat de la réformation que de
la résistance opposée à ce mouvement et des efforts faits à di-
verses époques pour le comprimer violemment dans une grande
partie de l'Allemagne. En effet , au milieu du seizième siècle,
la plus grande partie, sans contredit, de la nation avait en
toute liberté accepté la reformation. L'unité religieuse de la
nation se trouvait là où une incontestable majorité avait
adopté ce changement. La minorité restée catholique, et
qui ne resta telle que parce qu'elle y fut contrainte par les
princes, n'eût point tardé à se rallier à la majorité, si le
catholicisme romain n'avait pas conservé une grande force
dans l'empire par celte circonstance que la majorité des
princes demeura catholique. Que si deux seulement des plus
puissants princes temporels de l'Allemagne , les souverains
de l'Autriche et de la ]]a\ière, demeurèrent fermement at-
tachés au catholicisme, tandis que les autres embrassaient
les doctrines de Luther, la plupart des archevêques et des
évèques restèrent fidèles à la religion catholique; fait d'une
importiuice extrême, attendu que ces prélats étaient en même
temps souverains temporels. Lors de la conclusion de la
paix de religion , il avait été stipulé , par une clause con-
nue sous le nom de reservatum ecclesiastïcum,
qu'à moins d'encourir la perte de leurs principautés tem-
porelles, les princes ecclésiastiques catholiques ne pour-
raient point embrasser le protestantisme. La paix de religion
n'eut pas plus tôt été conclue que les jésuites se jetèrent
sur l'Allemagne. Aiguillonnés par eux , les princes , sur-
tout les princes catholiques ecclésiastiques , employèrent
toute leur puissance à essayer ce qu'on appela la conîre-
réformation , et (jui consistait à forcer les fidèles à rentrer
dans le giron de l'Église catholique. On doit en outre dé-
plorer non-seulement que de nombreuses querelles inté-
3r,8 ALLEM
rioures soient venues déchirer l'Éj^lisc protestante, mais
encore qu'à côté de la réformation luthérienne, c'est-à-
dire de la réformation vraiment nationale en Allemagne, la
réformation franco-suisse se soit également introduite dans
le pays, et s'y soit fait un grand nomhre de partisans,
parce que cette division eut nécessairement pour résultat
d'affaiblir l'ensemble de ce mouvement religieux. Les nou-
veaux rapports de l'Allemagne commencèrent à se former
à la mort de l'empereur Ferdinand I" , arrivée en i56'<. Les
possessions héréditaires de la maison de Habsbourg pas-
sèrent alors à ses fils , qui créèrent diverses lignes collaté-
rales, dont la réunion ne put ensuite s'effectuer que sous le
règne de l'empereur Léopold. L'empereur Maximilien II
semble avoir personnellement été très-bien disposé en
faveur des protestants. H accorda en effet à ceux de la
Bohême et de r.\utriche la liberté presque complète de con-
science; tolérance qui eut pour résultat de faire faire au
protestantisme des progrès aussi rapides qu'extraordinaires
dans tous les États autrichiens. Mais ^laximilien II ne vé-
cut que jusqu'en 1576. Son fils et successeur, Rodol-
phe II, suivit vme politique diamétralement opposée. Les
efforts anti-protestants de cet empereur, à la cour de qui le
parti des jésuites acquit de nouveau une prépondérance
marquée, n'eurent cependant d'une part d'autre résultat
que de contraindre l'empereur en 1C09 à confirmer solen-
nellement, par ce qu'on appela lettre de majesté, les liber-
tés précédemment concédées à la Bohème; mais dans l'em-
pire d'.\llemagne ils inspirèrent aux protestants le soupçon
qu'ils seraient attaqués par les catholiques au jour et à
l'heure que ceux-ci croiraient favorables : quelques inci-
dents , notamment la manière dont on en agit avec la petite
ville impériale de Donauwerth, l'indiquaient. En conséquence
plusieurs princes et États de l'empire conclurent en 1G08 une
union à laquelle les catholiques de leur côté opposèrent une
nnion ou ligue. L'assassinat de Henri IV, roi de France, qui
venait d'accéder à cette union, eut pour résultat de retarder
la lutte pour quelque temps encore. Sur ces entrefaites , l'em-
pereur Rodolphe II vint à mourir, en 1G12, et son frère Ma-
thias fut élu à sa place. Sous le règne de ce prhice la si-
tuation de l'Allemagne continua d'être toujours plus tendue.
11 n'y avait pas seulement lutte entre le catholicisme et le pro-
testantisme, mais encore au sein larme du protestantisme,
où les luthériens et les calvinistes persistèrent à méconnaître
leur intérêt commun en présence du catholicisme. Les po-
pulations de la Bohême se révoltèrent contre la maison de
Habsbourg, dans la crainte que celle-ci ne voulût point lais-
ser la lettre de majesté en vigueur pendant le temps pro-
mis. L'empereur Mathias mourut en 1619, au moment où
ce conflit venait d'éclater; et celui des membres delà famille
de Habsbourg qui était animé du zèle le plus ardent pour
les intérêts du catholicisme romain , et qui avait adopte
tous les principes des jésuites, parvint à se f;urc élire em-
pereur et roi.
Appuyé parla ligue, l'empereur Fcrdi nand Ileut à peine
comprimé en 1620 l'insurrection de la Bohême, qu'on le ^^t
essayer de mettre à exécution un double plan. Il s'agissait
pour lui d'anéantir de vive force la réformation , et de pro-
fiter de cette révolution pour accroître et élever encore
davantage la puissance de la maison de Habsbourg. En ce
qui est du premier de ces plans, les moyens les plus vio-
lents furent employés pour le mettre à exécution dans les
États héréditaires autrichiens, notamment entre les années
1622 et 1628 ; de sorte que toutes traces de la réforination
y disparurent à peu près complètement. La terrible guerre
de Trente Ans éclata dans le reste de l'Allemagne, où
elle causa les plus horribles dévastations et dévora près de
la moitié de la population. Les puissances voisines ne pou-
vaient voir d'un œil indifférent les modilication.< profondes
que l'empereur Ferdinand se proposait de faire subir à l'état
de l'Allemagne. La France envisagea le côté politique de la
AGNE
question , tandis que la Suède n'en eut en vue que le côté
religieux, encore bien queGustavc-.\dolphe, qui apparut
en .Mlemagne en 1630, semble avoir eu aussi, du moins
à une époque postérieure, des arrière-pensées politiques. La
mort de Gustave-.\dolphe , arrivée en 1632, délivra Ferdi-
nand II d'un immense danger; l'assassinat de Wallens-
tein , en 1634, le débarrassa d'un non moindre péril, celui
de se voir détrôner par le général de ses armées, par l'ins-
trument même dont il s'était servi pour exécuter ses plans.
Une fois que la France et la Suède avaient dû intervenir dans
les affaires de l'Allemagne, il ne pouvait qu'être extrêmement
diflicile d'empêcher désormais ces puissances de peser dans
la balance des destinées de ce pays. Cependant, après la vic-
toire remportée par Ferdinand II, en 1G3'», dans les plaines
de Nordlingen , il eût encore été facile de faire la paix avec
la Suède. L'empereur conclut bien, en 1635, avec la Saxe la
convention de Prague, par laquelle il sembla renoncer à ses
projets contre le protestantisme ainsi que sur l'Allemagne ;
mais comme une partie des protestants persistait à se dé-
fier de l'empereur, et comme la France, par des motifs
égoïstes, désirait la continuation de la guerre, on ne put
point parvenir à une pacification générale. Ferdinand II
mourut en 1637, et eut pour successeur son fils Ferdi-
nand III, sous le règne duquel fut enfin conclue la paix
de Westphalie, aux termes de laquelle la paix de reli-
gion de 1555 fut renouvelée et le bénéfice de ses prescrip-
tions étendu aux calvinistes. C'est à la conclusion de la paix
de Westphalie que l'histoire de l'Allemagne cesse, à pro-
prement parler, d'être une unité. Il ne restait plus de l'em-
pire que le nom , et ce ne fut que bien rarement qu'il lui
fut encore donné de jouer un rôle de quelque réalité. Par
suite de l'hostilité et de la scission existant toujours entre les
catholiques et les protestants, les princes cessèrent désor-
mais d'assister régulièrement aux diètes. En 1663 on éta-
blit la diète perpétuelle à Ratisbonne , et les princes , au
lieu d'y assister en personne, s'y firent représenter par leurs
envoyés. L'Allemagne , en raison de ce fractionnement, qui
réagit même à ce point sur le sentiment national de ses
habitants qu'il l'effaça presque complètement, devint alors
une arène dans laquelle se débattirent la plus grande partie
des intérêts de l'Europe. Une circonstance qui contribua
singulièrement à un tel résultat, ce fut que tant de grandes
races princières allemandes possédassent en même temp-,
des trônes étrangers, ou bien qu'elles en héritassent. C'est
ainsi qu'en 1697 l'électeur de Saxe montait sur le trône de-
Pologne, tandis que l'électeur de Brandebourg prenait en
1701 pour la Prusse le titre de roi, et que le duc de Bruns-
wick-Luneboiirg , élevé à la dignité d'électeur en 1692 ,
était appelé en 1714 à occuper le trône d'Angleterre. La
tranquillité dont il fut donné à l'Allemagne de jouir après
les dévastations de la guerre de Trente Ans ne fut pas de
longue durée. L'empereur Fadinand III mourut en 1657,
et son successeur Léopold P", indépendamment de ses
luttes contre les Turc-, eut encore à soutenir contre la
France la guerre de la succession d'Espagne, dans laquelle
l'empire prit le parti de l'empereur, tandis que les électeurs
de Bavière et de Cologne embrassaient celui de la France.
Cette guerre, non moins sanglante et accompagnée d'égales
dévastations, durait encore lorsque les affaires du ^■ord at-
tirèrent en 1706 les Suédois en Saxe. Léopold l" , mort
en 170,'), ne vit pas se terminer la guerre de la succession
d'Espagne, son fils Joseph I'^'', non plus; et c'est seule-
ment à son fils Charles VI qu'il fut donné de la finir,
par la paix de Bade, de 1714.
L'intervalle qui s'écoula depuis cette époque jusqu'à l'ap-
parition de Frédéric le Grand sur la scène politique peut
être considéré comme la période de la plus conij)!ète annu-
lation de l'Allemagne ; d'ailleurs il ne fut signalé non plus
par aucun événement de quelque importance véritable.
Charles VI mourut en 1740. Comme il ne laissait point de
ALLEMAGNE
359
fils, mais seulement une fille , Maiie-Tliércse, il avait
établi ce qu'où appela une Prai:ma tique-Sanction , en
vertu lie laquelle il déclarait sa fille seule héritière de la tota-
lité de la monarchie autrichienne. De ce moment date l'an-
tagonisme de la Prusse et de l'Autriche , cause première de
tant de misères et de caUmutés pour l'Allemagne. Charles-
Albert de Bavière, Auguste de Saxe et l-rédéricll, roi de
Prusse, élevèrent alors des prétentions à la possession de
diverses parties des États autrichiens. La France, de son
cûté , crut voir là une occasion favorable pour affaiblir l'Al-
lemagne et smtout l'Autriche , en même temps que pour s'a-
grandir elle - môme. Dès 1740 éclata la guerre pendant la-
quelle on élut empereur d'Allemagne, sous le nom de
Charles VII, à l'instigation surtout de la France, Charles-
Albert de Bavière, prince dépounu de toutes les qualités
qui lui eussent été inthspensables pour jouer un tel rôle.
Mais il mourut dès l'année 1745. Marie-Thérèse put termi-
ner cette guerre saus faire aucune concession à la Saxe ou
à la Bavière ; toutefois elle dut faire à la Pmsse le sacrifice
de la Silésie. La paix se conclut avec la France en 1748, à
Aix-la-Chaj)eUe , sans grandes pertes de territoires pour
rAutriche. François F', époux de Marie-Thérèse, avait
été élu pendant ce temps-là empereur en 1745 ; et l'antago-
nisme entre la vieille puissance de la maison d'Autriche et
la jeune puissance de la Prusse , qui durait toujours , attira
encore sur l'Allemagne les inmienses calamités de la guerre
de Sept ans, laquelle dura de 1756 à 17C3. On ne sau-
rait saus doute contester que l'élévation de la Prusse au
rang de grande puissance n'eût essentiellement contribué à
détruire l'antique assiette de l'empire. On ne peut pas nier
davantage que cette destmction fût devenue nécessaire pour
iiisufller à l'Allemagne une nouvelle et plus vigoureuse vie
politique. Naturellement donc la rivalité de la Prusse et de
l'Autriche devait être aussi ardente que jamais , môme après
la guerre de Sept Ans. Cepen lant François I^'', après un règne
assez insignifiant, avait été, en 1765, remplacé sur le trône par
son illustre fils, l'empereur Joseph II. Le titre d'emperem'
était désormais un mot à peu près vide de .'".ens. La vie de
Joseph II a donc bien moins d'importance relatiicment à
l'empire que par rapport aux contrées qui se trouvaient sou-
mises à son sceptre. Il s'efforça d'y créer une nouvelle vie
politique par la suppression d'un grand nombre de cou-
vents , d'une foule d'inutiles cérémonies religieuses et du
servage; par l'améUoration de l'administration de la justice,
•en affranchissant l'Église nationale du joug de celle de Rome,
en corrigeant le système d'instruction publique , en accor-
dant aux protestants le libre exercice de leur culte , enfin
en s'efforçant de provoquer le développement de toutes les
forces actives et matérielles du pays. En ce qui est de
ses rapports avec l'empire , le règne de Joseph II n'offre
guère d'intérêt qu'en raison des efforts qu'il tenta pour s'a-
grandir aux dépens de la Bavière. Mais ces tentatives fu-
rent déjouées par Frédéric II dans la guerre dite d'un
on (1778-1779) et parla création de la confédération
des princes allemands (1785). La situation générale des
Étals européens se trouvait singulièrement compliquée et
embrouillée par diverses circonstances , notamment par
l'éruption de la révolution française, quand Josepli II
mourut, le 20 février 1790. Son frère et successeur, Léo-
pold II, eût tout fait pour éviter une guerre avec la
France ; mais à sa mort, arrivée le l*"" mars 1792 , cette ca-
lamité était devenue si inuninente, que l'empereur Fran-
çois II, son fils et successeur, ne put pas conjurer plus
longtemps l'orage. Quoique au début de la lutte terrible
qui s'engagea alors l'Autriche et la Prusse fissent cause
commune, celle-ci s'en retira en 1795 en concluant la paix
à Bâle avec la France , et le reste du nord de l'Allemagne
ne tarda pas à imiter son exemple. L'Autriche et le midi
de l'Allemagne durent donc soutenir seuls tout le poids de
la guene. Le traité de p<-ix de Campo-Formio en 1797, et
celui de Lunévilie en 1801, y mirent fin, en concédant à la
France la possession de toute la rive gauche du Rhin. L'in-
fluence de la France , et surtout de Bonaparte , sur l'Alle-
magne , alla toujours croissant à partir de cet instant. En
vertu de la mesure prise en 1803, et connue sous le nom
de sécularisation, les principautés ecclésiastiques ces-
sèrent d'exister, et servirent à indemniser les princes tem-
porels des pertes de territoire qu'ils avaient dû subir sur la
rive gauche du Rhin. On peut dire que la conscience de
l'inévitable ruine de l'ancien empire fut un des principaux
motifs qui déterminèrent François II à ajuu.ter, à partir du
1 1 août 1804, à son titre d'empereur d'Allemagne celui d'em-
pereur héréditaire d'Autriche. La ruine complète de l'em-
pire s'approchait d'un pas rapide. Dès 1805 Bade, le^N'urtem-
berg et la Bavière s'en étaient séparés de fïiit en devenant
les alliés de la France dans sa guerre contre l'Autriche.
La création de la Confédération du Rhin (12 juillet
180 6) fut le dernier coup porté à l'existence de l'antique em-
pire germanique. L'empereur François II renonça a son titre
d'empereur d'Allemagne, et ainsi se trouva aboli jusqu'au
nom même d'empire d'Allemagne. La Confédération du
Rhin ne fut pas seulement un acte important en ce qu'elle
amena la dissolution de l'empire, mais aussi parce qu'elle eut
pour résultat d'absorber par la médiatisation un certain
nombre de petits princes de l'empire et beaucoup d'autres
Etats qui perdirent alors l'indépendance dont ils avaient tou-
jours joui pour se voir incorporés à d'autres Ét'its plus con-
sidérables , et surtout parce qu'elle servit à répandre et à
populariser en Allemagne beaucoup d'idées et de principes
que la révolution française avait eu mission de propager.
La Confédération du Rhin ouvrit donc pour l'Aliemagne une
nouvelle ère politique. A la suite de la guerre malheureuse
faite par la Prusse à la France eu 1806, guerre que termina le
traité conclu à Tilsitt les 8 et 9 juillet 1807, la Confédé-
ration du Rhin put encore s'étendre dans le nord de l'Alle-
magne. Elle avait pour mission de préparer ce pays à la
domination mimédiate et prochaine de la France; domi-
nation qui se révéla par la fondation des nouveaux États
que Napoléon y créa alors , à savoir : le royaume de \Yest-
phalie, composé de démembrements opérés aux dépens de
la Prusse, de la Hesse électorale, du Hanovre et du duché de
Brunswick, et le grand-duché de Berg. La guerre nouvelle
qui éclata entre la France et l'Autriche en 1809 se termina
également, après une lutte aussi sanglante qu'opiniâtre, par
d'importantes cessions de territoire auxquelles celle-ci dut
consentir, par le traité de paix signé à Vienne le 14 oc-
tobre 1809, pour fonder un nouvel État français, le gou-
vernement général d'Illyrie, et en mêine temps pour pro-
curer des agrandissements de territoire à quelques princes
de la Confédération du Rhin. L'année suivante, Napoléon
érigea le grand-duché de Francfort; et, afin de pouvoir
mieux faire exécuter son système continental, dirigé contre
le commerce de l'Angleterre , il réunit encore à la France
les possessions des princes d'Oldenbourg, d'Arenberg et de
Salm, jusque alors membres de la Confédération du Rhin ,
en môme temps que toute l'étendue de côtes s'élendant
jusqu'à l'embouchure de la Trave. Mais la guerre que Na-
poléon fit à la Russie en 1812 brisa sa puissance. Un élan
d'enthousiasme vraiment national porta alors les popula-
tions de la Prusse, de l'Autriche, et successivement de tous
les États de l'Allemagne, à courir aux armes pour prendre
part à la guerre de la liberté ; et en deux campagnes (1813
et 1815 ) Napoléon fut complètement vaincu. Voij. les articles
Mil huit centdocze,Mil huit cent treize (Campagnes de),
Napoléon, Cent-Jolrs, Waterloo, etc., etc.
En vertu de la paix signée à Paris, la France dut resti-
tuer à l'Allemagne tout ce qu'elle lui avait enlevé de terri-
toires depuis 1790. Les grands-duchés de Berg et de Franc-
fort, le royaume de Westphalie et le gouvernement général
des provinces Illyriennes, créations de Napoléon, dispa
360
ALLEMAGNE
rurent , et les souverains allemands , réunis en congrès à
Vienne, constituèrent, le 3 juin 1815, une confédération
d'États qui prit le nom deConfédérationgermanique.
Ce congrès remit en possession de leurs États les princes
que Napoléon en avait expulsés. La Prusse recouvra ses
anciennes possessions, ou obtint des indemnités convenables
pour celles qui ne lui furent pas rendues. On lui adjugea
notamment la Poméranie suédoise et la province Rhénane.
On restitua le Hanovre à l'Angleterre. Le Lauenbourg échut
en partage au Danemark, comme indemnité de la Norvège.
Les Pays-Bas obtinrent le Luxembourg, érigé en grand-duché.
Si la Bavière dut restituer à l'Autriche le Tyrol, le pays de
Salzbourg et le Vorariberg, elle reçut en dédommagement
les principautés de ^Vurtzbourg et d'Aschaffenbourg. On
arrondit le^Vurtemberg et le grand-duché de Bade, en même
temps qu'on accordait de notables agrandissements aux du-
chés d'Oldenbourg et de Weimar. 11 n'y eut que le roi de
Saxe , prisonnier des coalisés , qui dut se résigner à perdre
la moitié de ses États, attribuée à la Prusse. Les deux Mecklen-
bourg, Weimar et Oldenbourg furent en outre érigés en
grands-duchés, en même temps que les villes de Francfort,
de Brème, de Lubeck et de Hambourg , déclarées villes li-
bres, étaient admises à faire partie des États composant la
Confédération germanique.
L'Allemagne avait donc recouvré ses anciennes limites ,
et ses populations n'obéissaient plus qu'à des princes alle-
mands. Quoique le congrès de Vienne eût sanctionné bien
des usurpations, consacré bien des injustices; quoiqu'il eût
manqué à de solennelles promesses et trompé les espéran-
ces les plus légitimes, nous devons reconnaître qu'il lui fut
beaucoup pardonné par les Allemands, à cause de la satis-
faction qu'il s'était efforcé de donner au plus cher de leurs
voeux , celui de leur unité et de leur indépendance natio-
nales. Quant à l'unité qui devrait résulter de lois, d'institu-
tions, de garanties communes, ce fut le côté faible de la
reconstitution de l'Allemagne opérée par le congrès; et à cet
égard force est de reconnaître que l'assiette de l'ancien em-
pire germanique, malgré tous ses défauts, était plus satis-
faisante. Par suite des obstacles qui vinrent alors paralyser
toutes les tentatives faites pour arriver à une véritable or-
ganisation fédérative, le congrès de Vienne dut se borner à
constituer en assemblée souveraine un congrès permanent
de plénipotentiaires chargés de la solution de toutes les gran-
des questions de politique intérieure, en lui abandonnant le
soin d'interpréter, selon les circonstances, les vagues pro-
messes et les principes mal définis consignés dans l'acte fé-
déral. La plus importante des questions ainsi ajournées était
celle des libertés politiques à accorder à tous les sujets de la
confédération. La nation allemande avait été appelée aux
armes contre Napoléon par ses souverains au nom de la liberté
et de l'unité nationales ; elle ne séparait pas ces deux idées, et
croyait avoir droit à ce double prix de ses sacrifices et de sa
victoire. On reconnaissait bien qu'il y avait injustice, et sur-
tout danger, à les lui refuser ; mais les bonnes intentions des
uns avaient échoué contre le mauvais vouloir des autres,
et de l'impossibilité de se mettre d'accord était résulté l'ar-
ticle 1.3 de l'acte fédéral; article vague, stipulant qu'il y
aurait dans tous les États allemands des constitutions
d'états territoriaux. Aucun terme n'étant fixé pour l'ac-
complissement de cette prescription, l'exécution pouvait en
être indéfiniment retardée, à moins que la diète n'intervînt ;
ce qui n'était guère probable. Si les princes avaient voulu
prendre à cet égard l'initiative, les expressions de l'acte fé-
déral les laissaient dans l'incertitude sur la nature des consti-
tutions à établir. Fallait-il admettre le système d'une repré-
sentation nationale dans le sens des idées modernes, ou
bien suffisait-il, pour se mettie en règle, de faire revivre les
anciennes assemblées d'états territoriaux, où figuraient seu-
lement certaines classes et certaines corporations? L'une et
l'autre de ces deux interprétations pouvaient être adoptées
suivant les nécessités et les intérêts de chacun. — Les États
du nord de l'Allemagne, où, malgré le grand mouvement de
la période napoléonienne , les idées, les habitudes et les
lois étaient restées à peu près stationnaires, se bornèrent en
général à conserver ou à rétablir l'ancien ordre de choses,
tandis que les États du midi, qui avaient subi à un haut
degré l'influence française, se rattachèrent presque tous aux
idées nouvelles, et se donnèrent des constitutions dont les
bases étaient analogues à celles de la Charte française. L'Au-
triche seule, en dépit des intentions presque libérales qu'elle
avait témoignées lors du congrès de Vienne, interpréta l'ar-
ticle 13 de l'acte fédéral de la manière la plus étroite, la
seule qui pût se concilier avec sa crainte habituelle de tout
changement et de tout mouvement politique, et se contenta
de maintenir dans ses possessions allemandes les anciens
• tats provinciaux, constitués de façon à ne gêner en rien
l'action toute-puissante du gouvernement.
La Prusse , qui tenait à la fois à l'Allemagne du nord par
la plus grande partie de ses possessions , et à l'Allemagne du
midi par ses nouvelles acquisitions sur le Rhin , se trouvait
ainsi dans une position toute particulière. L'esprit routinier
et stationnaire des autres États du nord , où , sans tenir
compte de l'article 1 3 , on avait rétabli le régime du bon
plaisir , comme dans la Hesse-Électorale et le Holstein , ou
bien où l'on avait remis en vigueur les anciennes constitu-
tions féodales , comme en Saxe, en Hanovre et en Mecklen-
bourg ; cet esprit, que le temps traîne toujours pénible-
ment à la remorque , n'avait jamais été celui du gouverne-
ment prussien. Pendant la période la plus malheureuse de
son histoire, depuis la paix de Tilsitt jusqu'à la guerre de
1813, la Prusse avait travaillé avec une mcroyable ardeur à
la refonte de sa législation , avec l'intention bien arrêtée
d'arriver à la création d'un gouvernement représentatif.
C'est elle qui au congrès de Vienne avait mis en avant
les idées les plus libérales; le 25 mai 1815, c'est-à-dire
avant la signature de l'acte fédéral , le roi avait même rendu
un édit où il promettait à ses sujets une constitution repré-
sentative , et convoquait pour le 1*'' septembre suivant les
députés de toutes les parties du royaume , pour travailler
avec des commissaires royaux à un projet de constitution.
On crut plus tard qu'U serait dangereux d'appeler à délibé-
rer en commun les mandataires de provinces si différentes
par leurs antécédents et par leurs mœurs , dont plusieurs
faisaient depuis peu seulement partie de la monarchie et
montraient même déjà quelques dispositions hostiles. L'as-
semblée promise ne fut donc point réunie. Le gouvernement
prussien recula devant ses propres engagements , et , de
plus en plus effrayé de la fermentation des esprits , finit par
passer du côté de la réaction absolutiste.
Sauf les constitutions de Nassau et de Saxe-'Weimar , re-
montant , l'une à 1815 , l'autre à 1816 , la Bavière , le Wur-
temberg et le grand-duché de Bade furent les seuls États
de l'Allemagne qui ne craignirent point de donner à l'ar-
ticle 13 l'application la plus conforme aux idées dominantes.
Le roi de Bavière octroya sa charte le 26 mai 1818, et le
grand-duché de Bade reçut la sienne le 22 août de la même
année. Le Wurtemberg , après une lutte assez longue entre
le roi et les états , et qui se termina par un compromis, se
donna sa constitution le 25 septembre 1819. W'eimar seul
avait demandé pour sa constitution la garantie de l'as-
semblée fédérale , qui l'avait accordée sans difficulté ; les au-
tres États , n'admettant pas que la diète eût à s'occuper de
leurs affaires intérieures, crurent devoir se passer de sa sanc-
tion. Mais le moment n'était pas loin où cette assemblée ,
dont le rôle jusque là n'avait été que passif, allait exercer
sur les affaires de l'Allemagne un pouvoir dictatorial con-
féré par le consentement de tous les membres de la confé-
dération. Expliquons rapidement comment cette unanimité
fut obtenue , et quel intérêt commun put concilier tant de
volontés diverses.
ALLEMAGNE
361
Los traités ôc Vienne et de Paris n'avaient pas répondu
aux vœux tUi parti patriote , qui en jîénéral ne voyait de
salut pour l'unité de rAllcmngne que dans le rétablissement
de la dignité impériale et dans la résurrection des vieilles li-
bertés gennaniques. Mais l'unité de l'Allemagne sous un
cliof , qui était au\ yeux de ce parti le premier intériH na-
tional , ne se conciliait pas plus avec les intérêts de l'Au-
triche et de la Prusse qu'avec ceux des autres princes. Les
grandes puissances, tout comme celles du second ordre, se
fatiguèrent donc promptement des réclamations d'un parti
qu'on trouvait d'autant plus gênant qu'on s'était plus com-
promis avec lui lorsqu'on avait eu besoin de ses services, et
qu'il fallait d'autant moins heurter de front qu'on ne pou-
vait oublier qu'à lui seul il avait soulevé l'Allemagne entière
contre le joug de l'oppression étrangère. Ce fut sa propre
lassitude qui vint en débarrasser les gouvernements. Les
membres les plus importants de ce parti , découragés par
la manière dont leurs espérances avaient été trompées , se
rallièrent à d'autres intérêts. Toutefois , s'il cessa d'exister
comme parti organisé , son esprit n'en continua pas moins
de régner parmi la jeunesse et dans les universités, où l'on
se nourrissait de rêves de toute espèce sur la régénération de
l'Allemagne et la reconstitution future de l'unité nationale.
En même temps d'ailleurs se forra:iit en Allemagne un
autre parti, qui, loin depi'ofesser comme le parti patriote le
culte du moyen âge et des vieilles institutions germaniques,
se rattachait au nationalisme philosophique et politique de
la fin du dix-huitième siècle , et adoptait plus ou moins ex-
plicitement le principe de la souveraineté du peuple. Ce
parti , qui avait son centre d'action dans les anciens États
de la Confédération du Rhin, s'efforça de développer autant
que possible les nouvelles constitutions dans un sens dé-
mocratique. Quelques patriotes de 1S13 s'y rallièrent dans
l'espoir d'arriver à l'unité nationale par les formes de l'u-
nité moderne ; d'autres, au contraire , ne trouvant dans ce
parti aucune de leurs sympathies pour le passé , et voyant
dans les idées qu'il professait la résurrection de l'influence
française , so rangèrent du côté des gouvernements, dans
l'espoir de les gagner plus facilement ainsi à leur utopie de
restauration de l'ancien empire germanique. Si à ces élé-
ments généraux d'opposition on ajoute le mécontentement
de la noblesse médiatisée^ laquelle ne pouvait se consoler de
la perte de son indépendance politique , les clameurs de
l'Église catholique, restée sans dotation, et encore beaucoup
d'autres griefs, occasionnés par les nouveaux arrangements,
on devinera aisément quel dut être le désordre qui régna
dans les idées pendant les années qui suivirent immédiate-
ment l'établissement de la Confédération germanique. La
presse, qui jouissait encore d'une certaine liberté, devint na-
turellement l'écho de toutes ces prétentions si opposées ; et
alors il y eut un incroyable pêle-mêle de déclamations pa-
triotiques , de remontrances libérales et de doléances aristo-
cratiques ou religieuses. Cette confusion , qui montrait
clairement combien peu on devait redouter une coalition
entre des éléments si hétérogènes , au lieu de rassurer les
gouvernements, les effraya. Ne sachant d'ailleurs comment
satisfaire à tant de réclamations , dont plusieurs n'étaient
que trop légitimes, ils cédèrent à l'instinct de la peur, et
jugèrent dangereux ce qui n'était qu'incommode. Ils se
figurèrent qu'ils avaient affaire à un grand et puissant parti
révolutionnaire; et l'Allemagne devint à leurs yeux le
foyer d'une vaste conspiration ayant pour but le renverse-
ment de tous les trônes. Cette idée pénétra de bonne bture
dans les conseils des princes, et y domina bientôt à la suite
d'événements auxquels la frayeur des uns et la politique
des autres attachèrent uut importance par trop exagérée.
L'esprit de 1813 ne s'tlait consen é avec toute sa pureté
que dans les universités, loyer du patriotisme le plus exalté,
où l'on prenait encor*!' au sérieux les rêves de régénération
germanique, si bien déjoués par la di!)loinatie. On y avait
niCT. DE L\ COSVEKSATlO.N. — T. I.
remplacé les associations particulières en usage parmi les
étudiants par une association générale connue sous le nom
de Bursclienscha/t , afin de substituer au patriotisme
local le sentiment énergique de l'unité de la patrie com-
mune. On s'inquiéta outre mesure de cette association ; on
exagéra de même l'importance et la gravité d'une manifes-
tation faite au chAteau de Wartbourg le 18 octobre 1817 ,
par un grand nombre d'étudiants des universités d'Iéna ,
de Halle et de Leipzig , à l'occasion du troisième jubilé sé-
culaire de la réformation et de celui de l'anniversaire de la
bataille de Leipzig.
Des incidents vinrent encore ajouter alors à l'irritation
des esprits. Un mémoire émané de la Russie , dans lequel
on signalait énergiquement les dangers résultant de l'esprit
des universités allemandes, fut présenté à la fin de 1818
aux souverains réunis au congrès d'Aix-la-Chapelle. Cet
écrit , tiré d'abord à un petit nombre d'exemplaires , puis
réimprimé à Paris , et répandu en Allemagne , y excita ime
vive indignation. La jeunesse allemande tourna alors toute
sa colère contre l'empereur de Russie. Elle attribua à l'in-
fluence du cabinet russe sur les divers princes allemands
les pas rétrogrades de ceux-ci , et jura une haine à mort à
ce nouvel ennemi de la liberté allemande. Auguste de Kot-
= eôî<e, devenu conseiller d'État russe, publiait alors à
Manheim une feuille satirique, où il s'attachait au côté ridi-
cule du patriotisme germanique exalté. L'indignation de-
puis longtemps excitée dans les universités par ses écrits ne
connut plus de bornes lorsqu'on apprit qu'il était en cor-
respondance secrète avec la cour de Saint-Pétersbourg, et que
c'était probablement par ses rapports que s'était formée
l'opinion d'Alexandre sur l'état de l'Allemagne. On s'exa-
géra hors de toute proportion l'importance' de cet adver-
saire , et les imprécations fulminées dans toutes les univer-
sités contre Kotzebue fanatisèrent à tel point un étudiant,
nommé Charles Sand , qu'il crut rendre un grand service à
sa patrie en la déli^Tant de cet agent du despotisme étran-
ger, et qu'en effet il alla le poignarder. Ce crime, approuvé
par les uns, excusé par les autres , ne tarda pas à trouver
un imitateur dans la personne d'un apothicaire , qui tenta
d'assassiner le président Ibell , haut fonctionnaire du duché
de Nassau. Quoique l'instruction judiciaire , dont les résul-
tats ne furent d'ailleurs connus du public que longtemps
après , eût prouvé jusqu'à l'évidence que c'étaient là des
crimes isolés , les gouvernements prirent l'alarme et cru-
rent à l'existence d'une autre samte V e h m e. On multiplia
les emprisonnements , les perquisitions ; on arrêta les plus
exaltés des patriotes de 1813 , et enfin on réunit à Carlsbad
un congrès de ministres allemands , afin d'aviser aux me-
sures à prendre contre les dangers dont l'Allemagne était
menacée. — Les projets arrêtés à cet effet à Carlsbad furent
présentés à la diète le 20 septembre 181-9, et immédiate-
ment convertis en décrets fédéraux. Ils instituaient une
commission extraordinaire chargée « de faire en commun
« des recherches scrupuleuses concernant l'origine , l'exis-
« tence et les ramifications des menées révolutionnaires
« dirigées contre la constitution et le repos intérieur de la
« confédération en général , ou de ses membres en parti-
<' culier. » Ce tribunal, espèce d'inquisition politique, eut
son siège à Mayence , et subsista jusqu'en 1S28. Les rap-
ports qu'il fit de temps en temps à la diète n'apprirent rien
d'important , et ses efforts n'aboutirent qu'à recueillir force
faits insignifiants et pièces sans portée. Vint ensuite le
tour des universités. Ces établissements furent soumis à la
surveillance de commissaires extraordinaires , nommés par
les souverains , et munis de pouvoirs très-étendus. La mis-
sion de ces agents était de veiller à l'exécution des lois dis-
ciplinaires en vigueur, et de rendre un compte exact de
l'esprit dans lequel les professeurs faisaient leurs cours ;
les différents cabinets s'étant engagés réciproquement « à
« éloigner de leurs universités et écoles publiques les pro-
46
3G2 ALLEMAGNE
• l'esseurs qui s'écarteraient de leurs devoirs , eu abusant
« de leur inducLCC sur l'esprit de I:i jeunesse pour propa-
ger des doctrines pernicieuses, contraires à l'ordre et au
« repos public , ou pour saper les fondements des insti-
« lut'ons existantes ; à maintenir dans toute leur rigueur
« les lois contre les associations secrètes , et à les étendre
« particulièrement avec plus de sévérité encore à l'associa-
« tion connue sous le nom de Burschcnschaft ■ »
Un arrêté contre la presse , complément oblig6 de ces
diverses mesures , décréta que même dans les États où
la liberté de la presse existait en vertu de la constitution
aucun écrit périodique , et eu général aucun ouvrage de
moins de vingt feuilles d'impression , ne pourrait Ctrc im-
primé qu'avec l'agrément de l'autorité. Chaque gouverne-
ment était ainsi responsable des écrits publiés sous sa sur-
Tcillance , et dans le cas où un membre de la confédération
se trouverait blessé par des publications faites dans un
autre i:tat , il pouvait porter plainte à la diète , qui devait
faire examiner par une commission récrit dénoncé , et en
ordonner la suppression s'il y avait lieu. Ces décrets op-
posaient il l'union des peuples , vainement poursuivie par
les patriotes de 1S13 , Tunio-n des gouvernements déléguant
leurs pouvoirs à la dicte ; ils changeaient entièrement la
nature des rapports existants dans la confédération , et dé-
terminaient le caractère jusque là incertain de cette union.
Les États secondaires , qui s'étaient montrés si jaloux de
lem- indépendance au congrès de Vienne , en firent le sa-
crifice volontaire à l'autorité fédérale : c'est que tous les
princes , en lui fivrant leurs universités , en mettant leurs
tribunaux à son service , en l'autorisant à s'immiscer dans
leurs affaires intérieures , sentaient fort bien que, tout en
s'aifaiblissant vis-à-Yis de cette autorité , ils se fortifiaient
dans la même .proportion vis-à-vis de leurs peuples.
Les universités , les sociétés secrètes et la presse ime
fois réduites ainsi à l'impuissance, restait l'opposition cons-
titutionnelle des États ce l'Allemagne méridionale. Les dé-
crets du 20 septembre concernant la presse lui avaient à la
Yérité enlevé son point d'appui le plus puissant; mais cela
ne suffisait ni à l'Autriclie ni à la Prusse. L'existence seule
de constitutions représentatives importunait ces deux puis-
sances. C'était pour elles , et surtout pour la i'rusie , dont
les promesses avaient été si explicites , un reproche et une
menace continuels. En 1S23 , le roi de Prusse , réalisant à
sa manière l'article 13 du pacte fédéral, donna successi-
vement à chacune de ses provinces allemandes des diètes
provinciales, dont les convocations furent rares, les attri-
butions excessivement bornées , les délibérations sans pu-
blicité et l'action presque nulle.
En 1824, la diète fédérale supprima enlièrer.ient la pu-
blicité de ses délibérations , qui jusque là étaient en partie
arrivées à la connaissance du public. Elle renouvela dans
la même année les décrets de 1819, dont la durée n'avait
pourtant été fixée qu'à cinq ans , en déclarant : u que dans
« un État fédératif conm:ie l'Allemagne , où chaque pays a sa
« constitution judiciaire propre et sa police particulière, des
« lois répressives contre les délits de presse seraient sans
« efiicacité ; que la paix et l'ordre ne peuvent être assurés
« dans une semblable union que par des lois de censure ,
« c'est-à-dire par une surveillance continuelle sur la presse,
« exercée au nom de la confédération par les autorités lo-
« cales, et, en cas de besoin, par l'autorité fédérale. » Le
but qu'on s'était proposé par cette politi(iuc ne fut pourtant
que Ibrt incomplètement atteint.
Depuis l'époque où parurent ces décrets jusqu'en 1830,
le repos matériel de r.\l!emagne ne fut sans doute point
troublé ; mais le feu couvait sous la cendre. Les libér;mx
constitutionnels , bien autrement dangereux que les pa-
triotes de 1813, par l'habileté pratique avec laquelle ils
poursuivaient un but nettement arrêté , rongeaient impa-
tiemment le douille frein de la censure et de la police.
Obligés d'ajourner leurs prétentions et leurs espérances, ils
n'attendaient qu'une occasion favorable pour recommencer
la lutte. Les mesures prises contre la presse , en empêchant
les Allemands de s'occuper de leurs propres affaires , les
poussèrent tout naturellement à s'intéresser à celles de
leurs voisins , et ramenèrent par là l'infiuence des idées
françaises. Il se forma en Allemagne des partis analogr.es
à ceux qui étaient en scène de l'autre côté du Rhin ; les ré-
volutionnaires français eurent des représentants parmi la
jeunesse des universités , qui, en dépit des lois les plus sé-
vères, continua .à s'organiser en sociétés secrètes. La classe
moyenne elle-même , réduite par les lois de censure à ne
vivre, penser et sentir que dans les journaux étrangers,
s'imprégna peu à peu des principes adoptés par la bour-
geoisie française, et appela de tous ses vœux le moment qui
lui permettrait de s'élever au niveau politique de cette classe,
tant enviée. Quant au peuple, qui alors s'occupait de théo-
ries politiques en Allemagne moins que partout ailleurs, les
souverains de quelques États parvinrent à se l'aliéner, les uns
par une mauvaise administration , les autres par le maintien
des vieux abus et de charges hors de toute proportion avec
ses ressources, quel(}uefois enfin par une conduite scanda-
leuse, qui ne respectait aucun droit ni aucune convenance.
Dans le Ijrunswick et la Ilessc-Électorale notamment ,
l'cMaspération produite par d'intolérables vexations était
prête à éclater à tout moment , et les partisans des inno-
vations sentaient bien que là du moins l'appui du peuple ne
leur ferait pas défaut. Ce moment tant désiré vint enfin ; ce
fut la révolution de juillet qui en donna le signal.
Dès le mois de septembre 1830, des insurrections écla-
tèrent presque simultanément sur divers points de la con-
fédération.
En Saxe, on força le vieux roi Antoine à abandonner le
pouvoir à son neveu, le prince Frédéric, qui fut déclaré co-
régcnt. Un ministre haï du peuple fut remplacé par un
homme en possession de la confiance du peuple. On obtint
le changement de la constitution , la réduction des impôts
et une nouvelle loi municipale.
Dans le duché de Brunswick, le peuple chassa de ses
États le duc Charles , prince dur, extravagant et débauché ,
après avoir assailli sa voiture à coups de pierres et brûlé son
palais. Le prince Guillaume , frère cadet du duc , fut appelé
à le remplacer. Ce nouveau souverain renvoya le ministère ,
et promit nne constitution nouvelle, qui fut donnée le 12 oc-
tobre 1832.
La révolution de Hesseavaitété préparée, comme celle de
Brunswick , par une longue série d'actes extravagants et
tj ranniques. On demanda la convocation des États , la ré-
forme des abus et le renvoi de la maîtresse du prince , à l'in-
(luence de laquelle on attribuait la plupart des actes qui
avaient soulevé le peuple. L'électeur, n'ayant pas sous la
main des forces suffisantes pour résister, promit tout ce
qu'on voulut. 11 convoqua les états , qui s'assemblèrent le
IG octobre et rédigèrent une nouvelle constitution, qu'il ac-
cepta. Quelque temps après, il quitta sa capitale et finit plus
tard par remettre les rênes du gouvernement à son fils.
L'insurrection du Hanovre éclata au mois de janvier 1831.
Bien que réprimée, elle eut pour résultat d'obtenir du sou-
verain le changement des institutions. Il déclara que les
vœux et les plaintes du pays lui avaient été cachés jus-
qu'alors, mais que son intention était d'y faire droit. Le
comte de Munster, premier ministre, qui était détesté du
peuple hanovricn, fut destitué, et le duc de Cambridge,
frère du roi, fut nommé vice-roi.
Dans la même année , la seconde chambre de la Bavière
déclara contraire à la constitution un édit de censure rendu
par le gouvernement , et renversa le ministère qui l'avait signé.
Le grand-duc Léopold de Bade aila plus loin : il sup-
prima la censure dans ses États , aux applaudissements de
l'Allemagne entière.
ALLEMAGNE
Dans d'autres Kl;il?, enfin, la prcsfîe rompit violomniont
les liens dans lesquels la iliète fedorale l'avait teiuie en-
clialnée, et ni la iliîtc ni le^ gouvernements n'osi^rent
pour le moment arriHer son CsSor. Dans la Davièrc rliii-
nane, la Tribune Mlemande, du docteur Wirtli, et le
Messager de l'Ouest, de Siebeîipfeiffer, attaquèrent sans
ménagement le pacte fondamental de la Confédération , et
signalèrent celte union comme une ligue des princes contre
la lil)erté des peuples.
Les insurrections de la Saxe, du Drunswick et de la
Hessc-É!eclora!e tirèrent cependant la dièle de l'inactivité
dans laquelle dix ans de calme l'avaient tenue plongée. Le
21 octobre 1830 elle lança un décret aux termes duquel
tous les gouvernements allemands s'engageaient h se prêter
mutuellement secours poiu' réprimer les mouvements po-
pulaires; mais en même temps on y exprimait l'espoir
que les gouvernements remédieraient palernellcment aux
griefs légitimes là où ils se produiraient par des voies lé-
gales, et feraient disparaîlre de cette manière tout pré-
texte à de coupables résistances. Ces paroles conciliantes,
auxquelles, du reste, personne ne se laissa prendre, démon-
traient clairement que des me5ure> plus sévères avaient été
jugées impolitiques à un moment où une guerre universelle
parai.-sait imminente, où la guerre de Pologne tenait en
échec la Prusse et l'Autriche, et où cette dernière puis,-
sance avait à lutter en Italie contre une révolution nais-
sante. Mais le triomphe du parti de la paix en France et
les victoires de l'armée russe rendirent courage aux me-
neurs de la confédération. Le 27 octobre 1831 , la diète
déclara qu'elle repoussait toutes les adresses touchant des
intérêts généraux; « attendu qu'elle les regardait comme
n une tentative dangereuse contre l'ordre public et l'au-
a torité des gouvernements, lenlaat à exercer sur les af-
« faires communes de l'Allemagne une induencc illégale et
<c incompatible avec la position des sujets vis-à-vis de
« leurs souverains , et des souverains vis-à-vis de la con-
tt fédération. » L'annéesuivante eliesupprima plusieurs jour-
naux, entre autres la Tribune Allemande et le Messager
de Vëuest. Mais les rédacteur^ de ces deux feuilles refu-
sèrent d'obéir aux décrets de la diète, qu'ils signalèrent
comme un attentat à la constitution bavaroise. Traduits en
justice, le triomphe d'un acquittement vint augmenter
l'audace des deux journalistes. Une grande manifestation
populaire ayant été préparée pour 1' '. 7 mai, jour anniver-
saire delà constitution bavaroise, le docteur Wirth invita
tous les amis du peuple allemand à y prendre part. Une
foule immense , venue de tous les pays constitutionnels de
r.ij emagne, se rassembla, en effet, autour des ruines du
vieux château de Hambach. Celte fête de Hambach hâta
la promulgation de mesures réaclionnaires dont la diète s'oc-
cupait depuis longtemps. Ces mesures, publiées le 28 juin
1832, enveloppèrent dans une même proscription le parti
démocratique et le parti constitutionnel , mirent toutes les
assemblées représentatives sous la surveillance de l'assem-
blée fédérale, et rent complétées par les décrets du 5 juil-
let concernant la presse et les associations. Les gouverne-
ments s'engagèrent de nouveau à surveiller les habitants ou
étrangers suspects, à se communiquer mutuellement leurs
découvertes relatives aux associations , et à se prêter, en
cas de besoin , une prompte assistance. On renouvela les
décrets de I819relatifs aux universités. Enfin, pour réduire
au silence tous les journaux, la diète rétablit la censure dans
le grand-duché de Bade.
Les résolutions de Francfort atteignirent complètement
le but qu'on s'était proposé : lesystème monarchique triompha
partout des commotions qui l'avaient un moment ébranlé. Ce
n'est pas que le parti démocratique, quoique réduit à l'im-
puissance, n'essayât de résister ; ses partisans, malgré la vi-
gilance de la police, n'avaient pas cessé de former entre eux
des sociétés secrètes, où ils continuaient à conspirer pour
363
l'unité de TAIlemagne. Le? complots de ce parti eurent
pourprincipal résultat la déplorable édiauffourée dcF ranc-
r<'rt, à la suite de laquelle il fut écrasé et ses princippux
membres dispersés. Le parti constitutionnel, sans écho dr.ns
la presse, sans appui au dehors , protesta vainement, à des
majorités considérables, dans les assemblées représentatives
de lîade, de Wurtemberg; et ailleurs, contre les résolutioiis
de la tliète. Nulle part les gouvernements ne tinrent compte
de ces réclamations. Appuyés toujours par la noblesse, qi;i
partout constituait les premières chambres, ils Tillèrer.l
jusqu'à interdire l'impression des adresses dans lesquelles
les secondes chambres consignaient ces réclamations, et
dans la Ilesse-ltl'-ctorale comme dans le grand-duché de
] liesse- Dnrmstadt, on prononça deux fois, coup sur coi;p,
la dissolution des chambres. La Prusse et l'Aulriche, prc-
' fitant de leurs victoires sur les États conslitulionnels, et
' afin de se fortifier dans la position qu'elles leur avaient faile
vis-à-vis de ceux-ci, songèrent à préparer de nouvelles wc-
sures pour être ajoutées à celles qui existaient déjà. Un
congrès ministériel fut réuni à Vienne-, en 1334, dont les
conférences eurent pour résultat les décrets fedéracx pro-
mulgués à la fin de la même année. Le premier éîublit
un tribunal arbitral ( Bundesschiedfgericht) pour juger
les différends qui s'élèveraient entre un gouvernement et
ses chambres. En donnant leur adhésion à l'institution d'un
tel tribunal, les princes constitutionnels, pour se foitifier
vis-à-vis de leurs assemblées, se placèrent volontairement
sous la dépendance des deux grandes puissances, lesquelles,
n'ayant pas d'assemblées représentatives, devaient toujours
être juges, sans jamais être parties. Le 13 novembre 1834
la diète enleva aux autorités académiques leur ancienne
juridiction en matière de police; le 15 janvier 1835 elle
défendit aux ouvriers allemands de voyagerdans les pays où
étaient tolérées des associations de nature à troubler la
tranquillité des autres États; le 18 avril 1S3G elle décida
que les comptes-rendus des débats des chambres ne pour-
raient être reproduits par les journaux que d'après la rédac-
tion des feuiljes officielles. Enfin, par un décret du 18 aoiU
de la même année , elle déclara que toutes les tentatives
contre l'existence , l'intégrité ou la sûreté de la confédéra-
tion seraient poursuivies et punies, dans chacun des États,
comme si elles étaient dirigées contre lui-même , et les
gouvernements des divers États s'engagèrent à se livrer
réciproquement les accusés politiques qui ne seraient pas
leurs sujets.
En dehors de la politique, la Prusse avait étendu son in-
fluence au moyen de l'union douanière ou Zoll v e re i n.
Malgré son apparente immobilité, l'Allemagne avait subi
de 1843 à 1847 un travail intérieur qui l'avait préparée à
recevoir le contre-coup des événements de février 1848. L'o-
pinion y avait suivi avec le plus vif intérêt la longue lutte
qui s'était engagée en Hanovre entre l'esprit des temps nou-
veaux et le génie des temps anciens, incarné en la per-
sonne du souverain de ce petit royaume. Plus lard, les
efforts tentés en Prusse par certains prêtres catholiques (à
la tête desquels il faut citer Jean RongeetCzerski) pour
secouer le jong de la hiérarchie romaine et se rapprocher,
sur divers points importants de doctrine, des principes pro-
fessés par l'Église protestante, eurent également le privi-
légede captiver l'attention publique. Bientôt on vit s'y rat-
tacher des dissensions religieuses éclatant au sein même de
l'Église protestante, et provoquées par les prétentions de l'É-
glise officielle, appuyées par un roi qui attachait un grand
prix à passer pour le représentant plus ou moins infaillible
de l'Église évangélique.
Le fait le plus saillant de l'année 184C, en raison de la vive
émotion qu'il produisit en Allemagne, fut le triple mouve-
ment insurrectionnel qu'on vit éclater presque en môme
temps, au mois de février, dans le grand-duché de Posen,
à Cracovie et en Gallicie.
40.
3,54 ALLEMAGNE
En 1847 le roi de Prusse, cédant volontairement à l'es-
prit des temps nouveaux, fit officiellement annoncer qu'il se
décidait à tenir, à trente-quatre ans de distance, les promes-
ses solennelles de son prédécesseur à ses sujets, lorsqu'il les
appelait en 1813, au nom de la liberté, à briser le jou;;de Pé-
trangcr. La sensation causée par l'annonce de l'octroi pro-
chain d'une constitution au peuple prussien fut immense en
Allemagne ; et cette démarche si décisive démontra encore
mieux combien était profond l'antagonisme latent existant
entre les cabinets de Vienne et de Berlin , celui-ci se mettant
désormais résolument à la tôte du mouvement qui entraîne
les sociétés modernes vers de nouvelles destinées, tandis que
l'autre persévérait , sous l'inspiration de M. de Melternich ,
dans cet état de torpeur et d'immobilité qui en a fait le repré-
sentant des intérêts, des préjugés et des passions du vieux
monde. Nous devons dire toutefois que lorsque la charte tant
de fois annoncée et promise aux populations prussiennes fut
enfin rendue publique, la déception fut générale en Allemagne
à la vue d'un monument auquel son architecte s'était efforcé
de donner les proportions heurtées, le plan bizarre et la
configuration surchargée et embrouillée d'une vieille cathé-
drale gothique, au lieu d'un édifice aux proportions simples,
uniformes et grandioses, répondant aux idées comme aux be-
soins de l'époque , et tel qu'on pouvait d'ailleurs l'attendre
de la présence dans les conseils de Frédéric-Guillaume IV de
tant d'hommes d'Ktat notoirement dévoués au triomphe de
la cause du progrès. Nous n'avons pas à examiner ici l'en-
semble et les dispositions particulières de cette charte, dont
il sera plus rationnellement question à l'article spécial con-
sacré à la Prusse dans ce dictionnaire; nous nous bornerons
à constater qu'en dépit de toutes les précautions minutieuses
prises par le législateur pour y faire dominer l'élément aristo-
cratique, ou, pourniieux tlire, nous ne savons quelles vagues
théories d'une prétendue école historique, trouvant dans le
perfectionnement et l'application des formes et des idées du
passé la meilleure base à donner aux libertés publiques
comme à l'indépendance nationale de la Prusse, et aussi à la
prépondérance politique qu'elle est appelée à exercer en Alle-
magne, l'élément populaire n'avait pas tardé à se faire lui-
même une part plus large dans la distribution des rôles poli-
tiques. Aussi le roi Frédéric-Guillaume IV, aux prises avec
les votes et les discours de la seconde curie de la diète géné-
rale du royaume, ne tarda-t-il pas à en être aux regrets d'a-
voir par trop précipitamment cédé aux vœux et aux be-
soins de son siècle.
Pendant qu'au nord de l'Allemagne l'opinion suivait avec
anxiété les développements pénibles assurément , mais in-
contestables, de l'idée libérale arrivant à pénétrer peu à peu
jusque dans les conseils du prince , une des puissances du
midi , la Bavière , scandalisait l'Allemagne et l'Europe par le
spectacle étrange qu'elle offrait en ce même moment à l'ob-
servation. Initiée aux bienfaits de la vie constitutionnelle par
le feu roi Maximilicn, la Bavière était devenue sous le règne
de son fils et successeur, le roi Louis, une monarchie quasi
absolue, livrée au bon plaisir de ministres créatures dévouées
de la Société de Jésus. On était parvenu peu à peu à y anéantir
le peu de liberté de la presse laissée aux populations alle-
mandes par les résolutions de la diète fédérale de 1832;
et de jour en jour la prospérité pu'clique et privée y décli-
nait rapidement sous l'action délétère exercée par la pré-
pondérance du clergé sur la direction générale des affiiires.
La session ordinaire des chambres s'ouvrit au commence-
ment de l'année , et tout aussitôt la tribune de la chambre
élective y retentit des ()lus énergiques protestations adres-
sées de tous les points du pays, sous forme de pétitions,
contre les mesures restrictives apportées par le pouvoir à
l'exercice de celte précieuse liberté, même dans les limites,
déjà si restreintes, prescrites par les décisions fédérales.
M. d',\bel, ministre de l'intérieur, créature toute dévoi;ée
du parti prêtre , fut à celle occasion l'objet des plus justes
et des plus énergiques attaques de la part des députés
voués au triomphe de l'idée de progrès et de liberté. Ces
protestations seraient sans doute , comme tant d'autres ,
demeurées inutiles , et n'auraient en rien inP.ué sur la situa-
tion non plus que sur la direction générale des affaires, si
un accident étrange n'était venu leur p-f-êter une portée po-
litique qu'elles ne pouvaient réellement pas avoir alors. Une
femme galante , d'assez bas étage , à laquelle un procès ré-
cent plaidé aux assises de Paris avait donné une certaine
célébrité, parce qu'elle y avait figuré comme maîtresse d'une
espèce de chevalier d'industrie tué en duel par un individu
appartenant à la même catégorie sociale, Lola Montes,
figurante dans le corps de ballet du théâtre de la Porfe-
.Saint-.Martinà Paris, était venue au commencement de l'an-
née donner des représentations chorégraphiques à Munich
et y exécuter quelques-unes de ces danses lascives qui ont la
propriété de charmer les générations actuelles, et qu'on décore
de noms espagnols pour leur donner un certain vernis de naï-
veté et d'innocence qui doit en faire le chai-me aux yeux de
spectateurs blasés et corrompus. Le roi Louis de Bavière,
malgré ses soixante hivers bien comptés, ne put apercevoir
au théâtre les grâces excentriques de la danseuse parisienne
sans concevoir tout aussitôt pour elle la passion la plus vive.
Lola Montés, au bout de quelques mois, ne fut pas seule-
ment la maîtresse avouée du vieux roi, qui fit pour elle des
folies qu'on ne pardonnerait pas même à un mineur récem-
ment émancipé ; elle en arriva à exercer une influence réelle
sur la direction des affaires et à disposer des portefeuilles ,
tout comme pouvaient faire de leur temps à Versailles la Du
Barry ou la Pompadour. Unluxe insolent vint encore ajouter
au scandale, qui fut porté au comble quand on ville roi Louis
donner à cette prostituée le titre de comtesse de Lansfeldt ,
auquel était attaché un majorât considérable, et en outre la
faire présenter publiquement à la cour sous ce nouveau nom.
M. d'Abel, le tout-puissant ministre de l'intérieur, après s'ê-
tre d'abord complaisamment prêté aux caprices de son royal
maître, avait fini par comprendre que la favorite ne tarderait
pas à le primer complètement , et de dépit il avait remis sa
démission entre les mainsdu roi. Ce prince eut alors à recons-
tituer un cabinet , et ne put nécessairement le recruter que
parmi des hommes hostiles aux idées et aux principes qui
pendant si longtemps avaient constamment prévalu dans les
conseils de la couronne. Cette révolution ministérielle , ce
changement absolu de système, étaient un événement des
plus heureux pour le pays ; seulement on ne pouvait s'em-
pêcher de déplorer qu'il eut été uniquement le produit d'un
caprice de femm.e. Bientôt, par l'in-olence qu'elle montra en
maintes occasions , Lola Montés blessa profondément le
sentiment de nationalité du peuple bavarois, et de graves
émeutes provoquées par sa folle conduite exigèrent une ré-
pression énergi(pie , mais bien propre à irriter encore da-
vantage les rancunes populaires. L'année 1847 s'écoula ainsi
pour l'Allemagne, dont l'attention se trouvait partagée entre
la lutte de l'esprit nouveau à Berhn contre l'esprit des
temps anciens, et les scandales causés à Munich par l'im-
bécile passion du vieux roi pour une danseuse des boule-
varts de Paris. Le triomphe décidé remporté à cette même
époque en Suisse par le parti démocratique sur le parti
aristocratique, appuyé des sympathies de tous les gouverne-
ments européens , ne contribua pas peu non plus à donner
en Allemagne une force nouvelle à l'idée Hbérale, qui ne
devait pas tarder, sous la pression d'événements imprévus
et alors encore fort peu probables, à prendre des allures
démocratiques et bientôt même démagogiques.
Si en Bavière force était restée en définitive à l'ordre
matériel , il y régnait par contre dans les idées morales une
trop grande confusion pour que de nouveaux et prochains
orages n'y fus.sent pas perpétuellement à redouter. Les in-
trigues politiques, doat Lola Montés en vint tout naturel-
lement à être l'àme, devaient en provoquer l'explosion.
ALLEMAGNE
Devenue l'objet non pas seulement du m«^pris , mais encore
de Texécration des masses, la favorite avait cherché à se
constituer dans l'université même, et parmi les étudiants, un
certain nombre de défenseurs assez corrompus , malgré
leur jeunesse, pour comprendre parfaitement que la protec-
tion de la maîtresse du roi leur assurerait un avancement
facile et rapide dans les diverses carrières auxquelles ils se
destinaient dès lors pour braver les préjugés et défendre
en toute occasion la royale prostituée contre les insultes de
ceux de leurs camarades, assez arriérés pour croire encore
à la sainteté obligatoire des lois de la morale. De là des
rixes entre étudiants, dans lesquelles Lola Montés eut l'in-
croyable impudence de se porter elle-même au secours de
ses protégés. Une ordonnance royale prononça le 10 fé-
vrier 184S la clôture des cours de l'université de Munich
pour une année , comme punition des scènes de désordre
dont elle venait d'être le théâtre. Cette mesure sévère, loin
de calmer l'irritation , l'accrut encore , et le lendemain les
manifestations prirent un caractère tel que la troupe dut
charger les rassemblements pour les disperser. Il y eut dans
cette échauffourée des blessés et même des morts. La mu-
nicipalité de Munich se réunit alors, et envoya une députa-
tion supplier le monarque de rapporter son ordonnance
relative à l'université. Cet acte était la conda'.imation la
plus explicite de la conduite tenue dans toute cette affaire
par le gouvernement. Mais le vieux roi se roitlit contre le
verdict de l'opinion , et refusa de faire droit aux si justes
remontrances de la municipalité de sa bonne ville. Cet im-
prudent refus irrita encore davantage les masses, cpii se
ruèrent alors sur l'hôtel habité par l'indigne favorite, et le
saccagèrent de fond en comble ainsi que le dépôt de police et
quelques propriétés particulières voisines du théâtre de ces
désordres. Lola Montés n'échappa même pas sans peine à
h fureur populaire, et son royal amant, qui, probablement
pour lui porter secours , commit l'imprudeace de se mêler
incognito à la foule, fut légèrement blessé dans cette échauf-
fourée, dont le résultat fut de donner à la morale et à l'opi-
nion publique une tariL've satisfaction.
A quelques jours de là éclatait à Paris cette étourdissante
révolution de février que prévoyaient si peu ceux-là même
qui furent appelés à en profiter immédiatement. Le contre-
coup s'en fit tout aussitôt sentir presque simultanément, et
avec une rapidité égale à celle du fluide électrique, au nord,
au midi , à l'ouest et au centre de l'Allemagne, dont les po-
pulations étaient depuis longtemps mûres pour une révolu-
tion que hâtèrent singulièrement, d'une part , le mouvement
réformateur de la Prusse, et de l'autre le spectacle de toutes
les abjections de l'ancien régime que présentait dei)uis une
année la cour du roi Louis de Bavière.
Nous aurons à présenter dans ce dictionnaire le tableau
de ces graves événements dans les articles spéciaux relatifs à
l'Autriche, à la Bavière, au %Yurtemberg, à la
Saxe,àla Prusse, au Hanovre, aux grands-duchés de
Bade, de Hesse, et de Nassau, etc., etc., auxquels nous
renverrons le lecteur. L'aspiration des jjopulations alle-
mandes à la grande unité nationale , depuis plus de trente
années le rêve constant de tous les cœurs généreux et de
toutes les intelligences élevées, fut la pensée commune qui
présida à ce puissant mouvement de rénovation sociale.
Mais les passions mauvaises , les appétits désordonnés de-
vaient bientôt le détourner de ses voies premières. C'était
d'abord le sentiment de la dignité humaine justement blessée
des choquantes inégalités sociales base de l'édifice vermoulu,
si péniblement relevé par la coalition européenne en 1815,
qui, là comme ailleurs, avait demandé satisfaction à un
ordre de choses plus conforme à la raison. Mais là aussi
des frelons politiques voulurent dévorer en quelques ins-
tants le miel, finit du travail de plusieurs générations d'a-
beilles intelligentes et patientes. Les aventuriers de la dé-
magogie se précipitèrent avec une ardeur sans pareille sur
S65
la proie f;:c-lc que leur abandonnaient la généreuse con-
fiance des uns , la sf upéfaclion des autres et bientôt aussi
le découragement fatal de tous.
L'histoire du complet avortement de cette grande démons-
tration humanitaTe formera sans contredit l'une des pages
les plus curieuses et en même temps les plus instructives
des annales générales du dix-neuvième siècle. Le fait domi-
nant de cette période si décisive est incontestablement la
réunion à Francfort d'une assemblée délibérante commune
à l'Allemagne tout entière , et ayant pour mission de lui
donner celte unité politique définitive qu'elle cherche inu-
tilement depuis si longtemps. La confédération germanique
telle que le congrès de Vienne l'avait cor.stituée en 1815,
avait momentanément disparu sous le souffle destructeur des
événements dont le pays tout entier avait été le théâtre en
mars 1848. Le parlement de Francfort, chargé de la rem-
placer, et dans lequel l'élément démocratique était prépon-
dérant, échoua dans ses efforts , parce que dès qu'il lui fut
donné d'envisager en face la situation générale de l'Alle-
magne et de prendre un parti , il se trouva tout aussitôt an-
nulé par les intérêts essentiellement divergents dont, malgré
son origine révolutionnaire , il se trouvait l'expression , et
surtout parce que ces intérêts s'y trouvèrent immédiatement
en confiit. En dépit des tendances ouvertement républicaines
de la minorité , il s'était dès son début placé sous l'égide
monarchique, et avait centralisé les pouvoirs fédéraux entre
les mains d'un arcldduc d'Autriche. Uu instant même , en
voyant cette assemblée proclamer hautement qu'elle était
prête à mettre toutes les forces de la confédération au ser-
vice de l'Autriche pour lui venir en aide dans sa lutte contre
les populations italiques , puis réclamer pour l'Allemagne le
versant italien des Alpes , et jusqu'au territoire de Venise ,
on put croire qu'elle allait s'efforcer de reconstituer le vieil
empire germanique du seizième siècle; projet qui impliquait
nécessairement l'idée de faire rentrer dans la grande imité
germanique, non pas seulement la Hollande et la Suisse
Allemande, mais encore la Lorraine et l'Alsace, et alors on
put comprendre tout ce qu'il y avait de chimérique et de
radicalement impossible dans ces idées de fraternisation entre
les grandes nations européennes que les publicistes et les
orateurs de la démagogie étaient parvenus à mettre à la
mode. La vieille constitution germanique n'avait été détruite
que pour tout aussitôt faire poindre les graves perds qui
résulteraient inévitablement pour l'indépendance et la sécu-
rité des autres nations de l'Europe, surtout pour celles d'ori-
gine romane, de la concentration de toutes les forces et de
toutes les ressources des diverses populations germaines entre
les mains d'un pouvoir unique, que ce pouvoir fût monar-
cliique ou démocratique. Après deux années d'une existence
orageuse, cette assemblée de Francfort, successivement aban-
donnée et reniée par ceux-là même qui avaient été ses plus
ardents promoteurs , expira de vieillesse et d'impuissance.
Remplacée en 1850 , à la suite d'un accord intervenu entre la
Prusse et l'Autriche, par un pouvoir centi'al provisoire, elle
n'a laissé d'autres souvenirs que ceux qui se rattachent à
l'inutilité de ses luttes pour constituer la cliimère de l'unité
germanique, et aux projets révolutionnaires des démago-
gues qui croyaient pouvoir faire impunément table rase en
.Allemagne de toutes les institutions préexistantes, détruire
toutes les anciennes divisions politiques indépendantes et
l'cconstituer avec toutes ces ruines quelque chose de plus ou
moins analogue à l'unité nationale française ou à celle des
États-Unis de l'Amérique du Nord.
[Après !a chute du parlement allemand, la Prusse eut d'a-
bord la haute main sur les affaires d'Allemagne. Le 28 mai
1849 elle émit son projet de constitution d'un nouvel em-
pire allemand. » La Prusse, qui n'avait pas voulu rece-
voir la couronne d'Allemagne des unitaires de Francfort,
dit M. Thomas, se la donnait à elle-même; l'Allemagne se
confédérait ou plutôt elle ('î.iit fan. lue sous son patronage;
3C6
ALLEMAGNE
elle ne formait plus qu'un Élat purement germanique dans
lequel l'Aulriche n'entrait pas. L'Autriche, dans ce projet,
fonctionnait en dehors de l'Allemagne comme un corps en-
tièrement distinct sur lequel l'Allemagne devait toujours
s'appujer vis-à-vis de l'étranger, dont elle pouvait se rap-
procher, en traitant de gré à gré pour toutes les questions
intérieures , mais sans jamais dorénavant accepter aucune
communauté d'existence. L'Aulriche devenait ainsi , au
mépris de J'hisloire , une puissance non germanique ; l'Au-
triche prolesta. » Des trois rois signataires de l'union du
2G mai 1849, sur laquelle était basé le projet de constitution
du 28, deux se dédirent. La Prusse assembla un parlement à
Erfurt, et là elle déclara qu'elle acceptait tous les éléments
de l'ancienne fédération et reconnaissait les droits de l'Au-
triche, mais à la condition que celte confédération aurait
un nouvel organe, qui ne serait plus la diète, et qu'elle lais-
serait subsister dans son sein l'union particulière créée par
la charte du 28 mai. « L'Autriche rentrait ainsi dans l'Al-
lemagne, suivant l'expression de M. Thomas, mais la Prusse
se réservait le privilège d'avoir sa fédération à elle au mi-
lieu de la grande; elle admettait en quelque sorte deux
Allemagnes au lieu d'une, ce qu'on appelait alors- l'union
large ci Vunion restreinte. Qu'elle eût beaucoup ou qu'elle
eût peu d'oUiés, elle voulait élever cette union comme un
boulevard contre l'Autriche, »
Mais l'Autriche s'était raffermie. La charte du 28 mai
1849 se trouva remise en question au moment môme où elle
était exécutoire. Le 8 octobre 1850, à l'ouverture officielle
du Collège des princes , l'un des corps politiques érigés
par la cliarte du 28 mai, et déjà qualifié de provisoire,
la Prusse concéda que le maintien de son union restreinte
serait subordonné à l'assentiment de l'ancien corps fédéral.
C'était reconnaître la nécessité de le reconstituer. L'Au-
triche allait plus loin. Elle posait en droit que la diète di-
plomatique de Francfort, remplacée un instant par la diète
parlementaire et révolutionnaire , n'avait jamais cessé
d'exister, et elle intervenait les armes à la main dans la
Hesseau nom de celte autorité. Bien plus, elle prétendait en-
trer désormais dans la confédération avec toutes ses posses-
sions. La Russie offrit ses bons offices; et le comte de Bran-
debourg alla porter à Varsovie les propositions de la Prusse.
Il était chargé d'accepter l'incorporation de la monarchie
autrichienne tout entière dans la confédération ; mais il devait
s'arranger de manièreà en amoindrir les suites en demandant
entre la Prusse et l'Autriche parité dans l'exercice de la
présidence, parité dans le pouvoir exécutif, c'est-à-dire
à peu près le renouvellement de l'intérim du 30 septembre
1849, avec la liberté de former des alliances séparées au
sein de la fédération. L'Autriche refusa, à Varsovie, les pro-
positions prussiennes, et ne se relâcha point des siennes.
Elle ne voulut point partager le pouvoir exécutif, qu'il fallait,
disait-el!e « vigoureux, » et demanda que la Prusse se désis-
tât officiellement de sa charte du 28 mai 1849. Quand il
s'agil enfin de répondre par la force à ces dures exigences ,
il se trouva que la Prusse n'était pas suffisamment prête, et
elle en revint aux négociations. M. de Manteuffel alla pro-
mettre à Oimiitz que l'on ferait ce que désirait l'Autricl.o.
Des conférences s'ouvrirent à Dresde entre les principales
puissances allemandes. Une commission proposa de cons-
tituer un gouvernement fédéral composé de neuf membres
ayant onze voix, et de recevoir dans la confédération l'Au-
triche et la Prusse avec toutes leurs possessions indistincte-
ment. Une armée de 125,000 hommes toujours prêts devait
être à la disposition du pouvoir exécutif. Les onze voix
étaient ainsi réparties : l'Autriche et la Prusse, chacune deux
voix; la Bavière, le Hanovre, la Saxe et le Wurtemberg,
chacun une voix ; la neuvième et la dixième voix appar-
tenaient collectivement à des Étals .secondaires, et la on-
zième aux plus petits États allemands. La Prusse n'admit
pas cet arrangement qui avait été préparé par l'Autriche. La
France et l'Angleterre protestèrent contre l'admission de nou.
veaux pays dans la Confédération germanique. Le roi de
Wurtemberg, dans une lettre rendue publique, denaada une
représentation du peuple allemand auprès du pouvoir fédé-
ral ; une seconde commission adopta cet avis, après avoir
indiqué cinq propositions destinées à fortifier le pouvoir dans
chaque État et à abroger les dernières mesures révolutionnai-
res. Le ministre de Prusse demanda un sursis. L'Autriche ac-
corda deux voix de plus aux petits États. La Prusse n'en vou-
lait que cinq, deux permanentes et trois temporaires, et in-
sista pour avoir la parité dans l'exercice de la présidence.
On ne put ainsi s'entendre; et comme on était d'accord sur
la nécessité de reconstituer un pouvoir central, l'ancienne
diète fut tout simplement reconstituée par le retour des
envoyés des différents États à Francfort.
La lutte entre la Prusse et l'Autriche n'existait pas seule-
ment sur le terrain politique. La Prusse éloignait aussi
l'Autriche du marché allemand, en lui refusant l'entrée dans
le ZoUverein. Les quatre royaumes, les deux liesse, Bade et
Nassau se coalisèrent, et la Prusse dut conclure un traité
de commerce avec l'Autriche pour renouveler son association
douanière. Les mêmes puissances se réunirent, en 1854, dans
des conférences tenues à Bamberg, pcMir appuyer le système
de neutralité de l'Allemagne pendant la guerre d'Orient.
Quelques efforts aboutirent pourtant dans les questions écono-
miques. Un projet d"e code du commerce général fut mis à
l'étude, des conventions communes furent conclues relati-
vement à l'établissement de chemins de fer, des banques
créées, un système unique de monnaies adopté, une ré-
forme postale préparée, etc. La guerre d'Italie vint encore
montrer l'antagonisme des deux grandes puissances qui
divisent l'Allemagne. Tandis que quelques petites puissances
rêvaient de voler au secours de l'Autriche, la Prusse
nfuintenait son système de neutralité , ne voyant pas d'in-
térêts allemands engagés dans la possession de la Lom-
bardie par l'Autriche, non plus qu'elle n'en avait vu dans
la possession du Danube par la même puissance. La chambre
des députés de Prusse a aussi reconnu, en 1861, que
l'Allemagne ne devait pas s'opposer à la reconstitution de
l'Italie : c'est avouer que la posse>sion de Venise par l'Au-
triche n'intéresse pas l'Allemagne. Cependant, suivant le
ministre Schleinitz, « une alliance intime de la Prusse avec
l'Autriche sera toujours ime des plus solides garanties pour
la conservation de l'intégrité du territoire allemand et de
l'équilibre européen. Les deux États ont besoin l'un de l'au-
tre sous ce rapport, et nulle autre combinaison ne sau-
rait remplacer celte alliance. Mais elle ne pourra être
utile qu'en tant qu'elle reposera sur une parité complète,
et que des deux côtés il y aura amitié vraie. » En attendant,
la dièle a pris quelques mesures pour arriver à l'unité mili-
taire, l'Allemagne apprête bruyamment ses armes, quoique
décidée sans doute à attendre les événements l'arme au pied.
« Ce fut le dessein de c«ux qui réglèrent les affaires de l'Eu-
rope à la fin de la guerre (de 1815), disait un journal anglais,
de créer en Allemagne une puissance que l'on voulait mettre
dans la double condition de ne pouvoir jamais prendre
l'initiative de l'attaque, et d'être cependant assez forte pour
pouvoir toujours se défendre. On voulait faire de l'Allemagne
une messe immense, un rempart infranchissable à tout
ennemi extérieur, un lac dont les eaux pouvaient être
troublées à la surface par le vent, mais devaient toujours
reprendre leur calme et leur niveau. Dans ce dessein on
organisa en Allemagne une hiérarchie d'États aussi soi-
gneusement et aussi absurdement gradués entre eux que
les degrés sans fin delà noblesse... Ce plan ingénieux a
réussi sous de certains rapports. La grande nation allemande,
avec sa littérature, sa civiliôalion et sa valeur, n'a été
remuée par aucune impulsion agressive. Le malheur,
c'est qu'avec la puissance d'attaquer les autres celle de se
défendre a aus::i disparu. La machine de l'empire aile-
ALLEMAGNE
3t>7
maïul est ainsi orj;anisée quVUo donne, à cliaque membre
lie la coiifétlenlion un intérêt iiuliNiiluel el parlienlier
presque loiijoiirs op|K>sé, soit dans la réalité, ?oit |iliis sou-
Tcnl encore dans la forme, à celui du corps entier. »
Des esprits généreux demandent toujours l'unité de l'Al-
lemagne, et profitent de toutes les occasions pour exprimer
leurs sentiments : on en a vu un grand exemple encore à la
kHe on jubilé de Schi 1 1 e r en 1S59. Mais la lutte des inté-
rêts et des puissances arrête toujours ces élans. Une as-
sociation nationale allemande s'etant for.mée demanda
l'inlervejition de la confédération dans les affaires du Hols-
tein , vieille question sur laquelle la diète est revenue tant
de fois, faisant autant de pas en arrière que de pas en avant ;
la Hesse voulut la dissolution de cette société, la diète la
refusa, dans la crainte d'agiter les esprits. C'est ainsi que
rien ne semble (iiiir en Allemagne. Aurait-on, par hasard,
eu raison de dire en France : « Les autres peuples agis-
<ent, les Allemands méditent ; nous vivons, ils pensent j
nous combattons, ils discutent? »
Une des chansons les plus populaires de l'Allemagne est
celle de Maurice Arndt, intitulée la Patrie de l'Alle-
mand : « Quelle est la patrie de l'Allemand? se dit le
poëte. Est-ce la Prusse? est-ce la Souabe? sont-ce les rives
du Rhin où fleurit la vigne? sont-ce les rivages du Belt,
où la mouette décrit les courbes de son vol? — Oh non!
oh non! sa patrie doit être plus grande... Aussi loin que la
langue teutonne résonne et élève ses chants à Dieu dans
le ciel, c'est là cette patrie; brave Teuton, tout cela est à
toi. Elle est là, ia patrie du Teuton, où la pression de la
main vaut un serment, où la bonne foi brille dans le clair
regard de l'oeil , où l'amour siège dans le cœur qu'il ré-
chauffe, où le clinquant des Welches disparaît au vent de
la colère, où tout Français est un ennemi : voilà cette pa-
trie, voilà toute la terre du Teuton... » Plus tard, les Alle-
mands chantèrent encjDre, en parlant des Français :
Ils uc t'auront pas le B.bia allemand.
Ensuite, il est vrai, on but quelques pots à la fraternité
des peuples. On essaya de constituer cette grande patrie
allemande; mais il se trouva que l'union de la langue ne suffit
pas, on se disputa, on se battit encore une fois en alle-
mand , et chaque gouvernement se reforma avec ses idées
d'omnipotence, ses haines, ses rancunes. La patrie de r.\l-
lemand, toujours idéale et poétique, s'évanouit comme la
mousse de la bière. C'est qu'en effet, comme l'a dit un critique
français, cette grande patrie de l'Allemand, « elle est par-
tout et elle n'est nulle part. .Autant de divisions du territoire,
autant de patries distinctes, unies entre elles par une pa-
renté douteuse. Les Saxons combattent à léna sous les
drapeaux prussiens ; le lendemain ils assiègent avec nous
Dantzig, où la Prusse a placé ses dernières espérances. .\
tous ces peuples divisés il faut rappeler sans cesse qu'ils
sont les enfants d'une môme famille, il faut les rallier
par l'amour d'une commune patrie, et leur apprendre à
mettre les droits de l'Allemagne avant ceux de la Souabe,
delà Bavière ou de laFranconie... L'Allemagne, un glorieux
nom! Qu'est-ce que l'Allemagne et où est-elle? C'est le
poète qui se charge de réaliser l'abstraction patriotique;
c'est lui qui pose les limites nationales et qui donne les
signes de ralliement; il fait plus que glorifier la patrie, il
la crée pour ainsi dire ; il la conçoit et l'enfante par la
pensée. Professeurs, théologiens, philosophes, tous unis-
sent leurs voix à celle du poète : du haut des chaires saxonnes,
souabes ou prussiennes, l'Allemagne est proclamée; on élève
la jeunesse dans l'admiration et l'amour de cette patrie
idéale, on la lui enseigne d'abord, pour la lui faire chérir
ensuite : on présente une idée à son esprit , une idée qui
doit devenir un sentiment pour son cœur. De là le caractère
en quelque sorte métaphysique du patriotisme allemand. »
« De ce que le patriotisme allemand a été enseigné en Al-
lemagne, di.>ait un écrivain, de ce que des hommes qui joi-
gnaient à un ardent enthousia<ime national l'amour du sa-
vant pour le sujet qu'il s'est choisi ont recherché curieu-
sement et systématiquement réuni tout ce qui leur pa-
raissait être un titre d'honneur pour la nation allemande,
il résulte une grande facilité à se faire une idée, non pas
peut-être de ce que les Allemands sont bien réellement,
mais au moins de ce qu'ils croient être : ce ne sont point
des sentiments obscurs et d'une analyse difficile, ce sont des
systèmes dcveloppcs qu'on a devant soi. » Par exem[ile,
ajoute M. Albert Auhert, il y a tel professeur de l'autre côté
du Rhin qui fait un cours complet de patriotisme comme
d'autres font un cours de grammaire ou de métaphysique;
réunissez ses leçons, et vous avez le recueil de tous les
préjugés nationaux, de toutes les flatteries adressées à la
race teutonne, de tous les éléments enfin dont se forme
l'orgueil germanique, orgueil vraiment souverain, moins
arrogant peut-être et moins fastueux que celui des Espa-
gnols, mais beaucoup plus profond et beaucoup mieux rai-
sonné. La supériorité de la race et l'excellence de la langue,
voilà d'abord les deux grands litres du peuple teuton, les
deux caractères dominants auxquels l'.AIIemagne doit se
reconnaître elle-même et se distinguer du reste de la terre.
De ces premières perfections découlent naturellement
toutes les autres : avantages politiques, suprématie intellec-
tuelle, vertus éminentes, sans parler des quahtés de dé-
tail ; l'idéal humain , à peu de chose près. Personne ne
conteste l'unité ni l'ancienneté de la race allemande ; mais
si l'invasion des races germaniques a renouvelé le monde,
ce n'a été qu'au prix de cinq ou six siècles de barbarie, et
dans la renaissance, l'Allemagne ne figure que poiu' une
faible part. L'Allemagne regarde la réforme comme la se-
conde rénovation des destinées humaines; mais si la ré-
forme engendra le libre examen , ce n'est qu'à la philoso-
phie française, à Voltaire , à Frédéric II, à nos assemblées
révolutionnaires que l'on doit la liberté de conscience, la
liberté politique, l'affranchissement des classes opprimées.
S'il est des écrivains qui regardent l'unité de l'Allemagne
comme une chimère , comme un mirage trompeur qu'elle
poursuit sans y croire, comme un idéal que le poète seul
rêve, il en est d'autres qui pensent que cette idée grandit
el gagne du terrain ; que déjà les princes doivent compter avec
elle, la ménager, la flatter même publiquement, tout en com-
battant par une résistance occulte sa propagation ; qu'elle est
au fond de toutes les questions qui s'agitent ; qu'en vain on
l'étouffé, elle couve sous la cendre. « Le travail est lent,
disent-ilSjla fermentation sera longue. Qu'importe! Les Alle-
mands ne sont pas pressés comme nous; ils savent attendre. »
C'estbien ; mais Georges Herweg, dans sa vision du jugement
dernier, appelle ses compatriotes (Véter)iels dormeurs.
Hoffmann de Fallersleben leur dit dans un^ épigramme :
CI Vous n'êtes pas sots, vous ii'êies pas méchants, vous connais-
sez la valeur des mots liberté et droit; vous aimez la vérité,
vous haïssez la vaine apparence et vous êtes partisans de
la liberté d'esprit. En outre, vous possédez tout sur terre;
vous avez la santé, le plaisir et l'argent, femmes, enfants,
fermes et maisons de campagne. Une seule petite chose
vous manque -. il vous manque le courage ! » Le courage,
ils en ont fait preuve cependant, et contre nous, répond
M. Albert Auhert; remplacez ce mot par celui d'énergie,
de faculté d'agir, le reproche sera plus juste. Les qualités
essentielles du caractère allemand sont l'humanité, la pa-
tience, le calme, la persévérance laborieuse, la constance,
l'amour du foyer et le soin extrême de tous les détails do-
mestiques. C'est un heureux signe chez un peuple que
cette prétention unanime à la vertu, et tout en faisant bon
marché de ses prétentions exagérées à la préexcellence
dans les choses de l'esprit, on doit honorer une nation qui
inscrit sur son drapeau : Loyauté, constance, probité, mo-
ralité publique et privée. Z.J
868
ALLEMAGNE
Langue allemande.
La langue allemande (die dcutsche Sprache) est une des
brandies de la langue germanique primitive. Quelques au-
teurs écrivent teutsch , qu'ils font dériver de tcut, teuton ;
mais il est plus exact de le faire dériver de thciit , (eut ,
dlet (peuple). La langue germanique primitive se divise
en trois branches : la branche allemande proprement dite ,
la branche Scandinave , et la branche anglo-saxonne ou
anglaise. La division de la langue allemande proprement
dite en haut et bas allemand , lesquels se subilivisent en
plusieurs autres dialectes provinciaux , remonte aux temps
les plus reculés. Quelque différents que soient les mots et
les formes grammaticales de ces idiomes particuliers , il est
aisé de reconnaître qu'ils ont une commune origine.
Lorsqu'on parle de la langue allemande en général , on
entend ordinairement par là celle dont font usage les écri-
vains et dont se rapproche le langage des classes instruites
de l'Allemagne , lequel est plus ou moins exempt de l'accent
et des idiotismes propres au dialecte provincial. La question
de savoir où l'on parle l'allemand le plus pur ne peut guère
être résolue avec impartialité. Suivant Adelung , l'allemand
le plus pur est celui que l'on parle dans la haute Saxe , et
même seulement en Misnie. Par langue des écrivains on
entend le dialecte qui a été employé depuis Luther par les
meilleurs auteurs , et admis par la haute société de toutes
las contrées où la langue allemande est en usage. C'est
dans le midi de l'Allemagne , particulièrement dans les
contrées qui avoisinent les basses Alpes et les Carpathes ,
de même que dans les pays plats situés au sud-ouest et à
l'est, que la langue est le moins exempte de provincialismes,
môme parmi les classes instruites. Là (dans la haute Souabe,
la haute Bavière et l'Autriche), les voyelles sont dures et les
consonnes sinianfes ; ici (dans la NYesfphalie occidentale, le
bas Rhin , le Mecklenbourg et la Poméranie ) elles sont
longues , molles et traînantes : différtînces dues en grande
partie à l'influence du chmat. Au centre de l'Allemagne , et
particulièrement dans la haute Saxe , la prononciation est
plus exempte de ces inflexions et plus épurée ; mais en se
rapprochant des Riesengebirge l'accent devient tantôt rude,
tantôt psalmodiant et monotone , et vers le bas Brande-
bourg , traînant et languissant. Dans la basse Saxe mé-
ridionale ( Hanovre , Brunswick , Gœttingue ) la langue
commence déjà à être plus pure ; cependant c'est au delà des
frontières de l'Allemagne, dans la Courlande et la Finlande ,
chez les descendants des anciens colons allemands , qu'elle
est parlée dans sa plus grande pureté , parce qu'aucun pro-
vincialisme populaire n'est jamais venu la défigurer.
On ne sait rien de certain sur l'origine de la langue alle-
mande; quelques auteurs la font dériver de l'indien, d'au-
tres du persan, d'autres encore lui donnent une origine
commune avec le grec ; Morhof a même été jusqu'à préten-
dre que le grec est dérivé de l'ancien idiome allemand. Des
recherches faites sur ces deux langues, dit Voss, prouvent
qu'elles ont une origine commune , et on découvre même
plus de douceur dans la langue teutone, alors qu'elle était en-
core dans l'enfance, que la langue grecque n'en présente dans
ses premiers monuments. Les plus vieilles traditions rappor-
tent que des hordes d'anciens Grecs reçurent du nord de la
Thrace l'art de cultiver la terre, et leurs premières idées mo-
rales en même temps que le culte de Bacchus. Or, l'histoire
nous montre dans ce pays des Thraces, appelé plus tard
Scyihie, une race germaine, les Goths de la mer Noire, qui,
bien que séparés déjà de leurs ancêtres depuis plus de dix
siècles , n'en conservaient pas moins dans les formes du
langage une ressemblance frappante avec les Grecs. La lan-
gue de l'habitant du sud , favorisée par le commerce , la
beauté du climat et la lii)erté, parvint à un haut degré de
perfection. Celle du nord demeura slationnaire, mais elle
n'en conserva pas moins au milieu de sa barbarie primitive
un caractère plein de force et pur de tout mélange. Aussi
est-elle restée langue mère , langue radicale, la seule qui ,
parmi les idiomes bâtards de l'Europe asservie, puisse riva-
liser avec la langue grecque. Mêla dit qu'une bouche ro-
maine pouvait à peine prononcer les mots de la langue des
Germains, et Nazarius assure que les sons qu'ils produisaient
excitaient des frissonnements. Vraisemblablement ils se com-
posaient d'un assemblage de consonnances dures, de fortes
aspirations et de voyelles graves. Néanmoins, il ne faut pas
croire à la lettre les assertions des Grecs et des Romains,
déjà amollis, qui appelaient la langue des Germains rude et
barbare seulement peut-être parce qu'elle leur était étran-
gère. L'exemple de la langue polonaise actuelle nous prouve
que la répétition fréquente des consonnes ne rend pas une
langue nécessairement dure ; car la foule de consonnes qu'elle
contient n'empêche pas que, parlée par des gens bien élevés,
elle ne soit encore douce et sonore. Du reste , il se pour-
rait que la langue allemande primitive eût été plus riche en
mots servant à désigner des objets sensibles qu'en expres-
sions propres à rendre des idées abstraites, dont les Ger-
mains, enfants des forêts, s'occupaient encore fort peu.
Les premières traces de l'existence d'une littérature alle-
mande se font remarquer chez les Goths, qui, chassés de
leurs foyers par les Huns vers le milieu du quatrième siè-
cle, vinrent s'établir dans les basses contrées du Danube.
On les confond souvent avec les Scandinaves ; antérieure-
ment ils habitaient la Mœsie, aujourd'hui Valachie, et du-
rent vraisemblablement leur civilisation au voisinage des
Grecs. Ulphilas,Goth distingué, qui détermina ses compa-
triotes à embrasser le christianisme, vers l'an 360, introdui-
sit panni eux l'art de l'écriture, et, après avoir été nommé
évêque, traduisit la Bible. La plus grande partie des qua-
tre évangélistes et un fragment de l'Épître aux Romains,
traduits par lui, sont parvenus jusqu'à nous. Nous trouvons
dans la langue dont il se sert un mélange du haut et du bas
allemand encore en usage de nos jours et des mots étran-
gers, peut-être thraces, dont les formes grammaticales ne
diffèrent pas beaucoup de Tidiome allemand actuel. Une des
particularités les plus remarquables de la langue dont se sert
Ulphilas, c'est qu'on y trouve un nombre analogue au duel
des Grecs. Les noms de nombre ains, twai, thrins, etc.,
indiquent déjà la transformation du haut allemand en bas
allemand. On y trouve aussi beaucoup de mots anglo-saxons
encore usités aujourd'hui dans la langue anglaise ; d'ailleurs
le haut allemand y apparaît partout comme base fonda-
mentale.
L'aurore de la littérature et la formation de la langue
ne datent que du huitième siècle , de l'époque de Charle-
magne Le peu de littérature qui existait avant ce temps
se composait d'ouvrages primitivement écrits en latin d'é-
glise, traduits en slave, où sont servilement imitées la
construction et jusqu'aux inflexions des mots latins. L'i-
diome alors en usage était le haut allemand de nos jours ,
mais orthographié d'après la prononciation grossière du peu-
ple. Cependant, c'est vers ce temps que parurent les chan-
sons qui , pour la première fois , donnèrent à la langue une
allure poétique.
Avec Charlemagne (76S à 1137) commença l'ère des
Franks, dans laquelle des choses si grandes et si utiles furent
accomplies ; car ce n'est pas seulement par ses conquêtes
que Charles mérita son glorieux surnom , mais encore par
tout ce qu'il fit pour la civilisation. H imposa des noms
allemands aux mois et aux vents, entreprit la rétlaction
d'une grammaire allemande, et fit d'incroyables efforts pour
perfectionner la langue, la poésie et les sciences. Toutefois,
les progrès furent lents, et ne devinrent sensibles que sous
le règne de ses successeurs.
La langue ne fit d'ailleurs que peu de progrès sous les
rois saxons (912 à 1024 ), époque à laquelle fleurirent Labeo
et d'autres. Parmi tous les poètes et tous les écrivains de ce
ALLEMAGNE
360
temps , aucun ne s'olant rcncontiô qui fût assez fort pour
imposer des règles fixes et certaines à la lanf^ue , il eu est
résulte ce manque d'unité et de régularité en ce qui touche
riuflexion et la désinence des mots qui existe encore au-
jourd'hui. 11 en fut de niéme sous les empereurs franks (1024
à 1136), période dans laquelle on remarque WilJeram et
surtout l'auteur anonyme d'un panégyrique en vers d'Anno,
évéque de Cologne, mort en 1075. Ce poème annonce l'ap-
proche d'un siècle plus brillant pour la littérature et la
l>oésic , celui des empereurs de la maison de Hohenstau-
fen, qui comprend aussi l'époque des MinneScrngcrs. Les
changements qui s'opérèrent alors dans la langue sont très-
remarquables ; ils furent occasionnés par la substitution
du dialecte de la Souabe à Tidiome frank. Cette nouvelle
langue prit donc les formes imparfaites de l'ancienne, et
les perfectionna selon les besoins de l'esprit poétique qui
dominait alors. Quelques poésies qui nous sont* restées de
ces temps-là font voir comment la langue des Franks s'est
successivement fondue dans l'allemand de la Souabe. La
difficulté qu'elle offre à la lecture provient des mots sous-
entendus ou ayant reçu une autre signification , ainsi que
des inllexions , des dérivations et de la construction qui ont
été changées. Peu à peu l'idiome de la Souabe perdit sa su-
périorité en Allemagne, et presque tous les autres dialectes
eurent les mêmes dioits. L'association des Meistersxnger
ne contribua pas peu à ce résultat. Sans méconnaître ici
le prix des descriptions pleines de sentiment qu'on trouve
dans Hans Sachs, on peut dire que la langue y a peu
gagné en richesse et en expression. L'école de poésie dont
il fut le fondateur ne lui a été favorable que sous le rapport
de l'unité et de la régularité. ^lais ces qualités de la langue
devaient aussi finir par se perdre. Comme la lecture de la
Bible était interdite aux laïques , et qu'en justice et dans la
chaire on se servait d'une langue morte étrangère, la langue
primitive finit par dégénérer. Cette décadence, toutefois,
fut arrêtée par Luther, qui traduisit la Bible avec un rare
bonheur de style , et qui en corrigea soigneusement chaque
nouvelle édition ( les Psaumes en eurent jusqu'à sept , de
lois à 1545). Il lendit en termes nobles ce qui était grossiè-
rement exprimé , et mit dans tout leur jour les mouvements
d'éloquence qui s'y trouvaient placés sans ordre et sans
convenance. Dès ce moment la langue allemande fut généra-
lement usitée dans les relations usuelles et littéraires.
A ce créateur de la nouvelle syntaxe allemande succé-
dèrent presque sans intemiption des continuateurs de cette
noble tâche. D'abord l'énergique Opitz, qui étudia la poésie
à l'école de l'antiquité et à celle des poètes étrangers ; le
fougueux maître de Haller, Lohenstein, qui, dans son Ai--
viinius et Thusnelda, ajouta à la richesse de la langue par
des expressions pittoresques et des tournures nouvelles; et
enfin l'aimable Hagedorn, qui fit perdre à la langue alle-
mande cette roideur d'école qui lui était particulière, et sut
la rendre aussi flexible que propre aux iiispirations de la joie
et de la sagesse de la vie.
"S'ers la fin du dix-septième siècle la langue allemande fut
gâtée par l'influence de la langue française. Cette influence
se fit encore plus sentir vers le milieu du dix-huitième siècle,
où la langue française prévalut presque partout dans la vie
sociale {voyez l'ouvrage intitulé : Tyrannie de la langue
et de l'esprit de la France en Europe, depuis le traité
de Rastadt ;\>w Radloff, Munich, 1814). Le nouveau pu-
risme introduit par Gottsclied et par sa larmoyante école té-
moigna d'excellentes intentions ; mais très-certainement si
l'on n'avait jamais eu que les productions de l'école de Gotts-
clied à mettre en avant, le mépris dont le roi Frédéric II
faisait profession pour la langue allemande, et qu'il mani-
festa dans une lettre écrite en frança'is {De la Littérature Al-
lemande, Berlin, 1780), se fût trouvé complètement justifié.
Cette lettre a d'ailleurs été réfutée par l'abbé Jérusalem {Sur
la Langue et la Littérature Allemandes, Berlin, 1781);
DICT. DE L.\ CONVERS. — T, I.
par Jean Mœser, sous le même litre ( Osnabruck, 1791 ), et
par Wezel {Sur la Langue, lesSciences et le Goût en Al-
lemagne, Leipzig, 1781). En résumé, on peut dire que
trois qualités caractérisent surtout la langue allemande : sa
flexibilité , qui consiste dans sa force inépuisable , dans le
secours des syllabes d'inflexion et de dérivation, ain^^i que
dans la faculté d'assembler les mots pour en former de
nouvelles significations ; sa richesse, car le nombre des mots
dont elle est composée dépasse de beaucoup celui de toute
autre langue vivante, et ce nombre s'accroît encore tous les
jours, en raison des privilèges illimités concédés à cet égard
aux écrivains, poètes ou prosateurs; enfin son universa-
lité, c'est-à-dire le pouvoir qu'elle possède d'embrasser le
génie de toutes les langues cultivées , pour s'approprier ce
qu'elles ont de meilleur. Il n'y a pas de nation dans la langue
de laquelle on ait encore reproduit les poésies d'Homère et
de A'irgile avec autant de bonheur que Voss, les dialogues
de Platon comme Schleiermacher, les œuvres dramatiques
de Shakspeare et de Calderon comme Scblegel , Cries et
Malsburg ; les poèmes de l'Àrioste et du Tasse comme Gries
et Streckfuss , le Dante comme ce dernier et Kannegiesser,
Cervantes comme Tieck.
La langue allemande serait plus riche si les Allanands
n'en avaient pas eux-mêmes restreint les bornes. On doit
vivement regretter que le haut allemand soit devenu la langue
des écrivains, à l'exclusion du bas allemand. Qui sait, en
effet, où auraient conduit les essais d'idylles de Voss en
plat allemand, les poèmes de Hebel, ceux de Grubel dans
le dialecte du Wurtemberg, et d'autres encore ? Un diction-
naire qui comprendrait l'inventaire complet des richesses de
la langue allemande devrait contenir tous les dialectes, in-
diquer tous les idiotismes et expliquer tous les glossaires. En
attendant un travail complet sur cette importante matière,
on peut mentionner avec reconnaissance les services rendus
en ce genre, par Adelung , Campe , Fulda, Kinderling,
Voiglel, Storcli, Eberliard, etc.; leurs essais, malgré des la-
cunes graves, étaient de bons modèles à suivre. Les frères
Grimm ont dépassé leurs devanciers dans cette voie.
La première grammaire allemande qu'on connaisse fut
composée au seizième siècle, par Yalentin Ickelsamer, sous
le titre de Teutscke Grammafica darauss einer von ihm
selbs mag lesen Icrnen (grammaire allemande par laquelle
on peut apprendre à lire de soi-même). Les grammaires
composées au dix-septième siècle, par Opitz , Morhof, Schot-
tel, etc., méiitent aussi d'être citées. Les grammaires les
plus récentes qui aient obtenu les suffrages des juges com-
pétents sont celles d'Adelung, de Heynatz, de Moritz, de
Roth, d'Hunerkoch et de Grimm.
Littérature allemande.
Guillaume Schlegel a dit que les Allemands n'ont pas en-
core de littérature, et sont seulement sur le point d'en
avoir une. Mais en s'exprimant ainsi ce critique se ren-
fermait dans le sens restreint qu'a en français le mot lit-
térature , sans y comprendre les ouvrages d'érudition et
de science , qui cependant n'en font pas moins partie de
la littérature d'un peuple. « Si l'on entend par littérature,
« continue-t-il, une accumulat'on désordonnée, incolié-
« rente, de livres qui ne sont pas animés d'un esprit com-
'< mun , qui n'offrent pas même entre eux l'unité d'une
« direction nationale déterminée , dans lesquels les traces
« et les pressentiments d'un meilleur avenir se peidcnt
« presque entièrement dans un chaos d'effoils manques
« et mal compris, d'absurdités et de pauvretés d'esprit mal
« déguisées, et de manies baroquement ambitieuses, au lieu
« d'une poésie déterminée par la nationalité et portée à la
« perfection dans un nombre considérable d'ouvrages appar-
« tenant à tous les genres, alors, sans doute, nous avons une
« littérature ; car on a observé avec raison que les Allemands
« étaient l'une des principales puissances écrivantes del'Eu'
47
370
ALLEMAG>K
« rope. »Commecesparolesvont]usqu'ànicrre\is{enccd'iine
unité nationale dans les pioilnclions intellectuelles de l'Alle-
magne, la question de savoir « si les Allemands possèdent
en ce sens une lUUrature, c'est-à-dire un cci-tain nombre
d'ouvrages se complétant les uns par les autres, formant
dans leur ensemble une espèce de système, et dans lesquels
une nation trouve exposés ses idées et ses sentiments les
plus chers » , cette question , disons-nous, découle de cette
autre, qu'on a tant de fois agitée : Les Allemands ont-ils un
caiactère national ? Sclilegel voudrait « que ces écrits satis-
fissent tellement tons les besoins intellectuels de la nation,
qu'après des générations, des siècles entiers, elle y re-
tournât sans cesse avec un nouvel amour ; » mais c'est là
une condition qui se modifie puissamment par les phases de
la civilisation et par les destinées que subit un peuple. La
question une fois ainsi posée, il n'y aurait pas même de lit-
térature française en général ( ce que Schlegfl cependant ne
parait point vouloir admettre ), mais tout au plus peut-être
une littérature française du siècle de Louis XIV. Heureuse-
ment, nous nous rappelons à ce propos un jugement remar-
quable sur les Allemands, émis précisément par le frt-re de
réctivain précité, par Frédéric Schlegel, qui les compare
aux Romains. « Ce qui distingue particulièrement les Alle-
mands de ce dernier peuple , dit-il , c'est un amour plus
profond de la liberté ; elle ne consiste pas seulement chez
eux dans un mot, dans une maxime, mais elle y est un
sentiment inné. Ils ont pensé trop noblement pour vouloir
imposer à toutes les nations leurs propres mœurs et leur
caractère; mais ce dernier n'en poussa pas moins racine
partout où le sol ne lui fut pas complètement contraire, et l'on
vit aussitôt alors un e-prit d'honneur et d'amour, de vail-
lance et de fidélité, s'y développer d'une manière éclatante.
Par cette liberté crigiuaire du sol, qui est un trait impéris-
sable dans le caractère de la nation, celle-ci conserva jusque
dans les temps de repos et d'inaction apparente quelque
chose de plus primitif et de plus constamment romantique
que ce que nous offre même le monde fabuleux de l'Orient.
Son enthousiasme fut plus joyeux, plus naïf, plus désinté-
ressé, moins exclusif et moins destructeur que celui de ces
admirables fanatiques qui ont embrasé la terre plus rapi-
dement et plus universellement encore que les Roiiiains.
Une probité sentie, qui est plus que la justice de la loi et de
l'honneur, une fidélité sincère , et une bonté d'àme inalté-
rable comme celle de l'enfant, tel est le fond le plus iutim.e,
et, je l'espère, à jamais indestructible, du caractère alle-
n^.and. »
Ces qualités , qui se retrouvent dans les ouvrages des Al-
lemands, ont dû suffire pour imprimer un cachet d'ensemble
à leur littérature et lui assigner un rang à part. Aucune
nation n'a travaillé a'.ec autant d'ardeur que les Allemands
dans toutes les parties de la science; aucune autre n'a
exposé sous des formes développées et logiques des vues si
diverses sur la vie humaine ; aucune n'a montré une cul-
ture d'esprit aussi généralement systématique, et n'a si bien
satisfait aux exigences de cet esjirit dans toutes les branches
des connaissances humaines. Que si trop souvent chez eux
l'e-^prit d'indépendance a pu dégénérer en arbitraire, en li-
cence , et dans la littérature en manie d'écrire et d'imiter,
en coiifïi.iion, en paradoxes, en dérèglements de tout genre,
ne peut-on pas dire que les autres littératures ne furent
garanties de ces défauts que par les directions exclusives
qu'elles adoptèrent et par un attachement immuable à des
autorités une fois établies? De là sans doute leur cachet plus
particulier, plus national; mais peut-être n'est-il pas beau-
coup de peuples qui eussent pu se tromper à la manière des
Allemands! Par contre, leur esprit spéculatif, cet esprit
qui ne peut se détacher de la vie et de ses diverses situa-
tions sans les avoir comprises, les a rendus plus propies
qi;e d'autres peut-être à la culture des sciences, encore
bien qu'ils puissent s'enorgueillir de posséd.r des ouvrages
poétiques d'une profondeur et d'une intimité de sentiment
telles qu'on ne saurait les rencontrer chez aucune autre
nation , et surpassant de beaucoup tout ce qu'une élégance
extérieure de formes peut avoir de séduisant. Aussi bien il
ne faut pas oublier que chaque littérature dépend des des-
tinées du peuple auquel elle appartient ; en elle se reflète en
quelque sorte sa vie nationale , car les périodes littéraires ré-
fléchissent comme une image du caractère et de la situation
morale de chaque nation. Or, sous ce rapport encore la litté-
rature allemande forme un tout plein d'unité , quelque <iif-
ficile qu'il puisse être souvent de découvrir les fils qui lient
les parties de cet immense tissu.
Le mot Ultérahire supposant nécessairement des monu-
ments écrits, nous ne pouvons rechercher avant Charle-
magne les origines de la littérature allemande. A la suite des
terribles bouleversements amenés par la grande migration
des peuples, les rapports sociaux des tribus allemandes
entre elles diîvinrent alors plus stables, et leurs habitations
fixes ; des peuples étrangers en se mêlant à elles leur com-
muniquèrent quelques éléments de leur civilisation : on ré-
digea des lois, dont les recueils (surtout ceux des Bour-
guignons , des Alamans , des Bavarois , des Frisons et des
Saxons ) font partie des premiers documents de la culture
intellectuelle allemande. A partir du huitième siècle, on
voit, grâce aux nobles efforts de saint Boniface, Papôtre de
l'Allemagne, le christianisme se propager de plus en plus
parmi les tribus germaines ; et là comme partout c'est à
l'Église que l'humanité fut redevable des efforts les plus fé-
conds qu'on ait jamais tentés en faveur de la civilisation.
Les ecclé^iast'ques furent les premiers qui essayèrent d'é-
crire dans une langue encore rude ; et les quaire évangé-
listes traduits par l'évêque Ulphilas dans l'idiome des Mceso-
Goths (vers l'an 360 ) sont le plus antique monument écrit
de la langue germanique.
Les Frauks établis dans les Gaules fondèrent dès le sixième
siècle des écoles dans lesquelles s'instruisirent leurs ecclé-
siastiques, et qui furent imitées ensuite chez les autres tribus
allemandes. Cette éducation , à la vérité , se bornait com-
munément à la lecture , à l'écriture et à un peu de mauvais
latin ; mais il est remarquable que la langue allemande ait
été de toutes celles de l'Europe moderne la première à se
développer comme langue écrite , et que seule elle possède
des essais en prose antérieurs à Charlemagne. Cependant les
plus anciens monuruents de ce genre ne sont guère que des
traductions du latin , alors la langue de la religion et du
culte , celle dont se servaient de préférence les ecclésias-
tiques, seuls dépositaires de toute science ; circonstance qui la
comme partout ailleurs retarda singulièrement le développe-
ment de la langue nationale. Les anciens et précieux mythes
résumés dans le chant des Mebelungen {iXiebelunrjenlied)
et dans le livre des Héros (Hehlenbitch) n'avaient pas en-
core été recueillis avant la venue de Charlemagne, et se trans-
mettaient jusque alors de bouche en bouche. On ne peut donc
pas dire qu'il existât encore de httérature dans le sess que
nous attachons à ce mot.
La première période de la littérature allemande commence
à Ciiaiiemagne, et va jusqu'à^l'époque des empereurs de la
tiitison dnSouale, ou reilc des Viinnexrcnqer, coRiprenant
l'intervalle de 768 à 1137. Chariemagnc fonda un grand
nombre d'écoles ecclésiastiques, telles par exemple que celles
de Fulda, de Corvey, etc., d'où sortirent les savants les
l)lus distingués et les hommes les plus habiles de ce temps.
11 établit à sa cour, d'après les conseils d'Alcuin, une espèce
de société littéraire, aux travaux de laquelle il prit paît lui-
même. 11 lit recueillir en outre beaucoup de documents sur
la langue allemande, surtout des lois et des poésies, ordonna
(ie prêcher en allemand et de traduire du latin en langue
vulgaire des ouvrages propres à l'enseignement du peuple.
Sans doute, il eût été à désirer que ses successeurs conti-
nuassent son œuvre civilisatrice; mais il n'en faut pas moins
ALLEMAGNE
reconnaître que la scission et la séparation politiijiio qui
s'opi-ra peu de temps après lui entre l'Allemagne propre-
ment ilite et l'empire frank ne laissa pas que dVtrc tr^s-f;>-
vorable au <léveIoppement original de la langue et de la ci-
vilisation des Allemands, dont les progrès furent des plus
lapMes ;\ partir de l'avènement de la dynastie de Saxe (919) ,
principalement sous le règne des trois Otlions, et plus tard ,
sous les empereurs de la maison de Franconic ( 1024). Ce
fut la période des chroniqueurs Éginliard , Witicln'nd ,
Dithmar, Lambert, l'runo ; ce fut aussi celle des piiiiosopiies,
tels qu'Alcuin et Raban-Maur (de 770 à S5G), et surtout
des auteurs qui écrivirent en langue allemande, conur.e Ot-
frieJ de ^Veissenbol;rg, dont la traduction métriipie des
quatre Évangiles, admirable de fidélité et de concision , peut
être regardée comme le véritable début de la littérature
nationale; ou encore comme Notker (abbé Saint-Gai!, mort
en 1022); Willeraii) (abbé d'Ébersberg en Bavière, mort
en 1085), etc.
La seconde période de la littérature allemande com-
Rience aux empereurs de la maison de Souabe (1138), et va
jusqu'à la réforme de Luther.
L'Allemngne n'était plus alors le pajs sauvage des Ger-
mains de Tacite ; les marais avaient été desséchés , les fo-
rêts éclaircies ou brûlées ; l'air et le soleil s'y étaient fait
jour; le climat et les habitants s'étaient adoucis. Les rela-
tions continuelles des Allemands avec l'Italie et les autres
pays de l'Europe , leurs fréquents voyages à Rome à l'occa-
sion du couronnement des empereurs , l'initiation à h con-
naissance des mœurs étrangères, résultat des crois ides, et la
noble émulation d'égaler ce qu'on avait vu de beau et de
louable chez les autres nations , furent autant de circons-
tances qui amenèrent une heureuse révolution dans l'esprit
des Allemands. Les mœurs et les manières se polirent par
les brillants développements de la cbe^'alerie ; la masse des
idées s'agrandit, les idées, les sentiments s'ennoblirent; et
comme la langue suit toujours le perfectionnement et les
progrès qui s'opèrent dans la manière de penser, les par-
ties les plus policées de l'Allemagne se trouvèrent ainsi peu
à peu en possession de tous les éiérne.its nécessaires pour
fonder une littérature nationale. C'est en Alamanle, déno-
mination qui comprenait la Souabe et une grande partie de
la Suisse, que brillèrent les premiers rayons de cette aurore
littéraire ; et le dialecte alaman acquit , comme idiome en
usage à la cour impériale , un développement si supérieur
à celui de tous les autres , qu'il devint en liltéra'.r.re ,
comm.c ce fut aussi plus tard le cas pour le haut allemand ,
la langue universelle de l'Alicmagne. Ce fut la période de l;i
oésie chevaleresque et des sWnnes.rnger, appelée com-
munément période de Souabe. Aux Minncsxnrjer succé-
«lèrent les Meisterfxnger ( maîtres cHianteurs ), dont !c
talent, plus brillant, annonçait cependant déjà un déclin.
On peut dire de cette poésie romantique , riche de vigueur
et d'harmonie , qu'elle ouvrit l'ère de la véritable littératuie
nationale. Les recueils de documents , de coutumes et de
lois qui furent rédigés avec tant de zèle dès le milieu du
treizième siècle , et parmi lesquels nous nommerons le
Miroir de Saxe et le Miroir de Souabe, témoignent en
même temps du haut prix qu'on attachait dès lors en Al-
lemagne à l'histoire des mœurs et des institutions nationales.
A dater du onzième siècle les Allemands s'appliquèrent
aussi à l'étude du droit romain , en même temps qu'à celle
de l'histoire spéciale des diverses provinces. A cet égard on
peut citer la Chronique de l'évêque Otton de Freisingen et
son Histoire de Frédéric 1", les écrits de Henri de Herford,
mort en 1370 ; de Gobeliinus Persona (1420) , et autres ou-
vrages analogues, tous en latin; la Chronique rimée d'Ot-
tocar de Horneck , né vers 1204, le plus ancien ouvrage
historique d'une certaine étendue qui existe en langue alle-
mande, et \c?, Chroniques i\c Jean do KoMiigshofen , de
Jean Rolhe, Jean Shurnmaycr, etc., toutes en allemand.
371
La Chronique universelle de Sébastien Franke est le pre-
mier e^-sai d'histoire universelle cpi'on rencontre dans cette
littérature.
Les études philosophiques ne firent pas moins de pro-
grès. Si jusque alors on s'était borné à traduire et à co-
pier les ouvrages des anciens et des Arabes relatifs à cette
science , à ce moment on voulut qu'elle devînt une arme à
l'usage de la théologie. Entre autres Allemands célèbres dès
!e treizième siècle parmi les philosophes scolastiques , nous
ciierons le dominicain Albert le Grand, de Lauinge'n sur
le Danube (mort on 1280), qui enseigna la philosophie à
Paris et dans plusieurs villes de l'Allemagne , et fit des rc-
clierches importantes sur l'histoire naturelle. Le mystique
JcGnFauler (mort en 13G1) occupe également une place
rcîuarquable parmi les écrivains théclogiques de cette
époque. Ses successeurs dans le siècle i^uivanl lurent Geiler
de Kaysersberg, à Strasbourg; le salirique Sébastien Grand
( né en 1468, mort en 1520), et Thomas Murner.
Les mathématiques, l'astronomie , la mécanique , ne fu-
rent pas cultivées avec moins d'ardeur en Allemagne vers
la (In de cette période, d'où datent plusieurs des plus im-
portantes inventions des temps modernes. Si la rareté et la
ciierté des livres, l'organisation si défectueuse des écoles , et
le monopole que les moines et les ecclésiastiques s'effor-
çaient de conserver dans les sciences, avaient jusque alors
singulièrement gêné les développements de la littérature ;
en revanche, à partir du quatorzième siècle, les institutions
d'enseignement supérieur qu'on fonda partout , et au quin-
zième siècle l'invention de l'imprimerie, exercèrent une in-
fluence si décisive sur la marche de la civilisation, qu'il
faut dater de ce moment une ère nouvelle pour la littérature.
Elle coïncide d'ailleurs avec la chute de l'empire d'Orient
(1453), dont les savants se réfugièrent en Italie et répan-
dirent de là les semences d'une nouvelle civilisation par la
propagation du savoir antique.
L'esprit de liberté que l'étude des langues et des littéra-
tures anciennes éveilla dans les universités contribua puis-
samment à la direction nouvelle que prirent alors les idées
religieuses. Parmi les hommes qui s'étaient déjà distingués
dans ces études avant la réformation , il faut nommer Rod.
Agricola (né en 1442, mort en 1485), professeur à l'uni-
versité de Heidelberg; Conrad Celtes (né en 1459, mort en
I50S), le premier poëte lauréat qu'ait eu l'Allemagne ; This-
torien Jean Tritliemius ( né en 1402 , mort en 1516) , et sur-
tout Reuchlin (en latin Capnio) , professeur à Tubingen
(né en 1454, mort en 1525); Ulrich de Hutten (né en
1458 , mort en 1B23 ) ; Jlélanchthon , Joachim Camerarius,
et le célèbre Érasme, de Rotterdam. Le rétablissement de
l'ordre et de la paix à l'intérieur de l'Allemagne par Maxi-
niilien I'"'', ce zélé protecteur des arts et des sciences , ainsi
que l'affermissement de la constitution de l'em.pire, et une
aisance plus générale, ne contribuèrent pas peu aux rapides
progrès que firent alors les lumières et la civilisation.
La troisième période de la littérature allemande com-
prend l'espace de temps qui va de la réformation jusqu'à
rios jours et que nous partagerons en trois époques : 1° jus-
qu'au comm.encement de la guerre de Trente Ans ( ICls) ;
2" jiisqu'à la fin de la guerre de Sept Ans ( 1765) ; 3° de là,
jusqu'à notre époque.
1° C'est de la Saxe électorale, pays si florissant, que
partit l'impulsion puissante qui devait mettre en action toutes
les forces intellectuelles de l'Allemagne au seizième siècle.
Les vives discussions que les partisans de la réformation
eurent à soutenir alors contre leurs adversaires les portèrent
à faiie des études profondes en même temps qu'elles exer-
çaient et développaient leur talent. A Luther, ce t\i)e éner-
gique de l'époque, qui prêcha avec tant de vigueur l'indé-
pendance de res])rif, et qui reproduisit dans sa langue les
documents primitifs du christianisiue avec tant de perfection
qu'on l'a nommé avec 'raison le créateur de la prose alle-
47.
3 7-2
ALLE.AIAG^"E
mande ( quoique quelques traductions de classiques eussent
déjà contribué à former le style) , à Luther, disons-nous,
vint s'adjoindre le disciple de Reuciilin , le savant et aimable
Mélanchtlion. Si le premier agissait plus à la face du monde
et en homme politique , son ami travaillait au môme but ,
en silence, par l'amélioration des écoles et la propagation
des saines études. Les princes jirotestants , surtout les élec-
teurs et les ducs de Saxe , aidèrent aux efforts de ces deux
hommes en fondant un grand nombre de bibliolbèques et d'é-
coles préparatoires pour les univcrsilés. Tandis que dans l'Al-
lemagne catlioli(iue les progrès de la science restaient entra-
ves par des préjugés ecclésiastiques et par les jésuites, la
théologie et la philologie se prêtaient un mutuel appui dans les
pays protestants, surtout en Saxe et à W ittenberg , qui étaient
alors le foyer scientifique de l'élcctorat. Ce fut seulement
après l'établissement dans l'Église protestante d'un dogme
plus positif que les études philologiques commencèrent à dé-
cliner (depuis le dix-septième siècle), et qu'une théologie sco-
lastique et querelleuse reprit alors le dessus , tenue toutefois
en échec par la théosophie et le mysticisme. Jlélanchlhon
avait tâché de remplacer par ses excellents manuels la bar-
bare philosophie de l'école. Ensuite on chercha à se rappro-
cher de la doctrine primitive des péripatéticiens. Les mys-
tiques s'attachèrent, les uns à la cabalistique , dont Reuchlin
s'était beaucoup occupé à propos de littérature hébraïque ,
les autres à la chimie et à l'astronomie , qui alors n'étaient
guère autre chose que de l'alchimie et de l'astrologie. A leur
tête on rencontre le fameux Paracelse, V. Weigel, Jacob
Bœhme et autres.
Les sciences naturelles en général furent cultivées avec
distinction en Allemagne dès le seizième siècle. 11 faut
nommer ici avant tous le fameux métallurgiste George Agri-
cola(de Meissen) , et Conrad Gessner (mort en 15G5), le
père de l'histoire naturelle. Théophraste Paracelse, que
nous venons de citer, imprima une nouvelle direction à la
chimie ( à partir de 1526 ) , qu'il appliqua avec bonheur à la
médecine ; entre autres agents puissants de thérapeutique
qu'il emprunta à cette science, nous citerons les préparations
raercurielles et les opiacés. La médec.'ne ainsi que les mathé-
matiques et la mécanique tirent aussi quelques progrès no-
tables vers cette même époque. Albert Durer écrivit en
langue allemande un ouvrage sur la perspective , et l'astro-
nomie cite encore avec orgueil les travaux de Copernic et
de Tycho-Brahe ; Kepler vint après eux.
Dans le domaine de l'histoire , dont le style eut de la
peine à se former, la Chronique de Carion, écrite en alle-
mand ( 1532), excita un intérêt général; elle fut môme tra-
duite en plusieurs langues ; V Histoire universelle de Sleidan,
en latin , fut plus applaudie encore. Mais ce fut à l'histoire
spéciale des provinces que s'attachèrent de préférence la
plupart des écrivains. Dès le milieu du seizième siècle, on
s'appliqua à recueillir les chroniques et les documents du
moyen âge; on commença aussi à étudier l'histoire étran-
gère, et les ccnturiotevrs de Magdebourg firent preuve
de zèle et d'exactitude. L'histoire littéraire fut créée, pour
ainsi dire, par Conrad Gessner. En 15G4 parut le premier
catalogue des livres de la foire de Francfort. Les relations
personnelles entre les savants étaient devenues plus fré-
quentes et plus intimes par l'établissement de sociétés sa-
vantes, et par des correspondances.
2" La guerre de Trente Ans menaça un instant de détruire
en .\llemagne toute civilisation; cependant les savants, bien
qu'enveloppés dans les malheurs publics, et privés pour la
l)lupart de tout appm , surent encore demander à la culture
des lettres de nobles et douces compensations pour l'état
d'indigence complète où la plupart d'entre eux se trouvaient
réduits. La langue et la poésie allemandes furent même per-
fectionnées durant cette |)ériode désastreuse, d'une manière
sensible, par les poètes dits de l'école de Silésie : tels que
Martin Opitz ( 1597 à 1630), Flemming, André Gi7phius, et
autres, ainsi que par l'établissement de plusieurs sociétés
littéraires (celle de l'ordre des Palmes, dite la Fructifiante :
celles de l'ordre des Cygnes, de l'ordre des (leurs des ber-
gers de la Fegnitz, etc. ), qui datent de cette époque. La paix
de Westphalie (1648) n'en fut pas moins un bienfait im-
mense pour l'Allemagne épuisée. Dans les divers Etats, sur-
tout dans ceux où avait prévalu la réformation, les princes
se disputèrent dès lors à l'envi la gloire de protéger la li-
berté des études et le développement de la pensée. Hermann
Conring, Samuel Puffendorf, sont de grands noms, qui doi-
vent être cités ici, de même qu'OKo de Guéricke, qui brille
à la tête des [iiysiciens allemands. Dans la tliéologie do-
mina le dogmatisme le plus absolu , contre lequel le pié-
tisme de Spener et de quelques autres hommes pieux exerça
un contre-poids salutaire.
La littérature allemande avait toujours éti5 tellement en-
travée dans ses progrès par les circonstances politiques, qu'à
cette époque même la prose n'avait pas encore pu acquérir
une forme précise et arrêtée. On sentit alors le besoin d'une
grammaire , et quelques savants , principalement le célèbre
Daniel-Georges Morhof ( mort en 1691 ) et Juste-Georges
Schottel, s'efforcèrent d'y satisfaire. Grâce à leurs travaux ,
on vit la langue allemande employée depuis Charles Tho-
massius à traiter des questions-scientifiques ; mais elle res-
tait toujours mêlée de mots étrangers, surtout de mots la-
tine et français. Quand l'influence politique de la France
s'accrut, la manie d'entremêler l'allemand de mots français
et de prendre les étrangers pour modèles augmenta encore.
Le plus grand génie qui apparut alors parmi les Allemands,
Leibnitz lui-même (1646-1716), aimait mieux s'exprimer
en français que dans sa langue maternelle. De quelle impor-
tance ne furent donc pas les efforts de Chrétien de V.'olf
pour faire parler en allemand à la philosophie un langage
intelligible ! L'.\cadémie des Sciences de Berlin , fondée sous
les auspices de Leibnitz , effectua de grandes découvertes
dans les sciences mathématiques et naturelles. Partout des
sociétés et des réunions littéraires se formèrent. La librairie
commença à devenir une branche importante de commerce,
et des instituts critiques s'élevèrent comme autant de tri-
bunes en faveur des sciences et des arts. La dégénéres-
cence du système de Wolf dans ses applications aux sciences
amena bientôt un vain amour des belles-lettres. Les Alle-
mands semblèrent alors vouloir acquérir ce qui leur manquait
encore, c'est-à-dire la pureté et le goijt dans leur langue
maternelle. Alexandre Baumgarten, le fondateur de l'esthé-
tique, et Golt>clied ( 1700-1766), le puriste, qui voulait in-
troduire le goût français d'une poésie et d'une prose souples
et flexibles , mais sans génie , furent les grands promoteurs
de cette révolution intellectuelle. L'école de Goltsched (ap-
pelée aussi celle de Leipzig) fut puissamment combattue par
celle de Zurich , qui avait pour chefs Bodmer et Breitin-
i^ e r. Haller. Haiiedorn, Gellert, J. -E.Schlegel, donnèrent à la
langue nationale plus d'élan , de facil'lé et de grâce. En
même temps, la vigueur.du génie allemand était dirigea
vers l'élude de l'anticiuilc classique par des philologues et
des archéologues ( Jean-Mathieu Gessner, Jean-David Mr-
cliaélis , Jean-Antoine Ernesti , Christ , et d'autres ), à partir
surtout de la fondation de l'université de Gœttingue.
3° Tant d'efforts portèrent leurs fruits quand vint la
troisième époque de la période dont nous parlons, grâce à
Lessing,à Klopstock,à Viinckelmann, à Heyne,
aux deux Stolbe rg , à Ilerder, à Wieland, à Vo? s,
h Schilleret àGœtbe, noms illustres, qui doivent ins-
pirer du respect à toute nation civilisée. — Le premier de
ces écrivains, Lessing, doué d'un e-prit vaste et d'une
rare sagacité, combattit puissamment le goût français, en-
core à la mode , et fonda une excellente école de critique.
L'enthousiasme de W in ckel m ann pour l'antiquité et l'art,
déposé dans un ouvrage immortel , et jeté connue le résultat
énorme d'une philosoiihie subhme au milieu de la corrup-
ALLEMAGNE
3:3
tion et de la pauvreté du monde littéraire d'alors, est de-
venu iniruii les Allemands le modèle de ce qu'il y a de
meilleur et de plus noble. Klopstock, par ses ouvrages
vraiment immortels, éleva la lanjaic et la poésie allemandes
à une hauteur et à une richesse qu'on avait crues impossibles
jusque alors. La littérature anj;laise, par l'innuense induence
qu'elle eut sur l'Allemagne, coojiéra puissannuent à ce résul-
tat, (î'est surtout la traduction des ouvres de Shakespeare
qui donna l'impulsion première à ce mouvement. Les con-
naissances hunuiines dans lesquelles les Allemands brillèrent
le plus à cette époque furent : 1" la théologie (depuis
Michaélis et lirnesti, Moslieim , Keiuhard , Schleieiiuacher,
de Welte ); 2" et surtout la iihilosophie métaphysique, par-
tie du domaine de lespril humain que fécondèrent les vastes
travaux de Jacobi , de Kant, de Fichte, de Schelling, etc.;
3° la philologie ( il suflira de rappeler les beaux travaux de
Heyne, de NVolf, d'Hermann, de Bockh, etc. ) ; 4° Ihistoire,
dans laquelle il nous suflira encore de citer les grands ou-
vrages de Jean de Muller, de ^Voltmann , de Sciirockh , de
Schmidt, dEichhorn, d'Heeren, de Zschocke, de Manso,
de Dohm , de Niebuhr, de Luden , de Phster, de Kaumer,
de Ranke, etc. ) ; 5° la mythologie ( Yoss, Creuzer, Kanne,
Jtander, Gœrres); 6° et enlin la critique.
Essayer d'apprécier l'époque la plus récente de la littéra-
ture allemande est une entreprise qui a ses dangers ; car,
quelque brillantes ou insigniliantes d'ailleurs qu'aient été
ses productions , nous n'avons peut-être pas, conune con-
temporains des écrivains à qui on en est redevable, toute la li-
berté de critique qui serait nécessaire. Aussi bien, n'oubliant
pas que toute littérature réftéchit jusqu'à un certain point
son époque , nous admettrons d'abord que les événements
des derniers temps ne sont pas restés sans exercer une
grande influence sur la littérature contemporaine. Les cri-
tiques futurs , à moins que tout ne nous trompe dans nos
prévisions , devront faire dater de l'année 1813 , époque de
la délivrance du joug étranger, une nouvelle ère pour l'his-
toire littéraire du peuple allemand. Aussi remonterons-nous
à cette époque pour chercher l'origine de la littérature du
jour et de sa bizarre contexture. De même que le malheur
fait rentrer l'individu en lui-même, ainsi les peuples alle-
mands , pendant qu'ils gémissaient sous un joug insuppor-
table , apprirent à se mieux connaître et à comprendie ce
que leur situation avait d'insuffisant, mieux qu'ils n'auraient
pu le faire dans une suite non interrompue d'années de bon-
heur. Alors, en effet, le besoin vaguement senti d'une amélio-
. ration de leur sort les réunit tous, d'abord dans un môme dé-
sir, et ensuite dans un même enthousiasme, lorsque l'heure
de la déli>Tance eut sonné. Mais le joug une fois secoué ,
quand on se demanda et ce qu'on avait réellement voulu
et ce qu'on avait acquis , on s'aperçut que , quelque ac-
cord qu'on eût mis à souhaiter un changement , néanmoins
cet accord n'existait plus pour spécifier la nature de ce
changement , et qu'en fait môme d'améliorations les opi-
nions étaient divergentes. Il résulta de là que tandis que
ceux-ci voulaient faire disparaître toutes les entraves de
l'esprit , ceux-là lui commandaient , au contraire , de (Ic-
chir aveuglément sous le sceptre du positif, et que pen-
dant que les uns évoquaient l'esprit d'im système qui avait
péri , les autres cherchaient à réaliser quelque chose de
nouveau , et à formuler ce qui n'était encore que vague-
ment pressenti. Si d'un côté on raillait jusqu'à l'impudeur
tout ce qui se rattache à la religion , de l'autre la supersti-
tion édifiait de nouveaux autels à ses idoles. 11 est donc na-
turel de penser que ce désaccord dans les opinions a dû
laisser son empreinte sur le caractère général de la littéra-
ture ; caractère qui ne pouvait être que celui d'une polé-
mique aussi vive qu'animée. Tous les effoits tentés pour
empêclier, à l'aide de la plus odieuse censure, l'expres-
sion haute et franche de l'opinion, échouèrent d'ailleurs de-
vant l'enthousiasme <le la pensée , et devant la conviction
profonde qu'on s'était faite que penser n'était point un pri-
vih'ije, mais bii'n un droit aiiparteuaal à chacun; en un
mot. (pie Ci' droit iinprescriiililile no tenait pas seulement à
la science, mais à la vie, et devait, par conséquent, plutôt
se transmettre avec celle-ci cpi'avec celle-là. Toutefois , un
des caractères particuliers de cette époque fut la direction
éminemment pratique de la littérature, qui s'efforça toujours
de fixer l'idée par le fiiit. Après avoir ainsi établi le point de
vue de la hauteur duquel l'état actuel de la littérature alle-
mande s'offre à nous dans son ensemble , malgré la diver-
sité de ses directions , nous allons passer en revue chacune
de ses branches en particulier, et montrer dans un aperçu
rapide ce qu'on y a fait de plus remarquable.
Dans la (hcologie, la lutte entre le rationalisme et le super-
naturalisme a continué avec non moins de vivacité que jamais
dans les écoles, alors que hors de ces limites le mysticisme
et le fanatisme ne laissaient pas que de faire de nombreux
prosélytes. Il ne peut échapper à l'œil de l'observateur im-
partial que cette tendance d'une grande partie des con-
temporains vers le mysticisme eut en elle-même quelque
chose de louable, malgré les abenations grossières d'un
sentiment mal dirigé , et qu'il y avait toujours du mérite
à en signaler les effets , bien que d'une manière obscuré-
ment mystique, comme l'a fait Lwald dans ses Lettres sur
le 77iijsticisme ancien et le mysticisme moderne. Lots de
la réunion des deux Églises protestantes, Schleiermaclier ex-
posa les doctrines de l'Église évangélique, dans son Dogme
de la foi chrétienne, de manière à concilier les deux opinions
en présence. Les protestants comprirent la nécessité de
redoubler d'efforts et de vigilance pour combattre le catho-
licisme, et par suite l'urgence de réformer l'Église protes-
tante (par exemple, Scluideroff, Greiling et d'autres). D'au-
tres cherchèrent à perfectionner la science elle-même, par
exemple Gesenius, Dretsclineider, Umbreit, JusW et Winer.
La théologie pratique ne resta pas non plus sans culture,
et des modèles d'éloquence sacrée sortirent des méditations
des Ammon, des Draesecke, des Schuderoff, des Tzscliir-
ner, etc. Les savantes recherches de l'exégèse menèrent à
une critique rigoureuse qui, chez Strauss, par exemple,
aboutit à tout nier. D'autres, reculant devant une négation
aussi radicale, ont cependant poursuivi la critique des textes
sacrés et leur interprétation historique. Bunsen montre beau-
coup de tolérance dans son Dieu dans Vhistotre. Ewald
manifeste aussi le sentiment de fhumanité dans son Histoire
des peuples d'Israël.
A l'instar de la théologie, la jurisprudence subit , elle
aussi, l'influence du temps. Non-seulement plusieurs ques-
tions de droit de la plus haute importance, telles que celles
de la contrefaçon des livres, de la liberté de la presse, de la
navigation des fleuves, furent soulevées et fortement discu-
tées ; mais l'esprit du siècle réclama en outre la complète
réforme de l'organisation judiciaire, et surtout, comme base
de la liberté civile, la participation du peuple aux affaires
politiques et la publicité des débats judiciaires. Ici aussi la
lutte ne tarda pas à s'engager entre les partisans du passé et
les novateurs, et le vieux défaut des Allemands, d'écrire
longtemps avant d'agir, eut encore une nouvelle occasion
de se produire. Parmi les écrits importants publiés à ce
sujet, nous signalerons l'ouvrage de Feuerbach intitulé :
Considérations sur la publicité de l'administration de
la justice (1821). Cependant, la méthode historique dans
le droit civil ne manqua pas non plus de partisans. Les
travaux de Savigny, Hugo, Eichhorn, Gceschen et autres,
lui donnèrent un grand éclat, et la mirent en grande vogue.
Que si elle fut employée trop souvent à faire l'éloge de tout
ce qui était ancien et à perpétuer un certain pédantisme, on
ne saurait méconnaître qu'elle n'ait conduit à une intelli-
gence plus profonde des anciennes législations encore exis-
tantes, et à faciliter la tâche d'en séparer les parties qui ne
conviennent plus à l'époque actuelle. Le développement
374
législatif du droit criminel fit on m<^mc temp> de grands
progrès, par les écrits de Klciiisclirod, de reiierbadi, de
Grolmann et de Mittermaier. Un grand nombre de manuels
encyclopédiques et méthodiques, parmi lesq'iels on dis-
tingue ceux de Hugo, de Falck et de Wening, vinrent en
outre faciliter l'élude de la jurisprudence.
.La philosophie, (|ui ne s'était latiguée que trop longtemps
à renverser d'anciens systèmes et à en produire de nou-
veaux, obéit à la voix du siècle, et sortit des bornes de l'é-
cole pour entrer dans la réalité, après avoir trouvé des
objets dignes de son activité ilans les différentes questions
intéressant l'Ltat et l'Église. Le formalisme sans vie d'une
école antérieure avait depuis longtemps cessé de suilire, et
les artiticesde la dialectique ne pouvaient plus convenir à
une époque qui n'avait appris à apprécier la spéculation que
dans son rapport immédiat avec la vie.
Un grand succès fut presque constamment le partage des
écrits qui dans le cbamp de la politique, et dans un lan-
gage dégagé des formes de l'école, quoique rédigés en gé-
néral sous l'influence des idées du moment, combatlaient
les théories particulières à chaque parti.
Tandis qu'on s'efforçait d'approfondir les sources de
r/jiJ^oire d'Allemagne, d'autres monuments étaient explorés.
Luden et Pfister ont rendu des services par leurs Histoires
des Allemands. Pendant que Frédéric Saaifeld peignait l'épo-
que contemporaine, le moyen âge trouvaitdans Henri Luden
un écrivain qui le représentait sous ses véritables couleurs;
et l'histoire générale devenait l'objet des travaux particu-
liers de Luden, de F.-C. Schlos.ser et de Ch. de Rotteck.
^Yilken a réussi à jeter im nouveau jour sur la période des
croisades. L'histoire ancienne n"a pas non plus été négli-
gée : E. Ritler, Ranke, Fr. de Raumer s'y sont fait une
réputation méritée. Celle de l'ancienne Grèce fut éclaircie
dans plusieurs points essentiels par Ch.-O. MuUer et Fr.
Kortum ; et G. Wachsmuth a su nous offrir, même après
Mebulir, quelque chose de très-remarquable sur l'histoire
primitive des Grecs et des Romains. Citons encore : Rome
au 7noyen âge de Gregorovius ; le Siècle des découvertes
d'Oscar Peschel ; V Histoire de l'Église chrétienne de
Baur; V Histoire d'Italie de Reumont ; les travaux de Rocholz
de Philipson, etc. — La discussion sur la mythologie des
anciens peuples, qui avait déjà commencé depuis quelque
temps, et sur le terrain de laquelle le génie de Creuzer avait
ouvert de nouvelles voies, celte discussion, dans laquelle
beaucoup de personnes n'ont vu autre chose que la vieille
lutte du mysticisme contre le sens commun, a été continuée
par Creuzer, Mœser, Ritter, Voss, Ilermann, Otlion Muller,
Lobcck, Baur, Mannhardt, Kuhn, Albert Weber, Drugsh, Jo-
lowicz, Haug et d'autres. Il a été reconnu, toutefois, qu'on
avait poussé trop loin la manie de rapporter tout ce qui
regarde la Grèce à une sagesse primitive d'origine indienne.
Les ingénieux romans composés à ce sujet n'ont pas pu sou-
tenir longtemps les inve»tigations d'une critique impartiale.
Les sciences purement philologiques, que les Alle-
mands ont toujours cullivé&i avec amour, ne furent pas
négligées pendant qu'on se livrait à ces recherches. Nous
rappellerons ici les éditions d'auteurs anciens données par
Ast ( Platon), Pnppo (TImcydile ), Dœckh (Pindarc), Her-
mann (Sophocle), LoftfcA- (Phrynicbus), Z?oiA ( Horace ,
d'après Féa ), Eel,ker (orateurs attiques ), Schxfer, etc. ; les
traductions de Thierseh ( Pindare), de F. Henri Voss
( Aristophane), de Knedel (Lucrèce), de Schwab, Osiander
et Tafet ( tons les prosateurs et poètes classiques grecs et
romains); les travaux lexicographiques de Jean-Georges
Schneider, Passow, Lunemann et de plusieurs autres;
la grande entropriiC de l'académie de Berlin, le Corpus
Inscriptionum Grxcarum, rédigé par Bœckh ; l'excellente
grammaire latine de Charles-Louis Schneider, etc.
La philologie allemande, science nouvelle, fut créée, i! y
a trente ans à peine, par Jacob Grimm. Ce fut lui qui, par
ALLEMAGM-:
un ouvrage remarquable, où l'érudition la plus vaste se cache
sous le titre modeste de Grammaire Allemande, donna
l'impulsion à l'étude sérieuse des anciens monuments litté-
raires des peuples germaniques. Grimm réussit là où avaient
échoué Bodmer et même Lessing. Sa grammaire embrasse
l'allemand dans tous ses dialectes, dans tous ses âges, et
constitue cette vaste langue à l'état de système et de science.
Apres avoir étudié les formes poétiques dans son opuscule
sur les Meistersanger, il publia les Antiquités du Droit
allemand { Deutsche Rechtsalterlhumer), ouvrage gigan-
tesque, que lui seul pouvait éditer. «Jamais livre, dit M. i\Ii-
chelet , n'éclaira plus subitement , plus profondément , une
science. Il n'y avait là ni confu-ion ni doute. Ce n'i tait pas
un système plus ou moins ingénieux, c'était un magnii'ique
recueil de formules empruntées à toutes les jurisprudences,
à tous les idiomes de l'Allemagne et du Nord. Nous enten-
dîmes dans ce livre, non les hypothèses d'un homme, mais la
vive voix de l'antiquité elle-même; l'irrécusable témoign- ge
de deux ou trois cents vieux jurisconsultes, qui, dans leurs
naïves et poétiques formules, déposaient des croyances, des
usages domestiques, des secrets môme du foyer, de la pins
intime moralilé allemande. » Parmi les travaux que provo-
qua l'exemple de l'illustre professeur de Gœttingue, il faut
classer au preuiier rang V Histoire et la Nouvelle histoire
delà littératare poétique des Allemands, par Gervinus.
Dans cet ouvrage, l'auteur prend la poésie allemande à son
berceau, et, la suivant pas à pas, nous fait assistera toutes
les phases de son développement.
Dans l'aspiration à l'unité qui tourmente l'Allemagne, la
poésie e^t devenue plus vague et vaporeuse que jamais.
Dans un autre ordre, on trouve des études de paysages
en quelque sorte où se placent des personnages vivants; c'est
ainsi que MM. Dolch, Erdmann et Keil ont peint les étu-
diants allemands , M. Eichmann les Turcs actuels , .\i. Riehl
le Palatinat, etc. — Les recherches biographiques ont pris
aussi une grande importance en Allemagne, et l'on remarque
suitout celles qui se rapportent à Gœthe, Humboldt, Schil-
ler, Albert le Grand, Bacon, Ulrich de Hutten, Souvarof, etc.
Enfin les voyageurs ont fourni un conlingent important :
indiquons les voyages de Barth en Afrique, de MoUhausen
dans l'Amérique du Nord , de Richard Vendt et du baron
de Haxthausen en Russie, d'Otto Speyer en Italie, de Frank!
à Jérusalem. Le Cosmos de IIumboMt a pu donner une id'e
de l'état d'avancement des sciences naturelles en Allemagne.
Quelques publications d'anciens poèmes nationaux et des
élu. les sur les douzième, treizième et quatorzième siècles
sont encore à signaler, comme le Comte Rodolphe ,
poème du douzième siècle, publié par Guillaume Grimm,
avec d'excellentes annotations ; le poème de Roland, du
môme siècle, publié en entier parle môme auteur, avec les
images copiées sur le manuscrit de Heidelberg, et précédé
d'une ingénieuse introduction à l'histoire de la légende ;
Iwein, poème du treizième siècle, publié par Lachmann,
avec un glossaire de Denecke; les Poésies des Minnesaen-
Qcr, les Aiebelungen, texte original et traduction en alle-
mand moderne par Lachmann, Simrock, etc., etc. Nous ter-
minerons cette nomenclature par la Mythologie allemande
de Jacob Grimm, V Histoire du Cantique allemand jus-
qu'au temps de Luther, par Hoffmann, excellent et con-
sciencieux travail, et les Éléments de la Philologie alle-
mande du môme auteur, recueil bibliographique et critique
des principaux ouvrages, sources et documents pour servir
à l'histoire de la littérature allemande.
La littérature indieni.e, qui il y a peu de temps encore
n'était connue que par des traductions, a été cultivée avec
éclat par Auguste-Guillaume Schlegel, F.-G.-L. Kosegarten,
Olhon Frank, François Bopp et L. Dursch. Enfin les tra-
vaux de GesLiiius, Hamnier et Gœrres dans les langues
orientales ont doté la littérature allemande d'une foule d'ou-
vrages critiiiues et historiques d'une haute importance
ALLER lAGrst:
37;
Les romans. — La Jeune Allemagne.
Le roman, c'est IVpopôe de Ui société niodernc, c'est le
cliamp clos où elle discute ses intéiiHs, où se trahissent ses
inquiétudes et ses faiblesses, oTi se dévoilent ses désirs et ses
folies, où elle se livre sans retenue aux transports de la vie- i
toire, et plus souvent aux gémissements de la défaite. Au-
iourd'liui que le but du ronian n'est plus uniquement d'à- \
muser, mais bien plutôt de foire du prosélytisme au profit ;
de certaines questions sociales ou politiques , la question
(l'art a dû nécessairement faire place à la question de ten-
dance. Cette observation s'applique surtout au roman mo-
derne allemand. A côté de la vulgaire foule de romanciers
ne visant qu'à amuser et émouvoir, il s'est formé en Al-
lemagne une école nouvelle, une dcole de tendance, dont
les productions , diflérentes de celles des autres romanciers
quant au but , n'en sont pas moins dissemblables quant à
la conception et à la forme. Les coryphées de cette littéra-
ture sont pour la plupart des ecclésiastiques , des profes-
seurs , de soi-disant socialistes , qui ont adopté le genre
du Toman pour développer et populariser des systèmes ou
des préceptes de morale chrétienne, etc. , etc. , mieux qu'ils
ne le pourraient sans doute, qui dans ses sermons, qui dans
sa chaire. Nous ne nommerons ici comme types de cette
école que Théodore Mêlas, qui a publié trois volumes de
romans sur M architecture chrétienne ;V<"\esc , qui dans ses
romans intitulés Hermann et Frédéric, fait de \di propa-
gande protestante ; et Sleffens, professeur à Berlin, qui
épanche dans ses romans et nouvelles, d'ailleurs pleins de
poésie, l'exubérance de sentiments et de ravissements apo-
calyptiques qu'il lui serait difficile de concilier avec ses
écrits philosophiques. Cette école ne considère pas l'art
comme un but, mais comme un moyen ; pour elle, l'art ne
trouve pas sa sanctification en lui-même, il l'emprunte uni-
quement de sa tendance. Aussi les caractères que cette lit-
térature nous dépeint ont-ils rarement leurs types dans la
réalité. Ses héros marchent toujours la tète entourée de
nuages; et dans les événements qu'elle prépare l'absurde
le dispute sans cesse à l'impossible. Mais peu lui importe
la vérité de ses créations ; ce qu'elle veut surtout, c'est ar-
river à ses conclusions. Elle y arrive sans doute, mab le
plus souvent au détriment de la vérité et du bon sens.
Après la mort de Gœtlie, Tieck fut le premier représen-
tant de la lilléralure allemande. Oiief du ruir.nniisme, il ra
vint le premier à la réalité, à son époque, non sans avoir
contribué de toute la puissance de son génie à fortifier la do-
mination de ce faux moyeu âge qui avait envahi la litté-
rature entière. Ses contes, animés du souffle de la poésie la
plus pure et la plus naïve, exhalent ce parfum pénétrant des
sombres forêts germaniques qui enivre l'âme et l'attire dou-
cement dans le domaine du merveilleux. Dans ses nouvelles
et ses romans, dont nous ne mentionnerons ici que la Ré-
volte des Cévennes, Tieck a éievé à la littérature de son
pays des monuments qui ne périront pas. Autour de lui se
groupent, à des distances inégales, Immennann, WiUbald
Alexis, Reh/ues, Burlen et Slcrnbcrg.
Immermann, poète dramatique, qui s'est essayé dans un
roman intitulé les Epigones, appartient par le fond à une
école nouvelle, datant de 1830, appelée la Jeune Alle-
magne, et dont nous parlerons plus loin.
Dans son Cabanis, W. Alexis revendiqua pour le roman
historirpie allemand le caractère de l'art national, ce qui ne
contribua pas moins au succès de l'ouvrage que l'intérêt du
sujet. Parmi les productions de ce romancier, Rosamunde ,
Monsieur de Sackcn , se distinguent par l'habileté qu'il y
déploie à saisir sur le fait les ridicules et les faiblesses de
l'époque , et par l'esprit mordant avec lequel il flagelle la
corruption de la vie sociale.
Rehfues, pseudonyme sous lequel se cache un des pre-
miers magistrats prussiens, entra dans la carrière littéraire
à un âge déjà avancé. Son roman Scipio Cicala attira l'at-
tention d'un public d'élite par la peinture vive et originale
delà vie italienne, talent dans letpiel cet écrivain ne con-
naît pas de rival. Quelques autres productions, entre autres le
Siège de Caslcl-Gozzo et la i\ouvelle Médée, sont venues
depuis augmenter et consolider sa réputation.
Burlen est appelé en Allemagne Tieck traduit en prose •
nous ajouterons dans la prose la plus ennuyeuse. Ses ro^
mans sont des paysages éclairés par les rayons langoureux
d'une lune blafarde; point de passions, partant point de
luttes. Tout y est résignation, paix, repos et ennui profond.
Slernberg, écrivain de qualités brillantes, après avoir sa-
crifié passagèrement à l'école de la Jeune Allemagne,
chercha à faire revivre la littérature de Crébillon fils, à
l'usage des boudoirs allemands. Son Edouard montra tout
ce qu'il avait de vraie poésie dans l'âme. Aujourd'hui, le
roman allemand, qui est surtout cultivé par Mugge, Mundt ,
Muller, Auerbach et Paul Heyse, semble particulièrement
se plaire à la peinture des scènes rustiques.
L'école de la Jeune Allemagne, ou, si vous aimez mieux
la littérature du déchirement ( Zerrissenheitsliteratur),
comme on appelle ses productions au delà du Rhin, s'ins-
pire de l'ennui et du dégoût du monde, mais surtout du
désir d'une société nouvelle, d'un monde différent du nôtre,
d'une nouvelle terre enfin.
Avant Gœthe la littérature s'était constamment tenue à
l'écart, loin, bien loin du monde réel, vivant d'une vie idéale
qu'elle s'était créée à l'ombre des grands in-folio, dans le ca-
binet silencieux du savant solitaire. Aussi la poésie de cette
époque ne respire-t-clle que la mélancolie, et ses désirs sont-
ils tous tournés vers la foinbe. Là même où elle s'attache
à la vie, c'est une vie fadice qu'elle évoque. La piemière
condition de l'art était alors d'oublier la réalité, pour s'a-
bîmer corps et âme dans un monde qui n'existait nulle part,
dans un fantôme. Gœthe vint enfin faire cesser cette con-
tradiction. Non-seulement il entraîna la poésie dans le do-
maine de la réalité , mais de leur choc même il fit jaillir un
élément tragique inconnu jusque alors à la littérature mo-
derne. Cet élément, c'est la lutte de l'individu contre la
société.
Dans les ouvrages de Gœthe , le héros est toujours un
homme dont les droits personnels , en conflit avec ceux de
la société, s'insurgent contre elle. Mais si les héros de Gœ-
the provoquent notre sympathie , ils ne l'entraînent cepen-
dant qu'en succombant et par la raison même qu'ils suc-
combent. C'est cette tendance imprimée par Gœthe à la
littérature moderne, ou plutôt la fausse interprétation à
laquelle elle donna lieu, qui produisit l'école dont il est
ici question, l'école de la Jeune Allemagne, bien que celle-
ci ne se soit révélée^ que lors des commotions politiques
de 1830.
Le besoin de réformes impérieusement commandées par
le temps que lesgouvernements s'obstinaient à méconnaître,
les mesures répressives par lesquelles on tenait enchaînée
toute manifestation libre de la pensée et de l'esprit national,
avaient amassé dans les cœurs de la génération nouvelle
un fonds d'invincible malaise et de mécontentement violent.
A des espérances d'améliorations prochaines continuellement
déçues, à des désirs de progrès incessamment comprimés,
avaient bientôt succédé chez le plus grand nombre une in-
différence railleuse, un scepticisme navrant, auquel une
philosophie mal comprise ajoutait le désenchantement et le
dégoût de toutes choses. Faute d'autre issue, ces éléments
de fermentation, qui menaçaient l'AUemagned'un bouleverse-
ment tout à la fois politique, religieux et moral, firent enfin
explosion dans la littérature, par l'organe d'un homme dont
l'ironie amère, la raillerie dissolvante, unies à l'imagination
la plus puissante et à tous les charmes de la poésie, ébloui-
rent l'Allemagne et la subjuguèrent.
Cet homme, ce fut Henri Heine. Son livre des Reise-
STC"
ALLEMAGNE
bilder parut, et ce fut un événement. Tout en se plaçant
loin des partis et des écoles, Heine les domina bientôt.
Ses poésies ( Buch cler Lieder ), publiées peu après et por-
tant à un plus baut degré encore rempreiiite de ce caractère
étrange , qui souffre et qui raille ses propres souffrances ,
consolidèrent cette donunalion par l'effet inouï qu'elles pro-
duisirent sur les esprits. C'est que dans Heine la jeunesse
allemande s'était reconnue elle-même. C'étaient bien là ses
souffrances et ses désirs , ses espérances et ses déceptions ,
sa sensibilité facile et cette sceptique raillerie qui en empoi-
sonne la source. H y avait cliez Heine comme une fureur de
destruction qui le poussait à briser les plus belles créations
de son imagination , et cela précisément au moment où
elles entraînaient nos plus ardentes sympathies, afin de
ne pas laisser en nous le moindre doute sur le néant dont
elles étaient faites. A une époque où on refusait de s'inté-
resser à des productions ne s'inspirant pas de la situation
du moment , cette déplorable tendance à démontrer l'im-
puissance de l'art dans sa lutte avec la réalité matérialiste
porta une rude atteinte à la littéral ure allemande, en in-
troduisant dans l'art même l'élément de sa propre des-
truction.
Cet élément , que Heine , en le baptisant d'après la source
d'où il découle, appela lui-même le déchirement (Zerris-
senheit ), et auquel nous donnerons le nom de destruction ,
comme infiniment plus approprié à ses résultats , domina la
littérature nouvelle dont nous allons marquer les princi-
paux caractères. Ce fut la révolution de Juillet qui lui ou-
vTit la carrière. On sait ce que produisit du Rbin jusqu'à
l'Elbe la mémorable victoire remportée par le peuple de
Paris en 1830. La presse, délivrée pour un moment du poids
qui l'étouffait, éleva vers le ciel mille cris tumultueux. Les
matières politiques devinrent à l'ordre du jour j et la littéra-
ture tout entière s'y absorba.
Mais Heine cessa d'être seul le héros du jour, oh le trouva
trop poêle : il dut partager cet honneur avec Louis Bœrne,
critique spirituel , d'une intelligence vive et fine , écrivain
politique aux convictions sincères , au style nerveux , mor-
dant , unique ; cœur loyal et chaleureux , rempli d'amour
pour sa patrie et de sainte indignation contre tous les abus.
Quand la presse politique se trouva muselée de nouveau ,
les éléments en fermentation furent lancés dans d'autres
directions, et il éclata alors une véritable insurrection lit-
téraire. On s'acharna contre toutes les anciennes gloires de
l'Allemagne : universités , érudition , -vieille poésie, enfin
tout ce qui avait vieilli faute de ne s'être pas retrempé à la
source féconde des idées du temps , fut attaqué , /ooursuivi
sans relâche par l'école nouvelle , qui s'intitula elle-même
la Jeune Allemagne. Ce nom lui fut donné par Wicn-
barg, penseur spirituel , plein de passion sincère, le seul
talent vrai et d'une conviction profonde que cette école ait
produit, qui avait fait à l'université de Kiel des leçons har-
dies et brillantes sur l'esthétique, où il avait tracé le pro-
giamme de la révolution littéraire qui se préparait. En
publiant sous le titre de Batailles esthétiques les leçons
qui l'avaient forcé de renoncer à sa chaire, Wienbarg com-
mençait en ces termes : « C'est à toi , Jeune Allemagne, que
je dédie ces discours , et non pas à l'ancienne. » C'est ainsi
que ce nom de Jeïine Allemagne fut adopté par tous les
écrivains qui se rangèrent sous la nouvelle bannière.
En même temps que les Batailles esthétiques pénétraient
dans le public, Henri Laube, esprit vif et hardi, d'une
invention plus brillante que profonde, débutait dans le
monde littéraire par un roman intitulé la Jeune Europe,
dans lequel il annonçait un monde nouveau. Ce monde,
dont l'ancienne Grèce, la révolution française et les propres
illusions de l'auteur ont fourni les éléments, n'est, à pro-
prement dire, qu'une création extravagante, dont les têtes
les plus folles s'accommoderaient à peine. Dans tout autre
moment, loin de produire le moindre effet, une pareille
production n'eût excité qu'un immense éclat de rire. Mais
à cette époque, où la confusion des idées était extrême, des
productions comme celle de Laube devaient profondément
remuer les esprits. De part et d'autre on se mit donc à dis-
cuter sérieusement la possibilité d'une nouvelle Europe, ou
du moins d'une nouvelle Allemagne, construite sur les bases
indiquées par Laube et W ienbarg.
La confusion, qui marchait déjà si bon train, devait
s'augmenter encore par l'arrivée de nouveaux auxiliaires.
Ce fut d'abord Gutzkow, jeune critique à la plume acérée,
sams ménagement, et se complaisant dans un scepticisme
froid et désespéré. Après un livre fin et spirituel, intitulé
Maha Guru, où il raconte avec un talent vraiment ori-
ginal et plein de verve satirique les piquantes aventures
d'un dieu indien, il fit paraître le roman de Wallij la Scep-
tique, mélange de sanglante ironie et d'insolente indiffé-
rence, où, sous prétexte d'accuser son siècle, il le calomnie,
à la façon de Basile, en se livrant en même temps à de
maladroites attaques contre le christianisme, ses dogmes et
sa morale. Les gouvernants s'émurent des dénonciations
réitérées élevées à propos de cette production étrange par
■Wolfgang-."\Ienzel , qui de critique passionné s'était fait ac-
cusateur lublic. Le roman de Gutzkow fut saisi, ce qui en
augmenta le succès, et l'auteur condamné à troi^ mois de
détention dans la prison de Manliuim ; condamnation dont
la douceur dut singulièrement mortifier im homme qui
aimait à se poser en martyr de ses opinions et qui avait écrit
cette phrase : Celui qui n'est pas accoutumé à l'idée qu'on
peut le guillotiner dans le plus prochain quart d'heure
ne jouera jamais un grand rôle de notre temps!
Plus sincère que Gutzkow, et suivant une direction plus
sérieuse que Laube , Théodore Mundt chercha d'abord à
entraîner la Jeune Allemagne vers des idées jjIus saines,
puis finit par s'y absorber. Frappé de la stérilité de cette
école, et croyant sincèrement, comme \Vieabarg, à la régé-
nération de l'Allemagne, il chercha avec ardeur ce qui
manquait le plus à tous ces écrivains, c'est-à-dire des prin-
cipes nettement conçus. Dans un roman qu'il publia sous le
titre de Lebenswirren , il s'inspira de la confusion même
des idées de son époque , qu'il chercha à débrouiller dans
un tableau saisissant et plein de vérité. Un second roman ,
intitulé Madonna, lui servit à développer ses doctrines.
Elles consistent en un panthéisme à la fois mystique et sen-
suel, que l'auteur prétend avoir trouvé dans le catholi-
cisme , et qu'il cherche à concilier avec l'esprit du protes-
tantisme. Le scepticisme de la nouvelle école, pour lequel
Mundt avait jusque alors montré peu de sympathie, éclata
cependant dans un troisième ouvrage, qui rendit cet écri-
vain solidaire de toutes les erreurs de la Jeune Allemagne.
La Mère et la Fille, roman publié peu de temps après le
précédent, est une violente satire contre la société.
Le dernier venu de cette école, celui dans lequel elle se ré-
sume avec toutes ses aberrations et toutes ses monstruosités,
c'est Ernest Willkomm. Le livre de Willkomm est intitulé :
les Gens fatigués de l'Europe, scènes de la vie inoderpe
(Die Europa mùden, modernes Lebensbild). L'auteur, en
voulant peindre la société de son époque, a réussi à atteindre
jusqu'aux dernières limites de l'extravagance. Willkomm,
malgré les absurdes monstruosités qu'il a accumulées à plaisir
dans son roman, n'en est pas moins un critique fort dis-
tingué. Dans une revue qu'il dirige, il lutte énergiquement
contre les tendances frivoles des théâtres allemands et la
décadence de l'art dramatique.
Mundt, depuis son dernier livre, produit d'un accès de
misanthropie auquel des tracasseries littéraires ou autres ne
sauraient servir d'excuse, semble avoir déserté la Jeune
Allemagne pour s'inspirer à de plus nobles sources.
Laube, le seul parmi les chefs de l'école que le public
n'ait jamais pris au sérieux, est rentré dans les sentiers
battus; son style pimpant et léger a du charme pour cette
ALLEMAGNE
377
classe de lecteurs qui se payent de la fausse monnaie de
Bœrne et de Heine.
>Viealiarg se tait , et Gutzkow a reconnu son erreur, du
moment oii sa vanité désabusée lui a eu démontré le côté
fielleux de tout parti pris. Dans son roman de Blasedow et
SCS fils, il est revenu depuis à la peinture de caractères, où
il excelle par un grand talent d'observation.
Voilà donc le résultat auqiiel a abouti ce grand mouve-
ment de la nouvelle école ! Klle, qui avait voulu d'abord
réformer l'Europe, ensuite régénérer IWliemagne, elle n'a
laissé dans la IHtérature de son pays que la trace de ses pro-
ductions avortées et informes, que la mauvaise graine de
ses doctrines, qui y germera longtemps encore.
Il nous reste à parler des femmes auteurs. La littérature
des femmes auteurs de l'autre côté du Rhin avait toujours
été celle du calme, du repos de l'àme, de la résignation. Elles
se plaisaient à célébrer les vertus domestiques, le bonheur
du foyer. Aucune d'elles n'agita jamais, que nous sachions, la
question de l'émancipation, ni ne voulut développer, à l'aide
d'une fiction inventée ad hoc , quelque profonde idée de
philosophie ou de science sociale. Madame la comtesse de
lîaJin-Uahn s'est irritée de ce calme, peu digne d'une
époque où il est convenu que toute femme ayant le senti-
ment de sa véritable mission sociale doit, avant tout, pro-
tester hautement contre l'asservissement de son sexe. Son
tempérament fougueux s'est indigné de la paix profonde qui
régnait dans la littérature de ses compatriotes , et, animée
d'une sainte colère , elle y a porté le brandon des doctrines
nouvelles. 3Iadame de Hahn-Hahn a composé plusieurs ro-
mans, dans lesquels elle prouve victorieusement que l'homme
est indigne de la femme. De plus , elle a la prétention d'a-
voir inventé un genre nouveau. Des romans ! ... elle rougirait
J'en avoir écrit. Ulrich, la Comtesse Fanstine, Sigis-
mund Forster, Cécile, et quelques autres ouvrages encore,
sont, selon elle, non pas des romans, mais des révélations.
Ce sont, selon nous, de pâles copies d'un auteur français du
sexe de madame de Halin-Halin , mais que c^lle-ci est loin
d'égaler en puissance créatrice. Elle se croit de la meilleure
foi du monde une femme extraordinaire , et donnerait tout
pour faire partager cette opinion au public.
]\Iadame Bettina d'Arnim y est arrivée sans efforts, en
se laissant aller à sa pente naturelle. Le nom de madame
d'Arnim, ou plutôt celui de Bettina, est populaire en Al-
lemagne. C'est que ce nom est inséparable de celui de Goethe.
La source qui nous révèle cette femme extraordinaire, cette
nature d'élite, c'est sa propre correspondance avec le grand
écrivain, publiée sous le titre de : Correspondance de
Gœthe avec un enfant. Le troisième volume de ces lettres
nous fait connaître la première jeunesse de madame d'x^rnim.
liettina est femme et sœur de poètes; mais certes le plus
grand poète des trois , c'est elle-même. Quelques années
après la publication de sa correspondance avec Gœthe, ma-
dame d'Arnim fit paraître un livre intitulé GUnderodc. C'est
encore un recueil de lettres échangées entre elle et une amie
de couvent , mademoiselle de Giinderode. Il nous apprend
toutes les divagations , toutes les poétiques folies de cette
àme mystique qui a nom Bettina. Mais ne dirait-on pas que
c'est une contagion de l'époque? IMadame d'Arnim , cette
intelligence passionnée , s'est mise , elle aussi, à publier un
livre sur les questions à l'ordre du jour. Toutefois , hâtons-
nous de le dire, la politique, les questions sociales, dans la
bouche de madame d'Arnim, c'est encore de la poésie. Cet
ouvrage, portant pour titre unique : Ce livre appartient
axi roi, était dédié au roi de Prusse. Sous forme d'entretiens
entre la mère de Gœthe, le bourgmestre de Francfort et
un pasteur protestant, l'auteur y traite toutes les grandes
questions qui agitent les générations actuelles. C'est une
pythonisse sur son trépied ; elle sonde les mystères de la
création, les œuvres de Dieu et des hommes. IMiilosophie,
religion, institutions politiques et sociales, elle passe tout en
UICT. DE LA CONVERSATION. — T. I.
revue; or, si nous l'en croyons, il faudrait renouveler tout
cela. La censure de Berlin aurait probablement arrêté les
rêves inspirés de madame d'Arnim, si celle-ci n'eût prévenu
les censeurs en mettant son livre sous la protection du roi.
Madame d'Arnim n'a pas trouvé d'imitateurs, pai* la raison
qu'un genre unique ne s'imite pas.
Madame Palzow, écrivain des plus distingués, se révéla au
public il y a quelques années. Son premier roman, Godwie-
Castlc, est un chef-d'œuvre de finesse et d'observation. Ma-
dame Palzow excelle surtout dans la peinture des mœurs de
l'aristocratie du moyen âge.
Parmi les écrivains dont les productions sont toujours
bien accueillies du public féminin , il faut encore citer ici
mesdames Fanny Tarnow, Amélie Schoppe , Henriette Han-
ke, CaroUne Woltmann, Julie Sortari, Frédérike Lohmann,
Emilie Caroli et Wilhelmine Gersdorf.
Théâtre allemand.
Des représentations improvisées du genre des marionnet-
tes, qui remontent peut-être au treizième siècle, telle est l'ori-
gine du théâtre allemand. Les divertissements et les masca-
rades du carnaval y donnaient lieu. Des histoires bibliques
dramatiquement exposées et appelées mystères, des espèces
de proverbes en action , dits moralités, qu'on représentait
alors surtout dans les couvents, telles furent les premières
pièces de ce théâtre. A partir du milieu du quinzième siècle,
on voit ces pièces, particulièrement celles du genre comique,
traitées par Hans Rosenbliit, dit Schnepperer ( les premiers
jeux de carnaval qui aient été imprimés), et par Hans Folz;
et au seizième siècle, par le fertile Hans Sachs et par Ayrer.
Il est probable qu'elles étaient représentées , surtout dans
les villes impériales , par des amateurs, ou par des troupes
nomades à\iQ%Fastnachtspieler (joueurs de carnaval) qui
ont beaucoup d'analogie avec les proverbicrs (Spruchspre-
cher) du temps des Meistersxnger. Les traductions des
anciens, deTérence par exemple, qui parurent alors, n'exer-
cèrent aucune influence sur les masses, et ne furent même
pas représentées. Des divertissements mimiques continuèrent
à former, avec les pièces proprement dites, le fonds du ré-
pertoire.
Au dix-septième siècle , le théâtre national allemand ne
fit encore aucun progrès. Le^ poètes se bornèrent à tra-
duire les théâtres étrangers, mais ils parvinrent à donner
ainsi à la scène allemande un ensemble plus réguher.
Après Martin Opitz, qui composa quelques opéras à l'imi-
tation des Italiens, par exemple de la Daphné de Rinuc-
cini, les comédies mêlées d'ariettes et les farces chantées
devinrent plus fréquentes. On trouve cependant déjà au
commencement de ce siècle des troupes de comédiens ré-
gulièrement organisées , qui , par la représentation de pièces
traduites des théâtres étrangers , cherchaient à faire concur-
rence aux joueurs de mystères et de carnaval.
Des traductions de Guarini introduisirent le genre dit pas-
toral. André Gryphius ( né à Grossglogau, en 161 G, mort en
1664) composa dans ce genre beaucoup de pièces pour le
théâtre. Son style est souvent ridiculement ampoulé, mais
cet écrivain a de l'imagination, et au total on peut dire de
lui qu'il fut utile au théâtre, sous le rapport de l'exposi-
tion dramatique et du développement des caractères. Les
drames de Lohenstein, emphatiques au delà de toute ex-
pression, n'étaient guère propres à la scène; ils obtinrent
cependant de grands succès , et n'exercèrent malheureuse-
ment qu'une trop grande influence sur le théâtre allemand
et sur le goût du public. C'est de cette époque que datent
les grandes pièces héroïques , imitées le plus souvent du
français et de l'espagnol, où le pathos le plus absiude se
débitait à grands tiraillements de poumons, au milieu d'hor-
ribles grincements de dents, de torsions de bras et de
jambes, et d'une effroyable consommation de papier doré
et d'autres oripeaux. Iflland décrit d'une manière piquante
48
378
le théâtre de cette époque dans son Essai sur la Tragédie
( Almanach théâtral de 1807 ). Il nous dépeint en ces termes
la déclamation des acteurs dans ces pièces héroïques et
leurs habitudes hors du théùtre : « Ils avaient la bouche tel-
lement pleine de leurs tirades qu'il leur était impossible
de prononcer un seul mot comme les autres hommes , et
leurs regards erraient toujours au milieu des nuages...
Plus la société s'opiniàtrait à refuser à l'acteur ses droits
civils, et plus celui-ci portait la tête haute, à la manière de
Jean-sans-Tcrre. Il était très-rare qu'on le vît hors du théâtre
sans une énorme rapière fièrement appendue à son côté...
En leur qualité de héros grecs ou assyriens, ils réunissaient
dans leur costume le présent au passé. » Un personnage
inévitable dans ces pièces héroïques était une espèce de
niais, appelé d'abord Courksed, puis Pickelhering, et enfin
IJanswursf.
En 1G69 parut imprimée une traduction du Polijcucfe
de Corneille, qui fut représentée par une troupe ambulante
dirigée par un certain Yellheim, lequel improvisait aussi
des ballets et des pavades à litalienne. D'un autre côté, on
traduisit et représenta fréquemment les pièces de Molière.
Mais les acteurs ne purent pas perfectionner leur art, à
cause des errements suivis par les poètes de l'époque et
de la lutte constante qu'ils avaient à soutenir contre l'É-
glise. Ils trouvèrent toutefois des protecteurs et des défen-
seurs, et les troupes devinrent de plus en plus communes ,
en môme temps qu'il s'opérait une classification de rôles
plus précise. Mais pendant les trente premières années du
dix-huitième siècle les pièces héroïques n'en continuèrent
pas moins à composer le fonds du répertoire, avec des opéras
et des parades improvisées , qui, en raison des licences que
pouvaient prendre les interlocuteurs, étaient souvent beau-
coup plus goûtées du public que toute autre espèce de re-
présentations scéniques.
En 1708 un certain Stranitzky fit jouer à Vienne, où
jusque alors on n'avait représenté que des pièces italiennes ,
une comédie allemande. Il employa dans celle pièce le dia-
lecte si comique de la Bavière et du pays de Salzbourg, et
ti-ansforma l'Arlequin, qui dans les pièces ifaliemies était
le comique obligé et par excellence , en Hcrnsicurst alle-
mand. La comédie et le personnage furent beaucoup goûtés
du public viennois.
Caroline >'eiibcr, née à Weissenborn , est célèbre dans
l'histoire du lliéàtre allemand ; elle cumulait à celte époq'.se
les fondions d'actrice et de directrice de trompe, et tradui-
sait en outre avec assez de bonheur des pièces empruntées
à des tliéàtres étrangers. Elle joua d'abord à Weissenfelset à
Leipzig, puis à Hambourg, et successivement dans toutes les
contrées de l'Allemagne. G o 1 1 s c h e d exerça sur elle beauco up
d'influence. Il la détermina à représenter les pièces que lui
et ses amis traduisaient du français , ainsi que sa grande
tragédie âsCalon moîiran(,el se donna beaucoup de peine
pour substituer sur la scène une fort plate correction de dic-
tion ù la boursouflure de la déclamation d'alors.
Au milieu de cette absence complète de toute originalité ,
il était impossible qu'un théâtre national naquît. On vil bien
paraître à cette époque quelques poètes dramatiques doués
de talents véritables , mais aucun deux ne put se défendre
de sacrifier au goût français. Le théâtre allemand ne gagna à
leurs travaux que d'acquérir plus de régularité dans sa
forme.
Lessing, par sa critique et ses œuvres dramatiques, ren-
dit des services autrement grands à l'art théâlral des Alle-
mands. 11 détrôna le goiit français, et appela l'attention pu-
blique sur les chefs-d'duvre du théâtre anglais. Il introduisit
en mnne temps au théâtre la tragédie bourgeoise, et essaya
d'abolir l'usage de la versification dans le drame, lâche dans
laquelle il fut secondé par Engel. Sa Miss Sara Sampson fut
le modèle de pièces d'un nouvel ordre. Sa Minna de Barii-
hdm est une composition plus imporlanle, et sou Emilie
ALLEMAGNE
Galotti fiit un pas immense fait vers le perfectionnement
de la tragédie.
Ces tentatives trouvèrent naturellement une foule d'imita-
teurs, et les tableaux de famille ainsi que la comédie lar-
moyante devinrent bientôt à l'ordre du jour. Engel, Stépha-
nie, Junger, Hubert, Schrœder, Grossmann, Wezel, Babo,
Ilagemeister, et surtout Lcnz, cet auteur si original, ex-
ploitèrent ce genre, qui malgré ses défauts ne laissa pas que
d'amener un changement avantageux à l'art théâtral.
L'apparilion des tragédies bourgeoises, ditlffiand, comme
Miss Sara Sampson et le Père de Famille de Diderot,
embarrassa d'abord singulièrement les troupes de comédiens,
habituées à jouer les pièces héroïques. Les acteurs recon-
nurent avec effroi qu'il fallait faire parler naturellement les
personnages qui y étaient introduits , et que le poêle em-
pruntait à la nature et non à son imagination. Toutes les
tentatives faites pour allier l'enflure au naturel échouèrent
honteusement. Celte révolution dans l'art fut, au reste, se-
condée par l'apparition de quelques artistes véritables, qui ,
pour la première fois , firent entendre sur les planches le
langage de la nature et de la sensibilité. Dès que les Alle-
mands eurent commencé à étudier les poètes dramatiques
anglais , ceux-ci exercèrent une puissante influence sur le
théâtre allemand. Schrœder est le premier qui fit jouer des
pièces de Shakspeare arrangées par lui. La tragédie bour-
geoise ne tarda pas cependant à dégénérer en drame lar-
moyant. A cette époque de sensiblerie, dit encore Iffland,
tout le monde pleurait au théâtre ; on se souciait peu d'étu-
dier un caractère ; pourvu qu'on penchât la tète vers la terre,
qu'on soupirât sans cesse, qu'on jetât de temps à autre les
yeux vers le ciel et qu'on prît des attitudes de désespoir,
pourvu surtout qu'on versât des torrents de larmes, on pas-
sait pour un grand acteur. Gœthe et Schiller eux-mêmes
payèrent tribut à cette mode; mais ils rompirent bientôt
d'une manière éclatante avec ce système erroné.
Inspiré par l'esprit géant du poêle anglais, Gœthe, dans
son Gœtz de Berlichingen, Sigrandit le domaine delà scène
allemande , et combattit puissamment le genre larmoyant,
qui jusque alors en avait eu la possession exclusive. Mais alors
arriva l'inévitable nuée d'imitateurs, qui eurent bientôt pré-
cipité le théâtre allemand dans un autre extrême. On ne vit
plus de tous côtés , pendant un certain temps, que des
pièces de chevalerie, qui n'avaient, comme le remarque
Schlegel, rien d'iiistoriciue que les noms et les costumes des
personnages, rien de la chevalerie que les casques, les écus
et les longues rapières , rien du vieux temps de l'AJlemagne
que la grossièreté du langage, et où les pensées étaient aussi
communes que modernes.
Dans la comédie, Iffland a fait école pour l'urbanité du
langage et l'art du dialogue. Kotzebne vise trop aux coups
de théâtie et à l'eflet ; on ne saurait toutefois lui refuser la
connaissance du théâtre, une grant'e entente de la scène,
une rare facilité de dialogue , et beaucoup d'esprit.
Les événements politiques des derniers temps ont influé
de la manière la plus m^lhcureu-e M:r le théâtre al5emand,
qui maintenant en est réduit le jtlus .souvent à n'offrir à ses
habitués que des traductions du français et de l'anglais ou de
l'espagnol. Le mal en est même venu à ce point, qu'il n'y a pas
de si méchant vaudeville joué à l'aris qui ne fasse le tour de
l'Allemagne, et qui n'y obtienne riionneur de plusieurs tra-
(ludions et imitations.
L'auleur dramatique dont le public, celui du nord parti-
culièrement, s'est le plus occupé à une époque, est Rau
pach. Son nom peut d'autant moins être passé sous si-
lence que son plus grand mérite consiste précisément <lans
la seule qualité requise aujourd'hui pour être admis à l'hon-
neur de la représentation , c'est-à-dire dans l'entente de la
scène. D'ailleurs, la fertilité de Raupacli est si prodigieuse,
qu'elle excuse en quelque sorte lesdéiaiits et les côtés faibles
de ses pièces. L'œuvre la plus importante de cet auteur con-
ALLEMAGNE
379
sisle en une série de «Iramcs, donl la pranile histoire île la
race impériale des llolit-nstaufen e>l le sujet, lue si vaste
création , digne dVlre entreprise par un génie plus puissant,
lut chez Raiipach moins le produit d'une inspiration spon-
tanée que le résultat d'un contours (le lirconslancesdonl il
a su tirer prolit. Raupach s'était rappelé que, dans son Cours
de Littérature dratnatique , Frédéric Schlegel avait signalé
et décrit à grands traits le cùté dramatique de cet épisode de
l'histoire nationale. Au moment môme où la mémoire de
Raupach lui rendait ce service, Raumer venait de publier
sa célèbre Histoire des Jlohenstau/'en , dont nous avons
parlé plus haut. Raupach n'eut donc autre chose à faire qu'à
mettre en dialogue le récit de l'historien; et comme il régnait
en maître absolu sur le théâtre de Berlin , qui acceptait toutes
ses pièces les yeux lermés , son facile talent , une fois en be-
sogne, se mit à tailler des drames par douzaines, qui tous
devinrent populaires dans la capitale de la Prusse. La scène
berlinoise fut, du reste, la seule où ces drames historiques
eurent un succès franc et décidé. Ce qui les soutint surtout, ce
fut le jeu de Lemm, excellent tragédien, dont la mort a
laissé un grand \ide sur le théâtre de Berlin et enleva à
Raupach son meilleur interprète. L'École de la vie , conte
dramatisé du même auteur, obtint un vrai succès de vogue ,
tant les émotions y sont violentes. Raupach eut ensuite l'i-
dée de compléter l'immortel Tasse de Goethe, par une tra-
gédie intitulée ta Mort dic Tasse. Pour que le titre fut exact,
cette pièce devrait s'appeler le Tasse mourant , puisque
l'on y voit le poète, à demi fou, mourir lentement pendant
cinq actes.
Ce qui frappe particulièrement dans les productions des
modernes , c'est la pauvreté de l'invention. Pour être juste,
il faut cependant reconnaître que, de tous les poètes dont
les productions alimentent la scène allemande, Raupach est le
seul chez qui ce précieux don ne fasse pas défaut. Ses pre-
miers drames se distinguent par des situations très-habile-
ment ménagées ; il excelle dans l'art de choisir un sujet , et
ne manque pas d'esprit dans ses comédies. Ses pièces les
mieux réussies sont: Isidore et Olga, Cardinal et Jésuite,
les Contrebandiers, l'Esprit du temps , la Eeïne pru-
dente, et II y a cent ans.
Le succès qu'obtint VÉcole de la vie de Raupach
engagea le baron de Mùnch- Bellinghausen à choisir pour
sujet de drame , sous le pseudonyme de Halm , l'histoire de
la patiente Griseldis , immortalisée par le génie de Boccace.
Son drame, parfaitement bien écrit, a eu un grand suc-
cès. On a parlé de son Adepte, encore moins de son Camoëns ;
mais le Gladiateur de Ravenne, joué sous le voile de l'a-
nonyme a enthousiasmé l'Allemagne.
M. Grillparzer, l'auteur- de l'Aïeule, a fait repré>cnter
plus tard un des plus beaux drames de l'époque , le Rêve
est une vie.
M. Auffenberg, le Raupach de l'Allemagne méridionale,
s'inspirant des romans de Walter Scott, parvint à créer
plusieurs drames de mérite. Son Alhambra est une com-
position monstrueuse , qui participe de tous les genres, sans
appartenir spécialement à aucun. Que dire d'un ouvrage
dramatique en trois volumes?
Parmi les drames qui ont obtenu des succès , il faut citer ;
l'Élection de l'empereur, de Schenk; les Vénitiens, de
Rellstab; Man/red , deMarbach; Clotilde Montalvi , de
Firmmich; les Fils du Boge, de Reinhold.
Charles Immermann, l'un des poètes dramatiques les plus
distingués de l'Allemagne, ravi aux lettres par une mort
prématurée , ne put faire accepter au public de Berlin son
dernier drame , les Victimes du Silence. Talent hors ligne ,
Immermann ne pouvait être populaire aune époque de dé-
cadence comme celle du théâtre allemand actuel. Tous ses
travaux, tous ses efforts, n'ayaient d'autre but que de ra-
mener la scène allemande dans une voie digne d'elle. Mais
il échoua où bien d'autres avaient échoué avant lui.
A mesure, d'ailleurs, que les grandes œuvres tragiques
deviennent plus rares .sur la scène allemande, le nombre des
bons acteurs diminue en proportion. L'Allemagne ne pos-
sède plus aujourd'hui un seul comédien sorti de l'admirable
pépinière d'artistes dramatiques formée par Iffland et son
école. Les anciennes traditions se perdent , en môme temps
que les productions des auteurs modernes n'ont plus le
privili'ge de développer de nouveaux talents. L'acteur
n'ayant plus de caractères originaux à créer, ne trouvant
nulle part de difficultés à vaincre , se laisse aller à la pente
de la routine et néglige jusqu'à la simple diction. D'un autre
côté, le défaut d'interprètes intelligents paralyse la force
créatrice des auteurs, et on peut dès à présent prévoir que
le temps n'est pas loin où la tragédie originale allemande
aura entièrement disparu de la scène.
La comédie est dans un état plus critique encore. La
littérature allemande abonde, sans doute , en pièces qui por-
tent ce titre ; mais la comédie proprement dite continue à
faire défaut à l'Allemagne. La seule pièce du répertoire qui
ait droit à ce nom est encore la Minna de Barnhelm, de
Lessing. Tous les autres écrivains qui ont cultivé la comé-
die ont sacrifié leur talent, et souvent un talent fort dis-
tingué, aux besoins du moment ainsi qu'au mauvais goût du
public. L'habitué du théâtre allemand , en général, n'a pas
l'inlelligence des belles situations et de la fine observation.
Ce qu'il lui faut , c'est une bonne grosse plaisanterie, le bon
gros rire , ou bien du sentimental , du larmoyant , mais rien
qui sorte de la sphère domestique. Il ne sait apprécier
ni la finesse comique ni la grandeur tragique. D'où il ré-
sulte que la comédie , ou ce qu'on appelle ainsi , pour réussir
à la scène , doit varier sans relâche de la bouffonnerie à ce
genre bâtard qu'on appelle en Allemagne tableaux de fa-
mille ( Familiengemaelde), et qu'il ne faut pas confondre
avec le drame bourgeois français. En fait de genre national,
le théâtre allemand n'a produit rien que l'on puisse opposer
aux comédies anglaises , aux vaudevilles français, voire
même aux masques italiens. Pour ce qui est de la vérité,
de l'observation , de l'esprit et de l'intelligence du cœur hu-
main , aucun poëte comique de ce pays n'approche, même
de loin , de Molière , de Shéridan ou de Goldoni. La vie
allemande , ne dépassant guère le cercle étroit du foyer do-
mestique, donne moins de prise à l'observation que celle
des autres peuples; il y a d'ailleurs dans ce pays trop de
régions privilégiées, rendues inabordables par la censure ;
et le charnp de la haute comédie y est tellement circonscrit,
que le talent le mieux inspiré ne pourrait se mouvoir dans
un cercle si restreint. De là vient que la comédie alle-
mande n'a été cultivée par aucun talent de premier ordre.
Les hommes qui subviennent, sous ce rapport, à la con-
sommation journalière de la scène, sont pour la plupart
des acteurs ou des auteurs très-médiocres. Quelquefois sans
doute un homme de talent consacre à la prospérité d'un
théâtre les heureux dons naturels qui lui sont échus en
partage, mais il est bien rare qu'il en résulte un véritable
profit pour l'art même.
Ce que nous disons là s'applique particulièrement à Rau-
pach jdont le talent comique est incontestable, et qui pour-
tant n'a rien créé dont l'art ait véritablement profité. L'es-
prit qu'on admire dans ses productions ne brille pas par
sa propre finesse : il a besoin d'être soutenu, relevé par le
geste et l'accent de l'acteur. Les comédies de Raupach ,
aussi bien que ses drames , n'ont obtenu de succès que par
l'habileté de l'interprétation. Nous excepterons toutefois
son drame d'Isidore et Olga, dont la valeur poétique est
réelle.
A côté de Raupach , il faut nommer Bauernfeld , auteur
très-fécond , dont les comédies brillent par un style pur, par
l'art du dialogue et par d'habiles situations. Mais la force
comique manque absolument à cet écrivain , et l'invention
n'est pas non plus ce qui le distingue. Nous ajouterons ici les
48.
380
ALLEMAGiNE
noms des auteurs comiquesdonl les productions ont le plus
occupe la scène allemande à notre époque : Dein-
iianlslein , auteur du Hans-Sachs, directeur intelligent du
Ihéûtrc impérial devienne; Albini, Tœpfer, Charles Le-
brun, Cliark'S Blum, qui excelle dans l'arrangement des
pièces L'irangères ; Elslioltz , Maltitz, et Cosniar, l'infatigable
traducteur de MM. Scribe, Alexandre Dumas et de tous
les auteurs Irançais en vogue.
Un genre nouveau, ou plutôt renouvelé d'Iflland; a obtenu
plus tard un grand succès sur le théâtre allemand. Comme
il tient du diame et de la comédie, sans être précisément
ni l'un ni l'autre, il lui a fallu une dénomination nouvelle
que l'on a cru avoir trouvée dans le titre de pièces de con-
versation ( Conversationstijcke). Le public adopta ces pièces
avec d'autant plus de plaisir que tous les théâtres étaient ,
quant au personnel, en parfait étal d'en soigner la représen-
tation. L'auteur qui ressuscita ce genre fut madame la prin-
cesse Amélie de Saxe.
C'est, comme nous l'avons dit , le drame d'Iflland, mais
d'un genre plus relevé , et tel qu'il convenait de l'écrire pour
la haute société. La disposition des pièces de la princesse
Amélie est en général très-simple et l'exécution fort habile ; le
style en est pur, le dialogue élégant, fin et spirituel. Le dia-
logue est môme, à proprement parler, toute la pièce ; l'action
s'y réduit à peu de chose : de là ce nom de pièces de con-
versation. Voilà tout ce que l'on peut dire à l'éloge des
comédies de la princesse de Saxe, productions dont le
genre est indéterminé, vague, où il n'y a ni dessin de carac-
tères ni lutte de passions. Le seul bien qu'elles produisirent,
ce fut d'expulser de la scène les drames du genre larmoyant
etterriblede madame Charlotte Birch-Pfeitfer; drames vrai-
ment barbares , auxquels le bon public allemand avait ce-
pendant pris beaucoup de goût. Les pièces de la princesse
de Saxe qui ontobtenu le plus de succès sont : Vérité et Men-
songe, la Fiancée de la Capitale, l'Élève, l'Oncle, et la
Fiancée du Prince. Elles ont été traduites en français par
M. Pitre Chevalier.
Un homme d'une naissance non moins illustre, le duc
Charles de Meklenbourg-Strélitz , a fait repré?enter, sous le
pseudonyme de Weisshaupt, une pièce du même genre, in-
titulée : les Isolées, dont le mérite consiste également dans
la perfection du dialogue.
Le langage de la haute société, disons même de la bonne
compagnie, a été rarement, et toujours fort imparfaitement,
reproduit dans la comédie allemande. Les comédies de Kot-
zebue , et même celles d'Iflland, qui régnèrent pendant si
longtemps sur la scène allemande , y avaient introduit uu
langage qui n'était, à vrai dire, celui d'aucune classe de
la société, une véritable langue de convention. Les auteurs
dramatiques qui leur succédèrent furent à la vérité plus na-
turels; aucun d'eux ne descendit dans le dialogue à la tri-
vialité deKotzebue; mais peu étaient à portée d'étudier les
hautes classes, qu'ils avaient la prétention de peindre, et de
s'approprier la langue qu'elles y parlent. 11 n'est donc pas éton-
nant que les personnes d'un goût pur, séduites par un langage
nouveau pour elles dans le domaine où il se produisait, et
pourtant simple , naturel et familier, s'y soient laissé pren-
dre et aient passé facilement sur le reste. On ne peut cepen-
dant nier que cegenre ne soit un acheminement vers un avenir
meilleur. Les imitateurs ne tardèrent pas non plus à s'en
emparer ; mais cette fois ce furent des imitateurs intelligents,
tels que Leutner, dont la comédie Frère et Sceur, tout en
suivant la tradition, est bien plus riche en effets dramatiques
que les pièces de la princesse Amélie. Devrient, acteur du
théâtre de Berhn, neveu du célèbre Louis Devrient, se ser-
vit du même cadre pour écrire une comédie intitulée : les
Erreurs, qui mit en émoi le public et la criticpie. C'est à ce
génie qu'appartiennent encore VÉcole des Riclics et le
Feuillet blanc dcM. Gutzkow. [Voyez la plupart des noms
cités.)
L'ancien chef de fde de la Jeune Allemagne débuta au théâtre
par un drame , Richard Savage, dont le succès fut grand et
mérité. L'auteur s'est inspiré des malheurs de cet infortune
et vaniteux poète anglais, fils illégitime d'une grande dame,
qui refusa toute sa vie de le reconnaître. Le Richard Savage
de Gutzkow n'est pas celui de l'histoire, chez lequel la pré-
somi)l!on , la vaiiité et l'orgueil blessé avaient étouffé fout
sentiment filial. Ce pamphlétaire se souciait bien en vérité
de l'amour de sa mère! Ce qu'il lui fallait, c'était un rang ,
des richesses , un champ à son ambition démesure^ ! Gutz-
kow , en rendant son héros plus intéressant , l'a rendu en
môme temps plus dramatique. Il y a dans sa pièce des scènes
d'un grand pathétique; le style en est fortement coloré et
toujours à la hauteur du sujet. Ce drame peut être consi-
déré comme l'un des plus beaux du théâtre allemand mo-
derne. Dans son Patkul, le môme auteur a représenté les
idées et les tendances de notre époque ; il y a exprimé des
sentiments de nationalité qui surprennent dans la bouche
de l'auteur de Wally.
L'Allemagne , nous en avons la certitude , recèle encore
beaucoup déjeunes poètes tout aussi méritants que ceux que
nous venons dénommer. Leurs efforts réunis parviendraient
peut-ôtre à retenir le théâtre sur la pente funeste où il s'est
engagé, si les directions théâtrales, au lieu d'encourager les
talents naissants , ne prenaient pas soin en quelque sorte de
les rebuter en leur rendant la scène fout à fait inabordable.
Le public, habitué depuis longtemps aux traductions et
à l'imitation des pièces étrangères, leur abandonne à cet
égard un pouvoir absolu. Le public allemand, celui des
théâtres du moins, n'exige pas qu'on lui donne des ouvrages
originaux. Peu lui importe l'art national , pourvu qu'on l'a-
muse. Ajoutez à cela que l'auteur dramatique, à moins d'être
d'une fécondité prodigieuse , ne trouve pas dans l'exercice
de son talent les garanties d'une existence assurée. Les
directions de théâtre n'attribuent aux écrivains aucun droit
d'auteur ; elles se rendent propriétaires des pièces de leur
répertoire; et l'auteur, une fois son ouvrage vendu, ne peut
plus le retirer, ni prétendre à une part quelconque de la re-
cette qu'il aura produite. Les grandes scènes ont pour la
plupart un tarif d'après lequel elles fixent la rétribution des
pièces , et auquel l'auteur doit se conformer. Cette rétribu-
tion est d'ordinaire si minime, elle compense si peu les
vexations et les dégoûts de foute espèce auxquels tout auteur
doit se résigner avant d'arriver à la représentation de ses
ouvrages, que l'on a en vérité de la peine à concevoir com-
ment il se rencontre encore des écrivains dramatiques en
Allemagne.
Le droit de propriété dramatique n'a été fixé par une loi
qu'en 1837 , et encore en Prusse seulement. Cette loi, fort
imparfaite d'ailleurs, parce qu'elle ne protège les auteurs
dramatiques que contre le vol de leurs manuscrits, peut ce-
pendant être considérée comme un progrès, quand on se
reporte à l'état de choses antérieur. Elle interdit la repré-
sentation de tout ouvrage dramatique sans l'autorisation
préalable de l'auteur, de ses héritiers ou ayant-droit , tant
que cet ouvrage n'a pas été publié par la voie de l'im-
pression. L'auteur seul peut accorder cette autorisation, et
après sa mort ses droits compétent à ses héritiers ou ayant-
droit pendant l'espace de dix ans. Toute contravention est
punie d'une amende de dix à cent thalers (40 à 400 francs),
et en outre, si la représentation a eu lieu sur un théâtre per-
manent , de la confiscation de la recette brute de la soirée ,
au profit de l'auteur, déduction faite d'un tiers pour la caisse
des pauvres.
Une scène qui, malgré sa position infime, déploie bien
pli.'S p'originalité que maint grand théâtre à prétentions lit-
téraires et artistiques, c'est le théâtre populaire de la Léo-
joldstadt, à Vienne. Les pièces qu'on y joue sont tout bon-
nement des farces locales, mais d'un genre très-original et
dont on se ferait difficilement une idée en France. C'est un
ALLEMAGNE
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mélange de réalités et de fictions, de faux et de vrai, de mo-
rale et de folie ; un monde de fées, de démons, d'enchanteurs,
d'honnêtes bourgeois et de stupides valets. Ajoutez à cela
des feux d'artifice, des pantomimes, de magnifiques décors,
et vous aurez une idée de la récréation favorite du peuple
devienne, récréation à laquelle la bonne société ne dédaigne
pas de prendre part. Ce genre, qu'on appelle pièces vien-
noises, fut perfectionné , sinon inventé, par un acteur co-
mique du premier ordre, nommé Raiminid. Avant lui, Pré-
hauser et Schuster avaient déjà charmé avec leurs inventions
comiques ce bon peuple viennois, de toutes les populations
allemandes la plus affamée de spectacles. Mais Raimuud
éclipsa bientôt tous ses devanciers, auteurs et acteurs, et
resta jusqu'à sa mort le favori du public. Cet artiste , d'un
comique si profond et si vrai, qui avait tant de fois déso-
pilé la rate de ses compatriotes , se tua dans un accès de
délire. Les meilleures pièces de Raimund sont : le Diamant
du roi des Esprits , la jeune Fille du monde des Fées, le
Roi des Alpes et le Misanthrope. Ce sont de véritables
drames populaires, mêlés, il est vrai, de merveilleux et de
fantastique, mais de ce merveilleux naïf auquel on suppose
toujours un sens profond, et qui convient si bien à l'àme rê-
veuse du peuple allemand. C'est ce petit théâtre de la Léo-
poldstadt qui produisit la fameuse Nymphe du Danube,
dont l'Allemagne entière fut engouée pendant des années.
11 nous reste à parler des auteurs dramatiques qui se sont
volontairement fermé l'accès du théâtre en refusant de se
plier aux exigences , aux caprices de la foule , et qui se
contentent pour leurs œu\Tes des suffrages éclairés d'un
petit nombre de lecteurs d'élite. En lisant leurs ouviages ,
on s'aperçoit aisément qu'ils se sont peu préoccupés des
exigences de la scène , non-seulement de celle des théâtres
allemands, mais de la scène en général, tant leurs créations
se développent au delà des conditions imposées à la repré-
sentation. Ce sont surtout les drames de Grabbe que nous
avons ici en vue , comme les productions de cette partie de
la littérature dramatique qui offrent l'originalité la plus bi-
zarre.
GrflWe, génie singulier, caractère étrange, allie dans
ses drames une grande puissance créatrice à l'imagination
la plus désordonnée. A l'âge de dix-neuf ans il avait déjà
composé un drame : le Duc de Gothlnnd, œuvre irrégu-
lière, bizarre, mais qui dénote une force réelle et une grande
abondance d'idées. Le malheur de Grabbe fut de n'avoir
pu ni maîtriser les impressions d'une enfance misérable ,
ni surmonter les entraves qu'il rencontra plus tard dans la
vie. Un sentiment de haine, de rancune contre la société,
se réfléchit dans tous ses ojuvrages. Il eût voulu que la na-
tion allemande l'adoptât et lui donnât mission de lui faire
des chefs-d'œuvre. « Vous vous enthousiasmez pour des
étrangers, écrivait-il ; pourquoi ne pas me prêter aussi votre
appui? Vous parlez avec idolâtrie de Shakspeare, et il ne
tient qu'à vous de faire de moi un Shakspeare ! » Il disait
encore ailleurs : « On se prend d'enthousiasme pour un
drame comme Faust ; quelle misère! Donnez-moi trois mille
thalers par an , et je vous ferai bien autre chose. « Grabbe
fit autre chose, en effet. Dans ses drames de Don Juan
et Faust, Hannibal , Barberousse , Henri IV, tout est
colossal, exagéré, monstrueux. Pour écrite un drame histo-
rique, il ne se contente pas d'un fait, d'un événement , quel-
que dramatique qu'il soit : il lui faut une époque , un peu-
ple. S'il peint la passion , la vertu , le vice , c'est sans tran-
sitions, sans nuances, et toujours dans leurs manifestations
les plus tranchées. La Bataille d'Arminitcs , qu'il termina
en mourant, est son meilleur drame. 11 laissait inachevée
une épopée dramatique intitulée : Napoléon et les Cent
jours.
Bûchner, poète dramatique, enlevé à la fleur de l'âge, dont
les créations sont moins gigantesques, mais en revanche
biea autrement à la portée de la scène, appartient à l'école
de Grabbe. Son drame la Mort de Danton représente
d'une manière saisissante une des phases les plus terribles
de la révolution française. Danton est pour cet écrivain l'ex-
pression la plus parfaite de la grandeur républicaine. Tous
les caractères que lîiichner représente dans son drame sont
tracés de main de maître. Nous devons encore mentionner les
noms de Daller, de Wiese, de Wilkomm, de Mosen, d't/-
chtrilz, et surtout celui de Jlauch , Danois de naissance,
qui , à l'exemple de son compatriote Œhlenschlaeger, s'est
inspiré de la muse allemande. Sa tragédie de Tibère et son
drame le Siège de Macstricht ont pris place à côté des plus
belles productions de la poésie dramatique des allemands.
Les revues et les recueils consacrés à l'art dramatique qui
se publient en Allemagne caractérisent assez bien par leur
direction particulière l'état de schisme où se trouve aujour-
d'hui le théâtre allemand. C'est ain?i que les ouvrages
dramatiques destinés à la représentation scénique , et nous
comprendrons dans cette catégorie les traductions , imita-
tions, etc., sont représentés par une foule de recueils et de
revues critiques , dont les principaux sont VAlmanach des
Théâtres de Cosmar, les Annales Dramatiques de Franck,
la Revue des Théâtres de Lehwald; tandis que les pièces
purement Uttéraires ne s'appuient que sur les Annales de
Willkomm, excellent et consciencieux recueil de littérature
et de critique dramatiques, dont le titre allemand est :
Jahrbiicher filr Drama, Dramaturgie und Theater.
Nous venons d'esquisser rapidement l'état actuel du
théâtre en Allemagne. L'art dramatique y subit depuis bien
des années une crise douloureuse dont il est difficile de pré-
■voir le terme, mais dont les résultats ne sont malheureuse-
ment que trop évidents. Un fait non moins affligeant qu'il
nous faut constater, c'est la lareté toujours plus grande des
bons comédiens. L'Allemagne, si riche en institutions mu-
sicales, et qui possède, outre les conservatoires de Vienne ,
de Berlin, de Prague et de Leipzig , un si grand nombre
d'académies lyriques et de sociétés pour la propagation du
chant , n'a pas une seule école de déclamation pour former
ses acteurs et corriger la prononciation vicieuse de la plu-
part d'entre eux. Aussi n'est-il pas rare d'entendre , même
sur des scènes de premier ordre, tantôt l'accent traînant de
la Saxe se marier disgracieusement à l'âpreté du dialecte
bavarois , tantôt le langage flasque et efféminé de l'Autriche
contraster péniblement avec la prononciation pure et nette-
ment accusée de l'habitant du nord. La critique , non pas
cette critique complaisante qui est à la solde des directions ,
mais la critique intelligente, sévère et honnête, lutte depuis
longtemps, mais en vain, contre un état de choses qui tend
à consommer la ruine de l'art dramatique. Nous craignons
bien qu'elle n'y perde ses peines ; car nous pensons que pour
relever le théâtre allemand à une hauteur vraùnent natio-
nale, il ne faudrait pas moins qu'un de ces hasards mysté-
rieux qui font naître les grands poètes , et à leur suite les
grands artistes dramatiques.
Influence extérieure de la littérature allemande.
L'influence de la pensée allemande sur la littérature des
autres nations a toujours été, sinon brillante, du moins
profonde et réelle. Nous ne parlerons pas ici du mouvement
immense auquel la réforme de Luther donna l'impulsion, ni
des écrits de ce réformateur, traduits dans toutes les lan-
gues , et dont l'effet fut prodigieux. Ce sont là des résultats
qu'il appartenait à l'histoire d'enregistrer comme étant plus
particulièrement de son domaine. Depuis cette mémorable
époque jusqu'au milieu du siècle dernier, la littérature alle-
mande n'a d'ailleurs rien produit qui représentât digne-
ment l'esprit germanique. Notre assertion , qu'on ne l'ou-
blie pas, ne s'applique qu'aux belles-lettres proprement
dites, car l'érudition et la science allemande ont toujours
été pleinement appréciées par les autres peuples de l'Eu-
rope. En effet, l'histoire littéraire, l'esthétique, la philoso-
3S'
ALLEMAGNE
phie, l'archéologie, les ouvrages encyclopédiques, etc. , doi-
vent aux Allemands sinon leur origine , du moins de grands
développements et un liant degré de perfection.
L'influence que Leibnilz et plus tard Kant exercèrent
sur la pensée étrangère , à son insu et presque malgré elle,
fut immense. Mais s'il n'a été donné à la littérature alle-
mande proprement dite de franchir les limites du terroir
originel qu'après la venue de Gœthc et de Schiller, la
haute considération qu'elle acquit à cette époque s'est tou-
jours accrue depuis , surtout parmi les nations qui se rap-
prochent de l'Allemagne par l'affinité des races et par celle
de la langue.
La première qui se présente à nous sous ce rapport est
la nation anglaise. L'Angleterre, on ne saurait le mécon-
naître, malgré une résistance quelque peu opiniâtre, se sent
entraînée par une sympathie secrète vers les idées et les
spéculations de l'Allemagne. Déjà même des voix s'y
sont élevées contre les soi-disant envahissements de la
germânomanie. Quoique peu fondées , ces clameurs indi-
quent du moins que l'étude de la littérature allemande est
de plus en plus cultivée dans ce pays. En effet , la langue
allemande y marche presque de pair avec les langues clas-
siques ; et ce sont les plus illustres d'entre les chefs de la lit-
térature anglaise moderne , par exemple Coleridge et Car-
liste, qui ont initié leurs compatriotes aux productions de
la pensée germanique. Taylor aussi contribua beaucoup à
la connaissance de la littérature allemande, par son excel-
lent ouvrage intitulé : Historic Siirveij o/German Poetry.
Si ce fut jadis l'étude de Shakspeare qui arracha les Allemands
à la plate imitation des littératures étrangères, et qui leur
donna l'intelligence de leur propre génie, il est exact d'ajouter
qu'aujourd'hui l'étude de Faust est devenue une source i.".-
tarissable d'inspirations pour les poètes anglais. Ce chef-
d'œuvTe de Gœthe a été traduit à différentes reprises, par
Shelley d'abord (mais en partie seulement) ; vinrent ensuite
les traductions de lord Francis Le vison Gowcr ( 1 82 5) , de Syme
et de Blackie ( 1834 ) , celles en prose de Hayward ( troisième
édit., 1838) etdeTalbot (deuxième édit., 1839). La plus par-
faite de toutes est celle qui parut accompagnée de la Fian-
cée de Corinthe de Schiller, par Anster (1838) , puis celles
de Birch , de G. Lefèvre et de Lewis Filmore. Birch , Ber-
nays et A. Gurney firent aussi des tentatives pour repro-
duire la seconde partie de la tragédie de Faust. Parmi les
ouvrages de Gœthe qui après Fatist ont eu le plus de
succès, il faut nommer Werther, leTasse, la Chromatique,
plusieurs fois reproduits par la traduction , de même que la
plupart de ses poésies lyriques. Après Gœthe, Schiller est
l'auteur allemand qu'affectionnent le plus les Anglais, et sur-
tout les Anglaises. Tous les drames de Schiller ont été tra-
duits en anglais, et même par divers traducteurs. La pre-
mière traduction des Brigands date de 1792. Parmi les
traductions anglaises qu'on a de ses poésies lyriques, celle
de son poème la Cloche a excité une universelle sympathie
en Angleterre.
Après ces deux écrivains , dont les poésies choisies vien-
nent tout récemment encore d'être traduites par Dwight ,
Louis Uhland est de tous les poètes lyriques de l'Alle-
magne celui qui a le plus de réputation de l'autre côté du
détroit. En fait de productions modernes, le Peter Slemihl
deChamisso est devenu populaire. CruiKshanken a publié
une traduction accompagnée d'illustrations magnifiques et
devenue célèbre en Europe.
Les travaux de la philosophie allemande n'ont pas trouvé
en Angleterre un accueil aussi brillant que les ouvrages
dont nous venons de parler. Quelques écrits de Kant y ont
cependant été traduits. En revanche , les travaux piiiiolo-
giques de l'Allemagne y jouissent d'un succès incontesté.
La plupart des grammaires, particulièrement la grammaire
hébraïque de Gesenius, les travaux lexicographiqiies du
même auteur , ceux de iMatlhias , de Butlmann , de
Zumpt , ont été reproduits à l'usage des Anglais. Les ou-
vrages d'archéologie de Bœckh, d'Hermann, d'Ottfried
Millier, de Wachsmuth , de Becker, etc., ont été traduits
avec beaucoup de soin. Les travaux historiques et d'his-
toire littéraire des ^■iebuhr , des Ranke, des Raumer, des
Schlosser, des frères Schlegel , etc., etc., n'y sont pas moins
appréciés. Parmi les femmes qui ont contribué à populari-
ser en Angleterre la littérature allemande , mesdames Sara
Austin et Jameson occupent le premier rang. Les Voyages
en Allemagne des touristes anglais se multiplient aussi
chaque année. Citons ici Vienna, par mistriss Trollope;
Aïistria, par Turnbull; Germany and Bohemia , par
Gleig; Germany, the spirit of her history , par Haw-
kins; Austria;its lïterary, scientific and médical insti-
tutions, par Wilde. Les revues et magasins httéraires, par-
ticulièrement le Foreign quarterly Rcvieiv, s'occupent aussi
de plus en plus de littérature allemande , et chaque jour la
librairie anglaise publie d'excellentes traductions d'ouvrages
allemands dans tous les ordres d'idées, avec de remar-
quables appréciations critiques et biographiques sur les
hommes auxquels on en est redevable, et qui pour la plupart
sont de ceux qui ont le plus illustré la littérature allemande.
Le Danemark , plus rapproché de l'Allemagne sous le
double rapport de la position géographique et de l'afTinité
d'idiome, s'est aussi plus familiarisé avec les produits de la
pensée allemande. Si l'on y traduit moins qu'ailleurs, c'est
qu'en Danemark tout homme tant soit peu instruit connaît
parfaitement la langue de Klopstock et de Herder. Non-seu-
lement les principaux poètes danois se sont formés en Alle-
magne, mais un grand nombre d'entre eux, tels qu'Œh-
lenschlaeger , Baggesen , Éwald , Frédérika Briin , et d'au-
tres encore , ont enrichi la littérature allemande elle-même
de productions d'une haute importance. Klopstock, Schiller
et plus récemment Ilebel, le gracieux auteur des Poésies
alémanes, avaient trouvé de généreux Mécènes en Dane-
mark , notamment à la cour des ducs de Holstein-A u g u s-
tenburg, maison princière collatérale de la maison ré-
gnante , et appelée peut-être quelque jour, par suite de
l'extinction de la ligne masculine, à faire rentrer dans la
grande famille allemande, comme État indépendant, les du-
chés de Schlesvvig-Holstein , ce plus beau fleuron de la cou-
ronne de Danemark.
En France, on peut dire que ce fut madame de Staèlqui
donna l'impulsion première à l'étude suivie de la littérature
allemande. Sans doute avant elle quelques tentatives avaient
déjà été faites pour familiariser l'esprit français avec les
productions littéraires de l'autre côté du Rhin. C'est ainsi
qu'on avait traduit la Messiade. de Klopstock et plusieurs
ouvrages de Gessner , et qu'un choix assez indigeste de
drames et de comédies avait été publié sous le titre de
Thédtre Allemand etde Aouveau Théâtre Allemand (l~9ô).
On avait été même jusqu'à représenter des pièces de Kotze-
biJe sur la scène française, et Werther avait produit en
France presque autant de sensation que dans la patrie de
Gœthe. Mais le livre De VAUemagne révéla au public
français l'existence d'une poésie nouvelle; et en lui indi-
quant les sources fécondes auxquelles s'inspire l'esprit ger-
manique , il excita le vif désir d'en sonder les profondeurs,
désir qui a toujours existé depuis chez les hommes instruits,
et qui n'a pas laissé que d'exercer par ses résultats une
influence marquée sur la direction de leurs travaux. Au-
jourd'hui , en effet, nous voyons en France tons les esprits
sérieux attacher un grand prix à l'étude de l'art, de la poésie
et de la science des Allemands.
Que si l'Angleterre songe plutôt à s'approprier par des
traductions l&s travaux historiques de l'Allemagne, on peut
dire que sa philosophie est ce qui attire plus particulière-
ment l'attention du public français. Parmi les hommes dont
leselTorts ont puissamment contribué à populariseras idées
des philosoplies «illemands , il faut nommer MM. Tissot,
ALLEMAGNE
383
Cardiou dePeuhoën, Cousin, E. Qiiinet, le liadiicknir de
Ficlite, et l'auteur de l'excellente Histoire de la Philoso-
phie nllemande depuis Leibuitz jusqu'à Hegel (isss).
En 1S31 on a va l'Académie des Sciences morales et poli-
tiiliios mettre au concours l'exposition des divers systèmes
philosophiques de l'Allemagne depuis Kant. Dans ces der-
niers temps , les systèmes de Schelling et de Hegel ont été
jwpularisés en France , soit par la traduction des ouvrages
de ces philosophes , soit par l'exposition originale de leurs
doctrines.
Les travaux historiques dont la France s'est plus spécia-
lement emparée par la traduction sont ceux de Jean de
Millier , VHisloire des Ilohenstaufen de Raumer, V His-
toire de la Reforme de Marheincke, l'Histoire de la
Papauté de Ranke, les ouvrages de Hurter, de Kohl-
rausch , etc.
Quant à la poésie allemande, la France s'est bornée pres-
que exclusivement à la période classique, c'est-à-dire à Schil-
ler et à Gœthe, dont les ouvrages ont été reproduits par des
traductions multipliées. Le développement récent du lyrisme
allemand n'a d'ailleurs jusque ici que fort peu captivé l'at-
tention du public français.
Parmi les travaux importants et récents spécialement
consacrés à l'Allemagne, nous citerons ici les Notices poli-
tiques et littéraires sur V Allemagne , de M. Saint-Marc
Giraidin ; les Études sur F Allemagne, de Î\L A. Michiels,
et l'excellent ouvrage de M. H. Fortoul, intitulé de l'Art en
Allemagne. Plusieurs écrits périodiques, tels que la Revue
Germanique et la Revue du Nord , qui ont paru pendant
longtemps, étaient uniquement consacrés à populariser en
France les produits de l'esprit germanique. La Revue des
Deux Mondes a publié et publie encore tous les jours de
conssiencieux articles sur le mouvement intellectuel d'au
delà du Rhin. Mentionnons encore les belles et savantes
leçons de MM. Fauriel , Edgar Qxiinet, Ozanam et Philarète
Chasles à la Sorbonne et au Collège de France , et disons
qu'en aucun temps la pensée allemande n'a été plus digne-
ment représentée en France que de nos jours.
De tous les pays de l'Europe méridionale, l'Italie est celui
dont les rapports avec l'Allemagne sont les plus directs.
Malgré le peu d'homogénéité existant entre le caractère et
la langue des deux nations, la littérature allemande avait su
se frayer de bonne heure un chemin jusqu'au cœiir de l'I-
talie. Elle y était entrée à la suite de Winckelmann. La
Messiade , les Idylles de Gessner, le Musarion de ^Yie-
land y étaient connus et appréciés dès le siècle dernier.
Mais là comme ailleurs les noms aujourd'hui les plus po-
pulaires sont ceux de Gœthe et de Schiller. Werther ins-
pira à l'illustre Ugo Foscolo sa belle imitation de Jacob Or-
tis. Le Museo Dramatico publia les traductions de Faust
et de Gœtz de Berlichingen, et les drames de Schiller ont
eu pour interprètes Ferrario, Vergani , Léoni , L. Maffei ,
savant appréciateur de la langue et de la littérature alle-
mandes, et plus récemment madame Degli Scolari. Les piè-
ces de Kotzebiie se maintiennent constamment sur la scène
italienne à côté de celles de Goldoni. Un excellent recueil
de poésies allemandes a été publié par A. Ballati , sous le
titre de Saggio di versi allemanni recati in versi italiani.
La critique et la philosophie allemandes pénétrèrent en
Italie en dépit de maint obstacle. En 1S33 Landonio a tra-
duit le Laocoon de Lessing; et en 183G Paoli a publié à
MihnV Histoire de la Philosophie deTennemann. M. César
Canlii a écrit, sous le titre de Saggio sulla Literatura Te-
desca, une excellente histoire de la poésie allemande, dans
laquelle il a rendu avec beaucoup de sentiment et une éit;-
gance extrême de poétiques extraits tirés des meilleures tra-
ductions de la muse germanique, depuis les Minnesxnger
jusqu'à Lliland et Henri Heine.
Parmi les peuples slaves, les Bohêuies, très-familiarisés
avec la langue aUemande, sont ceux qui possèdent les mcil- '
Icures traductions des chefs-d'œuvre de cette littérature, et
les drames de Schiller sont aussi applaudis sur les difiërents
théâtres de la liohéme que sur les scènes allemandes.
Ce fut encore le génie allemand qui féconda le tardif dé-
veloppement de la littérature en Russie. Lomonossow , le
père de la poésie russe , se forma en Allemagne à l'école de
Christian SVolf; il s'attacha particulièrement à l'imitation
de Giinther, poète de l'école saxonne , qui florissait au com-
mencement du dix-septième siècle. Derzawin popularisa en
Russie le genre de KIopstock, etZukowsky y introduisit la
ballade allemande et le vers iambique du drame de Schiller.
La ballade de Ludmilla , imitation de la Lénore de Bùr-
ger, est restée populaire en Russie. Huber traduisit le Faust
de Gœthe , et Bakounin la Correspondance de Gœthe et
de Bettina.
De toutes les contrées slaves , la Pologne est celle qui ré-
sista le plus longtemps airs influences de l'esprit germanique.
Cependant l'école romantique , dont Mickiewicz est le chef,
s'y est développée sous l'inspiration de la poésie allemande
et anglaise. C'est ainsi que Mickiewicz a traduit lui-même
plusieurs ballades de Schiller, et que Kàminski a popularisé
Schiller par des traductions que la critique polonaise a pro-
clamées autant de chefs-d'œuvre.
Philosophie allemande.
Il fallait que la prose eût acquis un certain degré de per-
fection pour que la philosophie jetât quelque éclat. Tant que
les Memands écrivirent de préférence en latin , ils s'atta-
chèrent à la philosophie dominante, à celle des scolastiques,
par exemple, qu'ils combattirent à partir du quinzième
siècle ; mais plus tard , grâce à leurs vastes connaissances
dans les humanités , ils répandirent , Plulippe Melanchthon
entre autres, des opinions philosophiques puisées aux sources
P'.;res de l'antiquité classique.
La philosophie allemande se distingue autant par sa cons-
tante tendance à former des systèmes et à déduire des con-
séquences scientifiques de principes simples , mais larges ,
que par sa direction cosmopolite. Elle commence vers la fin
du dix-septième siècle avec Leibnitz, le premier esprit
véritablement philosophique qu'eût encore produit l'Allema-
gne. La théorie de Leibnitz sur les idées innées , sa mona-
dologie et sa théodicée , sa tendance vers un principe su-
prême , occupèrent vivement tous les esprits spéculatifs de
son temps. H fonda le réalisme rationnel , opposé au sen-
sualisme de Locke , et qui s'attache à faire remonter par la
démonstration toute la science pliilosophique à des vérités né-
cessaires et innées admises par la raison. \S'olf appliqua
ces idées à la forme démonstrative du système qui domi-
nait à l'époque du règne de Frédéric le Grand. Il eut le
mérite de présenter les sciences philosophiqnes dans un en-
semble clair et encyclopédique; mais le principal défaut
de sa philosophie provint de ce qu'il croyait ne pouvoir trou-
ver la vérité que par des définitions et des démonstrations
(méthode démonstrative). Ses iimonjj^rables élèves pous-
sèrent cette manie des formules au delà de toutes limites
permises. Wolf trouva dans Ch. -A. Crusius depuis 1747 et
dans J.-G. Daries de redoutables adversaires, plutôt cepen-
dant dans les détails que dans l'ensemble. Toutefois, parmi
les philosophes de son école on en cite plusieurs qui per-
fectionnèrent quelques sciences parlicubères , et surtout
la logique : par exemple, Lambert, Plouquet, Reima-
rus, Baumgarten, etc. Vint ensuite (1760-1780) l'éclec-
tisme philosophicpie. Quelques philosophes s'attachèrent
alors à Descartes , qui a fiut de la séparation du corps et de
l'esprit un des caractères fondamentaux de la philosophie
moderne; d'autres suivirent les recherches psycholo-
giques de Locke , de Féder , de Garve , etc. Excité par le
scepticisme de Hume et par YEssai sur VEnlcndement
de Locke, l'esprit profond d'Emmanuel Kant cherclia en-
fin , à partir de 1780, à fixer les Iwrnes de l'entendement
384 ALLEMAGNE
humain , en opposition aux théories sans limites émises sur
ce sujet par les dogmatiques , et , tout en supposant l'exis-
tance des notions psychologiques , à examiner la ma-
nière dont procède la raison dans le raisonnement. Il ar-
riva à ce résultat : que rentcndement liurnain ne va pas au
delà de la conscience et de la vision , qu'il n'existe des lors
point de connaissance du surnaturel ; mais que la raison pra-
tique , qui commande catégoriquement , nous persuade ce
que la raison spéculative ne saurait démontrer. Reinhold
prétendit comprendre la critique de Kant dans une théorie
de l'imagination , tentative que Schuize combattit avec suc-
cès par les armes du scepticisme.
Quoique la différence existant entre la pensée et l'être
fût démontrée dans toute son évidence par cette doctrine ,
la criti(iue de Kant fit naître parmi les Allemands le goût
d'une méthode philosophique plus libre que celle qui avait
jusque alors dominé. C'est Kant qui ouvre (1780) l'ère
de la philosophie la plus récente, fonnant la seconde période
de la philosophie allemande proprement dite.
F i c h t e , penseur profond et hardi , voyant que la phi-
losophie de Kant s'arrêtait à moitié chemin vers l'idéalisme,
exposa avec les plus rigoureuses conséquences un système
d'idéalisme à lui , dans lequel il cherche à faire dériver toute
science et toute vérité d'un seul principe , le 7noi. Adhérant
à la doctrine de la subjectivité de Kant , l'ichte a fait du 7noi,
sujet de la conscience , l'activité absolue produisant aussi
l'objet ; ce qui, à proprement parler, détruisait la réalité des
objets.
De la philosophie de Fichte naquit celle de Schelling,
qui fonda un nouveau système en opposant directement à la
philosophie idéale subjective un idéalisme objectif, ou, en
d'autres ternies, une philosophie naturelle, dans laquelle on
s'élève de la nature jusqu'au moi , de même que l'on pro-
cède du moi il la nature dans la philosophie idéale opposée.
Schelling chercha à unir ces deux faces de la philosophie
à l'aide de la doctrine de l'identité , (pi'il formula plus tard.
Dans celte dernière , Yabsolii est admis conmie Vidcntité
de la pensée et de l'être, et l'intuition intellectuelle comme
la connaissance de cette identité.
Disciple de Schelling , Hegel a cherché à établir un idéa-
lisme absolu dans une méthode strictement dialectique , en
considérant l'idée absolue comme la raison se comprenant ,
en tant qu'absolu, dans son développement nécessaiie , et en
la représentant dans son existence en elle-même (la logi-
que), dans son existence dans l'autre (la philosophie na-
turelle ) , et enfin dans son retour en elle-même ( la philo-
sophie de l'esprit).
Les systèmes que nous venons de citer doivent être re-
gardés comme une série continue d'opinions et de points de
vue philosophiques. Beaucoup d'autres systèmes et opinions
philosophiques furent développés par leurs auteurs, soit en
opposition à ceux que nous venons d'exposer, soit en s'at-
tachant à un de ces systèmes dont ils rectifiaient l'idée fon-
damentale , ou bien qu'ils présentaient dans une foime plus
parfaite. C'est ce qu'on peut dire de la nouvelle théorie de
la raison pure de Fries , et du synthétisme transcendental de
Krug, oii l'on trouve, liées en forme systématique, toutes
les doctrines principales de la critique de Kant.
Bardili chercha de même à rendre Vabsolu la base de
toute iihilosopliie. 11 le trouva dans la pensée , et c'est pour
cela qu'il voulut lendre la logique la source des connais-
sances réelles. J.-J. \Yagner et Fschenmayer cherchèrent, ou
à rectifier la doctrine de Schelling , ou à la perfectionner.
Parmi les esprits profonds dont la philosophie a un carac-
tère tout particulier, et qui développèrent leurs opinions en
opposition avec celles des philosophes précités, nous cite-
rons Jacobi ( Doctrinedu Sentiment et de la Foi), Kœppen
et plusieurs de ses disciples ; viennent ensuite lîoulerweck,
par son rationalisme, fondé sur la croyance ;i la raison;
Platner et Schuize , par leur scepticisme conditionnel , et
Herbart , par ses fragments métaphysiques pleins de perspi-
cacité, qui semblent pour la plupart n'être que des es-
sais critiques sur les différents systèmes.
La majeure partie des systèmes et des opinions que nous
venons de mentionner appartiennent , si on les considère du
moins au point de vue de leur perfectionnement , aux vingt
premières années de notre siècle. Une circonstance assuré-
ment digne de remarque, c'est que les travaux des Allemands
dans les sciences philosophiques aient été poussés à cette
époque avec d'autant plus de profondeur et d'étendue que
d'immenses événements politiques se succédaient avec une
plus étoimante rapidité, alors qu'un homme devenu l'ar-
bitre des destinées de l'Europe tenait enchaînée dans ses
mains l'indépendance politique de l'Allemagne. Les événe-
ments non moins mémorables qui brisèrent l'empire de ce
conquérant , et les efforts tentés par les différents États, dé-
sormais affianchis du joug de l'étranger pour recommencer
une nouvelle vie politique indépendante, semblent cepen-
dant coïncider avec des phénomènes complètement Jnverses
dans la sphère d'activité de la philosophie allemande. On
remarque en effet aujourd'hui, d'un côté, qu'aucune des
opinions philosophiques que nous avons citées n'est géné-
ralement dominante, et que la plupart de ceux qui s'occu-
pent du perfectionnement et de la propagation des doctrines
philosophiques adhèrent , soit à une des opinions exposées
plus haut, et qui ont été produites par la période récente de
la philosophie allemande, soit à une opinion quelconque de
l'ancienne philosophie ; qu'ils les développent et les perfec-
tionnent en ce qui est de la forme et du contenu, dans l'ensem-
ble et dans les détails , par la critique ou la dogmatique , et
qu'ils* formulent d'après ces principes des théories isolées ,
par exemple en morale et en esthétique , ou encore qu'ils
cherchent à corriger la base fondamentale psychologique
supposée par Kant, et à fonder la philosophie sur la psy-
chologie empirique, comme a fait dernièrement le philo-
sophe Beneke.
A cette direction psychologique se rattachent la manière
d'envisager la pliilosophie sous le rapport historique , et
l'étude de l'histoire de la philosophie. 11 est naturel, en effet,
que la diversité et la lutte des opinions spéculatives enga-
gent l'esprit humain à récapituler ce qui existait déjà, à se
livrer à des considérations sur la connexité que les opinions
contemporaines peuvent avoir entre elles, sur l'ordre dans le-
quel elles se succèdent les unes aux autres, ainsi que sur les
progrès qui ont lieu dans le développement de la science.
Mais il en résulte aussi très-facilement une certaine tiédeur,
une certaine indolence, quand on n'envisage la philosophie
que sous son rapport historique, surtout là où fait défaut
une certaine perspicacité de l'esprit. On n'est alors que trop
porté à croire qu'une science sur les principes de laquelle on
n'est pas encore d'accord depuis plus de vingt siècles qu'on
la cultive n"a guère de valeur et de vérités réelles. Cette
opinion s'est en effet fort accréditée ; et, loin qu'on puisse
!e nier, il est, au contraire, démontré par l'état actuel de la
littérature philosophique que les études scientifiques ten-
dent décidément vers le positif et l'historique plutôt que
vers tel système philosophique de préférence à tel autre. On
pourrait même ajouter, à l'égard de ces syslè;nes, qu'il est
survenu un découragement et une indifférence propres seu-
lement à favoriser la critique et l'application des idées philo-
sophiques à certaines sciences isolées, ainsi qu'on a lieu de le
remarquer, surtout dans les sciences naturelles, dans la mé-
decine, la jurisprudence et la théologie. Les incertitudes et
les vicissitudes des systèmes de la philosophie allemande
ont été l'objet de critiques ou de satires plus ou moins spiri-
tuelles et piquantes. .\vcc un peu de bonne foi, force est bien
pourtant de reconnaître que l'on ne peut juger sainement
de la vérité d'une opinion et que l'on ne peut en reconnaître
clairement l'erreur qu'autant qu'elle a revêtu la forme d'un
svstèmc rigoureusement déduit. C'est là ce que s'est efforcé
de faire l'esprit profond des Allemands. Plus il existera de
systèmes, plus ils difforeront entre eux, et plus la pi r(;fr;\-
lion du penseur deviendra étendue. Aussi, quel profit les
piiiiosoplies allemands n'ont-ils pas tiré de ces différents sys-
tèmes, et combien les inconvinients de ce procédé n'ont-
ils pas été comparativement moindres que ses avantages!
Ajoutons que non-seulement les sciences pliilosopliiques ,
mais encore toutes les autres en général, sont redevables
de progrès notables à cet esprit d'investigation essentiel-
lement philosophique; qu'il n'est aucune connaissance hu-
maine que les Allemands n'aient scientifiquement élaborée,
Lien que quelquefois l'application des systèmes dominants
à ces sciences ait conduit à de ridicules excentricités, à de
véritables extravagances; enfin, qu'aucune nation mo-
derne n'a jamais exercé une telle influence sur la culture
scientifique de l'Europe entière. Henri IIoebtel.
Il y a déjà longtemps, Henri Heine faisait cette remarque "•
« On n'a qu'à comparer l'histoire de la révolution fran-
çaise avec l'histoire de la philosophie allemande pour croire
que les Français, qui avaient tant d'occupations réelles pour
lesquelles il leur fallait absolument veiller, nous auraient
priés , nous autres Allemands , de dormir pendant ce
tem[is-là et de rêver pour eux, et que notre philosophie
allemande ne serait que le rêve de la révolution française...
Les Kantisles représentent la Convention, qui renouvelle
le monde ; le grand moi de Fichte , niant toutes les autres
existences, c'est Napoléon ; puis M. Schelling peut figurer
de toutes façons bonnes ou mauvaises la Restauration. «
Le jnême écrivain humourislique ajoute : « Il vaut mieux
qu'un peuple ait sa philosophie avant sa révolution; les
îi'.ts nue la philosophie a employées à la raéditution peuvent
èliL' luuthées à plaisir par la révolution, tandis que la
philosophie n'aurait jamais pu employer les têtes fauchées
parla révolution... Attendez un peu; les Kantisles boule-
verseront sans miséricorde ; les idéalistes transcendantaux
regarderont le martyre comme pure apparence, enfin les
philosophes de la nature s'identifieront eux-mêmes avec l'œu-
vre de destruction... Ce sera une terrible révolution. » Nous
avons attendu beaucoup, et il nous semble que Heine voyait
un peu l'Allemagne à travers Paris.
La philosophie allemande a surtout été accusée de pan-
théisme, système dont Hegel est le logicien , et Schelling le
poêle , suivant la remarque de M. Baudrillart. « Les opposi-
tions de ces deux esprits , ajoute ce critique , l'un plein d'é-
lévation et de souffle, l'autre d'une rare vigueur, avide de dé-
ductions et de classifications, poussant jusqu'à l'idolâtrie le
culte des notions purement abstraites et semant sur la route
de la métaphysique, de la morale, de la logique, de l'es-
thétique et de la philosophie de l'histoire, parfois des vues
aussi fécondes qu'originales, et plus souvent encore des for-
mules vides, ces oppositions se perdent dans l'unité du ré-
sultat , la doctrine de l'identité absolue. Qu'elle chante des
hymnes ou procède parapophthegmes, la doctrine religieuse
des deux philosophes aboutit à un dieu qui n'a pas la cons-
cience de !ui-même, qui crée l'univers et l'ordre qui y règne
sans le savoir, qui successivement devient minéral , plante
animal et homme , n'arrivant enfin à débrouiller un peu
sa propre notion qu'avec Spinosa (5 La Haye, vers 1660 )
et mieux encore avec Schelling et Hegel, au commence-
ment de notre siècle, dans deux coins privilégiés de l'Al-
lemagne... L'humanité s'est toujours refusée à l'honneur
qu'on prétend lui décerner au nom de la philosophie. H
semble que sa propre apothéose lui cause une sorte de dé-
goût et d'effroi ; je parle, bien entendu, de la masse seule-
ment; car il y a toujours des gens que ce rôle de dieu séduit.
« Récapitulons les principales phases de ce drame philo-
sophique qui rappelle la tentative et la chute de l'antique
Proraélhée. Kant a isolé l'homme de tout rapport avec
la vérité en soi ; car son infraction purement personnelle à
\a logique n'a pas de valeur scientifique : voilà le premier
r'CT. DE LA CONYERS. — T. I.
ALLEMAGNE 335
acte. Fichte a déclaré le mot humain le seul absolu : voilà
le second acte. Schelling lui reconnaît le même caractère,
mais il le divinise en le ratlacliant à sa source infinie par
l'élan spontané de l'intuition : voilà le troisième acte.
Hegel confirme l'homme dans sa divinité à l'aide du rai-
sonnement : voilà le quatrième acte. Mais il est dans la na-
ture de tout grand système d'avoir, si on peut parler ainsi,
un aboutissement pratique. C'est la réalité qui dit le der-
nier mot de la logique, et elle le dit souvent fort brutalement.
Nous touchons ici au dénoûment , et M. F e u e r b a c h , avec
ses allures excentriques à la Diderot, n'a plus qu'à entrer en
scène. Il s'annonce lui-môme comme apportant an genre hu-
main la bonne nouvelle, le véritable évangile social, la phi-
losophie de l'avenir, ou autrement V humanisme. M. Louis
Feuerbach est hégélien et il ne l'est pas. Il ne l'est pas en ce
qu'il rejette les abstractions vides, les grands mots creux... Il
est hégélien en ce qu'il accepte la divinité de l'homme et ne
voit en Dieu qu'une idée. D'où il conclut que c'est un non-être,
n La religion , dit-il , tient à une méprise facile, mais dé-
« plorable. Nous sommes portés à nous dédoubler, à nous
« diviser nous-mêmes, puis à regarder l'une des moitiés
« nées de cette séparation comme supérieure à la nature hu-
n maine. Néanmoins cette moitié prétendue supérieure n'est
« rien si elle n'est la meilleure partie de notre nature même.
« Dieu est pour l'homme le recueil de ses pensées et de ses
« sentiments les plus élevés, l'album où il écrit les noms des
n êtres qui lui sont le plus cliers et le plus sacrés. » La doc-
trine de Feuerbach peut doncêtre considérée comme un pro-
duit de l'hégélianisme, bien qu'elle ait toutes les apparences
d'une réaction anti-hégélienne : amie du réalisme , éprise
du fait , courant aux jouissances et réhabilitant la chair.
« Il faut, écrit Feuerbach, que le flegme .scolastique de la
« métaphysique allemande s'imprègne fortement des prin-
« cipes sanguins du matérialisme français. » 1! aspire de
toutes les manières à nous convaincre que la matière est
tout ; il répète sur tous les tons que l'esprit n'en est qu'une
fonction subalterne, qu'avant de penser l'homme tette , et
qu'il n'y a d'autre à priori que la faim et la soif. Matière,
sensibilité, réalité sont pour lui des mots. synonymes. Le
moi, ce fameux moi de Kant et de Fichte, c'est un corps
qui sait qu'il vit. Critique des religions, haine aux mé-
taphysiques idéalistes, protestations ardentes en faveur de la
morale, amour étalé du bien public, culte enthousiaste de la
civilisation, ces traits du matérialisme français repaxaissenl
avec Feuerbach. Il va dans cette voie du matérialisme plus
loin qu'on n'était encore allé peut-être. Voulez- vous savoir
le ritoyen le plus efficace de réformer l'espèce humaine?
réformez d'abord le régime alimentaire. « La nourriture,
«écrivait Feuerbach en 1850, est le lien qui unit l'unie
« au corps, le principe qui identifie les deux substances... Le
n phosphore est la matière qui pense en nous. Plus le cer-
« veau possède ou reçoit de phosphore , plus et mieux il
« pense... Nourrissez donc l'homme de manière à y aug-
« menter la masse de phosphore. C'est l'usage des pommes
« de terre qui a amorti le feu des nations modernes ; rera-
« plaçons ce tubercule'malfaisant par un aliment qui électrise
a le corps, par la purée de pois. Le double progrès de la
« science et de la société dépend de la multiplication du gaz
« phosphorique... «Les excès pratiques qui peuvent sortir
de cette donnée métaphysique. Tout le monde est Dieu.,
ou il n'y a point de Dieu, on les devinerait aisément...
L'égalité dans l'essence divine entraîne l'égalité dans les
jouissances terrestres. Que si l'essence divine disparaît a
son tour pour ne laisser que la matière, la conséquence est
la même. En vain à tous ces excès qui l'ont effrayé à son
tour, M. Feuerbach a-t-il essayé d'opposer cette dernière
maxime, qu'// «'y a que l'honnête homme qui ait le droit
d''étre athée. Digue impuissante! Comme c'est le sort corn-
munde tous les chefs de doctrine et de parti, M. Feuerbach
a été débordé par sa propre école. » Ainsi , après une vive
49
ssn
rt^action contre le baron d'Holbach, la pliiiosopliie alle-
mande retomberait dans les fanges de Lamettrie.
École allemande.
Dans les arts, comme dans la pliiiosopliie, l'Allemagne
fait entrer quelque peu d'abstraction et de roideur. Son
école se rattache au gothique qui fut cultivé au moyen
âge sur les bords du Rhin. On trouvera le commencement
de son histoire à l'article tcoLts de pkintire ( tome VUI,
p. 315 et 3161. Martin Schœn, Albert Durer, Lucas Cra-
n a c h et H ol b e i n sont ses principaux représentants. Sous
l'influence de la réforme, la pratique de l'art s'affaiblit
chez les Allemands. Au commencement du dix-neu-
vième siècle, Frédéric Overbeck donna le signal de
la réaction. A lui se joignirent bientôt Pierre Co rnclius,
Guillaume Scliadow, Philippe Veit, Jules Schnor, Guil-
laume Wacli, Charles Vogel, Henri Hess, etc. Cette école
cherchait avant tout la pensée, l'expression intime. Corné-
lius fonda une branche de l'école allemande îi Munich ;
autour de lui se groupèrent Hermann, Kaulbach, Gas-
sen, etc. G. Wach, qui avait étudie dans les atelier.s de Davi 1
et (Je Gro.s, devint le chef des artistes de Berhn, et eut pour
disciples Bégas, Henning , Alborn, etc. Schadow fonda
récoîe dePusseldorf, dent sortirent Lessing et Edouard
Bendemann, Hildebrandt, Hubner, Stilke, Scliroiiter,
Reinick, etc. Cornélius est moins ennemi du clair-obscur
et du coloris qu'Overbeck : il se plaît dans les sujets com-
pliqués ; l'école de Berlin se tient plus près de la réalité; l'école
de Dusseldorf est exacte de dessin, mais froide et plate de
couleur. « L'Allemagne, a dit M. Théophile Gautier, aban-
donnant le fairenaif et minutieux, le naturalisme d'Albert
Diirer et de Lucas Cranach , semble se complaire dans
l'esthétique de l'art ; à peine si elle daigne jeter un regard
distrait sur la nature : elle ne fait pas des tableaux, mais
des poèmes ; ce sont des inventions cycliques, les apoca-
lypses des religions, ou bien encore des symboliques et des
systèmes philosophiques où les figures interviennent plutôt
comme signes hiéroglyphiques que comme représentation
de l'individu. Cette école toute intellectuelle méprise la cou-
leuiv l'habileté de pinceau, l'agrément de la touche. Klle ne
peint pas, elle écrit l'idée. >• L. L.
ALLEMAGNE (Mer d' ). Voyez Nord ( Mor .lu ).
ALLEMANDE (Mythologie). Voyez Germanie,
tome X, pag. 276-277.
ALLEMANDE {Musique et Danse). Ce mot a deux
signilications bien distinctes. 11 désigne d'abord un air ins-
trumental, originaire d'Allemagne, comme l'indique son
nom , air q\ii se jouait à quatre temps lents et est depuis
plus d'un siècle tombé en désuétude. Il commençait tou-
jours au temps levé , et l'on en faisait surtout un fréquent
usage sur le luth. —En second lieu, il indique une danse fort
usitée autrefois en Allemagne , en Suisse et en France , et
l'air qui sert à en régler les mouvements. Cette danse fort
gaie était à deux temps ou à deux-quatre, et ordinairement
composée de trois parties. Elle s'exécutait par autant de
couples que l'on voulait ; le cavalier et la dame se tenant
par la main marchaient trois pas en avant et demeuraient
un pied en l'air, faisant ce que l'on appelait une fjrève; puis
ils reprenaient de môme jusqu'à ce qu'ils fussent au bout de
la salle, les autres couples suivant le premier, ce qui ter-
minait la première partie. Pour la seconde, on revenait par
le même procédé au point d'où l'on était parti , et si l'on
voulait en rétrogradant ; enfin pour la troisième on renou-
velait les mômes pas , mais en précipitant le mouvement
et sautant davantage. Adrien de Laface.
ALLEN (Thomas), mathématicien anglais , né à Ut-
toxeter, dans le comté de Stalfordshire, en 1542. 11 lit ses
études au collège de la Trinité à Oxford, où il prit le grade
de maitre-ès-arts en 15G7. Trois ans après il abandonna son
collège et ses relations pour se retirer à Glocesler-Hall, où
ALLEMAGNE — ALLEKT
il se livra à l'élude dans une retraite absolue. Sur l'invita-
tion d'Henri , comte de Northumberland , Allen censentit à
résider quelque temps dans l'habitation du comte, et se lia
avec les mathématiciens les plus distingués de son temps.
Le comte de Leicesler, qui professait pour Allen la plus
grande estime, voulut lui faire don d'un évôché; mais l'a-
mour d'Allen pour l'isolement et la solitude lui fit décliner
cette offre, toute magnifique qu'elle était. Allen forma une
collection précieuse de manuscrits sur l'histoire, l'antiquité,
l'astronomie, la philoso])hie et les mathématiques ; il mou»
rut à Glocester-Hall en 1G32.
ALLENT (PiEnuE-ALEXANDRE-JosEPn, chevalier), né
à Saint-Omer, le 9 août 1772, d'une famille honorablement
connue dans le commerce , eut à peine terminé ses études
qu'il s'engagea comme shnple canonnier, et fit ses premières
armes au bombardement de Lille, en 1792. 11 montra dès
lors une capacité qui fixa bientôt l'attention des officiers du
génie, et lui valut l'honneur d'être admis dans l'arme d'élite
(lont il devait devenir l'un des chefs les plus savants. 11 fit
alors successivement ses preuves aux travaux de défense de
la Lys, à l'Aa, à Saint-Venant, aux postes de la Lys et au
canal de jonction ; à Dunkerque, au fort Louis, sur les cô-
tes, à l'armée de Mayence, à celle du Danube, à l'investis-
sement de Philisbourg ; enfin à la défense des tètes de pont
du Rhin. Carnot l'appela au cabinet topograpliique, et lui
confia plusieurs missions importantes. — Quand Napoléon
voulut ouvrir une nouvelle et vaste carrière aux travaux
du génie militaire, Allent fut nommé secrétaire du comité
chargé d'examiner les projets présentés pour un plan gé-
néral de défense , et par ses soins les travaux reçurent une
puissante impulsion. Appelé dès sa création à faire partie de
la commission mixte des travaux publics , il en fut pen-
dant trente ans un des membres les plus actifs. L'empe-
rem-, frappé du savoir et de la lucidité que montrait Allent
lorsqu'il lui rendait compte des travaux du comité des for-
tifications, le nomma maître des requêtes au conseil d'État.
La section de la guerre le réclamait plus particulièrement;
cependant il fut attaché au comité du cô'ntentieux. Dans
cette nouvelle carrière , où pendant près de vingt-cinq ans
il rendit tant de services à la France, il concourut plus rpie
personne peut-être à fonder, à fixer la jurisprudence tlu
contentieux administratif sous le régime de nos lois ac-
tuelles. En 1814, lorsque les armées étrangères marchè-
rent sur notre capitale , Allent acquit de nouveaux titi'cs à
la reconnaissance du pays , et la garde nationale de Paris
consen'era longtemps le souvenir de tout ce qu'il fit pour elle,
soit en coopérant à son organisation , soit en s'associant à
ses périlleuses fatigues en qualité de chef d'état-major.
La Restauration eut le bon esprit de ne point négliger une
capacité si remarquable : dès 18 14 elle avait appelé Allent
au conseil d'État. De 1817 à 1819 il remplit les fonctions
de sous-secrétaire d'État au département de la guerre , sous
le maréchal Gouvion - Saint - Cyr. Enfin, en 1819 il fut
nommé à la présidence du contentieux du conseil d'État ,
fonctions qu'il remplit toujours avec la même supériorité jus-
qu'au 6 juillet 1837 , époque de sa moit.
Allent avait été élu membre de la chambre des députés,
le l*""" août 1828 , par le département du Pas-de-Calais.
En 1832 il fut appelée siéger à la chambre djs pairs. Com-
mandeur delà Légion d'Honneur et chevalier de Saint-Louis ,
il avait constamment refusé les décorations étrangères qui
lui avaient été offertes.
Oa a d' Allent plusieurs ouvrages estimés , notamment un
Essai sur les Connaissances militaires, publié en 1823,
dans la première édition du Mémorial de la Guerre,
réimprimé en 1829, et traduit en anglais; ce traité est
un guide précieux pour les officiers d'état-major ; et une
Histoire du Corps du Génie , ou de la guerre de siège et
de l'établissement des frontières sous Louis XIV. Ce bel
ouvrage n'a malheureusement pas été terminé. Le seul
ALLENT — ALLEU
387
volume qui en ait m le jour fut publié in-s° en ISO».
AUent est aussi auteur d'un certain nombre il'artieles du
Dictionnaire de la Conversation , tous relatif* à l'arme
spéciale dans laquelle il avait servi. Panni les papiers qui
ont été laissés par M. AUent , on a trouvé un Précis histo-
rique des Événements de 1S13 et 1814 , accompagné de
pièces justificatives, avec la copie des ordres du jour et pres-
criptions de l'empereur Napoléon et du gouvernement re-
latifs aux opérations militaires aux environs de Paris , ma-
nuscrit précieux qui a servi à M. Kock pour son Histoire
de la Campa'jne de \S\A. Champ.\cn.\c.
ALLÉSOIR. Voy. Alésoir.
ALLETZ ( Pierkf-Kdolaro), né à Paris, le 23 avril
179S, était le tils d'un ancien commissaire de police, qui
lui-même avait quelque littérature. Edouard AUctz étudia
de bonne heure les belles lettres. Après avoir été profes-
seur de philosophie morale à la Société Royale, il entra dans
la diplomatie , où il acheva sa carrière : il est mort consul à
Barcelone, le 16 février 1S50.
Edouard Alletz est l'auteur de plusieurs ouvrages remar-
quidjles , dont quelques-uns ont mérité les couronnes de l'A-
cadémie Française. Nous citerons : Institution du Jury en
France, poëme ( 1819); Dévouement des Médecins fran-
çais et des Sœurs de Sainte-Camille , poème couronné
par l'Académie Française ( 1822) ; Abolition de la Traite
des Aoirs , poëme ( 1823); Walpole , poëme dramatique
en trois chants ( 1825); Essai sur l'Homme, ou accord de
la philosophie et de la religion (1826); Nouvelle Mes-
siade ( 1830 ); Études poétiques du coeur humain (1832 );
Tableau de l'Histoire générale de V Europe, depuis 1814
jusqu'en 1830 ( 1834 ) ; Caractères poétiques ( 1834) ; Ma-
ladies du Siècle ( 1835) ; Lettre à M. de Lamartine sur
la vérité du christianisme, envisagé dans ses rapports
avec les passions (1835); De la Démocratie nouvelle,
mt des mœurs et de la puissance des classes moyennes
en France ( 1837 ) , ouvrage auquel l'Académie Française a
décerné un prix Montyon en 1838 ; Aventures d'Alphonse
Doria (1838); Esquisses poétiques de la vie (1841);
Harmonies de l'intelligence humaine (1845), etc., etc.
AXJJBU. Les premiers alleux furent les terres prises ,
occupées ou reçues en partage par les Francs , au moment
de la conquête ou dans leurs conquêtes successives. Le mot
alod ne permet guère d'en douter : il vient du mot loos
( sort), d'où sont venus une foule de mots dans les langues
d'origine germanique, et en français les mots lot , lote-
rie , etc. On trouve dans l'histoire des Bourguignons , des
Visigoths, des Lombards, la trace positive de ce partage des
terres allouées aux vainqueurs. Ces peuples, est-il dit,
prirent les deux tiers des terres. On ne rencontre dans l'his-
toire des Francs aucune indication formelle d'un partage
semblable; mais on voit partout que le butin était tiré au
sort entre les guerriers ; et ce qui prouve qu'on n'en agit
pas autrement quant aux terres , c'est qu'un manoir (?}ifl?j-
sus) s'appel-ait originairement loos (sort).
Par la nature même de leur origine , ces premiers alleux
étaient des propriétés entièrement indépendantes : on ne
tenait un alleu , disait-on plus tard , que de Dieu et de son
épée. Hugues Capet disait tenir ainsi la couronne de France,
parce qu'elle ne relevait de personne : ces mots indiquent
clairement des souvenirs de conquête. D'autres propriétés,
acquises par achat , par succession ou de toute autre ma-
nière, vinrent accroître le nombre des alleux. Cependant le
mot alode demeura quelque temps affecté aux alleux pri-
mitifs , et les formules de Marculf offrent plusieurs traces de
cette distinction : elles donnent la véritable explication de
la terre salique , qui ne pouvait être iiéritée que par les
mâles. Selon Montesquieu , la terre salique était celle qui
entourait immédiatement la maison {sal, hall) du chef de
famille. Il est plus probable qu'on entendait par terre sa-
liqueVMtn originaire, la terre acquise lors de la conquête,
et qui avait pu devenir, en effet , le principal établissement
du chef de la maison. La terre salique des Francs Saliens se
retrouve en ce sens chez presque tous les peuples barbares de
cette époque : c'est la terra aviatica des Francs Ripuaires,
terra sortis titulo adquisita des Bourguignons, //cT?c-
ditas des Saxons, terra paterna des formules de Marculf.
Peu à peu , cette distinction s'effaça , et le trait distinctif
de l'alleu résida dès lors non plus dans l'origine de la pro-
priété , mais dans son indépendance , et l'on employa comme
synonymes d'alleu les mots proprium, possessio, prx-
dium, etc. Ce fut probablement alors que tomba en désué-
tude la rigueur de la défense qui excluait les femmes de la
succession à la terre salique.
Les alleux , exempts de toute charge ou redevance envers
un supérieur, étaient-ils exempts de tout impôt, de toute
charge publique envers l'État ou le roi , considéré comme
chef de l'État.' Avant la conquête, les relations des Francs
entre eux étaient purement personnelles ; l'État , c'était la
famille , ou la tribu , ou la bande guerrière , sans que la pro-
priété territoriale, qui n'existait pas encore, fût un des
éléments de l'ordre social. Après la conquête, les Francs
devinrent propriétaires. Il en devait résulter cette immense
révolution que l'État fut formé non plus seulement des
hommes, mais aussi du territoire, et que les relations
réelles se vinssent ajouter aux relations personnelles; mais
ime telle révolution est nécessairement fort lente. Il s'en
fallait bien que les Francs comprissent ce que c'est que l'État,
dans le sens territorial , et le Franc propriétaire se crut encore
bien moins d'obligation envers cet État abstrait , qu'il ne
concevait même pas , que le Franc chasseur ou guerrier n'en
avait autrefois envers la bande, dont il était toujours maître
de se séparer. Cependant, la société ne peut subsister dans
cet état de dissolution qui naît de l'isolement des individus;
aussi le système de la propriété allodiale devait-il disparaître
peu à peu , pour faire place au système de la propriété bé-
néficiaire {voyez Bénéfice), seul capable à ce degré de la
civilisation de former d'un grand territoire un État , et de
la masse des propriétaires une société.
Pendant que cette révolution se préparait , la nécessité ne
permit pas que les propriétaires d'alleux s'isolassent com-
plètement, et imposa aux alleux certaines charges : 1° les
dons volontaires qu'on faisait au roi , soit à l'époque des
champs de mars , soit lorsqu'il venait passer quelque temps
dans telle ou telle province ; l'habitude et la force les con-
vertirent peu à peu en une sorte d'obligation, dont les al-
leux n'étaient pas exempts ; des lois en déterminent la forme,
règlent le mode d'envoi , etc. ; 2° les denrées , moyens de
transport et autres objets à fournir, soit aux envoyés du
roi , soit au.x envoyés étrangers qui traversaient le pays en
se rendant vers le roi ; cette obligation est peut-être la pre-
mière qui renferme évidemment la notion d'une charge pu-
blique imposée à la propriété pour un service public;
?,° le service militaire. On a considéré cette obligation
comme inhérente à la propriété allodiale ; c'est attribuer aux
barbares des combinaisons trop régulières et trop savantes.
Dans l'origine, le senice fut imposé à l'homme à raison de
sa qualité de Franc ou de compagnon , non à raison de ses
terres : l'obligation était purement personnelle. On voit ce-
pendant s'introduire par degrés dans ces convocations mi-
litaires une sorte d'obligation légale , sanctionnée par une
peine contre ceux qui ne s'y rendent pas ; dans certains cas
la peine est infligée, bien qu'il ne s'agisse nullement de la
défense du territoire. C'est sous Charlemagne qu'on voit
clairement l'obligation du service militaire imposée à tous
les hommes libres, propriétaires d'alleux ou de bénéfices,
et réglée en raison de leurs propriétés. Tout possesseur de
trois manoirs (mansus) ou plus est tenu de marcher en
personne. Les possesseurs d'un ou de deux manoirs se réu-
nissent pour équiper l'un d'entre eux à leurs Irais , de telle
sorte que trois manoirs fournissent toujnnis un guerrier.
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ALLEU — ALLIA
Enfin, les pauvres mêmes, qui ne possèdent point de terres,
mais sciiieincnt des biens meublts de la valeur de cinq
solidi, sont tenus de se réunir au nombre de six pour
équiper et faire marcher Tun d'entre eux. Non-seulement
les alleux comme les bénéfices , mais les propriétés ecclé-
siastiques mômes, étaient soumis à cette charge. Sous
Charles le Chauve elle fut restreinte au cas d'une invasion
du pays par l'étranger. La totalité des hommes libres , sous
le nom de landwchr, était alors tenue de marciier.
L'indépendance des alleux, fondée sur l'indépendance
personnelle du possesseur, devait en partager les vicissi-
tudes ; aussi voit-on de très-bonne heure les rois faire des
Tentatives pour mettre des impôts sur des hommes et des
terres qui se croyaient le droit de n'en supporter aucun. Ces
tentatives amenèrent des révoltes : le plus faible cède; mais
ces charges se renouvellent aussi souvent que le roi est
assez fort pour écraser les résistances.
Ce serait une grande erreur de croire qu'après la conquête
tous les Francs devinrent propriétaires , et qu'ainsi le nom-
bre des alleux se trouva tout à coup assez considérable : il
n'y eut que peu ou point de partages individuels. Chaque
bande comprenait un certain nombre de chefs suivis d'un
certain nombre de compagnons ; chaque chef prit ou reçut
des terres pour lui et ses compagnons , qui ne cessèrent pas
de vivre avec lui. Les lois sont pleines de dispositions qui
règlent les droits et le sort de cette classe d'hommes ; elles
ordonnent la convocation à l'assemblée publique (placi-
tum) des hommes libres qui habitent sur la terre d'autrui.
Enfin, nous avons la formule du contrat par lequel un homme
se mettait alors non-seulement sous la protection , mais au
service d'un autre, à charge d'être nourri et vêtu, et sans
cesser d'être libre. Les usurpations de la force et les dona-
tions aux églises tendirent encore à restreindre le nombre
des propriétaires; les faits historiques, les lois, tout atteste
que du septième au dixième siècle les propi iétaires de pe-
tits alleux furent peu à peu dépouillés ou réduits à la condi-
tion de tributaires par les envahissements des grands pro-
priétaires. Les comtes eux-mêmes, les évoques, les abbés,
se rendaient sans cesse coupables de spoliations semblables,
et les capitulaires abondent en dispositions destinées à les
réprimer. Les donations aux églises ne contribuèrent pas
moins à diminuer le nombre des propriétaires d'alleux.
Marculf nous a transmis un grand nombre de formules di-
verses pour les donations aux églises ; tantôt on leur trans-
mettait absolument et immédiatement la jouissance aussi
bien que la propriété , pour le salut de son àme, la ré-
viission de S3s péchés, et afin de s'amasser des trésors
dans le ciel; tantôt on se réservait l'usufruit du bien con-
cédé , qu'on ne possédait plus alors qu'à titre de bénéfice
viager de l'Église. Tant que dura l'anarchie de l'invasion, la
protection d'une église ou d'un monastère était presque la
seule force dont les petits propriétaires pussent espérer
quelque sécurité : on la recherchait par des donations. Les
églises étaient des lieux d'asile : on les enriciiissait pour les
récompenser du refuge qu'on s'en promettait ou qu'on y
avait trouvé. Les domaines de certaines églises étaient
exempts de tout tribut ou redevance envers le roi : on don-
nait ses terres à ces églises en s'en réservant l'usufruit,
alin de participer ainsi a leurs immunités. Enfin, un assez
grand nombre d'églises étaient exemptes et exemptaient
leurs vassaux ou ceux qui cultivaient leurs biens du ser-
vice militaire, et les souverains furent obligés de réprimer
par des lois l'empressement des sujets à se procurer cet
avantage. — Mais une cause contraire agissait pour créer
de nouveaux alleux. La propriété des alleux était, dans
l'origine du moins, pleine, perpétuelle, et celle des béné-
fices précaire et dépendante. Tant que dura cette diftcrence,
les possesseurs de bénéfices s'efforcèrent de les convertir
en alleux : les Capitulaires déposent à chatiue pas de ces
efforts. Enfin , sous Charles le Chauve un phénomène sin-
gulier se présente : on touche à l'époque où le système de
la propriété allodiale va disparaître devant le système de la
propriété bénéficiaire, origine et précurseur de la féodalité.
Précisément alors le nom d'alleic devient plus fréquent
qu'il ne l'avait encore été dans les lois, dans les diplômes,
dans tous les monuments : on le donne à des terres qui sont
évidemment des bénéfices , qui ont été concédées à ce titre
et avec les obligations qu'il imposait. Le mot alleu désignait
encore dans l'esprit des hommes une propriété plus sûre-
ment héréditaire et indépendante : Thérédilé des bénéfices
prévalait, et on les appelait des alleux pour leur imprimer
ce caractère de propriété permanente et assurée.
F. Gl'IZOT, de l'Acad. Françai'îe.
ALLEVARD (Bains d'). Allevard, petite commune
de l'Isère, à 35 kilom. nord-est de Grenoble, avec 2,690 lia-
bitants, n'a longtemps été connu que par ses mines de fer
carbonalé, qui donnent le meilleur fer de France, sa fon-
derie , ses hauts fourneaux et ses belles forges ; mais une
source d'eau thermale , qui il y a trente ans était encore
ignorée et se perdait inutilement dans le torrent du Brédas,
en fait aujourd'hui le rendez-vous des coureurs d'eaux mi-
nérales aussi bien que celui des artistes , des géologues et
des métallurgistes. On va de Grenoble à Allevard en cinq
heures environ , par une route qui borde l'Isère pendant la
moitié du ( hemin et qui s'engage ensuite dans la montagne;
la ville est située à l'entrée d'une gorge étroite d'abord,
mais s'élargissant insensiblement; c'est dans la partie la
plus ouverte de la vallée qu'on trouve l'établissement ther-
mal, bâti à peu de distance de la source, au milieu d'un
jardin, où l'on rencontre également un hôtel confortable.
L'eau minérale d'Allevard est une eau sulfureuse à peu près
froide, plus riche en principes sulfureux que la source
voisine d'Uriage, mais contenant moins de sels. Elle est
chauffée pour être administrée en bains, en douches et en
vapeur; elle convient dans les affections rhumatismales,
dans les maladies de la peau, etc. Quoique cet établisse-
ment ne fasse que de nailre, sa vogue est déjà consi'léra-
ble ; on y va chercher non-seulement les bains sulliueii\, iuoin
les bains depelillait que le médecin inspecteur dcfés eau\,
IM. rs'iepce, y a établis , à l'imitation de ceux de la Suisse,
et qu'il combine avec l'usage de l'eau minérale dans le
traitement des affections nerveuses et catarrhales. Le petit-
lait est apporté chaque matin de la montagne, à dos de
mulet , par les bergers faiseurs de fromages. On trouve à
une faible distance d'Allevard les ruines du châteaic de
Bayard, qui sont le but d'une excursion intéressante. Toute
celte contrée, du reste, est du plus saisissant pittoresque.
ALLIA, petite rivière du Latium, qui se perd dans le
Tibre, entre Fidènes et Crustumenium , célèbre par la vic-
toire que les Gaulois conduits par Brennus remportèrent
sur ses bords, à onze milles de Rome , l'an 390 avant J.-C.
Irrités d'une violation du droit des gens commise par les
trois jeunes Fabien s que Rome avait envoyés en qurdité
d'ambassadeurs pour obtenir !a levée du siège de Clusium,
les Gaulois, n'ayant pas reçu la satisfaction qu'ils avaient
justement exigée , s'avancèrent contre les Romains ; ils les
rencontrèrent au nombre de quarante mille , sur les bords
de l'Allia , commandés par ces mêmes Fabiens , qui pour
comble d'insulte avaient été élevés à la dignité de tribuns
militaires. Là se livra une bataille dont l'issue , causée par
l'ineptie et la lâcheté de leurs chefs , fut tellement funeste
aux Romains, que ce jour fatal compta dans leur calendrier,
sous le nom de dïes allïcnsis , parmi les jours néfastes.
L'attaque impétueuse des Gaulois et leur aspect terrible je-
tèrent l'épouvante parmi leurs adversaires , qui s'enfuirent
presque sans combattre. Toute la gauche de leur armée se
jeta au travers du Tibre , et ce qui ne se noya pas se sauva
à Véies sans penser à Rome; la droite s'enfuit à Rome, et
courut s'enfermer dans la citadelle , sans même fermer les
portes de la ville. — Les Gaulois, élonnés de ne plus voir
\LLIA — ALLIAGE
389
d'armée , et croyant à une ruse de guerre, s'arrcHi-rent deux
jours sur le champ de bataille , et ce ne fut que le troisième
jour après l'action qu'ils entrèrent dans Rome déserte. La
population l'avait abandonnée , ne laissant dans ses murs
(juc les malades et quelques vieillards. Le Capitole fut as-
siégé. Après un assaut inutile contre un rocher escarpé ,
les Gaulois convertirent le siège eu un blocus qui dura sept
mois. Manquant de vivres , les assiégés furent obligés de
capituler, et achetèrent la levée du blocus et la retraite des
Gaulois au prix de mille livres pesant d'or (trois cent
quarante Kilogrammes environ). On connaît le récit de
Tite-Live , l'histoire des sénateurs qui se font tuer sur leurs
chaises curules , l'épisode de lépée de Brennus jetée contre
les poids dans la balance , et l'aventure de Camille , qui se
trouve tout à coup sur les lieux avec une armée qui reprend
l'or, et bat les Gaulois. Tout cela est merveilleux ; mais la
vérité est que l'or fut payé et emporté par les Gaulois. To-
lybe , qui écrivit à Rome , et sous les yeux des plus grands
personnages de la république , qui lui fournirent des maté-
riaux , tht nettement « que le départ des Gaulois fut acheté
au prix de mille livres dor ». Orose en dit autant. Suétone,
dans la Vie de Tibère, dit que Drusus rapporta de la Gaule
l'or donné autrefois aux Sénonais qui assiégeaient le Capi-
tole, et qui ne leur avait pas été enlevé , comme on le di-
sait, par Camille. Tile-Live lui-même (iih. X, cap. xvi) re-
vient à celte version. G^' G. de Vaido.ncoiiît.
ALLIAGE. Quand deux ou plusieurs métaux sont com-
binés ensemble, ils forment un composé qui porte le nom
d'alliage. On donne le nom spécial d'amalgames aux
alliages dans lesquels il entre du mercure.
La plupart des alliages peuvent être obtenus en fondant
ensemble les métaux qui les composent ; mais dans quel-
ques cas des difficultés se présentent , soit par le peu d'af-
ûnité de c&s corps les uns pour les autres , soit par leur
grande différence de fusibilité , soit par celle de leur den-
sité. Sous ce dernier rapport , il arrive même souvent que
l'alliage étant complètement opéré lorsqu'on le coule , ou
qu'on le laisse refroiclir dans les vases où il a été préparé,
il se sépare en plusieurs couches , qui renferment des pro-
portions très-différentes ; ce qui otTre fréquemment des in-
convénients très-gi'aves, auxquels on ne peut obvier que par
beaucoup de précautions. — On peut citer à cet égard un
fait remarquable : lors de l'érection de la colonne de la
' place Vendôme , des canons pris dans nos campagnes d' Al-
lemagne furent livrés au fondeur, qui fut obligé , par son
traité , à fournir des pièces moulées à un titre déterminé ;
la colonne achevée, des essais faits sur quelques parties
donnèrent une quantité d'étain beaucoup plus grande que
celle que devait renfermer l'alliage. Le fondeur fut poursuivi
par le gouvernement. Une commission de chimistes , ayant
analysé un grand nombre d'échantillons pris dans les di-
verses parties de la colonne , trouva que la proportion
moyenne de cuivre était bien celle que devait renfermer
l'alliage; mais les uns contenaient beaucoup trop de cuivre,
les autres beaucoup trop d'étain, parce que les alliages n'a-
vaient pas été coulés avec tous les soins nécessaires : si on
s'était borné à analyser quelques échantillons, le fondeur
eût certainement été condamné.
La plupart des métaux étant fondus ou rougis en contact
avec l'air, en absorbent une portion d'oxygène, et se con-
vertissent en oxydes , qui forment à la surface une couche
plus ou moins épaisse ; cette couche s'augmente d'autant
plus que l'action de l'air et de la chaleur est plus longtemps
continuée. Le plus ordinairement les alliages éprouvent
pins facilement cette altération que les métaux qui les com-
posent; et s'ils sont formés de deux métaux inégalement
oxydables , celui qui l'est le plus ou qui l'est seul peut être
entièrement séparé par sa transformation en oxyde. C'est sur
ce procédé qu'est l'ondée, par exemple, la séparation de l'ar-
gent d'avec le plomb , et c'est encore par son application
que dans la révolution , lorsqu'on détruisait les églises et
qu'on fondait les cloches pour en faire des canons , on sé-
para le cuivre plus ou moins pur de l'étain qui y était com-
biné. — Quelques alliages sont même si combustibles qu'ils
brillent aussitôt qu'ils sont chauffés jusqu'au rouge.
Le point de fusion des alliages est souvent très-différent
de celui des métaux qu'ils contiennent ; c'est ce qui a donné
lieu à la constatation des deux lois suivantes : r un alliage
est toujours plus fusible que le métal le moins fusible qui
entre dans sa composition ; 2° dans le cas où les deux mé-
taux constituants se fondent à des températures à peu près
égales , l'alliage entre en fusion plus facilement que le métal
le plus fusible. -Les métaux, en se combinant ensemble, pro-
duisent quelquefois un degré de froid considérable : ainsi, en
mêlant 118 parties d'étain et 201 de plomb, tous les deux en
limaille, 2S4 de bismuth en poudre fine, et l G 16 de mer-
cure, à une température de IS", la température s'abaisse
jusqu'à 10° au-dessous de zéro.
L'emploi des alliages est extrêmement étendu , et on peut
afTirmer que les métaux ne sont jamais employés à l'état de
pureté absolue , parce que chaque fabrication spéciale exige
des quahtés différentes; pour les timbres et les cloches
il faut un métal très-sonore , et un métal très-dense , au
contraire , pour les bouches à feu et les statues ( voyez
Bronze); sans les alliages on ne saurait obtenir la fusihUité
extrême qu'exigent la fabrication des rondelles de sùrclé
des machuies à vapeur et le plombage des dents; sans les
alliages on n'aurait pas les soudures indispensables à
tant d'usages ; le plomb n'acquerrait pas la dureté néces.-
saire pour résister à une forte pression sous la forme de ca-
ractères d'imprimerie ; sans les alliages , enfin , les mon-
naies d'or et d'argent s'useraient trop vite, et seraient pour
la cupidité un appât plus dangereux {voyez Titre).
Les alliages fusibles sont tous formés par l'union du
bismuth, du plomb et de l'étain. Le bismuth fond à 25t5°
du thermomètre centigrade , le plomb à 260 , et l'étain à
210 : quand on allie ensemble 8 du premier, 5 de plomb et
3 d'étain, on obtient un composé qui fond à 90° environ : c'est
Valliage de Darcet ou de Rose. Cette facile i'usibilité per-
met de le faire servir à différents usages importants. On
l'emploie pour clicher des médailles et couler des figures
qui peuvent avoir une grande perfection. Les dentistes s'en
servent avec avantage pour plomber les dents cariées d'mie
manière beaucoup plus durable que par l'emploi d'une feuille
de plomb. On se sert quelquefois aussi de cuillers à café
fabriquées avec cet alliage pour attraper des personnes, qui
sont surprises de les voir se fondre dans leur main lors-
qu'elles veulent s'en servir pour remuer du thé ou du café
qui leur est servi. Cet alliage, composé d'autres proportions,
sert à fabriquer les rondelles fusibles pour les machi-
nes à vapeur. — L'alliage de Newton est composé de 5 par-
ties de bismuth, 2 de plomb, et 3 d'étain. Il fond vers
100° c. — Une petite addition de mercure rend l'alliage de
Darcet fusible à 55° c.
Les alliages qui s'emploient le plus fréquemment sont
ceux qui servent à la fabrication des caractères d'impri-
merie, du plomb de chasse, des cloches, des tim-
bales, des canons, du laiton, du bronze, du chr y-
socale, du similor, du tamtam, du mai II écho rt,
des diamants de Fahlu n que l'on fait en Suède, etc.
ALLLVGE (Règle d'). La règle d'alliage est ainsi
nommée de l'une de ses principales applications , qui con-
siste à déterminer le titre d'un lingot d'or ou d'argent résul-
tant de la fusion de plusieurs autres dontles poids et les titres
sont connus. On voit qu'il faut multiplier le poids de chaque
lingot par son titre, faire la somme des produits, et diviser
cette somme par celle des poids donnés : le résultat est le
titre cherché.
L'analogie des opérations fait rentrer dans la règle 'i'al-
liage celle qui en avait été distinguée sous le nom de rèçle
390
ALLIAGE — ALLIER
de mélange, et qui a pour but, connaissant le prix et la
quantité de plusieurs matières, de déterminer le prix de l'u-
nité du mélange. Il faut ici multiplier la quantité de cha-
que matière par son prix, faire la somme des produits, et
diviser cette somme par celle des quantités données; le
résultat est le prix cherché. En comparant cette règle à la
précédente, il est facile de voir que tout ce que nous dirons
de la règle d'alliage s'applique aux questions de mélange.
Il faut considérer dans la règle d'alliage : 1° le poids de
chaque lingot ; 2° son titre ; 3" le titre du lingot résultant.
Nous avons supposé qu'on connaissait les deux premiers
éléments et qu'on se proposait de déterminer le troisième.
On peut de même prendre une autre inconnue , et on aura
ainsi trois cas à considérer dans la règle d'alliage. Par
exemple, supposons qu'on demande combien il faut de gram-
mes d'or au titre de 0,875 et de grammes au titre de 0,925
pour obtenir un lingot de 150 grammes au titre de 0,895.
Pour déterminer d'abord le rapport qui existe entre les deux
^oids cherchés, on calcule la différence de chacun des titres
donnés avec le titre de l'alliage. Ici, on a 925 — 895 = 30 ;
895 — 875 := 20 ; c'est-à-dire que si l'on prend 30
grammes au titre 0,875, il en faut 20 au titre 0,925 pour
que le lingot résultant soit au titre 0,895. Il ne reste donc
plus qu'à partager 150 en parties proportionnelles à 20 et 30,
ce qui donne pour résultat 60 et 90.
ALLIAIRE, ou VÉLAR , plante de la famille des cru-
cifères , qui a le golit et l'odeur de l'ail ; elle jouit de pro-
priétés assez énergiques, qui la font admettre parmi les an-
tiscorbutiques. L'alliaire pousse, sur des racines vivaces et
annuelles, une tige de deux à trois pieds, au sommet de la-
quelle sont des fleurs blanches disposées en épi. Cette plante
aime les lieux frais et ombragés; les vaches la broutent,
et elle communique son odeur au lait et au beurre qu'elles
fournissent.
ALLIANCE, ALLIÉ {Droit ). Voyez Affinité.
ALLIAiXCE {Droit international), ligue formée par
deux ou plusieurs puissances. Il y a des alliances q/7e«5àT5
et défensives. L'alliance offensive se conclut dans l'intention
d'attaquer un ennemi commun; dans l'alliance défensive,
les parties contractantes s'engagent à se prêter mutuellement
secours contre les agressions extérieures. Très-souvent les
alliances se font dans ce double but. l\clativement aux droits
et aux obligations des alliés entre eux, et à leur position vis-
à-vis de l'ennemi, on dislingue trois sortes d'alliances : par li
première, que l'on appelle société de guerre, alliance pour
faire la guerre en commun, les puissances contractantes
s'engagent à faire la guerre, chacune avec toutes ses forces
xé\xa\Q?,.V alliance auxiliaire n'oblige les alliés qu'à four-
nir chacun un nombre de troupes déterminé, en sorte que
l'une des puissances est considérée comme puissance prin-
cipale, et l'autre comme puissance secondaire. Les traités
par lesquels une des puissances contracte seulement l'en-
gagement de fournir des troupes contre le payement d'une
certaine somme, ou à les mettre à la solde d'une autre puis-
sance sans prendre directement part à la guerre, ou à four-
nir de simples secours pécuniaires, s'appellent traités de
subsides.
ALLLVIVCE {Histoire religieuse). C'est le nom que
l'on donne aux pactes que , suivant la Bible , Dieu fit avec
(pielqui'S hommes justes, et que les Hébreux désignaient par
le mot de Bérith. Les Septante, dans leur version, tra-
duisirent ce mot par oi!xOr;y.o, dont, par extension, la Vul-
gate a fait à tort testamentum ; c'est pourtant ce dernior
mot qui a prévalu : de là ces expressions A'Ancien et de
Nouveau Testament, pour désigner l'alliance que Dieu con-
tracta avec Abraham, alliance qui fut conhrniéc par la loi
de Moïse, et l'alliance qui eut pour médiateur Jésus-Chri<f.
Il est souvent question dans la IJible de pactes établis,
de promesses échangées entre Dieu et l'homme; ainsi le
Seigneur, parlant à >'oé, lui <iit : « Je vais faire mon pacte
avec vous et avec votre race après vous ; mon arc sera dans
les nuées , et je me souviendrai de Valliance éternelle qui
a été faite entre Dieu et toutes les âmes vivantes qui animent
toute chair sur la terre. » Dieu confirma cette alliance à
Abi-aham, et la renouvela plus tard avec les Israélites par l'en-
tremise de Moïse, à qui il donna pour gages les Tables de la
Loi : de là le nom d'^rc^e d'alliance donné à l'arche qui
contenait ces tables. On voit encore , dans la Bible, Josué,
près de mourir, faire alliance au nom du Seigneur avec le
peuple hébreu, et Jonas, Esdras et Néhémie renouveler
ai\is?,i\' alliance du Très-Haut avecisrael.— Ce mot revient
non moins fréquemment dans le Nouveau Testament : Jésus-
Christ, célébrant la pûque, prit la coupe et dit à ses disciples :
« Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance. » Les
apôtres adoptèrent le même terme , et depuis les mots de
l'Ancien et Nouveau Testament, ancienne et nouvelle «/-
liance, désignèrent la loi de Moïse et le christianisme.
ALLLVIVCE, hague. Voijez Anxeau.
ALLIANCE DE MOTS. Réunir deux mots qui
par les idées contraires qu'ils éveillent semblent s'exclure
réciproquement ; faire que par l'art avec lequel on a choisi
ces deux termes et le sens qu'on leur donne, ils s'adoucissent
et se modifient mutuellement de manière à présenter réunis
un sens différent de celui qu'ils auraient eu séparés, c'est ce
qu'en littérature on appelle alliance de mots. « On peut
comparer, a dit M. Dupaty, Valliance des mots aux races
habilement croisées par l'hymen , aux rameaux heureuse-
ment unis par la greffe, et qui produisent ainsi des fruits
d'une quahté supérieure et différente. » L'alliance de mots
supplée aux expressions déterminées quand elles nous man-
quent pour peindre notre pensée, et sert à en définir toutes
les nuances , comme l'alliance des couleurs supplée sous
le pinceau du peintre habile aux tons composés qui ne lui
sont point donnés par les couleurs primitives. Il y a dans
quelques-uns de nos grands poètes des exemples de ce que
peut l'habile réunion de deux mots ; Corneille a écrit ce vers,
tant admiré par Racine :
Et monte sur le faîte, il aspire a descendre.
On connaît ce vers dans Phèdre :
Déjà de l'insolence heureux persécuteur.
Voici encore un très-bel exemple, pris dans le Glorieux de
Destouches :
J'entends, la i>anilé me déclare a genoux
Qu'un père malheureux n'est pas digne de vous.
Quel que soit l'attrait de cette figure, il faut toujours jicn-
ser que l'abus en serait dangereux, et qu'il faut autre chose
que la réunion bizarre de deux tcnnes totalement contraires
pour former une alliance de mots : elle exige du tact
dans le choix, de la retenue dans le nombre et de la noblesse
dans l'emploi.
ALLIER ( Département de 1'). Ce département, formé
du Bourbonnais, est borné au nord par ceux de Saône-et-
Loire, de la Nièvre et du Cher; à l'est, par ceux de Saône-
el-Loire et de la Loire; au sud, par ceux de la Loire, du
Puy-de-Dôme et de la Creuse; enfin à l'ouest, par ceux de
la Creuse et du Cher.
Divisé en 4 arrondissements, dont les chefs-lieux sont
Mouliiis, Gannat, La Palisse et Mantluçon, il compte
26 cantons et 317 comiiiunes. — Sa populalion est de
352,241 individus. — Il envoie trois députés au corps lé-
gislatif. 3' subdivision de la 19" division militaire, dont le
quartier général est à Bourges, il forme avec les départe-
ments de la Creuse, de la Loire et du Puy-de-Dôuic, le
21*^ arrondissement forestier, fait partie du diocèscde Mou-
lins, et ressortit à la cour impériale de Riom et à l'académie
de Clermont. Il renferme 1 lycée, 3 collèges communaux,
1 institution, 3 pensions et 280 écoles primaires.
Sa superficie est d'environ 723,981 hectares, dont 467, e 14
ALLIER — ALLLX
391
en terres labourables, G9,751 en prés, 9G,0SQ en bois,
2*,7l4 en lamles, pàtis, bruyères, etc., 17,075 en vignes,
5,970 en elangs, mares, canaux d'irrigation, 5,05G en ver-
gers, pépinières et jardins, 3,072 en propriétés bâties, 518
en oseraies, aulnaies, saussaies, etc. On y compte 58,076
maisons, 652 moulins, 104 forges et fourneaux, 370 fabri-
ques et manufactures. — Il paye 2,267,205 fr. d'impôt fon-
cier.
Le département de FAllier, situé dans le bassin de la
Loire, est arrosé par l'Allier, le Clier et par leurs affluents,
la Cèbre, l'Aumauce, la Sioule, la Sichon, la Murgon, l'An-
delot, la Queune, le Cliamaron et la Bioudre. L'Allier, qui
lui donne son nom, le coupe à peu prés par la partie cen-
trale. Ce département est parcouru par quelques cbaines de
montagnes peu élevées et dont les points culminants n'at-
teignent pas 700 mètres d'altitude. Le noyau de ces mon-
tagnes est granitique ; le sol des plaines, généralement fer-
tile , est formé de dépots d'alluvion argileux et siliceux ,
mêlés de graviers reposant sur un fonds argileux. Le pays est
très-boisé, et couvert d'étangs poissomicux.
En raison du grand nombre de forêts qui en couvrent le
sol, les animaux sauvages y sont très-multipliés , et le gi-
bier de toutes sortes très-commun. Le poisson abonde dans
les étangs et les rivières. On trouve aussi beaucoup de sang-
sues dans les étangs. Les essences qui dominent dans les
forêts et les bois sont le chêne, le hêtre, le charme, le bou-
leau et le sapin. Le fer, Pantmiouie, le manganèse, la
houille, le granit, le porphyre, le grès, le quartz, le kaolin,
l'argile à potier, les marbres, la manie, forment les princi-
pales richesses minérales du département. Le marbre blanc
de Vindelat est cité pour sa beauté comme marbre sta-
tuaire. Ce département renferme plusieurs sources d'eaux
minérales, dont les plus renommées sont celles de Vichy,
de Xéris et de Bourbon-l'Archambault.
L'agriculture n'a pas encore fait de grands progrès dans
l'AUier, bien que la nature du sol lui soit favorable. Ses
principaux produits sont les céréales, les vins et les bois.
Les vins, sauf les blancs de Saint-Pourçain, sont d'une mé-
diocre qualité. On cultive aussi le lin, le chanvre, les pommes
de terre, les betteraves à sucre, les noyers, etc. On fa-
brique de l'huile de noix estimée. L'engrais des bestiaux
est la plus notable branche de l'industrie agricole. Le beurre,
le laitage, le fromage de chèvre de Jlontmarault sont en ré-
putation. La culture du mûrier et l'éducation des vers à soie
y font des progrès sensibles.
Dans le réseau des chemins de fer français le dépaitement
de l'Allier doit figurer pour 325 kiionièlres.
Parmi ses usines, nous citerons les forges de Tronçais,
la papeterie de Cusset, la manufacture de glaces de Com-
mentry, la verrerie de Souvigny, les coutelleries de IMou-
lins, les manufactures de porcelaine et de poterie de Lurcy-
Lévy, celles de couvertures de laine et de coton, de draps,
les tanneries, les papeteries, les corderies, etc.
Le département de l'Allier est sillonné par 9 routes im-
périales, 7 routes départementales et 8,401 chemins vici-
naux. Ses voies navigables sont l'AUier, la Loire , le canal
du Berry et le canal latéral à la Loire.
Les principales villes sont : Moulins, chef-lieu du dé-
partement. Vichy, Bourbon-l'Archambault, Mont-
Luçon, Néris-les-Bains; Souvigny, ville de 2,700 ha-
bitants, dont l'église gothique servait autrefois de sépulture
aux princes de Bourbon ; La Palisse, sur la Bèbre, chef-
lieu de sous-préfecture; Cusset, située au bord de l'Allier et
entourée do murailles qui lui donnent l'aspect d'une place
forte ; Gannat, chef-lieu de sous-préfecture ; Saint-Poitr-
çain, situé dans une riante vallée où se tient tous les ans, vers
la fin d'août, une foire de bestiaux célèbre dans le pays.
ALLIER (Louis) de HAiiTEr.ocuE,avait pris ce surnom,
qu'il substitua depuis à son nom. Il n'élait cc[)endant point
noble , comme on l'a dit et écrit d'après son assertion ; ni
chevalier de Malle, quoiqu'il portât un ruban noir, qui n'é-
tait autre que celui de l'ordre , si décrié, si avili , du Saint-
Sépulcre. — Né à Lyon, en 1706, il eut pour père un
négociant qui périt, en 1793, avec son fils aîné, lors du m(S
morable siège de cette ville. Allier, ayant obtenu i)ar l'en
tremise de son beau-frère Boulevard, diverses fonctions dan*
le Levant, profita de cette faveur pour se livrer à la numis-
matique, l'iiistoire naturelle et la botanique. Il parvint
ainsi à réunir une riche et belle collection de médailles
grecques , qui a contribué à lui assigner une place remar-
quable parmi une certaine classe de savants. Cette collec-
tion allait être publiée lorsque la mort le surprit en no-
vembre 1827. On prétond que dans ses dernières années il
volait jusqu'à des bijoux, pour les échanger contre des
pièces antiques. INIemhre des académies de Marseille et de
Cambrai, il s'était retiré en 1826 de la Société Asiatique,
dont il faisait partie depuis 1822. Afin d'expier les fautes
que son trop vif amour pour la numismatique lui avait fait
commettre contre la délicatesse et même la plus simple
probité, il fonda par son testament un prix annuel de 400 fr.
en faveur du meilleur ouvrage de numismatique , et lé-
gua à la Bibliothèque Impériale une lessè.c piiénicienne
dont il avait publié la description en 1820 , et une médaille
en or, regardée comme unique , de Persée, roi de Macé-
doine. On a d'Allier quelques autres opuscules pleins d'éru-
dition, insérés dans divers recueils. Le cabinet de cet an-
tiquaire, dont Dumersan a juiblié le catalogue avec des notes
en 1829, contenait plus de 5,000 médailles, dont 325 en
or, et seulement 21 fausses, et quarante villes nouvelles
pour la géographie numismatique. Cette collection a été ven-
due 80,000 francs à M. Rollin , qui en a cédé une portion
pour 20,000 fr. à la Bibliothèque Impériale. H. Acdiffret.
ALLIES (Guerre des). Voyez Guerres sociales.
ALLKiATOR. Voyez Caïman.
ALLITÉRATION, répétition des mêmes consonnes
ou de syllabes qui ont le même son. Quelquefois il en ré-
sulte ce qu'on appelle cacophonie; dans certains cas, cette
répétition des mêmes lettres produit l'harmonie imitative,
dont on a beaucoup abusé de nos jours, et qui chez cer-
tains versificateurs est dégénérée en un jeu frivole et
puéril. Parmi les exemples d'allitérations les plus connus,
nous citerons ce vers de Virgile, qui rend si bien le galop
du cheval.
Quadrupcdante piilrem sooitu quatlt iingula campum.
et cet autre vers du même poëte :
Liictantcs ventes tcmpcstatesqiie sonoras,
dans lequel l'accumulation des s peint en quelque sorte à
l'oreille les efforts des vents qui cherchent à briser leurs
chaînes. Dans ce vers à' Andromaquc :
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
le sifflement des serpents est assez bien rendu. Biirger, dans
ses poésies, offre de fréquents exemples d'harmonie imita-
tive. On a blâmé avei; raison, dans sa Lenore, le hurre,
hurre, hop, hop, hop, mais on ne saurait imaginer rien
de plus doux , de plus caressant que les vers suivants :
Wonne wcht von Thaï iind Mugcl,
Wcht von Flur und Wicsenplan^
Wcht vora glattèû VVasscrspiegel,
Wonne wclit mit wcichem Fliigcl
Des Pilotcn Wangen an,
ALLIX (Jacques-Alexandue-Fkançois) , heutenant gé-
néral, né le 21 septembre 1776,à Percy en Normandie. Après
avoir servi dans l'armée française avec un certain éclat, il
passa, au mois d'octobre 1808, au service du roi de Westpha-
lie en qualité de général de brigade. Plus tard , après la re-
traite de Russie, Jérôme Napoléon, reconnaissant lesseiTices
signalés d'Allix, hii assigna une pension de 6,000 fr. sur sa
392
ALLIX
cassette , et le nomma comte de Freudenthal, titre qu'il
n'a jamais pris.
A son retour en France, Allix fut employé en qualité de gé-
nc^'ial de brigade. 11 se signala pendant la campagne de 1814 ;
le 18 février il défendit la forêt de Fontainebleau, et le
2G du môme mois la ville de Sens , avec peu de troupes.
Quelque temps après ^■apoléon le réintégra dans son grade
de lieutenant général. Après l'abdication de l'empereur, le
général Allix vécut au sein de sa famille. Au mois de mars
1815 il rejoignit Napoléon à Auxerre, et prit le commande-
ment du déparlement de l'Yonne. Lors de la bataille de
Waterloo , il se trouvait à Lille en qualité de président
3'une commission militaire. Après la bataille il prit le
conmiandcment d'une division, lit fortifier Saint- Denis, et
suivit enfin l'armée sur la Loire. L'ordonnance du 24
juillet 1815 l'obligea à s'expatrier. Ce fut pendant son sé-
jour en Allemagne qu'il écrivit le fameux ouvrage dans le-
quel il établit un système du monde opposé à celui de New-
ton ; il explique les mouvements des corps célestes par la
décomposition des gaz de leurs atmosphères. En 1819 le
roi permit au général Allix de revenir en France ; il fut
rétabli ensuite dans le cadre des officiers généraux.
Le général Allix est mort à son château de Bosomes,
commune de Courcelles (Nièvre), le 2G janvier 183G.
On distingue parmi ses ouvrages : Système d'artillerie
de campagne du lieutenant général Allix , comparé
avec les systèmes du comité d'artillerie de France, de Gri-
beauval, et de l'an XI (1827) ; Bataille de Paris en juillet
1830 ; De la Tyrannie, -[tdx Alfieri, trad. de l'italien (1831).
ALLOBROGES. Nom d'un ancien peuple de la G au le
narbonnaise qui habitait tout le pays situé entre Genève
et le Rlii^ne, appelé depuis Savoie et Dauphiné. Le
nom de ce peuple reparut dans l'histoire à l'époque de notre
première révolution. Le roi de Sardaignc, duc de Savoie ,
ayant eu la témérité de se mettre en éîat d'hostilité avec
la France en 1792, les Savoisiens qui se trouvaient à Paris,
heureux de manifester les sympathies qui les unissaient
au peuple français, offrirent à l'Assemblée nationale un don
pah-iotique. Ils formèrent ensuite un club, qu'ils normnèrent
d'abord le club des Allobroges , et plus tard club des Pa-
triotes étrangers. Les Savoisiens obtinrent de l'Assembléo
nationale l'autorisation de former la légion des Allobroges,
légion qui prit part à la journée du 10 août.
Cette légion figura avec lionneur dans l'histoire militaire
de la France répubficaine. F.lle se composait d'infanterie, de
cavalerie et d'artillerie, comme d'autres légions organisées à
la mOme époque après l'insurrection des Savoisiens contre le
roi de Sardaigne. Une assemblée nationale sarde fut convo-
quée le 29 octobre 1792. Cette assemblée vota la réunion de
la Savoie à la France. Par un décret formel elle avait sub-
stitué le nom d'Allobroge au nom de Savoisien.
ALLOCATION (en latin allocatio ; du mot locus, lieu),
terme de commerce et de finance. Action de porter un ar-
ticle en compte , de passer , d'approuver une dépense , de
la mettre en son lieu et place. Les allocations du budgt't
devraient être l'objet d'une constante et vive sollicitude de
la part des mandataires de tout pays constitutionnel , la
bonne distribution des dépenses important au hien-étrc de
l'État en général , autant qu'aux intérêts des contribuables
en particulier
ALLOCUTIOX (du mnallociitio; fait de logui, par-
ler, dérivé lui-même du grec \6yo;, discours). On appelle
de ce nom un discours vif, court et pressé, adressé par un
orateur à la foule, par un général à ses troupes au moment
d'un combat. Une allocution est moins qu'une harangue.
Les allocutions de César et celles de Napoléon à leurs sofdats
sont surtout célèbres. — Par extension, les numismates et
les antiquaires appellent allocution une médaille, un bas-
rc!i 's repix^scntaiit un chef, un général parlant à ses soldats.
ALLO WILLE ( Famille d' ). Ancienne famille de la
ALLORI
Beaucc , qui s'est fait remarquer par son attachement à la
dynastie des Bourbons. Un chevalier d'Allonville, maré-
chal de camp, sous-gouverneur de l'infortuné Dauphin
(Louis XVII), fut tué le 10 août 1792, en défendant les
Tuileries ; son frère le baron d'Allonville, maréchal de
camp, périt à l'armée de Condé, le 2 décembre 1793. Un
autre frère, après s'être signalé par sa bravoure et son ab-
négation dans les rangs des émigrés, mourut à Londres, le
24 janvier 1811, couvert de quinze blessures. Ce dernier
était le père des deux membres de la famille dont nous
avons surtout à nous occuper ici.
Armand-François, comte d'Allonville, né le 15 dé-
cembre 1764, à Verdelet (Seine-et-Marne), émigra en 1791, fît
la campagne dans l'armée des princes, obtint le grade de co-
lonel el la croix de Saint-Louis, et pa.vsa ensuite en Russie,
où il épousa une petite-fille du maréchal Munnich. En
1813 il rédigea sur Louis XVIII un Précis biographique
qu'il adressa aux souverains alliés. Après les événements
de 1815, peu soucieux de courir la carrière des places, il
succéda, pour la rédaction des Mémoires tirés des papiers
d'un homme d'État, à Alphonse de Beauchamp. Son der-
nier ouvrage estmiltulé Mémoires secrets de 1770 à 1830.
— Il publia en 1788 une brochure qui ne porte point son
nom, intitulée : De la Constitution française et des moyens
de la raffermir ; et en 1702 une Lettre d'un Roi/aliste
à Malouct. Le Dictionnaire de la Conversation lui doit
dts articles curieux. Il est mort à Metz le 20 août 1853.
Alexandre-Louis, comte d'Allonville, frère du précé-
dent, né à Paris en 1774, quitta en 1791 le collège de Na-
varre, pour suivre son père dans l'émigration. Rentré en
France en 1797, il suivit en Egypte le général Dammartin,
son parent. Nommé directeur général des finances en Ég^qite,
il entra dans l'administration des finances de la France à
son retour en 1802. Préfet de la Creuse en 1814, destitué
dans les Cent Jours, il devint après la seconde restauration
préfet d'iUe-et-Vilaine , puis de la Somme, et enfin de la
Meurthe. Il fut en outre appelé au conseil d'État. La révo-
lution de Juillet le fit rentrer dans la retraite. Il est mort
vers 1845. — On a de lui une Dissertation sur les camps
romains du département de la Somme, suivie d'éclaii'-
cissements sur la situation des villes gauloises de Samara-
brive et Baturpancc , et sur l'époque de la construction des
quatre camps romains de la Somme, 1828.
ALLOiVYME (du grec ô).),o;, autre; 6vo[xa, nom),
ouvTage publié sous le nom d'un autre. Voyez Anonyme et
Pseudonyme.
ALLOPATHIE (du grec à),).o;, autre; Trâ^Jo;, souf-
france), nom qu'a donné Hahnemann au système médical
opposéàson homœopathie, lequel,suivant lui, n'emploie
en fait de moyens thérapeuthiquesque ceux qui sont capables
de provoquer des douleurs opposées à celles qui existent ,
et a pour principale base la maxime d'Hippocrate : Contra-
ria contrariis.
ALLORI (Alexandre), plus connu sous le nom de
Bronzmo, neveu et disciple d'Angelo Bronzino, peintre
de l'école ilorentine, s'('tait propoi^é Michel- Ange pour mo-
dèle ; il se livra plus particulièrement à l'étude de l'anatomie.
On lui doit un Traité d'Anatomie à l'usage des Peintres.
On voit à Florence, dans le Musée, un Sacrifice d'' Abra-
ham, et dans l'église du Saint-Esprit une Femme adultère,
d'Alexandre Allori ; ces deux tableaux sont très-estimés des
amateurs italiens. Allori était né à Florence, en 1535; il
mourut en 1G07. — Son fils, Christophe, ne suivit point la
marche de son père, et sortit de chez lui pour étudier sous
la direction de Grégoire Pagani. La plupart de ses produc-
tions sont des paysages ; il peignit aussi beaucoup de por-
traits, surtout pour la galerie de Florence. Son tableau de
Judith, celui de Saint Julien, ses copies de la Madeleine
du Corrége, jouissent d'une grande célébrité. Il mourut en
IG21.
ALLRUNES — ALLUMETTES
ALLilUXES. Les anciens Goraiaiiis donnèrent le nom
tVallruiH's ( Alraunen ) à certaines femmes qu'ils regar-
daient comme des espèces de proplaMesses. On les appe-
lait aussi Drouhdes et Trouthcs. C'étaient les compagnes
des anciens sages qui portaient le même nom. Parla suite,
les moines et les ecclésiastiques les regardèrent comme des
magiciennes, des sorcières : un grand nombre d'entre elles
furent brûlées vivantes. Selon une tradition populaire qui
n'es! pas entièrement éteinte , les allrunes sont des racines
de forme bumaine , qui ne croissent que dans le lii u des
exécutions publiques. Certaines personnes privilégiées peuvent
seules les trouver, à certaines beures, et sous plusieurs
conditions assez dilTiciles à remplir. Entre autres vertus
surnaturelles que les allrunes communiquent à ceux qui
en sont possesseurs, la faculté de découvrir les trésors ca-
cliés n'est pas la moins importante.
ALLSTON (Washington), peintre américain, né dans
la Caroline du Sud, en 1779. Avant d'arriver jusqu'à nous ,
une réputation américaine passe par la presse anglaise ; et
l'.Vngleterre, difficilement indulgente pour tout nouveau poète
ou tout nouvel artiste qui vient de ses anciennes colonies ,
ne l'accueille jamais qu'avec une sorte de raillerie ou de
scepticisme. Depuis Joël Barlow, auteur de la Colombiade,
qui écrivait avant la guerre de l'Indépendance, jusqu'au pro-
fesseur Longfellow, dont les derniers vers portent la date
de 1843, la critique de Londres et d'Edimbourg n'a pu en-
core admettre qu'il y eût une poésie nationale aux États-
Unis. Ce n'est que d'bier qu'elle convient que les États-Unis
ont eu un romancier, F. Cooper ; im orateur moraliste ,
Clianning ; un bistorien , Prescott. Quant à la peinture , on
ne nie pas le talent de Benjamin West, mais on se Mte d'a-
jouter qu'il était plus Anglais qu'Américain , et l'on fait la
même observation pour Leslie , qui a illustré Sbakspeare
d'une manière originale ; pour Newton et Cole , dont les
paysages rivalisent avec ceux de Constable et de Calcott.
Heureusement pour la peinture américaine qu'elle peut pla-
cer au-dessus de tous ces noms celui de Washington Allston,
qui, né en Amérique, y a résidé plus qu'en Europe et y est
mort , surnommé le Titien des États-Unis. De bonne beure
Allston eut la vocation de la grande peinture ; il se rendit
en Europe dès qu'il eut terminé ses cours universitaires au
collège d'Harvard. Arrivé à Londres , il porta une lettre de
recommandation au professeur Fuseli , qui lui dit franche-
ment : « Quoi donc, jeime honune, vous venez ici pour faire
delà peinture historique ! C'est venir de bien loin pour mou-
rir de faim. » Allston fut aussi bien accueilli par B. West ;
mais il avoue que les bizarres hardiesses de Fuseli parlaient
bien autrement à son imagination que la calme et molle rai-
son de son compatriote. Du reste, il eut le bon goût de n'ad-
mirer réellement en Angleterre que sir Josué Reynolds. « Je
pourrais bien découvrir ses défauts , disait-il , mais j'aurais
peur d'être ingrat pour ses beautés ; » sentiment délicat ,
qui n'excluait pas chez lui les réserves du goût , car on lit
aussi dans im recueil de ses apborismes : « >'e faites votre
Dieu d'aucun homme , parce que vous finiriez par ajouter
?es défauts aux vôtres » : cela est vrai dans l'art comme dans
la morale. Au bout de deux ans de séjour à Londres , où il
exposa trois tableaux , il vint à Paris , et, après avoir étudié
les trésors du Louvre, que la conquête meublait alors chaque
année d'un nouveau chef-d'œuvre , il voulut aller en Italie,
et se fixa quelque temps à Rome. U y fit la connaissance du
poète Coleridge et de Washington Irwing. Colcridge revenait
d'Allemagne ; il le présenta à de jeunes artistes allemands ;
ceux-ci les premiers lui donnèrent alors ce surnom de Ti-
tien , qui caractérise à la fois la perfection de son dessin et
de sa couleur. AlUton retourna dans sa patrie en 1S09, et
y épousa la sœur du célèbre docteur E. Clianning. Deux jins
après , il conduisit sa femme en Angleterre, et s'y fixa jus-
qu'en 1818. Quel que fût son amour du pays natal, son am-
bition d'artiste le portait à se mesm-er avec des concurrents
DICT. t)t LA CO.NVEKSATIO.N. — T. I.
393
plus forts que ceux qui lui cédaient en Am.éri(iuc des palmes
trop faciles. 11 aimait à être jugé dans les exhibitions an-
nuelles de Somersct-House , et enfin c'était aussi pour lui
un triomphe que de voir ouvrir à ses tableaux la galerie
d'un riche amateur, qui les trouvait dignes de figurer à côté
des toiles signées de Raphaël, de Michel-Ange, du Titien, de
Van Dyck et de Rubens. La seconde place dans de pareils
musées vaut mieux que la première sur les murs d'un hô-
tel de Philadelphie ou de Psew-York. Mais cette noble ému-
lation une fois satisfaite, Allston, éprouvé d'ailleurs par la
mort de sa femme , alla consacrer .son pinceau à la jeune
Amérique. Telle était la réputation qu'il avait laissée à Lon-
dres, que de riches amateurs anglais disputèrent souvent ses
toiles à ses compatriotes. Dans sa carrière de peintre , il a
été constamment fidèle au culte du beau et du grand, fidèle
à ses admirations de Raphaël, de ^lichel-^Vnge et des maî-
tres d'Italie. Pour juger jusqu'à quel point il en a approché,
U faut avoir vu son Mort ressuscité par Elisée, fa Déli-
vrance de saint Pierre et son Rêve de Jacob, que possède
lord Égremont ; le Passage de l'ange Uricl dans le soleil,
sujet miltonien appartenant au marquis de Stafford ; enfin
Elisée au désert , qae M. Labouchère lui acheta en Amé-
rique. Divers propriétaires de Boston et de Philadelphie ac-
quirent son Saûl et la Sorcière d'Endor, sa Vision de la
main sanglante, Gabriel plaçant ses sentinelles aux
portes d'Éden , la Béatrice du Dante , etc. Lorsqu'il est
mort, le 9 juillet 1843 , il terminait sa plus grande page, le
Festin de Balthazar. — Washington Allston n'était pas
seulement peintre , il avait publié en Angleterre même un
volume de poésies, et en Amérique un roman, Monaldi, dans
lequel il expose quelques-unes de ses théories d'artiste. On
trouve des détails biographiques fournis par lui-même dans
un volume intitulé : Histoire des Arts du Dessin en Amé-
rique, par Dunlopp. Amédée Pichot.
ALLUCHON , pièce de fonte ou de bois ne faisant pas
corps avec les roues dentées de certains systèmes d'engre-
nage, mais s'adaptant à la roue cylindrique pour former des
dents. Il y a cette différence entre les dents et les alluchons
que les unes sont entaillées dans la roue même et qu'elles
font corps avec elle, tandis que les autres, pièces rapportées,
peuvent facilement être renouvelées dans les machines qui,
éprouvant beaucoup de frottement et de pression, s'usent ra-
pidement , et dont les roues devraient être sans cela chan-
gées tout entières. Ces alluchons sont toujours destinés à
engrener dans ime lanterne et s'adaptent à la roue au moyen
de mortaises. Chacun d'eux ne doit quitter le fuseau qui le
touche que lorsque le suivant se trouve en prise. Ils sont
implantés perpendiculairement , soit à la surface courbe et
cylindrique de la roue, qu'alors on appelle hérisson ; soit à
la partie plane et latérale de la roue, qui dans ce cas prend
le nom de rouet.
ALLmiETTES, petits fragments d'un bois très-sec,
ou brins de roseau , de chènevotte , de carton, ou encore de
coton ciré , portant à l'une de leurs extrémités ou à toutes
deux une matière inflammable. Pour fabriquer les allu-
mettes en bois , on f;ùt d'abord sécher au four de petits
billots de bois blanc de la longueur qu'on veut donner à
l'allumette; puis on les fend dans la direction des fibres
du bois avec un couteau à main appelé plane , et ensuite
en sens transversal , afin de produire de petits fragments
carrés, qu'un autre ouvrier réunit i)ar paquets. Un troisième
travailleur, après les avoir nivelés , les passe à un qua-
trième , qui les trempe dans un récipient contenant la ma-
tière inllammable , telle que du soufre fondu , etc. On
calcule qu'un ouvrier peut ainsi fendre de quatre à cinq
mille allumettes à l'iieure. — Pendant longtemps on a fait
usage d'allumettes plates , généralement fabriquées avec du
sa|)in blanc ; mais les allumettes carrées sont maintenant
bien plus demandées par la consommation , et un moyen
mécanique , récemment inventé pour leur fabrication , per-
394 ALLUMETTES
met à un seul ouvrier d'en fciulre jusqu'à 00,000 ;i l'heure.
\.c> allumcllcs tlites chimiques mi , (le[uiis quelques
années , remplacé dans la consommation el le commerce
les antiques allumettes , qui n'avaient pas en elles-mêmes
une puissance inflammable, et avec lesquelles ou était oldij;-
de recourir soit au feu du biiquef, soit au phosphore, pour
eu oltenir riullammation. Aujourd'hui le simple frotteuicnl
suîiit pour produire de la (lammc. Ces allumettes sont pré-
j)arées à l'aide d'un mélange pâteux fait avec du chlorate
de potasse , du sulfure d'antimoine , du phosphore , du
peroxyde de manganèse et de la gomme en proportion con-
venable. En substituant au chlorate de potasse le nitre,
on obtient des allumettes qui par le frottement s'enflam-
meront sans explosion bruyante.
A^ ant cette découverte , ce qu'on connaissait de plus
parfait dans ce genre était une qualité d'allumettes égale-
ment appelées chimiques ou oxygénées, qui se préparaient
au moyen d'une espèce de pàtc faite avec GO parties de
chlorate de potasse, 14 parties de soufre, 14 parties de
gomme , et une quantité d'eau proportionnée ; il suffisait ,
pour produire de la flamme, de plonger ces allumettes dans
de l'acide sulfurique.
L'usage des allumettes chimiques en vogue aujourd'hui
exige de grandes précautions ; les journaux enregistrent
chaque jour les graves accidents qu'occasionne fréquem-
ment la facilite avec laquelle elles s'ennaiiimenl; le phosphore
qu'elles contiennent peut aussi causer des empoisonnements,
mais on en fait avec un phosphore amorphe inoffensif,
ALLURE , manière d'idler ou de marcher. Ce mot est
synonyme de démarche. Les allures ont quelque chose
d'habituel ; les démarches, quelque chose d'accidentel. On
dit au figuré que les allures doivent être réglées par la dé-
cence et la circonspection, et que c'est à l'intérêt et à la
prudence à conduire les démarches.
Le mot allure est aussi un terme d'équitation et de
manège. Il signifie alors les différentes manières de mar-
cher du cheval. On s'en sert encore en physiologie comparée
pour réunir sous un nom usuel les diverses sortes de pro-
gressions quadrr.pédalcs des animaux cpii se meuvent à la
surface du sol au moyen de quatre pieds ou membres ,
assez longs pour que le ventre ne touche point la terre et
ne soit point employé dans la locomotion. Les quadrupèdes,
et notamment le cheval , dit Dugès , n'agissent pas d'une
manière uniforme dans leurs différentes allures, et ces
différences ne sont pas seulement relatives à la vitesse.
1° Le pas est l'allure dans laquelle le corps est porté par
trois des quatre membres , tandis qu'un seul se jette en
avant et que le corps s'incline dans ce sens par la poussée
des troir^ membres appuyés à terre ; 2" dans \c pas allongé
ou amblé, qui est naturel à la girafe, à quelques chevaux,
et à tous quand on les presse , l'empreinte du i)ie.l de der-
rière dépasse celle de devant , ou la couvre , au lieu de se
trouver immédiatement après , comme dans le pas ordi-
naire : il faut donc que le pied antérieur soit parti avant
que le pied postérieur soit posé ; 3° dans Yamble, troisième
sorte d'allure , les choses se passent de même avec un peu
plus de vitesse , et celte différence consiste en ce que les
pieds antérieur et postérieur de chaque paire latérale se
détachent à la fois et se posent à la fois sur le sol ; le pas
frappe quatre temps, l'amble n'en frappe que deux; 4° le
trot ne frappe aussi que deux temps , mais ce ne sont pas
les pieds du même côté qui posent à la fois : ce sont ceux
de la diagonale , l'antérieur droit et le postérieur gauche ,
l'antérieur gauche et le postérieur droit; 5" dans le galop,
on compte trois temps : un pour le pied postérieur gauche
porté seul en avant , après que les trois autres s'enlèvent;
un second pour \i pied antérieur gauche et le postérieur
droit, qui se posent ensemble; un troisième enfin pour
l'antérieur droit, qui se pose le dernier; G" dans le galop
forcé, il n'y a qjie deux temps comme dans l'amble et le j
— ALLUSION
trot, mais ce sont les deux pieds postérieurs et les deux
antérieurs qui frappent simultanément. — Tous ces m.ou-
vements peuvent être exécutés avec plus ou rnoias de vi-
tesse et d'énergie : les empreintes des pieds peuvent en
conséquence se couvrir ou s'anticiper plus ou moins , ou
pas du tout , et l'on voit souvent des chevaux faibles ou
usés prendre des allures intermédiaires , par exemple
entre le pas et le trot , entre le trot et le galop. L'amble ,
le trot et le galop constituent la course , toujours plus ou
moins composée de sauts successifs, c'est-à-dire d'intervalles
où le corps est en l'air. Le pas du lièvre et du lapin , qui
prennent alternativement leur point d'appui sur les deux
pattes de devant , puis sur celles de derrière , ne diffère
donc du galop forcé qu'en ce que les unes n'abandonnent
pas le sol avant que les autres y soient posées. La grande
longueur des membres postérieurs comparativement aux
antérieurs est cause de cette singularité ; elle fait aussi que
dans la course les pattes abdominales viennent s'étendre
en avant et en dehors des antérieures. Il en est de même
pour la girafe dans son galop , en raison de la longueur
des unes et des autres et de la brièveté du tronc.
Le pas de l'homme représente exactement le pas amblé ;
sa course représente l'amble des quadrupèdes ; seulement,
l'équilibre est moindre chez lui. — L'amble est l'allure na-
turelle de la girafe , de l'ours et du poulain. Ce dernier
s'en défait à mesure qu'il prend des forces. Il y a anomalie
lorsqu'un cheval continue de marcher l'amble, et qu'il est
dans la vigueur de l'âge. Cette allure , qui fatigue beau-
coup les épaules du cheval , est très-douce pour le cava-
lier. La vitesse de l'arable est à j)eu de chose près égale à
celle du trot. — Les palefrois et les haquenées des châte-
laines étaient des chevaux que l'on dressait à marcher l'ara-
ble. Les haquenées étaient au moyen âge destinées à trans-
porter les chevaliers mis hors de combat dans les tournois
et les batailles. L. Laurent.
ALLUSIOIV. Ce mot est dérivé du latin allusio; il a
pour racine le verbe ludere , qui signifie jouer. C'est une
figure de rhétoricpie employée pour désij-^ner la conve-
nance et le rapport d'une personne ou dune chose à une
autre ; elle consiste assez souvent dans l'application per-
sonnelle d'un trait de louange ou de blâme. « C'est une
balle, a dit avec esprit et justesse ^L Dupaty , qui, dé-
tournée de la ligne droite , frappe sur un corps étranger et
arrive au but par ricochet. >> L'allusion est en petit ce
qu'est l'allégorie en gran 1 ; celle-ci est un miroir, une glace
fidèle, dont l'autre, en quelque sorte, n'est qu'un frag-
ment. L'cm[)loi de ces deux figures exige beaucoup de jus-
tesse et de clarté. Quand ou fait allusion, par exemple, à
l'histoire ou à la fable, il faut que le trait qu'on a en vue
soit assez connu pour qu'il puisse être compris sans effort.
Ainsi, quand Voltaire dit dans la Ifenriade (chant vu) :
Ton roi, jeune Liron , le sauve enfin la vie;
Il l'arrache, sanglant, aux fureurs des soldats.
Dont les coups redoublés achevaient ton trépas.
Tu vis; songe du moias à lui rester fidèle.
il faisait allusion à la conspiration dont le maréchal Biron
se rendit coupable plus tard.
Le théâtre d'Eschyle, d'Euripide et d'Aristophane, beau-
coup plus libre que le nôtre , fourmille d'allusions aux
événements et aux hommes de l'époque , allusions beau-
coup moins fréquentes et surtout moins directes chez nous,
et contre lesquelles la décence et les convenances sociales,
qui ont fait de si heureux progrès dans nos mo'urs , récla-
meraient , <à défaut de la censure. Cette arme serait d'au-
tant plus dangereuse en des temps politiques, qu'employée
tour à tour par les partis, elle ne pourrait qu'exciter leurs
passions, et ferait bientôt dégénérer les jeux de la scène en
une arène sanglante. — Quelquefois, cependant, au lieu
d'être un trait de lâcheté , de basse envie , de mauvais vou-
loir ou de coupable légèreté , l'allusion dramatique peut
ALLUSION — ALLUVION
395
être, au contraire, un acte tle courage et de vertu : telle
est celle que renferme un hémistiche , devenu célèbre , de
la tragédie de Caitis Gtvcc/ius , par Joseph Chénier, re-
présentée au commencement de la Terreur, iiémisliclie attri-
bué souvent depuis, par eneur, à VAmi des Lois , comédie
de >r. Lava, représentée dans le morne temps et inspirée par
le même esprit. « Passionné pour les mœurs républicaines,
<lit M. Arnault dans sa notice sur ce poète paîriote , Ché-
nier tendait de tous sis efforts à les substituer en France
au\ mœurs monarchiques ; mais il n'était pas de ceu\ qui
voulaient qu'on décimât la société pour la revivifier, et que,
pour le faire croître , on arrosât avec du sang l'arbre de la
liberté. Des lois, et nou du sang! avait-il fait dire à son
ti-ibun. Ce sublime élan lui fat imputé ;\ crime. Un des bour-
reaux qui régnaient alors, interrompant l'acteur au moment
où il prononçait cet hémistiche , osa onlonner qu'on inter-
vertît l'ordre de ces paroles , et que d'un principe de phi-
lanthropie et d'organisation sociale on fit une niaxune de
meurtre et d'anarchie : Du saug, et 7wn des lois ! s'écria-
t-il; et c'était un législateur! »
Très-souvent l'allusion , fidèle à son étjTnologie , n'offre
qu'un simple 7>K de mots. C'était un véritable jeu de mots,
par exemple, qu'on avait prêté à Molière, en lui faisant
«lire aux spectateurs accourus en foule pour voir la deuxième
représentation de son Tar/ufe : « Monsieur le président ne
veut pas qu'on le joue. » Il eût été inligne du caractère de
c€ poète de se permettre en public une aussi grossière injure
envers un homme dont toutes les vertus ne pouvaient être
effacées à ses yeux par une mesure qui avait été prise par le
parlement en corps , et non par M. Lamoignon seul. Nous
avons toujours douté de l'authenticité de cette anecdote.
— Une allusion d'un autre genre, et qui renferme une louange
aussi fine que délicate, est celle-ci, que mademoiselle de
Scudéri employa dans un impromptu qu'elle fit en voyant
le prince de Condé cultiver de ses mains les fleurs de son
jardin à Viocennes :
En voyant ces œillets qu'un illustre guerrier
Arrose de la main qui jjagna des batailles ,
Souvicus-t(ji q'i'Apollun bâtissait des murailles,
El ne t'ctonr.e pas que .Mars soit jardiuicr.
Mais le maître en fait d'allusions est La Fontaine , que
la nature de son esprit et le genre de littérature qu'il culti-
vait appelaient à faire un emploi fréquent de cette figure. On
trouve çà et là répandus dans ses fables mille traits qui tous
ont un rapport plus ou moins direct à quelque particula-
rité de mœurs, de caractère, d'usages, de conditions ou
lie langage, toujours parfaitement appropriés à la circons-
tance dans laquelle il les met en lumière. « Il a fondé paviv.i
les animaux , dit La Harpe , des monarchies et des répu-
bliques. Il en a composé un monde nouveau, beaucoup
plus moral que celui de Platon.... 11 en a réglé les rangs....
Il a transporté clïez eux tous les titres et tout l'appareil de
nos dignités. II donne au roi lion un Louvre, une cour des
pairs , un sceau royal , des officiers , des courtisans , des
médecins.... Jamais il ne manque à ce qu'il doit aux puis-
sances qu'il a établies ; c'est toujours nos seigneurs les
ours, nos seigneurs les chevaux, sultan léopard, dom
coursier, et les parents du loup , gros juessieurs qui
l'ont fait apprendre à lire. » Et tous les traits , toutes
les allusions à l'espèce humaine qui ressortent de ces assi-
milations , de ces comparaisons aussi fines , aussi ju.5tes et
aussi profondes qu'elles sont en apparence naïves , se font
d'autant mieux comprendre et s'insinuent d'autant mieux
dans tous les esprits (ju'ils portent avec eux un cachet de
bonhomie dont on ne se défie point , qu'ils n'ont ni la mor-
gue pédantesque d'une li çon sévère , ni l'ironie sanglante
de la satire, dont notre vanité et notre orgueil se révolte-
raient également. Edme HÉftr.AU.
ALLUVIOX {Géologie), du latin olluo, je baigne, je
coule. On nomme ainsi les accroissements lents et pro-
gressifs que reçoivent les bords des fleuves, des rivières et
de la mer, par l'accumulation de matières limoneuses, cail-
louteuses ou sablonneuses que les eaux y laissent. De
cette définition il résulte qu'il y a deux sortes d'alluvions,
des alluvions d'eaux douces et des alluvions 7narines.
Celles-ci sont généralement connues sous les noms de lais et
relais de la mer. Tous les cours d'eau, môme les plus
petits, peuvent donner naissance à des alluvions ; mais l'im-
portance de ces dépôts est généralement en raison du vo-
lume des eaux , de leur rapidité , et de la nature des ter-
rains qu'elles baignent. Quand ces terrains sont facilement
désagrégeables, elles se chargent d'ime grande quantité de ma-
tières, et les dépôts qu'elles forment le long de leur cours
sont plus considérables, et plus nombreux. Les déborde-
ments , les inondations , auxquels sont sujets certains cours
d'eau, concourent aussi, par les matériaux qu'ils arrachent
au sol et aux ouvrages des hommes, à la production de
ces formations.
Si l'on suit une rivière depuis sa source jusqu'à son
embouchure, on remarque que les matériaux qu'elle dépose
chemin faisant sur ses bords y sont distribués d'après une
certaine règle ; que le volume et le poids spécifique de ces
matériaux vont graduellement en diminuant depuis le pre-
mier dépôt jusqu'au dernier; de sorte que si celui-là est
composé de corps volumineux et pesants , de fragments de
roches, celui-ci ne renferme plus que des matières ténues ,
des sables fins et du limon ; ce qui s'explique par l'action
de la pesanteur en opposition avec la vitesse de l'eau. Les
matières transportées, étant spécifiquement plus pesantes
que l'eau, ne peuvent être tenues en suspension dans celle-ci
qu'en vertu de la puissance de son mouvement, c'est-à-
dire de sa vitesse. Comme l'action de la pesanteur tend in-
cessamment à diminuer l'action de cette vitesse, il en ré-
sulte que ce sont les corps les plus pesants qui se déposent
les premiers. Aussi tout ce qui, indépendamment des corps
entraînés par l'eau, tend à diminuer la vitesse de celle-ci ,
détermine nécessairement un dépôt. Voilà pourquoi il se
forme des alluvions sur les bords des rivières , dans les en-
droits où l'eau rencontre un obstacle qui ralentit son cours.
De là des alluvions aux angles rentrants des rivières, op-
posés à des angles saillants. De là aussi les bancs, les hauts-
îônds, les barrages si fréquents vers l'embouchure des fleuves
et des rivières : les courants , ralentis dans leur marche
par l'action d'autres courants ou par les mouvements pé-
riodiques ou irréguliers des vagues de la mer, laissent dé-
poser les matériaux qu'ils transportent. Ces dépôts s'accrois-
sent graduellement, s'élèvent, et finissent par former des
îlots, d.s îles. C'est ainsi que se sont formés les deltas, les
plages fertiles à l'embouchure des grands fleuves, comme
ceux du Gange, du Nil, du Rhône, etc.
D'un autre côté, les matières qui composent les alluvions
ne sont pas toujours de la même nature dans le même
lieu, ce qui dépend de diverses circonstances. Ainsi, par
exemple, la Seine dépose au-dessous de Paris des sédi-
ments argileux jaunâtres, lorsque, grossie dans la première
partie de son cours, elle a lavé les terres argileuses de la
Bourgogne ; tandis que lors des débordements de la Jlame,
les sédiments qu'elle charrie et abandonne sont calcaires et
blanchâtres comme les terrains crayeux de la Champagne.
On comprend que les dépôts d'alluvions doivent ren-
fermer des débris de toutes sortes. Aussi y rencontre-t-on ,
outre des substances minérales, végétales et animales, des
objets de l'industrie humaine. C'est encore dans les forma-
tions de cette espèce que l'on trouve les mines d'or et de
diamants, qui ne sont que des débris que les eaux ont ar-
rachés aux roches qu'elles ont ravinées ou traversées.
Les alluvions marines sont formées par les matériaux
que la mer, dans ses mouvements périodiques, apporte sur
le sol plat de .ses côtes. Elle y dépose une mince couche de
vase ou sable, à laquelle chaque pleine mer vient eu ajouter
50.
396 ALLUVION
une nouvelle. On conçoit que ces dépôts doivent s'accroitrc
rapidement. C'est ce qui a lieu particulièrement dans la
IloU.'inde , dont presque tout le sol , conquis sur la mer, a
é[é formé de cette manière.
Les alluvions sont en général une heureuse acquisition
{tour riigriculture , en ce qu'elles étendent le domaine des
terres arables , et qu'elles sont d'une grande fertilité quand
elles ont été amenées à l'état de culture. Cependant celles
de la mer ou dos fleuves à leur embouchure ont de graves
inconvénients. Le comblement des ports en est le résultat
ordinaire; elles rendent difficile l'entrée des fleuves, et,
refoulant ainsi les eaux dans les terres, elles exposent celles-
ci à de grandes inondations.
C'est à l'industrie de l'iiomme de combattre les inconré-
nients des alluvions, et de tirer profit des avantages qu'elles
présentent.
Un cultivateur intelligent qui veut prendre possession
d'une accrue qui se forme aux limites de son domaine doit,
pendant les basses eaux , commencer par l'entourei de
j.ieux solidement fixés en terre, et reliés entre eux par une
espèce de clayonaage , puis planter le sol de végétaux à
racines traçantes , des roseaux de marais , massettes , ruba-
niers, iris, chalets, ou autres qui soient propres à retenir
la vase et à favoriser ainsi l'exhaussement du dépôt. De
cette manière on peut être sûr que chaque accroissement
d'eaux amènera une quantité considérable de limon, et qu'en
peu d'années mOme ce terrain deviendra susceptible de
recevoir des plantations productives d'osiers rouges ou de
saules , auxquelles on pourra substituer, bientôt après , des
prairies ou des cultures d'une autre espèce. La fertilité des
terrains d'alluvion est presque inépuisable ; mais à cause
de leur situation basse et humide, leur culture présente des
difficultés.
ALLUVIOX ( Droit ). La loi française définit l'allu-
vion : un accroissement qui se forme successivement et im-
perce!)tiblenient sur les bords d'un flcu-se ou d'une ri-
vière"; il devient la propriété du riverain. 11 n'y a pas d'allu-
vion si un cours d'eau enlève par une force subite une par-
tie considérable et reconnaissable d'un tliainp riverain
el la porte vers un cliamp inférieur ou à la rive opposée.
ALMA( Bataille de 1'). Voyez Inrerm.vnn.
ALMADEX, surnommée de Af.ocle, petite ville
d'Espagne , située tout à rextrémité sud-ouest de la pro-
vince de la Manche , non loin des frontières de l'Estrama-
dure , compte environ dix mille habitants et est célèbre par
ses mines de mercure , les plus riches qu'il y ait en Europe,
et dont l'exploitation remonte à une haute antiquité , puis-
qu'au rapport de Pline les Grecs en tiraient déjà du ver-
millon l'an 700 avant l'ère chrétienne. On calcule que
dans un espace de deux cent soixante -dix -neuf années,
c'est-à-dire de l'année 1524 à l'année 1803 , les mines d'Al-
niadcn n'ont pas livré à la circulation moins de 1,430,000
quintaux de ce métal, dont l'emploi est si important dans les
arts et l'industrie. Dans la seule année 1827 on en a extrait
22,000 quintaux ; et cette exploitation prend de jour en jour
une extension plus développée, en raison des demandes tou-
jours croissantes du commerce. Les ateliers occupent cha-
que jour-" environ mille ouvriers, et, malgré l'exploitation
active de plusieurs siècles , le minéral est si abondant que
les travaux n'ont guère encore atteint qu'une profondeur
de trois cents mètres. Les mines d'.Vlmaden sont demeurées
la propriété de l'État ; aussi dans ces derniers temps
le trésor, à bout d'expédients , ne s'est-il pas fait faute de
tirer bon parti des ressources qu'elles lui offraient. Leurs
produits, hypothéqués pendant un espace de temps plus
ou moins long , ont donc servi à diverses reprises de gage
et de garantie aux emprunts plus ou moins usuraires que
des maisons de banque de Paris ou de Londres consen-
taient à faire au gouvernement espagnol pour l'aider à tra-
verser des moments de crise.
ALMAGRO
ALMAGESTE ( de l'arabe al, et du grec (lÉyicTTo:,
très-grand , superlatif de lAsya; : le grand ouvrage , l'ou-
vrage par excellence ). Ce nom est celui de la traduction
que les Arabes firent au neuvième siècle de la Composition
mathématique de Claude Ptoléméc, ouvrage dans le-
quel se trouve expo^^é le système astronomique qui a fait
loi pendant quatorze siècles dans tout le monde savant.
VAlmarjesle, qui fait corinaifrc Tétat où était l'astronomie
chez les Grecs, est .suivant Laplace , si on le considère
comme le dépôt des anciennes observations , l'un des plus
précieux monuments de l'antiquité. Le premier livre en est
consacré à l'exposition du système du monde, tel que l'avait
conçu Ptolémée , conformément aux apparences et au té-
moignage de nos sens. Le second livre traite des ascensions
pour les diverses inclinaisons de la sphère oblique : les
arcs de l'horizon interceptés entre l'équateur el le point
correspondant de l'écliptique , pour tous les degrés d'o-
bliquité de la sphère, y sont déterminés par la grandeur
du plus long jour. Ce livre, qui est tout de calcul, com-
prend une table des ascensions de dix degrés en dix degrés
des signes, depuis l'équateur ju?qu'au climat de dix-sept
heures. Dans le troisième livre se trouvent exposées les
recherches auxquelles avait donné lieu la détermination
de la véritable longueur de l'année. Les quatrième , cin-
quième et sixième livres sont consacrés aux divers mou-
vements de la lune. Le sixième livre contient une descrip-
tion très-exacte des éclipses. La description des étoiles
est contenue dans le septième et le huitième livre. Les
cinq livres suivants traitent du mouvement des planètes,
de leurs retours périodiques, de leurs mouvements en lon-
gitude , de leurs rétrogradations , de leurs écarts en lati-
tude , de leurs inclinaisons, et des moyens de déterminer
dans tous les cas leur distance au soleil. Dès le treizième
siècle, l'empereur Frédéric II avait fait traduire r^ltoc-
geste de Tarabe en latin. La Composition mathématique
de Ptoléméc a clé traduite du grec en français par l'abbé
Halma ; à cette traduction sont jointes de savantes notes ,
dues à Delambrc.
AL5ÎAGRO (Diego d') , ainsi nommé de la ville d'Al-
magro, où il naquit, en 14G3 , de parents inconnus. D'abord
soldat obscur, il servit en Italie sous les ordres de Gonsalve
de Cordcuc , puis , comme tant d'autres aventuriers de
celte époque , s'en alla chercher fortune dans le Nouveau
;Mcade, dont la découverte, assez récente encore, occupait
alors en Europe toutes les tètes et enflammait toutes les
imaginations. En 1523, Diego d'Ahnagro, déjà âgé de
soixante-deux ans , mais connu par la part active qu'il avait
prise à différentes expéditions hardies, s'associa avec
François Pizarre et le prêtre Hernando de Luc , pour faire
la conquête du Pérou. Pizarre fut chargé des opérations
actives, et s'engagea , avec un petit nombre d'hommes , dans
ces lointaines contrées, objet de la convoitise des Espagnols,
tandis qu'Almagro eut pour rôle d'organiser dans la pres-
qu'île de Panama une espèce de dépôt , de base d'opéra-
tions , d'où il devait faire passer à Pizarre des secours tant
en recrues qu'en munitions et en matériel de guerre. —
Après y être resté près de douze années , Ahnagro alla enfin,
rejoindre Pizarre sur les côtes du Pérou , avec de nouveaux
renforts ; aussi à partir de ce momci'.t l'expédition fut-elle
poussée avec un redoublement de NÏgueur qui amena le
com[)let asservissement de l'empire des Incas. Fourbe, cu-
|)ide et férose, connue tous les aventuriers de cette époque,
c'est sur Almagro ([u'or. fait peser larcsponsabiUté du meurtre
inf\ime dont périt victime l'inca Atahualpa. Almagro^
poursuivant ses succès, pénétra jusque dans le Chili, et
fut nonuné gouverneur de cette contrée par l'empereur
Cliarles V , avant même d'en avoir opéré la conquête. Quand
ils n'eurent plus d'ennemis à combattre , Pizarre et Almagro
tournèrent leurs armes contre eux-mêmes ; car leur sourde
jalousie, mal comprimée depuis longtemps, éclata tout
ALMAGRO -
aussitôt. Ils en vinrent ilonc aux mains sous les murs de
Cusco, le 15 avril 1538, et, dans la sanglante bataille qui
s'engagea alors, Alinagro, Agé do soixante-quinze ans, fut
vaincu et fait prisonnier. En vain il invoqua les souvenirs
d'une vieille association : son ennemi resta sourd à toutes
ses supplications, et le fit étrangler dans sa prison ; après q\ioi
son cadavre fut publiquement décapité. — [.e (ils de Diego
d'.Xlmngro , qui portait le même nom que lai , fut proclamé ,
par ses partisans , gouverneur du Cliili , et vengea son père
en assassinant Pizarre ( 15îl ) ; mais il ne tarda pas à porter
la peine de ce meurtre, et fut mis h mort au même lieu
que son père.
ALMAMOUX , septième khalife de la race des Abbas-
sides, fils du célèbre IIaroun-al-Ra?chid, né en l'an 78G
de J.-C. , succéda en l'an 81.^ à son frère, Amyn , sur le
trône de Bagdad. Avant d'arriver au khalifiit , il s'appelait
Mohammed. Il eut d'abord à lutter contre une foule de ré-
sistances , à réprimer l'esprit de faction et à étouffer plu-
sieurs rébellions , qui mirent plus d'une fois en péril son
pouvoir naissant. L'une de ces révoltes eut pour prétexte
une innovation introduite par le nouveau khalife , lequel ,
.suivant le conseil de Fadel , son vizir, avait quitté l'habit
noir, couleur des Abbassides , pour adopter la robe verte ,
couleur de Mahomet et d'Ali. Dès qu'il en eut triomphé et
*[ue son autorité fut affermie , Almamoun , élevé à l'école
du sage Giafar-Ben-Yaliia, s'illustra par un système de nobli?
clémence appliqué à tous ceux qui l'avaient combattu ; il
put dès lors se Uvrer à son goût pour les sciences et les
lettres , et sut les protéger généreusement. Cest ainsi que
par ses ordres un grand nombre d'ouvrages de la littéra-
ture grecque furent traduits en arabe. Mais l'astronomie et
surtout la philosophie furent plus particulièrement les scien-
ces qui se partagèrent ses loisirs. Ainsi , il fit réviser les
tables astronomiques de Ptolémée ; puis , voulant avoir des
idées précises relativement à la grandeur du globe terrestre,
il fit mesurer un degré du méricUen dans la plaine de Sin-
gar, en Mésopotamie; il fit en outre mesurer de nouveau
l'obhquité de l'écliptiqi'.e. N'attachant pas moins d'impor-
tance aux sciences morales et philosopliiques qu'aux scien- "
ces exactes , il alla jusqu'à offrir à l'empereur grec de Cons-
tantinople cent quintaux d'or et une paix perpétuelle, à la
condition que ce prince lui céderait pour quelque temps
le philosophe Philon. Avant Almamoun , les querelles reli-
gieuses entre musulmans n'avaient guère roulé que sur la
question de savoir lequel d'entre les compagnons de Maho-
met avait eu le droit de lui succéder, ou bien si l'autorité
suprême , à la mort du prophète , n'avait pas été de fait
transférée à son gendre AU et à ses descendants. Almamoun
ouvrit un nouveau champ à l'esprit de discussion et d'exa-
men parmi ses coreligionnaires en appelant leur attention
sur des subtilités métaphysiques relatives à l'essence même
des révélations que contient le Koran : par exemple, sur
la question de savoir si ces révélations ont existé de toute
éternité , ou bien si elles ont été créées au fur et à me-
sure de leur manifestation par l'intermédiaire du Pro-
phète.
Almamoun mourut en 833 , près de Tarse , en Cilicie , au
retour d'une expédition contre l'empereur grec de Constan-
tinople , à qui il avait déjà enlevé la possession de l'Ile de
Candie. On ne peut nier, mal;^ré l'éclat de son règne . que
les querelles scolastiques qu'il fit naître et favorisa parmi
les musulmans n'aient singulièrement contribué à hâter la j
dissolution de l'empire des khalifes. j
ALMAXACII. C'est le nom vulgaire des calendriers '
et de tout ouvrage périodique ayant en tête ou à leur fin
un calendrier. Suivant les grammairiens , ce mot vient de
l'arabe ni, et manah, compte. Scaligcr et d'autres le font
dériver du grec udtva/.o; (le cours du mois) et de la par-
ticule arabe al. D'autres prétendent qu'il vient du saxon \
al-m-^nght , contracté de al-moonheld, qui en vieil aile- '
ALMANACH Z9t
I mand signifie contenant toutes les lunes. Une n«utre opi-
! nion, qui ne manque pas dune certaine probabilité, at-
' tribue l'origine de ce mot au travail d'un moine nommé
, Guinklan, qui vivait en Bretagne au troisième siècle, et
qui composait tous les ans un petit ouvrage sur le cours du
soleil et de la lune, et dont il faisait prendre de nombreuses
copies. Cet opuscule avait pour titre : D'iagonon al manah
Guin/ilan, mots celtiques qui veulent dire : Prophéties du
moine Guinklan. Par abréviation, on nomma par la suite
te livre le Moine, ou YŒuvre du moine. Le mot celtique
manah a passé dans la langue russe, où le mot moine se
rend par celui de monahh. Gohins, enfin, veut que ce mot
vienne de ahnanha , qui dans les langues orientales si-
gnifie étrcnnes, parce que les astronomes, en Orient, sont
dans l'usage d'offrir un livre d'éphémérides à leurs princes
au commencement de chaque année.
Sitôt que les peuples ont possédé quelques notions d'as-
tronomie, ils ont eu des almanachs ; on en trouve dans la
plus haute antiquité, chez les Chinois, les Indiens, les Égyp-
tiens et les Grecs ; les Romains les appelaient fastes. Dans
fous les pays chrétiens ils furent d'un usage général ; avant
l'invention de l'imprimerie, on les affichait, on les copiait
dans les livres d'église, où ils servaient à indiquer l'époque
des fêtes religieuses; ou faisaH aussi des calendriers perpé-
tuels, qui pouvaient être con^.ulfés pendant très-longtemps,
car l'usage des almanachs annuels ne remonte pas au delà
du seizième siècle, où l'on voit Rabelais publier YAlma-
nach pour Vannée 1533, calculé sîir le viéridional de
la noble cité de Lyon, et ceux des années 1535, 48 et 50.
Jusque là l'astrologie ne s'était pas introduite dans les al-
manachs français, comme autrefois chez les Romains et les
Anglo-Saxons ; mais, sous le règne de Henri II, Nostra-
damus commença, aux applaudissements de la cour, la
pubhcation de ces almanachs chargés de prédictions men-
songères qui de nos jours encore entretiennent la super-
stition dans les campagnes. L'impulsion était donnée ; Ma-
thieu Laënsberg, dont le plus ancien almanach connu
remonte à 1636, continua l'œuvre de Nostradamus. En
Angleterre, vers la même époque (lGi4), Lilly devait 1?
TOgue prodigieuse de ses almanachs aux oracles obscurs
et emphatiques qui les accompagnaient. Mais les gouver
nements avaient pris l'éveil , et en France on voit déjà
du temps de Charles IX apparaître une ordonnance exi-
geant avant l'impression de tout almanach le visa de l'é-
vêque du diocèse. En 1579 Henri III défend d'insérer dans
ces publications aucune prédiction relative aux affaires poli-
tiques, défense renouvelée par Louis XIII en 1628.
En Allemagne, avant l'invention de l'imprimerie, l'alma-
nach s'enseignait dans les écoles; le calendrier avait été
réduit en une suite de vers barbares qui commençaient par
ces mots : Cisio Janus , et qu'on faisait apprendre par
cœur; les mots de Cisio James finirent par devenir syno-
nymes d'almanach. Mélanchthon, ami et disciple de Luther,
réforma cet almanach. Ce fut un premier pas dans une voie
d'amélioration ; l'almanach ne fut plus seulement une indi-
cation des divisions astronomiques ou conventionnelles du
temps ; il sut se créer une autre importance, en contribuant
puissamment à l'instruction du peuple; on peut même dire
que, considérée à ce point de vue, l'histoire des almanachs
serait une bonne introduction à l'histoire de l'instruction
des classes nombreuses par les livres. Au dix-huitième siècle
on commence à voir paraître en France des almanachs qui
parlent au peuple tout à la fois de réformes politiques , de
découvertes agricoles, etc. Tel est le Bon Messager Boiteux
{le Bdle en Suisse, créé un siècle après VAlmanach de
Mathieu Laënsberg pour combattre l'induence fâcheuse de
ce dernier; c'est ainsi que le Bon Messager de 1788, par
exemple, contient un résumé curieux de la situation de
l'Europe, des notices sur les mœurs des contrées lointaines,
d'excellents conseils d'hygiène, et une censure éclairée des
S98 ALMANACH -
préventions et des exceptions civiles «lont les juifs étaient
encore victimes.
Comme ce genre d'ouvrages , en s'adressant à tout le
monde, exerce une certaine innueftce sur une partie de la
population, plusieurs gouvernements , tels que la Prusse et
la Russie, ont cru devoir s'en réserver le monopole. En
Angleterre, le droit de publier les alrnanachs était encore
il y a quelques années le privilège exclusif d'une compa-
gnie {Slatloner's Company), qui était du reste sous la
dépendance du gouvernement ; ces publications étaient en
outre assujetties au timbre.
En France, l'autorité fait publier Y Almanach Impèiial ,
qui sous le nom d'Almanach Royal parut pour la pre-
mière fois en 1679; alors il ne contenait, outre queKiues
prédictions et les phases de la lune, que le départ des cour-
riers, les fêtes du palais, les principales foires du royaume,
et les viUcs où l'on battait monnaie ; il parut sous cette forme
jusqu'en 1G97, époque où son auteur, Laurent Iloury,
libraire de Paris, eut l'idée d'y joindre des notices statis-
tiques et la liste des principaux dignitaires et fonctionnaires
de l'État. Louis XIV, singulièrement flatté de cette longue
énumération des titres et dignités dont étaient revêtus les
seigneurs de sa cour, si riche en classifications nobiliaires
de tout genre, renouvela en 1699 le privilège de cet alma-
nach, qui dès lors fut exclusivement connu sous le titre
(VAlmanach Royal, et contint les naissances des princes,
les noms des personnages importants dans le clergé, la robe,
iï'pée , etc. Cet almanacli lut appelé national sous !a pre-
mière république, impérial sous Tenipiro, ?07/fl/sous la res-
tauration, royal et national après la révolution de 183o,
national après 1848 et impérial depuis 1853. Les dif-
férents gouvernements étrangers imitèrent successivement
l'exemple donné par Louis XIV, et dès la (in du dix-
Imitième siècle il n'y eut pas de si petit prince d'Allemagne,
qui n'eût aussi son Almanach d'État > imprimé avec pri-
vilège et autorisation dans sa résidence. VAlmanach Royal
de Prusse date de 1700 ; celui de Saxe, de 1728; celiù d'An-
gleterre, Royal Calender, de 1730. — iN'oublions pas VAl-
manach de Gotha, qui se publie depuis 17G3, et qui contient
la généalogie des souverains et des princes de l'Europe, des
maisons comtales auxquelles les États de la Confédération
germanique ont reconnu le droit de prcnLlre le titre d'illus-
trissime, un annuaire diplomatique très-étendu, une chro-
nique politique détaillée, etc. Enlin, disons qu'on ne compte
pas moins de trente alrnanachs d'État paraissant annuelle-
ment, et dont les principaux sont ceux de France, de la
Grande-Bretagne, de l'Amérique du Nord, d'Autriche, de
Prusse, de Russie, etc. La France eut aussi pendant long-
temps et jusque sous la restauration un petit Almanach de
la Cour, toujours richement relié.
Aujourd'hui , parmi les almanachs spéciaux qui se pu-
blient en France, les plus importants, sont V Annuaire et
Almanach ducommerce,ou Almanach des 500,000 adres-
ses (Didot-Bottin), dont la grande utilité explique l'im-
mense succès, VAlmanach du Bâtiment, elc.
D'un autre côté , la littérature et la spéculation des li-
braires ont travaillé à rendre les alm:inachs dignes des
peuples civilisés. Pendant longtemps nous avions eu VAl-
manach des Muses, VAlmanach des Dames, etc., où bons
et mauvais poètes apportaient chaque année le fruit de leurs
inspirations. Les derhières années de VAlmanach des Dames
offrent une particularité que nous devons signaler aux bi-
bliographes : lesédileurs à la fin ne faisaient plus réimprimer
qu'une fouille, qui, répartie au commencement, au milieu, à
la (in d'une année ancienne, changeait les titres, la table, la
première pièce, et quelques autres de l'ouvrage, et en faisait
un livre nouveau. Il a cessé de paraître vers 1S45. Les Alle-
mands ont embelli les almanachs littéraires de gravures, de
musique , de contes , et à leur exemple les Anglais ont
ajouté aux almanachs du beau monde le luxe des gi'avures
- ALMANZOR
et les compositions littéraires de leurs meilleurs écrivains»
Le môme goût s'est répandu en France , et ces productions,
ornées par les arts , font un contraste piquant avec le Mes-
sager Boiteux, qui circule dans les chaumières, tandis que
les almanachs richement reliés brillent dans les boudoirs et
les salons. Parmi ces charmants livres de boudoir, on
doit citer surtout le Forget me not , et le Keepsake, pu-
blication fort élégante et ornée des plus jolies gravures ; ce
genre a été imité en France et dans les États-Unis d'Amé-
rique. En Allemagne , la Minerve a longtemps joui d'une
grande vogue ; dans ce pays et dans la Suisse , il paraît
maintenant chaque année une foule d'almanachs du même
genre. Citons encore VAlmanach de l'Illustration, VAl-
manach du Magasin pittoresque , pour leurs jolies gra-
vures sur bois.
L'illustration s'est étendue jusqu'à ces almanachs qui,
connus sous le nom à'almanachs de cabinet, se composent
d'un calendrier collé sur une feuille de carton. Déjà aux
quinzième et seizième siècles on composait en Allemagne
et en Italie des almanachs ornés de parties gravées, repré-
sentant divers attributs et sujets historiques. Vers 1610 cet
usage s'introduisit en France, et quelques-uns de ces alma-
nachs français figurés présentent une exécution remarquable.
En 1650 on commença à leur donner de grandes dimen-
sions, et quelquefois presque toute la feuille est occupée par
une estampe : il ne reste qu'une petite place à l'almanach.
Ces almanachs devinrent raoias nombreux sous Louis XV ;
'"1 en fait encore quelques-uns de nos jours.
Parmi les almanachs utiles, nous devons citer le Bon
Jardinier, qui donne des conseils pratiques à l'agriculteur.
L'almanacli étant la lecture la plus habituelle du peuple,
et la seule d'une infinité de gens, les partis politiques, succes-
seurs des partis religieux, ont cherché à répandre leurs idées
;)"r ^e mode de publication. Sous la révolution VAlmanncI,
du père Gérard mX une grande vogue. Après la révolution de
février chaque parti voulut avoir son organe annuel : c'est
ainsi que nous avons eu VAlmanach Populaire, VAlma-
nach Phalanstéricn , VAlmanach Icarien , VAlmanach
Aapolconien , etc. Les idées religieuses prirent pour or-
ganes VAlmanach des Bons Conseils, VAlmanach Protes-
tant, livre utile, où l'on trouve la liste des pasteurs de
France; dans un autre sens, il y eut VAlmanach du bon
Catholique , avec des anecdotes et des historiettes, etc.
Après la révolution de Juillet, les almanachs subirent une
transformation : VAlmanach de France prit à tâche de ré-
pandre dans les campagnes des notions utiles sur le droit
civil et politique, sur l'agriculture, sur l'hygiène, etc. VAl-
manach des Villes et des Campagnes voulut leur porter
des considérations et des anecdotes morales. Mais ces essais
plus ou moins heureux n'ont pas détrôné l'ancien almanach :
le Double ou Triple Liégeois, rempli d'anecdotes absurdes
et de prédictions sur le temps, est encore celui qui se tire en
plus grand nombre.
AOIAiVDIlXE , nom que l'on donne quelquefois à la
pierre précieuse nommée aussi alabandine.
ALMAXZA, petite ville de la Nouvelle-Castille , sur
les frontières du royaume de Valence. — Le 25 avril 1707,
pcnd;i;;l la guerre de la succession d'Espagne, les Français,
connu m'es par le maréchal de Bcrwick , y remportèrent
une V ictoiro complète sur les Anglo-Po; tugais. Les résultats
de cette victoire furent très-importants : elle procura la
conquête du royaume de Valence , et facUita les opérations
militaires de l'armée française pour l'envahissement de
r.\ragon.
ALiMAXZOR, nom qui s'est introduit dans nos ro-
mans et sur nos théâtres. C'est une altération du mot
arabe Al-Mansour (le Victorieux). Ce surnom a été donné
à plusieurs khalifes , sultans , rois et princes , plus ou
moins fameux dans les fastes de divers Etats musulmans.
Nous allons citer les plus remarquables de ces personnages
ALMANZOR -
AL-MANSOUR ( Aeoi-Dj\far-Adi)'Ali.aii ), deiixièino
klitUifo (le la race des Abbassides, succéda^ l'an 75», à
son frCre Aboul-Abbas-al-Saffah , qui n'avait ir^né que
quatre ans, et il affermit sa dynastie en exlorniinant celle
des Oniiniades, dont un rejeton, réfugié en Afrique, établit
en Espagne une puissante et brillante monarchie. Al-Man-
sour, en TC2, fonda ISagdad, sur la rive occidentale du
Tigre, avec les ruines de Séleucie et de Ctésipbon, qui
avaient occupé les deux bords de ce fleuve. Bagdad devint
la capitale de l'empire musulman, et fut pendant près de
six siècles le foyer des lumières , qui plus lard se répan-
dirent en Europe. Al-Mansour y attira les savants de tous
les pays. La protection et les encouragements qu'il y ac-
corda aux lettres et aux sciences fut imitée et surpassée
par plusieurs de ses successeurs, principalement par son
petit-lils , Ilaroun-Al-Rascliid , et par son arrière-petit-fils
AkMamoun. Ce khalife se déshonora par son avarice et
par sa cruelle ingratitude envers son oncle Abd' Allah et le
grand capitaine Abou-Moslem, qui avaient le plus contribué
à établir la domination des Abbassides. Al-Mansour les fit
périr l'un et l'autre , et s'empara de leurs richesses : il
mourut lui-même en 775.
AL-MA>SOUR ( ABOc-Tn\uER Ismael), troisième khalife
fathémide d'Afrique, succéda en 946 à son père, Kaïm. Il
commença la conquête de l'Egypte sur les khalifes abbas-
sides, et y fonda une ville qui porte son nom ( Al-Man-
sourah ) , improprement appelée la Massoure par les his-
toriens de.<) croisades, et fameuse par la bataille où saint
Louis fut fait prisonnier. Le khalife Al-Man;our mourut à
Mohadiah, en 953, et eut pour successeur son fils, Moezz-
Ledin-.\llah, qui acheva la conquête de l'Egypte, où il
transféra sa résidence.
AL-MA>'SOUR (ABOU-AMER-.MonAMMF.D Al-Mûafeut, sur-
nommé), l'un des plus grands capitaines qu'ait produits l'Es-
pagne musulmane, reçut de ses propres soldats ce surnom
glorieux. Né près d'Algésiras, en 930, et d'abord page du kha-
life Al-Hakerall, il finit par tout gouverner à la mort de ce
prince, dont il eut le fils en tutelle. A des talents supérieurs
il joignait les qualités les plus propres h se coucilier la bien-
veillance de tous les dépositaires du pouvoir. Il remporta
plusieurs victoires sur les chrétiens, enleva Barcelone au
comte Borel, prit et détruisit Saint-Jacques de Compos-
telle, porta ses armes en Afrique, où il rendit tributaires
tous les princes musulmans , et les obligea de faire pro-
noncer son nom dans la hhothbah, ou prière publique, après
celui du khalife d'Espagne. Ayant livré une bataille san-
glante aux rois de Léon, de Navarre, et au comte de Cas-
ti:le, à Calatanasar, sur les bords du Douero, il y perdit
tant de monde, quoique resté maître du champ de bataille,
que le chagrin d'avoir, pour la première fois, éprouvé un
pareil échec irrita ses blessures, et lui causa la mort,
le 10 août 1002, à Médina-Cnli. Al-Mansour avait glorieu-
sement gouverné l'Espagne plus de vingt-cinq ans; mais,
en éclipsant son souverain, il avilit le Khalifat, et prépara la
chute de la dynastie des Ommiades. Son palais était, en
quelque soile, une académie, où il encourageait et récom-
pensait les arts, les lettres et les sciences, qu'il cultivait
lui-même avec succès. Sa postérité régna depuis à Valence.
AL-MANSOUR ( Abou-Yousolf Yacolb ) , le plus heureux,
le plus puissant, le plus grand et le meilleur de tous les
princes de ladynastiedes Al-Mohades, succéda, l'an 11S4,
à son père, Yousouf, î)lessé mortellement au siège de San-
tarem en Portugal. Apiès avoir remporté de nombreuses
victoires sur les chrétiens d'Espagne et de Portugal, il mourut
en l'an 1199. On reproche à Yacoub-Al-Mansour, prince
éclairé, juste et pieux, d'avoir violé la capitulation qu'il
avait accordée au gouverneur rebelle de Maroc, et d'avoir
laissé son corps sans sépulture, en disant qu'on n'est pas
tenu de garder sa parole à un homme qui a violé ses
serments, et que le cadavre rf'un traître n'exhale au-
ALMKNAR.\
39i>
cune mauvaise odeur. Toutefois, la honte ou le regret
d'avoir terni sa réputation par cet acte de perfidie déter-
mina ce monarque à se renfermer dans son palais et à
charger des soins du gouvernement son fils Mohammed-
Al-Nasser, qu'il avait fait reconnaître pour son successeur.
L'obscurité qui enveloppa la dernière époque de sa vie a
fourni matière à une prétendue disparition et à des aven-
tures romanesques racontées dans une Vie d' Al-Mansour.
Les États de ce prince s'étendaient depuis Maroc jusqu'à
Tripoli, et comprenaient la moitié de la péninsule espa-
gnole; il portait les titres de khalife et d'émir al-Mou-
mcnin (prince des fidèles) : aussi ne reconnaissait-il point
la suprématie des khaUfes abbassides de Bagdad. Avec lui
s'éteignit la grandeur des Almohades, dont la décadence
commença sous son fils Mohammed. H. Audiffret.
ALMAZAiX, ville de 2,000 âmes, dans la Vieille-Cas-
tille , à 27 kilom. sud-ouest de Soria , et à laquelle on ar-
rive par un pont magnifique, construit sur le Duero. Une
de ses églises croit posséder la tête du premier des mar-
tyrs , saint Etienne. Almazan est célèbre par la paix qui y
fut conclue en 1375, entre Henri de Transtamare, roi de
Castille, et Pierre IV d'Aragon.
AL3IEES. On appelle ainsi en Orient une classe de
femmes assez semblables aux bayadères de l'Inde, et
formant, comme celles-ci, une espèce de corporation de dan-
seuses , de cantatrices et de musiciennes, auxquelles l'ima-
gination des poètes peut bien prêter des attraits aussi vifs
que puissants, mais qui vues de près n'inspirent que
la pitié et le dégoût. Appelées chez les grands, elles font
les délices de leur société intime avec leurs danses , qu'elles
savent animer par le chant et par le bruit des instru-
ments , et qui , comme celles des bayadères , sont plus
que voluptueuses. En effet , avant de se livTer à cet exer-
cice, qui finit par devenir très-violent en raison de sa durée
et de sa vivacité , elles déposent leurs longs voiles ; une
robe légère cache à peine leurs charmes ; à mesure qu'elles
se mettent en mouvement , les formes et les contours de
leur corps se dessinent avec plus de vérité, et bientôt,
oubliant toute retenue , elles s'abandonnent aux transports
d'une mimique chorégraphique dont le cynisme est parfaite-
ment d'accord avec leurs mœurs dissolues et leurs habi-
tudes de débauche. Ces sortes de spectacles ont toujours
été en possession de charmer les Orientaux, parmi lesquels
un vieil usage veut que les aimées soient l'âme de toutes
les fêtes et réjouissances de famille, telles que celles qui
célèbrent une naissance , un mariage. Au reste, les aimées
figurent également dans les cérémonies funèbres , oii elles
jouent le rôle de pleureuses.
ALMEIDA. Une des plus importantes forteresses du
Portugal , dans la province de Beir'a , près de la frontière
espagnole ; elle est située sur la Coa ; sa population est
d'environ 3,000 habitants. En 1762 les Espagnols s'en em-
parèrent , après avoir essuyé de grandes pertes ; à la paix,
la place fut rendue aux Portugais. En 1813, à l'époque où
le maréchal Ncy se disposait à pénétrer dans le Portugal ,
le général anglais Coco défendit Almeida contre le maré-
chal Masséna depuis le 24 juin jusqu'au 27 août , où il fut
obligé de capituler. Lorsque Masséna quitta le Portugal ,
l'évacuation d'Almeida lui coûta un combat meurtrier de
trois jours contre Wellington , à Fuentès d'Onoro. A
la suite de cette action, le général Brenier fit sauter les
fortifications* d'Almeida , et se fraya un passage à travers,
les assiégeants. Les Anglais ont rétabli depuis les fortifica-
tions de cette place.
ALME3IARA, petite ville située à peu de distance de
Lérida , et célèbre par le combat que les trouprs de Phi-
lippe V y soutinrent, le 27 juillet 1710 , contre celles de
l'archiduc , son compétiteur au trône d'Espagne. Les Au-
trichiens y eurent l'avantage ; cependant l'affaire ne lut
point décisive. Favorisées par la nuit , les troupes de Plu-
400
ALMENARA — AL-MOHADES
lippe V, que l'armée de rarchiduc avait mises en déroute ,
purent se rallier sous les miu-s de Lérida ; et cette affaire ,
qui coûta aux vainqueurs quatre à cinq cents hommes , et
sept ou huit cents aux vaincus , fut le prélude de la bataille
de Saragosse, où cette fois l'archiduc battit complètement
son rival.
ALMICAKTARAT ou ALMUCANTARAÏ Ce mot,
dérivé de l'arabe , désigne des petits cercles de la sphère
parallèles à l'horizon. Ainsi les nlmicanfarat* sont situés
relativement à l'horizon comme les parallèles par rap-
port à l'équateur, et , de même que les centres des paral-
lèles sont sur la droite qui joint les pôles de la sphère , les
centres des almicantarats sont sur la verticale qui joint le
zénith au nadir. Il s'ensuit que tous les points de la cir-
conférence d'un même almicantarat sont à la même hauteur
au-dessus de l'horizon; c'est pourquoi on appelle encore ces
cercles , parallèles de hauteur, cercles de hauteur. —
Deux étoiles étant connues , leur passage par un même al-
micantarat peut servir à déterminer l'heure.
ALMODOVAR (Don Ildefonso DtAZ de Rihera,
comte d'), ancien ministre espagnol, né à 'Valence, fut élevé
à l'école d'artillerie de Ségovie. Lorsque éclata la guerre de
l'Indépendance, en 1808, il était lieutenant dans un régi-
ment d'artillerie , et fut grièvement blessé à la défense d'O-
livenza. Au retour de Ferdinand YII , soupçonné d'être
affilié à l'ordre des Francs-Maçons , il fut plongé dans les
cachots de l'inquisition h Valence, et n'en sortit que grâce
à la révolution de 1820. La contre-révolution opérée en 1823
l'obligea à venir chercher un asile en France contre la ter-
reur organisée à cette époque par la réaction victorieuse ,
et il ne rentra dans sa patrie qu'à l'époque où mourut
Ferdinand VII. Il fut alors appelé à la présidence des
cortès récemment convoquées par Martinez de la Rosa ,
puis, en 1834, promu au grade de maréchal de camp. Ca-
pitaine général de Valence sous l'administration de To-
reno , avec qui il avait eu antérieurement d'assez vives dis-
cussions , un mouvement populaire le contraignit à se
mettre à la tête de la junte de cette ville. Comme d'ail-
leurs il appartenait à l'opposition , Mendizabal le fit plus
tard ministre de la guerre ; fonctions auxquelles la faiblesse
de sa santé ne tarda pas à l'obliger de renoncer. Nommé
député aux cortès après les événements dont la Granja fut
le théâtre en août 1836 , il accepta encore une fois le porte-
feuille de la guerre sous l'administration de Calatrava, et
fut pendant quelque temps président par intérim du con-
seil des ministres. ]\Iais le mauvais état de sa santé l'oyant
de nouveau contraint de s'abstenir des fiitigues qu'entraînent
les emplois administratifs , il reprit sa place dans l'assem-
blée des cortès. Nommé plus tard sénateur par la régente,
Espartero l'appela encore une fois, vers la fin de 181 1, à
la |)résidence des cortès, et en juin 1842 il le chargea du
porleleuille des affaires élrangôres, qu'ldiit (iiitter à la
chute (lu régent Esparleroen 1843. Le comte d'Almodovar,
homme de manières brillantes et polies, d'un caractère
doux et conciliant , ne possédait qu'à un très-faible degré
les qualités qu'on e\ige d'un homme d'État. Il est mort à
Valence en février 1S4G.
AL-MOIIADES ou AL-MO'WAHIDES, dérivé du mot
arabe al-mowahedoun , qui signifie ?<H/^flh-e.ç, ceux qui ne
reco7inaissent qu'un Dieu. C'est le nom d'une puissante
dynastie, qui a régné sur toute l'Afrique septentrionale (l'E-
gypte exceptée) et sur la moitié de l'Espagne. Elle eut pour
fondateur un fanatique novcmxé Mohammed Ben-Toumert,
né dans les environs de Sous, en Mauritanie, et qui se disait
issu de Mahomet par Ali et Housséin. Après avoir étudié la
philosophie et la théologie à Ragdad, il revint dans sa pa-
trie, prêchant dans les villages, et s'arrêta dans un bourg
près de Tlémccen, où il se lia avec Abd-el-Moumen, qu'il
associa depuis à son apostolat. Couvert de haillons, il décla-
mait contre les idolâtres et contre les chrétiens, auxquels
il reprochait le dogme de la Trinité ; il s'érigeait en réfor-
mateur des mœurs comme des doctrines religieuses, brisant
partout les instruments de musique et renversant le vin. De
Fez il osa venir à Maroc, pour y propager ses principes sé-
ditieux, reprocher au roi Ali ses défauts, et disputer publi-
quement avec les docteurs de Maroc, qu'il confondit par son
éloquence. Mais, comme il s'attribuait le don de prophétie,
et qu'il prédisait la chute prochaine de la dynastie régnante
(les Al-moravides), le vizir, démêlant les vues ambi-
tieuses de Ren-Toumert, conseilla au roi de le faire périr ou
de s'assurer de sa personne ; mais Ali, par un acte impoli-
tique de clémence , se contenta de l'exiler. Retiré sur une
montagne, ce fanatique prit le nom d'Al-Mohadij (direc-
teur ), se donnant ainsi pour le douzième desimans réputés
légitimes par les schyitcs.
La valeur personnelle n'est pas moins nécessaire que l'é-
loquence à un chef de parti ; elle manquait à Mohady. Le
chef de ses disciples, Abd-el-!SIoumen, possédait cette qua-
lité. C'est de l'an de l'iiégire 515 (1121 de J.-C. ) que date
le commencement de la puissance des Almohades. Ses pro-
grès furent si prompts , que le roi de ISIaroc en prit enfin
l'alarme ; mais la défaite de son armée accrut la force et l'au-
dace des rebelles; des tribus entières accoururent dans le
camp de INIohady. Craignant que dans cette muhitude
d'hommes_il ne se trouvât des traîtres, il ne se borna plus
aux fonctions d'apôtre, il osa imiter Dieu. A la suite d'une
revue générale de son armée, il fit passer è sa gauche, comme
enfants de l'enfer, ceux qui lui parurent suspects, et or-
donna qu'on les précipitât dans un ravin. Quant aux autres,
il les fit placer à sa droite et leur donna le nom d'/lZ-mo-
ivahcdoun. Après avoir conquis les provinces voisines de
l'Atlas, et celles du midi jusqu'à Aghmat, il se crut en état
d'attaquer le roi de Maroc jusque dans sa capitale. Mais son
armée fut mise en déroute', et l'un de ses deux premiervS
généraux fut tué. Mohady était mourant lorsqu'il apprit ce
revers ; il remercia Dieu de lui avoir conservé Abdel-Mou-
mcn, et il exi)ira après avoir déclaré ce dernier émir des
fidèles et l'avoir fait reconnaître pour son successeur. Un
seul trait donnera une idée de la fourberie machiavélique
de cet ambitieux. Persuadé qu'il avait besoin de prestige
pour affermir sa puissance, il fit enterrer vivants, après
une bataille, quelques-uns de ses sectateurs, en leur lais-
sant de l'air au moyen d'un tuyau. Il leur avait préalable-
mont dicté la réponse qu'ils avaient à faire lorsqu'on les
interrogerait, et leur avait promis de brillantes récompenses
s'ils exécutaient ponctuellement ses ordres. Il conduisit alors
sur le champ de bataille les chefs des tribus et de l'armée,
et leur dit d'interroger leurs frères morts sur la réalité de
ses prédictions et de son crédit auprès de Dieu. Les hommes
cachés répondirent aussitôt : « Nous jouissons des récom-
penses célestes pour avoir embrassé et prop gé par les
armes la doctrine de l'unité de Dieu : combattez donc, à
notre exemple, les .■M-Moravides, et comptez sur les pro-
messes de notre maître. » A peine ces faux oracles avaient
fini leur rôle, que Mohady, pour prévenir leur indiscrétion,
les fit ctoufl'er en bouchant le tuyau.
ABn-EL-MoiMEN, fondateur de la dynastie héréditaire des
Al-Mohades, commença son règne en 524 ( 1120 ). Nous lui
avons consp.cré un article particulier.
YousouF II, fils et successeur d'Abd-eî-Moumcn, marcha
."^ur .ses traces, sans imiter sa cruauhé. 11 se distingua par
plusieurs actes de clémence, pardonna généreusement à deux
de ses frères, qui avaient refusé de le reconnaître, l'un à
Cordoue, l'autre à Rougie, et ne prit le titre d'émir des
fidèles que lorsqu'ils se furent soumis. Il apaisa la révolte
d'un faux prophète qui avait fait soulever les tribus de
Sanhadjah et de Gomara. Secondé par ses frères, il étouffa
tous les ferments de discorde dans les diverses parties de
son empire. En Espagne, Moliammed-Ren-Mandenisah, roi
de Valence et de Murcie, résistait aux Al-Moliades, avec le
secours îles chrétiens; \aincu, l'an 1165, par un frère de
Yousouf, il penlit Valence ea 1172, et mourut la même
année à Majorcpie, où il s'était retiré. Le monarque africain,
en épousant leur sœur deux ans après , obtint des frères de
cette princesse la cession d'Alicante, Murcie, Cartliasènc et
autres places que leur père avait possédées. Yousouf rem-
porta de grands avantages sur les chrétiens, enleva Tarra-
gone et ravagea la Catalogne. Pendant un séjour de quel-
ques années à Séville, il y fonda plusieurs monimients
somptueux, et il fit acliever Gibraltar. 11 périt mallieureu-
sementdans une expédition en Portugal, l'an 1164, après un
règne fortuné de vingt-deux ans.
Yacoib-al-Mansoir, son fils, maintint la gloire des Al-
Mohades, et mourut l'an 1199. Voyez Almanzor.
Mohamed Al-Nasseu Ledi.n'Allao, fils et successeur de
Yacoub, monta sur le trône après son père. Ce prince,
dont les historiens orientaux font des portraits tout à fait
contradictoires, tant au moral qu'au physique, paraît avoir
eu pour principal défaut un caractère faible et irrésolu, qui
le rendit le jouet de ses ministres. Après avoir enlevé Meha-
diah et plusieurs provinces d'Afrique à Yalùa, l'un des der-
niers rejetons de la race des Al-Moravides, et avoir forcé ce
prince vaincu à se retirer dans le Saharah , il envoya d'Al-
ger une puissante flotte qui s'empara des îles Baléares, dont
le dernier roi, Ali, frère de Yahia, M pris dans ISIajorque,
et misa mort. Ce dernier revers des Al-Moravides fut aussi
le dernier triomphe des Al-Mohades. Alphonse VIII, roi
de Castille, fatigua les musulmans d'Espagne par ses incur-
sions et ses ravages. jNIohammed ambitionna la gloire d'être
leur vengeur et d'éch'pser ses prédécesseurs. A sa voix six
cent raille hommes accoururent de toutes les parties de l'A-
frique. Il débarque à Tarifa en 1210. La chrétienté s'alarme.
Alphonse IX, roi de Léon, vient à Séville se soumettre au
khalife ; mais les rois de Castille, de Navarre et d'Aragon,
secondés par les secours que Rodrigue, archevêque de To-
lède , leur procure de France et d'Italie, s'emparent de Ca-
latrava. Le gouverneur, qui, abandonné à ses propres forces,
ne s'était rendu qu'à l'extrémité, fut arrêté et mis à mort
par ordre de Mohanuned. Cette injuste et impolitique sévé-
rité excita un tel mécontentement dans l'armée, qu'il fallut
en Ucencier une partie. I\Iohammed s'était faiblement dédom-
magé par la prise de Zurita, qui lui coûta des pertes énormes,
lorsqu'il rencontra l'armée chrétienne dans les plaines de
Tolosa, en 1212. Là se donna la fameuse bataUle qui assura
pour jamais aux chrétiens la prépondérance sur les musul-
mans. Mohammed y laissa, dit-on, cent cinquante ou deux
cent mille hommes, et fut contraint de prendre la fuite.
Honteux de sa défaite, il s'en vengea à Séville sur les chefs
des troupes andalouses, qui avaient lâché pied, et il alla se
plonger dans les délices de son palais de Maroc, où il
mourut l'année suivante. — Après le règne de Mohammed,
les Al-Mohades s'éteignirent en Espagne en 1257, et en
Afrique l'an 12G9. Édris II Abou-Dabbous , quatorzième
prince de la dynastie des Al-Mohades, en fut aussi le dernier
représentant. Cette dynastie avait régné cent quaranle-huit
ans en Afrique, et environ quatre-vingts en Espagne.
H. AUDIFFRET.
ALMOXACID (Bataille d' ). Le 11 août 1809, Vé-
négas, chef des troupes espagnoles, qui venait d'être battu
dans différentes escarmouches , avait été forcé de se replier
sur Almonacid de Zorila ( bon i^ d'Espagne, à trente et un
kilomètres sud-est de Guadalaxara ) , où il avait pris une
excellente position, lorsque le général Sébastiani vint le
forcer à la quitter et battit les dix mille Espagnols qui la
défendaient. Pendant ce temps toute ia réserve de l'armée
française était arrivée, et une attaque générale fut résolue.
Les forces réunies des Espagnols, des Portugais et dos An-
glais s'élevaient à cent cinq mille hommes : les Anglais étaient
commandés par Wellington ; les Français ne comptaient que
quarante mille comballanls. L'action s'engagea ; les positions
DICT. DE LA C0NVER8. — T. 1.
AL-MOHADES — AL-MOR AVIDES 401
espagnoles furent abordées et enlevées avec une rare intré-
pidité ; les Espagnols , chassés dans la plaine, tentèrent ea
vain de se rallier ; Vénégas eut trois mille hommes tués et
quatre mille prisonniers ; il perdit quarante pièces de ca-
non et environ deux cent cinquante chariots de munitions et
de bagages. Pendant ce temps Wellington, resté à huit lieues
de ce champ de bataille, ne songeait pointa ses alliés et
s'applaudissait d'une mince victoire sans conséquence sé-
rieuse. — Le résultat de la bataille d'Almonacid lut la ren-
trée du roi Joseph dans Madrid et la répression momentanée
de l'insurrection espagnole.
AL-iMORA VIDES ou AL-MORABIDES, puissante dy-
nastie qui a régné sur une grande partie de l'Afrique et de
l'Espagne. Ce nom , emprunté aux Espagnols , dérive du
mot arabe al-morabethoun , pluriel de morabeth ou ma-
rabouth, qui signifie sentinelle et, par extension, ceux qui
veillentà la gloire de Dieu et de la religion {.voyez Maraboiti)
Les premiers Al-Moravides étaient des Arabes qui , ve-
nus originairement de l'Yémen en Syrie , passèrent ensuite
en Egypte , puis en Libye , et s'avancèrent jusque dans la
Mauritanie Tingitane, où, pour ne pas se mêler avec les in-
digènes , ils s'établirent dans le désert de Saharah , y for-
mèrent plusieurs tribus , et finirent par y oublier presque
entièrement les dogmes et les rites de l'islamisme. Vers
le miheu du onzième siècle , l'un d'eux , Djauher. entreprit
de ramener ses compatriotes à la pureté de la foi musul-
mane. De retour du pèlerinage de la Mecque et de Médine,
il prit avec lui , à Kairowan , un docteur berbère nommé
Abd-Allah-Ibn-Yasm, et l'associa à ses travaux apostoliques.
Ils persuadèrent aisément aux Lamthouniens, l'une des prin-
cipales tribus du désert, d'adopter la prière, le jeûne et
l'aumône , prescrits par le Coran ; mais quand ils voulurent
les détourner du vol, du meurtre et de l'adultère, ils se firent
chasser. Plus heureux parmi les autres tribus, non-seule-
ment ils les soumirent à leur doctrine , mais ils les déter-
minèrent à la propager par les armes. Abd-Allah refusa le
commandement , parce qu'il était dépourvu de talents mili-
taires ; Djauher s'en excusa par modestie et désintéresse-
ment. Les deux réformateurs des Berbères l'offrirent alors
à Abou-Bekr-lbn-Omar , chef des Lamthouniens, à condi-
tion qu'il embrasserait la réfoixne , et que par son exem-
ple et son autorité il convertirait les tribus récalcitrantes.
Leur espoir ne fut pas trompé : une foule de gens ignorants
et grossiers embrassèrent l'islamisme, et s'appliquèrent avec
succès à l'étude du droit écrit et sacré. Djauher, jaloux du
crédit de son collègue , et regrettant d'avoir cédé le pou-
voir à Abou-Bekr, entreprit de s'en ressaisir ; il échoua, fut
condamné à mort dans une assemblée générale , et subit
son supplice avec une résignation exemplaire.
Abd-Allah-Ibn-Yasin conserva toujours la prépondérance,
comme chef suprême de la religion et dépositaire des au-
mônes et des tributs. C'est de la défaite et de la mort du
roi Masoud, de la tribu des Zénates , et de la prise de Sed-
jelmesse , sa capitale , l'an 448 de l'hégire ( 1056 de J.-C. ),
que date le commencement de la dynastie des Al-Moravi-
des ; on les a aussi nommés Al-Molathemin (voilés), parce
qu'ayant fait combattre leurs femmes dans un cas pressant,
ils s'étaient, comme elles, couvert le visage, afin que l'en-
nemi ne put distinguer les deux sexes. Abd-Allah était
maître du désert, de Sous, et d'Aghmat, dont il avait fait sa
capitale, lorsque, blessé dans une bataille contre la tribu des
Bergavates, il mourut, vers l'an 451 (1059), après avoir
confirmé l'élection de son successeur.
Abou-Bekr-Ibn-Omar fut reconnu en qualité ^émir al
moslemin (prince des musulmans ). Il poursuivit ses con-
quêtes, reprit Tedla et Sedjelmesse; mais des troubles sur-
venus dans le Saharah le déterminèrent à confier le gou-
vernement de la Mauritanie, en 4G2 (1070), à son neveu
Yousouf-lhn-Taschfyn, pour aller combattre les rebelles. Il
soumit toutes les tribus du désert , et étendit sa domina-
51
402
AL-MORAVIDES — ALOÈS
tion jusque sur la moiitagnc d'Or en Nigritie. 11 périt en
1087, blessé par une (lèche empoisonnée.
Yolsoi;f-Ib\-Taschfy>, le plus célèbre et le plus puis-
sant prince de la dynastie des Al-Moravides, en est généra-
lement regardé comme le fondateur, et l'on fait même com-
mencer son règne à l'année 1070. Trois ans auparavant, il
avait jeté les fondements de Maroc , et travaillé lui-même
à la construction de la plus ancienne mosquée de cette ville,
où il établit sa résidence royale. 11 prit Fez en 1069, et mit
fin à la dynastie des Zenutes ou Zéirides , qui avaient régné
cent ans sur la Mauritanie. Yousouf assiégeait Tanger et
Ceuta, lorsqu'il fut invité par Motemed-Ben-Abad, roi de
Séville, à secourir les princes musulmans d'Espagne, qui,
divisés entre eux, étaient hors d'état de résister aux chré-
tiens. Il difiéra de se rendre à ses désirs jusqu'à ce qu'il eiit
affermi sa puissance en Afrique ; et comme la possession
de Tanger et de Ceuta lui était nécessaire pour traverser le
détroit, il se fit aider par la Hotte du roi de Séville pour
s'emparer de ces deux places en 1078 et 1084. Dans cet in-
tervalle, il poussa ses conquêtes jusqu'à TIémecen, Oran et
Alger. Cependant la prise de Tolède par Alphonse , roi de
Castille, et l'arrivée du roi de Séville à Ceuta, décidèrent
Yousouf à passer en Espagne. Après s'être fait céder Al-
gé>iras par ce prince, il y débarqua, en 1086, avec une armée
brillante, à laquelle se joignirent les troupes de Séville , de
Murcie, de Grenade, de Valence et de Badajoz, et il remporta
près de cette dernière ville la fameuse victoire de Zaleka sur
les chrétiens. Il retourna aussitôt après en Afrique, laissant
ses troupes en Espagne pour y aider les princes musulmans ;
mais la désunion qui continuait de régner entre eux, et les
instances du roi de Séville, qui n'aspirait qu'à réunir sous
sa domination tous ces petits États, excitèrent l'ambition
de Yousouf, et le rendirent peu délicat sur le choix des
moyens delà satisfaire. Il revint dans la Péninsule en 1090,
et dans l'espace de douze ans il s'empara, par ti^ahison el
par la force des armes, de Malaga, <ie Grenade, de Murcie,
de Cordoue, de Séville, d'Alraeria, de Badajoz, de Valence,
en un mot de tout ce qui restait aux musulmans dans la
Péninsule, à l'exception du royaume de Saragosse. Il retint
dans les fers les rois de Grenade et de Séville, et fit périr
celui de Badajoz ; il revint pour la dernière fois en Espagne
en 1103, et, charmé de la beauté de ses nouveaux États, il
en visita toutes les provinces ; mais, affaibli par son grand
âge et par les fatigues de la guerre, il se fit transporter à
Maroc, où il mourut, âgé de cent années lunaires, l'an 1106.
Ali , son second fils, fut reconnu pour souverain en Afri-
que et en Espagne. Son frère aîné , Terain , qui gouvernait
l'Espagne, obtint plusieurs avantages sur les chrétiens. Ali,
lui-même , enleva au roi de Castille plusieurs places dans le
royaume de Tolède , et s'empara de Coïmbre et de ([uel-
ques autres villes de Portugal. Ses généraux lui soumirent
temporairement Saragosse et les îles Baléares. Ce furent les
derniers succès de ce prince. La révolte de Mohammed-al-
Muhady,qui le retint en Afrique pendant les vingt-deux der-
nières années de son règne , y ébranla la puissance des Al-
Moravides. La mort de son frère Teniin l'obligea d'envoyer
en Espagne son propre fils Taschfyn, dont la valeur y sou-
tint pendant douze ans la gloire des Al-Moravides. Mais ce
jeune prince, rappelé à Maroc par son père, qui luttait
vainement contre la fortune des Al-Mohades, n'éprouva
aussi que des revers. Le chagrin que ressentit Ali de l'issue
malheureuse d'une guerre qu'il soutenait depiiis si long-
temps contre les rebelles le conduisit au tombeau , l'an
1143, après un rogne de trente-sept ans. Ali fut un prince
juste et clément ; mais il manquait des talents et de la fer-
meté si nécessaires aux monarques dans des circonstances
difficiles.
TAScnFYN fut encore plus malheureux que son père. Pen-
dant que les Al-Moliades lui enlevaient, les unes après les
autres, les provinces (le la Mauritanie, ses Étals en Espagne
devinrent la proie de l'anarchie et furent exposés aux inva-
sions des princes chrétiens. Forcé de laisser la défense de
Maroc à son jeune lils Ibrahim , et celle de Fez à son frère
Cahia , Taschfyn , au moyen des secours qu'il reçut de
Bougie et de Sedjelmesse , tenta un dernier effort. Vaincu
près de TIémecen, il se jeta dans cette place; mais, informé
qu'Oran était menacée, il vola à la défense de cette ville,
d'où il espérait pouvoir faire voile pour l'Espagne. Il y fut
assiégé , et ayant fait une sortie , il tomba avec son cheval
dans un précipice ou dans la rner, et fa tête fut portée au
vainqueur. L'année suivante (114G), Maroc fut pris, et son
fils Ibrahim tomba entre les mains d'Abd-el-Moumen , qui
le fit périr. En lui finit la dynastie des Al-Moravides, qui hit
remplacée par celle des Al-Mohades.
AL-MOWAHIDES. Voyez Ai.-Mohades.
ALOÉES, ou AIRÉENNES, fête en l'honneur deCérès
et de Bacchus. Elle durait plusieurs jours. On la célébrait,
selon les uns, au mois de poseldon (décembre) ; selon d'au-
tres, au mois hécatombéon ( juillet ) ; il y avait un jour, sui-
vant Corsini,oùil n'était permis qu'à des prêtresses d'exer-
cer les fonctions sacrées. On portait à Eleusis les prémices
des aires et de la vendange , suivant que la fête avait lieu
en juillet ou en décembre; car il paraît qu'il y en avait deux.
C'était probablement dans cette fête qu'on chantait les iules,
ou dérnétrales, dont il est parlé dans Athénée.
ALOES 9 genre de plantes de la famille des liUacées, tribu
des aloénées. On en compte plus de trente espèces , re-
marquables en général par l'épaisseur charnue de leurs
feuilles , par la forme singulière de quelques-unes d'entre
elles, et surtout par la beauté de leurs épis de fleurs , dont
les couleurs différemment nuancées produisent un très-bel
effet dans un jardin. Les aloès sont origmaires de l'Afrique
et de l'Inde.
On désigne aussi sous le nom A\doès le suc épaissi ou
l'extrait des plantes de ce nom, en particulier celui de Va-
loe spicata et de Valoe per/oliata , qu'on débite dans le
commerce pour l'usage de la médecine. Le suc épaissi ou
l'extrait d'aloès est une substance d'une odeur nauséabonde
et d'une saveur très-amère. On la tirait autrefois des Indes
Orientales et de l'île de Soccotora ; de là le nom di'aloès
S2iccotrin donné à la meilleure des trois espèces connues dans
lo commerce. Aujourd'hui l'aloès vient en grande partie de
l'Amérique , de Bombay et du Cap.
On emploie différents procédés pour la préparation de
l'aloès : dans l'un on exprime tout le suc de la plante, après
l'avoir pilée ; on le laisse déposer dans un vase pendant une
nuit , puis on le décante. On expose ensuite la portion dé-
cantée au soleil dans des espèces d'assiettes, et on la réduit
ainsi à consistance d'extrait ; le sédiment du premier vase est
desséché à part et regardé comme un aloès de qualité infé-
rieure ; il n'est employé que dans la médecine vétérinaire : on
l'appelle aloès caballin. Dans un autre procédé, on coupe la
pointe des feuilles de la plante , qu'on suspend sens dessus
dessous , et le suc s'écoule spontanément peu à peu dans
des vases appropriés ; ce suc est filtré et évaporé ensuite
à une douce chaleur, et il devient peu à peu si dur qu'on
peut le réduire en poudre.
La première qualité d'aloès, ou Valoès succotrin, a ime
odeur aromatique , et est d'un brun foncé quand il est en
masse, et d'un jaune doré quand il est en poudre; la se-
conde qualité se reconnaît à sa couleur rouge foncé, qui
se rapproche de celle du foie : de là son nom d'aloès hépa-
tique. C'est celui qu'on rencontre ordinairement dans les
pharmacies. La troisième espèce , qui est très-impure , est
Valoès caballin.
L'aloès est considéré comme une sorte de gomme-résine,
parce que les principes qui le composent se dissolvent dans
l'eau bouillante et l'alcool. Les vertus thérapeutiques de
l'aloès le font considérer comme tonique, écliauflant et for-
tifiant, ainsi qiie tous les amers; en outre, on reconnaît à
ALOES — ALOPEUS
403
^alo^s une action purgative qui se dt*clare iuiil à (luiiizo
heures après l'ingestion ; quelques médecins lui attribuent
I n nuMne temps la fiiculté il'aiiir sur le foie et ilo déi^orger
la bi!e; et d'autres, celle d'engorger les vaisseaux abdomi-
naux, en particulier les hémorrlioïdaux et utérins, et de dé-
gorger les vaisseaux céplialiques. En conséquence , on pres-
crit l'aloès: 1" comme tonH]ue de l'estomac, dans la dys-
pepsie ; 2° comme purgatif dans les constipations habituelles ;
3° comme cmménagogue ; 4° comme laxatif du foie dans
l'ictère ; 5° comme révulsif ou dérivatif dans les congestions
sanguines du cerveau , des yeux , des oreilles , etc. —
Comme tonique et stomachique , l'aloés peut se donner à
la dose de deux à cinq centigrammes (un demi-grain à un
grain) par jour; connue purgatif et sous (orme pilulaire, à
la dose de dix à trente centigrammes (deux à six grains).
On prépare avec l'aloès une foule d'clixirs, de teintures,
de pilules, qu'on débite dans le commerce sous des noms
divers : c'est ainsi qu'il entre dans la composition des
grains de santé du docteur Frank , dans les pilules de
lîontin , d'Anderson , etc.
ALOÈS (Boisd'). T'oycr- AnxLLCcnE.
ALOÈS PITTE , ou AGAVE PITTE. Voyez Agave.
ALOGIEXS , hérétiques qui , au onzième siècle de
l'ère chrétienne , niaient que Jésus-Christ fût le Verbe ; ce
qui les portait à rejeter i'Évangile de saint Jean et l'Apo-
calypse , comme faussement attribués à cet apôtre. Leur
nom d'ologiens a été formé de l'a privatif des Grecs , et
du mot loyo; , verbe , discours. On les appelait aussi be-
rylliciis , du nom de Bérylle , évèque arabe , l'un de leurs
docteurs ; et théodotlens . de Théodote , simple corroyenr
de Byzance , qui fut un de leurs chefs. L'hérésie des soci-
n'iens a beaucoup de rapports avec celle des aloglens.
ALOI, du latin ad legem (selon la loi), titre de l'or
et de l'argent. Une monnaie est de bon aloi quand la ma-
tière est au titre de l'ordonnance; elle est de bas ou de
mauvais aloi quanJ elle n'a pas le titre qu'elle devrait
avoir. — Par extension, aloi indique aussi la qualité d'une
chose ou d'iuie personne : on dit une marchandise de bon
ou de }nauvais aloi , et un homme de bas aloi , pour un
honuKC d'une extraction, d'une condition , d'une prbfession
vile et méprisable.
ALOÏDE (du grec h::>^t\, aloès ; £î5o;, ressemljlauci^),
espèce de plante du genre stratiofes, qui vit en Europe
•dans les étangs , les canaux et les ri%ièrcs. Cette plante
pousse du collet de sa racine de longues fibres blanches ,
qui paraissent être autant de tiges souterraines , et qui ne
sont fixées au fond des eaux que par leur cxtréniité, munie
d'une touffe chevelue. C'est à l'aide de ces longues fibres
que la plante porte à la surface ses feuilles réunies en
touffes, longues d'en-, iron un pied, presque en lame d'épée,
et garnie; à leurs bords de petites dents épineuses. Du
cenfrc de ces feui:!es s'élèvent une ou plusieurs hampes
terminées chacune par une fieur blanche, pourvue 'd'une
vingtaine d'étamines. Le fruit , qui est i:ne baie charnue ,
mûrit sous l'eau. Il s'échappe aussi du collet de la racine
des fibres semblables aux premières , qui tendent à gagner
le fond de l'eau pour s'y enraciner et produire un nouveau
sujet. S'il arrive que les racines se détachent , la plante
Hotte à la surface en continuant à végéter. L'aloide pré-
: ente en miniature , au milieu des eaux , le port de l'aloès ;
et c'est cet aspect qui lui a valu son nom. Les anciens lui
attribuaient des vertus vulnéraires; mais elle est inusitée
dans la médecine moderne.
ALOïDES. On appelle ainsi, dans la mythologie, Ofus
<'.t Éphialte, fils d'Iphimédée et d'Aloée, son époux, selon
!es uns, ou de Neptune, selon les autres. Ceux(iuiado])lent
cette dernière version disent que ces fameux géants reriurent
le .surnom d'Aloides de ce f|u'ils furent élevés par Aloce
( Moens ou Aloiis ), fils de Titan et de la Terre, qui épousa
leur mère. Fiers de leur force, Otus et Kphialie entreprirent
de détrôner Jr.piter, et pour y parvenir ils entassèrent Ossa
et rélion sur l'Olympe. Mars, ayant voulu s'opposer à leurs
projets , fut blessé par eux , et retenu prisonnier dans une
tour d'airain. Jupiter les foudroya et les précipita dans le
Tartare, félon Homère; Pindare les f;dt tuer à Naxos par
Apollon , et Pausanias dit qu'on leur éleva un tombeau à
Anthédon en Béotie.
ALOm.VNClE. Voyez Halomancie.
ALO\ZO. Voyez Alphonse.
ALOPî-<^IE , chute des cheveux par l'effet d'une ma-
ladie; mot qui. vient du grec àÀwTir,? , rc«orrf, parce que
cet animal perd fréquemment ses poils dans la vieillesse. Il
ne faut pas confondre l'o/o/Jecie avec Xa calvitie ,qyà
ne doit s'entendre que de la perte des cheveux par l'effet
de l'âge, et n'offre, comme on le pense bien, aucune res-
source. On connaît quelques exemples d'individus affectés
d'une alopécie congéniale , ou , pour mieux dire , nés com-
plètement dépourvus de poils et de cheveux. Quant à l'a-
lopécie accidentelle , elle n'atteint ordinairement que le cuir
chevelu ; cependant on observe quelquefois aussi la chute
complète des poils de toutes les parties du corps. Saucerotte
père cite l'exemple curieux d'un individu qui se trouva
ainsi complètement dénudé à son réveil, après s'être couché
bien portant. Les causes de l'alopécie sont directes ou indi-
rectes. Les premières, qui agissent immédiatement sur. le
cuir chevelu , sont les affections dartreuses , la malpropreté,
l'application de substances irritantes dans le but de se
teindre les cheveux, etc. Parmi les secondes, on compte
principalement l'infection syphilitique, le scorbut, la fièvre
typhoïde , les couches laborieuses , les maux de tète habi-
tuels , l'abus des plaisirs de l'amour, un état d'épuisement
profond. L'alopécie est ordinairement incurable quand les
bulbes sont détmits , comme à la suite de certaines teignes ;
mais s'ils ne sont qu'enflammés, les cheveux repoussent
facilement, sous l'influence d'un traitement approprié. Si la
peau est sèche , écailleuse , il faut avoir recours à des cata-
plasmes de son , à des embrocations avec l'huile d'amandes
do-ùces. Si, au contraire, elle est flasque, pâteuse, on em-
ploiera un Uniment savonneux , des décoctions de feuilles
de noyer , de qv.inquina , de vin de sauge. Dans les cas de
maladie générale, il est évident que le traitement local
serait sans aucun effet, si l'on ne combattait e-n même
temps la cause première de l'alopécie. A la suite des ma-
ladies graves, il faut non-seulement rétablir les forces par
un régime convenable , mais aussi favoriser la reproduction
des cheveux en faisant raser la tète une ou plusieurs fois
à m,esure qu'ils repoussent : c'est le cas d'employer la
pommade au quinquina, dite de Dupinjtrcn. Ajoutons
qu'on ne doit ajouter qu'une très-médiocre confiance aux
propriétés merveilleuses de cette foide de préparations à
la faveur desquelles le charlatanisme exploite la crédulité
publique. ^ D-- Saucekotte.
ALOPEUS. Deux frères de ce nom ont acquis une cer-
taine célébrité dans la diplomatie russe.
VdAxxé, Maximilien Aloi-kis, naquit le 21 janvier 1748,
à \Mborg (Finlande), où son père était archidiacre. Il fit
ses études à Abo, puis à Gœttingue, pendant les années 1767
et 17G8. A l'âge do vingt ans, il fut employé au département
des affaires étrangères à Pétersbourg. Le chancelier de l'em-
pire , comte Ostermann, le nomma directeur de la chancel-
lerie. Alopéus conserva cette place sous le ministère du
comte Panin. En 1788 il fut envoyé comme ministre de Rus-
sie à la cour d'Holstein-Eutin. Catherine II le chargea de
Iilusiours missions fort délicates, dont il s'acquitta av>^c ha-
liileîé. Ce fut par ses mains que passa la correspondance
privée du grand-duc Paul avec Frédéric le Grand. En 1790
il fut nommé ambassadeur à Berlin, où il resta jusqu'en 1796 ;
après cola il passa au cercle de l'asse-Saxe en qualité d'en-
voyé de Russie, puis en la même qualité près de la diète
de Ratisbonne. En 1802 il fut choisi une sccomic fois par
404 ALOPEUS
8?. cour pour rainbassadc de Berlin. En ISOG il fut en-
voyé auprès du roi de Suède , pour rcnsaj;or à retirer ses
troupes du dutlié de Laiienbourg, puis il reçut une mission
confidentielle pour Londres. Ce fut là le terme de sa car-
rière dii)lomatique. Pour rétablir sa santé , il vécut quelque
temps dans l'Allemagne méridionale , et en dernier lieu à
Francfort-sur-kvMain , où il mourut, le Ic mai 1822. Alo-
péus a da sa fortune uniquement à ses talents , à son acti-
vité et à la fermeté de son caractère. 11 a laissé des mémoires
renfermant des documents importants sur les grands évé-
nements auxquels se rattachent les travaux de la diplomatie
pendant un demi-siècle.
Lavid Aloi'Éus, son frère cadet, né en 17G1, se forma
aux affaires sous sa direction. Après de bonnes études faites
à l'académie militaire de Stuttgard , David Alopéus entra
dans la diplomatie , et fut nommé ministre de Russie à la
cour de Gustave IV, roi de Suède. Ce prince le fit arrêter,
et fit mettre ses papiers sous scellé au moment où il apprit
l'invasion de la Finlande par les troupes russes , acte par
lequel l'empereur Alexandre voulait le forcer à donner
son adhésion au système continental. Élargi quelque temps
après , il fut dédommagé par Alexandre , qui lui lit présent
(l'une terre et le nomma chambellan. Il signa en 1809 , au
nom de la Russie , le traité de paix de Frédérikshamm.
En 181 1 il fut envoyé comme ministre à Stuttgard, à la cour
du roi de Wurtemberg. Pendant la campagne de 1814 et
18l5.il fut nommé membre de l'administration centrale des
alliés et gouverneur général de la Lorraine. Il y laissa des
souvenirs qui l'honorent. Plus tard il fut envoyé par la
cour de Russie ambassadeur extraordinaire et ministre
plénipotentiaire à Berlin, et il remplit jusqu'en 1831, époque
de sa mort, ces importantes fonctions. Chargé, après la
foniiation du royaume de Pologne , d'en régler les fron-
tières du côté de la Prusse, il avait été nommé comte de ce
royaume.
ALOSE , alosa, genre de poissons de la famille des du-
pes, de l'ordre des malacoptérygiens abdominaux, et qui ne
diffèrent, zoologiquement parlant , des harengs que par l'é-
chancrure du milieu de la mAclioire, et par une plus grande
taille ; sous tous les autres rapports , ils ressemblent aux
sardines. On connaît une quinzaine d'espèces de ce genre;
deux seulement appartiennent à nos mers : Valose com-
mune, qui atteint jusqu'à un mètre de long, et n'a pas de
dents visibles; Xd^finte, qui a des dents très-marquées aux
deux mâchoires. Contrairement aux habitudes des harengs,
qui ne quittent pas la mer, les aloses, que l'on trouve sous
toutes les latitudes , remontent au printemps les rivières,
en troupes nombreuses : à celte époque leur chair est très-
bonne ; mais quand on les prend en mer, elle est sèche et de
mauvais goût. Elles se pèchent au filet, et périssent dès
•lu'elles sont hors de l'eau. Quand ils ont frayé, ces pois-
sons deviennent malades , et meurent la plupart dans les
neuves avant d'avoir pu rejoindre la mer. Quant à leurs
petits, ils continuent de croître <iuel(iue temps dans les eaux
•'ouccs ; puis ils gagnent le large vers le milieu de la belle
saison. D' Salcerotte,
ALOTIES. Voyez Alées.
.\l>OU.\TE ou SINGE HURLEUR. Voyez Hurleur.
ALOUCIII, résine odoriférante, qui a quelque ressem-
blance avec la cannelle blanche , dont elle se distingue
cependant par la plus forte grosseur de ses morceaux. Ses
qualités sont une saveur piquante , chaude, épicée , une
odeur aromatique, qui dépendent d'une huile volatile qu'on
peut obtenir séparément , par la distillation avec l'eau. —
L'arbre dont découle cette résine n'est pas, coiiiine on l'a
dit, le cannellier blanc, mais le wintcra aromaika. Cet ai hrc
croît dans les vallées exposées au soleil (jui bordent le dé-
troit de Magellan ; il fut découvert en \U1~ par le capitaine
Winter, dont l'équipage se servit de l'écorce en guise d'épice.
ALOUETTE, genre d'oiseaux de l'ordre des passc-
— ALP
reaux, de la famille des dentirostres de Cuvier. Le plumage
de ces oiseaux est généralement sombre , teint de roux ou
de roussâtre , couvert de mèches plus foncées , avec les
rectrices latérales bordées de blanc ou de roux pâle. On
prétend que toutes ces teintes s'affaiblissent à mesure que
l'oiseau vieillit, tellement que les alouettes blanches ne sont
que des alouettes très-vieilles. La longueur des alouettes
est d'environ six pouces ; les ailes étendues en ont douze.
Le mâle est un peu plus gros que la femelle; il s'en dis-
tingue par un collier noir et par la longueur de l'ongle pos-
térieur. Le chant de l'alouette est très-perçant et très-agréa-
ble : c'est un attribut particulier au mâle. La femelle pond
ordinairement quatre ou cinq œufs dans un nid construit à
terre avec des brins d'herbe sèche. L'incubation dure une
quinzaine de jours. L'alouette fait deux couvées par été
dans noscUmats, et jusqu'à trois dans les pays chauds. Ces
oiseaux se nourrissent de graines et d'insectes; ils sont sus-
ceptibles d'une sorte d'éducation : on a vu à Paris une
alouette qui sifflait sept airs difléients. C'est en octobre qu'il
fiuit prendre les mâles dont on veut perfectionner le chant
dans l'état de captivité. L'alouette vit de neuf à dix ans, et
même, dit-on, jusqu'à vingt-quatre. — Il se consomme à
Paris, tous les liivers, beaucoup d'alouettt'*, sous le nom de
mauviettes: c'est un mets sain et délicat.
Chasse de Valouelte. Le commencement de l'hiver est
le temps le plus productif pour la chasse des alouettes
parce qu'alors elles sont plus charnues et plus grasses que
dans toute autre saison. Il est plusieurs manières de prendre
les alouettes : la principale, la chasse au miroir, se fait
au moyen de miroirs qui sont mis en mouvement par un
ressort et un engrenage, et auxquels on attache une alouette
vivante , appelée moquette en termes de chasse , afin
d'attirer les autres. Quand les alouettes sont réunies en assez
grande quantité autour du miroir, on les abat d'un coup de
fusil, ou bien on les prend avec des nappes ou filets de
seize à dix-huit mètres de long sur trois mètres de haut,
avec des mailles de trois centimètres de large ayant la (igure
de losanges. — On chasse aussi les alouettes au traîneau :
c'est un filet long de vingt mètres, et large de six , que
deux hommes tiennent développé au moyen de deux per-
ches, et dont on laisse tialner le bord intérieur, garni ordi-
nairement d'épines; on l'abat sur le gibier. Celle chasse se
fait ordinairement de nuit, et elle est des plus abondantes,
surtout en octobre et en novembre. — La chasse à la ton-
nelle-murée se fait avec un filet qui se compose d'une bourse
maillée, semblable à un entonnoir, dont l'ouverture a au
moins trois mètres de haut , et que l'on tend au moyen de
piquets; on place auprès des moquettes pour attirer les
alouettes, que les oiseleurs y poussent en jetant un cha-
peau. Celte chasse se fait après le coucher du soleil. — On
prend encore les alouettes avec des collets, des gluaux, etc.
ALOYAU. Dans la boucherie et dans l'art culinaire on
nomme ainsi une pièce coupée vers le haut du dos du
bœuf. On distingue plusieurs sortes d'aloyau : Valoyau de
première pièce, qui contient une grande partie du filet;
Valoyau de seconde pièce, et celui de troisième pièce,
qui en contiennent moins. L'aloyau est le morceau de bœuf
le plus recherché après le filet.
ALP ou ALB , continuation septentrionale de la Forét-
Noire; montagne calcaire d'environ soixante kilomètres de
longueur sur huit à vingt de largeur, située sur la frontière
suil-est du Wurtemberg, dont la partie la plus élevée et la
plus stérile est appelée l'Alp escarpé. Le point le plus élevé
n'atteint pas mille mètres au-dessus du niveau de la mer.
Dans le village de Sirchingen, situé dans ces montagnes,
on remarque une maison dont la gouttière envoie de
l'eau pluviale d'un côté dans le Rhin par le Necker, et do
l'autre dans le Danube. Comme cette montagne contient
beaucoup de matières calcaires, on y trouve fréquemment
des cavités ornées de stalactites. H est à remarquer que la
ALP — ALPES
405
pierre calcaire est d'une qualité supérieure et se trouve en
plus grande abondance selon que la c^irrière se trouve placée
duns une région élevée. 11 y a peu de métaux précieux
dans les flancs de l'Alp ; des sources abondantes fertilisent
d'excellentes prairies situées au pied de la montagne. Le
sommet de l'Alp est bien boisé ; le cbanvre réussit parfai-
tement dans les vallons élevés ; le seigle et Tavoine , plus
diUicilenient. L'éilucation des moutons y est trés-prolitable,
coinme en général dans tous les terrains ciilcaires.
ALPACA 4 quadrupède de l'ordre des ruminants et
du genre lama. Cet animal, qui est propre au Nouveau
Monde, a en\iron un mèlre de hauteur jusqu'au garrot,
sur un mètre vingt contiuii-lrc? de longueur. Il se distingue
du guanaco ou lama pro]>remont dit par une plus petite taille,
l'absence de callosités au sternum , aux genoux et aux
carpes ; mais ce qui le fait surtout reconnaître au premier
coup d'u'il , c'est l'abondance et la longueur des poils lai-
neux qui couvrent les côtés de son cou et tout son corps ,
tandis que la face n'est couverte que de poils ras presque
tous soyeux, et que l'intérieur des cuisses et le ventre sont
presque nus. La couleur générale de son pelage est d'un
brun fauve , le dessous du ventre est blanc , la tôte et les
parties internes des cuisses sont grises. L'alpaca est très-
alerte et très-léger, quoique la masse de son poil lui donne
une apparence de lourdeur : sa laine , qui est plus longue
que celle des chèvTes de Cachemire , lui est presque égale
pour la finesse et le moelleux. L'industrie européenne ferait
en lui une conquête précieuse, si l'on parvenait à le natura-
liser dans nos climats. Outre son lainage , qui serait d'un
prix inestimable pour la confection des étoffes qui exigent
de longues laines , l'alpaca donnerait une chair savoureuse,
qui ne le cède en rien aux meilleures viandes de nos bou-
cheries.
ALP- ARSLAIV , deuxième sultan de la dynastie tur-
que des Seldjoukides , succéda, l'an 1059 de J.-C, à son
père Daoud , dans le Khoraçan , puis , en 1063 , à son oncle
Thogrul-Beg , sur le trône de Perse. Quoique son empire
s'étendit de l'Euphrate à l'Indus et de l'Oxus au golfe Per-
sique , il en recula toujours les limites. Ayant fait une in-
vasion dans l'Arménie et la Géorgie , habitées par des chré-
tiens , il eut à lutter contre l'empereur de Constantinople ,
Romain IV , surnommé Diogène. Les deux armées s'étant
rencontrées dans les plaines de l'Adcrbidjan en 1070, le
sultan proposa la paix à l'empereur, qui regarda cette offre
comme une preuve de faiblesse, et voulut dicter la loi en
vainqueur. Les négociations furent rompues , et , après une
bataille longtemps disputée , Romain-Diogène fut vaincu et
fait prisonnier. Alp-Arslan se montra généreux : il traita ce
prince avec beaucoup d'égards , et lui rendit la liberté.
Ayant voulu soumettre le Turkestan , berceau de sa famille,
il éprouva une vigoureuse résistance devant la forteresse de
Derzem , au delà de l'Oxus, de la part du gouverneur You-
souf ,qui ne se rendit qu'à l'extrémité. Le sultan, irrité, dé-
mentit sa générosité naturelle et en fut la victime. Il or-
donna d'écarteler Yousouf en l'attachant à quatre pieux ;
mais ce brave Tartare, ayant entendu l'arrêt de son supplice,
se précipita sur Alp-Arslan , et le frappa mortellement de
son glaive. Ce prince , au moment d'expirer, s'écria que
sa mort était juste. Il n'était âgé que de quarante ans , et
en avait régne dix. Sur son toml)cau , à Merou , dans le
Khoraçan , on plaça cette inscription : « Vous tous qui
avez vu la grandeur d'Alp-Arslan élevée jusqu'aux cicux,
voyez-la ici ensevelie dans la poussière. »
ALPES. Ailp , alb , est un nom gaulois générique, qui
signifie hauteur, masse élcr(''C , et qui s'appliquait à toutes
les hautes chaînes de montagnes. Aussi le retrouve-t-on
dans tous les pays autrefois habités par les Gaulois, depuis
les frontières actuelles de la France jusqu'à la naissance
des montagnes de la Macédoine. La chaîne qui porte le
nom d'.\lpes commence à la mer, auprès de Nice , court
au nord jusqu'au Valais , se dirige à l'est jusqu'aux sour-
ces de la Save , redescend au sud et le long de la Dalma-
tie. qu'elle sépare delà Servie, et où elle se termine,
après avoir parcouru un espace de plus de mille sept cents ki-
lomèlres. La base de leur formation est composée de roches
granitoïdes, intercalées de roches schisteuses, micacées, etc.;
elles sont en général abondantes en cuivre , fer et plomb ;
il y a peu d'or, quoicjue les Romains eussent autrefois des
mines de ce métal aux sources de la Sesia. La partie supé-
rieure des Alpes, au-dessus de trois mille cinq cents mètres
d'élévation , est occupée par des glaciers perpétuels. La
partie inférieure , jusqu'à deux mille mètres , est assez gé-
néralement boisée ; il y croît des sapins , des mélèzes, des
ifs , des hêtres et des chênes ; au-dessous de mille mètres,
on trouve les châtaigniers , les cerisiers, les noyers, et, sur
le versant méridional, la vigne. Les plus hauts pics sont le
mont Blanc et le mont Rose , d'environ quatre mille huit
cents mètres ; le Finsterhorn , quatre mille trois cents ;
l'Oertlos , quatre mille ; le Schreckhorn , quatre mille ; le
Wetterhorn et l'Iseran, trois mille huit cents ; le mont Ge-
nèvre et le grand Saint-Bernard , trois mille six cents ; le
mont Corvin, trois mille quatre cents.
Les Alpes se divisent de la manière suivante : 1" Alpes
maritimes, de la mer au mont Viso ; 2° Alpes cottiennes,
du mont Viso au mont Cenis ; ce nom leur vient d'un roi-
telet appelé Cottius , à qui l'empereur Auguste laissa un
petit district dans le Dauphiné; 3° Alpes graïennes , du
mont Cenis au mont Blanc -. on les a mal à propos appelées
grecques, par une équivoque née du mot Graius; leur nom
signifie Alpes rocailleuses, de hraig ou craig , qui en
gaulois signifie rochers; 4° Alpes pennines, ou pics élevés,
du mot gaulois benn on penn, qui signifie sommet, pointe
élevée, entre le mont Blanc et le mont Saint-Gothard ;
b^ Alpes lépontiques , ainsi nommées des Lépontiens, qui
habitaient les environs du lac ISIajeur et du lac de Côme : elles
s'étendent entre le mont Saint-Gothard et le mont Bernina,
aux sources de l'Adda et de l'Eisach ; 6° Alpes reliques ( et
non rhétiques), qui traversaient le pays des Rettiens (en
gaulois Raith ou Ratena, montagnards}, qui sont les mê-
mes que les Étrusques , du mont Bernina jusqu'au mont
Hoch-Kreutz , aux sources de la Drave ; 7" Alpes nori-
qzces, carnïques ou juliennes , entre le mont Hoch-Kreutz
et Adelsberg, près de Laybach. Les deux premiers noms
leur viennent des contrées qu'elles séparaient : au nord ,
la Norique , ou Gaule orientale ( nor ou noir, orient ); au
sud, la Garnie, ou extrême Gaule {harn, coin, extrémilé).
Le troisième leur vient des colonies de Jules-César et d'Au-
guste, établies à Julium Carnicum (Zaglio), Forxan Julii
(Cividad) et Emona Julia (Laybach), et qui étaient at-
tribuées à la tribu Julia; 8" Alpes liburniqucs ou illtj-
riqiies , qui s'étendent en Ulyrie entre la Liburnie et la
Pannonie anciennes, d' Adelsberg jusqu'à la Servie. Leur
prolongation s'étendait, sous les noms de Scodrus, Borcas
et Henius, jusqu'à la mer Noire : c'est aujourd'hui le Bal-
kan. De la chaîne principale des Alpes partent les chaînes
secondaires suivantes : 1° Alpes suisses ou bernoises, qui
du mont Saint-Gothard viennent reprendre le Jura ; 2° les
Alpes stijriennes, qui se détachent de la chaîne principale
vers le mont Hoch-Kreutz , et s'étendent, sous le nom de
Taîiren, entre la Murh et la Drave ; ce nom ( en gaulois tor,
four, tiiir, haut, élevé ) est correspondant à celui d'Alpes ;
3" X&i- Alpes grises ou des Grisons, qui s'étendent du mont
Saint-Gothard entre le Rhin et l'Inn. Les montagnes du
Wurtemberg, entre le Danube, le Rhin et le Nccker, connues
sous le nom de montagnes de la Forêt Noire, .s'appellent
aussi Alpes ou Alp (en allemand Rauhe Alb, Alpes sau-
vages ). Les Romains les appelaient le mont Abnoba. Ce nom,
qui doit être écrit Albnoba , est gaulois, et signifie Alpes
noires ou obscures {Alb noibli). G"' G. de Vaudoncouut.
ilœurs des habitants. — Dans les stériles et sombres
40G
ALPES
contrées des Alpes, on voit un spectacle admirable, rhomnie
aux ])risos avec la nature, luttant contre toutes ses sévérités,
et trioinpliant de ses rigueurs à force d'industrie et de pa-
tience. — C'est en vain qu'un territoire rebelle n'offre à ses
travaux que des plans abrupts et des pontes cs<;arpées ;
il construira en pierre sèche et en quartiers de roche des
murs de soutènement pour conserver le maigre terreau que
peut fournir le sol , et si les débordements l'emportent, il
ira chercher cet élément au fond de la vallée, il le portera
h la hotte, et le rétablira sur la place qu'il occupait. C'est
ainsi que le montagnard crée un sol fertile au sein de l'ari-
dité et qu'il moissonne dans les abîmes. — Un précipice le
sépare du courant d'une fontaine: quelques sapins creux,
suspendus dans les airs, conduiront chez lui ces eaux salu-
taires, et pourvoiront aux besoins de sa maison, de ses
étables, de ses jardins, de ses prairies; elles donneront le
mouvement h quelques petites usines qu'il aura construites
lui-même, et la machine dispendieuse élevée à Marly par
un grand roi sera surpassée par l'industrie du simple mon-
tagnard. C'est en vain qu'un hiver de six mois déploie contre
lui toute son àpreté ; renfermé dans son établc , sous un
chaume couvert de vingt pieds de neige qui le rendent im-
perméable à l'air, il n'en sentira pas les atteintes; il vivra
au milieu de ses troupeaux , dans une douce température
échauffée par plusieurs centaines de bouches de chaleur. Il
vivra du lait de ses brebis , se nourrira de la chair de ses
moutons, se couvrira de leur toison. Tour communiquer
durant riii\'ïr avec les diverses parties de son établisse-
ment, il franchira les neiges, porté sur de larges raquettes,
ou bien il creusera sous elles de longues et froides galeries.
Il sait glisser à volonté sur des pentes escarpées , ou s'y
rendre immobile avec des crampons. C'est avec leur secours
qu'il laboure , qu'il sème , qu'il fauche ou qu'il moissonne.
— S'il aperçoit sur la cime des monts un arbre nécessaire à
ses constructions , il s'y rend seul ; il attaque avec la hache
un hêtre séculaire, immense, au pied duquel il est à peine
visible. II dirige la chute de ce colosse vers une pente glacée,
sur laquelle il le fait glisser jusqu'à sa demeure, après l'a-
voir dépouillé de ses branches. Retenu le plus souvent dans
son étable, il s'y instruit, se civilise, enseigne ses enfants
et ses serviteurs; il tient école pour eux.
Telle est la vie du pasteur du Queyras durant l'hiver. Mais
lorsque la grive, messagère des beaux jours, annonce par
son ramage le retour du printemps ; lorsque les auriculaires,
les pensées éperonnées , étalent leurs jeunes corolles sur la
verdure naissante , que les béliers, agités parla saison, bon-
dissent dans retable, et que les abeilles essayent dans les
airs leurs ailes encore engourdies, il prend part à l'allé-
gresse universelle. Il salue cette Providence qui rend sa pa-
jure à la terre , ses ailes à l'insecte , sa voix à l'oiseau , le
sentiment d'une existence nouvelle à l'homme, et à la nature
entière une jeunesse éternelle. Il compte les agneaux nés
dans son étable durant l'hiver ; il pèse les laines que ses
enfants et ses serviteurs ont fdées; il mesure les drai)s qu'ils
ont fabriqués, les osiers qu'ils ont façonnés en paniers et en
corbeilles ; il reconnaît que sa fortune s'est accrue, et que
son industrie a triomphé de l'inclémence de l'air et de l'â-
preté de la saison. — Alors il fait sortir son troupeau; il
monte avec lui sur le premier étage de la montagne , qui est
déblayé de neige; il y trouve une autre maison, ou plutôt
un abri de printemps , dans leqi;el il s'établit. A mesui e qi:e
les neiges fondent, il monte sur des plateaux plus élevés,
jusqu'à ce qu'il arrive au pied du glacier qui forme la limite
de son domaine. C'est ainsi que chaque année, et suivant
la saison, il visite ses diverses maisons, et y fait ses quatre
voyages. Monarque pastoral, il a son Rambouillet, son
Compiègne, son Fontainebleau, ses équipages et ses four-
gons. Au lieu de traîner à sa suite une cour avide, il pousse
devant lui un troupeau utile. Il ne craint pas l'envahissement
de ses voisins. Des glaciers et des déserts le défendent contre
l'ambition des bergers limitrophes. — Lorsque ce berger
descendra à la ville, vous le reconnaîtrez à son habit antique
à collet droit et à parements fendus, à ses trois vestes, à
sa culotte courte , à ses bas de laine bruns , à sa perruque
de laine couverte d'un petit chapeau à trois cornes, à sa
chaussure ferrée , à sa taille haute et ferme, à sa voix élevée,
à son genou inflexible. — En le voyant, vous direz -. Voilà un
homme, un homme de nature primitive, comme les rochers
qui l'ont vu naître. Comte Français (Hc Nantes).
ALPES ( Routes des ), le plus durable monument de sa
puissance et de sa politique qu'ait élevé Napoléon : elles
consistent en plusieurs voies pratiquées à travers les Alpes,
et servent aux communications de la Savoie , de la France
et du pays de Vaud avec l'Italie.
La première de ces routes conduit par le sommet du
mont Cen is , élevé de 5,879 pieds au-dessus du niveau de
la mer, de la Savoie en Piémont , en passant par Lansle-
bourg et Suse. Autrefois les voyageurs étaient obligés de
franchir les hauteurs les plus escarpées à dos de mulet ou
en chaise à porteurs. Mais en 1803 Napoléon y fit cons-
truire en zigzag une route pour les voitures, qui a neuf
lieues de long sur vingt-cinq pieds de large. E!le est prati-
'•able aux voitures, même en hiver. En 1815 seize mille
voilures et trente-quatre mille neuf cents mulefs passèrent
sur ( ( lf(^ route. Les Français l'ont encore traversciî en 1859.
La seconde conduit à travers le S impion, élevé de
10,327 pieds, du pays de Vaud en Piémont par Glus et
Domo d'Ossola. Cette route , que Napoléon fit construire de
1801 à 1805, est la seule par laquelle on puisse de la Suisse
traverser les Alpes ; elle a quatorze lieues de long et vingt-
ciuq pieds de brgeur. La pente en est partout presque insen-
sible ; aussi est-elle praticable aux voitures même les plus
pesamment chargées. Elle passe cependant par-dessus d'af-
freux précipices , au fond desquels vont s'engloutir avec un
fracas épouvantable de nombreux torrents, et elle traverse
six masses de rochers, dans lesquelles on a pratiqué des
galeries longues de plusieurs centaines de pieds , et éclairées
de distance en distance par des ouvertures. En sortant de
ces galeries , on entre dans de délicieuses vallées, d'où l'œil
découvre de noires forêts de sapins , des glaciers et de hautes
montagnes de neige, dont l'éblouissant éclat tranche vive-
ment sur le bleu d'azur du ciel qu'elles semblent menacer.
Des ponts hardis sont jetés çà et là entre deux montagnes ,
au-dessus de précipices dont la vue glace le cœur. Le côté
qui regarde Tltalie est plus pittoresque que celui qui regarde
la Suisse : différence qui provient sans doute de ce que les
rochers y sont plus escarpés et plus heurtés. C'est du côté
de ritaUe qu'est située la grande galerie, longue de six cent
quatre-vingt-trois pieds et entièrement taillée dans le granit,
appelée Frissinone, d'après le torrent qui y forme une ad-
mirable cascade. La route commence à un quart de lieue de
Brieg , et traverse le pont de Saltina. .\u delà du village de
Rud , on arrive par une belle forêt de sapins à la première
galerie, et de là à Tersal, en passant sur un pont de quatre-
vingts pieds de long. C'est là que commencent les précipices
et les endroits périlleux, à cause des fréquentes avalanches;
aussi la route y décrit-elle de nombreuses sinuosités. On
cesse d'apercevoir des arbres à la galerie des glaciers, et
la route s'élève ensuite à mille trente-trois toises au-dessus
du lac Majeur, ou environ six mille pieds au-dessus du ni-
veau de la Hier. .Au point culminant de la route est situé un
hospice pour les voyageurs , un bureau de péage pour les
droits de chaussée, et à droite dans l'éloignement l'ancien
hôpilal. A une demi-lieue plus loin on trouve le village de
Simplon, élevé de quatre mille cinq cent quarante-huit
pieds au-dessus du niveau de la mer. La route suit le cours
de la Veriola , peliîe rivu're, jusqu'à Domo d'Ossola. A
Gunt on trouve une auhcTge ; à un quart de lieue plus loin ,
cesse le territoire vai;dois',dont une petite chapelle marque
la limite, et commence le terriloire italien, dont le premier
ALPES
407
Tillage s'appelle San-Marro. Des avalanches cl des masses
de rocliers détachées par les pluies endommagent souvent la
roiitc, dont les réparations exigeraient chaque année des
dépenses considérables , que les gouvernements suisse et
sar'ie ont trop négligées.
Lue troisième route conduit par le mont Gcnèvre,
élevé de deux mille mètres au-dessus du niveau de la mor,
de Briançon (Hautes-Alpes) à Turin.
Des chemins de fer traverseront bientôt les Alpes.
Nous citerons encore , parmi les autres routes remar-
quables des Alpes : 1° celle du Saint-Gothard, qui
conduit du canton d'L'ri au canton du Tessin ; mais comme
elle est très-diflicile , et même dangereuse en de certains
emlroits, notamment au pont du Diable et à la descente de
TAirolo, on ne peut y transporter les marchandises qui
vont de Suisse en Italie que sur des bCtos de somme. Cette
route s'élève à une hauteur de huit mille deux cent soixante-
quatre pieds ; on y remarque , à une élévation de six mille
trois cent soixante-sept pieds , un liospice de capucins ; —
T la route du Grand-Saint-Bernard, qui conduit du
lac de Genève en Italie , et qui est la plus directe pour
aller de Genève à Turin et à Gènes , n'est point praticable
aux voitures , et ne sert qu'aux piétons et aux bètes de
somme ; — 3° la grande route d'Inspruck en Italie , qui tra-
verse dans le Tyrol le mont Brenner, haut de six mille
soixante-trois pieds; — 4° la nouvelle route militaire, cons-
truite en 1821 par le gouvernement autrichien , et qui est
la plus élevée de l'Europe , conduit de Bormio dans la Val-
teline, à travers le Braglio et le SlUfser-Joch, haut de huit
mille quatre cent pieds au-dessus du niveau de la mer. Elle
est en communication avec la précitée ; — 5" et 6° la route
de Bellinzona à Coire , à travers le Bernardin , et celle qui
traverse le Splugen, praticable aux voitures depuis 1823;
la première conduisant au lac de Lugano , la seconde au
lac de Corne.
ALPES (Département des BASSES-). Formé par des
parties de l'ancienne Provence, du territoire d'Avignon eldu
Comtat-Venaissin, il est borné au nord par le département
des Hautes-Alpes , à l'est par le Piémont et le département
des Alpes-Maritimes, au sud par les départements du Var
et des Bouches-du-Rhône, et à l'ouest par ceux de Vau-
duse et de la Drôme.
Divisé en cinq arrondissements, dont les chefs-lieux sont
Digne, Barcelounette, Castellane, Forcalqnier et Sisteron ,
il compte 30 cantons, 255 communes et 149,670 habitants.
Il envoie un dépulé au Corps législatif. Il forme avec le
Var, Vaucluse et les Bouches-du-Rhône, le vingt-sixième
arrondissement forestier. Compris dans le ressort de la
cour impériale et de l'académie d'Aix, dans le diocèse de
Digne , il forme la 3* subdivision de la 9" division mili-
taire , dont le quartier-général est à Marseille; il renferme
4 collèges communaux, 4 pensions, 499 écoles primaires.
Sa superficie est de 682,643 hectares, dont 306,103
hectares en landes, pâtis , bruyères, etc.; 155,393 en terres
labourable*;; 109,727 en bois ; 19,868 en rivières, lacs et
ruisseaux; «7,505 en prés; 13,959 en vignes; 3,464 en
oseraies, aunaies et saussaies; 3,322 en cultures diverses;
858 en propriétés bâties ; 338 en vergers, pépinières et jar-
dins; 29 en étangs , abreuvoirs, mares, et canaux d'irriga-
tion; etc. Il paye 1,016,906 francs d'impôt foncier. L'État y
recouvre, en 1858, 3,589,975 francs de contributions de toute
nature.
Le département des Basses-Alpes est situé presque en to-
talité sur le bassin de la Durance. Il est arrosé par celte
rivière et ses afduents : le Buech , le Jabron , l'Ausson, la
Largue , qui la grossissent à droite ; l'Ubaye, la Blanche, la
Sasse, la Vançon, la Bléone, l'Asse et la Vernon, qui la
grossissent à gauche. Une petite portion du Var, qui y reçoit
la Colon, arrose la pointe sud-est du département. Appuyé
sur le versant méridional des Alpes et couvert de montagnes
dans les cinq sixièmes de son étendue, le département des
Basses-Alpes présente neuf divisions naturelles, formées par
les ramifications alpines qui encaissent profondément cha-
cun des cours d'eau qui vont se jeter dans la Durance ; ce
sont : le pays à l'ouest de la Durance, les vallées de l'Ubaye, de
la Blanche, de la Sasse, de la Vançon, de la Bléone, de l'Asse,
de la Vernon, et la vallée du Var. Ce département présente
d'ailleurs d'une manière générale deux parties fort distinctes ,
l'une toute montagneuse, et couverte de neiges pendant
une grande partie de l'année ; l'autre, formée de plaines très-
fertiles, ornées de toute la richesse des cultures méridionales ;
dans celle-ci setrouve la magnifique vallée de Barcelounette
avec ses environs. Les aspects du pays sont très-pittoresques
et on ne peut plus variés. Les points culminants des mon-
tagnes sont le grand Rubren, qui a 3,342 mètres d'altitude ,
le grand Bérard, 3,047 mètres, et le mont Pousenc, 2,900
mètres.
Les montagnes et les vallées renferment des chamois, des
marmottes, de grands oiseaux de proie ; le loup y est com-
mun , le gibier abondant. Les animaux domestiques sont de
petites races, mais les chevaux sont renommés pour leur
activité et leur vigueur. Les lacs et les rivières sont pois-
sonneux. Dans certains cantons on recueille des truffes es-
timées.
Les principales essences des forêts sont le chêne, le hê-
tre, le sapin, le pin et le mélèze. La flore est d'une richesse
remarquable. On récolte des plantes aromatiques et médi-
cinales.
Il existe dans ce département des mines de plomb, de
bismuth , de baryte , de cristal de roche , des carrières de
marbre, de granit, de jaspe, et un grand nombre de gise-
ments houillers. Ou y trouve de l'ambre jaune. Le sol ren-
ferme des mines d'argent qui ont été autrefois exploitées.
On prétend qu'il y a aussi des mines d'or. Digne et Gréoulx
possèdent des établissements d'eaux thermales.
L'art de l'agriculture a fait peu de progrès dans ce dépar-
tement. Les produits de l'industrie agricole en font néan-
moins la principale richesse. Cependant les céréales et les
vins suffisent à la consommation des habitants. Les vins
les plus estimés sont ceux de Mées. Les plantations d'oliviers,
d'orangers, de mûriers, de figuiers y sont considérables,
ainsi que celles des amandiers , des pruniers et des noyers.
L'élève des moutons, ânes et mulets, l'éducation des abeilles
et des vers à soie, la récolte des fruits, de la cire, du miel,
des cocons , la dessiccation des fruits, sont les plus impor-
tantes occupations des habitants de ce pays. De nombreux
troupeaux transhumants viennent chaque été paitre les
riches prairies naturelles du département.
L'industrie manufacturière y est peu importante. Cepen-
dant diverses localités ont des faïenceries , des papeteries ,
des fabriques de draps communs, des coutelleries, des bon-
neteries, des filatures de soie, des tanneries , des peausseries,
des huileries , des distilleries d'eau-de-vie et d'eaux aroma-
tiques.
Les voies de communication de ce département sont ,
outre la Durance, qui est la seule rivière navigable, 3 routes
impériales, 19 routes départementales, et 1,179 chemins vi-
cinaux. La plupart des transports se font à dos de mulet.
Les villes et les lieux les plus importants du département
de^ Basses-.\lpes sont Digne, son chef-lieu; Castellane,
connue aujourd'hui par ses fruits et ses pruneaux , et que
les Romains nommaient Salina: , à cause des eaux salines
qui se trouvent dans ses environs ; Colmars , petite ville
sans importance, mais près de laquelle on voit une fon-
taine intermittente , dont l'eau coule et tarit de sept en sept
minutes; Barcelonnette , bâtie en 1230 par le comte Ray-
mond Bérenger, qui la nomma Barcelonnette, en mémoire
de ses ancêtres, originaires de Barcelone; Sisteron, dont le
nom Mm , Segustero , d'origine celtique, annonce l'anti-
quité, et près de laquelle on lit sur un rocher une inscrip-
408
ALPES — ALPHABET
tion portant que Dardanus et Newa Gallia, sa femme, ont
établi à Théopolis, aujourd'liui le village de T/iéoun, l'u-
sage des voûtes; Foical</ider,\U\e dans l'emplacement où
Claude-Tibère Néron, envoyé par César dans la Gaule Nar-
bonnaise, fonda une ville qu'il nomma ForMm Neronis ;
Céreste, petit village à vingt kilomètres de Forcalquier, où
l'on voit un pont attribué à César, et un édifice appelé la
tour (ïyEiiobnrbus; Riez, petite ville près de laquelle sont
des restes de temples anticpies. *
ALPES (Département des HAUTES-). Ce département,
l'un des trois formés par le Danpliiné, est borné au nord
par les départements de l'Isère et de la Savoie, à l'est par
le Piémont, au sud par le département des Basses-Alpes,
et à l'ouest par ceux de la Drôme et de l'Isère.
Divisé en trois arrondissements, dont les chefs-lieux sont
Gap, Driançon et Embrun, il compte 24 cantons, 189 com-
munes, et 129,556 habitants. Il envoie un député au Corps
législatif, il forme avec la Drôme et l'Isère le 14* arrondis-
sement forestier. Compris dans le ressort de la cour impériale
et de l'académie de Grenoble, et dans le diocèse de Gap, il
fait partie de la 22" division militaire, dont le quartier général
esta Grenoble. Il renferme 3 collèges, 1 école ecclésiastique,
440 écoles primaires de garçons et 186 de fdies.
La superlicie de ce département est de 553,481 liectares.
11 paye 857,900 fr. d'impôt foncier.
Le département des Ilautes-Alpes, situé sur le versant
occidental des Alpes et appuyé à leur faîte, e»t entièrement
couvert de montagnes élevées. Leur point culminant, le
pic des Écrins, ou des Arsines, a 4,105 mètres d'altitude;
la Meidje eu a 3,986 ; le mont Yiso, 3,838 ; la Rocbebrune,
3,325; le mont Tbabor, 3,180. Le département se trouve
naturellement divisé en deux parties par une des ramifica-
tions des Alpes, laquelle sépare le bassin de la Durance de
celui de l'Isère. La première est arrosée par l'Isère et ses
aifluents, la Romanche et le Drac; la seconde, parla Du-
rance et ses affluents, le Buech, le Claret, la Guisance, la
Gironde, l'Alp-Martin , la Biouse, la Vence, la Luie, la
Servières, la Guil, la Crévoux et la Vachère. Ces cours
d'eau, presque tous torrentiels, ont creusé dans le sol une
infinité de vallées et de ravins. Le département des Hautes-
Alpes, qui s'élève graduellement comme un immense amphi-
théâtre, présente les aspects, les expositions et les climats
les plus divers : sur le sommet des montagnes, des neiges éter-
nelles, des rocs nus et décharnés, des terrains arides ; ailleurs,
des plateaux, des vallées, des coteaux fertiles; des sites
agrestes, sauvages, à côté de sites riants et enchanteurs.
Ce département nourrit des ours, des loups, des loups-
cerviers, des daims, des chamois, des marmottes, etc. Les
oiseaux de proie, le grand aigle entre autres, y sont nom-
breux. Le gibier est très- abondant. La végétation est aussi
variée que le sol et la température.
Le déparlement des Hautes-Alpes renferme des mines d'or,
d'argent, de cuivre, de fer et de plomb. On y exploite du
marbre, du granit, des pierres lithographi(iues, du cristal de
roche, du porpliyre, de la craie de Briançon, de l'ardoise,
de la houille, etc. 11 possède aussi plusieurs sources d'eaux
thermales et minérales.
Quoique plus de la moitié de la superficie de ce dépar-
tement soit des terrains incultes et des rochers stériles, sa
principale industrie est l'agriculture, et surtout l'élève du
bétail, particulièrement des moutons et des chèvres. Il reçoit
chaque été des troupeaux transhumants des déparlements
voisins. La récolte des céréales, dont le seigle forme la base,
est suffisante pour la consommation du pays. Celle des
vins, dont plusieurs sont estimés, surtout ceux des bords
de la Durance et l'excellent vin blanc ou claretle de
Saulce, est peu considérable. On cultive aussi le lin, le
chanvre, les châtaigniers, les noyers et autres arbres frui-
tiers. La culture du mûrier et l'éducation des vers à soie y
ont fait de grands progrès.
L'industrie manufacturière est peu développée. La pelle-
terie a cependant quelque importance. On fabrique dans les
campagnes des tissus de soie unis. Les scieries de planches y
sont nombreuses. La boissellerie, le façonnage des articles
en bois, occupent aussi un grand nombre de bras.
Ce département est traversé par cinq routes impériales,
une route départementale et 1,070 chemins vicinaux. Il n'a
pas de chemin de fer.
Les villes les plus importantes sont Gap, chef-lieu du dé-
partement; Embrun ; Briançon; puis Sain(-Bonnet,
qui possède une source d'eau sulfureuse; et Serjcs, char-
mante petite ville sur les bords de la Buech. *
ALPES-MARITIMES ( Département des ). Formé de
l'ancien comté de Nice, cédé à la France par la Sardaigneen
1860, et de l'arrondissement de Grasse enlevé au département
du Var, il est bornée l'est par le Piémont, au sud par la Mé-
diterranée, à roiicst par les départements du Var et des Basses-
Alpes. Il se divise en trois arrondissements, ayant pour chefs-
lieux Nice, Grasse et Piiget-Tliéniers; il a 25 cantons et 148
communes. Il envoie deuxd pûtes au Corps Législatif. Il forme
la 5c subdivision de la ge division militaire, dont le quartier
général esta Marseille; il est du ressort de la cour impériale
et de l'académie d'Aix. 11 forme en partie le diocèse de
Nice. Cette ville possède un lycée impérial. Elle est le chef-lieu
de la 34« conservation forestière, qui comprend les dépar-
tements du Var et des Alpes-Maritimes. Le département
des Alpes-Maritimes est sillonné par trois routes impériales;
un chemin de fer doit relier Nice à Toulon. La population
de ce département est de 187,096 habitants; sa superficie
de 419,638 hectares. Son industrie comprend l'éducation
des abeilles et des vers à soie, la fabrication d'essences et
de parfums, des distilleries, des filatures de soie, des fabriques
de toiles; il a des moulins à huiles, des papeteries, des sa-
vonneries, des tanperies. II produit des bois de construction,
des fruits du midi, des olives, des fleurs, etc. Nice est re-
nommé par la douceur de son climat.
Les principales villes sont Nice, chef-lieu, Grasse,
An tibes. Menton, Puget-Tbéniers.
Les Alpes- Maritnnes éiaxenl une ancienne division de la
Gaule, dont la capitale était Embrun, et qui répondait à
une partie du Dauphiné, de la Provence, du Piémont et
du comté de Nice. La Convention avait déjà formé, le 27 no-
vembre 1792, du comté de Nice, de la principauté de Mo-
naco et des pays situés sur la rive droite de la Taggia, un
département français, nommé des Alpes-Maritimes, parce
qu'il était traversé par la chaîne des Alpes que les Romains
appelaient ainsi. Enlevé à la France en 1814, il avait été
rendu au royaume de Sardaigne, qui l'a cédé à la France à
la suite de la guerre d'Italie. Un sénatus-consulte du 12 juin
1860 l'a annexé au territoire de l'Empire. Z.
ALPILV et OMÉGA, première et dernière lettre de
l'alphabet grec. V Apocalypse (I, 8) fait dire à Jésus-Cbrist
qu'il tst Valpha et Voméga, c'est-à-dire le commence-
ment et la fin. C'est dans ce sens que cette expression a été
employée dans l'hymne In dulci jubila, dont les dernières
paroles sont celles-ci : Alpha es et oméga. Ce signe, a/w,
au moyen âge, était une espèce d'hiéroglyphe indiquant le
nom de la Divinité : les prédicateurs, les médecins et d'au-
tres le mettaient en tète de leurs écritures, recettes , dis-
sertation.s, etc. On trouve cette formule sur le revers de
quelques monnaies des rois de France Clovis, Dagobert ,
Robert, Henri II, Philippe T', et Louis VI.
ALPHABET. Ce mot est formé des deux premières
lettres des Grecs, alpha, bêta. Voltaire l'a beaucoup critiqué
comme étant une partie de la chose signifiée plutôt qu'un
véritable nom. Toutes les nations qui écrivent leur langue
ont un alphabet, et on doit entendre par alphabet d'une
langue la table des caractères gui sont les signes des
sons particuliers concourant à la composition des mots
de cette langue. — Selon Klaproth , l'écriture chinoise,
ALPHABET —
['indienne et la sànitique ont donné naissance aux divers
alphabets de l'Europe et à plusieurs de l'Asie. La Gri-cc
et tout l'ancien Occident durent l'alphabet, s'il faut en croire
l'ancienne tradition, à Cad mu s, qui l'avait apporte de
Tyr en Béotie. Aujourd'hui la langue écrite des peuples civi-
lisés se compose des anciens alphabets, qu'on a empruntés
en plus ou moins de lettres. Les Fran(.ais, les Italiens,
les Espagnols, les Anglais et d'autres peuples ont adopté
l'alphabet des Romains ; les Allemands en ont un qui leur
appartient, et qu'on nomme aussi gothique; celui des Russes
est en partie original, en partie calqué sur le grec. Voyez
ÉCRITIRE.
Plusieurs conditions sont nécessaires pounqu'un alphabet
soit parfait : d'abord, il ne faudrait pas qu'un mémo son
filt représenté par plusieurs caractères, comme cela se
trouve dans notre alphabet ( c, k, q, ne doivent être comp-
tés que pour une même lettre ). 11 serait à désirer ensuite
que les lettres , tout en étant le moins multipliées possible,
exprimassent justement tous les sons de la parole, toutes les
nuances de la prononciation, et que l'alphabet n'établit point
de discordances choquantes entre la manière d'écrire et la
manière de parler. L'alphabet français sous ce rapport
est défectueux, en ce qu'Û n'a pas autant de caractères que
nous avons de sons dans notre prononciation, et en ce que
la même lettre se prononce de plusieurs manières ; mais
les Anglais nous laissent bien loin derrière eux sous ce
rapport.
Le désir d'étendre les relations parmi les hommes a porté
bien des linguistes célèbres à s'occuper d'un alphabet uni-
versel, qui rendit par des signes simples tous les sons éga-
lement simples formant les différentes langues, et qui sont
au nombre de soixante-dix , suivant l'opinion la mieux éta-
blie. M. EichhofT pense qu'il n'y en a qu'une cinquantaine,
et Biittner en compte plus de trois cents. Ce projet a occupé
plusieurs auteurs, notamment Maimienx, de Brosses,
Volney, Lepsius. Nous doutons qu'il puisse sortir des tra-
vaux dirigés dans ce sens autre chose que des systèmes in-
génieux, sans aucun résultat pratique.
ALPIIEE , l'un des plus grands fleuves de la Grèce ,
aujourd'hui Roufia, prenait sa source non loin de celle de
l'Eurotas , dans l Arcadie , passait près d'Olympie , et se Je-
tait dans la mer Ionienne. La fable fait Alphée fils de l'Océan
et de sa sœur Thétis ; il devint successivement amoureux de
Diane et de l'une de ses suivantes , la nymphe Aréthuse :
Diane , pour la dérober à ses transports, changea cette
nymphe en fontaine, et métamorphosa Alphée lui-mCrae en
fleuve ; mais elle ne put empêcher leurs eaux de s'unir. Ce
qui a donné lieu à cette fable, c'est sans doute que l' Alphée
dans un endroit de son cours se perd sous terre : d'après
la fable, il reparait en Sicile, où il se joint aux eaux d'A-
féthuse.
ALPHEN (JÉRÔME Va.n), poète hollandais, né le 8 août
1746, à Gouda, mort à La Haye, le 2 avril 1803. Doué des
plus heureux dons naturels, il se livra avec ardeur à l'étude
des sciences, et, sans que la diversité de ses connaissances
nuisît en rien à leur solidité , se distingua tout à la fois
comme théologien, comme jurisconsulte, comme historien,
comme poète et enfin comme critique. Le Ciel étoile, can-
tate dans le genre simple et noble, est le morceau le plus
remarquable de ses œuvres poétiques, dans lesquelles brille
en général un vif et pur sentiment religieux, qui ne dégé-
nère jamais en vague mysticisme : aussi un grand nombre
de ses chants religieux ont-ils été adoptés comme cantiques
par les chrétiens évangéliques de sa patrie. Ses odes ont
obtenu moins de succès qu'elles n'en méritaient. Mais son
principal titre littéraire est très-certainement le recueil de
ses petits mais inimitables Poèmes pour les enfants, dans
lesquels il a su reproduire avec une rare vérité et un style
aussi simple que naif les sentiments particuliers h l'enfance;
ouvrage dont plusieurs traductions allemandes, françaises
DICT. DE LA CONVERSATION. — T. I.
ALPHONSE 409
et anglaises attestent le haut mérite. Héritier du dévouement
et de l'attachement dont ses ancêtres avaient toujours fait
preuve envers la maison d'Orange, Alphen se vit dépouiller
en 1795 des fonctions de trésorier général des Pays-Bas, et
vécut depuis cette époque jusqu'à sa mort connue simple
particulier à La Haye.
ALPIIITE, farine d'orge grillée et dont les Grecs se
nourrissaient. On croit que les anciens s'en servaient pour
faire des gAteaux que le peuple et les soldats mangeaient
ordinairement. On dirait que la polenta des Latins et des
Italiens d'aujourd'hui n'a été dans l'origine qu'une imitation
de Valphite des Grecs. Hippocrate ordonnait souvent à ses
malades l'alphite sans sel. — Athénée parle d'une danse de
ce nom, et qu'il met au nombre des danses gaies, mais sans
donner aucun détail à ce sujet. Comme on faisait sécher
l'orge en la répandant à terre par petits tas, peut-être dans
cette danse les femmes imitaient-elles ce mouvement.
ALPIIITOMAKCIE (du grec à),çiirov , farine d'orge,
[lavTeîa, divination), sorte de divination au moyen de la
farine d'orge. Elle se pratiquait en faisant manger à celui
que l'on soupçonnait d'un crime un morceau de gâteau fait
avec de la farine d'orge ; s'il l'avalait sans peine , il était
innocent ; le contraire devait avoir lieu s'il était coupable.
ALPHONSE, rois des Asturies, de Castille et de Léon.
ALPHONSE P"", roi des Asturies , ancien compagnon
d'armes et gendre de Pelage, restaurateur de la monarchie
espagnole, succéda, en l'an 739, à son beau-frère Favila,
mort sans laisser de postérité. Surnommé le Catholique, à
cause du zèle qu'il mit à propager et à défendre la foi de
Jésus-Christ, il continua l'œuvre de son beau-frère, vain-
quit les Maures en plusieurs occasions et leur reprit di-
verses villes, tant en Galice qu'en Portugal. Il mourut en
757, en odeur de sainteté, après un règne de dix-huit ans.
ALPHONSE II, roi des Asturies, surnommé le Chaste ,
r.ionta sur le trône en 791, et mourut en 842, sept années
après avoir abdiqué en faveur de son fils, Ramire.
ALPHONSE III , surnommé le Grand, roi des Asturies
et de Léon, monta sur le trône en 8G6, après la mort de son
père Ordogno. Son règne , commencé à l'âge de quatorze
ans, et qui finit en 910, est une longue suite de révoltes com-
primées, de luttes et de victoires remportées sur les Maures.
Il mérita de ses contemporains le surnom de Grand par
l'habileté de son gouvernement , par la sagesse des insti-
tutions dont il dota le pays, par son amour pour les lettres,
et enfui par l'éclat de ses victoires. — Malgré tant de titres
à l'affection de ses sujets , Alphonse III dut abdiquer en
faveur de son fils Garcie, que la révolte lui opposa. Il mourut
deux ans après, à Zamora.
ALPHONSE IV , dit le Moine ou YÀveugle, roi de Léon
et des Asturies , petit-fils du précédent , ne régna que trois
ans (924 à 927), et abdiqua en faveur de son frère, qui
le fit jeter dans un couveut , où il mourut en 932.
ALPHONSE V , roi de Castille et de Léon , monta sur le
trône en 999, et mourut en 1027 au siège de Yiseu , place
forte de Portugal , devant laquelle était campée son armée.
Un matin qu'il faisait à cheval le tour des remparts, pour
en découvrir l'endroit faible , une flèche , lancée du haut
des murailles , l'atteignit au cœur et le tua. Il laissa pour
successeur son fils Bermude, âgé de douze ans.
ALPHONSE VI , roi de Galice , des Asturies , de Léon et
de Castille, était le second fils de Ferdinand V', dit le Grand,
lequel partagea ses États entre ses enfants. Alphonse ne
régna d'abord que sur les Asturies et le Léon (1065) ; mais,
à la mort de son frère Sanche II (1072) , à qui la Castille
était échue en partage , et que le bruit public l'accusa d'a-
voir fait assassiner, il ajouta ce royaume à ses États. Il eut
plusieurs femmes, mais aucune ne lui donna d'héritier mâle;
et il laissa sa couronne à sa (illc Urraca , qu'il maria en se-
condes noces à A I p h 0 n s e I", roi d'Aragon et de Navarre.
11 mourut en l'an 1109. Il avait affecté pendant quelque.
52
410
ALPHONSE
temps (le prendre le titre d'empereur, à l'instar des empe-
reurs d'Allemagne , et comme pour protester contre leurs
prétentions à la suprématie universelle.
ALPHONSE VII devint roi de Castille et de Léon à la
mort de son beau-père Alphonse VI. Il ré-n.i d'abord sur
i' Aragon sous le titre d'Alphonse I". Voyez ci-après Al-
phonse I", roi d'Aragon.
ALPHONSE VIII, surnommé V Empereur, roi de Castille
et de Léon , est le premier des Alphonse des Asturies , do
Castille et de Léon qui mérite sérieusement l'attention de
l'histoire. Alphonse VHI monta sur le trône en 1126. Les pre-
mières années de son règne furent remplies par des guerres
avec son beau-père , Alphonse I", le Batailleur, roi d'A -
ragon , et par des luttes furieuses avec les musulmans ;
mais à la mort du roi dWragon , en 113'», Alphonse VII
reprit sur l'Aragon toutes les villes que le roi défunt lui
avait enlevées , plus Saragosse , sa capitale , et ne consen-
tit à les rendre qu'à titre de fief au roi Ramire le Moine, que
les Aragonais venaient d'élire. L'Aragon devint donc, pour
ce règne seulement, un fief de la Castille, de môme que
la Navarre , et le naissant comté de Portugal , qui allait
bientôt devenir aussi un royaume. Tous ces princes , hors
d'état de lutter contre le puissant roi de Castille, lui prê-
tèrent hommage, et Alphonse, enivré de ces conquêtes,
plu'i Ijrillantcs que solides, se fit proclamer empereur an:;
cortès ou concile de Léon , en 1135 , la première assem'oice
politique depuis les conciles des Goths dont les actes
nous soient restés. En 1140 Alphonse s'unit à Raymond,
comte de Barcelone , successeur de Ramire sur le trône
d'Aragon , pour enlever la Navarre au roi Garcie , et la
partager avec son allié ; mais Garcie , faisant tête à l'orage,
battit l'Aragonais, et força le roi de Castille à lui accorder
la paix , et plus tard , en 1144 , la main de sa fille. Une
lutte plus honorable pour Alphonse fut celle qu'il soutint
contre les Maures, en recalant la frontière chrétienne de-
puis le Tage jusqu'à la Sierra-Morena. — Alphonse , après
avoir réuni un instant sous son sceptre toute l'Espagne
chrétienne, mourut, le 21 août 1157. Ses deux fils se par-
tagèrciil ses États : l'aîné, Sanche 1!1, liéiita de la Cas-
tille, et le second, Ferdinand II, du royauim; de Léon. Il
avait marié sa fille Constance au roi de France Louis VII.
ALPHONSE IX , roi de Castille , petit-fils du précédent,
et surnommé le Petit Roi (el Rei/M/lo), monta sur le trône
à quatre ans, par la mort prématurée de son père Sanch.e le
Re<jre/lc, en 1158. Sa minorité fut encore plus orageuse
que celle de son aïeul, et les longues querelles des deux puis-
santes maisons des Castro et des Lara, qui se disputaient sa
tutelle , ensanglantèrent la Castille. L'oncle du jeune roi,
Ferdinand II de Léon, tout en réclamant sa tutelle, s'em-
para, sons ce prétexte, des places fortes de la Castille qui
étaient le plus à sa convenance, tandis que le roi Sanche V
de Navarre, par un coup de main heureux, reprenait à la
Castille toutes les villes que le puissant Alphonse VIII avait
enlevées à la Navarre sur la rive droite de TÈbre. Cepen-
dant la vieille loyauté castillane se réveilla peu à peu en h-
veur de ce jeune prince, qui, formé à l'école de l'adversité,
annonçait déjà les vertus d'un roi ; et la conquête de Tolède,
qu'un coup de main lui rendit, entraîna la soumission du
reste de la Castille. En 1170, à l'ùge de seize ans, Al-
phonse IX épousa la princesse Aliénor d'Angleterre, qui lui
apporta en dot d'inutiles préteiitions sur le comté de Gas-
cogne. Affermi sur son trône, Alphonse, émancipé, essaya
de reconquérir sur la Navarre les villes (pi'on lui avait enle-
vées, et cette guerre, heureuse pour lui, se termina en 1 177,
par la médiation de son beau-père, Henri II d'Angleterre.
Dès lors, libre d'obéir à ses inslincts chevaleresques et de
tourner ses armes contre les infidèles, Alphonse leur en-
leva, après un siège de neuf mois, la forte ville de Cuença.
Secouru par le roi d'Aragon , il lui paya cet appui en l'af-
franchissaut de la su/erainelé de la Castille, et en pai ta-
geant d'avance avec lui leurs futures conquêtes sur les mu-
sulmans. Depuis cette époque, le règne d'Alphonse IX ne
fut plus, comme celui de tous les rois de Castille , qu'une
croisade continuelle. Le cœur enflé de ses succès, Alphonse
envoya à l'émir almohade Yaconb une lettre de bravades.
Yacoub, acceptant le défi, passa le détroit à la tête de
iOO,000 hommes et envahit l'Andalousie. Abandonné par
tous les rois chrétiens de la Péninsule, occupés de leurs que-
relles entre eux ou avec le saint-père , sans autre allié que
le roi d'Aragon, Alphonse accepta la bataille, et la perdit
dans les plaines d'Alarcos. Les Arabes , toujours portés à
l'exagération, évaluent la perte des chrétiens à 14G,000 tués
et 30,000 prisonniers; mais Alphonse n'avait pas en ba-
taille la moitié de ce nombre. Le roi de Castille, échappé à
ce désastre avec quelques cavaliers, se réfugia à Tolède, où le
rejoignirent les débris de son armée; assiégé dans cette
ville iiar le vainqueur, .\lphonse résista avec courage, et
Yacoub, bientôt lassé de ce siège sans espoir, s'en retourna
en Andalousie, n'ayant tiré aucun fruit de sa victoire, tandis
qu'Alphonse, sans se laisser abattre par l'échec d'Alarcos,
préparait sa revanche et celle de la Castille. Les années
suivantes furent remplies par des guerres continuelles entre
les rois d'Aragon et de Castille d'une part et ceux de Na-
varre et de Léon de l'autre. Cependant Yacoub , excité sous
main par le roi de Navarre, son allié, vint encore une fois
apporter le fer et la flamme sous les murs de Tolède. Mais
Alphonse sut tenir tête à la fois à l'invasion chrétienne et à
l'invasion musulmane, jusqu'à ce qu'une trêve avec Ya-
coub lui permit de tourner toutes ses forces contre ses
ennemis du dedans. Cette lutte impie, qui durait depuis
(roi; ans, se termina enfin , en 1 198, par un mariage entre
A!i)!ionse IX de Léon et sa cousine Bérengère, fille d',\l-
|)honse IX de Castille; cette un'on ne reçut pas l'agrément
du pape Innocent III, cl le roi de Léon, après avoir résisté
longtemps, dut consentir à renvoyer la princesse à son père.
D'autres guerres eurent encore lieu entre la Castille et la
Navarre; mais ces luttes sans portée et sans intérêt ne
détournaient pas Alphonse de la grande pensée qui remplit
tout son règne , celle de mettre une digue au flot de l'inva-
sion afncaine, qui, pour la seconde fois, allait déborder sur
la Pénini^ule. Alohammed , fils de Yacoub , l'émir almohade,
jaloux de la gloire de son père, débarqua en Andalousie, en
mai 1211, avec 400,000 hommes. A l'approche de ces en-
nemis, Alphonse IX , qui avait à cœur de réparer l'échec
d'Alarcos, el secondé par Innocent III, qui fit prêcher une
croisade contre les infidèles, battit le fds d'Yacoub près des
défilés de la Sierra-?iîorena, dans un endroit appelé las Na-
vas de Tolosa (les plateaux de Tolosa ), le IG juillet 1212.
La bataille dura tout le jour, et la victoire penchant du côté
des nuisulmans , le généreux Alphonse se préparait à cher-
cher la mort au plus épais de la mêlée, lorsque l'archevêque
Rodrigue de Tolède , historien de cette bataille , le retint
par la bride de son cheval, en le rappelant à ses devoirs de
roi. Bientôt la chance tourna, et une charge faite à propos
par la cavalerie chrétienne décida la bataille. Le cercle de
chaînes de fer où s'élait retranché l'émir avec sa garde fut
à la fin forcé , et l'émir, s'enfuyant à toute bride, ne s'ar-
rêta qu'à Baeza : 100,000 musulmans au moins restèrent sur
le champ de bataille. Les chrétiens ne firent pas de prison-
niers, ou les massacrèrent tous. Les dépouilles furent im-
menses, ainsi que les provisions trouvées dans le camp en-
nemi ; l'on en tira en flèches seulement la charge de deux mille
mulets, et pendant huit jours on ne fit de feu qu'avec le
boi-> des lances et des flèches brisées. Depuis ce jour, de
l'aveu même des musulmans, leur empire n'alla plus qu'en
déclinant au delà du délroit, et le flot qui, parti d'Afrique,
montait depuis cinq siècles pour monder la Péninsule s'ar-
rêta tout d'un coup pour rebrousser chemin. La Castille,
placée à l'avant-garde de la chrétienté espagnole, recueillit
enfin les avantages d'une position dont elle n'avait eu que
ALPHOINSE
411
les dangers, et se trouva à la ttMe des monarchie^; jK-ninsu-
laires. I/annoe suivante Alphonse se remit en catni)aj;ne,
malgré une affreuse faniiuo qui désolait la Caslille, et qui
força les chrétiens à la retraite. Ce prince héroïque mourut
de la fièvre, en 1214, à l'dge de cinquante-huit ans.
ALPHONSE X, le Savant (cl Sabio) Ferdinand III. di(
le Saint, dans son long et glorieux règne, avait, par la con-
quête de Cordoue et de Séville , à peu près affranchi l'Es-
pagne du joug des infidèles. Mort en 1252, il laissa à Al-
phonse X, son fils, déjà Agé de trente-un ans, une tâche dif-
ficile : c'était celle de rétaLlir l'ordre dans un État dont tous
les ressorts, tendus par cette terrible guene , allaient se re-
lâcher tout d'un coup ; de façonner à l'obéissance une no-
blesse rebelle, qui ne savait obéir que sur un champ de ba-
taille ; d'organiser, en un mot , après que l'erdinand avait
conquis. — Au nombre des projets insensés que conçut ce
roi, curieux mélange d'aniour-propre, d'hésitation et de foi-
blesse, fut celui qu'il forma dans l'espoir de se faire élire
empereur d'Allemagne, en vertu des droits de sa mère Béa-
trix, fille de Piiilippe de Souabe. Mais ses prétentions furent
vivement contrariées par Richard de Cornouailles, frère du
roi d'Angleterre. On dit qu'Alphonse X poussa si loin le
désir qu'il avait d'être empereur d'Allemagne , qu'après l'é-
lection de Rodolphe de Habsbourg, il n'en continua pa5
moins à protester, à porter toute sa vie le titre qu'il avait
ambitionné et à revêtir tous ses actes du sceau de l'empire.
Pendant une partie de son règne , ce prince malheureux
s'attira le mécontentement des nobles castillans, dont le
ressentiment contre leur roi fut tel, qu'ils formèrent une ligue
redoutable avec le Portugal, la Navarre, les émirs de Gre-
nade et de Maroc, dans le but de lui arracher la couronne.
Alphonse ne sut opposer à tant d'audace que faiblesse et
lâcheté : il abdiqua honteusement entre les mains de ses
ennemis les droits de sa couronne. Cependant, Sanclie, le
second fils d'Alphonse, voyant son père perdre son empire
et le territoire de la Castille, sans cesse envahi par les mu-
sulmans, releva un moment le courage des Castillans , fit
armer une flotte, et , en présence d'un prochain débarque-
ment d'Youssouf en Andalousie, organisa sur tous les points
une résistance énergi(iuo. En effet, aucune ville importante
n'ouvrit ses portes à l'émir, qui , bientôt découragé , se
relira à Algésiras après cette campagne sans résultat et ter-
minée par une trêve de deux ans. — L'infant don Sanclie
avait sauvé la Castille ; mais, mettant à haut prix le service
qu'il venait de rendre, il exigea que son père le reconnût,
dans les cortès de Ségovie, pour son successeur au trône, au
préjudice des fils de son frère défunt, les infants de la Cerda.
Alphonse, toujours extrême, se prononça avec chaleur pour
son fils contre ses petits-fils , et fit même étrangler sans
forme de procès son frère, don Ferdinand , qui avait pris
hautement le parti des infants ( 1277}. Alplionse, impatient
de venger son injure sur les infidèles, vint ensuite assiéger
Algésiras à la tête d'une armée et d'une flotte, la plus forte
qu'un roi de CastiUe eût encore équipée. Mais ce siège,, con-
duit par Alphonse avec son imprévoyance ordinaire, finit
par une honteuse retraite. — Pendant ce temps le roi de
France, Philippe, parent des infants dépossédés, prit haute-
ment leur cause en main, et la querelle s'envenimant entre
les deux rois , se termina par une guerre dont la Navarre fut
le théâtre ; ce qui n'empêcha pas Alphonse, habitué à avoir
plus d'un ennemi sur les bras, d'en faire en même temps
une autre à l'émir de Grenade. — L'infant don Sanclie, ex-
ploitant avec une odieuse habileté les embarras de son père
et son impopularité , saisit ce moment pour se révolter
contre lui et s'allier à l'émir de Grenade, et la plupart des
villes de la Castille embrassèrent son parti , ainsi que le roi
d'Aragon et de Portugal. Les cortès de Valladolid ratifiè-
rent l'usurpation de l'infant, qui, par un reste de scrupule,
refusa le titre de roi qu'elles lui oflraient, et se contenta de
celui dHn/ant héritier. — Alphonse, abandonné par tout le
monde, n'eut plus qu'une ressource; ce fut de se jeter
dans les bras de son plus redoutable ennemi, l'émir Yous-
souf. L'émir, réuni à Alphonse, vint assiéger dans Cordoue
le fils rebelle; mais celui-ci résista avec tant de courage,
que les deux alliés furent obligés de lever le siège , et que
Youssouf repassa en Afrique après une campagne infruc-
tueuse ( 1282 ). Cependant une réaction s'opérait en Cas-
tille en faveur du malheureux monarque, si durement puni
de ses fautes. Le pape usa non de ses foudies , mais de son
influence pour soutenir la cause du père opprùné contre son
fils rebelle, et Alphonse, en en appelant à ce culte de dévoue-
ment à leur roi qui ne s'éteint jamais tout à fait dans des
cceurs castillans, lança contre son fils l'anathème paternel à
défaut de celui de l'Église : révoquant toutes ses dispositions,
il déclara Sanche maudit et déshérité à Jamais , lui et ses
descendants , de la succession au trône. — L'année sui-
vante, Youssouf repassa le détroit à la tête de forces impo-
santes, pour défendre la cause du vieux roi, que le pape
Martin IV venait d'embrasser ouvertement en lançant contre
le fils rebelle et ses partisans les foudres de l'Église. L'in-
fant étant alors tombé gravement malade, Alphonse, oublieux
des torts de son fils, sentit se réveiller pour lui toute son
affection; mais épuisé lui-même par les chagrins qui,
plus que les années, avaient hâté le terme de ses jours, il se
mit au lit pour ne plus se relever, et pardonna avant sa
mort au fils ingrat qui lui avait fait tant de mal et à tous
ceux qui l'avaient offensé (1284). Alphonse X, mort à
soixante-trois ans, en avait régné trente-deux.
Alphonse n'était dénr.é ni de talents ni de vertus : malgré
le ciime inutile autant qu'odieux dont il se souilla, son ca-
ractère était doux et bienveillant; mais ses vertus, pas plus
que ses talents, n'étaient ceux d'un roi; et ses faiblesses,
qui rappellent celles de Louis le Débonnaire, furent plus
fatales à la Castille et à lui-même que ne l'eussent été des
vices ou des crimes. Du reste, nul roi ne mérita mieux le
surnom de savant ( sabio ), qu'il a gardé. Ses connaissances
en astronomie le rendirent suspect d'hérésie aux yeux du
peuple ( voyez Tables Alpuonsines). On lui doit aussi une
chronique rédigée sous son nom et par son ordre, sinon par
lui, romanesque compilation où sont réunies pêle-mêle tou-
tes les légendes fabuleuses sur les origines de l'histoire d'Es-
pagne. Il fonda en Espagne l'étude du droit, en instituant à
Salamanque plusieurs chaires qu'il dota ; il aida au dévelop-
pement de la langue nationale en ordonnant que tous les ac-
tes publics cessassent d'être écrits en latin. Poète aussi bien
que savant, il a laissé bon nombre de poésies en dialecte
galicien. Mais le grand monument de son règne, ce sont les
Siete Partidas, code national de l'Espagne, écrit sous la
doid)le inspiration du droit canonique et du droit romain.
Cette œuvre législative, qufne manque pas d'une certaine
méthode, ne fut adoptée par la Castille ni du vivant d'Al-
phonse ni après lui, mais seulement sous le règne d'Al-
phonse XI, qui aux cortès d'Alcala de 1348 la reconnut
comme code complémentaire du royaume, destiné à com-
bler les lacunes de la loi gothique des/Mero5 nationaux et
de Vordenamiento d'Alcala.
ALPHONSE XI, fils unique de Ferdinand IV, était âgé de
quelques mois seulement lorsqu'il monta sur le trône, en
1312. Aussi sa minoiité est-elle une des plus désastreuses
dont fassent mention les annales de la Castille, si fertiles en
minorités. Pendant sept ans les infants don Juan et don
Pedro, l'oncle et le grand-oncle du roi, et don Juan de Lara,
contestèrent à la pieuse reine dona Maria, l'aïeule du jeune
roi et sa providence visible, le droit de gouverner en son
nom. La mort des deux infants, dans une guerre contre Gre-
nade, en 1319, ne fit qu'ouvrir la lice à de nouveaux con-
cuirents; d'autres princes du sang, non moins ambitieux,
s'arrachèrent réciproquement, les armes à la main, la tutelle
du jeune prince et le pouvoir qu'elle conférait. Un légat en-
voyé par le saint-sié^e pour rétablir la paix dans la mal-
52.
412
ALPHONSE.
heureuse Castille édioua dans ses efforts; la vieille reine
mourut à la peine, et ravénemcnl niènie du jeune roi,
en 132Î, ne mit pas un terme à la sanglante anarchie qui
désolait depuis douze ans le royaume. — Une ligue se forma
entre deux des princes du sang, don Juan le Tortii et Juan-
Maniiel, deux mauvais génies attachés aux destinées de la
Castille; mais Alphonse, on plutôt ses conseillers, car il
était trop jeune pour ôlre responsable de ses actions, cou-
pèrent court à la ligue en faisant mettre à mort, sans forme
de procès, don Juan le Torlu, qu'il avait attiré dans le
piège en lui promettant la main de sa sœur. Juan-Manuel,
redoutant le même sort, entra en révolte ouverte, et s'allia à
l'émir de Grenade, étemel ennemi de la Castille. Alors com-
mença cette longue guerre avec l'émirat, qui devait remplir
tout le règne d'Alphonse, et qui rejeta dans l'ombre tous les
événements intérieurs de son règne. Mentionnons seulement
ses amours illicites avec dona Léonor de Guzman, jeune
femme d'une naissance illustre et d'une rare beauté, qu'il
connut à Séville, en 1330; de cette union naquit une nom-
breuse famille, et notamment un fds, Henri de Transtamarc,
qui monta plus lard sur le trône de Castille, en foulant aux
pieds, pour y arriver, le cadavre de son frère Pierre le Cruel.
Alphonse combattit les infidèles avec succès, et remporta
sous les murs de Tarifa près de Rio Salado, en 13'iO, une
victoire décisive. L'année suivante, la destruction de la flotte
musulniiine vint compléter le triomphe des chrétiens. En
1342 Alphonse, poursuivant le cours de ses succès, mit le
siège devant Algésiras, que Youssouf vint secourir, sans
pouvoir empêcher sa chute. Cette ville ne fut prise qu'après
un des sièges les plus mémorables. Une trêve fut conclue
avec l'émir ; mais sans en attendre la fin Alphonse investit Gi-
braltar, en 1350. La peste se mit dans son camp; le roi en
fut atteint, et mourut à l'âge de cinquante ans.
RossEELW Saint-Hilaip.e.
ALPIIOXSE , nom commun à plusieurs rois d'Aragon.
ALPHONSE I" , le Batailleur, frère et successeur de
Pedro 1" , roi d'Aragon , monta en 1104 sur les deux trônes
d'Aragon et de Navarre , alors réunis. Le roi de Castille et
de Léon Alphonse VI , avant de mourir, voulant laisser
un tuteur à sa fille Urraca et à son petit-fih Alphonse VIII,
seuls héritiers de ses vastes États , prit le parti de donner,
en 1109 , à Alphonse d'Aragon , la main de sa fille. Mais le
caractère impétueux d'Urraca et les vieilles rivalités de
l'Aragon et de la Castille troublèrent cette union , formée
par le vieux roi dans la sage pensée de réunir sous une
seule main tous les États de l'Espagne chrétienne. Chacun
des deux époux , sans chercher à fondre ensemble ces deux
monarchies , régna séparément dans ses États héréditaires ,
et bientôt on en vint à une rupture ouverte. ^lais Alphonse ,
qui avait pour lui la force à défaut du droit , s'empara de
la plupart des places de la Castille , et ri'nferma Urraca
dans un chàteau-foil , pour mettre fin au scandaleux éclat
de ses désordres. La reine s'échappa de sa prison ; puis ,
après une réconciliation passagère, suivie d'une nouvelle rup-
ture , le roi la répudia publiquement à Soria , et la renvoya
en Castille. La guerre continua de plus belle , et Alphonse ,
après avoir battu le général et l'amant d'Urraca, qui resta
mort sur la place , s'empara de Burgos ainsi que de Léon ,
et mit à feu et à sang la malheureuse Castille pour la punir
des torts de sa reine. L'archevêque de Compostelle , prenant
le paili d'Urraca , en appela au pape de la querelle , et fit
tant qu'un concile assemblé à Palencia, en 1114 , annula le
mariage, et porta ainsi un coup fatal aux droits d'Alphonse
sur la Castille.
Alphonse s'en consola bientôt en commençant contre les
infidèles cette longue croisade qui lui valut son sinnom et
dura autant q\ie sa vie. En 1114 il passa l'Ébre, limite de
l'Aragon au sud, et vint assiéger Saragosse , sa future ca-
pitale. Ses attaques, renouvelées pendant quatre années
contre le territoire musulman , aboutirent à une \ictoire
décisive, remportée sur l'émir de Saragosse , Abou-Dgiafar,
qui y laissa la vie. Le fils de ce prince , Amad-Daulat, hérita
de la couronne de son père , mais sous la suzeraineté du
roi d'Aragon , qui voulut bien tolérer pour le moment cette
royauté vassale. Les émirs africains et espagnols, convaincus
trop tard du danger de laisser périr ce boulevard de l'Islam
dans la Péninsule , essayèrent en vain de secourir Saragosse
et son digne émir ; Alphonse battit successivement le wali
de Grenade et le général almoravide Temin , frère de l'émir
de Maroc , puis poussa avec tant de résolution le siège de
Saragosse, qu'en UIS la ville, perdant tout espoir d'être
secourue , fut obligée de se rendre.
L'année suivante Alphonse battit encore les Almora vides,
leur tua vingt mille hommes, et s'empara de Taragone
et de Calatayud , ces deux principales villes de l'Aragon au
sud de l'Ébre. Chaque année vit ses armes victorieuses s'é-
tendre un peu plus loin , et en 1 1 25 il atteignit , dans Val-
garade {elgara, l'invasion) la plus hardie qu'eût encore
tentée un souverain chrétien , le httoral de l'Andalousie, et
vhit, comme il en avait fait le vœu , manger du poisson de
la mer d'Afrique. Dix mille chrétiens mozarabes, jaloux d'é-
chapper au joug musulman , l'accompagnèrent dans sa re-
traite, et s'établirent dans des terres qu'il leur assigna.
Urraca ayant terminé en 1126 une vie de débauches et de
crimes, son fils Alphonse monta enfin sur le trône, et s'oc-
cupa de reconquérir pièce à pièce son royaume sur le roi
d'Aragon , maître de presque toutes ses places fortes. La
guerre éclata encore une fois , et le sang chrétien allait cou-
ler ; mais les prélats et les nobles des deux pays intervinrent
à temps , et le généreux Alphonse d'Aragon , renonçant à
toutes ses conquêtes en Castille, laissa à son beau-fils la
paisible possession de sa couronne, et s'en retourna à sa
croisade contre les infidèles. Après avoir conquis Mequi-
nenza sur l'Ébre , il vint mettre le siège devant la ville forte
de Fraga , en 1134. Les habitants implorèrent le secours
des Almoravides ; et un corps de dix mille Africains étant
venu à leur secours, Alphonse, qui l'attaqua avec des forces
inférieures, fut complètement défait, et périt dans le combat ;
on doit le présumer du moins, car à partir de cette époque
il disparait de l'histoire, et l'on ne sait pas même si cette
vie entourée de tant de gloire a fini dans un couvent ou sur
un champ de bataille.
ALPHONSE II, fils de Raymond-Bérenger IV, comte de
Barcelone et régent d'Aragon, monta fort jeune sur le trône,
en 1163. Peu d'événements importants signalent ce règne,
assez terne. Le fief de la Provence, qui relevait de l'Aragon,
fit retour au roi Alphonse après la mort de son cousin,
qui le possédait. Alphonse passa les monts pour aller re-
cueillir ce riche héritage, qu'il lui fallut acheter par de
longues guerres ; et dès lors la puissance de l'Aragon, à l'in-
verse de celle de la Castille, tendit à franchir les Pyrénées
pour déborder sur le midi de la France, et plus tard sur
l'Italie. Mais bientôt Alphonse, avec une.prudence au-dessus
de son âge, reconnaissant le danger de ces possessions trop
lointaines , céda à son frère don Pedro la Provence, à titre
de fief, en échange de la Cerdagne et du Narbonnais, beau-
coup plus à sa portée. — Dès lors sa vie, comme celle de
tous les belliqueux souverains de l'Espagne chrétienne, fut
consacrée à une croisade sans relâche contre les Maures.
Depuis 1 168 jusqu'à sa mort, il leur enleva plusieurs places
au sud de l'Ébre, dont la plus importante était Téruei.
Alphonse ayant entrepris un pèlerinage à Compostelle, mou-
rut en chemin, en 119G, à l'âge de quarante-cinq ans, après
trente-quatre ans de règne. Ce roi, troubadour et chevalier
à la fois, qui cultivait les lettres avec succès, et les proté-
geait à sa cour, a moins marqué dans l'histoire politi(|uede
l'Espagne que dans l'histoire littéraire de la Provence, à la-
quelle il appartient au moins autant qu'à la Péninsule es-
pagnole.
ALPHONSE m, lils de Pedro III, le conquérant de U
Sicile, monta, en 12S5, sur lo trône d'Aragon, de Catalogne
et de Valence, tandis que son frère cadet, don Jayme, héri-
tait, d'après le testament de son père, de la couronne de
Sicile. Le premier acte de son règne fut d'achever l'expé-
dition connncncée, par ordre de son père, contre son oncle,
don Jayme, roi de Majorque, et de lui enlever sa couronne ;
mesure odieuse, mais nécessaire au salut et à l'unité de
l'Aragon. De retour à Saragosse, Alphonse eut à soutenir
une lutte acharnée avec la noblesse aragonaise : celle-ci
l'emporta sur le roi , et le dépouilla de ses plus belles pré-
rogatives. Alphonse 111 fut à la veille de se voir en guerre
avec la France ; mais Kdouard V, roi d'Angleterre, s'en-
tremit entre la France et l'Aragon pour concilier leurs dif-
férends et détourner l'orage prêt à éclater. L'un des prin-
cipaux sujets de la querelle était la liberté du fds de Charles
d'Anjou, le prince de Saleme, prisonnier d'Alphonse et con-
current de don Jayme d'Aragon au trône de Sicile. Dans
une entrevue entre Alphonse et Edouard, à Conflans, en
1288, l'affaire se termina par un compromis; le prince de
SaJerne acheta sa liberté par une renonciation expresse au
trône de Sicile, en promettant de retourner de lui-même
en prison si le pdpe >'icolas IV et le roi de France ne
ratillaient pas le traité. Tous deux, en effet, protestèrent,
et le pape, excommuniant Alphonse, invita le roi de France,
Philippe le Bel, à s'emparer de ses États, qu'avait déjà en-
vahis l'ex-roi de Majorque, soutenu par la France. Cepen-
dant le pape, à la fin, s'apercevant que ses censures ne pro-
duisaient aucun effet sur Alphonse, consentit, d'après les
instances d'Edouard, à un congrès, qui se tint à Tarascon,
en 1291. On y décida, après de longs débats, que l'interdit
serait révoqué; que Charles de Valois, fils du roi de France,
renoncerait au titre de roi d'Aragon, et qu'Alphonse serait
reconnu pour roi de Majorque; mais qu'en revanche il re-
noncerait à soutenir son frère, don Jayme, sur le trône
de Sicile, et aiderait même, au besoin, le prince de Salerne
à le lui enlever. Alphonse survécut peu à cet humiliant
traité : il mourut à Barcelone, en 1291, au moment où il
s'apprêtait à épouser la fdle d'Edouard d'Angleterre , son
allié. Alphonse étant mort sans enfants, sa couronne passa
à son frère Jayme II, le même dont il venait de trahir si
lâchement les droits.
ALPHOSE IV, second fils de ce roi Jayme, succéda à
son père, en 1327. Son règne, court et insignifiant, fut
rempli presque tout entier par ses guerres avec Gênes pour
la possession de la Sardaigne et de la Corse, funeste présent
que le pape avait fait aux rois d'Aragon. Gênes, ayant semé
parmi les habitants de Pile de Sardaigne la désaflection et
'a révolte contre le joug de l'Aragon, finit par envoyer une
Hotte devant Cagliari. .Malgré d'inutiles victoires, les Arago-
naîs, décimés par le climat de la Sardaigne, firent des pertes
immenses, et les Génois dévastèrent les côt«s de Va-
lence et de la Catalogne. Le pape essaya vainement de
mettre un terme par son intervention à cette guerre sans
trêve et sans merci. Les Génois voulaient être indemnisés
des frais de la guerre, l'Aragon s'y refusait ; il lut donc im-
possible de s'entendre, et la guerre recommença avec plus
de furie que jamais. — Alphonse, pendant ce temps, encou-
ragea de son mieux les longues discordes qui déchiraient la
Castille sous la minorité d'Alphonse XI. Quant aux affaires
intérieures de son royaume, la paix qui subsista en Aragon
sous ce régne si agité au dehors fut troublée parles querelles
de son fils et de son héritier, don Pedro, avec la reine Léo-
nor de Castille , femme d'AJphonse IV. Ce prince mourut
à Barcelone, en 1336.
ALPHONSE V, fils aîné du roi Ferdinand d'Aragon, né
infant de Castille, inaugura son règne ( I4l6) par la clé-
mence, en pardonnant à des rebelles qui avaient conspiré
pour l'écarter du trône, et en déchirant sans la lire la liste
de leurs noms. Puis , avec une feimeté non moins rare, il
refusa de céder aux plaintes et aux menaces des nobles ara-
ALPHONSE 413
gonais qui lui reprochaient de confier à des Castillans les
emplois de sa maison, prétendant à ce propos qu'un roi de-
vait avoir le même droit qu'un particuUer de choisir ses
domestiques. Mais les qualités même les plus dignes d'élo-
ges, portées à l'excès, peuvent devenir des défauts ou des
crimes. La fermeté d'Alphonse dégénéra plus tard en atroces
rigueurs, et la disparition mystérieuse, en 1420, de l'arche-
vêque de Saragosse, ennemi secret du roi, remplit de terreur
l'Aragon tout entier, et fut attribuée, non sans vraisemblance,
à la haine du monarque. — Le caractère d'Alphonse, habi-
tué à ne reconnaître de lois que sa propre volonté, s'ac-
commodait mal de la légalité tracassière du peuple arago-
nais et de l'esprit d'indépendance de sa noblesse. Aussi,
abandonnant bientôt un théâtre trop étroit pour lui, passa-
t-il hors de l'Aragon le reste de sa vie, occupé de satisfaire
en Italie, par la conquête du royaume de Naples, l'ambition
héréditaire de sa race. Alphonse se trouvait en 14 1 7 en Sar-
daigne, occupé de réduire cette île, toujours conquise et
toujours rebelle, lorsque la reine Jeanne II de Naples lui fit
offrir de l'adopter pour son héritier. Le roi, contre l'avis de
ses conseillers, accepta l'offre et envoya une flotte pour dé-
livrer >'aples , qu'assiégeait, avec une flotte et une armée
française, le duc d'Anjou, qui prétendait aussi au titre de
fils adoptif de la reine. Nous ne raconterons pas en détail
cette guerre longue et décousue, où la reine, femme capri-
cieuse et dissolue, changeant sans cesse d'affections et de
parti, finit par se tourner contre son fils adoptif et devint
la plus mortelle ennemie du roi d'Aragon. Mais à la fin Al-
phonse, prenant ^'aples d'assaut, en chassa la reine, qui,
s'enfuyant à Nola , appela à son aide les Français , le pape,
les Génois et le duc de Milan.
Alphonse , après être revenu dans ses États mettre en
ordre les affaires intérieures de l'Aragon ( 1423) , après avoir
assis sur le trône de Navarre son frère Juan , songeait à re-
tourner en Italie poursuivre la grande entreprise à laquelle
il avait voué sa vie. Mais pendant son absence la chance
avait tourné, et toutes ses conquêtes lui avaient été enlevées
l'une après l'autre par les alliés de la reine. Le pape l'avait
combattu avec ses armes, c'est-à-dire en l'excommuniant;
mais Alphonse , sans s'en inquiéter autrement , défendit à
ses sujets d'avoir aucune relation avec le saint-siége. Le
refus des états d'Aragon de fournir plus longtemps aux frais
d'ime guerre doul les fruits n'étaient pas pour eux, empê-
cha jusqu'en 1432 Alphonse de recommencer sa croisade
italienne. Enfin la mort du pape et les offres /ie la capri-
cieuse reine, bientôt lasse du duc d'Anjou comme elle
l'avait été d'Alphonse , le rappelèrent en Italie , et il alla dans
son royaume de Sicile attendre les événements. La mort du
ducd'Anjou, en 1443, promptement suivie de celle de la vieille
reine, vint lui donner le signal qu'il attendait; et bien que
la reine en mourant eût adopté René , le frère du duc dé-
funt, pour susciter un concurrent au roi d'Aragon , celui-ci
mit à la voile avec sa flotte , et donna le signal d'une longue
guerre qui se termina enfin par une transaction avec le pape
Eugène 111 , de qui Alphonse consentit à recevoir l'inves-
titure de la couronne de Naples , à titre de fief du saint-
siége. Le pape reconnut en outre Ferdinand, bâtard d'Al-
phonse, comme son successeursur le trône de N'aples(l443).
En retour, Alphonse, pendant les années suivantes, servit
loyalement la cause de son nouveau suzerain , et l'aida à
reconquérir sur ses ennemis une partie du territoire de
l'Église. Pendant cette longue absence Alphonse avait confié^
le gouvernement de ses États d'Espagne à son frère Juan et*
h la reine d'Aragon, abandonnée par lui pour une maîtresse
italienne. C'est à Naples, sous ce beau ciel, qu'il préférait à
celui de l'Aragon , et au milieu des douces distractions de
l'étude et des arts , que s'écoula le reste de sa ^^e. Entouré
de tous les beaux esprits que faisait éclore en Italie l'aurore
de la Renaissance, passionné comme eux pour les études
classiques, qu'il essaya d'importer en Aragon , Alphonse
414
mourut à Naplcs en 1458, li^giiant par son teslament ses
possessions d'Espagne avec la Sicile et la Sardaigne à son
frère Juan de Navarre , et Naples à son (ils naturel Feniiuand ;
car il uc laissait pas après lui de fds légitime.
RoSSF.EtW-SMNT-HlLAIRE.
ALPHONSE , rois de Naples. — Deux princes ont
porté ce nom sur le trône de Naples. Le premier est le
même qu'Alphonse V d'Aragon (loye:, ci-dessus).— Le se-
cond, son petit-fils, monta en 1494 sur le trône, mais ne
sut pas le défendre contre les prétentions armées du roi de
France Charles VIK. iMal secondé par ses sujets, et
abandonné par ses alliés , il abdiqua en faveur de son fils ,
Ferdinand !"■, sans même attendre l'arrivée de l'armée
française , puis se retira en Sicile , où il mourut à la fin de
l'année , dans le monastère de Marzara , laissant la mé-
moire d'un prince pusillanime , plus fait pour porter le froc
qu'une couronne.
ALPHONSE. Six rois de Portugal ont porté ce nom :
ALPHONSE I", fils de Henri de Bourgogne, de la mai-
son royale de France , fut le premier roi de Portugal. Il
était né en 11 10, et monta sur le trône en 1139, à la suite
de la bataille de Castro-Verde , remportée sur les Maures.
Jusque alors simple comte de Portugal, ses soldats, dans
l'enivrement du triomphe, le saluèrent du titre de roi. Heu-
reux d'abord dans ses guerres d'agrandissement entreprises
dans le Léon et PEslramadure, il fut fait prisonnier à la
suite d'un siège inutilement mis par lui devant Badajoz, et
(lut alors restituer au roi de Léon toutes ses conquêtes pour
obtenir sa liberté. Il mourut en 1185, à Coîmbre.
ALPHONSE II, dit le Gros, successeur, en 1211, de son
père, SancheP", mourut en 1223, à l'âge de trente-neuf ans. Il
lit rédiger un code de lois, dans le nombre desquelles^ s'en trou-
vait une qui défendait que les condamnations à mort fussent
exécutées avant qu'il se fût écoulé vingt jours depuis l'arrêt.
ALPHONSE III , second fils dn précédent, succéda, en 124 8,
à son frère aîné Sanche II. Il mourut en 1279, après avoir
conquis sur les Maures le royaume des AlgaiTes.
ALPHONSE rv^ , petit-fils du précédent , monta sur le
trône en 1325, à la mort de son père, Denis le Libéral, contre
qui il s'était plusieurs fois révolté. Son fils, Pierre , ayant
épousé en secret la belle Inès rfe C a s ^r o , il la fit poignar-
der. Fils dénaturé, père barbare, il fut en outre mauvais frère ;
car il persécuta l'infant Alphonse-Sanche , son frère, tant
qu'il vécut. 11 soutint une guerre aussi longue qu'acharnée
contre son gendre, le roi de Castille, et ne se réconcilia avec
lui que pour marcher de concert contre les Maures. Il as-
sista à la fameuse bataille de Tarifa, livrée en 1340, et
gagnée par Alphonse XI de Castille, et mourut en 1366,
à l'âge de soixante-dix-sept ans.
ALPHONSE V, surnommé l'Africain, parce qu'il prit aux
Maures Tanger et quelques autres places de la côte septen-
trionale de l'Afrique, né en 1432, monta sur le trône à l'âge
de six ans , et fut placé par les états du royaume sous la
tutelle de son oncle Pierre, duc de Coîmbre. Parvenu à sa
majodté, Alphonse contraignit son oncle à prendre les
armes pour sa défense personnelle, et dans une rencontre le
tua de sa propre main. Il eut de nombreux et sanglants dé-
mêlés avec Isabelle de Castille, et porta la guerre en Afrique.
Fatigué des grandeurs, il abdiqua en faveur de son fils, et
se retira dans un monastère, où il mourut de la peste,
en 1481. C'est sous le règne de ce prince que les Portugais
découvrirent la côte de Guinée, et y fondèrent leurs premiers
établissements.
ALPHONSE VI, de la maison de Bragance, successeur
de Jean IV, monta sur le trône en 1656. Ses débauches et le
dérangement de ses facultés intellectuelles le firent déposer
en 1667. Son frère, Pierre, fut nouuné régent à sa place.
Relégué danslllede Terceire, piris à Cintra, où il resta enfermé
dans un monastère le reste de sa vie, il y mourut, en 1683 ,
oublié et méprisé. Pierre éponsa sa vcu>e, cl lui succéda.
ALPHONSE — ALQTJIER
ALPHONSINES (Tables). Alphonse X, roi de Cas-
tille et de Léon, se livra avec ardeur à l'étude de l'astronomie.
Les hypothèses embarrassées qu'il fallait admettre pour
concilier tous les phénomènes célestes , lui faisaient dire :
« Si Dieu m'avait consulté lorsqu'il créa l'univers , les
choses eussent été dans un ordre meilleur et plus simple. »
Copernic n'avait pas encore paru, mais on était déjà vive-
ment frappé de voir la théorie admise s'écarter de plus en
plus des observations nouvelles. Alphonse X résolut de cor-
riger les tables de Ptolémée, et dans ce but dès 1248 il réu-
nit à Tolède un grand nombre d'astronomes chrétiens , juifs
et arabes , parmi lesquels on remarquait Ishak Aben-Said,
Alkabith, Aben-Ragel, Aben-Mousa, Mohammed, etc. Après
quatre ans de travail, les tables nouvelles parurent, et furent
nommées à juste titre Tables Alphonsines. Elles ne coû-
tèrent pas moins de 40,000 ducats, somme énorme pour
l'époque. Les connaissances astronomiques d'alors étaient
insuflisantes pour faire une œuvre exempte d'erreurs; les
Tables Alphonsines apportèrent cependant de nombreuses
améliorations ; ainsi elles donnèrent plus exactement que
celles qui les avaient précédées le lieu de l'apogée du soleil,
et elles déterminèrent à 28^econdes près la durée de Tan-
née. Leur première édition parut en 1492; elles ont été
réimprimées depuis.
ALPHOS (du grec â).?o?, blanc). On désignait autrefois
sons ce nom une variété de la lèpre, caractérisée par des
taches blanches de la peau. C'est la lèpre squameuse d'Ali-
bert. La maladie appelée au moyen âge morphée blanche
semble se rapporter à cette affection.
ALPIIXI ( Prosper ), médecin et botaniste, naquit à Ma-
rostica, dans l'État de Venise, en 1553. 11 vécut longtemps en
Egypte, d'où il rapporta des observations précieuses pour la
science , et à son retour, à l'âge de trente et un ans , il fut
élevé au poste de médecin "de la (lotte d'André Doria; puis
il passa à l'université de Padoue, en qualité de professeur
de botanique. Il a laissé plusieurs traités estimés sur la Mé-
decine, les Plantes, et YJIisioire naturelle de l'Egypte,
sur les Plantes exotiques, sur la Médecine méthodique,
et sur les Pronostics ( Deprxsagienda vita et morte œgro-
tantiuni ). II est le premier qui ait décrit la plante du café.
Alpini mourut à Padoue, en 1617.
ALPISTE ou PHALARIDE, genre de plantes de la fa-
mille des graminées , dans lequel on compte une douzaine
d'espèces. La plus importante est Valpiste ou phalaride
des Canaries, dite aussi graine de Canarie, du pays dont
elle est originaire. Cette plante est annuelle. Les (leurs sont
disposées en épi ovale. Ses semences ont servi anciennement
à la nourriture des habitants des Canaries ; elles ont encore
aujourd'hui la même destination dans quelques parties de
l'Espagne, où elles se mangent en bouillie; mais leur emploi
le pins fréquent s'applique à la nourriture des oiseaux do-
mestiques, surtout des oiseaux d'agrément, tels que le se-
rin , etc. — On cultive dans quelques circonstances l'alpiste
comme fourrage vert, très-hâtif; cette plante, en effet, naît,
vit et meurt en trois mois. Ce fourrage plaît beaucoup aux
animaux. — La farine de graine d'alpiste est préférable à
celle de froment pour faire la colle destinée à affermir la
chaîne des tissus fins. Cet emploi seul en a rendu en Alle-
magne et en Angleterre la culture assez considérable. Une
variété de l'espèce alpiste-roscau est cultivée comme or-
nement dans les jardins sous le nom de ruban.
ALQUIER (Cuaules-Jean-Makie), né à Talmont, en
Poitou, le 13 octobre 1752, fit ses études chez les oraloriens,
et voulut entrer dans leur congrégation; mais, renonçant
à la carrière ecclésiastique pour celle du barreau, il était de-
venu successivement avocat du roi au présidial de la Ro-
chelle, procureur du roi au tribunal des trésoriers de France,
puis maire de cette ville, Ior.squ'en 1789 il fut élu par le
pays d'Aunis député du tiers-état aux étafs généraux. H
siégea au côté gauche de la Constituante, fit partie de plu-
ALQUIER — ALSACE
sieurs coniili^, et prononça quelques discours chaleureux
en diverses circonstances. Tour à tour commissaire dans le
Nord et le Pas-de-Calais, président du tribunal criminel de
Seine-et-Oise, député de ce déparlement à la Convention na-
tionale, il assista au procès de Louis XYI après être allé à
Lyon, où il avait été envoyé en mission avec Boissy d'An-
nlas et Vitet. 11 vota la mort du roi, mais avec sursis jus-
qu'à la paix générale , et nagea entre deux eaux jusqu'à la
chute de Robespierre. Alquier fut encore envoyé avec Ri-
chard à l'armée du Nord, d'où il transmit à l'assemblée les
détails de la conquête de la Hollande. Membre du conseil
des anciens en 1795, il y fil décréter la création du Conser-
vatoire des Arts et Métiers et la suppression du clergé régu-
lier de la Belgique. — Depuis l'année 1798, si l'on en ex-
cepte le poste de receveur général de Seine-et-Oise, où il ne
fit que passer en 1799, la carrière d'.Uquier fut toute diplo-
matique. Successivement consul général à Tanger, ministre
plénipotentiaire en BaAière, ambassadeur à Madrid, il cé^la
ce dernier pojte à Lucien Bonaparte pour aller négocier à
Florence, en ISOl, la paix avec le roi de Naples; il obtint
la cession de la moitié de l'île d'Elbe, ainsi que le payement
d'une indemnité de 500,000 francs pour les Français qui
avaient été pillés à Rome. — Ambassadeur à N'aples, il y
provoqua la disgrâce et l'exil du ministre Acton, et se retira
sans prendre congé lorsqu'en 1805 Bonaparte envoya une
armée pour y placer sur le trône son frère Joseph. Succes-
seur du cardinal Fesch à Rome, et chargé de lever les ob-
stacles qui empêchaient l'alliance projetée par Napoléon avec
le saint-siége, il en reconnut les difficultés, et s'en expliqua
sans défour avec l'empereur, qui le rappela. « Monsieur .A.1-
quier, lui dit Napoléon, vous avez voulu gagner les indulgences
àRome. — Sii'e, répondit le spirituel diplomate, jen'aijamais
eu besoin que de la vôtre. " — Envoyé à Stockholm en 1810,
il y fit adopter le système du blocus continental contre l'An-
gleterre; mais, contrarié par l'influence de Bernadotte, il
se rendit à Copenhague, et entraîna les Danois dans une
guerre avec la Suède. Atteint par la loi du 12 janvier 1816
contre les régicides, Alquier dut s'expatrier; mais il rentra
en France le Ujanvier 1318, grâce à l'intercession de Boissy
d'Anglas et du maréchal Gouvion Saiiit-Cyr. De retour à
Paris, il y vécut dans une heureuse et paisible retraite jus-
qu'à sa mort, arrivée le 4 février 1826. H. Audiffket.
ALQUIFOUX. On nomme ainsi dans le commerce la
galène ou plomb sulfuré. Les femmes de l'Orient le ré-
duisent en poudre fine, qu'elles mêlent avec du noir de fu-
mée pour en composer une pommade dont elles se servent
pour se teindre en noir les cils et les sourcils, les paupières
et les angles des yeux. Les potiers de terre l'emploient pour
la couverte des poteries giossières. Ils le délayent dans l'eau,
et y plongent les vases qu'ils veulent vernisser. AMtrifié par
la chaleur du four, ce sulfure, en se fondant, se combine
et adlière à l'argile ; mais ce mode de vernisser est dange-
reux.
ALRUXES. Voyez Allrises.
ALSACE, grande et belle province de France, qui com-
prend aujourd'hui les départements du Haut-Rhin et du
•Bas-Rhin. Elle est bornée à l'ouest par les A'osges, qui la
séparent de la Lorraine, au sud-ouest par les principautés de
Porentruy et de Montbéliard, au sud par le canton de Bàle,
à l'est par le Rhin, qui la sépare du Brisgau et de l'Ortenau,
et au nord par la Bavière rhénane et l'évèché de Spire. Son
étendue est d'environ quarante-six lieues du midi au septen-
trion, et de huit à douze de l'orient à l'occident.
L'.\Isace était l'ancienne patrie des Triboques, des Séqua-
niens, des Rauraques et des Médiomatrices. Ce ne fut qu'au
septième siècle qu'Argcnlorat, sa capitale, prit le. nom de
Strasbourg. Conquise sur les Celtes par les Romains,
elle passa sous la domination des Allemands, et devint un
des trophées de la victoire que Clovis remporta sur eux à
Tolbiac en 490. Incoiiiorée au royaume d'AusIrasie, c<î fui
415
dès lors qu'elle prit le nom d'Alsace, latinisé du nom tu-
desque Elsass, <pii dérive d'Ill, en langue celte Eli ou
Ilell, rivière qui arrose une partie de cette province. Fré-
dégaire, dont la chronique se termine à l'année 641, est le
plus ancien historien dans lequel on trouve le nom iïAlsa-
lia, orthographié aussi dans des monuments postérieurs
Elisatia, Alisatia, HeUsatia, Helisacïa et Alsacia.
Les rois francs avaient formé de l'Allemagne et de l'Al-
sace une seule province, dont ils confièrent le commande-
ment et l'administration à un duc. Mais vers le milieu du
septième siècle , l'Alsace fut séparée de l'Allemagne , et forma
dès lors un gouvernement ducal , ou de premier ordre. Le
premier gouverneur fut le duc Gundon, vers 650. Ensuite
nous trouvons : Boniface en 656, Adalric , par contraction
Athic, en 662, .\delbert en 600, et Luitfrid en 712. La dignité
ducale en Alsace s'éteint dans la personne de Luitfrid , en
730. Elle est rétablie en 867 par Lothaire , roi de Lorraine,
en faveur de Hugues , son fds naturel , qui en est dépouillé
en 870 par Louis, roi de Germanie. L'Alsace est réunie au
royaume de Lorraine en 895, puis au royaume de Germanie
en 925. Cette dernière époque fut celle de la réunion du
duché de l'Alsace à celui de Souabe, gouvernés par un même
chef. Voici la liste de ces ducs : Burchard 1" en 925, Her-
man F"" en 926, Ludolphe en 949, Burchard JI en 95'i, Ot-
ton en 973, Conrad I" en 982, Herman II en 997, Her-
man III en 1004 , Ernest V en 1012 , Ernest II en 1015 ,
Herman IV en 1030, Conrad II en 1031, Henri I" en 1039,
Otton II en 1045, Otton III en 1047, et Rodolphe de Rhin-
felden en 1057. Tous ces ducs étaient des officiers amovibles
et révocables à la volonté des rois francs , puis des empe-
reurs d'Allemagne. Leurs successeurs, dont nous allons
parler, furent héréditaires, possesseurs de l'Alsace et sou-
verains dans leur gouvernement. Leurs noms suivent : Fré-
déric F"" de Hohenstaufen en 1080, Frédéric II en 1105,
Frédéric III en 1147, Frédéric IV en 1152 , Frédéric V en
1169, Conrad III en 1191, PhiHppe en 1196, Frédéric VI
en 1208, Henri II en 1219, Conrad en 1235, et en 1254
Conrad V ou C onr adin, que Charles d'Anjou fit périr à
Naples sur un échafaud, le 29 octobre 12GS. Ce prince in-
fortuné n'avait que dix-sept ans. Il fut le de.aier duc d'Al-
sace, et le dernier rejeton de l'illustre maison de Hohens-
taufen, qui depuis l'année 1188 avait porté si.\ fois la
couronne impériale.
Lors de l'établissemient du gouvernement ducai en Alsace,
deux comtes provinciaux ( landgraves ) furent adjoints aux
ducs pour administrer la justice et les deniers pubHcs. Peu
à peu ces simples magistratures devinrent aussi héréditai-
res, et à l'extinction des ducs, les comtes ou landgraves
étaient déjà en possession des droits régaliens. Le landgra-
^^at supérieur, ou haute Alsace ( Sudgau ) , qui paraît être
le pagits Suggentensis, dont parle Frédégaire sous l'an 595,
avait pour capitale Colmar; Strasbourg l'était du land-
graviat inférieur, ou basse Alsace ( Nordgau ). Rodebert , qui
vivait en 678, est le premier connu des comtes bénéficiaires
de la haute Alsace. Ce comté devint héréditaire dans la
maison de Habsbourg à partir d'Otlion II, comte d'Al-
sace en 1090. Ses descendants, arcliiducs d'Autriche, rois
de Bohême et de Hongrie et empereurs d'.Allemagne, ont
porté le titre de landgraves d'.\lsace jusqu'à la paix de Muns-
ter, en lGi8, qui assura à la France la possession des deux
landgraviats de haute et basse .\lsace. Ce dernier comté fut
possédé presque héréditairement dès l'origine, quoiqu'à titre
bénéficiaire, par les descendants d'Élichon , successeurs, en
670, du comte Adelbert, son frère, fils du duc Adalric ou
Athic. Hugics V, comte d'Alsace ctd'Égishem, en 1078,
fut le dernier de cette race. La maison de Metz donna trois
comtes, dont le dernier fut Godefroi H, mort sans posté-
rité, en 1178. La maison de Werd , qui en reçut l'investi-
ture en 1192, de l'empereur Henri, a gouverné la basse
.\lsnce jusqu'en 1359. Un traité, ratifié en 1393, la transporta
416
ALSACE — ALTAÏ
aux évèques de Strasbourg, qui depuis ce temps ajoutaient
à leur titre celui de landgraves d'Alsace.
Un siècle avant l'extinction de la dignité ducale en Al-
sace, les empereurs d'Allemagne faisaient gouverner en leur
nom les terres immédiates qu'ils possédaient dans cette pro-
vince, par des ofliciers nommés landvogts, espèce de pré-
fets, toujours choisis parmi les plus grandes familles. Hézel
était pourvu de cette charge en 1123. Nos rois l'ont con-
servée après la cession de l'Alsace à la France , et le duc de
Choiseul en était titulaire en 17S0. Lnsisheim était le chef-
lieu des possessions autrichiennes dans cette province.
L'Alsace fut cédée à la France par le traité de Munster
en 1648. Ce fut une importante conquête que celle de ce
formidable boulevard , que nous opposait depuis tant de
siècles la maison d'Autriche. Un peuple belliqueux , qui
avait toujours eu les armes à la main pour soutenir des
guerres privées et des intérêts souvent contraires à son in-
dépendance , accueilUt avec transport sa réunion à la grande
famille française. La bravoure héréditaire des Alsaciens et
leur attachement à la France, leur ancienne patrie, sont des
garants plus sûrs pour la défense de nos frontières que les
nombreuses places fortes qu'ils peuvent opposer à l'ennemi.
Les Alsaciens sont en général grands et forts. Le plat alle-
mand est encore la langue du pays. Les eaux qui arrosent
cette contrée et les nombreuses et belles forêts qui la cou-
vrent, ainsi que les mines qui y abondent, ont concouru à
en faire une des plus florissantes provinces de France, sous
le rapport du conmierce et de l'industrie.
ALSEiV. L'une des plus belles îles de la Baltique , siège
d'un évêché et séparée de la côte du Schleswig par un bras
de mer d'une largeur si exigué qu'un bac établi à Sonder-
bourg , entre les deux rives , permet de communiquer facile-
ment en tout temps avec le continent. LUe a environ trente
kilomètres dans sa plus grande longueur, sur dix de largeur,
et est célèbre par sa fertilité , par le haut degré de perfection
de sa culture, par ses sites pittoresques ainsi que par l'aisance
générale qui règne parmi ses habitants. Sonderboiirg, petite
ville d'environ 2,500 âmes, pourvue d'un bon port et faisant
un commerce de cabotage assez actif, en est le chef-lieu.
On y remarque un vieux château fort auquel se rattachent
de précieux souvenirs historiques. C'est là, en effet, que le
Néron du Nord , Christiern II , fut détenu pendant plus de
vingt années; et on montrait naguère encore, dans le cachot
qui lui servit si longtemps de séjour, une table grossière en
granit dont ce monarque, pendant ses longues heures de
solitude et de désœuvrement , avait sensiblement usé la
surface en y promenant drculairement ses doigts par ma-
nière de passe-temps : cette table se trouve aujourd'hui au
musée de Copenhague. Les caveaux de cette vieille cons-
truction féodale servent de sépulture aux \mntcs à' A u g it s ■
t en bourg, .\orbourg, siluéau nord de l'ile.esl bien déclm.
Augusienbourg, au centre de l'ile, dans une situation ravis-
sante, est remarquable par son vaste ciiàteau. La noble fa-
mille qui l'habitait, dépouillée de tout ce qu'elle possédait,
s'est vue réduite à demander asile à l'étranger. Les établis-
sements agricoles et le magnilique haras qu'y avait fondés le
duc Chrétien- Auguste n'existent plus. Sa bibliothèque
a été dispersée , et son argenterie transportée à Copenliai^ue.
La population de l'ile d'Alsen peutêlreévaluée à 25,000 âmes.
ALSTON (CuMU.Es), botaniste et médecin, né à L<ldle-
wood (Ecosse) en 1083, mort en 1760, M plusieurs voyages sur
le continent, étudia sousBoëihaave et professa la botanique
et la naatière médicale à Edimbourg, dont il dirigea aussi le
jardin botanique. On lui doit un Index plantarum prx-
cipue of/whialiuni ( 1740), réimprimé sous le titre de Tiro-
cinhim botanlcum Edimbuigcnse (1753), et un Index me-
dicamenlorum simpUcium triplex (1762). Ses principes
botaniques étaient en opposition à ceux de Linné, et il s'obs-
tina à regarder le sexe des plantes comme une hypothèse. On
a encore d'Alston des dissertations sur l'étain considéré
comme anthelminlique, sur l'opium, sur la chaux vive et
l'eau de cliaux. Ses leçons sur la matière médicale ont été
imprimées après sa mort. Mutis lui a consacré un genre
de plantes de l'Amérique sous le nom A'alstonia. Z.
ALSTRCHEMER (Jonas), célèbre industriel suédois du
dix-huitième siècle, né en 1C85 ù Alingsas (Westrogothie),
mort en 1761, à Stockholm, introduisit dans sa patrie la fa-
brication des draps fins, des cotonnades et des soieries.
A l'âge de vingt-neuf ans il n'était encore que simple
commis chez un marchand de Londres. Le spectacle de la
grandeur commerciale de l'Angleterre lui inspira le désir
d'importer en Suède ce génie de l'industrie dont il pouvait
admirer les prodiges et apprécier les bienfaHs. Il eut d'abord
à triompher de l'apathie publique , puis après de cet esprit
de dénigrement qui en tout pays semble être l'inévitable
partage des novateurs ; mais la Suède finit par rendre Jusr
tice à ses patriotiques efforts , et par comprendre que c'était
au développement de son industrie, à l'amélioration de ses
procédés de travail , à l'élargissement de son cercle d'action
commerciale , qu'elle devait désormais demander la répara-
tion des profondes plaies causées dans tout le corps social
par les brillantes fohes de Charles XII. Les récompenses ne
manquèrent pas alors à Alstrœmer : il fut anobli , nommé
membre du conseil supérieur du commerce et adimis dans
l'Académie des Sciences. En 175G son buste fut placé dans
la salle de la Bourse de Stockholm : honneur dont il ne jouit
du reste pas longtemps; car cinq ans après il mourait,
laissant une belle et honorable fortune à quatre fds , qui
furent aussi des hommes distingués. Trois d'entre eux mé-
ritèrent d'être nommés , comme leur père, membres de l'A
cadémie des Sciences; et l'un, Claude .'Vlstroemer, bota-
niste d'une grande érudition, né à .Alingsas le 9 août 173G,
eut l'honneur de voir son nom donné à un genre de plantes.
Élève de Linné, il est souvent cilé dans les ouvrages de
ce prince de la science, comme lui ayant fourni un grand
nombre de plantes nouvelles. Claude Alstrœmer mourut à
Gasewadsholm le 5 mars 1796. On a de lui de nombreux
articles dans les Mémoires de l'Académie de Stockholm. *
ALSTROEMËRIE , nom donné par Linné , en l'hon-
neur du savant naturaliste Alstrœmer, à un genre de
plantes de la famille des amaryllidées , dont les espèces sont
toutes originaires de l'Amérique méridionale. Leur racine
est fibreuse; leur tige tantôt dressée, tantôt volubile et
grimpante ; les feuilles en sont alternes , ovales ou lancéo-
lées. Les fleurs, qui atteignent quelquefois un développement
considérable, sont souvent disposées en ombelle simple. Un
grand nombre de ces plantes pourrait servir à l'ornement
de nos serres : Y alstrœmer ia formoslssima , entre autres,
serait d'un effet superbe par ses immenses ombelles , oii
quarante à quatre-vingts fleurs, qui divergent d'un centre
commun , et qui sont longues d'un pouce et demi chacune,
étalent de vives nuances de rouge , de jaune et d'azur. On
ne cultive guère, cependant , que trois de ces espèces dans
nos jardins. La première, vulgairement désignée sous le
nom de Us des Incas , est Yalsfrœmerla peregrina, qui
croit naturellement sur les collines sablonneuses du Pérou
et du Chili ; les deux autres sont Valstrameria pulclirclla
et Valstrœmeria ligto, à fleurs rayées et odorantes.
ALTAÏ , c'est-à-dire Montagne d'Or, dénomination que
l'on emploie encore aujourd'hui dans l'extension la plus di-
verse pour désigner les versants septentrionaux du plateau
situé à l'est de l'Asie, et formant la frontière qui sépare l'em-
pire de Russie de la Chine. Indépendamment des travaux
particuliers de Schmidt , d'.Vbel Rémusat et de Klaproth ,
puisés par ces écrivains aux sources mongoles et chinoises,
on trouvera les renseignements les plus précieux sur l'Altaï
dans les voyages de Ledebour, de Bungc, de Meyer, d'Alexan-
dre de Ilumboldt, de Hess et d'Ad. Erman ; tandis qu'il se faut
délier des cartes de ces contrées publiées jusqu'à ce jour, la
plupart étant excessivement défectueuses sous le rapport des
ALTAt — ALIENBOURG
noms et soiis celui <les indications gt^of;raphiqiic?. Outre le sys-
tème du Tliiàn Stliin, le système de l'Altai, dans sa plus large
expression , comprend les nombreux groupes de montagnes
situés au nord de l'extrémité de l'Asie , du 9S" au IGO" de
longitude orientale, depuis les plaines de Dsoungari, au mi-
lieu desquelles est situé le lac de Saïsàn à l'ouest, jusqu'aux
côtes de la mer d'Ocliolzki à l'est. Les vallées de Tlrtysch,
du Jéniséi , de la Selenga et de l'Amour fractionnent cet
immense plateau , dans la direction de l'ouest à l'est, en trois
groupes principaux : l'Altai proprement dit, le Khang-Gaï et
le Keutéi-Khàn ou Kliin-Gùn, qui se confond avec le plateau
de Daurie, dont le Jablonoi-Starowoï et l'Aldàn-Chrébet sont
les dernières ramifications vers le nord-est. Dans le groupe
situé le plus à l'ouest, il fixut distinguer le Tàngnou-Oola et
rOulàn-Goum de l'Altai proprement dit, dont les divers em-
branchements sont situés en partie sur le territoire russe et
en partie sur le territoire chinois. Le plateau de l'Altaï chi-
nois comprend , indépendamment de la vallée située sur la
rive droite du Haut-lrtysch, l'Ektagh ou Grand-Aliaï, dont
les pics les plus élevés, d'une hauteur de 2,800 à 3,300 mè-
tres, atteignent la région des neiges éternelles , et dont la
ramification orientale, r.4to/-fl/iH-to/6e, c'est-à-dire fin
de l'Altaï , finit par se perdre dans le désert de Gobi. —
L'Altaï russe , entre Sémipalatinsk et les sources de l'Ob ,
qu'on ne connaît guère que depuis deux siècles, et qui ri-
valise avec rOural sous le rapport des richesses métalliques ,
a été colonisé par les Russes, et forme aujourd'hui l'une
des plus importantes parties de l'immense empire russe.
Indépendamment des contrées limitrophes de la Chine , il
comprend un large plateau alpestre , l'Altaï Bjelki , c'est-à-
dire Montagne de JS'eige, dont les pics les plus élevés attei-
gnent une hauteur de 3,000 à 3,600 mètres, et dont les nom-
breux groupes sont déjà couvertsde neiges éternelles par 30°
de latitude ; et au nord il touche à la large zone de la région
minière de l'Altaï ( arrondissement de Kolywàn, etc., etc. ),
pour laquelle Barnoul, situé au nord, est un point impor-
tant de concentration. Tandis que les contrées monta-
gneuses et minières du nord et du nord-ouest se peuplent
de colons russes, qui viennent s'établir là pour cultiver le sol
et travailler aux mines , la frontière méridionale est dé-
fendue et surveillée par une série de petits forts et de postes
d'observation ; et au sud-est on trouve les Kalmoucks des
montagnes , peuplade mongole demeurée encore païenne ,
vivant sous l'autorité patriarcale de ses Demetschas , les-
quels sont eux-mêmes soumis à des Saïssdns. Ces Kal-
moucks ont conservé les habitudes de la vie nomade. L'été
ils transportent leurs tentes dans les riches prairies qu'of-
frent les différentes terrasses formées par les montagnes ;
l'hiver ils cherchent un abri dans les fondrières qui se trou-
vent au milieu des forêts.
ALTAÏR, ATAJR ou ALCAÏR. Quelques astronomes
désignent par ces noms une étoile de la constellation de
l'Aigle; pour d'autres c'est cette constellation tout entière;
d'autres, enfin, appellent ainsi la constellation du Cygne. Ce
sont diverses corruptions de l'arabe al ttaijr ( l'oiseau ).
ALT A3IIRA ( Famille Ossorio y Moscoso d'), l'une des
plus anciennes , des plus riches et des plus puissantes mai-
sons d'Espagne , dans laquelle la grandesse de première
classe est attachée au titre de comte. A la fin du siècle der-
nier, le chef de la famille d'AUamira était de très-petite
taille. « Mon Dieu ! que tu es donc petit ! lui dit un jour, en
riant , le roi Charles IV. — Sire , lui répondit fièrement le
comte , les Altamira ont toujours été grands ! »
ALTAROCUE ( Dcrand-Marie-Michel ), homme de
lettres, ancien rédacteur du Charivari, est né à Issoire ( Puy-
de-Dôme), le 18 avril 1811. Écrivain assez goûté, et plus
spirituel qu'une physionomie sans distinction ne semble-
rait le dénoter, M. Altarociie a fait paraître : Peste contre
Peste {dans Paris révolutionnaire, i?,3i), Chansons et Vers
politiques (1835-1830, 2 vol. in-18), Contes démocratiques
DICT. DE LA C0NVER3. — T. I.
417
(1837, in-32). Aventures de Victor Augerol (18-38, 2 vol.
in-S"); La Réforme et la Révolution (1841 , in-32) ; il a
en outre travaillé au Nouveau tableau de Paris et à
VAlmanach populaire. Déplus, il a donnéà la Porte-Saint-
Marlin , avec M. Laurencin, Lestocq, ou le Retour de Si-
bérie {ii3ù),et]iaT[\d[ié à la rédaction d'un grand nombre de
journaux. Sa plume mordante et satirique s'est surtout fait
remarquer dans le Charivari, dont il a pendant longtemps
été, avec M. Louis Desnoyers, le principal rédacteur; ce
genre de talent lui a valu avec le parquet divers démêlés,
dont le moins divertissant n'est pas celui qui l'amena en
cour d'assises pour une chanson qu'il avait bravement
signée comme sienne, et dont plus tard l'assassin Lace-
naire revendiqua la paternité, en pleine audience. A
propos de cela, Lacenaire rima mèiue , séance tenante, une
épigramme assez boutlonne qui circula de main en main et
fut reproduite par les journaux.
Après la révolution de Février, ses antécédents politiques
valurent à M. Altaroche l'honneur d'être envoyé par son dé-
partement comme représentant du peuple à l'Assemblée cons-
tituante ; avant cela, il avait été expédié par M. Ledru-Rollin
en qualité de commissaire dans le Puy-de-Dôme. Républicain
formaliste dans tous ses voles, M. Altaroche ne fut pas réélu
à l'Assemblée législative. Au mois d'octobre 1850 il prit
la direction de l'Odéon. Celle direction lui fut vivement
disputée, et il finit par la perdre. Il obtint ensuite la direc-
tion d'un iielit théâtre qu'il nomma les Folies-Nouvelles et
qu'il établit sur le boulevard du Temple. On y joua des pièces
à pantomime, avec de la musique et un nouveau pierrot.
Après six ans de succès, M. Altaroche céda, au mois d'avril
1859, son privilège à M. Eugène Déjazet, qui a donné son
propre nom à ce théâtre. *
ALTDORFER (Albert), peintre et graveur, né en 1488
à Altdorf en Bavière, mort en 1538àRatisbonne. On compte
d'ordinaire cet artiste parmi les élèves d'Albert Durer,
quoiqu'on ne puisse affirmer qu'il ait fréquenté son atelier.
En tout cas , c'est l'un des maîtres les plus ingénieux et les
plus originaux qui aient suivi la direction tracée par Durer.
Il y a dans ses compositions quelque chose de romantique
et de poétique , plein de charme pour quiconque admet les
conditions de l'ancien art allemand. Il y règne pailout la
vie la plus riche et aux formes les plus variées. Les pay-
sages et les figures en sont également léchés, pleins de dé-
licatesse et de fini. Son chef-d'œuvre est une Victoire d'A-
lexandre sur Darius, to'de qui orne la collection de Munich,
et qui produit sur le spectateur l'effet d'un poème héroïque
et romantique. Alfdorfer, comme graveur, est compris avec
Aldegrever parmi les artistes désignés sous le nom de
petits maîtres ; on l'appelle aussi quelquefois le petit Durer.
ALTEiVBOURGo Jolie viUe, capitale du duché de S a x e -
Altenbourg, située à peu de distance de la Pleiss, à en-
viron cinq myiiamètres de Leipzig , est bâtie dans une char-
mante contrée, et compte plus de 15,000 habitants. Le
château ducal, construit sur un rocher de porphyre qui
s'élève en partie à pic et domine la vallée , et dont les fon-
dations datent vraisemblablement du onzième siècle, mais
rebâti et considérablement augmenté au siècle dernier, est
célèbre dans l'histoire comme ayant été le théâtre de l' en-
lèveTtient desprinces commis en 1455 parKimzde Kau-
fungen, et forme aujourd'hui l'une des plus belles résidences
princièresde l'Allemagne. On y remarque surtout la chapelle,
la grande salle d'armes et de beaux plafonds peints par Cra
nach. Son parc, qui occupe toute la partie ouest de la mon-
tagne, est justement renommé.
La ville d'Altenbourg est le siège des principales autorités
du pays. Elle possède un gymnase, établi dans des bâtimeiils
d'une remarquable construction ; un séminaire pédagogique,
ayantpour annexe un institut de sourds-muets, fondéen 1 838 ;
une maison d'éducation et de retraite pour les filles nobles pro-
fessant la religion protestante, dont la fondation n-'ionte à
418
Tannée 1705; des écoles do différents defirés pour les deux
sexes, et un grand nombre d'établissements de bienfaisance.
11 y existe en outre une bibliotiièque publique et plusieurs
sociétés savantes. La fabrication des étoffes de laine y est
aussi active que prospère, et le commerce des grains et des
laines brutes s'y fait sur une très-large échelle. Un chemin
de fer met Altenbourg en communication avec Leipzig,
et par suite avec le vaste réseau de chemins de fer qui déjà
relie depuis longtemps entre eux tous I&s grands centres in-
dustriels et commerciaux de l'Allemagne. — 11 est mention
dès le onzième siècle d'Altenbourg dans l'histoire ; et en 1 1 ;i i
elle fut érigée en ville impériale. Les burgraves d'Altenbourg,
qui régnaient sur la contrée qu'arrose la Pleiss, y résidaient,
comme firent aussi plus tard les margraves de Misnie. Dans
la guerre que le landgrave Frédéric V, dit le Mordu, (it à Al-
bert, roi des Allemands , il s'empara de la ville et du châ-
teau d'Altenbourg, ainsi que de toute la contrée de la Pleiss,
et les garda à titre d'indemnité ; mais les burgraves d'Alten-
bourg s'étant éteints en l'an 1320, le landgrave Frédéric II
obtint de l'empereur la concession du fief. En 1430 les
hussites s'emparèrent de cette ville, et la réduisirent presque
complètement en ruines. En 1440 elle passa par héritage
aux électeurs de Sa^e, qui y tinrent pendant quelque temps
leur cour. De l'an 1G03 à l'an 1G72 elle servit de résidence
à la ligne de la maison Ernestine dite d'Altenbourg ; mais à
ce moment elle cessa d'être le séjour d'une cour , et ne le
redevint qu'en 1S26, lors du partage qu'amena l'extinction
de la maison de Saxe-Gotha.
ALTEIVDORF, petite ville de la Hesse Électorale. —
Après la victoire de Bamberg,le général Kléber, comman-
dant une aile de l'armée de Sambre-et-Meuse , passa la Red-
nitz le C août 1796, et s'avança vers Altendorf,où l'ennemi
avait établi un camp. La cavalerie de la division Lefebvre ,
qui formait l'avant-garde, attaqua et culbuta les avant-postes
autrichiens , et alla se déployer dans la plaine en présence de
l'armée impériale , qu'elle mit en désordre du premier choc.
Pendant que l'aile droite remportait cet avantage, la gauche,
attaquée par un ennemi beaucoup plus nombreux, soutenait
un combat acharné contre des forces supérieures. Les Fran-
çais allaient succomber sous ces masses compactes, lorsqu'un
régiment de cuirassiers , qui venait d'entrer en ligne , se
précipita avec impétuosité sur les colonnes ennemies et les
mit en fuite. Cette brillante charge fit reprendre l'avantage
aux Français ; les Impériaux furent repoussés, et le feu vio-
lent que l'artillerie autrichienne dirigeait indifféremment au
milieu delà mêlée générale parvint à peine à arrêter les com-
battants et à mettre fin à l'action.
ALTEXHEIM ( Combat d'). Depuis trois mois Turenne
fatiguait Montecuculli par de savantes marches et contre-
marches , dans le but de contrarier ses projets et de le forcer
à accepter le combat. C'est ainsi qu'il l'attira entre Salzbach
et Altenheim, où, placé dans une position avantageuse, il
résolut de l'attaquer, le 26 juillet 1675. Toutes ses dispositions
étant prises, Turenne aperçoit les Impériaux s'engager dans
des bois et des ravins. Plein de confiance dans ses di?;posi-
tions préparatoires, il s'écrie : « C'en est fait, je les tiens!
n ils ne pourront plus m'échapper, et je vais recueillir le fruit
• d'une si pénible campagne. » 11 monte aussitôt à cheval ,
et, accompagné du général d'artillciie Saint-Hilaire, va
reconnaître une batterie ennemie, qu'il se propose d'attaquer
la première. A cet instant, un boulet de canon emporte le
bras de Saint-Hilaire et va frapper la poitrine du maréchal,
qui tombe mort dans les bras de ses gens ( voyez Tluenne).
— A cette nouvelle l'armée franç<iise , qui allait engager le
combat, prit le parti de battre en retraite vers le pont d'AI-
tenheim. Le lendemain, les Autrichiens attaquèrent les Fian-
çais, et un combat terrible s'engagea entre les deux armées;
les Impériaux y perdirent cinq mille hommes, les Français
trois mille. Ces derniers se retirèrent après l'action, et re-
passèrent le Rhin.
ALTENBOURG — ALTENSTEIN
ALTEXIIEYM (Gabrielle SOUMET, madame ti')
fille d'Alexandre Soumet, née à Paris, le 17 mars 1814,
épousa, en 1834, M. d'Altenheym. Digne fille de son père,
elle montra dès sa première enfance un goût décidé pour
la poésie sérieuse. Elle écrivait à peine que déjà elle écrivait
en vers, et son succès dans le monde fut complet lorsqu'elle
y récita, encore enfant, quelques fragments de ses Filiales,
recueil de pièces diverses réunies sous ce titre, qui indique
les sujets et les sentiments des ouvrages dont il est composé.
Elle le publia en 1838, et le 24 avril 1841 elle fit représenter
au Théâtre-Français le Gladiateur, tragédie en cinq actes,
à laquelle son père avait travaillé, et qu'ils avaient ensemble
puisée dans Flavien, ou Rome aie quatrième siècle,
roman liistorique de leur ami Alex. Guiraud, de l'Aca-
démie française. En collaboration encore avec son père,
madame d'Altenheym a fait une Jane Greij , tragédie qui a
été jouée, le 29 mars 1844, au théâtre de l'Odéon. Elle a de
plus composé deux grands opéras en cinq actes et une tra-
gédie sur un sujet antique , qui sont encore dans son porte-
feuille, ainsi que la traduction en vers des Nuits d'Young
et le Poète, poëme qui doit faire suite à Berthe Bertha ,
autre poème qu'elle a publié en 1842. En 1858 elle a fait
paraître la Croixetla Lyre. \. Delaforest.
ALTEx\KIRCIIEX (Combats d'). Le 31 mai 1796,
Jourdan , général en chef de l'armée de Sambre-et-Meuse ,
rompant l'armistice qui avait été conclu le 1" janvier avec
l'armée autrichienne , et dans l'espoir de forcer l'archiduc
Charles à repasser le Rhin, donna l'ordre à Kléber de
traverser le fleuve à Dusseldorf avec 22,000 hommes. Klé-
ber exécuta ce mouvement avec rapidité ; les Autrichiens ,
commandés par le duc de NYurtemberg, se replièrent en toute
hâte sur le plateau d'Altenkirchen, qui avait été mis par l'en-
nemi sur un pied formidable de défense. Kléber attaque tout
à la fois l'aile gauche ainsi que le front des Impériaux. Enfin
une vigoureuse charge de cavalerie , exécutée par le géné-
ral d'Hautpoul, culbuta l'infanterie ennemie. Ce brillant fait
d'armes décida la victoire , et força les Autrichiens à battre
en retraite. Trois mille prisonniers, quatre drapeaux, douze
canons, une grande quantité de caissons, d'immenses maga-
sins de vivres tombèrent aux mains des vainqueurs. —
Trois mois après, le 19 septembre 1796, l'armée de Sambre-
et-Meuse , qui avait repris le cours de ses victoires en Alle-
magne , battue sur le Danube par une habile manœuvre de
l'archiduc, repassait le défilé d'Altenkirchen. Marceau
commandait son arrière-garde et soutenait sa retraite , quand
une balle , lancée par un chasseur tyrolien, priva la France
de ce jeune héros. L'histoire ne saurait trop redire, à l'éter-
nel honneur de Marceau , qu'il fut pleuré par les deux ar-
mées, et qu'elles suspendirent leurs combats pour honorer
son cercueil et sa mémoire.
ALTE\STEIN , château appartenant au duc de Saxe-
Meiningen , situé sur un plateau du versant sud-ouest des
montagnes de la Forêt de Thuringe, avec un vaste parc, de
beaux établissements agricoles et un haras pour dépen-
dances, fut construit en 1739, non loin des ruines du vieux
château détruit par un incendie en 1733, et considérable-
ment embelli vers la fin du dix-huitième siècle , lorsque la
famille ducale le choisit pour résidence d'été. De l'an 724
à l'an 727, Boniface, l'apôtre de l'Allemagne , prêcha l'Évan-
gile à Altenstein ainsi qu'à Altenberga , dans la principauté
de Gotha. Le 4 mai 1521 , l'électeur Frédéric le Sage, pour
sauver Luther, le fit arrêter à environ six cents pas derrière
le château et conduire à la Wartburg. Les noms de Hêtre
et de Puits de Luther perpétuent le souvenir du repos qu'y
prit le célèbre réformateur à l'ombre d'un vieux hêtre et de
la source où il étancha sa soif. Un violent orage ayant brisé
en 1841 cet arbre plusieurs fois séculaire, on en transporta
les débris dans l'église de Steinbach, en ayant soin d'indi-
quer par un petit monument l'endroit où il s'élevait. Entre
Altenstein et Liebenstcin, à Glucksbrimn, on découvrit
ALTE^STKIN — ALTEUAMS
419
en 1790, en construisant une chaussée, dans une vieille
couclie de pierre calcaire, une grotte qui est au nombre des
plus remarquables curiosités naturelles de l'Allemagne , et
connue sous la dénomination de Grotte d'Altensteiti ou de
Glucfisbrunn. On y trouva des ossements fossiles d'ours,
mais point de ces formations de stalactites comme c'a été
le cas dans tant d'autres grottes. En revanche, elle est re-
marquable par l'ampleur de ses proportions et par un cours
d'eau assez profond pour supporter des l)arques , coulant
avec une bruyante impétuosité et faisant tourner un mou-
lin à l'endroit où il arrive à la clarté du jour.
ALTEXSTEIX (Charles, baron de Stein d'), minis-
tre d'État prussien, né à Anspach, le 7 octobre 1770, mort
le 14 mai 1S40, entra dans l'administration comme référen-
daire à la chambre des domaines à Anspach, et y parvint
bientôt au poste de conseiller des domaines. Une plus vaste
carrière s'ouvrit pour lui en 1799 , lorsque, appelé à Berlin
par le ministre Hardenberg, il fut nommé conseiller minis-
tériel rapporteur. Quelques années après il fut admis à faire
partie du conseil de la direction générale en qualité de con-
seiller supérieur des tinances. Les malheurs de l'année 1806
l'amenèrent à Kœnigsberg, où il prit part aux travaux que
nécessita la nouvelle organisation à donner à la monarchie
prussienne. A la mort du baron de Stein , il fut appelé à la
direction du département des finances ; fonctions qui exi-
geaient à ce moment une capacité et des vertus peu com-
munes , et dans l'exercice desquelles il lui fut donné de
présider à la transformation totale du mécanisme adminis-
tratif et financier de la Prusse. Il prit aussi une part des
plus actives à la création de la nouvelle université (!e Ber-
lin. Quand le baron de Hardenberg rentra aux affaires,
en 1S12, Altenstein sortit du cabinet, et fut nommé en 1SI3
gouverneur civil de la Silésie. En 1815 il dirigea avec Guil-
laume de Humboldt les négociations relatives aux réclama-
tions fmancières élevées contre la France , réclamations qui
avaient échoué l'année précédente et qui cette fois furent
mieux accueillies. Vers la fin de 1817 il entra dans le nou-
veau cabinet qui se constitua alors , en qualité de ministre
de l'instruction publique et des affaires ecclésiastiques ; dé-
partement créé à ce moment , et où il a laissé de durables
souvenirs par les semces de tout genre qu'il rendit à l'ins-
truction publique, qui, entre autres services, lui est rede-
vable de la création de l'université de Bonn ainsi que de celle
de bon nombre de gymnases et d'écoles. En ce qui touche
les affaires ecclésiastiques, il eut le mérite de triompher d'un
grand nombre de difticultés, sans cependant réussir à mettre
fin d'une manière satisfaisante poinr toutes les parties aux
différends qui avaient surgi entre le saint-siége et le gou-
vernement prussien. Le comte d' Altenstein était un homme
d'un grand savoir, d'une infatigable activité , d'une rare
fermeté de caractère et d'une remarquable modestie.
ALTEXZELLE , ancienne abbaye de l'ordre de Cî-
teaux, sur la Mulde de Freiberg, aux environs de ^'os^en,
dans le royaume de Saxe , fut fondée et généreusement dotée
en 1 162 par le margrave Othon le Riche de Misnie, et donnée
en 1173 à des moines de l'abbaye de Pfordten. L'abbaye d'Al-
lenzelle fut surtout célèbre au treizième et au quinzième
sii\':le par le zèle éclairé dont ses religieux firent preuve
pour les progrès des sciences et des lettres, et l'école qui
y fut annexée dès le quatorzième siècle peut être considérée
comme le premier établissement d'instruction publique de
quelque importance qui ait existé en Saxe. Plusieurs reli-
gieux de cette abbaye se sont fait un nom par leurs tra-
vaux dans les lettres : par exemple, au commencement du
treizième siècle, l'abbé Liudiger, et, vers la fin du quinzième
siècle , les abl)és Antoine de Mitw eide et Léonard , tous
trois auteurs de sermons en latin. Il faut encore citer comme
infatigables transcripteurs des (ouvres d'autrui , l'abbé
Elwrhard, qui vivait vers le milieu du treizième siècle, et le
prieur Mckiiior Schmelzer, qui vivait à la fin du quir-^-ième
siècle. On doit aussi une mention toute particulière aux
deux abbés Vincent Gruncr (1411-1442), homme d'un
vaste savoir, et qui mérita bien de l'abbaye par les impor-
tantes constructions qu'il y ajouta, et Martin de Lochau
( 1493-1522) , qui ne fonda pas seulement à Leipzig un sé-
minaire pour les abbayes saxonnes de l'ordre de Cîteaux ,
mais qui , par ses nombreuses acquisitions , fit de la biblio-
thèque de l'abbaye d'Altenzelle l'une des plus riches qui
existassent alors en Saxe.
Une circonstance qui n'a pas peu contribué à donner à
l'abbaye d'Altenzelle une importance toute particulière pour
la Saxe , c'est que les restes mortels de tous les membres
de la famille du margrave Othon le Riche jusqu'à Frédéric
le Sévère et son épouse Catherine de Henneberg (morte en
1397), ont été ensevelis dans la chapelle dite des Princes,
construite dans l'intérieur du couvent par le margrave Fré-
déric le Grave, en 1347. Les annales rédigées dans cette
abbaye sous le titre de Chronicon Vetero-Cellense Majus
et de Chronicon Minus, que Mencken a insérées dans le re-
cueil de ses Scriptores Renan Germanarum (tome II) ,
sont d'une certaine importance pour l'histoire particulière de
la Sa.ve. Lors de la sécularisation de cette abbaye, opérée
en 1544 , les autels et les vases sacrés en furent répartis entre
un certain nombre d'églises. Les cloches en furent données à
l'église Notre-Dame de Dresde ; la bibliothèque, contenant
plus de cinq cents volumes manuscrits , à l'université de
Leipzig , et les archives transférées à Dresde. L'église et la
chapelle des P?-i?!ce5 y attenante furent toujours entretenue î
en bon état jusqu'en 1599, époque où la foudre les réduisit
en cendres. La reconstruction de la chapelle , projetée
déjà par Jean-Georges H, fut entreprise et terminée en
1787 par Frédéric-Auguste III. Dans le cimetière, placé au
milieu d'un beau jardin , s'élève un monument en marbre
dont les inscriptions latines contiennent le nom et la date
de la mort des différents princes dont les dépouilles mor-
telles ont été recueillies et déposées là dans cinq sarcophages
en pierre.
ALTERA PARS PETRI ou Secumla pars Pétri , et
aussi Rami. On emploie souvent dans les écoles cette
expression pour désigner le jugement , le bon sens , l'esprit,
la sagacité. Quand on veut faire entendre (pie ces qualités
font défaut à un individu , on dit qu'il lui manque Valteru
pars Pétri. On attribue l'origine de cette locution au ma-
nuel de logique de Pierre Ramée , Petrus R a m u s . Son
système de logique se composait de deux parties ; et dans
la seconde, l'auteur traitait de judicio. Par conséquent, le
jugement était littéralement le sujet du second livre de l'œu-
vre de Ramus, Valtera purs Rami. — D'autres expliquent
cette façon proverbiale de parler, par l'inscription placée sur
le tombeau de Ramée : Hicjacet Petrus Ramus (ci-g!t
Pierre Ramée ) , vir magnœ memoriœ (homme d'une grande
mémoire, c'est-à-dire qui savait beaucoup) expectans ju-
dicium (attendant le jugement dernier). Comme le mot
latin jicdicium signifie aussi jugement, bon sens, sagacité,
cette phrase pouvait aussi vouloir dire que, malgré ses vastes
connaissances, le bon sens lui avait manqué; amphibologie
que Ramus méritait moins que tout autre, si tant est qu'on
lui ait réellement fait cette épitaphe , dont quelques auteurs
gratifient aussi le philologue Josiié Barnébius.
ALTÉRANTS, substances dont les auteurs moderne.s
ont fait une classe de la division pharmaceutique. L'oppor-
tunité de leur emploi est à peu près connue ; mais le secret
de leur mode d'action est resté jusque ici inabordable. On
suppose que, pénétrant dans l'intimité des organes, ils agis-
sent moléculairement sur les tissus , dont ils modifient la
composition et l'exercice, produisant en eux un mouvement
intestin, qui a pour eflet la désagrégation des liquides,
l'augmentation d'énergie des fonctions absorbantes , et par
cela même la résolution de toutes sortes d'engorgements.
Les principaux altérants sont l'iode , le brome , le mercnre
»3.
ALTERANiS — ALTEIl EGO
420
el'eiTS dérivés. Les préparations arsenicales à doses infinité-
simales jouissent encore des mêmes propriétés. On les ap-
plique spécialement à la guérison des maladies sypliilitiiiues,
scrofuleuses et cutanées clironiques. D'' Delasul ve.
ALTÉRATIO\% cliangement de bien en mal dans
l'état d'une cliose. Dans toute société , la fonction du com-
merce consiste à servir d'intermédiaire entre le producteur
et le consommateur, à acheter au premier pour vendre au
second. Rançonner l'un et l'autre en achetant à bon mar-
ché et en vendant cher, tel est, on peut le dire, l'art ou
plutôt le métier du commerçant. Heureux encore le con-
sommateur si le commerçant eût borné là son savoir-faire !
Mais de tout temps, et sous tous les régimes sociaux en vi-
gueur jusque ici, on a vu le commerce chercher une augmen-
tation de gain dans l'altération des marchandises livrées à
la consommation. Ainsi Platon , dans son livre de lu Ré-
publique, se plaint des voleries des marchands, et propose
l'établissement de règlements sévères pour empêcher l'alté-
ration des poids et des denrées. Ainsi Pline nous apprend
que de son temps les substances les plus précieuses étaient
altérées avec une mauvaise foi insigne et une grande habi-
leté. Le fait de l'altération des denrées et des marchandises
n'est donc pas nouveau ; mais, grâce aux progrès delà chimie,
et grâce à cette libre concurrence tant prônée par les éco-
nomistes de l'école libérale , ce fait , il faut en convenir, n'a
jamais été aussi frcquent que de nos jours; de plus, jamais
il ne s'est produit avec des caractères aussi pernicieux. Les
clioses en sont arrivées à ce point que , pour mettre le pu-
blic en garde contre les différents genres d'altération que le
commerce fait subir aux substances alimentaires , il s'écrit
aujourd'hui des volumes.
Les genres d'altération les plus usuels et les plus préjudi-
ciables à la masse des consommateurs sont ceux qui por-
tent sur les farines, le pain, le vin, la viande, le lait, le
sel , les huiles , etc.
On altère les farines de froment avec de la fécule de pom-
mes de terre , avec de la farine de féveroles , de haricots ou
de seigle. Cette sorte de fraude, autrefois inconnue, a pris, à
ce qu'on assure, une telle extension dans ces derniers temps,
qu'en 1839, époque où le prix du blé était très-élevé, pres-
([ue toutes les farines qui se trouvaient sur la place de Paris
se trouvaient ainsi altérées.
Une fraude beaucoup moins innocente est celle qui con-
siste à introduire dans le pain diverses matières délétères ,
telles que le sulfate de cuivre , l'alun, le sulfate de zinc, la
craie ( carbonate de chaux), le plâtre, etc., etc. Ces
fraudes odieuses se commettent fréquemment en Belgique
et dans le nord de la France.
Anciennement on ne connaissait guère d'autre manière
d'altérer le via qu'en y mêlant une plus ou moins grande
(iuantité d'eau. Depuis trente ans il s'est accompli sous ce
rapport un immense progrès. Aujourd'hui on déguise la
\erdeur des vins de mauvais terroir; on aromatise les vins
. ommuns , de manière à leur communiquer le bouquet des
\ ins de qualité supérieure ; on modifie leur couleur à l'aide
(le substances tinctoriales ou de sucs végétaux ; on va même
jusqu'à fabriquer du vin sans raisin , au moyen de mé-
langes convenables d'eau, de sucre et d'alcool. Bref, il
n'est pas une denrée que le conmierce altère aujourd'hui
plus que le vin , et cette altération s'effectue presque tou-
jours au grand détriment de la santé publique.
Voici l'origine la plus commune de l'altération de la
viande : comme le bœuf, le mouton , le porc, sont tirés de
pays éloignés des gramles villes , et que pour en avoir un
plus giand prix les marchands de bestiaux se hâtent de les
y faire arriver promptement , il aiTive que ces animaux sont
surmenés. Alors la rapidité de la marche enflamme leur
sang et fait naître en eux une lièvre qui rend leur chair
extrêmement malsaine. La seconde cause de l'altération de
kt viande est la vétusté, (lui transforme toute viande en un
aliment essentiellement vénéneux. Les accidents qui sont
la suite de l'ingestion d'une viande altérée , quoique nom-
breux , sont peu remarqués , par la raison quils frappent
sur la masse du peuple , qui ne peut se rendre compte de
la cause des maladies qu'il éprouve.
Le lait, dont la consommation est très-considérable dans
les grandes villes , s'altère le plus communément avec de
l'eau ; mais souvent aussi , après l'avoir débarrassé d'une
partie de sa crème, on y introduit conjointement avec de
l'eau une émulsion d'amandes , et par économie une émul-
sion de graine de chènevis , qui change moins la couleur du
lait que l'eau pure; et comme ce liquide, ainsi affaibli, a
moins de consistance , les laitiers y ajoutent , en outre , de
la cassonnade, de la farine crue ou cuite, des jaunes d'oeufs,
(;u bien de la gélatine; et pour lui donner l'apparence du
lait très-crémeux , ils le colorent , soit avec du safran ou des
fleurs de souci, soit avec le jus de réglisse, soit enfin avec
le suc de carotte ou la racine de curcuma.
Les principales altérations du sel s'effectuent : 1"> avec de
l'eau , qui en augmente le poids ; l° avec le sel marin des
salpêtrières, qui se vend moins cher que le sel des salines;
3" avec le sel marin retiré des soudes de varech ; 4° avec le
sulfate de soude; 5° avec le sulfate de chaux réduit en pou-
dre fine; 6° avec de l'alun; 7° avec de la terre. Ces diverses
sortes d'altérations se produisent fréquemment aujour-
d'hui , et toutes sont plus ou moins nuisibles au consom-
mateur.
Enfin, c'est un fait reconnu qu'il est fort difficile, pour
ne pas dire impossible , de se procurer une seule sorte d'huile
qui ne soit plus ou moins altérée. Ainsi l'huile d'ohve , qui
est plus chère que les autres, se trouve ordinairement mé-
langée d'huile de pavot ou d'oeillette , qui coûte moitié moins.
Souvent aussi on l'altère avec du miel ou des matières
grasses.
Telles sont les principales altérations qu'a contribué à dé-
velopper dans des proportions effrayantes notre faux régime
de liberté commerciale , et contre lesquelles il est presque
impossible à la masse des consommateurs de se prémunir.
Le riche lui-même n'est pas à l'abri des conséquences d'un
tel régime ; mais c'est surtout le pauvre qui en est victime,
car le pauvre court avant tout après le bon marché , et les
denrées que le marchand livre à bas prix sont presque tou-
jours des denrées altérées. P. Forest.
Une lacune qui existait dans notre législation a longtemps
servi d'encouragement à ces sortes de falsifications;
car l'article 423 du Code Pénal, tout en prévoyant quelques
cas, en laissait un grand nombre hors de son atteinte. La
loi du 27 mars-l^"' avril 1851 est enfin venue combler cette
lacune , et une répression efficace tend à rendre aujourd'hui
moins communes des altérations trop longtemps tolérées.
Elle punit d'une amende de seize francs à vingt-cinq francs ,
et d'un emprisonnement de six à dix jours, ceux qui dans
leurs magasins , atehers ou maisons de commerce , ou dans
les halles, foires et marchés, exposent des substances alimen-
taires ou médicamenteuses qu'ils savent être falsifiées ou cor-
rompues ; l'amende peut même être portée à cinquante
francs, et l'emprisonnement à quinze jours, si la substance
falsifiée est nuisible à la santé. De plus , les objets qui cons-
tituent le corps du délit sont confisqués , et quand ils sont
nuisibles ils sont détruits et répandus, destruction et eflu-
sion que le tribunal peut ordonner avoir lieu devant l'éta-
blissement ou le domicile du condamné.
ALTER EGO, formule de style de la chancellerie du
royaume des Deux-Siciles, par laquelle le roi confiait à un vi-
caire général de l'empire, ou, en d'autres termes, à un man-
dataire, le complet exercice de tous les droits et préroga-
tives de la royauté, et en fait ainsi un autre lui-même. Ce
cas s'est présenté à Kaples lors de l'insurrection de Monte-
forte où le roi François \''\ mort en 1830, fut nommé par
son père Ferdinand, le G juillet 1820, aller cfjo. En France,
ALTER EGO — ALTESSE
421
l'expression usiti'e en pareille occurrence est celle de lieu-
tenant général du roijaitntc.
ALTERIXAÎVCE (Loi d'), principe en Acrlu diKiiiel
plusieurs botanistes admettent que tt)ule tleur est formée
d'un certain nombre de verticilles ou anneaux , d'organes
appendiculaires , et que les pièces qui composent chaque
verlicille sont insérées entre celle du verlicille qui préct-de
ou succède innnédiatemenf, et par conséquent alternent avec
elles. — Linné, dans sa P/ij/oso;;/iie/)0/o/i/(/M(?, semble avoir
soupçonné cotte loi lorsqu'il donne pour caractère distinc-
tif à la corolle d'avoir ses pièces placées entre les étamines,
taudis que celles du calice sont placées au-dessous de celles-
ci. De Candolle l'enlrevit réellement en énumérant, dans
sa Théorie élémentaire , les diverses combinaisons qu'on
peut trouver dans l'arrangement des organes de la tleur. Il
remarqua que la disposition la plus fréquente est celle où les
pièces de chaque verticille sont placées entre celles du ver-
licille précédent ; mais il se contenta de cet aperçu , sans
paraître avoir prévu qu'un jour il acquerrait la valeur d'une
loi générale. En 1825 M. Kaspail, dans ses Mémoires re-
latifs aux graminées , formula positivement la loi d'alter-
nance , qu'il regarda comme une règle fixe pour toute celte
famille. Il pensa môme qu'elle devait être apphquée à toutes
les monocotylédones. 31. Dunal, en 1829, adopta complète-
ment la loi d'alternance , et il peut être regardé comme ce-
lui qui lui a donné la plus grande extension. Depuis, !M. Au-
guste de Saint-Hilaire a, dans des mémoires sur différentes
familles , constaté fréquemment la riguem' du précepte en
en faisant de lumineuses applications.
ALTERNE, en botanique, exprime la superposition
alternative des mêmes organes sur un axe commua. Les
feuilles qui croissent des deux côtés de la tige et des bran-
ches , et qui ne sont pas en face les unes des autres , sont
alternes, à la différence des feuilles qu'on appelle opposées,
et qui naissent de points correspondants. Les feuilles de
l'érable sont opposées , celles de l'orme sont alternes. —
On emploie aussi le mot alterne pour désigner la position
alternante de deux organes de nature différente ; ainsi , i)ar
exemple, dans le plus grand nombre des cas, les pétales
sont alternes aux sépales.
Alterne, en géométrie, se dit des angles formés par deux
l'gnes droites parallèles avec les côtés opposés d'une même
sécante.
ALTESSE. Cette qualification avait originairement le
sens A' élévation , grandeur suprême , et était usitée dès la
plus haute ancienneté parmi les potentats et les princes de
l'Église. Les rois de France de la première et de la seconde
race se donnaient souvent le titre de celsitude ou d'altesse,
en parlant d'eux-mêmes. Saint Bernard le donne à Gauthier
de Bourgogne, évêque de Langres. Riais dans la suite les
titres de grandeur et d'éminence ont succédé à celui d'al-
tesse, pour les archevêques et évêques qui n'avaient point
de souverainetés. Les rois de Castille, d'Aragon et de Por-
tugal ont porté le titre d'altesse jusqu'au seizième siècle.
Charles-Quint, roi d'Espagne, le porta jusqu'à son avène-
ment à l'empire ( 1519). Les enfants de ce prince et ceux
de Ferdinand son frère, ainsi que tous leurs enfants et des-
cendants, archiducs d'Autriche et infants d'Espagne, prirent
le titre d'altesse. Ce titre fut aussi donné aux princes Phi-
libert et Thomas de Savoie, comme fils de l'infante Cathe-
rine d'Autriche. L'empereur le donna à don Juan d'Autri-
che, fils naturel de Philippe IV, roi d'Espagne. JVÎais les
grands d'Espagne ne consentirent à lui donner ce titre qu'en
obtenant de ce prince celui d'exeellence. En France, les
prédécesseurs de Louis XI avaient ordinairement la qualité
d'altesse, quelciuefois celle d'excellence. Cependant Phi-
lippe le Bel se qualifie 7ïotre majesté royale, dans une
commission qu'il donne au bailli de Caen pour la garde
des passages de Flandre, datée de Compiègne, ''^ vendredi
après la Madeleine (27 juillet) 131 i. On voit aussi dans
le Nouveau Traité de Diplomatique , t. 'VI, p. 81, une
lettre de l'empereur Frédéric IV au roi Charles VII , dans
laquelle ces deux monarques se traitent réciproquement de
sérénité (dont on a fiiit sérénissime). Henri V , roi d'An-
gleterre, se qualifiant roi de France, osa ne donner au roi
Charles VI que le titre de sérénissime piunce dk riuNCE ,
dans une assemblée de plénipotentiaires tenue à Winches-
ter, le 27 juillet 1415.
Dès que les rois de France eurent adopté le titre de 7na-
jesté, celui d'altesse fut donné d'abord à leurs frères et à
leurs enfants seulement, le titre d'excellence étant consaci'é
dans les relations diplomatiques pour les autres princes du
sang royal, qu'on traitait de Vous dans l'usage ordinaire.
Cet usage a duré jusqu'en 1(562. Le grand Condé se trouvait
à Rome à cette époque où Louis XIV , ne pouvant obtenir
du saint-siége une satisfaction suffisante pour une insulte
faite à M. de Créquy , son ambassadeur, se saisissait d'Avi-
gnon et du Comlat Venaissin, qu'il réunit à la France. Le
prince ayant réclamé d'Alexandre Vil le titre d'altesse,
le pape le lui accorda , le fit couvrir à sou audience, et lui
fit prendre place au consistoire au-dessus du dernier car-
dinal diacre. Depuis lors tous les princes du sang prirent le
titre d'altesse, qui est aussi passé aux enfants des rois. En
Allemagne , les princes souverains , tant séculiers qu'ecclé-
siastiques , prirent également le titre d'altesse à l'époque
où celui de majesté prévalut pour les rois. Cet usage était
entièrement consacré lors des conférences de Munsîer. Les
princes investis d'électorats étaient qualifiés d'altesse élec-
torale. Les autres princes et évêques souverains avaient le
titre d'altesse. En 1637, Louis XIII fit donner par ses am-
bassadeurs ce titre aux princes d'Orange, auxquels on ne
donnait précédemment que celui d'excellence. Mais dans
les pièces où le roi stipulait, on ne donnait le titre d'altesse
à personne : aussi dans les conférences de Munster ( 1644 ),
les plénipotentiaires français s'opposèrent-ils à ce qu'un dé-
puté du prince d'Orange prit la qualité de conseifier de son
altesse. Cromwell, qui parut dédaigner le titre de roi lors-
qu'il eut usurpé le pouvoir en Angleterre (1649), se faisait
donner celui d'altesse. En Italie, ce titre ne fut pas ac-
cordé d'abord à tous les princes jouissant de la souverai-
neté. La république de Venise ne donnait que l'excellence
au duc de Parme. Les princes de Massa et de la IMirandole
avaient le titre d'altesse. Le connétable Colonne et le duc
de Bracciano le prenaient en y ajoutant la qualité de séré-
nissime. Les cadets de ces princes et de ceux d'Allemagne
ne se qualifiaient d'abord que du titre d'excellence , mais
dans la suite ils prirent aussi celui d'altesse. Les seuls grands
d'Espagne le refusèrent aux cadets des maisons de Savoie
et de Médicis.
On voit par l'historique de cette qualification que,
portée d'abord par les rois, elle passa de ceux-ci aux princes
jouissant de la souveraineté, et s'étendit à leurs cadets non
souverains. Depuis on a donné le titre d'altesse sérénissime
à tous ceux qui jouissent du titre et des honneurs de princes,
soit en France , soit dans les pays étrangers. Les maisons de
Lorraine-Elbeuf , de la Tom--Bouillon , de Rohan-Guémenée
et de la Trémouille , ont joui jusqu'à la révolution du rang
et des honneurs de princes étrangers à la cour de France,
et du titre d'altesse. Les traités de 1814 et de 1815 avaient
expressément conservé ce titre au prince de Talleyrand. De
tous les potentats européens, l'empereur de Turquie est le seul
qui ait conservé le titre d'altesse (hautesse). Laink.
ALTESSE ROYALE. Don Ferdinand d'Espagne, car-
dinal infant, archevêque de Tolède, ayant été nommé gou-
verneur des Pays-Bas par le"roi Philippe IV, son frère,
traversait l'Italie en 1633, pour se rendre dans son gou-
vernement; se voyant eovironné d'une multitude d'altesses
avec les(iuelles il ne voulait pas être confondu, il prit le titre
d'altesse roijule , que lui donna même le duc de Savoie,
quoi(iu'il n'en re<.ût que celui d'altesse. Gaston de France,
422
ALTESSE — ALTONA
duc d'Orléans, se trouvait à Bruxelles à l'arrivée du cardi-
nal-infant. Comme lui fils et frère de roi, il n'aurait pas
souffert entre eux de distinction. Il prit aussi le titre d'al-
tesse royale. Telle fut l'origine de cette qualification, por-
tée |iar les (ils et petits-fils de rois en l'>ance, en Angleterre
et dans le Nord. A un degré plus éloigné, les princes du
sang ne prennent plus que le titre d^altesse sérénissime.
Philippe de France, duc d'Orléans, frère unique de Louis XIV,
et son (ils Philippe, aussi duc d'Orléans, portèrent le titre
(Va liesses royales; mais les enfants et descendants de ce
dernier prince n'ont plus porté que le titre d'altesse
sérénissime jusqu'à l'avènement de Charles X, qui ac-
corda à la hranche d'Orléans le titre d'altesse royale, que
Louis XVIII lui avait refusé. Le duc de Bourbon avait ob-
tenu la môme faveur. Les princes de Condé et de Conli n'a-
vaient que Valtesse sérénissime. — En Allemagne, depuis
1815, les grands-ducs souverains portent le titre d'altesse
royale (kœniglithe Hoheit). Laink.
On donne le titre d'a/^es^e impériale aux fils et petits-fils
d'empereurs. En France, ce titre appartient aux membres
de la famille impériale; les membres de la famille de l'em-
pereur n'ont (lue le titre d'altesse.
ALTliÉEf fille du roi Thestios et d'Eurythémis, était
l'épouse d'Œnée, roi de Calydon, et la mère de Toxée, de
Thyrée,deClymène, deGorgô,de Déjanireet de Méléagre,
qu'elle eut, dit-on , de Mars. On sait par quel artifice elle
prolongea la vie de ce dernier ; mais Méléagre ayant tué son
oncle, Althée laissa mourir son fils, et se tua elle-même.
ALTIIEN (EuAN ou Jean), propagateur de la culture
de la garance en France, était né en Perse, en 17j 1, dans
un village resté fidèle à la religion clirétienne. Fils d'un
gouverneur de province qui avait représenté son gouver-
nement auprès de l'empereur Joseph l", il vil massacrer
son père et ses frères, et parvint à s'enfuir, mais, capturé
par un marchand arabe qui l'amena en Arménie, il y fut
employé comme esclave à la culture du coton et de la ga-
rance. Au bout de quinze ans de servitude, il trouva l'oc-
casion de s'échapper, se réfugia à Smyrne chez le représen-
tant de la France, et s'embarqua pour Marseille, on il arriva
en 1739. H s'y maria, et se rendit à Versailles. Louis XV
le reçut favorablement. 11 essaya d'abord la culture du coton
à Castres, puis à Montpellier, mais il ne réussit pas, et se
trouva sans ressources , après avoir mangé la dot de sa
femme. La tradition le représente alors étamantdes ustensiles
de cuisine à Marseille pour gagner son pain. Quelque tem|)s
après il fulemployédans les établissements levantins existant
à Saint Cliamouil, et il tenta d'y cultiver la garance. Mais
le cliii'.at (lc5 montagnes du Forez ne convenait pas à cette
plante. Allben songea à Avignon, et obtint quelques lots de
terre à ensemencer. Les résultats de cette nouvelle cul-
ture, commencée en 1756, furent constatés à Avignon, en
1763. Le conseil de cette ville lui accorda cinq louis d'in-
demnité et un privilège d'exploitation pourdix années. La ga-
rance franchit les limites de la concession, et Aithen eut la
joie de voir sa conquête assurée. Il mourut en 1774, lais-
sant deux filles dans l'indigence. Il était d'ailleurs prodigue
et peu régulier dans ses mœurs. Sa seconde fille mourut
en 1789 à l'hôpilat d'Avignon , disposant d'une rente de 60
livres et de ses bardes et nippes. Altlien avait épousé
deux femmes; la seconde mourut folle dans la maison de
ro-'uvre de la Miséricorde à Avignon. Cette cité a élevé en
1855 une statue à Allhen, dont elle conserve le portrait dans
son musée. L. L.
ALTIIORP ( Vicomte). Voyez Spencer.
ALTISE ( d'àÀTiy.6;, sauteur), insecte de l'ordre des
coléoptères tétramères, caractérisé par des antennes in-
sérées entre les yeux, très- rapprochées à leur base, et les
cuisses postérieures très-renfiées, propres au saut. — Vul-
çaircment connues sous le nom de puces de jardins , ou
smiteurs de terre, les altises exercent dans les potagers '<
• des ravages immenses. Ces insectes sont en général très-
petits. On en connaît un grand nombre d'espèces. C'e.st sur-
tout au printeniiis qu'on les rencontre, dans les fieux frais
et humides, et répandus soit à l'état de vers, soit à l'état
d'insectes parfaits, sur les plantes crucifères, dont ils rongent
et criblent les feuilles. Leurs larves, qui se nourrissent de
la môme manière, font encore plus de dégâts. On peut
détruire ces hôtes incommodes par des aspersions d'eau do
chaux éteinte, ou encore en répandant sur le sol de la chaux
éteinte pulvérisée ; des cendres non lessivées et la suie peu-
vent même, jusqu'à un certain point, remplacera chaux. On
les détruit encore au moyen du goudron de houille ou coaltar.
ALTITUDE (du latin altitudo), terme de géogra-
phie, qui sert à désigner l'élévation d'un point du globe
terrestre au-dessus du niveau moyen de la mer. Un lieu
quelconque de la terre est parfaitement déterminé quand on
coimalt sa latitude, sa longitude et son altitude ou hauteur
absolue. Ces trois éléments constituent ce qu'en géodésie
on appelle les Uws, coordonnées géographiques d'un lieu.
La recherche des altitudes dépend de calculs trigonométri-
ques, souvent d'observations barométriques cou)parées, et
forme un ensemble de connaissances qui a reçu le nom d'Al-
timétrie{ mot hybride, formé du latin altus, haut, et du
grec ixETpov, mesure ). — A Paris on a établi des repères
qui indiquent les altitudes des points ot'i ils sont placés.
ALTHIRCH. Voyez Rhin (Département du Haut-).
ALTO ( en latin altus, altitonans ) désigne dans la
musique la partie qiù se trouve au-dessus de la teneur
{ténor), par opposition à celle qui est au-dessous, appelée
basse. Par extension, on a nommé de même la voix qui exé-
cute celte partie et qu'en France on appelle plus habituel-
lement con t r alto si elle appartient à une fenimj , et
haute-contre si elle appartient à un homme; ces voix
occupent le troisième et le quatrième rang, en commen-
çant par la voix la plus aiguë. On appelle aussi alto, alto-
viola, quinte tl viole, l'instrument à cordes et à archet
générateur de toute la famille des violes, et qui tient le rang
intermédiaire entre \& viol on et \tvioloncelle.
ALTOiXA, ville manufacturière et commerciale, siéfee
du gouvernement du duché de Holstein, dépendante du
royaume de Danemark, est bâtie sur les bords de l'Elbe,
et tout près de Hambourg. Le nom même d'Altona, dérivé
du plat allemand, signifie beaucoup trop près, et rappelle
une époque où les habitants de Hambourg ne voyaient pas
sans une vive jalousie s'élever aux portes mômes de leur
ville une cité à laquelle les rois de Danemark accordaient
les privilèges et les franchises les plus étendus. On compte
à Altona 32,200 habitants, dont 2,100 juifs allemands et
portugais, et six églises. Ou y trouve aussi un gymnase,
un observatoire, une bourse de commerce et un hôtel des
monnaies. La situation d'Altona est beaucoup plus élevée
que celle de Hambourg, aussi est-elle incomparablement
plus saine. Par contre, elle est complètement dépourvue
de canaux. La poche de la baleine, celle du hareng et les
constructions de navires s'y font sur une très-large échelle.
Toutes les religions y sont également tolérées et protégées.
Vers l'an 1500 il n'y avait que quelques misérables ca-
banes sur remplacement qu'elle occupe aujourd'hui. Elle
fut érigée en bourg en 1604, et en ville en 1664. En 1713 elle
fut réduite en cendres par le géniMal suédois Stcenbock.
A l'époque de la révolution française elle fui, avec Ham-
bourg, l'un des principaux rendez-vous de l'émigration
française. Lors du siège que Hambourg eut à soutenir eu
1813 et 1814, Altona courut de grands dangers, le maréchal
Davoust ayant dû incendier le faubourg de llamburgberg ,
qui relie Altona à Hambourg.
Lors du congrès tenu à Alloua en 1687 par les pléni-
potentiaires do l'empereur et des électeurs de Saxe et de
Uraudebourg , on régla les difficultés pendantes entre le
roi de Daneiiiark et la maison de Hoistein-Gottorp ; et la
Graiule-Brclnçinp ainsi que los Étûts-Géiu^iaii\ y ayant ac-
cé(i(>, on y romlut en 1689 un traité de paix formel, en
vertu duquel le duc de Holstein recouvra ses États en
même temjis que ses droits complets de souveraineté. *
ALTO\-SlIÉE (Edmond, comte d' ),néle 2 juin 1810,
fut substitue à la pairie du comte Sliée, son grand-père mater-
nel, par ordonnance royale du 11 décembre 1810, avec au-
torisation pour lui et ses descendants de joindre son nom à
celui de son aïeul maternel. Le comte WpHrj Suée, conseiller
d'État, ancien sénateiiret préfet du Bas-Rhin, avait été appelé
à la pairie le 4 juin 1814. 11 mourut au mois de mars 1820,
ne laissant qu'imc fille, l^rançnise Sliée , veuve deJacques-
AVidfrau , baron d'.\lton , dont M. Edmond d'Alton Shée est
lelils uni(jue. Il prit séance à la chambre des pairs en 183C,
et il y eut voix délibéralive en 1840. M. d'Alton-Shée eut
d'abord des opinions politiques peu dessinées. Il commença
par se poser en réformateur d'abus; puis il se rapprocha du
parti conservateur, qu'il abandonna de nouveau quelque
temps après. 11 s'attira quelque notoriété en déclarant à la
tribune de la chambre des pairs, dans la discussion du projet
de loi relatif au chapitre de Saint-Denis (séance du 18 mai
1847), qu'il n'était « ni catholique ni chrétien, » et se fit rap-
peler à l'ordre pour avoir dit qu'il ne reconnaissait pas pour
catholiques « tous ceux qui, après avoir passé leur vie dans
l'indifférence religieuse la plus complète , quand ils sont dans
une vieillesse qui touche à l'enfance, le corps usé, l'intelli-
gence éteinte , à la dernière heure, consentent à balbutier
machinalement quelques paroles latines et chrétiennes. »
Dans la séance du 14 janvier 1848 il excita au plus haut
point l'indignation de la noble chambre en faisant l'éloge
de la Convention. Le 23 février il demanda à interpeller le
ministère sur la situation présente de Paris; mais on passa
à l'ordre du jour. L'un des trois pairs de France qui avaient
adhéré au ban q u et réformiste du douzième arrondisse-
ment, dès le lendemain de la révolution de février il se pro-
nonça pour le mouvement, et il posa sa candidature aux clubs
socialistes. Il avait été nommé colonel de la 2^ légion de la
banlieue contre Sobrier : mais il échoua dans sa candidature
à l'Assemblée constituante , et ne réunit alors que quinze
mille voix. Au mois de décembre il devint président du co-
mité central démocrate et socialiste pour les élections, et au
mois de janvier suivant il fut arrêté et gardé longtemps au
secret. Dans les réunions électorales , M. d'Alton-Shée re-
nouvela plusieurs fois la déclaration qu'il n'était pas chré-
tien, et se prononça néanmoins contre les communistes. En
1859 nous le retrouvons président du comité européen du
cliemin de fer américain de Galveston à Houston. L. L.
ALTRAIVST.^DT, paroisse de la Saxe prussienne,
entre Leipzig et Mersebourg, célèbre par le traité de
paix que signa, le 24 septembre 1706, dans le vieux château
de ce village, le roi de Suède Charles XII, avec les plé-
nipotentiaires d'Auguste II, électeur de Saxe et roi de Po-
logne, le baron d'Imhof et le référendaire Pfingsten.Ce der-
nier avait un blanc-seing du roi , dont il fit usage à la der-
nière extrémité, Charles XII n'ayant pas voulu revenir sur
ses conditions. Aux termes de ce traité Auguste II abandon-
nait la Pologne et la Litliuanie , tout en conservant le titre
de roi ; il renonçait à toute alliance contre la Suède , et no-
tamment avec le czar, s'obligeait à livrer le Livonien P a Ik ul
aux Suédois, consentait à ceque ceux-ci hivernassent en Saxe,
et s'obligeait à n'opérer dans les affaires ecclésiastiques aucun
changement nuisible aux intérêts de l'ïiglise évangélique.
Charles XII n'évacua la Saxe qu'au mois de septembre 1707,
après avoir encore conclu à Altranstœdt, un traité d'alliance
avec la Prusse , et signé avec l'empereur Joseph I*"" une
convention par laquelle le libre exercice de leur culte était
assuré aux protestants en Silésie. *
ALTRIXGER. T'oj/e:; Aldringer.
ALUOlTE, insecte de l'ordre des lépidoptères et de
la tribu des tinéites, très-commun surtout en Améri-
que. L'alucile , ou (eiyne des grains , est d'un gris brillant
ALTONA — ALUMINE 423
semé de taches blancliAtres, et a environ six millimètres
de longtieur. Sa chenille, blanche, lisse et à tête brune, qui
n'a pas plus de deux millimètres de long , se trouve sou-
vent dans les champs mêmes, 011 elle dépose ses œufs, et
plus souvent encore dans les greniers, où, garantie du froid
et de l'humidité, elle pullule à un point extraordinaire, et
fait les plus grands ravages, pénétrant dans le grain, dont
elle dévore en très-peu de temps toute la substance fari-
neuse. L'alucile fut observée en France il y a un siècle et étu-
diée d'abord par deux illustres naturalistes , Réaumur et
Duhamel de Monceau. Cet insecte n'existait alors qu'aux
environs de la Charente et de r,\ngoumois, où il avait été
importé par un navire étranger. Depuis lors il s'est pro-
pagé surtout dans nos départements du centre. Ou a cal-
culé qu'im seul couple d'alucites peut produire dans trois
ans cent mille individus. Le principal remède contre l'alu-
cite est la chaleur. Une température de 50 degrés centigrades
suffit en effet pour détruire l'alucite contenue dans le blé à
l'état d'œuf, de larve ou de chrysalide, eî cette chaleur
n'altère en rien le grain. M. Herpin a imaginé un appareil
qui utilise la chaleur perdue des fours, des poêles, etc., pour
tuer l'alucite dans les greniers, et y joint un système de choc
mécanique analogue à celui d'une machine à battre. Z.
ALUMELLE, espèce de lame de couteau dont le tran-
chant est aiguisé d'un seul côté, comme le fer d'un rabot. —
En termes de marine, les alumelles sont des lames de
fer dont on garnit l'intérieur de la mortaise d'un gouvernail.
ALUM1I\ATE, sel résultant d'une combinaison dans
laquelle l'alumine fait fonction d'acide. On cite Valumi-
nate de viagnésie, Valumlnate de zinc, Yaluminate de
fer. — Rendant donne le nom (Yaluminate à un genre de
minéraux dans lequel on trouve Valuminate de magnésie
ou spinelle, appelé aussi rubis balais.
ALUMINE. C'est l'oxyde d'aluminium. L'alumine
est composée de 2 équivalents d'aluminium et de 3 d'oxy-
gène ( AP O^ ), ou en poids, de 100 d'aluminium et de 87,7
d'oxygène. Distinguée pour la première fois par IMargraff,
en 1754, l'alumine est blanche, insipide, happant la langue,
douce au toucher et infusible au feu de forge. Mais quand
on la soumet à l'action du chalumeau à gaz, elle fond très-
rapidement en globules vitreux, transparents, ayant presque
la densité du rubis. L'alumine est sans action sur l'oxygène
et sur l'air, ainsi que sur la plupart des corps combustibles.
Cependant, si l'air est très-humide, elle peut attirer jusqu'à
15 pour 100 d'eau, surtout si elle aété rougieau feu. L'alu-
mine est insoluble dans l'eau , mais fait une pâte ductile
avec ce liquide. Elle est, au contraire, très-soluble dans la
potasse etia soude caustiques : la baryteet la stronliane dis-
solvent également l'alumine, tandis que l'ammoniaque caus-
tique en dissout à peine. L'alumine joue le rôle de base relati-
vement aux acides sulfurique, nitrique, chlorhydrique,etc.,
ainsi qu'à l'égard de la silice. Toutefois elle se combine avec
certains oxydes métalliques, tels que l'oxyde de zinc, l'oxyde
de cobalt, et avec les alcalis eux-mêmes, en jouant alors
le rôle d'acide et donnant naissance à des sels appelés
al u mi nates.
L'alumine entre dans la composition de toutes les terres
argileuses, qui lui doivent leurs propriétés caractéristiques,
ce qui l'avait fait appeler argile pure; son nom d'alurnine
vient de l'ai un, sel à base double, qu'elle forme avec l'a-
cide suUurique et la potasse ou l'ammoniaque, et dont on l'ex-
trait communément. Elle ne se rencontre pure que dans ie
saphir et le rubis. On obtient l'alumine sous une forme gé-
latineuse en versant de l'ammoniaque liquide dans une dis-
solution aqueuse d'alun -. le sulfate d'alumine est seul dé-
composé, et l'alumine se précipite en gelée au fond du vase.
Quand on veut l'avoir sèche, on calcine dans on creuset
le sulfate d'alumine et d'ammoniaque à la chaleur rouge :
l'acide et l'ammoniaque s'évaporent , pour laisser l'alumine
sous forme de poudre blanche. L'alumine se charge facilement
des principes colorants; aussi sert-elle de base aux laques
424
ALUMINE — ALUx\
et.iux prér.i|Mtés colorés. Unie à la silice, on l'emploie pour
fabriquer les (lOtcries.
hcs sels d'aliiniine ont une saveur slypliqueet astringente.
Ceux qui sont solubles, comme l'aciHate et le .sulfate, sont
prc'Tipités en blanc par la potasse, et le précipité, qui est de
l'alumine, se redissout dans un excès d'alcali. L'ammoniaque
les précipite également; mais un excès d'ammoniaque ne
redissout pas le précipité. Les sulfates de potasse et d'am-
moniaque en dissolution concentrée les précipitent à l'état
d'alumine, luilin, quand onlescliauffe au chalumeau avec du
nikrate de cobalt, ils prennent une belle couleur bleue.
L'alumine en se combinant avec l'acide acétique produit
l'acétate d'alumine, qui est liquide, incolore, incristalli-
sable, très-astringent, très-styplique, très-soluble. On l'ob-
tient en mettant en contact de l'alumine en gelée avec l'acide
acétique concentré ou en décomposant l'acétate de baryte
par le sulfate d'alumine. Il n'est employé qu'en teinture
pour fixer les couleurs sur les toiles: sa solubilité permet de
l'appliquera l'état de dissolution très-concentrée; comme il
est déliquescent, il ne cristallise pas en se desséchant, mais il
reste en forme de pâte, et il n'altère pas les tissus. La facilité
avec laquelle il abandonne son acide fait qu'il cède aisément
au tissu soit de l'alumine, soit un sous-sel d'alumine ca-
pable de fixer les matières colorantes. — Le sulfate d'alu-
mine a une réaction fortement acide, et est plus soluble à
cbaud qu'à froid. On obtient re sel en traitant l'argile par
l'acide sulfurique. L'industrie l'emploie à la place des aluns
à base de potasse ou d'ammoniaque. Il est usité depuis
longtemps pour la conservation des substances animales.
L'alumine est peu employée en médecine : toutefois elle
a été administrée avec succès dans certains cas de diarrhée
et de dyssenterie. Suivant Trousseau, ce médicament paraît
convenir plus particulièrement aux enfants.
L'alumine, considérée sous le rapport minéralogique, pré-
sente plusieurs espèces. Beudant donne ce nom à un genrede
sa classification qui comprend deux espèces : 1° le corindon
(saphir, rubis, éméril); 2° l'alumine hydratée ou
gypsite. Valmniîie flmitée siliceuse est la pierre pré-
cieuse appelée topaze.
ALUMIXIUIM, corps simple, léger comme le verre,
blanc et éclatant comme l'argent) inaltérable presque à l'égal
de l'or, malléable et ductile au même degré que ces mé-
taux précieux, tenace comme le fer et fusible comme le cui-
vre, que le moulage, le laminoir, la filière, le marteau
et la lime peuvent façonner. Sa densité est de 2,56,
sa formule est Al = 190,90. Il a été extrait pour la pre-
mière fois de l'alumine, vers 1830, parWœhler, chimiste
allemand, professeur à Gœttingue, qui transformait d'abord
de l'alumine en chlorure d'aluminium et décomposait en-
suite ce chlorure par le potassium, mais il n'avait été isolé
qu'en très-petites quantités et à un état d'impureté tel que
de graves erreurs sont longtemps restées accréditées sur son
compte. Humpbry Davy avait vainement essayé de l'ex-
traire de l'alumine au moyen de la pile. Cepenilant il pa-
rait qu'on en avait tiré par ce moyen de la cryolite en An-
gleterre. Les expériences de M. Rose ont démontré la pos-
sibilité de l'extraire de ce minéral à l'aide du sodium. « Pour
opérer la réduction, dit M. Sainte-Claire Deville, ilsuffitde
mettre dans un creuset de porcelaine des couches alternatives
de sodium et de cryolite pulvérisée et mélangée avec un peu
de sel marin. On introiluit le creuset de porcelaine dans
un creuset de terre, et l'on chauffe au rouge vif jusqu'à fu-
sion complète. On brasse la matière avec un agitateur en
terre cuite, et on laisse refroidir. Tout rahiminium est ras-
semblé en un seul culot qu'on trouve au fond de la masse
refroidie... C'est là le procédé que j'ai employé et qui dif-
fère peu de celui de M. IL Rose. Si l'on opère dans un
vase de porcelaine, l'aluminium contient du silicium; il
contient du fer si l'on opère dans un creuéet di' fer... Cette
expérience m'en a suggéré d'autres : j'avais souvent et de-
puis longtemps essayé de réduire par le sodium le clilorure
double d'aluminium et de sodium; quoique la réaction s'ef-
fectue complètement, je n'obtenais pas de culot métallique;
mais il a suffi d'ajouter au mélange un peu de fluorure de
calcium pour que tout l'aluminium se réunît en culots au
fond du creuset. « MM. Debray et Paul Morin ont obtenu de
cette manière de l'aluminium assez pur. Les lluorures alca-
lins , dissolvant l'alumine, doivent donc èlre considérés
comme le meilleur fondant de l'aluminium. On obtient en-
core de l'aluminium en mélangeant de l'alumine et du lluo-
rure de sodium qu'on arrose avec de l'acide fiuorhydrique
concentré ; la masse s'échauffe , on la sèrhe , on la fond, et
on peut en extraire de l'aluminium comme on le fait de la
cryolite. Les travaux de M. Sainte-Claire Deville sur l'alu-
minium datent de 1853 ; ils lui ont valu la croix d'honneur
en 1853. Sa fabrication manufacturière est aujourd'hui as-
.surée : une usine a été élevée à cet effet à Nanterre.
Inaltérable par l'air, par l'eau et par la vapeur d'eau, mémo
à une température rouge sombre, l'aluminium est encore
inattaquable par l'hydrogène sulfuré , l'acide nitrique , l'a-
cide sulfurique à froid. Il s'altère cependant au contact de
l'eau contenant des chlorures en dissolution, et l'action du
sel marin, du vinaigrée! des matières calcaires sur lui peut
laisser des doutes sur son application possible aux usages
culinaires. Les produits de cette altération sont inoffeiisifs.
L'aluminium donne avec le cuivre des alliages légers,
très-durs et d'un beau blanc, lorsque le cuivre est en petite
proportion, et des bronzes d'un beau jaune d'or, malléables,
d'une très-grande résistance et beaucoup moins altérables
que le bronze ordinaire, lorsque la proportion d'aluminium
varie de 5 à 10 pour 100. On forme également avec l'alu-
minium des alliages d'étain, de zinc, d'argent, de fer et de
platine. Il donne avec le fer un acier comparable à celui de
Damas. On peut facilement faire sur le cuivre un plaqué d'a-
luminium très-solide. La bijouterie fine s'est emparée de l'a-
luminium; il est aussi facile à mouler, à estamper qu'à ci-
seler. On en fait des lames de couteau qui remplacent celles
d'argent, des instruments de cbirurgie, comme sondes, spa-
tules, etc. Il est extrêmement sonore, et on espère l'appli-
quer aux cordes d'instruments, aux timbres d'appartement,
aux sonneries, etc. Comme il s'use moins que le bronze, on
l'emploie aussi pour coussinets , glissoires et surfaces de
frottement. On a même l'espoir d'en faire des machines
légères que les aérostats pourront facilement enlever. Mal-
heureusement son prix est resté presque à la hauteur de
celui de l'argent. L. Louvet.
ALUiV, sel très-anciennement connu, et qu'on appela
aussi alumine vitriolée, vitriol d'argile, vitriol d'alu-
mine, etc. Les sels qu'on nomme alun ne sont pas tou-
jours formés des mêmes éléments : ainsi l'alun est tantôt
un sulfate acide d'alumine et de potasse , tantôt un sulfate
acide d'alumine et d'ammoniaque , tantôt enfin, et c'est ce
qui a lieu le plus souvent, un sulfate acide d'alumine, de
potasse et d'ammoniaque.
Vnlun à base de potassecrhtaWiseen octaèdres réguliers,
transparents, incolores et légèrement efflorescents; il est
inodore, d'une saveur d'abord douceâtre , puis très-styp-
tique; il rougit la teinture de tournesol. Vingt parties d'eau
dissolvent une partie d'alun cristallisé. Le même liquide
bouillant [^ut en dissoudre un poids égal au sien. Cette
dissolution est incolore, transparente, douée de la inên)e
saveur que le sel, et se comporte avec les réactifs comme les
autres sels d'alumine. Lorsque la dissolution contient un
excès d'alumine, il cristallise en cubes, ce qui le fait alors
nommer alun cubique ou alun alumine. Si on expose
l'alun à une chaleur de 100", il fond dans son eau de cris-
tallisation, et forme après son refroidissement Valun de
roche; à quelques degrés de plus, il perd son eau, devient
opaque, et constitue l'aiMncaZcinf^ ou brûlé. Cet alun exige
beaucoup plus d'eau pour se dissoudre. A la chaleur rouge
ALUN — AL VA
l'alim laisse cli'i;iger Je l'oxyi-rnc et di* l'acide sulfureux et
donne pour résidu de ralumine et du sulfate de potasse.
Lorsqu'on le calcine avec du charbon , il fournil le produit
connu sous le nom de pyrophore de Honiberg.
L'alun à base (rommoniaque ]ou'\l des nitHiies proprit'lés
que le précodent ; ma's il se reconnaît aisément à Todeur
ammoniacale qu'il dégage lorsqu'on le traite par la potasse
ou par la soude. Sa calcination laisse pour résidu de l'alu-
iiiine parfaitement pure.
L'alun à base de potasse est formé d'un atome de sulfate
d'alumine, d'un atome de sulfate de potasse et de vingt-
quatre équivalents d'eau. La composition de l'alun à base
d'ammoniaque est exactement la même, si ce n'est que
l'atome de sulfate de potasse se trouve remplacé par un
atome de sulfate d'ammoniaque.
Les chimistes appellent encore aluns les sels dans lesquels
le sulfate de soude ou de magnésie remplace le sulfate de po-
tasse ou d'ammoniaque, et même ceux dans lesquels l'alu-
mine est remplacée par des oxydes isomorphes avec elle ,
tels que le peroxyde de fer, le protoxyde de chrome , et le
sesquioxyde de manganèse. Tous ces sels, en effet, cristalli-
sent de la même manière, et possèdent sensiblement les
mêmes propriétés.
Les aluns naturels sont fort rares. Cependant on trouve
en abondance dans quelques endroits une substance miné-
rale appelée alunite, ou pierre d'alun, qui est un sous-
sulfate d'alumine combiné avec du sulfate de potasse. Cette
substance se trouve aux environs des terrains trachitiques,
surtout dans les parties qui semblent avoir subi l'aclion des
eaux et qui se confondent avec des tufs ponceux où existent
des débris organiques , par exemple au mont Dore en Au-
vergne, à Tolfa dans les États Romains, à Beregszaz et à
Musaj en Hongrie, à Milo dans l'archipel grec. On en trouve
également dans les vieilles solfatares, et il s'en forme aujour-
d'hui dans celles qui sont en activité , par suite de l'action
des vapeurs sulfureuses sur les roches environnantes. En
Hongrie et dans les États Romains, on exploite l'alunite pour
en fabriquer de l'alun. L'alun de Tolfa était jadis très-re-
cherché, parce qu'il est très-pur et ne contient point d'oxyde
de fer. Mais aujourd'hui ou le fabrique de toutes pièces, soit
en soumettant à diverses manipulations les schistes alumi-
neux , soit en traitant directement l'argile. On la choisit
aussi exempte que possible de carbonate de chaux et d'oxyde
de fer, on la calcine dans des fours à réverbère , puis on
la dissout dans l'acide sulfurique. On mêle ensuite le sul-
fate d'alumine obtenu avec du sulfate de potasse , opération
qui porte le nom de brevetagc; et enfin on fait cristalliser.
— L'alun à base d'ammoniaque ou ammonalun et l'alun
à base de soude ou natronalun sont peu communs dans
la nature; le premier se rencontre sons forme fibreuse dans
quelques dépôts de lignites, et le second, qui a le même as-
pect, se trouve dans les solfatares. — Valun de plume, qui
se présente sous forme de petites masses composées de fila-
ments soyeux, parallèles, d'un blanc éclatant, et qui ont
quelquefois jusqu'à deux pouces de longueur, et le beurre
demontagne, qui s'est rencontré .sous forme de petites con-
crétions translucides , d'im aspect gras et résineux, piès de
Saafeld, en Allemagne et aux bords de la Mana, en Sibérie,
paraissent être des aluns à base de magnésie et d'oxyde de
fer. Le beurre de montagne contient de la soude et de l'am-
moniaque. — Enfin il existe dans certaines solfatares, telles
que celles de Pouzzole et de la Guadeloupe , une substance
blanche , fibreuse, soluble, mais non cri;-tallisable, qui es!
un sulfate d'alumine hydiatc nommé par Rendant aluno-
gètie. >L Boussingault a découvert une espèce niincirale ana-
logue dans les schistes argileux qui bordent le Rio-Saldana,
en Colombie. L'alunogène serait une mali re très-précieuse
pour la fabrication de l'alun si elle se trouvait en grande
quantité, puisqu'il ne s'agirait que de la dissoudre et d'y ajou-
ter du sulfate de potasse.
D!CT. DE L\. C0>VEKSAT10N. — T. I.
On distingue enrore dans le commerce plusieurs sortes d'a-
lun, en raison de ses diverses origines : par exenijik', Vcilun
d'Angleterre , l'alun de Brunswick, de Liège, de Rome,
du Levant , etc.
L'alun est très-employé dans la teinture comme mordant,
lorsqu'il est exempt de toute trace de (er, ainsi que dans les
opérations de mégisserie. On en fait encore usage dans une
foule d'industries. Ainsi on s'en sert pour donner au suif plus
de consistance et de dureté, pour fabriquer diverses espèces
de laques, pour empêcher le papier de boire , pour clarifier
les liquides, pour conserver les pièces d'anatomie; il pré-
serve les peaux et les fourrures des atteintes des insectes, et
rend presque incombustible le bois imprégné de sa disso-
lution.
En médecine , l'alun est considéré comme un astringent
très-énergique : à hautes doses, il donne lieu à des coliques,
des nausées et des vomissements. On l'emploie avec avantage
dans les hémorrhagies utérines et autres , non accompagnées
d'inflammation, dans les écoulements atoniques et certaines
diarrhées séreuses. A l'extérieur, on s'en sert pour combattre
quelques inflammations de la conjonctive, de l'arrière-
bouche et de la peau , quelques ulcérations superficielles ,
telles que les aphthes, et enfin les hémorrhagies externes. C'est
ainsi que l'inspiration par le nez d'eau alumineuse suspend
et prévient quelquefois les épistaxis rebelles qui se montrent
souvent à la suite de la puberté ou à la suite d'accès de toux
delà coqueluche. L'alun calciné est très-employé à l'extérieur
comme cscarrotique pour réprimer les chairs fongueuses.
ALUNAGE. On appelle amsi une opération très-im-
portante dans l'art de la teinture , et dont le but est de fixer
une couleur sur une étoffe. Pour cela, les teinturiers, avant
de tremper l'étoffe dans le liquide coloré, la plongent dans
une forte dissolution d'alun , matière qui , ayant une grande
affinité pour la matière colorante et en même temps pour les
tissus de soie, de fil ou de coton, sert à fixer cette matière
d'une façon plus solide sur l'étoffe.
ALUiVITE. C'est l'alumine sous-sulfatée alcaline , qu'on
rencontre tantôt en petits cristaux rhomboédriques , tantôt
en fibres ténues, dans les terrains d'origine volcanique : on
l'exploite pour la fabrication de l'alun.
ALUiVOGÈNE. Voyez Alun.
ALUTA 5 chaussure des anciens. Ce nom désigna d'abord
une peau de chèvre souple , douce , ordinairement noire ou
blanche. On s'en servait pour faire des chaussures ; elle
remplaça les cuirs et les peaux crues qu'on employait dans
les commencements de Rome. Cette peau était apparemment
aussi douce et aussi fine que nos peaux de gant, puisque
Ovide, dans son Art d'aimer, la recommande parmi les cos-
métiques propres à conserver la douceur et la fraîcheur de
la peau du visage. Il paraît qu'on la préparait avec de l'a-
lun , aluminata,et que de là vint le nom à'aluta, appl'qué
à la peau et à la chaussure. Cette chaussure renfermait tout
le pied et montait même au-dessus, où elle faisait des plis.
Souvent elle allait jusqu'au milieu de la jambe. C'étaient
des espèces de bottines ou brodequins ; car on laçait Valuta
par devant avec des bandelettes , le quartier montant très-
liaut , conviant le derrière et en partie les côtés de la jambe.
On croit que cette chaussure , très-usitée à Rome , venait
des Gaules , où les généraux et les soldats romains en gar-
nison la portaient hal)ituellement. Valuta des chevaliers
romains était ordinairement noire; celle des femmes était
très-légère , très-fine , et d'un blanc de neige. On voit dans
Juvénal que souvent on l'ornait sur le coude-pied ou aux
chevilles, de lunules ou petites plaques rondes en ivoire ou
en métal. Quand Valuta était très-large et ne prenait pas
la forme du pie;l , on la nommait alula laxior. On a «ru
reconnaître cette alula dans des chaussures de rois barbares
ou de soldats de la colonne Trajane.
ALYA,ou ALRA DE TORMÉS, petite ville d'Espagne,
peuplée de 5, .500 Ames , et située à environ 20 kilouietres
426 ALVA —
au siid-es( de Salamanque, sur la rive scptenliiouale tlu
Tormès, qu'on y passe sur un pont de vin;;t->.ix arches. —
Au quinzième siècle , elle fut érigt'e en duclié par Henri IV
de Castilie, en faveur de la maison d'Alvarez. Dans son
voisinage, on remarque un ciiâteau magnifique, siège et
résidence des ducs d'Albc. — Le 28 novembre l809, les
Français, commandés par le général Kellcrmann, rempor-
lèrcnl dans les plaines qui l'avoisinent une victoire signalée s
sur l'armée espagnole.
ALVAREZ, nom d'une ancienne famille espagnole en
faveur de laquelle le roi de Castilie Henri IV érigea le duché
d'/l/i'« de Tor7nès,cl dont les membres ont porté dif-
férents titres, entre autres celui de ducs de la Cerda.
ALVAREZ (D. José), sculpteur espagnol, naquit le
23 avril 17G8, à l'riégo, dans la province de Cordoiie. Il
dut, pendant les premières années de sa vie, seconder son
père dans ses travaux de simple tailleur de pierres. A Tàge
de vingt ans, il vint à Grenade pour se perfectionner dans
les arts du dessin et suivre les cours de l'académie de cette
ville, tout en continuant ses essais de sculpture et de mo-
delage. En 1792 il vint à Madrid , et en 1799 le roi d'Es-
pagne l'envoya à Paris et à Rome pour se perfectionner dans
son art. Peu de temps après son arrivée à Paris, l'Institut de
France lui décerna le second prix de sculpture , à défaut du
premier [)rix, que sa qualité d'ttranger ne lui permettait pas
d'obtenir. Une statue deGanymède, en albâtre, qu'il exposa,
en 1804, à l'Académie de San-Fernando, mil le comble à sa
réputation. Quoique cette statue lait fait regarder dès lors
comme le digne rival de Canova dans le style gracieux et
léger, Alvarez voulut s'essayer également dans le genre sé-
vère et hardi. Il prit pour sujet la mort d'Achille; mais à
peine le modèle de ce morceau, dans la composition duijuel,
au dire de David , il avait triomphé de dillicultés presque
insurmontables , était-il terminé , qu'un accident le brisa.
A Rome, Napoléon le chargea d'exécuter des bas-reliefs pour
le palais Quirinal , sur le monte Cavallo. Ce travail lui valut
l'amitié de Canova et de Thorvvaldsen , ainsi que sa rccep-
liou à l'Académie de Saint-Luc. L'un des derniers mor-
ceaux qu'il ait sculptés est un groupe en marbre qui orne
le musée royal de Madrid, et qui représente une scène de
la défense de Saragosse, en 1808 et 1809. Il existe en
outre beaucoup de bustes sculptés par Alvarez. Nommé, en
18 IC, premier sculpteur du roi Ferdinand VII, il ne quitta
l'Italie pour retourner en Espagne qu'en 1826, et mourut
en 1827, à Madrid. Son fils aîné, sculpteur de talent,
mourut en 1830 à Burgos. Un autre de ses fils, don Anibal
Alvarez, étudia l'architecture à Rome comme pensionnaire
du gouvernement d'Espagne. *
ALVAREZ, général mexicain , est né vers 1780, dans
l'État de Guerrcro, d'une famdle indienne. Ce chef rusé et
entreprenant, qu'on a surnonmié la Panthère du Sud, se
créa une sorte de principauté dans les provinces méridio-
nales. Santa- Anna ayant pris le titre de président à vie,
Alvarez donna le signal de l'insurrection, en 1854, et for-
mula le programme appelé le plan d'Aijutla. D'autres
chefs se joignirent à lui, et Sanla-.\nna dut quitter le pays
(aoiU 1855). Alvarez, mis à la tète du nouveau gouverne-
ment, prit ComonfoTt pour lieutenant. Arrivée Mexico,
il abolit les privilèges de l'armée et des ecclésiastiques, et
céda la place à Comonfort à la fin de 1855. H se relira alors
à Acapulco, où il s'établit dans un état d'indépendance. Z.
ALVAREZ DE CASTRO (Maruna), né en 1775, à
Osma, était gouverneur du fort Monjuich, avec le grade do
colonel, lorsque les troupes françaises, aux ordre* du géné-
ral Duhesme, s'emparèient de Rarcelone ( 1808 ); il les tint
alors assez longtemps en échec, grâce à cette position qui
domine la ville : il n'y eut même ([u'un ordre exjirès du gou-
verneur général de la Catalogiie qui put le décider à ne pas
s'ensevelir sous les ruines du fort p'uitôl que de le rendre à
l'ennciiii. Ai>rè5 avoir fait pendant quelque tcni|:s la guerre
ALVIANO
de partisans, Alvarez de Castro fut chargé par la Junte du
commandement supérieur de Girone. investie depuis trois
mois par les Français. La défense de cette place fut remar-
quable par l'intrépidité, le courage et le dévouement sans
bornes dont fit preuve la garnison. Les assiégés résistèrent ,
en effet, à tous les assauts, et ne consentirent à capituler
que lorsqu'une épidémie redoutable, suite de la famine et
du carnage, fut venue décimer leurs rangs, déjà si éclaircis
par le feu des assiégeants. Alvarez de Castro, atteint de la
contagion , aima mieux résigner le commandement que d'ap-
poser sa signature au bas d'un acte qu'il regardait comme
déshonorant, bien qu'il fût ordonné par les plus impérieuses
nécessités. Retenu prisonnier de guerre après la reddition
de la place, il fut conduit au château de Figuières , où il
succomba à la maladie qu'aggravait encore sa patriotique
douleur. Quelque temps auparavant, lajunte,en récompense
de son héroïque conduite, lui avait décerné le grade de
maréchal de camp.
ALVEiXSLEBExX (Aedert, comte d'), né à Halbcr-
stadl, le 23 mars 179 i .était le fils aîné du comle Auguste-
Ernest n'ALVENSEEnEN , jusqu'en 1823 ndnistre du duc de
Brunswick, plus tard maréchal de la diète de la province
de Brandebourg, moit en 1827 membre du conseil d'État
prussien. Venu faire ses études à Berlin en 1811, le comte
d'Alvensleben s'enrôla volontairement à celle époque dans
la cavalerie de la garde royale, où il ne tarda pas à élre
promu au grade d'officier; et il resta au service jusque après
la conclusion de la seconde paix de Pari.s. Il se consacra
alors avec une nouvelle ardeur à l'étude du droit, entra en
1817 en qualité de référendaire dans la magistrature, en
parcourut rapidement les différents degrés hiérarchiques, et
il était déjà parvenu vers la fin de 1827 aux fonctions de
membre du tribunal d'appel de la proviace de Bianùe-
bourg , quand la mort inatlendue de son père lui lit aban-
donner celte carrière. Il pas.sa ensuite plusieurs années dans
la retraite, s'occupant de l'administration des terres que lui
avait léguées son père, et aussi de la gestion des intérêts de
la compagnie d'assurances générales contre l'incendie de
ftlagdebourg, dont il avait été nommé directeur général.
Mais les services qu'il avait rendus comme fonctionnaire
public , le tact infini qu'il avait déployé en toutes occasions,
et aussi la connaissance approfondie qu'il avait montrée de
la situation et des besoins du pays, le mettaient trop en re-
lief pour qu'à i:n moment donné la couronne ne réclamât
pas son concours. Eu 1832 il lut appelé au Conseil d'État,
avec le titre de conseiller intime de justice. Nommé en 1834
second député à la confrreiice ministérielle de Vienne , il y
déploya tant d'habileté et de sagacité, qu'il unrita non-
seulement la gratitude toute particulière de son souverain,
mais encore l'alfectucuse estime de tous les min.'slres avec
lesquels il eut à négocier. Le 2 novembre 1834, à la mort
de Maassen, on lui confia l'intérim du portefeuille des
finances. Crée en 183G ministre d'État, il fut appelé , l'année
suivante, à la direction générale des bâtiments et de l'industrie
manufaclurièie et commerciale. Il prit une part active à la
création el à l'organisation du Zollverein. Sur sa de-
mande, le roi le déchargea, le l^mai 1842 , du portefeuille
des finances. Le comte d'Alvensleben a représenté la Prusse
aux conférences de Dresde, en 1850. En 1854, il fi;t
nommé membre à vie de la chambre des Seigneurs, et dé-
coré en 185G de l'ordre de r.\igle noir. Il est mort le 2 mai
1858 à Berlin. *
ALVIAJVO ( Bautiiélemy). VAlvlane, général des Vé-
ni liens pendant la guerre à laquelle donna lieu la ligua de
Cambrai, commandait leur armée lorsqu'elle fit, en 1508,
dans les Alpes JuUennes celle glorieuse campagne d'hiver
dans laquelle les troupes de l'empereur Maximilien, com-
mandées par le ducde Brunswick, furent délTa\les jusqu'au
dernier homme, si l'on en croit les historiens du temps.
L'année suivante, il voulait altaqucr et battre en détail Ici
coafédcrés; la circonjpecliou Ju sénat île Venise, qui lui
interdit PolTensive, fut cau^e tic la perte de la bataille livrée
à Ghiora d'Adda , le 14 mai 1509 (vorjcz Acnadei.). 11 y
eut dix mille tués, et Alviano lut lui-même blessé au visage.
Fait prisonnier par Louis XII, il n'obtint sa liberté qu'en
1513, lorsque les Vénitiens s';\llièrcnt aux Français. 11 con-
(juit sur le duc de Milan Drescia et IJergame. 1 1 pouvait, en
évitant le combat , faire prisonnière l'armée espagnole aux
ordres deCardonne, enfermée dans un délilé à Creazzo, près
de Vicence; mais il eut l'imprudence d'ofl'rir la bataille, et
fut battu. Cependant il se releva bientôt de cet échec par
la conquête de Crémone et de Lodi , avec une élite de trois
cents hommes , en attaquant à l'improviste les Suisses , qui
comptaient déjà sur le triomphe , et qui crurent avoir toute
l'armée vénitienne sur les bras. Il contribua à la victoire de
François V à Marignan ( 14 septembre 1515 ). L'Alviane
survécut peu à cette glorieuse journée , et mourut de mala-
die, le 7 octobre suivant. Les A'énitiens donnèrent une pen-
sion à son fds , et marièrent ses filles. A l'exemple de la plu-
part des princes et des gueniers de ce siècle, l'Alviane aimait
et cultivait les lettres ; il fonda une académie à Pordenone,
lH)tug du Frioul , qui lui appartenait. Cli. Du Rozom.
ALVIXCZY ( Joseph, baron d' ) , né en 1726 , d'une
famille noble de la Transylvanie , entra au service à l'âge de
quinze ans, et fit, en qualité de capitaine de grenadiers , la
guerre de Sept .Vns, pendant laquelle il reçut de graves bles-
sures , qui lui valurent sa promotion au grade de major. A
la conclusion de la pa»x , toute son activité se concentra sur
les perfectionnements à iiilTOtbiire dans la manœuvre des
troupes autrichiennes; puis la guerre de la succession de
Bavière lui offrit une nouvelle occasion de se distinguer et
de mériter un assez rapide avancement. — En 17S9, investi
du commandement de l'une des divisions de l'armée auti'i-
chienne aux ordies du feld-mai échal Landon dans la cam-
pagne contre les Turcs, l'enqjcreur Joseph II lui conféra le
grade de feld-marécbal-lieulenant , bien que l'assaut qu'il
avait été chargé de diriger contre Belgrade n'eût point amené
la reddition de cette place. Quelque temps après, il reçut la
mission de faire rentrer dans le devoir les habitants de Liège,
révoltés contre l'empereur et contre l'évèqiie de leur ville.
On sait que, grâce à l'intervention d'une armée française ,
l'Autriche perdit les Pays-Bas à peu près vers la même épo-
fpie. Le rôle d'Alvinczy dans la campagne qui s'ouvrit alors
fut presque toujours malheureux. Cependant il n'en conserva
jias moins la réputation d'un officier de haute distinction ,
d'un tacticien consommé : aussi , après le désastre que l'ar-
mée autrichienne essuya en Italie, sous les ordres de Beau-
lieu, songea-t-on , dans le conseil aidique, à opposer la
vieille tactique et l'expérience d'Alvinczy à l'impétuosité de
Ronaparte. Les premiers actes de son nouveau comman-
dement eurent d'assez heureux résultats; quelques combats
partiels, à la Scalda , àBassano, à Vicence, totirnèrent à
son avantage ; mais deux grandes batailles qu'il perdit suc-
cessivement, l'une à Aréole, l'autre à Rivoli, anéan-
tirent son armée. A cette occasion , au lieu de s'en prendre
au génie tout-puissant du jeune vainqueur, à la vieillesse
d''Alvinczy et à son impuissance contre \m talent évidem-
ment supérieur, on l'accusa d'incapacité et même de trahi-
son ; mais l'empereur, dont autrefois Alvinczy avait dirigé
les premières études militaires , ne tint aucun compte de ces
accusations perfides , et ne se ressouvint que de ses anciens
et glorieux services. Il lui confia , par forme d'indemnité ,
en 179S, le commandement supérieur de la Hongrie, où il
eut à s'occuper de la réorganisation de l'armée, et dix ans
plus tard il le nomma même feld-maréchal. — Alvinczy
mourut en 1810 , sans laisser d'héritiers de son nom.
ALXIXGER ( Je v>-Baptistp: d' ) , poète allemand, né
à Vienne le 2i janvier 1755, fut initié de bonne heure à
l'étude de l'antiquité par le célèbre FcKliel , ce qui ne l'em-
pêcha pas d'étudier en même temps le droit. Promu au titre
ALVIANO — AMADIS 427
de docteur dans cette faculté , il avait obtenu le titre d'agent
auliipie , lorsque la mort prématurée de ses parents le mit
en possession d'une fortune considérable. Aussi désormais
n'c\erça-t-il plus la profession d'avocat que pour défendre
gratuitement les pauvres. Ses Poëmes , publiés en 1780 à
Halle, en 17S4 à Leipzig, au profit des hôpitaux de Vienne,
et en 1788 à Klagenfurt , lui firent un nom par l'agréable
facilité en môme temps que par la douce sentimentalité qui
y rognent. Ses poëmes de chevalerie, Doolin de Maijence
( 1787 ) et BUomhérïs ( 1791 ), furent encore mieux accueil-
lis. 11 s'y montre l'imitateur de Wieland, et il y produit tout
l'effet que peuvent produire le soin et le travail à défaut
d'inspiration. Une autre collection de poëmes qu'il publia
en 179i fut sensiblement moins bien accueiUie. Il tra-
duisit aussi le Xurna PompïUus de Florian ( 2 vol., Lei-
psig , 1792 ). Comme homme, Alxinger jouissait de l'estime
do tous , et il était recherché dans le inonde ; il fut anobli
par l'empereur en 1794 , mais il mourut dès le 1^"" mai 1797.
ALYATTE. Deux rois de Lydie ont porté ce nom.
— L'un, fils d'Ardysus, de la race des Héraclidcs, régna
de l'an 761 à l'an 74S avant Jésus-Christ. — Le second , fils
de Sadyatte, de Iafamillede3/er?n?iflrfe5,régnaderan 610
à l'an 559 avant J.-C. Ilfutlepère deCre'5?<5. Hérodote fait
mention du tombeau de ce roi de Lydie comme d'un monu-
ment de proportions gigantesques et comparable aux édi-
fices élevés par les Babyloniens et les Égyptiens., Suivant lui,
ce mausolée , situé à peu de distance du lac de Gygès , n'a-
vait pas moins de 433 mètres de diamètre.
AL'VPIl'S n'Ai EX \M)RiF. , philosophe renommé et ex-
cellent logicien, qui vivait au temps de Jamblique; il n'avait
pas deux pieds de haut. On rapporte que ce nain savant
louait Dieu de n'avoir chargé son âme que d'une si petite
portion de matière corruptible.
ALYPTîQUE. Yoijez Aliptique.
AMADÉISTE, nom que prit une congrégation reli-
gieuse qui fut fondée vers le milieu du quinzième siècle ,
par le moine franciscain portugais Amédée-Jean Menez ,
et qui subsista jusque sous le pontificat de Pie V.
AMADIS, nom célèbre dans les fastes poétiques de la
chevalerie. Le roman qui nous raconte les aventures des
héros de ce nom en mentionne quatre, dont le plus célèbre,
qui, du reste, sert de souche aux trois autres, s'appelle
Amadis des Gaules ou de Gaule, généralement suinommé,
d'après ses armoiries et l'emblème de son bouclier, le Che-
valier du Lion. Il était connu dans ses excursions du dé-
sert sous celui de Beau Brun , ou plutôt , d'après le texte
original , de Bel-Tenchros , le beau Ténébreux.
Les amours et les prouesses de ce vaillant chevalier
sont entassés , avec une prolixité parfois fatigante , dans
un roman fameux dont l'origine n'est pas connue positive-
ment, et que les Espagnols, les Portugais et les Français
ont tour à tour revendiqué. Toujours est-il que, d'après le
roman, c'est en Espagne qu' Amadis des Gaules, ce preux
si brillant , mena sa carrière aventureuse, et accomplit ses
exploits fabuleux. Il est poiu- ce pays ce que le roi Ar-
thur avec sa Table Ronde est pour l'Angleterre, ou ce
que Charlemagne et ses douze paladins sont dans les
traditions de France. Y a-t-il dans tous ces récits quelques
fondements historiques, ou Amadis des Gaules n'est-il, ainsi
que ceux de sa race supposée, qu'un personnage purement
et tout à fait imaginaire? C'est ce qu'on ne saurait dire,
et on se contente d'applaudir, comme si elles étaient vraies,
aux mille actions extraordinaires qui remplirent la vie de ces
aventuriers. Les quatre premiers livres du roman sont
seuls consacrés à l'histoire du principal héros, que l'on fait
naître enfant de l'amour de Périon, roi fabuleux de France,
et d'Éliscne, fille de Havintes, roi de Bretagne ; les autres livres
s'occupent de son fils Espiandian, du chevalier Florisando,
de Florisel, et de trois autres Amadis, dont chacun est
connu so'.is une désignation différente. Ainsi le premier est
5'i.
428
AMADIS — AMAIGRISSEMENT
Amadis de Grèce, arricre-petit-fils d'Amadis des Gaules,
par son père Lisnart ; sa mère était Olonéria, fille d'un em-
pereur de Trébisondc. Il eut pour arrière-petit-fils Amadis
de l'Astre ou de l'Étoile. Le dernier, enfin , est Amadis
de Trébisondc, fils de Roger de Grèce, surnommé le Bien-
Aimé.
11 y a dans le roman d'Amadis, qui dans l'original es-
pagnol contient treize livres , une immense différence entre
les premiers et ceux ([ui suivent. On sait que Cervantes,
dans sa fameuse revue de la bibliotlièque de don Qui-
chotte, fait grâce aux quatre premiers , exclusivement con-
sacrés à Amadis dos Gaules, comme étant la première mais
aussi la seule et meilleure composition de ce genre que l'Es-
pagne ait produite , tandis qu'il condamne au feu tous les
autres.
Quelques-uns désignent comme étant l'auteur des quatre
premiers livres l'écrivain portugais Vasco-Lobeira , qui vi-
vait au commencement du quatorzième siècle; d'autres sup-
posent qu'ils ont été composés par une dame portugaise ,
d'ailleurs inconnue ; d'autres encore les attribuent à l'infant
don Pedro , fils de don Jean 1*'' , roi de Portugal. D'autres
ont voulu que Corée de Paris en fût l'auteur. Le comte de
ïressan a clierché à accréditer l'opinion que l'honneur de
l'invention est due à un troubadour français de l'école de
Ruslicicn de Puice, auteur de presque tous les romans de
la Table-Ronde , écrits du temps de Philippe-Auguste ( de
1180 à 1223). On donne comme l'auteur du cinquième livre,
renfermant les aventures d'Esplandian , fils ahié d'Amadis ,
Garcias Ordonnez de Montalbo , réviseur de l'ancienne édi-
tion ; le sixième livre, par Pelage de Ribera, contient les ex-
ploits du chevalier Florisando; le septième, ceux d'un in-
connu, et le huitième, par F. Diaz, les exploits de Lisnart;
le neuvième et le dixième, les hauts faits de Florisel, l'Amadis
de la Grèce, et du chevalier Anaxante; les onzième et
douzième , les expéditions chevaleresques de Rogel et d'A-
gésilas ; le treizième , celles de Silvio de la Silva. C'est là
que s'arrête l'original espagnol. Vinrent ensuite les traduc-
tions françaises , qui depuis la version de îsicolas d'IIer-
beray, seigneur des Essars (en l.î40), portèrent ce roman
jusqu'à vingt-quatre livres. Le quatorzième et le dix-septième
contiennent les exploits de Sphéraraont et d'Amadis de
l'Étoile; enfin, le dix-huitième jusqu'au vingt-quatrième, les
aventures des autres descendants d'Amadis des Gaules et
d'Amadis de Trébisondc.
Les diverses parties de ce poëme, qu'on trouve rarement
en entier, n'ont pas toutes le même mérite. Routerwek dit
avec raison des quatre premiers livres : « Ce tableau si
grandiose de l'héroïsme et de la fidélité , où la récompense
accordée par lamour n'est , il est vrai , pas toujours sé-
vèrement mesurée, mais où rien cependant ne blesse l'oreille
la plus chaste, ce tableau , peint avec les couleurs de l'en-
thousiasme et de l'exaltation, mais présenté avec une naï-
veté véridique et le goût le plus pur, mérita de son temps
les hommages qu'on lui rendit encore beaucoup de siècles
aj)rès. " Les livres qui suivent n'ont pas le même mérite
esthétique (pii distingue les quatre premiers livres. Parmi
les imitations allemandes de ce roman , ou mieux de ce
cycle de romans, il n'en est pas une qui mérite d'être citée ,
car le nouvel Amadis de Wieland n'a rien de commun avec
ces anciens Amadis, que le titre et le nombre daventures
que court le héros. M. Creusé de Lesser a donné une édi-
tion de ce roman abrégé sous la forme d'un poème en vingt
chants, en Ksi.'î.
AMADOU. On appelle ainsi une substance végétale
spongieuse, souple, destinée à prendre feu par le seul con-
tact d'une étincelle, et qui se prépare ordinairem-ent avec
différentes espèces de champignons du genre bolet, parti-
culièrement avec celui qui porte le nom (ïamadouvier.
Pour amener à l'état d'amadou ce bolet, qui est de consis-
tunce demi-ligneuse, on le dépouille de son écorce, dont la
dureté est beaucoup plus considérable ; puis on le coupe en
morceaux plats de différentes épaisseurs, qu'on fait d'abord
tremper dans l'eau , et qu'on bat ensuite sur un billot de
bois avec un maillet de fer, en ayant soin de les frotter de
temps en temps entre les mains, pour en détacher les fibres
ligneuses réduites en parcelles par la percussion. Lorsque les
morceaux sont devenus excessivement souples et doux au
toucher, on les f.iit sécher. Le bolet ainsi préparé se nomme
(irjaric des cliirvrfjiens , et est employé pour ariêter les
liémorrhagies produites par les ouvertures de petits vaisseaux,
par exemple, celles qui suivent l'application des sangsues.
Pour le convertir en amadou , on le fait alors macérer, ou
même bouillir, à deux ou trois reprises , dans un soluté
aqueux de nitrate de potasse ( sel de nitre ) , ou de chlorate
de potasse ; après quoi on le fait sécher, et on le bal de nou-
veau sur le billot; enfin on le serre dans un endroit sec et
où il puisse être à l'abri du contact de l'air humide.
Le genre bolet n'est pas seul en possession de fournir
la substance dont nous nous occupons : toutes les matières
végétales de structure celluleuse , tenaces et douées de la
propriété de se feutrer, peuvent senir également à fabri-
quer de l'amadou ; et en effet on a employé à cet objet la
base de quelques espèces du genre vesse-loup , arrivées à
leur parfaite maturité, telles que la vesse protée, la vesse
ciselée, la vesse gigantesque , etc. On en fait en diverses
contrées avec quelques Ileurs de la famille des composées :
ainsi en Espagne on en prépare avec de Vatractylide gom-
mi/ère , de la gnaphale d'' Italie, et de Yéchinope à feuilles
Apres. Au Mexique on en fait avec le duvet de Vandro-
machia igniaria, et à l'iie de France avec le liber du/cM5
terehrata. Enfin , il n'est pas rare de voir les gens de la
campagne préparer une sorte d'amadou en faisant brûler
du vieux linge et l'étouffant avant qu'il soit entièrement
consumé. P.-L. Cottereau.
AMADOUVIER. Voyez Rolet et Amadou.
AMAIGRÏSSEIIÎEIMT, maigreur, émaciation , dont
les derniers degrés sont la consomption et le marasme. On
désigne par ce mot la diminution graduelle qui s'effectue
dans le volume du corps, par déperdition successive du
tissu graisseux, et probablement des autres éléments cons-
titutifs des divers organes. — L'amaigrissement diffère de
Vatrophie en ce que celle-ci n'affecte qu'un partie cir-
conscrite de l'économie. L'amaigrissement peut dépendre de
circonstances physiologiques, ou dériver de causes morbides,
ce qu'il importe beaucoup de distinguer. C'est ainsi que l'em-
bonpoint chez les enfants disparaît par le fait de l'accrois-
sement du corps, et que l'affaissement des tissus est un ré-
sultat naturel de la vieillesse. La chaleur et la sécheresse de
l'atmosphère produisent l'amaigrissement chez les individus
qui passent du nord dans les contrées méridionales, ou
même par le simple changement des saisons. L'alimentation
insuffisante est la cause la plus directe de l'amaigrissement ;
on a constaté que l'usage prolongé des acides produit ce ré-
sultat, observation dont la coqueilerie s'est impi-udemment
emparée, au risque de graves accidents, dont les exemples
ne sont pas rares. Les exercices violents et répétés, les pro-
fessions pénibles, les habitudes vicieuses , et surtout l'abus
des plaisirs vénériens; les travaux intellectuels prolongés ,
les i)assions concentrées, comme l'ambition, la haine, la ja-
lousie, chez ces individus dont r«Hie consume son enveloppe,
telles sont les causes physiologiques accidentelles de l'amai-
grissement. 11 existe en outre des causes permanentes; c'est
ainsi que certains individus sont naturellement de consti-
tution sèche , quel que soit du reste leur genre de vie : la
maigreur est l'apanage ordinaire des tempéraments dits
nerveux et bilieux. Un préjugé vulgaire fait envisager la
maigreur constitutionnelle comme une garantie de la santé,
erreur démontrée iiar la susceptibilité de ces individus à
contracter des irritations locales. On a pu voir à Paris un
homme objet d'une triste curiosité, et qu'on désignait sous
AMAIGRISSEMENT — AMALFI
429
le nom de squelette vivant. Ce iiialhouroux , mort depuis
en An^loterro, à l'âge de vinj;t-deii\ ans jouissait, dit-on,
d'une parlaile santé, bien que son corps fiU prosijue dia-
phane ; le lait est qu'il était en proie à une lésion chronique
de-s intestins, au point que son estomac ne pouvait admettre
et digérer qu'une demi-tasse de bouillon par jour.
Les causes morbides de l'amaigrissement comprennent
pres(iue toutes les maladies ; cependant on peut établir une
échelle des degrés diniluence exercée par les divers organes,
selon que ceux-ci ont des connexions plus ou moins direc-
tes avec la nutrition : c'est ainsi (pie les maladies des or-
ganes de la digestion et de la respiration, qui fournissent les
aliments à la vie, amènent plus directement la maigreur que
celles des viscères qui président à la circulation et aux sen-
sations. Les maladies qui entraînent des évacuations abon-
dantes, telles que le choléra, la suelte, la dyssenterie, pro-
duisent un amaigrissement rai)ide. Forget.
AMAi; ou .\M.\GER. Voyez Copenhague.
AMALAIAIC , roi des Visigoths ou Gothsde l'ouest,
né en 502, épousa en 52G Clotihie, lille de Clovis , qui était
aussi zélée catholique qu'il était ardent arien. Ce mariage
fut la cause de sa querelle avec Childebert, son beau-
frère, dans laquelle il per.lit la vie en 531.
AMALASONTE , fille de Théodoric , roi des Ostro-
golhs, épousa en 515 Eulharic Cilicus, de la souche royale
(les A maies. Ce prince mourut sans régner, laissant un
fils, Athalaric, qui à la mort de Théodoric , en 526 , lui suc-
céda sous la tutelle de sa mère. Amalasonte choisit pour
ministre Cassiodore , et voulut faire élever son (ils à la ma-
nière des Romains ; mais, persuadés qu'un prince accoutumé
à trembler sous la férule d'un maitre n'aurait jamais
le courage d'af/ronter les épées yutes, ses sujets exigè-
rent le renvoi des précepteurs d'Alhalaric, et les rempla-
cèrent par irois jeunes officiers , qui plongèrent leur royal
élève dans la dibauche. Athalaric ne put ré-ister longtemps :
il mourut en 534 , à pleine âgé de dix-sept ans. Amalasonte
épousa Théodat, son cousin, prince d'un caractère vil et
lâche, et d'une avarice insatiable. Il ne lui fut pas plus tôt
uni qu'il la fit étrangler. Le meurtre d'Amalasonte servit de
prétexte à la guerre que Justinien déclara aux Ostrogoths.
i\3L\LEC, AMALÉCITES. Le nom d'Amalec est
commun à deux personnages mentioimés dans la Bible. Le
plus ancien était fils de Cham ; l'autre avait pour père Éli-
phaz, fils d'Ésaii. C'est celui-ci qu'on regarde ordinairement
comme la tige des Amalécites ; mais leur puissance , déjà
fort grande au temps d'Abraham , suppose une origine plus
ancienne, et fait présumer que le véritable père de ce peuple
est le petit-fils de Noé. — Les Amalécites habitaient l'Ara-
bie Déserte, entre la mer Morte et la mer Rouge ; ils erraient
entre Schour et l'Havilah ; car , à l'exception d'Amalec , la
même que Pétra, suivant Josèphe, les Amalécites ne possé-
daient aucune ville : ils vivaient sous des tentes , ou cher-
chaient un refuge dans les cavernes qui bordent la nier
Rouge. A leur sortie d'Ég) pte , les Israélites furent attaqués
à Réphidim , dans le désert , par les enfants d'Amalec , for-
mant une armée nombreuse. Ce combat eut cela de particu-
lier, selon le récit de la Genèse, que la victoire restait aux
Israélites tant que Moïse tenait ses bras en l'air, et qu'ils
étaient battus dès que la fatigue forçait Moise à quitter cette
posture de suppliant. Cette attaque perfide et lâche des Ama-
lécites contre un peuple fugitif et pris au dépourvu devait
(aire naître et graver profondément dans des cœurs orien-
taux une haine d'extermination. Point de salut pour Aina-
lec ! Ce cri, qui retentit souvent dans l'Écriture, devait
recevoir son accomplissement. Sous les juges , les Amalé-
cites, quoique réunis aux Jladianites et aux Moabites , sont
défaits par Aod, qui tue de sa main leur roi Églon ; et Gé-
déon détniit une ligue nouvelle de Madian et d'Amalec.
Saiil les avait battus ; il perdit son trône pour avoir épargné
leur roi Agag. Pendant le règne de David , les Amalécites
envahissent et pillent Tsiglag, lieu où le roi d'Israël avait
renfermésesfemmeset ses richesses; David accourt, arrache
aux enf.uils d'Amalec leur butin, les disperse, les pour-
suit et les extermine sur leur propre territoire. — Depuis
cet événement l'Écriture ne parle plus historiquement du
peuple amalécite. E. Lavignë.
AXIALES {Alliai un g en), djnia.stie qui a régné sur les
Goths depuis les temps fabuleux de leur histoire jusqu'au
milieu du sixième siècle de l'ère chrétienne. Dès la première
de ces époques ils étaient déjà divisés en Visigoths et Ostro-
goths, et c'est aux derniers qu'appartenaient les Amales. Leur
historien , Jornandés , parle d'un demi-dieu appelé Gaptus et
de son fils Harmal , qu'on suppose avoir été contemporain
de Domitien et des Antonins , avant que les Goths eussent
quitté les bords de la Baltique pour ceux du Borysthènc.
Augis , fils d'IIalmal , ayant reçu le surnom d'Amala , est
reconnu pour le fondateur de cette maison vers le règne
d'Alexandre-Sévère; et Jornandés lui donne une longue
suite de rois , qu'il serait cependant difficile de rattacher à
tous les événements qui ont signalé leurs guerres incessantes
avec les Romains. Nous nous bornerons à copier leurs noms.
Après Augis-Amala , ce sont Isarna , Ostrogotha , Unilt ,
Athal, AchiuK, Ansila et ses trois frères, Ediulf, Wuldulf
et Heimanrich, Wandalar, fils de Wuldulf, ^Yinithar, Théo-
domir et ses deux frères Walamir et >Yidimir, enfin Théo-
doric le Grand et sa fille 4?nfl/flson^e, avec qui s'é-
teignit cette dynastie, en 534. On attribue à Ostrogotha le
passage du Danube et l'invasion de la Dacie et de la Jloesie ,
au temps de l'empereur Philippe, l'an 243. Sous Herman-
rich , les Goths ravagèrent la Thrace et autres provinces de
l'empire. On fait régner ce prince sur la Scythie et sur la
Germanie entière au temps de Valens. Les noms des autres
rois dont parle Tbistoiie des Gotbs appartiennent à la maison
des Baltes , qui régna chez les Visigoths, et qui disputa sans
cesse aux Amales la conduite de la nation entière. Voyez
Baltes et Goths.
Les Nibelungen citent les Amales Walamir, Widimir et
Théodomir, comme les héros les plus braves et les plus estimés
du roi des Huns, Etzel ou Attila. Walamir et Théodomir
( appelé dans le Livre des Héros Ditraar ) perdirent, selon
jfornandès , en 458, une bataille contre l'empereur Léon, à
la suite de laquelle Théodomir envoya son fils Théodoric ,
alors âgé de sept ans, devenu plus tard roi des Ostrogoths,
au vainqueur à Constantinople , comme gage de la paix.
C'est là la véritable histoire ; mais le chantre des Nibelungen
présente ce Théodoric comme compagnon d'armes du roi
Etzel, qui l'a tellement pris en affection, que pour la moitié
de son empire il ne voudrait pas se passer de lui.
AMALFI. La ville d'Araalfi, située dans la partie cité-
rieure du royaume de JN'aples , et qui ne compte pas aujour-
d'hui trois mille habitants , a été autrefois une ville très-
florissante, et a pi-is une grande part, dans le moyen âge,
aux événements qui agitèrent les républiques italiennes.
Comme beaucoup de villes maritimes de l'Italie , qui depuis
sont devenues célèbres, Amalfi ne date que de l'époque où
commença à déchoir l'exarchat de Ravenne. « Cependant ,
dit M. de Sismondi , les Amalfitains prétendaient êtte issus
d'une colonie romaine : ils assuraient que leurs ancêtres,
envoyés par le grand Constantin à Byzance, avaient fait
naufrage à Raguse et séjourné longtemps en lllyrie ; qu'ils
avaient traversé ensuite l'Adriatique, et qu'ils s'étaient éta-
blis à Meifi , dans la Pouille , où ils avaient séjourné long-
temps encore; qu'enfin ils avaient quitté cette province pour
chercher un pays où ils pussent vivre entièrement libres,
et qu'alors seulement ils avaient bâti sur le golfe de Salerne
une ville à laquelle ils avaient donné le nom de leur da-nière
habitation. Leur petit État était composé de quinze on seize
villages et chùleaux situés autour de la capitale, sur le pen-
chant des montagnes qui forment à l'occident le golfe de
I Salerne. Les uns sont resserrés entie la mer et les rochers,
'ISO
AMALFI
et leurs habitants piofifcnt de quelque rade ou de fiuelquc
poit pour s'adonner à la pôclie et au commerce; les autres
■demeurent suspendus, comme l'aire d'un aigle, àmi-cùte des
monts, dont le pied est baigné par la mer; on ne les voit
qu'à moitié au milieu des bois d'oliviers qui couvrent tout
ce district. Les branches dorées des orangers qui entourent
leurs maisons blanchies attirent cependant de loin les regards
et indiquent l'habitation de propriétaires riches et indus-
trieux; tandis que, de l'autre côté de ce magnifique golfe,
les temples majestueux de Tastum s'élèvent seuls au milieu
d'une plaine déserte et désolée , que la liberté n'a plus visi-
tée depuis deux mille ans. »
Quoi qu'il en soit des prétentions des Amalfitains touchant
leur origine, ils surent se rendre célèbres de bonne heure.
En 8:i") , Sicard, prince de Bénévent , attaqua Amalfi , pilla
ses églises, et emmena ses habitants à Salerne, afin qu'ils fc
confondissent avec son peuple. Mais Sicard ayant été tué à
la chasse, les Amalfitains coururent aux vaisseaux qui étaient
dans le port , les chargèrent des dépouilles des maisons et
des temples de Salerne, et retournèrent ainsi chargés de
butin à leur ancienne patrie. C'est à dater de cette époque
qu'ils recouvrèrent leur entière liberté, et commencèrent à
se gouverner eu république; car auparavant ils recevaient
leurs gouverneurs de JNaples, dont ils relevaient. Après être
\lela sorte redevenus libres, les Amalfitains se soumirent à
im magistrat annuel, élu par les suffrages du peuple, qu'ils
appelèrent tantôt comte , maître des soldats, ou duc. Sous
le gouvernement de ces chefs , la république d'Amalfi cou-
vrit la mer de ses vaisseaux ; elle répandit dans tout l'Orient
sa monnaie , connue sous le nom de tari , et elle s'acquit
une réputation brillante de sagesse , de courage et de vertu.
Ses lois sur le trafic maritime, coimues sous le nom de Tables
Ainalfitaïnes, ont servi de base au droit des gens en cette
matière , de fondement à la jurisprudence du commerce et
des mers; elles acquirent dans la Méditerranée le même
crédit que celles des Rbodiens avaient eu anciennement, et
,qu'on accorda plus tard sur l'Océan à celles d'Oléron.
La prospérité d'Amalfi alla toujours croissant jusque
vers 11.35. A cette époque, Amalfi fut forcée de prendr-e
part à la querelle de Roger contre les Napolitains et les
l'isans; elle fournit à Roger ses galères et ses meilleurs sol-
dats, et resta elle-même sans défense. Alzoprado et Cane,
consuls de Pise, en ayant été informés, tentèrent sur elle
un coup de main, et la pillèrent. Deux ans plus tard, les Pi-
sans, après avoir délivré Naples, assiégée par Roger, s'em-
parèrent d'.\malfi. — " La cité, dit M. de Sismondi, se
soumit à eux avec empressement; mais les châteaux de
Scala et de Scalella, qui dépendaient d'elle, ayant fait résis-
tance, fur-ent emportés de vive force et livrés au pillage. Cet
échec compléta la ruine de la république d'Amalfi. Dès lors
cette ville et son duché n'ont cessé de déchoir. A cette épo-
que la cité seule comptait 50,000 habitants. Elle avait eu
des comptoirs dans tous les ports de Sicile , d'Kgyi)te, de
Syrie et de Grèce ; ils furent tous abandonnés, surtout de-
puis que, vers l'an 1350, les rois de Naples eurent aboli les
formes républicaines de son administration intérieure. Ce-
pendant devix hommes nés dans Amalfi contribuèrent encore
à illustrer cette ville après qu'elle eut perdu son ancienne
puissance : ce furent Flavio Gioia, qui, en 1320, inventa ou
perfectionna la boussole, et Mas Agnello, le chef fameux de
la sédition de JN'apIes, en lGi7. » C'est aussi à Amalfi que les
Pisans découvrirent, en 1135, les Pandcctcs de Justinirn,
dont la connaissance se répandit alors dans toute l'Italie.
De Fr.iF.ss-Cor.oNNA.
AMALGAIVLVTIOIV. C'est l'opération métallingique
qui consiste soit à combiner le mercure avec un autre métal,
soit à extraire, par le moyeu du mercure, l'or et l'argent de
leurs gangues. Le procédé d'extiaction des métaux piétieux
par la combinaison du meicuic avec leurs gangues, prati-
qué déjà en Amérique dès 1557, fut perfectionné en {CAO
■ AMA>DE
par Alonzo Barba et par de Born en 1780. C'est dans les
mines d'argent qu'il s'exécute dans l'Amérique méridionale.
En Europe l'amalgamation ne se fait pas de la même ma-
nière ; ainsi le grillage préalable du minerai dans des four-
neaux à réverbère, qui serait très-difficile et coûteux dans
les localités de l'Amérique, précède chez nous toute autre
opération ; on convertit ensuite l'argent en un muriate, que
l'on décompose par l'action combinée du mercure et du
cuivre ou du fer. Le régule d'argent qui résulte de cefle dé-
composition s'amalgame avec le mercure. Les minerais ar-
gentifères qui se prêtent le mieux à cette opération sont
ceux d'une nature poreuse et pyriteuse. Il y a l'amalgama-
tion/roi(/c et l'amalgamation chaude; la température à
laquelle on opère, suivant qu'elle est au-dessus ou au ni-
veair de la température atmosphérique, établit cette dis-
tinction. Un des plus curieux ateliers d'amalgamation est
celui de Freiberg, dans le royaume de Saxe.
AIVLVLGAAIE. En s'unissant avec d'autres métaux, le
mercure forme des combinaisons qui prennent le nom spé-
cial A'' amalgames. Ces alliages, toujours plus fusibles que
les métaux unis au mercure , deviennent mous ou liquides
quand ils renferment un excès de mercure. La facilité avec
laquelle le mercure se volatilise étant supérieure à celle de
toutes les substances métalliques , fournit le moyen de l'en
séparer lorsqu'on, a atto'nt le but qu'on avait en vue. — C'est
au moyen d'un amalgame qu'orr retire en général les métaux
précieux de leurs gangues ( voijez Amalg.vm.vtiox ); Vamal-
fjame d'or donne le moyen de dorer le bronze et l'argent
( imyez Dorure ) ; Yamalgame d'étain sert à étamer les
glaces; enfin Yamalgame de bismuth, introduit dans de
petits vases en verre bien secs , liquéfié par la chaleur et
promené sur toutes les parois, leur donne un tain très-bril-
lant. L'amalgame de bismuth se forme très-facilement en
faisant fondre une partie de bismuth à la plus douce cha-
leur possible, en y versant quatre parties de mercure et
en agitant avec une tige de fer. L'amalgame de cuivre peut
donner une espèce lie mastic qui prend facilement tor.fes les
formes.
AM ALTHÉE, selon la Fable , est le nom d'une chèvre
de Crète qui allaita Jupiter lorsque sa mère l'eut caché dans
cette île pour le dérober aux poursuites de Saturne. Ju-
piter, en reconnaissance de ce bon office, la plaça dans le
ciel avec ses deux che^Teaux, et donna, suivant Ovide,
une de ses cornes aux nymphes qui avaient pris soin de son
enfance , en y attachant la vertu de produire ce qu'elles dé-
sireraient. C'est la corne d'abondance célébrée par les
poètes. — La sibylle de Cumes , nommée Hiéropliile ou Dé-
moidiile, portait également le nom d'.\malthée. — C'est aussi
le titre d'un excellent recueil, ou musée de la mythologie, de
l'art et des monuments des arts du dessin chez les anciens,
publié en Allemagne par le professeur Bœttiger, et dont
il a paru ti'ois volumes de 1824 à 1825.
A^IALUIVGEIV ( Amehingen ). Voyez Amales.
AMAIV, interjection arabe qui signifie grâce , merci ,
quartier. On dit par extension implorer l'aman , c'est-à-
dire demander grâce.
AÎ\IAIV, Amalécite, favori d'Assuénis, roi de Perse,
dont pnrle le livre d'Estlier, ennemi des Juifs et de Mardo-
clice, o[ qui fut pendu à la potence mêmeqir'il avait fait
préparer p.onr ce dernier. Voyez Estuer.
AMAIVDE. En botanique, on donne ce nom génériqire
à l'ensemble des oi'ganes contenus dans l'épisperme.
L'amande est la partie essentielle de la graine féconde,
puisque c'est elle qui renferme le rudiment du nouvel être.
L'amande se compose de deux parties : l'endosperme,
et l'embryon.
Amande est aussi le nom du fruit de l'amandier. On
en distingue deux espèces : les amandes douces et les
amandes aml'res , qui sont produites par deux variétés du
même arbi'e. Trois piépaiations d'amandes douces sont em-
AMANDE — AMAUANTIi:
ployées en inétletiue de nos jours : l'eau , riiuile et le sirop :
Veau tt'dnunulfs douces était préparée autrefois conjointe-
ment à l'eau de poulet. On farcissait. d'amandes entières le
ventre d'un poulet, et on le faisait bouillir comme un véri-
table pot au l'eu. On obtenait de la sorte une tisane muci-
tegineu-^e, rafraîchissante et légèrement nourrissante. Une
eau plus usitée de nos jours est Ycmitlsion (Vamatulcs
douces : on la prépare en pilant dans un mortier de marbre
les amandes privées de leur épidémie et en délayant le tout
avec une certaine quantité d'eau , qu'on fait passer ensuite
à travers un filtre ; cette eau est blanche comme du lait ;
aussi l'appelle-t-on lait d'aviaudcs. On l'édulcorcà volonté,
et on ajoute quelquefois un certain nombre d'amandes
amères dans la préparation pour renq)lir certaines indica-
tions thérapeutiques. Dans quelques pays on prépare l'eau
des amandes par infusion, après avoir torréfié les amandes
comme du café. On prescrit ainsi les amandes torréfiées
aux convalescents, soit entières, soit en potage, après avoir
été pulvérisées et mélangées avec de l'orge. On sait d'ail-
leurs que l'art culinaire a de nos jours inventé une sorte de
potage dit aux amaudes. — h huile d'amandes douces
existe en grande quantité dans ces fruits, et est employée à
une foule d'usages en médecine, tant à l'intérieur qu'à l'ex-
térieur. — Le sirop d'amandes douces se prépare à l'aide
de l'émulsion de ces fruits et de la décoction d'orge : on
l'appelle communément sirop d'orgeat. — Les parfumeurs
vendent sous le nom de pûtes d'amandes le parenchyme
des amandes qui ont déjà servi à l'expression de l'huile : ce
parenchyme est desséché et réduit en farine.
L'analyse chimique a montré dans les amandes amères
à jieu près les mêmes principes que dans les amaudes
douces, plus une huile vénéneuse et une certaine proportion
d'acide hydrocyanique, qu'on retire principalement de leur
épidémie. On sait depuis la plus haute antiquité que les
amandes amères sont un poison pour la plupart des ani-
maux. Chez l'homme bien portant les effets vénéneux des
amandes amères et de leur huile essentielle ont été observés
plusieurs fois, et leurs véritables contre-poisons sont les re-
mèdes stimulants, tels que l'ammoniaque, l'eau-de-vie, le
camphre, la cannelle, etc. Les amandes amères sont em-
ployées quelquefois en médecine. On sait que les confiseurs
mettent de l'amande amère dans les macarons , et qu'il est
quelquefois arrivé des accidents par l'usage de ces bonbons,
lorsque la proportion d'amande était trop considérable et
que les individus qui les avaient mangés étaient des enfants
à jeun. Ce moyen, d'ailleurs, est excellent pour combattre
certaines phlogoses sourdes de l'estomac connues sous le
nom de dyspepsies : aussi les grands mangeurs et les grands
buveurs trouvent dans les bonbons d'amandes amères un
correctif efficace de leurs excès gastronomiques. Une prépa-
ration plus régulière des amandes amères est l'émulsion
qu'on mitigé par un mélange d'amandes douces et qu'on
édulcore avec du sirop.
AMA3ÎDIER , arbre de moyenne grandeur, à racines
pivotantes , dont les fleurs précèdent les feuilles et parais-
sent en mars , ce qui les expose quelquefois à être gelées.
11 aime la chaleur et se plaît dans les terres légères et pier-
reuses; les terres fortes lui sont nuisihles, à moins qu'il
n'ait été greffé sur prunier. On le multiplie par semence ,
comme l'abricotier. 11 y en a plusieurs variétés, dont on peut
faire trois divisions. La première fournit les amaudes douces,
qu'on distingue en grosses, petites, à coque dure ; amande
princesse ou des dames, amande sultane, et amande
pistache , toutes trois à coque tendre. On classe dans la
deuxième les amandes amères, dans lesquelles on en trouve
de petites , de moyennes et de grosses , à coque plus ou
moins dure. La troisième division comprend l'amandier-pô
cher, espèce d'hj bride du pêcher et de l'amandier. — Les
amandes ainères sont pour les volatiles un poison , dont le
toutic-poison est l'huile d'amandes douces.
431
AM AlXDIiVE , matière azotée qui se retrouve dans les
amandes et dans quelcpies autres semences. L'amandine
extraite de l'amande douce couipiend , selon ISL Dumas ;
carbone, 50,9; liydrogène, 6,7; azote, 18,9; oxygène, 23,5.
AMA!\IT1A^E , principe actif toxique des c h a m p i -
{".nous.
AMAR (André), né à Grenoble, vers 1750, était avocat
au parlement de Danpliiné et avait acheté la cliarge de tré-
sorier de France, qui conférait la noblesse, lorsque la révo-
lution de 1789 éclata. Amar accueillit d'abord assez mal
ce mouvement ; mais il en prit son parti, et, nommé membre
-ie la Convention, il siégea à la Montagne. 11 vota la mort
de Louis XVI , sans appel et sans sursis; il appuya la créa-
tion du tribunal révolutionnaire, et dénonça avec fureur le
général Kellermann. 11 est surtout connu par le fameux
rapport qu'il (it , le3 octobre 1793, contre les Girondins.
Ce fut encore lui qui fit le rapport contre Bazire , Chabot ,
Fabre d'Églantine , etc. Puis on le retrouve proscrivant et
mettant hors la loi Robespierre lui-même. D'accusateur,
Amar devint à son tour accusé. Il le fut à plusieurs reprises ;
et traduit avec Babeuf et ses complices à la haute cour de
Vendôme , il fut renvoyé devant le tribunal criminel de la
Seine , qui cessa les poursuites. Obscur et ignoré sous le
gouvernement impérial , il dut à sa non-activité pendant les
Cent Jours de ne pas être condamné à l'exil. Il mourut à
Paris en 1816. Louis Dubois.
AMAR-DURI"V1ER (Jeax-Acgustin), né à Paris, en
;76j, entra, au sortir de ses études, dans la congTégatioa
de la Doctrine chrétienne , et y professa les humanités jus-
qu'à la (in de 1791. H se trouvait à Lyon chargé d'une
éducation parliculière, à ré()oque du siège de cette ville.
Il dut d'échapper à la mort à un membre de cette commis-
sion qu'il avai.t obligé autrefois. Proscrit néanmoins, il ne
revint à Lyon qu'après la chute de Robespierre , et reprit
alors les foncions de l'enseignement , qu'il cumula , en
1802, avec la place de conservateur de la bibliothèque
Mazarine à Paris. Au rétablissement de l'université il devint
un des professeurs les plus distingués des lycées, fut chargé
de la chaire de rhétorique au collège Henri IV, et, sur la
lin de sa carrière, passa inspecteur honoraire des études
de l'Académie de Paris. 11 mourut en 1837. Amar a com-
posé de nombreux ouvrages pour la jeunesse. On lui doit
en outre un Cours complet de Rhétorique. Il s'est aussi
essayé dans la poésie et dans le genre dramatique. *
AMARAKTE (du grec à privatif; [xaoav/w, je flétris;
âv6o? , (leur : ileur qui ne se flétrit pas ), gf'nre de plantes,
type primitif de lafamilledes amaranthacées,dont les (leurs
polygames monoïques, fort petites, sont plus ou moins rou-
gcâtres, et agrégées en paquets aux aisselles des feuilles
supérieures, ou disposées en longues grappes pendantes.
Leurs tiges sont cannelées, leurs feuilles alternes, lancéolée.'
et glabres. On en compte une quarantaine d'espèces, la plu
part indigènes dans la zone équatoriale. Plusieurs des exo
tiques son-t cultivées pour l'ornement des jardins. Les es
pèces d'Europe ont le port peu gracieux et l'aspect généra
lement livide; mais leurs feuilles peuvent être mangées en
guise d'épinards. L'amarante tricolore a les feuilles grandes,
panachées de vert , de jaune et de rouge. Elle est originaire
des Indes; on la connaît aussi sous le nom vulgaire d'^erèe
de jalousie. L'amarante à /leurs en queue a les grappes
de fleurs cylindriques , très-longues et pendantes ; ce qui
lui a fait donner vulgairement les noms de queue de re-
nard , de discipline des religieuses. Elle vient aussi des
Indes. L'amarante sangtcine, or\g\nà\re àeBàhama, a les
feuilles vertes à la base et rouges au sommet. Les ama-
rantes conservent longtemps leur couleur après la dessic-
cation. On peut en faire dessécher naturellement ou au
four les sommités fleuries; l'hiver suivant, en les faisant
tremper dans de l'eau , elles reprennent leur fraîcheur, et
■■ peuvent être employées à orner les cheminées.
432
AMARANTE — AMAS
L'amaranle des jardiniers , plus connue sous les noms
decrêle de coq, passe-velours, a été ranj^ée par les bota-
nistes dans un autre genre. C'est sans doute là l'espèce dont
parient les anciens et que les poètes ont cili-e dans leur.*
vers. L'amarante était pour eu\ le symbole de l'immorta-
lité, elle était consacrée aux morts; on la poitaiteii signo
de deuil dans les fêtes funèbres, et on la plantait sur les
tombeaux. — C'est une des Heurs que les poètes ont aujour-
d'iiui à disputer , dans le concours des Jeux floraux, à
Toulouse, où Vamaranle d'or est le prix de l'ode.
AMARANTE (Bois d'). Bois exotique qu'on emploie
principalement à la marqueterie et aux ouvrages de tour. On
ne s'en sert en France que depuis l'exposition de 1827. 11
nous vient de Cayenne, et l'on croit qu'il est le produit de
l'Iresia caleslis de Linné. On en distingue de deux sortes :
le dur, qui l'est en effet considérablement, avec un grain
fin, très-serré, quelquefois avec des fibres longitudinales,
mais le plus souvent à fibres entrelacées ; celte dernière va-
riété est difficile à casser et à fendre. Sa couleur est d'un
rouge vineux très-prononcé, ou violacée, qui au poli prend
le beau brun rougeâtre moiré. Le bois d'amarante nous vient
ordinairement en poutres de 5 à 6 mètres de long sur 25 à 40
centimètresd'équarrissage. Vamaranle teridredoil provenir
d'une espèce très-voisjue de l'autre, s'il est autre chose
qu'une simple variété. Il est composé d'un aubier jaune
pâle, veiné de noir; au centre, les fibres sont longitudinales
et faciles a séparer. La couleur de cette partie centrale est le
rouge vineux, passant par le poli au brunâtre.
AMARAPOURA. Voyez Ava.
AMARI (Michel), né à Palermele 7 juillet 1806, élait
employé du gouvernement sicilien quand son père, impliqué
dans une conspiration en 1822, fut condamné à mort, peine
commuée en trente ans de prison. Le jeune Amari dut sub-
venir par son travail aux besoins de sa mère et de sa famille.
Devenu suspect lui-môme en 1837, il fut appelée Naples,
où il publia, Z,a Guerra del Vespro Sïciliano (1842). Me-
nacé de poursuites, il se retira en France. La révolution de
1848 le ramena en Sicile, où on lui confia la vice-présidence
du comité révolutionnaire. Élu député au parlement sici-
lien, puis chargé du ministère des finances, il vint en
mission à Paris, où il fit paraître : La Sicile et les Bourbons
(1849). La cause sicilienne ayant succombé, il se fixa à
Paris. 11 y a publié, sous les auspices de M. le duc de
Luynes, une Histoire des Musulmans de Sicile et une
carte comparée de la Sicile moderne avec la Sicile du
douzième siècle. Z.
AMARI (Emeric), né à Palerme en 1810, fonda dans celle
ville, en 1838, \e Journal de statistique, et devint succes-
sivement professeur de droit pénal à Palerme (18îl), direc-
teur de l'hospice des aliénés, puis directeur du pénitencier
(1842). Il prit part à l'agitation de la Sicile en 1847 , et fut
enfermé le 11 janvier 1848 dans la citadelle de Palerme.
Après le triomphe de l'insurrection il fit partie du comité
révolutionnaire, et fut nom.mé député au parlement sicilien.
Envoyé en mission auprès du roi CharlQ«-Albert et du duc
de Gênes, qui avait été élu vice-roi de Sicile, il ne revint
dans son pays que pour assister à sa chute, et se relira
dans les Étots sardes. 11 a encore été élu député en 1861.
On lui doit un Essai sur la théorie du progrès. Z.
AMARILLAS (Marquis de las). Voijez Giron.
AMARI>IER,termede marine. Amajiner un navire ,
c'est prendre possession d'un bâtiment ennemi qu'on vient
de capturer ; c'est le pourvoir de marins, faire passer à son
bord une partie des vainqueurs, et en déplacer la totalité ou
le plus grand nombredes prisonniers pour les mettre dans le
navire capteur. Le chef de l'équipage transporté dans le nu-
y'iKamariné reçoit le titre de capitaine de prise. — Aina-
riner un équipage, ou un homme, c'est l'habituer à la mer.
AMAROU, poêle éroliq.ue indien, auteur de cent
poèmes contenus dans un recueil qui a pour titre .4»ia-
roû-Shatacam , ou Centurie d^Atnarou. Nons ne possé-
dons sur l'époque où vécut ce poète que des notions vagues
et incertaines. A en juger par le goût qui préside à ses
œuvres charmantes, par l'exquise pureté du style, on a
quelque raison de cro re qu'elles parurent dans les plus
beaux jours de la littérature des Indous, époque coïncidant
avec le commencement de l'ère chrétienne. C'est à M. de
Chézy que nous devons la connaissance des poésies d'A-
niarou.dont cinquante et une ont été publiées par lui sous le
pseudonyme d'Apudy, dans une superbe édition où se trou-
vent à la fois le texte, la traduction, des notes et un com-
mentaire. Il avait déjà paru à Calcutta, en 1819, une édition
devenue fort rare , qui contenait seulement le texte et la
glose .sanscrite. V Amaroû-Skalacam embrasse l'histoire
merveilleuse de l'Amour : on y trouve retracées par le poète,
sous les formes les plus séduisantes, les délices et les
peines dont Kama , le dieu d'amour à l'arc qui lance des
fleurs, abreuve les mortels.
AMARRE, AMARRER, AMARRAGE, termes de ma-
rine, dérivés du latin mare, maris, mer. L'amarre est un
câble, une corde destinée à attacher un vaisseau, une
barque, au rivage. Les amarres d'un vaisseau sont tous
les câbles par lesquels un vaisseau est retenu au bord.
On peut amarrer un vaisseau de diverses manières, avec
quatre amarres de l'avant, ou en patte d'oie avec trois câ-
bles do l'avant : dans ces deux cas, on éviic, c'est-à-dire
que le vaisseau se répand sur son câble à l'appel de l'an-
cre, dans la direction de la force qui sollicite ce mouve-
ment. On amarre à quatre amarres, dont deux par devant
et deux par derrière , ou avec une croupière frappée sur le
câble de derrière : dans ces deux cas, on n'évite pas. Enfin ,
on peut amarrer avec une embos?ure : c'est une manœuvre
militaire. — Vamarrage , ou action d'amarrer, est la jonc-
tion , l'union de deux objets par le moyen d'une corde à
deux bou.ts, qui entourent les objets en sens opposé l'un de
l'autre, et viennent ensuite nouer ensemble.
AMARYLLIS (du grec àaaQvc7ucù, je brille), genre de
plantes type de la famille des amaryllidées,et composé d'une
soixantaine d'espèces, originaires pour la plupart de l'Amé-
rique méridionale, et quelques-unes du cap de Bonne-Espé-
rance ou de la Chine. V amaryllis jaune, indigène en Eu-
rope, fait l'ornement des parterres au moi< de septembre. Sa
fleur est solitaire , en forme de cloche, d'un beau jaune. Le
lis de Gucrnesey ou amaryllis ^rcnc^ieMne fut apporté du
Japon à Guerncsey par un vaisseau qui fil naufrage sur les
côtes de France. Ces plantes réussirent si bien à Guernesey,
qu'elles y sont devenues une branche de commerce. Le lis
de Guernesey produit en octobre une ombelle de belles fleurs
d'un rouge vif, paraissant parsemées de points d'or au soleil.
Vamaryllis ou lis de Saint-Jacques est la plus brillante
espèce. Elle vient du Mexique; la couleur de sa fleurest d'un
rouge velouté tirant sur le carmin; et lorsque le soleil l'é-
claire, elle paraît parsemée d'un salile d'or; mais cette belle
fleur ne dure guère qu'un jour. Vamaryllis à longues
feuilles produit dans les serres chaudes, au milieu de l'hi-
ver, une ombelle de dix à vingt fleurs, d'un pourpre foncé,
d'une odeur agréable. Pour Vamaryllis rose, voyez Bell.v-
UONE.
AMARYNTHE, bourg de l'Ile d'Eubée, prèsd'Érétrie,
où Ion rendait un culte particulier à Diane. On finit par
comprendre toute l'île sous cette dénomination, et l'on
donna le nom à'amarynthies ou amarysies aux fêtes et
aux jeux célébrés en l'honneui de cette déesse.
AMAS. En géologie, c'e4 un gisement de matière.? miné-
rales, intercalées en mas.ses plus ou moins irrégulières dans
les autres terrains. Des couches très-renflées dans leur centre,
et amincies vers leurs extrémités, sont aussi désignées sous
le nom d'fl?nrt5. Les géologues allemands ont distingué ce
gisement en amas verticaux ( blocs ou amas debout ) et
en amas horizontaux (blocs ou amas coucbés). Les sub-
AAIAS — AIMAUROSE
stances métalliR^ros qui sont plus fiviiuoinnient tlisposccs en
amas sont le fer oxytlulé, le cuivre pyriteux, la bliMulc ou le
zinc sulfuré, la galène ou sulfure de plomb, et le cinabre
ou sulfure de mercure.
AMASI AS , fils de Joas , septième roi de Juda, succéda
à son père Tan 830 avant J.-C, à l'i^ge de vingt-cinq ans.
Lorsqu'il sentit le sceptre affermi dans ses mains, il livra
au dernier supplice les meurtriers de son père; mais il ne
fit point mourir leurs enfants. Animé de désirs belliqueux, il
marcha avec 400,000 combattants contre les Iduméens, en
tailla dix mille en pièces dans la vallée des Salines, et en pré-
cipita dix mille autres du haut d'un rocher. Tout enflé de
sa Tictoire, il ne se contenta pas de sacrifier aux dieux des
vaincus, mais il envoya à Joas , roi d'Israël , cette espèce
de défi ironique : « Venez, et voyons-nous l'un l'autre. »
Joas répondit à sa provocation par cette dédaigneuse para-
bole, d'une couleur si orientale : « Le chardon du Liban
envoya vers le cèdre qui est au Liban, et lui fit dire : Don-
nez-moi votre fille, afin que mon fils l'épouse; mais les bétes
de la forêt du Liban passèrent et foulèrent aux pieds le char-
don. » Pour lo malheur d'Amasias, la parabole s'accomplit.
Les deux rois s'étant rencontrés près de Bethsamès, le
provocateur fut défait et amené captif à Jérusalem, Amasias
remonta, après la mort de Joas, sur le trône de Juda.
Quinze ans plus tard, une conjuration s'étant formée contre
lui à Jérusalem, il s'enfuit à Lacliis, où il fut assassiné, l'an
806 avant J.-C.
AMASIS ou AMOSIS, noms parfaitement identiques,
et qui ont le même sens, Aah-3Iès ou bien Aah-Mos, en-
gendré du dieu Lune. Deux rois d'Egypte portèrent ce nom :
l'un fut le premier roi de la dix-huitième dynastie; l'a; tre
Pharaon du môme nom peut être considéré comme le der-
nier roi de la vingt-sixième dynastie.
Le premier régna vers l'an 1840 av. J.-C. 11 passa sa
vie à combattre les pasteurs ou étrangers barbares, qui oc-
cupaient la basse Egypte depuis leur invasion. Il parvint à
les enfermer dans un camp fortifié, et mourut peu de temps
après. Amasis est inscrit dans les annales égyptiennes
comme un des sauveurs de l'Egypte, et celui dont les efforts
contribuèrent le plus à la restauration de la monarchie, de
'a religion et des lois de ce pays. Le prénom royal et officiel
de ce Pharaon le qualifiait de Soleil, Seigneur de la vigi-
lance; il le mérita par sa persévérance à poursuivre la
horde barbare qui dominait dans sa patrie. Le nom d'Amasis
subsiste sur plusieurs monuments élevés durant son règne.
Le second Amasis ou Amosis, d'origine plébéienne , fut
envoyé par le roi Apriès contre une armée révoltée , qui le
proclama roi. Parvenu ainsi au trône (an 570 avant J.-C),
il rendit son royaume florissant. Memphis et Sais furent
particulièrement embellies. 11 fit tirer des carrières de Syène
le fameux temple de Néith d'un seul bloc de granit, et Hé-
rodote raconte que deux mille mariniers employèrent trois
années à le transporter à Sais. Polycrate, tyran de Samos,
entretint des relations avec Amasis, ainsi que Solon. Il
régna quarante-quatre ans, et laissa pour successeur son fils
Psamminite, qui fut détrôné par Cambyse après six mois
de règne.
AMATEUR. On désigne sous ce titre ceux qui aiment
les beaux-arts sans les exercer ou en faire profession. Les
académies de peinture l'accordent comme une distinction
aux individus qu'elles s'associent , non en qualité d'artistes ,
mais comme attachés aux arts par leurs connaissances ou par
leur goût. Mais dans le monde cette qualification se donne
ou se prend avec moins de formalité ; on la prodigue môme
avec si peu de sobriété, qu'elle ne désigne trop souvent qu'un
ridicule , qu'une prétention , ou tout au moins qu'une mé-
diocrité. Combien d'ignorants connaisseurs qui se disent
amateurs par cela seul qu'ils ont quelque accointance avec
des artistes! Ils s'imaginent qu'il n'y a qu'à donner le bras à
un artiste et à posséder quelque peu le jargon du métier
DICT. DE LA CONVERS. — T. I.
433
pour passer pour un amateur, et s'intituler pompeusement
protecteur des beaux-arts. Les véritables amateurs sont
ceux qui, dominés par une inclination naturelle, fixent leur
prédilection sur un art qui devient, pour ainsi dire, l'objet de
leur culte, de leur admiration , et en même temps de leurs
travaux ; ceux qui par des lectures, des observations et des
travaux suivis, par des notions sérieuses acquises dans une
vie retirée, par un jugement sain, et par le secours de collec-
tions faites avec ordre et intelligence, ont joint aux lumières
qui se rapportent aux arts l'érudition historique qui instruit
de leur marche et de leurs progrès.
Mais le mot amateur ne s'entend pas seulement du con-
naisseur; il se dit aussi de celui qui pratique un art sans pré-
tention, en s'amusanl et par manière de passe-tem[)s. Il
s'emploie dans ce sens à propos de tous les arts. On fait de
la peinture, de la musique, on joue la comédie en amateur,
lorsque sans être artiste on se livre à la pratique des arts que
nous venons de citer. %
Enfin on appelle amateur tout individu ayant un goût
marqué pour quelque chose : il y a des amateurs de jardins,
des amateurs de tulipes, des amateurs de gibier, etc.
AMATHO.\TE, aujourd'hui Limisso, ville de l'ilede
Chypre, sur la côte méridionale, d'abord habitée par les
Phéniciens, puis par les Grecs, et qui reçut son nom d'A-
mathus, fils d'Hercule. Elle avait été consacrée à Vénus par
les habitants , qui lui avaient érigé un temple superbe. Des
étrangers, dit la Fable, lui ayant été sacrifiés par eux,
cette déesse, pour leur témoigner l'horreur que lui inspirait
un pareil culte, les métamorphosa en taureaux.
AAIATI, ancienne famille de Crémone, qui fabriqua dans
le seizième et le dix-septième siècle des violons qu'on regarde
encore de nos jours comme les meilleurs, à cause de leur
son plein, et qu'on paye fort cher. Cependant les rensei-
gnements manquent sur cette famille d'artistes célèbres. On
sait seulement que Nicolas Amati fut , au seizième siècle, le
fondateur de l'établissement, que son frère André le seconda
dans ses travaux , et que Charles IX leur fit faire vingt-quatre
instruments, chefs-d'œuvre de lutherie, consistant en six
dessus, six quintes, six tailles et six basses de violon. Après
la mort d'André, Jérôme Amati , son fils aîné, lui succéda.
Jérôme continua la fabrication des violons sur les mômes prin-
cipes. Il eut pour élève le célèbre Stradivarius.
AMATI (Carlo), professeur d'architecture à l'aca-
démie de Milan, né à Monza le 19 juin 1776, mort le
23 mai 1852, avait été chargé par Napoléon, «n 1806, de
continuer la façade du dôme de Milan, d'après les plans
de J. Pellegrini. 11 a publié /t?î^ic/ii^a di Milano {Mlhïi,
1822). C. L.
AMAUROSE (du grec à(i.aup6;, obscur), espèce par-
ticulière de cécité , vulgairement désignée sous le nom de
goutte sereine, et qui est due à une lésion de l'appareil
nerveux de la vision , soit qu'elle affecti; le nerf optique,
soit qu'elle ait son siège dans la partie correspondante du
cerveau, ou môme dans la rétine seulement. Ces lésions,
de natures très-variées , et qu'on n'admet souvent que par
induction, reconnaissent des causes diverses. Les plus
communes sont : des inflammations fréquentes des parties
profondes de l'œil ; les commotions de la tète, par suite de
coups ou de chutes; une application soutenue de la vision
sur de petits objets, ou l'impression prolongée d'une vive
lumière, d'un feu de forge, de la neige, d'un sable brû-
lant, de gaz irritants; une congestion sanguine du cerveau;
la compression exercée par une tumeur, une névrose, etc.
L'amaurose a souvent des signes précurseurs. Si quel-
quefois cette cruelle maladie apparaît spontanément, plus
souvent elle s'annonce par une thminution graduelle des
fonctions visuelles, ou par une exaltation de la sensibilité de
cet organe. Les malades aperçoivent des mcuches volantes,
des étincelles, ou voient les objets plus sombres, entourés
de cercles lumineux ; ils présentent les aberrations de la vue
55
434
qui ont été désignées sous les noms à'amblyopie,àlié-
viéralopie, de nyctalopie. Cependant l'examen de
l'ûLtl n'oiVre aucune particularité caractéristique : la pupille a
souvent perdu de sa mobilité, ma\s,pas ^oiyoMrs; elle est fré-
quemment dilatée, mais dans d'autres cas elle est, au con-
traire, contractée. Les luimeurs de l'œil sont presque tou-
jours transparentes. Inutile de dire que les amauroses com-
pliquées d'inflammation ou de toute autre affection présen-
tent les signes qui caractérisent ces maladies. Ajoutons qu'à
nne période avancée le regard de Tamaurotique est em-
preint d'un caractère d'hébétude caractéristique, et que l'af-
fection débute dans la très-grande majorité des cas par un
œil, l'autre ne se prenant que plus ou moins longtemps après.
Le traitement de l'amaurose présente des indications très-
iWverses , suivant qu'elle est simple, sympathique ou or-
ganique. Le traitement de l'amaurose simple varie selon
qu'elle s'accompagne d'exaltalion , d'irritabilité ou d'affais-
sement, de torpeur dans l'organe affecté. Dans le premier
cas , des évacuations sanguines générales ou locales , sur-
tout quand il y a douleurs de tète, des applications calman-
tes, des boissons tempérantes, des purgatifs salins, sont
indiqués , particulièrement au début. Dans le second cas ,
on recourra de préférence aux vésicatoires volants placés
successivement autour de l'orbite , et saupoudrés , s'il le
faut, de poudre de strychnine (méthode dont l'auteur de
cet article a retiré de notables succès) , à des collyres légè-
rement stimulants , à l'électro-puncture. Quand on soup-
çonne une lésion organicjue , un séton à la nuque , la cauté-
-isation du sommet de la tète selon le procédé du docteur
Gondret , sont plus particulièrement recommandés. Enfin ,
dans le cas d'amauroses entretenues sympathiquement par
une affection éloignée , par des vers , par la suppression
d'une évacuation habituelle, etc., il est clair qu'il faut son-
ger avant tout à se débarrasser de la cause indirecte du mal
par un traitement spécialement dirigé contre elle. — Mal-
heureusement, rien n'est souvent plus obsciu: que les causes,
soit éloignées, soit prochaines , auxquelles on peut attribuer
le développement de l'amaurose : aussi son traitement fait-
il , dans une foule de cas, le désespoir de la médecine ocu-
laire. D'' Salceuotte.
AMAURY F"", roi de Jérusalem, succéda en 1162, à
l'âge de vingt-sept ans, à son père Baudouin III. Dès le com-
mencement de son règne il eut à soutenir une guerre contre
le khalife d'Égjpte, qui finit par solliciter son alliance contre
Xour-Eddin, sultan d'Alep. Amauiy revint de cette expédi-
tion comblé de richesses et de gloire; mais son génie entre-
prenant lui suggéra la pensée de s'emparer de l'Égjpte , dont
il n'avait pu voir sans envie la fertilité et les trésors. Il
obtint d'abord quelques succès; pr.is, ayant consenti à des
négociations que son adversaire eut l'art de faire traîner en
longueur jusqu'à la conclusion d'une alliance avec le sultan
dAlep, il ne put résister aux forces combinées de ces deux
ennemis, et il revint dans ses États avec la honte qui accom-
pagne toujours les entreprises injustes, surtout quand le
succès ne vient pas les couronner. .S a ladin menaça bientôt
son royaume; mais il mourut en 1173, avant de voir l'assu-
jettissement de Jérusalem.
AMAURY II , de Lusignan , d'abord roi de Chypre, 1 194 ,
devint roi de Jérusalem après son mariage avec Isabelle,
veuve de Henri, comte de Champagne, dernier titulaire de
ce royaume , redevenu la proie des musulmans. Il ne fut roi
de Jérusalem que de nom, n'ayant jamais pu y pénétrer, et
il mourut à Ptolémaïs, en 1205.
AMAURY DE Chartoes naquit dans le pays de ce nom,
au village de Bène , sur la fin du douzième siècle. Il se livra
avec ardeur à l'étude de la philosophie et de la théologie, et
tomba dans le panthéisme. Au rapport de Gerson (Œuv.,
t. IV , p. 826 , édit. de Dupin ) , il disait que tout est Dieu ,
que Dieu est tout, que le Créateur et la créature ne sont
qu'une même chose. On a cherché s'il puisa cette doctrine
AMAUROSE — AMAZONES
dans la secte ù&?> réalistes ou dans Érigène Scot, ou
dans Straton de Lampsaque , ou dans Aristote commenté par
quelques Arabes ; il serait possible qu'il l'eût prise dans
tous; cartons enseignent l'unité de substance, ou pro-
fessent des principes qui vont à l'établir. — Transportant
ses idées dans la religion, Amaury n'y voyait, comme dans
la nature, qu'une succession de formes. S'il reconnaissait en
Dieu la Trinité , il prétendait que la loi mosaïque était le
règne du Père; la loi chrétienne jusqu'au douzième siècle,
le règne du Fils ; qu'alors les sacrements devaient cesser pour
faire place à un culte purement spirituel , qui serait le rè-
gne du Saint-Esprit. On voit par là que ca'taincs cireurs
et extravagances de nos jours n'ont pas précisément le
mérite de la nouveauté. — Amaury, dit-on, se rétracta, et
mou I ut de chagrin et de dépit. Bordas-Demoulin.
A.MAZIGHS. Voyez Bereehs.
AMAZOXES ( du grec à privatif, et [aoiÇô; , mamelle).
Les traditions fabuleuses de l'antiquité parlent de femmes
guerrières , vivant seules , bannissant les hommes de leur
société, et seperpétuantpar des unions momentanées qu'elles
allaient former, à certaines époques, chez les peuplades voi-
sines. Les enfants m;\les qui provenaient de ces mariages
éphémères étaient voués à la mort, ou renvoyés sur la fron-
tière du peuple où vivaient leurs pères. Quant aux filles,
elles étaient accoutumées de bonne heure aux exercices de
la guerre et de la chasse ; et afin de les rendre plus aptes
au maniement des armes, à l'usage de l'arc et du pelte, on
leur brûlait le sein droit dès l'âge de huit ans; c'est de là
qu'elles s'appelaient Amazones. Leur vêtement ordinaire
consistait en peaux de bêtes tuées par elles à la chasse ;
leur costume de guerre était un corselet, composé de pe-
tites écailles en fer ou autre métal plus précieux. L'arc , la
javeline , la hache , le pelte , sorte de bouclier, étaient leurs
armes. Elles portaient, en outre, un casque orné de plumes
flottantes, et, sous cette tenue fière et mai'tiale , combat-
taient à cheval presque toujours.
Les légendes ordinaires font mention de deux peuples
d'Amazones : les Amazones africaines et les Ainazones
asiatiques. Les premières , quoique connues beaucoup plus
tard que les autres, sont les plus anciennes. Après avoir ,
soii-- la conduite de Myrina, leur reine, subjugué les .\tlantes ,
les Numides, les Éthiopiens et les Gorgones, et fondé une
ville au bord du lac Tritonis, elles furent exterminées par
Hercule.
Les Ai7iazones d'Asie sont plus célèbres encore. Leur
origine, d'après les légendes mythologiques, remonte à l'ex-
temiination de la race sarmate mâle par les habitants des
territoires environnants, qui s'étaient coalisés pour mettre
un terme aux rapines qu'ils avaient longtemps supportées.
Brûlant de venger leurs époux, les femmes sarmates pri-
rent les aimes , et se livrèrent aux plus sanglantes repré-
sailles. Encouragées par leurs victoires, elles se constitué -
rent en société civile et guerrière , et allèrent s'établir au
Pont-Euxin, sur les deux rives du fleuve Thcrmodon. Por-
tant la guerre dans toute l'Asie, elles conquirent des pays
considérables en Mysie, en Lydie, et ailleurs, et bâtirent
Smyme et Éphèse. Mais les excursions qu'elles tentèrent
dans la Syrie furent le commencement de leurs échecs et
de leur décadence. Vaincues par Hercule et Thésée,. elles
cherchèrent en vain à se relever ; leur éclat s'éteignit tout
à fait après la mort de Penlhésilée, leur reine, tuée par
Achille au siège de Troie; à partir de cette époque, l'his-
toire ne fait plus mention de leur race. Les plus fameuses
héroïnes dont les exploits ont été racontés sont : la reine
Lampète, qui fonda Éphèse; Sphione, qui félicita Jason de
sa bienvenue dans l'empire des Amazones ; la reine Ména-
lippe, qui donna sa ceinture à Hercule; Antiope, qui, vain-
cue par Thésée, devint son épouse; Ocyale, qui disputa le
prix de la course aux jeux d'Alcinoûs ; et Thélestris , qui
rendit une visite à Alexandre.
AMAZO.NES — AMBASSADEUR
•135
Quelques auteurs citent encore i\i:s Aviazoncs sci/thcs ,
hranchc des Amazones asiatiques. KUes firent d'abord la
^^uerre aux Scythes , leurs voisins ; puis elles s'unirent à
eux , et iH'nétrèrent plus avant dans la Sarniatie , où elles
pactagèrent avec leurs maris les fatigues de la chasse et de
la guerre.
Des géographes avaient donné le nom de pays des Ama-
zones à une grande contrée de l'intérieur de r.\uiériquc
uiéridiouale où le^ premiers voyageurs prétendaient avoir
rencontré un peuple d'Amazones {voyez l'article suivant).
La géographie moderne a rectilié cette erreur , et le pays
des Amazones n'existe plus guère sous cette dénomination
que sur d'anciennes cartes, qui donnent ce nom à une par-
lie du Brésil et du Pérou.
Al^IAZOXES ^ Fleuve des). C'est le plus grand fleuve
du monde : il traverse d'occident en orient toute l'Amé-
rique méridionale. Les Indiens l'appellent Guicna; les Es-
pagnols et les Portugais, Arellana ou Maraùon; les autres
Européens lui conservent le nom de fleuve des Amazones.
Il prend sa source sous 12" de latitude méridionale, au
lac de Llauricocha, dans les Andes du Pérou, à 3,000 mètres
au-dessus du niveau de la mer. Après avoir coulé d'abord
au nord, il se dirige à Jaen vers lest, ne tarde pas à de-
venir navigable, et se grossit en route d'une foule d'af-
fluents, dont plus de soixante sont plus considérables que le
Rhin et le Danube. Dans son cours supérieur il porte le nom
de Toungouragoua ; on l'appelle ensuite Maraùon jusqu'à
Tabalinga, et à partir de là on le désigne sous le nom de
fleuve des Amazones. A 250 lieues de son embouchure, sa
largeur varie d'une demi-lieue à deux lieues ; près de son
embouchure elle est de 50 lieues marines. Sa profondeur,
qui varie de 30 à 40 brasses, ternie moyen, est de lOO
brasses à son embouchure. Toute l'étendue du fleuve est
parsemée d'une multitude d'iles : celle de Cuviana et celle
de Machiana sont redoutées des navigateurs, à cause de ieurs
nombreux souvenirs de naufrages. L'ile du IMarajo sépare
r.\mazone du Rio-Para ; elle a environ 150 lieues de tour :
on y élève de nombreux troupeaux de chevaux , de mulets
et de bœufs appartenant aux brésiliens. « C'est depuis
celte île jusqu'au cap Nord, a dit M. Lacordaire, que le flux
de la mer offre un teiTible phénomène connu dans le
pays sous le nom de pororoca. Pendant les trois jours
les plus voisins des pleines et des nouvelles lunes, temps des
plus hautes marées, la mer, au lieu d'employer près de six
heures à monter, comme à l'ordinaire, parvient en une
ou deux minutes à 45 pieds de hauteur. La pororoca s'an-
nonce par un bruit effrayant , qui s'entend d'une ou deux
lieues de distance. A mesure que le flot approche, le bruit
augmente, et bientôt ou voit une lame d'eau de douze à
quinze pieds de hautesir, puis une autre, puis une troisième et
quelquefois une quatrième qui se suivent de très-près,
et qui occupent toute la largeur du canal. Cette lame
avance avec une rapidité prodigieuse, en balayant tout ce
qui se trouve sur son passage. De grands espaces de ter-
rain , des arbres immenses sont emportés. Partout où elle
passe, rien ne peut résister à son impétuosité. Les embarca-
tions n'ont d'autres moyens de salut qu'en mouillant dans
un enJroit où il y a beaucoup de fond , et avec de longs câ-
bles. » — On s'aperçoit à 80 lieues de distance du déverse-
ment du fleuve des Amazones dans l'Océan; il produit un
courant qui repousse les navires au large. Sa force est telle
qu'il diminue le goût salé des eaux de la mer. — A l'aide de
ses affluents , le fleuve des Amazones joint , de l'est à
l'ouest, l'océan Atlantique au Pérou, et, du nord au sud ,
les provinces du Brésil central à celles de la Colombie
septentrionale. Près de deux cents rivières, la plupart aussi
larges que nos fleuves d'Europe, se jettent dans son lit. Les
confiées qu'il parcourt sont les plus fertiles et les plus
belles de l'Amérique méridionale , inalheiireusement encore
inhabitées pour la plupart ; mais le jour n'est peut-être pas
éloigné où le fleuve des Amazones sera plus important en-
core pour cette partie du monde que ne l'est le Mississipi
pour r.Vmérique du iV)rd.
Le nom de fleuve des Amazones a été donné à ce fleuve
parce qu'Orellana , qui le premier l'a descendu , prétend ,
dans sa relation , avoir eu à combattre une multitude de
femmes armées qu'il trouva sur ses bords ; en souvenir des
Amazones de l'antiquité, il donna ce nom au fleuve nou-
vellement découvert. On ne croit plus guère aujourd'hui à
l'existence de ces femmes guerrières , quoique La Conda-
mine ait essayé de la démontrer par toutes sortes d'argu-
ments. — 11 serait trop long de donner le nom de fous les
voyageurs qui ont exploré les rives de l'Amazone, et le
titre de leurs relations. Bornons-nous à dire que ce fut
"S'incent-Yanez Pinzon qui le premier découvrit, en 1499,
l'embouchure de l'Amazone.
AMBARVALES ou ARVALES (du latin arva, champs;
amhire, aller autour), prêtres chargés à Rome de présider
la fête des A mbar val i es. Aulu-Gelie et Pline rapportent
qu'Acca-Laurentia, mère adoptive de Romulus, laissa douze
enfants mâles , qui conservèrent l'usage de faire chaque
année un sacrifice sur les champs de leur mère. Après la
mort de l'un de ces enfants , Romulus voulut le rempla-
cer, et se fit initier parmi eux. 11 institua dans la suite un
collège de douze prêtres nommés fratres ambarvules , ou
arvales , destinés à perpétuer le sacerdoce dont il avait
lui-même o.crcé les fonctions. Ces prêtres étaient nommés
à vie, et ils choisissaient eux-mêmes leurs collègues parmi
les familles les plus distinguées. La marque de'leur dignité
était une couronne d'épis liée d'un ruban blanc.
AMBARVALIES, fêtes romaines, consacrées à Cérès,
qui étaient célébrées au mois de juiflet pour appeler sur
les moissons la protection de cette déesse. Après des liba-
tions de lait , de vin et de miel , on promenait autour des
champs une truie pleine , ou une génisse , précédée d'un
homme couronné d'une branche de chêne , et qui dansait
en chantant à la louange de Cérès des hymnes auxquels
tous les assistants répondaient par de grands cris. Ces fêtes
se célébraient en famille ; mais à la fin du mois de mai
il y avait déjà eu les Ambarvalics publiques; dans celles-
ci, suivant Strabon, on allait en procession, en dehors de
Rome, jusqu'au sixième mifle, et les prêtres amb arva-
les, suivis d'habitants des campagnes, ornés dé feuiUage,
sacrifiaient à Cérès un porc , une brebis et un taureau , au
milieu des prières et des cantiques. A part le sacrifice, ces
fêtes rappellent celle que PP-glise catholique célèbre sous le
noxade Rog at ions.
AAIBASSADEUR , ministre public qu'une puissance
envoie à ime puissance étrangère pour la représenter auprès
d'elle en vertu d'un pouvoir, de lettres de créance
ou de quelque commission qui fasse connaître son caractère.
L'origine de ce mot a été très-discutée et est demeurée
incertaine. Scaliger, Saumaise et Spielmann la trouvent dans
un mot celte ; Lindenbrog, Paul j\Iéi-ula et Vendelin, dans im
mot gaulois ; Albert Acharise le fait venir du latin ambu-
lare, se promener ; d'autres lui cherchent une racine hébraï-
que. Si nous ne sommes pas fixés sur ce point , nous savons
du moins que ce terme est fort ancien , qu'il se retrouve
dans la loi salique et dans celle des Bourguignons , avec
des significations différentes et variées suivant les époques.
Les ambassades ont dû commencer avec les relations des
premiers peuples entre eux. On les retrouve dès la plus
haute antiquité. Athènes et Spaite florissantes se plaisaient
à entendre les ambassadeurs des nations voisines recher-
cher leur protection et leur alliance. A Rome les ambassa-
deurs étrangers étaient introduits au milieu du sénat, pour
lui exposer l'olijet de leur mandat. Cicéron dit qu'ils étaient
revêtus d'un caractère sacré.
Après la chute de l'empire romain, dès les premiers temps
du moyen âge , on retrouve ciiez tous les peuples nou-
4 36 AMBASSADEU
veaux des ambassadeurs sous le nom de legati , oratores.
Mais il ne s'agit toujours que de siinplcs envoyés tempo-
raires et non permanents, et ce n'est que dans les temps
modernes que les nations européennes conmicncèrent à en-
tretenir des ambassadeurs à résidence fixe.
Dans le langage de la diplomatie, le titre d'ambassadeur
n'est donné qu'aux agents de l'ordre le plus élevé et chargés
de représenter la personne même de leur souverain. Un
caractère d'inviolabilité est partout alladu' au titre d'am-
bassadeur; inviolabilité si grande autrefois, que non-seu-
lement elle le garantissait de toutes poursuites lorsqu'il
avait commis quelque crime, mais encore s'étendait jusqu'à
sa famille, à toutes les personnes attachées à sa maison,
et jusqu'à sa demeure même, qui était considérée comme
lieu d'asile. D'après le droit international moderne, un
ambassadeur peut être aujourd'hui poursuivi comme un
simple particulier étranger pour tous les actes qualifiés
crimes par la loi de tous les jiays ; et dans ce cas son titre
ne le garantit pas. Mais il ne saurait être r.cherché pour
les actes défendus seulement par les lois politiques ou par
les coutumes du pays où il est envoyé. Montes(|uieu, dans
V Esprit des Lois , est d'avis qu'on ne peut arrêter un am-
bassadeur pour dettes; mais l'opinion contraire a prévalu,
et l'ambassadeur est soumis maintenant à la saisie et à la
contrainte par corps, sauf l'inviolabilité des archives. Un
sénatus-consulte a placé les ambassadeurs français sous
la juridiction de la haute cour de justice.
On appelle ambassadeurs ordinaires ceux qui doivent
résider dans le pays où on les envoie, et ambassadeurs
extraordinaires ceux qui vont remplir seulement une
mission spéciale et temporaire. Le nom d'ambassadeur est
aussi pris très-souvent comme terme générique, et s'applique
aux autres agents diplomatiques, envoyés extraordi-
naires , ministres plénipotentiaires , chargés d'affaires, rési-
dents; ceux-ci jouissent d'ailleurs des mêmes immunités
que les ambassadeurs. La mission des ambassadeurs ,
comme en général de tous les agents diplomatiques, est de
veiller à faire respecter la vie, la liberté et les propriétés de
leurs nationaux, et de s'opposer à toute violation du droit
des gens à leur égard. En certains pays, comme en Orient,
ils ont même toute juridiction sur eux à l'exclusion de la
justice indigène. Us doivent en outre protection à toutes
autres personnes que leurs nationaux, lorsqu'elle est ré-
clamée justement. L'article 48 du Code Civil a donné aux
agents diplomatiques en général le caractère d'ofliciers de
l'État civil.
AJVIBERG , petite ville de Bavière , à 60 kilom. nord-
ouest de Ratisbonne , et ancienne capitale du haut Palatinat.
Elle est située sur la rivière de Vils , au milieu de forges
nombreuses. Cette ville, qui contient une population de
près de 8,000 habitants, est bien bàlie. Ses anciennes forti-
fications ont été changées en promenades publiques. Elle
est le siège de la cour d'appel du cercle; elle possède un
gymnase , im séminaire théologique , une bibliothèque pu-
blique , un arsenal , une manufacture d'armes à feu qui
donne chaque année douze mille fusils de bonne fabrique.
On remarque parmi ses édifices le Château-Royal , l'église
de Saint-Martin, Tliôtel de ville, le temple protestant, et
l'église de Notre-Dame de Bon Secours, où des fidèles se
rendent chaque année en pèlerinage. La ville d'Ambcrg est
tristement célèbre dans notre histoire militaire, par l'échec
qu'y subirent nos armes le 24 août 1796, lors delà victoire
de l'archiduc Charles d'Autriche sur le général Jourdan.
AMBERGEH ( Christophe ), peintre allemand du sei-
lième siècle, né à Nuremberg, s'établit dans la suite à
Augsbourg, où il lit, en 1530, le portrait de l'empereur
Charles-Quint, qui le récompensa généreusement, et se
plaisait à le comparer au Titien. Ce portrait se trouve à
présent dans la galerie royale de Berlin. Amberger a repré-
senté l'histoire de Joseph en douze tableaux, que l'on «-e-
R
AMBIGU
garde comme son chef-d'œuvre. Disciple de Holbein le
jeune , il imita sa manière et sut se faire un nom par la
correction de son dessin , la bonne disposition de ses figures
et le mérite de la perspective. La galerie de Munich possède
encore plusieurs de ses ouvrages. Amberger mourut vers
15C8, à Augsbourg.
AMBElVr (JoAcnisi ), né en 1804 à Chillas (Lot), sorti
de l'école militaire en 1824, a fait plusieurs campagnes en
Espagne, en Belgique et en Algérie, et a voyagé en Europe
et en Amérique. Élu représentant du Lot en 1848 et 1849,
il résigna son mandat pour rentrer dans le service actif,
fut nommé colonel en 1850 et général de brigade en 1857.
Il a écrit dans différents journaux et on lui doit plusieurs
ouvragçs militaires, comme Esquisses historiques et cri-
tiques de l'armée française (1837); Soldat : études mo-
rales de la carrier des armes (1855); Éloge du ma-
réchal Monccij (1842); Duplcssis-Mornay {Wil ); le
Comte Gtiibert ( 185G), elc. Z.
AMBIDEXTRE (du latin omto, deux, et dexlcra,
main droite) se dit de celui qui se .sert avec une égale
facilité de sa main droite et de sa main gauche. On em-
pêche souvent les jeunes enfants de se servir indifférem-
ment de leurs deux mains : on a tort. Il serait, au contraire,
à souhaiter que la qualité représentée par le mot ambidextre
fût plus commune qu'elle ne l'est ; car il y a une foule de
cas qui exigent que certains actes soient également accomplis
par les deux mains. L'enfant a une égale propension à se
servir de ses deux mains. Seulement il ne faut pas le laisser
substituer l'usage exclusif de la main gauche à celui ('e la
main droite, comme le font les gauchers.
A:IIBIGU, AMBIGU-COMIQUE. Le mot ambigu,
qui signifie douteux , incertain , équivoque , est employé
substantivement pour désigner les repas qui ne sont ni dé-
jeuner, ni souper, parce qu'on y sert tous les mets à la fois.
C'est par un motif à peu près semblable qu'un théâtre de
Paris , sur lequel ont paru des marionnettes , des enfants ,
des adultes, et où l'on a représenté des comédies, des pro-
verbes, des parades, des opéras comiques, des vaudevilles,
des pantomimes, des drames et des mélodrames, a reçu le
nom d'Ambigu-Comique, qu'on aurait pu également donner
à bien d'autres spectacles. C'est à Audinot père que ce
théâtre doit sa fondation. Cet acteur, ayant quitté la Comédie-
Italienne, obtint la direction de la troupe de Versailles;
avec les fonds que lui avança le prince de Conti, et les se-
cours d'Arnoult , ancien menuisier, homme d'esprit et in-
dustrieux , qu'il avait connu chez son Mécène , il établit à
la foire de Saint-Germain , en 1769 , un spectacle de ma-
rionnettes , où il fit jouer une pantomime intitulée les Co-
médiens de bois , qui attira tout Paris. C'était un acte de
vengeance d'Audinot ; chacune de ses bamboches offrait la
caricature très-ressemblante de l'un des principaux acteurs
et actrices de la Comédie-Italienne. Le gentilhomme de la
chambre , distribuant des grâces , était représenté par Poli-
chinelle.
Malgré l'autorisation qu'Audinot avait obtenue l'année
précédente du Ueutenant général de police Sartines , les
trois grands spectacles de Paris s'étaient coalisés contre
lui , sous prétexte de maintenir leurs privilèges respectifs ;
l'Opéra lui interdit le chant , les danses et un orchestre ;
les comédiens français lui défendirent la déclamation , et
la Comédie-Italienne lui prohiba les ariettes et les vaude-
villes. Pour ne point heurter ces puissances dramatiques ,
il avait imaginé ses acteurs de bois ; ce qui fit cesser les
plaintes, sans remplir ses vues, parce que sa loge ne pou-
vait contenir qu'environ quatre cents personnes , et le prix
des places les plus chères n'étant que de 24 sous , les re-
cettes n'allaient guère qu'à 300 francs. Il ne laissa pas néan-
moins de faire d'assez gros bénéfices dans cette entreprise
pour être en état, la même année, de faire bâtir une salle
sur le bo'devard du Temple. On lui permit de joindre à ses
AMBIGU
437
marionnettes un nain à?,é de quinze ans et haut <le dix-litiit
pouces , qui imitait parfaitement les lazzis du eélèbre Car-
lin. Il y ajouta encore sa fille Kulalie , qui à l'Age de sejt
ou huit ans venait de déployer à Versailles , et dans des
soirées particulières , un talent précoce pour le chant , la
danse et la déclamation , et deux autres enfants , les sœurs
Colombe, qui se distinj^uèrent depuis à la Comédie-I(a-
lienne , l'une comme cantatrice , l'autre par son jeu piquant
et sa tournure agaçante. L'ouverture de ce théAtre eut lieu
le 9 juillet , et la foule continua de s'y porter, quoique la
gêne imposée à l'entrepreneur relativement à ses critiques
des autres spectacles dût ôter beaucoup de l'intérêt du
sien. Les succès d'.\udinot lui suscitèrent un rival, qui dès
le mois d'octobre établit près du Louvre une nouvelle
salle , où il osait parodier le grand parodiste des autres
théâtres. Ce spectacle ne put se soutenir. Audinot , crai-
gnant pour le sien le même sort , obtint la permission de
substituer à ses acteurs de bois une troupe de petits enfants
qu'il dressait pour la danse et la comédie , et qui par leurs
grâces naïves ne pouvaient manquer d'intéresser le public.
La nouvelle salle ouvrit , eu avril 1770, par la panfo-
mnne il\icis et Galathée et une pièce de marionnettes , le
Retour de Polichinelle de l'autre monde. Audinot donna
à son théâtre le nom d'Ambigu-Comique , et mit sur le ri-
deau d'avant-scène ce calembour latin : Sicitt infantes au-
di 710S. Des annonces étaient distribuées à tous les passants
pour exciter leur curiosité. Deux auteurs disgraciés comme
lui du Théâtre-Italien, Moline et Pleinchêne, lui consacrèrent
le frait de leurs veilles. Tout Paris s'y donna rendez-vous ,
et l'abbé Delille put dire :
Chez Audinot l'enfance attire la vieillesse.
D'ailleurs , comme les scènes épisodlques et les petites
comédies que ses deux auteurs lui donnèrent, grâce à la
jalouse susceptibilité des grands spectacles , contenaient
plus de gravelures que de morale , les fdles s'y portaient
en foule , et y attiraient les oisifs , les provinciaux et les li-
bertins. Les femmes de la cour même ne dédaignaient pas
de s'y montrer. Les succès de l'entrepreneur sui'passèrent
bientôt ceux qu'avait naguère obtenus le singe de Nicolet.
Audinot donnait aussi des pantomimes historiques et roma-
nesques de sa composition , genre de pièce peu connu alors
dans la capitale , et des ballets arrangés par Ferrère. La
vogue dont il jouissait éveilla l'envie. Un arrêt du conseil ,
en novembre 1771 , le réduisant à sa première institution
de spectacle populaire, lui interdit les danses, et diminua son
orchestre. La défense ayant été bientôt levée par le crédit de
M. de Sartines , Audinot agrandit sa salle en 1772. Les ma-
rionnettes y parurent pour la dernière fois dans le Testa-
ment de Polichinelle.
En 1775 , l'Écluse ayant établi le théâtre des Variétés-
Amusantes à côté de l'Ambigu, cette concurrence excita l'é-
mulation d'Audinot. Il s'associa avec Arnoult , perfectionna
ses pantomimes , et gagna tellement les bontés du public ,
que les trois grands spectacles en prirent de nouveau l'a-
larme. Pour apaiser l'Opéra , il s'engagea , par un traité
du 1^"" mai 1780, à lui payer 12 francs par représentation de
jour et G francs pour chacune de celles de nuit, et à ne faire
exécuter sur son théâtre aucun air de ballet ou d'ojjéra qui
n'eût au moins dix ans d'ancienneté. Quant aux deux au-
tres spectacles, il stipula avec eux qu'aucune pièce dialo-
guée ou chantante ne serait jouée à l'Ambigu sans avoir
été dégradée ou décomposée par un comédien français ou
italien. Cette censure maladroite ne tourna qu'à l'avanlagc
d'Audinot; car les ouvrages ainsi mutilés en devenaient
meilleurs. D'autres charges pesaient encore sm* l'entre-
preneur : outre le quart des recettes pour les pauvres , il
était en déboursé de .300,000 fr. pour diverses salles qu'il
avait été obligé d'élever depuis son premier établissement.
Malgré ces vexations, il prospérait de plus en plus , quoi-
(pi'il en fût pou digne. Toujours persécuté par l'Académie
Royale de musique, il consentit par un nouveau sacrifice ,
le 5S aoilt 17s4 , à lui payer le dixième de chaque repré-
sentation , le quart pour les pauvres déduit. Mais le 15
septembre l'administration de ce théâtre , retirant à Audi-
not et à Arnoult le privilège de l'Ambigu-Comique , le céda,
avec un bail de quinze ans à partir du 1"" janvier 1785 ,
aux sieurs Gaillanl et Dorfcuille , fondateurs du théâtre
des Variétés au Palais-Royal. Audinot fit sa clôture par
les Adieux de l' Ambigu-Comique , de Gabiot de Salins,
son souffleur; pièce qui fit beaucoup de sensation, et où l'on
remarqua ce vers, auquel il ne manquait que d'être vrai :
A l'or de l'intrigant l'honnête homme vendu.
Il parut à cette occasion une foule de mémoires qui amu-
sèrent quelque temps la capitale. Nicolet, qui, se trouvant
dans la même catégorie qu' Audinot, aurait dû faire cause
commune avec lui , se joignit à ses ennemis , et fit publier,
par un auteur forain, I^arisau, ci-devant répétiteur de l'Am-
bigu, un mémoire qu'on appela le Coup de pied de Vâne.
Expulsé de sonliiéàtre, Audinot en prit un an bois de
Boulogne, où il fit exécuter le Barbier de Scoille avec la
musique de Paisiello , qu'on ne put entendre que plus tard
à Paris, par suite des discussions de rivalité entre l'Aca-
démie Royale de musique et la Comédie-Italienne. Enfin ,
par l'entremise de M. de Sartines , Audinot et Arnoult trai-
tèrent , le 14 octobre 1785, avec les privilégiés pour la ré-
trocession de leur bail, et rouvrirent l'Ambigu-Comique
le 27. Dans un prologue, l'Impromptu du moment,
Gabiot avait très-bien exprimé la joie des acteurs de ce
spectacle de se revoir sous leurs anciens directeurs , et la
reconnaissance de ceux-ci pour le public, dont l'aflluenee
les dédommageait des tracasseries qu'ils avaient éprouvées.
En 1786 ils firent reconstruire entièrement leur salle dans
la forme où elle est restée jusqu'à l'incendie qui l'a consumée
en 1827. Ils passèrent tout le temps de la reconstruction
tant aux foires Saint-Germain et Saint-Laurent qu'aux
salles des Variétés-Amusantes et des Élèves de l'Opéra. L'i-
nauguration du nouveau théâtre se fit le 30 septembre
1786, par un prologue de Gabiot, l'Emménagement.
L'administration sociale d'Audinot et Arnoult continua
de réussir jusqu'à la révolution. Elle en ressentit les contre-
coups, en raison de la multiplicité des théâtres que cette
époque vit éclore , et du mauvais goût qui s'y introduisit.
Les enfants qui originairement et depuis avaient formé la
troupe de l'Ambigu étaient devenus hommes , et plusieurs
l'avaient quitté , entre autres Mayeur de Saint-Paul, acteur
et auteur spirituel, qu'Audinot n'avait pas su conserver;
Bordier, qui, ayant passé aux Variétés du Palais-Royal,
était allé se faire pendre à Rouen en 1789 ; Michot et Damas,
qui se sont distingués sur la scène française; la fameuse
Julie Diancourt, qui jouait la pantomime avec tant d'âme et
de vérité, et qui partit pour Marseille en 1790, avec le dan-
seur Bithmer; enfin, mesdemoiselles Chevigny et Miller,
célèbres danseuses de l'Opéra, surtout la seconde, plus
connue sous le nom de madame Gardel. L'Ambigu était
regardé comme une pépinière de talents supérieurs. Il avait
donné l'exemple de ce luxe de décors et de costumes qui
depuis a plus contribué aux succès dramatiques que l'esprit
des auteurs. 11 avait le premier naturalisé la pantomime,
genre auquel il devait principalement sa richesse, sa gloire,
et l'honneur de réunir des spectateurs de meilleure compa-
gnie. La Belle au bois dormant, les Quatre fils Aijnion,
Dorothée, le Vétéran, V Héroïne américaine, le Baron
de Trenck, le Capitaine Cook, le Masque de fer. Her-
cule et Omphale, la Forêt Noire, et tant d'autres, lui
formaient un abondant répertoire,, que variaient agréable-
ment de jolies comédies, telles que la Musicomanie, Fron-
tin , le Quaker, la Matinée du Comédien de Persépolis,
le Marchandd'espoir, les Deux Frères, l'Orgueilleuse, cic.
438
AMBIGU — AMBIORIX
Audinot avait conservé Talon et sa femme, acteurs pleins
(le naturel ; Magne-Saint-Aubin , auteur de pièces épiso-
diques , où il jouait plusieurs rôles comiques. 11 avait acquis
Dorvigny , le père des Janot et d'une foule de proverbes
dramatiques ; Tliiémet, qui s'est rendu fameux par ses scènes
de ventriloquie , etc. Mais tout cela ne put le sauver de
quelques malencontres. La discorde se mit entre lui et Ar-
noult, dont les manières dures et grossières repoussaient
les auteurs.
En 1793 les deux associés se séparèrent , et cédèrent le
restant de leur bail, qui était d'environ cinq ans, à quel-
ques acteurs de leur théâtre, dont l'icandevin était le chef.
Sous cette direction rAiiibigu marcha rapidement vers sa
décadence , malgré la vogue momentanée qu'obtinrent les
Diableries et deux pièces de Cuvelier, VEnJant du Mcd-
heur, pantomime, et C'est le diable, ou la Bohémienne,
pantomime dialoguée, ou premier mélodrame qui ait paru
sur les boulevards. Le genre , le titre même de ces pièces
monstrueuses, furent bientôt imités sur les autres petits théâ-
tres. Les romans d'Anne Radcliffe avaient mis à la mode les
spectres et les revenants. L'.\mbigu , qui , pour soutenir la
concurrence dans ce genre , avait renoncé aux pièces comi-
ques qui variaient le spectacle d'Audinot , acheva de s'é-
craser, et fut forcé de fermer sur la fin de 1799.
Le bail d'Audinot finit au 1" janvier 1800. Resté seul
propriétaire de la salle , il la loua à une nouvelle adminis-
tration , qui se soutint à peine quelques mois , quoiqu'elle
eût eu le bon esprit de revenir au genre comique. Enfin,
un acteur qui s'était fait une grande réputation à la Gaîté
par le rôle de madame Angoi , Labenette-Corsse , ancien
directeur du théâtre des Variétés à Bordeaux, traita, la
même année, de l'entreprise de l'Ambigu a^ec Audinot,
qui mourut le 21 mai 1801. Corsse montra ce que peuvent
le bon ordre et l'activité, réunis aux talents et aux con-
naissances administratives. Avec des acteurs médiocres,
mais jeunes et dociles, et un répertoire où les pièces à ma-
chines ne furent qu'accessoires , il releva l'Ambigu de ses
ruines, lui rendit les beaux jours de l'administration d'Au-
dinot, et le soutint durant quinze ans dans un état constant
et brillant de prospérité. Les ouvrages les plus remarquables
qu'il y fit représenter furent : Madame Ancjot au sérail
de Constantinople, A'oiirjaJiad et Chérédin, la Bataille
de Pullava, Dago, la Femme à deux Maris, le Jugement
de Salomon, Hariadan Barberousse, Monsieur Botte, etc.
On y joua aussi des opéras-comiques et des vaudevilles.
Corsse cessa de paraître sur la scène en ISOS, et mourut
en décembre 1815 , laissant, dit-on, trois à quatre millions
de fortune.
Audinot fils, propriétaire de l'Ambigu , en devint le di-
recteur. Il prit d'abord pour associée madame Puisaye, qui
l'avait été de Corsse. En 1S23 il forma une nouvelle so-
ciété avec >L Franconi jeune, et en 1825 avec M. Senepart.
11 mourut le 14 juin 1826, à quarante-huit ans, et un an
après , jour pour jour, son théâtre fut détruit par le feu.
Malgré le succès des Macchabées, de Calas, des Mcxicai)is,
de Thérèse , malgré le zèle d'Audinot, son administration
ne fut pas heureuse. Depuis le décret impérial de 1807,
l'Ambigu n'avait eu d'autre rival que le théâtre de la Gaîté.
La Restauration avait ressuscité le théâtre de la Porte Saint-
Martin , et autorisé l'établissement de plusieurs autres spec-
tacles. Le public, d'ailleurs, était blasé. La vogue d'un
ouvrage dramatique en couvrait à peine les frais. Ce fut dans
ces circonstances que la veuve .Vudinot et Senepart firent
bâtir le nouveau théâtre de l'Ambigu sur un plan plus vaste,
et par conséquent beaucoup plus dispendieux (jue celui de
l'ancien.
La nouvelle salle fut élevée sur le boulevard Saint-Martin,
au coin de la rue de Rondy, sur les dessins de MM. Hiltortet
Lccomte. L'inauguration eut heu le 7 juin 182S, en présente
de la duchesse de Rerry. Mais les beaux jours de l'Ambigu
étaient passés. Dans l'espace de dix ans la direction passa
dans une foule de mains , et , malgré les efforts de Frederick
Lemaître , Bocage , Guyon, Francisque aîné, et de mesdames
Dorval, Théodorine, etc., le théâtre tomba en faillite.
Le 4 mai 1841, après une fermeture de quelques moLs,
l'Ambigu s'ouvTit sous la direction de M. Antony Béraud,
qui , grâce surtout à Frédéric Soulié et à Alexandre Dumas ,
obtint quelques succès à ce théâtre, succès que la révolution
de février vint du reste interrompre. Nous citerons parmi
les pièces jouées depuis la révolution de juillet : Gaspardo
le Pécheur, Lazare le Pâtre, les Bohémiens, les Étu-
diants, Paris la nuit, le Fils du Diable, et surtout la Clo-
scrie des Genêts, de Frédéric Soulié, et les Mousquetaires
d'Alexandre Dumas , qui eurent un succès prodigieux. De-
puis 1843, nous citerons le Juif errant , qui a eu un certain
succès de décorations. Parmi les acteurs qui ont laissé un
nom sur cette scène, il nous suffira de nommer MM. Saint-
Krnest, Mélingue, Lacressonnière, MM'"*' Guyon et Jouve
A.MBIGUITÉ. Voyez Éqcivoqce.
AMBIORIX était chef ou roi d'une moitié du pays
dcsÉburons, peuple de la Gaule Belgique (pays de Luxem-
bourg), tandis que Cativolque gouvernait l'autre moitié.
A ces deux noms se rattache le souvenir de l'échec le plus
grave que César ait reçu dans la guerre des Gaules. Voici
dans quelles circonstances. — Après sa seconde expédition
en Bretagne (Angleterre) , César, rentré dans la Gaule Bel-
gique, avait été forcé, à cause de la rareté des blés, de distri-
buer son armée en plusieurs corps et de les envoyer en
quartiers d'hiver sur différents points. Une légion et cinq
cohortes, commandées par Titurius Sabinus et Aurunculeius
Cotta, campaient dans le pays des Éburons. Le nouveau
plan de César, qui jusque là avait tenu son armée concentrée
en un seul quartier d'hiver, inspira aux peuples de cette
partie de la Gaule l'idée de profiter de l'isolement des légions
et de les accabler avant qu'elles pussent se réunir. Le si-
gnal en fut donné par Ambiorix et Cativolque. Ils vinrent
subitement attaquer Sabinus et Cotta dans leur camp. Ils
fuient repoussés. Alors .\mbiorix , usant d'artifice, fait de-
mander une entre^■ue à Sabinus. Il parvient à persuader à
l'imprudent lieutenant que «■ s'il l'a attaqué la veille , c'est
contraint par ceux de sa nation , lesquels ne pouvaient souf-
frir que les Romains prissent l'habitude de s'établir dans
leur pays; mais qu'après avoir rempli son devoir envers
ses compatriotes, il voulait reconnaître les bons offices
qu'il avait reçus de César en donnant à Sabinus le conseil
de quitter le camp tandis qu'il en était temps encore , et de
se replier sur le corps d'armée le plus voisin ; que toute la
Gaule était en armes , et que des secours arrivaient du côté
du Rhin; qu'il offrait à Sabinus le libre passage à travers
le pays des Éburons. » Sabinus, quoique l'avis lui vînt d'un
ennemi, et malgré les représentations de son collègue Cotta,
fait les préparatifs de départ ; et le lendemain l'armée s'en-
gage dans une vallée , aux deux extrémités de laquelle ap-
paraissent bientôt les troupes d'Ambiorix. Vainement la lé-
gion, pour se mieux défendre, abandonne ses bagages et se
range en cercle , faisant tète de tous côtés à l'ennemi ; une
manœuvre habile d'Ambiorix rend inutile la valeur des Ro-
mains. Alors Sabinus, voyant tout espoir perdu, envoie
demander à Ambiorix la vie sauve pour ses soldats et pour
lui. Arrivé auprès du chef éburon, il est enveloppé et tué
avec ses principaux officiers , dont il s'était fait suivre. Le
reste de l'armée meuit en combattant, sauf un petit nom-
bre , qui regagnèrent le camp vers la nuit , et qui , désespé-
rant de se pouvoir défendre , se donnèrent la mort.
On peut être curieux de savoir comment César se vengea
de ce désastre. Il y mit une ardeur et un acharnement qui
prouvent qu'il avaît ressenti la blessure à la fois en Romain
et en général h;d)ilué ;» vaincre. Où la victoire était impos-
sible, à cause de la ])etilesse de la nation éburonne, et
parce qu'Ambiorix se dérobait sans cesse , il employa tous
1
AMBIORIX — AMBITION
439
les moyons de destruction qiic lui pernioltait le droit de la
guerre et que lui suggéra la vengeance. Mais dans celte
guerre d'extermination le chef éburon Ambiorix grandit
de tout ce que sembla perdre César.
Près du territoire des Éburons étaient les Ménapes (la
Flandre française ) , que défendaient de vastes forêts et des
marais immenses. Seuls, dans toute la Gaule Belgique, ils
n'avaient jamais envoyé de députés ni demandé la paix. Des
liens d'hospitalité les unissaient à Ambiorix. Pour lui couper
toute retraite. César marche contre les Ménapes avec cinq
légions. Ceux-ci se réfugient dans leurs marais et leurs bois.
César incendie les maisons, enlève les bestiaux, fait une mul-
titude de prisonniers. Enfm, ils se soumettent. César se fait
donner des otages, et déclare qu'il les traitera en ennemis
si les Ménapes reçoivent sur leur territoire Ambiorix ou
quelqu'un de ses ofiiciers.
C'est encore en partie pour fermer à Ambiorix tout refuge
chez les Germains qu'il passa le Rhin une seconde fois.
Après une courte et stérile campagne, il coupa son pont et
revint sur .-Vmbiorix. Il envoya sa cavalerie en avant pour
le poursuivre. On marchait en silence , et sans feux , pour
n'éveiller aucun soupçon. Peu s'en fallut qu'on ne l'attei-
gnît. ■ Mais pendant un combat qui se donna dans un défilé,
non loin de sa maison , qui était située au milieu des bois ,
quelqu'un des siens le mit sur un cheval et le fit sauver.
Écïiappé à César, et incapable de rien tenter de nouveau,
il fit dire aux Éburons que chacun eût à pourvoir à sa sûreté,
et se réfugia à l'extrémité de la forêt des Ardennes , avec
un petit nombre de cavaliers. César y accourut de sa per-
sonne. La guerre dans ces forêts était ditTicile et périlleuse.
L'ennemi n'opposait aucune masse armée; mais du fond
d'un ravin, d'un marais, d'un vallon couvert , de petits déta-
chements harcelaient les Romains, et leur faisaient perdre
du monde. César brûlait de se venger, mais il ne voulait pas
que ce fût au prix du sang romain. Il convia donc tous
les peuples voisins au pillage des Éburons. Ce fut comme
une curée à laquelle accoururent de toutes parts Gaulois et
Germains. Il vint d'au delà du Rhin jusqu'à deux mille ca-
valiers sicambres, qui en courant le pays faillirent emporter
de vive force le camp d'un des lieutenants de César {voyez
Quintus CicÉRO^f).
Tout fut pillé ou incendié. Les orages et les pluies gâtè-
rent le peu de blé qui n'avait pas été consommé par une si
grande multitude. Mais on ne vint pas à bout de prendre
Ambiorix. Les prisonniers qu'on faisait croyaient l'avoir
vu ; à les entendre, il était là, à peu de distance de l'armée :
on courait dans la direction; beaucoup, pour gagner la fa-
veur de César, faisaient des efforts au-dessus de la nature
humaine. Mais Ambiorix se dérobait à toutes les poursuites,
changeant chaque jour de cachette, et c'est ainsi qu'il par-
vint à gagner d'autres contrées, sans autre escorte que quatre
cavaliers, les seuls auxquels il pût confier sa vie. — Un
jonr, César apprit qu'il avait repam dans son pays. Il acheva
de tout y détruire , voulant le rendre si odieux aux siens
qu'il lui fût impossible d'y remettre le pied. Ambiorix lui
échappa encore, et put mourir libre; mais le nom des
Éburons fut dès lors effacé de la Gaule , et remplacé par
celui des Tongres, peuple qui vint s'établir sur leurs ruines.
D. >'ISARD, de l'Acad. Française.
AMBITIOIV (du latin ambire, briguer), passion qui
nous porte avec excès à nous élever. L'ambition diffère de
Vé7nulatio7i en ce que celle-ci consiste à se distinguer
parmi ses égaux , tandis que l'ambition est un désir immo-
déré et sans cesse renouvelé d'agrandir notre condition.
L'ambition implique nécessairement l'égoisme; car non-
seulement l'ambitieux ne veut du pouvoir que pour lui seul
et n'est préoccupé que du soin de son élévation , mais la
nature même de sa passion exige qu'il lui sacrifie ses sem-
blables, puisqu'ils sont pour ainsi dire les matériaux qui lui
servent à élever l'édifice de sa puissance , et qu'il faH en-
tièrement abstraction de leur liberté, pour ne considérer en
eux que des instruments passifs de ses desseins et de sa
grandeur. Sans aller chercher l'exemple vulgaire des rois,
qui font couler sans scrupule le sang et l'or de leurs sujets
pour marcher à la conquête d'autres peuples, qu'ils foulent
avec non moins de cruauté et d'indifférence, ne voyons-nous
pas tous les jours des hommes se frayer un chemin à un
poste émincnt à travers des iniquités de toute espèce, ren-
verser sans pitié ceux qu'ils rencontrent sur leur passage,
jouer et trahir un ami , flatter, pour les dominer un jour,
ceux qui se trouvent placés plus haut, et briser ensuite,
quand ils sont les plus forts, ces instruments maladroits de
leur puissance? Souvent l'ambitieux prend le masque de la
bienveillance ; il est obligeant , empressé ; mais , ne vous y
trompez pas , l'égoisme le plus profond est caché sous ce
masque hypocrite : il a calculé toutes ses actions , spéculé
sur son dévouement , et sait ce que les services qu'il rend
doivent lui rapporter un jour. Si l'ambitieux qui veut par-
venir se montre si oublieux des dioits et des intérêts de
ses semblables, l'ambitieux parvenu à la puissance ne les
respecte pas davantage. Il ne connaît d'autres lois que ses
désirs; la résistance à sa volonté devient un crime. Le pou-
voir a tant de charmes pour lui que, non content de l'exer-
cer, il veut encore le faire sentir à ceux sur lesquels il
l'exerce; lors môme qu'il ne rencontre pas d'opposition de
leur part , il veut qu'ils sachent bien et qu'ils n'oublient
jamais qu'ils sont les plus faibles et dans sa dépendance ; il
aime à appuyer le joug sur les têtes déjà courbées sous lui,
et ressemble à ces animaux qui se plaisent à laisser vivre
pour la tourmenter la proie dont ils se sont emparés.
Quelle autre .raison peut-on donner des caprices sanglants
de ces empereurs romains qui , au faite de la puissance, se
livraient sans motif à des actes inou'is de cruauté, si ce
n'est qu'ils ne voulaient pas laisser ignorer aux peuples
qu'ils étaient les maîtres absolus de leurs destinées? Cette
nouvelle forme d'égoïsme, qui se présente sous des traits si
hideux, a reçu le nom de tyrannie.
L'ambition a cela de commun avec les autres passions
qu'elle se promet le bonheur et ne l'atteint jamais. L'ambi-
tieux, quelle que soit sa place, se trouve toujours déplacé ;
il ne recule devant rien pour arriver à ses fins, sacrifiant sou-
vent sou caractère et toujours son repos Plusieurs vont à
leur but sans nul choix des moyens , quelques-uns par de
grandes choses, et d'autres par les plus petites : ainsi telle
ambition passe pour vice et crime ; telle autre, pour force
d'esprit et vertu. Bacon établissait une juste distinction :
« Il y a trois sortes d'ambition, disait-il : la première, c'est de
gouverner un peuple et d'en faire l'instrument de ses des-
seins ; la seconde, c'est d'élever son pays et de lui assurer la
suprématie sur tous les autres ; la troisième enfin, c'est d'é-
lever l'humanité tout entière , en augmentant le trésor de
ses connaissances. » De tout temps les moralistes se sont
élevés contre l'ambition. La Bruyère a dit : « L'esclave n'a
qu'un maître, l'ambitieux en a autant qu'il y a de gens utiles
à sa fortune. » Voltaire dépeint admirablement cette pas-
sion dans deux vers de la Henriade :
L'Ambition sanglante , inquiète, égarée,
De trônes, de tombeaux , d'esclaves entourée.
Et La Fontaine a dit dans Daphné :
One vous vous tourmentez, mortels ambitieux.
Désespérés cl furieux ,
EuDcmis du repos, ennemis de vous-mêmes !
Cependant la race des ambitieux est impérissable ; car le
désir de la prééminence semble inhérent à la nature hu-
maine. — Les Romains avaient élevé un temple à rAmbition;
et ils le lui devaient bien : ils la représentaient avec des
ailes et les pieds nus; ingénieuse allégorie du contraste
perpétuel que présente l'ambition , l'étendue et la grandeur
440 AMBITION
(le ses desseins , les fatigues et la misère que le plus sou-
vent cllft recueille. Edme Héreau.
AMBLE. l'oyes Alluiie.
AMBLYOPIE (.luRrecà(i6).û:,faii)ie; &']>, œil), affar-
blissement de la vue, qui ne constitue pas par lui-mCuie une
affection propre de l'œil, mais qui n'est ordinairement que
le premier degré de V ainatirose. Elle esi diurne quand
les malades ne voient bien que dans un demi-jour, ou
pendant la nuit {nyctalop'ie) ; nocturne, quand ils cessent
de voir à rapproche du crépuscule (hémcralopie). Llle est
quelquefois la suite de veilles prolongées, ou d'h-ibitudes
funestes chez les jeunes gens. D' SAUCF.noTTE.
AMBOIIVE, île des Indes oi-ien(ales, située près de l'é-
quateur, par 3° 47' de latitude septentrionale, et par 125° 33'
de longitude orientale, fait partie de l'archipel des Molu-
ques. Celte colonie hollandaise, qui a environ 70 kilomètres
de longueur sur 22 de largeur, ast séparée par un isthme
étroit en deux presqu'îles appelées IJitore et Lcijthnore
Elle a surtout de l'importance comme centre principal delà
culture du giroflier ; et dans l'intérêt même de cette culture,
on l'a divisée en cinq districts, placés chacun sous la sur-
veillance d'un directeur qui préside aux plantations, à l'en-
tretien et à la récolte. On estime que le produit annuel de
cette industrie varie de 125 à 150 mille kilogrammes. — Le
chef-lieu de l'ile, nommé aussi Amholne ou Ambon , est la
résidence du gouverneur général des lies Moluques et le
siège d'un commerce fort actif. C'est une jolie petite ville ,
située sur une vaste baie , protégée par le fort Victoria , et
peuplée de 15,000 habitants. — Le nom de l'île d'Amboine
sert aussi à désigner le groupe d'îles qui l'entoure et qui se
compose , indépendamment d'.\mboine , de deux îles plus
considérables, appelées Bouroet Céram, et de huit autres îles
de moindre importance : le tout formant un gouvernement
hollandais d'ime superficie d'environ 27 myriamètres carrés,
avec 45,000 habitants.
AJ\IBOISE, petite ville du déparlement d'Indre-et-Loire,
située sur la rive gauche de la Loire, à 20 kilomètres est de
Tours. Elle est très-ancienne ; la tradition en fait remonter
la fondation à Ccsar. Grégoire de Tours en fait mention au
sujet de saint Martin, de Clovis et d'Alaric, qui eurent,
dit-il, une entrevue dans l'ile qui est près d'Amboise ; il parle
môme du pont de bateaux que le Viens Ambaciensis possé-
dait dcjà surletleuve. .\u neuvième siècle, un seigneur nommé
Adelandes la reçut en fief de Charles le Chauve. Elle fut prise
et ruinée par les Normands en 882, réparée depuis par Foul-
ques, comte d'Anjou, passa en la possession des cointes de
Berry, et fut ensuite pendant plus de cinq cents ans l'apanage
d'une des plus illustres familles de France, qui en avait pris le
nom d'Amboise, et sur laquelle elle fut confisquée le 8 mai 1431,
parce que Louis, son seigneur, avait pris le parti des Anglais.
Elle fui dis lors réunie au domaine de la couronne, .\mboise
est célèbre surtout par la conjuration qui porte son nom;
^n y fabrique aujourd'hui des aciers cémentés , des râpes ,
des aiguilles à coudre, etc., très-estimées dans le commerce.
On y admire les restes d'un ancien château fort dont
l'origine remonte au cinquième siècle. Saint Baud, évêque
de Tours, en 540, en était seigneur. Charles VIII, qui y
naquit en 1440, et y mourut d'apoplexie le 7 avril 1498,
le fit reconstruire par dos artistes italiens. Il fut achevé par
Louis XII et François l*^"". Entre autres curiosités, il est
flanqué au nord et au midi de deux tours dans l'intérieur des-
quelles on peut monter en voiture jusqu'au sommet. L'ordre
de Saint -Michel y fut institué, le 1"' août 1469, par
Louis XI. De nos jours ii; château d'Amboise a été tiré de
l'oubli dans lequel il était resté depuis des siècles, par le
choix qu'en fit le gouvernement pour servir de résidence
à l'émir A b d - e 1 • K a d e r.
AiMBOISE (Conjuration d'). Cet événement fut le pré-
lude et la cause de guerres civiles qui ont ensanglanté la
France pendant plus de cinquante ans. L'ambition effrénée
— AMBOISE
des Guises ne tendait à rien moins qu'au trône : il ne leur
manquait que le titre de roi. Le cardinal de Lorraine aspi-
rait à la tiare. La conjuration d'Amboise eut pour but d'ar-
racher le jeune roi , François II, et la reîne-rnère , Cathe-
rine de Médicis , à la domination des Guises ; de s'assurer
des deux frères , et de ramener le roi et sa famille à Paris.
Barri de La Renaudie, dit Laforét , noble périgourdin
fut le chef ostensible de cette conjuration. Homme d'au-
dace et de courage , il avait toutes les qualités qui caracté-
risent un chef de parti. La conjuration fit de rapides pro-
grès, et compta de nombreux partisans dans la capitale et
dans toutes les provinces. Le prince de Condé, chef du
parti de la réforme, n'avait pas osé se mettre ostensible-
ment à la tète des conjurés , dont il jiartageait les opinions
et les vœirx. Une grande partie de la noblesse, et tous les
protestants , et même les catholiques à qui la tyrannie était
également insupportable, se rallièrent aux conjurés. Tout
semblait leur promettre un succès assuré. Une première
réunion eut lieu à Nantes en 15G0. La Renaudie y exposa
franchement son plan ; il rappela tous les crimes des Guises,
la nécessité d'affranchir le roi et la France de leur tyran-
nie. Il insista sur le danger qui menaçait la vie du roi, que
les Guises tenaient en chartre privée. « Nous ne pouvons
pas , dit-il en terminant , sans manquer à ce que nous de-
vons au prince, à la France, à notre fidélité, à notre reli-
gion , hésiter à exposer nos vies et nos biens pour détour-
ner les maux qui menacent le monarque , et éloigner de la
cour les Guises , qui lui fendent des embûches et à toute
la famille royale. Or, afin que vous ne croyiez pas que vous
agissez en cela contre votre conscience , je veux bien pro-
tester le premier, et prendre Dieu à témoin , que je ne pen-
serai , ne dirai , ni ne ferai jamais rien contre le roi , contre
la reine sa mère , contre les princes ses frères , ni contre
ceux de leur sang ; qu'au contraire , je défendrai leur majesté
et leur dignité, et en même temps l'autorité des lois et la
liberté delà patrie , contre la tyrannie de quelques étrangers. «
Tous les conjurés présents adhérèrent par serment à cette
profession de foi politique. Il fut convenu qu'un grand
nombre de citoyens , sans armes et non suspects , se ren-
draient à la cour, présenteraient au roi une requête pour
réclamer la liberté de conscience; qu'en même temps un
corps de cavaliers choisis se rendrait à Blois, où était le roi ;
que leur entrée dans la ville serait protégée par d'autres
conjurés, et qu'on présenterait au roi une seconde requête
contre les Guises , et que si ces princes refusaient de s'é-
loigner de la cour et de rendre compte de leur administra-
tion , on aurait recours à la voie des armes ; que le prince
de Condé, qui jusque là avait voulu qu'on tùt son nom,
se mettrait à la tête des conjurés. Le 15 mars 1560 fut
fixé pour l'exécution. — Avant de se séparer, les conjurés
indiquèrent les provinces dans lesquelles chacun d'eux de-
vait agir.
Le complot fut révélé aux Guises par d'Avenelles , avocat
à Paris. Ils se transportèrent de Blois à Amboise avec le
roi. D'Avenelles continua ses relations avec les conjurés, et
sur ses indications plusieurs furent arrêtés. On soupçonnait
les trois Châtillons, Coligny , Dandelot et le cardinal Odet,
leurfière, d'être de la conjuration. Les Guises redoutaient
leur infiuence ; Us déterminèrent la reine-mère à les inviter
à se rendre à Amboise pour les consulter; ils s'y rendi-
rent. Coligny appuya la proposition d'une amnistie, de-
mandée par le chancelier Olivier, et la garantie de la li-
berté de conscience. Cette proposition fut convertie en
édit. Mais ce n'était qu'un piège. Les Guises ne voulaient
que gagner du temps , et ils se hâtèrent de lever et de réu-
nir une grande quantité de troupes. Les conjurés ne s'abu-
sèrent point sur leur situation , et firent aussi leurs disposi-
tions pour se rendre maîtres d'Amboise. La Renaudie devait
se rendre la veille de l'exécution à Noisay, village voisin
d'Aralioise. Castelnau et Mazère devaient le rejoindre; d'au-
AMBOISE
(res rendez-vous avaient été as>ij:nés aii\ autres conjiins.
Les Guises, instruits Je tout par d'Aveneilos, ne donnèrent
pas à ces divers détachements le temps de se réunir. Us
avaient disposé leurs troupes par petites colonnes; ils (lient
attaquer et prendre les conjurés isolément : Castelnau fut
arriMé et pris à Noisay , les autres ailleurs. La Renaudie fut
rencontre dans la forêt de Chùteau-Renard par l'ardaillan,
et tué d'un coup de pistolet par le valet de ce seigneur.
Tous les conjurés montrèrent le plus grand courage dans
les attaques et sur les échafauds. Vainement les chanceliers
Olivier, L'Hôpital et d'autres magistrats recommandables
s'opposèrent à ces nombreuses exécutions. Les Guises ré-
pondaient qu'il fallait un grand exemple, et que la sûreté
de la personne du roi exigeait la plus impitoyable sévé-
rité. Castelnau , entendant prononcer le jugement qui le
déclarait criminel de lèse-majesté , s'écria : >< Je suis inno-
cent de ce crime ; je n'ai point à nie reprocher d'avoir at-
tenté à la personne du roi, de la reine sa mère, de la
jeune reine (Marie S l uart), des fils de France, ni des
princes du sang... Si c'est un crime de lèse-majesté d'avoir
pris les armes contre des étrangers, infracteurs de nos lois
et usurpateurs de l'autorité souveraine, qu'on les déclare
donc rois. C'est à ceux qui me survivront à prendre garde
qu'ils ne ravissent la couronne aux princes du sang royal.
La mort va me délivrer de cette crainte, je ne dois plus
tourner mes pensées que vers une meilleure vie. »> Après
sa mort , on trouva sur lui le pian d'une conspiration contre
les Guises, et une protestation des conjurés, portant que
la personne du roi leur serait toujours sainte et respec-
table. Tous les condamnés firent la même déclaration sous
la hache des bourreaux. Villemongey, trempant ses mains
dans le sang de ses compagnons, dont les cadavres, en-
core palpitants, couvraient l'échafaud, et les élevant vers
le ciel : n Voilà, dit-il, voilà, ô Dieu très-bon et tout-
puissant, le sang innocent de ceux qui sont à vous, et dont
vous ne laisserez pas la mort impunie, »
AMBOISE (Édit d'). Voyez Édit.
AMBOISE (Georges d'), cardinal-archevêque, premier
ministre deLouisXII, naquit en 1460, au château de Cliau-
mont-sur-Loire. Destiné à l'Église eomme cadet de famille
noble, il obtint dès l'âge de quatorze ans le titre d'évéquede
Montauban, grâce au crédit dont son aîné jouissait auprès de
Louis XI. Introduit à la cour, cet enfant-évèque devint au-
mônier du roi ; et si la cour de Louis XI n'était pas précisé-
ment une école où le jeune prélat put se former à la vertu,
du moins y apprit-il à se bien conduire et à ne parler qu'à
propos. Il se lia de bonne heure avec le duc d'Orléans ,
gendre du roi. A la mort de Louis XI, le duc d'Orléans et
Anne de Beaujeu se disputèrent la régence. Le duc eut le
dessous, et fut obligé de se réfugier auprès du duc François II
de Bretagne. Un complot, dont Araboise était l'âme et qui avait
pour but de déterminer le jeune roi Charles VIII à s'échapper
du honteux esclavage où, lui disait-on, le détenait la dame de
Beaujeu, ayant été découvert, Amboise fut arrêté et resta plus
de deux ans emprisonné. Il revint en grâce , lorsque le duc
d'Orléans eut réussi à faire conclure le mariage du roi avec
l'héritière de Bretagne, et fut nommé d'abord archevêque
de Xarbonne , puis archevêque de Rouen peu de temps après
que le duc dOrléans eut obtenu le gouvernement de Nor-
mandie. H n'est qualifié que prêtre dans son acte d'élec-
tion ; ce qui fait voir évidemment qu'il n'avait été sacré ni
évoque de Montauban ni archevêque de iS'arbonne. Le
duc d'Orléans le fit nommer en même temps lieutenant
général de la Normandie , et se reposa sur lui de tous les
soins de son gouvernement. Lors de l'expédition de
Charles VIII en Italie, on reprocha à d'Amboise d'avoir aban-
donné son diocèse pour suivre le duc d'Orléans par delà les
monts. Charles VIII étant mort, en 1498, sans laisser de
descendance, la couronne de France passa au duc d'Orléans,
qui prit le nom de Louis XII, et qui n'eut rien de plus pressé
DICT. DE LA C0.NVKr.SATI0>. — T. 1.
441
, que de nommer d'Amboise son premier ministre. Celui-ci
apporta dans l'administration générale du royaume les bonnes
intentions et les vues éclairées dont il avait fait preuve dans
le gouvernement d'une province. Il diminua les dépcn.ses et
les iujpôts, et s'attacha à opérer d'utiles réformes judiciaires.
Un des premiers actes politiques de l'archevêque fut de
faire casser en cour de Rome le mariage de Louis XII avec
Jeanne de France, troisième fille de Louis XI, Alexandre VI
se prêta à tout ce qu'on lui demanda; et Louis XII put
épouser la veuve de Charles VIII , Anne de Bretagne. A
cette occasion d'Amboise reçut le chapeau de cardinal.
Quand le bon ordre fut rétabli et assuré dans toutes les
partiesdu royaume, Louis XII reprit l'exécution de ses pro-
jets en Italie, où il se fit encore accompagner par son ministre,
à qui il avait fait donner par le pape le titre de légat. Le
Milanais une fois conquis, d'Amboise fut chargé de l'orga-
niser. Par son conseil, le roi fonda à Milan une chaire de
théologie, unechaire de droit et une chaire de médecine, aux-
quelles furent appelés les professeurs alors les plus en re-
nom ; et plus tard il confia, aussi d'après son avis , le gou-
vernement du Milanais à Trivulce. D'Amboise n'eut pas plus
tôt repas.sé les monts, qu'une insurrection éclata à Milan ;
il lui fallut revenir sur ses pas et châtier les rebelles. Le pays
pacifié, il revint en France, où il fut pour les courtisans tour
à tour un objet d'adulation , de haine et de jalousie ; mais
fort de l'affection du roi, l'habile ministre triompha de toutes
les cabales qu'on avait montées contre lui, et dans lesquelles
le maréchal de Gié et la reine avaient trempé.
On a reproché au cardinal d'Amboise le traité de Blois
(1503), par lequel le roi donnait la seule fille qu'il eût
d'Anne de Bretagne au prince qui depuis, sous le nom de
Charles-Quint, fut si terrible à la France et à l'Europe. Mais
ce traité était en grande partie l'œuvre d'Anne de Bretagne
elle-même, à laquelle le roi ne savait rien refuser. D'ailleurs,
le cardinal parvint à le rompre, après avoir assuré la succes-
sion intacte sur la tête de François, duc de Valois, fils du comte
d'Angouléme, et avoir employé les députations des villes
à vaincre l'obstination de la reine. La plus grande faute qu'on
puisse lui reprocher, c'est non pas d'avoir eu l'ambition de
devenir pape, ambition fort légitime, mais de l'avoir laissé
paraître. A la mort d'Alexandre VI, il aurait certainement vu
ses souhaits s'accomplir, s'il avait été plus hardi et moins
crédule. Il avait des trésors; l'armée qui était en marche
surNaples, se trouvait aux portes de Rome. Mais les cardi-
naux italiens lui persuadèrent d'éloigner cette armée, afin
que son élection (il croyait en^être sûr) parût plus libre et
en fût plus valide. D'Amboise retira ces troupes , et alors
le cardinal de La Rovère fit élire Pie III, qui mourut au bout
de vingt-sept jours. Après quoi le cardinal fut élu lui-même ,
sous le nom de Jules II. Pendant ce temps-là, les pluies
vinrent empêcher les Français de passer le Garillan et fa-
voriser Gonzalve de Cordoue, qui reprit Xaples. Ainsi le
cardinal d'Amboise perdit à la fois la tiare pour lui-même et
Naples pour son roi.
Au commencement de 1504, la famine et les épidémies
ravagèrent la France. Les mesures judicieuses prises par
d'Amboise pour faire venir des grains de l'étranger, pour
prévenir les accaparements de la spéculation et ceux de la
peur, empêchèrent de trop ressentir les suites de la famine.
Ce fut en revenant de l'Italie, où les Génois rebelles ve-
naient d'être châtiés, que le cardinal tomba malade et mou-
lut, à Lyon, à l'âge de cinquante ans, d'une goutte remontée.
Louis XII lui fit faire des obsèques magnifiques. On déposa
son cœur et ses intestins au couvent des Célestins de Lyon ,
tandis que son corps était transporté en grande pompe et
enseveli dan? la cathédrale de Rouen, où son neveu, qui
fut, lui aussi, archevêque de Rouen, lui fit élever, en 1522,
un tombeau en marbre. On raconte que le cardinal, à son
lit de mort, répétait souvent au frère infirmier : « Frère
Jean, que n'ai-je toujours été frère Jean 1 »
4 43 AMBOISE — AMBRE
Sans avoir été précisément un homme de gi'nie, d'Ainboise
fut un sage administrateur et un liabiie politique. Comme il
laissait un héritage évalué à plus de onze millions, somme
vraiment énorme pour l'époque, ses ennemis l'accusèrent
d'avarice el de cupidité et de n'avoir pas toujours employé
des moyens bien licites pour s'enrichir. Quoi qu'il en ait
pu élre de ces accusations, il mérita de partager avec
Louis XII le beau surnom de père du peuple. Consultez
Lcgendrc, lie du Cardinal d'Amboise {Rouan, 172i)-
AMBOJSE, nom d'une famille française originaire de la
ville d'Aniboise, de laquelle elle tira son nom, et issue de
Jean d'AsiBoisE , chirurgien en grande réputation au sei-
zième siècle, attaché en cette qualité à la personne du roi
Charles IX, et qui mourut laissant trois lils, Adrien, Fran-
çois et Jacques. L'aîné, Adrien, mort évôtpie de Trégiiier,
en 1616, est auteur d'une tragédie intitulée Uoloferne
(Paris, 1680). Le second, François, né à Paris, eu 1350,
mort en 1620 , enseigna d'abord les belles-lettres au collège
deXavarre, puis sefit recevoir avocat, et suivit le duc d'An-
jou , depuis Henri lll, en l'ologne. A son retour en France,
il fût nommé d'abord maître des requôles, puis conseiller
d'État. Ou a de lui : Dialogue et Devis des damoiselles
pour les rendre vertueuses et bienheureuses en la vraye
et parfaite amitié {Vnrk, 1581); Les Néopolitains , co-
médie françoise fort facétieuse, sur le sujet d'une his-
toire d'îin Espagnol et d'un François ( 1 5S4 ) ; et uns édi-
tion des œuvres d'Ahailard. Il traduisit aussi de l'italien
d'Orlensio Lando Regrets facétieux et plaisantes haran-
gues funèbres sur la mort de divers animaux (1576 ),
et de Piccolomini Notable Discours, en forme de dia-
logue, touchant la vrayeet parfaite amitié (Lyon, 1577).
Le troisième des fils de Jean d'Amboise, Jacques, fut chirur-
gien, comme son père, se fit recevoir licencié en médecine,
et devint en 1594 recteur de la Faculté de Paris, en même
temps qu'il était proclamé docteur en médecine. On a de
lui Veux Seclio arthridi purgatione commodior (Paris,
1594 ). Il mourut à Paris, en août 1606, et succomba, à ce
qu'il paraît , aux suites d'une épidémie.
Un littérateur du môme nom, Michel d'AMBOisE, dit le
Seigneur de Chevillon, et surnommé l'Esclave fortuné,
parce que c'est la dénomination sous laquelle il se désigne
comme auteur du plus grand nombre de ses ouvrages, né
à Naples, vers le commencement du seizième siècle , et mort
en 1547, était le fils naturel de Charles Cbaumont d'Am-
boise, amiral de France et lieutenant général de Charles VIII
en Italie. On a de lui beaucoup de productions légères,
tant en prose qu'en vers, mais qui pour les amateurs n'ont
plus depuis longtemps d'aufre mérite que leur extrême
rareté. Xous ne citerons que les Complaintes de l'Esclave
Fortuné, avec vingt éjntres et trente rondeaux d'amour
(Paris; goiliique, sans date) : La Panthaire de l'Esclave
Fortuné, etc. (Paris, 1530) ; Les Épitres vénériennes de
l'Esclave iodané, privé de la cour d'amour (Paris, 1532).
Il est en outre l'atileurdu/î/rtsoH de la dent, qui se trouve
dans le recueil intitulé Blasons anatomiqaes des parties
du corps féminin (Lyon, 1536).
AMIiÔX (du grec à[j.6aîv£tv, monter), vieux mot qui dé-
signe tout ce qui s'élève circulairemeut au-dessus d'une sur-
face plane. Les anatomistes appelaient jadis ainsi leshourre-
lets fibro-cartilagineux qui entourent les cavités articulaires
des os. Eu termes de marine, c'est un bordage de chêne
qu'on applique à la couverture d'un vaisseau entre les fils.
On appelle aussi ambon, ou j«&e, une espècede tribune
placée dans les anciennes églises entre le chœur et la nef;
on y montait des deux côtés par un escalier. Les prêtres y
chantaient autrefois \(ti matines aux fîtes solennelles, et
ils y lisaient au peuple l'épître et l'évangile; quelquefois
même, dans les premiers temps du christianisme, on y
prêchait. Au moyen âge on y réserva des places pour les
seigneurs et leur famille, et insensiblement l'ambon devint
dans quelques églises une sorte de nef interniédiaire , poui
les gentilshommes, entre les prêtres et les \ilains.
A Constantinople, l'ambon de Sainte-Sopiiie a servi de
(rône à plusieurs empereurs , qui s'y sont placés lors de leur
couronnement pour être de là mieux aperçus de la foule.
Cet ambon , décrit par Paul le Silentiaire, était revêtu de
matières précieuses, et sa magnificence était remarquable.
En France, on cite comme un chef-d'œuvre d'élégance et
de liardiesse celui que possède l'église Saint-Étienne-du-
Mont, à Paris, et dont l'achèvement remonte à l'an 1600.
On est frappé de la délicatesse des sculptures de cet ambon,
el surtout de la hardiesse de ses deux escaliers en spirale.
AMlîOiV {Géographie). roye:;AMBoixE.
AMBRAS ou AMRAS, ancien ch;\teau seigneurial, situé
dans le Tyrol , sur les bords de l'Inn , aux environs d'Ins-
pruck, autrefois résidence des puissants comtes d'Andechs
et utilisé aujourd'hui comme caserne, devint en 1563 la
propriété de l'archiduc Ferdinand II, qui y résidait le plus
souvent, avec sa première épouse, la belle Piiilippine
Wciser. Il y réunit de précieuses collections de livres,
d'armures, d'objets d'art, de tableaux, d'antiquités, etc.,
qui, à l'extinction de la ligne tyrolienne des ducs d'Autriche,
furent pour la plus grande partie transportées à Vienne,
comme propriétés particulières de la couronne. L'impéra-
trice Marie-Thérèse fit don de la bibliothèqiie presque tout
entière à l'université d'Inspruck. 5,580 éditions rares et 538
manuscrits enrichirent la bibliothèque de la cour, en même
temps que les monnaies et les médailles les plus précieuses
venaient augmenter la collection, déjà si riche, du cabinet
des médailles de Vienne. Lorsqu'en 1805 le Tyrol passa
sous la domination de la Bavière, la galerie d'objets d'art
du château d'Ambras fut placée à l'étage inférieur du palais
du Belvédère, à Vienne. Outre 69 manuscrits du plus grand
prix, elle renferme une foule d'armures de toute beauté,
les sculptures sur boisd'A. Colin d'Anvers, etc., et un grand
nombre de vieux tableaux allemands, notamment 1,200 por-
traits, dont 48 à l'Iuiile par Lucas Cranach fils et repré-
sentant des princes de la maison de Saxe. Les plus impor-
tantes de ces toiles ont été popularisées par des fac-similé
au trait. Le conservateur de toute la collection, Primisser,
en a aussi publié la description détaillée (Vienne, 1819). O'-i
voit encore aujourd'hui au château d'Ambras quelques objets
d'art, des armures, des portraits, et surtout des souvenirs
de Pliilippine Welser.
AMBRE (en \sA.\n amharum , du mot arabe ambar).
On a donné en français ce nom à plusieurs substances
très-différentes , en ajoutant pour chacune d'elles une épi-
tlièfe servant à les distinguer. Ainsi, on a appelé ambre blanc
tantôt une espèce de succin de couleur blanche transparente,
tantôt la cétine ou blanc de baleine; ambre jaune, le
succin; ambre liquide, le styrax liquide ; am&re noir,
quelquefois le jayet, d'autres fois le lad anum; enfin ,
ambre gris, la substance qui va seule faire l'objet de cet
article.
L'ambre gris est une matière solide, opaque, en masses
irrégulières, de forme globuleuse, d'une consistance ana-
logue à celle de la cire , à cassure grenue ou offrant des
couches concentriques; d'une couleur gris noirâtre, veinée
de taches blancjaunàtre; d'une saveur fade et grasse; d'une
odt'ur forte et suave lorsqu'on le chauffe ou qu'on le frotte ;
d'un poids spécifique plus léger que celui de l'eau ; suscep-
tible de se ramollir, de se fondre , de se volatiliser par l'ac-
tion delà chaleur, et de s'enfiammerpar le contact d'un corps
en ignition; insoluble dans l'eau; soluble en partie dans
l'alcool , l'éther et les huiles; formant une espèce de savon
avec les alcalis caustiques. Des opinions très-nombreuses
ont été émises sur l'origine de cette substance. Aujourd'hui
on s'accorde généralement à considérer l'ambre gris comme
unbézoar<l ou concrétion morbide formée dans les intestins,
et particulièrement le cœcum, de certains cétacés, notam-
AMBRE — AMBROISE
445
ment le cachalot viacrocéphale, le nuMnc qui fournit le
blanc (le baleine. En effet , les pOclieurs b;»kiniers en ont
assez souvent trouvé dans le ventre des cachalots qui sont
maigres, engourdis et languissants. Cette matière, soit lors-
qu'elle est contenue dans les intestins de ces animaux, soit
au moment où elle est rejetée au dehors , est très-mollasse ;
et se rapporte tout à fait , pour la couleur et l'odeur, aux
excréments naturels des baleines; mais exposée à l'air,
elle ne tarde pas à perdre ces qualités désagréables et à re-
vêtir les propriétés que nous avons indiquées plus haut.
L'ambre gris se trouve ordinairement dans la mer ou sur
les rivages qu'elle baigne , spécialement aux environs de Ma-
dagascar, de Sumatra, des Moluques, et sur les côtes du
Japon, delà Chine, de Coromandel, d'Afrique et du Brésil;
on en a même rencontré dans le golfe de Gascogne. Le
poids des boules d'ambre varie depuis quelques onces jus-
qu'à deux cents livres et plus; mais les masses les plus
grosses ne peuvent guère avoir été produites par un seul
cachalot; il est plus probable que, liquides d'abord, elle.s
se sont ensuite réunies et agglutinées.
L'ambre gris offre presque toujours des fragments de sè-
che, des portions de coquille et d'autres corps étrangers qui
en altèrent la pureté. En outre , il est sujet à de fréquentes
sophistications, comme toutes les substances d'un prix
élevé. Ses propriétés médicamenteuses sont celles de toutes
les substances aromatiques en général , c'est-à-dire qu'il est
excitant et antispasmodique; cependant, de nos jours il
est bien peu usité en médecine. On s'en sert beaucoup , au
contraire, dans la préparation des parfums; son odeur suave
se développant par son mélange avec les autres matières
odorantes , on le fait entrer dans un grand nombre de cos-
métiques. On lui a aussi attribué une action aphrodisiaque
marquée , et à ce titre on l'a fait entrer dans uoe foule de
préparations pharmaceutiques, telles que la poudre d'ambre
de Mesné , la poudre joviale de Nicolas de Salerne, l'essence
royale, l'essence d'Italie, etc. P.-L. Cottereau.
AMBRÉIXE , substance blanche, nacrée., inodore , fu-
sible à 30°, qu'on retire par le refroidissement de la liqueur
obtenue en traitant l'ambre gris par l'alcool bouillant.
Composée de 83,37 de carbone, 13,62 d'hydrogène, et 3,31
d'oxygène, elle se dissout dans l'éther et les huiles. En trai-
tant l'ambréine par l'acide nitrique, on obtient l'acide a»i-
bréique, qui est sans saveur, d'une faible odeur, et qui se
présente sous forme de tablettes jaunâtres, fusibles à 100°.
AMBRETTE, graine de la ketmie odorante, dont
l'odeur participe de celle du musc et de celle de la vanille.
C'est surtout de la Martinique que nous arrive ce produit,
vulgairement appelé graine de musc. Quand on poudrait
les cheveux , l'usage en était commun pour parfumer la
poudre ; aujourd'hui , l'ambrette ne sert plus guère que
pour quelques compositions de parfumerie.
AMBROISE (Saint), l'un des plus célèbres père.s de l'É-
glise, naquit vers l'an 340, et probablement à Trêves, où son
père , en qualité de préfet des Gaules , faisait sa résidence
iiabituelle. Sa mère était une chrétienne pleine de ferveur,
et sa sœur prit le voile des mains du pape Libère. Ambroise,
qui avait suivi la carrière du barreau à Milan , s'y distingua
tellement que Petronius Probus, alors préfet d'Italie et
d'Iilyrie, après l'avoir fait revêtir du titre de consul par
l'empereur Valentinien , lui fit confier le gouvernement de
la Ligurie et de la province Emilia , c'est-à-dire de la haute
Italie etde Milan. Il reçut en partant cette instruction : « Allez
et agissez, non pas en juge, mais en évêque : modérez la ri-
gueur des lois romaines. Point de tortures , surtout point
de condamnations à mort! Soyez indulgent et secourable au
peuple ! » Il suffit de comparer ces nouveaux principes de
gouvernement avec l'idéal du proconsul romain que Tacite
trace dans son Éloge d'Agricola, pour comprendre la brusque
transition qui fit passer Ambroise des fonctions de préfet à
celles d'évéque. La douceur et l'humanité déployées par
Ambroise dans l'exercice de ces fonctions lui concilièrent au
plus haut degré l'estime et l'attachement delà population de
Milan. Cette villeétait à ce moment en proie aux troubles causés
par la querelle de l'arianisme. A la mort de l'évoque Auxence
( 374 ), qui lui-même partageait l'hérésie d'Arius, les deux
partis se disputèrent vivement l'élection. On allait en venir
aux mains dans l'église môme où elle devait avoir lieu. Am-
broise s'y rendit, et parla en cette circonstance à la foide
comme il convenait à son premier magistrat, désireux de
rétablir la tranquillité publique. Aussitôt une voix inconnue,
celle d'un enfant, dit-on, propose pour terminer le diffé-
rend de nommer Ambroise évêque ; et tous , catholiques et
ariens, de se ranger aussitôt à cet avis et d'acclamer évêque
leur préfet, qui, encore simple catéchumène, offrait aux
deux partis toutes garanties d'équitabie impartialité. Am-
broise repoussa longtemps l'honneur qu'on voulait lui con-
férer et dont il ne se reconnaissait pas digne. Pour se faire
regarder comme indigne des fonctions dont on le mena-
çait, il eut même recours à divers artifices assez singuliers,
comme par exemple de faire condamner quelqueamallieureux
à la torture et de faire venir chez lui des femmes de mau-
vaise vie. Le peuple ne fut point dupe de ces stratagèmes,
et s'écria : \ous prenons ton péché sur nous! Ambroise
alla jusqu'à quitter la ville ; mais l'ordre formel de l'empe-
reur l'y rappela bientôt. Il se fit alors baptiser, et huit jours
après il recevait la consécration épiscopale. L'Église célèbre
encore chaque année le 7 décembre le souvenir de cet évé-
nement.
Dès lors l'arianisme, qui avait envahi presque tout le nord
de l'Italie, compta un redoutable adversaire de plus; car
l'imagination tendre et vive d'Ambroise devait naturelle-
ment pencher vers les dogmes mystérieux proclamés par
le concile de Kicée. Il fit don de tout ce qu'il possédait aux
pauvres et à son église. Une partie de ses nuits était em-
ployée à l'étude de l'Écriture et des Pères; et toutes ses
journées étaient consacrées à l'accomplissement de ses de-
voirs épiscopaux , à consoler les affligés , à visiter les ma-
lades, à secourir les malheureux. Saint Augustin, qui se
fit baptiser par lui, nous le montre trouvant à peine au milieu
de cette vie si laborieuse , si obsédée , le peu d'instants
nécessaires pour prendre ses repas, lire à la hâte quelques
pages et méditer sur sa lecture. On venait du fond de la
Mauritaine et de la Thrace chercher auprès de lui un refuge
contre les malheurs du temps ; et il n'était pas de sacrifices
qu'il ne s'imposât pour secourir les fugitifs. Les partisans de
l'ancien culte profitèrent, en l'an 383, d'unedisette qui affligea
l'Italie pour demander la restitution de ses biens et de ses
honneurs au sacerdoce païen et le rétablissement de l'autel
de la Victoire au sommet même du Capitole. Ce vœu, que le
préfet de Rome appuyait de son éloquence , embarrassait la
faible cour impériale. L'évêque de Rome , Damase , n'y ré-
sistait qu'en silence. De là entre les deux prélats une lutte
éloquente et passionnée, qui se termina à la gloire d'Am-
broise, et que les vers de Prudence ont immortalisée.
Une première fois, lorsque le jeune Gratien élait mort as-
sassiné, à Lyon , Ambroise avait réussi par une démarche
personnelle, tentée auprès de Maxime, à l'empêcher de pé-
nétrer en Italie. Mais trois ans après, à la suite des troubles
de toutes espèces provoqués par les sympathies avouées de la
cour impériale pour l'arianisme et ses partisans, Maxime
jugea le moment favorable pour ajouter l'Italie à ses autres
possessions. Il feignit de prendre la défense d'Ambroise et
de la foi catholique. La cour alors eut encore une fois re-
cours à l'intervention du pieux évêque de Milan. Mais
Maxime refusa cette fois de se laisser fléchir. Il ne voulut
même point accorder d'audience à Ambroise. Il franchit les
Alpes; et Ambroise ayant à son tour refusé d'entrer en rap-
port avec les évoques qu'il menait à sa suite, parce qu'ils s'é-
taient tout récemment associés à la sanglante exécution de
quelques hérétiques , le tyran en prit prétexte pour envahir
i6.
444
AMBROISE — AMBROISIE
l'Italie et se déclarer aussi bien contre Ambroise que contre
Valentinien et sa mère, qui fuient réduits à s'enfuir en Orient.
Cependant, Tiiéodose arriva en Italie, renversa l'usurpa-
teur et replaça la Péninsule sous l'autorité de la famille de
Valentinien. A Milan il fut reçu par le peuple et par l'é-
véque comme un libérateur. Mais deux ans après on apprit
dans cette ville le massacre de Tliessalonique qu'avait or-
donné Tbéodose, et que Rufin, son ministre, avait impitoya-
blement exécuté. Ce fut un coup terrible pour l'àme douce et
compatissante d'Ambroise, qui déjà quelques années aupara-
vant, à propos d'une révolte des liabitants de la même ville,
était intervenu en leur faveur et avait obtenu de Théo-
dose qu'il leur fit grâce. Dans sa douleur, le pieux évéque
n'bésita [icint à écrire à l'empereur une lettre où il lui re-
présentait, dans les termes de la plus toucliante éloquence,
iVnormilé du forfait commis par son ordre, et dont la res-
nonsabili'.é devant Dieu retombait sur lui-même, et lui
(lisait qu'im pareil pécbé ne se pouvait effacer que par
des larmes. Il terminait en ces termes : « Je n'ai contre toi
" nulle baine; mais tu me fais éprouver une sorte de ter-
« reur. Je n'oserais en ta présence offrir le saint sacrifice :
» le sang d'un seul bonime justement versé me l'interdirait,
« le sang de tant de victimes innocentes me le permet-il ? Je
« ne le crois pas... »
Tbéodose, en dépit de cette lettre par laquelle îe pieux
évéque avait voulu lui épargner la bonté d'un affront public,
persista à se rendre à l'église avec fout son cortège. Mais il
fut arrêté sur le seuil même du temple par Ambroise, qui
alors lui reprocha publiquement son crime et lui demanda
s'il oserait de ses mains encore teintes de ce sang innocent
toucher au corps sacré de Jésus et recevoir l'hostie divine
dans cette bouche qui avait ordonné tous ces massacres.
Tbéodose invoqua eu balbutiant l'exemple de David pour
excuse. « Vous l'avez imité dans son crime, répliqua l'é-
vêquc; imitez-le dans sa pénitence. » Confondu par ce noble
courage, l'empereur se retira, et peu de jours après parut
un édit ordonnant de laisser toujours désormais s'écouler
un intervalle de trente jours entre une condamnation à mort
et l'exécution de la sentence: ce ne fut du reste qu'après
lui avoir inlligé une pénitence de huit mois, que l'évoque
consentit à lui administrer la communion. Théodose, dé-
sormais réconcilié complètement avec Ambroise, ne tarda
pas à s'en retourner en Orient. Il ne revint en Italie que
pour y livrer au polythéisme une dernière et suprême ba-
taille, à propos de l'insurrection d'Arbogaste, guerrier d'une
tribu franqueau service de l'empire, devenu comte du palais
et général de l'armée des Gaules, qui prodama empereur un
rhéteur de ses amis appelé Eugène, en annonçant haute-
ment l'intention de rétablir l'autel de la Victoire sur le Ca-
pitule et de restaurer l'ancien culte. C'est à Aquilée que
l'armée d'.Arbogaste et d'Eugène fut taillée en pièces par
Théodose, qui peu de temps après tomba malade à Milan
où il expira. Son oraison funèbre fut prononcée par Am-
broise , qui d'ailleurs survécut peu au glorieux défenseur de
la vraie foi. Il mourut en 397, après vingt-trois ans d'épis,
copat. La meilleure édition de ses ouvrages , où il a beau-
coup imité les écrivains de l'Église grecque, est celle qu'en
ont donnée les Bénédictins (2 vol., Paris, 1690). On lui at-
tribue ordinairement le cantique Ambro-sien, si généralement
counu sous le nom de Te Deum; mais il est prouvé, que ce
niagnifique chant fut composé un siècle plus tard. Le rite
dit Ambrosien n'a reçu ce nom qu'en raison des quel-
ques modifications qu'y introduisit saint Ambroise ; il est
demeuré jusqu'aujourd'hui en usage dans l'église de Milan.
Un commentaire sur les Épitres de saint Paul , attribué
autrefois à saint Ambroise, est plus vraisemblablement
l'œuvre d'un diacre romain appelé Hilaire.
AMBROISE , archevêque de Moscou, originaire de Né-
jine, gouvernement de Tchernigof , né en 1708, s'appelait
André Sertis. Son père était interprète de l'ataman des
Kozaks de la Petite-Russie. Son oncle Kamenski, morne du
couvent des Souterrains, à Kief, le fit entrer, fort jeune,
au séminairede ce monastère. Puis il allaétudier à l'académie
théologique de Lernherg et au séminaire de Saint-Alexandre-
^e\vsky à Saint-Pétersbourg, dont il fut, en 1735, un des
professeurs les plus distingués. Devenu moine, en 1739,
il changea de nom, suivant l'usage, et se fit appeler Am-
broise. Préfet des études de l'académie de Saint-Alexandre,
archimandrite du célèbre couvent de la Nouvelle-Jérusa-
lem , à Vosnésensk, sacré, en 1753, évêque d'abord de Pé-
réiaslavl , puis de Kroutitzy, ou des Éniinences, près de
Moscou, il fut promu, en 1761, à la dignité d'archevêque
de cette capitale, qu'il conserva jusqu'à sa mort, arrivée le
16 septembre 1771. U était membre du saint synode de-
puis 1748. Doué d'un grand zèle et de vertus vraiment chré-
tiennes, il fonda plusieurs établissements, construisit ou ter-
mina plusieurs monastères ou églises, signala sa bienfaisance
envers l'hospice des enfants trouvés, cultiva les lettres,
les sciences tbéologiques , et laissa , outre un grand nombre
de traductions , des sermons et une liturgie.
Sa mort fut tragi(|ue. En 1771 la peste, apportée de
Bender par les troupes victorieuses de Catherine II, faisait
de grands ravages à Moscou , où elle moissonna près de
cent mille habitants. Le peuple, exaspéré, voyant l'inefficacité
de l'art des médecins, invoqua, avec une ardeur fanatique,
les secours de la religion. Aujourd'hui on attribue encore
des cures miraculeuses à la Vierge dite d'Ibérie ( Ivers Kàia
Boyemater), dont la chapelle est entre la cité et le Krem-
lin. Souvent même on voit des dévots se jeter à plat ventre
poirr qu'elle passe sur eux quand on la porte chez des ma-
lades. Autour d'elle s'entassait alors la population entière de
Moscou. C'était fournir un nouvel aliment à la contagion,
qui ne fit bientôt qu'empirer. Ambroise, plus éclairé que
son troupeau, osa, de nuit, enlever la statue. Alors le dé*
sespoir du peuple, privé de son Paltadium, fut extrême;
il accusa l'archevêque de sacrilège , et se porta en foule
vers sa demeure. U l'y chercha en vain : Ambroise s'était re-
tiré au monastère de la Vicrfje du Don , en dehors de la ca-
pitale. La multitude le suit, et enfonce les portes. Le prélat
s'était caché dans le sanctuaire de l'église, où les prêtres
seuls ont le droit d'entrer. Un enfant montre sa retraite
aux furieux, qui, le trouvant en oraison au pied de l'autel,
l'en arrachent et le traînent à la porte du temple, où ils vont
l'égorger, quand Ambroise supplie qu'on le laisse commu-
nier encore une fois avant de comparaître devant Dieu.
On lui accorde cette grâce, on assiste même avec calme à
la cérémonie ; mais quand elle est achevée, on l'emporte
hors de l'église , où on le massacre impitoyablement. Il
n'existait plus quand la garde arriva. Les principaux cou-
pables furent empalés.
AJMBROISIE (du grec à privatif, ppoTÔ;, mortel ). C'é-
tait , selon la mythologie des Grecs et des Romains, la nour-
riture des dieux, et elle avait la propriété de rendre immortel
celui qui en goûtait. Les poètes sont peu d'accord sur la
nature de cette substance; selon les uns, elle était liquide ;
Sapho et Alcman en font un breuvage délicieux ; selon les
autres, au contraire, et c'est l'opinion commune, l'ambroisie
est un aliment solide. Homère en fait tantôt une liqueur
rouge, et tantôt un parfum; il nous peint Junon oignant son
corps de la divine ambroisie , quand elle veut ramener à elle
son volage époux au moyen de toutes les séductions de la
beauté. Suidas était d'avis que c'était une nourriture sèche;
et Ibycus, cité par Athénée, prétend que l'ambroisie est
neuf fois plus délicieuse que le miel , et qu'en mangeant du
miel on éprouve la neuvième partie du plaisir que fait
éprouver l'ambroisie. Quoi qu'il en soit , les poètes accor-
dent tous à cette substance une odeur délicieuse et une ex-
quise saveur. Le scoliaste de Callimaque dit qu'elle coula
pour la première fois d'une des cornes de ia chèvre Amallhée,
en même temps que de l'autre sortit le nectar. Virgile
AMBROISIE — AMBROSIEN
445
a écrit dans ses vers qu'en s'approcliant de la chevelure de
Vénus on respirait un parfum divin d'ambroisie. — L'am-
broisie possédait encore d'autres dons merveilleux; elle
consenait les corps morts, et guérissait les blessures. Apol-
lon s'en servit pour préserver de la corruption le corps de
Sarpédon , tué au siège de Troie ; et Vénus guérit les bles-
sures de son lils Énée eu versant sur ses plaies quelques
gouttes de ce suc précieux.
AMBROISIE, ou THÉ DU MEXIQUE. Voj/es Ansérine.
iVMBROISlENXE ( DibliotUéque), ainsi nommée en
riionneur de saint Ambroise , patron de Milan , par son fon-
dateur Federico Borromeo. Ce cardinal , si célèbre par son
amour pour les arts, fit construire, en 1G09, un local spécial
propre à recevoir le vaste dépôt scientifique qu'il destinait à
tHre public , et qu'il forma en envoyant dans toutes les parties
de l'Europe , et jusqu'en Asie, des savants en réunir à ses frais
les divers éléments. Plus tard , l'acquisition des manuscrits
de Pinelli vint encore augmenter Timportance de la biblio-
thèque Ambroisienne. Borromeo avait Tintention d'y ad-
joindre un collège de seize savants, qui auraient été chargés
de présider à la mise en circulation des ouvrages dont elle se
composail, et de lionner aux lecteurs tous les renseignements
dont ils pourraient avoir besoin. Mais le manque de fonds a
obligé de limiter le collège à deux membres qui portent le
titre de Doctores bïblïothecx Ambrosïanx. — La Biblio-
thèque Ambroisienne contient plus de soixante raille volumes
imprimés et quinze mille manuscrits. Parmi les nombreuses
curiosités qui s'y trouvent, nous citerons, indépendam-
ment àei palimpseste» publiés par Mai, Castiglione et
Mazzuccbelli, et d'un grand nombre de manuscrits encore
inédits, un Virgile sur les marges duquel Pétrarque a ins-
crit une note commémorative , relative à sa première en-
trevue avec Laure. A la bibliothèque est jointe une galerie
d'arts, dans laquelle on admire les tableaux de Breugliel , de
Barocci , de Luini, d'Albert Durer, le carton de Y École d'A-
thènes de Raphaël et les Études de Léonard de Vinci, ainsi
que les premières copies de la Cène de ce grand artiste. Des
douze volumes d'écrits de la main de Léonard de Vinci don-
nés à cet établissement par Galeazzo Arconato, il ne s'en
trouve plus qu'un seul, le plus intéressant, il est vrai, sous
le rapport des dessins ; les autres sont à Paris.
AMBROi\S. Comme ce peuple, avec les Tigurins, ac-
compagna les Cimbres et les Teutons dans leur grande irrup-
tion en Gaule et en Italie, et partagea aussi leur défaite non
loin d'Aix, Cluver, Plantin, Tschudiet d'autres critiques le
considèrent comme l'une des quatre prétendues peuplades
helvétiques. Selon eux , le pays des Ambrons avait pris son
nom de la rivière d'Emme , et ils le placent dans la contrée
de la Saane, de l'.Aar et de la Reuss, ou môme immédiate-
ment dans le territoire de Berne. Pester le cherche aux en-
virons d'Embrun, Oudin dans la Bresse, Lindenbrog sur le
Bas-Rhin, près d'Emmerich , et un autre écrivain jusqu'en
Bavière. Mais ils ne retournèrent point chez eux, comme le
fnrent les Tigurins, pour défendre leur patrie, lorsque le
consul Cassius franchit les monts et parut sur les bords du
lac Léman , et celte circonstance rend tout au moins dou-
teuse leur origine helvétique.
AMBROSIEX ( Chant et Rit ). L'Église de Milan a
joui jusqu'à ce jour du privilège de ne point se régler ab-
solument sur celle de Rome pour quelques pratiques litur-
giques , peu essentielles au fond , mais que cette Église a
toujours tenu à conserver en les couvrant du nom de saint
Ambroise. Ces différences se remarquent dans les textes
de l'office autant que dans le cérémonial. Sans parler des
premières, qui sont assez nombreuses, nous indiquerons
seulement quelques-unes de celles (ju'on remarque dans le
cérémonial. L'Église ambrosienne a conservé le baptême
par immersion; le carême commence, non au mercredi
des cendres, mais seulement à la quadragésime ; il n'y a
pas de messe pour les vendredis de carême; le vendiedi
saint on lit les quatre passions ; on ne fait jamais d'office
de saints le dimanche ; l'évangile se dit au bas du chœur
sur un pupitre élevé, et après qu'à trois reprises on a de-
mandé le silence par les formules suivantes : Parcite fa-
bulis, silentium habete, liabete silentium; il y a plu-
sieurs transpositions dans les prières de la messe; aux
messes solennelles, vingt vieillards, dix de chaque sexe, ap-
pelés V École de saint Ambroise, font l'offrande du pain et
du vin, etc., etc.
Il est fort vraisemblable que la plupart de ces usages
existaient avant saint Ambroise. Quelques écrivains ont
même attribué à saint Barnabe ce que l'on donne ordi-
nairement à saint Ambroise ; mais on peut croire qu'avant
celui-ci toute la liturg'e ainsi que le cérémonial étaient
fort simples et offraient souvent de l'incertitude. Saint Am-
broise disposa tout ce qui concernait cette matière en un en-
semble complet, dont on n'eut plus à s'écarter ; il composa
plusieurs pièces faisant partie de l'office divin, ou leur don-
na une rédaction plus nette et plus élégante. On lui attribue
particulièrement des p r é f a c e s de messes dans lesquelles
est exposé en peu de mots l'objet de la fête que l'on célèbre.
Lorsque saint Grégoire fit la môme opération pour l'É-
glise de Rome, il emprunta au rit ambrosien , qui récipro-
quement se modifia plus ou moins depuis lors en raison des
décisions grégoriennes ou par d'autres motifs ; il s'est con-
servé jusqu'à nos jours, en dépit des efforts faits à plusieurs
époques pour l'anéantir.
Il eut d'abord à résister aux attaques d'.\drien I^'', qui,
voulant établir l'unité de rit dans toutes les églises, se servit
à cet effet du bras tout-puissant de Charlemagne, qu'il avait
couronné empereur, et qui le seconda d'une ardeur bien peu
digne de ses lumières, en faisant brûler tous les livres du rit
ambrosien qui purent se rencontrer. Cette persécution se
ralentit cependant : un seul missel, dit-on, avait été sauvé,
et il servit d'original aux copies, et par suite aux éditions
qui s'en sont faites. Quant au Rituel ou cérémonial, on n'en
retrouva plus, et les prêtres de Milan en rédigèrent un d'après
leurs souvenirs, trop récents pour avoir pu s'effacer. Depuis
Charlemagne, de nombreux efforts furent faits, au douzième
siècle par JNicolas II , et au milieu du quinzième par Eu-
gène IV, pour abolir le rit ambrosien ; ils échouèrent devant
la fermeté du clergé milanais, secondé en cette occasion par
le peuple, qui n'eût pas hésité à se révolter si les règles po-
sées par le saint que les Milanais vénèrent comme leur patron
eussent été entamées. Enfin, une bulle d'Alexandre VI dé-
clara en 1497 que l'église de Milan conserverait ses anciens
usages sans être désonnais inquiétée. Quinze ans avant cette
déclaration , avait paru , en 1482, la première édition du Mis-
sel ambrosien.
On confond souvent le chant ambrosien avec le rit ,
et l'on suppose que dans la discussion avec Rome le chant
était le point important. D'après cela, on fait saint Ambroise
auteur du chant de l'Église milanaise ; on dit qu'il l'avait
composé d'après certaines règles établies par lui-même; et
tout en avouant que ce chant ne différait pas sensiblement
du chant grégorien , on regarde saint Ambroise comme un
personnage musical. Voici seulement ce qu'on peut dire
de positif à cet égard : Deux écrivains contemporains de
saint Ambroise, et qui avaient eu avec lui des relations in-
times et fréquentes, Paulin, son biographe, et saint Augustin,
nous apprennent que du temps de la persécution de l'impé-
ratrice Justine , il introduisit dans l'église de Milan l'usage
du chant des antiennes, des psaumes et des hymnes
à la manière des Orientaux. Le motif qu'en donne saint
Augustin est digne de remarque : « Ce fut, dit-il, afin que le
peuple ne se consumfd pas de tristesse et d'ennui. » Saint
Ambroise dans une de ses lettres confirme lui-môme ces té-
moignages. Il n'est pas douteux cependant qu'avant lui le
chant proprement dit ne fût en usage dans toutes les paities
de l'Occident qui avaient accepté le christianisme; en ce qui
446 AMBROSIEN —
concerne la ville de Milan, on attribue à INIiroclès, son
sixième évèquc ( ou son septième en comptant saint Bar-
nabe), riionneur de l'y avoir introduit; il ne peut donc être
ici question que de l'introduction du chant à la manière
orientale, qui, réglé par saint Atlianase, se rapprochait
beaucoup du discours et se chantait par versets alternatifs
d'un chœur à l'autre , soit que le second chœur répétât ce
qu'avait dit le premier, soit qu'il poursuivît avec d'autres
paroles , mais sur la môme mélodie. C'est ainsi que doivent
être entendus les passages de Paulin et de saint Augustin ,
qui, malgré leur simplicité, prêtent à de nombreux commen-
taires , mais n'admettent réellement d'autre résultat positif
que celui (luc nous venons de signaler. Ce chant alternatif
ne s'appli(i:iait pas seulement aux psaumes, mais à des hym-
nes m: tn(iiics dont la composition a été attribuée à saint
Ambroise. Rien n'autorise à supposer qu'il ait jamais ré-
digé lui-même un nu'ssel et un antiphonaire proprement dits,
ni surtout qu'il en ait composé et nott; ia mélodie. Les
pièces qui forment ces livres n'ont dû être rassemblées que
plus tard, et l'on n'a pas remarqué que si elles offrent quel-
ques dissemblances avec le chant grégorien , cela tient sur-
tout à ce que, les textes n'étant pas les mêmes, la mélodie
devait également varier : le seul caractère qui la distingue
est d'être moins chargée de notes que le chant de Rome ,
et c'est sans doute pour cela qu'au onzième siècle le cé-
lèbre Gui d'Arezzo en vantait ia parfaite douceur. Quel-
ques autres différences assez sensibles, mais peu nombreuses,
se remarquent dans certaines formules très-courtes qui se
reproduisent fréquemment dans roflîce catholique, et dans
la manière de soutenir la voix pour les évangiles, leçons, etc.;
mais ceci n'a musicalement aucune importance. En général,
on peut dire que l'on ne distingue plus aujourd'hui le chant
ambrosien du grégorien que par la diversité d'une partie
des textes auxquels s'appliquent l'un et l'autre. La mélodie
de chacun d'eux est exactement de la môme couleur ; et il n'y
a pas lieu de s'étonner de cette uniformité, puisque les com-
positeurs des deux antiphonaires ont travaillé sur le même
fonds commun, c'est-à-dire sur le diagramme musical des an-
ciens Grecs et ses morcellements. 11 faut d'ailleurs observer
que l'antiphonaire milanais, tel qu'il est aujourd'hui, est loin
de ressembler complètement, non pas seulement à celui qui a
pu servir quelque temps après saint Ambroise, mais au plus
ancien manuscrit que l'on en connaisse, et qui ne remonte pas
au delà de la fin du neuvième siècle. La seule innovation on
musique ecclésiastique qui puisse être attribuée à l'illustre
évoque de Milan est donc l'introduction dans l'Église ocà-
A<in{a\Q àut\\aiX\i antiphoniqueon alterné, et celle d'hymnes
mesurées et rhythmées poétiquement d'après les principes des
anciens, circonstance qui se reproduisait sans doute dans la
cantilènc. Le ciiant alterné se répandit promptement dans
les églises et les monastères ; les hymnes paraissent n'avoir
été adoptées que plus tard, et ne l'avoir pas été universelle-
nnent jusqu'au douzième siècle. Aujourd'hui les hymnes et
le chant antiphon"que existent dans toute la catholicitc'.
Adrien de L.\fagf:.
AMBRUGEAC (Famille d'). La maison deValon, sei-
gneurs, puis comtes d'Ambrugeac , établie en Limousin de-
puis le quinzième siècle, est originaire du Quercy. Jacques
DE Yalo.n , ayant iiérité par mariage de la terre d'Ambru-
geac, obtint du roi Charles VII, en 144'», la permission d'en
fortifier le château, où quelques années après sa famille fixa
sa résidence. Depuis lors, les rejetons de cette maison ont
été tour à tour connus sous les noms de Valon et d'Ambru-
geac, jusqu'au commencement du siècle dernier, époque où
la souche s'étant divisée en deux branches, le cliâteau et le
nom d'Ambrugeac restèrent à l'aînée , qui s'établit en Au-
vergne ; la cadette est aujourd'hui représentée par le comte
de Valon, ancien député. — François de Valon, seigneur
p'AMr.RiCEAC, zélé partisan de Henri IV, reçut le plus ho-
norahle témoignnge de son dévouement dans la lettre que le
AMBULANCE
liéros béarnais écrivait au seigneur de Lubersac, où illui
disait : Il D'Ambrugeac m'est venu joindre avec tous les
« siens, châteaux en croupe, s'il eût pu. » — Louis-Alexan-
dre-Marie DE Valo.n, comte u'Ambrugeac , pair de France,
né en 1771, entra au service à l'ûge de quinze ans dans la ca-
valerie. Éloigné de sa patrie par les événements de la révo-
lution, il rentra en France en 1810, et fit deux campagnes
sous le duc de Bellune , en qualité de chef de bataillon. Son
dévouement aux Bourbons pendant les Cent Jours lui valut le
grade de m:\rechal de camp. 11 siégea à la chambre des dé-
putés comme représentant de la Corrèze, de 1815 à 1823,
et fut à cette dernière époque créé pair de France, après
avoir commandé une brigade en Espagne ; ce qui lui valut
aussi le grade de lieutenant général. Il est mort au mois de
mars 1844. — Alexandre-Charles-Louis de Valon , comte
d'Ambrugeac, frère aîné du précédent, né en 1770, à
Paris, fit la campagne des princes , passa au service de l'Es-
pagne, et mérita en 1814, par son zèle pour la cause royale,
le brevet de maréchal de camp et d'officier de la Légion
d'Honneur. Il est mort au mois d'octobre 1343.
AMBULANCE (dérivé du latin ambulare, marcher).
Ce mot comprend les établissements temporaires et mo-
biles, formés sur le champ de bataille, disposés de manière
à suivre l'armée ou la division d'armée à laquelle ils appar-
tiennent , et où sont transportés les blessés, afin de recevoir
les premiers secours de la chirurgie.
Les ambulances peuvent être regardées comme une créa-
tion entièrement moderne. La chirurgie militaire ne fut
autrefois qu'un art grossier, à l'exercice duquel personne
ne se livrait d'une manière spéciale , et que tout le monde
pratiquait lorsque s'en présentait l'occasion. Dans cet
état de choses , le guerrier blessé implorait le secours d'un
ami ou de quelques frères d'armes. Toutefois il exista,
à cette époque reculée, des hommes qui, avec un peu de
dextérité acquise par l'habitude, furent propres au traite-
ment des blessm'es; il est vrai que chez les anciens celles-ci
ne consistaient presque jamais qu'en plaies faites par des
armes piquantes ou tranchantes , ou en des contusions plus
ou moins étendues ; dès lors on conçoit que des gens ha-
bitués à panser des plaies aient pu être très-utiles. Mais
l'invention de la poudre à canon et les mutilations pro-
duites par les projectiles qu'elle met en mouvement ren-
dirent la pratique de la chirurgie plus difficile, et les secours
plus indispensables, afin de remédier aux lésions qui se
multiplièrent durant les combats. Les instnunents et les
approvisionnements étaient imparfaits, et il fallait souvent
abandonner les blessés, faute de secours, aux soins gros-
siers des habitants des lieux près desquels le combat avait
été li%Té.
Ce n'est qu'au temps de Henri IV que l'on trouve les
premières traces de l'établissement régulier d'une chirurgie
militaire ; encore le grand Ambroise Paré n'avait aucun grade
dans l'armée, et il ne dut qu'à son génie l'autorité que
reconnurent en lui tous ses confrères. Cependant sous
Louis XIII un chirurgien-major fut attaché à chaque régi-
ment; on créa des ambulances yî.rc5 , et d'autres que l'on
nomma ambulantes. La pesante organisation de ces der-
nières en fit pendant longtemps un objet d'ostentation et
d'étalage, bien plus qu'un moyen positif de soulagement et
de salut. Toujours séparées des combattants par l'intei-po-
sition d'un immense train de bagages, de munitions et de
vivres, ces lourdes masses ne s'approchaient jamais de la
ligne de bataille et ne pouvaient donner que des secours
tardifs. Ce n'est que de nos jours que ces créations ont été
convenablement perfectionnées et mises en état d'efTcctuer
tout le bien que l'on était en droit d'en attendre.
En entrant en campagne, une armée doit pouvoir se
suffire à elle-même, et trouver dans ses propres ressources
tout ce qui est nécessaire à ses besoins.
On a créé deux espèces d'ambulances, que l'on a dési-
AMBULANCE — AME
gnées sous les noms d'ambulance yîac ou dite de rcserce ,
et d'ambidance légère ou volante. La première peut rester
à quelque distance en arrière avec les trains d'équipages ;
elle doit renfermer les objets nécessaires à l'approvisionne-
m.entde l'ambulance légère, et ceux dont il faudra se servir
pour l'établissement dos bôpitau\ temporaires que les be-
soins obligent souvent de créer. La seconde, ou l'ambulance
volante, doit suivre immédiatement les corps d'armée et
contenir tout ce qui est nécessaire à la formation instanta-
née des ambulances proprement dites sur le cbamp de
bataille, et qui suivent la ligne des combattants.
Autrefois, les cliirurgiens , laissés en arrière, n'arrivaient
souvent sur le terrain , avec ce qui leur était nécessaire , que
le lendemain du combat et même plus tard. Percy a ima-
giné de placer des chii-urgiens , au nombre de six, sur une
voiture très-légère, analogue aux caissons d'artillerie connus
sous le nom de nirtz, et formés d'une caisse peu profonde,
peu large , mais fort allongée. Elle reçoit dans ses comparti-
ments les instmments de chirurgie, les appareils et les mé-
dicaments ; lorsqu'elle est fermée , elle présente une espèce
de banquette où les jeunes chirurgiens s'asseyent l'un der-
rière l'autre. Leur chef est à cheval , pour pouvoir se déta-
cher et aller reconnaître les points du champ de bataille où
il est besoin de faire arriver des secours. On conçoit facile-
ment que ce petit chariot , attelé de quatre chevaux , doit se
porter avec une extrême rapidité partout où il est nécessaire
de le conduire.
L'ambulance que j'ai proposée me parait plus active. Tous
les chirurgiens sont à cheval ; ils ont à l'arçon d,e la selle ,
et dans une valise, des moyens de pansement déjà fort
abondants; ils portent dans une petite giberne leurs instm-
ments les plus usuels , les plus indispensables. A leur suite
marche un nombre relatif de petits caissons à deux roues ,
attelés de deux chevaux , où peuvent être placés commodé-
ment un ou deux blessés, et qui, dans les circonstances
ordinaires, portent le matériel de l'ambulance. Ce moyen de
secours offre, avec la même célérité que celui de Percy,
l'avantage de se diviser et subdiviser de la manière la plus
commode j ce que l'on en détache peut se rejoindre promp-
tement et sans peine.
Dans les guerres de montagne , les chevaux et les mulets
de bat sont indispensables et doivent remplacer les cais-
sons. 11 faut entasser dans les paniers recouverts de cuir,
dont les chevaux, sont charges, des caisses de linge, d'ins-
tmments et de médicaments , enfln les instruments de chi-
rurgie choisis parmi ceux que l'expérience a fait connaître
les plus utiles.
Quelquefois le chiiurgien d'armée est obUgé de remédier
à des accidents graves , sans avoir aucune des choses habi-
tuellement employées; c'est dans ces circonstances qu'il
doit savoir mettre à profit tous les objets qui se trouvent
sous sa main. Maintes fois nous avons employé la fdasse ,
le coton ou la mousse pour remplacer la charpie de toile ; le
parchemin, le papier ou diverses étoffes, pour remplacer
les bandes et les compresses dans le pansement des plaies
de tout genre. C'est enfm grâce aux efforts des chirurgiens
militaires que l'art peut maintenant, ainsi qu'on l'a dit, lut-
ter de vitesse avec la mort elle-même. Baron Lafjif.y.
AMBURBIALES ou AMBURBIES ( de ambire, se
promener autour, et iirbs, ville), fêtes romaines, instituées
comme les Ambarvalies enl'lionneur de Ccrès, mais qui
différaient de ces dernières en ce que ,. au lieu d'aller pro-
cessionnellement le long ou aïitour des champs, on faisait le
tour des murs de la ville en les purifiant par le soufre et
l'encens. Elles avaient encore plus pour but général de dé-
tourner les maux qui auraient pu aflliger la république,
que de demander spécialement aux dieux la prospérité des
récoltes. — Les Grecs avaient aussi des es|>èces iVAmbur-
biales, instituées par Épiinénide de Crète , et qui consis-
taient à abandonner une brebis blanche et une brebis noire,
447
qu'un homme , diargé de les suivre , immolait à l'endroit où
elles se couiiiaient.
iVMClIASPANDS ou AMHOUSPANDS. Ce sont dans
la religion des Parsis les sept chefs suprêmes du monde
des bons génies. Ormuzd, source suprême de la création,
est le premier de tous. Ahrimane, le chef suprême du
monde des mauvais génies , lui est opposé. Le second Am-
chaspand, Bahmnn, en zend Vahumano , reçoit les plus
grands honneurs après Onnuzd , par l'intelligence duquel il
voit. Le lis blanc lui est consacré ainsi que le fabuleux
oiseau Aschozesclit , qui ne voit que le bien et anéantit les
magiciens. Son adversaire est Akuman, l'auteur de la
guerre, de la haine et de l'envie. Le troisième se nomme
Ardibehescht ; c'est lui qui envoie la lumière au monde.
Son adversaire est surtout. iHf/er, source de la tristesse et de
la perte des âmes. Le quatrième est Schariver, qui donne
la fortune et la richesse. Sabel lui est opposé. Le cinquième
Amchaspand, du sexe féminin, est Sapandomad, reine de la
pureté, fille d'Ormuzd; son adversaire est Tcirmad. Le
sixième est Khordad ou Averdad, qui préside aux saisons •
il a Tarikh pour adversaire. Le septième est Amerdad, en
zend Emerctebbi , qui préside aux biens de la terre ; il a
pour adversaire Zaratsch. Plutarque ( de Isid. et Osirid.
c. 47 ) donne le nom de dieux aux six Amcliaspands coopé-
rateurs et premiers ministres d'Ormuzd. Selon lui, le pre-
mier est dieu de la bienveillance ; le second , dieu de la ■
vérité; le troisième, dieu de la bonne foi; le quatrième
dieu de la sagesse ; le cinquième , dieu des richesses ■ le
sixième, dieu de la satisfaction que donne une bonne con-
duite. Les Amcliaspands ont pour ministres les Izeds
vaillants et héroïques guerriers qui combattent bravement
contre les Darvaudset leurs suppôts. Ce sont eux qui dé-
fendûent le cîel quand Ahrimane et les principaux Dews
tentèrent pour la seconde fois de l'escalader. Parmi eux
Mithra est le premier vizir; comme il doit tout voir et tout
entendre, il a mille oreilles et autant d'yeux. A. Savagnek.
AiiE. Qu'est-ce que lame? peut-on en pénétrer la na-
tm-e? est-elle distincte de la matière? Si l'on admet qu'elle
est distincte du corps qu'elle habite, comment expliquer
l'union et les relations des deux substances ? Si Tànie est
distincte du corps, quand celui-ci périt, lui survit-elle
pour ne périr jamais .^ Telles sont les questions que se pose
incessamment l'esprit humain depuis qu'il est devenu pour
lui-même un objet de contemplation et d'étude , questions
qui ont reçu des solutions si dilférentes , ont donné lieu à
des théories si belles ou si étranges, à de si brillantes hypo-
thèses , à de si funestes erreurs. Écoutons Pascal , il nous
dit : « L'homme est à lui-même le plus prodigieux effet
« de la nature ; car il ne peut concevoir ce qu'est un corps,
« encore moins ce qu'est un esprit , et moins qu'aucune
« chose comment un coq^s peut être uni à un esprit; et ce-
« pendant c'est son propre être. )-• Si j'ai bieu compris le
sens de cette phrase éloquente, qu'expliqueraient au be-
soin d'autres passages du même auteur, écrits dans le
même esprit , et que Voltaire a parfaitement commentés
dans, son Dictionnaire })fiUosophique , l'homme doit dé-
sespérer de résoudre jamais de tels problèmes, et sur tous
ces points sa raison est condamnée à d'éternelles ténèbres.
Faut-il donc en croire Pascal? faut-il reléguer ces questions
avec celles de la quadrature du cercle et du mouvement
perpétuel? A la vue des grands génies dont elles ont été re-
cueil ou le désespoir, en présence des erreurs et des contra-
dictions qu'elles ont enfantées , devons-nous les considérer
comme une arène sans cesse ouverte, où tous les cham-
pions abattus l'un par l'autre n'ont d'autre perspective
qu'une défaite assurée? Ou bien, s'il nous répugne d'abdi-
quer tout à fait notre raison et de nous abêtir, comme Je
conseille Pascal , nous contenterons-nous d'exposer les dif-
férents systèmes des piiilosoplies , en laissant le choix et
sans nous prononcer absolument, trouvant du bon partout
448
AME
et la vérité nulle part , ahisi que semble procéder la nou-
velle école pliilosopliiqiic? Telle n'est pas notre pensée. Ami
du dogmatisme, et d'un dogmatisme positif, nous croyons
fcruieincnt que sur plusieurs points , et les plus importants,
l'on peut arriver maintenant à se former des convictions
fortes et sincères; nous pensons que les progrès récents de la
psychologie ont projeté sur ces questions les plus vives lu-
mières , et le spectacle seul de l'histoire philosophique nous
prouve que l'esprit humain ne doit pas s'arrêter, si l'on
considère quel pas immense a fait la solution de ces ques-
tions depuis Empédocle jusqu'à Le'buitz.
Nous exposerons d'abord dogmatiquement les solutions
qui peuvent être données des points principaux du problème ;
nous présenterons ensuite les théories les plus importantes
des philosophes sur le môme objet.
Qu'est-ce que l'àme? Si l'on ne demande qu'une définition,
nous répondrons que l'àme est ce qui sent, pense et veut ;
que c'est le sujet commun de toutes les modifications affec-
tives , intellectuelles et volontaires que la conscience nous
révèle, et qu'elle nous montre réunies dans un principe un,
identique, et dont fous ces phénomènes ne sont que les
modes divers, les développements, les manifestations ( voyez
Facultés de l'ame). Jusqu'ici la question ne rencontre pas
de difficultés sérieuses. Depuis Descartes, l'autorité de la
conscience est devenue si imposante, et comme méfh.ode
philosophique, et comme motif de certitude , que mainte-
nant on ne fait qu'énoncer une vérité tri^^ale en disant que
l'être qui souffre ou jouit est le même que celui qui connaît
ou qui veut. On est donc d'accord pour attribuer tous les
phénomènes de la conscience à un même principe, et ce
principe, c'est le moi, c'est l'àme. On n'élève pas non plus
de dispute sur le nom , qui du reste est plus ancien que la
philosophie , et qui depuis que les hommes parlent sert à
désigner le sujet commun des phénomènes affectifs , intel-
lectuels et volontaires. Mais quelle est la nature de ce prin-
cipe? Est-il distinct de la substance matérielle.' Ici commen-
cent véritablement la discussion et les difficultés. La question
a été ainsi posée de très-bonne heure, de trop bonne heure
même, puisqu'on a voulu raisonner sur ce qu'on ne connaissait
encore qu'imparfaitement. Chose étrange! le bon sens pro-
clamait la différence des deux principes, sans la prouver, il
est vrai. Il se remit de ce soin aux philosophes, qui prirent
donc pour point de départ la distinction de l'àme et de la ma-
tière, et qui, tout en cherchant à l'expliquer, arrivèrent à des
conclusions ou imaginèrent des hypothèses qui la détruisirent.
Mais le problème était toujours là, et le sens commun récla-
mait, ne pouvant placer le sentiment, la pensée, au nombre
des propriétés de la matière, et réciproquement ne pouvant
attribuer les qualités de la matière à lame , admettre par
exemple qiie la pensée est ronde ou carrée. Le besoin d'une
solution satisfaisante, les progrès de l'analyse et un examen
plus éclairé des deux ordres de phénomènes, ont enfin con-
duit à des conclusions assez rigoureuses pour ré.sister à toute
sérieuse objection.
On est parti de ce point de vue parfaitement juste, que les
substances ne peuvent être connues en elles-mêmes, qu'elles
ne peuvent être appréciées que par les modes au moyen des-
quels elles se manifestent à nous ; que si les modes ou qualités
de ces substances peuvent se concilier, se convenir, il n'y a
pas de raison pour nier l'homogénéité des substances ; que
si, au contraire, les modes observés dans chaque sub-
stance se repoussent et s'excluent tellement qu'ils ne pour-
raient coexister dans un même sujet, la différence des sub-
stances est par là même démontrée. Or , l'examen des
qualités constitutives de chaque substance conduit promp-
tement à reconnaître leur incompatibilité, et par conséquent
la distinction des substances elics-mêmcs.
1° La matière est étendue. Quelque ténu que vous sup-
posiez un corps, vous ne pouvez pas ne pas admettre qu'il se
compose de parties, séparablesounon, peu importe; qu'il a
plusieurs faces, par exemi)le, etc. Vous ne pouvez concevoir
une molécule comme un point indivisible et inétendu ; car si
la molécule n'était qu'un point sans étendue , la réunion de
points sans étendue ne pourrait jamais constituer l'étendue.
Or c'est la propriété essentielle sous laquelle se manifestent à -
nous tous les corps. Lemode constitutif de l'àme est la pensée.
Ici apparaît la première incompatibilité entre les deux sub-
stances. La pensée suppose dans l'àme l'unité, la simpli-
cité, et la simplicité exclut évidemment l'étendue. Qu'est-ce,
en effet, que penser, sinon réunir et combiner des idées ? Pour
que plusieurs idées soient ainsi réunies, c'est-à-diie présentes
à la fois à la pensée, il faut que ce qui réunit ces éléments
le fasse en un point indivisible, simple , non composé de
parties. Car supposer la pensée étendue, c'est supposer ses
éléments épars , correspondant chacun à chaque partie de
son étendue. Or, chacun de ces éléments ayant une existence
distincte, étant lui-môme , ci rien que lui-même, ignorerait
éternellement les autres ; et par là se trouverait détruite , im.
possible, cette coexistence dans un môme point des éléments
du jugement, cette vue d'ensemble, cette unité de la pensée,
qui est un fait irrécusable. Condillac, qui a fourni tant
d'armes au matérialisme par sa théorie de la sensation, a lui-
même donné de cette vérité une démonstration très-rigou-
reuse, que nous reproduirons ici, en l'abrégeant toutefois :
« Dire qu'une substance compare deux sensations (idées),
c'est dire qu'elle a en même temps deux sensations. Dire
que, de ces deux sensations, l'une est dans le point A, et
l'autre dans le point B, c'est dire que l'une est dans une sub-
stance et l'autre dans une autre substance. Dire que l'une
est dans une substance et l'autre dans une autre substance,
c'est dire qu'elles ne se réunissent pas dans une même sub-
stance; dire qu'une même substance ne les a pas en même
temps, c'est dire qu'elle ne peut les comparer. Il est donc
démontré que l'àme , étant une substance qui compare, n'est
pas une substance cemposée de parties, une substance éten-
due : elle est donc simple. » Ce raisonnement acquiert encore
plus de force si l'on ne se borne pas au fait du jugement,
mais si l'on envisage tous les éléments que la conscience em-
brasse à la fois, tous ces phénomènes si multiples et si divers
qu'elle résume en elle, ces idées de qualités opposées qu'elle
conçoit en même temps, ces dépositions simultanées de sens
différents , ces désirs contraires qui viennent se heurter
dans l'àme, ces fluctuations de la volonté, toutes modifi-
cations qui viennent se réunir et comme se fondre au foyer
commun de la conscience, dont l'unité brille d'autant plus
que les faits qu'elle saisit à la fois sont plus nombreux et
plus variés.
2" La force qui pense ne présente pas seulement le ca-
ractère de simplicité, d'unité, qui la distingue de la matière;
elle présente aussi celui d'identité . et s'en sépare à ce nou-
veau titre. Notre corps présente une sorte d'identité trom-
peuse, résultant de sa forme, qui apparaît toujours à peu
près la même. Mais on sait qu'il n'est qu'une collection
harmonieuse de parties qui à chaque instant s'en échappent
et disparaissent pour faire place à des parties nouvelles, et
que les molécules dont notre corps se compose actuelle-
ment ne sont plus les mômes que celles qui le composaient
il y a quelques années. Cette substitution incessante des
parties nouvelles aux parties anciennes détruit donc l'iden-
tité véritable de cette étendue que nous appelons notre
corps. Quoi de plus évident, au contraire, que l'identité
réelle du moi , de ce sujet de tous les sentiments, de toutes
les pensées, de toutes les volitions, qui, malgré l'incessante
mobilité de ses phénomènes, persiste immobile, invariable,
toujours le même? Cette identité n'est-elle pas attestée à la
fois et par la mémoiie et pai' la raison? N'ai-je pas l'iné-
branlable conviction que, malgré toutes les phases par
lesquelles mon existence a passé, je suis demeuré le même
être, la même personne? Le souvenir implique si bien la
croyance à l'identité du moi, que dire qu'on se souvient
AME
449
de tel fait , c'est dire qu'on reconnaît ce fait pour avoir oit'
déjà perçu par le m«?me moi (si je puis parler ainsi), auquel
il se retrace aujourd'hui. De quoi se compose la mémoire,
sinon de l'ensemble des connaissances qui sont venues suc-
cessivement prendre domicile dans la même intelligence,
et constituer sa richesse? Et quand je pourrais craindre la
perte de cette faculté, quand le passé viendrait à disparaître
pour moi , la raison ne m'oblige-t-elle pas d'admettre que
je ne cesserai malgré tout d'être le même , et que celui qui
a momentanément perdu le souvenir de ses actions passées
est toujours celui-là même par qui elles ont été accomplies?
3° Outre que la matière est étendue, elle est inerte , ce
qui ne veut pas dire immobile, mais indifférente au mouve-
ment et au repos , ou encore incapable de changer par
elle-même d'état, si ce n'est par l'action d'une cause étran-
gère. Si, en effet, un corps n'est sollicité à se mouvoir par
aucune force environnante, si on le suppose isolé, aban-
donné à lui-même, on peut aflirmer sans crainte qu'il res-
tera dans le même état, et que de lui-même il n'en pourra
changer. Ce qui pense, au contraire, est doué d'une activité
propre, qui par elle-même, et sans y être sollicitée par
aucune cause étrangère, détermine certains mouvements,
certains changements imputables à elle seule. Quand j^'
marche, le mouvement que je produis n'a d'autre cause
que moi-même ; et si l'on objecte que c'est un motif indé-
pendant de ma volonté qui influe sur elle et me détermine à
marcher, je répondrai en m'arrêtant.
4° Ceci nous conduit naturellement à présenter cette in-
compatibilité de l'activité propre et de l'inertie sous un nou-
veau point de vue, en montrant dans la matière l'obéissance
passive, fatale , aux. impulsions qu'elle reçoit , et dans l'àme
une complète liberté. La matière, en effet, est une esclave ;
elle obéit fatalement et à son insu aux impulsions qui lui
sont communiquées ; si on la voit résister à la force qui la
sollicite , c'est peur obéir à vme force plus puissante que la
première ; en un mot, elle ne s'appartient pas. Elle suit en
aveugle la force qui lui commande , continuant son mouve-
ment si cette force continue son action, l'interrompant si
cette action est interrompue. Est-il besoin de faire ressortir ici
le contraste entre cette fatalité à laquelle est soumise la ma-
tière, et la liberté , le plus glorieux attribut de l'àme hu-
maine? Si deux motifs d'une inégale puissance sollicitent en
même temps notre activité , la conscience ne nous atteste-
t-elle pas que nous pouvons nous déterminer pour le plus
faible , et que , tout en cédant à l'une des forces qui nous
sollicitent , nous avons pu lui résister, et sommes constam-
ment demeurés maîtres de notre action? Voyez le malheu-
reux qu'on entraîne au supplice : son corps est forcé de céder
à l'impulsion qu'il subit ; mais son àme n'est-elle pas libre
en ce moment de maudire ses bourreaux ou de prier pour
eux?
5° La matière et l'âme présentent encore un contraste
remarquable si l'on compare entre eux les procédés par
lesquels nous arrivons à la connaissance de l'une ou de
l'autre. Comment connaissons-nous les qualités de la ma-
tière? En nous mettant en conununication par nos organes
avec le monde extérieur. Si nous voulons étudier un corps
et ses propriétés , il faut que nous dirigions sans cesse la
perception externe vers l'objet de notre étude; en un mot,
c'est au moyen des organes de relation et par leur intermé-
diaire seulement que nous arriverons à connaître les qua-
lités des corps. Voulons-nous, au contraire, étudier les phé-
nomènes de l'àme , ce n'est point aux sens que nous avons
recours, mais à la réflexion, à cette faculté qui nous permet
de nous replier sur nous-même , pour assister au drame
invisible et silencieux qui s'accomplit au sein de la cons-
cience. 11 y a plus , si nous voulons mieux saisir ce qui se
passe sur ce théâtre intime, il faut nous isoler complètement
du monde extérieur, nous dérober aux perceptions trans-
mises par les organes, nous recueillir et uous réfugier pour
DICT. DE LA CO.NVERS. — T. 1.
ainsi dire au-<le<lans . de nous-même. Niera-t-on que les
deux ordres de faits ne soient atteints par des procédés en-
tièrement opposés ? Ne taxerait-on pas à bon droit de folie
celui qui s'armerait d'une loupe et d'un scalpel pour décou-
vrir dans le cerveau les opérations de la pensée , les senti-
ments, les volitions? Et serait-il moins insensé celui qui
rentrerait en lui-même et interrogerait sa conscience pour
connaître les phénomènes de la matière? Or, si dans les
deux cas les facultés qui agissent sont si différentes que l'ac-
tion de l'une entrave et exclue l'action de l'autre, n'est-on
pas fondé à considérer aussi comme entièrement distincts les
faits qu'elles sont chargées de connaître?
6° L'àme se distingue encore de la matière par les résultais
scientifiques auxquels aboutit l'étude de chacun des deux
principes. Où aboutit l'étude du corps humain? A la physio-
logie , à la connaissance de chaque organe , de ses fonctions,
de son but, de ses relations avec les autres organes. Poussez
la physiologie aussi loin que le permettront les procédés ,
les appareils que peut inventer la science : vous pourrez
connaître plus complètement les organes et leurs fonctions,
mais vous serez enfermé dans le cercle des phénomènes or-
ganiques , appartenant à la matière et explicables par ses
lois. Où aboutit l'étude de l'àme? A la psychologie, c'est-à-
dire à la connaissance des lois de l'entendement , de la vo-
lonté et des affections ; puis à l'ontologie , à la morale , qui
ont la psychologie pour base , comme la physiologie a l'ana-
tomie pour fondement. Or, la psychologie se distingue pro-
fondément de l'anatomie et de la physiologie , autant par la
nature des phénomènes dont elle s'occupe que par les théo-
ries qui reposent sur la connaissance de ces phénomènes.
Qu'ont de commun l'ostéologie , la myologie , la splancb-
nologie, etc., avec l'idéologie, l'esthétique, le droit na-
turel , etc. ? is'on-seulement la physiologie ne nous dit pas
un mot de ces dernières théories , mais il lui est interdit de
s'en occuper, sous peine de n'être plus elle-même et d'ab-
diquer sa méthode et l'objet de son étude , aussi bien qu'il
est interdit à la psychologie de parvenir avec sa méthode à
la connaissance du moindre des phénomènes organiques. Ce
ne sera jamais d'un amphithéâtre de dissection que pourra
sortir un traité de morale , pas plus que les méditations de
Descartes eussent jamais pu enfanter une théorie physiolo-
gique. Ces deux sciences sont donc parfaitement tranchées ,
parfaitement indépendantes l'une de l'autre. Or, un tel con-
traste dans les résultats de l'étude des deux ordres de phé-
nomènes ne témoigne-t-il pas à lui seul du contraste qui
sépare ces phénomènes eux-mêmes et leur principe?
7° Mais ce n'est pas seulement de la substance étendue
que l'âme se distingue : elle se distingue encore des forces
qui vivent avec elle dans le corps , ou plutôt qui sont la vie
du corps auquel elle est unie. C'est pour nous une incon-
testable vérité qu'à l'existence , à la nutrition et aux fonc-
tions de chaque organe, préside une force qui le constitue, le
maintient , le vivifie. Car, puisque l'organe persiste pendant
un certain laps de temps , ayant même forme , même mode
de vie , mêmes fonctions , et que cependant les molécules
dont il est composé ne restent pas les mêmes , mais qu'elles
cèdent leur place à d'autres qui seront remplacées à leur
tour, il faut bien , pour expliquer l'unité même temporaire
de forme , de vie et de fonctions , au milieu de ce change-
ment incessant de parties ; il faut bien , dis-je , admettre
l'existence d'une force qui constitue et maintienne cette
unité, et qui soit distincte des molécules qu'elle s'agrège.
De même pour les plantes, de même pour tout corps or-
ganisé. Or, je dis que ces forces organiques dont l'harmonie
constitue la vie du corps sont complètement distinctes de
la force pensante de l'àme. Mais comment l'âme peut-elle
s'en distinguer? Nous pourrions d'abord répondre qu'elle
s'en distingue par les fonctions mêmes qu'elle accomplit,
et qui n'ont rien de commun avec les fonctions de la vie
organique. La connaissance du vrai, l'amour du beau , la
450
AME
pratique du bien , n'ont rien de conaniun avec la digestion ,
la sécrétion des humeurs, la circulation du sang, etc.,
toutes fonctions qui, malgré leur diversité, ne supposent
jamais que de la matière mise en mouvement. Mais , dira-
t-on , du moment où vous supposez dans l'organe une force
distincte de la matière, cette force a une analogie de nature
avec l'àme, parce qu'elle est immatérielle, par cela qu'elle
est une force. Cette force pourrait donc avoir des attribu-
tions doubles : par les unes elle présiderait à la vie du
corps, par les autres aux opérations de l'esprit, en sorte
que la force qui digère pourrait être la force qui pense.
Heureusement, nous possédons un moyen d'échapper à
cette confusion. La force qui pense se connaît. L'un de ses
attributs essentiels , c'est d'avoir conscience d'elle-même. Il
existe une relation si intime entre les phénomènes de l'àme
et la conscience qu'elle en a, qu'il n'y a pas de hardiesse à
avancer qu'une modification dont elle n'a pas conscience
ne saurait lui appartenir. Qu'un sentiment , qu'une idée ,
qu'une volition apparaisse, la conscience, l'âme s'écrie
aussitôt : Ce sentiment , cette idée , cette volition , c'est moi-
même sentant , pensant et voulant. Qu'elle vienne à ap-
prendre qu'auprès d'elle circule un liquide coloré en rouge
dans des vaisseaux artériels et veineux ; la force qui fait
circuler ce liquide , ce n'est pas moi , dit-elle encore. Le
raisonnement me révèle bien l'existence de ces faits , mais
la conscience est muette à leur égard. Je n'en ai pris con-
naissance que comme j'ai pris connaissance des courants
invisibles qui sillonnent les entrailles de la terre; mais je
ne suis pas avertie à chaque instant des modes de cette
circulation comme je suis avertie à chaque instant des
modes de mon existence , des sentiments et des idées qui
se succèdent dans mon sein. Or, je ne reconnais pour miens
que ces faits intimes par lesquels je me sens vivre pour
ainsi dire, et qui constituent ainsi ma vie et mon être; je
n'appelle moi que ce dont je suis avertie unmédiatement et
incessamment par ma conscience. Ce qui ne m'est révélé
que par ma raison , ce que je ne connais ainsi que de loin
et comir.e par ouï-dire, sans le saisira tous les moments et
dans toutes les phases de son existence, je l'appelle non-
moi; je n'ai pas d'autre signe, il est vrai , pour distinguer
le moi du non-moi ; mais si cela ne suffit pas , si le cri de la
conscience n ■ doit pas être écouté , dès lors ces idées de
moi et de non-moi ne sont plus qu'une illusion et une ab-
surde cliimère. Oui , l'ùme ignore complètement tous les
phénomènes de la vie organique ; ils s'accomplissent tous
sans elle , malgré elle et à son insu. Comment l'àme, dont
l'essence est de se connaître, serait-elle aussi complètement
étrangère , au point de vue de la conscience , à toutes les
modifications delorganisme, si elle était cette même force
en vertu de laquelle l'organisme est modifié ?
11 y a plus, non-seulement tout ce qui constitue son do-
maine est réuni par la conscience sous une même unité , et
séparé ainsi de tout ce qui n'est pas elle, mais tous ces
phénomènes , qu'elle sait lui appartenir, se distinguent en-
core de ceux qui ne lui appartiennent pas , en ce qu'elle
exerce sur eux son empire, par la raison qu'ils sont elle-
même, tandis qu'elle ne peut en exercer directement au-
cun sur ceux d'une force qui lui est étrangère, par la raison
qu'ils ne lui appartiennent pas et qu'elle ne les connaît pas.
L'àme peut modifier ses pensées , passer d'une opération à
une autre, écarter cette idée pour s'occuper de celle-là,
changer à chaque instant ses déterminations, et même à
l'égard des faits affectifs , qui , tout en lui appartenant,
semblent se soustraire à une réaction de sa part, elle peut
influer sur eux de fa^on à les modifier, commander à sa
haine, imposer silence à ses passions, lutter contre la dou-
leur, y faire diversion par la pensée : témoin Posidonius ,
témoin les premiers chrétiens et leur sérénité au milieu des
tortures. Si les phénomènes de l'organisation étaient aussi
bien le fait de l'âme, pourquoi donc n'aurait-elle sur eux
aucun empire? pourquoi ne pourrait-elle diminuer la vi-
tesse du sang , activer ou arrêter la sécrétion des himieurs,
comme elle peut changer le cours de ses pensées et modi-
fier ses déterminations? Mais, dira-t-on, cet empire existe
sur les organes de la locomotion : ainsi, je veux lever mon
bras, et mon bras se lève. Ici, la force qui pense semble
bien se confondre avec la force musculaire. Nous répon-
drons que des faits incontestables viennent ici déposer
contre cette prétendue identité. Si la force qui veut était la
même que celle qui permet au bras ses mouvements , com-
ment se ferait-il que dans certaines circonstances ma vo-
lonté commande et n'est pas (béie? En effet, l'organe lo-
comoteur a pu perdre son énergie et se refuser à tout mou-
vement. Mais si ma volonté se confondait avec la force mus-
culaire qui en ce moment ne peut agir, ma volonté serait
également inerte. Or, c'est précisément le contraire qui ar-
rive; son énergie, loin d'être éteinte, a dû même s'accroître
en raison de l'obstacle. Si donc elle a conservé son énergie,
elle se distingue par là même de la force qui a perdu la
sienne. Si elle ordonne et que ses ordres ne soient pas écou-
tés , c'est une preuve irrécusable qu'il y a là deux forces ,
l'une chargée de commander, l'autre d'obéir.
Notre démonstration pourrait paraître incomplète si nous
négligions de répondre aux objections spéciales du matéria-
lisme et de lever les principales difficultés qu'il nous op-
pose. Ce sera pour nous une occasion de faire apprécier les
fondements de cette doctrine. Or, la première objection qui
se présente naturellement, et semble faire suite aux ré-
flexions qu'on vient de lire, est celle-ci : « Les opérations
« et les états de l'àme sont intimement liés aux modifications
« du cerveau. L'âme croît et se développe avec lui. Dans
" l'état de surexcitation de cet organe, la pensée aussi est
n surexcitée, et cet état se manifeste chez elle par l'efîer-
« vescence ou le désordre des idées. Si le cerveau est pa-
« ralysé, l'action de la pensée l'est aussitôt; si la paralysie
« est partielle, la pensée est paralysée elle-même dans
« quelques-unes de ses facultés. La force qui f..it vivre le
« cerveau est donc la même que la force qui pense. » Cette
objection, qui repose sur la correspondance des états du
cerveau et des modifications de l'âme, échappe à l'argument
qui distingue l'âme de la matière par la contradiction entre
la simplicité et l'étendue. En efTet, elle ne parle que de
forces, mais point de molécules, et compare deux choses
qui ne paraissent pas inconciliables. Néanmoins, remarquons
d'abord qu'elle est réfutée a priori par les démonstrations
précédentes ; car elle n'infirme en aucune manière le raison-
nement par lequel nous avons distingué la force qui pense
de toute force organique. Du moment, en effet, que les phé-
nomènes dont l'àme a conscience sont les seuls qui lui ap-
partiennent, ceux qui se manifestent dans le cen'eau ne
sauraient lui appartenir, pas plus que ceux de tout autre
organe, et doivent être rapportés à une force étrangère.
L'àme, loin d'avoir le moindre empire sur les modifications
de cet organe, les ignore d'une ignorance absolue ; que
dis-je? la science elle-même déclare que c'est l'organe qui
lui est le moins connu. Ajoutons que la force qui fait vivre
le cerveau se présente avec tous les caractères qui cons-
tituent les forces organiques. C'est toujours un appareil
pourvu de nerfs, de vaisseaux, se développant et se nour-
rissant de la même façon que tous les autres, soumis aux
lois fatales de la matière organisée et n'ayant que cela de
[articulier qu'il est dans une relation plus directe avec la
force qui pense. Mais venons maintenant à cette corres-
pondance entre les états de l'âme et du cerveau, qui fait la
base de l'objection, et demandons-nous si elle prouve l'iden-
tité des deux forces. Tout ce qu'elle prouve, c'est la relation
de dépendance, que nous ne prétendons nullement nier,
car nous n'avonsjamais eu l'intention de nier les faits. Nous
convenons sans peine que la nature a établi entre la force
qui pense et le cerveau ( ou son prolongement ) des rapports
AME
451
tds que l'action de l'une est enlitremcnt liée à l'action de
l'autre. Mais cette dépendance prouve-t-elle l'identité? Kt de
ce que riioninie ne peut se rendre compte de la relatidu qui
unit deux forces entre elles, doit-il pour cela les confoncbe?
N'avons-nous pas tout à l'Iieure parfaitement distingué la
force qui veut de la force locomotrice, malgré la relation
évidente où elles sont l'une avec l'autre? Ne distinguons-
nous pas les forces organiques entre elles, malgré la dépen-
dance mutuelle où elles se trouvent ? La force qui digère
n'est-elle pas distincte de la force circulatoire, quoique la
première ne puisse fonctioimer sans la seconde? Pourquoi
quand nous avons, d'ailleurs, des preuves irrécusables de
la non-identité de la force qui pense et de toute force or-
ganique, admettrions-nous l'identité de l'àmc et du cerveau,
par cela seul que l'àme est unie à l'autre par un rapport do
dépendance? Il faudrait alors reconnaître l'identité de la lu-
mière et de la vision, puisque la vision ne s'exerce qu'au
moyen de la lumière. On voit où entraînerait une pareille
prétention.
Vient maintenant l'objection des phrénologistes , bien
que , de l'aveu même de ses fondateurs , Gall et Spurzheim ,
la pbrénologie ne prouve rien contre la spiritualité de l'àme.
Mais de nombreux partisans de ce système ont cru y
trouver des amies en faveur du matérialisme. Or, c'est à
ceux-là que nous répondrons en ce moment. « La masse
i< cérébrale , disent-ils , malgré son apparente uniformité ,
« manifeste à l'observateur attentif des développements dis-
«■ tincts qui ont leur situation propre et bien déterminée , et
« qui répondent chacun à une faculté, à un penchant. C'est
« ce que prouvent les expériences faites sur un grand
« nombre d'individus qui avaient vécu sous l'iniluence d'un
n même penchant prédominant, et dont l'appareil enccpha-
« lique présentait le même développement prédominant, placé
« dans la même région du cerveau. La coïncidence entre
« les facultés et les divers développements cérébraux étant
« ainsi établie, ces organes partiels étant évidemment le
« siège et la condition d'existence et d'action de nos fa-
« cultes, il suit de là qu'il n'est pas nécessaire d'aller cher-
« cher le principe de ces facultés ailleurs que dans ces
» organes mêmes. » Nous pourrions répondre à cette ob-
jection par une fin de non recevoir tirée de l'état actuel de
la pbrénologie, des nombreux démentis qu'elle reçoit cha-
que jour, des contradiclions qui régnent ntre les laits sur
lesquels elle s'appuie, du désaccord qui existe entre tous
ses adeptes, puisque sur trente-cinq organes il y en a
trente environ qui sont un sujet de contestation entre les
chefs de la pbrénologie. Mais nous n'aurons pas besoin de
recourir à ce moyen de réfutation, qui serait dans notre
(h-oit ; nous accordons à la pbrénologie de n'être pas une
hypothèse , nous l'admettons comme une science régulière-
ment constituée, et nous supposons démontrée par des faits
toujours concordants la coïncidence entre cliaque fticulté
et chaque portion respective du cerveau. Que prouverait
cette relation? Rien autre chose que ce lien de dépendance
que nous avons reconnu nous-même avoir été étabU par la
nature entre le principe pensant et les forces de l'orga-
nisme , mais nullement l'identité du cerveau et de la force
pensante, et toutes les raisons que nous avons données
contre cette identité subsisteraient intactes.
Spurzheim a dit : « On ne saurait expliquer la connais-
» sance simple du moi par la structure et les fonctions du
« système sensible, tandis que les spiritualistes ont une expli-
H cation qu'ils peuvent faire valoir dans toutes les circons-
n tances. » Cet aveu est précieux dans la bouche de l'oracle
de la plu'cnologie ; mais nous n'en avons pas besoin , c"r la
pbrénologie ajouterait elle-même une force nouvelle aux
preuves de la distinction des deux principes. En effet,
puisque les ap|)areils cén-braux sont multiples et distincts les
ins des autres, cette multiplicité des organes encéplialiqucs
fat encore mieux ressortir la différence qui existe entre
cette multitude de forcée divisées et la force pensante une
et identique, qui résume en elle toutes les facultés, les con-
naît toutes pour ses propres modes, les surveille toutes , et
exerce sur toutes son influence. Si l'on n'aihnettait pas cette
force une et simple, si l'on n'admett^iit qu'une pluralité d'or-
ganes, représentant autant de facultés, conunent expliquer
alors la liberté , cette activité intelligente , maîtresse d'elle-
même , parce qu'elle se connalt,réagissant sur ses facultés ,
en réglant l'action et les gouvernant comme une sorte de
providence? Que devient cette unité et cette libellé de di-
rection avec un assemblage d'organes s'ignorant les uns les
autres, obéissant chacun à une impulsion fatale et recevant
la loi du plus fort' L'empire sur soi-même, l'éducation,
sont-ils possibles avec un pareil système? Et que devient
aussi la personnalité humaine, et la responsabilité? Or, les
phrénologistes n'ont point la prétention de supprimer les
faits constitutifs de la nature humaine, la conscience et la
liberté, quoiqu'ils n'aient pas encore trouvé d'organes qui y
correspondent. Ils seront donc obligés d'admettre avec nous
que ces appareils cérébraux qui coïncident avec chaque
faculté ne sont tout au plus pour elles que des conditions
actuelles de développement et d'exercice, mais ne sont pas
ces facultés elles-mêmes, qui résident dans le moi, et qui,
tout en étant le rayonnement multiple de l'àme, en sont in-
séparables, et ne cessent d'appartenir à un centre commun,
de sa nature un et indivisible. Nous n'avons nullement l'in-
tention de nier qu'il existe dans chacun de nous des pré-
dispositions , des aptitudes , des penchants dominants, avec
lesquels nous naissons, et que la nature a pu détemiiner en
les plaçant sous l'influence de forces organiques particu-
lières. C'est seulement ce dernier point que pourrait étabbr
la pbrénologie ; mais en cela elle n'aura réussi qu'à cons-
tater un fait, que la psychologie a reconnu bien avant elle ,
et dans ce fait il n'y a rien qui puisse détruire le fait de la
réaction libre de l'àme sur ses aptitudes, sur ses penchants,
et du gouvernement de ses facultés par elle-même. Or,
c'est ce fait incontestable qui prouve l'existence d'une force
ayant conscience d'elle-même, libre dans ses déterminations,
et se distinguant par là de toute force organique.
Voici une autre objection, ou plutôt une autre hypothèse
du matérialisme, car remarquons , en passant, que ce n'est
pas autrement qu'il procède : « La pensée n'est pas le ccr-
« veau , mais le résultat de son action et du mouvement de
« ses fibres. L'analyse des facultés prouve que tous les faits
« qu'on nomme spirituels sont réductibles à la sensation.
« Or, la sensation est le résultat d'une impression faite sur
« le cerveau, en vertu de l'organisation de cet appareil. Ces
« impressions, ces modifications qu'il reçoit, se transfor-
« ment en sensations, les engendrent ; celles-ci, à leur tour,
« engendrent les idées , les volitions , et la réunion de tous
« ces faits constitue ce qu'on appelle âme. L'âme n'a donc
<c qu'une réalité abstraite et idéale; c'est un mot qui sert
« à rassembler sous un même chef des modifications d'une
« nature analogue , dont le sujet véritable et vivant n'est
« que le cerveau lui-môme , dont elles sont en quelque
« sorte le produit chimique. » Telle était la psychologie do-
minante au dix-huitième siècle , entée , comme on ie voit ,
sur le système de Condillac, et continuant cette œuvre d'i-
magination par une autre hypothèse, celle de la transforma-
tion de l'impression cérébrale en sensation. Cette explication
ne manque pas de simplicité, et c'est par ce côté qu'elle fut
séduisante. Convenons toutefois qu'elle n'était pas heureuse,
et qu'elle n'eût pas eu tant de retentissement , qu'elle n'eût
pas fait tant de prosélytes, et n'aurait pas été adoptée par
des hommes d'un mérite aussi éminent que Voltaire , Di-
derot, Helvétius, d'Holbach, Lamettrie , etc., et, plus près
de nous, par Cabanis, Destutt de Tracy, Broussais, etc., si
elle n'eût pas été favorisée ou plutôt inspirée par la réac-
tion génétiile et violente de celte époque contre les dogmes
leligreux ; réaction qui la port;iit à la dcstmction de tout
57.
452
AMR
dogme philosophique qui avait le malheur de prêter au
christianisme le raoimhe appui. Cette objectiou , lue de
sang-froid et après les travaux larges et sérieux du dix-neu-
vième siècle , n'a plus guère qu'un intérêt historique , et
ue soutient pas l'examen. La théoiie des sensations de Con-
dillac, sur laiiuelle elle repose , est jugée depuis longtemps,
et ce ne serait pas d'ailleurs ici le lieu de la réfuter. Mais,
dussions-nous l'adopter, aucun esprit de bonne foi ne sau-
rait en faire sortir cette enormité que la pensée est un pro-
duit chimique du cerveau et le résultat de son organisation.
Dire que les sentiments, les idées, les voUtions, n'ont quHin
sujet nominal, c'est fermer les yeux aux enseignements les
plus élémentaires , aux vérités les plus triviales de la psy-
chologie ; c'est faire de toutes nos sensations autant de
tnoi divers et épars ; c'est nier la conscience , la personne
immaine ; c'est se renier soi-même. Mais qui pourrait auto-
riser à admettre cette transformation d'une moditication
)rgaiiiciue en un fait de conscience? Et quand il ne répu-
gneiait pas au bon sens que le mouvement de quelques fi-
bres put engendrer les facultés sublimes de l'esprit et leurs
œuvres immortelles, quand il ne s'indignerait pas à cette
pensée que la vertu , la vertu trois fois sainte , n'est que
l'émanation de quelque fluide sécrété par le cerveau, de
quel droit avancerait-on que l'organe le plus parfait, le plus
merveilleusement construit, puisse produire autre chose
que des phénomènes d'étendue et de mouvement ? Que dé-
couvrons-nous , en elTet , dans toute espèce de corps or-
ganisé ? Des phénomènes de cette sorte ; or de l'étendue et
du mouvement il ne peut sortir autre chose que du mou-
vement et de l'étendue , il n'en peut sortir, à plus forte rai-
son , des faits incompatibles avec l'étendue , il n'en peut
sortir la pensée. « Dieu , dit Hobbes , et Locke après lui , a
pu donner à la matière cette propriété. » C'est faire inter-
venir bien inutilement la Divinité au secours d'une hypo-
thèse que la raison condair.ne; car, par cela même qu'il y
a incompatibiUté essentielle entre l'étendue et la p.nsce,
Dieu lui-même n'a pu faire que la pensée fût le produit de
l'étendue. Dieu n'a pu vouloir que les choses qui s'excluent
se concilient , que les vérités éternelles puissent cesser
d'exister : car ce n'est pas borner la puissance divine que
de lui refuser le pouvoir d'engendrer l'absurde. Or, l'ab-
surde existerait si au nombre de ses propriétés l'étendue
«n avait une qui exclut l'étendue elle-même.
Quelle raison pourrait donc autoriser maintenant à faire
sortir la pensée du cerveau comme résultat de son organi-
sation ? tist-ce parce qu'un grand nombre de ses phéno-
mènes se produisent à la suite de phénomènes organiques ?
Faudrait-il , en raison de celte concomitance , confondre ce
que les raisonnements les plus solides ont prouvé être dis-
tinct ? La forte qui pense ne saurait-elle par sa nature même
être indépendante de l'organisation ? Nous avons un puissant
motif de penser le contraire. Autour de nous , il est vrai ,
il n'existe pas d'êtres pensants qui ne soient en même tenq)s
unis à des appareils organiques ; mais nous savons et notre
raison nous impose l'obligation d'admettre que nul être or-
ganisé ne peut exister sans qu'une pensée ait présidé à
son organisation , et que celle-ci est inévitablement l'œuvre,
le résultat de la force intelligente qui l'a conçue et accom-
plie. Comment donc ne pourrait-on concevoir la pensée
indépendante de l'organisation, quand on est forcé d'avouer
qu'elle a dû nécessairement la précéder dans l'ordre des
temps? La pensée dans lliomme est, si l'on veut, bornée,
imparfaite ; mais elle a un lien évident de nature et d'homo-
généité avec la pensée divine ; et si la pensée divine a pré-
sidé et par conséquent préexisté à toute organisation , pour-
<luoi la pensée humaine , qui est évidemment d'une essence
homogène, aurait-ille besoin pour exister de résulter de
l'organisation? Cette considération nous a semblé une in-
duction très-forte en faveur de l'indépendance essentielle
de l'àmc à l'égard de la matière organisée.
Nous dirons peu de mots d'une autre objection, tirée da
l'àme des animaux , et qui avait néanmoins si sérieusement
embarrassé Descartes , que cet irmnortel génie s'égara au
point de voir dans les animaux de pures machines, de véri-
tables automates , croyant compromettre la question de la
destinée humaine s'il accordait aux animaux la moindre
analogie avec notre âme. Nous répondrons à cette objection
à l'article Ame des Bêtes. 11 suffit pour la réfuter d'admettre
que les animaux sont doués d'une force analogue à l'âme
humaine ; car il serait déraisonnable de leur refuser le sen-
timent , la connaissance et l'activité ; mais , tout en faisant
cette concession obligée, il faut reconnaître en même temps
que l'animal, dépourvu de réflexion et de liberté , et par
consé(pient incapable de mériter, n'a aucun droit à un état
meilleur.
Mamtenant que nous avons répondu aux objections les
plus sérieuses contre la spiritualité du principe pensant , il
ne sera pas sans intérêt de citer les principales opinions des
philosophes anciens et modernes sur la nature de l'âme hu-
maine : cet aperçu historique prouvera que si le matéria-
lisme a eu ses représentants à toutes les époques, le spiri-
tualisme a toujours grandi malgré leurs efforts ; que d'âge
en âge il s'est entouré de plus vives lumières , et que les
travaux philosophiques ont constamment contribué à élargir
et à consolider ses bases.
La philosoi)hie débuta par le matérialisme , et y demeura
jusqu'à Anaxagore ; mais ce fut un raatériahsme indécis et
qui s'ignorait lui-même , puisqu'il ne connaissait pas son
contraire. Appliquée tout entière à l'explication de la nature
extérieure , la philosophie ne sortait pas de ses quatre élé-
ments , et ne pouvait concevoir encore l'âme autrement que
sous une forme matérielle. En général , ce fut comme une
substance éthérée ou ignée que les premiers philosophes
conçurent l'âme ; uon qu'ils la confondissent avec son
enveloppe grossière , car ils parlaient déjà de son immor-
talité (l'hérécyde , de l'écol» ionique, né 600 ans avant J.-C,
est le premier, selon Cicéron , qui ait enseigné l'éternité des
âmes ) ; mais ils ne trouvaient pas d'autre moyen de la dis-
tinguer du corps que de lui attribuer la nature de ce qu'il y
a de plus subtil dans la matière.
Pythagore , le moins matérialiste , si l'on peut parler
ainsi , des philosophes des premiers âges , place dans le feu
la source de la chaleur, de la vie et de l'âme. Celle-ci, éma-
nation du feu central , est un composé d'éther chaud et
froid. Ce qui ne l'empèclie pas d'être aussi un nombre , une
hai-monie , mais un nombre qui se meut. Cette étincelle de
feu divin est ce qui rapproche l'homme des dieux. Ses deux
facultés sont l'intelligence ou la raison , et la volonté ou les
appétits (les désirs). L'intelligence, la plus pure émanation
de l'âme du monde, étant la partie la plus noble de l'homme,
a son siège dans le cerveau ; mais les appétits ont leur siège
dans le cœur. Du reste, les âmes des hommes , comme celles
des animaux , sont impérissables anisi que l'âme du monde,
d'où elles émanent , et après la mort vont habiter d'autres
corps, soit d'hommes, soit d'animaux : de là le système de
la m et cm psycose.
Heraclite , que l'on rattache à l'école ionique , professa
néanmoins sur l'àme les mêmes doctrines que Pythagore ,
sauf celle de la métempsycose ; mais il chercha à expliquer
comment la raison vient habiter dans l'homme. La raison
étant la plus pure émanation de la substance ignée , rayonne
de toutes parts et remplit l'espace. L'homme , placé sous
l'influence de cette émanation , la saisit et se l'approprie par
l'aspiration. On ne dit pas comment Heraclite expliquait
l'absence de la raison tliez les animaux, qui respirent
comme nous.
L'éculc atomistique, qui prit naissance à la même époque,
eut cela de remarquable qu'elle servit de point de départ au
véritable matérialisme, puisque Épicure, environ deux
siècles après , ne fit que développer et formuler avec plus
AME
453
d'exactitiulc les opinions de Lcucippe et de Démocrite , et
qu'il en tira la preuve qucràme est matérielle et périssable.
Selon Démocrile, en effet , la pensée se compose d'atomes
conune tout le reste , mais des atomes les plus déliés , les
plus ronds , les plus polis et les plus mobiles ; c'est à quoi
l'on doit attribuer la rapidité de la marche des idées. Épicure
ajouta que les atomes n'ont point la propriété de penser
originellement , mais que cette propriété ne résulte que de
leurs combinaisons. 11 plaça le siège de la pensée et des
passions dans la poitrine . et répandit la sensibilité dans
tout le corps. Les a ornes dont l'àme est composée étaient,
selon lui , un mélange de matière ignée et de matière
aérienne, combinée avec la partie la plus spiritueuse du sang.
L'àme , selon Epicure, est donc matérielle, et, comme telle,
condamnée à périr avec le corps. Elle est matérielle , puis-
qu'elle met le corps en mouvement , et qu'elle reçoit les
impressions qu'il lui communique ; ce qui ne pourrait exister
si elle était d'une autre nature que le corps. Tel est le rai-
sonnement que le poète commentateur d'Epicure a exprimé
dans ce vers :
Tangpre cuim aul langi, nisi corpus , Dulla potest res.
Mais revenons aux temps qui ont précédé Socrate. —
Anaxagore , de Clazoniènes , est le premier qui ait saisi la
véritable natui'e de l'àme ; on pourrait l'appeler le père du
spiritualisme. Selon lui , l'àme de l'homme et celle des ani-
maux provenant de l'àme du monde , sont de môme nature
que celle-ci. Or, l'essence de l'àme du monde est l'intelli-
gence , qui est la source des êtres intelligents. Cette intel-
ligence est en même temps une force créatrice et purement
spirituelle , qui a formé et régularisé l'univers , au moyen
de la matière , qui elle-même est éternelle et inaltérable.
La difiérence qui existe entre l'àme du monde et l'àme des
hommes tient au degré de complication de la matière à la-
quelle elles sont unies. L'âme de l'homme est impérissable
conune celle du monde.
On dit qu' Anaxagore compta Socrate parmi ses disciples,
malgré le peu de respect avec lequel ce dernier parle des
écrits qu'avait laissés le philosophe de Clazomènes. Quoi
((u'il en soit, Socrate embrassa ses doctrines sur Dieu et
sur l'homme. Mais ennemi des discussions ontologiques, et
pressé d'en venir à ce qu'il regardait comme la véritable On
de la philosophie , la morale , il s'inquiéta peu de la sub-
stance de l'àme ; il ne s'occupa que de sa nature active et de
sa destinée. Partant de cette vérité, que l'homme ne peut
se connaître qu'en rentrant en lui-même, c'est dans son àme
même qu'il lut les glorieux attributs qui la distinguent et
les preuves de sa nature divine et de sa destinée immortelle.
On a reproché à Socrate de n'avoir pas poussé son analyse
assez loin pour donner à toutes ses doctrines une base plus
scientifique. Mais il laissa ce soin au plus célèbre de ses
disciples, au divin Platon, si toutefois on peut appeler main-
tenant scientifiques les théories de ce philosophe. Selon
Platon, la matière et l'esprit sont distincts et tous deux éter-
nels. Mais le monde a été formé par l'esprit, qui a combiné
la forme avec la matière. Le monde se compose aussi d'êtres
sphituels , mais unis à des corps ; ainsi la Divinité est
une âme sans corps, et l'homme un corps et une âme réunis.
L'àme humaine est un produit de l'intelligence absolue;
elle se manifeste par les idées , les sentiments et les désirs ,
mais tous les désirs et tous les sentiments n'ont pas leur
source en elle. Ils appartiennent à une autre force , que
Platon nomme animale ou irraisonnable , et qui est unie à
l'àme raisonnable; celle-ci réunit dans la conscience les
effets et les variations de cette âme animale, et les convertit
en sensations et en désirs. De là dans l'àme même deux
sortes d'intelligences : l'une , l'intelligence ignoble ou em-
pirique; l'autre, l'intelligence noble ou rationnelle. C'est
cette dernière qui seule rapproche l'homme de la Divinilé;
et en effet elle en porte l'immortelle empreinte, puisqu'on
trouve en elle la notion de la réalité absolue , et les idées ,
types éternels des choses et principes de nos connaissances,
auxquels nous ne faisons que rapporter par la pensée tous
ces phénomènes divers que nous présentent les objets indi-
viduels dans le monde de l'expérience. On voit par là que
l'existence de la raison dans l'homme fournit à Platon sa
principale preuve en faveur de la spiritualité de l'àme. Il
tira aussi de son indépendance la preuve de son unité : car,
dit-il , si elle dépendait de parties composées et préexis-
tantes, la nature de ces éléments déterminerait son action,
au lieu que nous voyons l'indépendance présider à ses
actes. L'âme a préexisté à son union au corps ; car les im-
pressions reçues par les sens ne servent qu'à réveiller
en elle le souvenir des idées reçues avant la vie. Mais si
l'âme préexistait à la vie, elle doit aussi lui survivre. Aucun
philosophe n'avait encore formellement posé le dogme de
l'immoilalité de l'âme ; Platon le fit dans le Phèdre , dans
la République , et surtout dans le Phédon. Et en effet
comment n'aurait-il pas admis la survivance de l'âme , lui
qui la considérait comme une parcelle , pour ainsi dire , de
la Divinité, comme le Verbe incarné, et qui lui accordait les
attributs d'immutabilité et d'indépendance? On pourrait
s'étonner qu'au nombre de ses arguments en faveur de l'im-
mortalité de l'âme il n'ait pas fait valoir celui qui repose
sur le principe du mérite et du démérite, argument qui est
au fond de toutes les intelligences , et dont le christianisme
a fait sa base. Mais Platon ne s'explique pas catégori-
quement sur l'état où sera l'âme immédiatement après la
mort; il a seulement indiqué son opinion dans un mythe
emprunté à quelque tradition orientale , où il cherche à
rendre compte de l'association de l'âme avec le corps. « Les
âmes , raconte-t-il , avant cette vie , habitaient chacune une
étoile; leurs désirs, indignes de la spiritualité, les firent
reléguer dans des corps matériels , d'où elles doivent passer
dans d'autres plus grossiers encore lorsqu'elles continuent
toujours de s'abaisser au-dessous de leur dignité. Mais
il arrive enfin un temps où elles sortent de cet abaisse-
ment ; et quand elles ont remonté ainsi par degrés à leur an-
cienne noblesse, elles retournent à leur demeure primitive. »
Il y a peut-être beaucoup de vérité au fond de cette fable.
Aristote, qui suivit pendant vingt ans les leçons de Platon,
modifia peu son système , si l'on a égard moins aux mots
qu'aux choses ; mais l'importance qu'il donna a ix phéno-
mènes matériels et d'autres raisons encore furent cause
que les péripatéticiens qui lui succédèrent fuient tous maté-
rialistes. Voici, au reste, quelle était sa psychologie. L'enté-
léchie est le principe existant par lui-même du mouvement;
elle est éternelle, immuable, et entièrement distincte de la
matière. Au-dessous de cette entéléchie absolue existent des
entéléchies ou âmes , soit dans les plantes , soit dans les
animaux. L'âme ou entéléchie humaine est triple, c'est-à-dire
se compose de trois puissances principales : l'âme végétative,
l'âme sensitive, l'âme raisonnable. Les deux premières ap-
partiennent au corps, la dernière est un produit immédiat de
la substance divine, une émanation de la Divinité. L'âme
végétative réside dans les organes , et son agent est la
chaleur. L'àme sensitive , ou puissance de sentir, commune
aux hommes et aux animaux , est plus perfectionnée dans
l'homme ; le sentiment est le résultat de l'organisation , ou ,
pour nous servir de la langue d'Aristote , une forme du
coi-ps organisé; l'imagination et la mémoire en dépen-
dent , car par sentiment Aristote entend les sensations et
les perceptions. Le siège de l'âme sensitive est dans le cœur,
car c'est à la propagation du sang dans tout le corps que
celui-ci doit de sentir dans toutes ses parties : le c(ri;r est
donc le sensorium commune. Les sensations et les idées
engendrent la volonté, qui met le corps en action par le moyen
d'une substance élhérée unie au sang, la même que les es-
prits animaux de Descaries et de Malebranche. La chaleur,
le princii)al agent de la force sensitive, provient de la ma-
4.S4
AME
tière du €iel répandue dans l'univers. Les forces sensitives
sont donc des émanations des corps célestes. Mais la pensée, ou
lame raisonnable, n'est pas originellement propre au corps;
elle y vient du dehors , et l'homme la reçoit par l'acte de
la respiration. L'âme sensitive, étant le principe de la forme,
de l'organisation du corps, périt avec lui; tandis que l'âme
pensante, indépendante du corps et pouvant exister à part,
est , comme la source d'où elle provient, éternelle , impé-
rissable; elle existe comme étincelle absolue de la Divinité.
Mais comme l'âme sensitive périt, la mémoire, la cons-
cience périssent aussi : la personnalité est donc détruite à
la mort. Ainsi , quand une âme raisonnable se combine
de nouveau avec un corps humain, elle l'élève au rang
d'animal raisonnable , sans pour cela qu'elle puisse se sou-
venir de sa préexistence.
Psous remarquerons d'abord que le spiritualisme d'Aris-
lotc n'était pas très-conséquent ; car ce philosophe admettait
l'hypothèse d'Heraclite, et il est difficile de concevoir la
raison comme quelque chose d'immatériel, si elle est reçue
par voie d'absorption. Ensuite, comment concilier l'unité de
l'âme avec l'existence de l'âme sensitive et de l'âme pen-
sante dans un même sujet : l'une chargée de donner les
sensations et les perceptions ; l'autre, de révéler les formes
qui Servent à généraliser les données de l'âme sensitive?
Aristote ne voyait-il pas qu'en accordant à une force cor-
porelle le pouvoir d'imaginer et de se souvenir, il ôtait à
l'âme soff unité? De plus, son étornelle dualité de la forme
et de la matière, qu'il appliquait à tout, eut pour consé-
quence de faire considérer l'âme comme une abstraction
plutôt que comme une réalité vivante et distincte. En effet,
selon lui, l'âme sensitive n'était que la forme du corps or-
ganisé, et celui-ci la matière. Les sensations et les percep-
tions, à leur tour, étaient la matière dont les idées fournies
par la raison étaient la forme ; en sorte qu'en fin de compte,
l'âme était au corps ce que l'empreinte est à la cire. Mais
quand la cire sera fondue, que deviendra l'empreinte? Aussi
Diccarquc , plus explicite, déduisit nettement des principes
posés par son maître la matérialité de l'âme. Si l'on peut
accuser Platon d'avoir trop divinisé l'âme humaine, on peut
reprocher à Aristote de l'avoir trop animalisée, qu'on me
passe cette expression. Ce dernier craignit, il est vi'ai, de
s'égarer en prenant l'absolu pour point de départ, et, ja-
loux de suivre une méthode plus exacte et plus analytique,
il partit des faits, ce qui était bien ; mais il ne sut pas les
analyser de manière à aboutir à la synthèse hardie de Pla-
ton, et les défauts de son analyse, qu'on crut exacte, eurent
le matérialisme pour conséquence.
Malgré la vive impulsion spiritualiste que Platon avait
imprimée aux esprits, on vit apparaître peu de temps après
lui, dans le monde philosophique, une contradiction étrange :
je veux parler du stoïcisme. Quoi de plus contradictoire, en
effet, que l'ontologie des stoïciens avec leur morale, dont les
principes sublimes surpassèrent en noblesse et en vérité
tout ce qui parut sur la terre avant le christianisme ? Par
une monstraeuse inconséquence, les héritiers directs de So-
trate, les auteurs de la plus admirable tliéorie du devoir,
les adorateurs les plus intelligents de la vertu, furent ma-
térialistes. Selon eux, la matière existe de toute éternité, et
tout ce qui existe sort du sein de la matière. La matière ren-
fenne deux principes, l'un passif, l'autre actif; ce dernier est
corporel comme l'autre, mais il a en propre le mouvement,
qu'il communique à la partie passive. Le principe actif c'est
Dieu ; il possède le sentiment et la pensé', puisqu'il a créé
des êtres possédant ces qualités. L'àme de l'homme se dis-
tingue du corps en tant qu'elle émane du principe actif, dont
elle partage la substance : c'est un feu subtil etéthéré. ;Mais
en tant ([u'imlividualito, elle est, comme le coiiis, périssable
et n\turt avec lui. Zenon avait cru peut-être grandir et en-
noblir la vertu en lui ôtant tout espoir; il ne vit pas qu'il la
rendait vaine et impossible : elle n'était plus qu'un nom,
comme le dit Brutus en expirant à Philippes. On peut dire
que le stoïcisme y périt avec lui ; car le néostoïcisme, qui
reparut avec Sénèque, abandonna les doctrines ontologiques
du stoïcisme ancien, pour se rattacher à celles de Platon, et
peut-être à celles du christianisme, dont quelques rayons
avaient dû arriver jusqu'à lui.
Au reste, la question de la nature de l'âme ne fut plus
un sujet de discussion jusqu'à la renaissance de la philoso-
phie chez les modernes ; car après la chute des Grecs la
philosophie, réfugiée à Alexandrie, ne s'occupa plus que de
recherches sur la nature divine, ou sur les moyens d'entrer
en communication avec la Divinité. Puis vint la scholas-
tique du moyen âge, ce long sommeil de la philosophie, qui
emprunta sa méthode à Aristote et ses dogmes à la théo-
logie chrétienne, dont elle n'était que la servante, ancïlla
titeologix. Que devint le spiritualisme pendant ce laps de
temps immense qui s'écoula depuis Platon jusqu'à Descar-
tes? Il devint une religion. Le cbristianisme recueillit ce
dogme précieux, et, unissant ce qui devait être uni, la mo-
rale sublime du stoïcisme à la psychologie de Platon, il trans-
mit aux âges modernes ces doctrines épurées, en les plaçant,
pour les soustraire aux tempêtes qui bouleversaient le
monde, sous l'égide tutélaire de la foi.
Quand Descartes eut paru , et qu'il eut rallumé le flam-
beau de la philosophie , les recherches recommencèrent ,
et , comme on devait le prévoir, le matérialisme et le spi-
ritualisme se trouvèrent de nouveau en présence. Le réno-
vateur fut spiritualiste. Suivant lui, l'âme humaine jouitd'une
existence propre , absolue et indépendante; ses fonctions
sont de sentir, de connaître , de penser et de vouloir. Ainsi,
ce n'est pas le corps qui sent , mais l'âme , et c'est l'âme
qui constitue la substance proprement dite de l'homme.
Voilà l'unité de l'âme proclamée , voilà l'homme débarrassé
de ces deux ou trois âmes dont l'avaient affublé les anciens.
L'âme trouve en elle d'abord l'idée d'elle-même , puis celle
de Dieu, de l'être en soi, possédant toutes les perfections,
enfin les vérités nécessaires. Toutes ces idées sont innées ,
puisqu'elles ne peuvent venir du dehors. Descartes s'occupa
aussi beaucoup de l'organisme ; dans son traite De Homme
lit machina , il décrivit une machine qui produirait exacte-
ment les mêmes effets que le coi-ps huiuain si on pane-
nait à la vivifier. 11 assignait pour siège au principe de la
vie la glande pinéale , d'où les esprits vitaux se répandent
dans tout le corps , et vers laquelle ils refluent ensuite ; il
plaçait aussi l'âine dans le même organe, parce que, la
glande occupant le centre de l'encéphale , c'est de là qu'il
est le plus facile à l'âme de régir les esprits vitaux, et de là
le corps. Mais ces bypothèses de la glande pinéale et des
e?prils vitaux sont ayijourd'hui , et avec raison , reléguées
dans l'empire des chimères. Descartes se posa le premier
le problème de l'influence réciproque des deux substances,
pioblème qui n'avait pas préoccupé les anciens philosophes,
parce qu'ils n'admettaient pas un contraste aussi prononcé
ciiîre le corps et l'âme. Mais Descartes jugeait trop pro-
fonJe l'opposition des deux principes pour qu'ils pussent
avoir dïectemrnt action l'un sur l'autre; il se contenta
(l'aihneltre une simple association des deisx substances, et
fit intenenir la Divinité pour expliquer leur réciprocité d'ac-
tion. Ainsi, toutes les fois que le corps reçoit une modifi-
cation. Dieu , qui à chaque instant de la durée conserve
l'existence du corps et de l'âme , prête à celle-ci son as-
sistance, et produit dans l'âme une modification corres-
pondante. Quant à l'âme , elle a action sur le corps au
moyen des esprits animaux, sur lesquels elle a pouvoir, d
qui sont ses agents pour faire exécuter au corps les mou-
vements qu'elle a pensés. On a condamné justement cette
hypothèse sti'rile de l'assistance divine; car c'est un moyen
fort peu philosopiiique d'expliquer ce qu'on ne comprend
l)oint , et qu'on pourrait employer à chaque difficulté qui se
présenterait , ce qui ne ferait point avancer la science.
AME
4 Sa
Celte teiulance de Descaites à Hùre participer directe-
ment la Divinité à nos actes fut fatale à Malebranche, qui
ne s'en tint pas au spiritualisme, et ne crut pouvoir expli-
quer les nïvstères de 1 ame humaine sans recourir à une
sorte de panthéisme, qui, j'aime à le croire, n'étiiit pas
dans sa pensée. Puisque les êtres créés sont bornés, dit-il ,
et qu'ils ne contiennent pas tous les (Mres connnc Dieu ,
que cependant l'Ame humaine peut arriver à la connais-
sance d'une infinité d'êtres et môme de l'Être infini, ce n'est
pas en elle qu'elle les voit , puisqu'ils n'y sont pas ; ce ne
peut être qu'en Dieu , qui est si étroitement uni à nos âmes
par sa présence, qu'on peut dire qu'il est le lien des esprits,
comme l'espace est le lien des corps. Ainsi , selon Male-
branche , nos idées , nos connaissances ne sont point le
propre de l'àme , mais elles appartiennent à Dieu , qui nous
en fait part parce que nous sommes en lui. C'est donc Dieu
qui pense en nous , et voilà la pensée divine tout douce-
ment substituée à la pensée humaine. De même pour l'ac-
tivité : Dieu est l'auteur de tous nos mouvements , c'est lui
qui agit en nous ; car les créatures n'ont par elles-mêmes
aucune force ; toute force réside en Dieu. C'est Dieu évi-
demment qui nous meut vers le bien général ; et quand
notre mouvement est dirigé vers un bien particulier, ce
en quoi consiste toute la liberté , selon Malebranche , ce
mouvement n'en est pas un à proprement parler : c'est
l'âme qui se repose et s'arrête en chenùn. D'ailleurs, puis-
que l'âme ne possède pas de force qui lui soit propre, quand
la force empruntée qui l'anime vient à interrompre son
mouvement vers le bien général, comment attribuer à
l'homme cette interruption , à moins de lui accorder en
même temps une force propre, capable de réagir sur la
force qui le pousse ? Or, c'est ce que n'accorde point Male-
branche. On conçoit aisément qu'il ait adopté le système de
l'assistance divine pour expliquer la réciprocité d'action
des deux substances ; car si Dieu pense et agit en nous ,
à plus forte raison doit-il être l'auteur de cette mystérieuse
influence d'un principe sur l'autre. En effet , selon Male-
branche , le commerce de l'âme et du corps est un mira( le
continuel. C'est Dieu qui à l'occasion de certaines modi i-
cations, soit corporelles , soit spirituelles, produit des mo;]'-
fications correspondantes dans le principe opposé. Le corps
et l'âme ne sont donc que des occasions des modifications
produites, Dieu seul en est la cause : et de là le système
de l'assistance divine se transforma en celui des causes oc-
c-asionnelles. Ainsi Malebranche enchérit sur Descartes, et
refuse à l'âme toute influence sur le corps. Nous verrons que
Leibnitz a poussé les choses plus loin.
Le panthéisme de Spinosa est plus avoué que celui de
Malebranche. Les êtres créés n'étant que des modes de la
substance unique , qui est à la fois étendue et pensée , l'âme
humaine n'est qu'un mode de la substance divine en tant
que substance pensante. Mais, de même que Dieu est à la
fois l'étendue et la pensée, de même l'individualité humaine
est à la fois âme et corps , c'est-à-dire que l'âme et le corps
ne sont qu'une même chose , envisagée sous ses deux as-
pects. En effet , l'idée directe et immédiate d'une chose
individuelle est l'esprit on l'àme de cette chose , et la chose ,
comme objet direct et immédiat de cette idée , se nomme le
corps. D'où il suivrait, selon Spinosa , que l'âme n'est autre
chose que l'idée que le corps a de lui-même. Mais ici se
présentait une difficulté grave ; car il se trouve précisément
que ce qui pense dans l'homme ignore l'organisme, ou du
moins n'en a en aucune façon la connaissance directe. Ce
qui s'accorde fort mal avec la définition de Spinosa , qui
prétend que l'âme d'une chose , c'est la connaissance directe
«le cette chose. Aussi essayait-il de tourner cette <lif(iculté
en disant que l'âme peut n'avoir pas conscience de son
corps ; qu'elle en prend connaissance au moyen des qualités
que le corps reçoit des choses situées au dehors de lui , car
le corps ne pounait ni exister ni être conçu jouissant d'une
existence réelle sans ses relations réciproques avec les
choses extérieures.
Détournons les yeux de ces ridicules et misérables subti-
lités , pour les reporter sur un système qu'on peut accuser
d'exagération, mais dont on ne peut s'empêcher d'admirer la
sublime hardiesse : je veux parler des monades de Leibnitz. Il
n'evistedans l'univers, selon Leibnitz, que des forces, des
unités : il les appelle monades. Dieu, la monade des monades,
éternel, infini, un et triple, connaît seul distinctement ce
<iue les autres monades n'aperçoivent que plus ou moins con-
fusément, c'est-à-dire l'ensemble de l'univers. Au-dessous de
cette unité , qui contient toutes les perfections , existent les
monades inférieiu-es , tirées du néant par la puissance de la
monade infinie, et impérissables, ou du moins ne pouvant
cesser d'exister que par l'annihilation. Toutes sont douées de
perception , mais à des degrés différents , et sont comme des
miroirs qui réfléchissentrunivers plus ou moins obscurément.
La monade pure, l'atome, n'a qu'une perception indistincte,
sans conscience, analogue à celle qui existerait en nous
quand nous sommes dans un état de stupeur. Mais quand la
monade est douée de conscience ou de la connaissance ré-
flexive de son état intérieur, la monade est une âme comme
celle des animaux. Si à la perception et à la conscience se
joint la raison , la monade est im esprit. Dans le monde
actuel, ces monades spirituelles se trouvent toujours placées
au centre d'une agrégation de monades pures, qui constituent
le corps de cette monade centrale. Quand une agrégation
de monades pures n'a pas un centre avec lequel soient en
rapport les diverses parties de l'ensemble, el^e forme ce que
l'on appelle un corps inorganique. Leibnitz n'est point idéa-
liste , car il admet une réalité extérieure ; il tombe encore
moins dans le panthéisme, car il sépare nettement l'univers
créé du créateur. Son système est un spiritualisme outré ,
en ce qu'il prête une âme à la molécule, quoiqu'il ne se serve
pas du mot ; la perception, en effet, quelque obscure qu'elle
soit , est la perception , c'est-à-dire un fait qui ne peut être
que le mode d'une force intelligente , quel que soit le degré
de cette intelligence. Cette monade pxire est-elle étendue ou
ne l'est-elle pas? Si elle est étendue, elle ne peut réunir
plusieurs perceptions , et d'ailleurs elle n'est plus monade ;
si elle n'est pas étendue, comment expliquer la matière?
comment concevoir qu'une réunion de substances inétendues
puisse fermer de l'étendue? L'hypothèse des monades pures
me parait donc insuffisante pour expliquer la matière. Mais
elle est beaucoup plus inoffensive que celle que tenta Leibnitz
pour expliquer le commerce de l'âme et du corps : je veux
parler de l'hypothèse de l'harmonie préétablie , qui ruine la
liberté. Comment supposer en effet que Dieu ait créé à l'a-
vance toutes les âmes avec toutes leurs déterminations, tous
leurs actes, pour les mettre en harmonie avec les corps, dont
il a déterminé aussi tous les mouvements? comment, dis-je,
faire une telle supposition sans voir que la suite de nos dé-
terminations étant ainsi préétablie , il n'y a plus de liberté
pour l'homme? On ne conçoit pas ce qui a pu faire adopter
à Leibnitz cette hypothèse, quand il trouvait dans son pro-
pre système une explication beaucoup plus favorable du com-
merce de l'âme et du corps. Où gît en effet la difficulté du
problème? Dans l'opposition de nature des deux substan-
ces. Mais précisément Leibnitz n'admet pas cette opposition
dénature, et la monade pure ne dilTère à ses yeux de la
monade pensante que par ledegré de clarté dans la perception,
mais non par son essence. Leibnitz avait donc trouvé (son
hypothèse des monades admise) la seule solution possible
du problème; et il est encore moins excusable d'avoir eu
recours à une supposition qui porte atteinte au fait sacré de
la liberté humaine.
Nous aurions encore à citer ici un autre abus du spiri-
tualisme, l'animisme, qui consiste à regarder l'âme non-
seulement comme le principe (lu sentiment et de la pensée ,
mais encore comme la force (pii préside aux fonctions de
456
AME — AMÉDÉE
tous les organes ; ce qui revient à substituer l'âme à la force
organique , à l'inverse des matérialistes , qui substituent la
force organique à l'ûme.
Nous ne rappellerons pas les doctrines des matérialistes
modernes , que nous avons suffisamment fait connaître en
lélutant leurs objections dans la première partie de cet ar-
ticle ; mais nous ne terminerons point cet aperçu sans men-
tionner une doctrine qui , sans Ctre neuve , a été nouvelle-
ment émise, et qui s'appuie de l'autorité de quelques graves
penseurs. On peut lire dans un ouvrage de M. BordasDe-
moulin , couronné par l'Académie : « La physiologie sera
« contrainte d'avouer que la pensée revient à une substance
« différente du corps ; et la philosophie , que la nutrition et
« la sensation reviennent à une substance différente de l'es-
« prit. Connaître, raisonner, se résoudre librement, est aussi
" étranger à l'organisme, que digérer, sécréter, imaginer
« l'est au moi ; » et plus loin : « Descartes croit que sentir
« et imaginer appartiennent à l'âme, parce qu'ils se rencon-
« trent en elle, comme entendre et vouloir : ils s'y rencon-
" trent en effet, en tant qu'elle en prend connaissance ; mais
<i la preutu qu'ils n'ont point leur siège dans l'àme, c'est
« qu'ils se montrent hors d'elle dans les songes , pendant
n que sa puissance de comprendre et de vouloir est sus-
ci pendue. » L'auteur s'appuie d'un passage de Maine de
Biran qui contient en effet la même opinion. M. P. Leroux ,
de son côté , a soutenu que la mémoire peut être le fait du
corps. On voit que celte doctrine n'est autre chose que
l'âme sensitive d'Aristote; c'est une sorte de compromis
entre le matérialisme et le spiritualisme. Accordez-moi la
raison et la liberté , et je vous accorde la sensation et l'i-
magination. C'est l'idéal de l'éclectisme. Nous ne saurions
donner à notre réponse tout le développement qu'elle semble
comporter sans excéder les bornes qui nous sont pres-
crites. Nous dirons seulement que d'abord cette opinion n'est
et ne sera jamais qu'une hypothèse; car conunent savoir
que le coi-ps sent et imagine ? Aucun fait ne peut autoriser
cette induction , et il serait tout aussi difficile d'expliquer
comment , à la suite des faits de relation , des sensations ou
des perceptions , quelque confuses quelles soient, se pro-
duisent dans le cerceau , qu'il est difficile de l'expliquer
pour l'âme. Mais de plus , les données les plus simples de
l'observation interne détruisent cette hypothèse. C'est évi-
demment le moi qui souffre et qui jouit; il ne fait pas que
prendre connaissance de la douleur ou de la jouissance.
Autrement , quand mon corps est malade , je saurais qu'il
souffre , je ne souffrirais pas moi-même. En outre , de ce
que je souffre à l'occasion du désordre qui trouble mon orga-
nisme, il ne s'ensuit pas que l'organisme en souffre à ma ma-
nière; ses fonctions sont troublées, voilà tout ce que j'en sais
et ce que j'en puis savoir : il y a mieux, de graves désordres
peuvent exister dans tel ou tel organe, sans que l'àme en soit
avertie par la douleur; et quand celle-ci vient enfin annoncer le
mal, il n'est quelquefois plus temps d'y porter remède. Ainsi,
non-seulement c'est l'âme seule qui sent , en tant que par
sentir on entend éprouver du plaisir ou de la douleur;
mais l'âme ne sait môme pas ce qu'éprouve le corps , ce
qui se passe dans l'organisme, à plus forte raison si la
force organique souffre ou jouit comme elle. Que dirai-je
des passions ? Ne serait-il pas étrange de les attribuer à un
autre sujet qu'à l'âme? Si ce n'était pas l'âme qui sentit
leurs aiguillons, qui espérât jOMJr de l'objet désiré, d'où
lui viendrait cette ardeur à se porter vers cet objet ? Mel-
trait-elle un pareil empressement à faire seulement les af-
faires du corps? Puis, si vous vouliez retirer à l'àme le
pouvoir de sentir à l'occasion des modifications organiques,
il faudrait lui retirer aussi toute autre espèce de sentiments :
car le sentir est un ; il ne varie que d'intensité ou de durée,
selon la cause qui l'excite. La joie qui transportait Archi-
mède après la solution d'un problème n'était pas née à la
suite d'une modification organique ; elle était néanmoins
un plaisir. Pourquoi donc accorderait-on à l'àme tel senti-
ment, et lui refuserait-on tel autre, quand la conscience
nous atteste que c'est l'àme qui les éprouve tous et que
tous ces sentiments sont en outre réunis par une évidente
homogénéité ? Quant au pouvoir d'imaginer, c'est-à-dire de
se représenter , de concevoir quelque chose , n'est-ce pas
également à l'àme qu'il appartient? Je vois ou je conçois
deux arbres , et en même temps je juge qu'ils sont égaux
ou inégaux : dira-t-on que c'est le corps qui imagine les
arbres, et l'àme qui perçoit seulement le rapport entre eux ?
Mais si l'àme ne percevait elle-même les termes, comment
pourrait-elle percevoir le rapport? Elle perçoit les termes,
dira-t-on, puisqu'elle prend connaissance de ce que le corps
a imaginé. A quoi bon alors l'hypothèse du corps qui ima-
gine , quand surtout elle n'est appuyée sur rien ? Je me
trompe : on a parlé des songes. Mais est-ce donc au corps
qu'il faut attribuer les songes , puisqu'ils ne sont qu'une
reproduction confuse des perceptions de la veille ? Et com-
ment l'àme se rappellerait-elle les songes , si ce n'était pas
dans son sein qu'ils se passent ? Les facultés les plus im-
portantes , il est vrai , sont comme engourdies pendant le
sommeil , mais il est faux de dire qu'elles ne s'exercent
plus. Qui n'a entendu des personnes rêver, comme on le
dit, tout haut? Or, leurs discours n'accusent-ils pas l'exer-
cice du raisonnement.^ Reconnaissons donc comme appar-
tenant à l'âme tout ce que la conscience saisit, tout ce
qu'elle embrasse dans sa puissante et incontestable unité.
Croyons aux dépositions de ce témoin infaillible, et dans
toutes les questions de son ressort ne rejetons pas les déci-
sions souveraines de cet arbitre, sous peine d'être en désac-
cord avec l'évidence et le genre humain. Ç.-M. Paffe.
ÂME ( Maladies , Médecine de I' ), MÉDECINE PSY-
CHIQUE , PSYCHLATRIE. Si le corps a ses affections ,
l'âme peut avoir aussi ses dérangements. Les anciens re-
gardaient la philosophie comme le véritable remède de
l'àme. Son but doit être, en effet, de lui procurer cet état de
paix qui par analogie constitue sa santé. — Dans ces der-
niers temps on a compris sous le nom de maladies de
l'âme les aliénations mentales, et on a fait une
branche spéciale de l'art de guérir de la médecine à appli-
quer à ces maladies. Les affections cérébrales aemandent
effectivement une médication particulière. — On pourrait
encore appeler maladies de l'àme ces affections qui semblent
n'avoir aucun rapport avec nos organes, comme le chagrin,
l'ennui , etc., et qui , sans dégénérer en folie , peuvent con-
duire à la désorganisation de notre être, par la consomption,
la phtliisie , etc.
ÂME DES BÊTES. Voyez Bêtes (Ame dec).
AIME (Grandeur d'). Voyez Grandei;r d'ame.
Â!\1E (Musique). C'est le nom d'un petit cylindre de bois
placé entre la table et le fond d'un instrument à cordes pour
faire communiquer les vibrations de ces parties et les main-
tenir toujours à la même élévation. La beauté des sons dé-
pend en grande partie de la manière dont /'«/«cest placée.
AMÉDÉE. La maison de Savoie compte neuf princes
de ce nom :
AMÉDÉE F"", fils d'Humbert aux Blanches Mains, mort
vers 1060, est nommé dans les diplômes comte de Maurienne.
AMÉDÉE II, neveu d'Amédée 1", était fils d'Odon, qui
avait épousé Adélaïde, héritière des marquis de Suze. Il
augmenta considérablement ses possessions de Savoie en y
joignant l'héritage de sa mère, qui comprenait presque tout
le Piémont. On le fait régner de 1060 à 1072.
AMÉDÉE III, premier comte de Savoie ( 1103 — 1148).
Ce fut l'empereur Henri V qui l'éleva à la dignité de comte
de l'empire. L'aînée de ses sœurs, Adélaïde, épousa le roi
de France Louis le Gros. L'an 1146 il prit la croix dans
un voyage qu'il fit à Metz , et l'année suivante il |)artil
avec le roi pour la Terre Sainte, où son aveugle témérité
AMÉDÉE — AMÉLIE
raillit causer la ilcstruction do TaniuV. A son rcloiir en Eu-
rope, ayant abordé à Mcosie en Chypre, il y mourut, le
1" avril 114S.
AMtnÉE IV ( 1233—1253). En ménageant le pape In-
nocent IV et en s'efforçant de le réconcilier avec l'empereur,
il resta fidèle à Frédéric II , qui par reconnaissance érigea
le pays de Chablais et d'Aoste en duché, et nomma Amédéc
vicaire de l'empire en Lombardie et en Piémont.
AMÉDtE V, dit le Grand ( 12S5 — 1323), fut un prince
lellement belliqueux , qu'au dire de quelques écrivains il
lit jusqu'à trente-deux sièges. 11 prit parti pour les Gibelins
dans leiu- lutte contre les Guelfes, .\nssi l'empereur Henri VII
lui donna-t-ill'investiturc du comté de Savoie, des duchés
de Chablais et d'.Voste, de plusieurs autres seigneuries , et
le créa-t-il, lui et ses successeurs, princes de l'empire, l/an
1315 Amédée vole au secours dos chevaliers de Saint-Jean
de Jérusalem, délivre l'ilc de Rhodes et force les Turcs à se
retirer. Ce fut, dit-on, en mémoire de cette expédition
qu'aux aigles que ses prédécesseurs avaient toujours portées
dans leurs armoiries il substitua l'écusson des Hospitaliers
de Saint-Jean. Le roi de France Louis X étant mort sans
laisser d'enfants, mais seulement la reine enceinte, Amédée
conseilla à Philippe le Long, frère du monarque, de s'emparer
de l'autorité , sans plus attendre. Philippe, devenu roi, re-
connut cet avis en donnant au comte de Savoie la terre de
Maulevrier, en >'ormandie.
AMÉDÉE VI, dit le Comte Verd, du vêtement avec le-
quel il parut dans les joutes brillantes données par lui en
134S (1343 — 1383 ), cherchant à s'étendre dans le Piémont,
acquit de la France les seigneuries de Faucigny et de Gex.
Il fut un auxiliaire utile pour son parent Jean Paléologue ,
empereur de Constantinople , devint l'arbitre des diffé-
rends qui divisaient l'Italie, et en 1382, par un traité con-
clu avec Louis d'Anjou, obtint qu'il lui abandonnerait le
Piémont. De son mariage avec Bonne de Bourbon , il ne
laissa qu'un fds, qui suit :
AMÉDÉE VII , dit le Bouge, à cause de la couleur de
ses cheveux ( 1383 — 1391 ), se distingUiû en F'iandre, sous
les drapeaux de la France, et agrandit ses États par l'ad-
jonction des villes de Barcclonnette, de Vintimille et de Nice.
AMÉDÉE VIII, dit le Pacifique, fils du précédent et
premier duc de Savoie ( 1391—1451 ), fit en 1401 l'acqui-
sition du comté de Genevois, qui lui fut cédé par Odon ou
Otton, sire de Villars. En 1417 l'empereur Sigismond, étant
à Montluel, érigea la Savoie en duché. L'année suivante
Ainédée succéda à Louis de Savoie, comte de Piémont, dé-
cédé sans enfants, et se fit céder en 1419, par la mère et
tutrice de Louis III d'Anjou, roi de Naples, la ville de Nice,
qui s'était déjà donnée à lui, Villefranche et toute cette côte
de la mer. —Veuf depuis Tan 1428, et dégoûté du monde,
il se retira, en 1438, au prieuré de Ripaille, qu'il avait
fondé près de Thonon, et qu'il rendit fameux par sa vie
voluptueuse. Après avoir créé l'université de Turin , il ins-
titua l'ordre àcïAnnonciade, simple réforme de celui
du Collier, établi en 1362 par le comte Amédée VI. Ayant
chargé du gouvernement son fils aîné, il prit l'habit d'ermite,
qu'il échangea contre la tiare de souverain pontife, le con-
cile de Bàle ayant jeté les yeux sur lui pour le faire pape à
la place d'Eugène IV, qu'il avait déposé. Amédée, après une
longue hésitation, accepta cette dignité, et prit le nom de
Félix V; mai ayant lutté neuf ans contre son compétiteur
Eugène, il abdiqua en 1440, et retourna dans sa solitude.
Ce pape déchu mourut le 7 janvier 1451 à Genève.
AMÉDÉE IX, dit le Bienheureux ( 14G5— 1472 ). La fai-
bles e de sa complexion le força de remettre la régence de
ses États à la duchesse Yolande, son épouse, fille du roi
Charles VII ; ce qui excita la jalousie de ses frères et occa-
sionna des troubles et une guerre civile. Amédée dut son sur-
nom à sa charité envers les pauvres et à sa piélé.
AJMEILIIOAÎ ( Hubf.kt-Pascal), de l'Académie deslns-
DlCr. DE LK CONVERSATION. — T. I.
457
criptions et Belles-Lettres, conservateur de la bibliotlièque
de la ville de Paris à sa fondation , puis bibliothécaire de
l'Arsenal, naquit à Paris, le 5 août 1730, et y mourut, le 23
novembre ISU. H fut distrait de ses études par la révolu-
tion, dont il devint un zélé partisan. Quels que soient les re-
proches qu'on puisse lui adresser pour la part active qu'il
prit aux diverses commissions executives chargées d'effacer
et de détruire les emblèmes , images , inscriptions ou attri-
buts qui rappelaient la royauté, on doit lui tenir compte du
zèle qu'il apporta à protéger contre le vandalisme quelques
monuments, entre autres la Porte Saint-Denis, et à remettre
en ordre toutes les richesses bibliographiques des couvents
supprimés, dont la garde lui avait été confiée pendant la Ter-
reur. Élu, dès sa création, membre de Tlnstitut, il en sui-
vit toujours assidûment les séances, et enrichit de ses nom-
b.'-eux travaux la collection des mémoires de cette société
savante. Il concourait en môme temps très-activement à la
rédaction du Magasin Encyclopédique de Milhn. Parmi les
ouvrages non)breux qu'il a laissés, les deux plus importants
sont : {'Histoire du Commerce et de la Navigation des
Égyptiens sous le règne des Ptolémées ( Paris, 1766, in-8"),
et les derniers volumes de X Histoire du Bas-Empire de
Lebeau. Le style d'Ameilhon a moins d'éclat que celui de
Lebeau , mais il est plus conforme à la gravité historique.
Dacier a fait son éloge au nom de l'Académie des Inscrip-
tions et ^Belles-Lettres. Ch.Du Rozom.
AMELIE , reine de Prusse. Voyez Louise.
AMELIE (Anne), duchesse de Saxe-Weimar, née le
24 octobre 1739, était fille du duc Charles de Brunswick-
Wolfenbuttel. Pendant la dernière moitié du dix-huitième
siècle elle devint la reine et l'àme d'une cour qui rappelait
celle du duc de Ferrare , embellie par la présence du Tasse
et d'Arioste. Seule elle accorda aux savants , aux littéra-
teurs, aux artistes, une protection qu'ils cherchaient en
vain auprès des autres souverains d'Allemagne. Elle fit
plus : veuve, en 1758, à l'âge de dix-neuf ans, après deux
ans de mariage, du duc Ernesl-Auguste-Constantin, elle sut,
par une sage administration , effacer les traces de la guerre
de Sept Ans, épargner des sommes considérables sans oppri-
mer le peuple, et le garantir de la famine qui désola la
Saxe en 1773. Ayant pourvu à ces besoins urgents, elle
fonda de nouveaux établissements d'instruction publique,
et perfectionna ceux qui existaient. Elle nomma Wieland
gouverneur de son fils , depuis grand-duc , et attira à Wei-
mar les hommes les plus distingués de l'Allemagne, Herder,
Goethe, Seckendorf, Knebel, Bœttiger, Bode et Musœus.
Schiller n'y pamt que dans les dernières années. Ce qui
prouve que c'étaient plus les rares qualité.0 d'esprit et de
cœur de cette princesse que son rang et sa puissance qui
avaient rassemblé à Weimar plus d'b.ommes de mérite
qu'on n'en eût pu trouver réunis dans .•>.ucun grand État con-
temporain, c'est que cette société d'élite lui resta fidèle alors
même qu'elle eut remis, en 1775, le gouvernement entre les
mains de son fils. Son château de Weimar, et ses maisons
de plaisance de Tieffurth et d'Ettersbourg, furent constam-
ment autant de lieux de rendez-vous pour tous les savants
et tous les voyageurs de mérite. Un séjour qu'elle fit avec
Girthe en Italie augmenta encore son goût pour les arts.
Mais la bataille d'Iéna (14 octobre 1806) vint briser son
cœur, et elle mourut six mois après, le 10 avril 1S07.
AMÉLIE, reine de Grèce. Voyez Othon l" et Grèce.
AMÉLIE (Marie-Prédérique-Acgcste), duchesse de
Saxe, sœur aînée des rois de Saxe Frédéric-Auguste II et
Jean, est née le 10 août 1794. Elle reçut une éducation
brillante, et accompagna son oncle Antoine et son père,
le duc Maxirailien, dans plusieurs voyages en Italie, en
France et en Espagne. En 1829 elle composa, sous le
pseudonyme à' Amélie Heyler, une pièce de théâtre intitu-
lée le Jour du Couronnement, et en 1830 une seconde,
pièce, ayant pour titre Mcsrou. Ces deux ouvrages en vers.
458
AMELIE — AMENAGEMENT
et dont le lieu de la scène est en Orient , appartii'nncnt com-
plètement au genre fantastique , et furent représentés avec
succès sur le théâtre de la cour à Dresde. En 1833 elle
adressa au théâtre de la cour , à Berlin , la comédie de
Mensonge et Vérité , sans que personne put soupçonner
quels étaient le nom et la position sociale de l'auteur. Re-
présentée, à l'occasion de la fètc du roi de Prusse, sur le
théâtre de la cour , cette pièce obtint devant le public d'é-
lite rassemblé pour cette représentation de légitimes applau-
dissements. Un succès plus brillant encore était réservé à
la comédie de l'Oncle , qui ne tarda pas à être jouée sur
tous les théâtres de l'Allemagne. La Fiancée du Prince,
VHôte, l'Anneaude Mariage , le Cousin Henri , le Beau-
Père, la Demoiselle de Campagne, V Héritier du Majo-
rât , etc., sont autant de drames et de comédies du môme
auteur , que la faveur publique accueillit partout où on les
représenta. Dans ces pièces , qui , à peu d'exceptions près ,
ont pour but de peindre les mœurs bourgeoises , la prin-
cesse Amélie de Saxe a fait preuve d'une rare entente de
la scène , d'une profonde connaissance du cœur humain ,
d'une tendance morale qui devient de plus en plus étrangère
aux auteurs dramatiques , de beaucoup d'esprit et de cha-
leur de cœur; on regrette seulement de ne pas y voir do-
miner davantage l'élément comique. L'auteur invente et dis-
pose son sujet avec autant de bon sens que de simplicité ; le
plus souvent son but est de nous montrer le triomplie d'une
nature pure , mais inculte , peut-être mêm:' sauvage , sur
les brillants dehors que donne une éducation mondaine , et
sur les prétentions de l'orgueil aristocratique. Sans re-
chercher le pathétique et les scènes déchirantes, la prin-
cesse Amélie sait plaire et toucher; elle cherche plutôt à
peindre les caractères de ses personnages quà éblouir l'au-
dftoire par de brillantes et vaines déclamations. — Le
théâtre de la princesse Amélie a été publié à Dresde, au
profit d'une association de charité, sous le titre û''Essais
originaux pour la scène allemande. M. Pitre-Chevalier
a traduit en français une partie des pièces de la princesse
Amélie; d'autres ont été imitées et transportées sur nos
scènes de tliéâtre. On assure qu'elle est aussi auteur d'un
certain nombre de morceaux de musique sacrée et de
partitions d'opéra qui ont été exécutés dans le corde in-
time de la famille royale de Saxe. Une maladie des yeux
ayant atteint la princesse Amélie, elle a dû subir en 1855
une oiiération qui lu a heureusement rendu la vue. *
AMELOT DE LA IlOUSSAYE ( AcuuiAM-Niro-
LAs), né à Orléans, en lévrier 1(534 , fut cl'abord , en IGG'J,
secrétaire de légation du président Saint-André , ambassa-
deur de France a Venise, et habita avec lui quelque temps
cette ville. Il se consacra ensuite à l'étude de la politique,
de rhi<;toire, de la morale, de la philosophie, et passa une
grande partie de sa vie à composer des ouvrages et à faire
des traductions; ce qui ne l'aurait pas euq^èché de mourir
de faim si la main d'un abbé de ses amis ne filt souvent
venue à son secours. Il s'éteignit malheureux à Paris, le
8 décembre 170G. j\melota traduit, entre autres ouvrages, le
P/j«ce, de Machiavel, avec des notes, 1683 et 1GS6, m-l?.; et
pour justifier l'auteur il prétend que son œuvre n'est qu'une
satire dirigée contre la politique italienne du temps ; VHis-
toire de Venise, de Marc VeUèrus, avec des notes, 1705,
3 vol. in-1?, , publication qui devint l'objet de réclamations
fort vives de la part du sénat de Venise, et fit, dit-on, enfer-
mer l'auteur à la Bastille; V Histoire du Concile de Trente,
de fra Paolo Sarpi, version française peu fidèle, publiée sous
le pseudonyme de La Mothe Josseval ; les Annaies de Tacite,
avec des notes, 1G92 et 1735, 10 vol. in-12 :les quatre pre-
miers seuls, les meilleurs, sont de lui. 11 a composé en outre
une Histoire de Guillaume de Aassau, 175'i, 2 vol. in-n,
publié' après sa mort, et laissé des Mémoires historiques ,
politiques, critiques cl littéraires, 1722, 1737, 1742, 3 vol.
iu-12. Le père Niceron conteste qu'il soit l'auleiu- de ce
dernier livre posthume, confus, incohérent, plein d'erreurs,
disposé par ordre alphabétique, et n'arrivant pas au milieu
de l'alphabet. Quoi qu'il en soit, Amelot ne mérite pas l'ou-
bli dans lequel il est tombé de nos jours. Son style est dur
sans doute, mais l'exactitude de sa narration et la solidité
de son jugement font aisément passer sur ce défaut.
AMELUNGS. Voyez Am.\les.
AMEN, mot hébreu qui exprime une affirmation , telle
que : oui , assurément , vraiment, et qui a passé du lan-
gage religieux des juifs dans celui des chrétiens. Les juifs,
dans leurs synagogues , confirment par ce mot la bénédiction
prononcée à la fin de la cérémonie religieuse. Dans la réu-
nion des premiers chrétiens aussi, l'assemblée terminait
avec cette formule la prière récitée par le plus ancien de la
communauté ou l'instituteur. Encore aujourd'hui on clôt
les prières et les sermons par ce mot.
AMÉ.\AGEMEIVT. Dans la sylviculture, ce mot dé-
signe l'ordre et l'usage adopté par un propriétiire de forêts
pour la coupe des bois, taillis, baliveaux et futaies. L'amé-
nagement des bois est sans contredit la partie la plus dif-
ficile et la plus importante de la science forestière. Une mul-
titude de considérations doivent guider dans l'établissement
d'un aménagement. 11 faut en effet reconnaître la .situation
de la forêt, la constitution du sol, les essences dominantes,
leur âge, leur croissance , leur durée , celles dont il convient
de favoriser la multiplication par rapport au terrain, à la
consommation du pays, aux industries locales et aux cons-
tructions de tous genres; la distance des ports de mer, des
routes , canaux et rivières (lottabics et navigables , et les dé-
bouchés que l'on peut établir. On doit, en outre, s'assurer de
rinfluence que peut avoir la forêt sur la salubrité générale et
le régime des cours d'eau.
L'aménagement consiste à reconnaître les cantons qu'on
peut laisser croître en futaie, ceux qui ne conviennent qu'aux
taillis, et les coupes autour desquelles il serait avantageux
de conserver des bordures ; l'âge auquel il convient de régler
la coupe des uns et des autres , pour en obtenir le degré
d'accroissement convenable et le plus haut prix du bois. En
principe, le meilleur aménagement est celui qui, sans diminuer
les ressources futures, satisfait aux besoins actuels en même
temps qu'il procure aux propriétaires le revenu le plus élevé.
Le point le plus important est de reconnaître l'âge où les bois
atteignent leur maximum de maturité. Pour déterminer
avec précision la valeur de chaque pousse annuelle , on a
pris le parti de peser chacune de ces pousses, et l'on a trouvé
qu'elles suivaient une échelle ascendante , suivant le carré
du diamètre des tiges. Mais ce moyen nécessitant un abat-
tage et offrant beaucoup de difficultés , Depertuis trouva plus
expédient de prendre pour base la longueur des jets de cha-
que année. Il divisa les bois en cinq classes , en commençant
par les mauvais .sols , qui ne produisent, en quinze ou vingt
ans, qu'un taillis de six à neuf pieds, et il conseilla de le
couper à cet âge , où il cesse de croître. Quant aux sols qui
à vingt-cinc| ans produisent des taillis de quarante «à cin-
quante pieds , et qui croissent encore , il conseilla de le.s
couper à quarante ou cinquante ans. Le terme moyen entre
les deux extrêmes est de vingt-cinq à trente ans: c'est à cet
âge qu'on devrait exploiter les bois de première qualité, et
en conséquence celui qui possède un taillis de mille hectares
ne devrait couper chaque année que trente-trois ou qua-
rante hectares. Comme il est prouvé que de vingt à trente
le bois donne un produit double de celui qu'il a acquis du-
rant les vingt premières années , on est assuré de trouver
pour un taillis de trente ans un prix double de celui qu'on
obtiendrait à vingt.
L'ordonnance de IGG!) prescrivit aux particuliers d'ob-
server dans la coupe de leurs bois un certain aménagement ;
ainsi ils étaient obligés de réserver par ai-pent une certaine
quantité de baliveaux; mais le nouveau Code Forcstiern'a
pas renouvelé ces prescriptions , et chacun est libre mainte-
nant do suin-e pour ses coupes l'onlie et les usages qui lui
conyionnont. Les bois de l'Etat et les bois drs caunmuus
sont seuls soumis d'après ce Code à la nôcessiti' d'un ann-no-
genieiit régi»? par des décrets Impériaux . L'e\ ploil.dion se fait :
1° en jardinant, c'est-à-dire en enlevant les arbres qui dé-
|H.'rissent ; 2° par zones, dans lesquelles on abat tous les
arbres, sauf quelques porte-graines; 3" à blanc ou à coupe
pleine, avec repeuplement artilîciel ; i° par la méthode aile-
mande, qui n'est autre que le rt^ensemencement naturel des
forêts. Elle consiste à exploiter delinitivement une forêt que
l'on a laissée croître en futaie, après une durée qui varie de
cent à deux cents ans , suivant l'essence , la nature du sol,
ou le climat. On établit dins les forets une coupe qui reçoit
le nom de coupe sombre ; elle consiste à disposer les réser-
ves sur le sol de telle sorte qu'on obtienne la régénération
parfaite de la forêt par semences. Cette régénération ob-
tenue, on éclaircit la réserve, afin de faciliter la croissance
des jeunes plants. La coup;^' faite dans ce but porte le nom de
coupe secondaire. Enfin, lorsque la jeune forêt s'est déve-
loppée , on. la découvre absolument par l'extraction des fu-
taies restantes. Cette opération porte le nom de coupe défi-
nitive. La forêt ainsi régénérée et livrée à elle-même offi'e
alors ce que l'on appelle en langage forestier l'état de fourré.
Vingt ans après on commence à pratiquer des éclaircies pé-
riodiques, qui consistent à extrairli; les brins rabougris, traî-
nant sur le sol , parasites en un mot ; opération qui a pour
but de concentrer les sucs nourriciers et de préparer l'état
des futaies ; elle se renouvelle de vingt en vingt ans jusqu'au
terme de l'exploitation.
L'aménagement des bois a été établi pour régulariser les
revenus ammels : aussi le Code Civil, art. 390, ordonne-t-il
à l'usufruitier de se conformer à l'aménagement réglé par le
propriétaire. La même injonction est faite au mari pour la
coupe des bois de sa femme pendant la communauté.
AMÉNAGEMENT (Droit féodal). V. BiensCommlnaux.
AMENDE (du latin e»ie«c/are, corriger), peine pécu-
niaire imposée par la loi à raison d'un crime, d'un délit ou
d'une contravention, et qui fut en usage dès les temps les
plus reculés, et souvent excessive cliez les Grecs et les Ro-
mains. Miltiade mourut en prison faute d'avoir pu actpiitter
l'amende énorme qui l'avait frappé. Les peines pécu-
niaires ctaieut à proprement parler le seul mode de pénalité
connu des nations germaniques. Tous les crimes ft les délits
--j rachetaient par une composition proportionnée à l'im-
portance des faits et à la personne de l'offenseur et de l'of-
fensé. Le plus souvent le tiers de la composition demeurait,
sous le nom de fredum, à l'autorité qui avait rétabli la paix.
Telle est sans doute l'origine de l'amende dans notre
législation. L'ancien droit français ne se fit pas faute de
multiplier les amendes ; et dans le dernier état de la juris-
l)rudence, en 1789 , on distinguait deux grandes classes d'a-
mendes : celles qui étaient fixées par ordonnance , celles
qui étaient arbitraires. Les premières étaient particulière-
ment celles qui concernaient les délits commis dans les forêts,
à la pèche , à la chasse ; celles qui punissaient les plaideurs
acharnés lorsqu'ils se pourvoyaient en appel par requête
civile ou autrement ; celles encourues pour contraventions
aux règlements concernant l'administration et la régie des
fermes, etc. Elles appartenaient tantôt au roi, tantôt au
fermier général ; quelquefois elles recevaient d'autres desti-
nations. Les amendes arbitraires étaient celles que pronon-
çaient les juges, tant en matière civile (pi'en matière criminelle,
et dont ils fixaient à leur gré le montant. Ces amendes ,
profits accessoires de la justice, faisaient partie du domaine
et appartenaient au roi dans toutes les cours et juridictions.
On distinguait encore les amendes de police , dont partie
scnait à rémunérer les employés de ce service public ; les
amendes pour contraventions aux règlements des manufac-
tures, dont partie était distraite au profit des inspecteurs de
ces manufactures, et partie au profit des hôpitaux.
AMÉNAGE^^ENT — AMENDE 4ô9
.\vijourd'hui les amendes sont prononcées , tantôt seules
tantôt accessoircmi'ut à une peine plus grave. Sous h Code
pénal de 1791 , il ne pouvait être prononcé d'amende pour
crime emportant peine afflictive ou infamante; mais cette dis-
position a (té abrogi'e. Il n'y a plus d'amendes arbitraires; la
ipiutit(' en est maintenant réglée par la loi , sans autre lati-
tude que celle du maximum et du minimum. Cependant elles
sont dans certains cas proportionnelles au dommage causé.
De ce que les amendes sont considérées comme des peines,
il résulte qu'il n'appartient pas aux tribunaux d'en faire la
remise ni d'ordonner que le produit d'une amende sera
consacré en tout ou en partie aux pauvres d'une commune ;
car c'est au chef de l'État qu'il appartient de faire remi^o
d'une peine , et la loi seule peut ordonner la destination des
différents produits du domaine national. Néanmoins la loi
accorde parfois une partie de l'amende aux communes où
le délit a été commis. Il résulte aussi de leur caractère de
pénalité que les amendes sont personnelles, et qu'elles s'étei-
gnent au décès du condamné , sans que ses héritiers aient la
charge de les payer. Il en résulte encore que la responsa-
bilité civile des pères et des maîtres ne s'étend pas à la con-
damnation à l'amende prononcée contre leurs enfants ou
domestiques.
L'amende n'est pas toujours une peine ; on en prononce
en matière civile, dans divers cas : par exemple, contre ceux
qui avant d'entamer un procès refusent de se présenter en
conciliation devant le juge de paix ; contre ceux qui, après
avoir été condamnés par un premier jugement, en demandent
la révision par appel, tierce-opposition, requête civile, .re-
cours en cassation : si l'appel est admis on restitue l'amende.
Cependant l'amende a le caractère d'une peine, même dans
certaines matières spéciales, telles qu'en matière de pêche,
en matière forestière, en matière de loteries clandestines.
La cour de cassation a jugé aussi en principe que les amendes
pour contraventions aux lois fiscales avaient le caractère
de peines comme dans toute autre matière ; toutefois, en
matière de douanes et de contributions indirectes, on les
considère plutôt comme mesures civiles.
Les amendes ne produisent pas d'intérêts. Lorsqi'il y a
concurrence de l'amende avec des restitutions et des dom-
mages-intérêts, ces dernières condamnations sont prélevées
les premières sur les biens du condamné. Tous ceux qui
sont condamnés pour un même crime ou pour un même délit
sont tenus solidairement des amendes.
Les amendes sont recouvrées par les soins de l'adminis-
tration de l'enregistrement, par voie de contrainte par corps ;
et en cas d'insolvabilité, elles sont remplacées par un em-
prisonnement d'un an s'il s'agit d'un crime , de six mois s'il
s'agit d'un délit (Code Pénal, art. 52 et 53). En matière fo-
restière, les condamnés à l'amende ne peuvent, malgré leur
insolvabilité constatée, être mis en liberté qu'après quinze
jours lorsque les condamnations n'excèdent pas quinze
francs, qu'au bout d'un mois lorsqu'elles s'élèvent de 15 à
50 francs, et qu'au bout de deux mois lorsqu'elles vont au
delà de cette dernière somme , quelle que soit la quotité de
ces condamnations.
Les amendes se prescrivent comme les peines corporelles,
c'e.st-à-dire par vingt ans s'il s'agit d'un crime, par cinq ans
s'il s'agit d'un délit, et par deux ans s'il s'agit d'une contra-
vention. (Coded'Instr. crim., art. G35 àG39.)
L'article 51 de la loi du 22 frimaire an vu établit que les
amendes en matière d'enregistrement seront prescrites par
deux ans lorsque les actes qui auraient donné lieu à ces
amendes auront été enregistrés sans qu'il ait été fait pen-
dant ce délai aucune poursuite pour en obtenir le payement;
mais les amendes pour contravention au droit de timbre ne
se prescrivent que par tiois ans : on sait qu'en ce cas l'a-
mende se prélève sans jugement préalable.
Les délits désignés par la loi comme punissables d'a-
mendes sont si nombreux, que la nomenclature en serait
53.
460 AMENDE —
trop longue et déplac<5e dans un ouvrage tel que celui-ci.
Nous nous contenterons d'indiquer ceux qui reviennent le
plus fréquemment dans les jugements de nos tribunaux civils
et criminels. Des amendes sont prononcées : contre les offi-
ciers de l'état civil pour contravention aux formalités à ob-
server dans la rédaction des actes de leur ressort ; contre
les conservateurs des hypothèques qui ne se sont pas con-
formés aux dispositions de la loi ; pour défaut de respect à
l'audience du juge de paix; contre les huissiers, greffiers,
notaires en contravention ; pour contravention aux lois de
douanes ; pour délit de presse ; pour défaut de signature dans
les journaux ; pour contravention aux lois sur le timbre ;
pour défaut du nom de l'imprimeur; pour outrages à la mo-
rale publique et à la religion ; pour offense envers la per-
sonne du chef de l'État; pour émission de fausse monnaie;
pour concussions commises parles fonctionnaires publics ;
contre l'usure ; pour délit de chasse et contravention au
port d'armes; pour délit de pêche; contre les jurés qui re-
fusent de siéger ; contre les témoins défaillants devant lis
juges, etc.
Le minimum des amendes pour de simples contraventions
de police est d'un franc; le maximum ne peut excéder
quinze francs. Le minimum des autres amcndus est de seize
francs ; le maximum peut être porté à vingt mille francs, et
même à plus.
Des amendes ruineuses ont été quelquefois prononcées
contre la presse.
Comme mode de pénalité, les amendes présentent certains
avantages : elles n'enlèvent pas le condamné à ses affaires,
à sa famille; elles ne le mettent pas en contact avec des cri-
minels dangereux. ISIais , poiu- que cette pénalité soit juste ,
l'amende doit être proportionnée aux moyens du coupable :
aussi en Angleterre l'amende est-elle le plus souvent arbi-
traire. D'un autre côté, l'effet moral des peines pécuniaires
est trop souvent nul.
iVMEXDE OOXORABLE. C'était une punition infa-
mante , une espèce de réparation publique, particulièrement
usitée en France, et à laquelle on condamnait non-seulement
les crùninels delèse-majesté , mais encore ceux qui s'é-
taient rendus coupables d'un scandale public , tels que les
séditieux , les sacrilèges , les faussaires , les banqueroutiers
frauduleux , les calonmiateurs , les usuriers , les blasphéma-
tairs , etc. Sous les rois de la première race , tout individu
convaincu de quelque crime considérable était condamné à
parcourir une certaine distance nu , en chemise , portant i:n
ciiien ou une selle de cheval sur les épaules. C'est là, dit-on,
l'origine de la coutume de faire amende honorable en che-
mise, avec quelque marque ignominieuse.
On distinguait deux sortes d'canciides honorables : Tune
simple ou sèche, l'autre in fujuris. La première était une
réparation imposée à celui qui avait fait ou dit quelque chose
contre l'honneur d'une personne. Le condamné devait dire
dans la chambre du conseil, tète nue, à genoux, et sans au-
cune marque d'ignominie, qu'il <■ avait faussement dit ou fait
quelque chose contre l'aiitorilé du roi ou contre Thonneur
de quelqu'un ; ce dont il demandait pardon à Dieu, au roi et
à la justice ». La formule était la même pour l'amende ho-
norable infiijuris , et les formahtés à observer différaient
peu. Le coupable était à genoux , eu chemise, la corde au
cou , une torche à la main, et conduit par le bourreau. Si ce-
lui qui devait faire amende honorable refusait d'obéir, il
pouvait être condamné à une plus forte peine, au fouet, au
pilori, aux galères, et (pielquefois même à la mort.
L'autorité ecclésiastique ne pouvait soimicttre son justi-
ciable à l'amende honorable dans un lieu public. Celait or-
dinairement dans une église. Notre histoire nous montre
deux princes forcés de subir cette humiliante punition :
Louis le Débonnaire, en 8:5:î, etlwijmond VII, comte de
Toulouse, en 1207. L'amende honorable n'était souvent ([uc
le prélude de la peine capitale ou des galères. Dans certains
AMENDEMENT
cas le condamné portait devant et derrière lui un écriteau
indiquant la nature de son crime.
Faire amende honorable à quelqu'un, c'était lui faire
une réparation publique en justice, ou en présence de per-
sonnes choisies à cet effet , des injures qu'on lui avait dites,
ou des mauvais traitements qu'on lui avait faits.
L'ordonnance de 1670, article 25, déclarait qu'après la
peine de mort l'amende honorable était une des plus rigou-
reuses punitions. Cette ordonnance la mettait au nombre des
peines afflictives. L'amende honorable a été abolie par l'ar-
ticle 35 du titre l'^"' de la première partie du Code Pénal
du 25 septembre 1791.
Pour voir de frappants exemples de la manière dont la
justice séculière appliquait la peine de l'amende honorable,
il faut plus i>articulièrement lire, dans le recueil des Causes
célèbres, les procès du faux Martin Guerre, d'Urbaift
G r a n d i e r, de la marq lise de B r i n v i 1 1 i e r s , de la belle
Épicière, de Lebrun et de Gau f ridy.
Dans la liturgie, Vamende honorable est un acte reli-
gieux consistant priucipaleinonten une prière plus ou moins
longue dans laquelle le prêtre, en son nom et en celui des
fidèles^ demande pardon à Dieu des injures faites à son nom
par les blasphémateurs et les sacrilèges. Il existe dans les
livres de piété plusieurs formules iïamende honorable.
Dans quelques égli.-cs, on fait amende honorable en cer-
taines circonstances, comme au salut qui a lieu le dernier
jour de l'année, dans l'oraison dite des Quarante-Heures,
dans les prières de la Réparation le vendre.li après l'octave
du Saint-Sacrement, etc. Cuampacnac.
A3ÎEi\'DEMEiXT ( Droit parlementaire). Ce mot s'en-
tend d'une modification proposée ou faite à un projet de loi.
Il semble que toute assemblée délibérante ait le droit incon-
testable de n'accepter qu'en parfaite connaissance de cause
les propositions qui lui sont faites, et par conséquent de les
amender, c'est-à-dire de les corriger dans les parties qui lui
semblent défectueuses. Cependant cette faculté n'a pas tou-
jours été reconnue. Nos anciens parlements étaient tenus
d'enregistrer en bloc les cdits que le monarque leur en-
voyait, et leur résistance était toujours vaincue dans un lit
de justice. L'Assemblée constituante et la Législative amen-
dèrent les premières leurs propres résolutions, c'est-à dire les
propositions de leurs membres ou de leurs commissions. La
Convention alla jusqu'à amender les dispositions même de
projets de loi tout entiers adoptés la veille. Sous la constitu-
tion directoriale de l'an III , l'initiative des résolutions ap-
partenait à chacun des conseils des Cinq cents et des An-
ciens. Ils étaient juges d'appel l'un de l'autre; mais il fal-
lait accepter en masse ou refuser sans amendement. La cons-
titution consulaire de l'an YIII établit am tout autre ordre de
choses. Les lois élaborées an sein du conseil d'État étaient
portées au Tribunal , qui nommait des orateurs pour sou-
tenir concurremment avec les orateurs du gouvernement
ou combattre le projet de loi devant le Corps législatif. Celui-
ci adoptait sans discussion. .\ la suppression du Tribunal, il
n'y eut même plus de semblant d'opposition. Cependant, vers
la fm de l'empire, le Corps législatifélait divisé en commissions
qui examinaient les projets de loi, et qui pouvaient proposer
en comité secret des amendements, (;ue l'empereur acceptait
ou rejetait à volonté. Le droit d'amendement fut ainsi res-
treint dans la Charte de 1814 : ■< Aucun amendement ne
peut êtie l'ait à une loi s'il n'a élé proposé ou consenti par
le roi, et s'il n'a élé renvoyé et discuté dans les bureaux. »
Mais les chambres ne tinrent point compte de cette restric-
tion, et ne demandèrent jamais le consentement du roi ni ne
renvoyèrent dans les bureaux les modilicalions proposées. La
Charte de 1S:50 donna le droit d'i nitiative aux chambres,
et par conséciuent le droit d'aniondement. Sous la constitu-
tion de 1848, ce droit appartenait essentiellement à l'as-
semblée; cependant son règlement exigeait certaines forma-
lités, pour éviter toute surprise on loule perte de temps.
'a^IENDEMENT — AMÉNITÉ
461
Aujoiîîd'liui le Corps T.i'iiislal'l prociVo à pou pns comm<^
au lcinii> «iii premier Knipire : aiicmi aniouileiiuMit ne peut
V ôlre adopte s'il Ji'a été acce|ité par le Conseil d'État.
Une nouvelle niodilicalion iiroposée à un aniendenienl
s'appelle sous-amcndemcnt.
l'Iusieui-s amendements sont restés célèbres; on leur a
donné le nom de leur auteur : par exemple, ceux de Mailhe
à la Convention, de 15oin sous la roMauralion, de Grévy
relatif à l'article 45 de la constitution de ISiS, de Tinguy
qui a imposé aux journalistes l'obligation de signer leurs
articles, etc.
Dans le parlement britannique, les deux chambres nom-
ment respectivement des commissaires qui s'entendent sur
la rédaction des amendements.
AMEXDEMEXT (Aghcullure). On comprend sous
ce nom toute modification apportée à la constitution intime
du sol par des mélanges, des additions, des soustractions
môme de substances minérales, dans le but de lui faire
éprouver une amélioration pfiysiquc, bien distincte de l'amé-
lioration chimique, que procurent les engrais , et de l'amé-
lioration mécanique, que l'on obtient par les labours, etc.
Il faut aussi se garder de confondre les amendements avec
les stimulants, autre classe de substances qi'.i jouent un
rôle tout différent, et n'agissent ni comme de véritables en-
grais ni comme de simples amendements.
Un mot sur la constitution ordinaire du sol arable suffira
pour faire voir les propriétés de chaque amendement et le
but qu'il atteint. Le sol est composé de silice, d'argile, de
calcaire, d'oxyde de fer et de manganèse, de différents sels,
et de débris organiques en décomposition. Il estditsi7jcez<:r,
argileux, calcaire, suivant que ces différents éléments
prédominent. L'analyse chimique du sol et celle des cendres
de végétaux qu'il produit spontanément feront connaître sa
constitution dune manière positive. On saura l'élément qui
manque à la culture de telle ou de telle plante, et il suffira
de le donner au terrain pour la lui faire produire. Quoique
ces analyses n'aient pas été exécutées ni même entreprises
systématiquement, ou est parvenu à établir un certain
nombre de préceptes rationnels.
Le terrain siliceux ne retient pas assez l'humidité, laisse
trop rapidement l'eau s'écouler et s'évaporer , entraînant
avec elle les principes fertilisants. De plus, il ne peut sup-
porter des cultures fréquentes ; et étant très-poreux, très-
léger et bon conducteur de la chaleur, il rend trop sensibles
aux végétaux les influences du froid et du chaud. On
change les conditions peu favorables de ce terrain en l'a-
mendant avec de l'argile ; elle augmente la consistance d'une
terre trop légère , trop perméable , lui communique la fa-
culté de mieux retenir l'eau nécessaire à la végétation , et
surtout augmente sa puissance en lui donnant aussi cette
autre faculté de retenir les engrais. Comme les espèces de
sol où l'argile serait utile manquent aussi la plupart du temps
de calcaire, on emploie de préférence des marnes argi-
leuses et calcaires, qui ont en outre l'avantage de se diviser
beaucoup plus facilement. On doit répandre sur le terrain
l'argile réduite en poudre. Du reste, elle n'améliore vérita-
blement qu'autant qu'elle a été exposée pendant plusieurs
années aux intluences de l'air : elle se divise alors plus faci-
lement et se mêle mieux au sol.
Le terrain argileux a l'inconvénient de retenir l'eau trop
longtemps, sans lui permettre de s'écouler et de s'évaporer.
A une température sèche, il se durcit trop et empoche les
racines des plantes de pénétrer dans le sol ; il se fendille,
et devient presque impénétrable par l'eau, et surtout par
l'air et les gaz. On conçoit d'après cela que Tintroduction
du sable dans l'argile, en maintenant ses parties à distance
et en les empêchant d'adhérer les imes aux autres, de se
durcir et de se contracter, augmente la (acuité absorbante
du terrain, ainsi (pie sa peiméahililé. Les amendements si-
liceux doivent être répandus sur le sol avant les labours
destinés à l'ensemencement des céréales. On les mélange
dabord avec une couche peu épaisse de sol à l'aide de
l'instrument appelé cjctirpateur ; puis on augmente pro-
gressivement la profondeur des labours. Toutefois le sable
est rarement employé comme amendement, tant à cause du
prix de transport en quelques endroits que par la diflicuUé
de l'incorporer au sol avec nos moyens ordinaires. On em-
ploie quchpiofois l'argile calcinée au moyen de l'écobuage.
On remarque qu'après sa calcination au rouge, cette sub-
stance devient poreuse, sans ténacité, et ne retient plus l'eau :
aussi rend-elle alors le sol plus meuble et plus perméable.
Un sol calcaire, surtout quand c'est avec l'argile que la
chaux se trouve combinée , est des plus propres à la végé-
tation. Cependant, si le sol est calcaire par excès , tel que
le sont les terrains formés de marnes ou de craies pures , il
offrira trop de légèreté et de porosité. L'air y pénètre aisé-
ment , mais l'eau s'en échappe avec une égale facilité. Une
terre de cette nature est alternativement inondée et dessé-
chée , au grand détriment de la végétation. L'addition d'une
certaine quantité d'argile , selon la prédominance de la
chaux, paraît être le meilleur amendement de ces sortes de
terrains ; car la proportion la plus avantageuse qu'on ait re-
conniie pour former un bon sol calcaire est une quantité
d'argile égale à celle de la chaux carbonatée.
Quant aux amendements calcaires, le plâtre , les diffé-
rentes sortes de chaux, etc., ce sont des stimulants, ainsi
que les diverses espèces de cendres et les amendements
salins.
Vhumiis fCeiiç. décomposition végétale qui, superposée
et mêlée aux terres proprement dites , fouf nit aux plantes
une grande partie de leur nourriture , et qui constitue la ri-
chesse du sol , peut cependant se rencontrer en trop grande
quantité ou sans être suffisamment élaboré , comme cela
arrive dans les sols tourbeux et dans les sols marécageux
qui, après leur dessèchement, ne sont pas immédiatement
proiires à la culture des céréales : par exemple , si la tourbe
et les débris végctanx ne sont pas mêlés à une quantité
suffisante de terre siliceuse , calcaire et argileuse.
Nous avons indiqué les amendements propres à chaque
espèce de terrain ; mais il ne faut pas perdre de vue qu'il
est fort rare de trouver dans une couche inférieure du sol
l'espèce de terre même dont on a besoin pour opérer l'a-
mendement de celle qui se trouve à la surface. Alors le plus
souvent on procède par un défoncement régulier fait par
fossés ouverts, dans lequel on fouille la terre du fond pour
l'étendre à la surface ; quelquefois on n'a besoin que d'un
labour simple , mais plus profond. Lorsque l'on doit aller
chercher au loin la terre destinée à l'amélioration, ou si l'on
doit la tirer d'une grande profondeur, cette opération peut
devenir trop coûteuse, quoiqu'on ait vu des terres amendées
donner une augmentation de vingt-cinq à trente pour cent
dans les récoltes et compenser amplement les dépenses.
AMEIVER, ternie de marine, qui désigne la manœuvre
par laquelle on abaisse des voiles , des vergues , des mâts :
dans ce sens, c'est l'opposé de hisser. — Amener son pa-
villon, c'est le retirer pour se rendre à l'ennemi.
AMENITE. L'aménité est une de ces choses délicates
qu'il est difficile de bien définir et qui menacent à chaque
instant de s'évanouir sous l'analyse. C'est une qualité tout
extérieure sous certains rapports , tout intérieure sous d'au-
tres, mais toujours revêtue, par^e, ornée, dans sa manifes-
tation, de grands agréments, d'une grâce qui plaît, d'un
charme qui séduit sans éblouir. — L'aménité d'un lieu a
pour source l'ensemble doux et harmonieux des aspects
qu'il présente. IMais la douceur et l'harmonie des objets n'y
sont pas tout. Une parure élégante, qui plaise par sa simpli-
cité même, et dont la grâce riante et pure flatte agréable-
ment la vue, entre nécessairement dans le tableau. — Du
sens propre ce mot jjasse aisément au style figuré, et se dit
du caractère, de la manière d'être d'un homme, comme du
4C2
AMENITE — AMENORRHEE
caractère et de la manière d'être d'un paysage. Dans ce
sens, Yaménité eslhicn plus que l'affabilité : celle-ci se laisse
aborder facilement , celle-là se communique gracieusement.
Si elle cessait d'être doucement séduisante et gracieuse du
fond du cœur, elle ne serait plus elle-même. Elle est si puis-
sante, qu'elle est l'homme; et comme le style aussi est
l'homme, il réfléchit naturellement l'aménité de l'homme.
On dit donc îtn style plein d'amdnilé. .Mais d'où vient l'a-
ménité du style? De celle de l'homme, sans doute. Toute-
fois, il ne suffit pas d'avoir de l'aménité dans le caractère
pour en avoir dans le style, par la môme raison qu'il ne
su(fit pas qu'il y ait de l'aménité dans un paysage pour qu'il
y en ait dans le tableau qui le représente. Le Créateur a
le secret de l'aménité d'un lieu ; le véritable artiste, celui de
l'aménité d'un tableau ; le grand écrivain , celui de l'aménité
d'un style. Qui a celui de l'aménité de l'homme? L'intelli-
gence infinie est, parmi les intelligences finies, celle qui sur-
prend le mystère à force d'analyse. Quiconque aura sur-
pris ce mystère devra le divulguer ; car l'aménité , c'est la
plus délicieuse chose dans les rapports des hommes. Les
femmes le pensent. Elles ont eu longtemps le privilège de
l'aménité sans le savoir; les flatteurs leur disent qu'elles le
possèdent encore, et qu'il est devenu un monopole de leur
se.ve, grâce à la sécheresse des mœurs politiques du jour.
On s'est toujours plu à calomnier les mœurs du jour, et,
quoi qu'on en dise, l'aménité n'est pas devenue étrangère aux
nôtres : les caractères de l'espèce humaine sont indestruc-
tibles; or la douce bonté, la gracieuse politesse, ces riantes
fleurs du sentiment, sont un de ces caractères. Matter.
iVMÉNOPIIIS. Trois rois dÉgypte de la dix-huitième
dynastie portèrent ce nom, que les Égyptiens écrivaient Amé-
nothph et Amcnôph.
AMÉNOPHIS F", fils et successeur d'Araasis \", qui
avait enfermé les Pasteurs , conquérants de l'Egypte , dans
un camp retranché, nommé Aouaris, les expulsa en Syrie au
moyen de la capitulation qu"'il leur accorda. Par l'effet de
ces circonstances , le règne d'Araénophis I" devait Jeter un
grand éclat. Le trône légitime fut relevé, la restauration fut
opérée dans les différentes branches de radiiiinistralion ;
tous les efforts furent réunis pour rétablir les lieux saints,
les édifices publics, la police des cités, l'influence des lois ,
des coutumes et des croyances nationales , l'entretien si né-
cessaire des canaux et de tous les travaux publics. Le nom
d'Aménophis l" subsiste encore sur un grand nombre de
monuments contemporains de son règne , et sur un plus
grand nombre de ceux qui furent consacrés à la mémoire
de ce grand roi par ses successeurs. Ce nom est aussi inséré
dans les litanies des rois; sur une foide de bas-relief», l'i-
mage de ce Pharaon est placée au milieu de celles des
dieux. Une statue d'Aménophis l" , divinisé, orne le musée
de Turin. Aménophis avait succédé à son père, l'an 1S22
avant J.-C; il mourut après un règne de trente ans.
AMÉXOPHIS II, sixième roi de la dix-huitième dynastie,
fut fds de Thoutmosis III ou Mœris, et régna dès l'année 1723
avant J.-C. Son nom se lit encore sur un grand nombre de
monuments élevés par ses ordres, surtout en Nubie. 11 con-
courut à accroître la splendeur de Thèbes , notamment par
l'édification des propylées et des colosses de Karnac. Une
statue colossale de ce prince, en granit rose et monolithe ,
est au niusée de Turin. Il mourut après un règne de vingt-
cinq ans dix mois , vers l'an 1697 avant J.-C. Ileutpour suc-
cesseur Thoutmosis IV, père d'Aménophis III, qui suit.
AMÉNOPHIS III, petit-fils d'Aménophis II, succéda à son
père, vers l'an 1687. 11 fut un des princes les plus illustres
parmi les races royales égy])tiennes , et des plus connus
parmi les populations occidentales ; c'est le Memnon des
Grecs , le roi à la statue parlante , dont les merveilles ont
ému les vulgaires esprits. On racontait , même en Egypte ,
les miracles de sa naissance ; il fiit annoncé à sa mère par
les dieux , doté et élevé par leur plus efficace protection.
On peut encore admirer en Egypte les prodiges de sa vie.
Le palais de Thèbes , qui porte vulgairement ce nom chez
les anciens , chez les modernes le nom de Memnonium,
et le palais de Louqsor, dépendant de la même capitale ,
sont des ouvrages réellemont merveilleux du règne et de
la puissance d'Aménophis III. Ce qui est encore certain,
c'est l'éclat des victoires remportées par Aménophis III en
Asie et en .\frique , sur ses voisins et sur les ennemis de
l'Egypte ; ses palais à Thèbes sont encore décorés des ta-
bleaux des combats qu'il leur livra, et les inscriptions qui
les accompagnent renferment les noms des peuples vaincus.
Des stèles de grandes proportions , des oMlisques , des
édifices élevés dans les villes principales de l'Egypte , attes-
tent aussi la gloire de son règne. On voit à Paris , au
Louvre , la partie inférieure d'une statue colossale en granit
rose de ce ntême roi , recueillie dans les ruines de Thèbes ,
et un grand nombre de monuments de moindres proportions,
qui rappellent son nom et les actions principales de sa vie.
Il mourut après un règne de trente ans et cinq mois , vers
l'an 1G57 avant J.-C.
AMEXORRIIÉE (de à privatif, et des mots |jiT]v,mois,
f ew , je coule), absence ou suppression par une cause
morbide de l'évacuation périodique du sexe. Telle est l'in-
fluence de cette fonction sur la santé de la femme que ses
dérangements, bien que ne constituant pas de maladies dis-
tinctes, deviennent presque toujours la cause d'affections
plus ou moins graves. Que l'on considère donc l'aménorrhée
comme cause ou comme complication de maladies, toujours
est-il qu'elle fournit des indications particulières à l'homme
de l'art, et mérite toute l'attention des malades.
Les suppressions subites sont ordinairement le résultat
d'une vive émotion, de l'impression d'un air froid, de l'im-
mersion d'une partie du corps dans l'eau froide, de l'inges-
tion de boissons à la glace , etc. Quand elles s'établissent
lentement, elles sont la plupart du temps occasionnées par
une maladie chronique qui a produit l'appauvrissement di:
sang, comme la phthisie pulmonaire, ou profondément altéré
le tissu de la matrice, comme le cancer de cet organe.
L'aménorrhée développée brusquement s'accompagne com-
munément d'un sentiment de pesanteur avec gonflement
douloureux du bas-ventre, coliques utérines, et symptômes
généraux plus ou moins développés, selon le tempérament
et l'état de santé habituel du sujet. Les symptômes locaux
sont moins marqués quand la suppression s'établit len-
tement. On voit, dans la plupart des cas, ces différents
phénomènes se manifester avec plus d'intensité à l'époque
où les règles avaient coutume de paraître, et diminuer dans
l'intervalle.
La première chose à faire est de remonter à la cause
de la maladie , de l'écarter ou de la combattre , en se con-
formant aux indications qui se présentent. Ainsi, l'aménor-
rhée a-t-elle succédé à un refroidissement, l'usage de bois-
sons chaudes et légèrement sudorifiques , le séjour au lit
conviendront spécialement; reconnaît-elle pour cause une
vive émotion de l'âme, des calmants, des antispasmodiques ,
seront conseillés. CJiez les personnes sanguines, une sai-
gnée sera presque toujours nécessaire. Ce n'est que chez les
sujets lymphatiques, appauvris, que l'on pourra employer
avec sécuiité les excitateurs de l'utérus et les toniques
(amers, ferrugineux, etc. ). Chez les sujets à fibre molle , à
chairs flasques, à mouvements lents, j'ai triomphé en peu
de temps d'aménorrhées rebelles à l'aide du seigle ergoté.
Ajoutons qu'on est généralement trop porté dans le monde
à recourir à cette classe de moyens excitants qui peuvent,
dans beaucoup de circonstances, avoir les effets les plus
désastreux s'ils sont appliqués sans intelligence. A peine
est-il nécessaire de dire qu'aux maladies locales qui peuvent
précéder et déterminer l'aménorrhée , il faut o|)poser un
traitement spécial approprié à leur nature, et qu'il serait
aussi inutile que dangereux de vouloir rétablir les règles
AMÉNORRHÉE
diez une malade «*puis.(5e par une maladie chronique, avant
d'avoir fourni à l'économie des matériaux suflîsants pour la
réparation. Disons enfin, pour terminer, que la premiiVe
idée qui doit se présenter à l'esprit quand il s'agit d'une amé-
norrhée, c'est la plus naturelle, celle d'une grossesse ; qu'eu
cas de doute, on doit se contenter de satisfaire aux indica-
tions les plus pressantes, de manière à ne nnire ni à la mère
ni à l'enfant, sans s'en rapporter uniquement aux dénégations
des femmes, qui en pareille circonstance trompent sou-
vent de très-bonne foi leur médecin. D' Saiceuotte.
AMEXTACÉES (du latin amentum, chaton). Nom
d'une famille de plantes dans laquelle sont compris tous les
genres dont les lleurs, ordinairement unisexuces , sont dis-
posées en chaton. L'ccorce de la plupart dos amentacées
contient une grande quantité d'.icide gallique et de tannin, ce
qui la rend précieuse aux tanneurs et aux fabricants d'encre.
Les feuilles sont alternes, planes, simples, ordinairement
pétiolées et traversées par une nervure longitudinale. Les
fleurs ordinairement fort petites, de peu d'apparence, d'une
couleur lierbacée, sont disposées autour d'un fdet fomianl
une espèce d'épi appelé chaton. A cette famille appartien-
nent diverses espèces de bouleaux, de hêtres, de saules, de
chênes, de châtaigniers, d'ormes, etc., etc.
^UIEXTHES, AMENTHISou AAIENTI. C'était le nom
du royaume des morts, de l'enfer chez les Égyptiens. L'éty-
mologie de ce mot, employé d'abord par Plutavque, remon-
terait, suivant Jablonsky, au copte, et signifierait dans cette
langue ombre, obscurité. Osiris passait pour le dieu de l'A-
menthis , qui était situé dans la montagne sacrée de l'Occi-
dent. Les rois et les citoyens n'y obtenaient une demeure
pour l'éternité qu'après avoir subi un jugement sur leur
\ie entière. A ce mot d'Amenthis ne se rattachait une id. c
ni de prison ni de supplices : c'était le séjour des âmes qui
avaient quitté la vie terrestre et allaient habiter soit les lieux
réservés aux bons, soii ceux où les méchants étaient châties.
Après avoir quitté leur habitation terrestre , les âmes se
présentaient successivement aux divinités qui avaient l'A-
menthis dans leurs attributions ; elles arrivaient ensuite de-
vant le juge suprême, Osiris, qui, assis sur son trône, pesait
dans une balance les bonnes et les mauvaises actions du dé-
funt, et prononçait ensuite sa sentence, assisté de vingt-deux
jurés, de la déesse Justice et Vérit'-, et du dieu Thôth, son
scribe divin. Si le défunt obtenait un verdict bienveillant, il
était conduit dans des lieux de délices d'une éternelle lu-
mière, 011, sous la forme de travaux agricoles, il cultivait le
champ de la vérité et adorait Dieu, le père des hommes. Là
les âmes se baignaient, mangeaient et folâtraient dans l'eau
céleste et primordiale. L'âme condamnée, au contraire, était
jetée dans la région des ténèbres éternelles, divisée en soixante-
quinre zones, où les coupables subissaient divers supplices,
type antique de l'enfer du D;inte, aux tourments variés : on
en voyait de liés à des poteaux, tandis que les gardiens ])raR-
dissaient perpétuellement des glaives sous leurs yeux ; d'au-
tres suspendus la tète en bas, ou marchant en longues files,
après avoir eu la tète tranchée ; d'autres, les mains liées
derrière le dos, traînant par terre leur cœur arraché de leur
[loitrine ; d'autres bouillant dans de gran;les chaudières sous
l'orme hum.aine, sous forme d'oiseau, ou bien seulement avec
une tête et pas de cœur. La plus grande Ucatitude, la re-
compense des rois justes et bons, élait de voir Dieu ; les
âmes coupables ne contemplaiimt pas sa figure et n'enten-
daient pas sa parole. Du re-te, cette diversité de supplices
pour les méchants ou cette béatitude pour les bons est une
preuve palpable de la pureté du dogme égyptien.
J.-J. Champollion-Ficeac.
AMEB) ce qui a une saveur rude et désagréable, comme
celle de l'absinthe ou de l'aloès. Voyez Amers.
AAIER DE WELTHER. Voyez Indigo.
xVxMÉRICAlXE (Race). Voyez R\ces humaines, In-
diens et AMÉlilQlE.
- AMERIQUE 463
-VMERIGO VESPUCCI. Voyez Vespcce ( Amélie).
-V-MÉUIQUE. Le continent de l'hémisphère occidental'
le Nouveau >f.uhle, l'Occid.nt de notre globe terrestre en
opposition tranchée avec l'Orient, avec l'ancien monde, frac-
tionné en trois parties, est baigné à l'ouest par le Grand-Océan
ou mer l'ac^lique, à l'est par l'océan Atlantique, et au nord
par les eaux de la mer Polaire arcti(iue. Par la presqu'île
deTschouktschcn,qui s'avance dans le détroit de Bering il
se rapproche au nord-oue>t du continent asiatique, dont le
sépare alors une distance d'environ sept myriamèlre.s seule-
ment, et au nord-est, par le Groenland, de l'île d'Islande
dt'pcnlance de l'Europe, dont il n'est guère éloigné que de
SO myriainètros. Au cap Saint-Charies, il n'est qu'à 400 my-
liamètresdela pointe sud-ouest de r.\ngleterre. .\u sud-est
une distance do 400 myriamètres le s 'pare sans discontinuer
des parties les plus occidentales de l'Afrique ; tandis qu'il
est encore six et même huit fois plus éloigné dcS côtes sud-
est de l'Asie et de la Nouvelle-Hollande.
Les points extrêmes de ce continent sont : au nord, le cap
d'Elson, situé par 71° 1/3 de latitude nord et 138°' 2/3 de
longitude ouest -, au sud, le cap Forward, situé par 53° 55' de
la'.itude sud et 53° 2C' de longitude ouest ; à l'ouest, le cap
du Prince de Galles, situé par fi5° 2 '3 de latitude nord et
150° 2/3 de longitude ouest; à l'est, le cap Saint-Roch , si-
tué par 5° de latitude sud et 17° 1/2 de longitude ouest. Celte
situation donne àl'Aniérique une étendue méridienne caracté-
ristique, à travers toutes les zones, même dam la zone gla-
ciale du sud, si on comprend comme prolongement de cette
partie du monde l'archipel antarctique de la Patagonie.
L'océan Atlantique, par la force dissolvante de ses cou-
rants, a creusé au milieu de !a côte orientale de l'Amérique les
profondes baies du golfe du Mexique et de celui des Ca-
raihii ; d'où il est résulté que ce continent s'est trouvé divisé
en deux parties affectant l'une et l'autre la figure triangulaire,
et réunies seulement à l'ouest par l'espèce de digue qu'y
forme l'isthme de Panama, loque! n'a guère plus de six my-
riamètres de largeur, tandis qu'à l'est les îles des Antilles,
appelées aussi (nJes occidentales, semblent être autant d'as-
sises d'un pont qui aurai mis autrefois en communication
entre elles les deux grandes masses du continent. Dans sa
plus grande étendue l'Amérique a une longueur d'envi-
ron 1,500 myriamètres, tandis que sa plus grande largeur
(entre le cap du Prince de Galles et le cap Charles) est de
G lO myriamètres. On évalue le développement total de ses
côtes à G, 956 myriamètres, comprenant une superficie de
364,650 myriamètres carrés ; elle serait même de plus de
385,000 myriamètres si on y comprenait les archipels voisins.
Les côtes orientales de l'Amérique répondent assez exacte-
ment par leur configuration à celles du continent situé en
face, à l'est , par exemple , le littoral arrondi de l'Amérique
du Sud, au littoral de l'Afrique ; et r.\mcrique du Nord op-
pose aux échancrures du continent européen la terre de
Melvill* , le Labrador , la Nouvelle-Ecosse ou Acadie , le
Alaryland, la Floride, et plus loin encore au midi l'Yucatan.
Les côtes occidentales de l'Amérique du Sud n'oft'rant que
des courbures unies , et l'Amérique du Nord présentant à
l'ouest, par la Californie, la presqu'île de Tschougatchen et
Aliaska, les traces d'un violent déchirement, il existe dans
la configuration desdeux parties du continent américain une
constante opposition dont participe tout l'archipel voisin.
Ce n'est qu'à de grandes distances qu'on rencontre
quelques îles le long des côtes orientales et occidentales de
r.\mériqueduSud,par exemple ; à l'ouest, les îles Gallopa-
gos (sous l'équateur), Saint-Ambroise, Saint-Félix et Juan-
Fernandoz; dans l'océan Atlantique, Fernando de Noronlia,
Trinidad et Coloinbus. .\u contraire, l'extrémité sud de la
Piitagonie est briSLC en un nombreux archipel de rochers.
C'est là qu'on trouve les îles Chiloé, les îles Chonas, Cam-
pana, Aladre-dc-Dios, etc., sur la côte occidentale, où elles
lo. nu ni l'archipel de Patagonie ; et au sud, séparées du con-
4G4 AMERTOiT
tinent par le détroit de Magellan, l'archipel de la Terre de
l'eu, avec la Terre méridionale du Roi Charles, la Terre des
Ltat-;, Navarin, Host ■, Desolacion et les Ermites, dont le
caj) Horn forme la plus méridionale ; enfin un peu plus loin à
l'est, les lies Falkland ou Malouincs, avec la Terre de Mai-
don, et Contl ou Solidad. Quelques degrés plus loin encore
au sud, on rencontre les premières traces d'une terre po-
laire antarctique, dont les contours ne sont pas bien exacte-
ment connus, mais qui ont déjà été signalées dans plusieurs
voyages de découvertes.
L'Ami'rique du Nord est bien autrement riche en îles, de-
puis les plantureuses Iles des Indes occidentales du sud jus-
(ju'aux montagnes de glace du nord. Les Indes occidentales
forment trois groupes principaux, les gr..ndes et les petites
Antilles et les îles Ualiama ou Lucajes, offrant un port com-
mercial à tous les pavillons de la terre , et une terre colo-
niale à chacune des principales puissances maritimes de
rEurojje. Les jdus importantes des petites Antilles sont Cu-
raçao et Margarita, comme îles sous le vent ; Trinidad, Ta-
bago, Granada, Saint-Vincent, Sainte-Lucie, la Barbade, la
Martinique , la Dominique, la Guadeloupe , Antigoa, Saint-
Barthélémy et les Vierges danoises, Sainte-Croix et Saint-
Thomas , comme îles sur le vent. Les grandes Antilles sont
la Jamaïque, Cuba, Haïti ou Saint-Domingue et Porto-Rico,
séparées du continent , d'une part par le détroit d'Yucatan ,
et de l'autre par celui de la Floride ; et parmi les iles Lu-
cayes au sol hérissé de dunes , les plus considérables sont
Inagiia, Aklin, Guanahani ou San-Salvador , Eleulhera et
Abaco. Au riche archipel des Antilles de la côte orientale de
l'Amérique centrale sont opposées les misérables îles du
groupe de Revilla-Gigedo, sur la côte occidentale ; aux îles
basses et longues, aux bancs et aux dunes qui s'étendent le
long des côtes de la Floride, les îles et les rescifs de la mer
Vermeille et de la côte occidentale de la vieille Californie ,
tandis ([ue les îles Bermudes s'éloignent davantage de la
côte orientale. De même qu'à l'est Terre-Neuve, Antikasti,
l'ile du Prince Edouard et le cap Breton apparaissent comme
les fragments brisés et détachés d'un ancien plateau qui
s'avançait dans le golft' Saint-Laurent, à l'ouest de Quadra-
Vancouver , l'île de la Reine Charlotte , l'île du Prince-de-
Galles, Sitka et Kodjak semblent une ligne de récifs placés
là pour protéger la côte occidentale. Si à l'est Southampton
et Mansfield ferment au nord la profonde baie d'Hudson ,
l'archipel des Aléoutionnes ceint au sud la mer de Bering sur
la côte occidentale, où il forme conme une longue série de
rochers et de volcans servant successivement de points de
passage pour gagner l'Asie, tandis qu'on rencontre dans l'in-
térieur même de la mer de Bering l'archipel de Pribiloff,
Nuniwak , le groupe de Saint-Matthieu et Saint-Laurent. Si
les découvertes faites en 1839 par Dease et Simpson ont eu
pour résultat de mieux faire connaître les côtes septentrio-
nales de l'Amérique que les cartes jusqu'alors existantes, les
courageux efforts de tant de hardis navigateurs qui ont tenté
d'explorer les mers polaires n'ont encore pu dégager d'une
manière bien précise Farchipel Arctique des terrasses de
glaces qui l'enveloppent. En effet, la configuration des côtes
des îles situées autour de la baie de Baffin, comme le Groen-
land, North-Devon et la Terre de Baffin, n'est guère connue
que partiellement : et il en est de même des îles Cockburn,
Bothia-Félix, North-Somersct, les plus septentrionales des
îles Georges ( Bathurst et Melvillc ), de la Terre de Banks
et de la Terre de Victoria.
On retrouve les mêmes contrastes entre l'Amérique du
Nord et l'Améritiue du Sud en ce qui est du nombre et de
l'imporlaïue de leurs baies et de leurs golfes respeclifs; car
(a baie de Hiidson, le golfe Saint-Laurent, la baie de Fiindy,
le détroit de Norton, la baie de Bristol, la mer Vermeille,
les baies de Campêclie, d'Honduras et de Guatemala, qu'on
rencontre dans l'Amérique du Nord, ne sont pas à comparer
aux petites et basses baies de rAmérique du Sud, dont
les plus importantes sent le golfe de Daricn et celui de
Maracaïbo, la baie de Tous les Saints, la baie de Saint-Mat-
thieu et la baie de Saint-George, et les golfes de Guaiteca ,
de Guyaquil , de Choco et de Panama ( voyez ci-après les
articles Améuiqle du Nord et Amkriqie du Sld).
A la différence du continent africain , des contrées plates
et unies occupent près des deux tiers de la superficie de
l'Amérique. Mais on y remarque aussi une succession uni-
forme entre les hautes et les basses terres , puisque le sys-
tème du plateau des Cordillères et des Andes se prolonge le
long de la côte occidentale sur une base d'environ 110,000
myriamètres carrés embrassant le nord et le sud du continent
et s'abaissant successivement à l'est en plaines à perte de vue
dans lesquelles on ne rencontre plus que çà et là quelques
groupes isolés de montagnes. L'abaissement de 150 à 200 mè-
tres que présente le sol de l'ûsthme de Panama forme aussi
une division naturelle entre le système des Cordillères du
nord et celui des Cordillères du sud. Si au midi (en Pata-
gonie et au ChiH) des pics volcaniques et couverts de neiges
éternelles répondent à ceux qu'offre au nord Guatemala ; si
dans l'une et l'autre de ces contrées, ce sont les groupes du
centre qui atteignent la plus grande éh'vation , et si encore ,
en avançant plus au nord , ces groupes s'étendent en ter-
rasses où la présence continuelle de chaînes de montagnes
limite extrêmement la formation des plateaux , des diffé-
rences bien caractéristiques n'en distinguent pas moins les
Andes du nord de celles du sud. Les Cordillères de r.\mé-
rique méridionale s'abaissent jusqu'aux rives de la mer ou
bien jusqu'à d'étroites plaines en terrasses escarpées et de
peu de largeur ; elles offrent de bien plus nombreux fraction-
nements par chaînes, renfermant les masses les plus élevées
de toute r.\mérique, et n'envoient vers les basses terres de
l'est que de courtes ramifications. Au contraire, les Cordil-
lères de l'Amérique du Nord constituent à l'ouest des pla-
teaux élevés bien autrement étendus , comme pour favoriser
un plus grand développement de cours d'eau. Leurs arêtes
sont d'ailleurs moins verticales, mais aussi plus basses , et
elles envoient à l'est des ramifications plus étendues et allant
toujours en s'aplatissant. Les dénominations des groupes
particuliers des Andes de l'AmÂ-ique du Sud sont en général
empruntées aux pays où ils sont situés; c'est ainsi que du
sud au nord on trouve successivement les Cordillères de Pa-
tagonie, du Chili, du Pérou , de Quito et de la Nouvelle-
Grenade. Trois plateaux , ceux du Pérou , de Quito et de
Santa-Fé de Bogota, appuient leur base sur les assises
mime du système ; et une foule de cimes s' élevant majes-
tueusement vers le ciel, telles que le pic de Sorate, le plus
élevé de toute l'Amérique , l'Illimanni , le Chimborazo , le
Cotopaxi, le pic de Tolima, dominent des chaînes couvertes
de neiges éternelles. Au nord de l'abaissement du sol qu'offre
l'isthme de Panama s'élèvent les Cordillères de l'Amérique
du Nord sous la dénomination unique de Cordillères de
Guatemala, du Mexique, de Sonora, de Cordillères occiden-
tales, centrales ou orientales, comprenant le plateau d'A-
naliuac, celui du Nouveau-Mexique et les plaines de l'Orégon,
et dominées par des pics couverts de neiges, comme le Po-
pocatépetl, l'Orizaba, le pic de Saint-James, etc. Les groupes
isolés de montagnes, sans rapport immédiat avec le sys-
tème des Cordillères , qui en général ne s'élèvent pas au delà
des limites des montagnes moyennes, et qui , sauf quelques
exceptions , forment des chaînes s'étendant parallèlement
aux côtes où elles viennent expirer, sont dans l'Amérique du
Nord le système des Apalaches ou des monts Aile ghany s;
dans l'Amérique du Sud, les contrées montagneuses du Brésil,
le plateau de la Guyane , les montagnes des côtes de Ve-
nezuela et la masse de montagnes de la Sierra-Nevada de
Santa-Marta. De même que les Cordillères forment à l'ouest
une suite non interrompue de montagnes, à l'est, sauf quel-
ques rares exceptions , la grande vallée de l'Amérique ne
subit pas non plus de solution de continuité depuis les
AMÉRIQUE
côtes (le la mer Arctique jusqu'à rcxtrcmité méridionale de
la Patagonie.
Si rabaissement que le sol (éprouve à l'istlimc de Panama
ili>ise les Andes en deux systèmes , de môme une division
naturelle existe entre les pays de plaines, suivant qne le sol
s'incline vers le golfe du Mexique ou vers le golfe des Ca-
raîl>es. Si les plaines de l'Amérique du Sud occupent les trois
quarts de leur continent, celles de l'Amérique du Nord oc-
cupent la moitié du leur, et on ne saurait méconnaître la
similitude qu'établit entre elles leur groupement borizontal.
L s étroites plaines des côtes du Mexique répondent aux
steppes de la Patagonie; les savanes du Mississipi , aux
pampas du Parana, du Paraguay et du Rio de la Plata; de
même que là les Apalaches et ici les cbaîncs de montagnes
du Brésil peuvent être considérées comme des solutions de
continuité placées dans les mômes conditions ; et on trouve
ici comme là au nord les plus grandes superficies planes : au
nord, les régions arctiques, qu'on peut estimer à 55,000 my-
riamètres carrés; au sud, les llanos du fleuve des Amazones et
lie rOrénoque, quioccupent une superficie d'enviroo 82,500
myriamètres carrés. Ces comparaisons ne peuvent cependant
se rapporter qu'à la situation et non point à la nature des
plaines; car les plus saillants contrastes existent entre les
plaines arctiques et celles du Maranon. C'est ainsi que les pâtu-
rages à perte de vue des plaines de l'Amérique diffèrent com-
plètement des plaines de toutes les autres parties du monde,
et sont le théâtre d'une vie toute pailicuïière et toute ori-
ginale.
Par suite de ses points de contact si nombreux avec
l'Océan , des sources intarissables que les Andes récèlent
dans leurs flancs, avec des plaines immenses où règne la pins
brillante végétation et eu communication facile avec la mer,
les proportions grandioses de sa constitution hydrographique
doivent naturellement être un des traits caractéristiques du
Nouveau-Monde. Le développement complet des cours d'eau
doit cependant y faire défaut , attendu que les montagnes et
les vallées y sont , pour ainsi dire, juxtaposées , et que les
points de transition des unes aux autres ou manquent com-
plètement ou sont trop brusques. Tantôt la partie supérieure
d'un cours d'eau est située dans les régions les plus élevées
des montagnes , et alors les transitions n'y sont pas assez
ménagées pour éviter des sauts, des cataractes qui les inter-
rompent tout à coup là où ils atteignent la région des
plaines; tantôt c'est la mer elle-même qui s'avance jusqu'au
pied des montagnes pour les receroùr immédiatement, sans
laisser même entre la région des plateaux et la côte la plus
étroite zone de plaines. L'Amérique est la terre par excellence
des bifurcations, et à l'époque des pluies le nombre s'en accroît
encore notablement. Le Cassiquiari en est le plus remar-
quable exemple, comme communication naturelle entre l'Oré-
noque et le Rio-Negro ou fleuve des Amazones. L'Amérique
du Sud est la contrée du globe où l'on rencontre les plus
grands cours d'eau : c'est ainsi que le Maraîion , sur un par-
cours de 511 myriamètres, présente une superficie totale
de 48,620 myriamètres carrés, et que la Plata , jusqu'à
Ja source de Parana , a un parcours de 330 myriamètres et
présente une superficie de 39,600 myriamètres carrés, pen-
dant que le plus grand cours d'eau de l'Amérique septen-
trionale, leMississipi, à partirde sa source dans le Missouri,
n'a sur un développement de 511 myriamètres de parcours
qu'une superficie de 29,700 myriamètres carrés, et qu'en
revanche le Saint-Laurent, sur un parcours de 322 myria-
mètres, présente une superficie carrée de 34,265 myriamètres.
Par contre, de toutes les parties de la terre c'est l'Amé-
rique du Nord qui présente la plus grande masse de lacs ou
mers intérieures (mais non pas les plus vastes). En effet,
les cinq lacs qui alimentent le fleuve Saint-Laurent ont à eux
seuls une superficie totale de 2,530 myriamètres carrés , et
1rs ùinombrables lacs des plaines arctiques occupent une
r^'iperficie qu'il n'a pas encore été possible de déterminer. Au
DlCf. DE LA. CO.NVEUS., — T. L,
465
nord comme au sud , dans les pampas comme dans le^
savanes, dans les llanos et les selvas comme dans les
plaines arctiques, les riches et puissants cours d'eau jouent un
rôle de la plus haute importance, attendu qu'ils constituent
le seul moyen de communication existant dans ces immenses
régions. Sans eux , elles seraient pour la plupart inhabita-
bles, dans la zone glaciale polaire comme sous la brûlante
ceinture des tropiques. On ne voit sur aucun point de l'A-
mérique de vastes superficies frappées de stérilité comme en
Afrique, pas même là où la lîature du sol semblerait auto-
riser à penser qu'elles existent ; en effet, dans les steppes pro-
fondes de la Patagonie, de même que dans celles de l'Orégon
et des plateaux supérieurs de l'Amérique du Nord, on ren-
contre des parties de territoire fécondées soit par des cours
d'eau, soit par des lacs, quoique jusqu'à ce jour on n'en ait
que peu tué parti ou bien qu'ils soient encore imparfaite-
ment connus. La pente de l'ouest n'a aucune importance en
comparaison de celle de l'est; extrêmement limitée dans
l'Amérique du Sud , elle est plus considérable dans l'Amé-
rique du Nord, en raison des distances diverses qui sépa-
rent les chaînes les plus hautes des côtes. Là où le fond des
embouchures de fleuves est solide s'établissent des golfes-
mais là où se trouve un fond plus mouvant on voit se former
des délias et des lagunes. Voici les prmcipaux cours d'eau
de l'Amérique : le Mackensie au nord ; les affluents de la baie
d'Hudson , tels que le Churchill , le Nelson , la Sevem et
l'Albany, le Saint-Laurent , le Mississipi , le Rio-del-Norte ,
le fleuve de la Jladeleine , l'Orénoque , le Maranon ou fleuve
des Amazones, le Paranahyba , le San-Francesco , le Rio de
la Plata , le Colorado et le Cusu-Leuwu à l'est ; et à l'ouest
de l'Amérique septentrionale le Fraser, laCaledonia, la Co-
lombia et le Colorado.
L'Amérique n'occupe qu'un treizième de l'équateur, et là
même où, en raison de sa situation climatologique^ on de-
vrait croire à l'existence des chaleurs qu'on éprouve en
Afrique, le clmiat est comparativement plus froid, et il ofTre
aussi un? beaucoup plus grande himiidité. C'est la consé-
quence des nombreux points de contact du sol avec l'Océan,
de l'extrême richesse des cours d'eau intérieurs et des
vents dominants; de ces circonstances résultent les pro-
portions grandioses qu'y atteint le règne végétal, ainsi que
la configuration et la nature du sol. Les limites de la zone des
pluies s'étendent en Amérique hors de toute proportion , en-
core bien qu'elles n'impliquent pas toujours la présence de
chaleurs tropicales. Sous toutes les zones , la végétation dé-
ploie une richesse extraordinaire , depuis l'humble mousse
du nord jusqu'au majestueux bananier des tropiques. Les gi-
gantesques montagnes des Cordillères s'élèvent dans toutes
les zones au delà de la région des neiges. Des côtes arides et
désertes du Pérou, sous le soleil dévorant des tropiques, on
aperçoit à l'horizon de nombreux pics couverts de neiges et
de glaces éternelles. Des plaines de l'équatorial Quito, où le
règne végétal atteint des proportions colossales , on s'élève à
des hauteurs où on ne rencontre plus d'autre être vivant que
le condor planant au-dessus des glaciers et des plaines de
neige. Au Pérou la culture des céréales ne cesse qu'à une
élévation de 4,000 mètres; à Quito elle cesse à 3,000
mètres. Le nord et le sud de l'Amérique ont les mêmes
heures de la journée; mais l'arrivée des saisons n'y est pas
uniforme, anomalie qu'expliquent les vents généralement
dominants sur tel ou tel point, diverses influences exercées
par l'Océan , et la situation des Cordillères , qui produit de
telles irrégularités atmosphériques, que, par exemple, sur la
côte orientale du Brésil la saison des pluies dure de mars à
septembre , tandis qu'au Pérou et sous la même latitude
elle dure de novembre à mars. Sous la zone des tropiques
les époques de pluie et de sécheresse touchent aux points
extrêmes; mais par delà les tropiques la transition entre les
saisons se fait insensiblement, jusqu'à ce que la nature gla-
ciale de la zone polaire ne pennettc plus que d'épiiémèrcs
59
466 AMERIQUE
existences végétales, résultat d'un court réveil succédant au
lu:)g sommeil d'un hiver presque sans fin.
Quand on parcourt l'Amérique dans la direction du nord
au sud, à travers ses différents climats, voici les phénomènes
qui frappent surtout l'observateur. Depuis les côtes septen-
trionales, où manque toute espèce de végétation, jusqu'à une
ligne coupant les côtes occidentales , par 60" de latitude nord
et la côte orientale par 50" de lati tude nord , ligne sous laquelle
le mois le plus chaud atteint + 13° R. et le mois le plus froid
— 8" R. de température moyenne, on passe des régions cou-
vertes d'humbles mousses et liciiens à celles des végéLiux
ligneux dont la plupart produisent des baies, pour ren-
contrer, d'abord rares et rabougris, puis groupés en petits
bouquets de bois, des pins sauvages, des pins, des sapins
et des bouleaux qui annoncent la région des arbres. Ces vé-
gétaux développent leurs formes les plus vigoureuses dans
une zone plus méridionale, s'étendant à peu près jusqu'au 40"
de latitude septentrionale, et, dans ces limites équatoriales,
atteignant pendant les mois les plus chauds de l'année -[•
20" R. et pendant les plus froids -{- 1° R. comme tempé-
rature moyenne. Dans cette région les arbres sujets à la
chute périodique de leur feuillage, comme le chêne, le
hêtre, l'érable, le tilleul, l'orme, le châtaignier , etc., for-
ment d'immenses forêts; et, au lieu desmonotones bruyères
de l'ancien monde, les herbes les plus diverses couvrent des
plaines immenses, à l'ouest du Mississipi surtout, tindis
qu'à l'est de ce fleuve les blés et les plantes alimentaires de
l'Europe occupent une place dans la culture du sol là où il est
cultivé, et qu'on y voit réussir tous les arbres à fruits de l'Eu-
rope, et même, dans le sud, jusqu'à la vigne. Quand on atteint
la zone des pluies, on traverse d'abord une région de transition
pour entrer dans la contrée qui s'étendjusqu'au25''de latitude
septentrionale et qui présente le vrai caractère tropical. Grâce
à la minime différence existant entre les points extrêmes de
la température moyenne de l'année, laquelle dans les mois les
plus chauds s'élève à -f- 21" R., et dans les mois les plus froids
à -J- 15" R., la végétation la plus magnifique s'y développe.
Alors apparaissent les arbres au feuiljjige persistant, tels
que les orangers, les lauriers, les oHviers ; alors surgissent de
nouvelles formes végétales avec les magnoliers, les tulipiers,
les platanes et les pahniers nains. Outre le froment , ou y
cultive le maïs et le riz, et, dans les plantations , la canne
à sucre , le coton et le tabac , tandis que les patates et le
manioc offrent comme aliments leurs farineuses racines. A
partir du 25" de latitude septentrionale jusqu'au tropique du
Sud, la région des bananiers et des plantes tropicales oc-
cupe une zone qui, sous l'équateur, atteint une température
moyenne de 24" R. dans les mois de l'année les plus chauds,
et de 19° R. dans les plus froids, et où le monde végétal
revêt les formes les plus luxuriantes et les plus gigantesques.
La canne à sucre , le coton et le café y croissent dans les
parties inférieures des montagnes, tandis que dans les
parties du sol de niveau avec la mer ils sont remplacés par
les racines d'ignames, les ananas, les bananiers, les arbres à
melon , à pain, à vache, les palmiers à cocos, etc. D'impé-
nétrables forêts renferment les essences d'arbres les plus di-
vers , dont quelques-uns atteignent les proportions les plus
gigantesques, et toutes produisent les bois les plus précieux,
comme l'acajou, le gayac, les bois de Campêche, de
Brésil, etc., etc. Dans l'Amérique du Sud surtout de ma-
gnifiques espèces de palmiers représentenlla nature tropicale
dans sa plus grande richesse. D'épaisses forêts de china-
rindes ombragent les terrasses des montagnes de Quito.
Les cactus développent leurs formes les plus bizarres sur
les plateaux du Mexique, tandis que dans les steppes dessé-
chées et bridantes ils remplacent l'aloès d'Afrique comme
nourriture végétale pour les animaux languissants. Les fou-
gères y parviennent aux proportions des arbres, les herbes à
une hauteur incroyable , et le gazon y est remplacé par un im-
pénétrable tissu de plantes rampantes témoignant d'une na-
ture à la fois sauvage et grandiose, qui offre encore à
l'homme d'innombrables dons , painii lesquels nous nous
bornerons à citer ici la vanille, le cacao, etc. La zone méri-
dionale des fruits et des protéacées tropicaux , s'étendant
jusqu'au 40° de latitude sud, offre encore aux limites po-
laires une température moyenne de 4- 17° R. pour les mois les
plus chauds et de -f- 9" R. pour les mois les plus froids. Les
palmiers , les mûriers et l'indigotier croissent encore dans
les contrées qu'arrose la Plata inférieure , tandis que des
chardons aussi grands que des arbres couvrent les plaines
des pampas, que les côtes occidentales du Chili sont ca-
ractérisées par de beaux araucarias et autres protéacées
par des hêtres et des chênes , par la pomme de terre et
l'arum, et que la vigne, l'olivier, l'oranger, le chanvre ,
le lin , le tabac , le maïs , l'orge et le froment introduits
par les Européens rappellent les cultures particulières
au vieux monde. La limite méridionale de la saison des
pluies s'étend jusqu'au 48'' degré de latitude méridionale, où
l'heureuse température moyenne de + 12° R. pour les mois
les plus chauds et de -\- 3" R. pour les mois les plus froids
permet de cultiver tous les grains de l'Europe, les protéa-
cées antarcli(iiies et mCme, dans les régions bien abritées
de la côte occidentale , !a vigne ainsi que les fruits les phjs
délicats. Dans la zone méridionale de la température variable,
l'extrémité méridionale offre en moyenne les minimes diffé-
rences de -\- 4° R. pour les mois les plus chauds et — 3" R.
pour les plus froids. Mais de la diminution de la chaleur
des étés ne tarde pas à résulter un rapide changement dans
les formes et les produits du règne végétal, qui n'offre plus
bientôt qu'un petit nombre d'essences d'arbres , générale-
ment des hêtres et des bouleaux, et qui s'abaisse graduellement
jusqu'à la formation inférieure des mousses et des fougères.
Que si, à partir do la zone équatoriale du continent jusqu'à
ses eKtrémités polaires , on voit de plus en plus s'effacer et
disparaître le caractère gigantesque et luxuriant de la vé-
gétation, il en est de môme quand on s'élève, sous les
tropiques , des basses régions des côtes aux sommets des
montagnes couvertes de neiges éternelles , en traversant les
régions diverses qu'on a l'habitude de diviser en trois
groupes principaux désignés sous les noms de terra ca-
iiente, templada etfria. Le groupe intermédiaire comprend
les contrées où, à l'abri d'un printemps presque éternel, on
rencontre de verdoyantes prairies, des arbres vigoureux cou-
verts du plus beau feuillage en même temps que les formes
fantastiques et gigantesques du monde tropical; contrées aux-
quelles la nature a prodigué tous ses dons et qui sont aussi
les plus agréables et les plus saines de toute l'Amérique.
Si en raison de son climat l'Amérique l'emporte sur tou-
tes les autres parties du monde sous le rapport du dévelop-
pement grandiose de la vie végétale et même sur l'Afrique
comme gigantesque serre chaude équatoriale , elle ne pré-
sente pas la même richesse en ce qui est du règne animal,
encore bien qu'à cet égard elle offre à l'observateur use
physionomie toute particulière. Si le jaguar et le kougouar
de l'Amérique n'ont pas la majesté du lion et du tigre de
l'Afrique , si le tapir ne rappelle que de loin l'éléphant ou
l'hippopotame , si le lama ne saurait soutenir la compa-
raison avec le chameau , l'Amérique possède en revanche
beaucoup d'autres espèces d'animaux qui lui sont propres.
Ainsi , des espèces particulières d'ours et de rennes ,
des bœufs bisons et moschus, des écureuils et des zibe-
lines habitent les plaines et les rochers arctiques. Le cerf
de Virginie , le mouton sauvage de la Californie , le chien
de Terre-Neuve , appartiennent à l'Amérique septentrionale.
Les animaux particuliers à l'Amérique centrale et méri-
dionale sont l'aj ou le paresseux, le fourmilier, les ar-
madilles, le condor, qui habite les régions les plus éle-
vées des Andes , les plus belles espèces de perroquets et
de singes dans les forêts, le colibri, au plumage d'un éclat
métallique, le scarabée du Brésil, l'araignée des buissons et
AMK
i'araignée volante de la Guyane, les serpents ii sonnettes
sur les bonis des cours d'eau, l'anguille tre»d)lante des eaux
équatoriales, et les essaims de niousquites dans les vastes
plaines. Des troupeaux entiers de chevaux , d'ànes et de
mulets sauvages, de bêtes à cornes , de poules et de din-
dons, animaux primitivement introduits par les Européens
et passés à l'état sauvage, errent dans les plaines.
Quand on considère ce qui est connu du règne animal de
l'Amérique, on remarque que les classes du degré infé-
rieur de développement y sont, toutes proportions gardées,
beaucoup plus nombreuses que dans les autres parties de
la terre. Par exemple un regard d'investigation jeté sur la
constitution physique des monticules qui bordent les côtes
du Chili et des îles voismes, et dont la hauteur est souvent
de deux cents mètres, nous révèle l'existence d'innombrables
espèces d'oiseaux de mer ; car ces monticules ne sont que des
amas de fiente desséchée que viennent déposer k\ des
myriades d'oiseaux qu'on voit passer quelquefois pendant
trois heures sans interruption au-dessus de sa tète en
formant un essaim de plusieurs centaines de mètres. Les
mêmes rapports existent en Amérique entre les trois rt'gnes
de la nature que dans les classes du monde animal. En
effet le règne végétal offre déjà bien autrement de richesses
et de grandeur que le règne animal , tandis que les richesses
du règne minéral y sont voisines ik la profusion. 11 n'y a
pas d'autre contrée de la terre qui produise autant d'ar-
gent , et il en est peu qui sous le rapport de la production
de l'or puisse rivaliser avec les régions équatoriales de
l'Amérique , de môme quil en est peu d'aussi riches en
diamants et autres pierres précieuses que le Brésil , la Nou-
velle-Grenade, le Chili et le Pérou. L'Oural seul peut riva-
liser aved'Amérique pour la production du platine. Au com-
mencement du dix-neuvième siècle , sur le produit total
des mines de r.\mérique, de l'Europe et du nord de l'Asie,
l'Amérique seule figurait pour 80 pour 100 dans la pro-
duction de l'or, et pour 91 pour 100 dans la production de
l'argent. 11 est vrai de dire que depuis lors l'abandon dans
lequel est tombée l'exploitation des mines à la suite des ré-
Tolutions politiques dont le Nouveau-Monde a été le tliéâtre,
avait sensiblement changé ces rapports dans la production
des métaux précieux ; mais la découverte et l'exploitation
encore toutes récentes des mines d'or de la Californie a dû
les rétablir. On a calculé qu'avec tout l'argent extrait depuis
trois cents ans des mines de l'Amérique on arriverait à
construire une sphère de 85 pieds de diamètre.
La diniinution qu'on a lieu d'observer dans la richesse et
la quantité des degrés supérieurs des formes du développe-
ment pliy.sique en Amérique se fait également sentir dans
les races aborigènes. En effet sous le rapport de la force
et du nombre l'homme y est encore de beaucoup inférieur
au monde animal. On peut douter que l'Amérique , comme
individu terrestre isolé, ait produit de son propre sein une
race particulière d'hommes , bien moins parce que la race
primitive y porte l'empreinte visible du type caractéristique
de la race asiatique , que parce que la nature de ce conti-
nent , d'une part en raison de son type sauvage , de l'autre
en raison de l'absence défont appui vigoureux, paraît avoir
été peu proi)re à élever une race encore mineure, et parce
qu'elle présente, au contraire, tous les caractères d'une terre
destinée à être colonisée. Quoi qu'il en soit, qu'on accorde à
l'Améri(iue son Adam à la peau cuivrée ou bien qu'on fasse
provenir ses habitants aborigènes d'une race asiatique se
perdant <lans la nuit des temps, quand les Européens dé-
couvrirent pour la première fois l'Amérique , ils y tiouvè-
rent, indépendamment des peuplades mongoles des régions
polaires, une population essentiellement américaine. Ces
Imbilants aborigènes, ainsi qu'on les appelle peut-être à
tort, avaient les cheveux noirs, lisses et roides, la barbe
épaisse, le front bas et déprimé, les os de la joue sailli'.nts
connue ceux des Mongols et la peau cuivrée. Mais le type
RIQUE 467
de leur physionomie, leur nez aquilin et leur stature
moyenne , quelquefois aussi fort élevée , rappelaient la race
caucasienne. Depuis Christophe Colomb une fouie d'Euro-
péens appartenant à toutes les nations sont venus s'établir en
Amérique. Le souffle de leur activité a frappé de moit ces
races aborigènes, et cela d'autant plus rapidement que la fai-
blesse de la nature américaine lit bientôt éprouver le besoin
d'introduire dans ce nouveau continent la race vigoureuse du
nègre, pour l'employer aux travaux de la culture, et d'y
transplanter ainsi la race noire en même temps que la race
blanche pour les juxtaposer à la race cuivrée. De l'union
de ces trois races différentes sont provenus des métis dé-
nommés suivant la diversité de leur origine, et parmi les-
quels les Espagnols ont établi les onze degrés suivants : les
.Vesfisos , enfants d'un Européen et d'une Indienne ; les
Qiiaternos , enfants d'un Européen et d'une métisse ; les
Ochavones, enfants d'un Européen et d'une Qiiarterana ;
les Pulchuelches , enfants d'un Européen et d'une Ocha-
vona ( les enfants d'un Européen et d'une pulchnelcha
sont assimilés de tous points aux Européens ) ; les Mulatos
( mulâtres ) , enfants d'un Européen et d'une négresse ; les
Quinterones , enfants d'un Européen et d'une mulâtresse;
les Saltatras , enfants d'un quarteron et d'une Euro-
péenne; les Calpanmulatos, enfants d'un mulâtre et d'une
Indienne; les Chinos , enfants d'un calpanmulâtre et d'une
Indienne ; enfin les Zambos , enfants nés d'un nègre et
d'une Indienne. On appelle Créoles les habitants du Nou-
veau-Monde descendant de pères et de mères européens
unis en légitime mariage.
On peut évaluer la population totale de l'Amérique à
50 millions d'âmes. C'est à peu près un dix-huitième de la
population totale de la terre , tandis que sa superficie repré-
sente le dixième de la superficie du globe. Cette faiblesse
comparative de la population, qui ne donne que cent trente-
deux habitants par myriamètre carré, ne l'emporte que sur
celle de l'Australie, qui est encore six fois moindre ; relative-
ment à la population de l'Afrique , elle est comme 1 à 3 ;
relativement à celle de l'Asie comme 1 à 7 ; enfin , relative-
ment à celle de l'Europe, comme 1 est à 20. Comme diver-
sités de races, ces 50 millions d'babitants se subdivisent en
20 millions de Caucasiens, 8 millions de Nègres, 13 millions
et demi d'Américains et 9 millions et demi de I\Iétis; enfin,
sons le rapport religieux, en 44 millions de chrétiens et 5 1/2
millions d'idolâtres. L'histoire de la population aborigène de
l'Amérique est enveloppée d'une mystérieuse obscurité. Les
investigations de la science moderne ne projettent que bien
peu de lumières sur l'époque qui précéda la domination
des Européens. Dans l'Ancien -Monde, la civilisation se
développa entre la zone torride et la zone glaciale de l'hé-
misphère septentrional ; elle s'établit .sur les plateaux peu
élevés et dans les vallées dominées par des plateaux de pre-
mier ordre qu'habitaient des peuplades barbares, en prenant
sa direction de l'est à l'ouest. Il en fut tout autrement en
Amérique. Les seules irniptions dont fasse mention l'bis
toire y furent le fait de peuples civilisateurs , qui s'avancè-
rent du nord au sud en suivant le plateau des Arid; s. La civi-
lisation aborigène partit à la fois de trois points centraux. Les
hautes plaines du Pérou , de Cundinamarca et du Mexique
formèrent autant de foyers pour la civilisation du conti-
nent. Les Péruviens , sous les Incas, fils du Soleil , leurs
souverains et en même temps leurs grands prêtres, se
laissèrent enchaîner par la douce religion de .Manco Ca-
pac , et constituèrent une nation paisible mais sans énergie.
Les Toltèques et les Aztèques du plateau d'Anabuac furent
gouvernés plus politiquement et plus militairement par les
caciques ; tandis qu'au centre, entre le Pérou et le Mexique,
les Muyscas obéissaient dans Cundinamarca à un chef spi-
rituel et à un chef temporel. Tous, depuis le lac (ie Titicaca
.jii.squ'à Mexico, se livraient à la pratique de i'archilec-
lure, des métiers et des arts; ils ont laissé des traces d'une
;VJ.
468 AMÉRIQUE
civilisation à eux i)roi»rc, mais ils demeurèrent toujours
étrangers aux soins qu'exige lY-lèvc des troupeaux. Dans
l'isthme de Panama , des peuplades sauvages et guerrières
interrompent le Uiéùlre d'activité des nations civilisées, tandis
que dans les zones tempérées des Andes, au nord et au sud,
on trouve des nations servant de i)oint de transition entre
une civilisation déjà avancée et les hordes sauvages des
vallées. Au sud, c'est le peuple guerrier et hospitalier, agri-
culteur et pasteur des Araucans, lesquels habitaient les vallées
alpestres du Cliili; au nord, dans les plaines élevées de l'O-
régon, ce sont des populations à moitié mongoles, comme
les Wakash à Vancouver , ne vivant que des produits de
leur chasse et de leur pèche , mais qui avaient déjà , avec
un gouvernement régulier, une langue assez bien formée,
qui savaient travailler le fer et le cuivre , et qui présentent
de nombreux monuments d'une civilisation particulière.
La race silencieuse, Iroide, triste, insensible des Indiens
( nom (jiii leur vient de ce que lors de la découverte de l'A-
ménipie on crut d'abord avoir trouvé la voie la plus courte
por.r arriver aux Grandes Indes), liabilc les vallées et
les plateaux peu élevés ; sauvages aborigènes , qui parcou-
rent ces vastes solitudes en se livrant à la chasse et à la
pèche , ayant bien quelque idée de Dieu et de l'immortalité
de Pâme, mais étouffant les inspirations de l'adoration pure
àe Dieu sous les pratiques les plus diverses de l'idolâtrie,
et dont les sens extérieurs sont arrivés à un degré de finesse
presque incroyable, parce que leur existence ne se com-
pose guère que d'une succession d'occupations corporelles.
Comme les résultats obtenus jusipi'à ce jour par les re-
cherches philologiques ne suffisent pas à beaucoup près pour
grouper les peuples en familles, en branches et en rameaux
de familles, la division géographûpie demeure toujours pro-
Tisoirement celle qu'il convient le mieux d'appliquer aux
différentes populations américaines, parmi lesciuelles nous
établirons en conséquence les classifications suivantes : 1° le
f,'roupe des peuples polaires, à sa'çoir : les Es((ulmaux du
Groenland jusqu'au détroit de Bering, et au nord-ouest les
Tschoucktsches, les Aléoutes, les Konœges, les Kénaizes, les
Ougascbtinioutes et les Tscboiigatscbes ; 2" le groupe du
nord-ouest ou Colombien , entre les plaines déseiles de la
Californie, les montagnes Rocheuses et le grand Océan, à sa-
voir : les Koliousches, les Têtes-Plates , les Sopounisches ,.
les Slouacous, les Schoschones ou Indous-Serpenls, etc. ;
.'^" le grand groupe oriental ou atlantiiiue de l'Amérique du
Nord comprenant par conséquent h; vaste espace rpii s'étend
entre les montagnes Rocheuses et l'océan Atlantique , le
golfe du .Mexique elles cotes Arctiques, grou[)e aujourd'hui
brisé et limité dans son expansion par l'émigration des Eu-
ropéens. On y distingue neuf nations, à savoir ; a, lesAtha-
pescofs, habitant au nord d'une ligne à tirer depuis la source
de l'Athaiiescof jiiscpi'à l'embouchure du Nelson et com-
prenant diverses races d'Indiens distinguées chacune par un
surnom; b, les Algonquins-Lenapes, habitant le lerritoire
compris entre l'Athapescol et l'emhouc'linre du Saint-Lau-
rent, parmi lesquels on distingue les Knislinos, les Algon-
quins, les Chipijcways, les Lénapes, et même les Delawarcs
ainsi que les <Ierniers débris des INIoiiicans au sud-est; c, les
Iroquois et lc> Hurons, aux environs des lacs Ontario et
Erié; (/, les Sioux, entre le Mississi|)i, le Missouri et les
montagnes Rocheuses, parmi lesquels on distingue les Assi-
niboins, tes Mandanes et les Osages ; e, les Chicasas et les
Chactas, à l'est du Das-Mississi|)i ;/, les Clierokees, sur les
rives du Tenessee supérieur; g, les Natchcz, sur les rives
du Ras-Mississipi ; h, lesCreekset les Séminoles, à partir
de l'extrémité septentrionale de la Floride jusqu'aux nioiils
Apalaches; i , les Pieds-Noirs et les Pawnies, etc., à l'ouest,
entre Arkansas et Yellovv-Stone; k, enlin lesCumaïuhes, au
sud d'Arkansas; '»" le groupe du Noiiveau-Me\i(pie et «le
la Californie, sur les plateaux du Nouve;ni-.Me\i(pie dont les
plaines s'étendent à l'ouest jusqu'aux côtes de la Calilbrnie
groupe comprenant les Apaches, etc., etc. ; 5" le groupe de
l'Amérique centrale comprenant : a, les Mexicains propre-
ment dits ou Aztèques, sur le plateau d'Anahuar (Aztèques,
loltèques, Chichimèques, Akolhues, etc.), parlantla langue
aztèque et les idiomes qui en dérivent ; 0, les peuples non
aztèques, au nord et au sud, établis près des précédents et
quelquefois même au milieu d'eux , par exemple les Otlio-
mis, les Tarasques, les Totonaques, lesMistèques, lesGoui-
ches, etc. ; 6" le groupe septentrional de l'Amérique du Sud,
au nord du fleuve des Amazone§ , à savoir : «, Les Ca-
rad)es, peuplade dominante (les Caraïbes des Antilles
n'existent plus depuis longtemps) et les Guaraunos, les
Cbaymas, les Pariagotes, les Coumanagotes , les Guayanos,
les iamanaques, les Aravaques et autres peuplades ayant une
grande affinité avec les Caraïbes ; b, les Ottomaques ; c, les
Salivas, sur les bords de l'Orénoque; d, les Yarouras, au nord
du Meta inférieur; e, les Maypoures, sur les rives de l'Oré-
noque supérieur et cent vingt-deux autres nations, distinguées
par autant de langues différentes ayant chacune plusieurs
dialectes ; 1" le groupe péruvien , à savoir : a , le peufile des
Incas, dont la langue dominante est le quichua avec ses
cinq principaux dialectes; b, les nations fixées sur l'U-
cayale, par exemple les Panos; c, les Indiens-Chiquitoset
Moxos , qui habitent le haut et le bas Madeira ; d, les peu-
ples de Chaco, à l'ouest du Paraguay (les Guayacoures, les
Abipons, etc. ); 8° le groupe brésilien, depuis l'embouchure
de la Plata jusqu'au fleuve des Amazones, et comprenant :
a, les Guaranis, groupe principal subdivisé à l'infini avec
les langues les plus diverses (les Guaranis du sud , de l'est,
de l'ouest, les Omagouas, les Tocantines, les Mouras, les
Rororos, les Xavantes , les Xérentes , les Guyapos, les Roto-
cudos, etc. ) ; i, les Charruas sur les rives de l'Uruguay ; c, les
Guayanas, sur les bords du Parana, et cinquante et une au-
tres nations avec des langues différentes, mais encore presque
inconnues; 9" le groupe méridional de l'Amérique du Sud, à
partirdu 30" degré de latitude sud jus(prà l'extrémité méridio-
nale du continent, et compienant un grand nombre de races
différentes : par exemple, les Gauchos, les Puelches, les
Araucans ou Molouques , les Tehouelhets ou Patagons , les
Houiliches et les Pescbérbés ou Yakanakous. Si les connais-
sances qu'on possède au sujet des races indiennes sont encore
fort incomplètes, on peut cependant évaluer le nombre de
leurs langues à quatre cent cinquante et celui de leurs dialectes
à deux mille. En général, on peut considérer les peuples chas-
seurs de l'Amérique du Nord comme l'emportant sous le rap-
port du développement intellectuel sur les peuples pécheurs
de l'Amérique du Sud; et l'on est en droit d'espérer que l'esprit
investigateur des liuropéens saura suivre les traces d'une
obscure époque antérieure et primitive qu'on rencontre dis-
persées sur tous les points de l'Américpie, depuis les ruines
de villesqu'on trouve sur les bords de l'Ohio jusqu'aux figures
sculptées sur les rochers des montagnes de Pariuia, et re-
construire ainsi quelques jours une histoire complète de l'A-
mérique, qui manque encore à ce moment.
Depuis trois cent cinquante ans, l'Amérique a complète-
ment changé de physionomie sous le rapport ethnogra-
phique. Les Européens l'envahirent, soitcomme conquérants,
soit comme colons, et des mgres y arrivèrent comme
esclaves. Les Espagnols et les Poitugais s'emparèrent de
l'Amérique du Sud et du Mexique, les Français et les An-
glais de l'Amérique du Nord, encore bien que les premiers
n'aient pas tardé à se voir obligés de céder la place aux
seconds. Les Russes se sont fixés à l'extrémité nord-ouest.
Les Antilles .sont devenues un sol commun pour six nations
européennes et pour un peuple nègre, et la Guyane un pays
de colonies pour la France, l'Angleterre et la Hollande. C'est
dans la péninsule Ibérique et la Grande-Rretagne que surgit
l'idée de faire de rAméri((ue une nouvelle Europe, de la con-
quérir, de la civiliser et de la convertir au christianisme. Les
l^pagtiols conquirent et occupèrent les hauts plateaux des
Andes ainsi que les parties (U^jJi civilisées île rAniériqne ;
comme ils ne pouvaient ni expulser ni anéantir la population
qu'ils y trouvaient, ils s'établirent au milieu d'elle, et firent
des iiabitants aborigènes leurs travailleurs et leurs sujets. Les
l'ortiigais au sud et les Anj^lais au nord colonisèrent les cotes,
refoulèrent les indigènes dans l'intérieur des terres des nou-
veaux litats, plus empreints au sud d'éléments américains et
beaucoup moins au nord, mais dans lesquels on suivit deux
voies de développement essentiellement opposées. Les uns s'é-
taient lixés dans un pays dont le climat et le sol étaient sem-
blables à ceux de leur patrie ; les autres avaient fait choix des
régions équinoxiales, régions auxquelles ils n'étaient pas ha-
bitués, et prirent des esclaves nègres pour les cultiver. Dé la
sorte s'établit une division naturelle des divers éléments de
la population du sol américain. Dans l'Amérique du Nord, la
partie sud-est devint européenne, et les populations indiennes
durent se retirer à l'ouest. Dans l'Amérique du Sud, au con-
traire, elles se trouvèrent cernées de toutes parts, et ne purent
communiquer librement avecl'Océan qu'en Patagonieoudans
les delt;is de l'Orénoque et du fleuve des Amazones. L'Amé-
rique centrale et la partie ouest de l'Amérique du Sud furent
des pays où les Emopéens et les bidigènes se confondirent.
Les rives orieutales,entre le 35° de latitude nord et le 35" de
latitude sud, devinrent des pays européens avec des esclaves,
et au delà de ces parallèles , des pays également européens,
mais sans esclaves. L'Amérique européanisée présente par
conséquent trois castes , les Européens, les indigènes et les
esclaves. Leur couleur établit entre elles des divisions bien
tranchées ; mais les barrières sociales qui en résultent n'ont
pas partout la même force. En effet, l'Espagnol et le Portu-
gais s'allient avec une grande facilité avec les indigènes,
tandis que l'Anglo-Aniéricain établit entre lui et celte race
"une rigoureuse ligne de démarcation ; dans les Antilles les
blancs et les noirs s'allient, mais sans se confondre. L'in-
fluence des blancs agit d'une manière prépondérante sur le
développement des rapports sociaux ; car en raison de la
supériorité de ses facultés intellectuelles le blanc domine
l'apathique indigène , le nègre sensuel et opprimé, de même
que le mulâtre à l'esprit actif et entreprenaiit ; mais il élève
peu à peu ces castes inférieures à son degré de civilisation et
d'instruction. La civilisation des blancs d'Ibérie n'étant pas
la même que celle des blancs d'Angleterre , cette différence
a produit deux éléments opposés agissant sur le développe-
ment des destinées de l'Amérique. Les Espagnols et les Por-
tugais arrivaient du midi de l'Europe, pays d'origine romane,
catholique et soumis au pouvoir absolu. Ils abandonnaient
leur patrie, attirés par les trésors du Nouveau-Monde, et s'é-
tablissaient sous un climat nouveau pour eux, qui en dévo-
rait un grand nombre, qui énenait les uns et enivrait les
autres. L'immense Océan par ses nombreux et rapides cou-
rants contraires, opposait de grandes difficultés au retour
en Europe et isolait les colons de leur patrie. La force fut
employée pour contraindre l'indigène à embrasser extérieu-
rement le catholicisme, mais rarement on réussit à convertir
son cœur. La civilisation , déjà amollie et languissante sur le
sol natal^ne put pas jeter de solides racines sur cette terre
étrangère. Le gouvernement laissa à dessein le peuple dans
l'ignorance , en même temps que des lois égoïstes entra-
vaient le commerce, l'industrie et les rapports des diverses
populations entre elles. C'est ainsi que le colon fut condamné
à périr avec l'indigène, l'indigène avec le colon, et que sur
les ruines des colonies se constituèrent divers États indé-
pendants, la [)lupart avec la forme républicaine , mais quel-
ques-uns aussi comme monarchies. Toutefois, rien dans ces
bouleversements sociaux n'annonça m\ peuple digne de la
liberté; et des guéries continuelles signalèrent seules im ré-
gime et une existence politiques essentiellement éneivés.
Il en fut tout autrement dans l'Amérique anglaise. Le
colon britannique arriva comme représentant de l'Europe
germanique, modérée, protestante, industrieuse, libre et
AMÉRIQUE 4G9
morale , dans une contrée analogue à celle où il avait vu
le jour. 11 n'y rencontrait ni or ni argent, mais un sol qui
n'attendait que les bras du travailleur pour le récompenser
amplement de ses peines. 11 y constitua des communes libres,
fonda toutes les institutions sur la religion , et resta sans se
mêler avec la race indigène non plus qu'avec la race nègre.
Les rapports avec la mère-patrie étaient faciles pour lui , et
ne tar<lèrent pas à prendre une grande activité en ce qui
louche rintelligcnce connue en ce qui regarde le commerce.
Ce que les colons avaient apporté de la mère-patrie avec eux
en fait d'institutions sociales jeta bientôt de profondes racines
sur le sol américain, y prit un accroissement rapide, et, grâce
à une protection libre et intelligente, prospéra là même où
une autre nature semblait prescrire de nouvelles lois. Plus
tard, la plus grande partie des colons anglais formèrent une
nation libre, et constituèrent une puissante fédération d'É-
tats républicains ayant pour base l'égalité des classes de la
société. Non -seulement l'Amérique se trouva en mesure d'ap-
provisionniT l'ancien monde de métaux précieux et de den-
rées coloniales; mais encore il lui fut donné de réagir puis-
samment sur lui par de nouvelles théories politiques. C'est
ainsi que s'est formé un actif antagonisme entre l'Amé-
rique romane et l'Amérique germaine; cependant il est un
point important de la vie sociale à l'égard duquel leur po-
sition est identique , nous voulons parler de l'absence de
classes privilégiées. En effet, une nouvelle patrie , une nou-
velle nature y appelaient une rupture complète, absolue, avec
le passé et exigeaient la communauté du présent pour at-
teindre un môme avenir. Ce caractère fondamental de la
civilisation américaine joue un rôle important dans l'his-
toire politique d'un monde nouveau , appelé à recevoir des
développements tout particuliers, et qu'on ne peut pas encore
considérer comme ayant accompli ses destinées. A l'époque
de leur affranchissement les colons n'avaient parmi eux ni
familles princières pour occuper des trônes, ni aristocrates
pour s'emparer du pouvoir suprême ; des républiques démo-
cratiques devaient donc nécessairement se constituer parmi
eux. Ces républiques devaient aussi être représentatives, car
leurs territoires , qui dépassaient en étendue la plupart des
royaumes de l'Europe, étaient trop considérables pour que
les droits de la souveraineté publique pussent être exercés
autrement que par délégation. Les nouveaux États suivirent
deux voies différentes; ou bien ils se constituèrent en répu-
bliques fédératives , lorsqu'il s'agissait de rattacher les unes
aux autres des populations différant d'origine , de besoins et
d'intérêts, ma'.s comptant un grand nombre d'hommes
éclairés , comme ce fut le cas dans l'Amérique du Nord ; ou
bien on vit s'établir des républiques ayant pour base l'unité,
l'indivisibilité et la centralis.*tion du pouvoir. C'est ce qui
arriva parmi les peuples espî.gnols , qui appartenaient à la
même race et n'avaient jamais possédé de liberté politique
dans la mère-patrie. L'exemple des États-Unis séduisit leurs
voisins du sud ( Mexique et Guatemala), qui adoptèrent bien
les formes moites de la constitution américaine, mais sans
pouvoir s'iîn assimiler l'esprit; circonstance qui provoqua
des dissensions et des guerres civiles, et qui établit en Amé-
rique entre le fédéralisme et l'uni tari sme un antagonisme
non moins violent qu'entre la royauté et la souveraineté du
peuple en Europe. La base première d'une république est la
vertu ; par conséquent, lorsqu'un peuple est aussi profon-
dément démoralisé, aussi ignorant, aussi étranger à la vie
politique que le sont les Espagnols de l'Amérique, la tran-
quillité publique doit y être incessamment troublée et la li-
berté dégénérer bientôt en licence. Les guerres civiles ne sont
pas moins fatales aux républiques unitaires qu'aux républi-
ques fédératives, et font tôt ou tard tomber les unes et les
autres sous le joug du despotisme militaire. Ces luttes d? la
vie politique ont déjà désolé les républiques américaines
ou bien elles les (h'cliircnt au moment où nous écrivons ; là
où elles sonnneillent encore sous le faible abri de la monar-
-170
chie, on peut dire qu'elles n'altendcnt que le premier choc
pour éclater. L'histoire des États de l'Amcrique ne datant
que d'hier, il est encore impossible de prédire d'une manière
bien certaine les destinées d'une société si jeune qui s'est
trouvée trop à l'étroit dans le vieux monde monarchique,
dans les veines de laquelle bat l'élément républicain et dont
l'idéal promet le libre développi ment de l'individu.
"Voici les Étals indépendants de l'Amérique :
1° Les États- Unis de l'Amérique du Nord, augmentés
de plusieurs accessions et menacés d'une dislocation par
la sé|)aration des États à esclaves; 2'^ le Mexique- 3" les
États indépendants de l'Amérique Cmtrale ou Cew^ro-
Américains, à savoir : Guatemala , San-Sal-
vador, Aicaragua, Cùsla-Rica ei Honduras-
4" la république de Venezuela; 5" la N ou vel Ic-Gre-
nade; G" l'Equateur ; 7° le Pérou; 8' la Bolivie-
9'Me Chili; 10" le pays libre des Araucans; li' les
États de la Plata, ou république Argentine; 12" !a ré-
publique de 1' Ur uguay ; 13° celle du Paraguay; U"
l'empire du Brésil; 15° Haïti; 16° la Patagonie.
Voici les colonies européennes :
1° L'extrémité nord-ouest de l'Amérique, la presqu'île
des Tschouksclics et celle des Tscliougatsches, Aliaska les
Aléou tiennes et quelques îles voisines, sont des posses-
sions russes; 2° l'Amérique polaire, les terres de la baie
d'il ud son, le Haut et le Bas-Canada, le Nou veau-
Bruns wick, la Nouvelle-Ecosse, Terre-Neuve
les Bermudes, les tucayes, diverses petites An tilles'
comme la Trinité, Tabago, Grenade, Saint-Vin-
cent, etc., la Jain ^ïque, le district forestier de Bal ise
la côte des Mosqu [tos (qui s'est placée sous la protec-
tion britannique), la Guyane anglaise elles îles Falk-
1 and, appartiennent à l'Angleterre; 3° le G roen land,
Sain te- Croix, Saint-Thomas et Saint-Jean (petites An-
tilles), sont au Danemark; 4° Curaçao et la Guyane
hollandaise sont à la Hollande; 5° la Guadeloupe
et la Martinique (.Antilles), la Guyane française,
Sainl-Pierre et Miquelon, appartiennent à la Fiance,
qui a pris possession de l'île Clipperton en 1858; 6°
Cuba et Porto-Rico sont à l'Espagne; 7° Saint-
Barthélémy (petites Antilles) est à la Suède.
La gloire d'avoir le premier découvert l'Améiique appar-
tient au Génois Christophe Colomb, qui, après avoir couru
de grands dangers, aborda le 7 octobre 1492 à Guanahani,
une des îles Bahama , à laquelle 11 donna le nom de San-
Salvador. Cependant la première découverte de ce nouveau
continent remonte jusqu'au milieu du moyen âge , attendu
qvie dès l'an 895 des Normands partis d'Islande avaient si-
gnalé la terre polaire septentrionale appelée le Groenland ,
€t qu'en l'année 982 les Islandais , sous la conduite d'É-
rick le Rouge, introduisirent le christianisme sur la cote
orientale ; ensuite les découvertes se succédèrent les unes
aux autres. En l'an 1001, l'Islandais Biœrn découvrit le
Vinland dans la direction du sud-ouest. (.Consultez l'ou-
vrage de Wilhelmi, intitulé : Island, Hvritramanaland ,
Grœnland und Vinland [ Heidelberg, 1842 ].) Plus tard,
les frères Niccolo et Antonio Zeni, qui entreprirent pendant
les années 1.388 et 1390 une expédition dans l'océan Atlan-
tique du Nord, furent jetés sur les côtes de la probléma-
tique Frieslanda (vraisemblablement les îles Faroei), et
aperçurentensuite une partie de l'Amérique du nord-est, qu'ils
nommèrent Drogno (la Nouvelle-Ecosse). Mais ces décou-
vertes n'exercèrent aucune iniluence sur celle que fit Chris-
tophe Colomb en 1492 ; en effet, elles étaient complètement
oubliées et étaient d'ailleurs toujours restées inconnues djins
les pays méridionaux. Malgré cela, le nouvel hémisphère ne
fut pas dénommé d'après Chri.«tophe Colomb, mais bien
d'après Améric Vespuce, qui n'y aborda pourtarit pour
la première fois qu'en 1501.
M. Alexandre de llum'.mMt, dans ses Recherches cri-
AMÉRIQUE — AMÉRIQUE DU NORD
tiques sur le développement historique des connais-
sances géographiques du Nouveau-Monde , étabht que
c'est en Allemagne où pour la première fois le nouveau
monde découvert par Christophe Colomb reçut le nom d'^-
mérique. Le hasard ayant fait arriver en Allemagne un
exemplaire de l'ouvrage écrit en latin dans lequel Améric
Vespuce a raconté l'histoire de ses voyages en Amérique ,
Martin Waldseemuller, de Fribourg en Brisgau, le traduisit
sous le pseudonyme de Ylacomilus, pour un libraire de
Saint-Dié en Lorraine. Cette traduction eut un immense
succès ; car c'était le premier ouvrage qui donnât quelques
renseignements sur le Nouveau-Monde , dont la découverte
encore récente, préoccupait alors si vivement tous les esprits.
Les éditions s'en succédèrent donc avec une extrême rapi-
dité ; et ce fut Waldseemuller qui proposa de donner à la
nouvelle terre le nom (ÏAmerica en l'honneur de l'auteur
dont il s'était fait l'interprète parmi ses compatriotes. Ce
nom se trouve déjh inscrit sur une carte jointe à une édition
de la Géographie de Ptolémée publiée en 1522 à Metz;
tous les savants ne tardèrent pas à l'adopter ; de sorte que
les Espagnols durent à la fin faire comme tout le monde.
Pour les découvertes ultérieures, royes les articles
Voyages et Nokd (Expéditions au pôle). On doit à Al. de
Ilum holdt de savantes investigations sur l'Amérique
AMÉRIQUE CENTRALE. Voyez Centro-Améri-
CMNs (États ).
AMÉRIQUE DUIVORDou SEPTENTRIONALE. La
moitié septentrionale du continent de l'hémisphère occi-
dental (roj^ez Amérique) forme presque un triangle à angles
droits de 188,000 myriamètres carrés de superficie, et elle
est bornée au nord-ouest par l'océan Pacifique, au nord-est
par l'océan Atlantique, an norJ par la mer Glaciale du Nord.
Son développement de côtes comprend 4,160 myriamètres,
dont 1,556 sur la côte occidentale baignée par l'océan Paci-
fique, 2,079 sur la côte orientale baignée par l'océan Atlan-
que et .525 myriamètres sur la côte septentrionale, baignée
par la mer Glaciale. Les côtes sont découpées par un grand
nombre de golfes et de baies , formant une grande quan-
tité de caps et de presqu'îles. Les plus importantes, parmi
celles-ci, sont le Labrador, entre la baie d'Hudson (le
I)lus grand golfe qu'il y ait au nord de l'Amérique septen-
trionale) et la baie de Saint-Laurent; la Nouvelle-Ecosse,
entre la baie de Saint-Laurent et la baie de Fundy ; la
Floride, entre l'océan Atlantique et le golfe du.Me.xique
( le plus grand golfe qu'il y ait au sud de l'Amérique sep-
tentrionale );l'Yucatan, entre le golfe du même nom et la
merdes Antilles; la Californie, entre le golfe du même
nom etl'océan Pacifique; et enfin la grande presqu'île du nord-
ouest , entre l'océan Pacifique , la mer du Kamtschatka et
la mer Glaciale du Nord , laquelle à son tour forme plu-
sieurs autres prescpi'iles moindres, dont la plus importante
est celle d'.\laschka. La configuration du sol est surtout dé-
terminée par deux grandes chaînes de montagnes , les Cor-
dillères et les monts Alleghanys. Les Cordillères, qui,
par l'isthme de Panama , communiquent avec celles de l'A-
mérique du Sud , traversent l'Amérique dans toute sa lon-
gueur, d';'.bord dans la direction du sud-est au nord-ouest,
occupent presque tout le pays situé entre l'océan Paci-
fique et la mer des Antilles avec le golfe du Mexique , et
en général affectent la forme de plateaux ; mais dans le
Nouveau-Mexique elles prennent avec la forme de chaînes la
direction du sud au nord, se courbent d'abord un peu vers
le nord-ouest dans le territoire de l'Orégon, pour se pro-
longer dans cette direction , sous le nom de montagnes Ro-
cheuses, vers la mer Glaciale, à travers des contrées encore
à peu près inconnues. L'Amérique du Nord est partagée par
les Cordillères en deux parties inégales : le pays situé à
l'ouest, et cel;ii qui se trouve à l'est. Celui-ci se compose
do contrées aifectant la forme de plateaux et encore assez
peu connues {voi/ez les articles C.vlifornie et Orégox ), où
AMÉRIQUE DU NORD
471
les Cordillères s'abaissent à l'ouest , et que limite uni- im-
mense plaine rocheuse, interrompue seulement par quelques
étroit:; ot profonds bassins de fleuves avec des plateaux de
la nature des ste|ipes , au pied des Cordillères , dont la lar-
geur varie à l'iuliiii, et à l'ouest de ces montagnes , le long
des côtes de la mer Pacifique. La contrée située à l'est des
Conlillères forme au nord une plaine immense , sauvage ,
interrompue seulement par quelques crêtes basses et quel-
ques rangées de rochers, s'étendan't au nord jusqu'à la mer
Glaciale , à l'est jusqu'à la baie d'Hudson , et au nord des
lacs c^inadiens jusqu'aux montagnes de Labrador, qui
forment l'angle nord-est de l'Amérique du Nord ; enfin au sud,
jusqu'aux contrées où le Mississipiet le Missouri prennent leur
source. Cette contrée est surtout remarquable par cette cir-
constance , qu'en raison de l'extrême irrégularité de sa con-
figuration superficielle, qui empêche le développement régu-
lier de ses nombreux cours deau , elle renferme une grande
quantité de lacs d'étendui.^ diverse. Leurs eaux trouvent leur
écoulement en partie dans la Mackensie, qui a son embou-
chure dans la mer Glaciale , en partie dans le Churchill, qui
se jette dans la baie d'Hudson '; et en partie dans les lacs
du Canada. Elles comraimiqueiit entre eues d'une manière si
singuUèrement compliquée, que si, comme on le prétend,
elles se reliaient encore à l'ouest au Colombia et au Tacutsche-
Tessé, il en résulterait qu'il existe une communication par
eau entre la mer Arctique , la mer Atlantique et la mer
Pacifique. Au sud de cette contrée rocheuse s'étendit les
terrasses du bassin du Mis sis s ipl et de ses affluents le
Missouri et l'Ohio, centre de l'Amérique du Nord. Ce
territoire consiste en un immense bassin avec une vaste
plaine au milieu , qui s'étend en pente douce depuis la plaine
rocheuse du Nord, entre les Cordillères et les Alleghanys ,
jusqu'au golfe du Mexique , et à l'ouest , au pied des Cor-
dillères, forme un haut plateau désert et pierreux se prolon-
geant à Test jusqu'au Mississipi , en plaines basses , cou-
vertes au nord de forêts vierges, au sud de savanes et , le
long du fleuve et de la mer, de bas-fonds marécageux. Au
contraire , la côte orientale du Mississipi se compose , au
nord , d'un terrain accidenté et fertile , couvert encore en
partie de forêts vierges , qui va toujours en s'élevant jus-
qu'aux monts Alleghanys , et, au sud, d'une vallée extrême-
ment téconde. Dans la plaine des cotes du Mississipi , plu-
sieurs fleuves , provenant les uns des Cordillères , les au-
tres des Alleghanys du Sud, vont en outre se jeter dans le
golfe du Mexique. Le plus important est le Rio del Norte,
qui , dans son cours supérieur, forme la vallée la plus
étendue des Cordillères de l'Amérique du Nord , et qui en
baigne le pied oriental dans son cours inférieur. Les monts
Alleghanys, qui se prolongent du sud-ouest au nord-est ,
limitent le ten itou'e du Mississipi à l'est. Entre leur ver-
sant sud-est et l'océan Atlantique s'étend la teiTasse des
côtes de l'Atlantique, de toute l'Amérique du Nord la contrée
la plus favorable à la culture. A l'exception de quelques
pallies sablonneuses des côtes, elle présente l'aspect d'une
plaine vaste et fertile , s'élevant par ondulations successives
jusqu'aux monts Alleghanys. C'est au sud , là où elle se
confdnd avec la plaine du Mississipi , qu'elle a le plus de
largeur ; puis elle va toujours en se rétrécissant davanlage
vers le nord , jusqu'à ce qu'enfin au nord de l'Hudson les
montagnes qu'elle renferme se prolongent jusqu'à la mer, où
eUvS forment une côte rocheuse, découpée de la manière la
plus accidentée. Au contraire, la plaine qui regarde le sud
va toujours en s'aplatissant davantage, et finit par devenir
sablonneuse et marécageuse. Aussi , au Ueu de ports , y
trouve-t-on des lagunes ensablées , plus particulièrement à
l'extrémité sud-ouest de la contrée , dans la presqu'île de la
Floride. Jusqu'au fleuve Saint-Jolm , tous les cours d'eau
de cette terrasse bien arrosée proviennent des monts Alle-
ghanys , dont la plupart traversent les différentes chaînes
pour former des vallées accidentées. Les contrées qui se
rattachent au bassin du Saint-Laurent et les cinq grands lacs
intérieurs qui lui servent de réservoirs forment la cinquième
partie de l'Amérique du Nord ( voyez l'article Canada ). Ces
lacs d'eau douce, qu'alimentent les eaux de nombreux af-
fluents et celles des lacs du plateau arctique , occupent en-
semble une superficie de TSM myriamètres carrés ; ils sont
situés en terrasses les uns au-dessus des autres et déversent
leurs eaux l'un dans l'autre en toirents rapides et en cata-
ractes, par exemple celle du Niagara, jusqu'au moment
où ils atteignent les basses terres du Canada , entre les ver-
sants nord-ouest des Alleghanys et la partie orientale du
plateau arctique, qui s'abaisse ici dans la direction du sud-est.
Leurs eaux trouvent alors un écoulement plus facile et plus
calme dans le large lit du Saint-Laurent, lequel va se jeter
dans le golfe du même nom.
Le climat de l'Amérique du Nord , qui comprend toutes
les zones , a ceci de particulier, à l'exception de la minime
portion de territoire placée sous les tropiques , qu'il est gé-
néralement plus froid que celui de l'Europe , et surtout à
l'est des Cordillères plus rigoureux , en ce sens que les étés
y sont beaucoup plus chauds et les hivers beaucoup plus
froids , et que la température moyenne de l'année y est au
total beaucoup moins élevée qu'à l'ouest de ces montagnes,
sur le versant qui regarde l'océan Pacifique. Les vents du
nord-ouest , qui y soufflent pendant la plus grande partie de
l'année, en sont la principale cause. Ils doivent en effet ,
pour atteindre les contrées situées à l'est des Cordillères,
traverser les plaines arides de la partie nord-ouest de l'A-
mérique du Nord et les contrées baignées par la mer Arc-
tique ; d'où il résulte qu'en été ils sont moins chargés d'hu-
midité , tandis qu'en hiver, traversant les régions glacées
de la mer Glaciale et les lacs mtérieurs de l'Amérique du
Nord, ils produisent un refroidissement sensible de l'atmos-
phère. Sur la côte occidentale, au conti'aire , ils n'arrivent
qu'après avoir traversé l'océan Pacifique , dès lors après
s'être chargés d'humidité ; circonstance à laquelle il faut at-
tribuer le climat plus tempéré de ces contrées. Indépen-
damment des vents, ce sont surtout les courants de la mer,
notamment le courant arctique, lequel se dirige vers Terre-
Neuve , qui contribuent à l'inégalité de la température. Il en
résulte dès lors que les lignes isothermes de l'Amérique du
Nord fléchissent sensiblement dans la direction de l'ouest à
l'est et du nord au sud ; c'est-à-dire que les contrées du ver-
sant occidental situées au nord ont dans l'année la même
température moyenne que les contrées du versant oriental
situées beaucoup plus au sud ; différence qui est d'autant plus
sensible qu'on se rapproche davantage du nord , et qui di-
minue en proportion qu'on avance vers l'équateur. Il résulte
encore de cette différence de température que le côté occi-
dental de l'Amérique du Nord est cultivable et couvert de
végétation à un degré bien plus rapproché du cercle polaire
arctique que le versant oriental , où , par 56° de latitude ,
le sol ne dégèle en été qu'à trois pieds de profondeur , de
même que la rive septentrionale du lae Huron , placée sous
la même latitude que Venise, reste couverte de neiges pen-
dant six mois de l'année , quoique pendant les trois mois
d'été la chaleur y atteigne en moyenne 21° R. On peut donc
admettre que toutes les contrées de l'Amérique du Nord si-
tuées au nord d'une ligne à tirer depuis le 55° de latitude
septentrion le sur la côte occidentale , jusqu'au 50° de lati-
tude septentrionale sur la côte orientale , et même encore
quelques parties situées au sud de cette ligne , sont im-
propres à la culture des céréales de l'Europe, puisque déjà
même les contrées à l'est et au sud du golfe Saint-Laurent,
par exemple Terre-Neuve, le Nouveau-Brunswick et la Nou-
veîle-Écosse, sont fameuses par leur climat âpre et nébuleux,
qui ne permet déjà plus la moindre culture à Terre-Neuve.
La population totale de l'Amérique du Nord s'élève à vingt-
neuf millions d'âmes. Sur ce nombre , on compte sept mil-
Uons d'Indiens et de métis, et pas tout à fait trois millions et
472 AMERIQUE DU NORD
demi de nègres et de mulâtres, dont deux millions et demi sont
esclaves. Le reste de la population est d'origine européenne.
Les États particuliers de l'Amérique du Nord sont, au sud :
les États indépendants de IWmérique centrale, la république
du Mexique avec 1' Vucatan, et les États-Unis ; sur
la côte occidentale le territoire de l'Orégon ; sur la côte
nord-ouest , les établissements russes ( voye:, Nolvkl-Ar-
CHAJSCELSR ) ; Ics posscssions britanniques , qui , outre l'é-
tablissement d'Honduras sur la C(Jte occidentale de T Vu-
catan et les Bermudes, comprennent tout le reste de
l'Américpie du Nord, par conséquent toutes les contrées si-
tuées au nord des États-Unis et à Test des possessions russes,
composées des gouvernements du Canada, du Nou veau-
Brun s wick , de la Nouvel Ic-Écosse avec le cap Breton,
de nie du Prince-Edouard, de Terre-Neuve avec le
Labrador, des terres baignées par la baie d'IIudson
avec la Nouvelle-Galles; enfin, le Groenland avec
les établissements danois.
AMÉRIQUE DU SUD ou MÉRIDIONALE. La moitié
méridionale de l'Amérique forme un triangle à angles
presque droits d'environ 170,550 myriamètres carrés , dont
l'bypoténuse , allant presque exactement du nord au sud
dans le méridien de 53° de longitude occidentale , aboutit au
nord au cap Galinas, par 12° 1/2 de latitude septentrionale,
et, au sud , au cap Forward , situé presque sous le 54° de
latitude méridionale, tandis que les deux perpendiculaires se
réunissent au cap Saint-Rocli, par 17° 1/2 de longitude occi-
dentale et 5° de latitude méridionale. Ce triangle , qu'au
nord -ouest l'isthme de Panama joint à l'Amérique du
Nord, est baigné sur toute sa longueur occidentale, qui est
d'environ 700 myriamètres, parle grand Océan , et sur
ses côtés sud-est et nord-est par l'océan Atlantique. Comme
la configuration de l'Amérique du Sud est uniforme et
massive, comme elle manque à peu près de toute échancrure
maritime , attendu qu'elle ne présente que des courbures et
des coupures de côtes comparativement petites , rien qui
approche des vastes baies ni des grands golfes de l'Amérique
du Nord , le développement total de ses côtes ne comprend
qu'environ 2,380 myriamètres, dont 1,505 sur l'océan Atlan-
tique et 875 sur la mer Pacifique. La configuration du sol
est surtout déterminée par les Conlillères des Andes et par
txois groupes de montagnes compU tcment distincts : le haut
pays du Brésil, le plateau de la Guyane, et les montagnes des
côtes de Venezuela avec la petite Sierra-Nevada de Santa-
Mai-ta. Les Cordillères traversent toute l'Amérique du
Sud , dans la direction du sud au nord , et sur sa rive oc-
cidentale , où elles forment une longue cliaîne occupant une
superficie de 31,000 myriamètres carrés; elles suivent d'ail-
leurs toujours de fort près la côte parallèlement à la mer et
en constituant en même temps une crête longue et élevée,
qui ne subit de solution de continuité qu'à l'isthme de Pa-
nama, où existe un profond abaissement du sol, pour, à partir
de ce point, se continuer dans la direction du nord à travers
toute l'Amérique siptentrionalc. Le haut pays du Brésil , au
contraire , situé sur le versant sud-est de l'Amérique méri-
dionale avec son centre placé à peu près entre le 10° et le
30° de latitude méridionale, le 20° et le 40° de longitude
orientale , est le plus considérable des systèmes isolés de
l'Amérique en ce qui touche l'extension superficielle , la-
quelle est de y,900 myriamètres carrés. Il se compose d'un
plateau de 300 à 700 mètres d'élévation qui , à partir des
côtes de l'océan Atlantique, pénètre profondément à l'ouest
dans linlérieur des terres, sans cependant avoir de commu-
nication avec les Cordillères , ni même sans en être la pre-
mière assise, attendu qu'il en est séparé par de vastes plaines,
vers lesquelles il s'abaisse insensiblement sur chacun de ses
versants. Sur ce plateau s'élèvent plusieurs chaînes de mon-
tagnes, courant toutes dans une direction plus ou moins pa-
rallèle à la côte du Brésil et séparées les unes des autres par
de hautes yallées, encore bien que de nombreuses commu-
— AMERIQUE DU SUD
nications transversales existent entre elles au moyen d'em-
branchements {voyez l'article Brlsil). Le plateau delà
Guyane ou le mont Parime, situé sur la côte nord-est de
l'Amérique du Sud, entre l'équateur et le 8° de latitude sep-
tentrionale et les 35° à 50" de longitude oci idenfale, séparé en
outre du pays haut du Brésil par les plaines du Maranon,
occupe une superficie d'environ 6,325 myriamètres carrés,
et se compose également d'un système de plusieurs chaînes
parallèles, courant surtout dans la direction de l'est-sud-est
à l'oucst-nord-ouest , et séparées les unes des autres par de
longues et étroites vallées, qui s'élèvent à partir des côtes de
la Guyane sur l'océan Atlantique, pour de même s'abaisser
en profondes vallées de l'autre côté continental, de sorte que
ces montagnes se trouvent complètement isolées, comme
celles du Brésil. Leur dévation va toujours en augmentant
à partir des côtes ; de sorte que les chaînes occidentales ,
au milieu desquelles se trouve la montagne la plus haute de
tout ce plateau, le pic Diuda, haut de 2,566 mètres, attei-
gnent en moyenne 1,066 mètres de hauteur. Le plateau des
côtes de Venezuela, au contraire, n'est qu'une continua-
tion orientale de la Cordillère orientale de la Nouvelle-
Grenade, et est formée par deux chaînes parallèles très-
rapprochées l'une de l'autre, qui se détachent par 51° 1 2 de
longitude occidentale de la Sierra-Nevada de Mérida et se
prolongent le long delà côte septentrionale de l'Amérique du
Sud sur la mer des Caraïbes, jusqu'au gouffre du Dragon , à
l'extrémUé nord-ouest de l'île Trinidad. Toute cette mon-
tagne n'occupe guère qu'une superficie d'environ 6050 my-
riamètres carrés ; elle s'élève dans la SoUa de Caraccas jus-
qu'à une hauteur de 2,700 mètres, et s'abaisse abruptement
au nord vers la mer, tandis qu'elle se perd insensiblement
au sud dons la plaine de l'Orénoque qui la sépare du plateau
de la Guyane. La Sierra-Nevada de Santa-Marta, enfin, se
compose d'un petit groupe isolé n'occupant pas en superficie
plus de 55 myriamètres carrés, situé entre l'embouchure du
fleuve de la Madeleine et l'embouchure du lac de Maracaïbo,
et s'élevant du fond de la vallée profonde qui l'entoure pour
former une masse compacte de montagnes , dont quelques-
unes atteignent une élévation de 6,000 mètres.
Les vallées et les plaines de l'Amérique du Sud occupent
bien autrement de superficie que ses montagnes. En effet ,
tandis que celles-ci n'ont en total que 41,250 myriamètres
de superficie , celles-là en occupent ime de 135,300 myriamè-
tres carrés. Sauf les très-petites plaines de côtes qui se trou-
vent disséminées au bas du versant occidental des Cordillè-
res, toutes ces plaines sont situées sur le versant oriental
de cette montagne, où elles s'étendent le long de toute sa
base, depuis l'extrémité méridionale de ce continent jusqu'à
l'embouchure de l'Orénoque, à l'extrémité nord-est de la Cor-
dillère de l'Amérique du Sud : de telle sorte qu'après avoir
séparé cette montagne des deux grands groupes isolés de l'A-
mérique méridionale , le plateau du Brésil et le plateau de la
Guyane, entre lesquels elles se prolongent dans la direction
de l'ouest à l'est jusqu'à l'océan Atlantique , elles se divi-
sent en trois parties principales, répondant aux grands bas-
sins de fleuves qui existent dans l'Amérique du Sud. Les
Il an os de l'Orénoque sont la vallée la plus septentrionale
de ces plaines. Ils occupent une superficie de 8,800 myria-
mètres carrés , sur la rive gauche de l'Orénoque , entre le
plateau de la Guyane et la Cordillère orientale de la Nou-
velle-Grenade avec la montagne de Venezuela , s'étendent
depuis le point de partage du Maranon au sud-ouest jusqu'à
la côte de l'océan Atlantique au nord-est, et constituent
ainsi toute la vallée du bassin de l'Orénoque. Dans la
partie sud-ouest, cette plaine aboutit immédiatement à
l'autre grande vallée de l'Amérique du Sud , les plaines du
Maranon , dont elle n'est séparée par aucune montagne ,
mais seulement par un faible exhaussement du sol qui
établit bien le point de partage entre l'Orénoque et le Ma-
ranon, mais qui à un moment donné disparaît si com-
AMERIQUE DU SUD
pK^tement qu'il en résulte , au moyen d*un partage en four-
chette, une conununication naturelle des eaux entre le Ma-
ranon et l'Orénoque. Ce grand bassin du Manuioii , qui
comprend les diflerentes vallées du domaine de ce fleuve ,
occupe l'immense espace de 79,750 myriamètres carrés de
superficie entre le plateau de la Guyane au nord et le pays de
montagnes du Brésil au sud , et entre les Cordillèresà l'ouest
et l'océan Atlantique à l'est , en allant toujours s'abaissant
insensiblement depuis le pied des Cordillères. De mCme
que la plaine de l'Orénoque n'est séparée dans sa partie
sud-est du bassin du MaraSon que par un soulèvement du
sol presque insensible, de mi^me le bassin du Maranon n'est
séparé dans sa partie sud-est extrême de celui de la Plata
que par un soulèvement également imperceptible du sol de
l'immense plaine qui s'étend entre la partie occidentale du
pays de montagnes du Brésil et les Cordillères, comme une
espèce de plateau inférieur. Les plaines ou pampas de la
Plata, qui s'étendent au sud de cette plate élévation du sol,
en formant également la vallée de son bassin , entre les
Cordillères et la partie méridionale du plateau du Brésil jus-
qu'à l'océan Atlantique au sud-est, forment la troisième et
la plus méridionale des grandes vallées de l'Amérique Méri-
dionale, à laquelle se rattaclie plus loin au sud le grand
steppe de Patagonie, avec lequel elle comprend une su-
perficie de 41,800 myriamètres carrés. Mais le steppe de
Patagonie , qui à l'est va depuis le pied des Cordillères jus-
qu'à l'oa'an .\tlantique , s'étend au sud depuis le Rio Co-
lorado jusqu'à l'extrémité méridionale de l'hémisphère. In-
dépendamment de ces trois grandes vallées principales en
rapport l'une avec l'autre, l'Amérique méridionale en compte
encore deux autres complètement isolées : celle qui se
trouve à l'embouchure du fleuve de la Madeleine , entre
les Cordillères et la Nouvelle-Grenade , les golfes de Darien
et de Maracaibo , et renfermant la Sierra-Kevada de Santa-
Marta, laquelle occupe une superficie de 3,740 myriamètres
carrés ; et la grande vallée de la Guyane, avec une super-
ficie de 1,210 myriamètres carrés, et s'étendant au nord-est
du plateau de la Guyane le long de la mer Atlantique , où
elle forme une étroite ceinture de côtes.
Les principaux systèmes hydrographiques de l'Amérique
méridionale ont été indiqués en môme temps que ses trois
principales vallées. Ils consistent en celui de l'Orénoque ,
celui du Maraîion et celui de la Plata. Indépendamment de
ces grands fleuves, nous devons encore mentionner le fleuve
de la Madeleine, qui prend sa source dans la Nouvelle-Gre-
nade, sur le nœud montagneux de los Pastos, coule du sud
au nord entre la Cordillère centrale et la Cordillère orien-
tale, et se jette dans la mer des Caraïbes, après un parcours
de 105 myriamètres , après avoir reçu, à son entrée dans la
vallée, les eaux de la rivière appelée Cauca, qui prend sa
source aux mêmes lieux que lui et coule da^is la même di-
rection à travers la vallée séparant les Cordillères centrales
des Cordillères occidentales; le Paranaiba, au Brésil, qui
prend sa source dans la Serra dos Vertentes sur le plateau
brésilien, et va se jeter dans l'océan Atlantique, après avoir
coulé dans la direction du nord-est ; le San-Francisco, autre
cours d'eau du Brésil , prenant sa source dans la Serra-
Negra du pjateau brésilitn, parcourant la vaste vallée qui
s'étend entre la Serra do Espinhaço et la Serra dos Ver-
lentes, jusqu'au moment où il brise la terrasse de la côte en
décrivant à l'est une courbe pour aller se jeter dans l'océan
Atlantique après un parcours de 182 myriamètres; enfin le
Rio Colorado et le Rio-Negro, tous deux prenant leur source
sur le versant oriental des Cordillères du Chili et se diri-
geant au sud-est, qui parcourent la plaine de Patagonie et
vont se jeter dans l'océan Atlantique. Sur toute la côte occi-
dentale de l'Américiue du Sud on ne rencontre pas un seul
fleuve de quelque iniporfancc. Kn fait de lacs, il n'y a guère
que ceux de Maracaibo et Tilicaca qui méritent d'être men-
tioimés. Le premier, lac d'eau douce qui couvre une super- |
lllLÏ. UL LA OO.NVLKîAllO.N. 1. U
473
ficie de 275 à 333 myriamètres carrés, est situé au nord de
la Cordillère orciilentalc cl à l'ouest des côtes de Venezuela,
dans la partie occidentale du territoire de cetîe république,
et se relie par un large chenal au golfe de Maracaibo, dans
la mer des Caraïbes. Le second, dont la superficie est de 137
myriamètres carrés , est situé dans le haut Pérou , sur les
frontières de la république actuelle du Pérou et de la Bo-
livie , sur un plateau qu'entourent les pics les plus élevés
des Cordillères, à une élévation de 3,980 mètres au-dessus
du niveau de l'Océan. Les eaux en sont salées , n'ont point
d'écoulement et sont sans communication avec la mer. Il n'y
a qu'un très-petit nombre d'îles qui dépendent de l'Amérique
du Sud. Les plus considérables sont les Gallopagos dans
le Grand-Océan, les îles Fa Ikland dans l'océan Atlan-
tique, et la Terre de Feuà l'extrémité méridionale de
l'Amérique , dont elle n'est séparée que par le détroit de
Magellan , et qui forme le prolongement insulaire le plus
méridional des Cordillères.
Le climat de l'Amérique du Sud est dans son genre aussi
varié que celui de l'Amérique du Nord. Si celui de la Terre
de Feu peut presque être appelé un climat glacial, et si dans
les montagnes la chaleur diminue à mesure que le sol s'é-
lève pour atteindre l'extrême âpreté de la nature des Alpes,
en revanche la chaleur tropicale la plus excessive règne sur
les côtes sablonneuses ou désertes de l'Océan, demêraeque
dans les vallées situées sous les tropiques , et plus particu-
lièrement sur les côtes de la mer des Caraïbes et sur celles
de la Guyane; circonstance qui rend ces deux dernières
contrées les plus malsaines de toute l'Amérique du Sud. 11
ne règne pas moins de contrastes dans son système d'irri-
gation . En effet , tandis que la côte occidentale , baignée
par le Grand- Océan, de même que les plaines situées au
delà des tropiques à l'est des Cordillères, souffrent en gé-
néral de la sécheresse , et que là où un système d'irriga-
tion artificielle ne vient pas en aide à la végétation , elles
participent de la nature des steppes ou présentent même
tous les caractères des déserts, les parties de territoire
placées sous les tropiques , à l'est des Cordillères , par
suite des pluies tropicales qui y tombent régulièrement, et
de l'abondante irrigation qui en résulte , et aussi en raison
du sol généralement gras et riche en humus des plaines
et même des montagnes, appartiennent, sauf de rares
exceptions , aux contrées de la terre où la végétation se
montre le plus luxuriante. Les productions naturelles de
l'Amérique du Sud sont donc et beaucoup plus nombreuses
et beaucoup plus abondantes que celles de l'Amérique du
Nord. On peut dire qu'en ce qui est des trois règnes de la
nature, l'Amérique du Sud appartient également aux con-
trées du globe les plus riches et les plus favorisées. Les
habitants de l'Amérique du Sud, au nombre d'environ
16,500,000, sont de races diverses , en partie indiens
ou aborigènes, en partie colons émigrés européens, et
en partie nègres. Les premiers, avec les métis, sont au
nombre de plus de 6,000,000; les nègres avec les mu-
lâtres, au nombre de 3,700,000. On évalue celui des blancs
ou créoles, mais parmi lesquels il y a beaucoup de sang-
niêlés, à environ 0,000,000 d'âmes. Deux peuples européens-
se sont plus particulièrement partagé l'Amérique du Sud,.
les Espagnols et les Portugais : les premiers s'établirent sur
la côte occidentale, et les seconds sur la côte orientale.
Quoique la domination de leur mère-patrie y ait cessé de-
puis plusieurs années , le caractère de ces deux peuples
n'en est pas moins resté vivement accusé dans la langue
comme dans les mœurs du pays; et, à l'exception des pos-
sessions relativement sans importance des Anglais, des
Hollandais et des Français, l'Amérique méridionale tout
entière peut encore être divisée aujourd'hui en partie espa-
gnole et en partie portugaise. Celle-ci constitue l'empire du
Brésil; l'autre se composedes républiques de la Nouvelle-
Gr€;.nade, de Venezuela, de l'Equateur, qui formaient
474 AMERIQU
autrefois ensemble la république de Colombie; et en
outre (lesrépubliquesduPérou, (le la Bolivie, du Chili,
des Provinces unies ou union de la Plat a, de l'Uruguay
et du Paraguay.
Il n'existe point d'histoire de l'Amérique du Sud avant la
découverte de cet hémisphère par les Espagnols, à l'excep-
tion de celle du Pérou sous les Incas, attendu que tout
le reste du pays , habité par des peuplades indiennes , était
demeuré à l'état sauvage. Cette iiistoire ne commence
qu'avec les découvertes et les conquêtes de Colomb, de
Cabrai, de lialboa, de Diaz de Solis, de Magellan,
de P i z a r r e, d' Almagro et d'Orelianos, et de la prise de pos-
session du sol par les Espagnols et les Portugais, qui en fut
le résultat. Depuis lors les différentes colonies espagnoles
portèrent pendant trois siècles le lourd joug de la mère-
patrie , et il n'y avait rien de plus oppressif que les rap-
ports de dépendance dans lesquels elles se trouvaient vis-à-
vis de l'Espagne. C'est ainsi que les fonctions publiques et
les hautes dignités ecclésiastiques, interdites même aux
créoles , n'étaient accessibles qu'aux seuls individus qui
avaient vu le jour en Espagne, et qui abusaient à l'envi de
leur privilège pour s'enrichir. Le commerce y était soumis
aux plus gênantes entraves ; car les productions des colonies
ne ^louvaient être vendues qu'à des Espagnols, et on ne pou-
vait introduire dans les colonies d'auttes marchandises '([ue
celles qui étaient expédiées d'Espagne; prohibitions grâce
auxquelles la contrebande devait nécessairement y prendre
chaque jour de plus grands développements. La culture du
tabac constituait un monopole royal, et se trouvait principa-
lement entre les mains des Espagnols. Il était interdit de cul-
tiver dans les colonies divers produits particuliers à la mère-
patrie, notamment la vigne, etc. Les marchandises d'Eu-
rope, qui ne pouvaient être importées qu'à bord de navires
espagnols, étaient frappées de dfoits de douane excessifs. La
plus dure oppression pesait sur les Indiens , surtout dans
les districts de montagnes, où déjà peu de temps après la
conquête ils avaient été condamnés à exécuter les travaux
les plus rudes dans les mines. L'agriculture elle-même- était
interdite dans ces districts, afin qu'aucune autre occupation
ne vînt distraire leurs habitants de l'exploitai ion des veines
mctalhfères du sol. Il était en outre défendu d'établir des
manufactures dans les colonies , politique dont le résultat
était d'y étouffer toute industrie dans son germe. En raison
de l'extrême dissémination de la population sur d'immenses
territoires , il n'avait pas été diflicile aux Espagnols , sauf
quelques dangereuses insurrections, qu'ils réuSsirent à com-
primer , de bannir toute agitation de ce pays à l'aide d'un
très-petit nombre de soldats, dételle sorte que la guerre de
la succession d'Espagne et môme la guerre d'indépendance
des États-Unis de l'Amérique septentrionale n'apportèrent
aucune modification à l'état de l'Amérique du Sud depuis le
seizième siècle. Les conquêtes faites dans le Nouveau-Monde
par les Espagnols furent, en effet, réunies dès l'année 1510
par Charles-Quint à la couronne de Castille. L'Amérique
espagnole, en y comprenant la vice-royauté du Mexique,
occupait au temps de la plus grande prospérité de la mo-
narchie une superficie d'environ 129,2ô0myriamètres carrés,
avec une population de près de J7 millions d'habitants. Jus-
qu'en ISIO le pouvoir législatif sur cet immense territoire
fut exercé par le conseil suprême des Indes, qui siégeait à
Madrid ; mais la puissance executive appartenait à des gou-
verneurs, investis en Amérique des pouvoirs du roi, à quatre
vice-rois et à cinq capitaines généraux , dont la juridiction
n'avait d'ailleurs aucune connexité sous le rapport adminis-
tratif. Les revenus de la couronne étaient évalués en moyenne
à 180 millions de francs, et provenaient en grande partie de
l'exploitation des mines. Le commerce avec ses colonies ,
dont étaient exclus tous les étrangers , était une source de
profits immenses pour l'Espagne. Elle y importait année
•commune pour plus de 300 millions de marchandises, et
E DU SUD
en tirait, à peu près pour 200 millions de produits'du sol
Des neuf gouvernements que comprenait l'Amérique espa-
gnole, la N'ouvelle-Espagne ou le Mexique et la capitainerie
générale de Guatemala appartenaient à l'Amérique septentrio-
nale. La capitainerie générale de la Havane, composée de
l'île de Cuba et de la Floride, et la capitainerie générale
de Porto-Rico , comprenant l'île du même nom, la partie
espagnole de Saint-Domingue ( voyez Haïti ) et les deux
îles Vierges espagnoles , faisaient partie des Indes occi-
dentales. Voici quels étaient les gouvernements situés dans
r Aniérique méridionale : 1° la vice-royauté de la Nou-
velle-Gienade. Les premiers établissements espagnols y
dataient de 1510. Quand ce pays eut été complètement dé-
couvert et conquis, en 1536, l'administration supérieure en
fut confiée en 1547 à un capitaine général, et en 1718 à un
vice-roi. 2° La capitainerie générale de Caracas ( voyez
CoLoiiBiK et Vénézléla). Après avoir été conquise et colo-
nisée par les Espagnols, cette contrée fut concédée, en 1528
par l'empereur Charies-Quint, à titre de fief de Castille, à la
famille Welser, d'Augsbourg, en payement d'une dette con-
tractée par ce prince avec cette puissante maison de banque.
Mais elle la perdit dès l'an 1550, à cause de l'abus oppressif
qu'elle y faisait de son pouvoir; ensuite de quoi un fonc-
tionnaire de la couronne y fat envoyé avec le titre de capi-
taine général. 3° La vice-royauté du Pérou. 4° La capitai-
nerie générale du Chili, contrée découverte en 1535 par les
Espagnols, et soumise dès l'an 1557, à l'exception du pays
des beUiqueux Araucos. 5° La vice-royauté de Buénos-
Ayres ou Rio de la Plata, avec les provinces de Bu en os-
A y r e s, du P a r a g u a y et de la Plata, et qui formait la
plus vaste des colonies espagnoles de l'Amérique du Sud.
Le premier qui découvrit cette contrée fut l'Espagnol Juan
Diaz de Solis, en 1517. Plus tard, en 1526, le Vénitien Sé-
bastien Cabot, au service du roi d'Espagne, remonta le
fleuve de la Plata, qu'il nomma Rio de la Plata, c'est-à-dire
rivière d'argent, parce que les Indiens avec lesquels il entra
en relation sur ses rives lui apportèrent beaucoup d'argent
provenant de Test du Pérou, et parce qu'il soupçonna l'exis-
tence dans cette contrée de riches veines argentifères. Ce ne
fut qu'en 1553 que les Espagnols y fondèrent un établisse-
ment fixe. Ils construisirent ensuite Buénos-Ayres, siège du
capitaine général, quoique sous le rapport administratif ce
pays dépendit du Pérou. Par suite du monopole exercé par
la mère-patrie, qui n'expédiait qu'une flotte par an dans les
eaux de la Plata, Buénos-Ayres resta pendant quelque
temps fort peu connu de l'Europe. Mais la contrebande ne
tarda pas à exploiter cette riche colonie ; en conséquence, en
174S, les Espagnols y permirent l'arrivée de ce qu'on appela
les vaisseaux de registre , et qui, pourvus d'une licence du
conseil suprême des Indes, purent entrer dans les eaux de
la Plata indifféremment à toutes les époques de l'année.
Buenos -.\yres devint alors en peu de temps une importante
place de commerce. Le gouvernement espagnol ayant dé-
claré ports francs en 1778 sept ports de la monarchie et
cinq autres en 1785, le commerce de la péninsule avec
Buénos-Ayres et avec les ports de la mer Pacifique ne se
trouva plus limité à la seule place de Cadix. Tout le terri-
toire de la Plata fut en même temps érigé en vice-royauté ;
et par suite de l'adjonction qui y f\it faite des districts pé-
ruviens de Potosi, de Changata, de Porco, d'Oruro, de Chu-
quito, de la Paz et de Coranzas, Buénos-Ayres, considérée
jusque alors uni([uement comme une colonie agricole , se
trouva posséder des mines d'une grande richesse. Cette
vice-royauté comprenait : a, le gouvernement de Buénos-
Ayres; b, Las Charcas ou le Potosi, colonisé d'abord par
Pizarre en 1533, avec Chuquisata pour chef-lieu, et Potosi,
fondé en 1547 ; c, le Paraguay, contrée durement tiaitée par
les conquérants espagnols, jusqu'au moment oii, en 1056, les
jésuites en obtinrent la direction suprême ; d, le Tucuman,
découvert par les Espagnols en 1543, conquis en 1549;
ami'rique du sud
e, enfin Cujo ou le Cliili oriental, conquis en 1 500, et remar-
quable par les monuments de IVpoque de la domination des
Incas qui s'y sont conservés.
Les événements qui firent enfin perdre à l'Espagne ses
colonies furent la suite du système colonial si oppressif qui
vient d'être esquissé , qui n'avait d'autre base qu'un égoïste
esprit de monopole agissant uniquement dans les intérêts de
la mére-patrie , et que son extrême injustice avait depuis
longtemps rendu odieux. L'arbitraire le plus illimité régnait
d'ailleurs dans toutes les parties du système administratif,
comme aussi dans la distribution de la justice. Le baut
clergé seul jouissait de quelque indépendance ; mais le
clergé inférieur, recruté dans les classes bourgeoises , et le
plus souvent composé d'indigènes , n'avait aucun espoir de
voir quelque jour sa position s'améliorer ; aussi contribua-
t-il de la manière la plus extivc à la lutte entreprise par les
populations des colonies pour reconquérir leur indépen-
dance. L'instruction publique, <iui se trouvait aux mains des
prêtres, et qui précédemment avait été placée sous la direc-
tion et la siu-veillance suprêmes des jésuites , était organisée
de manière à favoriser avant tout les intérêts de l'Église , et
le gouvernement ne négligeait rien pour qu'il en fût toujours
ainsi. Les établissements supérieurs d'instruction publique,
les universités, en général ricbement dotées , de Lima , de
Mexico , de Santa-Fé , de Caracas et de Quito , de môme
que les écoles préparatoires existant dans d'autres villes ,
ne jouissaient de quelque liberté d'enseignement qu'en ce
qui toucbe l'étude des langues anciennes, ou encore des
sciences n'ayant aucun rapport immédiat avec la religion ou
la politique. La philosophie d'Aristote, les mathématiques,
les sciences naturelles , la médecine , la jurisprudence , la
minéralogie et même les beaux-arts ne laissèrent pourtant
pas , en dépit d'un enseignement décrépit , d'exercer une
heureuse influence sur l'éducation des classes blanches su-
périeures. L'Amérique espagnole put donc se glorifier au
dix-huitième siècle d'avoû: donné le jour à quelques hommes
qui se firent un nom distingué dans les sciences. C'était
principalement dans ce qui avait trait à la foi religieuse et
aux différentes branches des sciences politiques que pré-
valait un système méticuleux de tutelle et de restriction ;
mais les lumières répandues à la suite de voyages faits à
l'étranger, les relations commerciales , surtout celles avec
l'Angleterre , la France et les États-Unis, et la contrebande
des livres éclairèrent beaucoup de têtes parrm' les créoles,
et répandirent des semences qui plus tard , lorsque l'an-
tique tyrannie espagnole s'écroula , produisirent des fruits
merveilleux.
Depuis longtemps les créoles sentaient tout ce qu'avait
d'ignominieusement oppressif le joug qu'on faisait peser sur
eux. En 1750 un Canadien, appelé Léon, organisa à Caracas
une conspiration qui fut découverte, et qui lui coûta la vie.
En 1780 un descendant des Incas, José Gabriel Tupac
Amaru , se mit à la tête du peuple au Pérou ; après avoir
inutilement demandé quelque adoucissement au joug écra-
sant imposé aux Indiens , il recourut avec ses partisans à
l'emploi des armes. Ce fut le signal d'un soulèvement général
des Indiens, qui réclamèrent l'abolition des corvées pour
les travaux des mines et de toutes les iniques mesures lé-
gislatives qui faisaient peser sur eux la plus dure des oppres-
sions. Une guerre dévastatrice éclata alors sur divers points
du Pérou. Tupac Amaru , qui avait pris les insignes de la
dignité impériale, fut, il est vrai, fait prisonnier, et le gouver-
nement espagnol le fit périr au milieu des plus cruelles tor-
tures ; mais les Indiens se réunirent encore sous la conduite
de son frère Diego Christoval et de son neveu André. Déjà
ils avaient réussi à profondément ébranler la domination
espagnole ; mais après quelques années de lutte, leurs chefs,
séduits par des promesses aussi brillantes que solennelles,
consentirent à faire leur soumission , ce qui n'empêcha pas
le gouvernement espagnol de les envoyer au supplice.
475
En 1797 on découvrit encore à Caracas une conspiration
tramée par quelques créoles et quelques Espagnols pour
opérer une révolution, et l'un des chefs du complot, Espaûa,
dût payer de sa vie la part qu'il y avait prise.
Quand la guerre éclata de nouveau, en 1806, entre l'Angle-
terre et l'Espagne, Francisco IM i rand a se rendit à Venezuela
avec l'assistance de l'Angleterre à l'effet d'y combattre pour
l'indépendance de l'Amérique du Sud , et plus tard le gou-
vernement anglais essaya aussi de renverser la domination
espagnole à Buénos-Ayres ; mais l'une et l'autre de ces ten-
tatives demeurèrent infructueuses.
Cependant les habitants des colonies acquéraient de plus
en plus le sentiment de leur force ; et le désir d'améliorations
dans leur situation politique se manifesta avec d'autant plus
de vivacité , que le gouvernement de la mère-patrie faisait
preuve de plus de faiblesse dans ses rapports avec la France.
On en eut la preuve lorsqu'à Bayonne la famille royale eut
abdiqué la couronne d'Espagne et des Indes. Tous les vice-
rois et capitaines généraux des colonies, à l'exception de
celui du Mexique , se soumirent aux décrets de Napoléon ;
mais le peuple s'y opposa , et brûla publiquement les pro-
clamations faites au nom du nouveau gouvernement. Tous
les efforts que Napoléon tenta ensuite pour gagner à ses
intérêts les populations de l'Amérique échouèrent, en dépit
de ses brillantes promesses, notamment de celle de droits
politiques. A Caracas, dès le mois de juillet 1808, le peuple
se déclara en faveur de Ferdinand VII. Des juntes s'éta-
blirent à Montevideo, à Mexico, à Caracas et dans d'autres
grandes villes, et se mirent en communication avec la
junte de Séville. Mais la plupart des gouverneurs espagnols,
au lieu de diriger un tel mouvement avec sagesse, s'oppo-
sèrent aux premières manifestations d'indépendance des po-
pulations américaines. En 1809 le vice-roi de la Nouvelle-
Grenade ayant employé la force pour dissoudre la junte de
Quito, et, au mépris de l'amnistie, ayant fait arrêter un grand
nombre de patriotes, dont beaucoup furent égorgés dans les
prisons, ces événements décidèrent le soulèvement des co-
lonies, auquel ne contribuèrent pas peu d'ailleurs la per-
suasion qu'on eut en Amérique, après la prise de Séville,
que l'Espagne était désormais irrévocablement soumise à la
puissance de Napoléon et le désir qu'éprouvèrent alors
toutes les classes de la population d'échapper au sort de la
mère-patrie. Caracas et l'île Sainte-Marguerite donnèrent le
signal. En 1810 la junte de Caracas s'empara du pouvoir, et
prit le titre de junte supérieure , mais tout en continuant à
exercer le pouvoir souverain au nom de Ferdinand VIL Les
fonctionnaires supérieurs furent déposés comme suspects.
Dès la même année les juntes de Buénos-Ayres , de Bogota
et du Chili imitèrent l'exemple de celle de Caracas. Dès 1809
un gouvernement nouveau s'était établi à l\Iexico au nom de
Ferdinand VII. Le vice-roi , qui penchait pour le parti des
amis de l'indépendance, avait été assailli par les vieux Espa-
gnols et traité comme traître. Le nouveau vice-roi, Vénégas,
s'efforça, à la tète du parti hispano-européen, de maintenir le
pays sous l'obéissance du gouvernement des certes de Cadix ;
mais les persécutions dont les libéraux devinrent l'objet de
sa part ne firent que hâter l'explosion de la révolution. Au
mois de septembre 1810 une insurrection formidable éclata
sous la direction du curé de Dolores , Miguel Hidalgo y
Castello , homme plein de talents et chéri des Indiens. Elle
se propagea si rapidement , que bientôt Hidalgo se trouva à
la tête de bandes armées assez nombreuses pour qu'il osât
marcher sur la capitale. C'est ainsi que dès les premières
années de la révolution de l'Amérique du Sud différents
mouvements insurrectionnels éclatèrent ' à la fois sur les
points les plus oppœés , et se prêtèrent un appui mutuel.
Les mesures adoptées par les Cortès de Cadix ne firent
qu'exciter davantage les colonies à combattre pour leur
indépendance. Sans doute, dès le mois d'octobre 1810, cette
assemblée avait proclamé l'égalité civile des Américains , et
60.
476 AMERIQUE DU SUD
leur avait accordé , comme aux habitants de la péninsule , le
droit d'ôtro représentes et d'envoyer aux cortès un député par
50j000 âmes. Mais lorsqu'il s'agit de procé<ler à l'applica-
tion de cette mesure, les cortès virent que d'après cette pro-
portion les représentants américains seraient beaucoup plus
nombreux que les représentants espajçnols : elles décrétèrent
en conséquence qu'aucun individu de race américaine ne
pomait jouir des droits politiques, être représentant ni
même représenté , esi)érant ainsi assurer la prépondérance
aux députés espagnols. Alors ce fut encore de Caracas que
partit le signal pour la lutte de l'indépendance. Miranda y
arbora , vers la lin de 1810 , l'étendard de la liberté ; et au
mois de juillet 1811 le congrès de Venezuela proclamait
l'indépendance des sept États-Unis de Caracas, de Cumana,
de Varinas, de Barcelona, de Mérida, de Truxillo et de Mar-
garita. En même temps il annonça une constitution calquée
sur celle des États-Unis de l'Amérique du Nord. Depuis l'in-
suiTcction qui avait éclaté à Buénos-Ayres en mai 1810, l'es-
prit d'indépendance ne s'était pas développé avec moins d'é-
nergie dans les provinces de la Plata , où le peuple , sous le
rapport de la civilisation et du caractère moral , l'emportait
sur la plupart des populations hispano-américaines, et d'où
aussi les idées de liberté et d'indépendance se propagèrent
rapidement dans les autres colonies. C'est à Mexico seule-
ment que les premières tentatives des amis de l'indépen-
dance avaient été suivies d'insuccès. Hidalgo, qui manquait
d'armes et de munitions , abandonna tout à coup la route
de la capitale pour battre en retraite. Le vice-roi rejeta
toutes les propositions d'acconunodement qui lui furent
faites , et Calleja , commandant en chef des forces espa-
gnoles , mettant à profil l'hésitation d'Hidalgo , attaqua et
battit les patriotes mexicains au mois de mai 1811. Hidalgo,
fait prisonnier par trahison, mourut sur l'échafaud. Les ré-
voltantes cruautés commises par les vainqueurs ravivèrent
le feu de l'insurrection. En vain l'Angleterre, au moment
où elle avait contracté alliance avec les cortès , s'était ef-
forcée de maintenir les colonies espagnoles sous l'autorité
delà mère-patrie et dès 1810 avait émis le vœu de voir les
juntes américaines se rattacher aux cortès. En 1811 les
cortès acceptèrent bien l'offre de médiation faite par la
Grande-Bretagne dans leur différend avec les colonies ;
mais elles rejetèrent ses propositions, de même que celles
des députés américains venus négocier une réconciliation
avec l'Espagne , notamment la concession de la liberté du
commerce que l'Angleterre stipulait pour l'Amérique et pour
elle-même. Le vieil esprit de monopole au profit de la mère-
patrie, qui dominait parmi les cortès, déjoua tous les efforts
des négociateurs. La régence de Cadix, après avoir déclaré
la côte de Venezuela en état de dIocus, envoya des renforts
en troupes fraîches à la Vera-Cruz , à Caracas , à Monte-
Video et sur d'autres points encore , à l'effet de soumettre
les colonies par la force des armes. Elle fit preuve en toute
occasion de la haine la plus violente pour les Américains ,
et les généraux espagnols dans le Nouveau-Monde furent les
premiers à donner l'exemple de la violation des traités et
des plus révoltantes cruautés exercées à l'égard des prison-
niers. Les atrocités commises au Mexique par Calleja , par
le général Monteverde à Caracas, par le général Guyenoche
au Pérou, où une insurrection avait éclaté dès 1809, et l'ap-
probation donnée à toutes ces horreurs par la régence et les
cortès de Cadix , aigrirent tellement les Américains qu'on
iSll toutes les colonies se déclarèrent indépendantes de la
mère-patrie. Les juntes américaines défendirent résolument
leur indépendance ; et depuis lors la lutte se continua long-
temps encore sur quatre points principaux , à Caracas et
dans la Nouvelle-Grenade, à Buénos-Ayres et au Chili qui l'a-
voisino, au Mexique, et plus tard au Pérou. On y vit le plus
souvent de petites armées combattre sur d'immenses surfaces
de terrain avec un acharnement sauvage pour ou contre la
cause de l'indépendance, jusqu'à ce que la lutte se termin<i
AMESTRIS
en 1824 , par une bataille décisive qui fonda à jamais l'in-
dépendance politique des nouveaux États ( voyez les arti-
cUs C0L0.MB1E , Union de la Plata , Chili , Mexique et
Pliiou ). — On trouvera l'historique de l'autre partie princi-
pale del'Amérique du Sud, des colonies portugaises, àl'article
llnÉsiL.
AMERS, SDbstances ainsi nommées à cause de leur sa-
veur. Elles constituent avec les ai^tringents la classe des
médicaments toniques. Quelques-unes jouissent de pjoprié-
lés purgatives : la rhubarbe, l'aloès, la coloquinte, etc.; mais
alors on les range parmi les purgatifs et non parmi les
amers. Les amers ont pour effet de raffermir la fihre orga-
nique , d'augmenter la consistance des tissus et de favoriser
ainsi les mouvements circulatoires et la résolution des mala-
dies. Leur action est en général lente et insensible. A quoi
doivent-ils de produire celle action .' On l'ignore ; toutefois,
on suppose que c'est en se combinant moléculairement avec
le» différentes parties de notre organisme. Les plus em-
l>loyés d'entre les toniques amers sont : la gentiane , le hou-
blon , le trèfle d'eau , l'absinthe , la centaurée , la pensée sau-
vage, le Colombo , le quassia amara, la chicorée , le lichen
(l'Islande. Les uns contiennent du tannin, les autres des ex-
traits, qui en sont les parties actives. Ils conviennent spécia-
lement aux constitutions molles et lymphatiques, dans les
cachexies , contre le scorbut, les scrofules, les affections cu-
tanées, etc. D'' Delasiauve.
En tnarine, on donne le nom d'amers à certains objets re-
marqués sur une côte, soit qu'ils s'y trouvent naturellement,
comme un rocher, un arbre, etc., soit qu'ils y aient été
placés à dessein, comme une tour, une colonne, un moulin.
Ce sont là pour les navigateurs comme autant de jalons qui
leur tracent la route à suivre en entrant dans une baie, un
port, un chenal, ime passe, afin d'éviter lesécueils et les
brisants. On doit au reste éviter de choisir des arbres pour
amers; car ou ne peut pas compter sur leur durée.
AMÉRYTES. C'est le nom d'une de ces petites dynas-
ties qui s'élevèrent en Andalousie sur les débris de la mo-
narchie des Ommiades. Les Amérytes descendaient du cé-
lèbre Abou- Amer-Mohammed- A 1 m a n z o r. Ils régnèrent à
Valence de l'an 1031 jusqu'au commencement du douzième
siècle.
AMES (Fishër), célèbre orateur américain, naquit à
Dedham (Massachusets) le 9 avril 1758. Fils de Nathaniel
Ames, médecin qui publia [fendant quarante ans un alma-
nach populaire, il prit ses grades à l'université de Harvard
et exerça la profession d'avocat. H se fit connaître par quel-
ques articles de journaux , fut élu membre de l'assemblée
de sa province en 1788, puis envoyé au congrès. Son élo-
quence le fit surnommer par ses compatriotes le Burke
américain. L'effet d'un de ses discours fut tel qu'un des
membres de l'assemblée se défendit de voter sous l'impres-
sion de ce qu'il venait d'entendre. Sa santé s'étant altérée,
Ames se retira des affaires publiques. Dans sa retraite il
essaya de combattre par des écrits les principes révolution-
naires qui prévalaient en France. Il mourut le 4 juillet 1808.
C'était un homme ardent et religieux. Il disait qu'il est im-
possible dêtre éloquent sans lire la Bible. Le docteur Kirk-
land publia en 1809 les Œuvres de Fisher Ames, avec un
portrait el une biographie de l'auteur. Ses Essais sur Vin-
fluence de la démocratie ont été réimprimés. Z.
ÂMES ( Transnugration des). T'oyes Métempsycose.
AMESTRIS, femme de Xerxès, roi de Perse. Ce prince,
étant devenu éperdument amoureux d'Artaynte, femme de
son frère Masiste, voyant ses feux dédaignés et voulant
toutefois arriver à satisfaire sa passion, maria la fille de Ma-
siste à l'héritier présomptif de la couronne, à Darius, son fils.
Mais ArtajTite persista dans son inexorable rigueur. Alors
le roi .séduisit sa belle-fille. Celle-ci lui demanda, en preuve
de son amour, une robe magnifique qu'Amestris avait bro-
dée pour lui. Xerxès se rendit ù ses désirs, et l'impitidente
AMESTRIS — AMEUBLEMENT
477
s'en para. La reine furieuse contre Artayntc, saisit une oc-
casion solennelle, où, suivant un antique usage, le roi devait
lui accorder tout ce qu'elle lui demanderait, pour obtenir
qu'elle lui fût livrée. Dès qu'elle l'eut en son pouvoir, elle
lui fit couper le n z, les oreilles, les paupières, la langue et
le sein, et ordonna que ces tristes débris fussent jetés au\
chiens. Masiste voulut se venger, mais des cavaliers en-
voyés contre lui le massacrèrent. Amestris offrit alors en
sacrifice aux dieux infernaux , qui l'avaient si bien servie,
quatorze jeunes nobles qu'elle fit enterrer vivants.
Une autre Amestris, fille d'Oxathre, et fille du roi Darius,
fut d'abord mariée par Alexandre à Cratère ; elle épousa en-
suite Lysimaque : quelques auteurs lui attribuent la fonda-
lion d'Ame>tris en Paphlagonie, aujourd'hui Amassérah.
AMÉTHYSTE (du grec «(iéSycTo;, qui n'est pas ivre).
Les anciens avaient ainsi appelé cette pierre, parce qu'ils
croyaient que, portée au doigt ou bien suspendue au cou,
elle avait la propriété de préserver de l'ivresse, ou du moins
d'atténuer les effets ordinaires de libations trop abondantes.
Les riches «e faisaient faire des coupes d'améthyste, et l'art
ie la gravure en rehaussait encore la valeur intrinsèque par
la délicatesse el le fini des ornements emblématiques dont il
s'efforçait de les enrichir. On attribue au célèbre graveur
sur pierres fines Dioscorides une tête qu'on dit être celle
de Mécène , el qui orne un des plus beaux échantillons d'a-
méthyste qui existent. — Chez les Juifs , l'amélhyste était
une des douze pierres dont était composé le pectoral du
grand prêtre, sur lequel elle occupait le neuvième rang. —
Longtemps regardée , même par les naturalistes , comme
une pierre précieuse, l'améthyste n'est pas autre chose
qu'une variété de quartz ou de cristal de roche coloré en
violet plus ou moins foncé. Quand sa couleur est belle, elle
a de l'éclat et par suite de la valeur. Comme on s'en sert
pour orner l'anneau des évêques , on l'appelle quelquefois
aussi pierre d'évêque. L'améthyste est assez commune en
Sibérie, en Allemagne et en Espagne , où on la rencontre en
général dans les montagnes qui ont des filons métalliques.
L'amélhyste dite orientale n'est point un quartz , mais
un corindon hyalin violet. Elle se distingue facilement de
l'améthyste occidentale ou quartz hyalin violet, par sa
nuance pourprée, par sa dureté, et par sa pesanteur spéci-
fique qui est quatre fois celle de l'eau , tandis que la densité
du quartz hyalin violet n'est que 2,7 environ.
AMÉTHYSTE (Fausse). l'oye-; Fluorine.
AJUEUBLEMEKT , nom que l'on donne à la réunion
de meubles nécessaires ou superflus que renferme un appar-
tement. Il faut une suite de pièces composant un apparte-
ment complet pour employer le mot ameublement : quand
il est question du pauvre, on dit ses meubles, et non son
ameublement. On se sert encore, avec plus de justesse, du
mot ameublement quand il s'agit d'un hôtel ou d'un palais.
Les anciens nous ont laissé peu de renseignements sur
leurs ameublements. Dans la Bible, comme dans les poèmes
d'Homère , il n'est guère question que de lits , de tables,
de coffres, de lampes, de tentures attachées en draperies
sur les parois des murailles. Il est vrai que ces meubles
sont incrustés d'or, d'ivoire , de pierres précieuses , et que
les tentures sont teintes dans la pourpre. Mais il ne faut
pas plus se laisser séduire par ce luxe des Orientaux, si
poétique et tant vanté, que par celui qu'étalent les grands
seigneurs de Pologne et de Russie , dont les maisons sont
si incommodes à habiter, et qui à côté d'un salon rempli
de marbres et de bronzes d'Italie occupent une chambre à
coucher sans rideaux et laissent dormir leurs gens à terre.
On peut en dire autant de ces magnifiques ameublements des
harems de la Turquie et de l'Inde, où les diamants, les perles,
les broderies, sont prodigués et se résument en quelques
portières, des divans et quelques carreaux ; mais le prix des
tapis qui recouvrent les planchers donne un aspect de
somptuosité à ces demeures où l'on passe le temps à ra-
conter des fables, h entendre les pendules-serinettes de
Paris , à s'engraisser de pilau ou à dormir.
Les Chinois nous semblent être le peuple de l'Asie qui a
le plus multiplié et le plus diversifié les objets dont se com-
pose un ameublement. Mais en Europe ce sont les Anglais
qui l'emportent pour la commodité, la recherche, l'élégance
et la magnificence. Les hôtels de Londres , et surtout les
chùtcaux répandus dans les différents comtés de l'Angle-
terre , sont des musées où les productions des arts et de
l'industrie de toutes les parties du monde sont rassemblées,
afin que dans les plus petits détails le bien-être que peut
comporter la vie matérielle se trouve joint aux satisfac-
tions de l'intelligence ; car les livres précieux ne couvrent
pas moms les rayons de la bibliothèque, les cartons de
dessin ne chargent pas moins les consoles , que les por-
celaines du Japon n'encombrent les vaisselliers. Un ordre
extrême a pour\'u à cet ameublement et y veille sans relâche,
j Un noble duc de Leinster, ennuyé de ce que ses gens cas-
saient de faïence et de verreries , les fit manger à l'office et
à la cuisine dans des assiettes d'argent, et boire dans des
gobelets du même métal. Ce n'est que lorsqu'il lui est im-
possible d'y atteindre que l'Anglais se refuse ces sortes de
jouissances, dont un des grands inconvénients est de le rendre
exigeant, malheureux et insupportable lorsqu'il sort de son
pays. La France, malgré les immenses progrès qu'elle a faits
en ce genre depuis le commencement du siècle, diffère pres-
que autant de l'Angleterre que lltalie et i'Ëspagno diffèrent
de la France.
Sous le règne de Louis Xrv, temps de créations et de
perfectionnements, on n'avait imaginé que fort peu de chose
pour la commodité et l'agrément des habitations. Madame
de Sévigné recommande à sa fille , qui vient de Grignan
passer l'hiver à Paris, d'apporter une tapisFcrie pour tendre
la chambre où elle doit loger. A l'exemple du grand roi, on
comptait pour rien ce qui n'avait que la commodité pour
objet. C'est-ainsi que madame de Maintenon, vieille, malade,
souffrant du froid dans sa vaste chambre à Versailles, ne
pouvait s'y entourer de paravents, parce que, disait Louis, les
paravents dérangeaient la symétrie. Les tapisseries , même
celles des Gobelins, passèrent de mode au dix-huitième
siècle ; on y substitua les tentures en damas, lampas et au-
tres étoffes fabriquées à Lyon ; les canapés , les fauteuils,
les voyeuses, devant être semblables aux tentures, les
dames ne travaillèrent plus à leur ameublement , comme
elles s'en étaient fait im mérite jusque alors. Les métiers à
faire le petit et le gros point furent relégués dans les garde-
meubles , et on remplaça ces massives machines par un
léger métier à broder et par un piano ; car le temps que
demandait la façon d'un ameublement de salon commen-
çait à se diviser entre diverses études. La mode la plus
raisonnable fut celle de boiser les appartements ; au moyen
d'une peinture blanche vernie, de quelques sculptures légè-
rement dorées et de hautes glaces, on eut des appartements
fort élégants , fort gais , qui laissaient au goût le choix da
leur ameublement.
Tout fut grec , tout fut romain à la suite de notre révo-
lution de 1789; les gens du monde ne décidèrent plus de la
mode: ils s'en rapportèrent aux artistes. Ceux-ci, sans
considérer que les anciens vivaient très-peu chez eux, firent
exécuter des ameublements de belles mais de tristes for-
mes : ce goût, que l'on appelait sévère, fut poussé jusqu'à
la manie : on aurait volontiers fait souper les Parisiens
couchés comme chez Lucullus , et sons des portiques ouverts
comme à Milet ou à Corinthe. Le gothique vint plus tard à
la mode. Le goût est plus sage aujourd'hui , mais moins pur;
car les formes contournées, recoquillées , à la Louis XV t
s'éloignent du beau en ameublement comme les tableaux de
Boucher s'en éloignent en peinture.
On ne peut guère citer les ameublements de l'Italie et à<6
l'Espagne , où l'on imite les modes ou françaises ou an-
478
AMEUBLEMENT — AMIABLES
glaises, quand on ne se borne pas aux nattes , aux fauteuils
de rotin et au petit nombre de meubles nécessaires dans les
climats chauds. On pourrait citer l'Allemagne comme un
modèle d'économie en fait d'ameublements : il suffit de
Toir les appartements des archiduchesses à Vienne pour
concevoir l'idée de la simplicité et de l'indifférence de cette
cour quand il ne s'agit que de luxe. Au reste , la somptuosité
et la recherche dans les ameublements annoncent toujours
une vanité et un penchant à la mollesse. Autant le bon goût
et une propreté exquise doivent se remarquer dans un ameu-
blement, autant il est ridicule d'y déployer de la magni-
ficence quand on ne peut en justifier l'obligation. Tel , à
Paris , après avoir fait décorer à grands frais un apparte-
ment , en avoir fait admirer l'ameublement à ses amis , a
été , le soir môme où il devait l'occuper, coucher dans une
prison pour dettes.
Comme on donne le nom d'ameublement à tout ce que
renferme une maison , depuis la batterie de cuisine jusqu'aux
sofas , lustres , torchères et décorations decliemim'es , on peut
appliquer à l'ameublement ce précepte, trop souvent oublié,
de la méthode lancastérienne: que chaque chose ait une place,
et que chaque chose soit à sa place. C"*^ de Bradi.
AMEUBLISSEjVIENT. En terme d'agriculture , c'est
une opération qui a pour but de rendre les terres plus lé-
gères , plus meubles , plus mobiles , c'est-à-dire plus aptes à
permettre aux racines des végétaux de s'étendre dans tous
les sens, et à laisser aux eaux un libre passage; ce à quoi
l'on parvient en les labourant , en brisant les mottes à l'aide
de la pioche , en enlevant les pierres , en mêlant au sol des
substances étrangères, comme du sable, delà marne, du
fumier, de la cendre , etc.
AAIEUBLISSEMEIVT (Clause d'), terme de droit,
qui désigne une des modifications les plus importantes que
peut subir la communauté légale dans le mariage. Si les
époux peuventrestreindre l'étendue légale de la communauté
par la réalisation ou la stipulation de propre , ils peuvent
aussi l'élargir, et de même qu'ils peuvent exclure de leur
société tout ou partie de leurs meubles qui de droit commun
y entreraient , de même ils peuvent y faire entrer tout ou
partie de leurs inuneubles qui en principe en sont exclus.
Toute clause dont tel est l'objet se nomme clause d'ameu-
blissement.
Le mot ameublisseinent ne doit pas se prendre à la
lettre. Il signifie non pas que les immeubles seront réputés
meubles , mais tout simplement qu'ils leur ressembleront
en ce qu'ils entreront dans la communauté. L'ameublisse-
ment est général quand il comprend l'universalité des im-
meubles, et particulier quand il ne comprend que certains
immeubles spécialement désignés. Il est déterminé quand
l'époux a déclaré ameublir et mettre en communauté un tel
immeuble en tout, ou jusqu'à concurrence d'une certaine
somme. Il est indéterminé quand l'époux a simplement dé-
claré apporter en communauté ses immeubles , jusqu'à con-
currence d'une certaine somme ( Code Napoléon , art. 150G).
L'effet et la portée de chacun de ces ameublissements sont
fixés par les articles 1507 et I50S du CoJe Napoléon.
AMHARA (Royaume d'). Voyez Gondar.
AMIIERST (William PITT, comte d'), né en 1773 ,
héritade son oncle, le général baron Ambeist de Holmesdale.
Celui-ci commanda deux fois en chef les forces de terre de
la Grande-Bretagne, et reçut en 17761e titre de baron, qu'il
transmit à sa mort, en 1797, à son neveu, qui fut lui-même
créé comte en 1826. Élevé à l'école du ministre Pitt, lord
Amherst se conduisit dans tous les emplois qui lui fuient
confiés d'après les principes les plus rigoureux du torysme.
Peu après son retour d'une mission diplomatique dans la
haute Italie, la Compagnie des Indes, reconnaissant la né-
cessité d'envoyer une ambassade à la Chine, pour mettre
un terme aux difficultés et aux entraves que le commerce
anglais avait sans cesse à combaltre d;ms ce pays, le choisit
pour son ambassadeur; it quitta l'Angleterre en 1S16, ac-
compagné d'une suite nombreuse.
Le gouvernement anglais ne pouvait choisir un moment
plus inopportun pour une semblable entreprise. Non-seule-
ment la Chine était alors agitée par des dissensions intes-
tines , mais l'empereur était lui-même violemment irrité
contre les Européens, par suite d'un attentat à sa propre
vie dont on accusait les missionnaires , et pour lequel un
évêque catholique avait déjà été exécuté. La suite ne jus-
tifia que trop les craintes que l'état des choses faisait naître
pour le succès de l'ambassade. Les officiers chinois affec-
tèrent la plus grande hauteur envers l'envoyé de la Grande-
Bretagne. Des questions d'étiquette l'empêchèrent d'arriver
jusqu'à la résidence de la cour, et il dut s'en retourner sans
avoir atteint le but de son voyage. A peine était-il parti que
l'empereur , dans un édit impérial , rejeta la faute sur ses
mandarins, qui, disait-il, ne l'avaient pas suflisamment in-
formé de ce qui s'était passé.
A son retour, lord Amherst fit naufrage, mais parvint
toutefois heureusement à Batavia avec la grande chaloupe
du vaisseau. Il eut à Sainte-Hélène un long entretien avec
Napoléon, et revmt en Angleterre en 1817, sans avoir été
plus heureux dans sa mission que lord Macartney vingt-
trois ans auparavant. Il n'a pas publié la relation de son
voyage; mais le capitaine Élie et le médecin de l'expédition
Abel en ont donné chacun à part quelques fragments.
Sa nomination au poste important de gouverneur gé-
néral des Indes orientales, qui eut lieu en 1823, prouve
qu'il sut faire apprécier les difficultés qui s'étaient oppo-
sées à la réussite de sa mission. Il sut, dans ce nouveau
poste, s'acquitter de ses fonctions à la grande satisfaction du
ministère, bien qu'on l'ait accusé d'une trop grande Févé-
rité. Ces plaintes étant parvenues à Canning, ce ministre
répondit : '<■ Il me paraît aussi incroyable que lord Amherst
soit devenu un tyran , que si l'on me disait que son séjour
dans les Indes Ta changé en tigre. » Ce fut sous son admi-
nistration qu'eut lieu la guerre des Anglais contre le puis-
sant empire des Birmans. Lorsque lord Benlinck fut nommé
en 1828 pour lui succéder, lord Amherst revint en Anglr-
tefie, où il remplit les fonctions de chambellan du roi
Georges IV, Il est mort, le 13 mars 1857 , à Knolc.
AMHERSTIA , arbre de la famille des légunùneuses,
et qui est une des plus magnifiques productions végétales que
l'on connaisse. M. Wallich , directeur du jardin botanique
de Calcutta , l'a découvert dans le pays des Birmans , qm'
l'appellent thoka; le nom d^amherstia lui a été donné en
l'honneur de lord Amherst. Cet arbre a quarante pieds de
haut, une large cime et un feuillage touffu. Ses rameaux
mollement inclinés dans leur premier âge se redressent plus
tard pour s'arrondir en arcs. L'infiorescence forme des
grappes , axillaires , pyramidales , pendantes , qui atteignent
jusqu'à trois pieds de longueur, sur un pied et demi de dia-
mètre à la base. Qiaque fleur est de la longueur de la main,
sur deux pouces de large; les pédoncules, les bractées, les
calices et les pétales , sont colorés de l'écarlate le plus écla-
tant, et sur ce fond le pétale supérieur offre, vers la partie
inférieure de son limbe, un disque blanc, et vers son sommet
une grande tache jaune bordée d'un cercle purpurin.
iVJMIIOUSPAXDS. Voyez Amchaspands.
AMIABLE, AMIABLEMENT. Amiable signifie doux,
gracieux ; de là vient la locution adverbiale à l'amiable, et
l'adverbe aimablement , qui veulent dire par voie de dou-
ceur et de conciliation , sans procès. Une contestation vidée
à l'amiable est celle qui se termine sans l'intervention dé la
justice; une vente à l'amiable est celle qui est faite de gré
à gré, par opposition à la vente faite par autorité de justice
ou par la voie des enchères. — Pour ce qu'on entend par
amiable compositeur, voyez AiiniTKE.
iVML\BLES ( Nombres ). Deux nombres sont dits amia-
bles lorsque chacun d'eux est égal à la somme des parties
AMIABLES — AMICT
479
aliquotes de Taiitre. On n'en connaît jusqu'ici que trois pai-
res : 2Si et 220; 17,29G et 18,U5; 0,363,538 et 9,437,05G.
Ces nombres ont été traités par Rudolff, Descartes, Schooten.
C'est ce dernier qui leur a donné le nom d'amiables , dans
ses Esercitationes Mathematic.r, sec. 9.
AML-VIMTE (du grec [naiveiv, gûter, avec l'a privatif;
c'est-à-dire incormplible). On appelle ainsi une variété
del'asbeste, VasbesteJIexiblc d'Haiiy. Cette substance, à
laquelle on a encore donné , en raison de ses propriétés ou
de ses usages, les noms de byssits minéral, Un fossile, lin
minéral, lin incombustible, lin des funérailles, eic, est
de nature pierreuse, et formée, suivant le chimiste Cliene-
vix, de silice , de magnésie et d'un peu de ciiaux, d'alumine
et de fer, c'est-à-dire des élonicnts des pierres les plus dures
et les plus réfractai res , tandis que par la disposition de ses
molécules on la prendrait pour un composé de fibres végé-
tales : elle est disposée en filaments très-déliés et très-sou-
ples, d'un aspect soyeux, d'une couleur ordinairement
Manche et nacrée, quelquefois grise, brune, verte ou noire.
Sounuse à l'action du feu, elle paraît s'y embraser; néan-
moins, elle en est retirée sans avoir éprouvé de perte sen-
sible , et de l'état d'incandescence elle repasse bientôt à la
teinte qui lui est naturelle.
L'amiante , que sa structure particulière a fait confondre
parfois avec Vahtn de p hune, a été jadis employée en
médecine comme moyen topique contre la gale et la para-
lysie; mais depuis longtemps elle a cessé de figurer comme
médicament. Dans les arts, au contraire, elle est d'un usage
assez fréquent. Ainsi, c'est avec elle que l'on garnit l'inté-
rieur de ces petits flacons qui contiennent l'acide sulfurique
destiné à enflammer les allumettes oxygénées ; dans certains
pays, elle sert à fabriquer de la poterie légère et des four-
neaux très-solides. ]Mais son emploi le plus curieux est sous
forme de tissus. L'art de filer et de tisser cette matière était
déjà connu dans l'antiquité. Pline fait mention de linge, usité
pour le service des tables, que l'on nettoyait en le jetant au
feu , et de tuniques d'amiante dans lesquelles on brûlait les
corps de personnages distingués, afin de pouvoir obtenir
leurs cendres sans aucun mélange avec celles provenant du
bois dont le bûcher était composé. Il paraît même que les
anciens étaient parvenus à fabriquer des tissus de cette na-
ture d'une dimension assez grande ; on en a la preuve dans
un morceau de toile d'amiante de 5 pieds 3 pouces sur
environ 5 pieds, que l'on trouva en 1702 à Rome, dans une
urne cinéraire, et que le pape Clément XI fit déposer dans
la bibliothèque du Vatican , où il est encore. On en faisait
aussi des mèches pour les lampes sépulcrales, et de nos
jours on s'en est servi également pour la fabrication des
veiUeuses. Les tissus d'amiante sont loin assurément d'avoir
la finesse des toiles ordinaires. Cependant, au commence-
ment de ce siècle, madame Perpenti de Côme est arrivée,
à l'aide de procédés très-simples, à fabriquer avec cette
pierre des toiles assez fines , des dentelles grossières et du
papier; voici en peu de mots sa manière d'opérer. L'amiante
est débarrassée par le lavage des matières terreuses qu'elle
contient ; puis, lorsqu'elle est parfaitement sèche, elle est par-
tagée en petites touffes qui sont grattées et frottées légèrement ;
elle est alors tirée par ses deux extrémités, et, par cette der-
nière manipulation, on voit se développer un grand nombre
de fils extrêmement fins, qui offrent une particularité très-
remarquable, c'est une longueur de cinq à dix fois plus con-
sidérable que celle du morceau dont ils sont extraits. Ceux
de ces fils qui sont les plus déliés et les plus étendus sont tra-
vaillés sur un peigne à trois rangées d'aiguilles, de la même
manière qu'on le ferait si l'on avait à préparer de la soie
ou du lin, et l'on s'en sert ensuite pour la fabrication des
divers tissus. Les fils les plus courts et les débris, réduits
en pâte, comme cela se fait avec les chiffons, sont, après
une addition d'une quantité convenable de colle ou de
gomme, convertis en un papier qui pourrait devenir bien
précieux pour la conservation des annales des sciences et
des arts, car il est incombustible; et en écrivant dessus
avec une encre composée de manganèse et de sulfure de fer,
la couleur des caractères tracés serait pareillement en état
de résister à l'action du feu. La bibliothèque de l'Institut de
France possède un ouvrage imprimé en 1807, à Milan, sur
du papier de cette espèce, fabriqué par l'auteur du procédé.
Suivant :M. Sage, on fabrique en Chine avec l'amiante des
feuilles de papier de six mètres de long et même des étoffes
en pièces.
L'amiante se trouve dans les fentes des rochers qui ren-
ferment de la magnésie ; on la rencontre surtout dans les
Pyrénées , en Corse , en Savoie , en Sibérie , au Brésil , etc. ;
la plus belle vient de la Tarentaise , et cependant les tissus
fabriqués en Sibérie sont ceux qui peuvent le mieux sou-
tenir la comparaison avec les toiles de nature végétale.
P.-L. COTTEREAU.
AMIBES et AMIBIENS. Ces noms, qui signifient êtres
changeant de forme à chaque instant (du grec à\i.oi6y\ ,
permutation ) , sont donnés le premier à un genre d'infu-
soires , et le deuxième à la famille constituée par ce seul
genre. Ses caractères sont : animaux microscopiques homo-
gènes , glutineux , prenant à chaque instant des formes va-
riables par l'extension et la rétraction de leur corps, mou-
vement lent. Les amibes, qu'on nomme aussi pro^^es , vivent
dans les infusions non putrides et dans la vase. L. Laurent,
AMIGI (Giovanm-Battista) , astronome et physicien
italien, est né à Modène en 1784. Il reçut sa première édu-
cation dans sa ville natale, et étudia à Bologne les mathé-
matiques et les sciences naturelles. En 1807 il entra au
service en qualité d'ingénieur architecte, puis devint profes-
seur de géométrie et d'algèbre au lycée de Modène, fonc-
tions qu'il conserva lors du rétablissement de l'université de
cette ville. Déchargé de l'obligation de faire son cours, en
1825, il n'eut plus chaque année qu'à présenter un rapport
sur les progrès de la physique et de l'astronomie. En 1831
il succéda à L. Pons comme directeur de l'observatoire de
Florence. M. Amici unit les connaissances les plus variées
tt les plus profondes au génie de l'invention et à une rare
habileté mécanique. Ses télescopes et ses microscopes, ses
sentants, la chambre claire, ou caméra liicida, qu'il a si
singulièrement perfectionnée , sont appréciés par tous les
savants. Il a apporté de grands perfectionnements à la cons-
truction du microscope à réflexion , et s'est livré avec cet
instrument à des observations du plus haut intérêt sur la
structure et la circulation de la sève dans quelques plantes,
telles que la chara vulgaris, la caulinia fragilis , etc. Les
mémoires et notices qu'il a publiés à ce sujet ont paru dans
les Memorte dclla Sociela Italiana (vol. 18 et 19), et
sont accompagnés de magnifiques gravures explicatives ,
dont les dessins sont la reproduction la plus exacte de la
nature, grâce à l'ingénieux appareil adapté par l'auteur au
microscope dioptrique. Il a aussi construit de remarqua-
bles microscopes dioptriques. On lui doit encore un appareil
pour observer la polarisation de la lumière et des observa-
tions sur les étoiles doubles, sur les satellites de Jupiter,
sur les diamètres du soleil, sur les infusoires, la fécondation
des plantes, etc. Son fils, Vincent kma, professeur de ma-
thématiques à Pise, l'a aidé dans ses travaux. Z.
AMICT, linge dont les prêtres se couvrent le cou, et
dont, suivant le pape Benoît XIV, l'usage ne remonte pas
au delà du huitième siècle. Cependant on a prétendu trouver
dans Vamict une imitation de l'éphod du grand-prêtre des
Juifs. — Vamict se plaça d'abord sur l'aube , ainsi que cela
s'observe encore dans le rite ambrosien. L'aube était alors
sans col et évasée par le haut. — Le cardinal Bona a dit
que de son temps (dix-seplième siècle) on ornait l'amict de
franges d'or et d'argent ; mais il réprouve cet usage, comme
contraire à l'antiquité. La prière que fail le prêtre en re-
vêtant ïamict signifie bien clairement que c'est sur la
480
AMICT — AMIENS
tête qu'on le metlait : Tmpone, Domine, capili meo, etc;
et le prêlre exact met d'abord l'amict sur sa tête en récitant
la prière, puis le rabat sur le cou et les épaules.
AIVIIÛIXE, principe que l'on trouve dans l'amidon et
les fécules. Pour l'extraire, on dissout une |«rtiede fécule
en la teniint un quart d'heure dans cent fois son poids d'eau
bouillante. Ou décante la liqueur, on la (illre, on la fait
évaporer en y produisant une légère cbullition; on la passe
avec expression au travers d'une toile pour en séparer une
matière insoluble {Vamidin) , et l'on amène la liqueur à
siccilé après l'avoir passée quatre fois, à divers intervalles,
à travers la toile. Ce moyen donné par M. Guérin fournit,
d'après lui , de l'amidine , complètement soluble dans l'eau
froide. L'amidine résiste aux actions dissolvantesde l'alcool
et de l'étber; l'iode colore en bleu sa .solution aqueuse;
l'acide nitri(pie la change successivement en acide oxal hydri-
que et en acide oxalique, mais jamais il n'y produit d'acide
mucique, ce qui suffit pour la distinguer de la gomme.
L'acide sulfurique la noircit; une eau aiguisée de quelques
centièmes d'acide sulfurique, et favorisée dans son action
par une chaleur prolongée, la transforme en sucre de raisin.
En arrêtant l'opération lorsque la dissolution dans l'acide
sulfurique n'a pas dépassé + 96», et que cependanl clic ne
bleuit plus par l'iode, on obtient la dextrinc. Cour».
AMIDOIV (du grec à[i.u).ov, farine). L'amidon ou fécule
amylacée est une substance blanche, brillante, formée de
grains pulvérulents qui, examinés au microscope, offrent un
orifice qu'on nomme le hile. D'une consistance cornée à la
circonférence , ces grains ont moins de cohésion au centre ;
mais la substance intérieure n'est pas liquide , comme l'a-
vaient prétendu plusieurs observateurs. L'amidon existe
dans un grand nombre de végétaux ; on le rencontre prin-
cipalement dans les racines, les semences, les tubercules,
les bulbes, les fruits, et il reçoit des noms différents suivant
le végétal qui fa produit : c'est ainsi qu'on réserve générale-
ment le nom d'amidon à celui que l'on retire des céréales;
que l'on nomme fécule celui qui provient des pommes
de terre; arrow-root , celui que donnent le maranta
indica et le viaranta amndinacea ; tapioca , celui que
l'on extrait du manioc; sagou, celui que l'on prépare avec
la moelle d'une espèce de palmier •,tnuHne, celui qui pro-
vient des racines de l'année', du topinambour, des dah-
lias , etc. ; lichenine , celui que l'on retire de quelques
espèces de lichens. Ces différentes sortes d'amidon ont la
même composition chimique, mais leurs formes et leurs di-
mensions varient beaucoup.
On a évalué les quantités d'amidon contenues dans di-
verses substances amylacées : les haricots renferment,
terme moyen, 37 pour 100 d'amidon; les lentilles, 40
pour 100; la farine de froment, 65 pour 100; le seigle, 45
pour 100; l'avoine, 36 pour 100 ; l'orge, 38 pour 100 ; la fa-
rine de maïs, 77 pour 100 ; les pommes de terre, 33 pour 100 ;
les betteraves, 12 pour 100.
L'amidon est sans odeur ni saveur, insoluble dans l'eau
froide, dans l'alcool, dans l'éther, ainsi que dans les huiles
fixes et volatiles. 11 est composé de 44,9 de carbone, G,t
d'hydrogène, 49 d'oxygène, et d'un certain nombre d'équi-
valents d'eau. Lorsqu'on le chauffe dans le vide à 120", l'a-
midon ne conserve qu'un seul équivalent d'eau, et sa for-
mule est alors C'M190î',H0. Si l'on élève la température à
200 ou 220", il se convertit en une matière gommeuse et
soluble dans l'eau qu'on nomme dextrine. Si l'amidon
est mis en contact avec une quantité d'eau considérable ,
l'action de la chaleur produit des eflétstout différents, les
grains éprouvent un gonflement da à l'absorption du li-
quide ; à 100" l'amidon occupe un volume vingt-cinq ou trente
fois plus considérable, et la masse acquiert une consistance
épaisse. C'est de Ve7npois. Une eau légèrement alcaline
produit le même effet avec plus d'énergie encore , an point
d'augmenter soixante-dix et soixante-quin/e fois le volume
des grahis amylacés. Si l'on élève encore la température du
mélange dans une marmite de Papin, l'amidon se desa.
grège toujours davantage, et forme à 150° un liquide trans-
parent, espèce de sirop qu'on peut fdtrer en l'étendant d'eau.
En refroidissant , ce liquide lai-se déposer l'amidon sous
forme de grains d'une ténuité extrême et parfaitement uni-
formes ; remarquable transformation , fait observer M. Du-
mas , qui ramène toutes les fécules à un même état. Vers
160° l'amidon éprouve un nouveau changement, et se con-
vertit en dextrine. Si l'on va jusqu'à 180°, on obtient de
notables proportions de glucose.
Mis en contact avec une solution d'iode, l'amidon prend
une magnifique couleur bleue, qui diminue d'intensité à
mesure que la température s'élève ; à 80 ou 85°, elle a com-
plètement disparu , mais elle revient par le refroidissement.
L'iode est le réactif le plus sensible pour déceler la pré-
sence de l'amidon ; il devient précieux pour suivre les di-
verses périodes de sa décomposition. La teinte est d'autant
plus bleue que l'amidon est moins désorganisé ; elle tire au
rouge à mesure que la désagrégation avance. L'action di-
recte de la lumière solaire détniit la couleur de l'iodure d'a-
nu'don. Lorsque l'amidon est parfaitement sec , l'iode ne le
colore pas ; mais il est absorbé, et il suffit d'humecter faible-
ment les grains pour faire apparaître la couleur. Cette réac-
tion de l'iode sur l'amidon a été découverte par MM. Colin
et Gaultier de Claubry. M. P.edwood s'en est seni pour dis-
tinguer l'amidon de froment de l'amidon de pommes de terre :
le premier, broyé avec de l'eau, donne un liquide qui après
la fiUration ne se colore pas en bleu , comme le second ,
par la teinture d'iode, mais en jaune ou en rouge pâle.
M. Harting s'en est également servi pour distinguer l'amidon
du ligneux ou cellulose qui forme les parois des cellules ou
des utricules végétaux et a avec lui une grande analogie de
composition. Le ligneux ne se colore jamais par l'iode seul
comme l'amidon ; il faut un mélange d'acide sulfurique et
de teinture d'iode pour obtenir une coloration bleue.
Les acides minéraux affaiblis dissolvent complètement
l'amidon ; la plupart des acides organiques agissent de la
même manière, sauf l'acide acétique. Cette propriété excep-
tionnelle de l'acide acétique fournit un moyen facile de re-
connaître si un vinaigre est falsifié par des acides mi-
néraux. Traité par l'acide nitrique fumant, l'amidon se
décompose ; puis , si l'on y ajoute de l'eau , il se dépose une
matière blanche, qui n'est autre chose que du fulmi coton.
Ladiastase , substance azotée qui se trouve dans l'orge
germée, convertit l'amidon en globules amylacés semblables
à ceux que l'action de l'eau et de la chaleur produit dans la
marmite de Papin; l'amidon se transforme ensuite com-
plètement en dextrine , et ensuite en sucre de raisin.
En médecine l'amidon n'est presque pas employé à l'état
de pureté; on s'en sert seulement dans quelques cas, sous
forme de lavement ; plusieurs tisanes cependant , comme
celles d'orge , en contiennent, et les fécules qu'on prescrit
pour aliments à certains malades ne sont que des composés
amylacés. On fait quelquefois des cataplasmes amidonnés, et
aujourd'hui on se sert de l'amidon dans le traitement des
fractu res pour coller les bandes de l'appareil inamovible.
En industrie , l'amidon de blé sert aux fabricants d'indienne
pour épaissir les mordants ; ce qu'il fait mieux que la gomme.
On l'emploie , ainsi que la fécule de pommes de terre, pour
donner plus de lustre et d'apprêt aux toiles de lin, de
chanvre et de coton. Autrefois on consommait une grande
quantité d'amidon pour poudrer les cheveux. Les confi-
seurs s'en servent pour la composition des dragées, et il sert
à la préparation de la colle de pâle.
AMIEXS (Samarobriva, puis Atnbianum ), chef-lieu
du déparieraent de la Somme, ancienne capitale de la
Picardie, sur la Somme, à 126 kilom. nord-ouest de Pa-
ris, peuplée de 56,58; habitants , avec un évêché siiffra-
gant de Reims et une église consistoriale de calvinistes, une
AMIFNS -
acadt^mic «nivorsilairc , un lyo«^o, une cour iuipériale pour
les lit-parlements île la Sounne, de l'Aisne et de l'Oise, un tri-
bunal et une eliainbrc de commerce , une bourse, une école
secondaire de médecine et de pharmacie , un sénûnaire dio-
césain (à Saint-Aclieul), une école normale juimaire dépar-
tementale , une école modèle d'enseignement mutuel , une
académie littéraire, un musée de peinture, une Liblio-
Uièque, un jardin botanique , une salle de spectacle , etc.
Amiens a élevé des statues à C.resset et à Pierre Ttirmile.
Une loterie l'a aidé à construire le Musée Napoléon, dont
l'État a fourni le terrain.
Cette ville est agréablement située dans un pays fertile.
Colbert y établit des manufactures considéiabks de draps,
casimirs, velours, moijuetles, étoffes de laine, toiles, in-
diennes, tapis et toiles peintes. Aujourd'hui on y fabrique
surtout des alépines, des satins de laine, des étoffes de poil
de chèvre, des escols , des camelots , des napolitaines, des
peluches, des pannes, des velours d'Utreclit et des velours
de coton, du linge damassé, du Casimir, dont cent trente mille
pièces sont annuellement vendues, de la bonneterie, des
tulles, des cordes et cordages, d^s cardes, des cuirs vernis
et lies produits chimiques. Il y a aussi dans cette ville de
nombreuses filatures de laine et de coton, des imprimeries
sur étoffes, des teintureries, des moulins à foulon, des tan-
neries , des corroieries, des brasseries. Le mouvement indus-
triel y est considérable, et il s'y fait un commerce important
en laines, grains, graines, huiles et produits manufacturés.
Les pâtés d'Amiens, dont on fait une assez grande consom-
mation en Angleterre, sont très-renommés.
Amiens est une des principales stations du chemin de fer
du Nord, près de la mer, entre Rouen et Lille , entre Paris
et Calais , entre Reims et Boulogne. Amiens communique
en outre par de bonnes routes avec la contrée environnaate,
et par son canal et celui de Saint-Quentin avec le bassin
de l'Escaut, l'Oise, le bassin de la Seine et la mer.
Cette ville, jadis très-forte, aujourd'hui démantelée, a vu
ses remparts abattus faire place à des boulevards que bor-
dent de fraîches et élégantes habitations. Son inoffensive ci-
tadelle a seule été respectée , mais le temps s'acliariie à la
détruire. Amiens se divise en haute et basse ville. La haute
ville ades rues larges , bien percées, mais rarement bien ali-
gnées, bordées, cependant, par-ci par-là, de belles maisons.
La ville basse est celle de César ; et la tradition raconte des
prodiges de la manufacture d'armes qu'y avait fondée le con-
quérant romain : c'est encore la petite Venise de Louis XI,
ainsi nommée de ce que la Somme s'y ramifie en onze bras
qui, se rejoignant et se séparant de nouveau, forment une
infinité d'îles unies par des ponts en pierre; là les rues sont
étroites, les constructions vieilles, sans être antiques; et
très-peu ont ce parfum de moyen âge si prisé de nos jours.
Le moyen âge, c'est à la cathédrale qu'il faut l'aller deman-
der ; elle vous le rendra dans toute sa magnificence, d'après
l'admirable plan de Robert de Luzarcbes, avec des piliers
d'un .seul jet, à baguettes et à filets carrés alternativement,
soutenant des voûtes terminées en ogives, dont les arceaux se
croisent diagonalement, avec aussi des effets éblouissants
de lumière et d'ombre, résultant, dans les diverses parties
de l'édifice, des dimensions bien proportionnées de hauteur
et de largeur des ailes et de la nef. La légèreté et la har-
diesse de cette église ne nuisent ni à sa force ni à sa solir
dite ; après six siècles et demi, elle atteste encore le génie
de l'architecte qui l'a construite. C'est un musée où les iiu-
mitables boiseries des quinzième et seizième siècles , les ri-
«hes autels de marbre du dix-septième, les grilles de fer du
dix-huitième, les sculptures d« Blassetet de ses successeurs
se disputent l'admiration des curieux.
Après cet édifice, on n'ose plus en nocîjncr d'autre. L'hôtel
de ville est très-mal situé , la façade en est à peine conve-
nable; mais il possède quelques bons tableaux.. La salle de
spectacle est d'un dessin gracieux , l'hOtiil de la préfecture
DICT. DE LA CO.NVCRS. — T. I.
AMILCAR
481
petit, mais d'un style p.pvéahlc; la bibliothèque, élégant h\\-
lice, contient 45,000 volumes; dans la ville, la caserne de
cavalerie, la halle au blé, l'abattoir; hors des murs, la ma-
gnifique i)romenadc de la Ilautoye, le vaste cimetière de la
Madi'leine, dessiné et planté avec beaucoup d'art, sont di-
gnes de l'importance du chef-lieu de la Somme.
Cette ville est fort ancienne : Jules-César y tint une as-
semblée générale des Gaules. Antonin et Marc-Aurèle l'aug-
mentèrent. Lors de l'invasion des barbares, elle fut prise par
les Alains, par les Vandales et par les Francs. Mérovée y fut
élu roi, Clodion y résida, Attila et les Normands la rava-
gèrent; Charles VII la vendit pour 400,000 écus d'or au duc
de Bourgogne ; Louis XI la racheta pour le même prix.
Enlevée par les Espagnols, elle leur fut reprise par Henri IV,
qui fit bâtir sa citadelle. Enfin la France et l'Angleterre y
signèrent en 1802 le fameux traité d'Amiens. *
AAIIENS (Paix d'). L'empereur Paul de Russie ayant
décidé, en 1800, la Prusse, le Danemark et la Suède à réta-
blir la neutralité armée du Nord , en représaille de ce que l'An-
gleterre avait refusé de rendre à l'ordre de Malte l'ile diî ce
nom, dont il était grand-maître , Pitt mit embargo sur les
vaisseaux de ces quatre puissances, qui, de leur côté, fer-
mèrent le continent européen au commerce anglais, ce qui
assura dans le parlement la majorité à l'opposition. Cette
circonstance, jointe au refus du roi d'approuver l'émanci-
pation de l'Irlande catholique, fut cause que le ministère de
Pitt tomba, et que l'orateur Addington remplaça Pitt en qua-
lité de premier lord de l'échiquier. Le nouveau ministère,
dans lequel Havvkesbui^ était chargé des affaires étrangères,
entama sur-le-champ des négociations de paix. Les préli-
minaires furent signés à Londres le 1^*^ octobre 1801, et
la paix définitive fut signée à Amiens le 27 mars 1802, entre
la France, la Grande-Bretagne, l'Espagne et la république Ba-
tave, représentées par Joseph Bonaparte, lord Cornwallis,
le chevalier d'Azara et x^t. Schimmelpennink. L'Angleterre
conserva de ses conquêtes l'île de Ceyian et celle de la Tri-
nité ; les ports du cap de Bonne-Espérance lui restèrent
ouverts. La France rentra en possession de ses colonies, et
eut l'Araowari, dans la Guyane, pour frontière du côté du
Brésil. La république des Sept-Ues l'ut reconnue ; ]\Ialto re-
tourna sous la dépendance de l'ordre. L'Espagne et la ré-
publique Batave rentrèrent en possession de toutes leurs co-
lonies, à l'exception de celles de Ceyian et de la Trinité. Les
Français devaient évacuer Rome, Naples et l'île d'Elbe. La
maison d'Orange devait être dédommagée. Enfin l'intégrité
de la Porte, telle qu'elle était avant la guerre, fut reconnue.
Ces considérations engagèrent le sultan Selim à accéder for-
mellement, le 13 mai 1802, au traité d'Amiens. IMais cette
paix fut bientôt désapprouvée en Angleterre, où on s'in-
quiétait de voir le premier consul préparer une grande ex-
pédition contre Saint-Domingue, et vouloir établir dans tous
les ports d'Irlande des consulats français. D'un autre côté,
l'Angleterre refusait d'évacuer Malte et l'Egypte, sous le
prétexte que la France menaçait ce dernier pays, ce que le
rapport précipité de Sébastiani sur sa mission en Egypte
rendait assez probable. Le 10 mai 1803 la cour de Londres
présenta son ultimatum pour concilier tous les nouveaux
différends entre les deux États; elle demanda une indemnité
pour le roi de Sardaigne, la cession de l'île Lampeduse et
l'évacuation des républiques Batave et Helvétique. Ces con-
ditions ayant été repoussées par le gouvernement français,
la cour de Saint-James déclara de nouveau, le 18 mai 1803,
la guerre à la France.
AMILCAR, ou IIAMILCAR, nom commun à plu-
sieurs généraux carthaginois. Le premier, fils de Magon,
fat vaincu en Sicile par Gélon, l'an 480 avant J.-C, le
jour môme de la bataille de Salamine, et ses compatriotes
en firent un demi-dieu. Trois autres Ainilcars furent contem-
porains d'Alexandre et d'Agathocle. Le cinquième, surnommé
Barca ou Barcus, moins célèbre par ses exploits que pour
01
482
AMILCAR — AMIRAUTE
avoir donni^ le jour à Annibal, naquit h CarUir.yo, d'une
funiille qui priHendait descendre des anciens rois de Tyr.
Malf^ré sa jeunesse, la r(''pul)li(iue lui confia le commandement
de son armée de Sicile, (jui se trouvait alors daiis une posi-
tion criti(iue. Amilcar, avant de se rendre à sa destinat'on,
dirij^ea sa flotte vers l'Italie, dont il ravagea les côles, ar-
riva en Sicile cliarg;'; de butin , battit les alliés des Romains,
et reprit sur eu\-m(>ine'< l'avantage, qu'il conserva pendant
cinq ans; mais l'amiral llannon ayant perdu une grande
bataille navale contre le consul Lutatius, les Cartliaginois se
virent contraints de proposer la paix. Amilcar, chargé' des
négociations, signa avec indignation un traité qui mettait sa
patrie sous la dépendance de lîome. De retour en Afrique,
il dé'fit les mercenaires et les Numides coalisés contre Car-
Ihage, dont ils faisaient déjà le sié'ge ; il prit Utiquc et Hip-
pone, et rétablit le calme et la prépondérance de sa patrie
dans toute l'Afrique. Néanmoins le parti d'IIannon l'accusa
de la trahir ; n)ais le sénat n'osa point condamner un homme
aussi populaire : il l'envoya en Esp;igne à la tôte d'une
armée. C'est en jtartant pour cette expédition qu'il fit jurer
à son lils .Vnnibal, Agé de neuf ans, une haine éternelle aux
Hon^ains. Pendant les n(!uf ans qu'il commanda en Espagne,
Amilcar soumit plusieurs peuples, enrichit sa patrie de leurs
dépouilles, et fonda liarclno (Barcelone); enfin, l'an 228
avant J.-C, il fut tué à la tête de ses troupes , dans une ba-
taille ([u'il livrait aux Vcctons, peuple de la Lusitanie (Por-
tugal). Un sixième .-Imi/car, (ils de Bomilcar, fut vaincu par
les Sci[iioMS, et tué (juinze ans plus tard devant Crémone.
AMIOT. Valiez km QT.
A.MIil.'VL (de l'arabe em;r, commandant). En France
c'est le titre du premier grade de la marine militaire; vien-
nent ensuite le grade de vicc-umiral, puis celui de contre-
amiral. Le titre d'amiral est assimilé à celui de maréchal
de iTance ; le grade de vice-amiral correspond à celui de gé-
néral de division ; le grade de contre-amiral à celui de gé-
néral de brigade. La loi du 17 juin 1841 fixe le nombre des
amiraux à deux en temps de paix, trois en temps de guerre ;
le nombre des vice-amiraux est de dix ; celui des contre-
amiraux, de vin^t, sans compter ceux du cadre de réserve.
Le titre d'amiral fut employé au douzième siècle par les
Siciliens et les Génois, qui le donnèrent aux commandants
de leurs Hottes. Il est mamlenant en usage dans tous les
pays, excepté en Turquie, où le chef de la tlotle s'appelle
kapudan-pacha. Sous l'ancien régime, la dignité d'amiral
était une des premières de la couronne. De si grandes préro-
gatives y étaient attachées que Richelieu la fit supprimer,
en 1627; mais Louis XIV la rétablit en 1GC9, en se réser-
vant toutefois le choix et la nomination des otficicrs. Néan-
moins encore à la révolution les attributions de l'amiral
étaient des plus importantes. La justice était rendue en son
nom dansles sièges de l'amirauté. C'était l'amiral qui don-
nait les congés, passe-ports, commissions et sauf-conduits
aux capitaines des bâtiments particuliers armés en guerre,
et qui contresignait les brevets des officiers militaires et
civils de la marine. Le dixième de toutes les prises qui
étaient faites sur mer et sur les grèves, des rançons et des
représailles appartenait à l'amiral, dont le revenu comprenait
également le tiers de tout ce qu'on tirait de la mer ou qu'elle
rejetait, le droit d'ancrage, tonnage et balise, et enfin les
amendes prononcées par les sièges de l'amirauté. En 175i) le
duc de Penlhièvre renonça d('(initivement à ces derniers
droits, et reçut l.-)0,000 livres par an comme indemnité.
La dignité d'amiral disparut avec la monarchie de
Louis XYI ; mais Napoléon la ré'tablit et en décora Murât.
Au retour des Bourbons, le duc d'Angouléme reçut à son toiu-
le titre d'amiral. Sous la Restauration comme sons l'Empire,
les prérogatives de cette charge étaient bornées à la com-
munication des ordres royaux et au contre-seing des brevets
et commissions des officiers de la marine. Après IS.^O le
litre d'amiral cessa d'être purement honorifique , et l'ordon-
nance du U-- m:us 1S3I en fit le plus haut grade effectif de
notre armée navale.
La dignité de grand amiral en Angleterre était réservée
anciennement aux parents les plus proches du monarque;
cependant cet usage s'est perdu, et maintenant les fonctions
de ce haut emploi sont exercées par une commission dont les
membres portent le titre de lords de V amirauté.
On reconnaît le grade des officiers généraux qui montent
les vaisseaux de guerre au mût qu'occupe un pavillon carré
de la couleur nationale. L'amiral porte ce pavillon en tète du
grand mût, le vice-amiral le place en tète du mât de misaine;
le contre-amiral en tète du mût d'artimon.
Le vaisseau amiral est celui sur lequel est arboré le pa-
villon amiral. — Dans chaque port c'est à bord de Vamiral
que se tiennent les conseils de guerre, et que sont exécutées
leurs sentences ; c'est là que les officiers vont subir leurs
arrêts, et que les soldats sont retenus en prison.
AAIÎRÂNTE, titre de l'un des anciens grands officiers
de la couronne de Castille , répondant à celui de grand
amiral en France. Cette dignité , qui dans les derniers temps
ne s'accordait qu'à un infant d'Espagne, avait fini par n'être
plus qu'honorifique. Autrefois elle confé'i ait des privilèges fort
étendus et une influence réelle : aussi les rois de Castille ,
pour diminuer cette influence, avaient-ils divisé la dignité et
créé deux amirautés : l'un était désigné sous le nom d'amj-
rante de Séville, et l'autre sous celui à' amirauté de Cas-
tille.
AMIRAJVTES (Iles). Cest un groupe de douze Ilots
mal peuplés ou inhabités , situés dans l'océan Indien , et
faisant partie de l'archipel des Seychelles, entre le 5° 1'
et le G" 13' de latitude méridionale , et entre le 51° 21' et le
52° 50' de longitude orientale.
AJVIIRAUTÉ s'entend également de la charge d'amiral,
de sa juridiction, et du siège où s'exerce cette juridiction. En
Angleterre on appelle en outre de ce nom l'administration
générale de la marine. C'était autrefois en France une ju-
ridiction spéciale attachée au service de mer et qui jugeait
des contestations de la marine et du commerce.
Cette institution a subi de nombreuses modifications en
France. Lors de sa création , elle était une juridiction qui
connaissait des contestations en matière de marine et de
commerce de mer, tant au civil qu'au criminel. Ce tribunal
statuait sur tous les délits et différends qui arrivaient sur les
mers , sur tous les actes de commerce , sur tons les faits
de piraterie et autres de ce genre. 11 comprenait des sièges
de deux natures ; les uns étaient des sièges généraux d'ami-
rauté, les autres des sièges particuliers. Les premiers étaient
au nombre de trois en tout , dont un à la table de marbre
de Paris , un autre à celle de Rouen , et l'autre à Rennes :
leurs appels se relevaient aux parlements dans le ressort des-
quels ils étaient situés. Les sièges particuliers de l'amirauté
étaient établis dans tous les ports et havres du royaume.
Ils ne jugeaient au souverain que jusqu'à cinquante livres. —
L'amiraulé se composait de l'amiral de France, qui en était
le chef ; d'un lieutenant général, d'un lieutenant particulier,
d'un lieutenant criminel, de cinq conseillers, d'un procureur
du roi, de trois substituts, d'un greffier et de plusieurs huis-
siers. — Cette juridiction spéciale et exceptionnelle , qu'il
ne faut pas confondre avec le conseil d'amirauté actuel, a
été supprimée par la première Constituante.
En Angleterie l'amirauté constitue toujours une juridic-
tion spéciale chargée de connaître de toutes les causes ma-
ritimes, non-seulement en matière civile, mais encore en
matière criminelle. Cette confusion des pouvoirs et une
compétence aussi étendue, dans un pays religieux obser-
vateur de la loi commune , ne s'expli(iuent que par l'in-
(luence extraordinaire que la marine britannique exerce sur
la gloire et la prospérité du Royaume-Uni. Il n'en est pas
moins vrai, toutefois, que la cour du banc de la Reine
a un peu lin)ité par des empiétements successifs la compé-
AMIRAUTÉ — AMMI
Içnrp (le «Ito juridiclion. Ainsi, les cours d'amirauk^, qui
pronoiH'aient jadis sur le lait et le droit, tant au civil
qu'au criminel, sans intervention de jurés, ne le peuvent
plus aujourd'hui. Maintenant, d'après deux statuts, l'un de
Itenri Vlll, l'autre de Georges II, dans toutes les affaires au
grand criminel, le juge d'amirauté ne fait que présider la cour,
qui est en outre composée de plusieurs juges de ^Yestmins-
ter, et le point de fait est toujours décidé par le jury. Pour
les affiiires civiles , au contraire , ou pour de légers délits ,
la cour d'amirauté, jugeant comme cour d'équité, statue
sans jurés. — Il est à remarquer aussi que la procédure con-
tinue à avoir lieu au nom de l'amiral , et non pas au nom
du souverain. Avec les cours d'amirauté, il existe en .\ngle-
terre des cours de vice-amirauté, mais seulement pour les
colonies et les établissements anglais d'outre-mer.
Dans la Grande-Bretagne, l'administration de la ma-
rine appartient aux lords de l'amirauté ; le ministre de
la marine porte le titre de premier lord de Vamirauté.
AMIRAUTÉ ( Conseil d' ). Ce conseil se compose du
ministre de la marine et des colonies, président, de cinq
membres titulaires, d'un secrétaire et de trois membres ad-
joints. Leurs fonctions ne sont que temporaires. Les mem-
bres adjoints ont seulement voix consultative. Ce conseil
donne ses avis sur les mesures générales qui ont rapport à
r.idministralion de la marine et des colonies, à l'organisa-
tion de l'armée navale, au mode d'approvisionnement , aux
constnictious navales, aux travaux maritimes , à l'emploi
des forces navales en temps de paix et de guerre. Son avis
préalable est demandé pour tout projet de loi , décret, arrêté
ou règlement, sans que cet avis puisse lier le ministre,
seul responsable. Chaque année, d'après les rapports et les
propositions des inspecteurs généraux , des préfets mari-
times , etc., le conseil d'amirauté dresse les tableaux géné-
raux, par grades, des officiers de tous corps susceptibles
d'être avancés au choix , ou d'être promus dans un grade
quelconque de la Légion d'Honneur. En cas seulement de
services extraordinaires ou de missions spéciales, le ministre
peut inscrire d'office sur ce tableau. — Les attributions du
conseil d'amirauté ont été fixées en dernier lieu par un dé-
cret du président de la République, du 16 janvier 1850. Ce
conseil avait été créé le 4 août 1824. Le nombre de ses
membres fut successivement augmenté. Ils étaient nommés
par le roi et n'vocables. Un arrêté du gouvernement piovi-
soire, en date du 3 mai 1848, étendit les attributions du con-
seil d'aniirauté; mais le dernier décret l'a ramené, à peu de
chose près , aux premières conditions de son existence.
AMIRAUX!-: ( lie de 1' ), grande île de l'Amérique du
IVord , dans l'océan Pacifique , sur la cote occidentale ,
entre l'archipel du Roi Georges et le continent, par 137° 10'
et 137° 48' de longitude ouest et 57° 2' et 58° 24' de lati-
tude nord. Découverte par Vancouver, appartenant aux An-
glais , parsemée de forêts et habitée , elle a 240 kilom. de
périmètre, 100 kilom. de long sur 30 de large.
AMIRAUTÉ ( Iles de 1' ), groupe de 20 à 30 îles de
l'Australie , situées au nord-ouest de la Nouvelle-Guinée ,
presque toutes habitées , et offiant des parties bien cul-
tivées. La plus grande a 100 kilom. de long. Découvertes
par les Hollandais en IGIG, visitées parCarteret en 1707 ,
les Français envoyés à la recherche de Lapcyrouse y abor-
dèrent en 1793. Elles produisent beaucoup de noix de coco,
de bétel, de tortues , et la pêche y est très-abondante. Les
habitants ont la peau d'un noir peu foncé ; leur physio-
nomie est assez agréable , et diffère peu de celle des Eu-
i"opépns. L'usage du fer n'y est pas inconnu.
AMIS ( lies des ). Voyez Tonga.
AMIS ( Société des ). Voijez Qlakrrs.
AMITIÉ. Platon définissait l'amitié : une bienveillance
réciproque qui rend deux êtres également soigneux du bon-
heur l'un de l'autre, et .Aristote disait : « L'amitié est connue
«ne àme en deux corps. » — <> En l'ainilié, dit .Montaij^nc, les
483
ûmes se mêlent et confondent l'une et l'autre d'un mélange
si universel qu'elles eflaccnt et ne retrouvent plus la cou-
ture qui les a jointes. »
On ne saurait mieux faire comprendre ce que c'est que
l'amitié, qu'en la distinguant de la sociabilité et de l'a-
mour. La sociabilité est une disposition naturelle au rap-
prochement de l'homme à l'homme , et son premier effet
est de fonder la société humaine ; l'amour, créant des rap-
ports d'un sexe à un autre, a pour but de conserver l'es-
pèce. L'amitié au contraire ne peut se définir que négative-
ment ; elle ne se ressemble même pas le plus souvent. On
aimera un ami pour sa bravoure et son intrépidité , un
autre pour sa timidité et sa douceur. La diversité de goûts,
d'habitudes, de caractères même, non plus que la dif-
férence de position , ne font point obstacle à l'amitié ; elle
est tout indulgence, tout sacrifice, tout abnégation. Mais
elle a besoin d'être sanctionnée par l'estime. Voltaire a
dit d'elle : « C'est un mariage de l'ûme entre deux hommes
vertueux , car les méchants n'ont que des complices ; les
voluptueux ont des compagnons de débauche ; les inléi-es-
sés ont des associés ; les politiques assemblent des factieux •
le commun des oisifs a des liaisons ; les princes ont des
courtisans ; les hommes vertueux ont seuls des amis. »
On n'a jamais fait une peinture plus touchante et plus
vTaie de l'amitié que cet hommage de Montaigne au sou-
venir de La Doétie : « Si on me presse de dire pourquoi je
l'aimais, je sens que cela ne peut s'exprimer qu'en répon-
dant : Parce que c'était lui, parce que c'était moi... Les plai-
sirs même, au lieu de me consoler, me redoublent le regret
de sa perte ; nous étions à moitié de tout , il me semble
que je lui dérobe sa part. »
L'amitié établit en outre une sorte de contrat tacite entre
deux amis véritables, assurance mutuelle de constance et
de solide union ; cet engagement est même , à proprement
parler, l'élément constitutif de l'amitié , car au début elle
ne se commande pas plus que l'amour. On aime une per-
sonne pour ses quaUtés aimables, à cause du plaisir qu'elles
nous font. C'est d'abord une passion égoïste , qui semble
devoir s'éteindre lorsque ces qualités passent ou cessent de
nous plaire. Mais un engagement moral intervient bientôt ,
que nous nous faisons un devoir de respecter. Les qualités
qui nous avaient séduit peuvent disparaître, l'amitié ne s'ef-
facera pas, etle dévouement en sera pur et désintéressé, puis-
qu'il sacrifie la passion.
L'amitié des femmes a un charme plus doux que celle
des hommes; une femme à trente ans devient une excellente
amie pour l'homme qu'elle estime. Quant à l'amitié entre
femmes, on l'a déclarée impossible : c'est aller trop loin ; mais
il faut convenir qu'elle est rare, quoiqu'on en cite des exemples
fameux. N'oublions pas l'amitié que l'on porte aux animaux,
car c'est véritablement là de l'amitié ; et ce que nous aimons
en eux c'est encore les qualités, voire les défauts de nos sem-
blables.
Les Grecs et les Romains ont élevé des autels à l'Amitié;
Oreste et Pylade en sont les sjTnboles dans la mjlhologie.
Cicéron a écrit un célèbre traité sxir VAviitié, qu'il a mis,
sous forme de dialogue , dans la bouche de Lœlius et de ses
gendres Fanniuset Q. Mutins, à cause de l'étroite amitié
qui unissait le premier à Scipion.
AMMAIV est une dignité dans la Suisse et dans la haute
Allemagne, qui correspond à celle de bailli, de prévôt et
de maire. Le grand-prévôt d'une province est nommé land-
(unman.
AMMI ou VISNAGE , genre de la famille des ombel-
lifères, très-voisin du genre carotte, dont il ne diffère que
par le fruit. Une des espèces , Vammi visnage, a des (leurs
blanches formant des ombelles composées de rayons nom-
breux; cesravons sont employés en Turquie comme cure-
dents; ils communitpient à la bouche un goût agii'ahle, et
coriigent l'haleine fétide. Vammi à larges feuilles, qui
484 AMMI -
croit en France sur le bord des champs, e?.t aromatique, acre
et i>i(iii;inteaii goût, et passe pouremménagofpie et diurétique.
AMMIEi\-MARCELLIA',liistorien latin, né à An-
t'oclie, dans le quatrième siècle, et mort à Rome en :i90,
(it longtemps la guerre en Euroi)e et en Asie, sous Cons-
tance , Julien et Valens. Après la mort de ce dernier, il
renonça au métier des armes , et se retira à IJome , on il
écrivit une Histoire des Empereurs en trente-un livres , dont
nous n'avons que les di\-lmit derniers. 11 annonce lui-même
dans son épilogue qu'elle commençait à la mort de Domilien,
cl se terminait à lamorl de Valens. Écrivant dans une langue
(|ui n'était pas la sienne, Ammien-Marcellin n'est pas exempt
de reproche dans son style, mais la pensée et l'expression
en sont naïves et annoncent de la bonne foi. Son impartia-
lité envers les chrétiens est un puissant argument en faveur
des louanges qu'il donne à l'empereur Julien. Sa description
de la Germanieancienne est celled'untémoin oculaire. Il avait
aussi écrit un ouvrage en langue grectiue sur les historiens
et les orateurs de la Grèce, dont il reste un fragment qui
parle de Thucydide. La meilleure édition d'Ammien est
celle dite variorum , avec les notes de Wagner (Leipzig,
J80H, 15 vol. in-8").
AÎDÎODYTE. Voijez Équille.
AMMOM, HAMMO.N, AMOUN, ou AMMOUS,dieu
égyi)lien ou libyen , dont le principal attribut consistait en
des cornes de bélier. Il était célèbre par ses oracles et par
les magnifiques temples qui lui étaient consacrés. Les Grecs
faisaient dériver son nom d'à\i\LOi, sable, supposant, ou que
le dieu enfant avait été trouvé dans le sable, entre Cartliage
et Cyrcne, ou que par là on avait voulu seulement designer
son plus illustre temple , situé dans une oasis de la Libye.
Quelques-uns voyaient en lui un lils de Triton; d'autres, un
iiu de Jupiter et d'une brebis rencontrée seule avec l'enfant
dans une forêt. Une troisième version représentait Bacchus
dans son expédition des Indes, épuisé de soif et de chaleur,
invoquant le secours de Jupiter, près de Xerolybia. Le père
des dieux se serait montré alors sous la forme d'un bélier,
qui, après avoir gratté le sable, en aurait fait jaillir une
fontaine, et aurait disparu aussitôt. Bacchus, ayant reconnu
que ce bélier n'était autre que Jupiter, lui aurait rendu un
culte divin et élevé un temple. Selon Diodore de Sicile, Am-
mon aurait été roi de Libye; Rliéa, sœur de Saturne, sa femme,
et Amalthée, son amante. Ce serait d'elle qu'il aurait eu
15acchus, architecte de ce fameux temple où A77inion trans-
mettait ses oracles, non par des paroles, mais par des signes
de ses prêtres. 11 y était représenté sous la figure d'un bélier,
ou sous celle d'un homme, avec la tête ou les cornes de cet
animal. Soit que son culte ait été importé de INIeroé ou d'É-
Ihiopie en Egypte, soit que de l'Egypte il ait passé dans
ces contrées, il est certain qu'il était répandu dans toute
l'Afrique. Les Égyptiens voyaient en lui le symbole de la
création , le créateur de toutes choses, le dieu des dieux, la
source de la vie.
Nous avons parlé de son principal temple, situé dans
l'oasis de la Marmarique, en Libye, et dont l'oracle était un
des plus célèbres de l'antiquité. Quand le dieu était consulté,
on descendait sur une nacelle dorée sa statue, toute couverte
d'émeraudes et de pierres précieuses. Le temple .=ie trouvait
dans une forteresse, entourée d'une triple muraille et des
habitations des prêtres, qui luttaient d'opulence avec les
plus riches princes du temps. Hérodote, Arrien et Quinte-
(Jurce, qui en parlent, font, en outre, mention d'une source
(lu voisinage, tiède le matin, froide à midi, chaude le soir,
bouillante à minuit. On connaît le sort malheureux de l'ex-
pédition que Cambyse dirigea vers cette oasis, et l'on
trouve dans les historiens d'Alexandre le récit de la visite
qu'y fit ce conquérant pour se faire proclamer par l'oracle fils
»le Jupiter-Ammon. Le voyageur Belzoni a cru retrouver
cette oasis sacrée dans celle qui porte aujourd'hui le nom de
ahcuh ou Sijouak.
AMiMON
Après ce temple, on ne doit point omettre celui de Thèbes,
dans la haute llgypte, qui valut à cette ville le nom de
No-Ainmon que les Grecs traduisent par Diospolis. Là aussi
il y avait une statue couverte de pierres précieuses et
promenée dans une riche nacelle. Le bélier étant sacré pour
les Thébains, ils s'abstenaient de le tuer, se contentant
d'en immoler un chaque année à la fête du die/i, pour re-
vêtir la statue de sa peau.
Nous retrouvons Jupiter-Ammon à Thèbes en Béotie, où
les Grecs rapportaient à son culte l'origine de l'oracle de
Delphes. Ils donnaient aussi le nom d'Ammon à une fête
athénienne qui fut célébrée pour la première fois sous le
règne de Thésée.
AlMAÎOX, né , ainsi que son frère Moab, du commerce
incestueux de Loth avec ses fdles, fut le père d'un grand
peuple, connu sous le nom d'Ammonites, comme son
frère fut la souche des INIoabites.
AMJIOJV (CnRisTopHE-FRÉDÉRic d'), premier prédica-
teur de la cour à Dresde, l'un des théologiens les plus dis-
tingués et l'un des orateurs sacrés les plus ingénieux, de notre
siècle, était né le IC janvier 1766, à Baireuth. Après avoir fait
ses études à Erlangen, il fut nommé en 1789 professeur
agrégé de pliilosophie , et en 1792 professeur titulaire de
théologie et prédicateur de l'Université. En 1794 il fut
appelé en la même qualité et avec le titre de conseiller de
consistoire à Gœttingue ; mais en 1804 il revint reprendre ses
fonctions à Erlangen, où plus tard il obtint la cure de la A'ew-
stadt, et où il fut nommé surintendant, puis, en ISIO, con-
seiller ecclésiastique. En 1813 il accepla à Dresde, en rempla-
cement de Reinhard, les fonctions qu'il occupait encore à sa
mort, arrivée en 1850. Après avoir refusé à diverses reprises
les offres des plus hautes dignités ecclésiastiques qui lui
furent faites par d'autres souverains, il (ut nonuné, en 1831,
par le roi de Saxe, membre du conseil d'État et du ministère
des cultes et de l'instruction publique , conseiller intime ec-
clésiasli(jue, et enfin vice-président du consistoire supérieur.
Dans ses preuiiers ouvrages exégétiques , Ammon s'était
rattaché aux principes de Heyne, d'Eichhorn et de Koppe,
qui avaient transformé la science de l'interprétation en phi-
losophie de l'interprétation, devenue de plus en plus scep-
tique et négative, et ne laissant plus subsister du texte de
la Bible que Tinterprète avec ses opinions in lividuelles.
Ammon choisit donc les principes de la philosophie de Kant,
comme le remède le plus énergique à employer contre les
entraînements du scepticisme biblique , et sa morale ainsi
que sa dogmatique sont fondées sur le principe de la raison
pratique. Au total , il est resté fidèle aux principes de celte
philosophie, qui plus que tout autre système atteint le but
suprême de la véritable théologie, à savoir : l'union de la
science et de la foi. Ses opinions religieuses ont pour prin-
cipe que la vérité n'existe ni dans le sentiment, ni dans
la fornnile , ni dans la lettre , mais dans la connaissance de
l'être vivant conforme aux lois de l'esprit. Par conséquent
il professe en théologie naturelle le théisme , et en théologie
chrétienne l'union intime de Dieu avec Jésus-Christ; en
morale, il croit que le bien suprême provient de Dieu et de
sa grâce. Adversaire du supernaturalisme en tant que foi
en la révélation sans science, et du rationalisme comme
science sans foi, .\mmon rejette également ces deux systèmes,
et se déchire en faveur d'une sorte de supernatnralisme
rationnel , dans lequel la foi commence là où cesse la science.
C'est en ce sens qu'il |)rit la paiole en 1817, à propos des dis-
cussions soulevées par les thèses de Hermès , et Schleier-
macher lui reprocha à celte occasion la trop grande habileté
de ses échappatoires. Quand il fut (lucstion de la fusion des
deux Églises protestantes, au sujet de laquelle il avait eu
en 1818 l'occasion d'exprimer {xdjliquement sou opinion
avant tous autres, ce ne fut pas la réunion en elle-même
qu'il blâma, mais la confusion polili(iue des ûi^xw Eglises
p.our ne plus f^rncr qu'un tout en conlùiuelle l'cnncntatior>.
A^niON — AMMONIAQUE
redoutant qu'elle eût pour conséquence d'iUirauler la base
nii'ine du protestantisme, défavoriser le mysticisme par l'iu-
diflerenlisme, et de fuiir par faire naître de nouvelles sectes
dans l'Église évangelique. On trouve dans tous les ouvrages
et dans tous 1er. sermons d'Anunon la preuve de ses sagaces
études et l'humble aveu des limites de l'esprit humain qui
conduit à la foi. Son humanité et la tolérance qu'il témoigna
à l'cgard de tous ceux qui ne pensaient pas comme lui
prouvent encore qu'il était animé du véritable esprit chré-
tien. Profondément versé non-seulement dans les langui s
classiques de l'antiquité, mais encore dans les langues orien-
tales et dans les langues modernes , il possédait d'ailleurs un
inépuisable trésor de coimaissances. l'eu d'hommes avaient
à un aussi haut degré que lui le don de comprendre, de
distinguer et d'exposer, et d'arriver au cceur en convainquant
l'intelligence. Son principal ouMage a pour titre Contimta-
tion du c/iristia)iisme comme religion ïiniverse/le. 11 y
démontre que le but suprême de la théologie doit être de
mettre la religion chrétienne constamment en rapport avec
les progrès de la science. C'est dans ce livre , ainsi que dans
son Manuel de Morale chrétienne, qu'il a surtout déployé
la richesse de ses connaissances et la profondeur de son ju-
gement. On a en outre de lui un grand nombre d'ouvrages
de théologie, de morale et de controverse.
Son lils aîné, Frédéric-Guillaume d'Amjion, néen 1795,
professeur de théologie à l'Université d'Erlangen, s'est éga-
lement fait un nom par la publication de divers ouvrages
théologiques. Son fds cadet , Frédéric-Auguste d'Amiion ,
né en 1799, médecin particulier du roi de Saxe, est célèbre
par les études toutes spéciales auxquelles il s'est livré au
sujet de la cécité et de toutes les maladies de l'œil. Nous
citerons surtout , comme productions qui lui assurent un
nom durable dans la science, ses Expositions cliniques
des maladies et des vices de conformation de Vœil hu-
main, des paupières et des glandes lacrymales, suivies
d'observations et de recherches particulières (Berlin, 1838;
3 vol. in fol.) ; De Genesi et usu maculx lutex in relina
oculi humani ohvix (SVeÀmRr, 1830); Maladies chirur-
gicales congénioles chez l'homme (Berlin, 1840).
AMMOA'ÉEXS (Terrains). Les terrains crétacé, néo-
eomien, jurassique, liasique , triasique, et pénéen, dont
l'ensemble forme la classe des terrains secondaires, ont aussi
reçu des géologues le nom à'avDnonéens, parce qu'ils con-
tiennent un grand nombre de ces coquilles fossiles appelées
ammonites.
AiniOXÉES et A]\mOXITES. Le premier de ces
noms a été donné par Lamarck à une famille de mollusques
dont on ne connaît que les coquilles, qu'on ne trouve plus
qu'à l'état fossile, et qui sont répandues avec profusion dans
les couches de l'écorce du globe terrestre, depuis les terrains
de transition jusque dans les deniiers terrains secondaires,
y compris la craie tufeau. On les trouve principalement dans
les couches calcaires exploitées comme pierres à bâtir.
M. Rang place la famille des amraonées dans l'ordre des
siphonifères, classe de mollusques céphalopodes, entre les
naulilacés et les péristellés. Cette famille comprend les gen-
res ammonite, scaphite, créocératite, hamite et baculite. Le
genre ammonite est nommé vnlgairement corne d'Ammon, à
cause de sa ressemblance avec les conies de bélier, attribut
de Jupiter-Ammon. Ces coquilles, dont l'étude est du plus
grand intérêt en géologie, ont été l'objet de recherches nom-
breuses, qu'on doit, dans ces derniers temps, à MM. Rei-
necke, de IJuch, de Munster et de Blainville. — Les carac-
tèies de la famille des ammonées sont : coquille s[)irale ou
droite, polylhalame, cloison découpée, cavité supérieure à la
dernière cloison très-grande et engainante, siphon marginal,
animal inconnu. L. Laurent.
AMMOMAC (Gaz, Sel). Foyes Amiiomaoie.
A.'\UÏ0A'!.\QUE. On fait venir ce nom de l'oasis dAni-
uwn, d'où l'on tirait dans l'anLiquilé du chlorhvdrate d';;n'
485
moniaqne. D'autres prétendent que l'ammoniaque était de-
puis fort longtenqis connue des Arabes, et qu'ils l'ont ainsi
appelée à cause de l'analogie que son odeur présente avec
celle de la gonnne du même nom.
C'est un gaz incolore, transparent, dune saveur caustique,
caractérisé par une odeur forte et pénétrante. Respiré à
l'état pur, ce gaz irrite vivement la muqueuse des fosses na-
sales et la conjonctive, i)roduit le larmoiement et (pielquefois
réternument. Sa densité est 0,5912, et par conséquent c'est
après l'hydrogi'ne le gaz le plus léger. L'ammoniaque n'est
pas im gaz permanent ; un froid de 52° la liquéfie, sous la
pression ordinaire; par la compression, Faraday l'a liqué-
fiée à 10" au-dessus de zéro. L'ammoniaque est le seul
gaz qui jouisse de propriétés alcalines ; ainsi elle verdit le
sirop de violettes, et ramène au Itleu la teinture rougie de
tournesol. C'est là ce qui l'avait fait nommer alcali vo-
latil ; la plus forte chaleur ne décompose pas l'ammonia-
que ; mais elle ne résiste pas à l'action d'une série d'étincelles
électriques, et elle double alors de volume : ainsi 100 vo-
lumes de gaz ammoniac donnent, l'opération faite, 200 vo-
lumes de gaz. Or, si l'on ajoute dans l'eudiomètre à ces
200 volumes de gaz 75 volumes d'oxygène, et qu'on y fasse
passer l'étincelle électricpie, il ne reste que 50 volumes;
225 volumes ont disparu à l'état d'eau, l'oxygène y entre
pour le tiers ( 75 vol. ) et l'hydrogène pour les deux tiers
( 150 vol. ). Les 50 volumes qui restent sont de l'azote pur.
Donc 200 volumes de gaz ammoniac se composent de 150
volumes d'hydrogène et de 50 volumes dazote. De là la
formule AzH^.
L'oxygène et l'air ne décomposent l'ammoniaque qu'à une
haute température ; il en résulte de l'eau, une petite quan-
tité d'acide nitrique et de l'azote libre. Le charbon végétal
absorbe jusqu'à 90 fois son volume de ce gaz. Le chlore
enlève l'hydrogène à l'ammoniaque ; il se produit du sel
ammoniac et de l'azote pur. L'iode décompose aussi l'am-
moniaque, et donne naissance à un liquide visqueux,
d'aspect métallique ( iodure d'ammoniaque), qui en con-
tinuant d'absorber du gaz ammoniac perd son éclat et sa
viscosité. Si l'on verse de l'eau sur ce composé, il se pro-
duit aussitôt une matière brune particulière, Vazotide
d'iode, qui par la dessiccation acquiert la propriété de détoner
violemment. Si l'on fait passer l'ammoniaque à travers un
tube de porcelaine chauffé au rouge, il n'y a pas décom-
position lorsque le tube est vernissé et bien poli; mais si on
y place des fragments de n'importe quelle substance étran-
gère, il y a décomposition complète de l'ammoniaque ; et
quand on vient à examiner les fragments de fer, cuivre,
platine, etc. , placés dans le tube, on constate qu'aucune com-
binaison n'a eu lieu, mais que leurs molécules ont éprouvé
seulement une sorte de déplacement , par exemple que lo
cuivre , de malléable qu'il était , est devenu cassant. Gay-
Lussac donnait à ce phénomène le nom (Tact ion de pré-
sence, et Berzelius l'appelait ;j/(e?;o?HèHe catalytique.
L'ammoniaque s'unit à divers oxydes métalliques. Les
composés qu'elle forme avec l'argent, l'or et le platine sont
fulnn'nants. Le premier détone avec une violence extuême
par le choc et même par le simple frottement : la chaleur le
décompose , mais avec moins de violence. Le second se dé-
compose avec détonation par le choc ou par une chaleur
de 100°. Le troisième résiste au frottement, au choc et à
l'électricité; mais il se décompose violemment à 214".
L'ammoniaque possède comme toutes les bases la pro-
priété de se combiner avec les acides pour former des com-
posés salins. Les hijdracidcs ( acide chlorbydrique, brom-
hydrique, suHliydrique, etc. ) peuvent se combiner à l'état
anhydre avec le gaz ammoniaque desséché. Il en résulte
des composés qui jouent pour la plupart le rôle de bases.
Mais pour que les oxacides ( acide sulfurique, phospho-
rique , etc. ) puissent produire des .sels ammoniacaux , la
Iiréscncc d'uu équivalent d'eau est absolument uécessairc
486
AMMOiMAOUE
Ce fait remarquable a doiiié lion k la (liéorîe de Vammo-
n ium. Ampère a proposé de considérer les produits ammo-
niacaux comme étant for.ms [lar une espèce de métal com-
posé, Vammonium. C'est une des plus belles pensées que
cet homme illustre nous ait léguées. Suivant cette théorie,
l'ammoniaque AzH^ se convertit au contact d'un acide hy-
draté en une oxybase analogui' à la potasse ou à la soude.
Dans cette action un é{[uivalent d'eau IIO se porte sur
AzU^ pour former AzH'^O, c'est-à-dire de l'oxyde d'am-
monium dont le radical AzII^ , amnionium, est analogue au
potassium et au sodium. On comprend alors pourquoi les
iiydracides n'ont pas besoin de l'intervention de l'eau pour
se combiner avec l'ammoniaque. On invoque encore à l'appui
de cette théorie, qui est cependant loin d'être généralement
adoptée, les analogies qu'on remar(]iie entre les combinai-
sons que l'ammoniaque humide produit avec le soufre et
celles que la potasse forme avec ce môme corps, et enfin le
fait que l'alun à base d'ammoniaque offre la même cristal-
lisation et contient le même nombre d'équivalents d'eau
que l'alun à base de potasse. D'après l'ancienne théorie,
l'ammoniaque est ww hydrobase qui se comporte différem-
ment avec les hydracides et les oxacides. La théorie de
l'annnonium présente au moins l'avantage d'assimiler l'am-
moniaque aux autres alcalis et de n'en point faire une ex-
ception singulière.
Le gaz ammoniac se dégage souvent en abondance des
fosses d'aisances, surtout dans la chaude saison, à l'approche
d'un temps pluvieux ; il se forme aussi dans la putréfac-
tron de presque toutes les matières organiques , mais alors
il est presque constamment mêlé à d'autres gaz , comme à
l'hydrogène sulfuré , l'azote , l'hydrogène carboné , l'acide
carbonique , qui se dégagent en même temps. L'oxydation
du fer au contact de l'eau et de l'air atmosphérique donne
également lieu à un dégagement d'ammoniaque. A'auquelin,
Uulong et M. Chevalier ont constaté sa présence dans la
rouille du fer.
Si la quantité d'ammoniaque est assez faible pour que
.sa présence ne soit jias constatée par l'odorat , on la dé-
couvre en approciiant de la matière à analyser une tige de
verre trempée dans de l'acide chlorhydrique concentré. A
l'instant il se produit des vapeurs épaisses de chlorure
d'ammonium qui se déposent.
On prépare depuis longtemps en Egypte l'ammoniaque,
ou plut(')t le sel ammoniac, en calcinant les fientes des cha-
niKuix. On la relire maintenant des eaux qui proviennent
de la distillation qu'on fait subir à la houille pour produire
le gaz de l'éclairage. On l'obtient aussi en grand en distillant
par la chaux les urines et les matières putréfiées. L'ammo-
niacpae se dégage dans des flacons pleins d'acide chlorhy-
drique ou d'acide sulfurique étendu. A la fin de l'opération
les flacons sont remplis de chlorure d'ammonium, ou de
sulfate d'ammoniaque qui cristallisent. On obtient ensuite
facilement l'ammoniaque à l'état de gaz en traitant le
chlorure ou le sulfate par la chaux ou la potasse, et l'on re-
cueille le gaz ammoniac sur du mercure, car il se dissout
dans l'eau. Dans les lahoratoireson décompose parla chaux
un sel ammoniacal, ordinairement le chlorliydrate.
L'azote et l'hydrogène, éléments de l'ammoniaque, ne
se combinent pas directement. L'intervention de l'électri-
cité est nécessaire, ainsi que la présence d'une certaine
quantité d'acide chloihydrique , ou d'acide sulluriciue.
Le gaz ammoniac est éminemment soluble dans l'eau ; en
effet, elle en absorbe environ six cent soixanfe-diK fois son
volume, presque la moitié de son poids, à la température
ordinaire. Cette dissolution, qu'on nommait autrefois alcali
volatil Jluor, qu'on nomme aujourd'hui ammoniaque li-
quide, est limpiile, incolore, d'une saveur ûcre et brillante,
ramènir au bleu le papier rougi de tournesol , verdit le
sirop de violettes , sature complètement les acides et forme
avec eu\ des sels généralement crista'.lisahles. Lorsiju'on
chauffe l'ammoniaque liquide , elle laisse se dégager la pins
grande partie du gaz. Pour préparer l'ammoniaque liquide,
on se sert de l'appareil de Woolf. On introduit un mé-
lange de quatre parties de chlorhydrate d'ammoniaque
contre cinq parties de chaux vive dans une cornue de
fer à laquelle on adapte un tube de Welter. Le premier
llacon , que l'on nonune flacon de lavage, contient un lait
de chaux destiné à retenir l'acide carbonicpie qui se dé-
gage d'ordinaire dans la calcination. On met de l'eau
dans les autres flacons jusqu'au tiers seulement, car l'eau
augmente des deux tiers de son volume eu se saturant
de gaz. L'ammoniaque liquide est précipitée , comme la
potasse, en jaune orangé, parle perchlorure de platine,
lille donne avec le sulfate d'alumine de l'alun, et ce der-
nier précipité ne se forme d'ordinaire qu'à la longue. L'a-
cide tartrique concentré ne précipite la dissolution d'am-
moniaque que lorsque celle-ci est très-concentrée.
L'ammoniaque est une base aussi énergique que les
oxydes des métaux alcalins. Les sels ammoniacaux sont in-
colores , à moins que l'acide ne soit coloré ; ils ont tous
une saveur piquante , cristallisent presque tous , et se dé-
composent par l'action du feu. Tous se dissolvent dans l'eau,
mais ils ne sont précipités de leurs dissolutions ni par les
carbonates de potasse , de soude et d'ammoniaque , ni par
les sulfhydrates, ni par le cyanhydrate de potasse. Le chlo-
inire de platine , au contraire , y détermine un précipité
jaune, et le sulfate d'alumine un précipité cristallin. Tri-
turés avec de la potasse ou de la soude, ils dégagent tous de
l'ammoniaque. l'iusieurs de ces sels, et particulièrement le
chlorhydrate, le carbonate et l'acétate, possèdent la propriété
remarquable de dissoudre et de faire cristalliser d'autres sels
très-peu solubles dans l'eau , comme les sulfates di' barjie,
de chaux, de plomb ; il f;)ut pour cela opérer à la tempéra-
ture de 60 à 70". Le chlorhydrate d'ammoniaque ,a\'>\i^\é
vulgairement sel ammoniac , est blanc, d'une saveur fraî-
che et piquante, très-soluble dans l'alcool. 11 est également
soluble dans moins de .3 parties d'eau à 15°, et plus soluble
encore dans l'eau bouillante. 11 entre en déliquescence à
96° de l'hygromètre ; il cristallise en longues aiguilles , lé-
gèrement flexibles qui se groupent en forme de barbes de
plume. Soumis à l'action du feu, il fond dans son eau de
cristallisation, puis bout et se sublime sous fonne de va-
peurs blanches. Ce sel résulte de la combinaison directe
de l'acide avec la base. Sa formule est AzH-iCl. Traite par
l'acide sulfurique , il dégage l'acide chlorhydrique; chauffé
avec le même acide et avec du peroxyde de manganèse , il
dégage du chlore. 11 précipite le nitrate d'argent; le
précipité noircit à la lumière, et ne se dissout que dans l'am-
moniaque. ÎN'ous parlerons plus loin de son eniploi dans les
arts ; on le vend dans le commerce sous forme de pains
moulés dans des vases sphériqucs, convexes d'un coté, con-
caves de l'autre et percés au milieu. La fabrication du sel
ammoniac est une industrie importante. Il existe tout formé
dans la nature, dans les laves des volcans en activité, dans
les fissures des houillères en combustion.
Il y a plusieurs carbonates auunoniacaux. Le plus im-
portant est le sesquicarbonate d'ammoniaque, souvent
appelé alcali volatil concret, et improprement cor^oHo^e
d'ammoniaque. Le sulfate d'ammoniaqiie se trouve dans
la nature combiné avec le sulfate d'alumine, et dans ce cas
il constitue \'ahin à base d'ammoniaque. La suljhy-
drate d'ammoniaque n'existe qu'en dissolution dans l'eau.
Quand on essaye de l'en séparer, il ahandoime de l'ammo-
niaque, et f~ecor\\ciX\tvn sul/hyd rate d'ammoniaque hy-
drosnlfurp, un des gaz délétères des fosses d'aisances. Le suif-
hydrate d'ammoniaipie est un des réactifs que la chimie J
emploie le plus souvent. La liqueur fumante de Boy le |
est le suiriiydrate d'ammoniafiue sulfuré à l'éîat «le dissolu-
tion aqueuse. Le nitrate d'ammoniaque cristallise on longs
prismes incolores , striés : sa saveur est pi(iuanîe ; il est
AMMONIAQUE — AMMONIUS
très-soluble ilans IVaii et y il«5termiui^ un abaissomiMit no-
table (!e lempiM-iluiv. On l'appelait autrefois n'itrum flnin-
vuiiis, parce cpi'il bnlle avec flamme. Cliauffé à 200°, il s;^
décompose en eau et en proto\\iIe d'azote. Lcjluorhijdrafe
tV ammoniaque est très-soluble dans l'eau. On s'en sort pour
graver sur verre. Nous avons parlé de VaccHate d'animo-
niaque à l'article Acétate.
L'anunoniaque et quelques-uns de ses composés sont d'un
usage fréquent dans la médecine , dans l'industrie et dans
l'agriculture.
Introduite dans l'estomac ou injectée dans les veines à l'état
de concentration , l'ammoniaque liquide agit comme un poi-
son irritant très-énergique ; elle cause la mort , soit par
son action sur le système nerveux , et particulièrement sur
la moelle vertébrale , soit en produisant une inllammation
locale que suit bientôt l'irritation sympatiiique du cerveau.
L'eau vinaigrée est le meilleur contre-poison de l'ammonia-
que. Appliquée sur la peau, l'ammoniaque peut, suivant la
durée du contact, la dose et le degré de concentratioa, pro-
duire ou la rubéfaction, ou la vésication, ou la cautérisation.
On emploie l'ammoniaque à l'usage externe pour faire des
vésicatoires extemporaires. La préparation ammoniacale
qui remplit le mieux cet objet est la pommade ammoniacale
de Gondret , formée de deux parties d'ammoniaque très-
concentrée et d'un mélange d'uue partie d'axonge et d'une
partie de suif fondus à une douce chaleur. C'est un
puissant résolutif, qui produit une vésication par un con-
tact peu prolongé. On l'emploie surtout dans l'amaurose
pour cautériser le cuir chevelu. L'ammoniaque est la base
des liniments volatils usités contre les engorgements indo-
lents et les douleurs rhumatismales chroniques. On admi-
nistre l'ammoniaque comme stimulant interne diflïïsible.
On ne la donne que par gouttes dans une potion appropriée;
son effet est rapide , mais ne dure pas. Elle absorbe instan-
tanément le gaz acide carbonique , qui quelquefois distend
l'estomac , par exemple , chez les animaux herbivores af-
fectés de météorisme. C'est surtout un puissant sudorifi-
que, et cette propriété la rend précieuse dans une foule de
circonstances. On l'emploie avec succès contre la morsure
des insectes et autres animaux venimeux, particulièrement
la vipère. Douze gouttes d'ammoniaque concentré dissi-
pent l'ivresse.
Le sel ammoniac est un stimulant : introduit à haute
dose dans les voies digcstives, il peut causer l'empoisonne-
ment. Pour l'usage intérieur, on le prescrit à la dose de trente
ou quarante grains par jour dans une tisane appropriée ; il
a été employé comme fondant ; on l'a vanté dans les phleg-
raasies; on le dit encore diurétique, antiputride, et on lui
attribue une action spéciale sur le système lymphatique. On
l'emploie plus fréquemment à l'extérieur, dissous dans l'eau,
1 ou 2 gros par litre. On s'en est servi comme gargarisme
dans l'angine pituiteuse ; il entre dans des collyres excitants ;
on l'applique comme résolutif sur le sein ou les testicules en-
gorgés, sur les chairs contuses, les membres fracturés, etc.
Dans les arts on emploie l'ammoniaque liquide pour dé-
gi'aisser les étoffes, nettoyer l'argenterie. Elle sert encore à
conserver la substance nacrée tirée des écailles de l'ablette
que l'on fait servir à la fabrication des peiles fausses. Le sel
ammoniac est généralement employé pour désoxyder les mé-
taux ; les chaudronniers s'en servent pour décaper le cuivre,
et l'emploient pourl'étamage et la soudure. Le sulfate d'am-
moniaque entre dans la fabrication de l'alun, et le phosphate
d'ammoniaque rend incombustibles les étoffes (pie l'on a
plongées dans sa dissolution. Ce phénomène s'explique aisé-
ment : le sel est décomposé parla chaleur, l'ammoniaque se
dégage, et il reste sur le tissu une légère couche vitreuse
d'acide pyrophosphorique.
L'agriculture emploie beaucoup les produits ammoniacaux,
à cause de l'azote qu'ils renferment ;i l'état de combinaison.
En IS'iO, M. Adolphe NVurlz a découvert des composés
487
qu'il a nommés ammoniaques nouvelles, parce qu'ils con-
tiennent le radical de l'ammoniaque ( AzH' ) , plus les élé-
ments du méthylène (C'II'), de l'élhylène (CHI^ ) ou du
valérène (C'"II'" ). M. Wùrtz a donc nommé ces produits
mélhylammoniaque, éthylammoniaque et valéranuuoniaque.
Ces substances présentent les caractères alcalins de l'am-
moniaque.
A.\LVIOI\IAQUE (Gomme). La plante qui produit cette
gomme-résine est indigène d'Afrique et des Indes. Wil-
denow et Jackson, dans son Tableau du Maroc, l'ont décrite
différemment. Cette substance a une odeur fétide, une sa-
veur amère; elle est soluble dans l'eau, l'alcool, l'étber, les
solutions alcalines et le vinaigre. Elle est composée de
70 parties de résine, de 13 dégomme et de 4 insolubles.
C'est un stimulant à l'intérieur, et à l'extérieur un topique
efficace pour le traitement des tumeurs indolentes.
AMMONITE. Voijez Ammonées.
AMMOÎVITES, descendants d'Ammon, fds né du
commerce de Loth avec sa seconde fille. Ils habitaient à
l'est de la demi-tribu de Manassé, et avaient pour capitale
Rabbath-Ammon , au delà du Jourdain. Ils furent conti-
nuellement en guerre avec les Israélites. Jephté , Saùl et
David les défirent tour à tour, et Joab les anéantit.
iVMMOXIUIVl. Si l'on taille dans un morceau de sel
ammoniac sublimé une petite coupelle, qu'après l'avoir hu-
mectée on y place un globule de mercure , et qu'on fasse
agir une pile voltaïque en plaçant la coupelle sur une lame
de platine mise en communication avec le pôle positif, tandis
que le mercure communique avec le pôle négatif, on voit ce
métal augmenter de cinq ou six fois son volume et se trans-
former eu une masse d'un blanc d'argent et d'une consistance
molle. Soumis à la distillation, ce singulier produit se
décompose en mercure, en gaz ammoniac et en hydrogène.
Grave l'a solidifié à l'aide d'un mélange d'éther et d'acide
carbonique. 11 se contracte alors, et se conserve sans altéra-
tion sensible. Il est cassant, d'un giis foncé, et a presque
entièrement perdu son éclat métallique. Il se décompose
dès qu'il fond. On a cru voir dans ce composé , découvert
par Seebeck en 1808,1a preuve de l'existence d'un radical
métallique non isolé, analogue au potassium et au sodium.
En conséquence , on a donné à ce radical hypothétique le
nom à' ammonium, et au composé celui à'amaUjame
d'ammonium. L'ammonium ne serait point un corps simple
comme le potassium et le sodium, mais un composé d'azote
et d'hydrogène, AzH^ , et serait aux métaux alcalis ce
que le cyanogène est au chlore, à l'iode, au brome, etc.
Voyez Ammoniaque.
AIOIOAIUS, nom commun à plusieurs savants grecs,
et surtout à des philosophes appartenant à l'école d'A-
lexandrie. Les principaux sont : l" Amjiomcs d'Alexandrie ,
péripatéticien du premier siècle, qui s'honorait d'avoir eu
Plutarque pour disciple; — 2° le plus célèbre de tous, Ammomus
Saccas, né dans la pauvreté, forcé d'abord de se faire por-
tefaix pour vivre (d'où le surnom de Saccas ou Sacco-
phore), et qui passe pour avoir fondé, vers Tan is.3 de J.-C,
l'école néo-platonicienne à Alexandrie {voyez école d'A-
lexandkie). Il chercha toute sa vie à concilier Platon et
Aristote, ne laissa aucun écrit, mais forma des disciples
distingués, tels que Plotin, Longin et Origène. Les Alexan-
drins, dans leur polémique, l'ont souvent opposé h Jesus-
Chrrst ; d'où est venue l'opinion générale qu'il aurait
quitté la religion du fils de Marie pour retourner au paga-
nisme. — 3° Ammonius, fils d'Hermeas, philosophe néo-plato-
nicien, disciple de Proclus, vivant aux cinquième et sixième
siècles, et qui a laissé de bons commentaires sur plusieurs
ouvrages d'Aristote. — 4" Ammomls le grammairien, qui
vécut à Alexandrie au quatrième siècle, et a laissé un Dic-
tionnaire des Synonymes, .souvent puliiié. — .')" Enfin Anir
7nonius le lithotoine, chirurgien d'Alexandrie, qui a fait le
promiei" l'opéialioii de la pierre.
488
AMNKSIE — AMNISTIE
AMNÉSIE (du grec à privatif, et de [AvyiTi:, poiie de la
mémoire). Quelques nosolof^istes, et eu paiiiciilier Sauvages,
en ont fait un genre de maladie. D'autres, au contraire, ne
l'ont considérée que connue un symptôme qui se rencontre
dans diverses affections. Ce phénomène offre des particu-
larités curieuses. Non-seulement l'absence de mémoire peut
exister à différents degrés, depuis le plus simple affaiblisse-
ment jusqu'à l'abolition complète , mais souvent aussi elle
est partielle. Certains faits restent gravés dans la mémoire;
il en est d'autres ([u'clle est impuissante à retenir. Ceux-ci ,
par exemple, oublient les noms, les lieux ou les personnes ;
ceux-là ne se souviennent (jue des choses de leur enfance
ou de celles qui ont (ait époque dans leur existence. On en
voit chez qui les impressions reçues sont aussitôt effacées.
Cependant, mais par exception rare , chez quelques-uns de
ces derniers, il arrive que, sur les faits immédiatement en
rapport avec leurs facultés ou leurs habitudes , la mémoire
soit assez durable pour ne pas leur interdire les distractions
elles occupations auxquelles ils ontroutumede se livrer. La
perte de la mémoire est un des signes les plus caractéristiques
delà démence, l'un des premiers surtout qui annoncent cette
dégénération de l'intelligence. Le plus souvent alors elle
est étendue , et devient complèttï si elle ne l'est pas dans le
principe. C'est à la suite d'attaques de paralysie ou de ma-
ladies graves qu'on observe plus particulièrement les pertes
partielles dont j'ai parlé plus haut. Les idiots ont en gé-
néral une mémoire bornée; c'est pour cela que, même à
ceux auxquels on reconnaît une apparence d'intelligence, il
est si (liflicile d'apprendre quelque chose. L'amnésie, sui-
vant qu'elle est plus ou moins prononcée, entraîne nécessai-
rement l'incohérence ou la nullité des idées. Aussi les dé-
ments sont-ils comme de grands enfants, sans énergie et
sans volonté. 11 en est de même de bon nombre de vieil-
lards , chez qui la faiblesse des impressions émousse la vi-
vacité des sentiments moraux, des affections et des instincts.
— On connaît à peu près les conditions dans lesquelles se
produit l'amnésie. Je viens d'en énumérer une partie; mais
qnantaux modifications intimes qui président à sa formation,
c'est vainement que jus([u'ici on a cherché à en pénétrer le
mystère. D'' Delasiauve.
AMiMOMAXCIE (du grec â|iviov , amnios; [ictvxcîo!,
divination). Sorte de divination qui consistait à pi'édire l'a-
venir d'un enfant par l'examen de la disposition de l'am-
ni os au moment de la naissance. Quand cette membrane
enveloppait la tête, c'était un heureux présage ; et c'est de là
que vient le proverbe : Il est né coiffé, en parlant d'un
homme à qui tout réussit.
AMXIOS. C'est le nom donné à une des membranes
qui environnent le fœtus dans le sein maternel et de toutes
la plus interne et la plus rapprochée de lui. Elle est lisse,
transparente et très-mince comme les membranes séreuses.
M. Serres la considère comme une véritable séreuse, qui selon
lui se réiléchit sur la peau du fœtus, de la même manière
que la plèvre le fait sur les poumons. Ce savant anatomiste
affirme même que l'embryon lors des premiers mois de la
grossesse est en dehors de la membrane amnios et en partie
recouvert par elle. On ne sait pas positivement si cette
membrane reçoit les vaisseaux de la mère ou du fivtus ; il
est probable qu'elle en reçoit de l'un et de l'antre. C'est l'am-
nios qui produit , par exhalation, le fluide abondant dans
lequel llolte le fo'tus. On l'appelle eau de l'omnios ; il est
d'autant plus abondant par rapport au fcetus qu'on se rap-
proche davantage de la fonnation de l'cruf. Cette humeur
est d'abord claire et transparente; plus tard, elle devient
légèrement visqueuse, et se charge plus ou moins de flo-
cons lactescents. Une remarque assez singulière, c'est que
le Uuide amniotique rougit la teinture de tournesol et ver-
dit le sirop de violette. Lors de 1 ' a c c o u c h e m e n t , l'anmios
une fois rompu, l'utcTus, moins distendu et moins rempli,
revient sur lui-niOme en se contractant fortement , et l'ex-
pulsion de l'enfant par les voies naturelles devient irrésis-
tible.
AMXîSTIE (du grec à|xvr,cTÎa . oubli). L'amnistie est
un acte du pouvoir souverain, qui a pour objet de faire
oublier un crime ou un délit. Proprement, l'amnistie est un
pardon général accordé avant jugement à des individus ipii
ont pris part à des crimes ou délits spécifiés ; par extension,
c'est un acte de clémence qui proclame l'oubli des crimes
ou délits commis, par toute une classe de coupables , que
ceux-ci soient àéjh condamnés ou seulement accusés. Les
am.nisties sont générales ou partielles, selon qu'elles com-
prennent tous les coupables d'une catégorie de crimes ou
qu'elles en exce|)tent un certain nombre. L'amnistie peut
s'appliquer à toutes les espèces de crimes ou délits ; mais
l'histoire s'occupe surtout des amnisties pour crimes poli-
tiques. Les souverains les accordent ordinairement à l'occa-
sion de quelque événement heureux ou de leur avènement.
Dans les monarchies, le droit d'amnistier semble résulter
du droit de faire grâce. Sous la constitution de 1848, le
président de la Piépubliqiie [louvalt faire grAce après avis du
Conseil d'État; mais il ne pouvait inoclanier une amnistie
sans le concours de l'Assemblée nationale. La constitution de
1852 a rendu le droit d'amnistie à l'empereur.
Les criminalistes font une distinction entre amnistie et
grâce. <' L'amnistie diffère de la grâce, a dit la cour de cas-
sation dans un arrêt du 1 1 juin 1823, en ce que l'etTet de la
grâce est limité à tout ou partie des peines, tandis que l'am-
nistie emporte abolition des délits, des poursuites ou des
condamnations, tellement que les délits sont, sauf l'action
civile des tiers, comme s'ils n'avaient jamais existé. » —
«L'amnistie prévient la condamnation, ajoute M. Dupin ;
la grâce fait remise de la condamnation prononcée. L'amnis-
tie arrête le juge ; la grâce n'arrête que le bourreau, le geô-
lier et le percepteur. » — De ce que l'amnistie abolit le crime,
il est bien entendu qu'un second délit commis après le
premier ne peut donner lieu à l'application des peines de la
récidive. Le condamné amnistié est habile à déposer en jus-
tice ; enfin l'amnistie accordée au coupable emporte de
plein droit l'amnistie du complice.
« L'amnistie, adit M. de Peyronnet, est souvent un acte de
justice, quelquefois un acte de prudence et d'habileté. »
Lorsque les passions ont mis un terme au combat qu'elles
s'étaient livré, il y a ordinairement des vainqueurs et des
vaincus. Si le vainqueur fst clément, s'il est généreux, il
amnistiera , car il y a dans l'amnistie un air de générosité
et de force qui impose aux imaginations populaires et met
son auteur en renom. C'est ce qui arrive toutes les fois
qu'il y a eu un grand coup à frapper, le lendemain de la ba-
taille. Bien qu'on l'ait emporté sur son adversaire, si cet
adversaire est puissant, on est entraîné trop loin en voulant
poursuivTe sa vengeance. Il y a trop de coupables après
une guerre civile pour que la loi du plus fort elle-même ne
se sente fléchir à l'aspect de l'horrible tâche qui lui reste à
remplir. Ne vaut-il pas mieux dans ce cas s'exjjoser en par-
donnant quelle cherciier la tranquillité dans une dure répres-
sion qui ne l'assure pas toujours et produit souvent de
nouveaux attentats? L'histoire no\is prouve que de pareilles
considérations n'ont pas été sans effet, à travers les siècles,
soit sur les triompliateurs d'un jour, soit chez les despotes
les plus absolus, soit sur les grandes assembléesdiliherantes.
Les Athéniens furent les premiers qui employèrent le
terme d'amnistie. Ils appelèrent ainsi la loi que fit rendre
ïhrasybule lorsqu'il rétablit le gouvernement démocra-
tique à Athènes. Celte loi portait qu"aucun citoyen ne pour-
rait être recherché ni puni pour la conduite qu'il avait pu i
tenir dans les troubles causés par le gouvernement des I
trente t\rans. A Rome bien souvent les partis cpii déchi- *
raient la n'-puhliiiue, las de se massacrer, mettaient bas les
armes et s'aumistiaient.
Après de grandes secousses politi(iues, l'oubli du passé est
A:\INîSTTE — AMORCE
489
une ilos ba>e> tic la paix; mais trop souvent la fureur des
partis a en nnours aux amnisties pour mieux assurer ses
vengeances. L'amnistie accordée en 15'Oaux huguenots fut
suivie, deux ans après, de la Saint-IJartiiélemi.
l'arnii les aiuuisties célèbres dans l'histoire, nous citerons
celle qui fut accord(-e par le traité de Tassaw. La campagne
de l'électeur Maurice de Saxe y est qualifu'e de simple excr-
rice militaire. Par 1' traité de Munst.r il fut également ac-
conlé une amnistie pleine et entière, dont l'ext'cution trouva
de grands obstacles. Charles II, rétabli sur le trône d'An-
gleterre , publia une amnistie générale ; le parlement en
excepta les régicides, c'est-à-<lire les juges de Charles 1".
La révolution française est riche en amnisties. Le parti vic-
torieux promettait à ses adversaires l'entier oubli du passé
en le réclamant pour lui. Après la première restauration, il
n'était guère possible au nouveau gouvernement d'accorder
une amnistie entière ; il se borna à déclarer ( article 1 1 de
la charte constitutionnelle ) que nul ne pouvait être pour-
suivi pour opinions politiques. Malgré son abdication , Na-
poliHîn, à son retour de TUe d'Elbe, considéra tous ceux qui
avaient coopéré au renversement du trône impérial, en 1S14,
comme criminels d'État, et leur accorda une amnistie pleine
et entière, dont il n'excepta que treize des plus compro-
mis, tels que le prince de Talleyrand, le duc de Dalberg,
Bourrienne, etc. A la seconde restauration l'amnistie en
faveur de ceux qui avaient pris part à l'usurpation de Na-
poléon ne fut publiée que le 12 janvier 1816. Ney, Labé-
doyère, Lavalette, Bertrand, Rovigo et d'autres personnages
de marque en furent exceptés. L'ordonnance du 24 juillet
1815 les avait placés sous le coup d'une enquête judiciaire.
Les régicides et les membres de la famille Bonaparte furent
exilés de France. Le roi se réservait en outre l;i faculté de
bannir du royaume, dans l'espace de deux mois, le maréchal
Soult, Bassano, Vandamme, Carnot , Hullin, Merlin, etc.
Sous le gouvernement de Louis- Plnlippe une grande am-
nistie politique fut proclamée en 1837, à l'occasion du ma-
riage du ducd'Orléans. Sous la république, de 1848 à 1851,
il n'y eut pas d'amnistie; il n'y eut que^des grâces nom-
breuses. Un décret du 16 aoàt 1859, rendu par l'empereur,
à son retour de la guerre d'Italie, accorda amnistie pleine et
entière à tous les individus condamnés pour crimes et dé-
lits politiques ou soumis à des mesures de sûreté générale. *
AilXOX , fils aine de David et d'Achinoam, devint si
éperdument amoureux de sa sœur consanguine, Taraar, fille
de David et de Maacha, mère d'Absalon, que, feignant d'être
malade, et refusant toute nourriture, il l'atlira dans le lieu le
plus secret de son appartement et, sans égard pour ses
plaintes et ses larmes, assouvit sur elle sa brutale passion.
Puis il conçut pour elle une haine plus violente encore que
l'amour qu'il lui avait porté. Il l'accabla d'injures, il la fit
traîner par un domestique hors de sa maison. David, qui ai-
mait Amnon, laissa son crime impuni. Absalon au contraire,
à la nouvelle du double affront fait à sa sœur, fut pénétré de
l'indignation la plus vive ; néanmoins il dissimula pendant
deux années entières. Au bout de ce temps, à l'occasion de
la tonte des troupeaux, époque de solennité chez les Hé-
breux, il invita son frère au festin d'usage, épia son aban-
don aux plaisirs de la table, et lorsqu'il s'aperçut que le vin
avait troublé sa raison, le fit massacrer par des hommes
aposlés pour cet acte sauvage de vengeance préméditée.
David apprit cet événement avec douleur, mais sans cour-
roux : père tendre jusqu'à la faiblesse, parent trop débon-
naire , il avait pardonné à son fils aîné son double outrage à
sa sœur, il pardonna de même à son fils puîné le meurtre de
son frère. Ce drame intérieur se passait l'an 1030 avant J.-C.
AMODIATION ( du latin modius, boisseau ). Action
de louer une terre pour une certaine quantité de boisseaux
de blé. C'était un terme usité dans les anciennes coutumes ,
comme synonyme de bail à ferme d'une terre, en grains ou
en argent, mais plus généralement de bail donné sous la
LlCï. UL LA I.U.N'. tli .^iiO.N. — 1. I.
condition de prestation en nature. Aujourd'hui le ir.ot nmo-
diatinii n'est plus que synonyme de location.
AAIOME, AMOMÉES. L'amome est un genre de plantes
type de la famille des nmomces , dont toutes les espèces
sont exotiques, originaires de l'Inde, de l'Afrique et de r.\-
mérique méridionale , et en général herbacées et vivaces.
Les principales espèces sont Yamotne zingiber, qui produit
le gingembre; Xamome de Madagascar , qui donne lo
cardamome, et enfin celle qui donne les grainesde
paradis.
La famille des amomées, qui n'est autre que le groupe des
scitaminvcs de Linné, des cannées oa balisiers de Jussicu,
des driinijrrhizées de Ventenat , a aussi porté le nom de
zingibéracccs, à'alpiniacces, etc. On connaît environ deux
cents espèces d'amomées, divisées en deux tribus; la pre-
mière est celle des cannées , qui ont une seule anthère , un
style libre, et dont les graines sont dépourvues d'endosperme.
Parmi les quatre ou cinq genres qui y sont compris , on
distingue le canna Lambcrti et le canna iridiflora, qui
sont de superbes fleurs; le maranta et le phrynium , dont
plusieurs espèces contiennent dans leurs racines une fécule
alimentaire et nous fournissent l'arrow-root. — La se-
conde tribu est celle des scitaminées, qui ont pour traits
communs une anthère double et un style long, flexible, sup-
porté entre les lobes de l'anthère. Dans cette tribu se ran-
gent onze ou douze genres , parmi lesquels il nous suffit de
nommer : ïamome ; Vhedychium, dont une espèce, V/iedy-
chiuin coronarium, à fleurs grandes et embaumées, mais
éphémères, est pour les femmes malaies un emblème d'incons-
tance ;rfl/p(Hi«, et surtout Valpinia nutans, qui avec r(//pj-
nia magnifica se distingue par l'élégance et la beauté des
fleiu-s; enfin le globba, dont une espèce { le globba saltato-
ria ) présente dans sa fleur l'image d'une danseuse.
AMOXTOXS (Gcillacme), physicien remarquable,
naquit à Paris suivant les uns, en JN'ormandie suivant les
autres, le 31 août 1663. Étant encore enfant , il contracta,
à la suite d'une maladie , une surdité qui le priva presque
entièrement de la conversation des honunes. Il chercha une
consolation dans l'étude, et s'appliqua avec succès à la géo-
métrie et à la mécanique ; il trouva dans ces travaux tant
de charme , qu'on prétend qu'il ne voulut essayer aucun
remède pour son infirmité, soit qu'il la jugeât incurable,
soit qu'elle favorisât le genre d'études auquel il s'adonnait,
en permettant à son attention de n'être pas distraite. Il
écrivit un traité de ses expériences sur une nouvelle clep-
sydre, et sur les baromètres, les thermomètres et les hygro-
scopes, ainsi que divers articles àsmlQ Journal des Savants.
En 1687 il présenta à l'Académie des Sciences un nouvel
hygroscope, qui eut l'approbation générale. Mais une de ses
plus remarquables découvertes fut celle qui consistait à com-
muniquer à de grandes distances dans un court espace de
temps; il imagina pour cela des échanges de signaux entre
des personnes qui s'éloignaient les unes des autres de façon
à ne s'apercevoir qu'à l'aide de lunettes. Amontons peut
donc être considéré comme l'inventeur du télégraphe, dont
l'usage n'a cependant été introduit qu'un siècle environ après
sa mort. Il fut reçu en 1699 mi'mbro de l'Académie Royale,
et c'est là qu'il écrivit sa Nouvelle Théorie du Frottement,
où il traita avec bonheur une branche importante de la mé-
canique. Il mourut d'une inflammation d'entrailles, le 1 1 oc-
tobre 1705, à peine âgé de 42 ans. Ses œuvres sont renfer-
mées dans les divers volumes des Mémoires de l'Académie
des Sciences, des années 1698 à 1705. Fontenelle a fait un
brillant éloge du mérite d'Amontons.
AiîORCE , appât dont on se sert pour prendre du gi-
bier, du poisson. — En termes de pyrotechnie, c'est la
poudre à canon que l'on met dans le bassinet des armes à
feu, ou la mèche soufrée qu'on attaciie aux grenades, bom-
bes, etc., ou à des saucisses avec lesquelles le feu prend aux
mines. La longueur de ces mèches, on le conçoit facilement,
C2
490
AMORCE
AMORTISSEMENT
est Jans ces deux cas proporlionnr'C au tcmp"; nrcessaire
an mineur pour se mettre à l'abri des suites de l'explosion ,
et à la l)omb(! |)our parcourir le trajet qu'elle est présumée
devoir faire, alin de n'éclater qu'à l'inî^tant où elle touciiera
la terre. — Le système des fusils à percussion ayant généra-
lement remplacé , dans les armées comme à la chasse, l'an-
cien fusil à batterie , on emploie aujourd'hui i)Our amorce
nne certaine quantité de poudre fulminante fixée au fond
d'une petite capsule de cuivre très-mince, qu'on place sur
la cheminée du fusil , c'est-à-dire sur un cône tronque qui
est percé au fond.
A.MOHETî'll (CuMii.Ks), né à One;;lia, le 13 mars
1741, mort à Milan le 24 mars 181G. Fils d'un négociant, il
entra dans l'ordre des Auguslins en 1757, et obtint sa sécu-
larisation en 1772. Il fut nommé alors professeur de droit
canon à Parme, et devint en I7u7 un des conservateurs de
la nibliotliè(pie Ambi osienne.Trè.N-versédans les lauf^iies mo-
derne?, membre du conseil «lis mines, delà .SocJ^'^e ;;a;?-(0-
tir/ue , de riustitut national d'Italie, de la Société Italienne
et de la Société d'Ëncourai;eu)ent fiour les sciences et les
«rts, il rendit, comme miuéralot^isle surtout, de trcs-gramls
services à sa patrie. Outre les nombreux mémoires et opus-
cules sur cet obji't spécial de ses études qu'il a donnés aux
divers recueils scientiliques et littéraiies de l'Italie, il a
publié en langoe italienne un Voyage de Milan aux trois
lacs de Corne. , de Liigano et Majeur {^YÛAn, 180.î, in-4") ,
et en français un Guide des Étrangers dans Milan et les
environs decelte ville. On lui doit encore des éditions du
Premier Yoijage autour du ??i07irfe,par Pigafetta, du
Traité sur la A'avigation, du même auteur, et du Voyage
de [''errer Maldonado à Vocénn Atlantique et à la mer
Pacifique, par le nord-ouest ; le Codice diplomatico
Sant-.imbrosiuno , avec, un éloge du père Fumagalli ; un
Mémoire sur la vie et les œuvres de Léonard de Vinci;
eidiu un livre Délia rab'lomanzia, etc. *
AMOIUTES, EMORITES, ou AMORRHÉENS, descen-
dants d'Amor, fils de Chaoaan, une des plus importantes
peuplades primitives de la Palestine avant la conquête de
ce pays par les Hébreux. Il en est souvent question dans
les livres de Moïse, et ce nom lui sert quehiuefois à désigner
les Chananéens en général. Une partie de ce peuple habitait
le pays qxii fut occupé plus tard par la tribu de Juda, entre
la mer Morte et la Méditerranée , sur les montagnes, où l'on
cite cinq de ses royaumes, Jérusalem, llebron, Jarmuth,
J.acbis, Eglon. Us se mêlèrent avec le temps aux Israélites.
Une autre partie demeurait de l'autre côté du Jourdain, où
l'Arnon les si'parait dos .Moabites; elle se divisait en deux
royaumes, celui deSihon, roi d'Hesbon, et celui d'Og, roi
de I5asau. l'iusieurs de ces cantons furent conquis par les
Animo7ïit es. Ces Aiuorites, ayant refusé le passage aux
Hébreux, furent passés au lil de l'épt'e, et leur territoire fut
assigné aux tribus do Gad , de Ruben et de Manassé. Us
étaient en général d'une stature élevée. Og , véritable géant ,
suivant l'Ecriture, couchait dans un lit de neuf coudées de
long sur quatre de large; il vécut neuf cents ans. Les eaux
du déluge n'avaient [)as cte assez profondes pour l'en-
gloutir.
A.MOROS Y OXDÉAA'O (Don Euancisco), né à Va-
lence (Espagne), le 19 février 1770, d'une famille noble, lit
avec distinction les campagnes de 1792 et 1793, et par-
vint, en moins de trois ans, au grade de major général. Le
traité de Râle ayant mis lin à la guerre, Amoros s'occupa
des moyens d'améliorer diverses branches du système admi-
nistratif en Espagne, et lit agréer le plan d'un ministère de
l'intérieur (]ui y était encore à créer. Une pension de vingt
mille réaux fut sa récompense. On le chargea en même
temps de la formation à Madrid d'un établissement militaire
selon la méthode de l>estaloz/i. Knfin, en 1SÛ7, l'éducation
de l'infant don Vincent de Paul lui fut conliée. 11 réunis-
sait les titres de colonel, de régidor de San-Lucar et de membre
du conseil royal des Indes. Rien ne stnv.blait devoir limiter
sa fortune politique, lorsque l'avènement de Ferdinand VU
amena pour lui Flieure de la disgri'ico. Il fut arrêté, mais ,
sur la recommandation de l'infant don Antonio, il recouvra
bientôt la liberté.
Xonnné membre de ces certes de Rayonne qui appelèrent
n;i trône d'Espagne Joseph, un des frères de Napoléon, Amo-
r:K fut fait, par le nouveau roi, conseiller d'État, intendant
fjcnéraldela police, et commissaire royal dans les provinces
de Rurgos et de Guipuscoa. Trois ans après ( 1812), lors de
l'insurrection générale des Espagnols contre Joseph, il fit de
vains efforts pour organiser des comi)agnies de gardes natio-
n.des, et appeler tous les citoyens aux armes. En I8i4, le re-
tour de Ferdinand VII le força à se réfugier en France, où il
prit part à la rédaction du I\'ain Jaune, et publia en espa-
gnol et en français des représentations à ce prince sur las
ix'rsécutions auxquelles sa femme était en butte , et sur sa
propre conduite dans les convulsions politiques de .sa patrie.
Pendant les Cent-Jours, Amoros lit, tant pour son conq)te
qu'au nom des Espagnols réfugiés, des olires de service à l'ex-
roi Joseph, et annonça dans le Nain /flî(«e qu'il venait d'en-
trer dans la garde nationale de Paris. Apiès la seconde res-
tauration, il renonça à la politique, poi;r ne s'occuper que
de faire adopter par le gouvernement français les institu-
tions gynmastiques dont il avait fait d'heureux essais en Es-
pagne. Il eut beaucoup d'obstacles et de préventions à
vaincre ; mais il sut en triompher, et plusieurs ministres se
firent un devoir d'encourager ses efforts. 11 fut nomme suc-
cessivement officier de la Légion d'honneur, inspecteur des
gynmases militaires, directeur du gymnase normal mili-
taire qu'il avait fondé place Dupleix , à Paris, et du gym-
nase civil orthoscmati(iue de la rue Jean-Goujon, aux
Champs-Elysées, lequel était également de sa création. Il a
publié en Espagne deux Mémoires sur la fièvre jaune,
Iilusieurs Discours sur différents objets d'utilité pu-
lilique, un grand nombre de mémoires sur l'éducation. En
France, outre les écrits politiques dont nous avons parlé,
o!i a de lui plusieurs Discoi/r5, Pétitions, et Mémoires sur
\-,\^\xïrï-iii[(\\xfi,w\ Recueil de Cantiques (texte et musique),
et ioii Manuel d'Éducation physique, gymnastique et
inarale, qui a obtenu un des prix de l'Institut , et a été
adopté par le conseil supérieur de l'instruction publique
pour les écoles primaires. Les contrariétés sans nombre qui
a\aient accueilli le colonel Amoros à son entrée dans sa
nouvelle camère, et qui avaient paru le respecter durant
les nombreuses années où , heureux et considéré, il faisait
j(;i:ir la France de sa précieuse importaiion, se sont tout
à coup réveillées sur ses vieux jours, et lui , longtemps sr
pi, in de force, d'intelligence etd'activilé, est mort, en 1848,
repoussé sans pitié des créations utiles dont il avait doté
notre patrie, victime nouvelle de l'oubli et de l'ingratitude
des honmies.
AMOROSO ( en italien amoureusement ). Ce mot
indique dans la musique que l'on doit jouer sur im mou-
vciuent lent et avec une expression tendit et légèrement
pussionnée.
AMORPIÏE ( du grec à privatif, |jiop;vi, forme ). Ce
mot s'appliipie dans les sciences naturelles a ce qui n'a point
une forme bien déterminée, bien distincte.
AMORP.IIÉEA'S. Voyez Asioiuti-s.
AMORTI SSEMEA'T ( Ancien Droit ). C'était une per-
mission spéciale que le souverain accordait aux gens de
mainmorte de posséder des immeubles. L'amorti.sse-
ment était accorde par le roi , qui en percevait le bénéfice
au nom de l'Etat; et si l'immeuble amorli était inféodé ou
accensé de njanière que plusieurs seigneurs eus.sent à exercer
des droits dont la concession d'amortissement pouvait les
priver, l'acquéreur était obligé de leur jiayer une iiidem-
nilé, outre Famortissement qui était ilù au roi. Ce droit d'a-
mortissement s'éleva jusiju'au liei-s de l'immeuble amorlk
AMOUTISSEMEINT
401
LorsqiM* ce droit fut nlioli , en ITS'.i , avec tous les autres
«Iro-ts féodaux , il était taulcU lu sixième ou du cinquiéuie
de la propriété amortie , tantôt d'une ou plusieurs années
des revenus de cette propriété. Originairement l'amortisse-
nient avait été gratuit. Saint Louis passe pour en avoir fait
le premier l'objet d'un droit liscal. Les écoles, les maisons
do charité, cimetières publics, teirains destinés à leur cons-
truction, ou à la création de rues, de places, etc., étaient
exemptés du droit d'amortissement.
AAIORTISSEMEXT (Finances ). On nomme ainsi
un fonds destiné à éteindre , à amorCir des actions , des
rentes , des obligations. C'est ainsi que lorsqu'un État em-
prunte, ou lorsqu'une grande ailministration s'établit pour
exploiter une branche de revenus dont elle n'a la propriété
que pour un temps, il est d'usage, à côté des intérêts, de
stipuler la création d'un fonds spécial , destiné , au moyen
de sa capitalisation , à reconstituer le capital primitif. Ainsi
lors(ju'on cherche à établir la durée de concession qu'il est
juste d'accorder à une compagnie de chemin de fer , on
compte d'abord les intérêts du capital à avancer par e!ie ;
puis, d'après la somme qui reste sur les bénéfices probables,
on voit combien il faudra de temps pour reconstituer le ca-
pital entier : cet excédant de bénéfices, les intérêts payés ,
forme le fonds d'amortissement.
Pour éteindre les emprunts publics , on a généralement
recours à un système d'annuités qui peut subir différentes
modifications. Le mode le plus simple serait d'ajouter quelque
chose à l'intérêt, comme un pour cent, par exemple, et
de déclarer qu'au bout d'un certain temps l'action serait
amortie, c'est-à-dire annulée ; cela ne serait que juste , en
effet , puisque si le créancier avait placé chaque année ce un
pour cent à intérêt composé, il se retrouverait à la fin avoir
reconstitué son capital ; mais ces placements continuels ne
con% iennent pas en général aux rentiers , et on ne se sert
guère de ce mode d'amortissement.
On a aussi imaginé de rembourser tous les ans un certain
nombre de billets , et alors on ne donne annuellement à
chaque billet non racheté que le simple intérêt de l'argent
représenté par lui. En général, le sort désigne chaque année
les numéros des actions ou obligations à amortir, c'est-à-
dire à rembourser celle année-là. Tantôt l'obligation
amortie est annulée et ne rapporte plus rien, tantôt l'action
remboursée reste représentée par ime action de jouis-
sance qui continue à recevoir les intérêts de la somme
avancée. D'autres fois on ne sert aux billets non rachetés
qu'un intérêt inférieur au taux du crédit (soit trois pour
cent au lieu de quatre pour cent ), et on emploie l'excédant
à former des lots ou primes à gagner chaque année, soit
entre les billets rachetés cette année-là, soit indistincte-
ment entre tous les billets existant encore dans les mains
des préleurs. C'est ainsi que la ville de Paris paye tous les
ans des rentes ou obligations pour emprunts contractés
antérieurement ; et elle affecte des primes particulières à
un certain nombre de ces obligations que le sort désigne.
L'État n'emploie pas ce mode pour amortir sa dette.
Il prend sur l'impôt une somme constante et supérieure à
l'intérêt de la somme empruntée. Comme chaque titre de
rente ne reçoit annuellement que l'intérêt de la portion de
capital qu'il représente , la dotation de l'amortissement est
emjtloyée à racheter chaque année un certain nombre de ces
renies. En outre, la caisse d'amortissement reçoit , au
lieu et place des créanciers de l'État, le payement annuel
de toutes les rentes précédemment rachetées par elle. Ainsi,
elle agit sur la place , non-seulement avec sa dotation fixe,
mais encore avec l'intérêt des rentes qu'elle a rachetées et
dont elle reçoit le prix annuel. Elle peut de cette façon
racheter au pair, en trente-six ans et demi , une rente émise
au taux de cinq pour cent. Autrement , et si la caisse n'a-
gissait ([u'avec ce qu'on apiielle sa dotation fixe, c'est-à-dire
avec un pour ct.'nt du capital emprunté , elle ne rachèterait
la rente qu'en cent ans , quel que M d'aiih-urs le taux de
l'emprunt.
Ce qui distingue ramorlissem«'^nt dont nous jiarlons des
autres modes de remboursement par annuités, c'est que le
gouvernement ne rachète pas chaque année telles actions dé-
terminées par voie d i sort, mais simplement les actions qui
se présentent à la Course. Cela est avantageux aux porteurs
de rentes , par la raison que l'époque de remboursement ne
se trouve fixée d'une mamère absolue pour aucun d'eux , et
qu'au contraire elle est en cfuclquc sorte abandomiée à leur
convenance. A la vérité, si le gouvernement était dans la
position et avait la volonté sérieuse d'amoitir complètement
sa dette , ce mode serait vicieux , comnie on l'a très-juste-
ment observé ; car les porteurs d'actions pourraient, d'après
la loi actuelle, consener indéfiniment leurs titres , c'est-à-
dire leurs créances, ou du moins ne s'en dessaisir rju'à un
prix excessif. Une autre particularité de l'amortissement est
de rembourser chaque année au prix courant de la rente ,
et non pas d'après sa valeur primitive à l'époque de i'em-
prunt.
Employé pour la première fois , en 1G65 , par les états de
Hollande, l'amortissement fut bientôt introduit à Rome, en
Espagne, puis en Angleterre en 17 IG. En France, un édit
de 1740 créa aussi une caisse d'amortissement, qu'on es-
saya vainement de renouveler en 1705 et en 17S4; mais
nulle part ces essais ne réussirent. Telle qu'elle a été com-
prise depuis , celte institution est l'ouvrage du docteur
Priée : cet Anglais démontra qu'en employant un pour cent
du capital de la dette à son rachat au cours de la place , et
en cumulant successivement l'intérêt de la portion de dette
rachetée , la dette entière se trouverait liquidi'e en trente-
cinq ans. De là une illusion vraiment nationale , dont pro-
fitèrent le célèbre Pitt et ses successeurs pour tenir tête à
la France , tourner le grand obstacle du blocus continental,
et en faire sortir même une activité et une prospérité in-
dustrielle toute nouvelle. Et tout ce prestige était fondé sur
la bonhomie la plus étrange d'un philosophe calculateur!
On demeure surpris en effet de voir à quoi se réduit cette
efficacité prétendue de l'amortissen-.ent à intérêts composes.
Dans le système de Pricc , ce sont les contributions publi-
ques qui fournissent ces fonds que la caisse d'am.ortissement
accumule dans une véritable progression composée. Mais
qu'importent les propriétés de l'intérêt composé, si les revenus
de la caisse ne provieanent pas d'une nouvelle source de
richesses , et ne sont plus grands que parce que les contri-
buables y versent plus d'argent?... Qu'est-ce en effet qu'un
amortissement qui prend l'Angleterre avec une dette de six
milliards et la laisse avec une dette de vingt milliards ; et
la France avec une de trois, et ne l'erapOche point d'atteindre
à plus de liuit.^
Pour prouver l'inutilité de l'amortissement des économis-
tes ont prétendu que l'achat de deux ou trois cent au'lle fr.
de rentes chaque jour parla caisse d'amortissement ne pou-
vait avoir une grande infiuence sur des opéraraiion de 80
millions qui s'effectuent journellement sur les mêmes va-
leurs, rien qu'à la bourse de l^aris. On a également démontré
ipie dans l'intervalle de 1816 à 1831 , sur une émission de
136 millions de renies, il n'en avait élé racheté que 58; qu'à .
peu près dans le même espace de temps la caisse avait cons-
titué le trésor en perte de 106 millions par ses opérations
de rachat; et que les deux tiers des sommes perçues parcelle
caisse avaient été entièrement absorbés par les frais de per-
ception et parles bénéfices de l'agiotage. Quelques-uns consi-
dèrent l'amortissement comme un leurre, dont le premier elfet
a élé de rendre les gouvernements moins circonspects en fait
d'emprunts et les particuliers plus confiants dans leurs
prêts par la promesse de bénéfices plus grands en raison
d'une liipiidation certaine. En tout cas, celte instilulion a
porté le crédit pubHc à sa plus haute expression en lavorisant
lasuhslitulion des emprunts perpétuels aux emprunts tempo-
62.
492 AMORTISSEME?JT
raires. D'autres ont pensé que l'État, employant avec sagesse
les fonds empruntés ù des taii\ raisonnables, n'aurait jamais
trop de dettes, dès lors productives, et que leur ^ortissenieiit
serait une véritable perte de capital. Quoiqu'il en soit, l'An-
gleterre a aboli l'amortissement forcé en 1829. Elle n'a-
mortit plus chaque année que pour une somme équivalente
à l'excédant de receltes conslalé. Kn l'rance, déjà le con-
sulat, à la vue des prétendus bienfaits de cette institu-
tion , avait aflecle des fonds à ramortissemeul de sa dette;
mais ces fonds avaient été détournés bientôt de leur des-
tination spéciale, et ce ne fut ipi'en I«10 et 18l7 que la
cai>se d'amortissement reçut une organisation comiilèie et
régulière. L'amortissement fut suspendu en I8i8. Depuis
lois l'État di'livre à la caisse d'amortisseuient des bons du
trésor pour une somme égale à sa dotation, et lui sert, aussi
en bons du trésor, l'intérêt des rentes qu'elle possède. A la
tin de chaciuc semestre on capitalise ces bons du Trésor ea
nouvelles renies , dont les intérêts sont de nouveau pajés
lie la même manière. Ces fonds fictivement accrus montè-
renten dix années, de I8'i8 à 18,')8, à 12;i,C8G,2C2 fr. Lne
loi du 19 juin 1857 a fait consolider an nom de la caisse
d'amortissement les fonds restés disponibles sur la dotation
de l'flj niée, dont le capital a été allccté à la réduction de la
dette llottanle. Une (larlie de la dotation de la caisse d'a-
mortissement (40 millions) a été portée en argent aux
budgets de 1859 et 1860; mais la giu'rre d'Italie, les ré-
formes douatiières et les réductions d'impôts sur dilférents
produits ont forcé de renoncer encore à l'amortissement.
Néanmoins, dans tous les derniers emprunts une somme d'un
centième a été stipulée pour fonds d'amortissement. Z.
A^!OI\TISSEAlEi\T ( Caisse d' ). En 1814 la France ,
envahie et vaincue , épuisée par le sacrifice des dernières
ressources de sa richesse et de sa force , surchargée des
dettes du passé , menacée des réclamations et des préten-
tions de tous les peuples qu'elle avait dominés dans le
long cours de ses victoires, ne désespéra pas de sa fortune
sous un gouvernement qui promettait de consacrer les
grands principes de stabilité, de lidélité aux engagements
et de respect pour tous les droits.
La charte disait : Toute espèce d'engagement pris par
VÉtat avec ses créanciers est inviolable. La loi de
finances du 23 septembre 1814 prescrivit la liquidation, et
j)romit le payement de tout l'arriéré des dépenses des gou-
vernements antérieurs. Les traités de paix imposèrent aux
jours de nos revers la dette de nos années de succès. L'im-
pôt ne pouvait suffire à de telles charges : il fallut recourir
au crédit , tout ébranlé qu'il était par la pesanteur de si
grands désastres.
Antérieurement à la Restauration , la dette inscrite s'éle-
vait en rentes 5 pour 100 (tiers consolidé) à 63,307,637 f.
On dut y ajouter pour la liquidation de
l'arriéré des exercices antérieurs à 1815. . . 31,541,889
Pour le remplacement des biens ruraux
des communes, dont le gouvernement s'était
emparé en 1813 2,631,303
Pour acquitter les engagements imposés
par les puissances étrangères 05,844,187
Total 193,325,016 f.
Ces dettes du passé s'accrurent d'une ins-
cription de rente de 1,499,654
pour payer les dettes contractées par le roi
dans l'exil.
La dette reconnue et inscrite au grand-
livre fut donc en rentes 5 pour 100 de. . . . 194,824,670 f.
« Ce n'était pas assez, disait M. Goudchaux le 11 mars
1849, à l'Assemblée nationale, ce n'était pas assez. pour re-
lever le crédit de l'Etat d'avoir proclamé la fidélité à tous les
engagements contractés par les précédents gouxernemcnts.
de procéder à une liquidation sévère , mais équitable , de
toutes les dettes du passé ; il fallait encore trouver un moyen
de témoigner au public, par des opérations matériellement
effectuées chaque jour, que le gouvernement avait lui-même
la plus grande foi dans la valeur des effets publics , et
qu'il ne craignait pas de consacrer les revenus les plus
nets de la France à racheter ceux qui existaient déjà comme
ceux qu'il allait être bientôt obligé de créer encore. C'est
cette pensée courageuse et habile qui dicta la loi organique
du 28 avril 1816. »
La caisse d'amortissement fut fondée, placée sous la sur-
veillance d'une commission choisie entre des candidats pré-
sentés par les deux chambres législatives , et confiée à la
direction d'un fonctionnaire indépendant, choisi par le roi,
et personnellement responsable de sa gestion. Par cette
grande loi de finances de 1816, la caisse d'amortissement
fut dotée d'un revenu annuel de 20,000,000 fr. qui devaient
être, ainsi que les arrérages des rentes ultérieurement ra-
chetées, employés en achats de rentes. Ces rentes ne pou-
vaient, dans aucun cas, rentrer dans la circulation; elles
ne pouvaient être annulées qu'aux époques et pour les quan-
tités qui seraient déterminées par une loi. Enfin, l'ar-
ticle 115 portait : // ne pourra dans aucun cas, et sous
aucun prétexte, être porté atteinte à la dotation de
la caisse d'amortissement.
La loi de finances du 25 mars 1817 compléta l'organisa-
tion de notre système de crédit, et porta à quarante mil-
lions le montant de cette dotation annuelle. Les bois de
l'État furent , en outre , affectés à la caisse d'amortisse-
ment. Grâce à tant de garanties morales et positives , et
sur la foi de l'ordre , de la paix et de la liberté , le crédit,
ainsi restauré en France , se développa rapidement d'année
en année. L'action continue de l'amortissement , dont des
rachats journaliers augmentaient la force progressive par
une capitalisation d'arrérages, toujours réunie à sa dota-
tion première , prêtait un appui chaque jour plus actif et
plus secourable à l'élévation de nos fonds publics. Les né-
gociations de rentes entreprises par le gouvernement , et
péniblement conclues ea 1816 et 1817 aux prix de 56, 57 et
58 pour 100, se réalisèrent en 1818 à 66 et 67 fr., en 1821
à 87 fr. 7 c, en 1823 à 89 fr. 55 ç. ; en 1824 le cours du
5 pour 100 avait dépassé le pair.
Le ministre qui dirigeait alors les finances comprit que
l'action de la caisse d'amortissement allait être nécessaire-
ment interrompue; il prépara une loi pour la réduction de
l'intérêt de la dette publique.
En 1825 la somme des rentes inscrites se trouvait aug-
mentée de 4,000,000 de rentes , montant de l'emprunt con-
tracté pour faire face aux dépenses de la guerre d'Es-
pagne ; elle avait été réduite par quelques annulations de
rentes prononcées législativement ; le grand-livre était dé-
finitivement chargé de 197,085,973 fr. de rentes; mais la
caisse d'amortissement , au moyen de sa dotation annuelle,
de l'emploi cumulé des arrérages des rentes rachetées et
du produit des ventes de forêts jusqu'à concurrence «le
87,585,694 fr. 94 C, avait acquis et possédait 37,070,107 fr.
de rentes , en sorte que la dette négociable de l'État n'é-
tait plus que de 160,015,866 fr. de rentes.
La loi du 1"" mai 1825 ordonna que les sommes affectées
à l'amortissement ne pourraient plus être employées au
rachat des rentes dont le cours serait supérieur au pair;
que les propriétaires d'inscriptions de rentes 5 pour 100
auraient, dans des délais fixés, la faculté de les convertir
en inscriptions de rentes 3 pour 100 au taux de 75 fr. ou
de 4 1/2 pour 100 au pair; que toutes les rentes qui se-
raient acquises par la caisse du 22 juin 1825 au 22 juin
1830 seraient rayées du grand -livre et annulées au profit
de l'État.
L'exécution de cette loi et de la loi d'indemnité jusqu'à
la (in de juillet 1830 produisit les résultats suivants :
La lU'tle inscrite encore négociable était rWuite au ?.?.
juin 18'K> à la somme de 1G0,0(5,80() f.
La conversion réduisit les fonds ô p. 1 00 de ?> 1 ,72.3,950
Restaient l'iS.î'J 1,910
Des annulations partielles ordonnées \o-
gislalivement dans ce même intervalle de
temi)s avaient fait rayer 1,168,524
La dette en 5 pour 100 ne montait donc plus
qua 127,123,3Sr.
Mais le grand-livre avait été chargé, pour
l'indenuiilé des conliscations faites sur les
émigrés, en inscriptions de rentes 3 pour 100,
de
25,995,310
par suite de la conversion en 3 pour 1 00, de. . 24 ,459,035
en 4 1/2 pour 100, de 1,034,704
Un emprunt autorisé par la loi du 1 9 juin
1828, et négocié au commencement de 1830
pour une somme de 80,000,000, en rentes
4 pour 100, au cours de 102 fr. 07 cent., avait
fait ajouter à la dette réduite 3,134,950
181,747,445
Pendant cette môme période de temps,
du 22 juin 1825 au 31 juillet 1830 , les cours
des rentes 5 pour 100,4 l/2et4, s'étaient pres-
que constamment maintenus au-dessus du
pair, et la caisse d'amortissement avait ra-
cheté principalement des rentes 3 pour 100,
jusqu'à la concurrence de 16,763,067
La dette exigible et négociable n'était donc
plus que de 164,984,378 f.
Ainsi , cette action continue du rachat des rentes par la
caisse d'amortissement, en même temps quelle assurait cha-
que jour aux porteurs des rentes de l'État un acheteur sérieux
qui soutenait les cours, diminua l'importance des nou-
velles valeurs émises. La dette primitive de 194,824,670 fr.
se trouvait , au bout de quatorze années, réduite de
29,940,292 fr., et dans le tours de ces mêmes années
l'administration des finances du royaume avait pu cepen-
dant , au moyen de négociations de nouvelles rentes, payer
toutes les dépenses de la guerre d'Espagne , acquitter l'in-
denmilé des émigrés , pourvoir enfin aux hais de la guerre
de jMorée et de la grande expédition d'Alger. La dernière
négociation de rentes s'était laite au-dessus du pair, à l'in-
térêt de 4 pour 100 , et la caisse d'amortissement restait pro-
priétaire de 37,813,080 fr.'de rentes, les rentes rachetées par
elle depuis le 22 juin 1825 ayant été annulées au fur et
à mesure des achats , conformément à la loi du 1'^'' mai ,
jusqu'à concurrence de 16,020,094 fr.
La révolution de 1830 fit éclater une crise financière me-
naçante; les londs publics éprouvèrent une dépréciation
considérable; le cours de toutes les rentes descendit au-
dessous du pair ; le 5 pour 100 ne l'atteignit et ne reprit son
niveau que vers le milieu de l'année 1833. Pendant les an-
nées 1831 et 1832, trois nouveaux emprunts contractés
ajoutèrent, en rcntes5 pour 100, 15,779,010 fr. à la dette ins-
crite; mais dans le cours de ces trois années, depuis le
1*"' août 1830 jiisfiu'à la fin de 1833 , la caisse d'amortisse-
ment avait racheté 12,5'j8,G50 fr. de rentes de diverses na-
tures.
L'accroissement de la dette pendant ces années ora-
geuses ne l'ut doue (pie de 3,230,300 fr. de rentes, et par
suite dequelques anniilalions partielless'élevantà452,217 fr.,
le montant total de la dette inscrite élait au T"" juin 1833
de 107,702,527 Ir.
La rente 5 pour 100 ayant été ramenée au pair, et l'amor-
tissement ne pouvant plus, aux termes de la loi de 1825, agir
SIM' cette valeur, il parut nétessaite de déterminer le paitage
et l'application des ressources de l'amortissement entre les
AMORTISSEMENT 499
différents fonds publics. C'est ce que fit la loi du 10 juin 1833.
Cette loi fixa , conformément aux lois antérieures , la do-
tation annuelle de la caisse d'amortissement à la somme de
44,010,463 fr., et ordonna que cette dotation serait, ainsi
que les rentes amorties, repartie au marc le franc et pro-
portionnellement au capital nominal de chaiiue espèce de
dette, entre les rentes 5, 4 1/2,4 et 3 pour 100, restant à
racheter.
Elle ajoutait que les divers fonds d'amortissement ainsi
répartis seraient employés au rachat des rentes dont le
cours ne serait pas supérieur au pair; qu'à l'avenir tout
empnnit serait doté d'un fonds d'amortissement qui ne poiu-
rait être au-dessous de 1 pour 100 du capital nominal des
rentes créées; qu'enfin les fonds d'amortissement apparte-
nant à des rentes dont le cours dépasserait le pair seraient
mis en réserve et ne seraient payables cha(pie jour à la
caisse d'amortissement qu'en un bon du Trésor portant
intérêt.
Les lois des 27 et 28 juin 1833 prescrivirent l'annula-
tion et la radiation sur le grand-livre de 32 millions des
rentes 5 pour 100, possédées alors par la caisse d'amortis-
sement.
Sous l'empire do cette loi nouvelle, et jusqu'au 31 dé-
cembre 1848, la caisse d'amortissement, dont la dotation
se trouva presque constamment réduite, par suite de l'élé-
vation des cours , à des versements en numéraire pour les
seuls fondsaflectes au rachatdcs rentes 4 et 3 pour 100, acquit,
au cours de la Bourse, avec publicité et concurrence,
14,588,876 fr. de rentes. Le ti'ésor, en vertu des lois de
finances, disposa des fonds de la réserve de l'amortissement,
soit pour pourvoir pendant certaines années aux dépenses
du budget, soit pour payer des travaux extraordinaires, soit
enfin pour éteindre ses anciens découverts. Les bons remis
à la caisse d'amortissement , qui représentaient les fonds
réservés , furent à diverses époques cousoUdés en rentes 3
et 4 pour 100. Du l"juillet 1833 au23 février 1848 il avait été
inscrit au grand-Uvre de la dette publique, par suite d'em-
prunts faits aux caisses d'épargne et de trois emprunts négo-
ciés en 1841, 1844 et 1847, une somme de rentes 4 et 3 pour
100 de 21,618,011 fr., déduction faite des rentes acquises par
la caisse d'amortissement. La somme totale des rentes dues
fut donc augmentée depuis le l''''juiUet 1833 de 7,462,261 fr.,
et s'élevait ainsi au moment de la dernière révolution à
175,224,788 fr.
Les opérations de la caisse d'amortissement cessèrent en-
tièrement au 14 juillet 1848. Pendant les trente-deux an-
nées de son activité, depuis le 1^"" juin 1816, cette caisse
avait reçu de l'État, parle montant intégral de ses dotations
annuelles, I,4l2,ti92,404 fr. 60 centimes, et par le produit
des ventes de bois, en vertu de la loi 25 mars 1817, déduc-
tion laite des primes et frais, 83,565,338 fr. 98 cent.;
somme totale, 1,496,157,743 fr. 58 c. Dans l'emploi de ces
subsides et par l'accumulation des arrérages des rentes ra-
chetées malgré l'annulation de 48 millions de ces rentes,
la caisse d'amortissement avait racheté 80,950,700 fr. de
rentes qui, au prix de rachat, ont lihérc la iMance de
1,033,47^,090 fr. 00 cent. La caisse avait de plus mis à la
disposition du trésor, de 1833 à 1848, sur les fonds ré-
servés, 1,016,693,856 fr. 27 c.
Ces iumienses résultats pourront sans doute faire mieux
connaître l'iniluence que l'élabli.ssement fondé en 1816 a eu
sur l'alfermissement de notre crédit public , l'efficacité des
secours qu'il a apiiortés dans les jours difficiles, comment
enfin .son action puissante a soulagé l'avenir du fardeau des
charges qui lui étaient léguées par les malheurs, les désor-
dres ou les besoins successifs du pays. L'appréciation des
situations que la caisse d'amortissement a traversées, et le
succès de ses opérations dans les diverses périodes de son
existence, nous semblent démontrer que c'est bien jjIus la
sagesse, la loyauté, laju.sticcdes gouvernements, que la ba-
401
lance des recettes et des besoins, qui constituent la puissance
et l;i foiliiiie des nations. Hki'.uyf.r, .incit-n df-imté.
A3I(>S, le troisième des douze pelils prophètes, pauvre
bercer, gardait son troupeau sur la colline de Thi-cué, voi-
sine de Jérusalem, quand l'esprit d'en-haut l'éclaira. C'était
vers 850 avant J.-C, sous le règne d'Osias, roi de Juda, et
de Jéroboam II, roi d'Israël. Amos prophétisa dans Bélhel ,
siège principal de l'idolûtrie, annonçant à Jéroboam la ruine
de sa maison et la captivité de tout Israël s'il persistait à
adorer les idoles. Irrité de ces menaces, Amasias, prêtre
païen, l'accusa de chercher à soulever le peuple, et Amos
dut s'éloigner ; mais ce ne fut pas sans avoir prédit à son
dénonciateur que sa femme se prostiluerait au milieu deSa-
marie, que l'ennemi égorgerait .•■•es (ils et ses tilles, et que
lui-môme expirerait sur une terre profane, loin du tombeau
de ses pères. Voilà tout ce qu'on sait de la vie du berger
inspiré. Sa prophétie, en neuf chapitres, est d'un style clair,
pur, mais rude parfois, abondant du reste en images em-
j. mutées à la vie pastorale primitive. Le sixième chapitre,
on il s'élève contre le luxe et les voluptés de Saïuaric, suKi-
rait pour le classer parmi les bons écrivains hébreux.
AMOSIS. Voyez Amasis.
A MOU. Voyez Djihoun,
AMOUR ( Physiologie), sentiment de plaisir, le plus
universel dans la nature parmi tous les êtres organisés, et
qui , se développant au plus haut degré de leur vie , préside
à leur reproduction, crée, enrichit , renouvelle sans cesse
la scène du monde. C'est une flamme qui consume l'exis-
tence pour la transmettre à d'autres êtres. Aimer n'est que
la contraction du verbe animer ; l'amour est la manifesta-
tion de ïàme ou du principe qui vivilie. Les minéraux ,
tous les corps inanimés et inorganiques, peuvent bien mani-
fester des affinités, des attractions chimiques entre leurs élé-
ments moléculaires ; les seuls êtres organisés peuvent aimer,
parce que seuls ils se reproduisent. Les plantes, comme les
animaux, possédant des sexes, montrent cette invincible
pente à s'unir pour se propager : c'est un besoin instinctif,
spontané, ou rendu impérieux par l'attrait des voluptés.
Ainsi, les végétaux et les animaux agames ou sans sexe ap-
parent et connu, tels que des zoophytes, des algues, ne se
reproduisent guère que par des bourgeons, des boutures, ou
prolongements des parties , lesquels se détachent d'une tige
maternelle. Ce mode de génération , n'étant qu'une exten-
sion de l'accroissement ou de la nutrition, ne suppose,
n'exige point dans ces êtres le sentiment de l'amour, même
chez ceux qui présentent, comme les polypes, hydres, etc.,
des traces de sensibilité. D'autres êtres, les cryptogames ,
tels que les mousses , les fougères, parmi les plantes , et
plusieurs helminthes ou vers chez les animaux, décelant à
peine quelques organes sexuels indistincts sur le môme indi-
vidu, se reproduisent avec cette froide insensibilité qui ne
constitue qu'un acte machinal ou purement organique.
Parmi les végétaux et les animaux hermaphrodites ,
c'est-à-dire qui réunissent sur le même individu les parties
sexuelles màies et femelles , le sentiment de l'amour doit
rester toujours imparfait. Eu effet , par le rapprochement
continuel des sexes, et d'après cette facilité de satisfaire
à la loi de la reproduction , tout désir est assouvi aussitôt
qu'il naît. La plante hermaphrodite voit le lit nuptial de
ses (leurs devenir l'innocent thcàtie de ses pudiques jouis-
sances. Cependant beaucoup d'espèces de (leurs manifes-
tent, dans leurs étamines surtout, des mouvements spon-
tanés vers le pistil pour l'acte de la fécondation. Plusieurs
auteurs ont présumé que ces organes si délicats n'étaient
pas exempts peut-être d'une ex(iuise impression de |)lai-
sir, s'il est vrai que l'irritabilité dts libres végétales connue
des animales dérive d'une obscuie sensibilité.
]\Iais à mesure ([ue la séparation des sexes se prononce
davantage sur deux individus différents, éloignés , le be-
soin du concours rcproduclil devient d'autant plus vif ou
AMOPvTISSr.MKAT — AMOUR
plus enflammé , par cela seul qu'il est plus rare et plus
difficile. Par cette combinaison même , les sexes disjoints,
aspirant à se réunir, ne pouvai<'nt atteindre ce but de leurs
désirs qu'au moyen de la locomotion ( à moins que la na-
ture ne prit soin de disperser par les vents le pollen fécon-
dateur du rnâle sur les i)ieds des plantes fem(!lles, comme
ce fait s'opère chez les végétaux dioïques). Indépendamment
de la locomotion chez les animaux à sexes séparés, il fal-
lait des sens pour se reconnaître en chaque espèce. De là
tous les appareils de la sensibilité qui distingui-nt les ani-
maux les plus parfaits. De là tous les modes de l'amour
et de ses jouissances. On comprend ainsi comment les
races les plus sensibles dans le règne animal sont les plus
agitées de la passion de l'amour, surtout par l'éloignement,
la difficulté des rapprochements entre les sexes. Chez les
insectes, et d'autres animaux articulés des classes infé-
rieures , la vie est courte ; l'amour n'a qu'une rapide et
unique époque ; c'est plutôt un instinct spontané qui at-
tire ces êtres, et la mort succède aux jouissances , chez les
raûles principalement. Les animaux vertébrés à sang froid
ont des amours languissantes et prolongées, ou qui s'atta-
chent plutôt à des oeufs, comme chez les poissons, qu'aux
femelles elles-mêmes. Les reptiles ont des accouplements
pendant des jours entiers, ainsi que la plupart des mollus-
ques, dont les uns sont androgynes et s'unissent dans des
accouplements réciproques , et dont les autres ne présen-
tent qu'un sexe. Bien que l'antiquité ingénieuse ait fait
naître Aphrodite de l'écume des ondes , et consacré les
coquillages marins , si féconds , si variés dans leurs modes
de reproduction, à cette mère des amours, la froideur de
leur sensibilité semble éteindre , sous une bave épaisse ,
leurs voluptés.
Chez les êtres d'un sang ardent, tels que les oiseaux,
l'amour brille de tout son éclat; il s'échauffe de tous les
feux qu'entretient en eux leur vaste appareil respiratoire;
mais , excepté chez les pigeons, les perroquets et la famille
des picoïdes, les autres races volages ne considèrent point
la polygamie comme un cas pendable. C'est cependant chez
les espèces qui se marient en quelque sorte , comme
les colombes, que se voient les attentions délicates du mâle
pour la femelle et pour couver à son tour ; le sentiment
s'exalte dans le regret du veuvage, et la maternité tire de
l'amour sa plus tendre mélancolie :
Qualis populea mœrens Pliilumcla sub urubra,
Aiuissos queritur fœlus , elc.
Les mammifères, moins ardents sans doute, portent plus
loin toutefois les sentiments amoureux, parce qu'il se joint
aux délices maternelles l'allaitement, ou des contacts sensi-
tifs plus multipliés. Déjà paraissent des liaisons sociales entre
les sexes et une jeune famille; déjà s'enlacent les individus
par mille agaceries et les jeux de la coquetterie chez certaines
femelles, comme on voit des préférences, des jalousies,
susciter des querelles entre les mâles. L'amour enlin tient
une plus grande place dans le drame de leur existence, et
revient à des époques plus fréquentes, surtout chez les
espèces les mieux nourr les.
On peut remercier la nature d'avoir créé l'espèce humaine
pour l'amour au delà de toutes les autres races d'animaux.
Indépendamment de la nudité de sa peau, qui lui donne \n\
contact universel et une exquise sensibilité, l'homme est
impressionnable surtout par le cœur et par l'esprit : il
admire la beauté, il s'émeut au charme de la voix et du
chant; il s'enivre de toutes les jouissances morales comme
de toutes les émotions physiques ; sa sociabilité, les rapports
multipliés du langage, la variété des passions et des intérêts
qui en émanent, les liens de consanguinité de sa famille,
tout en fait le plus aimant ou le plus tendre s'il écoute les
impressions de sa nature, mais aussi le plus déchiré dans
ses affections et dans ses regrets. Ainsi , l'étendue de son
AMOUR
49b
système nerveux sensitif est une source inépuisable et de
voluptés et de douleurs, par une sorte de contre-poids iné-
vitable.
L'ainonr devient donc le tour;iient comme les délices de
l'existence humaine. Il captive la vie entière de la femme,
soit comme vierge encore, défendant son cœur contre les
tempêtes des passions , soit comme épouse , soit comme
mère inquiète pour ses enfants. Heureuse encore dans ses
peines, si elles servent sa tendresse, une mère est tout sa-
crilic*, et elle devient l'être le plus sublime de la création ;
c<ir le propre de l'amour est de s'immoler, il vit dans ce
qu'il adore. Porté au plus haut degré, c'est moins l'union
ties corps que celle des âmes en une seule confusion né-
cessaire pour la transfusion de la vie dans un nouvel être.
Selon la belle fable de Platon, dans l'origine, les deux sexes
réunis vivaient satisfaits ; depuis que Jupiter les divisa, cha-
cun aspire à ressaisir ce qui lui manque, afin de reconstituer
cette unité primordiale qui forme l'espèce complète. De
même, en physique, chaque aimant, chaque pile électrique,
présente deux pôles opposés, et cependant nécessaires Tun à
l'autre pour établir l'équilibre et l'unité. La polarisation est
plus forte à mesure qu'elle devient plus considérable.
C'est ainsi que l'amour s'exalte et s'enflamme par les dif-
ficultés, et se nourrit de contrastes. Les individus trop ana-
logues entre eux luttent ou sont rivaux, tandis que l'attrac-
tion naît des contraires entre l'homme et la femme. L'har-
monie du mariage résulte de qualités concordantes, quoique
diverses, comme celle des voix dans un concert. De même
en chimie les corps de la nature la plus contrastante , tels
que l'acide et l'alcali , constituent les combinaisons les plus
intimes.
On peut dire qne tout l'univers est ainsi soumis à la loi
de l'amour et de la haine, ou de l'attraction et de la répul-
sion : loi de polarité dans les grandes masses inorganiques,
ainsi que dans les molécules imperceptibles; loi de repro-
duction et de destruction dans la nature organisée, loi de
société et de ruine dans le monde moral et intellectuel ; ce
qui constitue le cercle éternel des destinées , clrcuius
xteitii motus. J.-J. Virey.
AiMOUR {Morale). Après Dieu, l'amour est la plus
grande chose qui ait un nom dans la langue humaine. Con-
sidéré dans toute l'étendue de sa signification et .sous diffé-
rents aspects, soit métaphysiques ou religieux, soit physiolo-
giques ou humanitaires, l'amour est cette puissance universelle
et intime, mystérieuse et infinie, qui anime tous les êtres de
la création, qui féconde et vivifie tous les germes de la nature,
qui préside à la reproduction des espèces et à l'harmonie
des sociétés et des mondes.
Tous les phénomènes de la vie organique , toutes les ten-
dances de la vie morale, dcmontit-nt la prévoyance et la
sagesse de Dieu, dont l'amour est la plus belle manifestation.
C'est l'amour qui relie les sociétés humaines, c'est lui qui crée
la famille, qui charme et e'.'.îlicliit le foyer domestique ; sans
lui, la patrie, l'humanité, Dieu, ne sont plus que des mots
vides de sens. L'amour est la base de toutes les religions,
de toutes les vertus, de toute sociabilité, de toute morale;
c'est ainsi que je comprends ces simples et sublimes paroles
de l'Évangile : « Aimez Dieu par-dessus toutes choses; ai-
mez votre prochain comme vous-mêmes. — Tous les hommes
sont frères. »
Ainsi l'amour peut être défini (si une définition est pos-
sible) : un mouvement sympathique qui nous iwrte veis une
cliose ou divine, ou idéale, ou humaine.
Le cœur de l'homme est un foyer toujours actif, d'oii
rayonnent incessamment une foule d'affections diverses, qui
se développent à mesure que ses facultés grandissent, que
ses relations sociales se multiplient, et qui président à son
bonheur moral dans toutes les jjhases de son existence.
Enfant, il sourit dtjà aux caresses de sa mère, et c'est dans
s«n sein qu'il épanche ses joies naïves et ses premières dou-
leurs. Vient la puberté : arbitre de son sort, l'homme songe
à se donner une compagne dévouée, qui consente à partager
avec lui les voluptés de la vie intime, les charges et les de-
voirs de la vie sociale, et dès lors son cœur s'abandonne aux
émotions enivrantes d'un amour que son imagination avait
rêvé longtemps avant de le connaître. Bientôt une jeune fa-
mille se groupe autour de lui : nouvelles sources d'affections,
de soins, de sollicitudes ! Ce n'est pas tout, l'homme s'élève
par degrés à un ordre de sentiments supérieurs qui par-
ticipent à la fois du cœur et de l'intelligence; son ûme, na-
turellement expansive, semble se répandre sur tout ce qui
l'environne et en quelque sorte vouloir franchir le temps et
l'espace. L'amour de l'estime, de la gloire, de la liberié, lui
fait rechercher les actions utiles , grandes, généreuses. L'a-
mour de la patrie le rend capable de tout sacrifier au bon-
heur ou à la gloire de ses concitoyens. L'amour de l'huma-
nité le pousse à étendre sa sollicitude jusque sur l'avenir, et
à préparer les perfectionnements des générations futures.
Enfin, l'amour des beautés infmiesde la création et des mer-
veilles de son être, joint à la conscience de sa force et de sa
dignité propres, élève son cœur et sa pensée à la conception du
Créateur et à l'amour de Dieu lui-même. Aug. Husson.
L'amour est ce feu paisible et fécond, cette chaleur des
cieux qui anime et renouvelle, qui fait naître et fleurir, qui
donne les couleurs, la grâce, l'espérance et la vie. Lors-
qu'une agitation jusque là inconnue étend les rapports de
l'homme qui essaye la vie, il place son existence dans l'a-
mour, et dans tout il iie voit que l'amour seul ! Tout autre
sentiment se perd dans ce sentiment profond; toute pensée
y ramène , tout espoir y repose.
Une voix lointaine , un son dans les airs , le frémisse-
ment des branches , tout l'annonce , tout l'exprime , tout
imite ses accents et augmente les désirs. La grâce de la na-
ture est dans le mouvement d'un bras; l'harmonie du
monde est dans l'expression d'un regard. C'est pour l'a-
mour que la lumière du matin vient éveiller les êtres et co-
lorer les cieux ; pour lui les feux du midi font fermenter
la terre humide sous la mousse des forêts ; c'est à lui que
le soir destine l'aimable mélancolie de ses lueurs mysté-
rieuses.
Le silence protège les rêves de l'amour ; le mouvement
des eaux pénètre de sa douce agitation ; la fureur des vagues
inspire ses efforts courageux , et tout commandera ses plai-
sirs quand la nuit sera douce , quand la lune embellira la
nuit, c(uand la volupté sera dans les ombres, et la lumière
dans la solitude !
Heureux celui qui possède ce que l'homme doit chercher,
et qui jouit de tout ce que l'homme doit sentir! Celui qui
est homme sait aimer l'amour, sans oublier que l'amour
n'est qu'un accident de la vie; et quand il aura ses illu-
sions, il en jouira, il les possédera, mais sans oublier que
les vérités les plus sévères sont encore avant les illusions
les plus heureuses.
Celui qui est homme sait choisir ou attendre avec pru-
dence, aimer avec continuité, se donner sans faiblesse
comme sans réserve ; l'activité d'une passion profonde est
pour lui l'ardeur du bien, le feu du génie; il trouve dans
l'amour l'énergie voluptueuse, la mâle jouissance du cœur
juste, sensible et grand; il atteint le bonheur et sait s'en
nourrir... Je ne condamnerai point celui qui n'a pas aimé,
mais celui qui ne veut pas aimer. Les circonstances dé-
terminent nos affections, mais les sentiments expansifs sont
naturels à l'homme, dont l'organisation morale est parfaite.
Celui qui est incapable d'aimer est nécessairement inca-
pable d'un sentiment magnanime, d'une affection sublime.
11 peut être probe, bon, industrieux, prudent; il peut avoir
des qualités douces, et même des vertus par réflexion ; mais
il n'est pas homme , il n'a ni âme ni génie. Je veux bien
le connaître, il aura ma confiance, et jusqu'à mon estime^
mais il ne sera pas mon ami. Cœurs vraiment sensible*
496 AMOUR — AM
qu'une deslinée siiiistie a conipiiinés, qui vous Mûmera de
n'avoir point aiiné ? Tout senliiucnt géuércux vous était na-
turel, le feu des passions était dans votre iiiàle intelligence;
l'amour lui était nécessaiie, il devait ralinienter; il eût
achevé de la lonuer pour de grandes choses ; mais rien ne
vous a élé donné, et le silence de l'amour a commencé le
néant oii s'éteint votre vie. De Sknancolr.
AMOUR ( Psychologie). C'est le premier élan de l'ûme
vers les objets qui sont pour elle un élément de plaisir. Ce
qu'il y a de plus remarquable dans l'amour, c'est qu'il peut
prendre deux caractères distincts et tout à fait différents.
Il peut devenir intdressé ou désintéressé , ou, si l'on aime
mieux, perso)iiiel ou impersonnel. L'amour à son origine
n'a point encore de caractère déterminé. L'homme com-
mence par aimer tout ce qui lui agrée , par cela seul qu'il
y trouve son bien. Ainsi il aimera la vérité au même titre
qu'un mets agréable, parce qu'il trouve du plaisir à con-
naître comme il en trouve à savourer. Mais quand ses fa-
cultés sont parvenues à «m certain développement, qui lui
permet de se distinguer de ce qui n'est pas lui , d'avoir une
conscience plus vive de sa personnalité, et de considérer
scpaiément le moi et les objets de sa sympathie, alors ses
afit'ctions piennent une direction mieux, déterminée, et se
partagent en deux sortes de sentiments bien distincts, selon
qu'elles ont le înol ou le non-moi pour objet. Voici la rai-
sou de ce partage , de celte différence : l'amour ne peut se
développer dans le cœur sans engendrer un sentiment de
Itienreillancc pour l'objet qui a été la source du plaisir
<le l'àme. Ce sentiment de bienveillance caractérise alors
l'amour; il semble se confondre avec lui; c'est une forme
nouvelle qu'il a subie. Or, c'est ce sentiment de bienveil-
lance qui ea se partageant donne lieu aux affections inté-
ressées ou désintéressées. En effet , quand l'houmie s'est
isolé à ses yeux de ce qui nest pas lui, il y a pour lui deux
choses bien distinctes dans l'univers : son être , sa per-
sonne, son individu; puis les autres êtres, les autres per-
soimes, les autres individualités. Or, il ne peut pas se con-
sidérer comme sujet de son bien-être sans s'aimer, sans
être animé pour lui-même d'un vif sentiment de bienveil-
lance; c'est-à-dire qu'il veut son bien, le bien des facultés
qui le constituent : ses affections prennent alors le caractère
de personnelles, d'intéressées, parce que c'est sa personne,
son intérêt propre (ju'elles ont pour but; et elles reçoivent
des noms différents , selon le côté particulier de l'individu
vers lecpiel elles seront dirigées. Ainsi, l'amour que Tiiomme
aura [lour son intelligence sera V amour-propre , Yor-
(j ueil; celui qu'il aura pour le bien de son activité, de sa
puissance, sera l' a m bit ion , V amour des richesses , etc. ;
celui qu'il aura pour le développement de ses facultés af-
fectives sera lAsensuaiité, Vamour du plaisir. Toutes
ces passions intéressées constituent l'égoisme.
Mais quand riionnne, au lieu de se considérer lui-même
comme sujet de ses affections, envisage les êtres (jul sont
en dehors de lui, et les envisage comme l'objet de ses sen-
timents, de ses sympathies, connue la source des plaisirs
qu'il a ressentis de leur part, l'amour ([u'il va éprouver pour
eux va aussi prendre le caractère de la bienveillance; mais
ctlte bienveillance sera toute relative à eux , c'est-à-dire
qv'e dans ce cas l'affection qu'il leur porte cousisteia à
vouloir leur bien , sans aucune considi ration personnelle.
L'àme, en effet, stMubie alors s'oublier et sortir d'elle-même
pour se préoccuper des intérêts de l'objet aimé. Elle vit
|).)ur ainsi ilire en lui, fait cause couuuune avec lui, s'inté-
resse à son bien-être, comme elle s'intéresserait au sien
propre; elle a iveilement changé de rôle. Voilà jwunpioi les
affections sont dites alors impersonnelles ou désintéressées.
Telles sont l'amour filial, l'amour des parents pour leurs
enfants, Vamour d'un amant pour son amante, l'ami-
tié, l'amour de la patrie, l'amour de l'humanité ou la
philanthropie, l'amour du vrai, du beau ou du bien
OUR-PROPRE
que l'homme peut considérer en eux-mêmes counne la fin
glorieuse de ses faculté-, ; enfin l'amour de Dieu, qui est la
source et la substance du beau, du vrai et du bien.
C.-M. Paffe.
AMOUR { Mythologie). Foyes Cupidon.
AMOUR ( Géographie), fleuve qui se jette dans l'océan
Pacifique ou plutôt dans la Manche de Tarrakaï. Il est
formé par la réunion du Kheroulun ou Argoun avec l'Onon
ou .Scheika. Son aflliient principal est le Soungari. Il est
navigable dans toute son étendue. Le nom d'Amour lui est
donné par les Tongouses ; les Mandchous le nomment
Sakhalian-Oula et les Chinois He-Loung-Kiang. L'Onon
vient de la Mongolie chinoise , l'Argoun coule sur le terri-
toire russe. Après leur réunion , ces deux rivières, coulant
de l'ouest à l'est, arrosent Yaksa, Mariinsk, postes russes et
Nicolaiewsk , à 32 kilomètres de la mer. Depuis ce point
l'Amour a de 2 à 4 kilomètres de large et de 40 à 60 mètres
de profondeur. Malheureusement son embouchure est ob-
struée par des barres, son cours est embarrassé d'îles nom-
breuses, et se:^ eaux sont gelées sept ou huit mois de l'année.
Les Russes se sont établis à Yaksa ou Albasin au commen-
cement du dix-septième siècle ; ils y eurent des combats fré-
quents avec les Chinois. Par un traité signé avec la Chine
près de Nertschinsk, en 1689, la Russie renonça à la fron-
tière de l'Amour; mais peu à peu les Russes se rapprochè-
rent de ce fleuve, et en 1847 ils s'y trouvaient revenus.
L'empereur îNicolas fonda la ville de iS'icolaiewsk sur l'A-
mour, dont pluMcurs expéditions scientifiques explorèrent
le cours et le bassin. L'empereur Alexandre II fortifia les
stations russes le long du fleuve. La Chine envoya à Nico-
laiewsk un ambassadeur chargé de sommer les Rus.ses d'é-
vacuer celte contrée; iuais les dispositions hostiles de la
Russie, quand il allait avoir la guerre avec la France et
l'Angleterre, adoucirent l'empereur de la Chine, et le 28
mai 1858 un ambassadeur chinois signa avec le général Mou-
rawielf un traité par lequel l'Amour sert en grande partie de
limite aux empires de Russie et de Chine. Les Chinois peu-
vent y naviguer, coinme les Russes peuvent naviguer sur
rOussouri et le Soungari. A 350 kilomètres de son embou-
chure, l'Amour se rapproche de 00 kilomètres de la haie
de Castries, où les jtlus grands navires trouvent un abri
sur. Les Russes ont élevé sur cette baie le fort Alexan-
drowsk, qui abritera bientôt une ville et qui sera mise en
communication avec l'Amour au moyen d'un chemin de
fer. Une compagnie s'est formée pour la navigation de l'A-
mour. De la houille a été découverte dans le bassin de ce
fleuve. Blahowestschinsk a été fondé près de l'endroit oii la
Séja confond ses eaux avec r.\inour, et une colonie de quinze
mille Cosaque,s a été envoyée sur les bords de ce fleuve ,
qui appellent encore des colons de touj les pays. Z.
AMOUREUX, AMOUREUSE, rôles de théâtre.
Voyez Jel'ne pr.RMir.R, Jfxne puemièbe.
AMOUR-PROPRE, AMOUR DI2 SOL Lai.ssant de
côté la remarque de Hume sur l'espèce de non-sens produit
par l'alliance forcée de ces deux expressions, amour eXpro-
prc , que l'usage a visiblement dénaturées par un amalgame
stérile, prenons ce mot tel quel, com.me le seid du voca»
bulaire «pu tienne, eu attendant nueux, la place de ce sen-
timent assez déplorablement b iptisé , et considérons «le
priiiuî alturd l'amour-propre comme un ressort d'activité
qui lie se développi; «[ue dans le monle, et qui se rouille
dans la soliliuie. L'amour-propre n'est jamais putemenl
personnel; il demande un théâtre, un. auiiit"ire,de l'action
au dehors , «les ju;;es ; il demande surtout des ménagements,
des transactions, des bravos. L'amour-propre n'a pas besoin
d'être sociable, mais il est éminemment social. C*e,sl à son
origine le producteur le plus énergique des petite,-, qualités
et des petits défauts , l'agent qui travaille le nifiins pour la
gloire et le plus pour la gloriole. Il proc«\lc por cascades,
de la ville au bourg, du village au iianicau; la livrée du
AMOUR-PROPRE
laquais le met dans sa propre estime fort au-dessus de l'ar-
tisan qui n'a qu'une veste : c'est naturel, et c'est petit.
L'aniour-propre est petit , la vanité est lière, l'orgueil seul
est grand. L'amour-propre ne dfmanderait pas mieux que
de devenir de l'orguiMi , mais l'orgueil ne redescend ja-
mais si bas. Ce qui distingue expressément l'amour-propre
de l'amour de soi , l 'est qu'il détermine quelquefois des lios-
lilités contre son propre repos. L'amour de soi n'inspire pas,
comme l'amour-propre, l'obstination des procès avec la
presque certitude de les perdre; il ne fait pas germer les
contrariétés mesquines de la jalousie pour des bagatelles et
pour des gens qui n'en valent pas la peine. Les lièvres de
l'amour-propre sont, au contraire, fréquentes; il va mCme
jusqu'à croire qu'on s'occupe très- volontiers de lui, parce
qu'il prend lui-môme cette fatigue. Il prête sa préoccupation
aux antres, et voilà pourquoi il est démesuré chez un au-
teur. Quelques découvertes que l'on ait faites dans le pays
de rumour-pro|)re, a dit La Rocliefoucault , il y reste encore
bien des lerres inconnues. A. Urcker.
AMOVIBILITÉ. Voyez Inamovibilité.
AMPELIDÊES (du grec âiiueXo; , vigne) , famille de
plantes qui renferme la vigne et des végétaux sarmenteux
s'accroclianl aux corps environnants à l'aide de vrilles op-
posées aux feuilles, qui sont alternes et stipulées : les fleurs en
grappes ou en tliyrses ont un calice très-court; le fruit est
une baie monosperme ou pol y sperme ; les graines renferment
à la base^d'nn endosperme corné, un embryon dressé.
AMPERE (.\ndré-Marie), né à Lyon le 22 janvier
1775, mort à Marseille le 10 juin 1836, l'un des premiers
mathématiciens de notre époque, commença par professer
à l'école centrale du Rhône. Ses goûts le portèrent aussi à
l'étude de la botanique, de la chimie et de la physique. Ainsi
l'on trouve parmi ses mémoires des recherches sur les
propriétés d'un système de pendule, qui contenaient en
gerrne la démonstration du mouvement de la terre donnée
plus tard par M. Foucault. A la création de l'université.
Ampère fut nommé inspecteur général des études. La pre-
mière classe de l'Institut l'admit dans sa section de mé-
canique. Professeur d'analyse mathématique à l'École
polytechnique, il fut obligé de quitter sa place d'inspecteur
général, et appelé à celle de professeur de physique au
Collège de France. Les fonctions d'inspecteur général lui
furent ensuite rendues. Il était en outre membre de la So-
ciété royale de Londres, du conseil d'administration de la
Société d'Encouragement, du Bureau consultatif des arts et
métiers. Dès 1802 il publiait à Lyon ses Considéradons su?-
la théorie mathématique du /e?/, ouvrage destiné à prouver
qu'une ruine certaine est la suite infaillible de la passion du
jeu , et dont l'Institut disait , dans son rapport sur les pro-
grès des sciences, « qu'il serait bien capable de guérir les
joueurs, s'ils étaient un peu plus géomètres. » Nommons
encore ses Recherches sur l'application des formules gé-
nérales du calcul des variations aux problèmes de la
mécanique ; tous ses beaux mémoires publiés dans les An-
nales de Chimie, dans le Bulletin de la Société Philo-
matique et dans les Mémoires de l'Institut; enlin ses Con-
sidérations générales sur les Intégrales des Équations
aux différentielles partielles, insérées au tome X du
Journal de l'Ecole polytechnique ( mai 1815).
Ampère a écrit des mémoires importants sur divers points
de la théorie atomislique, qui a si puissamment coopéré à
l'avancement de la chimie; le premier il donna une classiQ-
calion chimique où les corps simples étaient disposés en
familles naturelles, classification adoptée par Beudant dans
son Traité de Minéralogie : quoiqu'on puisse lui reprocher
de tro{) s'attacher aux caractères physiques, elle n'eu res-
tera pas moins comme un monument important dans l'his-
toire de la science. La nomenclature qu'ila suivie dans cette
classilication se fait remar(iuer par sa régularité. Lorsque !
Œrstedt eut découvert Télectro-magnélisme, Ampère fut \
DICT. ne L\ CONVF.RS. — T. I-
— AMPHIAR.\US 497
un des premiers à s'occuper de celte branche de la science
eu France ; par de nomlireuses et savantes expériences, il en
fonda la théorie, et imagina des appareils curieux. En
1834 Ampère résuma les travaux de toute sa vie en \t\\-
h\'n\\\{ V Essai sur la philosophie des sciences, ou Ex-
position analytique d'une classification naturelle de
toutes les connaissances humaines, dont une seconde
édition a paru en 1838.
AMPÈRE ( Jean-Jacqif.s-Antoine), son fils, professeur
d'histoire de la littérature française au Collège de France,
membre de l'Académie des Inscriptions depuis 1842 et de
l'Académie Française depuis 1847, est né à Lyon, le 12 anù*
1800. Ses classes achevées, il s'occupa de littérature, étudia
les littératures étrangères et fit cause commune avec les
novateurs romantiques. De 1828 à 1830, il particijia à
la rédaction de la Revue française , fondée par M. Gui-
zot, puis à celle du National. Introduit dans le cercle
de M^ifi Récamier par Ballanche , il .s'y lia avec Chateau-
briand, dont il a décrit plus tard les funérailles. Au com-
mencement de 1830 il ouvrit un cours de littérature à l'A-
thénée de Marseille; après la révolution de juillet, il vint à
Paris, et suppléa M. Fauriel et M. Villemain à la Faculté des
lettres. En 1833, il succéda à Andrieux au Collège de
France. Entraîné par .son govit pour les voyages, il a suc-
cessivement visité la Scandinavie, l'Allemagne, l'Italie,
la Grèce, l'Egypte, les États-Unis, etc. Parmi ses ou-
vrages , qui pour la plupart ont paru d'abord dans la Re-
vue des Deux Mondes nous citerons : De l'ancienne litté-
rature Scandinave ( 1832) ; Essai sur la vie et les écrits
d'Holberg ( 1S32); Sigurd ( 1832) ; Delà littérature fran-
çaise dans ses rapports avec les littératures étrangères
au moyen âge (1833); Histoire des Lois par les mœurs,
en deux parties, la première ayant pour objet l'Orient et la
Grèce, et la seconde Rome ( 1833) ; Ancienne poésie Scan-
dinave (1833); Littérature et voyages (1833); Portraits
de Rome à différents âges (1835); Histoire littéraire
de la France avant le douzième siècle (1836); Des Bardes
chez les Gaulois et les autres nations celtiques ( 1836);
Antiquités de la Perse (1836); Ausone et saint Paulin
(1837); De la Chevalerie (1838); Du Théâtre chinois
(1838); Des Castes et de la transmission héréditaire
des professions dans l'ancienne Egypte (1848) ; La Grèce,
Rome cl Dante (1848) ; Ballanche (1848) ; Vhistoire Ro-
maine à h'ome (iShb) ; Promenade en Amérique: Étais-
Unis , Cuba, Mexique (1855, 2 vol. in-8"); Philippe
de Girard (1857) ; César, scènes historiques en vers (1859) ;
Alexis de Tocqiceville {lSà9) ; ele. ■ Z.
AMPFING ou AMPFINGEN, village de Bavière , à dix
liiomètres ouest de Mtihldorff, peuplé de 470 habitants.
Le 28 septembre 1322 Louis de Bavière y remporta sur Fré-
déric d'Autriche une victoire dont le souvenir est consacré
sur le lieu même par un monument. Le l"" décembre 1800
les Autrichiens y attaquèrent les Français commandés par
Morea u , qui y commença cette savante retraite que cou-
ronna la victoire de Hohenl in d en.
AMPHIARAiJS, fils d'Hypermnestreet d'Oïclée,d'Ar-
gos, selon les uns, d'Apollon selon d'autres. Les dieux l'a-
vaient créé devin. Lorsque Adrasle , roi de cette ville, eut, à
la prière de Polynice, déclaré la guerre à Thèbes, Amphia-
raiis, qui avait épousé Ériphyle, sœur de ce piince, et
qui n'osait lui refuser son assistance, se cacha pour n'y
point prendre part, les dieux lui ayant révélé qu'il y pé-
rirait. Trahi par sa femme, il partit et montra du couragti
dans plusieurs combats. Avant de se mettrcen route, il avait
fait jurer à son fils AIcméon de le venger sur sa propte
mère. Ses pressentiments ne tardèrent pas à se réaliser; dana
une défaite qu'essuyèrent les assiégeants , la terre s'ouvrit
sous lui et l'engloutit avec son char. Après sa mort, on cé-
lébra, à Oropus, des fêtes en son honneur, qu'on apixj-
lait Ampniarea; non loin de celte ville s'élevait un temple
oà
19S AMPHIARAUS
qui lui (^tait consacré et dont l'oracle jouissait d'un grand
renom.
AMPIIIIilE ( du grec àiiç: , des deux côtés , double-
ment, et pio;, vie, existence). Ce terme désigne en effet
une double vie, et s'ajjjjlique à certains genres d'animaux
aquatiiincs qu'on croit ca[)aLlcs d'exister à peu prt\s égale-
iiieiit sous les eaux ou dans l'air, h leur gré. Pour cet effet,
il faudrait qu'ils possédassent en môme temps et un appareil
pulmonaire, afui d'asjiirer l'air atmosphérique, et des bran-
chies pour aspirer l'eau ; il serait nécessaire pareillement
<|uc le mode de circulation du sang se prôtùt à celte double
fonction.
La plupart des animaux auxquels on attribue la qualité
d'amphibies ne le sont réellement pas; cependant il en
existe de véritables ; et de plus, tous les animaux aspirant
l'air ont commencé à l'état fœtal par respirer un liquide tel
<iuc celui de l'amnios. C'est ainsi que les larves de plusieurs
insectes, comme des cousins, des libellules , des phryganes,
des éphémères , etc., portent des feuillets branchiaux pour
vivre suus l'eau pendant leur premier ûge; puis elles s'en
dépouillent, et viennent respirer l'air par leurs trachées, de
même que les autres insectes aériens. Tout le monde sait
aussi que les têtards de grenouilles et les larves des sala-
ir.andreo ont de véritables branchies aquatiques dans la
lircmière période de leur existence , correspondant à lélat
de fd'tus, mais quêteurs poumons ne se développent dans
leur cavité tboracique qu'ensuite et à mesure que leurs bran-
chies s'atrophient. Ce cliaugement dans le mode respiiatoire
ne s'opère (pie par la déviation de la circulation, lors(|ue
les artères branchiales s'obstruent, et les artères pulmonaires
obtiennent plus d'accroissement par un autre balancement
dans les forces organiques. Alors, privée de l'activité de ses
branchies, la larve s'accoutume à recevoir de l'air, et elle
sort des eaux pour prendre la vie terrestre. Les lois curieuses
de ces tiausformations ne se bornent point à ces seuls ap-
pareils : le système digestif éprouve également ses méta-
morphoses , puisque telle espèce qui vivait de substances
"Végétales sous les eaux ne subsistera désormais que d'ali-
ments animaux, ou vice vcrscî. C'est à cette époque aussi
de mutation que ces insectes développent des ailes , et que
la jeune grenouille , perdant sa queue natatoire de pois-
son , voit grandir ses pattes pour sauter gaiement dans les
prairies. Ces animaux ne sont donc point absolument am-
phibies en môme temps; car après leur métamorphose ils
périraient sous l'eau , comme avant ils mouraient hors de ce
liquide.
Cependant , il est d'autres espèces qu'on peut eonsidéj-er
comme réellement amphibies. On connaît plusieurs crabes
de mer qui se peuvent tenir sous l'eau , qu'ils resi)irent au
moyen de leurs branchies ; puis ils sortent en longues bandes
sur la grève sablonneuse, et s'avancent dans les leires j)our
quêter leur proie : tels sont les tourlourous et autres gécar-
cins. De même plusieurs mollusques univalves , les bnlim.es
et planorbes, quoique aquatiques, respirent l'air à la sur-
face des eaux. Chez eux, on observe en elVet, au lieu des
branchies, une bourse pulmonaire tapissée d'un lacis de
vaisseaux rampants qui s'imprègnent d'air atmosphérique.
La cavité renfermant les branchies des crabes terrestres est
tapissée d'une membrane vasculaire semblable et faisant l'of-
fice des vésicules pulmonaires. On peut donc dire que ces es-
pèces de crustacés ont en même temps des branchies conte-
nues dans un poumon , et qu'ils sont de vrais amphibies.
Linné avait formé de la classe des reptile^s sa classe des
amphibies, et môme il y avait joint des poissons cailila-
gineux qui, comme les raies, les squales, portent, au lieu de
branchies mobiles, des bourses fixes avec des ouvertures
aux côtés du cou. Ces poissons ne meurent jjas Unit de
suite hors de l'eau, non plus que les anguilles et d'autres
espèces; l'air humide entretient quelque temps leurs or-
tjanes respiratoires. Mais quoifpie les tortues, les lézards
— AMPHIBIENS
aciuatiques, les serpents deau, les salamandres et triton?,
puissent plonger longtemps, ces animaux n'ont que des pou-
mons pour respirer l'air. Les sirènes, les axolotis, les tri-
tons, comme les larves de salamandres, portent des houppes
branchiales pour respirer l'eau ; leurs poumons , ou ne se
développent jamais parfaitement chez les uns, ou ne jouent
que plus tard leur rôle. On peut toutefois les considérer
comme de vrais amphibies ; il y a des preuves que les pou-
mons et les brancb.ies existant simultanément peuvent per-
mettre à l'animal de respirer l'air et l'eau.
Ce même titre a été donné à plusieurs marnrnifôres aqua-
tiques autres que les cétacés : par exemple aux phoipies,
aux manatis et vaches marines, etc. Ces gros et huileux
animaux habitent les rivages des fleuves et des mers; ils
peuvent plonger pendant longtemps, mais ils n'ont jamais
que des poumons. Tout ce qui peut contribuer à suspendre
quelques minutes leur respiration, ce sont de vastes sinus
veineux et plusieurs méandres ou lacis de vaisseaux appar-
tenant au système de la veine cave. Pendant que la respira-
tion est arrêtée dans l'action de plonger, le sang veineux, au
lieu d'aborder dans la cavité droite du cœur pour être lancé
dans le poumon, se détourne et s'amasse dans ce» sinus
veineux ; il ne reprend son cours qu'au moment où l'animal
relève la tête hors des ondes. Ce mécanisme de la circula-
tion veineuse a été pareillement remarqué chez les oiseaux
aquatiques, tels que les pingouins plongeons, et même les
cygnes, oies et canards. Peut-être que cette accumulation t\\\
sang veineux, ou le ralentissement de la circulation qui en
résulte, contribue à la production de la graisse, si aboudaule
chez la plupart de ces animaux plongeurs. Elle sert égale-
ment à les défendre contre l'action délayante de l'eau , et
allège le poids de leur corps.
On peut dire de plusieurs plantes aquatiques qu'elles sont
amphibies : souvent une partie de leur tige ou de leur feuil-
lage reste submergée, tandis que leurs sommités et surtout
leurs fleurs sortent de l'eau, afin d'accomplir leur reproduc-
tion. Cependant le pollen des anthères, chez les fleurs aqua-
ti(iues, est visqueux ou gluant, afin de n'être pas enlevé par
le lavage ; d'ailleurs, la fécondation ne s'opère qu'à l'abri de
l'eau , comme on l'observe dans le nénuphar, le potamo-
gdton, etc.
Enfin , dans le monde on qualifie d'être amphibie celui
qui, passant d'une opinion à l'autre, d'une condition à un
état opposé, cherche à se soustraire à leurs charges; mais
en jouant ce double rôle , ou en nageant entre deux eaux ,
quicoiu[ue n'est d'aucun bord est pour l'ordinaire répudié
par tous les partis. J.-J. Virey.
AIMPHIBIEIVS. Il ne faut pas confondre les animaux
désignés sous ce nom avec ceux qu'on appelle amphibies.
Les amphibiens ont été élevés, par de IJlainville, au rang
d'une classe intermédiaire entre celle des reptiles écailleux
ou scutifères et celle des poissons ou squammifères. Le
nom d'amphibiens est ici employé pour signifier que les
animaux de cette classe peuvent respirer l'eau au moyen
de branchies, pendant leur jeune âge ou toute la vie , et en
même temps l'air au moyen de poumons. Sous ce rapport
les amphibiens, qui comprennent les genres grenouille, «cra-
paud, salamandre, etc., se distiuguent 1° des trois premières
classes des animaux vertébrés (mammifères, oiseaux, rep-
tiles ) que nous avons proposé de grouper sous le nom com-
mun de vertébrés aérobiens, c'est-à-dire ne respirant que
l'air au moyen de poumons, et 2° de la classe des poissons, qui
forment le grand groupe des vertébrés hydrobiens, puis-
qu'ils ne respirent que l'eau au moyen de branchies. — M. de
Blainville divise la classe des amphibiens en trois ordres,
qui sont : 1° les batraciens, que nous avons proposé de
nommer pseudocliéloniens ; 2° les pseiidosauricns, vulgai-
rement lézards d'eau ; et "i" \e?> pseudophidiens ou fauxser-
l)ents. Les noms donnés à ces trois ordres d'amphibiens
indiquent lem- analogie de forme avec celles des trois ordres
AMPHIBIENS — AMPHICTYONS
490
«11* iTi>ti!cs h pcaii écailleuse, savoir : les cliélouions ou lor-
liies, les Siluriens ou lézards, et les opliiiliens ou serpents.
L. Lal'rent.
AMPHIBIOLITIIES. Pétrifications contenant des
parties d'animaux ampliibies; et sous ce dernier nom Ton
r(>ni|)rend les espèces de reptiles qui fréquentent les eaux.
Ce sont, pour la plupart, de grands sauriens de la famille
des crocodiles, tels que des ga\ials trouvés sur les côtes
de Normandie, et désignés par Geoffroy Saint-Hilairc sous
les noms génériques de tcleosoiiriis et de steneosaurus.
D'autres ont également été trouvés à l'état fossile, en An-
gleterre, par M. Conybeare. La forme des ossements de leur
crâne diflère en quelques points de celle des crAnes des ga-
vials actuellement connus : les fosses temporales des pre-
miers sont généralement plus grandes que celles des se-
conds ; néanmoins, Geoffroy Saint-Hilaire est porté à croire
que ceux-ci descendent de ces anciens animaux perdus. —
D'autres reptiles de taille gigantesque ont été trouvés à l'état
lossile, et constituent les amphibiolitlies, telles que le geo-
saunts, de Sœmmcring, les ??if(7ff/05ai<rMS de Buckland,
Vigua7wdon de Mantell, etc. L'animal fossile de Macstriclit,
que Faujas avait rendu fameux, parait aussi appartenir aux
iguanes, sous le nom de mosasaunts. — Les ichthyo-
saurus à grosse tête, \e plesiosmirus à tête petite
sur un long col de serpent, se rapprociuiient de l'organisa-
tion des poissons. Les Hecherc/ics de l'illustre Cuvier sw les
ussements fossiles , 2^ édition, donnent des renseignements
multipliés sur ces amphibiolitlies. J.-J. Virey.
AMPHIBOLE, nom sous lequel Haiiy comprend, dans
la minéralogie, trois substances qui faisaient autrefois partie
du scliorl, la trémoUte , Wictinotc et la hornblende. Ces
minéraux rayent le verre et les feldspaths, et sont rayés
par le quartz; leur pesanteur spécifique est de 2,8 à 3,45.
L'analyse démontre que l'amphibole est un silicate de chaux,
de magnésie et d'oxyde de fer, contenant quelques traces
d'alumine. — On peut rapporter toutes les variétés d'am-
phiboles à trois espèces, dont une, la trémolite, comprend les
variétés à bases terreuses, qui sont en général sans couleur ;
une autre, Yamphibole proprement dit, se compose de toiites
les variétés à bases terreuses et métalliques dans lesquelles
le protoxyde de fer ou de manganèse entre en quantité no-
table avec la chaux et la magnésie, et qui présentent une
couleur verte plus ou moins fon&'e. Cette espèce se divise
ru deux sous-espèces : Yactinole et la hornblende. Une
troisième espèce, Vanthophijllile , comprend les variétés à
basps de fer et de magnésie, sans chaux. — On rapporte à
la trémolite une partie des substances filamenteuses vul-
gairement connues sous le nom à'am'iunlt.
L'amphibole forme souvent des roches très-considérables ;
il abonde surtout dans les terrains anciens et volcaniques,
et se trouve d'ailleurs disséminé, et mélangé avec d'autres
minéraux, entre autres avec le basalte.
On emploie des roches amphiboliques pour obtenir par
la fusion des verres noirs ou verts , quelquefois panachés,
quelquefois lithoides, dont on a fabriqué des boutons à fort
bas prix, des dessus de table, et autres objets d'un aspect
assez agréable.
AMJPHIBOLIQUES (Roches). Ces roches sont com-
posées d'amphibole, de feldspath, et souvent encore de mica
et d'alumine. Elles présentent plusieurs variétés : les rfi or i-
tcs, résultant de l'association de l'amphibole et du feldspath,
soit intimement, soit en grains cristallins, soit en gros cris-
taux \V opliite, qui est une roche verdàtre, compacte, com-
posée de fehLspalh et d'amphibole ; enfin les t r a pp s, qu\ sont
parmi les roches amphiboliques ce que les basaltes sont
parmi les roches pyro\éniques. Le trapp appartient aux
terrains primitifs, et forme la dernière couche connue après
le granit qui le recouvre.
À.MPIIIBOLOGIE (du grec àiJLç-.go/.ovîa, ambigu; dé-
livc de à(j.îi, des deux côtés; pà>.).u, jeter, et li^o:, parole),
double sens qui résulte moins de l'ambiguïté des mots en
eux-mêmes que de leur conslruclion. C'est aussi un vice du
discours , rendu obscur par le choix d'une ou de plusieurs
expressions qui , présentant un double sens, peuvent être
jirises en deux sens opposés. Le genre de construction
grecque et latine que la grammaire élémentaire appelle que
retranché prête singuUèrement à cette défectuosité du
discours.
On donne ordinairement pour modèle d'amphibologie la
réponse que fit l'oracle à Pyrrhus lorsque ce prince alla le
consulter sur l'issue de la guerre qu'il se proposait de dé-
clarer aux Romains :
Aio le, ^iîûciJii, Romanos viucere passe.
Ce qui signifie à volonté : ou Pyrrhus vaincra les Romains,
ou les Romains vaincront Pyrrhus. La facilité avec laquelle
les langues anciennes admettaient l'amphibologie était d'un
grand secours aux oracles : la plupart de leurs réponses of-
frent un double sens, en sorte que, quel que fût l'événement,
l'oracle se trouvait l'avoir toujours prédit.
Quoique notre langue s'énonce communément dans un ordre
(pii semble prévenir toute amphibologie , nous n'en avons
cependant que trop d'exemples, surtout dans les transac-
tions, les actes, les testaments, etc. ^'os qui, nos que, nos »/,
soyi, sa, se, donnent encore fréquemment lieu à l'aiiipliibologie.
Cehii qui écrit s'entend, et par cela seul il croit qu'il sera
entendu ; mais celui qui lit n'est pas dans la même dispo-
sition d'esprit. On ne saurait donc trop s'attacher à éviter
toute phrase à double sens dans le discours.
La langue philosophique emploie , à son tour, le mot am-
phibologie dans un sens analogue à celui qu'il a en matière
grammaticale. Elle s'en sert pour désigner une proposition qui
présente un sens , non pas obscur, mais douteux et double.
Aristote, dans son traité des Réfutations sophistiques ,
compte l'amphibologie âu-aomhre des sophismes.
AMPHICTYOjX, fils de Deucalion et de Pyrrha, obtint
l'Orient dans le partage des États de son père, régna aux
Tliermopyles, et après la mort de Cranaiis, vers l'an l iy?
avant J.-C. s'empara de l'Attiqne, où il exerça pendant
dix ans sa domination. Selon Justin, c'est à lui qu'Athènes
dut son nom, et c'est par lui qu'elle fut consacrée à Minerve.
On le regarde comme le fondateur de l'amphictyonie des
Thermopyles.
AMPHICTYO!VIE,nora donné à plusieurs associations
politiques et religieuses , établies dans l'origine auprès des
temples de la Grèce, afin de veiller au bon ordre dans les
fêtes et d'empêcher toute rixe entre les peuples qui les fré-
quentaient. Chaque État voisin y envoyait des députés. Les
plus célèbres amphictyonies étaient : celle d'Argos, près du
temple de Junon ; desThermopyles, près celui de Cérès, et de
Delphes, près de l'oracle d'Apollon. Plus tard ces dernières
se confondirent, et formèrent le conseil des amphictyons.
AiMPUICTYOXIS, surnom donné à Cérès, d'un tem-
pie qui lui était consacré au lieu où s'assemblaient les Am-
phictyons.
AMPIIICTYOXS (Conseil des), assemblée générale de
la Grèce, composée, dans l'origine, de douze députés repré-
sentant autant de peuples confédérés du nord de cette contrée,
et se réunissant deux ibis l'année, au printeiBps à Dclpiies,
et en automne à .Anthéla près des Tliermopyles, pour dé-
cider de la paix ou de la gueire; leurs décrets étaient res-
pectés à l'égal des ordres divins. Le droit de représentation
à la diète ampliictyonique s'étendit dans la suite à divers
peuples de la Grèce méridionale et asiatique. Quoique lo
nombre des députés fût indéfini, le conseil ampliictyonique
ne se composait en réalité que de vingt-quatre membres,
douze volants appelés pylagores, douze ne votant pas, nom-
més///tVonnîmons. Les assemblées des amphictyons atti-
raient un nombreux concours de curieux. Elles s'ouvraient
l'ar des sacrifices et de pompeuses cérémonies. Ce conseil,
03.
AOO
qui jonc un si beau r61e dans Thistoire de l'antiquité, était
|)Our les diverses nations qu'il représentait comme un gou-
vernement fédératif chargé de défendre la religion de toutes
et le droit public de chacune. Souvent il se constituait en
trihimal, et jugeait en cette qualité non-seulement des causes
f iviles et criminelles, mais môme des contestations sérieuses
élevées entre certaines cités, entre certains peuples. Si les
villes, si les nations même , condamnées par un arrêt des
Amphictyons, n'obéissaient pas, l'assemblée était en droit
d'armer contre les rebelles toute la confédération et de les
exclure de la ligue amphictyonique. Le conseil des Amphic-
tyons a eu la gloire de survivre à l'asservissement de la
Grèce par les Romains.
AMPIIIGÈIVE. Cette substance, qui est un silicate d'a-
lumine et de potasse, est infusible au chalumeau, raye dif-
ficilement le verre, et a pour forme primitive le cube : sa
cassure est raboteuse, quelquefois légèrement ondulée, avec
un ccrtiiin luisant. On en connaît plusieurs variétés de cou-
leurs. Les amphigèncs transparents sont rares; le plus sou-
vent ils ne sont que translucides, et fréquemment tout à fait
opaques. L'amphigène, connu pendant longtemps sous la
d('nomination de grenat blanc, se trouve particulièrement
dans les roches de la Somma au Vésuve. Une circonstance
très-remarquable, c'est que presque toujours au centre des
crislaux d'aropbigène on trouve un noyau d'une matière
étrangère : le pyroxène.
AMPIÏIGOURI ( du grec à[x?t, de part et d'autre , et
xOxXo;, cercle ), discours, écrit burlesque, inintelligible,
fait à dessein ; espèce de poème dont les mots ne présentent
que des idées sans ordre , comme une foule de poèmes sé-
rieux. Les amphigouris de Scarron sont célèbres, celui sur-
tout qui commence par ces vers :
Uu jour qu'il faisait nuit, je dormais éveillé, cîc.
Cette qualification s'applique aussi à un écrit, à un dis-
cours dont les phrases, contre l'intention de l'auteur, ne
présentent que des idées sans suite, n'ayant aucun sens rai-
sonnable.
AMPIIIMACRE ( du grec à[t?{, des deux côtés , et
(«.axpô;, long). On donne ce noi.-i, dans les versifications
londées sur la quantité, à un pied de trois syllabes, com-
posé d'une brève entre deux longues : cfj(ji\iy.r,z,fœminâm.
Les vers alcaiques, glyconi(iues, asclépiades, etc., se termi-
nent souvent par un amphimacre, qui se change alors en
dactyle, grâce à la tolérance qui permet en ce cas à la der-
nière syllabe du vers de devenir brève de longue qu'elle
était :
Crescentem sequitur cura pecuniam.
AMPHION, célèbre musicien grec, né des rapports
d'Antiope, femme de Lycus, roi de Thèbes , avec Jupiter,
ou plutôt avec Épapbus ou Épopée , roi de Sicyone , fut ,
ainsi que son frère Zéthus, exposé dès sa naissance sur le
mont Cithéron, recueilli et élevé par des bergers. Devenus
grands, les deux frères vengèrent sur Lycus les mauvais
traitements éprouvés parleur mère, s'emparèrent de Thèbes,
et y régnèrent conjointement. Ils y firent fleurir les arts.
Amphion surtout excellait dans la musique. 11 avait, disaient
les poètes, reçu d'Apollon une lyre d'or, au son de laquelle
il construisit Thèbes; les pierres, sensibles à la douceiir de
ses accords, accouraient d'elles-mômes se placer les unes
sur les autres ; ce qui, historiquement parlant, signifie qu'il
fit entourer de murs cette ville, jusque-là ouverte de tous
côtés.— Amphion ayant épousé Niobé , tille de Tantale, en
eut quatorze enfants, qui furent tous tués à coups de flè-
ches par Apollon et par Diane. Après cette perte ci-uelle, il
se donna la mort. Suivant d'autres, il l'aurait reçue, dans
une sédition, de la main du peuple, qui, mécontent de son
gouvernement, aurait, à sa place, porté Laïus sur le trône.
AMPIÏIPODES, animaux qui appartiennent à la classe
des crustacés et qui ont les yeux sessiles , les mandibules
AMPHICTYONS — AMPHITHÉÂTRE
munies d'une palpe presque toujours distincte du lliorâ^t
le(iuel se divise en sept segments, dont chactm porte en gé-
néial une paire de pattes. L'abdomen, très-développé, se
compose aussi de sept segments, et ils respirent au moyen
de vésicules membraneuses placées à la base des pattes tho-
raciques. La plupart de ces crustacés habitent les eaux sa-
lées. Tous sont de petite taille et d'une couleur uniforme
tirant sur le rougeàtre ou le verdàtre. Parmi eux nous ne
citerons que les crevettes.
AMPHISBÈIVE (du grec à(/.çî, de deux côtés; paîvt-.v,
marcher), genre de serpent dont la queue et la tête ont la
môme forme et le même volume, et peuvent être prises l'une
pour l'autre au premier abord. On croyait que cet animal
pouvait se diriger à volonté en avant et en arrière, et c'est
ce qui lui a valu son nom.
La plupart des amphisbènes sont propres à l'Amérique,
et on en connaît cependant un d'Afrique et un d'Europe.
AMPHISCÎEXS, ASCIENS. Amphrscicns {ûu grec
àixiî, autour, et de av.'.i., ombre) est un terme employé pur
les anciens géographes pour désigner les habitants de la
zone torride, parce qu'ils ont leur ombre dirigée vers le
midi quand le soleil est au nord de l'équateur, et vers le
nord pendant les six autres mois de l'année. On les appelait
encore asciens (de à privatif et crx-.i), c'est-à-dire snns
ombre, parce que deux fois par an , le soleil se trouvant
directement au-dessus de leurs têtes, ils n'ont pas d'ombre
à midi , ce qui ne peut arriver dans les zones tempérées et
glaciales, où le soleil n'atteint jamais le zénith. Ceux qui
habitent les limites de la zone torride , précisément sous les
tropiques, ne sont asciens qu'une fois l'année, savoir :
ceux de l'hémisphère boréal, au solstice d'été, et ceux de
l'hémisphère austral, au solstice d'hiver. Les plus voisins
des tropiques sont asciens à des jours d'autant plus rap-
prochés qu'ils habitent plus près de ces cercles; enfin, sous
l'équateur cela arrive aux équinoxes.
A.^IPHITHÉÂTRE (du grec àfiçi, tout autour, et bza-
Tfov.(héâtre). C'était chez lesanciens un grand édifice, de fo'me
ronle ou ovale, destiné au combat des gladiateurs, des bêtes
féroces, et aux représentations dramatiques. Le prcuu'er nni-
philiiéâtre que l'on vit à Rome fut celui de Jules Ct'sar, qui
fut construit l'an 707 de Rome; il était de bois, et ne servit
que pour la circonstance qui l'avait fait élever. F:n 72,s fut
érigé par les ordres d'Auguste le premier amphithéâtre de
pierre ; mais le plus célèbre de tous fut celui que commi nça
Ve>pasien, et qui fut inauguré par Titus, l'an de Rome s.i.J
(SO de J.-C. ). Ce bâtiment colossal avait 1,01'.? pieds de cir-
conférence et quatre-vingts arcades; il pouvait contenir cent
vingt mille spectateurs. Ses ruines sont connues aujourd'hui
sous le nom de Colisée. — On voit aussi à Nîmes les
ruines d'un amphithéâtre qui attestent la grandeur et la
solidité des constructions romaines.
L'araphilhéàtre d'Arles, également de construction ro
maine, quoique moins bien consente que celui de Mines,
est digne aussi d'attention. — Nous avons encore en France
ceux d'Autun et de Fréjus. — Outre les précédents, h^
principaux amphithéâtres dont les ruines puissent être tfu-
diées avec utilité sont ceux d'Albe, d'Otricoli ( en Ombrie), dï
Pouzzoles, de Capoue, de "S'érone, de Pœstum, de Syracuse,
d'Agrigente, de Catane, d'Argos, de Corinthe, et d'Hipeila
(en Espagne).
La place réservée au mil-cu de ces vastes édifices servait
aux combats et s'appelait crcne, parce qu'. Ile était couverte
d'un sable fin ( arcna ) ; elle était ceinte , dans toute sa cir-
conférence , d'un large mur, haut de 12 ;i 15 pieds. Le |)re-
mier rang de sièges élevé sur ce nmr s'appelait podium ; à
partir de ce lieu, trois autres rangs de sièges s'élevaient en
gradins jusqu'au sommet de l'édifice, et étaient coupés par
des allées circulaires nommées prsccinctioncs ou baltei
(baudriers, dont elles affectaient la forme). Des escaliers
pratiqués de distance en distance entre ces étages s'ap5>e
AMPHITHÉÂTRE — AMPLIFICATION
501
lalent 5cnte (échelles), et l'espace compris entre eux ai-
nci (coins), à cause de leur lonne angulaire. Autour de
l'an^nc étaient des voûtes {cavccvj peu élevées, diuis les-
quelles se tenaient les };ladiateurs et étaient enfennées les
b(Mes féroces qui devaient combattre, ou retenue l'eau qui
devait changer l'arène en un lac pour les naunuuliies ou
joutes navales. Une porte particulière, nommée liOithieiisis
(porte de mort), senaità enlever les gladiateurs qui étaient
luis hors de combat ; et celles par où entraient et sortaient
les spectateurs étaient pratiquées dans le mur extérieur, et
avaient la désignation de vomitoria. L'amphithéâtre était
découvert; mais quand on avait à préserver l'assemblée de
la ])luie ou d'une chaleur excessive, on tendait au-dessus
d'dle un ciel composé de toiles et quelquefois même d'é-
toiles de soie et de pourpre brochées d'or. On ne se plaçait
point, du rc'ite, indistinctement dans ra!iij)liithé;\tre : chaque
condition avait son quartier, ctineus^ et des maîtres de cé-
rémonies {designaiores ) étaient chargés d'assigner à chacun
sa place. Celle des ambassadeurs étrangers était marquée
dans l'endroit appelé podium, où était élevé le Irône de
l'empereur. Derrière les sénateurs, qui occupaient ensuite les
premières places , étaient les chevaliers , sur quatorze rangs ;
l>uis venait le peuple, qui s'asseyait sur des degrés de pierre.
Chez les modernes l'amphithéâtre est un lieu élevé vis-
à-vis de la scène , et , en termes de médecine ou d'anato-
mie , un lieu où le professeur donne ses leçons , fait ses dé-
monstrations, et où les élèves cherchent , au moyen du
scalpel , à suqirendre les secrets de la vie dans des veines,
des artères et des membres où elle ne circule plus. — Un
amphithéâtre, dans un parc ou jardin, e<t uiip décoration
de gazon formée de gradins, et destinée à recevoir des vases
de (leurs.
A3iPHITRITE , fille de l'Océan et de Thétys selon
les uns, de >"érée et de Doris suivant d'auti^es. >'eptune en
étant devenu épris, elle se cacha pour se dérober à ses pour-
suites. Un dauphin que le dieu avait envoyé à sa recljerche
la lui ramena : pour prix de ce service , il fut placé parmi
les constellations. En sa qualité de reine des mers , on la
représente sur une conque traînée par des dauphins et ac-
compagnée des Néréides, ou bien à cheval sur un dauphin,
un trident à la main. Elle fut mère de Triton et de plusieurs
nvmphes.
" AMPHITRYON, fils d'Alcée, roi deTirynthe, et petit-
fils de Persée, épousa la querelle d'Électryon , son oncle ,
roi de Mycènes, contre les Théléboens, qui avaient tué ses
fils , et devint son gendre, à condition de n'accomplir le
mariage qu'après être revenu vainqueur ; mais pendant son
absence Jupiter prit ses traits , se présenta aux yeux d'Alc-
mène , et à son retour Amphitryon apprit qu'il avait eu
le maître des dieux pour riva! , et que sa femme donnerait
le jour au grand Hercule. Plus tard , ayant tué par mal-
heur Électryon , il fut obligé de fuir sa patrie , se retira à
Thèbes avec Alcmène , auprès de Laïus , et commanda les
Thébains dans plusieurs expéditions. Ce fut dans une de ces
guerres qu'il périt à côté d'Hercule, qu'il avait adopté et
reconnu pour son fils. — L'aventure d'Amphitrj'on a fourni à
Plante et à Molière le sujet d'excellentes comédies. — Chez
nous, celui qui donne à dJner reçoit de ses convives le
nom d'amphitryon, par allusion à ces vers de la pièce de
Molière :
Le vôrit'iblc-Amphilrvon
Est l'Amphitryon où l'oo dîne.
Poui-tant, avant Molière , Rotrou avait dit dans ses Dcïcx
Sosies :
Foin d'un Amphitryon où l'on ne dîne pas!
AiMPIlORE iamphora). Bien que l'amphore ne fût pas
une mesure hébraïque, ce mot est souvent u>ité dans l'Écri-
liirc sainte jwur désigner un vase à mettre de l'eau ou des
licjiieurs. Daniel parle de six amphores t.e vin offertes par
jour au dieu Bélus. Ailleurs , c'est un homme portant une
jarre pleine d'eau : amphormn aqux portans. — Chez les
Grecs et les Romains on appelait ainsi un vaisseau de terre
destiné à luesurer ou à contenir les choses sèches ou liquides.
Ce vase, de forme ordinairement sphérique à la fois et
ovoïde, avait de chaque côté deux anses qui servaient à le
porter plus facilement. De là vient qu'Homère l'appelle àji-
çiiofsû;. — L'amphore romaine ou quadrantal était d'un
pitd cubique, et contenait 2 urnes 8 congés 48 setiers, ce
qui équivalait à 25 litres 89 centilitres de nos mesures. —
3s litres 83 centilitres de nos mesures égalent le contenu du
mctrclcs ou amphore attique. — Vamphora capitolina ,
dont on conservait le modèle au Capitole, et qui contenait
trois boisseaux, était employée à mesurer le froment et les
choses sèches. Elle n'était, du reste, que la vingtième partie du
ciilpus. — Enlin, on donnait aussi Ip nom d'juniilioip aux
grands vases dans lesquels on laissait vieillir les vins. Il est
question chez Suétone d'une amphore de vin bue à un seul
repas avec l'empereur Tibère, par un certain homme qui bri-
guait la questure. L'année du consulat sous lequel la liqueur
a\ait été recueillie était inscrite sur cliaque amphore :
G nata nieciim consnle Manlio.
— A Venise, on désigne par le mot ampfwre une mesure de
lifjuide beaucoup plus grande que les précédentes.
Lu botanique, on a donné ce nom à la cavité qui se trouve
dans chaque coque d'une espèce de fruit appelé pyxide.
AMPLEXICAULE ( du latin amplecti, embrasser;
eau lis , tige ) se dit des feuilles , des bractées , des pétioles ,
des pédoncules qui, s'élargissant à leur base, embrassent la
tige sans l'entourer complètement : telle est la feuille du pa-
vot blanc. On dit qu'un de ses organes est semi-amplexï-
caule, lorsque ayant la même disposition relativement à la
lige, il ne l'embrasse que dans la moitié de la circonférence.
AJlIPLIATiOX. En termes d'administration et de fi-
nances, c'est la copie, le double qu'on retient d'une quit-
tance, d'un procès-verbal, d'un acte administratif quel-
conque, pour le produire quand besoin en sera. — Enfermes
de pratique, on appelle ainsi une ou plusieurs copies d'un
contrat dont on dépose la grosse chez un notaire pour en
délivrer des expéditions ou ampliations aux parties inté-
ressées. On voit que dans ces deux acceptions ce mot est
synonyme de duplicata.
Dans l'ancienne jurisprudence romaine, Vampliafion
équivalait à ce que nous appelons aujourd'hui im plus arn-
ple informé. Si une affaire paraissait avoir besoin d'éclair-
cissements plus complets, les juges exprimaient à cet égard
leur opinion en inscrivant sur une espèce de bulletin les
lettres initiales des deux mots non liquct ( cela n'est pas
clair), et l'affaire, renvoyée alors indéfiniment, ne revenait
au prétoire qu'après plus ample informé. Dans notre an-
cienne jurisprudence, on appelait lettres d'ampliafion
celles que l'on obtenait en petite chancellerie pour être au-
torisé à articuler de nouveaux moyens omis dans des lettres
de requête civile précédemment obtenues. L'usage en fut
aboli par l'ordonnance de 1C67.
Ampliation est encore un terme de chancellerie, et plus
particulièrement de la chancellerie romaine : un bref ou une
bulle d'ampliation est un bref d'augmentation.
AMPLIFÎCATIOX (Rhélorique), du latin ajnpli-
ficatio , fait lïaniplus , ample, vaste, étendu. On désigne
sous ce nom le développement d'un sujet que traite un
auteur, un orateur, ou qu'on donne à traiter à un écolier.
Par suite, ce mot se prend aussi, en mauvaise part, pour
exagération. « On prétend , dit Voltaire , que c'est une belle
figure de rhélori(iue; peut-être devrait-on plutôt l'appeler
un défaut. Quand on dit tout ce qu'on doit dire, on u'ani-
pliCe pas, et quand on l'a dit, si on amplifie, on dit
trop. » Il ajoute, avec raison, cpi'au lieu de donner des
prix dans les collèges aux élèves (jui font le mieux les
502
AMPLIFICATION — AMPOULÉ
ampli fiailions sur un sujet donné, il faudrait plutôt cou-
rouniT celui qui aurait resserré ses idées, ses pensées, dans
le moins de mots possible. « L'amplification, la déclamation,
l'exagération, dit-il plus loin, furent de tout temps les dé-
fauts des Grecs , excepté de Démosthène et d'Aristote. »
Parmi nous , comme du temps de Voltaire , la plupart des
oraisons funèbres, des sermons, des discours d'apparat,
des barangues, des discours législatifs, sont des amplifica-
tions fatigantes et inutiles, des lieux communs cent et
cent fois répétés. Règle générale : celui qui possède le mieux
un sujet n'est pas toujours celui qui peut le mieux le dé-
velopper et l'étendre , mais celui certainement qui saura
le mieux le résumer.
A.MPLIFICATIO\ ( Optique ). Ce mot désigne le
pouvoir qu'ont les lunettes de faire voir les objets plus
grands qu'à la vue simple, et ce pbénomène lui-même.
D'après la construction des lunettes, on comprend que
l'amplification linéaire est d'autant plus grande que le foyer
de l'oculaire est plus court en comparaison de celui de
l'objectif.
Amplificntion se dit encore de l'augmentatioR apparente
des corps lumineux comparés à des corps obscurs ou moins
lumineux. Ainsi , deux ou trois jours avant ou après sa con-
jonction, la lune se voit encore tout entière; mais la pariie
directement éclairée par le soleil semble déborder le reste,
qui n'est éclairé que par réflexion.
AMPLITUDE. En astronomie , on entend par ampli-
tude ortive ou orientale d'un astre l'arc de l'iiorizon
compris entre le point où se lève cet astre et l'orient vrai ;
pareillement, l'amplitude occase ou occidentale est l'arc de
l'horizon compris entre le point où se couche l'astre et l'oc-
cident vrai. En mer, on se sert de l'amplitude pour déter-
miner la déclinaison de l'aiguille airnantoc. Au moyen de
l'amplitude, on a inniiédialement l'azimut, qui en est le
complément. — Ce mot est encore usité en balistique, en
physique et en maihémaliques. Ainsi on appelle amplitude
du jet la ligne droite qui joint le point de départ d'un
boulet ou de tout autre projectile au point ou il va tomber.
— L'amplitude des oscillations d'im pendule désigne leur
grandeur angulaire.
AllPOL'LE La Sainte). Le mot ampoule, ou ampoullc
(ampulla), est dérivé de ample (amplunt, vas) ou d'am-
pla olla , jiuiple vase. Il se retrouve dans l'ancien mot
ampel, lanqw, du dialecte alémanique. En général, c'e^t
une fiole, un vase (ineiconque, et plu> spécialement un
A use d'église, contenant Tluiile du saint chrême. La suinte
ampoule de lîeims était jadis une très-petite fiole en verre
blanchâtre, datant d'une haute antiquité ; elle avait 40 mil-
limètres de haut, sa circonférence était de 15 millimètres
au cou et .'.0 à la base. Le baume qu'elle contenait était roux,
peu liquide et sans transparence. Conservée à Reims, rlans
l'abbaye de Saint-Remi , elle était placée dans un précieux
reliquaire enfermé <lans le tombeau de saint Rémi; les ciels
du tombeau étaient déposées dans la chambre même du
prieur de l'abbaye. Lorsque pour un sacre on avait besoin
de la sainte ampoule , le prieur lui-même apportait le re-
liquaire, suspendu à son cou ; quatre des plus hauts sei-
gneurs étaient livrés à l'abbaye pour otages , et faisaient
serment de réintégrer la sainte ampoule aussitôt après le
sacre. Le cheval que montait le prieur, le dais sous lequel
il se plaçait lors de la procession qui conduisait la sainte
ampoule de l'abbaye à la cithédrale, et les guidons des
qiwtre otages restaient à l'abbaye; ces quatre guidons or-
naient le tondjcau de saint Rcmi jus(iu'au sacre suivant.
Quant an baume, il n'y a pas lieu de s'étonner qu'il ait
duré longtemps, puisque l'cvêque consécrateur n'en prenait
qu'avec tme aiguille d'or, placée dans le reliquaire à côté
<le la sainte ampoule , et mêlait cette parcelle avec du saint
chrême, pour faire au roi les onctions d'usage dans ce cé-
rémonial.
Au .sujet de la miraculeuse origine de la sainte ampoule ,
il existe deux versions qui semblent se contredire. L'une,
celle de Hincmar, rapporte que lors du baptême de Clovià
par saint Rémi , le clerc qui portait le saint chrême ne
pouvant, à cause de la foule, entrer dans l'église, saint
Rémi leva les veux au ciel , et une colombe, plus blanche
que la neige , parut , portant à son bec une fiole remplie
d'un baume céleste. Suivant l'autre version , la sainte am-
poule aurait été apportée par un ange. Ce qu'il y a de
plus étonnant, c'est que ni Grégoire de Tours, ni Frédé-
gaire, ni Avitus, ni Elodoard, ne parlent de ce miracle.
Saint Rémi lui-même, dans son testament, n'en dit mot.
ÎSL Tarbé, dans son ouvrage sur les Trésors de l'église
de Reims , rapporte que « ce ne fut qu'au couronnement de
Louis VII qu'on parla pour la première fois de la sainte am-
poule ».
Dans son ancien reliquaire , elle était portée par une co-
londie en or, avec un bec et des pieds en corail ; autour rc^
gnait un encadrement dentelé et carré, placé dans une pièce
ronde en vermeil , ciselée , enrichie de quatre-vingt-quatre
pierres précieuses de diverses couleurs. Une chaîne en
argent était fixée à ce reliquaire, et servait à le suspencLe au
cou lorsqu'on le transportait pour le sacre.
La saute ampoule n'est pas mentionnée dans l'inventaire
des châsses fait à Reims le 13 novembre 1702. Peut-être
cet oubli la fit-elic conserver encore quelque temps après la
fermeture des églises. Quoi qu'il en soit, Philippe Ruhl, <lé-
piiîé à la Convention, en mission dans la Marne, ayant
appiis qu'elle existait entre les mains (ie M. Seraine, curé
de Saint-Remi, lui en fit demaniler la remise, la brisa à
coups de Mirirteau, en présence du peuple, sur les degrés
(bi piédestal de la statue de Louis XV, et envoya le reli-
quaire à la Convention. — Mais au moment où M. Seraine
s't'tait vu obligé de livrer la sainte ampoule, il avait cru
devoir en retirer queUpies parcelles de baume, qu'il j)artagea
avec M Philippe Ilourelle, alors officier municipal, ancien
maipiillier de la paroisse. Depuis, des enquêtes lurent faites
poui- constater l'authenticité de ces reliques.
Ces parcelles furent réunies le 11 juin 1819, dans une
petite boite en argent doublée d'une étolfe de soie. En is2ô,
pour le sacre de Charles X, elles furent déposées dans nue
nouvelle ampoule en cristal , qui fut elle-même mise dans
un coffret en vermeil , véritable chef-d'œuvre de ciselure ,
enriciii de pierres précieuses , avec un couvercle en cristal
suinionté de la coloud)e traditionnelle. La façon seule de
ce coll'ret avait coûté 22,300 francs ; il est placé sur un
socle aussi en orfèvrerie , orné sur les faces principales de
deux bas-reliels représentant le baptême de Clovis et le sacre
de Louis XVI. \ l'un des bouts sont les armes de France;
à l'autre , celles de la ville et du chapitre de Reims ; au
milieu, celles du i)ape. Sur la plinthe et sur diverses parties
du socle sont répartis des médaillons ciselés représentant
le^ rois de France. Ducues.ne aîné.
AMPOULE (Pathologie), petit amas de sérosités qui
a lieu entre le derme et l'épiderme, et se manifeste d'ordi-
naire à la paume des mains et aux pieds, à la suite de tra-
vaux pénibles ou de marches forcées. On guérit ces petits
accidents en perçant la cloche pour faire écouler le liquide
et en y appliquant une compresse d'eau blanche. Il se faut
garder d'eidever l'épiderme. On prévient les ampoules des
pieds quand on a de longues marches à faire en les en-
duisr.nt d'im corps gras.
A:IîPOULÉ ^Style). Ce n'est pas un style, c'est une
maladie du style , une tumeur vide et creuse , qui se gonlle
de mots, faute d'idées. Rien n'est plus contraire au goût et
à l'esprit français. Il repousse instinctivement cette manière
enflée, grosse de vent, semblable à ces cloches qui se for-
ment sur le corps humain aux dépens de l'épidennc. L'art
d'écrire ne connaît pas de lléau plus éloigné de nolic goût
naiional. ^■os maurs sociales, notre facilité do coiiuncice,
AMPOUr.É — AMPUTATION
r.iiM<'ni1('- qiic n(»iis apjxirtons dans nos relations n\or nos
sonililalilts et <|iie nous exigeons d'eux. re{)Oiissent bien
loin toute idée d'or;;iieilleuse emphase, et livrent au ridicule
public ces grands mots dont les vastes re|)lis enveloppent
de petites choses. Aussi le style ampoulé ne fut-il en (jnelque
faveur parmi nous qu'aux époques de désori^anisation so-
ciale. Vers la fin du monde romain , la contagion d'un mau-
vais goût à la (ois emphatique et prétentieusement piiéril a
laissé trace chez Sidoine Apollinaire et Ausone. A la renais-
s;uice des lettres, lorsque la société française, déchirée
par les guerres religieuses, nageait dans des flots de sang,
Ronsard et ses amis inventèrent le pcdantisme emphatique
d'un style plus latin que français. C'est leur manie collé-
giale et emphatique que Rabelais raille si plaisanunent lors-
qu'il fait parler son écolier limousin. Ce personnage ne
connaît pas de soirée, mais un diliicule, et h ville de Paris
est pour lui Vurbe qu'on vocite Lutèce; au lieu de se pro-
mener, il déambule par des compiles de l'iirhe , et il s'/n-
gvrgite l'éloquence latiale. Le Gascon Dubartas fut de
tout le seizième siècle l'auteur le moins avare de périphrases
et de grands mots suspendus entre la trivialité et l'emphase.
On se rappelle sa magnifique description d'un cheval qui
galope , en quarante vers ; « dont il ne vint à bout , dit la
« chronique, qu'en galopant à travers la chambre et sur
« ses meubles pendant un jour entier; » et son flot floflot-
tant, destiné à exprimer la succession des vagues. Son
soleil emperruqué de rais (couronné de rayons) et duc
des chandelles (conducteur des étoiles) est passé en
proverbe. Ce mélange de vulgarité et de violence dans l'ex-
pression ne pouvait convenir à un peuple d'une grande
vivacité dans les actes, mais d'un extrême bon sens dans
l'esprit, raisonnable jusqu'à l'ironie, et plus prompt à s'a-
muser des ridicules qu'à pardonner aux excès.
De la fin du seizième siècle au commencement du dix-
neuvième, c'est-à-dire pendant le règne triomphal de la so-
ciété française, qui faisait l'éducation de l'Europe du Nord,
l'emphase perdit tout crédit. On aperçoit, vers 1650, les
dernières traces de cette maladie chez deux hommes de mé-
rite, Cyrano de Bergerac, qui voyagea dans la lune pour se
donner ses coudées franches, et chez Brébeuf, homme d'ail-
leurs d'un talent très-distingué. Conspué pendant cette épo-
que toute française, le style ampoulé reparaît tout à coup,
timide encore, aux approches de la révolution. Alors l'é-
quilibre social se détruit; le faisceau va se rompre; les
hurlements du style recommencent. Diderot et l'abbé Ray-
nal en sont les premiers organes. Après 1790, les digues sont
rompues, et un mélange de toutes les emphases classiques et
étrangères déborde et se précipite sur l'idiome français. En
relisant le Moniteur, on s'étonne de ces paroles de mélo-
drame qui couvraient des actes tour à tour grandioses et
effrénés , tant de vide dans les mots, tant de terrible réalité
dans les faits. Je ne sais si depuis cette époque nous pouvons
nous croire radicalement guéris. Sous l'Empire, !M. de >îar-
changy, écrivain que l'on estimait assez, osait, sous les yeux
des critiques du temps, transformer un potage en bouillon
aux yeux d'or, qui rit dans le vermeil. Sous la Restaura-
tion, un autre écrivain célèbre, au lieu de dire les/o;e/5,
parlait des cathédrales verdoyantes de la nature, et ne
croyait pas trouver pour exprimer le mot Dieu de plus belle
périphrase que celle-ci :
Fécond ci'libalaire endormi sur les mondes.
Depuis cette époque, le style ampoulé a fait de grands
progrès, et toute la répugnance instinctive du goût national
n'a pas réussi encore à l'expulser définitivement du bar-
reau, du théâtre, des assemblées publiques, et nièuie de la
chaire. Le go)ivernement constitutionnel, dont le résultat
aurait dû être de nous ramener à une simplicité plus bour-
geoisement naïve , exhaussa tous nos cothurnes, et agrandit
toutes les bouches de nos orateurs. Au lieu de rejeter les
503
mots longs d'une fnise {{), et dVtre plus modestes en
promesses (?.) et plus fertiles en actes, nous avons redou-
blé d'emphase et de solennité. Tas de question de patente,
de droit de visite ou d'incompatibilité qui portée à la tribune
ne s'agrandit et ne se gonflât démesurément. Ce lut une de»
marques les plus tristes de la transtormation que le régime
tniistitiitioiniel a subie en se naturalisant parmi nous.
L'ampoule ressemble à l'emphase, mais elle la dépasse.
L'emphase est moins creuse et plus solide. Thomas, écrivain
emphatique, ne manque ni de raison ni de force ; il exagère
la sensibilité et la grandeur dont il a le sentiment. Raynal,
interrompant ses Annales des deux Indes pour apostropher
en soixante lignes, au milieu d'un livre grave, le territoire
d'Anjinga, qui a vu naître Éliza Draper, oITre le type complet
du style ridicule et ampoulé. Philarète Cuasles.
AlilPUTATIOIV ( du verbe latin amputare , retran-
cher, enhver). En chirurgie, on entend par là toute opé-
ration qui consiste à séparer pour toujours , au moyen de
l'instraraent tranchant, un organe ou une partie d'organe
saillant du reste du corps. Aussi peut-on dire amputation du
sein , de la mâchoire , de la langue , des amygdales , du
col de l'utérus , des organes génitaux de l'homme , etc.
C'est un titre cependant qu'on a généralement réservé pour
l'ablation d'une portion plus ou moins étendue de toute
l'épaisseur d'un membre.
Dernière ressource , moyen extrême de la chirurgie, l'am-
putation ne doit être pratiquée qu'en désespoir de cause.
Déjà grave par elle-même, elle a encore comme conséquence
nécessaire la mutilation du sujet. En présence des cas qui
semblent la réclamer, l'homme de l'art ne doit point oublier
que le but de la chirurgie est de conserver , non de dé-
truire; mais les malades ont besoin de savoir, à leur tour,
qu'il vaut mieux sacrifier unepartie que de perdre le tout, et
vivre avec trois membres que mourir avec quatre.
La fâcheuse nécessité d'amputer les parties malades a dil
être sentie de tout temps. La première idée s'en perd d'ail-
leurs dans l'histoire la plus reculée. Il paraît qu'on ne s'y
décidait autrefois que très-rarement. Connaissant mal la
circulation du sang, les anciens ne savaient point se mettre
en garde contre les hémorrhagies ; et comme l'amputation
entraîne toujours la division de quelques vaisseaux impor-
tants, ils devaient être continuellement arrêtés par la crainte
de cet accident dès qu'il s'agissait de retrancher une partie
vivante du corps. D'un autre côté, avant la découverte de la
poudre à canon, les guerres des peuples, moins meurtrières
de leur nature , devaient rendre l'amputation moins fré-
quemment nécessaire qu'elle ne l'est devenue depuis.
Les anciens avaient senti de bonne heure le besoin de
diviser les tissus au-dessus des parties mortifiées; mais,
toujours épouvantés par l'hémorrhagie, ils étaient parvenus
à faire de l'amputation ime opération si redoutable , que
beaucoup d'entre eux préféraient abandonner le malade à
une mort certaine. Les uns commençaient par lier les vais-
seaux , en traversant toute l'épaisseur du membre avec un
fil , ou bien par étrangler le membre lui-même tout entier,
et l'asperger d'eau froide. L'opération étant terminée, ils
brûlaient la surface du moignon avec un fer rouge. D'autres
faisaient l'incision des parties molles avec un couteau rougi
à blanc, et cautérisaient ensuite avec de l'huile bouillante.
Mais à partir du seizième siècle la pratique chirurgicale a
complètement changé de face sur ce point, et depuis lors
l'amputation des membres est devenue beaucoup moins
dangereuse.
Les cas qui réclament l'amputation méritent une atten-
tion toute particulière, et ils deviendront de moins en moins
nombreux, à mesure que la médecine fera des progrès,
que l'art de bien traiter les maladies se répandra davantage.
(1) Projicitampnllasetsesquipedalia verba. (Horace.)
(2) Quid tanto fcret hic promissor hiatu? {1DE.U. )
504
AMPUTATION
Pour juslifiL-r une aniputalion , il ne suffit pas que le mal
qui la réclame ne puisse f;uérir d'une autre manière, il faut
encore qu'on puisse l'enlever en totalité, et qu'il y ait des
cîiances raisonnables de sauver la vie du sujet. Lorsque c'est
pour une affection cnncéreitse qu'on opt;re, il importe de
s'assurer qu'il n'en existe aucun germe dans les viscères. Si
donc des ganglions dégénérés se remarquent à la racine des
membres, si la teinte de la peau, l'état de la respiration ,
des digestions , si le moindre symptôme indique que le
mal ne .soit pas borné à l'extérieur, l'amputation serait inu-
tile, ne ferait que hâter le développement de lésions ana-
logues à celle (ju'on se propose d'enlever. 11 en est de même
elle/, les sujets affectés de pulmonie ou d'une lésion orga-
nique du coeur, du foie, de l'estomac, des organes génito-
urinaires, d'un épuisement profond, d'ulcérations nom-
breuses et anciennes dans les intestins.
La prudence ne permet point d'amputer un membre affecté
de cànc scro/uleiise ou syphilitkjue , si d'autres organes
sont déjà le siège de gontlement, de douleurs, et des pre-
miers symptômes de maladies semblables.
l'our ce qui est des scrofules, cependant, on a dès long-
temps remarqué que l'ablation d'une partie importante du
corps était souvent suivie d'un changement avantageux à
la constitution du malade ; que la faiblesse est souvent
remplacée, après la guérison, par les apparences de la force
et de la santé la plus florissante. C'est d'ailleurs un effet
facile .'i comprendre ; une suppuration abondante, des dou-
leurs longups, une articulation désorganisée forment une
cause perpétuelle de maladie qui tend continuellement à
détériorer les fonctions, et ne peut manquer d'entretenir
un trouble assez considérable pour entraver les développe-
ments des ressources naturelles de l'organisme. Celte cause
naturelle de souffrances et de dangers étant enlevée, il est
tout simple que la santé se rétablisse ensuite.
Il est bon de remarquer aussi que la faiblesse oit se
trouvent les malades ne contre-indique pas toujours l'opé-
ration. Ce n'est pas chez les sujets les plus forts, les mieux
constitués que les amputations réussissent le mieux ; un
certain degré d'épuisement, déterminé par de longues dou-
leurs, la diarrhée elle-même, quand aucune lésion interne
ne l'entretient, sont en général une condition plutôt avan-
tageuse que nuisible : il semble dans le premier cas que
l'organisme, jouissant de toute son intégrité, se révolte
contre la mutilation dont il vient d'être l'objet ; tandis que
dans le second l'affection contre laquelle il avait épuisé ses
ressources étant enlevée, il n'ait plus qu'à s'occiqier de faire
disparaître les désordres secondaires qu'il n'avait pu pré-
venir.
Les soins , soit physiques, soit moraux, qu'on doit pro-
diguer au malade , les préparations qu'il convient de lui
faire subir avant une amputation, sont les mêmes que pour
toute opération grave, que pour les opérations que réclament
les anévTysmes, par exemple, et ils varient selon une inti-
nité de circonstances.
Tous les temps, toutes les saisons, toutes les heures du
jour ou de la nuit, peuvent être adoptes pour la pratique
des amputations, ainsi que pour toutes les opérations d'ur-
gence. Cependant , on préfère généralement le malin quand
il est permis de temporiser, et cela par la raison qu'il est
plus facile de surveiller le malade pendant le reste de la
journée que si on l'avait opéré à l'entrée tle la nuit.
Les instruments nécessaires pour prati(iuer les amputa
tions les plus compliquées sont un totuuiciuet, un garot, i!;ie
pelote à manches, ou autres ohjets propres à suspendre mo-
mentanément le cours du sang dans le membre; des cou-
teaux de diverses longiuMus; un bistouri droit, un bistouri
convexe; une scie avec des lames de rechange, des piiue-
à disséquer, des ciseaux courbes ou droits, des tenailles in-
cisives, des érignes, des aiguilles à sutiuT, un tinnculum ;
pour le pansement on a besoin de lils cirés simples, doubles,
triples, quadruples, dont on forme des ligatures de longueur
et de grosseur diffi rente , des bandelettes agglutinatives, de
la char[)ie brute, en boulettes et en plumasseaux , des com-
presses longuettes , carnes, et d'autres formes encore ; des
bandes de toile et quelquefois de laine; il faut, en outre ,
avoir de l'agaric, des éponges, de l'eau tiède et de l'eau
froide dans des vases différents, un peu de vin, de vinaigre,
d'eau de Cologne, une lumière , du feu dans un réchaud et
quelques cautères, en supposant qu'il soit utile d'en f;ure
usage.
On a cherché longtemps les moyens de pratiquer les am-
putations sans causer de douleurs , mais tous ces moyens
étaient dangereux ou inutiles; ce n'est, disait-on encore il
y a quelques années, que par son adresse, ses connaissances
ou le choix bien entendu des instruments que le chirurgien
doit prétendre à diminuer ou à rendre moins longues les
douleurs qu'entraîne l'ablation des membres. Il est vrai ce-
pendant qu'un bistouri chauffé à la température naturelle du
corps fait moins souffrir les malades pendant la division des
tissus vivants qu'un instrument froid. Aujourd'hui nous
n'en sommes plus là, par bonheur : avec l'éther ou le chlo-
roforme, bien employé, la douleur peut être supprimée
pendant les amputations , ainsi qu'il sera dit au mot Éthé-
RISATION.
Les^ aides doivent avoir un rôle distinct et bien déterminé!
d'avance : l'un est chaigé de compruiier l'artère ; on choisit
en général pour cet objet le plus fort, le plus grand, ou
celui qui possède le plus de sang-froid et de connaissances;
un second embrasse le membre du côté de sa racine, pour
relever les chairs ; le troisième soutient et embrasse la partie
qu'on veut enlever; un quatrième est chargé de présenter
les instruments à mesure qu'ils deviennent nécessaires; d'au-
tres s'emparent des diverses parties du corps dont les mou-
vements pourraient nuire pendant l'opération.
Avant de porter le couteau sur les tissus vivants, il faut
s'être mis en garde contre Vhémorrhagie. Longtemps on a
eu recours, pour atteindre ce but, à la compression circu-
laire du membre. Peu à peu le lien circulaire s'est perfec-
tionné entre les mains des chirurgiens français. On com-
mença d'abord par le séparer du trajet de l'artère , à l'aide
d'une compresse plus ou moins volumineuse; puis on le
transforma en véritable garot, au moyen d'un petit bâton-
net qui devait augmenter ou diminuer à volonté la compres-
sion du vaisseau pendant l'opération. Ce garot est encore en
usage aujourd'hui; mais pour empêcher la peau d'être
pincée, et pour diminuer autant que possible la compression
sur les points de la circonférence du membre qui ne cor-
respondent pas à l'artère, on applique au préalable, sur
cette dernière, une compresse pliée en plusieurs doubles,
une bande roulée, ou toute autre pelote solide, tandisqu'une
plaque de corne, légèrement concave, est appliquée au-des-
sous de la partie du lien qui doit être tordu, à l'opposite du
membre.
Le tourniquet a rendu l'emploi du garot beaucoup plus
rare. Une fois appliqué, on peut l'abandonner à lui-même,
tandis que le garot a besoin d'être surveillé ou maintenu jus-
qu'à la fin de l'opération.
Lorsqu'on ne peut disposer que d'un petit nombre d'aides,
ou quand ces aides ne sont pas assez instruits pour mériter
la plus entière confiance, dans les campagnes, par exemple,
et (pielquefois aux armées, lorsqu'une circonstance impré\Tie
vient à nécessiter l'amputation d'un membre, le garot, pou-
vant être fahiiqué sur-le-champ et partout, forme une res-
souice précieuse. Le tourniquet, si on peut se le procurer,
aura plus d'avantages encore; mais dans tout autre cas c'est
sur la main d'un aide qu'il faut compter; seulement, lors-
que l'artère se trouve située dans une excavation profonde,
il est bon de se servir d'une sorte de cachet de bureau
garni d'une pelote; de cette manière, la douleur qu'on f<it
éprouver au malade est moins vive, la rétraction des mus-
AMPUTATION
i05
des n'est aucunement g^née, l'opératenr agit librement et
IHHit s'approdior de la racine «les ineinl)res, autant que la
nature du mal l'exiye.
Il y a deux manières générales de traiter les plaies après
Tamputation; tantôt on en rapproche les lèvies le plus exac-
tement possible, et on tâche de les maintenir dans le con-
tact le plus parlait; tantôt au contraire on les laisse écartées,
on place entre elles des corps étrangers et différentes pièces
de pansement. Dans le premier cas, on cherche à obtenir
ce qu'on appelle la rcunion immcdiate ou par première,
intention ; dans le second, on favorise la suppuration, et la
guérison , la cicatrisation ne s'obtient que médiatement ou
par seconde intention, y>àr riUinion médiate.
Le malade reporté dans son lit doit y être placé à l'aise;
un cerceau est chargé de soutenir le poids des couvertures,
de les empêcher de porter sur le moignon, qui , d'autre part,
repose mollement sur un coussin ou drap plié en fanon.
On tient habituellement le moignon dans la demi-flexion
afin que les muscles en soient relàciiés, et, selon quelques
personnes, aussi pour diminuer la tendance des fluides à
se porter vers la plaie.
Une cuillerée ou deux de vin pur peuvent être utiles pour
diminuer la torpeur ou l'abattement momentané ordinaire-
ment produit par l'opération. Le reste du jour on donne
par cuillerée une potion calmante, légèrement anti-spas-
modique, de l'infusion de tilleul, de violette, de coquelicot,
édulcorées avec quelque sirop, pour tisane.
Kxcepté chez les sujets aiïaibiis par de longues souffrances,
la diète la plus rigoureuse est de rigueur aux yeux de la
plupart des chirurgiens. 11 est tout au plus permis d'accor-
der quelques bouillons coupés jusqu'à ce que la réaction gé-
nérale se soit opérée ; en général je suis moins sévère , et
je donne volontiers quelques aliments dès les premiers jours
aux amputés. Le régime des amputés est d'ailleurs le même
que pour les maladies aiguës et toutes les opérations ma-
jeures. Lorsque le malade est robuste , sanguin , que l'opé-
ration a été pratiquée pour une lésion récente, qu'il ne s'est
pas écoulé une grande quantité de sang , le refoulement des
fluides étant à craiiidre, on a beaucoup parlé de l'importance
d'en diminuer la masse pour prévenir les inflammations in-
ternes et les dangers de la réaction géJiérale.
Le premier pansement ne doit avoir lieu, dans les cas
ordinaires, qu'au bout de soixante-douze heures, de quatre
jours même. Les malades le redoutent beaucoup en général.
Autrefois il avait effectivement quelque chose de redoutable
pour eux : aucunes précautions n'étaient prises pour pré-
venir les adhérences de la charpie ou des compresses avec
le fond ou les bords de la solution de continuité, quoiqu'on
eût recours à ce pansement le lendemain ou le second jour
de l'opération , avant que la suppuration fût établie, par
conséquent; on comprend donc qu'aujourd'hui encore les
gens du monde en soient presque aussi effrayés que de
l'amputation elle-même. Sous ce rapport, il faut le dire, les
malades sont agréablement trompés ; les linges ou les ban-
delettes enduits de cérat rendent toujours très-facile la sépa-
ration des autres pièces de l'appareil. Au bout de trois ou
quatre jours, les humidités, le suintement naturel de la plaie,
ont, de leur côté, détruit les adhérences qui auraient pu sus-
dler quelques tiraillements, et le premier pansement ne doit
pas entraîner notablement plus de douleur que les suivants.
Il est de règle de nettoyer le moignon le troisième, le
quatrième ou le cinquième jour, comme dans le cas précé-
dent, et <le renouveler ensuite chaque jour le pansement.
Les ligatures ne tombent ordinairement qu'à partir du
kuitièmc ou dixième jour. Il serait dangereux de chercher
à les faire tomber plus tôt. Mais aussi dès qu'elles tardent
davantage , il n'y a pas d'inconvénient à les tirer doucement
chaque fois qu'on renouvelle l'appareil.
Les accidents auxquels l'amputation des membres peut
donner lieu sont graves et nombreux. Les uns surviennent
DICT.LE LA CO^VEUSATION. — T. I.
au moment même de l'opération, et les autres plus ou moins
longtemps après.
Hémorrliagics. Chez les sujets affaiblis la perte du sang
est de nature à faire naîfre immédiatement les dangers les
plus inquiétants. Elle a queI([uefois lieu avant qu'on ait pu
lier les vaisseaux, soit parce que le tourniquet s'est re-
lâché ou déplacé, soit parce que l'aide exécute mal la com-
I)ression, soit aussi parce qu'on éprouve des difficultés inac-
coutumées à saisir les artères. Du reste , il faut bien se
garder de ranger parmi les hémorrhagies le suintement qui
manque rarement d'imbiber, de tacher l'appareil , l'alèse et
quelquefois même toute l'épaisseur des coussins dès le pre-
mier ou le second jour. Quand même ce serait du sang pur,
et non de la sérosité sanguinolente , on ne doit nullement
s'en eflVayer alors, à moins que le malade n'ait ressenti
quelque alfaiblissement. Règle générale, tant que la force du
pouls se maintient, que la pâleur du visage n'augmente pas,
les ablutions froides et le tourniquet suffisent, si on croit
devoir tenter quelque chose.
Conicité du moignon. Suite presque inévitable de l'am-
putation autrefois, la conicité du moignon est devenue très-
rare aujourd'hui. Quelle qu'en soit la cause, la saillie de
l'os, après les amputations, est toujours un inconvénient
fâcheux ; quand elle est légère néanmoins et sans dénudation,
quand elle est simple, il ne faut pas y toucher. La nature
perfectionnera son ouvrage, finira par déplacer la cicatrice
en ramenant la peau sur le sommet de l'os ; s'il retrouve
de l'embonpoint, le malade voit d'ailleurs assez souvent
cette conicité disparaître en partie et ne pas s'opposer à
l'emploi des moyens qui ont pour but de suppléer au
membre; lorsqu'elle est plus considérable, il n'y a que
l'exfoliation naturelle ou la résection qui puisse en débar-
rasser l'amputé.
L'exfoliation, extrêmement lente à s'effectuer, puisqu'il
lui faut trente, quarante, soixante jours, et quelquefois
même jusqu'à trois ou quatre mois pour se compléter, n'en
doit pas moins être abandonnée à la nature, excepté dans un
petit nombre de cas ; le fer rouge , les caustiques , le nitrate
de mercure , par exemple , ne la hâtent presque en aucune
manière; il vaut mieux se contenter d'efforts légers, renou-
velés à chaque instant sur l'escarre , aussitôt qu'elle devient
mobile, à moins qu'on ne se décide à en faire la résection.
La résection est une opération simple , mais quelquefois
dangereuse et même mortelle. Il faut la pratiquer assez haut
pour ne pas être obligé d'y revenir, pour ne pas craindre
une seconde conicité.
La pourritzire d'hôpital, suite assez fréquente des am-
putations, est une des complications les plus tckcheuses qui
puissent survenir. Dès qu'elle s'est emparée du moignon,
qu'elle envahit les téguments, les muscles à une certaine
distance, que l'os se dénude, et que les topiques, la teinture
diode, le fer rouge ou les caustiques ont été vainement es-
sayés , l'amputation au-dessus de l'articulation voisine, ou,
si la chose n'est pas possible, simplement au-dessus des li-
mites du mal, est une dernière ressource à lui opposer.
A la suite de la réunion primitive surtout, Yinjlammation
s'empare quelquefois du périoste, qui suppure et se durcit.
L'os alors se dénude et ne tarde pas à se nécroser.
Le gonflement inflammatoire du moignon se présente
tantôt sous la forme d'un érysipèle, tantôt avec les carac-
tères d'un phlegmon. Dans le premier cas, si la peau seule
est affectée , les bandelettes emplastiques en sont souvent
la cause, soit parce qu'on les a trop serrées, soit parce
qu'elles renferment une trop forte proportion de matières
irritantes : alors il suffit ordinairement de les enlever, et
d'envelopper pendant quelques jours la surface enflammée
de cataplasmes émoUients. Dans le second cas , l'accident
est beaucoup plus grave , et mérite la plus sérieuse atten-
tion. La phlegmasie se porte rapidement au loin ; les
muscles, la peau, sont bientôt disséqués par le pus; les
fj'i
506
AMPUTATION
tissus Rotis-ciilanés , les traînées cellulaires plus profondes
vont quelquefois jusqu'à se moitilier, et ne tardent pas à
se détacher par lambeaux; une lièvre ataxique ou ady-
namlqiie survient, et met le malade dans le plus immi-
nent péril. La réunion après la suppuration est rarement
suivie d'accidents pareils. Dès que ces symptômes s'an-
noncent, ils doivent être combattus avec énerj;ic. On les
calme quelquefois en mettant à nu toute la surface de la
plaie, pour la panser à plat , ou bien en couvrant le moi-
gnon de sanj^sues, puis de cataplasmes ; mais, quand ces
moyens restent sans succès, ou quand il est trop tard pour
en faire l'application, je ne connais rien de plus efficace que
les incisions profondes et multipliées. En supposant que le
mal redevienne local, après avoir fait naître de nombreux
phénomènes généraux, il en résulte souvent une dénudalion
de l'os, des trajets (istuleux, une conicité du moignon qu'on
ne peut guérir que par une seconde amputation.
Infection purulente; Phlébite. Souvent les veines elles-
mêmes s'enflamment , soit seules, soit avec les parties envi-
ronnantes. Ici , comme partout ailleurs , la phlébite est ex-
cessivement dangereuse. Les symptômes d'adynamie, de
putridité, d'ataxie, qu'elle ne tarde pas à faire naître, sont
presque toujours suivis de la mort; en sorte que c'est un des
accidents les plus redoutables qui puissent se manifester après
les amputations. Les dangers qu'elle entraîne, attribués, jus-
qu'à ces derniers temps, à la propagation de l'inflammation
vers le cœur, dépendent d'une tout autre cause. Le mélange
du pus avec le sang , son transport dans les organes en don-
nent une explication beaucoup plus satisfaisante, ainsi que je
crois l'avoir formellement exprimé le premier, en 1S24, 1825,
1820, et surtout en 1827. La résorption purulente est un
autre accident, dont les dangers sont exactement semblables.
Cystite. On est souvent obligé de sonder les opérés, prin-
cipalement après l'amputation des membres abdominaux ,
et ceci tient quelquefois à l'indammation de la vessie.
Après l'ablation d'un membre, le moignon, qui avait d'a-
bord maigri, devient ensuite le siège d'une nutrition plus
active, augmente de volume, et finit, au bout d'un temps
variable, par se mettre, sous ce rapport, sur la même ligne
à peu près que le point correspondant de l'autre membre.
Les amputés prennent fréquemment d'ailleurs un embon-
point remarquable. Ils acquièrent un smxroît réel d'énergie
dans les organes de la digestion, de la reproduction. Les
fluides vivifiants, obligés de circuler dans nn cercle pli»
étroit, augmentent l'activité de toutes les fonctions, de
même que l'intensité d'une lumière devient de plus en plus
vive à mesure qu'on resserre l'espace qu'elle éclaire ; ils
tendent à revêtir le caractère du tempérament sanguin.
Les efforts salutaires de la nature pour remédier au trop
plein de l'économie, en pareil cas, se manifestent, selon
i'àge et le sexe, par des épistaxis , des hémorrbagies , des
menstrues plus abondantes, la fréquence des selles, une
transpiration et des sécrétions plus copieuses. Aussi est-il bon
de saigner de temps en temps les sujets qui ont subi l'am-
])utation d'un membre, ou de retrancher au moins le quart
de leur nourriture pendant la première année, et qu'ils
s'abstiennent des exercices violents.
Les précautions dont on entouie un amputé avant, pen-
dant et après l'opération, sont d'ailleurs le meilleur moyen
d'en prévenir les suites fâcheuses. Je vais donc les résumer
ici en peu de mots.
Avant l'opération, il faut avoir égard à l'ûge, au sexe, au
moral, à l'état général de la .santé. Chez un enfant, les
iiH'nagemenls préalables n'ont jias besoin d'être portés aussi
loin. Connue les amputations réussissent bien chez eux,
comme les meilleures raisons possibles n'ont que peu de
prise sur leur intelligence, on ne doit pas craindre d'em-
jiloycr la force pour les maintenir. A moins d'urgence, on ne
doit pas aijii)wter les (enmies aux approches des règles ni
pendant la i^rosscssu. i.eur scnsibllile naturelle cxi;;e qu'on
les encourage avec plus de soin encore que les hommes.
Le tout est de les décider : car il est à remarquer qu'une
fois la détermination prise , elles supportent généralement
avec une grande résolution l'opération la plus grave et la
plus douloureuse.
Un adulte qui jouit de sa raison ne doit jamais être am-
puté de force, il faut qu'il y consente de son plein gré. Le
premier rôle du chirurgien est de lui en montrer l'utilité, et
non de la lui imposer par violence. .\ux malades calmes et
résignés on peut dire le jour et l'heure de l'opération ; il
vaut quelquefois mieux les prendre en quelque sorte à l'ini-
proviste quand ils sont pusillanimes ou très-impressionnables.
On cache soigneusement à ces derniers tout ce que l'opé-
ration peut avoir d'inquiétant. Il est permis de parler aux
autres de la douleur, de quelques-uns des accidents qui
pourraient survenir, s'ils ne se soumettaient pas strictement
aux prescriptions qui vont leur être faites. Dans tous les
cas, le mieux est de les entretenir le moins possible de pa-
reils objets. Aucune conversation relative à des malades qui
auraient eu à se repentir d'opérations semblables ne doit être
tenue près d'eux.
Si la maladie est ancienne et douloureuse, le régime ne
sera que légèrement modifié la veille de l'opération. Dans le
cas contraire on diminue par degrés la quantité des aliments,
de manière à ne donner que des potages les deux derniers
jours. Si le ventre était resserré, on administrerait un léger
purgatif ou quelques lavements laxatifs. Les vésicatoires, les
cautères de ' précaution ne sont utiles que lorsqu'il s'agit
d'enlever une maladie très-ancienne, ou de tarir une longue
suppuration; à moins qu'il n'y ait de la fièvre, la saignée est
inutile, attendu que l'opération peut exposer par elle-même
le malade à perdre beaucoup de sang.
Pendant lopération, il ne doit y avoir dans la chambre
que des figures calmes ; les personnes susceptibles de se
trouver mai, ou dont la mobilité des traits pourrait trahir les
craintes, en seront exclues, de même que toutes celles qui ,
par imprudence ou autrement , seraient de caractère à tenir
des propos inconsidérés, à chuchoter autour du lit de dou-
leur. Il convient, au surplus, que le lieu où se pratique
l'opération soit bien aéré, bien éclairé, et suffisamment large
pour que l'air y circule librement. Une température d'envi-
ron 15° est ce qu'il y a de mieux en pareil cas. Du reste, il
ne faut pas que des courants d'air puissent tomber sur le
malade, dont les yeux seront couverts en outre d'une pièce
do linge flottant.
Le malade qu'on ampute doit exhaler librement ses plaintes
et ne pas se contraindre. Il en est qu'on doit engager à crier,
comme il en est d'autres dont il importe de modérer l'agita-
tion. Je n'aime point ces malades qui mangent leurs dou-
leurs pendant qu'on les ampute. Toutes choses égales d'ail-
leurs, l'excès contraire est d'un moins mauvais augure.
Après l'opération, si le malade est très-affaibli , on peut
lui donner une cuillerée de vin sucré ou d'eau rougie; l'eau-
(!e-vie, le vinaigre, l'eau de Cologne ne lui seront mis sous
le nez que s'il menace de se trouver mal. Alors il est bon
de lui tenir la tête basse, et d'attendre quelques minutes avant
de le changer de lit.
Quand il est convenablement nettoyé, on lui passe une
cheniise, après quoi on le place dans le lit du coucher, l'our
cela, une personne forte le prend, du côté sain, par-dessous
les épaules d'une main, et par-dessous les jarrets ou le siège
de l'autre, de manière à ne lui imprimer aucune secousse, au-
cun ébranlement. Une alèse, pliée en quatre, et un coussin
mollet garnissent le nouveau lit, vis-à-vis du moignon, et le
malade doit être place- sur le dos, la tête mo<lérément élevée.
là on doit le laisser tranepiille, éviter de le faire parler, et
rester près de lui pour surveiller les suites de l'opéralion.
Le moignon est cpiehiuefois tourmenté de soid)resauts,
contre lesquels il faut se tenir en garde. Une bride en linge,
fixée l'.ar .ses extrémités au bord du coussin ou du matelas.
AMPUTATION — AMSTERDAM
507
apr6s avoir rroisi* la parlie, suffît dans certains cas pour
les arrêter. Aiitrenioiit, un aide on la garde doit les inodc^rcr
chaque fois en comprimant la racine dn moii^non avec une
certaine! force an moyen de la main. Une cuillerée de potion
c;Umante on anli-spasmodiiiue sera donnée d'heure eu heure,
si le malade est agite on ne s'endort pas. On ne lui oiïrira
de la tisane qu'en petite quantité, pour apaiser sa soif, et
non à titre de médicament. En général, il est inutile défaire
chaulfer ses boissons.
L'appareil se teint naturellement en rouge au bout de
quelques heures, ou dn moins avant la fin du second jour.
Les gens du monde auraient tort de s'en effrayer ; c'est
l'eflVt d'un suintement presque inévitable. On ne s'en occu-
perait que s'il survenait trop vite, et de manière à tra-
verser bientôt et coussins et matelas. Alors l'hémorrhagie
serait évidente et nécessiterait qu'on avertit sans retard le
chii-urgien. En attendant, une compression assez forte «le-
vrait être exercée, vers la racine du membre, sur le trajet
de l'artère. Les malades qu'on ampute pour des lésions an-
ciennes, se trouvant ainsi débarrassés d'une cause perpé-
tuelle de souffrances, sont généralement plus à leur aise
le lendemain que la veille de l'opération. Le dévoiement,
dont quelques-uns pouvaient être affectés, se suspend d'or-
dinaire pour trois, quatre ou cinq jours. 11 est rare qu'on
soit obligé de les saigner. On peut leur accorder dès le
premier jour un léger potage; chez les autres, une saignée
le soir, sil y a de la fièvre, et une autre le lendemain, peu-
vent être fort utiles. A ceux-là on ne permet que des bouil-
lons ou de très-faibles soupes jusqu'au premier pansement.
Pour les garde-robes et les urines, il faut avoir un vase
plat et un urinai, qui puissent être glissés sous le malade
sans le déplacer. Au bout de cinq à six jours , si tout va
bien, on diminue un peu la sévérité du régime. On passe,
par degrés, des potages aux œufs à la coque, aux viandes
blanches, aux poissons légers, et de là aux côtelettes, etc.,
à l'eau rougie, puis au vin pur.
Tant que les fds ne sont pas tombés, les mouvements du
moignon sont à craindre. Après, on aide le malade à se
pencher, à se tourner, tantôt dans un sens, tantôt dans un
autre. Son linge doit être changé toutes les fois qu'il com-
mence à se salir. Aussitôt que la plaie est en pleine voie de
cicatrisation, il est bon de placer chaque jour l'amputé, une
heure ou deux, sur un fauteuil à roulettes. On l'accoutume
ainsi à pouvoir se lever et à marcher sans inconvénient plus
tôt que si on n'avait pas pris cette précaution.
Les premières fois que le malade sort de son lit, il tend
à se trouver mal. Cela n'a rien d'inquiétant, et dépend de la
position verticale qu'il reprend après l'avoir abandonnée
plusieurs semaines. Enfin, quand la cicatrice est faite, il
faut encore tenir le moignon enveloppé pendant quelque
temps, et le prémunir contre l'action des corps extérieurs.
11 est temps alors de songer aux machines capables de rem-
placer en partie le membre perdu , sil en est susceptible,
et qui ont été portées de nos jours à un extrême degré de
perfection.
J'oubliais de dire que beaucoup d'amputés croient pen-
dant longtemps éprouver des douleurs dans la partie dont
ils ont été privés par l'opération, et que ces douleurs, tout
à fait nerveuses ou imaginaires, ne doivent les tourmenter
en aucune façon. VelI'KAU, de i'Acad. des Scienres.
AMRAS. Vof/cz Ameuas.
A.MRI, ou ffamri, général d'Élah, roi d'Israël, apprit,
an siège de Ghibbelhon, que Zambri , commandant de la
cavalerie, avait assassiné son maître, et s'était emparé du
trône. Aussitôt il lève le siège, se fait proclamer roi par son
armée, et court attaquer le légicide dans Thersali, alors ca-
pitale du royaume d'Israël. Investi dans son palais, Zambri
est forcé de s'y brûler avec toute sa famille : il n'avait régné
que sept jours. Cependant un autre compétiteur se lève en
face d'Anni : c'était Thibni, (ils de Ghinath. Ces deux rivaux
se disputaient la couronne depuis quatre ans , lorsque la
mort vint délivrer Amri de son concurrent, et lui assurer la
souveraineté surtout Israël. 11 bâtit Samaric et v transporta
le siège de son empire; mais il fut exterminé avec toute sa
race en punition de son impiété. 11 avait régné douze ans.
A3II10U (iBN-AL-Ass), fils d'une prostituée, fut l'un
des plus habiles et des plus heureux capitaines des coimnen-
cements de l'islamisme. 11 embrassa avec une ardeur ex-
trême la rehgion de Mahomet , pour laquelle il avait d'abord
manifesté une vive répugnance, et fut chargé par le khalife
Omar d'envahir l'Egypte à la tête d'une armée peu nom-
breuse. La complète réussite de celte expédition est demeurée
le principal titre de gloire d'Amrou. Fait prisonnier par les
Grecs à Alexandrie, quand la hache du bourreau était déjà
levée sur sa tête, il ne dut la vie qu'à l'inspiration d'un es-
clave fidèle qui lui donna un soufflet afin qu'on ne vit en lui
qu'im subalterne. Ce stratagème le fit renvoyer sain et sauf.
D'après le témoignage d'historiens dignes de foi, il paraît
que ce ne fut que sur le commandement exprès d' Omar que
fut incendiée la bibliothèque d'Alexandrie, dont Amrou
ne voulut point disposer sans l'ordre formel du khalife.
C'est, du reste, un point historique encore fort controversé
parmi les savants. Quoi qu'il en soit, par sa conduite sa^e
ferme et habile, il sut gagner l'afTection des Égyptiens."'li
fit creuser un canal que les Turcs ont laissé détruire, unis-
sant, par le Nil, la mer Rouge à la Méditerranée. Sauf un court
intervalle, pendant lequel , à la mort d'Omar, le nouveau
khalife, Othman, le rappela, peut-être par défiance, il con-
serva son gouvernement jusqu'à sa mort, arrivée en G63
A:\ÏSCnASPAA'DS. Vofje-. Amcuaspands.
AMSTEilUAM, capitaledu rovaumedes Pays-Lasdans
la province de la Hollande septentrionale, à l'embouchure
de l'Ye, partagée par deux bras de l'Amstel et par plusieurs
canaux en 90 îles , communiquant les unes avec les autres
par 290 ponts , et généralement bitic en forme de croissant,
sur pilotis , n'était encore , au commencement du treizième
siècle, qu'un village de pêcheurs, propriété des seigneurs
van Amstel. Par suite de l'accroissement de sa population ,
l'ancien village obtint, vers le milieu de ce siècle, les droits
et les privilèges de ville. En 1296 les Kennemers, ses voisins,
l'attaquèrent pour tirer vengeance de la part prise par Gys-
brecht van Amstel au meurtre du comte Floris de Hollande ;
ils la dévastèrent, et en expulsèrent même une partie de la
population. Plus tard, celte ville passa avec ÏAmstelland
( territoire riverain de l'Amstel ) sous l'autorité des comtes
de Hollande, qui lui accordèrent de nombreux privilèges. Le
changement survenu dans sa situation politique, quand elle
cessa d'appartenir à de simples seigneurs pour passer sous
les lois des comtes souverains du pays, fut l'origine première
de sa prospérité, qu'acheva de consolider la révolution qui
brisa le joug de l'Espagne sur ces contrées; et bientôt elle
figura au premier rang des cités commerciales des Pays-Bas-
Unis. Dès l'an t5S5, quand Anvers eut été replacé sous l'au-
torité du roi d'Espagne , et lorsque le commerce immense
dont cette place était le centre se transporta en grande par-
tie à Amsterdam , il fallut agrandir considérablement la ville
à l'ouest; et on y comptait déjà 100,000 habitants en 1622.
Mais ces développements si rapides excitèrent la jalousie et
la convoitise de ses voisins. En 15S7 Leicester tenta de s'en
emparer par trahison , et le prince d'Orange, Guillaume II,
en 1650, par surprise. La prudence des deux bourgmestres,
Hoolt et Dicker, déjoua ces tentatives. A la suite de la guerre
que la Hollande soutint contre r.\ngleterre au dix-septième
siècle , le commerce d'Amsterdam déclina tellement qu'en
1653 on ne comptait pas dans la ville moins de quatre mille
maisons vides. Mais il ne tarda pas à se relever.
Les bourgmestres d'Amsterdam jouissaient dans les états
généraux d'une considération telle qu'ils purent pendant
tout le dix-huitième siècle y lutter d'infincDCC contre le sta-
fhouder héréditaire. A celte époque, si brillante, de son liis-
508
AMSTEKDAM
toire , Amsterdam était parvenue h un dcgr*^ de richesse au-
quel aucune autre ville d'Europe n'avait alors rien à comparer.
La réputation de probité et d'économie des Hollandais contri-
bua singulièrement aux développements du commerce d'Ams-
terdam , qui devint le grand marché de tous les produits de
l'Orient et de l'Occident, et dont le port était constamment
encombré de vaisseaux. La guerre que les Provinces-Unies
durent soutenir contre l'Angleterre en 1781 et 1782 causa
des pertes incalculables an commerce d'Amsterdam ; toute-
fois il lui fut encore une fois donné de se relever des suites
de cette redoutable crise. Mais à la suite du changement de
gouvernement arrivé en 1795, sa prospérité alla désormais
toujours en déclinant. La réunion forcée de la Hollande à la
France lui porta le dernier coup , en raison de l'obligation
où se trouva alors la Hollan<le d'épouser les intérêts français
dans toutes les guerres que la France eut à soutenir contre
les autres puissances. Le roi Louis Bonaparte s'efforça pour-
tant de vivilier le commerce de la Hollande à l'aide de di-
verses mesures assez habilement combinées : c'est ainsi qu'en
1808 il transféra à Amsterdam le siège du gouvernement.
Mais Napoléon n'en convoita dès lors que plus ardemment la
possession de la Hollande; et l'hostilité qu'il témoigna à son
frère entraîna pour le pays de notables préjudices. L'absorp-
tion de la Hollande par la France en 18 tO acheva la ruine
du commerce extérieur d'Amsterdam , en même temps que
l'introduction du monopole du tabac au profit du nouveau
gouvernement et l'organisation du service administratif dési-
gné sous le nom de droits réunis, exerçaient la plus désas-
treuse influence sur le commerce intérieur du pays. Ce ne
fut qu'à partir de 1813 que le commerce reprit à Amsterdam
une grande activité. Les immenses capitaux possédés par les
grandes et anciennes maisons de cette place, la solidité des
transactions dont elle était redevenue le théâtre , l'habile
intelligence avec laquelle s'y fait la commission, et une foule
d'institutions propres à aider le commerce et à donner de la
sécurité à ses opérations, lui ont fait regagner tous .ses
avantages sur d'autres grands centres commerciaux.
Du côté du port, la ville, en raison de ses nombreux clo-
chers , présente un aspect des plus pittoresq\ies. Du haut
du pont de l'Amstel, qui n'a pas moins de 220 mètres de
long, de même que de la porte de l'est, on jouit d'un coup
d'œil magnifique. Amsterdam était jadis une place forte de
premier rang, défendue par vingt-six bastions et par des
ouvrages qu'on pouvait inonder à volonté. Aussi Louis XIV
lui-même estima-t-il dangereux de l'attaquer. Cependant en
1787, après la prise des villages retranchés qui l'avoisinent,
elle dut ouvrir ses portes à une armée pnissienne assez peu
nombreuse. Par suite des progrès qu'a faits l'art de la guerre,
on ne peut plus aujourd'hui défendre Amsterdam qu'en inon-
dant toute la contrée qui l'avoisine; mais il ne faut pas
qu'un hiver comme fut celui de 1794 à 1795 rende inutile ce
moyen de défense. La gelée étant venue, en eflèt, solidifier
la masse d'eau amenée ainsi autour de la ville , Pichegru
put facilement s'en emparer le 19 janvier 1795. Du côté de
Harlem, Amsterdam est couverte par l'écluse de Halfwegen,
et à l'est par la forteresse de Naarden. Dans le demi-cercle
que décrivent du côté de la terre les délimitations de la ville,
les canaux des Princes, de l'Empereur et des Seigneurs for-
ment avec le Cengel un grand nombre de demi-cercles moin-
dres, aboutissant tous à l'Amstel ou au golfe del'Ye.
Parmi les édifices publics, l'ancien hôtel de ville, construit
de 1C48 à 1655, sous la direction de l'architecte Jacob van
Kampen , est surtout célèbre. C'est dans les caves de cet
édifice qu'est déposé le trésor de la Banque. Ce magnifique
bâtiment, élevé sur 13,159 pilotis, a 94 mètres de long, 78
mètres de large et 38 mètres de haut. La tour ronde dont il
est surmonté s'élève encore à 70 mètres au-dessus du faite.
Plusieurs peintres et sculpteurs nationaux du dix-septième
siècle ont contribué à en décorer l'intérieur. Aussi le patrio-
tisme hollandais fut-il vivement irrité de voir, en ISOH, le roi
Louis Bonaparte faire choix , pour y établir sa demeure, de
cet édifice, où on avait transféré précédemment le muséum
de la maison de Plaisance appelée le Mis, et située près de
La Haye, et des valets en livrée occuper les salles où les
membres du vénérable corps municipal se réunissaient au-
trefois pour délibérer sur les intérêts communs de la cité.
On ne saurait disconvenir toutefois que la salle du trône qui
fut alors construite pour approprier l'édifice à sa nouvelle
destination , ne soit peut-être la plus belle qui existe en Eu-
rope. Aujourd'hui encore, quand le roi des Pays-Bas vient à
Amsterdam, c'est là qu'il demeure. Les autorités municipales
siègent dans l'édifice appelé autrefois Maison des Princes.
La vieille Bourse, construite de IGOSà 1613, et sous laquelle
l'Amstel vient se jeter dans le Damràck , a été abattue ré-
cemment et remplacée par une construction nouvelle. L'hôtel
do la Compagnie des Indes , les chantiers de construction de
l'État et les magasins de la Kattenburg sur l'Ye, servent au-
jourd'hui aux besoins du commerce et de la navigation. En
1 820 la population d'Amsterdam n'était que de 180,000 âmes ;
elle est aujourd'hui de 222,600 habitants, dont 47, 000 catho-
liques , 37 ,000 luthériens, 2,000 anabaptistes, 22,000 juifs
allemands et 2,500 juifs portugais , 800 remontrants, etc.
Parmi les causes de la prospérité du commerce d'Ams-
terdam , nous mentionnerons le grand nombre de ses chan-
tiers de construction et de ses fabriques de toiles à voiles,
de cordages et de tabac, ses ateliers de polissage et de taille
de diamants, ses manufactures de draps, de pluches et d'é-
toffes de soie, ses fabriques d'orfèvrerie, de céruse, de pro-
duits chimiques, ses raffineries de sucre, ses brasseries et
ses distilleries de genièvre. Enfin , l'exportation des grains et
des produits coloniaux constitue encore un des éléments les
plus importants de ses relations commerciales.
Le b'i édifice appelé Trcppenhmis , où se Tàssemh\ent
l'Académie des Beaux-Arts et l'Académie des Sciences , la
société Félix meritis, fondée par le commerce, la société
Doctrina et amicitia, la société Tôt nut van t'AUgemeen,
l'excellent Musée de Lecture , différentes associations musi-
cales, les théâtres hollandais, français, allemand, le jardin bo-
tanique dépendant de VAthenasum illustre, un jardin zoo-
logique à l'instar de celui de Londres, et des écoles latines
justement célèbres, témoignent du goût des habitants d'Ams-
terdam pour les arts , les lettres et les sciences. L'hôpital de
la Vieillesse, différentes maisons de refuge et d'oi-phelins ,
des établissements pénitentiaires, une école de navigation ,
de nombreuses sociétés de bienfaisance pour l'entretien de
divers établissements et institutions de charité, enfin la foule
d'églises , de temples et de synagogues qu'on rencontre dans
cette ville, prouvent en oulre combien est vif et profond dans
la population le sentiment de la bienfaisance de même que
l'esprit religieux. On compte à Amsterdam dix-huit églises
catholiques, dix églises réformées hollandaises , une fran-
çaise, une anglaise, une église grecque et jusqu'à une église
arménienne. La plus belle église est la A'ieuwe-Kerk (la nou-
velle église ou église Sainte-Catherine) sur la digue. Elle ren-
ferme les tombeaux de Buyter, de Van Galen et de Vondel.
Son orgue et sa chaire sont généralement admirés. Dans
VOudc-Kerk (vieille église ou église Saint- Nicolas), on a élevé
des monuments à la mémoire de Heemskerk, de van def
Zaan, de Sweerts et de van der Huist, héros célèbres
dans les annales maritimes de la nation. L'église de l'Ouesl
a une tour de toute beauté. En dépit de tant d'avantages ,
Amsterdam otïre le grave inconvénient d'une température
extrêmement humide, et de miasmes méphitiqiies exhalés en
été par l'eau stagnante de ses canaux. On y souffre aussi du
manque de bonne eau potable ; et ses maisons, généralement
très-hautes et très-étroites, sont fort incommodes.
La construction au canal de le. Nouvelle-Hollande, i\o\\i
les premiers travaux remontent à l'année 1820, a remédie à
deux graves inconvénients que présentait le' port d'Ams-
terdam : la nécessité où l'on était précédemment, en raison «te
AMSTERDAM — AMURATH
509
Texistonce i» TiMitréo ilu port il'iin banc de sable appelé Pnm-
p»5, d'alléger dune partie de leur cargaison les navires à fort
tirant d'eau pour leur en permettre l'accès ; et les dillkullés
qu'olfre, par des vents contiaires, la navigation du Zuyderaée,
en raison du peu de profondeur de ses eaux. Ce canal , ()ui
met Amsterdam en communication directe avec la mer d'Al-
lemaune et qui aboutit au port de Nieuvve-Diep, a huit niMres
soixante-six centimètres de profondeur sur quarante-deux
mètres de largeur là où il a les moindres proportions, et pré-
sente un développement total d'environ huit kilomètres. Il est
partage par deux écluses assez grandes pour (ionner pas-
sage a des vaisseaux de ligne, lieux grands reinDrcjneurs à
vapeur font francliir en dix-liuit heures ce canal aux na-
vires marchands avec leur chargement complet. Consultez
Nieuwenhuys, Proeve eener geneeskundige plaats-be-
schrijving (ter sttid Amslcrdam (4 vol., 1S2C), et Geys-
heeik, Tableau statistique et histor que d'Amsterdam.
.tVAIULETTE (du btin amoliri, écarter, détourner; ou
de l'arabe hamalecth, attache, objet suspendu). C'est un
pa'servatif imaginaire quelconque , auquel la crédulité ou
la superstition attribue la puissance d'écarter les dangers ,
les sortilèges, ou les maladies. Il semble que la nature hu-
maine se prête merveilleusement en tout pays à la confiance
dans ces objets de culte ou de vénération , et il n'est donné
qu'à peu d'esprits de se dégager complètement d'une pareille
faiblesse.
Les peuples sauvages américains , les nègres , les insu-
laires de la mer du Sud , ont leurs amulettes , consistant en
quelques pierres taillées et polies , en un morceau d'or, un
fruit sec, une représentation grossière d'homme, de divi-
nité , une figure obscène , ou dans certain-s caractères ma-
giques ou mystiques. Les fétiches, les grigris des nègres,
les manitous des sauvages du nord de l'Amérique, les pa-
piers mystérieux des Chinois, la plupart des dieux de l'ancien
paganisme , ceux que le lamisme et le bouddhisme , dans
les Indes , le Thibet , la Tartarie , proposent à ladoration
des peuples, les animaux sacrés de l'antique Egypte, les
anneaux magiques, et mille autres objets i|ue les curieux
amassent dans leurs collections, sont aussi de prétendus
préservatifs. Tous les peuples ont donc usé d'amulettes ;
c'est un phénomène observé sur tout le globe. 11 y en a eu
Bon-seulement parmi les Égyptiens, mais parmi les Hébreux,
les Grecs, les Romains, parmi tous les peuples de l'anti-
quité, parmi les chrétiens, parmi les mahométans. L'as-
trologie du moyen âge en multiplia l'usage. Si le grand lama
envoie des sachets de ses excréments aux potentats de
l'Asie, qui les portent avec respect en amulettes, ailleurs
on en peut citer d'autres espèces : la poudre de crapaud , la
ràpure de crine humain, l'ongle d'tlan, des araignées, etc.,
portés en sachets, ont guéri, dit-on, des fièvres ou d'autres
maladies.
Eh ! pourquoi non, si l'on a une foi vive? Le nîot abra-
cadfli^r a, décomposé, a pu agir sur l'imagination, et l'on
a lu dans Montaigne comment il s'y prit avec un anneau
prétendu constellé pour guérir un paysan nouvellement
marié qui se croyait ensorcelé : on lui avait noué V aigui l-
lette, selon la superstition de ce temps. Un Turc attache
à la doublure de son doliman des versets du Coran, et le
juif se munit prudemment en voyage de phylactères ou
maximes de r.\ncien Testament pour échapper aux voleurs.
De peur que les chiens ne soient atteints de la rage, on
les marque au front d'un fer rouge représentant le cornet
de saint Hubert. Un derviche , un marabout , drlivre ,
moyennant finance, à un Aral)e, à un Turc, telle sentence
du Coran propre à faire réussir ses projets : si ceux-ci man-
quent, c'est la faute de l'homme qui aura oubhé queicjue
pratique ou simagrée ; la relique est toujours infaillible.
Une petite image de saint iNicolas garantit le soldat russe
de la mort.
Les médecins , qui , plus que tous les autres hommes ,
ont besoin de soutenir l'imagination des malades contre un
grand nombre d'affections , usaient jadis de certaines pres-
criptions, préservatifs, ou talismans : les religions ne dé-
daignent pas ces pratiques , car la foi est capable de trans-
porter des montagnes. Si vous détrompez tel esprit faible
des vertus d'un sachet de son apothicaire, la fièvre va la
reprendre, et vous pouvez n'avoir aucun autre procédé
pour retremper son àme abattue par la crainte ou le déses-
poir. Pensez-vous communiquer autrement de la vigueur
à telle constitution d('bile, éimisée de souffrances et de cha-
grins? Si tel talisman, par lui-même insignifiant, possède
aux yeux d'un hypochondriaque ou d'une femme délicate ,
des propriétés victorieuses que nul autre médicament ne
saurait égaler, vous vous privez d'un agent tout-puissant ,
vous coupez la racine de l'espérance et de la guérisou.
Il y a , il y aura toujours des esprits faibles : pour eux
les amulettes seront nécessaires, ou plus efficaces, du moins,
que tout autre remède. C'est le charme de l'impuissance et
le secret des esprits supérieurs ; ils opèrent avec prestige ,
non moins que les charlatans. ÎNIahomet fit ainsi des mira-
cles. Le magnétisme a ses amulettes : possunt quia passe
videntur. Combien de maladies morales ou mentales ne
sauraient être guéries que par des moyens superstitieux !
C'est enlever à la médecine son plus puissant levier que de
détromper le malade de la vertu de plusieurs remèdes.
On demande s'il est utile que les hommes soient trompés
pour leur avantage. Sans doute , si cet avantage ne peut
être obtenu par une autre voie. La multitude, toujours igno-
rante, sera toujours la proie des superstitions. Les charla-
tans, soit politiques, soit religieux ou autres, peuvent en
profiter, nous le savons ; voilà l'unique danger de ces pra-
tiques , et ce qui les fait répudier comme trop susceptibles
d'abus. Cependant papiers , monnaies , signes représentatifs
de puissance, de croyances , de supériorités morales, etc.,
tout est amulette parmi nous. On a besoin de foi en quel-
que chose pour vivre heureux : le désenchantement de tout
serait la mort. J.-J. Vikey.
AMUILVTII, ou plutôt Motirad , mot arabe qui si-
gnilic dcsiré. L'empire Othoman a eu quatre sultans de
ce nom.
AMiJRATH 1", fils du sultan Orkhan , parvint à l'empire
en "Cl de l'hégire ( 1360 de J.-C. ), à l'âge de quarante et un
ans. il organisa la fameuse milice des janissaires, insti-
tuée par Orkhan, et se rendit la terreur des princes grecs et
ctuétiens. Les Othomans , maîtres d'une grande partie de
l'Asie Mineure, convoitaient le continent d'Europe, .\nmrath
se rendit maître d'Andrinople, où il transféra le siège de
son empire. Les peuples voisins de l'Albanie et de la Macé-
doine, alarmés de ses progrès, formèrent contre lui une
ligue offensive ; mais elle fut anéantie dans une seule vic-
toire qu'il remporta en 13S9, à Keoss-Ova ou Cassovie,
contre les Boulgares, les Serviens et les Hongrois. 11 con-
templait ses sanglants trophées au milieu du champ de ba-
taille , lorsqu'un prisonnier chrétien , ranimant ses forces ,
s'élança sur lui et l'étendit roide mort. 11 eut pour succes-
seur Davezid ou Bajazet.
AMURATH H, fils et successeur, en 824 (1412 de J.-C),
de Mahomet 1"", se vit disputer l'empire par un imposteur
qui, se faisant passer pour Mustapha, fils de Bajazet, était
parvenu à s'emparer de presque toute la Turquie d'Eu-
rope. Mais le manque de foi de cet aventurier envers les
Grecs, ses alliés , le précipita du faite de ses prospérités , et
Amurath le lit pendre. Celui-ci attaqua vainement Constan-
tinoplc. 11 lut plus heureux dans ses guerres contre les Vé-
nitiens, auxquels il prit Thessalonique en'l429, et contre
les Serviens, qu'il subjugua, malgré les exploits du fiimeux
Huniade, Vciivode de Transylvanie, leur général, qui dé-
fendit avec gloire et succès la ville de Belgrade. La viola-
tion par les chrétiens d'une trêve de dix ans, qu'il avait
conclue avec Ladislaf , roi de Hongrie, fut le prélude d'une
510 AMrRATII — AMUSEMENTS DE L'ESPRIT
guerre lorriblc et d'une grandi; l)ntaillo livue à Varna le
10 novend)rc 1444, dans laquctllc Ladislaf iHîrit sous les
coups des janissaires , en combattant corps a corps Aniu-
ratl) , qu'il avait rencontré dans la nu-lée. Par un bizarre
caprice, il descend tout à coup du tnJiie en 1445, et remet
les rênes de l'empire aux mains inexpérimentées de son lils
M ail omet II , à peine ûgé de quinze ans. Le désordre et
la confusion que ce jeune prince ne sait pas réprimer ( lui
(jui devait plus tard faire trembler la cbrétienté) forcent
Amurath à ressaisir le pouvoir souverain après moins de
quatre mois d'abdication. Une révolte des janissaires , qui
venaient de dévaster Andrinople , fut comprimée par sa pré-
sence. H fut moins heureux dans son expédition contre le fa-
meux Scander-Beg, prince d'iipire et d'Albanie, qui avait
secoué le joug de la Porte. Quelques succès partiels, que lui
vendit chèrement Iluniade, ne le dédommagèrent point de
cette guerre malheureuse. Il mourut en 1451, à Andrinople.
AMUP.ATH III, fils aîné de Sélim II, annonça son avè-
nement, en 1573, par le massacre de ses cinq frères , dont
le plus âgé avait à peine huit ans. Ce prince était très-belli-
queux , quoiqu'il ne fit jamais la gui-iTe en personne ; ses
armées reconquirent Tauris avec trois provinces sur les
Persans, subjuguèrent les Maronites du mont Liban, et le
rendirent maître de l'importante place de Raab, en Hon-
grie. Amurath III mourut le 17 janvier 1595, détesté de
ses sujets , et universellement méprisé pour sa cruauté et ses
débauches. C'est à lui que les Othomans doivent de pos-
séder à Constantinople le Sandja-ChériJ, étendard du Pro-
phète, qui appartenait aux sultans mamelouks d'Égjpte.
AMUR.\TH IV, né en 1609, devint empereur des Turcs
en 1G23. X peine âgé de quinze ans, et au milieu des conjonc-
tures les plus difficiles , il trouva dans l'énergie de soit ca-
ractère une ressource non moins puissante que celle des
armes pour se faire redouter de ses ennemis et de ses su-
jets rebelles. La conquête de la Babylonie , qu'il consomma
en 1G38 sur les Persans, lui eût acquis une gloire durable
si, après le troisième siège de Bagdad, il n'eût souillé sa
victoire par le massacre de 30,000 Persans qui avaient mis
bas les armes, et par celui de la population entière, sans
distinction de sexe ni d'âge. Ce fut le premier sultan (jui
osa porter le mépris pour les préjugés de son peuple jus-
qu'à autoriser par un édit l'usage du vin. C'était une ma-
nière de justilier les honteux excès qu'il faisait de celte
boisson avec .ses favoris. Cependant, malgré ses vices,
malgré sa cruauté, et quoique sa mort, arrivée le 8 fé-
vrier lfi40, à trente et un ans, fût causée par un de ses
excès d'ivresse, il fut regretté de ses sujets, à cause de la
terreur salutaire que son seul nom inspirait aux concus-
sionnaires et aux prévaricateurs.
AMUSEMENTS DE L'ESPRIT. Kous comprenons
BOUS ce titre tout ce que les Romains entendaient par leur
Nugx dijficiles, riens difficiles, bagatelles difficiles ; mais
nous attachons à cette partie de la littérature plus d'impor-
tance et de gravité que n'en comporte la définition latine.
Nous avouons même que nous sommes vivement blessé
de l'espèce de dédain que l'on affiche pour ces exercices in-
téressants de l'intelligence humaine; blessé au cœur, parce
que nous avons passé toute notre jeunesse à les méditer,
«■t (pi'il est cruel de voir frapper de nifnlité les objets de nos
('tildes les plus consciencieuses; blessé , parce que nous
tii)u\onsdaus re.\))loilation de la littérature contemporaine
une foule de branches auxquelles la définition s'adapterait
bien plus mrrveilleusenienl qu'à î\o<iacrosticfic.<; , à nos lo-
Oogrip/ics, à nos énigmes bien aimées , et cpi'il est dur de
voir le mépris tomber sur des têtes chéries lorsqu'il y a
pour lui large place ailleurs.
Hélas! nous n'ignorons pas que ces j.-'ux de l'esprit sont
tombés dans l'outrage et l'oubli; le Mercure a disparu de-
puis longtemps, et avec lui son charmant cortège d'énig-
mes, de charades et de logogriphes. Leur hère le JlcOus \
soûl est resté parmi nous, grâce à l ''Illustration et .î bien
d'autres joutniiiix illtisires et illustrés, pour le menu
plaisir des gens qui n'ont rien à faire et des provinciaux.
L'acrostiche ne se réveille que sous la plume de l'écolier
qui fêti! les verdis de son père, de son aïeul ou de son pé-
dagogue; le calembour tomba, après la retraite d'Odry,
dans l'héritage exclusif d'un écrivain, porteur d'un nom il-
lustre, aussi aveugle qu'Honièreet plus voyageur que Byron ;
mais ce peu clairvoyant lutta en vain contre l'indillérence du
siècle, siècle impie, qui a laissé mourir une seconde fois
M. de Bièvre, qui rirait au nez du Sphinx, et qui n'aurait
jias un Qildipe, si le Sphinx revenait avec une énigme et la
peste! A peine nous reste-t-il en France quelques héritiers
de ces merveilles qui se perdent, hommes rares, obscurs
et modestes, que vous coudoyez dans la rue sans les voir,
et que vous ne saluez pas. Jeune homme! c'est par celte
indifférence coupable que s'explique la décadence littéraire
vers laquelle nous marchons à grands pas ; c'est elle qui
me donne le secret des horreurs dont le drame et le roman
nous inondent. Le règne du simple et du vrai s'est évanoui
avec celui de l'acrostiche et du rébus. Tout se lie, tout se
tient ; dès que le rire se fit prier, les larmes devinrent diffi-
ciles ; dès (jue ces rieyis charmants cessèrent d'amuser le
public, le public ne pleura plus à Racine. Nous livrons à
l'examen de nos lecteurs cette proposition , qui semble
paradoxale , que le temps et l'espace ne nous permettent
pas de développer.
Nous raconterons dans des articles séparés les caprices
gracieux de cette littérature innocente et candide, et il ne
nous serait pas difficile de démontrer la haute supériorité de
ces futilités apparentes sur les chefs-d'œuvre de notre grave
et sérieuse époque. Las de meurtres , d'incestes et d'adul-
tères, en vous rappelant ces jeux innocents de l'intelligence,
nous voiUoiisque vous pleuriez avec nous les jours où l'es-
prit humain, se plaisant à d'aimables tours de force, se pliait
à toutes les folies de l'art, souple comme Mazurier, habile
comme madame Saqui sur le lil d'archal ou la corde roide.
Pourquoi faut-il que l'ordre alphabétique nous force à
vous renvoyer aux mots Acrostiche , Ajnagp.amme , AMPnr-
couRi, genre Bcrlesque, Charake, Calembour, Quolibet,
Con A l'ane, Énigme, Symbole, Devise, Emblème, Rébus,
Vers MACARONiQUES, numéraux, entrelardés, Tautogram-
MES, Écno, Rime batelée, brisée, consonnée, empékière,
Équivoque, Bouts Rimes, Sonnets, Triolets, etc. , etc.,
nous aurions fait passer sous vos yeux à la suite les uns des
autres tous ces aimables amusements , et il vous en serait
resté des impressions douces, joyeuses, riantes, sans amer-
tume aucune pour le cœur qui les a reçues. En les compa-
rant à celles que vous puisez chaque jour dans la lilté-
rature actuelle, vous verriez si elles ne sont pas cent fois
I)féférables aux sensations âpres, rudes et violentes des
conceptions de notre temps. Voulez-vous en juger sur un
échantillon, lisez seulement ces petites pièces où la poésie,
non contente de parler à l'esprit et au co'ur, a voulu peindre
aux yeux ; voyez-la se façonner en losanges, se couler en
verre et en bouteille, se mouler en croix.
Panard a fait une chanson en losange qui a bien douze
couplets; voici le premier :
Tes
Attraits
Pour jamais.
Belle Elvire ,
M'out su réduire
Sons ton doux empire :
Conlcnt quand je le vol.
Mon ardeur pour toi
Est cxliôine.
De ini'iue
Aimc-
Mui.
L.i poésie française s'est essayée dans ce genre avec beau*
AIMUSEMENTS DE L'ESPRIT — AMUSEMENTS DES SCIENCES
511
cvtuj» (U' succès. Le m^^mc Panard a fait deux couplets fort
délicats , l'un sur la bouteille , l'autre sur le verre. îNous
les livrons ici
nos lecteurs :
l'un en regard de l'autre , à la curfosité de
Nous ne pouvons rien trouver sur la terre
Qui soit si bon ai si beau que le Terre :
Du tendre amour berceau rharinant ,
C'est toi , champêtre fougère ,
C'est toi qui sers à faire
L'Iieureux instrument
Où souvent pétille ,
Mousse et brille
Le jus qui rend
Gai , riant ,
Content.
Quelle douceur
Il porte au cœur!
Tôt,
Tôt,
Tôt,
Qu'on m'en donne ,
Qu'on l'entonne !
Tôt,
Tôt,
Tôt,
Qu'on m'en donne!
Vite et comme il faut
L'on y voit sur ses flots chéris
Najjer l'allégresse et les ris.
Que mon
Flacon
Me semble bon!
Sans lui
L'ennui
Me nuit.
Me suit.
Je sens
Mes sens
Mourants,
Pesants.
Quand je la tien ,
Dieux ! que je suis bien !
Que son aspect est agréable
Que je fais cas de ses divins présents!
C'est de son sein fécond, c'est de ses heureux flancs
Que coule ce nectar si doux, si délectable,
Qui rend tons les esprits, tous les cœurs satisfaits.
Cher objet de mes vœux , tu fais toute ma gloire.
Tint que mon cœur vivra, de tes charmants bienfaits
Il saura conserver la fidèle mémoire.
Ma muse à te louer se consacre à jamais.
Tantôt dans un caveau, tantôt sous une treille.
Ma lyre, de ma voix accompagnant le son.
Répétera cent fois cette aimable chanson :
Règne sans fin, ma charmante bouteille;
Règne sans cesse , mon cher flacon.
Connaissez-vous beaucoup de produits de la musc con-
temporaine aussi agréables que ceux-là?
Voyez encore, dans une autre langue, jusqu'où la poésie
pousse la complaisance. Que de clarté, de prt'cision, d'i-
mages animées et poétiques , dans la pièce suivante, en
dépit des embanas de la dilficulté vaincue :
Trépida
Fnigilis
Reaque
tlouiinis
Anima,
Necss in a-vida barathra , scderis onere ruerat.
Pia remédia reperiet amor : obit homo Deus !
Macula luitur : bomiois anima cruce redimitur.
Solita
Spolia
Repelit
Rutilus
Ciiluber :
Rjbidus
Inhiat,
Gemitat,
Ululât;
Locaqae
Picea ,
Olida
Spalia
Peragrat
Vacuus.
At liomo
Supera
Poterit
L)t amet
l'eterc
Solyma ,
Sedct ubi Dcas ,
Dominus ubi lacilior
Buna rclribuit inopibus ; ubi
Tcnuia leviaque, crucis ope, cumulât
Mérita : neque gravia strepere tonitriia ])alitur.
Dans l'espoir de jeter du ridicule sur ces futilités brillanles
qu'on appelle des amuseîtients de l'esprit, on a laronté sou-
vent la manière dont Alexandre récompensa ce co; lier qui
avait appris, après bien des soins et des peines, à louriier un
cliar sur la tranche d'un écu. Que fit-il? Il le lui donna...
C'est qu'en vérité Alexandre le Grand ne pouvait pas trouver
de cadeau plus riche à lui faire. Jules Sandeau.
AMUSEMENTS DES SCIENCES. Tout en traitant
de hautes questions spéculatives ou d'utilité pratique, le
savant rencontre quelquefois des combinaisons singulières ,
dont le mécanisme , ordinairement fort simple , produit des
résultats qui aux yeux du vulgaire prennent l'aspect du
merveilleux. Dans les sciences physiques , surtout , il est
une foule de cas où les propriétés particulières des corps
présentent de curieuses applications. Dans l'antiquité, les
prêtres païens , ayant arraché quelques secrets à la nature ,
s'en firent une arme pour maîtriser la multitude ignorante ;
plus tard, les augures s'appuyaient sur de prétendus pro-
diges qu'ils exécutaient adroitement, à l'aide de quelques
connaissances en physique. De nos jours, on voit encore
sur les places publiques quelques physiciens saltimbanques,
des tireurs de cartes exécutant des tours dont les bases re-
posent sur certains calculs qui ne les trompent jamais ; nous
ne parlons pas de la prestidigitation. Tout cela n'est
plus qu'un amusement pour les badauds qui encombrent les
quais ; mais autrefois la population regardait les charlatans
comme des sorciers, et plus d'un a été brûlé pour avoir
employé les quelques dispositions mathématiques de son
esprit à des jeux inutiles, dont l'étrangeté le faisait supposer
en relation avec le diable.
Donnons un exemple d'un amusement arithmétique : pen-
sez un nombre, triplez-le , ajoutez-y 12 , prenez le tiers
du total, retranchez le nombre pensé, il reste 4. La clef
est facile à saisir; en général , toutes les fornudes d'algèbre
peuvent fournir des applications analogues.
En voici encore un autre. La grande aiguille d'une montre
est sur midi ; celle des heures sur trois heures , quelle heure
sera-t-il quand la pi'emière de ces aiguilles passera sur l'autre?
On sait que l'aiguille des miimtes va douze fois plus vite que
celle des heines : divisez donc l'avance 15 qu'a la petite
aigin'lle par 11 , quantité que l'autre gagne sur elle par mi«
nute, et multipliez le quotient 1 -^, par 12, le produit 10 -^
^ ous apprendra que la grande aiguille passera sur l'autre h
l() minutes v; de minute après-midi.
Aux anmsemeuts scicnlilique: d'un ojdic un peu plus clc-
612
AMUSEMKNTS DES SCIENCES _ AMYCLÉE
Té, se rapportent, en matliéniatiqiies, lecarré niagi(iue,
les nombres amiables, etc. ; en perspective, l'anamor-
pliose; en mécanique, les automates; en pliysique , la
fontaine de Héron, à jamais illustrée par les Confessions
de Jean-Jacques; en cliimie, l'encre sympathique; et
cent autres ([ui , offrant un véritable intérêt , comme ceux
(jne nous venons de citer, trouveront leurs places respec-
tives dans des articles spéciaux.
AMUSETTE, pièce de canon qui lançait des boulets
d'une livre, et dont on se servait dans les guerres de mon-
tagnes. On peut la transporter et la faire manœuvrer très-
facilement et avec beaucoup de prestesse. Le maréciial de
Saxe s'en servait souvent ; le comte Lippe-lîuckeburg y fit
faire quelques améliorations importantes et les introduisit
dans l'armée portugaise : chaque peloton avait une aumsette
qui é'tait servie par cinq hommes. Le duc de Saxe-Weimar
nmnit également ses cliasseurs d'amusettes en 1798. Au-
jourd'hui , on ne s'en sert plus chez aucune nation.
AMUSSAT (Jea.n-Zlléma), un des chirurgiens les
plus habiles de la génération qui a succédé au célèbre Du-
puytren, naquit à Saint-Maixenl (Deux-Sèvres), le 21 no-
vembre 179G. Venu à Taris après d'iniparlailes études,
vers les dernières années dereiniiire, il était chirurgien
sous-aide dans l'armée dès iSli. Il étudia ensuite son art
sous le (ameux Boyer; en 1S16 il était externe à l'hôpital
de la Charité. Mal servi par les concours, la vive amitié de
^L Lsquirol l'institua interne au grand hospice de la Sal-
pètrière , où il passa studieusement plusieurs années. Il fut
ensuite aide d'anatomie ou sous-prosecteur à la Faculté. Dès
cette première époque , il man'festa sa grande aptitude pour
la chirurgie par des dissections délicates et par diverses
inventions d'instruments. C'est ainsi qu'en t817 il inventa
le rachitome, instrument commode et ingénieux, ayant
pour objet de mettre à nu la moelle épinière dans son canal ;
et l'on doit dire que cette invention lavorisa les expériences
de pliysiologie et les recherches médicales dont cette moelle
nerveuse devint ensuite l'objet, .\mussat prit également
uise part glorieuse, sinon initiale, à la mémorable décou-
verte de la lilhotiitie. M. Ler.oyd'EtioUes, .iel8i7 a 1822,
proposa en effet, plusieurs instruments pour broyer les cal-
ciiLs de la vessie dans l'organe méuie. Cepemlant ime difli-
cuUé arrêtait M. Le Roy -. ses instruments, pins gros que
les sondes ordinaires, étaient courbes comme elles, et cette
circon.stanceen rendait riiitroduction fort difficile, pour ne
pas dire impraticable. C'est ici que le génie inventif de
M Amussat vint en aide au premier inventeur. M. Amussat
prouva en effet, au mois d'avril 1822, qu'il était possiblede
pénélrer avec des sondes toutes droites. Il est vrai que ce
fait avait été connu et publié autrefois par d'autres auteurs
(outre autres par Santarelli), mais on l'avait oublié, et
M. Amussat l'ignorait. A partir de 1822 M. Le Roy d'É-
liolies et M.Civiale purent introduire des instruments droits
dons la ve.^sie et y broyer des calculs. Ajoutons, au reste,
afin d'être entièrement véridique , que l'idée mère de
l'invention a pour premier auteur M. Le Roy d'Étiolles ;
M. Amussat lut celui dont les recherches la rendirent pos-
sible, et M. Civiale celui qui, le premier et le plus heureux,
la prati(pia avec succès sur l'homme vivant. Voilà quel est
entre ces trois hommes le juste partage d'une découverte
impérissable.
M. Amussat réalisa plusieurs autres inventions. Ce fut lui
qui lit connaître la possibilité d'arrêter les hémorragies en
tordant les artères et les veines , et un de ceux qui firent le
mieux coimaitre h (piels signes on peut juger que de l'air
s'est dangereusement introduit dans les veines durant les
opérations. H serait trop long d'énumérer tous ses travaux,
parmi les(iuels il en est plusieurs d'anatomicpies. Jedirai donc,
pour .'bréger, que cet habile opé'ateur dans l'espace de vingt
années a poblié trente et un mémoires originaux, inventé
environ trente instruments nouveaux , entrepris plusieurs
cours publics , un, entre autres, à l'Athénée; qu'il a de plus
reçu de l'Académie des Sciences quatre prix différents,
s'élevant ensemble à 15,000 francs. M. Amussat ne fut
reçu docteur en chirurgie qu'en 1S2G , et il était membre de
l'Académie de Médecine dès 1825, époque où les élections
n'étaient plus faites que par scrutin individuel, et non dèg
lors par fournées, ce qui rendait cette distinction d'une
obtention plus difficile et plus honorable. Il fut le seul
membre de ce corps savant dont l'admission précédât le
doctorat ; dérogation aux règlements que justifiait le grand
mérite du candidat.
M. Amussat a été le seul de nos chirurgiens en renom
qui n'ait pas eu d'emploi dans les hôpitaux de la ville. Il
s'en dédommagea en instituant chez lui une sorte de cli-
nique qu'on pouvait appeler domestique. Dans sa maison
même, à jour fi\e et sur convocations expresses, des étu-
diants et des médecins, la plupart étrangers, se réunissaient
pour assister à des opérations sur des malades, à des essais
sur des animaux vivants. Cette clini(pie était essentiellement
expérimentale. Personne n'opérait avec plus d'habileté que
Amussat, personne n'avait plus de prudence, quant aux
suites, plus de ressources s'il survenait des accidents, l'ar mal-
heur, trop attentif aux suggestions d'une physiologie insuffi-
sante dans ses vues, Amussat croyait, comme le docteur Alex.
Thierry, qu'on pouvait rendre la chirurgie entièrement ex-
pf'Timentalc, en essayant sur des animaux toute opération
qu'on projette de réaliser sur l'homme. Sans contredit, s'il
ne s'agissait que de voir couler le sang et d'en fermer les is-
sues en liant ou tordant les vaisseaux d'où ce sang s'échap-
pe; s'il n'importait que de voir palpiter les chairs, que de
faire naître des douleurs et d'en voir ou d'en entendre les
témoignages , que d'interpréter des cris ou d'assister à des
coux^iilsions , l'analogie serait grande à tous ces égards entre
l'homme et les animaux , et l'on pourrait augurer, d'après
ces derniers, quels résultats l'honmie lui-même doit espérer
ou craindre dans des cas analogues. Mais, sans même parler
des différences, pourtant très-importantes, de conformation
et de stiiicture, il est pour l'espèce humaine une classe de
causes et de souffrances dont les autres êtres n'offrent au-
cune trace. Indépendamment des douleurs physiques, que
l'homme partage avec les animaux, l'homme seul craint les
suites et la ri-pétition de ces douleurs; il s'exagère le danger
actuel et redoute le lendemain; il craint la mort et les suites
même de la mort, et il reçoit le contre-coup des inquiétudes
qu'il inspire à des amis ou à des proches; d'innombrables
sollicitudes de sentiment, de conscience ou de fortune vien-
nent compliquer tout ce que la douleur matérielle a de
poignant. Osez donc, après cela, comparer la même opération
dans les deux classes d'êtres, et vous croire autorisé à l'ef-
fectuer chez Thomme parce qu'elle aura réussi sur un cheval
ou sur un cochon d'Inde!
Amussat est mort à Passy le 14 mai 1856. C'était un chi-
rurgien du premier ordre, profondément dévoué à son art,
un accoucheur très-habile, un opérateur justement célèbre.
Sa prédilection pour la nouveauté et son zèle ardent pour le
progrès lui ont parfois attiré bien des tribulations. Et, par
exemple, combien de tourments, combien de reproches pas-
sionnes ne lui ont pas suscités ses opérations sur des louches
et surtout ses essais sur des bègues : il eut alors le malheur,
pour les derniers, de perdre un opéré sur quatre-vingt-seize,
et la malveillance des rivaux repandit le bruit mensonger
de catastrophes effrayantes. D"" Isid. Bourdon.
AMYCLÉE, ville de Laconîe, sur les bords de l'Euro-
tas, à vingt stades de Sparte, où résidait Tyndare et où Leda,
son épouse, mit au monde les jumeaux Castor et Clytem-
nestre, Pollux et Héléna, enfants qu'elle eut de Jupiter. A
une époque iiwins reculée, Amyclée élait si soutent at-
taquée par les Spartiates, qu'attenilu la terreur qu'ils inspi-
raient, un décret défendit, sous les peines les plus .sévères,
de prononcer leur nom. Il en résulta qu'un jour les Spar-
AMYCLÉE - AMYOT
liâtes sVtnnt rtVllemcnt pri^sonti% sous ses murs , nul n'osa
e« pirveuir son voisin, et nue la ville fut rava^jee de Ibiul
en comble. De \^ le proverbe ancien : C'est faute de parler
çiiWmijcleea péri. Apollon y avait un temple ct^lèbre.
Inc autre Amt/clée , colonie de la précédente, nommée
aujourd hui Spcrlonga, et située entre Caiète et Tcrracine,
mérita, pour ses doctrines pytliagoiiciennes, d'être appelée
par Virgile la muette :
Tacitis rcgnavit Amvclis.
AMYGDALES, glandes ainsi nommées du nom grec de
Yainande, àix"jyôà)>T], à cause de la ressemblance qu'elles
présentent avec ce fruit. Ce sont deux follicules muqueux
situes, l'un à droite, l'autre à gauche, au fond de l'arrière-
bouclic, entre les piliers antérieurs et postérieurs du voile
(lu palais, sur lesquels ils font saillie. Ils portent égale-
meiil le nom de tonsilles. Les amygdales paraissent desti-
nées à fournir la matière muqueuse qui enduit et humecte le
pharynx, et à concourir ainsi à la déglutition. — Cet organe
semble assez peu nécessaire, puisque l'ablation, qu'il faut
quelquefois en faire, ne produit aucun résultat fâcheux ni
même sensible ; il est cependant sujet à un assez grand nom-
bre d'affections, dont la plus ordinaire est l'inflainmation,
désignée vulgairement sous le noia d'esq uina7icie, et
que la médecine moderne appelle angine tonsillaire.
AMYGDALIN ( Savon ) , du grec àfj-yyôâXTi , amande.
C'est un savon médicinal qui se prépare en combinant
l'huile d'amandes douces avec la soude. Il est solide, blanc,
opaque, assez consistant, d'une odeur faible, d'une saveur
légèrement alcaline et d'une pesanteur spécifique plus grande
<iue celle de l'eau. Il est très-soluble dans l'eau, l'alcool, et
l'élher. Exposé à l'air, il perd de son poids, se dessèche et
s'altère. On le prépare en faisant agir 210 parties d'huile
d'amandes douces sur 100 d'une dissolution de soude à 36° ;
on agite ce mélange , et on le coule dans des moules, quand
il a acquis la consistance du beurre. Administré à l'intérieur,
ce savon excite les organes digestifs , et paraît surtout agir
comme diurétique, sans accélérer la circulation. Son usage
ne doit pas être longtemps continué ; car il affaiblit tous les
(issus. On l'emploie pour combattre les engorgements des
viscères abdominaux, les tumeurs scrofuleuses, la jaunisse,
les calculs biliaires, les constipations habituelles, etc. Ainsi
que les autres préparations alcalines il est très-avantageux
«ians le traitement de la gravelle. Sa dissolution dans l'eau
est très-utile dans le cas d'empoisonnement par les acides,
pour neutraliser ces substances. On se sert aussi de ce mé-
<licamcnt à l'extérieur, comme excitant, dans les cas d'en-
gorgement glanduleux ou de tumems indolentes. Dans ces
cas, on le dissout dans l'eau et mieux dans l'alcool pour
s'en servir en lotions, en fomentations et en frictions.
A.AÏY'GDALITE. Voyez Esquinancie.
AMYLACEE ( Fécule ). Voyez AjimoN.
AMY'OT (Jacoles) , naquit à Melun, le 2S octobre 1513.
Son père, pauvre artisan, dont on ignore au juste la pro-
fession, ne put lui faire donner qu'une instruction élémen-
taire fort restreinte, et il partit pour Paris avec seize sous dans
.sa bourse. Là une dame le chargea de conduire ses fils au
<;ollége. Sa mère, Marguerite des Amours, lui envoyait cha-
<pie semaine un pain par les bateliers de Mclun. L'étude était
sa passion favorite et l'occupation de tous ses instants; il
passait les nuits à travailler et les jours à suivre les cours
de grec, de latin, de mathématiques, sous les plus habiles
professeurs. Puis il alla étudier le droit civil à l'université de
Bourges, avec un jeune Parisien, son ami, qui devint plus
tard une des illustrations du barreau de la capitale. L'abbé
de Saint-Ambroise lui confia l'éducation de ses neveux, et lui
fit obtenir une chaire de grec dans la même université. Il lit
ensuite l'éducation du (ils de Rochetel de Sacy, beau-frère (!<■
Morvilliers. Ainyot, heureux du présent, ne songeait pas
alors à son avenir. Courges était sa patrie d'adoption. Les
IHCr. ut LA COiXVtUS. — T. I.
513
soins (lu'il donnait à ses élèves, les travaux du professorat,
ne l'empêchaient point de se livrer à ses études favorites, et
à la traduction des auteurs grecs. Son début dans la carrièie
littéraire fut la traduction de Tlu'agène et Chariclre. Il jiu-
blia ensuite une partie des Hommes Illustres de Plutarque,
qu'il dédia à François Y'^. Ce prince l'engagea à continuiv
cette import;intc traduction, et lui donna l'abbaye de Bello-
zane.
Amyot désirait depuis longtemps visiter l'Italie pour y con-
sulter les manuscrits de la bibliothèque du Vatican ; IMorvil-
liers, ambassadeur à Venise, l'emmena avec lui, et facilita
de tout son pouvoir ses savantes investigations. Odet de
Selves et le cardinal de Tournon, ce dernier résident à
Rome, le chargèrent de présenter au concile de Trente une
éneigique protestation contre les prétentions de la cour pa-
pale à une puissance universelle, illimitée. Avant son dé-
part de Paris , il s'était engagé à remettre au souverain
pontife cette lettre singulière de L'Hôpital, qui est devenue
historiijue. Amyot n'était déjà plus un homme ordinaire, il
avait pris rang parmi les savants et les hommes d'État de l'é-
poque. Son élévation avait été rapide, mais, toujours simi>le
dans ses mœurs et dans ses goûts, toujours modeste, il n'é-
tait pas ébloui par l'éclat de ses succès. Il obtint les emplois
les plus importants sans avoir jamais eu la pensée d'en sol-
liciter aucun.
Une circonstance tout à fait imprévue lui donna accès dans
le palais des rois. Henri II était allé visiter Marguerite de
Valois dans son duché de Berri. Amyot, que ses ennemis
accusaient d'hérésie, avait été obligé de chercher un asile
chez un seigneur retiré dans ses terres et moitié par re-
connaissance, moitié par goût, il donnait des leçons à ses
fils. Le roi s'arrêta dans ce château; il était accompagné de
L'Hôp'tal, alors chancelier de la duchesse. Amyot présenta
au prince des vers grecs de sa composition. « C'est du gicc,
dit le roi; à d'autres! » Et il remit le papier à L'Hôpital, à
qui cette langue était familière. La réponse du chancelier
fut un hommage aux talents du savant et spirituel hellé-
niste. Henri II ne l'oublia point, et bientôt Amyot fut ap-
pelé à la cour et nommé précepteur des fils du roi. Ayant
achevé sa traduction des hommes illustres de Plutarque, il
la dédia au monarque. Celle des Œuvres morales ne fut ter-
minée que sous Charles IX, auquel il la dédia en 1500. Ce
prince et ses frères appelèrent toujours Amyot leur maître.
Dès le lendemain de son avènement, Charles le nomma
son grand-aumônier, et de plus conseiller d'État et conser-
vateur de l'Université de Paris. La reine douairière s'opposa
vivement à sa nomination à la grande-aumônerie. Le jeune
prince, pour la première fois peut-être, résista aux volontés
de sa mère. Elle fit venir alors Amyot pour obtenir son dé-
sistement. Dès qu'elle l'aperçut : « J'ai lait, lui dit-elle, bon-
« qucr les Guises et les Châtillons, les connétables et 1rs
« chanceliers, les rois de Navarre et les princes de Condé,
« et je vous ai en tête, petit prestolet! » Amyot assura vai-
nement la reine-mère qu'il avait refusé cette dignité. Il ne
put l'apaiser par sa tranquille résignation. « Si vous ac-
ceptez, ajouta-t-elle, vous ne vivrez pas vingt-quatre heu-
res. » Amyot insista de nouveau auprès de Charles pour lui
faire accepter sa démission. Le roi fut inllexihle. Alors il
cessa de paraître à la cour; le monarque le fit chercher,
mais inutilement. La reine-mère fut obligée de céder. Elle
en fit elle-même jjiévenir Amyot.
Charies lui donna, en 1570, les abbayes de Roche, près
d'Auxerre, de Saint-Corneille à Compiègne, et enfin l'évêché
d'Auxerre. L'étude était pour lui plus qu'une distraction,
c'était un besoin. H composa, à la sollicitation de la du-
chesse de Savoie , les vies d'Épaininondas et de Scipion ,
qui manquaient aux (puvrcs de Plutarque. 11 traduisit
Daphnis et C/</of', de Longus, sept livres de Diodoie de
Sicile, et quelques tragédies grecques. Mais il était tiop ins-
truit, trop vertueux, pour n'être pas tolérant. Les ligueurs
514
AMYOT — AMYRAUT
l'accusèrent de favoriser les protestants de son diocèse , et
même d'hérésie. Il nVchappa an massacre de la Sainl-Bar-
théleiiiy que parce que Charles IX l'avait fail provenir
du daiifier <)Mi le inena^:iit. Canûné alorsà Auxerre, il ne re-
parut a la tour que sous le règne de Henri 111, et à de
rares intervalles, lorsijue fcs devoirs comme graud-aumtjiiier
l'y obligeaient. Il logeait au\ Quinze -Vingts. En fondant
Pordre rlii Saint-Esprit, Henri III prêta serment entre les
mains d'Amyot, en qualité de grand-innître, dans l'église
des Grands-Augnslins; puis il lui conféra cet ordre, et
affecta celle décoration à la charge de grand-aumônier,
dispensant ceux qui lui succéderaient dans ces fonctions de
(aire preuve de noblesse.
Amyot rendit un grand service aux lettres, en détermi-
nant Henri III, en lâ75, à former une bibliothèque d'ou-
vrages grecs et latins. Il eut souvent recours à cette riche
«olleition pour perfectionner ses ouvrages. Ce fui la prin-
cipale occupation de sa vieillesse à Paris et dans .son dio-
cèse. Il avait assisté aux états de Blois. Depuis, sa vie fut
.souvent en danger. Un jeune ligueur, nommé Férous, du
village d'Egriselle , près d'Auxerre , lui mil une arme sur la
gorge en pleine place de la cathédrale. Un autre jour, un
émissaire du gardien des cordeliers excita la populace contre
Amyot, qu'il appelait un méchant lionmie , pire que Henri
de Valois. Les ligueurs, qui étaient nombreux et turbulents
dans son diocèse, ne cessèrent de le i)oursuivre. Sa sûreté
exigeait qu'il s'en éloignât; mais Amyot tenait plus à ses
devoirs qu'à la vie, et dès 1589 il renonça à la charge qui
l'appelait à la cour, et ne sortit plus de son diocèse. Il
ne conserva de ses grands benolices que l'abbaye de Saint-
Corneille, à Compiègne. 11 visitait souvent le collège
d'Auxerre, qu'il avait fait bâtir, et qu'il avait doté à ses dé-
pens. Il mourut dans celte vdle, le G février 1393. Ses ou-
vrages l'ont placé au premier rang des auteurs du sei-
zième siècle , si fécond en écrivains illustres dans tous les
genres. Plularque n'a jamais eu de plus fidèle interprète
qu'Amant.
A.\lYOT ou A. MIOT (Joseph), jésuite, né à Toidon
en 17 18, mort à Pékin en 1793. C'est en 1750 qu'il arriva à
Macao, d'où il se rendit l'année suivante, par ordre de l'em-
peieur, à Pékin, qu'il ne quitta [dus. De persévérantes études
lui rendirent familières les langues chinoise et tatare, ce
qui lui facilita les moyens de remonter aux sources mêmes
pour connaître la Chine à fond. La plupart de ses travaux,
qui traitent des antiquités, de l'histoire , de la langue , de
l'écriture, des arts, de la musique, de la tactique militaire
des Chinois, ainsi qu'une Biographie de Confucius et une
Grammaire tatare-manlchou , se trouvent dans les Blé-
moires concernant Vhistoire, les sciences et les arts des
Chinois, dont le dixième volume indique en quatorze
colonnes sa part à ce recueil. Il a écrit, en outre, VEloge
delà ville de liloukdcn, publié par de Guignes, et le Dic-
tionnaire tatare-manlchou, publié par Langlès.
Déjà connu, en outre, par les chapitres qu'il avait fournis
aux Lettres édifiantes des missionnaires, il était, quelques
années avant la révolution, en correspondance avec M. Berlin,
minisire d'Etat, ancien directeur de la compagnie des Indes.
Aidé de son ami, le père Cibor, il transmettait à son opu-
lent protecteur de curieux mémoires et y joignait de nom-
breuses lij-ures coloriées. La seule partie des arts et mé-
tiers avait fini par comprendre plus de quatre cents sujets.
M. Berlin se proposait de publier cette collection ; mais
la marche rapide des événements ne le lui permit pas. Lors
de la vente du cabinet de ce ministre, en 1810,1a plus
grande partie des manuscrits et des dessins fut acquise par
Nepveu, libraire; ils ont servi à composer la Chine envii-
niature et d'autres petits ouvrages in-18.
La corresjwndance du père Amyot etdu père Cibor était
d'ailleurs fort incomplète. Tolérés seulement à Pékin après
LA iti'slruction de leur ordre, et lorsque le christianisme se
trouvait à la veille de persécutions sanglantes, ils évitaient,
malgré les incessantes recommandations de leur protecteur,
tout détail de nature à les comj)rometlre, gardaient surtout
un silence obstiné sur les dillérenles sectes chinoises el
sur les formes du culte, mais laissaient entendre qu'on n'a-
vail là-dessus en Europe que des notions incomplètes et er-
ronées. Retenus en quelque sorte captifs à Pékin, les mis-
sionnaires cherchaient toutes les occasions de s'en éloigner,
et quelques-uns s'échappaient sous des déguisements. Le
père Amyot avait cependant imaginé un moyen de mettie
iM. Berlin à portée de recueillir verbalement ce qu'il di'si-
rail. Deux jeunes Chinois, Ko et Yang, avaient été choisis
par lui entre plusieurs néophytes et envoyés en France
pour y faire leur éducation. De retour, ils correspondirent
à leur tour avec le minisire. 11 est bon cependant d'avertir
que les lettres signées Fanr/ pourraient bien avoir été écrites
sous la dictée du père Amyot, et celles de Ko conçues et
écrites par le père Cibor, qui a expliqué lui-même clairement
la nécessité de ces pseudonymes.
De graves dissensions, dernier écho des douloureuses
q\icrelles qui s'étaient élevées dans le dix-huitième siècle
au sujet des cérémonies chinoises, régnaient alors parmi les
missionnaires européens. Le père Cibor, délesté de tous,
et n'ayant pour appui que le père Amyot, mourut l'àme na-
vrée , le 3 août 1780. Son inhumation lut l'occasion d'un
grand scandale. Le père Sallusli, dominicain italien, envoyé
avec de pleins pouvoirs par la Propagande, excommunia
deux néophytes et deux jésuites qui avaient assisté aux fu-
nérailles de celui qu'il appelait un « réprouvé, partisan déclaré
des innovations les plus dangereuses. » Une maladie grave
avait retenu Amyot chez lui. Sallusli fut pourtant rappelé,
et ie père Amyot vécut paisiblement avec un petit nombre
d'anciens confrères; mais leur présence n'était tolérée a la
cour de l'empereur Kien-Long qu'en raison du besoin qu'on
y avait de leurs connaissances, du reste très-superficielles,
en a.-tronomie. C'est qu'ils livraient régulièrement à l'édi-
teur de l'almanach impérial les calculs des éclipses, et les
heures précises du lever, du coucher et du passage au
méridien des diverses planètes , à quoi les astrologues
chinois ajoutaient quelques prédictions bigarres. Un élevé
du père Amyot avoua plus tard à M. Barrow qu'il copiait
ces renseignements dans la Connaissance des temps.
Parmi les nombreux dessins envoyés en France par les
missionnaires, on remarque une représentation fort exacte
de V hortensia, fleur alors encore inconnue en l^urope et
importée quelques années plus tard seulement par lord
Macartney. C'est, croyons-nous, à l'hortensia que le père
Amyot voulait donner par reconnaissance le nom de fleur
Berlin. En marge de la lettre, le minisire écrivit de .sa
main celle apostille un peu brusque : « Que veut-il dire
avec sa Jleur Berlin? Est-ce que celte plante n'a pas déjà
un nom chinois.' » Breton.
A.MYI\AUT (Moïse), célèbre théologien protestant,
né à Courgneil, en Touraine, en 1596, fit son droit à Poitiers
et ses études théologiques à Saumur, sous Cameron. Mi-
nistre à Saint-Agnan, dans le Maine, il succéda à DaHlé
à Saumur et fut député d'Anjou au synode de Charenton
en 1C3I. Ce synode le chargea de faire en cour des remon-
trances sur les manqtiements à l'édit de Nantes. Richelieu
voulait que la pétition fût présentée par les députés à
genoux ; Amyraut obtint qu'ils ne fussent pas soumis à cet
usa^e humiliant, et le cardinal se montra satisfait de la ha-
rangue d'Amyrant. Son livre sur ta Prédestination lui attira
de graves difficultés avec ses coreligionnaires. Cependant il
assista encore à plusieurs synodes, et mourut à Saumur ie
8 janvier 1C64. Il était parvenu à obtenir l'estime des car-
dinaux Richelieu et Mazarin, des maréchaux La Meilleraye
et de Brézé, de plusieurs évéques et archevêques. Il posait
pour principe la .soumission aux puissances de la terre, el
pensait qu'on ne devait opposer à la persécution, que U
AMYRAUT — ANABAPTISTES
51
patience, les larmes c\ les ptii^res. Ses ouvrages, très-nom-
breux, sont devenus très-rares; on en trouve la liste com-
plète dans la France protestante de MM. Ilaag. Citons
seulement: Traité des religions {iù3[); Discours sur
l'état des fidèUs après la mort (1046), composé pour
consoler sa femme de la mort de leur fille; Apologie pour
ceux de la religion ( 1647) ; Discours de la souveraineté
des rois (1630); Morale chrétienne (IG.'i'î-iOCO) ; Du règne
de mille ans (1654) ; Discours sur tes songes (1659) ; De
mysterio Trinitatis (16G1); Vie de François de La ^oue
(I6f>l );de5 sermons; des paraphrases de l'Écriture, etc. Z.
AXA, terminaison ialine (jui, ajoutée au nom propre
d'une personne, indique un recueil de se~s pensées détachées,
de ses observations et d'anecdotes recueillies par elle ou
sur elle. Ana se dit aussi d'un recueil de saillies, de propos
de société, de dictons, de bons mots, etc. Aux seizième et
dix-septième siècles les ana llorissaient dans le monde
savant. « Segraisiana , a dit M. Edouard Thierry , est un
adjectif latin, comme Virgilien, Cicéronien sont devenus
des adjectifs français. Au dix-septième siècle, les amis
d'un homme célèbre recueillaient après sa mort ce qu'ils
avaient retenu de lui dans leurs entreliens mutuels , quel-
ques vives ou justes réparties, un petit nombre d'anecdoles,
principalement des solutions données sur certains points
obscurs de bibliographie et de critique. Cela s'appelait
Carpenteriana, Huetiana, Vnlesiana, comme on tût dit
Fragments recueillis du savant 31. Charpentier, du docte
évêque d'Avranthes, et de M. Adrien de Valois, historio-
graphe de France. C'était l'érudilion que l'on recherchait
d'abord dans les ana , ce furent ensuite les bons mots et
les anecdotes. Le temps lit son triage accoutumé : il mit
d'un côté les maussades et ennuyeux ana , le Perro-
niana, le I^audacana, le Sorberiana , que sais-je encore?
de l'autre les ana conteurs et amusants, le Segraisiana,
YArlequiniana, le Santoliana et le reste. Les premiers
disparurent dans un tel oubli , que le nom resta tout
entier aux autres; mais il finit par perdre sa significalion
véritable. Et un ana ne fut plus qu'un recueil de facéties
à la douzaine, de soi-disant bons mots et de plaisanteries
hors de mise. Il y eut le Revolutiana, le Parisiana, le
Feminiana, le Gastronomiana , le Facetiana, Vlvro-
gniana; j'en passe, et des meilleurs. Anas eî almanachs
rimaient trop bien pour ne pass'associer ensemble. Aujour-
d'hui les almanachs sont plus dédaigneux et ne veulent plus
même emprunter aux anas; je n'y vois pas grand mal. En
1842 il a paru un recueil , VEncyclopediana, com[)ilé d'ail-
leurs avec goiit et qui est un excellent répertoire des plus
fines saillies anecdotiques ; mais le titre est pris à contresens.
De même que le Bievriana veut dire le recueil descaleu)-
bours de M. de Bièvre, V Encyclopediana voudrait dire
un choix de traits ingénieux, d'opinions curieuses extraites
de l'Encyclopédie, et ne peut pas signilier l'Encyclopédie
des ana. « Citons encore le Menagiana, le Scaligerana,
le Thiiana, VAnonymiana, le Boursautiana, le l'uretie-
riana, etc. Les Anglais ont un Baconiana , les Allemands
le Taubmaniana , \es Hanoh le rj/c/ioHîflno, les Améri-
cains le Wnshingtoniana. On a publié à Dresde un Livret
des Ana et à UruxeWesune Bibliographie des Ana. Les an-
ciens avaient aussi leurs ana. Les Memorabilia de Xéno-
phon, les Vies des Philosophes, par Diogène de Laerle, les
iYHî/5a^/('7?/<'sd'Aulu-Gelle abondent en mots ingénieux ou
piquants, en maximes chatoyantes ou gracieuses. Quintilien
rapporte qu'un affranchi avait recueilli tous les profios facé-
licux de son maître; un affranchi deMécène avait également
noté les bons mois de ce spirituel protecteur des Muses. Z.
AI^ABAPTISTES ( du grec àva, de nouveau ; ^ir.-io,
je baptise). C'est ainsi qu'on désigne les chrétiens qui, re-
jel;i!it le baptême des enfants, limitant aux adultes les
bienfaits de ce sacrement, et dès lors soumettent à un nou-
veau baplême tous les chrétiens qui embrassent les opinions
de leur secte, encore bien qu'ils aient été déjà baptisés
dans leur enfance. Cette dénomination leur fut imposée par
leurs adversaires dès leur première apparition, au seizième
siècle; mais ces sectaires l'ont toujours repoussée. Il faut,
dans leur histoire, soigneusement distinguer les jiériodes et
les partis. A l'origine tous ceux qne l'on avait compris d'a-
bord sons le nom de Rebaptisants se bornaient à défen-
dre la doctrine du baplême des adultes. Celui des enfants,
qui n'avait point été en usage dans les teiryps les plus re-
culés de riiglise primitive, avait déjà été combattu au moyen
lige par Jeim \V i c 1 e f et par quelques sectes hérétiques, pai
exemple les pétrobrusiens, les cathars, les picards, etc., en
I Suisse et en France. Quand la réformation vint présinlet
j la Bible comme la source unique de la foi des chrétiens, on
i vit des sectaires s'efforcer de combattre le baptême des
; enfants comme une pratique contraire aux .saintes Écri
j turcs. Ils élevèrent la voix en Suisse peu de temps après la
I venue de Zwingle; et leurs doctrines eurent encore plus dt
î retentissement en Allemagne, surtout en Saxe, quand les
î fanatiques de Zwickau, INicolas Storch et Marc Tlioma'
j tous deux teinturiers en drap, et trois hommes plus instruits,
j Marc Stubner, Martin Ceilarius et Thomas Munzer, fc
I chargèrent de les propager. En même temps que ces fana-
I tiques s'abandonnaient à l'illusion de parvenir à fonder sur la
i terre un royaume céleste, ils se vantaient d'être l'objet de
I révélations particulières, soumettaient à la formalité d'un
i nouveau baptême tous ceux qui adoptaient leurs doctrines
j et ne contribuaient pas peu à provoquer la guerre dite des
I Boures ou des paysans. Indépendamujent de leurs idées
particulières sur le baptême, que suivant eux les laïques
sont toujours parfaitement aptes à conférer, ils refusaient
d'admettre l'enseignement de l'Église, ainsi que sa juridiction
hiérarchique, prétendant introduire parla une complète éga-
lité parmi tous les chréliens. L'autorité supérieure s'elforça
bientôt de combattre par des mesures rigoureuses les progrès
de plus en plus visibles qu'ils firent à partir de l'année 1524,
particulièrement parmi les classes inférieures, sur les bords
du Rhin, en Westphalie, en Holstein et en Suisse.
En Allemagne, les empereurs et les diètes impériales ren-
dirent dès 1325 des ordonnances contre les anabaptistes,
avec la peine de mort pour sanction; et elles furent exé-
cutées dans un grand nombre de cas. Il en lut de même en
Suisse.et dans les Pays-Bas. Le landgrave de Hesse fut alors
le seid souverain qui se contenta de les faire emprisonner
et catéchiser. En dépit de toutes les mesures pri.ves pour
combattre les progrès des anabaptistes, on voyait incessam-
mentseformer de nouveaux rassemblements de ces sectaires,
provoqués sur divers points par les prédications d'apôtres
ambulants.
La ville de Munster, en \Yestphalie, fut le principal
théâtre de l'activité des anabaptistes; c'est là qu'ils s'effor-
cèrent de réaliser leurs rêves d'un règne visible de Jésus-
Christ sur la terre. Melchior Hoffmann, pelletier, originaire
de la Souabe, fut le premier qui prêcha la doctrine tl'un
nouveau royaume de Sion , à Iviel en 1527, a Emden en
1528, d'où il serendità Strasbourg, où il muurut en prison
en 1540 (consultez Khron, Histoire des Anabaptistes^
Leipzig, 175S). Avant de quitter Emden, il y établit
comme évêques de la nouvelle communauté Jean Trypmaker
et Jean Matlhiesen, boulanger d'Harlem. Pendant que les
partisans d'Hoffmann attendaient de Strasbourg la nouvelle
de la fondation d'un nouveau royaume de Sion, Trjpmaker
avait quitté la Frise pour se rendre à Amsterdam, à l'elfet
d'y prêcher les nouvelles doctrines; mais il expia son en-
treprise sur le gibet, à La Haye. Aussitôt qu'Hoffmann en fut
informé, il conseilla par écrit à ses disci[>les de suspendre
les baptêmes. Ce conseil plut médiocrement à Mattliiesen,
érigé en second évèquc, et qui visait à devenir chef de parti.
Dans ce but il enrôla douze apôtres, dont deux se rendirent
à Munster, où ils trouvèrent de liinaiiques cooperatour.s.
C6.
.01 G
ANABAPTISTES
<)nns les bourgeois Knippcnloiiing et Krcchling, ainsi que
dans U' prCtre Rotlimann, qui jusipie alors pourtant avait tou-
jours (ait preuve de sagesse et de niodi-ration. Cette vilie
l'ut pour la première fois le tliéûtre de sanglants désordres,
<|uand deux autres envoyés de Mattiiiesen, Jean lîockhold
ou liockelson, tailleur de Leydc, et (Jerrit Kippenhroek ,
vulgairement appelé Gerrit le Relieur, y arrivèrent d'Ams-
terdam ; et ces troubles ne cessèrent ipie lorsque Mattliiesen
s'y (ut rendu de sa personne. Les fanaticiues, dont le nombre
s'aecroissait cliaCiUc jour, envahirent riiùtel de ville, et
obtinrent de vive lorce , vers la lin de Tannée 153:i, un
traité qui eût pu assurer à chacun des deux partis en
présence le libre exercice de leur culte. ]Mais bientôt, ren-
forcés par une nombreuse populace accourue des villes voi-
sines, ils ne tardèrent pas à employer la force ouverte jiour
se rendre complètement maîtres de la ville. Maîthiesen y
entra en prophète, et détermina le peuple.à lui livrer son or,
son argent et tout ce (pi'il avait de plus précieux pour dé-
.sormais être le bien commun de tous, ainsi qu'à brûler tous
les livres, à l'exception de la liible; mais il fut tué dans une
sortie faite contre Tévêque de Munster, qui assiégeait la
ville, lîockhold et Knippcnloiiing se proclamèrent alors pro-
phètes. On déiruisit les églises, et on institua douze juges
pour présider aux douze tribus, comme dans Israël. Toute-
fois, cette forme nouvelle de gouvernement ne tarda pas,
elle aussi, k être rejeîée, attendu que Jean Bockhold se fit
proclamer roi de la nouvelle Sion sous le nom de Jean de
Leyde. A partir de cette époque- (15^4) Munster devint le
théâtre de tous les déportemeuls d'un fanatisme sauvage, de
la débauche la plus immonde et de la cruauté la plus ef-
frénée, jusqu'à ce que plusieurs princes, faisant cause com-
mune aveclévcque, s'emparassent de cette ville, le 24 juin
1535, et missent ainsi fin a la puissance des anabaptistes, dont
les principaux chefs périrent dans les supplices. Cepen-
dant non-seulement sur le nombre de vingt-cinq apôtres que
Jean liockhold avait déterminés à quitter Munster pour aller
prêcher au loin la foi nouvelle , il y en eut qui réussirent en
divers lieux à faire des prosélytes, mais encore d'autres
iTpôIres, complètement indépendants de ceux de .Munster,
l'taient allés prêcher ailleurs la foi à un nouveau royaume
de chrétiens irréprochables, et y avaient fait aussi des pro-
sélytes. Ceux-ci conlamnaient, il est vrai, la polygamie, la
conmiunauté des biens et les cruautés qui avaient été pra-
ti(]uét'S à INIunstcr par leurs coreligionnaires contre les
hommes qui ne partageaient pas leurs idées religieuses;
n)ais ils continuaient à prêcher toutes les doctrines des ana-
baptistes primitifs, et en outre quelques idées à eux sur
l'iiîcarnation de Jt;sus- Christ. (Consultez Y Histoire des
Anahaptisles de Munslcr, d'après le manuscrit latin de
Jîermann de Kerscnbroek, 1771, in-4", en allemand; et
Hast, Histoire des Anabaptistes jusqu'à lu chute de la
secte à Munster, Munster, is.îo.)
Après Uoffman, celui de ses adhérents qui fit le plus parler
de lui fut le nommé David Joris, peintre sur veire, né à Délit,
en 1501 , et qui fut rebaptise eu 1534. Il se lit un grand
nombre de partisans par ses ouvrages de théosophie, oii il té-
moigne d'une puissante imagination, ainsi que par ses efl'orts
pour réunir et concilier les partis acharnés qui déchiraient la
secte des anabaptistes. On étudia suilout son Livre de Mi-
racles, pid)lic, eu 1 545, à Deventer ; et on le regarda lui-même
conmie un nouveau Messie. Après avoir beaucoup vaiié dans
fies opinions, il erra longtemps de côté et d'autre jusqu'à ce
qu'enlin pour éviter les peisécutions il vint s'établir comme
bourgeois, en 1544, sous le nom ilcjean de Bruges, à Baie,
où il mourut en 1550, après avoir mené une vie bouorabie
dans la conunuuaulé des réformés. Ce ne (ut qu'en 1 55;) qu'on
<iécouvrit son hérésie , qu'il avait pris le i)lus grand soin à
«lissimuler. .Mais alors le conseil de Bàle lit faire le procès à
sa mémoire, l'ar suite de la condauuialion cpii fut prononcée,
ou exhuma son cadavre cl ou suspendit ses ossements au
gibet. D'antres prophètes continuèrent encore à apparaître
jusqu'au milieu du seizième siècle parmi les anabapiisies, h
troubler la tranquillité publique et par suite à augmenter le
noud)re des martyrs de cette secte. C'est ainsi que dans le
nombre des hérétiques que le duc d'Albe fit périr de la main
du bourreau dans les Pays-Bas, il se trouvait beaucoup d a-
nabaplistes.
Il est incontestable que Menno eut quelques rapports
avec ces anabaptistes tant qu'ils se bornèrent à rejeter le
baptême des enfants; mais ses ouvrages prouvent qu'il
les combattit dès qu'ils recoururent à l'emploi des armes
pour propager leurs doctrines et qu'ils empiétèrent sur les
droits du pouvoir temporel. .Son zèle prudent et rélléchi
réussit à réunir en coiumunautés bien organisées les ana-
baptistes alors dispersés en divers lieux, qui prirent d'abord
d'après lui le nom ûe Mennoni tes, et formèrent une
association religieuse particulière et indépendante au nord de
l'Allemagne, dans les Pays-Bas surtout; association dans le
sein de laquelle étaient imitées toutes les pratiques de l'an-
tique Église apostolique. Seulement Menno ne put empêcher
que le schisme n'éclatât jusqu'au sein même de sa secte dès
l'année 1554 sur la question de savoir quel degré de sévérité
il fallait apporter dans l'excommunication. Les plus rigo-
ristes estimaient que tout manquement aux lois de la mo-
rale et aux prescriptions de Tliglise devait être puni par l'ex-
communication. Les plus indulgents ne voulaient en général
appliquer cette peine qu'en cas de désobéissance opiniâtre et
absolue aux prescriptions de l'Écriture sainte. Ils ajoutaient
que cette peine devait non-seulement être précédée de plu-
sieurs admonestations et exhortations, mais encore n'en-
traîner aucune conséquence hors de l'église. Les deux opi-
nions n'ayant pas consenti à se faire réciproquement sur ce
point la moindre concession, il eu résulta les deux grandes
sectes principales entre lesquelles se partagent aujourd'hui
encore les anabaptistes. Les indulgents furent désignés sous
le nom de Waterlccnder, à cause du pays qu'ils habitaient,
le Waterland , près du Pampuse dans la Hollande septen-
trionale, et non loin de Franeker; tandis que les rigoristes,
composés en général de Frisons habitant la ville d'Emdea
et ses environs, de réfugiés flamands et d'Allemands, se dé-
signa'ent eux-mêmes par la dénomination de reine, mot
allemand par lequel ils entendaient dire les Bienheureux,
les Exacts. Après la mort de Menno, arrivée en 1556, les
Exacts se partagèrent en trois sectes , dont celle que for-
mèrent les Flamands persévéra dans l'extrême rigueur de ses
opinions à l'égard de l'excommunication. Les Frisons du
moins ne l'appliquaient pas à des communautéi tout entières,
et ne prétendaient pas qu'elle dût entraîner pour les indivi-
di;s qui en étaient frappés la destruction de tous les rapports
dt; famille. Les Allemands ne différaient des Irisons que par
le soin plus rigoureux qu'ils mettaient à éviter toute espèce
de luxe. A la secte des Allemands appartenaient les anabap-
tistes du Holsteiu, de la Prusse , de Dantzig, du Palatinat
du Uhin, de Juliers, de l'Alsace et de la Suisse , ainsi que
ceuxquijusqu'arépo(]uedelaguerrede Trente Ans existèrent
en si grand nombre en Moravie. Par ce qu'on appela le Concept
de Cologne, formule de foi (jui y fut délibérée et adoptée en
1591 , ils se réunirent par la suite aux Frisons, mus sur-
tout par ce motil que leur scission religieuse nuisait aux
transactions commerciales. Les anabaptistes rigoureux, qui
avaient conservé sans acce|)tion d'origine la dénomination
lie Jlamands , finirent par se réunir à ces Frisons et Alle-
mands-unis, dans un synode tenu à Harlem, en U;i0, par
leurs docteurs respectifs, en reconnaissant les cinq articles
de foi pour livres symboliques de leur parti. Celte fusion
neut cependant pas pour résultat de détruire parmi eux
toute espèce de schisme et de division ; au contraire, il .se
forma encore alors des sectes particulières, désignées sous
le nom de janjacobistes et iVuhen-aUistvs, ou anciens_/?rt-
mands. Ces derniers, iiidepcntlaunuenl de la Frise, se
ANÂBÂPTISTKS
S17
sont répandus en Lithuauie et dans los environs de Dant-
lig, et les anabaptistes de la Gallicio i)artaf;ent lenrs doc-
trines. Cette secte comprend en outre les anabaptistes de
Dantzig, dénomination sons laquelle on désigne quelques
communautés existant tant à Dant/.ii; qu'à îMarienliouri; et
dans la Prusse orientale et occidentale. Il faut reconnaître
d'ailleurs que, malgré leurs tendances controversistes et
leur esprit querelleur, les anabaptistes se distinguaient par
la pureté de leurs nio-urs, par leurs habitudes d'ordre et
d'économie et par leur génie cmineunnent industrieux et
commercial. Ils étaient parvenus à un état d'aisance qui
leur permit, lors des guerres de la liberté, de faire des
avances d'argent au prince Guillaume d'Orange. Par suite
de l'esprit de tolérance qui fut l'àme du nouvel État desi-
gné sous le nom de Provinces-Unies, ils ne tardèrent pas
non plus à obtenir liberté complète pour l'exercice de leur
culte.
Le schisme qiii éclata en 1CG4 dans la communauté des
WatcrLrnder, des Flamands, des Grisons et des Allemands
unis d'Amsterdam, en raison des tendances (pii se manifes-
tèrent chez une certaine partie d'entre eux vers des opi-
nions plus indépendantes, fut d'ime liante importance pour
toute la secte des anabaptistes ; c'est d'ailleurs presque le seul
qui ait eu pour cause des divergences d'opinions relative-
ment aux questions dogmatiques. De bonne heure les Wa-
lerlxyider s'étalent fait remarquer par des opinions plus
larges en matière de foi, ainsi qu'on peut le voir par la con-
fession de lâSl , qui fut presque universellement adoptée et
qui était l'œuvre de Hans de Rys ( l'un de leurs plus célè-
bres docteurs , d'.Ukemar ) et de Lubbert Gerrits ( d'Ams-
terdam ). Il était dès lors inévitable que l'arnrinianisme
( voyez Remontrants ) exerçât de l'influence sur eux. Galé-
nus de Haen, médecin et docteur des anabaptistes d'Ams-
terdam, devint le chef des indépendants; tandis que Samuel
Apostool, également médecin et docteur de la communauté,
se plaçait à la tête des vieux croyants. La question de sa-
voir à laquelle des deux sectes devaient revenir les proprié-
tés religieuses qui avaient jusque alors appartenu à la com-
munauté, fut décidée par le gouvernement hollandais au pro-
fit des galéni.stes. Comme l'église des galénistes était située
près d'une brasserie ayant pour enseigne un agneau ( en
allemand et en hollandais, Lamm), on les smnomma les
lammisfes. Les partisans d'Apostool firent construire à
leurs frais un édifice particulier pour leur servir de temple :
et comme on y sculpta pour symbole une image du so-
leil ( en allemand Sonne ), ils reçurent de là le surnom de
sonnistes. Quoique à l'origine ces dénominations ne s'ap-
pliquassent qu'à la conmninauté d'Amsterdam , elles en
Tinrent peu à peu à être d'un usage général pour désigner les
deux grands partis existants parmi les indulgents, et auxquels
se rattachèrent successivement tous les anabaptistes appar-
tenant à cette secte. Les deux communautés d'Amsterdam
formèrent un centre autour duquel vinrent se grouper les
débris épars des anciens partis, de sorte qu'à la fin du dix-
huitième siècle il n'y avait plus dans les Pays-Bas que deux
espèces d'anabaptistes. En 1800 ces deux communautés
opérèrent leur fusion, si bien qu'aujourd'hui, à l'excepliou
des communautés dissidentes de l'île d'Ameland et des vil-
lages d'Aalsmeer et de Balk , tous les anabaptistes ne for-
ment qu'une seule et môme secte chrétienne. La diver-
gence dans la direction tliéologique provoquée par le schisme
de 1664 se fit encore sentir plus tard. Les sonnistes pro-
fessaient l'attachement le plus absolu pour les anciennes
confessions rédigées conformément aux doctrines de Menno
(motif pour lequel ils prirent la dénomination de menno-
nitcs ), oljservaient strictement l'interdiction du serment
et s'abstenaient du service militaire de même que de toutes
fondions publiques. Dans le parti des Itimmistcs, au con-
traire, on ne taida )ias à voir dominer une direction et une
tendance philosophi(pies. Ils s'appropiièrent les conquêtes
faites par la nation anglaise dans le domaine de la philoso-
phie et de lathéolog'e, et arrivèrent ainsi, de même que par
le vif intérêt dont ils firent ])reuve pour les arts et les
sciences en général, comme aussi par leur grande aisance et
leur réputation méritée de bienfaisance, à exercer une cer-
taine direction sur les tendances intellectuelles du public
hollandais. Depuis isil la fondation à Amsterdam d'une as-
sociation universelle des anabaptistes dut resserrer plus
étroitement les liens qui unissent entre elles les diverses
communautés de cette secte, tout en laissant à chacune
sa complète indépendance en ce qui touche le dogme,
le culte et les affaires domestiques. Les anabaptistes comp-
tent aujourd'hui en Hollande cent vingt-quatre communau-
tés avec cent trente prêtres, et par suite de l'esprit de tolé-
rance qui est la base de la constitution hollandaise, ils
jouissent de droits égaux à ceux de toutes les autres confes-
sions. Les anabaptistes d'Allemagne, où ils sont nombreux ,
surtout dans les provinces Rhénanes, dans la Prusse orien-
tale, dans la Suisse ( on en trouve également en Alsace et
en Lorraine), ont conservé une ressemblance extrême avec
les anciens mennonites; et leur culte ne diffère que très-peu
des formes de celui de l'église protestante. — Consultez Rei-
niz et WadzecU, Documents relatifs aux communautés
mennonites qui existent en Europe et en Amérique
( 2 vol., en allemand , Berlin , 1829 ).
La secte des Baptistes se forma en Angleterre, en dehors
de tonte communauté de croyance avec les descendants des
anciens anabaptistes. Ceux d'entre eux qui abandonnèrent le
continent pour se réfugier en Angleterre furent persécutés
sous Henri VllI et ses successeurs. Elisabeth elle-même
prononça la peine du bannissement contre tous les anabap-
tistes. Ce ne fut qu'au commencement du dix-septième siècie
que les baptistes de la Grande-Bretagne fondèrent leurs pre-
mières communautés, composées pour la plupart de trans-
fuges du presbytériainsme. Aussi dès l'an 1630 environ se
divisèrent-ils en particular ou antinomian baptists de-
meurés complètement fidèles à la doctrine de Calvin ,
môme à l'égard du dogme de la prédestination, et en gênerai
ou univcrsal, ou encore arminian baptists, qui sur ce
dogme se séparèrent de la doctrine de Calvin et donnèrent
accès dans leurs communautés à l'indifférence en matière de
distinction qui était propre aux remontrants , ainsi qu'à
quelques opinions sociniennes. En 1671 un certain Francis
Bampfield fonda encore une troisième secte parnu" les bap-
tistes en substituant la célébration du samedi à celle du di-
manche, d'où l'on donna le surnom de sabbatharicns à ses
adhérents. Cette secte n'existe plus guère aujourd'hui que
dans l'Amérique septentrionale. Tous les baptistes n'ont
adopté des dogmes particuliers aux anabaptistes que le rejet
du baptême des enfants et l'usage de baptiser les adultes. Ils
leur confèrent ce sacrement en les soumettant par trois fois
à une immersion totale, lis regardent le serment, le service
militaire et les fonctions publiques comme conciliables avec
la foi. Sous le rapport de l'esprit et du cuite ils ne diffèrent
en rien des autres dissidents de la Grande-Bretagne , avec
qui ils obtinrent en 1689 le bénéfice de la liberté de cons-
cience. Au commencement du dix-neuvième siècle les trois
sectes de baptistes comptaient en Angleterre deux cent qua-
rante-sept communautés. Celle des trois qui, malgré la sé-
vérité de sa discipline ecclésiastique , est arrivée peu à peu
à être la plus nombreuse, est la secte des particular bap-
tists, qui vers le milieu du dix-huitième siècle introdui-
sirent l'usage du chant dans leur culte. ( Consultez Crosby,
History ofthe English Baptists from the rcform to the
rcign of Xlcorgcs /'■'", 4 vol., Londres, 1738; et Freiney, A
History of the English Baptists, 2 vol., Londres, isil.)
Les baptistes sont aussi très-répandus dans l'Amc'rique
du Nord, où beaucoup de mennonites vinrent s'établir et
fonder dos communautés particulières dans le cours du dix-
scplièmc siècle. En 1842 leur nombre atteignait déjà le chif-
518
fre de six millions d'âmes, dont la très-grande majorité se
rattache à la secte des particulnr baptists. Parmi les des-
cendants des anciens anabaplistes on compte aussi les ditn-
/ie;'.ç, descendants d'anciens réfugiés allemamis, ctqui en 1840
possédaient cinquante églises en Amérique. En ce qui touche
le haptfme des adultes, ils sont donipelers , c'est-à-dire
qu'ils pratiquent l'immersion totale. Ils ne diflèrent de doc-
trines avec les baplistes, qu'en ce que, à l'instar des anciens
anabaptistes, ils estiment qu'il est illicite de faire des procès,
de porter les armes, de s'exercer à l'escrime, de jurer et
de i)r?ter à intérêt. Le point dominant de leur foi religieuse
consiste à dire que la félicité dans l'autre monde ne peut
s'acquérir que par des expiations et par rabstincncc. Dans
leurs assemblées, où les deux sexes ne se réunissent qu'une
fois par semaine, le jour du sabbatli, chacun peut prier et
parlera haute voix. Ils n'a(bninistrent la communion que
de nuit, et y joignent des agapes où ils se lavent mutuelle-
ment les pieds (.'t se donnent le baiser de la fraternité. Celui
d'entre eux qui contracte mariage cesse par là d'appartenir
aux frères et sœurs en état de perfection. Les époux ne sont
plus que des parents de la communauté. Ils peuvent habiter
les loralités voisines; et ce sont ]c^ parfaits qui se ciiargent
de l'éducation de leurs enfants. Les richesses considérables
de la coiniimnauté, ([u'accroit incessamment le produit du
travail de tous ses membres, servent à l'entretien des pa-
rents et des parfaits. — Il faut encore mentionner les chris-
tians, qui ne comptent pas moins de mille églises dans l'A-
mérique du Nord.
AIVABAS (du grec àva6a{v£iv, grimper), genre de
poissons qui , d'après G. Cuvier, ne comprend qu'une seule
espèce, et qui apiiartient au groupe des poissons pharyn-
giens labyrinthilormes. Toutecette i'amille est ainsi nommée
parce qu'en partie leurs os pharyngiens supérieurs sont di-
visés en petits feuillets irréguliers , interceptant des cellules
dans lesquelles il peut séjourner de l'eau, qui roule sur les
branchies et les himiecte pendant que le poisson est à sec ;
ce qui , ajoute G. Cuvier, permet à ces poissons de se rendre
à terre , d'y ramper à une distance souvent assez grande
des ruisseaux et des étangs où ils vivent; propriété singu-
lière , qui n'a point élé ignorée des anciens, et qui a fait
croire au peuple de l'Inde que ces poissons tombent du
ciel. — L'anabas, qu'on nomme en langue îamouleou ma-
labare pané-éré (monteur aux arbres), est l'espèce dont
les labyrinthes du pharynx sont portés au plus haut degié
decomplication. C'est probablement à cette particularité d'or-
ganisation que ce poisson doit de s'élever à plusieurs pieds
au-dessus de l'eau en grimpant le long des arbres , ce qui
résulte des observations de MM. Daldorf et John, qui ont
ré-sidé longtemps à Tranquebar. Ce poisson se trouve dans
l'Inde et dans les îles de son arcliipel; sa chair, qui abonde
en arêtes, quoique de très-mauvais goût, est cependant
estimée dans certaines contrées. Les jongleurs s'en servent
pour atuuser le peuple. L. Lâchent.
AIVABLEPS (du grec àvaêXsuw , je regarde en liant),
nom donné par Artedi à une espèce de poissons qui offrent
une particularité d'organisation q\ii les distingue de tous les
autres animaux vertébrés, et qui consiste en ce que leurs
yeux ont une double prunelle, ce qui leur donne la faculté
d'avoir ([uatre champs de vision , dont deux supérieurs et
deux latéraux. On avait d'abord cru que l'anableps avait
quatre yeux, deux sur clia(iue côté. C'est en ce sens qu'il
Hiut interpréter l'épithète tctrophthalmus , qui lai avait
été donnée par IJIoch. Ce poisson appartient à la famille des
cyprino'idcs , ordre des malacoptérygiens abdominaux. Il
est, dit-on, d'une très-grande fécondité, et vit dans les ri-
vières de la Guyane. On le connaît à Cayenne sous le nom
de gros-o'i. Sa chair v est très-estimée. L. Lalhext.
Ai\ACA.Ml»TÏQUE. Ce mot, dérivé de àvaxâiXTVTw , je
réiléchis, s'applique en optique et en acoustique à la ré-
flexion des rayons de la lumière ou à celle des ondes so-
ANABAPTISTES — ANACHRONISME
nores. En optique, ce terme a été remplacé par celui de
catoptriquc.
Ai\ACAUDE ou NOIX D'AC.UOU. Voijez Acajou.
AiXACHARSIS le jeu.ne, fils de Gnurus, roi de Scy-
thie, voyagea dans les pays civilisés de l'Europe, pour s'ins-
truire et cultiver son esprit. Vers l'an 592 avant J.-C,
il vint à Athènes, et se lia avec h-s jjIus grands hommes de
l'époque, particulièrement avec Solon et Crésus. De retour
dans sa patrie, il chercha à y introduire les mœurs et le
culte de la Grèce, ce qui lui valut l'inimitié du roi son frère
et la mort. Bien qu'il ne fût pas Grec de naissance, on le
compte généralement au nombre des sept sages de la Grèce.
Le premier, il a comparé les lois aux toiles d'araignées , qui
ne prennent que les mouches. Il s'étonnait de ce que dans
le gouvernement d'Athènes les sagas ue fissent que pro-
poser, tandis que les fous décidaient.
L'abbé Harthélemy a mis en scène un personnage ima-
ginaire de ce nom dans son célèbre Voyage du jeune Ana-
c/iarsis. Cet Anacharsis, qu'il suppose avoir vécu du temps
de Philippe et d'Alexandre , est censé être un descendant
du lils do Gnurus.
iVNACIIORÈTE, substantif grec formé du verbe àva-
ywpÉo), aller à l'écart, vivre dans la retraite. On appelle
ainsi un ermite, un solitaire, un homme retiré du monde
par motif de religion, et (pii, déterminé à fuir toute dis-
traction incompatible avec la vie contemplative et les pra-
tiques de la pénitence, livré aux méditations religieuses,
aux jeûnes, aux macérations, vit seul, afin de ne s'occuper
que de Dieu , auquel il s'est voué tout entier. Ce genre de
vie a toujours été connu dans l'Orient. Saint Jean-lJaptiste,
dès son enfance, se retira dans le désert, et y vécut jusqu'à
l'âge de trente ans ; mais saint Paul de ïlièbes en Egypte
est regardé comme le premier ermite ou anachorète du
christianisme. Il se retira dans le désert de la Thébaïde
Tan 250, pendant la persécution de Décius et de Yalérien ;
bientôt il y fut suivi (lar saint Antoine et par d'autres, qui
vécurent en commun et furent nommés cénobites . Cet
exemple fut suisi même par des femmes : quelques-unes
s'enfoncèrent dans les déserts pour éviter les dangers du
siècle; d'autres se renfermèrent dans des cloîtres pour y
vivre ensemble sous une même règle. Ce fut l'origine do
l'état monastique.
ANACHRONISME (du grec àva, en arrière de, contre,
et ypovô;, temps). Par là on entend généralement toute
erreur de date contre la chronologie; mais l'étymologie de
ce mot en restreint la signification à l'erreur qui i)lace un
fait avant sa venue. Charles Nodier , dans son Examen
critique des Dictionnaires, se plaint de cette définition,
et demande comment on nommera la faute qui consisterait
à placer un fait dans un temps postérieur à celui où il est
arrivé. Il ne pouvait ignorer cependant qu'il y a une ex-
pression pour rendre ce sens : c'est parachronismc, fait
de Ttapà, au delà, et de xpovà;. Prochronisme, fait de Ttpo,
avant, et de xpovè;, a la même signification qu'anachro-
nisme. Enfin, il existe un mot pour rendre en général une
erreur en chronologie : c'est métachronisme, dont la tète
[xeià est une préposition qui marque simplement le dépla-
cement.
Il y a des anachronismcs tellement consacrés par l'usage,
que les savants eux-mêmes sont obligés de s'y soumettre.
Telle est l'erreur accréditée par Virgile, qui rend contempo-
rains Énée et Didon, quoiqu'ils aient vécu à deux cents ans
de distance. Telle est la tradition qui place la naissance de
Jésus-Christ en l'an 4004 du monde et 754 de Rome, tandis
qu'elle doit être reportée, selon les uns à l'an 749, selon les
autres à l'an 751.
L'anaclironi>me ne consiste pas seulement dans la trans-
position de dates de tel ou tel événement. On en commet
aussi en prêtant à une ('poque les nueurs et les usages d'une
autre , en attribuant à un personnage des idées qui n'ont
ANACHRONISME — ANACREON
519
pu ètro les siennes, un langage qu'il n'a i)ii tenir, des actions
qui lui sont éti augures.
AJV'ACLASTIQUE (du grec àvà, dereclief; x),âw, je
brise). Ce mot est employé dans les anciens auteurs pour
désigner la partie de l'optique qui a pour objet les rélrac-
tions de la lumière, et qu'on appelle aujourd'hui diop-
trique. On se sert quelquefois du mot anaclasfiqiie adjec-
tivement : c'est ainsi qu'on dit le point anaclaslique, pour
désigner le point où un rayon de lumière se rofractc.
AIVACLET. L'un des deux papes de ce nom , disciple
de saint Pierre, mourut de la mort des martyrs, en 92 ;
c'est tout ce que l'histoire nous apprend de certain sur lui.
— L'autre était petit-fils d'un juif baptisé. 11 s'appelait d'a-
bord Pierre (fe LÉON. 11 fut successivement écolier à l'Univer-
sité de Paris, moine à l'abbaye de Cluni, cardinal et légat
du pajw en France et en Angleterre. En 1130 il fut élu pape
en opposition à Innocent II , qu'il obligea à se réfugier en
France. Rome, Milan et la Sicile étaient pour Anaclet. C'est
de lui que Roger de Sicile , qui avait épousé sa sœur, ob-
tint le titre de roi. Anaclet se maintint contre l'empereur
Lothaire II , malgré les actes des conciles de Reims et de
Pise, malgré les foudres do saint Bernard , et il mourut à
Rome, le 7 janvier 113S. 11 n'a jamais figuré dans l'histoire
ecclésiastique que comme antipape.
A\ACOLl]TIIE, ligure de mots, espèce d'ellipse, ve-
nant d'àvaxoÀo'jûo; , qui n'est pas compagnon , qui ne se
trouve pas dans la compagnie de celui avec lequel l'analogie
voudrait qu'il se trouvât. Au II' livre de l'Éneide, Panthée,
prêtre d'Apollon, rencontrant Énée pendant le sac de Troie,
lui dit qu'llion n'est plus; que des milliers d'ennemis en-
trent par les portes en plus grand nombre qu'on n'en vit
autrefois venir de Mycènes :
Pnrtis alii bipatentibus adsuiit
Millia quot magnis nunquani 'vendre Mjrcenis.
On ne saurait faire la constniction sans dire : Ain ad-
sunt TOT quot nunquam venerc Mycenis.
Ainsi tôt est Vanucolutlic, le compagnon qui manque. Il
en est de même de tantum sans quantum, de tamen sans
quanquam. En français, au lieu de dire : il est là où vous
allez , on dit : il est où vous allez ; — là est r««flco-
luthe : c'est dire une figure par laquelle on sous-entend le
corrélatif d'un mot exprimé; ce qui ne doit jamais avoir
lieu que lorsque l'ellipse ne blesse point l'usage et peut être
aisément suppléée. Dcmxrsais.
A\' ACRÉOîV , célèbre poète grec , né à Tcos en lonie,
Horissait vers l'an 530 avant J.-C. Platon le fait descendre
d'une des plus illustres familles de la Grèce , et place
même le dernier roi d'Athènes, Codrus, au rang de ses an-
cêtres. Étant fort jeune encore, il suivit avec ses parents une
colonie des Téiens, qui pour échapper au joug des Perses
émigra , dans la 59*^ olympiade , à Abdère, sur les côtes
de Thrace. Polycrate , tyran de Samos , et Hipparque , fils
de Pisistrate , tyran d'Athènes, furent heureux de compter
parmi les poètes dont ils s'entouraient le chantre célèbre des
Amours et des Grâces. Quelques auteurs rapportent , au
sujet de sa liaison avec le premier, une anedocte qui prou-
verait qu'elle n'a pu être aussi intime qu'on l'a prétendu :
ils racontent qu'ayant reçu de lui une somme assez consi-
dérable , à condition qu'il habiterait son palais , Anacréon
se liàta , le lendemain même de ce marché , de lui reporter
l'argent ([ii'il avait accepté, disait-il, trop légèrement, le con-
jurant de lui rendre sa liberté, et avec elle ses chansons et
sa gaieté. C'est la fable du Savetier et du Financier, de
La Fontaine. Il paraît certain, malgré ce récit, qu'il passa à
Samos, aiipiès de Polycrate, les plus belles années de sa vie,
vivant dans son intimité, au milieu des plaisirs d'une cour
voluptueuse. .Après la mort de ce (irince, il s'embarcpia pour
Athènes, sur une galère à cinquante raines que lui avait en-
voyée Hipparque; ce fut à sa cour qu'il connut Simonide de
Céos, autre grand lyrique ionien qui devait lui Kurvi\re et
lui consacrer une double épitaphe. Ils bercèrent ensemble
ce peuple enthousiaste et léger, mais ami du repos avant
tout et redoutant les orages de la démocratie. Anacréon ,
(piand Hipparque fut tombé sous le poignard d'Harmodius
et d'Aristogiton , quitta Athènes et retourna à Téos : au
bout de quelques années, une révolution vint l'obliger à
échanger pour la seconde fois ce séjour contre celui d'Ab-
dère, où il mourut suivant les uns; mais, s'il faut en croire
les vers de Simonide, ce fut à Téos, où il était retourné de
nouveau, qu'il expira, ;i l'ûge de quatre-vingt-cinq ans,
étranglé par un pépin de raisin.
Les Téiens gravèrent son image sur leurs monnaies, et
les Athéniens lui élevèrent une statue sur l'Acropole, à côté
de celles de Périclès et de Xantippe; cette statue le repré-
sentait couronné de roses, sous la figure d'un vieillard chan-
tant dans l'ivresse, et tenant ce luth dont il tirait , dit-on , de
si doux accords.
« Ses poésies sont enchanteresses , a dit un de ses bio-
graphes ; grâce, mollesse, enjouement, variété, coloris, tout y
est inimitable; c'est le chantre du plaisir par excellence.
Yénus et la volupté, le vin et Bacchus, Silène et les Dryades,
voilà son univers. Il n'a d'autres passions que la gaieté, l'in-
souciance et la paresse , d'autre ambition que le sourire.
Il a vécu couché sur un lit de feuilles odorantes , buvant
et chantant ; c'est en buvant et en chantant encore qu'il des-
cend aux enfers pour y danser avec les morts. Ses poésies
ne sont point des rêves d'imagination, des fictions inventées
à plaisir; non, leur supériorité c'est qu'elles sont l'histoire
de sa vie. Bien différent de ces faux poètes qui parlent tou-
jours de leur culte sans idole, épicuriens sans soif et sans
amours, qui disent à jeun l'ivresse, à jeun aussi la volupté,
lui, s'il célèbre le vin, c'est qu'il chancelle; s'il célèbre Vénus,
c'est qu'il a dénoué la ceinture de sa maîtresse. Vrai poète,
il n'a chanté que le vin et l'amour, parce qu'il n'a vécu que
pour l'amour et le vin. C'est le roi des riants convives.
« Son style réunit deux qualités qui vont rarement en-
semble : la concision et la légèreté ; son talent est irrépro-
chable. Malheureusement, on ne peut pas en dire autant de
ses mœurs, et les trois noms de Cléobule, de Smerdias et de
Batylle imprimeront toujours une tache à celui d'Anacréon.
Mais quant à la réputation du poète , elle est grande comme
celle de Pindare et d'Homère ; comme celle de Pindare et
d'Homère, elle est indestructible. Avec ces deux grands
génies Anacréon partage la gloire d'avoir donné son nom à
son genre de poésie; c'est de tous les triomphes le plus
sublime. «
Les anciens possédaient de lui cinq livres de poésies, en
pur dialecte ionien , non moins variées par le fond que par
la forme , des hymnes , des élégies , des ïambes , outre ses
chansons baciiiques et erotiques. A ce dernier genre ap-
partiennent les cinquante-cinq petites pièces connues sous
le nom d'Odes d'Anacréon, publiées pour la première fois
en 1554, à Paris, par les soins d'Henry Estienne, d'après
deux manuscrits que le hasard avait fait tomber entre ses
mains, et qui ne nous ont pas été conservés. De là d'abord
quelcpies soupçons, qui se sont évanouis quand elles ont
été retrouvées , avec un meilleur texte et une disposition
différente, à la suite de l'Anthologie de Constantin Céphalas,
dans un manuscrit de la bibliothèque Palatine à Heidelberg,
transporté à la Vaticane de Rome, et publié dans cette der-
nière ville en 1781.
Un juge très-compétent, M. Guigniaut, a prétendu « qu'à
de très-rares exceptions près , ces chansons anacréontiques,
de mérites fort divers, ne sont que des imitations d'Ana-
créon , faites à des époques différentes , beaucoup même
dans les premiers siècles de notre ère. La plupart, dit-il, ne
manquent ni d'esprit, ni de finesse, ni d'une certaine naï-
veté; mais l'inspiration poétique n'y apparaît que de loin
en loin ; la langue n'y est plus l'ancien ionien, et la niesiii-e
520
du vers y est souvent m^gligi'c à Pcxcès. Ces i)roi!u(li.)iis,
agréables en elles-mèines , sont i)eii dignes ilii grand maître
dont elles ont usuipé le nom. On n'en saurait dire autant
des épigrammes d'Ana(;réon , insérées par Méléagre dans
son Anthologie. Le caractère de ces compositions, d'une sim-
plicité parfaite , garantit l'authenticité de la plupart. »
L'édition la plus généralement estimée de ce qu'on est
convenu d'appeler les œuvres d'Anacréon est celle de
I5runck (Strasbourg, in- 1 G, 1780). De Saint-Victor en a re-
produit le texte en regard de sa traduction, publiée en 1810
in-S". Indépcndanmient de cette version , le grand poète de
Téos, on du moins ce (pi'on lui attribue, a été fréquemment
interjirété dans toutes les langues, et notanunent en français,
par madame Dacier et par Gail eu prose; par Longepierre,
de la Fosse, C.acon, de Saint-Victor, Veissier- Descombes
et I\L Henry Vesseron en vers. Plusieurs de ces odes ont
môme été mises en musique par Mébnl, Chérubini et d'au-
tres compositeurs.
A\ACRÉOi\'TIQUE (Littérature), genre de poésie
dont Anacréon, de Téos, a créé le modèle. La plupart de
ses odes sont en vers de sept syllabes , ou de trois pieds et
demi, spondées ou ïambes, quelquefois anapestes. Nos
poètes français ont également employé pour cette ode les
\ers de sept et de huit syllabes , qui ont moins de noblesse,
ou , si l'on veut, d'emphase que les vers alexandrins, mais
l>Ius de douceur et de mollesse. Avant et après Anacréon ,
<i"autres poètes grecs ont célébré l'amour, ses peines , ses
délices : mais seul il a consacré tous ses chants à cette
volupté. H a eu encore d'heureux imitateurs parmi les La-
tins ; et en tète il faut inscrire Horace , Catulle . TihuUe,
Properce, Gallus, etc. ; mais pour le léger Catulle lui-!nème
l'amour mêle toujours quelque amertume aux plus douces
jouissances; pour Anacréon seul c'est un messager de
plaisir, qui n'a jamais vu passer un nuage sur le front de son
maître ; ils boivent et chantent ensemble , ils se couronnent
ensemble de roses. Parmi les odes anacréontiques d'Horace,
on en cite particulièrement deux : O mutre pulchra Jilia
pulcIiriorleX Lijdia, die pero??i72P5.' Mais Horace travaille
beaucoup son style, dont la perfection même, en constatant
l'inconcevable méritede la difliculté vaincue, laisse apercevoir
la trace des efforts. Anacréon, plus simple, ne livre au
lecteur que les fruits heureux d'une inspiration soudaine; il
prend sa lyre, et s'abandonne à sa riante imagination. Horace
conserve toujours malgré lui quelques paillettes de gravité
romaine ; il philosophe sur la mort : Anacréon joue avec elle.
Les odes anacréontiques d'Horace manquent de ce charme
qui touche dans Tibulle et dans notre Parny ; jamais elles
ne firent verser une larme. Ln lisant Anacréon on oublie
tout pour se mettre à la place d'un homme aussi heureux.
On a comparé aussi Panard, Collé et Dcsaugiers à Anacréon ;
mais leur ivresse n'est pas de bon ton comme celle de leur
modèle , on cherche vainement le verecunclum JUicvImm
à leur table. C'est un vrai poète, ils ne sont que d'admira-
bles chanteurs; et, malgré l'opinion contraire de VEnchj-
clopédie du dix-huitième siècle, nous persistons à croire
que toutes les bonnes chansons ne sont pas autant d'odes
anacréontiques. Kn dépit de ces maîtres de la science, ja-
mais nous ne nous résignerons , non plus , à voir dans La
Mothe un rival heureux d'.\nacréon et à proclamer ses
odes anacréonticpies des chefs-d'œuvre d'esprit, de badi-
nage léger et de morale épicurienne.
« Nous possédons, a dit l'académicien Tissot, qui était
l'élève de Delille, de charmantes pièces" anacréontiques
qui , sans conserver à nos yeux le prix qu'un hymne du
vieillard de Téos devait avoir pour les Grecs , nous plaisent
par la fidèle image d'un modèle quelquefois embelli. D'au-
tres, telles que les stances de Voltaire : Si vous voulez
que f aime encore, et ceFles de Chauliou sur la solitude,
nous révèlent ce (p.i'on chercherait en vain dans les amours
des pocles anciens. Le Oon Vieillard de Ccrangcr est une
ANACRÉON — ANAGNOSTKS
pièce achevée , prouvant aux plus incrédules combien on
jieut étendre les contpiêtes de ce genre de poésie .sans le
dénaturer. Voltaire a prétendu que nous avions en français
cent chansons supérieures aux odes d'Anacréon ; ce juge-
ment, rrot à /)/?« d'j/H égard, n'enlève rien à la gloire
du vieillard de Téos. Même dans ses pièces les plus légères,
Anacréon donne des exemples utiles aux poètes. »
De ce qui précède il résulte que le classique profes-
seur, saisi dès les bancs du collège d'un profond respect
pour celui qu'il appelle un des plus grands maîtres en poésie,
se sent mal à l'aise quand il se voit forcé, par le tour tyran-
nique de sa propre phrase, de justilier cet enthousiasme
traditionnel. Jules Janin, lui, n'y met pas tant de façons :
« Parce qu'il avait existé, dit-il, à Téos, dans llonie,
540 ans ùvant .L-C, un poète qui aimait le vin et les
femmes, et qui a chanté tout ce qu'il aimait en quelques odes
d'une simplicité pleine de grâce, nos poètes français, bien
longtemps après Anacréon, inventèrent une chose qui ne
ressemble pas plus à Anacréon que le peintre Boucher ne
ressemble au Titien; cette chose, ils l'appelèrent : genre
anacréontiqite. Anacréon , dont le mètre est si exact et la
grâce si peu verbeuse, Anacréon, qu'on dirait échappé, tout
amoureux et tout ivrogne qu'il est, <le quelque école poétique
de Sparte , ne se doutait pas que tant d'années après sa
mort, il donnerait naissance a cette détestable école de
poi'sie, toute remplie de (leurs, de bergers, de jiarfums, de
guirlandes de roses, de petits dieux aux yeux bandés, aux
ailes étendues. Si on avait expliqué à Anacréon ce que c'é-
tait au juste que le genre anacréontique, il aurait fait
une ode à coup sur pour démontrer qu'on devait donner à
ce très-détestable genre un autre nom que le sien 11 faut
lire Anacréon, quand on sait le grec. 11 faiit écrire comme
lui, quand on a sa passion et son style. Il faut se méfier,
en tout temps, en fout lieu, en tout pays, en toute circons-
tance, en peinture, en poésie, en musi(iue , partout et tou-
jours, du genre anacréontique. »
AiVACYCLIQUE, terme de littérature ancienne, se
disait de quatre ou six vers latins, dont les mots des deux
ou trois premiers se trouvaient dans les derniers, mais
placés en sens inverse, le premier devenant le dernier.
AiNADEMATA, ANADESME. On donnait ce nom,
chez les Grecs, à toutes les bandelettes, à tous les liens qui
servaient à contenir ou à orner la chevelure. D'après l'cpi-
tliète qu'Homère applique à la coiffure d'Andromaque, il
paraîtrait que c'était une bandelette tressée ou une natte.
AIVADYOMEIVE. Ce surnom, sous lequel Vénus a été
célèbre dans l'antiquité, rappelle la naissance de cette déesse
essuyant ses cheveux en sortant de l'écume de la mer
qui l'avait formée. C'est ainsi que l'a représentée le peintre
Apelle. Selon quelques auteurs, ce fift Campaspe , maîtresse
d'Alexandre, qui lui servit de modèle; d'autres prétendent
que ce fut Phryné. On raconte qu'aux fêtes de Neptune cette
courtisane se dépouilla de ses vêtements devant toute l'assem-
blée, et se baigna dans la mer pour donner à l'artiste une idée
de Vénus sortant de l'onde. Ce tableau fut rapporté à Rome
sous Auguste, qui, d'après le témoignage de Pline, le consacra
dans le temi>le de César , son père. Parmi les poètes qui
ont célébré les beautés de ce chef-d'œuvre, Antipater de Si-
don est celui qui en a Hiit la description la plus animée. La
voici telle qu'on la trouve dans l'Anthologie : « Voyez l'œuvre
admirable cn'ée par le pinceau d'Apelle! Voyez la belle Cy-
pris s'élançapt du sein des Ilots pourprés ! Elle porte la main
à sa chevelure, d'où l'eau ruisselle, et presse l'onde écumeuse
do ses boucles humides. Pallas elle-même et l'orgueilleuse
épouse de Jujutcr disent en la voyant : « Maintenant nous
« ne te disputons plus le prix de la beauté. » Le Titien a
traité le même sujet.
AIV.XGXOSTES, nom emprunté, sans altération, au
grec (àvayvwrrTv;;). Il désignait chez les P,(niiains cer es-
claves, iwur la plupart Irès-ir.struils cl d'un prix élevé, qui
ANAGNOSTES
iluraiit los repas ou on tl'autres moments faisjiient la lecture
à leurs maitros et aux liotesde ces deniieis. Lorsque Autiste
s'éveillait iH>nilant la nuit et ne pouvait pas se rendormir, il
appelait souvent près de lui (Suétone, OctaiK, 7S) de ces
leclorcs, comme il les ajipellc, et de ces conteurs {/ahula-
tures). Ce fut l'empereur Claude surtout qui mit les ana-
{^nostes en faveur ; \cf'/abulatorcs se sont peut-être conservés
en Italie jusqu'aux temps modernes dans les novcllalori,
célébrés particulièrement par madame de Staël {Corinne, n,
234 et suiv. ).
AXAGOGIE (du grec àvi, en haut, en arrière de, re-
tour, et âyîiv, conduire, rappeler ) . Les Anagogies étaient dans
l'antiquité des fêtes qu'on célébrait à Éryx, en l'honneur de
Vénus, émigrée eu Libye, pour invoquer son retour.
En langage mystique, c'est un état d'extase, de ravissement
de l'àme vers les choses célestes, ou le moyen d'élever l'es-
prit à cet ordre d'idées.
Enfin c'est l'interprétation figurée d'un fait ou d'un texte
de la Bible,* pour signifier les choses du ciel. Dans ce sens,
K»s biens temporels promis aux observateurs de la Loi sont
l'emblème des biens éternels réservés à la vertu dans la vie
future.
AA'AGRAAIME (du grec àvà, en arrière, et Ypàiip.ot,
lettre), transposition arbitraire des lettres d'un nom de ma-
nière à leur faire former par leur nouvelle combinaison un
sens avantageux ou désavantageux à la personne dont le nom
fournit matière à l'anagramme. Amsi, Vanagramme de lo-
gica est caligo, celle de Lorraine est alérion, et l'on dit que
c'est pour cela que la maison de Lorraine porte des alérions
dans ses armes. C'est Calvin qui fut l'introducteur de Vana-
gramme en France. A la tète de ses Institutions, imprimées
à Strasbourg en 153S, il prit le nom A^ilcuinus, qui est l'a-
nagramme de Calvinus. Ou trouve aussi dans François Ra-
belais plusieurs exemples d'a?ifl9JY/m?«e5 : lui-même se re-
vêt du pseudonjTne Alcoj'ribas iW/.s/er, composé exactement
des mômes lettres. Mais ce fut Dorât, poète français, qui
mit ce genre en honneur sous le règne de Charles IX.
On a accusé les anciens de n'avoir pas cultivé l'ana-
gramnie : c'est une infâme calomnie , qui doit retomber sur
les modernes. Lycophron, qui vivait du temps de Ptolémée
Philadelphe, quelques cents ans avant la naissance de Jésus-
Christ, a obtenu des succès éclatants dans Vanagramme;
et nous les citerions avec joie, s'ils ne compromettaient pas
quelques dames de Philadelphie, près desquelles ils valurent
au poète des succès plus éclatants encore.
Que manque-t-il à la gloire de l'anagramme? Lorsque
Pilate, interrogeant Jésus-Clirist , lui fit une question que
le latin rend par ces mots : Quid est veritas ? la réponse
du Christ est dans la même langue : Est vir qui adest. C'est
une anagramme parfaite. Belle est encore celle qu'on a ima-
ginée sur le meurtrier de Henri lil, frère Jacques Clément,
et qui porte : Cest l'enfer qui m'a créé. Les cabaiisles
parmi les juifs l'emploient fréquemment. De Pierre de Ron-
sard on a fait rose de Pindare ; de Vermiettes, pseudonyme
de J.-B. Rousseau rougissant de sou père le savetier. Tu te
renies; de révolution française, un Corse la finira ;de La-
martine, enfin, montant au pouvoir en 1S48 , mal t'en ira.
Le vers rétrograde est aussi une espèce d'anagramme.
On trouve dans une vieille Bible, en marge de l'endroit où
la Genèse parle du sacrifice deCain et d'Abel, ce vers hexa-
mètre, que l'on met dans la bouche du dernier :
Sacrum pinguc tlubo, ncc macruiD sacrificabo.
Gain réjwnd en retournant ce vers, qui devient pentamètre
Sacrificabo macrum, ncc tialio pingnc sacrum.
Rachct a composé, sous le titre d'anagrammeana, un
poème de douze cents vers, dont chacun contient une ana-
gramme. Jules SvNnr.xL'.
AIVAIS (Mademoiselle). Voyez Aubekt (.\nais).
DICT. l)L LA CO.>\UibArio;.. 1. 1.
- AN.\LOGIK 521
•WAI.CniE, espèce de sihcafe fusible au chalumauicn
im verre incolore etplus ou moins transparent. Tous ces cris-
taux, même ceux cpii sont diaphanes, n"ac(iuièrent au moyen
du frottement qu'une très-l'aible vertu electri(pic : à défaut
de caractère plus tranché, Hauy a tiré de celui-ci le nom du
minéral dérivé de à^alxi;, corps faible, sans vigueur. Ce
nom lui convient aussi sous le rapport de la dureté, car il
peut à peine rayer le verre. Ce minéral se trouve en abondance
dans les roches basaltiques de l'Ecosse et des Hébrides, et
dans celles des îles Cyclopes, près de la Sicile. H se ren-
contre encore dans des amygdaloïdes aux États-Unis et dans
le i'yrol.
AIVALECTES (du grec àvxliwta, je ramasse). On ap-
pelle ainsi des fragments choisis d'un auteur, ou une collec-
tion de morceaux de divers auteurs. Le père Mahillon a
publié, sous le titre A'Analectes, une collection de manus-
crits qui n'avaient pas encore été imprimés, et Rrunck, une
anthologie curieuse. — C'était aussi chez les anciens le nom
qu'on donnait aux restes des rei)as, à ce qui tombait à terre,
et plus spécialement aux esclaves chargés de les recueillir
et de balayer la salle du festin.
AXALEIMME ou ANALÈME ^du grec àvâ),£ij.aa, hau-
teur; fait du verbe àva).aix6ivto, prendre d'en haut). On ap-
pelle ainsi , en astronomie, la projection orthographique de
tous les cercles de la sphère sur le plan du méridien. L'ana-
lemme sert à trouver la hauteur du soleil à une heure quel-
conque par une opération graphiijue. On peut encore l'em-
ployer pour déierminer le temps du lever et du coucher du
soleil pour une latitude et un jour déterminé. — On appelle
aussi mialemme l'instrument nommé autrement trigone
des signes.
ANALEPTIQUES (du grec àvâ),r,'V.:, r.ftablissement ),
substances le plus souvent alimentaires , quelquefois médir
camenteuses , auxquelles on attribue la propriété de contri-
bi:er au rétablissement des forces altérées par les maladies.
Le nombre des substances propres à préparer ce résultat est
extrêmement considérable. Nous citerons en première ligne
les vins généreux, les compositions dites cordiales, les bons
consommés, les œufs , les viandes blanches et gélatineuses ;
mais il est vrai de dire qu'on considère suitout comme
analeptiques certaines fécules nutritives , comme le salçp,
lesagoUjletapioka, certaines gelées aromatiques, ou des
chocolats auxquels on associe des médicaments stimulants
ou toniques. En général, l'action des analeptiques est
douce et fortifiante : c'est ce qui explique la préférence
de leur emploi dans tous les cas où à la débilité de la cons-
titution se joignent la faiblesse et la susceptibilité des or-
ganes digestifs, qui ne pourraient tolérer des aliments plus
solides. Df Delasiacve.
AXALOGIE (du grec àvcz/.oYta, rapport, ressemblance),
mot qui sert à désigner les rapports que certaines choses
ont entre elles, quoiqu'elles diffèrent, d'ailleurs, par des
qualités qui leur sont particulières.
On établit un raisonnement par analogie quand on l'é»
t.-ii)Iit sur des rapports de similitude qu'on remarque entre
deux ou plusieurs choses. Chaque science possède ses ana-
logies, ses raisonnements fondés sur les rapports que nous
venons de définir; les scolastiques en distinguent de trois
sortes : analogie d^inégalité , analogie d'attribution , ana-
logie de proportion. — La métaphysique et la philosophie,
en général, n'ont presque pas d'auties fondements que des
inductions produites par analogie.
Mais pour que des raisonnements de cette nature ne
conduisent pas au sophisme et à l'erreur, au lieu de mener
à la vérité qu'on poursuit , on ne saurait trop s'assurer d'a-
vance de la similitude exacte des rapports sur lesquels on
s'appuie. Quand Condillac disait : « Souvent le fil de l'a-
nalogie est si fin qu'il nous échappe , » il savait parfaite-
ment quelles monstrueuses erreurs est quelquefois suscep-
tible d'culanler l'illusion des faustes analogies. Les «««/»►-
522.
ANALOGIE — ANALYSE
ffii^s si gracieusement décrites par Foiirier entre les amours
«tes fleurs et les passions humaines sont-elles autre chose
que (le charmantes rôveries , et aboutissent-elles à une con-
clusion réellement sérieuse?
En pliysique, pour parvenir à certaines démonstrations,
on procWe également par analo-ie; c'est par ce moyen
qu'on est panenu à détruire les erreurs jjopulaires sur le phé-
nix, la piene philosoi)halc, et tant d'autres créations fautas-
tiques édoscs dans le cerveau des poêles, et qui sont en-
core pour certains esprits des croyances difliciles à ébranler.
En grammaire , l'analogie est un rapport d'approxima-
tion entre une lettre et une autre lettre, entre un motet
un autre mot, ou enfin entre une expression , im tour, une
phrase , et d'autres semblables. Elle est d'un grand usage
j)our arriver à des inductions plus ou moins heureuses
sur les déclinaisons , les genres et les autres accidents des
mots. Le mot doux se rapporte , dans le sens propre , à
nn cor|« dont la saveur est agréable à un palais ennemi
des àcretés. C elte qualification a insensiblement embrassé
bien d'autres acceptions diverses, et, d'analogie en analogie,
on est arrivé à dire un doux caractère, connue on dit un
breuvage doux.
En rhétorique, Vmialogieciu style en lui-même n'est autre
chose que l'unité de ton et de couleur dont il est suscep-
tible. C'est encore moins par la diversité des tons que par
l'incertitude et la variation continuelle de leurs limites, qu'il
est difficile d'observer en écrivant une parfaite analogie de
style.
En médecine , on se sert de ce mot pour exprimer la
connaissance de l'usage des diverses parties, de leur struc-
ture, et de leurs relations entre elles, eu égard à leurs fonc-
tiojis. C'est à l'analogie que l'on doit l'utilité de la saignée
Jans différentes maladies inflammatoires et éruptives ; c'est
par analogie que l'on a reconnu les effets de diiïérentes pré-
parations chimiques tirées du mercure , de l'antimoine et
du fer.
En mathématiques, analogie indique la similitude de
rai)port qui existe entre les deux termes d'une proportion.
AiXALYSE (Logique), mot grec, composé de àvà et
À-jo), délier, résoudre : littéraleuicnt, la résolution, la décom-
position d'un corps, d'une chose, dans ses principes, ses
éléments, d'un tout en ses parties. — En logique, c'est
Texamen de la proposition dans son ensemble. Elle consi-
dère plus les idées que les mots, et sert ou à découvrir la
Térité, ou à trouver le moyen d'exécuter ce qu'on se pro-
pose. On l'appelle aussi méthode de résolution. En gé-
Béral , il y a cette différence entre Vanalijse et la sijn-
thèse, que la première remonte de.? conséquences aux
princi|)es, des effets aux causes, tandis que la seconde des-
cend des princijjes aux coiisé(piences et des causes aux
effets. L'analyse est la seule méthode qui puisse donner de
l'évidence à nos raisoimcments. Elle a cet avar.tage sur la
synthèse, qu'elle n'offre jamais (pie peu d'idées à la fois et
toujours dans la gradation la plus simple, n Pour parler
d'une manière à se faire entendre, dit Condillac, il faut
considérer et rendre les idées dans l'ordre analytique, qui
décompose et reconqiose chaque pensée. »
AXALYSE { Littérature). On verra plus loin que l'a-
nalyse, en chimie, sert à trouver les éléments d'un corps, et
met à découvert les différents principes qui entrent dans
sa conqiosilion. Du même l'analyse littéraire a pour Imt de
ramener un produit intellectuel à sa composition piimitive.
I..a UK'ditation, ce puissant agent, ré(iuit un ouvrage à
son iilée-mère. Le débarrassant d'ahoid de tous les orne-
ments de style, elle permet de distinguer la fable dans tous
ses détails, mais rien (|ue la (able ; puis elle élimine succes-
sivement les divers incidents, les artifices par lesquels
fauteur a su nous attendrir ou nous r(''jonir, exciter le rire
»>ii la terreur, les dévelo|)pemenls qui lui ont servi à cap-
tiver notre attention, ;i la mainteiKr et à V'augmentcr pen-
dant un certain nombre d'actes ou de chants , et par ces
éliminations on arrive à l'idée première, à la pensée créa-
trice qui a inspiré et soutenu le travail de l'écrivain. Cetic
dissection nous fait assister en quelque sorte au travail du
génie , et nous permet de saisir ses procédés , de nous les
approprier.
Hien de plus utile que l'ancilyse : seule elle peut nous
initier à la connaissance complète des grands maîtres; c'est
le (lambeau qui doit éclairer notre route, si nous ne voulons
nous exposer à bien des erreurs et peut-être à plus d'ime
chute. Par l'analyse , pénétrant dans le secret de la compo-
sition littéraire , nous voyons comment l'homme de gf'nie
sait disposer de ses ressources, de quelle manière il combine
telle et telle pensée pour produire tel effet; comment sou-
vent une idée en fait jaillir une autre ; par l'analyse nous
découvrons l'art avec lequel il groupe ses sentiments , les
rapproche, les éloigne, les modifie les uns par les autres,
et produit de tant d'éléments hétérogènes un tout si simple,
qu'il nous transporte d'admiration. C'est en quelque sorte
une leçon prati(pie que nous recevons des Corneille , des
Racine, des INÎolière, des Bossuel, des Montesquieu; nous
assistons, si l'on peut s'exprimer ainsi, à l'élucubration de
leur cerveau, à l'enfantement progressif de leurs chefs-
d'œuvre.
Mais pour être fructueuse , une analyse a besoin d'être
faite autrement que la plupart de celles qu'on nous donne
chaque jour sous ce nom dans les journaux , et qui souvent
méritent tout au plus le nom d'extraits , indignes rapsotlies
formées de deux ou trois haillons de pourpre coupés sans
intelligence et réunis par quelques plirases banales. Pour
faire ime bonne analyse , il faudrait presque être en état de
faire le travail original, ou du moins il faut une intelli-
gence droite et sûre, une érudition solide, profonde et va-
riée, une critique éclairée et bienveillante, un goût délicat et
éprouvé , de vastes connaissances en tout genre ; car en re-
tournant le mot de Montesquieu qui sert d'épigraphe à ce
dictionnaire , on peut dire : « Celui-là seul abrège tout , qui
voit tout. » A. Feillet.
AXALYSE (Grammaire). C'est une méthode par la-
quelle on décompose chaque i)hrase , afin de découvrir les
rapports que ses divers membres ont entre eux, faisant
subira chaque mot qui la compose l'application des règles
grammaticales qui le concernent , et celle des diverses com-
binaisons d'accord et de régin)e dont il est susceptible , in-
diquant tour à tour le rang de chaque partie du discours ,
la fonction qu'elle remplit dans la phrase dont on s'occuj)?,
et rendant compte de la manière dont chacune de ces par-
ties est grammaticalement écrite.
AXALYSE (Mathématiques). L'analyse s'emploie en
mathématiques pour la résolution des problèmes et, dans
certaines conditions , pour la démonstration des théorèmes.
C'est un puissant moyen d'investigation , de recherche , de
découverte; tandis que lasynthèse est plutôt une mé-
thode de transmission , d'enseignement. L'analyse va de
l'inconnu au connu; un principe étant énoncé, elle le vérifie
et le classe innuédiatement au rang des vérités ou des er-
reurs. La synthèse, au contraire, marchant du connu à l'in-
connu , cherche, par des conséquences successives, ;i dé-
duire des vérités nouvelles de celles qui sont d(^jà démonfr('e.s.
C'est à l'emploi de la méthode analytique que les derniers
siècles sont redevables des innnenses jjrogrèsde la science;
l'analyse a servi à fonder la mécanique céleste ; de nos
jours elle a lévélé à un de nos astronomes l'existence d'ime
planiste jusque alors ignorée , et elle lui a permis de calculer
d'avance l'orbite de cet astre inaper(,'u et de prétlire le lieu
oii il devait.se trouver ii une épocpie donnée. 11 est vrai que
les anciens connaissaient l'analy.se comme forme logiipie
de raisonnement ; ils l'appli(piaient quelcpiefois aux cons-
tructions de la g(-omé(rie; mais il leur manipiait un in^-
iiii;iunl (p>i permit de l'emplover toujours. Cet in^truiiioiit
AiNALYSK — ANANAS
ailmirnhlo, cVsl l'alç^Mirc, dont les progrès dans l'oii-
jn'iu' turent bien plus lents (jue eeux de la géométrie.
L'application d e l'a 1 g î> b r e à 1 a g é o m é t r i e , de-
venant une niélliode générale entre les mains de Descartes,
fut le triomphe de Tanalyse. C'est ce qui explique conmient
il s'est établi dans le langage une sorte de confusion entre
ces mots, algibre et auahj&e, de sorte qu'on a impropre-
ment donné les noms A'aïialijse mfniitisimalc à l'algèbre
transcendante , de fji*oinctr\e analijt'ique, iVaiialijse ap-
pliquée à la géométrie et à la méi'aniqne soumises au calcul
algébrique; on a oublié que dans l'algèbre mCme souvent
la synthèse est emjiloyée comme méthode de démonstration.
Cela n'empêche pas de conserver le titre iVanalystes aux
hommes qui chaque jour enrichissent la science de leurs
nouvelles découvertes; car leur fécondité tient à l'emploi
que leur génie sait faire de l'analyse.
ANALYSE (Chimie). Quand les chimistes veulent
déterminer la nature d'une substance, soit animale, soit vé-
gétale, soit minérale, c'est par l'analyse (pi'ils y parviennent.
L'analyse est donc un mode d'opération qui consiste à dé-
composer en ses éléments un corps ou un assemblage de
corps quelconque. On distingue l'analyse en qualitalive
et quantitative. La première ne s'occupe que de constater
simplement les différentes espèces de substances existant
dans un corps composé donné ; la seconde a pour objet de
constater la quantité ou le poids de chacune des substances
indiquées par l'analyse qualitative.
Les principaux agents de l'analyse sont le calorique, l'é-
lectiicité, et différents réactifs donnant naissance à des
précipités insolubles, ou du moins très-jx^u solidiles, exacte-
ment connus et dt'terminés. Ainsi, par exemple, quand
on veut doser l'acide sulfurique , on se sert d'une dissolution
de baryte; le précipité qu'on obtient est du sulfate de baryte
insoluble, qu'on ramasse sur le fdtre; après l'avoir lavé et
séché, on le pèse. Or, sachant que telle quantité de sulfate
neutre de baryte contient tant de baryte et tant d'acide
sulfurique, on a nécessairement la quantité d'acide sulfu-
rique qu'on cherche. Pour doser l'acide chlorhydritiue, on
se sert du nitrate d'argent; et si la haryle et le sel d'argent
servent à doser l'acide sulfurique et l'acide chlorhydrique ,
ces deux acides servent réciproquement à doser, l'un la
baryte , l'autre l'argent. L'analyse qui procède par le moyen
du calorique s'appelle analyse par voie sèche ; celle qui
procède par le moyen des réactifs sur les substances en dis-
solution, s'appelle analyse par voie humide. La dernière
donne généralement des résultats plus nets et plus exacts
que la première.
Les arts et l'agriculture tirent tous les jours un grand
parti de semblables opérations , qiii leur procurent , ou des
moyens nouveaux, ou des substances qu'il était quelquefois
difficile d'obtenir ou dont le prix était trop élevé pour qu'on
pilt en faire usage. Un exemple suffira pour démontrer l'u-
tilité de l'analyse chimique : l'agriculture se sert avec beau-
coup d'avantage, dans quelques circonstances, de marnes
pour amender divers terrains; il existe deux espèces de
marnes, qui ne peuvent être en!i)loyfces dans les mêmes cir-
constances, et dont l'usage pourrait même devenir très-
préjudiciable si on les substituait l'une à l'autre. La marne
argileuse nuirait dans une terre forte, tandis qu'elle serait
utile dans un terrain léger; et, inversement, une marne
calcaire pourrait devenir nuisible dans nne teiTe légère, et
amenderait favorablement une teiTe forte. Des personnes
qui ne savaient pas distinguer la nature d'une marne qu'elles
trouvaient dans un terrain , connaissant l'avantage que l'on
avait tiré de l'emploi de cette substance, ont souvent em-
ployé l'une pour l'autre, et ont ainsi obtenu de très-mauvais
résultats. Si elles avaient analysé ces substances, elles au-
raient évité des fautes qiii , non-seulement conduisent immé-
diatement à des pertes, mais souvent aussi dégoûtent
d'autres personnes de tenter des améliorations.
523
L'analyse est la base do la clrm^, puisque toute opéra-
tion chimique donne heu à des décompositions. Son appli-
cation est très-étendue ; elle donne à l'industrie les moyens
de recon-iaîlre la nature des mat('riaux qu'elle emploie, elle
indique aux sciences la composition des corps sur lesquels
elles opèrent; elle fournit enfin à la justice la révélation
d'une foule de crimes et elle en arrache même le secret au
tombeau.
Ai\'A?.ï. Voj/pz Annam.
Ai\ AXÎORPIIOSE (du grec àvi, de nouveau, derechef,
et aof çoaiç, formation ). Ce terme de perspective désigne une
copie déligsuée d'un objet, copie faite de telle sorte qu'elle
parait ceiiendant conforme à l'objet, loiscpi'on .la regarde
d'un point de vue déterminé. C'est ainsi qu'un artiste qui
peint une fresque sur une surftice courbe, ne conseive pas
aux diverses parties de son O'uvre les proportions qu'elles
auraient sur une surface plane comme les toiles des tableaux
ordinaires; s'il a fait d'abord un mo<lèle sur toile, la fres-
que qu'il peint ensuite est une sorte d'anamorphose du mo-
dèle.
Pour obtenir une anamorphose quelconque par un procédé
mécanique, on perce les contours de l'objet servant de pro-
totype, avec une pointe très -fine ; on place une bougie der-
rière cet objet et l'on marque sur la surface qu'on a choisie
les points où tombent les rayons lumineux que les trous
laissent passer. On peut faire un assez grand nombre de trous
pour qu'il soit facile d'achever le dessin. En plaçant ensuite
l'œil au point où se trouvait le foyer lumineux , l'anamor-
phose aura l'apparence du prototype ; l'illusion sera encore
plus complète si on isole l'anamorphose des objets envi-
ronnants, en la regardant par une petite ouverture pratiquée
dans un corps opaque.
Jl existe une foule d'autres manières d'obtenir des ana-
morpl-.oses. On peut employer les différentes sortes de mi-
roirs qîii, ayant la propriété de rendre difformes les objets
qu'on leur expose, peuvent par conséquent faire paraître
naturels des objets difformes. C'est ainsi que sont faites en
général les anamorphoses destinées à l'amusement des enfants.
Ce sor.t de petites images difformes, peintes sur des mor-
ceaiix de carton ; on n'a qu'à les placer à la distance voulue
d'un miroir cylindrique ou conique pour voir apparaître
dans celui-ci des figures régulières.
D'Alembeil expose encore un autre moyen de faire des
anamorphoses. Mais ces dernières ne prennent l'apparence
qu'on veut leur donner (jue lorsqu'on les regaide à travers
un verre polyèdre, c'est-à-dire taillé à facettes. La réfraction
des rayons lumineux détruisant dans ce cas une partie du
dessin, et ne permettant de voir que la réunion de points
disséminés sur la surface du tableau, il s'ensuit qu'on peut
entourer ces points d'une peinture qui dénature le sujet.
C'est ainsi qu'on voyait autrefois à Paris , dans le cloître
des Minimes , deux anamorphoses telles qu'en les regardant
directement, on n'apercevait qu'une espèce de [laysage,
tandis qu'autrement elles représentaient, l'une la ^ladeleine,
l'autre saint Jean écrivant sou évangile. C'était l'ouviage du
P. Nicéron, qui a fait sur ce sujet un traité intitulé : 7'hau-
mnturgus opticus. On trouve aussi dans le tome IV des
Mémoires de l'Académie impériale de Saint-Pétersbourg ,
la description d'une anamorphose semblable faite par Lut-
man, en l'honneur de l'empereur Pierre II.
Al^ANAS, plante vivace de la famille des broméliacées
introduite en Europe en 1090, de l'Amérique méridionale,
où elle est abondamment cultivée pour son fniit, qui, réu-
nissant tout à la fois le parfum de la fraise, de la pêche,
de la pomme de reinette et de la Iraraboise, est sans con-
tredit le plus délicieux de tous les fruits. Non moins re-
marrpiable par la beauté et l'élégance de son feuillage que
par l'ensemble de la plante entière , l'ananas qui a accompli
toutes les périodes de son accroissement se compose d'ua
faisceau de feuilles radicales, belles, longues, très-noin-
524
ANANAS — ANANIAS
bieuscs, (livcrgontps, roitles , creusées en goutfit-re, onli-
nairement de couleur veite ou {glauque , quelquefois rougc-
violelte ou rose, longues de 0"',:'..'> à 1"', larges de 0"',06
à 0™,08, et ordinairement armées à leurs bords d'épines
I)lus ou moins prononcées. Du centre de ce premier groupe
de feuilles naît une tige droite, charnue, robuste, qui
s'élève à la hauteur de 0"',35 à 0"',70 et se termine par un
second et beaucoup pins petit faisceau de ku\Ue> : ce second
groupe de feuilles est appelé la couronne. Entre ces deux
faisceaux, sur la tige, et immédiatement sous la couronne,
il naît une grande quantité de fleurs sessiles bleues , très-
rapprochées, serrées et agglomérées, dont les ovaires se
soudent ensemble à mesure que la floraison cesse , transfor-
ment ainsi , et au fur et à mesure que la floraison s'achève ,
cette agglomération de fleurs bleuâtres en une masse ayant,
selon les variétés de l'ananas , la forme conique , pyrami-
dale, ovale ou globulaire, de couleur ordinairement jaune
ou de diverses autres couleurs ; contenant une pulpe blan-
châtre, sucrée, consistante, de la plus agréable acidité,
du goilt le plus exquis, de l'odeur la plus suave, appelée
le fruit de l'ananas.
Ce fruit , qui est du poids de trois à six kilogrammes ,
et qui a depuis 22 jusqu'à 44 centimètres de longueur sur
16 à 27 de diamètre dans les contrées intertropicales, n'avait
pendant longtemps pu être obtenu parmi nous d'un poids
ni d'un volume aussi considérables , ni d'aussi bonne qualité
que dans son pays originaire. Mais les amateurs et les cul-
tivateurs de la France et de r.\ngleterre sont parvenus à
surmonter toutes les difficultés à cet égard, et obtiennent
à présent d'aussi beaux et d'aussi bons fruits d'ananas à
Paris et à Londres que ceux des terres les plus fertiles de
r.\mériquc méridionale, où l'ananas est un objet de grande
culture: bien plus, la mviltiplication de l'ananas par le?
graines que contient son fruit a donné naissance h de nou-
velles variétés déjà très-distinctes par leurs feuilles, et qui,
devant nécessairement présenter des différences dans leurs
fruits, promettent ainsi d'inévitables conquêtes, peut-être
inconnues en Amérique même, où l'habitude de multiplier
l'ananas par ses semences est tombée en désuétude.
On possède aujourd'hui cinquante-six variétés de l'ana-
nas, mais toutes ne sont pas également bonnes : les plus
estimées sont : Vananas de la Martinique ou commun , le
plus recherché par les confiseurs; l'ananas Providence;
Yananas Cayenne à feuilles lisses, dont le fruit pyramidal
est très-gros et très-bon ; Vayianas Olaïti ; Yananas Enville,
auquel se rapportent quatre sous-variétés dont les fruits
sont généralement très-volumineux; Vannnas pain de
sucre, ainsi nommé à cause de sa forme; Yananas reine
Pomaré , qui odrc un gros fruit de la forme et de la saveur
de celui de l'ananas commun , etc.
On multiplie l'ananas par graines, œilletons et couronnes :
ks graines seront semées dans la terre de bruyère en pots, et
les pots placés sur une couche dont l'intérieur ait .'{0 à 3G° de
chaleur, le pot sera couvert d'une cloche, protégée par un
abri léger quelconque, qui puisse modérer l'action trop vive
de la lumière et des rayons solaires; la graine étant petite ne
sera recouverte <iue de (pielques lignes de terre. Les u'illetons
et couronnes seront plantés en pots ou en pleine terre , sous
châssis, dans un lit de terre composé ainsi qu'il suit : terre
franche, une partie; terre de bruyère, trois parties; ter-
reau une partie, et ce lit fait sur une couche de ,'JO à 3('>"
de chaleur, il est indifférent que celte couche soif faite de
tan, de hlière, de feuilles, de mousse ou de toute autre ma-
tière, pourvu qu'elle produise 30 ou 40° de chaleur : plus
la couche sera réchauffée ou renouvelée souvent, plus elle
approchera d'une chaleur constante et égale de 3G'% plus il
montera d'ananas à fruit : il en monte à fruit au quatorzième
mois, au quinzième, et même beaucoup plus tôt; mais si
on n'est pas pressé d'ol)lenir des fruits, on ])eut ne pas ré-
cliauft'er ni renouveler les couches, les ananas y viennent
également très-bien à une chaleur de 10 à 12° et au-des-
sous; ils ne donneront pas de fruits, mais ceux-ci ne se-
ront que retardés, et dès qu'on voudra les mettre à frait,
on leur procurera une température de 30 à 40° de chaleur
à leurs racines. Comme à cette époque il leur faut plus de
nourriture, on les placera dans une terre composée ainsi
qu'il suit : terre franche , trois parties ; terreau consommé,
une partie ; terre de bruyère, une partie.
La tige de l'ananas ne produit ordinairement qu'un fruit
et qu'une couronne ; cependant il arrive quelquefois qu'un
ananas cultivé en pleine terre de couche , ou dont les ra-
cines sorties du pot ont vécu aux dépens de la terre de
couche, produit jusqu'à huit à dix petits fruits, placés im-
médiatement sous le fruit principal, et surmontés d'autant
de petites couronnes. Un ananas dans cet état est une plante
superbe et du coup d'œil le plus riche. Quelquefois ce phé-
nomène se produit à la partie inférieure de la tige, tout près
du collet des racines , d'où l'on voit sortir une multitude de
petits ananas surmontés d'autant de très-petites couronnes,
sans que ce luxe de production ait nui au développement
du fruit principal.
L'ananas est essentiellement une plante de culture sous
verre , et doit en toute saison être placé le plus près possible
des vitraux , soit qu'on le cultive en serre chaude, en demi-
serre, en bâche, dans de grands châssis dits à ananas, ou
dans des coffres à melons. Ce soin de placer l'ananas le plus
près possible des châssis vitrés est surtout indispensable
quand il est en fleurs et que le fruit s'avance vers la matu-
rité; à cette dernière époque il faut être aussi prodigue d'ar-
rosements que de chaleur, et il n'est pas moins important ,
pour avoir de beaux fruits , de placer les ananas à une
grande distance et dans le volume d'air le plus considérable
possible.
Les ananas sont quelquefois attaqués par la cochenille des
serres ou pou d'ananas, qui se loge à l'aisselle des feuilles.
On fait cesser les ravages de cet insecte en le touchant avec
(le rbuile. C. Tollaîîd aîné.
On rapporte que ce fut en 1733 que Louis XV et sa cour
savourèrent les deux premiers ananas qui fussent parvenus
à maturité sous notre climat , où cette plante était cepen-
dant cultivée depuis IGCO. Du reste , jusqu'en 1700, on ne
voyait d'ananas que dans les jardins royaux et chez quelques
gi'ands seigneurs. Leur culture , iniparfaite et entourée de
mystères, ne faisait guère de progrès; elle fut même oubliée
pendant la révolution et l'empire ; mais Edi , jardinier au
château de Choisy-le-Roi sous Louis XVI, en avait gardé la
tradition. Quand, sous Louis XVIII, il fut appelé au po-
tager de Versailles, pour diriger les cultures forcées, il
initia dans celle des ananas des élèves qui bientôt surpas-
sèrent leur maitre. Enfin, depuis 1830 l'usage du thermo-
siphon a donné des résultais qu'il nous semble difficile de
dépasser.
L'ananas figure sur nos tables sous forme do gelée, de
crèmes, de glaces, et principalement en une sorte de salade
dans laquelle on emploie le rhum ou le vin blanc, surtout
celui de Champagne. Le suc de ce fruit, soumis à la fermen-
tation , donne une boisson alcoolique très-agréable , mais
qui pioduit aisément ri\Tesse. On prépare encore avec ce
suc une sorte de limonade dont l'usage est heureusement
indiqué contre les fièvres putrides ou ataxiques. Coupé par
tranches et saupoudré de sucre, l'ananas constitue dans cet
état un aliment diététique très-convenable après les maladies
graves et notamment las inllainniations des voies digeslives.
On donne enciue le nom A'ananas à l'une des six classes
auxquelles on a rapporté toutes les espèces de fraisiers.
AA'AMAS ou ANAME. Il est fait mention dans l'É-
criluro de jjhisieurs personnages de ce nom. Le premier
est celui dont l'ange Raphaël, parlant a Tobie, si- disait le
fils; le second, surnommé Sydrac, est un de ces jeunes
Hébreux qui, pour n'avoir pas voulu adorer la statue de
ANANIAS — ANARCHIE
N.ibiK lindonosor, furent joti'S dans une foiiinuise ardente et
sauves iniractileuseinent par la protection de Dieu; le Iroi-
siènie, j>arfun>eur de la Iribu de Benjamin, làtit «ne partie
des murs de Jérusalem ; le (iuatrit''me est celui qui, aver,
sa femme Sapliira , fut frappé de mort aux pieds tle saint
Pierre, pour avoir voulu tromper cet apôtre sur le .prix de
vente de leur champ, alin des'en réserver une partie, tandis
qu'ils devaient en apporter la totalité .i la masse commune
des fidèles : cet événement remplit l'Église de crainte (l'an 3.)
lie J.-C. ); le cinquième fut un des soixante-douze disciples
à qui le Seigneur révéla la conversion de saint Paul, et (|ui
vint lui imposer les mains et lui rendre la vue ( au 3.i
de J.-C.) : il fut lapidé dans l'église qu'il avait i-taldie à
Damas ; le sixième tut fait souverain pontife des Juifs, l'an 40
de J.-C. Accusé par Cumanus, gouverneur de Judée pour
les Romains, d'avoir voulu soulever sa nation, il fut envoyé,
chargé déchaînes, à Rome, mais parvint à se justiûer auprès
de IVmpereur Claude. A son retour, il persécuta les clirétiens,
traduisit saint Paul devant le grand-conseil des Juifs, et le
(it souflleter pour lui avoir parié avec trop de liberté.
« Dieu te jinnira, muraille blanchie! » lui dit l'apôtre ;. effec-
tivement, quelques années après , Ananias fut dépouille de
sa dignité par Agrippa II et massacré dans sa propre mai::on
par des séditieux qui avaient à leur léte son lils Éléazar.
A\.\PA, ville fortitiée et commerçante, sur la mer
Xoire, dans le Caucase russe, avec un bon port et 8,000 ha-
bitants. Souvent prise et incendiée par les Russes dans leurs
guerres contre les Turcs, elle leur fui définitivement ad-
jugée par le traité d'Andrinople, avec tout le littoral depuis
l'embouchure de Kouban jusqu'au fort Saint-Nicolas. Pen-
dant la guerre d'Orient, et lorsque l'escadre alliée eut dé-
truit la marine et les établissements militaires de la mer
d'Azof, il (ut décidé qu'on se transporterait sur la côte de
Circassie et qu'on attaquerait simultanément par terre et
par mer Soudjak et Anapa. Les Russes n'attendirent pas
cette attaque, ils brûlèrent eux-mêmes ces deux villes, dé-
trui>irent leurs fortifications et se retirèrent sur la ligne du
Ki'iiban, au mois de juin is.iô. Les Circassiens oixupèrent
aussitôt Anapa. Sefer-Pacha s'y établit en maître indépen-
dant. Après la conclusion de la paix, les Russes, comman-
dés par le général Mourawief, reprirent celte ville, à la suite
d'une lutte assez vive, et repoussèrent toutes les tentatives que
lirent les Circassiens pour s'en ressaisir, II5 travaiPèrent avec
une grande activité à relever Anapa et ses fortifications, dont
le nouveau tracé agrandit la ville du côté de la plaine ,
en même temps qu'une jetée parallèle au littoral dut rendre
le mouillage meilleur dans le port. Une série d'ouvrages
extérieurs ajouta encore à la force de la place. Les monu-
ments publics furent bien vile relevés ; un aqueduc fut cons-
truit pour amener de l'eau à Anapa, et les anciennes sources
furent déblayées. Pendant ces travaux, il fallut souvent tc-
pousser les Circassiens, qui harcelaient les travailleurs et
enlevaient des convois. La vijle relevée contient une gar-
nison de douze mille hommes organisés en colonie militaire.
Anapa est un d.e.s trois ponts de la rner Noire ouverts au
commerce par la Russie. 2.
AX.\I*ESTK ( du grec svaTraîw, je frappe à contre-
temps), sorte de pied, composé de deux brèves et d'une
longue, usité dans la poésie grecque et latine; les mots
Sapiens , lëgërcnt, y^îsïoy;, sont des anapestes. L'anapeste
n'étant qu'un dactyle renversé, on lui donnait aussi le
nom à'atitidaclyle, àvTioixr'jAo; , parce que lorsque les
Grecs chantaient des vers anapestiques en dansant, ils
frappaient la terre d'une manière contraire à celle dont ils
battaient la mesure pour des poésies où dominait le dactyle.
On a remarqué que la langue française a peu de dactyles
et beaucoup d'anapestes. Lully semble s'en être aperçu un
des premiers,. et son récitatif, observe .Marmonlel, a souvent
la raacclie de ^-.e dactvle renversé.
A^APCSTîQUE, se dit du vers dans lequel entre
525
l'anapeste. Nous retrouvons dans Ausone, Sénèqne, Ûoèce,
Plaute, ïerentianus Maurus , plusieurs variétés du vers
anapeslique; il y a Vanapestiqiie monomètre, le dimèlre,
\c dimètre catalectique, Vanapestique (eiramèire.el ar-
chébuiique.
Aûdâx nïmïûm qui frëtS primûs
natè tara fragïli pêrfïda rûpll.
.Ces deux vers de Sénèqne sont anapestiques dimèfres.
AIVAPIIORE (d'àvaç;=ça), je pose de nouveau), figure
de rhétorique consistant à répéter le même mol au com-
mencement de plusieurs phrases ou des divers membres
d'une même période; répétition très-propre soit à impres-
sionner vivement l'esprit, soit à fixer ratlentiôn sur les
mêmes idées, les mômes objets, en l'y ramenant à plusieurs
reprises. En voici un exemple tiré de Virgile, égl. Uf, v.42 :
Hic gelidi fontes, liic mollia prata, Lycori,
Hic neuius, lilc ipso tecum coiisuraerër aevo.
Corneille, dans les imprécations de Can)ille, nous offre un
exemple remarquable de l'emploi de cette figure :
Borne, l'unique objet de mon ressentiment ;
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant ;
Rome, qui t*a vu naître, etc.
AXAPHRODISIE , mot composé du grec à privatif,
et 'Aipoô'.Tr, , Vénus, et signifiant l'imperfection du pou-
voir générateur ou l'abolition de l'appétit vénérien, impuis-
sance plus commune chez l'homme que chez la femme, et
qui provient tantôt d'une conformation vicieuse des parlie~s,
cas où la guérison offre peu de chances de succès , tantôt
d'une faiblesse normale ou bien momentanée, el que plu-
sieurs causes contraires peuvent également produire. Le
plus souTent l'anaphrodisie provient de l'abus des facultés
génératrices , de l'exercice prématuré des organes génitaux,
et surtout des excès de la masturbation. La continence
conduit quelquefois aussi aux mêmes résultats, ainsi qu'on
l'a fréquemment observé chez les individus qui ne vivaient
que pour l'étude ou lacontempiation, et chez lesquels l'exer-
cice continu des facultés intellectuelles absorbait toute vie
extérieure. Le repos, l'abstinente, sont les meilleurs moyens
curatifs de l'anaphrodisie provenant d'atonie ; et les suites
graves que peut avoir l'emploi des divers aphrodisia-
ques vantés par le charlatanisme pouc réveiller des or-
ganes condamnés par la nature ou par la vieillesse doivent
inspirer ane salutaire répugnance pour des remèdes qui ne
peuvent satisfaire le penchant aq libertinage qu'aux dé-
pens de la santé. '
AÎVARCHIE (àsyr,, gouvernement, avec l'a privatif),
c'est l'absf nce de gouvernement, la confusion des pouvoirs,
le trouble et le désordre érigés en système par l'audace de
factieux corrupteurs, ou par la faiblesse d'un peuple cor-
rompu. Telle est l'opinion générale qu'on se fait de l'anar-
chie. Lorsque l'autorité a cessé d'exister, que la liberté <\es
citoyens, I3 sûreté des propriétés sont méconnues, alors les
passions desjiommes , abandonnées à elles-mêmes, enfantent
le désordre, c'est-à-dire le bouleversement de toutes les ga-
ranties qu'on est en droit d'attendre d'une organisation ré-
gulière quelconque. A peine enfanté, le désordre étend son
empire sur la société et la pousse sans pitié sur la pente
horrible du chaos. De tous les maux politiques, celui-là est
le plus cruel, le plus effrayant dans ses résultats.
Mais l'anarchie ne se traduit pas toujours en un fait ma-
tériel. Souvent elle renonce à l'empire des choses et des
homme?., pour s'introduire dans le domaine des idées. Alors
elle éclate parla divergence des doctrines sociales, politiques
et religieuses; alors la terre assiste à un spectacle effrayant :
les intelligences les plus élevées comme les plus modestes
affirment alternativement les principes les plus contraires,
sans aucun égard, sans aucun respect pour leur passé, et
cela dans le seul espoir de donner à leur vanilo inqnitls
526
ANARCHIE — ANASTASE
une 1).ho plus soliiic, après s'Alrc m(^n.iî;i^. l'appui (l(;s cote-
ries ou des lac.lioiis. A une i^poijiie aussi inallictiieuse, plus
(le critérium possible, puisiiue le seul ciiteriuin aux yeux
de tliacun est son intéiiH propre. L'anarcliie a ainsi deux
laces : elle est ou le icVsultal di's passions foiij;ueuses ou
mauvaises, ou le produit de certaines idées qu'aucun souffle
n'a iriesurées. Lile est par besoin sanglante, elle est par
{,'ortt d(!structive de tout ordre éta[)li. C'est dans ce dernier
sens qu'est prise en général l'expression si usitée de doc-
trines undichiquas.
Toutefois, si ces doctrines sont une calamité par rapport
aux personnes qu'elles heurtent sur leur passage, elles peu-
vent, il faut en convenir, exercer une heureuse inlluence sur
ia marche de la sociét*); car alors ou elles deviennent une
occasion heureuse de développement |)our les doctrines
vivantes, ou elles leur ouvrent d'ahondante.s sources oii
elles peuvent librement s'améliorer et même se transfor-
mer. Dès lors elles ne sont plus anarchiques qu'à la sur-
face : au fond vous les trouverez parfaitement affirmatives
<le l'ordre et de l'harmonie : leur seul défaut aux yeux de
l(>uis ennemis est d'émouvoir, d'ébranler trop fortement ce
(pii est, Vordre existant.
Dans tous les cas, l'anarchie, quels que soient ses résultats,
ne s'elait pas jusciu'à ce jour arrogé le droit de prétendre
aux l;onneurs d'une théorie pratique et humanitaire. lille n'est
point organisatrice de sa nature; son rôle, s'il n'est pas
précisément celui du mat, n'est pas non plus exclusivement
celui du bien ; elle effraye plus les hommesen masse qu'elle
ne les émeut favorablement. Et cependant, malgré ce carac-
tère bien tranché, il s'est trouvé à notre époque un homnje ,
grand penseur, grand écrivain, mais poussant l'amour du
paradoxe jus()u'à ses dernières limites, qui, jouant sur
l'origine du mot anarchie (ava-ap/r;, AN-\r,cuii:), a pré-
tendu que les sociélés modernes n'arriveraient à l'ajiogée
de leur perfection que le jour où l'absence complète d'au-
toiitése manifesterait chez elles. C'est-à-dire que n'y ayant
plus de gouvernement supérieur, l'administration existe-
rait de fait dans tous les membres, et que chacun aiderait
à la marche de la société suivant ses facultés. Cette préten-
tion a paru ridicide, surtout parce que l'auteur a cru pou-
voir se permettre de lui donner purement et simplement
pour éti({U(tte le mol anarchie, s,ynonyme de désordre et de
chaos. Il a été plus loin encore : ardent à la polémique, il s'est
mis à saper vigoureusement l'État par sa base, et pour lui
substituer quoi? l'anarchie, toujours l'anarchie : l'anar-
chie avec une organisation , il est vrai , qu'il appellera gou-
vernement proviseur. 11 est facile en effet à ceux qui lisent
les Confessions d'un rr^volntionnaire de se convaincre
que, Frotéo insaisissable, l'auteur vous échappe dès que
vous croyez le tenir, et que dans cet ouvrage ce n'est pas
un anarchiste qui parle, tant s'en faut, mais un simple ami
des séries, des administrations, des compétences, des assem-
blées, un ami du pouvoir enfin. Seulement M. Proudhon
poursuit sans pitié la gramle croisade qu'il a entreprise
contre les institutions existantes, pour se réserver l'orgueil-
eux plaisir d'en ressusciter bientôt d'analogues.
La double école de publicistes qui a précédé et suivi la
révolution de 1789 a cru, ou du moins a cherché à faire
croire que l'anarchie était inhérente au gouvernement de-
mocrati(|ue. Hien dans l'histoire ne justifie une pareille as-
sertion. Dans toutes les espèces de gouvernements possi-
bles, depuis le plus despotique jusqu'au plus (lopulaire, vous
en trouverez qui ont fomenté et produit l'anarchie; vous
en trouverez môme souvent qui eu ont été les déplorables
victimes. Et cela, par une raison bien simple -. c'est que
tous les gouvernements, au rieu de courir au-devant des
besoins des peuples et de les prévenir, au lieu de répandre
la lumière et de travailler à adoucir les pas>ions, n'ont ja-
mais pris aucun souci des rac^s souffrantes et dévlierilées,
ont craint de voir l'homme éclairé plier moins docilement
la léte sous le joug, et, s'enveloppant d'égoisme et de ppur,
ont cherché leur salut dans un isolement, dans im vide
qui ne peut être jamais pour eux que le sinistre asant-
coureur d'une chute certaine. Louis Nvkr.
iVi\ASAIlQUE (d'âva, autour, et ^âp?, chair), by-
dropisie ou amas de sérosité occupant le tissu cellulaire «lui
est sous la peau, d'oii résulte uu gonflement général du
corps. Quand elle se borne à l'un de nos organes, on la
désigne sous lenom d'cerf6??ifi. Le doigt appuyé sur un des
points (|u'occupe l'épanchement perçoit une sensalion d'em-
pâtement, et laisse quelque temps sa marque. La peau est
froide, décolorée, ou chaude, tendue, selon que la maladie
est de nature sthénique, c'est-à-dire avec excès de ton,
ou as/héniqiie , avec défaut d'action.
L'aiiasarque reconnaît fréquemment pour cause nn ob-
stacle à la circulation; aussi se montre-t-elle dans la der-
nière période des maladies du cœur. Ou la voit souvent
aussi succéder à des phlegmasies de la peau , notamment
à la scarlatine, surtout quand le malade s'est exposé tro()
tôt h l'action d'un air froid et huuu'de. Elle est aussi le
résultat fréquent de maladies chroniques qufout appauvri
le sang et épuisé les forces, celles surtout qid sont accom-
pagnées d'Iiémorrhagies. On l'a vu se déclarer subitement
à la suite de la suppression d'une évacuation habituelle , de
dartres anciennes, etc. Les saisons pluvieuses et froides,
les appartements humides et obscurs , un régime aqueux,
débilitant, le tempérament lymphatique, y prédisposent
particulièrement.
Le traitement de l'anasarque offre deux indications à
remplir : 1° détruire les causes présumées ou constatées
de la maladie; 2° évacuer la sérosit(! amassée dans le tissu
cellulaire, soit en lui procurant directement une issue à
l'aide de scarifications pratiiiuées sur la peau , soit en
provoquant jiar ime uiéilicalion convenable des évacuations
artificielles |iar les urines ou par les selles, lesquelles met-
tent ordinairement fin à l'anasarque, pour im temps au
moins, si cette hydropisie n'est pas sous l'influence d'une
cause organique de nature incurable. Ajoutons que les sca-
rifications ont l'inconvénient de déterminer fréquemment
des érysipèles très-douloureux et très-graves des parties
oadématiées; aussi, quand la distension île la peau est telle
qu'elle menace de se rompre, il faut avoir soin de les faire
très-superficielles et à distance les unes des autres.
D"' S\LCEI10TTK.
AXASTASE. C'est le nom de deux empereurs d'O-
lient. — Le premier, né à Dyrrachiun» vers 430, était un
des officiers de son prédécesseur Zenon , chargé de faire
observer le silence dans le palais, circonstance à laquelle
il dut le surnom de Silentialre. Lorsque Zenon, détesté
de ses sujets, eut perdu la vie on 491, Ariane, sa veuve,
que la plupart des historiens accusent de cette mort, en-
treprit de faire franchir à Anastase la dislance qui le sépa-
rait du trône. Et cependant il n'était rien moins que jeune
et beau ; il avait soixante et un ans, la tète presque chauve,
un œil noir et l'autre bleu, ce qui le fit surnommer Di-
core. Quarante jours après la mort de Zenon il épousa
Ariane. Estim;^, au commencement de son règne, pour sa
piété et sa justice, il ne tarda pas à se faire détester pour
sa violence et son avarice. Partisan des cutycbéens, il per-
sécuta les catholiques; mais, pendant qu'il ne s'occupait
que de questions religieuses et attirait sur sa tète, de la
part du pape Symmaque, la première excommunication
qui ait frappé un prince, les Perses et les Bulgares rava-
geaient ses provinces, et il n'obtenait leur retraite qu'à prix
d'or. Il mourut en 518 , à quatre-vingt-huit ans , frappé
de la foudre ou d'apoplexie. 11 avait aboli les combats du
cirque où des hommes luîtaient contre des animaux féroces.
En 713, Textinction de la famille d'Héraclius dans la
persoime du second Justinien et la déposition de Philippe
Bardanes laissaient Constantinoplc sans empereur. Arie-
AXASÏASE — ANATIIEME
527
niius , socrt'fairc d'Etat , homme généralement estimé ,
ri'iii\fl K's sulTinges, et reçut la eouronne des mains du pa-
triarrlie , le î juin , sous le nom d'Anastasc [1. Son premier
soin fut de punir les auteurs de l'attenlat eommis sur son
priNieeesseur. L'ordre qu'il apporta dans les finances, son
amour pour le travail et la justice, pouvaient retenir l'em-
pire sur le penchant de sa ruine; il était dipne du trône;
mallieureusement le peuple n'était plus digne d'un tel em-
pereur. En 716 une sédition éclate sur la Hotte. Les mu-
lins massacrent leur général , et ayant forcé un receveur des
impt'its à accepter le sceptre sous le nom de Théodose III,
ils l'obligent à entrer , à leur tête , dans Constantinople.
Anastase, abandonné de ses troupes, se fait conduire en
babit de moine au nouvel empereur, qui lui laisse la vie.
Cependant , le vaincu , moins sage dans l'exil que sur le
trône, ourdit une trame pour recouvrer sa grandeur passée.
Léon 111, risaurien, qui a renversé le faible Tliéodose, en
est instruit et fait décapiter les principaux complices d'A-
nastase. Lui-même est livré au vainqueur par les Bulgares
effrayés, et a la tète tranchée , en 719.
AXASTASE. Il y a eu quatre papes de ce nom. Le
premier, élu en 398 , succéda à Sirice , réconcilia les (ieux
Lglises d'Orient et d'Occident, condamnâtes origénistes,
et mourut en 402, après avoir occupé le saint-siége pendant un
peu plus de trois ans, laissant à ses successeurs l'exemple
d'une vie sans reproche. — Anastase II, élu le 28 novem-
bre 496, eut à combattre l'arianisme, que protégeait l'em-
pereur d'Orient Anastase F% et il lui écrivit à cet effet en
faveur de la religion catholique; il écrivit aussi à Clovis
pour le féliciter de sa conversion , et mourut deux ans après
son avènement. — Aaastase III , élu en 911 , après Ser-
gius III, ne régna que jusqu'en 913. — Anastase IV s'ap-
pelait Conrad , et fut évèque de Sabine. Il était Romain;
élu pape le 9 juillet 1153, après Eugène III, et dans un
âge très-avancé , il n'occupa qu'un an et cinq mois le siège
de saint Pierre. C'était, dit Fleury , un vieillard de grande
vertu et de grande expérience dans les affaires de la cour
de Rome. 11 se distingua par sa charité et ses abondantes
aumônes pendant une cruelle famine. — Pour Anastase
anti-pape, en 855, voyez Benoit m.
AXASTASE (Saint), Persan du pays de Rasech,
s'appelait Magundat avant son baptême. Il servpit dons les
troupes de Chosroès ; s'étant converti au christianisme , il
alla prêcher l'évangile en Assyrie, où il souffrit le martyre
en 028. — Un autre saint Anastase, élevé en 5G1 sur le siège
d'Antioche , s'attira les persécutions des empereurs .Justi-
nien et Justin le jeune pour avoir combattu les hérétiques.
Rappelé par Maurice, il mourut paisiblement dans son dio-
cèse, après avoir composé plusieurs ouvrages de théologie
et de piété. — Un troisième saint Anastase , surnommé le
Sinaïte , parce qu'il était moine du Sinai , sortit souvent
de sa solitude pour combattre les acéphales , les sévériciis
et les théodosiens d'Egypte et de Syrie. Il vivait encore
en 678 , et est auteur de divers ouvrages ascétiques qoi
respirent tous la plus affectueuse i)iété.
ANASTASE, dit le i?(?);/o//icc«<re, abbé et bibliothécaire
de l'Église romaine, vivait dans le neuvième siècle , et as-
sista en 809 au huitième concile de Constantinople , dont il
traduisit les «c/p.ç en latin. 11 est auteur du i(^ej'/>0Ji///?-
eolis, qui contient la vie des papes depuis saint Pierre, im-
primé au Vatican, 1718, et d'une Histoire Ecclésiastique ,
qui se trouve dans la By/.antine.
AJXASTASI ( BuATANOFSRi ), l'un des plus célèbres pn'--
dicatcurs russes du dix-huitième siècle, naquit en 1761
<lans un village près de Kicf, de parents pauvres et de condi-
tion obscure, fit ses études au séminaire de Pén-jaslawl , et
ne tarda pas à être attaché à un établissement analogue, en
qualité de professeur de poésie et de rhétorique. En 1790
l «'lubrassa l'état monasti(|ue , devint alors archimandrite
de lAusiem-s monastères, et en 1796 de ce!ui de Novos-
pask , à Moscou. Ce fut l'époque la plus brillante de sa car-
rière ; car ce fut celle où il fit le plus souvent entendre la
parole divine dans les temples. Par l'éclat de son style, par
la richesse de ses images , par la vivacité de son dthit , il
eut bientôt accpiis la réputation de grartd prédicateur. Admis
au nombre des membres de l'Académie impériale de Saint-
Pétersbourg , il fut nommé en 1797 évêque de la Russie
Blanche, archevêque en 1801, et en 1805 membre du sy-
node. C'est revêtu de cette dignité qu'il mourut en 1810, à
Astrakan. 11 existe deux éditions de ses sermons , l'une
faite à Saint-Pétersbourg, l'autre à Moscou : ce sont des
modèles d'éloquence sacrée , et les prédicateurs du rite grec
les consultent et les étudient aussi souvent que son Trac-
tatus de Concinnum Bispositionibus ( Moscou , 1806 ).
ANASTOMOSE (du grec àvaaTÔfjLojai;, abouchement).
On appelle ainsi, en anatomie, la communication entre deux
vaisseaux qui ne proviennent pas d'un même tronc , com-
munication dont le but est de favoriser le passage des
fluides do l'un dans l'autre , comme d'une artère avec une
artère , d'une veine avec une ve'ne , ou bien d'une artère
avec une veine. C'est la connaissance des anastomoses
qui a donné l'idée de placer des ligatures sur les lro>nc.s
artériels, loin des tumeurs anévrysmale-,dans le traitement
des anév r ysmes; elle est indispensable au cliirurgiei»
qui veut pratiquer cette opération.
ANASTROPIiE (du grec àva-jTp^sw, je renverse,
fait de àvà,dans, et (jTpÉçw, je tourne). Voyez Hypeubate.
AIVATHEME (du grec àvaf)ÔLi.a), offrande et primi-
tivement chose mise à part, Si'-parée, placée en haut.
Comme on suspendait à la voûte ou aux murs des tem-
ples les offrandes à la divinité , ou qu'on les exposait sur
des autels à la vue du public , les auteurs profanes les dé-
signent sous le nom d'anathèmes.
Par catachrèse, et en vue de la victime expiatoire dévouée
aux dieux infernaux , le mot anathème signifie aussi chose
exécrée ou exécrable, dévouée à la destruction ou à la haine
publique, hostie expiatoire. Dans le langage biblique, être
voué à l'anathème, c'est être voué à la destruction, à l'ex-
termination. Moïse, dans l'Exode (xxii, 19 selon l'hébreu)
voue à l'anathème , c'est-à-dire à la mort, les adorateurs
des faux dieux. L'Église a fait de ce mot le synonyme
d'exécration et de malédiction. Ses conciles se sont beaucoup
servis de l'anathème , et plusieurs de leurs décrets et de
leurs canons sont conçus en ces termes : Si quelqu'un
nie telle vérité, qu'il soit anathème, c'est-à-dire qu'il soit
séparé de la communion des firlèles et voué au malheur
éternel. Les hérétiques qui altéraient lesvérités de la foi ont
encouru bien souvent des anathèmes , et c'est ainsi qu'ils
ont été exterminés , détruits , livrés aux flammes , et en
quelque sorte anéantis. — Il y a deux espèces d'anathèmes;
les uns judiciaires , et les autres abjuratoires. Les premiers
ne peuvent être prononcés que par un concile , un pape ,
un évéquc : ils diffèrent de l'excommunication en ce que
l'individu qui en est fVappé est retranché du corps des
fidèles , même de leur commerce , et livré à Satan. Les
anathèmes abjuratoires sont synonymes A' abjuration .
On sent combien les hommes ont pu abuser de ce droit,
qui est quelquefois sorti de la juridiction ecclésiastique. On
lit dans l'abbé Leheuf { tom. iti , pag. 449) que Charles V
ayant fait bâtir le collège de Mailre-Gervais, dit aussi No~
tre-Dame de Bayeux, et l'ayant consacré à l'étude de l'as-
troloyie, désira voir confirmer celte fondation par le pape
Urbain V, qui ne lit pas difficulté de lancer l'anathème
contre ceux qui oseraient enlever de ce collège les livres et;
les instrumenlsque le fondateur y avait placés. C'était mettre
sous la protection de l'Eglise une science vaine et impie,
que plusieurs conciles ont condamnée couune telle , et iiiler-
vertir l'ordre de la juridiction ecclésiastique en appelant se*
foudres au secours d'une institution contre laquelle elles au^
raient dû être au contraire dirigées.
528
ANATOCISME — ANATOMIE
AIVATOCISME , mot vieilli et presque inusit.' , qui
sert a dési^^ner une tonveiitiou en vertu de laquelle les
inli^rôts d'une somme sont capitalisés et produisent eux-
mêmes un intérêt. Autrefois ce contrat était considéré
couune usuraire, et la léj^islation le proscrivait formelle-
ment; l'ordonnance du mois de mars 1G79 faisait défense
expresse aux né-^ociants, marchands et tous autres, de
prendre l'intérêt de l'intérêt , sous queliiue prétexte que ce
fiU , et spécialement de comprendre l'intérêt avec le prin-
cipal dans les lettres ou billets de change ou autres actes.
L'article 1 154 du Code Civil autorise l'anatocisme en disant :
« Les intérêts échus des cajiitaux peuvent produire intérêts,
ou par une demande judiciaire, ou par une convention
KI)éciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la
convention , il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une
année entière. »
ANATOLE (Saint), évêque de Laodicée, en Syrie,
au troisième siècle, né à Alexandrie, en Egypte, de pa-
rents pauvres, vers l'an 230, étudia avec succès, dans sa
jeunesse, la physique, la philosophie, les mathématiques,
l'astronomie . la granunaire et la rhétorique. l'rofessant la
philosophie dans sa ville natale, il se rangea du côté des
partisans des doctrines d'Aristote , en opposition aux doc-
trines de Platon , et pendant qiielques années exposa le sys-
tème du fondateur de l'école péripatéticienne dans des cours
I)ublics , faits dans une cité qui était alors un grand centre
d'activité intellectuelle et connue le foyer des études phi-
losophiques. Député, en l'an 270, au synode d'Antioche,
il lit preuve dans cette assemblée de sentinients religieux,
unis à une science si étendue , qu'il fut élu évêque de Lao-
dicée. Il est auteur d'un grand nombre d'ouvrages , dont
quelques fragments seulement sont parvenus jusqu'à nous.
Il ne faut pas confondre saint Anatole , philosophe jiéri-
patéticien, avec un philosophe platonicien du même nom,
son conten)porain , qui hit le maître de Jaaiblique.
Un patriarche de Constantiiiople du même nom est resté
célèbre par les effoils infructueux qu'il tenta au concile
tenu vers le milieu du cinquième siècle , à Chalccdoine ,
poin- faire proclamer par cette assembli'e la suprématie de
son siège sur les autres sièges épiscopaux de la chrétienté ,
prétentions qui furent victorieusement repoussées par les lé-
gats du pape saint Léon.
ANATOLIE. Nom du pachalick ou eyalet de l'Asie
Mineure le plus rapproché de Constanlinople, et qu'on
donne souvent aussi a toute l'Asie Mineure. Il est dérivé
du grec âvato/.yi, qui signifie levant, et que les Turcs
prononcent /l?iO(/o/(. L'Analolie proprement dite , formée
de la portion occidentale de l'ancienne Asie Mineure, s'é-
tend du 24° 13' au 30° longitude est, et est subdivisée en
dix-huit sandjacks ou livas. Kutaijcli en est le chof-lieu ;
Brousse et S my me en sont les villes les plus impor-
tantes.
ANATOMIE (du grccàvà, à travers ; Té[ji.vw, je coupe).
Dans son acception ordinaire, l'anatomic est l'art d'exa-
miner les corps animaux au moyen de la dissection, pour
reconnaître la structure et les fonctions de toutes leurs jiar-
ties, et montrer à peu près de quoi dépendent la vie et la
santé. — Dans un sens plus général , l'anatomie est la
science de l'organisation de tous les êtres, soit animaux,
soit végétaux , dont elle isole les éléments, afin de les étu-
dier sous tous les rapports : nombre, forme, situation,
connexion, structure.
L'anatomie prend différents noms, suivant les olijets
qu'elle étudie et le but de ses éludes. On la divise d'abord
naturellement en anatomie animale, zootomie; et en
anjfomie végétale, /)//y/o^o?Hie ou organographic
vt'gctale.
L'anatomie animale se subdivise elle-même en plusieurs
branches. Celle (|ui compare l'organisation des divers ani-
maux s'ap|)clle anatomie covipari'c. L'anatomie des
animaux domestiques prend quelquefois le nom d'anato-
inie vctèrinuire.
L'anatomic humaine ou anthropotomie, à cause de sa
haute importance, se présente sous diflérents points de vue.
Quand elle étudie isolément les divers organes , qu'elle en
décrit la forme, la situation, les rapports, elle prend le
nom (Vanalomic descriptive. On peut suivre dans cette
élude deux méthodes différentes, étudier successivement les
divers appareils physiologiques, ou bien étudier dans chaque
région du corps la situation respective de toutes les par-
ties qui s'y rencontrent, ce qui constitue une application
des plus importantes pour le chirurgien , et s'appelle ana-
toinic chirurgicale , ou iopogruphique, ou encore anato-
mie (les régions.
Le corps humain étant un composé de solides et de flui-
des, on divise l'anatomie humaine, la seule dont nous ayons
à nous occuper, en anatomie des solides et en anatomie
des fluides.
Les solides du corps humain sont : 1° les os, qui prêtent
appui aux autres parties du corps; 2° \escartilages ,
beaucoup plus mous que les os, et par suite flexibles et élas-
tiques ; 3° les ligaments, plus flexibles encore, et qui
unissent les extrémités des os les unes aux autres ; 4° les
membranes , ou tissus de substance cellulaire minutieu-
sement entrelacée et condensée; 5° Vd substance cellulaire,
formée de fibres et de matière animale unies d'une manière
plus lâche; G" \?i. graisse ou substance adipeuse, huile ani-
male, contenue dans les cellules de la membrane cellulaire ;
7° les muscles,(\n\ sont des paquets de fibres, doués de la
faculté de se contracter : en langage vulgaire, ils forment la
chair de tout animal -jS," les tendons, cordons durs et sans
élasticité qui lient les muscles ou puissances motrices aux os
instruments du mouvement; 9° les viscères , qui sont dif-
férents organes adaptés dans réconomie animale à différents
usages , et contenus dans les cavités du corps , telles que
la tête, la poitrine, l'abdomen et le pelvis; 10° les glan-
des, organes qui sécrètent ou séparent divers fluides du
sang; 11" les vaiss eaux, canaux se divisant en bran-
chcset transmettant le sang ainsi que d'autres lluides ; 12" la
substance cérébrale, qui compose le cerveau et la moelle
épinière et qui est une espèce particulière de matière ani-
male molle; 13° les nerfs , formés par la réunion de cor-
dons blancs fibreux , se rattachant par une extrémité au
cerveau ou à la moelle épinière, et de là répandus dans
toutes les autres parties du corps pour recevoir les impres-
sions des corps extérieurs, ou pour transmettre les ordres de
la pensée et produire ainsi le mouvement musculaire.
Les lluidos du corps humain sont: 1 ° le 5 «Jij/, qui circule
à travers les vaisseaux ou veineux ou artériels et nourrit tout
l'organisme; 2" la lymphe, qui débarrasse le sang des ma-
tériaux appauvris ; 3" le chyle, chargé de renouveler le sang ;
4" la sueur, sécrétée par les vaisseaux de la peau; 5° la
matière sébacée, sécrétée i)3r les glandes de la peau ; 6° I'm-
rine, sécrétée i)ar les reins; 7° le cérumen, sécrété par
les glandes de l'oreille externe; S" les larmes , par les
glandes lacrymales; 9° la sa/ j rp, par les glandes s a-
livaires; 10" le mucus, par des glandes dans diverses
parties du corps, et par différentes membranes ; 1 1° le liquide
séreux, par les membranes tapissant des cavités circons-
crites; 12° le suc pancréatique, par le pancréas; 13° la
bile, parle foie; 14° le suc gastrique, par l'es-
tomac; \h° Yhuile, par les vaisseaux de la membrane
.idipcuse; 16° la synovie, \\diV les surfaces internes des
jointures à l'eflet de les lubrifier; 17° le sperme^ parles
testicules; 18° le lait, par les glandes mammaires.
La description anatomique du corps se trouve technique-
ment classée sous les divisions suivantes : 1" Ostéologie,o\\
description de la nature , de la forme et des usages des os;
2" Syndesmologie, on description de la liaison des os par /es
ligaments et de la structure des joiulures ; 'i" Mijot'ogie,
on clude des forces mol rires ou niiisrles; 'i" .lHf7io/fw/r, ou
(iescriiitiou dos ^ais^eaux sorvaut à rcnlretiou de l'orga-
niiiiie , à labiorption et au déplacement des parties super-
flues ; 5° Adcnologie, ou exposé des glandes dans lesquelles
diverses liqueurs sont séparées du sant; ; 6" Splaiic/niotogie,
ou description des dilïcrents viscères servant à des buts va-
riés et dissemblables dans récononiie animale : elle fait aussi
connaître les organes des sens, de la voi\ et de la j;éii6-
ration; 7° yévrologie, titre sous letiuel il faut comi)rendre
la connaissance des nerfs.
Les fonctions exercées par les animaux, et que la physio-
logie a pour objet d'expliquer, peuvent être classées ainsi :
1 ° ÏAdigesti0 7i, ou conversion des matières étrangères eu
une substance propre à la nourriture du corps; 2°Vabsorp-
tion, acte par lequel les parties nutritives sont enlevées
et conduites dans le svstème vasculaire et par lequel les
parties usées de notre corps sont éloignées ; 3° la rcspira-
t ion, ou régénération du fluide nutritif pari" action de l'atmo-
sphère; 4" la circulation, ou distribution de la matière
convertie à chaque partie de l'animal, pour réparer ses forces
et les augmenter : on appelle ainsi ce procédé , à cause du
mode suivant lequel il est eflectuo dans la généralité des
animaux; 5° lasccre7Jon, fonction qui a peur but de sé-
parer des fluides circulants des matériaux divers, dont les uns
sont destinés à être éliminés complètement, tandis que les au-
tres ont à concourir à divers actes de l'économie; 6° ïir-
ritabilité, par laquelle les fibres vivantes se contractent,
par laquelle l'absorption et la circulation s'effectuent , et
qui s'exerce d'une manière frappante par les effoi-ts occa-
sionnels des forces musculaires ; enfin 1° la. génération,
par laquelle de nouveaux êtres semblables à leurs parents
sont formés et produits.
L'ensemble des organes qui concourent à une même fonc-
tion prend le nom d'appareil. Les organes, chacun en par-
ticulier, sont composés d'un certain nombre de tissus élé-
mentaires, disséminés dans les diverses parties du corps,
et dont chacun, envisagé dans son ensemble, prend le nom
de système : tels sont les systèmes cellulaire, vasculaire,
subdivisé en artériel, veineux, capillaire, lymphatique ;
imisculaire, nerveux ; muqueux, cutané, osseux, carti-
lagineux, ligamenteux, épidermique, systèmes qu'on peut
réduire à trois tissus générateurs : cellulaire, musculaire
et nerveux. On peut rattacher encore à l'anatomie humaine
Y embryotomie ou embryogénie , étude de la vie fœtale qui
constitue aussi une des branches de l'anatomie comparée,
ainsi que la tératotomie ou tératologie , étude des mons-
truosités.
Vanatomie physiologique étudie à la fois les organes et
les fonctions qu'ils exécutent. Enfin l'anatomie descriptive
s'appelle anatomie pittoresque ou plastique, quand elle
est étudiée par les artistes.
Lorsque l'anatomie fait abstraction des organes pour ne
considérer que les tissus élémentaires qui les forment par
diverses combinaisons, elle reçoit le nom à'' anatomie géné-
rale. Cette branche de la science a été créée par Bichat;
l'application du microscope lui a l'ait faire d'immenses progrès.
Mais l'anatomie n'étudie pas seulement les organes à
l'état de santé, elle s'occupe aussi des altérations qui sont
amenées par différentes causes ; elle reçoit alors le nom d'a-
natomie pathologique.
Comme le fait observer Fontenelle , l'astronomie et l'ana-
tomie sont les sciences qui nous offrent le spectacle le plus
frappant des deux plus importants attiibiits de l'Être su-
prême : la première, en effet, remplit l'esprit de l'idée de son
immensité , par l'étendue , les distances et le nombre des
corps célestes; la seconde nous étonne, par l'intelligence ad-
mirable et l'art merveilleux qu'il a déployés dans la variété
et la délicatesse du mécanisme animal. On a appelé assez
souvent le conis humain du nom de microcosme (petit
monde), comme différant moins du système universel de la
liiCT. DH LA ca\\i;i;s. — T. I.
AXATOMTE 520
natun* dans la symétrie et le nombre do ses parties (pie
dans leur grandeur. L'excellent traité de C.alien sur l'usage
des membres est un véritable hymne à la louange du Créa-
teur. Cicéron insiste plus sur la structure et l'économie des
animaux que sur toutes Tes autres productions de la nature,
quand il vent prouver l'existence des dieux par l'ordie et la
beauté de l'univers. Il serait trop long de citer ici tons les
passages que pourraient nous fournir les physiciens , les phi-
losophes et les théologiens qui ont considéré la structure et
les fonctions des animaux , pour reporter de là leurs re-
gards vers le Créateur. C'est , en effet , un spectacle qui doit
nous inspirer la foi la plus respectueuse. On a dit que
l'homme ne pouvait pas porter la main à sa tète sans trouver
dans ce si simple mouvement assez de preuves pour lui dé-
montrer l'existence de Dieu ; et l'on a eu raison.
L'utilité la plus directe de l'anatomie est incontestable-
ment pour ceux qui sont appelés à être les gardiens de la
santé de leurs semblables ; car cette science est la base néces-
saire , indispensable , de toutes les branches de l'art de
guérir. Plus nous arrivons à mieux connaître notre struc-
ture intérieure, et plus nous avons lieu de penser que si nos
sens étaient plus subtils et notre intelligence pins vaste ,
nous pourrions connaître beaucoup de sources de la vie qui
nous sont maintenant cachées. La plus grande sagacité
dont nous serions doués nous permettrait dès lors de dé-
couvrir les véritables causes et la véritable nature des ma-
ladies; et il nous serait possible, par conséquent, de con-
server la santé à une foule de patients , que , dans l'état
actuellement borné de nos connaissances , nous déclarons
être affectés de maladies incurables. ,\vec une connaissance
plus intime de l'anatomie du corps humain, nous arriverions
sans doute à décousrir les causes môme des maladies, et
nous les détruirions avant qu'elles eussent le temps d'im-
planter leurs racines dans l'ensemble de la constitution.
C'est là, à dire vrai, un degré de science auquel nous ne
devons point espérer de pouvoir jamais atteindre. jMais , as-
surément aussi, il nous reste encore bien des progrès à faire;
donc tâchons d'avancer le plus qu'il nous sera possible.
Que si nous réfléciùssons que la santé et la maladie sont
en état constant d'antagonisme, nous ne pouvons douter
que l'étude de l'état naturel du corps qui constitue l'une
ne soit la voie la pins naturelle pour arriver à connaître
l'autre. Il n'y a parmi les médecins que les empiriques les
plus illettrés qui puissent révoquer en doute ce que nous
venons de dire de l'utilité de l'anatomie. Quand ils disent
qu'une étude superficielle de cette science suffit à un mé-
decin, ils n'ont d'autre but que de décourager les antres
de la poursuite d'une connaissance qu'ils ne possèdent pas
eux-mêmes, et dont, par conséquent, ils ne sauraient appré.
cier l'importance.
Chacun avouera que l'anatomie est la base même de la
chimrgie. En effet, la dissection est seule capable de nous
apprendre quand on peut opérer sur un corps vivant avec li-
berté et célérité, quand on ne doit se hasarder qu'avec la plus
grande circonspection et la plus grande délicatesse d'opéra^
tion ; quand enfin il faut à tout prix s'abstenir. Elle instruit la
tête, donne à la main de la dextérité , et familiarise le cœur
avec une espèce d'inhumanité nécessaire pour pouvoir faiie
usage d'instruments tranchants sur des créatures qui sont nos
semblables. S'il était possible de douter des avantages que la
chirurgie tire de la connaissance de l'anatomie, nous ne tar-
derions pas à nous former à cet égard une conviction pro-
fonde, rien qu'en comparant la pratique de nos jours avec
celle des anciens, et en faisant l'histoire des progrès qu'elle a
faits dans ces derniers temps. On prouverait qu'ils sont gé-
néralement dus à une connaissance plusexacte des membres
qu'elle concerne. Entre les mains d'un bon anatomiste, la
chiiurgie est un art salutaire, iiresque ilivin ; prati(iuée |)ar
un homme qui ignore la structure du corps humain, cliâ
devient souvent barbare et cruelle.
C7
530
ANATOMIE
Ce n'est pas sans quelque raison qu'on a comparé un mé-
decin à un général d'armée. Le corps de l'Iiommc, lorsqu'il
est en proie à une maladie, ressemble, en elfet, à un pays que
ravagerait la guerre civile ou une invasion. Le médecin est,
ou du moins devrait être, le dictateur, le général en chef
chargé du commandement suprême et de diriger toutes les
opérations défensives. Tout général, en effet, doit posséder,
s'il m'est permis de parler ainsi, l'anatomie et la physiologie
tlu pays qu'il occupe, c'est-à-dire connaître à fond la topo-
graphie, lacs, rivières, marches, montagnes, précipices,
plaines, bois, routes, défilés, forteresses, villes et fortifica-
tions, et se rendre un compte exact de l'influence des élé-
ments de population qu'il rencontre. Que ce général d'armée
soit bien instruit sur tous ces points, il aura mille occasions
de tirer avantage de ces connaissances; si elles lui sont
étrangères, il sera constamment exposé à commettre quel-
que fatale et irréparable erreur.
L'absence de documents nous laisse dans une obscurité
profonde en ce qui touche l'origine de la science anatomique ;
mais il est permis de conclure avec quelque apparence de
raison que, comme la plupart des autres connaissances hu-
maines, elle n'a pas eu de point de départ bien précis. Attri-
buer sérieusement l'invention de l'agriculture, de l'archi-
tecture, de l'astronomie, de la navigation, de la mécanique,
de la physi([ue, de la chirurgie ou de l'anatomie à un homme,
à un pays, plutôt qu'à d'autres, ou encore à une époque
subséquente plutôt qu'à quelque ère antérieure, serait trahir
une grande ignorance de la nature humaine. Autant vau-
drait supposer qu'il fut un temps oii l'horaine était dénué
d'appétits instinctifs, dépourvu de la faculté d'observer et
de réfléchir, et qu'à un moment donné il eut le bonheur de
trouver le moyen de soutenir son existence en prenant de
la nourriture. De pareilles notions, en effet, ont toujours
existé et existeront toujours dans toutes les parties du monde
liabité.
Les premiers hommes durent acquérir de bonne heure
quelques connaissances relatives à la structure de leur
propre corps, surtout en ce qui touche les parties externes,
et même quelques parties internes, telles que les os, les ar-
ticulations et les nerfs, qui, dans le corps vivant, se trou-
vent exposés à l'examen des sens. Ces notions grossières
durent graduellement être améliorées par les mille accidents
auxquels le corps est exposé, par les nécessités de la vie et
par les diverses coutumes, cérémonies et superstitions de
chaque nation. C'est ainsi que l'observation des corps tués
par la violence, que les soins donnés aux blessés et à une
foule de maladies, que les différentes manières de mettre à
mort des criminels, que les cérémonies funèbres et une foule
d'autres circonstances encore, durent donner aux hommes
des notions de jour en jour plus précises sur eux-mêmes,
d'autant que la curiosité et l'égoïsme étaient de puissants
stimulants pour les porter à l'observation et à la réflexion.
La brute a tant d'affinité avec l'homme en ce qui est de
la forme, des mouvements et des sens extérieurs ; les moyens
d'existence, la génération de l'espèce, les effets de la mort
sur le corps, paraissent si semblables chez l'un et chez
l'autre, que non-seulement il était évident, mais encore iné-
vitable, qu'on en tirerait cette conclusion, que leurs corps
sont à peu près formés sur le même modèle. Il était si aisé
de se procurer des occasions d'observer les corps des ani-
maux, elles se présentaient si nécessairement dans le cours
ordinaire de la vie, que le chasseur en tirant parti de sa
proie, le prêtre en faisant ses sacrifices, l'augtu-e en se livTant
à ses pratiques de divination, enfin le boucher lui-même et
ceux que la curiosité pouvait jiorter à assister à ses opéra-
tions, durent, chacun en ce qui le concernait, apporter cha-
que jour quelque notion particulière et nouvelle à l'ensemble
dis connaissances anatomiqnes déjà acquises. C'est ainsi que
n.ius voyons les insulaires de l'Océanie, quoique abandonnés
à leurs propres observations, et sans autre secours que leur
f propre raisonnement, posséder néanmoins une certaine quan.
I tité de notions imparfaites, grossières même , si l'on veut,
j relatives à l'anatomie et à la physiologie. Les poèmes
( d'Homère nous prouvent également qu'une certaine somme
j de connaissances relatives à la structure interne du corps
I humain était déjà répandue de son temps ( roir par exemple
' Y Iliade, liv. v, vers 305 et suivants). Mais l'anatomie
proprement dite, c'est-à-dire la connaissance de la structure
du corps, obtenue au moyen de dissections faites expressé-
j ment dans ce but, est d'une bien plus récente origine.
j La civilisation et le progrès en tout genre durent nalu-
I rellement commencer dans des pays fertiles, sous d'heureux
j climats où l'homme a du loisir pour réfléchir, où il éprouve
I du penchant pour le plaisir. 11 semble néanmoins que les
moeurs, les superstitions et le climat des pays orientaux fu-
I rent aussi défavorables à l'anatomie pratique qu'ils prédis-
posaient naturellement à l'étude de l'astronomie, de la géo-
métrie, de la poésie et de tous les arts de la paix. Sous ces
chaudes latitudes, les coq^s des animaux tombent si rapide-
ment en putréfaction , que leurs premiers habitants durent
éviter les travaux toujours si répugnants de l'anatomie avec
une horremr non moins vive quo celle qu'éprouvent encore
aujourd'hui leurs descendants pour ces sortes d'études. Et,
dans le fait, rien dans les écrits des Grecs, des Juifs ou des
Phéniciens , ne nous apprend que l'anatomie ait été parti-
culièrement cultivée par aucune de ces nations. Les progrès
de l'anatomie aux premiers âges du monde furent surtout
empêchés par le préjugt-, alors généralement répandu, que
de l'attouchement d'un cadavre résultait une souillure mo-
rale. L'usage d'embaumer leurs morts n'avait nullement ré-
concilié les Égj'ptiens avec la pratique des dissections.
L'homme qui dans cette opération était chargé de pratiquer
l'incision au moyen de laqueile les viscères étaient extraits
du corps s'enfuyait aussitôt, poursuivi par les imprécations
des assistants, qui le considéraient comme ayant violé le
corps d'un ami. La loi religieuse des Juifs était à cet égard
d'une sévérité extrême. « Quiconque, dit le législateur des
Hébreux, touche le corps d'un homme mort et ne se purifie
pas souille le tabernacle du Seigneur ; et cette âme sera
retranchée d'Israël. »
En remontant jusqu'à l'enfance de notre art, nous ne pou-
vons pas aller dans l'antiquité plus loin que l'époque des
philosophes grecs ; et nous voyons qu'ils considéraient l'a-
natomiecomme unebranchedes sciences naturelles. Les écrits
de Platon nous apprennent qu'il n'était pas sans avoir étudié
l'organisation et les fonctions du corps humain. Hippo-
crate, qm vécut environ quatre cents ans avant Jesus-
Clirist, et qui fut reconnu comme le dix-huitième descen-
dant d'Esculape, fut le premier qui établit une séparation
entre l'étude de la philosophie et celle de la physique, et qui
se voua exclusivement à cette dernière. Quoiqu'il ait été de
mode pendant deux siècles d'exalter les connaissances des
anciens en anatomie, nous devons avouer que les descriptions
d'Hippocrate, à l'exception de celles qui ont trait aux os,
sont incorrectes, imparfaites, quelquefois extravagantes, trop
souvent inintelligibles. Après Hippocrate l'anatomie lit de
grands progrès. Aristotene s'est pas moins immortalisé par
ses immenses travaux en histoire naturelle que comme fonda-
teur de la philosophie péripatéticienne, qui pendant près de
deux mille ans a tenu le sceptre des intelligences dans Je
monde savant. Hérophileet Érasistrate, de l'École
d'Alexandrie, sont particulièrement célèbres dans l'his-
toire de l'anatomie. Ils paraissent avoir été les premiers qui
se soient livrés à des dissections sur le cadavre humain. On
prétend que Ptolémée Piiiladelphe et son prédécesseur, se
plaçant au-dessus du préjugé et des scrupules religieux qui
défendaient de toucher des cadavres, livraient aux médecins
les corps des criminels suppliciés. Si l'on doit s'en rapporter
au témoignage de quelques auteurs, Hérophile et Érasistrate
disséquèrent même plusieurs de ces malheureux tout vi-
AîSATOMIE
iSl
vants. 11 y a dans ce (ail quelque chose qui n^volte si profon-
ilcinent les plus simples sentiments d'Iiuuianite, que nous
aimons à n'y voir que l'exagération des rumeurs répandues
alors à l'occasion de la dissection des corps humains, inno-
vation qui devait blesser bien des susceptibilités. Les ou-
vrages de ces deux anatomistes ne sont pas parvenus jusqu'à
nous ; les notions que nous possédons sur les progrès qu'ils
ont fait faire à l'anatomie sont puisées dans quelques extraits
et notices que Galien a insères dans ses ouvrages , et qui
suUisent pour nous prouver qu'ils avaient uge connaissance
assez juste et assez complote de la structure du corps hu-
main.
11 est impossible de faire mention d'un seul nom romain
dans cette esquisse de l'histoire de l'anatomie ; car Pline et
Celse ne firent que compiler les Grecs.
Les dogmes religieux furent assurément cause des lents
progrès de la science chez les peuples de l'antiquité. On
croyait que les âmes de ceux qui n'avaient pas reçu la sé-
pulture erraient cent ans sur les bords du Styx. Quiconque
ai)ercevait un cadavre était tenu de le recouvrir de terre ,
et s'il négligeait de s'acquitter de ce devoir, il lui fallait ,
pour expier son crime , offrir des sacrifices à Cérès. 11 était
interdit au grand pontife non-seulement de toucher un
cadavre, mais même de le voir ; et les llamines de Jupiter
ne pouvaient pas aller là où se trouvait un lomheifti.
Ceux qui avaient assisté à des funérailles étaient purifiés
par les mains du prêtre au moyen d'une aspersion d'eau ;
et la maison du défunt , elle aussi , était purifiée de la même
manière. Si quelqu'un, dit Euripide dans Iphigénie , a
souillé ses mains par un assassinat, en touchant un cada^TC
ou une femme en couches , les autels des dieux lui sont
interdits.
11 n'y eut pas d'anatomiste ni de physiologiste depuis
Ilérophile et Erasistrate jusqu'à Galien. On pense généra-
lement que les sujets de ses travaux anatomiques étaient
des animaux ; et il résulte évidemment de quelques passages
que ses descriptions sont faites d'après des singes. Le fait
est qu'il ne dit jamais expressément avoir disséqué des sujets
humains, bien qu'il dise avoir vu des squelettes humains.
Il doit être regardé comme le premier qui ait placé la science
anatomique à un rang distingué parmi les connaissances
humaines ; et à cet égard il mérite toute notre reconnais-
sance, car pendant environ dix siècles ses ouvrages fu-
rent la seule source à laquelle les hommes purent puiser
quelques notions anatomiques.
A la mort de Galien la science déclina tout aussitôt; ses
successeurs se contentèrent de le copier, et il n'y a pas de
preuves qu'il y ait eu dissection d'un corps humain depuis
Galien jusqu'au règne de l'empereur Frédéric II. Les Arabes
n'allèrent pas plus loin en anatomie que Galien, et sup-
pléèrent par la lecture de ses ouvrages aux dissections que
leur croyance religieuse les empêchait de faire. La prise de
Constantinople par les Turcs et les grandes découvertes du
quinzième siècle contribuèrent puissamment à répandre
dans les diverses parties de l'Europe les arts des anciens.
On posséda ainsi une source de connaissances à laquelle jus-
qu'alors on n'avait encore pu puiser que par l'intermédiaire
des médecins arabes. C'est aux Italiens que nous sommes
reilevables de la restauration de l'anatomie. Mais les pre-
miers qui se signalèrent dans cette voie avaient un respect
aveugle pour les œuvres de Galien, en même temps que les
préjugés généralement répandus à cette époque sur le res-
pect dû aux morts rendaient impossible tout progrès de la
science. Nous pouvons citer comme exemple un décret du
pape Boniface VIII, défendant de pré|)arer les ossements
Iiuinains , décret qui arrêta dans ses recherches Mundini ,
lequel en 1315 avait fait à Cologne la première dissec-
tion publique d'un corps humain.
l'arini les cJixonstaiices qui contrihiicient à la restaura-
lion de l'anatomie , il faut tenir compte de l'assislance qu'elle
obtint des grands peintres et sculpteurs de ce Icmps. Michel-
Ange disséqua des hommes et des animaux pour apprendre
à connaître les muscles cachés sous la peau. Il existe à la
Bibliothèque Impériale une collection de dessins anatomi-
ques exécutés vers cette époque par Léonard de Vinci , et
accompagnés de notes explicatives. Hunter n'hésite pas à
rendre hommage à la précision et à l'exactitude des notions
anatomiques que ces esquisses font supposer, et il ne craint
pas de proclamer Léonard de Vinci comme le plus grand
anatomiste de cette époque. Vers le milieu du seizième siècle
parut l'illustre V e s a 1 e , qui enseigna le premier que la dis-
section était un mode bien préférable pour arriver à la
connaissance de l'anatomie que l'étude , jusque alors tant
préconisée , des ouvrages de Galien. Ses immenses recher-
ches sur la structure de l'homme et des animaux l'amenè-
rent à découvrir les erreurs de Ga'lien , qu'il signala avec
courage, démontrant par diverses parties de ses œuvres que
ce grand médecin n'avait décrit le corps de l'homme que
d'après des dissections d'animaux. Les vives controverses
qui s'élevèrent à celte occasion ouvrirent une nouvelle ère
dans l'histoire de l'anatomie. Il y aurait de l'injustice ici à
passer sous silence les noms de Fallopeetd'Enstachi,
contemporains de Vesale , qui , eux aussi , contribuèrent
beaucoup par leurs travaux et par leurs observations aux
progrès de l'anatomie. Les planches dessinées et gravées
par le dernier sont exécutées avec un soin et une précision
qu'on admirerait même de la part d'un anatomiste contem-
porain.
En 1628 l'immortel Harvey publia sa découverte de la
circulation du sang, qui non-seulement jeta une nou-
velle et utile lumière sur des faits anatomiques qui étaient
déjà incontestablement acquis à la science, mais encore
ouvrit la voie à une foule de recherches ultérieures.
Les occasions de disséquer devenant plus nombreuses,
on décou\Tit les erreurs commises presque à chacune des
pages des oeuvres de Galien , et on commença à ne plus
étudier l'anatomie que sur le sujet même. Ici nous ne de-
vons pas omettre de tenir compte de l'influence que les
écrits du grand Bacon exercèrent sur l'étude des sciences
naturelles et sur les divers modes d'action de la pensée.
La philosophie d'Aristote fut à ce moment renversée du
piédestal élevé qu'elle avait occupé si longtemps, et fit place
à la seule méthode offrant à la fois de la sécurité et de la
solidité , celle de l'observation , de l'expérience et de l'in-
duction. C'est à cette époque que furent fondées en Italie
l'Académie del Cimento, à Londres la Société Royale,
et à Paris l'Académie des Sciences. Depuis, l'important
principe qui rejette toute hypothèse ou connaissance géné-
rale, jusqu'à ce qu'un nombre suffisant de faits aient été
vériliés par une observation attentive et de judicieuses ex-
périences, a pris de jour en jour plus de crédit. Anatomistes
et physiologistes , tous à partir de ce moment ont cherche
à se distinguer par la patiente observation de la nature
même et par la description précise des phénomènes qu'ils
obseiTaient.
Après la découverte de la circulation du sang, il était
naturel que la seconde question dont la solution occuperait
les intelligences fût celle des voies suivies par les parties
nutritives des aliments, à partir des viscères jusqu'aux
vaisseaux sanguins. Le nom d'Aselli, médecin italien, est
devenu illustre par la découverte des vaisseaux qui amènent
le chyle des intestins. Pecquet découvrit le canal thora-
cique ou tronc commun de tous les vaisseaux chylifères,
conduisant le chyle dans la veine sous-clavière. La décou-
verte (les vaisseaux 1 y m p h a t i q u e s suivit bientôt celles des
chylifères et du canal thoraci(iue. Rudbeck, Suédois de
naissance, est généralement reconnu comme ayant décou-
vert ces vaisseaux; cependant cet honneur lui fut disputé
par un savant Danois, Bartholin. Leeuwenhoeck
chercha à connaître la structure exacte du corps humain
67.
533
à l'aide du nucroscope ; il démontra la circulation du sang
dans les ]>arties transparentes des animaux vivants ; le pre-
luer il observa les globules rouges du sang et les animal-
cules du sperme. Malpighi dirigea particulièrement son
attention sur les glandes ou organes sécrétoires du corps.
Vers cette ('•pofjiie Tanatomie lit deux pas immenses, par
Tinvention des injections et par la méthode des prépara-
tions anatomiqucs. T^ous en sommes redevables aux Hol-
landais, pailiculièrement à Swammerdam et à Ruysch.
iJès que Tanatomie fut ainsi devenue une science claire et
évidente, elle fut étudiée et enseignée chez les dil'férentes
nations de Tliurope par une foule de professeurs, pleins de
/61e et de talent. Les i)rt-jugés relatifs à la dissection ayant
en grande partie disparu, les diflicullés qui s'opposaient
autrefois aux rcciierches anato'niques ont cessé d'exister;
vX il est maintenant généralement aisé de se procurer au-
tant de sujets qu'en exigent les travaux anatomiques.
A cet égard, dans la plupart des pays de r[;urope, peut-
(•Ue môme dans tous , les gouvernements ont pourvu aux
besoins des anatomistes. 11 n'y a plus aujourd'hui que
l'Angleterre où il soit encore difficile et coûteux de se pro-
curer les moyens d'instruction nécessaires à l'étude de
l'anatomie pratique; aussi, tandis que les autres nations
enrichissent à l'envi la science des plus splendides ouvrages,
on ne saurait citer que bien peu de noms anglais dans les
annales de celte science.
11 nous faudrait trop de temps et trop de place pour si-
gnaler ici en détail les travaux et les découvertes de tous les
liomraes éminents qui se sont immortalisés pendant le siècle
dernier dans l'anatomie. Nous nous bornerons à dire som-
mairement qu'il n'y a point de partie du corps lunnain qui
n'ait été complètement et minutieusement examinée et dé-
crite , et que des gravures aussi exactes qu'élégantes les ont
toutes reproduites. Les os et les muscles ont été décrits et
représentés de la manière la plus exacte par Albinos, Che-
selden, Sue et Cowper. Le système vasculaire a été illustré
par un magnifique ouvrage de l'immortel Halier. ^Valker et
Meckcl de Berlin, ainsi que Scarpa h Pavie, ont fait preuve
d'autant de zèle que de soins pour découvrir et suivre la dis-
tribution des nerfs les plus importants , et pour les repré-
senter à l'aide de gravures (idèles. Cruikslxank s'est distingué
par un excellent ouvrage sur le système absorbant ; et l'on
doit à Jlascagni un remarquable travail sur les vaisseaux
absorbants , orné de planches magnifiques. En Angleterre ,
Ilunter, à qui l'anatomie doit plus qu'à tout autre, a publié,
avec de superbes gravures explicatives , une iiistoire com-
plète de l'œuf humain et des changements que subit l'utérus
après avoir reçu cet œuf dans ses cavités. S'icq d'Azyr a re-
présenté avec une élégance sans rivale La structure du cer-
veau, dans un volume in-folio, orné de planches que nous
n'hésitons pas h proclamer tout à la fois comme un des plus
magnifiques nionuments de l'art et comme un chef-d'a>uvre
de la science anatomique. Quelques parties des plus impor-
tants organes ont aussi été expliquées par Sœmmering ,
aux travaux de qui l'anatomie est redevable de tant de pro-
grès. Nous nous bornerons à citer ici ses deux admirables
dissertations sur l'anatomie de l'o'il et sur celle de l'oreille.
11 y aurait aussi de l'injustice à ne pas faire mention des
beaux travaux entrepris sur les mêmes sujets par Zinn, Cas-
sebohm et Scarpa. — Jlorgagni, professeur d'anatomie à
l'adoue, a publié au dix-huitième siècle sur l'anatomie mor-
bide im ouvrage d'une haute utilité. En Angleterre , IJailie
a suivi les mêmes voies, mais en traitant son sujet d'une
façon différente. Lieutaud , Portai , Sandifort, Laennec, Cru-
veilhier, Lobstein et Andral ont fait aussi faire de grands pro-
grès à cette partie de la science. — ^Vinsl()\v, Sabatier, et
Bichat, le créateur «le l'anatomie générale, sont les auteurs
des systèmes anatomiques les plus approuvés en Fiance;
ceux qui ont le plus de vogue en Allemagne sont dus à
Scemmerini; et à liiidehrand. \V. L,\\VKi:xct;.
ANATOMIE — ANATOMIE COMPARÉE
ANATOMIE COMPARÉE. Cesl la science de l'or-
ganisation des animaux; elle expose les différences et les
analogies que présentent les systètTics organiques dans toute
la série animale. L'anatomie comparée a servi de base à la
classification des animaux la plus généralement adoptée
de nos jours. C'est la source solide et féconde où la physio-
logie a puisé ses théories les plus évidentes; car c'est par elle
seule que l'on obsene, que l'on compare, que l'on juge les
différentes modifications d'un organe remplissant une fonc-
tion analogue «u semblable dans toute l'échelle des êtres.
L'anatomie comparée nous fait reconnaître tout d'abord
que les fonctions se perfectionnent à mesure que les orga-
nismes se comphquent, et qu'elles se simplifient à mesure
qu'ils deviennent plus élémentaires. Un rapide coup d'œil
jeté sur Icsoiganes des animaux et sur les fonctions que ces
organes sont appelés à remplir suffira pour donner une idée
générale de cette science immense par son but et ses ré •
sullf.ts.
La respiration ne s'effectue pas de la même façon chen
tous les animaux : tantôt elle se fait par la surface du corps,
sans avoir d'appareil distinct, comme chez les zoophytes ;
tantôt elle a lieu par des <rac/i ces, sortes de vaisseaux qui
transportent l'air dans toutes les parties du corps; tantôt elle
s'opère par des branchies , espèce de franges lamellaires,
ou bien enfin par des poum on s compressibles et exten-
sibles à volonté. La respiration branchiale est propre aux
animaux qui vivent dans l'eau ; ceux-là seuls ont la respi-
ration pulmonaire qui sont le plus élevés dans la vie animale.
A la respiration pulmonaire se rattache une fonction des
plus importimtes , la voix que produit un appareil parti-
culier nommé glotte. Cet appareil est tantôt à la base de
la langue, chez les mammifères et les reptiles; tantôt il est
à l'extrémité antérieure du tube aérien, chez les oiseaux.
La circulation présente aussi des dilïérences notables;
quelques animaux n'en ont pas , comme les zoophjles et les
insectes; elle est tantôt complète, quand tout le sang vei-
neux traverse l'organe respiratoire avant de retourner aux
artères, comme chez les mammifères , les oiseaux, les pois-
sons et certains inoliusques ; tantôt incomplète , quand une
partie du sang veineux repasse aux art ères sans traverser
l'organe de la respiration. Le c œ u r, organe de l'impulsion
du sang , éprouve aussi de nombreuses modifications. Quand
la circulation est incomplète , il n'y en a qu'un ; quand elle
est complète , quelquefois aussi il n'y en a qu'un , placé
tantôt à l'origine de l'artère branchiale, comme chez les pois-
sons ; tantôt à l'origine de l'aorte , comme chez les limaçons ;
mais il y en a le plus souvent deux, ordinairement réunis,
comme chez l'homme, quelquefois séparés, connue chez la
sèche.
La digestion ne varie pas moins. Chez les zoophytes lo
tube digestif n'est qu'un sac à une seule ouverture, qid sert à
la fois à prendre les aliments et à rejeter les excréments.
Dans tous les autres animaux le tube digestif a deux ouvertures,
mais quelquefois il décrit des circonvolutions considérables ,
qui en augmentent singulièrement l'étendue , et quelquefois
aussi il présente des dUatations, de capacité et de nombre
variables. Litchyle, produit de la digestion , transsude du
tube digestif chez les zoophytes et les insectes , qui sont dé-
pourvusde circulation, ou bien il est recueilUpardes vaisseaux
particuliers qui le versent dans le sang. Ce dernier liquide
est tantôt rouge, chez les vertébrés ; tantôt incolore, blanc et
bleuâtre. Les mammifères ont le chyle laiteux ; les oiseaux ,
les reptiles et les poissons l'ont incolore comme la lymphe.
Le système nerveux offre trois grandes différences :
tantôt il est renfermé dans un étui osseux au-dessus du
tube digestif, comme dans tous les vertébrés; ou bien il est
placé au-dessous du tube digestif et renfcnué dans la même
cavité, comme chez les mollusques et les articulés ; ou bien,
enfin, il est confondu avec les autres tissus, comme chez les
zoophjles. Les oigancs des sens existent chez tous les ver-
ANATOMIE
l('br(% , mais avec tics difTérences infinies dans leur do2.\é de
porfiTlion ; la vue et l'ouïe manquent aux zooph}1es, à plu-
sieurs vers articulés, à certains mollusques.
Le système de locomotion présente é4:;alement deux dif-
férences capitales : les os forment un squelette intérieur que
font mouvoir des muscles placés à Tontour, et les animaux
qui en sont pourvus sont appelés vcrftbrcs ; ou bien il n'y a
pas de squelette intérieur, et les invcrtc'brés sont tantôt
mous conune les vers , tantôt pourvus de pièces écailleuses,
qui forment une sorte de squelette extérieur, comme les
crustacés et les insectes , tantôt enfin renfermés dans une
coquille de substance calcaire, que sé'crète leur peau.
Les organes de la génération n'offrent pas moins de va-
riations. Chez les zoophytes le petit croit sur le corps de l'a-
dulte à la façon d'un bourgeon , et s'en sépare quand il
peut vivre d'une vie propre. Dans les autres animaux la re-
production s'effectue au moyen d'organes particuliers , qui
constituent les sexes. Ceux-ci sontle plus souvent séparés ,
quelquefois réunis chez le même individu, comme dans les
mollusques : c'est V hermaphrodisme. Dans ce cas
quelques-uns peuvent se féconder eux-mêmes , tandis que
d'autres ont besoin d'un accouplement réciproque. Le pro-
duit de la génération est tantôt un embryon, qui se fixe aux
parois de l'utérus de la mère: c'est la génération y ivij) are;
ou bien c'est un germe qui en est entièrement séparé, et qui
est renfermé dans une coque au milieu dune substance qui
lui sert de nourriture : c'est la génération ovipare, ^"'oublions
pas que quelques animaux ovipares, tels que la vipère, pro-
duisent des petits vivants ; mais il est facile de s'assurer
(ju'il y a eu des œufs couvés et éclos dans le cco-ps de la
mère, d'où le nom d'oro y tri/) ores, donné aux animaux
qui présentent cette particularité. En outre quelques anhuaux,
comme les insectes, les grenouilles et les sala-
mandres, éprouvent des métamorphoses singulières en
passant à l'état adulte.
Après avoir signalé les différences capitales qui existent
dans les animaux à leur état de développement , il reste à
parler d'une importante partie de l'anatomie comparée. La
science de l'organisation recherche encore les dissemblances
et les rapports que des individus d'une même espèce, d'un
même sexe ou de sexes différents présentent aux différents
âges, aux différentes époques de la vie; elle suit les chan-
gements de forme de l'enibryon ; elle constate l'apparition
successive ou simultanée, constante ou transitoire de cer-
tains organes. Cette science porte le nom à'' embryo-
génie, elle a jeté la plus vive lumière sur des phénomènes
demeurés obscurs jusque alors, \t?,monstruosités , et a
créé une nouvelle science , la tératologie.
L'anatomie, après avoir comparé l'organisation chez tous
les êtres animés et ses diverses formes à ses diverses pé-
riodes, prend le nom à^SLncXom\Q philosophique , trans.
ccndante et spéculative quand elle étudie l'organisation
en elle-même pour en expliquer les lois. Cuvier, dans ses
Considérations suri' économie animale, qu'il mit en tête de
ses Leçons d'anatomie comparée, exposa clairement la prin-
cipale loi de l'anatomie philosopliique , la loi des conditions
d'existence. « Dans l'état de vie , disait-il , les organes ne
sont pas simplement rapprochés, mais ils agissent les uns
sur les autres, et concourent tous à un but commun. Les
modifications de l'un d'eux exercent une induence sur celles
de tous les autres. C'est sur cette dépendance mutuelle des
fonctions et ce secours qu'elles se prêtent léciproquement
que sont fondées les lois qui déterminent les rapports de
leurs organes , et qui sont d'une nécessité égale à celles des
lois mathématiques. Tout être organisé forme un ensemble,
un système unique et clos, dont les parties se correspon-
dent mutuellement , et concourent à la même action défi-
nitive par une réaction réciproque. Par consécpienl chacune
d'elles, prise séparément, indique et donne toutes les
autres. Ainsi , si les intestins d'un animal sont organisés de
COMPARÉE 533
manière ;\ ne digérer que de la chafr et de la chair récente,
il faut aussi que ses mâchoires soient construites pour dé-
vorer une proie , ses griffes pour la saisir et la déchirer, ses
dents pour la couper et la diviser; le système entier de ses
organes du mouvement pour la poursuivre, et pour l'at-
teindre ; ses organes des sens pour l'apercevoir de loin ; il
faut même (pie la nature ait placé dans son cerveau l'instinct
nécessaire pour savoir se cacher et tendre des pièges à ses
victimes. Telles sont les conditions générales du régime
Carnivore; tout animal destiné pour ce régime les réunira
infailliblement, car sa race n'aurait pu subsister sans elles ;
mais sous ces conditions générales il en existe de particu-
lières, relatives à la grandeur, à l'espèce, au séjour de la
proie pour laquelle l'animal est disposé, et de chacune de ces
conditions particulières résultent des modifications de détail
dans les formes qui dérivent des conditions générales : ainsi
non-seulement la classe, mais l'ordre, mais le genre, et
jusqu'à l'espèce se trouvent exprimés par la forme de chaque
partie. En effet, pour que la mâchoire puisse saisir, il lui faut
ime certaine forme de condyle , un certain rapport entre la
position de la résistance et celle de la puissance avec le
point d'appui, un certain volume dans le muscle crota-
phite, qui exige une certaine étendue dans la fosse qui le
reçoit et une certaine convexité de l'arcade zygomatique
sous laquelle il passe ; cette arcade zygomatique doit aussi
avoir une certaine force pour donner appui au muscle mas-
séter. Pour que l'animal puisse emporter sa proie il lui faut
une certaine vigueur dans les muscles qui soulèvent sa tète,
d'où résulte une forme déterminée dans les vertèbres où ces
muscles ont leurs attaches , et dans l'occiput où ils s'insè-
rent. Pour que les dents puissent couper la chair, il faut
qu'elles soient tranchantes et qu'elles le soient plus ou moins
selon qu'elles auront plus ou moins exclusivement de la
chah: à couper. Leur base devra être d'autant plus solide
qu'elles auront plus d'os et de plus gros os à briser.
0 Toutes ces circonstances influeront aussi sur le dévelop-
pement de toutes les parties qui servent à mouvoir la mâ-
choire. Pour que les griffes paissent saisir cette proie, il
faudra une certaine mobiUlé dans les doigts, une certaine
forme dans les ongles , d'où résulteront des formes déter-
minées dans toutes les phalanges , et des distributions né-
cessaires de muscles et de tendons ; il faudra que l'avant-
bras ait une certame facilité à se tourner, d'où résulteront
encore des formes déterminées dans les os qui le compo-
sent. Mais les os de l'avant-bras , s'arliculant sur l'huméms ,
ne peuvent changer de forme sans entraîner des change-
ments dans celui-ci. Les os de l'épaule devront avoir un
certain degré de fermeté dans les animaux qui emi)loient
leurs bras pour saisir, et il en résultera encore pour eux des
formes particulières : le jeu de toutes ces parties exigera
dans tous leurs muscles de certaines proportions, et les im-
pressions de ces muscles ainsi proportionnés détermineront
encore plus particuhèrement les formes des os. — En uu
mot, la forme de la dent entiaine la forme du condyle, celle
de l'omoplate, celles des ongles, tout comme l'équation
d'une courbe entraine toutes ses propriétés ; et de même
qu'en prenant chaque propriélé séparément pour base d'une
équation particulière, on retrouverait et l'équation ordi-
naire et toutes les autres propriétés quelconques, de même
l'ongle, l'omoplate, le condyle, le fémur et tous les autres os
pris séparément, donnent la dent ou se donnent récipro-
quement ; et en commençant par chacun d'eux , celui qui
posséderait rationnellement les lois de l'économie organique
pourrait refaiie tout l'animal. » C'est par cette voie que Cu-
vier paiTint à retrouver des espèces et des genres entiers
fossiles qui avaient disparu de la surface de la terre de-
puis les derniers cataclysmes et qu'il a créé la l'aléon-
tologie.
Après avoir reconnu les Umiles assez étendues que la loi
des conditions d'exislcnce a posées pour les différeutei
combinaisons organiques, nous ne nous arrêterons pas à
analyser un certain nombre de principes théoriques, qui bien
que dus à de grands esprits sont plutôt l'œuvre de l'idéo-
logie que de l'anatomie philosophique. Cependant le prin-
cipe des connexions et celui, plus général et plus hypo-
thétique encore, de la répctilion des organismes doivent
Ctre exposés ici. Le premier, formulé par Geoffroy Saint-
Hilaire, repose sur la dépendance mutuelle, nécessaire et
par conséquent invariable des parties. Dans beaucoup de
circonstances il est incontestable en application comme en
théorie. Ainsi les organes des sens se rattachant par les
nerfs qui les constituent au centre principal du système ner-
veux , on arrive avec certitude de l'œil au cerveau par le nerf
optique. Mais il abandonne souvent l'anatomiste , surtout
lorsqu'il cherche à le reconnaître dans le dédale des ani-
maux invertébrés.
La loi des répétitions organiques a pour base ce principe
que chaque partie de l'univers est faite sur le modèle du tout ,
et chaque division de la partie sur le modèle de celle-ci ; cette
hypothèse , qui part d'une pensée vraie et sublime , l'unité
de plan et de pensée créatrice , a donné naissance à Yhy-
pothèse du développement graduel et successif des or-
ganismes, principe fondamental de Vembryog énie. Le
spectacle surprenant des métamorphoses qu'éprouvent les
reptiles batraciens et les insectes a fait admettre dans cette
science que les fœtus des animaux supérieurs passent par
tous les degrés inférieurs de l'organisation, à partir de celle
du polype, avant d'atteindre leur perfection organique. Des
faits positifs sont venus contredire cette prétendue loi, quoi-
que la doctrine des monstruosités par défaut lui doive un
singulier attrait de probabilité.
L'anatomie comparée a été connue dès une haute anti-
quité ; les prêtres de Thèbes et de Memphis avaient certai-
nement des notions sur cette partie de la science anato-
mique. Mais il faut aller jusqu'à Aristote pour trouver dès
connaissances scientifiques bien établies. Son premier livre
d'histoire naturelle est un véritable traité d'anatomie comparée,
et la science regarde cet homme universel comme son fon-
dateur. Érasistrate étudia aussi l'anatomie comparée ainsi que
plus lard Galien, mais en la rapportant à celle de l'homme.
Quand la science anatomique fut retrouvée au quatoi-zième
siècle, les travaux de Vesale, de Colombus, de Bérenger, de
Carpi et d'Harsey enrichirent son domaine d'un grand
nombre de faits nouveaux. Depuis cette époque elle marcha
de front avec l'anatomie de l'homme. Stenon , Malpighi ,
Ruysch et Swammerdam étudièrent les insectes et leurs mé-
tamorphoses ; Redi et Leeuwenhoeck découvrirent un monde
nouveau au moyen du microscope ; Haller, Spallanzani ap-
pliquèrent l'anatomie comparée à la physiologie. Depuis
Daubenton, Buffon et Vicq-d'Azyr elle forme une branche
essentielle de l'histoire naturelle générale. Cuvier non-seu-
lement la porta au plus haut degré de développement et de
clarté , mais encore il en a le premier fait l'application rai-
fionnée à la géologie. Parmi les élèves et les successeurs de
Cuvier il faut citer Blumenbach, Etienne Geoffroy Saint-Hi-
laire, de Diain^^lle, MM. Duméril, Carus, Meckel, Duvernoy,
Serres, Isidore Geoffroy Saint- Hilaire, etc., etc. — Consultez
Cuvier, Leçons d'Anatomie comparée; Hollard, Précis
d'Anatomie comparée.
AIVATOMIE VÉGÉTALE. Voyez Organographie.
AJVATOMIQUES (Préparations). On donne ce nom
aux pièces d'anatomie normale ou pathologique conservées
par un procédé quelconque. L'art d'apprêter ces pièces est
du plus haut intérêt, son but étant de soustraire à la des-
truction les objets dont la préparation est difficile , et dont
l'étude ne peut être faite que sur les pièces naturelles , ou
de perpétuer des cas rares dont la simple description ne
donnerait qu'une idée imparlaite, en un mot, de suppléer
Je cadavre.
Cet art a subi des pcrfectioimemcnts en rapport avec les
ANATOMIE CO?JPARÉE — ANATOMIQUES
progrès de l'anatomie , qui en est l'objet , et de la chimie ,
qui en est le moyen. On cite les belles injections de Ruysch,
anatomiste hollandais , qui , vers la fin du dix-septiènve
siècle , trouva le moyen de conserver à la mort les appa-
rences de la vie , au point que Pierre lé Grand baisa , dit-
on , le cadavre d'un enfant qui semblait lui sourire. Faisant
la part de l'exagération, nous devons regretter qu'un si
beau secret soit perdu. Parmi les modernes, INIM. Chaus-
sier, Duraéril, Breschet, J. Cloquet, se sont particuliè-
rement occupés de cet objet.
Lorsqu'on veut ne conserver des pièces d'anatomie que
pendant un temps limité, le plus simple et le meilleur
moyen est de les plonger dans de l'alcool à 22 degrés;
mais nous devons plus particulièrement nous occuper ici
des procédés relatifs à la conservation indéfinie et la plus
longue possible. La première condition qui se présente est
relative au choix du sujet : ainsi , pour la préparation du
squelette, on préfère, en général, les cadavres d'individus
grêles , secs et d'un âge avancé ; pour les nerfs et les vais-
seaux, on choisit des sujets jeunes, des femmes maigres sur-
tout; on conçoit que les individus de formes athlétiques,
adonnés pendant leur vie aux exercices du corps, offriront
un système musculaire mieux dessiné , etc. Par rapport au
temps qui convient pour faire ces préparations , le froid
vif et l'extrême chaleur, avec sécheresse de l'atmosphère ,
seront favorables à la conservation des tissus exposés à la
putréfaction.
Les procédés de conservation des pièces anatomiques né-
cessitent quelques opérations préliminaires telles que la dis-
se c t i o n des parties à préparer, les injections détersives
ou conservatrices, Vinsufjlalion, par laquelle on gonfie d'air
les organes creux, comme le poumon, le tube digestif, etc.,
les lavages purificateurs ou consen'ateurs, la macération,
qui n'est qu'un lavage prolongé, et qui quelquefois a pour
but de dissoudre, au moyen de certains ingrédients, les par-
ties environnant les tissus qu'on veut isoler; c'est ainsi
qu'un organe mou dont les vaisseaux sont injectés de ma-
tière solide , plongé dans une solution d'acide chlorhydri-
que, se trouve bientôt réduit à son squelette vasculaire :
cette opération a reçu le nom de corrosion. Les moyens sus-
énoncés peuvent servir au dégraissage, qu'on obtient plus
particulièrement par des lotions alcalines ; on maintient les
parties isolées ou distendues au moyen de l'insuDlation , ou
du tamponnement avec du crin, de la laine ou même du
plâtre pour les organes creux ; on fixe les muscles, les nerfs,
les vaisseaux, avec des rouleaux de carte, des bâtonnets,
des épingles, etc.
La dessiccation est un moyen de conservation puissant
et général ; souvent on la fait précéder de l'immersion dans
l'alcool, les huiles, les dissolutions de sels métalliques ou
alcahns; le tannage et la saturation de sublimé corrosif
sont les moyens de dessiccation les plus avantageux. La
dessiccation simple s'opère à l'air libre, à l'étuve, au bain de
sable, au moyen des poudres absorbantes, etc. : l'étuve
à 45 ou 55° est le meilleur procédé.
La pièce anatomique , convenablement préparée et des-
séchée, doit être préservée de l'humidité et des insectes,
qu'on éloigne au moyen du sublimé corrosif, de l'arsenic
et du camphre, tandis qu'on prévient les effets de l'humidité
au moyen des vernis gras : le vernis d'huile de lin cuite avec
de la litharge est celui qui paraît mériter la préférence. Avant
de l'appliquer , ce qui se fait à l'aide d'un pinceau, il faut que
la pièce soit exactement desséchée. La préparation ainsi
terminée, on la dispose sur une base, dans un cadre, sous
im bocal, etc.
Ces préparations sèches sont beaucoup plus longues et
plus difficiles à faire que celles qui consistent à ccnsenerles
pièces d'anatomie dans les liquides, tels que l'alcool simple ou
chargé de sels, les solutions aqueuses et salines, les huiles,
les acides. Dans tous les cas, avant d'immcriicr les tissus, iJ
ANATOAIIQUES
convient de les soiimettro au lavage; ensuite on les place
dans des v;\5es de verre j'i large ouverture , suspendus dans
le liquide conservateur, soit au moyen d'un fil passi^ dans un
anneau fixé au couvercle , soit h l'aide de supports conve-
nablement disposes. I-e moyen le plus convenable est une
ampoule de verre qui surnage, et h laquelle la pièce est sus-
pendue. Les vases sont bouchés et lûtes avec soin pour
pi-éveuir IVvaporalion des liquides.
Le^prcparationsniiatomiques artificielles retracent jus-
qu'à rillusion la plus complète les formes organiques, et sont
«l'un usage indispensable pour quiconque étudie sérieuse-
ment l'anatomie, sans pouvoir cependant remplacer les
pénibles et repoussants travaux de dissection. Cet art est né
en Italie. Cigolien fut l'inventeur à la fin du seizième siècle;
on s'est tour à tour servi de la cire, du plâtre et du carton-
pierre, et l'on a créé de véritables chefs-d'œuvre d'exacti-
tude. M. .\uzoux est parvenu à faire un homme artificiel
de cent vingt-neuf pièces, qui se démontent à volonté; mais
cette anatomie élastique a été encore sui-passee par
le procéilé de M. F. ïhibert , qui au moyen du carton-pàte
semble ^re arrivé aux dernières limites de la perfection.
D'' FORCET.
A]\\\XAGORAS, ou AN.\XAGORE, philosophe de
la secte ionienne, naquit à Clazomène, la première année
de la 70^ olympiade, cinq cents ans avant J.-C. Fils de pa-
rents puissants et riches , il renonça aux honneurs et à la
fortune pour se livrer entièrement à l'étude des sciences et de
la philosophie. Il prit d'abord des leçons d'Anaximène,
et, après une absence de vingt années, consacrées à visiter
l'Egypte et les autres pays où les lumières avaient pé-
nétré, il vint s'établir à Athènes, oîi il ouvrit la première
école de philosophie, et eut pour disciples et pour amis
Périclès, Euripide et, selon quelques-uns. Soc rate.
L'étude approfondie qu'il avait faite de la nature , ses con-
naissances en astronomie et tù physique , qui ne dépas-
saient pas cependant de beaucoup celles des philosophes de
son temps, et au moyen desquelles il s'attachait à expliquer
d'une manière naturelle les phénomènes que le peuple re-
gardait comme un effet de la colère des dieux , tels que les
éclipses et les tremblements de terre , le firent accuser d'im-
piété et condamner à mort par les Athéniens , la seconde
année delà 87* olympiade. Périclès, qui régnait alors , eut
beaucoup de peine à le soustraire à celte sentence; il sortit
d'Athènes, et alla s'établir à Lampsaque, où il mourut
trois ans après, à l'âge de soixante-douze ans. On institua
en l'honneur de sa mémoire des jeux nommés Ânaxagories.
L'histoire a conservé le souvenir de quatre autres person-
nages du même nom : 1° d'un des premiers rois d'Argos,
(ils d'Argus, sous le règne duquel s'introduisit le culte de
Dacchus; 2° d'un statuaire, natif d'Égine , qui florissait
vers l'an 475 avant J.-C. ; 3° d'un orateur , disciple de
Socrate; 4° d'un grammairien du troisième siècle, disciple
de Zénodote.
AXAXAXDRIDE, poète comique grec, qui vivait vers
l'an 350 av. J.-C, était originaire de l'ile de Rhodes. Son
premier succès dramatique <late de Tan 376 av. J.-C, et on
ne lui attribue pas moins de soixante pièces de théâtre, dont
plusieurs obtinrent un grand succès. Toutefois, il n'y a que
trente-cinq de ces ouvrages dont les titres nous soient par-
venus.
Suidas rapporte que cet auteur fut le premipr qui sur la
scène grecque donna une grande inq)ortance aux rôles d'a-
moureuses. 11 parait qu'il n'hésitait pas à mettre en scène
les hommes qui par un motif ou un autre s'étaient attiré
son animadversion ; c'est ainsi qu'il livra aux huées de la
foule le divin Platon et deux orateurs alors célèbres, Callis-
trate et Ménalope. Il composa aussi des poésies dithyram-
biques, et Aristote faisait grand cas de lui. D'ailleurs, il
affectait de ne jamais retoucher ceux de ses ouvrages qui n'a-
vaient point réussi, lien vendait le manuscrit aux parfumeurs
- ANAXIMÈNE 535
pour en faire des sacs et des cornets, et ne voulait plus eu
entendre parler. On ignore l'époque de sa mort; et il serait
difficile de dire sur quoi se fondent les auteurs qui disent
qu'il fut condamné par les Athéniens à mourir de faim.
11 y eut aussi un roi deSparte de ce nom A' Anaxandride.
AMAXARQUE.d'Abdère, rangé iiaruii les Élcatiques
pfitjsicicns , (ut plus fameux par la licence de ses mœurs
que par ses ouvrages. Contemporain d'Alexandre, il sut
s'attirer la faveur de ce prince, qu'il chercha à corrompre
par la flatterie. Après la mort de son protecteur, une tem-
pête jeta Anaxarque sur les côtes de l'île de Chypre, où il
tomba entre les mains du tyran Nicocréon , uont il avait
autrefois sollicité la perte auprès d'Alexandre. Le tyran le
fit piler dans un mortier ; ce malheureux mourut avec une
fermeté digne d'un plus honnête homme ; on dit même
qu'il se coupa la langue avec les dents , et qu'il la cracha
au visage de son bourreau. Ces faits sont très-douteux ; on
raconte les mômes choses de la mort de Zenon l'Éléatique.
AJVAXIjVLAJVDRE, fils de Praxiades, né à IVIilet,
vers la 42* olympiade (620 avant J.-C. ), fut parent, ami et
disciple de Thaïes , que tous les anciens regardent comme
le chef de l'école ionienne. Un des premiers , il enseigna
publiquement la philosophie, et il écrivit sur cette manière.
Au moyen du gnomon, dont Diogène Lacrce lui at-
tribue l'invention , il précisa plus exactement les solstices
et les équinoxes ; le premier cadran solaire qui ait été fait
fut construit et installé par lui sur une place de Lacédé-
mone. Pline prétend aussi qu'il fut le premier qui dressa
une carte géographique, et qui traça sur un globe sphérique
les divisions de la terre et de Peau. Il se servit de figures
pour rendre les propositions géométriques plus compré-
hensibles ; il découvrit ou enseigna du moins l'obliquité de
l'écliptique. Il considère l'infini comme le principe de toutes
choses , dont tout procède et vers lequel tout revient. Selon
les uns, il pensait que la terre est ronde, selon les autres,
qu'elle a la forme d'un cylindre ; elle occupe le centre de
l'univers , ce qui fait qu'elle se soutient à la même place ;
le ciel est composé de chaud et de froid ; le soleil est au
plus haut des espaces célestes , la lune au-dessoiis , les
étoiles plus bas. Le soleil, la lune, les étoiles, sont des
roues ou des sphères concaves, du centre desquelles, par un
trou qui s'y trouve , s'échappe le feu dont elles sont rem-
plies ; la roue du soleil est vingt-huit fois j)lus grande que
celle de la terre, et celle de la lune, dix-neuf fois seule-
ment ; quelquefois le tro« s'obstrue , ou se bouche : de là
les éclipses, partielles ou totales ; l'obliquité delà lune pro-
duit ses différentes phases , et son entier renverseniput la
lune nouvelle ; etc. La mer est la portion de l'humide pri-
mitif que le feu n'a pas desséchée. Les premiers animaux
sont nés de l'humidité , les hommes ont donc commencé
par être poissons ou par vivre dans le ventre des poissons.
il croyait encore le nombre des mondes infini ; suivant lui
ces mondes naissent et meurent à de longs intervalles ; ce^
mondes sont les dieux , lesquels, par conséquent, ne son
point immortels. Ils sont engendrés et détruits éternelle-
ment par les forces créatrices et destructives du froid el
du chaud, agissant dans le sein de l'infini. Primitivement
la terre avait eu autour d'elle une enveloppe de feu, sem-
blable à l'écorce autour de l'arbre, produite par l'action de
ces forces ; un jour, cette écorce s'est rompue, et le soleil ,
la lune, les étoiles, ont été formés de ses éclats. — Anaxi-
mandre mourut à l'âge de soixante-quatre ans , vers le
commencement delà 58" olympiade (556 avant J.-C).
ANAXIMÈA'E , de Milet, fils d'Eurystrate , fiorissait
vers la cinquante-huitième olympiade ( 556 avant J.-C. ). 11
était disciple , et même l'ami , selon Siraplicius , d'An ax i -
mandre. Parménide fut aussi son maître. Anaxagore et
Diogène d'Apollonie furent disciiiles d'Anaximène. Il en-
seigna la science de la nature, et se servit avec beaucoup de
simplicité du dialecte ionien ; on trouve dans Diogène deux
536
ANAXIMÉNE — ANGELOT
lettres (rAnaximt''nc h Pythagore. D'.'iprès Pline, il inventa
le gnomon, que crautros attribuent à son maître. Voici
quelques-unes des opinions qu'on lui prêle : L'air est le
principe des choses , principe divin , infini , sans cesse en
mouvement. Il est invisible , et se manifeste par le froid et
le chaud, l'humidité et le mouvement; il se condense et se
dilate ; le feu, les nuages, la terre, l'eau, ne sont que l'air à
des degrés de condensation différents; la dilatation peut le
faire repasser par ces divers états et retourner à l'état na-
turel ; le froid et le chaud sont les agents de ces transfor-
mations. Le cercle extérieur du ciel se compose de terre; la
terre est plate comme un disque, et soutenue par l'air. Anaxi-
mène assigne au soleil , à la lune , aux étoiles , nne forme
analogue; le cours du soleil produit les saisons. Quand une
.sécheresse prolongée ou des pluies opiniâtres viennent à
fendre la terre ou à la ranioUir, des parties considérables de
son écorce s'effondrent et s'engouffrent dans ses cavités;
ce sont les trembJements de terre. On retrouve dans Stobée
quelques maximes morales de ce philosophe , disséminées
Và et là.
AJVAXIMEXE , de Lampsaque , fds d'Aristoclès , fut
disciple de Diogène et précepteur d'Alexandre le Grand ,
auprès de qui il intervint en faveur de ses compatriotes ,
dont celui-ci avait résolu la perte, pour les punir de lui
avoir fait une résistance longue et opiniâtre dans le siège de
leur ville, qu'il avait entrepris en personne à la tète de son
armée. En le voyant venir à lui , le vainqueur, irrité , de-
vinant quel était l'objet de sa mission , jura de ne point lui
accorder la grâce qu'il lui demanderait , ce qu'entendant
Anaximène, il eut l'heureuse idée de retourner sur-le-champ
sa proposition et de le prier de lui accorder la destruction de
Lampsaque , et d'en réduire les habitants en esclavage , et
par cette feinte préserva cette ville de sa perte, et ses compa-
triotes du carnage dont ils étaient menacés. Anaximène avait
écrit la vie de Philippe et d'Alexandre, avec une histoire de
la Grèce en 12 volumes ; mais ces ouvrages ont été perdus.
AIVAXYRIDES , nom donné aux pantalons larges ,
longs et plissés qu'on voit sur les monuments grecs et ro-
mains, aux Phrygiens, aux Perses et autres peuples de l'O-
rient, lis descendent jusqujà la cheville, et souvent ils sont
fixés autour de la jambe par des cordons. Il y a des
anaxyrides tout d'une pièce avec le vêtement intérieur, qui
forme une espèce de gilet. Des figures phrygiennes en por-
tent qui ont dans toute la longueur des cuisses et des jam-
bes des ouvertures sur le devant, garnies de petites agrafes
ou de boutons. Les prêtres des Hébreux portaient des anaxy-
rides en toile de lin rouge, piquée avec soin.
ANCELOT ( JACQUES-ARSi^XE-POLYCARPr.-FRANÇOlS) ,
membre de l'Académie Française , fut un des jeunes au-
teurs de la restauration qui se distinguèrent le plus par leurs
succès dramati(pies. INé le 9 février 1794, au Havi-e, sa fa-
mille le destinait à la carrière de l'administration de la ma-
rine; mais dès son enfance on entrevoyait en lui des symp-
tômes de vocation littéraire. Il commença ses études au
collège de sa ville natale, et les termina à celui de Rouen.
Son père, greffier du tribunal de commerce du Havre,
élait passionné pour Racine , dont les œuvres se reprodui-
saient dans sa bibliothèque sous tous les formats ; c'est dans
Racine que le jeune Arsène avait donc appris à lire; et
dès l'âge de neuf ans il le savait par cœur, pouvant, sans hé-
siter, donner toujours la réplique à son père. Il fut d'abord
attaché au service de la marine au Havre, puis employé de
troisième classe, sous la direction de son oncle, préfet mari-
time à Rochefort en 1813, et, enfin, commis au ministère
de la marine à Paris en janvier 1815.
Cependant, dès l'âge de dix-sept ans son goût pour la
poésie s'était révélé par plusieurs essais, tels qu'une comédie
en trois actes et en vers, ayant pour titre l'Eau bénite de
Cour ; mais, dans une traversée qu'il faisait h cette époque,
cette première œuvre dramatique tomba littéralement dans
l'eau. Lcrite de nouveau, elle ftit jetée an feu par un oncle
de l'auteur. Deux ans après , il composa une tragédie en
cinq actes et en vers, intitulée Warbeck; et pour que cette
nouvelle production ne finit pas comme la précédente, par
une noyade ou un auto-da-fé , il la composa toute de mé-
moire; pas un vers ne fut confié au papier. Warbeck fut
récité le 19 mars 1816 par l'auteur au comité du Théâtre-
Français, qui l'accueillit avec faveur; mais bientôt M. An
celot, qui travaillait avec ardeur à sa tragédie de Louis IX,
devint plus sévère pour son premier ouvrage, et le jugea
indigne de la représentation. Le pauvre Warbeck fut oublié
le jour de la réception de Louis IX.
C'est à l'âge de vingt-cinq ans, le 5 novembre 1819,
qu'il lit représenter ce dernier ouvrage à la Comédie-Française.
C'était le premier auquel il attachait son nom. Il obtint
un brillant succès. On y trouve une versification facile, beau-
coup de traits heureux , une étude sérieuse de l'époque qu'il
avait à peindre. C'est resté ce que l'auteur a fait de mieux.
Le caractère du renégat Raraiond, mis en regard de celui
du saint roi , en qui la piété n'altère jamais le courage, offre
une opposition dramatique habilement saisie. La pièce eut
quarante représentations consécutives; elle a été reprise
deux fois, et est restée au répertoire. Louis XVIII accorda
une pension de deux mUle francs sur sa cassette particulière
au jeune commis de marine qui venait de débuter avec tant
d'éclat dans la carrière littéraire. C'était l'époque où un
autre enfant du Havre , Casimir Delavigne , préludait à de
nombreux triomphes pai- un succès plus brillant encore, en
faisant représenter sa tragédie des Vêpres siciliennes au
théâtre de l'Odéon. On vit à cette occasion les partis poli-
tiques faire invasion dans la littérature. L'opinion libérale
ayant adopté l'auteur des Messénienncs , l'opinion royaliste
s'empara de M. Ancelot, et l'on chercha de part et d'autre à
amoindrir le mérite des deux rivaux.
La seconde tragédie de .Aï. Ancelot, le Maire du Palais,
représentée le 15 avril 1823, n'obtint pas, tant s'en faut, un
succès égal à celui de Louis IX. Aussi l'auteur la retira-
t-il après sept représentations assez agitées, et Louis XVIII
s'empressa-t-il de lui adresser la décoration de la Légion-
d'Honneur comme ticlie de consolation. Mais l'année sui-
vante, le 5 novembre 1S24 , dans sa tragédie de Fiesque,
empruntée à Schiller, il prit sa revanche, et déploya des
ressomces nouvelles qu'on ne lui soupçonnait pas encore.
Une action vive, des caractères bien tracés, des détails in-
génieux, assurèrent à cet ouvrage quarante représentatioDS
consécutives à l'Odéon. Transporté au Théâtre-Français, U
n'y réussit pas moins ; et ce succès n'a fait que se confirmer
à toutes les reprises.
Outre les œu\Tes que nous venons de citer, M. Ancelot
avait fourni plusieurs articles signés de lui aux Annales de
la Littérature et des Arts , qui parurent de 1820 à 1823;
il s'était, de plus, associé, en 1822 et 1823, à la rédaction
de la Foudre, journal politique fondé en 1820 par MM. Cy-
prien Bérard et Armand Dartois. Lui-même enfin rédigea
le Réveil, feuille qui, avec les mêmes intentions, eut moins
de vigueur et de durée que la précédente. On regretta alors
qu'un homme du talent d'Ancelot prêtât son appui à des
journaux aussi violeuls.
En 1826 il accompagna en Russie l'ambassadeur extraor-
dinaire de France, M. le maréchal duc de Raguse, chargé
d'aller assister au couronnement de l'empereur Nicolas, et
chanta celle solennité dans une ode, fort médiocre, imprimée
à Moscou. A son retour", il publia la relation de son voyage ,
lettres en prose et en vers adressées à son ami Saintine,
sous le titre de Six 7nois en Russie. Des observations fines,
des détails de mieurs agréablement reproduits ont fait lire
ce volume avec plaisir. On y a surtout remarqué deux
chants dithyrambiques intitulés : La Montagne des Moi-
neaux et le Champ de Bataille de Lutzen. H est hono-
rable jiour M. Ancelot d'avoir fait ciilcndic dans une cour
A?ÎCELOT
537
étrangère des accents consacrés h la gloire de cette belle
armée trançaisc dont les drapoaux victorieux lloltèrent
sur les l»ords de la Moskowa et sur le palais des czars. Un
Russe, M. deTolstoy, a publié contre cet ouvrage une critique
mordante, ayant pour titre : SiJC vwis sujyisctit-ils pour
contiaitre un pays ?
M. Ancelot avait fait paraître dans l'intervalle un poème
en si\ chants : Marie de Brabant , dans lequel , par une
îunovation que le succès a justifiée, il a marié les formes de la
Iragétlie à celles de l'épopée. Il voulut bientôt s'exercer en
prose dans un roman de mœurs, qu'il intitula : V Homme du
Monde. S'il y a dans l'intrigue une partie romanesque qui
semble chargée , le récit, tout parsemé de traits satiriques,
n'en annonce pas moins une grande connaissance du cœur
humain, et l'on y reconnaît encore les portraits piquants de
quelques originaux qui posaient alors dans les salons de Paris.
M. Ancelot céda ensuite à la tentation de mettre son roman
en drame avec la collaboration de son ami Saintine , et
l'ouvrage obtint à l'Odéon un brillant succès, que justifient,
du reste, la hardiesse des situations et l'intérêt puissant qui
règne dans la pièce.
Mais bientôt il revint à la tragédie, et donna successive-
ment Olga, ou l'Orpheline Moscovite, le 15 septembre 1828,
et Elisabeth d'Angleterre, le 4 décembre 1829. Le public
accueillit ces ouvrages avec un peu de celte faveur sym-
pathique qu'il prodiguait jadis à pleines mains à leurs aînés.
Depuis dix ans qu'il s'était lancé dans la carrière littéraire,
M. Ancelot avait encore produit deux vaudevilles en un
acte : les Brigands des Alpes et le Roi de Village, l'un
avec M. Saintine, l'autre avec M. Carmouche ; trois opéras :
l'a Grille du Parc, avec M. Saintine ; les Pontons de Cadix,
avec M. Paul Duport, et Pharamond , pour le sacre de
Charles X , avec MM. Guiraud et Soumet; un drame avec
M. Mazères, l'Espion ; un autre à lui seul , le Mariage d'A-
mour, et enfin une comédie en trois actes, l'Important.
Ces travaux variés avaient valu à M. Ancelot une re-
lommée littéraire justement acquise , une place de con-
servateur honoraire de la bibliothèque de l'Arsenal en 1823,
et plus tard celle, plus lucrative, de bibliothécaire du
roi Charles X. Mais survint la révolution de juillet , qui lui
lit perdre presque tous les avantages de fortune dont il
était redevable à la restaui'ation , sa pensio» de 2,000 fr.,i'
sa place au ministère de la marine, sa bibliothèque. Alors
il lui fallut, comme il le disait gaiement lui-même, tra-
vailler j)/-o famé, après avoir tra\a\l\é prof ama. Il prit
courageusement son parti, devint un des pourvoyeurs fé-
conds des théâtres secondaires , fit plus de cinquante vau-
devilles, souvent seul, quelquefois avec ;MM. Paul Duport,
de Comberousse , Saintine, Paul Foucher, Anicet Ijomgeois,
Ilipp. Auger, Jacques et Etienne Arago et beaucoup d'autres,
six drames et une comédie en deux actes, et dépensa là en-
core une facilité de travail , un fonds de saillies spirituelles,
une ingénieuse activité qu'on regrettait de ne pas voir ap-
pliqués à des œuvres plus durables. Nous n'essayerons point
d'énumérer ici toutes ces pièces, de genres si divers, qu'il
a semées partout durant vingt années, et qui ont été plus
productives pour sa fortune que pour sa gloire. On y re-
trouve cependant toujours l'homme d'esprit et de tact, lors
même qu'il abuse beaucoup trop de la scandaleuse chro-
nique du dix-huitième siècle. Qu'il nous suffise de citer
Lcontine, qui a eu quatre-vingts représentations , la Fête
de ma Femme, qui en a eu cent, et puis la Jeunesse de Ri-
chelieu, Dieu vous bénisse, le Favori, la Coter de Ca-
therine II, le Régent, Père et Parrain, le Fils de .\mo»,
les Liaisons dangereuses , une Dame de l'Empire, etc.
Toutefois , on lui reprochait d'user dans des genres in-
férieurs un talent qui naguère avait brillé sur de plus
hautes scènes. On lui alléguait comme preuve de son im-
puissance à remonter à son point do départ son Roi J'ai .
néant, tragédie en cinq actes et en vers , tombée pour ne
l)ltT. Dt LA C0.NVtliSAT10.>. — T. l.
se plus relever, dès sa première représcnfalion , le 20 août
1830, au théâtre de l'Odéon. A ces crititiucs M. Ancelot
opposa une réponse péremptoire, en faisant jouer au
Théâtre-Français, le 29 octobre 1838 , sa tragédie de Maria
Padilla, dont la vigueur, Tbivention, le style ferme et
correct et les beaux vers rappellent, à dix-neuf ans de
distance, le Louis /A' du jeune poète.
Depuis longtemps M. Ancelot briguait un fauteuil à
l'Académie Française. 11 s'était présenté une première fois,
en 1828, en concurrence avec M. Lebrun, pour le fau-
teuil de Lally-Tollendal, et il avait obtenu treize voix; sa
seconde candidature eut lieu en mai 1830, en concurrence
avec M. de Pongcrville , et il en réunit seize. Enfin , il se
présenta une troisième fois , en février 1841 , pour succéder
à M. de Bonald, et il fut élu par vingt suffrages. L'année
suivante, il publiait ses Épitres familières .
Devenu directeur du Vaudeville, M. Ancelot, souvent si
heureux , pour ses propres ouvrages, sur cette scène et sur
d'autres encore, vit, malgré sa lutte prolongée contre la mau-
vaise fortune , malgré les efforts inouïs, mais trop systéma-
tiquement solitaires, d'une muse gracieuse qui le touchait «le
près, sa barque s'abimer, un soir, sous les innocentes épi-
grammes d'Arnal, dans les flots de l'indifférence publique.
Dans le prolog'je de ses Emprunts aux salons de Paris, il
prétendait qu'on ne mourait que de vieillesse ou de chagrin.
Il mourut pourtant le 7 septembre 185». li avait encore
écrit un conte amusant sur sa maladie, quelques jours au-
paravant. M. Legouvé fils lui a succédé à l'Académie. *
AXCELOT (Marguerite [dite ViRCiNre ] CHARDON' ,
madame), épouse du précédent, peintre et auteur drama-
tique, née à Dijon, le 15 mars 1792. Nous empruntons
ce préambule à M. Quérard , qui prétend avoir eu soas les
yeux un acte de l'état civil concernant cette dame. M. Plii-
larète Chasîes , plus galant, l'a fait naître vers l'année 1809
seulement , d'une ancienne famille parlementaire, et l'unit
dès sa première jeunesse avec M. Ancelot , dont les succès
précoces coïncidèrent , dit-il, avec leur alliance.
Laissons parler maintenant madame Ancelot elle-même :
« Élevée à Dijon , où je suis née , et où ma famille est
ancienne et considérée , ma mère m'amena , h douze ans,
achever mon éducation à Paris. J'ai étudié la peinture ,
parce que mon goût m'y portait. A l'âge de quinze ans, je pei-
gnais quelquefois sept ou huit heures par jour, composant
de petits tableaux de genre , sachant de l'art tout ce qui ne
s'apprend pas, mais ignorant beaucoup de ce que les
maîtres enseignent. Depuis, j'ai écrit, de même, par goût,
par passion, mais toujours sans projet, sans calcul, aimant
les lettres et les arts , comme j'aùne mes amis, pour eux-
mêmes... Aussi je n'ai jamais éprouvé de mécomptes, ni
jamais ressenti d'envie contre personne. Ce que j'ai fait en
peinture et en littérature m'a rendue plus indulgente pour
les ouvrages des autres , plus enthousiaste de leurs talents,
plus sympathique à leurs succès.
« Je ne sais vraiment pas comment, avec le caractère ti-
mide que le ciel m'a donné , il m'est arrivé que j'aie pu
faire, dans ma vie, des choses qui sont très-téméraires. J'ai
mis des tableaux à l'exposition de peinture , j'ai fait jouer
des comédies au Théâtre-Français, tout cela avec mon nom.
La bienveillance m'a toujours accueillie, il est vrai, et j'ai
eu du bonheur partout ; mais je l'attribue plus à l'indul-
gence des autres , qu'à mon mérite , à moi.
« Quand M. Ancelot se mit à faire des ouvrages pour des
théâtres secondaires , je commençai à m'amuser à arranger
avec lui quelques petftes pièces : je travaillai bientôt à des
pièces plus importantes, et j'en fis quelques-unes moi seule...
Je n'ai eu qu'à me louer de la bonté qui a protégé un nom
de femme; la presse ne m'a pas été hostile, et des honmies
d'un graud talent m'ont été favorables... »
A cela M. Quérard répond :
« iSous sotriiajtons rpie cette explication persuaae va.
68
^38 ANGELOT -
ass^'z grand nombre d'incrédule», qni, tout en reconnaissant
beaucoup d'esprit à madame Ancelot, n'en considèrent pas
moins les productions dramatiques jouées et imprimées sous
son nom comme étant de son mari. Comment se fait-il
que les mêmes contradicteurs ne disent point que M. An-
celot ait mis la main aux charmants tableaux de madame
qu'on a admirés aux expositions de peinture? »
Parmi ces tableaux, M. l'hilarèto Chasles en cite un qui
fut remar(pié au salon de 1828, et qui représentait Vne
Lecture de M. Ancelot. Il y avait dans cette page, si l'on
en croit le critique, une pureté et une giàce exquises. En
1S32 fut représentée au Vaudeville, qui trônait alors rue
de Cliartrcs, une comédie en un acte, mêlée de chants,
intitulée : Reine, Cardinal et Page. La pièce fut jouée et
imprimée sous le nom de M. Ancelot ; mais des indiscrets de
coulisses trahirent le secret de la comédie, et c'est à partir
de celte éi>oque que madame Ancelot, surmontant sa
frayeur, consentit à laisser paraître son nom sur raftiche.
Depuis , les applaudissements du public ont dû dissiper en-
tièrement les craintes du trop timide auteur.
Le premier pas étant fait, madame Ancelot donna succes-
sivement au Théâtre-I'^rançais trois comédies en prose : Un
Mariage raisonnable, en un acte, le 4 novembre 1835; Marie,
ou les trois Epoques, en trois actes, le 11 octobre 1836, et le
Château f/c ?/irt 7\'/èce, en un acte, le 8 août 1837. Made-
moiselle Mars jouait dans ces trois pièces : le succès fut com-
plet, et la province ne manqua pas d'admirer après Paris.
Isabelle, ou Deux Jours d'Expérience, en trois actes, jouée
le 14 mars t838, ne réussit pas aussi bien; le principal rôle
était confié à mademoiselle Plessy.
Plus fard, sur des théâtres secondaires, madame Ancelot
a fait jouer Juana, ou le projet de vengeance; Pierre le
Millionnaire; Un Jour de Liberté, sujet emprunté au Der-
nier oblat de madame Charles Raybaud ; La rue Quincam-
poix; Cécile Lebrun, Les Femmes de Paris, et beaucoup
d'autres pièces qui ont pourvu presque exclusivement aux
besoins du Vaudeville tant que M. Ancelot en a été directeur;
peut-être même n'oiitellespas été étrangères à la clmte de
ce théâtre. Un seul talc-nt ne pouvait en effet prétendre à
défrayer une scène de ce genre, dont la diversité est l'élé-
ment, quand surtout ce talent, fm, spirituel, gracieux,
manque d'entrain et cesse rarement d'être froid et maniéré.
M. Philarète Chasles attribue encore à madame Ancelot
deux ou trois romans , dont il ne donne pas les titres, mais
qui se recommandent, selon lui, par un style tout féminin,
plein de souplesse, d'abandon, de grâce , digne enfin des
Gralïigny et des Tencin. ÎNous regrettons de ne pas les con-
naître autrement. En I8j7, M""' Ancelot a fait paraître Les
Salons de Paris , foyers éteints , ouvrage dans lequel elle
fait riiistoire des salons contemporains. En 1859 M™* Rose
Chéri a repris au théâtre du Gymnase la pièce de Marie, ou
les Trois Époques. *
AiXCEMS, ville de France (Loire-înférienre), à 40
kilomètres de Nantes , sur la rive droite de la Loire , et sur
le chemin de fer d'Angers à Sainl-N'azaire, peuplée de 4,198
liahilants, a donné son nom à un combat livré en 1793 entre
l'armée royale de la Vendée et l'armée républicaine. La pre-
mière, battue par la seconde, à Laval et au Mans, manœu-
vrait dans le lut de repasser la Loire et de se réunir sur un
point donné. Vivement poursuivie, elle fut atteinte par
AVestermann en avant d'Ancenis , le 15 décembre. Après
im combat de plusieurs heures et quelques tentatives déses-
pérées , les généraux La Rochejaquelein et Sfofllet ordon-
nèrent la retraite, qui s'effectua en désordre dans la direc-
tion de Niort. Pressée de toutes parts, cette armée, naguère
gi (ière dôses succès, abandonna une partie de son artillerie,
ses radeaux et quelques bagages.
AXCÊTRES. Voyez Aïelx. ^
A\'CI!K (du grec ây/.w, je serre). On emploie ce mot
pour dési^jner une ou ilcux iictites lames de roseau fort
ANCHISE
aminci ou de métal qui, placées à l'endroit où un tube d'in».
trumentà vent reçoit l'air (pii doit le faire résonner, forment
un obstacle à son passage et empêchent la colonne de s'y in-
troduire tout entière : la résistance opposée par l'anche pro-
duit en celle-ci des vibrations qui modifient le son au mo-
ment où il entre dans le tube. Ces modifications ont lieu
d'une part en raison de la force et de la qualité de la matière
qui entre dans la composition de l'anche, et de l'autre
en raison de la pression plus ou moins forte exercée sur elle
par les lèvres de l'exécutant ou par tout autre moyen. La
qualité de la matière détermine le t i m b r e ou s o n , la pres-
sion décide du flegré qu'il occupe sur l'échelle. L'anche peut
être fixe ou libre. Dans le premier cas l'extrémité longitudi-
nale opposée à celle où s'introduit l'air et les extrémités la-
térales portent soit sur le corps même du tube creusé et dis-
posé en conséquence, comme dans la clarinette et cer-
tains tuyaux d'orgue, soit sur une anche jumelle à
laquelle elle est fixée, comme pour le haut bois et le
basson. Dans le second cas, l'anche n'est fixée que par
son extrémité longitudinale , et , s'adaptant à la cavité du
tube , sans que ses bords la dépassent , elle résonne dans
toute la partie libre de sa surface. C'est ce système de".
anches libres qui a produit tous les instruments modernes
reposant sur la même base et auxquels on a donné les
noms d'accordéon, philharmonica, mélodium, etc.
L'orgue admet les anches fixées et les anches libres, et tire
un excellent parti des unes comme des autres pour les jeux
de hautbois, de cromorne, de clairon, de trompette, de
bombarde, de voix humaine, etc., qui dans ce vaste instru-
ment forment la série des, j eux d'aJiches, par opposition aux
jeux à bouches. Ici chaque anche n'ayant d'influence que
pour un ton unique, leur volume fait le diapason des
tuyaux. Pour donner à l'accord toute sa perfection , un fil
de métal, appelé rasette, porte sur l'anche du côté où elle
est fixée : en l'avançant plus ou moins, on diminue ou l'on
augmente le nombre des vibrations et par conséquent le
degré d'aiguïté ou de gravité du son que l'on met ainsi en
rapport exact avec la longueur du tube sonore. La connais-
sance de l'effet des anches remonte à la plus haute anti-
quité, et l'on en trouve les premiers rudiments dans la double
fente pratiquée sur un tube de paille au-dessous d'un nœud ;
la partie détachée du tube, et qui par sa partie supérieure
lui reste adhérente, est une anche véritable. Les instruments
à vent les plus usités chez les anciens étaient à anche.
L'anche libre, employée dans nos instruments seulement de-
puis une trentaine d'années, était connue chez les Chinois dès
l'époque de leurs premiers empereurs. Adr. de Lai-ace.
ANCHILOPS (dugrecâyxi, proche de; w-i, œil),
petite tumeur située vers le grand angle de l'œil , ou devant
ou à côté du sac lacrymal. On distingue ranc/?«Zo/).s inflam-
matoire, petit phlegmon rouge, douloureux, dont la marche
aiguë se termine presque toujours par une suppuration ; et
Vatichilops enkysté, tumeur arrondie, dure, ordinaire-
ment indolente , sans changement de couleur à la peau,
qui se développe d'une manière insensible et ne cause
d'autre incommodité que de gêner le mouvement des
paupières. Quelquefois, à la longue, cette tumeur s'en-
flamme, s'ouvre, et donne lieu ainsi à un petit ulcère. Voyez
ÉCILOI'S.
AIXCIIISE, prince troyen , fils de Capys et de Thémis,
fille d'Ilus, par laquelle il descendait de Tros, fondateur de
Troie. Vénus, ravie de sa beauté , lui aijparut sur le mont
Ida, ou, selon d'autres, sur les bords du Simoïs, sous la
forme d'une bergère phiygienne , se livra à ses embrasse-
ments, et lui donna Énée. Celui-ci sauva le vieillard de l'in-
cendie de Troie, en le portant sur ses épaules jusqu'aux
vaisseaux. Anchise mourut pendant son voyage en Sicile, où
son fils, aidé d'Aceste, roi de cette contrée, lui érigea un tom-
beau sur le^ mont Éryx , et institua en son honneur des
jeux annuels. D'autres disent quil fui frappé de la loudrt
ANCniSE — ANCIENS ET MODERNES
.39
par Jupiter, parce quêtant ivre il avait divulgiu' le secret
de ses intimiti^ avec Vénus.
AA'CIIOIS, petit poisson de 10 h 11 centimètres, t^TC
d'un genre de la famille des cliipéoules, caractérisé par la
saillie de sonethmoïde. 11 en existe des espèces nombreuses,
soit sur les côtes d'Amérique, soit sur celles du Malabar et
de Coromandel. Les pécbes que l'on en fait dans ces parafes
sont abondantes et productives pour le commerce d'expor-
tation. Sa tète est assez grosse ; son museau , prolongé par
le développement de l'ethiuoide , est saillant, et dépasse de
beaucoup la mâchoire inférieure ; la gueule et les ouïes sont
très-fendiies , le dos arrondi , le ventre comprimé , et un peu
tranciiant ; quand le poisson est vivant, sa couleur est ver-
diltre-clair sur le dos, et argentée sur le ventre; mais aussi-
tôt après sa mort , le vert du dos devient bleu , et cette
teinte fonce de plus en plus jusqu'à noircir presque entiè-
rement.
La préparation de l'anchois est d'un usage fort reculé ;
elle était connue des Grecs et des Romains.
On en prend chaque année, pendant le printemps et une
partie de l'été , des quantités innombrables sur les côtés de
la Hollande, et surtout dans tout le littoral de la Méditer-
ranée. La pèche se fait ordinairement pendant les nuits les
plus obscures, avec quatre bateaux dont un porte la rissole,
immense filet de 40 brasses de longueur au moins, sur 8 à
10 mètres de hauteur, à mailles très-serrées, et les autres,
nommés fas tiers, portent des réchauds à feu. Les barques
vont à deux lieues au large environ ; les fastiers allument
alors des feux alimentés par des petites branches bien
sèches de pin , afin de produire la plus vive clarté possible
pour attirer le poisson; à un signe convenu, le bateau qui
porte le filet s'approche et le jette à l'eau , en le faisant
traîner de manière à envelopper tout le poisson qui suit les
barques illuminées. Le feu est subitement éteint, et les
bandes effarouchées vont se prendre dans les mailles qui les
entourent à leur insu.
L'anchois frais se mange frit, mais il est peu estimé, et on
sale la presque totalité de la pêche. D'abord on leur coupe
la tète, on enlève les viscères ainsi que la vésicule du fiel,
qui est d'une amertume insupportable. Le poisson ainsi vidé,
est lavé à l'eau de mer à plusieurs reprises, puis alité ,
c'est-à-dire placé dans de petits tonneaux, dans une dis-
position telle qu'il y ait alternativement un lit d'anchois et
un lit de sel ; le sel est écrasé en poudre très-fine et rougi
avec une argile particulière. Ainsi préparés , ces poissons,
après trois saumures successives et indispensables , se trou-
vent confits; leur chair, devenue piquante, est un assaison-
nement recherché pour la cuisine provençale, et figure
comme hors-d'œuvie sur nos tables les mieux servies.
AXCICO. Foyer- Anzico.
AXCIEWETÉ. Vo!/ez Avancement. ^
AA'CIEXS (Conseil des). Voi/ez ConseiYdes Anciens.
ANCIENS ET MODERiVES. Les anciens sont-ils
supérieurs aux modernes, ou les modernes sont-ils supé-
rieurs aux anciens? Cette question a divisé bien des fois les
écrivains, et a donné lieu à des querelles de plume d'une vi-
vacité extrême; et pourtant rien de plus vrai, si l'on en fait
l'application aux anciens et aux modernes, que cette remarque
de Platon, traduite par le poêle Théophile : « ^i les uns ni
les autres ne sont ni tout à fait géants ni tout à fait nains. »
11 y avait entre eux un milieu à tenir; il fallait savoir mar-
cher entre le mépris et l'admiration, entre le blasphème et
l'idolâtrie. Du reste, cette querelle n'est pas nouvelle; elle
éclata à Rome sous Auguste : les Latins se disputèrent pour
les Grecs comme nous devions nous disputer nous-mêmes,
plus tard, pour les uns et pour les autres. Pline le jeune
se défend d'être idolâtre de tout ce qui n'est ni de son
siècle ni de sa patrie. Phèdre tourne en ridicule certains
artistes, certains écrivains, qui, pour tromper le public,
mettent en tête de leurs œuvres des noms grecs fort connus.
Elle était grande en France soiis le règne de Louis XIV,
l'adoration des anciens, et d'autant plus grande, daiitunt
plus difficile à détruire, qu'elle est fondée en partie; il
y avait même danger à entreprendre de l'affaiblir. Un tel
projet demandait beaucoup de circonspection ; il ne fallait
pas renverser les autels des anciennes divinités; il suffisait
de déterminer les honmiages qu'on leur doit et d'en éla-
guer les abus. C'était à des hommes de talent, de génie, à
entreprendre celte croisade contre de vieilles idées. Il arriva
malheureusement le contraire. L'élite des écrivains du siècle
de Louis le Grand fut pour les anciens ; les modernes n'eu-
rent en général pour eux que des auteurs dt'criés ou du
moins médiocres. Le premier qui osa entrer en lice fut l'abbé
Boisrobert, célèbre par sa faveur auprès du cardinal
de Richelieu, à qui il servait de jouet. De ses dix-huit
pièces de théâtre il n'en est pas une qu'on lise aujourd'hui.
Il attribua ses mauvais succès à la grande admiration qu'on
avait pour les anciens, et leur déclara la guerre. C'étaient
suivant lui des hommes inspirés quelquefois par le génie ,
mais constamment privés de goût et de grâce. Homère lui-
même ne lui apparaissait dans le lointain que comme un
chanteur de carrefour débitant ses vers à la canaille.
Cette idée fut saisie par un autre protégé de Richelieu,
Desmaretsde Saint-Sorlin, un des principaux collabo-
rateurs de Mrame, la célèbre tragédie du cardinal-ministre.
C'était une des plus extravagantes imaginations de son temps.
11 jugeait ses deux épopées de Clovis et de la Madelaine su-
périeures à \ Iliade et à YOdyssée, et ne se croyait guère
flatté quand on feignait de lui donner la préférence sur le
poète grec. Un troisième écrivain, de plus de mérite, Charlat
Perrault, gardait encore le silence. Mais les sollicita-
tions intéressées de Saint-Sorlin le déterminèrent à se laisser
mettre à la tête du nouveau parti. Comment résister à une
épitre dans laquelle Saint-Sorlin lui représentait la France
éplorée implorant à genoux son appui ?
Viens défendre, Perrault, la France qui l'appelle.'
Certes Perrault n'était pas le plus ferme soutien, le pre-
mier génie de la nation ; mais à défaut de talents supérieurs
il avait l'amour et souvent l'instinct du beau, et il fut à
son époque plus utile aux lettres et aux arts que beaucoup
d'auteurs en renom. Ne connaissant d'ailleurs ni la haine
ni la jalousie, il se recommandait par un zèle à foute épreuve
pour ses amis et par une franchise qui ne se démentit jamais.
Ce fut en 1687 qu'il lut pour la première fois, à l'Aca-
démie Française, des fragments d'un poème sur le Siècle de
Louis le Grand, dans lequel il proclamait, sans balancer,
les modernes supérieurs aux anciens, mettait au-<lessus du
grand poète grec non-seulement nos premiers écrivains,
mais les Scudéri, les Chapelain,les Cassagne, et ju-
geait les poèmes à'Alaric, de la Pucelle, du Moïse sauvé,
des chefs-d'œuvre en comparaison des rapsodies d'Homère.
Boileau se crut personnellement offensé dans ce fac-
tum; toutefois, il prit sur lui de ne pas éclater d'abord,
il commençait à être dégoûté de la satire ; mais le savant
prince de Conti le menaça d'aller écrire sur son fauteuil
académique ces trois mots : Ta dors, Brutus ! Pour le coup
c'en était trop ; Despréaux n'y tint plus, il se leva indigné ,
et dit que c'était une honte , une infamie d'attaquer de la
sorte les grands hommes de l'antiquité. Racine félicita
l'auteur de la manière dont il avait soutenu son paradoxe.
Perrault, blessé de ce mot, et ne voulant laisser aucun doute
sur sa pensée intime, publia, de 1G88 à 1696, 4 volumes
in-12 intitulés Parallèle des anciens et des modernes. C&%i
un livre médiocre, dont les idées saines sont délayées dans
des attaques irréfléchies, décousues, noyées au fond de so-
porifiques dialogues entre un président (jui défend les an-
ciens, un'abbé et un chevalier qui soutiennent les modernes.
Cet ouvrage, fort peu lu, n'en produisit |)as moins un grand
scandale. Le procès littéraire en suspens l'ut porté au tribu-
140
ANCIENS ET MODERNES
naJ (In public. Tous les (écrivains do rF.uropc s'entrèrent en
juges; chaque natidli eut son clief de parti : en Italie, Paul
i56ni se prononçait pour les modernes , ne voyant rien de
comparable à Guichardin, à Dante, à Arioste, à T.isse. Les
Anglais faisaient le môme honneur h leurs écrivains ; et
notre spirilnel Saint-Évrcmond, retiré alors àLondres, y
plaidait, do son mieux, la cause des nôtres et des leurs.
Ainsi Perrault , pour Tencourager, comptait au moins
quelques suffrages; mais son triomphe était surtout hors
«le sa patrie ; il n'avait encore pour le soutenir en France
d'autre écrivain de renom que Fontenelle. Cependant, il
laut le dire. Racine , Boileau , tous ceux qui le combattaient
s'abusaient étrangement; ils n'ouvraient les yeux que sur
les beautés de <létails des anciens et les fermaient sur Ten-
scnible Les défenseurs de Perrault faisaient de leur coté
tout le contraire, et n'avaient pas plus raison; ils se préva-
laient des vices qu'on remarque dans l'ensemble, pour ne
pas rendre justice aux détails. Ainsi , de part et d'autre le
problème était mal posé-
Toutefois, les auteurs de la querelle commençaient à
éprouver le besoin d'y mettre un terme après douze ans de
combats ; ils étaient las de prêter à rire au public : des amis
communs s'interposèrent, et la paix fut conclue. Boileau la
célébra en ces termes :
Tout le trouble pocliqire
A l'aris s'en va cesser ;
Perrault, l'anti-pindariqHe,
Et Despréaux, l'iiomérique.
Consentent à s'embrasser.
Les chefs de parti réconciliés, le feu de la querelle faillit
se ranimer entre la célèbre madame Dacier et La Mothe,
qui s'était permis les vers suivants :
Croit-(}n la nature bizarre
Pour nous aujourd'hui plus avare
Que pour les (7rccs et les Romains ?
De nos aines mère idolâtre,
!S'cst-elle plus que la mdrâtre
Du reste grossier des humains!
La docte dame manqua à toutes les convenances en défen-
dant sa traduction de Y Iliade, qu'elle croyait excellente
parce qti'elle était peut-être moins mauvaise que celle de son
antagoniste, qui ne savait pas un mot de grec. Ce qu'il y a
de pasitif, c'est que ni l'une ni l'autre n'est supportable. L'ar-
deur de la dispute lui inspira xmfactum intitulé de la Cor-
ruption du goût, écrit en langage des halles et dont chaque
ligne distille la haine et le fiel. La Mothe pour représailles
ne se permit aucune injure, et donna l'exemple d'une discus-
sion modérée , fine , délicate. Tous les gens de lettres furent
encore partagés. Ceux qui avaient déjà écrit pour les anciens
écrivirent de nouveau pour Homère. Fénelon, ami de La
Mothe, n'osa pas l'approuver complètement. Fontenelle
lui-même n'embrassa pas ouvertement son parti. Ses récents
démêlés avec Racine et Boileau l'avaient dégoûté de la po-
lémique. Il se contenta d'efllemer la question agitée, de
dire des choses obligeantes aux deux combattants et de les
désigner sous le nom de Y esprit et du savoir. Mais La Jlotlie
eut pour lui la marquise de Lambert et les abbés Terrasson,
de Pons et Cartaud de la Vilate. « Le grec, dit ce dernier,
avait produit de singuliers effets dans la tête de cette dame ;
il y avait dans sa personne un grotesque assemblage des
faiblesses de son sexe et de la férocité des enfants du Nord.
11 sied aussi mal aux femmes de se hérisser d'une certaine
érudition que de porter vioustaches. Madame Dacier est
peu propre à faire naître une passion. Son extérieur a l'air
poudreux d'une vieille bibliothèque »
D'autres écrivains prodiguèrent encore des louanges à La
Mothe, et attisèrent le feu de la discorde. La querelle se
généralisa bientôt , au point qu'on en joua les auteurs sur
plusieurs théâtres de Paris. On vit se tlisi)uter dans une
tragi-comédie [nad-une Dacier, mère de VIliade, IcBon Goût
amant de V Iliade, et Vilinde, amante du Bcm Goût, d'un-^
part, et Chapelain, père de la Pucelle, la Pucelle, amante
de La Mothe, La IMothe, ainant de la Pucelle et Fontenelle,
confident de La Mothe, de l'autre. On donna au théâtre de
la Foire Arlequin défenseur d'Homère. Dans cette farce
Arlequin tirait respectueusement Y Iliade d'une châsse, et,
prenant successivement par le menton les acteurs et actrices,
il la leur donnait à baiser en réparation de tous les outrages
faits à Homère. On fit aussi une caricature rejnésentant un
âne qui broutait Y Iliade, avec ce vers au bas, contre la tra-
duction de La Mothe, qui avait réduit ce poème à douze
chantjs :
Douze livres mangés et douze estropiés.
Fourmont l'aîné tenta vainement, dans son Examen paci-
fique, de concifier les esprits. Il s'était trop prononcé pour
Homère et contre La Mothe pour réussir. Valincour, le sage
Valincour, l'ami des artistes et de la paix , mit un terme ii
toutes ces plaisanteries. Il vit ceux qui en étaient l'objet ,
leur parla, les rapprocha. La paix fut signée et l'acte rendu
solennel dans un repas qu'il leur donna et auquel assistait
madame de Staal : « J'y représoiitais , dit-elle, la neutralité.
On but à la santé d'Homère ; et tout se passa bien. » Quoique
dans le cours de cette dispute, madame Dacier se fût mise
fort à son aise et eût pu exhaler tout son ressentiment à sa
guise , elle en conserva un fonds de chagrin qui abrégea ses
jours.
Cette querelle , amortie pornr la seconde fois après de longs
combats de plume et des flots d'encre versés de part et
d'autre, se réveilla, pour la troisième fois, un siècle plus
tard, non moins irritante, et il ne fallut rien moins que
l'intervention puissante de Voltaire pour rétablir dereclief
la paix entre les parties belligérantes. La lutte des roman-
tiques et des classiques sous la restauration, lutte à laquelle
la question des anciens et des modernes était loin d'être
étrangère , ne fut que le contre-coup lointain de ces hosti-
lités, la quatrième phase de cette guerre qui sera éternelle
et ne s'assoupira jamais que pour se réveiller à une époque
plus ou moins prochaine. Longtemps le romantique a do-
miné dans notre littérature et dans nos arts. Le vent , de-
puis la Lucrèce de M. Ponsard et la Cifjuë de M. Augier,
a sauté inopinément du côté d'un néo-classique qu'on ose
à peine délînir. Celte réaction subite durera-t-elle? Entre
les extravagances des uns et le replacage des autres il y a
peut-être un chemin à suivre avec succès : In ynedio stat
virtus. H. Rigault a pris l'histoire de la querelle des an-
ciens et des modernes pour le sujet d'une thèse remarquable.
A propos de cette dispute des anciens et des modernes ,
^L P. -F. Tissût, de l'Académie Française, après avoir mis
sous les yeux des lecteurs moins les circonstances du procès
que quelques opinions que son bon sens et son expérience
lui dictent sur le fond de la querelle, termine ainsi son cons-
ciencieux travail : « Héritiers des richesses intellectuelles de
nos pères , placés avec le fanal de leur génie sur la route des
lumières et dans des temps de liberté pour la j)ensée , nos
grands littérateurs, nos grands poètes, nos grands artistes
sont et doivent être par la nature même des choses autant
au-dessus de leurs immortels prédécesseurs que la civilisa-
tion actuelle est au-dessus de la civilisation d'autrefois. En
élevant ainsi les renommées modernes, nous ne rabaissons
nullement les renommées anciennes : nous ne faisons que
signaler une conséquence de la marche progressive de l'hu-
manité. Les espriî.s supérieurs que nous honorons aujour-
d'hui, sans oublier le culte do ceux des autres âges, ont
marché avec elle ou l'ont devancée , voilà le secret de leur
supériorité : si le monde était resté slationnaire dans son
ignorance, il n'aurait pu ni les entendre ni les suivre, et leur
génie se serait arrêté lui-même, découragé par la certitu<le
de ne pas trouver d'écho au milieu d'une société immobile. »
A\CÏE\TESTAMEMT. J'oyc: Dibli;, Ai.UANcii.elc.
ANCILES — A^XKARSV.F.T\D
.';41
AXCILES, Iwiidicrs sacrt^s, conscm^s, an nombre de
doii/t», dans le temple de .Mars, à Rome, et dont s'ar-
maient K'ij Saliens, prêtres de ce dieu. Vo;/cz S.vliens.
AACILLOX 4 famille distinguée de Met/., qui, par suite
de la révocation de l'édit de Nantes, vint s'établir en Puisse,
où plusieurs de ses membres ont acquis >ine grande et juste
considération. — David .\Ncii.t,ON, né en 1GI7, à IMctz, où
son père était jurisconsulte, fut élevé chez les jésuites, qui
firent tout pour le déterminer à quitter l'itgli-se réformée
pour l'Église catholique. Il étudia la théologie à Genève, et
la professa ensuite à C'harenton, à Meaux et enfin dans sa
ville natale. Après la révocation de l'édit de Nantes, il se
rendit d'abord à Francfort, et plus tard devint pasteur de la
colonie française de Hanau, d'où , en IGSC , il fut appelé en
la même qualité ;\ Berlin. Il mourut dans cette ville, en 1692.
— Son fds , Chmles Ancillo.n, né à Metz, le 2S juillet 1G59,
mort à Berlin, le 5 juillet 1715, exer(,!ait la profession d'a-
vocat dans sa ville natale au moment de la révocation de
l'édit de Nantes; et il y jouissait d'une considération telle
qu'il fut du nombre des députt-s envoyés à cette occasion
à la cour. Le seul résultat de cette démarche fut de faire
accorder au\ huguenots de ISIetz quelques facilités de plus
qu'à ceux des autres parties du royaume. Il se retira à Ber-
lin, où l'électeur ne tarda pas à le nommer juge et directeur
de la colonie française fondée par les réfugiés. Chargé plus
tard d'une mission diplomatique en Suisse , il entra en Hi95
au service du margrave de Bade-Durlach. Mais au bout de
quatre ans il revint à Berlin , où le roi le nomma son histo-
riographe et lui confia en outre la direction de la police.
Parmi les nombreux ouvrages qu'on a de lui, nous citerons :
L'irrévocabiUté de l'Édit de Nantes ( Amsterdam, 1688);
Histoire de l'établissement des Français réfugiés dans
les États de Brandebourg (Berlin, 1690 ) ; et Histoire de
la vie de Soliman II (Rotterdam, 1706). — Louis-Fré-
déric Ajscillon , petit-fils du précédent , et qui s'est égale-
ment fait connaître par plusieurs ouvrage» relatifs à l'his-
toire, à la politique et à la philosophie, né à Berlin, en 1740,
mourut dans cette ville en 1814, avec le titre de pasteur de
la communauté française et de conseiller du consistoire su-
périeur.
Le fds de ce dernier, Jean-Pierre^ Frédéric Ancillon,
né à Berlin, le .30 avril 1767, mort dans la même ville, le
19 avril 1837, avec le titre de minisire secrétaire d'État au
département des affaires étrangères , commença sa carrière
en 1790 comme prédicateur de l'Église française de Berlin,
après avoir terminé ses études théologiques à Genève et
avoir fait un court séjour à Paris. En 1792 il fut nommé en
môme temps professeur d'histoire à l'école militaire de
Berlin, puis membre de l'Académie des Sciences dont il
remplit les fonctions de secrétaire pour la classe des sciences
morales et philosophiques de 1810 à 1814, et historio-
graphe royal. Il dut ce dernier titre à la grande réputation
qu'il avait acquise comme liistoiien par la publication de
son Tableaic des révolutions du système jioli tique de
V Europe (4 vol., Berlin, 1803), ouvrage dans lequel il
apprécie d'une manière aussi sure que lumineuse les évé-
nements des temps modernes jusqu'à la fia de la guerre de
la succession d'Espagne. Au mois d'août 1810 il renonça
à ses fonctions de prédicateur et de professeur, pour com-
mencer une nouvelle carrière politique en qualité d'insti-
tuteur du prince royal de Prusse. La gravité des circons-
tances au milieu desquelles la Prusse se trouva placée, j)ar
suite des guerres de l'Indépendance, développa rapidement
en lui une capacité politique fruit de longues et patientes
études, mais qui n'avait point encore eu ju.sque alors d'oc-
casions de se manifester. En 1814 il renonça à ses fonc-
tions d'historiographe pour entrer, en qualité de conseiller
intime de légation en activité de service, au ministère des
affaires étrangères , [)lac('; alors sous la direction immédiate
du chanceher d'État prince ilc Haidenberg. Il fut l'un des
membres les plus actifs du nouveau conseil d'Étal institué
en 1817 et du comité spécial créé dans son sein pour l'é-
tude de toutes les questions relatives à l'introduction d'as-
semblées d'états dans les diverses parties de la monarchie
prussienne; et en cette qualité il fit constanunent preuve
d'une grande indépendance de caractère et d'une absence
complète de préjugés, s'efforçant dès lors de concilier les
intérêts du trône avec ceux des peuples par un large déve-
loppement de la liberté intellectuelle et civile, mais dirigé
de telle sorte cependant que la loi reste toujours toutc-puis-
saute pour tenir la multitude en bride. Aussi, tandis (jue les
uns lui reprochaient de ne point être assez homme de pro-
grès , les autres l'accusaient de faire à l'esprit du siècle des
concessions beaucoup trop larges. Quand le comte de Bern-
storff prit le ministère des affaires étrangères, Frédéric
Ancillon fut spécialement chargé par le nouveau ministre de
la direction de la section politique. Il se trouvait par con-
séquent à la tête de la division la plus importante de ce dé-
partement quand éclata la révolution de juillet 1830. Il
était facile de prévoir à quel point de vue il se placerait
pour apprécier cet immense événement en lisant le dernier
grand ouvrage qu'il ait écrit, intitulé : Zur Vermittelung
der Extrême in den Mcinungen (Essai de médiation des
extrêmes dans les opinions ), et qui avait paru peu de temps
seulement auparavant. Le premier volume, qui contient des
considérations générales sur Thistoire et la politique , avait
été publié à Berlin en 1828 ; le second, où il traite des rap-
ports delà philosophie avec la poésie, parut en 1831.
Comme ses opinions s'accordaient complètement avec celles
de son souverain , la paix de l'Europe ne fut pas troublée
malgré tant d'éléments de fermentation. En mai 1831 il fut
nommé conseiller intime en exercice et administrateur de
la principauté de Keufchatel et de Valengin , puis , trois
mois plus tard, secrétaire d'État pour les affaires éti-angères.
L'année suivante la direction définitive de ce département
lui fut confiée en même temps qu'il recevait le titre de
ministre d'État. Cependant M. de Bernstorff jusqu'à sa
mort , arrivée le 28 mars 1833, continua à prendre une part
active et directe à toutes les négociations relatives à la
confédération Germanique. Le maintien delà paix de l'Eu-
rope, de l'ordre à l'intérieur et de l'indépendance réci-
proque des différents États dans leurs affaires intérieures ,
fut constamment le but des efforts politiques d'Ancillon ;
et sous ce rapport la part qu'il prit aux conférences te-
nues à Vienne en 1834 ne contribua pas peu à le lui faire
atteindre. Il naourut, après une courte maladie, avec la
conscience d'avoir été pour beaucoup dans la tranquillité
dont il fut donné à l'Europe de jouir. Quoique ministre,
tout son genre de vie était resté d'une simplicité extrême. Il
avait été marié à trois reprises, sans avoir jamais eu d'enfants.
AKCKARSV^RD (Charles-Henri, comte d'), autre-
fois chef de l'opposition en Suède, né en 1782 à Sveaborg,
est le fils aîné du comte Ï^Iicbel Anckarsvaerd, mort en 1839
à l'âge de quatre-vingt-dix ans, qui se distingua d'une ma-
nière toute particulière dans la guerre de Finlande de 1783
à 1792, et de simple sergent devint général, comte et ma-
réchal de la diète du royaume. Son fils, dont l'avancement
fut rapide, entra au service en qualité de major et comme
aide de camp du comte d'Armfelt dans la guerre de
Norwége de 1808. Celui-ci ayant peu de temps après résigné
son commandement, il remplit les mêmes fonctions auprès
de son successeur le comte de Cederstrœm. Vers la fin de
cette campagne, entraîné par Adiersparre dans la révolution
de 1809, il fut employé par lui à soulever le peuple contre
le gouvernement. Ce mouvement insurrectionnel ayant
réussi, la part active qu'il y avait prise fut récompensée par
sa promotion au grade de colonel. A l'ouveiturede la cam-
pagne de 1813 contre les Français, il suivit en Allemagne
le prince royal en qualité d'aide de camp. Ici se place la
circonstance qui décida de toute sa vie. Dans une lettre
542
ANCKARSV^RD
AN CONE
adressée au prince royal, et qu'il livra lui-même à la publi-
cité, mais seulement vingt ans plus tard, il se prononça de la
manière la plus énergique contre l'appui que k- Suède prêtait
à la Russie dans sa lutte contre la France. Cette lettre ne
fut pas plus tôt entre les mains du prince royal que celui-
ci faisait savoir à Anckarsvœrd que ce qu'il avait désormais
de mieux à faire était de donner sa démission. Anckars-
\8erd obéit, brisa son épée, et se retira en Suède pour y
vivre en simple particulier dans sa terre de Carlslund en
Néricie. Sa carrière parlementaire ne date que de l'année
1817. Élu membre de la diète, il s'y posa en adversaire du
gouvernement, d'abord sous la bannière du comte de
Schwérin, et. plus tard comme chef de l'opposition nationale.
Pour jouer un tel rôle il était admirablement secondé par
un extérieur mâle et imposant , par une voix puissante et
par une éloquence ardente, alors même qu'il se livrait à
l'improvisation ; mais il manquait d'éducation première ,
de connaissances statistiques , de profondeur de vues et de
calme. Trop .souvent entraîné par la haine personnelle et
mal déguisée qu'il avait vouée au souverain, et par l'em-
portement naturel de son caractère , il lui arrivait de dé-
passer les limites des convenances, et nuisait à la cause dont
il était le défenseur, surtout par ses attaques irréfléchies
contre le bien de même que contre le mal , du moment où
le gouvernement se trouvait en jeu. Peu à peu cependant
il acquit plus de modération et de circonspection ; et son
action sur la diète eut alors été très-grande , si le zèle de
bon nombre de ses anciens ainis politiques ne s'était pas
singulièrement refroidi. Aussi bien il manquait de constance
et de persévérance. Dans la diète de 1S29 la présidence du co-
mité de constitution lui ayant été refusée , il quitta subite-
ment l'assemblée en déclarant que désormais toute résistance
aux volontés du pouvoir était inutile, expression qui souleva
contre lui de toutes parts l'orage le plus violent. On l'accusa
hautement de trahir la cause de la liberté. 11 n'y eut pas
jusqu'au comte d'Adlersparre avec qui il n'engageât une dis-
cussion des plus amères , à la suite de laquelle, en 1833, il
lit imprimer ses Principes politiques, ouvrage dans lequel
il exposait franchement sa vie, ses actes et ses principes, et
s'extlisait d'avoir abandonné le théâtre des délibérations pu-
bliques , alléguant qu'il n'y avait pas de réforme à espérer
tant que dureraientles circonstances où se trouvait la Suède.
11 fit paraître ensuite, en société avec le jurisconsulte Richert,
un projet d'amélioration de la représentation nationale, qu'il
reproduisit lorsqu'on 1S39 il eut été appelé de nouveau à la
présidence du comité de constitution. Mais les opinions
qu'ils y émettaient ne trouvèrent point d'écho , et furent | ne tarda pas à se manifester entre l'empereur Paul et les
élégant, et se présente avantageusement dans les parterres,
dans les gazons des jardins-paysages, et partout où l'on veut
obtenir sans culture obligée une sorte de petit buisson (leuri.
Ses fleurs sont inodores. De nos bestiaux, la brebis et la
ch.èvre sont les seuls qui broutent l'ancolie. — On en cultive
principalement deux variétés : Vancolie du Canada, à
fleurs d'un beau rouge safran, délicate ; Vancolie de Sibérie,
à fleurs solitaires d'un beau bleu : la première ne réussit
qu'à l'ombre et en terre de bruyère ; l'autre peut se semer en
pleine terre ordinaire. Louis Du Bois.
AXCÔIVE, ancien clief-lieu de la délégation du même
nom dans les Klals de l'Église et de la Marche tl'Ancône,
bâtie sur le promontoire situé le plus au nord-est de la
côte Adriatique, et siège d'un évêché, compte 24,000 habi-
tants , dont 5,000 juifs , et fut vraisemblablement fondée
par des réfugiés syracusains. Elle possède un bon port, dont
il est fait mention, ainsi que de la ville elle-même, dans les
plus anciens écrivains. En 1732 elle fut érigée en port franc,
et reçoit en moyenne onze cents navires par an. Le com-
merce, surtout avec Venise, ïrieste et la Grèce, et l'indus^
trie manufacturière y ont acquis de grands développements.
Les céréales et les étoffes de soie et de coton constituent les
principaux articles d'exportation. L'empereur Trajan en-
toura le port de quais en marbre, et le pape Benoit XIV fit
reconstruire la digue qui s'avance à plus de sept cents mè-
tres dans la mer. Pour conserver la mémoire de ces bien-
faits, les habitants ont élevé en l'honneur de ces deux princes
l'arc de triomphe en marbre blanc qu'on voit encore aujour-
d'hui sur le môle. L'église principale, placée sous l'invoca-
tion de saint Cyriaque, a été construite sur l'emplacement
même qu'occupait autrefois un temple dédié à Vénus. La
bourse et le grand élablissemcnt de quarantaine sont en-
core à citer parmi les édifices publics que renferme celte
ville. Fortifiée dès la plus hante antiquité , assiégée, prise et
détruite ton' à tour par les Romains, les Lombards et les
Sarrasins, Ancône parvint à se relever de ses ruines et
même à se constituer en république indépendante; mais en
1532 le pape Clément VII réussit à s'en emparer par surprise,
et il l'annexa alors avec son territoire aux États de l'Église.
Le siège d'Ancôneentrepris de concert, en 1799, par les Russes
et les Autiichiens , et pendant lequel la garnison française,
commandée par le général Meunier, opposa la plus longue et
la plus courageuse résistance, e-t remarquable par cette par-
ticularité que lors de l'assaut des Autrichiens ayant abattu
le drapeau que les Russes avaient les premiers planté sur
les remparts, ce fait fut l'origine delà mésintelligence qui
repoussées comme trop aristocratiques. Force lui fut, au con
traire, de se rallier à un projet ultradémocratique ayant pour
but d'opérer un changement dans la représentation par or-
dres , projet qui finit par l'emporter dans la diète. Les autres
plans qu'il avait proposés pour restreindre l'exercice de la
puissance et de la prérogative royale échouèrent également.
Malgré ces défaites parlementaires , le comte d'Anckarsvœrd
n'a pas laissé que d'exercer toujours une grande influence
sur la diète ; la plus grande partie des membres de l'ordre
des paysans votait toujours avec lui.
ANCOLIE, plante de la famille des helléboracées à ra-
cine vivace et fibreuse, produisant plusieurs rameaux, à la
sommité desquels se développent des fleurs très-agréables,
en mai et juin : les feuilles sont trois fois ternées ; les fleurs
sont pendantes, attachées à un calice coloré comme elles, se
composant de pétales allongés en comcts à la base, offrant
des variétés, les unes simples, les autres doubles. Originaire
de nos bois et de nos crêtes de fossés, l'ancolie, qui y est
bleue et simple, a donné dans nos jardins de charmantes va-
riétés bleues, violàtres, blanches, rouges, roses, et même pa-
nachées agréablement de blanc et de rouge ou de violet. Le
port de cette jolie plante, dont le feuillage est bien découpé,
bien groupé, d'un vert d'abord tendre, puis foncé, est fort
coalisés. Depuis 1815 il n'y a plus que la citadelle d' An-
cône qui soit fortifiée.
En 1831 les troupes autricliiennes ayant occupé lesMar-
clies romaines insurgées, le ministère français que présidait
Casimir Périer résolut de détruire par un hardi coup de
main l'influence autrichienne dans les États de l'Église. Une
escadre française vint mouiller à l'huproviste dans les eaux
(i'Ancône. Dans la nuit, quinze cents hommes débarquèrent
et s'emparèrent immédiatement d'Ancône, sans rencontrer
de résistance, le 22 février 1832. Le lendemain 23 une ca-
pitulation mit la citadelle en leur pouvoir. Le général Cu-
bières remplaça le colonel Combes dans le commande-
ment de la place. Malgré toutes les protestations du saint-
sié^e, les Français continuèrent à occuper militairement
Ancône jusqu'en décembre 1838, époque où ils évacuèrent
le territoire pontifical en même temps que les troupes au-
trichiennes. Pendant toute la durée de l'occupation , l'auto-
rité civile avait d'ailleurs continué à être exercée par les re-
présentants du saint-siége.
Après le renversement du gouvernement pontifical en 1849,
Ancône reconnut la république. Elle fut attaquée le 24 mai
par les Autrichiens, qui venaient de prendre Bologne; le
1 2 juin la garnison fit une sortie , qui ne réussit point , et la
ANCONE — ANCRE
543
ville fut forcée de capituler le 19. Zaïnbci^aii y commandait.
Les Autricliiens occupèrent Ancône cl les Marches jusqu'à
la guerre d'Italie en »85i). Les progrès des Français les obli-
gèrent alors à se retirer. A la tin de juin les habitants d'An-
cône offrirent les clefs de leur ville à l'amiral Jurien-La-
gravière, qui les refusa. L'autorité du pape y fut relablic,
mais une sourde agitation y régnait. Les troupes sardes
vuirent bloquer Anciine. Le général de Lamoricière, à
la tête des troupes pontilicalos, essaya de secourir cette
ville le 18 septembre 1S60; il échoua, et le 29 la garnison
d'Ancône dût céder la place au général Fanti. La ville en
profita pour voter sou annexion à la Sardaigne le 4 no-
vembre 1860. En 1851 le pape avait concédé un chemin de
fer d'Ancône à Rome. En 1S55 il avait dû rendre à son port
la franchise qu'il lui avait enlevée cinq ans auparavant. Z.
ANCRE, ANCRAGE (du latin anchora, dérivé de ày-
xùÀo; , courl)e, crochu). Une ancre est un instrument de
fer qui, étant jeté au fond de la mer, s'y accroche et sert
h retenir les bâtiments. Dans sa forme la plus ordinaire,
l'ancre se compose d'une tige ou verge terminée par deux
liras armés de plaques triangulaires qui ont reçu le nom de
pattes. Le poids des ancres pour les différents vaisseaux est
proportionné à leur tonnage. La règle ordinaire est de prendre
pour le poids de la maîtresse ancre (la principale du bâti-
ment ) un nombre de quintaux métriques égal au quarantième
de celui des tonneaux de charge; ainsi, dans un bâtiment de
mille tonneaux elle doit peser vingt-cinq quintaux métriques.
Chaque navire a aussi plusieurs ancres de poids divers;
mais la maîtresse ancre appelée encore grande ancre et
autrefois ancre de miséricorde, est gardée en réserve dans
la cale. Quand on \eut jeter l'ancre, ou, en terme de ma-
rin, mouiller ! on la dégage de l'appareil qui la tient sus-
pendue au flanc du navire, et l'ancre descend en entraînant
son câble ; ensuite le navire s'éloigne le plus possible, de
manière à ce que le câble étant lendu , la patte de l'ancre
s'engage solidement. Alors on est à l'ancre ou au mouil-
lage. Enfin on dit jeier un pied d'ancre pour dire qu'on
mouille pour un instant une ancre légère ; laisser tomber
une ancre, pour exprimer qu'on mouille provisoirement
où l'on est, en attendant le vent ou la marée.
L'ancrage, qu'on appelle plus souvent mouillage, est le
lieu oij l'on peut ancrer. Pour qu'un ancrage soit bon, il faut
qu'il soit à l'abri des vents du large et que le fond en soit
bien net. L'flJicrflje désigne encore le droit que l'on paye
pour ancrer, et auquel sont soumis les vaisseaux qui vien-
nent mouiller dans les ports et rades où il est établi. On
joint assez ordinairement à ce droit celui qui est destiné à
l'entretien des phares voisins.
ANCRE {Géographie). Foj/es Albert.
AIVCRE ( CoNCiNO CoNciNi , plus connu sous le nom de
maréchal d' ) , né à Penna , selon les uns , à Florence suivant
les autres, était petit-fils dun secrétaire d'État du grand-duc
Côme et fils d'un simple notaire. Dès sa jeunesse il se livra
à toutes les débauches imaginables, mangea son bien, et mé-
rita par son inconduite que les pères défendissent à leurs en-
fants de le fréquenter. N'ayant plus de quoi vivre , il se di-
rigea vers Rome, où il servit de croupier au cardinal de
Lorraine ; mais il ne voulut pas le suivre , et revint en Tos-
cane. C'était au moment où l'on formait à Florence la
maison de Marie de Médicis, mariée à Henri IV. Il s'y fit
recevoir eu qualité de gentilliomme suivant , et accompagna
cji 1600 la nouvelle reine à Paris. Celle-ci avait pour femme
de chambre et confidente, Éléonora Dori, dite Galigai ( voyez
l'article suivant), fille de sa nourrice, soubrette petite, brune,
agréable, mais d'une maigreur excessive. Concini, qui ne
manquait pas d'esprit, s'attacha à elle, et par mille petits
soins sut la déterminer à l'épouser. La reine consentit à ce
mariage , auquel le roi résista longtemps.
Le premier pas était fait ; notre Italien avança rapidement :
il obtint presque coup sur coup la charge de premier maître
d'hôtel et de premier (Vîuyer de la reine. Il connaissait d'ins-
tinct tous les moyens de panenir à la cour : le roi et la reine
n'avaient point de secret pour lui ; Henri IV était infidèle et
jaloux; la reine, prude et galante; elle avait besoin de
couvrir d'un voile impénétrable ses secrètes inclinations :
Concini était le discret médiateur de leurs querelles conju-
gales. Dans la position avantageuse qu'il s'élait faite, il |)o!i-
vait prétendre a tout : aussi ne lai.ssa-t-il échapper aucune
occasion de s'élever et de s'enrichir. Habile écuyer, danseur
gracieux, causeur aimable, joueur hardi, il possédait tout ce
qu'il faut pour plaire et pour intéresser dans une cour plus
occupée de plaisirs que d'affaires. Il n'élait, du reste, ni
sans mérite sérieux, ni sans qualités réelles; il avait du ju-
gement, un cœur généreux ; il était d'un accès facile; sa
conversation pétillait de saillies et de gaieté. Il se fit tout
d'abord aimer du peuple par des spectacles, des fêtes, des
tournois, des carrousels , dans lesquels il brillait.
La mort de Henri IV ne fit qu'accroître son influence; la
régence de Marie de Médicis ouvrait une voie plus large à
sonambition; il fut fait premier gentilhomme de lachamhre,
et obtint les gouvernements de Montdidier, de Roye,dePé-
ronne, puis enfin le gouvernement le plus importimt du
royaume, celui de Normandie. Il acheta alors le marquisat
d'Ancre, etfutcréé maréchal deFrance, quoiqu'il n'eùtjamais
tiré l'épée sur un véritable champ de bataille; il ne passait
pcis même pour brave, témoin sa querelle avec iJellegarde, à
la suite de laquelle il alla se cacher dans l'Iiôîel de Rambouil-
let. De sa faveur au suprême pouvoir il n'y avait qu'un
pas. Concini le franchit, grâce à la reine ; il devint ministre,
quoiqu'il fût étranger et qu'il n'eût jamais étudié les lois du
royaume qu'il était appelé à gouverner. Richelieu, qui n'é-
tait alors que l'obscur évêi|ue de Luçou , s'attacha comme
une ombre à l'heureux favori; il montrait pour les deux
époux le plus ardent dévouement; son respect allait jusqu'à
l'enthousiasme. Le chevalier de Luynes, encore moins
connu que Richelieu, se distinguait par une plus humble
servilité parmi les courtisans des favoris de la reine régente.
Tant de faveurs successives enllèrent le cœur de Concini;
il devint fier et hautain. Les ministres de Henri IV furent
disgraciés et remplacés par de ses créatures; les princes du
sang eux-mêmes furent éloignés de la cour. Il leva à ses dé-
pens un corps de sept mille hommes pour maintenir contre
les mécontents l'autoiité du jeune Louis XIII ou plutôt la
sienne. Ce n'élait pas assez : il voulut s'assurer de la per-
sonne du roi en lui ôtant la liberté qu'il avait d'aller visiter
ses belles maisons des environs de Paris, et réduisit ses dé-
lassements à la seule promenade des Tuileries. Louis XIII
ne tarda pas à sentir le poids du joug que lui imposait, sans
bruit, l'ambitieux maréclial. Il avisa avec le chevalier de
Luynes, celui de ses gentil,-;hommesen qui depuis peu il eût
le plus de confiance, à divers moyens de sortir desclavaga.
Luynes oublia qu'il devait au maréchal d'.\ncre son exis-
tence politique; il lui fut facile d'obtenir sur le fils l'em-
pire que le maréi;lial avait sur la mère. Élevé à la dignité de
connétable , il n'eut plus qu'un désir, se débarrasser du
maréchal d'Ancre et s'emparer de son immense fortune.
Cependant le maréchal d'Ancre avait pris des précautions.
Il avait fait fortifier les places de son gouvernement. Il avait
même le projet de se retirer en Toscane et d'y transporter
ses richesses. Il eût peut-être exécute ce dessein, s'il n'avait
éprouvé l'ambition de s'allier à la famille de Vendôme : il
aspirait à la main de l'héritière de cette maison , et espérait
faire casser son mariage avec Éléonora : celle-ci l'avait pé-
nétré , et le desservit de tout son pouvoir. Le maréchal resta
donc à la cour.
Sur ces entrefaites, il avait été résolu entre le roi et do
Luynes que lorsque Concini viendrait au Louvre, de Luynes
le mènerait dans le cabinet d'armes , et que le baron de
Vilry, capitaine des gardes du corps, excculerait sur la pes-
sonne du maréchal l'ordre qu'on lui donnerait.
;44
ANCRE
Le 24 avi-n 1617 le marécliul sorlll de son hôtel , sur les
dix licurcs, iH)ur se reiiOre au Louvre ; il était accompagné
(le cin(iuante à soixante personnes. Le baron de Yitry , qui
avait placé des soldats en vedettes et qui attendait dans la
salle des Suisses , averti que Conciui était au pont-tonrnant
du château, s'avança à sa rencontre, et, portant la main sur
«;on bras droit : « Le roi , lui dit-il , m'a ordonné de m'em-
parer de votre personne. » Et le maréchal , étonné de cette
brusque apostrophe , poilant la main à la garde de son
épée, soit pour se défendre, soit pour se rendre prison-
nier, s'écria : « De moi? — Oui, de vous! » repartit Vitry;
et le saisissant de plus près, il lit signe à ceux qui le sui-
vaient Tous lâchèrent a l'inslaut leurs pistolets; Concmi
tomba sur ses genoux , frappé de plusieurs balles qui l'a-
vaient blessé mortellement , et Yitry d'un coup de pied
rétendit par terre.
Son corps avait été enlevé et enterré secrètement dans
l'église de Saint-Germain l'Auxerrois ; mais dès le lende-
main il fut déterré par une multitude, ivre de fureur et
de vin , traîné sur une claie dans les rues jusqu'au Pont-
Neuf , où on le pendit par les pieds à une potence , puis
on le coupa par morceaux , on jeta ses entrailles dans la
rivière , et ses restes sanglants furent brûlés devant la
statue de Henri IV. Un misérable poussa la férocité jusqu'à
faire cuire son cœur sm- des charbons, et à le dévorer pu-
bliquement. Ce qui expliquait, sans la justifier, cette atroce
vengeance populaire , c'étaient les exactions dont Concini
s'était rendu coupable. On trouva des valeurs en papier
pour 1,985,000 livres dans ses poches et pour 2,200,000
dans sa petite maison, sommes énormes pour le temps. Le
parlement procéda contre sa mémoire, qui fut déclarée
infâme. Galigaï, sa femme, ne fut pas plus épargnée' : con-
damnée comme sorcière , elle fut décapitée ef puis brûlée
en place de Grève.
Comblé d'honneur par la reine Marie de Médicis, après
l'assassinat de Henri IV, le maréchal d'Ancre n'avait pas
manqué , comme tant d'autres , d'être accusé de compUcité
dans cet odieux forfait ; mais rien n'est moins prouvé que
cette accusation , et nous sommes sur ce point de l'avis de
Voltaire et d'Anquctil, malgré les on dit des Mémoires de
Sullij, par l'Écluse, de Y Histoire de France de Mezeray ,
des lissais sur Paris, de Sainte Foix, de la Biographie
(le Henri IV par Buri , et des réflexions Mstoriqxies
dont Legouvé a fait suivre sa tragédie de la Mort de Hen ri IV.
Le maréchal laissait un fils âgé de dix ans. Ce malheureux
enfant errait éploré dans les appartements du Louvre. Par-
tout il était repoussé avec la plus impitoyable brutalité.
Un seul courtisan hasarda quelques paroles en sa faveur au-
près de la jeune reine Anne d'Autriche. Cette princesse le fit
venir... Ou lui dit que cet enfant dansait avec grâce, et, sur
l'ordre de la reine, des musiciens furent appelés et l'orphelin
en pleurs fut obligé de danser. La reine lui fit donner un peu
de confitures. Ce seultrait peint la sensibilité d'Anne d'Au-
triche et les mœurs de la cour de Louis XIll. Ce pauvre
enfant fut déclaré par arn'^t du parlement ignoble et inca-
pable de tenir aucun état dans le roijaiinie. On n'est
l)lus étonné dès lors de voir le capitaine Vitry , encore tout
couvert de sang, récompensé par le bdton de maréchal de
t'rauce, et le favori de Luynes mis en possession de l'opu-
lente succession de la victime. Dufey (de l'Vonne).
AiXCRE (ÉLÉo^oRA-DoRI GALIGAÏ, marquise n'),
épouse du précédent, née à Florence, dut sa fortune au
bavard qui lit choisir sa mère, femme d'un pauvie menui-
sier, pour nourrice de Marie de Médicis. Elle suivit,
en (juaUté de femme de chambre, cette princesse à Paris,
quand elle épousa Henri IV, en 1600, et prit bientôt sur
l'espiit de sa maîtresse un entier ascendant, Concini , qui
ù\n\l aussi accompagné Marie de Médicis en France, était
retourné en Itahe après les cérémonies du mariage. Lléo-
uora, qui l'aimait, le pressa de revenir; ils se marièrent
peu après son retour. L'amour n'avait sans doute, du
inoins de la part de Concini, aucune part à cette union ;
Éléonora était loin d'être belle; mais, adroite, insinuante,
elle cachait sous des dehors chétifs, sous une petite taille,
sous un visage pâle et maigre , sous un état presque conti-
nuel de maladie , l'âme la plus énergique, l'intelligence la
plus vive, et une ambition qui ne le cédait en rien à son
esprit. Elle savait, tout à la fois, amuser sa maîtresse en la
mettant au fait des médisances de la cour, entretenir la
brouille dairs l'auguste ménage, vendre les intérêts de la
France aux Espagnols, et maintenir son crédit contre toutes
les intrigues et nrême contre les ordres fomiels de Henri IV.
Simple femme de chambre, elle se vit bientôt l'égale des
dames les plus quaUfiées; toute la cour était à ses pieils;
Éléonora disposait de la reine : Marie était jalouse ; Henri
ne lui fournissait que trop souvent l'occasion de brouil-
leries domestiques; aussi étaient-ils presque toujours en
querelle. Éléonora et son mari avaient basé leur plan d'é-
lévation et de fortune sur la mésintelligence du roi et de
la reine , dont ils étaient en quelque sorte les médiateurs.
La mort de Henri FV vint ajouter encore à leurs préten-
tions et à leur orgueil. Éléonora pouvait tout sur Marie de
Médicis, et IMarie de Médicis était régente. Cette soubrette
orgueilleuse réussissait pourtant à tenir au dehors son
influence dans l'ombre, à s'écHpser en public pour laisser
tous les honneurs du pouvoir au maréchal son mari ; mais,
en même temps qu'elle se montrait habile au delà de toute
expression à maîtriser l'esprit faible de la reine de tout
l'ascendant d'tine dme forte, elle cédait à huis clos a
toutes les faiblesses de la plus ridicule superstition. Elle ne
se laissait voir que voilée pour se préserver du mauvais ml.
Au Louvre, en petit comité, elle régnait despotiquement ,
et ne se contraignait pas même à l'égard du jeune roi.
Un jour qu'il s'amusait à de petits jeux dans, son ajiparte-
ment , placé au-dessus de celui de la maréchale , elle lui
envoya dire : «Qu'il fît moins de bruit, qu'elle avait la
migraine. » La réponse de Louis XIIF fut laconique : « Si
votre chambre est exposée au bruit, Paris est assez grand
pour que vous en puissiez trouver une autre. » Louis XIII
n'oubha jamais ce trait d'insolence de la favorite de sa
mère. Le châtiment se fit attendre, mais il fut terrible.
Marie de Médicis défendit sa favorite contre son lils lui-
même, et c'est à ces querelles intérieures qu'il faut attri-
buer l'antipathie de Louis XIII pour sa mère. Le jeune roi
n'osait rien tenter contre Éléonora et son époux la reine
étant à la cour. 11 résolut donc de l'éloigner, et profita de
son absence pour se défaire du maréchal par un assassinat.
( Voijez l'article précédent. )
Avant ce terrible événement, Éléonora avait rompu avec
son époux : tourmentée par des vapeurs, elle était devenue
insupportable à tout ce qui l'entourait. Elle savait que son
mari comptait sur sa mort prochaine, et qu'il était décidé
à faire casser son mariage si elle pouvait survivre au mal
qui la dévorait. Elle savait qu'il aspirait à un autre hymen
et ne prétendait à rien moins qu'à s'allier à l'une des plus
illustres maisons de France. 11 était maréchal, gouverneur
d'une grande province; sa fortune était immense; il ne pou-
vait éprouver un refus. Accablée de douleur et dévorée do
jalousie, elle ne tenait plus à la vie que par le sentiment de
ses souffrances.
Marie de Médicis avait pu consentir à vivre séparée d'elle;
elle ne devait pas hésiter à la sacrifier aux ombrageuses
exigences de Louis XIII et de son favori. Concini a péri
sous le fer dun assassin, et Éléonora apprend la mort de son
époux par l'assassin lui-même, par le baron de Vitry, qui
vient l'arrêter en plein Louvre pour la conduire à la Bas-
tille. On ne lui permet pas même d'embrasser sa fille et son
fils ; elle ne doit pas les revoir. Éléonora n'a plus qu'un espoir :
élevée avec la reine Marie, nourrie du même lait, sa com-
pagne inséparable depuis le berceau, coiilidente de tous ses
ANCRK -
f ecrets, elle coinple sur sa piiissaiilc protorlion contre ses en-
nemis. Marie l'a tant ainioe ! Klconura vena bientiM s'éva-
nouir cette dernière illusion. A la première nouvelle de la
mort (lu maréchal on demande à la reine c|uel moyen on
emploiera pour annoncer à sa veuve le fatal événement :
« J'ai bien autre chose à quoi penser, répond la Médicis ; si
on ne peut lui dire cette nou\eIlc, qu'on la lui chante. »
Cette princesse, sollicitée de protéger Éléonora, qu'on vient
de conduire à la liastille, répond encore : « Je suis assez
embarrassée de moi-même : qu'on ne me parle plus de ces
gens-là ; je le-s ai avertis du malheur où ils se sont précipités.
Que ne suivaient-ils mes avis ! »
Éléonora était « accusée de judaïsme, d'avoir sacrifié un
coq suivant le rit de la synagogue ; de magie , de sortilège,
d'avoir ensorcelé la reine, d'avoir, dans ses cachettes, des
talismans, des figures de cire, des symboles, des écrits mer-
veilleux ; d'avoir fait venir d'Italie des moines , de s'être
enfermée secrètement avec eux pour des opérations de
magie ; d'avoir exorcisé avec eux, la nuit , dans des églises ,
d'y avoir fait tuer un coq et des pigeons, dont le sang et
le corps devaient , sacrilège exécrable , servir à raffermù"
sa santé ébranlée. » Elle ne répondit aux questions qui lui
furent adressées sur ces inculpations absurdes qu'avec l'ac-
cent de l'indignation et du mépris , et quant au reproche
d'avoir ensorcelé la reine-mère et aux moyens qu'elle aurait
employés pour y parvenir, elle répondit « n'avoir employé
que le pouvoir ordinaire et naturel qu'a un gâiie supérieur
sur un esprit médiocre ». Interrogée sur la mort d'Henri IV,
elle s'expliqua sur toutes les questions avec une fermeté et
une précision qui étonnèrent ses juges. On lui demanda
« d'où elle avait reçu aAis d'avertir le roi de se garder du
péril ; pourquoi elle avait dit avant l'événement qu'il ar-
riverait bientôt de grands changements dans le royaimie;
pourquoi elle avait empêché de rechercher les auteurs de
l'assassinat ». Ellesatistit àtoutes ces interpellations en niant
certaines circonstances, en expliquant les autres de manière
à écarter tout soupçon contre elle-même , et surtout contre
la reine-mère, qu'on voulait impliquer dans cette affaire.
Éléonora fit preuve d'une grande générosité et d'un grand
dévouement pour sa bienfaitrice ; elle avait ainsi expié tous
les torts de sa vie.
En somme on écartait , dans ce procès , tout ce qu'il y
avait de réellement grave, tout ce qui pouvait justifier une
condamnation , comme les actes nombreux de cupidité de
la favorite, ses concussions flagrantes, ses intelligences avec
l'étranger ; et les juges s'arrêtaient précisément à tout ce
que la cause présentait d'absurde. De Luynes , ses frères et
deux personnes de qualité, parmi lesquelles on a supposé le
duc de Bellegarde, sollicitaient avec instance une con-
damnation. Cinq juges s'abstinrent de voter; le rapporteur
Deslandes déclara qu'il ne pouvait conclure contre l'accusée.
Enfin, le 8 juillet 1617, au moment où l'arrêt allait être
prononcé, Éléonora demanda à rester couverte de ses coiffes
pendant sa lecture ; on refusa d'obtempérer à ce vœu , et
ce fut la tète découverte qu'elle dut ouïr la sentence, « qui,
après l'avoir déclarée atteinte et convaincue du crime de
lèse-majesté divine et humaine , la condamnait à avoir la
tête tranchée, être son coi-ps ard, brusié et réduit en cen-
dres, jetées, puis après, au vent ». La malheureuse, qui
s'attendait , tout au plus , à l'exil , s'écria en entendant cet
arrêt : Oimè poveretta! Puis elle prétendit qu'elle était
enceinte ; mais elle se rétiacta dès qu'un des juges lui eut
rappelé qu'elle avait repoussé la responsabilité des fautes
de Concini, en alléguant que depuis deux cns elle vivait
fort mal avec son mari et n'exerçait plus d'influence sur
lui. L'abattement, le désespoir étaient passés; elle avait
pu pleurer; elle avait repris tout son courage; elle accep-
tait sa destinée avec une admirable résignation. « Jamais
dit un témoin oculaire, je ne vis personne qui eut un
visage plus résolu à la mort. «
DICT. DE LA CONVURS. — T. I.
AXCYRE
â4S
Quand , le jour même de b condamnation , elle sortit do
la Conciergerie pour monter sur la fatale charrette, elle dit
doucement à la vue de la foule : « Que de peuple pour voir
une pauvre afiligée ! » Et faisant claquer l'ongle de son pouce
sur ses dents : « lîah ! ajoule-t-elle , je me soucie aussi peu
de la mort que de çà ! » La foule était morne et silencieuse.
A la haine avait succédé la pitié, et Éléonora ne (ut point
abattue à l'aspect de l'échafaud et du bûcher ; elle ne
montra ni audace ni frayeur. C'était la tranquille rési-
gnation d'une Ame forte cédant à sa destinée. Elle avait
survécu à sa fille , qui était morte peu de temps après
l'assassinat du maréchal. Cette fin prématurée ne parut
point naturelle. Son fils, dégradé de sa noblesse, comme
nous l'avons vu à l'article de son père, se retira à Florence :
une rente de quatorze mille éc.is , dont le capital avait été
placé dans cette ville par Concini , fut l'unique débris qu'il
recueillit de son immense fortune. Le frère de Galigaï , ar-
chevêque de Tours et abbé de Marmoutiers , se démit de
ces deux grands bénéfices , et alla finir ses jours en Italie.
DiFEY (de l'Yonne).
AJVCUS MARCIUS fut le quatrième roi, ou iilutùt le
quatrième héros de l'épopée de Rome. 11 était fils de Nurua
Marcius, gendre du roi Numa, sous lequel il avait été le
premier des grands pontifes. Ancus réunissait, selon les
légendes, les qualités qui avaient illustré Romulus et ^tima :
il fut grand capitaine, comme le premier; législateur et
religieux, comme son aïeul. L'an r.'iO avant J.-C. il fit la
guerre aux Véiens. aux Latins, aux Fidéuates, au\ Volsques,
aux Sabins, sur lesquels il conquit plusieurs villes, agrandit
le territoire de Rome, qu'il recula jusqu'à la mer, établit le
premier pont permanent sur le Tibre, joignant le Janicule à
la \iUe, renferma dans l'enceinte de la capitale les monts de
Mars et Aventin, et fonda la colonie d'Ostie, à l'embouchure
du ficuve. Mais le principal titre d'Ancus à la vraie gloire fut
d'aAoir été l'organisateur ou plutôt le créateur de la plèbe
de Rome, cette commune longtemps exclusivement com-
posée de cultivateurs laborieux, probes et vaillants, la gloire
et l'ornement des beaux siècles de la république.
Les rois Romulus et Tullus Hostilius avaient conquis des
villes dont le teiTitoire avait été réuni à celui de Rome, et
la population forcée de venir habiter la ville victorieuse, où,
par sa position même, elle était obligée de subir la clientèle
ou le servage de l'aristocratie patricienne, et ne formait pas
une corporation organisée qui eût ses magistrats, ses lois
et ses droits. Ancus créa cette corporation en faisant distri-
buer aux citoyens des peuples vaincus les terres qu'il avait
conquises, et en leur assignant pour habitation dans Rome
les vallées non encore occupées, entre les monts Aventin,
Cœlius et Palatin, où ils se bâtirent de nouvelles demeures.
Là ils furent organisés en une corporation libre , mais pri-
vée encore des droits actifs de la cité, qui restèrent au pa-
triciat.
Ancus régna vingt-quatre ans; l'histoire se tait sur le
genre de sa mort et sur le sort de ses fils, qui ne lui succé-
dèrent pas. Il y a ici dans les annales do Rome une lacune
d'environ trente ans, qui dut être remplie par le règne d'au
moins deux princes étrusques conquérants. Les annales des
pontifes l'ont fait disparaître, en prolongeant outre mesure
les règnes des cinquième et sixième rois , et en donnant une
fausse origine au premier desTarquins. C'est également ainsi
qu'elles ont effacé la domination réelle de Porsenna, après
la prise de Rome. Le général G. de Vaudoncourt.
AXCYllE, aujourd'hui Angouri, Angora, Angourich,
Engcnir ou Eiicora/i, ville de l'Asie jMineure, primitive-
ment capitale des Tectosages, «ne des trois grandes tribus
gauloises de la Galatie, au nord-est du lac de Cenascis, de-
vint sous ISéron capitale de toute la Galatie , et fut posté-
rieurement le chef-lieu de la Galatie-Salutaire. Caracalla lui
avait donné le nom ôWnlonine. Il y fut tenu, en 31.'), un
concile, qualifié aussi saint synode, dans lequel il fut qucs-
546
ANCYRE — ANDELOT
tion des pénitences, des fonctions cléricales et du célibat des
prêtres. Très de cette ville, Bajazet, sultan des Turcs ot-
tomans, fut vaincu et pris, en 1402, par ïamerlan, (jui
l'enferma dans une cage de fer et le traîna ainsi à la suite
de son armée. On retrouve de nos jours dans cette ville
et aux environs bon nombre de ruines, entre autres, du
côté de la porte de Smyrne, celles d'un temple d'Auguste,
dans lequel on lit le testament de ce prince sur six colonnes,
inscription connue sous le nom de monument (ÏAncyre.
ANDALOUSIE {Andalucia) , ancienne division poli-
tique d'Espagne, formant aujourd'hui le ressort d'une capi-
tainerie générale. Son nom, dérivé de VandaUiia , parait
avoir pour origine le séjour passager qu'y tirent les Vandales
avant leur émigration en Afrique. C'est la BéUque des an-
cien», et, outre le peuple que nous venons de citer, elle a
été, avant eux ou plus tard, successivement lia'oitée par
tes Phéniciens, les Carthaginois, les Romains, les Gotlis,
les Visigoths, les Suèves, les Alains et les Maures d'Afri-
que. Située sur la Méditerranée et sur l'Océan , dans le plus
beau climat du monde , entre le 36" et le 3s" de latitude
nord , elle comprend ce que sous la domination des Maures
on appelait les quatre royaumes de Jaen, Cordoue, Grenade
et Séville, royaumes à cette époque si peuplés, si éclairés
et si riches. Elle se divise maintenant en cinq intendances
civiles : Séville, Huelva, Cadix, Cordoue et Jaen.
L'Andalousie, dont Séville est la capitale, est bornée
au nord par l'Estramadure et la Manche , à l'est par les
provinces de Murcie et de Grenade , au sud par cette der-
nière et le détroit de Gibraltar, à l'ouest par le Portugal.
S'il est dans l'Europe chrétienne ime contrée qui mieux
que toute autre ait conservé, en dépit des siècles, sa
physionomie propre et résisté à l'esprit d'imitation , c'est
l'Andalousie, contrée moins originale encore par l'aspect
des lieux et par ses produits naturels que par le caractère
et les mœurs de ses habitants. Celte originalité tient à trois
causes principales, le climat, la nature du pays et sur-
tout le séjour de huit siècles qu'y ont fait les Arabes. De
ce contact est résulté dans les mœurs , dans les habitudes,
dans le sang même , un élément oriental qui ne s'effacera
pas de si tôt.
Les Andalous sont passionnés pour la danse, passion qui,
chez eux, ne le cède qu'à l'amour des combats de taureaux.
Que quelqu'un s'avise de racler une guitare, qu'un autre
fasse bruire des castagnettes ou un pandcro ( tambour de
basque), et voilà le bal engagé, avec son interminable série
de cachuchaSyàe boléros, de fandangos , de seguedillas;
mais la corrida, la ioromaquia ont pour ces natures
avides d'émotion des attraits plus séduisants encore. C'est
en Andalousie qu'on trouve les plus belles races de taureaux
et de chevaux de rEspag.ne ; c'est là que naissent les meil-
leurs toreadores. Romero, Ortiz, Montés étaient Andalous.
Arrosée par le Guadalquivir, qui la traverse dans toute
sa longueur, et par la Guadiana, qui la sépare du Portugal,
l'Andalousie est la plus fertile province d'Espagne. Ses su-
perbes plaines, ou vegas, ressemblent à de vastes jardins :
on y récolte du blé, de Torge, d'excellents légumes, du
coton, de la cire, de la cochenille, du sucre, du miel, des
huiles, des oranges, des citrons, des figues, des amandes
et les vins délicieux de Xérès, IMalaga et Pajarète. Outre
de beaux pâturages, qui tapissent leurs versants, les monta-
gnes recèlent dans leurs entrailles des mines qui tentèrent
la convoitise des Phéniciens, des Carthaginois, des Romains,
mais dont on n'extrait plus aujourd'imi que du plomb , de
la soude, du mercure, du cuivre, du fer, de l'aimant et
quelques pierres fines. Là paissent de magnifiques trou-
peaux de mérinos , dont les fines toisons enrichiraient tout
autre peuple ; mais l'.\ndalou est paresseux et pauvre : l'in-
«lustrie que lui avait léguée l'Arabe a disparu , et il reste
à peine quelques tracer, de ses merveilles d'agriculture et
de jardinage.
Plusieurs chaînes sillonnent le territoire de l'Andalousie;
les plus remarquables sont la Sierra Morena (la Cordil-
lère-Sombre), la Sierra de Grenade et la Sierra Nevada
(la Cordillère Neigeuse). Certains de leurs massifs attei-
gnent la limite des neiges perpétuelles , et pourtant il
fait généralement chaud dans cette capitainerie, et l'on com-
pare le climat d'Ecija à celui du Sénégal. Ce sont des co-
teaux africains couverts de myrtes , de térébinthes, de len-
tisques, de palmiers, d'agaves et de bananiers. La genette,
le caméléon , le porc-épic , le singe viennent encore témoi-
gner d'une intime ressemblance avec la plage algérienne; et
le proverbe castillan répète : « Ici il faut marcher la nuit
et dormir le jour. »
L'Andalousie, qui compte à peine 1,200,000 habitants,
disséminés sur une surface de 440 kilomètres de long sur
2G0 de large (70,000 kilomètres carrés), en possédait au-
trefois presque autant dans le moindre de ses quatre royaumes
Les villes principales de cette capitainerie sont Séville
Cadix, Cordoue, Jaen, Alméria, Grenade, Malaga et Huelva.
Son commerce maritime est en décadence depuis la perte
de la plupart des colonies américaines de l'Espagne et depuis
les guerres intestines qui ont ••avagé son territoire européen.
ÂIVDAMAJV (lies d'). Archijjcl de quatre îles principa-
les, de huit moindres et de plusieurs îlots ou rochers. Les
trois plus grandes forment la prétendue île grande Anda-
vwn des géographes; l'autre, la plus méridionale, est
connue sous le nom de petite Andaman. L'Ile Barren, qui
est déserte , est remarquable par son volcan. Le groupe
entier est situé dans le golfe du Bengale , entre le cap >'e-
grais, dans l'empire Birman, et l'extrémité nord-ouest de l'île
de Sumatra, par 90 et 92" de longitude orientale et 10 et 13"
de latitude méridionale. On y trouve beaucoup de bois rares
et les principaux arbres fruitiers des climats tropicaux ; les
singes et les perroquets y abondent; et l'on recueille beaucoup
de coquillages sur les côtes , entrecoupées de baies. Les
étabHssements que les Anglais y avaient tentés en 171)1 ont
été abandonnés, à cause de l'insalubrité du sol, proihiite
par huit mois de pluie presque continuelle. Après l'insur-
rection des Indes de 1857, les Anglais transportèrent aux
îles d'Andaman lesCipayes révoltés auxquels ils firent grâce
delà vie. Ces îles, que les Arabes ont connues dès le neuvième
siècle, sont habitées par une race de nègres anthropopha-
ges paraissant se ratiacher par leur langue, qui n'a aucun
rapport avec les dialectes indiens ou indo-chinois, à la grande
famille des nègres océaniens répandus dans la Nouvelle-Gui-
née et jusqu'à la terre de 'Van-Diémen. Les voyageurs n'en
évaluent pas du reste le nombre à plus de deux ou trois
mille. Rusés et vindicatifs, fourbes et cruels, ces sauvages,
qui sont à peine vêtus , se nourrissent de coquillages et d«
poissons, mais ne dédaignent ni les serpents ni les lézards,
ni les rats, et sont remarquables par leur laideur autant
que par l'état d'abrutissement complet dans lequel ils vivent,
sans témoigner le moindre désir d'en sortir.
AIVD^VNTE (participe présent du verbe italien andare,
aller). Ce mot placé en tète d'un morceau de musicpie in-
dique le second des trois principaux mouvements , savoir
le m 0 u V e m e n t modéré, tendant à la lenteur et tenant
le milieu entre Vallegro et le largo. On emploie
aussi ce terme substantivement pour désigner le morceau
même qui doit être exécuté andante, et l'on dit Vandante
d'un air, d'une symphonie, etc. On a même pris l'habitude
à l'égard de la musii[ue instrumentale d'appeler andante le
second mouvement de la symphonie, du quatuor, du duo,
de la sonate, etc., parce qu'il est toujours plus lent par rap-
port au premier, qui est toujours un allegro.
Le diminutif de l'andante est Yanduntino, qui s'exécute
avec un peu plus de rapidité, mais toujours sans vitesse.
AXDELOT ou ANDELAU (Traité d'). Andelot est un
petit bourg de Prance, sur le Rognon, dans la Haute-Marne,
situé à 16 kilomètres nord-est de Chaurnont et peuplé de
ANDELOT
1,100 liabMants; il est cc^lèbrc jiar le traité qui y fut signé
en 5!>7 entre CliiklelHHt 11, roi d'Austrasie, Urunehaiit, nu'^rc
tle ce prince, et Contran, roi de l^iirgo^nie, son oncle. Les
«leux rois , un instant divisés, se^ réconcilièrent, se garan-
tirent aide et protection juutiicllcs, k se rendirent réciproque-
ment les leudes qui, à la larcur des désordres du temps,
avaient passé d'un royaume dans l'autre. Ce qui rend sur-
tout ce traité remarquable , c'est qu'on y trouve les pre-
niifîres traces de l'iiérédité dos fiefs; c'est le premier pas
fait dans cette voie qui aboutit au système féodal. Grégoire
de Tours nous a conservé ce traité en entier (IX, 20).
ANDELYS(Les), ville du département de l'Eure, fonnée
de la réunion de deux petites villes , le Grand- Andelij et
le PctU-Andehj , chef-lieu de l'arrondissement de ce nom,
à 24 kilomètres de Rouen , près de la rive droite de la
Seine; population 5,026 habitants. On y fabrique des
draps fins et de5 casimîrs , de la bonneterie de coton ,
des lacets et des ganses de soie , etc. Son principal com-
merce consiste en bestiaux , grains , laines , toiles , écailles
d'ablettes ponr perles fausses, etc. — Le Grand-Andely
doit son origine à une abbaye de filles, fondée en 511 par
Clotilde, épouse de Clovis. Les Normands, remontant la
Seine, dans leurs excursions, la détruisirent, à la lin du
neuvième siècle. C'est là qu'Antoine de Bourbon, père
de Henri IV, blessé mortellement au siège de Rouen, rendit
le dernier soupir, en 1562. Là naquit aussi, en 1594, le
grand peintre Nicolas Poussin, dont cette ville possède
aujourd'hui la statue. — Le Petit-Andely, situé sur la rive
droite de la Seine, à un kilomètre au sud-ouest du grand
Andely , est dominé par des ruines intéressantes, que les
archéologues vont souvent visiter. Ce sont celles du fameux
Château-Gaillard, bâti par Richard Cœur de Lion et déman-
telé par ordre de Louis XIIL
ANDERLOIXI (Piétro), graveur célèbre, né le 12 oc-
tobre t7&4, à Santa-Eufemia, dans le Bressan, suivit la
carrière de son père, Faustino, et se consacra à un art dont
il devint un des premiers maîtres. Dès l'âge de douze ans
il étudia l'architecture sous Paolo Talazzi; jmis, indécis
encore entre la peintiu-e et la gravure , il se décida pour
cette dernière, d'après les conseils de son père , qui le fit
travailler avec lui auxplanches^u Traité de l'Anévrisnie de
Scarpa, travail au moyen duquel il acquit cette facilité de bu-
rin qui le rend surtout remarquable. A vingt ans il entra dans
l'atelier de Longhi, où il demeura neuf ans. Ses rapides suc-
cès lui valurent deux fois le prix au grand concours , et
quand il ne douta plus du degré de supériorité de son ta-
lent , il se décida à publier quelques œuvres sous son nom.
Les amis des arts admirent, outre ses portraits deCanova
et de Pierre le Grand , son Moïse et sa fille de Jéthro
d'après le Poussin ; sa Vierge , d'après Raphaël , et son
œuvre capitale, sa Femme adultère du Titien. Il était de-
puis 1831 directeur de l'école de gravure, de Milan, lorsqu'il
mourut le 13 octobre 1849. — Faustino Andeki.oni, son
frère, est auteur d'un portrait de Herder, d'une Madeleine
d'après Le Corrége, d'une Sainte Famille d'après Le Pous-
sin, d'ime Mater amabilis d'après Sasso-Ferato , etc.
ANDERIVACH, petite ville de la province rhénane de
Prusse, dans le cercle de Coblent/., située à 13 kilomètres de
cette ville, sur la rive gauche du Rhin , à peu de distance de
l'embouchure de la Nette. Les Romains , qui y avaient cons-
truit un château fort, l'appelaient Antunnacinim ante Ne-
tam; elle devint ensuite la résidence des rois mérovingiens;
puis , sous la domination des électeurs de Cologne , l'une
des plus florissantes cités des bords du Rhin. La toiu- gi-
gantesque qui s'élève à l'extrémité nord de cette ville,
chef-d'd'uvre de l'art ancien de la fortification, sa vieille et
magnifique église, dont la tour du chœur est de construc-
tion carlovingienne, ses vénérables murailles et ses portes
gothiques, donnent à Andernach un cachet de moyen âge
tout particidier. Les seuls débris bien authentiques de ses
ANOERSON
647
anciennes constructions romaines sont peut-être les statues
placées sous la porte du Rhin. Sons ses murs fut livrée, en
S76 , une mémorable bataille, où Charles le Chauve fut dé-
fait par les fils de Louis le Germanique.
Cette ville compte 3,200 habitants; elle est le centre d'un
commerce de cuirs, de grains et de vins assez cactif ; mais sa
principale industrie consiste dans l'exploitation des meules
du Rhin, production volcaniquedont les auteurs romains font
déjà mention, et qui s'expédient non-seulement pour la Hol-
lande et pour l'Angleterre , mais jusqu'en Amérique et aux
grandes Indes , et du trass , espèce particulière de tuf vol-
canique qu'on tire des carrières voisines , et qui, pilé et mêlé
dans une proportion convenable avec de la chaux, produit
un mortier résistant à l'eau et formant une pierre nouvelle
extrêmement durable. La Hollande , à cause de ses nom-
breuses constructions hydrauliques, est le principal marché
du trass d' Andernach.
ANDERSEN (Hans-Christivn), l'un des littérateurs
danois contemporains les plus remarquables, est né en 1805,
à Odensée, en Fionie. 11 s'est essayé avec un égal succès dans
divers genres , et est auteur de nombreux romans qui tous
ont été traduits en allemand , ainsi que de divers djames et
vaudevilles , représentés avec succès sur le théâtre de Co-
penhague.
Fils d'un pauvre cordonnier, Andersen , pour paiTenir à
faire son éducation littéraire , a eu à lutter contre tous les
obstacles dont le talent triomphe quand il est uni à une
volonté ferme , à une persévérance que rien n'abat ni ne
décourage. Protégé par Baggesen , il s'était d'abord destiné
à la scène ; mais le directeur du grand théâtre de Copenhaguo
s'opposa à ses débuts , prétendant qu'il était trop maigre.
W songea alors à tirer parti d'une voix assez fraîche, et déjà
il donnait quelques espérances comme chanteur, lorsqu'une
maladie , en lui enlevant la voix, vint détruire l'avenir qu'il
entrevoyait conome récompense d'un travail opiniâtre ; il lui
fallut recommencer toute sa carrière.
Œhlenschlager, Œrstedt, Ingemann, d'autres encore, qui
avaient reconnu en lui de rares dispositions pour la poésie ,
s'entremirent généreusement pour lui faire obtenir du gou-
vernement les moyens d'aller perfectionner ses études en
Allemagne , en France et en Italie. Au retour de ce voyage ,
entrepris dans les années 1833 et 1834, il publia sous le
titre à' Improvisatoren , un poème qui brille par un coloris
chaudement itahen , et qui renferme les tableaux les plus
suaves et les plus charmants de la vie des hommes du Nord.
Cette œuvre fut le fondement d'une réputation qui n'a fait
que s'accroître depuis , et est devenue populaire dans toute
la Péninsule Scandinave.
ANDEUSON (Laurent) ou ANDREJE, né en Suède,
en 1480, de parents pauvres, entra dans les ordres, et plus
tard contribua à intioduire dans sa patrie la réforme leli-
gieuse opérée par Luther en Allemagne. Devenu chancelier
de Gustave Wasa, il fit déclarer en 1527, par la diète de
Westéras , ce prince chef de l'Église de Suède. Compromis
plus tard dans une conspiration contre la vie du roi, dont il
aurait été instruit et qu'il aurait négligé de révéler, il fut
condanmé à mort, peine qui fut commuée en une forte
amende, moyennant le payement de laquelle Anderson put
désormais vivre dans la retraite. Il mourut en 1552. Ander-
son avait acquis, dans ses voyages à l'étranger, des connais-
sances très-variées ; et il avait mérité par la finesse de son
esprit le surnom d'Érasme suédois. Sa traduction de la
Bible en langue suédoise, publiée dès 1526, est regardée
comme un chef-d'œuvre.
ANDERSOIV. Plusieurs écrivains étrangers ont porté ce
nom. Adam Anderson, qui a vécu dans le siècle dernier,
apubiiéune histoire assez estimée du commerce de la Grande-
Bretagne, ouvrage qui a eu les honneurs d'une seconde édi-
tion en 1801. — /fl?Hes Anderson, né en 1739, mort en 1808,
s'est rendu célèbre par ses ouvrages agronomiques, dont le
54 s
ANDKRSON - ANDORRE
iiiérite engajîoa la Soci(''(i5 Royale de Londres à appeler rail-
leur dans son sein. L'Ecosse, où il était né, non loin
(rj'.dimboiug , lui dut aussi Tainélioralion des pêcheries
qu'on trouve sur sa côte septentrionale. — Georges Anderson,
né en Allemagne dans les premières années du dix-septième
siècle, exécuta pour le compte du duc de Ilolstein différents
voyages en Orient, en Chine, au Japon, dont la relation a
été publiée par Olivarius, eu 1CC9, à Schleswig.
AI\DEltSOi\ (CuAitM;s-JEAN), voyageur suédois dans
l'intérieur de l'Atriiiue, a %isilé le pays des Ovanipos, re-
connu le lac Niiaiiii, et découvert la rivière Birihi en 18j4.
Son voyage a été imprimé. H ei-t retourné dans le même
pays en 1838 et a parcouru la rivière Cuuèae. Z.
ANDES. Voyez. Coiîdillèues.
AI\UOC!DE, orateur et général athénien. Il appar-
tenait à une illustre f;miillc, et son père se nonimait Léo-
goras. Son bisaïeul, appelé aussi Léogoras, avait commandé,
avec Chabrias, les troupes envoyées par les Athéniens
contre Pisistrate. Ké en 4G8 av. J.-C, Andocide fut, dans
sa première jeunesse, l'un des négociateurs de la paix de
trente ans qui précéda la guerre du Péloponnèse ; plus tard,
il commanda, avec Glaucon, la flotte que les Athéniens
envoyèrent au secours de Corcyre, menacée par les Corin-
thiens. Lorsque Alcibiade fut accusé d'avoir profané les
mystères d'Eleusis et renversé les statues de Mercure, An-
docide fut impliqué dans ce procès criminel, et ne se tira
d'embarras qu'en dénonçant lés coupables. Phoiius rapporte
que parmi eux était son père Léogoras, mais que, grâce à
son talent d'orateur, il parvint à le sauver. Cet auteur est
celui qui nous donne le plus de notions sur la vie d'Ando-
cide, qui se livra au commerce et se rendit à Salamine au-
près du roi Évagoras, auquel, dit-on, il livra la fille d'Aris-
tide, après l'avoir enlevée d'Athènes. 11 rentra dans sa patrie
pendant la tyrannie des Quatre cents, fut mis en prison, et
réussit à s'évader. Les Trente l'exilèrent une seconde
fois, et il ne revint que quand le peuple eut repris le dessus.
L'accusation d'impiété fut renouvelée ; mais il ne fut point
condamné. On prétend qu'il mourut dans l'exil, n'ayant
o9é revenir d'une ambassade à Sparte, dans laquelle il avait
échoué.
Nous avons quatre discours attribués à cet orateur;
deux seulement paraissent lui appartenir : l'un est relatif
aux mystères d'Eleusis et à son procès ; le second a trait à
sa seconde rentrée à Athènes. Dans son Histoire de la Lit-
térature grecque, Schœll n'élève point ('.e doute sur l'au-
thenticité des troisième et quatrième discours ; cependant,
il est évident que le troisième a été prononcé par un autre
Andocide, puisqu'il qualifie de son aïeul le négociateur du
traité dont nous avons parlé. Le quatrième discours, contre
Alcibiade, au sujet de l'ostracisme, est attribué, par Taylot,
à Phajax ; Scho'll le revendique pour Andocide, mais il
nous paraît mal fondé dans cette prétention. L'abbé Auger
a traduit les discours de cet orateur; on en trouve le
texte dans les Oratorcs Grœci de Henri Etienne, et dans la
collection de Reiske. Ils sont, au fond, peu remarquables
comme pièces d'éloquence , mais écrits avec simplicité, quel-
quefois même avec goût ; ils doivent être considérés plutôt
comme renseignements historiques. De Golbcuy.
AXDORUE (République d'), petit État de l'Europe,
dans l'ancien comté de Ccrdagne, jjortant le titre de vallées
et souverainetés de l'Andorre, est composé de deux val-
lées des Pyrénées situées entre Foix et Urgel. C'est un pays
neutre, arrosé pai' l'Ondino et l'Embalira , affluent de la
Sègre, et jeté sur les cdiilins de la France et de l'Espagne,
au sud du département de l'Ariége. Il s'étend entre la 42"
V.2' et le 42" 43' de latitude, et le 0° 40' et 1° 3' de longi-
tude ouest; sa superficie totale est de 493 kilomètres; sa po-
pulation était de 18,000 habitants en 1830.
On ])ense généralement que son nom vient tYAn'dor,
An'Uior, ouAiùlur, radicaux qui dénotent une haute an-
tiquité. And, en effet, dont les ItaUens et les Espagnol onl
fait leur verbe andar (marcher), exprime l'idée de mou-
vement , tandis que les terminaisons celtiques dor, tàor,
dur (porte, entrée, camp, — montagne, — eau) s'appli-
quent à l'action d'une marche , d'une course , d'une inva-
sion , d'un établissement. Selon cette étymologie les An-
dorri ou Andorrisx, comme les appellent les écrivains an-
ciens, appartiendraient à des nations fugitives, qui des ri-
vages ibériens seraient venues chercher un refuge dans les
Pyrénées. Or, Pline signale les Andorrisx comme des peuples
habitant les environs de Cadix, où ses commentateuis ne
les retrouvent plus. Les Vrgi, ceux d'Urgel, qui paraissent
avoir suivi la même direction vers le nord, sont représentés
comme vivant, avant leur émigration, sur les confins de la
Bétique et de la Tarragonaise. Qu'en conclure? C'est que les
Andorrans et ceux d'Urgel sont les descendants des races
hispaniques dont parlent Pline et, après lui , plusieurs
géographes.
Sous Charlemagne, en 785, les habitants du pays d'An-
dorre mettent généreusement à la disposition de ce prince
leurs personnes et leurs biens , au moment où il va en Es-
pagne guerroyer contre les Visigoths, et le grand empereur,
jaloux de récompenser tant de dévouement, leur octroie de
nombreuses franchises , celle, entre autres, de s'administrer
eux-mêmes. Il leur accorde une grande charte, dont l'original
est religieusement conservé dans Y armoire de fer du grand
conseil d'Andorre.
L'Andorre se trouva placé plus tard sous la dépendance
delà vicomte de Castclbon ou du pays d'Urgel. L'évcquede
ce diocèse et le comte de Foix le possédaient par indivis, en
vertu d'une décision arbitrale rendue en 1273 en présence
de Pierre d'Aragon, qui en garantit l'exécution. Cette con-
vention fut exécutée jusqu'à la réunion du comté de Foix à la
France par Henri IV ; et les rois ses successeurs, à quelques
concessions près, conservèrent leur autorité sur ce tenitoire,
jusqu'en 1790, époque où les droits qu'il payait , ayant été
considérés conmie féodaux , cessèrent d'être acquittés. De-
puis, le gouvernement français a maintenu cette république
dans son entière indépendance , état politique que n'a mo-
difié en rien l'établissement des diverses constitutions sous
lesquelles a vécu l'Espagne.
Aux ternies de la convention de 1278, l'Andorre payait
480 livres par an à l'évêque d'Urgel et le double au pays de
Foix. Moyennant cet abonnement , il avait le droit de tirer
tous les ans de ce dernier pays dix-huit cents charges de
seigle, pesant vingt et un mille six cents myriagrammes,
plus un certain nombre de têtes de bestiaux de toute espèce,
comme aussi d'y porter et d'en extraire sans droit toutf
marchandise non prohibée, de même que le produit de se;
mines. Il ne payait donc pas d'imposition proprement dite,
affermant ses montagnes pour y faire paître du bétail, et lo
produit de cette ferme suffisant à couvrir toutes ses charges.
Sa justice, sa police, ses finances étaient sous la surveil-
lance de l'intendant du Roussillon.
Aujourd'hui, sous l'empire de l'ancienne constitution, mo-
difiée seulement dans quelques dispositions secondaires, la
république se compose, comme autrefois, de six commu-
nautés : Canillo , Encamp, Ordino , la Massane , Andorre-la-^
Vieifle, capitale du pays, et Saint-Julien, subdivisées en cin-
quante-quatre villages ou hameaux , formant un petit État
politique , gouverné par ses propres magistrats , et ne rele-
vant que pour le spirituel de l'évêcpie d'Urgel, son voisin.
L'administration appartient à un conseil souverain, formé de
vingt-quatre consuls, quatre par communauté. Ce conseil ou
sénat se réunit cinq fois par an, davantage même si c'est
nécessaire. A sa tête il place pour un temps, qu'il fixe, deux
syndics , dont les fonctions consistent à convoquer les as-
semblées et à gérer les affaires publiques. Au nombre des
modifications introduites dans l.i constitution de la répu-
blique, modifications qui ne sont que régulatiices des rap-
ANDORRE — AKDRADA
549
ports qu'elle entrelient avec les deux nations limitrophes ,
la France et TLspagne, mentionnons, en passant celles qui
ont trait à l'élection tles magistrats et à la cotisation annuelle
payée aux ileux puissances protectrices. Ainsi , les anciens
Iroits du comte de loix et de levéque d'irgel sont repré-
sentés de nos joiu-s par la France et l'Espagne dans la nomi-
nation des doux viguiers, qui sont chargés de rendre la jus-
tice et dont les fonctions sont entièrement gratuites. Celui
que nonnne l'évoque d'Lrgel ne peut être qu'un Andorran;
l'autre est im Français , auquel 1 investiture est donnée par
le préfet de l'Ariége. Celte charge est ordinairement dé-
volue au juge de paix du canton d'Ax. Quant aux rede-
vances que l'Andorre payait jadis au comte de Foix , elles
ont été transformées en une modeste taxe annuelle de 960
francs dont la république s'acquitte envers la France, et
moyennant laquelle elle est affranchie de tous droits de
douane , à l'entrée et à la sortie des grains, autres denrées,
bestiaux et mules dont elle fait un grand commerce.
Un des caractères dislinctife ùe cette démocratie patriar-
cale , qui dure depuis dix siècles, c'est la simplicité de son
administration politique , civile et judiciaire. Ses revenus
consistent dans le produit de la ferme des pâturages com-
nnmaux et d'mi impôt personnel et foncier presque insen-
sible. Le budget est ordinabemenî volé par le grand conseil
en une séance. Ses articles sont peu nombreux. Outre les
taxes annuelles payées à la France et à l'Espagne, on n'y voit
figurer que quelques minimes dépenses , comme l'entretien
des constructions publiques et des armes, la réparation des
meubles et de la garde-robe du grand conseil, les frais de
bureau et le traitement de deux ou trois modestes fonc-
tionnaires , au plus , les grandes fonctions étant toutes gra-
tuites. Le budget voté, la répailition entre les diverses
communautés en est immédiatement faite par le conseil sou-
verain. Si , dans l'intervalle des séances , qui ont toujours
lieu le dimanche ou jours fériés , le conseil perd un de ses
membres , la communauté à laquelle il appartient pourvoit
immédiatement à son remplacement sur le simple avis des
syndics. Les membres du grand conseil sont d'une exacti-
tude ponctuelle à leure réunions. Ils discutent peu, et sont
ordinairement unanimes dans leurs décisions..
Les travaux de radministration civile se bornent à consi-
gner les naissances , les mariages et les décès sur des re-
gistres spéciaux. Tout leur code civil ne s'étend guère au
delà de ces trois grands actes de la vie humaine. Ils sont
assez heureux pour ne connaître ni notaires , ni avoués , ni
avocats , ni huissiers, ni procédures, ni papier ti.Tibré ; pres-
que toutes les transactions y ont heu sur parole ; car les
mœurs y sont irréprochables et les propriétés religieusement
respectées. Rarement la répression légale devient nécessaire,
et alors encore la peine se réduit communément aux pro-
portions exiguës d'une correction de simple pohce. La jus-
tice civile est rendue en premier ressort pr.r les baijles ,
espèce de juges de paix. En cas d'appel on a recours à im
juge inamovible , pris alternativement en France et en Es-
pagne. Les causes criminelles sont jugées par les deux vi-
guiers, assistés de deux membres du coi'.seil souverain et du
juge inamovible dont il vient d'être question. L'ancienne
justice criminelle, qui punissait les deux plus grands crimes
du code andorran, le meurtre et la trahison, parle fouet,
l'envoi au bagne de Barcelone et le bannissement , est tom-
bée en désuétude, et la tradition ne conserve à cet égard
la mémoire que d'une seule application de la loi depuis des
siècles. Napoléon , traversant les Pyrénées pour se rendre
en Espagne, s'arrêta à .\ndorre ; il apposa sa signature au bas
de l'original de la grande charte, au-dessous de celle du
premier des Carlovingiens , et accepta les fonctions de pro-
tecteur delà république. Il lui promit même un code complet
des lois écrites. Les graves événements de son règne ne lui
ayant pas permis de tenir parole, les habitants y ont pourvu
en promulguant, en novembre 184G, un code, d'une grande
simplicité, comprenant en cent aiticles toutes les lois civiles
et criminelles des vallées et souverainetés de l'Andorre.
Parmi ces dernières , une disposition mérite d'être signa-
lée. Quand la pcùie de mort a été prononcée contre un ha-
bitant du pays, la sentence, pour être apphquée, doit être
raliliée par les vingt-quatre représentants des communautés
siégeant au conseil souverain convoqués spécialement à An-
dorre-la-Vieille. On emploie pour l'exécution de pareils ar-
rêts un n-.oyen tout à fait en rapport avec la nature du pays.
A peu de distance de la route de Catalogne, il existe un pré-
cipice affreux dont l'œil ne peut mesurer la profondeur. Le
condamné est conduit là , les yeux bandés ; et le bourreau
le précipite , en présence de tous , dans le silencieux abîme.
Malgré nos fréquentes commotions politiques, les Andor-
rans n'ont jamais manqué de renouveler chaque année les
témoignages de leurs bonnes relations avec nous. Ainsi trois
députés de la répubhque se rendent , au jour fixé , dans le
village français de Siguer, où ils sont accueillis par les
membres du conseil municipal , qui leur font prêter serment
de fidélité à la France.
La population d 'Andorre-la-Vieille , capitale de la répu-
blique, est de 2,000 âmes. Dans les parties basses seulement
on trouve des terres labourables et même des vignobles. Pos-
sesseurs surtout de belles forets et d'excellents pâturages ,
les Andorrans font , comme nous l'avons dit , un grand com-
merce de bestiaux , notamment de mulets. L'industrie , pour-
tant , ne leur est pas tout à fait étrangère : il y a une mine '
de fer à Ransol , et quatre forges à Encamp, à Ordino , à
Serra et à Caldès, qui possède, en outre, des eaux thermales
abondantes. La langue parlée est le catalan ; l'espagnol est
la seule écrite. ILs sont tous fervents catholiques.
La répubhque vit avec l'Europe entière dans une stricte
neutralité politique ; elle ne saurait être impliquée sous au-
cun rapport dans des guerres étrangères ; elle n'est assujettie
ni à des levées arbitraires d'argent, ni à des levées d'hommes
quelconques, tout citoyen possédant son fusil et étant de
droit soldat pour sa défense depuisseize ans jusqu'à soixante.
Un capitaine nommé pour un an par le conseil souverain
préside dans chaque communauté aux exercices militaires ,
et les viguiers seuls ont le droit d'appeler la nation aux
armes.
AA'DOUILLER. Voyez Bois (Zoologie).
ANDRADA. Ce nom a été porté par plusieurs Portu-
gais, dont les plus connus sont : Antonio (/'Andrada , mis-
sionnaire jésuite, né vers l'an 1580, mort en 1632, quipar-
courat l'Asie , et pénétra un des premiers dans le Thi-
bet ( 1624 ). Son voyage dans cette contrée panit à Lisbonne
en 1626, et fut traduit en français dès 1628. — Hyacinthe-
Freire de Andf.ada, né à Béjà, en 1597, mort en 1G57, abbé
de Sainte-Marie-des-Champs. Il est auteur de la Vie de
doti Juan de Castro , un des chefs-d'œuvre de la littérature
portugaise , et de plusiem's poésies latines pleines de grâce
et d'élégance.
De nos jours , ce nom a dû quelque illustration à trois
frères, José-Bon ifacio, Antonio-Carlos et Martin-Fran-
cisco DE Andrada, nés à Santos, dans la province brési-
lienne de San-Paolo , ayant fait leurs études à l'université
portugaise de Coimbre, s'étant distingués, le premier dans
les sciences naturelles et la poésie , le second dans la phi-
losophie et le droit, le troisième dans les mathématiques,
et ayant tous les trois joué des rôles importants dans les
événements qui ont amené l'indépendance du Brésil , la sé-
paration de cette ancienne colonie de sa métropole portu-
gaise, et le couronnemeiit de l'empereur don Pedro.
José-Boni(;icio , élu membre de l'Académie des Sciences
de Lisbonne, avait été choisi par elle pour parcourir les di-
vers États de l'Europe et y faire des études aux frais du
gouvernement portugais. 11 avait occupé à son retour phi-
sieurs postes importants, fondé une chaire de métallurgie
à Coimbre, une chaire de chimie à Lisbonne ; et combattu
650
ANDRADA — ANDRAL
contre les Français lors de l'invasion de la péninsule hispa-
nique. Rentre au Brésil en 1819, il s'était retiré dans sa
ville natale , malgré les efforts du roi Jean VI pour le rete-
nir près de lui , à Rio de Janeiro.
Sur ces entrefaites, Antonio-Carlos, compromis en 1817
à Pemambuco dans une conspiration libérale au moment où
il se disposait à aller représenter ses concitoyens au\ cortès
de Lisbonne , ne sortait des prisons de Rahia que pour pro-
clamer dans l'assemblée portugaise l'indépendance du Brésil
et demander ses passeports, quand on exigea son serment à
une constitution étrangère qu'il désavouait comme oppres-
sive pour sa patrie.
Cependant, en septembre 1821, arrivait à Rio de Janeiro
un décret des cortès, rappelant le prince don Pedro en Eu-
rope. A cette nouvelle, le fèu mal assoupi de l'indépendance
nationale éclata partout, et principalement à San-Paolo.
José-Bonifacio et Martin-Francisco dirigeaient le mouve-
ment populaire, et le l*"" janvier 1822 une députation de
Santos, conduite par le premier, remettait à don Pedro une
adresse rédigée par l'aîné des d'Andrada comme vice-pré-
sident du conseil municipal , pour conjurer, au nom de tous,
le prince royal de ne pas quitter le Brésil. Cédant à cette
pression et à un manifeste de la municipalité de Rio de Ja-
neiro, qui lui annonçait qu'aussitrtt après son départ le
Brésil proclamerait son indépendance, don Pedro se décida
à rester. Sept jours après il forma un nouveau ministère , et
plaça à sa tête José-Bonifacio , en lui contiant les porte-
feuilles de l'intérieur, de la justice et des affaires étrangères.
-■Martin-Francisco fut appelé au ministère des finances.
La séparation d'avec le Portugal ayant été arrêtée et le
manifeste de l'indépendance nationale brésilienne , œuvre de
José-Bonifacio, propagé à l'intérieur et au dehors, don Pedro
prit, le 27 septembre 1822, le titre d'empereur constitu-
tionnel et de défenseur perpétuel du Brésil. C'était surtout
sous l'influence active des d'Andrada que tous ces grands
événements s'étaient accomplis. Les ennemis de leur talent
et de leur patriotisme ne leur pardonnaient pas un succès
aussi prompt. La calomnie agit si bien, qu'elle leur eut bien-
tôt ravi la confiance du nouvel empereur, qui leur devait sa
couronne. Prévenus à temps, ils envoyèrent leur démission,
qui fut acceptée. INIais les murmures et les menaces du
peuple devinrent si énergiques, si significatifs, que cinq
jours après ils étaient glorieusement réintégrés à leurs postes.
Sur ces entrefaites , Antonio-Carlos , élu membre de l'as-
semblée nationale, était chargé par elle de formuler le ser-
ment qui devait assurer à don Pedro et à sa dynastie le trône
constitutionnel du Brésil.
Bientôt, cependant, attaqués avec un nouvel acharne-
ment par les chefs du parti portugais, leurs ennemis per-
:5onnels et ceux du Brésil , les d'Andrada quittèrent volon-
tairement une seconde fois le pouvoir, pour aller siéger à
l'assemblée sur les bancs les plus avancés de l'opposition.
Les nouveaux ministres , accusés , sur la motion d'Antonio-
Carlos , de mesures attentatoires à la liberté , furent mandés
à la barre. La chambre venait de se déclarer en permanence
le 11 novembre 1823, lorsque l'empereur, poussé à bout par
.son perfide entourage, fit entourer d'un cordon de troupes
la salle des séances et prononcer la dissolution des cortès.
Les d'Andrada ayant, avec d'autres députés, protesté contre
cette violence inconstitutionnelle, furent envoyés en France,
où ils résidèrent quelque temps à Talence, aux environs de
Bordeaux.
Ils étaient depuis plusieurs années de retour au Brésil,
lorsque éclata le soulèvement général, à la suite duquel don
l'edro, partant pour la France, fut forcé d'abdiquer en
faveur de son fils enfant, qu'il confia à José-Bonifacio,
riiouune le plus honnête et le plus savant qu'il connût,
disait-il, en l'investissant des fonctions de gouverneur et de
tuleur <lu jeune prince; mais l'assemblée des rcprésenlants
(cfusu de 'e reconnailre en cette double qualité; et ils ren-
trèrent tous trois alors dans la vie privée , étrangers dé-
sormais à toute ambition politique , et voués exclusivement
au culte des sciences. Là ils se sont successivement éteints,
en commençant par l'aîné, victimes déplorables de l'ingra-
titude des gouvernements et des peuples.
AJVDR AL. Deux médecins contemporains, le père et le
fils, ont porté ce nom avec éclat.
ANDRAL (Gcillalmk), né à Espédaillac (Lot), en 1769,
mort à Paris le 5 février 1853. Arrière-pelit-fils, fil,s et père
de médecin , digne représentant d'une ancienne famille qui
a fourni sans interruption sept générations de docteurs, lia
renouvelé un exemple qu'on ne retrouve, dans les annales
de la médecine , qu'aux époques primitives de l'art, au temp.s
d'ilippocrate , où le dépôt des connaissances médicales se
conservait exclusivement dans quelques familles; c'est un
véritable souvenir des Asclépiades, qui nous a été rendu au
dix-ntuvi.ème siècle. — Dès le commencement de sa car-
rière, M. Andral fut jeté dans la médecine militaire par les
preuiières guerres de la révolution : à vingt ans il était déjà
médecin de l'armée des Pyrénées-Orientales. En l'an VIII il
fut envoyé avec le même titre au camp d'Amiens, puis il
passa avec les troupes de ce camp en Toscane, où il rem-
plit les fonctions de médecin en chef de l'armée d'obser-
vation ; le peu de loisirs que la victoire lui laissait n'étaient
point perdus pour la science : il composa à cette époque
une notice sur les plantes grasses artilicielles et sur le Mu-
séum d'histoire naturelle de Florence; plus tard, à la disso-
lution de celle armée, M. Andral resta en exercice près des
troupes françaises stationnées en Élrurie , et les nombreux
services qu'il rendit dans ce poste lui valurent, en 1803, sa
nomination de médecin des Invalides.
Murât avait distingué M. Andral au quartier général de
Florence; quand il fut sur le trône de Naples, il l'appela
dans son royaume en 1809, et le nomma premier médecin
de la cour de Naples, médecin en chef de l'hôpital et de la
garde royale, inspecteur général du service de santé civil et
militab'e, et commandeur de l'ordre de Deux-Siciles ; la
santé de la princesse Caroline lui avait été spécialement
confiée quelque temps auparavant par Napoléon lui-même.
Dans le peu d'années qu'il resta à Naples, M. Andral vit
naître et mourir une dynastie. 11 partagea la mauvaise
comme la bonne fortune de son royal client. Quand la
reine de Naples défendit elle-même sa couronne les armes
à la main , elle lui donna la garde de ses enfants, et le
chargea de les conduire à Gaète. Les Anglais bloquèrent
bientôt cette place, et le médecin fut obligé cette fois de
faire la guerre. La résistance ne pouvait cependant être
longue : il fallut parlementer avec les Anglais. M. Andral
s'embarqua pour revenir en France : à Toulon, Murât lui
remit pour Napoléon des dépêches importantes : il était en
route quand il apprit la défaite de \Vaterloo.
Lorsque l'Académie de IMédecine fut organisée, la haute
position médicale de 31. Andral, les services réels qu'il
avait rendus dans la carrière où s'illustraient en même
temps Desgenettes et Larrey , quelques travaux lus dans
les sociétés savantes de France et d'Italie , et entre autres
un mémoire remarquable sur l'ictère, tels étaient les titres
qui lui assuraient une place dans cette assemblée. Plus tard
il était nommé médecin de la maison de Saint-Denis, mé-
decin consultant du roi Louis XVllI, et chevalier de la Lé-
gion d'Honneur. — En 1832, quand vintie choléra, M. An-
(Iral ne se relira pas de ce champ de bataille , moins
brillant et plus terrible que ceux où il avait autrefois
porté les secours de son art, il s'offrit poiu- être membre
de la commission sanitaire du premier aiiondissement ; et
alors on put encore apprécier son dévouement à la chose
publiqiie et son attachement inébranlable aux devoirs du
médecin. Il fut noiimié officier de la Legi>ju d'honneur au mois
de nisrs 1851.
ANDi'.AL ( Gaisuiei. ) , fils du précédent, no ù Paris, le
AÎS'DRAL — ANDRÉ
561
f. novembre 1797, passa II seconde partie de son enfance
en Italie, avec son père ; il termina ses études au lycée
Louis-le-Grand. En isai il était reçu docteur, et deux
années ne s'étaient pas écoulées qu'il était nommé membre
de l'Académie de Médecine et professeur agrégé à la Faculté
de Paris, après un brillant concours. A peine Agé de trente
ans, il occupait dans cette faculté la chaire de professeur
d'hygiène, il était chargé d'un senice dans un grand hôpi-
tal(la Pitié), il avait conquis une haute position de praticien,
et s'éfait fait déjà, par ses écrits, un nom dans le monde
médical.
La vie de M. Andral est toute dans ses ouvrages et dans
son enseignement. Le père a vécu surtout à une époque
agitée et fiévreuse où l'homme de l'art se servait plus du
bistouri ou même de l'épée que de la plume ; le fils appar-
tient à un temps de calme et de repos, où la science peut
poursuivre ]>aisiblement ses progrès incessants. Ses écrits
sont nombreux. 11 se fit connaître d'abord par plusieurs mé-
moires de thérapeutique, de médecine comparée, de patholo-
gie, etc.; puis parurent à peu près simultanément, de 1823
à 1831, la Clinique médicale et le Précis d'Anatomie pa-
thologique. Le premier de ces ouvrages , qui eut quatre
éditions, et qui est traduit dans presque toutes les langues ,
fit une Yéritable révolution : il ébranla les doctrines absolues
de Broussais, et ramena dan s les voies de la saine obsen^ation
les esprits que ce génie exclusif avait entraînés au delà des
limites du vrai ; dans le second M. Andral n'avait pour modèle
que le traité incomplet de Bailie ; il n'eut pas de peine à sur-
l.asser l'auteur anglais, et son livre est encore aujourd'hui
celui où Tanatomie pathologique peut être le mieux étudiée,
et qui est le plus estimé même en Angleterre. — Comme
écrivain, l'auteur de la Clinique s'était placé à la tête de
l'école française, qui, forte de l'impulsion donnée par Bi-
chat, Laennec, etc., régit le monde médical; mais ce qui
a popularisé surtout les doctrines de la Faculté de Paris-,
ce qui les répand et les vivifie en Angleterre , en Allemagne
et jusqu'en Amérique, ce qui a continué la supériorité re-
connue de notre école dans la médecine proprement dite,
c'est l'enseignement si fécond de M. Andral, qui, après
l'hygiène, a professé la pathologie interne ( de 1830 à 1838),
et qui depuis 1839 occupe la chaire de patliologie générale.
Le caractère saillant de ce dernier cours, c'est son univer-
salité : tantôt c'est un emprunt (ait aux sciences physiques,
c'est l'indication des nombreux points de contact des phé-
nomènes qui se découvrent dans le monde organisé avec
ceux que l'on observe dans le monde inorganique ; tantôt
c'est une application hardie et sage à la médecine des pro-
grès de la chimie moderne ; tantôt enfin im examen élo-
quent, à travers les siècles, des systèmes qui ont agité la
science, un retour au passé pour éclairer le présent et les
compléter l'un par l'autre.
Tant de travaux importants, auxquels il faut ajouter des
annotations à l'ouvrage de Laennec, dignes de l'immortel
inventeur de l'auscultation , et des recherches aussi neuves
qu'intéressantes sur les altérations du sang dans les ma-
ladies, l'éclat d'un double enseignement théorique et pra-
tique à la Faculté de Médecine, à l'hôpital de la Charité, ou-
vrirent à M. Andral les portes de l'Académie des Sciences :
il y entra en 1843.
M. Andral père était venu à Paris à pied et un bâton à la
main, comme Dupuytren, comme Boyer et Dubois, comme
plus d'un professeur actuel de la Faculté de Paris. Pour
M. Andral fils, les ressources paternelles, les profits d'une
clientèle promptement faite, son alliance avec la fille distin-
guée du doyen de nos publ'cistes et de nos philosophes,
Boyer-Collard, lui assurèrent de bonne heure cette indépen-
dance si nécessaire aux hommes de science. Médecin dex rois
et de l'ouvrier, des riches et du pauvre, membre de l'Ins-
titut etdc presque toutes les sociétés savantes, commandeur
de la Légion d'Honneur, jouissant en France et à l'étranger
(le la plus haute renommée scientifique, aimé comme homme
et admiré comme écrivain et comme professeur, M. Andral
occupe sans contredit, dans la sphère médicale, la position
la plus élevée; et cette position, en même temps qu'elle est
pour lui une récompense, est pour ceux qui le suivent dans
la carrière un encouragement, puisqu'elle est due unique-
ment à l'alliance d'un grand talent et d'un beau caractire.
D"^ Henri Roger, médecin des liApitaux.
ANDRÉ ( Saint), frère de saint Pierre, premier disciple
de Jésus-Christ. L'un et l'autre étaient de Belhsaide, et exer-
çaient la profession de pêcheurs à Capharnaùm. André s'at-
tacha d'abord à saint Jean-Baptiste; il fut le premier disciple
que se choisit Jésus-Christ, et assista aux noces de Cana,
quoique saint Épiphane dise le contraire. Les deux fi'ères
étaient occupés à pêclier lorsque le Sauveur leur promit de
les faire pécheurs d'hommes, s'ils voulaient le suivre. A
l'instant ils quittèrent leurs filets, et s'attachèrent irrévoca-
blement à sa personne. Jésus-Christ ayant formé l'année
suivante le collège des apôtres , ils furent placés à la tête
de leurs collègues , et eurent peu de temps après le bonheur
de recevoir leur divin maître cliez eux, à Caphainaiim.
André ne parait plus dans l'Évangile que pour indiquer les
cinq pains et les deux poissons dont cinq mille personnes
vont être miraculeusement nourries et pour interroger Jé-
sus-Christ sur l'époque de la ruine du temple. Les événe-
ments qui lui sont relatifs commencent à devenir incertains
après la mort de son maître. Il porta la lumière de l'Évan-
gile dans la Scythie et la Sogdiane, selon les uns, dans la
Grèce seulement, suivant d'autres ; l'opinion la plus générale
est qu'il fut crucifié à Patras, en Achaïe. Les peintres dessinent
sa croix d'une façon toute différente de celle de Jésus-Christ et
la représentent en forme d'X. Les Russes le vénèrent comme
l'apôtre qui lein* apporta la foi, et les Écossais comme le
patron de leur pays. Dans les premiers temps de l'Église,
on lui attribua faussement un Évangile. Les actes qui
portent son nom ne sont également pas de lui.
Deux autres saints sont connus sous ce même nom. Le
premier, né àAvelino, dans le royaume de Naples, en 1556,
et mort dans la capitale de ce royaume, en 1G08, fut cano-
nisé en 17 12 par le pape Clément XI. On a de lui des Œuvres
t /géologiques et morales, et des Lettres, qui ont été recueil-
lies, les premières en 5 vol., les autres en 2 vol. in-4", de
1732 à 1734. — Le second, qui était archevêque de Crète,
et qui mourut en 720, dans un monastère de Jérusalem, où
il s'était retiré, a laissé quelques ouvrages, publiés par le père
Combefis , avec ceux de saint Amphiloque ( 1C44, in-folio).
ANDRÉ (Ordre de SAINT- ), ordre russe, créé en 1698
par Pierre le Grand, en l'honneur de l'apôtre des Moscovites.
C'est le plus ancien, le plus estimé de tous ceux de ce pays,
où il n'est généralement accordé qu'à de hauts mérites, à
d'éclatantes actions, mais parfois aussi, il faut bien le dire, à
une faveur signalée. L'ordre de Saint-André, recherché en
public, n'est à la cour qu'une décoration de famille; les
princes du sang impérial le reçoivent à leur baptême, et le
collier en est offert à l'impératrice dans la solennité de son
couronnement. Sa mai que distinctive est une citàxen forme
d'X, émaillée d'azur, portant l'image du martyre de saint
André et surmontée d'une couronne impériale. Sur le revers
apparaît une aigle, aux ailes éployées, avec le nom du
saint, et ces mots en russe : Pour lafai et la fidélité. Le
collier se compose alternativement de la croix de l'ordre et
de la couronne impériale. En costume de ville, le ruban est
bleu, comme celui de l'ordre du Saint-Esprit.
ANDRÉ. Trois rois de Hongrie de la dynastie de»
Arpades ont porté ce nom.
ANDRÉ 1", compétiteur de PïeTre l", MV Allemand ,
dut se réfugier en Russie (1044). Rappelé trois ans après,
à la suite de l'expulsion de Pierre par les magnats, il régna
assez paisiblement jusqu'en lOCl. Quoique cousin de saint
Etienne, l'apôtre de la Hongrie, il n'était monté sur le
ss^
ANDRl
trône qu'à la condition de ne point favoriser les i^rogrès du
christianisme et de respecter l'ancien culte païen de ses
sujets. Il ne s'en déclara pas moins pour la nouvelle reli-
gion, et voulut la faire embrasser de vive force. Le mé-
contentement général qui en résulta le porta à essayer de
prendre des mesures pour assurer de son vivant la paisible
transmission de la royauté à son lils Salomon, qu'il fit
couronner, quoiqu'il n'eftt encore que cinq ans , et qu'il
eût été formellement stipulé que ce serait son frère Bêla qui
lui succéderait. 11 en résulta une guerre civile. Bêla appela
à son secours le roi de Pologne, et André 1*% fait prisonnier
dans une bataille décisive qui se livra bientôt après sur les
rives de la Tbeiss, mourut de chagrin et de misère après
avoir vu son frère le remplacer sur le trône dont il avait
voulu l'exclure.
ANDRÉ II, fils de Bêla III, surnommé le Iliérosohjmi-
tain, à cause de la valeur qu'il déploya dans une expédi-
tion en Terre Sainte, régna de 1205 à 1235. Au retour de la
croisade , il trouva son royaume dans le plus grand dé-
sordre, et, dans l'espoir d'y mettre un ternie, publia dans
la diète de 1222 sa fameuse Bulle d'or, acte qui ajoutait
encore aux privilèges déjà si nombreux de la noblesse et du
clergé.
ANDRÉ III, dernier roi de sa race, dit le Vénitien,
parce qu'il était né à Venise, d'Etienne de Hongrie, fils pos-
thume d'André II et de Thomassine Morasini , succéda à
Ladislas III, et régna de 1290 à 1300. Il eut pour concur-
rent au trône Charles-Martel, fils de Charles II, roi de
Naples , avec qui, de guerre lasse, il fut obligé de partager
la Hongrie.
Un autre André, roi de Hongrie, fils de Charles II, et
frère de Louis le Grand, ne régna que peu de temps. Il
n'avait encore que dix-neuf ans lorsqu'il mourut (1345),
étranglé par les amants de sa femme, Jeanue, tille de Robert,
roi c!e Naples.
AiVDRÉ (Yves) naquit à Châteaulin, près deQuimper,
le 22 mai 1G75. Le 13 décembre 1693 il entra chez les jésui-
tes. Pendant ses études de théologie au collège de Clermont,
aujourd'hui Lycée Louis-le-Grand, à Paris, il se mit en rela-
tion avec IMalebranclie , dont il adopta les opinions ; ce qui
lui attira de longues tracasseries, et parait 1 avoir fait re-
léguer successivement à La Flèche, à Hesdin, à Amiens, à
Rouen , à Alençon , à Arras , encore à Amiens , et enfin ,
vers 1726 ou 1729, à Caen, comme professeur de mathé-
matiques. Il cessa d'enseigner en 1759, et mourut dans cette
ville, le 22 février 1764, âgé de quatre-vingt-neuf ans.
Eu 1741 il avait publié un Essai sur le Beau, composé
de quatre traités ou discours, sur le beau en général et en
'particulier ; sur le beau visible&i?,nx le beau dans les
mœurs; sur le beau dans les pièces d'esprit; sur le beau
viusical. Vingt-deux ans après, 1763, il en donna une se-
conde édition, augmentée de six discours, sur la mode, sur
le décorum, sur les grâces, sur l'amour du beau ou le
pouvoir de l'amour du beau, sur le cœur humain , sur
Yamour désintéressé. Tous les discours de YEssai sur le
Beau avaient été lus à l'Académie de Caen. Ceux qui aiment
le style académique le trouveront dans cet ouvrage avec des
finesses et une élégance rares. Les deux discours sur Ya-
mour désintéressé, qui le terminent, furent écrits pour
prouver que l'amour pur doit être ré^lé par la raisou , et
non par le plaisir ; ce qui est vrai. Mais c'est à tort que
Bossuet et Malebranche sont accusés d'enseigner le con-
traire , et s'ils avaient encore vécu , ils auraient été bien
étonnés de s'entendre traiter d'épicuriens.
En 1766 parurent, par les soins de l'abbé Guyot, 4 vo-
lumes d'œuvres posthumes. Les deux premiers contiennent
nn Traité de l'homme selon les différentes merveilles qui
le composent. Ce sont dix-huit discours pareillement lus à
l'Académie de Caen. Ils roulent sur le corps, l'àme, l'union
de l'àme avec le corps, l'homme en société, la libcrlé, la
ANDREiE
parole , la mémoire , les passions , les sens , la raison , la
nature des idées, le raisonnement, la conscience, l'iiabitufle.
Dans les deux derniers volumes se trouvent quel<]ues dis-
cours sur des sujets analogues , entre autres , sur l'idée de
Dieu, sur la nature de l'entendement divin, sur la nature
de la volonté de Dieu. Presque partout André cherche à
développer les idées de Malebranche touchant la présence
de la sagesse divine dans l'onivers ou les merveilles des
cr&itures, et à peindre en détail ce que Malebranche avait
jeté à grands traits dans ses Entretiens sur la Métaphy-
sique et sur la Religioii.
Sous le titre à'Œuvres philosophiqxies du père André,
M. Cousin a réimprimé Y Essai sur le Beau et onze discours
choisis dans les œuvres posthmnes. Le tout est précédé d'une
introduction où il analyse des manuscrits récemment décou-
verts par MM. Leglay, Jlancel, Trébutien, et Leflaguaià,
MM. Charma et Mancel ont publié en 1858 la correspon-
dance d'André avec Malebranche , Fontenelle et d'autres
personnages importants. La vie inédite de Malebranche,
qu'.André avait composée, n'a pu être retrouvée; on croit
cependant qu'elle existe encore. André était plutôt un
homme d'esprit qu'un penseur. Bordas-Demoulin.
AI\DîlE (Noël, dit le p.ère ). Voyez Chrysologue.
AIVDRÉ (Le petit père). Voyez Bolllanger.
AiXDRÉ (Jean), né en 1062 à Paris, et mort en 1753
dans la même ville, entra de bonne heure dans l'ordre des
dominicains; ce qui ne l'empôcha point de cultiver la pein-
ture àRome sous Carie Maratte. Le couvent de son ordre à
Lyon avait de lui un immense tableau représentant Jésus-
Christ citez le Pharisien, et le couvent des Lazaristes de
Paris, Saint Vincent préchant aux pauvres. A Bordeaux
on voyait de lui dans le couvent de son ordre deux grandes
toiles, Les î\lo(es de Cana et La Multiplication des pains.
Ai^DllÉ (CHArvLEs),néà Langrcs, en 1722, et longtemps
perruquier à Paris , pisse bien à tort pour l'auteur dune
tragédie, dont le véritable père était l'une de ses pratiques,
du nom de Dampierre. Elle avait pour titre : Le Tremble-
ment de terre de Lisbonne (Paris, 1756, in-8°), et le
prétendu auteur la dédiait à Voltaire, qu'il appelait « Mon-
sieur et cher confrère; » ce qui prêta beaucoup à rire aux
plaisants de l'époque.
Autres temps, autres mœurs! Aujourd'hui le meilleur
poète ro;«fln que possède la France, Jasmin, naît coiffeur
et poète, a le bon esprit de rester poêle et coiffeur, met à
leur place les mauvais plaisants, titrés ou non, et n'a nulle-
ment besoin de collaborateurs pour ses ouvrages,
AÎVDRÉ (Jean, dit le Major), né en Angleterre en 1741,
était aide de camp de sir Henri Clinton et adjudant général
de l'armée anglaise pendant la guerre de l'indépendance da
l'Amérique. Envoyé à Ar no Id pour s'entendre avec lui, il
fut pris le 23 septembre 1780, jugé et pendu comme espion
le 2 octobre. Il mourut avec courage, et un monunienl lui
a été érigé dans l'abbaye de Westminster. Z.
A?«DRÉ DEL SARTO. Voyez Sakto.
ANDREA. Voyez Anderson.
AIXDREiï]. Ce nom a été illustré en Allemagne par un
théologien d'une haute influence et par un pcëte original ,
son petit-fils.
Jacques Andre-î:, naquit le 25 mars 1528, à "Waiblingen,
en Wurtemberg , d'un père forgeron. Il avait d'abord lui-
même appris le métier de charpentier, qu'il abandonna pour
étudier la philosophie , la théologie et les langues à Stutt-
gard et à Tubiugen. Attaché, peu de temps après avoir- ter-
miné ses études théologiques, à la personne du duc de Wur-
temberg, il prit, à partir de 1557 jusqu'au moinent de sa
mort, arrivée en 1590, unepart importante à toutes les affaires
des protestants en Allemagne, publia plus de cent cinquante
écrits qui ont encore aujourd'hui ime valeur réelle pour
celui qui désire connaître l'histoire de cette grande époque,
et fut un des auteurs de la cit\i:hv& J'ormulc de concorde
ANDRE.^ — ANDRIEUX
553
rétlijîêo en 1577 dans le monastère de Borgon, comme traité
de pacification entre les divers partis divergents.
Jean-Valentin Andreic, l'un des écrivains allemands
les plus originaux du seizième siècle, appelé par llerder la
rose qui fleurit au milieu des c/ianlous, naquit à Herren-
berg, en Wurtemberg, l'an 1 jSG. Après avoir tait ses études
à Tubingne, voyagé en Allemagne, en Suisse, en Italie, en
France, il fut successivement revêtu de diverses fonctions
religieuses. Surintendant général, et abbé d'Adelsberg, pro-
fondément atlligé de voir les jirincipes de la religion chré-
tienne servir d'aliment aux vaines discussions de la théo-
logie , et la science en proie à la vanité , il s'occupa sans
rchlche des moyens de ramener l'une et l'autre à leur vé-
ritable destination, la morale et la bienfaisance. On ne sait
pas au juste s'il fut le fondateur ou seulement le régéné-
rateur de l'ordre des rose-croix , mais on no peut lui
contester une certaine tendance au mysticisme. Quoi qu'il
en soit , Andreae était sans contredit un homme d'esprit et
de courage , qui joignait à une érudition peu commune un
zèle brûlant pour le bien et la vérité. Constamment il pour-
suivit' le vice dans tous les rangs do la société , tantôt sous
le voile diaphane de la plaisanterie , tantôt armé d'une sé-
vérité extrême et le foudroyant de ses sarcasmes amers. Il
a beaucoup écrit, et le plus souvent dans un langage bizarre.
Ses ouvrages, qui ne sont en général que de courts et mor-
dants pamphlets, ne s'élèvent pas à moins de cent, parmi
lesquels nous citerons en première ligne son Menippus, son
Satijricorum Dialogorum Centuria, collection de cent dia-
logues pétillants de malice, de gaieté, pleins de bonnes et
utiles vérités épigrammatiquement présentées. Herder, dans
ses Zerstreuten Blattern ( 5"^ volume ) , a traduit quel-
ques passages de la Mythologia Christiana d'Andreœ. On
a sa vie écrite par lui-même ( édition de Winterthur, 1799 ) ;
et Hossbach a publié sur lui et son siècle un ouvrage plein
de faits curieux. Prédicateur de la cour de Stuttgard de-
puis 1639, il y mourut revêtu de cette dignité, le 27 juin 1G54.
AXDKÉOSSY (François), né à Paris, en 1633 et
mort en 16S8, à Castelnaudary, mathématicien et ingénieur,
est regardé maintenant comme le premier auteur du canal
de Languedoc, malgié l'opinion contraire du maréchal de
Vauban, de d'Aguesseau, Basville, Ilezons, intendants de la
province, de Colbert, sous le ministère duquel s'exécuta ce
magnifique ouvrage, malgré la voix publique, malgré la
tradition, malgré l'inscription de 1667, gravée sur l'écluse de
Toulouse , où Riquet est représenté comme l'inventeur du
projet. Cette gloire en effet semblait être assurée à R i q uet,
lorsqu'un officier général , distingué par ses connaissances ,
ses talents et le rang qu'il occupait, vint la lui disputer et
la réclamer pour son bisaïeul ( Voye:^ l'article suivant). 11
publia à ce sujet diverses pièces dans son Histoire du
Canal du Midi. VHistoire du Canal du Languedoc par
M. de Caraman traite aussi de cette question , qui se trouve
approfondie enfin dans l'Histoire du Corps du Génie, par
M. Allent. On doit encore à François Andréossy une carte du
canal de Languedoc (3 feuilles in-folio, 1669). Cet ingénieur
était d'une famille originaire d'Italie. 11 voyagea dans ce pays
pour perfectiormer ses connaissances en hydraulique, et de-
vint directeur particulier du canal après la mort de Riquet.
AIVDREOSSY (Antoine-François, comte), général
français , arrière-petit-fils du précédent, né à Castelnau-
dary, le C mars 1761, et mort à Montauban, le 16 sep-
tembre 1828, était lieutenant d'artillerie en 1781, et .se
distingua en cette qualité au siège de Mantoue dans le com-
mandement d'une chaloupe canonnière , et plus tard lors
de l'expédition d'Egypte , époque à laquelle il se (it con-
naître par plusieurs écrits sur les mathématiques , et devint
membre de l'Institut national du Caire. Après le traité d'A-
miens , il fut nommé ambassadeur à Londres, ensuite 'a
Vienne, puis enfin à Constanlino[»le. En 1S14 le roi le
rappela de ce poste. Pendant les cent-joivrs il reprit du
DICT. UE LA CO.NVEIl-^^ATIO.N. — T. 1.
service sous Napoléon, et fut l'un des commissaires envoyés
;\ la rencontre des alliés. Depuis , nommé membre de l'A-
cadémie des Sciences, il se condamna, à leur profit, à la
plus profonde retraite, dont il ne se décida à sortir que pour
aller représenter le département de l'Aude à la Chambre
des Députés. Outre son Histoire du Canal du Midi, on lui
doit plusieurs ouvrages importants, parmi lesquels nous
citerons particulièrement un Voyage à l'embouchure de la
mer Noire ; un Essai sur le tir des projectiles creux; un
Mémoire sur la direction générale des subsistances mi-
litaires, et un autre sur les Marchés Ouvrard.
AIVDRIEUX (Bertrand), graveur en médailles, né à
Bordeaux en 1761, et mort à Paris en 1822, est regardé
comme le restaurateur de cet art, fort déchu depuis le règne
de Louis XFV. 11 était membre de l'Académie des Beaux-
Arts de Vienne, graveur du cabinet- du roi, chevalier de
l'ordre de Saint-INIichel. On lui doit la plupart des médailles
frappées sous les premières années de la restauration , di-
vers modèles de billets de la banque de France, et une foule
de vignettes qui ont enrichi la typographie. Pendant qua-
rante ans on a vu sortir de son burin , aussi fécond que
brillant, de nombreuses productions, qui ont pris rang parmi
les chefs-d'œuvre de la numismatique , et dont le musée
monétaire et la Bibliothèque Impériale se sont enrichis.
AIVDRIEUX (François-Guillaume-Jean-Stanislas),
l'un des quarante de l'Académie Française , né à Strasbourg,
le 6 mai 1759, après avoir fini ses études à l'âge de dix-
sept ans , fut placé par ses parents chez un procureur, où il
s'appliqua sérieusement à l'étude du droit et de la jurispru-
dence. Il avait prêté son serment d'avocat en 1 78 1 , et se
préparait à soutenir sa thèse de docteur , lorsqu'on lui pro-
posa de l'attacher au duc d'Uzès en qualité de secrétaire.
Il accepta ; mais , sentant que cette existence précaiie ne
pouvait lui convenir, il reprit son stage vers la fin de 1785,
et allait être inscrit en 1789 au tableau des avocats, lorsque
l'ordre fut dissous par les événements de la révolution.
Devenu successivement chef de bureau à la liquidation
générale, juge à la cour de cassation, député au corps
législatif et membre du tribunat, d'où il fut éliminé pour
son indépendance , il porta dans ses différents emplois de
l'exactitude, du zèle, de l'intelligence, l'amour de ses de-
voirs , et , comme il le dit lui-même , la volonté constante
de faire le bien. Il remplit des fonctions importantes , qu'il
n'avait souvent ni désirées ni demandées, et qu'il ne regretta
point, et il en sortit aussi pauvre qu'il y était entré, n'ayant
pas cru qu'il lui fut permis d'en faire des moyens de fortune
et d'avancement. Voué , depuis, entièrement à l'étude des
lettres , qui lui avaient valu déjà de doux loisirs , et à la
France im conteur et un poète dramatique de premier
ordre , il professa pendant douze ans la grammaire et les
belles-lettres à l'École Polyteclmique , et , sur la présenta-
tion du Collège de France, de l'Académie Française et du
ministre de l'intérieur, il fut nommé en 1814 à la chaire de
littérature française au Collège de France , où de nombreux
auditeurs n'ont jamais cessé d'applaudir à ce choix. On a
dit de lui ingénieusement que, malgré la faiblesse de sa voix,
il parvenait à se faire entendre à force de se faire écouter. Il
devint en 1829 secrétaire perpétuel de l'Académie Française.
A sa joUe comédie des Etourdis , qui a opéré en Fiance
le retour du bon goût et sur la scène celui du vrai comique^
il faut ajouter Anaximandrc, la Suite du Menteur, Mo-
lière avec ses ainis, le Trésor, le Vieux Fat, la Comé-
dienne et le Manteau, qui se trouvent avec quelques autres
ouvrages dramatiques, une Notice sur lavieet lesouvrages
de Cotliii d'IIarleville, une Dissertation sur le Promé-
thée enchaîné d'Eschyle, des Fables , des Contes et des
Poésies Jugilives, dans le recueil de ses œuvres, publiées
en ISQ.!, en 6 vol. in-18.
La musc aimable de M. Andrieux semble être inspirée
par les Grâces , qu'il a si bien peintes dans sa comédis
7a
AiNDRIEUX — A^^DROCLES
<yAnax'imandre. On peut iltrc que ccl hommage lui a porté
bonlieur, et (juY'llcs l'ont pris sous sa protection. C'est un
ÀG nos auteurs (lui ont le mieux paré (le tons les charmes
de l'esprit les conseils de la raison , conseils qui ont une
double force quand ils sortent de la bouche d'un homme
joignant l'exemple au précepte. Beaucoup d'actes de sa vie
doivent être ajoutés à ses écrits conmie honorant également
sa mémoire. Nous nous contenterons de consigner ici qu'il a
contribué, en grande partie, à l'adoption, dans les mines
d'Anzin, de la fameuse lampe de Duvy, qui a préservé les
malheureux ouvriers de tant de désastres. — M. Andrieux
futuni d'wne étroite amitié avec CoUind'Harleville et Picard,
ses rivaux de talent et de gloire. 11 est mort à Paris, le
10 mai 1833.
AA^DRIXOPLE ( en turc Edrench ), la seconde capitale
de l'empire olhoman , dans l'ancienne Thrcice , aujourd'hui
Romnéiie, à 177 kilom. nord-ouest de Constanlinoplc , fut
fondée par l'empereur Adrien, sur la rive droite de l'Hi'brus
(aujourd'hui Maritza}, rivière navigable à l'endroit où s'é-
levait précédemment Uscadamali. Ce prince lui donna son
nom (Adrianopolis), et en fit la capitale de la province
Hœmi Mons. Pour lui donner l'apparence d'une origine
grecque, les écrivains byzantins la nomment Arestia ou
Arestias. Bâtie, comme Rome, sur sept collines p(îu élevées,
elle n'a guère moins d'étendue eue Constantinople ; parmi
ses 80,000 habitants on compte 20,000 Grecs placés sous
l'autorité d'un archevêque. Elle contient deux sérails (palais),
quarante mosquées , dont les plus magnitiques sont celles
de Sélim II et de Mourad II, vingt-quatre viédrcsses
( écoles supérieures ), un aqueduc et vingt-deux bains ; quatre
cent cinquante beaux jardins bordent les rives de la Ma-
ritza, et le village de Uisekcl, situé à peu de distance de là,
est un véritable jardin de roses. Cette ville possè le d'impor-
tantes fabriques de laine et de soie, et fait en outre un
commerce considérable d'opium et d'huile de roses. La
meilleure qu'on connaisse est, en effet, celle qui se prépare
dans ses environs.
Fortifiée avec soin, Andrinople résista, au quatrième siècle,
aux attaques dont elle fut l'objet de la part des Gollis. Prise
en 1360 par le sultan Mourad l", elle servit de résidence
aux souverains turcs jusqu'à ce qu'ils fussent maîtres de
Constantinople. Un incendie a dévoré son palais en 1858.
Pendant la guerre de 1829 entre les Turcs et les Russes ,
Andrinople, quoique bien fortiflée et occupée par une gar-
nison nombreuse, fut prise sans la moindre résistance, le 20
août, par le général piebitsch. Cet important succès de
l'armée russe força enfm le sultan Mahmoud à accéder à
des négociations pour la paix , qui, par les conseils des au-
tres puissances, mais surtout grâce aux dispositions toutes
pacifiques de l'empereur de Russie , Nicolas, dont le roi de
Prusse se porta l'interprète par l'entremise de son envoyé, le
lieutenant général de Muflling, aboutirent, le 14 septembre,
à la conclusion d'un traité de paix définitive auquel les con-
ventions de Boukarest et d'Akjermann servirent de
base. En vertu de l'article 16 de ce traité, la Porte recouvra
la Valachie et la Moldavie, ainsi que toutes les conquêtes
laites par les Russes en Bulgarie et en Roamélie. Le Prutli
et la rive droite du Danube à partir de son embouchure
servirent de ligne de démarcation en Europe aux posses-
sions respectives des deux parties contractantes, en même
temps que les Russes gardaient les territoire^ et places
dont ils s'étaient emparés en Asie. Les Russes obtinrent
en outre le droit de commercer librement dans toutes les
parties de l'empire ottoman, la libre navigation du Danube,
de la mer Noire cl de la Méditerranée et, comme toutes
les puissances amies de la Porte, le libre passage deà Dar-
danelles. Les constitutions de la Servie, de la Valachie et de
la Moldavie reçurent un caractère indépendant ; et la Porte
reconnut l'existence politique de la Grèce. Une indemnité de
1.500,000 ducats fut accordée à la Russie pour les dilfércntes
pertfs qu'elle avait éprouvées depuis 1800; une autrui in-
demnité, de dix millions de ducats , qui avait été stipulée
pour rembourser à cette puissance les frais de la guerre,
fut postérieurement réduite à sept millions. La paix d'An-
drinople contribua à consolider l'influence de la Russie à
Constantinople, de même que sa prépondérance dans l'est
de l'Europe et dans l'Asie centrale. *
AIVDRISCUS. Quinze ou seize ans après la défaite et
la prise de Persée, dernier roi de Macéiloine, un individu
nommé Andriscus, né à Adramyttium, ville de l'Asie Mi-
neure, s'avisa de se faire passer pour un fils de ce prince,
né d'une concubine , et prit le nom de Philippe. Comptant
sur .sa ressemblance avec celui qu'U disait être son père , il
entra dans la Macédoine, alors tributaire de Rome, espé-
rant en soulever les peuples. Trompé dans cette espérance,
il se réfugia près de Démétrius Soter, roi de Syrie, qui avait
épousé une sœur de Persée. Mais son imposture ayant été
reconnue, il fut livré aux Romains, qui le mirent en prison.
Bientôt la négligence de ses gardes lui ayant fourni l'oc-
casion de s'échapper, il parvint à se réfugier en Thrace ,
où il réussit à se faire des partisans et à lever une forte
armée, à la tète de laquelle il attaqua la Macédoine , alors
dégarnie de troupes, s'en rendit maître et s'y fit reconnaître
roi. Bientôt même il songea à s'agrandir, et, profitant de
ses premiers succès, attaqua la Thessahe, qu'il conquit en
partie. Rome avait déjà l'éveil ; aussi un commissaire du
sénat, Scipion Nasica, arrivé sur les lieux, réunit promp-
tement des troupes, et refoula Andriscus en Macédoine. La
môme année (de Rome 598), le préteur Juventius Thalna
fut envoyé d'Italie pour soumettre de nouveau la Macé-
doine. Présomptueux et ignorant, Juventius se fit battre et
tuer ; son armée fut dispersée , et Andriscus recouvra ses
conquêtes. Les Romains songèrent alors à frapper de ce côté
un coup décisif : ils lui dépêchèrent Cœcilius Méte 11 us, qui,
non .sans éprouver une énergique résistance , le battit deux
fois et le contraignit à chercher un asile auprès d'un des
princes de Thrace, qui commit la lâcheté de le livrer au
préteur romain. Conduit à Rome, il y fut mis à mort.
AIVDRO ou ANDROS, île de l'Archipel grec, la plus
septentrionale des Cyclades, par 22° 40' long, est et 37°
50' latit. nord , est séparée de la côte méridionale de l'île
d'Eubée ou de Négrepont par le canal de Silota. Elle a en-
viron 1 50 kilomètres de tour et quatre myriamètres carrés
de superficie. Ses 15,000 habitants, répartis en quarante
villages, sont en possession de fournir aux Européens
établis à Constantinople, à Smyrne et autres villes du Levant,
des serviteurs des deux sexes. Andro est couverte de mon-
tagnes ; ses plaines et ses vallées sont fertiles en vin, en blé,
en huile , en soie , en oranges et autres fruits. Il y a aussi
de bons pâturages et beaucoup de ruches. Le chef-lieu de l'île,
qui porte le même nom , est le siège d'un évêché, et compte
5,000 habitants. Pourvue d'une bonne rade et d'un petit
port , cette ville, située sur la côte orientale de l'île , est le
centre dun commerce actif.
ANDROCLÈS. Voici une bien vieille histoire, que
d'année en année se passent toutes les Morales en action
qui s'impriment en France et à l'étranger. Elle charmera
nos petits-fils , comme elle a charmé nos grands-pères. C'est
sur la foi d'Api on qu'un de ces honnêtes recueils raconte
l'aventure. On la trouve, dit-il, dans le cinquième livre des
mémoires de cet écrivain sur l'Egypte : .Egyptiaca. Malheu-
reusement si nous connaissons beaucoup Apion, sur la foi
de tous les biographes , il faut avouer qu'il n'en est pas de
même de ses livres , q\ie tous les biographes disent perdus.
A son défaut, Aulu-Gelle vient heureusement à notre aide;
Aulu-Gelle ramasse, comme on sait, beaucoup de fragments
d'auteurs anciens, et aulivTe V , ch. 14, de son recueil , nous
découvrons le récit attribué à Apion sur Androclès. Le voici ;
mais d'aboid prévenons clinritablement nos lecteurs qu'A-
pion était si vantard , si fanfaron , si menteur, que Tibcre
ANDROCLÈS
le traitatt sans pitié de cymbale retentissante (ctjmbalitm
inundi). Toutelois notre narrateur invoque ici une circons-
tance décisive en sa faveur : il n'a lu ni entendu raconter le
trait en question ; il en a été témoin à Rome. A la bonne
heure ! Voilà ce qui s'appelle parier. Lisons et croyons :
« On allait donner au Ciriiue le spectacle d'un grand
combat d'animaux, dit Aulu-Gelle, ou plutôt Apion. J'y
cours. Les barrières levées , Taréne se couvre d'animaux
haletants , monstres furieux , d'une taille et d'une férocité
extraordinaires. On voyait surtout bondir de gigantesques
lions , et l'un d'eux attirait plus particulièrement les regards
par sa stature, ses élans vigoureux, ses muscles gonflés ,
sa crinière flottante et ses sourds mugissements. Un fré-
missanent mianime parcourut tous les gradins à sa vue.
Parmi les malheureux condamnés à disputer leur vie à la
rage de ces animaux affamés, s'avan(,ait un certain Andio-
clès , qui avait été autrefois en Afrique esclave d'un pro-
consul. Dès que !e lion l'aperçut, il s'arrêta stupéfait, marcha
à lui d'un air bienveillant et soumis , agita sa (lueue comme
un chien qui retrouve son maître, entoura de ses moelleux
replis l'homme à demi mort de frayeur, et lécha humble-
ment ses pieds et ses mains. Les caresses de l'horrible
animal rappelèrent Androclès à la vie ; ses yeux éteints
s'entr'ouvrirent peu à peu ; ils rencontrèrent ceux du lion.
Alors s'oi)éra miraculeusement entre la victime et le roi des
forêts une de ces reconnaissances inattendues que nul ne
comprend; et ils échangèrent les témoignages les plus
sympatiiiques de joie , de bonheur, d'attachement sincère.
<t Et Rome entière à ce spectacle poussa des cris d'ad-
miration , et César appela l'esclave, et lui dit : « Pourquoi
es-tu le seul que la fureur de ce lion ait épargné? » —
« Voici mon aventure , seigneur, lui répondit Androclès.
Pendant que mon maître gouvernait l'Afrique en qualité de
proconsul, les traitements injustes et cruels auNquels j'étais
en butte de sa part me déterminèrent à prendre la fuite.
Pour échapper aux poursuites du dominateur du pays, je
m'enfonçai dans le désert. Les arJeurs mtolorables du soleil
parvenu au milieu de sa carrière me tirent chercher une
retraite : j'avisai un antre profond et ténébreux ; mais à
peine y étais-je entré , que je vis venir à moi ce lion , qui
s'appuyait douloureusement sur sa patte ensanglantée. La
violence de sa douleur lui arrachait d'affreux rugissements.
L'aspect de cet animal féroce me glaçA d'abord d'épou-
vante; mais à peine m'eut-il aperçu, qu'il s'avança vers
moi avec douceur, me montra sa blessure, et parut implorer
mon assistance. J'arrachai une grosse épine enfoncée entre
ses griffes ; j'osai même presser sa plaie et en exprimer
tout le sang corrompu qu'elle contenait, puis je la lavai
soigneusement. Le lion, soulagé, se coucha à mes pieds, et
s'endormit profondément. Depuis , nous avons vécu trois
ans en bonne intelligence dans cette caverne; il s'était
chargé de ma nourriture ; il allait à la chasse pour nous
deux, et m'apportait les meilleurs morceaux, que je faisais
rôtir aux rayons brûlants du soleil. Las pourtant de ce
genre de vie, je résolus un jour de m'y soustraire, et,
profitant d'un moment où il était allé chasser, je m'éloignai
de la caverne , et tombai , après trois jours de marche ,
entre les mains des soldats. Ramené d'Afrique à Rome, je
comparus devant mon maître , qui me condamna à être
dévoré. Mon vieil ami, plus reconnaissant que bien des
hommes, m'a reconnu. Vous savez, seigneur, le reste. »
« A ces mots l'enthousiasme de la foule éclata en cris
redoublés ; elle demanda la vie de l'esclave, elle demanda
qu'on lui rendît son lion ; ses va-ux turent exaucés , et
longtemps on vit dans la ville immortelle Androclès se pro-
mener tenant en laisse son libérateur, que les dames ro-
maines couvraient de fleurs sur son passage. »
Tel est ie récit d'Apion , ou plutôt d'Aulu-Gelle. 11 parais
sait fabuleux il y a trente ans. Grâce aux prodiges journa-
liers des Carters, des Van-Amburg et de tous les autres
- AINDROIDE sr>h
dompteurs d'animaux qui pullulent, il y aurait extrava-
gance aujourd'hui à refuser d'ajouter une foi complète à
cette simple et naïve historiette.
AiXDKOGYlVE (du grecàvr-p, àv5p6;, homme, et de
YUV7Î, femme). Ce terme s'emploie en zoologie pour dési-
gner certains animaux qui réunissent les deux sexes, mais
chez qui l'acte de la géuérafion ne peut cependant s'accom-
plir que par l'accouplement de deux individus qui se fé-
condent nuituellement, et c'est ce qui fait que Vandrogynisme
difi'ère de Vh ermaphrodisme. Ainsi les huîtres, les mou-
les , et en général les mollusques bivalves , qui semblent se
féconder eux-mêmes, sont hermaphrodites ; au contraire, les
univalves, tels que limaçons, buccins, cornets, bulinies,
cyprées, ou encore quelques annélides apodes, les sang-
sucs , les vers de terre sont androgynes. — lin botanique
on établit une division analo-îue en nommant androgynes
les plantes qui ont à la fois des fleurs m;\les et des fleurs
femelles sur le même individu , tandis que les plantes her-
maphrodites présentent les deux organes sexuels sur un
même périanthe : ce second cas est le plus fréquent ; on
trouve des exemples du premier dans le noyer et dans toutes
les plantes que Linné avait réunies d'après ce caractère , en
une seule classe , la monoécie.
Vandrogynisme constitue aussi un mythe de l'antiquité
dont on trouve des traces dans IMoise et dans Platon. Les
anciens imaginaient que l'honmie et la fennne, incomplets
aujourd'hui , et se cherchant l'un l'autre , ne foriuaient dans
le principe, qu'un môme être, double dans sa fornie, mais
unique dans son consentement et son activité , et que cet
être, séparé en deux postérieurenient à sa création première,
a par là domié lieu à l'espèce humaine telle qu'elle est
aujourd'hui. _
ANDROIDE (du grec àvi^p, àvôpo;, homme, et de slSor,
forme), automate à figure humaine, q\ii, au moyen de
ressorts , exécute quelques-unes des actions particulières à
l'homme.
Les poupées mécaniques qui courent autour d'une table,
en remuant la tête, les yeux, les mains, étaient des petits
androides communs chez les Grecs, d'où plus tard ils furent
apportés chez les Romains. De semblables figiuines ser-
vaient anciennement à faire des miracles; mais aujourd'hui
qu'on ne croit plus guère aux sorciers, ces innocents com-
plices des magiciens d'autrefois sont devenus des jouets
dont on amuse les enfants.
Le premier androïde qui ait acquis quelque célébrité
est attribué à Albert le Grand, qui non-seulement, dit-on,
lui avait octroyé le don du mouvement , mais môme celui
de la parole. On rapporte que Thomas d'A(xuin , en aper-
cevant cet automate, fut tellement effrayé, qu'il le brisa
en morceaux , ce qui arracha à Albert cette exclamation de
regret : Periit opiis triginta annorum !
Il paraîtrait que Descartes , voulant prouver démonstra-
tivement que les bêtes n'ont point d'ûme , avait construit
un automate auquel il avait donné la figure d'une jeuni!
fille, et qu'il l'appelait en plaisantant sa .////e Franchie.
Dans un voyage sur mer, on eut la curiosité d'ouvrir la
caisse dans laquelle Francinc était enfermée, et le capitaine,
surpris des mouvements de cette machine, qui se remuait
comme si elle eût été animée, la jeta dans la mer, craignant
que ce fût quelque instrument de magie.
Les plus parfaites et les plus célèbres ligures en ce genre
furent sans contredit le Auteur et le joueur de tambourin de
Vaucanson. Le premier de ces automates fut construit
et exposé à Paris, en 1738; il fut l'objet d'un mémoire que
l'auteur adressa à l'Académie des Sciences, mémoire qui lui
attira d'unanimes éloges. Nous ne placerons pas dans cet
article les détails du mécanisme ingénieux décrit par Vau-
canson (voir les Mémoires de l'Académie des Sciences,
1738); nous nous contenteroas de rappeler que le Auteur,
copié d'appcs une statue de Coysevox , exécuta-t divers
70.
556 ANDROÏDE —
morceaux de musique avec une étonnante perfection. Ce
clief-d'œuvre passa en Allemagne ; on en a lait beaucoup
d'imitations.
Vaucanson a été imité en apparence par un Hongrois , le
baron Wolfgang de Kempelen, qui construisit en 17C0 un
androïde joueur d'échecs. Apporté en 178:$ en Angleterre,
il y demeura exposé près d'un an , puis il fut acheté par
le grand Frédéric, et resta bientôt démonté et comme enfoui
dans un coin de son palais, jusqu'à ce que jS'apoléon, amené
par la victoire à Berlin, lit remonter la machine, et lutta
avec elle. Depuis cette époque , le joueur d'échecs a recom-
mencé ses voyages dans les diverses capitales d'Europe.
On a été longtemps sans comprendre le mécanisme de
ce dernier androïde. Les observateurs étaient convaincus
qu'une simple machine ne pouvait pratiquer un jeu qui est
entièrement du ressort de l'intelligence. Enfin, on sut plus
tard qu'un homme était caché dans la table sur laquelle
était posé l'échiquier; les pièces fortement aimantées fai-
Mient mouvoir de petites bascules en fer placées sous cette
table, et indiquaient au directeur le coup qui venait
d'être joué, coup qu'il reproduisait aussitôt sm- un échiquier
de voyage; puis, après avoir calculé sa riposte, il la
faisait exécuter par l'androïde , au moyen de ressorts qui
faisaient mouvoir les bras et les doigts du prétendu joueur.
De nos jours enfin , tout le monde a pu voir à Paris
deux androïdes fort curieux, appartenant à M. Côte; le
plus remarquable des deux exécutait sur le piano des airs
ravissants. Ce sont , comme ceux de Vaucanson , de véri-
tables automates, tandis que l'ouvrage du baron de Kem-
pelen, n'agissant que sous une impulsion étrangère, ne
mérite pas ce nom.
ANDROMAQUE, fille d'Éétion,roi de Thèbes, en
CiUcie, et femme d'Hector, fils de Priam. Sa beauté, ses
vertus , son amour conjugal et maternel ont été successive-
ment immortalisés par Homère, par Virgile et par Racine;
mais il ne faut pas toujours se fier aux poètes pour écrire
l'histoire. En vain Racine, dans sa belle tragédie, nous la
représente-t-il inébranlablement fidèle à son époux, alors
môme qu'il n'est plus ; nous la voyons, dans le partage dos
prisonniers qui a lieu après la prise de Troie, échoir à ce
même Pyrrhus auteur de tous ses maux, et qui vient de
faire précipiter son fils , son cher Astyanax, du haut d'une
tour. Elle le suit, toute résignée, en Épire, et se soustrait si
peu à ses embrassements , qu'elle lui donne bientôt trois
enfants pour remplacer l'orphelin qu'elle pleure et qu'il a
tué : à savoir : Molossus, Piélus et Pergame. Plus tard,
Pyrrhus lui-même s'en dégoûte, et il la passe à Hélénus,
frère d'Hector, dont elle a promptement un cinquième fils ,
Cestrinus. Suivant Pausanias, elle se serait réfugiée enfin
dans l'Asie Mineure, avec Pergame, le plus jeune des en-
fants qu'elle avait eus de Pyrrhus.
ANDROMÈDE, fille de Céphée, roi d'Ethiopie, et de
Cassiopée. La mère et la fille étaient d'une rare beauté. La
première ayant osé prétendre que la seconde surpassait en
beauté les Néréides, et même la reine des dieux, les diesses
offensées demandèrent vengeance à leur père , qui , après
avoir inondé les États de Céphée, suscita un affreux monstre
marin qui menaçait de tout détruire. L'oracle, consulté,
répondit que la colère de Neptune ne s'apaiserait que
lorsque Céphée exiKtserait sa fille à la voracité du monstre.
Les Éthiopiens le forcèrent d'exécuter la volonté du dieu ,
et l'innocente Andromède fut liée à un rocher. Persée, qui
revenait sur le cheval Pégase de son expédition contre les
Gorgones, aperçut Andromède, fut ému d'amour et de pitié,
et s'engagea à tuer le monstre si l'on voulait lui donner la
main de la princesse. Le père le lui ayant promis, il pétrifia
le monstre en lui montrant la tète de Méduse , et épousa
Andromède, dont il eut plusieurs enfants, entre autres Sthé-
lénus et Électnon. En mémoire des hauts faits de Persée,
Pallas changea Andromède en constellation.
ANDROUET
ANDROMÈDE (Astronomie), constellation de l'hé-
misphère boréal, comprenant vingt-sept étoiles visibles à
l'œil nu , les seules que Ptolémée ait connues. Depuis, et
avec les progrès de l'optique , leur nombre a été porté à
quarante-sept par Hevelius, et à soixante-six par Flam-
steed. La place qu'occupe cet ensemble d'étoiles présente
une heureuse concordance avec les faits mythologiques :
séparée de Céphée par la voie lactée , elle a la constellation
de Persée au-dessous de l'étoile y de son pied austral. Elle
est encore bornée par Cassiopée et par Pégase.
ANDRONIC I-IV, empereurs de Constantinople.
Voyez CoMNKNE et Paléologce.
ANDRONICIENS, hérétiques du deuxième siècle, ap-
partenant à la secte des sévériens. Suivant eux, la par-
tic supérieure des femmes était l'œuvre de Dieu , la partie
inférieure celle du diable.
ANDRONICUS LIVÎUS,le père de la poésie épique
et dramatique parmi les Romains , Grec rie naissance et
originaire , à ce qu'on suppose , de Tarente , fut plus tard
l'affranchi de Marcus Livius Salinator, dont il éleva, dit-
on , les enfants , et vécut vers le milieu du troisième siècle
avant J.-C. 11 composa d'après les modèles grecs , dans une
langue encore grossière et inculte, et en vers saturnins
faits d'après un vieux rhjlhme romain , outre une traduc-
tion de VOdyssée et quelques autres poésies épiques , un
grand nombre de tragédies, qui furent représentées à Rome.
Les fragments que nous en possédons ont été réunis dans
les collections d'Estienne et de Maltaire , ainsi que par
Bothe, dans ses Poetx scenici Latini (5 vol., Halber-
stadt, 1823), et publiées à part par Diinzer (Cologne, 1835).
Consultez Osann , De Livii Andronici Vita, dans les Ana-
lecta Critica (Berlin , 1816), et Dœllin, De Vita Livii An-
dronici (Dorpat, 1833).
ANDROPHORE ( du grec àv^p , àvôpô; , homme , et
de çôpo;, qui porte). Ce nom a été donné par quelques
botanistes aux faisceaux formés par la soudure des filets des
étamines entre eux. Suivant que ces filets sont groupés en
un , deux ou plusieurs androphores , les végétaux sont
raonadelphes , comme les m.alvacées , diadelphes , comme
presque toutes les légumineuses papilionacées , ou polya-
delphes , comme l'oranger et le ricin. — iM. de Mirbel em-
ploie aussi le mot androphore comme synonyme de Jilet
staminal.
ANDROUET (Jacques) , surnommé Du Cerceau, de
l'enseigne qui pendait à la porte de sa maison , savant ar-
chitecte protestant du seizième siècle. La Croix du Maine le
dit Parisien; d'autres biographes le font naître à Orléans.
Selon du Verdier, il habitait Montargis , où s'était retirée
la célèbre Renée de France , dont le château était devenu
l'asile des protestants persécutés. D'Angerville rapporte qu'il
fut au nombre des architectes français qui , à la demande
du cardinal d'Armagnac , obtinrent d'être envoyés en Italie
pour s'y perfectionner par l'étude des monuments antiques.
Lesauteursde la France protestante {consc\ei\c\e\i\Teca(A,
auquel nous empruntons les principaux matériaux de cet
article), pensent qu'il s'agit ici de son fils, qui portait
aussi le prénom de Jacques. Dès 1579 , dans la dédicace , à
Catherine de Médicis , de son second volume des plus ex-
cellents bâtiments de France, Androuet se plaint de ce
que la vieillesse ne lui permet plus de « faire telle diligence
qu'il eiit fait autrefois ». IMJL Haag pensent aussi que ce fut
le fils qui devint architecte de Henri II! (si tant est qu'il en
ait eu le titre officiel ), et que c'est lui qui , en cette qualité,
fut chargé en 1.^78 de la construction du Pont-Neuf à Paris.
La Croix du Maine est muet à cet égard ; mais un contem-
porain, l'Estoile, dit positivement dans son Journal de
Henri III : «En ce même mois (mai), à la faveur des
eaux qui alors commencèrent et jusquesà la Saint-Martin
continuèrent d'être fort basses , lut connnencé le Pont-Neuf,
de pierre de taille , qui conduit de Nesie à l'École de Saint-
ANDROUET — ANDUJAR
Gcmiain , soiis l'ordonnance du jeune du Cerceau. » Les
pierres civiles tirent sus|>endro ce prand travail, qui ne
fut' repris qu'en lOOi, sous la direction de Guillaume Mar-
chand.
Selon d'.Vngerville, Henri rv ayant chargé , en 1596,
Androuet de continuer la galerie du Louvtc , les troubles
religieux le forcèrent h quitter le royaume avant d'avoir
achevé cet ouvrage. L'Estoile sert encore à rectifier cet
anachronisme. « En ce temps-là, dit-il (décembre 1585),
beaucoup de la religion , pour sauver leurs biens et leurs
vies , se font catéchiser et retournent à la messe ;
d'autres va, de bas tenants, qui tiennent ferme et aban-
donnent tout. Fut de ce nombre André Cerceau , excellent
architecte du roi , lequel aima mieux quitter Tamitié du roi
et renoncer à ses promesses que d'aller à la messe, et,
après avoir laissé sa maison, qu'il avait nouvellement bâtie
au Pré-aux-Clercs , il prit congé du roi, le suppliant « ne
trouver mauvais qu'il fust aussi fidèle à Dieu qu'il l'avoit
été et le seroit toujours à sa majesté. «
Le château des Tuileries , avant que Henri IV songeât à
l'agrandir, n'était composé que du pavillon du milieu et des
deux corps de logis latéraux, avec terrasse sur le jardin,
chacun terminé par un pavillon. Du Cerceau douna le dessin
des augmentations, et en dirigea les travaux , à la suite des-
quels la façade se trouva telle qu'elle est aujourd'hui. On
commença aussi la grande galerie du Louvre , où l'œuvre
de Du Cerceau qui, selon d'Angerville , s'arrête au premier
avant-corps , présente une décoration formée de grands pi-
lastres composites accouplés , soutenant des frontons tour
à tour triangidaires et mi-circulaires. On doit encore pro-
bablement faire honneur au même architecte de la totalité ,
ou d'une grande partie au moins, des édifices qu'on attribue
à son père , tels que les hôtels de Carnavalet ( embelli des
sculptures de Jean Goujon) , des Fermes, deBretoiivilliers,
de Sully, de ]\Iayenne , etc. « Du Cerceau, dit en finissant
d'Angerville, a été, ainsi que ses Jils , ua des meilleurs ar-
chitectes de son temps; mais Jacques a de beaucoup sur-
passé son frère , auquel il a survécu. Kul n'a dessiné tant de
bâtiments anciens et modernes. Il a fait de grands mor-
ceaux d'architecture , des termes , des jeux de perspective ,
des vases et des buffets d'eau. »
Tous les biographes font mourir Du Cerceau à l'étranger;
ils ne savent ni où ni en quelle année. La Croix du Jlaine
se tait à cet égard, et pourtant la forme de son article, où
il est dit que Androuet a été l'un des plus savants archi-
tectes de son temps et qu'il florissait en 1570 , semble in-
diquer clairement que le grand artiste ne vivait plus à l'é-
poque où il écrivait sa notice.
AIVDRY ( Cil\rles-Lolis-François ) , médecin célèbre,
né à Paris, en 1741. Son père, droguiste du quartier des Lom-
bards, le laissa par sa mort héritier, dès sa jeunesse, d'une
fortune assez ronde de six à huit mille francs de rente. Andry
fit d'excellentes études. — >'ommé médecin en chef d'un des
hôpitaux de la ville, et mis au nombre des premiers mem-
bres de la Société royale de Médecine créée par Sénac, An-
dry se montra presque aussi désintéressé que l'avait été
Fagon dans le siècle précédent. 11 s'était prescrit la règle de
donner aux malades dénués le dixième de ses revenus et l'en-
tière rétribution de ses sinécures; mais ce dixième annuel
diminua peu à peu avec le principal, et il lui fallut restreindre
ses écuries à l'époque où ses occupations auraient exigé qu'on
les agrandît. Andry mourut le 8 avril 1829, à^é de quatre-
vingt-huit ans. Bien que sans ambition et sans brigue, il fut un
des quatre médecins consultants de l'empereur, et LouisXVl 1 1
décora sa poitrine du grand cordon noir, insigne de l'ordre
de Saint-Michel. — Andry se montra un des premiers par-
tisans de Jenner et un des plus zélés promoteurs de la vac-
cine; mais il fut un des antagonistes de Mesmer. Il fit partie
de la fameuse commission instituée par l'ordie de Louis .\Vi
iwur contrôler les jongleries scandaleuses de la place Ven-
557
dôme. Trop occupé pour écrire, il a cependant laissé quel-
ques bons ouvrages : un sur la rage, qui eut plusieurs édi-
tions et fut traduit à l'étranger; un sur les effets théra-
peutiques de l'aimant, et un Traité de Matière Médicale.
Il composa même un volume sur le jardinage, mais avec
la prudence de déguiser le nom de l'auteur sous l'ana-
gramme de Randij. Andry, encore jeune, avait publié l'é-
loge du docteur Sanchez, praticien de mérite, qui lui avait
légué quelques volumes et ses manuscrits.
Un autre Andry (Mcolas), né à Lyon, en 1668, et qui
mourut à Taris, la même année où naquit le précédent, fut
tour à tour philosophe, théologien, médecin, professeur au
Collège royal de France ou de Cambray, rédacteur du Jour-
nal des Savants, etc. Aussi intrigant et avide que notre
Andiy fut modeste et généreux, il fut doyen de la Faculté,
qu'il tyrannisait ; il l'eût même déconsidérée par ses que-
relles scandaleuses, si cette compagnie n'eût pris le parti
de l'évincer du décanat, qu'il déshonorait. Parfaitement en
cour, où lui donnaient accès un feint dévouement et quelques
talents, il y dénonçait ses collègues, qui pensaient l'avoir
pour appui, et osait dénaturer leurs délibérations, afin de
rehausser son zèle personnel et de concentrer en lui toute
faveur. Il publia plusieurs libelles contre Hecquet, Lemery,
J.-L. Petit, et contre Geoffroy, qui lui succéda. Toutefois, et
au milieu de tous ses pamphlets, il composa quelques bons
ouvrages, soit sur l'orthopédie ( le meilleur de tous ) , sîir
la peste, sur les aliments et le régime du carême, sur le
thé, et sïir la génération des vers datïs le^orps humain,
dernier ouvrage, qui eut du succès et plusieurs éditions. Les
nombreux ennemis d' Andry ne manquèrent pas de l'appeler
doctor Vermiculosus. Isid. Bocrdon.
AiVDRYANE (Alexandre), Français longtemps pri-
sonnier au Spielberg, né vers 1798, avait quitté son pays
pour se retirer à Genève, où il rencontra Buonarotti et rêva
l'affranchissement de l'Italie. Il se rendit à Milan à la fin de
1822. Arrêté et implii|né dans le procès des sociétés secrètes,
il fut condamné à mort avec Confalioneri ; mais l'empereur
d'Autriche leur fit remise de cette peine et les condamna à
passer le reste de leurs jours au Spielberg. Il s'y trouva avec
Silvio Pellico et Maroncelli. Sa belle-sœur, M^e An-
dryane, qui n'avait cessé ses démarches, obtint enfin sa grâce
en 1832 ; il revinten France, où il a fait paraître \è?,Memoires
d'un prisonnier d'État au Spielberg ( 1837-1838). Z.
AIVDLIJAR, ville d'Espagne, près de Jaen, sur le Gua-
dakjuivir, où l'on fabrique de la faïence, des poteries et
surtout des alcarazas. Elle a pris rang dans l'histoire,
par l'ordonnance qu'y rendit, le 8 août 1823, le duc d'An-
goulême, commandant en chef de l'armée française.
A'oyant que la junte de régence instituée pour concilier les
esprits était trop passionnée, il se retira à Andujar, où il publia
cette ordonnance par laquelle il interdisait aux autorités es-
pagnoles de faire aucune arrestation sans l'autorisation du
commandant des troupes françaises, et enjoignait l'élargisse-
ment de toutes les personnes arrêtées arbitrairement et pour
des motifs politiques. Cette ordonnance plaçait en outre les
journaux et les journalistes sous la surveillance des com-
mandants français. Cette ordonnance était donc faite dans
un sens presque libéral; aussi les absolutistes jetèrent-ils
les hauts cris. La régence de Madrid protesta en masse. Dans
cette capitale l'ordonnance, déjà livrée à l'impression, en
fut même tout à coup retirée. On crut \\n instant avoir
perdu le fruit de l'expédition d'Espagne, et M. de Chateau-
briand , en écrivant à M. de Talaru, ambassadeur de France,
ne lui cachait pas ses tristes pressentiments à cet égard;
mais si , d'un côté , l'ordonnance contrariât les sentiments
de vengeance des ultra-royalistes, de l'autre, elle avait l'as-
sentiment des libéraux et de ceux qui comprenaient que
la modération était le meilleur parti à suivre. En effet, les
esprits .se calmèrent, et l'ordonnance, mise en vigueur,
témoigna du progrès qu'avaient fait les idées modérées dans
âôS
ANDLJAll — ANE
l'esprit même de ceux que l'on aurait pu en croire le plus
éloignés. L'opinion publique sut gré d'ailleurs au duc d'An-
goulême de cet acte de libéralisme , qui valut à son auteur
le surnom, passablement emphatique, de héros pacificateur
d'Andujar. De Fiukss-Colo.nna.
AJXE (du latin asinus), mamniiftre de l'ordre des
pachydermes, famille des solipèdes ; c'est en un mot une
espèce du genre cheval. Sa voix a un son très-rauque , ce
qui tient à deux petites cavités particulières situées au fond
du larynx de l'animal. Son cri s'appelle braire. L'àne se
trouve encore aujourd'hui à l'état sauvage dans les steppes
<le la Tartarie. Là sa grandeur est celle d'un cheval de
moyenne taille ; ses oreilles sont moins longues que celles
de nos ânes domestiques; ses jambes sont plus longues et
plus fines ; son pelage est gris et quelquefois d'un jaune
brunâtre. Ces animaux vivent par troupes innombrables;
ils courent avec une rapidité qui défie celle des meilleurs
chevaux persans. Les Kahtiouks leur font la chasse. L'àne
domestique a les formes plus lourdes. Originaire des pays
chauds, il dégénère dans les contrées du nord, et cesse même
de se reproduire vers 60=' de latitude. La durée de la ges-
tation de l'ânesse est de onze mois. Lu général elle ne met
bas qu'un petit à la fois. Le croisement du cheval et de
l'ànesse produit une espèce hybride nommée mulet. La
France possède deux races d'ânes : celle du Poitou a le poil
laineux et long , la race de Gascogne a le poil ras et une
robe brune ou bai-brun. On évalue le nombre des ânes en
France à quatre cent vingt mille. Quoique chétifs en général
dans les pays septentrionaux, ces animaux n'en rendent pas
moins d'immenses services , et ils portent des fardeaux consi-
dérables. Leur sobriété est très-grande ; leur patience est ex-
trême, mais leur entêtement est devenu proverbial. Le pied
de l'âne, plus sûr que celui du cheval , le rend précieux dans
certaines localités. Sa vue, son ouïe, son odorat sont aussi
plus développés que chez le cheval. La peau de l'âne est
recherchée pour sa dureté et sou élasticité. On en fait des
tambours , des cribles et des cuirs connus sous le nom de
peau de chagrin.
[Si la chèvre est la vache de la pauvre femme, l'âne est la
monture du pauvre homme, et il ne fait jamais de dommage.
Cependant les habitants de la campagne ne cessent de le frap-
per, en alléguant que cette bête est la bètedu bonDieu,etqni
n'a été créée et mise au monde que pour travailler et pour souf-
frir; et quand vous leur demandez pourquoi ils la frappent si
brutalement , ils vous répondent : C'est l'usage. — Dégrader
de sa noblesse originelle une race entière d'animaux, l'acca-
bler de coups et de misère et lui reproclier les vices que nous
lui avons donnés en la tenant dans une servitude avilissante,
c'est là sans doute une chose odieuse, et que l'on ne peut obser-
ver ailleurs que chez les ânes. Voyez, vous dit-on, combien
ces bêtes sont abjectes, indociles, exténuées, rogneuses. J'en
conviens ; mais qui est-ce qui les a faites ainsi , si c« n'est
vous-mêmes? Sortez du lieu où vous les tenez en esclavage;
allez dans leur patrie originelle, examinez l'àne du désert li-
vré à l'état naturel, ou retenu dans les liens d'une domes-
ticité honorable et soigneuse; voyez sa taille élevée, sa tête
haute , son poil doux et luisant , ses yeux pleins de feu ,
ses allures vives et pourtant assurées, son attitude fière et
non dépourvue d'une certaine grâce, voilà l'àne de la na-
ture. Osez actuellement lui comparer votre baudet, tel que
votre avarice et votre dureté nous l'ont fait. — Les guer-
riers arabes font leurs tournées et leurs patrouilles montés
sur des ânes, et ils ne se servent de chevaux qu'à la guerre
ou les jours de parade. On compte jusqu'à quarante mille
de ces serviteurs dans la seule ville du Caire; ils y servent
pour parcourir la ville, comme les carrosses de place en Eu-
rope. Les plus belles Circassiennes, revêtues de leur voile, ne
dédaignent pas ces montures. Quoiqu'ils aient les jambes in-
finiment plus comtes (pie les dromadaires, ils trottent aussi
vite qu'eux. Dans les Iles de Malte et de Sardaigne, où
l'on a conservé et élevé avec soin des races pures, l'âne
est souvent le rival heureux du clieval. On connaît de ré-
putation les ânes d'Arcadie ; les poètes n'ont pas cru dépla-
cées les fleurs qu'ils ont jetées sur eux. Dans l'île de Madiné,
où la transmigration des âmes est reçue comme dogme,
on rend à l'âne une sorte de culte. La croyance religieuse
de ces insulaires est que les âmes des héros morts au ser-
vice de leur patrie vont animer le corps de ces quadrupèdes.
Ce qui , dans la préoccupation de nos esprits , porte an
véntable préjudice à l'âne, c'est que nous ne voulons ja-
mais le considérer tout siujplement comme un âne. IN'ous
sommes toujours , et à notre insu , portés à le comparer au
cheval. Il en diffère par une tête plus grosse, des yeux
plus écartés l'un de l'autre, des lèvres plus épaisses , une
queue plus plate , moins longue , plus dépouillée : par des
oreilles plus longues , et par une voix qui passe un peu
trop subitement d'une octave à l'autre. Ce n'est que par ces
accessoires et non par aucune disposition intérieure et orga-
nique que l'âne difR-re du cheval ; et ce qui prouve mieux
qu'aucun discours la fraternité des deux races , c'est que le
cheval étalon regarde les ânesses avec amour, et que les ju-
ments, abandomiant la fierté de leur rang , ne se dérobent
point aux empressements d'un animal à longues oreilles ,
comme ces châtelaines des temps chevaleresques , qui se
dépouillaient de leurs vertugadins quand le vilain parais-
sait. Cependant une sorte de fatahté malheureuse semble s'ap-
pesantir sur l'âne, parce que dans l'échelle des quadru-
pèdes il est le second et non pas le premier.
L'âne n'est pas un enfant bâtard ; il porte un sang pur,
et sa noblesse est aussi ancienne que celle des coursiers les
plus fameux. Les Égyptiens lui en voulaient beaucoup ,
parce qu'ils accusaient les Juifs de l'adorer. Cette haine passa
des hommes aux bêtes , et , comme entre toutes les sectes
il n'en est aucune qui abhorre plus les juifs que la secte
chrétienne, il est possible que ce préjugé , transmis de siècle
en siècle , nous inspire de l'aversion pour la bête maudite,
moins en qualité d'hommes qu'en qHalité de chrétiens, et
il faut que cette aversion soit bien puissante, puisque la croix
de la rédemption qu'elle porte sur son dos n'a pu l'effacer.
Les païens dédiaient l'âne à Priape, comme dieu des
cyniques , et l'on ne peut s'empêcher de convenir qu'il y a
des rapports entre le dieu et la bête. Mais pourquoi dédier
l'âne à Silène , quand on sait quil est le plus sobre des
animaux? La peinture, inspirée par la religion, a vengé
cet animal ; il est entré comme partie intégrante dans le do-
maine des beaux-arts ; il ne figure pas seulement dans le
genre et dans le paysage , il appartient à l'histoire , et pour
donner du prix à un Téniers ou à un Dorniniquin , il n'est
rien tel qu'un âne.
Donnez à l'âne la même éducation et les mêmes soins
qu'au cheval , et j'ose assurer qu'il le surpassera de beau-
coup , parce qu'il apporte en naissant de plus hautes dispo-
sitions. Le jeune ânon est plein d'esprit, de gaieté, de gen-
tillesse, et même de grâce. Si vous paraissez dans votre
basse-cour, un instinct secret l'avertit que vous êtes son
maître , et il quitte le pis de sa nourrice pour venir vous
rendre hommage. Si vous êtes à table dans votre château,
et qu'il en trouve la porte ouverte, il vient en homme de
bonne compagnie se placer à vos côtés , et ce qu'il de-
mande , ce n'est pas une auge ou un râtelier, c'est un cou-
vert. Avec l'âge il perd sa gaieté, il devient méditatif; mais
ce qu'il perd en gentillesse il le gagne en profondeur. Nous
avons vu à Paris un âne savant qui résolvait les équations
du quatrième degré connue s'il avait eu l'ambition d'être
admis à l'École Polytechnique.
Quant aux affections domestiques et aux vertus morales,
nul n'en est doué plus libéralement que lui. On a vu des
ânesses mourir de chagrin parce qu'on leur avait enlevé
leur ânon. D'autres alïror.lent les incendies, et vont se
rémiirdans retable à leur enfant qui périt dans les llamnies.
ANE — ANEMIE
659
Onnnîo il a roroille fine et le flair excellent, il retrouve
et roiouiuiit son maître au milieu d'une foire ou dans une
ville habitée par une population nombreuse. Il le flaire,
il le sent, et court à lui quoiqu'il Tait souvent excédé de
coups. Si l'âne est rétif, c'est (ju'ou le blesse dans les ha-
bitudes qu'on lui a données étant jeune, et qu'il ne com-
prend pas le caprice qui porte sou maître à s'en écarter;
s'il se couche sur le ventre quand on le charge trop, c'est
qu'il n'a (jue ce moyen de vous faire comprendre que vous
l'iiccal.lez. Si le mâle est lascif, c'est que sa femelle entre
en chaleur huit jours après la mise bas et s'y maintient
pre<;que toute Tannée. Cette pauATe béte , qui dans l'état
sauvaiie ou dans l'état d'une domesticité tolérable vit au
delà de trente ans , vit à peine chez nous douze à qiùnze
ans ; et à cet âge on traite le mâle de vietix grison et la fe-
melle de vieille bourrique; les coups et les mépris ne leur
manquent pas â tous deux. C'est ainsi qu'un peuple civi-
lisé traite ses vieux seniteurs.
L'âne vit presque de rien, et il sert tout le jour. Le paysan
qui a sa vache et sou âne se trouve ainsi placé entre sa
nourrice et sa monture. 11 porte l'engiais de son étable et
la litière qu'il a fécondée sur le champ du pauvre homme;
il en rapporte les récoltes diverses dans ses granges ; il va
et vient sans cesse, porte le grain au moulin , les fruits au
marché , le bois à la maison , ainsi que les glanées durant
la moisson , les paquets de foin durant la fenaison , le
chaume des jachères , les joncs des marais et les mauvaises
herbes qui croissent le long des chemins. Soit que vous lui
mettiez la selle, le bât, les crochets, les hottes, les pa-
niers, les échelles , il ne se refuse à rien , si ce n'est au mors,
contre lequel il a une grande répugnance. Lorsqu'il est en
route , il ne vous demande d'autre grâce que celle de le
laisser brouter cliemin faisant quelques sonmiités de char-
dons, quelques boutures de saule, quelques bourgeons
d'orme ou de peuplier ,. ou bien de boire une gorgée dans
l'eau trouble qu'il fait jaillir sous ses pieds ; et si vous lui
permettez de se rouler un instant sur le gazon , vous aurez
contribué au premier de ses plaisirs , à la plus suave des
voluptés qui lui soit pemiise dans ce bas monde. Voilà
comme il passe son temps à la campagne. Mais à la ville
d'autres devoirs l'appellent. Dès les premiers jours de mai,
TOUS voyez de grami matin le pavé de Paris couvert d'â-
nesses , pharmaciennes agrégrées , qui vont frapper à la
porte de tous les malades. Elles peitnettent à la chèvre de
se mêler avec elles , et il est aujourd'hui bien établi que les
docteurs de la Faculté , tout fourrés qu'ils sont d'hermine,
ont moins de succès que ces nouveaux officiers de santé ,
revêtus de peaux d'âne ou de chèvre.
Gardons-nous donc de juger lâne comme une béte mau-
dite de Dieu , parce que Dieu, lors de la création, ne maudit
aucun de ses ouvrages, et parce que les vices qu'il peut
avoir proviennent non du Créateur, mais de nous-mêmes.
Nous ne pouvons pas plus juger l'âne sur ceux que nous
voyons et que nous accablons , que nous ne pouvons juger
les paisibles habitants du Sénégal sur les nègres de la Ja-
maïque. — Dieu a créé l'âne libre, sobre, patient, laborieux,
Jidèle ; l'homme a fait les baudets rétifs, indociles , vindica-
tifs ; il leur a donné ses vices , et il ne leur a emprunté au-
cune de leurs vertus. Comte Français ( de >"antes ).]
AXECDOTE (du grec à privatif, et éxôoto;, publié) ,
ce (pii n'a pas encore été publié , mis au jour. Nous atta-
chons ordinairement à ce mot l'idée d'un récit court et
amusant, d'un trait remarquable ou spirituel , d'un événe-
ment extraordinaire ou ridicule , connu ou non connu , pu-
blié ou non publié ; de là est venue l'obligation d'y ajouter
le mot inédile quand on veut exprimer l'idée que rendait
seule la première acception du mot anecdote. La défmit'on
de cette idée est d'autant plus diflicile, qu'elle comprend
beaucoup de choses différentes : souvent le mot anecdote
est pris comme synonyme d'a?J«. Lorsqu'une anecdote
contient des délails inconnus sur un événement intéressant,
ou sur la vie d'une personne remarquable , ou lorsqu'elle
prend une tournure spirituelle, elle peut amuser en société;
mais cela dépend aussi de la manière dont elle est racontée,
et surtout si elle l'est à propos ; en pareil cas , il peut ar-
river qu'une anecdote déjà racontée plusieurs fois fasse une
impression encore plus agréable. On appelle par plaisanterie
colporteur d'anecdotes celui qui à la moindre occasion
vous importune de toutes celles que sa mémoire lui fournit ;
et chasseur d'anecdotes, particulièrement les voyageurs qui
mêlent à leurs descriptions toutes sortes de récits menson-
gers ou insignifiants.
L'histoire trouve un puissant auxiliaire dans l'anecdote.
Nous prenons plaisir bien souvent à connaitre les petits
motifs et les petites causes des événements plutôt que les
événements eux-mêmes. Delà notre goût pour les Mé-
moires, genre de littérature intime qui nous explique bien
des mystères du cœur humain.
« Je n'aime dans l'histoire que les anecdotes, dit M. Mé-
rimée , et parmi les anecdotes je préfère C'>lles où j'imagine
trouver une peinture vraie des mœurs et des caractères à une
époque donnée. Ce goût n'est pas très-noble ; mais, je l'a-
voue à ma honte, je donnerais volontiers Thucydide pour
des mémoires authentiques d'Aspasie ou d'un esclave de
Périclès ; car les mémoires, qui sont des causeries familières
de l'auteur avec son lecteur, fournissent seuls ces portraits
i de V homme qui m'amusent et qui m'mtéressent. Ce n'est
point dans Mézerai, mais dans Montluc, Brantôme, d'Au-
bigné, Tavannes, La Noue, etc., etc., que l'on se fait une
idée des Fra)içais au seizième siècle. Le style de ces au-
teurs contemporains en apprend autant que leurs récits. «
Mais la plupart du temps ces petits récits sont faits h
plaisir. « Je crois peu aux anecdotes , et moins encore à
celles de mon temps qu'à celles de l'antiquité , disait un gé-
néral de l'empire ; les anecdotes ne sont le plus souvent
que des fictions qui dénaturent l'histoire pour faire ou dé-
faire des réputations ; tous ces grands mots qu'on prête à
tels et tels n'ont jamais été dits par eux, et pourtant ils ont
été si souvent répétés , qu'ils se sont incorporés à l'histoire,
à tel point qu'il serait impossible de les en détacher. Men-
songes que tout cela. » Aussi un vétéran du journalisme ,
Bertin l'aîné , faisait-il avec raison cette recommandation à
ses collaborateurs , à propos des bons mots attribués aux
personnages historiques : « Il n'est pas absolument néces-
sane qu'un fait soit vrai ; mais il faut toujours qu'il soit
vraisemblable. »
ANÉLECTRIQUE (du grec àvà, à travers, et du
français électricité). En physique on divise les corps en
idio-électriques et en anélectriques : les premiers sont
susceptibles de prendre l'électricité par le frottement direct;
les autres n'acquièrent la vertu électrique que lorsqu'on les
met en contact avec d'autres corps préalablement frottés.
L'ambre , la gomme laque , les résines, le soufre, le verre
rentrent dans la première catégorie. Dans la seconde, on
trouve les métaux, l'eau et en général les substances
humides. — Les corps anélectriques sont meilleurs con-
ducteurs que les corjjs idio-électriques.
AIVTÉMIE (du grec à privatif, et a'ua, sang) , mot qui
désigne en médecine un état particulier de l'appareil circu-
latoire, dans lequel le sang, rare ou appau^Ti, n'exerce plus sur
l'organisme la môme induence vivifiante. C'est l'opposé de
\3i pléthore. L'anémie est idiopathique lorsque les causes
qui l'ont produite ont agi directement sur le sang comme
une alimentation insuffisante, l'inspiration d'un air vicié,
la privation de lumière solaire, etc. Elle estsymptomatique
lorsqu'elle résulte d'une hémorragie, lorsque l'assimilation
des aliments est empêchée par quelque altération de l'ap-
pareil digestif, lorsqu'une affection pulmonaire ne permet
pas au sang de s'oxygénei- complètement, enfin , lors(]n'ell6.
accompagne une lésion organi(pie du cœur. L'ancmie se c*t
500
ANEMIE — A^ES
racJérise par une respiration diificile, des palpitations, de la
faiblesse, de ressouffleitient ; la peau acquiert une coloration
d'un blanc jaune, les traces des veines disparaissent de la peau,
et l'on n'observe plus aucune trace de vaisseaux sanguins,
même dans les parties qui en sont le plus douées, comme
les lèvres, les yeux, la langue. Tous ces organes sont pâles
et décolorés. Après la mort on ne retrouve dans les veines et
les artères qu'un liquide séreux , peu abondant et sans cou-
leur. Les remèdes les plus efficaces contre l'anémie sont les
préparations ferrugineuses, les toniques, les amers et les
analeptiques, avec une alimentation appropriée.
ANÉAIO.MÈTRE ( du grec àv£;j.c; , vent, et ixèTpov,
mesure ) , instrimient qui sert à mesurer la vitesse et la
force du vent. Cette force se mesure par le temps qu'il met
à parcourir un espace donné , et réciproquement sa vitesse
peut s'apprécier par la force avec laquelle il pousse un corps
qui est opposé perpendiculairement à sa direction. C'est sur
<:e double i>!incipc qu'est fondée la construction de l'anémo-
mètre. Plusieurs auteurs se sont occupés de cette partie de
la physique, si intéressante pour la navigation. Mariolte,
Hiiygens, Célidor et lîouguer ont dressé des tables où les
degrés de force des vents qui frappent une surface d'une
grandeur déterminée sont comparés avec une suite régu-
lière de poids d'égale impulsion. Le premier de ces auteurs
avait connnencé ses expériences sur la vitesse du vent au
moyen d'une plume lancée dans l'air, et dont il calculait la
marche par l'espace qu'elle avait parcouru dans un temps
donné ; mais on sent combien cette méthode était impar-
faite. Wolf , en 1708, imagina un anémomètre composé de
quatre petites ailes de moulin à vent communiquant avec
un cadran gradué au moyen d'axes et d'une roue dentée,
liregnin, en 1780 , donna un instrument analogue en met-
tant les ailes du moulin après un axe vertical. On a depuis
construit un anémomètre à ressort, qui consiste en une
plaque soudée au bout d'un axe à crémaillère et entrant
dans une boite par la force du vent qui frappe dessus, en
pressant sur un ressort à boudin, pendant qu'un cliquet en-
grené dans le cran de la crémaillère l'empôche de revenir
au dehors. Lind a fait un anémomètre qui consiste en un
tube deux fois recourbé et en partie rempli d'eau. Une de
ces courbures lui fait présenter son ouverture au vent dont
la force en s'engoufirant dans l'instrument chasse l'eau dans
la seconde branche, il existe encore un grand nombre d'a-
némomètres, tous plus ou moins défectueux ; nous citerons
seulement celui de Delamanon, qui se composait de tuyaux
rendant des sons particuliers selon les soupapes que le
vent pouvait soulever.
AJV'EMOIXE (du grep àvefioç, vent), genre de plantes
de la famille naturelle des renonculacées, qui se rencontre
dans toute la zone tempérée. L'anémone se plaît dans les
régions élevées exposées au vent et aux orages. Elle croit
particulièrement sur les Alpes.
Vancmone pulsatiUe, vulgairement coquelourde ou
herbe du vent, croît aux bords des prairies sèches et élevées.
Sa lleur, violette, est velue en dehors ; les semences sont
hérissées d'aigrettes velues; ses feuilles, très-àcres, soulèvent
l'épiderme de la peau lorsqu'elles sont appliquées dessus, et
produisent ainsi l'effet d'un léger vésicatoire : propriété
dont jouissent, du reste, presque toutes les plantes de la même
famille. Vancmone des Alpes a sa fleur blanche nuancée
d'un rose tendre.
Ce genre renferme plusieurs espèces recherchées pour
l'ornement des parterres. La plus importante, Vancmone
des fleuristes , a fourni par la culture plus de trois cents
variétés, toutes à fleurs doubles, de formes, nuances et
couleurs différentes. Ce grand nombre de variétés a donné
lieu dans les collections à la classification suivante : auc-
vioncs de nommées , anémones premier émail, anémones
deuxième émail , anémones troisième émail, anémones-
pavots. Les anémones dénommées sont celles qui, possé-
dant toutes les attributions qui constituent une belle ané-
mone , reçoivent à cause de cela un nom particulier. Les
anémones premier émail se composent de plantes extraites
des anémones dénommées choisies de manière à produire
le plus beau coup d'œil : il doit s'y trouver beaucoup de
fleurs cramoisies, pourpres, rouges panachées de blanc, et
agates panachées de rouge et de blanc. Cette division, qui
ne tolère rien d'inférieur, est connue aussi sous les noms
(ï anémones premier ordre, première beauté, premier
mélange, premier assortiment. Les anémones deuxième
émail renferment les couleurs bleues extraites des anémones
dénommées, auxquelles on adjoint les doubles emplois du
premier émail. Les anémones troisième émail admettent
les couleurs bizarres prises dans les anémones dénommées
et les doubles emploi* du deuxième émail et souvent du
premier émail. Les anémones-pavots sont les anémones à
fleurs simples, que plusieurs amateurs recherchent, à cause
de la richesse des couleurs et du bel effet qu'efles font plan-
tées en massif; elles sont aussi cultivées dans le seul but
d'en recueillir les graines, qu'on sème pour obtenir des va-
riétés nouvelles. — Vous vous rappelez sans doute l'amateur
de tulipes du caustique La Bruyère; l'amateur d'anémones
ne lui cède eu rien : la culture h. laquelle il se voue est
pour lui un art, et il a inventé une langue spéciale pour dé-
signer les diverses parties de sa plante de prédilection.
Ainsi , aux yeux du connaisseur une anémone n'est belle
qu'autant qu'elle réunit les qualités suivantes : pampre
( feuillage) épais, bien découpé, d'un beau vert ;/a?!e (invo-
lucre) éloignée de la fleur du tiers de la longueur de la
baguette (tige), qui doit être haute, ferme et droite; man-
teau (réunion des sépales extérieurs) épais, arrondi, d'une
couleur franche, avec le limbe et la culotte (l'onglet) d'une
autre couleur ; les sépales formant le cordon ( rang immé-
diat après le manteau) courts, larges, arrondis, surtout
d'une couleur tranchante; les béquillons (ovaires exté-
rieurs avortés , changés en sépales) nombreux, peu pointus,
en accord avec la panne ou peluche (ovaires du centre,
changés en sépales ), qui, à son tour, doit être proportionnée
de manière à ce que l'ensemble de la fleur présente un disque
bombé dont la largeur soit au moins de cinq à six centi-
mètres.
L'anémone double se multiplie par ses pattes (racines),
qu'on plante en automne et qu'on couvre pendant les froids
de l'hiver, ou bien, et c'est l'usage le plus général, au prin-
temps, dans une terre franche, très-substantielle, mêlée de
terreau consommé. L'anémone simple se multiplie par ses
pattes, comme la précédente, et par la semaison de ses
graines au printemps, à l'ombre, dans une terre très-douce,
avec la précaution de ne couvrir les semences que d'une
couche très-légère de terre. On peut conserver les pattes
d'anémones quinze ou vingt mois sans les planter.
AAÉi^IOXE DE MER. Voijez Actixie.
AJVÉAÏOSCOPE (du grec àvsfio;, vent, et axoTriai,
j'examine ) , mstrument qui sert à indiquer la direction du
vent. Le plus simple , le plus ancien et le plus commode
de ces instruments est sans contredit la (yirowe^^e. Quel-
quefois on prolonge jusque dans l'intérieur d'une chambre
l'axe d'une de ces machines, et on y adapte une aiguille,
qui donne la direction du vent sur une rose des vents peinte
au plafond.
AlVÉMOSCOPIE (du grec âv£[Ao;, vent, et ffzoïtÉw, je
discerne ) , sorte de divination par l'inspection des vents.
ÂNES ( Fête des). C'était une représentation de la fuite
de la Vierge Marie en Egypte. On croit «pie celte fête est
originaire de Vérone en Italie. La tradition disait que l'âne
qui avait porté Notre-Seigneur à son entrée à Jérusalem
n'avait pas voulu vivre en cette ville après la passion de
son divin écuyer; qu'il avait marché sur la mer, aussi
endurcie que sa corne; qu'il avait pris son chemin par
Chviirc, Rhodes, Candio, .Malte cl la Sicile, et que de là ii
ANES — ANET
501
avait mis piinl h terre ;\ AquiUH' , et s'était établi à Vérone ,
où il vécut trés-lon^tomps. Les prétendues reliques de cet
Ane étaient conservées à Vérone , sous la {^arde d'un cou-
vent de moines. C'est dans cette ville, dit-on , que la./VYe
des Anes fut établie ; de là elle se répandit dans les diffé-
rents diocèses de la naive chrétienté du moyen Age. En
lYance, on la célébra d'abord à Reauvais. On choisissait une
jeune fille bien apparentée, la plus belle qui se put trouver;
on la faisait monter sur un ;\nc richement enharnaché ; on
lui mettait entre les bras un joli enfant -. elle figurait ainsi
la Vierge et le divin i:nfant qui, du fond d'une crèche, avait
sauvé le monde. Dans cet état , suivie de l'évôquc et du
clergé, elle marchait en procession depuis la cathédrale jus-
qu'à une autre église , entrait dans le sanctuaire avec sa
modeste monture , allait se placer prés de l'autel , du côté
de l'Évangile, et aussitôt la messe commençait. Vlntroit ,
le Kyrie, le Gloria, le Credo, tout ce que le chœur chante
était terminé par ce refrain hiJtan, hihan. La prose exal-
tait les belles qualités de Tanimal. Elle avait été composée,
à ce que l'on croit, par Pierre de Corbeil, moine et arche-
vêque de Sens. On y remarquait ce passage :
Orieatis partibiis
Adveiitavit asioiis
Pulchcr et fortissimus.
Chaque strophe finissait par cette invitation :
Lez , sire asnc, car chantez,
Belle bouclie rechignez ;
Oo aura du foin assez
Et de l'avoine à plantez ( en abondance ).
On l'exhortait enfin, en faisant devant lui mie génuflexion ,
à oublier son ancienne nourriture, et le dur chardon, pour
répéter amen , amen à sa manière. Le prêtre , au lieu
de Vite, viissa est, chantait trois fois Hihan, hihan , hi-
lian, et le peuple répétait hihan. Ainsi se terminait le
saint sacrifice, puis l'âne, la jeune fille et son cortège retour-
naient dans le même ordre au lieu du départ de la céré-
monie. Ch. l)u RozoïR.
AIXESSE ( Lait d' ). Ce lait n'est en réputation en France
que depuis François \", et voici comment l'usage s'en est
introduit : ce monarque se trouvait très-faible et très-in-
commodé ; les médecins ne purent le rétablir. On parla au
roi d'un juif de Constantinople qui avait la réputation d'être
très-habile médecin. François V ordonna à son ambassa-
deur en Turquie de faire venir à Paris ce docteur Israélite,
quoi qu'il put en coûter. Le médecin juif arriva , et n'or-
donna pour tout remède que du lait d'ànesse. Ce remède
doux réussit très-bien au roi , et tous les courtisans des
deux sexes s'empressèrent de suivre le même régime, pour
peu qu'ils crussent en avoir besoin. Un malade guéri par
l'usage de cette nouniture saine et restaurante crut devoir
exprimer sa reconnaissance par le quatrain suivant :
Par sa bonté, par sa substance,
D'une ânesse le lait m'a rendu la santé.
Et je dois plus, en cette circonstance.
Aux ânes qu'à la Faculté.
Yoijez L\iT.
AA'ESTHÉSIE (du grec à privatif, et aîo-eri^îti;, sen-
timent), espèce de résolution des nerfs, accompagnée de
la privation de tout sentiment , ou impuissance de perce-
voir l'action des objets extérieurs. Cet état ne dure ordi-
nairement que peu de temps, et lorsqu'il se prolonge, il
pagne le plus souvent les nerfs moteurs, c'est-à-tlire que
l'extinction de la sensibilité amène la cessation du mouve-
ment et de la nutrition du membre qui en est atteint. Ce
mot s'emploie surtout en parlant de l'état d'insensibilité
produit artificiellement par l'éther ou le chloroforme.
Voyez ÉTUF.I'.lSATiON.
[ C'est un éclatant service rendu à la science et à l'hu-
manité d'avoir fait connaître un moyen à peu près infail-
DICT. DE LA fONVCns. — T. I.
lible , OU qui du moins réussit dans la g<?néralité des cas,
de rendre l'homme momentanément insensible à la douleur,
d'anéantir chez lui pour quelques minutes ou même pour
un temps plus long , une seule fois ou successivement à plu-
sieurs reprises, la conscience des impressions extérieures,
le sentiment du moi , sans doute en portant atteinte au
principe de la vie, mais en ne causant qu'une perturbation
momentanée, fugace, après laquelle toutes les fonctions ren-
trent dans leur rhythme naturel. Que si l'on a eu à enre-
gistrer quelques exemples d'une issue funeste de l'anes-
thésie ainsi produite artificiellement , il a fallu en accuser
tantôt l'emploi de procédés défectueux , tantôt l'inhabileté
ou l'imprévoyance de l'expérimentateur, ou , de la part do
la victime , une malheureuse idiosyncrasie particulière, une
de ces anomalies constitutionnelles qui prédisposent aux
événements les plus inattendus et les plus improbables,
d'après les lois connues de l'économie de l'homme et des
animaux ; et hûtons-nous d'ajouter que les cas bien avérés,
trop déplorables assurément , des funestes effets des agents
anesthésiques chez l'homme , sont jusqu'à présent en nom-
bre infiniment minime , eu égard au nombre prodigieux des
expérimentations qui ont été faites.
La question de l'anesthésie produite par les inhalations
d'éther ou par celles du chloroforme ( et peut-être décou-
vrira-t-on d'autres agents anesthésiques ayant la même
puissance, et possédant même ime innocuité encore plus
grande ) , cette question , disons-nous , intéresse à un haut
degré à la fois la physiologie , la chirurgie et la médecine
proprement dite. Elle touche à cette dernière, qui a déjà
tiré quelque parti des moyens anesthésiques dans la théra-
peutique de certaines maladies , notamment dans celles dont
la douleur est le principal symptôme. Avec l'éther ou le
chloroforme, la chirurgie a perdu beaucoup de ce qu'elle
avait de cruel ; ses procédés sont moins effrayants; elle n'a
plus à lutter contre l'extrême pusillanimité de quelques in-
dividus. La physiologie ayant eu à étudier le véritable ca-
ractère et le siège de l'action produite sur les organes cen-
traux du système nerveux par l'éther ou par le chloroforme,
ses investigations , auxquelles M. Flourens a pris une si
grande part, n'ont pas été sans fruit pour l'analyse du cer-
veau. 11 se peut que de nouveaux et d'importants résultats
nous soient encore réservés. La physiologie a d'ailleurs été
le point de départ de tout ce qui s'est dit et de tout ce qui
a été fait relativement à l'éther et au chloroforme. L'anes-
thésie produite par le premier de ces agents, et observée for-
tuitement, est le grand fait physiologique d'où sont découlées
tant et de si belles applications pratiques. D'' Roux.]
ANET (Château d'). Anet est im joli petit village de
l'Ile-de-France, à trois lieues nord-nord-est de Dreux , situé
au milieu d'une vallée qu'arrosent l'Eure et la Vègre , et en-
vironné de toutes parts des paysages les plus frais. Au mi-
lieu de cette nature riche et plantureuse s'éleva jusqu'à la
fin du dix-huitième siècle un château aussi remarquable
par l'élégance et la perfection de détail avec lesquelles il
était bâti que par la position qu'il occupait. C'était l'œuvre
de deux architectes célèbres, Philibert et Jean De Lorme,
qui, pour obéir aux ordres de Henri II, avaient prodigué
dans cette royale demeure toutes les merveilles du luxe
unies à l'art le plus parfait.
Avant que cette transformation eût eu lieu , le château
d'Anet était une vieille forteresse féodale , habitée depuis
le douzième siècle par des barons puissants : Anet avait fait
partie du douaire assigné à Marie de Brabant , seconde femme
de Philippe le Hardi. En 1318, Louis, comte d'Évreux ,
frère de Philippe le Lel , en était propriétaire; le fameux
roi de Navarre Charles le Mauvais était en possession
d'Anet vers I3'i0. Il en avait augmenté les foilifications,
que Charles V, n'étant que régent, donna l'ordre de dé-
truire. Charles Vil, pour reconnaître les services que lui
avait rendus Pierre de Crezé , l'un des piincipauv capi-
71
AM:T — ANi:VRISME
taiiu'sqiii P;ii(lèrciit en 144'» à chasser les Anglais de la Noi-
liiaiidic, lui donna la sei.sneiirie d'Anct avec io vieux
donjon féodal. Piene de I5ie/.é fui tué h la bataille de Mont-
lliéiy , cri 1405, et le cluUcaii devint la propriélé de son
(ils Jacques. Ce dernier avait épousé Charlotte de France,
lilled'AgnèsSorel et de Charles VII. Eniporlé par la jalousie,
il tua sa femme dans le chAtcau même d'Anet. Son (ils,
Louis de IJrezé, épousa en secondes noces, le 29 mars 1314,
la fille du seigneur de S;'.int-Vallier, la célèbre Binne de
Poitiers. Louis de Brezé étant mort en 1531, Diane de
Poitiers , malgré le rôle important qu'elle jouait à la cour,
ci-ut devoir se retirer à son chûtcau d'Anct. Elle le quittait
encore quelquefois pour venir au Louvre ou h Saint-Ger-
main. A la mort de François 1'"'^, Diane se vit bientôt élevée
au premier rang, et recueillit tout d'abord sans partage les
faveurs de Henri IL Le donjon goUiiqucet le vieux manoir
féodal ne convenaient plus ;\ la maîtresse du roi de France,
et les frc^rcs De Lorme élevèrent un peu plus loin cette de-
meure célèbre, dont les débris parvenus jusqu'à nous font
encore notre admiration.
Le château d'Anct présentait dans son ensemble tout ce
que l'art de la renaissance a de parfait, d'élégant et d'harmo-
nieux. Le portique, morceau acb.evé di; sculpture et de mé-
cnni(iue ; la galerie, les fenêtres ornées de superbes vitraux, le
grand escalier, l'intérieur des appartements, décorés de sculp-
tures dues au ciseau de Jean Cousin et de Jean Goujon; les
tapisseries, les meubles, tout concourait à faire de celte de-
meure un palais enchanté, dont un contemporain seul au-
rait pu donner une description complète. La principale
cour du cliilt^au d'Anet formait un carré long d'une pro-
portion agréable , régulièrement décoré à ses quatre faces
par des colonnades d'ordre dorique , formant nue galerie
composée de vingt-quatre colonnes. La façade principale,
<'<)ini)osée de trois ordres d'architecture l'un sur l'autre,
d'un style pur, d'un beau dessin , et ornée de sculptures
|iar Jean Goujon, servait d'entrée dans fintérieur du châ-
teau. Ceite façade, que M. Leno'r sauva de la destruction,
fut j)lacée par lui dans la première cour du JNÎusée des Mo-
luuneids français. Elle se trouve aujourd'hui à droite dans
l.i grande cour du palais des Heaux-Aits. Le chiffre de
lleiui 11 s'y voyait partout mêlé à celui de Diane, formé de
plusieurs croissants, au milieu d'attributs singuliers faisant
allusion aux amours de ces deux personnages. La chapelle
renfermait aussi des objets précieux de peinture et de sculp-
ture.
Après la mort de Diane de Poitiers, le château d'Anet
devint la propriété de Louise de Erezé, sa fdle aînée, qui
avait épousé Claude de Lorraine, duc d'Aumale, pair de
iM-auce et grand veneur. Celle-ci fit élever à sa mère le
beau mausolée qui décora longtemps la grande chapelle du
chAteau; le sarcophage de marbre noir, supporté par quatre
8phinx et orné d'allégories, d'arcs brisés et de fièchcs rom-
pues, était siu monté de la statue de Diane de Poitiers,
sculptée en marbre blanc, par Boudin. Diane était repré-
.sentée à genoux , de grandeur naturelle. Charles de Lor-
raine , lils de Louise do Brezé , devint après sa mère posses-
seur du château d'Anet; il le céda par créance à Marie de
Luxembourg, douairière du duc de Mercceur, Philippe-
l'Emmanuel, dont la fille unique épousa le fameux duc de
Vendôme, lils natiuol de Henri IV et de Gabriel d'Es-
Irées. Ce dernier lit d'assez grands changements dans la
disposition générale du château d'Anet; ces changements
n'ajoutèrent rien à la beauté de cette domeuie. Après la
mort du duc de Vendôme, la princesse de Coiiti, la duchesse
du Maine, le prince de Don)bes, le comte d'Eu et Louis XV
furent successivement propriétaires du clultcau d'Anet.
Louis XV le donna au duc de l'cnlhièvre, qui le po.ssédait
au moment 011 la révolution de 17S!) éclata. Le chùteau
d'Anct l'ut alors vendu et démoli pièce à pièce, i» l'excep-
tion de la porte d'cntn'e, d'un bâtiment c'jn::-truil par le iluc
de Verdôme et de la chapelle. GrAce au zèle actif de
!iil. Lonoir, le charmant porticjue dont nous avons parlé ne fut
jias détruit. 11 a<;heta aussi le tombeau de Diane de Poi-
tiers, qui orna pendant quelques années le jardin du Mu-
sée des Monuments français. Le comte Adolphe de Caraman,
propriétaire actuel des débris du château d'Anet, lesconserve
avec une pieuse sollicitude, et il en a fait une restauration
aussi complète que possible. Le Rocx de Lincy.
AIVÉVRISI\IE ou ANÉVRYSArc ( du grec àvEupûvw,
je dilate). « On donne le nom d'ané\Tisme, dit M. Vel-
peau , à toute tiuneur contre nature formée par du sang et
se continuant avec l'intérieur d'une artère. Si l'artère est
simplement dilatée sans être rompue ou divisée, on dit
qu'il existe un anévrisme vrai. Dans le cas contraire, c'est-
à-dire quand l'artère est réellement déchirée ou perforée,
la tumeur prend le nom d'anévrisme faux. Si la perfora-
tion s'est opérée sans violence extérieure , l'anévrisme est
appelé spontané. C'est un anévrisme accidentel lorsqu'une
blessure en a été le point de départ. Ici l'anévrisme est
faux piimitif s'il survient aussitôt après la blessure, ou si
le sang s'infiltre au lieu de se rassembler en dépôt autour
de l'artère. llest/aî<x circonscrit ou coH.s^c»///quand il se
montre plus tard et sous la forme d'une tumeur très-limitée,
d'une espèce de kyste. Quelquefois aussi l'artère blessée
s'ouvre par le côté dans une veine, et cela constitue ['ané-
vrisme variqueux si les deux vaisseaux restent accolés, ou
une varice anévrismale quand un sacplein de sang s'établit
entre la veine et l'artère sans cesser de communiquer avec
l'une et avec l'autre. Enfin un dernier genre d'anévrisme
est celui qu'on peut désigner par le terme de varice ar-
térielle, parce qu'alors l'artère est dilatée, flexueuse, bos-
selée, comme pliée en zigzag à la manière des veines
variqueuses. »
On emploie aussi le nom d'anévrisme en parlant des dila-
tations, avec ou sans hypertrophie, des cavités du c œ u r ;
mais dans le langage scientifique cette expression n'est usi-
tée que dans les cas, fort rares, où il se produit une dilata-
tion sans hypertrophie. Nous n'aurons donc à parler ici que
de l'anévrisme des artères.
Les anévrismes vrais sont aussi très-rares. « Les autres, dit
M. Velpeau, se développent par un mécanisme (acileà con-
cevoir. Dans l'anévrisme spontané, par exemple, l'artère ma-
lade, altérée d'une manière quelconque sur l'un de ses points,
se rompt incomplètement par l'effort du sang, et une poche
dont le volume augmente par degrés , ne tarde pas à se
former sur la perforation. Lorsque dans l'anévrisme acci-
dentel , résultant d'une piqûre de canif, de bistouri, d'épée,
de pointe de couteau , de lancette , le sang s'échappe et s'in-
tiltre entre les muscles ou sous la peau, c'est que la direc-
tion de la plaie ou quelque autre oljstacle, l'empêciic d'être
lancé au dehors , et l'on a l'anévrisme diffus ou par infil-
tration. S'il <levient circonscrit ou consécutif, c'est que la
membrane qui entoure l'artère a pu se cicatriser au point
de suspendre l'hémorragie, mais de manière à être soule-
vée plus tard comme dans l'anévrisme spontané. Enfin, l'a-
névrisme variqueux tient à ce que le côté de la veine op-
posé à l'artère s'étant cicatrisé, force le sang qui s'échappe
de celle-ci par la blessure à circuler dans celle-là. C'est une
cloison qui se trouvant percée entre deux canaux permet
auxlluides qui les traversent de passer de l'un dans l'autre. »
On distingue encore les anévrismes en internes et en ex-
ternes. Les anévrismes internes sont ceux qui se dévelop-
pent dans les cavités splanchniques, c'est-à-dire à l'intérieur
du ciàne, de la poitrine, du ventre. Les anévrismes externes
sont ceux qui affectent les artères sur lesquelles il est possible
d'agii' par les moyens chirurgicaux, comme à la face, au
cou, aux membres. Les plus communs sont les anévrismé.s
du jarret, de l'aine et surtout lu pli du bras. Ici leur cause
ordinaire est la saignée; ailleurs ils dépendent presque
toujours d'une blessure accidentelle. Quelquefois, cependant.
ANÉVRISMi: — ANGE
l'aniS'iisme sponlané survient d\mc maiiiÎTO mtVnniqno, h
l'occasion il'iin oflort violent ou de la distension snbitc d'un
niemliie; mais le plus souvent l'action de celte cause est
lasorisi^e i>ar un agent pathologique dos artères, qui a dt^jà
diminué la résistance et l'extensibilité de leur tissu, et
aui^inenté leur fragilité : telles sont l'ossilication de leur
inenilirane interne, ses diverses dégénérescences, cl enfin
les ulcérations dont cette membrane peut devenir le siéj^e.
Les phénomènes morbides qui résultent des anévrisu)es
varient suivant respècc particulière d'affection , suivant le
volunie de la tumeur, qui atteint en moyenne la grosscm*
d'un œuf, mais qui peut aller bien au delà et selon le vais-
seau et le lieu du vaisseau qu'elle occupe.
Le diagnostic de l'anévrisme est généralement d'une dif-
ficulté extrême; cependant l'auscultation est venue
ajouter aux moyens de diagnostic. Ces tumeurs sont ordi-
nairement accompagnées de battements qui correspondent à
ceux du pouls ou du cœur et d'un certain mouvement de
«lilatation ou d'expansion. En appliquant l'oreille dessus
on y entend assez souvent un bruit semblable à celui d'un
soulllet, ce qui est un des caractères principaux de l'ané-
vrisme variqueux. En général les tumeurs anévi'ismales ne
sont point douloureuses ni rouges. La p?au ([ui les recouvre
prend plutôt une teinte tirant sur le livide. Leur consis-
tance est plus grande que celle des abcès. En les compri-
mant avec lenteur et d'une manière égale on en dimijuia
parfois sensiblement le volume. La compression de l'artère
au-dessus arrête les battements et les bruits , tandis qu'au-
dessous elle les augmente. Néanmoins ces signes ne sont
pas toujours assez tranchés pour que le chirurgien, même
le plus exercé, ne soit pas quelquefois embarrassé sur la
nature d'une tumeur anévTismalc.
Les anévTismes forment une maladie grave, alors môme
que le vaisseau affecté est accessible aux moyens cliirurgi-
caux. Quand un anévrismc est abandonné à lui-même , sa
terminaison est presque toujours funeste. Néanmoins on a
des exemples de guérison spontanée d'anévrismes. Celle-ci
s'opère ordinairement par roblitération complète du vais-
seau, le cours du sang étant alors entièrement intercepté
par la présence des caillots sanguins qui remplissent la
cavité de la tumeur; dans quelques cas, plus rares encore,
les caillots laissent un étroit passage , par où le liquide
sanguin circule connue à l'état normal.
Les moyens thérapeutiques usités contre l'anévrisme se
distinguent en moyens locaux et en moyens généraux. Ces
derniers agissent indirectement sur la maladie par l'inter-
médiaire de la circulation générale, en diminuant la quan-
tité du sang, ainsi que la force et la fréquence des pulsations
«lu creur, et en favorisant de cette manière la formation
de caillots dans la tumeur; ce sont les saignées, le repos
ai)3olu , une diète sévère , etc. ; ils constituent le traitement
dit de Valsalva, et sont les seuls praticables dans les ané-
vrismes internes : dans les anévrismes externes, ils secon-
dent efficacement l'action des moyens locaux. Dans l'apph'-
cation de ceux-ci, on se propose, soit de déterminer la
coagulation du sang, soit d'intercepter son cours à l'aide
de procédés mécaniques. Pour favoriser la coagulation , on
emploie quelquefois avec succès les topiqîics réfrigérants, la
glace, etc. On a aussi proposé ou essayé, dans ce but,
divers procédés plus au mohis rationnels; nous citerons l'i-
<!ée inc/'nieuse de Pravaz, qui conseille de coaguler le sang
à l'aide de l'électro-puncture, c'est-à-dire à l'aide d'aiguilles
unplantées dans la tumeur et sur lesquelles on fait arriver
un courant électrique. Mais la compression et la ligature
sont, en général, les seuls moyens réellement efficaces. La
compression se pratique tantôt sur la tumeur elle-même,
tantôt au-dessus ou même au-dessous. La ligature se place
ordinairement au-dessus du sac anévrismal sans toucher à
lanévrisme, c'est la méthode d'Anel; mais lorsque ce pro-
cédé est inapplicable, on lie l'artère au-dessous : c'est la
mélhixlc de Bra^dor; enfin, dans une autre mélhod»;, on lie
le vaisseau au-iîessus et au-dessous de la tumeur, (|u'on a
vidée. Aussitôt après l'opération, le sang cesse de pénétrer
dans le membre au-dessous de l'anévrisme par l'artère
étranglée ; mais une foulede petites branches «jui naissent do
la partie supérieure du vaisseau s'anastoniosaut avec des
branches semblables de la partie inférieure permettent à la
circulation de se rétablir presque iuuuédiatement. Le calme
de l'esprit, la tranquillité du corps, l'immobilité de la partie
sont surtout nrcessaires après l'opération. La sévérité du
régime doit être très-grande. Une fois les ligatures tombées
la plaie ne tarde pas à se fermer ; mais le membre reste en-
core longtenq)s avant de reprendre son embonpoint et su
force primitive.
ANFOSSI (Pasquale), né à Naples, en 1729, reçut des
leçons de violon au conservatoire de sa ville natale, et étudia
la composition sous Sacchini et Piccini ; ce dernier lui té-
raoigua de l'amitié , et lui procura , en 1771, un engagement
de compositeur au théâtre dclle Dame, à Rome. Sa position
ne s'en étant pas améliorée, son protecteur lui trouva
d'autres engagements. 11 en profita pour faire représenter,
en 1773, l'Inconnue pcrséailce, qui obtint un succès
complet, ainsi que la Fintagïardlniara, q-.ril donna l'année
suivante, avec \Avaro, il Gcloso di cimento et plusieurs
autres i>ièccs ; mais son grand opéra de VOlympïadc ayant
éprouvé en 177G une chute complète, le chagrin qu'il en
éprouva le décida à quitter l'Italie. 11 vint à Paris, décoré
du titre pompeux de professeui' au conservatoire de Venise,
et fit représenter au grand Opéra son Incomme persécuiée,
arrangée sur des paroles françaises; mms cette gracieuse et
délicate partition n'obtint pas le succès qu'elle méritait. 11
passa alors en Angleterre ( 1783) , oii il fut nommé direc-
teur du théâtre italien de Londres. Il revint à Rome
en 1787 , et y fit représenter plusieurs ouvrages dont le
succès lui fit oublier ses infortunes d'autrefois, et lui méritai
l'estime dont il jouit jusqu'à samort, arrivée en 1795. llavait
obtenu en 1789 les honneurs d'un triomphe musical, il y
a dans la musique d'Aufossi beaucoup de réminiscences de
Sacchini et de I^iccini , à l'école desquels il s'est fonné.
Mais il se distingue particulièrement par le goût , le senti-
ment musical, et l'art de développe!' les idées. Plusieurs
fmales de ses opéras sont des modèles en ce genre. Sa fé-
condité prouve qu'il travaillait facilement. Nous mention-
nerons encore Antigone, Démétrlus, il Pazzie de'Gelosi,
il Curioso indiscreto, t Viaggiatori felici, qui sont au
rang de=; meilleures productions dans le genre comique. Il a
en outre composé plusieurs oratorio et plusieuis Psaumes
sur des poèmes de Métastase.
ANGE (en grec àYysXo?, messager), substance incor-
porelle, intelligente, supérieure à l'àme de l'homme, mais
créée , inférieure à Uieu, et (ju'on a coutume de représenter
sous une forme humaine, avec des ailes. Ces êtres tiennent
le premier rang entre les créatures de l'Éternel ; et ils ont
été reconnus chez tous les peuples comme des intermédiaires
entre l'homme et la Divinité. Au christianisme seul n'appar-
tient donc pas exclusivement la croyance aux anges. La
Chine, l'Inde, l'Egypte en étaient imbues bien avant la venue
de Jésus-Christ. 11 en est question dans quatre chapitres du
Shasta : les Vcdaheila Zend-Avesta entrent dans de grands
détails à ce sujet, et les Perses ont eu, comme les chré-
tiens, la doctrine de l'ange gardien et du mauvais ange.
La tradition hébraïque primitive, en revanche, nous édifie
peu quant à l'origine des anges. Les livres de Moïse gardent
un silence presque absolu sur ces messagers du ciel. Ce n'est
qu'à de rares intervafies que le législateur du peuple juit
s'occupe des ministres des vengeances deJéhovah, sans tou-
tefois ni les définir ni raconter leur histoire. Nous ap|)re-
nons seulement qu'un ange s'est présenté à Abraham ,
qu'un ange a lutté avec Jacob, qu'un ange a arrêté Balaam,
qu'un aiige a accompagné ïobie, qu'un ange se tient ùux
71.
504 ANGE
abords drt l'arbre de lasdcnce. Mais de leurs noms rien; rien
dans les livres de Moise, rien dans les annales des Juges,
rien dans les psaumes de David , ni dans les cantiques de
Saloinon sur leur liif^rarchie, ni sur le terrible combat cé-
leste qui fait la base de la cosmog mie cbnHienne , cl divise
depuis qu'il a eu lieu ces bautes intelligences en bons nnges
ou simplement anges et en mauvais anges, diables ou dé-
vions.
Et pourtant , h l'exception des Saduct-ens, tous les Juifs
ailmettaient l'existence des anges, môme les Samaritains et
les Caraites, ce que démontrent Abusaïd, auteur d'une
version arabe du Pentateuiiue.et Aaron, juif caraite, auteur
d'un commentaire sur le même livre. Cela bien constaté, il
est de notre devoir de reconnaître, toutefois, que les anges
rejouèrent un rùle bien défini dans les cérémonies religieuses
de l'antique Israël qu'après la captivité de ce peuple à Ba-
bylone. On ne sait où Maïmonide a pris que l'ancienne tra-
dition juive comptait dix degrés ou ordres d'anges.
Le livre apocrv'plie d'Énocb nous offre sur les anges un
curieux passage, qui a inspiré un des plus gracieux poèmes
anglais modernes, les Amours des Anges de sir Tbomas
Moore : « Le nombre des liommes , dit Énocb , s'étant
prodigieusement accru, ils eurent de très-belles filles : les
anges , les brillants, egregori , en devinrent amoureux , et
furent entraînés dans une multitude d'erreurs. Ils s'a-
nimèrent entre eux; ils se dirent : « Choisissons-nous des
femmes parmi les filles des bommes de la terre. » Mais
.Semiades, leur prince, répliqua : « Je crains que vous
n'osiez pas pousser à bout votre dessein , et que Je ne de-
meure seul chargé du crime. » Tous répondirent : « Jurons
d'exécuter notre projet, et vouons-nous à l'analhème si nous
y manquons. » Et ils le jurèrent, et ils lancèrent au ciel des
impréciitions, et, au nombre de deux cents, ils s'éloignèrent
ensemble , du temps de Sared , et ils gravirent le mont
Hermonien, ainsi appelé à cause de leur serment; voici
les noms des principaux : Seraiaxas, Atarculph, Araciel,
Chobabriel, HosarapsicJi, Zaciel, Parmar, Thausael, Samiel,
Tiriel, Sumiel. Eux et les autres prirent des femmes en
l'an 1170 de la création, et de ce commerce naquirent trois
genres d'hommes. »
Mais c'est à partir seulement de la captivité de Babylone
que nous apprenons d'Isaïe que Dieu est porté sur des nuées
de chérubins, que des séraphins chantent ses louanges,
qu'un ange, nommé Michel, défait un ange déchu, qui n'est
autre que le démon, et qui s'appelle Asmodce. Que con-
clure de tout cela, sinon que le dogme des anges, qui existait
de temps immémorial chez les mages de Cbaldée , s'est in-
troduit à cette époque chez les Hébreux , pour y acquérir
peu à peu les développements que nous lui connaissons ?
Daniel parle de l'ange Michel, de l'ange Gabriel ; mais Da-
niel n'a-t-il pas été élevé par les Chaldéens? n'a-t-il pas
vécu delà vie des courtisans au palais du roi de Babylone?
Uriel et Jérémie, anges tous deux, ne sont-ce pas deux noms
ignorés des Juifs avant leur exil, et le Thalmud ne déclare-
t-il pas positivement que ces personnages nouveaux vien-
nent de la Cbaldée? Inutile de prolonger celte énumération,
quand nous savons par Zoroastre, dont les livres précèdent
d'un bon nombre de siècles la première prédication de
l'Évangile, que les Juifs et, après eux, les chrétiens se sont
complètement approprié sous ce rapport la doctrine chal-
déenne. La vous trouverez encore Dieu le père sous le nom
d'Ormuzd, Lucifer sous le nom d'Ahriman et les légions sa-
crées se bataillant entre elles sous une foule de qualifica-
tions bizarres. Là vous verrez enfin le chef des démons des-
cendre du ciel sur la terre sous la forme d'une couleuvre,
et répandre dans l'univers la désolation du mal.
Quelles que soient, du reste, les distinctions qui doivent
exister, on le pense bien , entre le dogme de la Cbaldée et
celui du christianisme relativement aux anges, n'oublions
(xis de retracer ici que la doctrine calholicpie, comme celle
de Zoroastre, rapporte l'origine du mal parmi les hommes à
la cluite des esprits célestes. Il serait néanmoins diflicile
de préciser exactement le nombre des anges déchus. L'o-
pinion reçue, s'appuyant sur l'Apocalypse de saint Jean, pense
que le démon n'entraîna avec lui que le tiers des intelli-
gences bienheureuses. Quant aux classifications méthodiques
(ju'on a établies dans la troupe des anges , elles ne reposent
pour la plupart que sur des noms génériques trouvés dans
les livres des prophètes et dans quelques épitres de saint
Paul. Il serait difficile d'être plus précis à l'égard de leur
nature, car il y a dissentiment complet, sur ce point comme
sur beaucoup d'autres, entre les Pères de l'Église. Saint Clé-
ment d'Alexandrie, Origène, Césaire, Jean de Thessalonique
et ïertuUien prétendent que les anges sont des êtres cor-
porels. Saint Athanase, saint Cyrille , saint Basile et saint
Jean Chrysostome les regardent comme de purs esprits, et
ce sentiment, émis par le concile de Latran, en 1225, a été
depuis adopté par l'Église entière. Pour elle il n'y a que trois
sortes de créatures : les créatures spirituelles, les créatures
matérielles, et les créatures qui participent des unes et des
autres. Les premières forment les anges, les secondes la
nature physique et animale, les troisièmes le genre humain.
Elle rend un culte particulier aux trois anges Michel, Ba-
phael et Gabriel, et croit, d'après le même concile, que
tous les anges ont été créés bons, que quelques-uns seule-
ment sont déchus depuis leur révolte , doctrine entièrement
opposée au manichéisme. Les anges déchus sont condanmés
au feu éternel ; leur supplice n'aura pas de fin. « Leur crime
est d'autant plus irrémissible, dit saint Grégoire, que n'ayant
pas l'attache de la chair , il leur était plus facile de persé-
vérer. »
Les auteurs ecclésiastiques divisent tous les anges restés
fidèles à Dieu en trois hiérarchies, et chaque hiérarchie en
trois chœurs ou ordres. La première comprend les sern-
phins, les chérubins et les trônes; la seconde, les domina-
tions, les vertus qUcs puissances ; la troisième et dernière,
les principautés, les archanges et les anges. Voici main-
tenant leurs divers attributs, d'après saint Denys l'Aréopa-
gite : les, séraphins excellent par l'amour, les, chérubins par
le silence, et c'est sur les trônes que règne la majesté divine.
Les dominations ont pouvoir sur les hommes , les vertus
recèlent le don des miracles, les puissances s'opposent aux
démons, les, principautés veillent sur les empires; enfin
les archanges et les a7iges sont les messagers de Dieu, avec
cette seule différence que les missions les plus importantes
sont dévolues aux premiers.
Le nombre des anges est incalculable. « Des milliers de
milliers d'anges le servaient , dit Daniel , et mille milliers
d'anges l'assistaient. » Jésus, s'adressant à l'apôtre qui a tiré
l'épée pour le défendre , lui dit : » Croyez-vous que je ne
puisse pas prier mon Père et qu'il ne m'enverrait pas plus
de douze légions d'anges? » La fonction principale des anges
est exprimée par le nom même à' envoyé qu'ils ont reçu . Outre
les missions confiées à Baphael et à Gabriel , nous voyons
d'autres anges arrêtant le bras d'Abraham, qui va sacrifier
son fils, prédisant à Sara qu'elle sera mère, consolant Agar
dans le désert et lui indiquant une source pour ranimer Is-
mael mourant, luttant avec Jacob pour éprouver sa force,
sauvant Loth de l'incendie de Sodome, secourant Machabée
au milieu du combat, délivrant saint Pierre de son cachot,
apportant sur leurs ailes le prophète Hahacuc à Daniel plongé
dans la fosse aux lions. Enfin, les Livres saints nous parlent
des fonctions diverses que rempliront les anges au joiu- du
jugement dernier ; mais indépendamment de ces missions
extraordinaires que Dieu leur confie, lorsqu'il le juge con-
venable, il a placé auprès de chaque fidèle un bon ange
chai-gé de le conseiller et de le protéger. C'est pourquoi on
le nomme ange gardien. Ces anges, qui occupent le dernier
rang dans la hiérarchie céleste, forment la chaîne divine qui
unit la créature au Créateur. Ces gardiens que nous recevons
ANGE —
en naissant selon saint JtVônip, aprt'>slc baptrmc seulement
suivant Ori^ènc, nous excitent à choisir le bien et à éviter
le mal; nous soutiennent dans les moments de tentation;
nous i)réservent dans le danger, otïrent nos prières à Dieu
et prient aussi pour nous. A la mort dos justes, ils s'em-
parent de leurs imes pour les porter au ciel ou dans le pur-
gatoire. La croyance aux anges gardiens a été unanimeu'.ent
admise par l'Église, qui ne prononce pas, cependant, d'a-
nathème contre ceu\ qui la rejettent. 11 est même probable,
à en croire certains théologiens, que les fidèles ne jouissent
pas seuls du privilège d'en avoir et que chaque homme en
général a le sien. Une opinion qui est aussi fort générale,
c'est que chaque nation , chaque pays, chaque église, chaque
communauté, chaque élément, chaque astre même et chaque
étoile a son ange particulier, présidant à ses mouvements
et à sa conservation : c'est à ce titre que l'archange Michel
est regardé comme l'ange tutélaire de la France.
ANGE {i\umismafique). Voyez Ancei.ot.
ANGE, nom d'une famille qui a occupé le trône de
Constantinople. Elle ceignit le diadème en 1185, dans la per-
sonne (Tisane PAxce, deuxième du nom, successeur d'An-
dronic Comnène, qui avait ordonné sa mort et fait périr
sa famille. II fut même porté au palais impérial à l'instant
où on le conduisait au supplice. Prince faible et superstitieux,
détourné, par un prétendu prophète, de la bonne voie dans
laquelle il était d'abord entré, il se rendit odieux à force de
débauches, et fut détrôné, en 1195, par Alexis l'Angf, son
frère, qui lui lit crever les yeux; mais un autre Alexis, son
fds, appela à .son secours les croisés : rétabli sur le trône
en 1204, il fut .six mois après détrôné de nouveau et rois à
mort, avec son (ils, par Alexis Du cas.
AIVGE (Frère ou Père). T'oyfC Joveise-
AXGELI (FiLippo), peintre paysagiste, né à Rome, vers
la fin du seizième siècle , et mort en 1645, à Florence, où
l'avait attiré la généreuse protection que le grand-duc de Tos-
cane, Cosme II, accordait à tous les artistes, est célèbre pour
avoir le premier soumis la composition des paysages aux
règles d'une exacte perspective. Ses tableaux sont devenus
rares : aussi les amateurs, quand ils en rencontrent, les
paient-fls des prix fous.
AIVGEH ( L' ) , est au nombre de ces singuliers per-
sonnages que les rois, les princes et quelques grands sei-
gneurs avaient l'usage de conduire à leur suite sous le nom
ilefousen titre d'office {Voi/cz Cqvr [Fous de] ). L'An-
geli fut l'un des derniers revêtu de ce singulier emploi, qu'il
exerça durant le règne de Louis XIII et dans les premières
années du règne de Louis XIV. Il avait commencé par
sui'sre, comme valet d'écurie, le prince de Condé dans ses
campagnes de Flandre. Ce prmce l'ayant conduit à la cour,
le donna au roi, qui le lui demanda. L'Angcli ne tarda pas
à faire une fortune assez rapide, ce qui faisait dire à Mari-
gny, le chansonnier : « De tous les fous qui ont accompagné
M. le prince en Flandre, L'Angeli lui seul a fait fortune. »
;Suivant quelques auteurs, il aurait amassé une somme de
vingt-cinq mille écus, rien qu'avec les présents que chacun lui
faisait, d'après les bons mots qui lui sont attribués. C'est
principalement par les traits satiriques qu'il savait lancer à
propos que L'Angeli mérita quelque réputation. Se trouvant
un jour au diner du roi avec le comte de Nogent, il dit à
ce seigneur : « Couvrons-nous , cela ne tire pas à consé-
quence pour nous deux. » Ménage prétend que cette rail-
lerie abrégea les jours du comte de logent , ce qui nous
parait lûen hasardé. M. de Beautru n'aimait pas L'Angeli,
«lit aussi le même écrivain, parce que ce dernier se faisait
toujours un plaisir de le railler. Un jour que L'Angeli était
dans une compagnie où il y avait déjà quelque temps qu'il
faisait le fou, M. de Beautru vint à entrer; sitôt que L'An-
geli l'eut aperçu , il lui dit : « Vous venez bien à propos
pour me seconder; je me lassais d'être seul. » lîoileau a
contribué pour une grande part à illustrer le nom de ce
ANGELOT sfi.-i
personnage facétieux ; dans sa première satire , il a dit :
l'n poêle à la cour t'init j.mlis i\c mode,
M.iis lies fous .iiijoiiril'liiii c'est le pliis incommode,
F.t IVspril le plus beau, l'auteur le pins pnli
N'y parviendra jamais au sort de l/ANGEi.r.
Et dans sa huitième satire, en parlant d'Alexandre ;
Ce fongueux L'Anjeli, qui, de sanp; alléré,
Mailrc du monde entier s'y trouvait trop serré.
LeRodx dëLincy.
ANGÉLIQUE. Cette plante, dont le nom vient des
qualités éminentes qu'on lui a attribuées , appartient à la
famille des ombellilères. Elle est vivace, et croît naturelle-
ment en diverses régions de la France et de l'Europe. Les
racines sont blanches à l'intérieur, brunes au dehors, char^
nues , fusiformes, très-rameuses ; la tige est cylindrique ,
d'une odeur et d'une saveur aromatique agréables, tandis
que les racines sont Acres et amères. Si on incise la tige ou
la racine sur la plante vivante, il en découle un suc lai-
teux, qui se sèche, se concrète et (orme une gomme-résine
jouissant à un haut degré des mêmes vertus que les j)arties
dont elle découle. Les graines sont courtes , obtuses et
bordées d'ailes membraneuses. Les fleurs en ombelles,
doubles au sommet de la tige , sont de couleur verdàtre.
Sa tige robuste, droite, qui s'élève à la hauteur de deux
mètres, et qui s'accompagne d'un feuillage é^ais, nombreux
et du plus beau vert, en ferait encore une de nos plus belles
plantes d'ornement , si ses propriétés médicinales et ali-
mentaires ne l'eussent appelée à de plus importantes desti-
nations. On cultive l'angélique dans les lieux humides de
nos jardins , sur les bords des fossés et des étangs. En
Norwége, en Laponie, en Islande, les habitants l'emploient
dans leur alimentation et la font entrer dans leur médecine
domestique. Nos confiseurs en font des sucreries délicieuses.
L'angélique est cordiale , stomachique , carminalive et
vermifuge. Elle jouit de propriétés excitantes très-pronon-
cées , que l'on met à profit dans toutes les maladies dans
lesquelles une impression stimulante peut être utile. Ou
l'administre avec avantage conti e la dispepsie , les vomis-
sements spasmodiques , les coliques flatulentes; on l'emploie
aussi dans l'aménorrhée , la chlorose , les catarrhes chro-
niques. L'angélique entre dans une foule de médicaments
composés (eau de mélisse des carmes, la tliériaque céleste, le
baume du commandeur, etc. ). On fait avec la tige une con-
serve qu'on administre avec succès dans les convalescences.
ANGÉLIQUES, hérétiques des premiers siècles de
l'Église , dont parlent saint Augustin et saint Epiphanc ;
mais ces deux auteurs ne sont point d'accord sur l'origine
de ce nom. Le premier les nomme ainsi parce qu'Ds pré-
tendaient mener une vie angélique , le second parce qu'ils
attribuaient aux anges la création du monde, et qu'ils
leur rendaient un culte divin. Cette hérésie pourrait même
remonter jusqu'au temps des apôtres, sous le nom d'angé-
lolàtrie , puisque saint Paul , dans son épitre aux Colos-
siens, tait mention du culte superstitieux des anges. C'est
dans le troisième siècle surtout que la doctrine des angéliques
fit des progrès rapides. Ils se répandirent dans la Pisidie
et dans la Phrygie, y fondèrent des oratoires , prêchant que.
Dieu étant invisible et incompréhensible, on ne pouvait
atteindre jusqu'à lui que par l'entremise des anges. Ces pau-
vres gens soutenaient qu'ils les voyaient fort bien. Le con-
cile de Laodicée, tenu vers l'an 362, ne fut point de cet avis;
et parmi les soixante canons émanés de ce concile il en
est un qui frappe les angéliques d'anathème et qui leur dé-
fend d'ériger des oratoires aux anges. L'Église est devenue
à cet égard plus tolérante.
ANGELOT ou AXGE , espèce de monnaie qui avait
cours en France vers 1240 , et valait un écu d'or fin. Il y a
eu des angelots dediverspoidsetde divers prix. Usportaicnt
l'image de saint Michel, tenant une épée à la main droite.
500
ANGELOT
et à la gauche un écu charçc* de trois fleurs de lis, ayant h
ses pieds un serpent. On en frappa sous Pliilippc de Valois.
11 y en eut d'autres sous Henri VI, roi d'Angleterre : ceux-ci
avaient l'empreinte d'un ange portant les écus de France et
d'Angleterre. Us valaient quinze sous , pesaient 44 î grains
de marc de Paris, se composaient de 23 4 d'argent fin
et de î d'aloi, et avaient été frappés pendant que les Anglais
étaient maîtres de Paris.
AIVGELUS, prière instituée par l'Église catholique pour
honorer le mystère de l'Incarnation. Par ce mot seul
elle rappelle la venue de l'ange Gabriel vers Marie , la sa-
lutation qu'il adressa à cette vierge immaculée et la rédemp-
tion du genre humain. Elle est appelée Angélus parce qu'elle
commence par ce mot. Elle se compose de ([uatrc versets et
de quatre répons, dont trois sont tirés de l'Évangile, de
trois Ave, Maria tt d'une oraison par laquelle on demande
h Dieu sa grâce et le salut éternel par les mérites de Jésus-
Christ. Les chrétiens ont dû se complaire à répéter souvent
ces paroles, qui révèlent de si divins mystères ; elles entre-
tiennent dans l'espérance des biens éternels. Nul doute ,
quoique l'on n'en connaisse point la date, que l'Angelus,
depuis bien lonr^tcmps , a élc sonné au point et à la chute
<Ui jour ])our encourager l'homme à commencer ses travaux
et le bercer de douces pensées an moment de se livrer au
sommeil. Ce fut pour rappeler aux fidèles les dangers que
Mahomet II ht courir à la chrétienté qu'un pape ordonna les
coups de cloche du milieu du jour, que l'on appelle V An-
gélus de midi.
Les souverains pontifes ayant accordé à ceux qui réci-
tent cette prière un grand nombre d'indulgences, on a
donné à cette prière le nom de pardon , témoin ces vers
du Lïttrin :
Quoi ! le pardon sonnant te retrouve en ces lieux ?
Anciennement le coup de l'Angelus réglait les habitudes
de la vie dans les cités , comme il les règle encore dans les
campagnes ; et il est des pays où le son de cette cloche réunit
dans un même esprit tous ceux qui l'entendent résonner.
Les Italiens et les Espagnols mettent une plus grande impor-
tance que les Français à la récitation de V Angélus. Vous
lirez au sujet des premiers l'anecdote suivante dans le
Ménagiana :
« Deux Français se cherchaient en vain sur la place du
Vieux-Palais, à Florence, à cause de la multitude qui entou-
rait un baladin; YAngclus vint à sonner : aussitôt les Ita-
liens de se mettre tous à genoux, et les deux Français, se
voyant seuls debout , se reconnurent et se retrouvèrent. »
Quant aux seconds, voyez sur la plage de Cadix, au cou-
clier du soleil , une foule élégante et nombreuse se presser,
s'îigiter gaiement en rcppirant l'air frais, après une journée
bridante ; mais l'Angelus sonne : aussitàt les femmes abais-
sent leurs mantilles, les hommes se découvrent la tite;
tous demeurent inuiiobiles jusque après la récitation de la
salutation angélirjue. Dès que la prière est terminée , on
s'incline vers les amis ou les inconnus auprès desquels on
se trouve placé, on se dit bonsoir réciproquement, et
l'on reprend le cours de sa promenade. Il y a dans cette
coutume queltpie chose d'aimable et de fraternel, qui rappelle
l'égalité et la charité chrétiennes i)resque autant que le pour-
rait faire un long sermon sur ces vertus. Voyez Ave Mahia.
Comtesse de Bradi.
Al\GEiXl\ES ( Maison d' ). Cette famille remontait à la
fin du treizième siècle ; elle i)rit son nom d'un domaine situé
dans le Perche. Le premier dont il soit fait mention dans
riiistoire est Robert u'A\i;ennes, seigneur de Rambouillet
et de MaroUes : son petit-fils périt à Azincourt, en 1415.
Jacques n'ANCENNKS fut un des favoris de François F"' et
de ses successeurs; il devint lieutenant général des ar-
mées et gouvernetu' de Melz ; il cul neuf liis, parmi lesquels
onchstingiie C/^«?7r5, cardinal de Rambouillet, évOquo du
- ANGERS
Mans (15.10-87), un des représentants de la France au
concile de Trente et auprès de Grégoire XI H ; il a laissfe des
Mvmoires. — Claude, évêquc dcNoyon, puis du Mans, ar-
dent défenseur des libertés gallicanes à rassemblée du clergé
à Paris en 1585. 11 fut chargé d'annoncer à Sixte V l'as-
sassinat du duc de Guise et du cardinal de Lorraine. —
Cette famille était depuis longtemps en possession du mar-
quisat de Maintenon, lorsqu'elle le vendit à la célèbre Fran-
çoise d'Aubigné, depuis madame de Maintenon. — La
maison d'Angennes s'éteignit en la personne de Charles
d'Angennes , marquis de Rambouillet , tué au siège d'Arras ,
maréchal de camp , ambassadeur en Piémont et en Espagne;
il avait épousé la belle Catherine de Vivonne , dont il eut la
célèbre Julie-Lucine d'Angennes , remarquable par son
esprit et ses vertus. — Louis XIV la nomma gouvernaiite
des enfants de France, et la chargea de l'éducation du Dau-
phin ( 1661 ) jusqu'au moment où il passa entre les mains
de son mari , le duc de M on tau si er. Avant leur mariage
ce seigneur lui avait adressé, sous le nom de Guirlande de
Julie, une offrande poétique, composée de fleurs dessinées
par le peintre Robert et de madrigaux dus aux beaux-esprits
du temps et écrits par le calligraphe Jarry. Cette guiriande fit
beaucoup de bruit à cette époque. C'est chez la mère de
celte .Julie que se rassemblait la société dite de l'iiôtel de
Rambouillet. A. Feillet.
AIVGERMANRJLAND. Voijez Scède.
Ar\JGEROi\A, la déesse de la crainte et de l'inquiétude :
elle faisait naître ces sentiments, mais savait aussi en af-
franchir ceux qui l'imploraient. On la représentait ou la
bouche close ou le doigt appuyé sur la bouche. A Rome,
sa statue était placée sur un autel , dans le tem])le de Vo-
lupia,et l'on y célébrait en son honneur, le 21 décembre,
une fête nommée angeronalia.
ANGERS, ancienne capitale de l'Anjou, aujourd'hui
chef-lieu du département de Maine-et-Loire, est .situé
dans une plaine, un peu au-dessous du coniluent de la
Mayenne et de la Sarthe , à 270 kilomètres sud-ouest de
Paris. L'ardoise y est employée à profusion dans tous les
édifices, d'où lui est venu son nom, tiré d'un mot celtique
qui signifie noir, la Ville-Noire : car non-seulement les toits
en sont couverts , mais plusieurs maisons en sont entière-
ment construites ; il en est de même des murs entourant
d'immenses propriétés. Ces pierres donnent à la ville, sur-
tout quand on y arrive de Nantes , en remontant la Loire ,
un caractère étrange, qui est loin de déplaire, mais qui eu
rend l'aspect triste et sévère.
Angers a de beaux boulevards, et des maisons récemment
construites sinon avec beaucoup de goût , du moins avec
un étalage de luxe peu commun : les pilastres corinthiens
([ui y sont prodigués flanquent avec prétention les angles
de plus d'un édifice ordinaire. La cathédrale, conmiencéc
en 1225, est très-remarquable : elle porte le nom de Sainl-
Jlaurice ; son portail est orné de statues de chevaliers, repré-
sentant les anciens comtes d'Angers.
Cette ville est fort ancienne. Elle était la capitale dcSilH-
degavi avant la conquête de César, qui lui donna ou lui
laissa donner le nom de Juliomagus. Childéric la conquit
au profit des Francs. Elle fut pendant le neuvième siècle
dévastée par les Normands. Jean sans Terre l'entoura pour la
première fois de murailles vers 12'J0. Louis VIII les abattit,
Louis IX les releva. Ce dernier prince termina le château
commencé par PhlUppe-Auguste. Ce château futpris, en 1585,
par les calviniste;^. Assiégé successivement par les Francs,
les Normands, les Bretons et les Anglais, Angers fut vainement
attaqué en 1793 par les Vendéens {voyez l'article suivant).
Six conciles s'y sont réunis en 455, 1055, 1279, 1366, 1448
et 1583. A la prière de son frère Charies, comte d'Anjou ,
Louis IX y avait établi une universili-, et Louis XIV y fonda
en 1685 une Académie des belles lelîres.
Le 16 mai 1850, à midi, par une pl!iietorrenlielle,le 3* ba-
ANGERS ■
laillon (lu 11^ léj^.T approchait ir.\n!;oi*, précAli^ <1c la
musique, du lieutonanl-colond ot <lc son rlu^f de bataillon ,
tou'î (kniv à cheval. L'autorité locale, craignant qu'il ne fût
l'objet d'une ovation po])ulairc , décida qu'il arriverait par
le pont de fer de la IJasse-Chaine, au lieu de traverser le
pont de pierre (jui est au centre de la ville ; mais à peine
l'avant-i;arde et la musique venaient-elles de le franchir,
(lue les colonnes de la culée de droite'oscillirent et s'abî-
mi'rent avec un horrible fracas. Les cûbles de la culée de
pauche ayant tenu ferme, le tablier se trouva former une
rampe escarpée, sur laquelle glissèrent des compagnies en-
tières, écrasant de leur poids les pelotons tombés dans la
Maine. Malgré le temps alïreiix qu'il taisait, de promiils se-
cours arrivèrent. Losdeux ofliciers supérieurs furent sauvés;
mais deux cents militaires <le tout grade périnnt. En 1855, une
insurrection socialiste éclata dans les ardoisières : quatre
ou cinq cents individus, appartenant pour la plupart à la so-
ciété secrète la M a r i a n n e , entrèrent à Angers avec des ar-
mes et en chantant la Marseillaise. Elle fut au.<sitôt réprimée,
et donna lieu à de nombreuses condamnations.
Celte vLlle est le siège d'un évoque suffragant de Tours,
dont le diocèse comprend le département de Maine-et-
Loire ; elle a une cour impériale pour les déparlements de
Maine-et-Loire, Mayenne et Sarlhe, un tribunal et une ciiam-
bre de commerce, un lycée, une école secondaire de mé-
decine, une école normale primaire départementale, une
école d'arts et métiers, un séminaire diocésain, une biblio-
thèque de 2S,000 volumes, un beau musée de tableaux,
un cabinet d'histoire naturelle, un jardin botanique, etc.
L'industrie y est active. On y fabrique des toiles à voile,
de la corderie, des lainages, des bougies. Il y a des lilatures
de coton et de laine, des moulins à farine et à huile, des
tanneries, des chamoiseries, des imprimeries, de beaux
jardins-pépinières, et dans l'arrondissement de magniti-
ques carrières produisant IQO millions d'ardoises par an et
occupant 3,000 o^ivriers. I| s'y fait un important commerce
en grains, farine , chanvre, lin, graines de fourrage, légumes
secs, vins, ardoises, bois et huiles; un chemin de fer la
jelie à la capitale et à Nantes. Elle a 50,726 habitants. *
AÎVGËIIS (Combat d'). L'armée royale de l'Ouest, qui
venait d'éprouver plusieurs défaites, à la fin de 1793, re-
passa la Loire, et se dirigea vers Angers, dans le dessein de
s'emparer de cette ville et d'assurer sur ce point le passage
du fleuve. Quatre raille républicains, commandés par les
généraux Danican et Boucret, formaient la garnison de celte
ville. A l'approche de l'armée vendéenne, la garde nationale
prit les armes et se joignit aux troupes de ligne. Le 6 dé-
cembre 1793, à onze heures du matin, les royahstes attaquè-
rent les faubourgs d'Angers et s'en emparèrent. Depuis la
porte Saint-Aubin jusqu'à la Haute-Chaîne, vin^gt pièces d'ar-
tillerie garnissaient les remparts, que protégeaient des sacs
remplis de terre. La troupe de ligne occupait tous les re-
tranchements, et les habitants avaient demandé les postes les
plus périlleux. Partageant le danger commun , les femmes
leur portaient des munitions sous le feu le plus violent , et
secouraient les blessés. Les assiégés résistèrent avec énergie
à de vigoureuses attaques. Le combat dura tout le jour, et
.<e renouvela le lendemain avec la même opiniâtreté. Ce-
pendant la longue résistance des républicains avait décimé les
Vendéens et ralenti leur ardeur. Après d'inutiles cllorts et
trente heures d'une lutte opiniâtre, ils battirent en retraite, et
se dirigèrent sur la Flèche, laissant sur le champ de bataille
trois chinons et trois cents morts.
AiVGIiVE ( de cnjcre, suffoquer), inflammation de la
membrane muqueuse qui tapisse rarrière-bouche, ou le
c<.mmencement du canal aérifère. Elle prend ordinairement
le nom de la partie qu'elle affecte spécialement, d'où les
dénominations d'angine pharyngoe, lanjngée, tonsillaire,
sui'.aut qu'elle envahit le pharynx, le larynx ou les ton-
«Ues (amygdales). Dans ce dernier cas, la ma'adic ne se
- ANGINE 567
borne plus \ la membrane muqueuse, elle occupe la subs-
tance même de ces glr.ndes.
Ces diverses formes de l'angine reconnaissent à peu pros
les mêmes causes : c'est le plus souvent l'impression du
froid sur une partie quelconque du corps, l'action de va-
peurs ou de substances irritantes sur ces muqueuses, le ré-
sultat sympathique d'une affection de la matrice; clic ac-
compagne constamment la scarlatine.
L'angine gutturale ( qui s'accompagne presque toujours
de la phlogose des amygdales ) a pour signes principaux :
une déglutition douloureuse, difficile, quelquefois môme im-
possible. En faisant ouvrir la bouche autant que cela est
possible, et en abaissant la langue avec le manche d'une
cuiller, on constate une vive rougeur de la muqueuse af-
fectée et un gonflement plus ou moins considérable de la
luette et des amygdales, qui finissent souvent par se toucher
et par boucher complètement l'arrière-bouche. Aussi à ce
degré a-t-on ru souvent des malades suffoqués. Plus souvent
la maladie décroît d'elle-même, ou bien l'individu est subi-
tement soulagé par la rapturc d'un abcès dans les tonsillcs.
On dit alors qu'il y a esq uinancie. Quelquefois des aph-
thes recouvrent les parties malades ; ou bien, et notamment
dans la scarlatine, ce sont des membranes glaireuses ou sem-
blables à une couenne ; c'est ce qu'on appelle angine couen-
ncuse. Elle est improi)rement dite gangreneuse quand ces
membranes sont grisâtres, et qu'il s'en échappe une matière
sanieuse, fétide. Ces deux dernières formes s'accompagnent
ordinairement d'un assez grand danger. La durée de l'angine
gutturale varie depuis quelques jours jusqu'à deux ou trois
semaines. Fréquemment rinflammation des amygdales passe
à l'état chronique, et il en résulte une gêne permanente de
la respiration, qui a pour effet chez les enfants en bas âge
certaines déformations de la poitrine, dont on méconnaît le
plus souvent la véritable cause.
Le traitement de l'angine varie selon le degré d'intensité
de la maladie. Quand elle est légère, ime tisane délayante,
des bains de pied à la moutarde, des cataplasmes autour du
cou, quelques gargarismes éraolhents, suffisent pour en ar-
rêter les progrès. Quand elle est intense, accompagnée de
fièvre, il faut, selon les circonstances, pratiquer une ou deux
saignées, faire une ou plusieurs applications de sangsues.
L'émétique peut être utile quand il y a complication d'em-
barras gastrique. Une ponction est parfois nécessaire en cas
d'abcès; enfin, on se trouve assez fréquenament obligé, dans
l'état chronique, d'enlever une partie des amygdales indu-
rées et gonflées. Dans la forme couenneuse, gangreneuse,
on a recours à des cautérisations pratiquées à l'aide d'un
pinceau imbibé d'une solution caustique.
Vangine laryngée diffère de l'angine gutturale en ce
qu'elle n'offre pas la même difficulté dans la déglutition ;
mais il y a toux , enrouement ou extinction de voix plus ou
moins complète ; la douleur a son siège dans le larynx lui-
même, et l'on n'observe pas, en faisant ouvrir la bouche
au malade, les signes propres à l'inflammation de l'arrière-
bouche. Celte affection , plus grave chez les enfants que
chez les adultes, à cause de l'étroitesse du passage ouvert
à l'air chez ces derniers, accompagne fréquemment la
broncliite , la rougeole, la phthisie pulmonaire ; elle précède
assez souvent le croup. Son traitement ne diffère pas es-
sentiellement de celui que nous venons d'indiquer pour
l'angine gutturale.
Ancixe de poitiune. Cette maladie, qui n'a de commun
avec la précédente que le nom , est , à proprement parler,
une névralgie très-douloureuse du cœur, s'étendant com-
munément à tout le côté de la y)oitrine et jusque dans le
bras correspondant, avec un senlimonl d'anxiété et de suf-
focation insupportables. A un haut degré, refroidissement
des extrémités , altération des traits , arrêt de la circulation,
mort en quelques heures. Celtiî affection se montre ordinai-
remeat chez Ici personnes alLeip.tes d'inie lésion organique
568
ANGINE — ANGLE FACIAL
du cœur. Une forte application de sangsues, secondée par des
révulsifs aux extrémités et par l'administration intérieure de
calmants unis à des antispasmodiques, constituent la base du
traitement ordinairement prescrit. D"" Saucerotte.
ANGIO-LEUCITE. Voijc.z Eléphantiasis.
AIVGIOLOGIE ( du grec àyyeXov , vaisseau ; l6yoç ,
discours), partie de l'anatomie ([ui traite de l'usage des
vaisseaux composant l'appareil de la circulation. On en
distingue trois sortes différentes : les artères, \esvei-
71 es et \e<i vaissemix lymphatiques; et ils sont si nom-
breux, qu'il serait impossible d'enfoncer une aiguille dans
une partie quelconque du corps sans en intéresser quelqu'un.
ANGI VILLER ( Cu\rles-Claude LA BILLAIIDRIE ,
comte d'), de l'Académie des Sciences, de celle de peinture
et de sculpture, ordonnateur général des bâtiments du roi,
jardins, arts, académies et manufactures royales, jouit d'une
grande influence sous Louis XVI , qui le consultait môme sur
le choix de ses ministres. Par ces atlTibutions , qui répon-
daient à celles d'intendant de la liste civile, il exerçait sur les
gens de lettres et sur les artistes un patronage dont ceux-ci
eurent constamment à se louer. C'est à lui qu'on doit l'idée
d'avoir réuni au Louvre cette foule de travaux de sculpture
et de peinture qui font la gloire de la nation. Il continua
l'œuvic du comte de Biiffon dans les accroissements que ce
grand naturaliste avait donnés au Jardin des Plantes. Bien
qu'il eût pris part à l'élévation de Turgot au ministère , et
qu'il fût un économiste ^élé , personne ne fut plus opposé à
la révolution de 17S'J. Accusé à la séance du 7 novembre
par Charles de Lanieth de multiplier les dépenses et d'en
présenter un emploi exagéré , il fut, le 15 juin 1701 , sur le
rapport de Camus , atteint par un décret qui prononçait la
saisie de ses biens. H partit alors pour l'émigration , et ,
après avoir résidé quelque temps en Allemagne , se rendit
en Russie, où l'impératrice Catherine II lui accorda une
pension. Il mourut à Alloua, en 181(X
Le comte d'Angiviller avait épousé une veuve célèbre par
sa beauté et son esprit, madame Marchais , née de la Borde,
dont il est tant parlé dans la Correspondance de Grimjn
et dans les Mémoires de Murmontcl. Admise, dès 1748,
dans l'intimité de madame de Pompadour, elle jouait la
comédie sur le théâtre des petits apparlements , et parve-
nait à amuser l'ennuyé Louis XV. Étant madame Marchais,
son salon réunissait tout ce que la cour avait de plus ai-
mable , les arts et la littérature de plus distingué : Buffon ,
Thomas, Laharpe, Ducis, l'abbé Maury, Marmontel, etc. ,
s'honoraient d'être de ses amis. Devenue madame d'Angi-
viller, sa maison fut plus que jamais le rendez-vous de celle
société d'élite. Pendant le consulat et l'empire, c'était une
petite vieille réfugiée à Versailles, laide, grotesque; mais
sous son enveloppe ridicule, on trouvait, dit le duc de Levis,
un esprit supérieur, un jugement aussi sain que prompt ,
de la chaleur sans enthousiasme, du piquant sans aigreur,
du savoir sans pédanterie, une amabilité égale et soutenue;
on ne se lassait point de l'entendre. Grâce à quelques sa-
crifices qu'elle avait faits aux mo'urs du jour, sous la Teneur
envoyant par exemple , un jour, le buste de Marat à la
société populaire du chef-lieu de Seinc-et-Oise , elle avait
traversé heureusement la révolution, et, sans perdre aucune
de ses habitudes excentriques, elle mourut dans celte ville
le 14 mars 180S, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Ducis,
qui habitait aussi Versailles, lui resta fidèle jusqu'au dernier
soupir. Les pauvres eurent sujet de la regielter, car ses bien-
faits soutenaient plus de trente familles. Ch. nu Rozoir.
ANGLAISE. Nom d'une danse originaire d'Angleterie,
comme son nom l'indique, et qui a cessé d'être en usage,
sauf dans quchiues provinces éloignées du pays qui l'a vue
naître. Le galop actuel peut en donner une certaine idée.
Dans cette danse le caractère du rhythme nujsical était le
retour fréquent et presque continuel de la croche pointée
sui\ ie de la ilouble croche dans la mesure à deux-ipiahe. On
a q\ieIqnefois composé des anglaises purement instrumen-
tales. 11 est assez digne de remarque que les Anglais, dont le
maintien est grave et composé, et dont les mouvements sont
lents et compassés, aient possédé des danses qui pour la grâce
et la vivacité ne le cèdent à celles d'aucun autre peuple.
ANGLE ( du latin angulus ). Ce terme de géométrie
désigne l'inclinaison d'une droite sur une autre, qu'elle ren-
contre. Le point de rencontre est le sommet de l'angle; les
droites en sont les côtés. La grandeur de l'angle ne dépend
nullement de la longueur de ses côtés , mais seulement de
la différence de leurs directions. Lorsque les deux côfés sont
perpendiculaires, l'angle reçoit le nom d'angle droit, et c'est
ce qu'on appelle dans les arts angle d'équerre. Vangle aigu
est plus petit que l'angle droit ; Vangle obtus est plus grand.
La grandeur des angles se mesure sur le papier, au moyen
d'un instrument appelé rapporteur ; sur le terrain, on se
sert du graphomctre. — Les angles dont nous venons de
parler, ayant pour côtés des droites , se nomment angles
rcctïUgnes, pour les distinguer des angles qui ont pour côtés
des lignes courbes et qu'on appelle angles curvilignes;
panni ceux-ci les plus remarquables sont les angles sphé-
riqxies, formés par l'intersection de deux grands cercles d'une
sphère. Du reste, pour évaluer un angle curviligne, on me-
sure l'angle rectiligne formé par les tangentes menées jjar
le sommet à chacun des côtés. — Vangle dièdre est formé
par l'inclinaison de deux plans qui sont h?, faces de l'angle,
tandis que leur intersection en est Varéte. Enfin, Vangle so-
lide ou 2^olijèdre est formé par la rencontre de plusieurs
plans en un môme point , comme cela a lieu an sommet
d'une pyramide. — L'angle sous lequel on voit un objet est
celui qui a pour sommet l'œil de l'observateur et dont les
côtés passent par les extrémités de l'objet; il reçoit le nom
d'angle optique ou angle visuel. — Pour les expressions :
angle d'incidence, de réflexion, de réfraction, de pola-
risation, horaire, etc., voyez les mots iNcmESCE, Ré-
flexion, etc. — Pour les angles en fortification, voyez
Fortification.
ANGLE FACIAL. C'est une opinion reçue chez tous
les hommes que l'intelligence d'un animal dépend du vo-
lume de son cerveau. Camper et les anatomistes modernes
ont proposé un moyen fort simple pour évaluer ce volume.
Il consiste dans l'observation de l'ouverture d'un angle
formé par deux lignes imaginaires tirées , l'une du point le
plus saillant du front, au bord des dents incisives supé-
rieures ; l'autre , de ce dernier point , et passant par le con-
duit auriculaire : cet angle s'appelle facial. Plus l'angle
facial est aigu, plus le cerveau de l'animal est censé petit.
Cette vérité est confirmée par un gi-and nombre d'observa-
tions. L'homme, le plus intelligent des êtres créés, est auss'i
celui qui , toutes proportions gardées , a reçu de la nature le
cerveau le plus volumineux , ou , pour parler autrement ,
l'homme est de tous les animaux celui dont l'angle facial
est le i)lus grand. L'ouvertaie de cet angle diminue à me-
sure qu'on s'éloigne de l'homme et qu'on s'approche des
animaux qui occupent les derniers degrés de l'échelle. Chez
les reptiles et les poissons, la tête est formée presqu'en to-
talité par deux mâchoires horizontales ; aussi la capacité du
crâne de ces animaux est-elle fort petite, ainsi que leur in-
telligence.
Les artistes de la Grèce , qui , comme on sait , étaient
doués au plus haut degré du sentiment du beau et des con-
venances , ont donné à la tète de leurs dieux un angle facial
très-ouvert, et qui approche en général de l'angle droit.
Les Européens, étant sous beaucoup de rapports les plus
habiles des hommes, ont aussi l'angle facial plus ouvert que
les autres peuples, comme on le voit parles rapports qui
suivent : V Apollon du Belvédère a un peu plus de 00° ; dans
les i)lus belles tètes des Européens , on trouve de 80 à 85° ;
chez les individus de la race mongole, 75"; chez les nè-
gres, de 70 à 72"; l'orang-outang a 07", le sapajou 65",
ANGLE FACTAL
les joniiff* niandrillos 'il", les cliiciK-màliii^ ''iT, le rlie-
v;il :>;>'. Ce (Icrnior cliilTic iiuli<iiit'rait que le clicval doit
<^tri' un fk's nnimauv les plus slupides, et néanmoins il est
«loué «le beaucoup d'intellipence ; d'où il faut eonclnic que
l'angle faeial est ini moyen peu fidèle |>our évaluer le vo-
liimedu cerveau dans les animaux : les analomistesen donnent
pour raison principale la saillie, quelquefois très-grande, des
sinus frontaux (cavilés creusées dans l'os du Iront ), et qui, ne
logeant aucune portion du cerveau, dont une cloison osseuse
les sépare, peuvent donner le clian<;o sur son volume réel.
On doit à Cnvier e.nc règle cjui semble plus exacte : elle
consiste à comparer l'clendue interne du crâne à celle de la
face, en mesurant comparativement les aires de leurs ca-
vités dans une coupe vertical^ et longitudinale de la tète. Il
résulte, d'après ce procédé, que dans l'Européen l'aire
lie la coupe du crûne est quadruple de celle de la face, en
'y comprenant point la mâcboire inférieure : dans le nègre,
l'aire de la face augmente an moins d'un cinquième; dans les
sapajous, elle est la moitié de celle du crûne ; eniin, dans les
animaux inférieurs aux quadrumanes, l'aire de la coupe du
cn\ne est moins grande que l'aire de la face. Teyssldke.
AI\GLEMOi\T (ÉDOUARD-HuBF-r.T-SciPiON n'), né à
ront-.\udenier ( Eure) le 28 décembre 1798, entra d'abord
dans l'administration de la marine et suivit ensuite la car-
rière des lettres. Venu à Paris, il y publia, en 1825, un vo-
lume d'odes, qui fut suivi de Le Cachemire, comédie en
cinq actes, en vers (avec M. Lesguillon), et d'un poème,
Berthe et Robert. Il mit en français l'opéra de Tancrède de
Rossini (avec M. Lesguillon) pour l'Odéon, et donna peu
après les Légendes françaises , puis Paul l^r^ drame, à
l'Ambigu ( avec M. Th. Mmet ). Il a encore fait imprimer le
Duc d Enghien, bistoirc-drame, eti'è/en'?îrt<;e.ç ( en vers). Z.
ANGLEMOi\T (Alexandre PRIVAT d'), un des écrir
vains de ce qu'on est convenu d'ajjpeler la Bohême
littéraire, était né à Sainte-Rose (Guadeloupe), vers 1815,
d'une famille de couleur, il perdit jeune ses parents, elfut
envoyé par son frère à Paris, où il fit ses études au collège
Henri IV; i! prit ensuite des inscriiitions à l'école de mé-
decine, et puis se jeta dans la petite littérature. On a dit que
comme Mercier, Privât écrivait ses articles avec ses jambes :
ses Petits Métiers et se» Industries inconnues, montrent
bien « les dessous de Paris. » Mm cette vie de boliême tue
les plus forts ; après un hiver j-assé à la Charité, Privât dut
encore entrer à rhô|iital La Rito-sière; il eu était à peine
sorti qu'il dut aller à la maison de sanlé municipale, « cet
hôpital de la Société des gens de lettres, » où il mourut le
18 juillet 1859. Ses principaux articles ont été réunis avec
quelques pièces inédites sous ces titres : Paris-anecdote tt
Paris inconnu, avec une notice par M. Delvau. Z.
ANGLES ( Ethnographie). Voyez Anglo^Saxons.
A\GLES (Charles-Grégoire), né en 1730, con-
seiller au parlement de Grenoble, se montra fort opposé à
la première révolution française , et se réfugia en Savoie
<lès qu'elle éclata. Arrêté au moment où ii essayait de ren-
trer en France, et détenu longtemps dans les prisons de
l'Isère, il allait être traduit devant la commission révolu-
tionnaire d'Orange, quand Rol)espierre tomba. Sous l'em-
pire, il lut nommé maire du village de Vognes, où il était
né, puis membre du corps législatif en 1813, conseiller de
préfecture en 1815, et enfin premier président de la cour
royale de Grenoble. Député de l'Isère lors des élections de
s<.'(itembre 1815, ii présida la chambre, comme doyen d'âge,
à l'ouverlure de cinq sessions successives. Il occupait le
lauteuil lors des orageux débats qui tirent exclure de l'as-
semblée le conventionnel Grégoire. Assis an coté droit.
Angles appuya, du reste , toutes les lois suspensives cie la li-
berté. Il ne luti)as réélu eu 1822, et mourut le 5 juin 1823.
ANGLES (Jules), fils d'u |irccédenl, né à Grenoble,
en 1780. fut d'abord <lostiné à l'état militaire , et entra à
l'École polytechnique. Venu à Brest pour s'y faire recevoir
DICT. DE LA CONVEUSATIO.M. — X. I.
ANGLESEY
5GU
dan-^ l'arlillerie di' marine, il fut présenté à l'amiral Morani
de Galles, dont il «'pousa la fille. I^a grande fortune qu'elle
apportait à son Uîari lui servit d'échelon pour parvenir aux
plus hauts om|)lois. Recommandé à Napoléon, il devint au-
diteur au conseil d'État en 1806, intendant en Silésic, puis
à Salzbourg et à Vienne, commissaire du gouvernement
français près de la régence d'Autriche, comte de l'empire,
maître des requêtes et directeur, en l80i), du iroisiènn; ar-
rondissement de la police impériale comprenant les dépar-
tements au delà des .Mpes.
L'année 1814 le retrouve ministre de la police du gouver-
nement provisoire, sous le titre de commissaire chargé de
ce département. Il poursuit aussitôt, sans pitié, les pam-
phlets, placards, affiches, feuilUîs publiques dirigés contre
les puissances coalisées, et rétablit le 7 avril la censure des
journaux. RI aub reui I , qui pi étendait avoir été chargé
d'assassiner l'empereur, reçut de lui ses instructions.
Le ministère provisoire de la police ayant été .supprimé
le l3 mai et remplacé par une simple direction générale,
confiée au comte Beugnot, Angles, qui avait été nommé
conseiller d'Élat, resta sans fonctions actives jusqu'au
20 mars. Forcé alors de quitter la France , il se rendit à
Gand avec un passe-port du duc d'Otrante , redevenu mi-
nistre de la police ; le rétablissement du pouvoir royal après
Waterloo le rappela à Paris. Decazes, ayant été chargé
h son tour du [)ortefeuille de la police, en confia la préfec-
ture à Angles, nommé ministre d'État en septembre 1815.
La police, non contente de pourvoir aux subsistances,
d'empêcher les rixes entre les bonapartistes et les militaires
de l'armée d'occupation , de réprimer les libelles, de saisir
les conspirateurs, voulut encore prévenir les complots, et
inventa , pour y mieux réussir, les agents provorat<;urs.
Cç fut ainsi que \es patriotes de. islG, Pleigi.iier, Tolleron
et Carbonneau , portèrent leurs tètes sur l'échafaud; et ce-
pendant, les ullra-royalistes, peu reconnaissants, accusèrent
Angles d'avoir favorisé l'évasion de Lavalclle.
Ces tristes préoccupations politiques ne l'euipôclièrent
pas de (jonner ses soins ^ d'utiles établissements munici-
paux ; il créa le conseil dç salubrité, auquel i] appela des
îiommes de mérite et qu'il présidait souvent ; il créa le dis-
jiensaire des filles publiques; çnfin il ouvrit et réglementa
les abattoi rs de Parjs.
L'assassinat du duc de Rerry (13 février i820) fit ac-
cuser de négligence les agent? du comte Angles, qui dut,
à cette occasion, donner des explications à la Chambre des
pairs. Au mois d'avril de cette même année éclata un nou-
veau complot. Il s'agissait de cette pitoyable affaire du
bossu Gravier, accusé d'avoir fabriqué le pétard trouvé sous
les croisées de la duchesse de Berry, alors enceinte du duc
de Bordeaux. Dans une adresse aux chambres , l'avocat
Robert accusa le préfet Angles de s'être prodigieusement
enrichi; et à la tribune M. Duplessis de Grénédan renou-
vela celle accusation , à l'occasion du domaine de Cornillon,
qu'Angles avait acheté 500,000 fr., et pour l'embellissement
duijuel il avait fait des dépenses royales. Ces accusations
obligèrent Angles père de prendre la plume pour la défense
de son fils. Le moment vint, en décembre 1821 , où, par
suite de l'invasion du côté droit dans le ministère. Angles
(lut quitter son poste. Retiré dans sa propriété de Cor-
nillon, il y mourut le 6 janvier 1828. Cli. Du Rozoir.
Ai\'(iLESEY (Henri William PAGET, comte n'UX-
HRIDGE, marquis d' ), né le 17 mai 1768, était le fils aîné
du colonel comte d'Uxbridge, qui se distingua dans la guerre
d'Améiifiue. Élevé à Oxford , il entra dans l'armée au début
des gueires de la révolution française , et fit la campagne
de 1793 à 1794 en Flandre, à la têle d'un régiment qu'il
avait formé lui-même. Nommé aucomuiandementsupérieur
di! la cavalerie dans la guerre dont la péninsule espagnole
devint plus tard le théâtre ( ii portait alors le nom de loid
Paget), il se distingua d'une manière toute parlicuiière eu
72
570
ANOLESKY — ANGLETERRE
couvrant l.i leiraife du gémirai Mooro ol à l'affaire de l!c-
navente, où il fit prisonnier le général Lefebvrc-Desnouettcs.
Après la mort de son père, il hérita du titre de cointe d'Ux-
bridgc. A la bataille de Waterloo, où il commandait toute la
cavalerie anglaise , il eut une jambe emportée. A son retour
en Angleterre, un vote unanime du parlement lui décerna le
titre de marquis d'Anglesetj, à titre de récompense pour sa
belle conduite au champ d'honneur. Sous l'administration
de Canning, il devint membre du cabinet, et il fut envoyé
en Irlande connue vice-roi , en 189.S , dans un moment où
rirritation réciproque des partis était à son comble. Jus-
(ju'alors adversaire de l'émancipation des catholiques , il re-
connut bientôt que la tranquillité du pays ne pouvait être
assurée qu'en donnant une juste satisfaction aux réclama-
tions des catholiques ; et c'est dans ces idées qu'il atbninistra
le pays. 11 fut rappelé en 1829 pcir ^Yellington; mais lord
Grey ne fut pas plus tôt ministre dirigeant qu'il s'empressa de
lui confier le gouvenicraent de l'Irlande, où la fausse poli-
tique suivie par les tories avait provoqué une confusion telle
qu'il ne fallut rien moins que l'énergie et la loyauté de son
caractère pour détourner l'orage qui menaçait à tout moment
d'éclater. Le marquis deNormanby prit sa place en 1833.
Appelé à remplacer lord Hill comme colonel des grenadieis
à cheval de la garde (horse guards) vers la fin de 1842, le
marquis d'Anglesey fut nommé feld-raaréchal en octobre
184G. Il est mort le 27 avril 1854.
ANGLETERRE (i'Mg'^anrf), tire son nom des A n g 1 e s ,
qui joints aux Saxons la conquirent au cinquième siècle. Cette
contrée de l'Europe , qui fait partie des îles Britanniques ,
forme une division administrative et politique du royaume
uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, auquel elle
donne vulgairement son nom. Sa capitale, Londres, est
aussi la capitale de tout l'empire britannique. Sa langue est
parlée dans les trois royaumes réunis, aux États-Unis, etc.
Description géographique.
L'Angleterre est bornée au nord par l'I'J c o s s e , à l'est par
la mer du Nord , au sud par la mer de la Manche ( En-
glish Channel), h. l'ouest par l'océan Atlantique et la mer
d'Irlande ou canal de Saiut-Gcoiges. Elle est située entre
le 49" 57' et le 55° 47' de latitude nord et le Q" 15' à 8" 1'
à l'est de Paris. Sa plus grande longueur du nord au sud
est de 570 kilom., et sa plus grande largeur de l'est-à l'ouest,
de 420 kilom. ; sa superficie est de 1,2S7 myriamèlres carrés.
La partie méridionale de l'Angleterre ne présente que des
collines assez basses ; mais au nord et sur les côtes oc-
cidentales le sol est généralement montagneux. Les princi-
pales chaînes de montagnes sont au nombre de quatre : on
les désigne sous les noms de Penuines , Cumbriennes, Cam-
briennes, et Devoniennes. La première chaîne s'étend de-
puis les monts Cheviots, frontières de l'Ecosse, jusqu'au-
près de Derby, et traverse les comtés de Northumberland, de
Durham et d'York.
La seconde chaîne est entrecoupée de vallées étroites
dont les fonds sont occupés par des lacs; elle renferme
quelques-uns des plus hauts reliefs de l'Angleterre , et s'é-
•lend dans les comtés de Cumberland , de Westmoreland ,
et de Lancashire. Les Cambriennes traversent les comtés
de l'ouest et se terminent au pays de Galles , où se trouve
le point culminant de tout le royaume , le Snowdon, qui est
élevé de 1 190 mètres au-dessus du niveau de la mer. Enfin
les Devoniennes situées au sud-ouest de l'ile se terminent
«a cap Einistère.
Quant à la constitution géologique du sol de l'Angle-
terre , les Cambriennes sont formées de terrains primitifs
ou de transition ; on trouve le granit dans le Cornouailles et
le Cumberland, mais dans ce dernier comté et dans le
pays de Galles il est généralement recouvert par une
couciie d'ardoise schisteuse. La côle orientale, au contraire,
«st pre&que entièrement de formation secondaire; elle s'é-
tend en plages basses et sablonneuses ou s'élève en roches
crayeuses , analogues à celles de la côte opposée de France
ou de Belgique. La côte méridionale offre des roches
crayeuses jusqu'à l'île de Wight, où elles sont remplacées par
les terrains inférieurs jusqu'au cap Finistère , où commence
le granit. Les couches minérales de l'Angleterre ont beau-
coup d'étendue et une grande importance. Les meilleures
qualités de houille se trouvent sur la côte nord-ouest , et
surtout dans le comté de Durham. A l'autre extrémité de
l'Angleterre, c'est-à-dire au sud-ouest, l'étain , le plomb,
le cuivre se trouvent môles au granit de Cornouailles.
La couche la plus riche est cette immense veine de houille et
de fer mélangés qui traverse les comtés du centre depuis le
pays de Galles jusqu'à Leeds. Cette présence simultanée du
minerai et du combustible a singulièrement favorisé les
immenses progrès de l'industrie anglaise.
Les cours d'eaux sont nombreux en Angleterre ; mais peu
d'entre eux ont une étendue considérable. Les plus impor-
tants sont :
La Tamise, dont les principaux affluents sont la Colne,
la Charwell , la Tharae ; la Severn , le plus grand fleuve de
l'Angleterre, qui traverse les vallées de Montgomery, de Cole-
brook , d'Evesham et de Gloccster, et se jette dans la mer
d'Irlande : ses principaux affluents sont la Morda , la INIon
et l'Avon ; l'Humber, qui n'est à proprement parler qu'une
vaste embouchure où aboutissent en même temps plusieius
rivières qui fertilisent le centre et le nord de l'Angleterre ; il
est formé par l'union de l'Ouse et du Trent ; la INIersey, dont
le cours est très-borné et l'embouchure très-large : elle verse
ses eaux dans la mer d'Irlande; ses affluents sont l'Irwel
et le Weaver.
Aucun pays n'a un plus grand nombre de canaux , ni de
plus magnifiques. Les quatre grands ports de l'Angleterre ,
Londres, Hull, Liverpool et Bristol, communiquent
entre eux et avec les principales villes de l'intérieur, malgré
les chaînes de montagnes qui les séparent. Les canaux de
l'AngleteiTe forment quatre systèmes principaux , celui de
Manchester, celui de Liverpool, celui de Londres, et celui
de Birmingham.
L'Angleterre possède également le plus magnifique réseau
de chemins de fer que l'on ait encore construit. Parmi ses
principales lignes nous mentionnerons seulement le railway
de Douvres à Lancaster, qui porte différents noms entre
les villes principales qu'il traverse : la section de Londrt^
à Birmingham est la plus importante , le Great- Western
rail-road , de Londres à Bristol , etc.
Les lacs ne sont pas nombreux en Angleterre ; ils appar-
tiennent à la région montagneuse de la chaîne cambrienne ;
les principaux sont le Winander, le plus grand de tous, le
Conniston et le Derwent, célèbre par le phénomène de l'île
Lord-Island, qui monte à la surface du lac et s'enfonce dans
ses profondeurs alternativement.
La côte occidentale de l'Angleterre est profondément dé-
coupée par les golfes que forme l'embouchure de la Mersey
et de la Severn ; la côte orientale en présente aussi plusieurs
formés par l'embouchure de la Tamise et de l'Humber. La
côte méridionale n'a d'autre golfe que l'embouchure de
l'Exeter.
Les îles qui se rattachent géographiquement à l'Angleterre
sont au sud-est l'archipel des Scilly ou Sorlingues, l'Ile
de Wi ght en face Portsmouth, l'île de M an, l'île d'Angle-
sey, dans la mer d'Irlande.
Le climat de l'Angleterre est humide et variable; on y jouit
rarementd'un ciel serein, et cependant il n'est point insiUubre.
Dans peu de contrées les hommes parviennent à im âge
aussi avancé et atteignent une aussi haute stature qu'en An-
gleterre. Le chaud et le froid y sont très-modérés, et l'hiver y
est plus doux que dans tout autre pays siluéà une latitude
égale et même inférieure. Les gelées dment rarement plus
de vingt-quatre heures , et la neige ilisparaît en peu de jours.
ANGLETERRE
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Les vents dominants sont ceux iroiiost ot de siul-ouest. Le sol
est d'une grande fertilité, et présente la plus riche verdure. 11
existe cependant encore deux millions huit cent mille hec-
tares de hruyéres et de landes incultes. Ses produits sont d'ex-
ceilents bestiaux , plus beaux et plus vigoureux peut-être
qu'en aucun autre endroit du monde : ces bestiaux consistent
surtout en très-bons chevaux et en moutons, dont la toison
approche le plus de la belle laine d'Espagne. On y trouve des
porcs en quantité, des chiens d'une race grande et forte,
beaucoup de volaille , et principalement des oies , qui pèsent
jusqu'à trente livres. 11 y a aussi une grande abondance de
poissons, de saumons, d'huîtres et de homards. On n'y ren-
contre presque point de quadrupèdes carnassiers et très-
|)eu d'oiseaux de proie. Les loups et les ours ont disparu de
l'Angleterre depuis le neuvième siècle. Le renard est assez
commun ; les daims, les chevreuils et les cerfs ne se rencon-
trent plus que dans les parcs enclos. Les chevaux anglais ont
une célébrité universelle ; la race n'est pas indigène , on l'a
perfectionnée par le croisement avec des étalons arabes. On
cultive en Angleterre du blé, beaucoup de froment, peu de
seigle, d'excellente orge, des légumes exquis, du lin, très-peu
<le chanvre , et une assez grande quantité de houblon, de
safran, de réglisse, de rhubarbe, des fruits du plus gros vo-
lume, mais aqueux. Au Ueu du vin, qu'on ne saurait obtenir
à cause des pluies fréquentes et de la constante rareté du
soleil, on prépare de la bière et du cidre. La disette du bois
de chauffage est suppléée par la richesse des mines de cliar-
bon de terre; mais on ne manque pas de bois de charpente ;
aucun pays de l'Europe ne fournit de l'étain en aussi grande
abondance ni d'une aussi bonne qualité. L'Angleterre pro -
duit de plus beaucoup de plomb et de cuivre, une grande
quantité de fer, de la plombagine , du crayon noir ou gra-
phite , de l'arsenic , du zinc , de l'antimoine , du cobalt , de
la calamine, la meilleure terre à foulon, de la terre à por-
celaine , de la terre à potier, de la terre de pipe , du sel ,
qui ne suffit cependant pas aux besoins de la consommation ;
d'excellente pierre à bâtir, du soufre, du vitriol, de l'alun,
des ardoises, de la craie, de l'albâtre , du porpliyre, du
marbre, des pierres à feu et des eaux minérales.
Le recensement de 1851 a donné 17,905,831 habitants à
l'Angleterre, en y comprenant le pays de Galles, dont
8,754,554 du sexe masculin et 9,151,277 du sexe féminin.
En outre, la population des îles se monte à 142,916, dont
66,511 du sexe masculin et 76,405 du sexe féminin. Les An-
glais sont une race d'hommes belle et vigoureuse. Les Gal-
lois sont les restes des anciens Bretons , qui se sont main-
tenus presque sans mélange dans le pays de Galles et dans
l'île de Man. Ils se distinguent par leur hospitalité , leur
cordialité et leur sociabilité , des Anglais proprement dits ,
qui sont froids, réservés, peu sociables ; mais ils sont igno-
rants, superstitieux et pauvres. Leur langage est l'ancien
liipnri, que parlent encore les habitants de la Bretagne : ce-
pendant le patois de l'île de Mona ou de Man est un dia-
lecte de l'irlandais , mêlé seulement de beaucoup de mots
anglais, normands et italiens. Le kymri diffère, au contraire,
du dialecte irlandais ou celtique, ou de la langue erse,
en ce qu'il présente beaucoup plus de racines allemandes.
Les îles normandes sont peuplées de Français, qui parlent un
français corrompu.
La religion dominante en Angleterre est celle de la haute
Église anglicane : la famille régnante et les principaux
employés de l'État doivent la professer. Cependant, depuis
rémancipation,Ies catholiques et les dissidents siègent
au parlement comme les anglicans. Au reste, toutes les autres
croyancas jouissent d'une entière tolérance. On y voit par
conséquent des catholiques, des luthériens, des indépendants,
«les arminiens, des ariens, des socinicns, des quakers,
des méthodistes, des mennonites, des hernutes et des juifs.
L'Angleterre est par excellence la terre de l'industrie. La
moitié des habitants vit du travail des ûdjriques , de la ri-
chesse et des dépenses des classes élevées. Le connncrcc des
colonies et des autres pays, l'opulence des manufacturiers, les
machines, appliquées à tous les genres de métiers i)ourépar-
gner des millions de bras et vendre les produits aux étran-
gers à un moindre prix que l'on ne pourrait les obtenir
partout ailleurs, ont élevé l'industrie au plus haut degni do
perfection et de progrès. Les fabriques les plus importantes
sont celles des tissus de coton ; celles des étoffes de laine,
auxquelles ne peut suftire l'immense quantité de laine re-
cueillie dans l'intérieur du pays ; enfin , les fabriques de
cuir, de fer, d'acier, de fil d'arcbal, de cuivre, d'éfain, de
porcelaine et de faïence , de verre , de soie , de toile , de
lin et de papier. Les cuirs et les aciers ne trouvent peut-
être dans aucun autre pays du monde rien qui les égale en
perfection et en beauté. On y fabrique également bien
les navires en fer, les voitures en fer et les ponts en fer ;
les plus belles plumes d'acier, les chaînes de montre et
d'horloge et les meilleurs instruments pour les mathéma-
tiques , la chirurgie , l'optique et la physique. Les ouvrages
en fonte de fer ; les grandes fabriques d'acier fondu et les
fabriques de fer laminé jouissent d'une réputation méritée.
Les quincailleries de Birmingham sont les plus recherchées
dans la Grande-Bretagne et au dehors. Parmi les fabriques
de porcelaine, celles deWedgwood sont les plus re-
nommées. L'art de la verrerie y est poussé au plus haut
degré, surtout pour les objets de luxe en cristal. Les raffi-
neries de sucre, les brasseries et les distilleries d'eau-de-vie
sont aussi très-florissantes. Des ports placés dans les situa-
tions les plus avantageuses fournissent à tous les besoins du
commerce et de l'industrie. La Bancjue de la Grande-Bre-
tagne, celles des provinces, qui sont en grand nombre, les
sociétés d'assurance, que l'on trouve dans toutes les villes
importantes, favorisent les rapports avec toutes les nations
commerçantes du globe. De toutes les sociétés de commerce,
celle des Indes-Orientales est la plus importante.
Londres fait à lui seul presque un tiers de tout le com-
merce de l'Angleterre; viennent ensuite Liverpool , Bristol,
Hull , etc.
L'Angleterre proprement dite se divise en quarante shircs
ou comtés ; le pays de Galles en forme douze autres. Il faut
ajouter à cette (Ûvision administrative l'île de !\lan et les
îles Normandes, situées dans la Manche, qui ont une super-
ficie de vingt-trois milles carrés de quinze au degré. Ces
comtés sont dans l'Angleterre proprement dite : Bedford,
Berk , Buckingham , Cambridge , Chester , Cornwall , Cum-
berland. Derby, Devon, Dorset, Duriiam, Essex, GIou-
cester, Hereford, Hertford, Huntingdon, Kent, Lancasler,
Leicester, Lincoln, Middlesex, Monmoutb, Norfolk, North-
ampton, Northumberland , Nottingham, Oxford, Rutland,
Shrop, Somerset, Southampton, Stafford, Suffolk, Surrey,
Sussex, Warwick, Westmoreland, Witt, Worcester, York ;
dans la principauté de Galles : Anglesey, Brecknock, Caer-
marthcn,Caernanon, Cardigan, Denbigh, Flint, Glamorgan,
Merioneth, Montgomery, Pembroke, Radnor.
Chaque comté se subdivise en districts , qui portent le
nom de hundred dans la ])Iupart des comtés anglais , do
ward dans les comtés de Durhani, Westmoreland , Cinn-
berland et Northumberland, de wapenlake dans les
comtés de Lincoln , York et Nottinglianî , et de canlre/J
dans ceux du pays de Galles. Il existe en outre dans les
comtés de York, Lincoln, Sussex et Kent quelques autres
subdivisions, désignées sons le^ noms de rUIing, de part,
de râpe , et de lathe. Toutes ces divisions comprennent
en outre chacune un grand nombre de parish (paroisses).
Quelques grandes cités ont rang de comté, et possèdent
une administration intérieure indépendante; certains terri-
toires et beaucoup de villes et villages jouissent de privi-
lèges analogues. Enlin, cinq villes, Douvres, Sandwich ,
Bomney, Hastings ctHjlhe, forment avec quelques autres
une province ap[)clée lcsCiu<i-porls, ayaut également ses
72.
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jtiivili'ges. Trois coinli5s, ceux, ilc Duiiiain , Clit-ster et Lan-
caster, portaient encore avant Georges IV le litre de comtés
palatins, et avaient leur parlement particulier.
Les principales villes de l'Angleterre sont : Londres, capitale
du royaume-uni, Liverpool, Manchester, Birmingham, Leeds,
Sheflield , Dristol , Oxford, Camhridge, IJath, l'iymouth ,
Portsmouth, Hull, Kcwcaslle, Douvres, fsorwich, ralmoiith,
yarmoutli, W'akelield , Halifax , Nollinghain, Warwick ,etc.;
ces villes ont chacune un article dans notre ouvrage.
Kous ferons connaître à l'article GRANDt-ERETACNE les
mœurs du peuple anglais , son génie et son caractère na-
tional , ainsi que les institutions (jui le régissent. Nous y
donnerons également un aiiorçu sUilistique du commerce et
de l'industrie britanniques. Il ne nous reste plus qu'à donner
ici le résumé historique des temps où l'Angleterre tbrmait
un royaume sé[)arc , et à tracer le tableau général do la
langue, de la littérature , de la philosophie, et des progrès
dans les beaux-arts et les sciences de ce grand peuple , qui
étend aujourd'hui son immense influence sur le monde entier.
Uistoiic.
L'Angleterre fut connue des Phéniciens. Ses plus anciens
habitants paraissent avoir appartenu à cette race gaélique
qui à une ('poque très-reculée occupa toute l'Europe occi-
dentale. Plus tard u!ie invasion de Kymris vint se super-
poser à la race primitive et pure, apportant avec elle le
rc'gime des castes elle culte druidique. Ces deux peuples se
confondirent, et Tile entière prit le nom de Bretagne, du nom
de la tribu kymrienne. Nous renvoyons le lecieur à l'ar-
ticle BuETAONF, pour riiisloirc plus déîaillée de l'Angleterre
avaiit et |)eni!:uit la domination romaine, et au mot Hfp-
TMicuiE pour celle de la conqu(^le ang'o-saxonne.
lleriforces successivement par de nouvelles bandes de
leurs compatriotes, les Anglo-Saxons contraignirent
les Drclons à leur céder le sol : ce ne fui toutefois qu'après
que ceux-ci se furent longtemps et vaillauuDent défendus
sous leur roi Arthur. Le petit nombre de Bretons qui
restèrent dans l'île se réfugièrent en Cambrie (aujourd'hui
le pays de Galles ) ; la plus grande partie d'entre eux se
rt tirèrent dans l'Armoiiiiue, contrée inaritiine de la Gaule,
qui depuis lors prit le nom de Bretagne.
Les Bretons avaient été convertis de bonne heure au chris-
tianisme ; dès le troisième siècle une hiérarchie régulière
existait dans le pays,et des couvents s'y étaient élevés en
grand nombre. Mais l'hérésie du nioiue Pelage au cin-
quième siècle avait séparé les Bretons schismatiques de
riiglisc de Rome. Cette circonstance favorisa beaucoup la
conipiète des Angîo-Saxons ; car le légat du pape se mit à
leur tête pour exterminer ces hérétiques. A dater de l'an SUS
la rehgion chrétienne, préchée par le morne Augustin,
avait pénétré parmi les Anglo-Saxous.
Les Anglo-Saxons fondèrent sept petits États, dont les
chefs prirent le titre de rois : une confédération unissait ces
i:iats entre eux, et des assemblées générales se tenaient pour
traiter les affaires d'intérêt général. Ces royaumes, qui for-
maient riicptarchie, étaient ceux de Kent, Sussex, West-
sex , Essex , Northumberlaud , Estanglie , Mercie , avec la
Wcstanglie. Egbert le Grand, roi de Westsex , réunit,
en S'27, sous son sceptre , tous ces petits États, sous le nom
«r.\ngleterre ( Anglïa ). Ses successeurs furent contraints à
payer un tribut annuel considérable (danegeld) aux
Normands, ou, comme on les appelait alors, aux Danois,
qui, eux aussi, à leur tour, avaient touché, dans leurs
courses maritimes, les côtes d'Angleterre, et s'étaient em-
parés d'une jnu-tie du pays. Alfred le Grand réveilla le
courage de sa nation, attaqua les Danois, les expulsa de
l'île, leur lit méine, par la suite, la guerre sur mer, et se
maintint dans la possession de son royaume. Sa mort, arri-
vée en 'J02, fut un grande perte pour l'Angleter.'e , qui
se trouva livrée à ses ennemis, contre lesquels da rois
ANGLETERRE
aussi faibles qu'l^douard l'Ancien, Adelsfan, Edmond,
Édred, et Edouard le ]\lartyr ne pouvaient point la dé-
fendre ; aussi l'Angleterre , attaquée de nouveau par les
Danois, fut conquise par le roi Sué non (Swen), venu pour
venger ses compatriotes établis dans le pays, qui avaient
été massacrés par l'ordre d'Éthelred H, en 100?.. Pendant
quarante ans les Danois se maintinrent dans la posses-
sion de r.Angleterre sous leur roi Canut le Grand et
ses fds; mais en 1401 ils durent y renoncer, le prince
anglo-saxon Edouard le Confesseur étant devenu maître
du trône, grûce à la valeur de Godwin. Ce fut lulouard
qui, ras.seuiblant certaines lois des Saxons et des Danois,
en fit une sorte de code, qu'on appela le droit commun
{common law). Ce prince étant mort, en 1066, sans lais-
ser (le ))osférité, la race <les rois anglo-saxons s'éteignit,
et la nation appela au trône Harald, comte de Westsex,
qui était alors le seigneur le plus puissant de l'Angleterre.
Mais Guillaume, duc de Normandie, qui n'avait, par une
parenté très-éloignée, que des droits fort incertains à la
couronne, débarqua en Angleterre, à la tête de 60,000
hommes, et se rendit maître du royaume, le 14 octobre 106G,
par la victoire de Ilastings, où Harald succomba.
Guillaume distribua toutes les charges importantes de
l'État à ses compatriotes. Différentes révoltes, qui eurent
lieu alors de la part des Anglais mécontents, lui servirent
de prétexte pour exercer sa domination avec la plus grande
rigueur. Il introduisit en Angleterre le système féodal , qui
y avait été inconnu jusque alors, et surchargea les habitants
d'impôts. En qualité de duc de Normandie, Guillaume était
vassal du roi de France ; mais par sa conquête il l'égalait
en puissance : aussi le suzerain ne tarda-t-il pas à devenir
jaloux de son vassal , et bientôt éclatèrent ces guerres entre
la France et l'Angleterre qui durèrent plus de quatre cents
ans. En 1086 fut rédigé le Doomesday-Book (Livre du ju-
gement dernier), actedéfinitif de la dépossession des Saxons,
([ui régularisa l'impôt et la propriété. Guillaume mourut en
1087, après avoir habilement gouverné l'Angleterre, tout
en ayant fait pe.ser sur elle un sceptre de fer.
Ses successeurs furent d'abord son second (ils, Guil-
laume II, qui gouverna avec le même despotisme, puis son
troisième fils, Henri 1". Celui-ci, qui avant son avène-
ment au trône d'Angleterre avait contraint par la force son
frère aîné, Robert, à lui céder la souveraineté de la Nor-
mandie , rendit aux Anglais quelques-unes de leurs libertés,
quoique du reste il sacrifiât tout à sa cupidité et à son am-
bition. N'ayant point de postérité mâle, il fit reconnaître par
la nation, comme héritière de la couronne, sa lilleMathilde,
mariée àGodefroi, comte d'Anjou, ce qui fit tomber le droit
de succession au trône sur la ligne féminine. Cet événement
occasionna , par la suite, des perturbations fréquentes , et
on vit, à de courts intervalles , i)lusieurs dynasties se suc-
céder dans la possession du trône. Cependant, malgré cette
disposition, à la mort de Henri V, en 1133, ce fut le fils de
sa sœur Adèle, Etienne, comte de Blois, que la nation
proclama roi d'Angleterre. Etienne eut pour successeur, en
1154, le fils de Mathilde, Henri II, comte d'Anjou, nommé
Plantagenct.
Cet Henri fut un des plus puissants rois de son temps :
outre la Normandie, son héritage du côté de sa mère, il
avait aussi, du côté de son père, r.\njou, le IMaine et la Tou-
raine; puis, par son mariage avec Eléonore de Guienne,
femme répudiée de Louis VII, roi de France, il avait acquis
encore la Guienne, le Poitou et d'autres provinces ; il pos-
sédait ainsi plus du quart de la France, l'n pareil état de
cho.ses (lut naturellement augmenter la jalousie qui exis-
tait dé'jà entre les deux couronnes de France et d'.\ngleterre,
et donna lieu à de fréquentes guerres. Henri II ne mourut
qu'en 1189. Le glorieux règne do ce jtrince fut signalé par sa
lutte avec Thomas Beckot, la conciuêle de l'Irlande et
la révolte de ses lils.
Sou li!s «t succossoiir Richartl Cœur tic Liou, aiusi
suruouimo à cause du courage qu'il montra dans les croi-
sades, fut l'idole de la nation : aussi lors de sa captivité en
Autriche on fondit jusqu'aux vases d'église pour payer sa
rançon , portée à 150,000 marcs d'argent. Durant l'absence
de Richard de grands troubles avaient éclaté en Angleterre,
et il était survenu une guerre mallieureuse avec la l'rance;
son frère Jean lui succéda, au détriment d'Arthur, en 1 l!)i).
C'était un prince faible; dans une lutte contre la l'rauce, il
perdit la Normandie et d'autres provinces ; par suite de dis-
cussions qu il eut avec la cour de Rome , il fut obligé, pour
obtenir son pardon, de se soumettre à de grandes lumiilia-
tions. Ses sujets le contraignirent, en 1215, à leur octroyer
la grande charte {magna charta), base fondamentale des
franchises des trois ordres de la nation et de la liberté des
citoyens. Celte charte fut plus tard conlirmée et étendue par
plusieurs rois. De nouveaux démêlés étant survenus entre
le roi et les grands de son royaume, ceux-ci dépossédèrent
Jean de sa couronne, et le forcèrent de s'enfuir en Ecosse, où
il mourut en 1210. Sou fils, Henri III, eut un règne long,
mais plein de troubles, (jue ses fautes suscitèrent. C'est sous
Jean-sans-Terre, en 12G5, que fut instituée la chambre basse
du parlement ou chambre des coimnunes.
Edouard V, (ils de Henri III, succéda à son père. C'est
du règne de ce prince que date la soumission du pays de
Galles ( 12S2). 11 eutàsoutenir une guerre contre l'hil ppe
le i]el, et mourut en 1307, dans une expédition contre 112-
cossc. Le fail>!e Edouard II lui succéda, et fut déposé en
1327, par acte du parle:iieuL 11 eut pour successeur le prince
«leGalles, qui monta sur le trône sous le nom d'Edouard III
( 1 327 à 1377 ), et fut l'un des rois les plus puissants de l'An-
jjletcrre. Il secoua le joug temporel du pape, et conquit une
grande partie de la Franco. Ce fut après celte conquête qu'il
prit le titre de roi de France , que ses successeurs ont con-
servé jusqu'en ISOl. Edouard poursuivit le cours de ses vic-
toires jusqu'à sa mort ; mais le fruit en fut presque aussitôt
perdu sous le règne de son successeur Richard II. Ce
prince était fils du fameux Edouard, dit le Prince Noir,
qui gagna la bataille de Poitiers. Pendant sa minorité éclata
la révolte de Watt- T y le r. Richard, qui maintes fois avait
attaqiui les droits de la nation, perdit !a couroiîne et mourut
en prison, en 1399. Des tentatives de réforme eurent lieu sous
son règne, et V\'iclef produisit sa doctrine, qui devait, par
une fifiation naturelle, donner naissance à celle de Jean Huss
et à celle de Luther.
Henri IV , petit-fils d'Edouard II , étant monté sur le trône,
on vit commencer la querelle sanglante qui dura un siècle ,
entre les familles de Lancaster et d'York , toutes deux
issues d'Edouard II , et qui se disputèrent la succession à la
couronne. Cette longue querelle est connue sous le nom de
guerre de la P.ose rouge et de la Rose blanche, parce que la
famille de Lancaster portait dans ses armes une rose rouge
et celle d'York une rose blanche. Ces luttes sanglantes pa-
ralysèrent les efforts des armées anglaises , qui , victorieuses
à AzincourtsousHenriV, et maîtresses de Paris, avaient
déjà conquis la moitié de la France. La minorité de H e n r i VI
favorisa, pendant un certain temps, les prétentions de la fa-
mille d'York , que l'on vit monter sur le trône d'Angleterre
et en redescendre à plusieurs reprises.
Depuis la bataille de Saint- Alhan , en 1455, où se ren-
contrèrent pour la première fois les armées d'York et de
Lanca-ster, jusqu'à la bataille de TewKesbury, où les Lancas-
triens furent complètement détruits, ce furent entre les
deux partis d'innombrables combats. Leduc d'Vork y
perdit la vie. L'ambitieuse Marguerite d'Anjou, fenune de
l'imbécile Henri VI, se signala par son héroïsme et sa cons-
tance dans les reveis. Le fils du duc d'York lut couronné
sous le nom d'Edouard IV. Ce prince , après avoir pacifié
l'Angleterre, mourut en 1 i83, laissant le trône à son fils mi-
aeur Edouard, sous la tutelle de son oncle le duc de Glo-
ANGLETERKE 573
cester. Celui-ci ne recula jias devant le meurtre de deux
innocentes victimes pour régner à leur place. Richard III
ne jouit pas longtemps des fruits de son forfait; il mourut au
bout de deux ans ( li.S5).
Henri VII , comte de Richmond, de la famille de Lan-
caster, s'élant emparé delà couronne, en l'iSS , s'en assura
la possession en conciliant, par son mariage avec Elisabeth,
de la famille d'Vork, les intérêts des deux maisons. Après
avoir apaisé plusieurs révoltes suscitées par quelques chefs
de l'ancien parti de la Rose blanche, mécontents du nouvel
ordre de choses, il fit jouir l'Angleterre d'une constante
trantpùllité : aussi, en reconnaissance des bienfaits de son
règne , on le surnomma le Salomon anglais. Avec Iih com-
nu-nce la race des monarques anglais de la maison de
Tudor {nom porté par le grand-père de Henri) , qui finit,
en 1003, avec Elisabeth. Son fils, Henri VIII, roi cruel
et voluptueux , entreprit au dehors des choses impoitantes ,
mais presque toujours sans succès. Lors de la lutte qui s'é-
leva entre Charles-Quint et François T', il aurait pu exercer
une grande influence sur les destinées de ces deux monar-
ques , en ciualité de médiateur, s'il eilt été doué d'un ca-
ractère moins versatile , et s'il eût moins écouté les conseils
de son premier ministre , le cardinal "Wolsey , qui n'était
guidé que par son intérêt personnel , et passait d'un parti à
l'autre, au gré de son ambitioji et de sa cupidité.
La réforme opérée dans les Eglises d'Allemagne fit une
grande sensation en Angleterre : malgré les défenses les
plus expresses , les écrits de Luther y furent lus avec avi-
dité. Henri VIII, dont l'esprit était cultivé, et qui possé-
dait des connaissances en théologie , entreprit la défense de
l'Église romaine , sur les sept sacrements , dans un ouvrage
que Luther réfuta avec véhéinence. Le pape Léon X, vou-
lant témoigner à Henri VIII , toute la satisfaction que lui
avait causée cet ouvTage , lui conféra le titre de défenseur
de la foi , titre que de nos jouis encore les rois d'Angle-
terre , quoique protestants , tieiment à honneur de porter.
L'autorité exercée jusque alors en Angleterre par le pape
avait été très-grande , et la valeur des sommes d'argent
envoyées en offrandes de ce pays à Rome tous les ans avait
été très-considérable; mais cela changea lorsqu'en 1534
Henri rompit sou alliance avec le saint - siège , parce
que !e pape, qui craignait le ressentiment de l'empereur,
n'avait point voulu sanctionner le divorce de Henri VIII
et de Catherine d'Aragon , ^larente de Charles-Quint.
Henri VIII refusa alors toute obéissance au pape , sup-
prima successivement , en Angleterre , un grand nombre
de couvents et d'abbayes , et se déclai'a chef suprême de
l'Église dans son royaume, tout en laissant intacts les prin-
cipaux dogmes de l'Église romaine. La Réforme trouva alors
un grand nombre de partisans , et la diversité des croyances
ainsi que la confiscation des biens ecclésiastiques donnèrent
lieu à une infinité de troubles. Henri essaya, comme son
père l'avait déjà fait, d'augmenter la puissance royale. 11
créa la première flotte, après avoir fait construire le premier
vaisseau de ligne anglais; mais pour équiper cette Hotte il
dut prendic à sa .solde des marins des villes anséatiques ,
des Génois et des Vénitiens, qui avaient alors le plus d'ex-
périence dans l'art de la navigation. 11 établit l'office de l'a-
miiauté, et assigna des traitements fixes aux officiers et aux
soldats de marine.
A sa mort, arrivée en 1547, on vit successivement ré-
gner se.s trois enfants. l'^doua rd VI , d'un caractère doux,
se montra grand ami de la Réforme , et fonda l'Église an-
gficane. Il niourut en excluant ses deux sœurs du trône etea
y appelant sa parente lady Jane Grey. Cependant I\larie
réclama ses droits, fut proclamée reine, et Jane Grey eut la tête
tranchée ( 1553). Marie montra des dispositions religieuses
toutes différentes de celles d'Edouard, et, dans le but d'a-
voir un appui solide à l'étranger, elle épousa Philippe II,
roi d'Espagne. Ce mariage, qui n'eut pour aucune des deu\
574
AiNGLETERRE
panies contractantes les avantages qu'elles en avaient es-
pérés, excita en Angleterre un méconlentement général, et
occasionna une guerre avec la France , dans laquelle l'An-
gleterre perdit, en 1558, Calais, le seul reste de ses anciennes
possessions sur le continent. Marie mourut cette même an-
née , détestée de son peuple à cause des fréquentes exécu-
tions qu'elle avait ordonnées dans le but d'arrêter les pro-
grès de la Réforme.
Elisabeth, fdle d'Anne de Boulen, sortant de la prison
où plus d'une fois ses jours avaient été en danger, lui suc-
céda. Depuis longtemps déjà toutes les espérances de la
nation s'étaient portées vers elle , et elle sut les réaliser. Par
l'impulsion qu'elle donna au commerce et par l'habileté avec
laquelle elle proûta des circonstances , elle éleva l'État à une
grandeur jusque alors inconnue, et posa les bases de la pré-
pondérance future de l'Angleterre. Elle apaisa les difTérents
partis, et consolida la réforme par l'organisation de l'iLglise
Anglicane ou épiscopale telle qu'elle existe encore au-
jourd'hui. Elle donna de grands encouragements à l'indus-
trie, protégea les manufactures de laine, et accueillit avec
faveur les étrangers que l'intolérance rehgieuse forçait de
quitter le continent. Afin de s'instruire par elle-même des
besoins de la nation , elle fit de fréquents voyages dans
l'intérieur du royaume. En fournissant des secours aux pro-
testants de Franc* et aux Trovinces-Unies contre l'Espagne,
elle acquit une grande influence à l'étranger. Sa position
vis-à-vis de l'Espagne la mit dans la nécessité d'entretenir
une marine plus considérable que celle de ses prédécesseurs,
et en 1603 la flotte d'Angleterre se composait déjà de
quarante-deux vaisseaux , montés par huit mille cinq cents
marins. Les marins anglais les plus célèbres de cette époque
furent Drake, le premier navigateur après Magellan, qui
fit un voyage autour du monde, et Walter Raleigh, qui
fonda la première colonie anglaise dans l'Amérique septen-
trionale. Philippe II, roi d'Espagne, qu'Elisabeth avait
irrité de plus d'une manière , arma inutilement contre elle ,
en 15SS, la grande flotte à laquelle le pape avait donné le
nom d'invincible Armada. Plus de la moitié de cette
flotte fut anéantie par des tempêtes , sans qu'elle eût à sou-
tenir un combat naval en règle. Elisabeth souilla son règne
par l'exécution de Marie Stuart, reine d'Ecosse. Le sup-
plice du comte d'Essex en assombrit la fin.
A sa mort , en 1603 , s'éteignit la rac« des souverains de
la maison de Tudor. Quelque temps auparavant , elle avait
désigné pour lui succéder au trône Jacques , roi d'Ecosse.
C'était l'unique rejeton de la maison des Stuarts , le fils de
Marie Stuart et le plus proche parent d'Elisabeth. Son
aïeule , Marguerite, était fille de Henri VII, roi d'Angleterre
et grand-père d'ÉUsabeth. Alors on vit s'opérer d'une ma-
nière paisible ce grand événement que de longues guerres
sanglantes n'avaient pu effectuer : la réunion de l'Ecosse et
de l'Angleterre sous le même sceptre. Ici finit l'iiistoire de
l'Angleterre proprement dite et commence celle de la
Grande-Bretagne : nous renvoyons le lecteur à cet
article.
Chronologie des rois d'Angleterre.
DYNASTIE SAXONNE.
Edmond 1" 941
Edred...... 946
Ed wi n , . 956
Edgar 959
Édoaard II, le Martyr 975
Ethelr«d II 978
Egbert le Grand 827
Kthelwolf 838
Ethelbald et Elbelbert .... 8ô8
Etlielred l«f 866
Alfred I'', Je (7ra»id 871
Edouard l'^, l'ylncien 9(/0
Adelstan 925
DYNASTIE DANOISE.
Suetion ou Swen, roi de Da-
nemark 1014
Canut l", /e Grand 1015
(Edmond II, Irenstde, con-
jointement avec Canut ). 1016
llarald \" 1(U57
Hardi Canut 1039
DYNASTIE NORMANDS.
Guillaume I*' , le Conqué-
rant 1066
Guillaume II, /e/iottr 1087
Henri 1" 1100
( Etienne , comte de Blols ,
fils d'Adèle , fille de Gnil-
laume 1") 1136
DYNASTIE ANGEVINE.
Henri 11 , Plantagenet 1154
Richard l" , Caur de Lion. 1189
Jean sans Terre 1199
Henri III 1216
Edouard 1" (1V«) 1272
Edouard II 1307
Edouard III 1327
Richard 11 1377
Henri IV,(i«iancas/er.... 1399
Henri V 1413
Henri VI 1432
DYNASTIE D YORK.
Edouard IV 1461
Edouard V 1483
(Richard III, duc de Glo-
ce»ter) 1483
DYNASTIE DE TUDOR.
(JaneOrey) 1553
Marie 15-53
Éliiabetb 1558
DYNASTIE SA.XONNE.
Edouard 111: /e Con/«î6'ur. lOl:.' | llarald 11 lOCC
Benri VII, doc de Rich-
mond 1485
Henri Vlll 1509
Edouard VI 1547
DYNASTIE DES STUARTS.
Jacques 1" d'Ecosse 1603.
Pour la suite, voyez Gra>de-Bp.etag>e.
Langue et Littérature.
Langue anglaise. La langue anglaise, avant d'être ce
qu'elle est , a parcouru des phases successives, dont elle a
conservé les traces. Elle n'a presque rien emprunté à l'an-
cien idiome gallois; mais les dialectes parlés encore au-
jourd'hui par les habitants de la principauté de Galles, du
comté de Comouailles , des montagnes de l'Ecosse et de
quelques parties de l'Irlande , dialectes qui diffèrent fort peu
entre eux , ne sont pas autre chose que les langues gaélique
et kymrienne, conservées à deux mille ans de distance sans
altérations notables. L'invasion romaine n'eut aucune in-
fluence sur la formation postérieure de la langue anglaise ,
si ce n'est que les conquérants introduisirent dans l'admi-
nistration de la justice leur langue en même temps que leur
jurisprudence. Les mots romains qui se trouvent en grande
quantité dans la langue anglaise lui sont venus plus tard ,
de la France; cependant l'alphabet date de l'époque ro-
maine.
La langue anglaise ne commence donc qu'avec les Anglo-
Saxons, vers 450. Les Anglo-Saxons refoulèrent les popula-
tions celtes et leur idiome dans les hautes terres ; leur
propre langue devint bientôt la langue dominante, grâce au
puissant élément de propagation qu'elle trouva dans le chris-
tianisme , introduit par Augustin à la fin du sixième siècle.
L'anglo-saxon devint alors la langue de l'Église ; on s'en
servit pour l'enseignement dans les écoles de Westminster,
de 'VN'orcester et d'York. L'invasion des Danois vers l'an
780 n'eut pas pour résultat d'introduire en Angleterre une
autre langue , mais seulement quelques mots nouveaux ,
ayant d'ailleurs beaucoup d'affinité avec l'anglo-saxon. 11
n'en fut pas de même pour la conquête normande. Les
compagnons de Guillaume imposèrent, de par leur épée, la
langue fran>,aise comme langue de la cour des rois, des tri-
bunaux et des affaires. Toutefois, l'anglo-saxon n'en resta
pas moins l'idiome dominant panni les classes inférieures.
Trois siècles ne s'étaient pas écoulés que les deux langues ri-
vales s'étaient mêlées et confondues pour former la langue
anglaise. Edouard III (1327-1377) fit de ce parier bâtard
la langue de sa cour en même temps que la langue natio-
nale. L'élément germanique et l'élément roman y entrèrent
en une proportion à peu près égale. L'anglais eut bientôt fait
de rapides progrès, n'ayant aucun scrupule de prendre ce qui
lui convenait partout oii il le trouvait. Pour exprimer de nou-
velles idées, il s'enrichit d'einpmnts faits à la France et à
l'Italie; pour les arts et les sciences, il puisa abondanimentaux
sources grecques ; pour le commerce et l'industrie, il emprunta
à toutes les langues de l'univers, et devint de h sorte une des
ANGLETERRE
575
langues les plus riches qui existent, en même temps que ses
poètes, ses orateurs, ses écrivains en faisaient une des
mieux formtîes et des mieux cultivées , et que le génie na-
tional du peuple anglais la rendait une des plus énergiques.
L'anglais a la structure logique par excellence. Le genre
des substantifs dépend du genre des objets qu'ils représen-
tent ; la déclinaison n'a que deux cas , le nominatif et le
génitif; encore ce dernier ne diffère de l'autre que par l'al-
dition d'une apostrophe et d'une 5 comme désinence. Les
adjectifs sont invariables et n'éprouvent d'autre nwdifica-
tion que les différents degrés de comparaison. Le pronom
seul a les trois genres et se déchue. Le système de conju-
gaison ne présente que deux temps, le présent et l'imparfait ;
tous les autres se forment en ajoutant des auxili;iires. La
construction des mots est directe, sauf l'attribut que Ton place
constamment avant le substantif qu'il modifie.
11 règne encore beaucoup d'incertitude dans l'orthographe ;
la prononciation offre un son qui u'existe pas dans notre
langue, le th, et qui semble être identique au 6 grec ; elle est
rapide, et passe très-vite sur les syllabes qui ne sont pas ac-
centuées. C'est ce qui faisait ilire à Voltaire que les Anglais
gagnaient deux heures par jour en engloutissant la moitié
de leurs paroles.
Presque aussi flexible, quoique moins universelle, que le
grec et l'allemand , bien plus simple dans la constniction,
avec des formes grammaticales d'une telle facilité que les
autres langues ne peuvent lui être comparées , joignant à
ces avantages une des prononciations les plus difficiles
qu'on puisse imaginer, ce n'est pas précisément une langue
harmonieuse, quoiqu'elle soit agréable et sonore quand elle
est bien parlée. Byron a dit de sa langue maternelle :
Like our harsh northern, wistling grunting giUtiiral,
Which we're obliged to hiss, and spit, and sputter ail (i).
La langue écrite est la véritable langue anglaise, et c'est
à Londres et à Dublin qu'on la parle le plus purement. Il
existe presque autant de dialectes en Angleterre qu'il y a
de comtés , et partout le peuple a un patois à lui. Ce qwi
distingue les Écossais , indépendamment de leur pronon-
ciation traînante , c'est qu'ils entremêlent, en parlant, des
mots qui leur sont propres et des mots purement anglo-
saxons.
La principale différence qu'il y ait entre la langue qu'on
parle aux États-Unis et celle qu'on parle en .\ngleterre ne
tient pas seulement à moins de grâce et de délicatesse dans
la prononciation , mais encore à l'emploi d'expressions et
de formas contraires au génie de l'idiome. La prononcia-
tion n'étant que bien rarement assujettie à des règles fixes,
varie même à Londres et à DubUn, et se modifie souvent au
gré de la mode. Ae pas tenir compte des caprices de la
mode est peut-être bien de fort mauvais ton , unfashio-
nable , mais nous persistons à croire que le pronouncing
I>ictioïiary de John Walker fera toujours autorité contre
elle. Aussi est-ce la prononciation indiquée dans cet ou-
vrage qui est toujours adoptée dans les nombreux diction-
naires composés pour faire comiaître l'anglais aux autres na-
tions.
Le domaine de la langue anglaise s'est agrandi dans d'in-
croyables proportions, et s'étend encore tous les jours. C'est
la langue des immenses possessions britanniques, et le
commerce et les missions la portent sur tous les autres
points du globe. L'omnipotence de l'Angleterre sur mer en a
fait la véritable langue maritime ; elle est aussi fort ré-
pandue en Hanovre , en Portugal , au Brésil et en Russie.
Litlérature anglaise. La littérature anglaise commence
assez pauvrement, pendant l'obscure période qui précéda et
suivit l'invasion romaine , par quelques fragments de poèmes
(I) Comme notre baragnaio da nord , rude et i;uttural , à grogne-
ments aigus, qu'avec peine nous sifllflus et nous cracLiins en bre-
douillant.
composés par des poètes gallois ; mais pendant la période
anglo-saxonne jusqu'à l'arrivée des Normands elle est plus
riche qu'on ne l'avait cru jusqu'à ce jour. Le premier voluino
de la Biographia britannicn Literaria, entreprise par la
Rotjal Society of Litcrature de Londres et publiée par
Thomas Wright, prouve incontestablement qu'il existait
alors, outre la traduction de la Bible et de quelques livres
de religion, des productions littéraires, par exemple, le
chant <le Beowulf, le fragment de Judith , la paraphrase de
la Genèse de Ceadmon , les ouvrages de Bède, de saint
Duncan et du roi Alfred, la Chronique anglo-saxo.nne et
le récit du voyage de Wulfstan ( voyez l'article Anglo-
Saxoxs). On sait que sous les Normands la langue fran-
çaise fut celle de la cour, et que la langue anglo-saxonne
continua d'être celle du peuple : la môme division se lit
dans les productions de la Uttérature. Tandis que les trou-
vères, maîtres en poésie , charmaient les grands, que les
jongleui-s , habiles à chanter les vers des poètes, récitaient
des poèmes chevaleresques et des fabhaux dans le langage
du nord de la France, le peuple conservait ses ménestrels
errants, et avec eux ses traditions héroïques et ses ballades
nationales. Elles ont été réunies par Ritson , English me-
trical Romances (2 vol., Londres, 1S02 ) ; par Ewans, Old
Ballads (4 vol., 1810); par Ellis, Spécimens of early
English metrical Romances (3 vol., 1811 ), et par Percy,
Reliques ofancient English Poetry (3 vol., 181?}. Mais de
même que les deux langues se confondirent pour former la
langue anglaise, les deux éléments poétiques se confondi-
rent aussi pour constituer la poésie anglaise nationale.
Geoffroy Chaucer (1328-1400), son premier représen-
tant, est à cause de cela communément surnommé le
père de la poésie anglaise. Cependant ses productions
étaient bien plus propres à charmer les gens de la cour qu'à
plaire au peuple. Les poètes de quelque renom qui vin-
rent après lui furent ^Yyat, Surrey, Borde, Heywood,
Sackville et Tye, qui mit en vers l'histoire des apôtres;
S penser, qui florissait vers la fin du seizième siècle,
auteur du Shepherd's Calendar et de la Fairy Queen, fut
un poète plem d'imagination ; on l'a souvent comparé à
l'Arioste. A peu près à la môme époque parut Shakspeare.
Depuis lui jusqu'à M il ton il n'y a guère que la mélanco-
lique Davideis de Cowley qui mérite d'être citée. En re-
vanche, le Paradise lost ( Paradis perdu ) de Milton, épopée
religieuse pleine de vigueur et de lyrisme, alors môme qu'elle
affecte le ton didactique, passe pour le chef-d'œuvre ini-
mitable de la poésie anglaise : son Paradise regained est
moins classique, lient pour successeur Dry d en , chef
d'une école nouvelle de poètes , dont la verve a été moins
hardie, et qui se sont particulièrement laissé influencer par
le goût français. La poésie de Dryden excelle dans la narra-
tion et dans la satire; elle est fine, délicate, attrayante,
parfois piquante et mordante ; ses vers et son langage sont
presque toujours harmonieux et doux. Pope fut plus spiri-
tuel, plus correct, plus brillant que lui , dans l'ode , l'hymne,
l'élégie , l'idylle , la satire et l'épigramme. Après lui vien-
nent l'érudit Addison; Gay, l'aimable fabuliste; Thom-
son, le peintre heureux delà nature; Swift, esprit mor-
dant, humoriste ingénieux; Young, poète emphatique et
religieux ; Ramsay, le poète populaire écossais ; et Bruce.
Depuis le milieu jusqu'à la fin du dix-huitième siècle , on
vit fleurir A kenside, poète didactique ; l'élégiaque Tho-
mas Gray; l'ingénieux Goldsmith; l'humoriste Arms-
trong; le lyrique Penrose; etBurns, au génie si original.
Pendant toute cette période, depuis ÉUsabeth jusqu'à Geor-
ges I^*^, l'épopée et le drame arrivèrent seuls à la perfection.
On traduisait en vile prose les poèmes romantiques de la
chevalerie , et la ballade dut se réfugier en Ecosse. Un timide
bon sens, un ton de plaisanterie souvent insipide, rempla-
cèrent l'imagination et l'enthousiasme. L'influence française,
introduite en Angleterre à la suite des Shiarts, énerva et
57G
A^■GLETERR^:
alTadit la poésie, mit la forme au-dessus du fond, bafoua
la religion et corromiiit les mœurs. C'est au dix-neuvième
siècle seulement qu'il fut donné de briser les cliaîncs de
Técole française , de rétablir rimagination dans ses droits et
de faire une juste part à la forme et au fond. 11 en résulta
une vie uouvelle pour la poésie nationale, à laquelle on
a peut-être à tort assigné deux directions pailiculières, celle
de l'élément romantique et celle de l'élément sentimental.
IJyron, Thomas iMoore et Shelley furent les chefs do
la première de ces écoles; Wordsworth, Coleridge,
Sou t h cy et John W il son, ceux de la seconde. Le puis-
sant génie poéticjue de lîyron s'annonça dans son Childc-
Harold, la tendre mélodie de Moore dans Lulla-Rookh, la
passion impétueuse de Shelley dans des tragédies qui ne
sont pas faites pour la scène. Wordsvvorlh, le poêle des
ballades lyriques et des chants légers et gracieux, fut, en
dépit de son extrême simplicité de pensée et d'expression ,
un csjirit poétique riche, profond, mais qui n'est pas tou-
jours maître de son imagination. Coleridge, avec la profonde
connaissance <lu cœur humain qu'il possède, se complaît
trop souvent dans la peinture du terrible, et tombe parfois
dans l'étrangeté. Southey , esprit moins exalté , excelle à
reproduire les scènes paisibles de la nature et les tableaux
simples d'imagination ; mais il confond souvent le clin-
quant avec l'or pur. "NVilson s'inspire de préférence des sen-
timents populaires et des délices de la solitude. D'autres
poètes en renom se rattachèrent plus ou moins à ces deux
écoles. Ainsi Walter Scott, qui chanta la chevalerie
dans son Lay of the last Minslrcl , appartient à l'école
romantique, et Th. Campbell avec ses Pleasurcs of
Hope à l'école sentimentale. On doit encore mentionner
Georges Crabbe, Samuel R ogers, Leigh-Hunt, Barry-
Comwall ( voyez Proctou), Bernard Barton , James ^lont-
gomery, Polloc'v, John C lare, James IIogg,ditle berger
d'Eltrick; Allan Cunniugham, Watts, llerwey, William
llowitt, Hood, Jilliott, Drimer {Uarold de Buriin,
1S35) , Willis ( Melanie, and other poems , 1335), INicoll
( Poems and Lyrics, 1830), Chester ( The Lay o/the lady
Ellen, 183G), Crockcr, le poète de la nature {Kingley
Vale, 1837 ), Herbert, auteur du beau poème épique Altïla
( 1838), Morris [Lyra urbanica, 1840), Bulwer (Eva,
and other poems, 18i2), Powell, Macanlay, A. Tenu y-
s o n , Merivale, etc. Les femmes de ces derniers temps ont
aussi leur part de renommée : il faut citer Felicia M e m a n s .
Laititia Landon {the Wow of the Peacock, and other
poems, 1S35), Eumieliue Wortley , Louisa Twamiey,
Elisa Cook, Elisabeth Barrett {the Seruphim, 1840) et
Mary Clialenor.
La prose en Angleterre se forma plus tard que la poésie;
elle connnença par la traduction de la liible et de quelques
classiques grecs et latins ; cependant elle ne date guère que
du milieu du quatorzième siècle: les historiens Samuel Da-
niel et Walter F%aleigh peuvent Cire considérés comme
les premiers qui s'élevèrent au-dessus du style des simples
chroniqueurs. Habingdon et Mil ton dans leurs ouvrages
historiques, Phil. S i d n e y dans ses dissertations, et H o b b e s
dans ses ouvrages philosophiques, parvinrent à im plus
haut degré de perfection. Vers la fin du dix-septième siècle,
Tillotson, l'orateur sacré , W'ill. Temple, l'écrivain po-
litique, Locke le philosophe, et l'ingénieux S h aftesbur y,
dans ses investigations philosophiques, toujours brillantes
d'esprit et d'imagination, tirent faire de nouveaux progrèsàla
prose. Les journaux hebdomadaires publiésau commencement
du dix-huitième siècle, par exemple the Tatler ( 1709), the
Spectator ( 1711 ) et the Guardian ( 1713), ne contribuèrent
pas peu non plus à ce résultat, de même que Johnson,
Moore, Hawkesworth, mais surtout Addison par la part
importante qu'il jtrit à la rédaction du Spectator et eu re-
voyant les arlicles fournis à ce recueil par d'autres écri-
vains. Bienlùl chaque espèce de style eut son législateur
particulier : le satirique, dans S w if l; le didactique, dans
IIutcheson,John Brownet Adam Smith; l'épistolaire,
dans lady Montagne, C h esterfield et Junius; celui
du roman, dans itichardson, Fielding, Sterne,
S m o 1 1 e t et G 0 1 d s m i t h ; celui de la critique, dans Samuel
Johnson; celui de l'histoire, dans Hume, Robertson et
Gibbon. Edmond Burke, dans ses écrits politiques,
donna des modèles achevés de la langue classique. A cet
égard , l'époque récente , et môme l'époque actuelle , n'ont
en rien modifié cet état de choses. Le style germano-anglais
deCarlyle n'est qu'une bizarre tentative, qui n'a eu ni
succès ni imitateur. Ce n'est guère que dans le roman que
l'on tolère le mélange de mots et de phrases empruntés
aux langues étrangères, au français surtout; d'où est
résulté, à l'imitation de la conversation du monde fas-
hionable, un genre sans nom comme sans consistance.
Pour fixer le point de départ de la liltérature savante ,
nous prenons l'époque où un négociant, nommé Williajii
Caxton, de retour d'un long voyage, introduisit l'im-
priuîerie en Angleterre, et fit ses premiers essais à West-
minster, vers 1474. Si cette épotjue, qui coïncide avec
celle des trente ans de luîtes entre les maisons d'York et
de Lancaster, dut être extrêmement défavorable au réveil
du goût pour les lettres et leur culture, le développement
du génie national , une fois que la plus grande partie de la
noblesse normande eut péri sur les champs de bataille , lui
ouvrit une carrière plus vaste et plus féconde.
La liltérature de l'Angleterre est redevable au vieil esprit
saxon de ses progrès et de ses plus riches productions. Par
l'éloquence de la chaire, la seule qu'ait connue l'.Vngleterre
jusque vers la fin du dix-huitième siècle , il eut une grande
influence sur la littérature nationale. Le règne d'Elisabeth
fut l'âge d'or de l'éloquence sacrée. La philosophie, les ma-
thématiques et riiistoire furent cultivées avec ardeur; on
réunit de nombreuses collections en même temps qu'on
cultivait avec le plus grand soin les sciences appliquées aux
arts et à l'industrie. Consultez Gray, Historical Sketch oj
the origin qf'english prose literature and its progresses
( Londres, 1835). Cette tendance se conserva pendant tout le
dix-huitième siècle.
Sans doute les guerres civiles sous Charles l", le triom-
phe des puritains et les dix ans de règne de Cromwell em-
pêchèrent les progrès de l'art et de la science ; mais l'es-
prit public y gagna une énergie et une vitalité d'où sorti-
rent les principes de droit politique auxquels la révolution
de 1688 vint donner une dernière et solennelle sanction. A
partir de ce moment, la vie intellectuelle du peuple anglais
put se développer librement, et l'influence française, qui
continua encore de la menacer pendant quelque temps, ne
put paiTcnir à entamer le genre intime de la littérature an-
glaise. Le dix-neuvième siècle ne demeura point en arrière
de ce mouvement. C'est de cette époque que date la créa-
tion, si importante pour la littérature, de diverses sociétés
ayant pour but de protéger les arts et les sciences , les
unes fondées au moyen de secours accordés par le gou-
vernement , les autres ne subsistant que par les contribu-
tions volontaires de leurs membres. La Royal Society de
Londres publie chaque année le recueil de ses mémoire.s
sons le titre .de Philosophicnl Transactions; il en est de
même de celle qui existe à Edimbourg, et qui comprend
deux classes , celle des sciences et celle de belles let-
tres. Les sociétés savantes de création plus moderne imi-
tent plus ou moins cet exemple, nofannnent la Société
d'Histoire Naturelle de Werner de Londres, la Société Géo-
logique et d'histoire naturelle de Cambridge, les Sociétés
d'ilorticulture de Londres et d'Edimbourg, la Société d'His-
toire Naturelle de Glasgow, les Sociétés Linm-enne, d'I'nfo-
mologie, de Zoologie, d'Astronomie, de Géographie et dWr-
chilecture de Londres. Il faut y ajouter les lectures |iopu-
. laires sur diverses branches de la science , tenues dans
A.\GLETER1\E
577
rr.el(Tues associations particiiliiTos de Lomlros it rendues
inibli«iiies par la voie de l'impression, comme funt la Hoyal
Institution, au moyen du journal qu'elle publie sous le
tilrede Journal 0/ Science, I.itcraturc and t/w Arts , de
même <pie la London Institution et la Royal Societij 0/
I.itcrature , laquelle déceraecn outre des me*lailles d'hon-
neur et des prix annuels; la Socicttj /or the Dijjusion of
uscj'ul Knowledge , t\\n puMie des traités rédigés pour le
peuple et relatifs aux niatliémaliques, aux sciences natu-
relles, à la tcclinoloiiie, à l'iiistoire, etc., sous le titre de :
Liàranj o/tise/nl Knowledge ; eniin, \a British Associa-
tion/or the Advanccment 0/ Science, dont l'activilé, au-
tant du moins quon en peut juger par ce qu'elle public, ne
répond pas aux riches moyens dont elle dispose , mais qui
ne laisse pas pourtant que de concourir puissannnent aux
progrès des sciences. 11 faut citer les infatigables publica-
tions des journaux et des recueils scientifiques , surtout de
ceux qui soi:t plus spécialement consacrés à la critique , et
qui, en attachant un grand prix à la forme dans l'apprécia-
tion des ouvrages scientifiques à laquelle ils se livrent, pro-
pagent l'élégance d u style. Tous les recueils périodiques anglais
s'occupent plus ou moins de critique et de sciences, et il n'en
existe pas de purement littéraires. Les plus influents et les
plus estimés sont aujourd'hui, en première ligne,VEdinburgh
Review, et son rival le Quaterly Review, qui se publie à Lon-
dres; celui-là Ubéral et wbig dans ses opinions et ses ten-
dances, celui-ci tory et ultra-conservateur. D'ailleurs dans l'un
et dans l'autre la critique est acerbe, sévère, mais savante,
surtout dans le domaine des sciences politiques, et le style en
est d'une remarquable élévation. Entre ces deux revues se
place le West7ninster Review , organe en quelque sorte du
juste-milieu, visant avant tout à la solidité dans ses produc-
tions, et atteignant son but. Le Foreign and Colonial Qua-
terly Review est l'habile interprète de la littérature étrangère,
en même temps qu'il traite et expose avec sagacité fout ce qui
se rapporte aux intérêts coloniaux. Les journaux hebdoma-
daires the Literary Gazette et the Athenxum sont moins
des recueils de critique proprement dite que des comptes-
rendus; mais ils abondent en faits et en nouvelles de l'in-
térieur et de l'extérieur relatives aux sciences et aux lettres.
Le 3rirror, rédigé depuis longues années avec un grand suc-
cès, se borne à publier chaque semaine des extraits de ce
qui a pam de nouveau ; mais ces choix sont généralement
faits avec le plus grand tact. Ce sont les dernières discus-
sions religieuses et ecclésiastiques qui ont donné naissance
au recueil intitulé : the Chtirch of England Quaterly Re-
view , chargé de défendre les intérêts et les doctrines de
l'Église officielle contre le catholicisme et le puseysme, qui
s'en rapproche beaucoup, et qui compte au nombre de ses
collaborateurs de redoutables combattants armés jusqu'aux
dents. En tète des magazines, recueils mensuels de contenu
varié, il faut placer le Gentleman's Magazine, qui fait au-
torité en matière d'archéologie. Le Monthly Magazine,
malgré la couleur bien tranchée qu'il a adoptée en politique
et en religion, est un recueil estimable. The New Monthly
Magazine, jadis son rival, mais qui aujourd'hui vit en paix
avec lui, amuse par la richesse et la diversité de sa rédaction. Il
a pour concurrent The Metropolitan Magazine. VEdin-
burgh Magazine de Blackwood est un recueil autrement
important. Sa critique est d'un grand poids. En politique ,
il appartient à l'opinion tory. Le Magazine for Town and
country de Fraser, comprenant presque tout dans son
large cadre, s'occupe d'histoire , de dramaturgie, de poésie
et de satire, de politique et de querelles théologiques ; rare-
ment il lui arrive d'être partial, et le plus souvent il appré-
cie d'un point de vue essentiellement cosmopolite. Le Colo-
nial Magazine, le Freemason's Quaterly Review, The
Lancet, Art journal, (ttc, sont des recueils consacrés à des
sciences ou à des questions toutes spéciales qu'on y trouve
souvent traitées avec une grande supériorité de talent. On
iiifiT. ni; 1.A coNVEi'.s. — T. r.
doit encore mentionner ici le Wee^hj Magazine, qui paraît
depuis 1813. TheAnnual llegisterct the New Annnal Ke-
gister, quoique différant au point <lc vue des appréciations
critiques, présentent annuellement le tableau de tout ce que
la librairie anglaise a publié dans le cours de l'année et en
y ajoutant des observations souvent d'un grand prix. Ces
deux recueils sont tout naturellement les meilleurs siip|>lé-
ments qu'on puisse désirer pour les encyclopédies existantes.
Ces ouvrages si utiles, devenus même si indispensables de
nos jours, ne manquent pas non plus. Parmi les plus an-
ciennes il nous faut mcnlionner V Universal English Dic-
tionary of Arts and Sciences, d'abord de Ilarris, puis de
Chaiiibers , et en. dernier lieu de Rees ( 9 vol., Londres,
1704-17SG ) , et dans les temps plus rapprochés de nous,
the English Encyclopedia ( 10 vol., Londres, 1800); the
Cyclopcdia (39 vol., Londres, \%Q2-\9,'ïO);Y Encyclopedia
Metropolitana, or Universal Dictionary of Knowledge (\q
Smcdioy (14 vol., Londres, 1829-1832) ; \à Cabinet Cyclo-
pcdia de Lardncr(133 vol., Londres, 1830-1833); la Po^
pular Encyclopedia (ieïihckic (5 vol., Edimbourg, 1835);
VEd!nbui-ghEncyclopedia(\KBrev/iteT(-i'ixo\.,Éi\iw.br)mii
1810-1829), etVEncyclopedia Britannica commencée par
Tytler, terminée par ^'apier (31 vol., Edimbourg, 1771-
1842). Les noms les plus célèbres dans les sciences et les
lettres figurent au bas des articles du plus grand nombre
de ces recueils encyclopédiques.
Les études philologiques , notamment celles qui ont trait
aux langues grecque et romaine, fleurirent en Angleterie à
pariir du seizième siècle, et ont de temps à autre donné les
résultats les plus importants, grâce aux travaux des Mait-
taire, des Toup,des Barker, des Baxter, desBentley,
de Gatacker , de Gale , de Hudson , de Creecli , de Wake-
field, de Daves, de Pearce, de Hearne, de Wasse, de
Barnes , de Clarke , de Johnson , d'Upton , de Heath , de
Musgrave, de Tyrwhitt, de Porson, de Butler, de Blom-
field, de Gaisford, de Dobree, de Monk, d'ElrasIey, de
Knight et d'Arnold, savant éditeur de Thucydide. Mais l'é-
tude des langues orientales, qui a pris de tels développements
dans ces derniers temps, est surtout redevable de beaux tra-
vaux à des philologues anglais. C'est ainsi que Swinion s'est
occupé du palmyrénien et du phénicien ; Wilkins , Woide,
Pearson, et Taltam du copte; Channing, White, Joncs,
Davy et Lee, de l'arabe; Gladwin, Lumsden , Kichardson,
Wilkins, Priée et Stuart, du persan; Marsden, du malais;
MoiTison, Davis , Tboms et Staunton, du ch'mois ; Cole-
brooke, Carey, Wilson, Haughton, Morton, Shakspeare,
Michael, Anderson, Campbell, Morris, Kennedy et Caila-
way, du sanscrit et des autres langues indiennes. Voyez
l'article Orientale (Littérature).
La direction éminemment pratique du caractère national
anglais se manifeste surtout dans les travaux dont a été l'ob-
jet h philosophie , science qui en raison mèaie de sa na-
ture ne peut arriver à une certaine élévation qu'à la condi-
tion , pour ceux qui la cultivent , de scruter opiniâtrement
le domaine de la pensée. La culture des sciences, qui en An-
gleterre et en Ecosse survécut longtemps à la civilisation ,
fut favorisée au huitième et au neuvième siècle par le roi
Alfred ; cl plusieurs savants célèbres à la cour des rois
franks, tels qu'Alcuin et plus tard Erigène Scof, étaient
veims d'Angleterre. A l'époque où domina la philosophie
scolastique, plusieurs Anglais se distinguèrent aussi connue
théologiens philosophes, par exemple Anselme de Can-
terbury, Bob. PuUeyn, Jean de Salisbury, plus tard
Alexandre de Haies, Jean Duns Scot , William d'Oc-
cam, son disciple , et Roger Bacon, ce génie si ori-
ginal. Après la renaissance des études classiques, Bacon de
Vénilam donna une nouvelle direction aux investignlions
scientifiques, et aborda une carrière dans laquelle les An-
glais ont persisté depuis à le suivre. La scolastique continua
de régner à Oxford, tandis que le m-oplafonismc prév.ilid à
.78
ANGLETERRE
Cambridge. Thomas Gale confondit ces deux écoles philoso-
phiques en l(;(i7 pour les appliquer ;\ la théologie, et Henri
More (mort en 1C87), à la prétendue science cabalistique.
Cudworth fut un néoplatonicien; Ho bb es s'appliqua
surtout au di'oit public et à la j)olili(iue, et eut pour adver-
saires Algernon Sidney et James H arring ton. Tout ten-
dait à l'empirisme, quand parut Locke, qui donna une di-
rection précise parmi ses compatriotes aux investigations
relatives aux dernières bases du savoir humain , direction
qui consolida le sensualisme et pendant le dix-huitième
siècle prépara les voies au matérialisme et au scepticisme ,
de sorte que la métaphysique, méconnue par l'école de Locke
<st même comme science véritable par Newton, fut complè-
tement mise de côté. L'idéalisme de Derkeley ne fut qu'un
fait isolé et passager. En revanche, les philosophes mora-
listes et les théologiens anglais, notamment Samuel Clarke,
F. Hutcheson, D. Smith, Rich. Priceet Ad. Fcrguson, s'ef-
forcèrent de défendre la morale et la religion contre les at-
taques des matérialistes et des libres penseurs. Les Écossais
J. Beattie, J. Oswald et Thomas Reid prirent à partie le
scepticisme de Hume, Reid surtout, qui, en s'efforcant de
déterminer les loisauxquelles obéit l'esprit intelligent, ramène
les facultés de Tàme à un petit nombre de lois simples prou-
vées par les faits, dont l'examen aboutit ;i un fait général,
n'admettant pas d'autre explication que celle qui le définit un
des attributs de notre nature , et trouvant dès lors les der-
niers motifs de notre foi à l'existence d'un monde extérieur
dans un sentiment commun participant de l'instinct. Tous
les philosophes spéculatifs de l'Angleterre se sont rattachés
à l'une ou à l'autre des écoles fondées par Locke et par
Reid. Le système de ce dernier reçut de nouveaux dévelop-
pements sous le nom de métaphysique écossaise , à la suite
des travaux de Dugald Stevvart. Les métaphysiciens anglais
adoptèrent pour la plupart les doctrines de Hartley, qui
suit la bannière de Locke. Les doctrines de ICant n'obtinrent
jamais grand succès en Angleterre, et on s'en est toujours fort
peu occupé dans ce pays. En 1838 , cependant, un anonyme
fit paraître unetraduction de la Critic/uc de la Raison pure ,
et en 1836 K. Semple traduisit la Mvtaphijsïque des Mœurs.
Tous les autres systèmes spéculatifs qui se sont produits
récemment en philosophie n'ont d'ailleurs eu que fort peu
de retentissement en Angleterre. Dans la philosophie mo-
rale on n'est pas revenu dans ces derniers temps aux bases
suprêmes de h moralité , et on s'est borné à rester dans le
cercle de l'expérience psychologique , par exemple Paley,
Gisborne, Abercromby et ISIackintosh. La théorie philoso-
phique du gofit, que les Anglais appellent j9AJ/050^Ay o/cri-
licism, n'a pas abandonné non plus ce cercle des investiga-
tions psychologiques, pas plus Kniglit qu'Alison ou Beattie;
IJugald Stewart est le seul qui se soit livré à une étude plus
approfondie de ces questions. Des traductions du Plan de
Tenneman et de V Histoire de la Philosophie de Ritter
ont fait pénétrer en Angleterre quelques idées sur les travaux
uxquels les Allemands se sont livrés au sujet de l'histoire
de la philosophie.
On peut dire que les écrivains anglais se sont bien
moins distingués par leurs travaux relatifs à la théologie en
général q\ie par leurs recherches sur la philosophie. On pos-
sède toutefois d'excellents recueils de sermons. Les plus
anciens sont ceux de Tillotson, de Sherlock, Secker, Jor-
tin , Sterne, Wliitc et Blair; parmi les plus récents, on peut
citer ceux de Havcrlield , Howell, Evans et Sewell. On doit
encore une mention spéciale, en raison du but que l'auteur s'y
est proposé, au Discourse on Natural Theologij de Broug-
bam (Londres, 1835), et îi la Natural Theologij de Paley
(nouvelle édition, par Brougham et Bell , Londres , 183G).
La jurisprudence se borne tellement en Angleterre à la
connaissance du droit national , lequel se compose exclusi-
^ement de la législation parlementaire et de décisions déjà
ieii>iues sur certaines questions de droit, qu'on peut i peine
ranger parmi les sciences la littérature jurisprudentielle de
l'Angleterre. Elle se borne à peu de chose près à des col.
lections de lois , à des questions spéciales de droit et à l'in-
dication de ressources et de moyens pratiques. L'ouvrage
de Wills : On the nationale of circvmstancial Evidence
( Londres, 1838), fait exce|>lion. Citons dans la philoso-
phie politique le Traité de la liberté par M. Mill.
C'est tout récemment seulement, c'est-à-dire depuis 1832,
à la suite de la publication de la Cfjllopedia of Pructical
Medicine, que la médecine a commencé à agir en prenant
pour point de départ une base scientifique. Jusqu'à ce mo-
ment elle était demeurée toute pratique. Les anciens ou-
vrages des plus célèbres médecins anglais, comme Aber-
crombie et Gooch, sont tous écrits au point de vue pratique;
et il en est de même des écrits plus récents, publiés par
les plus célèbres chirurgiens anglais, comme .\bernethy,
Cooper et Brodie. La nouvelle direction, au contraire, a
été suivie par Grant [Comparative Anatomy, Londres,
1835); Rostock { Historij of Medicine, Londres, 1835);
Clark [Trcatise on Pulmonurij Consumption, Londres,
1835); Copland {Dictionary of pructical Medicine)]
Todd {Cijclopedia of Anatomy and Physiology, Londres,
1835 ), Scudamore ( The Goût ) ; Combe ( Physiology of Di-
gestion ); Johnson {Economy of Health, Londres, 1H36);
Millengen {Curiosities of Médical Expérience) et Verity
( Changes produced in the nervoiis System by civilisa-
tion, Londres , 1839).
Parmi les sciences politiques , ce sont surtout l'économie
nationale et la science de l'administration qu'ont fait pro-
gresser les travaux d'Adam Smith, de Ricardo, de Mal-
thus et de Mac- Cu Hoc h. Ce dernier s'est rendu à bon
droit célèbre par ses Principles of political Economy
(Londres, 1831 ), et par son précieux Dictionary of Com-
merce and Navigation (1832). Porter, en se senant des tra-
vaux et de l'autorité de ses devanciers , a conduit ce sujet
jusqu'à nos jours, dans un livre aussi lumineux que travaillé
avec soin, qu'il a publié sous le titre de the Progress ofthe
Nation (Londres, 1836-1843).
Les mathématiques supérieures , l'astronomie notam-
ment , ont trouvé en Angleterre de dignes représentants
dans Ferguson, Bradley {Pructical Geometry, 1835), Madie
[Popular Mathematics, 1837), Herschel, Airy, Challis,
Dunlop, South et Brinkley.
Herschel nous fait parfaitement apprécier l'état actuel des
sciences naturelles en Angleterre daiiis A preliminar y Dis-
course on the study of'natural philosophy , (\\xi fait partie
de la Cabinet Cyclopedia de Lardner.
La physique est redevable d'importants progrès aux ob-
servations sur les oscillations du pendule de Kater, aux
recherches sur la vapeur et les gaz de Dal ton et d'Ure, au
développement des lois du rayonnement de la chaleur de
Les lie, à la Théorie de la lumière de Herschel, aux ob-
servations sur la polarisation de la lumière de Brewster,
et aux efforts faits par Young pour expliquer ce phénomène
par la théorie de l'ondulation, enfin aux Eléments ofPhysic
{ Londres, 1837 ) de Webster.
Dans le domaine de làchimie ont d'abord brillé les noms
de Pott, de Priestley, de Black et de Cavendish,
puis ceux de Humpb.ry D a v y , Brande, Dalton , W o 1 1 a s t o n ,
Faraday, Ure (Dictionary of Chemistery, Glasgow,
1823 ), Graham et Hume ( Chemical Attraction, 1842 ).
Vhisfoire naturelle est loin d'avoir fait en Angleterre
autant de progrès. On n'y a attaché , n'importe d'ailleur.s
pour quel motif , que peu d'importance aux nouvelles théo-
ries qui modifiaient considérablement la science, et qui. par
suite des nombreuses découvertes faites sur le continent, de-
venaient partout dominantes. L'ignorance que l'on reproche
encore aujourd'hui aux naturalistes, anglais relativement
aux productions de ce genre de littérature à l'étranger
est cause que l'Angleterre était restée au commencement
ANGLETERUE
579
de ce siècle fort en arrière , sous ce rapport, dfs Allemands
et des Français. D'un tôté, par nonclialaiico, ilii l'autre,
par suite iruii st'utiment de religiosité fort mal compris,
on se raltailiait avec roideur aux anciennes tiioorits. ^ulle
parlée que l'on appelait la physico-théologie n'atlominé aussi
longlemps qu'en Angleterre, où de nos jours encore on voit
paraître des ouvrages rigoureusement scientiliques tout ba-
rioles de considérations pieuses, et il n'y a pas de pays au
monde où il soit moins iirudont à un homme exerçant des
fonctions publiques ou bien jouissant d'une certaine réputa-
tion d'entrer en lutte avec l'autorité de la Bible en dévelop-
pant des laits d'histoire naturelle. Les géologues surtout sont
obligés d'user d'\ine prudence extrême et de détours. Il n'y a
pas si longlempsque le savant Bucklaml fut (orcé, parsuile
de circonstances demeurées inconnues, de p\iblier le désaveu
de ses propres doctrines , désaveu qui ne saurait avoir été
sincère, et consistant en efforts malheureux faits pour mettre
d'accord l'histoire de la création d'après la lîible avec l'état
actuel des sciences. Une des causes qui se sont en outre op-
posées en Angleterre aux développements utiles de l'histoire
naturelle supérieure, c'a été l'éloignement des savants pour
ce genre de spéculation auquel on est redevable de tant de
résultats réels. 11 est rare , en conséquence , de rencontrer,
môme chez les meilleurs auteurs qui aient écrit sur cette
science, un système philosophique rigoureusement déduit.
Aux c<iuses qui ont entravé le développement des sciences
naturelles dans ce pays, il faut encore ajouter la manie, plus
n'-pandue en Angleterre que partout ailleurs, qui pousse une
foule de gens inoccupés et vivant d'une fortune indépendante
à s'occuper en amateurs des sciences naturelles et à former
des collections , ce qui oblige les sociétés savantes à insérer
dans leurs mémoires les élucubrations de leurs riches Mé-
cènes. Aussi peut-on dire que le mérite delà littérature scien-
tifique anglaise consiste plutôt dans l'accumulation d'une
quantité presque incroyable de matériaux tirés de toutes les
parties du monde , et dans leur reproduction presque tou-
jours remarquable au moyen des arts du dessin, que dans
l'utilisation même de ces matériaux et dans leur critique.
La botanique est une science en grande faveur, et que
favorise l'existence d'un grand nombre de jardins particu-
liers d'une richesse extrême. Cependant, c'est encore bien
plus comme science systématique que comme botanique
physiologique , science à laquelle peu de personnes s'intéres-
sent en Angleterre, et dans laquelle Robert Brown et
John Lindley sont les seuls qui aient fait de grands travaux.
En revanche, la littérature anglaise est d'une ricbesse ex-
trême en ouvrages de luxe du domaine de la botanique des-
criptive ; soit en Flores , telles que celles de l'Inde et du
Nepaul, par Wallich ; de Java, par Horsfield; soit en mo-
nographies , telles que celles des cincbona et des pins , de
Lambert , et des scitaminées de Roscoe , des orchidées de
Lindley ou de Bateman , des fougères de Greville ; soit en-
core en collections , telles que le Botanïcal Magazine,
recueil commencé en 1774, parW. Curtis, et continué de
nos jours par Hooker, lequel contient plus de 3,000 plan-
ches , et une foule d'autres par Andréas , Sweet , Loudon et
Loddiges. Indi'i)en(hmmient des noms que nous venons de
citer , il faut encore mentionner, comme ayant bien mérité
de cette partie de la science , ceux de G. Don, Adr. Hardy-
!lawoi-th, Lewis Weston Dillwyn, Dawson Turner, John
BellciiileuGawkr, J. blockhouse, David Don, G.-A. 'Walker-
Arnolt, G. Bentham, Paxloii rt Fortune.
Dans le domaine de la zoologie les Anglais ne manquent
pas non plus sans doute d'ouvrages de luxe, comme par
exemple les splendides monographies des kangourous et des
oi.seaux de la Kouvelle-Hollande par John Gould, VEnlomo-
iogic Oii/annif/iie de Curtis, les œuvres ornilhologiques de
Swainson, les Oiseaux d'Australie, par Lewin, la Zoologie
de l'Afrique méridionale, par André Smith, etc.; mais c'est
seulement depuis une vingtaine d'aiinces qu'on a vu se pro-
duire et dominer d;uis les ouvrages de premier ordre un
esprit rigoureusement scienlilique, dont sont complètement
dé|iourvus la jdupart des nombreux correspondants des re-
cueils zoologiques. La voie suivie avec tant de succès autre-
fois par Hunter demeura déserte et abandonnée pendant
longtemps ; cependant l'.^ngleterre possède aujourd'hui dans
le domaine del'anatomie comparée des savants qui, comme
R. Owen , par exemple, peuvent à tous égards soutenir la
comparaison avec les i)lus célèbres savants du continent, et
qui se sont fait un nom durable pour l'importance de leurs
travaux et de leurs découvertes. L'entomologiste Mac-Leay
a fiiit preuve d'un esprit éminemment ph'dosophique. Le
système qu'il a imaginé repose , il est vrai , sur des nom-
bres , et a été mal compris et tourné en ridicule par
beaucoup de ceux qui sont venus après lui, comme R. Swain-
son ; mais cela n'empêche pas qu'il ne soit encore aujour-
dliui en grand crédit. Yarrel par ses oiseaux et poissons de
la Grande-Bretagne, Richardsonpar sa zoologie de l'Amérique
du Nord, G.-R. Gray par ses travaux sur les reptiles et les
animaux de l'Inde , W. Kirby et W. Spence, comme ento-
mologistes , G. Johnston, C. Forbes et Flemming par leurs
recherches sur les animaux marins inférieurs , Darwin ,
C.-Q. Waterlioasc , J.-C. Gray, J. Reeves,'.T. Bell, J.-O.
Wetswood, etc., ont prouvé dans ces dernières années par
leurs ouvrages combien ils avaient à cœur de fonder en An-
gleterre une zoologie scientifique ; mais la plupart des zoo-
logistes anglais se bornent à d'arides systèmes , et à publier
des monographies ; ce à quoi , à dire vrai , ils sont invités
d'un côté par l'action des sociétés savantes , et de l'autre par
l'énorme quantité de matériaux tirés des pays étrangers.
L'Angleterre ne manque pas non plus de recueils périodiques
consacrés à la culture de l'histoire naturelle. Les meilleurs
sont le Magazine for ISatural Jfistory, rédigé par Ilooker et
Jardine, et les ouvrages de la Société Zoologique de Londres
et de Dublin. Parmi les productions les plus récentes , on
distingue surtout la Naturalist's Library de Jardine, à cause
du soin tout particulier avec lequel elle est rédigée. La partie
zoologique de la Cyelopedia de Lardner, qui a pour auteur
Swainson , est presque complètement sans valeur ; mais la
plupart des articles fournis à la Cyelopedia of Anatomy
and Physiology et au Dictionary of Arts and Sciences
(Londres , 1842 ), par R. Owen, sont excellents.
La minéralogie et la géognosie sont bien jusqu'à un cer-
tain point des sciences nouvelles en Angleterre ; mais aussi
elles n'en sont cultivées qu'avec plus d'ardeur et sont même
devenues aujourd'hui à la mode. L'oryctognosie , science
aride et exigeant une foule de notions préalables , est bien
moins cultivée que la géologie. Celle-ci, qui, à dire vrai, oc-
cupe davantage l'imagination, est originaire d'Ecosse, où
Ilutton {Tfieory of'the Earth, 2 vol., Edimbourg, 1795)
fonda le système de la formation de la terre par l'action
réunie de l'eau et du feu. Le système scientifique de Werner
trouva dans l'Écossais J a m e s o n un redoutable adversaire ;
et bientôt il se forma h Edimbourg une école particulière
très-induente. La diffusion toujours croissante des principes
de cette science eut pour résultat de faire créer des chaires
spéciales de géologie dans les universités anglaises, en même
temps que les sociétés géologiques, qui se créèrent tant à
Londres que dans les provinces, virent s'accroître rapide-
ment le nombre de leurs membres, et commencèrent à rendre
publics leurs travaux. Les efforts de ces sociétés, les sacri-
fices faits par quelques riches particuliers et souvent aussi
les secours accordés par le gouvernement, eurent pour
résultat de faire singulièrement avancer cette branche de
l'histoire naturelle. Il n'y a pas de pays au monde qui pos-
sède une aussi grande (pianlité de monographies géognos-
liqiies de ses diverses ])rovinces que l'Angleterre; à cet
égard nous rappellerons les travaux d'IJenri T. Delabêche,
J.-C. Portlock, John PhiUips, Connybearc, IMartcll Sedg-
wick, Bimbury, Buckland, Lyell, etc. On a des reclierclies
7J.
580
ANGLETERRE
gi'ognostiqucs sur l'Ecosse par Jamcson, Hibbert, Mac-
Ciillocli, Hall et Mackensic; sur l'Islande, par le même
Mackensic; sur la Russie, par Poulli>f, et tout récemment
par Marchison ; sur la France, par Scrcpe ; sur l'Aménipie
(lu Sud et la Polynésie, par Darwin. Les colonies anglaises de
l'Inde, de l'Amérique du Nord, de l'Africpie et des lies l'al-
kland, ont également été l'objet de rechcrclies géognostiques.
Les pétrifications dont abonde l'Angleterre, plus particulière-
ment celles de formation crayeuse, ont donné lieu à de nom-
breux travaux, notamment de la part do Parkenson (1804-
1822), de Buckland (Orgnnic Remahis, Londres., 1823),
IMantcl, Conybeare, Sowerby etR. Owen. Les opinions des
(.géologues anglais ne sont point généralement adoptées sur le
continent; mais leurs travaux méritent d'autant plus notre
reconnaissance que les discussions mêmes qu'ils ont provo-
quées ont contribué à élargir le cercle de la science. Dans
le grand nombre de manuels de géognosie que possède
l'Angleterre, nous mentionnerons ceux de Delabôche ( Geo-
lorjical Manual, 3' édit., Londres, 1841 ); Ch.Lyell(Pnn-
ciplcsof Geology, 4 vol., 6" édit., Londres, 1842), et I3ac-
kewell {Introduction to Gcologij , Londres, 1828). Les
Transactions et les Procecdings de la Société Géologique
britannique sont indispensables à tout homme qui s'occupe
de géologie.
Dès le dix-luiitième siècle on peut citer les historiens an-
glais comme modèles pour la manière d'écrire V histoire. Les
grandes histoires universelles de Guthrie et de Gray sont
particulièrement estimées. Les productions les plus distin-
guées, au point de vue du style et des investigations, qui pa-
rurent ensuite, furent les Histoires d'Amérique et d'Ecosse
par Robert son, d'Angleterre par H u m e , d'Angleterre ,
de Rome et de la Grèce par Goldsmitli , de la république
romaine par Ferguson, delà décadence de l'empire ro-
main par Gibbon, delà Grècepar Gillies et par Mitford.
Après l'excellente Constitutiomial History of Englan(Jt de
llallam (3" édit., Londres, 1832) parut l'ouvrage de Pal-
grave, The Rise and Progrcss of English Commonwealth
( Londres, 1832), qui fait si bien connaître l'origine et le dé-
veloppement des institutions politiques de l'Angleterre. L'é-
poque la plus rapprochée de nous ne manque pas non plus
d'honorables tentatives faites pour explorer le domaine des
sciences historiques ; mais la plupart de ceux qui se sont oc-
cupes de riiistoire d'Angleterre, tels que Smoll et, Turner,
Falgrave, Lingard, Fox, Godwin, Mahon, Southey, Mac-
kintosh, Williams (The Seven Ages of England, Londres,
ls;5G), Wade {British History, Londres, 1839), ou bien de
celle d'Ecosse, comme Scott, Tytler, Maxwell [Charles' s ex-
pédition toScotland, 1745; Ëdinb., 1841), ou de l'Irlande,
(ommc O' Driscol, Lenioet More, ont encouru le reproche
fondé d'avoir employé leur plume tantôt dans un but poli-
tiijiip, tantôt dans un intérêt religieux. Macaulay, dans
sou Histoire d'Angleterre Aft^uh Jacques II, n'est peut-
être pas plus impartial, mais il est du moins toujours vrai, et
il est aussi attachant que libéral. Il y donne aux Anglais
une grande peinture de la vie de leurs ancêtres. Les ouvrages
sur l'histoire des possessions britanniques «lans les Indes
composés par Mill, Malcolm, Glei;; {History of British
fndiu, Londres, 1835) et Johnson, ont obtenu un succès
mérité. On estime aussi tout particulièrement les His-
toires des colonies anglaises par Montgomery et par Martin,
de la guerre d'Espagne ( 1807-1814 ) par Soutisey et Kapier,
delà révolution française par Alison (1S35), Lahaume (1S3G)
etCarlyle (is37),de la guerre de la succession d'Espagne par
Mahon, de l'Espagne sous Philippe IV et de Charles II par
Dunlop, Ihe Conquest nf Florida by IJernando de Soto,
parTh. Irwing (1835), //;e History of Ferdinand and Jsa-
l/ell ofSpain , par Prcscott (1838), de l'Europe moderne par
.Inlm Russell, de rAllcmagne par Greenwood et par Strang
(!837), de l'Europe au temps de la révolution française par
AlisoH, du Brésil par Armitage, de la Cliinc par Gutziaff,
d'Athènes par Bulwer, de l'empire romain par Knighllev,
delà révolution belge par White (1835), des Etats-Unis
de l'Amérique du Xord par Graham (1827-1835), de la Ré-
formation par Stebbing (1830); Qiieen EUzabeth and her
Times, par Wright (1838) ; The Aormans in Sicily, par
Knight ( 1838 ) ; les Memoirs ofthe Life and Character of
Henri V, par Tyler ( 1838); History ofthe Irish nebeliton
of 1798, par Harwood ( 1844 ), et en général les Prohtsiones
historicx de Duke (1837). Citons encore parmi les histo-
riens contemporains Grote et Carlyle. Une incroyable quan-
tité d'ouvrages de plus ou moins d'étendue, mais dont la
[ihipart rentrent plutôt dans la catégorie des Mémoires, ont
été provoqués par les événements accomplis dans l'Afgha-
nistan, pendant les guerres de la Chine et l'insurrection de
rin(h; ; dans le nombre on doit signaler surtout les Disas-
ters in Afghanistan, par lady Sale ( Londres, 1843).
l>armi les motifs qui ont contribué à rendre la littérature
anglaise l'une des plus riches en biographies que l'on con-
naisse, il faut ranger en première ligne un sentiment louable
de respect et de reconnaissance pour la mémoire des hommes
qui ont bien mérité de leurs semblables. Si l'on est en droit
de dire qu'il a été réuni bien plus de matériaux qu'on n'en
a réellement su utiliser, il y a de nombreuses et honorables
exceptions à faire. Nommons d'abord parmi les recueils bio-
graphiques, la ^io^rapAia Britannica, le General Biogra-
phical Dictionary de Aikin (Londres, 17i)9-l815, lOvol.),
et celui de Chalmers ( 39 vol., Londres, 1812-1817), l'En-
glish Cyclopxdia et les Men of the Time. Comme biogra-
phies, il faut citer celles d'Erasme, par Jortin; de Jo/inson
par iioswell; de Ciccron, par Middleton; de Milton et de
Cooper, par Hayley ; de Locke, par King ; de Laurent de Mé-
dias et de Léon X, par Roscoe ; de Hume, par Ritchie ; de
Washington, par IMarshall;de Byron et de Fitz-Geratd ,
par Moore ; de Moi'e, par Cayley ; de Newton, par Brewster ;
de Marlborough, par Coxe; de Jacques II, par Clarke; de
Charles /'"'", par Disraeli; de Napoléon, par Scott ; de Bent-
ley , par Monk ; de Nelson, par Southey ; les Peintres, les
Sculpteurs et les Architectes célèbres de la Grande-Bre-
tagne, par Cunningham ; les Écossais illustres, par Chambers,
dans son Scotish Biographical Dictionary ; de Christ. Co-
lomb, par Irwing; de mistress Siddons, par Campbell; des
Reines d'Angleterre, par Agnès Strickland; de Walter
Scott, par Lockhart ; de Coleridge, par Gillmann ; de Felicie
Hemuns, par Chorley ; et de Humpliry Davy, par Davy. En
1835 ont paru les biographies de lord Bolingbrocke , par
Cook ; de Haie, par W'illiams ; de l'évêque i/e6er,parTaylor ;
du général Picton, par Robinson ; de Georges III , par Ho-
ving ; de Kean, pai- Cornwall ; de James Mackintosh, par Mac-
kintosh; de Runjet Singh, par Prinsep ; et de Coivper, par
Southey ; en 1830, celles de Joshua Reynolds, par Beechey ;
d'Edouard, le Prince Noir, par James; de lord Clive, par
Malcoira ; des hommes d'État anglais célèbres, par Forster ; de
William Temple, par Courtenay ; de John Jebb, par Forster ;
de John Selden, par Jolmson ; des hommes d'État étrangers,
par James; en 1837, celles du comte Howe, parBarrow;de
Chatterton, par Dix; d'Edouard Cohn, par Johnson; de
Gn/dsmith, par Prior; de Jefferson, par ïucker ; de John
Sinclair, par Sinclair; de Charles Lamb, par Talfourd; en
IS38, celles des Reines d'Angletene du douzième siècle, par
iîannah Sinclair ; de Joseph H oit, par Croker; de Grimaldi,
par Dickens; de John earl of Saint-Vincent, parBrenton;
de Nathaniel Boivditch, par Young; de Jenner, par Baron ,
et Wilberforce's Life by his Sons ; en 1840, Memoirs ofthe
princess Daschkow ei iMemoirs ofthe Life of Sam. Ro-
milly, by his sons ; en 1841, celles de L.-C. Landon, par
Blanchard ; et de Pétrarque, par Campbell ; en 1842, celle de
Susannci?/(7?îii/T,parLonsdaleet Maxwell; en 1843, Robert
Pollock, par Pollock; Wilkie, par Cunningham ; Memoirs
of Charles Mathews, by his icife (WiS-lSii); A9,lky Coo-
per, par Cooper , etc., etc.
AMILKTKURE
iS»
Bioii que la passion di-s voyages, qui osl parliculiore aux
Anglais, riiabitude où ils sont d'ericr sous toutes les zones
et <ie vivre nu iniliou de tous les peuples, jointes ;\ la manie
de rétrivasserie, (jui est la maladie du dix-neuvième siècle ,
fassent déjà prévoir que les rccifs de voijoges ainsi que les
dcsciipdous de pays et les peintures des mœurs cfran-
gères doivent constituer une partie considérable de la litté-
rature anglaise , on iieut dire à cet égard que les ouviages
dece genre qui ont paru depuis une trentaine d'années dépas-
sent les limites de limaginalion. Sans doute il y a beaucoup
de fatras dans tout cela , beaucoup d'ivraie et peu de bon
gniin ; mais il y a justice à reconnaître que, si réduite qu'elle
soit, la quantité de ce bon grain ne permet que de présenter
en aperçu, et de la manière la p!js succincte, comme une es-
pèce d'inventaire sommaire des viclicsses de cette nature qui
encombrent les rayons des bibliothèques. ÏNous ne remon-
terons pas plus haut qu'à la publication des voyages de Parry
et de l'rankliu au polc nord ( ils ont été abrégés en 1830) et
à celle du voyage des frères Beecliey sur la côte septen-
trionale de l'Afrique (1828). ^■ous mentionnerons ensuite
en fait de publications de ce genre : en 1829 , les voyages
(le Ward et de Hardy au Mexique , d'Everest en Norvège
et en Laponie , de Macrarlane et de Frankland à Constanti-
nople, de Mignan en ClialJée ; en is.'tl , le voyage de Bee-
cbey dans la mer PacUique ; en 1 832 , les voyages de Skinner
et de ^lundy aux Indes, de Carie à Terre-Neuve, et les des-
criptions de l'Orient de Carne; en 1833, les voyages de
-Malcolm et de Fraser en Perse; en 1834, les voyages de
lîoteler à travers l'Afrique et l'Arabie ; de Pringle , de Moodie
et de Steedeman au sud de l'Afrique; en 1835, Visit to
Alesandria, Damascus and Jérusalem , par Hogg; Alger
et la Berberie par Lord ; les voyages de Sliireff , de mistress
l'uttler, d'Abdy et de Latrobe dans l'Amérique du Nord,
Yisit to Iceland pur Barrow , Scandinavian Sketches
par Breton, Résidence in C/^ûm par Abeel, Voyages en
JloUande et en Belgique par Clausade, A steam Voyage
doicn tlie Danube par Quin , Travels in Ethiopia par
Hoskin , les voyages autour du inonde par Holman et par
Wi'.son, A summer Ramble in Syria par Monro, le second
voyage de découvertes de Ross, Exeursion in the Medi-
tcrranean par Temple , Sketch qf Bernnida par Harriet
Lloyd, Scènes and characterislics qf Hindostan par Em-
ma lîoberts, et Résidence in the V.'est-Indies par Madden;
en IS3C, les voyages à la côte d'Afrique par Isaac , Im-
pressions of America par Power, les voyages au pôle nord
de Back et de King, Manners and Ciistoms of the modem
Egyptiens par Lnne , les voyages de Gardiner au pays de
Zo- lou, dans le sud de l'Afrique, de Temple en Grèce et en
Turquie, de Leake au nord de la Grèce; Visit to some parts
of Uaiti par Hanna, Journey overland to India par
Skinner, le voyage autour de l'Irlande par Barrow , Rési-
dence in Koordistan par Rich, Résidence in Norwuy par
Laing, Rambles in .1/c.rico par Latrobe, le voyage de Smytli
et Lowe de Lima à Para; en 1837, Expédition in the
interior qf Africa parLaird et Oldfield, Society in America
par miss Harriet Mailineau, Rise and progress of the bri-
t'sh power in India par Auber, Letters from the South
par Campbell, les voyages de Spencer en Circassie, City of
the Sultan par miss Pardoe, Excursions en Grèce par Co-
clirane. Excursions in the Abruzzi par Craven , Rambles
in Egypt and Candia par Scott, Résidence in Grecce and
Turiicy par Hen'é, the West-Indies par Halliilay , Visit to
the greal Oasis of the Libyan désert par Hoskins, Modem
India par Spiy, Turkey, Greece and Malta par Slade; en
1838, les voyages de Wellsted en Arabie, Vienne and the
Austrians par mistress Trollope, Damascus and Palmyra
par Addison, Men and things in America par Tliomason,
voyage autour du raondeparRuslienberg,S/j; Years in Jlis-
cay par Bacon, et Tîie Spirit qf the East par L'rqtiliart;
en 1839, Domestic Scènes in llnssia par Yenai'ie ,
Six Years résidence in Algiers par mistress Broughton ,
\ oyage à travers le Connauglit par Otway , Ruenos Ayrcs
par Parisli, et les Voyages de IMurray dans l'Amériqiie du
Nord; en 1840, les Voyages de Geramb en Palestine, en
Egypte et en Syrie, Austria par Turnbull, Eleven Years
in Ceylon par Forbes, Travels to the City of the Caliphs
par \Vellstcd, les voyages de Southgate en Arménie et dans
le Kourdistan, de Fraser dans le Kourdistan, Manners and
Customs of the New Zcalanders par Polack , Séjour en
Circassie par Bell , A Winter in the West Indies par
Gurney, The City ofthe Magyars par miss Pardoe, Ireland
par M. et madame Hall; en 1841, Patchicock par Basil
Hall, Notes on the United-States of North America par
Combe, Jea:,'?."; par Kennedj-, A Summer in tcestcrn France
par mistress Trollope, les Voyages de Stephen dans l'Amé-
rique centrale, au Chapas et dans l'Yucatan, de Barrow
en Lombardie, en Tyrol et en Bavière, Fersia par Fowler,
The Canadas par Bonnycastle, et North West and Wes-
tern Australia par Gray; eu 1842, Manners, customs
and condition ofthe North American Indians par Catlin,
New Zealand , South Australia and Nevj South Wales
par Jameson, Visit to the United-States par Sturge, Voyage
et séjour au Caboul par Burne, Greece revisiled and
Sketches ni lou-er Egijpt par Garston , The Hungaria7i
Castles par miss Pardoe, Missionary Labours in Southern
Africa , voyage dans le pays de Kashmir par Vigne, New-
Foundland in 1 842 par Bonnycastle , Voyage daiis le Be-
loudchistaa , l'Afghanistan et le Pundschab par .Masson
A7nerica7i Notes par Dickens, et Résidence on tlie Mcsquito
Shore par Young; en 1843 , Life in Mexico [lar madame
Calderon de la Barca , Change for the American Notes ,
Expédition to the Niger, par Mac William , Discoveries
on the north Coast of America par Simpson, Ceylon par
Campbell; en 1844, the Highlunds of ^Ethiojiia par
Harris. Indiquons encore les voyages de Liviiigstoue ,
Taylor, Tennent, Maciure, Kane, etc., etc.
[ Place au géant littéraire de la Grande-Bretagne et de
l'Europe, au roman ! Là se réfugient tous les talents avides
de gloire; toutes les étincelles éparses de style et de sensi-
bilité se groupent et se pressent autour de ce dernier sanc-
tuaire. Qu'est-ce que le roman.' Une forme; pas même une
forme, un prétexte, un mot, une excuse. Il a tout absorbé;
les plus bassesintelligences s'emparent de lui, les plus hautes
descendent jusqu'à lui. A une certaine époque toutes les
idées se rédigeaient en drame , parce que le drame est ac-
tion, et que l'Europe agissait, brandissant l'épée, arborant
la croix, chantant des sérénades. Plus tard, l'action s'é-
tant affaiblie et le rêve dominant, vous avez vu s'étendre le
sceptre du roman, qui est le rêve. Son procédé ductile se
prête à tout. On l'a vu histoire, on l'a vu économie poli-
tique, on l'a vu satire et biographie ; il deviendra palingéné-
sie, utopie, industrie, commerce, politique. Entassez toutes
ces vapeurs, amenez ces nuages, colorez-les de mille arcs-
en-ciel, anime/.-les de tous les prismes; à travers ces lueurs
équivoques et ces ombres rayonnantes, montrez-nous des
villes, des harems, des salons, des ermitages, des héros et
des armures; indiquez, à travers ces voiles, je ne sais quels
systèmes, dont le soleil lointain rayonne et s'évanouit tour
à tour; faites passer sous l'o-il du lecteur le vieux Paris, le
vieux Londres, les Flandres insurgées, les républiques ita-
liennes. Rien de plus séduisant pour une époque incertaine,
qui ne se connaît i)as elle-même, qui adopte tous les prin-
cipes, rejette toutes les croyances, se joue de toutes les clar-
tés et de toutes les ombres, et trouve une volnplé dans ce
crépuscule coloré qui l'environne. — Le roman a débuté
dans les premières années du seizième siècle par des imi-
tations en prose d'anciens poèmes héroïques, du cycle do
Charlemagne et de ses paladins, du roi Arliuir et de la
Table-Ronde ; il a continué de se développer justpi'à nos jours
en affeitaiU les formes les plus diverses. H se produisit d'à -
S82 ANGLI
l)ord sous la forme de nouvelles traduites de l'italien par
Spenser et par Aphra Baher. 11 sVIeva ensuite jusqu'à
la tendance morale dans le Rob'inson Cnisoé, de Daniel
<le Foë (1719). Puis il se transforma en satire, et prit
Swift pour interprète; Richard son en lit rcs[)ion do la
vie de famille. Sous la plume de l'iclding il représenta
honnêtement ce (pie sont les liommcs, comment ils pensent
et comment ils aj^issent; sous celle de Sterne il devint nV
veur et sentimental. Horace Waipole, (Uns, le Château d'O-
traiite, lui donna les allures les plus hardies, tandis que la
puissante imagination (l'Anne Hadcliffe s'en servait pour
entasser montagnes sur montagnes, événements incroyables
sur conq)lications impossibles.
L'école de Walter Scott, résurrection colorée de l'his-
toire, genre borné d'ailleurs, perdit sa première vogue
après la mort du maître. Ses imitateurs avaient pris l'om-
bre pour la proie et le costume pour le héros. Ce fracas
d'armures, ce rayonnement de lances, ces sculptures de
boiseries, ces inventaires de mobiliers, lassèrent bient(jt la
patience; tous les vieux, meubles rentrèrent au magasin.
James, auteur de Darnley, Delorme, Philippe-Auguste,
a inventé des ressorts dramatiques et suivi avec fidélité les
documents de l'histoire. On regrette de ne pas trouver chez
lui cette variété de figures et cette intéressante année de
personnages, bien étu(iiés et bien compris, qui font des œu-
vres de \N aller Scott un monde réel, vivant et animé. Ho-
race Smilh, auieur de Brumbletijc Hall, jette plus de
mouvement dans ses tableaux ; mais le soin minutieux a^ ec
lequel il en termine les détails nuit à l'intérêt et à la sim-
plicité de l'ensemble. Le génie épique de Scott, ce miroir
vaste et lumineux, n'a pas reparu depuis sa mort. — En
revanche, le roman s'est subdivisé à l'infini : à côté du
roman historique, il faut nommer et compter le roman mi-
litaire, maritime, fashion.ible, bourgeois, écoaomique, po-
litique, facétieux, populaire. Nous n'approuvons point ce
morcellement, commode pour l'écrivain, incomplet dans son
résultat, et qui ne présente qu'une seule facette du monde.
Pourquoi rétrécir le champ de l'observation? L'auteur de
Don Quicho/te esquissait le paysan et le grand d'Espagne,
les haillons de l'un, le velours de l'autre, et sous foutes les
étoffes il sentait le cœur battre. Voici Jlarryat, qui peint
les navires et les équipages; Gleig, les soldats; lord Nor-
man b y, les salons ; H o o k, les bourgeois ; miss M a r t i n e a u,
les ouvriers ; Galt , les membres du parlement ;Dickens,Ies
escrocs et les cochers de fiacre; Hood, les commis et les
bonnes d'enfants; miss iMitford, les épiciers de village et les
renliexs retires. C'est une interminable série de monogra-
phies exécutées avec une patience chinoise; le travail d'une
analyse faite à la loupe, sur tous les pores et tous les sillons
<|u: se croisent à l'épiilerme de la société. On peut classer
cette foule d'atomes en deux vastes divisions : les romans
(pii prétendent initier le lecteur au monde comme il faut, la
])lupart émanent de plumes roturières ; et ceux qui repro-
duisent les mo-urs du peuple, la lionne compagnie s'en
amuse, l'aiierons-nous des/(/.s/;;o»r??;?(?.s novels, avec leur
soie et leur velours, leurs grimaces d'élégance, leur code d'éti-
quette, leurs gants jaunes, leur babil sur le turf et sur la
plus légitime manière de tenir sa fourchette et de se pré-
senter dans un salon? Ward, Lister, lord Norinanhy, mis-
Iress Gore, joignent à ces enseignements des observations
assez délicates. La bourgeoisie enrichie lève les yeux avec
envie vers ces régions du privilège ; elle tente d'imiter l'art
de se taire spirituellement et de poser avec grâce; elle
achète des hôtels, loue des valets, nage dans l'or et le ri-
dicule, et se laisse peindre par un homme d'esprit qui aime
trop la caricature, Théodore Hook, auteur des SayDigs and
JJoings, talent ^if, mordant, qui défend la cause conser-
vatrice, connue le font d'ailleurs la plupart des talents en
Angleterre. Il réussit à produire la classe aspirante, cette
classe de chrysalides, suspendue encore entre le commerce
iTERRE
auquel elle doit sa fortune, et la noblesse dont elle espère
le baptême. Pendant ce temps, la vieille Angleterre, l'An-
gleterre de la campagne, demeure intacte; elle travaQle,
laboure ou sommeille dans ses petits villages fleuris et mous-
sus, sous les ombres modestes de ses collines vertes, et
sous la protection de ses clochers normands. Marie Howitt
et miss IMitford redisent ces labeurs et ce repos ; leurs pa^es
ont en général plus de charme et de valeur; leur analyse
s'adresse à des détails moins fugitifs et plus touchants. Les
Provincial Sketcfics, ouvrage anonyme, offrent dans ce
genre une raillerie originale et très-acérée. Mais le cri de la
réforme se fait entendre ; une foule abusée imagine que le
mécanisme social peut se réparer comme une horloge : miss
;\Iartineau prend la plume, et rédige, en forme de contes
les dogmes de la statistique, science positive, qui réduit les
chimères à l'état solide et enferme des données vagues dans
des chiffres d'airain. Quelques-uns raillent les nouveaux tra-
vers nés de ces erreurs : cette jalousie donnée pour sublime
et ce fanatisme de la matière, et cette théologie du chiffre,
et ce mysticisme de l'or. L'Écossais Galt, en deux excel-
lents petits pamphlets costumés en romans , frappe l'in-
différence des uns, la cupidité et l'envie des antres. Des
sentiments ou des idées que la société anglaise jette an vent
de l'observation, rien ne se perd ; tout se tourne en roman,
môme le calembour. Il arriva ensuite un certain honmi»;
d'esprit, qui se nommaitHood,etquitravailla constamment
dans ce genre singulier, à raison de six volumes p-ir année,
de douze contes par volume et de deux calembours par
ligne ; /)(/?(S^er infatigable, (\m n'étuil condamné à ce métier
par aucun édit du parlement, il en fit en vers, il en (it eu
prose, il les déclama, il les invent;), ii les rêva, il les im-
prima, il les dessina, il les grava et les lithogripUia lui-
même. Dans cet atelier hnmense du roman, tout se forge à
neuf : une perpétuelle fournaise bruit ; toutes les réalités de-
viennent fictions, et toutes les fictions réalités. — Les mé-
langes de Southey publiés sous ce titre : Tfie Doctor,
ressemblent un peu aux Petits Mélanges tires d'une
grande bibliothèque, par Charles Nodier, il y a cependant
chez l'écrivain anglais moins d'ordre, plus de bizarrerie,
des coudées plus franches, un ton plus étrange, une indé-
pendance plus réelle. Malgré nos airs de liberté et de ca-
l)rice, nous sommes toujours parfaitement . soumis aux
lisières monarchiques ; la convenance nous reste, faute de
vertu ; une béquille, faute de force. Pour le savoir et l'es-
prit fin, brillant, la malice secrète, les jouissances d'érudit,
le carnaval des vieux livres, la joie causée par une citation
inattendue, le bon style, la bonne grâce, le bon sens sati-
rique et doux, les deux écrivains se valent. Southey a osé,
dans son livre de mélanges, tout ce que Charles Nodier avait
tenté dans son Roi de Bohème, roman qui a passé pour
fou et qui ne l'est pas. On trouve dans le Docteur toutes
sortes de choses : la friperie des citations, la biographie, le
conte pour rire, l'anecdote, la dissertation, le portrait, la
poésie , la nouvelle , le sermon s'y coudoient. Quelques
chapitres ont deux lignes, d'autres ont cent pages. Le vieil-
lard, qui s'amusait, n'a oublié ni la postface, qui est à la
tète; ni la préface, qui est à la queue; ni V interface, qui
occupe le centre. Vous rencontrez aussi des préludes, des
interludes, sous-chapitres, intcrcalations, et autres fo-
lies, que je ne vous donne point |)our des modèles, mais qui
ont peu d'importance, et qui ne sont après tout que l'en-
veloppe de l'ouvrage. Soulevez cette enveloppe, vous trou»
verez un trésor de citations ravissantes, extraites de poètes
oubliés, de prosateurs inconnus, d'écrivains fantastiques,
une guirlande de ces fleurs que le temps ne fane pas, la
quintes-sence de trente mille volumes, tout le portefeuille du
vieux savant, et d'un savant à l'âme poétique, vidé pour
nos menus plaisirs. Quel écrivain, si misérable et si cliétif,
n'a pas produit un jour quelques lignes heureuses ou bril-
lantes? L'océan de l'oubli les recouvre; les Ilots des âges
ANGLETERKE
jSÔ
passent sur ces perles ensevelies; le patienl et juste Snutiiey
a plongé dans les proromleiirs pour les en tirer. Il a joint ;\
ces débris des souvenirs personnels, des fantaisies baroques,
une certaine dose de jeu\ de mots, une espèce d'histoire qui
ne commence pas et ne tiuit jamais, trois ou quatre per-
sonnages qui tombent des nues; et le singulier mélange
a réussi, quoique sous le voile de l'anonyme. Citerons-nous
encore parmi les héros du roman : \V. Ilanison Ainsworth,
qui a vouhi fondre le roman comique et les souvenirs de
l'histoire; NVard , subtil et ingénieux; la satirique mistress
Trollope, lady Cliarlotte Bury, mistress Norton , mistress
Gore, Pélégante miss Landon; M""" Samieson, qui écrit avec
grâce et qui possède le sentiment des arts; lady Bles-
sington, l'amie de BjTon, celle qui, en trahissant ses se-
crètes confilences, a le mieux éclairé cette singulière àme
de poète, de héros, de coquette et de fat? >omnierons-nous
aussi mistress Hall, , \ilan Cunningham, le second Grattan, Dis-
raeli jeune, M"""Slielle_\ ? Ilfaut juiniire à tons ces noms ceux
deThac k e ra y, de mistress Broute, de lady Mo rgan, de
Morier, deL and or, de Cha mier, de Reade, deKing'^-
ley, de Mnif Beeclier-Sto we, etc. Le roman est tour à
tour le gémissenifut, l'hymne, le bruit, la leçon, le mur-
mure. I.- > llet et l'éclat de rire qui émanent detous les mou-
vements de la société anglaise. Philarète Chasles. ]
Théâtre.
Comme chez toutes les nations chrétiennes de l'Europe ,
les premières productions de Vart dramatique en An-
gleterre ont leurs sujets choisis dans l'Ancien et le Nou-
veau Testament ; elles conservèrent cette forme depuis le
douzième siècle jusqu'au règne de Henri VI. On les appe-
lait pièces de miracles {miracles ou plaijs qf miracles).
A l'origine elles se bornaient à des histoires de la Bible
mises en dialogues , en conservant souvent les expres-
sions textuelles des saintes Écritures. ]Mais peu à peu on y
ajouta des ornements fournis par l'imagination ; et comme
le plus souvent elles étaient composées par des gens d'É-
glise, c'étaient eux aussi qui ordinairement se chargeaient
de les représenter. A cet effet , on se servait d'un écha-
faudage en bois, quelquefois mobile et porté sur des roues,
divisé en deux compartiments. La partie inférieure servait
de vestiaire aux acteurs ; la partie supérieure , ouverte de
tous côtés , était la scène. Les miracles durent céder la
place aux moralités ( morals ou moral plaijs ), c'est-à-dire
à des drames dans lesquels figuraient des caractères allé-
goriques , abstraits ou symboliques , avec une intrigue des-
tinée à être un enseignement ayant pour but l'amélioration
de la conduite des hommes. Ces pièces eurent pour point
de départ les ornements ajoutés par l'imagination aux mi-
racles , lesquels à l'origine consistaient en personnifications
abstraites, par exemple de la vérité, delajustice, de la paix, de
la pitié , plus tard, de la mort et de son père, le péché ; et, par
la suite , en caractères réels. Pour raviver l'intérêt épuisé,
John Heywood composa vers 1525 une espèce de pièces
qui servirent de transition à la comédie, et qu'il appela
intermèdes ( interludes ); ce qui les caractérisait surtout,
c'était un grand fonds de gaieté jointe h une satire amère.
Quand bientôt après elles affectèrent des tendances favo-
rables au protestantisme, Henri VllI, prince aux idées mal
arrèlées , défendit sous des peines sévères , et en vertu
d'un premier acte du parlement, rendu en 1543 au sujet
de la scène et des représentations dramatiques , de rien
chanter, rimer ou représenter de contraire aux doctrines
de l'Église romaine. Edouard VT supprima celle interdic-
tion en 1347; mais la reine Marie la remit en vigueur
en 155:5; et comme il arrivait souvent qu'on éludait la loi,
elle finit par prohiber toute espèce «le représentation drama-
tique. La reine Elisabeth brisa ces entraves. Son goût pour
le théâtre fut bientôt partagé par les gran Is de son royaume ;
et il ne s'écoula pas grand temps sans que le pays fût tel-
lement rempli de comédiens ambulants, qu'en 157?. on jugea
nécessaire de les astreindre ;\ ne donner de représentations
qu'avec l'autorisation préalable de deux juges <le paix. Celte
circonstance détermina le comte de Leicesler â s'employer
pour faire obtenir à ses comédiens les premières lettres
patentes royales en date du 10 mai 1575, et en vertu desquelles
ils furent autorisés, jusqu'à ordre contraire , à représenter
des comédies , des tragé<lies , des intermèdes et des pièces
à spectacle , « tant pour l'agrément de Sa Majesté que pour
le divertissement de ses sujets » , dans toutes les villes
grandes ou petites et dans tous les bourgs d'Angleterre.
C'est dans ce document qu'on daigne pour la première fois
faire mention des comédies et des tragédies ; car, quoiqu'il
en existât depuis longtemps ( les premères sont cependant
de beaucoup antérieures aux secondes ), elles n'avaient pas
encore réussi jusque alors à remplacer sur la scèneles morali-
tés elles intermèdes (»joro/5 and inferludes). Ellesy parvin-
rent à l'aide du drame historique ou romantique ( histonj ou
chronicle histonj), dont le contenu con.sistait en fragments
de vieilles chroniques ou bien en événements complètement
exposés et racontés , mais toujours sans le moindre respect
pour la chronologie, pas plus que pour la connexion histo-
rique intime. Ralph Royster Doysfer, la comédie la plus
ancienne de ce genre, date du règne d'Edouard VI, peut-être
même de celui de son père. La plus ancienne tragédie , au
sujet de laquelle on ne possède d'ailleurs que très-peu de ren-
seignements, Romeo and Juliet, date probablement de 1 560.
Le premier sujet historique qu'on ait représenté sur la
scène d'après des formes régulières, Ferrex et Porrex, date
de 1561. Julius C;isar, la plus ancienne tentative qui ait
été faite pour dramatiser en anglais un événement de l'his-
toire romaine, parut presque immédiatement après. Depuis
cette époque jusque vers 1570 les anciennes moralités et
les premiers essais tentés dans le genre de la comédie , delà
tragédie et de l'histoire, se partagèrent la faveur publique.
On vit ensuite se produire des pièces du genre de A Knack
to Know a Knave , où il était difficile de ne pas reconnaître
une certaine tendance à confondre et à réunir les quatre
genres , et alors les moralités durent disparaître du réper-
toire. Le goût public, qui déjà s'occupait de purifier le lan-
gage, se déclara d'une manière décidée pour un genre plus
compréhensible de représentations dramatiques, ainsi qu'en
témoigne une pièce représentée en 1579, Scliool of Abuse,
dont l'auteur, Stephen Gosson, après avoir d'abord travaillé
pour la scène, figura ensuite parmi les adversaires les nlus
acharnés du théâtre. Les pièces qui avaient vaincu et ex-
pulsé du théâtre les moralités s'en disputèrent bientôt entre
elles la possession exclusive. Dans une tragédie de l'année
1590, A Warningfor/air v:omen, dont le sujet est l'assas-
sinat d'un marchand de Londres par sa femme, de compli-
cité avec son amant, la tragédie , l'histoire et la comédie
paraissent personnifiées et se disputer chacune la préémi-
nence et la possession de la scène. Mais les athlètes chargés
de la défense de chacun de ces trois genres étant de force à
peu près égale , il n'y eut ni victoire ni défaite décisive. La
défense faite par le lord-maire aux comédiens de LeicesteF
de donner de leurs représentations dans la Cité et l'interdic-
tion sévère [)rononcée contre toute espèce de spectacle par
ce magistrat eurent pour résultat, de 1576 à 1580, l'établis-
sement en dehors des limites de la Cité de trois théâtres, qui
furent à Londres les premiers édifices spécialement desti-
nés à la représentation d'ouvrages dramatiques. A cette
époque Londres devint le foyer de l'art dramatique en An-
gleterre, comme il l'est toujours re.sté depuis ; aussi l'iiis-
toire du théâtre de Londres est-elle celle du théâtre anglais,
lin 15S:5 la reine l'iisabetli attacha exclusivement à son
service douze comédiens, qu'on appela dès lors the Queen's
players ; circonstance qui ne contribua pas peu à relever
l'art dramatique et la considération des acteurs. On ne man-
quait ])as plus alors de mimes intelligents que de bons dra-
684
AiSGLETERRE
mafurges. CIiii4oi;Iie Marlow fui !c prcuier qui fit usago
(ians ses drames de rïamlic non rimé , tandis que jusque alors
ia prose ou le vers rimé avaient seuls été en possession de
la scène. De 1587 à 159:; il fit représenter Tamburla'mc
tlie Great, Tragical Jlislonj of the life and death of
doctor Faustus, Massacre at l'avis, Jew of Malta et The
troublesome reign and lamenlnble death of Edouard IL
11 y avait beaucoup de boime^ choses dans ces divers ou-
vrages; mais aussi ils éU'.ic:it défigurés par Temphase et
par la basse farce, de même qu'il n'y régnait ni unité de
lieu ni unité de temps. On a conservé de Robert Greene,
mort en septembre 1592 : The His/ory o/ Orlando furioso,
oup ofthe (welve peers of France; Honourable IJisfory
of/riar Bacon and/tiar Dongay ; Scottish history a f Ja-
mes l V; George Greene, thepinner ofWaliPfield; et Thecn-
inkal History of Alphonsus, king of Aragon. Il avait en
général de vives et gracieuses saillies, mais chez lui l'in-
vention est pauvTe; son style est facile, mais ses ïambes,
harmonieux d'ailleurs , sont souvent pédantesques et dé-
nués de goût. Alexandre Lily, auteur de Alexander and
Campaspc, pièce historique, de Sappho and Phao, pièce
du genre de l'idylle, à'Endymion, pièce mythologique, et
de Molher Bombic , pièce comique, fut contemporain de
R. Greene. Il vécut de 1554 à 1598. C'était un savant ingé-
nieux , mais un poète s'adressant trop à l'intelligence. Ses,
penstes ne sont pas moins recherchées que son stjle. Cepen-
dant il a de l'importance dans l'histoire du théâtre anglais,
parc! qu'il fut le créateur d'un style plus rafliné, malgré
toute sa recherche ; parce que les drames qu'il écrivit pour
les divertissements de la cour nous servent à apprécier le
goût qui dominait alors, et parce qu'il eut, comme poète
à la mode , des imitateurs , mOme parmi les meilleurs
esprits. Dans l'espoir de lui enlever la faveur d'Elisabeth ,
Georges Peelc, mort eu lô9S, composa The Arraignment
of Paris. Cette tentative n'ayant pas réussi au poète, il écri-
vit pour la scène publique The Battle ofAlcazar et Famous
Chronicle of'Edwardl. Ce damev ouvrage est la première
chronicle history qu'on eût encore écrite en ïambes non
runes. II y fait preuve d'une imagination gracieuse, son
style est plein de goût et sa versification harmonieuse; mais
il manque de vérital,lc originalité, et les facultés supérieures
de l'invention lui font défaut. Un écrivain de moins de goût
que lui incontestablement , mais en revanche doué de bien
autrement de vigueur, ce fut Thomas Kyd , auteur de Je-
ronime et de The spanish Tragedy ; cette dernière pièce,
seconde partie de la première, est beaucoup meilleure.
Kyd ne fut pas non plus exempt de contre-Feus et de ri-
dicule; mais on peut dire qu'en sonome il fait preuve de
sensibihté et d'énergie, et qu'il sait exciter Tintérèt. Tho-
mas Lodgc ( 155G-1G16), dont les poésies pastorales et les
poèmes lyriques ont été jugés dignes en 1819 d'une nou-
velle édition , est autrement poète que lui. L'un de ses meil-
leurs ouvrages est le drame historique intitulé : The Wounds
of Civil War, liveUj setforih in the true tragédies of
Marius and Sylla. Thomas îs'ash surpassa, sous le rapport
de l'esprit et de la satire , tous ceux de ses contemporains
que nous venons de nommer, mais il leur resta inférieur
comme pocîo. La farce qu'il composa sous le titre de The
Islc of Dogs fut cause qu'on le mit en prison. Son meilleur
ouvrage , Dido qiiecn of Carthage, fut écrit en société avec
Marlow. Enfin , nous devons encore mentionner Henry
CheîUe, qui com;)Osa trente-huit drames, dont quatre seule-
ment sont parvenus jusqu'à nous, et encore sur ce nombre
n'y en a-t-il qu'un seul, Hoffnian, or a revenge of afa-
ther, tragédie pleine de sang et de meuilre, qu'on puisse
lui attribuer en toute certiluJe.
Tels furent les principaux prédécesseurs immédiats et
les conlenqiorainsde Shakspeare, qui arriva bien on ;58(i
ou 1587 de Slralford-sur-l'.^von à Londres, mais qui n'é-
crivit pas de di'amcs originaux avant l'année l59:i, et qui
jusqu'à ce montent ne s'occupa, indépendamment des fra.
vaux de sa profession de comédien, que du soin d'arranger
pour la scène d'anciennes compositions dramaiiques. Il
prouva la force de son génie en ne se laissant point entraîner
par le torrent qui l'entourait; et le principal .service qu'il
rendit au théâtre anglais , ce fut de le purifier de toutes sco-
ries et d'ouvrir les voies aux progrès du goût national. Il
trouva une scène et un drame déjà e.xistants, mais où domi-
naient le faux ^t l'impossible, en fait de mise en scène coni.nie
dans l'expression des sentiments tendres, et aussi dans
la peinture de toutes les atrocités. S'il l'emporta sur ses ri-
vaux, c'est qu'il était avant tout le poète de la nature, et qu'il
la transporta sur la scène. Ses ouvrages , sans avoir pour
eux l'appui d'un vif intérêt ou de la passion, ont survécu
pendant plusieurs siècles à toutes les nuances du goût et à
toutes les révolutions qui se sont eCfectuées dans les mœurs.
Chaque génération les a transmis à celle «pii la suivait , et
chacune les a reçus de celle qui la précédait; toutes lui ont
tressé de nouvelles couronnes, parce qu'il sut transporter l'i-
magination la plus hardie dans le domaine de la nature, et la
nature dans les régions de l'imagination situées au delà de
la réalité; parce que dès lors chacun de ses drames offre l'i-
mage fidèle de l'existence, chacune de ses figures une indivi-
dualité organisée pour la vie. Il s'ensuit que, bien que les
ouvrages dramatiques de Shakspeare soient, pour se confor-
mer à l'usage, divisés en comédies, en histoires et en tra-
gédies, ils n'ont, à bien prendre, rien qui les puisse faire clas-
ser plutôt dansl'unde cesgenresque dans l'autre, attendu que
chacun d'eux est formé et modelé sur l'état réel de la vie et
du monde, où le bien et le mal, la joie et la douleur, se mê-
lent en gradations sans nombre. Par conséquent toutes ses
pièces ^ont pariagées entre les caractères sérieux ou gais,
et, suivant que l'intrigue se déroule, provoquent la gravité et
la tristesse, la gaieté et les rires.
Les successeurs de Shakspeare, pas plus que ses contem-
poiains, ne purent jamais atteindre la hauteur à laquelle il
s'était élevé. Georges Chapman ( 1557-1634 ) écrivit di.\-sept
drames, dont un seul. Les Larmes de la Veuve, a suiTécu.
Thomas Hey wood, qui naquit sous ÉUsabeth et mourut sous
Charles F"^, fut plus heureux. Sur les deux cent vingt ou-
vrages qu'il avait composés, il s'en est conservé vingt-quatre.
^\a.\s il n'a qu'un médiocre talent, et une versification facile
ne compense pas la faiblesse de son invention. C'est déjà
faire un magnifique éloge de Ben Johnson (1574-1C37),
que de pouvoir rappeler qu'il obtint l'estime de Shakspeare,
et que sa première comédie, Every man in his humour,
ainsi que sa première tragédie , Sejanus, furent mises en
scène par Shakspeare lui-même. On doit aussi une mention
spéciale à son Catilina. Cependant ce n'était point encore
là un poète dans toute la force du terme. Son esprit sagace
mettait en œuvre ce que lui fournissait son érudition, avec
beaucoup plus de succès dans la comédie que dans la tra-
gédie. Mais trop souvent il confond la satire avec l'esprit ;
sa science l'entraîne et lui fait commettre dans la disposition
de ses plans des fautes que l'inteUigence sans l'imagination
est impuissante à justifier. Francis Beauraont ( 1586-1G15)
et John Flctcher ( 1576-1C55) firent preuve de plus de talent
dramatique et comprirent mieux les effets de théâtre. Le
premier inventait, le second exécutait; celui-ci, après la mort
de son collaborateur, s'associa Shirley. Les cinquante ou-
vrages dramatiques, tragédies, drames, comédies, produits
de cette association littéraire, obtinrent dans les ma.sscs une
faveur à laquelle ne parvinrent jamais les productions de
Shakspeare. Us étaient plus unis, plus faciles à comprendre,
plus sensuels, par conséquent plus dans les goûts de la foule.
Cependant on a souvent été ti-op loin dans les reproches
d'obscénité qu'on leur a adressés. Ce qui prouve qu'ils n'é-
taient pas dénués de mérite, c'est qu'un grand nombre
d'entre eux, aprè^ avoir seulement subi quelques relouches
insignifiantes , se sont maintenus au répertoire. Toutefois,
ANGLEÏKRUK
ceci ne s'applique qu'aux conuilies , otumcs jiloincs d'es-
|)rit et d'humour en quelques parties et de beaucoup su-
périeures dans leur genre aux tragédies. 11 n'en est pas ainsi
de P. Massinger, qui le plus souvent seul, mais quel-
quefois en société avec Dekker, Rowley et Midiiicton, aborda
les trois espèces différentes de drames et les fit représenter
avec succès sur la scène. La tragédie fut le genre dans lequel
il brilla le plus. H y a de beaux et d'énergiques passages dans
son Duke qf Milan ; et aux qualités que possédèrent à di-
vers degrés les poètes que nous venons de citer avant lui il
imit un dialogue vif et naturel , un style lleuri, des images
lieureiTses, et une peinture aussi délicate que fidèle des divers
sentiments du cœur. La scène anglaise était dans cet état flo-
rissant quand des tempêtes plus fortes, plus puissantes que
toutes les forces et que tout l'esprit de l'hounne s'élevèrent
à l'horizon de l'Angleterre ; elles curent bientôt bouleversé
et détruit l'échafaudage sur lequel se développait et gran-
dissait l'art dramatique. La peste qui éclata au printemps
de 1636 fut suivie des calamités de la guerre civile, provoquée
par l'imprudence de Charles l". A la date du mois de sep-
tembre 1C42 , le parlement ordonna la suspension sur tous
les points du royaume de toute espèce de représentation dra-
matique tant que durerait l'époque de troubles et de désola-
tion où on se trouvait ; et en jetant les yeux sur l'histoire de
ces temps calamiteux, et sur les éléments puritains du par-
lement, on partagera difficilement l'opinion de ceux qui at-
tribuent surtout aux obscénités des représentations drama-
tiques le grand courroux de Crorawell à l'endroit du théâtre.
Si cette haine pour l'art dramatique s'accordait jusqu'à un
certain point avec les sombres inspirations du fanatisme alors
dominant, il n'en est pas moins vrai qu'au fond la politique
y entrait pour beaucoup, et qu'on voulait enlever ainsi aux
acteurs toute occasion de se servir de leur influence sur l'es-
prit des masses pour leur inculquer des idées et des principes
en opposition avec ceux que voulait faire prévaloir un parle-
ment puritain. Il y a dans ce fait une preuve irrécusable
de l'importance à laquelle la scène était déjà parvenue en
Angleterre et de l'inlluence qu'elle exerçait sur le peuple.
Aussi bien, pour obtenir la clôture absolue des théâtres, il fallut
qu'un nouvel acte du parlement intervînt, à la date du 22 oc-
tob'-e 1647, et menaçât de la prison les contrevenants tout
comme des malfaiteurs ou des filous.
L'art dramatique sommeilla alors jusqu'à la restauration
de la royauté par Charles II, le 29 mai 1660. Une des
premières mesures de son gouvernement fut l'octroi de deux
lettres patentes autorisant la création de deux troupes de
comédiens, l'une au profitde sir William Davenant(1605-
1668 ), l'autre en faveur de Henri Killigrew et de leurs hé-
ritiers ou ayant droit. Comme Killigrew s'établit dans le
théâtre royal de Drury-Lane, ses comédiens prirent le titre
de t/ie King's servants; et comme Davenant entreprit
d'exploiter le théâtre du Duc à Lincoln's-Inn-Field, sa
troupe reçut la qualification de Diike's company. Drury-
Lane a conservé jusqu'à nos jours ses lettres patentes , son
nom et sa réputation de théâtre national , tandis que le
théâtre de Lincoln's-Inn-Field a transmis son privilège et sa
renoinmée à Covent-Garden. Une autre innovation plus im-
portante, qui eut lieu sous le règne de Charles H, ce fut celle
qui s'opéra dans les rôles de fenuiies, qui jusqu'à ce moment
n''avaient jamais eu d'autres interprèles que des honnnes ou
(les enfants, et qui lurent alors confiés à des femmes. Mais
le ton licencieux e-i usage à la cour, et (pii passa bientôt
dans l'ait, nuisit singulièrement aux progrès de l'art dra-
matique. En outre Davenant, dont les receltes baissaient par
suite des elToris heureux faitspar.son concurrent Ivilligrew,
afin d'attirer le public dans sa salle , recourut à l'emploi
de moyens bien propres à corrouq)re le goût, jusrpie alors
classicpie, du pays. Il donna accès sur son théâtre à des
pièces, à des spectacles et à des ouvrages en vers mis en
musi(iue, aiipelés depuis opéras dramatiques , qu'il moula
DiCT. DE L\ CO.NVtliSAXlO.N. — T. 1.
585
avec la mise en scène la plus riche et les accessoires les
plus brillants, secondé d'ailleurs par d'habiles chanteurs et
par des danseurs d'une grande agilité. — Consultra à cet
égard Ilogarth, Memo'irs of (lie Musical Drama (Londres,
1S;5S). — Il a continué à en être ainsi jusqu'au moment oii
nous écrivons, et de celte époque date le commencement
de la décadence du théâtre anglais. John Dryden (1631-
1701), avec ses opéras, ses comédies et ses tragédies au
nombre de trente environ, nous fournit un exemple de la
corruption du goût du public. Thomas Otway (16.'>1-I6S5)
essaya vainement de lutter contre le torrent dans sa Prc-
served Venicc , son Orphun, etc.; et Nath. Lee ne fut pas
plus heureux avec ses tragédies Nero, The Princcss of
Cleve, Thcodosiîis et Alcxander the Great. Plus tard, il est
vrai, latragélie, par une tenue plus digne, par une ten-
dance pins morale , réussit à reprendre faveur dans l'opi-
nion ; mais en revanche elle affecta les formes roides et
compassées de la tragédie française, et lui emprunta son en-
flure et SCS déclamations. Le Cato d'Addison, pièce qui
dut surtout son immense succès au parti whig, dans le sens
duquel le poète secrétaire d'État composa son ouvrage, est
un exemple à l'appui de ce que nous venons de dire. On en
peut dire autant de la glaciale Sophonisbe de Thomson et
des créations de Young, de Glover, de Masson, tous imita-
teurs malheureux de la tragédie antique mal comprise. Ni-
colas Rowe, mort en 1718, voulut revenir aux traditions
premières. Ce qu'il écrivit dans cet esprit porte l'empreinte
d'un sentiment intime et profond. Mais, seul contre tous, il
ne put l'emporter, et son exemple ne trouva pas d'imi-
tateurs. Georges Lillo ( 1693-1739 ) prit une voie plus heu-
reuse, dans ses tragédies bourgeoises et domestiques, George
Barnewelt , AU for Love, Arden of Feversham, Silva,
Marius et Elmerik; mais son rôle s'est borné à joncher de
fleurs la route qui menait à la décadence et à la ruine du
théâtre anglais. Avant que les poètes dramatiques se missent
à exploiter le genre bourgeois et de famille , il faut dire
encore qu'ils ne brillaient pas précisément par la délica-
tesse et la moralité de leurs productions. Depuis le roi
Charles II jusqu'au règne de la reine Anne, l'immoralité de
la comédie alla toujours croissant, jusqu'à ce qu'enfin elle
atteignit son apogée à la fin du dix-septième siècle. Quand
on annonçait alors une pièce nouvelle, toute femme honnête,
avant d'aller la voir représenter, devait s'informer si elle
n'aurait pas trop à y rougir ; et quand par hasard la curio-
sité l'emportait sur la pudeur, elle n'y assistait jamais que
masquée. Cet usage devint si général, qu'il n'y eut plus que
des prostituées qui osassent paraître au théâtre sans masque.
Il ne pouvait effectivement en être autrement quand il s'a-
gissait d'aller voir des pièces comme les Cocus de Londres,
London Cuckolds, au reste l'une des plus indécentes du ré-
pertoire. Il nous suffira de mentionner, dans cette période et
dans les commencements de la suivante , les œuvres d'Al-
phara Behn, mort en 1689 (Thefeigned Courtesans, 1679),
de Suzanne Centlivre (1667-1723 ), de Colly Cibber
(1671-17.^7), de W. Congreve ( 1670-1729), de George
Farquhar (1678-1707), do John Gay (I6Sa-1732), et
surtout The Beggar's Opéra, toutes restées, sauf quelques
exceptions, en grand crédit dans l'esprit du public anglais.
A la mort de la reine Anne, la transmission de la cou-
ronne d'Angleterre à la maison de Hanovre, représentée par
Georges V , amena diverses modifications quant aux rap-
ports extérieurs du théâtre, qui, en portant un notable pré-
judice aux intérêts du directeur du théâtre de Lincoln's-lnn-
Field , le déterminèrent à aviser au moyen de se récupéi er
de SOS pertes. Il le trouva <lans une innovation puérile, qui
déshonore encore la scène anglaise pendant plusieurs se-
maines a|)rès les fêles de Noèl. La musique, la danse et le
chant avaient autrefois expulsé la mimique de la scène. Puis
la nuLsique et le chant élaienl devenus, au conunencemont
du siècle, la propri"'!'! exclusive de l'Opéra Italien, réceulft
74
586
ANGLETERRE
importation de l'étranger. Il ne restait donc jiliis à la dispo-
sition du directeur de Lincoln's-Inn-1'ield d'autre ressource
que la danse. C'est alors (jue, privé de raccompagneinent
musical , il imagina , pour lui prêter plus d'attrait, d'embellir
l'art chorégraphique par des gestes. Puis on broda sur un
canevas léger une action qui s'adaptait j)lus ou moins bien
aux contorsions de ses cloicns. L'innovation reçut le nom
pompeux de pantomime. C'est là ce qu'on appelle en
.\nglelerre la pantomime de Noël, chrisimas-punlomime,
dont or rattiiche à tort l'origine aux. farces en usage autre-
fois à l'occasion de cette grande solennité chrétienne , et
dont le caractère s'est sin.^iulierement modifié, surtout de-
puis la mort des deux Grimaldi, père et fils, qui n'ont pu être
rempiacf's, mais dont l'usage s'est constamment maintenu
jusqu'à ce jour sur les théâtres de Londres. Le changement
survenu dans la dynastie ne fut point favorable au drame.
Les quatre rois du nom de George, pas plus ([ue Guillaume IV,
ne tirent rien pour le favoriser; et la reine Victoria elle-
même ne lui a témoigné que de l'indifférence, en compa-
raison de la vive sympalhie qu'elle montre pour l'Opéra
Italien. Malgré cela, les poètes ne lui ont point manqué.
Henri Fielding (1707-1754) augmenta le répertoire de
vingt-huit pièces, dont le quart est à peine connu aujour-
d'hui, à part la tragédie burlesque Thom Tlnnnb et deux
farces : The mock Doctor et The intrhjuing Chamber-
maid. David Garrick, le célèbre acteur (1719-1777),
n'attacha jamais une grande importance au plan et à l'exé-
cution de ses comédies ; en revanche, il excella dans l'art de
tracer des portraits avec une gaieté tout à fait originale. Ri-
chard Cumberland (1732-1811) écrivit des ouvrages
dans un style plein de bonne humeur et de gaieté, mais que
dépare la sécheresse de cœur de l'homme du monde. George
Colman (1733-1794) traça les caractères de ses vingt-six
pièces de théâtre d'une manière en général fidèle à la na-
ture; et c'est là son principal mérite. Sheridan se mo.ntre
dans SCS comédies railleur, homme de cour, orateur, bel
esprit et poète léger, en même tçnips qu'il y fait preuve
d'une profonde connaissance du cœur humain. La meilleure
de toutes est son École de Médisance, School for Scandai.
A cette époque la tragédie sérieuse n'eut que de faibles re-
présentants. On ne peut guère citer dans ce genre que le
Gambler de Moore, œuvre aux caractères bien tracés et
aux situations fortes, ainsi que la Virginia de Francisca
Brooke, morte en 1789, production pleine de chaleur et de
passion. Aaron Hill (1G84-1749) a aussi laissé en ce genre
quelques productions correctes, mais où la passion fait défaut.
Les aspirations immenses et toujours déçues du dix-neu-
vième siècle, la prompte satiété qu'inspire le nouveau, et
cependant la demande continuelle dont il est partout l'objet,
.vullisent pour expliciuer connnent il se fait qu'en Angleterre
aussi l'art dramatique aille toujours en dégénérant davan-
tage. Singulière époque que la nôtre ! Shakspeare, en dépit
de toute sa richesse et de sa magnificence, interprété par
des acteurs de premier ordre, ne peut aujourd'hui faire ce
qu'on appelle en termes de coulisses chambrée complète,
remplir la salle, malgré les efforts tentés à diverses reprises
par Macready pour rendre au drame véritable l'empire de
ia scène anglaise. Cette déplorable situation de l'art drama-
licpie chez nos voisins tient surtout à ce que, lorsque les plus
grands talents poétiques de l'Angleterre se sont attachés au
drame et ont produit de remarquables ouvrages, le public ne
leur a pas plus témoigné de reconnaissance qu'il ne leur ac-
cordait d'encouragements , et (pie dès lors ils ont dii re-
noncer à la scène. Kn première ligne nous devons citer ici
l'Écossaise Johanna lîaillie, qui en 1802 fit paraître une
■érie de tragédies dont chacune a pour but la peinture
d'une de nos passions , puis des comédies composées dans
la même donnée. Ce qu'il y a de nécessairement restreint
dans un pareil plan est à peine sensible, tant l'auteur porte
avec grâce cl légèreté des chaînes qu'il s'est lui-même im-
posées. Que si elle se trompa en écrivant ses tragédies dans
le style des ancisns poètes anglais, son erreur ne laissa pas
que de rendre un grand service au théâtre et à la langue.
Samuel Coleridge ( 1773-1834), Maturin , connu surtout
par son Bertram and Manuel, Barry Cornwall (voyez l'ar-
ticle Puoctor) et m ilman écrivirent pour le théâtre plutôt
dans l'esprit que dans le style des anciens classiques , restant
dès lors à une grande distance derrière eux, mais atteignant
honorablement le but qu'ils s'étaient proposé , sans toute-
fois pouvoir échapper au reproche d'imitation. Byron de-
meura exempt de toute imitation, comme le lui ordonnaient
ia liberté et l'indépendance naturelles à son génie. Il est vrai
qu'il n'écrivit rien pour le théâtre, parce que le public des
théâtres l'avait blessé. Cependant ses drames manquent en
général d'effet et aussi de caractères nettement accusés.
Cela n'empêcha point qu'en 1836 son drame de Manfred
obtint sur les planches de Drury-Lane un succès d'enthou-
siasme. Si Byron n'('crivit point pour la scène et ne laissa
rien qui lui convienne , il faut moins en accuser son irrita-
bilité que celle du public , bien plus vive encore et bien
plus redoutable. Walter Scott a donné aussi au théâtre
Halidon Hall. Cette pièce est-elle bonne ou mauvaise ? Peu
importe. Toujours est-il que Walter Scott ne méprisait pas
le théâtre autant qu'on l'a dit.
[ Qu'est-ce que le théâtre anglais de nos jours? Écoutez
V Edinbiirgh Rcview : « ^'otre théâtre touche à la dernière
crise de sa longue agonie. On sacrifie tout à un ou deux
rôles créés par les acteurs à la mode , et dans les pièces
qui réussissent vous ne découvrez que ridicule affectation,
exagération sentimentale , gémissements éternels , fureurs
absurdes; aucune vraisemblance et nulle précision dans le
dessin des caractères. Les fournisseurs habituels se conten-
tent d'arranger des farces ou des vaudevilles français. Quant
aux premiers noms , ils échangent mutuellement leurs éloges
intéressés , et doivent leur réputation à ce trafic : l'inspi-
ration leur vient des coulisses et non de la nature ; jamais
une pensée nouvelle et vigoureuse ne se fait jour à travers
leurs œuvres. » L'ancienne ennemie de V Edinburgh Review,
la Quart erly Review, proclame aussi hautement la décadence
du drame anglais, qui compte aujourd'hui deux écrivains
en renom : Sheridan K n o vv 1 e s et Lytton B u 1 w e r, et
deux ou trois jeunes candidats au même genre de renom-
mée : Talfourd, auteur de la tragédie grecque d'/o?! ;
Taylor, auteur d'Artevelde; Harness et Brovving. — Des
romans bien ou mal versifiés , tels sont ces drames. La
vérité est immolée à l'analyse, la situation au coup de
théâtre, l'intérêt à l'imbroglio, quelquefois l'action au mys-
ticisme. Une prétendue pièce, intitulée Paracelse , ne con-
tient qu'une rêverie en cinq actes sur les sciences occultes
et les aspirations de l'âme vers l'idéal. Bonjour et Adieu ,
titre affecté d'une tragédie sentimentale, n'offre qu'une
nouvelle dialoguée écrite d'un .style fleuri et quelquefois
touchant. Talfourd , dans son Ton , que les critiques ont
porté aux nues , et dont le sujet est à peu près celui d'.l-
tlialie, essaye de raviver la simplicité grecque : effort perdu,
tentative littéraire qui ne peut avoir de résultat [topulaire
au milieu de la complication d'intérêts qui précipitent et
remuent la nouvelle Europe chrétienne. VArtevelde de
Taylor, œuvTe laborieuse et estimable, manque d'intérêt
scénique. Sheridan Knowles, longtemps acteur, a exploité
son expérience, f;d)riqué des drames incidentes, et excité
l'intérêt par un appel quelquefois poétique, souvent exagéré,
aux douleurs et aux passions de la vie domestique. Virgi-
nius, VÉpoxise, le Bossu, la Fille, ont obtenu des lueurs
de succès. Tout ce (pii reste de vie au théâtre britannique
se lésume chez cet écrivain, dont le style a de la douceur
sans fermeté , et dont les plans incohérents et invraisem-
blables, enchaînant une nmllitu<le <le péripéties inutiles ou
inattendues, ne semblent qu'un prcIcNte offert à la verve
larmoyante d'une poésie sans virilité. Une des conles les
ANGLETERRE
587
plus vibrantes de rintelligence et de rame anglaises rc'sonne
cependant sous sa main ; il cherche , à l'instar de Words-
worth , la terreur et la pitié près du foyer domestique; il
les puise d;uis les sentiments et les amours de la famille ,
quelquelois entraîné vei-s la mollesse emphatique de Kotze-
hue, souvent aussi pathétique et simple, mais rappelant
prescpie toujours la forme élégante et un peu l;\che de Beau-
mont et l'ietcher, ces deux auteurs peu connus en France,
écrivains remarquables , qui continuèrent Shakspeare avec
])lus de fécondité dans la diction , moins de profondeur dans
la pensée , moins de sérieux dans l'observation ; chantres
plus passionnés que profonds , plus fleuris que graves ,
plus ingénieux que convaincus, l^ersonne, aujourd'hui,
pas même M. Edouard Lytton Bulwer, dont la Lyon-
naise ( lady of Lions ) a eu quelque succès , ne rentre fran-
chement dans la voie de l'observation shakspearienne ,
la seule qui puisse renouveler le drame britannique. De-
puis Chaucer jusqu'à Spenser, et depuis Bacon jusqu'à
Walter Scott, l'originalité anglaise n'a qu'une source, l'é-
tude des caractères humains ; à elle seule s'attache Shaks-
peare, dont La Bruyère est l'expression philosophique cl
diminuée , et qui ne néglige pas l'analyse dans la peinture
même de la passion et de ses orages ; de là sont éclos Mac-
beth , Hamlet , Yago , Desdémone , même Béatrix , même
la nourrice de Juliette , les êtres les plus complets dont la
philosophie ait fait présent à l'imagination. La Grande-
Bretagne admire encore Ben-Johnson , chercheur minutieux
des singularités et des phénomènes humains. Jamais , quoi
qu'elle ait pu faire, elle n'a sincèrement applaudi à la pas-
sion pure, telle que le doux et profond Racine la déve-
loppe ; son drame à elle , c'est la vaste critique de l'huma-
nité. Elle l'a saluée tour à tour chez Ben-Johnson, Massiuger,
Dekker, Buckhigham , Sheridan ; répudiant sur la scène
Dryden et Rowe et le doux Otway , que l'on joue à i)eine
deux fois par année. Changerez-vous le génie des nations ?
Jamais. Walter Scott, élève de Shakspeare, a conquis la
gloire par cette lucide intelligence de tous les intérêts , de
toutes les âmes, de toutes les faiblesses, qu'il a portée à
.son tour dans le roman. M. Buhver n'a dû la renommée de
Pelham et de Maltravers qu'à la sagacité méditative dont
il a souvent fait preuve. Pourquoi , lorsque le fond de l'es-
prit national subsiste , le drame se détache-t-il de cette
racine de tout succès? Avec des incidents romanesques et
un dialogue sentimental , il ne parviendra point à vaincre
l'indifférence d'un peuple de négoce, d'affaires, de laheur,
qui redoute surtout la puérilité, qui s'est habitué à l'ana-
lyse, dont la discussion, l'examen et l'enquête constituent
la vie commune, et qui se laissera toujours dominer par
les vues de son esprit beaucoup plus que par l'impétuosité
de ses passions. Philarète Chasles.]
Nous ajouterons encore quelques détails tout matériels.
Les échafaudages en bois dont nous avons parlé au début
de cet article se constnùsaient d'ordinaire dans la cour de
quelque grande auberge. La cour servait de paiterre, les fe-
nêtres figuraient les loges, et les corridors en saillie tenaient
lieu de galerie. Des tapisseries , des tapis suspendus rempla-
çaient la toile et les coulisses, et Inigo Jones, né en 1572,
fut le premier qui peignit des décorations. Jusque alors une
inscription placée sur une planche indiquait aux .specta-
teurs ce que le théâtre était censé représenter, ou bien en-
core l'acteur les en prévenait d'avance. Dans l'une des plus
anciennes pièces historiques , .Çe/iHizw , emperor of the
Turks, qui fut imprimée en \W.)'i , le héros porte le cadavre
de son père vers le temple de Mahomet; et l'acteur chargé
du rôle doit s'interrompre pour dire au public : Supposez
ici le temple de Mahomet. Jusqu'en 1590, le pri.\ des der-
nières places fut d'environ 10 centimes, et celui des jdus
chères de 1 fr. 50 centimes, valeur actuelle. Les représen-
tations commençaient à trois heures de l'après-midi, et ne
se prolongeaient pas plus de deux heures. Pendant leur
durée, les spectateurs joua'ent aux cartes, mangeaient, bu-
vaient ou fumaient à volonté. Sous le règne de Jacques' I"
les trois théâtres, construits à l'origine sur les limites d.'
Il Cité, comptaient déjà quatorze rivaux. Aujourd'hui la
nombre des théâtres de Londres est de vingt-deux. 11 v a
quatre-vingts ans on n'aurait pas trouvé de théâtre dans mu;
seule ville de province, et on y rencontre encore aussi peu de
troupes permanentes qu'à Londres même. D'ordinaire en
effet, les troupes de comédiens se réunissent à l'ouverture de
ce qu'on appelle en Angleterre la saison ; et une fois qu'elle
est finie, elles se séparent. Toute représentation théâtrale est
interdite dans les villes universitaires d'Oxford et de Cam-
bridge. Parmi les artistes dramatiques dont l'Angleleiro;
s'enorgueillit, il faut citer Ga rric k, Edmoml Kean,
John et Charles Kern b le, Cooke, Lewis, W. Macready,
MM'ues Betterton, Borry, Leigli, Butler, Montford, Brace-
girdle, Siddons, Farren et Jordan. Jusqu'à l'année 170S,
époque où Owen Swiney prit des mains des poètes Con-
grève et Vanbrugh la direction de Drury-Lane et du
théâtre de Hay-Markel, les acteurs et les actrices n'avaient
encore jamais eu de gages Qxes. Le produit de la recette,
déduction faite des frais, était partagé en vingt parts,
dont dix appartenaient au directeur et les dix autres àl.t
troupe. C'est dans les ouvrages originaux de Shelone, Stee-
vens, Chalmers et Collier qu'on trouvera les renseigne-
ments les plus certains sur les développements du théâtre
anglais. On consultera aussi avec fruit Ilavvkins, The Origin
oj the English Drama (3 vol., Oxford, 1773 ).
Beaux-Arts.
L'AngleteiTe, si riche sous tant de rapports, est vraiment
pauvre en fait de beaux-arts. La divine étincelle qui seule
fait les grands artistes semble s'être éteinte dans l'humide
climat de la Grande-Bretagne. On ne cite presque aucun
peintre anglais, aucun statuaire, aucun graveur sur pierre
ou sur métaux, aucun compositeur de musique appartenant
à cette nation, qui se soit fait un nom européen. Peut-être
les productions les phis remarquables de l'art anglais sont-
elles encore celles de l'architecture. — On rencontre de
tous côtés sur le sol de la Grande-Bretagne de ces my.stérieu.ses
constructions que la science appelle des monuments pé-
lasgiques , et une grande quantité de monuments druidiques.
Quelques tours grossières etinforraes, attribuées aux Bretons,
sont les seuls vestiges d'une architecture militaire dans ces
temps reculés. Les Romains, au contraire, ont laissé de nom-
breuses traces de leur domination , entre autres la fameuse
muraille qui servit à arrêter les invasions des Pietés. Un
mélange confus, bizarre et fantastique de figures d'animaux
paraît avoir dominé dès l'époque saxonne dans rornemen-
tation. L'invasion noiTnande eut pour résultat d'introduire
de l'autre côté du détroit l'architecture du nord de la France.
On serait cependant tenté de croire qu'elle s'y abâtardit,
lorsqiie l'on compare ces édifices lourds, surchargés de dé-
tails capricieux et de mauvais goût , avec les élégantes et
grandioses constructions de la Normandie. L'infériorité de
l'Angleterre fut encore plus manifeste pendant la période
gothique , où le sentiment de la forme échappa complète-
ment aux artistes anglais. Leurs églises n'offrent rien qui
se puisse comparer aux riches clôtures des chœurs non plus
qu'à la guirlande des chapelles basses qu'on trouve dans les
cathédrales du continent. On y rencontre uniformément une
chapelle qui forme le fond du vaisseau et qui e.st éclairée
par une fenêtre énorme. Le cintre des voûtes dégénéra ra-
pidement, pour tomber dans le genre maniéré. Des orne-
ments de tout genre seipentent en dentelures le long des
arcades, et se répètent d'une manière riche, mais uniforme,
autour du jiortail et des fenêtres. Le style anglais en effet
jette p:.rtout l'ornement à profusion, afin de n'avoir pas a
sculpter de figures, genre où il a la conscience de son inféiio-
rité. Quand on considère du dehors une cathédrale anglaise,
588
ANGLETERRE
on se prend involontairement à la comparer à un cluUcau
fort. Los (5f;lises sont basses, mais longues, et ont trois ou
tont au moins deux nefs transversales. Au-tlessus de l'une
d'elles s'élève la grande tour du milieu , le plus souvent
garnie de créneaux comme l'église elle-môme; ce qui lui
donne, l'aspect d'un cliiteau féodal. Les tours du portail,
lorsqu'il en existe , ne sont rien à côté de celle-ci. Dans
toutes les tours des églises d'Angleterre, le carré ne se trans-
forme jamais en octogone, comme dans celles du continent,
où ce changement produit un si bel effet; mais elles ont un
grand avantage sur celles-là , c'est qu'ordinairement elles
sont entièrement achevées; elles le doivent aux dimensions
exiguës et peu élevées des constructions; il n'est jamais
arrivé en Angleterre de voir le portail et ses tours absorber
les fonds destinés à l'édifice entier. Si l'architecture reli-
gieuse manque de grandeur , celle des châteaux semble être
arrivée aux limites de la perfection : aussi comme en France
elle a souvent influé sur celle des églises.
Les plus remarquables cathédrales de l'Angleterre sont :
dans le style qui précéda le gothique , celles de Norwich ,
de Rochester, de Fly , et, sous quelques rapports aussi, celles
de Winchester et de Durham ; et en fait de style gothique,
celles de Westminster, d'York, de Canterbury, de
Salishury et de Lincoln , ainsi que les chapelles de W' indsor
et de King's collège à Camlwidge. Le magnifique château
de Windsor tient le premier rang parmi les châteaux go-
thiques. Vers la fin du quinzième siècle , le style gothique
devint fastueux et surchargé en Angleterre comme partout
ailleurs, et peut-être môme là plus qu'ailleurs. On a donné
par flatterie à ce genre bâtard le nom de Jlorid gothic du
roi Henri VII. La chapelle de Westminster est le plus beau
modèle de ce style.
D'innombrables constructions, exécutées après la fia des
guerres de la Rose blanche et de la Rose rouge, firent pré-
valoir pour longtemps cette profanation du style gothique ;
et de même qu'en France le style de la Renaissance est
redevenu à la mode de nos jours, on est également revenu
en Angleterre , après bien des tâtonnements dans le do-
maine du classique, au gothique de l'époque postérieure :
c'est ce style que l'on a adopté pour le nouveau palais des
deux chambres du parlement. On ne saurait nier d'ailleurs
que le style profane l'emporte en valeur intrinsèque sur le
style fleuri gothique religieux , et qu'il ne manque même
pas crunc majesté grave et pitlorescpie. L'intérieur des sal-
les d'armes dans les châteaux, les hôtels de ville et les col-
lèges (il en est plusieurs qui datent du seizième siècle) pro-
duit le plus grand effet par l'aspect pittoresque de la char-
pente saillante du plafond. L'époque de la Renaissance an-
glaise, à partir de la moitié du seizième siècle, n'est pas non
jiliis à dédaigner, et d'ailleurs les romans de Walter Scott
l'ont popularisée sur le continent. Mais dès lors l'Italie
commence à exercer sur l'Angleterre une influence telle,
•lu'il ne saurait plus désormais être question d'une archi-
tecture anglaise proprement dite.
Inigo Jones (1575-1655), l'architecte du p lais de
Whitehall , continua fidèlement la tradition de Palladio.
ChristopheWren ( 16.32-1723 ), qui construisit une immense
quantité d'édifices superbes, surtout après le grand incendie
qui en 1666 dévora une partie de la ville de Londres, et qui
jouit d'une grande réputation pour avoir été l'architecte des
églises Saint-Paul et Saint-Étienne de Londres , du palais
d'IIampton-Court, et du 77/efl/r!/?n d'Oxford, suivit complè-
tement, lui aussi, la direction imprimée à l'art par les ar-
chitectes italiens et français ses contemporains; il ne man-
que pas d'ailleurs de noblesse et de «-vérité dans les propor-
tions et dans l'ordonnance de ses plans. Les con.^trurtions
élevées après lui sont en général de l'effet le plus lueJiocre.
Vers la fin du di.v-lmitième siècle, quand le style classi(iue
l'emporta sur le style rococo, l'Angleterre ne put érhnpper à
l'influence de ce mouvement. Les Antiquifies of Al/iens et
les Antiquities qf Atlica de Stuart excitèrent un véritable
enthousiasme pour le style grec, dont, en dépit des condi-
tions si peu favorables du climat de l'Angleterre , on fit
alors un fréquent usage, et qu'on n'a cependant pas encore
su y employer dans la mesure qui convient aux pays du
Nord. Le style profane gothique, redevenu tout récemment
à la mode, est appliqué aujourd'hui avec beaucoup d'habi-
leté et même d'originalité, quoique sous ce rapport Londres
n'offre que peu de ressources , attendu que les grands pro-
priétaires ne considèrent leurs demeures de ville que comme
de simples pied-à-terre et réservent tout leur luxe pour leurs
habitations de campagne.
La peinture, ne commença à jeter quelque éclat en An-
gleterre que vers le milieu du dix-huitième siècle. Au moyen
âge, elle y fut cultivée sans doute, comme les autres arts
qui s'y rattachent, mais cependant avec bien moins de succès
qu'en Italie, en France ou en Allemagne. Au treizième siècle,
sous le règne de Henri III , on exécuta quelques grandes
peintures murales ; et dans les chartes et documents du qua-
torzième siècle il est souvent mention de tableaux repré-
sentant des saints. Dans l'église de Slien on voyait un ta-
bleau d'autel du quinzième siècle avec les portraits de Henri V
et des membres de sa famille , et un grand nombre de livres
de cette époque sont ornés de miniatures. L'essor brillant
que la peinture prit alors en Italie et en Allemagne réagit
visiblement sur la culture des arts en Angleterre , sans ce-
pendant y provoquer rien d'origmal ; et quand arriva la
reformation, la plus grande partie des tableaux alors exis-
tants furent détruits , en même temps qu'on perdait l'occa-
sion de faire servir la peinture à la représentation des su-
jets religieux. Longtemps déjà avant la Réformation, comme
aussi jusque vers la fin du dix-septième siècle, ce fut pres-
que exclusivement grâce à des étrangers que la peinture jeta
quelque éclat en Angleterre : par exemple, sous Henri VII,
le Flamand Mabuse; sous Henri VIII, Gérard Horenbout
et le peintre d'histoire et de portraits, Hans Holbein le
jeune, Aflemand de nation, qui exerça également une grande
influence sur tous les autres arts, et qui , indépendamment
d'une innombrable quantité de portraits, exécuta, dit-on, des
séries complètes de sujets historiques ; sous la reine Marie ,
Antoine Moor; Federigo Zucchero , Lucas de Heere et Cor-
nélius Katel , sous Elisabeth , dans les dernières années du
règne de laquelle on vit aussi pour la première fois quelques
Anglais , tels que Hilliard et Oliver, se faire une réputation
dans la peinture en miniature. La peinture sur verre fut
souvent pratiquée par des artistes anglais, mais plutôt comme
métier que comme art. Jacques I" appela en Angleterre le
Hollandais IMylens, et protégea la peinture, comme fit aussi
Charles r% qui enrichit considérablement les collections
commencées par Jacques, et qui accueiUit avec distinction à
sa cour d'abord Rubens, puis Van Dyck. L'activité brillante,
mais de courte durée , qu'il fut donné à cet artiste de dé-
ployer comme peintre du roi, semble avoir suffi pour assurer
pour toujours en Angleterre la prééminence du portrait sur
la peinture historique. George Jameson , autre élève de Ru-
bens , le premier artiste qui se soit fait une grande réputa-
tion conmie portraitiste, et qui exerçait son art en Ecosse,
fut le contemporain et presque le rival de Van-Dyck. William
Dohson, qui se forma lui-même par l'étude des œuvres de
Van-Dyck, date de la même époque.
La proscription qui, sous le règne des puritains, frappa tous
les tableaux d'église, limita désormais la grande peinture
au portrait. Aussi, après la mort prématurée de Van-Dyck,
sir Peter Lely, dont le véritable nom était Peter Van (1er
Faas , originaire de Su'tt en Westplialle, obtint-il toute la
faveur d'une cour dont il flattait les moeurs perverties. Chez
lui le faire de Van-Dyck, qu'il vise manifestement à imiter,
est trop cherché, et dégénère en maniéré. Il eut pour rival et
pour successeur Gottfrie<l Knellcr, de Lubeck, qui, comme
peintre du roi Charles II, tint une véritable fabrique depor-
ANGLETERRE
589
Irnits. Quoiqirils aionl eu liion moins de réput.ilion, les por-
Irails de Jonatlian Ricliardsoii leur étaient bien supérieurs.
C'est seulement des premières années du dix-huitiéme
siécleqiie date en Angleterre ce qu'on appelle la peinture his-
torique , laquelle pourtant ne consistait guère alors qu'en
scènes mythologiques et en froides allégories dépourvues
souvent de goût. Sir James Ti\ornhill, né en 1676, mort
en 1734, qui peignit la coupole de Saint-Paul et la salle
d'armes de Greenwieh, fut le premier qui mit ce genre en
renom. Ses compositions et ses ligures ne manquent pas de
vie, mais son stjle est dépourvu de noblesse, et son coloris
terne et uniforme. Il ne fonda point d'école, et ne laissa pas
non plus de successeurs de quelque importance. William
Hogarth (lGii7-l7Gi) doit élre considéré comme le
premier peintre originpl qu'ait produit l'Angleterre , quoi-
»|u'il rit exercé son talent dans un tout autre genre. 11 excella
en eflet dans la peinture satirique des mœurs de son temps
et des vices inhérents à Ihumanité, et fut le créateur de la
caricature anglaise , qui après lui a pu devenir plus mor-
dante, plus acerbe, plus variée, mais qui ne sera jamais ni
plus vraie ni plus naturelle. Assez peu remarquable comme
peintre , mais graveur ingénieux, il fut le premier qui im-
prima à la peinture anglaise cette tendance à rendre exac-
telnent la nature qui la caractérise, et que le génie particulier
de la nation anglaise a depuis lors considérablement déve-
loppée. Sir Joshua Reynolds (1723-1792), au contraire,
fit de la peinture en grand artiste, et, sans s'écarter trop de
la réalité , sut donner à son pinceau cette touche idéale sans
laquelle l'art n'existe point. Cet artiste , qui s'était formé
en Italie, surtout par l'étude des grands maîtres de lécole
vénitienne, fut nommé président de l'Académie Royale des
Beaux-Arts, instituée en 1768, et influa sur les développe-
ments de l'art tout autant par son exemple que par ses écrits.
Il peignit presque exclusivement des portraits, toujours
avec beaucoup de naturel et de grâce, en même temps qu'a-
vec un coloris plein de force et de vérité ; il s'efforça d'ail-
leurs de faire prévaloir le principe d'après lequel on doit con-
centrer tout l'effet sur le sujet principal et négliger les acces-
soires , même comme exécution. Ce système, qui produisit
souvent des effets bizarres et maniérés, et dans lequel on
trouve plutôt un pinceau ingénieux que la vérité de la nature,
a fait école parmi le plus grand nombre des peintres anglais
modernes. En même temps que Reynolds , en peignant des
portraits , acquérait une grande réputation et une grande
fortune, il exaltait dans ses discours académiques (à la pu-
blication desquels Burke ne resta probablement pas étranger)
le mérite des grands maîtres italiens, de Michel- Ange, de
Raphaël, du Titien , du Corrége, et il excitait ainsi parmi les
artistes le goût pour la grande peinture historique, pour la-
quelle l'Angleterre a toujours montré au fond assez d'indif-
férence. Il faut reconnaître d'ailleurs que s'il a rendu d'im-
portants services à l'art, ses écrits propagèrent des idées
erronées , dont l'influence sur la peinture anglaise se fait
encore sentir aujourd'hui. On a cependant de lui quelques
bons ouvrages dans le genre historique, entre autres quelques
portraits de la galerie de Shakspeare. Ses rivaux, dans le
portrait, furent Allan Ramsay et Georges Romney, ainsi que
Thomas Gainsborough (1727-1788), artiste d'un grand mé-
rite , dont le paysage était , à bien dire, la spécialité.
On doit citer comme le plus remarquable paysagiste que
l'Angleterre ait produit à cette époque Richard Svilson,
imitateur de Claude Lorrain. Seulement il partage par mal-
heur le défaut de tant de paysagistes anglais, qui reprodui-
sent le ton et le coloris des tableaux de Claude Lorrain et du
Poussin tels qu'ils sont aujourd'hui, c'est-à-dire obscurcis
par les ombres qui ont poussé depuis deux cents ans qu'ils
existent. Le quaker américain Benjamin West ( 1738-1820),
qui se rendit d'abord célèbre comme peintrxî d'histoire, bien
qu'il manquât de génie créateur, succéda à Reynolds dans
les fonctions de président de l'-Vcadémic. Il mérita de l'art
anglais moins par ses propres ouvrages que par sa sollici-
tude jiour la prospérité de l'Académie et par la part qu'il
prit à la fondation delà Firitisli I)isritu(io>i. Les expositions
organisées par ces deux institutions ont extrêmement favo-
risé la propagation du goût des arts parmi le public anglais ,
en même temps qu'elles excitaient l'émulation des artistes.
Ses contemporains Bar ry, Opie, II. Fussly, Northcote, Rom-
ney, W'right, Copley, ne rendirent pas avec plus de bonheur
que lui la forme extérieure , et n'étudièrent pas mieux les
sujets, mais ils lui furent quelquefois supérieurs par la cha-
leur et l'imagination. Un caractère commun à tous les ar-
tistes que nous venons de nommer , c'est la faiblesse du
dessin et l'exagération de l'héroïque comme du sentimental.
Leurs œuvres n'ont pas d'ailleurs le caractère général d'une
école. Fussly fut incontestablement le plus important d'entre
eux, et n'influa pas peu sur ses contemporains par ses scènes
fantastiques , dans le nombre desquelles nous rappellerons
son célèbre Cauchemar. A cette même époque brillait comme
peintre de marines Ph.-J. Loutherbourget G. Morland,
le premier qui traita des scènes de la vie commune à la ma-
nière de Teniers et d'Ostade.
La sympatlde du public anglais pour la peinture d'histoire
fut surtout développée par la galerie de Shakspeare qu'entre-
prit John Boydell, et par l'essor que prit tout à coup l'art
de la gravure en Angleterre.
On sait en effet qu'à l'exception de R. Strange, qui travailla
d'après d'anciens maîtres , les principaux graveurs anglais,
tels que Bartolozzi, Woollett , Sharp, Sberwin, Meddi-
man , J. et C. Heath, Earlom et Fittler, travaillèrent d'après
les tableaux des maîtres anglais. Il faut cependant ajouter
que lagravme au pointillé, introduite en Angleterre par Bar-
tolozzi , eut pour résultat de propager une quantité énorme
des plus mauvais ouvTages, et d'habituer le goût du public
aux fades représentations de scènes domestiques et senti-
mentales. Vers le milieu du dix-huitième siècle la peinture
sur verre prit aussi un grand essor en Angleterre, grâce aux
travaux de Jarvis et d'Eginton, sans réussir toutefois à égaler
les couleurs si belles des anciennes verrières qu'on admire
dans plusieurs cathédrales d'Angleterre. La peinture de pa-
norama fut aussi cultivée alors avec succès par R. Barker,
mort en ISOG.
L'école de David , qui de France étendit son influence
sur presque toute l'Europe, n'en exerça que très-peu sur
l'Angleterre. Il n'y eut qu'un très-petit nombre d'artistes,
tels que Westall, qui dans la peinture historique s'abandon-
nèrent à sa manière finie et léchée ainsi qu'à ses effets de
théâtre. D'autres artistes, plus récents, tels que Hilton Etty et
Briggs, adoptèrent une voie plus indépendante, sans cependant
laisser après eux rien de bien remarquable. Stothard fut un
artiste d'une imagination aussi vive que féconde. Ilaydon
ne répondit pas aux grandes espérances qu'il avait fait con-
cevoir.
Depuis 1830 John Martin surtout a fait sensation par ses
compositions colossales, par exemple la Chute de Babel, le
Déluge, le Festin de Balthasar, le Dernier jour de Pom-
péi, etc., qui tous impressionnèrent vivement le public par
le grandiose rare de leurs proportions et par des effets de
lumière tout à fait nouveaux. Cependant cette direction de
l'art, avec ces colossales masses architecturales, qui se réi)è-
tent partout, et avec ces innombrables petites ligures non
susceptibles d'expression en raison de l'extrême exiguïté do
leurs proportions, a déjà vécu. Danby, imitateur de Mar-
tin , n'a aucune importance.
Ce qui a toujours manqué en Angleterre à la peinture
d'histoire , ce sont les encouragements de grands travaux
publics à exécuter; et force lui a été de se borner aux
besoins des convenances domestiques, et souvent aux caprices
de ceux qui lui faisaient des commandes. L'Église, appelée
autrefois à fournir l'occupation la plus grandiose à la peinture
historicpie, renonça en Angleterre, à partir de la Réfornu-
590
ANGLKTERRE — ANGLICANE
tion, à avoir rien de commun avec les arts. Il faut pour-
tant nommer actuellement M.M. AnsJeil , Maclise, Paton ,
O'Neil, I-Mcy, Foggo, Cross, Cope, Armitage, K.-M. Ward,
Millais, W. Himt, Frost, Ilook, Cooper, dont l'exposition
(le l83r> nous a montre' les œuvres. Cet éloif^nement pour
la peinture iiistorique a fait prendre une (iliis jjrande impor-
tante au genre anecdoli(iue et au portrait. Celui-ci a eu
d'ailleurs un représentant ingénieux en sir Thomas Law-
rence ( 1779-1830 ), appelé à présider l'Académie après
la mort de West. Sans doute cet artiste possédait à un
plus liaut degré encore que Reynolds le talent d'une com-
position naïve et spirituelle; mais il exagère, jusqu'à la plus
choquante incorrection, le principe de négliger fous lesacces-
soires, et le plus souvent il vi.se trop aux effets qui sont le
produit du caprice. Sa manière, qui n'a que l'apparence de
la facilité, a fait une foule d'imitateurs sans mérite. Il eut
pour rivaux John Jackson et Georges Dawe. On doit encore
citer comme portraitistes, Th. Piiilipps, M. -A. Shee, H. Ho-
ward, W. Bfcchey, James Ward, R. Rothwell, H.-W.
Pickersgill, W. Hobday, Grant.
Uavid Wilkie s'est fait, comme pein^ffl de genre, la
réputation la mieux méritée, autant par son ingénieuse
imagination que par son exécution naturelle, vigoureuse et
achevée. Ch.-R. Leslie s'est distingué par la gaieté comique
de son invention non moins que par la supériorité avec la-
quelle il exécute ce qu'il a conçu. On doit ensuite une men-
tion à C.-A. Chalon, à W. Mulready et à Landseer, qui
s'est aussi fait un nom comme peài^re d'animaux, mais
surtout à Charles-Lock Eastlake , supérieur pour la pu-
reté du dessin et la beauté du coloris, et que ses tableaux
de Ramlits italiens ont rendu célèbre à bon droit. Viennent
ensuite Webster, Frith, Egg, Lance. Le paysage peut
aussi nous olfrir quelques artistes d'un mérite réel, par
exemple Calcott et Danby pour les marines, et Glover pour
les groupes d'arbres. Turuer et Hàvell, au contraire, sont
maniérés et grêles.
L'aquarelle a pris de grands développements en Angle-
terre : Copley-Fielding, Wild, Prout, Rob.son, j;iastineau,
Turner, Essex, Nash, Cattermole, Lewis , Haag,"Corbould,
W. Hunt,Topbam, Warren, Fielding, Callow, llarding, Tay-
1er, Tliorburn, etc., se sont distingués dans ce genre. On cite
parmi les peintres en miniature Engleheart, Harding, New-
ton, Robertson, Douglas et Davis.
Au total, on peut dire que la peinture anglaise de genre
présente bien plus de médiocre et de mauvais que de bon, et
même que parmi les premiers maîtres il n'en est qu'un fort
petit nombre, tels que Wilkie, Pliilipps, Calcott, qui soient
exempts de manière et d'affectation.
La peinture de genre est d'ailleurs celle qu'on cultive le
plus généralement en Angleterre, mais le plus souvent elle
y est traitée de la manière la plus triviale; c'est ainsi que en
fait de paysages les artistes se contentent presque généra-
lement de reproduire des vues. On apprécie bien plus une
touche (ine et spirituelle que la noblesse de l'invention ou
que la vérité, la simplicité et le naturel de l'exécution,
quoiqu'il n'y ait là au fond que le caprice sans portée d'un
talent disposant ses procédés techniques de manière à
frapper les sens au lieu de chercher à parler à l'àme. Il est
impossible de rien produire de bon et de durable dans une
direction pareille. Le goût public se fixe toujours sur des
sujets fades et de la vie commune. Aussi les collections de
vieux tableaux , si riches et si nombreuses qu'elles soient
dans la capitale, et la Galerie nationale de Londres n'ont-
elles en définitive que très-faiblement contribué à propager
et à améliorer le sentiment du beau. L'art s'est mis au service
du luxe de l'aristocratie. En fait «le grands ouvrages, il n'a
produit que des collections complètes de portraits des grandes
familles patriciennes, surtout force ladies avec mesdemoi-
selles leurs filles, messieurs leurs fils et leurs king-Charles
par-dessus le marché. Or ces <iaraes permettent qu'on les
embellisse tellement et d'une manière si affectée, que les ar-
tistes qui exploitent ce genre lucratif ont reçu le sobriquet de
lady-menders, ce qui veut dire raccommodeurs de dames.
Grâce surtout à F la x m a n , la sculpture a fait beaucoup
de progrès en Angleterre. Outre Nollekens, C h antrey,
Westmacott et Wyat, nous devons encore signaler,
Macdonald, Hoilins, Carew, John Bell, Baily, Ambuclii,Mac-
dovvell, Marshall, Gotf, Gibsou, Campbell, Miller.
Aux noms de graveurs que nous avons déjà < ités, il faut
encore ajouter ceux de Pether, Dixon, Browne, Greene, Hol-
loway, Webber { célèbre surtout par ses planches d'après
les cartons de Raphaël ), Landseer, Freeman, Burnet, Wil-
liam et Edouard Finden, Cooke, Goodall, John et Henr)'
Le Keux, qui a tiré un parti des plus lieureux de la gra-
vure sur acier, genre d'origine anglaise. Les gravures an-
glaises sur acier qui représentent des paysages et dont l'Eu-
rope a été inondée pendant quelques années, en dépit de
l'élégance de leur exécution, pèchent trop .souvent par
l'absence complète de vérité, surtout en ce qui regarde la
touche des arbres. Le ciel y est aussi d'ordinaire beau-
coup trop surchargé de nuages, d'effets atmosphériques et
d'effets de lumière.
La gravure sur bois est parvenue en Angleterre à une
liauleur de perfection jusque alors inconnue, grâce aux tra-
vaux de Thomas Bewick, qui la ressuscita en 1775, et de
ses successeurs Th. Ilood, Harvey, Sears, Tabagg, Branstone,
Clennell, Nesbit, Green, Jackson, Linton, Thompson, etc.
D'innombrables ouvrages illustrés , c'est-à-dire ornés de
gravures sur bois, notamment le Penny Magazine, Vltlus-
trated London News, et bien d'autres, ont donné le signal
sur le continent à des opérations de librairie analogues.
Les développements techniques de la lithographie ont été
les mômes en Angleterre qu'en France, et la manière
riche d'effets dont sont traitées quelques planches an-
glaises a engagé quelques lithographes du continent à en
imiter les procédés. Les collections lithographiées de vues
architecturales d'Angleterre et de Belgique par Haglie et
Nash méritent d'être citées avec éloge pour leur irréprocha-
ble exécution. Nommons encore, parmi les lithographes an-
glais, Giles, Maguire, Lane, Linnell. — Consultez Alian Cun-
ningham, Lives of British Painters , Sculptors and
Architects (5 vol., Londres, 1829), et Hamillon, The
EnglishSckool, a séries of the most approved produc-
tions in painting and sculpture (Londres, 1830); Pas-
savant, Kunstreise durch England und Delgien ( Francf.,
1833), et Waagen, Kunstiverke und Kûnstler in En-
gland (2 vol., Berlin, 1838).
En musique les Anglais n'ont jamais rien pu produire de
grand. C'est dans le pays de Galles que s'est maintenue le
plus longtemps l'ancienne musique des Bretons, laquelle, de
môme que l'ancienne musique des Écossais, a d'ailleurs quel-
que chose d'assez original. Dans ces derniers temps, le seul
virtuose anglais qui se soit fait une réputation européenne
a été le pianiste F i e 1 d . En revanche, il n'y a pas de pays
au monde où tout ce qui tient aux arts mécaniques ait
atteint un aussi haut degré de perfection qu'en Angleterre.
Quand l'esprit de calcul domine, l'imagination n'a plus à
jouer qu'un rôle secondaire.
ANGLETERRE (Nouvelle-). T'oyez Nouvelle-Angle-
terre.
ANGLICANE(Église),appclée aussi .F? //5e .Épiscopaie,
Haute Église, est la religion de l'État dans le royaume-
uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande. Le souverain en
est le cbef suprême ; c'est lui qui convoque et proroge les
assemblées du clergé. L'Église Anglicane est gouvernée par
trois archevêques et vingt-cinq évoques. L'archevêque de
Cantorbery porte le titre de primat du royaume-uni; il a
le privilège de couronner les rois et les reines, et a vingt
et un évêques suffragants: ceux de Londres, Oxford, Bristol,
Rochester, Winchester, Lincoln , Norwich, Salisbury, Ély,
ANGLICANE -
Exeter, Chichester, BaHi-ct-Wells , Worccster, Coventry-
et-Liclilield , Hercfonl, Llamlafl", Saint-David , Saint-Asapii,
liangor, Glocester et rctcrboroui;li. Les quatre autres evù-
chés sout sous la juridiction de rarchevéque d'York , qui
iwrte le titre de primat d'Angleterre; ce sont : Sodor-et-
Man, Carlisle, Durham, Chester. Les archevi'ques et les
évéques sont désignés par le souverain, qui envoie au doyen
et au chapitre ce que l'on appelle un congé d'clhe par lequel
il indique la personne à nounnor. L'évi^que de Londres , en
tant que chef spirituel de la capitale , a le pas sur les autres
évoques; celui de Durham vient après, comme chef d'un
diocèse qui constituait un comté palatin ; celui de Wincliester
est le troisième; les autres prennent rang à l'ancienneté du
sacre. Les archevêques et les évéques ( à part celui de Sodor
et de Man ) siègent à la chambre haute comme lords spi-
rituels. Les archevêques ont le titre de Grdce et de Très-
Récércnd père en Dieu par la divine Providence ; on
donne aux évéques celui de Vraiment Révérend pare en
Dieu par la permission divine. Quand on donne l'inves-
titure à un archevêque, cela s'appelle Vclever au trône;
on installe les évéques. Un chapitre ou conseil de l'é-
Têque, composé d'xin doycti et de plusieurs chanoines, est
attache à chaque cathédrale. Après le doyen viennent les
archidiacres, qui sont au nombre de soixante et ont pour
fonctions de réformer les abus et d'investir de leurs béné-
fices ceux qui y sont appelés. La classe la plus nombreuse
et la plus méritante du clergé se compose des rectors, vi-
cars, curâtes, et dcacons. On appelle ^flrsoH l'ecclésias-
tique en pleine possession de tous les droits d'une église
paroissiale; si les dîmes sont la propriété d'un laïque qui
dispose de la cure , le paisoyi a le nom de vicar , sinon il
est rector. Le curate, qui correspond à peu près au vicaire
français, dépend du parson pour son salaire , et se trouve
sous ses ordres. Les fonctions du deacon ( diacre ) se bor-
nent à baptiser, à faire les lectures à haute voix, et à ser-
vir le prêtre quand il donne la communion. L'assemblée du
clergé, q\ii est la plus haute cour ecclésiastique, n'a été ap-
pelée par le gouvernement à s'occuper d'aucune affaire de-
puis 1717.
La forme du culte est déterminée par une Uturgie ; les
points de doctrine sont renfermés dans trente-neuf articles.
Les cinq premiers contiennent une profession de foi recon-
naissant la Trinité, l'incarnation de Jésus-Christ, sa des-
cente aux enfers , sa résurrection , la divinité du Saint-
Esprit. Les trois suivants ont rapport à la canonicité de
l'Écriture. Le huitième reconnaît le Symbole des Apôtres ,
celui de >'icée et celui de saint Athanase. Les suivants
contiennent la doctrine du péché originel, de la justilica-
tjon par la foi seule , de la prédestination , etc. Le dix-neu-
vième et les suivants déclarent que l'Église est l'assemblée
des lidoles, et qu'elle ne peut rien décider que par l'Écri-
ture. Le vingt-deuxième rejette la doctrine du purgatoire,
des indulgences , du culte rendu aux images et de l'invo-
cation des saints. Le vingt-troisième décide que ceux-là
seuls qui auront été légitimement appelés aux fonctions
du ministère sacré peuvent prêcher et administrer les sa-
crements. Le vingt-quatrième exige que l'anglais soit seul
employé dans la liturgie. Le vingt-cinquième et le vingt-
sixième déclarent que les sacrements , bien qu'administrés
par des hommes pervers, sont des signes eflicaces de la
grâce divine qui excitent et affermissent notre foi. D'après
le vingt-septième, le baptême est un signe de régénération
et le sceau de notre adoption, par lequel nous recevons de
Dieu un surcroît de grâce ; selon le vingt-huitième article,
dans la cène, le pain est le corps du Christ; le vin est
son sang, mais seulement spirituellement et selon la loi
( article 29 ). La communion doit être administrée sous les
deux espèces (article .30 ). Le vingt-huilième condamne en-
core l'adoration et l'élévation de l'hostie, ainsi que la doc-
tiiue de la transsubstantiation ; le trente et unième rejette
ANGLOMANIE
591
comme blasphématoire le sacrifice de la messe ; le trente-
deuxième permet au clergé de se marier ; le suivant main-
tient le principe de l'excommunication. Les autres traitent
de la suprématie du souverain, condamnent les anabap-
tistes , etc.
L'Église Anglicane ne s'est établie que lentement et par
degrés; elle conserva d'abord une grande '•essemblaïue
avec l'Eglise Romaine, tant pour la doctrine que pour les
rites. Lorsfjue le parlement eut déclaré Henri VIII seul
chef de l'Église, et que l'assemblée du clergé anglais eut dé-
cidé que l'évêque de Rome n'avait pas plus de juridiction
en Angleterre qu'aucun autre évèque étranger, on décida
que les articles de foi de la nouvelle ÉgUse consisteraient
dans l'Écriture et les trois symboles , des apôtres , de Ni-
cée , et de saint Athanase; le dogme de la présence réelle,
lo culte des images, l'invocation des saints subsistaient tou-
jours. Sous Edouard VI la nouvelle liturgie fut composée
en anglais , et remplaça l'office de la messe ; les dogmes fu-
rent rédigés en quarante-deux articles. Ce ne fut que sous
le règne d'Elisabeth que l'Église d'Angleterre fut définitive-
ment constituée. Comme la réforme n'avait pas été radicale,
il se produisit une foule de dissensions ( voyez Pit.itains,
Dissidents ). Mais une hiérarchie épiscopale était plus fa-
vorable aux vues des souverains que la constitution toute
républicaine des presbytériens, et cette maxime fut
adoptée : « Qui rejette l'évêque, rejette le roi. »
Quand les théologiens anglais revinrent du synode de
Dordrecht, le roi et la majorité du clergé épiscopal
penchèrent pour les opinions d'A rmi ni us , qui ont pré-
valu depuis sur le calvinisme dans le clergé d'Angleterre.
Les tentatives de Laud , archevêque de Cantorbery , pour
réduire toutes les églises d'Angleterre sous l'autorité des
évéques lui coûtèrent la vie , et le parlement abolit le gou-
vernement épiscopal, qui fut rétabli à la restauration.
En 1662 l'acte d'uniformité vint exclure de toute fonc-
tion cléricale ceux qui refusaient d'observer les rites et
de souscrire à la doctrine de l'Église. Sous le règne de Guil-
laume III les divisions entre les partisans de l'épiscopat
donnèrent naissance aux deux partis appelés, l'un la haute
Église, composée de ceux qui n'avaient pas voulu prêter
serment à la nouvelle dynastie, et l'autre la basse Eglise. Le
développement de la liberté civile et religieuse depuis tan-
tôt deux siècles a clos bien des controverses de cette na-
ture. L'émancipation des cathohques , cet acte de
tardive réparation , et le nombre toujours croissant des dis-
sidents, n'ont pu qu'augmenter cette tendance générale, bien
que le rétablissement d'une hiérarchie catholique en An-
gleterre par le pape Pie IX, Vagression papale, comme on
a appelé cet acte,»oit venu dernièrement réveiller les vieilles
passions et donner à l'Église Anglicane l'appui tumultueux,
de démonstrations populaires. On reproche à l'Église épis-
copale son intolérance, qui a causé tant de maux, et ses
richesses disproportionnées. Le revenu du clergé de l'An-
gleterre et du pays de Galles seulement dépasse 170 mil-
lions de francs. Ce clergé a des privilèges exorbitants,
singulières anomalies au milieu d'un peuple libre ; il a con-
servé depuis le moyen âge jusqu'à une époque encore peu
éloignée de la nôtre le droit de lever des dîmes en nature ;
mais un acte du |)aiiement a donné depuis aux paroissiens
la faculté de les convertir en rentes perpétuelle.^.
AJXGLOAÏAJVIE. L'anglomanie est l'imitation exagé-
rée des idées, des coutumes et des manières anglaises ; elle a
eu chez nous ses vicissitudes, liées aux événements. Sa pre-
mière apparition en France date dudix-lmltième siècle; elle
est née sous la Régence , qui fut , on le sait , une réaction
contre le règne de Louis XIV. Rien n'était plus naturel. Au
temps où Charles II était à la solde de Louis XlV , et ou
l'ambassadeur de France , lîariilon , pensionnait les princi-
paux membres du parlement, l'imitation des moiies et de la
littérature françaises prévalait à Londres , et l'on pailait
592
ANGLOMANIE — ANGLO-SAXONS
français à White-Hall. Un peu plus tard, Louis XIV, dans
les dernières périodes de son règne, avait rencontré dans
Guillaume III le plus redoutable et le plus constant de ses
adversaires ; les idées et les mœurs anglaises devaient être
peu en faveur à Versailles, tandis que, même après la révo-
lution de 1CS8, même sous la reine Anne, pendant les pre-
mières années du dix-huitième siècle, la littérature del'/Vn-
gleterre réfléchissait encore le génie de la France. Mais
Louis XIV mort, tout à coup le ressort qui comprimait les
esprits se détend ; le siècle , avide d'indépendance et de
nouveautés, interroge avec un intérêt curieux une nation qui
a devancé la France dans la vie politique. Forte d'une dou-
ble révolution, maîtresse de tout penser et de tout dire sur
les matières politiques et religieuses, l'Angleterre avait
con(juis en 1688 la liberté légale de la presse et le droit
illimité de discussion. Là s'était réfugié le libre penser ,
banni de notre pays.
Quoi donc d'étonnant si la France se mit à son tour à
réfléchir le génie de l'Angleterre ? Le gouveniement donna
lui-même le signal de cette conversion : l'alliance anglaise
devint la base de la politique extérieure du régent. Déjà
lord Bolingbrokc, réfugié en France, avait, par son es-
prit et ses succès comme homme du monde, autant que par
sa réputation dliomme d'État, préparé la fusion des idées
entre les deux pays. Bientôt la littérature seconda le mou-
vement de la politique. Les deux plus beaux génies de la
France au dix-huitième siècle, Voltaire et Montesquieu,
furent les premiers patrons des idées anglaises. De 1727 à
1730, Voltaire séjourna en Angleterre ; le voyage qu'y fit
Montesquieu tomba à la môme époque. Cette contrée fut
pour eux une école où l'un étudia la liberté politique , et
l'autre le scepticisme. La philosophie et la liberté anglaises
ont laissé leur empreinte sur les travaux de ces deux grands
écrivains. Les premières importations de l'esprit britan-
nique nous arrivèrent par les Lettres philosophiques deXol-
taire sur les Anglais ; puis il fit connaître en France les ou-
vrages de Locke , il popularisa le système de Newton ; en-
lin, dans ses tragédies de Zaïre, de la Mort de César, il
naturalisa sur notre scène les beautés dramatiques de
Shakspeare , dont il mitigeait la hardiesse pour les adapter
au goût français.
Plus tard. Voltaire voulut résister à cette invasion de la
littérature anglaise ; on sait avec quel dépit et quelle fureiu*
il se déchaîna contre Letourneur et sa traduction de Shak-
spoare. Mais c'était lui qui, dans sa jeunesse, avait donné le
signal de radmiration pour les mœurs, les idées et les pro-
ductions de la Grande-Bretagne ; c'était lui qui, à son retour
de Londres, dans ses vers sui' la mort d'Adrienne Lecou-
vreur, s'écriait :
Quoi ! n'est-ce donc qu'en Angleterre
Que les mortels osent penser ?
O riv:ile d'Alhène, 6 Londre, heureuse terre !
Ainsi que des tyrans, vous avez su chasser
Les préjugés honteux qui vous livraient la guerre.
C'est là qu'on suit tout dire et tout récompenser, etc.
Montesquieu, à son tour , glorilia la constitution anglaise
par la belle exposition qu'il en lit dans l'Esprit des Lois.
l'eu d'années après, la grande vogue des romans de Ri-
chardson, propagés par l'enthousiasme contagieux de Di-
derot, contribua à initier davantage le public français au
secret des mcrurs de la vieille Angleterre. La guerre de
Sept Ans, si désastreuse pour nos armes, tout en ranimant
les vieilles animosités nationales , ne brisa pas les liens in-
tellectuels qui s'étaient déjà formés entre les classes éclai-
rées des deux peuples. C'est à cette époque que J.-.T. P.ous-
seau lui-même, dans sa Nouvelle Hcloisc, donnait le beau
rôle à mylord Edouard , dont le caractère généreux et li-
bre de préjugés olfrait un idéal de noblesse et d'indépen-
dance.
La littérature anglaise, à son tour, subissail lo réaction
des idées françaises : tous les écrivains de la nouvelle école
historique, Hume, Robertson, Gibbon, sont franchement
disciples de Voltaire. De son côté, notre société imite nos
voisins; le théâtre de l'époque en offre des traces. Ainsi en
17G3, après le rétablissement de la paix, Favart lait repré-
senter l'Anglais à Bordeaux, et en 1772 on donne à la Co-
médie-Française une pièce de Saurin 'mt\tu\ée l' Anglomane.
L'insurrection des colonies américaines ne fit que hâter
les progrès de l'anglomanie. Malgré la guerre qui ne tarda
pas à éclater entre les deux gouvernements, malgré la re-
vanche que la France avait à prendre sur sa rivale , l'élo-
quence des grands orateurs , Chatam , Fox , Burke, Sheri-
dan , Pitt, et l'importance des questions débattues par eux,
fixèrent l'attention du monde entier sur la tribune britan-
nique. Il est aisé de concevoir que l'admiration légitime ait
pu devenir de l'engouement , et que les vrais enthousiastes
aient amené à leur suite des fanatiques ridicules. Le senti-
ment de cette exagération maniaque était sans doute pré-
sent à l'esprit de Louis XVI , lorsqu'il demanda à M. de
Lauraguais ce qu'il était allé faire à Londres ; celui-ci ré-
pondit ; « Apprendre à penser — Les chevaux .' » reprit
brusquement le roi , qui avait parfois de ces boutades.
Bien que l'anglomanie ait pu prêter à rire , il n'en est
pas moins vrai que les libres penseurs en philosophie et en
religion , dont l'Angleterre nous a fourni les modèles , ont
amené les libres penseurs en politique. D'ailleurs , travers
pour travers , mieux vaut encore Vanglomanie que Yan-
glophobie. Aussi, depuis la seconde moitié du dix-huitième
siècle , l'échange des idées n'a pas cessé entre les deux pays.
Les guerres du consulat et de l'empire ont provoqué une
recrudescence momentanée des vieilles antipathies natio-
nales; mais de longues années de paix ont adouci ce levain.
Les usages de la société anglaise et les mots de sa langue
ont peu à peu envahi nos salons. Que les dandys du Jockey-
Club se passionnent pour les exercices du sport , qu'ils se
ruinent en paris , ou qu'ils se cassent le cou à la course au
clocher, on peut leur pardonner ces ridicules innocents ,
en faveur des liens , chaque jour plus nombreux et plus
étroits, qui rapprochent les deux peuples. Poursuivre l'ex-
tinction des haines nationales est aujourd'hui un devoir
pour tout homme sensé : travaillons donc , sans cesse , à
cimenter l'entente cordiale entre les deux peuples ; ce sera
à la longue le moyen le plus sûr de la maintenir entre les
gouvernements. Artaud.
AKGLO-SAXOIVS. Les Angles étaient une petite peu-
plade germanique qui habitait , il y a quatorze siècles , à la
droite de l'Elbe, la partie de la Chersonèse cimbrique dési-
gnée de nos jours sous le nom de Schleswig-Holstein. On
trouve encore aujourd'hui leurs descendants entre Flensbourg
et Schlesvvig. Tacite est le premier qui fasse mention des
Angles ; il les représente comme formant avec quatre autres
peuplades, au nombre desquelles sont les Tliuringes et les
Hérules, une confédération qui possédait en commun lelem-
l)Ie de Hertha , situé dans l'ile de Riigen. Ptolémée est le
premier qui fasse mention des Saxons, qu'il place à l'extré-
mité méridionale de la Chersonèse cimbrique , oii , selon
Tacite , étaient les Fosi. Malgré l'apparente différence des
noms , les Saxons et les Fosi étaient le même peuple , ap-
pelé Saxons par les Germains et Fosaides par les Kimres ou
Belges. Desroclies , dans son Histoire des Pays-Bas, rap-
porte deux vers franco-teutons , qui indiquent que le nom
de Saxons était dérivé de celui des épées-poignards qu'ils
portaient, et qui t*n germain s'ap|)elaient saclisen (l). Ce
nom était donc purement épitliéli(|ue , et paraît avoir été
celui de la ligue des cinq peuples dont parle Tacite, et (\u\
appartenaient à la tribu suévique, de même que celui île
(1) C^ts deux vers sont :
\'on deii Mt'ztern aiso Wah^iii ,
Wurden sic gelieisen Sarhsiti.
A cause des couteaux qu'ils portaient, ils furent oppelcs S.i^cns.
ANGLO-SAXONS — ANGO
593
Franc appartenait à une ligiie formée do iicuplados de la
tribu alleinanique ou slavonnc. Le nom kymre de IVpée-
I>oignard , appelée sac/ts en germanique, était J'oss. Cette
seeonde etyniologic e\pli(iue comment Tacite a pu appeler
l'osi ceux que Ptolémeo nomme Saxons.
Au commencement du cinquième sièc le. les Bretons, tour-
meiités par les incursions continuelles des Pietés et des Calé-
doniens , furent abandonnés par les Romains , qui , sous la
domination des lAches enfants de Thmlose , ne pouvaient
plus se défend) e eux-mêmes. Alors Vortigern, leur roi, ap-
pela à son secours les Angles , les Saxons 1 1 les Jutes , qui le
<lélivrèrent des l'ictes , et à qui il permit d'habiter Tile de
Tanet , à l'emboucbure de la Tamise. D'autres colonies vin-
rent successivement s'établir sur les côtes, et bientôt ces nou-
veaux venus se trouvèrent assez loris pour conspirer contre
kurs alliés, les attaquer par surprise et les chasser successi-
V ement de rintérieur de l'Ile. Les Jutes, habitants du Jutland,
occupèrent l'ile de W'ight, Kent et une partie deWestscx. Les
Saxons prirentEssex, Susses, Westsex, les plus riches pro-
vinces deTile ; les Angles eurent pour leur part l'Anglie orien-
tale et occidentale, la iMercie, et le >"orthumberland. Les con-
quérants fondèrent sept royaumes, que l'on désigne sous le
nom d'H eptarchie,et appelèrent de leur nom Angleterre
( England ) la partie méritlionale de la Grande-Bretagne.
Le premier roi d'Angleterre, Egbert, qui avait réuni sur
sa tète les sept couronnes anglo-saxonnes, abolit le titre
lie bretwalda , qui jusque alors avait servi à désigner le roi
chargé, surtout dans les guerres communes, de la di-
rection suprême des dilTéreuts États. La constitution des
Anglo- Saxons qu'Alfred, leur plus grand roi, ne créa
sans doute pas et qu'il ne lit que rétablir en partie ou bien
qu'améliorer, avait les mêmes bases que celle des autres
tribus germaines. Chez les Anglo-Saxons toutefois, qui
conservèrent leur caractère germain dans sa pureté ori-
ginelle plus longtemps que les autres pyiples de même
origine , elle resta plus indépendante que parmi les tribus
qui eurent des rapports plus étroits avec les Romains. A
la tête de la nation était le roi, qui avait remplacé le duc
germain, et dont les fds ainsi que les proches parents for-
maient seuls un corps particulier de noblesse désigné sous
le nom d'yEthelinges. Une noblesse domestique et féodale
se forma successivement parmi les hommes de l'entourage
iflimédjat du roi, et constitua deux classes : ses compagnons
les plus inrpoTtauts , qualifiés à'ealdormen ( earl, dérivé
d'caldor, ancien ) , parmi lesquels le roi distribuait les
charges de la cour et choisissait les chefs de ses districts
les plus considérables ; puis ceux d'une moindre importance,
désignés souvent sous le nom, à bien dire plus général,
de thegen ou thane , possesseurs d'une certaine partie du
sol et astreints au service militaire. Les hommes libres com-
posant l'immense majorité de la nation , parmi lesquels
les Bretons, qui n'avaient pas été réduits à l'esclavage, occu-
paient le dernier rang , étaient qualifiés de ceorle , et se pla-
raient le plus ordinairement sous la protection d'un homme
considérable {hlaford, d'oii le mot lord). Le nombre des
serfs {(heow) était peu considérable. Toutes les classes
étaient partagées par des gradations de droit , et surtout
du wehrgeld ou impôt. Dans les grands districts appelés
sfiircs, ou comtés , il existait de petits cercles de communes ,
appelés dizaines, et composés de la réunion de dix pères de
familles libres , dont les membres répondaient en justice les
uns pour les autres. Dix divines fonnaient une centaine
(kundrede ) , au-des.sus de laquelle se trouvait encore placée
la juridiction du comté présidé par rc«/f/o;v)i(7;). Dans toutes
les affaires de quelque importance celui-ci ne pouvait prendre
de décision qu'avec l'assentiment d'une assemblée ( ge-
mole ) des hommes les plus importants ( c'est-à-dire des
plus sages parmi les thanes et les représentants des loca-
lités, tunscipes) de son comté, qui se tenait tous les six
mois et remplaçait l'ancienne assemblée du peuple. Le roi à ferme
BICT. DE LA CO.X\F.liS. — T. I.
aussi convoquait un wifenagemote ou micelgemote, c'est-à-
dire grande assemblée des évêques et des laïques les plus
importants. (Consultez Schmidt, les Luis des Anglo-
Sajcons, texte original avec traduction allemande en regard
[Leipzig, 18.32].)
Le christianisme , prêché pour la première fois vers la
fin du sixième siècle par Augustin , premier archevêque
de Cantorhery, envoyé comme missionnaire parle pape
Grégoire !•"■, à la cour d'Athelbert, roi de Kent et époux
de Berthe, issue du sang des rois chrétiens des Franks , se
propagea rapidement parmi les Anglo-Saxons.
Le clergé anglo-saxon ne se distingua pas moins que le
clergé écossais par son instruction et par son zèle pour
les sciences. On doit surtout citer à ce sujet Bède le Véné-
rable. Des prêtres anglo-saxons et écossais ne tardèrent pas
à aller porter les lumières du christianisme sur le continent
parmi les populations de l'Allemagne.
La langue anglo-saxonne, que la langue latine ne sup-
planta point comme langue d'église, est une branche de
la famille des langues germaines. Elle parvint rapidement à
un haut degré de perfection ; elle fut pendant six siècles
cultivée par une foule de chroniqueurs , de théologiens ,
de poètes, dont les nombreux écrits forment avec la collec-
tion des lois un important monument d'une littérature
déjà avancée. Cette langue parait avoir été beaucoup plus
sonore que l'anglais actuel. Celui-ci a fait des mots ]i!eins
et harmonieux willa, xirna , noma , les termes sourds de
iiame (nème), our (aour), icill (ouil). Le rliyîhme
de la poésie saxonne , comme du reste celui de tous les
idiomes gothiques, ne consiste pas dans la mesure des syl-
labes ni dans la connaissance des rimes , mais dans l'allité-
ration. L'anglo-saxon est l'objet d'un chapitre particulier dans
la grammaire allemande de J. Grimm. Léo a publié en
allemand un bon livre de lecture sous le titre Aa Échantil-
lons philologiques d'ancien saxon et d'anglo-saxon
(Halle, 1838). Mais Benjamin Thorpe est de tous les
philologues celui qui s'est occupé avec le plus de succès
de la langue des Anglo-Saxons. Elle forme l'élément alle-
mand de la langue anglaise actuelle , sur lequel l'élément
roman, introduit plus tard par les Normands, finit par l'em-
porter, de telle sorte que les quatre cmquièmes des mots
de la langue actuelle lui appartiennent.
Parmi les nombreux débris de la littérature anglo-saxonne,
encore inédits pour la plupart, on remarque surtout comme
monuments de la poésie les ouvrages suivants : Para-
phrase de la Genèse par Caedmon ( publiée par Thorpe ,
Londres, 1832 ) , l'ouvrage le plus ancien de toute la litté-
rature anglo-saxonne , et qui date vTaisemblablement du
septième siècle; puis Beovnilf, ancienne épopée nationale
(publiée par Kemble, Londres, 1S33; 2^ édition, 1837) da-
tant du huitième siècle ; et enfin deux poèmes de la mémo
époque, dont les sujets sont eniptxintés à la légende : André
et Élène ( publiés par J. Grimm ; Cassel, 1840 ).
AJXGO ou ANGOT ( Jf.vn ) , Dieppois de la fin du quin-
zième siècle , et qui vécut aussi au commencement du siècle
suivant, était le fils unique d'une famille peu aisée; il
reçut pourtant une bonne éducation à peu de frais, sa
ville natale prodiguant alors à tous ses enfants les bienfaits
d'une instruction presque gratuite. Bientôt il puisa dans
les entretiens de .ses compatriotes le goût des voyages , et
trouva l'occasion d'exercer l'activité de son esprit et de tra-
vailler à sa fortune. Il était fort jei;ne lorsqu'il [lartit pour
les côtes d'Afrique , et alla visiter celles des grandes Indes,
d'abord comme simple officier, puis comme capitaine. Ces
voyages lui fournirent les moyens de faire rapidement une
grande fortune ; il voulut en jouir à son aise , renonça aux
fatigues et aux dangers de la mer, et comme armateur se
livra à des entreprises qui lui finent profitables. En même
temps, et pour donijer de l'aliment a .son activité, il prit
énérale les revenus de [)lusieurs seigneuries du
i94
ANGO — ANGORA
[)ays Pi <le la vicomte* do Dù?ppfi , qui apparfon.^if ;i l'ar-
< licvr<iiit' tic Pioiien. CYtail en ir>'.>0. 11 avait depuis qiiel-
<|iic temps aciielc aussi la charge de contrôleur au grenier
,1 K('l de D'oppe. Son mérite incontestable le fit bien ac-
cueillir il la cour. A beaucoup d'esprit nature! , perfec-
tionné par 1 élude et les voyages, il joignait im jugement
sain , de belles manières , un caractère gai , franc et ouvert.
L'n des premiers usages qu'il fit de son opulence fut de
se faire bâtir dans sa ville natale , qu'il continua d'habiter,
une demeure .splendide, à la décoration de laquelle il appela
les meilleurs artistes de l'époque. Pendant l'un des voyages
que François l" fit en Normandie , il descendit chez Ango ,
ot admira son hôtel, qui avait déjà excité la surprise du
cardinal l'iirbcrini , quelque habitué qu'il filt aux men'eilles
de ritalie. .\ngo tint à honneur de se charger seul des frais
(le réception du monarque ; il multi[)lia les décorations
h's plus élégantes, les arcs de triomphe, les tapisseries, les
lahlcaux ; il fit ployer ses tables sous le poids de sa vaisselle
d'argent ciselé, de ses mets les plus exquis , de ses vins les
plus rares; et puis, pour distraire son hôte royal par une
promenade en mer, il mit à sa disposition une flottille de
^ix bâtiments légers de la plus gracieuse élégance. Sensible à
tant d'attenlions , François s'empressa de nommer le géné-
reux armateur gouverneur de la ville et du cliàtoau de
Dieiipe, et lui, ne voulant pas rester eu arrière avec le roi,
(jui rêvait alors des entreprises belliqueuses , mit plusieurs
de ses navires à sa disposition.
Les Portugais ayant, en pleine paix, capturé un des vais-
seaux du capitaine dieppois , la vengeance suivit de près
cet acte déloyal. 11 équipa dix-sept bâtiments, et, profitant
de l'absence des flottes portugaises, occupées dans les Indes,
il fit bloquer le port de Lisbonne et ravager à l'embouchure
du Tage tout ce qui se trouva à proximité. Ango ne cessa
.ses hostilités que lorsque le roi de Portugal eut fait partir
pour Paris un ambassadeur chargé de demander la paix au
roi de France , qui le renvoya à Dieppe, pour qu'il s'abou-
chât avec l'auteur de l'expédition.
François lui avait fait délivrer des lettres de noblesse avec
le titre de vicomte. Cette nouvelle faveur redoubla son zèle.
Il prit une grande part aux armements contre l'Angleterre, et
rendit beaucoup de services à son bienfaiteur et à la France
Malheureusement tant de dépenses , la mauvaise issue de
plusieurs spéculations, le défaut de remboursement des
prcls considérables qu'il avait faits au gouvernement , ame-
nèrent .sa ruine, et le forcèrent de quitter son magnifique
liôlel pour se retirer dans une maison de campagne qu'il
avait fait construire à deux lieues de Dieppe. Ce fut là qu'il
inoumt, en 15.51, accablé dechagi'in et jalousé de ses com-
liatriotes , qui ne lui avaient jamais pardonné sa vanité et
son luxe. Louis Du Bois.
A\GOÏSSE (du latin nngustia, resserrement). C'est
le plus haut degré de la peur et de la terreur, résultant soit
de la vue du danger, soit de la conscience qu'on a de sa
faiblesse et de l'impossibilité où l'on est de s'y soustraire ;
sentiment qui produit à la région épigastrique une oppres-
sion ou un resserrement. Quand cet état se prolonge, la
respiration se ralentit, la circulation s'embarrasse, quelque-
fois même elle cesse. Les pieds restent attachés à la terre ;
puis , par un effet contraire, les organes contractiles, la ves-
sie et le rectum, se relâchent au point de ne pouvoir plus
retenir les matières qu'ils renferment. Si les angois.ses se
font sentir trop fréquemment , ainsi qu'il arrive dans les
grandes commotions i)olitiques, elles peuvent produire des
maladies du cieur et des gros vaisseaux sanguins; mais
quelquefois aussi elles ne sont qu'un symptôme de maladie,
comiiic dans le casd'hypochondrie , de rage, de folie et de
<ei1aines peurs graves, où le patient est en (iroic à la terreur
«iiie lui inspirent des dangers purement imaginaires.
.WGOL.'V, royaume d'Afrique , dans la Mgrilie méri-
dionale , s'etcndant sur la côlo d'Afrique du cap Lopez à
Saint-Philippe de Denguela. Sa longueur est de .5G0 kilora.
de l'est à l'ouest; sa largeur, do 100 kilom. du nord au sud;
sa population est d'environ 2 milhons d'habitants. Il sa
compose des provinces de Loanda, Finso, Ilamba, Ikollo,
Ensaka, Massingan, Kmbaca, et Colamba, gouvernées par
des chefs ou sovascs qui reçoivent leur autorité du roi.
Saint-Martin de Loanda, bâtie sur une colline au bord de
la mer, en est la capitale. C'est un pays montagneux, arrosé
par le Danda, le Benga, et le Coanza , lequel est navigable
dans la partie inférieure de son cours ; il possède une riche
végétation tropicale; le dattier et autres palmiers , le bana-
nier, le cocotier, l'ananas , l'oranger, y croissent en abon-
dance ; on y trouve aussi du riz , du miel , de la cire , des
arbres à gomme , des arbres résineux , des cannes à sucre ,
du maïs, du millet, du poivre, des légumes variés. Le fer
y abonde dans les marécages et le limon des rivières; le
sel y est extrait des sources salées et des bancs de sel
gemme. La température de l'intérieur est très-chaude, mais
saine, parce qu'elle est tempérée par des brises et des vents
réguliers. Les habitants, qui sont noirs, se distinguent de
la race nègre par des caractères physiques qui leur sont
propres. Leur religion est le fétichisme , auquel ils sont re-
venus après avoir été convertis en grand nombre par les
jésuites. Le roi d'Angola tait sa résidence sur un rocher
presque inaccessible, qui a sept lieues d'étendue, et dans le-
quel il a pratiqué un vaste entrepôt de vivres, fourrages,
munitions et or pour plusieurs années, ce qui le met com-
plètement à l'abri de toute surprise de la part de ses en-
nemis.
AXGOLA ( Gouvernement d' ) , province coloniale du
Portugal, sur la côte occidentale d'Afrique, dans la Guinée
inférieure; le Benguela, quelques forts du Congo, divers
établissements et plusieui's factoreries , possédés dans le
royaume d'Angola par les Portugais , qui s'y adonnaient
jadis à la traite des esclaves ainsi qu'à la pèche des perles,
forment dans leur ensemble ce qu'on appelle îe gouverne-
ment , ou plutôt la capitainerie générale dWngola et de
Congo, divisée en quafi-e districts, Sernebi, Quitama, Ove-
nedo et Dembi. La capitale est Loanda. Les premières fac-
toreries furent fondées en 1485. Elles exportent aujourd'hui
de l'or, de l'ivoire , de la gomme, des drogues médicinales,
du fer, du cuivre, de la cire, du miel, du punent, de l'huile
de palmier, etc. La population entière est évaluée approxi-
mativement à 400,000 habitants, dont 12,000 blancs. L'au-
torité immédiate des Portugais ne s'exerce en général que
dans un petit rayon autour de ces établissements.
AjVGOX,arme d'hast, en usage dans le moyen âge.
C'était une espèce de javelot à trois lames : l'une droite,
large , tranchante , et quelquefois losangée; les deux autres
recourbées en dehors; une clavette unissait étroitement ces
trois lames. L'angon s'appelait aussi ancort , rançon , cor-
secqiie ou corsèque. — Une autre sorte d'angon était égale-
ment en usage chez les Francs. Le fer de celui-ci avait
quelque rapport avec celui de la hallebarde et quelque res-
semblance avec la Heur de lis, telle qu'on la représente dans
les anciennes armoiries. C'est à cette dernière qu'on appli-
quait quelquefois le nom de rançon. L'angon servait à deux
usages didércnts : ou il était employé comme pique, ou
on le lançait comme javelot. C'était l'arme la plus noble
des Français : le fer de sa lance figurait ilans les armoiries
des princes, des barons et des chevaliers du moyen âge.
C'est à la représentation de cette lance qu'on attribue l'ori-
gine des fleurs de lis et leur introduction dans l'art hé-
raldique.
A\^GORA, V.incijre des anciens, ville de 40,000 âmes,
située à l'extrémité orientale de l'evalct d'.\nado!i, dans
les plateaux montagneux de r.\sie Mineure. On y trouve
des espèces particulières de chèvres, de chats, et de lapins à
poils loi.gs et soyeux , connus sous le nom (Wtngoras. Son
comm rcc cour-iste en poil de chèvre, opium, fruits, reieJ
ANGORA — ANCOULÈME
cl t ire; file fabiiiiiic des (issus avec le poil de ses c/ièvres.
AA'GUSTUUA. Voyez CaDvn-l5oLiVAi«.
AXGOULKME, ancienne ville de France, située snr
une nionta^ae , au jiied de laquelle coule la Charente , est le
clief-lieu ilu département de ce nom , après avoir été loni;-
teiiips la capitale de l'Angouniois. ;iso kilomètres la séparent
de Paris, et 00 de la nier. Sa population est de 2':?, SU habi-
tants. Elle a un port sur la Charente au faiibouru; de PHou-
ineau. Le poète Ausone est le premier qui , au quatrième
siècle, fasse mention de cette ville, qu'il appelle Incitlisitw.
Elle est désignée sous le nom de Civitas t'colismensiiimdnm
la Notice des Gaules , et devient tour à tour Encjolisma ,
Sculismn , AVo/za/ho, dans les monuments postcrieurs. Elle
tomba, pendant le règne d'Honorius , sous la domination des
Wisigoths , auxquels elle fut enlevré par Clovis après la
victoire de Vouillé. Les Normands la ravagèrent au neuvième
siècle. Elle fut rebâtie audixième. SousCbarlesV, elle chassa
sa garnison anglaise, service que ce roi récompensa par le
privilège de la noblesse pour ses maires, écbevins et conseil-
lers. Ce droit fut supprimé en 1007, et rétabli ensuite, mais
pour le maire seulement. En 1568 elle avait été ravagée par
les calvinistes. Plus de cinquante ans auparavant , Fran-
çois r"" l'avait érigée en duché, en faveur de sa mère. Cédée,
de|)uis , en engagement, à Charles de Valois , elle fut réunie
à la couronne en 1710. Louis XIV en fit l'apanage du duc
de Herri , et les princes de la maison royale la consei-vèrent
jusqu'en 1S30. Sous la restauration, la charge de grand
amiral ayant été donnée au duc d'Angoulème, on crut devoir
placer dans la ville dont il portait le nom la pépinière de
nos futurs Jean Bart, et, par suite de cet te bizarre combinaison
courtisanesque, l'école de marine se trouva au centre des
terres, sur le sommet d'une montagne. Elle a été transférée
à Brest , sur un bâtiment de guerre, depuis 1830 , et l'an-
cien édifice abrite depuis 1841 le collège royal, devenu lycée.
Un chemin de fer unit Angouléme à Paris et à Bordeaux,
Le siège episcopal d'Angoulènio date du troisième siècle.
Il est suffragantde Bordeaux, et a pour diocèse le départe-
ment de la Charente. Cette ville a été longtemps la résidence
des comtes , d'abord gouverneurs, puis souverains du pays.
Elle possède un tribunal de commerce, un séminaire dioci^
sain, une école normale pi imaire d.'partementale, un cabinet
de physique et de chimie, une bibiiolbèque de 16,000 vo-
lumes, des distilleries d'eau-de-vie, des fabriques d'horlo-
gerie de précision, des faïenceries, des manufactures de
tissus (le laine, et dans ses environs des papeteries renom-
mées, une poudrerie de l'État, et la fonderie de Ruelle pour
les canons de la marine. C'est l'entrepôt d'un commerce
très-actif en eaux-de-vie, vins, sel et denrées. Là s'ali-
mentent Bordeaux et plusieurs départements du midi. On
visite à Angouléme la cathédrale, qui est remarquable, un
nouveau quartier très-beau, le pont sur la Charente, les
restes des anciennes fortilications et d'un vieux château , les
fpiatre rampes qui conduisent à la ville, et la belle prome-
nade en terrasse de Beaulieu.
AiXGOULÈME (Comtes et ducs d'). Le premier comte
béneiiciaire d'.Angoulème, ou plutôt de l'Angouniois, fut
■]'nr[)ion, que Louis le Débonnaire investit de cette dignité
en ^39, et qui fut tué dans un combat contre les Normands,
le i octobre <S6:î. Emenon, son frère et son successeur, ne lui
ayant survécu que trois ans, Charles le Chauve donna l'inves-
litiire de l'Angoumois et du Périgordà un seigneur puissant,
nommé Wulgrln, son parent, qui fut père d'Alduin T"'', comte
d'Angouirine en bsC.
(iuillaiime T"", son (ils et son successeur en 016, fut sur-
nommé Taillefer ( Secfor fcrri ), à la suite d'ime bataille
rvrée aux Norîiiauils, dans latpuUe, armé d'une épée a|)-
peiée ciiiin, labricpiée i)ar l'iirti^-le \V;.land(îr, il lendit d'un
seul coup et jissiiu'a la ceinlnie Storis, chef de ces bar-
bares. C'esl l'originc! du nom de Taillefer adopté pai- sa pos-
térité. Un fait qui n'est pas moins extraordinaire, et dont
595
toutes les chronicpses rendent témoignage, c'est que la
force prodigieuse de ce comte et sa valeur passèrent comme
héritage à tous ses descendants.
.\ruaud Mauzer, son tils naturel ( il n'en eut pas de légi-
times), reconquit l'héritage de son père sur les enfants d'Ar-
naud iiouralion , comte de Périgord , qui s'en étaient em-
pares. Guillaume Taillefer II, qui prit possession du pouvoir
en 0S7, eut deux fds, Alduin II et Geofroi Taillefer, comtes
d'Angoulème en 1028 et 1032. Les enfants du premier furent
exclus de sa succession par Geofroi, et se retirèrent en Péri-
gord, dans les biens d'Alaaz de Fronsac, leur mère. En 1181
s'éteignit cette race des Taillefer, entièrement dépouillée par
r.\ngleterre, contre laquelle elle avait soulevé presque tous
les grands vassaux de la Guienne, à l'instigation du roi
Philippe-Auguste.
Hugues X de Lusignaii, comte de la Marche, mari d'Isa-
belle d'Angoulème, hérita de ce comté en 1201 , et fut le
fondateur d'une seconde race, laquelle s'éteignit en 1303
dans son arrière-petit-tils Hugues Xlll de Lusiguan. Cepen-
dant Guy de Lusignan, son frère, s'empara de son héritage,
dont il avait été expressément privé par le testament de Hu-
gues XIII pour lui avoir fait la guerre. Le roi Philippe le
Bel, ayant à venger ce grief et à punir la défection de Guy
de Lusignan, qui venait de livrer Cognac et Merpins aux
Anglais , confisqua sur lui les comtés de la I\îarche et d\\n-
goulème.
Ce dernier comté (érigé en duché au mois de février 151 j)
devint successivement l'apanage de Louis d'Orléans, Jean
d'Orléans son fils, en 1407; Charles d'Orléans, fils de Jean,
en 14G7 ; Louise de Savoie, sa veuve, mère du roi Fran-
çois F'', morte en 1531; Diane de F'rance, tille naturelle
du roi Henri II, en 1582; Charles de Valois, fds naturel do
Charles IX et de Marie Touchet, en 1619; Louis-Emmanial
de Valois , son fils, en 1650 , tous deux auteurs de curieux
mémoires; et Marie-Françoise, fille de Louis-Emmanuel,
son héritière, en 1653 , alors mariée avec Louis de Lorraine,
duc de Joyeuse, morte sans postérité, le 4 mai 1696, épo-
que de la réunion définitive du duché d'Angoulème à la cou-
ronne.
AJXGOULÈrtlE (Duc et duchesse d'). Marie-Thérèse,
cette femme que Frédéric II seul empêcha d'être le plus
gi-and roi de soji époque, avait, comme toutes les âmes
douées de génie, une vive impatience du présent, une ar-
dente curiosité de l'avenir. Elle donna asile dans sa cour
à Gassner, que la singularité de ses opinions et la témérité
de ses prophéties avaient fait exiler de partout. Aussi, il
arriva qu'un jour, lui présentant sa belle enfant , que toute
la cour saluait déjà, elle demanda à ce Gassner quel serait
l'avenir de cette jeune vie; mais quand elle ^it la pâleur
de l'illuminé, elle devint pâle à son tour, et répéta sa question
d'une voix altérée. » il est des croix pour toutes les épaules, »
répondit Gassner.
Lorsque plus tard cette enfant, devenue Marie- Antoi-
nette, échangea son haut titre d'aichiduchesse pour celui
de dauphine de France, lorsque plus tard encore elle monta
sur le trône où s'étaient assis Henri IV et Louis XIV, et
loi'sque après huit ans d'une union stérile elle mit au monde
une nouvelle Marie-Thérèse, celui qui eut rappelé les si-
nistres iirophéties de Gassner eOt pas<é pour un (ou ou pour
un méchant. Et cependant , déjà à cette épo(iue tous les
malheurs de Marie-.Antoinette CeniuMitaient en germe au
fond de la nature française; et ces malheurs, la pauvre reine
les léguera à sa fille. A la considérer de sang-froid, on ren-
contre peu d'existences aussi constamment persécutées et
aussi )!atlL'umient supportées que celle de madame d'An-
goulèine. Une p''ison, le Tein|ile, fut son premier asile; car
ce fut à l'âge où l'on commence à cominendre, à l'agi; oii
un jialais eût pu iiaraître beau, à l'âge oii cliaipie nom
n'arrive plus à l'esprit comme un son, mais coinnie un ("ail,
qu'elle entra dans la prison do sa mère. Dans celle prison.
i,96 ANGOULÊME
il y eut pottr elle comme pour toute sa famille d'odieux
gardiens, de féroces menaces. Sans doute toutes ces 'nfor-
tiincs n'cillèient \ms, aboutir à l'écliafaud , et en cela II y
en a qui pensent que madame d'AngouUHne fut moins à
plaindre que sa mère. Mais depuis ce 10 août, oii elle de-
vint prisonnière, jusqu'au jour où elle remplaça la captivité
par l'exil , que d'agonies répétées elle souffrit pour la mort
de chaque tête de sa famille ! Ces trois morts successives
Unirent de grands malheurs et commencèrent ceux de ma-
dame d'Angouléme. Oui sans doute elle dut frémir d'être
as;;(ïz jeune pour ne pas pouvoir être accusée et livrée à la
hache, lorstpi'elle apprit conmient le cordonnier Simon
tuait son frère, qui mourut près d'elle avec l'épine du dos
cariée, parce que son instituteur trouvait plaisant d'insulter
le (ils des rois comme le font les marquis aux laquais de
comédie. A de pareils malheurs il ne faut pas de chute
royale pour être profonds, il ne faut pas de contrastes pour
être sentis. Harengère ou princesse ," conmiencer par voir
tuer son père, sa mère, sa tante et son frère, et attendre,
c'est arriver trop vite aux limites les plus reculées de la
souffrance.
A cette époque la trahison de Dumouricz sauva la vie à
Madame; car il est assez facile de prévoir ce que lût de-
venue la malheureuse fille de Louis XVI si Ton n'avait eu
besoin de sa tête pour racheter celles de BeurnonvUle, La-
marque, Camus et Bancal, que Dumouriez avait livrés à
Clairfayt. Avant de sortir du Temple, elle écrivit sur ses
murs ces mots tout chrétiens : « O mon Dieu, pardonnez
a ceux qui ont fait mourir mes parents ! » et elle quitta la
Trance. Ainsi , l'exil fut le premier bonheur de cette jeune
princesse. Ce fut à Vienne qu'elle commença à rencontrer
des regards amis. A Vienne , on pensa à la marier à un ar-
chiduc; mais, soit ménagement pour cette hardie république
qui s'était assez bien défendue pour faire craindre qu'elle
n'attaquât, soit peut-être que cette union ne parût pas assez
profitable à une cour qui s'est fait du mariage de ses princes
une ressource politique, ces velléités d'hymen avec l'infor-
tune n'eurent pas de suite, et la petite-fille de Marie-Thé-
rèse alla rejoindre à Mittau le chef de sa famille. Là, elle
é|)ousa le duc d'Angoulême, son cousin. Si ce mariage ne
fut i)as d'une haute politique, il fut à coup silr d'une heu-
reusedjgnité. Déjàles secours que les Courbons exilés avaient
été demander à leurs frères en royauté ne leur venaient
plus que tardifs et incomplets , si même ils ne leur étaient
refuses. Louis X.V1I1 comprit qu'il ne pouvait demander
pour sa nièce un mari à la bienfaisance étrangère; il voulut
«pie celui qui portait toutes les espérances d'avenir de sa
famille prit aussi le fardeau, et peut-être un jour la conso-
lation de tous les malheurs soufferts , et il confia la fille de
îNlarie- Antoinette à l'héritier le plus probable du trône de
France.
.\vant d'aller plus loin, disons un mot de M. d'Angou-
lême. Né loin du trône, où les malheurs de sa fomille sem-
blèrent devoir l'appeler ensuite , jusqu'il l'époque où il épousa
sa cousine , sa vie s'était bornée à la roide éducation d'un
fils de France , à avoir dit un mot aimable à .Al. de Suffren,
dont les courtisans pussent faire extase; il avait accompagné
son père dans son émigration , il avait appris à Turin les
mathématiques d'une manière assez passable pour sembler
surprenante dans un prince de ce temps-là; et dans le
conuuaiidement d'un petit corps d'émigrés il avait montré
un peu de ce courage des Bourbons, que depuis Henri IV
les Condé semblaient avoir gardé pour eux; mais rien n'avait
percé au delà d'une obéissance facile aux intérêts de sa
lamille, rien de personnellement hardi, rien d'aventureux,
lion de ce qui fait gagner un bâton de maréchal quand on
est né sous-lioutenant, rien de ce qui fait ressaisir un t;ône
(|uand on l'a laissé échapper. Après ce que nous avons dit
(le madame d'.Angoulême , ce jugement sur son mari doit
uous être permis, l'our une femme, le malheur est une
destinée à laquelle il sufïit qu'elle se soumette avec dignité
pour être à la hauteur de son rôli! : pour un homme, c'est
un ennemi avec lequel il doit se battre le front haut et la
main haute , et tant pis i)our lui s'il est vaincu !
A partirde cetteépoque, la vie demadamed'Angoulême, la
vie de son mari et des débris de sa famille s'agite et treiid)le
au soiiflle de Napoléon. La fortune de Napoléon ramène
Louis XVIII et sa nièce de Mittau à Varsovie ; triste voyage,
commencé le 9.1 janvier, sous un souvenir de mort, nou-
velle épreuve où le malheur quitta sa dignité pour s'atta-
quer misérablement à madame d'Angoulême , passa de l'àme
au corps, et infligea le froid et la faim à l'orpheline de
Louis XVI et de Marie-Thérèse ; basse misère , qu'on a
honte de rencontrer dans cette puissante infortune ! Puis ,
le roi de Prusse voulut s'essayer à être maître chez lui , et
bientôt après il transmettait humblement aux Bourbons le
désir qu'avait le vrai maître de son royaume de ne plus les
voir à Varsovie. Alexandre leur rouvre les portes de Mittau,
croyant son empire de cinquante millions d'hommes assez
vaste pour y offrir un asile à trois exilés. Quelques années
se passent , et l'empereur de toutes les Bussies faisait dire
tout bas à l'oreille de Louis XVIII que sa présence sur le
continent offusquait les yeux de cet homme qui , d'un
coup d'oeil, voyait à la fois le monde entier et chaque point
de tout ce monde. Enfin Louis XVIII , fatigué de ces ser-
vilités , dont les ricochets lui arrivaient à chaque défaite ,
alla demander asile à l'Angleterre. Il le trouva, cet asile
honorable , en 1 S09 , dans ce pays qui seul échappa à la
dévorante conquête de Napoléon.
Là , à Hartwell , la duchesse d'Angoulême garda une re-
traite absolue, et ne montra qu'une fois sa mauvaise fortune
à la curiosité de la cour. Heureusement pour les Bourbons,
la fortune de celui qui les avait éloignés de leur héritage
ne dura pas assez longtemps pour pousser de profondes
racines au sol de France ; elle remplit si rapidement sa course,
et, partie de si bas , elle atteignit si vite son apogée et son
déclin, qu'elle n'eut pas le temps de mûrir une légitimité
éclose pourtant aux rayons du soleil d'Austerlitz. Napoléon
fut vaincu , et , quoi qu'en aient pu dire les flatteurs d'alors,
la France fut vaincue encore plus que lui. Ce fut donc en
mettant le pied sur la couronne militaire de la France, dont
les cendres étaient brûlantes , que les Bourbons atteignirent
leur vieille couronne : ce fut là leur premier tort ou leur
premier malheur. Alors fut dit un mot dont les phraseurs
politiques firent grand bruit, et qui eut beaucoup de succès
à ce moment où le gouvernement par le c<rur était une rage
pour tout le monde. Chacun des princes revenus avait eu
son à-propos admirable et plein d'effusion. Louis XVIII eut
beaucoup de ces bonheurs , ]M. le comte d'.\rtois en trouva
quelques-uns de passables , et il n'est pas jusqu'à M. le duc
d'Angoulême qui n'ait à revendiquer le sien. Celui de ma-
dame d'Angoulême fut noble et beau.
Union et oubli ! avait-elle dit : oui, pour elle, pour elle
seule ; et cette conduite était généreuse et convenante. Mais
à ceux qui gouvernaient pour elle , ce n'était pas oubli
qu'il fallait dire, c'était souvenir, souvenir d'un peuple
qui avait dévoré la royauté , le clergé et la noblesse , parce
que ces trois pouvoirs le pressaient insupportablement; sou-
venir de cette propriété nationale appelée la nation, qui,
comme le trône de Napoléon , n'avait pas encore sa pres-
cription, et qu'on laissait incertaine, flottante et alarmée;
souvenir de cette égalité à s'élever (jue la réiuiblique et
l'empire avaient fait entrer dans les droits et les habitudes
du peuple; souvenir de celle Con-^lituanle et de cette Con-
vention , qui avaient soumis audacieusement tous les faits ,
toutes les idées , toutes les existences , même celle de Dieu ,
au régime des discussions parlementaires et publiques. Voilà
les souvenirs qu'il fallait garder, afin de n'être pas en dé-
sharuionie avec la l'rance, alin de ne pas être rejeté par elle,
comme une matière hétérogène, à sa première cbullition.
ANGOULKMÎ-:
Mais les cris de quelques milliers de foniines , mais le res-
pect qu'imposait h toute la populatiou la vue de madame la
duchesse d'Anj;oul(>me , fureiil pris pour cette coniiance de
la uatioii en la lionne loi et la force de ceux (pii r^ïjlent ses
destinées , et qui l'ail le veritalilo amour du peuple, amour
qui ertt sauvé >apoléon , et ne Pcilt ]>as délaissé, même
tlans le malheur, si la nation eût toujours été convaincue,
comme elle le l'ut quelque tenqis, (lue rien ne pouvait le
sépiirer d'elle , et qu'il n'avait pas une pensée personnelle.
Mais ce sentiment de méliance , qu'on jeta si adroitement
parmi les autres revers de Napoléon , s'établit de prin)e
abord entre les Bourbons et la France. Jamais on n'avait
accusé l'empereur d'avoir un autre trésor que celui de son
peuple : il y puisait modestement et avec ordre ; il eût pu le
faire plus largement qu'on n'en eût point pris d'ond)rage ,
parce qu'on savait qu'il faisait bourse commune avec la
nation. Dés les premiers temps les Rourbons iurent ac-
cusés de thésauriser à part , d'amasser à l'étranger. Ce n'é-
tait que ce que la nation leur avait alloué , sans doute ;
n'importe, ce soupçon sépara les intérêts pécuniaires, et
puis ceux de gloire et de puissance le furent bientôt : et le
20 mars arriva.
A cette grande époque il y avait un rôle digne à jouer pour
toute cette famille, forte de deux vieillards que l'adversité
avait dû rendre expérimentés, et de deux hommes assez
jeunes pour tirer le sabre contre un homme et six cents
soldats. Une femme , madame d'Angouléme , fut seule à la
hauteur de sa nouvelle infortune; elle seule lit un effort
pour relever cette royauté , qui s'en alla , honteuse et
fuyarde, redemander à l'étranger une seconde invasion du
pays , une nouvelle humiliation à se faire reprocher un
jour. M. le duc d'Angouléme ne manqua pas sans doute à
ce courage vulgaire qui consiste à jeter sa poitrine devant
une balle; mais ce n'est pas avec un pareil enjeu qu'on
gagne une couronne , et il y a longtemps qu'en France cette
vertu n'est plus estimée que cinq sous par jour. Aussi il
arriva que M. le duc d'Angoulèiiie fut vaincu et attrapé
par le moindre des généraux de Bonaparte, et renvoyé si
humainement à l'étranger que c'était à en mourir de
tjonte. Pendant ce temps, madame d'Angouléme, que la
nouTelle du débarquement de Napoléon avait surprise à
Bordeaux, y tentait une résistance qui paraissait devoir
trouver un grand auxiliaire dans les opinions exaltées des
habitants. Population, troupes, sympathie , obéissance, elle
invoqua tout pour la défense de cette royauté perdue. Agis-
sant de sa personne, parlant de sa personne, elle fit plus
qu'une femme ne pouvait faire, moins que n'eût dil faire
un homme.
Un général d'une renommée secondaire et d'un mérite de
premier ordre avait été envoyé à l'encontre de madame d'An-
gouléme. Clauzel était un adversaire trop supérieur pour
qu'il y eût chance pour elle. En cette circonstance, conmie
en beaucoup d'autres , les opinions de la famille des Bour-
bons la perdirent. L'aspect des victoires et de la guerre de
Napoléon avait persuadé aux exilés d'Hartwell que tons
les hommes qui faisaient mouvoir ce grand empire étaient
des rouages insensibles et seulement habilement engrenés;
que celui qui avait commandé un régiment n'entendait pas
à autre chose , et qu'un général de division de l'empire
était un soldat qui avait la voix plus forte qu'un autre,
voilîi tout. Dans cette confiance, madame d'Angouléme
compta numériquement les soldats qui étaient autour d'elle,
les volontaires royaux qui juraient de vaincre ou de mourir,
et elle attendit de pied ferme le général Clauzel , qui s'a-
vançait à petites journées seul dans sa voiture, et qui ne
prit qu'à quelques postes de Bordeaux une escorte de trois
ou quatre gendarmes pour ne pas élre une seconde fois
arrêté comme il l'avait éfé à Angoulcme.
Mais à ce moment fut commise cette faute qui pordit alors
les CourbonSjCt qui les a perdus depuis. On s'étîiitpo-^é en prin-
i97
(ipe politique que l'année était esscnlieliement obéissante,
et qu'il n'y avait (pie des ordres à lui cIouîut. On trancha
eu conséquence du commandement , et l'on ne fut pas peu
surpris de trouver que l'opinion du soldat entrait pour
quelque chose dans son obéissance; et puis il arriva que
ces hommes , rentres ou attachés à la suite des Bourbons,
établirent la séparation d'une façon stupide entre la force
militaire et madame d'Angouléme. Dans les conseils qui
eurent lieu, ce ne fut envers le général Decaen et les autres
oKiciers supérieurs que des propos conmie ceux-ci : « l'os
soldats obeiront-ils? Le mauvais esprit de votre armée nous
fait craindre une trahison. » Ft puis , dés que ces officiers
étaient partis, c'était : .. Les hordes de rebelles nous aban-
donnent; les pillards de Buonaparte sont des traîtres. » Et
tous ces propos , qu'on croyait bien enfermés dans les sa-
lons de la préfecture , s'en allaient retentir dans les casernes.
Faut-il donc tant s'étonner que lorsque madame d'Angou-
léme se rendit aux casernes , elle ait trouvé un accueil si
froid ? Elle ne savait pas qu'elle était coupable aux yeux de
ses soldats de toutes les sottises de son entourage.
Pendant le peu de jours que durèrent ces tentatives de
résistance, un homme devenu depuis d'une haute impor-
tance, M. de Martignac, fut à plusieurs fois député vers le
général Clauzel. Il le trouva à Cubzac avec quelques hom-
mes, et sans autre armée que celle qu'on voulait lui opposer.
Clauzel fit prier madame d'Angouléme de vouloir bien se
retirer. Il s'offrit à entrer dans la ville seul , et à l'accom-
pagner jusqu'au vaisseau qu'elle choisirait. Cette invitation
parut une dérision à MM. les grands soutiens de madame
d'Angouléme; ils parlèrent de l'enthousiasme de la ville et
de l'obéissance à laquelle on saurait bien forcer la troupe
de ligne. Le général, sans s'émouvoir, renouvela avec ins-
tance sa demande , suppliant les émissaires royalistes de
pouiToir au salut de madame la duchesse. M. de Martignac
lui demanda enfin pourquoi il paraissait si pressé; le gé-
néral lui répondit : « C'est que vous êtes aveugles et sourds,
et que vous ne voyez ni n'entendez rien de ce qui s'agite
sous vos yeux et à vos oreilles ! Cependant , de ce côté de
la Garonne, il me semble, moi, que je vois et que j'entends
l'orage qui vous menace. » M. de Martignac sourit encore.
« Vous en doutez ? dit le général ; eh bien ! suivez-moi. »
Ils descendirent tous deux sur le bord de la Garonne; par
ordre du général , un sapeur coupa une longue branche de
saule; un soldat y attacha son mouchoir de couleur, et,
comme par enchantement , un vaste drapeau tricolore se
hissa au haut du château Trompette et domina tout Bor-
deaux. Voilà ce que ne comprirent jamais les Bourbons,
qu'il y a une sympathie qu'il faut acquérir atout prix;
voilà le sentiment sur lequel avait compté le général Clauzel,
et qui fit qu'il entra seul dans Bordeaux pendant que ma-
dame d'Angouléme s'embarquait au milieu d'une foule de
courtisans qui parlaient de mourir pour elle.
Depuis ce départ, depuis cet exil, un second départ, un
second exil sont venus aflliger cette princesse infortimée.
Absente de Paris lorsque les ordonnances de juillet furent
rendues , on ne peut lui en imputei' la moindre part ; et ce-
pendant, pour être vrai dans cette circonstance, il faut dire
que peut-être de tous les membres de la famille royale
madame d'Angouléme fut toujours la plus impopulaire.
D'où pouvait venir cette disposition fôcheuse contre une
femme à qui l'on ne refusait aucune vertu? Ceci est un de
ces secrets de l'antipathie des nations , aussi inexplicables
que ceux des antipathies physiques. Était-ce que l'on ne pût
pardonner à madame d'Angouléme d'être peut-être la seule
à avoir raison contre la France ? Quel motif caché pro-
duisait donc cette cruelle méliance? Était-ce ce qu'avait fait
madame d'Angouléme? Non, c'était plutôt ce qu'elle n'avait
pas fait , ce qu'elle ne faisait pas. C'était de ne pas avoir
arrêté sa voiture, sinqilc et sans gardes, à la |)orte «l'un
magasin, d'un ba/.ai'; c'étail de ne pas s'élre montrée sou-
598
vent à un spectacle ou à un conccrl, de ne pas avoir dis-
puté à (juclques bourgoois un talileaii du salon, de ne pas
s'être passionnée pour un livre ou une musique ; c'était enfin
pour ne pas avoir aimé, pour ne s'être pas amusée et oc-
cupée de ce quaime et de ce qui amuse et occupe le peuple
français.
En effet, le duc d'Ani;oult:mc fait la guerre d'Espagne ,
guerre impopulaire si jamais il en fut; il la termine, quelle
iju'elle soit , sinon d'une façon conforme à nos vœux poli-
tiques, du moins d'une manière satisfaisante pour nos
armes, et, de cette guerre inqmpulaire , le duc d'Angou-
lêrne revient populaire autant qu'il [teut l'être, parce que
les Français aiment la guerre avant tout, et qu'avant tout
ils aiment à être vainqueurs , n'importe comment. Il arriva
donc que le peuple, ne voyant pas à madame d'Angoulème
ses affections et ses préférences , lui en supposa de toutes
contraires. Le progrès effrayant des prétentions ecclésias-
tiques lui fut surtout attribué : de tous ceux qui contribuè-
rent par leur imprudence à amener le renversement de la
branche aînée des Bourbons, le clergé est le plus coupable.
Ce qui manqua en définitive à madame d'Angoulème, ce fut
cette affabilité alerte et le sourire sur les lèvres , qui se
permet souvent une impolitesse et la répare par une fami-
liarité. La bienveillante réception de cette princesse, grave,
austère et mêlée de tristesse, semblait un ressentiment
invincible de ses douleurs, et on ne lui pardonna pas d'en
faire souvenir ceux qui voulaient les avoir oubliées, et ceux
tpii ne les avaient pas vues. Était-ce la faute de madame
la duchesse d'Angoulème, qui se taisait? était-ce la faute
de la nation, toute renouvelée depuis les exécutions de 93.'
Ce n'était la faute de personne; mais entre madame d'An-
goulème et le peuple français, il en était comme entre .^.eux
iiommes dont l'un a proiondément offensé l'autre; il se
peut que l'intérêt, la politique, ou le hasard, les rapprochent
et les forcent de vivre ensemble, il' n'en restera pas moins
l'injure entre eux, et, quelque mine qu'ils se fassent, ils
ne [)Ourront jamais se regarder qu'à travers un souvenir
pénible. Pour qu'il n'en ïùt pas ainsi il eût fallu que ma-
dame d'Angoulème, facile, étourdie, aimant le plaisir, cou-
rant les spectacles, les bals, attestât par mille actions légères,
par une conduite inconsidérée, qu'il ne lui restait plus rien
au ca-ur de triste ni d'amer : une faiblesse, et peut-être
elle était adorée des Français. Sans doute c'est un malheur
que l'antipathie d'un peuple , mais c'est aussi une haute
consolation que la vertu. Jules Jamn.
Lor.is-ANTuiNE de Bourbon, duc d'Angoulème, et plus
tard dauphin de France, fils du comte d'Artois depuis
Charles X, et de Marie-Thérèse de Savoie, était né à Ver-
sailles, le 6 aoat 1775. MAKiE-ïnF.Ki:si:-Cu.uîi.oTTF. de France,
fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, naquit le 19 dé-
cembre 1778, à Versailles. Le titre de M/dome royale lui
fut donné au Ixirceau. Elle épousa son cousin à Mittau, le
10 juin 1799.
A la suite de la révolution de juillet, la famille royale
déchue s'embarqua à Cherbourg. Elle fut froidement reçue
en Angleterre, et alla habiter le château de Holyrood, en
Ecosse. Le duc et la duchesse d'Angoulème avaient échangé
leur titre contre celui de comte et de comtesse de Marnes.
Mais le climat de l'Ecosse ne convenait pas à la duchesse :
elle repartit avec le prince son époux pour le continent ,
fut accueillie à Vienne comme archiduchesse; et bientôt la
famille royale était réunie en Bohên.e, à Prague, i)uis au châ-
teau de Goritz en lUyrie, oii le vieux Charles X s'éteignait
au mois de novembre ls;i(;. Huit ans après, le 3 juin lSi4,
le duc d'Angoulème suivait sou père au tombeau. L'au-
to|)sie lit reconnaître qu'il était mort d'un cancer au pylore.
Son corps l'ut déposé dans la chapelle du couvent des
Franciscains, situé sur uwr. hauteur à l'ouest delà ville, dans
le cave.\u où dormait déjà son père.
Par son testament l'ex-Uauphin laissait une forlimc
ANGOULÉME — ANGRA
de 6,250,000 fr. 11 léguait 2.), 000 fr. aux pauvres, et von
lait que i)areille somme filt consacrée à faire dire des messes
pour le repos de son àme. Il y avait d'autres legs pour
22,000 fr. H laissait le reste de sa fortune à la duchesse,
voulant qu'à sa mort les deux tiers en revinssent au comte
de Chambord , et l'autre tiers à .Mademoiselle. Puis, dans
cette pièce, datée de 1840, il demandait pardon à sa femme
de tous les chagrins qu'il aurait pu involontaiiement lui
causer, et exprimait le désir d'être enterré avec la plus
grande simplicité, là où il rendrait le dernier soupir. Pré-
voyant le cas d'une troisième restauration , il priait la du-
chesse de ne pas oublier ceux qui avaient toujours été bien-
veillants pour lui.
Chateaubriand ilisait del'ex-dauphin onze ans auparavant,
en décembre 1833 : ■• Je passe à dix heures du soir devant
Buschirad, dans la campagne muette, vivement éclairée de
la lune. J'aperçois la masse confuse de la villa, du hameau
et de la ruine qu'habite le dauphin ; le reste de la famille
royale voyage. Un si profond isolement me saisit; cet
homme a des vertus : modéré en politique, il nourrit peu
de préjugés ; il n'a dans les veines qu'une goutte de sang
de saint Louis, mais il l'a; sa probité est sans égale, sa
parole est inviolable comme celle de Dieu. IN'aturcllement
courageux, sa piété filiale l'a perdu à Rambouillet. Brave et
humain en Espagne, il a eu la gloire de rendre un royaume
à son parent, et n'a pu conserver le sien. Louis-Antoine,
depuis les journées de juillet, a songé à demander un asile
en Andalousie : Ferdinand le lui eût sans doute refusé. Le
mari de la lille de Louis XVI languit dans un village de
Bohème ; un chien, dont j'entends la voix, est la seule garde
du prince : Cerbère aboie ainsi aux ombres dans les ré-
gions de la mort, du silence et de la nuit. «
M""^ la duchesse dWngoulème est moi le le 19 octobre 1851,
à Frolisdorff, en Illyrie, dans les bras du comte et de la
comtesse de Cliambonl. On a fait paraître en 1858 les Mé-
vioireade Marie-Thérèse, duchesse d'Angoulème; c'est un
récit de bi captivité du Trmple déjà imprimé en 1823. L. L.
ANGOUAIOIS, province de France, comprise aujour-
d'hui dans le département de la Charente, était bornée
au nord i)ar le Poitou , à l'est par le Périgoril , au sud et à
l'ouest par la Soinlonge. Elle tirait son nom d'Angoulème,
sa capitale. La Charente et d'autres rivières moins consi-
dérables, telles que la l'ouvre, la Tardoire, le Baudiac et la
Sonne, arrosaient ce pays , dont la superficie était évaluée à
3,900 kiloni. environ.
Du temps de César l'Angoumois était habité par les Agé-
sinates. Il fut compris sous Honorius dans la seconde Aqui-
taine. Les Vandales el les Alains le ravagèrent. Puis les
Wisigolhs en firent la conquête sur les Romains, et il passa
plus tard sous la domination des Francs, par suite de la ba-
taille de Vouillé. Voyez Axcoulême (Comtes et ducs d').
AA'GilA , capitale des A ç o r e s , sur la côte méridionale
de l'ile Terceira, ville de 18,000 âmes, assez bien bâtie,
avec de grandes rues et de belles fontaines, une citadelle
et des fortifications considérablement accrues dans ces der-
niers temps, un port peu sur, une académie militaire et
divers établissements scientifiques et littéraires. C'est la
résidence du capitaine général et de l'évêque de ce petit
archipel. C'est aussi le lieu de relâche ordinaire des navires
portugais qui se rendent au Brésil ou dans les grandes Indes.
Il s'y fait une grande exportation de vin, froment, nùel et
lin. Celte ville ser\it de refuge, jusqu'à la prise de Porto,
à la régence conslilutionnclle instituée par l'empereur
doui Pedro, quand il armait pour renverser dom Miguel, son
Irèrc, du trône de Portugal , et y f.iire asseoira sa place sa
lilie do!)a .Maria. 11 s'y publia alors un journal, intitulé
la Chronique de Terceira, qui se fil remarquer i)ar la su-
périorité, non-seulement de sa ri'daclion , mais même de
ses procédés tyi)ograplii<pies. Ou conserve à .vngra la célèbre
coiilevrine deMalaca, qui portait une charge de soi\aute
ANGRA — ANGUILLE
.'.99
livres (le balle;;, et dont il est si souvent question dans Pliis-
toire (les Indes.
AXGRIVARII (les), peuplade teutonne qui habitait
entre le \Ve<er et l'Kuis, pri's des Suives, des Catles, des
Cliaures, et dont le territoire comprenait une partie de la
principauté de Minden et de rc'vèché d'Osnabruck, les com-
tés de Tecklenbourg et de Ravensberg, et une partie du
comté de Scliaumbonri;. La petite ville actuelle <le Tecklen-
bourg est, dit-on , l'antique Tczelin, leur capitale. Les .An-
grivarii prirent part aux luttes soutenues par les autres
nations germaniques à différentes époques contre la puis-
sance romaine ; ils entrèrent également dans la grande ligue
saxonne , et furent, ainsi que les Saxons, vaincus , soumis
et convertis par Charlemagne.
AIVGUIER (Fn ANçois et Michei, ), sculpteurs. Ces deux
frères étaient nés à lùi, le premier en ino», le .second
en 1G14. Leur pèreétait menuisier. François eut d'abord pour
maître Carron d'.-Vbbeville , sculpteur et architecte. 11 vint
ensuite a Paris, dans l'atelier, très-fréquenté alors, de
Simon Guillain, puis il alla voyager en Angleterre et en
Italie. Pendant le séjour qu'il fit à Rome, il se lia étroite-
ment avec le Poussin, Mignard , Stella et Dufresnoi. A son
retour, Louis XIII le logea au Louvre, lui confia d'impor-
tants travaux , et le chargea de la garde des antiques. On
assure que lors de la formation de l'Académie de Peinture ,
iJ refusa dy occuper un fauteuil.
Les (Tuvres principales de François Anguier étaient dis-
séminées dans les églises de Paris. On citait de lui le tom-
beau du cardinal de Benille, dans l'église de l'Oratoire,
rue Saint-Honoré ; une statue de Henri, duc de Rohan-
Chabot, dsLTïf, celle des Célestins ; le mausolée de Henri,
duc de Montmorency , décapité à Toulouse, en 1632, dans
l'église des religieuses de la Visitation, à .Moulins. Aux
pieds du duc était sa femme, Maric-Félicie des Ursins , en
jiartie voilée; aux côtés du monument, les statues à'' Hercule
ou de la Valeur, de la Libéralité , de la Noblesse et de la
Piété. François Arguier décora aussi de statues le mau-
solée de la famille de Thou , à Saint-An(lrc-{les-Arcs, et
le tombeau du commandeur de Sovvré, à Saint-Jean-de-
Latran. On regardait comme le meilleur de ses ouvrages le
monument à la mémoire de Henri I'', duc de Longue-
ville , descendant du comte de Danois , fils naturel du duc
d'Orléans, as.sassiné en 1407 , à Paris. Ce monument, élevé
dans l'église des Célestins , se comnosTiit d'un obélisque et
de quatre statues. En 1651 , il sculpta pour Reims deux
anges en argent portant la tête de saint Rémi. Une grande
pesanteur est le défaut capital des œuvres de cet artiste, qui
mourut à Paris, le S aoi^t 1060, à soixante-cinq ans.
Comme son frère, Michel Anguier fut élève de Guillain;
mais avant de venir à Paris il avait, dès l'âge de quinze ans,
exécuté dans sa ville natale, où il ne trouvait ni maîtres ni
modèles, quelques ouvrages pour l'autel de la congréga-
tion des Jésuites. De l'atelier de Guillain il s'élança vers l'I-
talie , sans autre ressource que son talent. A son arrivée à
Rome, où il travailla dix ans, il iit quelques bas-reliefs
sous les yeux de l'Algarde, se consacra à l'élude de l'an-
tique, et fut employé aux sculptures de la basilique de
Saint-Pierre , de celle de Saint-Jean des Florentins et de
plusieurs palais particuliers.
Revenu en France en 1051 , avec un talent supérieur à celui
de son frère , Michel Anguier se vit souvent contrarié par
les troubles politiques, ce qui ne l'empêcha pas d'exécuter
divers travaux , entre autres une statue de Louis XlIT ,
plus grande que nature , qui fut coulée en bronze et érigée
à Nart)onne. Anne d'Autriche le chargea de la décoration
de ses apparlemcnts au vieux Louvre et d'une grande
partie des sculptures du Val-dc-Grâce. Le groupe de la Na-
tivité, placé sur le muitre-aulel, passait pour son chcT-
d'œuvre.
Michel fut reçu en 1G68 à l'Académie de ppinlure, dont
i! devint rectetu- en tOTl. F,n lG7'i il termina, sur les des-
sins de Lebrun , les bas-reliefs de la porte Saint-Denis, com-
mencés par Girardon. 11 lit aussi de grands travaux pour
plusieurs églises de Paris. Ou avait de lui une Apparition
de Jésus-C/irist à saint Vcnis , tians la chapelle basse de
Saint-Denis de la CliAtrc, église détruite en ISIO; des sta-
tues de saint Jean et de saint Benoît pour les Filles-Dieu
un crucifix, en marbre, de sept pieds, pour la Sorbonne,
et un en bois pour Saint-Roch. Michel Anguier mourut
!e 11 juillet lOSO, à l'Age de soixante-quatorze ans, et fut
eut 'rré près de son frère aîné, à Saint-Rocb, sa paroisse.
H mérite une place parmi les bons si;ulpteurs du siècle de
Louis .\ IV.
AXGUÏLLE. Les anguilles forment un groupe parti-
culier parmi les poissons ajjodes, c'est-à-dire dépourvus de
nageoires ventrales. Files sont longues et minces, couvertes
d'écaillés profondément enfoncées dans la peau , et ont des
dents tranchantes et aiguës. Leur couleur varie suivant
l'âge, et, à ce qu'il parait, suivant la qualité des eaux où
elles vivent. Celles qui habitent les eaux liinj)ides ont le dos
verdàtre rayé de brun , et le ventre argenté , tandis que
celles que l'on pêche dans la vase sont d'ordinaire brun
noirâtre en dessus et jaunâtres en dessous. La forme de leur
museau varie aussi ; et ces différences caractérisent quatre
espèces distinctes, vulgairement désignées sous les noms
d^inguille vernianx , A^angxiille long-bec, éCangitille
plat-bec et (ïaugiiillepimpcriiaux Les anguilles ont long-
temps passé pour androgynes; mais elles frayent connue
d'autres poissons , et pour cela elles descendent vers l'em-
boucliure des lleuves. Files atteignent quelquefois une lon-
gueur d'un et même de deux mètres. Ce sont alors des
espèces de monstres hideux à voir , dont les mouvements
tortueux rapi'ellent ceux des serpents, moins la souplesse
de ces derniers. La mucosité dont se couvre leur peau , en
général de couleur triste, est véritablement dégoûtante.
Cette mucosité les fait échapper tacitement des mains lors-
qu'on veut les tenir. Les mœurs de l'anguille sont d'ailleurs
analogues à sa tournure suspecte : nageant avec autant de
facilité en arrière qu'en avant , le plus souvent rampant au
fond des mares sur la vase qu'elle sillonne ; nocturne, sau-
vage , vorace , elle se vautre dans la boue , qui semble être
son élément , afin d'y passer la saison froide , ou pour y
surprendre sa proie. Pendant une grande partie de sa vie ,
elle habite les eaux douces , et fréquente les étangs et les
mares aussi bien que les rivières. Lorsqu'elle ne se tient pas
enfoncée pendant le jour dans la vase, elle se cache dans
des trous qu'elle se creuse près du rivage. Ces trous sont
quelquefois très-vastes et logent un grand nombre d'indi-
vidus à la fois; leur diamètre est petit, et ils s'ouvrent au
dehors par leurs deux extrémités , ce qui permet à l'animal
de fuir plus facilement lorsque quelque danger le menace.
Quand la saison est très-chaude, et que l'eau stagnante des
étangs commence à se corrompre , l'anguille quitte le fond,
et se cache sous les herbes du rivage, ou même se met en
voyage pour aller, à travers les terres, chercher une localité
plus favorable. Elle peut en effet ramper sur le sol à la ma-
nière des .serpents, et rester longtemps à l'air sans périr.
C'est ordinairement pendant la nuit qu'elle fait ces voyages
singuliers ; et quand la sécheresse est extrême, elle s'enfonce
dans la vase pour y rester enfouie jusqu'à ce que l'eau soit
revenue. D'aillems ces animaux ne voyagent pas toujours
seulement pour passer d'un étang à un autre; comme leur
chair prend facilement le goût des lieux qu'ils fréquentent,
il est à croire qu'ils ne sont pas inditVérents à la nature des
eaux qu'ils peuvent rencontrer. C'est probablement pourquoi
on les voit souvent remonter certains ruisseaux ou rivières
en troupes innombrables.
Les anguilles se trouvent dans toutes les eaux douces de
l'univers : le Gange en fournit ; des voyageurs en ont trouvé
dans l'ilo de France , où elles deviennent énormes. Le Vc^ja
600
ANGUILLE — AINGUSTURE
eu est tout ron;pli. Les lacs de la Prusse Ducale prissent
pour louruir les ]ilus grosses. L'Islande et le Kanistcliatka
en ont également. Nos mares en sont abondamment peu-
pK'Cs. Pour peu qu'on creuse un puits ou môme un trou
<Ians les landes du midi de la France, et qu'il s'y rassemble
quelques [)intes d'eau , des anguilles ne tarderont pas à s'y
montrer. Elles s'cni'onccnt dans le sol humide, si cette eau
vient à s'évaporer, pour reparaître dès ((u'elle revient. Les
anguilles d'Angleterre |)6sent fréipiemnient neulkilogrammes.
Les femelles produisent des œufs, qui éclosent dans leur
corps ; et conune les anguilles peuvent produire de tels petits
plusieurs fois par an , et qu'elles sont douées, dit-on , d'une
grande longévité, leur multiplication est extraordinaire, et
on les verrait remplir les eaux si les brochets, les loutres,
les hérons et les cigognes n'en détruisaient une immense
quantité. A leur tour, les anguilles détruisent beaucoup de
poissons. Elles vivent, dans leur jeunesse, de larves, de
lombrics et autres faibles animaux ; puis elles attaquent les
petits poissons et les grenouilles ; enlin , elles finissent par
se jeter sur les carpes, et même, dit-on, sur les jeunes ca-
nards , qu'elles saisissent par les pattes quand ils nagent ,
et qu'elles noient à la façon des crocodiles, pour s'en re-
paître ensuite sous les eaux.
On pêche l'anguille , tantôt à la ligne , tantôt à l'aide de
filets et de nasses. Dans le nord de l'Allemagne, cette poche
se fait sur une assez grande échelle , pour qu'on en puisse
saler et fumer l'es produits. La chair de l'anguille, très-sa-
voureuse quand elle est fraîche, n'est pas aussi indigeste
qu'on veut bien le dire. La peau de ce poisson sert à une
foule d'usages dans la technologie pratique.
Les noms d'anijuilles du vinaigre, de la colle, etc., ont
été donnés à certains animalcules microscopiques , parce
(juc la forme très-mince et très-allongée de leur corps offre
de la ressemblance avec le poisson que nous venons de
décrire. Confondus d'abord avec les vibrions, ces vers
nématoides ont été réunis depuis en un .seul genre , auquel
M. Ehrenberg a donné le nom d'aïujuillule. Les sexes sont
séparés; l'ovaire des femelles contient des œufs, qui chez la
plupart éclosent à l'intérieur du corps de la mère. Une es-
I)èce remarquable, étudiée par Baiier sous le nom de vibrio-
tritici, et qui se trouve dans le blé niellé, jouit de la pro-
priété de se dessécher entièrement sans perdre la vie. On
en trouve des amas considérables dans l'intérieur de ces
grains de blé , où elles remplacent la fécule. Ces anguillules
ofirent l'apparence de fibrilles sèches, jaunàties et cas-
santes ; mais , humectées avec de l'eau , elles se gonflent peu
il peu et ne tardent pas à remplir les fonctions de la vie.
Quelques-uns de ces phénomènes avaient (rappé iS'eedham,
à ([ui Voltaire n'épargna pas la raillerie. De nombreux tra-
vaux ont été faits depuis sur ce sujet, et nous en parlerons
en traitant de la génération spontanée.
ANGUILLE DE MER. Voyez Congre.
ANGUILLE DE HAIE ou ANGUIS. Voijez Orvet.
ANGUILLE DE SABLE. loz/es Équille.
ANGUILLE ÉLECTRIQUE. Voyez Gymnote.
ANGUILLULE. Voyez A.nguille.
ANGUS. Voyez Foiifak.
ANGUSTICLAVE , LATICLAVE. Les Romains
entendaient par cltivi des bandes d'étoffe de couleurs dif-
férentes du fond, appliquées sur les vêtements, soit comme
ornements, soit connue marciues distinctives. On appli-
quait ces clavi sur la funicpie pour établir des distinctions
de classes. Mais ces divisions légales n'étaient pas nom-
breuses. Il n'y avait donc dans le costume (pie Vanyasli-
clave et le laticlave. Le premier se composait de deux
bandes étroites de pourpre placées sur le devant de la tu-
nique ; elles partaient des épaules et allaient juscpi'au bas.
Le laticlave était formé d'une bande sur la poitrine. C'était
la marque distinctive des sénateurs; il n'était permis (ju'à
tux de le porter. Le laticlave se plaçait sous la loge , sans
ceinture, mais on le ceignait avec le manteau militaire, ou
pcnulii. On ornait de clavi d'autres vêtements. Il y avait
des seivieltes et des nappes qui en avaient. La pointa n'é-
tait même qu'une lacerne bordée de daves. L'angusticlave
à bandes de pourpre était en usage en Grèce, chez les gens
riches. Les autres [mrtaient des tuniques à bandes blanches.
A Sparte, les bandes de pourpre étaient interdites. L'angus-
ticlave à Tarente était d'étoffe légère transparente.
ANGUSTURE, nom que l'on donne dans le commerce
à l'écorce du eu s paria ou bonplandia. Les Indiens
appellent cet arbre cuspa. La désignation d'ccorce d'an-
r/7«,s#H;v^ vient (les i;spngnols, et dérive du nom de la viiled An-
goiîtma ou Saint-Thomas, voisine du dc'troit de rOrenoque,
où celti' r.iil)>tajicc (ait un objet de connnerce. Cette écorce
tient aujourd'hui un rang éminent dans la matière médicale.
Conune amer aromalique, elle agit à la manière des toni-
ques et comme stimulant puissamment les organes de la di-
gestion. Elle excite l'appétit , chasse les vents , et combat
l'acidité résultant de la dyspepsie ; c'est un remède très-
efficace dans le dian liée qui provient de la faiblesse des in-
testins , ainsi que dans la dyssenterie; elle offre le singulier
avantage de ne pas fatiguer l'estomac à la manière du quin-
quina; mais elle ne guérit pas, comme ce dernier, les fièvres
intermittentes.
Malheureusement il se rencontre dans le connnerce une
fatisse anyiisturc, peu discernable à l'aspect et par ses ca-
ractères extérieurs. Elle provient du brucea antidysscn-
terica, et l'usage de celle-ci peut être, dans certains cas,
très-dangereux. On y a récemment découvert un principe
immédiat des végétaux {\hbriccine) fort analogue à ki
strychnine, et qui est un poison violent.
Les premiers échantillons d'angusture furent apportés de
la Dominique en Angleterre, en 1778, et l'on supposa que
l'arbre qui la fournissait était indigène de l'Afrique ; mais
de nouvelles importations de la Havane ont fait connaître ,
ce qui a été, au surplus, confirmé par les voyages de Hura-
boldt et de Bonpiand , que ce produit appartenait à l'A-
mérique. L'écorce de la véritable angusture est en mor-
ceaux de différentes longueurs, dont plusieurs sont presque
plats , et d'autres en tuyaux imparfaits de toutes grosseurs.
L'odeur de cette écorce n'est pas forte , mais elle est toute
particulière; la saveur est amère, légèrement aromatique et
durable; elle laisse un sentiment de chaleur et d'irritation
dans la gorge. Les morceaux sont couverts d'un épidémie
rnince, blanchâtre, ridé; la surface interne est lisse, d'un
jaime brunâtre , et la substance intermédiaire d'une couleur
fauve irrégulière et d'une teinture compacte ; cette écorce
rompt court, et offre une cassure serrée et résineuse; elle
se pulvérise facilement, et donne une poudre qui, étant
triturée avec de la chaux , exhale une odeur ammoniacale.
— .^L de Humboldt nous apprend que les capucins de Ca-
talogue , qui possédaient les missions de Carony , prépa-
raient avec grand soin un extrait de cette écorce, qu'ils
distribuaient ensuite à tous leurs couvents de la Catalogne.
L'extrême importance qu'il y a à ne pas confondre clans
l'emploi médical \7l fausse anyusturc a.\cc la vraie a fait
nuilliplierles recherches sur les caractères de la fausse an-
gusture , et on a vraiment sujet de s'étonner des genres dis-
parates (le plantes auxquelles plusieurs auteurs ont cru pou-
voir rapporter celte dernière. Les uns ont dit que c'était
l'écorce du magnolia glauca, ce qui n'est guère probable
d'après les propriétés délétères qii'ellc a manifestées dans
beaucoup de cas; d'autres l'ont attribué au strychnos co-
lubrina, et d'autres encore au strychnos nux vomica.
L'une ou l'autre de ces deux dernières opinions est plus sou-
tenable ; car la fausse angusture est bien évidemment un
poison du genre des strychnos, dnVupastientc. Au surplus,
(|ueile (jue soit la piaule (jui fournit la fausse angusture,
connue elle doit être absolument bannie de la matière mé-
dicale , la seule chose essentiellement utile est de s'assurer
ANGUSTURE — ANHALT
Q'i'on a affaire à rangiiMurc vrnii>. Les rt^actifs cliiiniiiics
olfri'iit vies iiioyeus nomlneux cl certains de distinguer les
deux an>;iistures. Pki.ovzf. père.
AAIIALT {Duchés d' ). Ce pays, qui doit son nom an
château d'Anhait (om hollz, pris du bois), ainsi appelé
de ce qu'il était situe dans la forêt de llarzi^erode, où l'on ne
distingue plus que ses ruines, se compose aiijour l'hui des
deux i]ac\us,i.VÀiihal(-Dessau-Jùrt/ien,eti\\iii/iuU-liern-
bourg, ayant ensemble une superficie d'environ ?,200 kilo-
mètres carrés, et une population de tG8,32:) unies, réparties
comme suit : Anhalt-Uessau-Kœtlien, 1374 kilomètres carrés,
114,830 habitants; Anlialt - Bornbonrg, 820 kilomètres
carrés, et 53,4"5 habitants. Le duché d'Anhalt-Kœllien a
été réuni en 1863 an duché d'Anhalt-Dessau.
Le pays d'Anhait, situé au nord de l'Allemagne, dans la
vallée de l'Elbe, est prestpie entièrement entouré par le ter-
ritoire prussien îles provinces de Brandebourg et de Saxe, à
l'exception d'une étroite pointe, où il conline avec le duché
de Brunswick. Ltibe, la Muldeet la Saale, qui reçoivent
la NVipper, la Bode et la Selke, en sont les principaux cours
d'eau. Le sol en est généralement plat, sauf une petite par-
tie occidentale du duché de Bernbourg, dans laquelle se
prolongent les ramillcations du bas Harz. A l'exception de
la partie la plus septentrionale, il est partout d'une grande
fertilité, et l'on y cultive avec succès le froment, le chanvre,
le colza, les pommes de terre, le tabac, le houblon, des ar-
bres fruitiers de toute espèce, et même, sur quelques points,
la vigne. L'élève des botes à cornes et à laines y est faite
sur une large échelle. Le duché de Dernbourg seul est riche
en productions minérales. L'industrie manufacturière y
est moins avancée que ragrictiiture. Le commerce y est
très-actif. Le chemin de fer de Magdebourg à Leipzig se
croise à Kœthen avec le chemin de fer de Berlin à Anhalt.
Les habitants appartiennent pour la plupart à l'Églisa
évangélique. En î8i8, ils formèrent des assemblées consti-
tuantes, et les princes accordèrent des institutions libérales.
En 1851, le duc d'Anhalt-Dessau abolit la constitution qu'il
avait cédée. Le duc d'Anhalt-Bernbourg garda en 1850
une constitution qui consacrait une monarchie représen-
tative et donnait un député nommé à l'élection directe
par 3,000 habitants. Déjà, en 1848, les habitants des
trois duchés avaient désiré une constitution commune; en
1859 une patenle des deux ducs l'octroya. D'après cet
acte , les deux duchés sont représentés par une diète
commune, composée de douxe députés de l'ordre équestre,
de douze députés des villes, et de douze députés des cam-
pagnes. Les familles nobles nomment les premier* ; les
bourgmestres de Dessau, Zerbst, Kœthen et Bernbourg
sont les députés des villes , avec huit membres nommés par
les conseils municipaux; les maires des communes rurales
nomment les députés des campagnes. Les vingt-quatre
d. putes d'Anhalt-Dessau-Kœthen forment séparément la
diète spéciale de ce duché ; les dpuze autres forment sépa-
rément la dièfe d'Anhalt-Bernbourg. Ces deux diètes ne se
réunissent que pour s'occuper des lois modifiant la cons-
titution, établissant de nouveaux impôts ou relatives au
droit de propriété. Les diètes spéciales votent les budgets.
Les unes et les autres doivent être réunies au moins tous
les trois ans. Elles ont le droit de présenter des vœux et
des propo^^itions. La jouissance de certains domaines et
privilèges, le droit de convoquer les états et de diriger les
institutions communes aux duchés, constituent le xciiiorat
de la maison d'.\nlialt. Il passe toujours au plus Agé des
ducs régnants. En ce qui touche l'administration civile et
judiciaire, il n'y a pour les duchés qu'un seul et même
conseil ressortissant, ainsi que les maisons (Mincièros de
Schvvartzbourg, à un tribunal supérieur d'appel établi à
Zerbst. Les rapports diplomatiquesdesdeux maisons d'Anhait
avec les princes étrangers ont également lieu par l'inter-
médiaire d'un seul et même représentant : ces relalioas sont
nier. DK LA (;o.^vtl;SvTlo^. — r. i.
COI
permanenl.-s avec la Prusse, avec rAufriche et la diète
fédérale, dans les délibérations de laquelle elles partagent
une voix avec les duchés d'Oldenbourg et de Schwartzbo'urg.
A.MÏ ALT (Maison d'). Le premier domaine do lamaî-
son d'Anhait lut Ballenstedt avec le terriloire qui en dépend,
el riiistoiiecite l';sicodeBallens(edt,qui vivait vers l'an 940
comme la souche de celte famille et la tige des Ascaniens
( voyez Ascanie). Ce comte hérita, en l'an 1031, de sa mère
llilda, issue des margraves de l'ouest, de biens immenses
situés entre l'Elbe et la Saale, et fut, dir-on, l'undes princes
les plus riches de .son siècle. Un de ses descendants , le
comte Othon, père d'Albert l'Ours, qui , sous le règne de
l'empereur fleuri V, avait pendant quelque temps été duc
de Saxe, joignit à ses possessions héiéditaiiesd'Aschersl(-ben
et de Ballenstedt, comme chef de la maison d'Ascauie, une
partie de^ terres de la maison de Billung, dont hérita sa
femme Elike, fille ainée du duc Magnus de Saxe, de la dy-
nastie des Billung, mort en l'an 11(J6 sans laisser de descen-
dants mâles. Cet héritage fut l'origine de luttes et de guerres
aussi longues qu'opiniâtres entre la maison d'Ascauie et la
maison des Guelfes, parce que Wiilfide, fille cadette du
duc Magnus, avait apporté à son époux, le duc Henri le
Noir de Bavière, l'autre partie des terres allodiales de la
maison de Billung, et qui en était aussi la partie la plus con-
sidérable. Cet Othon prit le premier le titre de comte d'As-
canie et d'Aschersleben. Son (îls, Albert 1 ' 0 u r s , qui ac-
quit en 1134, la Lausilz et la marche de SoUwedel, et qui
l'accrut encore de la marche centrale à la suite de guerres
heureuses contre les Wendes, devint premier margrave de
Brandebourg, et arrondit encore ses possessions par l'ac-
quisition d'Orlamunde, de Plautzkau et de propriétés im-
portantes en Thuringe.
Albert l'Ours est incontestablement l'une des plus grandi s
figures historiques de tout le moyen ûge. Il mourut le 18 no-
vembre 1 170. De ses sept fils, deux, Siegfried et Henri , em.
brassèrent l'état ecclésiastique. L'aîné, Othon, succéda à
son père dans la marche de Brandebourg et dans la marche
de la Saxe septentrionale; Hermann hérita du comté d'Orla-
munde. Albert eut en partage les domaines d'Aschersleben et
de Ballenstedt; mais il mourut sans laisser de postérité ;
Dietrich hérita du comté de Werben , provenant des biens
allodiaux de la maison de Billung ; et enfin Bernliard eut
pour sa part Anhalt. Othon et Hermann moururent sans
postérité, et Bernhard devint la souche de la maison d'An-
hait actuelle. U fut l'ennemi déclaré de Henri le Lion :
aussi, quand on partagea les domaines de ce prince, reçut-
il (1180) la partiequi lui en avait été promise; d'où il prit
dès lors le titre de duc de Saxe, Il mourut en 1212. Ses
terres furent partagées entre ses enfants, dont l'aîné, qui
prit le premier le titre de prince, eut pour sa part Ascliers-
leben et les domaines de la maison d'Anhait. Le puîné, Al-
bert, eut pour la sienne la Saxe.
C'est avec ce Henri que commence l'histoire bien authen-
tique du pays d'Anhait, qui pour la première (ois apparaît
comme État indépendant. A sa mort, arrivée en 1251,
Henri laissa trois fils : 1° Henri II, dit le Gros, qui eut
pour sa part dans l'héritage paternel Ascliersleben , le Harz
et les domaines de Thuringe, et fut la souche de la ligne
d'Aschersleben, qui fleurit jusqu'en 1315 ; 2° Bermiard ,
qui hérita de Bernbourg et de Ballenstedt, et devint ia
souche de la vieille ligne de Bernbourg, laipielle sub-
sista jus(pi'en l'an 1408 ; 3' Siegkried, lequel eut en par-
tage Dessau, Kœllien , Koswig, eS Roslau , et fut la souche
d'une troisième ligne, qui en 1307 augmenta ses posses-
sions de la seigneurie de Zerbst, en 1370 du comté de
Lindau , et qui en 1390 se subdivisa à son tour en deux
branches, celle de Zerbst, éteinte en 1526, et celle cfe Des-
sau, aujourd'hui subsistante.
Les (irinces les plus remarquables de ces différentes li-
gnes furent: 1° dans la ligue d'Aschersleben, Henri iî^
7t;
602 ANH
dit le Gros , déjà mentionné , célèbre par la lutte qu'il sou-
tint avec le duc de Brunswick contre la Misnie; et ses
deux (ils, HiiSRi 111 et Othon \" , ce dernier illustre sur-
tout par SCS guerres contre le Brandebourg et le Brunswick ;
2" dans la vieille ligne de Bernbourg , Bcmhard VI , le
plus célèbre de tous, qui en 1426 unit ses forces à celles
de la ville de Magdebourg pour combattre les hussites ,
mais en (jui s'éteignit la ligne dont il était le représentant;
.■4° dans la vieille ligne de Zerbst, son fondateur, Sieg-
nuF.D 1", connu dans l'histoire par sa grande piété, et dont
le fils, Aluekt V", mort en 131G, proscrivit l'usage de la
langue slave devant les tribunaux ; puis les fils de celui-
ci, AlueiîtH et Waldem.uî r'';dans les lignes collatérales,
^VoI.^■cANC, et Georges, né en 1507 et mort en 1553 , à qui
Luther confia les fonctions de coadjuteur évangélique de
Mersebourg.
La réunion des différentes possessions de la maison d'An-
balt sur une môme tête eut lieu en 1570, sous le règne de
JoAciiiM-liiiNEST, mort en 158C. Ce prince donna au pays
une nouvelle organisation judiciaire et administrative, et fut
le premier qui introduisit l'usage de convoquer régulière-
ment l'assemblée des états du pays. 11 eut sept fils , dont
deux moururent avant lui ; les cinq autres se partagèrent
en 1G03 l'héritage paternel.
L'aîné, Jean-Georges, eut pour sa part Dessau; le puîné,
CiiuisriAN, Bernbourg; le quatrième, Rodolphe, Zerbst; le
cinciuième, Louis, ICœthen. Le troisième. Au glste, renonça
à sa part moyennant le payement d'une somme de 300,000
thalers, et à la condition qu'en cas d'extinction de la des-
couilance directe de l'une de ces quatre lignes , lui ou ses
descendants lui succéderaient. Le cas prévu se présenta dès
l'an IG65 , et les fils d'Auguste héritèrent à ce moment des
domaines et souveraineté de la ligne de Kn-then. Ce fut
ainsi (jue la maison d'Anbalt se trouva divisée en quatre
l)r;!nches collatérales : 1° la maison de Dessau ; 2° la mai-
son de Bernbourg; 3° la maison de Zerbst, qui s'éteignit
dans la personne du prince Frédékic-Alcuste , en 1793 ,
époqiic où ses domaines firent retour aux trois autres lignes,
tandis que la seigneurie d'Ievc;- passait à l'impératrice Ca-
Ihcrine H de Russie, et plus tanî à la maison de lloWtein-
Gottorp, brandie d'Oidenbourij ; 4''eurm la maison de Kœ-
tlien, éteinte en 1847.
A la fin du seizième siècle, les différents princes de la
maison d'Anbalt embrassèrent la religion réforuiée, et
en IGOO se (irent admettre dans l'union. A l'effet d'éviter
des movcellemenîs ultérieurs de leurs États reipectifs , les
différentes lignes de cette maison introduif-ircnt successi-
vement, dans la seconde moitié du dix-septième siècle, le
droit de primogéuiture pour le partage des héritages.
Kn ISOC im décret de l'empereur François, en date du
13 avril, accorda aux princes de h maison de Bernbourg
le titre de ducs. En 1S07 les trois mai^•o!ls entrèrent dans
la Confédération du Rhin, à titre de princes souverains et
indépendants; celle de Dessau conservant le titre de prince,
et celle de Ka'uica prenant le titre de duc. En 1814 elles
firent partie de la Conlédération germanique, et toutes trois
en 1828 accédèrent à l'union des douanes allemandes.
En 1836 les trois ducs régnants s'entendirent pour fonder
un ordre de chevalerie commun k leurs trois maisons, sous
la dénomination d'ordre ûWlOcrt l'Ours. Il est partagé en
trois classes; le doyen des ducs régnants en est de droit le
grand-maître.
Ligne d'Anhalt-Desscnt. — Jean-Georces I", mort en
1G1S, eut pour successeur son fils aîné Jean-Casimii! , mort
en IGGO; lepuiné, GEoncr.s-AuiDEnT, eut en partage Wd-rlitz,
([ui ;\ sa mort, arrivée en lG'i3, fit retour à la maison de
Dessau. Sous le règne de Jean-Casimir le pajs d'Anbalt
eiit horriblement à souffiir des dévastations ([ui furent la
suite de la guerre de Trente Ans. Son fils et successeur,
Je.v>-Geokces II, bon prince et général de talent, mort en
lLT
1G93, construisit le chûteau de iSischwitz, qu'il appela Ora-
nienbaum , ainsi que la petite ville qui s'éleva peu à peu
sous ses murs, en l'iionneur de son épouse, née princesse
d'Orange. Il eut pour successeur son fils Léopoi.d, si célèbre
sous le nom de viexix Dessmi. Le fils aîné de Léopold ,
Guillaume-Gustave , qui , par son mariage secret avec la
fille d'un brasseur , devint la souche des comtes d'Anbalt ,
mourut en 1747, avant son père, lequel eut pour successeur
son fils cadet , Léopold-Maxisiilien. Celui-ci , comme ses
frères Dietrich (mort en 17G9), Eugène et Maurice, se dis-
tingua au service de Prusse pendant la guerre de Sept Ans,
et mourut en 1751. Il eut pour successeur son fils cadet,
LÉopoLD-FKÉni'iuc-FRA.NÇois; son (ils aine était mort en
1814. ALéo|)old succéda, en 1817, son petil-fils Frédéric-
Léopold, né le t" octobre 1794, m;irié en 18 18 avec la prin-
cesse Frédériqae, fille du prince Louis de Prusse, morte •
en 1850. Le fils unique et héritier du duc, Léopold-Frt'di'ric-
Fraiiçois-^Jicolas, né en 1831, a épou-é en 185i une princesse
de Saxe-Altenbourg, dont il a <leux fils et une fille. Des trois
frères du duc Léopold, Gt'OiHes-Bernard, né en 1796, Fré-
déric-Au.i;uste, né en 1799, et Guillaume-Woldemar, né en
1807, le premier a épousé morganaliquement la comtesse
de Reina, née Erdniannsdorf; le second a épousé la fille du
landgrave Guillaume de Ilesse-Cassel; le troisième a épousé
morganatiqui'uient une baronne de Stolzenberg.
Ligne cPAhlialt-Iiernbourg. — Christiam r'"", mort en
1630, fut longtemps éloigné de ses États. Partisan de Frédéric
le Palatin, sous lequel il fut gouverneur de Prague , il dut
prendre la fuite en IG20 et errer dans diverses contrées
jusqu'à ce que la S ixe et le Brandebourg eussent réussi à le
réconcilier avec l'empereur. Il eut pour successeurs ses fils
CiiRisTi,\a\- II, mort en 1G56 , et Frédéric, mort en 1G70,
lesquels partagèrent leurs domaines entre les lignes de
Bernbourg et de Harzgerode; mais cette dernière s'étant
éteinte en 1709, dans la personne de Guillaume, fils de
son fondateur, mort sans laisser de descendance, ses do-
maines iirent retour à la branche de Bernbourg. A Chris-
tian II de Bernbourg succéda son fils Victor-Amédée, mort
en 1718 : ce fut lui qui, en 1677, introduisit le droit de
primogéniture comme devant ôtre à l'avenir le fondement
du droit de succession dans la maison d'Anhalt ; cependant
à sa mort il laissa encore à son fils cadet le bailliage d'Hoym
et d'autres seigneuries ; mais sous la suzeraineté de Bern-
bourg. Il eut pour successeur à Bernbourg son fils aîné
CnAKLES-FRÉDÉRic, mort en 1721 : ce prince avait épousé
en secondes noces la fiUe du chancelier d'État Nussler, que
l'empereur éleva à la dignité de comtesse de IJallens/.edt,
sans que les enfants nés de cette union pussent avoir des
droits de succession à la principauté de leur père, à la mort
duquel ils prirent le titre de comtes de Bicrenfeldt. Il eut
pour successeur son fils aîné, issu de son premier mariage,
Victor-Frédéric, mort en 1765, et auquel succéda son fils,
Alexis-Frédéric -Christian. Ce prince divorça en 1817
d'avec la princesse ?,înrio-Frédéri(iue de Iles-^e, et épousa
en 1813 une demoiselle de Sonnenberg, qui prit le titre de
madame de Hoym. Cette dame étant ven.se à mourir dans
l'année, il s'unit, également en mariage morganaticpie, à sa
sœur, qui se fit aussi appeler madame de Hoym. 11 est
mort en lS3't. Son fils unique Ai.exaxdue-Ciiarles, né en
1805, lui a succédé; il est marié depuis 1S34 avec la prin-
cesse Frédérique de Holstein-Scnderbourg-Gluksbourg;
mais cette union est juscpi'a présent demeurée stérile . et
cette ligne menace de s'éteindre.
Ligne d'Anhalt- Kœihen. — Louis, son fondateur, eut
pour successeur, en 1G50, son fils, alors encore mineur,
Guillaume-Louis, lequel mourut en 16G5, «ins laisser «le
descendance. Kdllien passa donc , aux termes de l'arrangc-
} ment conclu en 1603 entre les cinq fils de Joacliim-Erncst,
I an\ descendants du prince Auguste, son troisième lils, les
' princes Lererkciit et E.mmvnuel, qui avaient iiérité de
ANIULT - AIVIMAL
603
leur père (Ui bailliage de PiotzRau, cédé à son frère par
Cliristian île Beriibouri; , et ([ui <)ès lors lit de nouveau re-
lonr à la maison do Hernbonrj^. Lebereclit niouriit sans en-
fants, CI) IC69, et Emmanuel en 1G70. Il eiil pour siia-es-
seur son (ils posthume, Emmamtl-Lebf.ukciit, (]ui ne pnt
gouverner qu'à partir de 1092. Ayant atxordé an\ protes-
tants le libre exercice de leur culte dans ses Étals, il s'at-
tira par cet acte de tolérance une foule de tracasseries
qu'auj;inenta encore son rnariaL'e avec Gisèle-Agnès dn
Rath. Il mourut en 1704, et eut pour successeur son lils
aine, LÉ0P0I.D, mort en 1728, et son fds puîné, Auguste-
Louis, mort en t755. Le lils et successeur de ce dernier,
CuAiîLES-G(.or>CES-LEPEKEcnT, feld-marcclial au service
de l'empire, mourut à Semlin , dans la guerre contre les
Turcs. Sou fils et successeur, AucusTE-CnuisTiAN-Fr.ÉnÉRic,
quitta le service d'Aulriclio en 1797 avec le titre de (eld-
marèclial. Grand admirateur de Napoléon , il voulut tout
organiser, en 1810, dans son petit État, sur le modèle
de l'administration intérieure de la France. Il commença
donc par le diviser en deux départements, que plus tard il
lui fallut refondre en un seul, créa un conseil d'État, in-
troduisit dans les tribunaux le Code Napoléon, et institua
en 1811 nu ordre du .Mérite militaire. Ces maladroites imi-
tations ne lui survécurent pas, et il mourut en 1812. Il eut
pour successeur le fils, encore mineur, de son frère, Louis,
mort en 1818, en qui celte branche s'est éteinte. Les do-
maines de la mai.son d'Anhalt-Kœthen ont alors passé à une
branche collatérale, celle d'Anhalt-Kœthen-Pless, repré-
sentée par Ferdi.nand, général au service de Prusse. C'est
ce prince qui en 1825 embrassa avec éclat à Paris la re-
li';ion catholique, de cnurert avec son épouse; conversion
qui fit beaucoup de bruit à l'éfioque où elle s'opéra. Le nou-
veau duc bâtit à Kœthen une église catholique, ety fonda
un couvent des frères de la Miséricorde , ainsi qu'une
toule d'institutions contraires à l'esprit du temps, mais qui
n'ont eu aucun résultat politique. Ce prince mourut sans
héritiers directs en 1830. Son frère Henri, né le 30 juil-
let 1778, lui suQpéda; Louis, frère puîné de ce prince, étant
mort sans enfants, en 1842, quand le duc Henri mourut, le
23 novembre 1847, sa branche s'éteignit. 11 avait épousé en
1830 Anguste-FrMériqiie- Espérance, lille de Henri XLIV,
prince de Reuss-Schieiz-Kœstritz. Ses États ont été réunis
à ceux de la branche d'Anhalt-Dessau en 1853.
AXJîîXGA. Cet oiseau, de l'ordre des palmipèdes, ha-
bite les contrées les plus chaudes et les mieux arrosées des
deux continents. Les aidiingas ont des membranes aux
pieds comme les canards, et cependant ils perchent sur
les arbres élevés et y établissent leurs nids. Ils ne marchent
jamais sur la terre, et s'ils quittent les arbres, c'est ponrse
jeter à l'eau. Ces oiseaux sont remarquables surtout par leur
cou long et grêle et la petitesse <le leur tête, ce qui leur
donne l'apparence d'un serpent enté sur le corps d'un oi-
seau, d'autant plus ipi'ils imprimera à ce coudes mouve-
ments parfaitement semblables à ceux d'une couleuvre. Les
anhingas se nourrissent de poisson. Leur peau est très-
é[)aisse; leur chair a un goût d'huile désagréable.
ANHYDRE (du grec à privatif, et <i6a)p,eau). Ce mot
est appliqué en chimie pour désigner tout corps qui ne con-
licnl [las d'eau. En minéralogie, ou s'en sert en parlant de
tout minéral privé naturellement d'eau de ciistalli.sation.
AI^'HYDRiTE, chaux snliatce anhydre.
AI\1, genre d'oiseau de l'ordre des pics. Les anis vi-
vent lians !es climats les plus chauds du nouveau continent;
ils sont .si faibles qu'ils peuvent diflicilenicnt soutenir le
vent; le-s ouragans en font périr un gian;l nombre. Leur
naturel est très-pacifique et liès-aimaiit; le même nid sert
Ô plusieurs femelles à la fois: les dernières venues l'agran-
dissent pendant que les autres couvent leurs œufs." Quand
les petits sont éclos, ils reçoivent indistinctement des soins
de toutes les mères; les frères restent toujours unis, soit
en volant, soit en .se reposant. L'amour, la jalousie, la faim,
rien n'est capable de troubler l'admirable accord qui règne
sans cesse parmi eux.
AI\1, ville de l'Arménie ottomane, sur les bords de l'Ar-
patchaï, ancienuH capitale de rArmcnie, prise en 1045 par
les Grecs, et reprise sureux par Alp-Arslan en 107l, a été dé-
truite en 1313 par un tremblemeut de terre. On y voit des
ruines curieuses. Le palais des anciens rois d'Arménie, orné
de sculptures et <le mosaïques, est bien conservé. Les Turcs
ont augmenté les fortifications de cette ville, située sur la
frontière russe. *
AMAI\ ( Détroit d'). Foyes Bering ( Détroit de ).
Al\lCH (PiEiiRE), né en 1723 à Ober-Perfuss , près
d'Inspruck , travailla aux champs, à l'exemple de son père,
jusqu'à l'âge de vingt-huit ans; mais dès sa première jeu-
nesse il avait montré du gofit pour les sciences. Les jé-
suites d'Lisprucls lui donnèrent des leçons de mécanique et
de mathématiques, et il parvint à construire un globe céleste,
un globe terrestre et divers instruments de mathématiques.
L'impératrice Marie-Thérèse, à qui ses maîtres le recom-
mandèrent, chargea Anich de dresser une carte du Tyrol
septentrional. La superstition de ses compatriotes rendit
ce travail fort difficile. Enfin la carte fut achevée, mais
on la trouva trop grande à Vienne, et Anich dut la réduire
en neuf feuilles. Quoiqu'il s'appliquât avec beaucoup d'assi-
duité à ce nouveau travail, il mourut avant de l'avoir achevé,
le f"" septembre 1766. La carte parut en 1774 , sous ct5
titre : Tyrolis Chorographice deUneata à Petro Anich
et Dlasio H ueber curante Ign. We'mhart. . *
ANICROCHE, royes Difficulté.
ANSL, nom que l'on donne aux Antilles à l'indigotier
franc. Voyez Lndigotier.
ANSLLEROS, nom donné en Espagne, pendant la
révolution de 1820, aux hommes modérés du parti qui avait
provoqué et amené le retour du système représentatif et
proclamé le rétablissement de la constitu'.ion des certes. Ils
avaient le plus d'influence, occupaient les principales places,
dirigeaient l'assemblée et avaient à leur tète Arguelles,
Marti nez de la Rosa, Morillo et San-Marliu.
ANIMAL (du latin anima, vie, souille). Au [uemier
aspect, rien ne semble plus facile que de définir l'animal :
être organi.sé , individuel, qui .se meut et qui sent, vc^ut ou
."^e détermine. Certes, un quadrupède, un oiseau, un reiilile,
un poisson , un insecte, etc., sont bien évidemment des ani-
maux ; ils se meuvent , ils sont sensibles et jouissent d'une
sphère d'activité spontanée, quoiqu'à divers degrés; mais un
colimaçon, une hnilre, un vermisseau, sont beaucoup moins
sensibles, moins animaux. Enfin, les eaux contiennent une
foule d'éires ambigus et de formes assez bizarres, par exemple
des oursins et des étoiles de mer, des anémones et orties
marines; les coraux sont habités par de petits êtres, et les
inlu.sions aqueuses fourmillent de produits microsco(»i-
ques dans lesquels on découvre bien un mouvement spon-
tané , qui paraît dépendre d'une volonté pour se détourner
des obstacles, mais dans lesquels on reconnaît à peine les
indices d'une sensibilité plus ou nioins obscure. So!il-ce
encore des animaux? En suivant notre principe, que la
seule sensibilité constitue Vessence de l'animalité, ils
sont donc animaux, s'ils sentent. Mais en poussant nos
recherches plus loin, nous trouverons d'autres ôlres qui se
meuvent comme s'ils sentaient. Ainsi, la plante sensitive
{mimosa jmdica) ferme .sou feuillage, plie .ses rameaux
lorsqu'on la touche. Une dame anglaise a trouvé , près des
rives du Gange, une espè'ce de ?^,xMom[hedysarumgirans)
dont les petites feuilles s'agitent continuellement d'elles
.seules lorsqu'il fait chaud , comme pour s'éventer. D'au-
tres plantes manifestent aussi quelques mouvements quand
ou touche certaines parties, telles que leurs étamines, dans
le biopfiytum {averrhoa carambola ), Voxalis sensiiiva,
plusieurs cassiu, etc. Cependant ce sont évidemment des
7C.
fiOt
idanles par leur conformation . D'autres productions , telles
(jne (les conlerves , des treincUes, des c/iarn, paraissent
jouir (1(! quelque inobilitc'" ; on connaît surtout le mouve-
ment spontané des oscillaires (oscillafoires de Vaiiclier),
espiVes de conferves qui s'a^iitent , non quand on li'S tou-
elie, mais d'elles seules, dans les temps chauds. Différentes
plantes d'ailleurs exée\itent des mouvementstrès-apparents,
qu'on attribue à rirritai)ililé, c'est-à-dire à la contraction
de leurs (il)res. 11 y a des feuilles et des ileurs qui se closent,
soit par l'absence delà lumière, soit pardes contacts qui les
blessent ; les directions des tiges, des racines , des feuilles,
le déploiement de certaines parties, surtout des organes de
reproiluction, et leurs fonctions manifestent chez ces êtres
des actes de vie analogues à ceux des animaux.
Mais où cesse le végétal et oii commence l'animal? Dans
cet examen, il s'agit d'abord de déterminer si \ç.mouvcment
est le caractère distinctif de l'animalité, ce qui ne saurait
élre, puisque tant de plantes en offrent des exemples. En-
suite il faut considérer ce qu'est la sensibilité en elle-
même : c'est la faculté d'éprouver du plaisir et de la dou-
leur. Peut-on dire de ces plantes qui se meuvent à quelque
occasion, qu'elles ressentent du plaisir et de la douleur,
qu'elles ont la conscience de ces impressions ? Rien ne le
démontre. 11 n'est permis qu'aux poêles de i)lacer des
dryades dans les chênes et de prêter une âme au narcisse
s'admirant dans le cristal des fontaines. Les causes du mou-
vement <les plantes paraissent fort différentes de celles de
la sensibilité animale. Le vtgétal n'a point <le volonté : il
n'agit qu'en automate, et ne se meut qu'autant que le dé-
ploiiMiienl de son organisation ou les circonstances de sa vie
le forcent. L'animal, an contraire, si imparfait qu'il soit,
riant sensible ilans ses diverses parties charnues, veut ou
aspir- à sou bien, et fuit le mal.
Si l'on convient généralement que les plantes ne sentent
pas, quoiqu'il soit difficile d'expliquer comment plusieurs
d'entre elles se replient lorsqu'on les touche, tous les ani-
maux ont-ils la sensibiUlé? Si cela n'est point douteux pour
les espèces les plus perfectionnées, dont le système nerveux
est apparent, comme dans tous les vei'tébrés et chez les
mollusques, les crustacés, les insectes, les vers, comment
sentiront les zoophytes, sans système nerveux apparent? Ils
manquent d'une tête, d'un cerveau ou centre sensitif,
comme en ont les précédents; mais ils palpent, ils éprou-
vent les impressions du tact ; leur chair est contractile ou
irritable, comme l'est encore la qiieue du lézard récemment
séparée du tronc. Ainsi l'influence du cerveau n'est point
indispensable pour constituer la sensibilité dite organique. Il
suffit qu'il puisse exister des molécules ner^•euses très-fines
pour animer les tissus. Ce n'est pas la conscience ni la con-
naissance d'une impression qui détermine la contraction
des organes animaux, mais le sentiment local suffit pour
opérer involontairement même des mouvements musculaires.
Un zoophyte peut donc sentir un contact, sans cerveau,
quoiqu'il ne puisse pas connaître les rapports ni les juger.
On doit donc convenir que la sensibilité est l'essence de
l'animalité, et non pas seulement Virritabilité des libres,
comme l'ont dit Ilaller et ses sectateurs, puisque les végé-
taux possèdent celle-ci, et qvi'ellc est indispensable à tout
être vivant. Aucune fonction d'organe, en effet, ne pourrait
s'exécuter dès l'état de graine ou d'oeuf et d'embryon, sans
le jeu de celte irritabilité mise en action dès la naissance.
L'animal est un être actif; la plante, un corps passif. Au-
cune plante ne peut sortir d'elle-même du sol dans lequel
elle a pris naissance; l'animal change de place, les espèces
les [ihis sédentaires ont pu s'étendre ailleurs. Une plante,
étant insensible, ne peut pas se mouvoir; car comment
agir lorsqu'on n'a ni sens pour se diriger, ni instinct pour
giuder ses actions, ni faculté de connaître? Ne pouvant,
in.me l'animal, chercher au loin sa nourriture, il faut qu'elle
AMMAL
soient placés à l'evtérieur. Afin de se trouver en contact
plus immédiat avec l'aliment ; il faut que ses racines s'éten-
dent sous la terre, ses feuilles dans les airs, et que la ma-
tière alimentaire pénètre ou soit absorbée par tous les po-
res. Tout au contraire, l'animal étant sensible, jouissant de
la faculté de se mouvoir, et ayant des sens, il peut distin-
guer ce qui lui convient de ce qui lui est nuisible; il n'a
donc pas besoin que l'aliment vienne le trouver; il faut au
contraire qu'il aille le saisir. Si les organes digestifs de l'a-
nimal eussent été placés à sa circonférence comme dans les
plantes, ils l'eussent empêché de se mouvoir : il n'eût pas
pu recevoir une assez grande quantité de nourriture à la fois.
Il aurait fallu d'ailleurs qu'il fût plongé au milieu de ses
aliments pour les absorber de tous côtés, ainsi que les plantes,
ce qui était incompatible avec la mobilité et la .sensibilité,
et ces deux fonctions de la vie extérieure n'eussent pas pu
s'exécuter. La nature a donc dû placer à l'intérieur du corps
des animaux leurs viscères digestifs, et à l'extérieur les
organes des sens et de la locomotion.
Ainsi, la position des organes de nutrition, centrale chez
les animaux et extérieure chez les végétaux, constitue en-
core une différence capitale. On a dit, en effet, que l'animal
à cet égard était une plante retournée. Les racines suçantes
des végétaux sont plantées dans la terre, celles des animaux
sont dans leurs viscères intérieurs et leur estomac. Cet ar-
rangement diminuant l'étendue des organes digestifs chez
les animaux, il doit être compensé par la qualité plus sub-
stantielle des matières nutritives. On observe aussi que les
animaux prennent des aliments beaucoup plus riches en
parties restaurantes sous un petit volume , afin de se mou-
voir plus facilement. Les carnivores surtout ayant besoin
d'une agilité extrême , leurs aliments de chair contiennent
beaucoup de matière nutritive, proportionnellement à leur
masse. Ce sont aussi les animaux les plus perfectionnés
dans leur classe. Leur organisation est plus sensible, leur
substance mieux élaborée ; ils jouissent au plus haut degré
des qualités essentielles à tout animal. Leur vie est plus
énergique, leur intelligence en général plus étendue. IL en
est ainsi des autres espèces qui se substant«nt d'aliments
très-nutritifs, de grains ou semences, d'œufs , de matières
très-élaborées , tandis que les races d'animaux herbivores
ont besoin de vastes conduits pour contenir une grande
masse d'aliments végétaux peu substantiels ; aussi, les ru-
minants et autres espèces lourdes et stupides traînent leur
grosse panse et de larges intestins. Donc, à mesure que les
organes de la vie rc^c/fl/ii'e acquièrent de la prépondérance
dans l'économie animale, les organes de la vie sensitive se
dégradent et s'affaiblissent.
Le tissu des végétaux , formé d'éléments plus simples ,
môme chez les arbres ornés des parties les plus diverses,
n'est guère composé que de fibres entrelacées de lamelles
celluleuses , constituant des rayons médullaires et des tra-
chées. Toute la complication organique se manifeste au de-
hors, ce qui fait que l'anatomie végétale interne se réduit à
peu de chose. On ne peut trouver que dans les organes ex-
térieurs des caractères suffisants pour leur classification
(excepté la division générale en végétaux acotylédones, mo-
nocotylédones et dicotylédones). Parmi les animaux |a
complication des organes est bien plus considérable, surtout
à l'intérieur. Aussi leur anafomie fournit des caractères ex-
cellents pour leur distribution méthodique. Formé à l'inté-
rieur d'organes pour ainsi dire végétatifs et peu .sensibles
(tels que ceux de la nutrition ) , l'animal est, au contraire,
revêtu extérieurement d'organes sensibles et mobiles ou
éminemment animalisés. Or, les animaux ne diffèrent guère
entie eux que par cette écorce d'animalité , moins parfaite
à mesure qu'on descend, depuis l'homme jusqu'à l'animal-
cule microscopique. Dans ces dernières classes on ne trouve
même que les parties les plus essentielles de la vie végéta-
la trouve autour d'elle; il faut que ses organes de nutrition [ tive et quelques indices légers d'animalité. On peut é'..:lusr
ANIMAL
605
ninsi combien un i^trc so montre plu's rn'imaî <\\\m\ aiilic
1111 s'oloii;!U' le plus de lolat végétal. Plus celte enveloppe
«l'animalité sera considérable dans un être, plus il sera élevé
dans l'éclielle de l'animalité. L'homme, par sa nature, est
plus éloigné des végétaux que tout le reste du régne animal.
L'essence de l'animalité consistant dans l'appareil ner-
veux sensitif principalement, tout animal jouit d'un ou plu-
sieui's sens. Le toucli> r est conuuun à toutes les espèces
d'animaux. Cûuiiue le goût est une modilication ou espèce
de toucher plus intime, qu'il est nécessaire pom- connaître
la nature des aliments , les distinguer du poison , il parait
être aussi généralement répandu que le toi.cher dans tout
le règne animal. Les autres sens sont moins héquents ;
ainsi l'odorat, qui existe encore chez les insectes , ne pa-
rait pas connu des mollusques , des vers , des zoophytes.
L'ouïe, qu'on retrouve chez les crustacés encore, et peut-
être parmi d'autres articulés, n'a point d'organes connus
dans toute la foule des animaux inférieurs , ni même de la
plupart des mollusques. Beaucoup d'animaux de presque
toutes les classes, excepté des oiseaux et des poissons, man-
quent'd'organes de la vue. Enfin, le sensorium commune,
qui recueille toutes les sensations particulières et les peut
comparer, ou un vrai cerveau, qui est l'organe central de
la volonté et de l'intelligence, ne se trouve quecîiezles ani-
maux céphalés , et surtout dans la grande division des ver-
tébrés.
Une autre différence entre l'animal et le végétal est que le
premier absorbe par la respiration ( au moyen de poumons,
ou par des brancliies , ou par des trachées, etc. ) l'oxygène
de l'air atmosphérique, ou celui dissous dans les eaux, chez
les races aquatiques. C'est le stimulant indispensable de sa
vie. Plus l'animal respire, plus il présente d'intensité dans
son existence, ou de vivacité et de clialeur. comme le prou-
vent les oiseaux , les espèces à sang chaud , comparées à
celles dont le sang est froid , ou qui respirent moins. Le
végétal, au contraire, absorbe l'acide carbonique de l'air ou
celui qui se trouve dissous dans les eaux ; il rejette beaucoup
d'oxygène , surtout à la lumière , pour s'emparer, soit du
carbone, soit aussi de l'hydrogène de l'eau ; tandis que les
animaux rejettent du gaz acide carbonique formé ou dé-
veloppé dans l'hématose, par la séparation d'une portion du
carbone de leurs aliments. Donc , les végétaux restituent à
Pair atmosphérique l'oxygène qu'y puisent '.es animaux.
La respiration de ceux-ci est une combustion ; le procédé
des plantes est une désoxydation. C'est ainsi que s'établit
une circulation générale dans les divers éléments de notre
globe. Voyez Ain.
Enfin , les animaux présentent tous une organisation spé-
ciale ; tous sont pourvus dune bouche ou orifice par où
pénètrent les aliments, et dun estomac pour les recevoir.
On a considéré plusieurs anin)alcules infusoires comme
agastriques ou sans estomac. Cependant les obsenations
modernes d'Elirenberg, qui a coloré ces animalcules , prou-
vent qu'ils ont des cavités absorbantes. Plusieurs zoophytes
n'ont pas seulement ime bouche , mais beaucoup de suçoirs,
comme les rhizostoraes ou les astomes; il est même des es-
pèces d'animaux parenchymateux , qui n'ont point d'orifice
buccal connu , et qui ne vivent peut-être que par absorption
des liquides nutritifs dans lesquels ils se trouvent; tels sont
des vers et des productions coraliigènes fixées dans un lieu
natal. Mais à ces diversités près, l'animal se nourrit par le
centre et développe ses facultés à l'extérieur; la plante, au
contraire , se nourrit par la circonférence. Elle se détruit
d'abord par le centre; les ani.maux, au contraire, se décom-
posent plutôt par la circonférence. En sorte que les organes
nutritifs , chez les uns comme chez les autres, restent tou-
jours Ici (leiiiiers vivants.
L'animal , d'après toutes ces considérations, peut donc
être défini : nn corps organisé , sensible, volonluiremcnt
mobile ,qui est pourvu d'un organe central de digestion.
Une autre loi romarqualile est que les organes sexuels ou
de reproduction tombent chaque année dans les végétaux,
tandis qu'ils persistent chez les animaux pendant toute
leiu' vie.
Dans tous les êtres organisés , les parties les plus émi-
nemment compliquées ou douées de plus de perfection soiit
jilncées siuiout vers les régions supérieures ou antérieures
de l'individu : tels sont les organes de la frnctilication et
de la llorai.son chez les plantes; chez la phi|)art des ani-
maux au contraire ce sont le cerveau et la moelle é|iinièrft,
ou les principaux troncs nerveux, qui occupent cette place :
ces appareils d'organes impriment le mouvement à toute
la machine, ils en sont la portion la plus délicate, la
mieux élalioree. Chez les végétairx, le maxinuun de leur
élaboration vitale aboutit à la génération, à ileurir et fructi-
(ier. Ils piésenlent leurs lleui's et leurs fruits avec orgueil,
pour ainsi dire , comme ce qu'ils ont de plus parfoit. C'est
là leur tête et leur visage ; ils n'ont pour langage et pour
action principale qu'à faire l'amour. Chez les animaux , au
contraire , ce sont le cerveau , le système nerveux et les
principaux sens qui se rassemblent à la tête et au-devant
de l'individu , avec sa bouche. L'animal semble donc de-
mander surtout à sentir, à connaître , à se nourrir, tandis
que ses organes sexuels sont reculés ordinairement à \me
extrémité opposée et dérobés même à la vue. Si les végé-
taux font parade de leurs amours , les animaux les sous-
traient le plus souvent dans l'ombre du mystère , et avec
pudeur chez plusieurs espèces. Ils ne vivent pas tout entiers
pour la reproduction, comme les végétaux, quoique avec
des organes sexuels permanents ; mais ils ont des époques de
rut ou de chaleur. Ainsi la nature a créé l'animal plus spé-
cialement pour sentir, exercer une vie active par le moyen
du système nerveux ; elle a formé le végétal , au contraire ,
pour fleurir et fructifier.
Plus un animal deviendra sensible , nerveux , intelligent,
plus il sera parfait ; tel est l'homme surtout. Plus un végé-
tal déploiera ses facultés propagatrices, ou produira des
fruits abondants et savoureux, plus il atteindra le faîte de
la perfection qui lui est propre. C'est donc seconder le vœu
de la nature, suivre la route de ses impulsions les plus
nobles , accomplir ses volontés , remplir enfin ses propres
destinées sur la terre, que d'accroître dans l'homme et dans
les animaux domestiques , par l'éducation, les facultés in-
tellectuelles , la sensibilité et toutes les qualités qui perfec-
tionnent les êtres. Eh ! ne portons-nous pas notre admira-
tion et le tribut de notre estime au vrai mérite , à tout ce
qui s'élève à des facultés ou des vertus plus achevées ou su-
blimes, soit chez l'homme, soit dans les autres êtres animés !
Nous tracerons encore un autre caractère distinctif entre
la plante et l'animal à l'égard de leur station. D'ordinaire,
la plante s'élève verticalement , parce qu'elle est enracinée
dans le sol; l'animal , ou du moins la plupart des animaux
se posent horizontalement, par'ce qu'ils marchent, volent,
rampent ou nagent. Il en résulte encoi'e que la structure de
la plante devra présenter des foi'mes circulaires , rayon-
nantes , émanant d'un centre. Telles sont la plupart des
fleurs régulières (et les urégrdières ne sont telles que par
l'inégal accroissement de quelque partie , ou l'avortement
de quelque autre). Les animaux, au conlrair-e, piendr-ont
prescpie tous des formes symétriques, ou seront composés
de deux moitiés pareilles, accolées dans leirr- longueur. Cet
accolement est si réel, dans l'homme lui-même, que sou-
vent une moitié du cor ps tombe malade , ou hémiplégique,
et l'autre reste saine. Cet accolement s'est opéré parcntre-
cr'oisement, puisque les lésions d'un côté du cerveau se font
sentir aux nerfs des meinhr'es du côté ojiposé, et l'on voit
les nerfs opticjues se croiser manifestement, chez les poissons
surtoul. Ce ([rri devient non moins remarquable est que la
forme raycmnanie chez les plantes rassemble les deux sexes
sru- le mêiric individu , savoir, la partie femelle au centre
606 ANIM
médullaire, ol les organes mâles dans la partie ligneuse et
corticale ([ui l'environne. Les animaux de formes circulaires
ne montrent point de sexes distincts, à la vérité, mais ils
doivent ("ire constitués de ces deux genres, jjuisqu'ils sont
hermaphrodites, et se rrproduisent d'eux seuls sans accou-
plement. L'hermaphrodisme, chez tous les Ctrcs organisés,
concourt avec la forme rayonnante, de telle sorte qu'on n'a
jamais trouvé de zoophyte présentant des sexes séparés. Ces
deux éléments de reproduction semblçntdonc ôtre tellement
fondus et pétris ensemble dans l'organisation des radiaires,
que toutes leurs parties ont la faculté de reproduire des in-
dividus semblables à eux, des bourgeons à la manière des
végétaux hermaphrodites. Il n'en est point ainsi des ani-
maux symétriques. Les plus réguliers ( les vertébrés, les ar-
ticulés) portent toujours leurs sexes séparément, im sur
chaque individu ; mais les animaux irréguliers, les turbines,
ou mi'me les bivalves ( rarement réguHers), sont herma-
phrodites. Donc, la loi de symétrie des organes doubles
correspond exactement à celle de la division des sexes chez
les animaux. Parmi les plantes, comme elles n'offrent ja-
mais que des formes plus ou moins circulaires ou rayon-
nantes, l'hermaphrodisme est la loi générale; le petit nombre
de végétaux dioïques que Ion observe ne doivent cette
unité d'un sexe sur la môme tige qu'à l'avortement de l'autre
sexe; l'un s'enrichit aux dépens de l'autre, qu'il absorbe.
En effet, ces végétaux deviennent quelquefois d'eux-mêmes
monoïques, par une abondante nourriture ou la culture,
comme dans les saules , les genévriers , etc. Ceux-ci sont
parfois mâles une année et femelles une autre. Ainsi , la loi
constante de la dioicité des sexes appartient spécialement
aux animaux symétriques, mais l'hermaphrodisme, ou l'état
monoïque, aux plantes et aux animaux de forme rayonnante
comme elles.
Le tissu des animaux diffère de celui des plantes , et la
nature de leurs fibres présente en chacun de ces règnes un
caractère particulier. L'animal a de !a chair , la plante n'a
qu'une organisation fibreuse ou celluleuse , moins souple,
moins extensible , peu ou point contractile. Cette différence
lient à un mode particulier d'assimilation des nourritures
chez les animaux et à leur élaboration organique. La plante,
en effet , subsiste d'éléments plus smiplcs que ne fait l'a-
nimal ; elle peut vivre d'eau , d'air , de carbone divisé ou
du détritus des matières organiques , fumier , terreau , etc.
Elle est donc formée de principes peu compliqués. L'analyse
chimique n'y rencontre d'ordinaire que trois éléments , le
carbone , \ hydrogène et Voxijgène ; elle n'offre que peu
ou souvent point d'azote dans sa composition. Prenant les
[)lus simples éléments de la natm-e , le végétal ne leur im-
prime qu'un i)remier degré de combinaison ; aussi ne par-
vient-il qu'à une organisation peu complexe. L'animal, au
contraire, tire sa première nourriture des plantes (sinon
d'autres anin\aux); il peut donc pousser la composition
])lus loin, par le mouvement organique et les combinaisons
de la vie. Aussi la chimie trouve dans les tissus ani-
maux, outre les trois principes communs aux végétaux, -Je
l'azote en abondance, ou même du phosphore et d'autres
éléments combinés. 11 paraît que c'est au moyen de la res-
piration ou de l'air atmosphérique que le simple herbivore,
tel que le bœuf , s'incorpore l'azote qui constitue , à pro-
prement parler, la chair , la matière animalisée. C'est en
dépouillant cette chair d'azote (en la faisant macérer da:!S
l'acide nitrique), qu'elle retourne à l'état végétal. 11 faut
observer cependant que plusieurs végétaux naissent, connr.e
k's byssus, certains champignons, des sphérics , etc., sur
des matières animales. Les engrais animalisés, les terrains
saturés de débris d'animaux excitent le développement ra-
pide i!e beaucoup de plantes. Il est plusieurs de celles-ci ,
comme les criici/ùrcs , les c/mmpiynons , eic, qui con-
tiennent abondamment de l'azote, cl il parait bien que les
vé"étaux riches en nitrc, comme ceux des genres helian-
AL
Unis et solanum, s'emparent d'une portion azotée des ter-
rains où ils croissent. Mais on peut en conclure , an con-
traire, que la malière azolée des engrais n'entre qu'impar-
failement dans l'économie végétale, puisipi'elie sert plu-
tôt à la production du salpêtre, tandis que les animaux
absorbent l'azote et se rassimilenl abondamment. Les vé-
g('!laux ne prennent donc les éléments des engrais que dé-
sagrégés, ou les décomposent, s'ils sont trop animalisés.
Ix'S végétaux siu'.plilient la nourriture à leur niveau, tandis
que les animaux la surcompo.sent pour l'élever à leur état
de complication. Cc()endant , le lissu vi-gétal possède déjà
l'irritabilité, ou plutôt l'excitabilité, outre celle que mani-
festent beaucou|i d'étamines. Les plantes ont des maladies,
des ulcères, des feuilles uiorliliéesel d'autres trop excitées,
crispées par certains stimulants; jes végétaux les plus exci-
tables devancent les autres en feuillaison , en fioraison, etc.
Les piqûres (les cynips et autres insectes, et le venin qu'ils
injectent dans la plaie d'un arbre, produisent des galles, des
afilux de .'-éve. S'il exivte ime diflérence,elle n'est que dans
la seule sensibilité (jii'éprouve l'animal, tandis que la planta
manifeste une irritabilité simplement organique. La chair a
une vie i)lus développée dans ses facultés que n'en a le
bois ou le tissu végétal, et cette différence tient i)rol)ablo-
ment à la nature chimique plus compliquée de la chair que
ne l'est le ligneux; celui-ci manque, en effet, du principe
animalisant, mal à propos nommé azote ou sans vie. La
plante ne vivant que d'éléments faiblement élaborés , sa vie
et ses organes sont peu compliqués , ont peu de propriétés
spéciales; mais l'animal, se nourrissant de substances déjà
préparées par la végétation, élève la combinaison orga-
nique plus haut , lui imprime des qualités plus actives, la
conlractilité musculaire , \si sensibilité nerveuse.
Le propre de l'animalité consistant dans les facultés de
scnlir et de se mouvoir, ou dans la sensibilité nerveuse et
la contractilité musculaire, il s'ensuit que les /oHC^ioHS
animales seront celles propres à l'appareil nervoix et au
système locomoteur. Celui-ci est formé de la chair des
muscles et du squelette osseux ; son jeu est fondé sur une
mécaniqvie très-ingénieuse de cordes fibreuses ou charnues ,
ou tendineuses, soutenues et fixées par des points d'appi!i
qui sont les os vertébrés ( ou les coques calcaires des Cius-
tacés, des coquillages, à l'extérieur de ces annnaux, ou l'en-
veloppe cornée des insectes). Les fonctions sensoriales sont
ou extérieures, comme celles de nos cinq sens, ou internes,
comme celles des appétits, des désirs ou des passions, et
celles du centre cérébral, qui peuvent réagir sur l'économie,
comme on en voit des exemples dans les effets des pas-
sions et de l'imagination. Les fonctions animales sont inter-
mittentes ou interrompues par le sommeil (car celles qui
s'exercent encore dans les songes sont dues à des réveils
partiels du centre cérébral ).
Dans l'acception commune, on désigne souvent comme
fonctions animales celles qui émeuvent surtout les brutes :
tels sont les appétits de nourriture ou de propagation ; néan-
moins, ces fonctions appartenant à tout être organisé et aux
végétaux même , puisqu'ils aspirent à se nourrir et à se re-
produire , ce sont plus réellement des fonctions organiques.
La première fonction de tout ind'vidn vivant est la nutri-
tion , ce qui con)prend les actions subséquentes et pour
ainsi dire de détail, telles qiie la mastication pour plusieurs
animaux , la succion pour d'autres et Vabsorption chez les
plantes; ensuite la f//yp,';//o?i stomacale, intestinale, la chy-
Uficalion ou la séparation des molécules nutritives de la
masse d'alimenls pris. Le chyle versé dans le sang ou dans le
liquide qui en tient lieu , co;;une la sévc du végétal, il s'o-
père une autre fonction , celle de la circulation sanguine
dans l'animal, séveuse dans la plante , enfin Vli&matose ou
l'élaboration du liquide réparateur de l'économie. .Mais bien
que celte circulation soit complète dans plusieurs espères
(celles à sang chaud), elle n'est que partielle dans les races
ANIMAL
607
plus imparfaites. De im^mc la r>éve dans les arbres ne pré-
sente point une eirciilalion réi^iili^re , ni in/^nie un mouve-
ment periinncnt , ou é;ml , juiisque le froid et la elialeur on
font varier raction, de miMue que le froid suspend la circu-
lation cliez les animaux qui s'engourdi?sent en hiver. A la
suite de C'tte distrihiition du s;hi^ ou de la sève, s'opère
l'assimilation ou la vc^paralion des o.'-ganes ; enlin s'exécu-
tent dans des appareils parlieurers noiumés glandes les sé-
vtrlious de liqueurs spéciaies, bile, lail, urine, salive, etc.;
los ercrcfions, qui rejettent le superflu ou les parties nui-
sililes à l'économie , et celles qui s'usent par le mouvement
de la vie C'est le (K tritus des organes.
Le corps des aniunux présente ui'.e température qui les
fait résister jusqu'à certain point h la congélation dans les
faisons rigoureuses et sous les cl"mats froids. Tous les
animaux et nièuic les végétaux , soit par l'action de leur
organisme, qui enlret^eut un certain développement du ca-
lorique, à cause des iVoîfcments, soit par l'effet des com-
binaisons cliim'ques ou vitales, conservent plus longtemps
la fluidité de leurs humeurs par un gnmd froid que les
mêmes substances à l'état de mort , ou hors du corps vivant.
On a VI! des thenr.omètres , dans le cœur d'un arbre, mar-
quer encore q^ielques degrés au-dessus de zéro dans les
gelées d'hiver. On sait que des salamandres et des poissons
pris dans la g'ace n'ont pas été totalement congelés et ont
l)u être rendus à !a vie. Toutefois, les animaux à sang froid,
c'est-à-dire tous les vers, les insectes, les crustacés, les mol-
lusques, et même les poissons, les reptiles, n'offrent guère
plus de chaleur que celle du milieu dans lequel ils subsistent.
Aussi la plupart, éprouvant le froid actif de l'hiver, s'engour-
dissent et passent presque à l'état de mort. Dans cette saison
au contraire les oiseaux et les mammifères (à peu d'excep-
tions prés) ont un sang chaud , ardent , et leur corps pré-
sente au tact une chale;!r qui s'élève de 32 h SCi degrés. La
différence de cette température est surtout attribuée h l'acte
de la respiration. Cien qu'on ait contesté dans ces derniers
temps que les poumons soient le foyer unique de la chaleur
animale , il n'en est pas moins évident que ce sont les ani-
maux doués de poumons celhileux qui, recevant abon-
damment du sang par r.ne circulat'on complète , développent
le plus de chaleur animale. Sans doute le grand développe-
ment du système nerveux peut a\issi concourir à la caiori-
fication , et il y en a des preuves, puisque les membres
paralysés et insensibles deviennent froids; mais la source
du calorique est d'autant plus abondante que l'aniuial jouit
d'une respiration plus étendue. Les oiseaux en offrent la
preuve. Ainsi , plus un animal respire largement ou absorbe
de l'oxygène atmosphérique, plus il est, pour ainsi parler,
en combustion flagrante, plus il jouit ù'adivité vitale,
d'une grande intensité d'existence , de force et de moî)ilité.
Les oiseaux .sont en général ardents eu amour, très-pétulants
et actifs; leur vie est longue, leur digestion rapide, leur
croissance prompte; ils ont des passions et une sensibilité
très-rcmarcpiables. Au contraire , les poumons làclics ou
vésiculeux des reptiles, qui ne reçoivent qu'une portion du
sang veinei'.x de l'anima!, absorbent peu d'oxygène; ces
animaux sont la phipait lents et engourdis ; il faut qu'ils se
rcciiauffent au soleil pour vivre pleinement ou pour se livrer
à leurs amours. Les mammifères hibeniants, ou qui s'en-
gourdissent par la froidure , tels que les loirs , les marmottes ,
les porcs-épics, etc., n'entrent dans cette toiyiciir qu'autant
que 'eur re?]i!ration s'nflaiblit, s'éteint, et ne fournit plus la
source ardenlc de la chaleiu- animale. Cela est si remar-
qnab'e que les habilants des pays chauds ne présentent pas
plus de cî'.aleur «nimale que les hommes des climats froids.
On voit, au cnulraire, ceux-ci, respirant un air dense et
riche en oxygène, manife-ler une vigueur et une aciivilé
plus fortes , avoir un aj-pélit [lius vif, et le;u- ardeur airo-:-
reuse ou guerrière n'est point engourdie. Tous ces fnits
concourent donc à démontrer que la respiration c-t la pr;!i-
cipale somre de la chaleur animale, et que celle-ci atig-
nieute ou diminue en raison de cette fonction parmi tous
les animaux. Les mouvements de l'organisme s'accroissent
pareillement, et concourent à développer aussi de la chaleur
animale.
La nutrition est encore une sojirce de chaleur; car, après
avoir été bien repu , le corps reprend de la vigueur et de
l'action. Certaines boissons stimulantes, conmie les spiri-
tueux, raniment pronqjtement la chaleur animale en aug-
mentant le jeu des organes internes. Chacun sait combien
le jnouvement musculaire développe de chaleur; au con-
traire, le repos , le sommeil, la langueur des fonctions, cau-
sent le refroidissement.
Nous avons déjà indiqué la distinction de la vie en deux
genres : i^la vie végétative, interne, primordiale, dite
organique par Bichat; 2° la vie externe, sensitive, ou ani-
male, qui n'appartient, en effet, qu'aux animaux, tandis que
la vie organique ou végétative est commune à tous les êtres
organisés, et la seule qui puisse convenir aux plantes. La
vie végétative étant essentielle à tout être, préside sans
cesse à son organisation, à sa nutrition, à l'élaboration des
aliments et à l'accroissement, comme à foutes les excrétions
et expulsions ou renouvillements des parties, enfin à la re-
production des individus. Cette vie végétative ne peut point
être suspendue (h moins que le froid, l'engom-dissement, etc ,
n'arrêtent le mouvement végétal dans l'iruf, la graine ou
l'embryon , ou dans la plante et l'animal torpide , pendant
l'hiver). Elle persiste pendant le sommeil; sa diminution
cause l'atrophie, la vieillesse, tandis que son développement
fait la vigueur du jeune âge. Au contraire, la vie animale
n'ag'tque pendant l'état de veille des animaux uniquement;
elle consiste dans la mobilité musculaire ou contracfililé des
fibres, et surtout dans la sensibilité, la faculté d'être im-
pressionné, soit physiquement par les organes des sens ex-
térieurs, soit moralement par les émotions internes des pas-
sions, des sentiments, des idées. L'animal dormant n'exerce
alors que les facultés végétatives internes : on peut dire
en ce sens, avec Buffon, que la plante ressemble à un ani-
mal dormant; mais l'animal éveillé est un végétal, plus la
sensibihté ; la mobilité n'en devient qu'une conséquence,
puisque nous avons vu le mouvement suivre l'état de la
sensibilité.
Les fonctions extérieures de sensibilité nerveuse et de
mobilité musculaire , qui mettent en rapport l'animal , par
ses sens et ses mouvements, avec le monde externe, ne
peuvent s'exercer siuis rehiche. Elles s'épuisent chaque jour;
leur fatigue , leur Inîermission nécessaire cause le sommeil,
repos réparateur des forces animales. L'homme ou l'animal
endormi perdant en ces instants la sensibilité et le mouve-
ment, rentrent dans la seule vie interne ou organique; ils
ne sont donc plus animaux, ce sont momentanément des
plantes. L'instinct domine la vie végétative , la volonté ou
les fonctions cérébrales impriment l'action à la vie animale.
Dans la veille celle-ci prend l'empire ou la supériorité,
mais pendant le sommeil la vie végétative acquiert plus
de prépondérance.
En résumant tout ce qui précède, nous voyons que les
caractères qui distinguent l'animal de tous les autres êtres
en font une créature toute spéciale , et comme un centre
d'action. Par sa mo'oililé et sa sensibilité, l'animal entre en
com.Tiunication avec notre univers; il réfléchit comme im
miroir, dans ses sensations et ses idées (chez l'homme,
chef et roi de toute l'animalité), toute la nature; il emploie
à sa vie presque tous les éléments ; il parcourt toute la
surface du globe; l'un sillonne les ondes, l'autre fend les
airs ou bondit sur la terre. La progression toujours crois-
sante des fixultés intellectuelles des animaux, ainsi que la
complication d(; leur structure organique, à mesure qu'on
remonte l'écluîHe des espèces de ce règne, est l'acte le plus
u'.orveillcux de la puissance créatrice et intelligente qui
608
gouverne le monde. Qui n« voit , en effet, se développer
successivement dans les moindres espèces de vers, d'insectes,
un système nerveux simple, ensuite divisé en .nœuds ou
ganglions en même nombre (pic les articulations de l'ani-
mal, ou épars chez les mollusques en masses faiblement
associées, puis recevoir une forme plus symétrique dans
\e canal osseux des vertèbres et le crûne des poissons ; enlin
grossir de plus en plus, se renfler en cerveau, à mesure
qu'on remonte, par les reptiles, les oiseaux, à la classe des
mammitères; recevoir enfin son plus vaste développement
au sommet de réclielie organique, à la tète du premier des
êtres, à j-honune, fleur terminale du grand arbre de la vie?
Et à mesure que s'accroît ce système nerveux , qu'il se
déploie dans l'intérieur des animaux progressivement j)lus
compliqués, il projette à la circonf('Mcnce du corps despro-
longe:ncnts ou rameaux pour ouvrir de nouveaux sens, de
nouvelles portes de communication avec l'univers extérieur.
.Aussi, à mesure que les animaux obtieiment un plus grand
nombre de sens et un système nerveux cérébral plus com-
pliqué, la sphère de leurs sensations perçues, des idées (jui
en résultent, s'étend et s'amplifie. Les plus simples animaux
végètent en eux-mêmes par l'instinct, d'autres, plus com-
pliqués, s'épanouissent davantage ; riiomme produit sa sen-
sibilité presque tout>^ au dehors. 11 pousse l'étendue de ses
recherches ou de sa curiosité au delà des astres et à l'in-
finité des espaces et des temps. Quelques pas au delà , il
voudrait s'élancer jusqu'à la suprême intelligence de Dieu.
Chaque animal a donc son propre monde intellectuel en
harmonie avec ses organes et ses facultés. Il ne voit pas l'u-
nivers d'une égale dimension ni sous le même aspect qu'une
autre créature plus ou moins accomplie que lui. Il s'a-
vance sur la voie de l'humanité, de même que les élé.ments
intellectuels de riionune existent déjà ébauchés dans des
êtres inférieurs à nous. Ainsi, chaque espèce d'animal s'é-
tablit , par son propre arbitre , la mesure et la règle de tout
ce qui l'environne. J.-J. Vinicv.
Classification des animaux. L'immense quantité d'es-
pèces dont se compose le règne animal fit sentir de bonne
heure la nécessité d'une classification méthodique , devant
servir de base à la science zoologiqae. IVIais les connais-
sances anatomiques et physiologiques étaient trop bornées
lors des premières tentatives de ce genre pour qu'on ob-
tînt autre chose qu'un simple catalogue divisé en classes
arbitraires. .Ainsi Aristote rapporte d'abord tous les animaux
à deux grands embranchements : les animaux ayant du sang
( vertébrés de Cuvier) et ceux qui en sont privés ( animaux
à sang blanc de Linné). Dans le premier embranchement
le philosophe de Stagyre place tous les quadrupèdes , les
cétacés , les oiseaux , les poissons et les serpents , mais
dans un ordiemal déterminé ; le second est nettement par-
tagé en quatre subdivisions : les mollusques (.\ristote ne
i]orme ce nom qn'k no& mollusques nus), les crustacés,
les testacés (où il réunit nos mollusques teslucés et nos
ichinodermes) , et les insectes.
Linné conserva la division primaire d'Aristote , en chan-
geant les anciens noms en ceux (^animaux à san'j rouge
et animaux à sang W«?ic ; on peut former de ses classes
le tableau suivant :
Slammiféres {quadrupèdes vivipares et
cétacés ).
Oiseaux.
.\ni|)liil)ie3 ( quadrupèdes ovipares et
serpents ].
Poissons.
Insectes { tons les articules pourvus de
niemlircs ).
Vers.
Nous ne nous arrêterons pas siu- lesdélails de cette clas-
sification , qui a dû être piofondément nioililiée dejjuis.
Cejtcnd.inl nous devons faire remar([uer (pi'il ne faut pas
ANIMAL
prendre, dans ce tableau, le mot amphibie avec sa signifi-
cation primitive. Avant Linné on désignait sous ce nom les
êtres les plus disparates ; on voyait réunis dans cette caté-
gorie le castor, l'hippopotame , le lamantin , la tortue , le
crocodile, la grenouille ; et certains auteurs y joignaient
encore l'ordre entier des oiseaux palmipèdes , tels que les
canards et les cygnes. Linné fit cesser ce monstrueux as-
semblage , et forma sa troisième classe par le rapproche-
ment naturel des serpents et des quadrupèdes ovipares ,
amphibies ou non. La dénomination n'était pas exacte, puis-
qu'elle reposait sur un caractère n'appartenant qu'à l'ordre
des batraciens ; du reste, on en peut dire autant de celle de
reptiles , qui lui a été substituée et qui ne convient qu'au
seul ordre des ophidiens.
Quoi qu'il en soit, on reconnaît immédiatement la parenté
de cette classification avec celle des plantes du même au-
teur. Pour les végétaux, Linné forme des classes artificielles,
c'est-à-dire que , posant en principe que tel organe , celui
de la génération par exemple , est le plus essentiel, il réunit
tous les végétaux qui se ressemblent par cet organe, s'inqiiié-
tant peu de l'énorme dissemblance qui .souvent se trouve
dans tout le reste. Le règne anima! était plus connu q-ic le
règne végétal ; aussi ces oppositions sont-elles moins frap-
pantes. Mais en zoologie , comme en botanique , la classifi-
cation linnéenne, qui du reste offre de grands avantages
pour l'étude, ne peut être considérée que comme un système
très-ingénieux sans doute , mais ne répondant pas au besoin
d'une classification naturelle.
Quelle que soit en effet l'opinion à laquelle on s'arrête
sur la continuité ou la discontinuité de la série animale,
on n'en sent pas moins l'utilité d'une classification natu-
relle, d'une méthode qui permette de placer chaque être
entre les deux que nos observations peuvent faire accepter
pour son supérieur et son inférieur immédiats. On com-
prend que pour arriver à ce classement on ne peut se
borner à comparer un seul organe dans toute récheile ani-
male. La complication du problème est teile, que les natu-
ralistes n'ont pu encore parvenir à une solution satisfai-
sante. Nous ne pouvons qu'exposer les tentatives faites par
les successeurs de Linné.
La division adoptée par Cuvier admet quatre embran-
chements :
1° Vertébrés
9." .Aiollusques.
Mammifères.
Oiseaux.
Ilcptilcs.
l'oissons.
' Céphalopodes.
Ptéropodes.
Gastéropodes,
-acéphales.
Branchiopodes.
C.irrliopodes.
3° Articulés.
4° Rayonnes.
' Annélides
Crustacés.
Arachnides.
Insectes.
' Échinodermes.
I Intestinaux.
Acalephes.
I Polypes.
, Infusoires.
Le premier embranchement est le même que celui de
Linné. L'homme et les animaux qui le composent ont le
cerveau et le tronc principal du système nerveux renfermés
dans une enveloppe osseuse , se composant du cràiie et des
vertèbres ; à cette charpente osseuse s'articulent des côtes,
et , au plus, quatie membres ; un système musculaire revêt
les os qu'il fait agir. Tous ont un sang rouge , un cœur
musculaire , une bouche à deux mâchoires horizontales ,
les organes de la vue, de Touïe, de l'odorat et du goût
placés à la région antérieure de la tête ; les sexes sont tou-
jours .séparés. Les rnollusques n'ont point de squelette;
leurs muscles .sont attachés à la peau, enveloppe générale,
m()i|e et contractile, dans laquelle se [iroduisent, en
beaucoup d'espèces, des coquilles formées pai' concrétion et
addition superposée. Leur système nerveux se compose de
ganglioiis réunis par des filets nerveux, et dont les prin-
cipaux tiennent lieu «le cerveau. On ne trouve plus guère
outre le sens du toucher, commun à tous les aniiuaux ,
que celui du goût , quelquefois de la vue , et plus laiemcnî
ANIMAL
fiOQ
de rouie ( Jans la famille des ccpfm'opodcs seulement ). Le
sysîèiiie île circulation est coiii[)let , et il y a des organes
particuliers pour la respiration. Les ardculvs présentent
un système nerveux consistant eu un double cor(!(>n (|ui
règne de la tète à l'anus et le long du ventre , portant des
nu'uds ou ganglions , d'espace en espace ( correspondant
aux divisions du corps de l'animal). Le prenner des j^an-
glions placé sur ro^sopliapc , et nonuné le cerveau, n'est
guère plus considérable que les autres. Tous ces animaux
ont une peau plus ou moins solide, quelquefois cornée, à
laquelle s'attaclient des muscles intérieurs. Il y a souvent
des membres articulés, et en plus grand nombre que cbez les
vertébrés ; mais en d'autres espèces il n'y en a point. Plu-
sieurs articulés ont des \aisseaux fermés , d'autres se nour-
rissent par imbibition ; les premiers respirent par des or-
ganes spéciaux ou brancliies ; les derniers ont des trachées
ou vaisseaux aériens dispersés dans tout le corps. On ne
trouve encore l'ouïe que dans une seule famille , les crus-
tacés ; le goût et la vue sont assez généralement répandus;
les mâchoires , quand elles existent , sont toujours ]ilacées
latéralement. Les rayomiants sont formés sur un plan tout
durèrent des précédents ; car, au lieu d'avoir leurs organes
des sens et du mouvement placés aux deux côtés d'un axe,
symétriquement , ils les ont autour d'un centre , ce qui leur
donne la forme et la disposition circulaire des fleurs. Ils
ne possèdent ni organes de sens particuliers ni systèmes
de nerfs distincts; quelques-uns (les échinodc.rmcs) ont à
peine des vestiges de circulation, et des organes respiratoires
placés presque toujours à la surface du corps. La plupart
n'ont qu'un sac qui sert également d'entrée pour les aliments
et d'issue pour les excréments ; enfin, les dernières familles
ne montrent cpi'une cellulosité pulpeuse, homogène, con-
tractile et sensible.
La classe des mammifères (première des vertébrés)
contient huit ordres : bimanes (homme), quadrumanes
{ûn^G.), carnassiers (chat), etc. De même toutes les classes
qui composent les divers embranchements dont nous venons
d'exposer rapidement les caractères distinctifs se subdivi-
sent à leur tour en ordres, genres , espèces et variétés.
Lamarck suit une autre marche que Linné et Cuvier. —
Dans son Introduction à VHistoire des Animaux savs
vertèbres, il passe du simple au composé, et il en résulte
un certain avantage, il importe peu , sans doute , de com-
mencer par riiomme en descendant jusqu'à l'animalcule
microscopique , ou de suivre la gradation inverse , quand
on est d'accord sur les principes généraux , savoir, que la
nature s'avance nécessairement du simple au composé , et
qu'elle n'a pas dil commencer par notre espèce avant tous
les autres êtres , animaux et végétaux. C'est pourquoi il est
inexact de représenter le règne animal comme émanant de
l'homme, dont la noble figure aurait d'abord été dégradée
en singe difforme, puis en ignoble quadrupède, transformée
en oiseau , ensuite rabaissée au reptile , au poisson ; elle
descendrait successivement l'échelle de la perfection , ou se
dévalerait jusqu'aux plus vils et plus imparfaits des êtres,
perdant peu à peu ses sens, ses membres , se réduisant enfin
à l'état de polype , d'animalcule privé de tout organe ,
excepté de la laculté de digérer. Telle est la fausse idée
qu'on a établie en supposant que le règne animal se dé-
grade par des décurtulions successives , comme s'expri-
mait Linné.
L'unique mérite de Lamarck n'est pas d'avoir introduit
un changement dont les conséquences sont si importantes.
En passant du simple au composé, en tirant ses grands
caractères du développement de la vie , dans l'idée où il
était que celle-ci devient plus éminente en raison de la
complication <les organes , Lamarck a encore saisi les pro-
gressions des organes <;t de la vie qui en résulte avec luic
admirable saiiacité. Divisant d'abord les animaux en ver-
tébrés ou intelligents , et en invertébrés , comprenant les
DICT. IIE i.A co.Nvi:ns. — T. I.
nnininux sensibles et apnt/iiques, il ariive à donner un
ordre présumé de la formation des animaux , offrant deux
séries séparées et subrameuses, et dont voici le tableau
synopticiue :
Apatliiqucs.
SliRIK PES lN\KTICULi;S. SKRtE DES ARTICULÉS.
Jiifdsiiires,
l'..ljp.-.,.
Ascidiens. | Uadiaires.
Conrhifcres, Annéliiles.
lipj/.oaires.
liisertrs
I Arucbiiides,
Cnislaccs.
Cirrhipcdes.
Intelligents
Poissons,
Ueplilcs,
On sentira mieux encore la supériorité de la méthode i]a
Lamarck quand on se sera bien pénétré des (ondilious
d'un bonne classification.
Depuis Cuvier il s'est produit un grand nombre de nié-r
thodes de classification nouvelles; nous n'exposerons quQ
les deux principales, qui sont dues, l'une à M. Duméril ,
l'autre à de Blainvilie.
Méthode de M. Buméril.
Tivipares, ayant ries mamelles. IManimif.re^,
l couverts de
sans mamelles, j plumes. . . Oiseaux.
( ( sans plumes. Ueplile,-..
, à branchies, au lieu de poumons l'oisMins
, inarticulés Mollusques,
/ munis de
I membres. . Crustacés.
1 sans mem-
\ I bres Vers.
ayant des membres et des nerfs. Insectes.
( sans membres ni nerfs Zoopliytes.
La classification de De Blainvilie offre plus de différence
avec celle de Cuvier; voici ses principales divisions :
à poumons ,
munis de
vaisseaux
et de nerfs,
sans vais-
seaux ,
articulés ,
SOUS-REGNES.
Zygomorphes.
Actinomorpbes.
Ostéozoaires.
( rerlébràs. )
Entomo)!oaires.
(Articulés. )
Malaco^oaires.
{Mollusques. )
Artinozoaires.
{/Coophtjtes. )
CL.\SSES.
Pilifères. {Mamtni/ères.)
Penniferes. '.^ Oiseaux. )
Ptcrodactj Jes.
.Scutiferes. { Itepliles.)
Ichtliyosaiiriens.
Nudipelliferes. (Amplilbiens.)
lirancbifires, ( {>ois!ioiis. )
Hexapodes,
Octppodes.
Décapodes.
Hétéropodes.
Tétradécapodes.
IMyriapotles.
Cliétopcdes,
Malenlomopodes.
Malaiopodes.
Apodes.
Céplialés.
Céphalidés.
Acéphales.
Arrbodermaires.
Aracbnodermaires.
Zoanthaircs.
Polypiaires.
Zoophytaires,
Thétydés.
Spougités.
nétéromorphes
Cette dernière méthode se rapproche plus que les précér
dentés du but que se proposent les naturalistes , savoir
rétablissement d'une classification naturelle. Le règne
animal y est partagé en trois sous-règnes dont les noms
dé.signenl îrois manières d'être à l'une desquelles on pci.'t
rappoiler tout animal. Il en est de même dans les subdi^
visions de ces sous-iègiies. De plus, la iionieiK lature oflV»
77
GIO
ANIMAL — ANIMALISATION
une régularité qui simplifie sinj^ulièrement l'élude de la
science. Nous rcgrellous de ne pouvoir développer entière-
ment cette ingénieuse classification. Nous renvoyons pour
les détails aux IJulIcthts de la Société Philo7natiquc
f année 1816) et à l'article Animal du Supplément au dic-
tionnaire des Sciences Aatiireltes ( 1 8-'«0), où l'auteur expose
lui-même les principes qui l'ont guidé.
Il nous reste à parler de la répartition géographique
du règne animal sur la surface terrestre. Cette dispersion
des races d'animaux sur le gloljc est un résultat de leur
faculté locomotrice. Toutefois, chaque famille ou chaque
espèce conserve son habitation native. Ainsi Ruffon a fait
voir qu'aucun des manuuif.res, ni même des oiseaux, entre
les tropiques n'était commun à l'ancien et au nouveau
monde. Il en est de môme pour les reptiles et les insectes.
Quoique les poissons puissent traverser les mers en tout
sens, cependant chaque famille ou tribu affectionne cer-
tains parages ou telle température. Il y a des {joissons ac-
ronlnuiés à des mers glaciales, et d'autres à l'océan des tro-
piques. De même, la Nouvelle-Hollande, Madagascar, lîornéo,
Java, j)ré>entent des espèces d'animaux et de plantes unicpie-
inent propres à ces contrées, et qui y sont autoclithoncs, ou
formi'es dès l'origine. Les grands animaux herbivores ha-
bitent où la terre est riche en productions végétales, comme
sous les tropiques. Là se multiplient aussi les grands car-
nivores. Les petits animaux, la menue racaille, pour ainsi
parler, des rongeurs, des rats, des loirs, espèces dormeuses
et hibernantes, vont se tapir dans leurs grottes souterraines
sous les zones froides. Le nombre des animaux à sang froid
diminue beaucoup parmi les terres glacées ou voisines des
I)Ales ; au contraire , le règne animal brille de toute sa fé-
condité , de l'éclat de ses couleurs, de l'énergie de ses fa-
cultés sous les cieux brûlants des tropiques. Les oiseaux aqua-
tiques et les autres animaux de l'Océan peuplent abondam-
ment toutes les contrées maritimes, à cause de l'uniformité
de la lempérature des eaux. Les races d'animaux les plus
grasses fréquentent de préférence les climats froids; la graisse
et l'huile les défendent contre la rigueur des hivers. Si
rhomme et plusieurs animaux rendus domestiques sont
cosmopolites , d'autres espèces ne peuvent se perpétuer
que sous certaines conditions de vie : ainsi les singes,
les perroquets, etc., ne snbsislcraicnt pas à l'état sau-
vage hors des régions chaudes de-i tropiques, comme
l'ours polaire, le renne et d'autres espèces septentrionales ,
périssent sous des cieux ardents. 11 y a de même une foule
de poissons et de coquillages qui ne supportent que l'eau
douce des lleuves ou des lacs, tandis que d'autres n'aiment
que les eaux salées de l'Océan. D'ailleurs, certaines nour-
ritures étant appropriées à chaque espèce , tel insecte ne
trouverait pas dans une autre localité le genre de végétal
•pi'il dévore, et le ver à soie amène jiartout avec lui la
culture du mûrier. Le fourmilier est approprié aux lieux où
se midtiplient des fourmis.
Il y a donc appropriation des espèces les unes par rap-
port aux autres, comme les animaux sont entés, pour ainsi
parier, sur le règne végétal. Telle sorte de dents, telle dis-
])()silion des estomacs, tel genre de griffe ou de pied est cor-
respondant avec tel genre de fruit ou de graines : ainsi le
bec-croisé (loxin enucleator) se trouve constitué pour
vivre dans les forêts d'arbres conitères , comme tel cor-
moran, ou oiseau nageur, pour pécher le poisson. Ces rap-
ports entre les êtres manifestent un dessein, une prévision,
dans les productions naturelles, non moins que l'œil et
''oreille sont en relation merveilleuse avec la lumière et les
onles sonores de l'air.
iXJVIMAL (Règne). Voyez Rtc^R.
Aj\LVL\LCULES. Ce nom, qui signifie animal très-
petit, sert à désigner tous les animaux qui se dérobent à la
vue simple, ou qui ne peuvent être vus distinctement qu'au
■ioveo du microscope simple ou composé. Quoique les dif-
férentes classes d'animaux vertébrés (mammifères, oîseiux,
reptiles, amphibiens et poissons), renferment un certain
nombre d'espèces remarquables par une taille excessivement
petite, et qui seraient relativement des animalcules par
rapport aux espèces de taille gigantesque , on ne les désigne
cependant jamais sous ce nom, en raison de ce que les plus
petits animaux vertébrés sont toujours visibles à l'œil nu.
— Il n'en est pas de même à l'égard des diverses classes
d'animaux articulés (insectes, arachnides, crustacés, an-
nélides et vers), chez lesquelles on trouve des espèces nor-
malement microscopiques à leur état parfait et lorsque les
individus ont atteint le maximum de leur taille. C'est en efiét
dans ces diverses classes d'animaux articulés qu'ont été ré-
partis les animaux microscopiques ou in/usoires , par
les zoologistes qui n'admettent plus ce groupe d'animal-
cules comme une classe à part.
On retrouve encore parmi les mollusques et les zoophytcs
des espèces à peine visibles à l'œil nu, et qui mériteraient
encore le nom (Yanimalciiles ou (Taniinaux microscopi-
ques. Cette dénomination n'a donc point une valeur scien-
tifique exacte, et il est probable qu'on l'abandonnera com-
plètement en zoologie.
Ce caractère d'extrême petitesse existe également pour
toutes les espèces animales à leur origine première, soit dans
l'œuf, comme germe, soit lors de la première apparition de
leur embryon ; et sous ce rapport les germes des espèces
de la taille la plus forte sont alors des animalcules , non-
seulement sous le rajiport de leur extrême petitesse , mais
encore sous celui de la simplicité de leur organisation , qui
doit ultérieurement s'accroître et se compliquer pendant le
développement embryonicn et après la naissance. C'est en
ce sens qu'on a donné le nom d'homoncîile au germe de
l'embryon humain, et qu'on pourrait former des noms iden-
tiques pour signifier les germes embryonnaires invisibles à
l'œil nu de toutes les espèces animales, ce qui ne ferait que
surcharger inutilement le langage usuel et zoologique.
Enfin suivant une troisième acception, mais qui nous pa-
raît arbitraire, le mot animalcule signifierait plutôt l'infé-
riorité et la simplicité des organismes animaux que la peti-
tesse de leur taille. Dans cette manière de voir, les animal-
cules ne seraient point des animaux proprement dits , et,
suivant les uns, feraient encore partie du règne animal, ou,
suivant d'autres, devraient être réunis à certains végétaux
microscopiques doués de mouvement , pour constituer un
règne intermédiaire aux vrais animaux et aux végétaux.
Dans cette dernière acception , il faudrait tracer la Ugne
de démarcation entre les animaux et les animalcules , et
entre ces derniers et les végétaux microscopiques qui se
meuvent réellement à certaines éjwques de leur existence ,
ce qui présente de grandes difficultés.
Dans l'état actuel des sciences zoologiques, le mot /rnJnjrt/-
cules n'est plus employé que comme synonyme d'animaux
microscopiques à organisation très-simple . ou d'infusoires
homogènes; et l'étude spéciale de ces derniers animaux est
faite de nos jours avec toutes les précautions convenables
au moyen desquelles on peut arrivera ne point les confondre
ni avec les animaux microscopiques des classes supérieures,
ni avec les végétiux également microsco) piques et raotiles,
ni avec des parcelles vivantes et en mouvement du corps
des animaux plus élevés, ni avec les zoospermes ( prétendus
animalcules spermatiques), ni enfin avec des corpuscules de
poudies organiques ou inorganiques qui, suspendus dans un
liquide, ont un mouvement continuel de titubation, lorsque
leur épaisseur n'est que de 1/500 de millimètre et au-dessous.
Ce sont ces mouvements, découverts par M. Robert Lrown,
qui avaient fait croire à l'existence d'animalcules dans le
pollen et dans le latex. L. Lalkf.nt.
AXIMALISATIOX. C'est le passage ou la transfor-
mation d'une substance simple, d'une nourriture toute végé-
tale à un état plus composé pour devenir chair, tissu sen»
AIS'IMALISÂTION
siMeotinilaMo comme le corps animal. En cfTot, la nature,
(I;iiis ses oli'inenfs les plus bruts ou d'abord inorganiques ,
e^t constitut^e de miniVaiix , terres , pieiTes , métaux , etc. ,
ne jouissant pas de centralisation ou de vie. Le règne véi;ë-
tal, s'emi«rant de plusieurs principes, carbone, hydroj^ène,
eau, les combine par cette force or^ianisatrice qui constitue
les plantes avec divers degrés d'élaboration depuis le cham-
pignon jusqu'à Tarbre. Enfin , ces composés déjà moins
simples sont absorbés par les animaux comme nourriture;
et, passant dans des filières encore plus compliquées, ils ar-
rivent , par l'accession de l'azote , à l'état de combinaison
jouissant de la mobilité contractile, comme le muscle, et
de sensibilité , comme le nerf. Nous avons vu à l'article
Animal conmient les animaux s'assiiuilant davantage les
principes azotés différaient des végétaux, qui en contiennent
pourtant aussi. Mais tous les animaux n'offrent pas cette
animalisation au nu^me degré.
Les tissus des animaux sont d'autant plus gélatineux ,
comme les zoopbytes, que ces animmix-plantcs respirent
faiblement ; ils n'offrent qu'une pâture légèrement nutritive
aux races supérieures. Ainsi, nous n'olitenons qu'une géla-
tine peu substantielle des buîtres , moules et autres coquil-
lages , ou même des crustacés , qui ne donnent point une
robuste alimentation. Les invertébrés sont donc, à cet égard,
inférieurs aux animaux vertébrés. Le genre de nourriture
de chaque animal concourt pareillement à cette animalisa-
tion de ses chairs. Ainsi, il est évident que le bœuf herbivore
aura des chairs moins azotées que le Carnivore ; les humeurs
( lait, .sang, graisse, etc. ) des ruminants seront plus douces,
moins putrescibles , moins ammoniacales ou plus mangea-
bles , que les viandes fétides des races carnassières , dont
nous repoussons l'usage. Les mangeurs ne sont pas mangés ;
tout retombe sur ces êtres timides, ces pjihagoriciens de la
nature, sans cesse victimes des violents , proie des féroces,
comme dans le monde dit humain.
Cependant la nourriture de chair ne suffit pas pour don-
ner à un animal cet excès d'azote qui rend ses tissus ti'ès-
putrescibles , s'il ne s'y joint encore une haute élaboration
organique. Les animaux à sang chaud , à respiration pul-
monaire complète ( ayant un cœur avec deux ventricules et
deux oreillettes ) , comme les mammifères et les oiseaux ,
exhalent beaucoup d'acide carbonique et d'eau, produits for-
més aux dépens du carbone et de rhydrog'''ne de leurs ali-
ments. De là suit que l'azote devient prédominant, et peut
être aussi absorbé dans l'acte respiratoire. Il n'en est pas
autant chez les poissons respirant seulement l'eau aérée , à
l'aide de branchies , et chez la plupart des insectes respi-
rant par des trachées. Dans toutes ces races inférieures ,
les humeurs réparatrices restent moins dépouillées d'une
surabondance de carbone et d'hydrogène, ou moins azotées.
Ces animaux sont donc faiblement animalisés ; leurs chairs
nourrissent peu .sous un môme volume. Les poissons , quoi-
que se sustentant d'autres poissons dont ils se repaissent ,
n'offrent point, comme les mammifères et les oiseaux carni-
vores , des chairs fétides et répugnantes ( car nous man-
geons les brochets , les perches et autres piscivores ) ,
tandis que le loup ne mangerait pas du loup, ni le lion de
la chair du lion, etc. Aussi l'excès de l'animalisalion, par
un régime trop exclusivement carnivore, cause des affec-
tions malignes ou putrides, dans lesquelles l'instinct na-
turel appelle les noimitures et les boissons végétales comme
pour rétrograder.
Le rehaussement de l'animalisation ou de l'organisme
en général dépend donc de deux causes: 1° nourriture ani-
male substantielle; 2° élaboration plus perfectionnée par
l'acte de la respiration. C'est pourquoi les espèces à sang
chaud ou les hauts vertébrés offrent l'animalisation la plus
complète, la plus perfectionnée. Cela se manifeste surtout
parle développement de leur appareil nerveux ou de la sen-
sibilité et des facultés intellectuelles et instinctives. En effet,
— ANIMAUX
fîll
or observe (iiie ces (pialités sont incomparablement plus pcr-
'ectionnées chez les êtres à respiration complète, et surtout
dans les races carnivores , que parmi les espèces stupldes de
poissons et de baveux mollusques sous les eaux. Les con-
ditions de l'animalité et de la sensibilité sont donc puis-
sanmienl avivées par tout ce qui peut accroître l'animali-
sation. ^ j.-j. A^inEv.
AXI^IALITE. La définition de ce mot n'est pas difficile,
puisqu'il exprftne tout ce qui a trait à l'ensemble des êtres
(jui constituent le règne animal comparé aux végétaux et aux
corps bruts; mais la définition de la chose présente , il faut
Lieu l'avouer, les plus grandes difficultés. L'animalité, en
tan! que chose créée, comprend l'ensemble de tous les êtres
.lui furmeut le domaine du règne animal ; mais crii s'arrête le
iègiie animal.' Où tracer la ligne de démarcation entre les
animaux les plus inleriein's et les végétaux.'
Si l'homme moral et intellectuel peut se placer en dehors
et au-dessus de tout le règne animal , Tlionmie physique
n'en forme pas moins la limite suprême de l'animalité. Aris-
tote, considérant tous les êtres vivants, c'est-à-dire les ani-
maux et les végétaux , comme di's êtres animés à divers
degrés, les avait réunissons le nom comman de <\i'jy_io..
De nos jours, on a cru pouvoir distinguer les animaux
des végétaux, soit en refusant à ces derniers le sentiment
et le mouvement, soit en considérant les zoophytes comme
des animaux apathiques, c'est-à-dire simplement irritables et
déjà Insensibles. Or les résultats des investigations les plus
récentes démontrent que les animaux les plus simples jouis-
sent encore d'une sensibilité et d'une motilité soit rapide, soit
lente, et que les deux grandes propriétés caractéristiques des
animaux en gi^néral y sont confondues en une seule , qu'on
nomme irritabilité. Dans ces derniers animaux, de môme
que dans tous les végétaux , on ne peut découvrir le moin-
dre indice de l'existence du système nerveux. En outre,
les végétaux dont l'organisation est la plus coini)le\e don-
nent des preuves évidentes d'une irritabilité qu'on a dési-
gnée sous le nom de sensitivité. Enfin, les plantes dont la
structure est la plus sim[)le nagent comme les embr\ons
des éponges, se meuvent au moyen de cils vibratiles pour
se diriger vers les lieux les plus favorables à leur végéta-
tion, ainsi que cela aété constaté pour lesalgiieset lescon-
ferves. L. Lâchent.
ANIMAUX (Condamnations, excommunications contre
des ). Pendant une assez longue période du moyen âge , cette
pensée fut généralenaent répandue de soumettre à l'action
de la justice tous les faits condamnables de quelqne être
qu'ils provinssent. La philosophie s'empara plus lard du
côté ridicule qu'avait cet usage de la justice humaine et di-
vine, elle n'en vit pas le côté moral. Le supplice d'un porc
pendu pour avoir dévoré un enfant, témoigne du moins d'un
grand respect pour la vie de l'homme; l'autu-da-fé <run mu-
let et de son maître, en 156ô, pour un crime qu'on ne peut
désigner, indique aussi nne grande horreur du vice. On a re-
levé des actes d'exconummication lanci'S contre les animaux
et insectes nuisibles , notamment les anathènies de l'évêque
de Laon , en 1120, contre les chenilles et les mulots (|ui
consternaient ses paroissiens ; l'excommunication des grands
vicaires d'Autun contre les cliarançons, en 1488; celle des
sangsues par l'évêque de Lausanne, en l.")54, parce qu'elles
détruisaient les poissons, etc. JL Berryat-Saint-Prix a pré-
senté à la Société des antiquaires vn relevé des jugements
prononcés contre les animaux : il en compte quatre-vingt-
dix, dont trente-sept apjiai tiennent au dix-septième siècle,
et un seul au dix-huitième. W.-A. D.
ANIMAUX (Peinture d'). De tous temps les artistes
se sont plu à reproduire ces compagnons de l'homme. On
en voit sur les bas-reliefs anti'jutîs, ou en trouve dans la sta-
tuaire des anciens, et certainement ils en mettaient dans leurs
l>eintures; mais en général ces animaux étaient subordonnés
a l'homme : ils cumbaîtaicnt, ils conduisaient des chars, ils
77.
t!J2
AiMiVL.UX — ANIiMISTES
cliassaienf. Plus tar.l, ils ornèrent seulement la deineure lie
leurs mallres. Chaque peuple leur donna qwelipie cliosc de
lui: raniiu.il <'>t IioiiIkhiiuk! dicz les [x-intrcs tlaïuands, plein
fie fini (Iii'Z les Maliens, sundpre (liez les Ks|)annols , [)lein
(le uiof;:ue tliez les An};lais,di; longue chez les Français.
l)f nos jours, on a inia!;in('! de faire des animaux le sujet en
(piclipie sorte unicpie ou ()rin(ip.il du tableau. On leur a
l>ri'té nos passions, nos senliuuMits, notre pli\sioiiomie (jour
ainsi dire. L'An;;lelerre compte de bons peintres (r.mim;iux,
M. La n d see r notauuuflut. Noms, nous citons M"* Rosa
Honheur, MM Hrascavsal, Philippe Rousseau , Deciimps.
On sait avec quel suc(-i'*s M. Dedreux a peint les chevaux ,
M. Jadin les chiens, M. Couturier les poules, M. Brendel
les moutons, M. Trojon les vaches, M. Salmon lesdindons.
Enfin, pour qu'il n'y ait pas de jaloux , M. Hedouin a été
surnoruiné le Hapliaël des cochons. L. L.
iV\l MA IJ\ (Acclimatation des). Foyes Acclimatation.
AMMAUX DOMESTIQUES. Voyez Domesticité
ntS AMMVL'X.
AIVIMISTES, philosophes et mc^decins expliquant par
rinlervention d'une ûme {anima) les actes de la vie chez
riiomme , les animaux , et môme jusqu'aux fonctions les
plus merveilleuses de la vt^s<^talion. Les plus anciens , tels
que Pythagore et les platoniciens ( même les plus récents
ou les néoplatoniciens de l'école d'Alexandrie), ont re-
monté plus haut , en admettant pour cause première une
âme (lu monde , de laquelle les nôtres et celles de tous les
êtres animés extraient leur origine ou ne sont que des rayon-
nements. Cette doctrine ( sorte de panthéisme ) appartient
surtout à la théologie antique des Hindous, selon laquelle
toutes les créatures sont des produits de Brahma , qui les
n tirées de son sein , et dans lequel toutes doivent rentrer à
la mort. Ap|>ortées de l'Inde et de l'Orient par \es commu-
nications des voyageurs de l'Europe occidentale avec les
brahmanes , dés la plus haute antiquité , ces opinions s'é-
taient aussi infiltrées jusque dans la religion druidique des
Celtes et des Gaulois. Nous lisons dans Virgile que même
les abeilles liraient leurs instincts, comme particules, de
cette grande source divine.
Ce sentiment fut tellement empreint dans les croyances
philosophiques , que les savants y eurent recours sous d'au-
tres dénominations : car qu'est-ce que Adi forme ou Ycnergie
distincte, selon Aristote, de la matière elle-même , sinon
nn esprit moteur et formateur.^ Pareillement, ce qu'Hippo-
crate célèbre sous le nom de ndture, laquelle est ins-
truite d'elle seule et dirige la vie animale , ne peut s'ex-
pliquer que par une sorte d'ûme. Aussi Galicn , traitant de
la formation du fa-tus, en attribue la vivification et l'orga-
nisation à cette âme nutritive et végétative qu'il nomme
demiourgos ( Sr.fi-.ovpYÔ; ) , sorte d'émanation de la grande
ame du monde ; comme le pensait aussi Platon , qui reçut
cette théorie pythagoricienne, puisée aux sources du Gange.
De là surtout les idV'es si répandues parmi les néoplatoni-
ciens et les sectes gnostiques des valentiniens ou autres qui
llorissaient à l'origine du christianisme, parmi les essé-
niens, les thérapeutes, avec Plotin , Porphyre, Jani-
hiique, etc., jusqu'à l'exaltation religieuse. Ils mêlaient la
médecine magique ou d'incantation à la théosophie. Plu-
sieurs pensaient s'élever à l'union hypostatique avec Dieu ,
comme les fakirs de l'Inde. Car si le demiourgos , fils d'.4-
cnmot/i ( ou de l'àme du monde ) selon eux , crée les êtres,
il tend à les ramener à son origine par les éons ou zep/ii-
rots (émanations divines) vers cette existence meilleure et
parfaite. Il réunit alors la créature à son créateur. D'après
les basilidiens, lus gnosliques, en elTet, l'homme, partici-
pant à la semence de lasupiêu'.e sagesse , contient un germe
.«spirituel , qui doit se di'iiloyer et fleurir un jour. Tel est
au<si le verbe ini-tirui' et éternel en nous, dont parle saint
.tean ; ses as|)iralions ou in^pir;il:ons procurent la pléniludc
d'une salisf.ittion pure , nue jouissance intime cl extatique
aux esprits pénétrés de cette divine alliance , comme par
une génération toute céleste.
Toutefois , en écartant les exaltations mystiques de ces
imaginations orientales ou de la théosophie , les médecins
et autres savants , voulant remonter à la source des forces
qui constituent l'homme et les êtres animés , ont eu recours
tantôt à la mécanique et aux ressorts , conmie dans une
montre, ou aux ferments chimiques, etc., tantôt au pneuma
(TTVïOaa) , à un esprit, un air, un feu intelligent et direc-
teur de l'organisation. Mais l'évidence d'une prédisposition
intelligente et d'une autocratie savante dès les premiers
mouvements du firtus , comme dans l'instinct inné des
brutes» a bientôt ramené ces physiologistes vers l'idée néces-
saire d'une Ame primitive , apportant avec elle ses propen-
sions naturelles et jusqu'aux mœurs instinctives de leurs
parents par une filiation ou transmigration des esprits non
moins que du corps.
Avant que G.-E. Stahl, savant médecin de Halle, eût
au dix-septième siècle, fondé sa brillante théorie de l'ani-
misme , déjà Swammerdam , habile anatomiste hollandais,
et l'ingénieux Français Claude Perrault ( quoique dénigré
par lioileau ) , furent les doctes prédécesseurs de cette
doctrine , savoir : que l'àme prédispose et organise toutes
les parties de l'embryon naissant , pour un but unique et
salutaire , la vie de l'individu , et pour l'exercice de se-i
membres avec toutes ses fonctions , selon l'espèce, le genre
d'existence auquel il est destiné , enfin pour résister, jus-
qu'à certaines limites , aux maladies , aux accidents aux-
quels il peut être assujetti dans le cours de sa carrière.
^lais , reprochait-on à ce système , l'àme intelligente en
nous ne connaît pas naturellement ce corps qu'on dit qu'elle
a organisé. 11 y a plus : combien d'opérations intérieures,
sans conscience , toutes spontanées <!ans nous , et même
d'actes opposés à notre volonté ? Il n'est donc pas présu-
mable qu'en supposant déjà toute savante cette autocratie,
cette âme structrice et si habile architecte de sa propre
maison , elle opère cependant des actions involontaires ,
contraires même à ses volontés, à ses désirs, à sa liberté.
Or, Stahl et ses partisans , qui ont développé profondé-
ment sa thèse , établissent des distinctions déjà pressenties
par les platoniciens. H y a , disent-ils , diverses fonctions
dans l'àme , la végétative , la passionnée , qui , n'intéressant
point les facultés intellectuelles , s'accoutument originaire-
ment à opérer avec spontanéité la digestion, la circula-
tion , même la respiration ; comme par l'habitude deveime
nature le pianiste agite ses doigts sur son piano sans y
faire attention désormais. Cependant nous pouvons res-
saisir jusqu'à certain point cette volonté primitive , dans
l'acte respiratoire par exemple. Dans la plupart des ma-
ladies , selon les animistes ou vitalistes ( car ceux-ci as-
similent à l'àme la force vitale , comme le fait l'école de
médecine de Montpellier ) , il faut la'sser beaucoup agir
d'elle-même cette nature, ou tout au plus l'aider dans
ses efforts presque toujours tendant vers un b t salu-
taire. Le corps , ou les organes , d'après ces anim'stes ,
n'est donc pas la principale chose à considérer, mais plutôt
les allures de cette force vitale qui le meut ; aussi les
sciences physiques , anatoniiques , chimiques ( b'en que
Stahl fût im profond ch'iniste pour son siècle ) , ont peu
fieuri parmi les écoles vitalistes. Celles-ci sont plutôt psy-
cholog-ques ou philosophiques , comme celles des anciens
pnemnatistes.
C'est aux animistes aussi qu'on doit les notions les plus
parfaites sur la distinction entre les êtres organises (oa
dont les organes concourent à un même but ) et les masses
biTjtes ou minérales non individuelles , inertes [lar elles-
mêmes. Les seuls êtres organisés possèdent ce principe cen-
tral de mouvement qui fait nourrir, accroître, engendrer,
puis laisse périr l'agrégat individuel ai^vt^i un cercle donné
d'existence. Eux seuls peuvent posséder la vie, l'àme.
ANIMISTES — AJS'ISSON-DUPERRON
H existe ainsi , selon les animisfcs , une portion de l'irae
^estant cacliée ou secrète en nous, qui constitue la dualité
des facultés, et qui, d'elle seule, agit dans nos entrailles;
nous n'avons d'elle connaissance que par des sensations obs-
cures, UKiis elle peut s'insurj^er dans les passions, allumer
involontairement l'amour, la colère, etc., agiter tel organe,
le foie, les nerfs, les libres, par des spasmes ou mouvements
toniques , soit i>our le développement des âges, soit pour le
salut de Pétre malade, même jusque dans le transport du
délire. La tiévre, les hcmorrbagies, les crises, sont d'utiles
tendances de cette âme vers la santé, etc. 11 faut le plus
souvent calmer ses fureurs : c'est V arc fiée àe van Helmont.
Les médecins animistes ou vitalistes, quoiqu'à différents
degrés, comme les anciens hippocratistes, les pneumatistes,
n'ont jamais cessé d'exister. En effet, il est impossible
de bannir l'intersention de la nature dans la physiologie ,
car en aucun temps les sciences physiques, mécaniques,
chimiques, ne suffisent pour expliquer la vie. Quand on
demande fa cause primordiale de l'organisation , il faut
bien recourir à cette force motrice ou énergie antérieure,
comme pour la cause première du monde. La vitalité géné-
rale ou le mouvement spontané de la matière ne rendrait
pas raison des appropriations de la forme de chaque espèce
pour un but : ce qui fait le désespoir des atoraistcs et des
mécaniciens. 11 y a donc nécessité d'une intelligence pri-
mordiale pour disposer les oi-ganes et les générations à venir^
régler les métamorphoses, etc. J.-J. Virey.
AA'IO, appelé aujourd'hui par antiphrase Teverone
(grand Tibre), augmentatif de Tevere, Tibre. Cette petite
rivière, qui prend sa source près de Felettino, dans les
États romains , sur les confins du royaume de Naples ,
sépare la Sabine du Latium, forme à Tivoli une belle cas-
ca:le et des cascatelles, et va se jeter dans le Tibre à 6 ki-
lomètres environ au nord-est de Rome. Camille y battit les
Gaulois en 367. L'Anio, peu considérable par lui-même, doit
sa réputation à la cascade de Tivoli, qui n'a pourtant
qu'une hauteur de cinquante pieds, et est, par conséquent,
infiniment moins belle que celle de Terni (la caduta délie
Marmori). Cependant elle a l'avantage d'être placée j^rès
du temple charmant dit de la Sibylle, rotonde d'architec-
ture grecque autrefois consacrée à Vcsta ; de toucher à la
ville de TivoH , et de porter à quelques pas ses eaux dans
un gouffre tippelé Grotte de Neptune, d'où elles reparais-
sent au jour près d'un couvent que Ton croit bâti sur les
ruines de la maison de campagne d'Horace. Près de là les
cascatelles, ou petites cascades, tombent du haut d'un
coteau 011 fut placée la maison de campagne de Mécène ,
et produisent un effet très-pittoresque.
Le président Dupaty peint ainsi le Teverone et sa mer-
veille : « L'Anio arrive lentement sur un lit égal et uni,
en baignant d'un côte une ville étalée sur ses bords, et
de l'autre de grands arbres qui balancent sur lui leur om-
brage; il s'avance ainsi , cahne, majestueux, paisible. Sou-
dain, entrant dans une fureur inexprimable, il se brise tout
entier sur des rocs; il écume, il rejaillit, il retombe en
bouillons impétueux qui se heurtent, qui se mêlent, qui
sautent; il remplit un moment un vas*e rocher, l'entr'ouvre
et se précipite en grondant. Où est-il donc.'... Mais j'en-
tends rnugir encore ses flots ; je demande à les revoir : on
me conduit à la Grotte de Neptune. Là, une montagne
de roche s'avance sur un abîme épouvantable, se creuse,
Vi voilte et se soutient hardiment sur deux énormes arcades.
A travers ces arcades, à travers plusieurs arcs-en-ciel qui les
cintrent en se croisant, à travers les plantes et les mousses,
j'aperçois de nouveau ces flots furieux qui tombent encore
sur des pomtes de rochers où ils se brisent encore, sautent
de l'un à l'autre, secombattent, se plongent, disparaissent : ils
sont enfin dans l'abîme. » (Lett. LTV.) L. Dubois.
A\1S (pimpinctla anisum). Linnéclasfe cette plante
dans la pcntandric digynie. Elle appaiiicnt à la famille des ,
Ct3
ombellifères de Jussieu. Ses caractères sont une racine fi-
breuse, une tige fistuleuse pubescente, des feuilles alternes,
amplexicaules, des petites fleurs blanches disposées en om-
belles doubles terminales, un fruit ovoide composé de deux
petites graines d'un gris verdàtre convexes, cannelées .sur
le dos. L'anis réussit assez bien dans nos provinces méri-
dionales; mais sa culture en grand a lieu en Espagne, et
surtout aux Échelles du Levant. Cette plante demande une
ferre légère, sablonneuse, et malgré cela bien amendée,
enfin une exposition très-chaude. — La semence seule de
l'anis est employée en médecine ; elle est réputée carmina-
tive, stomachique et apéritive : par conséquent, elle échauffe
un peu , réveille faiblement les forces vitales , favorise la
digestion, lorsque l'estomac est faible ; ses propriétés les
plus certaines sont d'augmenter sensiblement chez les nour-
rices et les femelles des animaux la quantité de lait qui leur
est nécessaire, et dont cette semence facilite en même temps
la digestion chez les enfants. On l'emploie aussi pour aide'
l'expectoration des matières muqueuses dans l'asthme hu-
mide et dans la toux catarrhale ancienne, et sous forme de
cafoplasmes elle peut contribuer à la résolution des tumeurs
inflammatoires. Les graines de l'anis sont l'objet d'un com-
merce étendu. Les confiseurs en font un grand usage. On en
fait des bonbons, de l'anisette, dans certains pays on en met
dans le pain , dans le fromage. Enfin Tanis fait partie d'un
grand nombre de médicaments composés.
AXiS (Boisd'). Voi/ez Badiane.
AXIS ÉTOILE DE LA CHIXE. Vo>jez Badiane.
AXISETTE, liqueur de table labriquée avec l'anis
doux d'Italie. Elle se prépare par infusion et par distillation.
Vanisettede Bordeaux et celle de la Martinique .-ont par-
ticulièrement estimées.
AXÏSOCYCLE ( du grec àvwou, inégal , et de xOxXo;,
cercle ) , machine de guerre employée autrefois par les By-
zantins pour lancer des flèches. Sa construction et ses
moyens de destruction offraient beaucoup de rapport avec
l'arbalète de trait. Elle était de forme spirale, à peu près
semblable au ressort d'une montre, et c'est de cette forme
que lui vient son nom. Par un mécanisme très-simple, elle
lançait en se débandant des flèches, des dards ou des ja-
velots.
AXISODOX'. yoijez ANOPLoruERitM.
AXISSOX-DUPERROX, famille originaire du Dau-
phiné, qui a fourni quelques hommes distingués à la magis-
trature et à l'imprimerie.
Charles Anisson, religieux, faisait partie de l'ambassade
envoyée à Rome en 1595 pour la réconciliation de Henri IV
avec le saint-siége.
Laurent Anisson, son neveu , libraire et échevin à Lyon
en 1670, a fait jiaraître en 27 volumes in-folio une Biblio-
Iheca maxima veterum Patrum.
Jean Anisson, fils aîné du précédent, fut appelé en 1690
aux fonctions de directeur de l'Imprimerie royale, alors éta-
blie au Louvre. 11 eut la gloire d'être l'éditeur du célèbre
Glossaire de Du Cange, que tous les autres imprimeurs re-
fusaient d'imprimer, et d'aider même l'auteur dans ses re-
cherches et ses travaux.
En 1707 il se démit de ses fonctions de directeur de
l'imprimerie du Louvre eu faveur de son beau-frère, Ri-
gaud; et en 17l3il fut chargé d'uneinission à Lcmires rela-
tivement à l'interprélation de quelques clauses du traité de
commerce intervenu a la suite du traité d'Utrecht. Il avait été
nommé conseiller honoraire au parlement et chevalier de
l'ordre de Saint-Michel.
Jacques Amsson, frère du précédent, était échevin à Lyon
en 1710. Avec l'autorisation du roi, il prit le nom de Du-
pcrron, qui était celui d'uu domaine dont il avait fait l'ac-
quisition.
Louis-Laurent Anisso.n, fils de Jean Anisson, succéda
comme directeur do l'imprimerie du Louvre a R'gauil, et
614
eut liii-inûmc pour successeur, en 1733 , son frère Jacques.
Ét'icnnc-Alcxandic-Jcnqucs AiMsso.\-DLPt;niiON, fils de
Jacques, né à Paris en 1748, succéda en 17S8 couinie
directeur do i'Inii)rinieric royale à son jière, dont il était
depuis lonj;(cnips survivancier. Pour se confornier à un dé-
cret de l'Assemblée nationale, il lit dresser et déposer aux
Archives un inventaire détaillé de tout le matériel de l'Im-
primerie royale, devenue alors Imprimerie nationtilc.
Après le 10 août il perdit sa |)lace, et crut se mettre à l'abri
des persécutions en allant se réfugier au fond d'une campa-
};ne; mais, dénoncé, il fut arrêté au mois de ;;crminal an ii,
et commit l'im|>rudence de faire, pour recouvrer sa liberté,
de grands sairilices pécuniaires dont profitèrent stoïquement
les autorités constituées de Ris et de Corbeil, les deux com-
munes sur lesquelles s'étendait sa propriété. Ce moyen , qui
avait du bon, fut cependant ce qui le perdit; traduit devant
le tribunal révolutioiinairc, il périt sur l'écliafiiud au mois de
lloréal, et le riche mobilier de l'Imprimerie nationale, devenu
en grande partie sa pro|)ricté, fut confisqué.
Dans un mémoire lu il rAcadéinie des Sciences et inséré
dans le recueil des savants étrangers , il s'était fait gloire
d'avoir inventé la presse à un coup. Jlalbeureusement pour
lui la priorité en était incontestablenifut acquise depuis plus
de six ans à MM. Didot, qui dès 1777 avaient imprimé avec
une presse semblable le Daphnis et Chloé de Villoisou,
comme il appert d'une note de VÉpitre sicr les Progrès de
r Imprimerie , imprimée à la suite d'un Essai de Fables
nouvelles de Didot tils aîné, 1786.
Le comie. Alexandre-Jacques-Laurent Anissom-Duper-
noN, fils du précédent, né à Paris, le 26 octobre 1776,
remplit diflérentes missions en Italie sous le gouvernement
impérial, et devint plus tard, successivement, auditeur au
conseil d'État, inspecteur général de l'Imprimerie Impériale,
membre de la commission du sceau , maitre des requêtes
en service extraordinaire et directeur général de l'Iiiipri-
merie Royale sous la restauration. Il obtint, en outre, la
jouissance gratuite du magnifique matériel de cet établisse-
ment et de l'immense local où il est situé , à la charge seu-
lement d'entretenir l'un et l'autre à ses frais , de sorte qu'il
se trouva imprimeur pour son propre compte et en situa-
tion de faire les fournitures de travaux considérables sans
avoir à supporter la charge des intérêts de l'énorme capital
que représentaient le matériel et les bâtiments mis à sa dis-
position. Les iinitrimeurs brevetés de Paris élevèrent , en
1816 , de vives réclamations à ce sujet , prétendant que les
avantages concédés à .M. Anisson-Duperron équivalaient à
un privilège exclusif, et lui donnaient la faculté d'exercer,
au détriment des imprimeries particulières , un monopole
dont le gouvernement faisait les frais. Le député Roux du
Cliàtelet signala lui-même cette disposition à la chambre
comme onéreuse pour l'État ; mais pendant plusieurs an-
nées , de part ni d'autre , on ne put en obtenir la révoca-
tion. Il y avait cependant, peut-être, des moyens moins
pr('ju(lic,iables à la typograiihie française et au trésor d'in-
denuiiser M. Anisson-Dupciron des pertes que la révolution
lui avait fait éprouver. Kniin, l'Imprimerie Royale, passant
sous la direition de M. de Villebois en 18'i3, fut admi-
nistrée, comme jadis, pour le compte du gouvernement. Anis-
son-Duperron , nommé député d'Vvetot (Seine-Inférieure)
en 1830, fut constamment réélu jiis(pi'en 18i2. Le 9 juillet
I8i5 le roi le créa pair de France. Il siégeait encore à la
révolution de février. Il est mort subitement à Dieppe, le
3 septcinbn; 18.i2. Il a puiiliê i|ui-!(pips lirocliures. *
ANJOU ( province, comté , puis duché d' ), Pagus An-
degavensis , ou Adicacensis oijcr ou tractus , ancienne
province de France, composant en grande partie, les dépar-
tements de Main e-et-Loi re et de la S art h e, avait pour
bornes au nord le Maine, ;i l'est la 'l'ouraino, au sud-o.st le
Sauinurois, au sud le Poitou, et ;i l'ouest la Bretagne. Son
étendue était de 30 lieues de longueur sui- 20 de laigcur.
ANISSON-DUPERRON — ANJOU
On y com])tait environ 37 forêts et jusqu'à '»9 rivières. Los
seules naviga'ules étaient la Loire, la Vienne, la Toué , la
Mayenne, le Loir et la Sartlie. Angers était la capitale de
celte province; les autres villes de quelque importance étaient :
Baugé, Brissac (ancien duché-pairie), Cbàteau-Gontier, la
F 1 è c il e , le Pont-de-Cc, Chollet, Craon, première baronnie
d'.\njou; Cbâfeauneuf, Candé, Ségré, Reaupréau, S au mur,
.Montsoraux, Montreuil-BcUay et Fontevrau d,oii Robert
<l'Arbrissel fonda, vers l'an 1099, une célèbre abbaye do
filles chef d'ordre.
Du temps de César PAnjou était habité par les Andes ou
Andegavi , qui ont donné leur nom à cette province. A
peine ce conquérant les eut-il soumis qu'ils tentèrent de
secouer le joug des Romains. Mais ayant échoué dans le
siège de Poitiers , leur armée fut détruite au passage de
la Loire par Fabius, lieutenant de César. Lors de l'irruption
des barbares dans les provinces de l'empire, sous Honorius,
l'Anjou faisait partie de la 3° Lyonnaise. Les Visigoths et
e!i^\uite les Francs s'établirent dans une partie de ce pays.
.T^g-dius, chef de la milice romaine dans les Gaules, appela
à son secours Odoacrc, roi des Saxons, auquel le comte Paul,
successeur d'.'Egidius , céda les îles delà Loire ainsi que la
ville d'.\ngcrs, pour gage de sa fidélité et de ses services.
Cdoacre y fit cantonner son armée , mais ce fut pour peu
de temps, car Childéric, à la tête des Francs, tailla en pièces
les Romains et les Saxons, tua de sa proi)re main le comte
l'aul, et s'empara de l'Anjou.
Sous les Carlovingiens, cette province fut divisée en deux
comtés. Le comté d'Outre-Maine, ou la marche Angevine,
situé au delà de la rivière de Maine ou Mayenne, avait
Cliàteauneuf pour capitale; Angers était celle de l'autre
con;té d'.\njou , formé du territoire en deçà de la même ri-
vière. En 850, le roi Charles le Chauve donna le comté
d'Outre-Maine à Robert le Fort, pour le défendre contre les
Bretons et les Normands. Tué par ces barbares à BrLsserte,
en 8G6, Robert eut pour successeur dans ce département et
dans le duché de Fiance, Eudes, son iils, qui parvint en-
suite à la couronne.
Incklcer, fils de Tertulle, sénéchal du Gûtinais, et petit-
fils de Torquat, paysan qui vivait de la chasse et de fruits
sauvages, reçut <lu roi Charles le Chauve, vers l'an 870,
l'investiture du comté d'Anjou d'en deçà de la Mayenne.
Adèle, comtesse de Câlinais, que le roi Louis le Bègue lui
fit épouser en 878, acheva d'élever ce fondateur d'une race
nouvelle au niveau des princes les plus puissants de F^rance.
Les descendants d'Ingelger se montrèrent dignes de la for-
tune qi:e leur avait léguée leur père. Foulques \", son fils
et son successeur en 888, réunit en un seul gouvernement
les deux comtés d'Anjou. FouLnur.sII, son fils, comte d'.-Vn-
jou en 938 , devait être un prince bien téméraire ou bien
puissant, si, comme on l'assure, en répondant à une raille-
rie du roi Louis d'Outremer, il osa lui dire : qu''un roi il-
lettré était un âne couronné. Geoffroi F"", son fils, comte
d'.\njou en 959, surnommé Grisegonelle de la couleur de
sa tunique, secourut Lothaire contre Othon , roi de Ger-
manie, qui menaçait Paris. En récompense de ses services,
Giisegonelle reçut du roi Lothaire l'inléodation au comté
d'.\njou, pour lui et ses successeurs, de la charge de séné-
chal de France, alors la première dignité militaire de la
couronne. Fin 980 le comte d'Anjou battit Conan le Tort,
comte de Rennes, et il conquit la villeetle territoire de Lou-
dun sur Guillaume Fier à Bras, comte de Poitiers, en 985.
F'oir.QUES m, surnommé Xerra ou le Noir, prince qui
ternit la plus rare valeur i)ar la violence et la fourberie, suc-
céda à GeolTroi l''"^ son père en 987. Il fut heureux dans
toutes ses guerres contre ses voisins. Sa puissance était si
redoutable que le roi Robert n'osa pas tirer vengeance du
meurtre de Hugues de Béarnais, son favori, que Foulques
fit poignarder à la chasse sous les yeux mêmes du monar-
que. Les abbayes de Bcaulicu, de Saint-Nicolas et du Ron-
ANJOU — ANKAllSTRŒM
ccral d'Angers, tloivcnl ItMir fonilalion aii\ remords de ce
prince sanguinaire. Les froquenîs pèlerinages qu'il fit h la
Terre Sainte pour les apaiser lui ont fait donner le surnom
Ac Jérosolymitain. Au retour de son dernier voyage, il
mourut à Metz, le 21 juin 1040, laissant ses Ktats il (".koi-
moi II, surnommé Martel, son fils. Celui-ci les accrut de
la ville de Toui-s et d'une partie de la Touraine, que lui
donna Henri T"", roi de France. Mais une révolte contre c«
prince lui coula les villes d'Alençon et de Domfront. La
guerre opiniâtre qu'il fit ensuite à Thibaut, comlc de Blois,
« ut plus de succès, sans qu'il en liràt plus d'avantages. Ce
comte, qui tut le dernier de la race d'ingclger, fut aussi le
seul à qui la fortune se montra constanunent contraire. Il
finit ses jours en labbaye de Saint-Nicolas d'Angers, le 14
novembre lOGO.
Lnnengarde d'.\njou, fille de Foulques Nerra, avait été
mariée à Geoiïroi Ferréol, comte de Cliàteau-Landon ou
du Gàtinais. KUe en eut deux fils, Geoffroi III et Foll-
QiES IV le Ricbain, à qui le partage des États du comte
Geoffroi Martel, leur oncle , mit les armes à la main l'un
contre l'autre, jusqu'à ce que Foulques le Ricliain eût dé-
pouillé entièrement son frère, à l'instigation de la fameuse
Bertiatle de Montfort, qui des bras de l'oulques était pas-
sée, par un enlèvement concerté, dans ceux du roi Philippe.
Le comte d'.\njou dtclara la guerre, en 1 103, à Geoffroi IV,
son propre fils, issu d'un premier mariage avec Ermen-
garde de Bourbon -l'Arcliambaud, qu'il voulait priver de
ses avantages au profit de Foclques V, issu de Bertrade
de .Montfort. Le succès ne couronna pas cette odieuse ini-
quité. Les triomphes de Geoffroi le réconcilièrent avec son
père, qui perdit en lui son plus ferme appui, lorsqu'il fut
tué au siège de Coadé en 1106. Foulques V, dit le Jeune,
comte d'Anjou en 1109, s'iUnstra par la bataille rangée
qu'il gagna sous les murs d'.\lençon, en 1118, contre le roi
d'Angleterre et les comtes de Blois. Ce comte déploya une
grande magnificence dans un voyage qu'il fit à la Terre
Sainte en tl20. Plus tard, il contribua à chasser les Impé-
riaux de la Champagne, et commanda l'avant-garde de l'ar-
mée française dans l'expédition de Louis le Gros en Auver-
gne. En 1129 Foulques passa à la Terre Sainte, où, veiTf
«l'Eremberge, comtesse du Maine, il épousa en secondes
noces Mélissende, fille aine de Baudoin II, roi de Jéru-
salem, et fut créé comte de Ptolémakie et de Tyr. Deux ans
après il succéda à son beau-père sur le trône de Jérusalem,
régna jusqu'en 1144 avec gloire, et laissa ce trône à ses fils
issus du second lit, Baudoin III et .\maury. Le pre-
mier mourut sans enfants en 1162. Amaury laissa le trône
à son fils Baudoin IV ; la lèpre emporta ce prince en 1186.
Baudoin de Monforrat, fils de Sibylle d'Anjou, sœur de Bau-
doin IV, lui succéda sur le trône de Jérusalem.
Geoffroi V, dit PI an ta genêt (parce qu'il ornait son
risque d'un genêt), surnom que sa race a immortalisé dans
l'histoire, fils aîné de Foulques V et d'Eremberge du Maine,
.succéda à son père dans le comté d'Anjou, en 1128. Comme
mari de Mathilde d'Angleterre, fille du roi Henri F'', il se
porta pour héritier de ce monarque en 11. 35. Mais, prévenu
par Etienne, comte de Boulogne, qui se fit reconnaître roi
d'Angleterre, et par Thibaut, cornte de Blois, que la Nor-
mandie appela pour la gouverner, il se vit forcé de recourir
aux armes pour conquérir son héritage. A sa mort, en 1151,
il était possesseur de cette province. La couronne d'Angle-
terre revint à Henri II, son fils, qui se fit couronner à West-
minster le 19 décembre 1 1 54. La postérité de celui-ci a régné
331 ans, et a donné quatorze rois à l'.^ngleterre.
Le comté d'Anjou resta attaché à la couronne d'Angle-
terre, sauf l'hommage dû aux rois de France jusqu'en 1246,
où Louis IX en investit son frère Charles, cornte de Pro-
vence , qui fut ensuite roi de Naples. L'aînée des filles de
Charles II, roi de Naples, fils de Charles F'', nommée Mar-
guerite, porta on dot, en 1290, les comtés d'Anjou et du
615
Maine h Charles , comte de Valois, fils puîné du roi Phi-
lippe le Hardi. Ces provinces passèrent au roi Philippe de
Valois, issu de leur mariage, puis au roi Jean, qui en 1356
en investit Louis, son second fils, avec titre de duché-pairie.
Ré4;ent du royaume pendant la minorité du roi Charles VI,
son neveu, il racheta , par d'éminents services rendus à la
France durant la guerre contre les Anglais, le juste reproche
qu'on lui avait fait d'avoir épuisé le trésor pour se mettre,
en état de prendre possession du royaume de Naples , que la
reine Jeanne T'' lui avait transmis en l'adoptant pour son
héritier. Louis d'Anjou mourut de chagrin à Biseglia, près de
Bari, le 20 septembre 1384. Lolis II, son fils, lui succéda dans
'e duché d'Anjou et les comtés du Maine et de Provence.
Après plusieurs expéditions en Italie, il mourut à Angers, le 29
avril 1417. Loiis III, son fils aîné, mourut à Cosenza, le 15
novembre 1434, au moment de voir couronner ses desseins.
Son frère, René d'Anjou , à qui l'histoire a conseiTé avec
un respect religieux le surnom de bo7i roi René, que lui
donnaient ses contemporains, lui succéda dans ses États et
dans ses droits au trône de Sicile. Ce prince, né en 1409,
après avoir perdu Naples et l'Aragon , fut encore dépouillé
de son duché d'Anjou par le roi Louis XL II mourut à Aix,
le 10 juillet 1480. René laissait, outre Nicolas, duc de Lor-
raine, Yolande d'Anjou, mariée à Ferri II de Lorraine,
comte de Vaudcmont , et ^larguerite d'Anjou , femme de
Henri VI , roi d'Angleterre. Celte seconde maison d'Anjou
s'éteignit en 1481, dans la personne de Charles d'Anjou , roi
titulaire de Naples, de Sicile et de Jérusalem, comte du
jMaine, fils de Charles d'Anjou, comte du Maine, frère du
roi René.
Dès l'année 1474 le roi Louis XI s'était en quelque sorte
saisi du duché d'Anjou , en mettant garnison dans la capi-
tale. Il le réunit définitivement à la couronne en 1480, mal-
gré les réclamations du duc de Lorraine. Depuis cette
époque l'Anjou ne fut plus qu'un titre d'apanage réservé
aux fils puînés de nos rois. Les quatre fils du roi Henri II
ont porté successivement ce titre , ainsi que deux fils de
Louis XIV (morts jeunes). Philippe V, roi d'Espagne, et
Louis XV étaient titrés ducs d'Anjou avant leur avènement
au trône. Le second fils de Louis XV, mort en bas ;'ige en
1733, porta encore ce titre. LaLné.
AJV JOU ( Fka.nçois, duc d' ) , quatrième fils de Henri II,
né en 1554, porta d'abord le titre de duc d'Alençon. 11 assista
dans sa jeunesse au siège de La Rochelle. A la mort de
Charles IX, à l'instigation du parti dit des politiques, le
duc d'Alençon tenta d'écarter du trône son frère Henri III,
alors roi de Pologne ; mais ses desseins échouèrent, et son
favori La Mole fut décapité. Après avoir passé quatre ans en
prison, le duc d'Alençon fut mis en liberté, et se plaça à la
tète de la noblesse prolestante du royaume. Cependant il ne
tarda pas à faire sa paix avec la cour, et reçut en apanage le
Berri, la Touraine et l'Anjou. La guerre civile recommença
en 1576, et cette fois le duc d'.\njou combattit ses anciens
alliés , et leur prit la Charité-sur-Loire et Issoire en Au-
vergne. L'année suivante les Flamands, révoltés contre
Philippe II, l'appelèrent à leur secours; de brillants succès
disposèrent si bien les esprits en sa faveur qu'il fut reconnu
souverain des Pays-Bas. Il faillit alors é])ou.-er la reine
Elisabeth. î\Iais sa fortune ne fut pas de longue durée; il
Toulut confisquer les libertés de la nation qui l'avait t lu. Une
insurrection générale éclata aussitôt; les écluses qui re-
tiennent les eaux sont ouvertes et ces riches provinces ne
sont plus qu'une mer immense ; F'rançois, contraint d'opérer
une retraite précipitée, perdit la plus grande partie de son
armée. Le ciiagrm qu'il en ressentit abrégea ses jours ; il
mourut le 10 juin 1584.
AXKARSTKOE^M ( Jeax-Jacqles), l'assassin du roi
de Suède Gustave 111, né en 1761, fils d'un lieutenant-
colonel, fut admis à la cour, dans sa première jeunesse, en
qualité de page, et entra ensuite dans les rangs de l'arméî.
RI 6 a:<IvArstrœm
Mais (lès l'année l7S3il aban<lonna la carric-re militaire, où
déjà il était parvenu an grade de capitaine, et se retira alors
à la campagne, où il se maria. A un caractère violent il
joignait des mœurs rudes et grossières, et témoignait d'une
hostilité systérnati<iue à l'égard de toutes les mesures adop-
tées i)ar le roi , surtout quand elles avaient pour but de
mettre des limites à la puissance du sénat et de Taristocratie.
Par suite d'intrigues auxquelles il prit jiai t dans l'île de Goth-
land, il fut impliqué, en 1790, dans un procès de lèse-ma-
jesté ; mais, faute de preuves sullisantes, la justice dut
prononcer son acquittement. La liaine personnelle qu'il avait
vouée au roi s'accrut encore, à cause de la sévérité avec la-
quelle on en agit avec lui pendant l'instruction de son procès.
11 revint dans cette même année 1790 à .Stockholm, où il
prit part, avec le général de Peehlin, les comtes Horn et
Ribhing, le baron Bielke, le lieutenant-colonel Liijeliorn et
d'autres encore, à un complot ayant pour but d'attenter à
la vie du roi. .\nkarstrœm réclama l'honneur d'être chargé
de l'exécution de la sentence de mort prononcée contre
Gustave; mais Ribbing et Horn le lui disputèrent. On con-
vint de s'en rapporter au sort, et le sort décida en faveur
d'Ankarstrœm. En 1792, le roi ayant convoqué la diète du
royaume à Gellè , les conjurés s'y rendirent , dans l'espoir
d'exécuter leur projet; mais ils n'en trouvèrent pas l'occa-
sion. Il leur fallut attendre jusqu'au 15 mars, où l'on savait
que le roi irait au bal masqué. Ankarstrœm tira un coup de
pistolet au roi, (ju'il blessa mortellement. Reconnu et arrêté,
il avoua son crime, mais se refusa courageusement à ré-
véler les noms de ses complices. Condamné à mort le 29
avril 1792, il fut d'abord fouetté de verges pendant plusieurs
jours de suite, puis conduit en charrette à l'échafaud. Pen-
dant tout le trajet il fit preuve d\i plus grand calme, et
jusqu'au dernier moment se vanta de son crime comme
d'un acte glorieux.
AXKYLOSE ( du grec ày/.O/o;, courbe ). Les méde-
cins donnent ce nom à une maladie des articulations , con-
sistant en une roideur qui s'oppose aux mouvements natu-
rels à ces parties , comme si les os n'étaient plus que d'une
seule pièce. C'est une ossification des jointures , produite
tantôt par l'Age, tantôt par une disposition particulière, et
qui les rend inunobiles. Il y a, du reste, des degi'és dans
cette maladie, qui peut être complète ou incomplète.
Quand elle est complète ou vraie, c'est-à-dire lorsque toutes
les articulations s'ossilient , et que le patient est pour ainsi
dire pétrifié de son vivant , il est sans doute inutile de dire
que l'art n'a point de ressources pour combattre une pa-
reille affection. Tout ce qu'il peut faire, c'est de la diriger
dans le sens le moins iftcommode : par exemple , si c'est
aux membres inférieurs qu'elle se fixe , on cherchera à la
diriger dans le sens de l'extension ; si c'est aux membres
supérieurs, dans celui de la flexion. Quand elle est incomplète
ou fausse, elle est causée par l'épaississement de la sy-
novie dont les articulations sont enduites. A la suite d'in-
flammations aiguës et chroniques, ce liquide s'endurcit
quelquefois comme du plâtre, et colle les os ensemble. Les
cas les plus ordinaires se pré.sentent en effet à la suite de
plaies, de contusions, de luxations ou bien de rhumatismes
aigus ou chroniques ; souvent aussi après une longue inac-
tion à laquelle un membre s'est trouvé condamné par .suite
d'une fracture ou d'un accident. Le remède à appliquer alors
dépend des causes qui ont amené l'ankylose; on peut dire
cependant en général que les bains tièdes, les fomenta-
tions émollientes , les douches de vapeur simples et com-
posées, les tractions modérées, sont avantageuses pour
rendre aux articulations leur élasticité première. Laléno-
1 0 m i e et l'extension forcée ont été employées aussi dans ces
-ilerniers temps.
AX\ A PEREX A' \, nymphe du fleuve Numicus, dont
le cuite parmi les Latins remontait à une haute anti-
quité. Plus tsrd , quand le peuple romain , pour se dérober
— ANNALES
à la tyrannie des patriciens, se vit forcé de se retirer sur
le mont Sacré , il crut voir cette nymphe dans une vieille
femme qui avait apporté secrètement des vivres au camp ;
et, de retour dans la ville, on institua en son honneur
une fête qui tombait le 15 mars. A une époque postérieure
on confondit cette Anna Perenna avec .\nne, sœur de Uidon ;
et on imagina la légende suivante : Lorsque Uidon eut mis
fin à ses jours, Hiarbas s'empara de Carthage ; et sa sœur
Anne fut forcée de prendre la fuite. D'abord elle se réfu-
gia auprès du roi Battus, dans l'ile de Malte; mais elle n'y
fut pas longtemps en sûreté, son frère Pygmalion , roi de
Tyr, ayant menacé Battus de la guerre. Elle prit donc de
nouveau la fuite, et après une foule de traverses, arriva
en vue des côtes du Latium. A peine y fut-elle débarquée
que son bâtiment, demeuré à l'ancre, s'engloutit et dis-
panit dans les flots. Énée, qui était déjà roi, l'aperçut, et
.\chates accourut bien vite lui ajiprendre quelle était l'é-
trangère. Il l'accueillit dans son palais avec un empresse-
ment tel , qu'elle ne tarda pas à y exciter la jalousie de La-
vinie, qui songea à se débarrasser d'elle à tout prix et même
par le meurtre. Didon apparut alors en songe à sa sœur,
et l'instruisit des dangers qui la menaçaient. Anne prit aus-
sitôt la fuite; mais, par suite de l'obscurité de la nuit , elle
tomba dans le lleuve ÎSumicus , où elle se noya ; et Enée ,
s'étant mis le lendemain matin à sa recherche, entendit
sortir du fleuve une voix qui lui .••.p[irit qu'Anne était de-
venue nymphe du Numicus, sous le nom d'Anna Perenna.
Une fois passée ainsi demi-déesse , Anna Perenna prit la
vie du bon côté , et joua force tours aux immortels. Par
exemple, ayant un jour promis à Mars de le réconcilier avec
Minerve , et même de lui faire obtenir ses faveurs , elle prit
la grave figure de la déesse de la sagesse , et , à l'aide de
ce déguisement , reçut les embrassements du fils de Jupiter.
Anna Perenna devint donc la divinité tutélaire des joyeux
vivants : aussi sa fête, qui attirait une foule immense au
Champ de Mars , et dont Ovide nous a laissé une descrip-
tion envers pleine de grâce, était-elle l'une des plus gaies
de Rome. Ordinairement on prédisait à celui qui faisait
des libations en l'honneur d'Anna Perenna autant d'an-
nées à vivre encore qu'il pourrait vider de coupes à l'inten-
tion d'une nymphe , véritable type de la bonne fille de
notre Béranger. De là cette expression proverbiale : Com~
mode perennare, qui revient à cette formule philosophique
si vantée aujourd'hui dans im certain monde : Faire la vie
courte et bonne.
Aj\'iVABERG, ville de Saxe, située dans l'Erzgebirge,
près du Bilberg, a un lycée, une bibliothèque de 15,000
volumes, plusieurs beaux édifices, entre autres l'église de
Sainte-Anne, bâtie de 1499 à 1525 : c'est un des temples pro-
testants les plus richement décorés qui existent. Fondée par
le duc Albert, en 1496, elle possède 644 maisons, avec 8,000
habitants, qui longtemps ont vécu presque exclusivement
du produit de leurs mines; mais insensiblement sa fabrica-
tion de dentelles, de passementerie, de rubanerie, de tulles,
de gazes , de soieries , de mérinos , de tricots , ses teintu-
reries, ses brasseries ont pris la place de cette branche d'in-
dustrie, devenue beaucoup moins lucrative. Les mines en
question sont d'étain , de fer, d'argent et de cobalt.
AjVXALES. On a longtemps confondu les annales
avec l'histoire, les chroniques, les fastes; mais la
valeur respective de ces mots est aujourd'hui parfaitement
déterminée. On appelle annales la simple relation das évé-
nements faite année par année sans les rattacher les uns
aux autres dans les périodes qui les embrassent. Tacite
donnait le nom d'annales au récit des siècles passés , et ré-
senait le nom d'histoire pour les faits contemporains ; mais
Aulu-Gelle jtense que l'histoire et les annales diffèrent entre
elles connue le genre et l'espèce , et définit celles-ci à peu
près connue on l'entend généralement à présent. L'opinion
de cet écrivain ne fait d'ailleurs que reproduire celle de
ANNALES •
Cicéron. Celui-ci ajoutait mi*me que l'histoire avait dû coiti-
nicncor par une collection d'annales. Ce sont en effet à
proprement parler les documents de l'iiisfoire. L'annaliste
enregistre les faits sans se préoccuper d'autre chose que de
l'exactitude et de l'ordre chronologique; l'œuvre de l'his-
torien est d'un ordre plus élevé. A l'aide d'une philosophie
éclairée , d'une critique impartiale et sévère , il groupe les
faits, en montre l'enchaînement , apprécie les hommes et
les choses , et de la science du passé fait l'enseignement
de l'avenir. Quoi qu'en ait dit Yollaire , toutes les nations
ont eu des annales.
Les plus anciennes annales sont celles de la Chine; elles
remontent jusqu'au régne de Fohi, l'an 3.131 avant l'ère chré-
tienne, ou plusieurs siècles avant le déluge. Chez les égyp-
tiens leurs prêtres étaient chargés d'écrire les annales. Hé-
rodote et Diodore de Sicile les consultèrent avec le plus
grand profit. Le même usage existait chez les Hébreux et les
Chaldéens, qui écrivaient sur des briques cuites leurs obser-
vations astronomiques. Les fameux marbres du comte d'A-
rundel , découverts dans lîle de Paros au commencement
du dix-huitième siècle, contenaient les annales des Athé-
niens. A Piome c'était le grand pontife qui était chargé de
rédiger les mmales oufastcs. Les Péruviens, qui ne connais-
saient point l'écriture , enregistraient les faits de leur histoire
au moyen de cordelettes nouées. Voltaire fait observer à ce
propos qu'avec ce procédé ils ne pouvaient guère entrer
dans de grands détails; cette critique est plus spirituelle que
juste, puisque ces nœuds formaient pour eux un véritable
alphabet. Les Mexicains se servaient pour le même objet
de plumes de différentes couleurs figmant de véritables
tableaux. Les nations modernes doivent les plus beaux tra-
vaux de leurs historiens aux humbles écrits des moines ,
ces annalistes du moyen âge. Parmi ceux-ci Grégoire de
Tours, Saxo Grammaticus, Adam de Brème et Nestor mé-
ritent d'être cités plus particulièrement.
ANXAM ou AIVÀ.M , empire de la côte orientale de
la presqu'ile de l'Inde qui s'est formé vers le milieu du dix-
huitième siècle des royaumes de Tonkin et de la Cochin-
chine, jadis séparés et pour la plus grande partie soumis à
la Cliine , de certaines portions de l'ancien royaume de
Camboge, ainsi que de Champa et du territoire de I\Ioï.
On évalue sa superficie totale à environ cinq mille trois cents
myriamètres carrés. 11 est borné au nord par les provinces
chinoises de Kouaoung , Kouangsi et Junnm , à l'ouest par
le territoire de Laos, par Siam et un reste de Camboge , au
sud et à l'est par la mer de la Chine méridionale. Le i\Iay-
kaung le parcourt du nord au sud , et forme à son embou-
chure un immense delta. Le plus grand fleuve qu'on y
trouve ensuite est, au nord-est, le SangKoï. Une des chaînes
de montagnes malaies s'étend à travers la partie septentrio-
nale d'Annam jusqu'aux frontières occidentales du pays,
dont elle occupe au sud l'intérieur, en n'envoyant çà et là
(jue quelques ramifications latérales vers la côte dont le sol
est presque constamment plat. La chaleur, qui devrait être
pour le climat d'Annam le résultat de sa situation tropicale ,
entre le tropique du Cancer et le neuvième parallèle , est
tempérée par l'induence rafraîchissante de la mer dune ma-
nière aussi agréable que favorable à la plus magnifique vé-
gétation. Tout ce pays est sujet aux moussons. Celle du sud-
ouest, qui règne d'avril à octobre, y amène les pluies; celle
du nord-est , qui souffle d'octobre à avril , y produit la sé-
cheresse. Mais la partie nord-ouest est exposée aux terri-
bles dcvastidions des typhons, ouragans particuliers aux
mers de la Chine. Le règne minéral y offre , outre les mé-
taux précieux, du cuivre, du fer et de l'étain. Kn fait de
produits du règne végétal, il faut mentionner le riz, le maïs,
la racine d'yam, un grand nombre d'arbres à fruits et d'é-
pices. Le commerce recherche jilus particulièrement la can-
nelle, le poivre, le coton, le bois d'aloès à cause de son par-
tum et les bois de charpente d'Annam. On trouve en outre
UICT. UE LA l,O.N\tK;vnI;!.N. — T. 1.
AX>'AT!:S 617
dans l'intérieur du pays l'arbre à vernis et l'arbre à gomme
putte. Le règne animal présente surtout de beaux élépliants,
des tigres , des rhinocéros , des chèvres musquées et des
bufllcs; mais les chevaux y sont d'une très-petite race. La
cullure de la soie y est extrêmement florissante.
Les habitants, désignés sous le nom générique d'Anna-
mites, sont pour la plus grande partie d'origine mongole,
et c'est seulement vers le sud qu'on les trouve mélangés de
Malais. Ils se distinguent entre tous les autres peuples de
l'Asie par leur taille exiguë et ramassée, par la beauté de
leurs formes et la rondeur de leurs têtes. Les voyageurs
s'accordent à représenter le caractère général de cette na-
tion conmie gai, bon et affable. La plupart des tribus font
profession de bouddhisme; mais il en est aussi qui profes-
sent la religion de Cmfucius. Leurs prêtres {talapoins)
lonacnt une classe inférieure et peu estimée. La langue des
Annainitesest monosyllabique, et ressemblepour la construc-
tion comme pour le caractère à celle des Chinois. Ils n'ont
point de littérature pro[)re. En ce (pu touche le développement
industriel dos Annamites, on reconnaît partout chez eux
l'influence chinoise, de même qu'une aussi grande aptitude
que les Chinois à tous les travaux d'arts, quoiqu'ils ne l'exer-
cent pas au même degré. D'ailleurs, malgré les nombreux
éléments de richesse fournis par le sol, le commerce y
est sans activité et se borne à quelqties relations avec la
Cliine , Siam et les ports anglais du détroit de Malakka. Le-s
principales villes commerciales de l'empire d'Annam sont
Kan.gkao, Saïgoun, capitale du Camboge, iNathrang ,
IMiouyen, Qouinhone , Faïfo , Hue, capitale de la Cocliin-
cliine , et Kéclio , capitale du Tonkin.
Le gouvernement d'Annam est basé sur le despotisme le
plus absolu. L'empereur, père de tous ses sujets, en est aussi
le souverain maiire. Il reçoit d'ordinaire l'investiture de
l'empereur de la Chine, bien qu'il roit complètement in-
ilèpendant. Le nom d'.4HHrt»n veut dire le Sud paisible. En
1831 , l'empereur d'Annam, dont le père avait autrefois sol-
licilé l'alliance de la France, se mit à persécuter les chré-
tiens. Depuis, un grand nombre de missionnaires subirent
le martyre. La France réclama à plusieurs reprises ; enfin, en
1858, elle entreprit, de concert avec l'Espagne, une expé-
dition contre cet empire {voyez Coculnchine]. *
AIWAPOLIS. Il y a deux villes de ce nom dans l'A-
mérique du Nord. — L'une, bâtie sur les bords de la Foun-
dibay, est une place forte du gouvernement anglais de la
Nouvelle-Ecosse. Elle est peuplée île 1,200 habitants. Jus-
qu'en 1710 elle avait porté le nom de Port-Royal, et avait
appartenu aux Français. Prise d'assaut celte année-là par
les Anglais, elle reçut des vainqueurs le nom iV Anyiapolis ,
en l'honneur de leur reine Anne; et le traité de paix d'U--
trecht en consacra solennellement la cession à l'Angleterre
par la France. Une rivière du même nom, qui se jetff dans
la baie, a un cours extrêmement rapide, et rend l'entrée
de son port assez dangereuse aux bâtiments d'im fort ton-
nage. — L'autre <4«napo/t5, capitale de l'État de Maryland,
est bâtie sur une presqu'île à l'embouchure de la Severn dans
la baie de Chesapeake. Sa population est de 3,000 âmes, et
elle possède un théâtre , ainsi qu'une banque. Son liôlel'de
ville est un des plus beaux édifices de ce genre en Amérique.
AVIVATES, revenus annuels que le pape prélève sur
chaque prébende dont il donne l'investiture. On distinguait
quatre espèces d'annates : l'annate proprement dite était
celle qu'on percevait sur tous les bénéfices , à l'exception
des évêchés et des bénéfices consistoriaux ; Yarinnte com-
mune était la redevance payée , conformément à im ancien
règlement, par les évêchés et les bénéfices consistoriaux.
La moitié du produit était attribuée exclusivement au pape ;
l'autre moitié revenait au sacré-collége. On appelait /)^^(/e
(iniirdecxtWo. qui consistait dans une légère fraction addition-
nelle à l'annate <les évêchés et des bénéfices consistoriaux ;
elle était distinéc à quelques officiers du j'ape. Ijilin, use
7»
GIS
ANKE
biillt; Ju pnjw Paul 11 ayant ordonné que iwnrles l)(5néfices
unis à (juelque communauté, les annatcs seraient payées de
quinze ans en quinze ans, cette dernière annate fut nommée
unnatc de. quinze ans.
Le concile de liàle avait ûié aux souverains pontifes le
«Iroit d'annates, (pii leur fut rendu par les concnrdata tjcr-
manica. Ce droit date du quatorzième siècle. 11 existe dans
la chancellerie de la cour [lontiiicale de Rome une taxe gé-
nérale des revenus de tontes les préhendes. — Ce (ut
Jean XXII qui introduisit les Annatcs en France, vers 1320;
IJonil'ace IX conlirma ce droit par une sentence décrétale.
Clément VII ordonna que la moitié du revenu de tous les
bénéfices de France serait réservée au sié^c papal et à
l'entretien des cardinaux. Une ordonnance de Charles VI,
de Tan i:;S5, abolit pour la première fois cette coutume,
qui lut à i)lusieurs fois remise en vigueur , puisque saint
Louis , par l'article 5 de la célèbre Piaguiaticiue, prononça
contre elle une abolition qui fut renouvelée par un arrêt du
parlement, le 11 septembre 1406. Des lettres patentes l'a-
vaient rétablie en lôG2, et elle avait subsisté jusqu'à l'épo-
que (le la révolution franvaise , lorsque les lois des 11 août
et 21 septembre 178'.) viiuent prononcer l'abolition délinitive
de ce droit en France. Voijcz Biens Ecci.F.siAsriQUii:s.
Depuis le concorilut du 18 germinal an X on paye tou-
jours une certaine somme à la cour de Rome, pour l'expédi-
tion des bulles des ecclésiastiques promus à des archevêchés,
à des évéchés, ou au cardinalat.
Ai\i\E (Sainte), fille de Matban, prêtre de Bethléem,
de la l'ainille d'.Varon, ayant épousé saint Joachim, devint
mère de la sainte Vierge, après vingt-deux ans de stérilité.
Ce sont les seuls détails cpie l'on possède sur cette sainte,
dont le nom hébraïque, Cliannah, signilie r/racicuse. Des
auteurs sacrés prétendent qu'elle se remaria deux fois , la
première avecCléophas, dont elle eut une fdlenommée Marie,
femme d'Alphée, et mère de saint Jacques le Mineur; la se-
conde avec Salomé, dont elle eut une autre ."^îarie, qui épousa
Zébédée et le rendit père de saint Jacques le Majeur et de saint
Jean l'Évangéliste. La mémoire de sainte Anne fut honorée
en Orient des les premiers siècles du christianisme. L'em-
pereur Justinien plaça sous son invocation plusieurs églises
qu'il avait fondées. Sa fête ne s'introduisit que beaucoup
plus laid en Occident , oii eile n'était pas encore célébrée
nu temps de saint Bernard. Le jour qui lui est consacré varie
avec les diocè;^es, et se trouve le 23 , le 26 ou le 28 juillet.
On assure qu'en 710 son corps fut apporté de la Palestine à
Constanlinople, et plusieurs églises se glorifient de posséder
de se; reliques ; mais ces prétentions ne sont pas plus justi-
fiées que les autres récits consignés dans les légendes rela-
tives à celte sainte.
AiWE (Ordre de SA1ISTE-). Cet ordre russe , aujour-
d'hui très-commun, appartenait primitivement au Holstein.
11 avait été loadé, le 3 février 17:îr), par Charle.s-Frédéric,
duc de llolstein-Gottorp, en l'honneur de la duchesse, son
s^pouse, Anne, fille de Pierre le Grand et de l'impératrice
Anne Ivaiiovna, alors régnante. Il passa en Russie avec
Pierre Fudorovitcli, fils du duc, et nous trouvons dès 1742
l'impératrice Llisabeth le conférant au fils du lèld-maréclial
Chérémelief. Cependant, il continuait à être considéré
comme ordre étranger. Sous Catherine II le grand-duc Paul
i-n ét;iit le dispensateur. Ce ne fut que lorsqu'il parvint réel-
lement à l'empire, en 17i)«, (pi'il l'admit au nombre des ordres
russes. An commencement l'ordre de Sainte-Anne n'avait
qu'une seule classe, (îe quinze chevaliers ; maintenant il se di-
vise en quatre classes et même en cinq si l'on fait entrer en
ligne decouqite celle des simples soldats, qui reçoivent une
décoration modiliéc. La croix est rouge et émaillée. On la
suspend à un ruban également rouge, liseré de jaune. Au
milieu de la plaque, que Ton porte à droite, se dessine une
«Toix rouge, avec cctic devise : Amanlibus intlalcm, jas-
iUïam,Jid(.'m.
ANXE COAÏ^^E^^!:, fillc de l'empereur de Constant}-
no[)le Alexis Comnène V^. Voyez Com.^ène.
ANXE DE DEAUJEU, fille de Louis XI, épouse du
seigneur de Heaujeu. l'oyes Beaujeu.
ANNE DE BRETAGNE , reine de France. — Fille
unique de François H , duc de Bretagne , et de Marguerite
de Foix, elle naquit à Nantes, le 2G janvier 147C. Elle
n'avait (pie cinq ans lorsqu'elle fut fiancée eu 1480 à
Edouard , prince de Galles , fils d'Edouard IV , roi d'Angle-
terre ; ce jeune prince ne comptait que neuf ans. Il fut
assassiné deux ans après par le duc de Glocester, son oncle,
qui s'empara du trône, et prit le nom de Richard 111. La
petite princesse Anne , reine future de l'Angleterre , se
trouva ainsi veuve h sept ans.
Le duc François II confia son éducation à la dame de
Laval, qui se montra digne de ce choix. Aune pouvait pré-
tendre auï. plus brillantes alliances. A peine àgce de treize
ans, elle se vit recherchée par plusieurs princes, entre lesquels
on distinguait Alain, sire d'Albret, le duc d'Orli'ans, qui
fut depuis le roi Louis Xll, Maxiinilien d'Autriche, roi des
Romains, héritier présomptif de l'Empire, et le jeune comte
de Richmond , dernier rej^jîon de l'illustre et malheureuse
maison de Lancastre. Le duc d'Orléans , premier prince du
sang de la mai.son de France, ne dut qu'à lui-même la
préférence sur tous ses rivaux. 11 était aimé. Cette albance
entrait parfaitement dans les convenances et surtout dans
les affections du duc François, ami de tous les ennemis de
la famille régnante de France. Si Anne n'avait consulté que
son cœur, le duc d'Orléans l'eût dès lors emporté ; mais
l'ambition, le vœu des états de Bretagne, l'extrême désir
qu'éprouvait la princesse de perpétuer la souveraineté de
Bretagne dans sa maison firent tourner la chance en faveur
de l'archiduc Maximilien, (pii l'épousa par procureur,
en 1490. Cette seconde alliance eut le .sort delà première;
elle resta sans elfet, et la Bretagne échappa à la maison
d'Autriche.
Après le traité de Coiron et la mort du duc François ,
Anne se trouva maîtresse de sa principauté et de son cu-ur.
Le duc d'Orléans fut encore contraint de sacrifier ses plus
chères espérances : Charles VIII, qui avait fait S(>s disposi-
tions pour se rendre maitre de la Bretagne, demanda la
main de la princesse Anne. La réunion de la Bretagne à la
l'rance fut une des conditions de ce mariage. La paix de
cette province et de la France en devint l'heureux résultat.
Le contrat et la célébration nuptiale curent lieu à Langeai
en Touraine, le 16 décembre 1491. La noblesse de Bretagne
aurait préféré lui donner pour époux l'arcliiduc Maximilien;
nuiis en refusant Charles VIII Anne eiit exposé cette belle
province à être conquise et morcelée.
Ce mariage rendit, aux Bretons la paix et l'espoir d'un
meilleur avenir. Anne, après la célébration nuptiale, ac-
compagna son époux au Plessis-lès-Tours, où ils séjournè-
rent quel(iue temps; chaque jour élait marqué par de nou-
velles fêles. Leur marche de Tours à Paris fut triomphale,
La cérémonie du sacre de la jeune reine fut célébrée à Saint-
Denis , le 8 février 1492. « Il la faisait bon voir, dit Saint-
Gelais, historien contemporain; car elle était grande, belle,
jeune et pleine de si bonne grâce (pie l'on prenait plaisir à
la regarder. On ne lui reprochait tout bas qu'un léger défaut
physique ; elle éiait un peu boiteuse. » Le lendemain elle
fit son entrée à Paris , et prit le titre de reine-duche.sse. Elle
ne vit pas sans chagrin beaucoiq) de Bretons dans le cortège
et dans les groupes qui se pressaient sur son passage. La
réunion de la Bretagne à la France élait consommée ; mais
tout ce qui rappelait cet événement lui élait pénible. Elle
considérait toujours ;es Bretons comme une nation étran-
gère à la France, et toute sa conduite fut la conséquence
de celle conviction.
Cependant la mort du dauphin son fils avait rapproché le
duc d'Orléans du IriJne. La joie <i!t'il laissa éclater à cette
ANNE
occasion (<fait une insulte h la douleur d'une mère. Peut-
*tre la roine se fromiia-t-cllc sur les Ti^ritables intentions
du duc , plus calant qu'ambitieux. Mais Anne ne savait
aimer ni hair faililemcnt. Mlle cmiiloya tout son ascendant
sur le roi pour lui rendre le duc d'Orlc^aus suspect. Les
choses en vinrent au point que le duc so crut obli-ié de se
justilicr. On l'accusait d'atleuter aux droits, à rautoritiS du
roi , et de conspirer dans son gouvernement de Normandie.
Anne triompha , et le duc fut obligé de quitter la cour et
sou gouvernement, et de se retirer à Rlois. Il ne dt^pendit
pas de la reine qu'il ne fiU exilé plus loin. Quoi qu'il en soit,
il ne reparut plus à la cour tant que Charles VIII vécut.
KUe avait gouvenié le royaume avec une grande habileté
pendant l'expédition de ce prince en Italie.
A la mort si prompte de son époux , Anne parut incon-
solable , et pendant les deux premiers jours elle refusa de
prendre aucune nourriture. L'ambition eut du reste une
grande part à cette douleur, trop fastueuse pour avoir un
autre motif. Elle se voyait descendre du plus beau trône de
l'Europe. Elle pleurait le plus débonnaire des époux , elle qui
était plus roi que lui et qui pouvait l'être longtemps encore;
car il n'avait que vingt-sept ans. Enlin elle perdait à la fois
et le trône royal de France et le trône ducal de Bretagne !
Reine et duchesse , elle n'était plus qu'une douairière sans
pouvoir. Ce duc d'Orléans, qu'elle haïssait autant qu'elle
l'avait aimé, devenait son seigneur et maître : à lui cette
belle couronne pour laquelle elle avait fait le sacrifice de ses
plus chères affections. Et pourtant .\nne n'avait que vingt-
sept ans , et jamais elle n'avait été plus belle.
Ambitieuse et vindicative , elle était au fond plus dévote
que pieuse; le goût des innovations était encore une de ses
passions dominantes. A la mort de Charles VIII , elle jirit
le deuil en noir ; jusque alors les reines l'avaient porté en
blanc, et delà le nom de reines blanches donné aux reines
douairières. Elle ordonna elle-même les obsèques du feu
roi , et lui fit construire un magnifique mausolée. Revêtue
du titre purement honorifique de duchesse, elle se retira en
Bretagne, y mena le train d'une souveraine, y fit battre
monnaie à son coin , rendit plusieurs édits sur les plus im-
portantes parties de l'administration , accorda des lettres
d'anoblissement et de grâce , convoqua les étals de la pro-
vince à Rennes. C'était protester hautement contre les
clauses du traité qui avait réuni la Bretagne à la France.
Le conseil du nouveau roi Louis XII ne pouvait s'y mé-
prendre ; mais Anne connaissait bien le caractère faible de
ce prince. Le roi de France était encore pour elle ce qu'a-
vait été le duc d'Orléans. 11 avait oublié avec quel aciiar-
nement elle l'avait persécuté , humilié depuis son mariage
avec le feu roi. Il ne se rappelait que l'amour qui les avait
unis dans leur jeunesse, et à peine sur le trône, son premier
vœu , sa première pensée, avait été de le partager avec elle.
Il lui fit proposer sa couronne et sa main. Anne affecta des
scrupules. Louis était rnarié depuis vingt-quatre ans ; mais
il pouvait divorcer, et il était ceilain d'obtenir l'assentiment
du pape : les négociations s'ouvrirent immédiatement entre
ses agents et ceux d'Alexan;lre VI et de son fils , César Bor-
gia. La séparation et la dispense n'éprouvèrent aucune dif-
ficulté sérieuse.
Louis XII, jusque alors épris de toutes les belles, ne parut
vivre que pour sa nouvelle épouse. Le mariage fut célébré à
^■antes, le 8 janvier 1491». Anne l'avait prévu; elle avait dit
aux dames de sa petite cour qu'elle redeviendrait reine de
France. Louis lui abandonna tous les revenus de la Bre-
tagne : elle les employait à faire les honneurs de sa cour, en
cadeaux aux liommes de lettres, aux artistes et aux capi-
taines qui avaient perdu leurs équi|)agesà la guérie. Louis
tomba malade à 151ois : Anne ne quitta pas le chevet de
son lit. On désespéra de ses jours, et la première pensée
«le la reine fut de tout disjioser pour son retour en Bre-
tague. Elle fit embanjuer sur la Loire ses diamants , ses
f)l9
meubles, ses effets les plus précieux : quatre bntcr.iix en
étaient chargés. Elle expédia par la même voie sa fille Jeanne.
Le maréchal de Gié fit arrêter le convoi enlre Saumur et
Nantes. En s'opposant à l'enlèvement clandestin de tant de
richesses, qui appartenaient en grande partie au domaine
royal, il remplissait un devoir. Louis recouvra la santé,
mais Anne ne put pardonner à Gié sa conduite.
Le maréchal avait gagné ses grades sur les champs de ba-
taille; Louis XII l'appelait son ami, et sur un mol d'Anne
il l'exila dans sa terre de Verger, l'accusa de péculat et de
lêse-majesté , laissa requérir contre lui la peine de mort, le
promena de tribunaux en tribunaux, et souffrit qu'il fût
enfin innocemment condamné à être dépouillé de tous ses
emplois et suspendu de sa dignité de maréchal pendant
cinq ans , avec défense d'approcher de la cour peudaut le
même espace de temps.
Ainsi dans son épouse, qu'il idolâtrait, Louis XII avait en
réalité son plus grand ennemi domestique : Anne ne for-
mait qu'un vœu , elle voulait à tout prix séparer à jamais
la Bretagne de la France. Cette belle province était la dot
de la princesse Claude, sa fille ; elle s'opposa au mariage de
cette princesse avec le duc d'Angoulème depuis François V.
Elle lui destinait un autre époux, Charles d'Autriche (de-
puis Charles V). Si ce funeste projet eût pu se réaliser,
l'existence politique delà Franc* aurait été gravemeîit com-
promise. Averti des conséquences de cette étrange alliance
par l'indignation et les plaintes de tous les ordres de l'État,
Louis XII résista aux vives sollicitations de la reine, et le
premier mariage projeté eut lieu. Jamais cette femme ne
montra la moindre sympathie pour la France, et le roi l'ap-
pelait sa Bretonne. Elle fut la première reine qui eut des
gardes. Outre la compagnie française attachée à sa maison ,
elle avait une escorte d'honneur de cent gentilshomn)es
bretons. Eux seuls l'accompagnaient partout. Presque tous
ses officiers , presque tous ses domestiques étaient Bretons.
Elle s'entourait de poètes, et visait à isaraitre savante, af-
fectant de répondre aux ambassadeurs dans leur langue,
grâce à son chevalier d'honneur Orignaux, qui avait beau-
coup voyagé et les savait toutes. — Elle toniba malade a
Blois, le 2 janvier 1514 , et mourut sept jours après : elle
n'avait que trente-sept ans. Dlffv (de l'Yonne).
AîVx\E D'AUTRICHE, fille de Philippe III, roi d'Es-
pagne, était née le 22 septembre 1 GO 1, cinq jours avant Louis
XIII, qu'elle épousa à Bordeaux le 9 novembre 1G15. Ce ma-
riage, projeté sous Henri IV , et contre son gré, n'avait i)u
avoir lieu ; mais à peine le roi eut-il fermé les yeux que sa
veuve, P.îarie de Médicis, renoua les négociations pour une
double union entre l'héritier du trône et l'infante, et le frère
de l'infante , depuis Philippe IV, avec Elisabeth de France.
Cette double alliance réussit par les intrigues de Concini et
de sa fenmie. Madame de ;\Iotteville , après avoir tracé le
plus brillant portrait de cette princesse, de la beauté de ses
formes, de ses traits, de la blancheur éblouissante de son
teint, ajoute : « Elle était grande, et avait la mine haute
sans être fière; elle avait dans l'air du visage de grands
charmes, et sa beauté imprimait dans le ccrur de ceux qui
la voyaient une tendresse toujours accompagnée de vénéra-
tion et de respect. » .\vec tous ces agréments, elle ne se
fit point aimer du roi son époux; elle fut toujours liée avec
les mécontents, et rendit suspecte son affection pour le roi
d'Espagne, son frère, en ne lui écrivant qu'en cachette , et
par l'entremise de gens souvent ennemis de l'État.
Étrangère au progrès de la civilisation européenne dans le
seizième siècle , l'Espagne avait conservé les mœurs cheva-
leresques du moyen âge. La jeune épouse de Louis XIII, dé-
vote et galante, croyant que les femmes étaient faites pour
être adorées et servies par les hommes , ne rebuta point
ceux qui osèrent se déclarer ses amants. — Le vieux duc de
Bellegarde lui adressa ses hommages; elle accueillit avec
une bienveillance marquée ceux du duc de Moiitmorcncj.
73.
620
ANNE
Cet amour platonique &« révéla quaml elle sut que le duc
portait ailleurs ses vœux ; elle ne put alors dissimuler son
dépit jaloux.
Biickingham, moins circonspect et plus heureux , ne res-
pecta pas môme les convenances. On sait qu'il resta auprès
du lit de la reine, malgré les instances delà dame d'honneur,
qui essaya vainement de l'éloigner, en lui rappelant les exi-
gences de rétiqiiette. On sait aussi que cette entrevue fut
suivie de plusieurs autres. Le duc près de s'embarquer à
Calais avec la future épouse de Charles r*", laissa là cette
princesse , et, sous prétexte d'une mission diplomatique ur-
gente qu'il avait à remplir auprès de la reine-mère , revint
à Amiens, et se présenta devant Anne d'Autriche : ils se
promenèrent seuls dans un jardin , s'éloignèrent peu à peu
de la suite de la reine, et disparurent bientôt tons deux au
détour d'une allée. Leur suite s'était arrêtée, par respect,
et quand la reine rei)arut, elle adressa queUpies reproches à
Buckingham , mais sa colère ne parut point naturelle. —
Louis XIII n'en fut point dupe; il chassa de la cour di
Pange, écuyer de la reine, et toutes les personnes qui l'a-
vaient accompagnée dans cette promenade. Il cessa dès lors
toute communication intime avec Anne ; mais avant cet
événement cette séparation avait déjà eu lieu de fait.
La jalousie du roi avait éclaté en 1G22, lorsque, après une
chute accidentelle , la reine fit un fausse couche. — Anne
eût été fidèle sans doute si elle avait trouvé dans son époux
ces soins délicats, ces prévenances de tous les instants, aux-
quelles les femmes attachent tant de prix. Louis XIII n'avait
qu'une passion, la chasse. S'il parut s'attacher quelque temps
à madame d'Hautefort, ce fut plutôt par désœuvrement que
par amour; il affectait la scrupuleuse chasteté d'un cénobite.
Son intimité avec Louise de La Fayette fut tout aussi inno-
cente. Ce fut sans doute pour échapper au ridicule qu'elle se
fit religieuse aux Visitandines deChaillot. De graves histo-
riens étrangers, Hume et Nani, ont affirmé qu'Anne était
devenue mère en I72G, et que le prisonnier mystérieux
connu sous le nom de Masque de Fer était né des amours
d'Anne d'Autriche et du duc de Buckingham.
On citait aussi parmi les amants d'Anne le marquis de
Gesvres, le cardinal de Piichelieu, et enfin le cardinal .Maza-
rin. Les deux premiers n'avaient pas été heureux. Richelieu
cependant devait sa haule fortune politique à la reine, et
l'on attribua au dépit d'un amour rebuté l'acharnement avec
lequel il persécuta cette princesse. Mais cette extrême bien-
Teillance que d'al)ord il avait obtenue, et qui lui ouvrit l'en-
trée du conseil , n'était peut-être que l'effet de la faveur du
maréchal d'Ancre et de sa femme, auxquels Bichelieu, alors
courtisan inaperçu, témoignait le plus humble et le plusser-
vile dévouement. Parvenu à son but, et maître absolu, sous
le nom d'un roi sans caractère et sans énergie, la politique
seule et son intérêt l'avaient pu déterminer à éloigner Anne
d'Autriche et ses entours, pour n'avoir pas toujours à com-
battre une infinence rivale. Cette inlluence surtout pouvait
Otre redoutable depuis que Louise de La Fayette, alors re-
tirée dans son couvent, avait, avec autant d'adresse que de
bonheur, rapproche les deux époux, qui depuis vingt-deux
ans vivaient séparés. Cette réconciliation ne peut s'expliquer
(fue par l'ascendant absolu de mademoiselle de La Fayette
sur le plus crédule des princes. Soit réaUté, soit calomnie,
le nom d'Anne d'Autriche se trouvait compromis dans toutes
les conspirations contre le roi ou son premier ministre. Li-
vrée à deux favoris également cupides et habiles, Anne ne
cessa de commettre des imjirudences. tlle avait eu cou-
naissance de la conjuration de Cinq-Mars. Richelieu ne
laissait échapper aucune occasion d'entretenir la mésintelli-
gence entre les deux époux; mais il n'avait nul intérêt po-
litique à contrarier le projet de Louise de La Fayette : on a
prétendu même que tout avait été concerté entre elle et le
l>reun"cr ministre.
Louis XIll avait été visiter au couvent de Chaillol Louise
de La Fayette, qui l'y retint quatre heures : il était trop tard
pour aller coucher à Vincennes ou à Saint-Germain; elle
détermina le roi à passer la nuit au Louvre. Il n'y trouva
qu'un lit : c'était celui de la reine. Louis céda à la néces.sité,
et c'est à ce rapprochement des deux époux que l'on attribue
la naissance de Louis XIV. Deux ans plus tard, Anne ac-
coucha d'un autre fils. Louis XIII uiourut quelques années
après. Ses dernières dispositions pour la régence établissaient
un conseil sans lequel la régente ne pouvait agir. Ce testa-
ment lut cassé par le parlement, et la régente lut souveraine
absolue. L'habitude d'être gouvernée la rendait incapable
d'agir seule, et son nouveau favori, Mazarin, régna sous
son nom.
Les premiers jours de la régence furent signalés par de
folles prodigalités. .\nne jetait à pleines mains l'or et les
emplois. Les demandes les plus extravagantes furent ac-
cueillies : un solliciteur obtint un brevet pour mettre un
impôt sur la messe. Le trésor fut bientôt épuisé , et la curée
des emplois consonmiée. Toute la France se souleva contre
la nomination d'un favori étranger. La guerre de la Fronde
éclata ; jamais régence n'avait été plus orageuse. Les puis-
sances étrangères, les princes du sang et les seigneurs de la
cour, tout ce que Richelieu avait si fortement comprimé, se
souleva contre elle. Son énergie ne fut pas au-dessous du
danger. Richelieu lui manquait, car disait-elle, « il serait
aujourd'hui plus puissant que jamais; » mais elle avait Ma-
zarin. La guerre civile et la guerre extérieure liguées en-
semble ne l'épouvantèrent pas ; elle vainquit la maison
d'Autriche et la Fronde , Turenne et Condé, la noblesse et
l:i démocratie; elle conserva à la France son ascendant, à
l'autorité royale sa force, et, grâce à elle seule, Louis XIV hé-
rita (le la monarchie nouvelle que Richelieu avait fondée.
Anne, qui, avec une inconcevable légèreté, avait sacrifié
sans regret, sans le moindre signe de pitié, ses plus fidèles
serviteurs, s'associa à tous les dangers de Mazarin : l'ex-
pulsion de ce favori hors de la l'rance, sa proscription, ne
purent la détacher de lui. Pour lui elle exposa .«^a vie, son
avenir, l'avenir de ses enfants et le trône de France. Ma-
zarin avait le secret de leur naissance , et peut-être était-il
plus que le confident de celle du dernier né ; il se conduisait
avec la reine moins en favori qu'en maître. On remarque
dans sa correspondance avec cette princesse, pendant la con-
férence deBayonne, un tonde familiarité, d'abandon, qui fait
supposer la plus étroite intimité. On ne peut expliquer autre-
ment l'ascendant absolu de Mazarin sur Anne d'Autriche.
Cctie reine dans ses dernières années se livra tout en-
tière aux pratiques de la plus minutieuse dévotion. Après une
vie si agitée, elle espérait obtenir quelques instants de re-
pos. Elle exigeait du roi son fils une régularité de mœurs
dont elle ne lui avait pas donné l'exemple, et ses exigences
troublèrent souvent la paix domestique. Comme elle avait
hérité de toute la haine que l'on portait à jMazarin, la coin-
ne la vit pas sans une secrète joie tomber malade en 1003,
des fatigues du carême, ou plutôt d'une imprudence qu'elle
avait faite pendant les jours gras, en voulant accompagner
la jeune reine au bal que donnait le duc d'Orléans. Llle s'y
rendit masquée, et couverte d'une mante de taffetas noir à
l'espagnole : on ne pouvait être admis à ce bal qu'avec un
déguisement. Les dévotes jetèrent les hauts cris contre la con-
duite mondaine de la reine-mère, et les jeûnes, les austé-
rités qu'elle s'imposa pendant le carême ne purent désar-
mer leur malignité.
Au commencement de l'été suivant, il lui survint au sein
une petite glande qu'elle négligea, et qui bientôt dégénéra
en cancer. L'ignorance des médecins, qui appliquèrent des
remèdes contraires, acheva d'envenimer le mal, et le 27
mai 1C(;5 elle fut atlaqiiéc d'une fièvre violente, et un éré-
sypèle lui couvrit la moiti<5 du corps : on désespéra de sa
vie. Elle demanda cllt.'-même les derniers sacrements. Au
cancer se joignit uu abcès au bras, qui hii causait des dou*
ANNE
leurs aiguës et continiiollos. Tandis qu'elle portait dans son
sein le j;ernie il'uuo mort proiliaiiie et inévitable , tandis
qu'elle se voyait tomlu'r eu lambeaux , elle apiiortait le
intime soin à sa toilette, et son corps n'était (iifuue plaie.
Quelle situation poiir une lemme si passionnée pour la pa-
rure qu'on ne pouvait trouver de batiste assez line pour
elle! Elle avait été à cet égard d'une coipietterie si minu-
tieuse, que Mazarin lui disait que si elle allait en enter, son
iinicjue supplice serait d'être couchée dans des draps de toile
de Hollande. — Le 4 août, se trouvant mieux, elle fut trans-
jiorti^ de Saint-Germain au ^'al-de-Gràce, qu'elle avait
fondé et richement doté. Les médecins exigèrent, pour leur
convenance, qu'elle fût transférée au Louvre : ce fut là
que la gangrène parut : « Les autres ne pourrissent qu'après
leur mort, dit-elle alors, moi, je suis condamnée à pourrir
pendant ma vie. » Elle mourut le 20 janvier 1666.
Anne d'Autriche encouragea les lettres et les arts. Passion-
née pour les parfums et les fleurs, elle avait une antipathie
insunnontable pour les roses, qu'elle ne pouvait souffrir,
même en jieinture. Elle avait contribué à la réputation et à
la fortune de Mignard, qu'elle avait chargé de peindre la
coupole du dôme du Val-de-Gràce et toutes les fresques de
ce beau monument. Anne, inconstante et passionnée, aimait
avec toute l'ardeur d'une Espagnole : mais elle n'avait que
la sensibilité du moment. Ses défauts et ses malheurs furent
les conséquences de son éducation et des préjugés de l'é-
poque. DuFEY (de l'Yonne).
ANIVE D'ANGLETERRE , dernier rejeton de la
maison de Stuart qui ait occupé le trône, naquit à TwicUen-
ham, près de Londres, en 1664, quatre ans après le réta-
blissement de son oncle, Charles II, sur le trône. Anne
était la seconde fille issue du premier mariage de Jacques II,
alors duc d'York, avec Anne Hyde, fille du célèbre Claren-
don , qui ne s'était point encore convertie au catholicisme.
Aussi Anne fut-elle élevée dans les principes de l'église an-
glicane; en 1681 elle épousa le prince Georges, frère de
Christian V, roi de Danemark. Le parti qui excitait le prince
d'Orange à détrôner son beau-père ayant triomphé eu 1688,
Anne , la fille chérie de Jacques II , eût vivement désiré ac-
compagner son père. Mais lord Churchill ( voyez Marldo-
ROf GH ) la força en quelque sorte à embrasser le parti du
vainqueur. Sa sœur Marie et son époux Guillaume III éiant
moiis sans héritiers, Anne fut proclamée reine en 1702.
Ses talents étaient au-dessous de la grandeur des événe-
ments qui signalèrent son règne ; elle fut dominée par le
comte >Iarlborough et par sa femme. Les toi7S voyaient avec
plaisir le sceptre aux mains d'une fille de Jacques II, espé-
rant que bientôt un descendant mâle de la famille des Stuarts
serait appelé sur le trône. Ce qui lui concilia les vvighs, ce
fut la fermeté avec laquelle, fidèle à la triple alliance, elle
défendit la liberté de l'Europe contre l'ambition de Louis XIV,
et s'opposa constamment à la réunion des deux couronnes
de France et d'Espagne dans la même maison. C'est sotis
son règne que les Anglais s'emparèrent de Gibraltar, seule
conquête importante qu'ils aient faite dans le cours de la
guerre de succession , qui dura onze ans. Anne réunit l'E-
cosse et l'Angleterre sous la nnême domination et cpioi-
qu'elle nourrit en secret le désir de voir sa famille rétablie
sur le trône, la succession à la couronne n'en fut pas moins
dévolue à la maison de Hanovre.
Jacques 111 tenta vainement une descente en Ecosse. La
bonne reine Anne se vit même contrainte de signer une
proclamation par laquelle la tète de son frère était mise à
prix. De ses dix-sept enfants, elle n'en avait conservé au-
cun. Veuve à l'âge de quarante-quatre ans, elle se refusa au
vœu du parlement, qui la suppliait de conclure un nouveau
mariage. Elle ne songeait qu'à mettre le gouvernement tout
entier entre les mains des torys, qui avaient la majorité
dans les trois royaumes. La duchesse de Mailhorough per-
dit sou iulluence. Godolphin, Suuderland, Sommers, Devon-
621
shire , Walpole , furent remplacés par Hailey ( comte d'Ox-
ford), Rolinghrocke, Rochester, Huckingham, Georges Gran-
ville, Simon llarcourt. Le parlement fut dissous et la paix
résolue. Marlhorough , ayant perdu tous ses emplois, se vit
exilé de la cour. Malgré toutes les mesures qu'elle avait
prises contre son frère, il |)arait que la reine n'avait pas re-
noncé à l'espoir de lui conserver la succession; mais l'ini-
mitié qui existait entre Oxford et Bolingbrocke ne lui per-
mit pas d'exécuter ce projet. Le chagrin la plongea dans un
état de faiblesse et de léthargie qui l'enleva le 20 juillet 1714.
A son lit de mort , elle s'écria : « O mon frèie, que je te
plains!» Ces paroles révèlent tout le secret de .sa vie. Le règne
d'Anne, illustré par d'heureuses guerres, fut l'âge d'or de la
littérature anglaise.
ANiME DE BOULEN ou DE BOLEYN, femme de
Henri VIII, roi d'Angleterre. Voyez Boulen.
AXXE IVANOVIVA, impératrice de Russie, née en
1693. Elle était lille d'Ivan , frère aîné de Pierre le Grand.
Après la mort du duc de Courlande , son premier mari ,
elle monta sur le trône des tsars , par suite «l'une intrigue
digne d'être rapportée. Pierre II, fils de l'infortuné Alexis,
était mort à l'âge de seize ans. Le vieux chancelier, comte
Ostermann, toujours avide de pouvoir, travailla pour
Anne Ivanovna , son ancienne élève , à qui il avait appris à
lire. Les frères Ivan et Bazile Dolgorouki, dont l'in-
fluence avait été si grande sous le règne précédent , se joi-
gnirent à lui, dans l'espérance aussi de dominer plus sûre-
ment une princesse qui leur devrait en partie sa couronne.
Ostermann et eux gagnèrent les sénateurs et les grands, qui
étaient rassemblés à Moscou. Grâce à leur intrigue, Anne
fut préférée aux filles de Pierre le Grand. Quand le prince
Dolgorouki , qui avait été chargé de l'instruire du choix de
la nation , entra chez l'impératrice , il aperçut un lionmie
mal vêtu, auquel il fit signe de s'éloigner; celui-ci ne pa-
raissant pas très-disposé à obéir, le prince le prit par le bras
pour le mettre à la porte ; Anne s'y opposa : c'était Jean-
Ernest de B i r en , qui bientôt gouverna la Russie en des-
pote sous la protection de sa souveraine. Anne avait d'abord
promis d'éloigner son favori de sa cour, et de restreindre la
puissance absolue des tsars. Dès qu'elle fut sur le trône elle
refusa d'accomplir sa promesse , et se fit proclamer souve-
rain autocrate de toutes les Russies. Dès lors , Biren ne
mit plus de bornes à son ambition et à ses cruautés. Les
Dolgorouki furent les premières victimes de ses fureurs :
vingt mille exilés allèrent peupler les solitudes de la Sibérie ;
dix mille suspects montèrent sur l'échafaud , malgré les
prières et les larmes de l'impératrice. Anne fit nommer
enfin son favori duc de Courlande , et en mourant elle lui
laissa la régence de l'empire pendant la minorité du prince
Ivan de Brunswick. Elle niounit en 1740. Sous son règne,
grâce au brave feld-maréclial Munnich , la Russie avait été
victorieuse en Pologne, en Auli'icbc, en Turquie. L'impéra-
trice avait protégé les sciences et fait continuer les voyages
de découvertes commencés par Pierre le Grand dans la mer
Glaciale; par son ordre les capitaines Bering, Techirikof et
Spangenberg avaient visité les îles Aléoutiennes et Kouriles.
ANNE CARLO VNA , tille du duc Charles-Léopold
de Mecklenbourg et de Catherine, sœur de l'impératrice de
Russie Anne Ivanovna, épousa , en 1 739 , Antoine-Ul-
rich, duc de Rrunswick-NVoilinhnltel , dont elle eut, le 20
août 1740, un fils noniiné Ivan. Anne Ivanovna désigna
ce neveu pour son successeur, à l'instigation de son favori
Biren, qui comptait s'assurer ainsi la régence de fait. Pour
donner à cet acte d'adoption l'apparence d'une mesure
vivement souhaitée par le peuple , il avait eu soin de faire
présenter à l'impératrice momante une pétition dans la-
quelle le peuple était censé la sui)plier de lui confier la ré-
gence jusqu'à la majorité d'Ivan , qu'on fixait à dix-huit
ans. L'impératrice signa tout ce qu'on voulut , et à sa mort ,
qui arriva le 2S octob.-e 1740, Biren se trouva investi de
f)22
ANNE — ANNEAU
cette autorité siiprômc qui lui avait coûté tant d'efforts;
mais il n'en jouit pas longtemps, car dès le 18 novembre
suivant une conspiration de palais lui arrachait le pou-
voir. Anne Carlovna fut alors proclamée grande-ducliesse
et régente de Russie, jusqu'à la majorité de son fils Ivan;
mais elle ne jouit pas longtemps non plus du pouvoir, car
il lui fut enlevé dès le G décembre 1741. Amie du repos et
de la tramiuillité, cette princesse manquait tout à fait de la
vigueur et de l'activité nécessaires pour gouverner un si
vaste empire. Retirée au fond de ses appartements, dans ia
partie la plus calme de son palais, où elle passait ses jour-
nées, revêtue du costume si commode des Orientaux, Anne
n'admettait auprès d'elle que quelques parents , quelques
intimes, ou les envoyés des puissances étrangères. L'une
de ses dames d'honneur, Julie de Mengden , est citée comme
ayant i)ossédé au i)lus haut degré sa confiance ; aussi joua-
t-elle un rôle important sous cette régence de quelques
mois, à laquelle mit fm une nouvelle conspiration, (jui
éleva au trône Elisabeth , fille de Pierre le Grand. Tandis
que le jeune Ivan était renfermé dans la citadelle de Schlus-
selbourg, on transportait Anne et son époux à Cholmogory,
petite ville située dans une île à l'embouciiure de la Dwina,
dans la mer Blanche, où elle demeura prisonnière le res-
tant de ses jours. Elle y devint mère à deux reprises, et y
mourut en 1745, d'une suite de couches. Son corps fut
alors ramené à Saint-Pétersbourg, et enterré avec une pompe
extraordinaire. Quant à son malheureux époux, il ne mou-
rut qu'en 1780, après avoir passé trente-neuf ans dans sa
prison.
AîVA'EAU, cercle, ordinairement de métal, servant à
«nltachcr ou à suspendre quelque chose. C'est aussi le nom
de certaines bagues ou autres ornements en forme de cercle.
Tout prouve l'antiquité des anneaux. Si dans l'origine
ils furent un signe de servitude ou de lien, comme le prouve
la fable de Jupiter imposant à Prométhée l'obligalion de
porter au doigt un anneau de métal , pour lui rappeler qu'il
l'avait enchaîné sur le Caucase , ils devinrent dans la suite
un des ornements des deux sexes , les plus usités et les plus
variés. Dans l'histoire des Hébreux, il est question de ba-
gues et de boucles d'oreilles ; elles font partie des bijoux pré-
cieux dont ils se dépouillent et qu'ils fondent pour en former
le veau d'or. Avant cette époque le roi d'Egypte, lorsque
Joseph y était en crédit, lui remit son anneau comme signe
de la puissance qu'il lui confiait. Plusieurs des bagues égyp-
tiennes qui sont aujourd'hui au ^luséc du Louvre remon-
tent au roi Mœris. 11 est proliah'.e que l'usage des anneaux
passa des peuples orientaux aux Grecs. Chez ce peuple on
appelait, en général, toutes les bagues SaxTÛÀioi, c'est-à-dire
ornements des doigts. Le nom de cipayî; , qu'on donnait
à la partie gravée , indiquait qu'elle servait de sceau ou de
cachet ; celle où la pierre était enchâssée avait reçu des
Grecs le nom de cçevSovr;, fronde, soit à cause de sa for-
me, soit à cause de son emploi ; les Romains l'appelaient
J'unda et palea, qui avaient le même sens. Us nommaient
l'anneau tinrjidus, i)arce que d'abord on le plaçait près de
l'ongle, à la première phalange. Les mots annulus atancl-
lus, dont nous avons tiré celui d'anneau, viennent de l'an-
cien mot latin anus ou annits, cercle, dont ils sont les
diminutifs.
Les Grecs et les Romains désignaient aussi par les mots
c\i^vo>.(fi, annulus, siijillarius l'anneau qui servait de bague
ou de cachet pour sceller les écrits ou les objets qu'on vou-
lait tenir secrets, ou dans des contrats, des alfaires , et
même des i)arties de plaisir où chacun contribuait pour sa
part, et qu'on nommait cOixêo),/) ; car alors on se donn.iit
mutuellement ses anneaux , coninuî garantie de ses eng:\gc-
ments. Les Romains nommaient encore les aimeau\ cou-
dalus, condalium , mots qui jiaraisscnt dérivés du grec
«Gvôy).o;, ayant la même signification, et désignant au.ssi les
articulations des phalanges des dois^ts.
Tous les peuples ont porté des bagues en toutes sortes de
matières, et en ont multiplié les ornements à l'iulini. Chez
quel(iues-uns , il n'était pas libre à chacun d'en porter ii
sa fantaisie : les règlements avaient déterminé la niatièrc
des anneaux pour chaque rang de la société; pendant
longtemps les sénateurs romains même n'en eurent pas
en or; on n'en donnait qu'aux ambassadeurs, pour qu'ils
s'attirassent plus de considération dans les pays étrangers ,
où les personnes d'un haut rang avaient l'habitude d'en
porter. Dans les premiers temps, on accordait ces an-
neaux d'or pour des senices rendus à la république , et
alors on ne s'en paraît qu'en public; ceux qui avaient
obtenu cette distinction ne portaient chez eux qu'une
bague de fer comme le reste des citoyens. Les triompha-
teurs mômes , au-dessus de la tête desquels on tenait une
couronne d'or, n'avaient au doigt qu'une bague de fer,
comme leurs esclaves. C'est en mémoire de cette antique
simplicité que du temps de Pline on donnait à sa femme en
se mariant une bague de même métal , sans ornement et
sans pierre , et elle n'en avait pas d'autre ; mais Tertullien
et Isidore, évêque de Séville, disent que de leur temps
l'anneau de mariage, annulus nuptialis , sponsalitms ,
était en or ; les hommes ne portaient pas alors plus de deux
bagues. Le mourant laissait son anneau à celui qu'il voulait
désigner pour son héritier ou son successeur.
L'anneau d'or au quatrième doigt indiipiait un chevalier
romain, et distinguait du peuple le second ordre, comme
le laticlave désignait le sénateur. Le flamine de Jupiter ne
pouvait porter qu'une bague creuse et faite avec une lame
d'or tiès-mince. Le peuple n'avait que des anneaux de fer,
mais il les ornait de petites pierres communes, telles que
des agates, des cornalines unies, souvent aussi de pâte de
verre coloré, imitant les pierres fines, ou portant l'em-
preinte de pierres gravées. Le luxe, en s'accroissant, mul-
tiplia cet ornement. On chargea d'anneaux non-seulement
tous les doigts des mains, mais même ceux des pieds. Les
Tuileries ont vu les élégantes du Directoire se promener en
cothurnes découverts, ayant à chaque doigt du pied une
bague enrichie de diamants. A Rome on avait calculé le
poids des divers anneaux suivant les saisons. Parmi ces
bagues affectées à chaque moitié de l'année, et que Juvénal
appelle aurum semestre , aurnm sestivum, annuli se-
mestres, celles qui étaient taillées dans une seule pierre,
telle que la sardoine, la cornaline, le cristal de roche, de-
vaient être regardées comme des anneaux d'été et comme
plus frais ; les lorettes de Rome se servaient dans les
grandes chaleurs de grosses boules de cristal pour se raf-
fraîchir les mains.
Les bagues qu'on offrait à ses parents ou à ses amis le
jour anniversaire de leur naissance portaient des signes
symboliques ou des vœux pour leur bonheur. Il y en avait
aussi à secret, dans lesquels on enfermait du poison, té-
moin ceux de Démosthène et d'Annibal.
La manière de porter l'anneau a subi de grandes varia-
tions. Les Hébreux en ornaient leur main droite, les Ro-
mains leur main gauche, les Grecs l'annulaire ou quatrième
doigt de la même main, les Gaulois et les Bretons, Ip médius.
Les Africains, les Asiatiques, les Américains ont poussé
plus loin encore cette manie : ils en ont porté au nez, aux
lèvres, aux joues, au menton.
De nos jours les nouveaux époux échangent leur anneau
qu'on nonuue alliance sans se douter que cet usage re-
monte aux Hébreux. L'alliance s'ouvre en deux fragments,
sur lesquels on grave d'ordinaire les noms des époux et la
date de leur union.
— En anatomie, on donne le nom d'anneau à une ouver-
ture ovale ou circulaire, garnie de fibres aponévrotiques,
traversant un nuiscle, et ileslinée à livrer passage à «les
vaisseaux ou ;i des nerfN.
— Dans la gnomoni-iuc, or> appelle flH«caH aslronomique
AINNKAU ^ AIN^'
un cercle de métal où se trouve un trou doigné tle 45"
(lu point par lequel on le tient suspendu. Cet inslrunient
est employé en mer pour prendre la liauti'ur du soleil. L'an-
neau solaire est un petit cadran poilatif, l'ornié d'un cercle
percé d'un trou |)ar lequel passe le rayon solaire (pii va
indiquer l'heure niarquie dans l'intérieur du cercle, à l'op-
posite du trou. Vautiean tiniverscl est un inslrunient
composé de deux ou trois cercles, et servant à trouver
l'heure du jour, en quelque endroit de la terre que ce puisse
(Mre. C'est une espèce de c;»dran équinoxial fait à riniitation
des arniilles d'Ératostliène, que l'on voyait à Alexaiulrie
deux cent cinquante ans avant Jésus-Christ. Il didére de
l'anneau solaire en ce que celui-ci ne marque l'heure avec
exactitude que pendant quelques jours, à moins qu'on ne
rapproche ou qu'on n'éloigne le trou du point de suspen-
sion ; tantlis que l'anneau universel marque l'heure du jour
eu to\it lieu et en toute saison.
AX.\EAU DU PÉCHEUR (anmiltispiscatorix). On
appelle ainsi le sceau particulier des papes, qui était déjà en
usage au treizième siècle. Imprimé sur cire rouge pour les
brefs, sur plomb pour les bulles, il reste appeudu à ces di-
vers doomients par du fil de chanvre, quand il s'agit, dans
les bulles, d'affaires de jurisprudence ou de mariages, et
par du cordonnet de soie rouge et jaune en matières de
grâces. Sur l'un des côtés du sceau sont gravées les images
des apôtres saint Pierre et saint Paul; sur l'autre est inscrit
le nom du pape régnant. On nomme ce sceau anneau du
pécheur, de sa forme et parce que l'apôtre saint Pierre,
que l'Église regarde comme ayant été le premier des papes,
exerçait la profession de pêcheur avant de devenir l'un des
disciples de Jésus-Christ. Ce sceau est gardé par le pape
en personne, ou bien confié à la garde de l'un des membres
du sacré collège. Il n'y a que le pape qui s'en serve, ou du
moins il n'est censé en être fait usage qu'en sa présence.
Après la mort de chaque souverain pontife, il est brisé par
le cardinal-camerlingue en fonctions, et la ville de Rome est
dans l'usage d'offrir au nouveau pape, dès (pie le conclave
vient de l'élire , un autre sceau , ou anneau du pêcheur.
AJXXExVU ÉPÎSCOPAL. Dès les temps les plus
reculés l'anneau fut pour les ecclésiastiques , et particuliè-
rement pour les prélats, un symbole de dignité, le gage de
leur puissance spirituelle et de l'alliance qu'ils contractent
avec leur Église. On peut faire remonter au quatrième siècle
l'usage de la tradition de l'anneau aux évèques dans la
cérémonie de leur consécration. Quand le quatrième con-
cile de Tolède ordonna , en 6.33 , qu'on restituerait l'anneau
au prélat réintégré après une injuste déposition, il ne fit
que conlirmer un cérémonial déjà ancien dans le sacre des
évéques. Dans la formule de la bénédiction de l'anneau
épiscopal, cet ornement est envisagé comme le sceau de
la foi et le signe de la protection céleste. On trouve la
même signification dans les paroles que prononce le prélat
consécrateur en mettant Vanneau au quatrième doigt de la
main du consacré. — Autrefois les évêques portaient cet
anneau au doigt index de la main droite; mais comme
pour la célébration des saints mystères on était obligé de le
mettre au quatrième doigt, l'usage s'établit de l'y porter
constamment. — Vanneau épiscopal doit être d'or et
enrichi d'une pierre précieuse d'améUiyste ; mais on ne do il
y gravor aucune figure, d'ajjiès une prescription du i)ape
Innocent Iil,qiii n'a pas toujours été observée. Les évèques
grecs ne portent point û'anneau ; les archevêques seuls usent
de ce privilège. Des évêques et archevêques le droit à l'an-
neau s'est depuis étendu à tous les cardinaux, qui payent
en recevant le leur une certaine redevance pro jure annuli
uirdinalUU.
AJXiVEAU DE GYGES, anneau meneillcux qui ren-
dait invisible celui qui le portait. Yoijez GvGi:s.
AAWEAU DE SALOMOX. Les rabbins et la plupail
des liistoriens orientau.x racouleiit iiiillc fables sur ce lalis-
KAU DE SATURNE 053
man, fables qu'ont dû inventer les Arabes qui ont écrit
dc|)uis Mahomet, puisque Josèphe, malgré son amour pour
le merveilleux, n'en fait aucune mention dans ses .Antiquités
Juives. Un jour, nous dit-on, que Salomon ou Soliman-lîen-
Daoud (Salomon, Jils de David) entrait dans le bain, il
quitta son anneau, que lui déroba une furie qui le jeta à lu
mer. Privé de son anneau , et se regardant dès lors comme
dépourvu des lumières (pii lui étaient indispensables pour
b:en administrer, Salomon s'abstenait depuis (piarante jours
de monter sur son trône, lorsque enfin il retrouva dans
le ventre d'un poisson ser\ i sur sa table son précieux anneau
dans le chaton duquel il voyait toutes les choses qu'il dé-
sirait savoir, tout comme le grand-prêtre voyait dans \'u-
rim et le thummin de son pectoral tout ce qu'il voulait
apprendre de la part de Dieu.
ANi\EAU DE SATURNE. Le globe de Saturne
est entouré de deux grands anneaux plats , extiêtneiiient
minces, concenîiiques à la planète et entre eux, tous deux
dans le même plan, et séparés l'un de l'autre par un inter-
valle très-étroit dans toute l'étendue de leur circonfi-rcnce.
Ces deux anneaux semblent donc ne former qu'un seul coq)s,
Le diamètre extérieur de l'anneau extérieur a 28,391 my-
riamètres, le diamètre extérieur de ramieau intérieur a
24,411 myriamètres, le diamètre intérieur de l'anneau in-
térieur en a 18,882; l'intervalle entre la planète et l'anneau
intérieur est de 3,072 myriamètres; celui ([ui sépare les
deux anneaux est de 2S8 myriamètres ; enfin l'épaisseur des
anneaux est au plus de IG myriainètrL'S.
Que les anneaux soient une substance solide et opaque ,
c'est ce dont on ne saurait douter, car ils projettent leur
ombre sur le corps de la planète , et réciproquement la i)la-
nète projette la sienne sur eux. Le plan du double anneau,
perpendiculaire à l'axe de rotation de Saturne, a constam-
ment la même inclinaison sur le plan de l'orbite, et par
conséquent sur celui de l'ecliptique, savoir de 28° 40', et
coupe ce dernier suivant une ligne qui fait avec celle des
équinoxes un angle de 170°; en sorte que les niruds du
double anneau se trouvent à 170° et 350° de longitude. Par
conséquent, toutes les fois que la planète a l'une ou l'autre
de ces longitudes, le plan du douJale anneau passe par le
soleil, qui alors n'en éclaire que le bord ; et comme, au
même instant , en raison de la petite:-se de l'orbite de la
terre comparée à celle de Saturne, notre planète ne sau-
rait être bien éloignée de ce plan , et doit , dans tous les
cas , y passer un peu avant ou après ce moment, ce double
anneau ne nous apparaît alors que comme une ligne droite
très-fine, qui croise le disque, et le dépasse de chaque côté;
et tellement fine, qu'elle se dérobe à tous les télescopes qui
ne sont pas d'une puissance extraordinaire. Ce phénomène
remarquable a lieu à des intervalles de quinze ans ; mais
la disparition des anneaux est généralement double, la terre
passant deux fois dans leur plan avant que le mouvement
lent de Saturne ait pu le transporter hors de l'orbite de
notre planète. Cependant, à mesure que Saturne s'éloigne
de ces nœuds, la ligne visuelle fait un angle de plus en plus
grand avec le plan du double anneau, qui, selon les lois de
la perspective, semble s'ouvrir peu à peu pour former une
ellipse qui atteint sa plus grande largeur lorsque la planète
est à 90° de l'un et de l'autre nœud. Au moment de la plus
grande ouverture, le plus grand diamètre est presque exac-
tement le double du plus petit.
On demandera sans doute comment un anneau si gigan-
tesque, s'il est composé de matières solides et pondérables,
peut se soutenir sans s'écrouler et tomber sur la planète.
La réponse à cette question se trouve dans une prudigii'use
vitesse de rotation du double anneau dans son propre p-an,
que l'observation a découverte au moyen de la diflérence
d'éclat qui existe entre les diverses parties du double an-
neau; et celte rotation a une durée de 10''-29"'- I7s-; ce qui,
d'après ce que nous savons de ses dimensions et de la force
634
ainnI':au de satuunk
de gravité dans le système de Satunic , est à peu près le
temps périodique qu'emploierait un satellite h tourner au-
tour du corps à une distance é^ale au rayon moyen des
deux anneaux. C'est donc la force centrifuge due à cette
rotation qui soutient le double anneau ; et quoique aucune
des obsenations faites jusqu'à ce jour n'ait été assez délicate
pour nous faire découvrir une différence dans les périodes
entre l'anneau extérieur et l'anneau intérieur, il est plus que
probable que cette différence existe de manière à placer
l'un indépendamment de l'autre dans le même état d'équi-
libre.
Quoique les anneaux soient à fort peu de cbose près con-
centriques au corps de Saturne, néanmoins des mesures
micrométri(iues d'une extrême délicatesse ont démontré
que la comcidcnce n'est pas mathématiquement exacte, mais
que le centre de gravité des anneaux oscille autour du corps
en décrivant ime très-petite orbite, probablement en vertu
de lois dune grande complication.
De ce que la plus petite différence de vitesse entre ce
corps et les anneaux devrait infailliblement précipiter ceux-ci
sur celui-là, il s'ensuit, ou que leurs mouvements dans leur
orbite commune autour du soleil ont dû avoir été coordon-
nés entre eux par un pouvoir extérieur avec la précision
la plus rigoiueuse, ou que les anneaux se sont nécessairc-
imi'nt formés autour de la planète lorsque leur mouvement
commiui de translation était déjà tracé et qu'ils étaient
sous la pleine et libre inlluence de toutes les forces actives.
Les anneaux de Saturne doivent offrir un spectacle ma-
gnifique à ces régions delà planète situées du côté éclairé,
et auxquelles ils se présentent comme de vastes anneaux
qui traversent le ciel d'un liorizon à l'autre, et gardent une
situation invariable parmi les étoiles. Au contraire, dans
les régions qui voient la face obscure, une éclipse de soleil
de quinze ans de durée, proiluite par l'ombre des anneaux,
doit présenter un asile inbospitalicr pour des êtres animés,
que la faible lumière des satellites dédommage assez mal.
Mais nous aurions tort de juger des avantages ou des in-
convénients de leur condition d'après ce que nous voyons
autour de nous, lorsque peut-être les combinaisons mêmes
qui ne nous apparaissent que comme des images d'horreur
peuvent être des théâtres oii s'étalent toutes les merveilles
de l'art. Sir John Herschel.
Lorsque l'anneau cesse d'être visible pour nous, Saturne
paraît parfaitement sphérique ; on dit alors que cette planète
est dans sa phase ronde. Ce phénomène, qui se reproduit
environ tous les quinze ans, a été observé pour la dernière
fois en septembre 1848. Cette phase ronde reviendra en
1802, 1878, 1891, etc. Dans la position la plus favorable
pour bien voir l'anneau de Saturne, il donne à cette planète
l'apparence d'un globe garni de deux anses placées aux
deux extrémités d'un de ses diamètres. — Bien (jue l'opi-
nion générale (;isse de l'anneau de Saturne un corps solide,
ft]. Chasles , renouvelant une hypothèse de Diderot , a été
conduit à supposer que ce corps immense pourrait
bien n'être autre cho^e qu'un système d'astéroïdes qui
formeraient une multitude de satellites de cette planète.
Du reste , il n'y a guère que deux siècles qu'on s'occupe
un peu de ce corps singulier. L'anneau de Saturne, qu'on
a comparé avec justesse à un pont sans piles, avait été
complètement inconnu jusqu'à Galilée, qui en 1012 fut bien
étonné d'apercevoir deux prolongements diamétralement
opposés, qu'il jugea d'abord être des satellites de la planète,
à laquelle il les crut même adhérents. Ce n'est qu'en 1G55
qii'Huygens découvrit que cet appendice de Saturne est
de forme circulaire. Enfin William Herschel reconnut que
l'anneau est double; il calcula les dimensions de chaque
partie et la grandeur de rintcrvalle qui les sépare ; ses ré-
sultats concordent parfaitement avec ceux que Struve a
obtenus. Aujourd'hui on est porté à croire qu'il y a plus
d'une division à l'anneau, et que ce corps se compose de
- A^XEAUX COLORES
cinq ou six lames annulaires très-rapprochées ; cette con-
jecture est fondée sur la présence de certaines lignes noires
concentriques, qui semblent indiquer une division réelle,
surtout depuis qu'Encke a remarqué que ces lignes se
montrent sur chaque face de l'anneau, dans des positions
correspondantes.
AKXEAUX COLORÉS (Optique). Tous les corps
diaphanes léduits en lames très-minces font éprouver à la
lumière des décompositions analogues à celles du prisme,
et les rayons réfléchis comme les émergents prennent des
teintes variées, qui par leur arrangement en cercles concen-
triques constituent ce qu'on nomme des anneaux colorées.
On peut observer ces phénomènes dans les bulles de savon
soufflées jusqu'à ce qu'elles éclatent ; un moment avant de
se briser elles présentent des couleurs vives et changeantes.
Les liquides volatils répandus en couches minces sur des
surfaces polies d'une teinte foncée se colorent pareillement.
On peut également détacher d'une lame de mica incolore
des feuilles trcs-minces qui prennent des teintes vives de
rouge ou de vert. L'air lui-même partage cette propriété,
lorsqu'il est contenu entre deux plaques transparentes que
l'on presse fortement l'une contre l'autre.
Newton observa le premier ce singulier phénomène. Il
plaça une lentille bi-convexe ayant une grande distance
focale sur un verre plan, et fit arriver perpendiculairement
à la lentille un rayon de lumière blanche. En observant le
système par réflexion , il vit au point de contact de la len-
tille et du verre plan tme tache noire, et autour de ce
point différentes séries de teintes disposées en anneaux. Le
point noir central ne devenait visible que lorsque la pres-
sion était assez grande pour établir un contact immédiat
entre les deux verres, et le nombre des anneaux colorés
augmentait à mesure que cette pression était plus éner-
gique.
Pour ramener le phénomène à ses éléments. Newton ré-
péta l'expérience en employant la lumière homogène ; il vit
qu'avec la lumière rouge, par exemple, il ne se formait que
des cercles rouges séparés par des cercles noirs, et ainsi de
suite. En général, chaque rayon simple produit par réflexion
et par réfraction une série d'anneaux alternativement noirs
et de sa couleur; les anneaux noirs réfléchis correspondent
aux anneaux colorés réfractés et vice versa.
Newton ayant mesuré les diamètres des anneaux vus par
réflexion, trouva que leurs carrés étaient comme les nombres
impairs 1,3, 5, 7, 9, etc., lorsqu'ils correspondaient aux
milieux des anneaux brillants, et comme les nombres pairs
2, 4, 6, 8, etc., lorsqu'ils correspondaient aux milieux des
anneaux obscurs. Ayant pareillement mesuré les diamètres
des anneaux vus par transmission, il reconnut que leurs
carrés étaient entre eux comme les nombres 0, 2,4, 6, 8, etc.,
pour les parties les plus colorées, et comme l, 3, 5, 7, 9, etc.,
pour les parties les plus obscures. Les épaisseurs des lames
d'air correspondant à ces différents anneaux étaient donc
dans les mêmes rapports. 11 constata que ces rapports
étaient encore les mêmes lorsque, au lieu de lumière rouge,
on employait de la lumière homogène d'une autre couleur,
et loisque, au lieu d'air, on interposait entre les verres une
autre substance transparente, telle que l'eau. Il découvrit,
en outre, que la valeur absolue de l'épaisseur de la lame in-
terposée correspondante à un anneau obscur ou brillant du
même ordre était exprimée par un nombre différent pour
chaque couleur et pour chaque substance. Pour une même
substance, les anneaux sont plus grands pour la lumière
rouge que pour la lumière violette ; pour une même couleur,
les épaisseurs de deux lames d'air et d'eau correspondantes
à un anneau obscur ou brillant du même ordre sont entre
elles connue les sinus d'incidence et de réfraction lors du
passage de la lumière de l'air dans l'eau. Ceci admis , les
anneaux irisés qu'on obtient en opérant avec de la lumière
blanche, s'expliquent par la superposition partielle des au-
ANNEAUX COLORÉS — ANNEE
CS5
neau\ provenant dos rayons des diiïorentes teintes qui
c\i>tent dans la lumière blanche.
I,e jiluhioinène des anneaux colorés s'obscne aussi dans
des cristaux naturels contenant des tissures remplies d'air
ou de tout autre fluide Depuis la découverte de la polari-
sation de la luinit're, de nouvelles expériences ont fait voir
que dans certaines circonstances il se forme non-seule-
ment des anneaux colorés , mais aussi des Ixiinies colorées
diversement, ou d'une seule couleur, partai^éo i>ar des lu-
lervalles obscurs. Depuis Newton , les physiciens ont fait
de uoiiihreuses recherches sur ces phénomènes, et c'est en
partie sur les lois suivant lesquelles ils se produisent que se
basent les tliéoi ies relatives à la (ormalion des couleurs.
AXA'LCV. Voyez Savoie ( Département de la Haute-).
AA'A'ÉE, dans l'étendue ordinaire de sa signification,
est le cycle ou l'assemblage de plusieurs mois, et communé-
ment de douze. En général, c'est une période ou espace de
temps (jui se mesure par la révolution de quelque corps cé-
leste dans son orbite -. ainsi, le temps dans lequel les étoiles
fixes font leur révolution est la grande année, qui comprend
25,920 de nos années ^-ulgaires. L'espace de temps dans le-
quel Jupiter, Saturne, terminent la leur et retournent au môme
point du zodiaque, est respectivement appelé année de Ju-
piter, année de Saturne. Eniin le nom d'année a été donne
à toutes sortes de périodes servant à mesurer le temps :
aussi chez certains peuples , qui comptaient par saisons ,
trouve-t-on des années de trois, de quatre et de six mois.
Quelques-uns même appelèrent année la révolution que
fait la terre sur elle-même en vingt-quatre heures : c'est
ainsi du moins qu'on explique les quatre cent cinquante
mille ans d'antiquité dont se vantaient les Babyloniens.
La véritable année , celle qui règle le cours des saisons ,
est Vannée solaire; elle comprend l'espace de temps dans
lequel le soleil parcourt ou parait parcourir les douze signes
du zodiaque, c'est-à-dire les SOôJ 5'' 48'" 51* qui forment
Vannée fixe. On nomme, par opposition, année civi/e, celle
que l'on compose pour les usages civils d'un nombre de
jours à peu près égal à l'année fixe; elle est chez nous
de 3G5 jours, que l'on porte à 306 dans les années bissex-
tiles, qui reviennent à des époques régulières, pour effacer
autant que possible la ditïérence provenant des 5 '> 48"' 51 °
dont il n'est pas tenu compte dans l'année vulgaire de 305
jours. Cette dénomination de bisse.i(Ue vient de ce que
dans le calendrier romain le jour formé au bout de quatre ans
par ces 5 h 48 •" 51» était placé après le 24 de février, qui était
le sixième des calendes de mars. Comme ce jour, ainsi ré-
pété, était appelé en conséquence bis sexta calendas, l'an-
née où ce jour était ajouté fut appelée aussi bis sexlus, que
nous avons traduit par bissextile. Chez nous cependant le
lour intercalaire n'est plus regardé comme la répétition du
24 lévrier, si ce n'est pour les fêtes de l'Eglise; mais il est
ajouté à la fin de ce mois et en est le vingt-neuvième.
Les astronomes appellent année tropique le temps qui
s'écoule entre deux équinoxes de printemps et d'automne;
année sidérale, le temps que le soleil met à faire sa révo-
lution apparente autour de la terre pour revenir a la même
étoile ; ou jjlutot, c'est le temps que la terre met à revenir au
même point du ciel. 11 y a entre ces deux années une lé-
m'ie diliérence , causée par la rétrogradation annuelle de
l'équinoxe, dont on tient compte dans les calculs astrouo-
niiiiues.
Vannée julienne est l'année du calendrier romain , ré-
formé par Jules César. Cette année supposait l'année as-
tronomiciue de 305 jours 6 heures; elle surpassait par con-
séquent la vraie année solaire d'environ il minutes, ce qui
a occasionné la correction grégorienne. Vannée grégo-
r/e;Nie n'est donc que l'année julienne corrigée par la sup-
pression de trois bissextiles en quatre siècles.
Bien (juele soleil lût le seul régulateur de la longueur de
l'année par rapport aux saisons, cependant on ne s'en ser-
WCT. DK LA C0XVE[\S. — T. I.
vit point d'abord : le mois lunaire, dont la révolution est
plus prompte, et qui frappe tous les yeux, devint l'élément
de la première période ou de la première amue chez prescpie
tous les peuples du monde. Mais il y a deux espèces de
mois ou de révolution lunaire, savoir : 1" la révolution pé-
riodicpie , qui est de 27 J 7 ''43 "14 8 : c'est à peu près |j
temps que la lune emploie à faire sa révolution autour de la
terre, par rapport aux points équinoxiaux ; 2° le mois syno-
dique, qui est le temps que cette planète emploie à retour-
ner vers le soleil à chaque conjonction ; ce mois, intervalle
de deux nouvelles lunes , dont il présente toutes les phases,
se compose de 29l 12 h 44"' 3'. C'est le seul dont on se soit
constamment servi pour mesurer les années lunaires. Or,
comme ce mois est d'environ 29 jours et demi, on a été
obligé de supposer les mois lunaires civils de 29 et de 30
jours alternativement; ainsi, le mois synodique étant de
deux espèces, astronomique et civil, il a fallu disthiguer
aussi deux espèces d'année lunaire, lune astronomique,
l'autre civile. L'année astionomi(jue lunaire est composée
de douze mois synodiques lunaires, et contient par con-
séquent 354 J 8'' 48'" 35 s. L'année lunaire civile est ou
commune ou embolismique. L'année lunaire commune
est de douze mois lunaires civils, c'est-à-dire de 354 jours.
L'année embolismique ou intercalaire est de treize mois
lunaires civils et de 384 jours. On voit donc que l'année lu-
naire commune de 354 jours est plus courte de onze jours
au moins que l'année solaire. Or, les calendriers de la plu-
part des peuples de l'antiquité étant réglés par l'une, tan-
dis que les saisons l'étaient par l'autre , il en résultait,
après un petit nombre d'années , des inconvénients tels que,
par exemple, l'on voyait arriver en hiver les fêtes et les
mois qui, dans l'institution primitive, aiipartenaient à l'été.
Les Egyptiens connurent dès la plus haute antiquité la
véritable longueur de l'année solaiie pour leur climat ; et les
savants pensent qu'à une époque reculée cette longueur
était réellement pour le méridien de ïlièbes de 3G5 jours ( t
un quart. Celle connaissance ne fut jamais étrangère au
collège des prêtres, qui régla Tannée civile ainsi qu'il suit :
elle était composée de 305 jours, divisés en 1 2 mois de 30
jours chacun, suivis de 5 jours complémentaires. Les noms
de ces mois étaient : 1'='" Thôt, 2* Paoplii, 3*^ Atliïr,
4" C/ioïac, b" Tijbi, G" Mechir, V Phamenotli, S* Pliar-
moulki, II*-" Paclioii, 10'' Paijni, 11" Epiphi, 12* Mesori,
et les jours épagomcncs. 11 résultait de l'année égyptienne
ainsi réglée une perte ou rétrogradation d'un quart de jour
à peu près tous les ans sur l'année solaire, et d'un jour en-
tier tous les quatre ans. Les prêtres égyptiens ne fignoraient
pas ; mais ils voulaient ainsi établir une période sainte, qui
dans une révolution fixe ferait successivement passer la
même fête par tous les jours de l'année ; cela arrivait en
effet dans l'espace de 1,461 années de 3G5 jours, qui ont la
même durée que 1 ,400 années de 3G5 jouis et quart. L'année
de 305 jours se nommait vague, et l'autre se nomniQiiy/.rc.
Cette année vague civile fut en usage en Egypte jusqu'au
règne d'Auguste. On a dressé les tables de ses concordances
avec l'année fixe, et l'on sait que le l*"" thot ou premier jour
de l'année vague égyptienne répondait, l'an 744 avant J.-C. ,
au 25 février julien, et ce fut de même pour les trois an-
nées suivantes 743, 742 et 741 ; en 740, le 1'^'^ thot tomba
au 24 février, et ainsi de suite. Auguste arrêta cette année
vague, la rendit li\e, attacha le 1"' thot au 29 août julien,
admit l'intercalation bissextile au moyen d'un G*" épagomèno
tous les ([uatre ans, mais inséré à la lin de la S'' année de
chaque période de <|uatre ans; de sorte que l'année égyp-
tienne coin:nen<,-ait le 30 aoill julien dans chacune des an-
nées bissextiles juliennes. Tels sont les deux états successif*
du calendrier égyptien.
Les Juifs avaient une année religieuse et une année civiln,
également divisées en 12 mois portant le même nom; ma'-i
la première commençait vers l'étpiiuoxe du printemps; a
626
cette éiioquc, et le 16 du premier mois, ils devaient offrir à
Dieu des épis d'orge mûr. L'année civile commençait vers
l'équinoxe d'automne. Les douze mois de ces deux années se
nommaient : 1*"" Nisan on Abïb, T Jiar ou Ziv, 3* Siban,
4" Thammouz, 5* Ab, 6* Eloiil, V Tisckri ou Aïlanhim,
8" Markhesvan ou Boni, 9*= Kasler, 10^ Tebeth, 11' Sche-
belh, 12" Adar. L'année était lunaire ou de 354 jours, et
ces mois étaient alternativement caves et pleins, c'est-à-
dire de 29 et de 30 jours. L'année était donc en relard tous
les ans de 1 1 jours sur l'année solaire ; cette rétrogradation
ne tardant pas à faire recommencer l'année trop tôt rela-
tivement à la maturité de l'orge, les Juifs ajoutaient alors
un mois de plus ou adar second, de 30 jours, pour compen-
ser ce retard. Il y avait d'ailleurs pfu d'ordre dans le ca-
lendrier des anciens Juifs ; c'est pourquoi les passages de la
Bible qui s'y rapportent ont offert jusqu'ici aux critiques
d'hisolubles diflicultés.
Les Athéniens curent d'abord une année lunaire de 354
jours, divisée en douze mois successivement caves et pleins,
et dans l'ordre suivant : 1'''^ Gamélion, 2' Antesthérion,
•i" ElaphéboUon, 4'' Munychton, 5" Tkargélïon, 6' Scïr-
rophoiinn, 1" Hécntombœon, i" Métaijitnion, 9' Boédro-
mion, 10^ Mœmactérion, il" Pijancpsion, 12" Posidéon.
Lorsqu'on se fut aperçu de la rétrogradation de cette année
lunaire sur le retour périodique des saisons, on consulta
l'oracle, qui ordonna de régler les mois sur la lune et l'année
sur le soleil. On adopta donc une intercalation d'un mois
de 30 jours, et, pour la rendre aussi exacte que possible, on
arrêta que cette intercalation aurait lieu trois fois en huit
ans; et, en effet, huit années de 354 jours avec trois mois
intercalaires de 30 jours, sont égales à huit années de 305
jours et quart, ou 2,922 jours. Ainsi, chaque octaérkle re-
commençait vers la nouvelle lune qui suivait le solstice
d'été, et le calendrier athénien était soumis à toutes les va-
riations qu'entrainait sa singulière composition. Il faut re-
marquer cependant que le calendrier civil des Athéniens ne
fut ainsi définitivement arrêté que 430 ans avant J.-C.
Les Lacédémoniens, les Macédoniens et les autres peu-
ples de la Grèce eurent aussi un calendrier particulier. Après
les conquêtes d'Alexandre , los noms des mois macédoniens
furent imposés à plusieurs nations ou villes de l'Asie, à la
Syrie, Éphèse, Antioche, Gaza, Smyrne, Tyr et Sidon. Voici
les noms de ces mois : 1""" D'ms, 2" Apellœus, 3' Andij-
nœus, 4' Perilrus, 5' Dijstrus, G" Xanlhicus, T Arle-
inisiiis, 8" Dœsius, 9* Panemus, 10" Lotis, 11" Gorpiœus,
12" llijperbcrctœus. Les Pto'.émées, en Egypte, se ser-
virent aussi du calendrier macédonien en même temps que
du calendrier égyptien, comme le prouve l'inscription de
Rosette, datée du IS méchyr égyptien, concourant avec
le 4 xanthique macédonien. Enfin, les astronomes grecs
avaient une année solaire à leur usage, aux mois de laquelle
ils donnaient les noms des douze signes du zodiaque.
11 paraît , d'après des témoignages assez authentiques et
anciens, que dès le commenœment historique de Rome, le
calendrier fut et dut être le même que ceux des Albains, des
Sabins et des autres peuples italiotes, assez mal réglé, si
l'on s'en rapporte à Censorin. Le nombre des mois n'était
que de 10, et celui des jours de 304, ainsi répartis : mars, 3 1 ;
avril, 30; mai, 31; juin, 30; quintilis (ou 5"), 31; se\-
tilis , 30 ; septembre , 30 ; octobre ,31; novembre , 30 ; dé-
cembre, 30. C'est ainsi que Numa trouva le calendrier
de Rome à son avènement. Il entreprit de le réformer ; il le
lit, selon l'année lunaire, de 355 jours, en y ajoutant au
commencement le mois de janvier, de 29 jours, et à la fin
celui de février, de 28 jours, ne laissant 31 jours qu'aux an-
ciens mois de mars, mai, quintilis et octobre, et fixant tous les
autres à 29. Numa, voulant atissi nieltre son année lunaire
en rapport avec l'année solaire, fixa pour diaqne intervalle
de quatie ans une intercalation de 22 jours à la deuxième
aunée, et une autre de 23 jours à la quatrième année. Ce pc-
tit mois, placé après février, se nommait mercedoniits. Il en
résultait une série de 1,465 jours pour ces quatre années, et
cependant quatre années de 365 jours et quart ne contien-
nent que 1,461 jours. Il y avait donc une superfétation de
quatre jours , qui était une cause très-grave de désordie, à
moins qu'on ne stippose que cette erreur provienne des écri-
vains qui nous l'ont transmise, en faisant l'année de Numa
de 355 jours au lieu de 354, comme elle était partout ail-
leurs. En l'an IV de Rome , le mois de février fut placé im-
médiatement après janvier, selon le témoignage d'Ovide.
L'autorité sur les intercalât ions appartenait au collège des
pontifes : c'était le bureau des longitudes de l'époque ; ils
rédigeaient le calendrier pour chaque année, décidaient
arbitrairement parfois du nombre des jours qu'elle compte-
rait, et ce droit était entre leurs mains, jusqu'à un certain
point, un grand moyen d'administration , car ils allongeaient
ou accourcissaient la durée des magistratures en réglant
celle de l'année ; ils favorisaient ou vexaient par le même
moyen les fermiers des revenus de l'État. Le désordre des
mois , relativement aux saisons et aux récoltes , fut porté
à l'extrême ; un écpiinoxe du printemps arriva avant le 16
mars du calendrier, et Cicéron priait Atticus de s'opposer à
ce que l'année de son proconsulat en Cilicie fût prolongée
par une intercalation. Jules César, en réglant le calendrier,
mit fin à cette confusion.
C'est de cette réformation, à laquelle il donna son nom ,
que naquit Vannée julienne, laquelle passa des Romains
dans l'Église chrétienne. Mais l'année julienne était loin de
concorder parfaitement avec les véritables mouvements des
corps célestes, et après que les chrétiens l'eurent adoptée,
il en résulta une perturbation dans l'ordre des fêtes par
rapport aux saisons, qui nécessita la réforme opérée en 1581
par Grégoire XUI, réforme que nous expliquerons en son
lieu en tiaitant le mot calendrier. Il nous snlîua de dire
ici qu'en vertu d'une huile de 1581, le lendemain du 4
octobre de l'année suivante, 1582, porta le quantième
du 1 5 octobre, et ainsi de suite ; par ce moyen , le 1 1 mars
suivant se trouva le 21, et Téquinoxe fut rétabli sur le ca-
lendrier a sa date primitive. Cependant, les protestants et les
Églises grecques refusèrent de retrancher les dix jours ; ce
qui fit appliquer à leur année la dénomination de vieiix
style, tandis que l'on appelait nouveau style l'année ré-
tablie.
Disons maintenant quelques mots sur l'année en usage
chez les peuples modernes qui ne sont pas chrétiens.
L'année arabe ou turque est une année lunaire composée
de 12 mois , qui sont alternativement de 30 et de 29 jours ;
quelquefois aussi elle contient 13 mois. En voici les noms
1"' Muharram, de 30 jours ; 2" Saphar, 29 ; 3" Rabin, 30 ;
4" second Rabin, 29; ô" Jornada, 30; 6" second Jorna-
da, 29 ; 7" Rajab, 30 ; 8" Shanban , 29 ; 9" Samadan, 30 ;
10" Shaival, 29 ; 11" Dulkaadah, 30 ; 12" Dulhegrjia, 29 ,
et de 30 dans les années hyperhémères ou embolismiques.
On ajoute un jour intercalaire à chaque 2", 5", 7", 10",
13", 15", 18", 21", 24", 26", 29" année d'un cycle de trente
ans. Les années embolismiques sont de 355 jours ; les an-
nées communes, de 354. — L'année des Juifs modernes est
pareillement une année lunaire de 12 mois dans les années
communes, et de 13 dans les années embolismiques, les-
quelles sont les 3" , 6" , 8" , 1 1" , 14" , 17" , 19» du cycle de
dix-neuf ans. Voici les noms de ces mois et leur durée :
l""" Tisri, 30 jours; 2" Marchesvan , 29; 3" Cïsleu, 30;
4" Tebeth, 29 ; 5" Schebelh, 30 ; 6<= Adar, 29 ; 7» Veadar, dans
les années embolismiques, 30 ; 8" Msan , 30; 9" Jiiar, 29;
iO'Sivau, 29; 11' Thamxiz, 29 ; 12« Ab, 30; 13' Elul, 29.
Les Égyptiens, les Challéens , les Perses, les Syriens,
les Phéniciens, les Carthaginois, commençaient l'année à
l'équinoxe d'automne. C'était aussi à partir de cette époque
que les Juifs comptaient leur année civile, bien que leur
année rcrgieuse commençât à l'équinoxe du printemps. La
ANNÉE — ANKÉLIDES
première datait du I" de tisri (22 septembre, 1" vendé-
miaire); la deuxfème, du l"" de nisan (22 mars, 1"^ ger-
minal). — Le eommencement l'.e l'année des Grecs se
trouvait au solstice d'hiver avant Méton (c'est-à-dire vers
le 22 décembre, 1^"^ nivôse), et au solstice d'été depuis
Méton (c'est-à-dire vers le 3 juillet, 13 ou 14 messidor).
Celle des Homains datait de l'équinoxe du priutemi>s lors
de Romulus , du solstice d'hiver depuis Numa. — Les an-
ciens peuples du Nord commençaient leur année au solstice
d'hiver.
Les niahométans ne commencent point leur année à une
époque détermime. Chez la plupart des peuples qui habi-
tent les Indes orientales, Tunnée est lunaire et commence
au premier quartier de la lune la plus proche du mois de
décembre; elle se divise en 12 mois de 29 et de 30 jours,
et le mois en semaines de sept jours. — L'année chez les
Péruviens conmiençait au solsticiî d'hiver, et à l'équinoxe
du printemps chez les Mexicains. L'année des pieuuers était
lunaire et divis<*e en quatre parties égales, portant le nom
de leurs quatre principales fêtes instituées en l'honneur des
quatre divinités allégoriques des saisons. Les seconds avaient
une année de 360 jours, et 5 complémentaires. Elle était di-
visée en 18 mois de 20 jours, et, comme les nations euro-
péennes, ils avaient, dit-on, leur année bissextile. — Jusqu'en
1752, les Anglais aimmencèrent leur année légale à l'équi-
noxe du printemps (21 mars); mais à cette époque un bill
la reporta au solstice d'hiver (21 décembre). — Les Espa-
gnols, les Portugais, les Hollandais, les Allemiinds, la com*
mençaient également au solstice d'hiver.
Le commencement de l'année a varié plusieurs fois en
France. Selon Grégoire de Tours et Frédégaire, il parait que
les écrivains des premiers siècles de la monarchie ont quel-
quefois daté de la Saint-Martin. Cependant, en général, on
peut dire que Tannée commençait sous la première race
au 1^'' mai. C'était le jour où l'on passait les troupes en
revue. Le gouvernement était alors tout militaire, et les pre-
miers monarques des Francs étaient plutôt leurs chefs que
leurs rois. Sous la seconde race, l'année commenra au sol-
stice d'hiver, c'est-à-dire à Noël ; c'était l'année des clercs, les
seuls alors qui sussent lire. Sous la troisième race, l'usage
de commencer l'année à Pâques prévalut sur tous les autres,
quoique le moindre de ses inconvénients fût de donner à
chaque année un nombre inégal de jours ; les limites de
cette inégalité n'étant pas moins de 33 jours, le comput par la
Pâques faisait commencer l'année près de trois ou quatre mois
après l'usage actuel. La confusion était grande sur ce point,
non-seulement d'État à État, mais pour nous-mêmes de pro-
vince à province. L'autorité royale intervint enfin, et un édit
de Charles IX, rendu à Paris au mois de janvier 1563 , or-
donna que tous les actes publics seraient datés en commen-
çant l'année au l"" janvier. Cette mesure, malgré son évi-
dente utilité, trouva cependant dans le parlement de Paris
une violente opposition. Cet édit n'était que le complément
de l'ordonnance d'Orléans, donnée sur les cahiers présentés
par les états tenus dans cette ville. L'article 39 s'exprime
ainsi : « Voulons et ordonnons qu'en tous les actes, regis-
tres, instruments, contrats, édits, lettres tant patentes que
missives et toutes écritures privées , l'année commence do-
rénavant et soit comptée du premier jour du mois de jan-
vier. » Celte mesure aurait du ôtre adoptée au 1'"'' janvier
1564; mais il n'en fut pas ainsi : le parlement, qui tenait
aux anciennes coutumes, fit des remontrances, et n'enregistra
pas l'édit. Ces remontrances furent l'occasion de la déclara-
tion datée de Roussillon, en Dauphiné , le 4 aoilt 1564, sous
le contrescel de laquelle l'édit fut mis, ce qui a fait confondre
l'édit avec la déclaration, même par de savants écrivains.
L'édit fut enregistré le 22 décembre 1564. Cette année finit
donc avec le 31 décembre, et l'année 1565 dut commencer
le lendemain , T"" janvier. Mais le roi seul se contbrma à
celle manière de coiniiler, qui ne fut admise dans les actes
G27
que par ses secrétaires et les secrétaires d'ittat ; le parlement,
au contraire, continua l'ancien usage, à la faveur de ses
remontrances , et il en résulta que des actes royaux datés
du mois de janvier 1565 furent enregistrés à la date du mois
de janvier 1564. Le parlement continuant de commencer l'an-
née à Pâques, une déclaration du roi, du 10 juillet 1560,
prescrivit l'exécution de l'édit de 1563 : le parlement l'enre-
gistra le 23 juillet , se réservant encore de faire des remon-
trances ; mais une nouvelle déclaration du roi du 1 1 décem-
bre même année, enregistrée le 23 décembre, du comman-
dement très-exprès du roi, fit enfin cesser l'opposition du
parlement, et le 1*' janvier suivant, 1567, fut adopté parcelle
cour souveraine pour le commencement de l'année. On voit
par cet exposé combien il lut difficile, môme pour l'auto-
rité royale , d'établir une règle définitive dans un point de
l'administration publique aussi important que l'est la sup-
putation du temps pour l'ordre civil. Aussi , plus tard , fal-
lut-il tout le pouvoir dictatorial de la Convention pour faire
adopter instantanément dans toute la France le calendrier ré-
publicain, qui n'a eu que quelques années d'existence. Nous
parlerons au mot Calendrier, de ce nouveau système, nous
bornant à dire ici, par rapport à l'année qu'il avait admise,
que cette année était composée de 365 jours divisés en
12 mois de 30 jours, et suivis de 5 jours complémentaires.
Un 6^ complémentaire, ajouté périodiquement, faisait les
années bissextiles. Le mois était divisé en trois décades de dix
jours chacune. Ce calendrier a subsisté moins de quatorze
ans. Sa quatorzième année , commencée le 23 septembre
1S05, finit le 31 décembre suivant, qui répondait au 10 ni-
vôse an XIV. Un sénatus-consulte du 21 fructidor an XIII
rétabUt le calendrier grégorien à compter du 1*'' janvier
suivant, 1806. Teyssèdre.
ANIVÉE CLIMATÉRIQUE. Voyez Climatériqce.
AJVIVÉLIDES. Classe d'animaux articulés dont les
anciens ne connaissaient qu'un petit nombre. Aristote et
Pline ne font mention que de sangsues et de scolopendres
marines, que l'on croit être des néréides. Willis et Swam-
merdam avancèrent un peu l'iiistoire de ces animaux ; mais
c'est principalement aux travaux de Muller, d'Othon labri-
cius et de Pallas qu'elle dut ses progrès dans le siècle der-
nier. Jusqu'à Cuvier les annélides étaient dispersées dans
trois divisions différentes de la classe des vers , et confon-
dues les unes avec les vers intestinaux ou avec des mol-
lusques sans coquille, et les autres avec les testacés : Cuvier
les désigna d'abord , après en avoir fait un groupe natuiel ,
sous le nom de vers à sang rouge; Lamarck leur donna ce-
lui d'annélides. Plus tard Cuvier, ayant découvert le mode
de circulation propre aux annélides, en forma une classe
distincte, qui a été adoptée depuis avec les mêmes limite»
par presque tous les naturalistes. C'est principalement aux
recherches de Savigny qu'on doit les progrès que la science
a faits dans l'histoire zoologique de ces animaux , progiès
que les beaux travaux d'Audouin , de Blainville et de
M. Milne- Edwards ont avantageusement continués.
Les annélides ont toujours leur corps plus ou moins mou et
divisé presque constamment en un très-grand nombre d'an-
neaux : c'est cette dernière particularité qui a fait donner à
ces animaux le nom qu'ils portent. Leur corps est ordinaire-
ment venniforme; et la peau en est colorée d'une manière
plus ou moins vive et très-nuancée ; dans quelques cas elle
est terne et terreuse. Quelques espèces, telles que les sang-
sues, n'ont point de pieds; d'autres, comme les lombrics
ou vers de terre, n'ont que des poils ou des crochets
pour tout organe de locomotion ; quelques-unes enfin , telles
que les errantes et les tubicoles, ont de véritables pieds
d'une structure très-compliquée. Les eiTantes sont de toutes
les annélides celles qui ont les pieds les plus parfaits : ils
existent à chaque anneau, et peuvent être divisés en deux
rames, l'une supérieure et dorsale, l'autre inférieure ou ven-
tiale : quelquefois les deux rames sont inlimemcnt uui«»
/y.
A^JKÉLIDES — A.N'MIUL
028
entre elies. La lame ventrale est la plus saillante et la mieux
organisée pour la [jroj^rcssion. Chaque rame [irésente deux
parties trùs-distincles : les cirrhcs et les soies. Les cirrhes
sont des filets tubuleux , communément nUractilos , et sem-
blables en quelque sorte aux antennes des insectes : les soies
traversent les libres de la peau, et pénètrent avec leur four-
reau dans l'intérieur du corjis oii sont fixés les muscles des-
tinés à les mouvoir. Ces soies sont de deux espèces : les soies
proprement dites, et les ncicules, qui sont plus grosses que
les autres, droites, coniques, aiguës, contenues dans un
fourreau dont l'oiilice jjarticulier se reconnaît à sa saillie, et
ne présentent jamais de denticules sur leurs côtés. La der-
nière paire de pieds constitue les slijles ou longs filets qui
accomiiagnent Tanus et terminent ordinairement le corps.
Les pieds des annélides tubicoles présentent en outre une
autre esiièce de soies : ce sont les soies à crochets, dont le
nom indique la forme, et qui ont pour usage de sVcroclier,
ce qui permet à l'animal de monter ou de descendre faci-
lement dans l'intérieur du tube ([u'il habite. Chaque paire
de pieds dans les errantes supporte communément une paire
de branchies très-variable pour leur étendue et leur configu-
ration, tandis que les pieds des annélides tubicoles en man-
quent. La tcle n'est distincte que dans un seul ordre des
annélides , celui des errantes : elle supporte des antennes ,
des yeux et des mâchoires insérées sur une trompe que l'a-
nimal fait rentrer et sortira volonté. Les hirudinées, quoi-
que n'ayant point de tête distincte, sont pour\'ues cepen-
dant d'yeux et de mâchoires.
On peut dire que l'anatoniie des annélides n'est encore
bien connue que dans quelques espèces, les sangsues
entre autres. Le système nerveux ne dillère pas essenliel-
leim'iit de celui des insectes tit des autres animaux articu-
lés ; il Ibrujc une série de ganglions placés longitudinale-
ment au-dessous du canal intestinal , et qui fournissent
chacun plusieurs filets nerveux. On ne distingue dans les
annel des aucun organe de l'ouie ni de l'odorat : elles ont
n la [)artie antérieure de leur corps des points colorés
qu'on considère comme des yeux. Les annélides sont pour-
vues d'un sysîènw circulatoire complet , dans letiuel le sang
est rouge; par l'ellet de la circulation, le sang se réoxy-
Hènc da;is les organes de la i-esp:ration, qui se montrent à
l'exlérieur dans plusieurs espèces sous forme de branchies
plus ou moins saillantes, d'une couleur parfois rouge, et qui
chez les sangsues sont situées à linlérieur du corps, et
constituent de chaque coté des espèces de poches pu nio-
naircs, sur les parois def<iuelles se distribuent un très-grand
nombre de vaisseaux sanguins.
Les annélides se nourrissent généralement de petits ani-
maux (lu'elles dévorent avec avidité. Les hirudinées se gor-
gent du sang des autres animaux, et leur canal intestinal,
qui s'étend dans toute la longueur du corps sans présenter
tic circonvolutions , est susceptible d'une grande extension.
Toutes les annélides paraissent être androgynes ; et comme
la fécondation ne peut s'opérer que par un contact mutu> I,
ks orifices des organes mâles et des organes femelles se pré-
sentent, dans les sangsues i)ar exemple, sous la forme de
pores situés à la partie intérieure et sur la ligne moyenne du
corps , très-près l'un de l'autre. Les organes générateurs
nulles se ( onqiosent des testicules, des amaux déférents, des
vésicules séminales et de la verge; les organes femelles sont
formés par un vagin court, (jui conduit dans ime poche assez
développée après la fécondation, (pi'on a appelée matrice,
et au fon<l de lacpielle vient aboutir un canal terminé ])ar
deux i)elits corps o\alaires ap|)elés ovaires. La plupart des
annélides sont ovip;ues : les liiriulinées et les lombrics
poiulent des Ciqisules, dans les(pielles se développent plu-
sieurs germes ; (juel.pies espèces engendrent des œufs
qu'elles défiosent i>iilemenl. Les annélides vivent dans les
eaux douces et sak-es ou bien enbuuees dans |;i terre. Flu-
iieeis espèces qui hahiteut dans la terre sont sédei'.'aires,
timides, et ne savent ni fuir ni «e défendre lorsqu'on le.?
retire de leur demeure, tandis que d'autres, au contraire,
sont vagabondes , nagent avec agilité à l'aide de leurs pieds,
et résistent à leurs ennemis au moyen de poils acérés qui
garnissent leurs pattes ou qui recouvrent tout leur corps.
M^L Audouin et Milnc-Edwards ont divisé les annélides
en quatre groupes primitifs ou ordres, basés sur quatre types
principaux d'organisation et des différences non moins re-
marquables dans leurs mœurs. Le premier ordre est cons-
titué |)ar les annélides errantes : il se compose de cinq fa-
milles : k'S aphrodisicns, les amphinomiens, les eunicicns,
les néréidicns et les ariciens. Le second ordre des anné-
lides est formé par les tubicoles , divisés en trois familles :
les amphilliriliens , Xes, maldanies , les télét/nises. Le
troisième ordre des annélides se compose des terricoles, for-
mant deux familles : les échiurcs et les lombricicns. Le
quatrième ordre, ou les annélides suceuses, comprend les
branchellinnées et les hirudinées. D' Alex. Dlcrktt.
AIV'iV2B.\L naquit à Carthage, vers l'an 241 avant J.-C.
Il n'avait (jue neuf ans quand son père, Amilcar, lui fit
jurer sur un autel d'être l'étemel ennemi des Romains. Ja-
mais ferment ne fut mieux rempli. — A la mort d'As-
d r u b a 1 , que Carthage avait chargé de conquérir l'Espagne,
Annibal, qui s'était formé à l'art de la guerre sous son père
et sous son beau-frcre , et qui était alors Agé de vingt-trois
ans, prit le commandement de l'armée. Il employa la fin
de la campagne et les deux suivantes à soumettre tout
le pays jusqu'à l'tbre. Se voyant alors à la tête d'nns
armée nombreuse et aguerrie, et pouvant compter sur les
ressources de l'Espagne soumise , il ne songea plus qu'à
romp.-e l'alliance conclue avec les Romains. Le prétexte fut
facilement trouvé. 11 attaqua Sagonte, leur alliée, et la dé-
truisit de fond en comble ; les Romains perdirent du temps
en envoyant à Annibal !me ambassade qui ne fut pas reçue,
et qui, ayant passé à Carthage, n'y obtint qu'une réponse
évasive, malgré les efforts d'Hannon , qui voulait la paix.
Le sénat envoya alors à Carthage une seconde ambassade,
qui , n'ayant pu obtenir satisfaction , déclara la guerre aux
Carthaginois. Les envoyés de Rome passèrent , à leur re-
tour, en Espagne et dans les Gaules , afin d'y conclure des
alliances; mais leurs efforts furent inutiles, et la ville aux
sept collines resta seule dans la lutte qui se préparait, et qui
la mit à deux <loigts de sa perte.
L'an 216 avant l'ère chrétienne, 535e de la fondation de
Rome , Ajmibal quitta l'Espagne. Ayant envoyé en Afrique
une armée de (luiirze mille hommes et laissé en Espagne deux
divisions, l'une de quinze mille hommes, sous son frère
Asdrubal , et lautve de onze mille hommes, sous les ordres
de llannon , il lui restait cinquante mille hommes d'in-
fanterie et neuf mille chevaux, avec lesquels il passa les
l'yrénées. Les Romains , aveuglés sur le danger qui les
menaçait, ne prirent pour leur défense que des mesures in-
suffisantes. Une armée de vingt-cinq mille hommes, sous
l'un des consuls, Sempronius, fut chargée de passer en
Sicile, et de porter la guerre en Afrique; une de quinze
mille honnnes, sous le i)réteur Manlius, fut chargée de la
défense de la Gau-le Cisalpine. L'autre consul, Scipion,
n'eut que vingt-cinc] mille hommes à opposer à Annibal ; il
devait jiasser en Espagne, ou l'on croyait encore le trouver.
Mais toutes ces mesures avaient été prises avec trop d(!
lenteur; et lorsfjue Scipion arriva à Marseille, Annibal était
déjà sur les vivts du Rhône, dont il forçait le passage. .Ayant
appris, par une reconnaissance, la position de Scipion, et
d'un autre cùté ayant reçu une ambassade des Gaulois Cisal-
pins , qui l'appelaient, il se décida à éviter une bataille et a
passer les.-\l[ies plus loin de la mer. Ayant donc remonté le
Rhône jusque vers Valence , et terminé par arbitrage une
guerre civile des Allobroges , il revint à la Drôme, gagna la
vallé»; de la Durance vers Gap, et, malgré li-s altaques con-
tinuelles des montagnards, il franchit les Alpes, en pass;u>î
AXMRAL
»i29
le mont Genèvrc et le roi de Scslrii''!OS. Après des didicuKés
el des (langei-s de toute espi-ee, il arriva on Italie par la vallée
de Pragesas. 11 y avait cimi mois et demi ([u'il était parti de
CarthagiMie, et il ne lui restait plus que vingt mille lioiinnes
d'infanferie africaine cl espagnole et six mille chevaux.
Soipion, de son cote, lorsque Annibal lui eut ainsi échappé,
envoya son frère en Espagne avec ses légions, et revint en
personne à Pise ; il apprit à Plaisance qu'Annibal s'avançait
par la rive gauche du Pu. Aussitôt il marcha au-devant de
l'ennemi jusqu'au delà de Pavie. La première rencontre dos
tleux armées eut lieu près du Tésin et de Vigevano, dans
un combat où la supériorité de la cavalerie d'Annibal lui
donna la victoire. Scipion, battu et blessé , repassa le ïésin
et le Pô, et se retira dans une forte position , près de Plai-
sance, pour y attendre son collègue Sempronius. Ce dernier,
étant arrivé avec ses légions, se décida à passer la Trébie
et à livrer bataille, malgré l'avis de Scipion, qui vou-
lait réduire l'ennemi en lui faisant consonuner ses ressources
en Ligurie. Drns cette bataille, l'armée consulaire, enve-
loppée sur ses ailes, fut complètement défaite. Dix mille
lionunes du centre purent seuls percer la ligne ennemie ,
et se retirer à Plaisance, où les fuyards les rejo'gnirent en
assez petit nombre. Après ce combat , les Romains se reti-
rèrent en £tiurie, et Annibal prit ses quartiers d'hiver en
Ligurie.
La campagne suivante ne fut pas moins désastreuse pour
la Républiipie. Le nouveau consul, Flaminius, élait venu
se poster à Arezzo. Annibal , voulant éviter le passage de
l'Apemiin devant un ennemi nombreux, traversa les ma-
rais de l'Arno pour entrer en Étrurie, et, à la vue du camp
romain, se dirigea vers Clusium et Rome. Flaminius se
hùta de lui courir sus, et tomba ainsi dans l'embuscade que
lui avait tendue Annibal sur les bords du lac Trasimène
ou dePérouse. Le consul et presque toute l'armée y périrent ;
mais Annibal n'osa pas encore marcher sur Rome , crai-
gnant d'être enfermé entre la garnison de cctîe ville et la
nouvelle armée de l'autre consul, qui amvait de Rimini. 11
passa dans l'Apulie, où il reposa ses troupes. Les Romains le-
vèrent de nouvelles troupes, et nommèrent à la dictature le
célèbre Fabius Maximus. Ceiui-ci, instruit par l'expérience
des désastres passés, adopta le système d'une guerre de po-
sitions, qui lui fit donner le ïurnojn de tcmporiscur. Ce genre
de guerre impatientait les Romains , autant qu'il fatiguait
Annibal, et la cabale des imprudents profita d'un avantage
remporté pendant l'absence de Fabius, pour partager l'au-
torité entre lui et son général de cavalerie , .Minutius. Ce
dernier ne tarda pas à se mettre dans un grave danger; il
n'en sortit que par une habile manœuvre du dictateur, et
eut le bon es;)rit de renoncer au commandement. La guerre
continua selon la méthode de Fabius, et Annibal resta acculé
en Apulie.
La troisième année de la guerre fut marquée par le plus
grand désastre qu'eussent éprouvé les Romains depuis la
bataille de l'Allia. Les armées consulaires avaient été
portées au double. Réunies au nombre de seize légions , ou
80,000 hommes, elles vinrent camper devant Cannes , oc-
cupée par Annibal, dont l'armée était de o2,000 hommes
d'infanterie et 1 0,000 chevaux. Le consul ^Emilius voulait
suivre le système de Fabius ; son collègue Térentius Varron
voulait, au contraire, combattre à tout prix. Chacun
des deux généraux commandait à son tour ; Varron pro-
fita d'un jour qui lui appartenait, et présenta la bataille.
Annibal la désirait, et s'y était préparé. 11 suppléa à l'infé-
riorité du nombre par les ressources de la tacticiue. Ses
dispositions furent telles que l'armée romaine, se refoulant
sur son centre, s'y trouva entassée en désordre, tandis que
les ailes étaient enveloppées et tournées par l'excellente
infanterie d'Annibal et sa nombreuse cavalerie. La défaite
de Cannes fut sanglante et complèle. 70,000 Romains fu-
ient tués ou pris. ^-Lmilius périt en combattant; Vurron se
sauva avec quelques cavaliers. Le résultat de celte bataille
fit soulever luesque toute l'Italie contre Rome, et livra à
Annibal la riche Capoue ; mais sa fortune avait atteint son
apogée, et il ne put dépasser la limite tracée par le destin.
La constance bernique des Romains lui opposa de nouvelle3
armées, et Marcellus fut le sauveur de la patrie en bat-
tant devant Noie le vainqueur de Cannes. On a reproché à
Annibal de n'avoir pas marché sur Rome et d'avoir perdu
son armée dans les délices de Capoue : le premier reproche
est injuste, Annibal était trop faible pour attaquer une ville
connue Home, devant laquelle il risquait d'être enveloppé;
le second est une amplilication de rhéteur : une armée dé
vétérans bien disciplinée ne se perd pas dans un quartier
d'hiver.
Pendant les cinq campagnes suivantes la fortune cessa
de favoriser autant les opérations d'Annibal. D'un côté, la
constance inébranlable des Romains, leur faisant trouver
ou créer des ressources apiès chaque échec , renouvelait
sans cesse les travaux et les difficultés d'Annibal ; de l'autre,
les généraux romains se formaient à son école, et il rencontra
enfin des rivaux dignes de lui, les Fabius, les iMarcelhis, les
Fulvius, les Claudius IVero, et enfin Scipion, son vainqueur.
Les événements de la campagne furent variés. Annibal se vit
peu à peu acculé dans la Lucanie et le Bruttium (Calabre),
où il s'était assuré un point d'appui par la prise de Tarenle;
mais il perdit successivement Capoue, laplupart des places
de l'Apulie, et Tarente, sa dernière conquête. Les Romains
achevaient la conquête de la Sicile, et contenaient la Gaule
Cisalpine. En Espagne, où ils avaient éprouvé un grand re-
vers la septième année de la guerre, par la défaite et la
mort des deux Scipions, le jeune général qu'ils y envoyèrent,
Scipion surnommé depuis VA/ricuin, fils et neveu de ceux
qui avaient péri, rétablit leurs affaires. Annibal, ayant encore
lutté pendant trois ans sans presque pouvoir sortir de la
Lucanie et de l'Apulie , obtint du sénat de Carthage que
son frère Asdrubal, qui luttait avec désavantage contre
Scipion en Espagme , vînt le joindre, par terre, en Italie.
Asdrubal arriva sur les rives du Pô la douzième aimée de
la guerre, avec une armée que les renforts fournis par les
Liguiiens et les Gaulois Cisalpins portaient à 50,000 hom-
mes. Claudius rs'ero venait de battrelevainqueurdcCannes,
lorsque deux Ninr.idcs, pris avec des lettres d'Asdrubal,,
lui apprirent qu'il avait dépassé Rimini , s'avanç nt vers
Ancône. Le consul Nero forma alors un projet téméraire en
apparence, mais d'une conception aussi sage que hardie.
Ce fut d'aller rapidement joindre son collègue Livius, avec
environ 7,000 hommes d'élite, afin débattre Asdrubal avant
que son frère eût reçu de nouvelles dépèches de lui. Ayant
pris toutes précautions pour couvrir sa marche, Nero atteignit
Asdrubal sur les bords du IMétaure, et lui fit éprouver une
défaite complète. Ne voulant pas survivre à la destruction
de son armée, Asdrubal cherclia et trouva la mort dans les
rangs ennemis.
Après ce désastre, Annibal se soutint en Calabre encore
pendant quatre ans contre la puissance de Rome. Ce-
pendant Scipion, ayant achevé la conquête de l'Espagne,
porta la guerre en Afrique; les succès qu'il y obtint mirent
bientôt Carthage en danger, et obligèrent le sénat de celte
ville à rappeler Annibal. Ce vieil ennemi des Romains re-
farda tant qu'il put l'exécution de cet ordre. Un autre de
ses frères , Magon , était débarqué en Ligurie , et , ayant
rallié les habitants de la vallée du Pô, pouvait faire une
puissante diversion en sa faveur. Mais Magon ayant été
vaincu, et son armée dispersée, Annibal fut obligé, après
seize ans, de quitter l'italie. A Zama, où les armées ro-
maine et carthaginoise se rencontrèrent , le génie d'Annibal
succomba devant celui de Scijjion. Carthage, vaincue, reçut
la loi du vainqueur. Annibal, rentré dans sa patrie, la servit
utilement dans quelques guerres qu'elle eut à soutenir en
.Vfrique, cl parvint à la uiagistralure supiême. Lorsque le
630
ANNIBAL — ANNONCE
roi de Syrie , Antiocluis, se disposa h faire la guerre au\ Ro-
mains, Annibal entra en correspondance avec lui. Le sénat
de Rome, en étant averti, s'en plaignit à Cartilage, et An-
nibal, craignant d'être livré, prit secrètement la Cuite, et se
retira près d'Antiorhus. Si ses plans avaient été suivis dans
la guerre qui éclata entre le roi de Syrie et les Romains,
qui sait ce que fussent devenus Rome et le monde? Mais An-
tiochus, vaincu à Magnésie, implora une paix humiliante, et
s'engagea à livrer Annibal ; prévenu à temps, celui-ci eut en-
core une fois le bonheur d'échajjper au danger qui le mena-
çait, et se rendit auprès de Prusias, roi de Bithynie, à qui il
rendit des services signalés dans une guerre contre Eumène,
roi de Pcrgame, allié des Romains.
La haine des Romains le poursuivit jusque là, et ils en-
voyèrent une ambassade pour se plaindre de ce qu'on l'a-
vait accueilli en Bithynie. Annibal , connaissant le caractère
lAche et abject de Prusias, tenta encore de s'échapper ; mais
voyant qu'il ne pouvait plus se soustraire à ses ennemis, il
s'empoisonna, l'an 181 avant J.-C, à l'âge de soixante ans.
Comme homme de guerre, Annibal doit être mis au
nombre des plus grands généraux qu'ait produits l'iaitiquiié.
Ses campagnes d'Italie seront toujours un modèle, surtout
pour la suprême habileté avec laquelle il savait se créer des
ressources de tout genre dans les pays qu'il occupait et la
manière dont il en tirait parti. On lui a reproché la cruauté
et la perfidie. Mais ce reproche est suspect; car il vient
d'ennemis qui n'ont pas eu la générosité de le laisser mourir
en paix. Annibal était un chef vigilant, sobre, infatigable, sa-
chant gagner la confiance et l'amour de ses troupes , doué
d'une grande perspicacité et d'une promptitude de concep-
tion qui ne le laissait jamais en défaut. Il fit voir , comme
souverain magistrat, qu'il était un administrateur habile
et intègre. Au milieu des camps il se plaisait à cultiver les
lettres. G^' G. de Vaudoncoliît.
AN?.'IUS VITERBÏEIVSIS ou DE YITERBE (Jean
NAAM, plus connu sous le nom latinisé d'), de la ville
de Viterhe, où il naquit, vers i\:\7.. Entré fort jeune dans
l'ordje des frères prêcheurs, ou dominicains, il se livra avec
une grande ardeur à l'étude des langues anciennes et de
l'histoire. Appelé à Rome, il fut accueilli avec distinction
par les papes Sixte IV et Alexandre VI. En 1499 ce dernier
le nomma maître du sacré palais. En butte à la haine que
lui portait César Borgia, fils d'Alexandre VI, on croit
qu'il mourut empoisonné, le 13 novembre 1502. Nanni est
auteur d'un assez grand nondre d'ouvrages, parmi lesquels
on peut citer un traité de V Empire des Turcs , et surtout
un recueil apocryphe d'anciens historiens sous le titre
iVAntiqititatwn vnriarum Volumen, cum commentariis
jrcHris Joannis Annn Viterbïensis (Rome, 148S, 1 vol.
in-l", caractères gothiques ). Cette publication eut un grand
succès ; car il était naturel de recliercher avec avidité des
auteurs aussi célèbres que Manéthon, Bérose, Fabius Pictor,
Mégasthène et autres, qu'on croyait à jamais perdus.
Nanni prétendait les avoir découverts dans un voyage
qu'il avait fait à Mantoue; mais comme il ne fit jamais voir
le manuscrit de ces livres , on révoqua en doute , avec
raison , la sincérité de l'éditeur. Les premiers auteurs qui
découvrirent la fraude et la firent connaître au public furent
Sabellicus, Crinitus , Raphaël Mafféi et autres savants ju-
dicieux.
AIXXIVERSAÎRE. Ce mot, composé à''annus, année,
et verto, je tourne, se donne aux jours consacrés à per-
pétuer la mémoire d'un fait accompli à jour pareil dans
une année antérieure.
Je viens, suivant l'usajrc aoliqiic et solcuoel ,
C.cli-brer avec vous la fameuse jnurnce
Où sur le moot Siua la loi nous lut donnée. (RACINE.)
La plupart des AMes sont des anniversaires. Chez les Juifs
la Pdque rappelait la sortie d'Égyplc; \à Penlecôle,
la promulgation de la loi; le Pur'im, ou la fête des sorts, le
triomphe d'Esther sur Aman. — 11 en est de même chez les
Chrétiens : les solennités de Noël, de l'Epiphanie, île
Pâques, de l'Ascension, de la Pentecôte, se ratta-
chent au jour même de l'année où fut accompli le mystère
qu'elles célèbrent. Le calendrier n'est, à proprement parier,
qu'une série d'anniversaires.
Tous les peuples ont institué des solennités annuelles,
qui trop souvent consacrent des superstitions ridicules , et
quelquefois aussi de grands crimes.
On appelle encore anniversaire le jour qui correspond à
celui du décès d'un particulier, et les solennités funèbres
qui reviennent annuellement à cette occasion. Telle est la
commémoration des morts dans l'Église romaine. Cette ins-
titution se retrouve jusque chez les peuples les plus barbares.
Virgile consacre un des plus beaux chants de son Enéide
à décrire les fêtes par lesquelles son héros hODora l'anni-
versaire de la mort d'Anchise.
Chez la plupart des peuples de l'Europe on fête en fa-
mille lesaîinivcrsaires de la naissance. Cela est plus raison-
nable que de fêter la fête patronale, comme nous le faisons
en France. C'est à l'église qu'il faut fi'ter le saint ; à la mai-
son fêtons l'homme. AknacLT, de l'Acad. Franoiise.
AiVIVOBOiV (Annaboa), île d'Afrique, dans le golfe de
Guinée, à 300 kilom. du capLopez, par 1° 25' de latitude
sud et 3° 59' de longitude orientale. Elle a 30 kilom. de tour
et 1,000 habitants ; découverte en 1473 parles Portugais,
cédée en 1778 aux Espagnols, à qui elle appartient en-
core, elle a pour chef-lieu une petite ville du même nom.
AÎW'OMIIVATIOX, mot purement latin, qui signifie
/cm de mots sur des noms qui offrent plusieurs sens.
Voyez Paronomasie.
ANXOIV (Saint), archevêque de Cologne, naquit dans
une condition inférieure, et mourut en 1075. Son importance
politique comme chancelier de l'empereur Henri III, et en-
suite comme administrateur de l'Empire pendant la minorité
de l'empereur Henri IV, son audacieux esprit de domination
et la dignité de sa conduite comme ecclésiastique, la solli-
citude paternelle qu'il témoigna en toute occasion pour son
diocèse, le zèle avec lequel il réforma les couvents et fonda
un grand nombre d'églises et de nouvelles institutions mo-
nastiques, lui méritèrent d'être rangé au nombre des saints.
C'est à lui que commence l'histoire proprement dite du siège
archiépiscopal de la ville de Cologne sur le Rhin. Lacli-
mann adémontré queVHymne en l'honneur desaint Annon
ne fût composé que vers l'an 1 185. C'est un monument remar-
quable des idées historiques qui dominaient à cette époque
parmi le peuple, et qui prouve de la manière la plus frap-
pante avec quelle facilité l'histoire peut en très-peu de temps
se transformer en légende. La vie de saint Annon est incon-
testablement le fond de ce poëme, mais elle y est développée
dans tous ses rapports avec l'histoire générale de l'époque.
AJVNOÎV AY, ville très-ancienne du Vivarais, en France,
aujourd'hui chef-lieu de canton, avec un tribunal de co!n-
merce et une chambre consultative des manufactures, est
avantageusement située, au pied d'une chaîne de montagnes,
près du confluent de laCance et de la Deaume, dans le dé-
partement de l'Ardèche Elle est à 26 kilom. nord-ouest de
Toumon, et sa population s'élève à 13,362 habitants. Elle a
de nombreuses et belles papeteries, dont les produits sont
renommés et atteignent annuellement une valeur de trois
millions. Annonay possède , en outre, un grand nombre de
fabriques de draps, de couvertures de laines, de bonneterie,
de gants , de cordes ; des filatures de soie et de coton , des
tanneries , des mégisseries renommées. On y remarque l'o-
bélisque élevé à Montgolfier, inventeur des aérostats, dont
elle est la patrie. Enfin le premier pont de fil de fer qu'ait pos-
sédé la France a été construit à Annonay par les frères Séguin.
ANNONCE. C'est, dit l'Académie, l'avis par lequel on
fait savoir (juelque chose au public, verbalement ou par
ANNONCE
631
écrit. On voit que l'annonce comprend de nombreuses va-
riétés, t;»'\t sous le rapport de son oltjct que sons celui de
ses procèdes. Le prêtre lait des annonces au prAne, l'autorilc
fait faire des annonces à son de trompe ou de tambour dans
les comnumes nirales ; le saltimbanque annonce son spectacle
à la porte de son théâtre; le charlatan annonce sa mar-
chandise de cent façons; enlin il y a de4> annonces léijales
et judiciaires. Afliches, écriteaux, enseignes, cris, distri-
bution d'imprimés, etc., tout cela c'est de Tannonce. Mais
celle qui doit surtout nous occuper ici, c'est l'annonce dans
les journaux.
La chose n'est pas aussi nouvelle qu'on pourrait le croire :
dès l'origine, à côté des nouvelles politiques, les gazettes
enseignaient les livres qui venaient de paraître, les décou-
vertes qu'on venait de faire. Le vieux Mercure de France
ne se prive pas d'indiquer où l'on vend certains sirops ou
quelques pectoraux plus ou moins analogues à la pâte Re-
g;nault. IMais avant que le journalisme devint une puissance,
la librairie, qui n'avait pas encore découvert le secret de
vendre n'importe quoi en raison seulement de l'argent dé-
pensé en annonces, se contentait d'adresser deux exem-
l)lairesde chaque livre nouvellement imprimé aux journaux,
»jui en rendaient compte gratuitement. Un exemplaire res-
tait au directeur, l'autre appartenait au laborieux collabora-
teur qui devait l'analyser. A la fin de la restauration, les lois
sur le timbre poussèrent les journaux à augmenter leur for-
mat, et à vendre la place qui leur restait. Des courtiers
d'annonces, des entrepreneurs de publicité s'organisèrent.
La révolution de juillet donna une nouvelle importance à la
[tresse, les journaux eurent bien plus de lecteurs. L'ins-
truction primaire se répandit, les moyens d'exécution typo-
graphique se perfectionnèrent, le format des journaux put
ts'agrandir outre mesure, leur quatrième page se remplit de
plus en plus d'avis au public. Quelques spéculateurs adroits
tirèrent un grand profit des annonces ; d'autres, moins heu-
reux , furent plus entreprenants encore. Enfin l'annonce
envahit tellement le journal qu'elle devint la source la plus
certaine de ses revenus. C'est alors qu'on vit paraître ces
journaux à prix réduits qui deman lent à peine aux abonnés
la rétribution du timbre, du papier, et de l'impression, afin
d'en avoir un plus grand nombre et d'attirer plus d'an-
nonces; car l'annonce recherche naturellement la plus grande
publicité possible, etcelle-ci est calculée en raison du nombre
des abonnés du journal : de là ces discussions qui s'élèvent
de temps à autre entre les journaux sur le nombre de
tèuilles noircies chaque jour par chacun d'eux.
D'abord les journaux recevaient eux-mômes les annonces
dans leurs bureaux ; mais, malgré la place spéciale réservée
aux avis, lepublic ne distinguait pas toujours bien clairement
les insertions payées de celles qui ne l'étaient pas. Nous ne
savons s'il est plus heureux aujourd'hui. Quoi qu'il en soit,
une compagnie se forma en 1845 pour exploiter l'annonce,
et moyennant un prix fixe payé à chaque journal , elle
concentra une grande partie de la publicité des journaux
entre ses mains. Elle eut la prétention d'avoir rendu un
ser^^ce important aux journaux, celui d'avoir entièrement
et publiquement dégagé la rédaction du journal de tout ce
qui pouvait s'y mêler de mercantile et de parasite , de l'a-
voir affranchie de tous les tributs prélevés par l'obsession in-
dividuelle, d'avoir élevé entre la partie exclusivement ré-
servée aux intérêts généraux, aux questions politiques, éco-
nomiques, littéraires, et la partie utilement réclamée par les
intérêts privés, les prétentions vaniteuses, et les transactions
de toute nature, une barrière si haute, qu'il n'y avait plus
aucun contact entre ces deux parties de la rédaction et qu'il
n'était plus possible de les confondre. « N'est-il pas juste,
en effet, disait la société Duveyrier, que tout ce qui doit tirer
de la publicité un profit quelconque la paye, et l.t paye hau-
tement, afin qu'il son tour le journal puisse payer largement
le personnel de sa rédaction et établir sur tous les point'- du
globe des correspondants soigneusement choisis , sans qu'il
ait à se mettre patemment ou clandestinement à la solde
d'aucun parti, d'aucun cabinet, d'aucun intérêt, d'aucune
passion ? L'annonce, judicieusement comprise et régulière-
ment constituée , est et doit être à la rédaction d'un journal
quotidien ce que l'impôt judicieusement assis et librement
voté, est au gouvernement d'un pays : la source de son exis-
tence, le principal agent du développement de toutes ses
forces. Pas d'impôt, pas de gouvernement ; pas d'annonces,
pas de journal. »
Ainsi l'annonce, dans les mains de cette compagnie, devait
sans nul doute moraliser le journalisme. Nous sommes loin
de croire qu'elle y ait réussi, et cela n'empêcha pas du tout
les journaux , avec ou sans annonces , d'être dans leur
politique les organes fort peu désintéressés des partis. Les
journaux grassement payés et remplis par les annonces dé-
pensèrent encore moins pour leur rédaction , et les corres-
pondants de nos journaux ne sont pas autre chose que
des mythes. Cependant , on vit alors la société Duveyrier
se battre les flancs pour donner le goût de l'annonce à la
société française. Des bureaux furent établis dans tous les
quartiers de Paris. On créa l'annonce omnibus à 30 cen-
times la ligne, on offrit des remises aux concierges ; il ne de-
vait plus y avoir d'autres avis au public que les annonces
dans les journaux ; plus d'affiches , plus d'écriteaux ; avie/-
vous un appartement à louer, un poêle à vendre, un chien
perdu, un ami disparu : pour moins d'un franc vous le faisiez
savoir au monde entier, et vous ne pouviez manquer de
trouver un locataire, un acheteur, ou de revoir votre chien
ou votre ami. Vouliez-vous correspondre avec n'importe
qui , au loin , à bon marché : vite une insertion dans le
journal. Enfin l'annonce allait supplanter la poste aux let-
tres. Malheureusement l'annonce n'était pas dans nos habi-
tudes ; on eut beau citer l'exemple des Anglais et des Amé-
ricains , l'annonce omnibus ne fut pas assez lue , à ce qu'il
parait : elle disparut. La Société générale d'Annonces se con-
tenta d'avoir concentré le service de la publicité entre ses
mains, et la révolution de février amena sa dissolution.
D'autres sociétés se sont formées depuis sur d'autres bases.
Un procès commercial a démontré la puissance de leur
monopole , et cette concentration des annonces en une
même main doit donner à penser aux législateurs ; car il n'y
a plus aujourd'hui de concurrence possible dans cette in-
dustrie.
On s'éleva aussi avec raison contre un autre privilège des
journaux , qui pouvaient imprimer des annonces en payant
un timbre bien moins élevé que celui qu'on exigeait du
simple avis imprimé par les intéressés eux-mêmes, timbre
que ces avis ne payent plus, mais que les afliches payent
encore; et en bonne justice le timbre des journaux devrait
être proportionnel à l'espace qu'occupent leurs annonces.
Plusieurs lois on a fait la proposition d'assujettir l'an-
nonce à un droit, mais ces tentatives ont toujours échoué.
On se rappelle quel bruit lit sur la fin du règne de Louis-
Philippe la question des annonces judiciaires. La loi exige^
en effet, l'insertion d'une foule d'actes judiciaires dans un
journal de la localité. A Paris cette publicité a des organes,
spéciaux non politiques , ce sont d'anciens pri\iléges , par-
tagés depuis 1858 par le Moniteur. En province il n'iu
est pas de même : l'annonce ne suffirait pas au journal , il
s'occupe de politique; mais alors un journal d'opinion con-
traire se forme et dispute l'annonce au premier. M. Vivien ,
alors garde des sceaux , présenta donc une loi pour donner
aux tribunaux le droit de déclarer dans quel journal se-
raient placées les annonces judiciaires. Cette loi fut adoptée;
mais aussitôt le ministère tomba , la loi fut appliquée en
généi al contre l'opinion de l'ex-garde des sceaux. Les jour^
naux ministériels eurent partout les annonces judiciaires,
sans tenir compte du nombre de leurs lecteurs. Ce fut un
moyen de gouvernement, d'autres disaient de corruption d«
C32 ANNONCE —
plus , et Ton vit alors le promoteur de cette loi demander
sonaiinulalioii. Il lailiit une révolution pour l'abolir. Depuis
1852, c'est le préfet qui désigne le journal où sont reçues
les annonces judiciaires.
L'annonce devint tellement lucrative, que des journaux
s'établirent avec la prétention de lui faire payer tous leurs
frais. Ils se donnaient gratis ; mais connue en général ilsof-
fraient peu d'intérêt, ils ne furent i>as lus, et l'argent qu'on leur
apportait était à peu près de l'argent perdu. Néanmoins,
il y a |)eu de publications aujourd'hui qui ne clierchent quel-
que secouis dans les annonces; almanaclis , magasins, livres
de toute forme et de toute grosseur prêtent une partie de
leur volume a la publicité; le tliéàlre lui-môme a voulu sy
plier. Les voitures promenées dans la ville, les cavalcades,
les mascarades revêtent sa livrée; comme le serpent, elle se
gli-sse sous les (leurs ; et sans vous en douter vous lise/, bien
des livres, amis lecteurs, dont quelque industriel a fait les frais.
AA'A'OXCIADES, nom commun à plusieurs ordres,
les uns purement religieux, les autres religieux militaires,
iuslilués iiour honorer le mystère de 1' Annonc iati on.
Le iiremier en date est celui des S e r v i l e s , ou serviteurs
de, Marie, élabli en 1232 par sept marchands llorentins.
Le second est l'ordre militaire de l'Annonciade de Savoie.
lin 1355 .\médée VI institua celui des Laqs (Vamour. En
1434 Amédéc Vlll, premiLT duc de Savoie, élu pape au
concile de liûle , sous le nom de FéUx V, changea sou nom
en celui <!C Annonciadc , suspendit à l'extrémité du collier
une Vierge au lieu de saint Maurice, et transforma les laqs
d'amour en cordelières. La première promotion faite par le
fondateur lut de cent quinze chevaliers. L'admission exige la
preuve de services distingués dans les armes. Le collier con-
siste en une chaîne d'or de quinze nœuds, entremêlés de
quinze roses, sept blanches, sept rouges, et la dernière en
bas, blanche et rouge, avec les quatre lettres antiques d'or
F. L. 11. T. {forliiudoejus lUiodum tomit), rappelant
les exploits du comte Amédee le Grand, qui lit lever aux
Sarrasins le sicge de Rhodes en 1310.
Le troisième fut institué en 14G0, à Rome, dans l'église de
Notre-Dame de la Minerve, par le cardinal Jean de Tor-
queraada, dans le but de pourvoir au mariage de pauvres
lilles. Érigé depuis en archiconfrérie , il dote chaque année ,
le 25 mars, fête de l'Annonciation, plus de quatre cents lilles,
remettant à chacune soixante écus d'or romains , une robe
de serge blanche et un florin pour des pantoufles. Celles qui
veulent être religieuses ont le double des autres, et sont dis-
tinguées par un diadème de fleurs.
Le quatrième, créé dans le dessein d'honorer d'une ma-
nière spéciale les dix principales vertus dont la sainte
Vierge a été le parfait modèle, fut fondé en 1500, à Rour-
ges, par Jeanne de Valois, fille de Louis XI , épouse répu-
diée de Louis XII. Les religieuses de l'Annonciade ont un
habit brun, un scapulaire rouge, un manteau blanc et un
voile noir. Par hmnilité, la supérieure s'appelle la mère An-
celle, (ïaucilla , servante. 11 n"y a jamais eu beaucoup de
maisons de cet ordre en France.
Le cin(piième fut institué a Gênes, en 1604, par Marie Vic-
toire Fornaro. Les religieuses, soumises à une règle plus aus-
tère que celle des Anuonciades de Jeanne de Valois, ont un
liabit blanc, un scapulaire et un manteau bleu; de là leur
vient le nom de Filles bleues, ou Anuonciades célestes.
Llles avaient quelques maisons en France. Elles en ont en-
core une à Saint-Denis, aux portes de Paris.
A\\\0\CIATIO.\, fêle dans la(pielle l'Église callio-
li(pie honore l'envoi de l'ange Gabriel à Marie pour lui
annoncer riieureuse nouvelle de sa maternilé divine par l'in-
carnation duVei"be éternel. L'ange, dit saint Luc, s'aciiiiilia
de sa mission en ces termes : <> Je vous salue, Marie, j)leine
de grâce; vous êtes bénie entre toutes les femmes. Vous
concevrez dans votre sein, et vous enfanterez un fils à (pii
vous donnerez le nom de Jésus. Il sera grand, et i^eia appelé
ANNUAIRE
le fils du Très-Haut. Le Seigneur lui donnera le trône de
David , son père ; il régnera éternellement sur la maison de
Jacob, et son règne n'aura point de fin. » Marie, s'humiliant
profondém.ent à l'aspect de la grandeur inouïe à laquelle
Dieu l'élevait, répondit : « Je suis la servante du Seigneur;
qu'il me soit fait suivant votre parole. »
La célébration de cette fête (lai\s l'Église chrétienne est
fort ancienne , puisque saint Athanase en faisait déjà men-
tion dans un de ses sermons. Une constitution du patriarche
.Mcépliore porte que si la fêle de l'Annonciation arrive le
jeudi ou le vendredi de la semaine sainte, on pourra sans
scrupule manger du poisson et boire du vin. Ce fut pour ne
pas rompre le jeune du carême qu'un concile tenu à Tolède,
en C56 , ordonna de transférer cette fête huit jours avant
Noèl ; et le môme motif a porté diverses Églises de FOrient
à la fixer à peu près à la même époque.
AiWOTATEUR, ANNOTATION. On appelle an-
notalion un commentaire succinct, une remarque, une ob-
servation faite sur un livre, sur un écrit, pour en éclaircir
quelques passages, ou pour en tirer quelques inductions ,
quelques conséquences. Vannotaleiir est le savant qui se
livre à cette sorte de recherches ou de travaux. Ronsard et
Malherbe ont eu pour annotateurs Ricbelet,Mnret et Ménage.
— L'annotation, en termes de droit ou de palais, était,
dans l'ancienne jurisprudence, une saisie ou un exploit pour
la saisie et la confiscation des biens d'un absent.
ANNUAïnE ( du latin annns, année ). Lors de la ré-
forme du calendrier, à la fm de 17S3, ce mot fut substitué
avec raison à ceux A'almanach et de calendrier, expres-
sions à présent aussi impropres l'une que l'autre. Le pre-
mier qui porta le nouveau nom fut VAnnuaire de la Ré-
publique (1793), publié parMillin. Toutefois, l'usage établi
l'emporta, et cette dénomination ralionaelle ne put prévaloir
que pour les almanaclis scientifiques; le Mûth A" annuaire
est donc réservé maintenant aux publications qui parais-
sent chaque année accompagnées d'un calendrier et qui se
composent exclusivement de renseignements statistiques,
astronomiques, géographiques, etc. Tel est V Annuaire du
Bureau des Longitudes, qui ne fut dans l'origine qu'nn ca-
lendrier exact et détaillé, un simple extrait de la Connais-
sance des Temps {voyez Éi'iiÉMtRmEs). Peu à peu son cadre
s'élargit , et l'on y vit figurer des données slatistiques offi-
cielles sur les mouvements de la population, sur les consom-
mations de la ville de Paris, et des tables de résultats numé-
riques utiles aux voyageurs, aux physiciens, aux chimistes;
enfin Arago donna une importance plus grande eu'ore à
cette publication en y introduisant des notice* scientifiques
sur diverses questions d'astronomie, de phvsique du globe
et de météorologie , etc. On y a joint aussi des tableaux in-
diquant la position géogiaphiqiie des chefs-lieux d'arron-
dissement et leur élévation au-dessus du niveau de la mer.
Cet Annuaire paraît depuis 1796.
Peu de temps après vinrent ces annuaires statistiques de
département, dont la publication fut fort encouragée par
François de Neufeliateau , alors ministre de l'intérieur. Il
paraît encore aujourd'hui de ces aniiuaiies qui ont une vé-
ritable importance. On publie aussi en France une foule
d'annuaires d'un intérêt plus oîj moins général : nous nous
contenterons de citer VAnnuaire Militaire, qui donne les
noms de tous les officiers rie l'armée , la date de Iniir nomi-
nation, etc.; V Annuaire de l'inslruclion publique ,\'An-
nvaire de la boulangerie, VAnnuaire du Commerce
réuni maintenant à l'Almanach l5ottin,elc.
D'autres annuaires s'occupent d'une science spéciale, et
donnent fanalyse des principaux travaux publiés dans
l'année : tels sont VAnnuaire de V Economie politique ,
VAnnuaire Geo'jraphique, VAnnuaire de la Société de
Vllistoire de France, VAnnuaire de Chimie, publié par
MM. Millon et M(klès,etc. La Sociétédc la Morale chrétienne
publie aussi im aimualre intéressant. Enfin en isiù un /i/<-
ANNUAIRE
nuairc des Socid/és Savantes fut piil)liô sous les auspices du
ii'.iiiistre de l'instniction publi(iue ; il contenait les règlements
(le ce-s soci«?tés et le nom de leurs luenibres.
M.Maliulavait donné le titre iVAiiiniatic yccrologique à
un volume annuel, qu'il publia de 1820 à lS2â, et qui com-
prenait, par ordre alphabétique, les biographies des person-
nages importants morts pendant l'année. L'année 1S2G porte
le titre d'.l;i?)rt/t's lUpgrap/iiqucs ; vWc i\Cf.i plus ])ar ordre
alphabétique. Oepuis 1758 les Auf^his ont un ouvrable dont
Burke donna, dit-on, le plan à Dodsley, et qn\ est inlituié
ne Annual liegister, or a viciv of (he histonj,i)o!ilic<;
aiid literature. Chaque volume résume l'histoire poliliiiuc
d'une année d.uis sa première partie; la seconde contient
unechroniqiu' et un appendice où l'on trouve les naissances,
les mariages de l'aristocratie, les promotions et nomina-
tions, les décès, des tableaux statistiques, les décisions ju-
diciaires importantes, les actes du parlement, les pièces
diplomatiques, un coup dœil sur la littérature, les mœurs,
les arts, une liste .des brevets d'invention , quelques poésies ,
et un index. Ce travail, qui a donné naissance à d'autres
ouvrages du même genre en Angleterre, en Allemagne et
ailleurs, a clé imité, en France, de 1818 à 1830, par Lesur,
sous ce litre : Annuaire Historique universel; rédigé dans
un esprit libéral , et pouvant donner des pièces que la cen-
sure ne laissait pas passer dans les journaux, ce livre eut
un certain succès. La continuation a éic moins heureuse.
La lieviie des Deux Mondes publie depuis 1850 un
Annuaire des Deux Mondes qui contient une excellente
narration des événements annucls,mais l'appendice manque
de développement. Le Mémorial universel, dont deux an-
nées seulement ont paru, avait peut-être le défaut contraire.
L'Annuaire Encyclopédique (1859-1860) est une sorte de
supplément k ['Encyclopédie du dix-neuvième siècle :\e9>
malières y sont divisées par ordre alphabétique. L'Allemagno
etr.\ngleterre possèdent aussi d'autres Annuaires, parmi les-
quels on cite ['Annuaire Astronomique de Berlin. L. L.
ANNUITE. C'est un certain payement effectué tous
les ans par un débiteur pour remboinser en un nombre
d'années convenu un capital et ses intérêts. Les annuités
ou rentes à termes difi'èreut donc des rentes perpétuelles,
en ce que ces dernières ne se composant que de l'intérêt
de l'argent prêté , laissent le capital intact , tandis que les
annuités, rendant chaque fois une partie du capital, finissent
par amortir, par éteindre la délie. .Si lorsque je dois cent
francs, l'intérêt étant convenu à G pour 100, je paye chaque
année 6 fr., je reste toujours devoir le capital, je sers une
rente perpétuelle ; si au contraire je donne 20 fr., je paye la
première année six francs d'intérêt et 14 fr. de capital;
l'année suivante je ne dois plus que rinlérôt de 84 fr. , soit
5 fr. 16 c. : en donnant encore 20 fr. je reiids 14 fr. 84 c. et
ainsi de suite ; chaque année le capital diminue, l'intérêt dû
aussi , et au bout d'un certain temps non-seulement je me
serai acquitté du loyer du capital, mais j'aurai rendu le ca-
pital lui-même. C'est là ce qu'on nomme des renies à ter-
mes. Cette somme de 20 fr. payée tous les ans prend le nom
d'anmiité. Le remboursement par annuités présente en quel-
ques cas certains avantages; il permet à l'emprunteur de se
libérer plur, facilement, car les annuités ne le privent anuud-
lemcnt que d'une faible partie du capital emprunté; mais en
général les capitalistes aiment peu ce mode de placement.
Il y a dans les annuités quatre choses à considérer : la
somme prêtée, ou le prix de Vunnuité; le taux de l'inté-
rêt ; Yann uité elle-même, ou la rente à jjayer ; enfin le temps
pendant leipsel l'annuité doit être payée. Si nous nonunons
A le capital, a l'annuité, n le nombre d'années et r Tinléict
de 1 fr. pendant un an, en rapjwrfant la valeur du tapit;;!
et des divers payements à une même époque, nous trouvons
la relation :
A(l+,-). ==""' + '•'-".
r
DICr. 1)1 LA tO.'«VElii,\llO.'i. — 1.1.
ANORLIR
633
Celle relation entre quatre quantités permet de calculer
l'une quelconque d'entre elles , connaissant les trois autres;
on en déduit :
Ar ( I -\- r)"
la quotité de l'annuité, a = ^ — ^ ' ■
(! + ,•)«_ 1'
le prix de l'annuité, A =
la durée de l'annuité, n
fijKj+r ) " _ 1 1
rCl+r)» '
_ Log. a — Log. (a—Ar)
Log{i+r) •
Quand c'est le taux de l'intérêt qiù est inconnu, sa dé-
termination dépend de la résolution d'une équation du
degré n.
Comme les questions de ce genre se présentent de plus en
plus fréquemment dans la vie, on a publié, pour les per-
sonnes peu habituées aux formules algébriques , des tables
au moyen desquelles il est facile de résoudre tous les pro-
blèmes relatifs aux annuités. Ces tables sont fondées sur ce
principe : la durée de l'annuité et le taux de l'intérêt ne
variant pas, si le capital est doublé, triplé, etc., l'annuité
est doublée, triplée , etc. ; ou bien , en meilleurs termes,
quand la durée de l'annuité et le taux de l'intérêt ne va-
rient pas, les quotités des annuités sont proportionnelles aux
prix de ces mêmes annuités. On a calculé deux tables: l'une
contient la valeur actuelle des sommes qui produisent une
annuité de 1 fr. pendant une, deux, trois, etc., années, le
taux de l'intérêt étant à 3, 4, 5 ou 6 pour 100; l'autre donne
l'annuité nécessaire pour amortir une dette de 1 fr. en une,
deux, trois, etc., années, le taux de l'intérêt étant à 3, 4, 5,
G pour 100. Les calculs relatifs aux renies viagères, aux
tontines, aux assurances sur la vie, aux caisses de survie, etc.,
ont aussi leurs éléments dans les questions d'annuités, en
prenant pour bases les probabilités de la vie humaine.
Lorsque l'annuité doit être payée pendant un nombre dé-
terminé d'années, on la dit fixe; si sa durée est soumise à
certains événements , comme par exemj)le à la vie d'un ou
plusieurs individus, on la nomme contingente. Lorsque l'an-
nuité ne doit commencer à être payée qu'au bout d'un cer-
tain temps, on la dit dijjérée; si à partir d'une certaine épo-
que elle doit croître dans quelque proportion déterminée,
on la nonnne croissante; si l'on ne doit en jouir qu'après
le décès d'une ou de plusieurs personnes actuellement vi-
vantes, on l'appelle annuité réversible. Quand elle est li-
mitée à la durée de !a vie d'un ou de plusieurs individus,
comme dans les rentes viagères, elle reçoit le nom d'annuité
à vie ; enfin on l'appelle annuité à vie temporaire lorsqu'elle
ne doit durer qu'un certain nombre d'années; et à condi-
tion qu'une ou plusieurs personnes survivront à ce terme.
ANNULATION, infumation par jugement d'une pro-
cédure , d'une sentence, d'un mariage ou de tout autre acte
contenant une nullité. L'annulation des contrats entachés de
dol, de fraude ou de violence, et encore pour cause de
lésion, prend le nom de rescision; qn-dwà elle a lieu
pour cause d'inexécution des stipulations, on l'appelle réso-
lution. C'est par la résiliation qu'on annule des con-
ventions existant entre les parties. L'annulation de certaines
dispositions de propre mouvement , par un acte postérieur
contenant une volonté contraire, se nomme révocation.
Enfin , Yabrogation d'une loi en est l'annulation totale ,
tandis que la dérogation n'en est que l'annulation
partielle.
ANOBLIR , ENNOBLIR. Ces deux mots, que l'on con-
fond trop souvent, n'ont pas la mên^.e signification. Le
premier ne se dit que des personnes; !c second s'applique
plus particulièrement aux choses. Le premier ne s'emploie
jamais qu'au propre, le second qu'au figuré. Anoblir un
homme, c'est lui conférer une distinction qu'il n'avait pas,
la noblesse. Ennoblir un sujet, ime chose, c'est lui donner
plus de relief, plus d'éclat, plus de noblesse qu'elle n'eu
jii)
«94 ANOBLIR —
avait d'abord. Des parchomins achetés par la fortune ou la
faveur ont anobli b'wn des lamillcs, mais il n'y a que les
sentiments élevés et les grandes inspirations qui ennoblis-
sent.
AXOBLISSEMEXT, concession en vertu de laquelle
un simple citoyen est élevé au ran^ des nobles. Avant l'éta-
blissement du régime féodal , tous ceux qui portaient les
armes pour la défense commune étaient nobles , soit qu'ils
descendissent des Francs , soit que leur origine filt gauloise
ou romaine , la distinction des castes ayant été respectée
par les vaimpicurs chez les peuples soumis à leur domina-
tion. La noblesse alors , c'étaient la franchise , la liberté de
la pro{>riété et de la personne. Les descendants d'un serf
aiïranchi par grâce ou par fortune étaient nobles à la troi-
sième génération. Saint Louis (il revivre l'esprit de cet
antique usage dans ses Institutions, lorsqu'on 1270 il statua
que les plébéiens possesseurs de licfs jouiraient de la no-
blesse transmissible à la tierce foi, c'est-à-dire à la troisième
mutation de possesseurs.
Aux anoblissements par l'affranchissement des personnes
succédèrent ceux par l'investiture des liefs , et à ces derniers
successivement les anoblissements utérins , c'est-à-dire d'en-
fants qui héritaient de la noblesse de leurs mères ; ceux
par lettres patentes (dont les plus anciennes sont de 1270),
par finance , par l'exercice des armes ( c'étaient les plus
honorables , et cependant ils n'étaient que personnels) dans
la milice des francs-archers. l'ar l'édit de novembre 1750 ,
Louis XV conféra la noblesse du premier degré à tons les
ofliciers généraux , et anoblit aussi transmissiblement tout
oflicier décoré de l'ordre de Saint-Louis , dont le père et
l'aïeul avaient été décorés du môme ordre. Ajoutez-y en-
core les anoblissements par charge , comme les notaires et
secrétaires du roi , les magistratures et offices des cours
souveraines ; de la cour des monnaies et du Châtelet de Paris,
des bureaux des finances de cette ville et des autres géné-
ralités ; enlin , les anoblissements municipaux , attribués aux
charges consulaires de seize grandes villes. 11 y a eu même
quehpies exemples d'anoblissements par force : on cite entre
autres Richard Graindorge, fameux marchand de boeufs du
pays d'Auge , en Normandie , que l'on contraignit, en 1577,
à raison de sa fortune , à accepter des lettres patentes de
noblesse, et à payer 3,000 livres au trésor.
Dans l'origine , et jusqu'au règne de Louis XI , les ano-
blissements pour services rendus dans les armes et dans la
magistrature ont été une mesure sage ou plutôt ime néces-
sité politique. La noblesse , formant un corps particulière-
ment voué à la défense de la patrie , n'aurait eu qu'une
existence passagère si ses rangs n'eussent été constamment
ouverts à toutes les notabilités , à toutes les illustrations
nationales. C'est la funeste profusion des privilèges qui en
a amené l'avilissement , et qui les a rendus odieux au peuple
en l'accablant de charges excessives et insupportables. Si
la noblesse eût toujours été la distinction exclusive des
actions d'éclat ou des vertus et des hautes capacités civiles;
si dans la dispensation d'une récompense héréditaire si
éminente , les rois de France n'eussent pas mis dans la même
balance les exploits d'un général d'armée et une année de
senices de cloche rendus par un échevin de Paris , un jurât
de Bordeaux ou un capitoul de Toulouse ; s'ils n'eussent
pas fait , de leur propre autorité , ce trafic honteux de lettres
d'anoblissement et d'armoiries, vendues en quelque sorte
à bureaux ouverts , comme on vend des drogues ou de la
vieille friperie , la noblesse française aurait pu quelque
temps encore conserver son lustre. Ces ignobles et ridicules
profanations étaient bien faites pour justifier l'éloigncment
<|u'éprouvaient les anciennes familles militaires pour ces ano-
blis de fabrique et de faux aloi , qui tiraient toute leur il-
lustration des écus, bien ou mal acquis, qu'ils avaient
t-omptés au trésor, ou d'une dégoiltante manipulalion de
eliariies vénales, linautières et administratives. Cependant
ANOMALIE
l'ancienne noblesse avait poussé trop loin la ligne de dé-
marcation qui la séparait des anoblis sans considération ,
en se créant un caractère d'indélébilité et d'imprescriptibilité
chimérique , qui n'existait pas plus pour elle que pour la
noblesse nouvelle. Les familles d'ancienne chevalerie ont
eu leurs commencements comme les autres ; seulement elles
ont (luitté un peu plus tôt la charrue, et ont porté plus
longtemps l'épée. Il y a eu dans la fortune de beaucoup
d'entre elles de la faveur comme dans tous les temps, et de
ces hasards heureux dont on profite sans jamais les avouer.
l'oyez Noblesse. LAixt';.
A\ODL\ (du grec à privatif, et ôôOvyi, douleur). On
donne ce nom à tout ce qui calme ou fait cesser la douleur ;
et comme cette dernière peut tenir à un grand nombre de
causes très-diverses, il est facile de concevoir que cette
qualité doit se retrouver dans une série très-grande de sul)-
stances différentes. Cejiendant, en médecine on appelle plus
spécialement remèdes anodins l'opium et ses prépara-
tions, ainsi que les autres narcotiques, tels que la belladone,
la jusquiame, la laitue vireuse, etc. Mais on doit considérer
encore comme méritant ce titre avec autant de justesse, les
médicaments émollients ou adoucissants : par exemple les
gélatineux, les mucilagineux, les amylacés, les corps gras, etc.
AXOAIALIE ( du grec à privatif, et &[xa).6;, égal, pa-
reil, semblable ). Ce mot désigne en généra! une irrégularité,
soit dans la grammaire ou dans les langues, soit dans les
maladies. Dans l'histoire naturelle, on appelle ainsi les êtres
qui par leur aspect extérieur, la présence ou l'absence de
certaines parties, s'éloignent du type auquel on les comjiare
habituellement; en botanique on nomme fleurs anomales
celles qui n'olfrent pas une symétrie aussi complète que les
fleurs que nous voyons ordinairement.
En astronomie, Vanomalie désigne la distance angulaire
d'une planète a son aphélie ou à son apogée. De là le terme
d'anomalistifjue, employé pour qualifier la révolution d'une
planète par rapport à l'une de ses apsides. Toute planète de
notre système décrit une ellipse dont le soleil occupe l'un
des foyers; par conséquent, pendant la moitié de sa course,
elle se rapproche du soleil, pour s'en écarter ensuite, ce qui
cause chez elle une inégalité de mouvement. Pour déter-
miner cette inégalité de mouvement et la calculer dans les
divers lieux qu'occupe la planète, on se sert de Vanomalie
vraie, qui est la distance angulaire de la planète observée au
point de son aphélie. En d'autres termes, c'est un angle qui
aurait son sommet au centre du soleil, dont l'un des côtés
passerait par l'aphélie et l'autre par le point où se trouve
au moment de l'observation le centre de la planète que l'on
considère.
On distingue deux autres sortes d'anomalies ; l'anomalie
moyenne et l'anomalie excentrique.
Dans leur système astronomique, les anciens faisaient
mouvoir les planètes sur des cercles dont la terre occiq'ait
le centre; pour eux, l'anomalie était proportionnelle au
temps du mouvement; c'est ce que nous appelons anomalie
moyenne. Quand Kepler eut établi le mouvement elliptique,
il formula cette loi immortelle : « Les aires décrites par le
rayon vecteur d'une planète sont proportionnelles aux
teinp*. » L'anomalie moyenne fut alors représentée par une
aire elliptique , qu'un artilice ingénieux exprhna en degrés
circulaires, condition essentielle pour le calcul. Si Ton
décrit une circonférence ayant pour diamètre le grand axe
de l'orbite, Vanomalie excentrique est l'arc de cercle in-
tercepté entre l'aphélie et le point où la circonférence dé-
crite est rencontrée par une perpendiculaire abaissée du
lieu de la planète sur la ligne des apsides. — Ces deux der-
nières sortes d'anomalies ne servent qu'à déterminer celle
que nous avons définie d'abord, l'anomalie vraie. Ce pro-
blème, d'une liaute importance, connu sous le nom de pro-
blcmc de Kepler, fut longtemps l'objet des recherches des
mathématiciens les plus illustres : Wallis, Newton, Cas-
ANOMALIE — A.NOPLOTHERIUM
sîni, T.ainndp, etc. La solution complMe la plus remarquable
est ihio a Lagianye. {Mém. de l'Acad. de Berlin, 17G9. )
E. MmLIF.i:x.
A\0\IEE\S ( du grec à privatif, et ôiioio;, semblable ).
Voije:, Ai.ms et Ariamsme.
À\0\YME, adjectif grec forme du mot ôvo|xa, nom,
et de l'a privatif, sans nom, privé de nom, qui n'a point
(le nom ou qui le cache. Ce mot se dit des écrivains dont
on ne sait pas le nom , et des ouvrages dont on ne con-
naît pas l'auteur : il est opposé à pseudonijme , ou allo-
uijme, auteur supposé. 11 y a aussi Acs polijonymes , au-
teurs qui sont connus sous plusieurs noms ou qui ont pu-
blié des ouvrages sous des noms divers. La multiplication
des livres a aussi multiplié le nombre des anonymes, et sou-
vent c«s anonymes ont excité un grand intérêt. Les savants
ont fait d'inutiles recherches jusqu'à ce jour pour con-
naître l'auteur du neuvième siècle dont le bénédictin Pla-
cide Porcheron a publié la géographie , en 168S , sous le
titre de Y Anonyme de Ravenne. Le cardinal de Richelieu
ne put, malgré l'immense pouvoir dont il était revêtu, dé-
coumr l'auteur de la violente satire publiée contre lui,
vers 1G33, sous ce titre : le Gouvernement présent, ou
Éloge de Soti Éminence, pièce de mille vers in-8°. Les An-
glais cherchent en vaiu le véritable auteur des Lettres de
Jttniîts.
On peut distinguer trois espèces d'anonyines : l'auteur
d'un ouvrage , son éditeur et son traducteur. Les anonymes
de ces trois genres sont si communs dans nos bibliothè-
ques actuelles, qu'on peut les porter au tiers du nombre
d'articles dont elles sont composées. La connaissance de
ces anonymes fait partie de la science d'un bibliothécaire :
une place de ce genre n'est donc pas aussi facile à remplir
iju'on le pense communément. Aussi Je crois avoir rendu un
grand service à mes confrère?, en livrant à l'impression le fruit
de quarante années d'études littéraires et bibliographiques
sous ce titre : Dictionnaire des ouvrages anonymes et
pseudonymes, composés, traduits ou publiés en fran-
çais et en latin, avec les noms des auteurs, traduc-
teurs et éditeurs; accompagné de notes historiques et
critiques ( Paris, 1822 et suiv., 4 vol, iii-4'' ).
A. -A. B\EBIER.
Depuis la mort de Barbier, de Jlanne a publié un Aoii-
veau recueil d'ouvrages anonymes et pseudonymes ( Pa-
ris, 1834). Mentionnons en outre le Manuel du Libraire
et de V Amateur de livres, par M. J. Ch. Brunet, et les Su-
percheries littéraires dévoilées, par M. Quérard.
N'oublions pas qu'en France il est il'usage que l'auteur
d'une pièce nouvelle, jouée sur un théâtre quelconque, garde
l'anonyme pendant la première représentation, jusqu'à ce
que le succès soit décidé , quoique son nom ne soit souvent
que le secret de la comédie. Depuis l'année 1850, l'amen-
dement Tinguy a chassé Vanonymie des journaux, grands
et petits, oii elle se pavanait à l'aise, pour conserver
toute son indépendance, disaient les uns, pour mentir et
<lénisrer impunément, prétendaient les autres. Un abus plus
intolérable encore est celui des lettres anonymes. Ce n'est
pas qu'il ne soit quelquefois utile de donner un avis chari-
table à des personnes auxquelles on s'intéresse et dont on
ne peut pas se faire connaître sans inconvénient; mais le
plus ordinairement la lâcheté, la perfidie se servent de cetie
arme hypocrite pour porter le trouble dans les familles ou
pour jeter dans l'anxiété des personnes qui ont besoin de
repos. Les menaces par lettres anonymes sont sévèrement
punies. On a le droit d'en dénoncer et d'en rechercher l'au-
teur ; elles sont regardées comme publiques, tandis qu'une
lettre signée est considérée comme secrète. *
AXOA'YME (Société). Voyez Société.
AXOPLOTIiERIOI (du grec à privatif, 6-)ov,
arme, et br,y.v/, animal ), manimili&re fossile de l'ordre des
pachydermes, et dont il n'existe plus d'analogues vivants. Il
6S5
a été ainsi nommé parce qu'il n'avait pas de canines plus lou-
gués que les autres dents et pouvant servir de défenses. Cu-
vier en a déterminé la grandeur et les caractères d'après des
ossements trouvés dans les carrières à pl;\tre des environs
de Paris. Les anoplotheriums avaient le pied fendu en deux
doigts comme les ruminants ; leurs dents , au nombre de
quarante-quatre, offraient six incisives , deux canines et
quatorze molaires à chaque mâchoire , et elles présentaient
une suite continue, ayant la même hauteur dans chaque
rang, ce qui ne se voit que chez l'homme. Cuvier a reconnu
six espèces distinctes, auxquelles il a donné, d'après leurs
caractères respectifs, les qualifications de commune, se-
cundarium , gracile , leporinum, murinum et obliquum,
la seconde et la troisième formant le sous-genre xiphodon,
et les trois dernières étant réunies dans le sous-genre di-
chobune.
[ Anoplotherium commune. Sa hauteur au garrot était
encore assez considérable ; elle pouvait aller à plus de trois
pieds et quelques pouces. .Alais ce qui distinguait le plus
cette espèce , c'était son énorme queue. Comme l'hippopo-
time, comme tout le genre des sangliers et des rhinocéros,
notre anoplotherium était herbivore; il allait donc chercher
les racines et les tiges succulentes des plantes aquatiques.
D'après ses habitudes de nageur et de plongeur, il devait
avoir le poil lisse comme la loutre, peut-cire même sa peau
était-elle demi-nue comme celle des pachydermes dont
nous venons de parler. Il n'est pas vraisemblable non plus
qu'il ait eu de longues oreilles, qui l'auraient gêné dans son
genre de vie aquatique, et je penserais volontiers qu'il res-
semblait à cet égard à l'hippopotame et aux autres qua-
drupèdes qui fréquentent beaucoup les eaux. Sa longueur
totale, la queue comprise , était au moins de huit pieds , et
sans la queue, de cinq et quelques pouces. La longueur de
son corps était donc à peu près la même que celle d'un âne
de taille moyenne , mais sa hauteur n'était pas tout à fait
aussi considérable.
Anoplotherium gracile. On voit qu'autant les allures de
y anoplotherium commune étaient lourdes et traînantes
quand il marchait sur la terre, autant le gracile devait
avoir d'agilité et de grâce; léger comme la gazelle ou le
chevreuil, il devait courir rapidement autour des marais
et des étangs, où nageait la première espèce; il devait y
paître les herbes aromatiques des terrains secs , ou brouter
les pousses des arbrisseaux. Sa course n'était point sans
doute embarrassée par une longue queue; mais, conune
tous les herbivores agiles , il était probablement un animal
craintif, et de grandes oreilles très-mobiles, comme celles
des cerfs, l'avertissaient du moindre danger; nul doute,
enfin , que son corps ne fût couvert d'un poil ras, et par
conséquent il ne nous manque que sa couleur pour le
peindre tel qu'il animait jadis cette contrée, où il a fallu en
déferrer, après tant de siècles, de si faibles vestiges.
Anoplotherium leporinum. SiVanoplotherium gracile
était, dans le monde antédiluvien, le chevreuil de notre
région, Y anoplotherium leporinum en était le lièvre ; même
grandeur, même projxfrtion de membres devaient lui donner
même degré de force et de vitesse, même genre de mou-
vements. G. CuviER. ]
Quand on considère qu'à l'époque où Cuvier écrivait les
lignes qui précèdent, nous ne possédions encore que quel-
ques os épars d'anoplothcrium et de palœotherium; que
c'est lui qui a su démêler ces fragments incomplets, et, s'ai-
dant des relations du système dentaire et des appareils de
la locomotion , restituer à chaque genre ce qui lui apparte-
nait ( voyez Anatomie comi-akée ) ; quand on voit que, de- •
puis, la découverte de squelettes presque entiers est venue
confirmer ses savantes hy|)othèses, on est saisi d'étonncinent
et d'admiration.
Dans son 05/rà^of7J<', de Blainville a porté à neuf le
noml)re dos espèces d'anoplotheriums en y comprenant
636
ranimai nommé caïnolhehum par M. BravarJ et oplo-
therium ( par opposition à anoplotherhnn) par M.M. de
Laizer et de Parieu , et le chaUcothcrium , dont M. Kaup
avait proposé de former un genre intermédiaire aux. pa-
lœotheriums et aux anoplotheriums ; de IJlainvilie range ce
dernier, ainsi que Yaiùsodon de M. Lartet, dans l'espèce
anoplother'ium grande. Cependant Tanisodou, ainsi que
l'indique son nom (di^Tivé de âv'.c7o;, inégal), ne présente
pas dans son système dentaire le caractère distinclif du
genre anoplotherium.
Un animal fossile voisin de l'anoplotherium a été nommé
par Cuvier anthracothcrïum (animal du cliarbon), parce
qu'on n'en avait encore rencontré de débris que dans la
houille. Depuis , l'abbé Croizet en a découvert d'autres es-
pèces , dans les terrains lacustres de l'Auvergne ; cependant
le nom {Vanthracotkerium a été conscné.
AJXOREXIE (du grec à privatif, et ôp^?-.;, appétit) ,
perte ou privation de l'appétit. Ce mot a le môme sens qn' in-
appétence. L'anorexie reconnaît des causes si variées qu'il
faudrait en quelque sorte passer en revue la pathologie
entière pour les citer toutes. Elle n'est pas toujours d'ail-
leurs un symptôme de maladie, mais fréquemment un
simple dérangement fonctionnel, dé}iend;',nt d'une cause
accldcntrlle ou d'infractions réitérées aux lois de l'hygiène.
Ainsi, une vie trop sédentaire, des passions vives, des
émotions tristes, une forte contention d'esprit, l'abus des
liqueurs spiritucuses ou des boissons chaudes , certaines
répugnances , en sont des causes assez communes. 1 1 ne faut
pas cependant confondre l'inappétence avec le dégoût, qui
implique \' aversion pour les aliments , tandis que dans la
première il n'y a qu'absence de désir. — On sait que le dé-
faut de faim accompagne l'invasion de la plupart des ma-
ladies aiguës. Dans les affections chroniques, l'anorexie
complète indique un grand épuisement, ou la participation
de l'estomac au mal. — D'après ce que nous venons de dire,
il est évident que chercher, comme le font les personnes
peu éclairées , à combattre l'anorexie par des mojens sti-
mulants qui surexcitent le ventricule ou flattent le goût
sans remédier à la cause, est une chose aussi peu rationnelle
que fimeste dans ses conséquences. Remonter à cette cause
et l'éloigner autant que cela dépend de nous, telle est évi-
demment la première indication à remplir ; recherclier si
l'estomac ou d'autres organes ne sont pas en souffrance, tel
doit être notre premier soin. Ce n'est que dans les cas très-
simples , dégagés de toute complication , qu'on peut essayer
sans inconvénient de quelques moyens propres à stimuler
doucement les fonctions de l'estomac , à le relever de l'état
de langueur où il se trouve : tels sont les amers légers ,
quelques prises de rhubarbe , l'eau de Seltz aux repas , un
verre d'eau de Sedlitz à jeun , etc. D' Saucerotte.
AXORGAXIQUE. Voyez Inorganique.
AJVOSMIE (du grec à privatif, et ôfffjLr), odeur). On
se sert de ce mot pour exprimer l'affaiblissement on la di-
minution et l'abolition complète de la faculté olfactive. On
l'a considérée tantôt comme un genre de maladie , et le
plus souvent comme un symptôme qui accompagne le co-
ryza ou vulgairement rhume de cerveau , les fièv res graves,
et aussi plusieurs maladies nerveuses. On a considéré la sé-
cheresse de la membrane nuKiueuse des fosses nasales
comme la cause la plus fréquente de l'anosmie. Ce phé-
nomène pathologique peut aussi être produit par la para-
lysie des nerfs affectés à la sensibilité spéciale ou générale
de la membrane pituitaire. L. Laurent.
A\QUETIL ( Louis-PiERRF, ) naquit à Paris , le 21 jan-
vier 1723, d'une honorable famille bourgeoise. Il était
l'aîné de sept frères dont l'un se rendit célèbre comme
orientaliste et comme voyageur ( v^ijcz l'article suivant).
Quant à lui, après avoir fait ses études classiques au col-
lège Maaarin et sa théologie au prieuré de Sainle-Carbe , il
«nlra , à dix-sept ans , dans la congrégation de Sainte-Gc-
ANOPLOTOERIUM — ANQUETIL
neviève, et n'en avait pas encore vingt qu'il professait
déjà. Le cours de belles-lettres qu'il ût à l'abbaye de Saint-
Jean à Sens lui profita autant qu'à ses auditeurs ; il s'ins-
truisait en instruisant les autres. A ce premier cours il en
Joignit bientôt un de théologie, et partit, quelques années
après , pour le séminaire de Reims, où il allait remplir les
fonctions de directeur. Le peu d'instants que ses fonctions
lui laissaient furent par lui consacrés à des travaux litté-
raires et à composer son premier ouvrage , une histoire de
cette ville, qu'il publia en 1757 en 3 volumes in-l2, et qui
ne dépasse pas l'année 1G57. Elle devait avoir un quatrième
volume, qui n'a jamais paru. Un nommé Félix de la Salle
en était, a-t-on dit, le principal auteur. Les deux collabora-
teurs avaient tiré au sort à qui signerait l'ouvrage , et An-
quetil l'avait emporté. Quoi qu'il en soit de cette anecdote, il
est certain qu'elle donna naissance plus tard à une polé-
mique irritante, dont les pièces ont été conservées.
Anquetil, nommé en 1759 prieur de l'abbaye de la Roé,
en Anjou, fut peu après envoyé, en qualité de directeur, au
collège de Senlis, qui appartenait à la congrégation de Sainte-
Geneviève, mais perdait alors chaque jour de son ancienne
réputation. Sa présence y eut bientôt ranimé le goût des
saines études. Là il consacra ses loisirs à propager l'inocula-
tion dans les campagnes environnantes et à composer deux
ouvrages : V Esprit de la Ligue, faible esquisse, bien coor-
donnée cependant , à laquelle il dut principalement sa re-
nommée littéraire, et l'Intrigue du Cabinet, qui ne pouvait
guère contribuer à l'accroître. En tète de la première édi-
tion du premier de ces Uvres, qui fut publiée sous le voile de
l'anonyme, on lisait une notice remarquable, due à la plume
de l'abbé de Saint-Léger. De Senlis Anquetil passa, en 17G6,
à la cure ou prieuré de Château-Renard , près de Montar-
gis , village où pendant vingt ans il remplit les fonctions
du ministère sacré avec une charité attestée par l'attachement
de tout son troupeau et un zèle qui lui laissait bien peu de
temps pour ses études particulières. Ces études, il ne put les
reprendre qu'aux premiers jours de la révolution, quand il
fut forcé d'échanger sa cure contre celle de la Villette , près
de Paris, où il trouva encore le secret de se faire aimer.
Là fut commencée son Histoire universelle ; mais il dut
l'interrompre en 1793 , époque où, enveloppé dans la pros-
cription du clergé, il fut enfermé à la prison de Saint-La-
zare pour y rester jusqu'au 9 thermidor. Toutes ces vicis-
situdes avaient dérangé son humble fortune. Il crut la ré-
tablir en publiant cet ouvTage , qui n'est qu'un mauvais
abrégé de Y Histoire universelle anglaise, et qui fut pour-
tant traduit en anglais , en espagnol et en italien ; mais le
libraire auquel il avait cédé son manuscrit ayant éprouvé
des revers de fortune , le prix ne lui en fut point payé , et
il tomba dans une situation voisine de la misère. Tout autre
se serait découragé, Anquetil se roidit contre les rigueurs
du sort. Il était avant la révolution correspondant de l'Aca-
démie des Inscriptions et Belles-Lettres; à l'organisation
de l'Institut National, il fut nommé membre titulaire de la
seconde classe. Presque en môme temps il entra aux ar-
chives du ministère des relations extérieures, et publia,
pour prouver qu'il pouvait être utile dans ce poste, un nou-
veau livre, intitulé : Motifs des guerres et des traités de
paix de la France.
Jouissant enfin d'une honnête aisance , doué d'une santé
robuste , fruit d'une humeur égale et d'une sévère tempé-
rance, Anquetil put consacrer alors la presque totalité de son
temps aux recherches- historiques qui étaient pour lui une
passion. Travaillant dix heures par jour avec une ardeur
qui ne se lassait point , non-seulement il retoucha son His-
toire universelle, mais, malgré son âge avancé, il com-
mença un nouvel ouvrage, également de longue haleine,
son Histoire de Fr<nicc,en 14 volumes. C'est sa dernière, sa
plus faible prodiict'on; elle trahit à chaque page la précipi-
tation d'un vieillard octogénaiie pressé d'arriver à la tiu
pour ne pas laisfor son œuvre incomplète; et pourtant la
spcciilaliou s'en est euipaive (lei)uis une trentaine d'années
pour en faire plusieurs éditions, en divers loruiats, qui ont
i:to coulinuêes pardiiférents écrivains. Sa santé se soiilinl au
milieu de tous ces travaux jusqu'à l'âge de quatre-vingt-
quatre ans, et quand la mort vint, elle le trouva sans
inquiétude. A son heure suprême il doutait de son immi-
nence , et , rêvant encore de vastes entreprises littéraires ,
il disait la veille il un de ses amis : « Venez voir un
homme qui meurt tout plein de vie. » Ce fut .le 6 sep-
tembre 1808 que s'éteignit cet honorable écrivain , à qui, en
dehors de ses œuvres, dont la valeur est plus que contes-
table, la douceur de ses mœurs et la franchise de son ca-
ractère concilièrent de chaudes amitiés durant sa vie et des
regrets durables au delà du tombeau.
AAQUÉTIL-DUPERROX ( Abraham-Hvacinthe ) ,
frère du précédent et l'un de> hommes les plus crndits
(ju'ait produits le dix-huiliènie siècle, naquit à Paris, le 7 dé-
cembre 1731, et mourut dans la même ville, le 17 janvier
1805. Voué dès sa jeunesse aux études orientales , surtout à
celle de l'hébreu , de l'arabe et du persan , les sollicitations
de .M. de Caylus, évêque d'Auxerre, qui longtemps lui
fournit les moyens de perfectionner ses études, à Amers-
foort, près d'Utreclit, ne purent le déterminer à entrer dans
les ordres. 11 revint donc à Paris, où bientôt il fut l'un des
visiteurs les plus assidus de la Bibliothèque royale. L'abbé
Sallier, garde des manuscrits orientaux, s'entremit pour lui
faire obtenir une modique pension, afin de l'encouragera
persévérer dans l'étude des langues et des littératures orien-
tales. En 1754 il lui facilita encore le passage sur un bâti-
ment de l'État pour aller explorer l'Inde. Après bien des
aventures, après avoir eu à triompher de bien des ob>ta-
des et avoir liabité successivement Pondichéry etChander-
nagor, Anquetil-Duperron se rendit à Siu'ate; et là, à force
de persévérance , il réussit à triompher des scrupules de
quelques destours (prêtres parses) du Guzarate; et par
leur secours acquit une connaissance assez étendue du zend
et du pehlvi pour pouvoir entreprendre la traduction de divers
ouvrages écrits dans ces deux langues sur les doctrines de
Zoroastre.
La prise de Pondichéry par les Anglais le contraignit à
revenir en Europe; mais il ne quitta pas l'Inde sans en
rapporter un grand nombre de piécieux manuscrits. Au
conmiencement de 1762, il arriva en France, et s'occupa
alors de communiquer au monde savant les résultats des
six laborieuses années passées par lui dans la presqu'île du
Gange. L'ouvrage où il les consigna parut en 1771 , sous le
titre de Zcnd-Avesta (3 vol. in 4°). 11 consiste dans une
traduction littérale du Vendidad, ainsi que d'autres livres
sacrés des Guèbres , précédée d'une relation particulière de
ses voyages.
Il révélait à l'Occident les doctrines religieuses de l'an-
cienne Perse , au sujet desquelles on ne possédait en Europe
que les quelques renseignements épars dans les ouvrages
des Grecs et des Romains, ou ceux fournis par quelques
peuples asiatiques modernes ; renseignements bien insuf-
iisants à tous égards. Or, c'étaient les monuments originaux
de ces doctrines qu'Anquetil-DuperronoHrait enfin à la curio-
sité des Européens. Malheureusement, il n'avait pas eu toute
la sagacité, toute la patieuce qu'eût exigée une tâche pareille.
Pendant son .séjour à Surate il s'était , il est vrai , hâté de
faire sous la dictée des destours une traduction littérale des
livres qu'il se proposait de faire connaître, mais il ne s'é-
tait pas rendu compte de la valeur précise de chaque mot ;
il n'avait même point acquis \me connaissance vraiment ap-
profondie des langues indiennes qu'il entendait parler. Aussi,
sans s'arrêter aux erreurs de détails , remarque-t-on dans sa
traduction une contrainte et mime une obscuiile qui en
rendent l'usage peu commode. Le travail d'Anqiiclil donna
donc lieu, dès l'origine, à une foule de dissertations et de com-
ANQUETIL — ANQUETIL-DUPERRON 637
mentaires qui sont loin d'avoir levé toutes les difficultés.
De nos jours, M. Eugène Burnouf, à Paris, et M. Olshausen ,
à Kiel, ont reproduit une partie du Zend-Avesta dans le
texte original , avec une traduction et des notes. Le prenùer
s'est surtout aidé des counnentaires en sanscrit et le second
des commentaires en pehlvi, deux langues qu'Anquetil-Du-
perron ne connaissait que très-imparfaitement.
lùi arrivant en France, en 1702, Anquetil-Duperron avait
obtenu par la protection de l'abbé Barthélémy et de quel-
ques autres amis une place modeste, celle d'interprète pour
les langues orientales près la Bibliothèque du roi. C'était la
récompense due au noble désintéressement avec lequel il
avait refusé en Angleterre 30,000 fr. de son manuscrit de la
traduction du Zend-Avesta, afin de conserver ce monument
littéraire à son pays. Parmi les autres ouvrages qu'on a do
lui, nous citerons: Lègnlation orientale {.\.\n%\e\àaLm, 1778);
Recherches historiques et géographiques sur l'Inde
(2 vol., Paris et Berlin, 1786 ); et La Dignité du commerce
et de rétat de commerçant (Paris, 1789).
Pendant la révolution, Anquetil-Duperron rompit toutes
ses relations sociales , et ne vécut plus dès lors par sou-
venir que dans la société de ses chers brahmines et de ses
bons parses. C'est à eux qu'il adressait cette bizarre allocu-
tion placée en tète d'un des ouvrages qui furent le fruit de
cette réclusion volontaire : « Anquetil-Duperron aux sages
a. de l'Inde , salut ! Vous ne dédaignerez pas les écrits d'un
« homme qui est pour ainsi dire de votre caste, ô sages!
n Écoutez, je vous prie, quel est mon genre de vie. Ma
« nourriture quotidienne se compose de pain , d'un peu de
« lait ou de fromage, et d'eau de puits; le tout coûtant
« quatre sous de France, ou le douzième d'une roupie in-
« dienne. L'usage des matelas , des draps m'est inconnu;
« mon linge de corps n'est ni changé ni lavé. Sans revenu,
« sans traitement, sans place, je vis de mes travaux litté-
n raires, assez bien portant pour mon âge et eu égard à mes
« fatigues passées. Je n'ai ni femme, ni enfants, ni domes-
« tique : privé de tous les biens de ce monde et affranchi
« de ses liens , seul , absolument libre , j'aime cependant
« beaucoup tous les hommes, et surfout les gens de bien.
« Dans cet état , faisant rude guerre à mes sens je méprise
a les séductions du monde et je les surmonte. Je suis près
« du terme de mon existence ; j'aspire vivement et avec do
et constants efforts vers l'Être suprême et parfait, et j'at-
« tends avec calme la dissolution de mon corps ». On ne
saurait disconvenir qu'il y a quelque chose de touchant dans
le tableau du dénùment profond au milieu duquel vivait et
travaillait l'estimable savant. Nous, qui avons été témoin
de la vie de misère et de privations à laquelle s'était aussi
condamné le savant Alexis Monteil dans son grenier, à
Passy, nous nous représentons parfaitement Pintérieur de
Phabitation d'Anquetil-Duperron ; et la seule pensée qui
soulage notre cœur, c'est la conviction que cette misère était
volontaire. 11 n'eût tenu qu'à lui d'en sortir et de vivre
tout au moins dans un état bien voisin de l'aisance.
Maintes fois déjà, sous l'ancien régime, on essaya de lui
faire acce|)ter les récompenses que méritaient à si juste
titre ses travaux. Compris pour une somme de 3,000 fr. dans
la répartition d'un fonds que la générosité de Louis XVI avait
assigné sur sa cassette pour êtic distribuée entre des gens
de lettres et des savants, il fallut user de supercherie pour
lui en faire accepter la moitié. Hàtons-nous d'ajouter qu'à la
cr^ion de l'Institut il fut tout aussitôt compris au nombre
de ses membres pour la classe répondant à l'ancienne .aca-
démie des Inscriptions.
Le fruit des études des dernières années d'Anquetil-Du-
perron, furent les ouvrages intitulés L'Inde en rapport avec
VEurope ( 2 vol., 1798); et Oupnek'hat (2 vol.; Paris, 1802-
1804). Ce dernier est la traduction latine d'im extrait en
persan des Oupanischads, ou dissertations théologiques des
Yédas. Épuisé par ses travaux et le régime débilitant qu'il
C38
s'élait imposé, Anquotil-Diipprron vit venir la mort avec
sang-froid. « Je vais p.Titir, dis;iit-il à son médecin, pour un
voyage bien plus grand que tous ceux que j'ai déjà faits;
mais je ne sais où j'arriverai. » Aune vaste érudition, à une
connaissance étendue des langues de l'Asie, il joignait une
infatigable activité, un grand amour de la vérité, une sage
pliilosopliie, un rare désintéressement et un cœur excellent.
Ses travaux , notamment sa traduction des écrits sacrés
de Zoroastre, lui ont mérité la reconnaissance du monde
savant, (juels que soient les défauts que des reclierches
piiilologiqnes plus attentives aient pu y faire découvrir.
ANSATE. Voyez Dard.
AiXSCIlAIRE (Saint). Voyez Anscar.
ANSE , ANSÉATIQUE. Voi/cz Hanse.
ANSE DE PANIER , nom donné en architecture à
ime courbe qu'on substitue à l'ellipse dans la construction
«les cintres de voûtes. Elle est formée par la juxta-position
<le plusieurs arcs de cercle de rayons différents, dont la
courbure augmente le plus insensiblement possible en al-
lant du milieu de la voûte à ses extrémités ; le nombre des
arcs est d'autant plus grand que la voûte doit être plus sur-
baissée, et ce nombre est toujours impair : ainsi il y a des
anses de panier à trois, à cinq arcs et davantage, ou, comme
on les nomme encore, à trois, à cinq centres. Les arcs qui
composent une anse de panier jouissent de cette propriété
remarquable , que la somme de leurs degrés est toujours
t^ale à 180", expression d'une demi-circonférence.
ANSEAUME , auteur de plus de vingt-cinq pièces
jouées aux théâtres de l'Opéra-Comique , de la Foire et de la
Comédie Italienne, depuis 1753 jusqu'en 1772. Il avait été
en môme temps sous-directeur et secrétaire de ces divers
spectacles. Il conserva ce dernier emploi jusqu'en 1783,
époque à laquelle il mourut. Malgré le nombre et le succès
de ses ouvrages , Anseaume n'a obtenu , après sa mort ,
aucune de ces biographies qui ne sont pas refusées aujour-
d'hui au plus mince auteur du plus léger vaudeville. On ne
sait ni son origine, ni la date de sa naissance, ni môme le
jour de sa mort; et cependant, — succès que n'obtiendront
pas probablement beaucoup d'auteurs modernes de l'Opéra-
Comique! — on jouait encore naguère les Chasseurs et la
Laitière, comédie mêlée d'ariettes , musique de Duni , re-
pi-ésenfée pour la première fois en 17G3 , et on joue souvent
encore, à présent, le Tableau parlant, parade charmante,
représentée en 1769, et l'un des chefs-d'œuvre de Grétry.
Assurément le génie et le lalent de Grétry et de Duni
n'ont pas peu contribué à prolonger si longtemps le succès
de ces deux ouvrages, qui sont une nouvelle preuve que
les poèmes d'opéras comiques ne vivent que par le charme
de la musique; mais il faut pourtant reconnaitre que les
poèmes d'Anseaume ne manquent ni d'esprit ni d'agrément
scénique, ni même d'un véritable mérite de versification
lyrique. Les mémoires du temps ont conservé le souvenir
de l'effet prodigieux que produisit un petit duo placé dans
la Chasseurs et la Laitière. Les couplets de nos vaude-
villes ont été défrayés longtemps par trois airs de cette
pièce, qui sont restés typiques , l'un :
Voilà, voilà la petite laitière;
Qui veut acIietiT île sou lait?
fait encore le bonheur des danseurs dans les noces. Le
fcecond avait un accompagnement très-imitatif :
(,c biiqtii't frappe la pierre,
Le fou pétille à l'itistaQl....
D'un caillou tirer du feu,
Pour l'aïuour ce n'est qu'un jeu.
Le troisième enfin ,
Et ne vendez la peau de l'ours
Qu'après l'avoir couclic par terre.
^<5i encore dans toutes les bouches, et se fredonne à l'orcnsion .
A. Dei.afoiu.st.
ANQUEÏIL-DUPERRON — ANSÉRINE
ANSELME DE CANTORBÉRY, plùlosophe sco-
lastique, né à Aoste en Piémont, en l'an 1033 , se fit re-
ligieux en 1000 , et devint en 1078 abbé du monastère du
Dec , en Normandie, où l'avait attiré la réputation du célèbre
Lanfranc, à qui il succéda en 1093 comme archevêque de
Cantorbéry en Angleterre , siège qu'il continua d'occuper
jusqu'à sa mort, arrivée le 12 avril 1109. 11 ne se distingua
pas moins par ses efforts pour maintenir en vigueur l'an-
tique discipline de l'Église que par ses travaux dans les
sciences et par les services qu'il rendit dans l'enseignement.
Bien qu'il s'inspire de saint Augustin et qu'il ne s'écarte
jamais des doctrines de l'Église, il fait preuve d'originalité,
de profondeur et de sagacité. Il est célèbre par la preuve
qu'il a donnée de l'existence de Dieu, preuve qu'on a appelé
depuis la preuve ontologique, et qui lui servit à fonder une
Uiéologie rationnelle : de l'idée d'im être suprême et réunis-
saut toutes les perfections il déduisait son existence. Il a
exposé cette preuve dans son Proslogium, après avoir déjà
expliqué dans son Monologium la philosophie de la reli-
gion d'après les idées admises. Son ouvrage intitulé : De
Concordiâ Prxscientix et Preedestinationis fait époque
dans la philosophie de l'Église. La meilleure édition de ses
ouvrages est celle qu'en a donnée Gabriel Gerberon ( 2 vol.,
Paris, 1C75; nouv. édit., 1721).
ANSELME DE SAINTE-MARIE (Pierre de
GUIBOURS, dit le père), né à Paris en 1625, mort dans
la même ville en 1094, était de l'ordre des augnstins dé-
chaussés. Il a publié l'Histoire généalogique et chrono-
logique de la maison roijale de France, des pairs, grands
officiers de la couronne et de la maison du roy,et des
anciens barons du royaume ; avec les qualités , les ori-
gines, les progrès et les armes de leur famille, etc.,
3 vol. in-4°. Diifourni et les pères Ange de Sainte-Iîosalie
et Simplicien ont continué ce recueil qui forme maintenant
9 vol. in-lol. (1726-1733). Z.
.iVNSÉRINE. Ce mot, tiré du latin anscr, oie ; celui de
chénopode , dérivé du grec ( yriv , oie ; noù; , ttoôo; , pied ) ,
enfin le nom vulgaire français de patte d'oie, désignent un
môme genre de plantes dont les feuilles palmées offrent en
effet quelque ressemblance avec une patte d'oie. Type de
la famille des chénopodiacées , ce genre est voisin de l'o-
seille et de l'arroche. 11 renferme plus de soixante espèces,
presque toutes annuelles, et pour la plupart éminemment
intéressantes par leurs diverses propriétés économiques et
pharmaceutiques. Beaucoup d'entre elles sont indigènes à
l'Europe ; on les trouve toutes dans les régions tempérées
des deux hémisphères , et jusque sur les côtes de la Nouvelle-
Hollande. Elles sont faciles à reconnaître par les glandules
d'un aspect farinacé, parsemées sur leurs feuilles alternes et
pétiolées , et par leurs petites fleurs généralement verdàtres,
éhractées, disposées en glomérules, formant une sorte de
grappe ou de panicide terminale.
Vansérine bon Henri, encore appelée toute-bonne, épi-
nard sauvage, est une grande plante potagère qui croit dans
les lieux incultes , le long des murs et des chemins ; dans
plusieurs pays on mange ses jeunes pousses comme des
asperges, et ses feuilles en guise d'épiuards ; elle passe pour
émolliente, résolutive et détersive. Vansérine botride {chc-
nopodium botrys), qu'on administre en infusions théiformes
dans les cas de maladies pituitcuses de la poitrine , possède
un suc balsamique qui s'échappe par les pores de ses feuilles
et dont l'aromc approche beaucoup de celui du ciste lada-
nifèrc. Vansérine ambroisie {chenopodium ambrosioi-
des) , vulgairement ambroisie, thé du Mexique, introduite
en Europe en lfii9 , s'y est multipliée avec une prodigieuse
facilité; elle est regardée comme stomachique, résolutive,
expectorante, bonne pour les crachements de sang. Vansé-
rine vermifuge {chenopodium anlhchninticum), trè.s-pro-
bableinont originaire de la Pcnsylvanie , est cultivée pour la
récolte de ses graines, qui jouissent de la propriété dont
ANSËRINE — ANSON
elle lire son nom. A côté de ces espèces à arôme agréable
se trouvent Vanscrine hybride et Vanscrinc /éfide {c/ic-
nopodium vtitvaria), qui exhalent des odeurs détestablis ;
le seul contact des doigts avec la dernière suffit pour les
infecter pendant un temps assez Ion?. Certains botanistes
du moyen Ajie lui avaient donné l'épithète de coudui, dans
la persuasion qu'elle était produite par l'urine des chiens.
On sait aujourd'hui que ce sont les glandules dont nous
avons signalé la présence à la surface des feuilles, qui con-
tenant une huile essentielle particulière , variable avec les
espèces , donnent à chacune d'elles une odeur et des pro-
priétés spéciales.
On peut encore citer Yanséj'ine polysperme , ainsi nom-
mée à cause de la grande quantité de graines qu'elle produit,
et Vansérine à balais , appelée \'ulgairement belvédère, et
dont les tiges grêles, chargées de rameaux dressés , servent
en Italie à faire de petits balais. Mais l'espèce la plus digne
d'intérêt C5t celle qui porte le nom de quinoa (chenopo-
ditim quiiioa), qui abonde sur les plateaux élevés des
Cordillères , et est pour le Pérou un objet considérable de
culture et de consommation : en potage, en gâteaux, hachée
comme les épinards , associt^e à d'autres mets , cette ansérine
est un aliment Irès-sain et de facile digestion; fermentée avec
le millet , on en obtient une sorte de bière ; la volaille re-
cherche la graine de la variété blanche. Le quinoa produit
aussi en abondance un fourrage vert excellent pour les
vaches. Des essais de naturalisation, faits depuis 1836 en
Angleterre et en France , ont parfaitement réussi.
AJXSGAR ou A>'SCHARIUS , surnommé Vapôtre du
Nord , parce qu'il prit une part importante à l'introduction
du christianisme dans le nord de l'Allemagne, en Danemark
et en Suède, était né vers l'an 800, en Picardie. Il reçut son
éducation dans l'abbaye de Korwey en Westphalie. Eu 826,
à la demande de l'empereur Louis le Débonnaire , il suivit
le prince Harald du Jutland méridional, à qui il venait d'ad-
ministrer le baptême , parmi les rudes et grossiers enfants
du Nord , et les prêcha avec succès , notamment dans la
contrée qui porte aujourd'hui h nom de Schieswig , mais
non sans avoir à surmonter beaucoup de difficultés et de per-
sécutions pour les doctrines de la foi chrétienne. Satisfait des
résultats de son zèle apostolique, l'empereur résolut, de con-
cert avec le pape et les évêques, de créer en Nordalbingic
( c'est ainsi qu'on désignait alors la contrée voisine de l'em-
bouchure de rnbe), à Hammaburg (Hambourg) un ar-
chevêché dont Ansgar fut le premier titulaire, en 832. Il
n'eut pas à y triompher d'obstacles moindres , et ce fut à
grand'peine qu'il put s'y maintenu-. Quand, en l'année 845,
les Normands et les Danois, commandés par Erik l", sur-
prirent la ville de Hambourg et la pillèrent, Ansgar ne sauva
8e5 jours qu'en prenant la fuite. Il fonda alors une abbaye
à Ramslo près de Hambourg , où il trouva un asile. A la
mort de l'évêque de Brème , on réunit , en 858 , ce siège à
l'archevêché de Hambourg. Ansgar entreprit ensuite di-
verses missions en Danemark , et, sur la recommandation
d'Erik l*"", passa même en Suède. En cette même année 858 ,
il administra encore le sacrement de baptême à Erik II ,
successeur d'Erik I^*". Ansgar mourut le 3 février 8C4, à
Brème, oii une église bâtie en son honneur rappelle sa mé-
moire. Il eut la gloire d'avoir été , sinon le premier des
missionnaires, du moins celui de tous qui prêcha la foi du
Christ avec le plus de succès dans le Nord. Ses contempo-
rain; donnent de grands éloges à sa prudence , à la pureté
et à la chaleur de son zèle pour la religion , de même qu'à
sa conduite en tout irréprochable. En 1261 l'abbé de
Neukorwcy envoya à Rome le journal de ses missions apos-
toti([ues , manuscrit sans prix et qui malheureusement s'est
perdu depuis. L'Éghse catholique a canonisé Ansgar. On a
encore de lui une biographie de saint Wiilebrad. Rem-
berg, qui lui succéda sur son siège aicliiépiscopal, a écrit
sa \ie.
G39
ANSIAUX ( JEAN-JosEPH-ELÉoNonE ) naquit en 17G3,
à Liège , où sa famille tenait un rang honorable dans le
barreau. Dans un âge tendre , ayant fait une chute grave ,
il se démit l'épaule , et par suite de cet accident conserva
toute sa vie une difformité de taille. De bonne heure il ma-
nifesta du goût pour les arts du dessin. Après quelques
études préliminaires , il vint à Paris , et entra dans l'atelier
de Vincent. Ansiaux fit des progrès sous ce maître , qui
l'engagea à concourir pour le prix de Rome. Il échoua d'a-
bord , et des changements de territoire lui firent perdre la
qualité de Français. Ansiaux se mit alors à fiùrc des por-
traits ; son talent pour ce genre de peinture le fit bientôt
connaître, et l'empereur Napoléon lui commanda deux sujets
mythologiques qu'on pe\it voir encore aujourd'hui au musée
de "N'ersailles. Peu de temps après , Ansiaux exécuta une
œuvre estimable, qui fît sa réputation, et qui a eu chez nous,
à plusieurs reprises, les honneurs de la gravure, Angélique
et Médor.
Ansiaux ne fut pas aussi heureux dans la peinture reli-
gieuse, genre pour lequel il avait cependant une prédilec-
tion. Au salon de 1814 il exposa une Résurrection du
C/irist et une Conversion de saint Paul; en 1827, une
Adoration des Mages, une seconde Résurrection du Christ
et une Élévation en Croix ; en 1835, Jésus expirant sur
la croix; enfin, en 1837 il revint à l'histoire et à la my-
thologie, et exposa \e Dévouement de Ménécée , fils de
Créon. Mais à cette époque Ansiaux avait perdu tout son
talent : il n'était plus même un bon portraitiste, et sa pein-
ture, pâle réminiscence de l'école de David, excitait les
quolibets de la jeunesse. Il fut très-sensible à ces affronts ;
mais il ne comprit pas qu'il donnait lui-même le spectacle de
sa décadence ; il voulut lutter jusqu'à la fin, et peignit jusqu'à
sa mort, qui arriva en octobre 1S40. A. Filliolx.
AJVSIVARII , peuplade teutone qui habitait la rive oc-
cidentale du Weser, au nord jusqu'au lac de Steinliud , au
midi jusqu'aux sources de la Lippe, et dont le territoire,
par conséquent, était situé au milieu de la principauté ac-
tuelle de Minden , dans la partie orientale du comté de
Ravensberg, dans le comté de Lippe et une portion du pays
de Paderborn. Ils avaient pour voisins les Chances, et "à
l'est le Weser les séparait des Chérusques. Au sud , leur
territoire était limitrophe de celui des Dulgibini et des An-
grivarii; enfin, à l'ouest, il touchait à celui des Chamaves.
L'histoire a conservé le souvenir des calamités auxquelles
ce petit peuple fut en proie. D'abord, les Chauces l'expul-
sèrent de son territoire , et il alla se fixer sur les bords du
Rhin. Mais là il eut à soutenir de nouvelles luttes avec l&s
premiers occupants, les Ussipètes, les Tubantes , les Cattes
et les Chérusques, qui se le rejetèrent les uns sur les autres,
le détruisirent en détail, et finirent par se distribuer ses dé-
pouilles humaines dont ils se firent des esclaves. A l'époque
de Néron les Ansivaril étaient complètement exterminés.
AA'SLO (Reimer), l'un des meilleurs poètes hollandais
du dix-septième siècle, naquit en 1622, à Amsterdam , et
mourut le 10 mai 1669, à Pérouse. Arrivé en Italie en I6i9,
il s'y était converti au catholicisme, et à l'occasion d'un
poëme latin de sa composition sur le jubilé avait reçu du
pape Innocent X une médaille d'or et de la reine Christine
une chaîne en même métal. Son séjour en Italie, la connais>-
sance intime qu'il y acquit de la littérature italienne , for-
mèrent et épurèrent son goût. Si parfois il se laisse aller au
pathos, ses nombreuses qualités l'emportent sur ses défauts,
et lui assurent ime des places les plus honorables du Par-
nasse hollandais. De Haas a réuni et publié, en 1713, ses
œuvres poétiques, parmi lesquelles on cite : la Couronne
du saint martyr Etienne; la Peste de Naples , et une
tragédie, les Sanglantes Noces Parisiennes.
AXSOIV (Georces), amiral anglais, né en 1697, à Shuck-
borough, dans le Staflbrdshire, se consacra de bonne heure
à la marine, servit dès 1716 en qualité de lieutenant en se-
640
coud sous les ordres de John Jlorris dans la Balliciue, en '
1717 et 1718 sous les ordres de (icor^es lîyirig contre l'Es-
pagne, et lut nommé capitaine quand il avait à peine atteint
Tige de vingt-cinq ans. En 173'J une rui)lure ayant eu lieu
avec l'Espagne, il reçut le connnandement d'une Hotte dans
les eaux de la mer l'acilique, avec l'ordre d'y inquiéter le
commerce et les établissements coloniaux des Espagnols.
Le 18 septembre 1740 il partit d'Angleterre avec cinq navires
de haut bord et trois bâtiments de moindres dimensions,
portant quatorze cents hommes de troupes. A son passage
au détroit de Lemaire, il fut assailli par des tempêtes lu-
lieuscs, qui pendant trois mois l'empêchèrent de doubler le
cap Ho'rn. Séparé du reste des bâtiments sous ses ordres, il
atteignit enfm l'île de Juan Fernandez, où plus tard trois de
ses vaisseaux vinrent le rejoindre dans le plus déplorable
état. Ses équipages avaient eu à peine quelque repos, lors-
qu'il remit à la voile. Il fit alors de nombreuses prises,
et se rendit maître de la viiie de Payta, qu'il incendia. Il
perdit dans l'attente une grande partie de ses équipages, et
se vit réduit à un seul vaisseau avec lequel il fit voile pour
Tinian. Une tempête lit périr son vaisseau . A l'aide d'un petit
bâtiment qu'il trouva dans ces parages, il partit pour
Macao. Là il répandit adroitement le bruit de son départ
pour l'Europe, tandis qu'en réalité il se dirigeait vers les
îles Philippines et s'en allait croiser à la hauteur du cap
Spiritu-Santo. Enfin on aperçut les galions si longtemps
attendus , et qui , confiants dans la supériorité de leurs
forces, se disposèrent au combat. Les Anglais furent vain-
queurs, et s'emparèrent des galions, dont la valeur n'était
pas moins de 400,000 liv. sferl. ( 10,000,000 fr. ) . Anson re-
vint à Macao avec celte proie et les prises antérieures , dont
la valeur dépassait 600,000 liv. sterl. Il les réalisa sur cette
place, et défendit avec énergie les droits de son pavillon
contre les prétentions du gouvernement chinois de Canton.
C'est de là qu'il repartit pour l'Europe; et, après avoir
échappé dans le canal à la vue de la flotte franç:iise, il dé-
barqua enfin à Spitbead , le 15 juin 1744. Ce périlleux
voyage fut d'une haute utilité pour la géographie et surtout
pour la navigation. La narration en fut rédigée, sous la di-
rection d'Anson,par le chapelain de la marine Walter et par
le mathématicien P.ubius ( Londres, in-4% 1748). Anson
fut récompensé, en 1744 , par le grade de contre-amiral du
pavillon bleu, et en 1740 du pavillon blanc. En 1747 il
battit à la hauteur du cap Finistère l'amiral français Jon-
quière, à qui il enleva les vaisseaux V Invincible et la
Gloire. Le capitaine du premier de ces bâtiments en lui
présentant son épée lui dit : « Monsieur, vous avez vaincu
l'invincible, et la gloire vous suit. » Anson fut alors créé ba-
ronnet Soberton, et quatre ans plus tard nommé premier
lord de l'amirauté. En 1758 il commandait la flotte anglaifc
devant P>rest, Il appuya les débarquements tentés par les
Anglais à Saint-Malo et à Cherbourg, et recueillit à son bord
les troupes de cette expédition quand elle eut échoué. En
1762 il obtint le titre suprême d'amiral et de commandant
en chef de la flotte ; mais il mourut le 6 juin de la même
année , dans son domaine de Noor-Park.
AI\SOI\ (George) , général anglais, né en 1797 , assista
à la bataille de Waterloo , et siégea à plusieurs reprises dans
la Chambre des Communes ,oii il soutint les opinions libé-
rales. Envoyé en 1853 dans l'Inde, il remplit la charge de
major en clief de l'artillerie sous l'administration Melbourne,
et fut promu au grade dégénérai en 1855. Il commandait en
chef l'armée indo-britannique lorsqu'il mourut du choléra,
le 27 juin 1857, à Kurnaul , en marchant contre les cipayes
retranchés à Deihy. Z.
AASPACH , autrefois Oxoi.zB\cn , jadis résidence des
niargra\es d'Anspach-Baireuth , aujourd'hui chef-lieu du
cercle bavarois de la Franconie centrale , sur le Rezat,
popul. 13,000 habitants, est le siège des autorités adminis-
tratives du cercle, de la cour d'appel de la Franconie cen-
A^SON — AP^TALCIDAS
traie, d'un consistoire protestant et d'un collège électoral.
On y trouve un gymnase, une école d'enseignement supé-
rieur pour les filles, plusieurs autres établissements publics,
une bibliothèque et une galerie de tableaux situées dans
l'ancien château des margraves, une société historique et
ime société des beaux-arts et de l'industrie. La fabrication
des étoffes de coton et de soie mêlée de coton, du tabac, de
la poterie, du parchemin, des cartes à jouer, des instruments
de chirurgie et de la céruse, s'y fait sur une assez large
échelle. L'ancien château des margraves est un bel édifice,
construit à l'italienne; dans le parc y attenant on voit un
monument élevé à la mémoire du poète Uz.
Cette ville a pour origine première l'abbaye de Gumbertus,
fondée au huitième siècle, transformée en collégiale en l'an-
née 1057 et supprimée en 15G0. Les prévôts de Dornbourg,
vidâmes de l'abbaye, vendirent la ville, en 1288, aux comtes
d'Œttingen, et ceux-ci la rétrocédèrent en 1331 aux bur-
graves de Nuremberg.
La principauté d'Anspach, qui à une époque très-reculée
faisait partie du Rangau, et qui était en grande partie habi-
tée par des Slaves , appartint plus tard au cercle de Fran-
conie. Incorporée en 180G au royaume de Bavière, elle fut
comprise alors dans le cercle du Rezat , appelé aujourd'hui
Franconie centrale. Vers la fin du dix-huitième siècle, elle
comprenait une population d'environ 300,000 âmes. Le
burgrave de Nuremberg Frédéric V ayant obtenu en 1 362
la principauté d'Anspach à titre de fief de l'Empire, en par-
tagea le territoire entre ses deux fils en l'année 1398. Il y
eut alors le pays d'en haut de la montagne (Anspach) et
le pays d'en bas de la montagne (Kulmbach, plus tard
Baireuth); mais cette division cessa de subsister dès
1464. L'électeur Albert-Achille de Brandeîjourg destina, en
1474, les principautés de Franconie (c'est ainsi qu'on dési-
gnait Anspach et Baireuth) à sou fds puîné Frédéric, qui
devint ainsi la souche de la ligue de Franconie des mar-
graves de Brandebourg, laquelle se subdivisa plus tard en
deux lignes, celle d'Anspach et celle de Baireuth. Cette
dernière s'éteignit en 1769, et les deux principautés se trou-
vèrent alors réunies sous l'autorité du même souverain. Le
dernier margrave d'Anspach-BaireuLli fut Charles-Frédéric,
second mari de lady Craven, lequel vendit volontairement
ses États le 2 décembre 1791 à son suzerain, le roi de Prusse.
En 1806 Frédéric-Guillaume III dut céder à la France Ans-
pach, qui, de même que Baireuth, dont il fut encore obligé
de faire l'abandon, aux termes de la paix de Tilsitt, fut
attribué en 1810 à la Bavière.
AXSPESSADE. Voyez Appointé.
AKSSE DE VILL6âSOx\^ (D'). FojfW Villoison.
AiXTA.LCIDAS, Spartiate qui à la suite de la guerre
de Corinlhe fut envoyé comme ambassadeur auprès de
'Jiribaze , gouverneur de Suze, pour négocier une alliance
avec la Perse. Tiribaze se montra favorablement disposé, et
conclut avec Antalcidas, l'an du monde 3597 , le traité que
les Lacédémonicns soUicitaient. Ce traité souleva en Grèce
une indignation générale ; car il sacrifiait les hitérêts de la
patrie commune à la jalousie de Lacédémone contre Athè-
nes. Il stipulait •• 1° que les villes grecques de l'Asie Mi-
neure, ainsi que les îles de Clazomènes et de Chypre,
feraient partie intégrante des États du roi de Perse; 2" (pie
les autres villes grecques seraient de nouveau libres et in-
dépendantes, à l'exception des îles de Lemnos, Scyros et
Lnbros, appartenant à Athènes. Thèbes et Corinthe, cpii
étaient plus particulièrement lésées par ce traité, rcfijsèrent
de s'y soumettre; mais elles y furent contraintes par la
force , et durent rendre leur indépendance aux villes de la
Ecotie. La nationalité grecque était virtuellement di'lruite
par ce honteux traité; mais les Lacédémonicns avaient hu-
milié kurs rivaux. Antalcidas fut reçu à Sparte avec de vives
acclamations et élevé à la dignité d'éphore. Envoyé depuis,
dit-on, de nouveau à la coin- du grand roi pour obtenir de
ANTALCIDAS — AISTÉCÉDEiNT
lui (les siibsiilt\>, il c^choiia dans cctto négociation, cl se laissa
mourir de faim, dans la crainte des rigueurs que sa patrie
pourrait exercer contre lui.
AXTANACLASE (du srecàvrl, contre, et àvaxXâffiç,
rt^pélilion), ligure de rhf^toritpie, qui consiste en la répéti-
tion d'un mot employé dans un sens dilTérent, et toujours
dans une antre partie de la phrase; exemple : veniam ad
vos, si mihi sc?iatus det veniam. Il est possible que, à la
rigueur, un jeu de mots grave mieux dans la mémoire une
proposition , une assertion , mais la véritable éloquence
peut-elle sérieusement tolérer de pareils concelti ?
ANTAR,ouAND.\R, célèbre princedes Arabes, qiii vivait
au milieu du sixième siècle , et un de leurs sept premiers
poètes , dont les œu\Tes, couronnées et brodées en or sur
de la soie, furent attachées à la porte de la Caaba. Il dé-
peint dans ses Moallaca ses exploits guerriers et son amour
pour Ibla. L'édition la plus complète de ce poëme est de
Menil (Lcyde, 1816). Hartmann l'a donné en allemand,
d'après l'édition de Joncs, et l'a publié sous le titre de Pléia-
des rayonnantes du ciel poétique arabe (Munster, 1802).
Asmai, célèbre grammairien et théologien de la cour d'A-
roun-al-Raschid , réunit le premier , au commencement du
neuvième siècle , les traditions héroïques des anciens Ara-
bes, et les rattacha au nom et aux exploits d'Antar. C'est
à Jones que nous devons la connaissance plus exacte de ce
roman , aussi ciu'ieux qu'intéressant. Hammer , dans ses
Mines de l'Orient ( 1812), en décrivit ensuite l'exemplaire
complet qui se trouve à la bibliothèque impériale de Vienne,
et indépendamment duquel il y en a encore six en Eu-
rope.
Dans ce roman, en 12 volumes in-S", Antar est représenté
comme le fds d'un chéik arabe, appelé Cheddad; mais, né
d'une simple esclave, il fut relégué à la garde des trou-
peaux. Malgré l'élévation de ses idées , malgré l'éclat de
ses exploits, ses compatriotes l'accablaient d'humiliations. Ce
qui excitait surtout leur jalousie, c'est qu'il aimait Ibla, une
de ses cousines , que recherchait aussi un jeune homme
riche et puissant. Pareil à Hercule, Antar ne parvint à dé-
sarmer l'envie qu'à force de travaux prodigieux. Jugé digne,
enfin , de s'asseoir parmi les chefs de sa nation, il épousa
.sa bien-aimée, et répandit la terreur de son nom et le bruit
de sa gloire poétique en Perse, dans l'Asie Mineure et jus-
qu'en Europe.
Ce roman nous offre un tableau complet des coutumes,
des usages, des idées, des opinions et des superstitions des
anciens Arabes avant la venue du Prophète. Pour juger de
l'exactitude des principaux traits de ce tableau, il sufiit de
■vivre quelques jours au milieu des Bédouins modernes. Le
style est du plus pur arabe, et passe par conséquent pour
classique. Une prose poétique y fait quelquefois place à une
suave poésie. Cet ouvrage est du reste si intéressant, que les
connaisseurs le préfèrent aux Mlle et une Nuits. Hamilton,
secrétaire de l'ambassade britannique à Constantinople , l'a
traduit en anglais (Antar, a Bedoueen romance, transla-
ted from the arabic 6j/ Berrik Hamilton, Londres, 1819,
4 vol.). C'est sur cette traduction qu'a été fait l'extrait, ac-
compagné de notes, publié au mois de mai 1830 par M. de
l'Écluse dans la Revue Française.
AXT ARCTIQUE (d'àvTt, opposé, et àpxTo;, ourse :
opposé à la Grande-Ourse), terme d'astronomie employé
pour qualifier le pôle austral et le cercle polaire corres-
pondant.
On a cru pendant longtemps qu'il n'y avait pas de terre
habitable sous la zone antarctique, et que l'Océan s'étendait
jusqu'au 00" degré de latitude sud. Cook s'approcha du pôle
jusqu'au 60' degré, mais il fut repoussé par des masses de
glace et des tempêtes. Un pêcheur de baleines découvrit,
en 1820, vers le sud du cap llorn.sous la latitude du Cl" de-
gré, une Ile de deux cents milles anglais de longueur, qu'il
uonima la Nouvelle-Shetland. Depuis, plusieurs anglais et
DtCT. DE L\ CO.NVKIiS. — T. I.
i;^i
russes poussèrent encore plus près du pôle antarctique. Ces
parages devenaient de plus en plus fréquentés par la pèche
de la baleine, car le nombre de ces animaux est très-grand
dans ces régions.
En 1831 et 1833 on signala des indices de terres au sud
de l'océan Indien. En 1838, une compagnie d'armateurs de
Londres, à la tète de laquelle était placé Charles Eiulerby,
négociant entreprenant , équipa une petite llottille destinée
à faire la pêche dans les eaux antarctiques. Cette llottille
se composait des deux navires, VÉHza Scott, capitaine Bal-
leny, et la Sabitia, capitaine Freeman; elle devait d'abord
se diriger vers la Nouvelle-Zélande, et de là faire voile pour
la terre d'Enderby, découverte depuis l'année 1831. Le 9 fé-
vrier 1S39 cette expédition découvrit, par 66° de latitude
sud et 1G4" de longitude est, trois îles qui reçurent le nom
(ïiles de Ballcny, et le 3 mars suivant, par 65» de latitude
sud et 11G"-118" de longitude est, la terre de Sabina. —
L'expédition américaine de découvertes commandée par Je
lieutenant Wilkes et l'expédition française aux ordres du
capitaine Dumont d'Urville eurent pour résultat, en
1840, de donner le tracé précis de ces côtes depuis le 92"
jusqu'au 154° de latitude sud, tantôt au nord, tantôt au sud
du cercle polaire, et qui sur quelques cartes sont désignées
sous le nom de terres de Willics. Elles ont en outre prouvé
que ces terres se lient à celles qui ont été découvertes par
Balleuy, et que celte masse se prolonge jusqu'à IsO" de
longitude est. Or, comme il semble y avoir tout lieu de pen-
ser que la terre de ^Yilkes se prolonge au delà de la terre
de Kemp, découverte en 1833, jusqu'à la terre d'Enderby,
sous les 50° de longitude ouest, on peut dire qu'une étendue
de côtes d'environ 800 myriamètres de longueur existe dans
ces latitudes, et que, suivant toute probabilité, elle se lie
aux découvertes antérieures. On peut donc conjecturer qu'il
existe au dedans du cercle polaire antarctique un immense
continent. Les Américains et les Français s'en disputent la
découverte ; les navigateurs envoyés en exploration dans
ces parages par le gouvernement de l'Union signalèrent la
terre le 19 janvier 1841, par 154° 27' de longitude orientale ;
Dmuont d'Urville, commandant l'expédiliou française, ne lu
signala que deux jours plus lard, beaucoup plus à l'ouest,
c'est-à-dire par 140° 41' de longitude orientale. Ce naviga-
teur donna à cette terre le nom (ï Adélie, en l'honneur de
sa femme; il n'y resta que dix jours, et parvint jusqu'au
130' degré de longitude est; Wilkes, le commandant de
l'expédition américaine, croisa dans ces parages inhospita-
liers pendant quatre semaines consécutives, et s'avança
jusqu'au 97° de longitude est.
iVA'TARÈS, étoile de première grandeur , située au
cœur de la constellation du Scorpion.
ANTÉCÉDENT, terme de logique. C'est la première
proposition dont uue autre découle, c'est un principe géné-
ral, servant de base à un fait douteux, c'est la moitié d'un
enthymème. — En termes de palais on dit : Il y a deux
jugements antécédents pour dire précédents. — En style
parlementaire, les antécédents d'une assemblée délibérante
sont les décisions qu'elle a prises dans des circonstances
analogues, et qui impliquent pour elle l'obligation de suivre
la même marche, le cas échéant. — Ce terme est aussi usité
en théologie : exemple : Est-ce par un décret antécédent
ou subséquent à la prévision de leurs mérites que les
hommes sont prédestinés à la gloire des bienheureux? Ce
qui revient à dire : Le salut des hommes est-il décrété par la
bonté de Dieu ou par sa justice, en raison ou abstraction
faite de sa prévision? — En grammaire, Yantécédent est Je
mot qui précède le relatif : dans cette phrase : L'homme
qui meurt pour sa patrie, Vhomme est l'antécédent. Celle
expression est prise quelquefois aussi dans le sens et comme
synonyme d'exemple. — En malhénialiques, IV'H^e'cerfpn^
d'un rap]wil est le premier des deux tenues qui comiiosent
ce laiiport.
»1
&41
AIMTÈCIIRIST. Dans les derniers siècles qni précédè-
rent la naissance du Christ, les Juifs associèrent à leur idée
du Messie, envoyé pour assurer le bonheur de leur nation ,
celle d'un anti-Messie, qui devait faire beaucoup de mal
avant la venue du vrai Messie. Divers li^TCs du Nouveau
Testament font mention de l'Antéchrist comme d'un ou de
plusieurs faux prophètes se faisant passer pour le vrai Christ,
aOn de tromper le monde ; mais ce n'est que dans l'Apoca-
lypse qu'il est représenté comme un puissant souverain, en-
nemi du christianisme, dont l'apparition doit précéder la fin
des temps et annoncer le dernier retour du Messie sur la
terre. Ce sera Satan fait homme, suivant certains Pères de
l'Église. Ce sera un démon revêtu d'une chair apparente,
d'après saint Jérôme. 11 naîtra précédé de signes extraor-
dinaires, tant au ciel que sur la terre, mais son règne ne du-
rera que trois ans et demi. Il est vrai qu'il sera signalé par
d'atroces barbaries. Enoch et Élie, qui ne sont pas encore
morts, essayeront vainement de le combattre : ce tyran les
fera périr à l'endroit môme où Jésus-Clirist a été crucifié.
Après toutes ces horreurs, après que les peuples auront été
plongés dans la désolation, le Christ foudroiera son ennemi
par un' effet de sa toute-puissance.
Les chrétiens conservèrent dans les premiers siècles cette
croyance d'un ennemi redoutable de l'Église, dont la venue
s'annoncerait iiar les persécutions qu'elle aurait à subir, et
qui précéderait le retour du vrai Christ, espéré par les chi-
liastes. Cette opinion, adoptée fort longtemps avec les di-
verses interprétations qu'en avaient données les Pères de
l'Église, et avec la croyance du règne de mille ans, qui de-
vait succéder aux persécutions endurées sous le règne de
l'Antéchrist, resta accréditée jusqu'à ce que l'année 1000 se
fut écoulée sans avoir vu réaliser les prophéties si souvent
reproduites. Cette circonstance refroidit le fanatisme des
chiliastes. Il est vrai que l'interprétation de l'Apocalypse
donnait toujours lieu à de nouveaux calculs en faveur de
l'apparition de l'Antéchrist; les esprits les plus hardis et les
plus sérieux, le génie lui-môme ne se sont pas abstenus de
traiter cette grave matière. Bossnet, commentant certains pas-
sages de l'Écriture et surtout l'Évangile selon saint MatU)ieu
(chap, 24), a cm devoir donner son avis sur ce bizarre person-
nage, moitié Dieu, moitié démon {Histoire des Variations).
Il avait été, il est vrai, précédé dans cette voie dès le moyen
âge par divers ennemis, qui, soit individuellement, soit
groupés en différentes sectes, avaient attaqué la hiérarchie
catholique romaine, appliquant de préférence cette dénomi-
nation d'Antéchrist au pape, que les vaudois , les wiciéfites,
les hussites, et jusqu'à Luther et ses sectateurs , accusèrent
de s'être élevé au-dessus et contre le Christ. Joseph Mède
en Angleterre et le ministre Jurieu en Hollande poussèrent
le fanatisme jusqu'à écrire que l'Antéchrist sortirait de l'É-
glise romaine vers 1710. Grotius, emporté par je ne sais
quelle hallucination dogmatique, après avoir prouvé que
tout le monde était absurde , ne dédaigna pas de soutenir
que, d'après ses calculs, Caligulaétait l'Antcchrist. Bien avant
lui, et jusqu'au cinquième siècle, on avait cru , sur divers
points, que Néron n'était pas mort et qu'il reviendrait sous
la forme de l'Antéchrist. Les catholiques, de leur côté, don-
nèrent ce titre à Luther et aux autres réformateurs.
L'Antcchrist dans l'Église d'Orient, c'était Mahomet, les
Sarrasins et les Turcs. Les musulmans ont l'idée d'un Anté-
christ qui sera vaincu , avec l'aide du Christ véritable, par
l'imanMahadi; après quoi le christianisme et l'islamisme
ne formeront plus qu'une seule et même religion.
C'est ainsi que l'idée d'Antéchrist , comme symbole d'un
ennemi dangereux de la véritable Église, se perpétua sous
différentes formes. Le nom de l'Antéchrist fut souvent donné
à Napoléon pendant les années où il imprimait la terreur à
l'Europe. Plus tard les ennemis des lumières virent l'Ante-
ciuist dans l'usage indépendant de la raison, qui repousse
à jamais les vues et les prétentions de robscurunlisnic.
ANTFXHRIST — AMÉDILUVIENS
Parmi les Juifs s'est aussi conservée, depuis la destruction
de Jérusalem par Titus, la singulière prophétie d'une lutte
qui doit avoir lieu entre le vrai Messie et l'anti-Messie ,
nommé Armillus; celui-ci, qui naîtra à Rome, se donnera
pour le Messie et pour Dieu, et trouvera beaucoup de parti-
sans dans les États du pape. Le premier Messie, fils de Jo-
seph, le vaincra d'abord, mais finira à son tour par suc-
comber sous ses coups; alors le second Messie, fils de David,
battra et tuera Armillus ; après quoi le règne des chrétiens
et des païens cessera, pour faire place à la domination éter-
nelle du peuple juif.
AI\TÉCIEi\S. Voyez ANTOEcrENS.
ANTÉDILUVIENS (de antè, avant, diluvium ,
déluge ). Ce nom appartiendrait à tous les êtres qui ont vécu
avant le déluge; mais quelques naturalistes ont proposé avec
raison de n'appliquer cette dénomination qu'aux plantes et
aux animaux qui ont existé avant les changements qu'a
successivement éprouvés la surface du globe, et qui n'ont
plus d'analogues dans la nature vivante, qui sont enfin des
animaux perdus. Par déluge on entend vulgairement l'i-
nondation extraordinaire dont il est fait mention dans l'É-
criture. L'observation a fait reconnaître que le globe a été
bouleversé à plusieurs reprises , que la mer a dû occuper
d'abord toute sa surface, qu'elle s'est retirée de certains pays
pour revenir les occuper, et cela deux , trois fois de suite.
Voici comment on explique les diverses catastrophes qui
ont déplacé l'océan, soulevé les montagnes, détruit des races
entières d'animaux, formé des bancs de pierre, de craie, etc.
L'analogie et l'observation nous portent à croire qu'à une
époque très-reculée le globe que nous habitons éi)rouva un
degré de chaleur si élevé, que toutes les matières qui le com-
posent furent converties en vapeurs, de façon que notre pla-
nète présentait un globe iramensede vapeurs semblables aux
étoiles que l'on appelle nébuleuses. Comme il est de la na-
ture du calorique d'abandonner les corps chauds pour se
porter vers ceux qui sont plus froids , les vapeurs qui for-
maient d'abord notre sphère se rapprochèrent par le refroi-
dissement et formèrent successivement des pierres, des mé-
taux, etc., suivant le degré de température auquel ces
matières passent naturellement de l'état de vapeur à l'état
liquide, et de ce dernier à l'état solide ; c'est-à-dire que le
fer, par exemple, étant plus difficile à fondre que le plomb,
les vapeurs ferrugineuses se solidifièrent plus tôt que celles
de ce dernier métal. Des matières solidifiées il se forma une
croûte solide , d'abord fort mince ; cette croûte enveloppa
les autres matières qui étaient encore à l'état liquide, comme
la coquille d'un œuf enveloppe le blanc et le jaune. Cependant,
l'air, les eaux , et autres matières qui se tiennent à l'état
fluide et liquide à des températures plus basses que la cha-
leur à laquelle fondent et se volatilisent les minéraux, conti-
nuèrent à former une immense atmosphère autour de la
planète ; enfin, les eaux tombèrent sur sa surface quand leur
température fût descendue au-dessous de 100° centigrades
(chaleur de l'eau bouillante), et formèrent un océan continu
sur la croûte solide. Cette opinion est fort ancienne ; on la
trouve exprimée, plus ou moins exactement, dans la Bible
et dans plusieurs poètes de l'antiquité.
In principio... spiritus Dci ferebatur super aquas.
(^Genesis, lib. I.)
Ante mare et terras, et qiiod legit omnia cœlum ,
Unus erat tolo nalurae vultiis Id orbe,
Nec adliuc bracliia loDgo
Margioe terrarum porrexcral Ampbitrilc.
Omnia poalus eraut, dcerant qunquc liltora ponto.
(Ovin., Mela/iiorjj/wseoii , lib. I.)
Namque canebat uti
Iciicr mundi concreverit orbis,
TutD durare sohiuj et discliidcre ISerea pouto
Caeperit {\tKG., Ecloga FI.)
AINTEDILUVllilNS — ANTEISOR
643
Loc&m couvrit d'abonl toute la surface du globe, parce
que la croûte solide étant encore trop mince pour maîtriser
les mouvements des matières liquides qu'elle envelop[>ait ,
elle était plutôt portée par ces matières ; elle en prenait la
forme sphérique, car toute matière à l'état liquide aban-
donnée à elle-même prend spontanément la forme d'une
sphère ; la croûte solide ayant , par l'effet du refroidisse-
ment des matières qui étaient immédiatement au-dessous
d'elle, pris plus d'épaisseur et de consistance , résista par
conséquent davantage aux mouvements des matières liquides;
il en résulta des déchirements, des boursouflures qui s'éle-
vèrent au-dessus des eaux, et produisirent des montagnes,
des îles. Cette lutte , s'il est permis de parler ainsi, entre la
croûte solide et les matières liquides de l'intérieur du globe,
dut continuer pendant une longue suite de siècles ; elle n'a
pas encore cessé, si, comme on a toute raison de le croire ,
c'est à elle qu'il faut attribuer les volcans, les tremblements
de terre, les sources d'eaux chaudes, etc.
Au moyen de cette hypothèsç, on explique sans peine
la destruction subite de diverses générations d'animaux, la
formation des bancs de pierre, de craie... , qui les ont enve-
loppés, et qui en ont conservé les débris jusqu'à nos jours;
pourquoi les eaux occupèrent les continents et même le
sommet des hautes montagnes. Figurez-vous en effet que le
sol de Paris, couvert d'abord par la mer, fut soulevé par la
fermentation des matières en fusion qui étaient dessous :
des plantes, des animaux, purent croître et vivre sur sa sur-
face. Après un laps de temps, une autre catastrophe abîma
le terrain de nouveau; tous les animaux qu'il portait péri-
rent à l'instant et furent enveloppés par les couches que la
mer forma dessus. Les mômes évéoements se renouvelèrent
un certain nombre de fois, car Cuvier et Brongniart ont re-
connu que le sol de Paris a été deux fois occupé alternative-
ment par la mer et les eaux douces, ce qui est prouvé par
les débris de productions marines, fluviatiles et terrestres
que l'on trouve successivement quand on creuse à une pro-
fondeur sutlisante. Une chose bien digne de remarque, c'est
que plus les couches dans lesquelles ou trouve des animaux
perdus sont éloignées de la surface actuelle de la terre, plus
ces animaux diCEèrent par la forme et les dimensions de
ceux qui vivent de nos jours; l'organisation de ces animaux
est aussi plus imparfaite; il en est de même des végétaux.
Ceux, au contraire, qui se trouvent dans deux couches con-
sécutives, sans être tout à fait les mêmes, ont beaucoup de
rapports entre eux. Les cerfs, les bœufs... que l'on trouve
dans des marais, des tourbières, etc. , ne diffèrent pas sensi-
blement des cerfs de nos jours ; seulement leurs squelettes
ont des proportions plus grandes. Enfin, il y a des races
d'animaux qui ont vécu sous des latitudes où elles ne pour-
raient subsister aujourd'hui : on trouve en Europe, par
exemple, des ossements d'hippopotames, de crocodiles, d'é-
léphants..., animaux qui, comme on sait, habitent natu-
rellement et ne se reproduisent facilement que dans les ré-
gions brûlantes de l'Afrique et de l'Asie. On n'a pas encore
donné luie bonne explication de ce phénomène.
De toutes les matières qui entrent dans la composition
des corps des animaux, il n'y a guère que les os et les co-
quilles qui se soient conservés dans le sein de la terre : les
chairs, les cartilages, les parties cornées, les sabots, les
ongles, les écailles des tortues, les becs des oiseaux, ont été
décomposés ou absorbés par les matières pierreuses qui les
enveloppent.
Les plantes et les mollusques ont été les premiers corps
organisés dont il se soit conservé des débris; vinrent ensuite
les poissons, puis les reptiles, les mammifères marins, suivis
des oiseaux terrestres et des mammifères herbivores ; pres-
(lu'en même temps parurent les carnassiers. Cette suite de
créations de poissons, de reptiles, de mammifères, est con-
forme au récit de la Genèse : Bixit oulcm Deus : Pro-
ducant aqux repl'ile animx vivenlis, et volatile super
terram sub firmamento cœli. CreavUque Deus cete gran-
dia, et/ecit Deus bestias terne, etjumenta et omne rep-
tile terrx. La création de l'homme et des singes est pos-
térieure à celle de tous les animaux fossiles. On n'a jamais
trouvé de squelettes humains fossiles : celui qu'on voit an
cabinet d'histoire naturelle, et qui a été apporté de la Gua-
deloupe, est bien loin de pouvoir être considéré comme
antédiluvien; d'ailleurs, s'il y avait eu des hommes contem-
porains des dernières catastrophes qui ont changé la face
du monde, on retrouverait, non-seulement quelques-uns de
leurs débris, mais encore des ruines de leurs habitations,
des fragments de vases, d'armes, de meubles, etc. ; aussi
croit-on que l'origine de l'espèce humaine ne remonte pas
au delà de six mille ans, comme le dit l'Écriture.
Nous ferons connaître à l'article Fossiles les corps or-
ganisés qu'on a retrouvés dans le sein de la terre , et dont
l'existence a précédé les grands cataclysmes de notre planète
avant qu'elle fût habitée par l'homme. Teyssèdre.
ANTÉE, géant, fils de Neptune et de Géa ( la Terre),
habitait une grotte dans les sables de la Libye, et forçait
tout nouvel arrivant à le combattre : tant qu'il touchait le
sol, la Terre, sa mère, lui donnait de nouvelles forces; aussi
terrassait-il tous ceux qu'il défiait, et, après les avoir abattus,
il rangeait leurs crânes autour de sa caverne, ayant fait vœu
d'en récolter assez pour en construire un temple à Neptune,
son père. Hercule, provoqué au combat parle géant, le
terrassa trois fois en vain , sa mère ranimant à chaque re-
prise sa vigueur. S'étant aperçu enfin du charme qui le
rendait invincible , il le souleva en l'air, et l'étouffa dans
ses bras.
A]\TEI\iVE. En termes de marine, c'est une pièce de
bois , une espèce de vergue longue et flexible qui s'attache
par une poulie vers le milieu ou le haut d'un mât pour
soutenir la voile triangulaire des bâtiments à voile latine
surtout en usage dans la Méditerranée. Cette voile elle-
même prend le jiora d^antenne sur la Méditerranée. On
nomme antenne de mesure celle du grand mât, et antenne
de trinquet celle de l'avant. Les antennes servent à pousser
le navire en avant, ce qu'exprime l'étymologie de ce mot
( ante). On appelle antennes de beille les voiles que l'on
garde en réserve sur le bâtiment pour remplacer celles qui
se rompent ou s'usent. — On appelle encore antennes un
rang de futailles arrimées dans la cale d'un navire.
En termes d'histoire naturelle , les antennes sont les ap-
pendices ou filets creux, mobiles , articulés , au nombre de
deux en général, quelquefois quatre, et rarement cinq, que
certains insectes et certains crustacés ont sur la tête, et
qui ont servi à établir divers groupes et genres dans les
vastes classes d'animaux (lu'elles caractérisent. Les antennes
ont été considérées par quelques auteurs comme l'organe
de l'ouïe ou de l'odorat, par les autres comme un supplé-
ment du tact. Quelques insectes , en effet , les portent en
avant comme pour discerner les objets. Il est des ordres
et des espèces où les antennes des mâles sont différentes
de celles des femelles, et sen'ent à discerner le sexe à la
première vue. Leur forme est très-variée : il y en a de très-
longues et de très-courtes , d'aiguës et d'obtuses ; les unes
sont terminées en scie ou par un bouton , les autres en mas-
sue ; d'autres enfin sont munies de feuillets mobiles comme
les branches d'un éventail.
AIVTÉIXOR, prince troyen , fils d'Œsyetes et de Cléo-
mestre , parent de Priain , époux de Théano , fille de Cis-
séus , roi de Thrace , dont il eut dix-neuf enfants , nous
est représenté par Homère comme un vieillard plein de
prudence. H logea Ulysse et Ménélas pendant leur ambas-
sade à Troie, accompagna Priam au champ de bataille
lorsque celui-ci s'y rendit pour y traiter delà paix, et,
après le combat d'Hector et d'Ajax, proposa, mais inutile-
ment, de rendre Hélène à .son époux. Toutes ces circons-
tances ont l'ait regarder Anlcnor comme ami des Grecs , et
ai.
644
ANTEJNOR — AiMllÈRE
ont accrédité ropinion qu'il avait tralii les Troyens en pro-
curanl aux Grecs le pnlladium, en donnant du liaul de la
muraille, avec une lanterne, le signal de l'assaut, et en
ouvrant lui-même le fameux cheval de bois. 11 est vrai que
sa maison fut respectée pendant le pillage, mais ce fait
8'explique parles droits et les devoirs d'hospitalité qui exis-
taient entre lui et Mémlas. Il fut sauvé de la môme ma-
nière qu'Énée, et devint comme ce dernier la souche d'une
nouvelle dynastie ; mais les anciens ne sont pas d'accord
sur ce point. La tradition la plus connue est celle que Vir-
gile a adoptée : ce poète rapporte qu'Anténor se rendit, ac-
compagné de ses (ils, en Thrace, d'où il alla avec les Hé-
nètes en Italie, où il doit avoir fondé la province hénétique
sur la mer Adriatique, en construisant la ville de Patavium
(Padoue), qui porta d'abord son nom.
Un sculpteur athénien , appelé Anténor, avait fait les
statues d'Harmodius et d'Aristogiton ; elles furent enlevées
d'Athènes par Xerxès, et renvoyées en Grèce par Alexandre
le Grand ou par Antiochus. — Tite-Live mentionne enfin
un Macédonien de ce nom qui commanda, avec Callipus, la
flotte du roi Persée; — et lilien, un écrivain appelé aussi
Anténor, auteur d'une Histoire de Crète.
AÎVTEROS. C'est seulement dans la mythologie des
derniers siècles de l'époque païenne qu'on trouve ce nom
comme synonyme d'Amour réciproque. La Fable raconte
en effet qu'Éros, dieu de l'amour, ne fut pas plus tôt devenu
grand que sa mère Aphrodite lui donna un frère, Anteros,
qu'elle eut aussi de Mars. Le sens évident de ce mythe est
que l'amour pour être heureux a besoin d'être partagé.
Aussi élevait-on souvent des autels à ces deux petits dieux,
et les représentait-on se disputant une branche de palmier.
Suivant Bœttiger, Anteros, comme personnification de l'a-
mour partagé , est de création très-récenlc , l'ai t antique
représentant toujours l'amour réciproque par le groupe de
l'Amour et Psyché, et Anteros n'ayant d'autre fonction,
suivant lui, que de venger Éros et de punir ceux qui l'of-
fensent. D'autres interprètes modernes voient, au contraire,
dans Anteros une divinité ennemie de l'Amour, en un mot
VAntipathie. Voyez Clpidon.
AATES. D'après Jornandès et Procope, les Antes sont
une branche de peuples slaves occupant , sous ce nom, dans
le sixième siècle, le pays compris entre le Dniester et le
Dnieper. L'invasion des Huns les délivra du joug des Goths,
et la mort d'Attila de celui des Huns. Pressés par les ]\Ion-
gols, ils s'arrêtèrent sur les rives du Danube; mais dans
le dixième siècle ils furent en partie exterminés, en partie
chassés des bords de ce fleuve par les Avares , les Bulgares
et les Magyares ou Hongrois. Ce fut alors que leur nom se
perdit. Il est probable que les Antes, après ces désastres,
se portèrent sur les bonis du Dnieper et de la Volkhova , où
ils fondèrent les villes de Kief et de >'ovogorod.
AJVTIIÉLIE (du grec àvTÎ, contre, et viÀioç, soleil),
météore qui se montre à l'opposite du soleil lorsque celui-
ci est près de l'horizon , et qui consiste eu des cercles lumi-
neux concentriques à la tête de l'observateur, ressemblant
à ces gloires ou auréoles dont les peintres entourent les
têtes des saints. Ils sont dus à la réflexion de la lumière
par des chaumes ou de l'herbe mouillée, des vésicules
de brouillards , ou des nuages placés à une laible distance
du spectateur.
ANTHELMIXTIQUES (de àvTÎ, contre, et de é),-
fiiv; , ver), médicaments qui tuent et chassent les vers
intestinaux. On les appelle aussi vermifuges ou anti-ver-
mineux. Ils sont nombreux , et appartiennent au\ divers
règnes de la nature. La plupart sont doués d'une odeur
forte ou nauséeuse. Les principaux et presque les seuls
auxquels on ait recoins sont le semcn-contra , la mousse
de Corse, l'ail, la fougère mule, la racine de grenadier,
l'nbsintlie , la térébenthine , l'huile de ricin, le calomel , les
j-elsd'étain, Téther, le camphre etc. Tous paraissent exercer
une action directe sur les vers, qu'ils engourdissent ou
empoisonnent. Quelques-uns joignent à cette action une
vertu purgative, et contribuent ainsi d'une double manière
à rexi>ulsion de ces parasites. Le choix entre les anthelmin-
tiques n'est pas toujours indifférent : l'éther et le camphre,
par exemple, à cause de leur diffusibilité , ne conviennent
que dans les cas où les vers siègent dans l'estomac ou le
rectum. Ce dernier organe contient quelquefois des myriades
d'oxyures vermiculaires que l'éther seul peut détruire. Les vers
plats, et en particulier letœnia, ou ver solitaire, exigent
l'emploi des vermifuges les plus énergiques, et souvent l'as-
sociation de ces moyens avec les purgatifs. D"" Delasiauve.
AJV'TIIÉMIUS, de Traites, né durant le sixième siècle,
se rendit célèbre par la supériorité avec laquelle il fit l'ap-
plication des mathématiques à l'architecture, à la méca-
nique et à rojjtique. Disciple de l'école platonicienne de
Proclus , à laquelle il fit le plus grand honneur, il fut l'ami
du géomètre Eutocius. Quoique bien jeune encore , sa re-
nommée le fit choisir par l'empereur Justinien pour diriger,
de concert avec Isidore , la construction de la basilique de
Sainte-Sophie, chef-d'œuvre de l'art, qu'il acheva seul
après la mort de ce grand architecte. C'est à Anfhémius
qu'on attribue, avec raison, l'invention des dômes; quant
à ses travaux dans la mécanique et l'optique, nous n'avons
que quelques fragments de son ouvrage : Ihpi uapaSo^wv
]rri-/_mi\\i'x'zw-i , de Mcichinis paradoxis , etc., dont Dupuy
a publié la traduction ( Mémoires de l'Académie des Ins-
criptions, tome XLII ). On y trouve la solution de plu-
sieurs problèmes d'optique , et , entre autres choses remar-
quables, le moyen d'exécuter ce qu'on raconte d'Archimède
brûlant les vaisseaux romaias avec des miroirs. Si l'on s'en
rapporte au témoignage de quelques historiens contempo-
rains d'Anthémius , ce savant aurait fabriqué une sorte de
machine infernale qui pourrait faire supposer qu'il connais-
sait l'usage de la poudre. Ces historiens racontent en effet
qu'ayant à se plaindre du rhéteur Zenon , .\nthémius dis-
posa un Jour, près de la demeure de son ennemi, un ap-
pareil qui produisit un effet semblable à celui des tremble-
ments de terre ; et Zenon , ajoutent-ils , qui vit briller la
foudre et les éclairs , et sentit sa maison cbraulée jusque
dans ses fondements, s'enfuit tout épouvanté.
Un autre Anthémics fut proclamé empereur d'Occident
par les intrigues deRicimer, et mourut l'an 472, après
avoir régné huit ans.
ANTHÈRE (du grec àv6r,po; , fleuri). L'anthère est
cette partie de l' é ta m i n e qui est supportée par le filet et
contient le pollen. Elle est généralement formée par deux
poches ou loges réunies à laide d'un corps intermédiaire
qu'on appelle connectif, et qui est très-apparent dans la
sauge. Chaque poche présente ordinairement sur l'une de
ses faces un sillon par lequel elle s'ouvre pour laisser échap-
per le pollen, et est séparée en deux parties ou logettes dis-
tinctes par une cloison longitudinale. La face sur laquelle
se voit le sillon constitue ce qu'on appelle la /«ce de l'an-
thère ; la face opposée s'appelle le dos. L'anthère peut être
fixée au filet de trois manières différentes : le plus souvent
elle est attachée à son sommet par le milieu de sa face
doi-sale, comme dans le lis; on dit alors qu'elle est médii-
fixe ou oscillante; d'autres fois, comme dans l'iris, elle
tient au sommet du style par sa base : elle est nommée
dans ce cas basifixe ou dressée ; quand enfin elle adhère
au filet par toute sa face dorsale , on l'appelle adnée ou
adhérente. Quand la face de l'anthère regarde l'axe de la
fleur, on la dit introrse; et quand elle regarde la circonfé-
rence de la fleur, comme dans l'iris, on appelle extrorse.
La couleur des anthères est variable d'une plante à l'autre
et dans une même plante aux diverses époques de la flo-
raison ; mais elle n'est jamais verte. Sa forme présente
un grand nombre de modifications. A l'époque de la fécon-
dation les loges de l'anthère s'ouvrent pour laisser échap-
ANTHÈRE — ANTimOPOLlTHES
per le pollen, et on donne le nom de di'fiisccncc au mode
suivant lequel s'opère cette ouverture. L'inspection anato-
iiiique apprend que chaque loge se compose d'une mem-
brane extérieure qu'on appelle exothèque , et qu'à la face
interne de celle-ci se trouve une couche de cellules séparées
par des libres élastiques constituant Ycndothèque.
ANTIII ASISTES, sectaires chrétiens, dont l'origine est
inconnue. On sait seulement qu'ils passaient leur vie à dor-
mir, et qu'ils regardaient le travail comme un crime. Cela
ressemlile assez aux mendiants de tous les pays et de toutes
les religions.
ANTHOLOGIE (du grec àvGo;, fleur, et de XÉ^eiv,
cueillir). On entend par cette dénomination , qui équivaut
à celle de bouquet île fleurs, tout recueil choisi de pièces,
de morceaux de prose ou de poésie , de divers genres ou
de différents auteurs, dont Méléagre de Syrie, qui vivait
vers l'an GO avant J.-C, a donné le premier exemple par-
mi les Grecs, mais qui chez eux cependant se bornait
presqu'à deux genres, i'épigramme et l'inscription. Après
lui, Philippe de Thessalonique , Diogenianus d'Héraclée,
Strato de Sardes et Agathias, qui vivait au sixième siècle,
suivirent cet exemple. 3\Ialheureusement, ces premiers re-
cueils ont été perdus pour nous. Tout ce qui nous reste en
ce genre se réduit à deux collections plus modernes : l'une,
du dixième siècle, estdeConstantinCéphalas, qui pro-
fita singulièrement du travail de ses devanciers, et surtout
de ct'lui d' Agathias ; l'autre, de Jlaxime P 1 a n u d e, de Cons-
lantinople, moine du quatorzième siècle; mais le choix que
cet auteur fit des morceaux de l'Anthologie de Céphalas
est si mauvais, qu'il gâta plutôt les recueils existants qu'il
ne les enrichit. Son Anthologie se compose de sept livi-es ,
qui, à l'exception du cinquième et du septième, ont plu-
sieurs subdivisions et se rangent par ordre alphabétique.
U ne s'accorde qu'en quelques parties avec l'Anthologie de
Céphalas, qui s'est conservée dans un seul exemplaire trans-
porté de Heidelberg à Rome, et de là à Paris, mais qui est
retourné à la bibliothèque de Heidelberg. L'édition la plus
moderne et la plus complète est celle de Jacobs ( Leipzig,
1813, 4 vol.). 11 existe aussi une Anthologiclatine, recueiUie
par Jos. Scaliger, Lindenbruch et autres latinistes , et dont
la meilleure édition est due à Pierre Burmann jeune (Ams-
terdam, 1759 et 1773 , 2 vol. in-4'').
Les littératures des peuples civilisés de l'Asie sont égale-
ment fort riches en anthologies composées, tantôt d'extraits des
meilleurs poètes, classés par ordre de matières, tantôt d'es-
sais, toujours empruntés aux plus célèbres, et accompagnés,
en outre, de notices biographiques rangées soit d'après l'ordre
chronologique, soit suivant les contrées où ils ont fleuri.
AXTHRACITE (du grec àv6paxiTr,(; , qui ressemble
à du charbon), substance minérale, qui diffère peu de la
houille commune; elle s'en distingue cependant par l'ab-
sence de matières bitumineuses. Llle foime des couches,
des amas, des rognons, et se présente même en parties dis-
séminées dans les terrains secondaires les plus anciens et
dans tous ceux inférieurs au grès rouge et supérieurs au
schiste cristallin. Sa couleur est d'un noir quelquefois gri-
sâtre, avec l'éclat métallique de lahlende ; sa dureté est assez
grande, et sa pesanteur spécifique varie de 1,G à 2,1. L'an-
thracite s'allume diflicileuient, mais il produit une très-forte
chaleur, et est utilisé avec succès pour le chauffage des ma-
chines à vapeur et pour le traitement des minerais de fer
dans les hauts fourneaux. On s'en sert depuis longtemps
en Amérique, et la Pensylvanie, le Connecticut et la Virgi-
nie, où il est très-abondant, lui doivent une grande partie
de leur prospérité. Ln France, les principaux gisements de
ce combustible sont dans les départements de l'Isère, des
Hautes-Alpes, de la Mayenne et de la Sarlhe.
ANTIIRACOAIAA'CIE ( du grec dvOpaf , chaihon ;
(jiavTîta, divination ), sorte de divination qui se pratiquait
par le charbon.
04.3
AXTIIRACOTIIERIUM. Voyez Anoim.otueiuum.
ANTHRAX ( de âvOpa$, charbon ). On comprend
sous ce nou\ deux maladies de cause, de forme et de gra-
vité essentiellement différentes. L'une, dite antliraa: simple
ou bénin, est due à la réunion d'un plus ou moins grand
nombre de furoncles ou de paquets cellulo-graisseux enflam-
més. Son exislence est tout à fait locale. Sa marche et sa
terminaison , sauf l'étendue , sont absolument analogues à
celle du furoncle isolé. Cet anthrax consiste dans une tu-
meur circonscrite, arrondie, large et rouge à sa base , plus
étroite et violacée au sommet , qui s'ulcère par suite de l'é-
tranglement inflammatoire , et laisse échapper d'une sorte
de cratère une série de bourbillons. Chez quelques sujets
cette tumeur acquiert des dimensions énormes , et néan-
moins s'accompagne rarement de fièvre. L'autre espèce est
V anthrax malin gangreneux; nous en traiterons au mot
Charbon.
ANTIIROPOLITHES ( du grec àvOpwno;, homme ,
et XîOo;, pierre). L'espèce humaine a-t-elle , comme une
foule de grands animaux , des débris fossiles qui remontent
à une haute antiquité dans des couches plus ou moins pro-
fondes de terrains diluviens? D'où venons-nous sur ce globe?
— Les anciens ne doutaient point que les premiers hmnains
ne fussent des êtres gigantesques , dont les ossements en-
fouis dans le sol se révèlent quelquefois dans des fouilles à
notre admiration :
Grandiaque effossis mirabitur ossa sepultis.
Nos ancêtres, selon eux, étaient ces Titans, fils audacieux de
la Terre, chantés par Hésiode. Ainsi , le squelette d'Antée ,
vu par Sertorius, vers Tanger, avait soixante coudées ; selon
Plutarque, celui d'Orion, trouvé dans l'île de Candie, portait
quarante-six coudées; d'après Pline , celui d'Oresle, plus
moderne, n'avait que sept coudées ( 12 pieds 3 pouces ).
En ICI 5 on crut découvrir le squelette du roi Teutobocus,
haut de vingt-cinq pieds ; mais plus tard on reconnut que
c'étaient des os d'éléphant fossile. On peut en dire autant
des prétendus ossements du fameux Roland ou du géant
Ferragus, etc.
Mais , sans s'arrêter à ces récits fabuleux , les natura-
listes modernes qui ont voulu approfondir cette question
doutent de l'existence de véritables anthropolilhes , et les
restes de squelettes appartenant à l'homme trouvés épars
en divers terrains n'ont point paru jusque ici véritablement
fossiles ni d'une haute antiquité. Ainsi , ni le fossile trouvé
en 1583, en faisant sauter un rocher près d'Aix en Pro-
vence, ni les prétendus ossements découverts en 17G0,
dans ce môme voisinage, ni ceux rapportés en 1779, n'ap-
partiennent à l'espèce humaine; ce sont des restes de tor-
tues, comme l'ont reconnu Lamanon et Cuvier. On pourrait
citer bien des ossements fossiles observés , soit à Cérigo
(ancienne Cythère), soit dans les broches de la Dalmatie ,
soit dans des marnes alluviales , et ailleurs , par Donati ,
Germar, Razoumovsky, de Schlolheim , Sternberg , et d'au-
tres auteuis, qui les ont considérés comme humains ; mais
cette conclusion est loin d'avoir été démontrée. Le prétendu
homme témoin du déluge, selon Scheuchzer, est, depuis
Cuvier, reconnu pour une salamandre gigantesque.
Une autre anthropolithe, célèbre dans ces derniers temps, et
figurée à la suite du Discours sur les Révolutions du Globe
de Cuvier, est celle apportée delà Guadeloupe par F. Alexan-
dre Cochrane. Elle contient en effet les ossements d'un Ga-
libi, ancien habitant de cette île volcanique, englobé dans
une masse coquillière d'un banc maritime ; on l'a trouvée à
la Basse-Terre, dans un parage situé sous le vent. Le banc
qui i'incrusle forme des blocs silués au-dessous de la haute
mer. C'est un empâtement de débris calcaires ou de coquil-
lages marins plus ou moins compacics, qui avait enve-
loppé dans son é!at de mollesse les ossenicuts de cet insu-
laire ; mais si l'oa cousidcre que ce tut calcaire est de for-
646
AKTHROPOLITHES — AMIIROPOPHAGIE
ination moderne, et que l'ile a dû problablement son exis-
tence à un volcan , on ne peut guère en conclure que ce
squelette remonte à une antiquité primordiale du globe.
Les débris d'ossements Immains recueillis dans des ca-
vernes à Bise et en d'autres lieux de nos départements
méridionaux, par MM. Marcel de Serres , Tournai, de
Christel , etc., étaient parmi das terrains d'alluvion posté-
rieurs à l'époque secondaire ou diluviale des géologues; ils
Font donc plutôt contemporains de la période tertiaire ,
ou des terrains voisins de nos couches modernes. En effet,
on rencontre aussi dans ces débris des restes d'animaux de
même date , et qu'on ne peut point considérer comme des
vrais fossiles. On y reconnaît jusqu'à des fragments de
vases ou poteries , qui décèlent déjà un certain degré de
civilisation établi à cette époque.
Cependant il y a des ossements humains gisant dans des
marnes qui peuvent remonter à des époques plus ou moins
reculées. Ce qui ajouterait un nouveau poids à cette con-
jecture , c'est que des crânes rapportés soit de ces gise-
ments marneux, soit de ca\ités en Autriche, présentent
une forme particulière. Ils diffèrent des crânes des Alle-
mands actuels et de ceux des races teutoniques , ou slaves,
qu'on sait, d'après l'histoire , avoir habité ces contrées , par
un grand aplatissement de l'os coronal. Cette modification
se rapproche de la conformation des crânes que certains
peuples de l'Amérique méridionale donnent aux têtes de
leurs enfants par la compression. Est-ce qu'une semblable
coutume aurait existé jadis chez les sauvages habitants des
forêts de la Germanie ? ou bien une race d'hommes à front
plat aurait-elLe vécu en Europe? Ne peut-on pas aussi con-
jecturer que parmi les âges primitifs de brutalité dans la-
quelle végétait le genre humain , l'organe de la pensée , non
exercé, ne se développait guère, et qu'un large ou grand
front est le produit d'une longue civilisation?
Nous ne parierons point du prétendu homme fossile trans-
porté des carrières de Fontainebleau à Paris , et sur lequel
on a longuement disserté. Personne n'ignore aujourd'hui
qu'il s'agissait d'une fortuite analogie avec la forme hu-
maine. Mais s'il n'a point été véritablement trouvé de sque-
lette humain fossile en nos climats, peut-on en conclure que
sous les températures plus douces et parmi les terrains habités
de toute antiquité de l'Inde et de la Chine, on ne rencon-
trerait aucun témoignage fossile de notre espèce ? Les tradi-
tions historiques y remontent à plus de soixante siècles, quoi-
que enveloppées de ténèbres fabuleuses ; on peut donc espérer
d'y découvrir de véritables anthropolithes. J.-J. Yikey.
ANTHROPOLOGIE (du grec àvOpwTio;, homme, et
).ÔYo;, discours). C'est l'histoire de l'homme, ou de tout ce
qui le concerne au physique , ou même au moral. Les trai-
tés d'anthropologie cependant sont consacrés pour la plupait
à la description de l'organisme humain , à son anatomie et à
sa physiologie. D'autres comprennent son histoire naturelle.
Les premiers peuvent être désignés sous le nom d' anthropo-
graphie, comme présentant les conformations, la situation
locale des parties du corps, etc. On qualifie aussi à'anthro-
potomieles traités de dissection du corps humain. Virey.
ARITIIROPOMAXCIE (du grec âvQpwTroî, homme,
et(iavTï;«, divination), la plus horrible des divinations
dans laquelle soient jamais tombés les anciens ; elle consis-
tait à lire l'avenir dans les entrailles d'enfants ou d'hommes
égorgés : Héliogabale ne s'est pas seul rendu coupable de
cette atrocité; Julien l'Apostat, malgré ses lumières, s'est
souillé d'une infamie aussi monstrueuse : Cédrénus etTliéo-
phane racontent que, dans ses sacrifices nocturnes, l'em-
pereur fit tuer un grand nombre de jeimes enfants pour de-
viner l'avenir par linspection de leurs entrailles; selon les
mêmes auteurs , dans sa dernièie campagne , à Carres , en
Mésopotamie, il fit pendre par les cheveux \:ne femme dans
le temple de la Lune, et ordonna ensuite qu'elle fut ouverte
\ivantc, afin do conuaitie , par l'étude de sou foie, l'issue
de la guerre. On attribue cette même barbarie aux Scy/hes
et aux Lusitaniens. On faisait en outre une sorte d'anthro-
pomancie des cris déchirants que poussaient les enfants
immolés à Moloch , chez les Phéniciens , chei les Cartha-
ginois et chez les peuples qui empruntèrent de ceux-ci cette
épouvantable pratique. A. Savagner.
ANTHROPOMORPHISME (du grec âv6pa>7îo;,
homme, et p-opçri, forme). Les êtres anthropomorphes,
en histoire naturelle, sont de prétendus hommes marins ,
des sirènes, dont Johnston et d'autres auteurs crédules ont
tracé des figures bizarres. Certaines pétrifications offrent
aussi des traces d'anthropomorphoses. Enfin les singes peu-
vent être considérés comme anthropomorphes.
En philosophie et dans les systèmes religieux, l'opinion qui
attribue à Dieu les formes humaines est l'une des erreurs les
plus répandues et les plus vulgaires. Presque toutes les divi-
nités, chez les différentes nations du globe, sont représentées
sous le type le plus parfait de l'humanité, ou bien avec des at-
tributs de force et de grandeur supérieurs à notre espèce.
Chaque peuple donne môme à ses dieux ses propres traits ; il y
a des dieux nègres, des dieux à figure mongole ou mexicaine,
comme des dieux grecs et égyptiens par leur conformation.
— Dieu a fait l'homme à son image, dit la Genèse; « et
l'homme le lui rend bien, » a-t-on répondu. Les poètes re-
présentent les dieux passionnés , jaloux , vindicatifs, par un
anthropomorphisme moral. Nous rapportons toutes nos
conceptions à celles de la Divinité, ou , si l'on veut, nous
déifions notre nature, en l'agrandissant et en l'embellissant
au gré de notre imagination. — Origène et les premiers
Pères de l'Église, qui firent Dieu incorporel , un esprit pur,
im verbe, comme les platoniciens, passaient pour héré-
tiques , et cependant ils avaient seuls la véritable idée de la
puissance suprême ou de l'intelligence qui gouverne le
monde. — De là vint la proscription des images par les
iconoclastes, puisque les représentations de la Divinité
profanaient, en quelque manière , sa subhme invisibilité,
par des formes grossières. De même , les mahométans ne
représentent point Dieu , puisqu'il n'a rien de matériel. —
Il ne s'ensuit pas de ce qu'il est impossible de représenter
la suprême intelligence que ce soit une négation de la Divi-
nité, lorsque mille preuves démontrent l'existence de cette
toute-puissance dérobée à nos sens. J.-J. Virev.
ANTHROPOPHAGIE, mot formé des deux mots
grecs àv9pio7io?, homme, et çayeiv , manger, et qui exprime
l'action de manger de la chair humaine. Quoique certaines
espèces d'animaux carnivores s'entre-dévorent, comme les
araignées , et que le loup mange du loup, cependant la na-
ture irait contre sa propre conservation si elle inspirait
l'instinct de se nourrir de son propre sang. On citera les
appétits dépravés des lapines et d'autres femelles qui ont
dévoré leurs petits ; mais il paraît que ces animaux ne les
mangent que sous l'influence de la terreur ou à}x désespoir
qu'on ne les leur enlève. Le vieux sauvage dit à son fils
aussi : « Mange-moi, plutôt que de m'abandonner à nos en-
nemis ; et du moins que mon corps sene à te nourrir ; tes
entrailles seront mon tombeau. « Parmi les insectes, les jeunes
cochenilles vivent aux dépens de leur mère, conune le fœtus
absorbe le sang maternel : nous naissons donc anthropo-
phages.
Quelques voyageurs , Dampier , Atkins , ont douté de
l'existence des peuples anthropophages, et soutenu n'en avoir
pas \^x d'exemples ; cependant le plus grand nombre parmi
les plus dignes de confiance attestent des faits tellement cir-
constanciés d'anthropophagie que cette affreuse coutume est
aujourd'hui une vérité constante. La Nouvelle-Zélande et
d'autres îles de la PoljTiésie en offrent des témoignages ré-
cents et journaliers. Les insulaires do la Sonde et quelques
autres de l'océan Indien, au milieu môme des traces de la
civilisation , se portent à cette barbarie, non par le besoin
de subsistance, mais par resseuliment , orgueil de vcd-
ANTHROPOPnAGlK — AMIBES
C47
goanco. Lc:î chefs mangent des individus de races inférieures.
Que la nécessité de vi\TC sur un vaisseau aftainé, comme
dans riiorrible naufrage de la Mcduse, contraigne les pas-
sagers à s'ontre-manger, ce n'est pas une atrocité sans ex-
cuse. Qu'il en soit ainsi dans les guerres, lorsque des sol-
dats faméliques ne trouvent rien pour subsister que les corps
des ennemis tués , ou même ceux de leur propre nation ,
dans les déserts de la Tartarie ou parmi les vastes solitudes
américaines, l'anthropophagie se comprend. Pline, Strabon,
Porphyre, en accusent les anciens Scythes. Hérodote, Ar-
rien , l'affirment de plusieurs peuples de l'Inde. Tite-Live
prétend qu'Annibal voulait accoutumer ses troupes à se
contenter au besoin des cadavres de leurs ennemis en
Italie. Les sièges de l'antique Jérusalem, de Paris, de San-
cerrc, etc., ont pu forcer des parents à dévorer leurs enfants,
comme on Ta dit des Esquimaux, des Gaspésiens et d'au-
tres habitants des régions polaires durant leurs affreux hi-
Ters. On se croit au festin de Lycaon ; mais pourtant on est
pressé d'absoudre de si funestes situations.
Nous trouvons malheureusement d'autres preuves de
l'existence de l'anthropophagie chez une foule de nations
placées au sein de l'abondance, soit dans l'Afrique, soit dans
les deux Indes, sous des climats également fertiles. Nous en
citerions une multitude d'exemples, s'ils étaient moins con-
nus. On les attribue, soit à l'excès de la vengeance, soit à
la gourmandise.
Cette dernière opinion peut paraître d'abord invraisem-
blable ; néanmoins des faits l'établissent. Ainsi les Battas de
Sumatra disaient à Marsden {History of Sumatra) que la
plante des pieds et la paume des mains, grillées, étaient un
manger délicat, parce qu'il y a beaucoup de parties tendi-
neuses, comme dans les pieds des jeunes chameaux. Galien
rapporte {De Alimentar. Facilitât., etc.) qu'au temps de
l'empereur Commode , des Romains , raffinés dans le luxe
de la gourmandise, allèrent jusqu'à goûter de la chair hu-
maine. Vedius Pollion faisait engraisser les murènes de ses
viviers de la chair des esclaves qu'il condamnait à périr. Les
cannibales ont témoigné que la chair humaine a une saveur
supérieure à celle des animaux. ( Meiners, Diss. hist. acad.
Gctting. nov. tom., YIII p. 76. ) Le P. Labat dit que les Ca-
raïbes préfèrent celle du blanc à celle du nègre. Léonard
Fioravanti , médecin italien , s'était imaginé que cette hor-
rible coutume avait pu engendrer la maladie vénérienne,
opinion réfutée par Astruc.
Reste donc pour principale cause de l'anthropophagie la
vengeance. Des peuplades abandonnées à toute leur indé-
pendance et à leurs passions, sans lois, sur une terre in-
culte ou qui n'offre qu'une rare subsistance, payée par les
sueurs et les fatigues, ont des mœurs cruelles. Chaque in-
dividu se regarde comme roi, et ne reconnaît d'autre em-
pire que celui de la violence; s'égalant aux animaux des
forêts qu'il immole à ses besoins , il croit avoir le même
droit sur la vie de son semblable. Il fonde ses titres sur la
loi de la réciprocité, et ne doit aucune générosité à quicon-
que menace son existence. Ainsi la haine d'un ennemi, la
soif de la vengeance pour son orgueil humilié, le besoin de
nourriture souvent , l'ignorance et la férocité réunies, sur-
montèrent facilement le sentiment de répugnance qui dut
s'élever au cœur de l'homme la première fois qu'il approcha
de sa bouche la chair palpitante de son semblable. Mais il
suffit que cette coutume soit contractée pour que les repré-
sailles la propagent.
Il faudrait rappeler ici tous les tourments que se plaît à
multiplier un barbare vainqueur pour venger son orgueil en
immolant son prisonnier. Il faudrait réciter ici ces hymnes
de mort entonnées, dit-on, par les cannibales, dans leurs
festins, où ils se repaissent de lambeaux vivants, sans faire
fléchir le courage de leur victime. Ces tableaux atroces pré-
sentent néanmoins un air d'héroïsme et une grandeur in-
flexible qui nous étonnent. Ils ne sont peut-être point exa-
gérés, si l'on considère l'onorgic des sentiments de ces bar-
bares. Maintenant , à la Nouvelle-Zélande , la victime est
immolée à l'improviste , ou par derrière : c'est un progrès
d'humanité.
A l'anthropophagie se rattache manifestement l'usage des
sacrifices humains. Les premiers dieux sont représentés
conmie des ogres, qui ne peuvent être apaisés que par le sang.
Toutes les nations connues ont été soit anthropophages
dans l'origine ( Pelloutier l'a prouvé pour les peuples celtes,
et Cluvérius pour les Germains) , soit adonnées aux sacri-
fices humains ( Gcnsius l'a démontré par de nombreux té-
moignages). Moloch chez les Carthaginois, Tentâtes parmi
les nations germaniques , les sacrifices d'Iphigénie et de la
fille de Jophté sont connus. Ces hommes croyaient leurs
dieux anthropophages, et leur servaient, pour les rendre
propices, ce grand festin d'honneur.
Enfin , pour compléter l'idée de l'anthropophagie , il faut
rappeler ces dépravations criminelles, ou plutôt maladives
du goût, qui portent des femmes faibles, des personnes ner-
veuses , la plupart aliénées , à des actes forcenés d'anthro-
pophagie. Si l'on a vu des femelles d'animaux dévorer leur
progéniture, il n'est pas sans preuve que des mères , dans
un délire subit et sans doute involontaire , ont massacré ,
ont mangé leurs enfants. Il y a des hommes entiainés aussi
par des frénésies détestables à ces actions meurtrières , à ces
repas dénaturés. La médecine légale et les annales des tri-
bunaux ont recueilli de sanglantes pages sur des crimes
de ce genre. On accusait, vers la fin du dix-huitième siè-
cle, des Bohémiens de se livrer à ces abominables repas, et
plus de cent de ces misérables furent exécutés en Autriche
en 1783. Les temps de révolution, qui brisent tous les
freins, ont offert des atrocités du même genre. Ainsi Gru-
ner, Georget , etc. , ont retracé l'histoire d'anthropophages
et de criminels qui étaient évidemment des maniaques fu-
rieux. On a même cité cette coutume comme héréditaire
dans une famille eu Ecosse. J.-J. Virey.
AXTIIYLLIDE. Voyez B\ube de Jupiter.
AIVTI. Préposition empruntée à la langue grecque pour
exprimer la qualité opposée à celle que représente le mot
en tète duquel on la place , pour former un mot nouveau
dans le but d'éviter une périphrase : par exemple, antina-
tional, antifébrile , qui signifient contraire à la nation,
à la fièvre.
^VJVTI APHRODISIAQUE (de àvù, contre, et 'Açpo-
l'.-y], Vénus). On appelle ainsi les diverses substances que
l'on a crues propres à amortir les désirs vénériens, et parmi
les médicaments que l'on a décorés de ce titre figurent au
premier rang l'agnus-castus , le camphre , le nénuphar :
ce dernier surtout a joui, comme tel, d'une très-grande
réputation , et il était, dit-on , d'un fréquent usage autrefois
dans les communautés religieuses. Mais aujourd'hui ces
propriétés ont élé appréciées à leur juste valeur, et l'on
sait que les seuls antiaplirodisiaques réels sont le travail,
des aliments peu abondants et de nature végétale, l'éloigne-
ment des sujets d'un autre sexe, et, dans certains cas par-
ticuliers , les bains tièdes prolongés et les émissions san-
guines.
AXTIBES, r^n/i/Jo/is des Romains , ville du dépar-
tement des Alpes-Maritimes, à 23 kilomètres de Grasse, et
72 de Toulon , tut bâtie 340 ans avant notre ère, à peu de
distance de l'embouchure du Var, par la même colonie
grecque qui fonda Marseille. Elle est aujourd'hui bien
déchue de son ancienne splendeur. A'ille municipale ai!
temps d'Auguste, elle possédait un théâtre et d'autres
édifices publics, dont il reste à peine quelques ruines, mais
qui prouvent que sa population devait être considérable.
Un commerce actif animait son port, où la pêche du thon
occupait un grand nombre de bras, et où maintenant des
bâtiments d'un très-faible tonnage peuvent seuls trouver un
abri.
C48
AISTIBES — AÎNTICYRE
De la domination des Homains, Anlibes passa successi-
vement sous celle des Wisigoths, desOstrogotiis, des Francs,
des Bourguignonir. Elle fut à plusieurs reprises ruinée i)ar
les Sarrasins et les Maures d'Afrique. Jusque vers 1250 ,
elle fut le siège d'un évôché. Plusieurs rois de France,
François T' et Henri IV entre autres, la firent fortifier.
Elle fut assiégée en 1746 par une année anglo-impériale que
commandait le général Brown. Après vingt-neuf jours de
bombardement, l'ennemi se retira à la nouvelle de l'arrivée
du marécbal de Bclle-Isle. Le comte de Sade l'avait défendue
durant ce siège mémorable. En 1813 Antibes opposa éga-
lement une opiniûtre résistance aux Autricbiens.
Elle a conservé encore quelque importance militaire, grâce
à ses fortifications, bien qu'elle ne soit rangée que dans la
troisième classe de nos places frontières. Sa citadelle, bitie
sur un rocber, la protège contre toute attaque hostile du
«:otè de rilalie. Tout pi es li'Autibes, ou visite, au milieu des
montagnes, la Sainte IJaum e, vaste grotte creusée par la
nature à 914 mètres au-dessus du niveau de la mer et ornée
de belles stalactites.
ClieMieu de canton de l'arrondissement de Grasse, Antibes
compte 4,744 habitants. Cette ville possède un trilnuial
<ie commerce, des chantiers de construction navale, une
école d'hydrographie, un magasin général de la régie des
tabacs, et exporte du bois, du tabac, des salaisons, de l'huile,
des vins, des fruits secs, des poteries, de l'argile à potier,
et de la parfumerie.
A un kilomètre à l'ouest est situé !e golfe Jouan, ou
Gour-.lan, une des rades les plus belles et les plus sOres
de la Méditerranée. C'est là, près de Cannes, que Napoléon,
revenant de l'île d'Elbe, débarqua,le 1" mars IS15. Quelques
grenadiers, qu'il envoya sommer Antibes de se rendre, fu-
rent faits prisonniers; et pourtant le commandant de la
place était Corse; mais qui eiH osé prévoir alors le succès
inouï de ce miraculeux retour?
AXTICIIAAllillE. On appelle ainsi la première pièce
d'un appartement, où se tiennent les domestiques, pour
être à portée de recevoir les ordres de leurs maîtres. Dans
les grandes maisons , où les réceptions du soir se prolon-
gent quelquefois fort avant dans la nuit, l'antichambre est
le lieu où les laquais des visiteurs attendent leur sortie, pour
les revêtir de leurs manteaux et de leurs pelisses et faire
avancer leurs voitures. Pendant ces longues heures de loi-
sir, où il faut tuer le temps, une certaine intimité finit
par s'établir entre ces valets de toutes les livrées; la con-
versation s'engage, et ce sont naturellement les maîtres qui
en font les frais. Ce serait sans contredit un enseignement
des plus instructifs pour ces derniers que de pouvoir assis-
ter incognito à ces entretiens familiers , où la langue de
gens qui les voient de si près s'exerce librement et sans
contrainte sur leur compte. L'antichambre est alors un con-
ciliabule où les laquais tiennent leurs assises et font com-
paraître leurs maîtres, avec leurs prétentions, leurs vanités
et leurs travers. Que de choses un mari pourrait apprendre
ih sur sa femme, ou un amant sur sa maîtresse! Aujour-
d'hui, que tout le monde se mêle d'écrire ses mémoires,
un valet de i)ied ou une femme de chambre de bonne mai-
son (jui voudraient dire tout ce qu'ils savent pourraient faire
sur notre société les révélations les plus piquantes, et tracer
des tableaux d'intérieur dignes de la curiosité publique.
Les antichambres pohtiques sont le théâtre d'une autre es-
pèce de comédie. Ce ne sont plus les mystères de la vie pri-
véequi s'y jouent; c'est là que manœuvrent les membres d'une
classe importante et nombreuse, celle des solliciteurs. Or,
l'A B C pour un solliciteur est de savoir faire anticJiam-
bre , c'est-à-dire d'attendre patiemment l'audience d'un mi-
nistre. Ces antichambres sont le rendez-vous de toutes les
ambitions en expectative, de tous les mendiants en car-
rosse, de toutes les parties prenantes au budget qui aspirent
à en prendre une i)lus grosse part. Heureux encore les solli-
citeurs quand ils ont affaire au ministre lui-mt'me, qui le
plus souvent est un homme bien appris et de bonne com-
pagnie! Mais qu'ils sont à plaindre lorsqu'ils sont à la merci
d'un subalterne dont l'insolence croit en raison inverse de
son rang! Les commis et secrétaires de nos ministres ne
devraient jamais perdre de vue une des scènes d'anticham-
bre les plus piquantes AaGil Blas : c'est celle où le comte de
Pedrosa donne une si rude leçon de politesse à Calderone,
secrétaire du duc de Lerme. Par malheur , l'exemple du
passé est toujours impuissant pour corriger l'avenir, et les
liabitués des antichambres ministérielles prétendent qu'il
est encore parmi les familiers de nos excellences plus
d'un faquin qui, une fois assis sur son fauteuil de maroquin
vert, ne tarde pas à prendre le vertige et à se méconnaître ,
sans songer au tort qu'il fait à son maître par ses imperti-
nences.
Faut-il encore citer ici les antichambres des palais et des
maisons souveraines? Là les serviteurs portent des habits
brodés et s'appellent chambellans, courtisans, etc.; là s'or-
ganisent les camarillas , soit en jupon , soit en épaulettes,
soit en soutane ; là s'ourdissent les trames destinées à don-
ner le change àl'opmion publique et à couvrir les influences
réelles sous le voile d'un pouvoir fictif; là le langage est
plus choisi, les manières sont plus élégantes, les meurs plus
raffinées , mais le fond est toujours le même. Artau».
AKTiCIIRÈSE. C'est un contrat par lequel un débi-
teur remet à titre de nantissement a son créancier un
immeuble afin que celui-ci se paye avec les fruits. L'anti-
clirèse ne s'établit que par écrit ; elle diffère essentiellement
de l'h y p 0 1 h è q u e, en ce qu'elle ne donne aucun droit sur le
fonds de l'immeuble. Le créancier n'a qu'un simple droit de
jouissance ; mais il peut consener le gage jusqu'à ce que sa
créance soit éteinte , sans que jamais il puisse acquérir la
propriété par prescription. Voir les articles 2085 à 2091
du Code Civil.
AlXTICIPATIOI\(dulatmon^ecopcre,preudre avant).
En termes de rhétorique, on donne ce nom à une figure
par laquelle l'orateur se propose des objections qu'il prévoit
pouvoir lui être faites , et les réfute à l'avance. — En mu-
sique , on désigne par ce mot tout accord dans lequel ou
retrouve une ou plusieurs notes de l'accord qui va suivre.
11 y a anticipation de la note au grave ou à l'aigu quanri
elle est exécutée plus tôt que l'harmonie ne l'indique. 11 y a
encore anticipation lorsqu'on applique deux ou plusieurs
sons d'un accord à la note de basse immédiatement avant
celle qui porte ce même accord.
Dans l'ancienne législation française , on appelait anti-
cipation une commission du juge d'appel portant permis-
sion à l'impétrant de faire assigner l'appelant à certain jour
pour voir procéder sur l'appel. Autrefois en effet l'appelant
avait pour interjeter appel un délai de trois mois devant les
cours souveraines , de quarante jours devant les présidiaux,
bailliages, etc. ; long délai, qui pouvait être préjudiciable au
défendeur sur l'appel , que l'on appelait Vintimé, et qui dans
ce cas avait recours à Vanticipation pour hâter la décision
décisive et souveraine.
ANTICOXSTITUTIOATV AIRES. On appelait ainsi,
dans Ifc dix-huitième siècle, les jansénistes, parce qu'ils re-
jetaient la constitution Uni'jeniliis.
ANTICOiWULSIOXXISTES. On nommait ainsi les
jansénistes raisonnables, qui blâmaient les extravagances de
leurs conhères et leurs prétendus miracles au tombeau du
piètre Rousse à Reims, et à celui du diacre Paris dans le
cimetière de Saint-Médard, à Paris.
AMTI-CORN-LAW-LEAGUE. Voyez Cobden.
Ai\TICYRE. Deux villes de l'antiquité ont porté ce
nom : l'une était située sur le mont Œfa, en Thessalie;
l'autre dans la Phocide, sur le golfe de Corinthe. A une
époque très-reculée, cette dernière s'était appelée Cijpa-
risse; c'est YAspro-Spitia d'aujourd'hui. Comme aux envi-
ANTICYRB — ANTIGNAC
rons (le toutes Jeux croissait en abonilancc l'ellébore, plante
qui , parmi les anciens , avait la réputation de purifier le
cerveau et de guérir la folie , on disait proverbialement d'un
sot importun : Qu'il aille à Anticyre!
AMTIDATE , date qui a précédé celle du jour où l'on
écrit , indiquant par conséquent un temps antérieur à celui
où l'acte est réellement passé, et supposant toujours vo-
lonté réfléchie de la part de ct'lui qui date. C'est quelquefois
un faux, et toujours une fraude. Quand l'erreur est involon-
taire, on dit/flM55e date.
Dans notre jurisprudence actuelle, les actes sous seing
privé n'ont de date réellement certaine vis-à-vis des tiers
que du jour de leur enregistrement ; c'est une formalité que
la loi de 1790 a substituée à celle du contrôle ; opération qui,
dans notre ancienne législation, avait à peu près le même
but, c'est-à-dire de donner aux actes une date certaine,
mais qui ne s'appliquait qu'aux exploits d'huissier et aux
actes notariés.
ANTI-DICO-^LIRIAXITES , hérétiques du qua-
trième siècle, en Arabie. Ils piécbaient contre la virginité
de Marie après l'enfantement de Jésus, et prétendaient que
plus tard elle avait eu plusieurs enfants de saint Joseph.
Les conciles ne s'en mêlèrent point, et cette hérésie tomba.
AIXTIDOTAIRE. Voyez Codex.
^VA'TIDOTE (de àvù, contre, et de ôi56vat, donner ).
Autrefois on désignait par ce mot toutes les substances mé-
dicamenteuses , tous les composés pharmaceutiques em-
ployés pour combattre les maladies de l'homme. Mais de
nos jours on en a restreint beaucoup la signification , et on
ne s'en sert plus que pour désigner les remèdes qui jouis-
sent de la propriété de neutraliser les venins et les poi -
sons. Les anciens admettaient un grand nombre de ces re-
mèdes particuliers, dont les vertus, complètement illusoires,
se sont éclipsées lorsque les expérimentateurs modernes en
ont fait l'objet de leurs investigations. En revanche, les pro-
grès de la chimie nous ont fait découvrir quelques antidotes
véritables, c'est-à-dire susceptibles de décomposer certains
poisons, ou de se combiner avec eux de manière à donner
naissance à un nouveau produit qui n'exerce aucune action
délétère sur l'économie : ainsi, l'albumine et le lait contre
le sublimé corrosif ou deutochlorure de mercure , le sel de
cuisine contre le nitrate d'argent, les acides contre les poi-
sons alcahns, les alcalis faibles (la magnésie surtout ) contre
les acides , le chlore contre l'acide prussique, la solution
aqueuse de tannin ou la déroclion récente de noix de galle
cxjntre les préparations antimoniales et les alcaloïdes végé-
taux et les substances qui en contiennent ; les sulfates de
soude et de magnésie et l'eau sélénitaire ou de puits contre
les préparations solubles de baryte et de plomb ; enfin l'hy-
drate de peroxyde de fer contre l'arsenic, etc. Cependant ,
comme ces divers contre-poisons agissent d'une manière
purement chimique, il en résulte qu'ils ne peuvent être
utiles que lorsqu'ils sont administrés immédiatement ou du
moins très-peu de temps après l'introduction de la sub-
stance vénéneuse dans les organes digestifs. S'il en est au-
trement, leur efficacité disparaît ; c'est à d'autres moyens
qu'il faut alors recourir.
ANTIEiVi\E ou ANTIPHOXE (du grec àvtl, contre,
etifcoviP), son, voix). Vantiphonie était dans la musique
des anciens Grecs le chant à l'octave et à la double octave,
par opposition à V homophonie ou chant de l'unisson ; mais
plusieurs écrivains ont aussi employé le mot àvTiçiwvetv
dans le sens littéral de contresonner ; par extension, les
molsantiphoneon antiennes\^,mAtnialternatiov , réponse.
C'est de cette manière qu'il était employé dans les premiers
siècles de l'Église, etanii/j/ioner voulait dire alors alterner
les versets des psaumes, des prophéties , des hymnes , etc.
Quelques llébraïsants ont entendu de la môme manière cer-
tains passages de l'Écriture, qui représentent, disent-ils,
les anges se répondant l'un à l'autre. Le chant alternatif
DICT. DE LA CO.NVtKbATlO.N. — T. I.
ni9
était en usajic chez les Thérapeutes ; mais les historiens des
premiers temps du christianisme, ne voulant pas que les
chrétiens aient emprunté cette coutume à desJuits, pré-
tendent que les anges eux-mêmes l'enseignèrent à .saint
Ignace. D'autres en rapportent l'origine aux temps apos-
toliques. Quoi qu'il en soit, léchant antiphonique, admis d'a-
bord dans l'Église orientale, fut introduit dans l'Église occi-
dentale par les soins de saint Ambroisc {voyez Amiirosiej»
[Chant]), et une fois reçu dans le culte , il y fut toujours
conservé. Il s'appliqua d'abord aux psaumes , puis aux
hymnes, puis aux proses ou séquences , et enfin à d'autres
parties de l'olfice, et notamment aux parties chantées de l'or-
dinaire des messes, telles que Kyrie, Gloria in excelsis, etc.
L'antiphonie était donc dans les premiers siècles de' l'É-
glise une manière spéciale d'exécuter, et les mots antiphone
ou antienne ne pouvaient encore designer une pièce de
chant quelconque ; cette nouvelle acception avait prévalu
et était communément reçue au temps de saint Grégoire ;
elle indiquait, comme encore aujourd'hui, un morceau de
peu d'étendue ordinairement attaché à un psaume, et quel-
quefois tiré du psaume même. Il est fort difficile d'établir
à quelle époque s'est introduit l'usage de ces morceaux
chantés tels que nous les concevons aujourd'hui. Ceux qui
attribuent leur origine à saint Ambroise, et c'est le plus
grand nombre, n'expliquent pas suffisamment le sens pré-
cis qu'ils attachent au mot antiphone.
On peut trouver dans la manière actuelle de chanter les
antiennes une trace, bien légère à la vérité, de leur dénomi-
nation originale : c'est la répétition même du morceau qui
porte ce nom, et qui, chanté d'abord avant le psaume, se
reproduit après le Gloria Patri, soit que l'on chante le
psaume dans son entier, comme aux vêpres, aux matines, etc. ,
soit qu'on n'en dise que le premier verset , comme dans
les introïts ou prières de même coupe, tels que Asperges
me, etc. ; Vidi aquam, etc.
L'antienne n'est donc plus aujourd'hui qu'un court mor-
ceau en plain-cliant , qui, dans son usage le plus commun,
se rattache aux psaumes pour les commencer et les termi-
ner. En conséquence , l'antienne et le psaume doivent être
du même mode, et la terminaison du psaume doit se trouver
telle que l'antienne puisse s'y rattacher convenablement. Le
nombre des antiennes varie selon la solennité des offices ;
la manière de les commencer offre une particularité qui
doit être notée : un choriste annonce l'antienne à un
membre du clergé en prononçant à voix basse les premiers
mots : c'est ce que l'on appelle iHj/J05er l'antienne; celui
qui a reçu cette annonce commence à haute voix les pre-
miers mots qui lui ont été indiqués , et le chœur poursuit ;
puis l'on chante le i)saume, et l'on reprend l'antienne en
chœur sans imposition ni intonation. Dans quelques dio-
cèses , notamment dans celui de Paris, on ne chante l'an-
tienne qu'après le psaume ; mais on fait auparavant l'impo-
sition et l'intonation comme si elle devait être dite tout
entière. Outre les antiennes des psaumes , il y a des an-
tiennes de mémoire, qui se chantent à la suite de celles
de Benedictus et de Magnificat, et rappellent une fête que
par une raison quelconque on ne célèbre pas. Il y a d'au-
tres antiennes, qui ont pour objet la demande à Dieu de cer-
taines faveurs ou l'invocation de certains saints, et particuliè-
rement des patrons. Enfin il y en a qui s'adressent spéciale-
ment à la Vierge Marie, et qui, plus étendues que les autres,
s'appellent grandes antiennes. Ces dernières sont toujours
sui\ies d'un verset et d'une oraison. Adrien de Lafage.
AIVTIGNAC ( Antoine ), chansonnier agréable, était
en même temps employé à la poste aux lettres ; ce qui lui
donnait, disait-il, un double droit au titre d'Ao?«we de
lettres. Né le 5 décembre 1772 , à Paris, bien que son nom
sente un peu la Garonne, il fut l'un des chansonniers les plus
joyeux et les plus féconds du Caveau moderne, et sa muse
égayait également les banquets maçonniques. Ses couplets
82
650
AISTIGNAC — ANTIGONE
sont bien écrits, offrent des idées plaisantes, naturelles,
enjouées; mais on y clicrclierait en vain la verve entraî-
nante de Désaugiers. Aiitignac fut moins heureux lorsqu'il
voulut célébrer les rois. Après avoir fait une plate chanson
pour Louis XVIII , il célébra le retour de l'empereur , ce
qui lui valut une place dans le Dictionnaire des Giroticttes.
Il mourut à Paris, le 21 septembre 1823, à peine âgé de
quarante-cinq ans. Désaugiers a consacré à sa mémoire
des couplets chantés dans la séance de réouverture des ban-
quets du Caveau moderne, le 10 octobre 1825. Quelques
hymnes et quelques cantiques de la composition d'Antignac
se chantent encore dans les solennités maçonniques.
Ch. DU Rozoïn.
AIVTIGO A ou AXTIGUE , île anglaise des petites An-
tilles, et siluée h C4 kilom. nord de la Guadeloupe,
par 17" 4' 30" de latitude nord et 64° 15' de longitude ouest
méridien de Paris. Elle a environ cinq myriamètres de super-
ficie, et compte une population de 60,000 ûmes, 25,000 blancs
et 35,000 nègres, dont 6,000, convertis par les Hernhutcs,
professent leur foi religieuse. Découverte par Christophe Co-
lomb en 1493, les Anglais n'en prirent possession qu'en 1630;
et ce ne fut qu'en 10G6 que le roi Charles II donna à
lord Willoughby l'autorisation d'y, fonder une colonie. Au
sud de l'ile , les monts Shekerley forment une chaîne dé-
licieuse. Monkshill, le plateau le plus élevé, est cultivé dans
ses moindres parcelles jusqu'au sommet. Le reste du pays
est plat.
L'atmosphère embrasée qu'on respire sous cette latitude
est rafraîchie par les vents d'ouest; des pluies fréquentes
ainsi que d'épais brouillards y suppléent à la rareté de l'eau
de sources. Entourée d'écueils , cette île est d'un abordage
dangereux ; cependant elle sert ordinairement de mouillage
aux flottes de l'Angleterre, qui y trouvent toute sécurité
et les facilités les plus grandes pour se ravitailler et faire
les réparations nécessaires. Son port, English Jlarbour,
est le chantier le plus sûr et le plus propre au radoub qu'il
y ait dans ces mers ; il s'y trouve d'ailleurs un bel et riche
arsenal de marine. Le gouvernement se compose d'un gou-
verneur, qui est en même temps commandant en chef
des Iles sous le Vent, d'un conseil législatif de douze mem-
bres et d'une assemblée coloniale de vingt-cinq.
Antigoa , divisée en cinq paroisses , est la résidence du
gouverneur. Saint-John's Town , assez grande ville, puis-
qu'on lui accorde une population de 16,000 âmes , impor-
tante d'ailleurs par son commerce et par son port, en est le
chef-lieu. On évalue les terres arables de l'îleà 34,000 acres,
qui produisent en abondance du sucre , du coton , de l'in-
digo , du gingembre , du tabac , des ananas , etc. On y
trouve beaucoup de bèîes à cornes, de chevreuils, de porcs,
de poissons , et «les tortues de la plus grande espèce.
ANTIGONE, Antigona, née du mariage incestueux
d'Œdipe et de Jocaste , partagea , quoique innocente , la
malédiction qui pesait sur sa famille {voyez Étéocle et
Œdipe ). Célèbre par sa piété filiale , elle servit de guide à
son père aveugle et proscrit, et l'accompagna dans son
exil. Après la mort d'Étéocie et de Polynice , frères de cette
princesse, Créon ayant défendu expressément d'enterrer le
corps de celui-ci , Anligone revint à Thèbes pour lui rendre
les derniers devoirs ; Créon la condamna à être enterrée vi-
vante , mais elle s'étrangla. Sophocle a illustré la mémoire
d'Antigone en choisissant sa mort pour sujet d'une tragédie
dont les Athéniens furent si satisfaits qu'ils récompensèrent
l'auteur en lui donnant le gouvernement de Samos.
AIMTlGO\E,yl/i<(r7o>!H5, surnommé le Cyclope, parce
qu'il était borgne, issu , disait-on, du sang des Héraclides,
fut un des généraux d'Alexandre , qui lui confia , après ses
premières conquêtes en Asie, les gouvernements de la
Lycie, de la Pamphylie et de la Phrygie. Antigone, quoi-
qu'il n'eût à sa disposition que des forces peu importantes,
ait défendre ces provinces , et coni]uérir niOme la Lycaouie.
Lorsque , après la mort d'Alexandre, ses généraux par-
tagèrent entre eux les dépouilles du grand conquérant , An-
tigone reçut la grande Phrygie , la Lycie et la Pamphylre.
Perdiccas , qui chercha à réunir sous sa domination tous
les États d'Alexandre, et qui redoutait l'activité d'Antigone,
l'accusa d'avoir enfreint les ordres du feu roi. Antigone ,
devinant les desseins de Perdiccas , s'embarqua secrète-
ment pour l'Europe, se rendit auprès de Cratère et d'Anti-
pater , qui déclarèrent conjointement avec Ptolémée la
guerre à Perdiccas , que ses propres soldats assassinèrent.
Toutefois, comme Eumène, général de Perdiccas en Asie,
avait encore un parti puissant , Antigone continua seul à lui
faire la guerre ; il le vainquit et le fit exécuter. C'est ainsi
qu'il devint en peu de temps maître de presque toute l'Asie,
car Séleucus , qui régnait en Syrie , et qui avait tenté de
lui résister, fût vaincu et obligé de chercher un asile chez
Ptolémée. Antigone s'empara aussi de la plus grande partie
des trésors d'Alexandre entassés à Ecbatane et à Suse , et
refusa d'en rendre compte à Cassandre et à Lysimaque. Il
alla plus loin ; il déclara la guerre au premier pour venger,
à ce qu'il disait , la mort d'Olympias , et délivrer le jeune
Alexandre , qui était , avec sa mère Roxane , à Amphipolis.
Tous les généraux , révoltés contre l'ambition démesurée
d'Antigone, se coalisèrent contre lui. Ptolémée et Séleucus
pénétrèrent en Syrie , où ils battirent Démétrius , fils d'An-
tigone; Cassandre , de son côté , attaqua l'Asie Mineure;
Séleucus reprit Babylone.
A peine Antigone eut-il appris ces événements, qu'il
retourna sur ses pas , força Ptolémée d'abandonner ses con-
quêtes , et enleva de nouveau Babylone à Séleucus. Sur ces
entrefaites , Antigone , Ptolémée, Lysimaque et Cassandre
firent un traité de paix , d'après lequel chacun d'eux devait
garder le gouvernement des contrées dont il était en pos-
session jusqu'à la majorité du jeune Alexandre, qui avait
déjà le titre de roi ; mais lorsque Cassandre eut fait périr
ce derm"er avec sa mère , la guerre se ralluma entre les
possesseurs des grandes provinces. Antigone prit alors le
titre de roi ; mais il dut renoncer à reconquérir l'Egypte ,
parce qu'une tempête détruisit une partie de sa flotte et que
Ptolémée rendait impossible toute invasion par mer. Peu
après , le jeune Démétrius chassa Cassandre de la Grèce ;
mais ce dernier appela Lysimaque à son secours. Celui-ci
entra en Asie avec une puissante armée, et Séleucus se joi-
gnit à lui. Enfin une bataille fut livrée près d'Jpsus, en
Phrygie , l'an 301 avant J.-C. ; Antigone y fut vaincu et tué
à quatre-vingt-quatre ans , et le royaume d'Asie s'éteignit
avec lui ; mais ses successeurs continuèrent à régner en
Macédoine.
Deux autres Axticoxe méritent d'être mentionnés. L'un,
fils de Démétrius Poliorcète et petit-fils du grand Antigone,
surnommé Gonatas , s'empara de la Macédoine l'an 277
avant J.-C, et régna trente-trois ans. 11 en fut expulsé
quelque temps après par Pyrrhus, roi d'Épire ; puis il bat-
tit les Gaulois qui y avaient fait aussi irruption, et s'empara
d'Athènes. — L'autre, Antigone Doson , régna de 232 à 221
avant J.-C. Chef de la ligue Achéenne, il battit Cléoniène et
s'empara de Sparte, d'oii une révolte le rappela niissilAt.
ANTIGONE, roi des Juifs, fils d'Aristobule II, naquit
vers l'an 80 av. J.-C. Lorsque son père eut été empoisonné
par des partisans de Pompée, et que son frère eut suhi le
dernier supphce à Antioche, en l'an 49, il se vit chassé lui-
même de la Judée par Anlipater et par ses fils Hérode et Ha-
sacl, et tenta vainement de rentrer en possession de ses États.
Ce fut seulement par suite de la guerre qui éclata entre les
Romains et les Paitlies, qu'avec Va\)p\i\ de ceux-ci il put re-
venir à Jérusalem, d'où il expulsa Ilérode. Le sénat de Rome
le déclara alors ennemi de la république, et Marc- Antoine
fut chargé de mettre à exécution ce décret , qui ne devait
plus laisser d'espoir à Antigone. Jérusalem, après un siège
(pii avait duré chiq mois, fut prise par Sosius, lieutenant
antigom: —
d'Antoine; et le roi Jes Juifs impJora vainoment la ^ràce
(lu vaimiiieur. Il Ait mis l'i mort ;\ Antioclie, ai)iès avoir
d'abord été piil)li(]uement battu de verges.
AXTIGOXE Carystiiis , c'est-.Vdire de Carj'sti^, ainsi
surnommé parce qu'il était né à Caryste dans Pile d'IJibée ,
contemporain de Ptolémée Pliiladelpiie, qui vivait vers l'an
270 av. J.-C. , est l'auteur d'une collection d'Iiistoires mer-
veilleuses compilée d'ai)réi des recueils analogues et anté-
rieurement composés , dont Bcckmann a donné une édition
(Leipzig, 1791), corrigée par Westermann dans sa collec-
tion des Scriptorcs renim mirabiliitmgra'ci ( Brunswick ,
1830). 11 avait aussi écrit une Histoire des Anityiaiix , un
Traité du style, un poème épique intitulé Antipatev , des
Métamorphoses , entin des Vies d'écrivains célèbres. Tons
ces ouvrages sont perdus, et nous n'en connaissons les
titres que par la mention qu'en font divers auteurs anciens,
entre autres Diogène Laërce, Athénée et Eusèbe.
AiVTIGbXiDES, dynastie qui régna après la mort
(R\lc\anilre sur ia grande Phrygie, la Lycie et la Pamphilie,
et qui descendaitd'Antigone, lieutenant de ce grand roi.
On comprend sous ce nom sept princes : Antigone, Démé-
trius Poliorcète, Antigone Gonata';, Démétrius IT, Antigone
Doson, Philippe et Percée , on qui s'éteint cette dynastie.
AXTILKGOMÈMvS. Viv/cz IIouolôgoumènes.
Ai\TI - LIBAX. 1 oye: Liban.
ANTILLES. Aucune mer connue ne possède im archipel
aussi étendu, composé d'iles aussi nombreuses, aussi fertiles,
aussi importantes sous le double rapport de la richesse et
du conunerce, que le vaste groupe des Antilles, compris entre
les 24» 12' et 12° 10' de latitude septentrionale, et les 82"
et 62° de longitude occidentale du méridien de Paris. Cette
dénomination leur vient, ou d'une île imaginaire appelée An-
tillia, ou des deux vieux mots espagnols ante islas, avant-
îles, îles situées en vedette aux approches du continent
américain. Les Antilles étant les premières terres du Nouveau-
Monde que découvrit Christophe Colomb en 1492, et l'opi-
nion de cet homme célèbre , qui croyait voir en elles les
parties de l'Inde les plus avancées vers l'ouest leur ayant
valu le nom A^ Indes occidentales, cette dénomination res-
treinte a été adoptée par quelques géographes, bien que gé-
néralement elle soit appliquée dans un sens plus étendu à
l'Amérique entière, septentrionale, centrale et méridionale,
insulaire et continentale.
Les Antilles sont parsemées dans l'échancrure profonde
que forme le golfe du ^Mexique ; l'une de leurs extrémités ,
que dessine l'ile de Cuba, fait face à la côte de l'État conti-
nental de Yucatan, dont elle n'est séparée que par un dé-
troit de 100 kilom. ; l'autre, que détermine l'île de la Tri-
nité , est presque sous le même parallèle que le milieu de
l'embouchure de l'Orénoque. L'archipel entier est composé
de quarante-cinq îles cultivables et d'une multitude d'îlots
plus ou moins nus et stériles. La superficie totale du groupe
est de 2,475 myriam. carrés; sa population, de plus de trois
millions d'habitants, européens, créoles, nègres, métis ou
gens de couleur (mulâtres, quarterons, quinterons, etc.).
Voici maintenant comment les nations européennes clas-
sent en général ces diftérentcs îles. Sous le nom de Grandes
Antilles elles rangent les îles sous le Vent, Cuba, la Ja-
maïque, Haïti et Porto-Rico. Les Petites Antilles , ou îles
Caraïbes (Charibean Islands des Anglais), se composent
de Saint-Jean, Saint-Thomas, Sainte-Croix, Tortola, Vir-
gin-Gorda, Aniguada , l'Anguille , Saint-Martin , Saint-Bar-
thélerny, Saba, Saint-Eustache, Saint-Christophe, Nieves,
la Barboude, Antigoa, Montserrat, la Guadeloupe, la Dé-
sirade , les Saintes , Jlarie-Galante , la Dominique , la Mar-
tiniqu»', Sainte-Lucie, la Barbade, Saint-Vincent, Tabago,
la Trinité, la Grenade, les Grenadins, petit archipel dépen-
dant du gouvernement de l'Ile précédente et dans lequel on
distingue, outre un assez grand nombre d'îlots peu impor-
tants et dont plusieurs ne sont pas même susceptibles de cul-
ANTILOQUE C-'ii
ture, Récouya, Canavan, Carlacou et l'Union, enfin l« Mar-
guerite, Tortuga, los Rocjucs, Orchilla, Avos, Curaçao,
I5uen-Ayrc et Aruba, sans parler d'une multitude d'îlots
stériles et inhabités, ainsi que des récifs ou caycs dont cette
partie du golfe est encombrée.
Presque tous les peuples navigateurs et commerçants se
sont accordés dans la désignation des Antilles sous le nom
telles du Vent et d'//C5 sous le Vent ( en anglais Wind-
xvard Islands et Lceumrd Islands ) ; et cependant cette
distinction, peu rationnelle, ne repose que sur la situation
respective, vaguement déterminée, de celles qui reçoivent
les premières les vents d'est, soufllant sans cesse dans ces
l'arages, et sur la position non plus certaine de celles sur
lesquelles il n'arrive que plus tard. Les Iles sous le Vent
sont Cuba , la Jamaïque, Porto-Rico , la Marguerite , Tor-
tuga, los Roques, Orchilla, Aves, Curaçao , Buen-Ayre et
Aruba; toutes les autres sont réputées Iles du Vent. On
donne aussi généralement le nom iVIles des Vierges à un
groupe dont Saint-Thomas et Sainte-Croix sont les îles
principales.
Les .\nglais possèdent dans les Antilles la Jamaïque, la
Barbade, la Grenade, les Grenadins, Saint-Vincent, Sainte-
Lucie, Tabago, la Trinité , la Dominique , saint-Christophe ,
Antigoa, Nieves, Montserrat, Tortola, Virgin-Gorda, l'An-
guille et la Barbou'le ; les Français, la Martinique, la Guade-
loupe et ses dépendances , Marie-Galante , les Saintes , la
Désirade, et la partie trançaise de Saint-Martin ; les Espa-
gnols, Cuba et Porto-Rico ; les Vénézuéliens, la Marguerite,
Tortuga, et los Roques ; les Hollandais, une partie de Saint-
Martin, Saba, Saint-Eustache, Aves, Curaçao, Buen-Ayre
et Aruba; les Suédois, Saint-Barthélémy; et les Danois,
Saint-Jean , Sainte-Croix et Saint-Thomas. Haïti seule est
indépendante, et Aniguada n'est q'.i'un désert inculte.
Le climat des Antilles est brûlant ; il y a deux saisons, la
sèche, et la pluvieuse, qui dure trois mois. Ces îles sont su-
jettes à la fièvre jaune et à d'épouvantables ouragans et raz
de marée. Leur fertilité est sans égale ; leurs principales
productions sont le sucre, le café et le rhum,
AJVTILOGIE ( d'àvù , contre , et deXôyo;, discours),
contradiction de mots ou de passages dans un auteur. Jac-
ques Tirin a fiiit un grand indice ( index ) des antilogies de
la Bible, qu'il a cherché à concilier et à expliquer dans ses
commentaires sur ce livTC sacré.
AJVTILOPE , genre de mammifères de la famille des
ruminants et de la section des ruminants à cornes creuses
entourant un noyau osseux , solide , dont les espèces sont
nombreuses, et la plupart remarquables par leur légèreté à
la course, et qui se rangent entre les chèvres et les cerfs.
Les contrées méridionales de l'Afrique, et surtout le Cap
de Bonne-Espérance, en offrent une grande quantité, dont
les plus remarquables sont le condoma, qui se distingue
par la longueur de ses cornes; le gnou,\& c aama, que
Buffon confond avec le bubale; et \qs gazelles, dont
les yeux doux et brillants sont le sujet fréquent de compa-
raisons amoureuses chez les poètes orientaux. Les isars
on chamois des Alpes et des Pyrénées sont classés aussi
parmi les antilopes.
AIVTILOQUE , fds de Nestor et d'Anaxibie , et selon
d'autres d'Eurydice. C'était le plus jeune des héros de l'ar-
mée grecque qui firent le siège de Troie. A une mâle beauté,
à la vigueur et à la soui>lesse des membres, il joignait la va-
leur la plus brillante. L'amitié qu'Achille lui portait le fit
choisir pour aller annoncer à ce héros la mort de Pa-
trocle. Aux jeux funèbres célébrés à ses obsèques, il rem-
porta le troisième prix de la course. Antiloque tua de sa
main un grand nombre de guerriers troyens : un jour il
eut mônii- la gloire d'arracher Neptune du milieu de la m.6-
lée. Enfin , il succomba en défendant son vieux père, qui,
serré de près par l'Ethiopien Memnon, suivant les uns, par
Hector, selon d'autres, avait appelé son fils à son secours;
82.
652 ANTILOQUE
c'est ce qui lui a fait donner le surnom de Philopator. Il
fut enterré sur le mont Si{;éc.
AJVTIMAQUE, poète grec, né à Claros, suivant Ovide et
Cicéron, et à Coloplion, selon d'autres, florissait dans le cin-
quième siècle avant J.-C. 11 s'est surtout rendu célèbre par
son poème épique de la Thébaïdc, volumineuse composition
que les critiques de l'école d'Alexandrie n'ont pas craint de
comparer à V Iliade d'Homère. L'empereur Adrien lui don-
nait même la préférence sur ce chef-d'œuvre des épopées. Éper-
dument épris de la belle Cliryséis , Antimaque la suivit en
Lydie, sa patrie, où elle mourut entre ses bras. A son retour,
il chercha un adoucissement à ses regrets en chantant les
perfections de son amante , et composa sur sa mort une
élégie qui avait pour titre la Lydienne, mais dont de très-
courts fragments sont seuls parvenus jusqu'à nous.
Quintilien dit de sa Thébaïde que la disposition de cette
épopée n'est pas fort heureuse, et qu'on y rencontre fré-
quemment des vers entiers textuellement pris à Homère.
On reproche, en outre, à ce poème de l'enflure, un travail
pénible et trop constamment visible, une grande sécheresse
de style, enlin l'absence de chaime et de sentiment. Même
dans sa Lydienne, Antimaque ne fait pas preuve d'une sen-
sibilité véritable, car il y a du faste dans sa douleur. Ainsi,
au lieu de peindre avec simplicité la perte cruelle qu'il a
faite, il établit de prétentieuses comparaisons entre ses
soufl'rances et celles des héros grecs de l'antiquité. En dépit
de ses défauts , Antimaque n'est cependant pas tout à fait
sans mérite. C'est, du reste, àtort qu'on l'a rangé parmi ceux
qui les premiers s'occupèrent de corriger les œuvres d'Ho-
mère et de les mettre en ordre. L'édition la plus complète
des fragments de la Thébaïde d'Antimaque parvenus jus-
qu'à nous est celle qu'a publiée Schellemberg (Halle, 1796).
AIXTIMOIIV'E. Un moine , nommé 13asile Valeutin, qui
se livrait à l'étude de la chimie, ayant obtenu un produit
nouveau en soumettant le minerai d'antimoine à diverses
manipulation >, l'essaya d'abord sur des cochons, et observa
que ces animaux , après avoir été purgés, arrivèrent bientôt
à un état de santé et de vigueur remarquables. H crut donc
posséder en cette préparation un moyeu puissant de prévenir
les maladies , et il ne balança pas à l'administrer comme
prophylactique à tous les frères de son couvent. Mais l'évé-
nement trompa ses espérances, car beaucoup de religieux
moururent victimes du remède, et ceux qui résistèrent à son
action en furent gravement incommodés. Telle est , dit-on,
l'origine du mot antimoine ; mais l'authenticité de cette aven-
ture est loin d'être prouvée.
L'antimoine est un métal très-abondamment répandu dans
la nature, oii il se trouve sous quatre états différents : 1" natif
(en Suède, en France, dans le Hartz, au Mexique, etc.);
1° combiné avec l'oxygène (en Bohème, en Hongrie, en
Transylvanie, en Sibérie, en France, en Espagne); 3° uni
au soufre ( en France, en Hongrie, en Thuringe, en Saxe,
en Transylvanie, en Souabe, en Angleterre, en Espagne,
en Sardaigne, en Sicile, en Sibérie, au Mexique, etc.);
4° combiné à la fois avec l'oxygène et le soufre ( en France,
en Toscane, en Saxe, en Hongrie, en Transylvanie, etc.).
C'est de l'antimoine sulfuré qu'on extrait le métal pur pour
les besoins des aits, au moyen du grillage, puis de la cal-
cination avec le tartre brut ou avec un mélange de charbon,
de sciure de bois et de sous-carbonate de soude. Mais, à
l'exception de celui qui pro\ient de la mine du département
de l'Ahicr, l'antimoine obtenu par ce procédé n'est pas dans
un état de pureté parfait : Sérullas a prouvé, par des expé-
riences exactes, qu'il contient un peu d'arsenic. Ce dernier
métal se rencontre même dans les diverses préparations an-
timoniales ; deux seules en sont exemptes, ce sont celles
connues sous les noms de taiirate de potasse et d'antimoine
{émétique, tartre stibié), et chlonire d'antimoine {beurre
d'antimoine). Dans le commerce, où il se présente sous
forme de pains orbiculaires , qui offrent à leur surface une
— ANTIMOINE
sorte de cristallisation, dont on a comparé la forme à celle
des feuilles de fougère, il est, en outre , fort souvent altéré
par trois autres métaux, le fer, le plomb et le cuivre. Lors-
qu'il a été préparé dans les laboratoires de chimie avec
tout le soin convenable, et qu'il est complètement isolé de
tout corps étranger, il se distmgue par les propriétés sui-
vantes : eouleur blanche très-légèrement bleuâtre , éclatante ;
texture lamelleuse ; susceptible de cristalliser ; cassant et
facile à pulvériser, répandant une odeur sensible lorsqu'on
le frotte entre les doigts; d'une pesanteur spécifique de 6,702
à c,712 ; entrant en fusion un peu au-dessous de la chaleur
rouge (à 432° centigrades environ), mais ne se volatilisant
point dans cette circonstance, à moins qu'il ne soit chauffé
avec le contact de l'air, et dans ce cas il passe à l'état
d'oxyde ; perdant son brillant métallique par l'exposition à
l'action de l'atmosphère ; sans action sur l'eau à la tempé-
rature ordinaire.
Ce métal, qui était connu des anciens, car Hippocrate ,
Dioscoride, Pline et Galien en font mention, est un de ceux
que les alchimistes ont le plus travaillés pour arriver à la dé-
couverte de la chimère qu'ils poursuivaient avec tant d'ar-
deur, la pierre philosophale. Son usage en médecine , aban-
donné depuis l'épofiue oii il avait été conseillé à l'extérieur
seulement par les grands praticiens de l'antiquité, fut rt^ris
enlin dans le courant du quinzième siècle, et avec plus de
hardiesse , car alors on en préconisa l'administration a l'in-
térieur; mais les propriétés énergiques et vénéneuses des
préparations qui furent employées lui suscitèrent une foule
d'ennemis parmi les médecins ; la Faculté de Paris le con-
damna, et cette décision engagea le parlement à rendre, en
1566, un arrêt qui défendit de s'en servir. Plusieurs méde-
cins n'ayant pas voulu se soumettre à cette ordonnance, et
ayant continué de le prescrire , furent mis en jugement et
dégradés ; on cite , entre autres , Besnier et Paulmier de
Caen. Cependant, comme il n'est rien de stable ici-bas , et
particulièrement dans la manière de penser des hommes ,
un siècle ne s'était pas encore écoulé que déjà l'on était
revenu sur le compte de l'antimoine. La Faculté de Paris ,
assemblée de nouveau pour délibérer sur le même sujet,
approuva son emploi le 29 mars 1666, et le 10 du mois
suivant le parlement rendit un second arrêt qui abrogea le
premier.
Dans les arts, on allie l'antimoine avec les métaux mous
pour leur donner de la dureté, de la roideur et de l'élasticité :
ainsi , on le fait entrer dans la composition des miroirs de
télescopes et dans celle du métal des cloches; on le môle
avec environ quatre parties de plomb pour former les carac-
tères servant à l'imprimerie typograpliique ; on l'unit à l'é-
tain pour lui procurer la dureté qui lui manque, etc., etc.
P.-L. COTTEREAU.
L'antimoine forme un grand nombre de compositions. Le
protoxyde d'antimoine (oxyde antimonique) est blanc, fu-
sible , volatil; parmi les oxydes d'antimoine, il est le seul
qui jouisse de la propriété de se combiner avec les acides.
On l'obtient en versant le chlorure d'antimoine dans l'eau
distillée ; il se dépose une poudre blanche qui est de l'oxy-
chlorure d'antimoine. Une dissolution bouillante de carbo-
nate de soude donne un chlorure de sodium soluble, et le
protoxyde se précipite. Vacide antimonieux (deutoxyde
d'antimoine ) est blanc, insipide, et ne se combine pas avec
les acides : il forme des sels insolubles {antimonites) par
sa combinaison avec les bases. Pour l'usage médical , on
l'obtient en décomposant l'antimonite de potasse par un
excèsd'acidechlorhydrique.L'ati(/ea;i;i»JOH(ÇMe( peroxyde
d'antimoine ) est blanc , et rougit le papier de tournesol ; il
forme avec les bases des antimoniates. On l'obtient à l'état
d'hydrate en traitant l'antimoniate de potasse par l'acide
chlorhydrique.
Ij'antinwine diaphoréttque ( oxyde blanc d'antimoine) se
prépare en jetant dans un creuset , jjorté au rouge, un mé-
ANTIMOINE — ANTIN
G53
lange iVantimoine méfalliqne et de nitrate de potasse ; on
retirant le produit du creuset, il prend le nom <!'««/»-
moine diaphoretique non lavé; quand il est lavé à
l'eau bouillante, on dissout un sel soluble qu'il contient,
et la partie insoluble constitue ïantimoine diaphorélique
lavé.
Le chloriCre d'antimoine est le beurre d'antimoine
des alchimistes. Voxi/c/ilorure d'antimoine est h poudre
d'Âlijaroth , ou mercure de vie des anciens chimistes.
Le sulfure d'antimoine s'obtient en faisant fondre en-
semble deux parties d'iuitimoine métallique pur et huit par-
ties de soufre ; h la tin de l'opération on élève la tempéra-
ture pour fondre le sulfure et chasser l'excès du soufre.
Vhydrosul/ate d'antimoine est plus connu sous le nom
de kermès minéral, ou poudre des Chartreux. Le tar-
trate de potasse et d'antimoine ou tartre stibié est la
préparation si usitée sous le nom d'émétique.
L'antimoine métallique était autrefois employé en poudre
fine obtenue à la lime ; il servait à confectionner des gobe-
lets dans lesquels on laissait séjourner du vin blanc : il se
formait ainsi une quantité plus ou moins considérable de
tartrate de potasse et d'antimoine qui restait en dissolution
dans la liqueur. On faisait aussi avec ce métal de petites
balles qui purgeaient ; on leur donnait le nom de pihiles
perpétuelles , parce qu'elles étaient rendues par les selles ,
lavées et avalées de nouveau. De nos jours ou n'emploie
plus l'antimoine métallique. L'acide antimonieux , qui est
insoluble, n'est ni émétique ni purgatif; on l'avait autrefois
préconisé dans les fièvres , l'épilepsie , la coqueluche , les
maladies de la peau. L'acide antiraonique, qui est très•^ éné-
neux, se donnait autrefois dans les maladies cutanées. L'an-
timoine diaphoretique était également administré dans ces
maladies, et on lui attribuait une puissance résolutive, fon-
dante, contre certains engorgements : il entrait dans la com-
position de la poudre fébrifuge de Morton , de la poudre
incisive de Stahl, etc. Le chlorure d'antimoine n'est em-
ployé qu'à l'extérieur pour cautériser les plaies profondes ,
sinueuses, faites avec des instruments imprégnés de matières
putrides ou par des morsures d'animaux enragés , des pi-
qûres de serpents , etc. Le sulfure d'antimoine était employé
par les anciens comme caustique , et les Orientaux s'en
servent pour teindre leurs paupières dans le but de rendre
l'œil plus brillant. 11 entre dans la composition de divers
composés pharmaceutiques, tels que là poudre antimoniale
de Kempfcr , les pilules jaunes de Klein, les tablettes
restaurantes de Kunckel, la tisane de Feltz, la décoction
d'Arnoult. Ce composé est fort infidèle, il contient des pro-
portions variables de sulfure d"arsenic ; sa poudre est plus
énergique que sa décoction, et il cède dans les préparations
pharmaceutiques dans lesquelles on a fait entrer une quan-
tité plus ou moins considérable d'arsenic. Autrefois la cendre
de l'oxyde sulfuré gris d'antimoine, soumise à une fusion in-
complète, formait le safran des métaux {crocus métal lo-
rum ) et était employée en médecine ; aujourd'hui elle n'est
plus employée que dans la médecine vétérinaire.
Les préparations anlimoniales possèdent des propriétés
d'autant plus actives qu'elles sont plus solubles. Les anli-
moniaux paraissent jouir de propriétés particulières en vertu
desquelles, administrés à haute dose (surtout l'émétique) ,
ils amènent la cessation des accidents inflammatoires. Cette
vérité a été établie par les beaux travaux de Rasori. C'est
surtout dans la pneumonie ou inflammation du poumon
qu'on les prescrit avec le plus de succès. L'antimoine et ses
composés sont tous plus ou moins vénéneux. Dans le cas
d'empoisonnement , la première chose à h\ue est de favoriser
les vomissements par l'eau tiède , la titillation de la luette ,
l'huile d'olive, le quinquina, etc. Les décoctions d'écorces
et de racines astringentes, de thé, de noix de galle , cou-
pées avec du lait, doivent être considérées également comme
contre-poison do l'antimoine.
AIVTIMOIVIATES et AATIMOXITES. Voyez
Antimoinf.
AIXTliX ( Loiis-Antoine DE PARDAILLAN DE GON-
DRIN DE MONÏESPAN, marquis, puis duc d' ) , né en 1665,
était (ils légitime du marquis et de la marquise de Montes-
pan. Lorsque celle-ci devint la maîtresse de Louis XIV, ce
fils avait six ans. On fit porter à cet enfant le titre de comte
d'Antin, qui appartenait à la maison de son père. Remplacée
par madame de Main tenon dans le cœur du monarque,
madame de Montespan dut quitter la cour; elle se relira
en province, où elle garda néanmoins un grand train de
maison. Elle s'était jusque alors constamment montrée plutôt
la marâtre que la mère du seul enfant dont elle n'eût pas à
rougir; rendue à la solitude, elle essaya de réparer ses torts
envers d'Antin, en usant du crédit qu'elle pouvait encore
avoir sur les souvenirs de son royal amant pour faire la
fortune de ce fils, si longtemps oublié. D'Antin devint donc
un personnage de quelque importance : il fut fait lieutenant
général et gouverneur de la province d'Alsace. Comme il
avait de l'esprit et beaucoup de manège, il sut habilement
exploiter le déshonneur de sa mère pour se créer un rang
et une position autres que ceux dont il pouvait hériter de
son père.
A une cour où l'art de flatter le maître avait depuis long-
temps atteint son apogée, d'Antin trouva le moyen de se
faire remarquer par l'imprévu et l'originalité de ses inven-
tions. On trouve partout l'histoire de cette allée de mar-
ronniei-s du parc de Petit-Bourg, abattue dans une nuit, lors
d'une visite que Louis XIV avait daigné lui faire, dans cette
demeure quasi-royale qu'il devait aux tardives générosités
de sa mère. Cette allée avait eu le malheur d'être critiquée
par le grand roi comme nuisant à l'effet du paysage : à son
réveil, Louis XIV n'aperçut plus le massif de verdure qui
lui avait déplu. Madame de Main tenon, la femme qui avait
détrôné madame de Montespan, était de la partie : elle eut
aussi sa part des attentions délicates de d'Antin. En entrant
dans la chambre qui lui avait été préparée, elle put un ins-
tant se croire encore à Versailles ; car la disposition, les ten-
tures, les meubles, en étaient exactement les mêmes, « jus-
qu'à ses Uvres, nous dit Saint-Simon, jusqu'à l'inégalité dans
laquelle ils se trouvaient rangés ou jetés sur la table, jus-
qu'aux endroits des Uvres qui se trouvèrent marqués! »
Madame de Maintenon se montia sensible à tant d'atten-
tions ; elle accorda dès lors ses bonnes grâces au fils de la
femme qu'elle haïssait le plus au monde.
D'Antin, gros joueur, perdit à diverses reprises des som-
mes immenses ; puis, comme tant d'autres, il finit par être
si constamment heureux au jeu qu'on l'accusa assez géné-
ralement de savoir aider à la fortune par son adresse. Un
autre reproche qu'on lui faisait, et sur lequel, d'après les
mémoires contemporains, il passait assez volontiers condam-
nation, c'était de n'être rien moins que brave. Il avait épousé
la fille aînée du duc d'Uzès, qui lui apporta en mariage des
biens considérables, mais dont la conduite fut peu régulière,
sans qu'au reste d'Antin eût jamais le mauvais goût de s'en
apercevoir. A la mort de madame de Montespan, il fut gé-
néralement accusé d'avoir supprimé son testament et d'avoir
par là frustré les pauvres, ainsi que les domestiques qui
avaient donné des soins à sa mère, des sommes considé-
rables qu'elle leur avait léguées. Quand M. de Montespan ,
son père, vint à mourir, d'Antin éleva des prétentions à la
duché-pairie d'Épernon , et en prit même le litre ; mais
Louis XIV trouva ses prétentions ridicules, et lui fit intimer
l'ordre d'y renoncer. Quelques années plus tard, à la re-
commandation de madame de Maintenon, il fut cependant
créé duc et pair, mais seulement à brevet, c'est-à-dire via-
gèrement et sans transmission à ses héritiers. Il mourut en
17 30, à soixante-onze ans, après avoir eu deux fils; le cadet
épousa la fille du président de Vertamont, riche à plusieurs
millions; l'aîné avait obtenu de son père la survivance de
654 ANTIN -
toutes SCS charges. Cette maison s'est éteinte complètement
dès 1757, en la personne de Louis de Gondrin, duc d'Antin,
arrièrc-petit-(ils de madame de Montespan; et si elle vit
encore dans l'histoire, c'est uniquement grâce à l'intérôt de
curiosité qui s'attache à tous ceux qui ont joué un rôle
quelconque à la cour de Louis XIV.
Ai\TIXOÉ ou AMINOPOLIS. Cette ville, honteuse-
ment célèbre par les souvenirs de sale débauchetoute païenne
que réveille son nom ( car elle fut bâtie par l'empereur
Adrien en l'honneur de son favori Antinoiis , sur les ruines
de l'antique Bœsa), s'élevait au bord oriental du Nil, entre
l'Hepfanomide et la Thébaïde, presqu'cn face d'Hcrmopolis-
la-Grande. La magnificence de ses édifices la (it appeler la
nome égyptienne, et lui valut l'honneur d'être pendant
quelque temps la métropole de la haute Kgjpte. Il n'en existe
plus aujourd'hui que de magnifiques ruines, parmi lesquelles
il est aisé de reconnaître des restes de théâtres , de ther-
mes , d'arcs de triomphe , contraste saillant avec riiumble
village copte Achmoumeyn, situé tout auprès.
AXTIXOAIIE ( d'àvTt , contre , et vôao; , loi ). Contra-
diction des lois entre elles. Kant appelle antinomie la con-
tradiction qui existe entre les lois de la raison pure , con-
tradiction qui se manifeste lorsque nous transportons dans
le monde extérieur les principes qui régissent le monde
intellectuel, ou lorsque nous sommes obligés d'admettre
soit des faits, soit des idées, dont nous ne pouvons nous
rendre compte, tels que la création du monde, l'éternité,
l'infini , etc.
ANTIXOMIEXS , AMIXOMLS_AIE (d'àvil, contre,
vojjLÔ; , loi ) , opposés à la loi , branche de luthériens qui dut
son origine , dans le seizième siècle , à un disciple et com-
pagnon de Luther, nommé Jean-EIsleben Agricola. Le
maître ayant prêché que la foi seule suffisait à l'homme,
et que les bonnes œuvres n'étaient pas nécessaires pour son
salut, le disciple en conclut que la foi devait tenir lieu de
tout; qu'elle était seule nécessaire; que, par conséquent,
ceux qui avaient la foi n'avaient pas besoin de loi ; qu'elle
devait même sanctifier une vie pleine de désordres et de
vices. Les disciples d'Agricola, les réformateurs de Wit-
temberg , appliquèrent , après lui , la qualification d'a?i-
tinomisme à cette dépréciation de la loi morale, et surtout
de la loi de Moïse, tendante à faire ressortir davantage l'in-
fluence salutaire de l'Kvangile sur l'amélioration morale
de l'homme. Cette querelle théologique, qui datait de 1527,
dura près de quarante ans.
A-XTIXOtJS. La passion que l'empereur Adrien avait
conçue pour ce jeune Bithynien a donné à son nom une
honteuse célébrité. Antinoiis se noya dans le >il, l'an 132
avant J.-C. : on ne sait sil était las de se prêter aux infi-
mes voluptés de son maître , ou s'il ne faut voir qu'un
accident dans cette mort, dont Adrien fut inconsolable. Ce
dernier lui fit ériger des temples , des statues et des villes ,
donna son nom à un astre qui venait d'être découvert , et
ordonna que son favori fût adoré comme un dieu dans toute
l'étendue de l'empire. Les artistes les plus célèbres s'em-
pressèrent de reproduire l'image d'Antinous. Parmi les
statues qui le représentent , deux surtout sont des chels-
d'fPu^Te. L'une , qui fut trouvée dans les bains d'Adrien ,
est au Belvédère du Vatican: l'autre, qui décorait autrefois
la villa de cet empereur à Tivoli, orne aujourd'hui le Ca-
pitole. Selon quelques archéologues , la première serait un
Mercure, et l'autre représenterait Antinous en Mercure. Dans
tontes les statues d'Antinolis, dit \Vinkelmann , le visage a
quelque chose de mélancolique ; les yeux sont grands et
parfaitement dessinés; le profil est légèrement incliné; au-
tour de la bouche et du menton règne une expression de
beauté vraiment idéale.
AXTIOCIIE , nom commun à plusieurs villes célèbres
dans l'antiquité.
Antiociie de PrsiDrE, située sur les frontières de la Phrygie
ANTIOCIIE
et de la Pis'die, dans la province de l'Asie Mineure qui
porte aujourd'hui le nom de Caramanic, fut fondée par An-
tiochus \", et d'abord peuplée par une colonie de la ville
ionienne de Magnésie. Placée par les Romains sous la do-
mination d'Eumène de Pergame , et , plus tard , sous celle
d'Amyntas de l\imphilie , elle flit à la mort de ce dernier
élevée au rang de chef-lieu d'un gouvernement proconsu-
laire. Les apôtres Paul et Barnabas , en y venant pour la
première fois prêcher l'Évangile aux Gentils , ont immorta-
lisé la mémoire de cette ville. — Arundell , chapelain du
consulat britannique à Sinyrne , fit, en 1833, des ruines
de cette cilé sainte le but de nombreuses explorations. Il
constata qu'elles sont situées sur un terrain montagneux ,
non loin de la ville de Yalobatz ( Gialobatsck ) , et qu'elles
consistent en une multitude de sculptures parfaitement con-
servées , et de débris sur lesquels se trouvent des inscrip-
tions; il détermina d'une manière précise l'emplacement
occupé jadis par l'église principale ; découvrit encore les
ruinesd'une autre église, d'un temple à Bacchus, d'unthéAtre,
d'un aqueduc , et les traces d'un vaste portique , ainsi que
d'uue acropolis. Ses découvertes justifient complètement les
rapports de Strabon et les calculs de Peutinger, en détruisant
l'opinion émise par d'Anville et d'autres , que cette ville est
VAksher de nos jours, qui occupe l'emplacement de l'anti-
que Philomélion.
A.NTiocHE DE S\T,iE ( Antiockia Magna). La populeuse
Antioclie , jadis rivale de Rome , d'Alexandrie et de Séleucie
sur le Tigre, était située dans une belle et fertile plaine,
sur les rives de l'Oronte. Détruite à plusieurs reprises, et
en dernier lieu, en 1269, par les Jlamelouks, elle n'est
plus aujourd'hui qu'une misérable ville , composée de rues
sales et étroites , avec des maisons n'ayant guère qu'un rez-
de-chaussée, mais dont les fenêtres, au lieu de donner sur
la rue, ont en général Mie sur de vastes jardins, ou tout au
moins sur des cours spacieuses et garnies d'arbres. Elles
sont, de plus, chose rare en Orient , surmontées de pignons,
et couvertes en tuiles. Cependant elle parait renfermer en-
core environ 18,000 habitants , disséminés au milieu des
restes de son antique enceinte , qui au temps de sa splen-
deur comprenait une population de 6 à 700, UOO âmes. Une
partie de ses murailles et de ses aqueducs témoigne seule
aujourd'hui de son antique magnificence , alors qu'elle était
un grand foyer de science et de civilisation , ainsi que l'une
des plus célèbres et des plus florissantes villes du monde.
Strabon et Pline lui donnent le surmon d'Épidaphné, à
cause de la forêt de Daphné , située dans son voisinage.
Elle fut fondée ou du moms embellie l'an 301 avant J.-C.
par Séleucus N'icator, qui lui donna le nom d'Antioche en
l'honneur soit de son père, soit de son fils. Comme elle était
divisée en quatre quartiers ayant chacun leur propre mu- .
raille de clôture , on l'appelait quelquefois Tétrapolis ; au
temps de l'empereur Justinien on la nommait aussi Théo-
polis. Après avoir été la capitale des rois séleucides de Syrie,
elle devint le siège d'un gouverneur romain, puis celui des
patriarches de l'Église chrétienne d'Asie. Elle tomba ensuite
successivement au pouvoir des Perses , qui pourtant la
rendirent à l'empereur de Constantinople ; des Arabes ,
après la victoire d'Antioche, remportée par Omar, en 638;
enfin , au onzième siècle , des croisés , qui en tirent le siège
d'une principauté indépendante ( voyez Antiocue [ Princes
latins d' ] , en même temps que d'une Église latine. L'une
et l'autre disparurent, lorsqu'on 1269 le sultan d'Egypte
s'empara d'Antioche qu'il détniisit de fond en comble. —
Sous \e{\tvcd'Antiqiiitates Anliochence (Gœltingue, 1839),
M. Ottfricd Millier a publié un mémoire plein de savantes
recherches sur l'histoire d'.^ntioche.
AXTIOCIIE (Princes latins d'). Les croisés s'élant
rendus maîtres d'Antioche de Syrie en 1098, elle devint
la capitale d'une principauté qui s'étendait au seplentrion
depuis Tarse jusqu'à l'embouchure du Cydnc, en se termi-
ANTIOCHE — ANTTOCHUS
GÔ5
naiil , au midi, à la rivière qui coule entre Torlose et Tri-
poli. Marc Boémond , fils du célèbre aTcnturier normand
Robert Giiiscard, à la prudence on à l'adresse duquel
les croisés duivnt retlf conquête, devint le premier prince
latin d'Anliocbe. Il accompagna l'armée des croisés lors-
qu'elle se mit en marche pour Jérusalem , le 18 mars 1099.
Mais , arrivé à Laodicée , il s'excu.sa d'aller plus loin , allé-
guant que sa présence était nécessaire dans sa nouvelle capi-
tale, dont la conservation lui tenait plus au cœur que la con-
quête des lieux saints. Ses successeurs furent Boémond II,
Baudouin, Foulques d'.\njou, Raimond, Constance (1107),
fille de Baudouin, Renaud de Chatillon, Boémond III, Boé-
mond l\, Raimond Rupin, Boémond V, Boémond VI, dé-
possédé dWntiochc par le sultan Bibars , et Boémond VII,
le dernier de ces princes latins qui établit sa résidence à Tri-
poli, et mourut en 12SS, sans postérité. En lui s'éteignit celte
puissance éi)hémère , venue du dehors , qui n'avait pas duré
deux siècles.
AXTIOCnE (Ère d'). Voyez Èhe.
AXTIOCHCS. Il y a eu quinze rois ou princes de Sy-
rie , et trois rois de Comagène de ce nom , qui a été porté
en outre par des princes , des capitaines , des hommes de
lettres et des artistes de divers pays.
Parmi les premiers , on distingue les suivants : Antio-
cncs r*", fils aine de Séleucus , premier roi de Syrie et de
Babvlone , qui lui succéda l'an 2S0 avant J.-C. , et mourut
l'an 260, après un règne de dix-neuf ans. Il reçut le surnom
de5o/er, c'est-ànlire Sauveur, pour avoir préservé ses États
d'une irruption des Gaulois. Epris des appas de Stratonice ,
sa belle-mère, il avait manqué périr d'une maladie de lan-
gueur dans sa jeunesse; mais Érasistrate, médecin de la
cour, ayant deviné la cause de son mal, Selencus consentit,
pour sauver son fils , à lui céder l'objet de ses désirs.
Antiochcs II, surnommé Thcos, ou Dieu, nom que lui
donnèrent les Milésiens , parce qu'il les avait délivTés de la
tyrannie de Timarque , succéda en 26 1 à son père , Antio-
dms Soter, et reprit avec aussi peu de succès que lui la
guerre que les Babyloniens avaient entreprise contre Ptolé-
mée Philadelphe , roi d'Egypte. Forcé de répudier Laodice
pour épouser Bérénice, fille de ce dernier, il périt empoisonné
par les mains de sa première femme, l'an 246 avant J.-C.
Antiocuus surnommé Iliérax , c'est-à-dire oiseau de
proie, à cause de la dureté de ses mœurs, était fils du pré-
cédent et de Laodice ; il tenta de disputer le trône à son
frère aîné, Séleucus II, ou Céraunus, contre lequel, aidé
des Gaulois , il remporta d'abord quelques avantages, qu'il
perdit bientôt par la défection de ses alliés. Il périt malheu-
reusement, en tâchant de s'échapper des mains de Ptolémée,
dont il était devenu le prisonnier.
AsTiocnus LE Gr.AND succéda, l'an 223 avant J.-C, à son
frère Séleucus II ; reprit sur Ptolémée la Syrie , qui avait été
^nlevée à ses prédécesseurs, puis la lui rendit en formant
alliance avec lui et en lui donnant en mariage sa fille Cléo-
pàtre. Ayant voulu ensuite tenter la conquête de l'Asie Mi-
neure et de la Grèce, celles-ci lui opposèrent les armes triom-
phantes des Romains. Dans cette guerre, célèbre sous le nom
de guerre d'Anlïochiis, Annibal avait uni sa cause à la
sienne. Mais Antiochus , malgré les préparatifs immenses
qu'il avait faits, n'entra que fort peu dans les vues de l'il-
lustre Carthaginois, et se borna à envoyer en Grèce une
armée, qui re5;ta dans l'inaction. 11 était facile de prévoir ce
qui en résulterait : Antiochus éprouva un échec aux Thcr-
mopyles et diverses défaites navales. Aussi, complètement
découragé, il ne disputa pas même l'entrée de l'Asie Mineure
aux Romains victorieux, qui le battirent de nouveau à Ma-
gnésie , et le forcèrent à signer une paix ignominieuse, par
laquelle il leur céda toute l'.Asie jusqu'au mont Taurus , et
s'engagea à leur payer en outre un tribut annuel de deux
mille talents. Son trésor ne pouvant suffire à l'accomplisse-
ment de cette promesse, il résolut d'aller pilier le temple de
Jupiter-Bcîus, dans la Susiane ; mais les habitants de cette
contrée , irrités d'un tel sacrilège, le tuèrent avec toute sa
suite, l'an 187 avant J.-C. 11 avait régné (rente-six ans. Il
faut justifier l'histoire de lui avoir donné le surnom de Grand,
qu'il mérita moins par ses victoires que par sa clémence ,
sa libéralité et sa justice. Ennemi du pouvoir arbitraire , il
fit publier un édit qui défendait de lui obéir toutes les fois
que ses ordres seraient contraires aux lois, déclarant qu'il
ne tenait son pouvoir que d'elles et qu'il ne voulait régner
que par elles.
Le fils aîné d' Antiochus le Grand étant mort avant son
père , et le second, Séleucus Philopator, n'ayant régné que
fort peu de temps, Antiocucs Epipuane, ou V Illustre,
monta sur le trône, l'an 175, et, profitant de l'enfance do
Ptolémée Philoraétor, qui venait de succéder à son père
Ptolémée Épiphane, il pénétra en Egypte, où il s'empara
de Memphis et de la personne même du roi. Mais bientôt
les Romains le forcèrent de renoncer à sa conquête. Sous
son règne, les Juifs s'étant révoltés, il marcha contre Jéru-
salem, déposa le grand prêtre Onias, profana le temple par
le sacrifice qu'il y offrit à Jupiter, fil enlever tous les vases
sacrés et égorger, dit-on, 80,000 habitants de cette malheu-
reuse ville. Le vieillard Éléazar et les sept frères Macliabées
périrent, avec leur mère, dans les supplices les plus affreux.
Quelques contemporains de cet impie, qui mourut épuisé de
débauches, lui donnèrent le surnom à^Épimane, ou le
Furieux, qui lui convenait bien mieux sans doute que celui
à' Épiphane, dans lequel l'on serait tenté de voir une er-
reur historique.
Antiochus Elpatou, c'est-à-dire né d'un père illustre,
avait à peine neuf ans lorsqu'il succéda, l'an 164, à Antio-
chus Épiphane , et mourut après dk-huit mois de règne ,
par ordre de son cousia Démétrius Soter, qui s'était rendu
maître de la Syrie.
ANTiocnus SiDÈTES , OU le chasseur, fils de ce dernier,
monta sur le trône l'an 139 avant J.-C, après avoir chassé
de Syrie l'usurpateur Triphon. Il soumit de nouveau les
Juifs, remporta divers succès sur Phraates, roi des Parthes,
et s'empara de Babylone; mais il fut vaincu à son tour, et
périt les armes à la main, en 130. Il avait de grandes vertus,
ternies malheureusement par son intempérance. Ennemi de
la flatterie, il souffrait les vérités les plus dures. S'étant un
jour égaré à la chasse, il se réfugia dans la cabane d'un
laboureur, auquel il demanda ce qu'on pensait de son gou-
vernement : « ^"otre prince est juste, mais il a des ministres
qui le trompent, » lui répondit celui-ci. Le lendemain, ses
gardes arrivèrent : reconnaissant alors le roi, le paysan
tremblait déjà pour les suites de son indiscrétion; mais An-
tiochus, le rassurant, lui dit : « Je te dois des remercîments,
et tu seras récompensé dignement , car tu m'as révélé des
vérités utiles, que je n'avais jamais entendues à ma cour. »
A^TIoc^cs Grypus, surnommé ainsi de son nez aquilin,
fils de Démétrius ÏS'icanor et de Cléopâtre, fut élevé sur le
trône l'an 123, au détriment de ses frères et par les intrigues
de sa mère, qui espérait régner en son nom; mais bientôt,
rougissant de la dépendance où elle prétendait le retenir, il
voulut secouer le joug, et ressaisit l'autorité après avoir
forcé sa mère à prendre un breuvage empoisonné qu'elle lui
avait destiné. Corneille a fait de cet événement le sujet
d'une de ses plus belles tragédies. Ce prince périt assassiné
par un de ses sujets.
ANTiocnus LE CvzicÉMEN OU dc Cijzique, qui avait dis-
puté le diadème à son frère Grypus et l'avait obîigé à le par-
tager avec lui, régna seul après sa mort, et s'endormit sur
le trône. Tandis qu'il oubliait au sein des plaisirs les devoirs
de la royauté, son neveu Séleucus leva une armée considé-
rable, et vint lui livrer un combat, où le roi se donna la
mort pour ne pas tomber vivant au pouvoir de son ennemi.
Mécanicien ingénieux, il avait inventé plusieurs machines
de guerre, et cultivait les arts avec succès. La religion n'é^
G56
A^TIOCîiUS — ANTIPATHIE
tait à ses yeux qu'un frein inventé pour contenir le vul-
gaire. On raconte de lui qu'il pou'ssa ce mépris au point
de faire enlever du temple de Jupiter la statue d'or massil
de ce dieu , haute de quinze coudées, pour la remplacer par
une autre , de vil métal , recouverte dune feuille d'or si ar-
tistement posée que le peuple ne s'aperçut point de la su-
percherie.
Antiochcs Eusèbe, ou le Pieux, ainsi surnommé par iro-
nie, pour avoir épousé la veuve de son père Antiochus le
Cyzicénien, ne régna que deux ans, de 93 à 91, et périt des
mains de Piiilippe et de Uémétrius, fds de Grypus.
Enfin, Antiociu's l'Asiatique, fils du précédent, et qui
avait été élevé au fond de l'Asie, fut dépouillé de sesÉtiits,
l'an C5 avant J.-C, par Pompée, qui réduisit la Syrie en
province romaine; il fut donc le dernier prince de la race
des Antiochus, éteinte avec lui.
AATIOPE, fille, selon les uns, de Nyctée, roi de Thè-
bes, séduite par Jupiter, sous la forme d'un satyre, ou fille,
d'après Homère, du fleuve Asopus. Sa beauté lavait rendue
célèbre dans toute la Grèce. Épopée, roi de Sicyone, enleva
cette princesse, et l'épousa. Lycus , ayant succédé à Nyctée,
auquel il avait promis de punir sa fille, tua Épopée, et con-
duisit Antiope à Thèhes, où il la remit entre les mains de
Dircée, sa femme, qui lui fit subir les plus cruels traitements.
Antiope trouva moyen de s'évader ; ses deux fils, Zélhiis et
Amphion, la vengèrent.
Une autre Antiope, reine des Amazones, ou du moins
sœur de leur reine Hippoljte, épousa Thésée lorsque ce
roi l'eut faite prisonnière à la suite d'ime victoire remportée
par lui sur les héroïnes des bords du Thermodon. Quand
les Amazones tentèrent, pour venger leur déroute, une in-
vasion dans l'Attique, Antiope, restant fidèle à son époux ,
les combattit avec lui, et c'est d'elle que Thésée eut son fils
Hippolyte, dont la muse tragique a célébré la vertu et
l'infortune dans plusieurs langues.
ANTIPAPES. On appelle ainsi les compétiteurs des
papes, les prêtres qui leur ont disputé le saint-siége, souvent
à main armée, à l'aide d'une faction ecclésiastique ou poli-
tique. Le Dictionnaire de Trévoux en compte vingt-huit,
d'autres n'en reconnaissent que dix-sept ou dix-huit ; le
compilateur abbé de Yallemont va jusqu'à trente-deux, et
nous croyons qu'il approche le plus de la vérité. Ces usurjja-
teurs ont jeté quelque confusion, sinon dans l'histoire des
souverains pontifes, du moins dans leur nomenclature ; car
les historiens ne se sont pas toujours accordés pour les ad-
mettre dans la liste des papes ou pour les en exclure. 11 en
est qui , comme Félix II et Jean XVI , ont gardé la place
chronologique que leurs partisans leur avaient assignée;
d'autres, qui avaient pris les noms de Clément VII et de Be-
noît XIII, ont été remplacés dans ces nombres par dûs papes
légitimes; d'autres enfin, comme Victor IV, Pascal III et
FéUx V, ont été respectés, parce qu'ils terminaient leur
série et qu'aucun des papes subséquents n'avait pris leur
nom. Le premier de ces antipapes est Novatien l", qui
date de 252; viennent ensuite Félix II, Ursin, Boniface 1",
Symmaque, Dioscore, Vigile, Philippe, Zizinnus, Anastase,
Serge, Jean VI, Grégoire, Sylvestre III, Benoit IX, Jean XX,
Honorius II, Clément III, Albert, Théodoric, Miginulfe,
Grégoire VIII, Anaclet, Victor, Alexandre III, Victor IV,-
Pascal III,CalixteIII, Nicolas V.ClémentVIl, Benoît XIII,
Jean XXIII, et, enfin, le dernier des antipapes, qui parut le
5 novembre 1439, le fameux duc de Savoie, Amédée, qui
se décora du nom de Féhx V , ou bien le pape Eugène IV,
déposé par le concile de Bâle, et dont Félix V prit la place.-
l'Eglise les a traités tour à tour de papes et d'antipapes;
mais ils sont restés tous les deux sur la liste des véritables
successeurs de saint Pierre. Voilà bien , de compte fait ,
trente-trois antipapes , qui ont bouleversé le monde et l'É-
glise, et nous n'avons pas besoin de dire qu'ils n'ont i)as
valu le sang qu'ils ont coûté. Nous ferons leur histoire, soit
à leur nom particulier, soit à celui du pape auquel ils dispu-
taient le saint siège, soit enfin à l'article Papalté.
AXTIPATER, lieutenant d'.Uexandre, après avoir été
l'ami et le ministre de Philippe de Macédoine, qui mettait
en lui toute sa confiance. Quand Alexandre partit pour son
expédition, il lui confia le gouvernement de la Macédoine
et de la Grèce, dignité qui lui offrit l'occasion de déployer
son courage et son habileté. Memnon, général des troupes
grecques à la solde de la Perse, ayant insurgé la Thrace,
les Lacédémoniens saisirent cette occasion pour secouer le
joug. Leur roi Agis se mit à la tête d'un mouvement insur-
rectionnel en Grèce. Antipater défit d'abord Memnon , et
pacifia la Thrace; puis il dompta les Lacédémoniens, et tua
leur roi dans une bataille acharnée, où il périt environ trois
mille cinq cents hommes de chaque côté. Les triomphes
d' Antipater ne le mirent pas à l'abri des tracasseries inté-
rieures : Olympias, mère d'Alexandre, ne cessait d'envoyer
contre lui des plaintes fondées sur ce qu'elle appelait sa ty-
rannie, et Antipater ne se plaignait pas moins amèrement
du caractère difficile et du peu de dignité d'OljTnpias.
Alexandre lui donna Cratère pour successeur. Quelques-uns
ont pensé qu'il s'était vengé, et qu'arrivé près du prince, il
eut part à sa mort, et devint pour tous les l\Iacédoniens \in
objet d'horreur; mais ces assertions sont au moins hasar-
dées.
Antipater eut en partage les provinces dont il avait été !e
gouverneur, et fut tuteur de l'enfant dont Roxane était en-
ceinte. Les Grecs s'étant de nouveau soulevés pour s'affran-
chir du jojg, il se vit abandonné des Thessaliens, fut vaincu
et se retira dans Lamia en Thessalie , où il fut assiégé et
contraint de capituler. Renforcé par Léonat et Cratère, il
subjugua de nouveau les Grecs, reçut la somnission que Dé-
made vint lui apporter au nom des Athéniens, cliangea leur
constitution en établissant les droits politiques sur une cer-
taine mesure de fortune, offrit enfin une habitation en Thrace
à ceux qui possédaient moins de deux mille drachmes. Il
est juste de rappeler qu'il fit mourir Démosthène et Hypé-
rides, ou du moins qui! fit couper la langue à celui-ci. Dé-
mosthène, plutôt que d'essayer de la clémence du vainqueur,
qu'on lui promettait, s'empoisonna dans le temple de Nep-
tune, de l'île de Calaurie, et tomba mort au pied de l'autel.
L'an 322 avant J.-C, Perdiccas n'existant plus, Antipater fut
investi de la régence; les événements qui se succédèrent
depuis jusqu'à sa mort sont peu importants ; il succomba
à une maladie grave, à l'âge de quatre-vingts ans, laissant
la régence à Polyspercbon , au détriment de son propre fils
Cassandre. On dit qu' Antipater avait reçu de la nature les plus
heureuses dispositions, et que les leçons d'Aristote en avaient
fait un philosophe et un savant : on ajoute qu'il avait écrit
une histoire et deux volumes de lettres. De Goleéry.
AjVTIPATIIIE (d'àvTÎ, contre, et Tîâôo:, passion, ou
affection). C'est l'opposé de la sij77ipat hie. C'est une
aversion irrélléchie, une répugnance naturelle pour des per-
sonnes ou des animaux , ou des objets quelconques. — Les
antipathies physiques peuvent naître entre des personnes
dont les tempéraments , les âges , les humeurs , sont trop
contraires. L'impétueux et le lent, le sensible et l'apathique ,
le sombre et l'enjoué, la vieillesse et l'enfance, le sanguin
léger et le mélancolique profond , ne peuvent sympathiser,
puisque ce qui plaît à l'un contrecarre singulièrement les
goilts de l'autre. Les caractères et les complexions sembla-
bles, tout au contraire, se rapprochent avec plaisir : similis
simili gaudet. — Il y a pourtant des oppositions qui s'har-
monient ensemble , comme les deux sexes , ou l'enfant et
le père , ou le faible avec le fort ; mais alors il y a coïnci-
dence , union. L'inférieur se subordonne au supérieur. —
La lutte n'existe donc qu'entre des oppositions égales ou
résistantes, avec débat ou haine. Ainsi, la nature a créé des
inimitiés entre pareils , comme entre des races d'animaux.
Les carnivores , entre eux rivaux pour la chasse , se com-
ANTIPATHIE — ANTIPIILOGISTIQTJES
I>attcnl ou ?c fiiiont. I es lioibivorcs , plus doux, cl trouvant
iinc pclture facile , se rapproclicnt souvent en troupes. LY-
goïste, l'orgueilleux, le despote, sont ou doivent vivre seuls ;
ils deviennent antipatliiqiies pour tout le monde. Les com-
plexions généreuses, expansives, aimantes, sont sympathi-
ques, et attirent partout l'amitié ou provoquent l'amour.
Ces faits sont faciles à comprendre. D'autres antipathies
sont moins cxpHcables :
Odi et amo : qii.ire id faciim fortasse rcqiilris
IVcscio , scd ficri scotio , et cxcrucior.
Pourquoi telle femme belle vous déplait-elle à côté de
cette autre laide , qui sait pourtant vous enchanter ? La grûce
a-t-ellc plus de pouvoir que la beauté? Chaque homme porte-
t-il en son cœur un modèle, une image de la persomie qui
lui convient le mieux ? Devine-t-on le caractère , la manière
de sentir de telle ou telle femme par rapport aux nôtres?
On peut se tromper sans doute, mais il est des nœuds
secrets, il est des syynpathies dont les âmes se laissent
piquer par ce je ne sais quoi qu'on ne peut expliquer.
Les antipathies spontanées naissent également de raisons
contraires inexpliquées.
Entre les deux sexes, deux complexions trop semblables,
par exemple, une virago et un homme robuste et fort, ne
s'accorderont jamais ; chacun voudra dominer ; deux époux
également apathiques ne sympathiseront pas davantage : il
faut pour se plaire l'un à l'autre une harmonie d'opposition.
Ce qui ferait antipathie si le sexe était le même devient
sympathie entre homme et femme. — Des antipathies nais-
sent facilement par association d'idées : ainsi , telle per-
sonne, tel aliment , vous ont causé du mal , vous leur gar-
dez rancune. Le cheval se souvient de l'homme qui l'a blessé.
La vue , l'odeur seule d'une substance qui vous a nui vous
cause une aversion parfois insurmontable. Un chat vous a
effrayé pendantla nuit, vous détesterez les chats. Souvent on
ne se rend pas compte des causes piimitives de son aversion.
et alors l'antipathie semble >m phénomène bizarre. Quel-
ques personnes ne peuvent supporter le miel , ou l'odeur
du lis et de la tubéreuse , sans doute pour en avoir été in-
commodées. Chacun pourrait ainsi raconter ses répugnances.
Descartes aimait les femmes qm louchaient, parce qu'il avait
été bien soigné dans son enfance par ime femme louche.
— D'ailleurs , il y a des aversions naturelles pour du fro-
mage fort , de l'ail ou des oignons , etc. L'estomac repousse
certaines nourritures ou ne les digère pas. Ce sont des idio-
syncrasies , une sensibilité particulière pour ou contre des
objets doués de propriétés nuisibles ou salutaires à telle es-
pèce de constitution. Chacun de nos sens usurpe aussi sur
les matériaux de ses sensations un empire spécial ; il exerce
son choix. Tel nez préfère une odeur que déteste un autre
nez. Le toucher du satin ou du velours, si moelleux, cha-
touille désagréablement les nerfs blasés de certains indi-
vidus. Telle couleur parait triste à des yeux, qui en réjouit
d'autres. Des goûts et des couleurs on ne doit disputer.
— Que le lièvie haïsse le chien , il est sa victime; mais que
le furet prenne en aversion la peau môme du lapin , c'est
une antipathie tyranniquc dont la différence d'organisation
et d'instinct pourrait seule rendre compte. La nature inspire
donc ainsi des haines ; le bourreau se plaît à déchirer un
être innocent et timide. L'antipathie entre les races carni-
vores et les humbles fruvigores date du commencement du
monde. On a même prétendu que certains végétaux étaient
également antipathiques à d'autres, ou les empêchaient de
croître dans leur voisinage. 11 n'en est rien ; mais plusieurs
sortes de plantes nuisent au développement de quelques
autres, ou s'y opposent. Des champignons parasites causent
quelquefois la rtiort des herbes sur lesquelles ils naissent.
Y a-t-il des antipathies entre les substances inanimées et
minérales? 11 parait contradictoire d'attribuer un sentiment
à ce qui est dépourvu de toute sensibilité, à moins qu'on
DICT. DE LA CONYEKS. — T. I.
C67
n'acrordc avec Thomas Campanella la faculté de sentir à
toute matière. On peut dire, toutefois, que si l'huile et l'eau
sont ininiiscibles , si le mercure ne peut s'amalgamer avec
le fer, tandis qu'il s'attache à l'or et à l'argent , etc. , il y a
entre les corps minéraux dos afilnités, et, par une raison
contraire, des antipatlùes. Les deux pôles similaires d'un
aimant se repoussent ainsi que les électricités de môme na-
ture, tandis que les contraires s'attirent, ou s'aiment pour
ainsi dire. C'est par cet innocent artifice qu'avec un aimant
on peut attirer ou repousser des figures factices de poissons,
de canards , comme le pratiquent des jongleurs devant la
foule ébahie. — Bref, si toute la nature est soumise aux
deux grandes lois de Vattraction et de la répulsion , qui
se traduisent en amour et en haine chez les êtres animés,
toute chose reconnaîtra l'empire des sympathies et des an-
tipathies. J..J. ViREY.
ANTIP ATRIDES, descendants d' A n ti p a t e r, Ueute-
nant d'Alexandre, qui ont essayé de régner sur la Macé-
doine. Ce sont : C a s s r. n d r e, fds d' Antipater, qui prit le titre
de roi en 317 avant J.-C. — Philippe, l'aîné des (ils de Cas-
sandre, qui lui succéda l'an 301 . — Antipater II, qui prit la
couronne, malgré l'opposition de son frère Alexandre, et com-
mença par fiùre égorger sa mère, qu'il soupçonnait de favo-
riser le jeune prince. Celui-ci chercha des alliés plus puissants.
Pyrrhus, roi d'Épire, accouru à son secours, lui soumit
la Macédoine , et reçut en récompense l'Ambracie et l'Acar-
nanie , sur les bords de la mer. — Survint ensuite ce môme
Alexandre, qui consentit bientôt à laisser à son frère la moitié
du royaume qu'on lui rendait, et fut le quatrième roi de
cette dynastie. Mais Démétrius-Poliorcète , dont il avait
aussi imploré le secours , et qu'il avait ensuite prié de re-
tourner chez lui, ne voulut pas être venu pour rien. Il fit
massacrer Alexandre dans un festin, et força Antipater
à chercher un refuge dans la Thrace , chez son beau-père
Lysimaque , qui , pour se soustraire aux fureurs de Démé-
trius , fit mourir son gendre dans une prison ( 287 avant
J.-C). — Enfin, sept ans après la mort des deux frères,
nous voyons le peuple chercher à couronner un enfant de
Philippe , leur aîné , et qui portait le nom d'Antipater. Mais
son règne ne dura que quarante-cinq jours , et cette race
disparut pour toujours avec lui, vers 280.
AJVTIPniLE, peintre, élève de Ctésidême, né en Egypte,
fut le contemporain et le rival d'Apelle. Lorsque le grand
artiste grec vint à la cour de Ptolémée, au service duquel
Antiphile était attaché, celui-ci, entraîné par une basse
jalousie, chercha tous les moyens de le perdre, et finit par
le dénoncer comme complice d'une conspiration tramée
contre le roi d'Egypte. Apelle, déclaré coupable, fut chargé
de chaînes , et il était menacé de perdre la vie , lorsqu'un
des conjurés, outré de cette injustice, démontra la fausseté
de l'accusation; et Antiphile fut, à son tour, jeté dans les
fers pour le reste de sa vie.
Pline mentionne un grand nombre de tableaux dont il
était l'auteur, et cite les lieux où ils étaient exposés. II
avait inventé un genre de figures grotesques appelées
Grijlli, nom qui resta après lui à ces caricatures de l'anti-
quité. Deux de ses plus beaux ouvrages étaient un satyre
couvert d'une peau de panthère, et un enfant qui soufflait
le feu. Dans cette dernière œuvie le jeu et les effets de la
lumière étaient, disait-on, admirablement rendus. Antiphile
se distinguait surtout par l'exquise délicatesse et l'extrême
faciUté de son pinceau.
Pausanias parle d'un statuaire du même nom, dont on
voyait plusieurs ouvrages à Olympie.
ANTiPIILOGISTIQUE (Chimie). Voij. Combustion.
AXTIPIILOGISTIQVES {Théropeutiqîie), du grec
àvTt, contre, et ç).oyô;, inflammation. Oncom|)rend scus ce
nom l'ensemble des moyens propres à combattre les inflam-
mations : ces moyens peuvent être les révulsifs , les vomi-
tifs, les purgatifs, les contre-stimulants, les émissions sau-
83
658
guines, les émollienf s , et les tempérants; mais c'est l'emploi
des trois derniers moyens thérapeutiques qu'on regarde plus
particulièrement comme constituant la médication antiphlo-
gistique. L'emploi des antiphlogistiqiies a surtout été préco-
nisé par Broussais.
AÀ'TIPnOiV, orateur grec. Si l'on en croit Marcellin et
Suidas, il aurait eu l'honneur d'avoir Thucydide pour disciple;
ce qui est d'autant plus probable que cet historien en fait l'é-
loge. Plutarque énumère aussi les grandes qualités qui rele-
vaient l'éloquence d'Antiphon ; il le dépeint exact, énergique
et progressif, tandisque Platonmet dans la bouche de Socrate
un jugement très-défavorable à cet écrivain , qiii composait
à prix d'argent des discours que d'autres devaient prononcer,
et notamment des plaidoiries. Sur les quinze qui nous res-
tent, douze sont divisés en trois tétralogies, de quatre
chacune , et ressemblent plus à des études qu'à des mor-
ceaux achevés; cependant on y peut faire des recherches
précieuses sur la forme de la procédure criminelle à Athènes.
Antiphon avait aussi écrit une rhétorique, ^'é à Rhamnus,
en Attique, au commencement de la 75^ olympiade, il fut
disciple de son père , Sophilos , et de Gorgias. Il avait
placé au-dessus de sa porte cette inscription : Ici Von con-
sole les malheureux. Antiphon commanda plusieurs fois
des troupes athéniennes dans la guerre du Péloponnèse,
équipa à ses frais soixante carènes, et eut une grande part
à la révolution qui établit à Athènes le gouvernement des
quatre cents , dont il fut membre. Envoyé à Sparte pour y
négocier la paix , il ne fut pas heureux dans sa négociation :
les uns disent qu'il fut condamné à mort comme coupable de
trahison dans cette affaire; d'autres soutiennent que ce fut
pour avoir pris part à l'établissement du gouvernement des
quatre cents ; d'autres encore , qu'il fat tué par ordre des
trente tyrans. Enfin , on a prétendu que cet orateur, déjà
vieuï , s'étant retiré en Sicile , s'attira le courroux de Denys
le tyran , et périt pour avoir critiqué les tragédies de ce
prince , ou même pour avoir osé répondre à sa question ,
que le meilleur airain était celui dont étaient faites les sta-
tues d'Harmodius et dAristogiton. De Golbért.
AIVTIPHOiVAIRE, ANTIPHOMER, A>'TIPHO>-.\L
(du grec àvTiyWv/i). Ces mots désignent aujourd'hui le livre
en usage dans l'Église catholique où sont contenues les a?î-
^ie«?i es des vêpres, des matines et des heures canoniales ,
avec les hymnes et autres pièces qui s'y rattachent, le tout
noté en plain-chant. A une époque plus ancienne, comme on
appelait antiennes plusieurs parties de la messe, telles que
YintroïtfVoffertoire et la comiminion, l'antiphonaire con-
tenait non les prières qui le composent à présent, mais celles
qui forment le misse/. C'est ainsi que le pape saint Gré-
goire I"' compila d'après les recueils de ses prédécesseurs
un antiphonaire-missel avec sa notation, dont l'usage s'est
conservé avec plus ou moins de modifications, mais qui a
fait fort mal à propos attribuer à ce pontife la composition du
chant actuel de l'Église de Rome. Voyez chant Ghégorie.n.
AA'TIPHRASE (de àvxl, contre, et de çpdat;, locu-
tion, manière de parier). L'antiphrase est une expression,
ou une manière de parler, par laquelle en disant une chose
on entend tout le contraire : par exemple, la mer Noire, su-
jette à de fréquents naufrages , et dont les bords étaient ha-
bités par des hommes extrêmement féroces, était appelée le
Pont-Euxin , c'est-à-dire mer favorable à ses hôtes, mer
hospitalière. C'est pour cela qu'Ovide a dit que cette mer
avait un nom menteur.
Sanctius et plusieurs autres grammairiens modernes ne
veulent pas mettre l'antiphrase au rang des figures , et rap-
portent ou à l'ironie ou à l'euphémisme tous les
exemples qu'on en donne. Il y a, en effet, je ne sais quoi
d'opposé à l'ordre naturel de nommer une chose par son
contraire, d'appeler lumineux un objet parce qu'il est
obscur.
La superstition des anciens leur faisait éviter jusqu'à la
AMIPHLOGISTIQL'ÊS — ANTIQUAIRE
simple prononciation des noms qui réveillent des idées tristes
ou des images funestes ; ils donnaient alors à ces objets des
noms flatteurs, comme pour se les rendre favorables et
pour se faire un bon augure ; c'est ce qu'on appelle euphé-
misme. Mais, que ce soit par ironie ou par euphémisme que
l'on ait parlé, le mot n'en doit pas moins être pris dans un
sens contraire à ce que la lettre présente à l'esprit; et voilà
ce que les anciens grammairiens entendaient par anti-
phrase. Dlmarsais.
ANTIPODES (de àw., contre, et tioO;, 71680;, pied),
terme relatif qui s'apphque aux habitants du globe dont les
positions géographiques sont diamétralement opposées. Le
plus grand jour des uns correspond à la plus longue nuit
des autres, et pendant l'été de ceux-ci les premiers ont l'hi-
ver. En général, les antipodes ont les jours et les nuits de
même longueur, et les mômes saisons, mais dans des temps
différents et alternativement. Les antipodes de Paris sont
dans le grand Océan, au sud-est de la N'ouvelle-Zélande. La
science a donné plus de précision à ce mot en ne l'appli-
quant qu'aux points diamétralement opposés de la sphère :
ainsi, en astronomie et en géographie mathématique, les
antipodes sont des points situés à 180° de distance sur le
môme méridien et, par suite, à la rencontre de deux paral-
lèles différents , mais également éloignés de l'équateur.
ANTIQUAIRE. On donnait autrefois ce nom à ceux qui
faisaient des scholies ou des notes sur les auteurs, et qui
prouvaient par-là une grande connaissance de l'origine et
de l'antiquité des choses; c'étaient des espèces à'annota-
teurs. On avait étendu cette qualification aux copistes,
nommés aussi libraires {calligraphi-librarii), qui tran.s-
crivaient les vieux livres. Les Romains désignaient plus spé-
cialement sous ce nom les savants qui , nourris du style et
des bons exemples des auteurs anciens ,'s'appliquaient à en
perpétuer le goût et les bonnes traditions par leurs recher-
ches et leurs écrits ; quelques-ims, restreignant cette étude
à la langue et à la grammaire, et recherchant avec affecta-
tion les vieux mots, les expressions surannées et tombées
en désuétude , pour les faire revivre et les remettre en lu-
mière, au mépris des nouvelles, firent prendre en mauvaise
part une qualification qui jusque là n'avait été qu'honorable.
Il y avait enfm anciennement dans les villes les plus consi-
dérables de la Grèce et de l'Italie des personnes de distinc-
tion nommées antiquaires , dont la charge était de faire
voir aux étrangers ce qu'il y avait de curieux, et de leur ex-
pliquer les inscriptions anciennes et les vieux monuments -
ils ont échangé depuis cette qualification contre celle de
cicérone.
Aujourd'hui, ou appeOe du nom à' antiquaire , ou plutôt
A'' archéologue, celui qui s'occupe de la recherche et de l'é-
tude des monuments qui nous restent de l'antiquité, des
coutumes des anciens, des vieux livres, des vieilles images,
des médailles, et généralement de tout ce qui peut donner
quelque connaissance , quelque lumière sur l'antiquité.
Parmi les savants qui se sont le plus distingués dans cette
étude, on doit citer en première ligne les Winckelmann,
les Montfaucon , les Barthélémy, les Caylus; ce dernier fut
un des plus célèbres antiquaires de France, mais comme
il était moins aimable qu'érudit, on lui fit cette épitaphe :
Ci-gît uo antiquaire acariâtre et brusqne.
Ah! qu'il est bien logé dans cette cruche étrusque!
Malheureusement, comme les anciens, les modernes ont vu
aussi prostituer cette qualification à des hommes qui ne la
méritaient pas, et qui l'ont même rendue parfois ridicule •-
tels sont ces individus qui, sans avoir fait les études pré-
paratoires nécessaires pour se livrer à une recherche hé-
rissée de difficultés, preiment pour l'amour de l'antique la
triste manie de recueillir sans ordre et sans choix une foule
de débris, souvent apocryphes, dont ils forment à grands
frais de prélendues collections; enfin, ceux (jui joignent le
ANTIQUAIRE
ilésir d'un gain sovdidc h celte prétention, qui, sans cela, ne
ser;iit qu'un ridicule. C'est ainsi qu'on a vn de nos jours la
dénonnnation d'homme de letties devenir la qualité de
ceux qui n'en ont aucune à revendiquer, et la qualilication
iïartistc usurpée par les barbouilleurs.
ANTIQUAIRES (Sociétés d'). Plusieurs réunions
savantes, décorées de ce titre et faisant des antiquités de
différentes époques l'objet exclusif de leurs études, existent
à Rome, à Paris, à Londres, à "Vienne, à Copenhague, aux
États-Unis, etc. Celle de Londres date de 1572. Celle de Co-
j)enhague s'est particulièrement occupée dans ces derniers
temps des explorations de l'^Vuiérique antérieures à Chris-
tophe Colomb.
La Société des Antïqtiaires de France, qui est secondée
dans la tâche qu'elle poursuit par la Société de V École des
Chartes et la Société de l'Histoire de France, fut fondée,
en 1805, sous le titre d'Académie celtique. Elle ne se pro-
posait alors que la recherche des antiquités celtes et gauloises.
En 1813 une réforme s'opéra dans son sein; elle revisa ses
statuts, étendit le champ de ses investigations ; et tout en
conservant son ancienne devise, Gloriae majorum, elle prit le
titre qu'elle porte aujourd'hui. Elle s'occupe maintenant des
langues, de la géographie , de la chronologie , de l'histoire ,
de la littérature , des arts et des antiquités celtiques, grec-
ques, romaines et du moyen âge, mais principalement de
ce qui a trait aux Gaules et à la France jusqu'au seizième
siècle inclusivement. Elle a publié plusieurs volumes de
mémoires. La Société des Antiquaires de Normandie a été
fondée, à son instar, en 1824, à Caen, et s'est signalée par
des publications nombreuses. Une autre réunion du même
genre s'est formée sous le titre de Société des Antiquaires
de la Morinie', à Saint-Omer, pour l'exploration des mo-
numents de la Flandre et de l'Artois.
ANTIQUE. Depuis que la civilisation a fait assez de
progrès chez les peuples modernes de l'Europe pour leur
[lermettre de consacrer au temps passé une étude attentive
et rénéchie, et d'y recueillir le germe d'un développement
intellectuel spécial, dont ils font leur profit, les monuments
des arts chez les Grecs et les Romains ont obtenu une pré-
férence généralement avouée sur tous les autres vestiges de
l'antiquité. On a reconnu en eux les caractères les plus es-
sentiels, les plus vrais de ces anciens âges : on les a recher-
chés avec soin comme type du passé ; on les a nommés
antiques par excellence , ou, dans un sens plus étendu ,
antiquités, .comme on a appelé anciens les peuples
auxquels ils avaient appartenu , comme on a appelé a r-
chéologie la science qui réunit en faisceau tous ces dé-
bris épars.
Les collections des monuments de la statuaire chez les
Grecs et les Romains devenant chaque jour plus riches, plus
nombreuses, et le sentiment du beau, le goût des arts se
ram'mant par degrés , il en résulta une appréciation juste,
éclairée de ces admirables ruines d'une grandeur détniite.
Le goût des antiques se répandit en Italie dès le quinzième
siècle ; et bientôt ces matières purent former l'objet d'une
science qui , embrassant tout ce qui existait de plus impor-
tant dans ce genre, non-seulement sépara ces objets d'objets
plus vulgaires venus aussi de l'antiquité , mais rechercha
encore le lien qui, y entretenant l'unité, devait reporter à
une .seule idée les productions les plus dissemblables. C'est
là surtout le mérite de ^Vinckelmann. En faisant de l'étude
des chefs-d'œuvre de la plastique chez les Grecs et les Ro-
mains l'objet d'une science particulière, on a réservé à ces
chefs-d'œuvre le nom (Tan tiques, et on y a rattaché l'idée
d'une valeur intrinsèque sous le rapport de l'art.
Une diffèence réelle existe, en effet , incontestablement
entre les œuvres appartenant à réjioque antérieure au
christianisme et celles qui sont postérieures à cette législa-
tion religieuse. Sans doute , il est fort possible qu'on trouve
entre des productions de ces deux âges différents de nom- '
- ANTIQUE 659
brcux rapports et même une grande ressemblance, de mémo
que dans la nature la transition d'un être â un autre est
souvent imperceptible ; mais on parle ici du caractère géné-
ral par lequel la distinction est motivée. En prenant le mot
antique dans l'acception la plus large, nous entendons par-
ler de l'état de la civihsation des peuples avant le christia-
nisme, tel que cet état s'est empreint dans les divers mo-
numents des arts.
Oui , dans les arts , dans l'art plastique surtout, dont les
rapports avec la nature sont les plus intimes et auquel la
dénomination CCantique s'applique plus particulièrement,
les monuments se pénétrèrent , à cette époque , du carac-
tère de la nature, en reproduisirent la variété et la richesse,
tout en rendant hommage à l'unité qui y présidait, et ils s'i-
dentifièrent avec elle à un point auquel les ouvrages des ar-
tistes modernes n'ont jamais pu atteindre. De plus , l'art à
son origine ayant été la représentation du principe divin,
nulle part il ne pouvait mieux saisir ce principe que dans
ces nobles formes humaines sur lesquelles se portait l'en-
thousiasme d'une race privilégiée. Ainsi les images que l'art
eut à produire se trouvèrent empreintes de la noblesse et
de la régidarité des traits nationaux. Aucun peuple ne pai-
vint à la hauteur des Grecs pour le fini des formes corpo-
relles , et dès cette période la plastique était anivée à la
perfection. Mais gardez-vous de croire que l'art hellénique
fût une imitation servile de la nature, prise dans certains
échantillons isolés; non, c'est de l'exécution qu'il s'élève à
l'idée, de la forme accidentelle au type, et c'est ainsi qu'il
ennoblit les formes corporelles. L'art grec idéalise, mais
avec vérité; la nature vit dans toutes ses créations, mais
forte, mais puissante, et telle qu'elle se révèle par son en-
semble, par les qualités qu'elle dissémine sur une infinité
d'objets, au lieu de les réunir sur une seule tête.
Ce sont là chez les Grecs, suivant nous , les caractères
essentiels de l'art. Chez les Romains ( car chez les Étrusques
il n'existe qu'un essai, qui s'arrête au premier pas ), l'art
était un calque des créations helléniques, ou tout au plus,
et dans ses meilleures productions seulement, une seconde
fleur venue dans l'arrière-saison sur le même arbre. Les
chefs-d'œuvre amassés en Grèce servaient aux Romains do
modèles ; mais ils y mettaient leur cachet, la radesse do
leurs hommes de guerre et la gi-avité de leurs hommes pu-
blics. Les Grecs aimaient la forme pour la forme même, et
en faisaient par conséquent le principe absolu de l'art. Les
Romains suivirent cette direction, et chez eux, conuiie chez
les Grecs, l'art prétend au titre ^''antique: une statue à
l'antique peut être aussi bien dans le goût des Romains
que dans celui des Grecs.
Dans cette acception restreinte, Vantique est jusqu'à un
certain point la même chose que le classique; l'un el
l'autre indiquent la perfection de la forme, l'esprit inventeur,
le goût sûr et épuré qui se manifestent dans l'exécution
d'r.n ouvrage; tous les deux s'appliquent exclusivement aux
Grecs et aux Romains. Toutefois Vantique appartient en
propre aux arts plastiques, et c'est à la représentation delà
ligure humaine qu'il a plus particulièrement été réservé.
Dans ce sens, ce mot est donné h des statues, à des bas-re-
liefs, à des mosaïques. Le mot ciassi^MC s'applique plutôt
aux productions de l'esprit chez les anciens.
Après ce qui précède, la distinction est facile entre un
cabinet d'antiquités et un musée d'antiqties. La pre-
mière dénomination appartient aux riches collections de la
Bihliotlièque Impériale et du Louvre à Paris, du Musée Bri-
tannique à Londres, de la Burg à Vienne, de l'Université à
Berlin, de l'Ermitage et du palais deTauride à Saint-Péters-
bourg, à celle de Stockhohn, à celles aussi de divers particu-
liers disséminées en Europe. Quant aux musées d'antiques,
lesplus célèbres sont ceux du Vatican et du Capitoleà Rome ;
dei Studi, à Naples, de Médicis à Florence, des Salles
kisses du Louvre à Paris, du Palais japonais à Dresde, de
83.
660 ANTIQUE
la Glyptothèquc à Municli , etc. Chaque année de nouvelies
fouilles découvrent de nouvelles richesses en Italie et en
Grèc«. Les savants modernes qui ont écrit sur les antiques
avec le plus d'érudition et de profondeur sont : Visconti,
Winckelinann, ^Volf, Ileyne, Boutervvek et Borttiger.
ANTIQUITÉ. On entend par ce mot les temps passés,
les siècles les plus reculés, et l'on y joint d'ordinaire les
épitliètesde haute, savante, noble, respectable ou glorieuse,
qui toutes prouvent dans quelle vénération elle a été long-
temps aux yeux des modernes, bien que souvent ils ne se
soient pas fait faute de l'accuser d'être obscure, fabuleuse
et mensongère. Les Romains l'avaient personnifiée; ils la
représentaient vêtue à la grecque, couronnée de laurier,
assise sur un trône soutenu par les génies des beaux-arts,
environnée par les Grâces tenant d'une main les poëmes
d'Homère et de Virgile, regardés par eux comme les plus
beaux monuments de l'esprit humain, et montrant de l'autre
les médaillons des plus grands génies d'Athènes et de Rome
ap[»endus au temple de Mémoire. Ce temple réunissait les
trois ordres grecs, et l'on voyait au pied du trône les plus
beaux morceaux de sculpture qui restent de l'antiquité, tels
que la Vénus, l'Apollon, l'Hercule, le Laocoon, etc. On con-
cevra ce culte pour l'antiquité si l'on réfléchit qu'en eflet, à
l'exception des nombreuses découvertes scientifiques ([ui
font la gloire de notre époque, il est peu de créations hono-
rables pour l'esprit humain dont on ne retrouve l'origine
chez les Grecs et chez les Égyptiens, dont les Romains eux-
mêmes n'ont guère été dans plus d'un genre que les pâles
imitateurs. C'est ce sentiment de la priorité des anciens qui
a dicté cette boutade spirituelle à un poète :
Dis-je une chose assez belle,
I/Antiqiiilé, tout en émoi,
Hépoiiil : Je l'ai dite avant toi
C'est une plaisante donzclle!
O'ie ne venait-elle après moi?
J'aurais dit la chose avant elle.
Nous traiterons de l'antiquité comme science à l'articlo
Akcuiîologie.
AIVTISCIEIVS ( de àvtt, contre, et cr/.ta, ombre ). On
appelle ainsi en géographie les peuples qui habitent de dif-
férents côtés de la ligne équatoriale, et dont, à midi, les
ombres ont des directions contraires, en raison de leur si-
tuation par rapport au soleil. Ainsi, les septentrionaux sont
antisciens aux méiidionaux, parce qu'à midi ces derniers
ont leur ombre dirigée vers le pôle antarctique, tandis que
celle des premiers est dirigée vers le pôle arctique.
ANTISCORBUTIQUES, médicaments employés con-
tre le scorbut, et aussi dans les maladies scrofûleuses ; ils
appartiennent presque tous à une même famille de plantes,
les cniciffcres; les amers et les acides jouissent aussi, à un
certain degré, de propriétés antiscorbutiques. Le plus fré-
quemment employé est le vin antixcorbulique, que l'on
prépare en mettant digérer pendant trente-six heures dans
une pinte de vin blanc une once de racine fraîche de raifort,
coupée menu, une demi-once de feuilles fraîches de cochlea-
ria, une demi-once de trèfle d'eau, une demi-once de graine
de moutarde contuse, deux gros de chlorhydrate d'ammo-
niaque. On filtre après la digestion, et on ajoute ensuite une
demi-once d'alcool decochlearia.
ANTISEPTIQUES (du grec àv-rl, contre; aïiTieîv,
pourrir ). On appelle ainsi les remèdes employés, soit à
l'extérieur, soit à l'intérieur, pour réveiller l'action vitale dans
les parties menacées de décomposition , ou pour soustraire
les parties saines à l'influence délétère des parties frappées
de mortification. Les agents qu'on emploie le plus ordi-
nairement à l'intérieur sont les acides, les astringents, les
toniques et certains excitants. Les acides et les astringents
sont quelquefois aussi employés topiquement; mais on a le
plus souvent recours à l'action absorbante du charbon ou du
clilorursde chaux.
ANTISTROPHE
ANTISPASMODIQUES (d'dvTi, contre; ffTtadtiàç,
spasme). Médicaments qui possèdent la propriété de mo-
difier d'une manière directe et pour ainsi dire essentielle
certains troubles de l'innervation. On les a aussi appelés
diffusibles, pour exprimer leur action rapide et passagère.
Ils semblent exciter et fortifier le système nerveux. En
môme temps qu'ils régularisent pour ainsi dire son action ,
ils apaisent la douleur et calment l'agitation sans occasionner
l'assoupissement comme les narcotiques. Ils <liminuent les
mouvements convulsifs , quand toutefois l'infiammation du
système cérébral n'en est pas la cause. En général, leurs
effets sont d'autant plus marqués que le malade est dans
un état de faiblesse et d'irritabihté plus grande, et se mani-
festent très-promplement ; mais leur usage est nuisible
toutes les fois qu'il existe une inflammation de quelque
organe important. La plupail des médicaments de ce genre
sont remarquables par leur odeur et par la grande volati-
lité de leurs principes actifs : leur nature varie considéra-
blement. Les principaux antispasmodiques sont l'ambre gris,
le castoréum, le musc, l'huile animale deDippel , la mélisse,
le narcisse des prés, les feuilles et fleurs d'oranger, la pi-
voine , la valériane , le tilleul , les huiles volatiles , l'indigo ,
l'assa-fœtida, la gomme ammoniaque , le camphre, la pétrole,
le succin , les divers éthers , le chlorure de zinc , ie cyanure
de fer, les oxydes de bismuth et de zinc , le sulfate de cuivre
ammoniacal, etc. La plupart des médicaments antispasmo.
diques n'agissent pas comme poisons , et on peut dire qu'il
est peu de substances dont les effets s'émoussent plus vile
par l'habitude. Aussi, quand on ne réussit pas avec un anti-
spasmodique, on ne doit pas craindre de s'adressera im autre,
et l'on est souvent plus heureux.
ANTISTHÈNE, fondateur de la secte cynique, né
à Athènes, vers la deuxième année de la 89* olympiade
(423 ans av. J.-C. ). Il reçut d'abord des leçons du sophiste
Gorgias, et exerça la profession de rhéteur. Quand il eut
entendu Socrate, il renonça à l'éloquence pour se livrer
tout entier à l'étude de la pliilosophie. C'est dans les prin-
cipes de Socrate qu'Antisthène puisa cet ardent amour de la
vertu, cette haine énergique, implacable, du vice, deux
qualités qui distinguent l'école cynique. Il fit consister la
vertu dans les privations , dans tout ce qui nous met à l'abri
des influences extérieures, dans le mépris des richesses,
des dignités , de la volupté , et même de la science ; il voulut
restreindre l'esprit et le corps au strict nécessaire. Il
n'hésita pas à paraître en public la besace sur le dos et un
bâton à la main , comme un mendiant. Platon sut très-bien
démêler les motifs de cette humilité apparente : « Je vois,
lui disait-il , ta vanité à travers les trous de ton manteau. »
Antisthène eut beaucoup d'imitateurs; le plus fameux de
ses disciples fut Diogène. Si celui-ci l'emporta sur son
maître par la vivacité de son esprit , par la causticité origi-
nale de ses saillies, Antisthène montra plus de dignité dans
sa conduite. Le premier, il osa poursuivre les accusateurs
de Socrate , et fut cause ainsi de l'exil de l'un , de la mort
de l'autre ; toutefois , l'abbé Barthélémy a révoqué ce fait
en doute. Antisthène était d'un commerce agréable; Xéno-
phon en fait l'éloge dans le Banquet. Après la rnort de
Socrate, une philosophie s'établit dans le Cynosarque,
gymnase d'Athènes. Ce fut, assure-t-on, de ce lieu que cette
secte fut nommée cynique. Les apophthegmes d'Antistliène
sont connus : il avait composé un grand nombre d'ouvrages,
dont on ne trouve plus vestige. Les lettres qu'on lui attribue
sont apocryphes. On ignore l'époque de sa mort.
ANTISTROPI!E(de àvtî, contre, et de arpoçri , con-
version, retour). C'était chez les poètes lyriques grecs la
partie d'un chant ou d'une danse que le chœur exécutait
devant l'autel , en tournant sur le théâtre de gauche à droite,
par opposition à la stancc précédente, nommdQ strophe,
qu'il chantait en allant de droite à gauche. — En termes de
grammaire , c'est une figure par laquelle deux choses dépen-
ANTISTROPIIIi: - ANTOINE
661
dantes runc de l'autre sont réciproquemont ronversi^os :
comme le domestique du maître , et le maître du domes-
tique. — Les Grecs ilonuaient eulin ce nom à une manœuvre
consistant à faire exécuter une conversion rétrograde à une
phalange , ou seulement ;\ une portion de phaUmge qui venait
de faire un mouvement en avant.
ANTITACTES, hénliques du deuxième siècle, qui
professaient l'une des plus étranges bizarreries de l'esprit
humain. Us admettaient un Dieu bon et juste; mais suivant
eux le monde avait été livré à un mauvais principe, qui
avait trompé les hommes, en leur présentant comme bien
ce qui était mal, et mal ce qui était bien. Us en concluaient
que l'homme devait faire tout le contraire de ce que lui
prescrivaient les lois divines et humaines. C'était un moyen
commode de justifier les vices et les crimes, et de s'abstenir
de toute espèce de vertu.
ANTITHÈSE (du grec àvTi, contre, et Uaiz, position).
C'est une ligure de rhétorique, qui consiste dans l'opposition
des pensées et des mots dans le discours. On s'en sert heu-
reusement et à propos lorsqu'on veut réveiller l'attention
de son lecteur et de son auditoire, en le frappant par mi
trait inattendu , qui saisit l'imagination , et par un rappro-
chement d'images différentes, qui produit sur les esprits le
même effet que le contraste des sons graves et doux dans
la nmsique, des lumières et des ombres dans la peinture.
Cette figure est d'un grand secours dans l'éloquence et dans
la poésie , mais il faut qu'elle soit amenée naturellement et
sans effort; il faut en user avec sobriété, et craindre de la
faire dégénérer en cliquetis de mots puérils , répugnant au
bon goût, et très-fatigants, à la longue, pour l'oreille qui
n'y est pas accoutumée.
Une école littéraire moderne paraît avoir fait, de sa propre
autorité, de la vieille antithèse un des principaux éléments
de son beau langage. Elle l'emploie avec une prodigalité ef-
frayante en vers , en prose , dans les discours d'apparat sur-
tout. L'antithèse a su se rendre teilt ment indispensable à
cette école , que la malheureuse serait bien emljarrassée si
l'opinion, se cabrant, lui disait un jour qu'elle n'en veut plus,
et que des pensées simples simplement exprimées feraient
bien mieux son affaire. En Grèce, Lsocrate est l'écrivain qui
a affectionné le plus cette espèce de gymnastique oscilla-
toire, dont son discours od Dcmonicum nous a conservé un
déplorable exemple. Cicéron, chez les Latins, ne s'en fait pas
faute non plus, ni Quintilien, ni Silius Ualicus, ni Stace, ni
Claudien , ni Yida , ni grand nombre d'auteurs de la déca-
dence romaine.
Cette antithèse de Cicéron : Vicit pudorem libido, ti-
morem audacia, rationem amentia , ne présente qu'une
opposition de mots ; mais cette pensée d'Auguste, parlant à
quelques jeunes séditieux : Audite , juvenes , scnem quem
jiivenem aiidiverc senes, offre à la fois ime opposition de
mots et une opposition d'idées. C'est une antithèse parfaite.
Chez nous Louis Racine a dit :
Ver impur delà lerre et roi de l'univers,
Riche et vide de biens, libre et chargé de fers.
Je oe suis que meosonge , erreurs, iucertitudc.
Et Larochefoucauld : « Nous aimons toujours ceux qui nous
admirent, mais nous n'aimons pas toujours ceux que nous
admirons. »
Nous trouvons, enfin , une antithèse fort ingénieuse dans
ce que dit Lessing d'un ouvrage sur lequel on lui deman-
dait son opinion : « Ce livre contient beaucoup de bonnes
choses et beaucoup de choses nouvelles. Ce qu'il y a de fû-
clieux, c'est que les bonnes choses qu'il renferme ne sont pas
nouvelles, et que les choses nouvelles ne sont pas bonnes. »
ANTITRIAITAIRES. On appelle de ce nom tous
ceux qui nient la Sainte-Trinité, et qui ne veulent point
reconnaître trois personnes en Dieu. Les disciples de Paul de
Samosate et les pholiniens, qui n'admettaient point la dis-
tinction des trois personnes divines; les ariens, qui niaient
la divinité du Verbe; les macédoniens, qui contestaient celle
du Saint-Esprit, étaient tous des antitrinitaires , dénomi-
nation sous laquelle on entend principalement aujourd'hui
les sociniens, que l'on appelle aussi imitair es.
AIVTIUM, ville célèbre de la vieille Ualie, chef-lieu du
pays desVolsques, bûtie au bord de la mer sur des rochers,
à une faible distance de Rome. Elle était la source de
continuelles inquiétudes pour cette future reine du monde;
et cependant elle en avait subi la domination sous les rois,
car elle est mentionnée comme sujette de Rome dans le
traité que celle-ci conclut avec Carthage , la première année
après l'expulsion des rois ; elle y figure avec Ardée , Aricie,
et Terracine ; il ne paraît pas qu'elle fût volsque avant la
bataille du lac Régille. Niebuhr pense qu'elle le devint de
268 à 270, par l'introduction d'une colonie. Plus tard, An-
tium excita toute la sollicitude de Camille, qui voulait s'en
emparer, en l'an 367 de Rome , quand le sénat lui ordonna
de marcher au secours de Népète et de Sutrium, assiégées
par les Toscans. Dans l'intervalle elle avait encore reçu
une colonie de mille Romains ; mais Coriolan l'avait reprise
pour les Volsques. Tous ces événements sont fort obscurcis
par les récits de la vanité romaine. Soumise de nouveau à
la fin du quatrième siècle, on revoit Antium ennemie de
Rome en 409. En 417 une nouvelle colonie romaine y fut
envoyée. U faut voir dans l'Histoire romaine de Niebulu- les
diverses révolutions que subit cette cité ; elles y sont appré-
ciées sous un jour nouveau. Cicéron faisait venir sa famille
d'Antium; il la faisait descendre d'un roi TuUius, qui aurait
donné l'hospitalité à Coriolan fugitif. Caligula affectionnait
ce séjour. Néron y naquit. Compensation et contrastes, c'est
toujours et partout la vie des honunes et des villes.
De Goleéry.
ANTCœCIENS, ANTÉCIENS ou ANTIŒCIENS (du
grec àvTÎ , contre, otxta, maison). On nomme ainsi les
peuples qui se trouvent sous le même méridien et sous des
parallèles opposés , à égale distance de l'équateur, les uns
au nord, les autres au sud, c'est-à-dire que si l'un d'eux est
situé au 40^ degré de latitude nord , l'autre est situé au
40*^ degré de latitude au sud : tels sont les habitants du
Cap de Bonne-Espérance et ceux du Cap Matapan. Les an-
téciens ont des pôles également élevés; mais ils n'ont pas
le même pôle. Toutes les heures du jour et de la nuit sont
les mêmes chez les deux peuples, parce qu'ils sont situés
tous les deux sur le même méridien. Les jours des uns sont
égaux aux nuits des autres , à cause de leurs latitudes op-
posées. Le jour le plus long pour les uns est le plus couit
pour les autres, et réciproquement, parce que leur méridien
est le même ; mais leur latitude est opposée. Les saisons de
l'année sont opposées les unes aux autres chez les deux
peuples : c'est-à-dire que quand les uns sont en hiver, les
autres sont en été ; mais cette différence de saison est très-
peu sensible pour les antéciens qui habitent la zone for-
ride. Les peuples qui sont sous l'équateur n'ont pas d'an-
tœciens.
ANTOME (Marc -) naquit l'an 86 avant J.-C. Son père
avait été préteur, et son grand-père, l'orateur Antoine, était
parvenu aux plus hautes charges de la république. Par sa
mère Julia il était allié à la famille de César. Riche et d'il-
lustre maison, ]\Iarc-Antoine s'empressa de dissiper son pa-
trimoine avec les belles affranchies de Rome, s'enivrant tour
à tour avec Curion et avec Clodius ; puis il se rendit à
Athènes pour se formera l'éloquence asiatique, qui convenait
si bien à son caractère vantard et ambitieux. Echappé aux
écoles , il fit ses premières armes sous les meilleurs lieute-
nants de César. Le consul Gabinius , qui allait combattre
Aristobule, lui donna un commandement en Syrie; il passa
ensuite en Egypte, au seivice de Plolémée, qui avait promis
six millions de drachmes à qui lui rendrait son royaume.
Apiès avoir sauvegardé les habitants de Pélusc des fureurs de
662
ANTOINE
leur roi, il revint en Italie avec une réputation militaire
toute faite, prodigieusement riche du prix de sa conquête,
ayant acquis en outre une grande popularité dans les camps :
f.cs manières brusques et familières, le contraste d'une fru-
galité Spartiate aux heures du besoin et du danger et d'une
fabuleuse intempérance après la victoire avaient séduit les
soldats. Un honuue qui arrivait à Rome avec de tels avan-
tages ne pouvait pas manquer, en ces temps malheureux ,
de jouer un grand rûlc dans les destinées de l'État. Sa
démarche héroïque, sa physionomie virile, attirèrent bientôt
les regards de la foule ; et comme il savait tout le prestige
qu'exerce sur l'esprit populaire la magie d'un nom et d'un
souvenir jointe à l'image de la force, il rappelait volontiers
sa divine origine, et l'on n'avait garde d'oublier que la gens
Antonia était issue d'Hercule par son fils Anton.
Allié de César, Antoine embrassa son parti parce qu'il
prévit sa fortune, et fut d'abord par son crédit nommé tribun
du peuple , puis associé au collège des augures. Quand le
vainqueur des Gaules se fut rendu maître de Rome, il confia
à Antoine le commandeiuent de l'Italie, et le fit général de
la cavalerie lorsqu'il parvint à la dictature. C'était la se-
conde charge de la république. Sur ces entrefaites, le tribun
du peuple D o 1 a b c 1 1 a ayant proposé une abolition de dettes ,
Antoine repoussa par la force cet audacieux, qui avait eu re-
cours aux armes. Sa popularité en ressentit une grande
atteinte. Les partisans de Dolabella ne se firent pas faute
de présenter au peuple le contraste choquautde César veil-
lant dans les Ciimps an salut de l'État , et de son heute-
nant trahissant ses généreux projets en faveur de la plèbe
et passant de folles nuits dans la ville au sein d'une opu-
lence inouïe. La faveur de César sembla môme un instant
abandonner le fils de Julie ; car il se donna pour collègue
au consulat ce môme Dolabella , quoiqu'il fit moins de cas
encore de son caractère et surtout de ses talents. Riais lorsque
le dictateur revint d'Espagne, Antome reprit tout son crédit.
Quelque temps après, à la fête des Lupcrcales, Antoine posa
une couronne de lauriers ceinte d'un diadème sur la tête de
César, le désignant ainsi au peuple comme digne de régner.
Que cette scène fût ou non concertée h l'avance, c'était une
maladresse , une faute ; et cette faute mit le poignard aux
mains de Brutus. Après la mort de César, Antoine, qui
n'était pas encore silr des dispositions du peuple , feignit de
vouloir à tout prix empocher la guerre civile ; au sénat iJ
consentit à donner des provinces aux assassins de César.
Le sou- môme Cassius soupa chez lui. Riais le lendemain,
voyant l'attitude de la population , il leva le masque, et,
prononçant l'oraison funèbre du dictateur, il déploya sa robe
ensanglantée, et appela le peuple à la vengeance. Les con-
jurés s'enfuirent de Rome.
Ici commence la plus brillante période delà vie politique
d'Antoine. Pour gagner la bienveillance du sénat, il fait don-
ner le commandement des flottes à Sextus, fds de Pompée,
renverse l'autel de César, dissipe la populace, qui s'y attrou-
pait, et punit de mort les chefs qui rameutaient. Devenu
odieux à la multitude, il s'en fit un mérite aux yeux des
patriciens ; et, feignant de craindre pour ses jours, il eut
l'adresse de se faire accorder une garde, qu'il composa de
vétérans, et dont il porta le nombre jusqu'à six mille. Pour
dissiper les soupçons que sa conduite faisait naître chez ses
nouveaux amis, il proposa d'abolir la dictature, et la loi en
fut portée dans une assemblée du peuple. Antoine, instruit
par l'expérience, pensait avec raison qu'il faut payer les
hommes avec des mots, puisqu'ils s'en contentent. Que lui
importait en effet d'être dictateur ou consul? Appuyé de
Lépide, qu'il avait fait souverain pontife, il régnait avec
plus de despotisme que César n'avait jamais régné. Les
choses étaient dans cet état quand parut Octave.
Ce jeune homme de dix-huit ans, qui depuis six mois était
à ApoUonie pour y terminer ses études, avait conçu l'auda-
çiciLX projet de venger la mort de son oncle et de le rem-
placer, malgré le sénat, qui favorisait les conjurés, et malgré
Antoine. Celui-ci ne vit dans ses desseins que la témérité
de l'adolescence , et refusa de lui rendre la succession de
César, dont il était dépositaire. Aussitôt Octave mit en vente
son propre patrimoine pour acquitter les legs du testament;
le peuple applaudit à cette libéralité, et se déclara ouverte-
ment contre le consul. Se voyant l'objet de la réprobation
générale , Antoine s'empressa de venir en accommodement
avec Octave. Ils se promirent alors mutuellement d'agir de
concert pour enlever la Gaule Cisalpine à D. Brutus. An-
toine, qui convoitait ce gouvernement, et qui ne pouvait l'ob-
tenir du sénat , sut persuader à Octave de le lui faire donner
par le peuple. Il ne l'eut pas plus tôt que, se croyant déjà
maître de l'empire, il ne ménagea plus son jeune rival. Tous
deux se mirent à parcourir l'Italie, sollicitant par de grandes
récompenses les vétérans établis dans les colonies et se dis-
putant les légions aux enchères. Cicéron , qu'Octave avait
eu l'habileté de s'attacher par ses procédés et sa déférence,
attaqua Marc-Antoine avec une grande violence , et le repré-
senta comme le plus dangereux ennemi de la république. A la
voix du célèbre orateur, le sénat dégénéré vota des remer-
ciements à Octave , simple particulier qui armait contre le
consul , et le fit préteur. On vit alors le fils de César, joignant
ses troupes à celles des consuls Hirtius et Pansa, marcher
sous les enseignes de ses ennemis au secours de D. Brutus ,
l'un des assassins de son père. Après deux combats, Antoine
fut forcé de passer dans la Gaule Transalpine. La constance
héroïque qu'il déploya en cette occasion releva le moral de
ses troupes; l'homme des longues orgies, qui promenait ses
maîtresses avec plus d'éclat que sa mère , le débauché qui
n'avait pas rougi jadis d'offrir en plein Forum le spectacle
honteux de son intempérance, ne vivait plus que de racines,
buvait sans répugnance l'eau corrompue puisée dans le creux
des rochers. Au rebours des caractères iiilgaires, les revers
de la fortune semblaient grandir le sien. Il fut joint par Ven-
tidius quand il descendait dans les Gaules, et grossit son ar-
mée de celle de Lépide , que la révolte de ses soldats con-
traignit à se réunir à lui. La modération dont il fit preuve
envers ce général détermina Plancus et Pollion à embras-
ser sa cause. Il se trouva de la sorte à la tôte de dix-sept
légions et de dix mille chevaux , sans compter six légions
qu'il laissa pour garder la Gaule.
Le sénat, qui n'avait pas de forces à lui opposer, se jeta
dans les bras d'Octave. Celui-ci se fit nommer consul , se
saisit du trésor public pour le distribuer à ses soldats; puis,
feignant de prendre les ordres du sénat, il s'éloigna de Rome
en apparence pour attaquer Antoine. Mais on n'ignora pas
longtemps ses véritibles desseins. Déciraus Brutus, aban-
donné de ses troupes, était tombé au pouvoir d'Antoine, qui
lui fit trancher la tête. Cette victime immolée aux mânes de
César fut le gage de la réconciliation. Elle eut Heu dans une
petite ile du Rhcnus, entre Bologne et RIodène. Antoine ,
Octave et Lépide conférèrent pendant trois jours dans cette
île à la vue de leurs armées. Sous le titre de triumvirs , ils
se partagèrent les provinces, et leur union fut encore plus
fatale à la république que leurs querelles. Le nouveau
triumvirat ramena l'époque sanglante de RIarius et de
Sylla, et dressa des listes de proscriptions. On vit ces trois
hommes faire entre eux d'horribles compromis, et sacrifier
leurs amis à leurs vengeances réciproques : Octave immole
Cicéron à RIarc-Anloine, pendant que celui-ci laisse égorger
le père de sa nièce, et que l'infâme Lépide abandonne Paulus,
son propre frère. Quand ils furent rassasiés de sang, Antoine
et Octave se partagèrent le commandement pour aller com-
battre Brutus et Cassius en RIacédoine, pendant que Lépide
restait à Rome. L'honneur de la victoire de Philippes re-
vint tout entier à RIarc-Anloine. Après cette bataille les deux
triumviis firent un nouveau partage de l'empire, et dépouil-
lèrent Lépide, sous prétexte qu'il avait entretenu des intelli-
gences avec S. Pompée. Antoine comprit dans son gouvcr-
ANTOINE
6G3
neraent rAfriquc cl tontes les provinces q\ii avaient appartenu
aux conjurés ; puis après Otre demeuré quelque temps en
Grèce , et particulièrement à Athènes , où il se fit initier aux
mystères , il passa en Asie.
Dès lors commence pour Antoine une nouvelle existence ;
la servitude et la mollesse de l'Orient dégradèrent cette àmc
de soldat. Au moment de partir pour une expédition contre
les Parthes, il manda près de lui Cleo pâtre, reine dl'lgypte,
accusée d'avoir favorisé Brutus et Cassius. Le somptueux
équipage dans lequel cette princesse vint se juslilier, le
charme extraordinaire de sa personne, plus grand encore
que sa heauté, la souplesse et la vivacité de son esprit,
tirent une profonde impression sur le général romain. Cléo-
pàtre eut bientôt conquis un empire sans bornes ; elle savait
flatter avec tant de délicatesse le vainqueur de riiilippcs,
elle savait si bien prévenir la satiété par des plaisirs tou-
jours nouveaux ! Cependant les nouvelles arrivées d'Italie
forcent Antoine à quitter Alexandrie; son frère et sa femme
Fui vie avaient pris les armes contre Octave. Prêts à en venir
aux mains, les triumAii"s sont torcés à la paix par les disposi-
tions de leurs armées , et procèdent à un nouveau partage.
Antoine eut tout l'Orient à partir de Scodra en Ulyrie; et
pour mettre le sceau à la réconciliation, il épousa la belle et
vertueuse Oc ta vie, sœur d'Octave. Jaloux des succès de
"V'entidius, son lieutenant , il se h;Ua de passer en Asie pour
terminer la campagne contre les Parthes ; mais il eut la gé-
nérosité de lui céder le triomphe, que le sénat lui décernait
suivant l'usage.
Le monde semblait pacifié , quand la passion d'Antoine
pour Cléopûtre vint allumer de nouvelles discordes. Le
peuple romain s'indigna de la démence d'Antoine, qui don-
nait plusieurs provinces à sa maîtresse et dissipait en deux
heures avec elle les revenus d'un royaume. L'orage s'amon-
celait à l'Occident quand Antoine partit avec une armée
de 100,000 hommes pour faire la guerre aux Parthes. La
saison était avancée ; les troupes, fatiguées d'une marche de
trois cents lieues, avaient besoin de repos. On lui conseilla
de passer l'hiver en Arménie, où régnait Artabaze, fds de
Tigrane, alors allié des Romains, et de retarder son entrée
en Médie jusqu'au printemps; mais son amour ne put souf-
frir ce délai. Impatient de retomner victorieux en Ég)"pte ,
il marche sur Praaspa , capitale du roi des Mèdes, et afin
d'arriver plus tôt devant cette place, il laisse en chemin ses
machines de guerre sous la garde de deux légions. Presque
aussitôt ces légions sont taillées en pièces par le roi des
Parthes, et ce désastre est suivi de la défection d'Artabaze.
Dans cette situation périlleuse Antoine comprit que chaque
heure d'hésitation rendait la retraite de plus en plus diffi-
cile : il leva le siège , et traversa cent lieues de pays, tou-
jours harcelé parles Parthes, à qui il livra dix-huit combats.
Il perdit vingt-quatre mille hommes dans cette campagne ;
mais l'attachement que lui montrèrent alors ses soldats était
l)ien fait pour le consoler d'un si grand désastre. Cependant
son fol amour lui fit faire encore d'autres pertes ; au lieu de
prendre ses quartiers d'hiver en Arménie , il eut hâte de re-
venir en Syrie, et dans une marche à travers les neiges et
les glaces il perdit encore huit mille hommes. Il lui fallait
pourtant des succès pour faire oublier ses défaites. Ne pou-
vant les avoir glorieux , il se résigna à les avoir faciles, et
châtia la défection d'Artabaze en lui prenant son royaume.
De retour en %ypte, il triomphe à Alexandrie, et prostitue
la pourpre romaine dans une ville étrangère pour en donner
le spectacle à une reine. Prêt à marcher de nouveau contre
les Parthes, il revint sur ses pas pour dissiper les inquiétudes
de Cléopàtrc , qui était jalouse d'Octavie ou qui feignait de
l'être ; et voulant lui donner une preuve éclatante de sa ten-
dresse, il défendit à la sœur d'Octave de venir le trouver en
Asie; puis il fit élever dans le gymnase deux trônes, l'un
pour lui, l'autre pour la reine. Là, en présence du peuple
d'Alexandrie, il jura qu'il tenait Cléopàtre pour son épouse
légitime; il la déclara reine d'Égj'pte, de Libye, de Chypre
et de Cœlésyrie, et lui associa Césarion, son fils, qu'U re-
connut né des œuvres du grand César. 11 conféra ensuite le
titre de rois des rois aux enfants qu'il avait eus d'elle , et
donna au premier, Alexandre, l'Arménie, la Médie et lo
royaume des Parthes , dont il se proposait toujours la con-
quête ; au second, Ptolémée, la Syrie, la Phénicie et la Cilicie.
Tant d'outrages ne pouvaient rester impunis. Octave obtint
un décret qui privait Antoine de la puissance triumvirale et
lui déclarait la guerre. La lenteur avec laquelle Antoine s'y
prépara donna à Octave, qui ne craignait rien tant qu'une
surprise , le temps de réunir sa (lotte et ses armées. Mais
qu'importait à Antoine? Il était à Samos, et donnait des
fêtes à Cléopàtre. Ce ne fut qu'à la dernière extrémité qu'il
se résolut à combattre. La bataille d'Actiu m termina cette
querelle des deux maîtres du monde. Cléopàtre avait perdu
Antoine, il ne lui restait plus qu'à le trahir; c'est ce qui ar-
riva. Elle livra Péluse à Octave, entretint une négociation se-
crète avec lui; elle espéra môme un instant s'en faire aimer.
Enfin une dernière perfidie la débarrassa d'un amant trahi
par la fortune. Sur un faux avis de sa mort, qu'elle lui fit trans-
mettre, Antoine, désespéré, se précipita sur son épée , mais il
ne mourut pas sur-le-champ ; et comme il apprit que Cléo-
pàtre vivait encore , il se fit hisser tout sanglant par-dessus
le mur du tombeau où elle s'était réfugiée, et mourut dans
ses bras , à l'âge de cinquante-six ans, l'an 30 avant J.-C.
W.-A. DUCRETT.
AJVTOIIVE ( Saint ), surnommé le Grand, naquit l'an 251
de J.-C.,à Côme, près d'Héraclée, ville de la haute Egypte.
En 2S5 ce saint personnage se retira dans la solitude, où il
se livra tout entier aux pratiques de la dévotion. Vers l'an-
née 305 , quelques ermites des environs vinrent habiter avec
lui : ce fut l'origine de la vie monastique. En 311 il partit
pour Alexandrie, où les chrétiens étaient en butte aux plus
cruelles persécutions. Saint Antoine espérait obtenir au mi-
lieu d'eux la couronne du martyre. Trompé dans son attente,
il retourna auprès de ses saints compagnons. Par la suite ,
•il céda la direction du monastère qu'il avait fondé à saint
Pacôme, et s'enfonça plus avant dans les déserts, où il mou-
rut , en 356.
Il était constamment vêtu d'im cilice , et s'abstenait de
bain. Quant aux tentations qu'il eut à subir, à ses luttes
avec le démon , et aux miracles qui lui furent attribués ,
selon le rapport de saint Athanase, qui a fait sa biographie ,
n'est-il pas inutile de dire que ce ne sont point autant d'ar-
ticles de foi.' Il n'est nullement prouvé, non plus, que les
sept lettres et les autres ouvrages ascétiques , ainsi que la
règle de Saint- Antoine , qu'on lui attribue, soient de lui.
Quoique, dans le fait, il n'ait jamais fondé d'ordre, les reU-
gieux schismatiques de l'Église d'Orient, tels que les moines
arméniens , jacobites , etc., prétendent qu'ils font partie de
l'ordre de Saint-Antoine.
La légende ne borne pas ses récits aux faits authentiques
de la vie du bienheureux. Le quadrupède qu'on lui a donné
pour compagnon , la légion de diables qui le tente au désert ,
et qu'il fait fuir en leur jetant de l'eau bénite , ont égayé le
crayon de Callot et le pinceau grotesque de plusieurs peintres
flamands. Ils sont le sujet aussi d'un joli pot-pourri de Se-
daùie et d'un opéra moderne, la Tentation. Il n'est pas
de saint plus populaire que saint Antoine , et son étrange
compagnon est devenu proverbial dans la chrétienté.
AXTOINE (Religieux de Saint-). En 1070, Gaston, gen-
tilhomme du Dauphiné, ayant été guéri du mal des ar-
dents par l'intercession de saint Antoine, fonda à Saint-
Didier, près de Vienne en Dauphiné, où l'on conservait les
reliques du saint, un hôpital pour les pauvres atteints de la
même maladie. Ce prieuré, érigé en abbaye par Boniface VIII,
fut le berceau de l'ordre des chanoines réguliers de Saint-
Antoine, approuvé par Urbain II et par le concile de Cler-
mont en 10'J5 , et incorporé en 1777 dans l'ordre de Malte.
6G4
ANTOINE — ANTOMMARCHl
ANTOINE DE PAnoL'E (Saint), né le 15 août 1195,
à Lisbonne, d'une famille noble. Il fut un des plus célèbres
disciples de saint François d'Assise , et un propagateur zélé
de l'ordre des Franciscains, dans lequel il était entré en 1220.
S'étant embarqué pour l'Afrique, où il espérait conquérir la
palme du martyre, il fut jeté par des vents contraires sur
les côtes de l'Italie. Saint Antoine prècba successivement à
Montpellier, à Toulouse, à Bologne et à Padoue; partout il
obtint le plus grand succès. Il mourut dans cette dernière
ville, le 13 juin 12.31. Les légendes qu'on a faites sur saint
Antoine sont remplies de contes puérils, mais elles s'accor-
dent toutes à exalter son lalent de prédicateur. Ses sermons,
au dire des légendaires , émurent jusqu'aux poissons ; c'est
le sujet dun des plus beaux discours chrétiens du célèbre
jésuite portugais Vieira , qui vivait au temps de Louis XIV.
Saint Antoine de Padoue est un des saints le plus en crédit
en Italie et dans le Portugal. Grégoire IX le canonisa en 1232.
A Padoue, on a construit en son honneur une église magni-
fique; on y voit sou tombeau, qui passe pour un chef-d'œuvre
de statuaire.
ANTOINE DE Messine , dont le véritable nom était A71-
toncUo d'Antonio, peintre qui occupe une place importante
dans rhistoire;des progrès de l'art en Italie. On fait remon-
ter l'époque de sa naissance vers l'an 1414, et ce fut en
Sicile, où il était né, qu'il fit ses premiers essais. Antonello,
ayant eu occasion de voir à la cour d'Alphonse , roi de
Naples , un tableau de Jean van Eyck , que ce prince venait
de recevoir de Flandre, il fut si surpris de la vivacité, de
la force et de la douceur des couleurs de ce tableau , qu'il
prit aussitôt la résolution d'aller apprendre de van Eyck lui-
même les secrets de cet art merveilleux. Il arriva en Flan-
dre vers l'an 1443, gagna la confiance et l'amitié du maître
flamand , et celui-ci Tmitia aux mystères de la préparation
des couleurs à l'huile , auxquelles les deux frères van Eyck
devaient leurs succès. Antonello, à son retour en Italie, se
fixa à Venise, et vulgarisa le procédé de la peinture à l'huile
parmi les artistes de l'école vénitienne. — On présume avec
quelque vraisemblance qu' Antonello mourut en l'année 1493.
Ses tableaux sont devenus assez rares. Le musée de Berlin
en possède trois , tous avec le nom de cet artiste : l'un
même, daté de 1445, circonstance tout à fait intéressante,
porte évidemment le cachet de l'école flamande. Les deux
autres ont tout le caractère de l'école vénitienne au quin-
zième siècle , et appartiennent à la dernière période de la vie
de l'artiste.
ANTOINE (Clément-Théodore), roi de Saxe, né le
27 décembre 1755, mort le 6 juin 1830, avait d'abord été
destiné à l'état ecclésiastique , et passa la plus grande partie
de sa longue existence loin des affaires publiques , dans un
cercle paisible et sans faste, uniquement occupé de musique,
art dans lequel il s'essaya à diverses reprises comme composi-
teur, de généalogie, qui fut toute sa vie son étude de prédi-
lection, et de sévères pratiques religieuses , car sa foi avait tou-
jours été aussi vive que sincère. Pendant le règne de Frédé-
ric-Auguste, son frère, il ne prit aucune part aux affaires
publiques; mais les maux qui depuis 180G assaillirent sa
patrie troublèrent la paix de sa vie retirée , et en 1 809 il
fut forcé de s'expatrier, cherchant avec la fainiile royale
un asile, tantôt à Francfort, tantôt h. Prague et à Vienne. De
retour à Dresde après les désastres de l'armée française ,
il partagea les inquiétudes et les peines des Saxons; mais
bientôt le rétablissement de la paix le rendit à ses anciennes
habitudes de famille.
La mort de son frère l'ayant appelé au trône le 5 mai
1827. Antoine gagna bientôt tous les cœurs par ses manières
simples et affables , par sa complète indifférence pour les
prescriptions de l'étiquette, et par les sages modifications
qu'il apporta à la h'gislation, encore toute féodale, qui régis-
sait la chasse. Mais il n'apporta aucune modification aux
antiques formes du gouvernement avant que les mouve-
ments insurrectionnels (piî éclatèrent en Saxe h la suile des
événements de 1830 le décidassent à changer son minis-
tère, et à'déclarer son neveu, le prince Frédéric-Au-
guste II, co-régcnt du royaume. Cette sage concession
calma les esprits , prévint de plus sanglantes collisions entre
le peuple et la force armée , et ouvrit la voie aux réformes
politiques nécessitées par les besoins des nouvelles géné-
rations.
C'est du règne d'Antoine que datera l'ère mémorable dans
laquelle la Saxe reçut sa nouvehe constitution représenta-
tive , ainsi que les lois et les institutions qui devaient en être
la conséquence. Plein d'amour pour ses peuples , désireux
de leur bonheur, le royal vieillard se jjrôta à toutes les in-
novations qu'il crut propres à assurer leur félicité. Quelque
temps avant sa mort , une fête populaire , improvisée pour
célébrer le quatre - vingt - unième anniversaire de sa nais-
sance, lui prouva combien était vif et sincère l'hommage
que la nation saxonne rendait à ses vertus , et combien sa
patriotique reconnaissance répondait au dévouement dont il
avait fait preuve pour elle.
Le roi Antoine avait été marié à deux reprises : la pre-
mière fois avec la princesse Marie de Sardaigne , morte ,
après un an de mariage , en 1782 ; la seconde fois , avec l'ar-
chiduchesse Marie-Thérèse, sœur de l'empereur Léopold,
qui fut sa compagne pendant quarante années , et qui mou-
rut le 7 novembre 1827, pendant les fêtes mêmes célébrées
à l'occasion du couronnement de son époux. Le premier de
ces mariages avait été stérile ; les enfants nés du second
moururent tous en bas âge.
ANTOMMARCHl (C.-François), médecin qui a Ad
quelque renom à son dévouement envers l'empereur Na-
poléon, était né à Morsiglia (Corse), le 5 juillet 1789. Il
donna les derniers soins au grand homme ; il moula sa tète
et sa figure , et décrivit sa dernière maladie dans des mé-
moires qui eurent un instant de vogue, bien que l'exécu-
tion en fût médiocre. Ces mémoires sont intitulés : Derniers
moments de Napoléon (2 vol. in-8°, 1823). Il avait étudié
la chirurgie à l'université de Pise, et il y fut reçu docteur ; il
se rendit ensuite à Florence. Ce fut dans cette ville qu'il eut
occasion de connaître le célèbre anatomiste Paul Mascagni,
qui à cette époque y florissait. Il suivit ses leçons à l'hô-
pital de Santa-Maria-Nuova, et devint un de ses prosecteurs
(son dissettore) ; il l'aida même à préparer la publication
de ce grand ouvrage anatomique que la mort de Mascagni
laissa inachevé.
En 1819, et de l'aveu du cardinal Fesch et de madame
L;clitia, Antommarchi s'embarqua à Livourne, pour se rendre
près de Napoléon à Sainte-Hélène ; il avait pour compagnons
de voyage deux abbés, ses parents, l'un desquels devait di-
riger la conscience de l'empereur. On prévoyait dès lors la
mort prochaine du grand honmie, et sa famille lui envoyait
en même temps un chirurgien , un chapelain et un confes-
seur corses , dans l'espoir qu'ils le trouveraient plus con-
fiant dans leur fidélité et plus docile à leurs avis. Effective-
ment, Napoléon marqua quelques bonnes dispositions pour
Antommarchi, se promena davantage, et jardina même quel-
ques semaines d'après ses conseils. Mais il reprit bientôt son
train de vie, ses habitudes sédentaires, ses études et ses tiis-
lesses, qui précipitèrent sa fin. Peu satisfait du traitement
qu'on avait fait suivTe à l'empereur sans sa participation ,
Antommarchi, quand l'heure dernière eut sonné, ne consentit
ni à ouvrir le corps de l'auguste défunt, ni à signer le procès-
verbal de nécropsie , ce qui donna prétexte à diverses inter-
prétations.
L'empereur mort, Antommarchi rentra en Europe. Re-
venu pauvre de sa glorieuse mission, il eut d'aussi nombreux
ennemis et beaucoup moins de courtisans que s'il en eût
rapporté des richesses. Il passa d'abord en Angleterre, où il
fit quelques publications. 11 alla ensuite en Italie, où il re-
çut de l'archiduchesse Marie-Louise les témoignages d'une
ANTOMMARCHI — ANTONELLE
6G5
placialo iiuliffiVcncc. De Parme il se rendit en France, où
il st'jmirna depuis lS2i jusqu'en 1S3G. Lue fois à Paris, où
^enaient de se raviver les souvenirs de Tenipire, les félicita-
tions empressées dont il fut l'objet rencontrèrent en lui pluttU
une tiétleur polie que de5Souvenirse\;illés. C'était un homme
doux , d'une réserve mélancolique , fort peu enthousiaste ,
et plus capable d'exciter la curiosité que de la satisfaire. Sa
(iis<rétion, au surplus, était celle qui convient au médecin,
(l n'avait rien de diplomatique.
1 1 eut peu d'utile clientèle à Paris , et son existence y fut
voisine de la gène. Lorsqu'en 1S31 le choléra se déclara en
Pologne, Antommarchi s'y rendit, sans aucun avantage pour
A arsovie ni pour lui-même, et il s'aliéna ses confrères en se
dt^-larant , sans autorité ni modération , le çi'néralissimc
des médecins envoyés par les gouvernements étrangers.
Peu de temps après la révolution de juillet, alors que Na-
jtoléon fut librement célébré, Antommarchi se souvint qu'il
avait moulé la tète du héros mourant. Ce (ut seulement à
cette époque, environ neuf années après son retour de
S;unte-Helène, qu'il se décida à publier le masque de l'em-
pereur, ce qui lit alors beaucoup de bruit, et tira pour un
initant Antommarchi de son obscurité et vraisemblablement
<!e sa quasi-délresse. Mais ce moule fameux fit moralement
un tort immense au médecin qui l'avait publié. Comme il ne
résultait point de cette empreinte d'un crâne illustre que Na-
IMiléon offrît les reliefs osseux qui, selon Gall, auraient dû
témoigner de ses facultés les plus glorieuses et les moins
tonlastées , les adversaires de la phrénologie s'en firent une
arme contre Gall et Siiurzheim , et là prirent source des
disputes qui durent encore. Le fait est qu'on eut quelques
raisons de douter que le masque publié par Antonunarchi
eût été moulé à Sainte-Hélène après la mort de lempe-
reur. On trouva qu'il ressemblait à Bonaparte premier con-
sul plutôt qu'à l'illustre exilé, épuisé par six années de
chagrins et d'insomnies, amaigri par un squirrhe au pylore,
et di-jà ridé comme on l'est à cinquante-deux ans. Le plàtie
d' Antonunarchi ne s'accordait nullement avec ce que le doc-
teur O'Méara et le général Montholon ont raconté de la
grande maigreur de Napoléon et de la profonde altération
de sa physionomie dans les derniers temps de son existence.
On laissa planer des soupçons sur la véracité d' Antommar-
chi : on affirma qu'il s'était illégitimement arrogé le titre de
professeur, et que personne n'avait pu lire deux ouvrages
qu'il disait avoir publiés, l'un traitant du choléra, et l'autre
concernant la physiologie. On alla, dans lardeur italienne
et haineuse du débat phrénologique, jusqu'à mettre en sus-
picion l'identité du plâtre envisagé comme matière. « Votre
moule, lui dit-on, est du plus beau plâtre : c'est un plâtre
blanc et fin, comme on ncn voit qu'à Lucques, où il sert à
former de charinantes figurines; vous n'auriez pu en trouver
de pareil à Sainte-Hélène 1 « Fatigué de tant de tourments,
Antommarchi, vers 1836, prit le parti d'aller faire de la mé-
decine homœopathique à la Nouvelle-Orléans et ensuite à La
Havane. Il mourut le 3 avril 1838, à Santiago de Cuba, où
Napol(-on III lui a fait élever un nsfuiunienf en 1855.
Ce que no\is ne devons point omettre, c'est (pi'Antom-
marclii a publié sur l'anatomie de l'homme un gi-and ou-
vrage avec des figures magnifiques. Planches anatomi-
qves du corps humain, exécutées d'après les dimensions
naturelles ( Paris, 1S23-1826), tel est le titre de ce bel ou-
vrage, toujours fort rechercbé, quoique d'un prix élevé
( 200 f. ), et qui eut pour éditeur le comte de Lasteyrie. C'est
un traité complet, qui fut publié en quinze liviaisons, et qui
ne forme qu'un volume très-grand in-folio , avec un texte
très-suffisant dans sa concision. Il résulte d'un mémoire, es-
pèce de pamphlet italien et français, que nous avons sous les
yeux, que les planches de l'ouvrage d'Antommarchi ne sont
en grande partie que la reproduction lithographiipie des
planches gravées de son maître, Paul Mascagni, dont la fa-
mille avait eu l'imprudence de lui conlier la plupart des
Dir.T. lU. l. >. (;0>VEnS.\T10N. — T. I.
cuivres, terminés à son départ pour Sainte-Uélènc, L'accin
sation a d'autant plus de gravité, qu'Antommarchi avant son
départ était, par procuration, éditeur des ouvrages de Mas-
cagni , qui dès lors avait cessé de vivre. La brochiu-e dont
nous parlons renferme sept lettres d'Antommarchi , en ita-
lien ; elle est intitulée : Lettres des héritiers de feu Paul
Mascagni à M. le comte de Lasteyrie, à Paris. A Pise,
chez Mcolas Capnrro, 1823. Dans une de ses lettres, datée
du 7 mai 1822, .■Vntommarchi prie instamment un de ses
amis de lui envoyer deux exemplaires complets de la grande
anatomie de Mascagni; il ajoute : Vi ripeto che mi/arcste
cosa grata,evitandomi lapenadifar nuovamente ripe-
terc tali disegui qui sui cadaveri, ed incorrere in nuove
spese a tal ef/etto; ma che sarà ohbligato di /are in
caso di rifiuto. Antommarchi a encore publié, en opposi-
tion à l'opinion du docteur Lippi,de Florence, un Mémoire
sur la non-communication directe des vaisseaux lym-
phatiques arec les veines, 1829. Isid. Boukdon.
ANTONELLE ( Pierre- Antoine d'), issu d'une an-
cienne et riche famille de Provence , naquit à Arles , en
1747. Il embrassa d'abord la carrière militaire, et obtint le
grade de capitaine d'infanterie dans le régiment de Bassi-
gny. 11 quitta le métier des armes en 1782. Lorsque la révo-
lution éclata, il figura au premier rang des patriotes de la
Provence. Dès 1789 Antonelle fit paraître, sons le titre de
Catéchisme du tiers-état, un écrit qui obtint un grand
succès. A la première organisation des municipaUtés , il fut
nommé maire d'Arles. Les circonstances devinrent bientôt
difficiles ; des troubles éclatèrent dans les principales viUes
du midi : Marseille , Toulon , Avignon, Arles, furent livrées
aux horreurs de la guerre civile. Antonelle déploya au
milieu des crises les plus violentes autant de sagesse et de
modération que d'énergie et de courage. Nommé successi-
vement commissaire à Marseille et à Avignon, pour pacifier
ces grandes cités , il trouva partout, dans ses formes conci-
liatrices , dans l'ascendant de son esprit et de son caractère,
de puissants auxiliaires pour remplir avec succès des mis-
sions environnées d'obstacles et de périls. Il jouissait d'une
popularité immense dans tout le midi de la France : aussi
fut-il nommé député à l'assemblée législative par le dépar-
tement des Bouches-du-Rhône. Antonelle était plutôt pen-
seur qu'orateur ; il ne monta guère à la tribune que pour y
lire des rapports au nom des commissions , dans le sein
desquelles il était souvent appelé.
Après le 10 août, Antonelle fut envoyé à l'armée des Ar-
dennes, avec Camus et Bancal , pour annoncer aux troupes
la déchéance du roi. Lafayette, qui tenait sincèrement à
la monarchie constitutionnelle, fit arrêter les commissaires
de l'assemblée législative, et ils ne lurent rendus à la liberté
qu'à l'époque où ce général fut obligé de se soustraire au
décret d'arrestation porté contre lui , et de passer à l'étran-
ger. Revenu à Paris , Antonelle fut désigné pour faire partie
d'une commission qui devait se transporter à Saint-Domingue
pour y organiser l'administration coloniale sur les nouvelles
bases que nécessitait le changement survenu dans la métro-
pole. Les vents contraires ne lui permirent pas de remplir
cette mission. Il retourna dans la capitale, où son nom fut
mis en concurrence avec celui de Pache pour les fonctions
de maire. Antonelle refusa cette candidature. Quoique radi-
cal dans ses vues d'amélioration sociale, il fut écarté de l'a-
rène législative lors des élections pour la Convention, et
exclu ensuite du club des jacobins, en qualité de noble.
Cependant ses concitoyens ne l'oublièrent pas tout à fait, et
il siégea comme juré au tribunal révolutionnaire; cette fonc-
tion devait lui être essentiellement antipathique. Dans le
procès des Girondins, il déclara publiquement que la cul-
pabilité des accusés ne lui était pas suffisamment démontrée,
et il fit paraître bientôt après un écrit sur le tribunal révolu-
tionnaire, pour protester contre la violence que les domi-
nateurs du jour prétendaient exercer sur la conscience do-'-
666
ANTONELLE — ANUBIS
jurés. Antouelle avait été aussi l'un des membres du jury
dans le procès (le la reine. Sa proleslalion courageuse le fit
jeter dans les prisonsdu Luxembourg, d'où il ne sortit qu'au
9 lliennidor, et en veitu d'un décret de la Convention.
Incarcéré par les terroristcsi, Antonelle n'en vit pas moins
avec douleur les excès de la réaction tliermidorienne. Au
1 3 vendémiaire, il se prononça pour la Convention, mais sans
prendre les armes.
A l'établissement d» gouvernement directorial, Antonelle
fut choisi pour rédacteur en chef et directeur du Moniteur;
mais il refusa, et se contenta d'écrire, dans la retraite, des
articles pour le Journal des Hommes libres. Le refus de
s'associer à la politique directoriale et la tendance bien
connue d'Antonelle pour les réformes sociales le firent im-
pliquer dans la conspiration de Cabeu f. On savait bien qu'il
n'y avait'pas en lui l'étoffe d'un conjuré, et qu'il n'était pas
homme à coups de main, mais ses doctrines étaient sus-
pectes , elles se rapprochaient de celles des conspirateurs :
c'en fut assez pour le comprendre dans la conspiration.
Heureusement pour Antonelle, l'crganc du ministère public
près la haute cour nationale de Vendôme lecula devant la
doctrine de la complicité morale. Il rendit hommage au ca-
ractère et h l'innocence de l'accusé, et conclut à son acquit-
tement, qui fui prononcé par la cour. Libre de préoccupa-
tions pour lui-même et n'ayant pas à se défendre contre
une accusation délaissée, Antonelle écrivit et parla pour ses
coaccusés, notamment pour Uuonarotti et pour Félix Lepel-
letier Saint-Fargeau.
Au 18 brumaire, Antonelle fut d'abord compris dans une
liste de (lép/jrlalion; puis on se ravisa, et son nom fut rayé.
Au 3 nivôse , le complot royaliste ayant sarvi de prétexte
pour susciter <ie nouvelles persécutions contre les républi-
cains , Antonelle reçut ordre de quitter Paris, et durant
toute la période impériale il vécut exilé dans sa ville na-
tale. En 181'i il pulrlia un dernier écrit intitulé : le Réveil
d'unVieillard. On prit ce réveil pour une faiblesse. Il n'en
était rien cependant. Sa fm le prouva. Il resta fidèle
à la philosophie jusqu'à .son dernier moment, et les prêtres
l'en punirent en lui refusant la sépulture ecclésiastique.
Ses concitoyens l'en dédommagèrent en accourant en
masse à ses funérailles. Il ne s'était jamais souvenu qu'il
était riche que pour faire du bien aux pauvres. Il mourut à
Arles le 20 novembre t817. L.vurent ( de l'Ardèche).
AIVTOMELLI ( Giacomo), né à Sonnio , le 2 avril 1806,
fit ses études au grand séminaire de Rome, devint prélat
et occupa divers emplois sous le pape Grégoire XVL Pie IX
lui donna la pourpre en (847, et le nomma ministre des fi-
nances : il agit d'abord dans le sens libéral; mais voyant la
révolution s'avancer, il donna sa démission. Il suivit le pape
à Gaële, où il dirigea les affaires de la papauté. Pie IX à son
retour le nomma ministre des affaires étrangères. Une
tentative d'assassinat contre lui a échoué en 1855. Z.
ANTOiMN LE PIEUX ( ïitds-Aurrlius-Fulvius),
né l'an 86 de J.-C, à Lavinium, près de Rome, d'une an-
cienne famille originaire de Nimes. Son père, Aurelius-
Fulvius, avait été revêtu du consulat. Antonin fut élevé à
la môme dignité en 120. Il fut au nombre des quatre per-
sonnages consulaires entre lesquels Adrien partagea la ma-
gistrature suprême de l'Italie. Plus tard, il passa en Asie
eu qualité de proconsul. De retour à Rome, Antonin s'affer-
mit de plus en plus dans les bonnes grâces de l'empereur
Adrien. Il avait épousé Faustine, fille d'Anniiis Verus. Celte
fenmie impudique, dont il eut la modération de cacher les
déportements aux regards de l'empire , lui donna quatre en-
fants. Ils moururent tous en bas ûge, à l'exception de Faus-
tine, qui devint par la suile l'épouse de I\Iarc-Ailrèle.
En 138, Antonin fut «idopté par Adrien, <à condition qu'il
adopterait à .son tour L. Verus et M. Antoninus, connu de-
puis sous le nom de Marc-Aurèle. Cette même année il
monta sur le trône. L'empire jouit pendant son rè^ne d'une
longue paix. Sobre et économe dans sa vie privée , toujours
disposé à soulager les malheureux, Antonin fut le père du
peuple. Il se plaisait à répéter ces belles paroles de Scipion ;
« J'aime mieux conserver la vie d'un seul citoyen que de
faire périr mille ennemis. » L'ordre qu'il avait introduit dans
l'administration le mit à môme de /liminucr les impôts. An-
tonin protégea leschrétienc; il fit la guerre en Bretagne, où
il étendit les limites de l'empire romain. Pour arrêter les
incursions des Pietés et des Brigantes, il fit construire un
mur au nord de celui qui avait été élevé par Adrien. Le
sénat lui déféra le nom de Pius à cause des honneurs qu'il
avait rendus à la mémoire d'Adrien. Pendant le cours de
son règne, l'empire fut dévasté par des incendies , des inon-
dations et des tremblements de terre: ses libéralités adouci-
rent ces malheurs. Antonin mourut l'an 161. Ses cendres
furent déposées dans le tombeau d'Adriin.Le sénat consacra
à sa mémoire une colonne qui existe encore. Ses successeurs
prirent son nom. Ce prince fut presque le seul des em-
pereurs romains qiù pour parvenir au trône cl s'y maintenir
put se passer de supplices. *
AIXTOININ LE PHILOSOPHE. Voj.'z Mai.c-
Al'KÈle.
AIXTONÏIVE (Colonne). Voyez Colonne.
A]\TOIVL\US LIBÉRALIS, appelé par quelques au-
teurs, mais à tort, Antomus, était vraisemblablement un
des affranchis de l'empereur Antonin le Pieux. Il vécut vers
l'an 147 de J.-C, et composa dans le goût de son siècle,
sous le titre de Métamorphoses, une collection de récils
fabuleux empruntés pour la plupart aux poètes et aux prosa-
teurs de rionie, et singulièrement précieuse aujourd'hui pour
la science, parce que les ouvrages des auteurs cités par cet
écrivain grec ont tous péri. Le livre d'Antoninus Liberalis fut
pour la première fois publié par Xylander (Bàle, 1568);
et Verheych en donna à Leyde (1774) une édition plus cor-
recte. Koch, dans l'édition qu'il en a publiée en 1832, à
Leipzig, a fait d'heureuses corrections au texte des éditions
précédentes, et a enrichi la sienne d'un curieux travail d'ap-
préciation du style de ce mythographe,et de savantes études
sur les écrivains grecs qu'il avait compilés.
AIVTOIVÏUS MUSA Voyez Musa.
AIVTOXOMASE (d'àvti, pour, etôvoixa, nom), trope
par lequel on substitue le nom appellatif au nom propre,
ou le nom propre au nom appellatif. Sardanapale était un
roi voluptueux ; INéron , un empereur cruel ; c'est par an-
tonomase qu'on donne à un débauché le nom de Sardana-
pale, à un prince barbare celui de Néron.
Les noms d'orateur, de poète, de philosophe, d'apôtre,
sont des noms communs, qui s'appliquent à tous les hom-
mes d'une même profession ; et pourtant on s'en sert par-
fois pour désigner certains hommes comme s'ils leur étaient
propres; par rOra^e«r, ou entend Cicéron; par le PoéYe, Vir-
gile; par le Philosophe, Aristote; par V Apôtre, sans adrli-
tion , saint Paul. La liaison que l'habitude a établie entre le
nom de Cicéron et l'idée du prince des orateurs, entre ce-
lui de Virgile et l'idée d'un excellent poète, entre celui
d'Aristote et l'idée d'un grand philosophe, entre celui de saint
Paul et l'idée d'un admirable apôtre, fait que personne ne s'y
méprend, et qu'on ne balance pas à attribuer ces litres à
ces personnagps historiques préférablementà d'autres.
AIVTR AIGUËS. Voyez Entkaigues.
AIXTRAIN( Combat d'). Le 20 novembre 1793, l'armée
républicaine, sous les ordres des généraux Westermann,
Marceau, Kléber et Mùller, après avoir attaqué sans succès
la ville de Dol, se réfugia à Antrain, petite ville du dépar-
tement d'IlIe-et-Vilaine, sur la rive droite du Couesnon, où une
partie de son arrière-garde fut taillée en pièces par l'armée
royale commandée par La Rochejacquelein et Slofflet.
ÀXTRUSTIOXS. Foye:; LEL-nEs.
ANUBIS, une des principa'es divinités de la mythologie
égyptienne ( roj/C3 Egypte). Il l'ut adoré d'abord soas la ti-
ANUBIS — ANVERS
fîiiro d'un chien ; plus tard on le n^pn^sonta sous une fonne
Inimainc avec une tiMe <!e chien , d'où lui vient le nom de
Ki/no/ii'pfiolos ( ItMc de chien ). Plutarque nous apprend
qu'Anubis est fils d'Osiris et de Neplilhys. Sa nitre l'ayant
exposiS parce qu'elle craignait le courroux de Typhon, son
époux, Isis, l'épouse d'Osiris, parvint à découvrir l'enliint à
l'aide de ses chiens, le fit élever, et eut en lui un fidèle gar-
dien. Plus tard Anuhis lui fit retrouver le corps d'Osiris,
assassiné par Typhon. D'après Diodore , Anubis accompa-
gna Osiris dans ses cxpéilitions guerrières , la tète ornée
d'un casque recouvert d'une peau de chien : c'est pour([uoi
il fut représenté sous la forme de cet animal — Dans la
mythologie astronomique des Égyptiens, Anubis était le
septième parmi les hauts dieux de la première classe : son
nom est synonyme de Mercure. Il était regardé comme le
dieu de la cliasse et le gardien des dieux. Les Grecs le
confondirent plus tard avec Hermès.
ANUS , ouverture à peu près circulaire, mais im peu al-
longée de devant en arrière et plissée, constituant l'ouver-
ture inférieure du canal alimentaire ou du rectum, et des-
tinée à donner passage aux excréments. Son étymologie est
dérivée de sa forme presque annulaire.
Tous les animaux sont pourvus de cet appareil, à l'ex-
ception des radiaires, des polypes et des microscopiques ,
chez lesquels il n'existe qu'une seule et même ouverture
pour recevoir les aliments et pour rejeter ceux qui n'ont
pas été absorbés par la digestion. La place de l'anus est
constante et toujours la même dans les animaux vertébrés ;
mais elle varie dans les autres classes, et se trouve , par
exemple, chez les limaçons, au côté gauche du coiiis, et
près de l'orifice ou du trou qui sert à la respiration.
Chez l'homme et les animaux qui s'en rapprochent, l'a-
nus est composé d'un sphincter avec des ganglions mu-
queux, qui fournissent une humeur favorisant le glissement
des matières expulsées par l'économie. Des replis nombreux
permettent à la peau de subir au besoin une grande dilata-
tion. L'anus peut être le siège de diverses affections; des
abcès peuvent se manifester dans son voisinage, s'ouATir, et
laisser après eux des f i s t u I e s. On voit aussi des ulcères,
des gerçures, des végétations s'y développer; enfin les vais-
seaux qui l'entourent subissent souvent une dilatation vari-
queuse qui constitue les h é m o r r h o ï d e s. Quelquefois les
enftmts naissent avec une obturation de cette partie.
AJVUS AJVORMAL. On appelle ainsi une ouverture
située sur l'un des points de l'enceinte abdominale, et fai-
sant communiquer l'intestin perforé avec l'extérieur. Par
cette ouverture s'échappent en totalité ou en partie les ma-
tières stercorales. Elle est congéniale ou accidentelle. L'art
peut également la produire en vue d'un résultat thérapeu-
tique , et dans ce cas elle prend le nom A'anus artificiel.
L'anus congénial est dû quelquefois à un vice de confor-
mation. Le plus souvent il reconnaît pour cause une plaie
spontanément produite immédiatement après la naissance ,
par suite d'une absence ou d'une imperforation du rectum.
Les matières s'accumulent dans les dernières portions du
tube intestinal, qui se distend, s'enflamme, adhère aux pa-
rois abdominales, auxquelles la maladie se communique de
manière à en occasionner la gangrène et la destruction. Les
plaies pénétrantes du ventre, les hernies étranglées, opé-
rées ou non opérées, donnent fréquemment lieu à Yanus ac-
cidentel. Dans ces dernières circonstances, comme la libre
communication des deux bouts de l'intestin n'est pas eiitiè-
ment interrompue, ou peut être rétablie ; qu'en un mot il
est possible qu'au-dessous de l'endroit ouvert il n'y ait
aucun obstacle insurmontable, non-seulement l'écoulement
est quelquefois médiocre et intermittent , mais la nature ou
l'art parviennent assez fréquemment à détruire cette infir-
mité dégoûtante. Il n'en est pas de même dans les |)remièrcs,
où il est indispensable de la respecter et de l'entrclenir,
sous peine des plus graves dangers. Il y a plus, la pratique de
667
l'anus artificiel n'a pas d'aulre but que de prcvoiih- tte sem-
blables dangers, soit chez les enfants imperforés, ou dont la
lectum est oblitéré , soit chc7, les adultes dont une lésion
organique a rétréci le calibre de cet intestin. Les anus spon-
tanés s'effectuent dans tous les endroits du ventre. Le chi-
nirgien, au contraire, a des sièges de prédilection pour l'é-
tablissement de l'anus artiliciel. Ces sièges sont de préférence
les régions iliaques, gauche ou droite, et la région lombaire.
Quand l'anus anormal ou contre nature est susceptible de
guérison, on favorise la cicatrisation en s'opposant, par des
moyens mécaniques , à l'issue des matières, et en mainte-
nant la liberté des selles ; ou bien on en tente la cure par
une opération spéciale. Dans l'autre cas, on a recours à di-
vers procédés pour en atténuer les énormes inconvénients.
D"^ Delasialve.
ANVERS {Aniwerpén , Antuerpia) , chcf-heu de
la province du même nom , et siège d'un évêché qui date
de 1559, est une grande et belle ville, située à 45 kilomètres
nord de Bmxelles , dans une plaine , sur la rive droite de
l'Escaut, magnifique fleuve quia lii 780 mètres de large sur
19 de profondeur. Sa population, qui s'est élevée en 1568
à plus de 200,000 habitants , et qui n'était en 1805 que de
62,000, atteint aitjaiiiJ'hui le chiffre de 90,000 ûmes. An-
vers est deux fois plus grand qu'il ne faudrait pour con-
tenir sa population. Seuls les rez-de-chaussée et les pre-
miers et seconds étages sont généralement habités. Tout le
reste est vide. Beaucoup de maisons sont encore bâties à la
mode espagnole , ayant pignon sur rue , en bois , avec des
fenêtres à petits carreaux. Les mœurs tiennent beaucoup
aussi des mœurs castillanes. Les femmes se piquent de dé-
votion , ce qui n'exclut pas la galanterie. On aime passion-
nément les arts à Anvers ; on y aime la musique et la peinture
par-dessus tout. Les chœurs, dans les églises, sont ornés
de tableaux très-remarquables , et les galeries des particu-
liers , des artistes , des marchands eux-mêmes , renferment
des tableaux du plus grand prix. Aux fenêtres des maisons,
il y a des miroirs ( ou espions), qui sont placés île manière
à ce que les objets extérieurs viennent se réfléchir dans les
glaces du salon ou des chambres , de sorte que sans quitter
son fauteuil on sait qui vient heurtera sa porte, et l'on
peut se déterminer d'avance à l'accucilHr ou à la lui refuser.
Le temps du carnaval à Anvers est ordinairement très-
bruyant ; on se venge dans ces semaines de plaisir de la ré-
serve qu'on a montrée durant le reste de l'année. Les fêtes
de Noël , celles de Pâques , toutes les grandes fêtes enfin
sont marquées par des cérémonies qui amènent dans les
temples toutes les beautés de la ville.
Le port d'Anvers, entrepôt libre, qui a en même temps un
chantier de construction , établi au temps de la possession
de cette ville par la France, peut contenir jusqu'à mille
vaisseaux du plus fort tonnage , et, par le moyen de nom-
breux docks , les bâtiments vont déposer leur ciirgaison
dans chaque localité de la ville. Chef-lieu du département
des Deux-Nètlies , quand elle faisait partie de l'empire fran-
çais , cette place fut défendue en 1814 , contre l'Europe coa-
lisée, parlecélèbreCarnot . C'est aujourd'hui le siège prin-
cipal du commerce extérieur de la Belgique, lié par les
canaux du bassin de l'Escaut et par le chemin de fer de
Bruxelles avec toutes les villes du royaume. Anvers pos-
sède, en outre, des édifices publics très-remarquables,
vingt-deux places, des nies larges et régulières, de su-
perbes faubourgs et <le belles promenades , un tribunal do
commerce, une banque, un athénée ou lycée académique
avec douze professeurs ; une école ou académie de peinture,
berceau des beaux-arts en Belgique, fondée en 1442, par la
confrérie des peintres ; un musée de tableaux où sont
réunis cent vingt-sept chefs-d'd'iivre de l'école fiamandc,
une école de chirurgie, une école de navigation, une bi-
bliothèque publique de 15,000 volumes, un jardin botanique,
un grand hôpital, plusieurs hospices et un arsenal considé*
Si.
GO 8
ANVERS
rable. On y remarque encore It; tlié;\[re, Fa ina'çuifiquc plnf<.'
(le Mcer, le bagne, les quais, la cale d'embarcation pour le
passage du fleuve depuis la ville jusqu'à la tiMe de Flandre.
Anvers conserve dans plusieurs de ses édifices les traces
de son ancienne opulence : l'ancienne cal liédrale , une dis
plus belles constructions golliiques de l'Europe , a été bâtie
du quinzième au seizième siècle; on va y contempler le chef-
d'œuvre de l'école flamande , la Descente de Croix de Ru-
bens, ainsi que divers autres tableaux de ce grand maître,
dont plusieurs avaient été transportés à Paris sous l'empire.
Au dernier siège de la citadelle, en 1832, on les garantit
des boulets et des obus au moyen d'écbafaudages et de
remparts de charpente. L'édifice a 162 mètres de long, 73 de
large et 116 de haut; 230 arcades voûtées y sont soutenues
par 125 colonnes; de chaque côté il existe une double nef.
La tour, en pierres de taille, a 150 mètres de haut; il faut
monter 022 marches pour arriver à la dernière galerie. Cette
tour est percée à jour en découpure, et va en diminuant d'é-
tage en étage avec des galeries .superposées. La seconde tour
n'a jamais dépassé la première galerie. On y plaça en 1540
un carillon composé de soixante cloches. On remarque aussi
ihôtcl de ville, rebâti en 15sl; ranciennc abbaye de
Saint-Michel, qui servait de palais aux stalliouders ; l'église
Saint-Jacques, avec le tombeau deRubcns, etc. La bourse,
monument curieux construit en 1531, a été iiiceiuliée en
1858. L'année suivante, le feu a atteint l'entreiiôl.
Anvers est une ville très-ancienne ; elle a été longtemps
l'une des places de commerce les plus riches du monde; au
treizième siècle c'était un des plus grands entrepôts de la
ligue Hanséatique ; au quinzième, c'était la première ville de
commerce de l'Europe. Les troubles des Pays-Bas, pendant
lesquels elle fut à plusieurs reprises saccagée par les Espa-
gnols, préparèrent sa ruine. Le traitéde Westphalie, en 1048,
la consomma en fermant l'Escaut. L'occupation française
rétablit en 1794 la libre navigation du fleuve; et la paix
a rendu à la ville un commerce qui s'est développé rapide-
ment, et dont la prospérité n'a que légèrement souffert delà
séparation des Pays-Bas et de la Belgique.
La citadelle, construite en 1507 , et augmentée à diffé-
rentes époques , surtout pendant l'occupation française, de-
puis 1803, a eu , à partir de la fin du seizième siècle, plu-
sieurs sièges à soutenir, dont les plus importants sont :
1" celui des bourgeois de la ville, qui , du temps de l'Union
des provinces hollandaises , s'en emparèrent et la défendi-
rent en 1583, avec un courage béroïcpic, conti'e le duc d'A-
lençon ; 2° celui du duc Alexandre de Parme, commandant
général des forces espagnoles dans les Pays-Bas, commencé
en juillet 1584 , fini en août 1585 : les assiégés capitulèrent
après avoir tenté vainement de couper les digues pour inonder
la contrée entre Lille et Anvers, et le gouverneur, Ph. de
Sainte- .\ldegonde, vaincu, mais imaior'alisé, rendit la place
aux Espagnols ; 3° celui du maréchal de Saxe, qui dura du
25 mai au 1" juin 1746 , et pendant lequel, quoique les Fran-
çais occupassent Anvers, il ne fut pas tire un coup de fusil
ni de la ville sur la citadelle, ni de la citadelle sur la ville;
4" celui de l'armée française, commandée par les généraux
Labourdonnaie et Miranda, lequel conuiiença le 18 no-
vembre 1792 et finit le SO du même mois; 5" enfin celui
de 1832, dont voici un aperçu rapide :
Par suite des difficultés qui s'étaient élevées entre la Bel-
gique et la Hollande après la séparation de ces deux Etats
en 1830, et sur les résolutions de la conférence de Londres,
les troupes françaises avaient déjà été obligées d'intervenir,
et étaient entrées en 1 8:5t en Belgique, d'oii elles étaient res-
sorties peu de temps après. Au mois de novembre 1832, elles
se virent forcées d'y revenir pour faire exécuter par la force
les conditions du traité qui avait été impose; au roi Guillaume
par la conférence, l'Angleterre et la France ayant résolu d'en
venir aux mesures coèrcitives, contre l'emploi desquelles les
autre» puissances ne protestèrent qu';!ssez mollcmc:!!.
AiN VILLE
L'armée française, sous le commandoiiient du maréciiai
Gérard, ayant sous ses ordres les jeunes ducs d'Orléans et
de Nemours, vint mettre le siège devant la citadelle d'An-
vers, défendue par une garnison d'environ 6,000 hommes,
sous les ordres du baron Chassé. La tranchée, ouverte le
29 novembre , fut close le 23 décembre par la capitulation
de la place. Ainsi, la résistance opiniâtre des Hollandais der-
rière des fossés et des murs avait retenu pendant vingt-qualrc
jours et vingt-cinq nuits les soldats français dans la tranchée,
avec la pluie, la boue et le froid, parmi des travaux et des
périls continuels, sous le feu de la place. Dans ce siège mé-
morable, il fut ouvert 14,000 mètres de tranchée, il fut tiré
03,000 coups d'artillerie, et il fut pris aux Hollandais, par
capitulation, 5,000 soldats de diverses armes, dont 185 of-
ficiers. Les Français eurent 687 blessés et 108 morts. Le ro^
de Hollande ayant refusé de ratifier la capitulation, Chassé
fut obligé de se constituer prisonnier de guerre, avec les 5,000
hommes qui lui restaient.
Nous n'avons pas mentionné parmi ces sièges la tentative
infi-uctueuse des Anglais en 1809. Le commerce d'Anvers au-
rait été florissant à cette époque si Napoléon n'avait pas
voulu en faire une place de guerre , défendue par une for-
midable flotte militaire. Les Anglais, commandés par lord
Chatam , essayèrent donc d'incendier cette flotte et de dé-
truire les fortifications ; mais le général Bernadotte, par sa
présence d'esprit et son courage, déjoua cet aventureux
projet.
Anvers, depuis ces époques de revers et de gloire, semble
se souvenir de son ancienne importance commerciale cl in-
dustrielle. Son port se repeuple chaque année d'un plus
grand nombre de bâtiments, de nouveaux bassins se creu-
sent, la ville s'agrandit et se fortifie, une industrie florissante
anime ses raffineries de sucre, ses filatures de lin, coton,
soie et laine, ses manufactures de dentelles, de cliàles, de
crêpes, de rubannerie, de bonneterie, de passementerie, de
soie, de mousseline, de draps, tapis et velours, de toiles
à voiles et de cordages, de tabac, de fonderies de métaux ,
de taille de diamants, et ses importants chantiers de cons-
tructions navales.
AiWÏLLE (Jean-Baptiste BOURGUIGNON n' ), savant
géographe, membre de l'Académie des Inscriptions, naquit
à Paris, en 1697, et mourut dans cette ville, en 1782. De
bonne heure il manifesta un goût ardent pour la science
qu'il a enrichie de ses travaux. Dirigeant , de lui-même,
toutes ses études vers ce but, il se mit à lire les poètes et
les historiens grecs et latins, afin de chercher à déterminer
l'emplacement des villes dont ils parlent. A quinze ans il
avait dressé une carte de la Grèce sous le titre de Grxcia
vêtus. Sa belle collection, dont il vivait entouré, fut acquise
par le roi en 1779.
On lui sait gré encore de ses efforts pour fixer les me-
sures des anciens et les comparer à celles des modernes,
bien que, parti comme U l'a fait des évaluations du pied,
pour en déduire les autres dimensions, il en soit résulté
d'étranges erreurs, que Gosselin et Letronneont sévèrement
relevées. Pourtant, ses mémoires sur les mesures itinéraires
des Romains, des Grecs, des Chinois, ne sont pas, tant s'en
faut, sans mérite, et c'est à ces premiers travaux, tout in-
complets qu'ils sont, qu'il a dû ses plus heureux succès. H
a en outre rectifié les erreurs des géogiapbes Sanson, D«}-
lisle et Cluvier.
Ses cartes sont en général des modèles d'exactitude, sur-
tout en ce qui concerne l'Egypte et la Grèce. Souvent elles
sont accompagnées de textes explicatifs, témoignant de la
jM'ofondeur de son érudition et de la solidité de son jugement,
mais laissant beaucoup à désirer sous le rapport du style,
qui n'est ni assez pur, ni assez clair, ni assez littéraire.
L'éloge de d'Anvillea été prononcé par CondorcetetDacier;
la notice de scscruvres, publiée en 1 802, est de Barbier du Bo-
1 cage et de De .Manne. Il en a paru deux forts volumes seule-
AISVILLE - ANZIN
CG9
meulà riinpriincricIm|iciialo. L'onTngctlovniloiiovoirsix.
Il lie s'agil de rien moins que de tloux cent onze cartes et
de soixante-dix-lmit dissertations volnmineuscs. On con-
sulte peu aujourd'hui son Orbis vctcribus no/ us et son Orbis
roman us, sans lesquels nos pères n'osaient hasarder un pas
dans riiistoire ancienne. Ses cartes de la Gaule, de rilalic et
de la Grèce ont également beaucoup vieilli.
D'Anville était simple, modeste, mais un peu trop sensible
à la critique. Malgré la faiblesse naturelle de sa complcxion ,
il travaillait quinze heures par jour. La Géographie de
(VAnville n'est pas de lui, mais de Barenlin de Montchal.
ANXIETE (du lalin <7;ujc/a5), état de malaise moins
violent que l'angoisse, plus fort que l'inquiétude, caracté-
risé par un sentiment de gène, de trouble et d'agitation, et
que l'on remarque souvent au début des maladies. L'anxiété
peut être produite par un ed'et moral. C'est une peine, un
tourment de l'esprit qui pressent et redoute un danger, un
malheur, un accident ; c'est une perplexité, une inquiétude
vague dans l'attente d'un événement fâcheux.
AIVXUR. Nom d'une ville du Latium, qui appartint d'a-
bord aux Volsques, et que les Grecs et les Romains appe-
lèrent Terrucina. Anxur n'était autre que le Jupiter des
Volsques ; il avait un temple célèbre dans cette cité, à la-
quelle on finit par donner le nom même du dieu qui y était
adoré. A trois milles se trouvaient un temple, un bois et une
source consacrés à Feronia , autre divinité nationale de l'I-
talie, que quelques auteurs disent avoir été une nymphe, et
d'autres l'épouse d'Anxur.
AIVYTUS a eu le triste honneur de nous léguer un de
ces noms que l'infamie a rendus génériques. Il a été pour la
vertu ce que Zoïle est pour le génie poétique. La postérité
a confondu dans la même réprobation le persécuteur de So-
crate et le détracteur d'Homère. Et ce n'est pas sans rai-
son, puisque la pureté morale et la beauté littéraire sont
également précieuses à l'humanité. On abuse du paradoxe
en disant qu'Anytus représente l'esprit ancien , et Socrate
l'esprit nouveau; qu'Anytus est un conservateur, et Socrate
un révolutionnaire. C'est voir les choses de trop haut que
de les traiter ainsi; à cette hauteur, le bien et le mal dispa-
raissent pour faire place à la fatalité.
Anytus était fils d'Anthémins ; on ne sait exactement ni la
date de sa naissance ni celle de sa mort. Son crédit venait
des richesses qu'il avait reçues de son père, et qu'il augmenta
par la fabrication et le commerce des cuirs. 11 se mêla aux
affaires publiques, où il se distingua par l'exaltation de son
ardeur démocratique. Comme tant d'autres démagogues aux-
quels la fougue des opinions tient lieu de talent, il eut part
aux emplois ; la république le chargea de conduire trente
galères au secours de Pylos, assiégée par les Lacédémoniens
( 409 av. J.-C. ) ; mais il revint sans avoir pu accomplir sa
mission. Mis en jugement, il échappa à la justice populaire
en corrompant ses juges, et ce fut, dit-on, le premier exem-
ple de ce scandale. jNL Clavier pense que l'Anytus qui figure
parmi les proscrits des trente tyrans, et qui eut part à l'en-
treprise de Thrasybule, n'est pas autre que l'ennemi de So-
crate. Celte conjecture est vraisemblable, puisque la com-
munauté d'intérêts confond partout dans les mêmes rangs
et enveloppe dans la même destinée de bons citoyens et des
ambitieux. La chute des trente tyrans releva le crédit d'A-
nytus, et lava la honte de l'expédition de Pylos ; car dans les
temps de factions l'opinion couvre tout. Socrate, qui avait
fait respecter sa vertu sous la tyrannie, qu'il avait bravée et
adoucie, fut un vaincu suspect à côté d'Anytus, un moment
honoré par la victoire de son parti. On ne pouvait nier que
les doctrines de Socrate ne fussent contraires à la démocra-
tie : Alcibiade, Thiiramène et Ciitias, ses disciples, dépo-
saient contre lui. Les démocrates .s'imirent aux prêtres et
aux sophistes pour déférer Socrate au tribunal des héliasles.
L'aréopage lui était suspect, et ce jury démocratique, formé
par le sort, et représentant nécessaire des passions et des
préjugés de la miilf itii;lo, servit d'instrument h la vengeance
des ennemis du philosophe.
« 11 ne manquait, dit^L Slapfer, à ceux qui voulaient per-
dre Socrate, qu'un chef populaire et puissant, qui (ùt son
ennemi personnel. Il se rencontra dans Anytus, homme
riche, zélé soutien de la démocratie, persécuté par les trente
tyrans, un des principaux restaurateurs de la liberté, et à
ce double titre, extrêmement cher au parti victorieux. Lon"-
temps ami de Socrate, qu'il avait même prié une fois do
donner quelques instractions à son fils, mais dans deux cir-
constances profondément blessé des critiques que le sa"c
avait faites fie sa manière d'élever ce jeune homme, Anjius
prêta d'autant plus volontiers son appui aux ennemis do
Socrate, qu'en les secondant il servait à la fois sa haine per-
sonnelle et la vengeance du parti populaire. » Voilà la vé-
rité sur les mobiles d'Anytus. Comme l'amnistie ne permet-
tait pas de rechercher les actes et les opinions politiques,
ce grief fut écarté de l'acte d'accusation. jVIélitus, poète sans
talent, et par conséquent envieux de toute supériorité, dé-
nonça Socrate comme impie et comme corrupteur de la
jeunesse. L'impiété de Socrate était une religion plus éclai-
rée, et l'immoralité de ses doctrines une morale plus pure. 11
ne pensait pas comme la foule, la foule le condamna. Les
instigateurs de cette poursuite transformèrent sciemment en
criminel d'État le plus vertueux des hommes. Aussi, lorsque
le peuple fut revenu de son erreur et que la mort de Socrate
lui eut ouvert les yeux, il châtia par son mépris ceux qui
l'avaient poussé à ce crime juridique. « Personne, dit Cla-
vier, ne voulut plus communiquer avec eux; on changeait
l'eau des bains où ils s'étaient lavés, et on leur refusait le feu
lorsqu'ils en demandaient. » Anytus fut exilé, et on pense
qu'il fut assonuné à coups de pierres dans Héraclée , près
du Pont-Euxin, où il s'était retiré : c'eût été justice.
GÉRUZEZ, professeur à la Faculté des Lettres.
AJ\ZIKO ou ANCICO, puissant État nègre, dans l'in-
térieur de l'Afrique méridionale, sous l'équateur, riche en
métaux et en bois de sandal. La situation géographique
précise n'en a jusqu'à présent été déterminée par les voya-
geurs que d'une manière peu satisfaisante : au dire de
M. Douville, qui a visité ces contrées de 1827 à 1830, il y
aurait même eu confusion en ce qui concerne la dénomina-
tion de ce pays , qui s'appelerait Sala, et dont le souverain
serait désigné sous le titre de Mikoko Sala (roi de Sala).
Des relations antérieures nous ayant appris que le royaume
d'Anzico se nommait aussi Mikoko , nous craignons que l'i-
gnorance des idiomes locaux n'ait abusé les voyageurs,
d'autant plus que de part et d'autre on s'accorde à donner
pour capitale à cet État indépendant de la Nigritie méri-
dionale la ville de Monsol ou Missel, dont la population
s'élèverait à une quinzaine de mille âmes.
Quoi qu'il en soit, les indigènes de l'Anziko, ou de Sala,
si l'on veut, paraissent avoir beaucoup perdu de leur an-
cienne férocité. Les voyageurs modernes les représentent
comme agiles, courageux, excellents archers, maniant la
hache d'armes avec adresse ; ils affirment que les relations
précédentes les ont calomniés en avançant qu'ils livraient
leurs prisonniers aux bouchers , lesquels en étalaient la
chair dans le~s marchés publics. M. de Grandpré leur accorde
beaucoup de loyauté dans les transactions, et dit qu'ils
portent quelquefois aux comptoirs de la côte d<! belles
étoffes de feuilles de palmiers et d'autres matières, qu'ils
fabriquent, ainsi que de l'ivoire et des esclaves, tirés soit
de leur propre pays, .soit de la Nubie. Les marchandises
qu'ils prennent en retour sont les cauris et d'aiifres coquil-
lages, qui leur senent d'ornement; du sel, des soieries, des
toiles, des verroteries, et autres objets de fabrique euro-
péenne. Leur langage parait n'être qu'un dialecte de l'idiome
commun à toute la région du Congo.
iVIMZIiV , village du département du Nord , célèbre par
l'immense exploitation dehouill:' qui s'y opère. Cette exploi-
f.70
AIVZIN — AORTE
tation ne remonte qu'à lT3'i, époque où le vicomte Désan-
<lrouin et l'ingénieur J. Mathieu rencontrèrent une houille
(le première qualité en gisements considcnibles après dix-
huit ans de rcclierches infatigables, des accidents de tou-
tes sortes et la perte d'iininenses capitaux. La découverte
de la houille à Anzin eut les résultats qu'il était facile de
prévoir. Elle fournissait un précieux aliment à l'activité
industrielle et commerciale de la Flandre française et du
Ilainaut , désormais affranchis du lourd tribut payé depuis
si longtemps à la Belgique; elle enrichissait un pays que
la guerre avait trop souvent appauvri. De chétives bour-
gades devinrent bientôt de populeuses et florissantes com-
munes; l'existence de quelques mille ouvriers lut dès lors
assurée. La compagnie trouva dans les bienfaits même
qu'elle répandait la source d'une fortune rapide ; ses tra-
vaux se poursuivirent avec persévérance et succès. A la
révolution de 1789, elle avait trente-sept fosses, tant pour
l'extraction de la houille que pour l'épuisement des eaux,
douze machines à vapeur, quatre mille ouvriers, six cents
chevaux; elle produisait annuellement 7,000,000 d'hec-
tolitres de charbon , et gagnait au moins un million. L'in-
vasion des armées étrangères, en 1792, apporta une gi-ande
perturbation dans l'étiiblissement d'Anzin; les machines
furent brisées , des fosses comblées , etc. Les propriétaires
de la moitié des actions émigrèrent. Leurs parts furent, en
l'an V de la république , vendues par l'État. On évalua les
biens de la compagnie à 5,000,000 fr. environ, payables en
assignats. C'est sur ce pied que M.AL Périer, Berrier, Le
Cousteux de Canteleu et autres achetèrent. L'adjudication
eut lieu alors que les assignats étaient en dépréciation, et le
payement quand ils étaient à zéro. C'est à M. J.->L de
Désandrouin , fds du fondateur, qu'on doit la réorganisation
de l'affaire. Sous l'Empire, l'établissement fut peu prospère,
la guerre ayant pour conséquence la stagnation du com-
merce; sans compter que, par la réunion de la Belgique à
la France, on avait à soutenir une rude concurrence contre
les houillères de ce pays. Mais à la Restauration la paix
ramena le développement de l'industrie, et Anzin vit aug-
menter chaque année dans de vastes proportions sa produc-
tion et ses profits. On étendit le périmètre de sa concession
primitive par d'autres concessions , et le bassin houiller de
Denain, qu'on a rattaché à Anzin par un chemin de fer, lui
fournit une source inépuisable de richesses minérales. Au-
jourd'hui la compagnie tire annuellement 6,000,000 d'hec-
tolitres ; elle emploie six mille ouvriers, soit dans ses mines,
soit dans ses chantiers et ateliers de construction; elle
possède plus de cinquante machines à vapeur, et gagne en-
viron 3,000,000 de fr. chaque année.
On sait quelle influence cette compagnie financière a
exercée en 1830 et 1831 sur la politique de la France rela-
tivement à la Belgique, dont les offres de réunion furent
repoussées, moins peut-être par crainte d'une guerre euro-
péenne que pour conserver à I\DI. Périer et consorts le
monopole et l'exploitation des houilles que protégeaient
contre la concurrence étrangère, et notamment contre
celle <lo la Belgique, des tarifs exagérés.
On se ferait difficilement , au reste, une idée de la posi-
tion des malheureux mineurs attacliés à l'exploitation d'An-
zin, condanmés à rester de huit à dix heures par jour à
plus de quatre cents mètres soiis terre, et ne gagnant en
moyenne i\m 1 fr. 66 c. par jour! Nulle part la féodalité
nouvelle, c'est-à-dire celle que les capitalistes jiarviennent
à exercer, grûce à l'accumulation des capitaux entre quelques
mains, n'apparaît plus hideuse et plus désolante dans ses
résultats que parmi cette population de charbonniers. Et
cependant un procès nous a appris qu'une augmentation
en moyeniuî de 20 cent, seulement sur le prix de chaque
journée suffirait pour adoucir tant de misères. Mais aussi à
ce compte la compagnie verrait diminuer ses bénéfices
de 3 .'i 400 mille francs. Edward Leclay.
Le village d'Anzin offre encore quelques établissements
industriels, tels que fabriques de clous , forges à l'anglaise ,
haut fourneau, verrerie, briqueteries, etc., etc.
AOD, ou EH CD, deuxième juge d'Israël, vivait de
1385 à 1305 avant J.-C; il était fils de Géra. Voulant déli-
vrer le peuple juif de la tjTannie d'Églon, roi des Moabites,
il feignit d'avoir un secret important à confier à ce prince ,
et l'assassina en lui plongeant un couteau dans le cœur. Ras-
semblant ensuite les Israélites , il tomba à l'improviste sur
les ennemis, et leur tua dix mille hommes. Les censeurs de
l'Histoire Sainte ont observé qu'Aod s'était rendu cou-
pable en cette circonstance d'un régicide ; mais l'abbé Ber-
gier, dans son Dictionnaire de Théologie, repousse ce re-
proche en disant que les Israélites n'avaient point librement
rccoimu Églon pour leur roi.
AOMIDES. C'est le surnom des Muses, tiré des monts
Aoniens, où elles étaient particulièrement honorées, et d'où
la Béotie elle-même est souvent nommée Aonie.
AORASIE. Les anciens étaient persuadés que lorsque
les dieux venaient parmi les hommes, ou conversaient avec
eux, leur divinité ne se manifestait jamais en face, et môme
qu'ils restaient invisibles jusqu'au momentoùilsse retiraient,
et se faisaient voir alors par derrière. Ils en concluaient que
tout être non déguisé qu'on avait le temps de regarder en
face n'était pas un dieu. C'est ainsi que Neptune, dans Ho-
mère {Iliade), après avoir parlé aux deux Ajax sous la fi-
gure de Calchas, n'est reconnu d'eux qu'à sa démarche au
moment où il les quitte. "S'énus apparaît à Énée sous les traits
d'une chasseresse, et son fils ne la reconnaît que lorsqu'elle
se retire. De là le mot H^aorasïe, ou d'invisibilité, d'à privatif,
et de ôsâw, je vois.
AORIS'TE, terme de grammaire grecque et de gram-
maire française, âop'.aTo;, indéfini, indéterminé. Ce mot est
composé del'à privatif et de ôpoç, terme, limite; ôpio'v, finis,
6pt!;a) , je définis, je détermine. — Il se dit d'un temps et
surtout d'un prétérit indéterminé; j'ai fait est un prétérit
déterminé, ou plutôt absolu, au lieu que je fis est un aoriste,
c'est-à-dire un prétérit indéfini, indéterminé, ou plutôt un
prétérit relatif; car on peut dire absolument j'ai fait, j'ai
écrit , j'ai donné, au lieu que quand on dit je fis , j'é-
crivis, je donnai, il faut ajouter quelque autre mot qui dé-
termine le temps où l'action dont on parle a été faite : je
fis hier, j'écrivis il y a quinze jours, je donnai le mois
passé.
On ne se sert de l'aoriste que quand l'action s'est passée
dans un temps que l'on considère comme tout à fait séparé
de celui où l'on parle ; car si l'esprit considère le temps où
l'action s'est passée comme ne faisant qu'un avec le temps
où l'on parle, alors on se sert du prétérit absolu ; ainsi l'on
dxtj'ai fait ce matin, et non Je fis ce matin ; car ce matin
est regardé comme partie du jour où l'on parle; mais on dit
fort bien : je fis hier, et l'on dit fort bien aussi : depuis le
commencement du monde jusqu'aujourd'hui on a fait
bien des découvertes; et l'on ne dirait pas : on fit, à l'ao-
riste, parce que , dans cette phrase , le temps, depuis le
commencement du monde jusqu'aujourd'hui est regardé
comme un tout, comme un même ensemble. Dumarsais.
AOUTE (du grec àoprri). Cette artère naît de la base
du ventricule gauche du cœur, et présente à son orifice trois
valvules sigmoides, comme l'artère pulmonaire. Elle est si-
tuée à la partie postérieure de la poitrine et de l'abdomen, et
s'étend depuis le cœur jusqu'à la quatrième ou à la cinquième
vertèbre lombaire. A son origine, l'aorte, cachée par l'artère
pulmonaire, se porte bientôt en haut et à droite, au-devant
de la colonne vertébrale ; ensuite elle se recourbe de droite
à gauche et de devant en arrière jusqu'à la hauteur de la
seconde vertèbre du dos en formant une courbure nommée
crosse de l'aorte, qui se termine sur le côté gauche du
corps de la vertèbre suivante. Plus bas, l'aorte descend sur
la partie antérieure gauche du corps des autres vertèbres
AORTE — AOUT
G71
dorsales, passe entre les piliers du diaphragme , continue sa
route sur les vertèlires des loud)es, jus«iu';\ l'union de la
quatrième avec la cinquième, où elle se termine en se divi-
sant en deux grosses branches, qui sont les artères iliaques
primitives. L'aorte est le tronc commun de toutes les artères
du corps. Aucune artère n'est aussi fréquemment le siège
d'auéyrisme spontané que l'aoïle; elle peut encore être
affectée d'inflammation aiguè ou chronique : c'est ce qu'on
nommé aortife; d'ulcération, d'hypertrophie, d'atrophie,
de ramollissement, d'ossification, etc.
AOSTE, ville des États Sardes, chef-lieu de la province
de son nom, bâtie sur la Doire, dans une vallée étroite,
à 75 kilomètres nord-ouest de Turin, compte environ 7,000
habitants. C'était autrefois la capitale des Sallassii, tribu
de montagnards très-célèbres par leur valeur dans la Gaule
ïranspadane. Irrité de leurs révoltes continuelles , Au-
guste fit détniire leur cité par Térentius Varro Jluréna ; les
habitants , qui s'étaient réfugiés dans leui-s caves , y furent,
à ce qu'on raconte , noyés par l'eau de la rivière , dont on
avait détourné le cours ; puis, sur les ruines de l'antique Aoste,
trois mille soldats prétoriens fondèrent une ville nouvelle,
qui reçut le nom d'Atigusta Pnrtoria. Parmi les ruines de
réiHxpie romaine encore existantes aujourd'hui, on remarque
surtout un arc de triomphe fort bien conservé, et deux
portes à trois ouvertures. La cité actuelle, siège d'un évêché,
possède un collège communal et un séminaire. Elle fait
un commerce assez actif. Aux environs se trouvent les cé-
lèbres mines et bains de Saint-Didier.
AOCDE. Voyez Acnn.
AOÛT, sixième mois de l'année romaine, fut appelé
à cause de cela mensis sextilis , jusqu'à l'époque où il
reçut le nom de l'empereur Auguste; ce nom nous est
arrivé réduit par des contractions successives à cette seule
syllabe ooîî^; Voltaire fit des efforts inutiles pour lui rendre
le nom d'Auguste. C'est le huitième mois de notre année.
— Les Grecs célébraient pendant ce mois les jeux néméens,
institués par Hercule ;^ à Rome, c'était, au jour des ides, la
fête des esclaves et des servantes, en mémoire de la nais-
sance de SeKvius Tullius, fils d'une esclave.
Août s'entend aussi de la récolte, de la moisson des blés
et autres grains, quoiqu'elle commence en plusieurs endroits
dès le mois de juillet.
AOÛT 1S70 (Éditd'). Voyez Édit.
AOUT 1 789 ( Nuit du 4 ). Nous ne sommes séparés de
celte nuit mémorable que par un intervalle de trois quarts
de siècle; et cependant elle semble aux générations contem-
f)oraines une de ces nuits perdues dans la profondeur de Ihis-
toire, tant le nouveau régime, qui prit sa date officielle à
ce moment solennel, a jeté de profondes racines dans notre
société renouvelée. La nuit du 4 août fut la conséquence
nécessaire, inévitable, de la prise de la Bastille : c'est la
victoire du peuple acceptée, consacrée, écrite dans des
actes législatifs. L'un et l'autre s'enchaînent comme le prin-
cipe et la conséquence : il y eut dans l'Assemblée consti-
tuante, comme il y avait eu sur la place du faubourg Saint-
Antoine, une ardeur, un imprévu de courage, une rivalité
mer^■eillcuse de dévouement et de sacrifices. La vieille cons-
titution aristocratique, cléricale et parlementaire succomba
en une seule séance sous les coups pressés des députés,
comme le vieux château féodal était tombé , en quelques
heures, sous le marteau du peuple.
Et Içs deux événements , engendrés par la même pensée,
furent accueillis avec le même enthousiasme. On en peut
juger par ces lignes, que Garât écrivait le lendemain même
de cette séance : « En une nuit, la face de la France a
« changé; l'ancien ordre de choses, que la force a maintenu
« malgré l'opposition de cent générations, a été reri-
« versé; en une nuit l'arbre fameux de la féodalité, qui
« couvrait toute la France, a été abattu; en une nuit, le
« cultivateur est devenu l'égal de l'homme qui, en vertu de
« ses parchemins antiques, recueillait le fruit de ses travaux,
« buvait , en ([uelque sorte , la sueur et dévorait le fruit do
« ses veilles... En une nuit les longues entreprises de la
n cour de Rome, ses abus, son avidité, ont trouvé un terme
« et une barrière insurmontable, que viennent de poser,
« pour une éternité, la sagesse et la raison hiunaines... Vax
« une nuit la France a été sauvée , régénérée ; en mie nuit
« un peuple nouveau semble avoir repeuplé ce vaste empire,
« et sur les autels que les anciens peuples avaient éle\és à
« leurs idoles, il proclame un Dieu juste, bienfaisant »
L'exaltation exagérait sans doute les résultats de cette
séance; les longs déchirements, les luttes acharnées, le tra-
vail des trois assemblées révolutionnaires, ont assez prouvé
que tout ne fut pas fait en une nuit. Toutefois, ce qui fut
fait fut grand, immense, et l'entraînement des esprits et des
cœurs donna un nouveau relief à cette nuit du 4 août, qui
demeurera l'une des pages les plus belles et les plus pures
de notre histoire. Rien, du reste, n'était plus inattendu, et,
pour qu'on en juge, il importe de rappeler brièvement dans
quelle situation la France et l'Assemblée se trouvaient placées.
L'événement du 14 juillet avait sur tout le territoire un
retentissement infini. Dans les villes il excitait les émotions
les plus patriotiques ; de nouveaux horizons s'ouvraient à
toutes les espérances; le monde paraissait agrandi, le
peuple était relevé, tous les sentiments d'humanité se' di-
lataient , et la population appartenant à la classe moyenne
était un immense foyer d'enthousiasme. 11 n'en était pas
ainsi de la population des campagnes. Là aussi le bruit de
la Bastille croulante retentissait profondément, non pas
comme le son enivrant d'une fête, mais comme un tocsin
d'insurrection. C'est que la féodalité se traduisait en effet
pour les classes inférieures en souffrances abominables. La
misère était extrême , la disette venait s'ajouter à cette sus-
pension de travaux qui a toujours lieu pendant les grandes
agitations pubUques : aussi les paysans s'étaient-ils armés
presque partout; ils couraient au château du seigneur, brû-
laient les chartiers, incendiaient les bâtiments, et suivant
les précédents du maître lui f;usaient grâce ou le pendaient
sans pitié. Ce terrible mouvement était devenu presque gé-
néral ; chaque village avait sa bastille et la voulait prendre.
Les rapports de ces désordres arrivaient en foule à l'Assem-
blée nationale : les propriétaires demandaient protection ,
les percepteurs de taxes n'avaient plus aucun moyen do
recouvrement, les troupes refusaient de prêter main-forte.
Dans la séance de la veille , Salomon , en exposant cette
situation, avait fait un appel aux députés pour la répression
de ces abus; une émeute formidable avait éclaté à Saint-
Denis , et , au milieu de l'effervescence universelle , le maire,
qui s'était réfugié dans un coin du clocher de la cathédrale'
fut découvert par un enfant et mis à mort. Des désordres et
des émeutes du même genre se renouvelèrent dans le Ma-
çonnais, dans la Champagne, et dans presque tous les pays
de grande gabelle. L'opinion parisienne était émue de toutes
ces nouvelles , qui augmentaient encore la fermentation de
la capitale. C'est alors que l'Assemblée constituante ordonna
à son comité de rédiger une résolution pour cahiier les es-
prits, fortifier l'autorité et ramener l'ordre. Lu une pre-
mière fois dans la journée du 4 août, ce projet de décret
ne satisfit point les députés , et l'on s'ajourna à huit heures
du soir pour entendre une nouvelle rédaction. Target en
était l'auteur. Chapelier présidait. L'Assemblée paraissait
d'abord uniquement préoccupée de pourvoir à la sûreté des
propriétés et des personnes : elle écouta dans un profond
silence le projet d'arrêté qu'on lui présentait. Ce projet dé-
clarait que les lois anciennes subsistaient, et que les impôts
devaient continuer à être perçus.
Target ne fit siiivrc sa lecture d'aucun commentaire.
Au moment où Chapelier allait mettre aux voix la di.scu5-
sion, le vicomte de Noailles demanda la parole, noa
pa< pour critiquer ce projet, mais pour le faire précéder
G72
AOUT
d'une résolulion qui devait lui donner plus de force. Il se
résumait en proposant : « 1" qu'il Foit dit que les représen-
« tants de la nation ont décidé que l'impôt sera payé par
« tous les individus du royaume, dans la proportion de
« leur revenu ; 2" que toutes les charges publiques seront
« à l'avenir supportées par tous; 3" que tous les droits
« féodaux seront rachetables en argent par les commu-
« nautés, ou échangés au prix d'unejuste estimation; 4° que
« les corvées seigneuriales , les mainmortes et autres ser-
« vitudes pareilles sont détruites sans rachat. »
Ce discours, écouté dans un profond silence, excita d'a-
bord la surprise des uns, l'agitation de quelques autres,
mais il produisit dans toute l'assemblée ce sentiment de
satisfaction que causent toujours dans une grande réunion
d'hommes une idée juste et une vérité généreuse. Les dé-
putés du fiers attendaient avec une sorte d'anxiété la ré-
ponse que ferait la noi)lesse à cette proposition d'un de ses
membres. Mais déjà, tandis que M. de Noaiiles parlait, les
nobles qui appartenaient au club Breton avaient témoigné
de leur concours, et l'un d'eux, M. le duc d'Aiguillon,
monta bientôt à la tribune en y portant un projet d'arrêté
qu'il venait d'écrire. Il appela l'attention de ses collègues
sur le spectacle qu'offrait alors la France et sur la ligue que
le peuple tout entier avait formée pour conquérir l'égalité,
et exprima le vœu de voir les seigneurs sacrifier leurs droits
à la justice. Un vif mouvement d'adhésion répond à ses
paroles , et les députés de la noblesse l'encouragent à pour-
suivre. Après avoir fait quelques réserves sur les immunités
dues aux propriétaires , il se résume en lisant d'une voix
ferme un projet d'arrêté, qu'on écouta de toutes parts avec
une religieuse attention, il portait que les corps, villes,
communautés et individus qui jusque alors avaient joui
d'exemptions et de privilèges supporLcraient désormais les
charges publiques , sans aucune distinction, soit pour la
quantité des impôts , soit pour la forme de leur perception,
et que tous les droits féodaux et seigneuriaux seraient à
l'avenir remboursables à la volonté des redevables.
Ainsi , la proposition de M. de Noaiiles n'était plus un
simple vœu, elle prenait la forme d'un acte législatif; et
quand le duc d'Aiguillon eut fmi de parler, une joie très-vive
éclata dans toute l'assemblée. Un député des communes s'é-
criait de sa place : « C'est beau ! c'est beau !» ; et à côté de
lui un autre disait : « Hier, les membres des communes ont
« excité le zèle de l'Assemblée nationale contre les violences
« dont les nobles étaient l'objet. Les nobles y répondent
« aujourd'hui en donnant à toutes les classes des preuves
« marquées de patriotisme ! » Et en prononçant ces mots ,
le député qui parlait éprouvait une émotion qui allait jus-
qu'aux larmes. On était touché du sacrilice de la noblesse,
on devait l'être bien plus encore des souffrances du peuple.
Ce sentiment animait la majorité de rassemblée, et au mi-
lieu de l'agitation générale elle semblait se recueillir pour
prêter une oreille attentive à l'orateur qui s'avançait à son
tour vers la tribune. Celui-ci parlait pour la première fois,
et il ne paraissait distingué que par son costume : c'était un
cultivateur, portant une veste de paysan, allure carrée,
trempe vigoureuse, figure accentuée d'un Breton robuste.
11 s'appelait Lcguen de Kérendâl... Après avoir rappelé que
la déclaration des droits de l'homme avait été jugée néces-
saire, et qu'il importait d'établir les bonies qui ne doivent
pas être franchies, il s'anime en pensant à toutes les oppres-
sions que la féodalité engendre. Puis, se tournant vers
le côté droit de l'assemblée, Leguen de Kérendâl ajoute
d'une voix forte : « Qu'on nous apporte ici les titres qui
« outragent non-scuicment la pudeur, mais riiumanité eii-
« tière; qu'on nous apporte ces titres qui liumilient l'espèce
« humaine en exigeant que les honmies soient attelés à une
« charrette comme les animaux du labourage; tpi'on nous
« apporte ces titres qui obligent les hommes à passer les
« nuits à battre les étangs pour empêcher les grenouilles de
« troubler le sommeil de leur voluptueux seigneur... » Le
ton de l'orateur, sa voix vibrante, son geste rude , son élo-
quent langage, excitent des applaudissements universels, et
une sorte de courant électrique ébranle et passionne toutes
les ûmes.
On n'avait parlé que du rachat des droits féodaux. Mais
Lcgrand ( du Berri ) vient démontrer que les corvées , la
taille , la mainmorte , sont des outrages à l'humanité , et
qu'il faut les abolir sans rachat. Lapoule va plus loin ; et,
dans le tableau qu'il présente des désordres de la féodalité ,
il rappelle ce droit infâme , ce droit d'assassin , qui permet-
tait au seigneur de certains cantons <' de faire éventrer deux
« paysans, au retour de la chasse, pour se délasser en plon-
« géant ses pieds dans les entrailles sanglantes de ces mal-
« heureux ! » Aussitôt un cri d'horreur s'élève dans l'asr
semblée ; le côté droit murmure avec force : Vous exagé-
rez , crie-t-on à Lapoule. Ce droit n'a jamais existé en
France. — Prouvez votre assertion , dit avec énergie un
autre membre en apostropliant l'orateur. Les rumeurs se
succèdent, le tumulte augmente ; Lapoule, accablé par tant
d'émotions, descend de la tribune sans achever son dis-
cours.
Une réaction d'un instant se fait alors dans les esprits. 11
est des hommes froids et secs , à côté desquels la sensibilité
passe sans les atteindre, que l'atmosphère de l'enthousiasme
enveloppe sans qu'ils le respirent; natures rebelles au mou-
vement , que toute irrégularité épouvante, qui se roidissent
contre ce qui entraîne, et qui , dans leurs habitudes inflexi-
bles , parce qu'elles sont étroites , cherchent toujours à faire
prévaloir ce qu'ils appellent la règle et l'ordre , sans s'in-
quiéter si cet ordre apparent n'est pas au fond le plus odieux
désordre, parce qu'il est la plus flagrante injustice. Il y a
toujours un assez grand nombre d'hommes de cette trempe
dans une assemblée politique , et dans des crises difficiles
la peur les crée et les inspire. Ce ne fut pas la frayeur per-
sonnelle cependant qui fit parler Dupont de Nemours , mais
une certaine terreur politique qui lui montrait tous les res-
sorts de la machine affaissés , tous les liens de l'autorité
rompus , toutes les sphères du vieux monde brisées , avant
même qu'on eût fondu le moule du monde nouveau. Il pro-
fita de cette courte pause que le discours de Lapoule avait
fait faire à la discussion pour demandei- que tout citoyen
fût tenu d'obéir aux lois; que tous les tribunaux fussent
sommés de veiller à leur maintien ; que tous les corps mili-
taires eussent à prêter main-forte aux magistrats.... C'est
l'argument suprême des gendarmes , logique très-puissante
en un temps cahnc et pour un pouvoir organisé ; arme ridi-
cule et impuissante quand l'heure de la dissolution a sonné
et que le peuple est debout. Aussi la diversion de Dupont de
Nemours n'eut-elle aucun succès. Elle ne parvint pas même
à distraire l'assemblée de ses grandes pensées de réforme.
L'écluse était ouverte, et les flots allaient se précipiter. Le
marquis de Foucault prend la parole au nom de la noblesse ,
et fait une vigoureuse sortie contre les abus des pensions
militaires ; il demande que les plus grands sacrifices soient
imposés à cette portion de la noblesse qui est sous l'œil du
prince, opulente déjà, et sur laquelle il verse sans mesure
les dons , les largesses, les traitements excessifs, fournis et
pris sur la pure substance des campagnes. Le duc de Guiche
et le duc de Mortemart répondent à cette intenicllation , et
déclarent qu'ils sont prêts à prendre la plus grande part du
fardeau.
Ces deux discours causent de nouveaux transports de
joie : parmi les nobles, parmi les membres des communes,
on s'échauffe par la passion du bien. Leur rivalité d'abné-
gation produit une foule de propositions favorables au peuple.
Le vicomte de Beauharnais réclame l'égalité des peines et
l'admissibilité de tous les citoyens à tous les emplois. Lotin
signale la tyrannie des justices seigneuriales , il in demande
l'abrogation : on l'applaudit. Le duc du Chùtclct veut qu'on
AOUT
C73
«'tcniîc aux dimcs ce qu'on a fait pour les autres droits ft'o-
dau\. Les motions se succtVient , le bureau ne peut suffire
à les enregistrer; l'Asseuiblic ne vole plus, elle applaudit
avec transport , l'enthousiasme est partout... Kt le vicomte
Mallliieu de Montmorency , ne voulant lias ipie ces motions
demeurent incomplètes , propose qu'on les décrète sur-le-
champ, pour leur donner force de lois. Sur une obseï vation
du président, qui refuse de clore la discussion avant que le
clergé ait pu manifester ses sentiments, il se fait un mouve-
ment très-marqué parmi tous les membres du clergé : plu-
sieurs se lèvent à la fois ; m\ d'entre eux court à la tiibune;
mais il cède la |tarole à M. de Lafare, evèque de Nancy, qui
demande que le rachat ne tourne pas au prolit du seigneur
ecclésiastique, niais qu'il soit fait des ])lacements utiles pour
les bénéfices mêmes , afin que leurs administrateurs puis-
sent répaudre des auniOnes abondantes sur les indigents.
M. de Lafare avait à peine fini que le respectable évoque
de Chartres, M. de Luhersac^ lui succédait, répétant une dé-
claration analogue , et s'appesantissant avec énergie sur la
tyrannique absurdité qui résultait des droits de chasse , si
cruels, si funestes au cultivateur. — Ces deux discours re-
nouvelèrent tout l'enthousiasmede l'Assemblée. Le cleri;étout
entier se lève, et d'une voix forte s'écrie : i\ous appuyons !
nous appuyons 1 Des applaudissements frénétiques accueil-
lent ce mouvement du corps ecclésiastique. Toutes les
nuances politiques s'eflaccnt sous l'empire de ces senti-
ments généreux : les députés des communes viennent féli-
citer le clergé, les nobles s'y joignent; tous les partis se
confondent , et au milieu de ces épanchements et de ces
transports, la séance demeure quelque temps suspendue...
Cependant, dominant le bruit, Custine s'écriait qu'il fallait
rédiger tout de suite toutes ces diverses motions. Le comte
de Casiellane répondait qu'il suffisait de décréter eu principe
le remboursement des droits féodaux , d'après des tarifs
qui viendraient plus tard. Et couune queltiues membres pa-
raissaient combattre ce projet, le duc de Mortemart, élevant
la voix : « Il n'y a qu'un vœu de noire part, c'est de ne pas
« retarder les décrets que nous allons rendre. »
Tout cela se disait au sein d'une agitation générrde; le
président rappelle alors l'Assemblée au silence, et demande
si quelqu'un veut encore donner suite aux propositions.
Quand le calme est un peu rétabli , Lepelletier de Saint-
l^argeau, homme pratique, magistrat accoutumé aux choses
d'application, demande que cette année même, et à partir
du commencement de cette année, tous les privilégiés sans
exception supportent leur part des charges publiques. L'im-
pulsion était donnée de nouveau, et les motions de réformes
se succèdent sans interruption. De Richer demande la gra-
tuité de la justice et la suppression de la vénalité des charges.
Le comte de Vezins demande l'abandon du droit de colom-
bier, abandon qu'il fait pour son compte, en ajoutant :
Comme Catulle, je regrette de rC avoir à offrir en sacri-
fice qu'un moineau. Le duc de Larochefoucauld-Liancourt
réclame l'affranchissement des serfs et l'adoucissement de
l'esclavage dans les colonies. A ce moment, une motion
nouvelle vient exciter la sensibilité de l'assemblée : un
pauvre curé , Thibault , après s'être entendu avec ses con-
frères , s'avance vers le bureau , et de ce qu'on avait voté
que la justice devait être gratuite il conclut que les offices
du clergé doivent l'être aussi. Il prie donc l'Assemblée d'ac-
cepter l'offre que font les membres du clej'gé de leur casuel.
Aon .' non ! s"écrie-t-on de toutes parts : « Non-seulement
o je m'oppose à cette motion , dit Dupont de sa place; mais
o je trouve le casuel du clergé insuffisant, et je voudrais
o le voir augmenter, comme dédommagement des services
u et comme récompense du patrioti,sme de cette classe de
« citoyens. » La grande majorité de l'Assemblée s'associe à
ce vdiu de Dui)ont , et la motion de Thibault n'est pas ac-
ceptée. Alors, M. de Boisjelin, archevêque d'Aix, insistant
de nouveau sur les malheurs que cause une tyiannie féodale,
DICT. DE LA COXVEKS. — T. I.
prévoit lo cas où la misère pourrait décider les paysans à
consentir à quelciues conventions ressuscitées d'un autre
;'i;;e : il veut que l'Assemblée les déclare nulles d'avance, il
rnppelle ensuite les maux cruels cnisés par l'extension ar-
bitraire des taxes, et surtout par les droits d'aide et de ga-
belle. Il demande qu'ils soient immédiatement supprimés. On
répond à ce désir par de vives acclaniations.
il semblait enfin (pie tous les sacrifices fussent consom-
més, toutes les parties de l'ordre politique et social attaquées
et replacées sur de nouveaux princij)es de justice et de li-
berté. Les taxes, les corvées, les mainmortes, les tribunaux,
les abus de la léodalilé, tous ces impôts qui écrasaient le
travail, abaissaient la dignité humaine, arrêtaient toute cir-
ctilation de la richesse, empêchaient les moindres mouve-
n\ents de la liberté, avaient été détruits tour à tour au bruit
des api)laudissemenls de l'Assemblée, qui préjugeaient, de-
vançaient ceux de la l'rance entière. On avait fait, comme
Grégoire le disait plus tard, tin grand abattis dans l'immense
foret des abus ; et d'heure en heure la séance devenait plus
intéressante, l'Assemblée nationale plus animée, l'émulation
du bien plus pathétique et plus entraînante. Des propositions
d'un autre ordre venaient encore augmenter l'effusion. Les
députés de provinces qui jouissaient d'avantages et de pri-
vilèges particuliers pensèrent que la réforme serait incom-
plète si, en proclamant l'égalité pour les citoyens, on main-
tenait l'inégalité sur le territoire. Les députés du Dauphiné,
d'Agoult et de Blacour, ouvrent les premiers cet avis. Ils
renoncent aux avantages attribués à leur pays depuis long-
temps, et ils espèrent que leurs collègues suivront cet exem-
ple. La Bretagne se lève aussitôt, et se dirige vers le bureau ;
mais Chapelier, qui est au fauteuil, se lève aussi, et d'une
voix solennelle il dit qu'il se félicite de trouver une si belle
occasion de faire connaître le vœu de sa province, vœu qui
tend à la renonciation do tous les privilèges, dans l'attente
du bonheur qiie la constitution prochaine promet à tous les
eafimts de la mère-patrie. Le président se rassied au milieu
des applaudissements répétés de tous les membres. Les dé-
putés de la Provence viennent ensuite faire le même aban-
don; ceux de Sémur les imitent. Le baron de :\Iarguerit sort
alors de sa place, accompagné de tous les députés du Lan-
guedoc; ils s'avancent ensemble au milieu de la salle. Il se
fait un profond silence, et Marguerit demande, au nom de sa
province, l'établissement de nouveaux impôts en une forme
libre, élective et représentative, et des administrations dio-
césaines et municipales organisées dans la même forme.
L'orateur ajoute que, quoique non autorisés par leurs com-
mettants, les députés croient pouvoir assurer qu'ils seront
heureux de s'associer par tous les saciificcs de leurs privi-
lèges à la prospérité générale de l'enqjii'c. Les cris de joie
retentissent dans la salle, et l'évoque d'Uzès, dominant le
tumulte, oflre à son tour le sacrifice de ses titres. I^cs évo-
ques de Nîmes et de Montpellier font la même déclaration,
et y ajoutent la demande d'une exemption de tout impôt
pour les artisans et les manœuvres qui n'ont d'autre pro-
priété que leurs bras. Le duc de Castries se démet de sa ba-
ronie de Languedoc entre les mains de la nation. Latour-
Maubourg, d'Iistourmel et Lameth renoncent à leurs baro-
nies de l'Artois; Lyon et Marseille abandonnent leurs privi-
lèges spéciaux. Le duc d'Orléans fait le sacrifice des droits
qu'il possède dans la France wallonne; le duc de Villeciuier
et le comte d'iiginont, les évêcpies d'Auxerre et d'Autun,
font des offres analogues. Hérar, député de la Guienne, re-
nonce aux privilèges de la ville de iîordeaux. 11 n'y a plus
de li.iiites à l'entraînement. La principauté d'Orange, la
Bourgogne , Arles, Grasse, la Bresse, la Normandie, l'Au-
vergne, la Franche-Comté, le Clermontois, l'Agénais, lo pays
de Cambrésis, toutes les provinces, toutes les villes qui
avaient queUiue prérogative exceptionnelle , en font l'aban-
don par la bouche de leurs députés. La nuit s'avançait, l'en-
thousiasme allait croissant, l'Assemblée entière était éume,
r,7J
AOUT
transporldc , rt il fallait deviner le secret de quelques pas-
sions tionto'iscs, jiour df'coiiviir dans quelques membres le
disirdc multiplier, d'accumuler à la fois toutes les rt-formes,
dans l'espoir de créer une confusion extrême qui en empô-
( lierait la réalisation.
On avait touché à tout, et un député venait d'ôtre applaudi
en demandant l'abolition des jurandes, des maîtrises, et la
liberté du travail; un autre avait été accueilli avec le môme
fracas en réclamant la liberté relit;ieusepour tous les cultes,
lorsqu'un député de Lorraine ouvrit une voie nouvelle, et
ndama la su[)pression des droits perçus en France par la
cour de l'tome. A celle proposition, les trois ijuarts de l'As-
semblée se lèvent en sij^ne d'assentiment, et font éclater le
plus ardent cntlioiisiasme. L'arcUcéque de Paris, .M. de
Juigné,en profile pour proiio^'er aux députés un Te Deum
en actions de j^rûces de cette séan.-e solennelle et des grands
sacrilices faits à la patrie. « Il faut que ce souvenir soit con-
sacré pour riiisîoire, dit à scn tour iM. de Liancourt, et je
demande qu'on (rappe une médaille en mémoire de la nuit
du 4 août. » Ces deux propositions sont votées par accla-
mation.
Et cependant les renonciations n'étaient pas épuisées;
elles continuèrent encore : les cures abandonnèrent leurs bé-
nélices simples; des évé(iucs abandonnèrent des droits
immenses; l'énumération même de tous ces privilèges aban-
donnés attestait l'énormité des abus, et ne justiliait que trop
l'insurrection du peuple contre tant d'oppressions! Ji était
pins d'une heure du matin , et les motions se succédaient
toujours. Un député demande alors l'institution d'une fête
nationale, destinée à célébrer l'anniversaire du 4 aoM, et au
moment où la délibération allait être close, Lally-Tollendal
proclame Louis XVI le restaurateur de la liberté fran-
çaise. Mais le roi, comme on le voit par la lettre qu'il écrivit
le lendemain à l'archevêque d'Arles , condamna hautement
ce grand acte de justice auqviel tous les ordres avaient con-
couru dans cette nuit mémorable du 4 août.
Dans cette séance on n'entendit aucun des grands ora-
teurs qui captivaient, éclairaient, passionnaient l'Assemblée
constituante , ni Mirabeau, ni Sieyès, ni Baniavc, ni Maury,
ni Cazalès :1a parole n'était pas à l'éloquence, mais au de-
vouement, et jamais l'éloquence ne monta si haut, jamais elle
ne n-pandit tant de bienfaits sur un peuple !
On (tait arrivé à deux heures après minuit sans se sépara-
un instant, sans se refroidir dans cette brûlante ivresse du
patriotisme qui avait inspiré tant d'abnégation. Le président
lit relire alors toutes les motions qui avaient été faites et pro-
posa de les sanctionner dans la forme ordinaire On ren-
voya la rédaction du décret au comité. Le Te Deum fut
chanté, la médaille aussi fut frappée; elle portait d'un coté
ces mots : Abandon de tous les pricilécjcs, et au revers,
le revers de la vérité : Louis XVT, restaurateur de la
liberté française.
Un seul mot de réflexion. Il y a des circonstances dans
la vie des nations où la puissance des assemblées detie
toutes les puissances de la force , du génie et de la gloire
personnelle. Imaginez un roi, un empereur, un ministre,
un dictateur, qui aient la seconde vue de Louis XI, la finesse
matoise de Henri IV, l'énergie de Richelieu, l'autorité de
Louis XIV, le génie de Xapoléon; donnez-leur le sceptre,
la couronne, et metiez-les en face d'une œuvre à faire
comme celle qui s'accomplit dans la nuit du 4 août! 11 n'y
on a pas un qui osât rentrepren<lre, ou qui, l'osant, n'y
j-uccombàt! Pour remuer la société entière, un homme, si
grand, si fort qu'il soit, ne suffit jamais ; il y faut la gran-
deur, la force et la responsabibté de tout le inonde.
Armand M\1UI,VST, auc. prcsidcutdd'Ass. cotisliliiante.
AOÛT 1702 (Journée du lO). Cette journée, l'une des
plus sanglantes <lc la première révolution française, fut elle-
même une révolution nouve!li>, qui remit tous les jiouvoirs
entre les mains des Jacobins. La fuite de Louis XVI, le
veto dont il crut devoir fm.pper les décrets de l'Assemblée
législative qui ordonnaient la vente des biens des émigrés
et condamnaient à la déportation les piètres réfractaires, en
achevant d'indisposer les masses contre l'autorité royale ,
avaient amené la journée du 2 0 j u i n. Cependant le roi per-
sistait à maintenir son veto, et le manifeste du duc deBrun s-
wick avait produit la plus grande effervescence dans les
esprits. Le 3 août, Pétion, maire de Paris, vint demander à
l'Assemblée la déchéance du roi au nom des quarante-huit
sections de Paris. La discussion fut ajournée au 9. Le co-
mité insurrectionnel des fédérés ajourna de même le mou-
vement qu'il préparait, et dont le plan était arrêté et connu.
Dans la séance du 8, l'Assemblée, à une très-forte majorité,
mit Lafayette hors d'accusation. A cette nouvelle l'irrita-
tion des faubourgs ne connut plus de bornes. Le 9, Rœ-
derer et Pétion annoncent à l'Assemblée que l'on doit son-
ner le tocsin et marcher sur le château si la déchéance
n'est pas prononcée; car c'était le plan des Girondins, qui
redoutaient l'issue d'un combat, d'obtenir la déchéance par
un décret. Les représentants passent à l'ordre du jour.
Pendant ce temps Paris était en pioie à la plus viveagitation ;
le comité insurrectionnel s'était formé sur trois points,
Santerreet Westermann au faubourg Saint-Antoine,
Foumicr au faubourg Saint-Marceau, Danton, Camille
Desmoul ins. Carra aux Cordeliers.
A minuit, on s'empare des cloches, et le tocsin commence
à sonner. A ce signal, les sections de Paris se rassemblent;
elles commencent par destituer le conseil de la commune ,
qu'elles remplacent ])ar une municipalité révolutionnaire.
Parmi les membres de l'ancienne. Manuel et Danton sont
seuls conservés. La cour n'avait que de faibles moyens de
résistance. Elle pouvait compter à peu près sur deux ba-
taillons de la garde nationale ; huit ou neuf cents suisses et
une afduence inutile de vieux serviteurs et d'amis du roi
remplissaient le château. Le commandement de la garde
nationale, depuis la démission de Lafayette, passait alterna-
tivement aux six chefs des légions ; il était échu ce jour-là
à Mandat, ancien militaire, homme d'action, qui fit à la hâte
toutes les dispositions pour résister. Son plan était de lais-
ser s'avancer les colonnes d'insurgés d'une part sur la place
de l'Hôtel de Ville, cl de l'autre sur le quai des Tuileries, et
de les charger vigoureusement. Déjà l'ordre était donné au
commandant du poste de l'Hôtel de Ville, quand la nouvelle
municipalité en est informée. Aussitôt elle somme Mandat
de comparaître. Celui-ci, qui ignore le changement survenu
dans la composition du conseil , obéit , et presque aussitôt
il est massacré par une populace furieuse. La défense avait
perdu son général. Enfin Santerre est proclamé comman-
dant provisoire de l'armée parisienne, et Westermann dirige
les efforts des assaillants.
Pendant la nuit, le château des Tuileries avait été in-
vesti par des forces considérables , à la tête desquelles se
trouvait le bataillon des Marseillais. Le conseil du roi était
resté assemblé toute la nuit. Ce prince descendit dans le
jardin à cinq heures du matin , accompagné de la reine, de
ses deux enfants et de quelques officiers généraux ; il passa
en revue les postes qui s'y trouvaient, et ne rentra au château
que vers sept heures. Le rassemblement populaire avait i>ro-
digieusement augmenté. Les bataillons couvraient la place
du Carrousel et les rues voisines. Leurs canons, en batterie
à la porte de la cour royale, étaient dirigés contre les Tui-
leries. Dans cette extrémité, le conseil du roi, pensant que
l'unique moyen d'airêter l'effusion du sang prêt à couler
était d'engager l'Assemblée nationale à envoyer au château
quelques-uns de ses membres , lui députa le ministre de la
justice, Joly. Mais , bien que l'Assemblée se fût réunie dans
le lieu de ses séances dès le moment où la généraleavaitappelé
tous les citoyens à leur poste , elle fut obligée de passer à
l'ordre du jour, parce qu'elle ne se trouvait point en nombre
pour délibérer. A huit heures, les membres du départe-
AO
ment entrèrent dans la salle du conseil. RdHleier, qui por-
tait la parole, déclara au roi et à la reine (jue le dan|j;er était
extrême, que la famille royale serait infiiillililement égor-
pt'e si elle ne prenait le parti de se rt'fugier dans le sein de
i'Assenihlie nationale. Marie- Antoinoltc s'f'Ieva avec fore
contre cette i)ro[>osition, qu'elle traitait de déshonorante;
mais Ro'derer lui ayant répondu : " Madame, vous exposez
la vie de votre époux et celle de vos enfants. Songez à la
responsabiliti' dont vous vous chargez , u personne n'osa
appuyer l'avis de la reine, et à neuf heures le roi sortit du
château , accompagm' de la famille royale, des ministres, et
de quelques généraux. Un dotachement de grenadiers suis-
ses et de grenadiers de la garde nationale lui servait d'es-
corte. En entrant dans la salle de l'Assemblée, le roi se plaça
dans un fauteuil à cùîé du président, ses ministres sur les
sièges destinés aux administrateurs , et sa famille dans la
tribune des journalistes. Le roi dit : « Je suis venu ici pour
éviter un grand crime qui allait se commettre ; je pense que
je ne saurais être plus en sûreté qu'au milieu des repré-
sentants de la nation. — Vous pouvez, sire, lui répondit S'er-
gniaud, qui occupait le (iiuteuil en l'absence du président ,
compter sur la fermeté de rAssenihléo milionale; ses mem-
bres ont jurédc mourir en soutenant les droits du peuple et
ceux lies autorités constituées. » Sur l'observation de Chabot
que l'acte constitutionnel interdisait au corps législatif tonte
délibération en présence du roi, Louis XVI se relira avec
sa famille dans la loge du logodichijr/ruplte.
Cependant le roi était à peine entré dans l'Assemblée que
le combat le plus meurtrier s'engage aux Tuileries ; la
porte est enfoncée à coups de hache ; les insurgés n'atta-
quent pas encore; on put croire un instant que le château
serait évacué sans combat ; mais un coup de feu part des
rangs du peuple. Les Suisses répondent par une décharge
générale qui porte l'effroi dans les rangs des Marseillais , ils
fuient en désordre ; la panique devient générale ; c'en est
fait, la victoire est au roi, quand arrive au même moment
M. d'Herviily , portant l'ordre de ne pas tirer. Une grande
partie des Suisses se retirent alors par le jardin sans ré-
pondre à un feu meurtrier. Les assiégeants ont eu le temps
de se rallier ; ils reviennent à la charge furieux de leur
échec; ils lénctrciit dans l'uitérieiir du cliâteau. Ce ne lut
plus alors qu'une bon il>ie bouclieiic. Vainement les défen-
seurs de la cour cliercbèrent leur salut dans la fuite; les
corridors, les caves , les combles , les écuries , les greniers
leur servaient momentanément d'asile; mais bientôt ils étaient
découverts et égorgés sans pitié. Le feu, qui avait commencé
à neuf heures et demie, cessa tout à fait à midi : le massacre
dura jusqu'à deux heures. La populace armée de piques ,
maîtresse du château, exerçait sa vengeance sur tous les in-
dividus qu'il renfermait. Les huissiers de la chambre, les
suisses des portes, et jusqu'aux aides de cuisine, tout fut
massacré; le sang ruisselait partout , sous les toits, dans les
caves et dans les appartements. On pense qu'il péril dans
cette journée environ cinq mille hommes.
Le triomphe du parti révokitionnaire ne fut pas moins
compl t dans r.\ssemb!éc que sur la place publique. La plus
grande partie des membres du côté droit, craignant d'être
égorgés par la multitude, ne s'étaient pas rendus à leur
poste. Le président n'osa remplir ses fonctions ; le fauteuil
fut occupé successivement le 10 aoOt par trois députés de
la Gironde , Guadet , Gensonné et Vergniaud. La déchi-ancc
du roi était demandée de manière à ne pas être refusée.
L'Assemblée adopta donc à l'unanimité et sans discussion le
célèbre décret proposé par Vergniaud , qui suspendait pro-
visoirement Louis XVI de sa royauté, ordonnait un |)laii
d'éducation jjour le dauphin et convoquait une Convenlinn
nationale. La famille royale assista à toute cette scène de l'é-
troit réduit où elle était réfugiée, en butte à tous les outrages
des tribimes. Bientôt elle entrait au Temple. La royauté
était perdue. Tel lut le résultat cic la joun^ée du lO août,
qui changea entièrement la face de la révolution française.
AOUT 1850 (Journée du 7 ). Pour bien étudier et pour
bien saisir une époque, il faut l'étudier par ses grands et par
ses petits côtés. L'histoire se compose, comme l'homme, (I<int
elle reproduit les faits elles gestes, de grandes et de petites
choses. — C'est pourcela que les mémoires particuliers ne ser-
vent pas moins aux histoi iens que les journaux officiels, le*
actes généraux des assemblées, les monuments publics el les
bruits delà vulgaire renommée. — Cehii qui écrit ces lign<'S est
fort peu par lui-même ; mais comme il a été l'un des acteurs ,
passif si l'on veut, du drame qui s'est joué en juillet ls;'.o,
et qu'il a seul représenté, seul exprimé le grand principe de
la souveraineté du peuple dans la chambre de 1830, par le
refus obstiné de son vote et la protestation de son silence,
il lui sera peut-être pardonné de se mettre en scène lui-
même, pour mieux faire ressortir l'esprit, le caractère el le
jeu des dil"t\'reuts partis d'alors.
Il n'y a souvent que les gens du dehors qui voient bien
ce qui se passe au dedans ; car les gens du dedans sont trop
occupés d'eux-mêmes, et ils ont bien assez de peine , en
temps de révolution, à se démêler de la bngane et à prendre
un parti , sans s'inquiéter de ce qui se mène autour d'eux et
de ce que font les autres. Lorsque je reçus , le matin du 27
juillet 1830, les fatales ordonnances, j'étais à la campagne,
a trente lieues de Paris. Je froissai le Moniteur entre mes
mains, et, dans mon indignation, je résolus de partir à l'ins-
tant môme pour aller remettre au ministre ma démission
de maître des requêtes. J'appris, en traversant Orléans, dont
je venais d'être nommé le député pour la seconde fois, à une
majorité immense, que l'ordre avait été donné de me jeter
en prison pour avoir protesté, dans le grand collège, contnî
la violation des lois. Le bruit se répandait qu'on tirait le
canon à Paris ; je courus rejoindre mes collègues; je fran-
chis les ban-icades, et j'arrivai chez M. Laftitle , où les dé-
putés de l'opposition s'étaient rassemblés. On le^ait la
séance. On indiqua pour le lendemain, vendredi, une réunion
préparatoire des députés présents à Paris. J'y fus. Le comité
était secret. M. Laffitte nous présidait. Pourquoi lui plutôt
qu'un autre? PersoTine n'en savait rien, et personne ne le
demanda. L'assistance me sembla peu nombreuse : les dé-
putés, dispersés sur les bancs, étaient comme frappés, non
pas de stupeur, mais d'une sorte d'éîourdissemcnt. rlusicurs
légiiimistes s'agitaient dans la vague espérance du duc de
Cordeaux. ÎSI M. Salverleet Demarçay grondaient sourdement,
et se tenaient en méliauce de quelque surprise. Pour moi,
j'étais en examen, et il me paraissait que le président, 31. Laf-
title, M. Eérard et d'autrts travaillaient, sans trop se gêner,
pour le duc d'Orléans. Les couloirs de la chambre foison-
naient d'émissaires à écharpe tricolore. On les entendait
dire: « Finissez-en, messieurs ; la duchesse d'Orléans et ma-
dame Adélaïde ont été admirables. Finissez-en, messieurs ! »
Un message du duc de Moriemart, qui venait parlementer
au nom de Charles X, fut assez mal reçu. C'était vingt-ipiatre
heures plus tôt qu'il fallait rapporter les ordonnances et
changer le ministère. Les concessions tardives hâtent la
chute des princes, au lieu de la retenir.
Vers le milieu de la st-ance, on s'en vint chercher, de la part
de la commission j)rovisoire séant à l'Hôtel-de-Ville, mon
voisin de banc, le général comte de Lobau, qui en se levant
médit : « Jen'entends rien aux affaires; si nous avons besoin
de vous, permettez (jue nous vous priions de nous aider. »
J'avais déjà oublié ce propos, jeté en courant, lorsqu'un
message de la commission provisoire apporta un papier que
lut M. Laflitte. J'étais nommé commissaire au département
du connuerce el des travaux publics. Je sortis à l'instant
même, et je me mis à rélléchir. Accepterai-je ? J'y étais poussé
par les raisons suivantes -.je n'avais aucune sorte d'affection
personnelle pour Charles .\, de qui je m'étais approché une
seule lois, en cou!p;;gnie de trois autres secrétaires de la
chambre , el qui ne daigna pas me parier, me connaissant de
Si,
676
.^opposition. Je nVtais pa? non plus pour la It^gitiniité ,
quoifiue peut-cHrc en fussî:-jc parlé , comme tout le monde
en parlait alors, sans y attacher un sens précis et déterminé.
La vérité est qu'en cliamhrc du inuins, et sans plus de ré-
flexion, on tenait la l.gilimite pour une maxime de cour-
toisie, et la Charte pour un (piasi-contral. Foy, 15. Constant,
C, Pi-rier, Laflitle, IJérard et les autres, mettaient le droit
régalien de Charles X hors de controverse. La révolution de
Juillet vint éclairer à mes yeux d'une lumière suhile cette
question, sur iKiuelle je n'avais jamais médité, et je décou-
vris hien vite qu'il n'y a d'autre principe vrai que celui de
la souveraineté du peuple, ce à quoi j'étais déjà, il faut le
dire, instinctivement porte. Mai?, pour accueillir ou pour
refuser la |)ropositiondu commissariat, je ne m'embarrassai
pas du principe du gouvernement ; je ne vis que le fait tout
j)articidier de ma position. J'étais encore maître des requê-
tes, puis(iue ma démission n'avait pu être, à cause des évé-
nements, donnée ni reçue. Je me trouvai donc dans une si-
tuation tout à fait exceptionnelle parmi les députés de la
gauche. Mes amis , que j'allai consulter, voyant peut-être
leur élévation dans la mienne, me pressaient d'accepter. Ils
me représentaient que j'avais toujours été sous la Restau-
ration du pai ti de l'opposition dans le conseil d'État ; que
j'avais été plusieurs fois menacé de destitution pour l'indé-
pendance hardie de mes rapports ; que j'étais le seul maître
des requêtes qui n'eut point reçu le prix de vingt ans des
plus laborieux travaux ; que j"avais toujours, comme député,
vote avec la gauche, concouru à l'adresse des 2 2 1, re-
jeté le budget, demandé l'abolition deriiérédité des pairs et
des sinécures, et le rétablissement du jury pour les délits de
la presse; que le duc d'Orléans avait manifesté s-a satisfac-
tion lie mou élection ; (ju'eu relusant le commissariat pro-
visoire, je refusais implicitement le ministère ; qu'il n'y avait
point d'ambition illégitime à servir son pays dans un poste
élevé, etc. Mais toutes ces raisons, plus ou moins plausibles,
n'ein|ièeliaii'ut pas (pie je ne fusse encore matéi iellement
fonctionnaire de Charles X ; que mon serment «le maître
des requéles ne me liât tant (jue Charles X ne m'en aurait
pas délié, soit en abdiquant, soit en acceptant ma démission;
et puis, je ne trouvais pas, je l'avouerai , qu'il lût généreux
de donner des coups de pied aux gens parce qu'ils étaient à
terre : il n'y avait pas de portelcuille qui me parût valoir
une lâcheté. Je me roidis donc contre mes amis et un peu
contre moi-même, et j'allai résigner ma commission entre
les mains de M. de S( bonen, alors secrétaire de la commis-
sion provisoire. Ceci dérangea, m'a-t-ondit, la combinaison
ministérielle, ((ui prit une autre figure : on fit un revire-
ment lie porletéuilles. Du reste, je ne sais pas à quoi l'on
avait songé, dans la précipitation du moment, en me don-
nant les travaux publics et le commerce; je n'y étais nulle-
ment propre, et c'eut été là un pauvre choi.x.
En sortant do lllotel-de-Viile, j'allai m'enfermer chez
moi, et je me dis qu'un homme politique doit se déterminer
jtar des principes, et non par des raisons de position. Je ne
tardai pas à découvrir, je le irprte, en portant ma vue sur
la révolution de Juillet, qu'elle n'avait pas d'autre fonde-
ment légitime et social que le pi incipe de la souveraineté
«lu peuple, ou, si l'on veut, de la souveraineté nationale
(car ce n'est la a mes yeux qu'une dispute de mots, puisipie
j'entends par peuple toute la nation, et par nation tout le
peuple); que je n'avais reçu du peuple, ou de la nation,
comme on voudra, aucun mandat ; que je ne pouvais donc
prendre aucune jiart, comme député, aux actes subsi'cpienfs
de la chambre, et que je ne pouvais y assister et y ligiirer
que comme un simple spectateur. Au.ssi, lorsque, le lende-
main, les députés lirent une adresse au peuple français, ne
me inêlai-je en aucune façon ni aux débats ni au vote.
Quatre-vingt-neuf députes assistèrent à la séanr*. On prit
leui's noms; aucun d'eux ne signa; on mentionna seulement
Hu'iLj claicat jin'seuls. Le MunUciiidu 2 août insinue, je
AOUT
le sais, qu'il n'y avait pas eu unanimité sur la forme h don-
ner à l'acte et sur sa rédaction, ce qui impliquait qu'on au-
rait été unanime sur le /oml. Mais cette induction n'était
pas exacte. De quel droit les quatre-vingt-neuf députés ;?re-
sents offrirent-ils au duc d'Orléans la lieutenance générale
du royaume? Certes, ils auraient été très-embarrassés d'ex-
|)li<[uer la -validité de leur propre mandat, l'étendue de leurs
pouvoirs constituants, la collation virtuelle d'un droit qu'ils
n'avaient pas eux-mêmes. Car de qui le tenaient-ils i" Des
électeurs? Mais comment les électeurs le pos.sédaient-ils, ce
droit? Du jieuple? Mais dans (jnelle forme le peuple l'avait-il
délégué? Si quelqu'un pouvait nommer un chef luovisoire
en l'absence du peuple non assemblé, il me semblait que
c'était plutôt, c'était vraiment la commission de l'Ilôtel-de-
Ville, le seul pouvoir légitime d'alors.
MM. Salverte, D. Constant et Demarçay firent de l'oppo-
sition dès ce premier jour. Ils demandèrent des garanties j
ils voulaient qu'on en mit, et de toutes sortes, dans l'offre
de la lieutenance générale. Mais on n'en tint compte, et l'on
se montra plus pressé d'aller en corps porter l'adresse au
duc d'Orléans. On faisait alors beaucoup de promenades
officielles du Palais-Bourbon au Palais-Royal. Cela est fâ-
cheux à dire, mais notre nation est toujours prête à se
précipiter dans la servitude, et nous ne justifions que trop,
à toute occasion et en tout temps, ce mot de Paul-Louis,
qui disait que nous étions un peuple de valets. Une assem-
blée de députi's qui a le sentiment de sa dignité, de ce
qu'elle vaut, de ce qu'elle représente, ne doit pas sortir de
chez elle et s'en aller courir par les rues, à la suite des ga-
mins de Paris. On se fait regarder du haut en bas par les
domestiques des antichambres royales , et voilà tout ce qu'on
y gagne pnur soi-même et pour le pays.
La même comédie se donna le jour de la Charte, le
7 août 1S30. On n'a jamais, il faut l'avouer, mené plus ron-
dement le train d'une constitution. M. Du pin, à cette oc-
sion , fit des merveilles. Armé de sa serpette, il ébrancliait
des mots et des virgules au passage de chaque article, sans
toucher au tronc : jamais rapporteur ne se montra plus
habile. La séance fut plutôt confuse qu'orageuse. Les dé-
[)utés qui arrivaient en foule par tous les voiturins, et qui
entraient dans la salle les yeux encore gros de sommeil, les
tribunes qui retenaient leur haleine, les affidés de la maison
d'Orléans qui bourdonnaient dans les couloirs, le président
et les secrétaires qui ne savaient comment tout cela allait
tourner, toute l'assemblée, en un mot, de la balustrade aux
combles, était pleine d'anxiété, et si l'on regardait les autres
avec curiosité pour savoir ce que tout ce monde-là allait
faire, on se regardait beaucoup aussi soi-même pour voir
ce qu'on ferait. Les légitimistes surtout étaient inquiets et
agités : ils s'attendaient à pis, et M. Rerryer ne put s'empê-
cher de louer la modération du rapporteur.
La séance du soir ajouta à l'animation des discours ; M. de
Conny s'écria : « DjTiastie sacrée, reçois nos hommages!
auguste fille des rois, » etc., et M. Pas de Beaulieii com-
mença son allocution par le couplet de la Marseillaise :
« Amour sacré de la patrie! >■ C'était là du sentiment plutôt
que de la politique ; mais ce langage ampoulé, qui eût paru
ridicule dans un autre moment, ne messeyait pas alors, et
dans la bouche de ces honorables députés. M. Hyde de
Neuville toucha l'assemblée par la franchise de ses avenx
et la noblesse de ses sentiuienis. .M. de .Marlignac défendit
Charles X avec générosité : « Lui féroce! dit-il , lui cniel !
non, l'amour de la patrie brûlait son cunir. » M. de ]Marti-
gnac avait quelque raison; Charles X, prince aimable et
doux, ne fut qu'un homme inconséquent et cnlClé; pour
féroce , c'était absurde ! Mais c'était une autre exagération
de dire que l'amour de la patrie brûlait son cieur; l'amour
de la patrie ne se sépare guère de l'amour de la liberté, et
cette locution ne s'emploie que pour les grands citoyens.
.Mai- (pic voule/.-vous? il y a toujours de l'avocat dans i'ivo-
AOUT
rat. Cétait au surplus une chose remarquable, et qui fit un
^raud effet , d'entendre M. de Martignac déclarer que les or-
donnances étaient inl'ilmes, etque la résistance du peuple avait
ete lii-roique. M. Persil, qui se repentit depuis de cette ar-
deur de novice, voulait absolument que l'on inscrivît au fron-
tispice de la Charte : « C'est du peuple et du peuple seul que
« part la souverainettV » 11 appuyait sa tiièse de raisons so-
lides. M. Dupin éluda fort adroitement l'argumentation dé-
mocratique du futur garde des sceaux. Il prétendit que le
préambule amendé de la Charte, en déclarant que le droit
du peuple est essentiel, répondait au vœu de M. Persil, qui
dès lors était sans objet. M. Persil se paya de cette raison.
.M. Dupin exprimait le véritable sens de la Charte ; mais
l'addition textuelle de l'art. 12 de la constitution de 1701 n'y
eût rien gâté. M. Charles Dupin lit substituer les mots de
culte de la majorité, à celui de culte de VÉtat. Selon moi,
la nouvelle signification est plus expressive que l'ancienne,
et le clergé y a plutôt gagné que perdu. M. de Corcelles ne
parvint pas à faire adopter son amendement final : 5a!// l'ac-
ceptation du peuple. Cet amendement choquait trop l'omni-
potence d'une chambre ejjratjée, la plus absolue et la plus
intolérante , et j'ajoute la plus pressée d'en fmir, de toutes
les omnipotences. M. Fleury (de l'Orne) consentait à modi-
fier la Charte, mais il voulait un mandat ad hoc pour l'élec-
tion d'un roi ; véritable inconséquence, puisque qui peut le
plus peut le moins. Mais la question restait toujours de sa-
voir si la chambre d'alors pouvait le plus. La Charte fut
votée au scrutin comme une loi ordinaire. MM. Bérard et
Pétou voulaient qu'on mît les noms à côté des votants , et
même que chacun signât. Soit peur, soit impatience , on s'y
refusa. Tout à coup, M. Dupin parait avec un ruban trico-
lore à sa boutonnière, et puis, trois par trois, les députés,
à la file, s'en allèrent porter la couronne au duc d'Orléans.
On aurait pu attendre qu'il vint la chercher. C'eiit été plus
digne; mais souvenez-vous de ce que dit Paul-Louis!
Tel est l'abrégé de cette fameuse journée du 7 août, où
l'on se dépêcha d'une telle vitesse, que je donnai le nom de
Charte bâclée à la constitution qui en sortit, et ce nom lui
est resté. Les députés bàcleurs furent très-fiers, fort enflés et
tout victorieux de leur besogne; il leur semblait qu'ils eussent
entrepris la plus belle chose du monde. Des bourgeois de
province eugendrer un roi de France ! Cela, en ellet, valait la
peine d'être crié sur les toits, et ne se voit pas tous les jours :
aussi n'enlendis-je longtemps retentira mes oreilles à la cham-
bre et dans les couloirs que ces mots ronflants et superbes :
Le roi que nous avons fait ! Oui, le roi que nous avons
fait ! Comme ils en remplissaient leur bouche! Mais revenons
encore sur quelques traits de cette journée. Je ne fus pas
peu surpris , je l'avoue , de voir tous les parlementaires qui
avaient étourdi pendant quinze ans la tribune du bruit de
leurs théories constitutionnelles , faire ce jour-là si bon
marché des principes. B. Constant, soit besoin d'honneurs
et de gouvernement, soit faiblesse d'âge ou de maladie, était
plongé dans une espèce d'adoration béate ; il rayonnait de
félicité. Demarçay ponssait quelques exclamations entrecou-
pées et sans suite ; Salverte, aveuglé par des ressentiments
personnels, prenait bravement la responsabilité de la révo-
lution, au lieu d'en poser les bases. On eût dit que personne
n'avaitsa tète à soi. On n'était pressé que d'une seule chose :
c'était d'en finir; on regardait autour de soi avec des yeux ef-
farés. Si quelqu'un hasardait une réflexion, un amendement,
un mot, on lui lançait une injure , mais une injure sourde :
c'était presque un crime de lèse-majesté d'arrêter, de sus-
pendre la délibération; les minutes étaient des siècles. «Al-
l'jus, allons, allons donc! » disait-on avec des frémissements
de colère. M. de Rambuteau ayant terminé son oraison par
ces mots: «Il faut sauver Ja France! » «Oui, oui, s'écria-t-on
de toutes parts, il faut la ydu\er sur-le-champ! » M. .Mau-
îîuin , pour avoir demandé quei(]ues minutes de répit, fut
traité d'insurgé et de révoluliouuuire.
677
Seul , immobile sur mon banc , les bras croisés , je regar-
dais ce spectacle et ces acteurs , comme si j'eusse été assis
au théâtre de Londres ou de New-York ; on se levait au-
près de moi, on se rasseyait ; personne ne s'inquiétait de son
voisin, ni les tribunes de chaque député, ni chaque député
des tribunes : chacun était enfoncé, absorbé dans sa per-
sonnalité. Je ne pouvais m'empêcher de sourire en voyant
ce sentiment de peur, sentiment bien peu français, qui do-
minait à son insu une si grande assemblée. C'est ce sen-
timent, il (aut bien l'avouer à la honte de l'espèce hu-
maine , qui opprima pendant les trois quarts de son exis-
tence la Convention elle-même ; la peur, j'en suis persuadé,
est le sentiment le plus vulgaire, mais le plus puissant,
le plus général et le plus efficace qui agisse, à toutes les
époques de crise, sur les assemblées politiques. — Je fus,
j'ai tort de dire que je fus seul à faii'e ce que je fis : un
autre député, assis à mes côtés, m'imita autoinalique-
ment ; je ne le nommerai pas : je ne suis qu'un paria ,
et lui, il est monté à de suprêmes honneurs! Au moment
de voter : « Que ferez-vousî"» me dit-il. Je lui répondis que
je n'avais pas pris part au débat , parce que je n'avais pas
de pouvoirs; que n'ayant pas de pouvoirs je n'avais dû ni
repousser ni admettre la Charte par assis et levé , et que
dès lors je ne pouvais faire au scrutin ce que je ne m'é-
tais pas cru compétent pour accorder ni rejeter à l'assis et
levé. Cette conclusion était logique. Ce disant, je pris mon
chapeau, et je m'en allai : la pièce était jouée; on venait
de baisser la toile. Nous sortîmes de la salle. Avec nos deux
voix de plus, la Charte eût obtenu deux cent vingt et une voix,
nombre pareil à celui de l'adresse des 221.
Voici la fin de ce qui me regarde en ceci , et dont je ne
dirai quelques mots que parce que cette fin se lie au com-
mencement. A quelques jours du 7 août, on s'en vint requé-
rir les députés de prêter serment. Comment aurais-je prêté
serment brusquement à une Charte que je venais de refuser
de faire? Encore fallait-il qu'elle obtint du moins l'assenti-
ment tacite du pays. Comment d'ailleurs aurais-je prêté ce
serment en qualité de député, moi qui ne me reconnaissais
pas la qualité et le mandat de député? Presque au même mo-
ment, et pour redoubler l'embarras de ma position, je fus
appelé conmie secrétaire dans le comité de réorganisation dû
conseil d'État. On dressait à deux pas de moi la liste des
membres conservés ou promus , et j'entendis prononcer
mon nom parmi ceux des nouveaux conseillers d'État ,
et cela d'assez près pour être obligé de nie reculer. Le duc
de Brogiie, ministre et président du conseil d'État, me pria
gracieusement de rédiger le rapport au roi. J'acceptai, mais
j'avais déjà résolu de donner ma double démission de dé-
puté et de membre du conseil : de député, parce que je ne
faisais plus à mes propres yeux qu'en porter le nom sans
en posséder les pouvoirs ; de membre du conseil , parce quïl
me répugnait de penser qu'on pût croire que j'abdiquais une
fonction gratuite pour conserver une fonction salariée. Je
remis donc, peu de jours après, ma démission entre les
mains du duc de Brogiie, et le lendemain le Moniteur con-
tenait le rapport au roi , qui est de moi , et l'ordonnance
de réorganisation , où ma démission était acceptée ; circons-
tance singulière, et qui ne s'est peut-être jamais rencontrée
en aucun autre temps ni en aucun autre pays.
Je quittai le conseil d'État, mes travaux de vingt ans,
mes amitiés si douces et ma vie si tranquille, si modeste et
si honorée, avec des regrets déchirants. .Mais ma conscience
l'exigeait. Bientôt je consommai mon sacrifice en adressant
à la chambre ma démission de députi^, dans les termes
suivants : « Je n'ai pas reçu du peuple un mandat consti-
« tuant, et je n'ai pas encore sa ratification. Placé entre ces
" deux extrémités, je suis absolument sans pouvoirs pour
" faire )m roi, une charte, un serment. Je prie la diambre
« d'agréer ma démission. Puisse ma patrie êt;c toujours
" glorieuse et libre ! » £n m'eulendant donner celte dé-
678
AOLT
tiiis-jfon, les li't;itiinisfes poussèrent des ciis de joie. Ils se
lui'prirent ou feignirent de se mi'prendie sur le sens de mes
paroles. On ne manqua pas de dire que j'étais un carliste
déguisé. Mes commettants m'exclurent de leurs suffrages,
lors de la réélection, avec force injures, calomnies et menus
assaisonnements d'usage; et le jour même oii ils me fai-
saient cette avanie dans mon propre dépaitement , j'étais
nommé député dans une autre contrée éio'gnée et inconnue,
et, la réaction continuant à se faire, six mois ne s'étaient
pas écoulés que j'eus l'insigne honneur d'i^tre élu, le même
Jour, député dans quatre collèges.
Je ne devais pas toujours retrouver cet attachement;
mais je connais parfaitement les hommes de mon pays et de
mon temps : citoyens, électeurs, députés, je sais quelle est
leur inconsistance, leurs caprices, plus variables que les
vents, leur incomparable oubli des règles les plus élémen-
taires de la politique, leurs dégoûts et leurs engouements, et
leurs grandes faiblesses de tôte, souvent avec les meilieures
intentions du monde. Aussi ne doit-on pas considérer les
personnes et s'attacher à ces revirements de position et de
fortime qui traversent la vie de presque tous les hommes
politiques. C'est déjà bien assez de ne considérer que leurs
principes, lorsqu'ils en ont; car les trois quarts n'en ont pas,
n'en ont jamais eu. Moi-miMiie, qui nie pique d'être un
puritain, un logicien inflexible, est-ce que je n'ai pas man-
qué à ce puritanisme, à cette logique, en acceptant d'ôtre
député sous la Charte de isr.o, après avoir refusé de fabriquer
la Charte de 1830? Je sais bien que cette Charte a reçu
depuis l'assentiment tacite du pays; qu'elle n'est au fond,
et pour plus de vingt articles, que l'expression cinquante-
naire et impérissable des conditions de la liberté; que j'étais
censé, comme député, me porter le représentant, le man-
dataire implicite de tous les citoyens qui devraient voter,
aussi bien que de ceux qui votent. Certes, pour me dé-
fendre, pour m'excuser, les prétextes ne me manqueraient
pas, et je saurais les trouver tout comme un autre. J'aime
mieux avouer simplement que j'ai été inconséquent. 11 eût
été plus rationnel que j'eusse maintenu ma démission en me
tenant à l'écart. Je serai donc assez franc pour n'cn;.;ager
personne, en pareille occurrence, à imiter ma conduite.
Mais ce n'est pas une raison pour que je ne défende point
mes principes : et n'est-ce pas une surprise que j'aie été
le setd qui dans la chambre de 1S30 ait protesté pour
l'éti-rnelle vérité de ces principes? Cette protestation écla-
tante et solitaire effacera, je l'espère, les fautes de ma vie,
et je n'attends pas de mon nom d'autre souvenir. Ça aina
été quelque chose, lorsque tonle l'opposition du dedans et
du dehors se ruait à la porte des honneurs et usurpait, sans
délégation , la souveraineté du peuple, de m'ètre fermement
assis, malgré les entraînements de la foule , sur la pierre de
la souveraineté, et d'avoir réclamé l'exercice universel d'un
droit qui ne peut ni s'aliéner ni se prescrire. B. Constant,
C. Périer, Salverte, Demarçay, pour ne parler que des
morts, ont dans ce moment failli , et La Fayette aussi, et
fous les di'putés patriotes, qui sont mes amis, ont failli,
tous sans exception. Car ils auraient Ai tous protester; car
ils auraient dû tous s'abstenir du moins, et donner leur
démission. Armand Carrel lui-mcme a hésité un instant, et
ses yeux ne se sont dessillés que le troisième jour. J'eusse
fait («tnme eux, si je m'étais jeté dans le mouvement, dans
le bruit, dans l'ivresse, dans l'irrésistible entrain de la
victoire. Mais je pris le soin de me séquestrer, de me mettre
en qiielipie sorte moi-même aux arrêts dans mon propre
cabinet, et là, de méditer solitairement, profondément, sur
la cause et sur les principes de la révolution.
Les révolutions ne sont que des situations, des mouve-
ments, des faits où la réilcxion a peu de part. On pourrait
même dire (pie tout n'y est qu'action. lîeaucoup de gens y
tendent au même but, mais sans y être poussés par la même
cause. Les uns veulent en (inir parce qu'ils sont impatients
de jouir , les autres parce qu'ils craignent de perdre leurs
emplois , le plus grand nombre parce qu'ils ont peur pour
leur personne ou pour leur famille , et parce que ces trou-
bles extraordinaires dérangent leurs habitudes. Jl ne leur
faut pas tous ces motifs à la fois pour improviser une charte :
ils n'ont besoin souvent que du plus futile d'entre eux.
Tout obstacle les irrite , par cela seulement que c'est un
obstacle; tout expédient leur convient, par cela seulement
que c'est un expédient. Il y a en France, et pourquoi ne
pas dire en tout pays? très-peu d'hommes politiques pour
qui les principes soient une affaire de (pielque conséquence.
Nous tenons avant tout à ce que la machine sociale ne
s'arrête pas. Tout gouvernement qui peut procurer c«t
avantage aux citoyens paye assez sa bienvenue, et passera
volontiers à leurs yeux pour légitime. On ne lui deman-
dera pas de certificat d'origine, et c'est vraiment du gouver-
nement qu'on peut dire cju'il n'a pas d'autre raison à donner
à la loule de son existence que son existence elle-même.
Mais, quel que soit le laisser-aller, le sans-souci de presque
toutes les notions et même de presque tous les hommes d'Klat
(qui ne songent pas aux principes au moment où il faudrait le
plus y songer; parce que tout le monde, et eux avec tout le
luonde , se trouve dans l'action , c'est-à-dire dans le mou-
vement ou dans la résistance), il n'en est pas moins vrai q;;e
c'est toujours une très-grande faute de faire dédain et
abandon de ces principes. Car, au jour où le gouvernement
tombe , on lui reproche sévèrement de les avoir violés , et
c'est là l'une des causes et l'un des griefs de sa chute. Ainsi,
]\r. Dupin, et la chambre des députés sur sa proposition,
n'ont pas manqué de déclarer que l'on supprimait , selon le
vœu et Vintérét du peuple français , le préambule de la
Charte de Louis XYIII, comme blessant la dignité nationale,
et paraissant octroyer aux Français les droits qui leur
appartiennent effectivement. Étrange aveuglement des
iKTinnies d'État ! le 7 août , au moment où M. Dupin con-
damnait l'usurpation de Louis XYIII , il ne s'apercevait pas
que lui-même et tous ses compagnons étaient sans mandat
et sans pouvoirs, soit pour constituer ce qu'ils ont constitué,
soit pour priver non pas eux-mêmes, mais le reste de la na-
tion de ses droits. « Qui sait donc, disais-je en 1844 , si le
trône actu".l venant , par la faute des courtisans, à s'a-
bUner dans la conjlaijration d'une révolution nouvelle,
quelqueautre M. bupinneviendrait pas prononcer contre
In dynastie d'Orléans la sentence fatale que la chambre
de 1S30 prononça , par la bouche de son rapporteur,
contre la dynastie de Louis XVIII? « La conduite que je
tins en 1830, et qui passa pour personnellement hostile à la
famille d'Orléans , était donc , en la regardant de près ,
beaucoup plus dans l'intérêt de cette dynastie que la con-
duite de M. Dupin et de ses votants. On serait arrivé, dans
le fait , cela est plus que probable , mais par des moyens
réguliers, au même but. On enlevait à l'opposition plus des
trois quarts de ses prétextes, ou plutôt de ses meilleures
raisons, et par conséquent de ses forces. Que voulez-vous,
par exemple , que puissent dire les hommes de bonne foi et
de logique comme je prétends l'être , lorsqu'on a dans l'é-
tablissement d'une constitution respecté les principes? On
n'a plus alors qu'à défendre le secondaire, au lieu d'attaquer
le fondamental. jMais, au contraire, lorsque nous voyons
que dès l'origine on se met à violer les principes, notre
honnêteté et nos convictions nous obligent , nous autres lo-
giciens, à fuir les honneurs, les emplois, les dignités, à nous
retirer de cAté, conmie font les spectateurs, et à combattre
contre, au lieu de combattre pour. Je dois ajouter, pour ex-
pliquer sinon pour justifier l'excentricité quasi-unique de
mes résolutions , de mes actions et de mes écrits à ce mo-
ment-là , que j'y fus déterminé à la fois par mon caractère
et par mes maximes. Je croyais et je crois encore qu'on
s'en serait tiré .sans trouble ni guerre civile, ni guerre étran-
gère , et c'est tout ce qu'il fallait.
AOUT — APANAGE
CTλ
Maintenant, un mot sur la question i!o principes, ('est
voir les clioses luiiiiaiiies par un bien petit ci'ito que d'at-
tribuer les révolutions aux c;iuses les pUisfulilos. Les hoinnies
d'Etat et les piiiiosopiies , lorsqu'il ne s'agit jtas de révolu-
lions de palais ou de sabre , mais de révolutions nationales,
doivent leur chercher des motifs sérieux. Cela posé, est-ce
que la révolution de Juillet se lit parce que le prince de Po-
lignac avait violé la Charte , ou parce que le roi Charles X
avait été parjure, connue on le répétait alors sur tous les
tons et à satiété? Nullement. Si les ministres avaient violé
la Charte, il suffisait de les mettre en jugement et de les
punir. Si c'était Charles X qui l'avait violée, il fallait en-
core punir les ministres; car le roi était inviolable, aux
termes de celte Charte, et la responsabilité des ministres
n'avait été inventée précisément que pour qu'ils fussent
punis le cas échéant , et seuls punis. En quoi ( ce qui n'a
pas été dit dans la défense) le roi pouvait-il violer la
Chaile, puisqne si les ministres n'avaient pas contre-signe
les fameuses ordonnances, celles-ci n'eussent été, revêtues
de la seule signature du roi , que de simples chiffons de pa-
pier, sans force, sans obligation, sans eftet? Chasser le roi,
c'était donc le punir de l'œuvre de ses ministres. C'était, au
moment où l'on criait à tue-léte ]'ive la Charte! violer la
Charte , qui déclarait le roi inviolable. Dès qu'on ne punit
pas dans ces sortes de matières l'intention, mais le fait,
Charles X n'était pas coupable. Si nous l'avons cru , si nous
l'avons dit en 1S30 , nous avons eu tort : l'allégation de
parjure est constitutionncUement absurde. Absurde , parce
que le viol est un fait , et qu'il n'y a point de viol dans
un impuissant. Absurde, parce que les chartes ne sont et
ne peuvent jamais être , comme on l'a faussement pré-
tendu, des contrats. H n'y a de contrats qu'entre des
parties égales, et il n'y a rien d'égal entre une nation
et tin homme cjuelconqiis. Les nations délèguent non pas
leur souveraineté , qui est indélcgable comme elle est im-
prescriptible, mais elles délèguent le pouvoir de les gou-
verner à qui il leur plaît et dans la mesure qu'il leur plaît,
ou bien il ne faut pas dire qu'elles sont souveraines , comme
la Charte de 1S30 l'a dit, comme 4a Chambre l'a reconnu
bien des fois , et enfin comme cela est. Il suit de là que la
seule cause raisonnable de la révolution de Juillet , la cause
non apparente, non hurlée dans les carrefours, non décla-
mée à la tribune, mais la cause cachée, la cause du fond,
la vraie cause , a été la violation originaire et perpétuelle de
la souveraineté du peuple par l'octroi royal de la Charte
de 1814. Certes, ce qu'il y a de plus inique, de plus inso-
lent, de plus usurpateur, de plus condamnable, de plus pu-
nissable, c'est qu'un roi foule aux pieds, en paraissant le
lui octroyer, pour nous servir des expressions de M. Du-
pin, le droit incommunicable, inaliénable et inoctroyable
de la nation. Dès lors donc que le peuple français n'a plus
été comprinié par la force des baïonnettes et qu'il a pu
relever son front, il a dû regarder la Charte de 1814 comme
si elle n'existait pas, et par conséquent il a pu en agir
avec Charles X comme il l'a voulu , puisque le prince ne
lirait son inviolabilité que d'une Charte octroyée que la
révolution de Juillet venait d'écraser d'un coup de pavé.
La conséquence de ceci est que tout peuple a le droit de
se constituer à sa manière : d'où il suit qu'il doit être régu-
lièrement consulté; et d'où il suit encore que plus il y a de
membres de la nation qui participent à ce conseil-là, et plus
Je gouvernement, quel qu'il soit, monarchique, républi-
cain , oligarchique, simple, mixta ,de toute sorte déforme,
qui en émane, a de force, d'universalité, de légitimité et
de durée.
Raiipelons en finissant que j'écrivais l'article qu'on vient de
lircpouiléSujiplémeuliia Dictionnaire de laConversation,
en 1844. J'ai eu bien peu ii y changer. Mes prédictions sur
la chute de la dernière dynastie se sont vérifiées de point en
point , et je n'avais donc pas eu tort d'être seul de mon
avis dans la chambre de ISP.O. C'était pourtant un lioimne
plein d'habileté et d'expérience que Louis-Philippe! Mais
sur quelles bases reposaient sa couronne, sa charte et ses
chambres, sur quelles bases?... Ainsi a péri Charles X, pour
n'avoir pas reconnu, selon M. Diipin lui-môme, le droit de
la nation ! Ainsi périront, tour à tour, et par la même cause ,
toutes les dynasties de l'Europe; et ce n'est \l\ qu'une affaire
de temps. Timon.
APAFl (Miguel r' et Michel II), princes de Tran-
sylvanie. Lorsque Jean Kémény, prince de Transylvanie,
eut perdu la couronne et la vie à la bataille de Nagy-
Szœlliie, le 23 janvier 1602, Micliel Apali fut appelé à lui
succéder, contre sa volonté , et sur les instances du vizir
Ali, par quelques nobles hongrois et quelques délégués
saxons. 11 descendait d'une des familles les moins considé-
rables du pays. Ennemi de l'Autriche , il se lança dans une
politique tout à fait opposée à celle de son prédécesseur, et
dans une assemblée des états déclara traîtres à la patrie
tous les partisans du cabinet de Vienne. Il fit plus : appuyé
par une armée auxiliaire turque, il chassa toutes les gar-
nisons allemandes du pays ; mais ce succès ne mit pas encore
la Transylvanie à l'abri des exactions du pacha de War-
uein , qui , maîtie d'une grande partie du territoire, le ran-
çonnait impitoyablement.
Lorsqu'en 1G83 les Turcs redoublèrent d'efforts pour
anéantir l'Autriche, Apafi se vit encore une fois obligé de
se joindre à eux avec ses troupes; et tandis que le grand
vizir Kara-Mustapha assiégeait Vienne, il surveilla le
passage du Danube près de Raab. En récompense de ce
service, la Porte confirma à son fils la succession de la
principauté. Mais en 1685 les succès des armes impériales
( ontie les Olhomans amenèrent à leur tour en Transylvanie
lies troupes autrichiennes, sous les ordres du feld-maréchal
Cara(f4; et Clausenbourg, Hermannstadt et Deva furent
forcées de recevoir des garnisons allemandes. Léopold l"
ne laissa pas échapper l'occasion de faire passer la Tran-
sylvanie du protectorat de la Turquie à celui de l'Autriche.
Le malheureux pays fut condamné à payer aux vainqueurs
un subside annuel. Le prince Apafi ne devait pas voir de
meilleurs jours. Il mourut en 1690, à Fagarasch, à l'âge de
cinquante-huit ans , dont il en avait gouverné vingt-huit.
Lui-même a écrit sa vie en hongrois; mais elle n'a pas été
imprimée.
Michel Apafi II n'avait que huât ans à la mort de son
père. La Porte, mécontente de l'inHucnce que les Allemands
exerçaient en Transylvanie, favorisa ouvertement les projets
du comte Emmerich Tœkœly, qui battit l'armée autri-
chienne et se fit proclamer prince dans son camp. Le jeune
Apafi fut mis en sûreté à Clausenbourg. Mais Tœkœly se vit
ciMilraint de se replier devant les forces victorieuses du
;;énéral de l'armée impériale Loui^ prince de Bade, Le
10 janvier 1692 les états reconnurent le jeune Apafi pour leur
prince légitime; toutefois l'empereur Léopold, conservant la
régence, lit gouverner la principauté par un conseil com-
posé de douze membres. Michel passa presque toute sa vie
à Vienne. Après le traité de Carlowitz, il cédasa principauté
à l'empereur moyennant une pension de douze mille florins,
et mourut à Vienne le i" février 1713, à l'âge de trente
et un ans.
APALACHES (Monts). C'est l'un des noms donnés à
la vaste chaîne de montagnes qui traverse du nord au sud le
continent américain du nord, et désignée sous la dénomina-
tion générique de monts Alleghan y s.
APANAGE. Ce mot vient du latin panis, pain, et s'em-
ployait dans l'origine pour désigner toute attribution d'ali-
ments, toute dotation. Plus tard on ne l'employa plus que
pour la dotation de."? princes puînés du sang royal, consis-
Unt en provinces, seigneuries , terres qui leur étaient don-
nées pour soutenir leur rang, et qui faisaient retour à la
"uuionne, soit à leur mort, soit à l'exlinelion de leur ligne
fiSO
masculine. La législation des apanages a subi à différentes
époques de nombreux changements. Depuis Hugues-Capef,
qui les institua atin de prévenir le morcellement du royaume
par le partage, jusqu'à l'bilippe-Auguste, lesapanages passè-
rent aux (illes et aux collatéraux ; jusqu'à Philippe le Del les
collatéraux ne snccédèrent plus, mais les filles furent main-
tenues dans leurs droits. Ce prince prononça leur exclusion.
Charles V alla encore plus loin : il n'assigna plus aux princes
des seigneuries et des provinces pour apanage, mais seule-
ment un revenu fixe en fonds de terre. Un principe s'était
en outre établi, celui de la réunion de l'apanage à la couronne
par l'avènement du prince apanage. A la révolution, l'As-
semblée nationale, unissant le patrimoine des rois au do-
maine de l'État, révoqua toutes les concessions d'apanage
et décida qu'il n'en serait plus consMtué à l'avenir; par les
lois du 22 novembre 1790 et 6 août 1791 , les fils putnés
de France , leurs enfants et descendants devaient être entre-
tenus aux dépens de la liste civile jii'^qu'à leur mariage on
jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans; il devait alors leur être as-
signé sur le trésor national des rentes apaiiagères d'une
quotité déterminée par la législature. La Convention sup-
prima les rentes apanagères comme la royauté. Napoléon
les rétablit. Le sénatus-consulle du 28 floréal an xii portait
que les princes français, Joseph et Louis Napoléon, et à
l'avenir les fils puînés de l'empereur, seraient traités con-
formément aux lois de 1790. Le sénatus-consulte du 30
janvier 1810 rétablit ouvertement les apanages et les appela
par leur nom. La restauration rendit au duc d'Orléans l'an-
cien apanage de sa maison. La loi du 2 mars 1832 sur la
liste civile déclara que les biens composant l'apanage d'Or-
léans étaient réunis à la dotation immobilière de la cou-
ronne; que le roi conservait seulement la propriété des
biens qui lui appartenaient avant son avènement au trône et
la libre disposition de ceux qu'il pourrait acquérir à titre
gratuit ou onéreux ; une dotation était accordée au prince
royal; d'autres pouvaient être données aux fils puînés du
roi. Un apanage ou une dotation furent en vain demandés
pour le duc de Nemours, et après le coup d'État du 2 dé-
cembre 1851, un décret présidentiel annula la donation que
Louis-Philippe avait fait de la nue propriété de ses biens
personnels à ses enfants avant d'accepter- la couronne le
6 août 1830. Sous la constitution de 1852 , les princes de
la famille impériale jouissent d'une dotation sur le trésor
public. Z.
Entre autres prérogatives féodales attachées aux anciens
apanages des princes, il faut citer les suivants : entretenir
des troupes, faire la paix et la guerre ; battre monnaie, même
d'or ; lever des taxes et des tailles sur les juifs; plaider par
procureur dans toutes les cours du roi , même au parlement
de Paris , où les procureurs des princes apanages étaient pré-
sents comme le procureur général du roi; rendre la justice
en leur nom par des officiers qu'ils instituaient; donner des
lettres de grâce ; concéder des privilèges et les révoquer ;
Jouir des droits de franc-fief, échange, amortissement et nou-
veaux acquêts; nommera tous bénéfices, excepté aux évê-
chés; faire des fondations , et même disposer à perpétuité
de quelques domaines, etc., etc. Jusqu'à Louis IX les princes
apanages ont joui du droit d'imposer des tailles sur leurs
vassaux et sujets, tandis que le roi ne pouvait, sans leur
consentement, lever aucun subside sur leurs apanages.
APANTOMAIVCIE ( du grec ànô, loin de ; àviâw , ar-
river; tiovTEÎa, divination), divination par les objets qui se
présentent à la vue. Les uns redoutent la rencontre d'un cor-
beau, d'un chat noir, les autres celle d'une poule blanche. Dans
quelques contrées de la France , il y a encore de bor.nes
gens qui craignent devoir un lièvre sur le chemin, ou qui
croient être certains qu'il leur arrivera queltpie malheur si
en se levant ils rencontrent une femme tête nue, etc. Au
reste, les plus gratids hommes ne sont pas exempts de ces
sortes de superstitions. Ainsi , Ïycho-Drahé regardait , dit-
APAiNAGE — APATlllK
on, comme un mauvais présage lorsque sortant de chez
lui il apercevait im lièvre ou une vieille femme; alors, il
rentrait promptement chez lui. Les Indiens, pour la même
raison , s'empressent aussi de rentrer chez eux s'ils voient
un serpent sur leur route.
A PARI.^Foye:; A piuotii.
APARTÉ. On appelle ainsi les exclamations , les mots,
les phrases couiles , qu'un persoimage en scène jette en de-
hors du dialogue, et qui , destinés au spectateur , ne sont
censés entendus que de lui seul. On a dit beaucoup de bien
et beaucoup de mal de l'aparté; on a loué ses faciles res-
sources; on a critiqué son invraisemblance. L'anecdote sui-
vante nous semble trancher la question. Un jour que Ra-
cine, Mohère et La Fontaine se trouvaient enseiiible, la
conversation tomba sur les apartés. La Fontaine en déclarait
l'usage absurde et contraire à toute vraisemblance; Racine
le défendait. On sait que le bon fabuliste, véritable nature
d'enfant, s'échauffait aisément; la dispute devint vive. Mo-
hère, profitant de son animation, s'écria à plusieurs reprises :
La Fontaine est un coqtiin , sans que celui-ci l'entendît.
Plus tard, ayant su l'aparté de Molière, il dut s'avouer vaincu.
On voit que dans les moments où l'action est pleine de
chaleur et de mouvement, l'aparté ne choque ni le goût ni
la vérité, pourvu que l'acteur ne se préoccupe pas du public,
mais seulement de l'objet qui le frappe ou du sentiment
qui l'émeut.
APATHIE (du grec à privatif, et TtâOoi;, passion), ab-
sence de sensibilité ou de passion. Cet état peut appartenir
naturellement à des êtres animés ; car Lamarck avait cré.^ ;
pour dés'gner les zoophytes, sa classe û'animaux apathi-
ques. Toutefois, la faible sensibilité de ces espèces, due au
faible développement de Iciir système nerveux et à l'absence
d'un encéphale, n'est nullement la privation complète de la
faculté de sentir, apanage de toute animalité ; mais à mesure
que les appareils nen'eux se déploient chez les mollusques,
les insectes, et suilout en remontant aux races vertébrées,
les animaux perdent cette apathie.
Or, il y a plusieurs autres causes d'apathie, outre l'im-
perfection (les organes sensitifs (l'absence de tête chez les
acéphales, les huîtres, etc. ). L'état somnolent ou engourdi
par le froid et la nuit, la lenteur de la circulation, l'asphyxie
ou défaut de respiration, l'inanition, l'encroùlement des
tissus ou leur inertie , sous une couche épaisse de graisse
(comme chez les pachydermes), sous de dures carapaces,
(dans les tortues), etc., en rend manifestement raison, de
même que le sommeil, la compression des nerfs ou l'inter-
ruption de leur action par la paralysie, l'apoplexie, le coma,
ou par les narcotiques, l'opium, etc. — Au contraire, la
chaleur, la nourriture et les boissons spiritueuscs, excitantes,
le soleil qui ravive la circulation chez les espèces à sang
froid (reptiles, insectes et autres invertébrés), la grande res-
piration ressuscitée chez les loirs et marmottes au |)rintemps,
le réveil à la lumière, l'ardeur du climat et de l'amour, les
passions stimulantes, les sollicitations des sexes, les contacts
ou impressions à nu sur des membres grêles, et la vibrati-
lité des fibres, sont autant de causes d'irritation nerveuse
ou d'exaltation de la sensibilité; par elles, on combattra
victorieusement l'apathie.
Jlais, faisant végéter les êtres, l'apathie use moins leur
vie, ou la prolonge par le sommeil, comme sous l'état de
chrysalide chez les insectes, ou de torpeur hibernale pour
conserver les reptiles, les mammifères qui s'engourdissent.
En effet, alors la respiration, la circulation, s'arrêtent, la
nutrition est enrayée; car il y a peu de diperdition et de
transpiration. Il en est de même dans la suspension de la
végétation pendant l'hiver. Toutefois , il subsiste quelque
mouvement intestin qui perfectionne la sève, comme il tran.s-
formc insensiblement en sperme la graisse et d'autres ma-
tières nutritives alors surabondantes chez les hérissons et
diverses espèces, C'est pourquoi ces animaux, se réveillant
APATHIE -^ APÉRITIFS
au priutomps, sont ai\lenl3 et pnidisposcs à la génération ,
comme les plantes à fleurir.
L'apatliie, ainsi entretenue ou t tal)lie, est donc aussi ré-
paratrice après les pertes, et l'on remarque chez les ani-
maux peu sensibles, tels que les reptiles , les invertébrés,
une longue persistance de la contractilite musculaire à me-
sure que la sensibilité est moins active : ainsi, une gre-
nouille, un lézard tués, palpitent même après vingt-quatre
heures, tandis qu'un maiiuuifère ou un oiseau perdent bien-
tôt toute vit'. Il faut remarquer encore que la vie aquatique
et la respiration branchiale sont des causes d'apathie ou de
langueur vitale. La respiration complète chez les races à
sang chaud, tout en étendant leurs facultés sensoriales les plus
actives, les use rapidement par les passions, l'amour et les
autres déperditions de l'appareil nerveux cérébro-spinal. Ce-
lui-ti Oit plus ( enlralise surtout chez l'homme. J.-J. Viiav.
APATITE, chaux phosphatée.
APELLE , célèbre peintre de l'antiquité , était fils de
Pythias ; ne selon les uns à Cos, et selon d'autres à Co-
lophon, il reçut le droit de cité à Éphèse : c'est pour cela
qu'on le surnomme quelquefois YÉphésien. Éphorus d'É-
phèse fut son premier maitie, mais la réputation de l'école
de Sicyone le détermina plus tard à prendre des leçons chez
Pamphile,et il composa plusieurs chefs-d'œuvre avec les élè-
ves de ce maître. Sous le règne de Philippe, Apelle se ren-
dit en Macédoine ; là s'établit entre lui et ce grand roi cette
intimité qui a donné lieu à beaucoup d'anecdotes. On raconte
que pendant son séjour à Rhodes Apelle alla visiter l'atelier
de Protogène ; celui-ci étant absent , il traça sur une plan-
che un cercle avec le pinceau. A son retour, Protogène
reconnut la main d'Apelle ; il s'appliqua à le surpasser par
un cercle plus beau et plus exact tracé dans le premier.
Apelle revint , et en fit passer un plus exact encore et plus
délié au milieu des deux premiers. Le peintre de Rhodes
s'avoua vaincu. Plus tard, cette planche, immortalisée par le
tour de force du grand artiste , fut envoyée à Rome pour
orner le palais des Césars ; mais elle disparut dans un incendie.
Le plus célèbre tableau d'Apelle, Alexandre tenant la
foudre, se trouvait dans le temple d'Éphèse. La mort parait
avoir surpris l'artiste à Cos, où il avait commencé une \k-
nus que personne n'osa achever. La grâce était la qualité
distinctive du talent d'Apelle ; elle respirait dans toutes ses
compositions, qui étaient pleines en même temps de vie et
de poésie ; c'est avec raison qu'on avait surnommé l'art dans
lequel il excellait : ars apellea. Pline assure qu'Apelle
n'employait dans la peinture que quatre couleurs, qu'il com-
binait et harmoniait admirablement au moyen d'un vernis
que lui-même avait composé et dont le secret a été perdu.
Apelle se livTait avec tant de zèle à son art, qu'il ne passait
pas un jour sans toucher son pinceau ; ce qui donna lieu
au proverbe : Mcllus dies sine linea. Pour atteindre plus
sûrement la perfection , il exposait ses ouvrages aux yeux
des passants, et, caché derrière un rideau, il recueillait leurs
critiques pour en faire son profit. Un jour, un cordonnier
ayant trouvé qu'il manquait queliiue chose à une sandale,
Je peintre prolita de son observation, et le lendemain le ta-
bleau reparut avec la correction indiquée; mais celui-ci, fier
de son succès, ayant voulu faire de nouvelles critiques,
Apelle, se montrant aussitôt, lui adressa ces mots, que les
fables de Phèdre ont rendus proverbe : iVe sulor ultra
crepidam. En faisant le portrait de la maîtresse d'Alcxandie
il en devint éperdument amoureux; et le fils de Philippe,
traitant de pair avec le fiL- de Pytliias, consentit à la lui donner
pour femme. 11 ne mit son nom qu'à trois de ses ouvrages :
Alexandre tonnant, Vénus endormie, Vénus Anad yoméne.
APE\i\IXS. C'est le nom générique de la chaîne de
montagnes qui court dans toute la longueur de l'Italie , de-
puis le col d'Altare, au nord-ouest de Savone, jusqu'au cap
deli' Armi, sur le phare de Messine, et sépare les cours d'eau
qui se jettent dans la mer .\d;iati(iiie de ceux qui se rcu-
DICT. DE LA CONVERSATION. — T. I.
CSl
dent dans la Méditerranée. Développement du faite , environ
1,450 kilomètres. Le nom d'Apenuius, qui appartient plus
particulièrement aux montagnes qui séparent la Toscane de
la vallée du Pô et de l'Ombrie, a été plus que probablement
donné par les Ombriens et les Étrusques à la chaîne qui ,
dans le pays qu'ils occupaient, avait sa continuation aux
Alpes. En effet , alp-beannin , qui signifie en gaulois petites
Alpes ou petites chaînes de montagnes, est un nom parfai-
tement approprié aux Apennins, chaîne qui n'est géographi-
quement qu'une section de la grande chaîne des Alpes, avec
laquelle elle se continue sans interruption. Beaucoup moins
élevés que ces dernières , les Apennins atteignent à peine
2,900 mètres dans leur plus grande hauteur, sans jamais
toucher à la limite des neiges perpétuelles.
La première partie de la chaîne des Apennins, qui s'é-
tend des environs de Nice aux sources de la .Alagra , vers
Pontremoli, au nord de la Ligurie, porte le nom d'Alpes
Liguriennes. Ce n'est que géograpbiquement qu'on l'appelle
Apennin. Des sources de la Magra , l'Apennin continue à se
diriger à Test jusqu'aux sources du Tibre, qu'il environne.
De la il se dirige au sud-sud-est et au sud , enveloppant tous
les versants du Tibre, jusqu'au lac Turin ou lac d'Albe. Un
pic assez élevé, qui domine Albe et Aquila, porte le nom
d'Ombilic de l'Italie. Après avoir couronne les sources du
Gorigliano et du Vulturne , l'Apennin courbe un peu au sud ,
pour se rapprocher de la Méditerranée , jusqu'aux environs
lie Boviuo et des sources de l'Ofanto. Là il se sépare en deux
branches. La principale descend au sud-sud-ouest jusque
versReggio de Calabre, oii elle se termine en apparence;
mais cette interruption n'est qu'une dépression , qui donne
passage au canal de Messine ; la chaîne se relève et reparait
en Sicile. La seconde branche s'étend à lest, à la rive
droite de l'Ofanto jusqu'un peu après Venise; de là elle
tourne au sud-est et se dirige en s'abaissant successivement
vers le cap Sainte-Marie-de-Leuca. Là , une dépression plus
longue est couverte par le canal de Coriou , qui joint l'A-
diiatique à la mer Ionienne. La chaîne se relève aux monts
Acrocérauniens , et va rejoindre l'Œta , l'Ossa et l'Olympe
à l'est, et le mont Scondisque, suite des Alpes, au nord;
d'oii il parait que la plaine du Pô et celles de l'Adriatique ,
sont un grand bassin primitif, oii la mer s'est introduite par
la dépression formée entre Otrante et l'Acrocéraunie.
Les montagnes de la Toscane, qui passent au sud de Flo-
rence, et s'étendent à l'est de Sienne , par Radicofani, d'où
elles vont en s'abaissant jusqu'au Tibre, un peu au nord de
Rome, dépendent également de l'Apennùi. La coupure qui
les en sépare à Fégline et Incisa a été faite par la main
des hommes pour donner passage aux eaux qui formaient
un lac entre Arezzo et Cortone. Celte coupure a donné à
l'Arno son cours actuel.
La constitution de la chaîne est entièrement calcaire , et
les roches granitiques ne s'y montrent que vers l'extrémité
méridionale dans les Calabres. Elle est pauvre en métaux.
Le fer y est exploité en faible quantité , et les gisements de
houille qu'on y trouve sont sans importance. De vastes dé-
pôts salifères existent dans les environs de Cosenza ; mais
ce sont les matériaux de construction et surtout les marbres
célèbres de Carrare, d'Equi , de Serravezza et de Sienne qui
constituent la véritable richesse de l'Apennin. Au-dessous
de 1,000 mètres, les contreforts et les flancs sont couverts
d'une végétation variée , dont les orangers , les citronniers ,
les oliviers, les caroubiers et les palmiers lorment la zone
inférieure. Au-dessus, les montagnes sont arides et leurs
sommets nus et dépouillés. G^' G. de Vaudo.ncoirt.
APEXS (Guet-). Voyez Gcet-Apens.
APEPSIE ( dn grec àTzvlii, fait d'àprivatif et deiûin;,
digestion ) , défaut de digestion. Voyez Dyspepsie.
APKPtEA. Voi/ez Coiuyf. oJ Cccuon d'Inoe.
APERITIFS (du latin apcrire, ouvrir), terme de méd*--
cinc, qui se di:.-ait autrefois des remèdes que l'on crojai4
682
propres à o;ivrlj- les pores, dilater les vaisseaux engorgés et
faciliter le passage et récouleinent des humeurs , s'eruplo'e
aujounrtiui ilans un sens pi\is restreint, et sert à désigner
les ii(«dicauu'nts propres à favoriser les sécrétions biliaire et
iirinaire, ainsi que l'évacuation des menstrues. Les apé-
ritifs emplojés le plus fréquemment sont les seis neutres et
acidulés qui ont la propriété purgative et diurt;ti(pie, tels
que les srilfaîes de potasse et de soude, le tartrate de soude,
les tartratcs acidulés, nitrate et acétate de potasse; vien-
nent ensuite le savon , le fiel de bœuf, la rhubarbe, et dif-
férents végétaux amers et aromatiques, tels que les chico-
racécs, Tannée, Tache, le fenouil, le persil, Tasperge et le
petit houx ; enfin le fer, ses oxydes et ses sels. — On ap-
pelle racines ou espèces apérilivcs les racines de chiendent,
d'asperge, de pissenlit etd'oseille. C'est particulièrement dans
les engorgements indolents du foie ou de la rate qu'on fait
usage de ces médicaments.
APÉTALE. Ce terme, d'après son étymologie (à priva-
tif, TTÉTaÀov, pétale), semblerait ne devoir s'apjiliquer qu'aux
Heurs déjjourvues de corolle ; néanmoins on s'en sert éga-
lement pour désigner celles qui n'ont ni corolle ni calices.
Ainsi Tune des grandes sections établies par Jussieu sous le
nom ii\ipctales dans la classe des végétaux dicotylédones
comprend les plantes qui sont dépourvues d'enveloppe (lorale.
APHÉLIE (du grec àuo, loin, et de r^lioc,, soleil ) est
en astronomie le point de Torbite d'une planète où sa dis-
lance au soleil est la plus grande; c'est Tune des extrémités
du grand axe de l'ellipse que cette planète décrit. Les aphé-
lies, soumises aux perturbations planétaires, ne sont
pas fixes; leur détermination dépend de certaines observa-
tions astronomiques qui varient suivant la fréquence des op-
positions de la planète que Ton considère. Lalande a trouvé
l'aphélie de Mercure à l'aide de Tangle d'élongation.
Delanibre a fait sur Mars l'essai d'une nouvelle méthode
publiée diMis^'ion Traité d'Astronomie.
APilÉllÈSE (d'à^ocipÉw, je retranche), figure de mot
par laquelle on retranche une lettre ou une syllabe au com-
mencement d'un mot , comme dans ce vers de Virgile,
Di'icile justiliaiii luuiiiti, et non teninere divos.
où il a dit (emnere au heu ù&contemnere. Celte figure est
souvent en usage dans les etymologies. C'est aiusi, dit ^'icot,
que du mot latin gibbosus nous avons fait bossu, en sup-
l)rimant la première syllabe.
Au reste , si le retranchement se fait au milieu du mot ,
c'est une syncope; s'il se fait à la lin, on Tapi)clle apocope.
DuMAnsAis.
APHOXIE (du grec à privatif; çwvt], voix). On ap-
pelle ainsi l'absence plus ou moins complète de la voix ,
sans (lue la faculté d'articuler ait disparu. C'est ce qui dis-
tingue l'aphonie de la mutité. Elle résulte le plus ordi-
nairement d'une l(-sicn quelconque de l'appareil vocal, quel-
quefois d'une alîection des cordons nerveux du larynx , ou
même des centres nerveux, comme dans Tapoplexie, Tépilep-
sie , les violentes émotions morales , etc. Son traitement
Tarie d'après les causes (pii la produisent. Les gargarismes
émoUients, Teau d'orge miellée , les cataplasmes éjnollients
autour du cou, les sangsues, les ventouses scarifiées au cou
et à la nuque , les bains de pied sinapisés , les vésicatoires
et les selons a la nuque, sont les médications le plus sou-
vent employées.
APHORISME (dugrecàçopiÇeiv, séparer, définir), sen-
tence, proposition brève et concise dans laquelle on expose
un principe de doctrine. Presque toutes les sciences ont
leurs aphorismes. Les règles de droit du Digeste et plusieurs
articles de notre Code Civil, au titre des contrats ou des
obligations conventionnelles, sont de véritables aphorismes.
Dans le langage du barreau on nomme brocards des
aphm-ismes empruntés aux jurisconsultes romains. En mé-
ikciue ce iiiot est presque exclusivement réservé i)our les
APÉRITIFS — APHTHES
sentences d'Hippocrate et celles de Celse. Les aphorisme*
de Boérhaave ont produit les savants commentaires de \'an
Swielen. De nos jours une doctrine qui se présente sous
celte forme se sert du terme plus modeste de j)ropositions.
On a donné, par extension, le nom à'aphoristique a un style
cou|)é, logitpie et sentencieux.
APHRODISIAQUES. Ce sont des médicaments pro-
pres à exciter ou même à rappeler les désirs vénériens. Un
grand nombre de substances, les stimulants généraux en
particulier, ont été citées comme possédant cette faculté ;
mais on n'en connaît que deux, la cantharide et le phosphore,
qui agissent réellement d'une manière directe sur les organes
de la génération , et plutôt encore pour y produire un vé-
ritable état morbide que pour procurer le resulUit désiré.
Aussi leur emploi peut-il être suivi des plus graves accidents.
APHRODISIES. On appelait abisi dans Tantiquilé des
fêtes en l'honneur de Vénus Aphrodite, fondées dans la
plupart des villes de la Grèce , et principalement à Cypre
ou Chypre, Amathontc, Paphos et Corinthe. Les initiés of-
fraient à la déesse une pièce de monnaie, velut prostibuli
pretium, ce qui indique assez que le sacrifice n'était |)oint
fait à Vénus pudique. Athénée cependant rapporte (pie dans
la dernière de ces villes les honnêtes femmes célébraient
aussi les Aphrodisies ; mais c'était, ajoute-t-il, sans se mê-
ler aux courtisanes, que cette fête semblait spécialement in-
téresser partout ailleurs.
APHRODITE (d'àypô;, écume), surnom de Vénus,
qu'on disait sortie de la mer, sans doute parce que son
culte fut emprunté par les Grecs aux Phéniciens.
APîiTHARTODOCITES (d'à,pOap7o;, incorruptible,
et de coxcù, je juge, je pense), hérétiques ainsi nommés
de ce qu'ils pensaient que le corps de Jésus-Christ étant in-
corruptible, il n'avait pu mourir. Leur chef était un certain
Julien d'Halicarnasse , qui vivait à peu près dans le même
temps que l'empereur Julien et le fameux solitaire Julien
Sabbas (360-370).
APHTHES. Ce sont des papules ou des vésicules for-
mées dans la bouche, s'étendant quelquefois dans l'œso-
phage et jusqu'à l'estomac, et pouvant se terminer par ulcé-
ration. Les aphtlies se montrent surtout dans l'enfance, et
chez les nouveau-nés : les femmes y paraissent plus exposées
que les hommes ; le froid et Thumniité les provoquent ainsi
que les aliments de mauvaise qualité, et on les observe sou-
vent dans les fièvres graves. Les aphthes se montrent spé-
cialement à la face interne de la lèvre infi'rieure, et des
joues, sur les parties latérales et inférieures de la langue,
sur les amygdales et le voile du palais; il paraît démontré
qu'ils sont (lus àTinflammation et au développement des fol-
licules mucipares de la membrane muqueuse buccale.
La marche des aphthes se divise en période vésiculeuse
et en période ulcéreuse. Quand l'éruption se déclare, on voit
se manifester dans les parties qui sont le siège habituel des
aphlhes de petits points saillants, rouges, durs, douloureux,
lesquels ne tardent pas à blanchir à leur sommet en conser-
vant une teinte d'un rouge vif et une dureté notable à leur
base : c'est le passage de la forme papuleuse à la forme
vésiculeuse. L'éruption est tantôt rare ou discrète, tantôl
conjluente, et dans ce cas toute la muqueuse de la bouche
peut en être couverte; elle offre alors un aspect piqueté
de blanc et de rouge tout à fait particulier. Les aphthes
peuvent s'arrêter à l'état vésiculeux, rester ainsi station-
naires pendant quelque temps et s'éteindre peu à peu, ou bien
continuer leur marche et passer à Tétat d'ulcération. On voit
alors les vésicules transformées en petits ulcères superfi-
ciels , arrondis, d'un rouge très-vif : le ""ond de cette ulcé-
ration est d'un blanc légèrement grisâtre, dû à une exsudation
de matière épaisse et comme pultacée, qui dans certains
cas se concrète en forme de croûte ; celle-ci se détache pai
Taction de la salive, et ne tarde pas à être entraînée. Le
tiailementest local ou général, suivant que les apblhcs soûl
APIITIIES — APICIUS
fp*
bornés à la bouclie ou qu'il y a réaction gént'rale : tlans le
premier cas , il siiflit de lotions o\i de narj^arismes de nature
éniollieiite , dVan de pnimauve ou d'or^^e édulcorée avec du
miel ordinaire on rosat, de sirop de violctles, de nnires, etc.,
jiour obtenir la jjnéiison. Quand les douleurs sont très-vives,
on peut ajouter (pieliiues i;outles de laudanuuï aux ^ar^ja-
risines ou aux lotions précitées. Pans le cas d'aplillies ctiro-
niqucs, on a recours au\ astringents : telles sont les solu-
tions d'alun, ou de sous-borate do soude; ou bien on
touclie les petites iilcrations avec la pierre d'alun , l'acide
liydrocldoriiiue uuMe au nnel rosaf, on mieux encore avec le
nitrate d'argent. Une prompte cicatrisation suit ordinaire-
ment l'emploi de ce dernier moyen.
AWITIIOXIUS. Ce rhéteur, ou plutôt ce sophiste grec,
comme le qualilie Suidas , naquit dans la ville d'.^ntioche ,
on ignore en quelle année ; on sait seulement qu'il vivait
encore au quatrième siècle. Ses Profjymnasmatn, exercices
préliminaires de rhétorique, postérieurs à ceuxd'Hermogène,
n'en sont qu'une faible imitation. Cependant on avait l'ha-
bitude, dans nos anciennes écoles, d'expliquer l'ouvrage
d'Aphtlionius concurremment avec les exercices d'Hermo-
gène et le Traité du Sublime de Longin. C'est principale-
ment à cette circonstance que nous devons les assez nom-
breuses éditions des exercices dWphthonius, livre qui par
lui-même ne méritait guère d'être reproduit aussi souvent.
On possède encore de lui une quarantaine de fables, dont
les sujets sont empruntés à Ésope ; mais le sophiste d'An-
tioche , dédaignant la simple concision du premier fabuliste,
surcharge son récit de fastidieuses redites, de circonstances
puériles et d'ornements antipathiques à la naïveté de l'apo-
logue. E. Lavigne.
APHYLLE ( de à privatif, et çûXXov, feuille ). On appelle
ainsi les plantes dépourvues de feuilles , et quelquefois même
celles où les feuilles sont remplacées par des écailles.
\ PIACERE, mots italiens qui veulent dire à volonté.
On les emploie le plus ordinairement en musique dans les
passages de la nature de la cadence. Ils indiquent que l'exé-
cutant est libre de donner à la phrase l'expression qui lui
convient.
APIAXUS (Pierre), célèbre astronome et mathéma-
ticien, dont le véritable nom (qu'il latinisa, suivant l'usage
du temps) était Bienewitz, dans lequel le radical Biene ré-
pond k Apis , abeille. Il naquit en 1495, à Leissnich, dans
le pays de jMeissen, et fut nommé professeur de mathé-
matiques à l'université d'Ingolstadt, en l.i25. Il composa di-
vers traités d'astronomie et de mathématiques , sciences
qu'il enrichit de plusieurs observations précieuses, de môme
<pi'il les dota d'instruments nouveaux. Le premier ouvrage
qu'il publia fut un Traité de Cosmographie , ou Vinstruc-
teur géographique (Landshut, 1530). Trois ans plus tard,
il construisit à Nuremberg un instrument curieux, qui, au
moyen des rayons du soleil, indique l'heure du jour dans
toutes les parties de la terre. C'est en 1540 qu'il lit paraître
le plus important de ses ouvrages, son Astronomicon Cœ-
sareum, contenant une foule d'observations curieuses, avec
des descriptions et des dessins d'instruments, des calculs
d'éclipsés et leur construction in piano. On trouve dans la
seconde partie de ce livre la description et la manièie de se
servir d'un cadran astronomique, de même que des obser-
vations relatives à cinq comètes, et où il démontre que les
queues des comètes se projettent toujours dans une direction
opposée au soleil. Dans ses Inscriptiones sacro-sanctx
velustatis (Ingolstadf, 1534 , avec ligures sur bois) il s'est
attaché à recueillir celles des anti(iues inscriptions connues
de .son temps qui pouvaient jeter quelque lumière sur des
questions se rattachant pi us ou moins directement aux sciences
dont il s'occu[)ait spécialement. Il serait parfaitement inu-
tile d'ajouter ici la longue éninnéiation des autres ouvrages
de ce savant, car ils n'existent plus, ou du moins on les ren-
contre dans un si petit nombre de bibliothèques, qu'il serait
bien difticile d'en vérifier l'exactitude. Bienewitz ou Apianu»
n'avait pas seulement publié une édition de IMoléméeeu grec
avec luie traduction latine en rcganl , mais en< ore des trai-
tés d'aritinnéliquc et d'algèbre , des considérations sur les
éclipses, uneédition des tKuvresd'A/.oph, astrologue fameux,
et jusqu'à des almanachs suivis de prophéties. Il y en avait,
counne on voit, pour tous les goùls. Apiamis luoiuiit à In-
golstadt, en 1552. L'empereur Charles-Quint lui avait cons-
tamment témoigné beaucoup d'estime; il lit imprimer à ses
Irais plusieurs de ses ouvrages, l'anoblit, et lui lit un jour
présent de 3,000 llorins d'or.
Son lils, Philippe Biknewitz, dit aussi Apinnus, se lit
également un nom célèbre, et comme géographe et comme
astronome. Il succéda à son père dans sa chaire de mathé-
maticpies à Ingolstadt. Obligé de l'abandonner, à cause des
persécutions dont il devint l'objet connue protestant , il se
retira àTubingen, où il obtint une chaire analoj/ue et où il
mourut, en 1589. Il est l'auteur des célèbres cartes de Ba-
vière à l'occasion desquelles le duc Albert lui fit présent de
2,500 ducats.
APICIUS. Trois Romains de ce nom se sont immorta-
lisés, non par leur génie, leurs vertus ou leurs exploits,
mais par leur incontestable supériorité dans le grand art
de la gueule. Il fallait que leurs tables fussent couvertes
des oiseaux du Phase, qu'on allait chercher à travers les
|)érils de la mer, et que les langues de paon et de rossi-
gnol y brillassent délicieusement apprêtées. C'est qu'alors
Rome était fière de compter dans son sein des gourmets qui
prétendaient avoir le palais assez lin pour discerner si le
poisson appelé loup de mer, qu'on leur servait , avait été
péché dans le Tibre entre les deux ponts, ou près de l'em-
bouchure du fleuve ; or, il faut que vous sachiez qu'ils n'es-
timaient que le premier. De même, ils rejetaient le foie des
oies engraissées de ligues sèches, et ne faisaient cas que du
l'oie de celles qui avaient été engraissées avec des figues ins-
tantanément cueillies dans ce but.
Des trois Apicius, le premier vivait sous la république,
du temps de Sylia , le second sous Auguste el Tibère , le
troisième sous Trajan.
C'est du second (Marcus Gabius) que Sénèque , Pline,
Juvénal et Martial ont tant parlé. Suivant Athénée, il
aurait sacrifié à sa passion culinaire des sommes considé-
rables, et inventé plusieurs espèces de pâtisseries aux-
quelles te public, reconnaissant, aurait décerné son nom.
Pline, de son coté, cite les ragoûts exquis qu'il aurait
découverts, et le qualifie gracieusement de nepotum om-
nium altissimus gurges. Entin, Sénèque, qui avait l'hon-
neur d'être son contemporain , assure cpi'il tenait à Rome
école publique et gratuite, théorique et prati(iue de bonne
chère, qu'il dépensa dans ses expériences plus décent mil-
lions de sesterces (environ vingt millions de francs), et
que, calculant enfin qu'il n'avait plus en caisse que dix mil-
lions de sesterces (environ deux millions de francs), le
pauvre homme s'empoisonna au milieu d'un repas , convaincu
qu'il ne lui restait pas de quoi continuera vivre honorable-
ment. Dion et Tacite attestent le fait.
Au troisième Apicius est due, outre diverses inventions
gastronomiques, une précieuse recette pour conserver
les huîtres dans toute leur fraîcheur. L'empereur, occupé
au fond de l'Asie à combattre les Partîtes , en reçut de lui
qu'il trouva excellentes et qu'on eut crues pêchées de la
veille. On ne dit pas comment Trajan témoigna au gastro-
nome sa reconnaissance.
Le nom des Apicius ne fut pas seulement donné à des
gâteaux , à des ragoûts , à des huîtres ; il s'étendit à plu-
sieurs variétés de sauces. Le triumvirat lit .secte parmi les
IJrillat-Savarin de Rome. Athénée assure que l'un d'eux
entreprit tout exprès le voyage d'Afrique, parce (|u'on lui
avait dit (pi'il s'y trouvait des espèces de sauterelles d'eau
beaucoup plus grosses que celles qu'il mangeait à Mintiui.c
S&
U84
APICIUS — APOCALYPSE
(probablement des écrevisses). Notre gourmet se faisait
une affaire de conscience de ne pas s'en rapporter au té-
moignage d'autrui en si grave matière.
Enfin, il existe, sous le nom de Cœllus Apiciiis, un traité
De Fe Culinaria, imprimé pour la première fois à Milan,
en 149S. Les critiques regardent cet ouvrage comme fort
ancien ; ils ne croient pas cependant qu'il ait été écrit par
aucun des trois Apicius. On l'atlribue à un nouuné Cœlius,
fervent gastronome, qui s'était donné pieusement l'épi-
tliète iVApictus. Ce livre a été plusieurs fois réimprimé
depuis, à Lomlres, à Amsterdam et à Lubeck.
APICULTURE (du lalin apis, abeille; cultura,
élève), art d'élever les abeilles. On se livre à cette industrie
à peu prés dans toute la France, mais surtout dans les dé-
partements de l'ouest et du midi. Dans la Beauce et dans le
Berry, après la récolte des sainfoins et des vesces, lorsque
les abeilles ne trouveraient plus leur nourriture, on a soin
de transporter les ruclies dans le Gàtinais ou au\ environs
delà forêt d'Orléans, où se trouvent de la bruyère et du
sarrasin en fleur. Aussi n'est-il pas rare de voir en automne
jusqu'à trois mille rucbes étrangères dans un petit village.
Le produit annuel des abeilles en miel et en cire est éva-
lué pour la l'rance à treize millions de francs.
APlOiX (du grec âTtiov, poire), genre d'insectes de
l'ordre des coléoptères tétramères, l'un des plus noudireux
de la grande famille des cucurlionites , et qui présente les
caractères suivants : Antennes terminées en une massue de
trois articles, et insérées sur une trompe allongée, cylin-
drique et conique, non dilatée à scn extrémité, lïte reçue
postérieurement dans le corselet. Point de cou apparent.
Éperons des jambes très-petits ou presque nuls; abdomen
très-renflé, presque ovoïdeou presque globuleux. Schœnherr
en décrit 198 espèces de tous pays; mais le plus grand
nombre appartient à l'Europe.
APIS. Les l-^syptiens appelaient ainsi un taureau sacré,
dont le culte était surtout pratiqué à Mempbis. Apis n'était
pas au rang des dieux du premier ordre, mais consacré au
soleil et à la lune, symbole de la constellation du Taureau,
l'un des douze signes du zodiaque, en même temps que de
l'agriculture et des féconds débordements du Xil, représentant
un cycle astronomique de vingt-cinq ans.
Selon la croyance commune, la vache qui enfantait Apis
avait été fécondée par un rayon du soleil ou de la lune. 11
devait être tout noir, avoir un triangle blanc sur le front,
une tache blanche de la forme d'un croissant sur le côté
droit , et sous la langue une espèce de nœud semblable à
un escargot. Quand ils avaient réussi à trouver cet animal
si rare, les Égyptiens le nourrissaient pendant quatre mois
dans un édifice dont la façade regardait l'orient ; et à l'époque
de la nouvelle lune on le transportait en grande cérémonie sur
un char magnifique à Héliopolis, où il était encore nourri
pendant quarante jours par les prêtres et les femmes qui, dans
i'espoirde devenir fécondes, se livraient devant lui aux plus
impudiques excès. Cette époque expirée, personne ne pou-
vait plus l'approcher. Les prêtres le transportaient d'Hé-
liopolis à Memphis , où on lui érigeait un temple et deux cha-
pelles, avec unegrandecour pour se promener. On lui croyait
le don de prédire l'avenir, don commun aux jeunes garçons
qui l'entouraient. Ces prédictions étaient favorables ou (u-
Hcstes, suivant qu'il entrait dans une chapelle ou dans l'au-
tre. Sa fête était célébrée annuellement pendant sept jours,
quand le Nil commençait à croître. On jetait dans le fleuve
un vase d'or, et on pensait que cette fête apprivoisait les
erocodiles pendant tout le temps de sa durée. Malgré l'ado-
ration dont il était l'objet, ce tai reau ne pouvait vivre plus
de vingt-cinq ans, et la raison en existait dans la théologie as-
tronomique des Égyptiens. On l'ensevelissait dans un puits;
cependant Beizoni trouva un tombeau du biruf .\(iis dans
les montagnes de la haute Egypte; c'était un sarcophage
«n albâtre, à colonnes, transparent et sonore (qui se voit
aujourd'hui au Musée Britannique), orné en dedans et en
dehors d'hiéroglyphes et de figures incrustées. Dans l'in-
térieur était le corps d'un taureau embaumé avec de l'as-
phalte. M. Mariette en a découvert un autre. La mort d'Apis
était le sujet d'un deuil générai, qui durait jusqu'à ce que
les prêtres lui eussent trouvé «n successeur, et la difficulté
de rencontrer un bœuf exactement semblable permet de
croire qu'ils recouraient souvent à la fraude
APLATISSEAIEMT DE LA TERRE. Voy. Terke.
APLOMB , direction perpendiculaire à l'horizon , et sui-
vant laquelle les corps tombent à terre. C'est celle que prend
un (il à l'une des extrémités duquel est suspendu un corps
pesant, par exemple une boule de plomb, tandis que l'autre
extrémité reste fixe. Cet instrument très-simjile sert à trou-
ver la direction de la verticale; il tire de sa composition or-
dinaire le nom de fil à plomb, soit qu'on l'emploie seul ou
qu'il entre dans la composition de certains niveaux. Un
mur est d'aplomb lorsqu'il est posé avec précision , vertica-
lement ou perpendiculairement à l'horizon , et qu'il ne
penche pas plus en avant qu'en arrière ou de côté.
En peinture et en sculpture , on dit qu'une figure est d'a-
plomb, ou, en langage d'atelier, qu'p//e parle bien, quand
elle est exécutée dans une pose où il est possible à l'homme
de se tenir en équilibre.
Au figuré et dans le langage familier, le mot aplomb est
synonyme d'assurance dans le maintien et dans les propos.
Trop souvent celte espèce d'assurance , qui ne s'acquiert pas,
et qui est un don naturel , est le partage des sots. Elle se
confond alors avec la fa tut té etl'itnpei'tinence.
APLYSIES (du grec àîi/yaîa, malpropreté ; de à pri-
vatif, et de TtX'jvw, je lave ), genre de mollusques gastéro-
podes, qui ressemblent beaucoup aux limaces, et que les pê-
cheurs delà Méditerranée nomment Zièivcs de mer. Ce nom
vulgaire est dû ii la forme de leurs tentacules, dont les deux
supérieurs, plus grands que les deux autres, ressemblent à
des oreilles de lièvre. Quanta leur nom scientifique, son
étymologie justifie en quelque sorte la profonde horreur
qu'éprouvaient les anciens pour ces animaux, horreur fon-
dée probablement sur le liquide dégoûtant qu'ils rejettent :
c'est une humeur couleur de pourpre et d'une odeur nauséa-
bonde, qui suinte du ?HnH/ea« de l'animal, lorsque celui-ci
vient à se contracter; cette humeur est assez abondante pour
qu'une seule aplysie puisse teindre un seau d'eau.
Dans sa Philosophie zoologique , Lamarck créa une Îa-
m\\\<i(\e?,aply siens, qu'il composa des quatre genres ap/j/s/e,
dolabeUe, bullce et sigaret. Depuis il modifia cette famille,
que Cuvier n'a pas conservée. Ce dernier naturaliste place
les aplysies et les dolabelles dans la famille des tectibran-
ches.
APA'EE (d'à privatif, et de Ttvfu, je respire), état dans
lequel la respiration paraît anéantie, ou devient si petite, si
rare et si tardive, qu'il semble que les malades ne respirent
plus et soient privés de la vie; ce qui arrive dans l'hystérie,
la svncope, l'apoplexie et la léthargie
APOCALYPSE (du grec àTtoxâX-j.l/iç , révélation).
C'est le nom du dernier livre canonique de l'Écriture ( voyez
Bible ). Il contient, en vingt-deux chapitres, une prophétie
touchant l'état de l'Église depuis l'ascension de Jésus-Christ
jusqu'au dernier jugement. L'Apocalypse estdiviséeen trois
parties : la première et la plus courte contient une instruc-
tion adressée aux évêques de l'Asie Mineure; la seconde
renferme la description des persécutions que l'Église devait
souffrir de la [)art des Juifs , des hérétiques et des empereurs
romains, ainsi que les vengeances que Dieu devait exercer
contre les persécuteurs, contre l'empire romain et contre la
ville de Rome , désignée, dit-on , sous le nom de Babylone ;
enfin , dans la dernière partie on trouve décrit le bonheur de
l'Église triomphante. Ces révélations furent faites à l'apôtre
saint Jean durant son exil dans l'île de Pathmos, pendant
la persécution de Domitien.
APOCALYPSE —
I/enchatnement d'idées sublimes et prophétiques qui com-
posent y Apocalypse a toujours été un écueil pour les com-
mentateurs. On sait par quelles rêveries ont prétendu l'ex-
pliquer Drabionis , Joseph Mède , le ministre Jurieu, lîos-
suet. Newton lui-mùme et une foule d'autres modernes
(voyez ApocALïPTiQiEs). Mais, lulas! les secrets qu'elle ren-
ferme et l'explication frivole que tant d'auteurs ont tenté
d'en donner sont bien propres à humilier l'esprit humain.
« Chaque communion chrétienne, dit ^■olt;\i^e , s'est attri-
bué les prophéties contenues dans ce livre; les .\nt!;lais y
ont trouvé les révolutions de la Grande-Bretagne ; les luthé-
riens, les troubles d'Allemagne; les réformés de France, le
règne de Charles IX et la régence de Catherine de Médicis. »
On a longtemps disputé , dans les premiers siècles de l'É-
glise , sur l'authenticité et la canonicité de ce livre ; ces deux
l>oints sont aujourd'hui pleinement éclaircis. Quant à son
authenticité, quelques anciens la niaient. CeiiiUla', disaient-
ils, avait décoré ['Apocalypse du uom de saint Jean pour
donner du poids à ses rêveries , et pour établir le règne de
Jésus-Christ pendant mille ans sur la terre, après le jugement,
(voyez MiLLÉ.vAiKFS). Saint Denis d'Alexandrie, cité par
Eusèbe , l'attribue à un personnage nommé Jean , différent
de l'évangéliste. Il est vrai que les anciennes copies grec-
ques, tant manuscrites qu'imprimées, de Y Apocalypse, por-
tent en tète le nom de Jean le divin. .Mais on sait que les
Pères grecs donnent par excellence ce surnom à l'apôtre
saint Jean , pour le distinguer des autres évangéli>tes , et
parce qu'il avait traité spécialement de la divinité du Verbe.
A cette raison on ajoute : 1° que dans V Apocalypse saint
Jean est nommément désigné par ces termes : A Jean, qui
a publié la parole de Dieu , et qui a rendu tcmoiynarjc
de tout ce qu'il a vii de Jésiis-Christ ; caTacXcies qui ne
conviennent qu'à l'apôtre. 2° Ce livTe est adressé aux sept
églises d'Asie, dont saint Jean avait le gouvernement. 3° Il
est écrit de l'ile de Pathmos , où saint Irénée , Eusèbe et
tous les anciens conviennent que saint Jean fut relégué en 95,
et d'où il revint en 98 ; ce qui fixe encore l'époque où l'ou-
vrage fut composé. 4° Enfin plusieurs auteurs voisins des
temps apostoliques , tels que saint Justin , saint 1 renée , Ori-
gène, Victorin, et après eux ime foule de pères et d'auteurs
ecclésiastiques, l'attribuent à saint Jean l'évangéliste.
Quant à sa canonicité , elle n'a pas été moins contestée ;
saint Jérôme rapporte que dans l'Eglise grecque , même de
son temps, on la révoquait en doute. Eusèbe et saint Épi-
pliane en conviennent. Dans les catalogues des livres saints
dressés par le concile de Laodicée , par saint Grégoire de
Kazianze, par saint Cyrille de Jérusalem , et par quelques
autres auteurs grecs , il n'en est fait aucune mention. Mais
on l'a toujours regardée comme canonique dans l'Église la-
tine. Cest le sentiment de saint Justin , de saint Irer.ée, de
Théophile d'Antioche, de Méliton , d'.\pollonius et de Clé-
ment d'Alexandrie. Le troisième concile de Carthage, tenu
en 397, l'a insérée dans le canon des Écritures, et depuis
ce temps-là l'Église d'Orient l'a admise comme celle d'Oc-
cident.
Les Alogiens rejetaient V Apocalypse, dont ils tour-
naient les révélations en ridicule, surtout celles des sept
trompettes, des quatre anges liés sur l'Euplirate , etc. Saint
Épiphanc , répondant à leurs invectives, remarque avec jus-
tesse que l'^/90C«/y/)5e n'étant pas une simple histoire, mais
une prophétie, il ne doit pas paraître étrange que ce livre
soit écrit dans un style figuré, semblable à celui des prophètes
de l'Ancien Testament.
11 y a eu plusieurs Apocalypses supposées. Saint Clé-
ment, dans ses Hypotyposes, parle d'une ^1/)0frt/y/>5e de
saint PieiTe , et Sozoïnène ajoute qu'on la lisait tous les
ans vers Pùques dans les églises de la Palestine. Ce dernier
parle encore d'une Apocalypse de saint Paul, que les moines
estimaient autrefois, et que les Cophtos modernes se van-
tent de posséder. Eusèbe fait aussi mention de V Apocalypse
APOCRYPHE C85
d'.\dam; saint Épiphanc, de celle d'Abraham, supposée par
les hérétiques séthiens ; et des révélations de Sefh et de Na-
rie , (emme de Noé , par les Gnostiques. Nicéphore parle
d'une Apocalypse d'Esdras ; Gratian et Cédrenne, d'une Apo-
calypse de Moise ; d'une autre , attribuée à samt Thomas ;
d'une troisième, de saint Etienne ; et saint Jérôme d'une qua-
trième, dont on faisait honneur au prophète Élie. Porphyre ,
dans la Vie de Plotin, cite h?. Apocalypses de Zoroastre,
de Zostrein , de Nicothée, d'.Vllogènes, etc., livres dont on
ne connaît plus que les titres , et qui vraisemblablement n'é-
taient que des recueils de fables.
APOC.\LYI>TIQUES. Depuis la publication des ou-
vTages de Bengel sur l'Apocalypse , on désigne ainsi en Al-
lemagne ceux des théologiens et des fidèles qiii voient dans
ce livre de saint Jean la révélation propht-tique de l'arrivée
prochaine du règne de Dieu. — On donne aussi ce nom aux
écrits de tous ces prophètes sans mission, de tous ces mys-
tiques sans frein , qu-' exploitent au profit de leurs préten-
dues opinions religieuses cette disposition innée qui porte
l'homme à envisager l'avenir avec une vague inquiétude et
à l'interroger avec une superstitieuse terreur.
On appelle nombre apocalyptique le mystérieux chiffre
6C6 , dont il est question au chapitre xiii , v. 18, de l'Apo-
calypse de saint Jean , et dans lequel l'Église, dès le second
siècle , voyait la désignation de l'Antéchrist , d'après la si-
gnification numérique des lettres grecques ou hébraïques ,
tandis que d'autres n'y trouvaient que l'expression d'une
époque très-controversable et très-controversée.
APOCATASTASE (de à-ô, de, xatà, vers, axâto, j'é-
tabfis), rétablissement de l'état primitif, exécution des pro-
messes , dans le style des apôtres. On nomme discussions
apocatasfiques celles qui, dans le commencement du siècle
dernier, furent susciti'es à Jean-Guillaume Péterscn, à cause
de son opinion religieuse , que tout retournait à son état
primitif à une certaine époque, et que le coupable , à force
de prières et d'expiations, pouvait être délivré des châti-
ments qu'il souffrait dans l'enfer. Pétersen a nommé retour
de toutes choses le système de l'apocatastase , qui lui est,
du reste, fort antérieur, et qu'on trouve déjà dans la doctrine
des chiliastes et des millénaires.
Les philosophes grecs désignaient par les mots antipe-
ristasis et apol;ataslasis le mouvement général de la na-
ture et l'action des forces qui y entretiennent la régularité,
l'accord et l'unité.
APOCO , terme de mépris, emprunté de l'itafien : uomo
da poco, homme de peu, de rien , malhabile , inepte.
APOCOPE (àTToxo-rj, qui est composé de la préposition
à7:ô, qui répond à \'a ou ab des Latins, et de xô^tw, je
coupe, je retranche). En termes de grammaire, c'est une
figure par laquelle on retranche quelque chose à la fin d'un
mot, comme on écrit, par exemple, en lalin , negotiitour
negotii , et en français, je doi , je voi, encor, pour je dois,
je vois , encore, quand on y est obligé par la rime. Ce n'est
à proprement parler, dans ce dernier cas , qu'une licence ,
dont il faut user fort sobrement.
APOCRISIAIRE,ou APOCRISAir.E(dugrec àrrôxp'.-
<7i:, réponse). Les envoyés, les agents, puis les chanceliers
des princes , ont porté autrefois ce nom , synonyme A'am-
basciator, qui était spécialement la qualité attribuée au dé-
puté, représentant, légat du pape près des empereurs grecs
ou des exarques de Ravenne. L'apocrisiaire remplissait les
fonctions des nonces ordinaires du pape auprès des princes
catholiques; c'étaient d'ordinaire des diacres, qui ne [)re-
naicnt rang qu'après les évèques. Saint Grégoire était apo-
crisiaire du pape Pelage à Constantinople. Du temps de
Cbarlemagne on appelait apocrisiaire le grand aumônier
de France.
APOCRYPHE , mot grec, formé de àizà, et y.p-j-Tw, je
cache, et qui signifie inconnu, caché. On entend par /àTC
apocryphe celui dont l'autorité est suspecte ou falsifiée ,
CSG
APOCRYPHE — APOLLINAIRES
parce que le véritable auteur clicrchc à se cacher ou n'est
pas connu. Far rapport à la Bible, on entend par livres apo-
cryphes ceux auMiucls on ne reconnaît jias une origine di-
vine, et dont le contenu n'est pas considéré coiiuîie une règle
de croyance religieuse infaillible, quoiqu'un pareil ouvrage
ne soit pas entièrement faux et (pie l'autour en soit connu.
Voyez Bible et Canomoif.s { Livres ).
Beaucoup de critiques regardent l'historien de Phënicie
Sancboniaton comme un personnage fictif; mais de tous
les livres apocrypht-s le plus célèbre est celui De tribus
Impostoribiis, dont on ne connaît bien que le titre, sur le-
quel on a tant écrit, et qui a été attribué en Italie à Ma-
chiavel, Boccace, Arétin, Giordano Bruno, Campanella; en
Allemagne, à l'empereur Frédéric II ; en France, à Etienne
Dolet, Servet, Vanini, etc. On a voulu lixer l'impression de
ce livre à 1598. L'édition qui porte ce millésime est sortie
des presses de Vienne, en 1708. Selon l'auteur du Diction-
naire (les Anonymes, elle émanait de l'abbé Mercier de Saint-
Gervais et du duc de la ^■aUière, qui auraient voulu mystifier
l'Europe savante, au commencement du règne de Louis X'VI,
en annonçant que le livre introuvable était retrouvé et se
vendait \ ingt-cinq louis l'exemplaire.
Pour n'être inquiété ni par les parlements ni par les mi-
nistres de Louis X\' , souvent aussi par pure fantaisie d'es-
prit , Voltaire publia beaucoup d'écrits sous des noms sup-
posés ou apocryphes , tels que le R. P. l'IiLscabotier, Riso-
rius, Covelle, Jérôme Carré, Mamaki, Amabed, Beaudinet,
Lamponet, etc. 11 se cacha aussi sous le nom de personnages
réels, tels que l'abbé Bignon, dom Calmet, le docteur Akakia,
Hume, Bolingbrokc, le curéMeslier, le P. Quesnel. Il en est
de même du nom de Mirabaml, secrétaire perpétuel de l'A-
cademii; française, à qui d'Holbach et Diderot ne craignirent
pas d'attribuer le fameux Système de la JSature.
APOCYJ\ ( du grec àno , loin de , et de xOwv , chien ;
dont il faut éloigner les chiens; plante qui tue les chiens).
Ce genre, type de la famille des apocynées, se compose de
plantes herbacées vivaces , croissant dans l'Amérique et
l'Asie boréales , très-rarement dans l'Europe centrale. Une
de ses plus curieuses espèces est Vapocynum androsœmi-
foinan, vulgairement appelée gobe-mouche , parce que lus
cinq nectaires qui entourent le pistil de cette plante sécrè-
tent une liqueur sucrée qui attire les mouches; celles-ci, en-
fonçant leurs trompes dans ces cavités perfides , en excitent
l'irritabilité , les fout se replier sur elles-mômes , et restent
prisonnières. — Les Indiens de l'Amérique septentrionale
tirent des tiges de ïapocynum cannabinum une filasse
qu'ils emploient à la fabrication de tissus grossiers. — Les
racines des deux espèces que nous venons de nommer
sont émétiques, diurétiques et diaphorcliques ; à petite dose,
elles agissent comme toniques.
On donne improprement les noms ô'apocyn à ouate
soyeuse, coton sauvage , plante à soie, à Vasclepias sy-
riaca de Linné , à cause du flocon soyeux qui enveloppe ses
graines. Dans le siècle dernier, on en a fabriqué du velours,
des molletons , de la llunelle, et juscju'à une espèce de satin
qui imitait celui de l'Inde; mais cette soie végétale servait
principalement ii l'aire de la ouate. Le bon m;irché du coton
a arrêté le développement de cette nouvelle industrie. Ce-
pendant, de l'avis d'hommes spéciaux, il y aurait peut-être
avantage à tenter quelques essais en Algérie : le sol et le
climat de nos jjossessious d'Afrique pourraient nous conduire
h d'heureux résultats. — Remarquons que c'est par erreur
que Linné a considéré cette espèce comme originaire de la
Syrie; toutes les asclépias sont américaines : c'est pourquoi
l'épilhète syriaca a été remplacée par cornuti. Voyez As-
CLliriADE.
APOCYXÉES, famille botanique dont l'apoc yn est le
type, et (lui renferme le la urier- rose, la pervenche et
une foule de végétaux dignes à divers titres de fixer l'atlen-
lion. Toutes ces plantes dicotylédones, ii corolle mouopélaie
hypogyne, se rencontrent, à quelques exceptions près, dans
les régions tropicales des deux continents , à l'état d'arbres,
d'arbrisseaux ou d'herbes , à tiges ordinairement lactes-
centes et dont le suc est souvent un poison très-violent. De
Jussieu ne <iistinguait pas les asclépiadées des apocynées;
Robert Brown a établi la division adoptée depuis. LindJey
avait réparti les apocynées en cinq sections ; aujourd'hui
on n'en reconnaît plus que trois, les carissées, les ophioxy-
Ides et les euapocynéex , cette deniière renfermant quatre
tribus : plumcriées, alstonices , echitées et wrightiées.
Le nombre des genres de cette famille est de soixante-sept ,
suivant le catalogue de M. Endlicher.
APODES ( de à privatif, et de zoùç, îi65o;, pied ), nom
donné par les entomologistes aux larves des insectes qui sont
dépourvues de pieds, et par les ichthyologistes à tous les
poissons privés de nageoires ventrales (excepté Cuvier, qui
ne l'emploie que pour les anguilliformes ). Dans la classi-
fication de Blainville, cette dénomination s'applique à la
huitième classe des entomozoaires , au troisième ordre des
lacertoides, aux serpents, et au troisième ordre de la
deuxième tribu des poissons ( les squammodermes ).
Les oiseaux de paradis furent longtemps regardés comme
apodes ; mais on a reconnu depuis que c'était une erreur, oc-
casionnée par la coutume qu'ont les Papous d'arracher les
pattes de ces oiseaux avant de les livrer au coiiunerce.
APODICTIQUE ( du grec ànroSïîxwîxt, je démontre ).
Aristote établit une distinction entre les propositions qui sont
susceptibles d'être contestées et celles qui ne sauraient l'être
parce (ju'elles sont le résultat d'une démonstration , et il
nomme ces dernières apodictiques. Kant a emprunté ce
terme au philosophe de Stagire, et il l'emploie pour désigner
ceux de nos jugements dont l'affirmation ou la négation
est considérée comme nécessaire.
APOGÉE ( de «7:0, loin; yr;, la terre) est, dans l'as-
tronomie ancienne, le point de la plus grande distance du
soleil ou d'une planète à la terre. En ne considérant que
rapj)arence des phénomènes, on dit encore aujourd'hui que
le soleil est à son apogée, lorsque c'est la terre qui est à son
aphélie. l\Iais cette expression est juste, appliquée à la
plus grande distance de la lune à la terre.
APOJOVE ( mot hybride, formé du grec àTrô, loin, et
du latin Jovis, Jupiter ), nom donné par quelques astro-
nomes aux points où les satellites de Jupiter sont à leur plus
grande distance de cette planète.
APOLDA, petite ville du grand-duché de Saxe-'Weimar,
située à IG kilomètres de léna, et peuplée d'environ 4,000 ha-
bitants, est le centre d'une industrie spéciale assez impor-
tante. La fabrication des bas au métier s'y fait sur une large
échelle , et n'y occupe pas moins de deux mille cinq cents
ouvriers, répartis dans les ateliers de plus de trois cents fa-
bricants. Il y a aussi des fonderies de cloches et un grand
marché aux laines.
APOLLINAIRE l'ancien etlejenneyphre et fils, gram-
mairiens et rhéteurs grecs du quatrième siècle après J.-C,
enseignèrent à Béryie et à Laodicée. Ils embrassèrent le
christianisme, et Apollinaire le jeune fut évêque de cette
dernière ville. Quand la lecture des livres paiens fut interdite
aux chrétiens, tous deux composèrent, pour les remplacer,
divers livres élémentaires en prose et en vms. De leurs
nombreux ouvrages il ne reste que V Interprétation des
Psaumes, en vers grecs, et une tragédie, le Christ souffrant
(Paris, 1552 et 15S0, avec traduction latine). Apollinaire le
jeune, dont l'hérésie fut condamnée {voyez Apolli.narissie ),
mourut vers :5S1.
APOLLINAIRE (Sidoine). Voyez Sidoine -Apolli-
naire.
APOLLLYAIRES (Jeux), qui se célébraient à Rome
dans le grand Cirque, en l'honneur d'Apollon. Les auteurs ne
sont pas d'acconl sur l'institution de ces jeux. Les uns l'at-
tribuent à l'occasion d'une peste. Macrobe n'est pas de cette
APOI.LINAIRI-S — APOLLON
687
opinion : il raconte que les ennemis vinrent tout h coup at-
taqurr les Romains pendant qu'ils célébraient les jeux apol-
linaires ; les Romains marclièrent au combat, et Apollon vola
à leur secours; une griHe de llèches tomba du ciel sur les
ennemis , et les mit en fuite.
Mais ces jeux étaient donc institués avant cette attaque
imprévue? Macrobe ajoute (jue , suivant une autre opinion,
ils furent établis pour invoquer Apollon, dieu de la ciialeur,
dans le temps oil elle se fait craindre le plus. On dit qu'ils
eurent lien pour la première fois l'an 5i2-de Rome, d'après
les prédictions du devin Marcius et celles des oracles sibyl-
lins. Le préteur C. Rufus fut le premier qui les célébra. On
lui donna le surnom de Sibylla , qui se cbangea depuis en
celui de Sylla.
Pendant quelques années ces jeux n'eurent point d'objet
fixe; mais en 546 le préteur P. Licinius Yarus les consacra
à perpétuité, à roccasion d'une peste. On les célébrait tous
les ans, le 5 juillet. Le peuple y assistait couronné de lau-
riers. Lesdéceravirs les présidaient, et sacriliaicnt à Apollon,
avec les rites grecs, im bœuf et deux chèvres blanches, et à
Latone une génisse. Ces victimes avaient les cornes dorées ;
chacun fournissait de l'argent selon ses moyens. Des jeunes
gens, se tenant par la main, chantaient des liymnes en l'hon-
neur du dieu, et des jeunes filles célébraient Diane. Les
femmes les plus distinguées de la ville adressaient leurs
vœux aux dieux , et mangeaient dans le vestibule de leurs
maisons, laissant les portes ouvertes à tout le monde.
Th. Delbare.
APOLLLVARISME. Dans l'histoire des dogmes chré-
tiens, ce mot exprime l'opinion que le Verbe de Dieu a rem-
placé dans Jésus-Christ l'âme pensante, et que la divinité
s'est imie en lui de corps et d'àme. L'auteur de ce système,
Apollinaire, fut, de 362 à 381, évêque de Laodicée en
Syrie, et le plus ardent ennemi des ariens. Ce ne fut qu'en
371 que son opinion fut publiquement connue; à partir de
375 elle fut condamnée comme hérésie par plusieurs synodes,
et entre autres en 381, par le concije de Constanlinople.
Pendant ce temps-là Apollinaire formait une nouvelle secte
à Antioche, et établissait Vitalis évêque de ses partisans.
Ceux-ci se répandirent en Syrie et dans les pays voisins ,
fondèrent plusieurs commîmes avec des évoques , et s'éta-
blirent même à Constantinople ; mais après la mort d'Apol-
linaire il se forma entre eux deux partis, dont les uns, les
vilentiniens, restèrent fidèles aux dogmes d'Apollinaire , et
les autres, les poléraiens, embrassèrent l'opinion que Dieu et
le corps de Jésus-Christ étaient une seule subsla.ice, qu u
fallait donc adorer la chair : de là ils reçurent le nom de
sarcolàlres, anthropolàtres, ou synusiastes.
APOLLODORE, fils d'Asclépiade, grammairien athé-
nien , en l'an 140 avant Jésus-Christ, étudia la philo-
sophie sous Panétius et la grammaire sous Aristarque. Il
composa un ouvrage sur les divinités , un commentaire sur
les poèmes d'Homère et une histoire en vers. L'ouvrage my-
thologique que nous possédons de lui , sous le titre de Bi-
bliothcque, ne parait être qu'un extrait du grand ouvrage
d'Apo'.loiiore. Mais il n'est pas moins important sous le rap-
port de l'histoire des dieux et des héros. Les meilleures édi-
tions sont celles de Heyne (Gœttingue, 1803), et de Clavier
( Paris, 1805), avec une traduction française. — Apollodore
est aussi le nom d'un fameux architecte, qui a bâti le Forum
Trajet ni.
APOLLODOUE, savant médecin et naturaliste de
l'antiquité, naquit à Lemnos, environ un siècle avant Jésus-
Christ. Il florissait .sous les règnes de Ptolémée Soler et de
Lagus. Le scoliaslp de îSicandre rapporte qu'il écrivit sur
les plantes, et Piine dit qu'il a vanté le suc des choux et des
raiforts comme un remède contre les champignons vénéneux.
Il parait (ju'il a écrit aussi un traité sur les animaux veni-
meux, et on sujipose que c'est de son ouvrage que Galicn
a tiré la composition d'un anti^lote contre la vipère.
APOLLOIV , chez lee Romains Apollo, l'un des grands
dieux des Grecs, était fils de Zeus (Jupiter) et de l.élo
( Latone) et frère jumeau d'Artémise ( Diane ). On ne trouve
des détails sur sa naissance ni dans Homère ni dans Hésiode ;
mais des écrivains postérieurs racontent que Léto, pour-
suivie en tous lieux par la jalouse Hérê (Junon), sans pou-
voir être délivrée, mit enfin Apollon au monde, dans l'ilede
Délos, le septième jour du mois qui fut dès lors consacré au
dieu. Hérê avait frappé de malédiction tous les pays qui
auraient accueilli Léto dans sa grossesse. Délos seule n'avait
pu en être atteinte, parce qu'avant la naissance du dieu
elle était encore couverte par la mer, et que ce ne fut qu'à
ce moment seul qu'elle devint visible.
Homère nous représente Apollon: 1° comme un archerqui
venge et punit avec ses traits : à cette donnée se rattachent
les traditions des écrivains postérieurs , suivant lesquelles
quatre jours après sa naissance il aurait terrassé avec ses
traits le serpent Python , puis aurait assisté son père dans
la guerre des géants, et tué avec sa sœur Arlémise les enfants
deNiobé; 2° comme dieu du chant et des instruments à
cordes : en cette qualité , c'est lui qui était chargé de ro-
créer les dieux avec sa musique pendant leurs repas, de
l'enseigner aux autres ; et, suivant Hésiode ainsi que l'hymne
homérique, il avait inventé la phorminx : c'est encore comme
tel qu'il eut à soutenir des luttes contre IMarsyas et Pan;
3° comme dieu de la divination, qu'U exerçait surtout dans
son oracle à Delphes, faculté qu'il pouvait communiquer
à d'autres, ainsi qu'il le fit à Cal chas; 4° comme dieu des
troupeaux ( Aojnios ) : en cette qualité ce fut lui qui , par
ordre de Zeus, fit paître les troupeaux du roi Laomédon
SAIT le mont Tda ; c'est principalement en cette qualité qu'il
est question de lui chez les écrivains postérieurs, et à cet
égard il faut mentionner le temps qu'il passa au service
d'Admèt e.
Dès qu'apparaissent des poètes lyriques, ApoUop devient
chez eux médecin. Ottfried Millier rapporte à cet égard le
mot homérique Pœan, attendu que ce sont les poètes qui
les premiers ont établi une distinction entre le dieu particu-
lier de la santé et Apollon. Suivant lui, en effet, le Po'an au-
rait été un antique poème primitif en l'honneur d'Apollon,
que l'on chantait surtout lors de la cessation d'une épidémie,
et auquel on donna le nom du dieu lui-même. Comme fon-
dateur de villes, on voit dans Homère Apollon bâtir les murs
de Troie avec Poséidon ; et, suivant Pausanias, il aida Alca-
thoos à '■^nôîi uire Mégare. Lui-même fonda entre autres les
villes de Cyrène, de Cyzique et de Naxos en Sicile. Cet attri-
but se rattache étroitement à son don de divination, attendu
qu'ordinairement la fondation de nouveaux établissements
avait lieu d'après ses indications.
Les écrivains d'une époque postérieure identifient Apollon
avec le dieu du soleil, du Hélios, tandis que dans Homère
ainsi que dans toute la religion populaire des Grecs Hilios
constitue un dieu distinct, et plusieurs érudits estiment que
l'apparition d'Apollon comme dieu du soleil est la tradition
première de laquelle seraient dérivées toutes les autres. On
y rattache le Phoïbos (Phœbus) d'Homère, où on trou\e
l'idée de ce qui est brillant et clair. La conlirmation de
cette donnée se trouve en quelque sorte dans le mythe des
Hyperboréens, adorateurs du soleil. C'est cliez eux, nous
dit-on, qu'il réside, jusqu'à ce que les premiers blés aient
été coupés en Grèce , et il revient alors à Delphes avec la
complète maturité des épis. Une preuve encore plus forte
peut-être àl'appui de celte opinion, c'est le récit de plusieurs
historiens suivant lequel Apollon serait identique avec l'Ho-
rus des Égyptiens. Ottfried Millier rejette toutefois cette
opinion, de même qu'il nie toute espèce d'inlluence égyp-
tienne sur la formation de la mythologie des Grecs. A son
avis, Apollon est une divinité purement dorienne, dont il
faut chercher la plus ancienne résidence à Tempe. Ce n'est
que plus tard qu'on la trouve à Delphes, où, par le cràlit
G88
APOLLON — APOLLONIUS
qu'elle y acquit, elle arriva à devenir l'un des dieu\ natio-
naux de la (irèce. 11 pense que Tintroduction du culte d'A-
pollon dans l'Atlique coïncida avec rémif;ration des Ioniens.
L'idt^e qui servit de base à tout le mythe relatif à ce dieu,
de même que la question de savoir d'où il provient, si ce
fut d'Egypte ou bien du Nord, a donné lieu à de vives et
nombreuses discussions. Cette dernière donnée est au reste
celle qui offre le plus de vraisemblance. Ce qu'il y a de
bien certain, c'est que les Grecs empruntèrent ce culte à
d'autres peuples ; et Pausanias va jusqu'à dire que l'oracle
de Delphes fut fondé par des Ilyperboréens. Mais ce furent
l'art et la philosophie des Grecs qui firent les premiers d'A-
pollon l'idéal des perfections de l'humanité.
Les lieux les plus célèbres où il rendait ses oracles étaient,
indépendamment de Delphes, Abœ en Phocide, Isménion
près de Tlièbes, Délos, Claros près de Colophon, et Patara
en Cilicie. Le culte d'Apollon s'introduisit également de
bonne heure à Rome. Dès l'an 430 avant J.-C, un temple
lui fut consacré dans cette ville, et vers l'an 212 on institua
les jeux apollinaircs. 11 fut surtout honoré sous le règne
des empereurs. Après la bataille d'Actium, Auguste lui éleva
un temple dans la ville ainsi que sur le mont Palatin, et il
institua en outre les jeux act laques. Tous les cent ans on
célébrait en son honneur et en celui de sa .sœur Diane les
Ludi sacidares.
Il a pour attributs ordinaires l'arc et le carquois, la ci-
thare et le plccti'uni, les serpents, la houlette, le griffon et le
cygne (souvent il chevauche sur ce dernier oiseau), le tré-
pied, le laurier et le corbeau, plus rarement le coq , l'au-
tour, le loup et l'olivier. Voici comment les artistes repré-
sentent le plus ordinairement Apollon : la figure de la forme
ovale la plus belle, le front élevé, des cheveux légèrement
llottants, sur le front deux boucles de cheveux, sur le der-
rière de la tète les boucles de cheveux dt-liées. Les pre-
mières statues d'Apollon furent en bois, et toujours l'œuvre
d'artistes en tois. La plus belle que l'on connaisse est l'A-
pollon dit du Belvédère (foypz l'article suivant).
APOLLOX DU BELVÉDÈRE. De toutes les pro-
ductions de l'art antique qui ont échappé à la destraction et
à l'action du temps, cette statue d'ApoUon est peut-être la
plus sublime et la plus célèbre. Elle a été découverte à Porto
d'Anzio, autrefois Antium, lieu de naissance de Néron. Ce
prince pour embellir sa ville natale dépouilla tous les temples
de la Grèce , surtout celui de Delphes , de leurs plus belles
statues, et c'est ainsi, pense-t-on, que ce chef-d'œuvre se
trouva dans cette bourgade vers Tan 1500. Cettestatue, dont
on ne connaît pas l'auteur, a été appelée Y Apollon du Bel-
védère, parce qu'elle était placée au Vatican dans la cour du
Belvédère. Elle lit partie des trophées de Bonaparte en Italie,
et resta au musée de Paris jusqu'en 1815. L'invasion étran-
gère l'a rendue à Rome. L'Apollon de la galerie de Florence
passe pour en être une copie.
[ La stature du dieu est au-dessus de celle de l'homme, et
son attituile respire la majesté. Un éternel printemps, tel
([ue celui qui règne dans les champs fortunés de Tlilysée,
revêt d'une aimable jeunesse les formes mâles de son corps
et brille avec douceur sur la tière structure de ses membres...
Il a poursuivi Python, contre lequel il a tendu pour la pre-
mière Ibis son arc redoutable; dans sa course rapide il l'a
atteint et lui a porté le coup mortel. De la hauteur de sa
joie, son auguste regard, pénétrant dans l'inlini, s'étend bien
au delà de sa victoire. Le dédain siège sur ses lèvres, l'in-
dignation qu'il respire gonfle ses narines et monte jusqu'à
ses sourcils; mais une paix inaltérable est empreinte sur
son front, et son œil est plein de douceur comme s'il était au
milieu des Muses empressées à lui prodiguer leurs caresses.
\VlNCkF.I.MANN. I
APOLLOXICOM, nom donné par les organistes Plight
et Robson à un grand orgue à cylindre joué par plusieurs
musiciens à la fois, ou niou'u de cinq claviers adaptés les
uns à côté des autres. On le dit pareil au panharnionica de
Maelzel et produisant un son majestueux et remarquable par
la variété des nuances. Antérieurement, le facteur RoUer, de
Hesse-Darmstadt, avait inventé un instrument à deux cla-
viers qu'on peut jouer comme un piano, et auquel est
adapté un automate. Cet instrument, nommé apoUonion ,
a été décrit dans le journal musical de Leipzig.
APOLLOA'ÏE, nom commun à plusieurs villes de l'an-
tiquité. Etienne de Byzance, dans son Thésaurus Geogra-
phicus , n'en compte pas moins de vingt-cinq, et Ortelius
en ajoute sept encore. En voici les plus célèbres : 1° Apol-
lonie, en lllyrie ou Nouvelle-Épire, à deux myriamètres de
la mer Adriatique , laquelle était encore au temps des Ro-
mains importante comme centre de lumières et d'activité
intellectuelle, et dont une bourgade, appelée Polonia ou
PoliJia, occupe aujourd'hui les ruines; 2° Apollonie en
Tlirace, sur les rives du Pont-Euxin , aujourd'hui Sizeboli,
pourvue de deux ports , et possédant autrefois un célèbre
temple d'Apollon avec la statue colossale de ce dieu , édifice
qui déjà au temps des Romains tombait en ruines ; 3° Apol-
lonie en Cyrénaique, servant de port à Cyrène , et dépen-
dant de la Pentapole , appelée plus tard .Sozoura, et aujour-
d'hui Marza-Souza; 4° Apollonie en Palestine, sur les côtes
de la Méditerranée, au nord-ouest de Sichem , entre Joppé
et Césarée.
APOLLOXiUS DE Percv reçut de l'antiquité le titre
de grand gcomèlre, à l'époque même où Archimède ache-
vait sa brillante carrière. Il était né à Pcrge ou Perga en
Pamphilie, vers l'an 244 av. J.-C, sous le règne de Pto-
lémée Évergète P^ Il étudia à l'école d'Alexancbie sous les
successeurs d'Euclide. C'est là qu'il acquit ces connais-
sances supérieures et cette habileté en géométrie qui ont
rendu son nom fameux , en lui inspirant les ingénieuses
théories renfermées dans son Traité des Coniques. Ce traité,
où il employa le premier les dénominations si bien appro-
priées d'ellipse et (ï hyperbole, est divisé en huit parties,
dont longtemps nous n'avons possédé que les quatre pre-
mières, dans lesquelles l'auteur rassemble toutes les décou-
vertes géométriques de ses prédécesseurs , en étendant et
développant leurs théories. Dans la cinquième partie, où
commence ce qui lui appartient en propre, il traite la
question de mojcimis et de miniinis sur les sections co-
niques; il va même jusqu'à la détermination des dévelop-
pées et des centres d'osculation ; ces idées reviennent en-
core dans la sixième partie , où il considère les sections
coniques semblables; la partie suivante contient l'expo-
sition de diverses propriétés remarquables de ces courbes.
Un manuscrit arabe de ces trois parties fut retrouvé en 1G58,
dans la bibliothèque des Médicis, par Borelli, qui le tradui-
sit en latin, à l'aide du célèbre orientaliste Abraham Echel-
lensis, et le publia en 1661. Enfin, Halley a donné, en 1710,
l'édition la meilleure et la plus complète que nous possé-
dions d'Apollonius , puisqu'il y a rétabli la huitième partie
sur les indications de Pappus , dont le commentaire nous
était heureusement parvenu en entier. Tout ce que les
autres écrits d'Apollonius renfermaient d'intéressant pour
les sciences a été publié par les soins de Halley , de Snel-
lius, de Marin Ghetaldi et de Viète. Dans les travaux
de ce célèbre géomètre, une chose frappe d'étonnement :
c'est que , dépourvu des secours de l'analyse moderne , il
ait pu parvenir aux résultats qu'il a obtenus ; il lui a fallu
une prodigieuse force d'esprit pour ne pas s'égarer dans les
recherches auxquelles il s'est livré. Apollonius mourut sous
le règne de Ptolémée Pbilopalor, c'est-à-dire au commence-
ment du siècle qui suivit celui de sa naissance.
APOLLOXIUS DE RnoDES, poète épique grec, na-
quit, suivant les uns à Alexandrie, suivant d'autres à
Naucratie, l'an 230 avant Jésus-Christ. Poursuivi par la
jalousie des autres savants de son pajs, il se réfugia à
Rhodes, où il enseigna la rhétorique, et acquit par ses
APOLLONIUS — APOLOGIE
C89
ouvrajîes une si grande réputation que les Rhodicns lui
accordèrent le droit de cité. 11 revint h. Alexandrie pour
remplacer Ératostliène dans la direction de la célèbre bi-
bliothèiiue de cette ville. De tous les ouvrages qu'il avait
écrits il ne nous reste qu'un pocuie , intitulé l'Argonau-
tique , dont le mérite est très-médiocre, quoique l'auleur
ait rais un soin extrême à le composer. On y trouve cepen-
dant quelques épisodes très-remarquables, entre autres
celui des Amours de Médéc. Ce poème a été imité chez les
Romains par Valérius Flaccus, et traduit en français par
M. Caussin de Pcrceval.
APOLLO\IUS DE Ty\ne , en Cappadoce, né au com-
mencement de l'ère chrétienne, fut un sectateur fervent de
la philosophie de Pythagore. Les païens en ont fait un
thaumaturge. Il étudia la grammaire, la rhétorique et la
philosophie sous le Phénicien Euthydèrae, et le système de
Pythagore sous Euxines d'Héraclée. Un penchant irrésis-
tible le portait vers les idées du grand philosophe, dont il
suivait les dogmes les plus austères. Il se rendit à jEgos ,
où Esculape avait un temple dans lequel il opérait des mi-
racles. Fidèle aux principes de Pythagore, Apollonius s'abs-
tenait de toute nourriture animale, de vin, ne vivait que de
fruits et de plantes, marchait nu-pieds , laissait croître ses
cheveux et sa barbe, et n'avait pour vêtements que des
étoffes faites de feuilles et de tissus de plantes. Les prêtres
l'initièrent à leurs mystères ; on ajoute même qu'Esculapc
lui enseigna son art, mais il ne paraît pas qu'il essayât
encore à cette époque d'opérer des prodiges.
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il forma une école de phi-
losophie , et fit vœu de ne pas parler pendant cinq ans. Il
visita ainsi la Pamphilie, la CiUcie, Antioche, Éphèse et
d'autres villes. De là il alla à Babylone et dans les Indes
pour étudier les dogmes des brahmines, et il fit ce voyage
tout seul, ses disciples ayant refusé de le suivre. Il n'eut
pour compagnon de voyage qu'un certain Damis , qu'il ren-
contra en route, et qui le prit pour un dieu. A Babylone il
conversa avec les mages, et de cette ville il se rendit, comblé
de présents, à Taxella, oii régnait Phraorte, roi des Indes,
qui lui donna des recommandations pour les plus illustres
brahmines. Après un séjour de plusieurs mois il revint à Ba-
bylone, et de là dans plusieurs villes ioniennes. Sa répu-
tation le précédait partout, et les habitants de toutes les
villes lui présentaient leurs félicitations et leurs hommages.
Il prêchait publiquement contre les mœurs corrompues
des nations , et représentait à ses auditeurs, d'après le sys-
tème de Pythagore, l'avantage de la communauté des biens.
On prétend qu'il avait prédit aux Ephésiens la peste et le
tremblement de terre qui survinrent peu de temps après.
Il passa une nuit au tombeau d'Achille, et raconta avoir eu
ime conversation avec l'ombre de ce héros.
A Lcsbos il discuta avec les prêtres d'Orphée, qui, le re-
gardant comme un sorcier, lui refusèrent l'entrée du temple;
mais ils la lui accordèrent quelques années plus tard. A Athè-
nes il recommanda au peuple des prières, des sacrifices et
des études pour l'amélioration des mœurs publiques. Enfin il
arriva à Rome comme Néron venait d'en exiler tous les ma-
giciens ; et quoique cet ordre le concernât, il n'hésita pas
à entrer dans la ville avec huit de ses disciples. Mais son
séjour y fut de courte durée. Un historien raconte qu'il
ressuscita une jeune femme, et qu'aussitôt il fut banni. Il
visita alors l'Espagne, la Grèce, l'Egypte, où Vespasien l'em-
ploya pour consolider son autorité et le consulta connue un
oracle. De là il fit un voyage en Ethiopie, et fui très-bien ac-
cueilli par Titus, qui lui demanda ses avis sur l'administra-
tion du pays. A l'avènement de Domitien, il fut accusé
d'avoir excité une révolte en Egypte en faveur de Nerva ;
il se présenta volontairement devant le tribunal, et fut ac-
quitté. 11 retourna en Grèce, et s'établit enfin à Éphèse, où
il ouvrit une école pythagoricienne, et mourut centenaire.
Parmi les nombreux miracles attribués à ce personnage
OICT. DE LA COXVERS. — T. I.
extraordinaire , on a surtout remarqué qu'il sut et annonça
dans Éphèse le meurtre de Domitien à l'instant même où il
avait lieu à Rome. Les païens l'opposèrent, comme faisant
des miracles, au fondateur du christianisme. Appelé dieu de
son vivant, il accepta ce titre, prétendant qu'il appartenait
à tout honmie de bien. Après sa mort on lui dédia des tem-
ples. Alexandre Sévère plaça son image entre celles d'Abra-
ham, d'Orphée et de Jésus-Christ. Aurélien ne saccagea point
Tyane par respect pour sa mémoire. Ammien-Marcellin le
compte parmi les hommes éminents qui ont été assistés par
quelijue démon ou génie surnaturel, comme Socrate et Numa.
APOLLONIUS. Ce nom a été également porté par plu-
sieurs célèbres grammairiens et rhéteurs grecs.
Apollonius surnommé Dyscole, c'est-à-dire /e Grondeur,
à cause de son humeur morose et chagrine, né à Alexan-
drie, florissait dans le second siècle de l'ère chrétienne, sous
les règnes d'Adrien et d'Antonin. Il passa sa vie dans le
Bruchium , quartier de cette ville où beaucoup de savants
et de littérateurs étaient logés et nourris aux dépens des
rois d'Egypte. Il est le premier qui ait réduit la grammaire
en système. Il nous reste de lui quatre livres de Sijntaxi
seu constructionc , publiés, avec la traduction latine d'yE-
milius Portus en regard, parL. Sylburge, à Francfort, en
1590. C'est un des meilleurs ouvrages en ce genre que les
anciens nous aient transmis. On lui attribue aussi un recueil
d'histoires merveilleuses : Historise CommentUlœ. Il fut le
père de l'historien Hérodien.
Apollonius le Sophiste, né également à Alexandrie, vé-
cut sous le règne d'Auguste. Il est auteur d'un dictionnaire
des mots contenus dans Homère.
Enfin un autre Apollonius, surnommé Molo, professeur
de rhétorique à Rhodes , mérita l'estime toute particulière
deCicéron et de César, qui l'entendirent parler à Rome, où
ses concitoyens l'avaient envoyé en députation.
APOLOGIE, APOLOGÉTIQUE, APOLOGÈTES ( d'à-
TvoXoYia, discours en faveur de). Vapologie est un discours
fait pour la justification , pour la défense de quelqu'un , de
quelque action, de quelque ouvrage. La loi du 27 juillet 1849,
sur la presse, punit d'un emprisonnement d'un mois à deux
ans et d'une amende de 16 francs à 1,000 francs toute apo-
logie, par l'un des moyens énoncés en l'article l*^"" de la loi
du 17 mai 1819, de faits qualifiés crimes ou délits par la loi
pénale.
Les anciens nommaient particulièrement apologie un
écrit composé dans le but de justifier un fait incriminé,
une personne accusée injustement, ou une doctrine faus-
sement interprétée. Les deux plus remarquables ouvrages
de ce genre que nous ait légués l'antiquité sont les apolo-
gies que Platon et Xénophon composèrent en grec après
la mort de Socrate pour réhabiliter la mémoire de leur
maître. — Dans les premiers siècles de l'Église, les Pères,
obligés de lutter sans cesse contre les ennemis du christia-
nisme, composèrent une foule d'écrits justificatifs, qui pri-
rent le titre d'apologies ou apologétiques. La plupart de
ces ouvrages ont été perdus. Parmi ceux qui nous restent,
nous mentionnerons les deux Apologies de saint Justin et
son Dialogue avec le Juif Tryphon; le Discours aux
Gentils, par Tatien ; \di Satire contre les ■ Philosophes
païens, par Ilermias; V Ambassade d'Alhénagore pour les
chrétiens; les Trois Livres de saint Théophile, évéque d'An-
tioche, à Aulolicus; V Exhortation de saint Clément d'A-
lexandrie aux Païens ; la dispute d'Arnobe Contre les
Païens; le dialogue de Minucius Félix, intitulé Octavius;
les huit livies d'Origène contre Celse; les Institutions di-
vines de Lactance; le discours de saint Athanase Contre les
Païens, etc. Le célèbre ouvrage que T e r t u 1 1 i e n écrivit ,
de l'an 200 à 202, sous le titre d'Apologétique mérite une
mention spéciale.
Les Allemands dé.signent aussi sous lé nom d'apologé^
tique la partie de la théologie qui cherche à donner la preuve
i>7
690
APOLOGIE
de Tcssence divine du christianisme, abstraction faite des
discussions qui séparent les sectes. On cite parmi les apolo-
gistes modernes HiigoGrotius,Less, Nœsselt, Reinhard, Ro-
senmuUer et Spalding ; Chateaubriand et Frayssinous peu-
vent encore être rangés parmi eux.
APOLOGUE. La distinction entre ce mot et celui de
fable est assez difficile à établir. Cela tient à ce que le mot
fable a deux sens bien différents : l'un général, qui lui donne
l'apologue pour genre; l'autre restreint, qui ne fait plus de
la fable qu'une espèce d'apologue.
D'abord on appelle /a6/e toute fiction qui donne un corps
à la pensée et des formes sensibles à des objets immatériels.
En ce sens l'apologue n'est qu'un genre de la fable; et ce qui
le caractérise surtout, c'est d'avoir pour but de corriger les
mœurs et les hommes. « La fable, dit JL Tissot, comme le
prouveraient cent exemples empruntés aux diverses mytho-
logies, peut n'ôtre qu'une agréable supposition, un mensonge
absurde, ou un tableau contagieux ; l'apologue, ou riant ou
sévère, repose toujours sur le bon sens , et ne peut jamais
corrompre ni les yeux, ni l'esprit, ni le cœur. La fable n'est
souvent qu'une scène décrite par un peintre; l'apologue est
une œuvre dramatique , une comédie en abrégé, une satire
en action, mais sans fiel, sans humeur, sans cette véhémence
passionnée qui donne à la raison l'air de la colère. «
Dans un autre sens, fable s'entend d'une petite composi-
tion ordinairement versifiée, ayant pour but d'amuser et
d'instruire, particulièrement les enfants. Ce n'est plus alors
qu'une variété de l'apologue, et ce dernier nom peut s'appli-
quer en outre à toute composition allégorique placée inci-
demment dans un discours ou dans une œuvre littéraire,
dans le but de corriger les hommes ou de les ramener à leur
devoir. Ainsi on dira qu'il y a des apologues dans la Bible,
on citera les apologues du Nouveau Testament, on fera re-
marquer que de grands orateurs sèment leurs discours d'a-
pologues ; et l'on donnera le nom de fables aux apologues
de Bidpaï, de Lokman, d'Ésope, de Phèdre , de La Fontaine
et de leurs imitateurs. Pour nous faire mieux comprendre ,
nous dirons que la querelle des Membres et de l'Estomac,
apologue dans la bouche de !\Ienenius Agrippa, devient une
fable sous la plume de La Fontaine. Enfin apologue est un
terme plus recherché, et s'applique à des objets plus relevés.
Féraud ne regarde comme des fables que celles où l'on
fait parler des animaux ou des objets inanimés ; l'apologue,
suivant lui, met enjeu les hommes, les anges et les dieux!
Aussi soutient-il que plusieurs des fables de La Fontaine sont
des apologues. Quoi qu'il en soit, La Fontaine emploie souvent
ces deux mots l'un pour l'autre, et la supériorité avec la-
quelle il traite tous les sujets, qu'il emprunte aux sources
les plus diverses, mais qu'il formule dans le même moule,
semble effacer toute distinction entre ces deux genres de
compositions.
Toujours est-il que le grand fabuliste se faisait une haute
idée du genre quil avait créé : « Qu'y a-t-il de recomman-
dable dans les productions de l'esprit, dit-il, qui ne se trouve
dans l'apologue? C'est quelque chose de si divin, que plu-
sieurs personnages de l'antiquité ont attribué la plus grande
partie de ses fables à Socraîe ; choisissant pour lui servir
de père celui des mortels qui avait le plus de communi-
cation avec les dieux. Je ne sais comme ils n'ont point fait
descendre du ciel ces mômes fables , et comme ils ne leur
ont point assigné un (heu qui en eût la direction, ainsi qu'à
la poésie et à l'éloquence. Ce que je dis n'est pas tout à
f;iit sans fondement, puisque, s'il m'est permis de mêler ce
que nous avons de plus sacré aux erreurs du paganisme,
nous voyons que la véritéparle aux hommes par paraboles;
et la parabole est-elle autre chose qr.e l'apologue, c'est-à-
dire un exemple fabuleux, qui s'insinue avec d'autant plus
de facilité et d'effet qu'il est plus commun et plus familier?
Qui ne nous proposerait à imiter que les maîtres de la sa-
gesse nous fournirait une excuse : il n'y en a point quand
- APOPHYSE
des abeilles et des fourmis sont capables de cela même qu'on
nous demande. »
Et ailleurs l'ingénieux poëte ajoute :
L'apologue est un don qui vient des immortels.
Ou si c'est un présent des hommes.
Quiconque nous l'a fait mérite des autels.
Nous devons tous tant que nous sommes
Ériger en divinité
Le sage par qui fut ce bel art inventé.
C'est proprement un charme; il rend l'ânae attentive,
Ou plutôt il la tient captive.
Nous altachant à des récils
Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits.
Phèdre, qui avait été esclave, attribue l'Invention de l'a-
pologue à l'esclavage, forcé d'avoir recours à une allégorie
pour se faire entendre. Dans d'autres cas, c'est plutôt une
création du génie de l'homme, qui vient au secours de l'in-
telligence bornée de ses semblables et lui fait mieux saisir
une vérité essentielle au moyen d'iuie image frappante. En
tout cas, pour nous servir encore des expressions de M. Tis-
sot, « l'apologue est depuis des siècles en possession de
dire de bonnes vérités aux maîtres de la terre ; les livres
saints nous fournissent, pour preuve de celte observation,
un assez grand nombre d'apologues , où les prophètes , les
prêtres et d'autres hommes, inspirés tout à coup par un pro-
fond sentiment, ménagent peu les maîtres de la terre. La
Bible a des hardiesses qne Ton ne nous pardonnerait pas
aujourd'hui. Jésus, soit en parlant aux hommes grossiers qu'il
voulait transformer en disciples immortels de sa doctrine,
soit en s'adressant lui-même au peuple répandu sur son
passage, couvre les choses qu'il veut enseigner du voile trans-
parent de l'apologue ou de la parabole ; mais il revêt la vé-
rité de formes si sensibles , que les plus simples la recon-
naissent d'abord. Ses entretiens sont aussi des leçons et des
exemples du ton facile et naïf, de la bienveillance ingénue,
de la patience pleine de grâce avec lesquels il faut aborder
le cœur des hommes quand on veut les amener au bien. «
APONÉVROSE (du grec àuô, et de vsOpov, nerf). On
appelle ainsi des lames de tissus fibreux qui servent d'enve-
loppes aux membres, de gaînes aux muscles, aux nerfs, aux
vaisseaux. La texture des aponévroses tient le milieu entre
le tissu cellulaire et les tendons ; elles sont formées de fibres
entre-croisées et nacrées. La plupart des anatomistes mo-
dernes admettent deux sortes d'aponévroses, iQsfascias et les
aponévroses proprement chtes. On distingue encore un fas-
cia sxiperficiel et un fascia profond. Le premier s'étendrait
à toute la surface du corps , bien qu'en n'étant reconnais-
.sable qu'à l'abdomen; le second tapisserait toutes les cavités.
Les aponévroses proprement dites ont tant de rapports et de
points de contact avec les fascias , qu'on peut concevoir le
système aponévrotique comme ne formant qu'un système
unique. Les aponévroses étant peu extensibles résistent au
gonllement des muscles et des autres organes qu'elles enve-
loppent, lorsque ceux-ci viennent à s'enfiammer. 11 en ré-
sulte un étranglement qui peut produire la gangrène; aussi
est-on obligé souvent de débrider par un coup de bistouri
certaines plaies, comme celles produites par les armes à feu.
APOPHTHEGME (du grec à^nôjOsYiAa, sentence).
On a donné ce nom à des sentences courtes et brèves lais-
sées par des hommes de mérite et de savoir ; tels sont les
apophthegmes tirés de Plutarque et de Diogène Laerce. On
aies apophthegmes des sept sages de la Grèce, les apophtheg-
mes de Scipion , de Caton , etc. Les proverbes de Salomon
sont de véritables apophthegmes.
APOPHYSE (du grec àTïo;;joaai, je nais de ). Cest
en anatomie le nom générique des émincnces naturelles
que présentent les os. On les distingue par des épithètes qui
caractérisent leur fomie, qui indiquent leur usage, ou qui
rappellent le nom de l'anatomistc qui les signala le premier.
C'est ainsi qu'on dit : apophyse coracoïde (en bec de cor-
APOPHYSK - APOPLEXIE
G91
beau); apophyse trochanter, ou simplement trochantcr
(qui fait tourner), etc. Dans les jeunes sujets les apophyses
qui ne sont pas encore complètement ossifiées re(,oiveut le
nom à'épiphgses.
En cryptogamie Yapophyse est un renflement que cer-
taines mousses présentent au bas et un peu au-dessous de la
capsule.
APOPLEXIE ( du grec ànoTilriaau , je frappe ). C'est
une maladie du cerveau caractérisée par une par al y si e
soudaine, spontanée, plus ou mouis complète, plus ou moins
étendue et plus ou moins durable, du sentiment et du mou-
vement, dans une ou plusieurs parties du corps. L'apoplexie
débute ordinairement d'une manière brusque, instantanée,
et il est rare d'observer des symptômes précurseurs, qui sont
du reste très-variables. Les progrès en sont pre«que tou-
jours rapides : en peu d'instants elle arrive à son plus haut
degré d'intensité; quelquefois pourtant elle marche avec un
peu moins de promptitude. Elle est toujours accompagnée
d'un trouble quelconque du sentiment et d'une paralysie
plus ou moins complète, qui dans quelques cas exception-
nels peut être compliquée de mouvement convulsif. Le pre-
mier de ces symptômes présente une foule de degrés inter-
médiaires, depuis un léger étourdissemenl jusqu'à laslupeur
la plus profonde. La paralysie, dont les degrés sont au moins
aussi variables, atteint quelquefois d'une manière légère un
seul organe de la vie animale : souvent elle en frappe plu-
sieurs avec une plus grande intensité; enfin ils peuvent,
dans des attaques tros-graves, être presque tous h la fois
privés de la motilité volontaire.
Lorsque la maladie doit avoir une terminaison heureuse,
on observe une diminution lente et graduelle des symp-
tômes, et la perte de connaissance, si elle a été complète, est
alors le premier accident qui se dissipe. Les malades revien-
nent à eux ordinairement depuis le premier jour jusqu'au
quatrième et au sixième, bien qu'ils conservent encore un peu
d'étonnement , assez souvent accompagné de douleur ou
<io pesanteur de tête. Quand l'amélioration n'est pas franche,
ils ont des intervalles de délire, surtout la nuit. La para-
lysie ne se dissipe pas aussi vite ; rarement elle est guérie
complètement avant deux ou trois mois, et encore n'observe-
t-on cette terminaison prompte que chez les jeunes sujets :
tandis que presque toutes les personnes au-dessus de qua-
rante ans conservent une faiblesse plus ou moins grande
<'.es membres affectés, à laquelle se joignent im sentiment
d'engourdissement et une obtusion remarquable du tact.
D'autres malades, qui ne succombent pas, restent paralytiques
toute leur vie , et tombent souvent dans un état d'eniance et
d'itliotie.
C'est dans les cas ainsi prolongés qu'on voit les mem-
bres paralysés s'atrophier et présenter une coloration toute
{«rticulière. La disparition de la paralysie est subordonnée
à la disparition de la lésion cérébrale. Quand un/oyer apo-
plectique ( on appelle ainsi la cavité que le sang forme
dans le tissu nerveux lorsqu'il s'y épanche) a déchiré une
partie du cerveau, il produit un désordre irréparable , qui
entretient des paralysies qu'on ne peut guérir. Lorsque les
symptômes apoplectiques suivent une marche progressive-
ment croissante, la mort arrive ordinairement avant le hui-
tième jour. De nombreuses autopsies ont prouvé que le
sang épanché provenait des artères : ainsi chez les vieil-
lards, qui présentent souvent des ossifications de ces vais-
seaux, on a observé des déchirures de ces canaux d'où le
sang s'était échappé : le sang épanché varie en quantité, de-
puis quelques gouttes jusqu'à huit onces.
On divise les causes de l'apoplexie en prédisposantes et
en efficientes ; parmi les causes prédisposantes on range
l'âge de quarante à soixante ans, une constitution sanguine,
une tète volumineuse, la brièveté du cou, l'iiérédité, l'obésité,
le volume du cœur, le trouble de la circulation , et le sexe
masculin : l'ivrognerie, les travaux de l'esprit et les cha-
grins violents prédisposent à l'hémorrliagie cérébrale. Lea
causes efficientes de l'apoplexie sont les efforts de la drfé-
cation, l'indigestion survenant pendant que le corps est
plongé dans un bain, le coït, la joie, la terreur, la colère, la
grossesse, les efforts de l'accouchement, l'épilepsie, les con-
vulsions et l'étonnement ; dans ces différentes circonstances,
il y a ime stase plus ou moins considérable dans les vais-
seaux cérébraux, stase qui favorise leur rupture et la pro-
duction d'un énanchement. L'apoplexie, du reste, peut être
compliquée d'altérations dans les différents organes de l'é-
conomie, et surtout de l'inflammation du tissu cérébral , et
d'un épanchement séreux dans les ventricules du cerveau,
du ramollissement de ces organes, etc.
La promptitude avec laquelle les symptômes se dissipent,
et surtout cette particularité de ne jamais produire de para-
lysie prolongée distinguent le coup de sang de l'apoplexie.
Il est impossible de dire dans les premiers moments
quelle est la gravité d'une attaque d'apoplexie ; si plusieurs
jours se passent sans que les symptômes s'amendent, on
doit craindre la lésion d'un point important de l'encéphale,
et par cela même une terminaison funeste. Quand , au
contraire , on voit le mouvement et la sensibilité , d'abord
abolis , renaître peu à peu, il ne faut pas désespérer. Pré-
venir les fluxions sanguines vers le cerveau , voilà le traite-
ment préservatif; favoriser l'absorption du sang épanché,
voilà le traitement curatif ; éloigner du malade par un ré-
gime sévère toutes les causes éloignées ou prochaines de
l'apoplexie ; stimuler par tous les moyens possibles la sen-
sibilité dans les membres paralysés, voilà le traitement con-
sécutif. Les moyens préservatifs consistent particulièrement
dans l'observation rigoureuse de l'hygiène et dans l'emploi
de la saignée , des sangsues à l'anus et des purgatifs chez
les individus obèses , pléthoriques , sujets aux étourdisse-
ments. Dans le traitement curatif, on doit débarrasser le
malade de tous les vêtements qui pourraient mettre obs-
tacle à la circulation du sang , tels que corset , cravate , ha-
bits, etc. : il doit être couché dans unlieu d'une température
douce; on ne doit pas le surcharger de couvertures, et son
corps sera placé de manière à présenter un plan incliné
dont la tête sera le point le plus élevé. On pratique de suite
une saignée générale, d'abord à lasaphène, puis aux veines
du pli du bras , et ensuite aux jugulaires et aux veines oc-
cipitales : quelle que soit, au reste, la saignée à laquelle
on donne la préférence, on conseille généralement de ne
pas pratiquer au delà de quatre saignées de trois palettes
chacune (12 onces). La quantité de sang tirée par la veine
doit d'ailleurs être subordonnée à l'âge, au sexe et à la
force du sujet. Pendant l'emploi de ce moyen on a recours
aux réfrigérants appliqués sur la tête, et on place des corps
chauds aux pieds. Pour empêcher l'hémorrhagie d'aug-
menter, et après avoir continué l'emploi des moyens dont
il vient d'être question, on remplace les saignées générales
par l'application d'un certain nombre de sangsues derrière
les apophyses mastoïdes, ou mieux encore aux parties infé-
rieures, à l'anus, toutes les fois que la face et les con-
jonctives restent injectées et que le malade a de la propen-
sion à l'assoupissement : on applique en même temps sur
la tête des compresses imbibées d'eau froide et souvent re-
nouvelées, ou une vessie à demi remplie de glace concassée.
A ces moyens on ajoute de doux minoratifs, des lavements
légèrement purgatifs, pour tenir le ventre libre et établir une
dérivation sur les intestins , et on donne pour boisson quel-
ques tisanes délayantes et adoucissantes ; le malade doit être
soustrait à l'influence de la lumière, au bruit et à tout ce qui
peut exciter les organes des sens et de l'intelligence. 11 n'est
pas en la puissance du médecin de liûter la cicatrisation
du foyer apoplectique, et c'est un travail réparateur dont
la nature .se réserve le soin. Une vie calme et une hygiène
bien entendue secondent les efforts de la nature. On a préco-
ni.sé tour à tour l'électricité, le galvanisme, la strychnine, etc..
692
APOPLEXIE — APOSTOLAT
pour rendre le mouvement aux organes paralysés ; malheureu-
sement la substance cérébrale ne se répare pas, et il reste
toujours une trace plus ou moins profonde de sa déchirure ;
aussi la paralysie apoplectique disparait-ellc rarement d'une
manière complète. Les meilleurs médecins conseillent d'agir
contre la paralysie surtout avec les frictions, les douches ,
les purgatifs drastiques pris de loin en loin, et toute occu-
pation intellectuelle doit être interdite. Les malades doivent
prendre des aliments doux , peu substantiels , un exercice
communiqué ou spontané qui ne doit pas aller jusqu'à la
fatigue, et avoir soin de tenir la tète très-élevée au lit;
une petite saignée, des sang^^ues à l'anus de temps en temps,
surtout au renouvellement des saisons, et les cxutoircs, pa-
raissent être des précautions très-utiles.
On a encore donné le nom d'apoplexie à l'iiémorrhagie du
cer\'elet, des pédoncules cérébraux, du mésocéphale et de la
moelle épinière. L'hémorrhagie du cervelet est très-rare, et
présente des symptômes semblables à ceux d'une apoplexie
cérébrale. L'apoplex.k; des pédoncules n'a point été observée
isolée et indépendante d'autres lésions cérébrales , non plus
que celles du mésocéphale ou bulbe rachidien. Quanta l'apo-
plexie de la moelle éjiinière, on n'en connaît dans la science
que deux ou trois observations; elle se distingue de l'apo-
plexie cérébrale par son défaut d'instantanéiU'. Pour ce qui
concerne l'apoplexie dite des nouveau-nés, elle a pour cause
les accouchements longs et pénibles , et surtout la pléthore
sanguine; tant qu'il n'y a qu'une simple congestion céré-
brale , cet état est peu grave ; il est mortel quand il y a
épanchement de sang dans la substance cérébrale : la
première indication à remplir alors est de couper prompte-
ment le cordon ombilical et de laisser écouler une certaine
quantité de sang; et si ce moyen ne réussit pas, il faut avoir
recours à l'insufllalion du poumon faite de préférence avec
le tube laryngien deChaussier, et à l'action de douces frictions
chaudes sur la région du cœur. D' Alex. Ducrett.
APORÉTIQUES ( d'à-opr,Tixô; , incertain , qui aime
à douter, qui e;Nt indécis, irrésolu). Voijez Sceptiques.
APOSIOPÈSE (du grec à-oatwTTâto , je me tais, je
passe sous silence ) , terme de poétique et de rhétorique ,
synonyme de réticence ou ellipse, qui consiste à inter-
rompre le sens d'une phrase à dessein ou par l'effet d'une
extrême agitation : par exemple, le quos ego de Neptune
dans Virgile. Le lecteur ou l'auditeur est chargé de sup-
pléer au sens véritable, en le complétant dans sa pensée.
APOSTASIE, APOSTAT ( d'àTtocTaaîa, ré\'olte, aban-
don du parti qu'on suivait pour en prendre un autre ) , mot
formé du grec à:iô, ab, contra, et de t'7Tr,[jLi, être debout, se
tenir ferme, c'est-à-dire résister au parti qu'on avait suivi,
embrasser une opinion contraire à celle qu'on avait tenue :
de là les Latins ont fait apostare, mépriser ou violer n'im-
porte quoi. C'est en ce sens qu'on lit dans les lois d'Edouard
le Confesseur : « Qui legcs apostabit terrx sutc, reus sit
apud regem. » Apostasie se dit plus particulièrement de
l'abandon qu'une personne fait du christianisme pour em-
brasser une autre religion : telle fut l'action de l'empereur
Julien.
On emploie quelquefois renégat pour apostat; ces
mots ne sont pas pourtant synonymes; le second dit bien
plus que le premier. Le renégat est l'homme qui renie ou
quia renié; l'apostat est l'homme qui persiste dans sa re-
négation. Saint Pierre , qui après avoir renié trois fois son
maître se repentit au chant du coq , n'est pas un apostat.
Pour être réellement renégat ou apostat, il faut avoir cru,
ou du moins ayoir cru croire à la religion qu'on abjure ; il
faut l'avoir volontairement pratiquée. Ace compte, bien des
gens ont été très-injurieusement gratifiés de ces épitliètes,
dont nous autres bons catholiques sommes quelquefois un
peu trop prodigues.
Julien, dit V Apostat, ne fut point un apostat. Très à
plaindre sans doute, puisque les lumières de la foi ne l'avaient
pas éclairé, il n'avait été chrétien que de nom et par la vo-
lonté impériale de son oncle. De peur qu'il ne devînt un
héros, on en voulait faire un moine. La violence dont Cons-
tance avait usé envers lui n'était guère propre à lui faire
aimer une religion qui, pour être celle de l'empereur, n'était
pas celle de l'empire. La religion de l'ernpire est la seule
que Julien ait embrassée librement et volontairement prati-
quée. Plaignons sincèrement ce philosophe de n'avoir pas
plus été chrétien que Marc-Aurèle , ce qui lui suffit pour
être damné ; mais ne l'accusons pas , pour le déshonorer,
d'avoir été apostat.
Renégat, apostat, se disent aussi d'un moine qui a dé-
serté le cloître, et d'un prêtre qui s'est parjuré par des actes
interdits au caractère sacerdotal.
Ces noms de renégat et d'apostat s'appliquent de droit,
et non par extension, quoi qu'en dise le Dictionnaire de
l'Académie, aux personnes qui violent certains engagements
d'honneur : expression juste en tous les cas, car l'hon-
neur aussi est une religion ; et dans cette dernière accep-
tion , que de renégats , que d'apostats , surtout en politique !
Cest bien un renégat, c'est bien un apostat, ce déserteur
infatigable de tout parti malheureux, ce courtisan de la For-
tune, qui, fidèle à elle seule, toujours prêt à trahir ceux
qu'il sert, se vendant sans cesse, ne se livrant jamais, trouve
dans chaque révolution une occasion d'avancement, et
compte par le nombre des malheurs publics celui de ses per-
fidies et de ses prospérités.
U est c«rtains apostats qui néanmoins excitent moins
d'horreur que de pitié, et auxquels il n'a manqué que d'être
braves pour être toujours honnêtes. Souvenons-nous que les
Romains sacrifiaient à la Peur. Ils sacrifia'ent aussi à la For-
tune, autre genrede dévotion, qui en politique produit encore
bon nombre d'apostats. ArNAULT, de l'Acad. Française.
APOSTÈME ou APOSTmiE ( du grec àTtoàTr.jia ) ;
ce mot est synonyme d'abcès.
A POSTERl'ORÏ. Voyez A priori.
APOSTILLE (du latin apponere, ajouter), annotation
ou renvoi qu'on fait à la marge d'un écrit pour le commenter,
le critiquer, l'éclaircir. En termes de palais, ce sont les notes
que les arbitres mettent à la marge d'un mémoire ou d'un
compte. — Dans le langage du notariat, l'apostille est une
addition , un renvoi qu'on fait à la marge d'un acte. Toute
apostille doit être signée et parafée tant par les notaires
que par les autres signataires, à peine de nullité.
Vapostille est encore une recommandation mise à la
marge d'une pétition , et c'est dans ce sens que ce mot
s'emploie aujourd'hui le plus fréquemment.
L'abus des apos-tilles et des recommamlations devint une
plaie du gouvernement représentatif. L'administration ne
savait plus auquel entendre : comment refuser en effet aux
sollicitations de ceux qui par leurs votes tiennent votre
sort dans leurs mains? Après la révolution de Février, nos
assemblées interdirent à leurs membres toute recommanda-
tion bu apostille. Il n'en saurait être de même aujourd'hui.
APOSTOLAT, dignité ou ministère d'apôtre, .ancien-
nement l'épiscopat, en général, était appelé apostolat :
c'était le titre honoraire ; on le trouve encore attribué aux
évêqnes dans le sixième et le septième siècle. Depuis, on ne
l'a plus donné qu'au souverain pontife.
Tout l'apostolat est dans ces paroles que Jésus-Christ
adressa aux apôtres avant son ascension : « Toute puissance
m'a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc et
instruisez tous les peuples, les bapti.sant au nom du Père,
du Fils et du Saint-Esprit , et leur apprenant à garder toutes
les choses que je vous ai commandées. Assure/.-vous que je
suis toujours avec vous jusqu'à la consommation des siècles, v
( Saint Malth. )
L'apostolat prend donc sa source dans la mission donnée
par Jésus-Christ et dans les pouvoirs qui y sont attachés.
C'est en vertu de ce titre que saint Pierre dit aux anciens
APOSTOLAT — APOSTROPHE
de l'Église : « Paissez le troupeau de Dieu qui est autour
de > ous , non pas en dominant le clergé , mois en lui ser-
vant de modèles, et vous recevrez la couronne de gloire quand
le prince des pasteurs paraîtra " (epilre l" ) ; et que saint
Paul écrit aux Corinthiens : « Que l'homme nous regarde
comme les ministres de J.-C. et les dispensateurs des mys-
tères de Dieu! « (épître 1"^).
Le but de l'apostolat était principalement de rendre té-
moignage de tout ce qui s'était passé en sa présence , con-
formément à ces paroles : • Vous me servirez de témoins ! »
Ce témoignage était accompagné de signes et de miracles ;
il devait entbi être solennel et public : • Annoncez sur les
toits ce que vous entendez à l'oreille ! «
APOSTOLLXS. C'étaient des religieux dont l'ordre
prit naissance au (Quatorzième siècle , à Milan , et sur d'au-
tres points de l'Italie. Leur nom leur venait de ce qu'ils
faisaient profession d'imiter la vie des apôtres et celle des
premiers lidèles.
APOSTOLIQUE, tout ce qui vient des apôtres ou y a
rapport. On appelle écrits apvsùoUques ceux qui ont été
composés par les apôtres; l'Église chrétienne primitive se
nommait Eglise apostolique, parce que les apôtres la diri-
geaient et que l'esprit des apiXres continuait à l'animer.
Ainsi le siège romain a été surnommé siège apostolique
parce que l'apôtre saint Pierre l'a fondé. — On appelle à
Rome chambre apostolique l'autorité chargée de l'admi-
nistration des revenus du pape. — La bénédiction aposto-
lique est celle que distribue le pape en qualité de successeur
de saint PieiTe. — Le Symbole apostolique est un résumé
sommaire de la religion chrétienne; il porte ce nom parce
que l'enseignement des apôtres y est contenu en trois arti-
cles {voyez Symbole).
Selon TertuUien , la mission des pasteurs , pour être lé-
gitime , doit venir des apôtres par une succession non in-
terrompue; toute mission qui ne vient pas d'eux ne peut
venir de Jésus-Christ, ne peut donner aucune autorité,
aucun pouvoir. Le titre à^apostoUque est donc un des ca-
ractères distinctifs de la véritable Église, parce qu'elle fait
profession d'être attachée à la doctrine des apôtres , et que
ses pasteurs, par une succession constante, tiennent leur
mission de ces premiers envoyés de Jésus-Christ. Dans la
primitive Église, on nomma apostoliques les églises qui
avaient été fondées par les apôtres et les évéques de ces
églises , parce qu'ils étaient successeurs des apôtres ; le nombre
se bornait à quatre , Rome , Alexandrie , Antioche et Jéru-
salem , les seules qui eussent eu des apôtres pour évéques.
Dans la suite, les autres égHses prirent le titre à'apostoli-
92<e5, mais seulement à cause de la conformité de leur doc-
trine avec celle des églises qui étaient apostoliques par leur
fondation , et parce que tous les évéques se disaient succes-
seurs des apôtres.
On nomme enfm Pères apostoliques les disciples immé-
diats des apôtres qui ont laissé des écrits. Ce sont Barnabe,
Clément de Rome, Ignace d'Antioche et Polycarpe de
Smyrnc. Quant à Papias d'IIiérapolis et à l'auteur du Pas-
teur , le prétendu Hermias dont il est question dans l'Épîtrc
aux Romains, il n'est pas bien prouvé qu'ils aient été dis-
ciples des apôtres. Les écrits des Pères apostoliques , bien
qu'inférieurs à ceux des apôtres en ce qui est de l'esprit ,
peuvent en être considérés comme la suite pour la forme et
le contenu. Au point de vue dogmatique , leur doctrine est
simple , mais vague, et se borne à prêcher la foi et la pu-
rification avant que Jésus-Christ apparaisse de nouveau sur
la terre. La meilleure collection complète que nous en
ayons est celle de Cotéher{2 vol., Paris, 1672, et Ams-
terdam, 1720).
Les rois de Hongrie se sont appelés rois apostoliques en
vertu d'un bref adressé en'l'an 1000 au duc Etienne I" de
Hongrie, par le pape .Sylvestre II, qui lui conférait le litre
de roi apostolique, pour le récompenser non -seulement
C93
d'avoir propagé et favorisé la religion chrétienne dans ses
Liais, mais encore de l'avoir prêclue lui-même à ses su-
jets, à l'instar des apôtres. — Le pape Clément XI M renou-
vela le souvenir de cet événement en accordant en 1758 à
l'impératrice Marie-Thérèse et à ses descendants le titre de
Majesté apostolique, que les empereurs d'Allemagne, et
ensuite ceux d'Autriche, ont toujours pris et reçu depuis
lors dans tous les protocoles diplomatiques.
Certains hérétiques du Périgord prirent aussi, vers le
douzième siècle, la dénomination d'apostoliques. Ils étaient
contemporains des vaudois, des patarins, des albigeois , et
marchaient sous la conduite d'un certain Ponce ou Pontius.
Ils renouvelaient les erreurs des apostoliques du onzième
siècle, qui s'étaient éteints en Cilicie faute de persécution.
Les apostoliques périgourdins proscrivaient le mariage,
soutenaient que la femme étant faite pour l'homme , il n'é-
tait besoin d'autre cérémonie pour leur donner le droit de
vivre ensemble ; et ils allaient pèle-môle, criant que l'Église
résidait en eux, niant la nécessité du baptême, le purga-
toire, condamnant la communion, la messe et le culte des
saints. Ils marchaient pieds nus, ne faisaient usage ni de
vin ni de viande, refusaient l'argent, et se mettaient à
genoux sept fois par jour pour prier. Les prédications de
saint Bernard n'ayant point converti ces gens ignorants et
grossiers, qui prétendaient vivre comme les apôtres, on fit
des croisades, on leva des armées pour les détruire , et ils
souffrirent tous les genres de tortures avec un courage
digne d'une meilleure cause. Un siècle après, en 1246, Gé-
rard Segarelli ou Sagarelli , de Parme, renouvela cette secte
en Itahe {voyez Apôtres [Ordre des] ).
En Espagne on a longtemps donné le nom d'apostolique
à un parti composé d'hommes opposés aux progrès el à la
liberté , également attachés en politique aux vieux abu^ et
en religion aux vieilles superstitions. Aux yeux de ces ul-
tra-royalistes exclusifs, de ces contre-révolutionnaires purs,
le roi Ferdinand VU lui-même, bien qu'il eût à deux re-
prises violé les serments qui le liaient à la constitution des
cortès, était suspect de libéralisme. Le frère de ce monarque,
don Carlos, qui mit un jour ses partisans sous la direction
de la Vierge, avait les sympathies et les vœux de cette faction
anti-nationale , qui a fait tant de mal à l'Espagne et y rêve
toujours la restauration d'el re netto et de l'inquisition. La
seule modification qu'ait subie ce parti , c'est dans sa dési-
gnation ; maintenant la dénomination d^ carliste lui est plus
généralement attribuée que celle d'apostolique.
APOSTOOL. Voyez Anabaptistes.
APOSTROPHE ( Rhétorique), du grec ànoorpÉ^w, je
tourne. C'est une ligure dans laquelle l'orateur interrompt
le discours qu'il tenait pour s'adresser avec un mouvement
pathétique à l'Être suprême, aux dieux, aux vivants et aux
morts, ou même à des choses inanimées.
Les livres saints sont remplis d'apostrophes du plus grand
effet : Ézéchiel apostrophe ainsi le glaive : « O épée venge-
resse, sors de ton fourreau pour briller aux yeux des cou-
pables et pour leur percer le cœur. » Les grands orateurs
de l'antiquité ont employé cette figure avec bonheur. On cite
encore celle de Démosthène aux Grecs morts pour la pa-
trie dans les champs de Marathon, et celle de Cicéron s'a-
dressant à tous les citoyens illustres de Rome pour les in-
téresser à Milon, qui avait tué Clodius, l'ennemi de la
république. On trouve encore de remarquables exemples
d'apostrophes dans tous nos grands écrivains. Bossuet s'é-
crie dans l'oraison funèbre de la duchesse d'Orléans : « O
mort, éloigne-toi de notre pensée, et laisse-nous tromper la
violence de notre douleur par le souvenir de notre joie. »
Racine fait dire à Andromaque :
O cendres d'un époux! ô Trovens ! o mon père !
O aion fils! que les jours coùlcat riicr à ta mère!
L'apostrophe est une des figures les plus hardies el en
APOSTROPHE — APOTHÉOSE
Û94
même temps les plus éloquentes quand c'est la passion
même qui l'inspire. Elle revêt toutes les formes et se prêle
à toutes les émotions, à l'attendrissement et à la joie comme
à la douleur et à la colère; elle ne redoute que l'exagéra-
tion et le mensonge, car elle n'est plus alors qu'une ridicule
déclamation.
APOSTROPHE {Grammaire). C'est un signe (') qui
marque le retranchement d'une voyelle à la fm d'un mot,
pour la facilité de la prononciation, quand le mot suivant
commence par une voyelle. Dans l'écriture on ne marque
l'élision de l'e muet par l'apostrophe que dans les mono-
syllabes je, me, te, se, le, ce, que, de, ne, et quelquefois
dans les raots;u5gue et quoique. L'apostrophe ne remplace
l'a que dans l'article et le pronom la , conune je Ventends
pour;e la entends, l'église, Vdme. L'ine se perd que dans
la conjonction si devant le pronom masculin, tant au singu-
lier qu'au pluriel : s'il vient, s'ils viennent. On dit si elles
viennent.
APOTACTITES, APOTACTIQUES ou RENONÇANTS
(du giec àiîOTàxxiTai, composé d'ino et TaxTO), je renonce ).
C'est le nom d'une secte d'anciens hérétiques qui renon-
çaient h. tous leurs biens , et voulaient imposer à tous les
chrétiens l'obligation de les imiter, pour suivre l'exemple
des apôtres et des premiers fidèles {voyez Apôtres et
Apostoliques). 11 ne parait pas qu'ils aient donné lieu à au-
cune erreur tant que dura leur premier état; quelques écri-
vains ecclésiastiques nous assurent qu'ils eurent des martyrs
et des vierges au quatrième siècle, durant la persécution de
Diocictien. Plus tard ils tombèrent dans l'hérésie des en-
cratites, d'où la G" loi du Code tliéodosien prend occasion
de les unir aux eunomiens et aux ariens.
APOTHÈME (du grec kno, de, et TiOriat, je pose). En
géométrie ce mot désigne la perpendiculaire menée du centre
d'un polygone régulier sur l'un de ses côtés. C'est le rayon
du cercle inscrit à ce polygone.
APOTHÉOSE (du grec ànoôseiv, déifier). C'est l'ac-
tion de déifier ou de placer un homme au rang des dieux.
L'apothéose était fondée chez les anciens sur l'opinion reli-
gieuse que les hommes illustres étaient admis au ciel après
leur mort ; c'était un dogme que Pythagore avait puisé chez
les Chaldéens. Cette cérémonie remonte à la plus haute an-
tiquité, et il est très-probable que les dieux les plus célèbres
de la Grèce ne sont que des hommes divinisés. Les apo-
théoses les plus célèbres de la Grèce furent celles de Bra-
sidas, général lacédémonien, et d'Éphestion, ami d'Alexandi-e.
Hérodien, au commencement du livre IV de son Histoire,
en parlant de celle de Sévère, fait une description exacte et
curieuse des cérémonies qui s'observaient dans les apo-
théoses des empereurs. Voici ce qu'il en dit : « Après que
le corps du défunt avait été brûlé avec les solennités ordi-
naires, on mettait dans le ves^tibule du palais, sur un grand
lit d'ivoire, couvert de drap d'or, une image de cire qui le
représentait parfaitement, mais à laciuelle on donnaitnéan-
moins un air de langueur et de maladie. Pendant presque
tout le'jour le sénat se tenait rangé et assis au côté gauche
du lit avec des robes de deuil. Les dames les plus élevées
par la qualité étaient au côté droit, vêtues de robes blanches,
toutes shnples et sans ornements. Cela durait sept jours de
suite, pendant lesquels les médecins, s'approchant de temps
en temps du lit pour considérer le malade, dressaient en
quelque sorte le bulletin de sa santé , jusqu'au moment où
ils venaient déclarer au peuple que l'empereur avait cessé
de vivre. Alors de jeunes chevaliers romains et d'autres
jeunes seigneurs du premier rang chargeaient sur leurs
épaules ce lit de parade, et, passant par la rue Sacrée ( via
Sacra ) , ils le portaient au vieux marché, où les magistrats
avaient coutume de se démettre de leurs charges. Là , il
était placé entre deux espèces d'amphithéâtres, et l'on chan-
tait alentour des hymnes composés en l'hoimcur du dé-
funt sur des airs lugubres ; après quoi on portait le lit hors
de la ville, au Champ de Mars , au milieu duquel avait été
dressé un pavillon de bois, de forme carrée , rempli de
matières combustibles, revêtu de drap d'or et orné de fi-
gures d'ivoire et de diverses i>eintures. Au-dessus de cet
édifice, on en élevait plusieurs autres semblables au pre-
mier pour la forme et la décoration , mais plus petits , et
allant toujours en diminuant; on plaçait le lit de parade
dans le second de ces édifices, dont les portes restaient ou-
vertes , et on jetait tout alentour une grande quantité d'a-
romates , de parfums , de fruits et d'herbes odoriférantes.
Après quoi les chevaliers exécutaient alentour une caval-
cade à pas mesurés, et suivis de chariots dont les conduc-
teurs étaient revêtus de robes de pourpre , et portaient les
représentations ou les images des iilus grands capitaines ro-
mains ainsi que des plus illustres parents du défunt. Cette
cérémonie étant achevée, le nouvel empereur s'approchait du
catafalque avec une torche à la main, et en même temps on
y mettait le feu de tous côtés, en sorte que les aromates et les
autres matières combustibles prenaient tout d'un coup. On
lâchait aussitôt du faîte de cet édifice un aigle qui, montant
en l'air avec la flamme, allait porter au ciel l'âme de l'empe-
reur. Dès lors il était mis au rang des dieux. C'est de là que
les médailles qui représentent des apothéoses ont le plus
souvent un autel sur lequel il y a du feu, ou bien un aigle
qui prend son essor; quelquefois aussi il y a deux aigles;
quelquefois encore l'empereur y est représenté assis sur
l'aigle qui l'enlève au ciel. »
On se servait de l'aigle dans l'apothéose d'un homme, et
du paon dans celle d'une femme. Cette cérémonie cessa
d'être en usage quand le christianisme devint dominant.
On avait déifié d'abord les hommes vertueux , on déifia
plus tard les auteurs d'inventions et de découvertes utiles
à l'humanité, et ceux qui avaient rendu quelque éminent
service à l'État. Enfin les Romains déifièrent leurs empe-
reurs et leurs grands hommes. Le premier exemple en fut
donné en faveur de Romulus, le second en faveur de César.
La flatterie s'empara bientôt de cet usage religieux.
On peut citer nombre d'exemples de rois et d'empereurs
qui voulurent être divinisés de leur vivant. Alexandre en-
voya l'ordre à toutes les républiques de la Grèce de recon-
naître sa divinité ; à quoi les Lacédémouiens répondirent par
ce décret remarquable : Puisque Alexandre veut être
dieu , qu'il le soit.
Eusèbe , saint Jean Chrysostome et TertuUien nous ap-
prennent que Tibère proposa au sénat l'apothéose de Jésus-
Christ. Dans une des satires de Juvénal, Atlas se plaint de
ce que les apothéoses emplissent tellement le ciel, qu'il est
près de fléchir sous le poids. L'empereur Vcspasien, natu-
rellement railleur, quoiqu'à l'extrémité, dit, en plaisantant,
à ceux qui l'entouraient : « Je sens que je commence à de-
venir dieu. «
En Sicile on éleva un temple à Verres, et il exigea de
grosses sommes pour fournir aux frais des sacrifices qu'on
lui offrait. Caligula ne se contenta pas d'être dieu, il voulut
jouer tour à tour le rôle de tous les dieux, jusqu'à celui de
la déesse des amours, et il prit pour collègue dans son sacer-
doce son propre cheval, digne pontife d'un tel dieu. Cicé-
ron lui-même, dit-on, ne fut pas exempt de cette supersti-
tion; il parle, dans plusieurs de ses lettres à Atticus, du
temple qu'il veut élever à sa chère Tullia ; mais nous pen-
sons qu'il ne faut pas prendre sérieusement ce vœu, et qu'il
n'est question ici que d'une métaphore commune à tous les
poêles et à tous les amants. Ce culte, dans tous les cas, eût
été plus pur que celui d'Adrien mettant Antinous au rang
des dieux ; de Néron divinisant son singe et sa maîtresse
Poppée, après l'avoir tuée d'un coup de pied , et de Cara-
calla, qui, ayant assassiné son frère Géta, lui accorda les
mêmes honneurs, en prononçant ce cruel jeu de mots : Sit
divus, dùm non sit vivus; qu'il soit dieu, pourvu qu'il
soit mort.
APOTHEOSE — APOTRE
69i
APOTHEOSE {Glyptique, yuviismalique). Le^ mé- ,
dallles romaines représentent souvent l'apothéose des empe-
reurs : on y voit des pyramides à plusieurs étages et des ai-
gles s'envolant avec les ilines de ces princes décédés. Les
monuments les plus remarquables sur lesquels on voit des
apothéoses sont : l° celle d'Homère, bas-relief trouvé en 165S,
et qui fait partie du musée Ckmentin ; c'est l'œuvre d'Ar-
chelaùs de Priéne, célèbre sculpteur de l'antiquité ; suivant
le P. Kircher, elle lui aurait été commandée par l'empe-
reur Clnude , grand ami des lettres grecques , et surtout
des épopées d'Homère; 2° l'apothéose de Romulus, sur un
diptyque des comtes de Gherardesca, publié par Buonarroti
dans ses Observations sur les verres antiques ; 3° celle de
Jules César , sur une piene gravée du trésor de Brande-
bourg : 4" celle d'Auguste, le plus grand camée connu, con-
servé autrefois à la Sainte-Chapelle, et qui se trouve au-
jourd'hui aux médailles et antiques de la Bibliothèque Iitr-
périale ; ce monument précieux fut apporté en France en
1224 par Baudoin II, empereur latin de Byzance : on le re-
trouve sur une sardoine au cabinet de Vienne; 5° celle de
Germanicus sur une sardoine du cabinet des médailles de
la Bibliothèque Impériale; C° celle de Goiinanicus et d'A-
grippine, sous les traiîs de Cérès et de Triptolcme, sur un
camée du même cabinet ; 7° l'apothéose de Titus, sculptée
sous la voûte de l'arc de cet empereur, à Rome ; 8° celle
d'Adrien, sur un bas-relief du Musée Clémentin; 9" celled'An-
tonm le Pieux et de Faustine , bas-relief du même musée ;
10" enfin l'apothéose de Faustine, sur un bas-relief du Ca-
pitole, gravé dans le supplément de Montfaucon. Plusieurs
de ces apothéoses ont été prises autrefois pour des sujets
religieux. Voyez Gt-i-PTiQUE. A.-L. Millix, de l'insiitut.
APOTHICAIRE (en latin apothecarius, dérivé du grec
oj:o6ir,xYi, boutique, magasin). On les appelait autrefois les cui-
siniers de la médecine. Nicolas Lange a composé un gros
volume contre les apothicaires , sur leur peu de science
et sur leur charlatanisme. Molière ne les épargne pas plus
que les médecins. Cependant , il parait qu'ils étaient astreints
à certaines règles et à un certain noviciat ; on ne pouvait
être aspirant à cette profession , et admis comme tel chez
un maître , qu'après avoir subi un examen grammatical , et
avoir fait preuve d'aptitude pour la nouvelle profession
qu'on voulait embrasser. Après quatre ans d'apprentissage ,
après avoir servi les maîtres pendant six ans et s'être muni
de certificats , l'aspirant était présenté au bureau de l'ordre,
subissait d'abord un premier interrogatoire devant les gardes
et neuf autres maîtres choisis par eux, puis un second,
appelé Vacte des herbes , qui roulait plus spécialement sur
la connaissance des simples ; après quoi il devait faire un
chef-d'œuvre de cinq compositions. A Paris , le corps des
maîtres apothicaiies était joint à celui des épiciers et dro-
guistes.
Tandis'que Bartholin se plaignait de la trop grande abon-
dance d'apothicaires en Danemark , quoiqu'il n'y en eût que
trois à Copenhague et quatre seulement dans tout le reste du
royaume, lesquels étaient obligés pour vivre de se livrer en
outre à quelque autre trafic, on en comptait treize cents dans
la seule ville de Londres. Là ils forment encore aujourd'hui
un corps qui vient après celui des chirurgiens, surgeons ,
et ils ont le droit non-seulement de dc-iiiter des substances
médicamenteuses, mais même de visiter des malades. Chez
nous il n'est resté de l'illustre corporation que le proverbe :
(Test un mémoire d'apothicaire , pour désigner tous ceux
qui sont démesurément enflés par les fournisseurs. La dé-
nomination d'apothicaire ne s'emploie plus guère, du reste,
que dans le style familier et même trivial. Celle de phar-
macien est généralement préférée.
APOTHICAIRERIE. On donnait ce nom du temps des
apothicaires, dans les communautés, les hôpitaux et les
palais , à une salle consacrée à la garde et à la conservation
des médicaments. Celle de Dresde contenait quatorze mille
bocaux d'argent. Celle de Loretfe était ornée de vases peints
par des^ élèves de Raphaël sur des dessins du maitic.
APOTRE (d'àrtooTÔXo;, envoyé, messager, ambassa-
deur). L'Église appelle ainsi ceux des disciples que Jésus
chargea particulièrement de prêcher son Évangile par toute
la terre. Voyez Apostolat.
Ces ambassadeurs de Jésus furent d'abord au nombre de
douze : Simon Barjona , surnommé Céphas par son divin
maître, mot syriaque qui signifie rocher, et que nous tra-
duisons par Pierre; André, frère de Pierre; Jacques et
Jean , fds de Zébédée ; Philippe , Barthélémy , Matthieu le
pubhcain, Thomas Didyme, Jacques, fils d'Alphée, Judas
ou Jude, ou Thadée, ou Lébée, frère de Jacques, Simon le
Zélé, et Judas Iscariotes {voyez ces noms).
Réduits à onze par la mort de Judas, qui, après sa tra-
hison , se pendit de désespoir, les apôtres , sur la propo-
sition de saint Pierre, procédèrent au remplacement du
défunt par la voie du sort , qui tomba sur Mathias , ce qui
porta de nouveau leur nombre à douze. Il s'éleva bientôt
à treize par la vocation miraculeuse de Saul, depuis saint
Paul, qui de persécuteur des chrétiens devint tout à coup
leur plus ardent défenseur.
Les livres saints donnent aussi le nom à^ apôtre à Barnabe,
qui accompagna saint Paul dans quelques-unes de ses mis-
sions. Et Paul lui-même désigne par ce nom Andronic et
Junia, ses parents et ses compagnons de captivité, gens illus-
tres entre les apôtres. Mais dans ces divers passages apôtre
a un sens restreint, dans lequel il s'applique aux ministres
délégués par l'Église pour remplir les fonctions de l'apostolat
parmi les gentils.
Apôtre ne se dit absolument que de ceux qui ont reçu
cette mission de Jésus lui-:îiôme. Si Paul est compris dans ce
nombre, quoiqu'il n'ait pas été des douze qui l'accompa-
gnèrent pendant le cours de ses prédications, c'est que, par
une grâce spéciale, il n'en fut pas moins appelé par le Christ
comme un vase d'élection pour porter son nom parmi les
nations, les rois et les enfants d'Israël. Le zèle de Paul
fut extrême, il n'en mit pas moins à propager le christianisme
que Saul en avait mis à le persécuter , et peut-être apporta-
t-il plus de talent qu'aucun autre à cette sainte mission.
Pierre, André, Jean, étaient « des hommes sans instruction,
des idiots, » dit le texte sacré. Paul, au contraire, élève du
docteur Gamaliel, possédait une si profonde instruction, que
le gouverneur Festus lui reprocha d'extravaguer par excès
de science. Cest à saint Paul que les fidèles doivent les
premiers développements de la doctrine dont les principes
avaient été posés par Jésus-Christ, et c'est de lui que l'É-
glise tient sa première discipline.
Saint Paul prend non-seulement la qualité d'apôtre dans
toutes les occasions, mais, dans son épître aux Galates, il
dit très-positivement « qu'il tient cette qualité, non des hom-
mes, mais de Jésus-Christ et de Dieu le Père ». Ses droits
à l'apostolat ne sauraient au reste lui être contestés quand
ils ont été reconnus par les apôtres eux-mêm?s.
Plusieurs apôtres étaient mariés. Saint Pierre eut une
femme qui, dit-on, le suivait dans ses courses évangéliques,
et partageait avec lui les travaux de l'apostolat, en se char-
geant de l'instruction de son sexe. On assure que celte
pieuse femme souffrit le martyre, et que son époux , la
voyant mener au supplice, lui dit d'un ton ferme : « Femme,
souvenoz-vous du Seigneur. » On assure, de plus, que
saint Pierre eut de son mariage une fille nommée Pétronille,
Pétrine ou Périne, qui fut martyre aussi ; c'est du moins
'ce que D.Calmct répète, d'après le témoignage de saint Clé-
ment d'Alexandrie, de saint Épiphane et de saint Augustin.
Saint Philippe, marié aussi, eut plusieurs filles, dont une
seule resta vierge ; c'est sainte Hermione. Judas le Zélé, ou
Jude, fils de Marie, sœur de la Vierge, et conséquemment
cousin germain de Jésus selon la chair, fut marié, et il eut
des enfants, puisque Ilégésippe parlo de deux martyrs
69G
APOTRE — APOZEME
petils-fits de cet apôtre. Sa femme s'appelait Marie. Enfin,
saint Barthélémy fut marié. Saint Bernard et l'abbé Rupeit
pensent même que cet apôtre était le marié des noces de
Cana; d'autres veulent que ce marié fut Simon le Zélé,
apôtre aussi ; voilà qui est positif.
Rien dans l'Évangile ne prouve que le mariage fut interdit
aux apôtres. 11 est vrai que les disciples de Jésus , frappés
de ses inconvénients, lui ayant dit un jour : « Si les choses
sont ainsi, ne vaut-il pas mieux ne pas se marier? » Jésus leur
répondit : « Tous ne comprennent pas le sens de cette. pa-
role, mais seulement ceux à qui il est donné de le com-
prendre, u II est vrai aussi que Jésus proclama heureux ceux
qui se châtrent pour le royaume des cieux , en ajoutant :
« Comprenne qui pourra. » Que conclure de là? Que Jésus
conseillait le célibat à ses disciples, soit; mais non pas
qu'il le leur ait ordonné.
Cela n'est pas, du moins, l'avis de saint Paul. Dans l'énu-
mération que cet apôtre fait des conditions exigibles dans
les évéques successeurs des apôtres il dit : 11 faut qu'il soit
le mari d'une seule femme, unius nxoris viriim. Telle est
la traduction littérale du texte. Dans les versions connues,
on rend , il est vrai, tcnius uxoris virum par qu'il n'ait
épousé qu'une seule femme. Cette version n'est pas fidèle ;
en substituant le passé au présent on en altère essentielle-
ment le sens.
Telle était l'état des choses dans la primitive Église. Des
âmes ardentes, craignant que les soins d'une famille ne les
détournassent de ceux de l'apostolat, se sont depuis éloi-
gnées du mariage. Origène môme , prenant à la lettre les
paroles de Jésus , se mit dans l'impossibilité d'éprouver ja-
mais une pareille distraction. C'est avoir porté la vertu bien
loin , c'est avoir prouvé la vérité de ces paroles de saint
Paul : " La lettre tue, mais l'esprit vivifie. » Il est permis de
douter qu'on plaise à Dieu par de pareils sacrifices. Saint
Paul avait prévu et condamné ces excès, et signalé d'avance
àTimothée comme hypocrites, comme déserteurs de la foi,
les hommes qui interdisent le mariage.
Les premiers chrétiens ayant d'abord déposé leurs biens
aux pieds des apôtres et vivant en commun , l'apostolat se
composait, dans l'origine, de deux parties distinctes, la pré-
dication et l'administration ; mais , comme les apôtres n'y
pouvaient suffire, ils se déchargèrent du temporel sur des
diacres, qui furent auprès d'eux ce que depuis les cha-
noines ont été pour les évêques.
Tout entiers au spirituel , après s'être partagé l'univers ,
les apôtres, qui, le jour de la Pentecôte, avaient reçu le
don des langues , portèrent la foi dans les trois parties de
l'ancien monde , mais non toutefois dans le nouveau , quoi
qa'vn aient dit de très-pieuses personnes , dont les induc-
tions ont moins d'autorité que les relations des voyageurs.
Les deux Jacques ne paraissent pas s'être éloignés de Jé-
rusalem. Ce n'est qu'après sa mort que saint Jacques le Ma-
jeur fait le voyage d'Espagne, où ses reliques sont soigneu-
sement gardées à Compostelle. Saint Jean tente quelques
excursions en Asie; il va , assure-t-on , prêcher chez les
Parthes et même dans les Indes. Amené à Rome, où il est
torturé sous Domilien , puis exilé à Pathmos , où il écrit son
Apocalypse, il revient mourir à Éphèse. Saint Barthélémy
parcourt l'Inde, la Perse, l'Arabie, l'Abyssinie, et termine
ses courses en Arménie. Saint Philippe prêche dans les deux
Phrygies; saint Tliomas Dydime, dans laMédic, la Cara-
manic, la Bactriane, les Indes, et la Chine même, prétendent
quelques-uns; saint Maltliicu , en Ethiopie; saint Simon ,
selon les Grecs , en Egypte , en Cyrénaïque , en Libye, en
Mauritanie, en Angleterre , et de là en Perse , où il meurt;
saint Jude, en Syrie, en Mésopotamie, en Perse, en Armé-
nie, en Libye. Saint Pierre, évêque d'abord d'Antioche,
puis de Rome, visite l'.Vsie Mineure et Babylone. Enfin nous
avons donné plus haut un résumé des travaux de saint Paul.
A l'exception de Philippe et de Mathias, tous les apôtres
ont souffert le martyre. Saint Jacques le Mineur fut assom-
mé par un foulon à Jérusalem , tiiéàtre de la décollation
de saint Jacques le Majeur par ordre d'Hérode-Agrippa ;
saint André fut attaché dans Patras à la croix qui porte
son nom ; saint Barthélémy, écorché vif à Albanople , au
bord de la mèr Caspienne ; saint Thomas, selon les Portu-
gais , martyrisé à Méliapus ou Mélinpour ; saint Matthieu ,
décapité en Ethiopie; saint Simon, martjTisé en Perse, ainsi
que saint Jude ; saint Paul et saint Pierre , exécutés tous
deux à Rome , l'un décapité , l'autre crucifié la tête en bas
selon son désir ; enfin saint Jean plongé à Rome dans une
chaudière d'huile bouillante , d'où il sortit mieux portant.
Saint Pierre, qui vivait de préférence avec les Juifs, est ap-
pelé Y apôtre de la circoncision, et saint Paul, qui commu-
niait avec les Gentils, Vapôtre des nations. De plus , saint
Pierre est nommé le prince des apôtres , et saint Paul le
grand apôtre ou Y Apôtre. Ce n'est que depuis l'établisse-
ment du christianisme que les mots apostolat etépiscopat
ont reçu une signification spéciale et sacrée. Les Grecs jus-
que là avaient donné aux ambassadeurs, aux hérauts, le titre
(Yapostolos, et aux intendants celui à'episcopos, sans penser
qu'il y eût rien de sacerdotal dans leurs fonctions. Les Juifs
appelaient apôtre l'agent chargé de lever l'impôt annuel dû
au patriarche. Tel Grec , tel Perse est nommé apôtre dans
Hérodote, et tel Romain évêque dans Cicéron. On voulut faire
Pompée évéqtie, dit le célèbre orateur {ad Atticum, I. MI,
ép. 11).
Plus tard, en souvenir des douze apôtres , ce titre s'est
étendu à tout prédicateur ayant le premier porté la foi dans
un pays. Seulement au nom de ce prédicateur on ajoute ce-
lui du pays où il a prêché. Ainsi on appelle saint Denis l'a-
pôtre des Gaules, saint Boniface Y apôtre de V Allemagne ,
le moine Augustin l'oj^d^re f/e l'Angleterre, et le jésuite saint
François Xavier Vapôtre des Indes. Dans ce sens apôtre si-
gnifie missionnaire , propagandiste. On entend par ^c^es
des .Apôtres le livre où saint Luc a consigné une partie de
l'histoire non pas de tous les apôtres, mais de saint Pierre,
et surtout de saint Paul, dont il fut le disciple. A Venise on
appelait Zes douze apôtres les chefs des douze premières fa-
milles patriciennes. ArNAULT , de l'Acadcinie Française.
APÔTRES (Ordre des ).- C'est ainsi que Ghérard Sa-
garelli de Parme appelait un ordre non soumis à la vie
claustrale, qu'il avait fondé lui-môme en 1260, à l'imitation
du vêtement, de la pauvreté et de la vie nomade des apô-
tres de Jésus. Ils parcouraient à pied l'Italie, la Suisse et
la France en mendiant, prêchant, annonçant la venue du
Jîigement dernier et d'un temps meilleur, se faisant suivre
de femmes comme autrefois les apôtres. Aussi les soupçonna-
t-on d'entretenir avec elles un commerce illicite. Cette so-
ciété ne reçut point la sanction du pape Honoré TV, qui en pro-
nonça môme la suppression en 1286. Quoiquepoursuivis par
les inquisiteurs, ils n'en continuèrent pas moins à se livrer
à leur mission, et Sagarelli ayant été brûlé comme hérétique
en 1300, ils se choisirent un autre chef, Dolcino de Milan ,
homme d'esprit, qui consola par ses prédictions les membres
restants de cette société, laquelle s'accrut jusqu'au nombre
de 1400.
Poursuivis en 1304 avec un acharnement indicible, ils
furent obligés de soutenir une guerre défensive dans des
camps retranchés, s'abandonnèrent au brigandage, oubliè-
rent leur vocation primitive, dévastèrent le territoire de Jli-
lan, et furent enfin défaits et presque anéantis en 1307 par
les troupes épiscopales, sur le mont Zebello, près de Ver-
celli. Dolcino périt dans les flammes. Plus tard, les débris
de cette société furent rencontrés dans la Lombardie et dans
le midi delaFrance jusqu'en 1368. Leurs incessantes impréca-
tions contre le pape et le clergé les avaient fait taxer d'hérésie.
APOZÈME (du grec àTto^c'w, bouillir). C'est un médi-
cament liquide dont la base est une décoction ou une infu-
sion aqueuse d'une ou plusieurs substances végétales, à la-
APOZÉME — APPARENCE
quclk on ajoute divers autres nu'dicanients simples ou
compos(^s, tels que la manne, des sels, des sirops, des éloc-
tuairei;, des extraits, etc. Les apo/.ènies sont peu employés
de nos jours; c'est une préparation qui répugne aux ma-
lades, et que les médecins repoussent précisément à cause
de son action mixte et peu appréciable.
APPARAT, du latin apparat us, est le synon>Tne
d'éclat, ostentation, pompe extérieure , et indique une pré-
paration à une action solennelle, publique, préméditée.
— Dans un sens plus restreint , on a donné ce nom à des
dictionnaires ou commentaires en usage dans les classes et
dans les études. L'Apparat sur Cicéron est une espèce de
concordance ou de recueil des phrases de cet auteur ; V Ap-
parat sacre de Possevin, jésuite de Mantoue, est un recueil
de toutes sortes d'auteurs ecclésiastiques , imprimé en IGl 1,
en 3 Yolumes. On a aussi appelé apparat la glose d'Ac-
curse sur le Digeste et le Code. Enfin, Y Apparat royal
était un dictionnaire français-latin en usage dans les classes
avant la révolution.
APPARAUX, terme de marine, qui comprend les
agrès d'un vaisseau, et tout ce qui est nécessaire pour na-
vig'.:er, même l'artillerie. Toutefois on ne comprend sous
cette dénomination ni l'équipage ni les vivres.
APPAREIL. Dans son sens le plus général , ce mot est
synonyme d'apparat. En physiologie on donne le nom
d'appareil à la collection des organes qui tendent à une
même tin. Bichat divise les appareils de l'économie animale
en trois classes : appareils de la vie animale ou de rela-
tion, appareils de la vie organique ou de nutrition, ap-
pareils de la génération. Les appareils qui forment les
organes de la vie de relation sont au nombre de cinq,
savoir : l'appareil locomoteur (os, muscles et leurs dépen-
dances), l'appareil vocal (larynx, etc.), l'appareil scnsUiJ
externe (œil, oreille, nez, langue, peau), l'appareil sen-
sitif interne ( encéphale, etc. ), et l'appareil conducteur du
sentiment et du mouvement (nerf?). Les organes de la
vie de nutrition se groupent également dans les cinq appareils
suivants : appareil digestif (bouche, pharynx, œsophage,
estomac, intestin grêle, gros intestin, péritoine, épi-
ploon), appareil respiratoire (poumons et leurs dépendan-
ces), appareil circziZa^oire (cœur, artères, veines), appareil
absorbant (vaisseaux lympiiatiques, glandes ou gangl'ons
lymphatiques), et appareil secrétoire (glande lacrymale,
glandes salivaires, foie, rate, pancréas, reins et voies
urinaires). Enfin , la troisième classe comprend les organes
composant les appareils génitaux des deux sexes. — En
termes de chirurgie , appareil se dit des linges et des mé-
dicaments nécessaires pour panser une plaie ; on appelle
premier appareil le premier pansement d'un blessé. — On
appelait aussi autrefois grand, haut et petit appareil,
trois différentes méthodes d'extraire la pierre de la vessie
( voyez Taille).
On se sert aussi ôl appareils en jardinage, où la chose et
le mot ont été empruntés à l'art de la chirurgie. L'expé-
rience a démontré que toute plaie faite à un arbre , à sa
tige, à ses grosses branches ou à ses racines, lui nuisait
beaucoup si on la laissait exposée à l'action de l'air, du soleil,
des pluies. On emploie pour la couviir la bouse de vache
fraîche ou vieille, du terreau ou de la terre détrempée par
l'eau ; l'une ou l'autre de ces matières compose tout l'ap-
pareil, que l'on applique sur la plaie et que l'on maintient
avec un chiffon ; l'osier tient lieu de bandage. On peut lui
substituer la paille, la (liasse, le jonc; et la seule attention
à avoir, c'est que cette espèce de ligature n'endommage
pas l'écorce de la branche ou du tronc lorsqu'ils viennent à
grossir.
Les appareils de chimie sont des cornues , des alambics,
des tubes , des ballons , des matras, etc. , diversement ajustés
et qu'on emploie dans les expériences auxquelles se livrent
ceux qui étudient colle science et dans les applications qu'en
UICT. lit LA CU.XVUUiATiUN. — i. l.
607
tire l'industrie. La plupart d'entre eux sont design s par
leur destination particulière : tels sont les eu diom êtres,
gazomètres, etc. D'autres portent le nom de leur auteur'
et parmi ces derniers ceux dont l'emploi est le plus fré-
quent sont les appareils de Dausse , de Woolf , de Donné
de Marsh et de Cavendish. '
En termes de maçonnerie, Vappareil est la hauteur
d'une pierre ou son épaisseur entre deux lits. On taille dans
les carrières des pierres de grand ou de haut appareil, et
d\iutres de bas appareil, pour dire d'une plus grande' ou
d'une moindre épaisseur. Toutes les pierres d'un même lit
doivent être d'un même appareil.
En architecture, Vappareil est l'art de tracer avec exac-
titude et de disposer les pierres ou marbres selon leur
convenance et leur relation avec telle ou telle partie d'un
édifice ou d'un monument. On se sert surtout fréquemment
du mot appareil pour désigner les dimensions, la disposiUon
et l'ajustement des pierres qui font partie d'une maçonnerie.
C'est ainsi qu'on nomme grand appareil un assemblage de
pierres de taille ayant de 64 à 160 centimètres de largeur,
et de 60 centimètres à 1 mètre d'épaisseur, qui sont posées
par assises égales et liées ensemble par des crampons de
fer. Le petit appareil est formé de pierres symétriques à
peu près carrées, dont chaque côté a de 8 à 16 centimè-
tres; ces pierres sont liées par d'épaisses couches de mortier.
Le petit appareil est dit allongé lorsque les pierres qui le
composent sont plus longues que larges. Vappareil moyen
est formé de pierres de dimensions variables , tenant le
milieu entre le grand et le petit appareil , également ci-
mentées , et parfois reliées entre elles par des crampons. On
peut concevoir une foule d'autres sortes d'appareils. Ainsi
les Romains faisaient un grand usage de Yopus reticulatum
(appareil réticulé ), et de Yopus antiquum ou incertum
( appareil antique ou irrégulier ). Dans le premier, les pierres,
taillées carrément et disposées de façon que la ligne des
joints fonne une diagonale, donnent au parement du mur
l'apparence d'un réseau ou d'un damier. Dans le second,
les pierres, ajustées sans ordre ni rang d'assises, se trouvent
cependant en contact par tous leurs bords. L'appareil ap-
pelé par les Grecs cmplecton était constitué par deux pa-
rements formés de pierres polies à l'extérieur, posées à
plat et par assise en liaison ; puis on remplissait le vide entre
les parements au moyen de pierres brutes noyées dans du
mortier ; les Romains employèrent souvent un appareil ana-
logue. Visodomon des Grecs, ou appareil réglé, avait
toutes les assises de même hauteur ; c'était le contraire
dansle/)seM(f(5oc?o?no?2. Parmi les autres espèces d'appareils,
nous citerons encore Vappareil oblique , formé de pierres
rhomboïdales inclinées deux à deux en sens inverse, et
Vappareil en épi {opus spicatuni des anciens) qu'on ap-
pelle encore appareil en feuilles de fougère ou en arête
de hareng. Dans ce dernier, qui a été assez fréquemment
employé dans les édifices anciens et du moyen âge, les
pierres sont alternativement inclinées à droite et à gauche.
APPAREILLAGE, action de mettre un vaisseau
sous voile , après avoir levé l'ancre ou largué ses amarres.
Les différentes manières d'appareiller dépendent de l'état
du temps , de la force et de la direction du vent, ainsi que
de celle des courants. Appareiller une voile, c'est la dé-
ployer et la disposer de façon à recevoir le veut.
Apparence (du latlnjsarerc, paraître, se présen-
ter). L'apparence est proprement la surface extérieure d'une
chose, ou en général ce qui affecte d'abord les sens, l'esprit
et l'imagination. Les stoïciens prétendaient que les qualités
sensibles des corps n'étaient que des apparences. On dit
communément, et malheureusement aussi avec quelque ap-
parence de raison, que l'on risque souvent d'être trompé
lorsque l'on juge sur les apparences, et que dans le monde
on récompense i)lu(ôt les apparences du mérite que le
mérite lui-même. Nos erreurs viennent souvent de ce que
698
APPARENCE — APPARITION
nous portons notre jugement avec précipitation sans nous
donner le temps de discerner le vrai de ce qui n'en a que
l'apparence. Quelquefois, et par extension, on donne à
ce mot la signification opposée à celle de réalité. On dit
enfin qu'il faut sauver les apparences, pour dire qu'il ne
faut point donner de scandale, qu'il faut au moins conser-
ver les dehorsde l'honnêteté, de la pudeur, ou de la probité.
L'aspect sous lequel nous voyons les objets diffère sou-
vent beaucoup de la réalité; nous sommes soumis aux il-
lusions d'optique sur la grandeur, la distance, la forme et
le mouvement des corps que nous regardons. iMus un corps
s'éloigne, plus ses dimensions nous semblent diminuer,
tandis qu'il n'y a de véritablement diminué que l'angle sous
lequel nous l'apercevons. Quand plusieurs objets sont très-
éloignés d'un observateur, ils lui semblent tous être situés
sur une sphère dont son œil occupe le centre; le ciel par-
semé d'étoiles nous en offre un exemple. Pour ce qui est de la
forme, il résulte de l'illusion de distance que tout corps vu
de loin tend à paraître plus ou moins arrondi. Enfin, lors-
qu'un wagon nous emporte, tous les objets fixés autour de
nous semblent se mouvoir dans le sens contraire. Toutes
ces illusions s'expliquent par la manière dont s'opère la
vision.
Ces quatre sortes d'illusions d'optique engendrent toutes
les apparences célestes de l'astronomie. "Lq diamètre
apparent d'un astre n'est pas la longueur de ce diamètre,
mais l'angle sous lequel il est vu , de sorte qu'une petite
planète voisine de la terre peut avoir un plus grand dia-
mètre apparent qu'un globe immense beaucoup plus éloigné.
La hauteur apparente d'un corps céleste au-dessus de
l'horizon est toujours plus grande que sa hauteur réelle (sauf
au zénith), par l'effet de la réfraction et de la parallaxe;
on en voit un exemple très-sensible dans le lever ap-
parent du soleil. La station apparente d'une planète au
môme point du zodiaque est produite par la combinaison
des mouvements réels de la terre et de la planète. Le mou-
vement que nous attribuons au soleil n'est qu'apparent ;
c'est la terre qui tourne et qui se meut. De là une foule
d'expressions fausses admises par la science elle-même.
Vhorizon apparent est le cercle qui termine notre
vue et qui semble formé par la rencontre de la terre avec
la voûte céleste. Deux planètes sont dites en conjonction
apparente, quand les centres de ces astres et l'œil du
spectateur sont en ligne droite , sans que cette droite passe
par le centre de la terre. — Toutes ces apparences seraient
pour les astronomes des causes continuelles d'erreurs,
s'ils n'avaient pas construit des tables au moyeu desquelles
ils soumettent les résultats de leurs observations aux cor-
rections nécessaires.
APP/VRE:\T (comte de L'). Voyez Cochon.
APPARITEUR {(ïapparere, être présent). C'était chez
les Romains un mot générique appliqué aux délégués des
juges , qui étaient auprès d'eux pour recevoir et faire exé-
cuter leurs ordres ; on comprenait sous cette dénomination
les scribes, les interprètes, les licteurs, etc.; c'était à peu
près ce que sont les sergents et les huissiers de tribunal en
ï'rance, où le mot d'appariteur n'a guère été en usage que
pnir signifier, dans l'Université, ou dans les Facultés, les
bedeaux qui portaient des masses devant le recteur, et
dans les cours ecclésiastiques , des espèces de sergents qui
avaient le même office.
APPiVRlTION. On appelle ainsi la manifestation , soit
en rêve, soit autrement, d'un être singulier, surnaturel,
appartenant presque toujours à la nature physique , ou en
ayant emprunté les formes. Dieu, les anges, le démon, les
trépassés, les absents, ou quelques animaux d'une nature
hybride et fantastique, sont le plus ordinairement les agents
de ces manifestations. Je dis le plus ordinairement, parce
que rfl/)/)«;-i^io7!, n'étant qu'un jeu de l'imagination, em-
piimte également toutes les formes et ne peut être soumise
à aucune règle. Ce qui prouve combien cette faiblesse est
inhérente à la nature humaine, c'est qu'on la retrouve chez
tous les peuples à toutes les époques de l'histoire, et qu'il
n'est pas im seul monument écrit, parmi les plus anciens,
qui ne renferme le récit de pareils faits.
Dom Calmet, qui nous a laissé sur cette matière un travail
curieux, divise les apparitions en quatre sortes : celles
des anges, celles des démons, celles des trépassés, et celles
d'iiommes vivants éloignés, qui ont lieu sans leur partici-
pation ; mais il n'a compris dans cette classification que les
genres les mieux connus de l'espèce , sans y faire entrer
tous les phénomènes qui s'y produisent. L'apparition de la
Divinité et celle des bons ou des mauvais anges sont com-
munes à l'histoire de toutes les religions. Sans rechercher
avec dom Calmet quel degré de réalité peuvent avoir toutes
ces visions consignées dans les écrivains profanes et dans
les ouvrages des docteurs et des hagiographes, je me con-
tenterai de signaler les différences et les rapports qui exis-
tent entre ces récits et ceux qui nous ont été conservés
dans les saintes Écritures.
L'apparition des anges est fréquente dans l'Ancien comme
dans le Nouveau Testament. Elle s'y reproduit avec les
mêmes circonstances : un être surnaturel ayant la fomie
humaine, mais doué d'une beauté supérieure , vient mani-
fester aux élus du Seigneur sa suprême volonté. Un visage
éclatant de lumière, des vêtements d'une blancheur éblouis-
sante, et deux ailes , sont les signes ordinaires de son di\in
caractère, qu'il peut à son gré cacher ou laisser voir. Quant
à l'apparition de Dieu lui-même, on n'en pourrait citer
qu'un petit nombre d'exemples; et dans la nouvelle loi, c'est
Jésus-Christ, c'est principalemefit sa mère, la pure et chaste
Marie, qui consentent à se révéler aux hommes pour leur
donner du courage et des consolations.
Chez les peuples idolâtres, l'apparition des dieux sans
nombre [qu'Us s'étaient créés avait lieu fréquemment ; elle
était accompagnée de prodiges qui variaient suivant la qualité
du personnage. Le bon ou le mauvais génie remplaçait chez
les anciens le bon ou le mauvais ange , et dans toutes les
circonstances remarquables de leur vie ils étaient convaincus
de voir apparaître le génie particulier qu'ils croyaient com-
mis à leur garde. Au sujet des apparitions, les Grecs et les
Romains s'étaient formé une théorie complète dont les prin-
cipes ont été exposés comme il suit par dom Calmet : « Les
apparitions des dieux sont très-lumineuses, celles des anges
et des archanges le sont moins, celles des démons sont
obscures, mais moms que celles des héros. Les archontes
qui président à ce qu'il y a dans le monde de plus brillant
sont lumineux, mais ceux qui ne sont occupés que des
choses matérielles sont obscurs. Lorsque les âmes appa-
raissent, elles ressemblent à une ombre. »
Quant au génie du mal, que dans les temps modernes
on nomme vulgairement le diable, chez tous les peuples,
à toutes les époques , et suivant les croyances de toutes les
religions , il s'est montré bien souvent à ceux qu'il a voulu
séduire ou effrayer. Dans ce dernier but , il a gardé sa forme
naturelle, qui est toujours laide et repoussante; ou bien
encore , si la répugnance de celui qu'il cherche à vaincre
pour un animal ou un objet quelconque lui était connue, il
n'a pas manqué d'en emprunter la figure. Au contraire,
a-t-il conçu le projet de séduire ceux auxquels il apparaît ,
le diable se garde bien de montrer ses cornes, il revêt dans
ces circonstances les formes les plus séduisantes. Ce n'est
pas seulement la figure d'une femme jeune et belle quil em-
prunte , c'est encore celle d'un jeune homme doux , humble,
poli, qui fait à l'homme assez malheureux pour l'invoquer
mille et mille promesses auxquelles on ne résiste pas assez.
A ces esprits supérieurs , mécontents de toutes les incerti-
tudes que la science humaine ne permet pas de résoudre et
qu'il appartient à Dieu seul de connaître, le diable est sou-
vent apparu sous la figure d'un homme de grande taille ,
APPARITION — APPAT
099
•vôtu tout de noir, ayant les traits du visage singulièrement
Iirononcés et d'une grande laideur ; souvent il n'a pas craint
dcxposer toute sa difformité et de poser ses griffes longues,
noires et pointues sur la poitrine de l'audacieux qui voulait
pénétrer les mystères de la nature. Rien n'est curieux comme
ces longues histoires recueillies par les écrivains thauma-
turges de toutes les nations. La nomenclature des ouvrages
où elles se trouvent serait elle seule très-étendue.
L'apparition des trépassés est une croyance qui a été com-
mune à tous les peuples. Chez les Hébreux comme chez les
nations païennes les plus célèbres , chez les Grecs et les
Romains , on ne manquait pas de rendre aux morts les hon-
ucurs funéraires qui leur sont dus, tant on craignait de voir
leur ombre apparaître et se plaindre. Les anciens croyaient
aussi qu'un homme qui avait commis un crime , et qui
était mort sans en être puni , devait , pour l'expier, errer
longtemps hors de son tombeau. Agalliias raconte que plu-
sieurs philosophes grecs ayant rencontré, aux environs de
Constantinople, un cadavre sans sépulture , le tirent enterrer
par leurs esclaves. La nuit survint, et le cadavre apiiarut
à l'un de ces philosophes en le priant de ne pas donner la
.sépulture à celui qui en était indigne; que la terre avait
horreur de ceux qui l'avaient souillée. Le lendemain, ce
cadavre fut trouvé à la même place qu'auparavant , et les
Grecs voyageurs apprirent que cet homme avait commis
autrefois un inceste épouvantable. On trouve dans les chro-
niqueurs du moyen âge, à propos des trépassés catholiques
coupables de quelque crime , et surtout en matière de reli-
gion , des histoires nombreuses , souvent répétées par les
prédicateurs et les écrivains ascétiques.
Parmi les innombrables histoires d'apparitions de nature
différente qui sont parvenues jusqu'à nous , on en peut citer
quelques-unes qui se rapportent à des personnages illustres,
ou bien à des faits remarquables de notre histoire. Parmi
les anciens , c'est Sophocle averti par Hercule du vol d'une
coupe d'or, conamis à son préjudice; c'est Simonide qui,
près de s'embarquer, donne la sépulture à un cadavre qu'il
rencontre sur le rivage, et qui lui apparaît peu d'heures
après pour l'avertir que le vaisseau à bord duquel il va
partir fera naufrage ; c'est Jules-César qui , près de passer
le Rubicon , est arrêté par un spectre qui lui prédit son
sort; enfin, c'est Brutus, qui, sur le pouit de passer en
Europe et d'entreprendre contre César la guerre où il va
succomber, est visité dans sa tente par son mauvais génie ,
qui lui annonce sa fin prochaine, non loin des murs de
Philippes.
Parmi les modernes, il faut citer l'apparition du diable
à Luther, qui prétendit raisonner avec ce docteur sur le
sacrifice de la messe. Mais Luther, averti bientôt par les
raisonnements captieux de l'esprit malin , ne tarda pas à le
convaincre et à le chasser honteusement.
Au nombre des apparitions les plus singulières relatives
à notre histohe , il faut citer celle qui , sous le nom de
Mesnie Hellequin , se manifestait au milieu des nuages,
la veille d'une grande bataille ou d'un événement remar-
quable. Le plus ordinairement elle consistait en guerriers
qui choquaient leurs armes, et que les docteurs n'hési-
taient pas à regarder comme de malins esprits. Le duc de
Normandie Richard sans Peur., fils de Robert le Diable,
rencontra cette Mesnie Hellequin dans une vaste forêt, et
le chef de ces démons, après avoir revêtu la forme d'un
écuyer que le prince avait perdu depuis un an , le força de
se battre avec lui. Une des apparitions les plus terribles
dont nos annales aient gardé le souvenir est celle qui si-
gnala la folie du malheureux Charles VI. Une autre bien
remarquable encore est celle qui eut lieu en 1429, au All-
iage de Vaucouleurs , sous l'arbre d^ Bonnes dames, et
qui décida Jeanne d'Arc avenir trouver le roi Char-
les VII et à sauver la France.
La reine Marguerite de Valois nous raconte, dans ses Mé-
moires, que la nuit qui précéda le tournoi fatal où Henri II
périt, frappé d'un coup de lance, Catherine de Médicis vit
apparaître son mari en songe , l'œil tout ensanglanté. De
môme, quand elle perdait ses enfants, une Hamme brillait
tout à coup à ses yeux, et elle s'écriait : » Dieu garde
« mes enfants ! » C'est ainsi que la duchesse de Gueldre ,
veuve de René II , duc de Lorraine , devenue religieuse à
Sainte-Claire de Pont-à-Mousson , vit dans son oratoire
la bataille de Pavie , et s'écria : « Mon fils de Lambcsc est
mort ! Le roi de France est prisonnier ! » Ce qui était vrai.
Bossuet croyait aux apparitions : il suffît de parcourir pour
s'en convaincre l'oraison funèbre d'Anne de Gonzague de
Clèvés, princesse palatine. Voyez Démoss, Duble, Esphits,
Magnétisme, Revenants, Visions. Le Roux deLincy.
APPARTEMENT {xdiiœi pars , du verbe latin
partior, je partage , je divise ). On entend par ce mot une
division plus ou moins grande d'un édifice , d'une maison ,
partagée en plusieurs chambres distribuées plus ou moins
convenablement pour loger une famille ou plusieurs familles ;
en un mot , une disposition et une suite de pièces néces-
saires pour rendre une habitation commode, selon le rang,
la fortune ou la profession de celui qui l'occupe. Chez les
peuples de l'antiquité , où chaque particulier des classes
élevées avait sa maison, son habitation entière et complète
à lui , comme on le voit en beaucoup d'endroits dans plu-
sieurs pays du Nord, à Londres , et dans certains quartiers
de Paris, cette habitation était généralement divisée en deux
parties : Vandronitide , ou appartement des hommes, sur
le devant de la maison, et le gynécée , ou appartement des
femmes , qui était situé dans la partie la plus retirée. Au
rez-de-cliaussée sur la rue, ou au premier étage, était Vhos-
pitixim ou appartement des étrangers. Cette disposition a
été conservée par les Grecs modernes , en Egypte, en Italie,
et a été suivie également par la plupart des peuples du Nord,
en Allemagne, en Russie, etc., où les maisons des nobles et
des grands sont autant de palais somptueux, destinés surtout
aux jouissances du luxe, aux fêtes, aux réceptions d'apparat,
et où les commodités intérieures et de la famille sont quel-
quefois sacrifiées à cette exigence du rang et de la repré-
sentation. Chez les modernes , et principalement dans les
grandes villes, l'accroissement de la population, le prix
excessif des terrains , et surtout le goût de la vie intérieure,
de la vie de famille , qui est revenu et qui pénètre chaque
jour plus avant dans nos mœurs , tous ces motifs ont été
cause que les appartements vastes et élevés ont presque
complètement disparu , pour faire place à une distribution
plus sage , plus économique , plus appropriée enfin à nos
besoins , mais où le défaut contraire des proportions, c'est-
à-dire l'exiguïté , se fait peut-être trop sentir.
APPAS. Voyez, Charmes.
APPÂT, terme de chasse et de pêche, fait depasùis,
pâture : c'est l'objet, l'amorce, la substance dont on se sert
pour faire tomber un animal dans un piège.
Sur la rive du lac, le pécheur malinal
De la pêciie a porte le champêtre arsenal :
Le cordonDet mobile et la ligne étendue.
Qui dans sa main s'allonge et dans l'eau diminue ;
La mouche, l'haineçon , et tous ces faux appâts
Qui promettent la vie et donnent le trépas. (Boisjolin.)
« La nature, dit M. Bory de Saint-Vincent, a donné à ces
mêmes animaux que l'homme trompe avec des appûts l'ins-
tinct d'employer aux mêmes fins certaines portions de leur
corps. Les pics, par exemple, dont la langue rétraclile et
gluante tente l'appétit de plusieurs petits insectes, insinuent
celte langue dans les fourmilières ou dans les troncs d'arbres,
d'où ils la retirent chargée de proie. Beaucoup de poissons,
entre autres celui qu'on a nommé par excellence le pêcheur,
lophtns piscatorius, se cachent dans la vase, où en agitant
des barbillons voisms de leur bouche, et qui ont l'appa-
700 APPAT — APPEL
rence de vers , Hs attirent, par ces appâts naturels, les pois-
sons plus petits, dont ils se nourrissent. »
Ce mot s'emploie également en morale, dans un sens fi-
guré : Vappât des richesses.
Quittez CCS vains plaisirs dont l'appât vous abuse ! ( Boii.eau.)
■ APPARTEMEiVTS (Petits ). V. Petits appautements.
APPEAU, sorte de sifffct à l'aide duqiicl l'oiseleur imite
les cris et la voix, des différents oiseaux, attirés ainsi dans
les pièges qu'il leur a tendus. On en distingue de trois es-
pèces : Yappeau à sifflet, avec lequel on contrefait le cri
des alouettes, des cailles, des perdrix, etc. ; Vappeau à lan-
guette, qui sert à effrayer les oiseaux par l'imitation du
cri de ta chouette ou du moyen-duc, leur ennemi mortel, et
à les Hiirede la sorte plus facilement se prendre aux gluanx
qui leur ont été préparés; enfin, Vappeau à/rouer, bruis-
sement produit en soufdant dans une feuille de lierre dis-
posée en cornet, de manière à imiter le cri ou le vol d'un
oiseau, comme des merles, des geais, etc.
If y a aussi des appeaux pour appeler les cerfs, les re-
nards, etc. Ce sont des anches assez semblables à celles de
l'orgue.
APPEL (Art militaire ). Action d'assembler, de réu-
nir et d'appeler les soldats, pour s'assurer qu'ils sont tous
présents. — Dans les villes de garnison, on fait ordinaire-
ment deux appels par jour, le matin et le soir, et quelque-
fois des contre-appels de nuit. — Dans les routes on fait
un appel au moment du départ, pour s'assurer s'il n'est pas
resté d'hommes en arrière, et un appel en arrivant, dans le
but de savoir si tous ont rejoint. — Dans les camps, les
appe's sont beaucoup plus rapprochés : ils ont pour motif
de prévenir la désertion ou la maraude. Les appels se font
de deux manières : par rang de contrôle ou d'ancienneté ,
et par rang de taille. Ils sont faits par le sergent-major ou
le maréchal des logis chef , reçus par l'officier de semaine
de la compagnie ou de l'escadron, et par l'adjudant-major,
qui les rendent au chef de bataillon et au colonel. — Cet
usage, qui existait aussi chez les Grecs et chez les Romains,
est suivi par toutes les puissances de l'Europe. Chez les
Romains, c'était le tribun qui les recevait et les remettait
au grnéral en allant chercher l'ordre. — On dit /aire l'ap-
pel, manquer l'appel, battre et sonner l'appel.
APPEL ( Droit) , voie de recours donnée aux parties
devant un tribunal supérieur, pour faire réformer un ju-
gement émanant d'un tribunal inférieur. On nomme ap-
pelant la partie qui saisit la première et principalement le
tribunal supérieur, et intimé celui contre lequel l'appel est
introduit. On peut interjeter appel des jugements des tri-
bunaux de paix , civils, commerciaux, de simple pohce et
correctionnels, quand ils ont été rendus contradictoirement
et en premier ressort, alors môme qu'ils auraient été indû-
ment qualifiés en dernier ressort ; quand ils ont été rendus
par défaut, mais seulement lorsqu'on ne peut plus les faire
réformer par la voie de l'opposition.
En matière civile , on distingue encore l'appel principal
et l'appel incident. Ca dernier est formé par l'intimé durant
l'appel principal.
L'appel du jugement dejustice de paix, quand elle n'a
pas prononcé en dernier ressort , est porté devant le tri-
bunal civil dans les trois jours de la signification du juge-
ment. Les sentences des prud'hommes sont déférées en
appel aux tribunaux de commerce. L'appel des jugements
des tribunaux civils et des tribunaux de com-
merce, quand ils n'ont pas prononcé en dernier ressort,
est porté devant la cour impériale.
L'appel peut être interjeté avant la signification du juge-
ment rendu en première instance, mais seulement après un
délai de huit jours , lorsque le jugement n'est pas exécutoire
par provision ; sage disposition de la loi , qui a voulu sous-
traire un plaideur à l'irrilation du moment et l'empêcher de
suivre un mauvais procès! L'appel doit de plus être inter-
jeté dans le délai de trois mois à compter du jour de la si
gnification pour les jugements rendus contradictoirement, et
du jour d'expiration du délai d'opposition pour les jugements
rendus par défaut. Ce délai de trois mois doit être aug-
menté comme celui d'ajournement à l'égard des personnes
qui habitent hors du territoire continental de la France. Le
décès de la personne condamnée a pour effet de suspendre
les délais ; ils ne continuent de courir qu'après une nouvelle
signification faite aux héritiers. Il n'y a pas de délai fixé
pour interjeter un appel incident. L'appel d'un jugement
préparatoire ne peut être interjeté qu'après le jiigemeat
définitif et conjointement avec l'appel de ce jugement ; il
n'en est pas ainsi pour un jugement interlocutoire qui
préjuge le fond. Lorsqu'on appelle d'un jugement pour in-
compétence, il n'y a pas de délai fatal, parce que l'incom-
pétence est d'ordre public. Dans certaines procédures parti-
culières les délais de l'appel ont été abrégés par la loi {voir
les art. 6G9, 723, 730, 734, 736, 7fi3, 809 du Code de Procé-
dure civile, et l'art. 291 du Code Civil).
L'appel est formé par un acte contenant assignation dans
les délais et formalités voulus par la loi. En cas d'appel in-
cident, la signification à avoué suffit. L'appel est de sa na-
ture suspensif; il arrête l'exécution du jugement , sauf le
cas où la loi ordonne cette exécution provisoirement avec
ou sans caution ; mais la partie condamnée peut obtenir du
tribunal d'appel des défenses d'exécuter. On ne peut en prin-
cipe former en appel aucune demande qui n'aurait pas été
soumise aux premiers juges; mais cette règle souffre excep-
tion quand il s'agit de demandes accessoires ou de comiieu-
satious. Les tribunaux d'appel ont le droit d'évocation en
matière civile , c'est-à-dire de juger une affaire lors même
qu'elle n'aurait pas été complètement jugée en première ins-
tance. L'appelant d'un jugement de justice de paix qui
succombe est condamné à une amende de cinq francs , et
celui d'un jugement du tribunal d'arrondissement ou de com-
merce à dix francs. L'appel est le plus ordinairement pure-
ment facultatif; mais en matière d'adoption, le jugement de
première instance doit être nécessairement soumis dans le
délai d'un mois à la cour impériale.
En matière criminelle, les procès de simple police sont
portés en appel dans le délai de dix jours à dater de la
signification du jugement devant le tribunal correctionnel de
l'arrondissement, lorsqu'ils prononcent un emprisonnement
ou lorsque les amendes, donrmages-intérêts ou autres ré-
[)arations civiles excèdent la somme de cinq francs. —
Avant 1856 l'appel des jugements des tribunaux correction-
nels d'arrondissement était porté devant le tribunal du chef-
lieu du département , et celui des jugements de ce dernier de-
vant le tribunal du chef-lieu d'un des départements voisins;
il n'était porté devant la cour impériale que lorsqu'il s'en
trouvait une plus rapprochée ou dans le département ; fous y
vont maintenant. Les jugements des tribunaux de simple pot
lice et de police correctionnelle doivent êlre attaqués dans
les dix jours, soit par le prévenu, soit par la partie civile
quant à ses intérêts civils seulement, soit par le procureur
impérial près le tribunal qui a rendu le jugement. Le mi-
nistère public près la cour qui doit connaître de l'appel peut
également interjeter appel, et Ll a à cet effet un délai de
deux mois. L'appel qu'il interjette est dit appel a minima
quand il a pour but une augmentation de peine. L'appel est
encore suspensif; mais cela ne profite point au prévenu déjà
emprisonné et ne fait que rendre inutile tout le temps qu'il
passe en prison avant le jugement en dernier ressort. L'appel
est introduit par une requête contenant les moyens ou mo-
tifs d'appel, et remis dans le délai/ixé au grefîierdu tribunal
inférieur.
Si le jugement de première instance est confirmé, il doit
recevoir son exécution, et les difficultés qui s't'leveraiont à
cet égard seraient soumises au tribunal qui l'a rendu. Si le
APPEL —
jugement était infirmé et qu'il y eût une condamnation à
exécuter, rcxécution appartient à la cour qui infirme,
à moins qu'elle n'ait indiqué un autre tribunal dans son
arrit.
Les procès de grand criminel sont de la compétence exclu-
siTe de la cour d'assises; les arrêts qu'elle rend sont dé-
cisits , souverains ; il n'y a pas d'appel contre eux , mais
seulement recours en cassation.
L'appel en matière administrative est de la compétence
du conseil d'État.
L'origine des appels est fort ancienne. Dès les premiers
temps de Rome, nous voyons Horace, condamné à mort
pour avoir tué sa sœur, sauver ses jours par un appel au
peuple. Le consul Valérius Publicola fit consacrer par une
loi formelle ce droit d'appel au peuple. Mais le second degré
de juiidiction n'existait qu'en droit criminel ; et pendant toute
la république il n'y eut pas d'autre appel en matière civile
que le recours aux tribuns du peuple. Sous l'empire, enfin,
ce droit fut universellement reconnu , et l'appel eut lieu
devant le préfet du prétoire.
Le droit d'appel exista en France dès les premiers temps
de la monarchie ; Charlemagne, voulant en rendre la voie
plus facile, en avait chargé les mi s si dominici. Al'avéne-
ment de Hugues Capet, les seigneurs refusèrent de recon-
naître les envoyés de celui qui avait été leur égal , et se
constituèrent juges souverains dans leurs possessions. Le
droit d'appel fut virtuellement aboli ; le combat judi-
ciaire le remplaça. Jaloux d'étendre son pouvoir et d'a-
baisser la féodalité, Philippe- Auguste établit qu'en cas de déni
de justice on pourrait se pourvoir de la cour du vassal à
celle du suzerain; c'était l'appel de défaut de jtigetnent.
Devant le tribunal du suzerain le seigneur demandait le
renvoi de l'affaire à sa cour ; s'il gagnait, l'appelant était en
outre condamné à une amende envers lui. Il y avait encore
un autre mode d'appel : c'était l'appel i>onT faux jugement.
Fausser une cour de justice, c'était l'accuser d'avoir jugé
deloyaument. Le tribunal ou le juge ainsi insulté était alors
frappé d'interdiction ; il offrait donc de faire le jugement bon
par gage de bataille. Le combat tranchait la question. Les
vilains ne pouvaient fausser la cour de leur seigneur, parce
qu'ils n'avaient pas droit de combattre; les condamnés à
mort ne le pouvaient pas non plus, parce que tous l'auraient
fait pour sauver ou prolonger leur vie. — Louis IX acheva
l'œuvre de Philippe-Auguste en proscrivant le combat ju-
diciaire et en décidant qu'il ne terminerait plus les appels
pour faux jugements. On fut libre de fausser sans vilains
cas, c'est-à-dire sans accuser le juge de déloyauté, par erre-
mens seurquoi li jugements fus f es. Quant aux jugements
rendus sur ses domaines, on ne pouvait les fausser, mais on
en demandait l'amendement comme portant préjudice; s'il
s'agissait d'une erreur de droit, la suppHcation était présentée
au roi; s'il n'était question que d'un simple mal-jugé ou
d'une erreur de fait, le même tribunal révisait le jugement.
La procédure des établissements fut adoptée peu à peu
dans la plupart des juridictions seigneuriales ; bientôt le
tribunal des plaids de la porte et le conseil du roi qui ju-
geait les appels ne suffirent plus à leur multiplicité. On fixa
alors quatre époques dans l'année où l'on s'en occuperait
spécialement, et ce fut l'origine du parlement. Cependant
l'institution des appels donnée aux justiciables comme un
secours et une garantie était devenue la source d'incroyables
abus ; on était souvent obligé de passer par six degrés de
uridiction. La révolution simplifia la procédure, et nous lui
devons l'organisation judiciaire actuelle, qui a réduit à deux
le nombre des degrés de juridiction.
La juridiction de premier ordre, ayant pour attribution
générale de connaître souverainement, en matière civile, des
appels de jugements rendus par les tribunaux de première
instance et de commerce, et en matière criminelle, des ap-
pels de police correctionnelle, a reçu tour à tour les noms de
APPENDICE 701
tribitnal et de cour d'appel, do cour Impériale et de coxir
royale, suivant les gouvernements. Elle statue en outre sur
les mises en accusation des prévenus contre lesquels les
chambres du conseil des tribunaux de première instance ont
rendu des ordonnances de prise de corps.
Il y a vingt- huit cours impériales en France; elles ont leuse
sièges à At;en, Aix, Amiens, Angers, lîastia, Besançon,
Cordeaux, Bourges, Caen , Chambéry, Colmar, Dijon,
Douai, Grenoble, Limoges, Lyon, Metz, Montpellier, Nancy]
Nimes, Orléans, Paris, Pau, Poitiers, Rennes, Riora, Rouen]
Toulouse.
Les magistrats des cours impériales prennent le titre de
conseillers; leur nombre varie dans les différentes cours;
il y a dans chacune au moins vingt-quatre conseillers, y
compris les présidents. Chaque cour a un premier prési-
dent et autant de présidents qu'elle a de chambres.
Chaque cour a une ou plusieurs chambres civiles , une
chambre d'appels de police correctionnelle, et une chambre
d'accusation. Les chambres civiles, et dans certains cas
les chambres correctionnelles, connaissent des appels des
jugements des tribunaux de première instance et
des tribunaux de commerce. Les chambres correc-
tionnelles connaissent des jugements des tribunauxcor-
rectionnels. Les chambres d'accusation statuent sur le
renvoi à la cour d' a s s i s e s des accusés de crimes . Il y a
en outre une chambre des vacations, chargée de juger,
pendant les vacances , les affaires urgentes.
Les cours impériales exercent undroit de surveillancesur
les tribunaux civils de leur ressort; elles reçoivent en outre
le serment des présidents et des juges des tribunaux de
première instance et des tribunaux de commerce, ainsi que
des membres du parquet près les premiers de ces tribunaux.
Les chambres civiles ne peuvent statuer qu'au nombre
de sept conseillers au moins , et les chambres correction-
nelles et d'accusation qu'au nombre de cinq au moins. Le
ministèrepub lie près les cours impériales se compose
d'un procureur général impérial , d'avocats généraux et
de substituts du procureur général. Dans chaque cour im-
périale il y a un greffier en chef et des commis greffiers
assermentés en nombre suffisant pour le service de la cour.
Près de chaque cour impériale est attaché un nombre fixe
d'avoués et d'hu issiers, qui seuls ont le droit de
postuler et d'instrumenter près d'elle. *
APPEL COALME D'ABUS. Voyez Abls.
APPELANTS. C'est le nom qu'on a donné aux évo-
ques et autres ecclésiastiques qui avaient interjeté appel au
futur concile de la bulle Unigenitus , donnée par le pape
Clément XI et portant condamnation du livre du P. Quesnel,
intitulé : Réflexions morales sur le Nouveau Testament.
APPEIXDICE {appendix, àw.y&vhependere,appendere,
pendre, suspendre, être pendu, suspendu, attaché). En ter-
mes de granunaire etde belles lettres, ce sont des annotations,
des explications, sous forme d'additions, et séparées de l'ou-
vrage qu'elles sont destinées à éclaircir, et dont elles sont une
dépendance nécessaire. — En termes d'anatomie et de méde-
cine, il se dit particulièrement des membranes, des par-
ties additionnelles à la structure d'un organe. Il y a des ap-
pendices membraneux de diverses figures dans la plupart des
parties intérieures du cori)S. Le cœcum a un appendice en
forme de ver oblong, fait de la jonction des trois ligaments
du colon, qui est plus grand chez les enfants nouveau-nés
que chez les adultes. — En botanique , on appelle appen-
dice l'espèce de prolongement qui accompagne le pétiole
presque jusqu'à son insertion sur la tige ou sur les ra-
meaux ; on donne encore ce nom aux écailles qui entourent
l'ovaire des graminées ; Vappendice terminal est le petit
filet qui se prolonge au-dessus de l'anthère; \cs appendices
basilnires sont de petits prolongements qui .se trouvent
quelquefois à la partie inférieure des loges de l'anthère;
ces derniers sont aussi appelés soies.
702
\PPE?iZELL {Abbatis Cella), le treizième canton de
la Suisse , pays de montagnes , entoure par le territoire du
canton de 6âint-Gall, d'une superficie d'environ 440 lulo-
mètres carrés, avec une population de 51,000 ûmes et divisé
en deux demi-cantons : l'un , Appenzcll- Hhodes- Extérieu-
res (Arisser-Rhoden), est prolestant, et contient 27ôl(iiom.
carrés de superficie, avec 41,000 habitants ; le second, Ap-
penzell-lihodes-Tntérieiires {Inner-Rimlen), est catho-
lique, et contient 165 kilom. carrés, avec 10,000 habitants.
Appenzell, Trogen , Iluntwyl , Hérisau , Gais, et le cé-
lèbre établissement thermal de Molken en sont les localités
les plus importantes. L'économie rurale alpestre constitue
la principale occupation (le la population, et forme en même
temps une branche d'industrie importante; mais la partie
protestante du canton en est le principal théâtre. La cons-
titution de YInner-Rhodcn fut revisée en 1829 , et celle de
VAusser-Rhodcn en 1824 , sans que leurs bases essentielle-
ment démocratiques fussent d'ailleurs sensiblement modi-
fiées. Le pouvoir suprême y est exercé par une assemblée
cantonale composée de tous les citoyens en état de porter
les armes et Agés de dix-huit ans révolus. Dans l'Ausser-
Rhoden existent en outre une double assemblée cantonale ,
un grand conseil et un petit conseil, etc. A la tête des com-
munes sont placés des capitaines et des conseillers élus par
les Kirchhœren, assemblée des anciens, et par une seconde
assemblée des autres votants de chaque paroisse. Les Ehe-
(jaumer, composés du curé et des deux capitaines, forment
dans chaque commune une espèce de tribunal patriarcal,
connaissant plus particulièrement des querelles de ménage,
des infractions aux bonnes mœurs, etc. Il en est de même,
dans l'Inner-Rhoden. Un caractère tout particulier de la
constitution d'Appenzell , c'est la confusion, le mélange, la
connexion de tous les pouvoirs, et leur mutuelle absorp-
tion, l'interdiction absolue de se servir du ministère d'avocats
dans les contestations judiciaires, la durée des fonctions ec-
clésiastiques limitée à six mois et devant nécessiter alors
des élections nouvelles.
Appenzell faisait jadis partie du domaine particulier des
rois franks, qui accordèrent force franchises et privilèges à
l'abbaye de Saint-Gall, de telle sorte qu'au quatorzième
siècle les habitants d'Appenzell devinrent complètement
les gens de mainmorte du célèbre monastère. A la fin du
quatorzième siècle l'oppression exercée par les abbés pro-
voqua une insurrection parmi les habitants, qui grâce aux
victoires qu'ils remportèrent à Speicher et à Hauptlengs-
berg, parvinrent à se soustraire complètement à leur joug;
mais ce ne fut qu'en 1452 qu'ils s'unirent à sept autres
cantons, et qu'en 1513 que les uns et les autres furent ad-
mis à faire partie de la Confédération helvétique. A la suite
de nombreuses (pierelles , provoquées par la Réforme , une
décision générale de la Confédération établit dans le canton
la division politique et religieuse qui existe encore aujour-
d'hui, et qui donne à chaque demi-canton une complète in-
dépendance, quoique le canton entier n'ait qu'une seule et
même voix à la diète fédérale. Quand les deux demi-can-
tons ne peuvent s'entendre dans les questions religieuses, ce
qui n'est pas rare, le canton perd de droit sa voix.
APPÉTIT, APPÉTENCE (du latin appetere, désirer).
Pris dans son acception la plus commune, le mot appétit
sert à désigner la sensation qui nous avertit du besoin gé-
néral de restauration qu'éprouve l'organisme , et de l'apti-
tude à agir des organes de la digestion; mais ce mot s'ap-
plique .seulement au désir des aliments solides, tandis que
le besoin des liquides est désigné par le nom de soi f. Les
physiologistes regardent l'appétit comme un premier degré
de la faim, et il se distinguerait d'elle, suivant eux, en ce
qu'il est un état agréable, qui promet le plaisir, tandis que
celle-ci constitue un besoin impérieux, pénible à supporter
et allant vite jusqu'à la douleur.
Dès que le besoin de réparation se fait sentir, l'appétit
APPENZELL — APPIANI
s'éveille : il consiste d'abord dans une sensation agréable
que l'ingestion de certaines substances stimule davantage ,
ce qui fait dire que l'appétit vient en mangeant ; parfois
même le seul souvenir d'aliments qui plaisent porte l'ajjpétit
au plus haut degré : son intensité et les époques de son re-
tour varient selon l'âge, les tempéraments, les climats, les
lieux, les professions, la quantité et plus encore la nature
des aliments ingérés. Ginguené a dit avec raison :
L'appétit s'entretient par la sobriété.
Quand le besoin est satisfait, la sensation éprouvée cesse
et est remplacée par une sensation qui peut , au delà d'un
certain terme, devenir tout o|»posée et dégénérer en s a-
tiété ou dégoût; l'appétit peut disparaître aussi quand il
n'est pas satisfait, mais presque toujours pour revenir plus
vif, plus pressant, et pour revêtir la forme de la faim. Il
est d'observation que le quinquina et les toniques, le fer,
les aromates , calment ou masquent d'abord l'appétit, pour
l'exciter ensuite davantage. L'eau gazeuse et l'acide carbo-
nique, qui la rend telle, les sels alcalins, et en particulier le
bicarbonate de soude, sont autant d'excitants de l'estomac
qui peuvent servir à réveiller l'appétit. Les huîtres, les co-
quillages et plusieurs autres aliments qui activent la sécré-
tion de la salive , jouissent de propriétés analogues.
L'appétence est un état de l'organisme dans lequel les
imiividus bien portants ou malades éprouvent le désir, sou-
vent bien violent, d'user de certains aliments ou de cer-
taines boissons.
L'anorexie ou inappétence indique la diminution ou
le manque d'appétit.
Dans un sens plus général , appétit s'entend d'une incli-
nation , d'une faculté par laquelle l'âme se porte à désirer
quelque chose pour la satisfaction des sens : Appétit char-
nel, appétit vénérien ; appétit déréglé , appétit désor-
donné. La philosophie scolaslique distinguait entre Vap-
pétit concupiscible, faculté par laquelle l'âme se porte vers
ce qu'elle considère comme un bien, et l'appétit irascible,
qui porte l'âme à repousser ou à éviter ce qu'elle regarde
comme un mal.
APPÉTIT (Botanique). Voyez Civette.
APPLVIXI (Andréa), le Peintre des Grâces, ainsi qu'on
l'avait surnommé de son temps, naquit le 25 mai 1757 (la
même année que David et Canova), d'une ancienne famille
noble, àBosisio, dans le Milanais, et montra de bonne heure
la vocation la plus décidée pour la peinture. Sa pauvreté le
condamna pendant assez longtemps à faire des décors pour
les théâtres; mais il employait ce qu'il pouvait gagner au delà
de ses besoins matériels à fréquenter des cours d'anatomie
et des leçons de dessin. Obligé de suivredevilleen ville lesdi-
recteursde théâtre qui l'engageaient dans leur troupe, il visita
ainsi successivement Parme, Bologne et Florence, où il fit un
assez long séjour pour pouvoir étudier les grands maîtres et se
créer un style à lui. Il alla à Rome à trois reprises, à l'effet
d'y faire une élude de plus en plus approfondie des fresques
de Raphaël, dont le secret était alors à peu près perdu, et qu'à
force de travail il parvint à retrouver ; genre dans lequel il
surpassa bientôt tous les artistes alors vivants de l'Italie. Sa
supériorité fut si bien reconnue que dès l'âge de vingt-deux
ans on le chargea de peindre la coupole de l'église Santa-
Maria di Sau-Celso, à Milan. Plus tard encore le grand-
duc Ferdinand lui fit peindre des plafonds et diverses déco-
rations murales dans sa maison de campagne.
Appiani fut du nombre des Italiens qui saluèrent l'arrivée
de Bonaparte en Italie à la tête d'une armée française ,
comme l'aurore del'iudépendance italienne; et le jeune vain-
queur le nomma, en 1797, membre du corps législatif de la
république cisalpine. Devenu en 1802 électeur du collège des
Doctes, l'artiste fut nommé, l'année suivante, commissaire
des beaux-arts, puis peintre de la cour d'Italie, et enfin
chevalier des ordres de la Légion d'Honneur et de la Cou-
ronne de Fer. Comblé d'honneurs , chargé de travaux ex-
trêaiement lucratifs, le malheur ne tanla point à frapper de
nouveau à sa porte. Eu 1S13 une attaque d'apoplexie le
força à s'abstenir de tout travail; et la chute de iNapoléon
lui enleva bientôt après toutes ses charges et pensions. Il lan-
guit quelque temps encore, jusqu'au moment où une nou-
velle attaque fut le présage de sa mort prochaine, arrivée
k 9 novembre 1S17. Après sa mort, Milan voulut élever à
cet artiste éminent un tombeau dans le palais des beaux-
arts de cette ville : et ce fut ï horwaldscn que l'on chargea
d'exécuter le monument qui consacre sa mémoire. Appiani,
homme du commerce le plus facile et plus charmant, vécut
constamment dans cette société d'Iiommcs d'élite, tels que
Monti, Parini , Foscolo, Volta, etc., qui jetait alors tant d'é-
clat à Milan. Ce qui distingue son talent , c'est moins l'é-
nergie et la profondeur de l'expression que la pureté du
dessin et la grâce du coloris.
Outre les portraits de tous les membres de la famille im-
périale, d'une foule de ministres, de maréchaux et de hauts
fonctionnaires, Appiani fut chargé de peindre en grisaille
dans le palais impérial et royal de Milan une suite de com-
positions retraçant les principaux faits d'armes de Bonaparte
dans son immortelle campagne d'Italie, et d'allégories rela-
tives à ses institutions commeconsul et comme empereur.
Il peignit successivement le jeune héros à Monlenotte, à Lodi,
à Arcole, à Millesimo, à Rivoli, à la Favorite. Sous des formes
empruntées à l'allégorie, l'artiste consacra le souvenir de la
fédération de la République Cisalpine, puis les circonstances
les plus remarquables de la campagne d'Egypte. Viennent
ensuite les tableaux où Bonaparte apparaît comme consul à
vie, passant le Saint-Bernard avec son armée, vainqueur à
Marengo, puis enfin devenu empereur des Français, et
bientôt après roi d'Italie. Ces compositions , au nombre de
vingt et une, dont quelques-unes sont divisées en plusieurs
tableaux, sont pleines de vie. On y trouve i!es combinaisons
heureusement pittoresques et de la richesse d'invention. li
esta regretter seulement qu'il ait parfois arrangé à Vantiqne
le costume de nos soldats de 1797, et que les combattants
qu'il met aux prises rappellent un peu trop les Romains et
les Daces de la Colonne Trajane. Cette œuvre connue sous le
nom ào. Fastes de Napoléon, a été gravée par Longhi.
APPIEJV d'Alexandrie, d'abord avocat à Rome, puis
administrateur des revenus impériaux sous Trajan, Adrien et
Marc-Aurèle, composa en langue grecque une histoire ro-
maine depuis les temps les plus reculés jusqu'à Auguste,
en 24 livres, mais dont une faible partie seulement est par-
venue jusqu'à nous. Il exposa les événements ethnogra-
phiquement, suivant les guerres des Romains contre les dif-
férents peuples jusqu'à leur réunion sous la puissance ro-
maine, par exemple contre l'Espagne, contre Annibal et
Carthage, contre la Macédoine, etc. Des livres qui traitaient
des guerres civiles de Rome, il n'y a que les cinq premiers
qui soient venus jusqu'à nous. Son style est peu orné , et
tombe même parfois dans la sécheresse. Mais la manière
dont il raconte les faits témoigne au total d'un grand amour
de la vérité, bien qu'il ne soit pas exempt d'une certaine
partialité pour les Romains. Les plus anciennes éditions
d'Appien, celles de Robert Estienne (Paris, 1551) et de Henri
Estienne (Paris, 1557), ne contiennent pas tous les livTes de
l'histoire romaine d'Appien qu'on possède. La meilleure édi-
tion est incontestablement celle de Schweighœuser (3 vol.;
Leipzig, 17S5); on peut sans exagération dire de ce savant
travail qu'il nous a rendu Appien. Le texte de Schweighaîu-
ser, augmenté des fragments nouveaux retrouvés par A.
Mai, a été réimprimé en 1840, dans la belle collection des
classiques grecs publiée par MM. Didof.
APPIEXN'E (Voie). C'est la route la plus ancienne et
la plus connue, qui conduit de Rome à Capoue. Cette reine
des voies antiques commençait dans la onzième région delà
?illc, près du cirque Maxime, longeait la vallée d'Égérie,
APPIANI — APPLALDISSt.MKNT 703
gagnait le champ ou combattirent les Horaces, |tuis, à tra-
vers le Latium, les Marais Pontins, la Campanic et l'Apu-
lie, s'en allait finir au littoral de Brindes.
Décrétée l'an 442 de Home (313 av. J.-C), la voie Ap-
pienne fut immédiatement entreprise, sous la direction des
deux censeurs en charge : AppiusClaudius Cieeus, dont elle
porte le nom, et Caïus Plautius Venox. Plus tard elle fut
prolongée jusqu'à Brindes. Caïus Gracchus la compléta en
y faisant poser des bornes milliaires et des mon/oirs.
La voie Appienne fut la première route stratégique qui ait
été construite en Europe; œuvre de la politique romaine,
elle assura atout jamais la domination quirite sur les Latins,
les Èques, les Vols-pies, les Campaniens,dout elle traversait
le territoire. En m^me temps elle ouvrait aux aigles romaines
le chemin du monde entier. Elle doit être aussi considérée
comme une des plus prodigieuses créations de l'art. Strabon,
Frontin et Stace nous ont laissé les détails delà mise en œuvre.
Les obstacles que présentait un sol tourmenté, abrupte, ma-
récageux, furent surmontés ; la route se développa presque
partout sur l'axe de son point de départ. Les surfaces lurent
nivelées; desplans inclinés raccordèrent les montagnes aux
plaines, des constructions sur pilotis traversèrent les marais,
et l'on établit partout cette admirable chaussée pavée qui
devait résister à l'action des siècles , formée de pierres lar-
ges, dures, hexagones, emboîtées les unes dans les autres.
La piété patricienne et plébéienne adopta la voie Appienne
pour bâtir sur ses cotés les tombeaux de ses morts; enfin,
les traditions chrétiennes rapportent que ce fut dans les
cryptes qui l'avoisinent que le chri.-^tianisme persécuté
creusa des lits d'attente pour ses martyrs et chercha un
asile pour son culte.
Procope atteste la conservation de la voie Appienne jus-
qu'au sixième siècle de l'ère chrétienne. Bientôt elle cessa
d'être fréquentée, et ce magnifique ouvrage tomba en ruines.
Il n'en reste plus aujourd'hui que deux longues rangées de
débris informes et quelques fragments de dallage. M. Jaco-
bin! , ministre des beaux-arts et des travaux publics dans les
Etals Romains , fit comm^^ncer en décembre 1 850 des tra-
vaux d'exploration et de déblayement dans la partie de la
voie Appienne qui avoisine la ville éternelle. Le résultat dé-
passa toute espérance -. les tombes y sont en si grand nom-
bre qu'elles se superposent comme les s.Mles d'un seul pa-
lais. On y rencontre peu de temples et (.Vustrines (clos pour
brûler les morts), mais les tombeaux sont innombrables.
Cette vaste nécropole, cette Babel de cippes, d'urnes, d'au-
tels, décavés, de pyramides, de cryptes, de chapelles, de
temples mortuaires, promet à l'artiste, à l'archéologue, à
l'historien une nouvelle Pompéi.
APPJUS CL AUDI US. Voyez Claudius.
APPLAUDlSSEMEi\'T. Applaudir, c'est témoigner
son plaisir, sa joie, son admiration en battant des mains.
Ce mot, dérivé du hlhi plmidere , est, comme son radical,
une onomatopée, un mot où l'on retrouve l'imitation du
bruit qu'il rappelle. Fermez vos mains en voûte, frappez-les
l'une contre l'autre avec une certaine force, et vous en ob-
tiendrez un son assez semblable à celui du monosyllabe
plan, qui se trouve dans le plausiis des Latins et dans
l'applaudissement des Français : voilà ce que c'est qu'o^-
plandir.
Tenant, au contraire, vos mains étendues, frappez de
l'extrémité de l'une dans la paume de l'autre, et vous pro-
duisez un son éclatant. C'est ce qu'on appelle claquer,
autre onomatopée , dont le monosyllabe cla est le radical,
et qui n'a pas d'analogue en latin : ce qui prouve qu'il n'y a
pas de riche auquel il ne manque quelque chose.
Si les Romains , en fait de claques, ne possédaient pas le
mot, du moins connaissaient-ils la chose : aucun peuple n'a
porté aussi loin l'industrie des applaudissements ; ils les
divisaient en trois classes, si l'on en croit Suétone : les
bombi, dont le bruit imitait le bourdonnement des abeilles;
704
APPLAUDISSEMENT — APPLICATION
les imbrices, qui retentissaient comme la pluie tombant sur
des tuiles ; et les icslx , dont le son éclatait comme celui
d'une cruche qui se casse.
Les ôomôj rtpondent-ils à nos applaudissements graves?
Les imbrices et les tesCx", applaudissements plus sonores,
étaient-ils autre chose que des claques? Cest ce que nous
laissons à décider aux érudits, en reconnaissant seulement
que chez nous autres modernes aussi les applaudissements
ressemblent quelquefois à un bruit produit par des cruches.
On peut voir encore dans Sénèque les différentes manières
dont se donnaient les applaudissements : avec le pan de la
robe, que l'on faisait voltiger, ou avec les doigts, qu'on
faisait claquer, ou enfin de la môme manière que nous ap-
plaudissons aujourd'hui. Propercc nous apprend qu'on se
levait pour ap|)laudir : on est moins poli chez nous. Tacite
se plaint des applaudissements maladroits des gens de la
campagne, qui troublent l'harmonie générale des applau-
dissements moilulés. De nos jours on est moins difficile en
France, et c'est de la quantité qu'on se préoccupe en géné-
ral bien plus que de la qualité.
Les comiques romains ne se faisaient pas scrupule de
solliciter des applaudissements du public. Plaute et ïérence
observent rigoureusement celte coutume à la fin de leurs
pièces. Nos auteurs de vaudevilles sont les seuls qui l'aient
conservée; mais ce que les autres réclamaient à titre de
dette , ils le demandent à titre de charité. Cet usage semble
avoir été ignoré des Grecs.
Les comédiens romains étaient fort avides d'applaudisse-
ments ; c'est, au fait, le premier salaire de l'acteur. Aussi
Néron lui-même n'en fut pas moins ambitieux qu'Esopus en
était friand. Mais ce que celui-ci obtenait , Néron l'arrachait ;
et, si l'on en croit l'histoire, le tribun Burrhus, qui formail
son cœur, et le philosophe Séncque, q\ù formait son es-
prit , se sont mêlés plus d'une fois aux soldats qui ,
De momeots en momcnls ,
Ont arraché pour lui des apj.laudisseincnts. (RACINE.)
Applaudir, par extension, se dit pour approuver :
Le gros Bonneau d'un gros rire applaudit
A son bon roi, qui montre de l'esprit. CN'OLTAinE.)
Platidere avait aussi cette signification chez les Latins.
Un homme d'esprit s'apercevant que, dans une société
comme il y en a tant, on l'écoutait avec plus de faveur qu'à
l'ordinaire : « D'où vient, dit-il, qu'on vi' applaudit? Est-ce
qu'il me serait échappé quelque sottise? »
Arnaclt, de rAcadémie Française.
APPLICATION (du latin applicatio, dérivé de ap-
plicio, formé de ad et de plico, s'incliner, s'attacher, se plier
h, ou vers quelque chose). C'est en psychologie l'action
des facultés intellectuelles qui se dirigent sur un sujet et
s'y attachent fortement. En d'autres termes, c'est l'attention
portée au plus haut degré et toujours ramenée à un objet.
C'est aus-i une figure de riiétorique (voyez Citation).
En géométrie V application consiste à placer une figure
sur une autre pour déterminer leur égalité ou leur inéga-
lité. C'est de la sorte qu'Euclide et d'autres mathématiciens
ont démontre quelques-unes des propositions fondamentales
de la géométrie élémentaire; c'est ainsi qu'on prouve, par
exemple , que deux triangles ayant un angle égal com-
pris entre deux côtés égaux chacun à chacun sont égaux,
ou bien (ju'wjie diagonale partage un parallélogramme
en deux triangles égaux, ou encore que tout diamètre
divise le cercle et sa circonférence en deux parties
égales, etc.
Le sens du mot application ne difTèrc point en techno-
logie de celui qu'il a dans le langage des sciences exactes.
Par exemple, les brodeuses appliquent une étoffe épaisse
sur une étoffe claire, et, après l'avoir fixée par des points,
elles la découpent dans les intervalles, de manière à former
un dessin mat sur un fond lianspaiont. Le placage des
objets d'ébénisterie, l'étamage des glaces, etc., sont de vé-
ritables applications.
L'application d'une science est l'emploi de sa théorie
dans des questions pratiques; c'est le passage du vrai â
['utile. Souvent cette action, au lieu d'être directe, s'exerce
au moyen d'une ou de plusieurs autres sciences, qui servent
en quelque sorte d'intermédiaires; d'une proposition géo-
métrique, par exemple, découle une vérité mécanique, d'oij
sort une vérité astronomique, qui, à son tour, concourt à
former la théorie de la navigation. Dans ce cas il y a
application d'une science à une autre science. Chaque
science offre ce double caractère de pouvoir être considérée
comme théorie relativement à certaines sciences, comme
pratique relativement à d'autres; souvent même deux
sciences étant données, elles seront alternativement théorie
et pratique l'une de l'autre. Passons en revue les plus
remarquables de ces applications.
Application de l'algèbre à la géométrie. Cette branche
importante des mathématiques a été improprement appelée
géométrie analytique ; il vaudrait mieux lui donner le nom
de géométrie algorithmique, proposé par M. H. Wronski.
L'application de l'algèbre à la géométrie, prise dans toute sa
simplicité, fut connue de bonne heure ; l'idée de mesure en
est la plus simple expression; du moment qu'une ligne fut
représentée par un nombre, il y eut application de l'arith-
métique, qui par la généralisation ne tarda pas à se trans-
former en application de l'algèbre. — Considérée sous ce
point de vue , cette application fut connue des premiers
géomètres ; mais ils ne pouvaient l'employer que dans la
recherche des solutions de problèmes déterminés, ou seule-
ment pour la démonstration de quelques théorèmes élémen-
taires. Yiète, en fondant l'algèbre littérale, apporta
un puissant secours à la géométrie algùritlunique, qui com-
mença à faire quelques progrès. Mais il était réservé à Des-
cartes d'en être le véritable fondateur ; car le premier il
se servit d'un système de coordonnée s, et représenta les
courbes par des équations; il montra les relations du (ait
géométrique et du fait algébrique, de telle sorte que les racines
des équations furent représentées par les intersections d'une
courbe et de l'axe des abscisses, que l'élimination entre deux
équations à deux variables revint à l'intersection de deux
courbes, et ainsi de suite. Les lignes furent d'abord partagées
en transcendantes et en algébriques ; puis le degré des
équations servit à classer les lignes algébriques. Il se pré-
senta même une heureuse corrélation de l'algèbre et de la
géométrie, qui n'était certes pas le résultat du hasard, mais
du choix de coordonnées fait par Descartes. En même temps
que les courbes étaient représentées par des équations , les
propriétés des équations s'expliquaient par la considération
des courbes ; c'est ainsi que de Gua démontrait la règle des
signes de Descartes; la corrélation des deux sciences don-
nait l'idée de vérifier les propositions algébriques sur des
figures géométriques. Cette application de la géométrie
à l'algèbre a donné une rare évidence à la théorie des
équations, à la marche des fonctions dérivées, et à beau-
coup d'autres points qu'on peut établir uniquement avec
le secours de l'algèbre , mais dont la géométrie donne une
peinture qui frappe les yeux et qui grave dans la mémoire
le résultat obtenu. C'est cette application qui a inspiré à
M. Cauchy son admirable démonstration de ce théorème :
Toute équation aune seule inconnue et du degré u ad-
met n racines réelles ou imaginaires. — Descartes ne s'é-
tait pas borné aux courbes planes ; il avait esquissé la par-
tic connue sous le nom de géométrie analytique à trois
dimensions. Clairauts'en occupa spécialement, et découvrit
d'importants théorèmes sur les surfaces courbes et les cour'
bes à double courbure. Depuis Descartes la géométrie al-
goritlimique a été l'objet des travaux de tous les mathéma-
ticiens; ses méthodes générales ont été simplifiées, et elle
est parvenue à une grande perfection.
APPLICATION
lOS
L'application de l'algèbre et de la géométrie à la mé-
canique est fondi'c sur les nu^mes principes que Papplica-
tion de l'algèbre à la géométrie. Aiii^i, elle représente par
des équations les courbes décrites par les cor-ps en mouve-
ment, et elle clier«lic à déterminer la relation qui existe entre
les espaces que les corps décrivent quand ils obéissent à une
force quelconque, et le temps qu'ils y emploient. Réciproque-
ment, on fait rapplication de la mécanique à la gcojué-
trie : par exemple, on se sert des propriétés du centre de
gravité des figures pour déterminer le volume des corps
qu'elles engendrent on tournant autour d'un axe donné.
L'application de la géométrie et de l'astronomie à la
géographie consiste à déterminer la position des lieux par
l'observation des longitudes, des latitudes etdes altitudes, etc.
L'application de la géométrie et de l'algèbre à la phi-
losophie naturelle est due surtout à Newton ; c'est sur elle
que sont fondées toutes les sciences qui participent de la
philosophie naturelle et de la philosophie mathématique.
Une simple observation produira souvent une science tout
entière , ou du moins une branche de science. C'est ainsi
que lorsque l'expérience nous démontre que les rayons lu-
mineux en se rélléchissant forment un angle d'incidence
égal à l'angle de réflexion , nous en déduisons toute la
catoptrique. Car, ce fait une fois établi , la catoptrique de-
vient une science purement géométrique, puisqu'elle se trouve
réduite à la comparaison de lignes et d'angles donnés.
APPLICATION (Ecoles d'), écoles où l'on applique
à un but spécial des études générales faites dans d'autres
établissements d'instruction publique ; ainsi l'école Poly-
technique fournissant des élèves pour le génie, l'artillerie,
les mines, les ponts et chaussées, et ne leur donnant que les
connaissances générales nécessaires à ces différents services ,
fl a dû être créé autant d'écoles d'application spéciale; et
d'un autre côté, l'école militaire deSaint-Cyr préparant
des officiers d'état-major, de cavalerie et d'infanterie , il a
fallu aussi créer des écoles d'application d'état-major et de
cavalerie pour que les ofliciers de ces deux armes vinssent
y achever leurs études.
École d'application du Génie et de l'Artillerie. Cette
école aété créée par un arrêté des consuls du 4 octobre 1802,
arrêté ordonnant la réunion à Metz des deux écoles d'artil-
lerie et du génie établies déjà, l'une à Châlons-sur-Marne
en 1790, et l'autre à Mézières en 1791. L'organisation de
cette école fut modifiée par un règlement général du 26
mars 1807 et les ordonnances du 8 août 1821 , du 12 mars
1823 et du 5 juin 1831; et enfin réglée par un décret impérial
du 24 juin 1854.
L'école est composée d'élèves sortant de l'École polytech-
nique, destinés à devenir officiers du génie et officiers d'ar-
tillerie pour l'armée de terre et pour l'armée de mer; le
nombre est annuellement fixé par le ministre de la guerre :
en y arrivant les élèves obtiennent le grade de sous-lieute-
nant et en portent les marques distinctives, à moins qu'ils
n'aient pas achevé leurs deux années d'éludés à l'École po-
lytechnique, cas où ils ne deviennent sous-lieutenants élèves
qu'à l'expiration du temps voulu ; ils restent deux ans à l'é-
cole, ou trois ans au plus, et sont classésdélinitivement dans
les armes du génie et de l'artillerie, suivant leur ordre de mé-
rite , s'ils ont satisfait aux examens de sortie . Il y a des cours
communs etdes cours spéciaux pour chaque arme. En com-
pensation du temps consacré aux éludes préliminaires, on
compte à chaque élève quatre années des services d'officier.
Le ministre de la guerre peut autoriser les officiers qui n'ont
pas passé par cette école à en suivre les cours.
École d'application du génie maritime. Cette école,
établie à Lorient, apour but de former des ingénieurs char-
gés de diriger la construction des vaisseaux de la marine im-
périale el les travaux relatifs à ce service. Les élèves, dont
le nombre est détermmé chaque année par le ministre de la
marine, suivant les besoins du service, en sont pris parmi
DICT. DE LA CONVERS. — T. I.
ceux de l'école Polytechnique qui ont été déclarés admis-
sibles dans les services publics. Us doivent rester deux ans
à l'école d'application, où ils sont exercés : 1° au dessin
des plans des bâtiments de guerre , ainsi que de leur mâ-
ture, voilure, installation et emménagement; 2° aux cal-
culs de déplacement, de stabilité, de centre de gravité el de
voilure, et à tous autres objets relatifs à la théorie de l'ar-
cliitecture navale; 3° à l'étude des machines à vapeur el
autres qui peuvent être d'une application utile, soit dans
les arsenaux , soit à bord des bàliraents de guerre ; 4" au
dessin d'ornement et au lavis ; 5° à l'étude de la langue
anglaise. Ils sont conduits fréquemment sur les chantiers et
dans les ateliers de la marine, pour acquérir la connaissance
des procétlés suivis dans la construction des bâtiments de
guerre et clans la préparation des objets de toute espèce qui
en composent l'armement. Après avoùr terminé deux an-
nées d'études à VÉcole d'application, les élèves subissent
un examen sur les diverses parties de l'instruction qu'ils
ont reçue. Ceux qui , ayant répondu d'une manière satis-
faisante , ont été déclarés admissibles par la commission
d'examen , sont nommés immédiatement sous-ingénieurs de
troisième classe : leur classement dans ce grade est réglé
d'après le résultat de l'examen. VÉcole d'application fut
créée par la loi du 21 septembre 1791, sous le nom d'École
des Ingénieurs-Constructeurs. La loi du 30 vendémiaire
an IV (22 octobre 1795) conserva cette institution à Paris,
sous le nom à'Écoledcs Ingénieurs de Vaisseaux ; tnfm ,
une ordonnance royale du 28 mars 1830 l'a constituée défi-
nitivement .sous le nom d'École d'application du Génie Ma-
ritime, et l'a placée au port de Lorient.
École des Mines. Voyez Mines.
École des Ponts et Chaussées. Voy. Ponts et Chadssées.
École d'application d'État-Major. En créant le corps
d'état-major, destiné à remplacer les officiers de troupes qui
sous l'empire avaient fait le service des états-majors sans
avoir les connaissances spéciales , le maréchal Gouvion
Saint-Cyr dut chercher à donner aux officiers de ce corps
toute l'mstruction nécessaire pour remplir avantageusement
les fonctions si multiples et si délicates des états-majors.
Aussi la création de l'école d'application date-t-elle du
jour même de la création du corps d'état-major, du6mai 1818.
Modifiée par une ordonnance du 10 décembre 1826, l'école
d'état-major fut définitivement constituée sur les bases ac-
tuelles par l'ordonnance réglementaire du 16 féraer 1833;
elle ne compte que cinquante élèves , portant le titre de
sous-lieutenants-élèves, détachés de leurs régiments jusqu'à
leur sortie de l'école, où, après avoir satisfait aux examens
de sortie, ils sont nommés lieutenants d'état-major.
L'école se recrute annuellement de vingt-cinq élèves, dont
trois sortant de l'école Polytechnique et vmgt-deux admis à
lasuited'unconcoursentretrente sous-lieutenants de l'armée,
proposés à l'inspection générale, ayant plus d'un an de grade
et moins de vingt-cinq ans d'âge, et les trente premiers
élèves sortant de l'école de Saint-Cyr. Ce n'est qu'après deux
années d'études consacrées à des cours, tels que géométrie
descriptive et analytique, topographie et géodésie, géogra-
phie militaire et statistique, fortification, artillerie, art mi-
litaire, administration, législation et justice militaires, théo-
rie de manœuvres de toutes les armes; et à l'application de
ces cours, tels que dessins de plans, levés réguliers et irié-
gulierssur leteiTain, levés demachines, de fortification, etc.,
que les officiers-élèves qui ont satisfait à des examens rigou-
reux de sortie remplissent les emplois de lieutenant vacants
dans le corps d'élat-mnjor; les officiers-élèves qui n'ont
point satisfait aux examens de sortie rentrent dans les régi-
ments auxquels ils appartiennent. A leur sortie de l'école, les
lieutenants d'état-major (ont un slagc de deux ans dans l'in-
fanterie, et de deux ans dans la cavalerie ; dans chacune de ces
armes, ils concourent, pendant leur première année, pour
le sei-vice avec les officiers de leur grade, et ils partagent,
89
706
APPLICATION — APPONY
pendant la deuxième année, les fonctions et les prorogatives
des adjudants-majors; alors seulement ils sont employés aux
fonctions d'aidcs-de-camp auprès des généraux , des minis-
tres, aux états-majors des divisions, à la carte de France ,
aux Tiiissions. — L'école d'application a noblement répondu
aux espérances de son fondateur ; par suite du développe-
ment donné à l'enseignement, de la bonne direction des
études , les officiers sortis de l'école purent bientôt rivaliser
pour le levé des plans avec les ingénieurs-géographes mili-
taires, dont le coq)s, créé le 30 janvier 1809, avait une école
d'application située au dépôt de la guerre. Licencié en 1815,
ce coqis et son école furent rétablis et réorganisés par les
ordonnances royales des 22 octobre 1817 et 26 mars 1826 ;
enfin, par ordonnance royale du 22 février 1831, ils furent de
nouveau supprimés, et leurs travaux confiés aux officiers du
corps d'élat-major.
Ecole de Cavalerie. Voyez Cavalerie.
F. DE BÉTHUNE, off. su|). d'ctat-majnr.
APPLIQUÉE. On appelle ainsi en géométrie une ligne
droite terminée par une courbe dont elle coupe le diamètre,
ou, en général, une ligne droite qui se termine par une de
ses extrémités à une courbe, et qui à l'autre extrémité est
encore terminée à la courbe môme, ou à une ligne droite
tracée sur le plan de cette courbe. — Ce terme de géométrie
est synonyme d'o r donnée.
APPOGIATURE (en italien appoggiatura, littérale-
ment : point d'appui). On donne ce nom à une note d'agré-
iiîent, le plus souvent étrangère à l'harmonie, et sur laquelle
s'appuie une des notes réelles de l'accord. Elle peut se
prendre en dessus ou en dessous à un intervalle quelconque ;
mais la manière la plus ordinaire est de l'exécuter en dessus,
telle que la fournit la gamme du mode où l'on est, à un ton
ou à un demi-ton de distance, et en dessous, presque tou-
jours à un demi-ton. L'appogiature s'emploie sans prépara-
lion, sauf certaines circonstances où cette préparation n'est
elle-même qu'un agrément mélodique. Tantôt le compositeur
ne l'écrit pas, surtout dans le récitatif, et c'est alors le
chanteur qui juge de l'opportunité de son emploi; tantôt il
l'écrit en petites notes , tantôt en notes ordinaires, et en ce
dernier cas elle doit être exécutée telle qu'il l'a voulu. La
note d'appogiature est presque toujours plus longue et plus
marquée que la note réelle, sur laquelle la voix doit se por-
ter nettement et sahs traîner. Lorsqu'elle n'est pas écrite
par le compositeur, elle n'a pas de durée absolue , on peut
l'abréger ou la prolonger selon les occasions. Communé-
ment, dans les mesures paires, elle emprunte à la note à
laquelle elle s'attache la moitié de sa valeur, et les deux tiers
dans les mesures impaires ou si la note est pointée ; enfin
elle peut absorber toute la durée de la note principale lors-
que celle-ci est prolongée par une ligature sur le même degré.
D'un autre côté , elle peut être jetée et par conséquent fort
rapide, car Vacciacahira , le mordant, le gruppetto sont
de simples variétés de l'appogiature, et quelquefois on les a
nommées appogiatures doubles.
L'appogiature a i)ris naissance en Italie ; et dans l'origine
elle s'appliquait presque uniquement au récitatif, où, tout en
servant merveilleusement l'accentuation de la parole, elle
évitait au chanteur l'intonation directe et incommode des
intervalles augmentés, et donnait à la cantilènc une gi-âce
toute particulière. Elle convient, en effet, dans sa forme or-
dinaire à la langue italienne plus qu'à toute autre. L'ancien
chant français ne faisait à peu près aucun usage de l'appo-
giature prolongée, et l'on ne s'en sert encore aujourd'hui
qu'assez sobrement et le plus souvent d'après la volonté
écrite du compositeur.
En harmonie on nomme appogiature toute note qui ,
n'entrant pas dans la structure d'un accord, précède une des
notes réelles de celui-ci, de même que l'on appelle noie de
passage celle qui se trouve à la suite dans un sens ana-
logue; ces noies n'ont aucune importance, et, comme l'on
dit, necompfentpas dans riiarinonic, bien que leur mise eu
cpuvrc exige certaines précautions. Adrien deLaf.ace.
APPOINT, terme de banque et de commerce par lequel
on exprime toute somme qu'on ajoute à une somme princi-
pale, pour que cette dernière égale la somme à payer. C'est
encore la somme qu'un négociant tire sur un autre pour en
recevoir le solde d'une balance de comptes, et la menue
monnaie que l'on donne pour former la totalité d'une somme
dont la plus forte partie a été acquittée, soit en billets de
banque, soit en espèces d'or ou en grosses pièces.
Un décret du 18 août 1810 défend d'employer la monnaie
de cuivre dans les payements, si ce n'est de gré à gré et pour
l'appoint. La loi du 22 avril 1791 oblige tout débiteur à
faire son appoint sans qu'il puisse exiger qu'on lui rende.
APPOINTÉ, grade au-dessous de celui de caporal , et
dont la marque distinctive était un seul galon de laine sur la
manche au lieu de deux. Ce nom fut substitué à celui d'a«s-
pessade, des mots italiens lanciaspezziata ( lance cassée ) ,
dont on a fait par corruption lanspassade, lancespesate,
lancepesale. Originairement on plaçait dans l'infanterie le
gendarme ou le chevau-léger dont le cheval avait été tué, ou
qui avait brisé, perdu ou cassé sa lance dans le combat. Il y
restait jusqu'à ce qu'il eût été remonté, et y conservait sa
solde. Ces gentils-hommes prenaient rang immédiatement
après le lieutenant. Cet usage date de 1554. Plus tard, on
substitua à ces gentils-hommes des grenadiers ou fusihers pris
parmi ceux qui s'étaient fait remarquer par leur bonne con-
duite et leur bravoure, et qui devinrent les aides des capo-
raux. Les anspessades ayant une solde un peu plus forte
que les soldats, les commissaires des guerres les désignèrent,
dans leurs revues et sur leurs contrôles, sous le nom A' ap-
pointés, qui finit par leur rester. D'autres prétendent que ce
nom leur vint de ce qu'on les appointait, c'est-à-dire de ce
qu'on les mettait au rang de ceux qui devaient faire la pointe
en quelque assaut ou dans quelque occasion périlleuse. —
Ce grade, supprimé en 1776, fut rétabli en 1788, et de nou-
veau supprimé en 1793. Depuis quelques années seulement
certaines armes spéciales l'ont rétabli avec la même marque
distinctive, sous le titre ù& premier soldat.
APPOINTEMENTS, terme de finance, qui signifie
la rétribution accordée au travail d'un employé, d'un com-
mis. Les fonctionnaires publics reçoivent un traitement;
les médecins, les avocats, les notaires, des honoraires;
les ouvTiers et artisans, des 5 a Z a i r e s ; les domestiques, des
gages. Les appointements des officiers, ou des employés
qui leur sont assimilés, se payent à l'échéance de chaque
mois; on les appelle solde. Celle de la troupe est payée
d'avance tous les cinq jours, aux sergents-majors et maré-
chaux des logis chefs, par les quartier-maîtres trésoriers
des corps, et -se nomme prêt.
Les appointements payés par l'État ne peuvent être saisis
que jusqu'à concurrence du cinquième sur les premiers
1,000 francs et sur toutes les sommes au-dessous; du quart
sur les 5,000 fr. suivants, et du tiers sur la portion excédant
6,000 fr., à quelque somme qu'elle s'élève. — La solde des
militaires inférieure à 600 fr. est insaisissable; elle n'est
saisissable que pour un cinquième lorsqu'elle dépasse cette
somme.
APPONY (Famille d'). Cette maison, très-ancienne
en Hongrie, tire son nom d'un village du comitat de Nitra,
qui lui fut concédé à titre de fief en 1492, et où sont situées
SCS propriétés héréditaires. Antoine-Georges, comte d'Ap-
ro?yY, né le 4 décembre 1751, mort le 17 mars 1817, a
laissé une réputation de savoir et d'instruction peu com-
mune. Ami des lettres et des sciencesj il avait réuni à grands
hais une bibliothèque, riche surtout en manuscrits précieux
et en belles et rares éditions.
Son fils, le comte Antoine-RodolpheTi'AvpovY,né\e7iep-
tembre 1782, fut d'abord envoyé extraordinaire et ministre
plénipotentiaire à la cour de Toscane, obtint ensuite l'am-
APPONY — APPRENTISSAGE
707
basjaile de Rome, qu'il occupa jusqu'en 1S24; puis celle de
Londres, que peu de temps après il échani^ea , sans en avoir
rempli les fonctions, contre celle de Paris, devenue vacante
par la retraite de M. de Saint-Vincent. Depuis lors jusqu'à
la révolution de Février il n'a pas cessé d'être en France
l'un des agents les plus actifs de cette politique d'inertie et
de slatu (y»oeurupooa dont M. de Metleniicli clait le créa-
teur. M. d'Appony est mort en Hongrie le 17 octobre ISô?..
Dans sa longue mission, il a eu l'occasion de voir suc-
cessivement à l'œuvre gouvernementale presque tous les
hommes en qui se sont personnifiées les différentes opinions
qui ont divisé notre pays jusqu'à l'avénenicnt de la Ré-
publique ; il a pu apprécier leur valeur relative , leur fai-
blesse, leurs passions et leurs vices. Il a donc parfaitement
connu les myrmidons, les turcarets et les scapinsqui ont si
longtemps exploité notre pauvre France, et qui n'ont pas
encore renoncé , tant s'en faut , à présider à ses destinées.
Aassi ses rapports , toujours marqués , disait-on , au coin
d'une observation aussi fine et spirituelle que profonde ,
ont-ils exercé sur les déterminations de son gouvernement
une influence décisive , et dont nos hommes d'État ont ap-
précié la haute portée, au point de lui faire, à l'occasion, li-
tière de nos droits et de nos intérêts les plus cliers.
Il a eu d'ailleurs l'avantage d'être admirablement secondé
dans une pirtie de sa mission par sa femme, née comtesse
de Nogarola de Yesone. Le salon de madame d'Appony a
été longtemps regardé comme le sanctuaire de la poUtesse
la plus élégante , et les arrêts qu'on y a rendus en matière
de goût ont été souvent acceptés comme d'infaillibles oracles.
Fenmie excessivement spirituelle , elle a su y appeler les
hommes les plus distingués dans tous les genres et y faire
revivre toutes les traditions brillantes de ces salons qui
au dix-huitième siècle étaient la gloire de la société fran-
çaise. On conçoit facilement dès lors tout le parti qu'a pu
tirer de pareils éléments un diplomate de l'habileté de
SL d'Appony, et les avantages qu'ils lui ont offerts pour exé-
cuter les instructions de son gouvernement, tromper nos
cabinets monarchiques, leur surprendre leurs secrets, et
imprimer indirectement à notre politique extérieure une al-
lure favorable au maintien du système d'immobilité et de
résistance dont son patron , >L de Mettçrnich , était l'âme.
Ce fut à l'occasion dune de ces fèîes ([iie dans les premiers
temps de son arrivée, sous la restauration, le diplomate au-
tridùen donna de vives préoccupations aux journaux en
refusant à une dame invitée, femme d'un maréchal de
France, le titre du duché, redevenu autrichien, que, de
par la volonté de l'empereur Napoléon, elle portait du chef
de son mari.
M. et M™^ d'Appony passaient pour excellents musiciens,
et donnaient des concerts fort agréables. Quoique ambassa-
deur d'Autriche, le comte ne paraissait jamais dans les fêtes
qu'en costume national hongrois, et ne portait jamais l'uni-
forme diplomatique du cabinet de Vienne.
Nous ne devons pas omettre ici de faire mention d'une
grande innovation dans nos mœurs et nos usages, tentée
par madame la comtesse d'Appony, toutefois avec plus de
persévérance et d'intrépidité que de succès et de boniienr.
Nous voulons parler des fameux déjeïcners dansants de
l'ambassade d'Autriche , qu'elle seule pouvait oser, espèces
de bals champêtres en plein jour, non moins faux et ma-
niérés dans leur genre que les bergeries étalées par l'Opéra
sous les feux combinés de la rampe et du lustre. Il n'en
reste plus que le souvenir ; mais que de femmes habituées
à briller sous l'éc'at des bougies n'ont jamais pardonné à
madame d'Appony de les avoir forcées de perdre irrémis-
siblenient le prestige de leur fraîcheur d'emprunt !
APPORT. Terme de jurisprudence qui signifie les som-
mes ou les valeurs que des époux stipulent par leur contrat
de mariage devoir apporter et mettre dans la communauté.
— Vapport social est la part que choque associé apporte
dans une société, soit en capitaux, soit en instruments de
travail. — En termes de pratique, Vapport des pièces d'un
procès est, soit leur dépôt au greffe par l'avocat occupant,
soit leur remise au tribunal qui en a demandé communication.
Autrefois, le mot apport était synonyme de lieu de foire
et de marc/u's ; et la trace de ce vieux mot est restée long-
temps dans la langue, grâce à l'habitude du peuple de Paris
de désigner l'extrémité septentrionale du Pont-au-Change ,
l'endroit oîi il se confond avec la place du Chàtelet, sous le
nom antique d' Apport-Paris , que, par corruption, il pro-
nonçait la Porte-Paris.
APPOSITION. En termes de grammaire, Vapposi-
iion est une figure par laquelle on joint sans particule con-
jonctive deux substantifs dont l'un est pris adjectivement et
sert à qualifier l'autre , comme dans ces vers de "Virgile :
Forinosum paslor CorydoD ardebat Alcxin,
Belicias domini, nec quid spcrarel habcbat.
APPOSITION DE SCELLÉS. Voyez Scellés.
APPRÉCIATION (du latin preiiu}n,pn\). Il y a cette
différence entre évaluer, estijneret apprécier, que le dernier
de ces verbes, tout en désignant, comme les premiers,
l'action de reconnaître, d'indiquer le prix d'une chose, s'ap-
plique plutôt aux objets qui n'ont qu'une valeur idéale,
comme un tableau, une statue, tandis que l'action des deux
premiers s'exerce sur des choses qui ont une valeur maté-
rielle et positive. On- fera estimer lai valeur réelle d'une
marchandise quelconque en raison des circonstances parti-
culières du moment ; on îeraévaluer le produit net possible
de la coupe d'un bois ; quant à un objet d'art, à une parti-
tion, à un manuscrit , pour en connaître la valeur relie, il
faudra les faire apprécier. Dans les deux premiers cas, il
suffira d'une expertise faite, d'après un tarif fixe et connu à
l'avance, par un homme dont la profession est de savoir le
cours des marchandises ou la valeur du travail matériel.
Pour l'autre opération , il faudra s'adresser à quelqu'un qui
ait le sentiment du beau dans les arts.
Par une extension toute naturelle, le verbe apprécier
s'applique aussi aux actes de la volonté et aux opérations de
la pensée : on apprécie la moralité d'une action, la justesse
ou la portée d'une idée, etc.
En musique , on appelle sons appréciables ceux dont on
peut calculer ou sentir l'unisson. Ils embrassent un espace
de huit octaves, depuis le son le plus aigu jusqu'au son le
plus grave ; mais il y a un degré de force au delà duquel le
son ne peut plus s'apprécier.
APPRÉHENSION. On appelle ainsi en logique la
première et la plus simple opération de l'esprit , celle par
laquelle il perçoit ou acquiert la conscience d'une idée. Le
mot perception, toutefois , est plus généralement employé
dans cette acception.
Dans le langage ordinaire le mot appréhension repré-
sente le premier degré de la peur, et désigne une crainte
vague dont l'objet est indéterminé. Si ce premier degré
arrive à être distinct, on éprouve de la crainte, et successi-
vement de la peur, de l'effroi, de l'épouvante et de la terreur.
APPRENTISSAGE. C'est le nom donné à l'étude
pratique d'un métier quelconque. Ce mot, qui semble ré-
servé aux professions industrielles, s'emploie rarement
dans les ai*ts libéraux.
V apprentissage peut être divisé en deux parties : la
partie théorique , qui concerne l'étude et la connaissance
des matériaux et des instruments qui conviennent plus spé-
cialement à l'exercice d'un métier; l'autre, purement pra-
tique, a pour but d'acquérir, par l'exercice, l'adresse et l'ha-
bileté nécessaires au maniement, à l'emploi de ces instru-
ments et à l'exécution des travaux qu'ils peuvent concourir
à opérer, à confectionner.
Le contrat d'apprentissage est celui qui intervient entre
un maître, fabricant, chef d'atelier, ouvrier, et un apprenti»
80.
708
par lequel le premier s'oblige à enseigner sa profession au
second, qui s'engage en retour à travailler pour lui pendant
un temps (i\é et d'après des conventions établies.
Avant la révolution de 1739 chaque corps de métier
avait ses rèj^lcs particulières pour l'apprentissage. Ces dis-
positions, inhérentes au système des maîtrises et des ju-
randes, plaçaient ks apprentis dans une dépendance voi-
sine de la servitude. Cette matière fut ensuite réglée d'une
manière générale par la loi du 22 germinal an XI. L'au-
torité n'intervint plus dans les contrats entre les maîtres
et les apprentis que pour en garantir l'exécution d'après la
lettre et Fes bornes de la loi, qui est égale pour tous. Cepen-
dant le silence de la législation , regrettable sur plusieurs
points, laissait désirer surtout qu'une surveillance fût exer-
cée sur les ouvriers et les artisans qui ont des apprentis
mineurs. L'apprentissage, cette éducation professionnelle
de l'enfance, a enfin éveillé l'attention de l'État, et celU;
lacune a été bien tardivement coniblée par la loi du 4
mars J851, qui a réglé ainsi qu'il suit leconlrat d'apprentis-
sage :
Il peut ôtre fait par acte public ou par acte sous seing
privé ; il doit contenir, avec les noms et qualités du maître
de l'apprenti et de ses parents , la date et la durée du
contrat, ainsi que les conditions de logement, de nourriture,
de rétribution, etc., arrêtées entre les parties. Le maître ne
peut pas recevoir d'apprentis mineurs s'il n'a pas vingt et
un ans; s'il est célibataire ou veuf, il ne peut loger comme
apprenties de jeunes filles mineures. Sont incapables de
recevoir des apprentis ceux qui ont subi une condamnation
pour crime, attentat aux mœui-s , etc. Le maître doit à son
apprenti les soins d'un bon père de famille ; il doit surveiller
sa conduite et ses mœurs et tenir ses parents au fait de
ses actions. Sauf conditions contraires, il n'emploiera l'ap-
prenti qu'à l'exercice de sa profession, jamais à des travaux
insalubres ou au-dessus de ses forces. La durée du travail
des apprentis ne pourra dépasser dix heures par jour au-
dessous de quatorze ans ; douze heures , au-dessous de
seize ans. Jusqu'à cet âge, aucun travail de nuit ne peut être
imposé aux apprentis. L'apprenti doit à son maître fidélité,
obéissance , respect ; il doit l'aider dans son travail dans la
mesure de son aptitude et de ses forces.
Les deux premiers mois du contrat sont considérés comme
temps d'essai, pendant lequel le contrat peut être annulé par
la volonté d'une seule des parties. Entre autres causes de
résolution du contrat, elle peut avoir lieu dans le cas où l'une
des parties manquerait aux stipulations, dans le cas d'incon-
duite habituelle de la part de l'apprenti et dans celui où il
contracterait mariage. Toute demande à fin d'exécution ou
de résolution du contrat sera jugée par le conseil des
prud'hommes, et à défaut par le juge de paix du canton ,
qui régleront les indemnités ou restitutions qui pourraient
être dues à l'une ou l'autre des parties.
L'art. 38G du Code Pénal prescrit la peine de la réclusion
contre l'apprenti qui se rend coupable d'un vol dans l'atelier
ou le magasin de son maître.
APPllÈT, AFFRÉTEUR. Apprêter les étoiïes , les
tissus et les toiles , c'est leur donner du lustre , assez de
corps ou de lermeté pour qu'ils ne prennent pas des plis
qui détruiraient bientôt leur éclat et leur fraîcheur. Souvent
les tissus sont apprêtés de manière à ce qu'ils aient une roi-
deur continuelle. Les procédés employés pour apprêter va-
rient suivant la nature des tissus et les usages auxquels on
les destine.
L'apprêt que l'on donne aux toiles de lin, de chanvre et
de coton se fait souvent avec l'emploi de fécule de pomme
de terre. Il est facile de s'en assurer en mouillant ces toiles
et les touchant avec un tube humecté de teinture d'iode :
il se développe une couleur bleue sur les tissus si l'apprêt
a été fait avec l'amidon. Voici le procédé employé pour ap-
prêter les tissus. Les toiles, par exemple, étant coni|)létement
APPRENTISSAGE — APPRIVOISEMEINT
blanchies, on les passe dans de l'eau contenant un peu d'a-
midon et d'azur. On fait bouillir une certaine quantité de
fécule ou d'amidon de pomme de terre avec de l'eau, et
l'on y ajoute la quantité d'azur ou d'outremer nécessaire pour
obtenir le ton que l'on veut avoir. Cette liqueur est versée
dans un envier où l'on fait barboter la toile. Pour être li-
vrée au commerce, la toile n'a plus besoin que d'être pliée
et soumise à une pression convenable, après avoir été sé-
chée. Pour l'apprêt du drap et des étoffes de laine , voyez
Catissage. Jules Garnier.
En termes de peinture, apprél désigne la couche de cou-
leur dont on enduit la toile, le bois, etc., sur lesquels on
entreprend quelque ouvrage de peinture; couleur que l'artiste
détermine d'après sa manière particulière de faire. Les ap-
prêts clairs sont préférés par ceux qui peignent facilement,
parce que les teintes destinées aux masses de lumière se
conservent plus brillantes quand on les emploie légèrement
sur un fond clair. Les apprêts bruns, plus favorables aux
ombres, ont l'inconvénient de les rendre quelquefois trop
sombres, et même noires en vieillissant.
Au figuré le mot apprêt est synonyme de recherche, d'af-
fectation dans le style, dans les manières.
AFFRIVOISEMENT , mode d'action par lequel
l'honmie parvient à rendre privés ou familiers les animaux
sauvages et même les bêtes féroces ou animaux de proie.
L'homme observe et soumet à ses calculs la marche des
corps astronomiques ; là se borne sa sphère d'action à leur
égard. Mais sa puissance, son pouvoir despotique se mon-
trent dans tout leur jour quand il s'agit des corps terrestres
qui l'entourent. Pour lui les corps bruts ou les minéraux
deviennent des agents ou des forces physiques qu'il dirige à
son gré et d'après ses calculs. Mais il n'agit dans ce cas
que sur des êtres sans vie. 11 ne peut donc les employer que
comme forces, que comme corps polis ou convertis en ins-
truments utiles, qui ne sont point encore des agents dociles :
ce ne sont encore là que des matériaux qu'il met en œuvre
et qu'il associe souvent avec les produits qu'il retire des
végétaux. A l'égard de ces derniers , qui, quoi qu'en ait dit
Aristote, ne sont point encore des êtres animés, il en est
à peu près de même que pour les corps bruts ou les miné-
raux : il les fait bien passer de la vie sauvage à l'état de cul-
ture ; il peut bien modifier les sauvageons et les transformer
en variétés innombrables ; mais un être, végétant , inanimé
et non susceptible d'une volonté instinctive , môme la phis
obscure , est encore frappé d'incapacité d'être en relation
avec la volonté de l'homme. Il en est encore de même à
l'égard de tous les animaux les plus inférieurs que le célèbre
Lamarck avait réunis sous le nom à'apathiques. Quoique
réellement animés , mais à un degré très-infime, les éponges
et les zoophytes, même les mollusques et les articulés infé-
rieurs, ne sont encore doués que d'un instinct qui ne pro-
duit que des actes très-bornés. Enfin les mollusques et les
animaux articulés , dont la sensibilité s'élève graduellement
et se manifeste par des mœurs sociales, ne sont point en-
core des êtres réellement intelligents et éducables, et par
conséquent susceptibles d'obéir sciemment à la volonté de
l'homme. On cite cependant quelques exemples d'araignées
apprivoisées par des prisonniers.
11 faut donc passer au grand type des animaux vertébrés
pour y examiner quels sont les animaux que l'homme aura
eu l'idée d'apprivoiser ou de rendre familiers ou privés. On
sait en général que les poissons élevés dans les viviers sont
attirés sur les bords ou à la surface de l'eau, soit par cer-
tains bruits, soit par la présence de personnes qui en prennent
soin ou s'amusent à leur donner de la nourriture. On peut
même arriver, quand la laim les presse, à leur faire recevoir
de la main même de celui qui l'oHre l'aliment qu'ils désirent.
Mais à cela se borne tout l'apprivoisement des poissons, qui,
obligés de vivre dans un milieu aqueux , ne peuvent être
réellement domestiqués.
APPRIVOISEMENT — APPROBATION
709
11 semblerait que rapprivoisenient serait chose possible à
IVgurd des reptiles à peau nue , qui , apri'-s avoir été pois-
sons dans leur jeune âge, peuvent ensuite vivre dans l'air.
Mais le peu d'intelligence de ces animaux, qui comprennent
les salamandres, les crapauds et les grenouilles, les fait avec
raison considérer comme stupides et non apprivoisahles.
D'ailleurs la répugnance qu'ils nous inspirent a dû toujours
éloigner l'idée de les apprivoiser.
C'est encore un sentiment de répulsion invincible bien
légitime, en raison de la venimosité redoutable de certaines
espèces , qui a dû déterminer l'homme à ne point tenter
d'apprivoiser les reptiles à peau écailleuse, parmi lesquels
les zoologistes rangent les tortues, les crocodiles, les h'zards
et les serpents. On conçoit cependant que tous les reptiles
(non venimeux) pourraient, élevés dans des ménageries, y
être rendus graduellement familiers ou privés à un degré de
plus que les poissons, en raison de ce que leur intelligence
est moins bornée.
La classe des oiseaux, qui, en général, nous plaisent,
soit par leur chant, par la beauté de leur plumage, par la
Tivacité de leurs mouvements, et surtout par la faculté de
s'élever dans l'air, renferme nécessairement les espèces que
l'homme s'est complu à retenir en captivité ou à apprivoi-
ser, soit pour son amusement, pour son plaisir, soit pour or-
nement de ses viviers, -de ses parcs et de ses jardins, sans
même compter ici les oiseaux de basse-cour et ceux qu'il
dressait autrefois pour le plaisir de la chasse des grands sei-
gneurs (voyez FACcoNNEr.iE). C'est ici le moment de faire
remarquer que rapprivoisement exige, en même temps que
les soins convenables, la mise en captivité, à laquelle s'ha-
bituent facilement les individus de plusieurs espèces de
passereaux, et principalement les pies, les serins et les per-
roquets, qui parviennent à répéter un très-grand nombre de
sons articulés, dont ils ne peuvent connaître la signification.
11 convient de distinguer parmi les oiseaux apprivoisés le
moineau domestique, vulgairement pierrot, comme facile-
ment apprivoisable lorsqu'on l'élève très-jeune, et nous
connaissons quelques exemples de pierrots très-fidèlement
attachés à leur maître, qu'ils suivaient comme le fait le chien,
et qui mis en liberté revenaient tous les soirs au logis,
suivis de plusieurs compagnons sauvages qui n'osaient point
y entrer. L'apprivoisement des pigeons est un fait si connu
qu'il suffit ici de l'indiquer.
Tous les soins convenables à l'apprivoisement consistent
à réunir des individus des deux sexes, à leur fournir les ali-
ments variés qui leur conviennent le mieux, et à leur faire
exécuter les actes qu'on exige d'eux , soit en étudiant leurs
penchants, leurs désirs et leurs besoins, en les privant en
certains cas de nourriture et de sommeil, soit en employant
l'oppression par la douleur physique qu'on détermine par le
froid, par des coups, et même en prévenant la férocité des
individus par la castration. C'est l'ensemble de tous ces
moyens que l'homme s'est vu forcé de combiner pour ap-
privoiser surtout les animaux les plus rapprochés de lui par
leur organisation , c'est-à-dire toute la classe des mammi-
fères, dans laquelle se trouvent les animaux domestiques
{voyez Domestication), les animaux naturellement privés,
tels que le chien et le chat, et enfin les animaux féroces ou
sauvages, que l'on est parvenu à apprivoiser de manière à
pouvoir les offrir en spectacle. L. LAUnEXT.
APPROBATION. Ouvrez un livre imprimé avant
* 1789, et en regard du titre même ou à la fin de l'ouvrage,
vous verrez, au-dessous du mot appkobatio.n, cette formule
invariablement adoptée par la censure d'alors : « J'ai lu par
ordre de monseigneur le garde des sceaux l'ouvrage inti-
tulé : et je n'y ai rien vu qui soit dénature à en empê-
cher l'impression. » C'est qu'avant le grand mouvement so-
cial de 1789 nul n'avait le droit d'imprimer sa pensée, sur
quelque matière que ce fût, sans en avoir préalablement
obtenu la permission de l'autorité civile, qui déléguait à des
censeurs le soin d'examiner les manuscrits, de veiller à ca
qu'ils ne continssent rien de nature à porter atteinte , soit
aux principes religieux , soit aux maximes politiques qui
servaient de base à la société, et le droit d'en autoriser la pu«
blication. Cette approbation une fois obtenue, l'auteur ne
pouvait plus toucher à son manuscrit ; et s'il avait à y faire
une modification, même la plus minime, s'il voulait corri-
ger une erreur dont il s'apercevait tardivement, il lui fallait
obtenir une approbation nouvelle. On comprend quelles
entraves il en devait résulter pour le commerce de la librairie
et de l'imprirnerie. Aussi toutes les fois qu'il s'agissait d'une
œuvre dans laquelle la censure eût pu être scandalisée par
quelques propositions hardies ou malsonnantes , auteurs et
libraires la faisaient-ils imprimera l'étranger; et l'ouvrage
le plus hardi circulait ensuite librement dans le royaume ,
grâce à la tolérance du pouvoir, qui, obéissant, malgré qu'il
en eût, à l'esprit du siècle, fermait assez volontiers les
yeux sur ces infractions à la loi.
Dans les dernières années du règne de Louis XV on n'y
mettait même pas tant de façons, et pour échapper à la
pénalité qu'on aurait encourue en publiant patcmment un
livre dépourvu de l'approbation du délégué de monseigneur
le garde des sceaux, on le datait tout simplement d'Ams-
terdam , de La Haye , ou de toute autre ville étrangère ; et
la police, alors assez bonne fille au fond, faisait semblant
de ne rien voir, à moins que , par la hardiesse et la nou-
veauté de ses doctrines politiques ou philosophiques, l'ou-
vrage n'éveillât la sollicitude du parlement, lequel alors
informait et faisait saisir ce qui se pouvait trouver de l'édi-
tion, qu'un arrêt en bonne et due forme condamnait ensuite
à être brûlée par le bourreau au bas du grand escalier du
palais.
Dans notre législation nouvelle , la formalité préalable de
Vapprobation n'est plus requise qu'en un seul cas : Pour
pouvoir être mis entre les mains des jeunes catéchumènes
par les instituteurs chargés de les initier à la connaissance
des divins mystères du christianisme, les catéchismes doi-
vent être revêtus de l'approbation expresse de l'évêque
diocésain. On conçoit le but et le motif de cette exception
à la règle générale. 11 y va de la pureté de la foi, dont les
évêques sont les gardiens naturels. En général, les évêques
accordent au catéchisme publié par un imprimeur spécial de
leur diocèse le privilège de cette approbation; mais ils
veillent toujours à ce qu'il n'en soit pas fait un mauvais
usage.
L'Université, elle aussi, se mêle d'approuver les ouvrages
propres à être mis entre les mains de la jeunesse ; et cette
prétention repose sur des motifs qQi n'ont pas relativement
moins d'importance que ceux qu'on fait valoir pour les
catéchismes. Il est évident que l'éducation publique doit
être surveillée par une autorité quelconque , et que cette
surveillance doit s'exercer surtout sur les livres servant de
base à l'enseignement. Divers arrêtés du conseil de l'ins-
truction publique ont donc décidé que les livres revêtus de
son approbation pourraient seuls être mis entre les mains
des élèves dans les classes, ou bien encore leur être donnés
à titre de récompense dans les distributions de prix. Ces
arrêtés, excellents quant au principe^ ont donné naissance
à une foule d'abus. Grâce à de secrètes intelligences dans
les bureaux , certains libraires sont parvenus à établir un
monopole scandaleux, d'abord parce que les livres ainsi
approuvés sont vendus trois et quatre fois au-dessus de
leur véritable valeur, ensuite parce que l'examen préalable
que laisse supposer l'approbation officielle de l'Université
est un leurre. Ces ouvlrages, qu'on le sache bien, sont ap-
prouvés par cela seulement qu'ils sont édités par telle ou
telle maison qui a l'habileté d'intéresser à ses spéculations
des comparses plus ou moins infiuents auprès du conseil de
l'insti-uction publiciue. On se fera facilement une idée de
l'importance des intérêts qui se cachent sous cette formule
710
APPROBATION — APPROPRIATION
A'' approbation universitaire, si l'on rénéchit que l'on ne
compte pas en France moins de deux cent mille élèves re-
cevant l'éducation secondaire, et près de trois millions l'é-
ducation primaire dans les écoles publiques, et que c'est à
cette masse compacte de consommateurs, sans parler des
établissements, presque aussi nombreux, consacrés à l'é-
ducation des jeunes filles, qu'il faut incessamment fournir des
livres de tout genre et de tout prix, dont la durée est très-
bornée en raison môme du caractère général du public tout
particulier qui en a besoin.
Sous le spécieux prétexte d'améliorer des méthodes, de
les faire progresser, ces libraires , quand un livre élémen-
taire, la grammaire de Lhomond, par exemple, sera depuis
longtemps tombé dans le domaine public , quand des con-
currents pourront dès lors le fournir à des prix bien peu
au-dessus du simple coût de la fabrication matérielle, le
feront modifier et annoter quand même , et l'Université
s'empressera de Vapprouver et de Vadopler du moment
où il aura été enrichi par un de ses docteurs de notes cri-
tiques , grâce auxquelles il coûtera quatre fois plus cher au
consommateur, attendu qu'en adoptant comme siennes les
annotations de tel ou tel pédant en bonne odeur dans les
bureaux du ministère, le conseil ne s'est nullement inquiété
de savoir combien on les ferait ensuite payer au public
spécial condamné à les acheter.
Le moyen d'éviter ces abus et bien d'autres , ce serait la
publicité, ce serait le concours. Mettez au concours la com-
position môme des livres élémentaires que vous voulez dé-
cidément adopter pour les écoles publiques, et qu'ensuite
la vente et l'exploitation en aient lieu sur soumission et par
voie de rabais. C'est assurément fort simple , mais de long-
temps encore on se gardera bien de le faire. Il y a à ce gcl-
teau universitaire trop de parties prenantes pour que de
si tôt on renonce à en goûter.
A côté de l'université, dans le sein de laquelle il fait
de plus en plus invasion, s'agite, on sait, un corps mili-
tant qui prétend au monopole de l'enseignement religieux
et moral. Ce corps a aussi ses livres et ses libraires pri-
vilégiés , et ceux-ci ont toujours grand soin de placer en
tête des livres qu'ils débitent quelque belle et bonne appro-
bation d'évéque, qui devra être aux yeux de l'acquéreur
une suffisante garantie de l'orthodoxie des doctrines qui y
sont enseignées. Ces approbations épiscopales ne sont guère
données avec plus de discernement et de conscience que
celles du conseil de l'instruction publique. Ce sont , en gé-
néral , les grands vicaires qui se chargent de ce soin , trop
heureux lorsqu'ils ne sont pas à la fois juges et parties dans
leur propre cause , et condamnés à approuver leurs propres
livres ! Quand les ouvrages soumis à leur approbation n'ont
point été ainsi rédigés en quelque sorte sous leurs yeux , les
évéques , toujours mal instruits de ce qui se passe dans les
coulisses du monde littéraire , sont exposés, il faut l'avouer,
à de bien cruelles mystifications. On a vu il y a quelques
années le défunt archevêque de Paris , M. Affre , vaincu
probablement par les instances de quelque éditeur caméléon
habitué à diner de l'autel et à souper du tliédtrc , donner
de la meilleure foi du monde son approbation et sa béné-
diction à une collection de petits livres composés à l'usage
de l'enfance par un comédien relaps, auteur d'une foule de
productions rien moins qu'édifiantes.
APPROCHES. Terme de tactique sous lequel on dé-
signe les ouvrages construits par les troupes qui assiègent
une place pour en approcher. Les sapes , les tranchées , les
épaulements, les batteries, les logements sur les glacis, sont
autant de travaux d'approches. — On désigne aussi sous ce
nom la partie de terrain à franchir pour attaquer un poste
ou un camp retranché. L'on dit dans ce dernier cas que les
approches sont faciles, difficiles, impraticables , bien com-
mandées ou bien défendues ; qu'elles sont vues de tous côtés
par le canon de l'ennemi , etc.
APPROPRIATION (Clause d'). Peu de questions
politiques ont aussi vivement agité les partis dans la Grande-
Bretagne que la clause devenue célèbre sous cette dénomi-
nation. Au mois de juin 1833, lord Althorp {voyez comte
Spencer), qui remplissait les fonctions de chancelier de l'é-
chicpiier dans l'adrninistration présidée par le comte Grey ,
présenta à la sanction du parlement un projet de loi en
vertu duquel la dîme, si odieuse aux catholiques d'Irlande,
parce qu'elle se prélève au profit des ministres d'un culto
qui n'est que celui d'une incomparable minorité, était abolie.
Le bill décidait ensuite qu'il serait pourvu aux frais d'en-
tretien des édifices consacrés au culte, et aux autres dépen-
ses de l'Église anglicane d'Irlande, au moyen de réductions
à opérer tout à la fois sur le nombre des évôchés et sur le
traitement des évéques , au fur et à mesure que les sièges
viendraient à vaquer; que les terres épiscopales seraient
affermées, et que les revenus des bénéfices accordés au bas
clergé seraient frappés d'un impôt de 7 pour 1 00. Le ministre
n'avait pas pu ne pas prévoir qu'avec le temps, de ces diffé-
rentes sources de produits devrait nécessairement résulter
un excédant de recettes : aussi avait-il ajouté à son projet
de loi une clause stipulant que cet excédant profiterait à
l'État. Les ministres représentaient cette clause comme tout
à fait sans importance, attendu que dans l'espèce il no
s'agissait point des biens de l'Église , l'État n'élevant de pré-
tentions que sur ce que l'Église ne possédait pas encore et
qu'on ne pouvait espérer que d'une meilleure organisation
ainsi que d'une exploitation mieux entendue des terres épis-
copales. Les tories, au contraire, prétendirent que par cette
clause l'État voulait ?>' approprier ce qui ne lui appartenait
pas; que ce n'était pas seulement les biens ecclésiastiques,
mais encore tout ce qui en pouvait provenir, qu'on devait
exclusivement employer au profit de l'Église dominante ,
surtout en Irlande, où il y avait encore un si grand nombre
de curés mal rétribués; enfin que c'était là un déplorable
exemple que donnerait la législature, car ce serait tout sim-
plement le commencement de la mise au pillage des biens
ecclésiastiques. Il suffisait que les tories panissent la repous-
ser pour que les catholiques et le parti radical se rattachas-
sent à cette clause avec d'autant plus d'ardeur : aussi jetè-
rent-ils de violentes clameurs lorsque les ministres , afin de
ne point compromettre le sort entier du bill de réforme de
l'Église d'Irlande dans la chambre haute, y renoncèrent
spontanément; détermination à la suite de laquelle le bill
passa à une grande majorité dans l'une et l'autre chambre.
L'année suivante , M. W'ard, membre attaché à l'opinion
radicale, fit à la chambre des conununes une motion ten-
dant à diminuer en Irlande le chiffre du personnel du
clergé de l'Église épiscopale et à le mettre en proportion avec
celui de ses ouailles, puis à appliquer à l'éducation publique,
sans distinction de foi religieuse, l'excédant des recettes que
produirait cette économie. Les ministres , avec l'appui des
tories , étaient en mesure de faire repousser cette motion ;
mais la majorité du cabinet n'y consentait qu'à la condition
qu'une commission spéciale serait nommée pour faire une en-
quête sur l'état de l'Église et sur tout ce qui avait rapport à
l'éducation publique. C'était virtuellement reconnaîtie l'au-
torité du principe sur lequel M. VîaxA appuyait sa motion,
c'est-à-dire que l'Église est une institution politique dont
on peut, suivant les besoins du moment, augmenter ou di-
minuer le personnel. Lord Stanley, sir James Graham, le
duc de Richemond et le comte Ripon, qui ne partageaient
point cette opinion , résignèrent leurs portefeuilles , et il
s'ensuivit une crise ministérielle des plus graves. La com-
mission n'en fut pas moins nommée, et commença même
ses travaux ; toutefois les ministres repoussèrent toute pro-
position ayant pour but de faire une application quelconque
des biens de l'Église , jusqu'à ce que cette commission eût
fait son rapport.
A la réouverture du parlement, qui eut lieu au mois de fé-
APPROPRIATlOiN — APPROVISIONNEMENT
711
vrier 1S35, les tories ét;iient, dans l'intorvallc d'une session à
l'autre, revenus au pouvoir. Alors lord Jolin Russell, qui,
avec lord Melbourne et les autres membres du cabinet, avait
dil quitter le ministère, se mit à la tOto de l'opposition ; et au
mois d'avril, Robert Peel ayant présenté un bill des droits
d'I rlande, lord Jobn Russell fit adopter par la chambre des com-
munes la clause en vertu de laquelle l'excédant des revenus
de rÉglise épiscopale d'Irlande pourrait être appliqué à l'a-
mélioration de l'instniction publique de ce pays, sans accep-
tion de foi religieuse. Ce vote de la chambre basse ayant eu
lieu à une majorité de deux cent quatre-vingt-cinq voix contre
deux cent cinquante-huit, le ministère tory de Robert Peel
et de Wellington fut forcé de se retirer, et lord Melbourne
fut chargé de former une administration nouvelle. Lord
Moipoth , qui dans ce nouveau cabinet remplissait les
fonctions de secrétaire d'État pour l'Irlande, présenta à la
chambre des communes un autre bill des dîmes, stipulant
que l'excédant des revenus du haut clergé d'Irlande serait
appliqué aux besoins de l'instruction publique. La chambre
basse vota cette clause, mais la chambre haute la repoussa,
et le ministère renonça à son projet de loi. Autant eu arriva
en IS3G, quand lord Morpeth revint de nouveau à la charge
avec son bill. Pour la troisième fois alors, en mai , ce bill
des dîmes d'Irlande fut soumis au parlement, toujours avec
la clause d'appropriation , modifiée toutefois en ce sens
que dix pour cent du produit des dîmes devraient être ap-
pliqués à l'amélioration de l'instruction publique en Irlande.
Le 20 juin suivant , arriva la mort du roi Guillaume IV,
qui entraîna la dissolution du parlement, et le bjU fut ainsi
enterré dès sa naissance.
Sous le règne de la reine Victoria, les ministres vvhigs re-
noncèrent complètement à le présenter de nouveau, con-
Taincus sans doute qu'il n'y avait pas de chance pour eux de
le faire adopter par la chambre haute.
En 1845 les ministres ayant présenté un bill pour augmen-
ter l'allocation du collège irlandais de Maynootli, M. Ward
souleva de nouveau la question d'appropriation. D'après le
plan ministériel , le subside devait être pris sur le fonds
consolidé , c'est-à-dire sur le trésor ; M. Ward voulait que
l'allocation fût prélevée sur le produit des biens apparte-
nant à l'église protestante d'Irlande. M. Macaulay appuya la
motion de JI. Ward ; mais sir Robert Peel repoussa cette
motion d'appropriation, et elle fut rejetée par trois cent
vingt-deux voix contre cent quarante-six.
APPROVISIOXXEMEAiT, acte de faire provision
ou réserve d'objets de consommation et principalement de
comestibles. Ce mot indique une prudence toujours forte-
ment recommandée en économie politique et domestique. Il
oe s'applique pas seulement aux aliments dont l'homme se
nourrit, mais encore aux moyens de les faire circuler et de
s'en procurer suffisamment, ce qui est du ressort de la police
des transports et des marchés; il s'applique enfin aux
moyens de les préparer, pour les rendre utiles, à l'aide du
bois, du charbon, etc. Les Romains nommaient ces objets de
première nécessité annona ; et ce mot se retrouve avec le
même sens dans les capitulaires de Charlcmagne et de
Louis le Débonnaire. Sous Charles le Chauve on commença
à se servir du moideneratas, de denariiis, denier, c'est-à-
dire choses qui se payent ordinairement en menues monnaies.
De deneraias vient denrée, qui comprend tout ce qui est
nécessaire à la vie.
On ne doit pas s'étonner de ce que les législateurs se soient
occupés avec tant de sollicitude d'une matière aussi im-
portante, qu'ils aient établi des magistrats spéciaux pour les
approvisionnements, et que les lois se soient armées de sé-
vérité contre ceux qui entreprenaient de troubler un service
qui intéresse à un si haut degré la tranquillité publique.
C'est à la circulation facile des subsistances et à leur abon-
dance sur les marchés qu'on peut juger de la bonne admi-
nistration et de la prospérité intérieure d'un pays.
On connaît jteu les moyens qu'employaient les peuples de
la haute anticiuité pour pourvoir à l'approvisionnement de
leurs États et de leurs villes. Amasis, roi d'Egypte , força
par une loi tous les citoyens à rendre compte aux magistrats
de leurs moyens d'existence. En assurant l'approvisionne-
ment particulier, ce prince croyait faire assez pour l'appro
visionnemcut général. Un autre roi d'Egypte, un des Pharaons,
était mieux inspiré lorsque , disant son premier ministre
de l'Israélite Joseph, il le chargeait de mettre en réserve le
superflu des bonnes années pour faire face aux époques de
disette, et donnait ainsi l'exemple des premiers greniers d'a-
bondance dont il soit question dans l'histoire. A Athènes ,
Solon rendit une loi analogue à celle d' Amasis : la direction
de l'approvisionnement était confiée à l'aréopage, qui avait
sous ses ordres des agoranomes , commissaires généraux
des vivres, aidés par des sitones, pourvoyeurs chargés d'aller
acheter des blés à l'étranger; par des empimélètcs, qui te-
naient l'état des denrées arrivées et en faisaient payer le prix
aux marchands ; par des sitophulaques, gardiens des gre-
niers; par des sitométrarques, mesureurs de grains; par
des cpsanomes, chargés de tout ce qui était relatif aux
viandes et de réprimer le luxe des festins; et par des mna-
mones , préposés à la distribution du vin et frappant de
fortes amendes ceux qui en buvaient outre mesure. Afin de
prévenir les accaparements, aucun citoyen ne pouvait
acheter du grain pour plus d'une amiée. Le surplus était con-
fisqué au profit de l'État.
Ce ne fut que vers l'an 630 de sa fondation, lors du pre-
mier tribunat de Caïus Sempronius Gracchus , que Rome
sentit la nécessité de faire des règlements sur les grains.
L'approvisionnement commençait à devenir d'autant plus
difficile, que des gueiTes continuelles tenaient les Romains
éloignés de la culture des terres. Gracchus, pour plaire au
peuple , proposa la première des lois frumentaires , leges
frumentarix, qui permettait aux citoyens pauvres d'acheter
du blé au-dessous de sa valeur. Ce fut aussi vers cette épo-
que qu'on fit venir des grains de l'étranger. Les riches , ja-
loux de la popularité de Gracchus, imaginèrent, pour capter
les suffrages, de distribuer du blé ; et le peuple plus tard
trouva ce procédé si commode, que sous les empereurs
il ne lui fallait plus que des jeux et du pain : panem et cir-
censes.
Alors l'approvisionnement de Rome devint si difQcile, que
les édiles , et puis les tribuns, ne suffirent plus pour le sur-
veiller. Pompée fut investi de la nouvelle charge de préfet
de l'approvisionnement, ;3>a?/ec<î<s annonx. Auguste, ayant
remarqué combien les distributions de blé nuisaient à l'agri-
culture, voulut abolir toutes les lois frumentaires; mais les
abus avaient déjà poussé de si profondes racines qu'il n'osa
pas les attaquer. Il se borna à réunir tout ce qui concernait
cette branche de la police entre les mains du préfet de la
\']\\e , prœfectiis urbis, ayant sous ses ordres le préfet du
guet, prxfectus vigilium, et celui de l'approvisionnement,
prxfectus annonx. Celui-ci tenait note de tous ceux qui
participaient aux distributions publiques ; laboureurs, mar-
chands, gardes prétoriens , plébéiens, patriciens , sénateurs
même, pouvaient prendre part à cette dégradante aumône.
Sous Constantin il fallait huit millions de boisseaux de blé.
Aussi de quel effroi Rome n'était-elle pas saisie quand les
flottes chargées de grains éprouvaient quelque retard!
Pour subvenir à ces distributions, on imposait comme tribut
aux habitants des provinces conquises la dîme de leurs
blés, fnmentnm deaimamm. Le blé, conduit d'Ostie à
Rome par le Tibre , était déposé dans deux cent soixante-
trois greniers publics.
Dans les temps modernes l'approvisionnement des États
eu général, et de la France en particulier, a lieu par le
commerce intérieur et par le commerce extérieur, l'un et
l'autre soumis à des lois et à des principes différents. Au
premier rang des moyens nécessaires pour l'approvisionne*
712
ment par le commerce intérieur, il faut placer les Toies de
communication, fleuves, rivières, canaux, routes et chemins
de fer. Lorsqu'un État en est convenablement pourvu, son
approvisionnement devient facile; chaque province envoie
aux autres les denrées qu'elle récolte au delà de sa consom-
mation, pour recevoir celles qu'elle ne produit pas. Plus
les voies de communication sont bonnes et peu coûteuses ,
plus le consommateur obtient les produits à bon marché ,
plus en abrégeant, parla rapidité, les distances, on multiplie
les échanges. Toutes les denrées de première nécessité étant
difficiles à transporter, un gouvernement attentif aux besoins
du peuple ne saurait attacher trop d'importance à en faciliter
la circulation ; et c'est en ce sens que J.-B. Say a eu raison
de dire qu'un pays n'était civilisé qu'en proportion des
moyens de communication qu'il possède.
Après les voies de communication viennent les marchés
et les foires , institués pour assurer le débouché des pro-
ductions d'un pays. Dans le temps où les marchands étaient
rares, les foires rendaient de grands services; la consomma-
tion des bourgs et des villes n'était pas alors assez consi-
dérable pour nécessiter des commerçants à domicile. Mais
de nos jours les grandes foires même de Beaucaire, de
Guibray, de Francfort, perdent de leur importance, parce
que tous les principaux centres de production se changent
en foires perpétuelles. Les foires pour les bestiaux dans les
campagnes et les marchés qui approvisionnent les villes se
maintiennent encore, mais une civilisation plus avancée les
fera disparaître.
11 ne suflit pas pour un gouvernement de posséder des
voies de communication, des marchés et des foires, il lui
faut assurer la libre circulation des denrées sur tout son ter-
ritoire, et ne pas souffrir qu'il lui soit porté atteinte par les
préjugés populaires. C'est le meilleur moyen de rendre la
subsistance du peuple moins dépendante des vicissitudes
des saisons. La variété des récoltes et la diversité des ter-
rains occasionnant une très-grande inégalité dans la quan-
tité de productions d'un canton à l'autre, la récolte de
chaque canton se trouvant, par conséquent, ou au-dessus
ou au-dessous des besoins des habitants, ils ne peuvent
vivre dans les lieux oîi les moissons manquent qu'avec des
grains apportés des lieux favorisés par l'abondance. La li-
berté de cette communication est nécessaire à ceux qui
manquent de denrées suffisantes pour les empêcher de
mourir de faim; et elle est nécessaire aussi à ceux qui
ont du superflu, parce que sans elle ce superflu n'aurait
aucune valeur et que les cultivateurs , avec plus de pro-
duits que n'en demande leur consommation, seraient dans
l'impossibilité de subvenir à leurs autres besoins par des
échanges.
Parvenus à un certain degré de civilisation, les peuples
ne se contentent plus des produits de leur sol, ils demandent
au nord, au sud, à l'est, à l'ouest, les produits du leur.
De là l'approvisionnement^des États par le commerce exté-
rieur; de là les grandes questions des systèmes protec-
teur et prohibitif, des tarifs, des octrois, des
douanes, du libre échange, et accessoirement du
transit et des entrepôts intérieurs.
Après les essais malheureux faits dans Rome ancienne ,
dans plusieurs États modernes, dont les gouvernements ont
essayé de se réserver le monopole du pain, du vin et même de
l'huile ; après la tentative du maximum, chez nous, en 1793,
on ne saurait, en vérité , trop se Cer aux gouvernements,
si bien constitués qu'ils soient aujourd'hui , pour veiller à
la subsistance des peuples ; et l'on doit réclamer la liberté
comme la meilleure garantie d'un approvisionnement, sinon
abondant, du moins toujours en rajiport avec les besoins, et
jamais conipronu"s par de fausses mesures. C'est surtout
pour celui des grands centres de population qu'on a vu
mettre en jeu les mesures les plus contradictoires et les
plus bizarres. Ce n'est guère que depuis 1789 qu'on s'en est
APPROVISIONNEMENT
rapporté en France à la liberté ; encore a-t-on cru dcToir y
mettre bon nombre de restrictions.
Certainement , des villes considérables , comme Londres,
Paris ou Vienne, demandent pour leur approvisionnement
une surveillance que n'exigent pas les petites villes et les
bourgs; mais en multipliant les précautions, l'autorité aug-
mente souvent, faute de lumières, les gènes et les en-
traves. Elle empêche les négociants de se livrer à des opé-
rations qu'ils entreprendraient avec ardeur; car elles seraient
d'autant plus lucratives que le commerce d'approvisionne-
ment offre des avantages que n'ont pas tous les autres. Là
la mode est sans influence , la demande presque constante ;
et s'il a été si peu exploité, cela tient aux entraves de
l'administration et au préjugé populaire qui voit partout des
accapareurs. Au détriment des peuples et du trésor
public , le monopole a toujours joui de la faveur d'appro-
visionner les villes.
Dès 1170 une ordonnance constitue une société de mar-
chands sous le titre de nautx parisiaci , chargés exclusi-
vement d'approvisionner Paris par les rivières. Sous le
prétexte de veiller au bien public, les rois donnent à leurs
grands officiers la direction des diverses corporations for-
mées par l'ordonnance de saint Louis ayant pour titre :
Établissement des métiers de Paris. Le grand bouteiller
a sous ses ordres les marchands de vins et cabaretiers. Un
prévôt de Paris , Etienne Boileau , rédige le règlement des
boulangers, placés sous la surveillance du grand panetier.
En 1182 Philippe-Auguste, à qui Paris doit ses premiers
marchés , donne les statuts de la corporation des bouchers.
En 1475 Robert d'Estouteville, garde de la prévôté de
Paris, publie les premiers statuts de la communauté des
charcutiers.
Ces privilèges organisés pour l'approvisionnement de
Paris s'acquittèrent si mal de leur devoir, que de nombreux
abus et les plaintes continuelles de la population obligèrent
le gouvernement à créer, par un éditde 1667, un lieutenant
de police, chargé de connaître de toutes les provisions né-
cessaires pour la subsistance de la ville , amas , magasins ,
taux et prix , étaux de boucheries , adjudications , visites
des halles, foires et marchés. Tous ces intérêts spéciaux,
créés dans des temps d'anarchie et d'oppression, disparurent
devant la loi de 1791 , qui abolit les corporations. Depuis
lors le commerce d'approvisionnement resta libre jus-
qu'en 1802 , époque où furent reconstituées, par un arrêté
consulaire, celles des boulangers, bouchers et charcutiers
de Paris. Ces corporations ont été tour à tour libres et
restreintes à un certain nombre de marchands. Celle des bou-
chers a subsisté le plus longtemps ; elle n'existe plus au-
jourd'hui, mais le nombre des boulangers a été limité pour le
département de la Seine , en môme temps que la caisse de
la Boulangerieaété créée pour servir aux transactions
de cette profession et opérer une compensation entre les
prix trop élevés et trop bas du pain. On a préconisé les
greniers d'abondance que l'on pourrait emplir dans
les années d'abondance et vider dans les années de disette;
mais ils entraînent une dépense énorme de construction,
d'achat et de surveillance. Sans en établir positivement, la
ville de Paris a augmenté la réserve des boulangers et ré-
tabli d'immenses magasins. Comment, d'ailleurs, préserver
de grandes quantités de grains de l'atteinte des insectes? Et
puis la France ne produisant qu'un excédant annuel de blé
de quinze jours dans les années ordinaires et de cinquante- six
dans les années fort abondantes, il serait très-irapolilique
de faire dans nos grandes villes des amas de grains comme
ceux des greniers d'abondance. lien résulterait sur les blés
une hausse qui serait peut-être mal compensée par la baisse
dans les années de disette. E. de Monglave.
Al'I'HOVISIONNEMENTS MILITAIRES. IIS SB COmpOSCUt de VI-
vres , vêtements , armes , munitions , machines , outils pour
les travaux de défense ou de siège. Ils ont varié, comme les
APPROVISIONNEMENT — APULÉE
approvrsionnemculs civils, avec les i)ic)j;rt's de la civilisation
et le perfeclionncment de la tactiiiue. Chez la plupart des
peuples anciens, où les brusques invasions des conquérants
fournissaient aux combats des théâtres si vastes et des
troupes si nombreuses , il aurait été difficile de faire suivre
une armée d'invasion par une quantité de vivres sulTisante.
11 fallait donc prendre ses dispositions alin de vivre en
pays ennemi , ce qui devenait souvent dangereux et avait
fait adopter à plusieurs nations l'usage, encore suivi par les
Turcs et les Arabes, de ravager , après une défaite , le terri-
toire abandonné au vainqueui-, pour jeter la famine en travers
de sa marche. La coutume de se pourvoir de magasins mi-
litaires devint pourtant plus tard générale en Europe, et
une armée ne franchit plus ses frontières sans avoir des vi-
vres en réserve. Néanmoins, pendant les longues guerres
delà révolution, il fallut recourir au\ réquisitions. Ne
pouvant plus les exercer à l'intérieur. Napoléon les fit peser
sur l'étranger. Ce fut le principal moyen par lui mis en
usage pour soulager la France du poids énorme de son état
militaire. Il en résulta l'oppression , la ruine des habitants
des contrées envahies , et cette réaction violente qui finit
toujours par punir la gloire aventureuse qui s'en va ne se-
mant à droite et à gauche que désastres et vengeajices.
APPROXDL\TIOIV (du ktin appropinquo, dérivé
de ad et de proximus , ad proximiim ire, approcher).
Certains nombres n'ayant pas de rapport fini avec l'unité,
on ne peut déterminer exactement leur valeur ; mais on peut
toujours calculer ces nombres de manière que l'erreur com-
mise ne dépasse pas une limite donnée ; les valeurs ainsi cal-
culées sont des valeurs approchées ou des approxima-
tions. C'est ainsi qu'on évalue les racines irrationnelles de
tous les degrés , toutes les tables de logarithmes, le rapport
de la circonférence au diamètre, les racines des équations
numériques, etc.
U peut encore arriver que , sans être irrationnelle , une
quantité ne puisse pas s'exprimer par un nombre fini de
chiffres ; il en est ainsi d'une foule de fractions à deux termes,
lorsqu'on cherche à les réduire en fractions décimales , ou ,
plus généralement, quand on veut les transformer en frac-
tions dont le dénominateur est donné. Dans ce cas , U faut
bien se contenter d'une approxiuialioD, qu'on peut, lorsqu'il
s'agit de décimales , pousser aussi loin qu'on le veut. Quel-
quefois encore l'approximation est soumise à certaines con-
ditions : par exemple, lorsqu'on demande des fractions ordi-
naires qui diffèrent très-peu des proposées et qui soient
exprimées par de plus petits nombres, problème qu'on
résout au moyen des réduites des fractions conti-
nues.
Quand on a des calculs à faire sur des nombres obtenus
par approximation , il est nécessaire de connaître la limite
de l'erreur dont le résultat peut être affecté, afin de savoir
sur combien de chiffres exacts on peut compter. Cette ques-
tion est facile à résoudre dans la plupart des cas ; mais nous
ne pouvons entrer dans tous les développements qu'elle
nécessite , et nous renvoyons le lecteur à une notice très-
complète publiée sur ce sujet, en 1842, par M. Guilmin,
dans les Nouvelles Annales de Mathématiques.
V approximation des racines des équations est une
question d'une autre nature. On sait que les équations
d'un degré supérieur au quatrième n'ont pu encore être ré-
solues algébriquement, c'est-à-dire qu'on n'a pas pu trouver
une fonnule qui exprime l'inconnue en fonction des coeffi-
cients des divers termes de l'équation. On s'est alors spé-
cialement occupé de la résolution des équations numériques.
On a trouvé des méthodes pour déterminer toutes les
racines égales, puis, parmi les inégales, les entières et les
fractionnaires. Quand tout cela est connu , il faut , pour ré-
soudre complètement l'équation proposée, calculer les racines
incommensurables. L'approximation de ces racines a occupé
les plus grands analystes; les méthodes les plus remarqua-
DICT. DE Lk CONVERSATION. — T. I.
713
blés sont celle de Newton, habilement rectifiée par Fourier,
celle de Lagrange et celle de Budan. F. Merlirux.
APPUI. On appelle ainsi en architecture un petit mur
élevé entre les pieds-droits d'une croisée. Des balustrades
ou pièces de bois , de pierre ou de fer, placées le long des
rampes des escaliers , sont aussi des appuis : car ce mot
désigne tout objet sur lequel un autre objet s'appuie, et qui,
par conséquent, le soutient. — En termes de manège c'est
la manière dont le cavalier soutient le cheval en élevant la
bride, ou dont le cheval appuie sur le mors.
En statique on appelle point d'appui, en pariant d'un
levier,]e point fixe autour duquel la puissance et la résis-
tance sont en équilibre ; quand la puissance et la résistance
ont des directions parallèles, \e point d'appui est toujours
chargé d'une quantité égale à la somme de ces deux forces.
.\insi, dans une balance ordinaire à bras égaux, la charge
du point d'appui est égale à la sonune des poids qui sont
dans les plateaux.
APPULSE. On appelle ainsi en astronomie le passage
de la lune auprès d'une étoile ou d'une planète , sans qu'il y
ait éclipse. L'instant de l'appulse est celui où les bords des
deux corps sont à leur plus courte distance. L'observation en
profite pour déterminer les lieux de la lune, les erreurs des ta-
bles et les longitudes des stations au moyen du micromètre.
APRES-SOUPERS, désignation sous laquelle sont
connus parmi les amateurs plusieurs tableaux précieux des
deux Téniers commencés et achevés par ces grands maîtres
en une seule soirée. Le plus souvent ils représentent des ani-
maux, ou bien ce sont des marines; la vérité en est toujours
frappante, le coloris parfait, le dessin irréprochable.
A PRIORI, A POSTERIORI, A PARI, A FOR-
TIORI, A CONTRARIO, expressions adverbiales, dé-
signant diverses formes démonstratives usitées en logique.
A priori se dit d'un raisonnement dans lequel ou va de la
cause à l'effet, de la nature d'une chose à ses propriétés. Au
contraire , on raisonne a posteriori quand on remonte de
l'effet à la cause, des propriétés d'une chose à son essence.
Raisonner a pari, c'est conclure du semblable au semblable ;
a fortiori, du plus au moins ; a contrario, du contraire au
contraire. — Les deux premiers termes s'appliquent encore
aux idées : celles a priori sont perçues par la seule raison,
et n'ont pour base aucune observation extérieure, tandis que
celles a posteriori nous sont fournies par l'expérience.
APSIDE (Architecture). Voyez ABsmE.
APSIDES (Astronomie ), du grec à|t;, courbure, voûte.
C'est le nom collectif des extrémités du grand axe de l'orbite
d'une planète. Dans les orbites dont le soleil occupe l'un des
foyers, l'apside sicpérieure est l'aphélie, et Vapside in-
férieure est le périhélie; pour la lune , ces apsides sont
Vapogée et le périgée ; pour les satellites de Jupiter, on les
appelle apojove et périjove. La ligne droite qui passe
par ces deux points extrêmes se nomme ligne des apsides,
ce qui est à peu près la même chose que le grand axe de
l'orbite , sauf cependant que ce dernier a une longueur dé-
terminée , tandis que la ligne des apsides est indéfinie. La
position de cette hgne varie en vertu des perturbations
auxquelles sont soumises les planètes.
APTÈRES (de à privatif, et de nrepâv, aile), animaux
articulés qui n'ont point d'ailes. Après avoir désigné diffé-
rents ordres, ce mot n'est plus employé qu'adjectivement ;
ainsi l'on dit que la femelle de telle espèce est aptère, c'est-
à-dire qu'elle manque d'ailes ou qu'elle n'en a que de rudi-
mentaires. Dans l'ordre des coléoptères, où les premières
ailes reçoivent , à cause de leur nature, le nom d'élytres,
certains genres, qui manquent de la seconde paire, sont con-
sidérés comme aptères. — Les insectes aptères qui ne su-
bissent point de métamorphoses et qui ont deux antennes et
six pieds ont reçu de Latreille le nom d'Aptérodicères (de
ântepo;, sans ailes, et oi'xepo;, à deux cornes).
APULÉE, philosophe platonicien, descendant de Plu-
90
714
APULEE
tarque par sa mère , naquit à Madaure, en Afrique, au
deuxième siècle, vers la fin du règne d'Adrien, et vint se fixer
à Rome, où il suivit le barreau, après avoir fait ses pre-
mières études à Carthage, et avoir séjourné quelque temps à
Athènes, oii il s'était familiarisé avec les lettres grecques,
les arts libéraux, et surtout la philosophie platonicienne. Il
entreprit ensuite de nouveaux voyages, parcourut encore
nne fois la Grèce, se fit initier à tous les mystères, et avait
dissipé presque entièrement son patrimoine , lorsque , de
retour à Rome, il vendit jusqu'à ses habits pour se faire
admettre au nombre des prêtres d'Osiris. Étant retourné
dans sa patrie, il y épousa une riche veuve, et coula dès lors
une vie heureuse et tranquille , livré tout entier aux char-
mes de l'étude : il composa beaucoup d'ouvrages, sur la phi-
losophie platonicienne principalement. La plus célèbre de
ses œuvres, qui ont eu plus de quarante éditions, est sa
Métamorphose de l'Ane d'Or, roman en XI livres, imité du
grec de Lucius de Patras, composé dans le genre des fables
milésieunes , et dans lequel se trouve le célèbre épisode de
Psyché, que tous les arts, à l'envi, ont mis à contribution.
La meilleure édition de c<;ttc fable est celle de Leyde
(1786, in-4°, cinn notïs var. ).
Apulée n'intitula pas son livre l'Ane d'Or , mais simple-
ment l'Ane. L'épithète, ajoutée beaucoup plus tard au titre,
s'applique non au principal personnage du roman, mais au
mérite de l'œuvre, suivant ceux qui la publiaient. Durant
notre première révolution, il en parut une imitation fort
libre, sous le titre de l'Ane au bouquet de rose. Quant
à l'oiiginal, qui a été traduit plusieurs fois dans toutes les
langues, et réimprimé dans tous les formats, « c'est, dit
M. Rinn, ce qu'il y a de plus curieux parmi les monuments
latins du troisième siècle. Ce roman satirique, à la manière
de Pétrone, est un précieux tableau de la société, et le mer-
veilleux qui s'y mêle peint encore l'esprit du temps et la
croyance aux sortilèges. La philosophie de l'auteur nous
montre le néoplatonisme introduit à Rome avec un mélange
de superstitions orientales ; sa vie nous donne une idée de ce
qu'étaient alors ceux qui faisaient le métier de philosophes.
Son plaidoyer pour lui-même contre les parents de sa femme,
qui l'accusaient d'avoir employé la magie pour s'en faire
aimer et entrer ainsi en possession de ses grands biens, est
un chef-d'œuvre d'esprit et de bonne foi dans un langage
expressif et barbare. La dissolution de la société, l'avilisse-
sement des caractères, la corruption du langage, le siècle
entier est représenté par Apulée. " Sans doute , le style de
ce romancier est entaché d'affectation, de recherche et de
néologisme ; mais ces défauts s'expliquent par les peines in-
finies avec lesquelles, de son propre aveu, il avait appris,
lui-même et sans maître, cette langue latine dans laquelle
il devait s'illustrer un jour.
APULIE. Cette partie de l'Italie, qui porte aujourd'hui
le nom de P oui lie, comprenait le territoire de deux des
trois peuples de l'ancienne lapygie : les Dauniens, et les
Peucétiens. Plus tard, des colonies grecques vinrent s'établir
sur les côtes de l'Iapygie, au sud et à l'est. Les Osques, re-
foulés vers le sud par les Ombriens, que les Étrusques avaient
chassés des plaines du Pô, pénétrèrent également dans l'Ia-
pygie, et se confondirent avec les Dauniens et les Peucétiens.
Le nouveau peuple prit le nom d'Apuliens, qu'on trouve
dans les géographes latins et que les Grecs n'ont pas connu.
Ce nom appartient évidemment à la langue italique ou os-
que. Quant à son origine, la numismatique nous donne quel-
ques éclaircissements. Les médailles de l'.Vpulic portent tiès-
souvent l'empreinte d'un taureau renversé devant une plante,
avec le mot Pouli écrit au-dessous. Or il existe dans les
pâturages de l'ApuIie une plante mortelle pour les bœufs, qui
porte encore ce nom. 11 ne serait donc pas impossible qf!c
cette plante, qui ne se rencontre en aucune autre contrée de
ritalie, eût donne son nom an pays où elle croit.
Le G^' G. iiE VACDoxcritiT.
AQUARELLE
APUREMEXT DE CO^lIPTE. Voyez Compte.
APYRÉTIQUE. On donne ce nom à toute affection
qui n'est point accompagnée de fièvre; ainsi l'on dit un
exanthème apyrétique, pour indiquer une maladie de la
peau dont les symptômes ne réagissent point assez pour ac-
célérer la circulation et qui donnent lieu au pouls apyrétique.
APYREXJE ( du grec a privatif, et TtupsT-jw, j'ai la
fièvre ) est employé pour désigner dans une maladie la ces-
sation entière de la fièvre, ou l'intervalle de temps qui se
trouve entre deux accès de fièvre intermittente. Voyez Accès.
AQUARELLE, procédé de peinture dans lequel on
emploie des couleurs délayées à l'eau et légèrement gommées.
L'aquarelle se fait ordinairement sur du vélin ou sur du pa-
pier; on se sert quelquefois aussi de carton, d'ivoire et
même de bois après l'avoir passé à l'eau amidonnée et alu-
mineuse.
Nous ne connaissons pas d'aquarelles des vieux maîtres.
Quelques dessins lavés à deux ou trois teintes, où il entrait
moins de couleurs que de crayon ou de traits de plume,
sont les seules œuvres qui se rapprochent un peu de ce pro-
cédé. >'os souvenirs ne remontent pas plus haut qu'une
aquarelle d'Adrien van Ostade, assez faible de ton, qui se
voit à la collection des dessins du Louvre. Sous Louis XV
où la fureur était au pastel , l'aquarelle prit un peu de dé-
veloppement. Sous le règne de David elle fut presque nulle.
Les aquarelles de Nicole, représentant généralement des
vues de Rome, ont joui malgré cela d'une grande faveur.
Lorsque vint la mode des soirées d'artistes , chaque ama-
teur voulut avoir un album où il recueillait les caprices échap-
pés à leur pinceau : c'étaient des pochades ordinairement
faites à la sépia, et que l'on nommait bouts de chandelle.
Peu à peu les albums prirent plus d'importance , et les des-
sins furent plus soignés et souvent payés à des prix fort
élevés. L'on s'empara de l'aquarelle, que l'on avait oubliée ;
les Anglais instituèrent une société d'aquarellistes , qui eut
ses expositions périodiques. Dès lors ce genre de peinture
eut des succès rapides, et marcha de front avec les tableaux
de genre; les matériaux se perfectionnèrent; les artistes,
encouragés , s'en occupèrent ; plusieurs s'y adonnèrent spé-
cialement et lui firent faire d'immenses progrès. L'Anglais
Bonnington et notre grand Géricault popularisèrent l'a-
quarelle en France. L'on fit venir d'Angleterre des couleurs
plus délicates et plus brillantes, préparées avec plus de
soin. Le plus renommé parmi les fabricants était alors New-
man. Les aquarellistes anglais atteignirent un haut degré de
perfection, que l'on a pu constater encore à l'exposition
de 1855 à Paris (royespage 590 du présent volume).
Cette peinture se distingue- particuhèrement par une
grande fraîcheur et une finesse de ton admirable, que la
peinture à l'huile atteint avec peine. Autrefois, pour obtenir
les lumières , on laissait paraître le blanc du papier ; c'était
une difficulté qui entravait l'imagination de l'artiste , c'était
presque un métier qu'il fallait apprendre. La nécessité de
concevoir et de produire d'un seul jet fermait cette car-
rière à celui qui ne possédait pas un talent facile. Mais bien-
tôt on trouva le moyen d'enlever les clairs. On donna de la
transparence aux tons en employant la gomme arabique
comme vernis, et l'on produisit alors des ouvrages d'un
grand mérite. Il ne faut pas que l'artiste ajoute à ce procédé,
assez difficile par lui-même, des difficultés imaginaires, ni
qu'il prenne pour une étude consciencieuse des scrupules
puérils, .\insi nous avons des gens qui se reprocheraient de
mi'-ler le grattoir et l'empâtement de la gouache à leur tra-
vail transparent et limpide. En cela comme en tout les h-
cenccs sont justifiées par le succès. Ainsi nous avons vu
d'admirables aquarelles où la gouache, le crayon, voire
même l'empâtement à l'huile, s'accommodaient parfaite-
ment ensemble.
Parmi les artistes les plus distingués dans ce genre, on
cite lîon.nington , Alfred et Tony Johannot , Deveria, Paul
AQUARELLE
Delaioclic, Chariot, Dellanjjer, Jules Jollivet, Eugène Lair.i,
Tli. Valerio et madame llaudelHHir-Lescot pour les (igurcs,
Jules Coignel , Elul>eit et Simooii pour les paysages.
AQUARIUM, sorte de hassin où l'on fait venir des
plantes aquatiques , où l'on enferme des poissons. On cite
ceux (lu jardin zoologique de Londres, du Jardin dos liantes
à Paris, du Collège de Fiance, et du jardin zoologique du
bois de IJoulogne. Z.
AQUATILE, AQUATIQUE, AQUEUX, ad-
jectifs dérivés du laliu aqiia, eau. — Aqualile se dit des
plantes qui naissent dans le lit des rivières où au fond des
amas d'eau, comme les fucus, et qui restent toujours sub-
mergées; ou bien encore dont les Heurs flottent et s'éten-
dent à la surface des eaux , comme le lotus, etc. — Aqua-
tique désigne ce qui croit ou se nourrit dans l'eau et dans
les lieux marécageux : plantes aquatiques, animaux aqua-
tiques. — Aqueux désigne ce qui est de la nature de l'eau,
ou qui en a le goi1t : un fruit aqueux.
AQUATLXTA. Voyez Gravlt.e.
AQUA TOFAXA, préparation vénéneuse qui a fait
beaucoup de bruit à >'ap!es vers 1700. C'était , dit-on , un
liquide limpide et transparent, inodore , insipide, qui devait
ses propriétés toxiques à l'arsenic (acide arsénieux) : cette
dernière substance y était associée à d'autres corps qui
avaient pour objet de la masquer et d'empêcher de la re-
connaître à une époque où la chimie , eucore peu avancée,
pouvait facilemsnt être mise en défaut. Quoiqu'il en ait été,
il parait que cinq à six gouttes de ce poison suffisaient pour
tuer un individu. Cependant les effets étaient loin d'être
rapides ; la mort n'arrivait qu'avec lenteur, et sans être pré-
c^5dée ou accompagnée de ces symptômes terribles que l'on
observe après l'ingestion des composés arsenicaux, tels que
les douleurs, l'inflammation des organes digestifs , les acci-
dents nerveux, etc. Il ne survenait pas même de fièvre :
les forces vitales diminuaient insensiblement; on éprouvait
un dégoût de l'existence que rien ne pouvait vaincre ; l'ap-
pétit disparaissait complètement ; une soif ardente se faisait
sentir incessamment; enfin une consomption générale se
déclarait bientôt, après quoi la vie s'éteignait. On a même
prétendu que l'instant de la mort pouvait être annoncé à
l'avance; mais les recherches modernes sur la toxicologie
permettent de regarder cette prétention comme une absur-
dité.
On attribue l'invention de ce poison à une Sicilienne
nommée Tofana. Du reste, sur tout ce qui regarde cette
femme , on a peu de renseignements , et ils sont contradic-
toires. Ainsi, Lobat rapporte qu'après avoir empoisonné
plusieurs centaines de perso imes, elle fut reconnue cou-
pable, et qu'avant cherché un refuge dans l'un de ces asiles
que la piété mal entendue de nos aïeux avait ouverts aux
criminels , elle y fut étranglée, malgré les usages du temps.
Au contraire, si l'on en croit Keyssler, elle languissait en-
core en 1730 dans un cachot où on l'avait plongée lors de
la découverte de ses atrocités. P.-L. Cottereau.
Suivant une autre opinion, dont nous nous garderons bien
d'assumer la responsabilité, ce serait aux jésuites qu'il fau-
drait attribuer l'invention première de cette préparation vé-
néneuse. Ils se la procuraient, dit-on, d'une manière assez
smgulière. On engraissait un porc avec une nourriture dans
laquelle on mêlait insensiblement chaque jour une dose un
peu plus forte d'acide arsénieux. .\prè5 deux ou trois mois de
ce régime, l'animal finissait par dépérir et par rendre une
espèce de bave ou d'écume qui n'était autre (jue l'aqua tofana.
AQUAVrVA (Claude). La famille des Aquaviva, ducs
d'Atri et princes de Teramo, au royaume de Naples, s'était
.signalée déjà au quinzième siècle par un grand nombre
d'hommes de mérite , en tête desquels elle citait avec or-
gueil André-Matthieu, mort àNaples, en 14ôG, après avoir
partagé sa vie entre la guerre et les lettres, et son fière Dé-
lisaire , auteur d'un traité, fort curieux, De Venalione ci
- AQUAVIVA 715
Aucupio, quand vint an monde, en 1543, Claude, celui de
tous ses membres qui devait jeter le plus d'éclat sur cetto
noble lignée. Il entra de bonne heure dans la célèbre oom-
pagnie de Jésus, à l'époque où le génie de Lainez, un de ses
fondateurs, Hùsait triouipher l'ordre sur tous les points et
élevait en neuf ans son personnel de mille hommes dé-
voués à quatre mille.
IMalheureusement, à cette période si éclatante succéda le
faible règne de François Horgia , duc de Candie et ancien
vice-roi de Catalogne, qui paraissait avoir été élu plutôt
pour être dominé que pour dominer. Sous son gouvernement
les jésuites, abandonnés à eux-mêmes, entreprirent, dans les
Pays-Bas , de rési.ster, au nom de l'Espagne et du catholi-
cisme , à la grande révolution qu'avaient fait éclater le des-
potisme étranger et les principes de la réforme. Cette audace
leur réussit mal ; ils furent chassés par le peuple des pro-
vinces affranchies. Leur destinée ne fut pas meilleure en
Portugal : ayant conseillé à leur élève le jeune roi Sébastien
cette désastreuse campagne d'Afrique dont il ne devait plus
revenir, ils soulevèrent des haine?., que leurs préparatifs d'in-
corporation du Portugal à l'Espagne accrurent encore , en
mettant à nu un amour excessif du pouvoir qui excita la
défiance de toutes les cours de l'Europe.
Tel était l'état des choses quand Claude Aquaviva fut ap-
pelé, en 15S1, à remplacer le faible Borgia ; il comptait
trente-huit années. Plus libre, il eût peut-être ressaisi d'une
main plus ferme les rênes de l'ordre et ramené le jésuitisme
à de meilleures tendances ; mais déjà cette association était
trop forte pour être domptée par l'esprit d'un seul. Homme
de piété, je dirai presque de génie, Claude put régler tout
ce que règle la puissance humaine; mais il ne sut contenir ni
la pensée, ni les doctrines, ni les forces morales et intellec-
tuelles de cette association, déjà si puissante. Il l'essaya ce-
pendant, resserra tous les liens sociaux qu'il put resserrer,
et arma les provinciaux, le supérieur de chaque maison de
pouvoirs plus étendus. Il était facile de prévoir ce qui ar-
riverait : les religieux d'Espagne et de Portugal se plaignirent
de la rigueur de leur chef; et Philippe II, à qui les jésuites
avaient rendu un service si cminent en lui livrant le Por-
tugal, demanda au pape la réforme de l'ordre.
Le général bondit à cette nouvelle , et aussitôt il interdit
à ses religieux toute réclamation de ce genre. Le pape lui-
même, loin de faire aucune concession au roi catholique, in-
vestit le général d'un droit nouveau, celui de châtier à sa
guise , sans pitié , quiconque serait assez audacieux pour
oser faire entendre la moindie plainte. Toutefois, si l'autorité
du chef de l'ordre, déjà si forte, était désormais en apparence
sans bornes, elle ne pouvait néanmoins se vanter de l'être
réellement; et lorsqu'il osa tracer, en 15S6, une instruction
pour réformer sa compagnie, l'Inquisition, 'qui voyait d'un
œil jaloux grandir à ses côtés un pouvoir aussi formidable,
eut bientôt supprimé ce document, qui repanit, il est vrai,
en 1591, mais considérablement modifié. D'une autre part,
malgré tous ses succès sous le gouvernement du nouveau
général, l'ordre essuyait de rudes échecs, par suite de cette
ardeur de propagande acharnée qu'on s'était plu d'abord
à inspirer à ses membres, et qu'on se voyait maintenant hors
d'état de refréner.
La compagnie poursuivait ses conquêtes en Espagne, où
François Borgia lui avait donné une si grande extension ; son
action était plus grande encore en Portugal, où Philippe II,
reconnaissant, lui permettait d'acquérir des propriétés considé-
rables et nommait un des siens inquisiteur général de toutes
les terres de la couronne. Elle triomphait en France des
vieilles résistances, poursuivait ses conquêtes en Allemagne,
on Pologne, en Lithuame, en Suède, en Hongrie, en Tran
svlvanie; s'établissait en Chine et au Japon, grâce aux con-
naissances scientifiques de ses membres ; augmentait ses
églises dans llnde; florissait enfin en Amérique, dans le
Bré.sil, dans le Pérou, sur les bords du Maraguon, et prin-
90.
716 AQU AVIVA
ci paiement sur ceux du Paraguay. Malheureusement la plu-
part de ses succès étaient obtenus avec impétuosité, avec
violence, avec même un esprit de domination qui en com-
promettait la durée. Aussi bientôt l'Autriche crut-elle devoir
réprimer cet esprit envahisseur : la moitié de l'Allemagne fut
fermée à l'ordre, et la Suède, la Russie, la France et l'Angle-
terre le bannirent, ainsi que Venise.
Pour faire face à de si nombreux échecs, il ne fiiUait rien
moins que le génie d'Aquaviva. L'habile général en eut
bientôt réparé plusieurs : il fit rappeler en France la com-
pagnie qui en avait été expulsée en 1594, et qui y rentra
en 1603, reprenant aussitôt un grand développement malgré
les restrictions qu'on lui opposait. C'est qu'il sut se faire une
arme puissante de la résidence obligée d'un de ses membres
auprès d'un roi facile à subjuguer ; mais un crime, si étranger
qu'il fût à la compagnie , commis néanmoins par un de ses
élèves, le crime de Ravaillac, dont les conséquences furent
si graves pour la politique générale de l'Europe, vint jeter
beaucoup d'odieux sur les jésuites. Quand Aquaviva sut que
la clameur publique rattachait cet attentat à la théorie du
régicide professée par certains de ses pères , il condamna
sans pitié cette théorie.
Cependant deux jésuites la reproduisirent dans leurs
écrits. La régente empêcha, il est vrai, le parlement et la Sor-
bonne de sévir ; mais Aquaviva n'en fut pas moins aflligé de
tant d'excès. Depuis longtemps il songeait à contenir par
de nouvelles barrières des éléments qui partout franchis-
saient les anciennes.. Il fut à la hauteur de sa mission , et
chargea la septième et la huitième congrégation générales de
l'ordre de modifier fortement sa constitution. La nouvelle
organisation fut savante et complète. L'esprit de subordina-
tion militaire que lui avait imprimé Loyola y domina dans
tous les degrés de la hiérarchie. Ce ne fut plus désormais
une monarchie débordée par la démocratie, ni une aristo-
cratie ingouvernable ; ce fut une véritable oligarchie dispo-
sant de toutes les ressources de l'association. Que le général
fût un Borgia ou un Lainez , l'ordre marchait dorénavant
du môme pas vers son but : il arriva donc rapidement à
son apogée.
Aquaviva mourut en 1615. Avant la fin du dix-septième
siècle, la société était rétablie dans tous les pays d'où elle
avait été expulsée ; partout son induence s'était accnie , et
son chef, qui aurait pu marcher de pair avec les princes
les plus puissants, exerçait une domination plus forte et
plus étendue qu'aucun d'eux.
AQUEDUC ( du latin aq\ia, eau, et diictus, conduit ) ,
construction faite sur un terrain inégal pour conserver le
niveau de l'eau, en la conduisant d'un lieu dans un autre.
Les aqueducs sont apparents ou souterrains, suivant qu'ils
ont à traverser des vallées ou des montagnes. Quand il
s'agit de franchir une vallée, le canal conducteur de l'eau
est supporté par un ou plusieurs rangs d'arcades construits
les uns au-dessus des autres; quand, au contraire, le canal
traverse une montagne, on pratique dans celle-ci une galerie
voûtée. Toutes ces constructions se font ordinairement en
maçonnerie; pourtant on trouve à l'embouchure de la
rivière de Canton, dans l'ile de Hong-Kong, l'exemple d'un
aqueduc en bambou, et ce n'est certainement pas le seul de
ces contrées.
Les aqueducs les plus anciens et les plus remarquables
sont dus aux Romains, qui commencèrent à en bâtir vers
l'an 314 av. J.-C. L'Italie ne tarda pas à être couverte de ces
constructions, et, si nous en croyons Procope, la seule ville
de Rome eu possédait quatorze, qui servaient à remplir 15G
bains publics ou particuliers, 1 ,352 lacs ou grands bassins et
réservoirs, Ifi thermes, G naumachies, sans compter les
nombreux canaux souterrains consacrés à la propreté de la
ville. On peut se faire une idée de l'énorme quantité d'eau
que recevait Rome, eu considérant que trois seulement de ces
anciens aqueducs ont été restaurés et entretenus par les
- AQUEDUC
papes, et que leur produit est de 180,500 mètres cubes
en vingt-quatre heures, ce qui équivaut à plus de six fois ce
que Paris reçoit dans le même temps des aqueducs , des
pompes et du canal de l'Ourcq. Parmi les aqueducs de
Rome dont nous venons de parler, on remarque VAqua Vir-
ginalis, construit par Agrippa : sa longueur était de 14,105
pas romains, dont 700 en arcades; il était décoré de 400
colonnes et de 300 statues; il alimentait 708 bassins. Res-
tauré par les papes Nicolas V et Pie IV, il fournit en-
core 3,289 pouces d'eau.
Les Romains, en sages politiques, initiaient à leur' indus-
trie les peuples qu'ils avaient conquis ; ils construisirent un
grand nombre d'aqueducs dans les provinces de l'empire ;
la Gaule était celle de toutes qui en possédait le plus, et
l'on en voit encore des ruines à Lyon , Metz, Orange , Fré-
jus, Nîmes , Toulon , Coutances, etc. Le premier par son
importance , et probablement aussi par son antiquité , est
celui de Nîmes, dont on attribue la construction à Agrippa,
gendre d'Auguste ; il conduisait dans cette ville les eaux
des fontaines d'Eure et d'Airan , situées près d'Uzès, et il
avait environ dix lieues de longueur. Sa partie la plus re-
marquable est parfaitement conservée; elle traverse la vallée
profonde dans laquelle coule le Gard ou Gardon, et elle est
connue sous le nom de Pont du Gard. Elle est composée
de trois rangs d'arca les superposés ; le rang inférieur est
formé par six arches , le second en a onze , et le troisième
trente-cinq ; la hauteur des eaux de l'aqueduc au-dessus de
celles de la rivière est de quarante-huit mètres. Les pieds-
droits et les voûtes sont construits en pierres de taille, sans
aucune espèce de ciment ; la cuvette seule est en moellons,
maçonnés à bain de mortier , et recouverts à l'intérieur
d'un enduit de cinq centimètres d'épaisseur. Rompu à ses
deux extrémités lors tic l'invasion des barbares , cet aque-
duc n'a pas été réparé depuis. Seulement, en 1743 on y fit
quelques travaux de soutènement, on prolongea les piles in-
férieures, et on y établit un pont, qui fait partie de la route
de Njmes à Avignon.
L'aqueduc qui amenait à Metz les eaux du ruisseau de
Gorze devait offrir une disposition à peu près semblable.
Parmi les aqueducs de Lyon, celui qui tirait ses eaux du
Janon et du Giers offrait une particularité remarquable :
c'est que pour traverser les vallées les eaux descendaient
et remontaient ensuite par leur propre poids dans des tuyaux
en plomb disposés en forme de siphon renversé, et soute-
nus dans leur partie inférieure, qui était horizontale, par
des arcades en maçonnerie.
Vaqueduc d'Arcueïl,(\\\i amenait aux Thermes les eaux
delà source de Rungis, située à quatre heues de Paris,
était encore de construction romaine. Marie de Médicis le
lit rétablir par Jacques Debrosse, et ce fut pour ce célèbre
architecte une occasion de faire voir que les plus simples
édifices sont susceptibles d'être traités avec art.
Si nous sortons des Gaules , nous trouvons encore des
aqueduc^ romains : ainsi , en Portugal , à Évora , capitale
de la province d'Alemtejo, on peut voir un aqueduc qui re-
monte, suivant toute apparence, à au moins dix-huit cents
ans, et qui n'a rien perdu de sa solidité primitive, ainsi que
l'élégant castellum (château d'eau) dont il est surmonté.
Après les Romains, ce sont les Arabes qui ont constmit
le plus d'aqueducs ; on en trouve sur presque tous les points
du littoral septentrional de l'Afi-ique, et surtout en Espa-
gne, oii quelques-uns d'entre eux sont d'une beauté rc-
maïquable. Le Portugal po-^sèdc un aqueduc mauresque
formé de quatre étages d'arches solidement construites; cet
immense monument alimente Elvas, qui est, après Évora,
la ville la plus importante <le la province d'Alemtejo. Au lieu
de suivre une ligne droite, il s'avance en zigzags, ainsi que
beaucoup d'aqueducs romains. On a allégué plusieurs rai-
sons pour légitimer cette forme de construction. M. Quatrc-
mère de Quincy y a vu un moyen d'augmenter la solidité
AQUEDUC —
de rétlifice et de rompre la rapidité du courant de l'eau
dans les c;inaux en pente. Nous pensons qu'il faut pluttit
attribuer cette disposition, tantôt au désir d'éviter de trop
grandes inégalités de niveau, tantôt à la nécessité de satis-
faire à certaines exigences de localité.
Parmi les aqueducs modernes, il en est peu que l'on
puisse comparer aux anciens. Exceptons-en celui du palais
de Caserle (royaume de Naples), conslniit par Van Vitelli.
Vers Monte di Carzano, il traverse une vallée dont la
profondeur a nécessité un pont composé de trois rangs d'ar-
cades de âiO mètres de long et d'une hauteur totale de 60.
Les ouvrages souterrains ne sont pas moins étonnants; il a
fallu percer cinq galeries dans les montagnes, dont une grande
partie dans le roc vif. On cite encore à l'étranger ceux de
Lisbonne et de Rio-de-Janeiro. En France, nos principaux
aqueducs modernes sont ceux de Montpellier, de Bucq
près de Versailles, et celui de Mainlenon, l'une des plus
vastes entreprises du règne de Louis XIV, qui fut aban-
donné après avoir coûté près de neuf millions. Citons en-
core l'aqueduc de Marly, et celui de Roquefavour, qui amène
les eaux de la Durance à Marseille.
Maintenant on construit un peu moins d'aqueducs ; l'in-
dustrie moderne les a remplacés avec avantage par des ma-
chines qui élèvent l'eau. Les Turcs font plus économique-
ment traverser l'eau aux montcignes au moyen de souter-
razi. Depuis quelque temps on a édîfié en France et en
Angleterre à*i% ponts-canaux , appelés cncove, jionts-aque-
ducs, destinés à faire passer un canal au-dessus d'une
rivière. Nous citerons seulement celui que M. Jullien a
élevé pour le passage du canal latéral à la Loire par-dessus
l'Allier, près de Nevers. C'est de toutes les constructions de
ce genre celle qui , par sa grandeur, peut être le plus avan-
tageusement comparée aux ouvrages des Romains.
AQUILA, autrefois Amiternum, patrie de Salluste, ville
du royaume de Naples, rebâtie en 1240 par l'empereur Fré-
déric II , chef-lieu delà province de l'Abruzze ultérieure IF ,
à 190 kilom. nord-nord-ouest de Naples, est le siège d'un évê-
ché , d'un tribunal civil et criminel , d'une cour d'appel et
d'une haute école académique, avec seize chaires de lettres ,
sciences, droit et médecine. Fabrication de toiles et de cire.
Commerce considérable de safran. Construite au milieu des
Apennins, sur les bords de la Pescara, avec une population
d'environ 8,000 âmes, elle est le point où viennent con-
verger plusieurs grandes routes d'une véritable importance
stratégique , et est défendue par une assez bonne citadelle ;
ce qui n'a pas empêché, en 1815 et en 1821 , les Autrichiens
de s'en emparer sans coup férir.
AQUILA POXTÎCUS, c'est-à-dire natif du Pont, Vit
le jour à Sinope, exerce d'abord la profession d'architecte,
et fut chargé par l'empereur Adrien de diriger la recons-
truction de Jérusalem. Dans l'accomplissement de cette
mission , il eut occasion de connaître la religion des Juifs,
en approfondit les dogmes sous la direction du docteur
Akiba, et finit par embrasser le culte israéhte. Plus tard,
il se fit chrétien; puis il fut excommunié à cause de ses
pratiques astrologiques , et retourna alors au judaïsme. Après
les Septante, Aquila est, avec Symmaque et Théodolien, un
des plus anciens traducteurs de l'Ancien Testament. Sa
version, en langue grecque, jouit pendant longtemps d'une
grande autorité, et fut même préférée à celle des Septante;
on en trouve des fragments dans les Hexaples d'Origène.
AQUILAIRE , genre type de la famille des aquilarinées,
propre à l'Asie équatoriale, et auquel on rapporte quatre
espèces d'arbres, dont une seule est bien connue : c'est Ya-
quilaire agalloche de Roxburg, Indigène dans les monta-
gnes du Tliibet, et dont on tire le parfum connu sous le
nom de bois d'aloès, bois d'aigle, calambac ou agallo-
che. Voyez Ar.ALLOCUE.
AQUILÉE, AQLILEJA ou AGLAR, pclit port de pê-
cheurs, situé dans les lagunes au fond de l'Adriatique, dans
AQUITAINE 717
les États Autrichiens , en Illyrie , à 28 kilom. sud-ouest de
Goritz. Du temps des empereurs romains, le commerce de
cette ville était très-Horissant. Sous Marc-Aurèle elle devint
le boulevard de l'Italie contre les excursions des barbares, et
dut à ses richesses le surnom de Borna sccunda. Ayant été
prise d'assaut et rasée par Attila, les habitants se réfugiè-
rent dans les îlots où jdus tard fut bâtie Venise. Jusqu'en
1751 , Aquilée a été le siège d'un patriarche, dont le diocèse
se divisait en doux archevêchés, celui d'Udine, et celui de
Goritz, plus tard de Laibach. C'est aujourd'hui une petite
ville de moins de 1,500 liabitants , renfermant une an-
cienne église patriarcale, bûtie de 1019 à 1042, et de nom-
breuses antiquités romaines, souvent visitées par les touristes.
AQUIIVO, bourg situé dans la Terre-de-Labour, pro-
vince du royaume de Naples, et qui compte environ 800 ha-
bitants, a le titre de comté , et dépend d'un évèquc relevant
immédiatement du Saint-Père et résidant à Rocca-Secca.
Au temps des Romains c'était une ville riche et célèbre
surtout par ses teintureries. La couleur pourpre qu'on sa-
vait y donner aux étoffes ne valait pas toutefois celle de
Tyr. Juvénal, le poète de satirique mémoire , y naquit. Au
moyen âge ( 1229 ) , elle donna le jour au célèbre scolastique
saint Thomas d'Aquin.
AQUITAINE, pays célèbre dans l'histoire de l'an-
cienne Gaule, dont il formait originairement l'une des trois
grandes divisions (la Celtique, la Belgique et l'Aquita-
nique). Les Romains, selon Pline, ont donné le nom d'^-
quitania à ce vaste pays qui s'étendait *de la Loire aux
Pyrénées, à raison du grand nombre de rivières dont il est
arrosé et des sources d'eaux minérales qu'on y trouve. Les
Aquitains ont été l'un des peuples de la Gaule qui ont fait
payer le plus chèrement aux Romains la conquête de leur
territoire. Leurs défaites même étaient redoutables, tant
leur caractère belliqueux grandissait , en quelque sorte , à
travers les épreuves de la fortune. Ils auraient pu disputer
longtemps leur liberté à la grande nation, si la politique
romaine ne les eût divisés pour les vaincre. Crassus, lieu-
tenant de César, acheva de les réduire en 698 de Rome
(57 ans avant J.-C. ).
L'Aquitaine, renfermée, à cette première époque, entre
la Garonne, l'Océan et les Pyrénées, reçut en accroissement
de territoire, dans la nouvelle division des Gaules faite par
Cé.sar, le Velay, le Gévaudan et l'Albigeois, démembré de la
Gaule Celtique, nommée depuis ce partage Gaule Lyonnaise.
Versle milieu du quatrième siècle de l'ère vulgaire, la province
d'Aquitaine fut divisée en deux parties. Peu après elle subit
une nouvoUe subdivision , car lors du dénombrement des
provinces romaines fait par Honorius au commencement
du siècle suivant, il existait trois Aquitaines. La Première
Aquitaine, bornée au nord par la quatrième Lyonnaise, au
sud parla première Narbonnaise et par la Viennoise, à l'ouest
par la seconde Aquitaine, et au nord-ouest par la troisième
Lyonnaise, avait pour capitale Bourges. Ses autres chefs-lieux
étaient Clermont en Auvergne, Bourbon-Lanci, Cahors, Ja-
voux , Albi , Limoges , Rodez et Saint-Paulien. La Seconde
Aquitaine avait pour bornes au nord la troisième Lyon-
naise, au sud la Novempopiilanie, à l'est la première Aqui-
taine, à l'ouest l'océan Aquitanique. Bordeaux était sa mé-
tropole, et ses autres chefs-lieux Angoulême, Riom, Balissac,
Castelnau de Médoc, Agen, Périgueux, Poitiers, Saintes et
Saucatz. La Troisième Aquitaine ou Novempopulanie était
bornée au nord par la seconde Aquitaine, au sud par les
Pyrénées, à l'est par la première Narbonnaise, et à l'ouest
par l'océan Aquitanique. Elle avait pour métropole Eauze ;
ses autres chefs-lieux étaient Auch, Lescar, Tarbes, Saint-
Lizier, Saint-Bertrand de Coinminges, Lectoure, Lapurdum
(Rayonne), Dax , Aire et Bazas.
En 419 l'empereur Honorius céda la plus grande partie
des deux dernières Aquitaines, avec Toulouse, à Wallia,
roi des Visigoths, en reconnaissance des senices rendus
TI8
par ce prince, dans la guerre d'Espagne, contre les Alains,
les SucYCS et les Vandales. Les Visigoths, profitant de la
faiblesse et de la décadence de l'empire, cnvaiiissent l'A-
quitaine Première en 4G9 et 470. L'empereur Julius Nepos
les confirme dans la souveraineté de cette conquête en 475.
A l'exemple des Romains, les rois visigoths instituent des
iliics ou gouverneurs généraux pour administrer en leur
nom la justice et commander les armées dans l'Aquitaine.
Le premier de ces chefs fut Victorius, chassé de Clermont
en Auvergne pour ses exactions et ses débauches, et lapide
à Rome, en 493, par le peuple, dont il avait payé l'hospita-
lité par les i)lus coui)ables débordements. L'Aquitaine ne de-
meura qu'environ trente-cinq ans sous la domination des
Visigoths : la bataille de Vouillé, près Poitiers, où périt
leur roi Alaric, la fit passer sous celle des Francs en 507.
Après la mort de Clovis, cette riche conquête fut partagée
par ses deux tils Thiorri et Childebert, rois d'Austrasie et de
Neustric. De là les dénominations d'Aquitaine Austra-
sienne ou orientale, et à' Aquitaine Neustrienne ou
occidentale, gouvernées au nom des rois francs par des
ducs et des comtes ou consuls amovibles. Cet ordre de
choses dura jusqu'en G 13. Clotairc II, qui dès lors réunit
sous son sceptre toutes les parties de la monarchie française,
disposa, en 022, du royaume d'Austrasie en faveur de
Dagobert, £on fils aîné. Celui-ci, par un traité fait avec son
frère Caribert, qui n'avait eu aucune part dans la succession
paternelle , lui céda le Toulousain, le Quercy , l'Agénais, le
Poitou , le Périgord et la Novempopulanie ou Gascogne.
Caribert établit le siège de son empire à Toulouse, an-
cienne capitale des Visigoths, et fit revivre l'ancien titre des
rois d'Aquitaine, éteint depuis cent vingt ans avec la mo-
narchie des Visigoths. De Gisèle, son épouse, fille d'Amand,
duc des Gascons, il laissa trois fils, CliiJdéric ou Hildéric,
lîoggis et Bertrand. Le premier, appela au trône en 631, à
l'ùge de trois ou quatre ans, périt presque aussitôt après
d'une mort violente. Dagobert réunit dès lors l'Aquitaine à
ses États au préjudice des deux frères de Childéric. Le duc
de Gascogne prit les armes pour faire valoir les droits de ses
petits-fils. Ses succès furent rapides contre les troupes qui
occupaient l'Aquitaine; mais ils ne compensèrent pas la
perte de Poitiers, que Dagobert fit raser en 63G. Tout ce
qu'Amand put obtenir par le traité de Clichy, qui mit fin à
cette guerre, ce fut de faire assurer à Boggis et à Berlrand
la possession héréditaire de l'Aquitaine neustrienne, sous la
réserve expresse pour Dagobert et ses successeurs de la
suzeraineté et d'un tribut annuel.
BoGcis et Bertrand, ducs d'Aquitaine en 637. Le premier
fut père du fameux Eudes ou Odon , et le second de saint
Hubert, disciple, puis successeur de saint Lambert sur le
siège de IMaëstricht, qu'il transféra à Liège.
Eudes ou Odo.n succéda à son père en 68S, et réunit toute
l'Aquitaine neustrienne par la cession qu'Hubert, son cou-
sin-germain, lui fit de ses droits sur ce duché. Sous le règne
de ce prince eut lieu la fameuse invasion des Arabes arrêtée
par la victoire de Charles Martel sur les bords delà
Loire, en 732.
Eudes laissa trois fils : Hunald ou Hunold, qui lui suc-
céda sur le trône d'Aquitaine; Hatton, qui eut le Poitou et
quelques autres provinces en apanage : il porta aussi le titre
de duc d'Acpiitaine ; et Remislan, que Pépin fit périr à
Saintes, en 7G8. Les luttes du malheureux descendant de
Clovis contre cette maison d'Héristal, qui règne déjà de fait
dans la France septentrionale, seront racontées à l'article qui
lui est consacré, ainsi qu'aux mots Cuarles Martel, Pépin
et ClIAULEMACNE.
Waif RE succéda à Hunald , son père , dans le duché d'A-
quitaine et dans son implacable inimitié contre les Carlo-
vingiens. Il succomba enfin dans cette lutte trop inégale.
Pépin, qui avait puni d'un supplice ignominieux la versa-
tilité d<i Renustan, oncle de Waifre , .tantôt adhérent de Pé-
AQUITAINE
pin , tantôt rallié à son neveu, fit assassiner celui-ci le 2 juin
768, et réunit l'Aquitaine à la France. Waifre laissait un
fils, nommé Loup, auquel Charlemagne, qui avait succédé
à Pépin en 768 , donna seulement la Gascogne pour la tenir
en fief hénidit lire sous la mouvance de la couronne. Celui-ci
s'étant plusieurs fois révolté contre son suzerain, l'empe-
reur s'en vengea en l'envoyant au gibet; puis il rétablit
le royaume d'Aquitaine en faveur de son propre fils Louis ,
surnommé depuis le Débonnaire , qui venait de naître. Il
délégua à quinze comtes l'administration civile et politique
des diverses provinces de ce royaume , et les subordonna à
l'autorité d'un duc, dont le titre fut attribué pendant toute
l'existence du nouvel État aux comtes de Toulouse , et par-
tagé depuis par les comtes de Poitiers. Louis , encore en-
fant, fut proclamé solennellement à Toulouse, en 781. Le
règne de ce prince fut marqué par la conquête de Lérida ,
Barcelone, Pampelune et Torlose sur les Maures d'Espagne,
en 799, SOI , 80G et 811. Pépin \" lui succéda en 817 ; son
fils PÉPIN II ne lui succéda pas immédiatement , car l'empe-
reur Louis le Débonnaire lui avait suscité pour compétiteur
son jeune fils Charles. Il mourut le 29 septembre 866, et eut
pour successeur, en 867 , son frère Louis le Bègue , qui ,
parvenu au trône de France en 877, réunit irrévocable-
ment le royaume d'Aquitaine à la monarchie française. —
De Loup sont descendues les premières maisons des ducs d'
Gascogne , qui ont gouverné jusqu'en 819; des rois de Na-
varre, qui ont régné jusqu'en 1076; des rois de Castille,
éteints en 1 109 ; des rois d'Aragon et des vicomtes de Béara,
éteints en 1134, derniers rejetons du sang de Clovis.
Les chroniques de cette époque et celles de la fin du
dixième siècle représentent les Aquitains comme le peuple
le plus vain , le plus léger, le plus dissolu et le plus recher-
ché dans son habillement. Ils portaient un pourpoint court
et rond, sur une chemise à manches larges et pendantes, de
grandes braies, de petites bottines éperonnées et un javelot
à la main. L'élégance de ce costume et le soin qu'ils avaient
de se raser la barbe et une partie de la tête les faisaient com-
parer à des baladins. Aussi leur a-t-on reproché, dès le règae
de Robert, d'avoir beaucoup contribué à la corruption des
peuples de la France et de la Bourgogne par leurs mœurs dé-
pravées et la fatuité de leur caractère et de leurs usages.
Par le traité de 845, les provinces de Poitou, de Saintonge
et d'Angoumois, séparées du royaume d'Aquitaine, furent
érigées en duché du même nom. Rainulfe I*'', comte de
Poitou , en reçut l'investiture de Charles le Chauve. Ce fut
ce duc qui, plus tard, livra au roi de France Pépùi II, roi
d'Aquitaine. Il rendit de plus honorables services dans les
guerres contre les Normands, et y trouva une mort glorieuse,
eu 867. Bernard, marquis de Gothie, fils de Bernard I*'',
comte de Poitiers, succéda à Rainulfe. La violence et la ty-
rannie de son administration le firent excommunier par le
concile de Troyes en 878, et dépouiller de ses dignités par
Louis le Bègue. Rainulfe II, son fils et son successeur en
880, osa usurper le pouvoir souverain, et prendre le titre
de roi d'Aquitaine. Déposé par Eudes, roi de France, Rai-
nulfe se confédéra avec plusieurs grands, et se maintint jus-
qu'en 892, qu'Eudes le fit empoisonner.
Glillmjme F'', comte d'Auvergne, fut nommé duc d'A-
quitaine par ce roi, en 893. Il eut pour successeur, en 918,
GtiLLAUME II, qui battit les Normands en Aquitaine en
923, et refusa de reconnaître Raoul pour roi de France.
AcFiiED, son frère et son successeur, en 926, au ducli^ d'A-
quitaine, mourut, comme lui, sans enfants, en 928.
ÉiîLEs, comte de Poitiers, fils naturel de Rainulfe II, fut
investi du duché d'Aquitaine par le roi Charles le Simple.
En 932 il en fut dépouillé par le roi Raoul, qui le conféra
à Raimond-Pons, comte de Toulouse, mort en 950. Guil-
LALME III, surnommé Têle-d'Étoupe, fils d'Èbles, avait néan-
moins obtenu du roi le comté de Poitiers. Les services qu'il
rendit à Louis d'Outre-mer dans ses guerres contre Hugues
AQUITAINE — ARABES
le Graml, duc de Franco, lui valurent, en 951, l'investiture
du duché d'Aquitaine, qui depuis celte époque est resté ,
avec le comté de Poitiers, dans sa fauiillc. 11 fut père de
GiiLLvi'MK IV, surnommé Fier-à-Bras , mort en 994. —
GriLLAiME V, surnommé le Grand, son fils et son successeur,
épousa IJrisque, dite Sancie, héritière du duché de Gascogne,
et par ce mariage il réunit à son duché la Novempopulanie,
ou province ecclésiastique d'Auch, les comtés particuliers
de Bordeaux et d'Agen , avec l'entière suzeraineté sur le
reste de la province ecclésiastique de Bordeaux ou d'Aqui-
taine ir, et sur le comté d'Auvergne. Les comtes de Tou-
louse continuèrent à jouir de l'autorité ducale , comme
possesseurs de la plupart des pays qui composaient r.\qiii-
taine 1''^, ou pro\iuce ecclésiastique de Bourges, savoir,
l'Albigeois , le Rouergue, le Quercy, le Vélay, le Gévaudan,
et encore à raison de la possession du marquisat de Gothie
ou de Seplimanie.
Quatre (ils du duc Guillaume "V se succédèrent dans ses
États. Glill.\ime VI, dit le Gros, gouverna depuis 1029
jusqu'en 1038;Eides ou Odon , une seule année; Guil-
LAiME VII, depuis 1039 jusqu'en 1058, et Gcillvlme VIH
depuis cette dernière époque jusqu'en 10S7. Le duc Giil-
jAi'ME IX, son fils, plus célèbre par sa vie licencieuse et son
talent à célébrer l'amour et les aventures chevaleresques
que par ses expéditions guerrières à la Terre-Sainte, où la
fortune lui fit subir les plus rudes épreuves , laissa entre
autres enfants Guillaume X, duc d'Aquitaine, en 1127. Ce
prince gouverna dix ans, et mourut le 9 avril 1137, le der-
nier duc d'Aquitaine de sa race. E 1 é o n o r e , duchesse d'A-
quitaine , fille aluée et héritière de Guillaume X , épousa à
Bordeaux, le 22 juillet 1137, le roi Louis le Jeune. On sait
que l'inconduite de cette princesse excita un scandale qui
détermina le roi, contre l'avis de Suger, à faire dissoudie
son mariage (1152). Éléonore transmit presque aussitôt son
héritage avec sa main à Henri d'Anjou, roi d'Angleterre.
Les grands d'Aquitaine ne subirent pas sans répugnance et
sans regret ce changement de domination ; aussi vit-on les
Aquitains se révolter plusieurs fois contre Henri et le fameux
Richard Cceur-de-Lion , son fils , qui , par\ enu au duché
d'Aquitaine en 1169, en rendit hommage au roi de France,
le G janvier 1171. Du consentement d'Éléonore, Richard
transmit, en 1 196, à Othon de Brunswick l'usufruit du duché
d'Aquitaine et du comté de Poitiers. Othon, élu roi des Ro-
mains en 1 198, vendit ses domaines de France au roi d'An-
gleterre. A la mort de Richard Cœur-de-Lion (1199), la
duchesse-reine Éléonore rentra en possession de l'Aquitaine,
qu'elle gouverna de concert avec le roi Jean sans Terre, son fils.
Ce fut sur ce dernier, et pour crimes de fratricide et de
félonie, que Philippe-Auguste confisqua, en 1204, le duché
d'Aquitaine , qu'il réunit à la couronne de France. Mais la
possession de cette riche province engagea une longue guerre
avec l'Angleterre.
Un traité de l'année 1259 rétablit Henri III, roi d'Angle-
terre, dans la possession d'une grande partie de l'Aquitaine,
y compris le Limousin , le Périgord , le Quercy et l'Agénais,
sous la suzeraineté de la France. Ce fut à partir de celte
époque qu'on commença à substituer le nom de G ni en ne
à celui A'Aquilaine, et à distinguer la Guienne propre, ou
septentrionale, de la Gascogne. Cetteprovince delà Guienne,
que saint Louis , en la cédant, avait réduite aux trois séné-
chaussées de Bazas, de Bordeaux et des Landes, ne doit
plus être considérée que comme un démembrement de l'an-
cienne Aquitaine. Le nom même de celle-ci ne rappelait plus
dans l'histoire que sa splendeur éclipsée, lorsque Louis XV
voulut le faire revivre dans l'un de ses petits-fils, Xavier-
Marie-Joseph de France, qu'il nomma duc d'Aquitaine à
sa naissance, et qui mourut à dix ans et demi, le 22 fé-
vrier 1764. Ce nom à'Aquïlainen'A plus été porté jusqu'à
la première révolution que par un grand-prieuré de l'ordre
de Malte , qui comprenait trente commanderies. Laine.
719
ARA (en latin macrocercus) , groupe de perroquets re-
marquables par leur taille , leur beauté , par la variété de
leur plumage, et que caractérisent , pour les ornithologistes,
une queue étagée, plus longue que le corps, et des joues en-
tièrement dépourvues de plumes. Les principales espèces
sont : Vara macao, qui n'a pas moins d'un mètre depuis
le bec jusqu'à l'extrémité de la queue; Vara tricolor, plus
petit; Vara bleu, qui produit en domesticité. Il est généra-
lement facile d'apprivoiser ces psittacidés , quand on les
prend jeunes ; on leur apprend même, mais avec peine , à
prononcer quelques mots. Le nom d''ara, qui leur est resté,
e>;t celui qu'ils répètent habituellement. Ils sont originaires
de l'Amérique méridionale, où on les voit perchant par
troupes sur les branches les plus élevées , d'où ils descen-
dent rarement , la longueur de leurs ailes et de leur queue
leur permettant difficilement de marcher. Voyez Perho-
QUET. D' SaUCEROTTE.
ARABES (Littérature, langue, sciences et arts des).
On possède fort peu de renseignements sur les premiers essais
de la littérature arabe. Le caractère particulier des Arabes
autorise à penser qu'ils cultivèrent la poésie de bonne heure.
On les représente en effet comme une race courageuse,
brave , portée aux aventures et extrêmement sensible à la
gloire. Dans l'Ancien Testament il est déjà mention des sen-
tences ingénieuses de la reine de Saba. Les tribus nomades
errant sous l'autorité de leurs chéiks dans les fertiles contrées
de l'Arabie Heureuse avaient d'ailleurs tout ce qui peut
exciter et favoriser la poésie naturelle , une vive sensibilité
et une ardente imagination. Un genre de vie entremêlée de
privations et de dangers, dans les arides déserts de sable
et sur des rochers où manque toute espèce de végétation,
devait produire une poésie à la fois mâle et sauvage. Avant la
venue de Mahomet, l'Arabie avait déjà des poètes célèbres,
qui chantaient les guerres du peuple, ses héros et les belles.
Le plus ancien est Mohallah-ben- Rebia. A l'époque de la
grande foire qui se tenait à la Mecque, et au cinquième
siècle de l'ère chrétienne, à Okadh, des concours poétiques
avaient lieu , et les poèmes qui y remportaient des prix
étaient transcrits en lettres d'or sur du byssus et suspendus
dans la Kaaba à la Mecque. On les appelait modsabhabàt,
c'est-à-dire dorés, ou encore m o a 1 1 a k â t . La collection
qu'on en possède comprend sept poèmes, œuvres de sept
poètes différents, Amralkals, Tlwrafah, Zofidir, Leb'id,
Antar, Amr-ben-Kelthnns et Ilareth. Une profonde sen-
sibilité , un vif essor d'imagination , une grande richesse
d'images et de sentences, un mâle esprit de liberté, une
ardeur dans la vengeance et dans l'amour, telles sont les
qualités qui les distinguent. Parmi les poètes célèbres de
celle première époque, on cite encore Aabegha, Asclia,
Schanfara , dont S. de Sacy a traduit et publié les œu^Tes.
Le Divan d'Ainrulkais, publié par M. Guckin de Slane
(Paris, 1837 ), donne un aperçu très-complet de la vie de
ces anciens rhapsodes arabes et de leur manière de com-
poser des vers. La plus riche collection d'anciens chants et
poèmes arabes se trouve dans les anthologies arabes
intitulées : Hamasa et Kitûb-el-Arjhani. Consultez Weil,
Littcrahire poétique des Arabes avant Mahomet (Slutt-
gard, 1837).
Toutefois, c'est de l'époque de Mahomet que date, même
pour leur littérature, l'époque la plus brillante des Arabes;
les doctrines morales et religieuses de ce réformateur fu-
rent recueillies dans le Koran par Aboubekr, le premier
khalife ; puis corrigées et publiées par Oth m an, le troisième
khalife. Le Koran imprima à la langue écrite sa première
direction littéraire, de même qu'il modifia complètement le
caractère national du peuple arabe. Placés comme ils l'é-
taient entre deux continents, dans une situation géogra-
(ihique si favorable au conimerce, il n'était guère probable
que les Arabes devinssent jamais'unc nation conquérante.
Cependant, Mahomet, après avoir d'abord soumis toute l'A-
720
ARABES
rabie à ses lois et lui avoir imposé une nouvelle constitu-
tion religieuse et militaire, réussit, à l'aide de l'esprit reli-
gieux et du fanatisme, à réveiller le génie guerrier qui som-
meillait chez ses compatriotes. Après sa mort l'esprit
de conquête s'empara d'eux. Ils se répandirent bientôt en
tous lieux, semblables à un torrent dévastateur, et en
moins de quatre-vingts ans leur empire s'étendait déjà de-
puis l'Egypte jusqu'à l'Inde, depuis Lisbonne jusqu'à Sa-
markande. A cette époque sans doute ils n'obéissaient qu'aux
inspirations d'un fanatisme farouche, peu propre à faire
prospérer parmi eux les œuvres ingénieuses et délicates de la
pensée ; mais avec le temps , et aussi par suite de leurs
relations avec des nations policées, leurs habitudes gros-
sières diminuèrent peu à peu, puis disparurent; et sous
le règne des Abassides on voit, à partir de l'an 749, les
sciences et les arts commencer à briller parmi eux. Ce fut
à la cour somptueuse d'Al-Manzor, à Bagdad, de l'an
753 à l'an 775, qu'ils furent pour la première fois l'objet
de nobles encouragements ; mais Haroun-Al-Raschid
( 786-808 ) eut la gloire d'en inspirer le goût durable aux
Arabes. 11 appela dans ses États des savants de tous les
pays, les récompensa généreusement, fit traduire en langue
arabe les ouvrages des principaux écrivains grecs, syriaques
et perses ou pehhvis, et multiplier ces traductions au
moyen de copies. Al-Mamoun, qui régna de 813 à 833,
offrit à l'empereur grec cent quintaux d'or et une paix per-
pétuelle, à la condition de lui céder pendant quelque temps
le philosophe Léon, pour que celui-ci pût se charger de son
instruction. Consultez Wenrich, De auctorum gi-xcorum
versïonibus et commentarus syr. et arab. ( Leipzig, 1842 ).
Cest du règne d'Al-Mamoun que datent les célèbres écoles
de Bagdad, de Bassora, de Bokhara et de Koufa, de nième
que les grandes bibliothèques de Bagdad et du Caire. Son
successeur, Motasem, mort en 841, partagea son goût
pour les sciences et les lettres, et à cet égard la dynastie
des O m m i a d e s d'Espagne rivalisa de tons points avec celle
des Abassides de Bagdad. L'école de Cordoue , devenue, à
partir du dixième siècle, le grand foyer d'activité littéraire
des Arabes, fut pour l'Europe ce qu'était pour l'Asie celle
de Bagdad. A une époque où les sciences ne trouvaient nulle
part de protection sûre et conslante , les Arabes eurent
le mérite de les grouper pour les fortifier les unes par les
autres, et en outre celui de les propager dans les trois parties
du monde. Au commencement du dixième siècle, on allait
de France et des autres pays de l'Europe étudier dans les écoles
arabes d'Espagne les sciences mathématiques et surtout la
médecine ; c'est ce que fit, entre autres, Gerbert, devenu
plus tard pape sous le nom de Sylvestre IL Les Arabes
fondèrent en Espagne quatorze académies, indépendamment
de celle de Cordoue, et un grand nombre d'écoles, tant élé-
mentaires que supérieures, de même que cinq grandes bi-
bliothèques pubHques. Celle du khalife Hakem contenait,
dit-on, plus de 600,000 volumes. Tels avaient été les ra-
pides progrès faits par une nation qui cent cinquante ans
auparavant en était encore à ne connaître que le Koran, et
à ne cultiver tout au plus que la poésie et l'éloquence, une
fois qu'elle s'était approprié les connaissances scientifiques
des Grecs.
Les Arabes ont rendu de notables services à la géogra-
phie, à riiistoire, à la philosophie, à la médecine, à la phy-
sique, aux mathématiques , et bon nombre de termes scien-
tifiques arabes, tels (\\\' algèbre, alcool, azhnuth, zénith,
nadir, etc., et jusqu'à nos chinrcs,q\ie nous leur avons em-
pruntés, encore bien qu'ils soient dorigine indoue, témoi-
gnent aujourd'hui encore de l'inlluence qu'ils exercèrent jadis
sur la culture intellectuelle de l'Europe. C'est à eux que la
géographie est redevable de ses progrès les plus notables
au moyen âge. Ils reculèrent considérablement en Asie et en
Afrique les limites du monde connu. Dans la partie septen-
tiionale de l'Afrique, ils parvinrent jusqu'au r<iger, à l'ouest
jusqu'au Sénégal, à l'est jusqu'au cap Corrientes. De bonne
heure les khalifes ordonnèrent aux généraux de leurs ar-
mées de lever le plan géographique des territoires dont ils
entreprenaient la conquête. Ils parcoururent la plus grande
partie de l'Asie et firent mieux connaître aux peuples de l'Oc-
cident leurs propres pays, l'Arabie, la Syrie et la Perse, en
même temps qu'ils leurs fournissaient quelques renseigne-
ments sur la grande Tatarie, sur la Russie méridionale, la
Chine et l'Indoustan. Leurs géographes les plus distingués
furent : Ibn-Khordadbey, El-Istakhri {Liber climatum, pu-
blié par Mùller, Gotha , 1839), Abou-Ishak-al-Fareti , Ibn-
Ilaukal, qui florissait vers l'an 915 ( V Irak persan, publié
parUylenbroch,Leyde, 1822 ); El Édrisi (texte arabe, Rome,
1592; Y Espagne par Condé, Madrid, 1799; la Syrie par
RosenmuUer, Leipzig, 1828 ; traduction complète par Jou-
berf, Paris, 1836), Omar-Ibn-al-Wardi , Yakecli (mort en
1249), Al-Osyuti, Aboulféda, Kaswini, etc. La plupart des
matériaux et des renseignements recueillis par Aboulféda
et Édrisi, les plus célèbres d'entre les savants que nous
venons de nommer, sont encore utiles aujourd'hui et d'une
grande importance historique et géographique. Les ma-
nuels géographiques de ces différents écrivains sont cepen-
dant moins instructifs queles descriptions que certains voya-
geurs arabes ont données des contrées qu'ils avaient visitées,
par exemple Al-Hassan-ben-Mobamraed-aMYasan de Cor-
doue, plus connu sous le nom de L é o n l'A f r i c a i n, qui par-
courut au quinzième siècle l'Asie et l'Afrique; Moham-
med-Ibn-Batula (traduit par José de J.-S. Mourat, Lisbonne,
1840), qui visita au treizième siècle l'Afrique, l'Inde, la
Chine , la Russie , etc. , et Ibn-Foclan (publié par Frœbn,
Saint-Pétersbourg, 1823), qui parcourut la Russie.
L'histoire fut de même, à partir du huitième siècle, l'objet
de grands travaux parmi les Arabes ; il s'en faut de beau-
coup cependant que leurs ouvrages soient utilisés aujour-
d'hui comme ils pourraient et devraient l'être. Le plus an-
cien historien arabe que l'on connaisse est Hescham-ben-
Mohammed-al-Kelbi , mort en 819. Dans le môme siècle
vécurent Ibn-Kotayba, Abou-Obéida, Al-Wakedi, Al-Balad-
sori et Asraki Masoudi (Historical Encyclopœdia , enti-
tled Meadows o/ Gold and mines o/ gems, traduite en
anglais par Springer, Londres, 1841), Tabari {Annales,
publiées par KosegarleD,Greifsw., 1831), Hamza d'Ispahan
et le patriarche grec Eulychius d'Alexandrie {Annales, pu-
bliées par Pococke, 2 vol., Londres, 1658) furent les premiers
qui écrivirent des histoires universelles. Vinrent ensuite
Aboul-Faradj { Historia compendiosa Dynastiarum ,
publiée par Pococke, in-4°, Oxford, 1653, et S/>ecinien Histo-
rix Arabum , Oxford, 1806) et Georges Elmakin {Histo-
ria Scroce?jicflr, publiée par Erpen, Leyde, 1625), chrétiens
tous les deux, Ibn-al-Amed, Ibn-al-Athir, Mohammed-He-
mavi, Aboulféda, Kouvairi {Histoire de Sicile sous le
gouvernement des Arabes, traduite en français par Caussin
de Perceval, Paris, 1802) , Djelal-Eddin, Soyouti,Ibn Schoh-
na, Abou'l-.\bbas,Aluned-al-Dimescliki,etc. Les chapitres de
ces différents historiens et de quelques autres encore, qui ont
trait aux croisades, ont été publiés par ordre du gouvernement
français avec traduction française en regard par Reinaud.
Abou'l-Kasem de Cordoue, mort en 1139, Temimi,Ibn-Kha-
tib, Ibn-Alabar, Ahmed-ben-Yahia-al-Dliobi et Ahmed-al-
-Mokri (traduit en anglais par Gayangos, Londres, 1841 ) ,
ont écrit l'histoire des Arabes en Espagne. On a de Kolbed-
din une Histoire de la Mecque; de Kemaleddin , une Chro-
nique d'Alep (publiée par Freitag, Paris, 1819), et des dic-
tionnaires biographiques par Ibn-Kallikan ( Vies des Hommes
Illustres, traduites en fiançais par M. Guckin de Slane , Pa-
ris, 1838), par Ibn-Abi-Osaiba, par Dsahebi {Liber cla-
rorum virorum qui Korani et traditionum cognitione
excelluerunt , publié par XN'ustcnfeld , Gœtlingue, 1833),
par Abou-Zacharyia-el-Navavi (publié par Wustcnfeld,
Gu'ttingue, 1842 ). Les historiens qui ont spécialement
ARABES
72r
traité de l'Iiisfoire dT-g^pte sont : Abdellatif ( nistorix
/Egypti Compendium, public par ^Mlitc, Oxford, ISOO,
traduit et commenté en français par S. de Sacy , Paris,
ISIO); Makrisi {Hisloire des Sultfiaus ^famelouks de
l'Egypte, traduite en français par Quatremére, Paris, 1837 ) ;
Silieliali«ltlin-bi'ii-Abi-lioljla , Maïai-lifii-JusMil-al-llan-
bali, DjenialetUlin • Yussuf - ben-Tagri-Bardi , Mohammcil-
l)en-el-.Moti,cl Ibn-Omar. Bohaeddin (publié par Scbultcns,
L<'yde, 175j),et Emaeddin sont auteurs de Biographies
du sultan Saladin. Ibn-Arabschah a écrit les bauts faits de
Timour (publié par Manger, Leuwarden, i707, et Calcutta,
1S12). Ojia d'Ib n-Klia Idou n.outre plusieurs autres in-
téressants ouvrages , une Introduction à l'Étude de r His-
toire et de la Politique (publiée par Arri, Turin, 18il ),
et une Histoire des Berbers (publiée à Alger, en 1842).
Hadji-Klialfa a écrit un ouvrage encyclopédique et liisto-
riiiue sur la littérature des Arabes, des Persans et des Turcs
(publié par Flugel, Londres, 1833 et suiv. ). Le style de
la plupart des bistoriens arabes est simple et dénué de toub
espèce d'ornement.
La tbéologie, qui a les rapports les plus intimes avec la
jurisprudence, parce que toutes deux ont la môme base,
le Koran, forme la partie la plus importante du système
d'instruction publique des Arabes. C'est seulement à l'épo-
que des khalifes ommiades qu'on trouve des spéculations
sur le contenu du Koran. Lorsque plus tard les Arabes con-
nurent la philosophie d'Aristote, et qu'ils en appliquèrent
les principes à la religion, on vit se produire parmi eux
diverses sectes, dont quatre sont considérées comme ortho-
doxes et soixante-douze comme hérétiques {voyez Mahomé-
tisme). Les opinions des unes et des autres ont été exposées
par Scheheristani, dans son ouvrage sur les religions. La tra-
dition ou sunna rapporte les discours et les actions de Maho-
met , et , en dépit du pédantisme de quelques-unes de ses
dispositions , ne laisse pas au total que d'être préférable au
Koran. Le Mischkat-al-Masabich (traduit en anglais, par
Matthews, Calcutta, 1809 ) est un ouvrage du même genre.
L'exégèse du Koran occupe le premier rang parmi les ou-
vrages consacrés à la théologie et à la discipline religieuse.
Les écrivains exégètes les plus en renom sont Samaks-
chari et Baidhawi. Omar-al-Nasafi écrivit au douzième
siècle une dogmatique célèbre, et Cheikh-Ibrahim d'Alep.,
au seizième siècle, le code le plus estimé; Mouradgea
d'Olisson a traduit ces deux ouvTages. Le droit mahométan
a encore été commenté par Hedaya ( 4 vol., Calcutta, 1730;
traduit en anglais , par Hamilton, Londres, 1791), avec
des annotations d'inaya et de Kafiya , de même qu'il sert
de thème aux sentences ou tetwas des plus célèbres juris-
consultes, dans le nombre desquelles on a imprimé les
Fatawa Alemgiri ( 6 vol. in-4° , Calcutta, 1829) et les
Fatawa Hamadani (2 volumes, Calcutta, 1832). Dans
ses Principles oj Muhamedan law (Calcutta, 1823),Mac-
naghten a publié une chrestomatliie d'arguments juridiques.
La philosophie des Arabes , qui a le Koran pour base, de
même que la scolastique chrétienne se rattachait à la Bible,
est d'origine grecque. Elle eut surtout pour principes ceux
de la philosophie d'Aristote, que les Arabes firent con-
naître d'abord en Espagne , et de là dans le reste de l'Eu-
rope. La dialectique et la métaphysique furent de leur part
l'objet d'études toutes particulières. Parmi ceux de leurs
écrivains qui se sont occupés de philosophie, il faut sur-
tout citer Alkendi de Bassora, qui vivait vers l'an 800;
Aifarabi,qui vers l'an 954, traita des principes des choses;
A 1 g a z a 1 i , mort en 1 1 1 1 , auteur d'un « Renversement de
tous les systèmes philosophiques païens; Aboubekr ebn-
Thophaïl, mort en 1190, qui dans .son roman philosophique,
Haï-ebn-Yokdan (publié par Pococke, Oxford, 1G71), a
expliqué le développement de l'homme et de l'animalité, et
son disciple Averrhoès, justement célèbre comme com-
mentateur d'Aristote.
DICT. DE LA CO.NVKRS. — T. I.
Beaucoup de philosophes célèbres furent en même temps
médecins, et on ne saurait nier qu'après la géographie
c'est surtout la médecine qui a le plus profité des travaux
dos Arabes. Ils eurent le mérite de conserver au moyen
Age l'i'tude scientifique de la médecine et de la ranimer dans
toute l'Lurope. Des écoles de médecine furent fondées du hui-
tième au onzième siècle h Djondisabur,à Bagdad, à Ispahan
à Firuzabad , à Bokhara , à Koufa, à Bassora , à Alexandrie
et à Cordoue ; et par suite de l'ardeur avec laquelle on s'y
livra à l'étude des sciences médicales, on dut nécessaire-
ment faire de notables progrès , tout en se tenant trop ser-
vilement aux enseignements des Grecs L'anatomie ne put
guère avancer, il est vrai, parce que le Koran interdi.sait les
dissections ; mais la médecine empirique n'en fit que de plus
rapides progrès , attendu que les Arabes s'adonnèrent avec
une ardeur extrême à l'étude de la botanique et à celle de
la chimie, qu'ils perfectionnèrent singulièrement , si tant est
qu'on ne doive pas les considérer comme en ayant été les
vrais créateurs. La nosologie leur doit aussi de notables
découvertes. Parmi leurs plus célèbres écrivains médi-
caux , il faut citer : Haroun , qui le premier décrivit la
petite-vérole, Yahia-ben-Sérapion , Jacob ben-Lshak-Al-
kendi , Johannes Mesvé , Rhazès, Ali-ben-Abbas , A vi-
ce nne, l'éditeur du Canon de la Médecine, considéré
longtemps comme le dernier mot de la science; Ishak ben
Soleiman, Aboulcasis , Ibn-Zohar , Averrhoès , auteur d'un
système dialectique complet de la médecine. Consulter
Sprengel , Histoire de la Médecine ( T volume ) , et Wus>
fcnfeld, Histoire des Médecins et des Naturalistes Arabes
( Gœttingue 1840). Damiri , Ibn-Baitar et Kazwini ont
écrit sur l'histoire naturelle, et Abou-Zakarja de Séville
sur l'agriculture ( traduit en espagnol par Banqucri , 2 vol.
in-fol., Madrid, 1802 ).
Si les Arabes ne firent faire que peu de progrès à la phy-
sique, il faut en accuser la méthode qu'ils employaient ; car,
pour faire concorder les principes d'Aristote avec les méti-
culeux préceptes du Koran , ils ne traitaient la physique
qu'au point de vue métaphysique. En revanche, ils firent
beaucoup avancer les mathématiques, qu'ils ramenèrent à
des principes plus simples , dont ils agrandirent le domaine
en même temps qu'ils en propagèrent le goût et l'étude. Ils
introduisirent dans l'arithmétique l'usage des chiffres qui
portent leur nom et le système de numération en progres-
sion décimale ; dans la trigonométrie , l'emploi des sinus
au lieu de celui des cordes. Ils simplifièrent les opérations
trigonométriqiies des Grecs, et donnèrent à l'algèbre des
applications plus utiles et plus générales. Mohammed-J)en-
Musa {Algebra Arab. and Engl., pubhé par Rosen, Lon-
dre-s, 1830) mérita particulièrement de cette science; Alza-
han écrivit sm- l'opticpie ; Naesireddin traduisitles Éléments
d'Euclide (Rome, 1694 ; souvent réimprimes depuis) ; Djeber-
ben A/lii composa un commentaire sur la trigonométrie de
Ptoiémée.
L'astronomie fut de la part des savants arabes l'objet de
travaux tout particuliers , et eut des écoles et des obser-
vatoires justement célèbres à Bagdad et à Cordoue. Dès l'an
812 de notre ère Alhazenet Sergius avaient traduit en arabe
VAlmagesle de Ptoiémée, ce premier système complet d'as-
tronomie, dont des extraits furent publiés en 833 par Alfar-
gani(£'/emf?î^«>ls<ronomia.', publiés par Golius,iu-4'', Ams-
terdam, 1669), et plus tard par Aveniioès. Albategni
observa au dixièmesiècle la précession des équinoxes et l'obli-
quité de l'écliplique ; Alpctragius écrivit une théorie des
planètes. La géographie fut coordonnée avec les mathéma-
tiques et l'astronomie, et systématiquement exposée par dif-
férents écrivains, entre autres par Aboulféda. l'oyez encore
nos articles Aboli.-Hassan et Aboli.-Wéfa.
Ces progrès si remarquables dans les sciences exactes
n'empêchèrent pas le génie arabe d'être particulièrement
sensible à la poésie. Il y eut constamment une foule de
91
722
ARABES
poètes dans toutes les provinces du grand empire arabe ;
mais les productions des poêles contemporains sont plus
travaillées. On doit une mention spéciale à ceux dont les
noms suivent : Motenebbi, Abou-Ismael, vizir de Bag-
dad, Ahou'l Ala, Omar-Uen-Faredh, et Hamadani, inventeur
d'une forme de vers appelés makamcs, et qui furent portés
à leur dernier degré de perfection par Hariri; enfin Ibn-
Arabjah pour ses contes (traduits en allemand par Freytag,
Bonn , 1832 ). La littérature arabe est très-riche aussi en
romans et en recueils de contes, tels que les Mille et
•une A vit s, lesrr.iîs et gestes d'An tar, lo>; Faits cî gei-î. s
des combattants , Siret el Modjacdin , les Faits et geste.
des héros , Siret el BehleowCin. On peut dire, en général,
qu'à l'exception de l'art dramatique, il n'est pas de genre de
poésie dans lequel les Arabes ne se soient essayés. Il est
donc tout naturel qu'ils aient exercé une notable influence
sur la poésie des nations modernes de l'Europe. C'est ainsi
que les contes de fées et des magiciens, peut-être bien aussi
la rime, furent introduits par eux dans la poésie de l'Occi-
dent, et quelques-uns des Hvtcs populaires les plus répandus
au moyen âge, tels que les Sept Sages blancs et les Fables
deBidpaï, nous sont venus par l'intermédiaire des Arabes.
Abou-Teman, mort en 845, lit, parmi les nombreux chants
des Arabes antérieurs à la venue de Mahomet , un choix
des meilleurs, les coordonna en dix livres, et donna à cette
collection le titre de Hnmûsa, par allusion au premier livTC,
qui contient des poésies guerrières. Frej^ag en a publié une
édition à Rome, en 1828, et F. Ruckert en a fait paraître une
traduction allemande. Abou-Teman avait recueilli ses chants
dans toutes les tribus arabes; mais il existe des anthologies
particulières aux diverses peuplades , et la plus célèbre de
toutes est celle des Houdailites, intitulée : le Divan. Des
chants appartenant à cette époque reculée jusqu'aux pre-
miers siècles du khalifat ont aussi été recueillis par Abou'l-
Faradj, d'Ispahan, mort en 966, dans son Kitâb alAghâni,
le Livre de Chants, publié par Kosegarten, en 1839, à
Greifswald. Il a joint à son recueil un commentaire très-
détaillé, qui en fait un des ouvrages les plus intéressants de
l'antique littérature arabe.
L'anthologie la plus riche et la plus complète de la poésie
arabe postérieure est le Yatimat-al-Dahr , la Perle du
Monde, de Taalebi, dans laquelle les poètes sont rangés
suivant les provinces où ils ont vécu. Ce recueil a été con-
tinué et augmenté à diverses reprises.
Indépendamment de ces anthologies, qui nous offrent un
tableau assez complet des productions de tous les poètes
arabes, il n'y a presque aucune des provinces dans les-
quelles régnent leur htlératureelleur civilisation, qui n'offre
des anthologies spéciales de ses poètes. Les collections de
ce genre les plus nombreuses sont celles de l'école hispano-
arabe ou maure, qui a eu ses Romanceros comme la
littérature espagnole.
Kn outre, la littérature arabe est très-riche en coUeclions
d'anecdotes, de joyeux et spirituels propos, et de morceaux
choisis des écrivains classiques ; genre de productions dont
nous pouvons nous former une idée par l'ouvrage de Taalebi,
intitulé : le Compagnon intime du Solitaire en vives ré-
pliques ( 1 vol. in-4", publié par Flugel, à Vienne, en 1829).
La langue arabe se compose, en général, des raf mes mots
que l'hébreu, le syriaque et les autres idiomes compris sous
la dénomination de sémitiques, entre lesquels elle se
distingue par son ancienneté, sa richesse et sa flexibilité. Les
mots s'y groupent par racines, composées ordinairement
de trois lettres ; et les diverses nuances de la pensée s'y
expriment à l'aide de ces lettres, modifiées, soit par la pro-
nonciation, soit par d'autres lettres ajoutées au commence-
ment ou à la (in des mots. Pendant plusieurs siècles cette
langue domina sur un théâtre beaucoup plus vaste qu'à pré-
sent. Au dixième siècle, elle était encore en Perse celle du
gouvernement et de la classe éclairée; elle le fut également
dans une grande partie de l'Espagne; maintenant elle n'est
guère dominante qu'en Arabie, en Egypte, en Syrie et sur
les côtes d'Afrique. Ailleurs ce n'e.-t qu'une langue sacrée,
une langue savante; le peuple, selon la race à laquelle il
appartient, parle turc, persan, malais, etc.
En se propageant la langue arabe a dû perdre de sa pu-
reté primitive. L'arabe qu'on parie à Maroc ou à Alger n'est
pas en tout point le même que celui dont on se sert en
Égv'pte, et l'arabe d'Egypte diffère quelque peu de l'arabe
de Syrie. En somme, la langue se divise en deux dialectes
principaux distincts : le dialecte septentrional, dont le Ec-
ran a fait la langue dominante des livres et des relations so-
ciales, et le dialecte méridional, lequel, du reste, n'est com-
plètement connu jusqu'à présent que par un petit nombre
de manuscrits et d'inscriptions, mais qui est vTaisemblable-
ment la source de la langue et de l'écriture étliiopiennes.
« La langue arabe, dit M. Reinaud , est riche, harmo-
nieuse, pleine d'images. On a cependant exagéré sa richesse.
Sans doute l'habitant du désert, dont l'imagination n'est
frappée que par un petit nombre d'objets, en observe avec
plus d'attention les détails et jusqu'aux moindres circons-
tances. Pour lui deux nuages ne se ressemblent pas; il a
autant de termes divers pour peindre un rocher, un torrent,
une vailre, une citerne, que ces objets peuvent s'offrir à lui
sous des aspects différents ; d'un autre côté , la langue en se
répandant s'est enrichie de nombreux emprunts, mais sou-
vent aussi il ne lui est resté qu'un mot pour exprimer plu-
sieurs nuances. Cette pauvreté se fait surtout sentir dans les
mots composés, genre d'expressions qui tiennent lieu depé-
ri[)hrases, et qui donnent tant de précision à nos langues. »
L'écriture arabe actuelle n'est pas ancienne ; elle com-
mençait à peine à se répandre lorsque Mahomet vint prê-
cher sa doctrine. Il y avait auparavant d'autres genres d'é-
criture usités dans certaines parties de l'Arabie, par exemple
l'écriture bémyarite, en usage dans l'Yémen; mais l'écriture
arabe actuelle prit le dessus avec le Koran.
En arabe, comme en hébreu , on ne marque ordinairement
que les consonnes. Les voyelles se placent au-dessus et au-
dessous des mots ; mais on les omet ordinairement. Le Koran
ayant d'abord été écrit sans voyelles, il y a des mots sur
lesquels les commentateurs ne sont pas d'accord.
Parmi les diverses écritures arabes, ou en distingue deux
principales : l'écriture coiifique et l'écriture neskhi. Le nes-
khi est l'écriture cursive ; on avait cru jusqu'à ces derniers
temps qu'il n'était pas antérieur au dixième siècle de notre
ère , mais des documents paléograpliiques publiés par Syl-
vestre de Sacy il est résulté qu'il est aussi ancien que Maho-
met, ou que l'écriture arabe elle-même. Quant à l'écriture
coufique , ainsi appelée de la ville de Koufa , où l'on croit
qu'elle a pris naissance , elle consiste en lignes droites , et
l'on pourrait la comparer à nos caractères romains. Ainsi sont
gravées les anciennes monnaies des khalifes et les inscrip-
tions monumentales. Maintenant, à quelques différences
près, l'écriture arabe est la même partout ; elle a été adoptée
par les Persans et les Turcs, qui se sont contentés de modi-
fier quatre lettres de l'alphabet pour leur faire exprimer
tous les sons chez eux en usage. Consultez Gesenius et Ré-
diger, Sur la langueet l'écriture hémtjarites (Halle, 1841 ).
Le plus ancien grammairien arabe, qui florissait déjàsous
le règne du quatrième khalife Ali, est Abou'l-Asvvad-al -
Douli; parmi les grammairiens postérieurs, il faut citer Si-
bawaih, Ibn-Malek, Zampklisrluni. !bn-lîpscliam, Iliu-Doraï.l
Motaue/.zi, Tebrizi, Baïdliawi, Hariri, etc. Consultez S. de
Sacy {Anthologie Grammaticale Arabe, Paris, 1829). Kha-
lil-ben- Ahmed al-Ferahidi de Bassora rédigea le premier
en système la prosodie et la métrique des poètes arabes.
Al-Djauhari , mort en 1009, composa un dictionnaire de la
langue arabe pure, qu'il intitula : Al-Sehah, c'est-à-dire la
Pureté, et qui est encore fort estimé aujourd'hui. Mohan-
mcd-ben-Yakoub-al-Firuzabadi , mort en 1414, corapc.-.".
ARAF/i-::. —
60UJ le titre de El-Kamus, c'ai-À-ùiie l'Océan, un Tficsaii-
VHS lie la lan^iue arabe. C'est le meilleur «liclionnairc arabe
que Ton possède (2 vol. in-4", Calcutta, 1817); aussi a-t-il
été traduit en turc et en persan (3 vol. in-fol., Constan-
tinople, IslS; et 4 vol. in-i", Calcutta, isiO). Djordjaui
a donné une explication par ordre alpliabélique de tous
le-s termes d'arts et de sciences. Meid;ini a recueilli les nom-
breux proverbes ( 2 vol. publiés par FrcTfag, Bonn, 1S3S).
L'invasion de la Sicile et de l'Espagjie parles Arabes eut pour
conséquence de répandre la connaissance de leur langue en
Europe. Quoiqu'elle ait laissé dans les langues de ces deux
pays de nombreuses traces de son influence, elle ne tarda
pas cependant à tomber dans l'oubli quand les Maures
curent été expulsés d'Europe. Postel eut le mérite d'en
réveiller l'étude scientifique en France, et Spcy en Allemagne ;
et à partir du dix-septiéme siècle elle fut cultivée avec
une ardeur extrême dans les Pays-Bas, plus tard en
Allemagne, en Hollandoet on Angleterre. Martelotti (1G20)
et Guadagnole ( 1642), mettant à profit les travaux des gram-
mairiens arabes, publièrent des grammaires arabes, qui
furent l'objet de méthodes plus commodes de la part
de Van Erie (1613) et surtout de S\lv. de Sacy (1831), de
Lumsden, d'Ewald, de Roorda, de Petcrmannet deCaspari.
Golius, Giggeij , Ca-leili , Meninski, Wilniet , Freytag et
Kazimirski publièrent des dictionnaires; Rosenmiiller,
Jahn, Syl. de Sacy, Kosegarten, Grangerel de Lagrange, Hum-
bert et Frejiag, des cbrestomathies , comme firent aussi le
chéib Achmed-al-Ycmini, sor.s le litre de yafliat ul Yemen
(in-fol., Calcutta, 1811) etde Hadikat ni Afrah (Calcutta,
1818), et quelques autres encore. La métrique a été l'objet
des travaux particuliers de Freytag, d'Évrald et de G. deTassy.
La connaissance de l'arabe, tel qu'on le parle aujourd'hui
en Syrie, en Egypte et sur la côte du nord de l'Afrique, est
l'objet des grammaires publiées par Caussin de Perceval et
Canes, des Dictionnaires de Dominicus Germanicus de
Silesia , de Canes , d'Elious Bokhtor, de Marcel , de Ha-
bicht, etc. Les plus grandes collections de manuscrits arabes
se trouvent à Madrid, à Rome, à Paris, à Leyde, à Oxford,
à Londres, à Gotha, à Vienne , à Berlin , à Copenhague et
à Saint-Pétersbourg ; mais on manque encore de catalogues
satisfaisants pour bien apprécier la richesse relative de ces
diverses collections. Flugel est auteur d'une histoire de la
littérature arabe dans toutes les branches de son dévelop-
pement. Dans sa D'ibllotheca Onentalïs (Leipzig, 1840),
Zenker a présenté le tableau de tous les grands travaux qui
ont été publiés jusqu'à ce jour.
Les débris cj'architecture arabe qui subsistent encore
aujourd'hui en Espagne et en Afrique méritent aussi une
attention toute particulière.
La présence des Arabes conquérants en Egypte, dans
l'Inde, en Grèce, en Sicile et en Espagne imprima aux
édilîces de ces cor.irées un nouveau caractère; de là l'ar-
chitecture arabe, lioe vers la lin du septième siècle. Peuples
nomades, vainqueurs de pays déjà civilisés, les Arabes du-
rent recevoir autant qu'ils importèrent en ce qui concerne
l'art de bâtir, et l'architecture des nations qu'ils avaient
subjuguées dut avoir beaucoup d'influence sur la leur.
C'est ce qui explique les différences qu'elle offre à diverses
l'poqucs dans les pays divers soumis à leur domination,
différences qui existent surtout entre l'architecture miu-
resque d'Espagne et l'architecture sarrasine de l'Egypte, de
l'Inde, de la Grèce et de la Sicile.
Ce qui distingue particulièrement l'architecture arabe
primitive, c'est l'emploi de l'arc plein cintre surîiaussé per-
pendiculairement à son diamètre par des encorbellements,
ttde l'arc plein cintre circulaircment prolongé dans sa partie
inférieure au moyen d'encorbellements formant console en
saillie sur des pieds droits ou colonnes qui le supportent dans
l'arc ogive surhaussé : les découpures qui ornent fréquem-
ment celui-ci sont formées par une suite de petits arcs ram-
.\RABESQ1JES 703
pants, alterni's de grandeur, dont les retomh'es, terminées
en culs-de-lampe, sont perpendiculaires, tandis que le
même ornement dans l'arc plein cintre forme un trèfle et
tend à un centre commun. Dans l'architecture arabe mo-
derne on trouve une autre espèce d'arc, dont les surfaces
inférieures de l'arc-doubleau olfrenl le développement de
deux consoles jointes par leur sommet.
11 ne parait pas que les Arabes aient cherché à établir
un rapport entre le diamètre et la hauteur des colonnes.
Ils employèrent assez volontiers les bases antiques, ou y
suppléèrent par un grand cavet ou congé renversé et cou-
ronné d'une baguelle ou d'un filet. Lorscpi'ils firent usage
des chapiteaux des Romains, ils affectèrent de chan"er
quelques parties de leurs ornements dans les volutes ou feuil-
lages, pour y introduire le goût qui leur était propre. Leurs
moulures, qui sont fort rares, ne se composent générale-
ment que de bandeaux ou cavets évidés en ogives et for-
mant consoles.
Les prescriptions de l'islamisme resserrèrent l'ornementa-
tion dans un système particulier, qui , à cause de la grande
extension qu'il reçut alors, prit le nom d'arabesques.
Légère, élancée, hardie jusqu'à la témérité, l'arcliitec-
ture arabe n'est qu'une profusion sans égale de broderies ,
de rinceaux, de denticules, de volutes, de voûtes en ogive,
de colonnes déliées et découpées avec une adresse infinie,
mais qui n'offrent le plus souvent dans leur assemblage
capricieux ni proportion, ni idée d'ordre, ni aucun caractère
d'ordonnance particulière. Toutefois, ce nouveau genre,
plein de détails heureux, séduisit et fit révolution dans l'ar-
chitecture alors existante, qu'il remplaça bientôt en s'y
mélantsousle nom de gothique moderne {voyez Gothique).
L'architecture arabe, riche, sensuelle, fantastique, porte
bien l'empreinte du génie de l'Orient; et à défaut des
monuments littéraires qui nous restent, elle suffirait pour
nous apprendre à quelle Inuteur s'élevait l'imagination de
ce peuple. L'Alhambra, une foule de mosquées, entre
autres celle de Cor doue, les cimetières du Caire, où on
distingue le tombeau dit de Malek-Adel , en sont autant de
témoignages éclatants, a L'architecture arabe , dit Lamen-
nais, ressemble à un rêve brillant, au caprice des génies ,
qui s'est joué dans ces réseaux de pierre, dans ces délicates
découpures , ces franges légères, ces lignes volages , dans
ces lacis où l'œil se perd à la poursuite d'une symétrie qu'à
chaque instant il va saisir, qui lui échappe toujours. »
L'architecte français Coste , qui vers 1818 fit un long
séjour au Caire et à Alexandrie, a étudié cette architecture
avec soin et a consigné le résultat de ses recherches dans
un ouvrage intitulé : Architecture arabe, ou Monuments
du Caire, dessijiés et 7nesurés (in-fol., avec 74 planches,
Paris, 1823). Parmi les publications qui font bien connaître
l'architecture arabe , nous mentionnerons : le splendide
ouvrage de Murphy, Arabian Antiquities of Spain (Lon-
dres, 1816); Antiguedades arabes de Espana (.Madrid,
1804), par Lozano; Alhambra (Londres, 1836), par Gourg
et Jones; Souvenirs de Grenade et de V Alhambra (Paris,
1837) ; Monuments arabes et moresques de Cordoue ( Pa-
ris, 1840), et Essai sur l'Architecture des Arabes et des
Mores en Espagne (Paris, 1841), par Girault de Pi-angey.
On a une dissertation sur la musique des Arabes (Leipzig,
1842 s par Kiesewetter.
ARABESQUES ou M.\URESQUES. Comme œuvre de
peinture, on confond souvent les //ro^ es g 2< es avec les
arabesques; im\% c'est à tort que l'on donne tantôt l'un
tantôt l'autre de ces noms à tous les ornements capricieuse-
ment composés de feuillages, de fleurs, d'animaux, et même
d'élres imagmaires, groupés d'une manière fantastique. Par
arabesques il faut entendre ces assemblages de fleurs, de
fruits, de feuillages vrais ou imaginaires, combini's avec di-
vers agencements de lignes. Ce nom leur vient des Arabes,
([ui, ne pouvant, par suite des préceptes de leur foi religieuse,
91.
724
peindre aucun être animé, choisirent ce genre d'ornementa-
Uon. Les Maures en ayant également fait usage, on le dé-
signe aussi quekpiefois par le nom de mauresques. Les
Romains avaient déjà coutume d'introduire dansTomemen-
tation de leurs demeures , outre des groupes de fleurs, des
génies, des hommes, des animaux et autres sujets, mêlés et
confondus suivant le caprice de l'artiste. Ce sont ces orne-
ments qui, à proprement parler, constituent ce qu'on ap-
pelle des grotesques, peut-être bien parce qu'on les a sou-
vent rencontrés dans les appartements d'édifices romains tom-
bés en ruine et dans des voûtes souterraines (grottes ).
Bœttiger dérive l'origine des arabesques et des grotesques
des tapis de l'Inde et de la Perse, ornés de toutes sortes d'a-
nimaux fabuleux appartenant au monde des contes orientaux.
Dans les bains de Titus et de Livie à Rome , dans la villa
d'Adrien à Tivoli , dans divers édifices d'Herculanum et de
Tompéi , et dans quelques autres endroits encore, il s'en est
conservé jusqu'à nos jours, qui pèchent peut-être par la
trop grande richesse des détails, mais dont la plupart of-
frent une brillante exécution. C'est ce que reconnut bien
Raphaël, notamment, qui fit orner les loges du Vatican de
semblables peintures , exécutées par ses élèves , et en par-
ticulier par Giovanni Hanni d'Udine. On a fait un fréquent
emploi des arabesques en France sous le règne de Louis XIV.
Aujourd'iiui on y a encore recours pour la décoration des
murs intérieurs, des panneaux , des pilastres, des montants
de portes , des frises , des plafonds et des voûtes. JMais il
faut se gardor de les appliquer sur des objets de grandes di-
mensions et de les employer dans les décorations d'un style
sévère.
.Malgré le charme qu'on ne peut refuser à ces sortes d'or-
nements lorsqu'ils sont de bon goût, on les a souvent jugés
avec sévérité ; c'est ce qui est arrivé aux critiques qui veu-
lent que l'art ne traite que la réalité , et qui repoussent
par conséquent tout ce qui est fantastique. Il faut d'ail-
leurs reconnaître que trop souvent ces ornements dégé-
nèrent en bizarreries et en impossiliilités tout à fait contre
nature. Voyez Grotesque.
AAxVBIE, appelée Djésirch-al-Arab par les indigènes ,
et Arabislàn par les Turcs et les Persans, grande pres-
qu'île située à l'extrémité sud-ouest de l'Asie, d'environ
28,500 myriamètres carrés de superficie, est s/parée d'un coté
du continent asiatique par le golfe Persique qui fait partie
de la mer des Indes, et s'y rattache de l'autre par les hau-
tes plaines du désert de Syrie et d'Arabie. Unie à l'Afrique
par le détroit et la petite presqu'île de Suez, et séparce
de ce continent uniquement par la mer Rouge, où abondent
les écueils et les récifs , et qui dans le détroit de Bab-el-
Mandeb se rétrécit au point de ne plus avoir que 5 myria-
mètres de largeur, l'Arabie offre sous tous les rapports
physiques la fidèle image de l'immense et tropical continent
qui l'avoisine. Elle est conmie la transition entre l'Asie et
l'Afrique , et semble avoir été destinée par la nature à do-
miner le nord de l'Afrique de même qu'à prévenir de ce
côté toute réaction hostile à lantique race orientale, tout
cela d'ailleurs avec son individualité propre et comme il
convient à l'isolement caractéristique de sa situation géo-
graphique.
Le nom d'Arabie ou provient d'un district de la province
deXehama, appelé Araba, c'est-à-dire désert , ou dérive
peut-être du moi cher, qui signifie nomade, attendu qu'à
l'origine les Arabes et les Éhrœcns n'étaient qu'un seul et
même peuple formant la plus ancienne et la plus célèbre
race de pasteurs de l'Asie. La division de la presqu'île en
Arabie Pctrée, Arabie Déserte et Arabie Heureuse, qui a
été adopti'C même dans quelques ouvrages modernes , re-
monte à Ptolémre; car il n'est jamais question dans les
géographes grecs que d'une Arabie Déserte et d'une Arabie
Heureuse; mais elle ne r.épond nullement au caractère des
limites primilivement assignées à ces diverses parties du
ARABESQUES — ABABIE
territoire arabe, et elle a en outre été souvent fort mal
comprise. Le nom d'Arabie Heureuse est le résultat
d'une traduction erronée du mot Yétywn , qui ne signifie pas
heureuse, mais qui relativement à l'Orient désigne le
pays situé à la droite de la Mecque, de même qu'/lZ Scham
(Syrie) indique le pays situé à sa gauche. Par une autre
erreur, on a cru aussi que le mot Pétrée était synonyme de
pierreux et provenait de la nature rocailleuse du sol ; tan-
dis que Ptolémée emprunta cette épithète à la florissante
capitale de l'empire des Nabathaeens , Petra, dont le véri-
table nom était Thamud, lequel signifie un rocher con-
tenant une source.
Aujourd'hui encore l'Arabie est un pays fort mal connu.
Ce qui y frappe tout d'abord le plus le voyageur, ce sont
les nombreux rapports d'analogie qu'elle offre avec l'A-
frique. Quelques chaînes de rochers nus séparent l'Arabiedes
plateaux sud-est du Soristàn , par exemple le Djcbcl-rxœmlï
et le Chamor, qui dans leur prolongement oriental forment
le versant septentrional du haut plateau qui domine les
déserts de la Syrie, tandis qu'au sud de ce plateau méridional
de la Syrie les plaines de la côte occidentale entourent plu-
sieurs contre-forts , par exemple les monts Kharra , qui
non-seu'ement traversent à diverses reprises le littoral de
la mer Rouge par leurs embranchements, mais encore
fractionnent le plateau intérieur par les prolongements
successifs qu'ils envoient à l'est. Les parties sud-ouest et sud-
est de la péninsule sont celles dont le sol est le plus entre-
coupé de montagnes. En effet, si dans l'Oman le système de
montagnes du Djebel-Akhdar va en s'abaissant par la vallée
(lu Masara vers le grand désert intérieur, où l'on ne trouve
plus que d'insignifiantes ondulations de terrain , de nu'me
la région montagneuse de l'Yémen s'abaisse avec la vailée
du Mecdàn , fleuve qui a son embouchure près d'Aden ,
vers le territoire dési-rt des côtes de Tehama; le plateau le
plus élevé de toute l'Arabie, qui atteint, dit-on, une hau-
teur de 3,000 mètres, est situé à peu près au centre de la
presqu'île, dans la province de >'idjed.
En ce qui est de son climat , l'Arabie offre aussi un ca-
ractère essentiellement africain. Les montagnes dont elle est
hérissée annulent et détruisent l'influence que le voisinage
de l'Océan y exercerait sans cela sur la température. Dans
les montagnes , comme dans les vallées, une sécheresse brû-
lante accompagne la plus extrême pauvreté de végétation.
Le palmier à dattes y témoigne seul, pour ainsi dire^ de la
vie végétale; et il n'est même pas rare de rencontrer des
districts entiers où il ne tombe pas une seule goutte d'eau
dans tout l'espace d'une année. Un ciel presque éternelle-
ment serein domine ces plaines stériles ; et la courte saison
des pluies, qui, par suite des vents intermittents dominant
dans la mer Rouge , correspond sur la côte occidentale à nos
mois d'été , ne remplit que périodiquement d'eau les parties
de terrain les jibis basses {wadis), tandis que sur les
plateaux de l'intérieur et du nord-est la saison d'hiver est
marquée par quelques légères gelées. Dans la saison chaude
le simoun ne souffie quelquefois que dans les parties sep-
tentrionales du pays. Les grandes forêts manquent en Arabie,
et les vertes prairies y sont remplacées par des ])laines de la
nature des steppes, mais qui, en raison de la grande quantité
d'herbes aromatiques qu'elles renferment, offrent d'excel-
lents pâturages à une race chevaline des plus nobles. Danr
les contrées sauvages , où le sol s'élève successivement par
terrasses , le règne végétal offre de plus grandes richesses.
On y rencontre, outre les plus belles espèces d'arbres à
(ruils et le palmier, le dhourra, espèce de millet qui tient
lieu des grains d'Europe, en général assez rares; le tabiic,
le coton, l'indigo, le meilleur café qu'on connaisse, et qui
constitue l'un des prindpaux objets d'exportation du pa\s;
les épices de tous genres, comme le benjoin, le mastic, le
baume, l'aloès , la myrrhe, l'encens, etc.
Ce caractère essentiellement airicainde l'Arabie se retrouve
ARABIE
encore dans son règne animal. Les moutons , les (lièvres et
les bœufs y satisfont aux besoins personnels et iloinestiques
de rhorame ; le chameau et le cheval lui servent «le fidèles
compagnons dans ses pérégrinations ; les gazelles et les au-
truches , qui , dans leur course rapide , vont d'oasis en oasis ,
habitent le désert , où le lion , la panthère , l'hyène et le
chacal cherchent incessamment leur proie ; les singes , les
faisans et les colombes habitent paisibles les districts fer-
tiles. Les siuiterelles commettent souvent d'effroyables dé-
vastations. Les poissons et les tortues abondent sur les eûtes ,
et on trouve des perles surtout dans le golfe Persique. Kn
fait de produits du règne minéral , il faut mentionner le 1er,
le cuivre, le plomb, la houille, la poi\ minérale, et quelques
pierres précieuses, telles que la cornaline, l'agate et l'onyx.
On estime le nombre des habitants de l'Arabie à douze
millions ; et par suite de l'isolement de cette contrée on
peut dire que cette population offre sous le rapport physique
comme sous le rapport intellectuel une originalité caracté-
ristique qu'on retrouve aussi bien dans les individus que
dans les masses. L'Arabe est de taille moyenne, vigoureu-
sement constitué, et a le teint basané. Les traits de son vi-
sage expriment une fierté et une gravité nobles. 11 est doué
de beaucoup d'adresse naturelle, ingénieux et gracieux. La
tempérance, la bravoure, l'hospitalité et la fidélité, de
même que l'amour de la poésie, forment le fond de son
caractère. La passion de la vengeance et le penchant à la
rapine déparent seuls ses belles qualités. La femme arabe
ne vit que pour l'intérieur de la famille , et c'est à elle que
revient tout le soin de l'éducation première des enfants.
L'Arabe se croit l'être le plus heureux de la terre quand il
lui naît un chameau, quand une belle jument met au monde
un poulain, enfin quand on l'applaudit comme poète.
Au culte des astres, cette forme si simple de religion, suc-
céda la doctrine de .Mahomet , que l'Arabie tout entière ne
tarda pas à adopter. Aujourd'hui , outre les deux grandes et
anciennes sectes de l'islamisme, les sunnites et les chiites, on
en compte encore une troisième, celle des ivahabitcs ,
dont l'origine ne remonte pas au delà de la seconde moitié
du dix-huit.ème siècle. Un grand nombre de juifs, de Banians
et de chrétiens , attirés par le commerce , habitent aussi
l'Arabie. Le genre de vie de l'Arabe est ou nomade, et alors
il ne s'occupe que de l'élève du bétail et du transport par
caravanes des marchandises à travers le désert ; ou séden-
taire , cas auquel il cultive le sol et se livre au commerce et
à l'industrie. Les Arabes nomades .^ont désignés sous le nom
de Bédouins, et les Arabes sédentaires sous celui de
Hadesi ou de Fellahs. Le commerce, qui se fait autant
par la voie de mer que par celle de terre, et dont les dattes,
le café, les figues, les épices et les plantes médicinales cons-
tituent les principaux objets, est très-considérable, quoi-
qu'il ne soit plus aujourd'hui que l'ombre de ce qu'il ét;iit
avant la découverte de la route des Indes par le cap de
Bonne-Espérance ; et il se trouve en partie entre les mains
d'étrangers, de Banians surtout, marchands indiens qui res-
tent en Arabie jusqu'à ce qu'ils se soient assez enrichis pour
pouvoir s'en retourner dans leur pays. 11 se borne à peu
près à l'exportation des produits bruts du sol et à l'impor-
tation de quelques objets de fabrication étrangère, attendu
que l'industrie indigène fournit à grand'peine aux besoins
les plus indispensables de la population , et exige l'intro-
duction de bon nombre de produits manufacturés à l'é-
tranger.
L'époque brillante de la culture intellectuelle des Arabes
est passée sans doute; cependant cette nation n'en est point
encore arrivée à l'état de dégradation morale qu'on veut
bien dire. L'enfant du désert lui-même apprend à lire, à
écrire et à compter; et dans toutes les villes il existe des
écoles élémentaires ou supérieures ayant pour but de donner
satisfaction au goût des sciences et des lettres. Pour l'Arabe
la patrie s'étend aussi loin (pie peuvent aller ses troupeaux
725
et que ses hordes peuvent se maintenir indépendantes. Il
semblerait que le résultat des innombrables tribus qu'il forme
dût être d'amoindrir chez lui la force du sentiment national;
mais il suffit de quelque circonstance fortuite et extraordi-
naire pour voir le peuple arabe, uni comme un seul homme,
influer avec une irrésistible force sur les destinées de l'huma-
nité et sur l'histoire des nations. Le caractère principal delà
constitution politique arabe est la vie patriarcale appuyée
sur l'amour de la liberté. Les chefs suprêmes de tribus por-
tent le titre à'dm'trs, de chéiks et aussi à'imans. Leurs
obligations semblent se borner au commandement des ar-
mées en temps de guerre, à la perception de l'impôt et à
l'administration de la justice ( pour laquelle ils sont suppléés
par les kadis, c'est-à-dire les juges); cependant les annales
de l'histoire, tant ancienne que moclerne, des Arabes nous
oflrent de nombreux exemples d'un despotisme s'exerçant
parmi eux avec violence. Prétendre énumérer les diverses
tribus arabes et fixer les délimitations exactes de leurs ter-
ritoires respectifs serait chose impossible, même en s'aidant
à cet égard des renseignements les plus précis que puissent
offrir les géographes arabes ou étrangers. Nous nous borne-
rons par conséquent à mentionner ici les principaux groupes
les plus connus : 1° à l'ouest, sur les bords de la mer Rouge,
V Hedjaz, nominalement placé sous la souveraineté turque,
de même que les villes saintes, la Mecque et Médine,et
les ports de Jembo et de Djedda; 2° au sud-ouest, VYémen,
le plus grand État particulier de l'Arabie, placé sous l'auto-
rité d'un iman, qui réside à Sana, avec les villes commer-
çantes .Mokka et Ad en, que les Anglais occupent de-
puis quelque temps; 3" VHadramaut, avec le Reschin;
4° le Mahrah, avec l'Harmine , sur les côtes de la mer d'A-
rabie; 5° YOman, au sud-est, avec Rostak et Ma se a te,
dont l'iman n'est pas seulement le plus puissant qu'il y ait
dans tout l'Oman, mais dont la domination s'étend encore
sur une partie des côtes de la Perse et sur l'île de Socotora,
dépendance de l'Afrique ; 6° le Hadjar ou le Lahsa, sur la
côte du golfe Persique, avec Lahsa, Katif et Koueit; 7° enfin
le Nedjed , le grand plateau intérieur de l'Arabie, où sont
représentées presque toutes les tribus, célèbre comme l'en-
droit où prit naissance et où domina la secte des waha-
bites, dont le chef suprême résidait à Derreyeh.
L'iiistoiredes Arabes avant Mahomet est pleine d'obscurité,
et n'offre qu'un médiocre intérêt , à cause du peu de rela-
tions qu'ils avaient avec le reste du monde. Les habitants
aborigènes de l'Arabie sont désignés sous le nom de Baïa-
dites, ce qui veut dire tribus qui ont péri. Ils provenaient
en partie (le Yoktàn ou Kahlàn , l'un des descendants de
Sem, et en partie d'Ismael, fils d'Abraham. Les descendants
du premier sont de préférence appelés Arabes, et ceux du
second Mostarabes, ce qui veut dire arabisés. Les princes
( tobba) des contrées arabes appartiennent tous à la race de
Kahtàn, d'où descendait la famille des Homéirites ou Hi-
myarites, qui régna pendant deux mille ans sur l'Yémen. Les
Arabes de l'Yémen et d'une partie des déserts de l'Arabie
vivaient dans des villes, et se livraient à la pratique de l'a-
griculture ainsi qu'au commerce, entretenant des relations
avec les Indes orientales, la Perse, la Syrie et l'Abyssinie.
Ils envoyèrent même de nombreuses colonies dans le dernier
de ces pays. Le reste de la population était nomade et errait
dans le désert , comme elle fait encore aujourd'hui. Les
Arabes défendirent courageusement pendant plusieurs mil-
liers d'années leur liberté, la religion et les usages de leurs
pères contre les attaques des conquérants venus de l'Orient.
Pas plus les rois babyloniens et assyriens que les rois de
Perse et d'Egypte ne réussirent à les soumettre. Alexandre
méditait une expédition contre eux ; mais la mort vint le
surprendre avant qu'il pût mettre son projet à exécution.
Les princes qui n^gnaient au nord de l'Arabie profilèrent de
l'ébranlement général causé dans le monde par cet événement
pour étendre leur domination au delà des frontières de leur
7?6
ARABIE — ARACAN
pays. Déjà depuis longtemps les Arabes nomades, surtout à
l'époque de la saison d'hiver, avaient été iiabitués à faire
de profondes excursions dans la fertile Irak ou Cliaidée. Ils
en conquirent complètement alors une partie, qui pour cela
s'appelle encore aujourd'hui Irak Arabi, et y fondèrent le
royaume de Hira. Une autre trihu de l'Yémen envahit la
Syrie, et se fixa sur les bords du fleuve Ghassan, où elle fonda
l'Etat des Ghassanicles. Trois siècles après Alexandre, les
Romains s'approchèrent des frontières de l'Arabie , et en
l'an 107 Trajan y pénétra fort avant. Les Arabes, divisés, ne
purent pas résister partout avec succès aux armées romai-
nes; et quoique leur pays n'ait jamais été formellement
érigé en province de l'empire, ceux de leurs princes dont
les possessions étaient les plus voisines du nord se trouvè-
rent alors tout au moins placé:'> sous la domination des em-
pereurs, et furent considérés comme gouvernant la contrée
on leur nom. Les anciens Homéirites de l'Yémen réussirent
mieux à défendre leur indépendance ; et une expédition ten-
tée contre eux à l'époque d'Auguste échoua complètement.
Saba, leur capitale, fut détruite par une inondation.
L'affaiblissement de la monarchie romaine eut pour ré-
sultat en Arabie, comme dans le reste du monde , de provo-
quer le réveil de l'esprit de nationalité. Si les tribus arabes
avaient agi avec union et ensemble, nul doute qu'elles n'eus-
sent alors aisément reconquis leur indépendance; mais,
éparses sur le sol et divisées comme elles l'étaient, elles em-
ployèrent plusieurs siècles dans ces luttes, en même temps
que le plateau central (Necljed) était le théâtre des com-
bats chevaleresques que les poètes arabes ont tant célébrés,
jusqu'à ce qu'un homme inspiré vint, qui en leur commu-
niquant son enthousiasme leur donna de l'unité, et en leur
donnant de l'unité les rendit forts. Le christianisme trouva
de bonne heure de nombreux partisans en Arabie, bien qu'il
n'ait jamais pu y détruire complètement le culte des astres.
On y comptait même plusieurs èvéques placés sous l'auto-
rité métropolitaine du siège de Bostra en Palestine. La ville
d'Elhira, située non loin de l'Euphrate, comptait un grand
nombre de chrétiens et de couvents arabes ; et peu de temps
encore avant la venue de Mahomet , le roi de cette ville ,
EnnomAn-ijen-el-Mondsir, embrassait le christianisme. La
lutte des Arabes contre le despotisme arabe eut surtout
pour résultat d'attirer parmi eux un grand nombre d'hé-
rétiques, persécutés dans l'orthodoxe Orient, et plus particu-
lièrement des monophysites et des nestoriens , dont le fa-
natisme religieux ne put qu'imprimer encore plus d'énergie
à cette résistance. Les Juifs aussi , à partir de la destruc-
tion de Jénisaleaî , furent très-répandus en Arabie, et ils
y firent môme des prosélytes à leurs croyances. Le dernier
roi des Homéirites faisait profession de la religion juive ; et
les persécutions qu'il ordonna contre les chrétiens lui at-
tirèrent, en l'an 502, une guerre avec le roi d'Ethiopie, dans
laquelle il perdit le trône et la vie. Le grand nombre de
sectes diverses qui s'étaient établies en Arabie y avaient
provoqué à la longue dans les masses une grande indifférence
en matière de religion , et c'est à cette circonstance que les
doctrines de M a h o m et furent redevables des rapides progrès
qu'elles y firent.
Avec le nom de cet homme commence un nouveau cha-
pitre dans l'histoire du peuple arabe, qu'on voit alors remplir
pendant plusieurs siècles de suite un lôle des plus impor-
tants sur la scène du monde, et abandonner victorieusement
ses frontières naturelles pour aller fonder des empires dans
chacune des trois parties du monde (voyez Maures et
Khalifes). Si par suite de la chute du khaiifat de Bagdad,
arrivée en 1258 , l'histoire extérieure des Arabes perd plutôt
de son éclat en Asie qu'en Africjue et en Europe, d'où ce fut
seulement en l'année 1492 que les derniers Maures purent
ôti-e refoulés sur le soi africain , l'époque de la domination
des Arabes ne laissera pas que d'être toujours d'une iiaule
importance dans l'iiistoire litlérahe de l'ancien monde
(voyez Arabes [Littérature et langue]). Pendant la durée
de ces luttes extérieures, l'Arabie intérieure ne nous présente
guère que l'histoire, médiocrement intéressante, de quelques
tribus de Bédouins et les aventures de multitudes de ca-
ravanes se rendant chaque année à la Mecque. La mono-
tonie n'en est rompue que par la conquête de l'Yémen au
seizième siècle par les Turks, qui s'en font chasser dès le
siècle suivant, comme aussi par la souveraineté que les Por-
tugais exercèrent à Mascate de l'an 1508 à l'an 1659, par
les conquêtes d'Oman dans l'Inde et en Perse , par la do-
mination des Turks sur l'Hedjaz que compromettent les
quelcpies conquêtes opérées par les Persans à la fin du
seizième siècle; jusqu'à ce qu'enfin l'apparition des Wa-
habites en 1770 marque encore un moment décisif dans riiis-
toire de la péninsule. L'influence morale de cet événement
dure encore aujourd'hui ; mais son importance politique ne
tarda pas à être absorbée par l'inlluence que prit alors
l'Egypte. Mébémet-Ali conquit les côtes de l'Hedjaz , de
même que plusieurs points des côtes de l'Yémen; et en 1818
une grande bataille livrée par Ibrahim-Pacha ainsi que la
destruction de la résidence de Derreyeh eurent pour ré-
sultat de mettre provisoirement un terme aux progrès des
Wahabites. Méhémet-Ali fit d'unmenses sacrifices pour se
maintenir en possession de la souveraineté de l'Arabie, qui
lui assurait le commerce de la mer Rouge ; mais les événe-
ments dont la Syrie fut le théâtre en 1840 le contraignirent
à y concentrer toutes ses forces , et , à la suite du traité du
15 juillet 1840, force lui fut de renoncer à toutes prétentions
sur le territoire situé au delà d'une ligne tirée depuis la mer
Rouge jusqu'au golfe d'Akaba. C'est ainsi que l'Hedjaz se
trouve aujourd'hui placé sous la souveraineté du sultan de
Constantinople , souveraineté qui n'est d'ailleurs que pure-
ment nominale ; car pour en faire valoir les droits il fau-
drait que la Turquie eût une ilolte dans la mer Rouge, comme
l'avait Méhémet-Ali , lequel était ainsi réellement maître
de la Mecque et de Médine. Le grand schérif de la Mecque,
si puissant qu'il puisse être, ne pourra jamais soumettre le
prince de la montagne d'Asis, située au sud de la Mecque,
non plus que le schérif qui occupe Mokka et Hoduda , at-
tendu qu'il n'y a pas d'autre voie que la mer pour les aller
attaquer l'un et l'autre, la montagne d'Asis formant sur terre
une barrière presque insurmontable entre la Mecque eî
Mokka. La Porte ne paraît donc plus en mesure de ré-
tablir l'ordre en Arabie. — On consultera avec fruit, pour
l'histoire de l'Arabie, les ouvrages de Marigny, Cardonne,
Pocorke , Sylvestre de Sacy, Johannsen, Rulile de Lilien-
slern, Forster, Caussin de Perceval, Schultens, Rasmussen,
Dozy, Hammer-Purgstall , Flugel, et pour la géographie Nie-
buhr, Burckhanlt, Buckingbam , Sad, Robinson , Laborde,
Jomard , Fresnei , 'Wellsted , Tamisier, etc.
ARABIQUE (Golfe). Voyez Rouge (Mer).
ARABIQUES, secte d'hérétiques originaire de l'Arabie
au troisième siècle, enseignant que l'âme meurt et ressuscite
avec le corps. Origène les convainquit d'erreur. Ce qui donna
lieu à l'origine de celte secte, ce fut l'opinion, généralement
lépanduè alors, que l'âme est une substance matérielle.
ARABLE ( en latin arabilis, fait du verbe arare, dérivé
lui-même du grec âpow, je laboure ). On appelle ainsi toute
terre labourable, propre au labour.
ARACAN ou RAKHAIXG, pays de côtes, situé à l'extré-
mité nord-ouest de la presqu'île de l'Inde, d'une longueur do
800 kilomètres sur une largeur de 150, est borné à l'est et
au nord par r.\va, au sud et à l'ouest par le golfe de Bengale,
par la province britannique du même nom , et par le dis-
trict de Djiltagoug, dont les Anglais s'étaient rendus maîtres
dès 17G0. La chaîne orientale des montagnes d'Aracan , ou
VYuma-Donfj , sépare cette contrée de la vallée de Plra-
waddi. Le pays de Ojiltagong, dont le sol va toujours s'é-
ievant par degrés , la relie à la vallée du Bengale. LeSlaaf,
le Myu et l'Aracan (appelé Koula-Deing dans sa partie
ARACAN —
siipt^rieurc ) , sont ses cours d'eau les plus consicUVables ,
tandis que la montagne Rleue ( 1,533 mètres), le mont des
Pyramides (1,0S7 mètres), le montTyne (1,000 niiMres) et
le mont de la Table (2,7SO mètres) forment sur la rive oc-
cidentale ses plateaux inférieurs les plus élevés. La partie
orientale de l'Aracan est montagneuse , sauvage et inculfe ;
dans la partie occidentale, au contraire, s'étend une vaste
plaine entremêlée de marais couverts de joncs et de bam-
bous , de bois de haute futaie et de buissons. La côte, qui
par le nord est découpée de la manière la plus capricieuse
et la plus accidentée, y a en outre pour ceinture une mul-
titude d'Ilots , d'écueils et de bancs de sable. A leur embou-
cluire, tous les cours d'eau forment de vastes baies et f;i-
cilitcraient singulièrement l'accès du jiays si la mousson du
sud-ouest ne rendait pas ces parages inabordables pendant
la moitié de l'année.
En raison de la richesse de son système hydrographique,
et placé comme il l'est sous le climat des tropiques ,
i'Aracan est un pays malsain , qui a fait et fait encore tous
k's jours de nombreuses victimes parmi les Anglais. Aussi
ceux-ci l'auraicnt-ils abandonné depuis longtemps s'il n'était
p.is pour eux d'une haute importance comme poste avancé
contre le puissant empire Birman et en général contre tout
le sud-est. Le sol, malgré la richesse extrême de sa végéta-
tion, y est encore fort peu cultivé. 11 produit cependant du
i iz , du café , du coton , de la canne à sucre , du tabac, de
l'indigo , du poivre, des oranges , des ananas , des limons ,
des noix de coco, etc. Les forêts vierges dont il est couvert
favorisent la propagation des éléphants et des tigres ; et les
côtes abondent en huîtres, en poissons et en nids d'oiseaux
excellents à manger,
Sous le rapport minëralogiquc , I'Aracan n'est pas moins
favorablement partagé, et sur le versant oriental de sa chaîne
de montagnes on trouve de la poudre d'or et de l'argent.
Mais l'industrie et le commerce y sont encore très-peu
avancés. La population est évaluée de 120 à 200,000 âmes ,
de race birmane pure, divisées néanmoins en trois groupes
bien distincts : les Birmans proprement dits, les Mahomé-
tans et les Aracanais ou Mugs. Ces derniers, qui forment plus
des deux tiers de la population totale, ressemblent beau-
coup, sous le rapport de la civilisation, aux Chinois, et dif-
fèrent complètement de leurs voisins les Bengalais. Ils pré-
fèrent la chasse et la pêche à l'agriculture, et sont detrès-rusés
marchands. Leur langue a la plus grande affinité avec celle
des Birmans , et l'écriture est si répandue parmi eux que
leurs femmes mêmes écrivent avec élégance.
En l'année 1061 de notre ère, la partie orientale de l'Ava
se sépara de I'Aracan, qui forma un royaume indépendant
jusqu'en 1783 , époque où il (ut de nouveau conquis par les
Birmans, parce qu'à la suite de ses luttes contre son voisin
septentrional, le grand-mogol du Bengale, il était tombé en
complète décadence. En 1824 des discussions relatives
surtout à la démarcation des frontières amenèrent la guerre
des Birmans , dont le résultat fut la conquête de I'Aracan
par les Anglais. Le roi des Birmans leur fit, en effet, la cession
formelle de ce territoire par le traité de paix signé à Yandabo
en 1826. Le pays est depuis lors partagé en quatre provin-
ces : Aracan , Sandoway, Tchedoha et Bamri.
La capitale, qui porte le même nom , et dont les Anglais s'em-
parèrent le 28 mars 1825, est située sur le delta de I'Aracan,
dans une contrée extrêmement malsaine , entrecoupée de
plusieurs milliers de fossés pleins d'eau. C'est dans cotte
ville que fut prise la fameuse statue colossale de Goufama,
placée dans le temple principal d'Amarapoura. Aracan pos-
sédait un canon de 10 mètres. Elle renferme 10,000 âmes.
ARACHIDE. Voyez Arachvde.
ARACIIXÉ, fille d'Idmon, teinturier en pourpre à
Colophon, ville de l'ionie, avait appris de Pallas l'art de
tisser : elle s'enorgueillit tellement de l'habileté qu'elle avait
acquise par les leçons de la déesse, (lu'clle osa lui disputer
.\RACHiMDES
7S7
la gloire de travailler mieux qu'elle en tapisserie. Le défi fui
accepté. L'ouvrage d'Araclmé, ((ui représentait les amours
des dieux de l'Olympe, était dune beauté parfaite. Minerve
en ressentit un violent dépit; elle lacéra le travail de sa
rivale, et lui jeta sa navette à la tête. Arachné se pendit de
dése'^poir. La déesse la métamorphosa en araignée. Ara-
chné, en grec, est le nom de cet insecte.
ARACHNIDES (du grec àpâ/vio, araignée). On donne
ce nom au groupe naturel des animaux articulés qui a pour
type l'araignée. C'est Lamarck qui sépara le premier ces
animaux des insectes, pour en former une classe distincte.
Les arachnides ont le corps, en général , court et arrondi :
on y distingue un thorax et un abdomen ; quant à la tête,
elle se confond avec le thorax. La portion antérieure ou
céphalo-thoracique du corps est de forme globuleuse, ova-
laire ou carrée, et présente presque toujours en haut et en
avant un certain nombre de points luisants qui sont les yeux.
Il y a absence d'antennes ; et les appendices situés entre les
yeux et l'insertion des pattes appartiennent à la bouche. Les
pa(tes sont articulées sur les cotés du thorax, et ordinaire-
ment au nombre de huit ; quelquefois on n'en trouve que
six, et d'autres fois, au contraire, mais très-rarement, dix.
Ces organes sont en général très-longs et terminés par deux
crochets. Vabdomen fait suite au thorax, et ne présente
pas d'appendice locomoteur ; cette portion du corps est, en
général , molle , plus ou moins globuleuse , et fixée au tho-
rax par une espèce de pédicule : à sa partie inférieure, outre
les organes de la génération, il y a des ouvertures qui servent
à la respiration, et qu'on nomme stigniates ou spiracules;
enfin, l'anus et les filières, lorsqu'elles existent, sont pla-
cés à son extrémité postérii'ure.
Le tégument des arachnides est en général plutôt coriace
que corné ; il constitue toujours une sorte de squelette
extérieur. Elles ont un système nerveux ganglionnaire lon-
gitudinal, comme tous les autres animaux articulés, et la
plupart d'entre elles, au lieu d'avoir une chaùie de ganglions
également répariie dans toute la longueur du corps, offrent
un système d'une composition très-compliquée. On ne sait
rien sur les parties qui servent à l'ouïe des arachnides;
celles destinées à la vision sont très-distinctes , et affectent
la forme d'yeux lisses, dont la structure est analogue à ceUe
des insectes. En général, les yeux sont au nombre de huit;
il n'en existe dans quelques espèces que six , quatre ou
deux , et l'absence complète de ces organes s'observe dans
un petit nombre d'autres espèces. On peut dire que le nom-
bre des yeux et leur disposition offrent d'excellents carac-
tères pour la distinction des arachnides.
La plupart de ces animaux sont carnivores ; les uns sont
parasites, et ont la bouche organisée en manière de suçoir ;
les autres mènent une vie errante, et ont celte ouverture
garnie d'organes masticateurs. La bouche des arachnides
offre : 1° une paire de mandibules, qui, en général, sont ar-
mées d'une griffe mobile, et que Latreille a nommée ché-
licères ; 1° une espèce de languette ou de lèvre formée par
un prolongement pectoral, et 3° deux mâchoires, portant
des palpes articulés. Au fond de la bouche se trouve une
pièce cornée, qu'on nomm^l^ pharynx, et qui donne attache
au tube digestif, lequel s'étend eu ligne droite jusqu'à l'anus.
Des organes salivaires se voient près de l'extrémité anté-
rieure du canal alimentaire ; ce sont des vaisseaux qui ont
leur ouverture extérieure dans le premier article des man-
dibules, et qui paraissent sécréter un liquide venimeux. En-
fin, en arrière, le tube digestif donne insertion aux canaux
biliaires, dont la structure est la même que chez les insectes.
Dans beaucoup d'arachnides il y a un système circula-
toire complet : le cœur occupe l'abdomen, et dans plusieurs
espèces d'araignées on peut distinguer ses battements à
travers les téguments ; c'est un gros vaisseau longitudinal,
d'où partent un certain nombre dartèrcs et dans lequel se
rendent les veines par lesquelles le sang revient des organes
T28
respiratoires pour être distribué ensuite dans les diverses
parties du corps. Les organes de la respiration présentent
des différences très-grandes selon les espèces d'arachnides;
cliez les unes ce sont des sacs pulmonaires, chez les autres
des trachées. Les sacs pulmonaires sont de petites cavités
dont les parois sont formées par la réunion d'un grand
nombre de petites lames triangulaires blanches et extrê-
mement minces : leur nombre est , en général, de deux ;
quelquefois il y en a quatre et môme huit, et les ouvertures
qu'on nonmie stigmates, par lesquelles chacune d'elles com-
munique avec l'extérieur, ont la forme de petites fentes trans-
versales. Les trachées, ou canaux aérifères, sont rayonnes ou
ramifiés , et ressemblent à ce que l'on voit chez les insectes ;
mais ils ne présentent jamais que deux ouvertures extérieures.
De même que chez les insectes, les sexes sont toujours
séparés chez les arachnides, dont la fécondation ne peut
avoir lieu que par l'accouplement. L'appareil de la généra-
tion chez les mâles se compose de deux séries d'organes,
les uns excitateurs, les autres préparateurs de la liqueur
fécondante : ces derniers sont situés dans l'abdomen , et
consistent en deux longs tubes membraneux placés sur les
côtés du canal digestif ; ils représentent les testicules, et se
terminent chacun par un vaisseau plévreux ayant une ouver-
ture extérieure entre les stigmates. Quant aux organes ex-
citateurs, ils sont renfermés dans les palpes que supportent
k's mâchoires. Les organes génitaux femelles ont aussi une
structure très-simple : dans la plupart des araignées ils ne
consistent qu'en deux sortes de poches membraneuses qui
constituent les ovaires et qui s'ouvrent au deliors, de même
que chez les mâles, entre les stigmates.
Les œufs de ces animaux sont très-nombreux et sont pon-
dus dans une espèce de nid. Chacun de ces petits corps pré-
sente une membrane mince et transparente et une matière
fluide où l'on reconnaît : 1° le vitellus ou le jaune, qui en
constitue la plus grande partie , et qui est composé d'une
infinité de globules microscopiques, environnés par un li-
quide limpide et cristallin appelé albumen; 1° la cicatri-
cule ou le germe, qui est la partie la plus petite, quoique la
plus importante, de l'œuf; elle est placée au-dessous de la
membrane extérieure, au centre de la circonférence de
l'œuf, et apparaît sous la forme d'un petit point blanc séparé
du jaune par l'albumen. C'est dans la cicatricule que s'ob-
servent tous les changements les plus importants que l'in-
cubation détermine dans l'œuf. Lorsque cette incubation, à
laquelle les entomologistes reconnaissent douze périodes,
est terminée, le nouvel animal rompt la membrane exté-
rieure et sort de l'a'uf; mais c'est seulement après avoir
subi une première mue qu'il peut se servir de ses membres
et qu'il sort du nid commun où il était enfermé.
Dans la méthode adoptée par Latreille , les arachnides
constituent deux groupes primitifs ou ordres qu'on peut dis-
tinguer à l'aille des caractères suivants : 1° sacs pulmonaires
pour la respiration et de six à Imit yeux lisses : arachnides
pulmonaires ; — 2° des trachées pour la respiration et tout
au plus quatre yeux lisses : arachnides trachéennes.
Les arachnides pulmonaires , qui constituent le premier
ordre, se distinguent facilement par le nombre de leurs
yeux , et leur structure intérieure les sépare d'une manière
bien tranchée de celles qui composent l'ordre suivant. Outre
les différences qui existent dans les organes de la respira-
tion , on en observe aussi dans l'appareil de la circulation ,
car elles ont un cœur et des vaisseaux bien distincts, tandis
que chez les trachéennes, le système circulatoire est in-
complet ou manque même complètement. Elles forment deux
familles : r \ci fileuses , caractérisées par des spiracules
ou stigmates en général au nombre de quatre , et par des
palpes pédiformes simples et terminées au plus par un petit
crochet; 2" \cf. pédipnlpes , ayant pour caractères des spi-
racules toujours au nombre de quatre ou de imit , et des
palpes en forme de serres ou de bras.
ARACHNIDES
La famille des aranéides ou des arachnides fileuses se
compose du genre araignée de Linné. Nul n'ignore que l'un
des phénomènes les plus curieux de l'histoire de ces ani-
maux est la manière dont ils savent filer des soies qui leui'
servent à tisser des toiles, souvent si remarquables par leur
étendue et par la régularité avec laquelle la trame en est
ourdie.
« Selon Réaumùr, la soie, dit Latreille, subit une première
élaboration dans deux petits réservoirs ayant la figure
d'une lame de verre, placés obliquement, un de chaque côté,
à la base de six autres réservoirs , en forme d'intestins ,
situés les uns à côté des autres , et recoudés six ou sept
fois , qui partent un peu au-dessous de l'origine du ventre ,
et viennent aboutir aux mamelons par un filet très-mince.
C'est dans ces derniers vaisseaux que la soie acquiert plus
de consistiince et les autres qualités qui lui sont propres; ils
communiquent aux précédents par des branches formant un
grand nombre de coudes, et ensuite divers lacis. Au sortir
des mamelons , les fils de soie sont gluants ; il leur faut un
certain degré de dessiccation pour pouvoir être employés ; mais
il paraît que lorsque la température est propice, un instant
suffit, puisque ces animaux s'en servent tout aussitôt qu'ils
s'échappent de leurs filières. Ces flocons blancs et soyeux
que l'on voit voltiger au printemps et en automne, les jours
où il y a eu du brouillard , et qu'on nomme vulgairement
fils de la Vierge, sont certainement produits, ainsi que
nous nous en sommes assuré en suivant leur point de dé-
part, par diverses jeunes aranéides, et notamment des
épéires et des thomies; ce sont principalement les grands
fils qui doivent servir d'attaches aux rayons de la toile, ou
ceux qui en composent la chaîne, et qui, devenant plus
pesants à raison de l'humidité, s'affaissent, se rapprochent
les uns des autres, et finissent par se former en pelotons ;
on les voit souvent se réunir près de la toile commencée par
l'animal et où il se tient. Il est d'ailleurs probable que beau-
coup de ces aranéides , n'ayant pas encore une provision
assez abondante de soie, se bornent à en jeter au loin de
simples fils. C'est, à ce qu'il me parait, à de jeunes lycoses
qu'il faut attribuer ceux que l'on voit en grande abon-
dance, croisant les sillons des terres labourées lors-
qu'ils réfléchissent la lumière du soleil. Analysés chimique-
ment , ces fils de la Vierge offrent précisément les mêmes
caractères que la soie des araignées ; ils ne se forment donc
pas dans l'atmosphère, ainsi que le conjecture , faute d'ob-
servations propres ou de visu, un savant dont l'autorité
est d'un si grand poids , M. le chevalier de Lamarck. On
est parvenu à fabriquer avec cette soie des bas et des gants ;
mais ces essais n'étant point susceptibles d'une application
en grand, étant sujets à beaucoup de difficultés, sont plus
curieux qu'utiles. Cette matière est bien plus importante
pour les aranéides : c'est avec elle que les espèces sédentaires,
ou n'allant point à la chasse de leur proie, ourdissent ces
toiles d'un tissu plus ou moins serré , dont les formes et
positions varient selon les habitudes propres à chacune d'elles,
et qui sont autant de pièges où les insectes dont elles se
nourrissent se prennent ou s'embarrassent ; à peine s'y
trouvent-ils arrêtés , au moyen des crochets de leurs tarses,
que l'aranéide, tantôt placée au centre de son réseau ou
au fond de sa toile, tantôt dans une habitation particulière
située auprès et dans l'un de ses angles, accourt, s'approche
de l'insecte, fait tous ses efforts pour le piquer avec son dard
meurtrier et distiller dans sa plaie un poison qui agit très-
prornptement. Lorsqu'il oppose une trop forte résistance, ou
qu'il serait dangereux pour elle de lutter avec lui, elie se
retire un instant, afin d'attendre qu'il ait perdu de ses forces
ou qu'il soit plus enlacé; ou bien, si elle n'a rien à craindre,
elle s'empresse de le garrotter en dévidant autour de son
corps des fils de soie qui l'enveloppent quelquefois entièrement
et forment une couche le dérobant à nos regards. »
Ajoutons que les aranéides femelles se scnent aussi de
ARACHNIDES —
leur soie pour con-^tmire des coques qui sont destint^cs à
renfiTiner leurs œufs; que la plupart des arachnides de cette
di\ision sont plus ou moins venimeuses; que la piqûre des
grandes espèces des pays chauds occasionne nu^nie queNpie-
fois des accidents chez l'homme, et que dans nos climats
une araignée de moyenne taille peut tuer une mouche en
quelques minutes par l'elTet d'une seule piqûre.
Les arachnides lileuses se divisent en deux sections, sa-
voir : les (l'frnpneiimoncs, ayant pour caractère princi-
paux quatre sacs pulmonaires et un nombre égal de stigmates,
et les (iipneumone.<!, qui sont caractérisées par deux sacs
pulmonaires et seulement par deux stigmates. Dans la pre-
mière section on distingue cinq genres principaux : les
mygales, les adjpes, les ériodons, les dijsdères et les
fi lis talcs. Quelques-unes desmygaies sont d'une très-grande
taille, et sont connues dans l'Amérique méridionale sous le
nom d'araignc'es crabes : il y en a qui occupent (les pattes
étendues ) un espace circulaire de six à sept pouces de dia-
mètre; elles vivent sur les arbres, ou parmi les rochers.
D'autres mygales, beaucoup plus petites, habitent le sud
de la France, et se creusent, dans les lieux secs et monfa-
li'.eux, des galeries souterraines en forme de boyaux, dont
l'ouverture est garnie d'un opercule mobile et à charnière.
La section des dipneumones renferme un nombre bien plus
considérable de genres : Latreille les a divisées en six tribus,
savoir, les tubitèles , les inéquitèles, les orbitèles, les la-
Icrigrades, les citigradcs, et les saltigrades. Les quatre
premières tribus sont composées des araignées sédentaires.
Cest dans la tribu des tubitèles que Ton range les arai-
gnées proprement dites ou tégénaires, qui vivent dans l'in-
térieur de nos maisons, dans les haies, etc., et qui se fa-
briquent une grande toile à peu près horizontale , à la partie
supérieure de laquelle est un tube où elles se tiennent sans
faire le moindre mouvement. Les arachnides de la tribu des
latérigrades sont sédentaires comme les précédentes; mais
elles peuvent marcher en avant, de côté, en arrière, en un
mot , en tous sens , tandis que celles des arachnides qui
appartiennent aux autres tribus ne peuvent se porter qu'en
avant. Elles se tiennent tranquilles , les pieds étendus sur
des végétaux, ne font pas de toiles, mais jettent seulement
quelques fds solitaires afin d'arrêter leur proie. Les arach-
nides qui composent la tribu des citigrades sont connues
sous le nom Ôl' araignées-loups, et diffèrent des précédentes
en ce tiu'elles sont vagabondes comme les saltigrades , au
lieu d'être sédentaires ; elles ne font pas de toile, mais guet-
tent leur proie et la saisissent à la course. Enfin, la tribu
des saltigrades comprend des araignées très-remarquables
par la manière dont elles chassent leur proie; leurs pieds
sont propres à la course et au saut, et en général les cuisses
des deux antérieurs sont très-grandes.
Dans la deuxième famille des arachnides pulmonaires, les
pédipalpes , l'enveloppe tégumentaire |. resente une solidité
assez grande; le tliorax est d'une seule pièce, mais l'ab-
domen est composé d'un certain nombre de segments dis-
tincts. Il n'y a point de filières; les sacs pulmonaires sont
au nombre de quatre ou de huit ; les palpes sont très-grands,
en forme de bras avancés, et terminés en pince ou en griffe.
Cette famille se compose de "^eux tribus : les tarentîiles
et les scorpion ides; les r-'^mières habitent toutes les pays
chauds de r.\sie et de l'Amérique, et les secondes compren-
nent les espèces connues sous le nom de scorpions.
Le second groupe primitif ou ordre des arachnides , qui
comprend les arachnides trachéennes , renferme 'es ani-
maux dont les organes respiratoires consistent en trachées
rayonnéesou ramifiées, qui s'ouvrent au dehors par deux stig-
mates. Ces arachnides sont dépour\ues de système circu-
latoire, ou, si elles en ont, la circulation n'est pas complète.
On les divise en trois familles: \è% faux scorpions , les
pygnogonides et les holètres. Dans la famille des faux
scorpions il n'existe jamais que huit pieds. Dans l'un et l'autre
DICT. r;L LA CO.NVLUSATIO.N. — T. 1.
ARACUNOLOGIE 739
sexe le corps est ovale ou oblong : toutes les espèces sor.t
terrestres. Les pygnogonides sont des animaux marins, qui
ont la plus grande analogie avec certains crustacés, tels que
les cyamcs ; mais, d'un autre côté , ils ressemblent aussi
beaucoup aux faucheurs. Ils vivent tantôt parmi les plantes
marines, Uintôt fixés sur des poissons ou des cétacé.s.
Dans la famille des holètres , le thorax et l'abdomen sont
réunis en une seule masse, et l'extrémité antérieure du corps
est souvent avancée en forme de bec : en général, il y a huit
pieds ; mais quel{[uefois on n'en compte que six. Elle se
compose de deux tribus , les phalangiens et les acarides.
Dans les animaux de la première de ces tribus , le corps est
ova'e ou arrondi , et recouvert, du moins sur le tronc, d'une
peau solide ; l'abdomen présente des plis ou des apparences
d'anneaux ; la bouche est garnie de palpes filiformes com-
posés de cinq articles; enfin les pattes sont très-longues et
toujours au nombre de huit. La plupart de ces arachnides
vivent à terre ou sur les plantes, et sont très-agiles. On les
divise en faucheurs (qui sont remarquables par lalongueur
de leurs pattes , et dont l'espèce la plus commune est le
faucheur des murailles), en cirons, en macrochùles et en
trogîcles. Quant à la tribu des acarides ou des mites , elle
se compose presque enlièrementd'arachnides microscopiques
ou du moins très-petites. Les unes sont errantes, et vivent
sous les pierres , dans la terre, dans l'eau , ou bien sur le
fromage, et quelques autres sur nos aliments ; les autres
sont parasites, et se rencontrent quelquefois jusque dans l'in-
térieur de quelques-uns de nos organes , comme la peau ,
ainsi que c'est le cas bien connu pour l'a car us.
D"' Alex. DccKETT.
ARACHNOÏDE. C'est la plus fine des trois mem-
branes qui enveloppent l'encéphale; elle est si ténue, si
délicate, que les premiers anatomistes ont tiré son nom de
sa ressemblance avec une toile d'araignée (àpâ/vri, araignée;
£l5oc, forme). Placée entre la dure-mère et la. pie-mère,
l'arachnoïde est la seconde des méninges, et concourt à
protéger le cerveau.
L'inflammation de cette membrane séreuse donne lieu à
une espèce de phlegmas'e, dont les principaux symptômes
sont l'afflux du sang vers le cerveau, puis le délire, et qui a
reçu de son siège le nom d'arachnoïdite ; on emploie pour sa
guérison la saignée du pied , l'application des sangsues aux
tempes ou derrière les oreilles, et celle delà glace sur la tête.
Le mot arachnoïde s'emploie adjectivement en zoologie
et en botanique. Par exemple, en zoologie on applique cette
dénomination à une espèce de singe américain, à un insecte
de la famille des faux scorpions, à différents mollusques tes-
tacés, etc., et en général aux animaux qui présentent
quelque analogie soit avec l'araignée, soit avec la toile
qu'elle constrait. Pour la même raison , en botanique cer-
tains poils ont reçu le nom dcpoils arachnoïdes.
ARACHNOLOGIE ou ARANÉOLOGIE, l'art de pré-
dire les variations de la température d'après le travail et les
mouvements des araignées. Pline en dit quelques mots dans
son Histoire Naturelle. Vers la fin du siècle dernier,
M. Quatremère Disjenval s'est beaucoup occupé des pro-
nostics aranéologiques : il a publié à Paris, en 1787, un
mémoire sur cette question.
n Ayant remarqué, dit M. de Gasparin, que les araignées
étaient fort sensibles à l'électricité, il obsen-a les mouve-
ments de l'araignée pendice (epcires diadema , Latreille)
dans ses rapports avec l'état de ratmos[)hère. On sait que
cette araignée fait des toiles verticales sur le sol des champs
et des jardins. Cet auteur crut observer : 1" que leur absence
ou leur disparition annonçait un temps froid et humide;
2° que leur petit nombre filant des toiles composées d'un
petit nombre de cercles concentriques et suspendus par des
fils d'attache très-courts, annonçait un temps variable;
3° que le temps était sec et beau si les épéires étaient nom-
breuses cl filaient des toiles composées d'un grand nombre
92
730 ARACHNOLOU
de cercles concentriques; 4" il croyait avoir observé que la
disparition, la demi-apparition, la pleine apparition de ces
araignées n'avait jamais lieu à la nouvelle lune , mais au
premier quartier. L'Institut ayant chargé M.M. Desfontaines
et Cotte de vérifier ces observations, ils trouvèrent que ces
coïncidences du mouvement des araignées et de l'état de
l'atmosphère ne se confirmaient pas. »
ARACIIYDE. Celte plante papilionacée est originaire
du Mexique. Propagée dans le continent américain depuis
le Chili jusqu'au Maryland, importée en Afrique, l'arachyde,
cultivée aujourd'hui en Espagne, y donne de grands produits.
Son amande, à la fois alimentaire et oléagineuse, se mange
crue ou cuite ; elle fournit la moitié de son poids d'une ex-
cellente huile comestible, saine, économique, et que ses
propriétés siccatives permettent d'employer utilement dans
les arts. Les Espagnols la mêlent en outre au cacao pour faire
du chocolat. — En 1S02 l'arachyde fut introduite dans le
département des Landes, et y réussit parfaitement ; mais le
défaut d'écoulement de ses produits fit bientôt tomber com-
plètement cette culture, que des agronomes éclairés désire-
raient voir revivre dans le midi de la France. Un de ces
derniers, M. de Gasparin, affirme que la semence de l'ara-
chyde se consen-e indéfiniment, et que par conséquent on
peut en extraire l'huile à volonté. « En Espagne, ajoute-t-U,
on estime qu'elle donne GO pour 100 de son poids d'huile ,
mais les tabricants de Marseille n'en tirent pas plus de 30
à 34 pour 100 ; pour l'obtenir, la pression doit être forte et
faite à sec... La tige est Irès-agréable au bétail; ses racines
ont un goût de réglisse. »
L'arachyde présente une singularité très-remarquable : à
mesure que les gousses succèdent aux fieurs, elles se cour-
bent vers la terre et y entrent pour y achever leur maturité ;
ce qui les a fait appeler pistaches de terre.
ARACK. Voyez Arak.
AR.\D (Ile). Voyez Bahrein.
ARAGO, famille dont plusieurs membres se sont distin-
gués dans les sciences, dans les lettres et dans la politique.
ARAGO (François-Domimque), né à Estagel (Pyrénces-
Orienlales) , le 26 février 17S6, était l'aîné de cette nom-
breuse fan)iile, dont il a été constamment le protecteur. Né
au villaf;e,il semblait destiné à vivre en campnmiard; et déjà
cependant il se montrait supérieur à ses jeunes camarades.
La révolution ayant appelé son père à Perpignan pour y
occuper le poste de caissier de la monnaie, François Arago
commença des études sérieuses. Dès l'âge de seize ans il
allait à Toulouse pour se présenter aux examens pour l'é-
cole Polyteclmique. L'examinateur ne s'étant pas rendu à
son devoir cette année-là, F. Arago fut obligé de remettre
à l'année suivante un examen dans lequel une seule ques-
tion suffit pour le faire apprécier. En développant sa ré-
ponse , le candidat aborda des matières qui n'étaient pas
dans le programme. L'examinateur, frère du célèbre Monge,
lui dit, après deux heures de tableau : « Vous pouvez faire
vos préparatifs de départ ; ou je ne recevrai personne , ou
vous serez reçu. »
F. Arago prit bientôt le premier rang à l'école Polytech-
nique. Monge le désigna à l'empereur comme un jeune homme
destiné à se faire un nom dans les sciences. A sa sortie de
l'école, il fut attaché à l'Observatoire de Paris; et bientôt le
gouvernement le chargea d'aller avec M. Biot achever la
grande opération de la mesure de l'arc du méridien en Es-
pagne, opération que la mort de Méchain avait laissée ina-
chevée. M. Arago , encore si jeune , s'acquitta avec succès
de cette tâche.
La triangulation destinée à joindre les côtes d'Espagne et
les îles Baléares était à peu près complète , lorsque l'insur-
rection de Palma éclate à l'arrivée dans cette ville d'un offi-
cier d'ordonnance de l'empereur, M. Barlhélemv. qui ap-
porte à l'escadre espagnole de Mahon Tordre de se rendre
à Toulon. M. Arago était alors ati clop de Galazo; )es si-
lE — ARAGO
gnaux qu'il fait pour ses mesures scientifiques deviennent
dans l'esprit de la population des feux destinés à éclairer
la marche de l'escadre française chargée de s'emparer de
l'archipel. Les plus exaltés parlent d'aller rejoindre le jeune
observateur et d'en faire leur première victhne. Le timonier
,majorcain du bâtiment que le gouvernement espagnol a mis
aux ordres de la commission scientifique devance ces fu-
rieux, apporte à M. Arago le costume des habitants du pays,
et l'avertit qu'il n'a pas un moment à perdre. En effet , ils
rencontrent au pied de la montagne une troupe de paysans
armés qui se rend au clop , et qui leur demande des nou-
velles du Gavacho (Français) maudit. M. Arago, qui parle
la langue majorcaine, les invite à se hâter de gravir la mon-
tagne ; après quoi , chargé de ses papiers les plus précieux ,
il se réfugie à Palma sur le na\ire espagnol.
Presque aussitôt Palma est investi, et le capitaine du bâ-
timent ne trouve d'autre moyen de sauver notre compatriote
que de le faire enfermer dans la citadelle. Il y reste trois
mois , et passe enfin à Alger, emportant les instruments
qu'il peut sauver. Par les soins du consul de France , il est
embarqué sur une frégate algérienne qui met à la voile pour
Marseille ; mais au moment d'entrer dans le port elle est
prise par un corsaire espagnol, qui transborde Arago sur les
pontons de Palamos.
Tout l'équipage , rendu à la liberté , reprend la route de
Marseille ; il en approche encore une fois , quand une tem-
pête l'eu éloigne, et le pousse sur les côtes de Sardaigne , où
l'on refuse de le recevoir , les habitants étant en guerre avec
les Algériens. Enfin , malgré une voie d'eau , qui met le na-
vire en péril, on débarque à Bougie.
Malheureusement , le dey , qui a fait preuve de bien-
veillance en faveur de notre compatriote , a été tué dans
une émeute. Son successeur, devant qui est amené le jeune
savant , l'embarque comme esclave sur un corsaire de la
régence , à bord duquel il rempht les fonctions d'interprète.
Enfin , notre consul le fait remettre en liberté , en lui rendant
ses instruments; et il cingle, pour la troisième fois, vers
Marseille , où il arrive non sans danger, ayant échappé à la
poursuite d'une frégate anglaise qui croise devant le port.
A son retour à Paris , Arago , à peine âgé de vmgt et un
ans, est admis, malgré les règlements, à l'Académie des
Sciences , et >'apoléon le nomme professeur à l'école Poly-
technique. La scène change, et une vie toute de travail et
d'abnégation commence pour lui. On n'a pas oublié par quels
moyens nouveaux , par quels appareils ingénieux qui lui ap-
partiennent, par quelles observations mulliphées, il a déter-
miné avec une précision inconnue jusqu'à lui les diamètres
des planètes , et comment ces résultats ont été honorés de
l'adoption de Laplace dans son Système du Monde , par ce
motif surtout que M. Arago était parvenu à s'affranchir
d'une cause d'erreur regardée comme inévitable, l'irradia-
tion. On sait qu'il consacra plusieurs années à un travail
sur la vitesse des rayons des étoiles vers lesquelles la terre
marche, comparés aux rayons provenant des étoiles que la
terre fuit. On n'ignore pas les conséquences inespérées qui
en ont été déduites, soit relativement à la théorie de l'émis-
sion , soit à l'égard de la propriété dont l'œil jouirait néces-
sairement dans cette théorie, de n'être affecté, comme lu-
mière , que par les rayons d'une vitesse déterminée, en sorte
qu'une augmentation ou une diminution de vitesse d'un dix-
millième transformerait un rayon de lumière en un rayon
obscur.
C'est à M. Arago qu'appartient la découverte de la pola-
risation colorée , branche de l'optique beaucoup plus fé-
conde, plus variée que celle qui a illustré Malus, et dont il
a fait de belles applications à l'astronomie physique et à la
météorologie. C'est à un instrument entièrement nouveau ,
tout de son invention et fondé sur ce genre de polarisation ,
qu'on doit ce que l'on sait aujourd'hui de certain sur la
constitution physique du soleil. Aussi la Société roycile de
ARAGO
731
Londres, si peu encourageante, en g(^nëral, pour les étran-
gers , décf rna-t-elle spontanément la médaille île Copley à
celte découverte, qui forme aujourd'hui Télémcnt principal
de celte branche de la physique connue sous le nom de
maçfn'tismc par rotation. Que l'on consulte les Mémoires
(TArcueil, on y trouvera un travail sur le phénomène qui a
occupé peut-être vingt années de la vie de Newton (le phé-
nomène des anneaux colorés). Et cependant le savant
français est parvenu non-seulement à y apercevoir une
mullitude de faits nouveaux , mais encore à détniire de fond
en comble l'ingénieuse théorie de l'illustre auteur du Traité
de l'Optique. Le mérite des expériences contenues dans ce
mémoire est incontesté. M. Arago y a trouvé la base de
plusieurs méthodes pliotométriques entièrement nouvelles.
Dans une notice naturellement très-abrégée nous ne
saurions oublier cependant le travail que MM. Arago et
Fresnel exécutèrent en commun sur les interférences des
rayons polarisés , et dans lequel la singularité des résultats
le disputait à leur importance, puis cette expérience, base
fondamentale de ce qu'on appelle aujourd'hui la théorie des
équivalents optiques, et qui, en montrant que la lumière
se meut moins vite dans le verre que dans l'air, a détruit
par la base le système favori de Newton sur la lumière , le
système de rémission ; enfin, l'instrument que 31. Arago a
déduit de cette expérience , et qui lui a servi à résoudre
une question astronomique sur laquelle était venue se briser
liramense habileté d'un Borda , d'un Biot , d'un \\'ollas(on
et des astronomes de tous les temps, la question des réfrac-
tions comparatives de l'air humide et de l'air sec ; ins-
trument que La Place, dans sa 3Iécanique céleste, appelle
une des plus belles découvertes de notre époque. M. Arago
a donné le premier, et en nous exprimant ainsi nous enten-
dons dire avant le célèbre sir Humphry Davy, les lois de l'ai-
mantation de l'acier par l'électricité ; à l'aide de plus de cent
mille observations magnétiques , il a constaté , le premier
aussi, que l'aiguille aimantée arriva en I8t6 aux dernières
limites de son excursion occidentale, et qu'elle allait désor-
mais marcher vers l'est. C'est à lui que l'on doit de savoir au-
jourd'hui que l'aiguille d'inclinaison est sujette à des varia-
tions diverses ; que la force magnétique totale terrestre est
en chaque lieu de la terre, et toutes les vingt-quatre heures,
sujette aussi à une fluctuation régulière; que l'aiguille ai-
mantée de Paris est influencée par des aurores boréales qui
ne se montrent pas au-dessus de notre horizon, résultat
d'abord nié , à cause de son étrangeté , par les savants an-
glais, et qui maintenant a pris place parmi les vérités incon-
testables de la science. C'est encore M. Arago qui , par
ses observations comparées à celles de Koupfer de Kazan ,
a constaté que les perturbations de l'aiguille aimantée se
font sentir simultanément aux plus grandes distances , ré-
sultat qui , par parenthèse , a occupé huit années de la vie
de Gauss, et que la Société royale de Londres a trouvé assez
important pour qu'il ait valu à l'illustre géomètre de Gœt-
tingue une des médailles d'or qu'elle déceine tous les trois
ans. N'oublions pas les travaux qu'Arago fil avec Dulong
quan I le gouvernement eut besoin, pour le service des
machines à vapeur, de connaître, jusqu'à des tensions très-
élevées, la liaison qu'il y a entre la force élastique de la
vapeur d'eau et sa température. Enfin, l'immense amphi-
théâtre oii avaient lieu ses cours gratuits était toujours trop
étroit pour contenir la foule d'hommes et de fewmes em-
pressés à recueillir sa parole.
VAnnuaire du Bureau des Longitudes, lorsqu'il con-
tenait les notices scientifiques de M. Arago, était l'ouvrage
de notre liiirairie qui se vendait le plus, tant en France qu'à
l'étranger. M. Arago a enrichi des travaux les plus précieux
les Comptes rendus de l'Académie des Sciences, les Mémoires
du môme corps , les Mémoires d'Arcueil , où il eut pour
collaborateurs La Place, Berthollet, Chaptal, Humboldt ; c'est
lui qui a écrit dans ['encyclopédie d'Édim,bourg l'article
Polarisation de la lumière. C'est lui enfin qui, en sa qua-
lité de secrétaire perpétuel de l'Académie , a changé les
éloges académiques en historiques parfaits de la science.
Toutes les grandes Académies de l'Europe s'honoraient de le
compter au nombre de leurs membres. L'élection lui donna
dans l'Académie de Berlin la place il'associé que remplis-
sait l'illustre Yolta , et il fut choisi au milieu d'illustres con-
currences pour occuper dans la Société italienne la place
que l'auteur de la .Mécanique céleste laissait vacante. Di
recteur de l'Observatoire pendant de longues années, il a
réorganisé ce bel établissement, qui lui doit ses plus beaux
titres de gloire. Après Waterloo, Napoléon, espérant (pi'on lui
permettrait de se rendre aux États-Unis, songea à con-acrer
le reste de sa vie aux sciences qu'il avait cultivées dans sa
jeunesse ; il chercha un compagnon pour ses voyages et ses
études : ce fut sur Arago qu'il jeta les yeux. Monge lui fit
la proposition de suivre l'empereur en exil. Mais Sainte-Hélène
détruisit les derniers plans de Napoléon, et M. Arago, qui
aimait par-dessus tout sa patrie, resta à Paris.
En 1830, à la mort de Fourier, M. Arago fut élu à sa place
secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences pour les
sciences physiques. On sait quelle influence puissante il
exerçait sur ce corps savant. Sa parole claire, s[)iriluelle et
incisive en faisait un rude adversaire; mais ses connaissances
ont été d'une grande utilité à celte compagnie , dont les
Comptes rendus, rédigés par les secrétaires perpétuels, con-
tribuent beaucoup à populariser les travaux. Pour expliquer
encore cette suprême autorité dont jouissait Arago à l'Aca-
démie desSciences, il nous suffira de rappeler ce que disait de
lui un de nos collaborateurs : « Certes, M. Arago est plus
qu'un savant ; c'est un homme d'esprit , d'éloquence et de
verve, dont la sensibilité va souvent jusqu'à l'émotion dans
un sens et jusqu'à l'emportement dans l'autre. Indifférence
et froideur, pour quiconque fera son histoire, sont deux mots
qui resteront sans usage. Le seul souvenir d'un ami perdu
émeut M. Arago jusqu'aux larmes, et même il ne saurait parler
longtemps d'optique, de polarisation ou d'interférence , sans
se passionner visiblement ; tel est le secret de cette vive sym-
pathie qui attache tant d'hommes à ses opinions, à sou
commerce et à sa fortuae, même sans qu'il s'y mêle aucun
motif d'intérêt. »
A la révolution de Juillet , Arago, qui n'avait jamais rien
demandé à l'Empire ni à la Restauration, prend franchement
parti pour la démocratie. Lié d'amitié avec le duc de Raguse,
son confrère à l'Académie des Sciences, il veut user de l'as-
cendant qu'il a sur l'esprit du maréchal afin de sauver Paris
d'un désastre. Marmont est aux Tuileries ; il faut arriver
jusqu'à lui. Mais la haine est si soupçonneuse ! Une noble
inspiration le décide; il se fait suivre de son fils aîné; un
père ne peut être soupçonné d'avoir voulu failUr en pré-
sence de son fils. Ils arrivent à l'état-major à travers les
balles, et il reçoit, après une longue conversation et mille
incidents dramatiques, cette réponse de Marmont : o Une
horrible fatalité pèse sur moi, il faut que mon destin s'ac-
complisse ! » Ce que fit F. Arago dans cette journée au palais
des Tuileries l'attacha pour jamais à la cause populaire.
Nommé bientôt député par le département des PjTénées-
Orientales, il s'assit à l'extrême gauche. AIM. Laffitle et
Dupont de l'Eure s'écartèrent pour lui faire place au milieu
d'eux. 11 prit souvent la parole dans des questions de ma-
rine, d'enseignement public, de canaux, de chemins de fer.
Il avait été élu par deux collèges, et plusieurs patriotes
étaient venus renforcer la petite phalange démocratique,
quand éclata l'imposante manifestation du célèbre compte
rendu de 1832, qu'Arago s'empres.sa de signer. Chef de
l'extrême gauche, c'est lui qui le premier prononça ces
mots, ré/orme et droit au travail; c'est lui qui dirigea les
attaques les plus vives et les plus redoutables contre les
forts détachés. Néanmoins, quoique chef de l'opposition, il est
nommé membre du conseil général de la Seine, en devient
'J1.
782
président, et ne quitte ce poste iraportanl qu'eu 1849.
Avant la révclulion de Février, il défendait avec vigueur
l'indépendance électorale et parlementaire; après cette ré-
volution il fut appelé au gouvernement provisoire et revêtu
des fonctions de ministre de la guerre et de la marine.
11 écrivit aux princes dOrléans qui se trouvaient à Alger
pour les engajierà se soumettre aux événements Élu à l'As-
semblée constituante par les déparlements de la Seine et des
P) rénées-Orientales, il opta pour le premier. L'assemblée le
garda dans la conmiission executive, mais il dut résigner
ce^ fonctions lors des événement'^ de juin. Pendant ces tri.stes
journées Arago s'exposa courageusement à la tête de la garde
nationale. Redevenu simple membre de l'assemblée et réélu
à l'Assemblée législative, il conserva ses convictions; mais
brisé, affaibli, découragé, il les défendit avec moins de force.
Après le coup d'État du 2 décembre 1851 il réclama contre le
serment que le nouveau gouvernement exigeait de lui comme
membre du Bureau des longitudes, et le président de la
r/publique l'en exempta, ce qui lui permit de rester à la
Vie de rOb?ervaloire. Plusieurs infirmités vinrent l'accabler.
Il perdit à peu prés la vue, et fut attaqué du diabète. Malgré
ses souffrances, il i^e livrait à des travaux assidus. Les mé-
decins lui conseillèrent un voyageaux Pyrénées ; il s'y rendit
avec sa nièce, M""" Laugier. Il était à peine de retour à Paris
qu'il mourut le 2 octobre 1853. D.ins un monument qui
lui a été élevé par souscription, David d'Angers l'a repré-
senté couclié, couvert d'un linceul , la tête renversée en
arrière et la plume lui écbappant des mains. Ses œuvres
complètes ont été réunies par .M. Barrai. II avait laissé une
>'otice sur Malus, une Histoire de sa jeunesse, une A.strono-
nxie populaire, et des .^lémoires sur les derniers temps de
sa vie : ceux-ci n'ont pas encore vu le jour.
ARAGO (Jean), général au service du Mexique, mouiut
à Mexico, le 30 se,')lembre l83G , des fatigues de la guerre
du Texas, qu'il fit sous les ordres de Santa-Anna comme
directeur général du génie. Il avait servi dans l'armée fran-
çaise et était allé enl816 avec le général Mina en Amérique,
où il avait contribué à la délivrance du Mexique.
AR.^GO ( Jacqles) , le troisième des frères , naquit le 10
mars 1790 à Estagel. Après des études variées et une jeu-
nesse orageuse, il fit, à l'âge de vingt ans, un voyage artis-
tique en Italie, et visila l'île de Corse, l'île d'Elbe, la Si-
cile, puis une partie de l'Orient, et de la côte d'Afrique. En
1S17 il s'embarqua comme dessinateur à bord de la cor-
vette l'Uranie, qui, sous le commandement du capitaine
Freycinet, entreprenait un voyage de circumnavigation.
Dans ce voyage, il explora les côtes et les terres les plus
sauvages, les plus inconnues, au milieu d'incidents étranges
ou de périls graves , dont son courage et sa présence d'es-
prit parvinrent à le tirer. Il partagea le désastre de Vl'ranie,
qui fil naufrage aux îles Malouines, et il rentra en France en
lS21.De 1823 à 1829, il dirigea des petits journaux à Bor-
deaux et à Toulouse. Devenu directeur da théâtre de Rouen
en 1835, il fonda encore un journal dans cetle ville. Atteint
d'une cécité complète, qu'il supporta avec gaieté, il ne ces.<a
pas d'écrire et de faire des calemiiours. En 1849, il partit
pour la Californie, où il voulait fonder un tbéàlre. En route
il s'attira des difficultés avec le capitaine, qui l'accusa de
rccberclier des scènes pour un roman. De retour en France
en lS51,il se donna le plaisir de monter en ballon. Il est
mort au mois de janvier 1855. Voyageur, artiste, romancier,
auteur dramatique, il a publié successivement, ou fait re-
présenter à diverses époques, des ouvrages auxquels le
succès n'a pas manqué, et parmi lesquels on ciie sa Pro-
menade aulour du Monde; fies, Chasses aux bêles féroces ;
Pvjol,c/ief de Miquelels; Comme on dine partout,
<•' comme on dine à Paris ; les Soïivonirs d'un aveu-
gle ; David Riz:.io; l'Éclat de rire ; la Croix (Taciei-;
loj Compagnons d'in/ordine; les Papillottes de Ni-
wn, etc., etc.
ARAGO
ARAGO (Piekuf.-Je\n- Victor), naquit en 1792. Élève de
l'École d'Application de Metz en 18i3, il devint officier
supérieur d'artillerie. .\u siège d'Anvers , oii il se fit remar-
quer par un fait d'armes d'une rare audace, le duc d'Orléans
s'écria, frappé d'admiration : « On le voit bien, c'est un
Arago. Ce nom porte Lonliour. »
ARaGO (Joseph), le cinquième du nom, prit du .service
au Mexique en 1828, et y obtint le grade de colonel. Long-
temps aide de camp du président Busiamente, il donna sa
démi.ssion le jour où son protecteur fut renversé du pouvoir,
et alla vivre dans la retraite. En 1858, il échoua dans une
négociation avec le gouverneur d'un fort de Vera-Cruz ,
qu'il voulait amener à se rendre.
ARAGO (Etienne), le sixième des fils de cette famille,
naquit à Estagel, le 7 février 1803. Il fit ses études au
collège de Sorèze, et devint préparateur de chimie à l'É-
cole polytechnique, sous la Restauration. Mais bientôt il
quitta les sriences pour la littérature, et débuta dans l'art
dramatique par un vaudeville intitulé : Un Joiu' d'em-
barras, loué en 1824, à l'Ambigu Comique, où il fit repré-
senter la même année un mélodrame : le Pont de Kehl.
En même temps, il travaillait à un petit journal litiéraire,
la Lorgnette, fiagraent d'un Miroir brisé. Il n'était pas
encore homme politique , tant .s'en f;uit ; ce n'e.st que plus
tard qu'il a prétendu l'avoir été à cette époque et avoir
trempé dans la cliarbonnerie avec MM. Barthe, Cousin et
Mériihou. Celui-ci lui aurait dit, en lui confiant une mis-
sion secrète pour le midi de la France:» Macte anima,
generose puer! »
Chez M. Etienne Arago, l'imagination, la folle du logis, se
livre parfois à de singulières escapades ; et quand il lui ar-
rive de rétrograder vers le passé, elle ne connaît plus de
bornes dans ses excursions aux pays des mirages. Ce qu'il
y a de certain, c'est que àe la Lorgnette il passa au Fi-
garo, que Maurice Alhoy fondait obscurément sur le quai
des Augustins et à un troisième étage de la Cour du Com-
merce, et que là il eut l'audace de faire non pas de la bonne
et franche politique, mais de fort innocentes allusions politi-
ques, non permises alors aux journaux littéraires.
En 1829 il acquit de M. de Guercby le privilège de la
direction du théâtre du Vaudeville, dont il ferma les portes
dès le 27 juillet 1 830 , le lendemain des ordonnances. Réuni
à quelques amis, il combattit pendant les trois jours, après
avoir fait porter et distribuer chez M. Teste, depuis garde
des sceaux, toutes les armes qui se trouvaient à son théâtre.
Le 29 il joignit .M. Bande à l'hôtel de ville , y installa le
général Dubourg , et y conduisit ensuite M. de La Fayette.
Entraîné par la fougue de ses opinions et de ses amitiés, il
prit part comme lieutenant de l'artillerie de la garde natio-
nale aux mouvements insurrectionnels qui éclatèrent à Paris
dans les journées de juin et d'avril. Inaperçu ou oublié dans
les poursuites et les condamnations qui eurent lieu à la suile
de ces collisions sanglantes , ce qui ne l'avait pas empêché
de prendre deux fois la fuite, il eut la joie de participer plus
tard à la délivrance de ceux de ses amis politiques que le
gouvernement avait jetés dans la prison de Sainte-Pélagie.
Ce dévouement ne contribua pas peu, sans doute, à faire
ôter à Etienne .\rago le privilège de la direction du Vaude-
ville, à la suite de l'incendie de ce théâtre, arrivé en 1840.
Il y avait fait, du reste, de très-mauvaises affaires, qui
amenèrent une faillite.
Avant, pendant et après sa direction, il avait rédigé des
articles politiques, des nouvelles, des romans et des feuille-
tons dramatiques dans le National, le Siècle, la Réforme,
et fait jouer, tant à son théâtre qu'aux spectacles du boule-
vard, plus de cent vaudevilles et mélodrames. N'oublions
pns la plus remarquable de ses proluctions, les Trois Aris-
tocrnties, jouée à la Comédie française quelque temps avant
la révolution de Février, mais dont certains envieux lui ont
contesté la paternité.
ARÂGO —
Quand cette révolution éclata , il «e jeta au fort de la
tiataillc, le 23, au milieu des barrirados , le 2'», sous le fou
de la place du Palais-Royal, quoiqu'on ail prétendu qu'en
même temps il arracliait, rue Bonrg-l'Ablié, une soi\ant line
de gardes niuniiipaux à la fureur populaire. Le combat
durait encore sur la place du Paiais-Royal , que, de sa pro-
pre autorité, il s'installait en qualité de directeur général à
l'administration des postes, où il resta jusqu'à la fin de I8i8.
C'est sous son administration que fut appliquée la réforn)e
postale et organisé l'usage des timbres-postes à 20 centimes.
>'ommé chef de bataillon de la g mie nationale pari-
sienne, il échoua aux élections de la capitale pour la Cons-
tituante. Il fut plus heureux dans celles des Pyrénées-Orien-
tales, et il (igura le quatrième, après son oeTCu Emmanuel,
sur la listo des cinq représentants de son pays natal. Sié-
geant à la Montagne, il prit peu de part aux discussions de
cette assemblée , flotta indécis , comme tant d'autres , dans
les événements de mai et de juin , et ne fut pas réélu à la
Législative. Compromis en 1849 dans l'écliaufourée du Con-
servatoire des Arts et Métiers, il évita la condamnation
dont le frappa la haute cour de Versailles, en cherchant
pour la troisième fois un refuge à l'étranger. Il se retira d'à
bord en Delgi pie, où il lit paraître un poème sur les eaux de
Spa en 185T. Forcé de quitter Bruxelles, il parcourut l'An-
gleterre, la Hollande, la Suisse, et se lixa à Turin. L'amnistie
de 1859 lui a rouvert les portes de la France, et il a pu
rendre les derniers devqirs à son ami Caussidière à Paris.
ARAGO ( Emmanuel), (ils de l'astronome, né à Paris le
6 août 1812, travailla, dit-on, tout jeune pour le théâtre, et
aébuta en 1837 au barreau de Paris, en plaidant devant les
assises; mais, ses forces ne répondant pas toujours à son
zèle, plusieurs de ses clients furent à la suite de sa défense
frappés des peines les plus rigoureuses prononcées par la
loi , ce qui le fit désigner pendant quelque temps dans les
prisons sous le sobriquet de Maxhnicm. Il eut le bon esprit
de se créer plus tard une spécialité, en s'atlachant à plaidei ,
avec le plus louable désintéressement, les procès de contre-
façon. En lS39,il fut un des défenseurs de Martin Bernard
et de Barbes. En 184S, il prit parla l'insurrection et pro-
testa à la chambre des députés contre l'établi-ssement d'une
régence. Le 27 il partit pour Lyon en qualité de commis-
saire du gouvernement provisoire, mis-ion, il faut en con-
\eair, bien difficile, et dans laquelle il lit preuve de plus
de républicanisme que d'habileté. On lui reprocha à bon
droit ses allures proconsulaires , ses arrêtés passablement
despotiques , et surtout son impôt des quatre-vingt-dix
centimes, dont le gouvernement central , sans en oser con-
damner le fond , dut blâmer et corriger la forme. Les Lyon-
nais se montrèrent médiocrement reconnaissants envers
leur commissaire, qui sollicita vainement leurs suffrages
pour la députation à la Constituante. Heureu.'^ement pour
M. Emmanuel Arago, le département des Pyrénées-Orien-
tales consentit à le choisir pour représentant ; et après la
dissolution de la Constituante il l'envoya de nouveau siéger
à l'Assemblée législative. Le 25 mai 1848 la commission
executive le nomma ministre pi. nipolentiaire à Berlin. Il
y prit parti pour les Polonais de Posen , et le général M:e-
rolaw.'ki lui dut sa liberté. Après l'élection du prince Louis-
N'apoléon , il donna sa démission. De retour à Paris, il pra-
tesla contre l'expédition de Rome et demanda la mise en
liberté des transportés de juin. A l'Assemblée législative il
continua de voter avec la Montagne jusqu'au coup d'Élatdu
2 décembre 1851. En 1857 il s'est en vain mis sur les rangs
pour la députation dans plusieurs dipartements du Midi.
ARAGO (Alfred), frère putné du précédent, a étudié
la peinture dans l'atelier de Paul Delaroche, et a été atlaché
en 1852 au ministère d'État comme inspecteur général des
beaux-arts. On a remarqué de lui aux salons : Charles-
Quint aucouvent de Saint-J usl ; Récréation de Louis XI ;
V Aveugle ; Abraham f (tic. Z.
ARAGON
733
ARAGO\, une des douze capitaineries générales de
l'Espagne, d'enxiron Soo myriamètres carrés, bernée par la
Navarre , la Vieille et la Nouvelle Castille, Valence, la Ca-
talogne et la France, traversée de l'ouest à l'est par l'Èbrc
qui reçoit sur sa rive gauche les eaux du Gallego et de la
Cinca, et sur la rive droite celles du Xalon, comprend deux
divisicus naturelles : l'une, celle du pays de plaines que par-
court son principal lleuve ; l'autre, celle du haut Aragon
formée par les montagnes du nord et du sud. Les plaines cen-
trales offrent l'image d'un steppe désert et aride. La cul-
ture y est misérable et se borne au froment, à la vigne et à
l'olivier. Cet arbre y forme de petits bouquets de bois, et al-
terne avec des chênes nains. Sur la rive de l'fcbre la cul-
ture présente, au contraire, un saillant contraste. Les planta-
tions de riz y abondent, et le mûrier y donne des produits
aussi importants que ceux de la vigne. Il en est de mémo
du haut Aragon , dont le sol se compose d'une série de ter-
rasses couvertes de la plus riche et de la plus vigoureuse
végétation.
Au sud de l'Aragon , la Serrania de Doca est comme la
première terrasse par laquelle on atteint les hauts plateaux
de la Nouvelle Castille et de Valence, tandis qu'au nord les
Sierras de Solvarbe et de Guara précèdent les Pyrénées, et
que la Sierra d'Alcul)ierre se prolonge jusqu'à l'Èbre. Le
climat de l'Aragon est plus froid dans les montagnes que
dans les plaines, où souvent la chaleur devient insupportable
en été; mais il en résulte une diversité et une richesse ex-
trêmes dans les produits du sol, qiii se prête admirablement
à la culture du chanvre, du lin, du froment, du riz, de=;plus
belles espèces d'arbres à fruits, de l'olivier, et de la vigne, qui
donne des vins délicieux. En fait de bétail, on n'élève guère
que des moutons et des porcs ; mais le règne minéral offre
les produits les plus variés et les plus abondants, en cuivre ,
plomb, fer, sel, alun, salpêtre, houille, ambre jaune, etc.
L'industrie et le commerce n'y sont d'ailleurs guère plus flo-
rissants que l'agriculture. Ils ont pour centres principaux
Saragosse et Caspé; mais, à l'exception de quelques toiles
et de quelques étoffes de laine fabriquées dans la province,
les produits bruts du sol constituent uniquement les objets
d'exportation.
Les Aragonais, dont le nombre peut s'élever à 730,000,
sont une race vigoureuse et énergique, courageuse, la-
borieuse, mais froide et hautaine. S'ils sont constants dans
leurs amitiés, leurs haines sont en revanche profondes et
vivaces ; c'est ce qui explique pourquoi l'Aragon a été si
souvent le théâtre des luttes les plus acharnées. Cette pro-
vince a pour chef-lieu Saragosse; les autres villes im-
portantes sontHuesca, Baibastro, Caspé, Teruel, Calatayud,
Tararona, etc.
A l'origine l'Aragon était l'un des anciens royaumes
espagnols. Conquis par les Romains et transformé en pro-
vince de leur vaste empire, il passa ensuite sous les lois
des Visigoths; puis à partir du huitième siècle sous celles
des Arabes, à qui les chrétiens l'enlevèrent en même temps
que la Castille et la Navarre. Les souverains de l'Aragon
devinrent de plus en plus puissants quand, en 1137, ce
pays fut réuni à la Catalogne. En 1213 ils conquirent
les îles Baléares, en 1282 la Sicile, en 1326 la Sardaigne, et
en 1440 Naples. Le mariage contracté, en 1469, entre Fer-
dinand leCatholique et Isabelle, héritière de Castille, cutpour
résultat de grouper les deux États sous l'autorité d'un même
souverain et de fonder la monarchie espagnole. A la mort
de Ferdinand, arrivée en 1516, l'Aragon fut réuni pour tou-
jours à la Ca stilie; mais il conserva ses anciens privilèges
ainsi que ses anciennes franchises et libertés, jusqu'à l'ar-
rivée des Bourbons au trône d'Espagne. Avant cette époque
les rois d'Aragon s'étaient succédé dans l'ordre suivant :
1° Dynastie de Navarre : Ramiie V, 1035; Sanchc-
Ramire F"", 1063; Pedro I", 1094 : Alphonse I", 1104;
Ramire IT, 1134;
734
ARAGON — ARAIGNÉE
2° Dynastie rfc^arceZoHe: Raymond, 1137 ; Alphonse II,
l(i62; Fedro II, 1196; Jayme 1", 1213; Pedro III, 1270 ;
Alphonse III, 12S5; Jayme II, 1291; Alphonse IV,
1327; Pedro IV, 1336; Juan I", 1387; Martin, 1395;
3° Dynastie de Castille : Ferdinand I", 1412; Al-
phonse V, 1410; Juan H, 1458; Ferdinand II, 1479;
Charles- Quint, roi de toutes les Espagnes, 1516.
C'est pendant la période occupée par les règnes des pre-
miers de ces princes que s'étahlit cette constitution célèbre
d'Aragon, la plus remarqual)le du moyen âge. Elle unissait,
quant à la royauté, le principe électif au prince hérédi-
taire; celui de la loi salique y fut introduit, à la fia du qua-
torzième siècle. La haute souveraineté nationale se mani-
festait à duique vacance du trône par cette circonstance, que
l'héritier ne prenait le titre de roi qu'après avoir préié ser-
ment de respecter la liberté du royaume. Il gouvernait jusque
là comme simple seigneur naturel. L'autorité royale était li-
mitée par celle des barons, ricos hombres, par celle des cortès
et par celle du liaut-justitier, justiza. On connaît la célèbre
formule par laquelle la couronne était déférée au nouveau
prince : « Nous , qui valons autant que vous , nous vous
faisons notre roi et seigneur, à condition que vous respec-
terez nos /ueros et libertés; sinon, non ! » Dans l'intervalle
des sessions des cortès, une commission permanente restait
assemblée. Le justiza, gardien de la constitution, était un
pouvoir modérateur, intermédiaire entre le roi et le peuple.
Primitivement le roi nouvellement élu prêtait serment,
tête nue, aux pieds de ce magistrat, qui tenait une épée di-
rigée vers sa poitrine ; mais Pedro T' abolit cette cérémo-
nie. Les Bourbons achevèrent d'enlever aux Aragonais la
plus grande partie de leurs anciens droits, pour les punir de
leur attachement à la maison d'Autriche pendant la guerre
de la succession d'Espagne.
L'Aragon a eu beaucoup à souffrir lors des guerres civiles
dont la Péninsule a été le théâtre sous le règne de la reine
Isabelle II, attendu que, si le haut Aragon était décidé-
ment favorable à la cause de cette princesse , la plus grande
partie du bas Aragon avait chaudement épousé les intérêts
du prétendant don Carlos.
ARAGOjV (Jeanne d'), l'une des femmes les plus dis-
tinguées du seizième siècle, épousa Ascagne Colonne, prince
de Tagliacozzo, et prit une part des plus importantes et
des plus actives aux longues querelles que les Colonne eu-
rent avec le pape Paul IV. Les écrivains contemporains
s'accordent à vanter sa beauté, son mâle courage et sa ca-
pacité pour les affaires de la politique. Les vers que les
beaux esprits du temps composèrent à sa louange ont été
publiés à Venise, en 1558, sous le titre de Tiempo alla di-
vina signora Aragona. Ce recueil n'a plus aujourd'hui
d'intérêt; mais il suffit pour nous faire apprécier la haute
considération dont jouissait la femme qui avait pu inspirer
tant de pensées délicates et ingénieuses à des poètes dissé-
minés dans toutes les parties de l'Italie.
ARAGOX (TuLLiE d'), qui vivait au même siècle que la
précédente, et qui comme elle tirait son origine de la brandie
de la maison d'Aragon qui avait autrefois régné à Naples,
mais par descendance illégitime, née vers 1525, à Naples,
fut une femme poète, une femme bel esprit, en commerce
avec les hommes les plus considérés de son époque, dont
quelques-uns ressentirent pour elle des passions auxquelles
tout porte il penser qu'elle n'opposa pas toujours la plus
froide indifférence. C'est chose si difficile en effet, par tous
pays et en tous temps, que d'être à la fois belle, poète et
sage ! Au nombre de ses adorateurs on compte le cardinal
Hippolyte dei Medici, Hercule Bentivoglio, Philippe Slrozzi,
Molza, Varchi, Manelli de Florence, Muzio surtout, qui
la célèbre dans le troisième livre de ses Lettres , et qui lui
consacre sous le nom de Thalie le plus grand nombre de ses
vers, etc., car nous pourrions prolonger beaucoup cette
liste, comme on le comprendra facilement lorsqu'on saura
que TuUie d'Aragon, à laquelle son père, le cardinal Tagliavia
d'Aragon, archevêque de Palerme, avait assuré une belle
indépendance, vécut tour à tour à Ferrare, à Rome, à Ve-
nise, à Naples, réunissant constamment autour d'elle dans
chacune de ces villes .un cercle empressé d'hommes distin-
gués, attirés autant par sa beauté que par les charmes de
son esprit. Elle mourut dans un âge encore peu avancé, à
Florence, où elle .s'était retirée et où la duchesse Éléonore
de Tolède l'avait admise dans son intimité.
On a d'elle un recueil de Rime (ou Poésies), publié
en 1547, à Venise, ciiez Giolito ; un traité sur l'Infini de l'A-
mour (Dialogo dell' Infinita d''Ainore) et une espèce de
poème épique, Il Meschino (Venise, 1560), dont le héros,
Guériii de Durazzo, ressemble beaucoup à Télémaque, qui
parcourt à la recherche de son père une foule de pays.
ARAGOIXA, ville de Sicile, située à 12 kilomètres au
nord de Girgenli. On y compte environ 7,000 habitants, dont
les ressources principales consistent dans l'exploitation des
campagnes environnantes, où ils récoltent surtout beaucoup
d'amandes. Aussi l'exploitation de cet article ne laisse-t-elle
pas que d'y avoir une certaine importance.
ARAGOXAIS(Les). Voyez Comp.\gnies (Grandes).
ARAGOXITE. Voijez Arragonite.
ARAGUAYA, rivière du Brésil, l'un des affluents du
Tocantins, dans lequel elle vient se jeter après un parcours
d'environ 150 myriamètres , à San-Joao das Duas-Bairas.
Sa source est située dans la Serra-Secada . En se bifurquant
vers le milieu de sou cours, elle forme une île longue d'en-
viron 35 myriamètres et à laquelle on donne le nom (ïlle
de Sainte- Anne.
ARAIGXÉE (du grec àpâ/^vri). A l'article Arachnide*
on a traité tout ce qui a rapport à la physiologie, à l'anatomie
et à la classification des différents genres qui composent
cette famille. Nous n'avons donc à donner ici que quelques
notions sur les moeurs des araignées et les caractères de»
principales espèces.
On sait déjà que les araignées sont éminemment carnas-
sières. La voracité de ces animaux est telle que ceux de la
même espèce s'attaquent souvent entre eux, et le plus fort
dévore le plus faible ; c'est à la crainte d'un semblable sort
que l'on attribue la circonspection singulière avec laquelle
le mâle s'approchede la femelle dans le moment des amours :
il rôde longtemps autour d'elle, pour s'assurer de ses dis-
positions, s'avance avec défiance tant qu'il n'est pas sur
qu'elle veuille se prêter à ses caresses; puis enfin, quand
elle lui paraît déterminée à les recevoir, arrive brusquement
près d'elle, et lui applique alternativement sur le dessous du
ventre l'extrémité de chacun de ses palpes, qu'il retire
promptement, pour recommencer après quelques instants
de repos. Il suffit d'un accouplement pour féconder plu-
sieurs pontes, même d'une année à l'autre. Il n'y en a or-
dinairement qu'une seule chaque année; elle a lieu dans
nos climats vers la fin de l'été : les œufs éclosent, soit vers
la fin de l'automne, soit au printemps suivant. Toutes les
araignées les enveloppent , au moment de lapoute, d'une
couche de soie blanche en forme de coque. Les unes les
abandonnent ensuite, les autres continuent à les surveiller,
et ^'occupent, au moment de l'éclosion, de l'éducation de
leurs petits; il en est même qui portent continuellement
letirs œufs enveloppés dans une coque ronde, et on les voit
souvent traîner cette coque après elles, au moyen d'un fil
qui la tient attachée à leur partie postérieure. Les jeunes
araignées vivent d'abord en société, à leur sortie de l'œuf;
mais elles ne tardent pas à se séparer, pour ne plus se re-
connaître. Elles subissent plusieurs mues dans leur jeune âge,
et leur vie est plus ou moins longue, suivant les espèces :
dans un grand nombre, elle ne s'étend pas au delà d'une
année, mais il en est aussi beaucoup qui vivent plusieurs
années. La plupart de ces dernières passent l'hiver dans un
état d'eniTourdissement , renfermées dans des tious ou ca-
AHAlu.SKK — ARAL
thees sous des pierres; qiifIi|iies-iiiios nioino se forment,
pour cette saison , une coque de soie qui leur sert de re-
traite.
Les araignées sont très-susceptibles de s'apprivoiser. Un
fabricant détolTes, qui avait entrepris de faire des bas avec
leur soie (et qui, dit-on, y roussit), en nourrissait un grand
nombre, qui s'approchaient de lui lorsqu'il entrait dans la
chambre où elles étaient. Pellisson, renfermé à la Bas-
tille , avait lellonient familiarisé une araignée établie sur le
bord du soupirail qui éclairait sa prison , qu'elle accourait
au son de la musique, et qu'à un certain signal elle quittait
aussi sa toile pour venir chercher une mouche. Une autre
particularité curieuse que présentent ces animaux , c'est la
force reproductrice en vertu de laquelle ils réparent, comme
on s'en est assuré par des expériences bien suivies , les
membres qu'ils ont perdus.
Parmi les principales espèces nous citerons les suivantes :
Varaignce diadème se trouve communément dans nos jar-
dins ; elle est longue de quatre lignes ; elle se reconnaît à
son abdomen ovale, allongé , rougeâtre , brunâtre ou noi-
râtre, offrant une ligne longitudinale de points jaunes ou
blancs , coupée dans sa longueur par trois lignes transver-
sales semblables. Sa toile est très-grande, et présente un
plan orbiculaire et vertical, formé d'un fil tourné en spirale,
et croisé par d'autres fils qui partent en rayonnant du centre
commun. Pour fabriquer cette toile, l'araignée commence
par faire sortir de ses mamelons une goutte de liqueur qu'elle
applique sur un arbre , puis continue de filer en s'éloignant,
et forme ainsi un long fil, au bout duquel elle se suspend;
le vent ne tarde pas à la porter vers un arbre voisin', où
elle applique l'autre bout de son fil; cela fait, elle retourne
au milieu de ce fil, où elle en attache un second dont elle
coUe l'autre extrémité à quelque branche dans le voisi-
nage du premier, et ainsi de suite. La toile achevée , elle se
forme , à l'une des extrémités supérieures, entre des feuilles
rapprochées, une petite loge où elle se tient habituellement,
et dont elle ne sort guère que le matin et le soir, ou bien
pour s'emparer des insectes qui viennent à tomber dans ses
lilets. Elle s'accouple en été, et pond, dans les derniers
jours de l'automne, des œufs qui éclosent au printemps
suivant.
L'araignée domestique est l'araignée ordinaire des mai-
sons , que tout le monde connaît , et qui se dislingue à son
abdomen ovale , noirâtre, avec deux lignes longitudinales
de taches fauves sur le milieu du dos. Llle construit dans
l'intérieur de nos habitations, aux angles des murs , sur les
haies, aux bords des chemins, une toile très-grande, à peu
près horizontale, et à la partie supérieure de laquelle est
une espèce de tube où elle se tient sans faire de mouve-
ment. Pour faire cette toile, elle applique une goutte de sa
liqueur en un point, s'éloigne e< niant, et va coller à un autre
point le bout de son fil ; elle revient ensuite sur ce premier
fil, pour en coller un second à côté de l'endroit d'où elle
est partie , retourne sur ses pas pour en faire autant à
l'autre bout, et continue cette manoeuvre jusqu'à ce qu'elle
en ait posé une assez grande quantité dans cette direction;
après quoi, elle en place qui croisent les premiers, et comme
tous ces fils sont gluants, ils se collent les uns aux autres,
et forment une toile assez résistante.
h' araignée aquatique , longue d'environ cinq lignes, le
mâle plus gros que la femelle , a tout le corps brun , avec
une tache oblongue, plus brune à la partie supérieure du
dos , et quatre points enfoncés au milieu de cette tache. Ce
curieux animal vit dans l'eau, quoiqu'il respire l'air; il nage
dans une position renversée , et son abdomen est alors enve-
loppé d'une bulle d'air, qui lui donne l'apparence d'un petit
globule argentin très-brillant. On voit souvent cette araignée
venir se placer à la .superficie de l'eau, et s'y tenir connue
6u.spendue, en élevant au-dessus de la surface l'extrémité
postérieure de son corps. Nul doute que ce ne soit pour res-
735
pirer, et pour se foimer cette bulle d'air dont elle entoure
son abdomen, sur lequel se trouvent, comme dans toutes
les arachnides, les orifices des organes respiratoires. Il reste
seulement à savoir par quel procédé elle fait adhérer cette
petite masse d'air à la surface de son corps. Une autre sin-
gularité-de cet animal, c'est la faculté qu'il a de se cons-
truire , au fond de l'eau , une retraite aérienne où il respire
librement , vit en sûreté et trouve un berceau pour sa jeune
famille. Cette retraite est semblable pour la forme et la
grandeur à la moitié de la coque d'un œuf de pigeon coupé
en travers. Klle est entièrement remplie d'air , et parliiite-
nient close , à l'exception de sa partie inférieure, où est une
ouverture assez grande , qui donne entrée et sortie à l'ani-
mal. Les parois de cette espèce de cloche sont minces , et
d'un tissu de soie blanche, forte et serrée. Un grand nombre
de fils irréguliers la fixent aux tiges des plantes ou à d'au-
tres corps. Quelquefois la partie supérieure est hors de l'eau,
mais le plus souvent elle y est entièrement plongée. L'arai-
gnée s'y tient tranquillement, la tête ordinairement en bas,
situation qui lui permet de voir ce qui se passe, de guetter
sa proie, et de s'échapper au moindre danger. 11 est facile
de concevoir comment l'araignée aquatique remplit sa cloche
d'air. Dans le principe , l'eau en occupe toute la capacité ;
pour y substituer de l'air, l'animal va plusieurs fois succes-
sivement à la surface de l'eau , se charge à chaque voyage
d'une bulle d'air, la transporte dans son habitation , et dé-
place en l'y abandonnant un volume égal d'eau , qui sort par
l'ouverture inférieure ; c'est ainsi qu'il parvient à expulser
toute l'eau de sa cellule. Cette espèce se trouve en Europe,
et en particulier aux environs de Paris , dans les mares de
Gentilly, par exemple.
Certaines arachnides, telles que la tarentule et les
mygales, sont vulgairement appelées araignées; il en
sera parlé à leurs articles respectifs. Desiézil.
ARAIRE. Vorjez Cuarrue.
ARAK , ARRAK ou RACK , forte boisson spiritueuse
qu'on obtient dans l'Inde par la fermentation et la distilla-
tion des sucs du palmier areka et du riz , ou du sucre de
palmier ordinaire et du riz , ou encore du suc de la noix de
coco , et d'autres produits du règne végétal particuliers à
l'Inde. Les meilleures espèces d'arak des Indes orientales
\iennent de Goa , de Batavia et de la côte de Coromandel.
Amsterdam en est le principal entrepôt. La Jamaïque , la
Guadeloupe et Saint-Domingue sont les îles des Indes occi-
dentales qui en produisent le plus, et l'arak de ces prove-
nances est l'objet d'un commerce important. Cette liqueur,
qu'on appelle également toddi , a dans sa fraîcheur des pro-
priétés légèrement purgatives. Ce n'est qu'en vieillissant
qu'elle devient capiteuse, et sert beaucoup aux Anglais pour
la composition de leur meilleur punch. — On donne le
nom â'araka à un breuvage spiritueux extrait par dis-
tillation du koumiss, boisson fermentée, préparée avec du
lait de jument.
ARAL ( Lac d' ). C'est, après la mer Caspienne, le plus
grand lac de l'Asie; sa superficie est de 605 myriaraètres
carrés; il est entouré par les steppes de Kbiwa, le pays des
Kirghiz et l'isthme des Truchmanes, qui sépare ces deux
grands lacs. Les deux affluents de l'Aral sont, au nord-est
le Sir-Dariaou Silioun, l'ancien laxartes, et au sud l'Amou-
Daria ou Djihoun, YOxus des anciens. Les sources de ce
dernier furent retrouvées en 1838, par le lieutenant anglais
Wood, l'un des compagnons de voyage d'Alexandre Burnes,
dans la partie sud-est du Turkestan, à une élévation de
5,200 mètres; elles y sont formées par le lacSerikol, dans
des circonstances exactement pareilles à celles que Marco
Polo décrivait déjà au treizième siècle. L'opinion suivant
laquelle l'Oxus se serait autrefois jeté dans la mer Caspienne,
ou tout au moins y aurait envoyé l'un di; .«es bras, ne paraît
pas jusqu'à présent appuyée de preuves suffisantes. Les eaux
très-peu salées du lac d'Aral nourrissent beaucoup d'eslur»
730 ARAL —
gcons et (le chiens de mer, poissons fort recherch'^s par les
peuplades nomades qui errent sur ses rives , c'est-à-dire par
les tribus arabes du sud et des Karakalpaks de Test. La
partie méridionale du lac est parsemée de petites îles. La
Russie possède maintenant tout son littoral.
ARAM.Ce mot hébreu, qui signifie les hautes terres ,
par opposition àChanaan, qui veut dire terres basses,
comprenait toute l'étendue de pays située au nord-est de la
Palestine, entre la Phénicie, le mont Liban, l'Arabie, le Tigre
et lemontTaurus, contrée que les Grecs appelaient Syrie,
Babylonie et ^lésopotamie. La langue commune aux peuples
qui l'habitaient, et qui tous appartenaient à la race sémitique,
était Varaméen. Elle se divisait en deux dialectes princi-
paux : 1° Varamden de l'ouest ou langue syriaque , et
Varaméen de l'esi ou langue chaldéenne. Nous possé-
dons en outre d'assez nombreux documents sur les dialectes
des Samaritains, des Sabéens, des Palmyréniens, qui se
rattachaient à ce rameau linguistique. La langue du Ta l-
mud est aussi fortement mélangée d'éléments araméens.
On peut dire en général que les langues araméennes ,
qu'on retrouve à peine de nos jours dans quelques fondrières
des montagnes du Kurdistan, sont les plus dures, les
plus pauvres , les moins formées de toutes celles qui déri-
vent de la langue sémitique primitive, maintenant effacée
partout presque complètement par l'arabe et le persan.
ARiVNDA ( Don Petro-Pablo ABARACA DE BOBA,
comte d' ), issu d'une bonne famille d'Aragon, né le 21 dé-
cembre 1718, embrassa d'abord la profession des armes :
mais comme il faisait preuve d'un grand esprit d'observation,
Charles 111 le nomma son envoyé auprès d'Auguste III,
roi de Pologue , poste qu'il occupa pendant sept années. A
son retour, il fut nommé capitaine général à Valence. Rap-
pelé à Madrid à la suite de l'émeute qui éclata dans cette
capitale en 1765, on lui confia alors la présidence du con-
seil de Castille. Aranda ne rétablit pas seulement l'ordre , il
sut encore mettre des limites au pouvoir de l'Inquisition, et
fit expulser les jésuites d'Espagne. Il ne lui fut pas donné de
voir milrir les fruits de sa politique habUe et des diverses ré-
formes administratives opérées par lui, notamment des impor-
tantes améliorations introduites dans l'organisation judiciaire
et des mesures diverses prises pour faire ileurir le commerce
et l'industrie. Dès 1773 l'influence du clergé, et plus par-
ticulièrement de l'ordre des dominicains, parvenait à l'éloi-
gner de l'administration, sous prétexte de lui confier l'am-
bassade de Paris. 11 fut remplacé alors à la direction des af-
faires par Grimalili jusqu'en 1778, et ensuite par le comte
de Florida Blanca. Cène fut qu'«n 1792, et lorsque Florida
Blanca fut tombé victime des plus basses intrigues de cour,
qu'Aranda fut appelé à reprendre les fonctions de ministre
dirigeant ; mais à quelques mois de là Go do y le remplaçait,
à la surprise et à la risée générale de la cour et du pays.
Aranda conserva bien la présidence du conseil d'État, qu'il
avait organisé ; mais s'étant un jour permis de dire franche-
ment son opinion sur la guerre déclarée par l'Espagne à la
France, il fut exilé en Aragon, où il mourut en 1799. Madrid
lui est redevable de la suppression d'une foule d'abus.
ARAIVEIDES. C'est le nom qui a été donné à une fa-
mille des arachnides pulmonaires, et qui est composée
des animaux appelés vulgairement araignées.
ARAXJUEZ, ville et château de [jlaisance {Sitio),
dans la province de Tolède, sur le Tage, qui y reçoit les
eaux du Xamara, à 44 kilom. environ de Madrid. La ville
est construite dans le goiit hollandais. Les mes, droites et
larges , se croisent à angle droit. La population est d'envi-
ron 2,500 âmes. Le château, où la famille royale vient ordi-
nairement passer la belle saison , est dune grande magnifi-
cence. Des sommes énormes ont été employées à le cons-
tniire et à l'embellir. Parmi les nombreuses fabriques de
son parc, la casa del Labrador est justement célèbre. Ses
jets d'eau et ses admirables cascades sont aujourd'hui dans
ARAPILES
un état de délabrement à peu près complet. Les douze
belles avenues d'ormes qui partent du rond-point du parc et
se prolongent jusqu'à ses extrémités sont reUées entre elles
par huit allées latérales plantées d'arbres non moins éle-
vés, décrivant autant de lignes circulaires. Le haras royal
d'Aranjuez jouissait autrefois d'une grande réputation, et
on y élevait aussi beaucoup de mulets et de taureaux. Les
malheureux événements qui se sont accomplis en Espagne
depuis la mort de Ferdinand VII ont eu pour résultat la
ruine de ce magnifique étabUssement de même que l'état
d'abandon dans lequel se trouva le château. Charles-Quint
avait déjà manifesté l'intention de se faire construire un
cluiteau de plaisance dans ces beaux lieux ; mais ses projets
ne furent réalisés que sous le règne de Philippe II. Les rois
d'Espagne qui contribuèrent le plus à agrandir et à embellir
le château d'Aranjuez furent Ferdinand VI, Charles III et
Charles IV. Entre autres souvenirs historiques qui se ratta-
chent à cette royale demeure , il faut citer : 1° le traité qui y
fut signé le 12 avril 1772 entre la France et l'Espagne, en
vertu duquel celle-ci promit à la première son appui contre
l'Angleterre; 2° la révolution qui s'y accomplit le 18 mars
180S. — Un chemin de fer unit maintenant cette résidence à
Madrid.
ARAPILES. Cest le nom d'un village , ou plutôt d'an
hameau situé en avant de Salamanque ( Espagne ), sur
une hauteur qui domine cette ville, et où fut hvrée, le 22
juillet 1812, une bataille qui reçut son nom, et que l'impru-
dence et les manœuvres décousues du maréchal Marmont
firent perdre à l'armée française. Elle avait à faire face aux
Anglo-Portugais, commandés par WeUington, qui ne put, du
reste, se glorifier d'un succès décisif.
Notre aile droite s'appuyait sur le mamelon des Arapiles.
Notre gauche, que commandait le général Thomières, eût
dû s'y tenir soudée et opposer ainsi une masse compacte
aux forces supérieures de l'ennemi. Il n'en fit rien malheu-
reusement, et laissa sa ligne se développer tellement outre
mesure, que bientôt l'extrémité se trouva à huit kilomètres
du centre. Wellington, s'étant aperçu de ce faux mouve-
ment, renforça sa droite et s'avança résolument pour couper
notre aile gauche de notre centre. En ce moment critique le
duc de Raguse fut blessé au bras par un boulet. L'ennemi
profita de l'hésitation que cet accident répandit dans notre
armée, pour attaquer avec impétuosité le corps du général
Thomières et le tourner. Le général Bonnet, remplaçant
alors le maréchal Marmont, fut blessé comme lui. Mais un
jeune sous-lieutenant du 118' de ligne, nommé Guillemot,
désespéré de voir la victoire nous échapper, fondit comme
une flèche sur un bataillon anglais, et s'emparant de son
drapeau, après avoir abattu le bras de celui qui le portait, le
rapporta au milieu de son régiment, non sans être criblé de
coups de baïonnette dans sa glorieuse retraite.
Cependant, le corps du général Thomières avait été taillé
en pièces , et les autres divisions de l'aile gauche, culbutées
les unes sur les autres, rejoignaient le gros de l'armée dans
le plus grand désordre, quand le général Clausel vint pren-
dre le commandement en chef. A force de sang-froid, de
présence d'esprit et de courage, il rétablit l'ordre de bataille
et rallia la gauche et la dioite sur le centre, en exécutant
cette admirable manœuvre devant l'ennemi victorieux.
L'armée française était sauvée ; les nouvelles attaques de
Wellington furent repoussées par notre artillerie; le 120'
de ligne défendit héroïquement la hauteur des Arapiles;
et à neuf heures du soir nos braves, harassés de fatigue,
commençaient, en bon ordre, leur mouvement de retraite
dans la direction de Peùaranda, pour regagner, à Arevalo,
la grande route de Madrid. L'ennemi essaya bien, à plu-
sieurs reprises, d'inquiéter nos derrières; mais le général
Foy, qui commandait l'arrière-garde, couvrit notre mar-
che , et l'armée parvint à traverser la Tormès sans obstacle.
La bataille des Arapiles, appelée par les Anglais bataille
ARAPILES — ARAUCOS
737
de Salamanqiie, coula au\ Français cinq mille hommes mis
hors lie combat , deux mille prisonniers et onze pièces de
canon. Trois de nos f;éni>rau\ y furent tués, deux génôraux
en chef blessés; l'ennemi eut plus de cinq mille honunes
tués ou lilessés. E. de Monclwe.
ARARAT, montagnes célèbresdu versant septentrional
du plateau d'Arménie, où \iennent se confondre les fron-
tières russe, turque et persane, à 65 kilom. an sud d'Éri-
van. On les distingue d'ordinaire en grand Arafat, dont le
sommet, formé par des pits, s'élève à 5,4 18 mètres au-dessus
du niveau de la mer, et en pefit Araraf, qui n'atteint qu'une
élévation de 4,094 mètres. Les Arméniens nomment ces
montagnes Massis , et les Turcs Agfiridagh , c'est-k-{ùr(^
monts escarpés. En 1829 Parrot en atteignit le sommet. Il
décrit toute la contrée environnante comme d'une nudité
extrême, tixe la limite des neiges éternelles à la hauteur de
4,433 mètres, et représente les roches qu'on y trouve comme
d'origine volcanique, formées tantôt de lave refroidie, tantôt
de scories moins compactes ou de trachytes. En août 1S40
l'Ararat témoigna encore de quelque activité volcanique.
Ces montagnes jouissent d'un grand renom de sainteté
parmi les chrétiens arméniens, parce qu'ils croient avec
tous les peuples voisins que ce fut là que s'arrêta l' A rc h e
de >'oé, dont quelques débris existaient encore, suivant
eux, il n'y a pas longtemps, à certain endroit de l'Ararat.
Dans l'une des vallées les plus profondes que forme l'A-
rarat, on trouve le village à'Agoitri, où Noé planta, dit-on, la
première vigne ; à sa base s'élèvent plusieurs couvents, en-
tre autres celui d' E t s c h m i a d z i n, où l'on voit la plus an-
cienne église qu'il y ait peut-être dans toute la chrétienté,
puisqu'elle date de l'an 303.
ARATOIRES (Instruments). Les instruments qu'em-
ploie l'agriculture ont été rangés par .M. de Gasparin en cinq
classes principales : 1° ceux qui ont pour but de modifier la
ténacité de la terre en la pénétrant , la retournant, l'ameu-
blissant, que l'on nomme histruments de culture (plan-
toirs, bêches, râteaux, houes, etc.); 2" ceux qui ont
pour but de distribuer les semences des plantes dans le scia
delà terre : ce sont les semoirs ; 3'^ ceux qui complètent
l'œuvre de la nature dans la production des fruits, en aidant
à la séparation mécanique des parties végétales hétérogènes,
comme les fléaux, les rouleaux à dépiquer, les machines à
battre; ce sont les instrtimcnts de récolte ; 4" ceux qui sont
destinés à transporter sur la terre de nouveaux éléments de
fertilité ou à enlever ses produits, tels que les véhicules
divers, chariots, charrettes, brouettes, etc. ; ce sont les ins-
truments de transport ; 5° enfin, ceux qui élèvent l'eau au
niveau du sol pour pourvoir à son irrigation ; ce sont les ?/m-
chines hydrauliques.
ARATUS DE SICYO^E, célèbre homme d'État grec,
naquit vers l'an 272 avant J.-C. Échappé aux meurtriers de
son père, Clinias, il conçut dès sa plus tendre jeunesse le
dessein de chasser les tyrans qui opprimaient sa patrie. Il
avait été obligé de se réfugier .'i Argos ; mais il n'eut pas
plus tôt atteint l'âge de ^ingt ans, qu'il revint à Sicyone, où,
d'accord avec un certain nombre d'exilés comme lui et de
compatriotes qui ne souffraient pas moins impatiemment la
tyrannie de Nicoclès, il mit le feu au palais de l'oppresseur;
et celui-ci, surpris dans son sommeil, dut s'estimer heureux
de trouver son salut dans une prompte fuite. Aratns rétablit
alors à Sicyone les formes du gouvernement républicain, et
secondé par Ptolémée Philadelphe, il fit admettre la ville
affranchie dans cette célèbre confédération des Achéen s,
composée au début de treize cités, qui en tirèrent tant d'autres
de l'esclavage, après l'avoir secoué elles-mêmes. Aratus de-
vint l'âme de cette ligue, qu'il consolida de plus en plus en
y faisant successivement accéder d'autres villes de la Grèce,
et surtout en reprenant par ruse l'Acro-Corinthe ou citadelle
de Corinthe, dont s'était emparé le roi de Macédoine, Anti-
gène Gonatas, qui de là menaçait l'indépendance de la Grèce
DICT. DE LA CONTEB0. — T. I.
tout entière. Ce fut lui qui pendant plusieurs années de suite
fut chargé, en qualité de stratège, de la direction de toutes les
opérations militaires entreprises par la confédération. Une
tentative qu'il fit ensuite pour délivrer également de la ty-
rannie la ^ille d'Argos ayant échoué, il se consacra désor-
mais uniquement à assurer le bonheur de ses concitoyens,
qui lui élevèrent une statue et lui décernèrent le surnom de
Sauveur. Mais plus tard, en l'an 224 avant J.-C, ayant
connnis la faute d'invoquer le secours du roi de Macédoine
Antigone Doson , contre le roi de Sparte Cléomène, il livra
ainsi la ligue achéenne à la merci des rois de Macédoine. An-
tigone , tant qu'il vécut , témoigna toujours beaucoup de
déférence pour les avis d'Aratus, et prit ses conseils pour tout
ce qui avait trait aux a(fai:es de la Grèce; mais Philippe II,
son successeur, n'agit point ainsi, et pour se débarrasser
d'un conseiller souvent importun, il le fit empoisonner
(an 213 avant J.-C. ). Aratus résista longtemps aux effets
du poison ; mais comme il <lépérissait visiblement déplus en
plus, il dit à un de ses amis, qui s'alarmait de son état :
u Tu vois ce que rapporte l'amitié des rois ! » Aratus, dont
Plutarque a écrit la vie, est incontestablement une des
grandes figures de l'antiquité.
ARATUS DE SOLES en Cilicie , ou de Pompéiopolis,
ville de la même province, (lorissait vers l'an 270 avant J.-C.
Quoiqu'il ne fût pas lui-même astronome, il exposa dans un
poëme didactique, intitulé Phainomena (les Phénomènes),
le système astronomique qu'Eudoxe de Cnide avait fait pré-
valoir à celte époque ; et il y ajouta, sous le titre de Diose-
meia (les Prodiges), des règles de météorologie tirées de l'état
des astres. Ces deux poèmes se distinguent par la pureté du
style et par une bonne versification. Des traductions latines
en avaient été faites par Cicéron et par Jules-César Germa-
nicus; mais il n'en reste plus que des fragments, qui ont
été recueillis par Rufus Festus Avienus. Halma en a donné
une traduction française (Paris, !823).
ARAUCARIA ( du nom des Araxicos), genre de coni-
fères, établi par A.-L. de Jussieu, et déjà appelé par La-
marck Dombeya. Ce sont de grands arbres à tige droite,
portant comme les sapins des branches rapprochées en faux
verlicilles très-réguliers. Celles du basse détruisent, celles
du haut persistent, s'allongent et retombent en partie, ce qui
donne à l'arbre un port remarquable. Les rameaux sont
couverts de larges feuilles lancéolées, aiguës, très-dures
et ne tombant que très-tard. Les fleurs mâles et les fleurs
femelles se développent surdes individus différents à l'extré-
mité des rameaux. L'embryon présente deux cotylédons
appliqués l'un conlre l'autre dans \'araucaria cfiilicnsis
et Varaucaria brasiliensis, ce qui les distingue des entassa
ou araucaria de l'Australie, qui ont quatre cotylédons
foliacés portés sur une longue tigelle. Le Jardin des Plantes
de Paris possède un araucaria cunninghamii, de l'île de
Norfolk, apporté en 1830 à l'état de bouture et tout rongé
par des chèvres. Z.
ARAUCOS ou ARAUCANS, belliqueuse peuplade in-
dienne du Chili, habitant entre le fleuve Bioblo au nord et
l'archipel deChiloé au sud, lesAndesà l'est et le grand Océan
à l'ouest. Suivant d'anciens autours espagnols les Araucans
sont constitués en république aristocratique. Il y a parmi
eux trois ordres de magistrats subordonnés les uns aux autres :
les toquis (juges), au nombre de quatre, égaux en pouvoir et
préposés à l'administration des butal-mapus (principautés);
W?, apo-ulmènes , qui administrent les aillaragues (pro-
vinces), et les ulmènes, administrateurs des règues ( dis-
tricts). Toutes ces dignités sont héréditaires. Le corps entier
des chefs ou magistrats se réunit , en certaines circonstances,
dans une diète générale, appelée Auca Coyag (conseil des
Araucans ). Lorsque celte diète a décidé la guerre, on élit
le généralissime parmi les quatre toquis ou parmi les vl-
mènes. Ce généralissime jouit d'un pouvoir dictatorial absolu.
Letoqui fait connaître aux apo-ulmènes le nombre d'hommes
93
738 ARAUCOS — ARBALÈTK
armés qu'ils ont à fournir. L'armée se compose d'infanterie
et de cavalerie ; ce fut le toqiii Cadégtial qui, en 1585 , or-
ganisa régulièrement la cavalerie du pays sur le modèle des
escadrons espagnols. Ils n'ont pas d'uniforme , mais ils por-
tent des cuirasses et des casques de cuir durci. La cava-
lerie est armée de lances et d'épées ; l'infanterie de piques et
de massues garnies de pointes de fer. Jusqu'au lieu du com-
bat, l'infanterie est à cheval. Au signal de la bataille,
tous s'élancent avec le plus grand courage.
Pour ce qui est de la religion, les mêmes auteurs ajoutent
n que les Araucans reconnaissent un Dieu suprême, auteur
de toutes choses , qu'ils nomment Pillan (âme , esprit), ou
encore Guemipillan (esprit du ciel), noms qui ont une foule
d'épithètes pour synonymes, comme le Tonnant, le Tout-
Puissant, l'Étemel, l'Infini, etc. Ce Dieu suprême, ce grand
Toqui du monde invisible, a aussi ses ^l/)o-l7/7nè«es et ses
L'imèncs, auxquels il confie la direction des choses terres-
tres. Entre les dieux subalternes on distingue Epunamum
(leMarsdes Araucans), Guecnbu (le dieu du mal), elMeoulen
(le dieu du bien). Il y a aussi des déesses (Amey-Malgfien)
dans ce système religieux , déesses toujours vierges, consi-
dérées comme les génies familiers de l'homme. Du reste, les
Araucans ont réduit la religion à assez peu de chose : ils
n'ont ni temples ni prêtres. Plus superstitieux que religieux,
ils croient aux sorciers et redoutent beaucoup les enchante-
ments. Cela ne les empêche pourtant pas de croire a l'im-
mortulité de l'àme, et de distinguer le corps, matière corrup-
tible ( ouca ), de l'àme, principe immortel (aiic ou piilli ).
Ils pensent qu'après la mort les âmes vont de l'autre côté de
la mer, vers l'Occident, dans un certain endroit appelé
Gulcheman , goûter des plaisirs éternels ou expier les mé-
chantes actions de la vie.
« VAdmapu ou code national permet la polygamie; et les
Araucans prennent autant de femmes qu'ils peuvent en ache-
ter; mais la première femme est seule regardée comme lé-
gitime. L'éducation des enfants leur donne une constitution
très-vigoureuse. On leur laisse faire tout ce qu'ils veulent
(l'éducation à la Jean-Jacques!), et ils se forment d'eux-
mêmes. On ne les reprend et on ne les punit jamais, parce
que les châtiments ne font que des bommes lâches et craintifs. .
n Les Araucans attachent une grande importance à l'art
delà parole. Il y a chez eux un style particulier pour les
discours parlementaires , qu'ils appellent coyaglucan ; ils
ont aussi le style rachidugem, espèce de style académique.
Leurs poètes composent des chants sur les actions de leurs
héros, en vers de huit ou onze syllabes. On distingue chez
eux trois classes de médecins : les amfibcs (espèce d'ho-
méopathes qui emploient surtout les simples dans leur trai-
tement), les vilciis, et les machin, médecins superstitieux.
Tous les arts, du reste, et toutes les industries sont très-
peu avancés parmi eux. «
On ne s'en douterait guère en vérité après ce qu'on vient
de lire! Kous nous sommes, en effet, laissé aller au plaisir de
citer; mais force nous est de prévenir bien vite nos lecteurs
que les géographes espagnols, et ceux qui s'avisent encore
aujourd'hui de les copier imperturbablement, ne nous don-
nent là qu'un roman , ou du moins que les rares voyageurs
qui de nos jours ont pénétré dans le pays des Araucans s'ac-
cordent à rejeter dans le domaine des fables fous les détails
(lu'on vient de lire sur la législation et la constitution politi-
que des Araucans. L'allemand Pœppig, le dernier qui lésait
visités, déclare que, loin d'avoir des orateurs et des poètes, ils
uontpas môme encore essayé de se faire une langue écrite.
Ce qui est incontestable, c'est que les Araucans, peuple
remarquable par sa bravoure et son amour pour la liberté,
ne purent jamais être soiunis par les Espagnols, et jouissent
encore aujourd'hui de leur ccnplète indépendance; que les
uns, et c'est le plus grand uoiubre, sont nomades; que les
autres habitent des villages- bâtis sur les bords des nombreux
cours d'eau qui arrosent leur pays, et qu'ils forment une
espèce do confédération présidée par un conseil de sages et
d'anciens désignés par élection. C'est une race énergique et
vigoureuse, de taille moyenne, à la peau cuivrée, au visage
plat, et d'une expression sombre et défiante. Tandis que dès
leur plus tendre enfance les hommes s'exercent à monter à
cheval, à manierde longues lances et à lancer au loin le lasso,
longue courroie, et les bolas, boules de fer attachées à ses
extrémités, avec lesquels ils enlacent à de grandes distances
le taureau ou le cheval sauvage qui fuit, les femmes , cons-
tamment retenues en esclavage , sont condamnées à tous
les travaux pénibles du ménage. — Ercilla a composé
un poème épique sous le titre d' Araucaria.
ARAXE CApa^ri;) , en zend Neorokesche , aujourd'hui
Aras, fleuve qui prend sa source dans le mont Abus, lequel
forme au sud-ouest la liinite de l'Arménie. Il parcourt les cam-
pagnes situées au pied de cette montagne, d'abord vers l'est,
ensuite depuis le mont Ararat jusqu'à sa .sortie d'Armé-
nie, vers le sud-est; reçoit à droite et à gauche plusieurs
rivières; puis, sortant de ce pays de montagnes, non loin
de la ville d'Astérabath, se précipite, avec un bruit qui s'en-
tend de quatre kilomètres,dansle pays plat ( fleStov 'ApaÇrivo-;,
Campus Araxeniis); de là se replie vers le nord-est, et
forme la limite septentrionale de l'Aderbidjan (Atropa-
tènc). D'une extrême rapidité en Arménie, il coule tran-
quille et lent dans les plaines que nous venons de nommer,
et, après avoir encore reçu plusieurs affluents, se mêle, près
de la ville de Djavat, à un fleuve non moins fort, au Kur
on Cyrus; delà, et après un cours de 60 kilomètres environ,
il se jette par deux embouchures dans la mer Caspienne.
Ce fleuve, que dans ces derniers temps Mac-Kinneird
a trouvé si faible dans le territoire de Dscbulpa , sur la
droite du mont Ararat, et qui ne doit pas être très-profond
près d'Erzeroum , est tellement enflé à certaines époques
par les neiges des montagnes voisines, qu'il a toujours
renversé les ponts qu'on a voulu lui imposer : témoin celui
de Dscbulpa (Julfa) , construit par Abbas le Grand, dont on
voit encore les ruines, et ceux de Xerxès, Alexandre, Lu-
cullus, Pompée, Mithridate, Antoine et Auguste.
La fertilité qu'il donne au pays dédommage de l'aspect
monotone de ses rives, presque partout, et à une grande
distance, nues et sans arbres.
ARBA.CE. Voyez .\rbacides.
AKIiACIDES, dynastie qui a donné des rois à la Médie,
et qui descend du préfet Arbace, l'un des conjurés qui détrô-
nèrent Sardanapale. Arbace prit Ninive, affranchit les Mèdes
de la domination des Assyriens, et s'en fit proclamer roi,
S86 ansavantJ.-C.;il régna vingt-huit ans. Mais il est difficile
de dire quels furent ses véritables successeurs. Diodore, co-
piste de Ctésias, compte neuf rois après Arbace : Mandaucès,
son fils ; Sosarmus ou .Medidus, Artycas ou Cardiccas, Arbia-
nes, qui fit la guerre aux Cadusiens; Artœus, qui fut battu
pareux;Artynes, Artibarnas, quiguerroya contre les Saces et
leur reine Zanare; Astibares et Aspandas ou Astyages. Il est
à peu près certain que tous ces rois sont tirés de la seule ima-
gination de Ctésias, quia été copié plus tard par Eusèbe et
Syncelle, lesquels se bornent toutefois aux quatre premiers
en comptant Arbace. Hérodote ne parle ni de lui ni de sa
postérité, et ne commence l'histoire des Mèdes qu'à Déjocès.
ARBALETE ( en latin arcubalista, fait d'arciw, arc,
et de balista, dérivé du verbe grec pa).),to , je lance) , arme
composée d'un arc d'acier monté sur un fût en bois, et qui
servait à tirer des balles et de gros traits. Pour se former
une idée de l'arbalète perfectionnée, il faut se représenter
un bois de fusil de munition dépourvu de son canon, por-
tant au bout et en travers un arc de bois ou d'acier; la
corde de cet arc étant amenée vers la crosse, s'arrêtait dans
le cran d'une, pièce qu'on appelait la noix ; on posait la
(lèche dans le canal qui, dans n jtre supposition , est occupé
par le canon du fusil, et, en pressant une détente, la noix
tournait sur elle-même , la corde se décrochait et poussait
ARBALÈTE
la flèche avec une vitesse proportionnelle ;\ la force de l'arc.
11 y avait de ces machines dont on bandait l'arc au moyen
de poulies ou de roues d'engrenage que l'on faisait tourner
avec une manivelle. Les arbalètes avaient des points de mire.
L'invention de l'arbalète est attribuée aux Phéniciens.
La première fois qu'il en est question dans les guerres de
France, c'est sous Louis le Gros; le second concile de La-
tran, tenu sous son fds et son successeur, Louis le Jeune,
proscrivit, sous peine d'anathème, cette invention meur-
trière ; mais bientôt l'usaiie en fut rétabli , d'abord en An-
gleterre par Richard Cœur de Lion , puis en France par
Philippe-.\uguste, dans les armées duquel les arbalétriers
rendirent de grands services, notamment à la bataille de
Bouvines, livrée en 1214. Les gendarmes arbalétriers ont
été anciennement ce que sont devenus depuis les cficvmi-
légers; ils ont eu un grand maître : Matthieu dcBeaume
l'était sous saint Louis , et le dernier qui ait été investi de
cette qualité est Aymard de Prie, mort en 1534. La suppres-
sion de cette milice ne date pas néanmoins de cette époque,
car on la retrouve en grande activité sous le règne de
François \", où ce prince avait, parmi ses gardes , à la ba-
taille de Marignan, une compagnie de deux cents arbalétriers,
qui fit, dit-on, merveille. Brantôme parle dans ses Mé-
moires de la journée de la Bicoque, en 1522, où il y avait
dans l'armée un seul arbalétrier, « mais si adroit que Jean
de Cardonne, capitaine espagnol, ayant ouvert la visière de
son armet pour respirer, l'arbalétrier tira sa flèche avec
tant de justesse qu'il lui donna dans le visage, et le tua. »
ARBALÈTE (Compagnies de l'), DE L'ARC, ou DE
L'ARQUEBUSE. .\prèsle licenciement des archers par
Louis XI, on retrouve encore dans les villes de France des
citoyens s'exerçant au tir de Tare, de l'arbalète ou de l'ar-
quebuse , et faisant un service communal.
Leur organisation, leurs réunions, leur chef, nommé
roi du papegay , parce qu'il ne prenait ce titre qu'après
avoir abattu l'oiseau ou perroquet servant de cible , ont été
souvent tournés en dérision. On les a assimilés en grande par-
tie aux princes des fous, aux rois de la Basoche, aux princes
de la Sotie, etc., à toutes les mascarades burlesques du
moyen âge. Cest une grave injustice; car cette institution
a rendu de grands services.
Ces compagnies de l'arc, de l'arbalète, et plus tard de l'ar-
quebuse, véritables milices bourgeoises, troupes d'élite qui
avaient fait leurs preuves en mainte circonstance, étaient au
besoin mobilisées et combattaient alors à côté de l'armée ac-
tive. C'est ainsi que les compagnies de Picardie prirent part,
sous le règne de Louis XFV, aux sièges de Saint-Omer,d'Arras
et de Dunkerque. Déjà les chevaliers de l'arbalète et de
l'arquebuse avaient aidé Bayard à défendre Mézières contre
Cliarles- Quint. Ceux de Montdidier se joignirent aux
hommes d'armes de la Trémouille pour battre les Anglais
en 1523, ravitaillèrent Corbie en 1591, et repoussèrent les Es-
pagnols commandés par le grand Condé en 1653. Après le
désastre de Saint-Quentin, ce fut avec le secours des arba-
létriers de Crépy que Coligny défendit la place assiégée.
Enfin, dans un compte-rendu, publié en 1667 par Pierre
Drouart , colonel de l'arquebuse parisienne , on trouve que
ce corps d'élite prit une part active à la guerre de la
Fronde et au combat de la porte Saint-Antoine à Paris.
Les meilleurs chevaliers de France tenaient à honneur d'ap-
partenir à quelque compagnie d'arbalétriers : Du Guesclin
était enrôlé dans celle de Rennes, et il fut même roi du pa-
pegay pour avoir remporté le prix au concours de cette
ville. Ce fut principalement sous François I" et Henri II
que les compagnies de l'arquebuse se multiplièrent ; elles tra-
versèrent la période des guerres de religion, des guerres de
la Fronde : et la plupart virent leurs privilèges confirmés,
étendus et renouvelés par Henri IV, Louis XIII et Louis XIV.
Les chevaliers de l'arquebuse <!e Paris, outre les faveurs
signalées ci-dessus, jouiient de la faculté de faire entrer sans
— ARBÈLES 739
droits et de vendre dans la ville trois mille muids de vin.
L'exemption pour ceux de Rennes fut de vingt tonneaux, do
quinze pour ceux de Quimper, de quarante pour ceux de
Saint-Malo, etc.
II y avait peut-être alors autant de compagnies de l'arque
buse qu'il existe aujourd'hui de bataillons de la garde na
tionale. Le gouvernement de la Bretagne en comptait trente
trois; rile-dc-France, la Brie et la Champagne cinquante-
quatre. Les concours excitaient une vive émiUation, non-
seulement entre les chevaliers , mais entre les compagnies.
Chacune avait un emblème , un surnom qu'elle cherchait à
illustrer, et qui , remontant à une haute antiquité, devenait
souvent inintelligible ou ridicule. Cambray avait ses friands,
la Ferté-sous-Jouarre ses poupées, Étampes ses écrevisses,
Meulan ses hiboux, Paris ses badauds, etc. Ces réunions
étaient fort brillantes. C'est pour consacrer la mémoire d'une
d'elles , célébrée à Troyes et à laquelle Louis XIII assista ,
qu'on édifia les vitraux qu'on y voit encore représentant ce
monarque en costume de chevalier de l'arquebuse , tirant le
papegay. Piron ridiculisa si bien une de ces fêtes , celle de
Beaune, qu'il faillit être tué par les chevaliers, exaspérés de
ses épigrarames. Les uniformes de ces compagnies étaient
aussi riches qu'élégants.
Un décret de l'Assemblée constituante, du 12 juin 1790,
réunit les compagnies de l'arquebuse à la garde nationale. Na-
poléon chargea Junotde les ressusciter; mais les désaslres
de l'empire arrêtèrent ce projet. Les compagnies de l'arque-
buse ont pourtant survécu aux catastrophes impériales -et
aux chutes royales. Celle de Compiègne a (ait reconstruire
ses cibles, celle de Château-Thierry a toujours le houx pour
emblème. Le cercle des carabiniers de Paris, qui descend en
ligne directe de sa compagnie de l'arquebuse, a été digne-
ment reiirésenté par plusieurs de ses membres au grand
tfr fédéral helvétique de Bâie en 1844. Les chasseurs du
Tyrol , l'association des carabiniers suisses sont des pé-
pinières d'excellents tireurs. Voyez Tir.
ARBALÉTRIERS. Voyez Aubalète.
ARBAA^ ( Francisque), artificier de Lyon, fit en 1833
une ascension téméraire dans une montgolfière en papier
qu'il chauffait avec de la paille et des copeaux arrosés
d'essence de téiébenlhine. En 1841, il aida Comasclii dans
ses ascensions à Lyon, et le suivit à Turin et à Naples. Il
monta ensuite seul en ballon à Rome, Florence et Milan.
En 1849, il alla de Nîmes à Privas en deux heures. Le 2 sep-
tembre, il partit de Marseille à six heures et demie du soir,
traversa les Alpes et descendit à deux heures trois quarts du
matin aux environs de Turin. Arban ne rêva plus dès lors
que longs voyages à travers l'espace. Le 7 octobre il partit
de Barcelone, à cinq heures du soir, et depuis on n'a plus eu
de nouvelles de lui. Il laissait une femme et deux enf;mts.
M'"" Arban a fait aussi des ascensions aérostatiques. L.L.
ARBÈLES, aujourd'hui Erbil, dans le Kourdistan,
ville d'Assyrie, située près du Lycus, à l'est de Ninive, célè-
bre par la victoire qu'Alexandre remporta sur Darius aux
environs, dans la plaine de Gaugamèles.
Après la bataille d'Issus, Alexandre le Grand, au
lieu d'attaquer Darius au centre de ses États, s'appliqua
d'abord à s'assurer les fruits de cette première victoire et à
consolider sa position. Il se rendit maitre de Tjt et de l'É-
gj-pte , afin de ne laisser aucun ennemi derrière lui et de
n'avoir rien à craindre pour ses communications et sa re-
traite en cas de revers. Au printemps de l'année 331 il se
mit en marche pour entrer en Perse, où Darius s'était retiré
et l'attendait. Alexandre arriva sans obstacle au mois de
juin à Thapsacus, où il passa l'Euphrate. Les troupes persanes
chargées de défendre le fleuve s'enfuirent à son approche.
De là il remonta l'Euphrate, puis se dirigea vers le Tigre;
mais la défense du Tigre avait pareillement été abandonnée :
Alexandre passa ce fleuve, et suivit son cours, laissant les
montagnes de la Sogdiane à gauche. Enfin il apprit que Da-
93.
7-10
ARBELES
rius était campé près du Gaiigamela , sur le ficuve Buma-
dus, non loin de la ville d'Arbèies.
L'armée persane venait d'être renforcée par les troupes
des provinces orientales, qu'avait amenées Dessus. Arrien
en élève le nombre à un million d'hommes de pied, quarante
mille chevaux, deux cents chariots à faux et quinze élé-
phants. Quinte-Curce le porte à six cent mille hommes d'in-
fanterie et cent quarante-cinq mille chevaux. Ces nombres
sont sans doute exagérés ; mais, quoi qu'il en soit , l'armée
persane était beaucoup plus nombreuse que celle des Macé-
doniens. Alexandre, n'étant plus éloigné de l'ennemi que
d'environ trois lieues, crut devoir donner encore quatre
jours de repos à son armée. Il fit fortifier un camp, afin d'y
laisser les bagages et lc.~ malades, et de ne joindre l'ennemi
qu'avec les combattants. La nuit du quatrième jour, il se
mit en marche avec les troupes qui devaient coinballre, et
au point du jour il aperçut Tiramense armée du roi des
Perses. 11 fit halte où il se trouvait, et, d'après l'avis de Pai--
ménion , la journée fut employée h reconnaiti'e le terrain et
la position de l'enneaji. Darius, de son côté, rangea son
armée en bataille, eJ la tint sous les armes toute la journée
et la nuit suivante; ce qui fat'gua beaucoup les troupes et
ralentit leur ardeur.
L'ordre de bataille d'.\lexandie est un chef-d'œuvre de
tactique et le plus sur modèle à suivre pour assurer la vic-
toire à un petit nombre sur un grand. L'armée macédo-
nienne était forte d'un peu plus de cinqu.aiile raille hommes
d'infanterie et de sept mille chevaux. Loin de pouvoir di-
minuer la profondeur de l'ordre de bataille en usage chez
les Grecs, et qui plaçait l'infanterie sur seize, Alexandre
était plutôt dans la nécessité de l'augmenter, afin de [;ou-
voir résister au choc des masses de cent hommes de pro-
fondeur qu'il avait devant lui. Il ne pouvait donc pas évi-
ter d'être débordé par l'ennemi. Il chercha du moins à ne
l'ôlre que par une aile, en dirigeant son attaque en ordre
oblique sur une des ailes de l'ennemi, et ce fut l'aile gauche
qu'il choisit, parce que la droite des Perses était appuyée à
une rivière. Alexanih-e prit en personne le commandement
de la droite, et donna celui de la gauche à Parménion, le
plus expérimenté de ses généraux. S'étant avancé en ordre
de bataille à quelque distance , il s'aperçut que sa droite
était encore presqu'en face du centre de l'armée ennemie.
Ne voulant pas heurter de front ces troupes d'élite, il lit
faire un mouvement de flanc à droite à son armée, afin de
gagner l'aile gauche ennemie. Darius alors ordonna à la ca-
valerie Scythe, qui était à la gauche, de charger la droite de
la colonne d'Alexandre, afin de l'empêcher de se prolonger.
Alexandre lui opposa Ménidas avec la cavalerie grecque
auxiliaire.
Le combat s'engagea vivement, et les Bactriens étant
venus au secours des Scythes , Alexandre fut obligé d'en-
gager la cavalerie péonienne. En même temps , les Perses
lâchèrent leurs chariots à faux ; mais l'infanterie légère des
Argiens suffit pour les disperser et les mettre hors de com-
bat. Dans ce moment Darius fit faire un mouvement en
avant à la ligne d'infanterie, pour attaquer les Macédoniens
et arrêter ainsi leur mouvement de flanc. La cavalerie per-
sane qui était en ligne essaya également de gagner la tête
de la colonne d'Alexandre et de la déborder. Mais les Scy-
thes et les Bactriens avaient été battus, et la cavalerie grec-
que et péonienne d'Alexandre culbuta également les Per-
ses. Ces divers mouvements avaient jeté quelque désordre
dans l'infanterie de la gauche des Perses et y avaient ouvert
des lacunes. Alexandre en profita. Ayant fait former rapi-
dement en colonne deux mille chevaux macédoniens qui
n'avaient pas encore donné, et se faisant suivre par les sec-
tions de <lroite de la i)halange (•gaiement en colonne, il se
porta par un à-gauchc sur la ligue ennemie, qui était cn-
ir'ouverte et flottante et l'enfonça. Se rabattant ensuite , il
refoula toute la gauche des Perses sur le centre. Tout fut
.\UB1TRAGE
rcnvers • et mis en fuite. Darius lui-même perdit la fête, et
quitta le champ de bataille en hâte.
Mais la bataille n'était qu'à moitié gagnée ; l'aile droite
des Perses non-seulement n'avait rien souffert , mais elle
était dans une situation avantageuse. Les Grecs auxiliaires
de la gauche des Maéédoniens, vivement pressés par la ca-
valerie arménienne , résistaient à peine. Parménion, ayant
besoin de la cavalerie thessalienne pour appuyer la pha-
lange, menacée de front par les masses de la droite ennemie,
ne pouvait soutenir sa cavalerie auxiliaire que par quelques
détachements d'infanterie légère. Le mouvement en avant
des Perses ayant obligé Parménion à cesser de suivre le
mouvement général à droite, pour faire front, Simmias, qui
commandait les sections de la phalange qui suivaient
Alexandre, fut obligé d'en faire autant, et le roi resta à la
poursuite avec sa seule cavalerie et son infanterie légère.
Mais Simmias ne put faire halte assez tôt pour qu'il ne restât
pas de lacunes entre les sections de droite et de gauche.
Les troupes persanes, refoulées sur leur centre par Alexan-
dre et tournées par la cavalerie péonienne, se jetèrent sur
ces lacunes, percèrent la ligne, et parvinrent jusqu'aux ba-
gages, qu'elles pillèrent, sans songer à autre chose. Parmé-
nion profita en habile homme de cette faute grossière , et ,
ayant fait faire demi-tour à sa seconde ligne, il dispersa les
pillards et les força à évacuer le champ de bataille. Pendant
ce temps, le désordre de la gauche et du centre des Perses
commençait à ébranler leur droite. Parménion , saisissant
ce moment d'incertitude et d'indécision, détacha une partie
de ses Thessaliens au secours de la cavalerie grecque. La
cavalerie arménienne fut battue, et la déroute se mit dans
le reste des troupes persanes. Cependant Alexandre, que
Parménion avait fait avertir du danger qu'il courait , était
revenu en hâte sur le champ de bataille avec la cavalerie
macédonienne. A jjeu de distance de la ligne de Parménion,
il rencontra toute la masse des fuyards de l'armée persane,
qui, se voyant barrer le chemin, se jetèrent, avec la fureur
du désespoir, sur ses escadrons. Alexandre fut un moment
en grand danger, et ne s'en tira qu'en laissant le passage à
cette tourbe confuse ; il se remit ensuite à leur poursuite, et
arriva au Lycus à la nuit. Le lendemain il entra dans Ar-
boles, où il prit les trésors et les bagages de Darius. Le roi
de Perse s'était enfui sans s'arrêter, se dirigeant vers la Mé-
die. La journée d'Arbèies assura à Alexandre la possession
de la Perse. G^' G. de VAiDONCotRi.
ARBITRAGE, juridiction privée que la loi ou les
conventions des parties attribuent à de simples particuliers
pour juger un diiférend. Avant 1856, il y avait en effet en
France deux sortes d'arbitrages : Wirbitraije volontaire
en matière civile ou de commerce, etVarbitruge forcé,
dans le cas de contestation entre associés commerciaux.
L'acte par lequel on convient de faire juger une contes-
talion par des arbitres s'appelle compromis comme la con-
vention elle-même. 11 doit être fait par acte notarié , ou
sous seing privé, ou par le procès-verbal même des arbi-
tres choisis. Il doit énoncer l'objet en litige et le nom des
arbitres, à peine de nullité. Pour consentir un arbitrage,
il faut être capable de disposer du droit dont il s'agit dans
la contestation à juger. Ainsi, les tuteurs, les adminis-
trateurs de biens d'autrui, les mineurs, les interdits, les
femmes mariées non autorisi-es de leur époux n'en auraient
pas le pouvoir. Cependant elles peuvent compromettre dans
les limites exceptionnelles où elles peuvent aliéner. Le pro-
digue assisté d'un conseil judiciaire peut également compro-
mettre sur les droits qu'il a pouvoir d'aliéner sans l'assis-
tance de son conseil. 11 est en outre des causes qui ne sont
pas susceptibles d'être mises en arbitrage; telles sont celles
(jui sont relatives aux dons et aux legs d'aliments et aux ma-
tières sujettes à communication au ministère public, comme
inttressanl l'ordre public en général.
Quant au choix des arbitres par les parties, il n'est res-
ARBl
trcint par aucune coiulilion; nt^aninoins, comme il s'agit tle
conforer une fonction déjuge, on ne doit pas nommer des
personnes qui seraient incapal)les ou indignes de prononcer
Hn jugement, comme les mineurs, les fenmics, les individus
qui auraient perdu leurs droits civiques ou en seraient privés
pendant un certain temps.
Le compromis prend tin : 1° par ledéci^'s, refus, dc^port
ou empêchement de l'un des arbitres, à moins de conven-
tions contraires ; 2° par l'expiration du délai stipulé, ou de
celui de trois mois s'il n'en a pas été réglé ; :r par le partage
des arbitres, si cesdvMiiiers n'ont pas le pouvoir de s'adjoin-
dre un tiers arbitre; 4° par leur révocation opérée du consen-
tement unanime des parties. Le décès de l'une des parties,
lorsque tous les liéritiers sont majeurs, ne met pas fin au
comiuomis. Toutes les causes de récusation indiquées
dans l'article 378 du Code de Procédure Civile sont admises
pour la récusation des arbitres.
Le tribunal étant constitué, les arbitres ou l'un deux, si le
compromis y autorise , font les actes d'instruction. Ils doi-
vent suivre à cet égard les délais et les formes de la procé-
Jmc ordinaire, mais sans le ministère d'avoués. Cependant
les délais et les formes ordinaires ne trouvent guère à s'api)li-
quer loi-sque aucun i n c id e n t ne vient compliquer la marche
de l'affaire. Les parties qui ne veulent pas comparaître vo-
lontairement sont assignées dans les tonnes et les délais
prescrits pour les ajournements. Elles peuvent se faire dé-
fendre par des avocats ; dans tous les cas elles doivent pro-
duire leurs défenses avec les pièces à l'appui quinze jours
au moins avant l'expiration du délai du compromis; autre-
ment les arbitres jugent sur ce qui a été produit. Ils doivent
prononcer conformément aux règles du droit, à moins que
te compromis ne les en ait dispensés, auquel cas ils prennent
le nom d'amiables compositeurs, et peuvent juger d'après
ce qui leur paraît équitable dans l'espèce qui leur est soumise.
Dans tous les cas , les arbitres doivent prononcer suivant
leurs convictions, sans considération des personnes; ils sont
arbitres de toutes les parties, et non pas seulement de celle
qui a pu les nommer. Leurs sentences doivent être rendues
à la majorité des voix ; le jugement est signé par chacun des
arbitres; s'ils sont divisés d'opinion, ils sont tenus de rédi-
ger leurs avis distincts et motivés, soit dans le même pro-
cès-verbal, soit dans des procès-verbaux séparés. Us nom-
ment ensuite un tiers arbiîre s'ils en ont reçu le pouvoir ;
dans le cas contraire, et s'ils ne s'accordent pas sur le choix,
le tiers arbitre est nommé par le président du tribunal qui
doit rendre la décision arbitrale exécutoire. Le tiers arbitre
réunit les arbitres, confère avec eux; et s'il ne les ramène pas
tous au même sentiment , il prononce seul ; mais il est tenu
d'adopter l'avis émis par l'un d'eux. Dans les trois jours du
jugement, l'un des arbitres est tenu de déposer la minute de
la sentence au greffe du tribunal civil, ou bien, si l'on a jugé en
appel, au greffe de la cour d'appel du ressort, et le président
en ordonne l'exécution par une ordonnance nommée or-
donnance d'exequatur. La nécessité de cette sanction est
absolue, puisque l'exécution des jugements ne peut être exigée
qu'au nom de la puissance publique, et que les arbitres ne
tiennent pas leur mission du souverain pouvoir.
Les jugements arbitraux peuvent être attaqués par voie
d'appel, requête civile, et par demande en nullité. iMalgré
l'apparente contradiction du code, ils ne sont pas susceptibles
d'opposition, parce qu'ils n'ont pas le caractère de jugements
par défaut ; ils ne le sont pas davantage de recours en cas-
sation, parce qu'on ne se pourvoit en cassation que pour vio-
lation delà loi, et que dans ce cas on obtient l'annulation
de la sentence par une simple deuiande en nullité.
L'arbitrage forcé n'existait que dans un seul cas, pour les
contestations élevées entre associés commerçants, huis
liéritiers ou ayants cause , même mineurs. On avait voulu
éviter la publicité des débats pour ces contestations, qui
supposent la plupart du temps des liquidations, des vcriti-
IRAGE
741
cations de livres, et l'examen d'une foule de détails; mais
comme cette justice n'était plus gratuite et qu'elle n'était pas
toujours facile à obtenir, soit par la fjihiessedes arbitres,
soit par la mauvaise volonté de qn.'lqu'unc <ies parties,
on a dû y renoncer lîne loi du 17 juillet 18o6 abrogea les
articles 51 à G3 du Co le de commerce et remit aux tri-
bunaux de commerce la décision des contestations entre
a'^sociés pour rai-on d'une société commerciale. Les règles
•le l'aibilrage forcé étaient à peu près les mômes que celles
de l'arbitrage volontaire, mais elles devaient être plus ri-
goureusement observées; les arbitres étaient nommés par
chaque partie, sinon par le tribunal de commerce. L'associé
eu retard de remettre ses pièces ei mémoires était sommé
(le le faire dans les dix jours ; et à moins que les arbitres
n>> prolongeassent ce délai, ils pouvaient juger sur les simules
puces produites. I/arhitrage ne finissait ni par l'empêche-
ment de l'un des arbitres , car on en clioisis-ait alors un
nouveau, ni par leur partage, car si l'on n'avait pas nommé
à l'avance un tiers arbitre, les arbitres ou à leur défaut le tri-
bunal en désignaient un. Les arbitres devaient prononcer
dans un délai convenu ou déterminé par le juge, sans au-
cune (ormalité. Les sentences étaient rendues exécutoires
par le président du tribunal de commerce, qi:ine pouvait
refuser l'ordonnance d'exequatur, parce que les arbitres
sur contestations entre associés formaient un tribunal légal
sur lequel le tribunal de commerce n'avait point de surveil-
lance à exercer ; on pouvait se pourvoir non -seulement
devant le tribunal supérieur, mais devant la cour de cas-
sation, ce qui constituait la principale diflérence entre l'ar-
iilrage volontaire et l'arbitrage forcé.
Il a été admii que tout arbitre peut recevoir un salaire.
11 y a encore une troisième espèce d'arbitrage. Quand
un tribunal a besoin pour s'éclairer de l'examen do comptes,
de pièces, de registres, il nomme à cet effet un ou trois ar-
bitres qui entendent les parties, cherchent à les concilier, et
s'ils ne peuvent y réussir, font leur rappoit au tribunal qui
décide. 11 est inutile de dire que cet avis ne lie pas les juges.
Ces arbitres peuvent être nommés soit en matière civile, soit
en matière commerciale ; on les appelle arbitres rappor-
teurs.
L'arbitrage, considéré comme juridiction volontaire, re-
monte à la fondation des sociétés, s'il ne les a pas précédées.
A Athènes on distinguait trois sortes d'arbitres : les arbitres
choisis par les parties, qu'ils cherchaient à concilier, sans être
assujettis ni aux règles ni aux formalités du droit ; d'autres
arbitres, également nommés parles parties, mais qui jugeaient
selon certaines formes et suivant les principes du droit ; enfin
des arbitres désignés par le sort. L'arbitrage fut expres-
sément recommandé à Rome par la loi des Douze Tables ;
mais il ne faut pas confondre ces citoyens investis d'une ju-
ridiction libre (parietes) avec ceux qui dans presque tous
les procès décidaient le point de fait après que le magistral
avait éclairci le point de droit, et qui portaient les noms de
judices et d'arbitri; ces derniers, investis de fonctions
pubfiques, étaient de véritables jurés.
La jurisprudence française dans les premiers temps se con-
forma aux lois romaines en matière d'arbitrage. Un édit de
François II, en lôGO, voulut que l'arbitrage fiU forcé pour
certaines affaires, parexemple les différends entre marchands,
en fait de marchandises, les demandes en partage entre pro-
ches parents et les comptes de tutelle et d'administration.
Une célèbre ordonnance de 1673 institua l'arbitrage forcé
pour le jugement des contestations entre associés ; la plupart de
ses dispositions sont passées dans notre Code de Comm jrce.
L'arbitrage n'est pas seulement usité en matière de droit
privé , il l'est aussi en matière de droit public et de droit
international. Nous en citerons quebiues exemples fameux.
Saint Louis fut pris pour arbitre entre le roi d'Angleterre
Henri m et les barons révoltés; Phifippe le Bel et Kdouani V
s'en remirent à l'arbitrage du pape BonifaccVUI. Jean Des-
ARBITRAGE - ARBOGASTE
742
m are ts fut pris pour arbitre dans le différend qui s'était
élevé après la mort de Charles V pour la formation d'un
conseil de régence entre les ducs d'Anjou, de Bourbon et de
Berry. L»; couturés de Paris, en 1856, a émis le vœu qu'avant
de recourir aux armes les puissances aient recours à l'ar-
Lilrage de puissances amies.
En termes de commerce et de banque , Yarbitrage est
une opération de calcul fondée sur la coûnaissance de
la valeur des fonds , du prix des marchandises et du cours
du change dans diverses places, à l'aide de laquelle un
négociant ou un banquier fait passer des fonds , fait des
achats ou des remises, dans celle de ces places où il trouve
le plus de bénéfice.
ARBITRAIRE. On appelle ainsi en général tout ce
qui dépend de l'estimation des hommes, ce qui n'a point de
règle naturelle, tout ce qui n'est point fixé par le droit ni par
la loi, ou ce qui est laissé à la volonté des juges. La plupart
des noms donnés aux choses sont des signes arbitraires. Ce
qui n'est point réglé par l'Église en matière de foi est arbi-
traire, c'est-à-dire laissé au choix de chacun. Dans cer-
tains cas , dans certains pays , les peines sont arbitraires ,
c'est-à-dire laissées à la discrétion du juge. En Angleterre les
amen des sont souvent arbitraires. M. Pages ( de l'Ariège )
définit le pouvoir arbitraire celui « qui n'a pour origine
et pour limites que la volonté de celui qui l'usurpe ». C'est
une autorité qui n'a d'autre règle que la volonté , le ca-
price du prince et de ses agents. Ordinairement on oppose
le mot arbitraire au mot légal, et on qualifie d'arbitraires
tous les actes de gouvernement où la volonté des personnes
remiilace celle de la loi. « On donne le titre spécial (T ar-
bitraire, dit M. Pages, à cette oppression odieuse et su-
balterne qui, confiée à des agents stipendies de l'autorité,
n'atteint que des individus isoles. « Le despotisme et la ty-
rannie ont été remplacés, chez la plupart des peuples civi-
lisés modernes, par l'arbitraire. L'arbitraire existe surtout
quand la loi est obscure et se prête à différentes interpréta-
tions.
ARBITRE , ARBITRE RAPPORTEUR. Voyez Arbi-
trage.
ARBITRE ( Libre ). On appelle ainsi cette faculté par
laquelle notre âme est libre de faire une chose ou de ne pas
la faire , de faire une chose ou d'en faire une autre : c'est
une faculté de la raison et de l'entendement, la raison étant
considérée en ce cas comme un arbitre, comme un juge
qui examine, consulte, délibère, décide enfin ce qu'il con-
vient de choisir. Le libre arbitre est opposé à l'inflexible f a-
t a 1 i t é des anciens. La volonté est au libre arbitre ce que
le poids est à la balance. En effet , une liberté d'agir qui ne
serait point soumise à la volonté serait non-seulement un
non-sens , une absurdité, mais elle exclurait encore toute
idée morale. La liberté n'est qu'une puissance d'exécution.
Se demander si la volonté elle-même est libre serait, en
d'autres termes, se demander si la liberté précède la volonté,
c'est-à-dire si l'effet préexiste à .sa cause. Voyez Liberté et
Volonté.
ARBOGASTE, Gaulois aquitain, était entré de bonne
heure au service des Romains, et l'empereur Gratien
( 375-383 ) eut en lui un de ses meilleurs généraux contre les
Germains sur le Rhin et sur le Danube. Ce prince ayant péri
à Lyon, victime de la révolte de Maxime, Yalentinien II fut
maître de l'Occident, comme Théoclose l'était de l'Orient.
Arbogaste n'avait jamais reconnu Maxime. Théodose, se
croyant sur de sa fidélité et de son courage, le laissa auprès
de Yalentinien ; sous ce prince, il combattit ses propres
compatriotes, puis les chefs francs Sunnon et Marcomir,
passa le Rhin, et ravagea les terres des Chamaves et des
Bructères. C'est ainsi qu'il s'éleva sous Yalentinien de degié
en degré; son courage et l'inlluence qu'il exerçait dans les
Gaules firent de lui le soutien du trône d'Occident. L'ar-
mée, qu'il commandait avec le titre de maître de la milite
( magister viilitum ) , était à lui plus qu'à l'empereur. En
Gaule, grâce à son armée, il était souverain de fait, tandis
que Yalentinien l'était à peine de nom. Il disposait de toutes
les dignités et de toutes les places en faveur de ses créa-
tures; aussi l'empereur, lorsqu'il vint dans ces provinces,
essaya-t-il trop tard de se débarrasser de cet homme si puis-
sant, qui pour cette raison môme lui était odieux. A Yienne,
il lui donna du haut du trône sa destitution par écrit. Ar-
bogaste déchira cet acte, et déclara que, n'ayant pas reçu
son autorité de l'empereur, il ne la perdrait point par lui.
Quelques jours après, le 15 mai 392, Yalentinien était
mort; on le trouva étranglé dans sa chambre. Selon Zozime,
Arbogaste le tua lui-même dans une revue. Le malheureux
prince venait d'appeler à son secours Théodose, son beau-
frère. Arbogaste et son parti répandirent le bruit qu'U s'était
pendu de désespoir; et, pour mieux écarter tout soupçon, le
maître de la miUce dédaigna le trône, afin de régner d'au-
tant plus sûrement sous le nom du grammairien Eugène,
alors sei retaire et maître des offices {magister o/Jiciorum),
auquel il donna la couronne.
Eugène envoya aussitôt une ambassade à Théodose, pour
annoncer et déplorer la mort de Yalentinien, et pour de-
mander en même temps d'être reconnu comme empereur
d'Occident. Les ambassadeurs ne parlèrent point d'Arbo-
gaste; mais l'empereur l'accusa hautement d'être le meur-
trier de son beau-frère. Néanmoins, quel que fût son res-
sentiment, quelles que fussent les instances de Galla, sa
femme, pour l'exciter à venger un forfait aussi exécrable,
il calcula les difficultés de l'entreprise, renvoya les ambassa-
deurs avec des présents, mais sans réponse définitive, et con-
sacra deux années à ses préparatifs de guerre contre Eugène
et Arbogaste. Renforcé par des Ibériens, des Huns, des
Alains et des Goths, Théodose conduisit ses légions vers
l'Occident par la Pannonie. Arbogaste vit bien qu'il s'agis-
sait d'une lutte décisive, et que sa destinée était liée à celle
de l'empereur sa créature. Il venait de conclure un traité
d'amitié et d'alliance avec les princes germains, qui, de
concert avec les Francs, lui fournirent une armée considé-
rable, tandis qu'Eugène en personne se mettait à la tête des
légions de Yalentinien, et que Flavien, général de la garde
sous ce dernier, prenait le commandement d'une armée lervée
en Italie. Arbogaste alors mena toute l'armée d'Eugène jus-
qu'au pied des Alpes Juliennes, au nord d'Aquilée, sur les
bords du fleuve l'rigidus ( ^Yippach ) ; il fit occuper et for-
tifier par Flavien les passages des Alpes, et laissa l'empereur
derrière lui sur les montagnes avec, les légions. Arbogaste était
l'Ame de l'armée; il laissa au grammairien couronné la tâche
d'encourager les troupes par sa faconde. C'est dans ces dis-
positions que Théodose rencontra l'ennemi au moment où
il voulut descendre en Italie. Les passages des Alpes furent
en un clin d'œil enlevés à Flavien ; ses troupes étrangères
descendirent dans la plaine; quant à luP, il resta d'abord,
comme Eugène, dans les montagnes, avec le noyau de l'ar-
mée. Des peuples et des chefs qui ne s'étaient jamais vus se
trouvèrent en présence. Stilicon, avec des troupes qui jus-
qu'alors avaient protégé les frontières. Gainas et Alaric avec
les Goths, Bacurius avec les Ibériens, s'avancèrent au com-
bat. L'enseigne sainte de la croix guidait les bandes de Théo-
dose; les images d'Hercule et de Jupiter conduisaient l'ar-
mée d'Eugène. L'action commença ; mais les Goths et les
Ibériens ne purent faire reculer Arbogaste , et vers le soir
IJacurius resta mort avec dix mille hommes sur ce sanglant
champ de bataille. Tliéodose passa sur ces montagnes une
nuit pleine d'inquiétudes ; Eugène, de son côté, poussait des
cris de joie, tandis que, pour couper la retraite à l'ennemi,
Arbogaste faisait occuper de nouveau les défilés des Alpes.
Timasius et Stilicon étaient d'avis de battre en retraite.
Théodose, encouragé par une vision, résolut de livrer une
seconde bataille. 11 s'élança en personne à la tête de l'armée.
Arbogaste avait presque forcé l'aile gauche à reculer, et il écra-
ARKOGASTE — ARBRE
sait tout ce qui se trouvait devant lui, lorsque tout A coup un
orage eiïroyable, descemlu du liaut des Alpes, éclata droit
sur lui, arracha à ses soldats leurs boucliers et leurs armes
ou les empêcha de s'en servir, et poussa à leur visage un
épais nuage de neige et de poussière. Il sembla donc que les
puissances du ciel s'étaient elles-nu^mes déclarées contre
Arbogaste et contre son empereur; ses troupes perdirent
courage ; celles de Tliéodose s'enflammèrent d'une nouvelle
ardeur; Eugène et Arbogaste furent battus complètement.
Le premier, fait prisonnier, demanda grice à genoux ; mais
il fut livré au supplice, et Arbogaste se sauva dans les mon-
tagnes. Il erra deux jours de côté et d'autre ; mais, poursuivi
de toutes parts et n'ayant plus d'espoir de salut, il se donna
la mort en se perçant ilc son épée. A. S vvagner.
ARBORICULTURE. Ce mot, récemment introduit
dans la langue agricole, est composé du mot latin arbor,
arbre, et du mot français c»/^ja'e. L'arboriculture comprend
tout ce qui se rattache h la culture des arbres; c'est une
des grandes divisions de l'agriculture. On donne particuliè-
rement le nom de sylviculture à la culture des arbres fo-
restiers ; arboriculture s'entend surtout du soin des pépi-
nières, des plantations, delà taille et delà greffe des
arbres.
ARBORISATION. On donne ce nom à des dessins
naturels imitant des arbres ou des buissons qu'on observe
dans certains calcaires et surtout dans les agates. On dit
aussi de ces pierres qu'elles sont arborisées, pour désigner
qu'elles présentent des dessins naturels d'arbres. Ces des-
sins sont dus à la cristallisation de molécules de fer ou de
manganèse interposées par infiltration entre les couches des
roches où on les rencontre.
ARBOUSIER ( arbutus ). Les arbousiers on arboises,
encore appelés arbres à fraises ou fj-aisiers en arbres,
sont des arbustes de la famille des éricacées, répandus dans
l'Europe australe , les îles Canaries , l'Amérique boréale , le
Mexique et le Chili. On en cultive une douzaine d'espèces
dans les jardins, à cause de leurs fleurs blanches et rosées,
disposées en grappes terminales paniculées. De toutes ces
espèces, la plus commune en France, celle qui est spéciale-
ment connue sous le nom de fraisier en arbre, dans la
Provence et le Languedoc, estYarbutns unedo de Linné.
Ses fruits, de la grosseur d'une cerise et de la forme d'une
fraise , ont une saveur aigrelette très-agréable.
ARBRE, ARBRISSEAU, ARBUSTE. Dès que l'homme
se livra à l'étude de la botanique , il reconnut immédiate-
ment une différence sensible entre deux catégories de végé-
taux : le nom à'arbre fut donné à ceux qui présentent une
tige ligneuse et persistante, par opposition à celui d'herbes,
que reçurent les plantes dépourvues de tige ou chez les-
quelles elle meurt chaque année. Cette division du règne
végétal, plus apparente que réelle, fut le point de départ
des classifications des anciens botanistes. Tournefort lui-
même la conseiTa; mais à partir de Linné eile ne fut p!i;s
acceptée. Depuis, le nom d'a?-&re a été spécialement ré-
seiTé pour les grands végétaux ligneux , dont la tige, pré-
sentant un tronc, ne se ramifie qu'à une certaine hauteur,
comme dans le marronnier, le palmier, le sycomore, etc.
Au contraire, les arbrisseaux (aubépine, lilas, noise-
tier, etc.) sont ramifiés dès la base. La distinction entre
l'arbre et l'arbrisseau est quelquefois difficile à établir.
Quant à leur taille respective, on voit de ces derniers qui ne
le cèdent en rien aux autres pour la vigueur et l'élévation.
Tout arbiisseau qui n'atteint pas la hauteur d'un mètre re-
çoit le nom d'arbuste (bruyères, lauréolcs, etc. ). Enfin ,
les sous-arbrisseaux (clématite, jasmin, sauge, thym, etc.)
diffèrent des arbrisseaux en ce que, bien que leur tige
soit ligneuse à la base, leurs jeunes rameaux sont herbacés
et meurent chaque année.
On peut partager les diverses espèces d'arbres soumises
à la culti'.rc suivant la nature de leurs produits, en quatre
743
séries principales : 1° les arbres forestiers , qui sont cul-
tivés pour leur bois {voijez Fonf.Ts); 2° \es arbres et ar-
brisseaux fruitiers, dont les fruits servent à l'alimenta-
tion : ils se divisent en arbres à fruits à noyaux cl arbres
à fruits à pépins : on les cultive dans des vergers spé-
ciaux , dans les jardins , dans les champs , les prés et les
vignes {voyez Fruits); 3" les arbres et arbrisseaxix
d'ornement, employés pour la décoration des parcs et des
jardins {voyez Jardins); 4° les arbres économiques, dont
les produits sont utilisés dans diverses branches de l'indus-
trie {voyez Bois, Goudron, Gomme, etc. ). Inutile de dire
que la môme espèce , considérée sous divers rapports , peut
appartenir en même temps à deux ou trois séries différentes.
» Les arbres, dit M. de Mirbel , jouent un grand rôle dans
la nature; ils entretiennent à la surface delà terre l'humi-
dité et la fraîcheur, et tempèrent les chaleurs dévorantes des
étés. Par eux l'homme peut, à son gré, refroidir ou ré-
chauffer l'atmosphère ; mais on ne voit point jusqu'ici qu'il
ait tiré un grand parti de son pouvoir, et le hasard plutôt
que l'usage réfléchi en a prouvé l'étendue. Jadis l'Italie était
beaucoup plus froide qu'elle ne l'est aujourd'hui ; mais alors
la Germanie, couverte de bois, tempérait la chaleur natu-
relle du climat. Au sein des immenses forêts situées sous la
zone torride , on retrouve la température glacée des pays
du nord. A la Guyane la chaleur est excessive dans les lieux
découverts ; mais le voyageur qui pénètre dans les forêts de
l'intérieur des terres est souvent obligé de faire du feu pen-
dant la nuit , pour se mettre à l'abri de la rigueur du froid.
Une multitude d'observations prouvent que les arbres ras-
semblés en grand nombre attirent les nuages et déterminent
la chute des eaux du ciel , et que leurs feuilles frappées
par les rayons du soleil répandent des vapeurs aqueuses
dans l'atmosphère : on sait d'ailleurs que l'humidité se con-
serve sous leur ombrage. — L'homme pourrait donc en
tirer un grand parti , tantôt en resserrant les forêts dans des
bornes plus étroites, tantôt en les étendant, en les multi-
pliant, en les distribuant avec art. Il existe dans l'Amérique
et dans l'Afrique des pays immenses noyés par les pluies,
les brouillards et les eaux des fleuves débordés. Ces terres
basses , couvertes de grands arbres et de lianes épaisses , ne
sont jamais exposées à la chaleur du soleil , et ne peuvent
perdre l'humidité par l'évaporation. Si l'on parvenait à les
découvrir, la chaleur du climat ne tarderait pas à consolider
ces fonds marécageux , et ce serait une conquête pour l'es-
pèce humaine. Il faut ajouter encore qu'en diminuant l'é-
tendue des forêts , les grands fleuves , recevant des pluies
moins abondantes, auraient un cours plus paisible et n'inon-
deraient plus les pays qui les avoisinent , comme il arrive
trop souvent dans ces climats où l'homme , paresseux et
imprévoyant, ignore les ressources de son génie et ne sait ni
combattre ni soumettre la nature. — Dans d'autres circons-
tances il conviendrait de multiplier les arbres pour hu-
mecter un sol aride. Des forêts placées convenablement
pourraient peut-être un jour rendre les sables de l'Afrique
habitables; elles attireraient les nuages, qui verseraient sur
ce sol brûlé une humidité fécondante, et les débris des vé-
gétaux, accumulés par la suite des temps, formeraient un
humus sur lequel de nouvelles plantes pourraient se déve-
lopper; mais pour que l'homme se rendit ainsi maître de
la terre il faudrait un concours de force et d'industiie dont
les nations les plus policées sont à peine capables. »
On a déjà pu apprécier, au sujet de l'air , la relation qui
lie intimement la vie du végétal à celle de l'animal : dans
l'écliange de principes qui entretient l'équilibre de la consti-
tution (le notre atrnosphèie , ce sont les arbres qui jouent le
premier rùle parmi les vi'gétaux. Leurs débris entassés suc-
cessivement jiendant une longue suite de siècles ont insen-
siblement préparé la terre que nous cultivons, cet humus,
base de la fécondité des récoltes. L'arbre ne tire pas seule-
ment ses sucs nourriciers du sol; ses feuilles, douées d'une
744
ARBRE
respiration aérienne, concourent puissamment à sa nutri-
tion ; il en résulte que lorsqu'il meurt , si on le laisse pourrir
sur place, il rend à la terre plus de substance qu'elle ne lui
en a fourni. Ainsi , l'arbre couvre d'abord de son ombre
l'homme et les animaux; il leur donne ses fruits abondants
et suavi'S; pendant Tautonme ses feuilles tombent sur la
terre, et y deviennent une nouvelle source de fécondité; enfin
l'homme trouve dans le bois une matière dont l'usage varie
à l'infini.
La consommation des bois se multiplie tellement en
France, soit comme combustible, soit dans l't bénisterie , les
constructions civiles et navales, etc., que, rien qu'au point
de vue de la spéculation , un proprittaire intelligent trouvera
toujours avantage à ne pas négliger la culture des arbres.
C'est surtout dans les pays montagneux qu'il faut conserver
ce boisement, dont tous les hommes compétents s'accordent
à reconnaître la nécessité. L'heureuse influence qu'exercent
les racines des arbres, en retenant la terre végétale dans les
lieux inclinés ou exposés aux inondations, n'est pas le
moindre avantage de cette culture. Dans les Landes, près
de la mer, ils servent encore à fixer les terres et à arrêter les
empiétements de l'élément humide sur le domaine de
l'homme. Déjà Columelle disait : Sequifur arborum cura,
qitœ pars rci riistiCcT vel maxima est. Cependant M. de
Gasparin remarque qu'il faut tenir compte de la nature du
sol et surtout du climat. 11 constate qu'eu remontant vers le
pôle , les arbres prennent une place de moins en moins im-
portante. « Cette progression décroissante des arbres du
midi au nord , ajoute-t-il, n'est pas seulement indiquée par
le succès toujours plus assuré des plantes herbacées ou an-
nuelles ; on peut dire aussi que les fraits des arbres diminuent
en valeur et en importance dans la même mesure. Ainsi les
populations des régions équinoxiales peuvent trouver dans
ceux de l'arbre à pain , des palmiers , des bananiers , dans
l'ananas, le cacaotier, le poivrier, tous les éléments d'un ré-
gimeagréable ; au nord de cette région, jusqu'au point où l'eau
se congèle en hiver, les arbres de la famille des aurantia-
cées, le caroubier, les opuntiacées, se présentent à leur tour ;
en faisant un pasdeplus, on trouve encore l'olivier et le figuier;
la vigne, l'amandier, puis le châtaignier marquent de nouveaux
degrés d'avancement vers le nord; enfin on ne trouve plus
que le poirier, le pommier, et le cerisier, perdant pro-
gressivement leur faculté de mûrir complètement jusqu'à ce
qu'ils deviennent inutiles à l'alimentation par l'àpreté de leur
fruit et leur petitesse. 11 en est de même pour les autres em-
p'ois que l'on peut faire des végétaux : dans les pays chauds,
c'est le cotonnier frutescent, le /?/ior?)UM7n tenax, le mûrier
à papier, qui fournissent les matières textiles; plus au nord,
le mûrier ne donne plus que des feuilles propres à nourrir les
vers à soie, et il en donne une quantité de moins en moins
grande en s'elevant vers le pOie; les bois de teinture ne
croissent que dans les régions les plus chaudes. »
Mais si l'arbre fruitier joue un rôle moins actif dans les
régions tempérées, il n'en est pas de même de l'arbre com-
bustible, qui s'y plait autant et plus peut-être que dans les
régions trop chaudes. Qui n'a lu ces magnifiques descriptions
des forêts du Nord, où l'homme peut à peine pénétrer.? Si
nous suivons attentivement la distribution des arbres fores-
tiers dans les plaines et sur les plateaux peu élevés de l'Eu-
rope , nous reconnaissons quatre régions bien distinctes. La
plus méridionale est caractérisée par l'existence d'un grand
nombre d'arbres à feuillage toujours vert, tels que le laurier,
le nopal, le pin d'Alep, le genêt d'Espagne, etc.; elle est
limitée par une ligne qui traverse les Pyri n 'es sous le 44' de-
gré de latitude, s'élève en Provence jusqu'à IMontmeillan ,
coupe l'extrémité septentrionale de la mer Adriatique et de
la Grèce, et s'arrête à Constantinople. La région du châtai-
gnier et du chêne commence alors, pour se temiincr au nord
du comté de Cornouailles, à Fioulogne et aux environs de
Carlsmlie; le châtaignier et le lu'tie y sont les essences do-
minantes. La région du chêne s'étend dans les îles Britanni-
ques jusqu'au golfe deMurray, sous le 58' degré; elle s'élève
ensuite dans la presqu'île Scandinave, au nord de Drontueim
jusqu'au 66' environ; elle s'abaisse en Suède en coupant la
côte orientale par 61°, puis elle traverse le 60* au niveau de
Pétersbourg et se termine au 5'.;' dans l'intérieur delà Russie
d'Europe ; on y trouve l'orme, le tilleul, le bouleau, le pin, le
sapin et le hêtre. La région du bouleau est bornée par une
ligne qui passe au nord de l'Islande, s'élève en Scandinavie
jusqu'à 70" 40', puis s'abaisse vers l'est et se termine près de
l'Obi, à une latitude de 67°; le bouleau nain, le mélèze, le
sapin et le pin sylvestre habitent cette région. Au Spitzberg,
entre 77" et 80° de latitude, on ne trouve plus que des saules,
si humbles qu'ils se perdent au milieu de touffes de mousses
et de plantes herbacées,
A mesure qu'on s'élève sur une montagne , la tempéra-
ture s'abais.se, et on parcourt une succession de climats
analogue à celle qu'on traverserait en partant du pied de la
montagne et en se dirigeant vers le pôle. Dans les Apennins,
jiar 42" de latitude, on trouve jusqu'à une hauteur de 400
mètres les arbres qui dans les plaines caractérisent la ré-
gion la plus méridionale. L'olivier réussit très-bien jusqu'à
500 mètres; le châtaignier et le chêne rouvre jusqu'à
1000 mètres; le hêtre, le pin silvestre, l'if se rencontrent
encore à une hauteur de 1900 mètres; au-dessus on ne
trouve plus que des plantes alpines ou polaires.
Dans les plantations d'arbres , il faut donc avoir égard à
une foule de circonstances, principalement à la nature du
sol et aux coordonnées géographiques du lieu. Ceci est
d'une grande importance, surtout quand on doit réaliser ces
plantations sur une grande étendue : les arbres employés à
la bordure des routes nous en offrent un exemple. La vé-
gétation des arbres des routes est du double plus active que
celle des arbres des forêts, qui se gênent et s'étouffent mu-
tuellement, tandis que ceux qui sont isolés, dans des ter-
rains riverains cultivés et fréquemment engraissés, recevant
de tous côtés l'air vivifiant et l'engrais météorique, ont une
végétation plus active et un accroissement plus rapide. Mais
pour rendre ces plantations fructueuses il faut éviter l'erreur
dans laquelle on est tombé du temps du régent, en plantant
indistinctement la même espèce d'arbre sur une longueur
de plusieurs centaines de lieues, comme si la même nature
de terre se prolongeait sans interruption de Paris à Mar-
seille ou à Mayence. Il faut varier l'espèce du plant à mesure
que varie celle du sol ; chaque plant, se trouvant alors dans
le sol le plus analogue à sa nature, y prospérera, car telle
espèce de terre aflectionne telle espèce de plante, de même
que telle espèce d'arbre a une sorte de sympathie pour telle
espèce de terre.
On traitera de la taille et de la greffe des arbres dans
des articles particuliers. Pour détruire des insectes qui les
rongent on leur enlève l'écorce et on les goudronne ; mais
ces opérations ne sont pas toujours heureuses, non plus que
la transplantation des arbres de haute futaie.
Parmi les arbres extraordinaires on cite le baobab.
Titan et Nestor de l'empire végétal, né sous le soleil de
l'Afrique, qui, d'après les calculs d'Adanson, semble avoir
vécu autant que les pyramides d'Egypte. Le Washingtonla
ji^aH/ea de la Californie l'emporte encore sur lui. L'Europe
a aussi des arbres monumentaux, mêmedansles variétés qui
semblent le moins susceptibles d'acquérir d'énormes dimen-
sions et une longévité considérable. Les exemples les plus
fameux sont quelques chêne s, le frêne deBirse,le peu-
pi i e r de Dijon , le t i 1 1 e u 1 de la Foucade, l'o r m e de Hat-
field, les pins laryx de la Corse, le cyprès de Tesla,
le f i g u i e r de lîeculver, le n o y e r d'isirie, lebigarradier
ouora nger de Versailles, le ch àtaignie r de l'Etna, etc.
AUBRî-^ {Mécanique). On désigne parce mot l'axe
dune machine , qu'il soit mobile ou immobile. Cette pièce
est faite en Lois ou, préiérablcmeut, en fer.
AÎILRK A CIRE — ARBUKS MÉTALLIQUKS
745
ARRRE V CIRE. Voyez CiititR cl CtuoxYLON.
ARimi: \ FRAISES. Voyez Aruoisier.
ARBRE \ PAl\. royc; JvQiiER.
ARBRE À SUIF. Voyez GLirriEn.
ARBRE DE JUDÉE. Voyez Gaïmer.
ARBRE DE SAIXÏE-LUCIE. Voyez CERisirR.
ARBRE DE VIE. Voyez Tiirv v.
ARBRE DE VIE, Ar.liUE DE LA SCIENCE DU BIEN
ET DU MAL {Théologie). Voyez Eden.
ARBRE GÉNÉALOGIQUE, (igure on forme d'ar-
bre d'oii sorlent, connue les brandies d'un tronc, les diverses
lignes de parenté, de cousanguinilé d'une maison, d'une fa-
mille, en se ramifiant autant que de raison. Voyez GÉiNéa-
LOCIE.
ARBRES ( Droit). Les arbres sur pied sont immeubles
par leur nature , puisqu'ils font partie du sol. Méanmoins
dans les coupes ordinaires de bois taillis ou de futaies , les
arbres de>ieniient meubles au fur et à mesure qu'ils sont
abattus.
Celui qui plante sur son terrain un arbre appartenant à
autrui ne peut être contraint de l'arracher; il est seulement
obligé d'en payer la valeur ; si l'arbre a été planté par un
Uers, le propriétaire du fonds a le choix ou de faire enlever
l'arbre ou de le retenir en en payant la valeur.
11 n'est permis de planter d^s arbres qu'à une certaine dis-
tance de la propriété voisine, dislance prescrite par les règle-
ments particuliers ou par les usages constants et reconnus ;
et à leur défaut, qu'à la distance de deux mètres de la ligne
séparative des héritages pour les arbres à haute tige, et d'un
demi-mètre pour les autres arbres et baies vives. Lorsqu'ils
sont plantés à une distance moindre , le voisin peut exiger
qu'ils soient arrachés. Celui sur la propriété duquel avan-
cent les branches des arbres du voisin peut contraindre ce-
lui-ci à couper ces branches ; si ce sont les racines qui avan-
cent sur son héritage, il a le droit de les y couper lui-même.
Quant aux arbres qui se trouvent dans la haie mitoyenne,
ils sont mitoyens, et chacun des deux propriétaires a le droit
de requérir qu'ils soient abattus. A Paris et dans la ban-
lieue l'usage est de planter les arbres à haute tige à deux mè-
tres des murs mitoyens. Un dccret du 11 décembre 1811
défend de faire des plantations nouvelles à une distance
moindre d'un mètre du bord extérieur des fossés qui sont
creusés auprès des routes.
La loi s'est aussi occupée des délits qu'on peut commettre
contre les plantations. Sera puni , d'après le Code Pénal,
d'un emprisonnement de six jours à six mois, à raison de
chaque arbre, sans cependant que la totalité puisse excéder
cinq ans , quiconque aura abattu un ou plusieurs arbres
qu'il savait appartenir à autrui. Les peines seront les mêmes
à raison de chaque arbre mutilé , coupé ou écorcé de ma-
nière à le faire périr. Le minimum de la peine sera de vingt
jours dans le premier cas et de dix jours dans le second ,
si les arbres étaient plantés sur les places, routes, chcm'ns,
rues ou voies publiques ou vicinales ou de traverse. L'é-
branchage d'un arbre sur une roule nationale constitue un
simple dommage envers l'État , de la compétence du conseil
de préfecture, et nullement un délit justiciable du tribunal
de police.
Les arbres sont, d'après le Code Forestier, divisés en deux
classes : la première comprend les chênes, hêtres, charmes,
ormes, frênes, érables, platanes, pins, sapins, mélèzes, châ-
taigniers, noyers, aliziers, sorbiers, cormiers, merisieis, et
autres arbres fruitiers; la seconde se compose des aunes,
tilleuls, bouleaux, trembles, peupliers, saules, et de toutes
les espèces non comprises dans la première classe. C'est
suivant la grosseur et la qualité des arbres (pii sont l'objet
du délit, que l'on règle le taux des amendes.
ARBRES DE LA LIBERTÉ. A l'époque de notre
première révolution, et par imitation de ce qui s'était fait
DICT. DE L\ CO.NVti;;Mi ,.N. — i. l.
en Aniéricpie à la suite de la guerre de l'indépendance, l'u-
sage s'ii\troduisil en France de planter dans nos communes,
en général dans l'endroit le plus lïequenté, le plus apparent
de la localité, un jeune peuplier qui devait grandir avec le»
institutions nouvelles. Ces arbres, qui existaient depuis l'ins-
titution des fucros dans certaines provinces espagnoles,
rappelaient en France les arbres de mai; ils étaient plantés
avec o^rémonie. L'exemple on fut donné on 1790 par un
curé du déparlement de la Vienne, qui fit trans|)lantcr un
chêne de la forêt voisine au milieu de la place de son village.
On préféra ensuite le peuplier ; et en moins de trois années
plus de soixante mille arbres de la liberté s'élevèrent en
France. On cite parmi les premiers celui qu'éleva Camille
d'Albon dans les charmants jardins de sa maison de Fran-
conville. Ces arbres étaient considérés comme monuments
publics ; ils étaient entretenus par les habitants avec un
soin religieux ; la plus légère mutilation eût été regardée
comme une profanation. Des inscriptions en vers et en prose,
des couplets, des strophes palrioti(iues attestaient la véné-
ration des populations locales pour ces emblèmes révolu-
tionnaires. Des lois spéciales protégèrent leur consécration.
Un décret de la Convention ordonnaque l'arbre de la liberté
et l'au Ici de la patrie, renversés le 27 mars 1793, dans ledi'par-
tcment du Tarn, seraient rétablis aux frais de ceux qui les
avaient détruits. Le remplacement des arbres de la liberté ([ui
avp.ient péri par l'action du temps fut ordonné le 3 pluviôse
an II. La même loi ordonna qu'il en serait planté un dans le
Jardin National ( les Tuileries) par les orphelins des défen-
s.'urs de la patrie ; d'autres décrets prescrivirent des peines
contre ceux qui détruiraient ou mutileraient les arbres de
la liberté. Ces soites de délits furent très-fréquents sous la
réaction thermidorienne. Toutes ces lois tombèrent en dé-
suétude sous le gouvernement consulaire, et les arbres de
la liberté qui survécurent au gouvernement républicain per-
dirent leur caractère politique. 3Iais la tradition populaire
conserva le souvenir de leur origine. Ces derniers emblèmes
de la révolution ont été en grande partie abattus ou déra-
cinés sous la Restauration ; ils sont tiès-rares dans les villes,
mais on en voit encore dans les communes rurales.
Après 1830quelques communes plantèrent encorcde nou-
veaux arbres delà liberté, mais l'enthousiasme fut vite compri-
mé, et il y eut peu de cesplantations. 11 n'en fut pas de même
après la révolution de Février. Les encouragements des au-
torités provisoires ne manquèient pas aux plantations d'ar-
bres de la liberté ; le clergé se prêta complaisamment à les
bénir. Un ancien ministre de Louis-Philippe offrit même
un jeune arbre de son parc parisien pour le planter devant
sa porte avec cotte inscription : « Jeune, tu grandiras. »
L'abus fut tel qu'on a pu dire justement que si en avait
laissé faire, Paris aurait été transformé en forêt. Une réac-
tion non moins violente les fit presque tous abattre au com-
mencement de 1850, par l'ordre du préfet de police Cartier,
et faillit faire couler le sang dans les rues de la capitale ; ce-
pendant, de l'avis d'un journal li-gitimiste , « les arbres de la
liberté gênaient très-])eu les passants, et nous ne voyons pas
en quoi les hommes d'ordre pouvaient se trouver contrariés
jiar ces symboles. Un arbie olfre une belle image de la liberté
sans violence, et ne saurait menacer en rien les idées d'iné-
galités sociales, puisque dans les développements d'une
planle tous les rameaux sont inégaux précisément parce
qu'ils sont libres. •> Les dcrnieis ont disparu en 1852.
ARBRES MÉTALLIQUES. Les anciens chimistes
se sont beaucoup occupés de cedaines cristallisations métal-
liques auxquelles ils ont donné le nom d'arbres. Nous cite-
rons les deux principales, celui de Saturne ou de plomb et
celui de Diane ou d'argent.
Arbre de Saturne. Pour préparer cette cristallisation ,
on dissout dans de l'eau distillée ou de pluie, ou àdéfLmtdans
de bonne eau de rivière, I /CCde son poids d'acétate de plomb,
ou sucre de Saturne : si on a employé de l'eau de rivière,
y»
74G
la liqueur ost blanche; on la passe au travers d'un papier
Joseph, et après l'avoir renfermée dans un vase profond, on y
place un morceau de zinc attaché après le bouchon, de ma-
nière à pouvoir plonger dans la liqueur, et après lequel est
• fixé un (il de laiton tourné en spirale double ou simple. Le
zinc précipite le plomb, qui cristallise en belles lames très-
brillantes, dont le dépôt se fait sur toutes les parties du fil.
Arbre de Diane. On peut le préparer de deux manières,
qui offrent également un produit remarquable. Si on verse
dans un verre conique, comme ceux à vin de Champagne,
un amalgame de 10 grammes de mercure et 4 grauunes d'ar-
gent, et qu'on y ajoute une dissolution de 4 grammes de
nitrate d'argent étendu de 30 grammes d'eau , après quel-
ques jours on trouve l'argent déposé sur le mercure en
aiguilles qui ont quelquefois plusieurs centimètres de lon-
gueur. L'arbre sera encore plus singulier en plongeant dans
un bocal un nouet de linge contenant un peu de mercure
dans un mélange de deux dissolutions de nitrate d'argent et
de nitrate de mercure étendues de 3 à 4 parties d'eau. L'ar-
gent cristallisé s'attache après le nouet, que l'on peut retirer
de la liqueur pour le conserver dans un autre vase.
H. Gacltiek de Claubrv.
ARBRES VERTS. Beaucoup d'arbres résineux de la
famille des conifères , tels que les genévriers, les pins, les
thuyas, conservent leur feuillage pendant l'hiver; c'est
pourquoi on les réunit vulgairement sous la dénomination
générique d^arbres verts. La même raison fait aussi appli-
quer ce nom aux lauriers, aux rhododendrons et à quel-
ques autres plantes qui jouissent de la même propriété.
ARBRISSEL (Robert d') naquit de parents pauvres,
vers 1045, dans un village de Bretagne, dont il prit le nom
par la suite. Élevé dans la piété, il trouva, malgré le défaut
de fortune, le mojen d'étudier à Paris, où il devint un des
plus célèbres docteurs de l'université. D'abord grand vicaire
de Silvestre de la Guiercbe, évêquede Rennes, et chargé par
lui de rétablir dans son diocèse la discipline qui s'y était
depuis longtemps relâchée , il se vit obligé, à la mort de ce
prélat, de fuir les persécutions que lui avait suscitées son
zèle, et se retira à Angers, où il enseigna la théologie. Mais
pénétré tout entier du désir de la vie solitaire, il alla se
cacher avec un compagnon dans la forôt de Craon, où il fut
bientôt suivi d'une foule d'anachorètes enthousiastes de la
sévérité de sa vie et voulant se soumettre à sa discipline. Les
forêts voisines devinrent en peu de temps lasile de pieux
solitaires, et leur grand nombre força Robert de les diviser en
trois colonies. Il se réserva la direction de l'une d'elles , et
confia les autres à Vital de Morlain et à Raoul de LaFutaje.
Appelé par Urbain 11 à prêcher la croisade, il décida par
la môme prédication un grand nombre de personnes à servir
Dieu sous sa discipline, et les établit en 1099, sous le nom de
pauvres de Jésus-Christ, sur les confins de l'Anjou et du
Poitou, dans le vallon de Tontevraud, en assignant des
demeures et des oratoires distincts aux hommes et aux
femmes.
Avec l'autorisation de Pascal II, il plaça son ordre sous la
protection de la Vierge et de saint Jean l'Évangéliste, et
statua que les femmes y domineraient, tant dans le spirituel
que dans le temporel, pour exprimer la soumission qu'avait
témoignée l'apôtre bien aimé à la mère du Sauveur. En
outre, il soumit les couvents d'hommes et de femmes à la
règle de Saint-Benoît.
Comme tous les hommes qui ont imprimé autour d'eux
un mouvement remarquable, il eut à souffrir de la calom-
nie; cependant nous devons faire observer que l'authenticité
des lettres de Marbodius, évêque de Rennes, et de Geoffroi,
abbé de Vendôme , qui, trop facilement persuadés par ses
ennemis, lui adressèrent de sévères reproches, n'est pas so-
lidement établie. Cette épreuve, du reste, ne paraît pas i'avcir
compromis auprès du pape; car une bulle de 1113 exempta
les religieuses de l-ontevraud de la juridiction de l'évêque.
ARBRES METALLIQUES — ARBUTHNOT
Robert d'.Arbrissel mourut, en 1117, au monastère d'Orsan,
dans le Berry, d'où son corps fut porté à Fontevraud.
Boi'CllITTÉ, ancien rectenr.
ARBROATH ou ABliRI5R0ïH0CK, ville du comté de
Forfar ( Ecosse), avec un port petit, mais sur, et environ
15,000 habitants, à 24 kilomètres au nord-est de Dundee,
à peu de distance de l'embouchure du Brothothoc dans la
nier d'Allemagne, est le centre d'un commerce actif avec les
contrées riveraines de la Baltique et d'une fabrication con-
sidérable de toile. On y trouve aussi d'importantes blan-
chisseries, et de belles ruines d'une abbaye fondée an dou-
zième siècle par Guillaume le Lion, en l'honneur de saint
Thomas Beclief, et détruite a la suite de la réformalion , en
1560. Sur une masse de rochers situés en mer à environ IS
kilomètres d'Arbroath, "s'élève le beau phare de Bell-Rock.
ARBUCKLE (James), poète qui florissaitdans la pre-
mière moitié du dix-huitième siècle et que les uns font naître
en Éco.sseet les autres en Irlande, vers 1700, est l'auteur d'un
poème intitulé Snu/f (le tabac), qui parut à Edimbourg
en 1719. Onaausside \a[ une Épiii-e au cornle d' Addington
sur la mort d' Addison (Londres, 1719); Glotta, poëme
dédié k la comtesse de Caernarvon,etdes Hibeniic Lctters
(1729). Il mourut à Londres, en 1734.
ARBULO MARGAVETE (Peduo), peintre espagnol,
mort en 1608, à Brione. Parmi les travaux qu'on a de lui,
et remarquables surtout par la pureté du dessin , on cite les
belles peintures qu'il exécuta, de 1509 à 1574 , dans l'église
de l'Ascension de la Rioja, en Castille, et qui ne lui valurent
pas moins de 80.000 francs de notre monnaie.
ARBUTHXET ou ARBUTHJNOT (Alexander), im-
primeur écossais, mort en 1585, fut un des premiers qui
exercèrent la profession de typographe en Ecosse. C'est de
ses presses que sortit la première bible imprimée en langue
vulgaire dans ce pays (1579). 11 donna aussi pour la pre-
mière fois une belle édition in-fol. de l'ouvrage de Buchanan,
intitulé Kerum Scoiicaruin Historia (Edimbourg, 1582).
On le confond souvent , mais à tort , avec le poète du même
nom. Voyez ci-après.
ARBUTHA'OT (Alexander), théologien, juriscon-
sulte, historien et poêle écossais, né en 1538, mort en 1583,
est l'auteur d'une Histoire d^ Ecosse, écrite avec une indé-
pendaùce qui lui valut la disgrâce de Jacques VI. Au milieu
des troubles religieux suscités dans son pays par la réfor-
mation , il composa des poésies, qui pour l'époque ne sont
assurément pas sans mérite. Ainsi, on a de lui The Fraises
of Women, poëme didactique en l'honneur delà plus belle
moitié du geni e humain, et The Mtseries of a poor Scholar,
tableau touchant des misères contre lesquelles l'homme de
talent pauvre doit s'attendre à lutter par tous pays et en tous
temps. Dans sa jeunesse Alexandre Arbuthnot était venu en
France suivre les cours de notre célèbre Cujas; et comme
fruit de ses études dans le domaine de la jurisprudence,
il fit paraître;! Edimbourg, en 1572, Orationes de Origine
et dignitate Juris.
ARBUTHNOT (Johx), l'un des médecins de la reine
Anne, était né vers 1675, à .\rbuthnot, en Ecosse, et mou-
rut à Londres, en 1734. Après avoir terminé ses études pro-
fessionnelles à l'université , il était venu se fixer dans la
capitale des trois royaumes, où il réussit bientôt à se faire
une nombreuse et lucrative clientèle, qui le poussa jus-
qu'à la cour, en 1704. Lié d'amitié avec les littérateurs les
plus distingués de son époque, if contracta dans leur société
un goût des plus vifs pour la culture des lettres, ainsi qu'en
témoigne la longue liste de ses écrits. Sous le titre de Me-
moirs of Marlinus Schiblerus, il avait entrepris d'écrire
la satire des connaissances humaines ; mais il n'en fil
paraître qu'un fragment. Ami intime de Swift, et attiré
probablement vers lui par une égale pitié pour les folies
et les misères de la pauvre humanité, c'est dans les œuvres
mômes de l'auteur de G «i/itYr que se trouvent imprimée.*
ARBLTH.NOT — ARC DE TRIOMPHE
la meilleure partie «le ses boutades iiliilosopliiques. Il fit
ausji paraître, sons le titre lie John IlttU, une espi^re de
pamphlet rempli li'allusiouscritiiitios aux céU-hriti-s du jour,
raais qu'il est bien dillicile de comprendre anjounlluii lors-
qu'on n'en a pas la clef, lorsqu'on ne peut p;is meltio des
noms propres sous les piquants portraits cpi'il crayonne en
se riant. Dans ses ouvrages relatifs aii\ sciences mathémati-
ques et à la médecine, Arbulhnot a lait preuve d'un savoir
solide; mais après la mort de la reine Anne, d'aiitres ré-
putations médicales le supplantèrent dans les bonnes grâces
de la cour, et il perdit sa charge. Il en ressentit un vif cha-
grin, et chercha vainement à s'en distraire par un voyage en
France. Sa constitution était si faible, que son ami Swift «li-
sait de lui plaisamment : « C'est un homme à tout... excepté
à marcher. » Les dernières années de sa vie se passèrent à
Hamptead, près de la capitale, où il s'était retiré pour vivre
de la vie de campagne. On a de lui, entre autres : An Exa-
mination of D" Woodward's Account 0/ the Dcliirje
( 1697) ; Tables o/Grecian, liotnan and Jcicish .Measttrex,
Weiyhis and Coins (ilOb); Essay of the ISature and
Choice 0/ Aliments (1733) ; Essay on theE/fects of Air on
human Bodies ( 1733). Arbuthnot lit aussi paraître dans les
Philosophical Transactions une dissertation dans laquelle
il tire de l'égalité du nombre des naissances des deux sexes
ua argument de plus en faveur de la Providence.
ARC,arme offensive très-simple, propre à lancer des flè-
che s : on en fait en bois de frêne, d'orme, etc., en corne,
en acier. Il est plus fort au milieu que vers ses extrémités,
entre lesquelles est tendue une corde qui sert à bander l'arc.
Les barbares, de nos jours, les font aussi en bois; mais ils
les renforcent avec des nerfs et des cordons , avec lesquels
ils les serrent fortement, presque dans toute leur longueur,
qui est de cinq à six pieds. Telle était la vigueur des ar-
chers de l'antiquité, que, au rapport de Végèce , ils lan-
çaient leurs flèches à cinq cent quarante-sept pieds. La jus-
tesse de leurs coups n'était pas moins extraordinaire. Qui
n'a entendu parler do cet Aster d'Amphipolis, qui, mécon-
tent du roi Philippe, se jeta dans la ville de Méthone, que
celui-ci assiégeait, et lui creva l'œil droit en lui tirant une
flèche sur laquelle il avait écrit : A Vœil droit de Philippe?
Les sauvages de l'Amérique touchent facilement une pièce
de cinq francs avec leurs llèches. Le père Daniel prétend que
les archers de l'antiquité étaient plus redoutables que notre
infanterie armée de fusils. A la bataille de Lépante, gagnée
sur les Turcs, ceux-ci tuèrent plus de chrétiens avec leurs
flèches que les chrétiens ne tuèient de Turcs avec leurs ar-
quebuses. Anne Comnène , dans l'histoire de l'empereur
Alexis, son père, dit que les barbares (les croisés ) lançaient
des flèches avec tant de roideur qu'elles perçaient les meil-
leures armes défensives et s'enfonçaient tout entières dans les
murailles des villes contre lesquelles on les tirait. Pour bander
leurs arcs ou leurs arbalètes, ils se couchaient sur la terre à la
renverse, appuyaient leurs pieds sur le milieu de l'arc et
amenaient la corde vers la tète, en la tirant avec les deux
mains. Voyez Arguer.
L'aie, dont l'origine se perd dans la nuit des teraps, était
en usage chez tous les peuples de l'antiquité. De nos jours
encore quelques peuples sauvages lancent avec l'arc des
flèches parfois empoisonnées. Les Grecs attribuaient l'inven-
tion de l'arc à Apollon. Il sert en effet d'attribut à ce
dieu. On le voit aussi dans les mains de Diane, d'Hercule,
de Cupidon et de Pallas ; chez les Mongols il était le sym-
bole de la royauté.
ARC ( Géométrie ). C'est le nom de foute portion de
ligne courbe ; ainsi un arc de cercle est une partie de la
circonférence. Dans un môme cercle ou dans des
cercles égaux, deux arcs sont dits éyaux quand on peut les
superposer. Dans des cercles de rayons différents, les arcs
semblables sont ceux qui ont le mC^ne nombre de degrés, ou
encore qui correspondent à des angles au centre égaux. Les
r4T
arcs de cercle servent h mesurer les angles; po«r cela, da
sommet de l'angle comme centre, avec un rayon quelconque,
on décrit tuie circonférence; le nombre de degrés que con-
tient l'arc intercepté par les cfttés de l'angle, exprime la me-
sure cherchée: c'est-.'i-dire que, l'arc de ',)0° correspondant
à l'angle droit ; si nous trouvons 13" pour l'arc inten ppté
par les côtés d'un angle donné, nous en concluons que c«t
angle est à l'angle droit comme 15 est à 90, ou bien (jue
cet angle est la sixième partie d'un angle droit.
La corrfe d'un arc est la ligne droite qui joint ses extrémités.
La flèche de l'arc est la ligne droite qui joint les milieux de
l'arc et de la corde.
Al\(j (Architecture), construction dont le profd a la
figure d'une courbe. L'arc ne diffère point de la voûte,
sinon que sa largeur est à peu près égale à son épaisseur.
Les arcs se construisent ou en pierres de taille ou en moel-
lons, ou en tuf ou en briques. On nomme arc donbleau
celui qui fait saillie au dessous d'une voûte et qui sert à la
consolider. Varc-boutant forme contre-fort à l'extérieur
d'un édifice pour contenir la poussée des voûtes. L'arc en
plein cintre est celui dont le profil est un arc de cercle.
Varc surbaissé est moins courbé qu'un arc de cercle.
Varcsxir haussé est plus courbé qu'un arc de cercle.
L'arc angulaire ou composé est formé de deux parties
droites inclinées comme les côtés obliques d'un triangle
isocèle. L'arc est biais ou de côté quand les pieds-droits ne
sont pas d'équerre par leur plan. L'arc rampant ou allongé
est celui dont les naissances sont à des hauteurs inégales.
Il se pratique sous les rampes des escaliers et dans les arcs-
boutants des églises. Varc renversé est celui dont le som-
met est en bas, au lieu d'être en haut ; il sert surtout à relier
les fondations d'un édifice, comme on le voit à l'église Sainte-
Geneviève de Paris. Pour les arcs gothiques, voyez Ocite.
ARC ( Jeanne d'). Voyez Jeanne d'Arc.
ARC ( Pont d'). Voyez Ardèche (Département del').
ARCACHOiV, hameau de la commune de la Teste
de lîuch (Gironde), qui est relié à Cordeaux par un chemin
de fer depuis 1857. Il a donné son nom au bassin d'Arcachon,
sorte de lagune où l'on se livre à la pêche, et que M. Coste
a proposé de transformer en une vaste huîtrière. Z.
ARC DE TRlOMPHE.Quand un général romain avait
remporté un avantage considérable sur l'ennemi, il obtenait
la permission d'entrer en triomphe dans la ville, suivi
du butin et des prisonniers qu'il avait faits. On se contenta
sans doute d'abord d'orner la porte par laquelle il devait
entrer; plus tard on construisit exprès des portes en bois,
sur les côtés desquelles on représenta les actions glo-
rieuses du triomphateur; enfin on bûtit des portes ou
arcs de triomphe (]màh\cs , m y employant la pierre, le
marbre, le bronze. Ces monuments sont d'invention
romaine. Il est vrai de dire que les Chinois construisent
aussi des espèces d'arcs de triomphe pour honorer la mé-
moire des personnes qui se sont fait remarquer par quelque
belle action, n'importe dans «juel genre. Les Romains, au
contraire , n'ont élevé de ces sortes de monuments qu'à la
gloire des gens de guerre, si on en excepte toutefois ceux
d'Ancône et de Bénévent, construits tous deux en l'honneur
de Trajan, l'un pour remercier cet empereur d'avoir amé-
lioré le port, et l'autre parce qu'il prolongea la voie
Appienne depuis Capoue jusqu'à Brindes.
Et^général les arcs de triomphe se composent d'un mas-
sif isolé, de figure rectangulaire, percé dans son milieu
d'une arcade en plein cintre, sous laquelle a dû passer le
triomphateur; deux autres arcades latérales et plus petites
étaient destinées au passage du cortège; cependant il est
des arcs de triomphe qui n'ont qu'ime seule arcade ; d'au-
tres en ont jusqu'à cinq, trois sur la face et unesurchaiiue
>nt les arcs du Carrousel et de l'Étoile, à Paris.
flanc; tels sont
Les arcs de triomphe sont ornés de bas-reliefs, représentant
les actions du héros; de colonnes engagées ou eu sailliei
9'é
748
ARC DE TRIOMPHE
'allique qui règne au-dessus de rcnlalilement
queîqiiefo
porte un quadrige en bronze (char attelJdc qiiafrc clievaux)
Les arcs de trioinplie les plus remarquables de l'anli-
quilc', et dont il existe encore des ruines fort intéres-
santes, sont : ceux de Constantin, de Septiine-Sévère,
d'Orange, d'Ancône, etc., et à Talmyre, celui dont les restes
terminent la vaste avenue de colonnes qui commence au
monument de Jambliclius.
Varc (te Constantin, construit avec les débris de celui
de Trajan, était percé de trois arcades , une au milieu et
deux plus petites vers les côtés; il avait de hauteur, y com-
pris celle de l'atlique, 25 mètres, sur environ 21 mètres de
largeur. Élevé à Rome , entre le mont l'alalin et l'aiiiphi-
théûtre Flavien, sur la voie Triomphale, cet arc fut dédié par
le sénat et le peuple romain à Constantin le Grand, principale-
ment en l'honneur de la victoire qu'il remporta sur Maxence.
11 fut restauré par Cléiiienl XII.
Varc de Seplime-Sévère , remarquable par la profusion
de ses ornements et rexcellencc des bas-reliefs sculptés sur
ses faces, portait un quadrige sur son altique : l'arc du
Carrousel à Paris en est une imitation. Cet arc avait les
mf'mes proportions à peu près que celui de Constantin.
Fntièrement construit en marbre pentélique, il fut élevé
vers l'an 203 de l'ère chrétienne, en l'honneur de Septimc-
Sévère, d'Antonin, de Caracalla et de Géta ses fils, pour les
victoires remportées sur les Parthes et autres nations bar-
bares de l'Orient.
Varc d'Orange, près la ville de ce nom en Provence, est
percé de trois arcades, deux petites vers les côtés, et une
plus grande au milieu. Certains auteurs ont pensé que ce
monument, d'origine romaine , avait élé érigé en mémoire
des victoires que Marins remporta sur les Cimbres et les
Teutons. Mais celte supposition ne se trouve corroborée
par aucune inscription, et elle n'explique pas la présence des
attributs nautiques qui décorent réditice. Aussi, malgré la
difliculté qu'on éprouve à fixer l'époque de l'érection de ce
monument, on peut affirmer que l'opinion que nous venons
de citer est la moins admissible de toutes. Et d'ailleurs,
l'imperfection de la sculpture, la superfluité et le style des
ornements tendent à faire croire que cet édifice appartient
à la décadence de l'art. Sous la Restauration, le gouverne-
ment le fit consolider; on reconstruisit en pierre de taille
tout ce qui était dégradé, mais on ne chercha point à res-
taurer les bas-reliefs ni les autres ornements qui manqua''e!if.
L'arc d'Ancoiic, élevé sur le môle à la gloire de Tiaj,;;; ,
et consacré en outre à la femme et à la sœur de cet em-
pereur, comme l'indiquent les inscriptions, est bâti en blocs
de marbi^e de Paros si bien joints , qu'on le croirait d'un
seul morceau. Cet arc, un des plus beaux et des mieux
conservés qui se soient vus, est décoré de quatre colonnes
corinthiennes ; il portait sur son attique la statue équestre
en bronze de l'empereur. La ville d'Ancône possède encore
un des pieds du cheval. Cet arc a élé restaiiri> en lRô8.
Varc de Bénévent, imité de celui de Titus à Roi .', sert
aujourd'hui de porte a la ville dont il a pris le nom ; on
l'appelle aussi la Porte d'Or ; ce surnom , populaire dès le
commencement du moyen âge, nous fait croire que les
décorations de l'arc étaient primitivement dorées. L'attique
portait une inscription en l'honneur de Trajan.
Dans les provinces de l'empire romain on voyait plu-
sieurs arcs intéressants , entre autres l'arc de Rimini et
celui de Pola en l'honneur d'Auguste. On trouve encore à
quatre lieues d'Arles les ruines d'un arc dont l'élévation
a aussi été attrihii'e aux troupes de Marins. Lnfin les
Français en renconlivient un assez bien conservé à Dje mi-
la !i, en Afrique.
La Trance , parmi les modernes, a seule rivalisé et quel-
quefois surpassé les Romains, sous certains rapports, dans la
construction des arcs de triomphe. .Sous Louis XIV, la ville
de Paris eu fit élever plusieurs à la gloire de ce prince; deux
existent encore, ce sont la Porte Saint-Denis et la Perte
Saint-Martin. La Porte .Sf.'/NM)c«(5offrcdegrandes beautés
et quelques défauts ; cet arc se distingue par sa grandeur, par
ses belles proportions et surtout pnr la richesse et la vigueur
des sculptures et des bas-reliefs qui le décorent. Du côté
de la ville, on voit deux sortes de pjTamides engagc^es,
chargées de trophées d'armes antiques du plus beau style;
au pied des pyramides sont deux figures assises, sculptées
sur les dessins de Lebrun ; elles représentent les sept Pro-
vinces Unies sous la forme d'une femme consternée, et le
Rhin sous celle d'un homme vigoureux appuyé sur un gou-
vernail. Au-dessus de la porte on voit, dans un renfon-
cement rectangulaire, un l)as-relief où Louis XIV, vêtu à
l'antique, commande le passage du Rhin. Du côté du fau-
bourg, un bas-relief représente l'entrée de ce prince dans
Maëstricht. Dans la frise de l'entablement qui est au-dessus
on lit l'inscription suivante en lettres de bronze doré : Lldo-
ticoMac.no. La critique blâme dans ce magnifique monument
son peu d'épaisseur ; il n'est personne en effet qui, le voyant
de côté, ne lui en désire le double. On trouve aussi que l'em-
ploi des pyramides, monuments consacrés aux sépultures,
n'est point justifié : d'ailleurs , ces pyramides ont quelque
chose d'incertain dans leurs proportions; car on pourrait
tout aussi bien les prendre pour de gros obélisques. Enfin,
sa position, dans un lie,! enfoncé, entouré de maisons bour-
geoises, n'est pas heureuse. La Porte Saint-Den is, dont la hau-
teur est d'environ vingt-cinq mètres, fut construite en 1C72,
aux frais de la ville de Paris, par François Blonde!, ma-
réchal des camps et armées du roi et maîtie de malbéma-
tiques du dauphin; la sculpture fut commencée par Gi-
rardon, et terminée par Michel et François An gui er. Cet
arc fut réparti sous rempire et gratté dans ces derniers temps.
L'arc de la Porte Sjint-Martin fut construit par BuUet,
élève de François Bloudel, en 1G74, aux frais de la ville de
Paris; sa hauteur et sa largeur ont chacune 17™,55 tout
compris. Cet arc est icrcé de trois arcades : celle du milieu
a 4'",85 de large et g^jTO de haut. Les pieds-droits sont
travaillés en bossages Termicul.'s; le monument est cou-
ronné par un attique, sur lequel on lit : Ludovico Magno,
Yesontione Seqiianisque bis captis, et fractis Germa-
norum, Hispanorum et Batavorum cxercitibus. Frœfec.
et xdit. poni. C. C. Des bas-reliefs assez mal encadrés
sont sculptés sur les grandes faces : du côté de la ville, on
voit Louis XIV assis sur son trône; une femme à genoux
lui présente un rouleau : c'est le traité de la triple alfiance.
Dans un autre bas-relief, le même prince, sous la figure
d'Hercule, est couronné par la Victoire, en mémoire de la
conquête de b. Franche-Comté. Du côté du faubourg, les
bas-reliefs représentent, sous de semblables allégories, la
prise de Limbourg et la défaite des Allemands. Ces sculptures
sont de Desjardins, Marsy, Lebongre et Legros. Les pro-
poitions de ce monument, considéré en grand, ne sont pas
mauvaises ; mais on blâme avec rai" on les bossages rustiques
taillés sur les pieds- Iroits et jusque sur le bandeau de l'arc
de la grande porte. Cet arc fut réparé sous la Restauration.
Arc de triomphe de la ptace du Carrousel. Ce monu-
ment, commencé en 1806 , sur les ■'• ssins de M. Fontaine,
rappelle celui de Septime-Sévère à F.ome : il a 14"',G0 de
haut, 19'",50 de large et 6", 50 d'épaisseur; les deux grandes
faces sont percées de trois arcades do:;t les pieds-droits sont
coupés par une arcade unique qui s'ouvre sur l'un et l'autre
flanc. Chaque grande face est ornée de huit colonnes isolées,
d'ordre corinthien; leurs fûts, d'une seule pièce, sont en
marbre rouge de Languedoc, et leurs bases et leurs chapi-
teaux en bronze ; chacune de tes colonnes porte une statue
en marbre blanc qui représente un guerrier de la grande
armée. Le monument fut d'abord couronné par un quadrige,
dont le char et les victoires qui les conduisaient étaient en
fer et plomb doré; les quatre chevaux avaient été apporiés
de ^■enise, où ils sont retournés en 1815. A cette époque,
ARC DE TRIOMPHE
le cliar et les victoires furent enlevés et ilétruils. Le qna-
drige fut rétabli sous les Bourbons ; il est en bronze , et le
char porte la statue de la Restauration ; les bas-reliefs en
marbre qui représentent des seines de la campagne de 1805
ont été replaces en 1S31 ; auparavant leurs places étaient
occupées par des pkUres représentant quelques actions de la
campagne de l^li en Espagne par lo duc d'Anyioulènie. Ce
monument , construit en matières précieuses , avec un soin
tout particulier, ne satisfait pas les connaisseurs. Ils trou-
vent qu'il manque totalement de grandeur, que les orne-
ments en sont trop recliercliés , et qu'enfin il est comme
anéanti par la masse des palais qui l'environnent.
Varc de triomphe de l'Etoile, commencé en tsOG sur les
dessins de Tarcbitecte Cbalgrin, a été terminé en 183G par
.M. Blouet. Ce monument, élevé à la gloire des armées de la
république et de l'empire , présente sous les piles de son
grand arc des inscriptions rappelant les principales batailles
ou les faits d'armes dans lesquels le drapeau français rem-
porta la victoire durant cette grande période qui commence
en 1791 et finit à 1814. Sous les arcades latérales , des tables
taillées dans les murs de lédilice contiennent les noms des
généraux qui se sont le plus distingués dans ces différentes
campagnes. Toutes ces inscriptions font de l'arc de triomphe
de l'Étoile une vaste page historique destinée à l;ansmettre
aux générations futuros le souvenir de notre gloire mili-
taire.
La sculpture se trouve distribuée dans ce monument avec
cette juste proportion qui évite à la fais la profusion et
la parcimonie. Quatre immenses groupes allégoriques repré-
sentant le Départ ( 1793), le Triomphe (1810) , la Résis-
tance (1S14) et la Paix (1S15), entrent pour beaucoup
dans l'harmonie de l'édifice; ils sont dus à MJL Rudde ,
Cortot et Étex. Les tympans , les bas-reliefs et la frise sont
l'œuvre de MM. Pradier, Seurre aîné, Seurre jeune, Uebay
père, Bosio neveu, Caillouette, Gechter, Teuchère, Brun,
Jaquet, Lailié, Lemaire, Bra, Ciiaponicre, Marochetti ,
Espercieux et A'alcher.
L'arc do triomphe de l'Étoile, bâti en pierres dures de
Ciiàleau-Landon (elle se polit comme le marbre), est le plus
colossal et l'un des plus solides qui aient jamais été cons-
t.Tiits; il a 44 mètres de haut, 45 mètres de large, sur 23
mètres d'épaisseur. Ses grandes faces sont percées d'une porte
en arcade de 15 mètres de large, et de 30 mètres de haut;
les lianes sont aussi percés d'une arcade de 9 mètres de
largeur, sur 18 mètres de hauteur sous clef. Ainsi se trouve
réalisée la pensée de Napoléon, qui vouh't donner à ce mo-
nument des dimensions gigantesques pour annoncer cUgnc-
ment à une grande distance la capitale de son empire.
ARCADE. C'est une construction en bois, en pierre ou
en fer qui, s'appuyant par ses deux extrémités sui' des murs
ou sur des colonnes, décrit un arc de cercle dont la concavité
regarde le sol. C'est encore imc ouverture en forme d'arc
pratiquée dans un mur ou dans une cloison. Les arcades reçoi-
vent quelquefois des décorations archi tectoniques. En Orient
les rues sont souvent bordées d'arcades. Quelques villes d'Italie
ont imité cet exemple. A Paris on cite les arcades de la rue
de Rivoli.
En anatomie on appelle arcades les courbes que dé-
crivent plusieurs parties osseuses ou molles. Nous citerons
les arcades dentaires, Varcadc crurale, Varcade zi/goma-
tigue, l'arcade orbilaire. On nom.nie encore arcades les
courbes que décrivent les vaisseaux pour communiquer
entre eux en s'anastomoF.ant. Telles sont \q?< arcades mésen-
tériques, palmaires , plantaires. Enfin on donne le môme
nom aux courbes des rameaux nerveux qui .s'adossent
entre eux.
ARCAUKS (Académie des). VAccadcmia dcgli Arcadi
de Rome eut pour origine une société de poètes et d'amis
des arts qui .se réunissait d'abord au prdais Corsini ( rési-
dence de la reine Christine de Suède). Le jurisconsulte de
AUC.\DIE
74S>
celte princesse, Gravina, fut, on 1600, l'un des premiers
promoteurs de celle réunion, qui avait pour but de contri-
buer l\ arrêter les progrès <lc la décadence du goilt , surtout
en matière de poésie : ses statuts furent une imitation de la
loi romaine des Uoiize Tables. On n'y admettait que des
poètes, de l'un et l'autre sexe d'ailleurs, et chaque membre de
la société y était inscrit sovis un nom de berger grec. Les
séances avaient lieu en plein air. Elles furent d'abord extrê-
mement fréquentées, parce que c'était à qui s'y ferait affilier.
Son premier président fut Crescimbeni, qui publia «nre-
cueil de poésies ouvrage des membres de l'Académie, avec
la biographie de plusieurs d'entre eux. Des sociétés analogues
furent ensuite créées sous le même nom et dans le même
but à Bologne, à Pise, à Sienne, à Ferrare, à Venise et encore
dans d'autres villes. Depuis 172C l'Académie des .\rcades se
réunit, tous les jeudis , en été , sur le mont Janicule , dans
le petit bois de PaiThasius ( bosco Parrasio ); en hiver, dans
la salle des Archives (Scrbatajo),xuc de VArcionc, et les jours
de grande solennité au Capitole : ses armes sont la llùte pas-
torale, sijrinx, couronnée de pin et de laurier. Elle publie un
recueil mensuel formant quatre volumes par an, intitulé
Giornale Arcadico : on y trouve souvent de précieuses dis-
sertations sur des questions d'archéologie. Le pape Léon XII
fut reçu, en 1824, membre de l'Académie des Arcade-s, hon-
neur que l'empereur Napoléon III, alors président de la
Répul)!i(iuc française, obtint en 1850.
ARCADIE. C'était la partie centrale et la plus élerée
du Pélopour.èse, bornée au nord par l'Achaïe et le territoire
de Sicyone, à l'est par l'Argolide, au sud par la Messénie, et
à l'ouest par l'Élide. Elle reçut son nom, suivant Pausanias,
d'Arcas, fils de Callisto. Ce pays, traversé par un grand
nombre de montagnes et de forêts, abonde en tleuves, dont
les plus importants sont l'Eurotas et l'Alphée ; il abonde
également en sources et en pâturages. Parmi ses montagnes
les plus célèbres on citait Cyllène, Erymanthe, Stymphale et
Mœnalon. A l'origine il portait le nom de Pélasgie, à cause
de ses premiers habitants, les Pélasges; plus tard il fut
partagé entre les cinquante lils de Lycaon. Avec le temps ,
tous ces petits États parvinrent à se rendre indépendants, et
formèrent entre eux une confédération. Les principaux
étaient Mantinée, aujourd'hui le village de Mondi, où Épa-
minondas remporta une victoire célèbre et trouva son tom-
beau ; Tégée , aujourd'hui Tripolitica ; Orchomène , aujour-
d'iuii Kalpacki; Phénéus, aujourd'hui Phonea ; Psophis et
Mégalopoiis , aujourd'hui Sinano.
Les pâtres et les chasseurs de la contrée montagneuse
qui occupe une partie de l'Arcadie demeurèrent longtemps
dans un état voisin de la barbarie. Les anciens auteurs font
mention de la lijcanthropie comme dune maladie mentale
qui était endémique parmi eux, et qui consistait à s'imaginer
être changé pour quelque temps en loup. Lorsque peu à peu
leurs mœurs s'adoucirent, iis se mirent à cultiver le sol et
firent leurs délices de la danse et de la musique. Us conser-
vèrent d'ailleurs toujours des habitudes très-belliqueuses ; et
quan;l ils n'avaient pas à faire la guerre pour leur propre
compte, ils se mettaient comme mercenaires au service
d'autres peuples. Leurs divinités principales étaient Pan et
Diane, dont le culte n'était nulle part aussi répandu que
parmi eux. Ils se livraient surtout à l'agriculture et à l'é-
ducation des troupeaux : de là l'usage des poètes de choisir
toujours l'Arcadie pour la scène de leurs idylles, et de prêter
à cette contrée tous les charmes que la poésie peut inventer,
tandis qu'en réalité elle est loin d'être le pays de délices
qu'ils se plaisent tant à décrire.
L'Arcjulie entra dans la ligue Achéennc, à laquelle elle
donna un de ses plus gi-ands généraux, P h i 1 o p (l> m e n ; elle
suivd, après la prise de Corinthc, le sort du reste de la
Grèce. Elle fut détachée de l'empire grec avec la Morée par
les Vénitiens, puis conqiii.se par les Turcs , qui la conser-
vèrent jusqu'à l'insurrecliou de IS22. Elle est aujourd'hui
750 ARCADIE —
une des provinces du nouvel État de Grèce, et a pour chef-
lieu Tripolitza.
A l'époque de la Renaissance, quand toule rantiquité se
révélait à l'Europe, l'Arcadie prit dans l'imagination de S an-
nazar une forme idéale qu'elle conserva longtemps. Alors
furent inventés ces bergers si rêveurs, si tendres, si ma-
niérés et si fades. Pendant plus d'un siècle l'Italie, l'Espagne
et le Portugal ne quittèrent pas la houlette. Vint ensuite le
tour de la France, qui enfanta la volumineuse Astrée. Il y
eut bientôt assaut de bergeries entre les d'Urfé, les La Cal-
prenède, les Racan, les demoiselles de Scudéry et les dames
Deshoulières. Ce fut à qui travestirait le mieux les Cyrus
et les Caton en pasteurs amoureux. Le capitaine de dragons
Florian a été le dernier berger français. Rendons-lui , du
reste, la justice de convenir qu'avant de s'éteindre, ce genre
ennuyeux s'était fort humanisé sous sa plume. Du reste, ne
le mau<lissons pas trop : l'Italie lui doit deux chefs-d'œuvre,
VAminta et le Pastor fido.
ARCADIUS, empereur d'Orient (393-408), né en Es-
pagne, en 377, était fils de l'empereur Théodose. Lors du
partage de l'empire romain , qui eut lieu après la mort de
son père , il eut pour sa part l'Orient , tandis que son frère
Honorius alla régner sur l'Occident. La pompe qu'Arca-
dius introduisit dans son palais égala celle des rois perses.
Sa domination s'étendait depuis l'Adriatique jusqu'au Tigre,
depuis la Scythie jusqu'à l'Ethiopie. Mais le véritable sou-
verain de ce vaste empire fut d'abord le Gaulois R u fi n ,
dont l'ambition, l'avarice et la cruauté ont été condam-
nées à l'immortalité par les sanglantes invectives du poète
Claudien,puis leunuque Eutrope. Cette classe d'hom-
mes avait, du reste, avant cette époque, commencé à
exercer une secrète influence sur la direction des affaires;
mais Eutrope fut le premier qui parut publiquement investi
des fonctions de chef suprême de la magistrature et de com-
mandant des armées. Ayant été précipité du pouvoir par
Gainas , qui n'avait pas tardé à en être précipité lui-même,
on vit E u d 0 X i e, femme d'Arcadius, s'emparer des rênes de
l'empire , que lui abandonna volontiers son faible et pusilla-
nime époux, qui avait besoin d'un maître, et dont le règne
ne fut qu'une longue suite de calamités publiques , inva-
sions et dévastations de barbares , famines et tremblements
de teiTe. Elle fut la persécutrice acharnée du vertueux Jean
Chrysostome, patriarche de Constantinople. Quant à Arca-
dius, après avoir témoigné la plus complète et la plus cons-
tante indifférence en présence de tant de misères , il mourut
en 408, sans laisser après lui , même dans son entourage, le
moirylre regret.
ARCAJXE. Ce mot , dérivé du latin arcanum , et qui
veut (lire secret , s'applique principalement aux opérations
mystérieuses de l'alchimie , et à tout remède dont on cache
la composition, tout en lui attribuant une grande efficacité
(voyez Remîcdes seckets ). Autrefois le sulfate de potasse
s'uppelaitarcanumditplicatum, et un dcutoxyde de mercure
arcanum corallimnn.
ARCAXSON. Voyez Biui.
ARC-EIX-CIEL. Tout le monde a vu ce brillant mé-
téore apparaître au milieu des nuées pendant la pluie. Les
Grecs l'appelèrent iris, car, dans leurs naïves croyances ,
l'arc-en-ciel n'était autre chose que l'écharpe flottante de
la messagère des dieux. Chez les Hébreux , son apparition
était regardée comme un symbole d'alliance et de récon-
ciliation entre Dieu et l'homme. La science moderne a faitde
l'arc-en-ciel comme du tonnerre de simples météores ; tous
deux sont descendus des hauteurs de la poésie pour se ranger,
avec la pluie et la grêle, parmi les phénomènes de la na-
ture dont riionime a trouvé l'explication.
Le mode de formation de l'arc-en-ciel fut complètement
inconnu jusqu'à Marc-Antoine de Doniinis , archevêque de
Spalatro, en Dalmatie, qui, en 1611, fit hnprimer ses recher-
ches sur ce sujet. Kepler avait, il est vrai, donné dfjà
ARC-EN-CIEL
quelques notions dans une lettre qu'il écrivait à Harriot,
dès 1G06. Mais ni lui, ni Descartes, qui plus tard reprit
les travaux de Dominis, ne parvinrent à une théorie satisfai-
sante. Ce futNewIonqui la trouva, comme conséquence de
sa belle découverte de la composition des rayons lumineux.
Supposons un rayon solaire arrivant obliquement sur
une goutte d'eau ; il y entre en subissant une certaine ré-
fraction , la traverse , puis vient frapper la paroi opposée
de la goutte : là, une partie de la lumière sort, de nouveau
réfractée ; une autre partie est réfléchie et traverse la goutte
une seconde fois : cette dernière partie, qui a déjà subi une
première réfraction à son entrée dans la goutte, en éprouve
une seconde à sa sortie. Or , la lumière blanche est com-
posée de rayons diversement réfrangibles , qui , se décom-
posant dans la goutte d'eau comme dans le prisme,
donnent aux rayons sortant de la goutte les propriétés du
spectre solaire. Ce n'est pas tout (car il semblerait
résulter de la théorie précédente que l'observateur doit aper-
cevoir autant de petits spectres solaires qu'il y a de gouttes
d'eau, et nous savons qu'il n'en est rien), de la rapidité
de descente des gouttes de pluie résulte une continuité
de sensation qui cause une illusion d'optique , et de môme
qu'en tournant rapidement un charbon allumé, nous croyons
voir un cercle de feu , de même l'arc-en-ciel nous apparaît
disposé en bandes distinctes.
Nous avons suivi tout à l'heure un rayon solaire jusqu'à
la seconde réfraction ; mais là encore, comme à la première,
il arrive qu'une partie du rayon décomposé se trouve une
seconde fois réfléchie dans l'intérieur de la goutte et va
sortir en un autre point de sa surface. C'est ce qui occa-
sionne quelquefois la formation d'un deuxième arc-en-ciel,
dont les couleurs, moins vives que celles du premier, sont,
ainsi que l'explique la marche des rayons, disposées en sens
inverse. En continuant ce raisonnement, on conçoit la for-
mation d'un troisième météore, encore moins coloré que
le second, mais dans le même sens que le premier; puis
celle d'un quatrième, et ainsi de suite; mais ces arcs-en-
ciel deviennent tellement peu distincts qu'il est déjà très-
rare d'en voir trois à la fois. Dans l'arc-en-ciel principal les
couleurs sont disposées dans l'ordre suivant, en procédant
de l'intérieur à l'extérieur : violet, indigo, bleu, vert,
jaune , orangé , rouge.
Remarquons que dans tous les cas pour voir l'arc-en-
ciel il faut que le spectateur soit placé entre la nuée et le
soleil et qu'il tourne le dos à l'astre. La pluie des cascades
ou celle des jets d'eau forme aussi des arcs colorés : en
mer on en voit apparaître à la surface des vagues agitées.
La pleine lune donne quelquefois lieu à des météores sem-
blables, excepté, bien entendu, l'intensité décoloration;
on les appelle arcs-cn-cicl lunaires. E. Merliecx.
Le 12 novembre 184S, à 6h 40™du soir, j'ai eu l'agrément
d'observer à Collingwood pour la première fois le rare et
beau phénomène d'un arc-en-ciel lunaire dans toute sa
perfection. La lune, qui avait été dans son plein de 11*' à
Ih 30™ du matin, était à l'est, près de l'horizon, brillant
d'un grand éclat, à travers une éclaircie d'une assez grande
étendue, qui contrastait avec un ciel couvert, partout ailleurs,
de nuages épais et obscurs. Une pluie légère, soutenue, et
tombant avec uniformité, accompagnait un vent modéré
soufflant du nord-est.
L'arc , qui était à peu près un demi-cercle , était parfait
dans toutes ses parties. Il semblait, de plus, beaucoup mieux
terminé que ne l'est en général l'arc-en-ciel solaire et un peu
plus étroit dans sa largeur transversale. Son rayon aussi pa-
raissait un peu moindre, ce qui évidemment n'était (pi'uns
illusion. Quoique beaucoup plus brillant que je n'aurais
pensé qu'un arc-en-ciel lunaire le pût être ( effet produit sans
aucun doute par le fond très-obscur sur lequel il se projetait),
c'était à peine si l'on y distinguait quelques couleurs ; il y en
avait seulement assez pour que les spectateurs fussent bien
ARC-EN-CIEL — ARCHAÏSME
751
certaius que Tordre des couleurs était le na^ne que dans l'arc-
en-ciel solaire; car une faible teinte rougeùlre était sensible
au bord extérieur, et une teinte bleuâtre encore pins faible
au bord intérieur, d'où résultait une frappante conlirmation
de cette singulière loi qui s'observe dans la physiologie de
la vision, savoir : que la perception des couleurs ne se pro-
duit que lorsque Tœil est stimulé par des rayons dune in-
tensité suffisante.
Non -seulement le premier arc était pleinement déve-
loppé, mais encore l'arc extérieur ou second arc-en-ciel
était aussi perceptible. 11 n'était cependant pas assez mar-
qué pour attirer l'attention d'un observateur non prévenu
de son existence, mais on le reconnaissait sans incerlituJe,
et il était à sa vraie distance de l'arc-en-ciel. Pour bien en
sentir l'existence, il était nécessaire de tenir Vœil non fixé,
en regardant comme au hasard. Rien ne manquait au phé-
nomène, pas même des traces des arcs surnuméraires, qui
forment un accessoire si remarquable au bord intérieur de
l'arc-en-ciel solaire dans certaines ciiconstances. Elles
étaient indiquées par une raie perceptible , formant frange
à l'extérieur de l'arc coloré ordinaire , quoiqu'il ne fût pas
possible de distinguer s'il existait une ou plusieurs de ces
bandes surnuméraires.
Le pied austral de ce bel arc-en-ciel était évidemment
formé à une distance de notre station qui n'excédait pas
quelques centaines de mètres; car en montant sur le toit
de mon habitation , on apercevait l'arc-en-ciel en deçà de
quelques arbres qui étarent à cette distance. Au premier
moment de l'apparition , l'arc était parfait et continua à
l'être pendant six à huit minutes. Alors des nuages couvri-
rent la lune, et mirent fm au météore. Je n'ajouterai plus
autre chose, sinon que l'impression produite par ce spec-
tacle était de cette nature exceptionnelle, solennelle, et pour
ainsi dire étrangère à la terre, qui, une fois éprouvée, reste
ensuite ineffaçable dans le souvenir. Sir John Herschel.
ARCÉSILAS, fondateur de la seconde Académie,
dite moyenne, né à Pitane en Éolide, dans la première année
de la 116*^ olympiade (316 ans avant J.-C), reçut une édu-
cation soignée, et fut envoyé à Athènes pour y achever ses
études. 11 apprit les mathématiques sous Autolyque, la mu-
sique sous Xanthe, la géométrie sous Hipponique, l'art ora-
toire et la poésie sous divers maîtres, enfin la philosophie
dans l'école de Théophraste, qu'il quitta pour entendre Aris-
tote. Mais Aristote fut abandonné à son tour pour Polémon.
Appelé, après la mort de Crantor, à se mettre à la tête de
l'école académique, il fit des changements importants dans
les doctrines qu'on y enseignait.
Platon et ses successeurs avaient divisé toutes les con-
naissances humaines en deux classes : objets physiques,
qui frappent les sens, et objets abstraits, que l'esprit seul
peut saisir. Ils prétendaient que la connaissance des uns
constituait l'opinion, et celle des autres la science. Arcé-
silas, en pencliant vers le scepticisme , ou plutôt en l'ou-
trepassant, nia qu'on sût la moindre chose, et qu'on cilt
seulement la conscience de son ignorance. Il rejetait comme
fausses et illusoires les impressions des sens, et soutenait,
d'après ce principe, que le vrai sage ne devait jamais rien
affirmer, puisqu'il était possible de combattre toutes les
opinions de la môme manière. On ne pouvait rien savoir,
disait-il, si ce n'est la chose que Socrate s'était réservée,
c'est qu'on ne sait rien. Encore, suivant lui, cette chose-là
était-elle fort incertaine. « Le sens est trompeur, ajoutait-il;
la raison ne mérite pas qu'on la croie. »
Étant obligé, néanmoins, de mettre ce singulier système
en harmonie avec la nécessité de vivre imposée à tous les
êtres animés, il déclara que son système ne pouvait être ap-
pliqué rigoureusement qu'à la science, et que dans toutes
les choses de la vie il fallait s'en tenir à la vraisemblance.
Ce fut un honune éloquent et persuasif. 11 ménageait peu
les vices de ses disciples, et cependant il n'était pas sans
défaut. Il aimait les jeunes gens qui suiv.iient ses cours, et
les secourait dans le besoin. Au fond sa philosophie n'était
pas austère. Il ne se cachait point de son goût pour les
courtisanes Théodorie et Philèle. Généreux envers les
pauvres, ami des plaisirs , il partageait son temps, comme
rival d'Aristippe, entre l'amour, le vin et les Muses.
.\ en juger parla constance qu'il montra dans les douleurs
de la goutte, il ne parait pas que la souffrance eût amolli son
courage. 11 vécut toujours loin des fonctions publiques, en-
fermé dans son école. On lui fait un crime de ses liaisons
avec Hiéroclès. Il excita la jalousie de Zenon, d'Hiéro-
nynuis le péripatéticien, et d'iLpicure. A sa voix, la philo-
sophie académique chani;ea de face. Il mourut par suite de
l'usage immodéré du vin, à l'âge de soixante-quatorze ans,
dans la quatrième année de la 13i' olympiade.
On a dit qu'il avait imité Pyrrhon et qu'il conversait avec
Timon , de sorte qu'ayant enrichi Yépoque, c'est-à-dire l'art
de douter de Pyrrhon, de l'élégante érudition de Platon , et
l'ayant armée de la dialectique deDiodore, Aristonle com-
parait à la Chimère, et lui appliquait plaisamment les vers
où Homère dit qu'elle était bon par devant , dragon par
derrière et chè\Te par le milieu. Ainsi Arcésilas était , à son
avis, Platon par devant, Pyfrhon par derrière, et Diodore
par le milieu. Voilà pourquoi beaucoup l'ont rangé dans la
secte des sceptiques. Sextus Einpiricus, qui faisait partie de
cette dernière, soutient qu'U y a fort peu de différence entre
son école et celle d'.A.rcésilas.
Un de ses élèves, La cy de de Cyrène, lui succéda; mais
il eut peu de disciples ; on l'abandonna bientôt pour suivre
Épicure. On préféra le philosophe qui prêchait la volupté
de l'àme et des sens à celui qui décriait les lumières de
l'une et le témoignage des autres ; et puis il n'avait ni cette
éloquence, ni cette subtilité, ni cette vigueur au moyen
desquelles Arcésilas avait porté le trouble parmi les dialec-
tiques , les stoïciens et les dogmatiques.
ARCET (D'). Voyez D'Arcet.
ARCHAÏSME, expression, tournure, forme gramma-
ticale dune langue dont l'usage appartient à une autre
époque de la même langue , mais dont on se sert , ou par
aiTedation, ou pour produire un effet, soit poétique, soit ora-
toire. En définitive , c'est une imitation de la manière de
parler de nos anciens auteurs , soit que nous en revivifiions
quelques termes qui ne sont plus usités , soit que nous fas-
sions usage de quelques tours qui leur étaient familiers et
qu'on a depuis abandonnés. Ce mot vient du grec àpy.aïoç,
ancien, duquel, en ajoutant la terminaison tcfio? , qui est le
symbole de l'imitation, on a fait kr>'/oX<s\xh^, qui veut dire
antiquorum imitatio, imitation des wtzxtn^.V archaïsme
est donc opposé an néologisme; l'emploi de l'un et de
l'autre peut cesser d'être un défaut et devenir même une
beauté lorsqu'il est réglé par le goût. Parfois aussi le néolo-
gisme et Varchaisme, oubliant qu'ils viennent des antipodes,
se serrent fraternellement la main et font route ensemble ,
ce qui n'est pas rare chez les romanciers , chez Apulée ,
entre autres , qui ne s'en fait pas faute dans son Ane d'Or.
Avant lui , Salluste l'historien et plusieurs poètes du siècle
d'Auguste s'étaient également adonnés à l'archaïsme.
Chez nous , Naudé , Parisien , a écrit plusieurs ouvrages
dans le style de Montaigne , quoiqu'il soit venu longtemps
après ce philosophe. Les pièces du lyrique J.-B. Rousseau
en style maroti(iue sont pleines à'archaismes. Ainsi lui écri-
vait aussi le comte Hamilton ; et voici l'adresse d'une de
ses épitres :
A gentil clerc que se clame Roussel,
Ores cliaolanl es marcIics de Solure,
Où, de cantons parpaillots n'ayant cure,
Prclrcs de Dieu baisent cncor missel.
De l'iivangilc en parfinant lecture;
lllcc «iui va dans moult noble écriture
752
ARCHAISMÎ!] — ARGUE DE JNOÉ
(Digue trnp plus de loz sempilcriicl )
Mettant plauté et cet antique sel
Qu'en virelais meltoil parfois Voiture ,
A cil Roussel ma rime , aincnis obscure,
Maude salut dans ce clictif cliarlet.
La Fontaine offre mille exemples Je ilélicicux archaïsmes ;
et aussi Paul-Louis Courier, surtout dans sa traduction du
premier livre d'Hérodote, dans Tédit on du roman grec de
Daphnis et Chloé (Amyol retouclié), dans ses inimitables
pamphlets; et son successeur, son émule, son rival Timon;
et M. de Baranta, dans f es Ducs de Bourgogne, qu'on a ap-
pelés du Froissant rc'cfiauffc ; et M. de YandcrI.ourg dans
ses Poésies de Clotildc de Surville, où la vieille langue
d'Oc domine, pourtant, beaucoup plus (jue l'archaisme; et
de Balzac, dans ses Contes drolatiques , et Sainte-Beuve,
et le bibliophile Jacob , et bien d'autres contemporains en-
core, sans compter M. Villcmain , cpii , dans ses iniprovi-
sations , a souvent fort heureusement rajeimi, avec autant
de goût que d'éclat, beaucoup de vieilles expressions, la
plupart empruntées h .Montaigne. Il est fort douteux , ce-
pendant, qu'il consentît à les signer dans un volume.
En définitive, il est dans toutes les langues des écri-
vains qui se sont plu à faire revivre des expressions pas-
sées de mode. C'est dans tous les temps , dans tous les
lieux, une mine féconde; mais il faut savoir l'exploiter
habilement : les conditions de succès dans ce genre sont :
1° un choix heureux d'expressions , '1° une certaine adresse
à les enchisser dans une périoJe dont le caractère général
s'harmonise avec celui du mot , de la forme ou du tour
qu'on transplante du vieux langage dans la langue moderne.
Et puis livrez-vous à votre inspiration , marchez sans
crainte , et vous arriverez au but si vous parvenez à com-
poser un tout dans lequel la cri-tique n'aura à vous repro-
cher aucune trace de marqueterie.
ARCIIAA'GE. Voyez Angk.
ARCïIAA'tiEL. Voijez- .\r,tinANGELSR.
ARCIîE. C'est le nom qu'on donne aux \oiitc3 qui portent
sur les piliers et les culées d'un pont ou d'un aqueduc. Une
arche est dite semi-circulaire, elliptique, cijcloidale , etc.,
suivant la forme que présente sa coupe. Ainsi , Karche
se7)ii-circulaire , nomnivti encore mxhe plein-cintre , est
celle qui a la forme d'un demi-cercle , et dont par consé-
quent la hauteur est égale au diamètre. Les arches sont
dites surhaussées ou surbaissées lorsque la hauteur de
la voûte est plus grande ou plus petite que son diamètre.
L'arche surbaissée se nomme aussi anse de panier
(^ voyez \i\c). Vextrados est la surface extérieure de la
voûte; Yintrados en est la surface intérieure. I):uis la
théorie des ponts, on nomme arche d'équilibre celle dont
toutes les parties éprouvent une pression égale et n'ont
conséquemment aucune tendance à se briser dans im poir.t
plutôt qt'.e dans un autre. La forme de cette arche déiH'U'.i
de celle de l'extrados , et demande pour être déterminée
l'emploi de calculs dont la théorie est développée dans les
Recherches sur Véquilibre des voûtes par Bossut , et dans
V Architecture hydraulique de Prony.
ARCIIE D'ALLL\i\CE. C'était chez les Juifs une
sorte de coffre que Moïse avait lait fabriquer au pied du mont
Sinaï pour y mettre en dépôt les deux tables de pierre sur
lesquelles étaient gravés les dix commandements, plus la
verge d'.Aaron et un vase iiiein de la manne que le peuple
de Dieu avait recueillie dans le déseit. Ce coffre était en bois
de sétim (nom, d'ailleurs, inconnu), de forme carrée,
d'un travail soigné, long de deux coudées et demie, large
d'une coudée et demie, et couvci-t en dedans et en dehors
de lames d'or. Son couvercle , appelé propitiatoire , for-
mait, tout autour, une espèce de couronne d'or pur, et
était surmonté de deux cliérubins d'or battu, placés
aux deux bouts, l'un vers l'autre, ayant le regard baissé
et couvrant le propitiatoire de leurs ailes. La place du pro-
pitiatoire, qu'ombrageaient les ailes des chérubins, était re-
gardée comme le siège de Jél-.ova , qui avait promis à Moïse
que de ce lieu saint il dicterait ses commandements et,
ses oracles. Des deux côtes du coffre aiix quatre coins , il
y avait quatre anneaux d'or, destinés à recevoir deux bâtons
de bois de sétim, aussi couverts d'or, au moyen desquels
on jjortait l'arche.
Les Juifs avait nt pour ce coffre une vénération particu-
lière; ils le regardaient comme un symi)ole de la présence
de Dieu et de son union intime avec eux. Ils attachaient le
plus haut prix à sa conservation, et se croyaient invincibles
tant qu'il était au milieu d'eux ; sa perte était un sujet de
deuil et de découragement. Dans les marches du ;îésert,
il les précédait. Dans les campements, avant la construc-
tion du tenq)Ie, il était placé dans le tabernacle, espèce
de pavillon, ou de tente, qui servait il la célébration du
culte. Quand la tribu de Lévi fut séparée du reste de la
nation pour être chargée des affaires sacrées, la garde de
l'arche lui fut exclusivement ccnliée. .^près l'entrée des
Israélites dans le pays de Chanaan, elle fut d'abord déposée
à Silo , où elle resta trois cent trente ans.
Cependant Dieu, irrité, permit qu'elle fût prise parles
Philistins, qui la gardèrent vingt ans, d'autres disent quarante,
après lesquels ils furent contraints de la restituer aux Juifs,
pour faire cesser les divers fiéaux qui les aifligcaient. Vingt
ans après, Davidla fit transporter de chez le lévite Abinadab,
où on l'avait déposée , à Jérusalem. Plus tard , son fils Sa-
lomon la plaça dans le temple magnifique quïl fit construire.
Les Juifs modernes ont dans leurs synagogues une sorte
d'arm.oire dans laquelle ils mettent leurs livres sacrés ; ils
l'appellent Aron , et la regardent connue la figure de Var-
che d'alliance. Lors de la prise de Jérusalem par les Chal-
déens, Jérémie fit cacher V arche dans un souterrain; il
l'en retira quand les ennemis se furent éloignés, et la porta
dans une caverne profonde, que Dieu lui indiqua dans la
montagne Aeio, oh Moïse avait été enseveli. L'entrée de
celte caverne est si adroilcment fermée, que nul honnne ne
saurait la découvrir sans une révélation particulière, ce qui
doit arriver quand tous les Juifs seront réunis dans leur an-
cienne patrie.
ARCHE DE IVCE. Dieu, dit la Bible, ayant résolu la
destruction des hommes et des animaux par un déluge
universel, donna ordre à Koé de construire en bois une
scrte de vaisseau dans leqi:el il plaça un couple de chaque
e.-ijèce d'animaux impurs, et sept d'animaux purs pour en
conserver la race. L'arche contenait des provisions pour
nourrir tous ces animaux pendant un an, avec Noé et sa
famille, qui se composait de huit personnes.
Tout ce qui concerne ce bâtiment miraculeux, à la ré-
serve de son existence et de sa destination, est abandonné
aux conjectures. Selon Origène, saint Augustin et saint Gré-
goire, Noé employa cent ans à le construire; selon Salomon
Jarchi cent vingt ans, selon Bérose soixante-dix-huit, selon
Tanchuma cinquante-deux, selon les musulmans deux seu-
lement. L'arche, selon la Biiile, était de bois de gophcr;
les Septante traduisent bois équarri ; Jonathas et Onkélos,
cèdre et cyprès; saint Jérôme, bois goudronné, ftîoïse
donne à l'arche 300 coudées de long, 50 de large et 30 de
haut. On a grandement disputé jusqu'au dix-huitième siècle
pour déterminer la longueur de la coudée de Moïse; car si
elle n'avait que la grandeur de la coudée ordinaire ( IS pou-
ces ) , la capacité de l'arche était insuffisante pour contenir
tant d'animaux avec des provisions pour les nouri ir pendant
un an. Jean Lepellelier évalue cette capacité à 42,413 ton-
neaux de 42 pieds cubes, plus, par conséquent, que l'en-
semble de celle de quarante navires de mille tonneaux. Selon
Oiigène, l'arche était de forme pyramidale. Buteo et Lepel-
lelier en font un paiallélipipède rectangle. Moïse la divise en
trois étages; Origène en cinq; Philon, Josèphe, Lepelletier
et Buleo en quatre.
ARCHE DE NOÉ -^ ARCHRNHOLZ
76S
L'arcbe s'arrêta, dit-on, sur le mont Ararat en Arménie,
dont le sommet est aujourd'hui inaccessible, à cause des
neiges dont il est couvert.
ARCHEE ( du prec àpyj] , puissance ou principe).
Quelques anciens métlecins, surtout Van Helmont, em-
ployèrent ce terme pour exprimer le pouvoir intérieur des
mouvements du corps vivant ; c'est l'agent qui, pénétrant la
matière, l'organise et l'élabore, ou la domine, la transforn»e
selon ses desseins, pour la conservation, la perpétuité de
l'être animé. Vaic/ue, d'après Van Helmont et ses secta-
teurs , serait une force intelligente et motrice , qui , s'asso-
ciant à la matière, gouvernant ses molécules, les altérant,
pénétrant au vif les organes dans leur profondeur, produit
les modifications que nous voyons, par la digestion, la nu-
trition, les excrétions et sécrétions, etc. Cet archée, roi, do-
minateur, despote mt^me, est situé, selon l'auteur, à l'orifice
supérieur de l'estomac; il entre en fureur dans certaines
maladies, il est frappé de stupeur en d'autres. Sous sa dé-
pendance sont d'autres archées moins importants, placés,
qui au foie, qui aux reins, au pancréas, etc. L'un des plus
mutins ou séditieux de ces archées inférieurs est celui de
l'utérus : tantôt fantasque, tantôt frénétique, il bouleverse
souvent les autres, ou, semant la discorde, il les entraîne
dans sa faction ; l'on a beaucoup de peine à le dompter chez
les vieilles filles. Cette fiction représente le jeu du système
nerveux, moteur premier de l'économie animale. C'est le
gouvernement du corps : ens spiritiiale, aura vitalis or-
ganonim. Stahl attribua le même rôle à l'âme, et Barthez à
son principe vital. J.-J. Vn?EY.
ARCHÉLAÛS. Plusieurs personnages de l'antiquité
ont porté ce nom. >'ous citerons les suivants :
ARCHÉLAÛS, roi de Sparte, appartenait à la famille des
Agides. Ce fut sous son règne que Lycurgue donna ses lois
( an 8S4 ay. J.-C. ).
ARCHÉLAÛS, roi de Macédoine, fils de Perdiccas et d'une
esclaxe, s'empara de la couronne en attirant chez lui Accé-
tas, frère de son pt>re, qu'il fit assassiner avec son jeune fils,
Alexandre. 11 se défit ensuite de son propre frère, âgé de
sept ans, et fit accroire à Cléopâtre, sa mère, qu'il était
tombé dans un puits. Ce roi fortifia la Macédoine, équipa
des vaisseaux; et, Pydna s'étant révoltée, il mena contre
cette Tille une grande armée et la soumit. 11 aimait les let-
tres, mais il ne put obtenir ni une tragédie qu'il Toulait
qu'Euripide fit en son honneur, ni une simple visite qu'il
espérait de Socrate. Il mourut l'an 400 avant J.-C. , de la
main de Cratère, son favori.
ARCHÉLAÛS, général de Mithridate, souleva la Grèce
en sa faveur, et fut vaincu parSyllaà Chéronéeet àOrcho-
mène. H se vit obligé de traiter avec les Romains, et, ayant
eu beaucoup de peine à faire accepter au roi de Pont des
coudilions désavantageuses, il se réfugia près des vainqueurs
( an 87 av. J.-C. ).
ARCHÉLAÛS , fils du précédent. Pompée le créa grand-
prêtre de la déesse qu'on adorait à Comane. Lorsque Ga-
binius vint à Alexandrie pour rétablir Ptolémée, que les
Égyptiens avaient chassé, en nommant pour reine Cléo-
pâtre, Archélaiis, qui était dans son armée, s'offrit pour
épouser cette reine, en se faisant passer pour le fils de Mi-
thridate, fut reçu dans la place, et périt en combattant plus
va'illamment que les Égyptiens, qui le soutinrent mal dans
une sortie. Antoine lui fit faire de magnifiques obsèques
( an 57 av. J.-C. ).
ARCHÉLAÛS, fils du précédent, fut privé de sa dignité
de grand-prêtre par César ; mais Marc-Antoine le fit roi de
Cappadoce. Il était à la bataille d'Actium ; Auguste lui laissa
néanmoins ses États. H aida Tibère à rétablir Tigrane en
Arménie; mais dans la suite il encourut sa haine pour
avoir négligé de l'aller voir quand il était à Rhodes en
disgi-âce. Devenu empereur, Tibère le fit appeler à Rome,
DICT. DE LA CONVEl^S. — T. I.
où Archflaiis n'eut d'.uitrc moyen d'échapper à une con-
damnation que de se faire passer pour fou ; il mourut bien-
tôt après. Ce prince est connu dans l'histoire des Juifs pour
avoir par sa prudence ntabli la paix dans la famille d'Hé-
rode, flont le fils avait épousé sa fille.
ARCHÉLAÛS, de Milet ou d'Athènes, fut disciple d'A-
naxagore, qu'il suivit dans son exil à Lampsaque, et auquel
il succéda dans l'école ionique. On prétend que, de retour
â Athènes, il fut le maître d'Euripide et de Socrate. Ce phi-
losophe niait la différence du bien et du mal, et disait que les
lois et la coutume constituent seules ce qu'on est convenu
d'appeler le juste et l'injuste. On l'appelait le PJnjsiclen,
parce que, comme son maître, il se livrait surtout à l'étude
des sciences, naturelles. De Golbéby.
ARCHEL.VUS, fils du roi de Judée, Hérode, succéda
à son père (an 1" de J.-C. ) et réussit à se maintenir en
possession du trône malgré une révolte excitée contre lui
par les piiarisiens. Il se rendit ensuite à Rome afin de pren-
dre Auguste pour arbitre dans les réclamations élevées con-
tre lui par son frère Anlipas, qui prétendait avoir autant de
droits que lui à se porter héritier du trône. Auguste se pro-
nonça en faveur d'Archélaiis , et lui accorda le gouverne-
ment des provinces de Judée, de Samarieet d'idumée avec
le titre d'et/inarque. Mais au bout de neuf années les plaintes
universelles provoquées par la cruauté et la tyrannie de son
administration , décidèrent Auguste à dépouiller Archélaiis
de son gouvernement, à confisquer ses domaines particuliers
au profit du trésor, et à le reléguer en Gaule.
ARCIIEIVHOLZ (Jeas-Gcillaume d'), ancien capi-
taine au service de Prusse, né à Langenfurth , faubourg de
Dantzig , en 1745, reçut sa première instruction à l'école
des Cadets , à Berlin. Agé de quinze ans, il rejoignit l'armée
prussienne , et y servit comme officier jusqu'à la fin de la
guerre de Sept Ans. Ayant reçu son congé avec le grade de
capitaine , parce que le roi Frédéric II le connaissait sous
des rapports peu favorables , et surtout comme joueur pas-
sionné, il se mit à voyager, et visita dans l'espace de seize
ans tous les États d'Allemagne, la Suisse, l'Angleterre, la
Hollande, les Pays-Bas autrichiens, la France, l'Italie, le
Danemark , la Norvège et la Pologne. On a souvent cherché
à rendre suspects les moyens par lesquels il subvenait aux
frais de ces voyages.
De retour en Allemagne, il habita Dresde , Leipzig , Ber-
lin , Hambourg surtout , et vécut du produit de sa plume.
Possédant peu de science véritable , mais sachant plusieurs
langues vivantes , doué d'ailleurs d'un rare esprit d'observa-
tion et d'une adresse singulière à questionner et à classer,
habile à saisir le côté caractéristique des choses et à les
exposer d'une manière fine et animée , il s'assura en peu
d'années un public nombreux , sur lequel il exerçait ime
grande influence.
Son point de départ fut un journal fort répandu : Littéra-
ture et connaissance des peuples, qu'il publia pendant neuf
ans en deux séries. Plus tard, il fit paraître, dans le but de
propager le goût de la littérature anglaise, deux autres re-
cueils successifs : VEnglish Lyricum et le British Mercury;
puis il devint éditeur de la Minerve , journal commencé en
1792, et qui fut continué après sa mort.
Son livre de V Angleterre et de l'Italie Aélé traduit dans
toutes les langues , ainsi que ses Annales de l'Histoire
d'Angleterre , œuvre tout aussi brillante , mais ne laissant
pas moins à désirer sous le rapport de la critique et de l'im-
partialité. Quant à ses Histoires de la reine Elisabeth , de
Gîtstave-Wasa, du pape Sixte V, des Flibustiers et de
la conjuration de Fiesque, ce ne sont qtic des romans plus
ou moins ingénieux. Mais il a déployé de brillantes facultés
d'exposition dans son Histoire de la Guerre de Sept Ans :
pour cet ouM'age il a consulté L's sources les plus authen-
tiques et a su les mettre en œuvre avec un véritable ta-
lent. Archenholz mourut en 1812, à sa campagne d'Oyca-
7i4
ARCHENHOLZ — ARCHEOLOGIE
dorf , près de Hambourg, sans avoir cessé un seul instant de
laire preuve d'une activité rare , malgré quelques cliagrins
qui troublèrent ses dernières années. Aug. Savacner.
ARCHÉOLOGIE (du grec àp/aïo;, ancien, etÀôyo;,
discours). Ce mot , dans la généralité de son acception et se-
lon son étymo'.ogic, comprend l'étude de l'antiquité tout
entière par les monuments et par les auteurs. Bornée, comme
l'usage l'a voulu, à la description des monuments, le nom
iï archéographie conviendrait mieux à cette science, con-
sid(?rée dans cet objetninique ; mais une distinction trop ab-
solue serait presque oiseuse : le véritable arcliéologue ne
peut se passer du secours des auteurs classiques pour expli-
quer les monuments, et, à leur tour, les monuments éclair-
cissent un grand nombre de difficultés insolubles sans eux
dans les textes des écrivains anciens.
L'archéologie diffère essentiellement de Vhistoire de l'art
des anciens et de l'érudition. La première nous enseigne
les essais contemporains ou successifs des vieux peuples , et
leurs efforts pour figurer les objets qui composent l'univers
matériel, ceux que l'esprit de l'homme créa après Dieu ; com-
ment d'une imitation servile il s'éleva jusqu'au beau idéal,
qui ajoute à l'univers des beautés dont il ne renferme point
le type complet, et comment, par le secours de l'allégorie et
les effets magiques d'une langue de convention, il sut réaliser
toutes les créations du génie (voyez Antiques). La seconde
s'attache plus particulièrement au texte même des écrits des
anciens , les interprète , en efface les taches que l'ignorance
et l'erreur y introduisirent ; et si elle est véritablement phi-
losophique , elle conclut , du rapprochement de faits cons-
tants et bien observés , quel fut l'état réel de l'esprit et des
mœurs des hommes de l'antiquité. Quant à l'archéologie, elle
se borne à déciiie et à expliquer les monuments qui sont
l'ouvrage de leurs mains.
L'utilité de l'archéologie est trop généralement reconnue
pour nous arrêter à la démontrer, ici. Elle est le guide le
plus fidèle poiu: l'histoire des temps anciens, et, à moins de
nier l'utilité de l'histoire, on ne peut mettre en doute celle
de l'archéologie. Pour les siècles antérieurs à Homère, toute
l'histoire est dans l'archéologie ; les relations abondent sur
les temps qui suivirent ce génie sans modèle et sans ri-
val ; mais l'étude approfondie de ces relations y découvre
parfois des traces de quelques inlluences qui montrèrent à
l'éciivain la vérité là où elle n'était pas, ou bien un peu au-
trement qu'elle ne fut en réalité, et Thucydide est un ex-
cellent Athénien dans l'iiistoire des guerres civiles de toute
la Grèce. Les monuments, au contraire, ne sont d'aucun
parti ; lesjfaits qu'ils énoncent portent avec eux une naïve
certitude; et s'ils contredisent l'iiistorien , ils le condamnent
comme coupable d'erreur ou de mensonge. L'histoire an-
cienne s'éclaire ou s'agrandit par leur témoignage : pour
les hommes célèbres, elle y trouve leurs noms véritables,
leur portrait; pour les peuples, leur origine, leurs opinions,
leur religion et leurs cultes, leur science civile, politique,
économique, administrative, leurs progrès dans les connais-
ances utiles à la civilisation, leurs mœurs publiques et pri-
vées, leur régime général, enfm ce qu'ils firent pour la vé-
rité, et les erreurs qu'ils ne purent éviter ; pour les lieux,
des documents authentiques, d'où la géographie tire des no-
tions importantes qui lui manqueraient sans leur secours ;
et pour les temps, des époques certaines, qui, comme des
jalons lumineux, dissipent une partie des ténèbres dont la
succession des siècles enveloppa les vieilles annales de l'es-
prit humam, et nous signalent en même temps ses progrès.
L'archéologie se propose donc de tracer le tableau de l'é-
tat social ancien par les monuments. L'homme et ses ou-
vrages doivent être le véritable but de son étude ; tous les
monuments, même les plus communs et les plus grossiers,
déposent de quelques faits , et l'ensemble de ces faits est
comme une statistique morale des anciennes sociétés. Con-
sidérée de cette hauteur, l'archéologie mérite le nom de
science ; son utilité frappe dès l'abord ; la variété des moyens
propres à son étude nous charme bien vite. Elle nous fait
vivre et nous entretenir avec tous les grands hommes et
tous les grands peuples des temps passés; nous cherchons
notre histoire dans la leur, et nous ne savons pas résister au
plaisir de comparer nos croyances avec leurs opinions, nos
goûts avec leurs usages, et nos espérances avec leurs destinées.
Pour remplir sa mission, l'archéologie fouille dans la pous-
sière des peuples primitifs; ils ont tracé leur histoù-e sur
leurs monuments ; les temples de leurs dieux témoignent
de leurs croyances ; les ouvrages publics, de leurs besoins
sociaux, des moyens qu'ils surent se créer pour y suffire •
leurs meubles et leurs ustensiles, des mœurs et des goûts in-
dividuels subordonnés aux mœurs générales et aux goûts
nationaux ; leur luxe, de leurs richesses et de l'état de leur
économie publique ; et les chefs-d'œuvre de leurs arts, comme
les chefs-d'œuvre de leur littérature, de toute la puissance
chez eux de l'étude et de l'imagination. Un attrait irrésistible
nous entraîne donc vers ces temps obscurs pour l'histoire elle-
même, et cet attrait nous maîtrise, parce que nous retrouvons à
chaque pas ce qui nous intéresse au plus haut degré, l'homme.
Et ce goût, si noble en son objet , n'est pas un vaniteux
égoïsme ; c'est un louable orgueil de lintelligence , qui se
cherche elle-même avidement dans toutes les générations
éteintes et partout où elle peut se manifester ; elle veut re-
construire ses propres annales et démontrer qu'elle fut cons-
tamment, du moins par ses efforts et par ses vœux, fidèle à
elle-même et à la divinité qui lui donna le pouvoir et en
marqua les limites.
Le monde, jadis habité parles nations ensevelies sous le
sol qui porte les nations vivantes, est le domame de l'ar-
chéologie. Son étude est ùnmense ; un guide habile est in-
dispensable à qui veut en parcourir les routes presque effa-
cées. Les traditions de l'iiistoire ont conservé le souvenir
des faits du passé, et la critique archéologique a rattaché
chaque monument à sa véritable origine. L'antiquaire de
notre temps s'engage donc dans la carrière avec l'expérience
de ceux qui l'y ont précédé. Il y sera encouragé par l'attrait
propre à cette étude, et par les faits généraux ;et caracté-
ristiques dans la vie des anciennes nations, qu'elle lui ré-
vélera. Sous un seul rapport, celui de l'art proprement dit,
elle lui montrera que chaque peuple adopta, pour des rai-
sons que l'on ne saurait déduire, un style qui lui fut propre,
et qu'il conserva par un respect réfléchi pour ses vieilles
coutumes, comme pour se perpétuer par des idées nationales
et consacrées, ou qu'il abandonna lorsque , arrêté dans sa
marche naturelle par une domination nouvelle , il dut re-
noncer tout à la fois à l'existence sociale et à ses progrès
éventuels dans les arts.
L'Egypte est l'exemple du premier ordre de choses, et
l'Élrurie du second : l'une, conquise par les Perses et par
les Grecs, fit respecter ses habitudes et travailla encore sous
leurs yeux conjme au temps de Sésostris; l'autre, se laissant
d'abord aller à l'influence des colonies grecques de l'Italie,
se perdit ensuite sous les coups de l'épée romaine. La Grèce,
au contraire, passa par tous les degrés du perfectionnement
des arts , depuis la plus grossière ébauche jusqu'aux plus
sublimes conceptions. Voilà trois faits caractéristiques dans
l'histoire de trois peuples célèbres. L'archéologie doit donc
enseigner le style de chaque peuple et les époques même
de chaque style ; l'histoire écrite, les préceptes recueillis par
la critique littéraire, l'étude des langues anciennes, sont les
autres moyens qui, avec la connaissance de l'art, guideront
l'amateur et le savant dans la connaissance de l'antiquité.
La géographie, la chronologie, l'histoh-edes religions et des
mœurs anciennes devront la compléter.
L'archéologie embrasse les diverses parties de l'art. D'a-
bord l'architecture conduit à des recherches sur les
différents édifices de chaque peuple, leurs proportions, leurs
ornements.
ARCHl
De l'architecture on passe aux ouvrages d'art, faits pour
embellir les temples , les palais, les autres b;\timents ; et
l'on arrive naturellement à la sculpture. Ici il l;iut dis-
tinguer les statues et les bas -relief s, et examiner ce
qai a rapport à la statuaire, à la p 1 a s t i q u e , ou art de
modeler, à la toreutique, ou art de ciseler. On recher-
ctie les matières dont les anciens sculpteurs se sont servis :
marbre, pierre, terre cuite , cire ; on examine leure instru-
ments et leurs procédés.
La peinture conduit à des considérations relatives à son
origine, à la fabrication et à l'emploi des couleurs, à la
manière de peindre sur marbre , ivoire , bois, toile, à fresque,
ou à l'eiicaiistique.
La gravure sur pierres lines constitue une branche
d'étude toute particulière, dans laquelle on distingue Ks i n-
tailles et les camées, les pierres avec des noms de gra-
veurs; ce qui nous mène encore à la glyptique.
Les mosaïques offrent des sujets d'observation sur les
pierres dures et les cubes do verre qui les composent , sur
l'art enfin de les arranger selon certaines règles fixées d'a-
vance.
Les vases sont intéressants à étudier pour leurs formes
élégantes et bizarres , pour les reliefs et les peintures qui les
décorent. Les vases grecs en terre cuite , improprement ap-
pelés étrusques, complètent le cercle de nos connais-
sances mythologiques. Ceux de sardoine nous offrent des
substances naturelles , d'un prix infini, dont la nature et la
patrie sont pour nous des mystères. Les vases de porcelaine,
ou de cristal, ou d'or, ou d'argent, nous révèlent une iiabi-
leté et un luxe inconnus. Ceux de bronze ou de métal
commun rentrent dans la classe des instruments reli-
gieux, militaires, civils ou domestiques, et sont d'une grande
utilité pour l'étude de l'histoire.
Parmi les instruments religieux , il faut reraarqtier les
autels, les trépieds, les lampes, la hache etlasécespite
pour frapper la victime, les pat ères pour recevoir le sang,
la préféricule, la simpule, l'aspergille pour ré-
pandre l'eau lustrale.
Parmi les instruments militaires, le casque, l'épée, le
bouclier, les cnémides ou jambières, les enseignes.
Parmi les instruments civils, les candélabres , les lampes,
les anneaux, les ar mi II es ou bracelets, les fibules , ou
boucles , les divers ornements de Tintérieur et des costumes
des deux sexes.
La numismatique, ou science des médailles , est la
partie la plus considérable de l'archéologie, par ses rapports
avec l'astronomie, l'histoire, la chronologie, le dessin, la
gravure, l'iconographie.
Vient ensuite 1 ' i c 0 n 0 g r a p il i e elle-même, qui n'est pas
moins intéressante.
Puis les monuments écrits, les inscriptions sur
marbre, pierre, papyrus, parchemin.
Leur étude touche aux travaux de linguistique et de
paléographie.
D'où l'on arrive enfinà ladiplomatique et au blason.
he style d'un monument quelconque est le premier indice
de son origine ; l'œil exercé d'après des règles précises ne
confondra pas une figure étrusque avec une figure égyp-
tienne, quoiqu'elles aient quelques caractères communs,
ni une statue grecque avec une statue romaine, quoique
Rorne doive toutes ses productions aux artistes de la Grèce.
II en est de même du plus petit meuble; et la connaissance
du style particulier à chaque peuple de l'antiquité est une
des notions les plus utiles à l'archéologue.
Parmi les peuples anciens dont les monuments sont sur-
tout pour nous des objets d'étude, parce que nous les con-
sidérons comme classiques, nous citerons les Égyptiens, les
Grecs, les Italiotes ou anciens peuples de l'Italie, les Gau-
lois et les Romains, il y a sans doute aussi des antiquités en
Asie, comme chez les peuples du ^■ord , et Ion trouve des
■OLOGIE
755
monuments anciens dans les Amériques; l'Asie s'infiltre
déjà même avec de grandes promesses dans l'histoire de
nos langues savantes; mais elle fait néanmoins comme un
monde à part, qui a ses doctrines et ses merveilles, et
elle n'entre pas encore assez avant dans nos études ordi-
naires, dans notre système d'enseignement public, elle n'est
pas assez mêlée à nos souvenirs , à nos origines , au goût
général , pour trouver dans cet article une place en rapport
avec son importance même; elle n'excite pas d'ailleurs cet
intérêt universel qui fait accueillir si bien tous les souvenirs
des Gaulois, nos premiers ancêtres; des Romains, qui sub-
juguèrent les Gaulois et envahirent la Grèce ; des Grecs
enfin , qui soumirent l'Egypte après s'être formés à son
école. Nous renverrons donc aux articles consacrés à chaque
pays pour la description des monuments archéologiques qui
méritent une mention , lorsque ces monuments n'auront pas
eux-mêmes un article parlicuher.
Les monuments romains sont comme un produit du sal
de la France ; les monuments grecs ne se voient que dans
les riches collections, et ceux des Italiotes , presque nulle
part ailleurs qu'en Italie; mais les monuments égyptiens
affinent depuis quelques années, et leur variété n'étonne pas
moins que leur nombre et la richesse de quelques-uns
d'entre eux.
Les anciens ne connurent pas l'archéologie comme science i
l'Egypte se place à l'origine des sociétés policées , elle n'eut
pomt d'antiquités à étudier ; la Grèce alla lui demander des
lois, des institutions, et son génie perfectionna les arts dont
elle recueillit les éléments sur les bords du Nil ; la Gaule
était solitaire comme ses druides ; les vieux Italiotes se per-
dent dans les ténèbres primitives de notre Occident, et Rome
n'emporta de la Grèce que des objets de prix comme butin
et non comme objets d'étude. Elle dépouilla aussi l'Egypte
de quelques obélisques et de quelques statues ; mais c'étaient
des trophées qu'elle enlevait ; et dans l'esprit du vainqueur
il n'entrait aucune des vues que se propose l'archéologie.
Ou pourrait considérer Pausanias comme un amateur : il
décrit soigneusement les monuments de la Grèce ; mais il ne
systématise point leur étude ; et la science archéologique
est encore à naître après lui. Elle est un des bienfaits de
la renaissance des lettres en Europe et ne date que de cette
époque à jamais mémorable. Le Dante et Pétrarque, en
cherchant de vieux manuscrits, recueillirent aussi de vieilles
inscriptions. Les médailles attirèrent encore l'attention du
chantre de Laure; il en envoya une collection au roi Char-
les IV, en lui proposant pour modèles quelques-uns des
grands princes dont il lui offrait les effigies. Des restes de
peinture antique furent découverts à l'époque même où l'on
commençait à raisonner sur la théorie de cet art au sei-
z'ème siècle; le Laocoon apparut en même temps; Ra-
I)hael et Michel- Ange étudièrent la sculpture antique, les
pierres gravées, les grandes ruines de l'architecture grecque
et romaine; les érudits y cherchèrent l'explication des tra-
ditions écrites sur l'antiquité, et la science proprement dite
fut dès lors fondée.
Laurent de Médicis établit à Florence un enseignement
public d'archéologie; l'histoire de l'art vint puiser à 1^
même source que ses théories ; "Winckelmann écrivit sous
l'inspiration de ses chefs-d'œuvre, et l'alliance des arts
et de l'archéologie fut scellée par le génie de ce grand
homme. A de nombreuses monographies , ou descriptions
spéciales de certains monuments, succédèrent des traités gé-
néraux , que , dans cette science comme dans quelques au-
tres, un zèle trop hâtif s'était empressé de produire. Des
systèmes parfois hasardeux prirent la place de théories
souvent erronées; mais la raison humaine est comme la
sphère des fixes : un astre nouveau en s'élcvant sur un ho-
rizon en entraine d'autres sur tous ses points , et ceux-ci
sont éclairés simultanément d'une lumière nouvelle. Quand
la physique fut dépouillée de ses erreurs, l'archéologie le fut
95.
756
ARCHEOLOGIE — ARCHER
aussi des faux systèmes : toutes les sciences ont été fon-
dées quand les saines méthodes se sont dévoilées à notre
esprit. L'entendement humain est un, il ne peut croire
tout à la fois à la vérité et à l'erreur : c'est un instrument
qui opère de même sur toutes les matières. Louis XiV fonda
l'Académie des Inscription s et Belles-Lettres; Rome
expliqua les monuments de sa splendeur primitive ; des
voyageurs courageux allèrent exhumer ceux de la Grèce, et
le monde savant fut comme un laboratoire où l'on s'effor-
çait de ressusciter l'antiquité pièce à pièce.
Grœvius et Gronovius avaient recueilli dans leurs
volumineuses collections les fruits éparsdetous ces labeurs;
Gruter et M u rat o ri formaient un corps systématique de
toutes les inscriptions trouvées dans le monde romain;
Mont faucon exi)liquait par les monuments les mœurs et
les usages des anciens ; dom Martin, la religion des Gaulois;
Baxter, les antiquités britanniques, et Kircher s'était
donné pour un Œdipe qui interprétait toutes les énigmes
égyptiennes.
Le siècle dernier fut réellement celui qui fonda la véri-
table science de l'antiquité : les conjectures téméraires, les
explications puériles furent enfin décréditées ; la multipUcité
des monuments, la fondation des musées, le goût des col-
lections particulières , multiplièrent aussi les études fondées
sur les rapprochements, et chaque partie de la science eut
des maîtres dont les écrits forment encore les meilleurs dis-
ciples : le comte de C a y I u s soumit à l'ordre chronologique
les monuments des différents âges, et pénétra le secret de
la plupart des arts qui les avaient produits; Morcelli proposa
un système régulier pour la classification des inscriptions
selon leur sujet, et pour leur étude selon leur style ; E c k h e 1
coordonna méthodiquement la science des médailles; Rasche
la rédigea selon l'ordre alphabétique ; Fasseri et Dempster
ouvrirent à Lanzi la carrière des idiomes et des monu-
ments de l'Italie antérieurs à la fondation de Rome; Her-
culanum et Pompéi étaient découverts; l'abbé Bar-
thélémy réédifiait la Grèce de Périclès de ses propres
débris ; Zoega déblayait les avenues de l'antique Egypte, et
Visconti paraissait au miheu de tant de travaux comme
l)ien capable de les compléter tous.
Le commencement du siècle actuel fut l'époque d'une
révolution nouvelle dans la science : la France lettrée fit la
conquête de l'Egypte savante; l'archéologie connut enfin
son origine. La Grèce antique y chercha aussi la sienne ;
des lumières nouvelles éclairèrent réciproquement l'étude de
l'une et de l'autre ; un magnifique ouvrage fut le fruit du zèle
le plus actif et le plus fructueux , monument d'un éternel
honneur pour la France, qui l'a donné à l'Europe littéraire,
comme le fruit d'une ardeur à l'épreuve des périls et d'une
constance qui fut plus que du courage. Dès lors la science
s'agiandit et appela de nouveaux disciples dans la carrière.
Millin s'était voué à l'explication de l'antiquité figurée;
ees Monuments inédits, son Recueil de Vases peints , sa
Description des Tombeaux de Canosa, méritèrent tous les
suffrages ; mais sa persévérance dans ce genre d'exploration
a trouvé trop peu d'imitateurs : les monuments s'accumulent
dans les collections, et peu de personnes songent à leur in-
terprétation. Mongcz les mêle souvent à ses doctes re-
cherches, et son Dictionnaire d'Antiquités est pour la
science un guide à la fois savant et élémentaire.
Dans les autres contrées , en Italie surtout, l'archéologie
classique a de nombreux représentants ; Kaples et Rome
citent Rossi, Carcani, Fea, Testa. M. A'ermiglioli, professeur
d'archéologie à Pérouse, s'est voué à l'interprétation des
monuments étrusques ; le docte Orioli a fait des recherches
sur ces mêmes moniunents ; à Florence, M. Micali a consa-
cré un ouvrage célèbre ?i l'histoire des peuples d'Étru-
rie. MM. Zannoni et Ingliirami ont rivalise de zèle avec
MM. Alessandri et le comte Capponi, poiu- faire connaître
convenablement les richesses de la célèbre galerie de Flo-
rence ; à Milan, les Cattaneo, Malaspina, et ceux qui marchent
sur leurs traces, ont répanda la lumière sur les ténèbres des
vieux temps; à Turin, MM. de Balhe, Napione, Peyron,
Gazzera et quelques autres savauls disluii^ues, se sont aussi
voués au culte del'anliquilé.
L'Allemagne, si docte et si laborieuse, suit les nobles
exemples des Ernesti , des Sulzer, des Heyne et de tant
d'autres érudits qui ont associé les monuments à l'interpré-
tation des auteurs ; elle peut encore citer Thiersch, O. .Miil-
1er, Boettiger. L'Angleterre exploite aussi à la fois ses anti-
quités romaines, galliques, saxonnes et normandes ; et tant
d'efforts réunis ne peuvent être infructueux pour l'histoire
approfondie des primitives expériences sociales , seul but
vraiment philosophique de l'archéologie.
Dans notre France, enfin, la science archéologique ne pro-
met pas de moins heureux résultats : ses antiquités natio-
nales trouvent dans tous les départements des explorateurs
instruits et désintéressés , dont le zèle est soutenu par la
conscience du service important qu'ils rendent aux arts, aux
lettres etàl'histoire ; d'honorables récompenses décernées par
l'Académie des Inscriptions, ont déjà recommandé à l'estime
publique les recherches des Schweighseuser (sur le Haut-
Rhin), Dumège ( Haute-Garonne et Tam-et-Garonne ),
Chaudruc de Crazannes ( Charente-Inférieure ) , Gaillard
( Lillebonne), de Bausset (Béziers), Maurice Ardant (Haute-
'V^ienne ), Le Prévost ( Seine- Inférieure ), de Caumont (An-
tiquités de la Normandie), de Gerville (Manche), Texier
(Monuments de Reims, Nîmes, etc.), et quelques-uns
d'entre eux ont associé toutes les ressources de l'érudition
à l'examen et à la description des monuments. Citons en-
core les noms d'Alexandre Lenoir, et du comte de Laborde
pour les monuments nationaux. Dans l'Académie des Ins-
criptions et hors de son sein , M-M. Raoul Rochelle , Ch.
Lenormant, deSaulcy, de Luynes, de la Saulsaye, Vitet,Di-
dron, de Rougé, Beulé, Mariette, etc., honorent la France
par leurs travaux. Letronne s'élait voué à de curieuses re-
cliercties sur l'Egypte grecque et romaine. Ailleurs, les ina-
nusciils sur papyrus ont occupé les veilles de iMM. Young,
Bu'cli, Kosegarlen et autres.
J'ai réuni mes efforts à ceux de ces savants distingués ;
enfin l'alphabet des hiéroglyphes est découvert, et restitué
à riiistoiie des siècles qui en avait perdu le souvenir. Que
de raisons pour espérer que l'étude de l'archéologie retirera
des lumières nouvelles de cette persévérance éclairée , et
l'histoire , des documents authentiques qui rectifieront ses
erreurs et combleront d'immenses lacunes !
CuAlirOLLION-FlGEAC.
ARCHER, celui qui tire de l'arc. Quoique l'arc soit
l'une des premières armes dont l'homme ait fait usage, si-
non à la guerre, du moins pour pourvoir à son existence, et
qu'on le voie presque universellement employé parmi les
anciens, on ne trouve aucun monument qui atteste que cette
arme ait été en usage chez les Francs du cinquième au
huitième siècle. Peut-être l'habitude qu'avaient originaire-
ment ces peuples guerriers de s'élancer sur l'ennemi et
de le combattre corps à corps , leur a-t-elle fait considérer
l'arc comme un instrument méprisable, ou du moins beau-
coup trop frêle pour percer les armures dont les Romains
étaient couverts. Mais comme leur principale force consis-
tait en infanterie, l'expérience des combats leur fit mieux
apprécier l'avantage de l'arc, et combien cette arme était re-
douiable à la cavalerie.
Elle était d'un usage général du temps de Chariemagne ,
CAv dans l'un des capitulaires de cet empereur ( Baluze ,
tome I, pages 508 et 509), il prescrit aux comtes que les
armes ne manquent point aux soldats qu'ils doivent conduire
à l'armée , c'est-à-dire qu'ils aient une lance , un bouclier,
un arc avec deux cordes et douze flèches ; qu'ils soient ,
enfin, pourvus de cuirasses et de casques, armes défensives
que n'avaient pas les anciens Francs. L'institution de la
ARCHER — ARCHI'T
chevalerie ayant fait prévaloir en France la cavalerie sur
l'infanterie, où la noblesse ne voulut plus servir en corps ,
on iustitua des artlicrs à cheval, pris parmi les tenanciers
noliles, et dès loi-s des archers à pied (à Texception de quel-
ques archers génois à la solde de France ) firent partie de
la milice des communes et furent chargés de la police inté-
rieure. Ce furent les arbalétriers à pied qui les rempla-
cèrent dans linfanlerie jusque vers le milieu du quatorzième
siècle. La supériorité que la milice anglaise axait acquise
sur la nôtre par la conservation de cette arme et la bril-
lante renommée des archers écossais au service de France
la rétablirent bientôt chez nous dans toute son ancienne fa-
veur. On voit en effet par les rôles des montres, à partir
d'environ I3i0, que le plus grand nombre des archers se re-
crutait dans le corps de la noblesse.
Lorsque Charles Vil donna une organisation plus régu-
lière à l'armée française, il ordonna ( 28 avril 1448) que
chaque paroisse du royaume choisit un homme robuste et
en état de faire la guerre, qu'elle tiendrait continuellement
prêt à entrer en campagne, armé d'un arc, de flèches, d'une
dague ou d'une épée, et qui s'exercerait au tir de l'arc aux
jours fériés et non ouvrables. La solde des archers fut réglée
à quatre francs par mois pendant toute la durée de leur ser-
vice actif seulement. Ils étaient indemnisés pour tout le
temps qu'ils se tenaient en disponibilité par l'ciemption de
toutes tailles et autres charges quelconques, excepté les aides
de guerre et la gabelle du sel. Aussi, le roi, par la charte
d'institution de ce corps , lui donna-t-il le nom de francs-
archers. Les nobles les appelaient par dérision francs-tau-
pins , faisant allusion aux taupinières dont les clos de ces
paysans étaient remplis, surnom qu'ils eurent bientôt ennobli
par l'importance des sen ices qu'ils rendirent dans les armées.
Voici quelle était alors l'armure complète d'un franc-ar-
cher : la salade, casque léger sans crête; la. jaque, habil-
lement lacé par devant, qui venait jusqu'aux genoux, et
rembourré de coton ; la brifjand'me, corselet de lames de fer,
attachées les unes aux autres sur leur longueur par des
clous rivés ou par des crochets ; le vouge, épieu de la lon-
gueur d'une hallebarde, dont le fer était semblable à un
carreau; la rondelle, bouclier de forme ronde ou ovale; la
trousse, espèce de carquois où les archers mettaient leurs
flèches au nombre au moins de dix-huit; la dague, espèce de
long poignard ; enfin ïépée. La légèreté de cette armure ne
permettait pas aux archers de combattre avec les hommes
d'armes, quoiqu'ils fissent partie de leur suite, selon l'or-
donnance. Ils se tenaient sur les ailes, oii, conformément
à la vivacité plutôt qu'à la force de leurs montures , ils es-
carmouchaient et harcelaient l'ennemi, comme firent depuis
les chevau-légers.
L'institution des francs-archers mit à la disposition du
prince une milice réglée et permanente, qui l'affranchit de
la dépendance des grands feudataires. A partir de cette
époque on vit cesser dans nos armées l'usage des bannières
et pennons ; le commandement étant attribué, non plus à la
chevalerie, mais à des grades spéciaux.
Louis XI porta à 16,000 le nombre des francs-archers, et
nomma pour les commander quatre capitaines généraux ,
ayant eux-mêmes un chef supérieur. Ce fut néanmoins ce
même roi qui supprima , en 1480 , les corps des francs-ar-
chers , pour lever des Suisses et des lansquenets ou Alle-
mands. Deux considérations puissantes paraissent avoir
motivé cette mesure : la mauvaise discipline de l'infanterie
française à cette époque , et la multitude de privilégiés et
de faux nobles qu'avaient enfantés les exemptions des francs-
arcliers. Ces exemptions n'étaient q\ie personnelles; mais
comme le fils d'un franc-archer ambitionnait de succéder
aux franchises de son père , la jouissance non interrompue
des mêmes privilèges pendant plusieurs générations dans
une même iainille ne permettait plus de distinguer sur les
rôles des comjnunes ceux qui étaient nobles de race de
757
ceux qui n'avaient que des exemptions viagères. De là le
nom de noblesse arc/icre donné à cette noblesse.
Ce fut probablement pour prévenir le retour de cet abus
que Henri III, lors de la formalion de ses compagnies d'or-
donnance (1579), statua que nul ne pourrait être gen-
darme s'il n'avait été archer ou chevau-léger au moins pen-
dant un an, ni archer s'il n'était pas noble de race. Les ar-
chers n'ont pas existé longtemps après cette ordonnance :
les progr 'S de l'artillerie et la formation des régiments ont
rendu inutiles dans nos armées les services de cette milice.
Mais le nom d'archer a survécu au corps au(iuel il était
aflecté. Les officiers exécuteurs des ordres des lioiitenaats
de police et des prévois étaient encore avant la Révolution
appelés archers, quoique armés de hallebardes et de fusils.
La maréchaussée avait aussi de ces archers, mais à cheval,
lesquels escorlaient la diligence de Paris à Lyon. Pour les
archers de la manche, voyez Gardes du coups. Lai.né.
Chez les anciens , les Thraces , les Parthes , les Scythes
et les Cretois passaient pour d'excellents archers. Zozime
parle d'un archer grec , nommé ISlénélas, qui avait trouvé le
moyen de lancer avec un seul arc trois flèches à la fois, frap-
pant trois buts divers. Les Grecs employaient les archers
comme troupes légères, soit pour entamer l'action avec
l'ennemi, ou lui tendre des embuscades, soit pour éclairer la
marche des armées ou couvrir les retraites.
ARCHESTRATUSjde Gela, en Sicile, poëte didac-
tique contemporain d'Aristote. Il parcourut tous les pays
civilisés et toutes les mers, pour connaître les aliments que
chaque contrée pouvait fournir à l'homme. Il étudia surtout
les poissons, leur histoire naturelle, et la manière de les
préparer. Les fruits de son expérience furent consignés dans
un poëme auquel il donna le titre de Gastrologie , et qui
est aussi cité sous ceux de Gastronomie, Hédypathie, Deip-
nologie , Opsopœie. Les fragments qu'Athénée en a con-
servés forment deux cent soixante-dix vers. Apulée dit dans
son Apologie qu'Ennius avait traduit le poëme d'.\rchestra-
tuSj sous le titre de Carmina hedypathetica. Voici un des
préceptes que contenait ce poème sur l'art culinaire : « Si
« le nombre des convives excède celui de trois ou de qua-
« tre , ce n'est plus qu'un rassemblement de mercenaires
« ou de soldats qui mangent leur butin. » Il parait que ses
voyages et son enseignement gastronomique ne l'avaient
pas enrichi ; car voici l'exclamation que Plutarque met dans
la bouche d'un de ses partisans : «■ O Archestratus, que
« n'as-tu vécu sous Alexandre ! chacun de tes vers eût ob-
n tenu Chypre ou la Phénicie pour récompense ! » — Les
fragments de ce poëte, épars dans Athénée, ont été recueillis
par Schneider, dans l'édition qu'il a donnée de l'histoire des
animaux d'Aristote. — Il y a eu un autre Ahciiestratus,
poète tragique, dont les pièces furent jouées pendant la
guerre du Péloponnèse, et dont il ne reste rien. Artaid.
ARCHET, baguette de soixante-dix à soixante-douze
centimètres de longueur, terminée par deux parties saillan-
tes , dont une , celle d'en haut , a le nom de tète , et l'autre ,
mobile au moyen d'une vis à écrou, poi1e celui de hausse.
Une tige de crins de cheval tendus longitudinalement dans la
direction de la baguette s'appuie sur la tête et sur la hausse ;
et cette dernière partie, en s'éloignant ou en se rapprochant
à volonté, sert à donner aux crins le degré de tension
convenable. L'instrument que nous venons de décrire sert à
faire vibrer les cordes des violons, des basses , etc. ; sa forme
actuelle lui a été donnée en 1797 , par Viotti , et n'a pas peu
contribué , assure-t-on , aux progrès de l'art du violoniste.
Autrefois , en effet , l'archet était beaucoup plus cintré. Au
dix- septième siècle Lullifit employer un archet plus court,
et au dix-huitième siècle Tartini mit en vogue les archets
longs, mais moins pourvus de crins que ceux dont se servent
aujourd'hui nos artistes.
En technologie, on donne aussi le nom d'archet h une
tige élastique et flexible, en acier ou en baleine, montée
>8
ARCHET — ARCHIAS
sur un manche, pourvue d'une grosse corde de chanvre ou
de boyau , fixée par une de ses extrémités à la partie de la
tige qui est près du manclie , et s'accrocliant par l'autre
extrémité à l'un des crans ou entailles pratiquées à l'autre
bout de la tige. En imprimant à l'archet ainsi tendu un
mouvement de va et vient , on communique à la boite à
forer , autour de laquelle s'enroule la corde, une rotation
alternative et plus ou moins rapide.
ARCHÉTYPE (du grec àç>yj?\, principe, et xutio;, type,
modèle). Dans la vieille école philosophique on désignait
par ce mot l'idée sur laquelle Dieu a créé le monde.
En termes de monnayage , il indique aujourd hui l'étalon
sur lequel on étalonne les poids et les mesures.
ARCHEVÊQUE (en latin archiepiscopus, du grec àp-
XÔ; , chef, et ÈTtiaxÔTro;, intendant, inspecteur, évoque; mot à
mot, chef des évoques ), qualification fausse si on la prend au
pied de la lettre. L'archevêque de Lyon se donnait le titre de
primat des Gaules; celui de Bourges, celui de primat d'A-
quitaine; et cependant au concile d'Orléans, tenu en 512,
les «vèques signèrent simplement d'après l'ordre de leur
réception , quoique quelques-uns se fussent emparés de la
qualification de métropolitain, qui, du reste, ne donnait au-
cune prééminence. La dignité d'archevêque n'a guère été
connue en Occident avant Charlemagne. En Orient on n'en
trouve pas vestige avant le concile d'Éplièse, tenu en 321.
Saint Athanase est le premier qui en ait fait mention en la
donnant à son prédécesseur Alexandre; saint Grégoire de
Nazianze en gratifie à son tour Athanase; mais ce n'était
qu'un titre purement honorifique, attribué particulièrement
aux évêques de Constantinople et de Jérasalem. Dans la
suite, les Grecs le donnèrent aux évêques des grandes villes,
bien qu'ils n'eussent aucun suffragant flans le diocèse, taudis
que le métropolitaia en avait plusieurs.
Au concile d'Éplièse le titre d'archevêque de Rome fut
donné par les Grecs à Céleslin, celui d'archevêque de Jéru-
salem à C}rille; et l'évêque de Rome, Léon \", reçut à son
tour celte même qualification d'archevêque au concile de
Clialcédoine, tenu en 451. Chez les Latins, Isidore est le pre-
mier qui parle d'archevêques.
L'archevêque, par rapport à Tordre et au caractère, n'est
pas plus que l'évoque ; mais il exerce les fonctions d'un
ministère plus grand, plus étendu. En droit, les évêques
sulfragants sont tenus de reconnaître l'archevêque de leur
diocèse pour supérieur, de n'entreprendre aucune affaire
importante sans l'avoir consulté; mais, de son côté, l'ar-
chevêque ne doit rien faire qui intéresse toute la province
sans en avoir délibéré avec ses suffragants ; il a le droit de
confirmer l'élection des évêques, de les consacrer, de con-
voquer des conciles provinciaux et de les présider, de faire
observer aux évêques leur devoir, de les suspendre , de les
interdire, de les excommunier même le cas échéant. Quant
aux fidèles placés sous la juridiction des évêques ses suf-
fragants, l'archevêque n'a sur eux aucun droit direct; il n'a
d'autre droit que celui de visite dans les diocèses subor-
donnés , et celui de cassation des jugements épiscopaux
lorsqu'on en appelle devant lui. Ce droit d'appel contre les
décisions des évêques ou de leurs officiaux a lieu tant pour
ce qui est de la juridiction volontaire, que pour ce qui touche
à la juridiction contentieuse ; mais les archevêques n'ont
nullement le droit d'intervenir en première instance dans les
affaires dont la décision appartient aux évêques, parce que
cela tendrait cvidenrment à jeter le trouble dans l'ordre des
juridictions, et que la fonction des évêques cesserait entiè-
rement le jour où il serait loisible aux aichevèques de se
mettre à leur jilace.
En France, la politique nationale a toujours tendu à lutter
contre l'élahlissenient de ces diverses provinces ecclésias-
tiques. Les archevêques n'ont jamais eu le droit de convoquer
les conciles provinciaux qu'avec l'autorisation du chef de
l'Etat ; le droit de visite même n'a jamais été en pleine vi-
gueur. La dignité d'archevêque est demeurée chez nous une
distinction honorifique plutôt qu'une distinction poUtique.
Celte distinction honorifi(jue elle-même a été fréquemment
contestée , et l'histoire des parlements montre qu'on n'a pas
toujours permis aux archevêques de jouir pleinement de tous
les honneurs que l'Église leur attribue. Ainsi , au dix-sep-
tième siècle, on vit le parlement d'Aix refuser à l'arche-
vêque de celte ville d'entrer dans la salle d'audience en
faisant porter sa croix devant lui. L'affaire fit grand bruit,
et gain de cause , en définitive , resta au parlement.
La distinction principale des archevêques consistait dans
le pallium. C'était le symbole de la plénitude de leur sa-
cerdoce. Cette décoration , composée d'une bande de laine
blancha suspendue sur la poitrine et chargée de trois croix
noires , remontait à un usage semblable étabh par les em-
pereurs romains. La laine devait être prise sur des agneaux
nourris et tondus par des diacres spécialement chargés de
cet office. Les archevêques avaient en outre le droit de
porter un manteau violet par-dessus le rochet, de bénir en
faisant le signe de la croix et même en levant la main sur
les fidèles.
On entend par archevêché : 1° le diocèse d'un arche-
vêque, ou la province ecclésiastique, composée du siège
métropolitain et de plusieurs évêchés suffragants ; 2° le
palais archiépiscopal , ou la cour ecclésiastique d'un arche-
vêque; 3° les revenus temporels d'un archevêché. Il y a
maintenant en France quinze archevêchés, dont les sièges,
selon l'ordre des provinces ecclésiastiques, sont Paris, Cam-
bray, Lyon, Rouen, Sens, Reims, 'fours, Bourges, Albi,
Bordeaux, Auch , Toulouse, Aix, Besançon et Avignon; il
y en avait autrefois dix-huit; les trois qui ont été supprimés
sont : Arles, Embrun et Narbonne. L'Église grecque et
l'église anglicane ont aussi leurs archevêchés et leurs
archevêques. Voyez Évèque, Épiscopat, Diocèse, etc.
ARCHI. Cette expression, empruntée au grec àp/àî, qui
signifie principe , primauté, puissance, commandement , ne
s'emploie jamais seule en français ; mais elle sert à marquer
la prééminence dans tous les ordres de mots dont elle forme
la tête ou le commencement, tels qa'arckiprétre,archidia-
crc, arc/iidnc. Un Iciups du premier empire français il y
eut des iircliichanceliers ot un arcliitrésorier.Lemot archise
trouve aussi dans les mots archange et archevêque, qui in-
diquent un rang au-dessus des anges et des- évêques, etc. On
l'emploie aussi dans le stj le familier pour exprimer le degré
de force ou de supériorité auquel se trouve portée une bonne
ou une mauvaise qualité , un vice ou un défaut : ainsi l'on
dit un archi-fou, un archi-paresscux, et c'est alors un
simple superlatif.
ARCHIAS, poète grec, moins connu par ses ouvTages,
dont il ne nous reste presque rien , que par le magnifique
discours que Cicéron prononça en sa faveur, naquit à An-
tioche, l'an 634 de Rome (117 av. J.-C). Il vint en Italie
à l'âge de seize ans, et arriva à Rome l'année même où Ma-
rins, consul pour la quatrième fois, défit les Teutons et les
Cimbres. Sa réputation l'y avait devancé : il fut accueilli
dans les principales familles de la république; les Métellus,
les Catulus, les Crassus, l'admirent dans leur intimité; les
Lucullus le reçurent dans leur maison, et l'un d'eux, en l'a-
doptant, lui fit prendre les noms A' Aldus Licinius. Il ac-
compagna le personnage le plus illustre de cette famille, le
fameux Lucius Lucullus , dans son expédition contre Mi-
thridateetdans ses voyages en Asie, en Grèce et en Sicile.
Lucullus le fit, pendant un de ces voyages, recevoir citoyen
d'Héraclée en Lucanie. Cette ville avait le titre d'alliée de
Rome. Trois ans après, la loi Plautia Papiria accorda le
droit de cité romaine à tous ceux qui, inscrits comme ci-
toyensdans les villes confédérées, seraient domiciliéscn Italie
depuis trois ans, et feraient dans les soixante jours leur
déclaration an préteur. Archias accomplit cette formalité, et
se trouva citoyen romain. Il jouit pendant vingt-huit ans
ARCHIAS — ARCIIIGALLE
759
des privilj'gos attadu^s à ce titre. Mais pendant cet inter-
valle les registres d'Héraclée furent détruits dans un incen-
die, et en 693 le censeur (on n'est pas d'accord sur son
nom), faisant un nouveau recensement des citoyens romains,
refusa de l'y comprendre. Cicéron, qui dans sa jeunesse
avait reçu (lu poëte quelques conseils, et qui, en consé-
quence, se regardait comme son disciple , prit sa défense ,
et ce fut alors qu'il prononça en sa faveur son admirable
plaidoyer jaro Archia poeta, regardé avec raison comme un
des plus parfaits modèles d'éloquence. Il gagna sa cause ,
car on ne trouve chez les anciens aucune assertion contraire,
et Archiaà lut probablement porté de nouveau sur le rôle
des citoyens de la ville éternelle. Mais à partir de cette
époque on ne sait plus rien de lui , et on ignore même la
date de sa mort.
11 avait, peu de temps après son arrivée à Rome, composé
un poème sur la guerre des Cimbres, et son ou^Tage avait
obtenu le suffrage de Marius ; ce qui, pour le dire en pas-
sant, ne prouve pas qu'il fût excellent , car ce soldat parvenu
ne passait pas pour avoir un goût très-exercé en matière
littéraire. 11 chanta ensuite la (jucrre de Mithridatc, puis
il commença sur le consulat de Cicéron un troisième poëme,
qui n'était point achevé lors de son procès ; car l'orateur eu
parle, dans son discours , comme d'une œuvre encore at-
tendue. Enfin, on trouve sous son nom, dans ï Anthologie,
trente épigrammes, et c'est tout ce qui nous reste de lui ;
malheureusement ces petits poèmes ne sont pas de nature
à donner une grande idée de la valeur de ceux qui sont per-
dus, et ceux-ci ne seraient guère regrettés si Cicéron n'en
avait fait un aussi grand éloge. Léon Renier.
ARCHIATRE (des mots grecs à^ySn, et laTpoç, mé-
decin en chef, médecin principal). Sous les empereurs ro-
mains d'Occident et d'Orient on donnait ce nom à des mé-
decins salariés et exemptés de toutes charges publiques. Le
premier personnage que l'histoire mentionne comme ar-
chiûtre est Andromaque l'ancien, contemporain de Néron,
et auteur d'un poëme sur la thériaque, qui a été conservé
par Galien. Dans le principe les archiâtres étaient payés
pour soigner gratuitement les pauvres. A Rome il y en avait
un pour chacun des quatorze quartiers de la ville; dans
cette capitale, ainsi que dans plusieurs autres grandes villes,
qui, selon leur étendue, entretenaient un nombre plus ou
moins considérable d'archiâtres, ceux-ci formaient un collège
à part; et lorsque l'un d'eux venait à mouru-, les autres lui
choisissaient un successeur après l'examen le plus sévère.
Ce ne fut qu'au temps de Julien que les archiatri popu-
lares (médecins publics pour le peuple) furent distingués
des archiatri sancti palatii (médecins personnels de l'em-
pereur et de la cour), et dans les temps plus modernes le
titre d'archiâtre fut presque exclusivement réservé aux mé-
decins des princes.
ARCHICHANCELIER. On donnait ce nom à deux
des grands dignitaires de l'empire français créés par le sé-
natus-consulte organique du 28 floréal an XII. L'archi-
chancelier de l'empire était chargé de promulguer les
lois et les sénatus-consultes organiques; il était grand offi-
cier du palais impérial, et partageait avec le grand-juge, mi-
nistre de la justice, le travail du rapport annuel adressé à
l'empereur sur les abus qui avaient pu s'introduire dans
l'administration de la justice civile et criminelle ; il présidait
la haute cour impériale, les sections réunies du conseil
d'État, assistait à tous les actes de l'état civil de la famille
impériale, signait tous les brevets de nomination de l'ordre
judiciaire. Enfin il était de droit président du collège élec-
toral de la Gironde. Cette charge était la seconde des grandes
dignités de l'empire. — Varchichancelier d'État était le
troisième de ses hauts dignitaires créés par Napoléon. 11 rem-
plissait les fonctions de chancelier pour la promulgation des
traités de paix et d'alliance, et pour les déclarations de guerre.
11 présidait de droit le collège électoral delà Loire-Inférieure.
ARCHIDIACRE (en latin archidiaconus , du grec
àpxri, chef, et Siâxovo; , scniteur, diacre), supérieur ec-
clésiastique , qui a droit de visite sur les cures d'une cer-
taine partie d'un diocèse. L'archidiacre était autrefois le
premier et le plus ancien des diacres; on ne le connais-
sait point avant le concile de Nicée. C'était le premier mi-
nistre de l'évc^quc pour toutes les fonctions extérieures, par-
ticulièrement pour l'administration du temporel ; à lui étaient
confiés le soin de faire observer l'ordre et la décence publique
pendant roflice divin , la garde des ornements de l'église, et
la direction des pauvres : c'est pourquoi on l'appelait la main
et Vœit de l'évêque. Ce pouvoir mit bientôt l'archidiacre au'
dessus des prêtres , qui n'avaient que des fonctions spiri-
tuelles. 11 n'eut pourtant aucune juridiction sur eux jusqu'au
sixième siècle; mais il devint bientôt leur supérieur, et même
celui de l'archi prêtre. Après le dixième siècle les ar-
chidiacres furent regardés comme ayant juridiction de leur
chef, avec pouvoir même de déléguer des juges. Dans la
suite , pour affaiblir leur puissance , on les multiplia , sur-
tout dans les diocèses de grande étendue , et celui qui eut
son district dans la ville épiscopale prit la qualité de grand
archidiacre. Il avait aussi lagardedu trésor de l'église, une
juridiction analogue à celle des officiaux , et faisait la visite
dans les paroisses du diocèse où l'évêque l'envoyait , seule
fonction qui lui soit restée depuis.
L'archevêque de Paris a trois archidiacres, qui portent les
titres d'archidiacre de Notre-Dame , d'archidiacre de Sainte-
Geneviève , et d'archidiacre de Saint-Denis. Ils ont l'admi-
nistration des affaires des archidiaconés dont ils portent le
titre, à l'exception de celles qui sont spécialement attribuées
aux vicaires généraux.
ARCHIDUC ( archidux). Ce titre marque une qualité,
une prééminence, une autorité sur les autres ducs. Il est
fort ancien en France, et remonte au temps de Dagobert, où
il y a eu un archiduc d'Austrasie ; on a vu ensuite des ar-
chiducs de Lorraine et de Crabant.
L'Autriche fut érigée en marquisat par Othon, ou Henri P"",
et en duché par Frédéric \" ; mais on ne sait pas trop bien
ni en quel temps ni pourquoi on lui donna le titre d'archi-
duché. Quelques auteurs disent qu'avant d'être en posses-
sion des couronnes royales de Hongrie, de Bohême, etc.,
ou de la couronne, plus auguste, des Césars, elle tint ce titre
de Maximilien I'"", qui lui attribua en même temps de grands
privilèges : par exemple, les archiducs étaient censés avoir
reçu l'investiture de leurs États lorsqu'ils l'avaient demandée
trois fois; ils ne pouvaient être destitués de leur titre
par l'empereur ni par les états de l'empire ; Us exerçaient la
justice dans leurs terres , sans appel ; ils étaient conseillers
nés de l'empereur ; on ne réglait aucune affaire de l'empire
sans leur participation ; enfin, ils pouvaient créer des comtes,
des barons et des gentilshommes dans tout l'empire. Dès 1 156
les ducs d'Autriche, qui résidaient au château de Kahlenberg,
avaient pris ce litre; mais il ne devint héréditaire dans leur
maison qu'après la promulgation de la Bulle d'Or, et ne fut
reconnu par les électeurs du Saint-Empire qu'en 1453.
Le litre d'flrc/iirf«c et d'flî-c/i«rfi«c^^es5eestdonnéaujour-
d'hui en Autriche à tous les princes et à toutes les prin-
ce.sses de la^maison impériale.
ARCHIÈHE. Voyes Créneau.
ARCIIIGALLE, chef des Galles, prêtres de Cybèle.
Souverain pontife de cette déesse , l'archigalle jouissait de
beaucoup de considération, et portait , suivant Lucien , une
tiare d'or. Plusieurs bas-reliefs publiés par Muratori et par
Winckelmann représentent l'archigalle. Il a la mitre phry-
gienne, la tunique à manches, les anaxyrides; on voit
quelquefois à sa main droite une branche d'olivier, et à la
gauche un vase plein de fniits ; de longs pendants ornent ses
oreilles. Il a un collier qui lui descend sur la poitrine et d'où
pendent deux têfesd'Aty s, sans barbe, avec le bonnet phry-
gien. Sur un tombeau on remarque près de la figure d'un
760
ARCHIGALLE — ARCHIMÈDE
archigalle des crotales ,un tympanum, des flùles et une ciste
ou corbeille mystique. L'archigalle était toujours choisi dans
les familles les plus distinguées. Alex, nu Méce.
ARCIIIGÈIVE, médecin grec, fils de Philippe, né à
Apamée en Syrie, fut le disciple d'Agalhinus, et pratiqua
son art, dans le second siècle de l'ère chrétienne , à Rome,
et sous le règne de Trajan , avec un succès tel que Juvénal,
voulant citer un médecin fameux , s'est servi de son nom.
En ce qui touche ses doctrines scientifiques, on le range
tantôt parmi les pneiimatistes , tantôt parmi les méthodis-
tes , tandis que d'autres en font le fondateur de l'école éclec-
tique. Dans ses écrits , dont des fragments seulement sont
venus jusqu'à nous, il se montre grand dialecticien, pen-
dant qu'il semble plutôt avoir été dans la pratique empi-
rique et partisan décidé des remèdes composés.
ARCIlILOQUE,de Paros en Lydie, llorissait vers l'an
688 avant J.-C, à l'époque de Gygès, et est regardé comme
l'un des principaux lyriques grecs. Tout ce qu'on sait des
circonstances de sa vie, et notamment ce qu'on raconte de
défavorable sur son compte, provient d'inductions tirées
de passages de ses propres poésies. Môle de bonne heure aux
luttes des partis, il abandonna tout jeune encore sa patrie avec
une partie de ses concitoyens, pour aller fonder une colonie
à Tliasos. 11 a raconté lui-même , dans quelques vers qui sont
parvenus jusqu'à nous , que dans un engagement contre les
habitants de Thasos il perdit son bouclier par accident,
mais non par lâcheté. Plus tard il fut repoussé pour ce
motif de Sparte, où il avait voulu s'établir. Il remporta le
prix aux jeux olympiques pour un hymne en l'honneur
d'Hercule, et périt suivant les uns dans une bataille, sui-
vant les autres victime d'un assassinat. Neuf et hardi
dans la forme, Archiioque excelle en outre à donner tou-
jours à ses poésies l'attrait de la nouveauté , par l'extrême
variété des matériaux qu'il emploie. L'àpreté habituelle de
ses poèmes avait fait de Yalgreiir archïloquienne et des
vers de Paros des façons de parler proverbiales chez les
anciens. Avec ses ïambes il flagellait ses ennemis de la façon
la plus douloureuse. Lycambes , qui lui avait promis sa
fille, mais qui lui manqua de parole , fut si vivement blessé
par une de ses satires, que , pour échapper à la honte d'un
tel affront , lui et sa fiUe se pendirent. Les anciens plaçaient
Archiioque au même rang qu'Homère. Ils faisaient chanter
ses poèmes par des rhapsodes , honoraient la mémoire de
l'un et de l'autre lé môme jour, et , dans des œuvres de
sculpture , plaçaient sa tête au-dessous de celle d'Homère. Ils
le nomment l'inventeur de l'ïambe , expression par laquelle
il faut entendre non pas le vers ïambique lui-môme, dont
l'origine est incontestablement plus ancienne, mais la forme
que ce poète lui donna, et surtout l'application qu'il en fit à
la satire ; ils lui attribuent en outre une foule d'améliora-
tions introduites dans la musique et dans la poésie. Archi-
ioque eut pour imitateurs en Grèce les poètes dramatiques,
surtout ceux de l'ancienne comédie , et parmi les Romains
Horace , dans ses Épodes. Le demi-pentamètre qu'emploie
ordinairement Archiioque a reçu , d'après lui , le nom de vers
archiloquien. Les fragments qu'on possède de ses poésies
ont été plus particulièrement recueillis par Liebel (Leipzig,
1812; et Vienne, 1819), et corrigés avec beaucoup de bon-
lieur par Schneidewin dans ses Delect. Poet. Grac. ( Gœt-
tinguc, 1839).
ARCniMAIVDRlTE (du grec àpy.ô; , chef, et [lâvcpa ,
troupeau, couvent). Chez les Grecs c'est généralement un
abbé de première classe , ou d'un monastère de premier
ordre, comme celui du mont Athos, ou du Saint-Sauveur à
Messine. Le costume de l'archimandrite consiste en une
robe longue et ample, appelée 7nandyas , et faite d'une
étoffe noire. 11 porte à la main un bâton, souvent d'un beau
travail et incrusté d'ivoire ou d'or; il y tient aussi un ro-
saire; une croix d'or tombe sur sa poitrine, suspendue aune
chaîne de même métal. Lorsqu'il célèbre l'office, il porte le
phélonion , riche vêtement en soie ou en velours, sans
manches, qui lui entoure le corps, et est souvent orné de
pierreries ou de pertes ; la tête est couverte d'un bonnet
émaillé de pierres précieuses. A la ceinture, du côté droit,
est attaché Vépigonalion , pièce d'étoffe très-riche , d'un
pied carré de développement.
En Sicile, plusieurs abbés prennent la qualification d'ar-
chimandrites , par la raison que leurs abbayes sont d'origine
grecque et qu'on y suit la règle de saint Basile. Les abbés
généraux des Grecs-unis en Pologne, enGallicie, en Tran-
sylvanie , en Hongrie , en Slavonie et à Venise , prennent
également le tjtre à' archimandrites.
ARCHIIVIëDE, le plus grand mathématicien et méca-
nicien de l'antiquité, naquit à Syracuse, l'an 287 avant J.-C.
Il était ami et même, dit-on, parent du roi Hiéron. Malgré
les facilités qu'il avait de parvenir aux emplois et aux hon-
neurs, tous les moments de sa longue vie (soixante-quinze
ans ) furent consacrés à l'étude des sciences, dans lesquelles
il fit les plus importantes découvertes. Nous allons énumé-
rer et discuter les principales. Pour bien apprécier le mérite
d'Archimède, il nous manque pourtant une chose essentielle,
c'est la connaissance exacte de l'état où étaient parsenues
les sciences avant lui , et des découvertes des mathémati-
ciens ses contemporains. La géométrie fut le sujet particulier
des méditations de ce grand homme ; il s'attacha d'abord à
la mesure des grandeurs curvilignes , et il recula tellement
les bornes de cette partie des mathématiques , que ses mé-
thodes sont regardées comme les germes assez développés
des découvertes qui ont porté la géométrie si haut chez les
modernes.
Nous avons de lui deux livres sur la sphère et le cylindre,
où il mesure ces corps, et qu'il termine par cette belle
proposition, que la sphère est les deux tiers, soit en sur-
face, soit en solidité, du cylindre circonscrit. C'est à Ar-
chimède que nous devons la première détermination ap-
prochée du rapport de la circonférence au diamètre,
qu'il trouva être égal à ^ ou à 3 y ; il arriva à ce résultat
par une méthode d'induction géométrique dont on lui est
redevable , et qui a été désignée sous le nom de méthode
d'exhaustion.
Ses travaux sur les surfaces courbes irrégulières , la
quadrature de la parabole, les propriétés des spirales
ont excité l'admiration des modernes, surtout depuis que
l'invention du calcul différentiel et du calcul intégral a
pleinement justifié les résultats auxquels il était parvenu.
Arcliimède est aussi l'inventeur de l'hydrostatique;
voici à quelle occasion il en découvrit le principe. Hiéron ,
soupçonnant un orfèvre qui lui avait fabriqué une couronne
en or d'avoir falsifié le métal en y mêlant une certaine
quantité d'argent, consulta Arcliimède sur les moyens de
découvrir la fraude dont il croyait avoir à se plaindre. Après
de longues méditations , Arcliimède s'étant procuré deux
lingots chacun d'un poids égal à celui de la couronne , l'un
d'or, l'autre d'argent , les plongea successivement dans un
vase rempli d'eau , en observant avec soin la quantité de
liquide déplacée par chaque masse de métal ; il soumit en-
suite la couronne à la même épreuve, et put apprécier exac-
tement ce qu'elle contenait d'or pur. On ajoute que cette
ingénieuse solution, qui repose sur la notion de la densité
des corps, se présenta spontanément à son esprit comme il
.se mettait au bain, et qu'il en sortit transporté de joie, en
criant dans les rues de Syracuse : E{ipr,xa ! £'jpr,-/a ! ( J'ai
trouvé! f ai trouvé!) La théorie de cette découverte est
exprimée dans cette proposition de son livre De insidcn-
tibus injluido, que tout corps plongé dans un, fluide y
perd de son poids autant que pèse un volume cVeau égal
au sien.
Au siècle de ce grand homme, la science du calcul ; (ait
si peu avancée, que des gens instruits prélcniiaicnt qu'il était
impossible de calculer le nombre des grains de sable dont le
I
ARCHIMÈDE — ARCHIMIMK
globe terrestre se compose. Arrljiinèdo prouva que non-seii-
leuient il était facile d'évaluer la quantité des grains de sable
qui sont contenus dans la spliére terrestre , mais encitro
conil)ien il en faudrait pour composer une sphère qui s'é-
tendrait jusqu'aux étoiles, la distance de celles-ci étant con-
venue. Ce problème lui fournit Poccasion de perfectionner
Farithmétique des Grecs, qui était encore assez défectueuse
pour que le problème dont il vient d'être question préscnlAt
des dilbcultés tellement grandes que sa solution fait aux
yeux des mathématiciens modernes le plus grand honneur
à la sagacité d'ArcJiimède. 11 publia à ce sujet un ouvrage
intitulé l'Arcnaire (iVareiw, sable).
Ce grand mathématicien s'occupa aussi des centres de
gravite'^; il détermina ceux de quelques ligures, entre
autres celui de la parabole. 11 étudia et démontra les pro-
priétés des leviers. 11 était si enthousiaste de leur pou-
voir, qu'il disait un jour au roi Hiéron : Donnez-moi un
point iVappui , et je déplacerai la terre. Il n''exprimait
par ces paroles hyperboliques que l'admiration dont il était
pénétré à l'idée de la puissance que les machines peuvent
ajouter à la force de l'homme. Mais c« mot, qui est devenu
célèbre, a donné lieu à un curieux calcul : Ozanam a établi
que pour soulever la terre seulement d'un pouce, Archimède
aurait mis plus de trois trillions et demi de siècles.
Les anciens attribuaient quarante inventions en méca-
nique à Archimède. Comme il a dédaigné de les consigner
dans ses écrits , il nous est impossible de les connaître
toutes, ni de savoir si toutes celles dont on lui fait hon-
neur sont véritablement de lui. Il n'est pas vraisemblable,
par exemple, qu'il ait le premier enseigné l'usage du levier.
Cette machine est trop simple pour qu'on ne l'ait pas em-
ployée de toute antiquité. C'est en Egypte qu'il inventa la vis
creuse qui porte son nom {voyez Vis d'Archimède ) , dont
on fait usage pour épuiser les eaux d'un marais, d'un fossé.
Celte machine est très-simple. 11 inventa aussi, dit-on , la
vis sans fin : on en voit des applications aux tourne-
broches ; c'est encore à lui que l'on croit devoir les sys-
tèmes de pouUes appelés m o ujl es , k l'aide desquelles un
seul homme peut soulever un très-grand fardeau. Si l'his-
toire dit vrai , c'est sans doute au moyen d'un semblable
appareil qu'il tira lui seul sur le rivage un vaisseau d'une
grandeur énorme pour le temps. On croit aussi qu'il inventa
les roues dentées. Mais de toutes ses inventions une de
celles qui excitèrent le plus l'admiration de l'antiquité , ce
fut sa sphère mouvante : elle représentait les mouvements
du ciel, des astres, etc. Cicéron, Ovide, Claudien en parlent
comme d'une merveille :
Jupiter iD parvo cum cernercl xllicra vilro,
Risit, et ad stiperos lalia verba dédit :
lluccine luortalis progressa poleotia cerno ?
Ecce Syracusii ludimur arlc senis. (Claddiakus. )
Reste à savoir si cette machine se mouvait au moyen de
ressorts et de roues d'engrenage, ou si on lui faisait imiter
les divers mouvements des astres en la faisant marcher
avec la main : dans cette dernière supposition , la machine
serait moins merveilleuse. Que si, au contraire, elle marchait
d'elle-même , l'on devrait en conclure qu' Archimède avait
trouvé les horloges à roues dentées, à ressorts et à régula-
teur, ou que du moins il en avait approché de fort près.
Archimède avait déjà conquis l'immortalité par la science ;
il eut le bonheur de pouvoir consacrer à la défense de sa
patrie les derniers jours d'une vie si bien remplie. On sait
que le successeur d'Hiéron ayant quitté pendant la seconde
guerre Punique le parti des Romains , ceux-ci envoyèrent
Marcellus pour faire le siège de Syracuse. La garnison et
les habitants, abattus par kurs défaites, et désespérant de
résister aux forces dont le général romain pouvait librement
disposer, étaient prêts à capituler, quand Archimède .se pré-
senta pour h ur rendre le courage et l'espérance. A cet effet,
il lilconstruirc toutes sortesde machines propres à lancer des
I)1CT. DE LA t0.NVEKS.\T10>, — T. 1.
761
traits, des pierres à des dislances considérables ; il y en
avait qui saisissaient les galères des Romains au moyen d'un
croc, les soulevaient, et en les laissant retomber les abî-
maient dans les flots ou les brisaient contre les rochers. Les
elTefs des machines d'Archimède étaient si terribles, qu'au
moindre mouvement qu'on leur faisait faire , les Romains,
épouvantés, prenaient la fuite. Enfin on dit qu'Archimède
brillait les vaisseaux des assiégeants à une ceitaine distance,
au moyen d'un miroir ardent. Plusieurs historiens mo-
dernes nient ce dernier feit ; ils s'appuient du silence de
Tite-Live, de IMularque et de Polybe. D'autre part, Tzctzès
et Zonaras le rapportent comme étant généralement connu
de leur temps ; et ils attestent à cet égard les écrits de
Héron, de Diodore de Sicile et de Pappus, ce qui serait pour
nous un argument décisif, si les ouvrages dans lesquels ces
auteurs partaient du siège de Syracuse nous ctaie^it par-
venus. Cette question fut beaucoup agitée : Descartes, te
père Kirchcr s'en occupèrent, et furent d'opinion différente.
Enfin Ruffon, au moyen d'un assemblage de miroirs plans,
mobiles, parvint à brûler du bois placé à une grande dis-
tance. Trente ans après cette expérience , on découvrit un
passage d'Anthémius qui explique le mécanisme des miroirs
d'Archimède, à peu près comme Ruffon l'a exécuté ; de sorte
qu'il n'est guère possible de révoquer en doute la vérité
du fait.
Marcellus, désespérant de prendre la ville de force, con-
vertit le siège en blocus. Les assiégés, qui avaient déjà tenu
trois ans, auraient peut-être fini par lasser leurs ennemis ;
mais un jour de fête, consacré à Diane , ils abandonnèrent
leurs remparts pendant la nuit pour se livrer à la débau-
che. Les Romains, instruits de leur négligence, escaladè-
rent les murs, prirent la ville et la saccagèrent. Le consul
Marcellus avait formellement ordonné qu'on épargnât
les jours d'Archimède. Pourtant un soldat pénétra dans sa
demeure , et , impatienté de ne pas obtenir de réponse du
vieillard, qui, insensible au bruit, continuait à tracer des
figures géométriques, il lui passa son épée au travers du
corps. Ce funeste événement arriva l'an 212 avant J.-C. Ar-
chimède avait soixante-quinze ans.
Marcellus, vivement affecté de sa mort, fit rechercher ses
parents , qu'il combla de bienfaits pour lui faire une sorte
de réparation ; il lui fit en outre élevev un tombeau, sur lequel
on sculpta, en mémoire de la découverte dont nous avons
parlé, une sphère inscrite dans un cylindre , comme il en
avait manifesté le désir. Ce monument fut tellement négligé
par les Syracusains eux-mêmes, que dans la suite Cicéron ,
étant questeur en Sicile, eut de la peine à le retrouver sous
les ronces qui le couvraient ; il le lit réparer.
Tous les ouvrages d'Archimède nous sont parvenus en
original , à l'exception de deux livres Sur l'équilibre des
corps plongés dans un liquide, et d'un livre de Lemmes.
L'édition princeps de ses ouvrages est celle de Bûle, 1544,
in-fol. La première vraiment complète est celle d'Oxford,
1793, in-fol. Les œuvres d'Archimède ont été traduites en
français par M. Peyrard, en 1807, in-i"; 1808, 2 vol. in-8°.
Cette dernière édition est suivie d'un traité sur l'arithmé-
tique des Grecs, par Delambre. Te\ssèdre.
ARCIIIMIME (du grec àp/è;, chef, et [xï|xo; , imita-
teur). On appelait ainsi à Rome des individus dont la pro-
fession consistait à contrefaire les manières , les gestes et
jusqu'au son de voix des vivants et même dos morts. Em-
ployés dans le principe .sur le théâtre seulement, on les
admit plus tard dans les festins, et on finit par leur faire
jouer un rôle dans les funérailles, oii ils marchaient après
le cercueil, la figure couverte d'un masque représentant les
traits du défunt. Tandis que le funèbre cortège s'avançait
aux sons d'une musique lugubre, l'archimime, par .sa pan-
tomime, s'efforçait de reproduire la démarche, les gestes,
les attitudes du défunir, peignant môme souvent ce qu'il
avait pu dire ou faire de remarquable dans sa vie, et dé-
96
7G2
ARCHIMIME — ARCHITECTE
ployant quelquefois à celle occasion une liberté de jugement
et d'appréciation qui nous semble étrange, mais qui s'ex-
plique par les mœurs de l'époque.
Lors des funérailles de l'empereur Yespasien, l'archimime
Fa von, chargé de suivre son cercueil, demanda à ceu\ qui
présidaient à la cérémonie combien elle coûterait : « Cent
mille sesterces, » lui fut-il répondu. « Donnez-les-moi, dit
Favon, et jetez-moi ensuite dans le Tibre! » Allusion pi-
quante à l'avarice bien connue de l'empereur défunt.
Sous le règne de Tibère, un autre archimime chargea un
mort qu'il accompagnait au bûcher d'aller dire à Auguste
qu'on avait oublié d'acquitter les legs qu'en mourant il
avait faits aux Romains. Tibère, auquel s'adressait ce re-
proche allégorique, fait venir notre homme, ordonne qu'on
lui compte immédiatement le montant de ce qui lui revient
dans le legs en question, puis l'envoie au supplice en le char-
geant d'annoncer de sa part dans l'autre monde, au divin
Auguste, qu'enfin on avait commencé ici-bas le payement
de ses dispositions testamentaires en faveur du peuple !
ARCIIIME , mosiue de longueur usitée en Russie, équi-
valant à 0™.71142, ou deux pieds deux pouces trois lignes
de France. Quinze cents arehines valent un werste, mesure
itinéraire qui équivaut à un kilomètre 67 mètres 13 centi-
mètres ( i''. 06713). L'archine se divise en seize werscholls,
valant chacun 0'".04446 ou un pouce sept lignes et demie de
France.
ARCHIPEL. On nomme ainsi la partie orientale de
la Mcditerranée comprise entre la Turquie d'Asie à l'est ,
la Turquie d'Europe à l'ouest, et l'île de Candie au sud.
Elle communique au nord, par le détroit des Dardanelles
(Hellespont), avec la mer de Marmara (Propontide), d'où
l'on passe , par le canal de Constantinople ( Bosphore de
Thrace), dans la mer >"oire (Pont-Euxin).
L'Archipel est VArgaïoyi Pelagos des Grecs, YyEgeum
mare des Romains; quelques auteurs anciens l'ont aussi
appelé Ellenikon Pelagos, mer de Grèce. Cette mer Egée
fut le théâtre principal de la navigation des Grecs et de leurs
plus mémorables expéditions navales.
La longueur de l'Archipel, du nord au sud, est de GOO
kilomètres ; sa largeur, de l'est à l'ouest, de 400. Ce grand
bras de mer appartient également à l'Europe et à l'Asie , et
sépare ces deux parties du monde ; ses côtes offrent un
grand nombre de baies et de poils sûrs et commodes , ce
qui est d'autant plus favorable aux marins, qu'étant parse-
mées d'iles , d'Ilots et de rochers , la navigation y est diffi-
cile , surtout en hiver.
Les îles de l'Archipel appartiennent, les unes à l'Europe,
les autres à l'Asie. Les premières sont les plus nombreuses.
Dans leurensemble il faut distinguer: l°deux grands groupes
méridionaux, les Cyclades et les Sporades, appartenant
à la première catégorie , et de tout temps ayant servi de
refuge , dans leurs étroits canaux et leurs criques secrètes ,
à des essaims de pirates qui leur ont valu le nom peu flat-
teur àe forêt de larrons; 2° les lies isolées, qui sont les
unes européennes :Salamine,Eubée (Xégrepont), Sa-
ra o t li r a c e ( Semendrake ) ; les autres asiatiques : L e m u o s
(Stalimène), Saraos, Lesbos (Mélelin), Chios (Scio),
Rhodes, etc.
Les îles de l'Archipel , peuplées de Pélasges et d'Hellènes,
furent d'abord indépendantes; puis elles appartinrent les
unes aux Perses, les autres aux Grecs ; celles-ci fournissaient
à la confédération hellénique un certain nombre de vaisseaux,
qui plus tard furent remplacés par une contribution en ar-
gent. Elles étaient pour la plupart sous la protection d'A-
thènes, qui leur fit éprouver de rudes vexations ; il en résulta
des troubles, des insurrections et des guerres. Athènes,
forcée de renoncer à la suprématie du plus grand nombre
de ces îles , vit insensiblement décliner sa puissance navale.
Ces îles suivirent le sort de la Grèce. A la décadence de
l'empire d'Orient, elles changèrent souvent de maîtres, et
quelqucs-uneseurent même des souverains particuliers. Tom-
bées au pouvoir des Ottomans , elles formèrent un gouver-
nement particulier. Aujourd'hui celles qui sont attribuées à
l'Eu.'-ope font partie pour la plupart du royaume de Grèce.
Toutes ces îles sont montagneuses; les plus grandes ont
des vallées et des plaines bien arrosées et très-fertiles. Le
froment , le vin , l'huile, les figues , le coton , la soie, le miel,
la cire sont leurs principales productions. On tire de quel-
ques-unes de fort tteau marbre; d'autres ont des mines
de divers métaux ; le long des côtes de quelques autres on
pèche des éponges. Plusieurs offrent des traces de l'action des
volcans. Près de Milo une montagne jette encore de la fumée,
et près de Santorin une île nouvelle sortit en 1715 du fond
de la mer.
Le mot archipel est devenu en géographie un nom cona-
mun pour désigner un assemblage d'iles. Un archipel se di-
vise souvent en plusieurs groupes. Eyriès, de l'institut.
ARCIIIPRÊTRE (archipresbyter), curé ou prêtre,
qui dans certains diocèses est préposé au-dessus des autres ,
principalement pour l'office sacerdotal. Anciennement l'ar-
chiprêtre était le premier fonctionnaire d'un diocèse après
l'évêque. Il était son vicaire pendant son absence pour les
fonctions intérieures. Il avait le premier rang dans le sanc-
tuaire et l'inspection sur tout le clergé. Dans le sixième siècle
on voit plusieurs archiprètres dans un diocèse ; on les appelait
aussi doyeus. On distinguait au neuvième siècle deux sortes
de paroisses : les moindres titres , gouvernés par de simples
prêtres , et les plèbes ou églises baptismales , gouvernées
par des archiprètres, qui , outre le soin de leurs paroisses ,
avaient encore l'inspection sur les moindres cures, et en
rendaient compte à l'évêque , qui gouvernait par lui-même
l'église matrice ou cathédrale. Le concile de Paris ( en 850)
ordonna aux archiprètres de visiter tous les chefs de famille,
afin que ceux qui pécheraient en public fissent également
pénitence publique; pour les péchés secrets , on devait les
confesser à ceux qui étaient choisis ou par l'évêque ou par
l'archiprêtre. Il y avait à Paris deux archiprètres, celui de la
Madeleine et celui de Saint-Séverin , ainsi nommés parce
qu'ils étaient les plus anciens de la ville. On ne donne plus
guère ce titre aujourd'hui qu'au curé de l'église métropo-
litaine.
ARCHITECTE. Peu de professions exigeraient une
aussi grande variété de connaissances. Outre le talent du
dessin, l'architecte doit encore posséder la partie pratique
de l'art du constructeur; il lui est indispensable d'avoir étudié
les lois de l'optique et de la perspective ; il faut que la géo-
métrie et la stéréotomie lui soient familières ; enfin le goût
et le sentiment des convenances doivent présider dans ses
ouvrages. Il ne doit pas être étranger aux sciences physiques,
et la connaissance de l'histoire lui est d'un grand secours
pour le choix des accessoires décoratifs. S'il ignorait les lois
qui régissent la propriété, il exposerait à chaque instant
ses clients à d'innombrables procès. Un véritable architecte
doit réunir en lui l'instruction, l'expérience et la probité.
Aussi les anciens considéraient-ils l'architecture comme une
sorte de sacerdoce. Chez les peuples primitifs , les hiéro-
phantes , les pontifes exerçaient seuls cet art ; en Grèce , les
sages et les législateurs coopéraient à l'édification des mo-
numents publics; chez les Romains, les Césars s'honoraient
d'y présider. Un grand nombre d'abbés et d'évêques des
premiers temps du christianisme doimaient eux-mêmes les
plans de leurs églises et de leurs abbayes, et mettaient la
main à l'œuvre pour l'exécution ; l'art de bâtir comptait alors
parmi les vertus abbatiales. Grégoire de Tours rapporte que
l'évêque Léon était un habile ouvrier ; qu'Agricola, évêque
de Chàlons-sur-Saône, bâtit une église dans cette ville. Mais
aujourd'hui tout le monde prend impunément un titre si
difficile à porter , et souvent un maçon ignorant s'affuble
effrontément de la qualité à'archilecte, qui suppose tant
d'études auxquelles il est totalement étranger.
ARCHITECTE - ARCHITECTURE
763
Parmi les architectes les plus célèbres de l'antiquité , il
faut citer surtout Vitruve , qui nous a laissé un traité complet
d'architecture. Les architectes du moyen âge nous sont à peu
près inconnus. On ne sait à qui attribuer la plupart de nos
grands monuments gothiques ; à peine retrouvons-nous les
noms d'Eudes de Montreuil, de Robert de Luzarches, etc. La
Renaissance cite en Italie : Vignole, Balthasar Peruzzi, Pal-
ladio, Bernini, Boromini, etc. L'Angleterre compte Wren
parmi ses grands architectes. La France a ses Philibert De-
lorme, ses P. Lescot, ses J. Debrosse, ses Androuet du Cer-
ceau, ses Blondel , ses Mansard , ses Perraidt, ses Soufllot,
et peut citer avec orgueil d'autres noms plus modernes.
L'École des Beaux-Arts à Paris renferme une classe d'ar-
chitecture. Les jeunes lauréats qui en sortent vont finir à
Rome et à Athènes leurs études ; mitiés aux beautés de l'art,
ils n'en connaissent pas toujours suffisamment la partie
pratique. Lorsqu'ils reviennent en France , aucune position
ne leur est assurée; ils sont obligés d'apprendre l'application
(le leur art dans quelque position secondaire. Imbus des
I ordres et des restaurations antiques, ils ignorent tout à fait
le confortable et les conditions d'une bonne appropriation aux
climats. Au lieu de rechercher d'heureuses distributions, ils
ne révent que colonnes, pilastres, frontons, arcades, médail-
lons, piédestaux, niches et statues, et trop souvent leurs pre-
miers plans sont surchargés d'ornements, souvenirs de l'é-
cole que la vie réelle admet rarement. Aussi les devis de
bâtiments publics ou privés sont-ils toujours tellement
» lourds, qu'il faut les déguiser sous de faux prix, ou sacrifier
l'utile pour conserver des enjolivements dénaturés. Certes
les exemples ne nous manqueraient pas pour démontrer
rinlériorité pratique de la plupart de nos architectes. Pour
quelques monuments remarquables, pour quelques heu-
reuses restaurations , combien de mauvais applicages, com-
bien de grosses bévues ! Citerons-nous cette tour de Saint-
Denis en matériaux si pesants, qu'il a fallu la démonter, aus-
sitôt posée, pour ne pas voir toinber l'édifice ? Citeroos-nous
cette prison modèle apportant le gaz méphitique des fosses
d'aisance dans les cellules des malheureux reclus? Citerons-
nous ces églises salons dont les dorures cachent la pauvreté
des Ugnes architectoniques? Citerons-nous ces mairies qui
sous leurs prétentions monumentales n'ont pas même l'appa-
rence d'une jolie maison? Citerons-nous enfin cette multitude
de monuments où tous les styles se mêlent pour s'abâtardir
et dégénérer ? Ce mélange de tous les genres d'architecture a
dénaturé le goût de nos architectes , et dans ce siècle si va-
niteux, un architecte déclarait naïvement qu'on ignorait les
procédés de l'architecture gothique, et qu'il serait par con-
séquent impossible de relever un seul de ces monuments du
moyen âge. On a cependant procédé avec succès à des res-
taurations heureuses, comme celles de la Sainte-Chapelle, de
Kotre-Dame, etc. Saint-Denis est maintenant en réparation.
En droit, l'arcliitecte, lorsqu'il est également entrepreneur,
représente le propriétaire; il est responsable des ordres
qu'il donne, des commandes qu'il fait.
Il est ordinairement chargé de régler les mémoires pré-
sentés par les entrepreneurs ouïes ouvriers; ces mémoires
à la rigueur ne devraient être payés qu'après la confection
des travaux et le règlement de l'architecte qui les dirige ;
mais on a coutume de donner des à-compte fixés par lui,
sur des états de situation dans le rapport de l'avancement
des travaux.
L'article 1792 du Code Civil rend responsable pendant dix
ans l'architecte et l'entrepreneur, si l'édifice construit à
prix fait périt en tout ou en partie par le vice de la construc-
tion et même par le vice du sol. D'après l'article 1793 , l'ar-
chitecte ou l'entrepreneur qui s'est chargé de la constmction à
forfait d'un bâtiment d'après un plan anêté et convenu avec
le propriétaire du sol, ne peut demander aucune augmentation
de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main
d'œuvre ou des matériaux, ni sous celui des changements ou
augmentations faits sur ce plan, quand ils n'ont pas été au-
torisés par écrit et le prix convenu avec le propriétaire. Aux
termes de l'article 2103 , les architectes ont un privilège
sur les constructions qu'ils ont faites, pourvu qu'ils aient eu
soin de faire constater par un procès verbal l'état des lieux et
les ouvrages que le propriétaire aura déclaré avoir dessein
de faire, et de faire recevoir les ouvrages, dans les six mois
de leur confection, par un expert nommé par le tribunal.
L'action des architectes en payement de leurs fournitures ou
honoraires se prescrit par six mois (Code Civil, art. 2271 ).
Les honoraires des architectes se fixent ordinairement à
cinq pour cent du montant du devis.
ARCHITECTURE. Créée par la nécessité , l'archi-
tecture ne fut qu'une branche ordinaire de l'industrie tant
qu'elle se borna à constniire un abri informe pour défendre
les premiers hommes contre les intempéries des saisons.
Mais peu à peu l'art de bâtir sortit de son enfance, et, ne
se bornant plus à la satisfaction d'un besoin physique, il se
proposa de produire un effet agréable à la vue. Là seule-
ment commença la véritable architecture, qui, destinée d'a-
bord à la construction des temples et des tombeaux , s'é-
tendit bientôt à la demeure des princes, puis à celles des
particuliers. C'est alors qu'elle eut le triple objet de disposer
avec convenance , de construire avec soUdité et d'orner avec
goût les édifices.
On nomme architecture hydraulique l'art de conduire,
de mouvoir, de retenir les eaux et d'élever des construc-
tions dans leur sein (voyez Canacx, Moulins, Roues uy-
DRAL'LiQUEs, PoRTS , PoMPES , ctc. ) ; orchitecture navale,
l'art de construire les bâtiments de mer, soit pour la guerre,
soit pour le commerce (voyez Constrdctions navales. Vais-
seaux, etc.); architecture militaire, l'art de projeter et
d'exécuter tous les travaux de construction nécessaires à la
défense ou à l'attaque des territoires (voyez Fortification,
Caserne, etc. ). Ces dénominations tendent à disparaître, et
ne se sont conservées jusqu'ici que par un reste d'habitude,
car ces différentes spécialités sont rangées maintenant dans
le génie civil, militaire ou maritime. C'est encore aux in-
génieurs qu'est confié le soin de construire des routes,
des ponts, des chemins de fer, de grandes usines, etc. Nous
ne parlerons ici que de Varchitecture civile, c'est-à-dire
appliquée aux besoins de la vie civile et poHtique, et nous
laisserons décote la partie technique qui a l'utihlé pour objet,
et la partie mécanique qui a trait à la solidité et à la durée.
Considérée sous le point de vue artistique , l'architecture
a ses règles et ses conditions , comme tout ce qui fait partie
des beaux-arts, A part ses conditions physiques, elle a ses
conditions esthétiques, générales ou particulières : générales,
comme la beauté des proportions, la régularité des formes,
la symétrie; particulières, suivant la destination de chaque
édifice , la première condition d'un monument étant d'é-
veiller par son aspect des idées analogues à son emploi. Car
les monuments aussi ont une physionomie , physionomie
qui se ressent toujours et des tendances de l'époque et du
génie du peuple ; de sorte que partout où l'architecture ne
parle ni au cœur ni à l'esprit on peut dire qu'il n'y avait
ni croyance, ni système, ni idée dans la génération dont on
regarde l'œuvre : les monuments sont la véritable écri-
ture des peuples.
On a souvent discuté sur la prééminence des arts, et na-
turellement, à ne considérer que l'utilité, l'architecture
pourrait revendiquer une des premières places. Mais pour-
quoi agiter une question aussi frivole ? Tous les arts sont
faits pour se prêter un mutuel appui. Si le statuaire a be-
soin d'un gracieux piédestal ou d'une svelte colonne pour
y placer son œuvTe ; si le peintre demande pour abriter
ses tableaux des musées où la lumière soit sagement dis-
tribuée ; si la musique est plus belle sous des voûtes habi-
lement construites , l'architecture de son côté réclame les
secours de la sculpture et de la peinture pour embellir ses
764
ARCHITECTURE
travaux. C'est-à-dire que les arts sont tour à tour le prin-
c (uil l'I l'accessoire: l'archilecture, la peinture, la sculp-
ture sont trois sœurs destinées à se faire valoir mutuellement.
Malheureusement l'arcliitecte trace souvent un plan sans
consulter l'artiste qui doit l'aider. De là ces statues qui sem-
blent à la gêne dans leur niche trop étroite, ou ces groupes
s'éverluant à remplir un espace qu'ils ne peuvent embras-
ser. Dans les œuvres d'art, l'architecte, le peintre, le sta-
tuaire devraient donc se concerter pour arriver par de mu-
tuelles concessions à une complète harmonie.
Ce qui distingue l'architecture des autres arts, c'est que
la partie esthétique s'y trouve subordonnée à la partie tech-
nique, et n'est qu'un moyen d'arriver au but principal, Vu-
tiliïé , condition essentielle à laquelle doit satisfaire un
monument quelconque. La composition architectou'que doit
donc avant toute chose avoir égard à la convenance , k la
salubrité, à Vctendue, à la commodité, au voisinage. Il y
a convenance , quand le caractère de l'édifice répond à sa
destination, en même temps que sa distribution est appro-
priée à son objet; la salubrité veut que les bâtiments
soient aérés, bien exposés, et cûnsirnits de maniè/e que
ceux qui les habitent soient garantis des excès de la chaleur
et du froid; Yétendue d'un monument doit être calculée de
telle sorte (pi'il ne s'y troi>Te ni supcrilu ni exiguïté ; il faut
que la commodité règne dans toutes les parties de la localité ;
enfin le voisinage est aussi d'une grande importance , la
masse d'un édifice isolé devant toujours être en rapport avec
les objets qui l'environnent.
C'est dans les limites que lui imposent toutes ces exi-
gences que l'architecte exerce son génie et commence à se
révéler comme artiste. Là de nouvelles règles se présen-
tent; la symétrie, Vunilé, la proportionnalité , la sim-
plicité doivent être respectées. La symétrie, principe fon-
damental de l'école grecque, constitue cette régularité qui
donne aux moindres édifices un aspect agréable; Vnnilé
est indispensable en architecture ; la proportionnalité ( eu-
rythmie de Vitruve) est satisfaite quand l'œil le plus
exercé trouve à chaque partie une grandeur convenable ;
enfin la simplicité exige un agencement naturel des lignes,
sans contours forcés, et des ornements sans profusion, mais
aussi sans parcimonie.
Si nous examinons les monuments construits suivant ces
principes , résultats de l'expérience des siècles , et si nous
les comparons aux grossières ébauches des premiers temps,
nous sommes naturellement portés à rechercher par quelles
transformations successives l'architecture s'est constituée.
Interrogeant les restes du passé, nous trouvons dans des
ruines la trace des différents états de civilisation des peuples,
dont l'histoire est intimement liée à celle de leurs arts. Ces
considérations nous engagent à eflleurer seulement l'histoire
de rarchitecture, qui sera traitée en particulier pour chaque
peuple à son article respectif.
« L'architecture est née avec l'homme , a dit M. de La-
mennais; car l'homme eut toujours besoin d'abri contre
l'inclémence des saisons et les attaques des animaux. » Bien
que nous n'ayons pas de données certaines sur les premiers
essais de cet art , on peut néanmoins émettre quelques con-
jectures qui paraissent fondées. Les premières peuplades,
composées de pasteurs, de chasseurs ou de laboureurs,
étaient les unes nomades, les autres sédentaires. Les pas-
teurs, à la recherche de plaines fertiles, avaient besoin de
mobiles demeures , et c'est à cause de cela qu'on leur at-
tribue l'invention de la tente. Quant aux chasseurs et aux
ichthyophages, la caverne des montagnes ou la grotte du
rocher dut leur seiTir d'habitation, tandis que le laboureur,
sédentaire, attaché au sol, construisait une cabane dans la
plaine.
La cabane, la grotte, la tente , telles sont donc les ori-
gines probables de tous nos monuments. La grotte se montre
encore en temples souterrains dans l'antique Egypte et dans
les constructions hindoues de Salzette et d'Éléphanta. La
cabane, qui se trouve également en Egypte , contient en
germe toute l'architecture grecque et romaine. Enfin, les
fabriques chinoises et japonaises sont une imitation exacte
de la tente.
Parmi les plus anciens peuples connus chez lesquels rar-
chitecture atteignit un certain degré de perfection, il faut
citer : les Babyloniens , dont les édifices les plus remar-
quables étaient le temple de Bélus , le palais de Sémiramis
avec ses jardins suspendus; les Assyriens, qui construisirent
Ninive; les Phéniciens, qui habitaient Sidon, Tyr, Arade
et Sarepthe , si riches en palais ; les Juifs , dont le temple
était considéré comme une merveille d'architecture; enfin
les Syriens et les Philistins. Il existe en outre des antiquités
monumentales qui proviennent d'autres peuples aussi an-
ciens : les ruines de Persépolis , bâtie par les Perses ; des
pyramides , des temples , des tombeaux et des palais élevés
par les Égyptiens ; des tombeaux et des restes de fortifica-
tions , par les Étrusques. Une solidité inébranlable , des
proportions gigantesques et une magnificence exagérée
forment le caractère de cette architecture , plutôt étonnante
qu'agréable.
Les plus anciens monuments qui nous soient parvenus,
en exceptant les murs cyclopéens, sont ceux des Égyp-
tiens, des Indiens et des Celtes ; ils présentent tous le même
mode de construction : des supports verticaux couverts de
pierres horizontales. Dans le dolmen des Celtes, la pierre
est informe ; chez l'Égyptien, elle cherche à imiter le tronc
du palmier, et on voit apparaître la colonne ; mais les mo-
nolithes qui forment la couverture étant de dimensions res-
treintes , les supports sont nécessairement répandus dans
toutes les parties de l'édifice.
L'architecture égyptienne, transportée en Grèce, reçut de
profondes modifications, par l'introduction du bois dans les
matériaux de construction : aussi le Parthénon ne présentc-
t-il pas vme aussi grande profusion de colonnes que le temple
de Denderah. En même temps, les colonnes accpiirent la
simplicité de l'ordre dorique; le toit, toujours plat chez
les Égyptiens, s'inclina chez les Grecs par des exigences de
climat, et donna naissance aux frontons triangulaires. Les
ordres ionique et corinthien, plus élégants que l'ordre
dorique, s'élevèrent bientôt à côté de lui. Les Phidias , les
Ictinus , les Callicrates, encouragés par Périclès, poussèrent
l'art à un haut degré de perfection.
On éleva le beau temple de Minerve à Athènes, le Pro-
pylée, rodéon et d'autres monuments. Le même génie se
manifesta dans le Péloponnèse et l'Asie Mineure. On réunit
la forme , la beauté , la simplicité sublime et la grandeur
mystérieuse. L'art ainsi ennobli ne fut pas seulement appli-
qué à la construction des temples, mais bien aussi à celle
des théâtres, des odéons, des colonnades, des gymnases et
des places publiques.
Lors de la guerre du Péloponnèse, la splendeur de l'archi-
tecture commença à s'affaiblir. La noble simplicité se chan-
gea en élégance. L'art avait ce caractère au temps d'A-
lexandre, qui fonda une quantité de nouvelles villes; mais
à cette époque régnait encore, à côté de l'élégance, une ré-
gularité sévère. Après la mort d'Alexandre , vers l'an 323
avant J.-C, le goût des ornements , qui faisait des progrès
de plus en plus sensibles, précipita bientôt l'architecture
vers sa décadence. En Grèce même elle ne fut plus que peu
cultivée, et en Asie sous les Séleucides, en Egypte sous les
Ptolémées , elle fut pratiquée sans goût.
Rome, qui possédait depuis longtemps de magnifiques
aqueducs, des cloaques immenses, chefs-d'œuvre d'archi-
tecture hydraulique, n'avait alors à opposer aux monuments
de la Grèce que quelques édifices, dont elle devait l'exécu-
tion à des artistes étrangers. Le Capitole et le temple de
Jupitcr-Capilolin avaient été bâtis par des architectes étrus-
ques, qui inventèrent, dit-on, les voûtes et les arcadeo.
ARCHITKCTURE
Bient(it après la seconde fîiierrepiinifpic, l'an ?.00 avant J.-C,
les Romains ayant établi des relations avec la Grèce, Sylla
introduisit l'architecture grecque à Rome : lui , Marins et
Césiir y tirent ériger des temples, ainsi que dans d'autres
villes. Sous linfluence de ses premiers architectes , Rome
avait adopté l'ordre toscan ; l'introduction des ordres grecs
l'amena à la formation du composite.
De même que l'art hellénique avait atteint ses dernières
limites sous Périclès , l'art romain fut à sa plus grande hau-
teur sous Auguste. Cet empereur encouragea les architectes
grecs qui avaient quitté leur patrie pour Rome , et lit cons-
truire, en partie par des vues politiques, beaucoup de beaux
ouvrages d'architecture. Agrippa lit bâtir le Panthéon et
d'autres temples , des aqueducs et des cirques. Les habita-
lions particulières furent décorées de marbre et de colonnes.
On ne nùt pas moins de magnificence dans la construction
des maisons de campagne, dont l'intérieur fut orné de toutes
sorte* d'objets d'art conquis en Grèce. Les murs étaient ou
recouverts de légères feuilles de marbre ou décorés de pein-
tures ; dans ce dernier cas , on les divisait en différents pan-
neaux représentant des sujets mythologiques ou historiques
et encadrés par les plus élégantes bordures, appelées gro-
tesques. Les successeurs d'Auguste embellirent presque
tous plus ou moins la ville de Rome et même les pays con-
quis, par l'édification de superbes palais et de temples ma-
gnifiques, jusqu'à ce qu'enfin Constantin le Grand eut trans-
féré le siège de l'empire à Byzance.
Lorsque les Romains adoptèrent l'architecture des Grecs,
elle était déjà déchue de sa perfection et de sa pureté. Ce-
pendant elle s'éleva pendant quelque temps à sa hauteur
primitive ; mais la décadence de l'art suivit la marche de la
corruption des mœurs. Depuis Néron , dont le palais d'or
était célèbre , le luxe croissant toujours , l'intérieur et l'exté-
rieur des bâtiments furent surchargés d'embellissement^.
Adrien, qui encourageait vivement les arts, ne put ramener
l'architecture à cette noblesse de goût qu'elle avait perd'ae.
Au lieu de se contenter d'imiter les choses existantes, on
voulut inventer du nouveau, et rendre le beau encore plus
beau. C'est ainsi qu'on s'éloigna de pins en plus de la gran-
deur. On introduisit successivement les piédestaux sous les
colonnes, les bas-reliefs sur les côtés extérieurs du bâtiment,
les cannelures, les colonnes diminuées, accouplées, les pi-
lastres diminués , les frontons ronds et de profil et les fiises
renflées. L'art fut pratiqué de cette manière depuis Vespa-
sien jusqu'au règne des Antonins et produisit des ouvrages
qui peuvent bien être regardés comme des chefs-d'a;uvre ,
mais auxquels manquent cependant la grandeur et le style
noble des Grecs. Dans les provinces romaines le goût était
encore tombé plus bas. Après les Antonins, l'art se dégrada
de plus en plus. On s'efforça d'ajouter d'autres ornements
aux ornements déjà surabondants, ce qu'atteste l'arc dit des
Orfèvres.
Alexandre Sévère releva l'art en quelque sorte par ses
connaissances , mais il retomba encore plus sous le règne
de ses successeurs, et pencha rapidement vers sa décadence
totale. Les monuments de ces temps-là, ou sont surchargés
d'ornements mesquins et minutieux , comme ceux élevés à
Palmyre vers l'an 260 de J.-C, ou se rapprochent de la
barbarie, comme ceux érigés à Rome sous Constantin. Sous
les empereurs suivants il se fit peu de choses pour l'em-
bellissement des villes, à cause de l'agitation continuelle des
peuples. JusUnien fit élever beaucoup de constructions. Son
monument le plus remarquable est l'église de Sainte-Sophie
à Constant inople. Les anciens beaux ouvrages d'architecture
tombèrent en ruine par l'invasion des Gotlis, des Vandales
et d'autres barbares en Italie, en Espagne, en Grèce, en
Asie et en Afrique ; et ce que la dévastation avait épargné ne
fut pas seulement remarqué. Théodoric, roi des Ostrogoths
et ami des ails, lit soigneusement restaurer et rétablir les
anciens monuments^ il en construisil même de nouveaux,
765
dont on voit encore les restes à Vérone et h Ravenne. Cette
époque peut être considérée comme le point de séparation
entre l'antique et la moderne architecture : aussi voyons-
nous s'introduire de plus en plus , à la place de l'ancienne
manière classique , une nouvelle manière de bAtir qui s'é-
tendit avec les conquêtes des Goths en Italie, en France,
en Espagne , en Portugal , dans une partie de l'Allemagne
et même en Angleterre , où cependant ils ne pénétrèrent
jamais.
Cette nouvelle architecture, qui porte la dénomination de
gothique, est-elle bien d'origine germanique? C'est ce qui
n'est pas décidé. On remarque dans l'extérieur des monu-
ments élevés sous Théodoric une expression de simplicité ,
de force et de nationalité ; l'intérieur nous est inconnu. On
a improprement donné le nom de gothique à l'architecture
des Lombards lors de leur domination en Italie (depuis
5G8), ainsi'qu'à toutes les constructions faites par les moines
à la môme époque. Cette erreur ayant été reconnue plus tard,
on les a désignées sous le nom iTanciemie architecture
gothique, pour les distinguer de la véritable , que , par op-
position , l'on appelle nouvelle architecture gothique. Les
Lombards n'avaient aucune considération pour les antiquités,
et ne voulaient ni les épargner ni les conserver. Ce qu'ils
bâtirent était défectueux et sans goût. Leurs églises étaient
décorées extérieurement par de petites colonnes demi-circu-
laires et des piliers montants, rangés péniblement autour de
la couronne du fronton ; intérieurement elles étaient garnies
de lourds piliers assemblés par des pleins-cintres ; les petites
fenêtres et les portes étaient également terminées en demi-
cercle. Les colonnes, les chapiteaux et les arceaux étaient sou-
vent garnis de sculptures en pierre , appliquées sans goût
et sans motif; souvent aussi le toit était recouvert de poutres
et de planches , qui plus tard , transformées en voûte , né-
cessitèrent le secours d'arcs-boutants. Ce style d'architec-
ture marque l'époque de la décadence des lettres et des arts.
C'est celui dans lequel furent construites au septième siècle
les églises de Saint-Jean et de Saint-Michel à Pavie , rési-
dence principale du royaume de Lorabardie; celles de Saint-
Jean à Parme et de Sainte-Julie à Bergame ; l'église souter-
raine de Freising; les chapelles d'Altenœtting en Bavière,
celles d'Éger et du château de Nuremberg ; enfin l'église des
Bénédictins à Ratisbonne, et beaucoup d'autres. Les archi-
tectes qu'on avait fait venir de Byzance ajoutèrent d'abord
au genre d'architecture précité l'usage des colonnes garnies
de piédestaux ioniques , parmi lesquelles se trouve la co-
lonne torse. C'est dans ce goût lombardo-grec que furent bâ-
tis les dômes de Bamberg, de Worms et de Mayence, ainsi
que l'église de San-Miniato al Monte à Florence, et la partie
la plus ancienne de la cathédrale de Strasbourg. On y ajouta
ensuite la coupole en usage en Orient.
Le style byzantin ou oriental consiste dans l'emploi de
cette coupole, des chapiteaux sans goût , des colonnes
étroites et des petites colonnes, dont on mettait souvent deux
rangs l'un sur l'autre. C'est dans ce genre que furent bâties, à
l'exception de Sainte-Sophie et de quelques autres, les églises
de Constantinople , léglise Saint-Marc à Venise, l'église de
Saint-Vital à Ravenne, le baptistère et le dôme de Pise.
Les Normands qui s'étaient établis en Sicile élevèrent le
dôme de Messine sur l'emplacement d'un ancien temple.
C'est un granil bâtiment, mais dénué de goût, et qui, par
les changements qu'on y fit à différentes époques, offre un
témoignage des progrès et de la décadence de l'art. Les
VandaleS; les Alains, les Suèves et les Visigoths avaient
pénétré en Portugal ; les Arabes et les Maures les en chas-
sèrent au huitième siècle, et détruisirent l'empire des Goths.
Us étaient alors presque les seuls qui cultivassent les let-
tres et les arts. Des architectes sarrasins parurent en Grèce,
en Italie, en Sicile et ailleurs, et (juclque temps après d'au-
tres architectes chrétiens et surtout grecs s'étant réunis à
eux, ils fondèrent une association dont l'art et ies règles
766 ARCHITECTURE
furent ternis secrets, et dont les membres se reconnaissaient
à certains signes. Voyez Fua.\cs-Maçons.
A cette époque régnèrent trois genres d'architecture :
l'arabe , formé d'après les anciens modèles grecs ; le mau-
resque en Espagne, d'après les restes des anciens monu-
ments romains ; et le nouveau gothique , dans le royaume
des Visigoths en Espagne, qui tenait de l'arabe et du mau-
resque, et dont le règne dura depuis le onzième jusqu'au
quinzième siècle. Les deux premiers genres diffèrent peu
l'un de l'autre; cependant le mauresque se distingue de
l'arabe par ses arcades formées d'un segment plus grand
que le demi-cercle, ce qu'on appelle arc en fer à cheval
ou cintre outrepassé. Mais le gothique ou ancien allemand
offre beaucoup plus de différences : les arcs gothiques sont
aigus, et les arcs arabes sont circulaires; les églises gothi-
ques ont des tours droites et des flèches en pointe, les
mosquées se terminent en coupole, ont çà et là des mina-
rets élancés surmontés d'une sphère ou d'une pomme de
pin ; les murs arabes sont décorés de mosaïques et de stuc,
ce qu'on ne rencontre dans aucune ancienne église gothique.
Les colonnes gothiques sont souvent groupées plusieurs en-
semble et Tune dans l'autre ; elles sont surmontées d'un enta-
blement très-bas, d'où s'élèvent les arceaux, ou bien ces der-
niers partent immédiatement des chapiteaux des colonnes. Les
colonnes arabes et mauresques sont solitaires ; et si pour
soutenir une partie pesante du bâtiment on en place plu-
sieurs l'une à côté de l'antre, elles ne se touchent cepen-
dant jamais. Les arceaux sont soutenus par un fort sous-
arceau. S'il se rencontre dans les bâtiments arabes quatre
colonnes réunies, cela n'a lieu qu'avec un petit mur carré ,
placé en bas entre chaque colonne. Les églises gothiques sont
extraordinairement légères ; de grandes fenêtres les éclairent
souvent avec des vitraux peints de diverses coulems. Dans
les mosquées arabes, la plupart du temps le toit est bas, les
fenêtres de grandeur médiocre et souvent couvertes de
beaucoup de sculptures, de sorte qu'on en reçoit moins de
lumière que par la coupole et les portes ouvertes. Les
portes des églises gothiques avancent profondément à l'in-
térieur ; les murs latéraux sont garnis de statues, de co-
lonnes, de niches et d'autres ornements ; les portes des mos-
quées et des autres bâtiments arabes sont plates et arrasées.
L'architecture mauresque se montre avec tout son éclat
dans l'ancien palais des monarques mahométans à Grenade,
qu'on appelle l'Alhambra ou maison rouge, et qui res-
semble plutôt à un palais enchanté qu'à un ouvrage fait par
la main des hommes. Le caractère de l'architecture arabe
est la légèreté ; la magnificence de ses ornements et la déli-
catesse (les détails la rendent agréable à l'œil. La nouvelle
architecture gothique, qui fut le résultat des efforts que
firent les architectes grecs de l'école byzantine pour cacher
les défauts de l'ancien genre gothique sous l'apparence de
la légèreté, éveille l'imagination par ses voûtes richement or-
nées, ses belles perspectives, et cette obscurité religieuse
produite par la peinture de ses vitraux. Elle conserva de
l'ancien genre les voûtes hautes et hardies , les murs épais
et solides, qu'elle recouvrit de toutes sortes d'ornements,
tels que volutes, fleurs, niches, et de petites tours percées à
jour, de telle sorte qu'elles paraissent être faibles et légères.
Dans la suite on alla plus loin encore : on perça à jour des
tours monstrueuses qui laissaient voir les escaliers comme
suspendus en l'air; on donna aux fenêtres une grandeur
extraordinaire, et l'on plaça des statues jusque sur le bâti-
ment. Ce style, d'après lequel on a bâti \m grand nombre
d'églises, de couvents et d'abbayes, prit naissance en Es-
pagne, et de là se répandit en France, en AngleteiTe et en
Allemagne.
Les Allemands étaient lestés étrangers à l'architecture
jusqu'au règne de Ciiarlemagne, qui leur apporta d'Italie
la nouvelle manière grecque alors en usage. Le genre arabe
fut introduit plus tard dans les pays occidentaux. L'.-Vlîe- ont ramenés à l'étude de l'art grec. Sous la Restauration
magne manifesta dès lors son génie partici/ier dans la cons-
truction des arceaux en pointe, des arcs-boutants, des ogi-
ves, etc. ; ce qui, réuni à la nouvelle architecture grecque,
à laquelle on restait encore fidèle, donna naissance à un
nouveau genre mixte, qui se maintint jusque vers le milieu
du treizième siècle. Ainsi se forma le nouveau style gothique
ou style allemand, que nous pouvons aussi appeler style ro-
mantique. Il atteignit son plus haut degré de beauté dans
la tour de la cathédrale de Strasbourg, la catliédrale
de Cologne, l'égUse Saint-Étienne à Yienne, la cathé-
drale d'Erfiirt, les églises Saint-Sebald à Nuremberg et Sainte-
Elisabeth à Marbourg. Il se répandit en France, en Italie, en
Espagne et en Angleterre.
Au onzième siècle des architectes grecs bûtiicnt en Italie
la cathédrale de Pise et l'église Saint-Marc à Venise ; mais
au douzième siècle on fit venir un architecte allemand
nommé Wilhem , et au treizième Jacob Capo (mort en 1262)
avec son élève ou son fils, Arnolf, qui bâtirent à Florence
des églises, des couvents et des abbayes. Des églises on ap-
pliqua la nouvelle architecture gothique aux châteaux, pa-
lais, ponts et portes de villes. On bâtit à Milan seize portes
en marbre, et beaucoup de palais; à Padoue, sept ponts et
trois nouveaux palais; à Gênes , deux portes fermées et un
superbe aqueduc ; la ville d'.\sti fut rebâtie presque de fond
en comble. L'architecture continua à faire des progrès en
Italie, principalement au quatorzième siècle. Galeazzo Vis-
conti acheva le grand pont à Pavie, et éleva un palais qui
n'avait pas son pareil. C'est vers ce temps que fut cons-
truite la fameuse cathédrale de M i 1 a n. Les margraves d'Esté
embellirent Ferrare. On entreprit à Bologne la grande
église de Saint-Petronius , et à Florence la célèbre tour de
la cathédrale. Le quinzième siècle vit s'accroître le goût de
l'architecture antique. Les ducs de Ferrare, Borso et Her-
cule d'Esté, excitèrent et encouragèrent le zèle des archi-
tectes.. Le duc François fit constmire à Milan le palais
ducal, le château de Porta-di-Giova , l'hôpital et d'autres
monuments. Louis Sforza fit ériger le palais de l'Université
à Pavie et le lazaret de Milan. Les papes embellirent Rome,
et Laurent de Médicis Florence. On en revint aux monu-
ments de l'antiquité, dans lesquels on étudia les belles*
formes et les justes proportions. Les plus célèbres archi-
tectes de ce temps furent Philippe Brunelleschi, qui bâtit à
Florence le dôme de la cathédrale , l'église du Saint-Esprit
et le palais Pitti, indépendamment d'autres édifices à Milan,
Pise , Pesaro et Mantoue; Baptiste Alberti, qui écrivit aussi
sur l'architecture ; Michelozzi ; Bramante , qui commença
l'église de Saint-Pierre; Michel-Ange, qui, après lui, fit la
superbe coupole; Giocondo, qui exécuta beaucoup de travaux
en France , et continua plus tard avec Raphaël l'église de
Saint-Pierre; etc.
Lorsque Brunelleschi donna le signal du retour vers
l'architecture grecque, il fut regardé comme le restaurateur
de l'art. Cette époque , appelée siècle des Médicis, fut la
Renaissance. Alberti, Bramante, Michel-Ange, Raphaël,
Vignole, s'élançant dans la carrière , déterminèrent la dé-
chéance de l'architecture gothique. .\ la suite des guerres
en Italie de Louis XII et de François 1*"", le style de la re-
naissance s'introduisit dans notre pays, sous l'influence
d'artistes italiens, tels que Joconde, Léonard de Vinci , le
Rosso, Primatice, André del Sarte, BenvenutoCellini, Serlio,
Pierre-Ponce Trebati, que ces rois avaient attirés à la cour
de France. L'art semblait devoir s'élever ; mais une copie
quelquefois inintelligente des beautés antiques, l'oubli f'ié-
quent des convenances et de l'utilité , furent les causes qui
em|.êclièrent celte époque de donner tout ce qu'on en aî-
teii'lait. Depuis il y eut de nombreuses déviations du goût,
entre autres le style Pompadour, bien digne de porter le
nom d'une courtisane. Enfin, sous l'Empire, les travaux
de Vien et de David, exerçant une influente salutaire, nous
ARCHlTECTLUt:
les idées revinrent au gotliique ; ensuite on imita la Renais-
sance et le style de dicadence qui la suivit.
Nous avons laissé de côté les monuments du Pérou ,
du Yucatan, et du Mexique, surnommé par le voyageur
Nebel l'Attique du Nouveau-Monde; nous voulions seule-
ment jeter un rapide coup d'ail sur la marche historique
de larchitetlure. Dans cet exposé, nous avons vu toujours
l'art exprimer les tendances de son époque. Nous en con-
cluons que de nos jours nous n'avons pas à nous de-
mander si nous devons construire des monuments suivant
les règles du douzième ou du treizième siècle. Il serait tout
aussi ridicule de copier une église sur le Parthénon. Gar-
dons-nous également d'associer des éléments disparates ;
l'éclectisme doit être sévèrement banni d'un art qui porte
un caractère éminemment historique. Nous ne pouvons de-
mander à l'esthétique des temps passés que des inspirations
qui amènent notre àme à la conception du beau. Notie
époque ne ressemble à aucune de celles qui l'ont précédée.
Ce n'est donc pas avec les ruines de l'antiquité ou du
moyen âge que nous devons édifier nos monuments; il
nous faut un art caractéristique. Quand se révéleront les
principes de cet art moderne , que réclame la société nou-
velle? C'est aux artistes à résoudre le problème.
ARCHITECTURE RURALE. L'architecture rurale
comprend tout ce qui tient à la disposition et à la cons-
truction des bâtiments ruraux, tels que maisons fermières,
chambres à blé, écuries, poulaillers, étables, laiteries,
bergeries, porcheries, granges, fruitiers et hangars. Si sa
nature ne lui permet pas d'atteindre à la beauté de l'archi-
tecture civile, elle n'en est pas moins susceptible d'une
sorte d'élégance , consistant dans la symétrie et la propor-
tionalité. C'est dans les constructions rurales surtout que
l'utilité , la salubrité et la commodité doivent dominer. —
L'architecture rurale a été savamment traitée par M. de
Gasparin, dans le tome II de son Cours d' Agriculture.
[Si vous avez le choix du local pour le placement de vos
Mtiments ruraux, construisez-les au milieu de votre do-
maine ; vous épargnerez beaucoup de temps à vos labou-
reurs, à vos charretiers, soit pour le transport des fumiers,
soit pour celui des récolles, soit enfin pour les deux atte-
lées auxquelles ils sont obligés durant la belle saison ; et
vous savez , d'après le bonhomme Richard , que le temps,
c'est de l'argent. Choisissez un lieu voisin de l'abreuvoir,
de la citerne ou d'un cours d'eau, trop heureux si vous
pouvez avoir une eau jaiUissante au milieu de votre basse-
cour, et si vos bâtiments sont attenants à un jardin potager
et à un verger, qui sont indispensables à toute ferme,
grande ou petite , et à un petit pré, destiné au parc des
agneaux, qui doivent être élevés sous vos yeux. Choisissez
un lieu à l'abri des vents dominants et qui ait une pente
douce, qui puisse porter les eaux de fontaine ou pluviales de
la cour naturellement au lieu que vous leur destinerez. Bâ-
tissez plutôt sur un sol sec et crayeux que sur un terrain
humide et argileux, à l'exposition du sud-est; consacrez à
votre basse-cour deux arpents si vous n'avez que deux
charrues, et entourez-la de murs ayant 12 à 15 pieds de
hauteur, dont vous couvrirez le faîte par des mitres en terre
cuite; car les murs se détériorent par la tête et par les
fondations : les mitres conservent la tête; et quand elles
sent bien cuites, elles durent éternellement, tandis que les
briques que vous appliquez avec du plâtre sur le sommet
de vos murs sont sujettes à des réparations annuelles. Pour
abriter les fondations de vos murs, pratiquez intérieurement
tout le long de vos bâtiments une diaussée de 12 à 15 pieds
de largeur, pavée et cimentée, sur laquelle les voitures de
charge et de décharge pourront circuler; que les murs de
votre basse-cour et ceux de tous vos bâtiments soient re-
crépis sur toutes leurs faces, soit avec de la chaux ou du
plâtre, suivant les matières que fournit le pays, et préférez
toujours pour vos bâtiments le sable de rivière au sable
ARCHITRAVE
767
fossile. Que si la chaux coule au delà de dix francs la bar-
rique de 200 litres, bâtissez les murs de votre cour avec
de la terre, et de dix pieds en dix pieds élevez à chaux et
à sable des clés ou cliaiues qui soutiennent les paities bâties
en terre.
Votre basse-cour ne doit avoir qu'une porte extérieure
charretière, et la maison fermière doit être voisine de cette
porte , afin que le fermier ou ses serviteurs puissent voir
tout ce qui entre ou tout ce qui sort. 11 y a toujours trop
de portes à une maison, et le plus souvent il n'y a pas assez
de fenêtres. Au centre de cette cour doit être élevé un
grand réverbère , sans préjudice des lanternes à transpa-
rents de corne, dont doit être pourvu chacun de vos bâti-
ments. C'est une chose à redouter que de voir des servantes
porter des chandelles allumées dans les greniers à fourrages
et de les moucher dans les pailles. C'est pour cela que je
conseille d'avoir toujours sous le hangar une pompe à in-
cendie avec des tuyaux et des seaux de cuir, et de faire
manœuvrer ce petit équipage au moins une fois par mois.
On trouvera aux articles consacrés à la ferme et à ses
différentes parties quelques conseils sur les bonnes condi-
tions de leur établissement.
Tandis qu'il y a tant de traités d'architecture et un si
grand nombre d'architectes pour la construction des hô-
tels, des palais et des maisons urbaines, il est fâcheux d'a-
voir à faire observer qu'en France il y ait si peu d'archi-
tectes qui aient traité de l'architecture rurale ; et cependant
il y a plus de granges et de fermes qu'il n'y a de palais. Tou-
tefois le comte de Lasteyrie a recueilli avec beaucoup
de dépenses et de talent les plans des bâtiments ruraux qu'il
a observés en Flandre, en Allemagne et en Angleterre.
Terminons le présent article par les observations de notre
grand maître en agriculture, Olivier de Serre : « Deux choses
sont requises aux bastimens : assavoir bonté et beauté, afin
d'en retirer service agréable. Parquoy , joignant ensemble
ces deux qualitez-là, nous asserrons nostre logis des champs
en lieu sain, et le composerons de bonne matière, avec
convenable artifice : dont sera évité le tardif repentir, qui
tousiours suit l'inconsidéré avis de ceux qui cbàtissent.
Doncques , avant qu'entrer en despense , présuposé vostre
pays estre sain : encores faudra-t-il en choisir la partie la
plus salutaire, la plus plaisante pour vostre habitation, et la
plus mesnageable, selon la portée de vostre bien, acconuno-
dant ces trois considérations le mieux que faire se pourra,
par l'avis de plusieurs gens d'esprit, entendus en telles ma-
tières , qu'aurez assemblez auparavant comme en consulta-
tion. Les anciens ont ordonné le bastiment champestre à
demy-montagne, regardant le midy, estimans telle assiette
la plus salubre, par estre couverte de la bize , à l'abry ; re-
culée de la ri\ière (qui est souvent mal saine), avoir la veuë
assez haute et longue, et n'être trop humide, ni aussi trop
dénué d'eau. C'est bien à la vérité l'assiette préférable à
toute autre : néanmoins, comme les choses de ce monde ne
sont parfaitement accomplies, estant chacune commodité
suivie de son contraire, en telle assiette se rencontre ce mal,
que le logis est commandé par la partie de la montagne re-
levée : ainsi y défaut-il ce poinct, qu'il ne peut estre du
tout fort , comme plusieurs désirent, le temps nous ayant
fait prendre garde de ce notable article. — Les montagnes
sont trop sèches et venteuses : les plaines, trop humides et
fangeuses. Si es montagnes on a la veuë longue, les yeux s'y
promenans à l'aise, leur difficile accez donne beaucoup de
peine aux pieds : comme aussi l'importunité des fanges ra-
bat du plaisir des longs promenoirs de la plaine. — Ces
choses considérez, se faudra tenir à la première résolu-
tion, etc.. i> Le c"" Français (de Nantes).]
ARCHITRAVE , une des trois parties de l'entable-
ment, et qui pose immédiatement sur les chapiteaux des co-
lonnes ; ainsi appelée du grec àp/.ô;, principal , et du latin
trabs, poutre : parce que dans les édifices en bois l'archi-
7C8
trave était foiinée d'une poutre couchée sur les têtes des
piliers. On appelle aussi l'architrave épïstyle, du grec ènl,
sur, et GTvXo:, colonne. L'architrave sert à lier ensemble les
colonnes. Les anciens n'employaient généralement qu'une
seule pierre , d'une colonne à l'autre , pour la construction
de leurs architraves. Dans les temps modernes, où la pénurie
des marbres et le peu de dureté des pierres ne permettent
point les architraves monolithes, on y supplée par les plates-
bandes à claveaux. Les architraves ainsi construits se com-
posent de plusieurs pienes qui se soutiennent mutuellement
par leur coupe , en sorte qu'elles forment ensemble une
voûte plate. La forme de l'architrave varie suivant les dif-
férents ordres ; au toscan, il n'a qu'une bande couronnée
d'un filet , il a deux faces au dorique et au composite, et
trois à l'ionique et au corinthien.
AKCHITRÉSOUIliK. Nom du quatrièuie des grands
dignitaires de Tlimpire français sous Napoléon V. L'arclii-
trésorier de l'empire visait les comptes des dépenses et des
recettes avant qu'ils fussent présentés au chef A- l'État. 11
arrêtait tous les ans le grand Livre de la dette publique,
était présent au travail du ministre des finances et du trésor
public avec l'empereur, etc., etc. Cette grande charge de la
couronne fut créée par Napoléon en faveur de Lebrun,
son ancien collègue au consulat.
ARCHIVES. On donne ce nom à toute collection mé-
tliodiquement classée de documents manuscrits ayant rap-
port aux intérêts et aux droits d'une famille, d'une corpo-
ration, d'une commune, d'une ville, d'une province ou de
tout un État. Les archives prennent donc la dénomination
d'archives nationales, impériales ou royales , d'archives
départementales , et d'archives communales. En France,
l'organisation des archives communales laisse encore beau-
coup à désirer ; mais les duchist^ départementales sont
dans une meilleure situation , leur existence ayant été as-
surée par la loi du 10 mai 1838. Malheureusement, leur
classement se fait encore assez lentement. Presque toutes les
administrations, les ministères, la préfecture de police, ont
en outre des archives particulières , curieuses à plus d'un
litre.
Les anciens avaient recoimu de bonne heure la nécessité
des archives. Les Grecs comme les Romains, et aussi les Is-
raélites, conservaient les documents de ce genre dans leurs
temples. Après l'expulsion des rois de Rome, on transporta
les archives dans le temple de Saturne, où elles furent sous
la garde des édiles. Les chrétiens aussi gardèrent dans les
commencements des documents importants auprès des vases
sacrés et des reliques, jusqu'à ce que plus tard , en France
et en Allemagne, on destina des édifices spéciaux à cet
usage. Les fondateurs des diverses congrégations religieuses
de l'Allemagne méridionale se distinguèrent tout particulière-
ment par le zèle dont ils firent preuve à cet égard. Cepen-
dant il est bien rare que les archives des grandes maisons
souveraines de ce pays remontent au delà du treizième siècle,
et le commencement des archives des villes part tout au plus
du douzième. Les plus importantes archives des villes im-
périales étaient celles de Kempfenet d'Ulm. Parmi les meil-
leures archives de pays, il faut citer celles de la maison de
Brandebourg à Plassenbourg , réunies aujourd'hui pour la
plus grande partie aux archives annexes de Bamberg. L'an-
cien empire d'Allemagne avait ses archives déposées dans
quatre villes différentes, Vienne, Wetzlar, Ratisbonne et
Mayence.
L'incurie qu'on apportait le plus souvent autrefois à placer
des archives dans des locaux à l'abri de l'incendie, a eu pour
suite la perte des collections les plus précieuses, notam-
ment celle de la plus grande partie des archives de la Haute-
Silésie, dévorées en 1739 par le grand incendie qui détruisit
l'hôtel de ville d'0|)peln.
La jurisprudence en matière d'archives, qui a surtout
pour base la Nov. 49 c. 2, établit h présomption légale de
ARCHITRAVE — ARCHIVES DE L'EMPIRE
l'authenticité d'un document sur cette circonstance qu'il est
conservé dans des archives régulièrement classées et ne
porte aucun signe extérieur de nature à en faire suspecter
la vérité.
ARCHIVES DE L'EMPIRE. Avant la révolution
de l'année 1789 il n'existait en France aucun dépôt général
et spécial des actes, titres et autres pièces originales con-
cernant l'histoire de la nation, le gouvernement, les ad-
ministrations, les cours souveraines et judiciaires, etc. Les
archives de l'Assemblée constiluanleont été le premier noyau
du vaste dépôt connu tour à tour sous les noms d'ar-
chives nationales, de l'empire et du royaume. Établies par
décret de cette assemblée du 24 août 1789, et confiées à la
garde de Camus , l'un de ses membres , elles la suivirent de
Versailles à Paris, par décret du 12 octobre, et continuèrent
à être déposées provisoirement chez l'archiviste; elles furent
définitivement organisées en 1790, et l'on y attacha deux
commissaires et un ingénieur. Placées d'abord aux Capucins
de la rue Samt-Honoré , elles fureni transférées aux Tui-
leries après le 10 août 1792, puis au Palais-Bourbon en
1800 , lorsque , sous le consulat, Bonaparte vint habiter les
Tuileries; enfin , en 1809 , elles ont été transportées à l'hôtel
Soubise. En 1812 , un décret impérial du 21 mars ordonna
la construction d'un palais spécialement destiné aux ar-
chives, sur le quai de la rive gauche de la Seine, entre les
ponts de la Concorde et d'Iéna, en face de Chaillot. Sa
surface devait être de dix raille mètres carrés. Les fonde-
ments de cet édifice, où l'on ne devait employer que la
pierre et le fer, furent commencés , et l'on y dépensa 50 à
60,000 (r. ; mais les désastres miUtaires et politiques de 1812
à 1815 ayant indéfiniment suspendu les travaux, les archives
sont demeurées à l'hôtel Soubise, où elles paraissent désor-
mais fixées. Seulement l'insuffisance du local a réclamé des
agrandissements indispensables.
Peu considérables d'abord, les archives ne contenaient que
les originaux des pouvoirs des députés , les actes relatifs à
la constitution, au droit public, aux lois du royaume, à sa
division territoriale ; les minutes sur parchemin des décrets
sanctionnés par le roi ; les procès- verbaux des conseils de
départements ; les actes de naissance , de mariage et de décès
des princes français ; les registres et papiers des assemblées
législatives , les noms des vainqueurs de la Bastille , ceux
des députés , inscrits par eux-mêmes ; les procès- verbaux
de leurs élections , d'inauguration des monuments publics ;
les inventaires du matériel de l'Imprimerie nationale , de
l'Observatoire, de l'Académie des Sciences et autres établis-
sements scientifiques , des diamants et du mobilier de la
couronne, des formes, instruments et papiers relatifs aux
assignats ; les pièces de dépenses et de recettes du trésor
public , le compte des dons patriotiques , l'acte constitu-
tionnel et la lettre du roi relative à son acceptation, les
minutes des aliénations de biens nationaux , les actes de
la prestation de serment des agents du pouvoir, les papiers
trouvés à l'intendance de la liste civile , au château des Tui-
leries, et notamment dans la fameuse armoire de fer ; les
pièces du procès de Louis XVI, etc. Par décret de la Con-
vention nationale du 26 messidor an II ( 14 juillet 1794), les
archives devinrent un dépôt central pour toute la répu-
blique, et reçurent de fréquents et nombreux accroisse-
ments ; elles s'augmentèrent encore par l'arrivée successive
des acquisitions importantes que nous procurèrent les vic-
toires de nos armées en diverses contrées de l'Europe.
En 1812 les archives de l'Empire formaient trois divi-
sions, française, italienne et allemande. La seconde se com-
posait principalement des archives du royaume de Sardaigne
et du Piémont, et des archives pontificales de Rome. La
troisième contenait les pièces relatives aux diètes impé-
ria'es, à l'élection des empereurs , aux guerres et aux traités
de paix entre l'Allemagne et diverses puissances étrangères,
aux affaires de la Belgique, du Tyrol, de la Gallicie, etc.
ARCHIVES DE L'EMPIRE — ARCHONTES
Mais ces «leux tlivisions fuient supprimées en 1814, et les
litres (jn'elies renformiiieiit remis aux maiulalaires des puis-
Vinces respectives , en vertu du traité de paix et de diverses
ordonnances de Louis XVIII.
La division française, la seule qui nous soit restée , se
composait a'oi-s de six sections, législative, administra-
tive, historique, topographique, domaniale il judi-
ciaire. Aujourd'hui elle n'en rent'erine plus que quatre :
1" là section du sa:rctariat, qui ronservc les documents de
l'ancienne sccrétaireric d'État , instituée sous le premier
empire, et qui jusqu'en 1848 étaient restés au Louvre;
2°la section historique, qui contient le trésor des chartes et
son supplément, les monuments historiques, dont quelques-
uns remontent au septième siècle , les monuments plus spé-
cialement ecclésiastiques, des mélanges relatifs aux ordres
militaires, aux anciens établissements d'instruction publi-
que, aux titres généalogiques, etc.; 3° \ii section adininistra-
tive, qui renferme les archives de l'ancien conseil d'État,
du conseil de Lorraine, les ordonnances, lettres patentes,
bons et brevets du roi.tout oe qui est relatif au régime cons-
titutionnel de 1791, à la Convention, au Directoire exécutif,
au Consulat, etc.; les mémoriaux, hommages, aveux et dé-
nombrements de l'ancienne chambre des comptes de Paris,
les versements des diverses administrations, les papiers rela-
tifs aux domaines des princes elaux apanages, les séquestres,
confiscations, déshérences, les plans terriers, cartes topogra-
pbiques, etc.; 4° la section législative el judiciaire , qui
contient les lois, ordonnances, édits, arrêts, lettres paten-
tes, décrets impériaux, les copies authentiques et minutes
des procès- verbaux de l'Assemblée des notables et des
Assemblées nationales, les pièces annexées à ces minutes,
les papiers des représentants en mission et des comités de b
constituante de 1789 et de la Convention, les archives de
toutes nos assemblées législatives; on y trouve également
les pièces et titres relatifs à la grande chancellerie, secré-
taireriedu roi, prévôté et requêtes de l'hôtel, grand conseil,
conseil privé, commissaires extrao'diuaires, parlement et
Chàtelet de Paris, cours et juridictions diverses, tribunaux
criminels et extraordinaires, etc.; enfin les versements du
ministère de la justice.
Les pièces originales les plus précieuses, et spécialement
celles qui sont munies de sceaux d'or ou d'argent, sont
renfermées dans une armoire de fer, ainsi que des médailles,
des clefs de ville, les étalons du mètre et du kilogramme, di-
vers modèles, instruments, costumes, etc. Il y a de plus aux
archives une bibliothèque où sont réunis tous les livres im-
primés qui s'y trouvaient mêlés aux pièces manuscrites,
ceux qui ont été acquis pour le service de l'établissement
ou qui proviennent du dépôt littéraire du ministère de l'in-
térieur, le seul qui ait continué d'alimenter les archives du
royaume. Les parties les plus importantes sont celles qui
ont trait à la géographie, à l'histoire de France, à l'histoire
ecclésiastique , au droit public , aux lois françaises.
Camus a été le premier archiviste. Pendant sa détention
de deux ans dans les États d'Autriche, des commissaires de
la Convention surveillèrent les Archives. A son retour, en 1 795,
il fut confirmé dans ses fonctions, qu'il conserva jusqu'à sa
mort , en décembre 1804.Daunou, qui avait toujours pris
un vif intérêt aux Archives de l'État et une part très- active
aux discussions relatives à leur accroissement, en fut alois
nommé garde. Sous son administration éclairée, elles furent
mises en ordre, et augmentées successivement de nombreuses
acquisitions faites en Italie et en Allemagne. Daunou publia
en 1812 le tableau détaillé, mais succinct, de leur classi-
fication et de leur contenu. Les événements qui amenèrent
la Restauration furent désastreux pour cet établissement. A
la restitution forcée des archives allemandes et italiennes
succéda, en 1815, celle d'une partie des titres généalo-
giques provenant du cabinet de M. d'Hozier, qui plus tard
les revendit à Charles X. Au commencement de 1816,
BiCT. DE LA COHVERS. — T. !.
769
Daunou fut remplacé par M. Delaruc, homme recommau-
dable par ses qualités sociales et ses vertus domestiques,
mais incapable , par la faiblesse de son caractère et l'in-
suffisance de ses connaissances , de diriger une adminis-
tration aussi importante. Sous lui des titres domaniaux
furent rendus aux maisons d'Artois , d'Orléans et de Condé,
ainsi qu'à diverses familles d'émigrés. Des dilapidations
eurent lieu au greffe. Un vol très- considérable fut commis
impunément à la Sainte-Chapelle. Enfin , un grand nombre
de pièces furent enlevées ou même arrachées de divers
recueils. Après la révolution de Juillet, M. Delarue se brûla
la cervelle, le 9 août 1830, sur les bords du canal Saint-
Martin. Daunou, nommé peu de jours après pour le rem-
placer, ne reprit possession d'une place dont il avait été
injustement dépouillé qu'après avoir fait judiciairement
constater des déficits dont il ne voulait pas se rendre res-
ponsable; il rétablit l'ordre aux Archives, et fit plusieurs
réformes utiles. En 1840 Letronne lui succéda, et à celui-ci
M. de Chabrier, que M. le comte Léon de Laborde a rem-
placé le 4 mars 1857. Un décret du 22 décembre 1855 a
réorganisé cet établissement, dont le chef a le titre de di-
recteur général. Le personnel se compose en outre de quatre
chefs et de quatre sous-chefs de section, d'archivistes et de
surnuméraires auxiliaires. Les recherches sont soumises
à des autorisations diverses déterminées par des règle-
ments. Depuis le règne de Louis-Philippe on a reconstruit
et augmenté les bâtiments des Archives auxquels sont joints
l'école des Chartes.
ARCHIVOLTE. Par ce nom , dérivé du latin arcus
volutus, arc contourné , on désigne le bandeau orné de
moulures qui règne à la tête des voussoirs d'une arcade,
et qui vient se terminer sur les impostes. On orne les
archivoltes selon la richesse ou la simplicité des ordres et
de la même manière que les architraves. On appelle archi-
volte retourné, celui dont le bandeau ne finit pas, mais
qui, retournant sur i'imposte , se joint à un autre bandeau.
Cette manière est lourde, et ne convient qu'à une ordon-
nance rustique. Varchivolte rustique est celui dont les
moulures sont interrompues par une clef et des bossages
simples et rustiques. A.-L. Milli.n, de l'Insiiiut.
ARCIIOJ\TES {àçiyjMv, àpxovTo;, celui qui a lé com-
mandement, la puissance), titre que portèrent à Athènes
les magistrats, au nombre de neuf, investis de la suprême
autorité de la république après la mort de Codrus,
son dernier roi, arrivée l'an lûGS avant Jésus-Christ. Un
de ses fils, Médon , exerça le premier cette charge, que
ses descendants possédèrent pendant une longue suite
d'années. Elle devait d'abord être perpétuelle ; mais elle
parut bientôt aux Athéniens une image trop vive de la
royauté , dont ils voulaient anéantir jusqu'au souvenir, et
ils en réduisirent l'exercice à dix années, puis à une , afin
de ressaisir plus souvent l'autorité, qu'ils ne transféraient
qu'à regret à leurs magistrats. Dans l'espace de 316 ans,
c'est-à-dire de Médon à AIcméon, Athènes compta treize
archontes perpétuels; il y eut ensuite sept archontes dé-
cennaux , dont le premier fut Charops, et le dernier Érix.
Créon, le premier des archontes annuels , fut élu la
deuxième ou la troisième année delà 2'!" olympiade, et
ce fut de ce moment seulement qu'il y eut neuf archontes
au lieu d'un, choisis indistinctement parmi tous les citoyens
de la république, tandis que dans le principe on ne pou-
vait les prendre que dans la race de Médon et, plus tard, que
dans la noblesse ( Eupatrides ).
"Voici quelles étaient les fonctions de ces magistrats : le
premier, nommé archonte éponyme, donnait son nom à
l'année, jugeait les procès qui s'élevaient entre époux,
tenait la main à l'observation des testaments, pourvoyait au
sort des orphelins, pimissait l'ivrognerie avec sévérité , et
encourait lui-même la peine de mort s'il s'enivrait pendant sa
magistrature. Le second, nommé archonte basileos, ou roi,
97
770
ARCHONTES — ARCIS-SUR-AUBE
présidait an culte des dieux, jugeait les différends des prê-
tres et des familles sacerdotales, punissait les profanateurs,
offrait des sacrilices pour la prospérité de l'État , présidait
enfin à la célébration des mystères d'Eleusis et à toutes les
autres cérémonies religieuses. Il avait le droit d'opiner dans
l'aréopage; mais il n'y paraissait jamais avec la couronne,
emblème de sa dignité. La femme de l'arcbonte-roi portait
le nom de reine , et présidait en cette qualité les prêtresses
de Cérès et de Baccbus. Le troisième archonte , nommé
polcmarchos , commandait l'armée, avait la police des
étrangers, et veillait à ce que les enfants des citoyens morts
pour la patrie fussent entretenus aux dépens de l'État. Cha-
cun de ces archontes avait le droit de s'adjoindre deux
citoyens respectables, qui devaient l'aider de leurs conseils
et de leurs lumières.
Les six derniers archontes , appelés thesmothttes ( lé-
gislateurs ) , poursuivaient la calomnie et l'impiété , ju-
geaient les procès des marchands, déféraient les appels au
peuple, recueillaient les suffrages , surveillaient les magis-
trats inférieurs , et s'opposaicut à la sanction des lois con-
traires au bien de l'État. Kn sortant de charge , tous les
archontes avaient droit de siéger à vie daits l'aréopage. En
entrant en charge, ils prêtaient serment d'observer les lois,
de rendre impartialement la justice et de ne point se laisser
corrompre. L'archonte convaincu d'avoir reçu des présents
était forcé de consacrer dans le temple de Delphes une
statue d'or d'un poids égal au sien.
En lîéotie il y avait un magistrat appelé archonte. Parmi
les Juifs ce mot avait de très-diverses acceptions sous la
domination romaine, de même que dans le Nouveau Testa-
ment. Généralement il est employé cliez eux à désigner les
chefs du sanhédrin. — Les gnostiques donnaient ce nom
à des êtres imaginaires, qu'ils appelaient éons. Au.«;si une de
leurs sectes, particulièrement hostile aux croyances judaï-
ques, s'appelait-elle les archontiques.
ARCIIOIVTIQUES, hérétiques du deuxième siècle,
qui attribuaient la création du monde à des esprits secon-
daires appelés par eux archontes (d'âpyMv, chef). Ils at-
tribuaient à Sabaoth , et non à Dieu , l'institution du bap-
tême et des saints mystères, et conséquemmcnt les reje-
taient comme une impiété. En admettant l'immortalité de
l'ûme , ils niaient la résurrection des corps , avaient les
femmes en horreur, et les considéraient comme une inven-
tion du diable. On les regarde comme une branche de la
secte des Yalentiuiens. Voyez Valeminiens et Gnos-
tiques.
ARCnYTAS, de Tarente, de l'école de Pylhagore,
était contemporain et ami de Platon. Ce philosophe jouit
d'une grande réputation chez les anciens comme mathéma-
ticien et comme mécanicien. On lui attribue l'invention de
la vis , de la poulie , et plusieurs découvertes en géomé-
trie : il parait qu'il avait aussi de gi'andes connaissances
en astronomie, .\rchytas avait écrit un grand nombre d'ou-
vrages sm* divers sujets, dont il ne nous reste plus que
quelques titres. De ce nombre était celui intitulé nepl
-avTÔç(du monde). Nous avons un monument estimable
de son savoir en géométrie : c'est la solution du pro-
blème des deux moyennes proportionnelles pour arriver
à la duplication du cube. On doit encore lui savoir gré
d'avoir raisonné géométriquement les principes do la mé-
canique. Toute l'antiquité parle avec admiration de sa co-
lombe automate, dont le mécanisme était si parfait qu'elle
imitait le vol d'une colombe véritable. Sur le témoignage
d'Aulu-Gelle , qui dit à propos de cette colombe : Ita erat
Ubramentis suspensum et aura spiritus inclusa atque
occulta concitum , on a imaginé que ce pouvait être une
sorte d'aérostat; mais ce texte, trop peu clair, se prête à
toute .sorte d'explications, sans donner aucune raison suffi-
sante de cette interprétation. Arehytas avait aussi inventé le
cerf-volant pour les plaisirs des jeunes gens de Tarante, dont
il trouvait les divertissements ordinaires trop brutaux on
trop dangereux.
Arehytas jouissait au plus haut degré de l'estime de ses
concitoyens ; ils le placèrent jusqu'à sept fois à la tête de
leur gouvernement ; il commanda aussi les armées com-
binées des Grecs , et ne fut jamais battu. Ce philosophe
périt dans un naufrage sur les côtes de la Pouille. Cette
mort funeste a inspiré à Horace l'idée d'une de ses plus
belles odes.
ARCIS-SUR-AUBE , chef-lieu d'arrondissement du
département de r.\nbe, station du chemin de fer de Paris
à Troye.';. Cette ville a plusieurs filatures de coton et un
commerce très-actif en charbons, en vins et en fers;
sa popul.iî:on est de 2,770 habitants. Elle est célèbre par
lé combat qui s'y livra en 181'».
La bataille de Laon avait jeté hors de sa ligne d'opérations
l'armée russo-prussienne; et le combat de Reims , qui avait
fait retomber cette ville au pouvoir de Napoléon, coupait
les communications entre les deux armées ennemies. Le
17 mars, l'empereur se mit en mouvement avec environ
quinze mille hommes , laissant sur l'Aisne les corps de
Trévise et de l'nguse , environ vingt mille hommes. Il
devait être joint dans sa marche par six mille hommes ve-
nant de Paris avec le général Lefebvre-Desnouettes , et il
attendait le 20 , sur l'Aube , le duc de Tarente , qui arait
trente mille hommes sous ses ordres.
Le 17 au soir Napoléon s'avança jusqu'à Épemay, oc-
cupant Chûlons sur sa gauche. Schwartzenberg , ayant ap-
pris dans la journée le mouvement de l'armée française sur
Châlons , se hâta de renforcer sa droite, en faisant porter
trois corps d'armée vers Lesmont et Dommartin , devant
Briennc , où il croyait recevoir une bataille , et occuper
Arcis par un quatrième. Le 18 Napoléon , continuant son
mouvement vers l'Aube, vint prendre position entre La Fère-
Champcnoise et Sommesous. Le 19 il dirigea sa colonne de
droite sur Plancy , et celle de gauche sur Arcis. Les troupes
lusses qui couATaicnt Plancy furent culbutées , le pont ré-
paré , et l'avant-garde du général Sébastiani , ayant passé
l'Aube , s'avança jusqu'à Basse , dans la direction d'Arcis.
L'empereur se porta sur Méry , que l'ennemi évacua après
avoir brûlé le pont. Là, Napoléon ."'piuit que l'armée en-
nemie se concentrait sur Troyes; il forma dès lors le projet
de l'attaquer dans sa marche entre la .Seine et l'Aube ; mais
pour cela il fallait occuper Arcis : il concentra donc les
troupes qu'il avait avec lui autour de Plancy.
L'armée ennemie avait trois corps réunis à Troyes, les
Bavarois du général de Wrede à Nogent-sur-Aube, au-dessus
d'Arcis, et les corps de la droite en avant de Brienne.
Schwartzenberg se décida à prendre l'initiative de l'attaque.
Le 20 Napoléon fit occuper Arcis des le matin par la ca-
valeiie du général Sébastiani et par le corps du prince de
la Moskowa. Les deux généraux, ayant appris en ce mo-
ment que l'armée ennemie s'avançait en grandes forces, se
préparèrent à la défense dans l'état où ils se trouvaient. Les
divisions de cavalerie Colbcrt et Excelmans furent placées
en avant d'.\rc!S , sur la route de Troyes ; les divisions
d'infanterie Janssens et Boyer vers le Grand -Torcy, sur
la route de Biiennc; la dinsion de cavalerie Defrance en
arrière d'Arcis, à Vinefz, en observation sur la route de
Ramern. Napoléon ayant fait partir de Plancy les divisions
de la garde Lctort et Friant, arriva à Arcis vers une heure
après midi. Ayant alors chargé un de ses officiers d'ordon-
nance d'aller reconnaître les positions de l'ennemi, ce jeune
étourdi lui rapporta qu'il n'y avait en présence que les
Cosaques de Kaizarof. Ce rapport décida Napoléon à rester
en position et à attendre le restant de ses forces ; il n'avait
alors auprès de lui que 13,500 hommes d'infanterie et 7,300
chevaux. L'ennemi déployait devant l'armée française 84,000
hommes d'infanterie et près do 25,000 chevaux. Le duc de
Tarent», p".r ur\ effet de celte lenteur qu'on a pu remarquer
ARCIS-SUR-AUBE — ARCOLE
dans tous ses mouveiucats pendant la campagne de 18l4, au
lieu d'i^tre déjà près d'Arci>, où il devait anivcr le 20, et où
Napoléon lalteiulait, se trouvait encore en arrière de Plancy.
Ce retard privait Napoléon de 31,000 lionunes, plus de la
moitié de l'armée sur laquelle il avait dû compter.
PenJant ce temps l'armée ennemie s'était également avan-
cée. A midi les colonnes de la gauche étaient arrivées à Au-
beterre , et les Bavarois , formant la droite cnneniie , étaient
réunis en avant de Cliaudrey : les gardes et les réserves rus-
ses et prussiennes s'étaient avancées à Ménil-la-Cou\tesse.
A une heure le prince de Schvvartzenberg donna le signal
de l'attaque. Elle fut engagée au centre par le général russe
Kaizarof, soutenu par la cavalerie du général autrichien
Frimont. Les divisions Excelmans et Colbert furent enfon-
cées et ramenées sur Arcis ; Napoléon se jeta au-devant des
fuyards l'épée à la main, et les arrêta. En ce moment la
division Triant, qui venait d'arriver, se déploya devant Ar-
cis : la cavalerie ennemie se replia, et la nôtre reprit sa
position. A la droite des coalisés le général de \Vrede avait
pendant ce temps fait attaquer par onze bataillons autri-
chiens, que joigîiirent encore sept bavarois, le viHage du
Grand-Torcy, défendu par la division Janssens. ISIalgré les
efforts réitérés de ces dix-huit bataillons, nos troupes restè-
rent inébranlablement en possession du village. Les colonnes
de la gauche ennemie s'avancèrent sans combat jusqu'au
croisement de la route de Jléry. Là elles rencontrèrent les
grenadiers et les chasseurs de la garde, oubliés par erreur sur
ce po'mt. .Malgré la vigueur de leur défense, ils auraient suc-
combé sans une charge de cavalerie du général Berkeim,
qui les dégagea, et couvrit leur retraite sur Jléry, d'où,
pendant la nuit, ces troupes repassèrent le pont de Plancy et
gagnèrent Arcis.
Vers six heures du soir, le combat durait encore devant
Arcis , et le prince de Schwarfzenberg résolut de to.nter un
dernier effort contre Torcy. Il fit attaquer de nouveau ce
village par le corps bavarois appuyé par un corps de
grenadiers et deux divisions de cavalerie. Les divisions
Janssens et Boyer soutinrent sans s'ébranler les efforts
de l'ennemi jusqu'à onze heures du soir; alors l'ennemi
renonça à ses attaques, et se retira du champ de bataille.
Nous perdîmes dans cette lutte glorieuse le général Jans-
sens. Devant Arcis, après plusieurs chaiges fournies et re-
çues, le général Sébastian!, renforcé par la division Lefeb-
vre-Desnouettes, en tenta une dernière vers neuf heures du
soir sur le corps russe de Kaizarof, qui fut enfoncé et écharpé ;
le corps de Frimont fut entamé et renversé sur la gauche
des Bavarois, où deux divisions de cuirassiers ennemis arrê-
tèrent notre cavalerie, qui rentra en ligne. L'armée fran-
çaise bivaqua sur le champ de bataille, et l'armée ennemie
rentra à peu près dans les positions où elle s'était déployée.
Le 21 au matin, ayant été rejoint par le duc de Reg-
gio, qui lui amenait 3,000 hommes, l'empereur déploya
sa petite armée sur le plateau en avant d'.Vicis , et se dé-
cida à attaquer; il donna l'ordre au prince delà Moskowa et
au général Sébastiani de se porter en avant. Ce dernier rem-
porta d'abord un succès assez marqué sur la cavalerie russe
d'avant-garde. Mais, arrivés sur la crête du plateau d'Arcis,
nos généraux aperçurent toute l'armée ennemie rangée en
bataille. Le prince de la Moskowa fit avertir Napoléon
que l'ennemi en grandes forces était en présence, de pied
ferme; 108,000 hommes en attendaient 28,000. Napoléon
s'en étant assuré par lui-même, il n'y eut plus à balancer;
le duc de Tarente ne pouvait arriver que le soir, et il ne
fallait pas penser à engager une bataille contre des forces
tellement supérieures : il donna en conséquence l'ordre de
la retraite, en repassant l'Aube. Elle se fit par échelons, en
bon ordre, sans être inquiétée pendant quatre heures, le
prince de Schvvartzenberg s'étant per.suadé que l'armée
française devait venir à lui. Ce ne fut que vers quatre heu-
res que l'ennemi attaqua Arcis et les troupes qui n'avaient
77»
pas encore passé. Le combat fut vif et la résistance vail-
lante et opiniitre; l'armée francai.se acheva son passage et
se rangea en bataille à la rive droite de l'Aube sans avoir été
entamée; à neuf heures du soir elle y fut rejointe par les
troupes du duc de Tarente.
Les deux journées du 20 et du 21 nous coûtèrent 2,500
hommes; l'ennemi en perdit plus de 4,000. Mais Na-
poléon avait réussi dans son projet; sa marche sur Saint-
Dizier entraînait l'ennemi à sa suite, au milieu de nos places
fortes et de nos populations insurgées , lorsque la trahison
organisée à Taris y appela les coalisés , qui y furent reçus
comme jadis l'avait été Henri V d'Angleterre.
G*' G. DE Yaudoncourt.
ARCO, mot italien signifiant archet. Ces mots, co«
Varco , inscrits au-dessus d'une portée , indiquent qu'après
avoir jusque là pincé les cordes de son instrument , l'exé-
cutant doit reprendre son archet à l'endroit indiqué.
ARCOLE (Bataille d'). Les revers éprouvés par le
général autrichien Wunnser, en Italie , pendant l'été de 1796,
avaient presque fait perdre à l'Autriche l'espérance de con-
server ce pays. Mais l'inaction de Moreau ayant permis à
l'archiduc Charles de se porter en force contre l'armée de
Sambre et Meuse, celle-ci fut forcée à la retraite. Battue le 3
septembre à Wurizbourg, elle dut repasser le Rhin, et Moreau
se vit contraint d'en faire autant. Alors l'Autriche, se voyant
en mesure de reprendre l'offensive en Italie, forma dans le
Frioul une armée de 40,000 hommes, dont le général
Alvinczy prit le commandement. Le corps du général
Davidowich , enTyrol , fut porté à 18,000 hommes. Le plan
de campagne était de joindre ces deux armées à Vérone , et
de marcher sur Mantoue pour en faire lever le siège. L'armée
française susceptible d'entrer en ligne ne dépassait pas
30,000 hommes ; le reste était devant Mantoue.
Le 4 novembre, la division ^Masséna, qui était à Bassono ,
vit déboucher Alvinczy, et, ayant reconnu ses forces, repassa
la Brenta, se dirigeant sur Vicence. Le général en chef
Bonaparte , qui était à Vérone avec la division Augereau ,
se porta alors en avant au secours de Masséna. Quoiqu'il
n'eût que 18,000 hommes, il attaqua les Autrichiens, les
obligea à repasser la Brenta après un combat acharné, et se
préparait à forcer le lendemain le pont de Bassano, lorsqu'il
fut rappelé à Vérone.
Cependant le général Vaubois avait dès le 1'^'' rem-
porté quelques succès sur Davidowich ; mais , se voyant
débordé le lendemain, il échoua dans une nouvelle tentative,
et fut forcé, le 3, de se retùrer àCagliano, où il ne put même
se maintenir. A cette nouvelle, le général Bonaparte envoya
en haie de Vérone quelques troupos pour occuper le plateau
de Rivoli et protéger la retraite de Vaubois. Lui-même se»
mit en mouvement le 7 au matin avec ses deux divisions ,
bien résolu à marcher de nouveau contre Alvinczy.
Le 11, après midi , les deux divisions débouchaient de
Vérone et marchaient sur Cakliero , où elles arrivèrent à la
nuit. Mais l'ennemi les y avait prévenues , et l'attaque qui
eut lieu le 12 au matin échoua. Les armées passèrent la nuit
suivante en présence, et le 13 Bonaparte, ne voyant pas de
chances pour lui dans un second combat, se décida à ren-
trer dans Vérone.
Il faut le reconnaître , la position de l'armée française
devenait de jdus en plus critique. La division Vaubois était
réduite à 8,000 hommes; les divisions I^Iasséna et Auge-
reau n'en comptaient pas 15,000, et environ 8,000 hommes
restés devant Mantoue luttaient contre les sorties d'une gar-
nison de 25,000 hommes. Tout autre général que Bonaparte
aurait continué sa retraite et levé le siège de Mantoue; mais
l'Italie était perdue, et l'ennemi arrivait jusqu'aux Alpes.
Le général en chef français se décida donc à tenter la fortune
et à manci uvrer pour s'assurer des chances favorables.
Le terra'm occupé par Alvinczy consistait en une langue
de terre d'à peu près 2i kilomètres de ion? sur S de large,.
772
ARCOLE
resserrée entre l'Adige au sud , et les coteaux qui le domi-
nent au nord. La tôte du défilé était fermée par la ville de
Vérone, mise en bon état de défense. Derrière l'armée en-
nemie , coulait le torrent de l'Alpon , encaissé dans un canal
peu large , mais profond et fangeux. Vérone ne pouvant être
emportée d'emblée , Bonaparte résolut de profiter de l'A-
dige , qui couvrait son mouvement , pour menacer le fianc
et les derrières d'Alvinczy. Devant Ronco, jusqu'à l'Alpon
d'ua côté , et jusque vers Saint-Martin de l'autre , s'étend
un vaste marais, qu'on ne peut traverser que sur deux
digues. Celle de gauche se dirige le long de l'Adige sur Vé-
rone ; on pouvait de ce côté menacer le flanc de l'ennemi.
Celle de droite conduit au pont d'Arcole sur l'Alpon; on
pouvait par là se porter à San-Bonifacio. Maître de Porcile
par la digue de gauche et d'Arcole par celle de droite , le
général en chef avait donc, au besoin, la double chance d'em-
pêcher l'attaque de Vérone, et d'obliger l'ennemi à une
retraite dangereuse par le pout de Villa-Nova , sous le poids
d'une attaque de liane , toujours périlleuse en pareille cir-
constance, l'ne troisième digue enfin conduisait à Albaredo,
au-dessous du confluent de l'Alpon, et offrait le moyen, en y
passant l'Adige, de tourner le village d'Arcole. Ce fut vers
Ronco que le général en chef se décida à marcher.
Le 14, à l'entrée de la nuit, Bonaparte, ayant laissé le général
Kilmaine avec environ 2,000 hommes à la garde de Vérone, se
dirigea à la tète de 13,000 hommes sur Ronco, où le colonel
Andréossy faisait construire un pont sur l'AJige. En arrivant
le 15 au point du jour, les troupes trouvèrent !e pont achevé,
et passèrent le fleuve, à rcxception de la brigade du général
Gieux, qui reçut ordre de se porter sur Albaredo. La division
Masséna fut envoyée à Porcile, et celle d'Augereau à Arcole,
qui n'était gardé que par deux bataillons de Croates avec
deux canons. Masséna ne rencontra aucun obstacle jusqu'à
Porcile ; Alvinczy, se croyant sûr de ce côté , n'avait pas
pourvu le moins du monde à la défense de cette position.
A Arcole, les Croates, quoique surpris par l'arrivée des ti-
railleurs français, se retranchèrent aussitôt sur la digue qui
suit la rive gauche de l'Alpon. La colonne française engagée
sur la digue de la rive droite, prise en flanc par leur feu,
fut forcée de se replier en arrière de Zerpa. Augereau se mit
alors à la tête des cinquième et sixième bataillons de gre-
nadiers, et s'élança vers le pont; mais le même feu de
flanc le força à rétrograder.
Alvinczy, à cette nouvelle, hésita un moment; il crut
que c'était une fausse attaque de troupes légères cher-
chant à masquer une attaque réelle qui avait Vérone pour
base; mais du clocher de Caldiero il ne tarda pas àse rendre
un conqite jjIus exact du mouvement des Français, et fit partir
aussitôt la division MitrowsUi du côté d'Arcole par la dig-ue
de la rive droite qui vient du pont de Villa-Nova, et la division
Provera dans la direction de Porcile. Masséna laissa cette
dernière s'engager sur la digue près de Bionde; puis, la char-
geant avec vigueur, il la culbuta, lui fit des prisonniers et
lui enleva des canons. La division Mitrowski dépassa égale-
ment le pont de Zerpa; mais alors elle fut chargée à la fois
de front et de flanc, et culbutée avec perte sur les dix heures
du matin.
La bataille engagée et les succès obtenus devant forcer
Alvinczy à un mouvement rétrograde, il devenait urgent de
s'emparer du pont d'Arcole, afin d'arriver sur celui de Villa-
Nova avant que l'ennemi fût en position de le défendre. Plu-
sieurs attaques ayant échoué, en raison des feux de flanc qui
augmentaient, le général en chef résolut do tenter un dernier
effort et de payer, encore une fois, vaillamment de sa per-
sonne. 11 saisit le drapeau du cinquième bataillon de gre-
nadiers, et, s'élançant à la tête de la colonne, le planta
sur le pont. Les grenadiers qui le suivaient arrivèrent jus-
qu'au milieu ; mais là le redoublement du feu ennemi et
l'arrivée d'une nouvelle division autrichienne les culbutèrent
de nouveau. Les grenadiers enlevèrent leur général pour le
s; uver; cependant le désordre de la déroute était devenu si
lirand que Bonaparte fut jeté de la digue dans le marais,
où il s'enfonça à mi-corps.
Le danger du général en chef ranime le courage des gre-
nadiers, qui se portent derechef en avant. Une compagnie
conduite par le général Belliard repousse lennemi et dégage
Bonaparte, tandis que Lannes, accouru de Milan malgré ses
blessures, le couvre de son corps et est de nouveau dan-
gereusement blessé. Alors une charge générale ramène les
Autrichiens au delà du pont d'Arcole. Les généraux Belliard
et Vignole sont blessés ; le général Robert est tué, ainsi que
Muiron , aide de camp du général en chef.
Alvinczy, averti du danger qu'il court par les revers
qu'il a essuyés, profite de la vigoureuse défense d'Arcole pour
se dégager. Il évacue toutes ses batteries de Caldiero, et fait
repasser le pont de Villa-Nova à ses parcs et à ses réserves,
échappant ainsi à la destruction. Le passage du général
Gieux à Albaredo fut longtemps retardé. 11 était quatre
heures lorsqu'il put déboucher à revers sur Arcole, qui fut
enlevé sans coup férir.
Cependant, le général Vaubois, attaqué le ISparDavido-
wich , avait été obligé d'évacuer la Corone et Rivoli et de
se replier sur Bussolengo. Bonaparte, craignant que s'il était
forcé de continuer sa retraite , il ne risquât de compromettre
l'armée française dans les marais de Zevio , résolut, à tout
événement, d'abandonner Arcole, et de se retirer sur la droite
de l'Adige, ne laissant à la gauche qu'une brigade pour garder
le pont. Aussitôt Alvinczy fit occuper Porcile et Arcole dès
trois heures du matin, et le 16, au point du jour, il se pré-
senta devant le pont de Ronco. Bonaparte venait d'apprendre
que Vaubois était encore à Bussolengo; il se décida, en
conséquence, à repasser le pont et à reprendre l'offensive.
Masséna culbuta l'ennemi sur la digue de gauche, reprit
Porcile, et par un mouvement de flanc coupa une colonne
de 1,500 hommes vers Moncla. Augereau arriva jusqu'au
pont d'Arcole, mais les difficultés de la veille se re-
présentèrent, et le pont ne put être emporté ; de même que le
jour précédent , Bonaparte se vit obligé à la nuit tombante
de repasser l'Adige.
Le 17 au matin il apprit que Vaubois tenait encore ses
positions, et que Davidowich ne faisait aucune disposition
pour l'en débusquer : il se détermina donc à tenter une
dernière attaque décisive. D'un côté, l'inaction de Davido-
wich ne pouvait guère se prolonger, et une nouvelle retraite
de Vaubois risquait de faire évanouir tout le fruit de com-
binaisons déjà payées de tant de sang ; de l'autre, les gran-
des pertes qu'avait essuyées l'ennemi les 15 et 16, et qu'on
pouvait évaluer à plus de 20,000 hommes, avaient beau-
coup diminué sa supériorité et permettaient de hasarder
une bataille. L'armée française passa donc de nouveau
r.\dige; une brigade de la division Masséna repoussa l'en-
nemi jusqu'à Porcile; lui-même, avec une autre brigade,
s'avança jusqu'au pont d'Arcole, mais sans essayer de l'em-
porter. La division Augereau resta en arrière de Zerpa, dont
on avait réparé le pont. L'adjudant-général Lorced avait
reçu l'ordre de sortir de Legnago avec 600 hommes, 200
chevaux et 4 canons , et de se diriger sur Cologna et Lo-
nigo, pour menacer le flanc de l'ennemi.
A midi l'armée française dut passer l'Alpon, afin de ne pas
abandonner Lorced seul à l'autre rive. A deux heures elle
était en bataiUe, la gauche à Arcole, et la droite vers Cucca.
L'armée ennemie appuyait sa droite sur l'Alpon, vers Fossa-
Bassa, et sa gauche sur les rizières de San-Stelano. Le com-
bat s'engagea sur toute la ligne. Vers trois heures le déta-
chement de Lorced ayant dépassé Cologna à la rive gauche
de l'Agno, et se trouvant en mesure de canonner le flanc
gauche de l'ennemi, Bonaparte voulut assurer le succès de
cette diversion par un stratagème : le nègre Hercule, chef
d'escadron des guides, reçut l'ordre de se porter avec vingt-
cinq hommes et quatre trompettes par les roseaux et les
ARCOLE — ARDÈCHE
773
rizières de San-Stefano, sur les derrières de l'ennemi, et de
le cLargor à grand bruit. Cet oflicier exécuta sa mission
avec intelligence et intrépidité. L'ennemi se voyant tourne
par la colonne de Lorced, dont il ne pouvait juger la force,
et se croyant pris à dos par un corps nomhreuv de cava-
lerie, laissa apercevoir de l'iiésilation. Une charge générale
enfonça sa ligne et la culbuta sur la réserve, placée entre
Lonigo et Torre de Conlini, l'entraînant elle-même dans sa
déroute. Le mi me jour Bonaparte poursuivit les .\utricliiens
jusqu'à Montebello ; le leiklemain il les suivit jusqu'à Miia-
Nova. Puis il revint sur Vérone pour secourir Vaubois, qui
dès le 17 avait été obligé d'évacuer Bussolengo et de se re-
plier sur Castel-Novo. Davidowich, attaqué de front par Mas-
séna et Vaubois, et en flanc par .\ugereau, fut forcé de se
retirer presque en fuyant: on lui enleva 1,500 prison-
niers, 9 canons , un équipage de pont et beaucoup de ba-
gages.
Les trois joiniiées d'Arcole coûtèrent à Alvinczy 6,000 pri-
sonniers, IS canons, 4 drapeaux, et environ 18,000 morts,
blessés ou égarés. O^itre Lannes, Belliard, Vignole, on cite
parmi les généraux blessOs les 16 et 17 Verdier, Bon, Gar-
danne et Vernes. G"' G. de Vaudo.ncoukt.
ARÇO\ ( Technologie). Voyez Feutrage.
ARÇOX (Jean-Clalde-Léonor LE MICH.\UD d'), ha-
bile iDgéaieur militaire, né à Pontarlier, en 1733, entra, en
1754, à l'école de Mézières, et bientôt après fut admis dans
le corps du génie. Employé pendant les deux dernières années
de la guerre dite de Sept-Ans, il eut occasion de se distin-
guer, en 1761, à la défense de Cassel. Ce fut lui qui fut
chargé , au siège de Gibraltar, de réaliser le fameux projet
des batteries flottantes insubmersibles et incombustibles ,
destinées à faire brèche au corps de la place du côté de la
mer , tandis que les batteries de terre devaient prendre de
revers tous les ouvrages que les premières attaqueraient de
front. Mais les intrigues des ennemis de d'Arçon et plu-
sieurs circonstances particulières firent échouer cette leftta-
tive. Lors des campagnes de Dumouriez, d'Arçon fut chargé
des sièges de Bréda et de Gertruydemberg, et f^orça ces deux
villes à capituler. Sa capacité reconnue le fit appeler, en
1799, au bureau militaire du Directoire exécutif, qui n'é-
tait composé que de cinq officiers. Enfin, après le 18 bru-
maire an VIII (9 novembre 1799), il fut élu membre du sé-
nat, et mourut l'aimée suivante.
Ses principaux ouvrages sont : 1° de la Force militaire
considérée dans ses rapports conservateurs, etc. (Stras-
bourg et Paris, 1789 et 1790, in-8°) ; 2° Réponses aux Mé-
moires de Montalembert sur la fortification dite perpen-
diculaire (1790, in-8°); 3° Considérations militaires et
politiques sur les fortifications ( 1795, in-8°); 4° Consi-
dérations sur Vinjlnence du génie de Vauban dans ta
balance des forces de l'État (1788, in-8"). Ces divers ou-
vrages, remplis d'idées neuves et ingénieuses sur la fortifi-
cation et sur les machines de gueire, font école parmi beau-
coup de nos militaires. Cependant il faut convenir que le
système de d'.\rçon , comme la plupart des systèaies, est
trop exclusif. Cet ingénieur s'élevait avec acharnement con-
tre ce qu'il appelle des canonnerics sans fin et sans résul-
tats. 11 regarde la multiplication de rarlilieiie dans nos
armées comme un signe de décadence de l'ait de la guerre,
et plaide la cause du remparement. Il semblerait pourtant
que les canonneries de Wagram, de Friediand , d'Iéna,
d'Austerlitz, ne furent pas tout à fait sans résultats, et l'on
a de la peine à se figurer qu'elles furent un signe de la dé-
cadence de i'art militaire. Ciiahpacnac.
ARCTIQUE (du grec âp/.To;, ourse). Ce mot est em-
ployé pour qualifier le pôle septentrional , à cause du voi-
sinage de ce point et de la dernière étoile de la constella-
tion appelée Petite Ourse. Par extension, le cercle polaire
de l'hémisphère septentrional a reçu le nom de cercle po-
laire arctique. Pour les expéditions au pôle arctique,
voyez l'article Nord (Expéditions au rôle du).
ARCTOPIIYL.AX. Voyez Iîolvikr.
ARCIOPITIIÈQUES. Voyez Since.
ARCÏL'RUS (du grec àpxToûpo;, formé de àpxto;, ourse,
et deoOpà, queue), étoile fixe de la première grandeur,
située à l'extrémité de la constellation du IJouvier, dont elle
fait partie, et tirant son nom de son voisinage avec la
queue de la Grande Ourse.
On la regarde comme l'étoile fixe la plus rapprochée de
nous dans l'iiémisphère septentrional, parce que, par suite
d'un mouvement qui lui est propre , sa variation de lieu
est plus sensible que celle de toute autre étoile. En com-
parant une série d'observations faites sur la quantité et la
direction du mouvement propre de cette étoile, on en a
conclu que l'obliquité de l'écliptique décroît de 58" par
siècle, quantité qui correspond à peu près à la moyenne
des computations faites par Euler et Lagrange sur les prin-
cipes plus certains de l'attraction.
ARCUEIL, petit village situé à environ quatre kilo-
mètres de Paris , dans une vallée encaissée entre la route
de Fontainebleau et celle d'Orléans , est célèbre par Ta-
queduc qu'y fit construire l'empereur Julien, pendant son
séjour à Paris, pour amener les eaux du Rougis à son palais
des Thermes, et dont il subsiste encore aujourd'hui quel-
ques débris contigus à l'aqueduc moderne , construit, en
16!8, sur les dessins de Jacques Debrosses, par ordre de
Marie de Médicis, pour amener les eaux de Rougis dans les
jardins et le palais du Luxembourg, qu'elle faisait alors
bâtir. Il se compose de vingt-quatre arches jetées sur le
vallon de la Bièvre , dans une largeur de 400 mètres , avec
une élévation de 24 mètres. Un conduit souterrain d'une
étendue totale de 14,000 mètres amène ensuite les eaux,
dans un chàteau-d'eau situé près de l'Observatoire, d'où
elles vont alimenter les fontaines publiques d'une partie
assez considérable de Paris. L'eau de Rongis, ou, pour mieux
dire , l'eau d'Arcueil , est très-claiie ; mais elle contient une
assez forte quantité de sulfate "de chaux. On évalue son
débit à 9 pouces fontainiers.
Le célèbre chimiste B e r t h o 1 1 e t possédait une maison
de campagne à Arcueil. Comme plusieurs savants do ses
amis , occupés spécialement de l'étude des sciences phy-
siques, s'y réunissaient souvent, ils eurent l'idée de former,
dans cette tranquille retraite , une véritable académie qui ,
sous le nom de Société d'Arcueil, a publié plusieurs vo-
lumes de précieux mémoires.
ARCURE. Cette opération de jardinage consiste à
courber en forme d'arc les jeunes brandies d'arbres frui-
tiers, dans le but d'empêcher le développement des brancha
abois et défavoriser celui des bourres àjruits. Quand
elle est conduite avec ménagement , l'arcure donne de bons
résultats. Mais ii ne faut pas en abuser, comme certains
jardiniers qui l'ont complètement substituée à la taille; si
la quantité des fruits se trouve considérablement augmentée
par leur procédé, la qualité en souffre, et les arbres soumis
à ce régime ne tardent pas eux-mêmes à périr d'épui-
sement.
ARDÈCIIE (Département de 1"). Ce département est
formé de l'ancien pays du Vivarais. li est borné au nord par
les départements du Rhône et de la Loire, à l'est |)arceux
de l'Isère et de la Drôme , au sud par celui du Gard , et à
l'ouest par ceux de la Lozère et de la Haute-Loire.
Divisé en 5 arrondissements, dont les chefs-lioux sont
Privas, siège de la préfecture, l'Argentière et Tournon , il
compte 31 cantons, 333 communes. La population est de
385,835 individus. Il envoie trois députés au corps lé-
gislatif. Il formé avec le Gard, l'IIcraut et la Lozère, le
27'' arrondissement forestier, fait partie de la 8* division
militaire, dont le quartier général esta Lyon, ressortit
à la cour impériale de IStmes , compose le diocèse de Vi-
viers, suffragant de l'archevêché d'Avignon, et appartient à
774
'académie de Grenoble
ARDECHE
U lenfeiiae 1 lycée, 1 collège,
2 insUtutions , 703 écoles primaires, 2 écoles ecclésiastiques.
Sa siiperlicic est de 538,988 iiuctares, dont 143,376 en
landes, pàtis, bruyères, terres vagues; 128,943 en terres
labourables, 98,004 en bois, G2,S33 en cultures diverses,
43,912 en prés, 2G,8G3 eu ^inn(.'^, 3,26;î tn oseraics, aii-
haics, saussaies, 1,282 en propiiclés bâties , 1,205 en ver-
gers, pépinières et jardins, 17 en élangs, abreuvoirs, inarts
et canaux d'irrigation, etc. On y compte cinq iiuuillcros,
produisant 155,000quinlaux aiétri(iuesde combuslible, Irui.-.
mines de fer donnant 500,000 quintaux métriques de
minerais par an en moyenne. Il paye 1,745, 811 fr. d'impôt
foncier. La presque totalilé du déparlement est située dans
la vallée du Rhône, et arrosée par le Rliône et sesaflluents, la
Cance, le Doux,rÉrien, l'Ouvèze, le Lavezon , l'Escantay
et l'Ardècbe , qui donne son nom au département. Le reste
appartient au bassin de la Loire, et renferme les sources do
ce fleuve et celles de l'Allier. Les montagnes des Cévennes,
qui couvrent à l'ouest ce département, y forment un vaste
aniphithéAlre , dont les degrés vont en s'abaissaut du coté
du Rliône. Les points culminants de la chaîne sont le Me-
zonc (1774 mètres d'élévation), le Gcrbier-de-Joncs (1562
mètres), et le plateaa de Tanargue (1528 mètres). A l'ex-
ception de la lisière étroite qui règne le lor^g du Rhône , le
départemint ne renferme pas de plaine large, même d'une
lieue. Le sol est naturellement fertile; sa nature, assez va-
riée, offre un mélange de basaltes , de laves et de terres sa-
blonneuses , recouvert d'une faible couche de terre végé-
tale. La nature a réparti sur ce pays plusieurs climats dis-
tincts : une chaleur fécondante se fait sentir sur les bords
du Rhône; les environs de Saint-Julien et d'Annonai sont
sous l'induence d'un climat tempéré; mais dans la chaîne
des Cévenne-s, qui s'élève à l'ouest, l'hiver dure près de
huit mois , et la terre est souvent couverte d'une épaisseur
de neige considérable.
Le département de l'Ardèche est l'un des plus riches dé-
partements de la France en curiosités naturelles.
[Le cratère de Saint-Léger, près des bords de l'Ardèche,
exhale, comme la grotte du Chien, une grande quantité
d'acide carbonique; le pont de lu Baume est une coulée
volcanique , présentant une masîe de basalte disposée en
prismes inclinés dans diverse.s direcliuns, et posés sur une
rangée de prismes plus gros , placés perpendiculairement les
uns à côté des autres. Ce que cette colline offre de plus cu-
rieux , c'est une belle grotte naturelle , composée et sur-
montée de prismes disposés régulièrement en arc, comme
par la main de l'homme. La montagne de Chencvari, dont
la base calcaire supportait un dépôt de cailloux roulés , est
couronnée par une masse volcanique, qui du côté du sud
n'offre qu'un mur de laves grises et rougeûtres , mais qui du
côté opposé présente le singulier asi)ect d'une colonnade
basaltique d'environ six cents pieds de développement ; plus
loin , un rocher surmonté de prismes entassés horizontale-
ment ou groupés en s'inclinant vers le sol , supporte les
restes du vieux château de Rochemaure ; près du bourg de
Vais, connu par ses eaux minérales, la célèbre chaussée
des Géants, réunion de prismes basaltiques qui bordent
les deux rives du Volant; non loin du pont de Bridon, la
cascade qui tombe en bouillonnant du haut d'une montagne
formée de basaltes semblables ; le majestueux amas de
prismes près du pont de Rigodel ; la magnifique chaussée
formée de colonnes gigantesques , près du village de Co-
lombiers; la belle cascade de la Gueule d'enfer, qui tombe
du haut d'un rocher granitique, de plus de cinq cents pieds
de liauteur, recouvert de laves prismatiques : tels sont les
principaux objets qu'on ne peut voir sans étonnemcnt. L'un
de ceux qui, hors du domaine de la volcanisation , ont fait
faire le plus de suppositions sur leur origine, est le pont
naturel d'Arc, sous lequel coule l'Ardèclie. U est formé
d'une arche à plein cintre de soixante mètres de largeur, et
de vingt-cinq à trente de hauteur, percée dans un rocher
calcaire qui coupe transversalement une délicieuse et ro-
mantique vallée. Dans les descriptions géographiques qui en
font mention , on le représente comme le résultat d'une rup-
ture faite dans la roche par les eaux de l'Ardèche et termi-
née par la main de l'homme , parce que depuis l'époque de
la domination romaine il sert de passage pour aller des Cé-
vennes dans le Vivarais ; mais un rocher beaucoup n^oins
considérable que celui d'Arc, loin de pouvoir être percé par
la rivière, l'aurait forcée à détourner son cours, et nul in-
dividu n'a cherché à perfectionner cet ouvrage de la nature,
puisqu'on ne peut le traverser qu'en ayant soin de se te-
nir constamment attaché par les mains aux aspérités qui le
couronnent. Nul doute, au contraire, que l'Ardèche n'ait pas
même contribué à l'agrandir , puisque l'arche n'offre point
de trace du frottement des eaux , et que le pont ne soit
une véritable caverne, comme celles qui , par une dégrada-
tion naturelle , se sont formées dans le môme calcaire qui
borde la rivière , dégradation qui est un des caractères
de ce calcaire que l'on appelle, pour cette raison, cuver-
tieux. Les grottes des environs du bourg de Vallon , dues
à la même cause, sont connues par la bizarrerie et la variété
des formes que présentent leurs stalactites ; les rochers de
Ruoms, au contraire, étonnent par leurs formes cubiques ou
pyramidales. A Imit lieues nord-ouest de l'Argentière s'é-
lèvent graduellement les collines qui forment la montagne
volcanique de Prasoncoupc, dont le nom signifie coM^^e ou
cratère des prés , parce qu'elle domine de belles prairies,
et dont la hauteur est d'environ 1000 mètres au-dessus de
la Méditerranée. Ce volcan est, par l'abondance de ses laves,
un des plus importants du Vivarais. De ses flancs sortent
les eaux thermales , sources de richesses pour le village de
Saint-Laurent-les-Buins. Du sommet du Prasoncoupe la
scène change : à l'aridité de cette vallée succède , autour du
volcan, l'heureuse fertilité d'une terre couverte de bois , de
prairies , d'eaux abondantes et de champs cultivés. Du haut
du volcan de Loubaresse le spectacle est encore plus beau,
la vue s'étend sur la vallée de Valgorge, la plus pittoresque du
^'ivarais par ses milliers de pics et d'aiguilles et sa belle végé-
tation , dont la disposition offre à chaque pas la succession
inattendue de sites riants ou sauvages. Malte-Bkun.]
Les granits et les gneiss qui bordent le département au
nord-ouest, les psammites et les schistes qui s'appuient sur
ces roches, les calcaires qui viennent parallèlement s'y
adosser et la bande volcanique qui se termine biusquement
aux bords du Rhône parles basaltes de Rochemaure, comme
si le fleuve avait servi de barrière au torrent de laves , se
réunissent aux environs d'Aubenas , où la couche d'allu-
vion, résultat do l'érosion des vallées qui ont sillonné ces
terrains , forment un sol si fertile qu'a l'aspect des noyers ,
des châtaigniers , des mûriers et des vignobles qui le cou-
vrent , on peut dire qu'il est en France peu de pays plus
riches.
Parmi les animaux sauvages que nourrit le département
de l'Ardèche , ceux qui méritent le plus d'être cités sont
le blaireau et les belettes, qui y sont assez communs ; on y
trouve aussi des civettes. Les eaux y sont en général très-
poissonneuses. On y récolte des truffes.
Les essences dominantes dans les forêts .sont le pin, le sa-
pin et le hêtre. Les coteaux à l'ouest de l'Ardèche sont cou-
verts dévastes forêts de marronniers, qui fournissent les ex-
cellents marrons dits de Lyon.
Les substances minérales sont très- variées. On trouve du
granit, du schiste, dos marbres, des pierres calcaires, du
grès, du gypse, des basaltes, des laves et des pouzzolanes.
Il existe un grand nombre de mines de bouille; une mine de
fer très-riche, à peu de distance du Rhône; une mine de
plomb, aux environs de Tournon ; on exploite l'antimoine
à Malbosc, et des mines de plomb argentifère à l'Argentière.
Il y a aussi un grand nombre de sources d'eaux thermales et
ARDÈCHK — AnDE?s^'ES
minéralos dans le département; outre celles de Saint-Lau-
rent, nous citerons encore celles de Vais.
Ce département présente de riches cultures dans certaines
parties; cependant la récolte en céréales est insuffisante pour
ia consommation de ses habitants. Les principales cultures
sont la vigne et le mûrier. La vigne donne des produits
importants ; ses vins sont en général trés-estimés : les vins
blancs fins de Saint-Péray , les vins rouges de Cornas,
sont excellents. Le nombre des plantations de mûriers est
co'nsidérahle. La pomme de terre entre, avec la châ-
taigne, pour une notable portion dans la nourriture des ha-
bitants. L'engrais des bestiaux en général , celui des porcs
et des dindons en particulier, l'élève des chèvres pour les
peaux, l'éducation des abeilles et surtout des vers à soie
sont les branches principales de l'industrie agricole du pays.
Le département de l'Ardèche possède des manufaciures
très-importante», dont les produits les plus renommés sont
les soies filées et les papiers; des fabriques de draps et lai-
nages, tissus de filoselle, chapeaux de paille, huile de noix ;
des taniierics, mégisseries, teintureries, ganteries.
Ce département possède 2 cours d'eau navigables ( le
Rhône et l'.^rdèclie), 7 routes impériales, 28 routes dé-
partementales et 2,410 chemins vicinaux. Le tout formant
464 kilomètres de routes impériales, 1,841 de routes dépar-
raentales, 4,590 de chemins vicinaux. Le chemin de fer
de Lyon à la Méditerranée borde ses limites.
Les villes et les lieux les plus remarquables du départe-
ment de l'Ardèche sont Privas, son chef-lieu; V Argen-
tier e , qui trouve dans les fabriques et les filatures de soies
plus de ressources que n'auraient pu lui en procurer les pro-
duits métalliques d'où elle tire son nom; au sud-ouest de
ce chef-lieu de sous-préfecture, sur les bords du Rhône ,
Bourg-Saint- Andéol, qui, dit-on, doit son nom à saint An-
déol, qui y souffrit le martyre au commencement du troi-
sième siècle. Près de cette ville on voit, sur le rocher d'oii
s'échappe la fontaine d'eau minérale de Tournez, les ruines
d'un temple gaulois qui paraît avoir été consacré au dieu
Mitlu-a. — Le village àWps est l'ancienne capitale de VHel-
vie, que les Romains appelaient Alba Helviorum , et qui
fut ruinée par les Goths. Près de là est ViUeneuve-de-Berg ,
où l'on s'occupe beaucoup de l'éducation des vers à soie.
Sur le bord du Rhône, Vivier s, qut était autrefois la capi-
tale du Yivarais; Aubenas, où se concentre le commerce
des maiTons et des vins de l'Ardèche. — Non loin des bords
du Rhône, le village de Cornas et le bourg de Saint-Péray,
renommés poui' leurs vins; en suivant le fleuve, on voit
Tournon; — près de là on voit sur le Doubs les ruines d'un
pont attribué à César. Puis viennent les villes àWndrace et
d'Annonai, cette dernière célèbre par ses belles papeteries.
ARDEiMXES ( Département des). Ce département, l'im
des quatre que forme la Champagne, est borné au nord, au
nord-est et au nord-ouest par les Pays-Bas, à l'est par le
département de la Meuse , au sud par celui de la Marne ,
et à l'ouest par celui de l'Aisne.
Divisé en cinq arrondissements, dont les chefs-lieux sont
Mézières , Réthel, Rocroi, Sedan etVouziers, il compte
31 cantons et 478 communes. Sa population est de 322,138
individus. Il envoie deux députés au corps législatif. Il
forme avec le département de la ÎNIarne le 10^ arrondisse-
ment forestier, fait partie de la 4® division militaire, dont
le quartier général est à Châ!ons-sur-Marne , ressortit à la
cour impériale de Metz, à l'académie de Douai, et e-.t
compris dans le diocèse de Reims. Il possède 3 col'r.'pos,
2 institutions, -1 pensions, 719 écoles primaires.
Sa superficie est de 517,385 hectares, dont 314,223 en
terres labourables, 95,461 en bois, 4S,190 en prés, 20,876
en forêts, domaines non productifs, 10,821 en landes, pûtis,
bruyères, etc., 9,802 en vergers, pépinières et jardins,
2,720 en rivières, lacs, ruisseaux, 1,725 en vignes, 1,302 en
propriétés bâties, 8:î3 en ciiUures diverses, 497 en étangs,
775
abreuvoirs, mares, canaux d'irrigation, h.^îO en oseraies,
annaies, saussaies, 281 en canaux de navigation, etc. —
On y compte 64,273 maisons, 507 moulins, 46 forges et
fourneaux, 499 fabriques et manufactures. _ Il paye
2,297,203 fr. d'impôt foncier. Il produit plus d'un mil*
lion de quinlaux métriques de minerai de fer.
Ce département, qui a pris le nom d'une de ses forêts,
est situé dans les bassins de la Meuse et de la Seine. La
chaîne des plateaux de l'Argonne , qui sépare ces deux bas-
sins et se continue avec les plateaux de l'Ardenne, le coupe,
du sud-est au nord-ouest, en deux parties presque égales.
A l'est de cette ligne de partage, la pente générale du terrain
est du sud au nord ; c'est dans cette partie que coulent la
Meuse et ses affluents, le Chiers, la Semoy, la Bar, la Vence,
la Sormonne et le Viroi. L'autre portion, au couchant de
la même ligne, penche vers l'ouest, et est arrosée par l'Oise,
qui y a sa source, et son affluent le Ton , par la Retourne,
et par l'Aisne avec ses affluents, l'Aire et la Vaux. Les points
culminants de l'Argonne s'élèvent à environ 500 mètres.
Le département des Ardennes abonde en gibier, mais
malheureusement il nourrit aussi beaucoup d'animaux nui-
sibles; le renard et le loup, notamment, y sont très-com-
muns. Ses rivières sont poissonneuses ; la Meuse lui fournit
de beaux saumons. — Les espèces dominantes dans les
forêts sont le chêne, le hêtre, le frêne , l'orme , le charme
et le bouleau. — Le fer elles ardoises, qui sont estimées
les meilleures delà France, forment les principales richesses
minérales du département. On y trouve aussi de la houille,
du plomb, delà calamine, des marbres de toutes couleurs,
de l'argile à creuset, du sable à verre.
Le département des Ardennes est un pays agricole, et
l'art sous ce rapport y est avancé. Les trois cinquièmes des
terres y sont livrés à la charrue. La récolte des céréales dé-
passe les besoins de la consommation locale. Le pays pro-
duit peu de vin ; mais on y cultive les poiriers et les pom-
miers pour le cidre, qui, avec la bière, forme la boisso?
habituelle des habitants. L'élève des bestiaux pour la bon
chérie, les chèvres cachemires , les moutons de races amé-
liorées , l'éducation des abeilles , sont des branches très-
importantes de l'industrie agricole. Les bois, débris de
l'antique forêt des Ardennes, forment aussi l'un des prin-
cipaux revenus du déparlement.
L'industrie manufacturière des Ardennes est très-impor-
tante, variée et très-aclive; mais il faut mettre au premier
rang les manufactures de draps célèbres dont Sedan est le
centre de fabrication. Le pays, qui fait un grand commerce
de laines, possède aussi un grand nombre d'autres manu-
factures où l'on fabrique des draps de toutes sortes, des
châles cachemires, de la flanelle et des tissus mérinos.
Viennent ensuite les usines métallurgiques : hauts four-
neaux, affineries, mouleries, lamineries et tréfileries de fer,
fonderies et lamineries de cui\Te, de zinc et de laiton ; fa-
briques considérables de batteries de cuisine et de chau-
dronnerie, etc. ; il y a aussi des fabriques de céruse, de
pipes de terre, des verreries, des manufactures de porce-
laine, des tanneries et des brasseries importantes ; des dis-
tilleries d'eau-de-vie de cerises, de prunes et de grains.
Outre les ardoisières célèbres de Fumay, Fépin, Rimo-
gue, etc. , il existe aux environs de Givet d'importantes
exploitations de marbres. C'est principalement à Charlc-
ville et à Givet que se concentrent tous les produits pour
l'exportation.
Lo département des Ardennes a 4 cours d'eau , la Meuse,
leCliieis, le Semoy et l'Aisne; 2 canaux, le canal de»
Ardennes et le canal de Sedan ; 6 routes impériales, 4
routes départementales et 3,351 chemins vicinaux. Il est
traversé par le chemin de fer de Reims à Mézières.
Parmi les principales villes du département nous citerons
.Mézières, siège delà préfecture, et que la Meuse sépare de
Charlcville; Vouziers, ch: f-lieu de sous-préfccture, avec
77G
AKDENNES — ARE
un millier d'iiabifants ; Donchery, que l'on aperçoit sur la
droite de la Meuse, était une ville importante avant la réu-
nion de Sedan z. la France; Atligni, sur la rive gauche de
l'Aisne, était la résidence des rois de la première race; Ré-
thel est arrosé par la même rivière, qui commencée
devenir navigable à Château-Porcïcn. S edan est renommé
par ses manufactures. La Meuse coule encore au pied de
Futnay, ville de 1600 habitants, et dont les carrières tail-
lées dans le schista peuvent fournir annuellement quarante
millions d'ardoises. Près de la frontière , elle sépare Givet
de C h a r 1 e m 0 n t. Nommons enfin R o c r o i, célèbre par la
Tictoirc que le grand Condé remporta sur les Espagnols.
ARDEIVKES (Forêt des). La forôt qui porte aujour-
d'hui ce nom s'étend sur la rive gauche de la Meuse , de-
puis les environs de Sedan jusqu'à Givet, dans la partie
orientale du département, appelé, pour ce motif, des Ar-
dennes. A la gauche de la Meuse, elle se prolonge du sud
au nord du Luxembourg jusque vers Aix-la-Chapelle, et à
l'orient jusqu'aux sources de l'Ourthe.
Cette forêt était autrefois bien pius considérable; César la
signale comme la plus vaste des Gaules, il dit qu'elle
couvrait en largeur l'espace compris entre le Rhin et les
frontières du Rémois , et en longueur celui qu'embrassent
les bords du Rhin , les frontières des Tréviriens et celles
des Nerviens (Hainaut), en tout 500 milles (GSO kilo-
mètres). Cette indication de César a été rudement critiquée
par les glossateurs du seizième et du dix-septième siècle,
qui se sont môles de géographie sans l'appuyer sur l'histoire
ou sur un examen local. Cluverius s'y est surtout distingué
en torturant un passage falsifié de Strabon, pour réduire
la longueur des Ardennes à 50 milles. ISIais le passage de
Strabon, traduit correctement par Casaubon, porte cette
étendue à 4,000 stades, qui font 500 milles romains. La
raison seule suffit pour convaincre que César , qui a connu
et conquis les Gaules, a dû beaucoup mieux savoir ce qui
existait de son temps que des commentateurs qui, seize
siècles après lui , s'occupaient plus à faire la guerre aux
mots quà étudier les choses.
Malgré les grandes lacunes que les progrès de la culture
et l'augmentation de la population ont faites dans cette vaste
forêt, il est facile, en examinant les bonnes cartes topogra-
phiques que nous avons aujourd'hui , de reconnaître son
ancienne superficie. Les Ardennes commençaient au dépar-
tement de l'Ain, suivaient les deux rives du Doubs et le
Jura, et couvraient les Vosges et une grande partie de la
Lorraine, toute la partie orientale de la ]\Ioselle et le
Hundsruck, jusque vers Mayence et Trêves. Elles abritaient
le Luxembourg , le Limbourg et une partie du pays des
Rémois et de la province de Cologne. Sur la rive droite de
la Meuse elles s'avançaient jusque dans la Néerlande. Sur
la rive gauche, elles franchissaient la Sambre et se dérou-
laient dans le Hainaut et la Flandre, jusqu'aux marais qui
avoisinaient la mer.
Le nom d' Ardennes ou Arduenna silva est un appellatif
général. Ardanac ou Arduanac, en gaulois, signifie très-
grand, très-étendu. C'était donc l'immense forêt, de même
que la forêt Hercynienne, le Harz ( en germanique , vaste
forêt). En effet, les différentes parties des Ardennes avaient
des noms propres. Celle qui couvrait les Vosges s'appelait
Vosagum, et celle du Hainaut, autour de Bavai, Carbo-
naria. G*' G. de Valdo.ncourt.
ARDENTES (Fontaines). Yoyct Fontaines.
ARDOISE , sorte de schiste dont la couleur est tantôt
d'un bleu plus ou moins foncé ; tantôt verte , jaunâtre ou
rougeàtre ; d'autres sont d'un gris plus ou moins clair.
On prétend que les premières ardoises ont été tirées du
paysd'Ardes, en Irlande : d'où le nom latin de ce pays,
Ardesia, leur a été donné.
Les usages de l'ardoise sont assez multipliés : le bloc
étant divisé en lames minces, on en couvre les maisons; le
bloc non divisé sert de pierre à bâtir; quand les feuillets
ont une certaine épaisseur , on en fait des carreaux , des
dalles pour paver les vestibules , les salles à manger ; les
ardoises servent encore de tablettes , sur lesquelles on écrit
avec un crayon ; enfin , il y a des peintres qui confient les
produits de leur talent à l'ardoise, plus unie et plus durable
que la toile.
Les bancs d'ardoise se rencontrent à la surface de la
terre , sur les flancs des montagnes ou dans leur intérieur ;
ils sont, en général, d'une étendue immense, et leur plan
est presque toujours plus ou moins incliné à l'horizon ; les
feuillets élémentaires dont la masse est composée sont tous
parallèles entre eux, et ont la même direction, comme les
feuillets d'un livre fermé; plus on descend dans une ardoi-
sière , plus la dureté du banc augmente ; on observe tout le
contraire dans les autres carrières à pierres, qui, comme on
sait , diminuent de dureté à mesure qu'on descend dans la
terre.
L'exploitation des carrières d'ardoise se fait à ciel décou-
vert ou par galeries, suivant la position et l'inclinaison du
banc; on détache les blocs en pratiquant avec un pic, dont
il faut souvent refaire la pointe, une tranchée dans la masse ;
on refend le bloc avec des coins de fer, de bois , etc. Le
bloc extrait de la carrière est livré à des oumers qui le
façonnent et le fendent, au moyen de ciseaux, en lames
minces, auxquelles ils donnent la forme et les dimensions
convenables. Si le bloc reste pendant un certain temps
exposé à l'air, il n'est plus susceptible d'être divisé en
feuillets; mais, chose bien plus singulière, si le bloc est gelé
il se fend plus facilement qu'auparavant, propriété qu'il
perd par le dégel , et qu'il recouvre s'il éprouve une nou-
velle gelée. Cependant il devient mtraitable s'il est soumis
successivement à l'action de plusieurs gelées.
En général, les ardoises les plus dures, les plus pesantes,
les plus sonores, sont les meilleures; il faut rejeter celles
qui s'imbibent facilement d'eau. On reconnaîtra ce défaut
en plongeant verticalement l'ardoise dans l'eau par un bord
seulement : si au bout de vingt-quatre heures le liquide ne
s'est pas élevé dans l'ardoise de plus d'un centimètre au-
dessus de sa surface, l'ardoise est de bonne qualité; elle
sera d'autant plus mauvaise que l'eau aura trouvé plus de
facilité à la pénétrer. On augmente la dureté des ardoises
en les faisant cuire dans un four à brique, où on les chauffe
jusqu'au rouge pâle. Cette opération les fait durer le
double, et ne les rend pas plus cassantes; seulement après
on ne peut plus les tailler ni les percer.
Les noms que l'on donne communément aux ardoises
sont les suivants : i° la carrée, elle a trente centimètres de
long sur vingt-deux de large; elle est de première qualité;
2° gros-noir, même qualité que la précédente, ses dimen-
sions sont inférieures; 3" poil-noir, ressemble au gros-
noir, mais elle est plus mince; ^° poil-taché ; b" poil-roux :
ces deux dernières espèces ne diffèrent pas beaucoup du
poil-noir ; 6° la carte : cette espèce est de même qualité
que la carrée, mais plus petite et plus mince; 7° ïéridelle,
étroite et longue, a deux côtés taillés et les autres bruts;
8° la coffine, ardoise convexe propre à couvrir les toits en
voûtes et les dômes.
On trouve des ardoisières à Angers ( ce sont les plus
abondantes), à quelques lieues de Charleville, à Murât,
à Prunet en Auvergne, et près ia ville de Fumay (Ar-
dennes). Teyssédre.
ARDOISES ARTIFICIELLES. royCAiiTON-PiERRE.
ARE (du latin «refl, surface), unité adoptée dans notre
système métrique pour les mesures agraires. C'est un
carré dont le côté a 10 mètres de longueur, et qui pré-
sente par conséquent 100 mètres carrés de superficie. Le
seul multii)le de l'are qu'on emploie e^Wlicclare ( 100 ares ),
carré dont le côté a 100 mètres de longueur. On ne peut se
servir du décaarc ( 10 ares ), parce que ce serait une surface
AUK — ARENBERG
de 1,000 inMios carrés, et que, la racine cari-ée de 1,000
étant incommensurable, il est impossiMc de calculer
exactement le côté de celle lii^nre; la môme observation
s'applique au kUiare, et , parmi les sous-mulliples , au dé-
ciare et au mïUiare. Aussi, de ces sous-mulliples, on
n'emploie que le centiare, ou centiî?me partie de l'are; c'est
le mètre carré.
L'are , exprimé en toises carrées , à moins d'un demi-
niillioniéme près, vaut ac.32'«493 toises carrées; donc
pour convertir un nombre donné d'ares en toises c<irrécs ,
il faut multiplier ce nombre par 26.324..., en prenant plus
ou moins de cbifires décimaux , suivant l'approxiiiialion
qu'on veut obtenir. On trouve ainsi qu'un hectare équivaut
à 20,324,493 toises carrées. De même , la toise carrée, ex-
primée en mètres carrés, vaut 3.7987; d'où l'arpent de
Paris , composé de 100 perches carrées de Paris ou de 900
toises carrées , équivaut à 34.18S7 ares. Remarquons seu-
lement que , quand on voudra faire usage de ces rensei-
gnements il faudra se rappeler que la grandeur des ar-
pents variait avec la localité.
AREC, .\RECAou ARÈQUE, genre de la famille des pal-
miers , et qui renferme neuf espèces distinctes , suivant la
classification de M. Blume. 'L'arecade l'Inde, désignée par
Linné sous le nom d'oreca catcchu, parce qu'il croyait
qu'elle fournissait le cachou , ressemble au cocotier et s'élève
pareillement à une grande hauteur ; elle croît principalement
aux Moluques et à Ceylan. Son fruit , connu sous le nom
de noix d'arec, présente une pulpe employée par les Indiens
dans la fabrication du bétel. Les autres arecs ont moins
d'importance ; cependant , M. Martius a fait de ce genre le
type de la tribu des Arécinées.
On a longtemps appelé ^Irec d'Amérique un des arbres
les plus élégants du ^'ouveau Jlonde , présentant au centre
de son feuillage une espèce de bourgeon terminal , qui pos-
sède la saveur de l'artichaut, et qu'on mange aux Antilles
sous le nom de chou palmiste. Mais dans les classifica-
tions modernes ce palmier américain a été retiré des
arecs pour entrer dans le genre oreodoxa, qui, du reste,
en est très-voisin. 11 fournit- encore de l'huile qu'on extrait
de son fruit, et sa moelle donne une farine qui ressemble
au sagou.
AREIVA (Joseph). Au moment où éclata la révolution
française , la famille .\rena était une des plus considérables
de la Balagne, district de Corse. Élevés dans les idées du dix-
huitième siècle, les jeunes Arena embrassèrent avec ardeur
les principes de la révolution ; Joseph fut nommé, à vingt et
un ans , chef de bataillon des gardes nationales de son dis-
trict ; il fut un des premiers à demander le rappel de Paoli,
qui vivait en exil à Londres. Nourri de l'histoire des répu-
bliques anciennes, Arena se montra rigide dans ses principes
et républicain austère. La popularité de Paoli et l'ascendant
qu'elle lui donnait dans le pays lui déplurent; de partisan
enthousiaste du vieux général, il ne tarda pas à devenir son
ennemi. 11 dut alors chercher en France im refuge , et se
rendit à Toulon, où il se distingua en qualité d'adjudant-
général lors du siège de cette ville.
Député en 1796 par le département de la Corse au Corps
législatif, il demanda des mesures de vigueur contre son
pays , où s'agitait encore le parti anglais. Ennemi déclaré de
la famille Bonaparte, il envoya sa démission de chef de
brigade de la gendarmerie après le 18 bnunaire. A partir de
ce moment, Arena, se jetant dans l'opposition, se lia avec
quelques mécontents qui avaient résolu d'assassiner Bona-
parte à l'Opéra. La conspiration, dans laquelle étaient entrés
le sculpteur Ceracchi , le peintre Topino-Lebnm, Diana et
Demerville , fut découverte par ce dernier à Barrcre , dont
il avait été le secrétaire, et qui se hâta d'en informer la po-
lice. Les conspirateurs furent arrêtés au théâtre et mis aus-
sitôt en jugement ; l'instruction se continuait lorsqu'ent lieu
l'explosion de la machine infernale. Arena, eu apprenant
BICT. DE LA eo.NYERSATIOM. — T. I.
777
cet événement, dit à ses amis : Ceci est notre arrêt de
mort ; en effet, quelques jours après (le 31 janvier 1801 ),
il portait sa tète sur l'échafaud.
ARLNA (Bartuélemy ), frère du précédent, et comme
lui né à l'île Rousse ( Corse ), embrassa avec ardeur les
principes de la révolution , et prit une part acti\ e aux
troubles qui agitèrent la Corse jusqu'à l'arrivée des Anglais.
Nommé, en 1791, membre de l'Assemblée législative, il s'y
montra l'ennemi fougueux des vieilles idées , et voulut que
l'on déclarât la patrie en danger. A l'issue de la session , il
retourna en Corse; mais il ne put lutter contre l'influence
immense du général Paoli , et fut obligé de revenir en
France.
Après 1793 il alla en Corse, et fut nommé député au
conseil des Cinq-Cents, où il se fit toujours remarquer par
son exaltation républicaine. Dans la fameuse journée du 18
brumaire, il s'élança contre le général Bonaparte, qu'il saisit
au collet, pour l'expulser de la salle. Ce mouvement fit ac-
créditer sans peine le bruit qu'il avait voulu le poignarder.
Exclu de la législature , il fut placé sur la liste des députés
condamnés à la déportation ; mais il eut le bonheur de se
sauver, et alla vivre obscurément en Italie , où il est mort à
Livourue , en 1832. Friess-Colonna.
ARÉNACÉES (Roches), du latin arena, sable. Elles
sont formées de fragments de roches plus anciennes soudés
et agglutinés postérieurement. On y distingue les fragments
arrondis qui prennent le nom de galets, des fragments
anguleux seulement concassés et qui n'ont point été, comme
les premiers, roulés parles eaux; enfin de petits grains, soit
anguleux, soit arrondis. ( Voyez Sable. ) On nomme pou-
dingues celles de ces roches dans lesquelles les fragments
sont arrondis; brèches, les roches arénacées à fragments
anguleux ; et grès, les roches arénacées à petits grains. On
voit qu'une même roche peut être à la fois poudingue et grès
ou brèche et grès.
ARÉA'ATIOIV. Voyez Bain de sable.
AREiVBERG ( Famille d' ). L'ancien comté d'Aren-
berg, bourg et château, était situé dans l'Eiffel, entre l'ar-
chevêché de Cologne , le duché de Julier's et le comté de
Blakenbeim. Mathilde d'Arenberg, dont la mère était une
comtesse de Juliers, épousa, en 1298, le comte Engelbert
de la Mark. En 1541 le comté d'Arenberg tomba de nou-
veau en quenouille. Marguerite de la Mark, qui en était
l'héritière, épousa, en 1547, Jean de Ligne, baron de Bar-
bançon. Par une stipulation de leur contrat, leurs enfants
devaient porter et tenir toujours les titres , noms et armes
de la maison d'Arenberg, ainsi que cela a été obser»-é jus-
qu'aujourd'hui. Ce fut en faveur de leur fils Ch.vt.les que
l'empereur Maxirailien II, par diplôme du 5 mars 1576, éri-
gea le comté d'Arenberg en principauté ; Philippe-François .
fut le premier duc d'Arenberg en vertu de la bulle d'or du
9 juin 1604. Sa maison eut rang immédiatement après celle
de Wurtemberg-Montbéiiard. Par ses alliances illustres et
ses grandes richesses, elle soutint dignement un rang si
élevé. Les traites de Campo-Formio et de Lunéville avaient
respecté ses cb-oits, et, pour l'indemniser de la perte de ses
possessions sur la rive gauche du Rhin, lui avaient assigné
la souveraineté de Meppen, dans l'ancien évêché de î^luns-
ter, avec celle de Recklingbausen, qui faisait autrefois partie
de l'électorat de Cologne. Mais cette souveraineté fut en-
levée, par le sénatus-consulte du 13 mars 1810, au duc d'A-
renberg, qui ne conserva que les domaines et droits utiles.
La Restauration l'a laissé au nombre des princes média-
tisés. De Reiffenbekg.
Le duc Lolis-Encelbeut d'Arenberg avait hérité, par sa
femme, fille du comte de Lauraguais, moite en 1812, des
propriétés de la maison de Chàlons, situées dans la haute
Bourgogne. Il mourut aveugle, en 1820, à Bruxelles, après
avoir dès 1803 transmis tous ses droits à son fils aîné,
Paosi-ER-Louis, né le 28 avril 1785. Ce prince ayant accédé
91
t78 ARENBERG -
en 1806 à la confédération du Rhin, devint sénateur fran-
çais, et épousa, en 1808, une nièce de rinnuTatrice Joséphine,
Stéphanie Tascher de la Pagerie, élevée à celte occasion par
Napoléon à la dignité de princesse française, et à laquelle sou
mari constitua une dot d'un million. Cette alliance n'empê-
cha pas le duc d'Arenberg de perdre sa souveraineté dès
1810, et de voir son territoire incorporé, partie à la France,
partie au grand-duché de Berg ; sacrifice dont il ne reçut le
prix, consistant en une rente de 2*0,800 fr., qu'en 1813. Dès
1808 il avait levé à ses frais un régiment de chasseurs, à
la tôte duquel il lit avec distinction la guerre d'Espagne;
mais, surpris le 28 octobre 1811 , il fut fait prisonnier et
transféré en Angleterre, où il resta jusqu'à l'entrée des
puissances coalisées sur le territoire français. Les traités de
1815 lui reiulirciit ses propriétés seigneuriales deMeppen,
placées désormais sous la souveraineté du Hiinovro, et de
Reklingliausen , placées sous celle delà Prusse. Dès 1816 il
lit annuler son premier mariage, qui était resté stérile, par
suite do la constante antipathie des conjoints , et épousa en
1819 la princesse Ludmillade Lohkowilz. Son fils aîné est
né en 1824, et sa seconde fille, Marie, est mariée depuis 1841
avec le prince Aldohrandiiii, frère du prince Borghèse.
Pir:uiiE-D'ALCANTARvCii\nLES,troisiè!iie frère duducd'.\-
renberg, né en 1790, ancien officier d'ordonnance de l'em-
pereur Napoléon, possède en Belgique des biens que lui a
laissés son père , et s'est fait naturaliser Français. En 1828 il
avait été créé duc et pair de France par ordonnance du roi
Charles X. Il épousa, en 1829, Alix-Marie-Cbarlotte com-
tesse de Ïalleyrand-Périgord.
Al'clste-;\Iarie-Raymond, prince d'Arenberg, célèbre par
sa liaison avec iMirabeau, oncle des précédents, est plus
connu sous le nom de comte de La ISIarck. Voyez ce nom.
Son fils EuNEST-E.NCEi.i EUT, né en 1777, hérita <lc sou
nom et de son titre. Il e^t mort à Wiesbaden en 1867.
En 1820, le roi de Hanovre, Georges IV, éiigea la terre
.seigneuriale de Mcppen en duché d' Arenberg-Mcppeu . Le
duc a le droit d'entretenir une garde d'iionneur; ses reve-
nus, joints à ceux qu'il possède tant en France que dans
les Pays-Bas, provenant presque tous de forêts, s'élèvent à
environ 1,600,000 fr. Celte famille est catholique. La rési-
den<;e ordinaire des ducs d'Arenberg est au château de Kle-
menswei'th, près de .Mcppen, ou à Bi'uxelles.
ARE\^DT (MARTix-FRÉnÉRic ), célèbre par ses voyages
scientifiques dans une grande partie de l'Europe, naquit à
Altona, en 1769. Admis en 1797, sur la recommandation
du comte de Reventlow, au nombre des élèves attachés au
jardin botanique de Copenhague, sa prédilection pour l'ar-
chéologie lui faisait passer la plus grande partie de son
temps à la bibliothèque de l'Université, consultant, pendant
des journées entières et par les froids les plus rigoureux ,
les manuscrits et les ouvrages relatifs aux antiquités Scan-
dinaves. En 1798 le gouvernement danois lui confia une
lùission scientifique dans la province de Finmark ( Norvège
septentrionale). A cette occasion il parcourut aussi le reste
de la Norvège , et pénétra dans plusieurs localités où jamais
étranger n'avait mis le pied avant lui. Sa mission avait pour
but de recueillir des graines et des plantes ; mais il ne rap-
porta pas grand'chose, et perdit sa place au jardin de bota-
nique.
11 retounia alors en Norvège, oii il passa les années 1799
et ISOO à recueillir des collections archéologiques. Puis il se
rendit en Suède, où il séjourna plusieurs années; passa de
là à r.ostock, où le professeur Tychsen lui enseigna les lan=
gués orientales; vint à l'aris, où Millin laccuerllit avec bien-
veillance, et se rendit enfin à Venise. Plus lard, il parcou-
rut la Sui.sse, l'Espagne, l'Italie et la Hongrie. Véritable
bohémien de la science, Arendt vécut fout ce temps de se-
cours que lui donnaient de-samis, couchant souvent en plein
air et manquant plus souvent encore du nécessaire.
Confondu avec .1 r ndt, et soupçomié de carbonarisme.
AREOMETRE
il eut à souffrir à Nai)les de cruelles persécutions, qui, dit-on,
accélérèrent sa mort. H expira frappé d'apoplexie, en 1S24,
aux environs de Venise. Une partie de ses manuscrits, qui
.se rapportent presque tous à l'archéologie du Nord, avaient
été déposés par lui à la bibliothèque de Copenhague ; il fit
aussi paraître à Paris et dans différentes villes de l'Allema-
gne, de la Suède et du Danemark, divers opuscules relatifs
à ses éludes.
AREXE. Le milieu de l'amphithéâtre où se U-
vraient les combats de gladiateurs et d'animaux était ainsi
appelé par les anciens, parce qu'ils couvraient cet empla-
cement de sable (arena), pour ab.sorber le sang des com-
battants et pour qu'il fût plus facile d'y marcher ; de là le nom
à'arenarius qu'on donnait à celui qui s'y montrait ea
spectacle. Dans quelques grandes fêtes , le sable fut rem-
placé par une légère couclie de couperose , de cinabre et de
mica, dont les paillettes ont les reflets de l'or. Souvent aussi;
au moyen de ces conduits souterrains dont Rome était si
bie« pourvue, l'arène fut transformée en lac pour la repré-
sentation des naumachies. — Néron obligea les cheva-
liers romains à descendre dans l'arène, et c'est là l'origine
du proverbe latin : Consïlhnn in arena, c'est-à-dire un
conseil pris sur le champ, sur le lieu du combat. Notre
langue conserve encore quelques expressions métaphoriques
empruntées aux anciennes luttes de l'amphithéâtre : on dit
entrer , descendre dans l'arène, ])our accepter un dcfi, se
présenter au combat ; mesurer, parcourir l'arène, pour
combattre.
Arènes , employé au pluriel, est synonyme d'amphithéâ-
tre : c'est ainsi qu'on dit les Arènes de Nimes, pour l'amphi-
théâtre de cette ville. Voyez Nîmes .
Quelquefois, et poétiquement, on se sert du mot arène
dans son sens primitif, pour désigner les sables de la mer,
des rivières et des grands chemins. Au figuré, écrire sur
l'arène ou sur le sable, ou bien y bâtir , c'est écrire des
choses que Ton n'est pas dans l'intention d'observer bien
religieusement ; c'est bâtir ùuprudemment , et sur un fond
mal assuré.
AREJXG ou ARENGA , genre de palmier fort commun
aux Moluques. Sa moelle donne une espèce de sagou, dont
les habitants des îles Célèbes font un grand usage dans leur
nourriture; ses fruits, recueillis avant leur maturité et con-
fits au sucre, sont très-estimés ; on tire de sa sève du sucre
et une liqueur assez agréable , et les fibres noires qui entou-
rent la base de ses pétioles servent à faire d'excellentes cor-
des. ISIaison prétend que lorsque ses fruits sont mûrs, leur
suc cause des démangeaisons insupportables ; de sorte que
si par mégarde on porte ces fruits à la bouche pour les
manger, les lèvres s'enflent rapidement en causant des dou-
leurs aiguës.
ARÉOLE (en latin arcola,fV\m\n\\{\l A'arca , aire, petite
aire, ou petite surface ). On entend coniinuiiém?nt j)ar ce mot
le cercle irisé qui entoure la lune, ainsi que celui qui entoure
les mamelons et les yeux dans l'espèce humaine. On a
étendu cette qualification au cercle coloré qui règne autour
de certains boutons, comme ceux de la variole ou de la vac-
cine; mais dans cette acception, comme dans les premières,
il serait peut-être plus exact de se servir du moi auréole ;
c'est du moins l'avis de M. Chau^sier pour le dernier cas
dont nous venons de iiarler. On réserverait alors spéciale-
ment celui à''aréole pour désigner en anatomie ces petits
interstices que laissent entre elles les fréquentes anastomo-
ses, ou réunions, et les ramlficalions nombreuses des vais-
seaux capillaires, enfin renlrecroisement des fibras ou vais-
seaux qui entrent dans la composition d'une partie.
ARÉO.METRE (du grec àpaio;, léger, et ixJTpov, me-
sure). Ou tiemontreen i)liysi(pie ce beau principe d'Archi-
mède : Tout corps plongé dans un Jluide,perd une par-
tie de son poids égale à celui du volume de fluide dé-
placé. I! en résulte : 1" que plus un liquide est Ic-cr, plus
AREOMETRE — ARÉOPAGE
779
lin iiuMiie corps s'y enfonce profondément ; 2° que pour dé-
placer le mfmi^ volume de deux liquides de densités diffé-
rentes, il faut plonger dans ces liquides des corps dont les
poids soient proportionnels à ces densités. C'est sur le prin-
cipe d'Archiméde qu'est fondée la construction des aréo-
mètres ou pèse-ligueurs, et, en vertu de la double conclu-
sion de ce principe , on peut en établir de deux sortes :
aréomètres à poids constant et aréomètres à poids va-
riable.
Les aréomètres à poids constant sont composés d'une
boule on d'un cylindre portant une boule lestée avec du
plomb ou du mercure, et surmontée d'une tige plus ou moins
longue divisée en un certain nombre de parties, qui servent
à faire connaître le poids du liquide. Pour bien faire compren-
dre leur usage, nous prendrons un exemple. Supposons qu'un
appareil de ce genre plonge dans l'alcool le plus pur possible,
et qu'on appelle absolu, jusqu'à la partie supérieure de la
tige : si on marque ce point et qu'on plonge l'instrument
dans de l'eau distillée, il s'enfoncera, par exemple, jusque
près du cylindre. Ce point étant aussi marqué, si on fait des
mélanges de 90 parties d'alcool et 10 d'eau, SO et r>.o , 70
et 30, en y plongeant l'aréomètre, l'on trouvera un certain
nombre de points intermédiaires (jui en formeront l'échelle
en la rapportant sur la tige ou sur un papier que l'on intro-
duit dans son intérieur, s'il est en verre, et alors, pour con-
naître la force d'une eau-de-vie ou d'un alcool, on y plongera
l'instrument, qui s'enfoncera plus ou moins suivant la quan-
tité d'alcool qu'il contiendra. On gradue de même d'autres
pèse-liqueurs pour des acides, des sels, l'éther, etc., etc.,
en se servant de mélanges convenables.
Les aréomètres à poids variable se composent d'un
cylindre surmonté d'une tige mince et courte , sur laquelle
est marqué un trait qui doit toujours s'affleurer dans le li-
quide ; mais pour y parvenir il faut ajouter dans un plateau
placé supérieurement un certain nombre de poids pour que
l'instrument, s'affleure ; et ce sont ces poids qui indiquent la
densité du liquide. Mais ces instruments plus compliqués ne
sont pas et ne peuvent pas être d'un usage aussi habituel ; ce
sont plutôt des instruments destinés à des savants que des
moyens usuels.
La graduation des aréomètres peut être faite en partant
d'une base arbitraire , comme celle de Baume ou de Cartier,
ou en centièmes de la densité du liquide. La première est
encore généralement employée , mais elle ne présente à l'es-
prit aucun moyen de comparaison. La seconde a été adoptée
par M. Gay-Lussac dans son alcoolomètre , et finira par
être la seule usitée, à cause de son extrême commodité. En
effet , le chiffre même qu'on lit sur l'instrument indique la
quantité d'alcool dans un liquide donné, et présente la plus
grande facilité pour en connaître immédiatement la com-
position.
On trouve dans le commerce des aréomètres destinés à
déterminer la force des liquides les plus employés , et qui
sont très-utiles pour une foule d'opérations des arts et pour
les transactions commerciales : les uns , sous le nom de
pèse-sels , ou pèse-acides , servent à déterminer la force
des dissolutions salines ou des acides ; d'autres sont employés
pour faire connaître la densité des sirops , etc.
Quand la température d'un liquide change , sa densité
varie en même temps , ou , en d'autres termes , sous un vo-
lume donné , un litre, par exemple , i! y a plus ou moins de
liquide selon le degré de chaleur auquel on le mesure , et ,
par conséquent, si on y plonge un aréomètre, les degrés
qu'il indiquera dépendront de la température; il pourrait
résulter de cette variation des pertes considérables dans des
transactions commerciales , surtout en opérant sur des li-
quides dont le volume change beaucoup par les variations
de température, comme l'alcool , et dont le prix est élevé :
il est donc indispensable de se mettre à l'abri d'une cause
d'erreur qui pourrait être aussi préjudiciable. On peut y
parvenir de deuv manières , ou en opérant toujours à la
même température , en plongeant par exemple pendant une
demi-heure le vase contenant le liquide à essayer dans de
l'eau de puits , ou par le calcul : il existe à cet etfet une ins-
truction qui est à la portée de tout le monde.
H. GaULTU It DE ttACBRY.
AREOPAGE (du grec'.^paio;, Mars, et Trâyoc colline),
colline d'Ares ou de Mars , située à peu de distance de l'A-
cropolis, et sur laquelle se réunissait ce tribunal, le plus
ancien et le plus célèbre par son impartialité , par sa stricte
équité, qu'il y eût non-seulement à Athènes et en Grèce,
mais encore dans toute l'antiquité. .Son origine se perd dans
la nuit des temps : les uns font honneur de son institution
à Cécrops , fondateur d'Athènes , les autres à Cranaiis , d'au-
tres enliii à Solon. Il paraîtrait cependant , d'après les mar-
bres d'.\rundel , que Solon n'aurait été que le restaurateur
de cette assemblée , dont la création remonterait jusqu'à
Cécrops. L'on n'est pas d'accord non plus sur le nombre de
juges dont elle était composée : les uns en comptent 31, les
autres 51 ; d'autres vont jusqu'à 500. U paraît, du reste, que
ce nombre n'était pas fixé, et qu'il était plus ou moins grand
chaque année. Dans l'origine l'aréopage fut composé de neuf
archontes sortis de charge; leurs fonctions étaient via-
gères et leur salaire égal : on les payait des deniers de la
république , et l'on donnait à chacun d'eux trois oboles pour
une cause. Dans la suite , on continua d'y admettre les ar-
chontes qui s'étaient acquittés dignement de leurs fonctions,
et on leur adjoignit les citoyens les plus vertueux.
Ce tribunal, qu'Aristide appelait le plus saint delà Grèce,
était spécialement chargé de juger les affaires criminelles;
il connaissait du meurtre commis avec préméditation , de
l'empoisonnement , du" vol commis à main armée , de l'in-
cendie suivi d'assassinat, des trahisons envers la patrie,
des innovations tentées soit dans l'État, soit dans la reli-
gion , de l'impiété , de la débauche enfin et de la paresse ,
qui était regardée comme la source de tous les vices. Il
avait le dépôt des lois et l'administration du trésor public.
Il récompensait la vertu , veillait au sort des orphelins , pu-
nissait le blasphème et le mépris des dieux. Quand il avait
à juger des causes d'assassinat, il était obligé de siéger en
plein air, parce que les lois ne permettaient pas que l'as-
sassin parût sous le même toit que sa victime , ou peut-être
parce que les juges, étant sacrés, auraient craint de con-
tracter quelque souillure en respirant le même air que ceux
qui avaient répandu le sang innocent. Enfin il ne jugeait
que la nuit , pour avoir l'esprit plus recueilli et plus attentif,
pour qu'aucun objet étranger ne vînt le distraire , et sans
doute aussi pour ne pas être ému par la vue de l'accusateur
et de l'accusé. Par la même raison , il était défendu aux ora-
teurs de recourir, aux dépens de la vérité, à des mouve-
ments d'éloquence qui n'auraient pour but que do sur-
prendre la religion des juges. Aussi, les décisions de ce
tribunal étaient-elles dictées par un esprit de justice et
d'impartialité qui tenait en môme temps de la pureté des
juges, et qui lui avait donné une autorité qu'il perdit au
temps de Périclès , lequel osa, sai^s avoir été préalablement
archonte, se faire nommer aréopagite, époque funeste
d'où date la corruption des mœurs athéniennes.
Quand la question était suffisamment éclaircie, les juges
déposaient en silence leurs suffrages en jetant une espèce de
petit caillou noir ou blanc dans deux urnes, l'une, d'airain,
appelée Vurne de la mort; l'autre, qui était en bois, nom-
mée Vitrnede la miséricorde. Dans le cas de partage ce
dissentiment seul emportait l'absolution , et l'accusé était
renvoyé, disait-on, absous par le suffrage de Minerve {cal-
ciilo Minervœ). Dans l'origine l'aréopage tint ses séances
trois fois par mois ; plus tard , on fut obligé d'ajouter une
quatrième séance ; enfin, le nombre des affaires augmentant
toujours, ce tribunal fut obligé de siéger tous les jours.
Dans les moments de crise l'aréopage exerçait une influenc*
98.
786
décisire sur la duection des affaires piîb'iques, comme,
par exemple, à IVpoque de la guerre des Perses, où sa
puissance atteignit son apogt^e. 11 arrivait souvent aussi
de voir d'autres États de la Grèce lui soumettre leurs dif-
férends.
On voit encore à Athènes les restes de l'Aréopage, au
rnidi du temple de Thésée, qui était au milieu de la ville,
et qui est aujourd'hui hors des murs. Ces restes consistent
dans les fondements, qui sont en demi-cercle, et dans une
esplanade de cent quarante pas environ , qui était propre-
ment la salle de l'aréopai^e. Il y a un tribunal, taillé au
milieu du roc, et des sièges aux deux côtés, sur lesquels les
aréopagites prenaient séance. Près de là sont des grottes,
taillées également dans le roc , que l'on conjecture avoir
servi de prison pour les criminels.
Saint Paul, ayant prêché devant les juges de l'aréopage,
eut le bonheur d'en convertir un que l'Église regarde comme
Je premier évêque d'Athènes, et qu'elle honore sous le nom
de saint Denys l'Aréopngite.
AREQUIPA , chef-lieu d'un déparlement de la répu-
blique du Pérou, est une belle ville, bâtie à 40 kilomètres
de l'océan Pacifique, à 2,500 mètres au-dessus du niveau de
la mer, dans la délicieuse vallée de Quiloa , sujette mal-
heureusement aux tremblements de terre. Elle compte 30,000
habitants.
Siège d'un évècbé, Arequipa, fondé en 1536, parPizarrc,
a de llorissantes manufactures d'étoffes de laine , de coton i
et de soie, des fabriques de tissus d'or et d'argent; la taille
des diamants et des pierres précieuses constitue aussi une
branche importante deson industrie. Aux environs se trou- :
vent le Quagua Putlna et VUiinas, volcans qui font partie \
de la chaîne des Andes, et dont, au seizième siècle, les érup-
tions faillirent à diverses reprises engloutir la ville. Les mai-
sons y sont en pierre, le climat est très-doux et l'air très-
sain. La cathédrale, un pont sur le Chile, qui arrose la
ville, et une fontaine en bronze sur la grande place , sont les
principales constructions qu'on y remarque.
ARES. Voyez Mars.
ARETAS, nom que portèrent plusieurs rois de l'Arabie
Pétrée, de l'an l'O avant J.-C. à Tan 40 de l'ère chrétienne.
ARÉTAS I*"", qui vivait dans la seconde moitié du deuxième
siècle avant J.-C, fut contemporain d'un grand-prèlre des
Juifs qui s'appelait Jason.
ARÉTAS II, ininommè Philhellène , mort l'an 79 avant
J.-C, secourut les habitants de Gaza, assiégés par Alexan-
dre Jannée, et régna sur la Cœlé-Syrie, après avoir triomphé
d'Antiochus XII. Il ne faut pas le confondre avec un autre
Arétas, qui intervint en faveur d'Hyrcan dans les démêlés
de ce dernier avec Aristobule, et parut même avec une
armée devant Jérusalem en l'an 05 avant J.-C. Scaurus,
l'un des lieutenants de Pompée, fit lever ce siège. Déjà la
Syrie avait été réduite en Province romaine par Pompée en
personne; et le roi de Damas (titre que prenait Arétas)
avait obtenu moyennant tribut l'autorisation de conserver
ses États.
ARÉTAS III , appelé aussi Énée, fut contemporain d'Au-
guste et de Tibère. Auguste, d'abord contraire à Arétas, le
confirma ensuite dans la possession de la principauté de
Pétra , ville dont on a retrouvé quelques vestiges. Beau-père
d'Hérode Antipas , il lui fit la guerre , pour le punir d'avoir
répudié sa femme légitime afin d'épouser Hérodiade. Le roi
des Juifs invoqua le secours des Romains, et Tibère ordonna
au gouverneur Yitellius de marcher contre Arétas ; mais
l'expédition préparée par Yitellius en resta là, parce que
Tibère vint à mourir sur ces entrefaites. Quelques mé-
dailles donneraient à penser qu'Arétas régnait aussi à Da-
mas; et ce serait lui , qui, en l'an 33 de notre ère, aurait
voulu faire arrêter saint Paul.
ARETE. On appelle ainsi, en zoologie, les os longs
et minces qui forment la charpente des poissons. En bota-
ARËOPAGE — ARÉTÉE
nique , c'est dans les végétaux toute partie de la fleur qui ,
sous la forme d'une pointe plus ou moins ronde , n'est ordi-
nairement que la continuation d'une des nervures. En
géologie et en minéralogie, c'est la ligne formée par la
réunion de deux surfaces inclinées l'une sur l'autre.
En termes d'architecture, Varéte est l'angle saillant que
forment à leur rencontre deux faces droites ou courbes
d'une pierre, d'une pièce de bois , ou d'une barre de fer.
On dit d'une pierre, d'une pièce de bois ou de fer qu'elle est
d vive arête lorsque les angles en sont bien taillés et nulle-
ment arrondis. Varêfc d'une voûte est l'angle qu'elle forme
avec un mur ou une voûte. Par voiîte d'arête on entend
celle qui, formée parle concours de portions de voûte, est
comme le produit de la rencontre de voûtes qui se confon-
draient l'une dans l'autre. Quand ces portions de voûte pro-
cèdent de l'arc ogive , on dit voûte d'arête gothique. Dans
ce cas, les lignes de rencontre des diverses portions de
voûte sont marquées par des formerets ou des liernes. Les
édifices gothiques abondent en détails de ce genre.
En termes de manège et de maréclialleiie, on appelle
arêtes ouqueue de rat une maladie particulière aux che-
vaux , et consistant en galles qui viennent aux jambes, et
qu'on guérit par la cautérisation.
ARÉTÉ DE CYRÈNE, femme grecque, qui a laissé un
nom dans l'histoire de la philosophie , vivait dans la se-
conde moitié du quatrième siècle avantJ.-C. Fille d'Aristippe
l'ancien, elle se montra digne de son père, continua l'école
cyrénaïque , dont il était fondateur , et eut des disciples
qui acquirent de la célébrité, entre autres Aristippe le jeune,
dont elle fut l'institutrice, et qu'on surnomma pour cela
Mr,Tpooicla/.TÔ;, disciple île la mère. Elle avait d'ailleurs reçu
elle-même d'.\ristippe l'ancien des principes de modéra'.ion
et de sagesse pratique, qu'on trouve exprimés dans une
lettre que ce philosophe aurait adressée à sa fille.
ARÉTÉE, l'un des plus grands médecins de l'antiquité,
né en Cappadoce , et que plusieurs modernes , comme
Huxham, mettent au niveau d'Hippocrate pour la profon-
deur et le talent de bien peindre les maladies, doit être
distingué d'un autre ArL'tce,de Coriuthe, à peu près inconnu.
Étrange destinée des réputations ! l'antiquité ne nous a
presque rien appris sur cet l.abile observateur ; c'est à peine
si l'on sait qu'il exista probablement sous Domitien et au
temps d'Archigène, dont il partagea les opinions dans la secte
pneumatiste , puis dans l'école éclectique. Sauf les noms
d'Hippocrate et d'Homère, il n'en cite aucun autre dans ses
écrits, ni n'est cité par aucun de ses contemporains. Ga-
lien , Oribase,ne font pas mentionde lui; plus tard Aétius,
Paul d'Égine et un faux Dioscoride font seuls exception. Sa
mort et les événements de sa vie sont restés également
ignorés ; sa renommée a été comme ensevelie jusqu'à la re-
naissance des lettres. Il avait adopté le dialecte ionien, pour
se rapprocher davantage d'Hippocrate. Il avait composé plu-
sieurs traités sur les fièvres, sur les malailies des femmes,
sur la pharmacie et sur la chirurgie, dont il ne nous reste à
peu près rien. Le seul de ses ouvrages qui soit parvenu jusqu'à
nous est divisé en huit livres, dont les deux premiers sont
intitulés : Des Causes et des Signes des aj/ections aiguës,
les deux suivants : Des Causes et des Affections chroni-
ques; <\eu\ avives : Du Traitement des Affections aiguës;
et les deux derniers : Du Traitement des Affections chro-
niques. Il y manque quelques chapitres, et le texte offre
de nombreuses lacunes. Cet ouvrage d'Arétée parut d'abord
dans la traduction latine de J.-P. Crassus, professeur à Pa-
doue, sous ce titre : Areta:i Libri septem nunc primum
e tencbris eruti et in latinum scrmonem conversi a J. P.
Crasso ( iu-4° ; Yenise, 1552). Le texte grec fut pour la pre-
mière fois publié par J. Goupyl , médecin de Paris (in-8°,
très-rare; Paris, 1554 ). On le trouve souvent réuni à l'édi-
tion de Rufus d'Éphèse, De Appellationibiis PartiumCor-
poris humani. Beaucoup d'autres éditions en ont d'ailleurs
ARÉTÉE ~ ARÉTIN
été faites depuis ce temps-là en f;rec et en latin. Nous cite-
rons celle (le G. lleniscli (inful.; Vimnc, 1003); celle de
J. NVegan (in-fol. ; Oxford, 1723); celle de IJocrliaave
(in-fol. ; Leyde, 1731) et celle de Kulin, dans la Collec-
tion des Médecins grecs (in-S''; Leipzig, 1S28). L'édition
la plus récente est celle qu'a donnée le professeur Ernierius,
de Gronin<;uc (in 4° ; Utrecht, 1847). C'est aussi colle qu'on
estime le plus, le savant éditeur, pour donner un texte plus
correct, ayant eu la patience de collationner un grand
nombre de manuscrits existant dans les diverses liibliolhè-
qucs de la France et de l'Italie.
Dans ses ouvrages, Arétée trace d'après nature le tableau
le plus vrai des maladies , à tel point qu'on croit les voir, et
qu'en dépeignant l'asthme , on se sent cnmme étouffé d'op-
pression , prêt à Cl ier avec le malade , et qu'on ouvre large-
ment portes et fenêtres pour respirer en liberté. L'image
d'un énervé , épuisé de débauches, est frappante ; il inspire
à la fois la pilié, le dégoût et la honte. On a conservé môme,
.sous le nom d'cléphontiasn;, la pointure qu'il a fiiite de la
peau des jambes d'un lépreux, imilaut celle de l'éléphant.
Tous burinés de main de maître, ces portraits sont, pour
ainsi dire, daguerréotypes sur place. Le trait d'Arétée est
aussi précis que pittoresque, sans que son exactitude nuise
â l'étendue de ses vues quand il généralise, ni à la sagacité
du diagnostic, à laprofondeurdu pronostic, à la circonspec-
tion de la thérapeutique. Sa diction est nerveuse , péné-
trante, sentencieuse; on y reconnaît uu esprit mâle et riche
de son propre fonds.
Selon Arétée et les autres pneumalistes, le corps vivant
est composé de solides et de fluides , et animé par un esprit,
pneuma, qui passe des poumons au cœur pour se distribuer
à toute l'économie par les artères. Ce pneuma constitue la
Tie, la force et la santé, s'il est bien réparti, tempéré dans
notre organisme ; mais il est troublé au contraire par le froid
et le chaud , le sec et l'humide prédominants. Toujours at-
tentif aux forces de la nature , selon les constitutions , les
climats, les saisons, Arétée paraît un génie observateur
comme Hippocrate. Il était supérieur même à celui-ci par
ses connaissances anatomiqucs; car il sait que les neris
émanent du cerveau , quoiqu'il confonde encore avec eux
les tendons et les aponévroses. Il n'ignorait pas l'entre-
croisement des nerIs , les causes de l'hémiplégie et de
plusieurs sympathies éloignées, celles des métastases, le
peu de sensibilité du tissu pulmonaire, tandis que la plèvre
en jouit d'une plus considérable, parce qu'elle a plus de
rameaux nerveux dans sa texture , etc. Il parait avoir eu
beaucoup de points communs avec les doctrines d'Archi-
gène , dont les écrits ne nous sont point parvenus. Sa pra-
tique employait un petit nombrede remèdestoujours simples,
une méthode raisonnée , le régime expectant et humectant
pour favoriser les codions critiques dans les maladies ai-
guës, à la manière hippocratique. Il conseillait fréquemment
les vomitifs, les bains, et dans les inflammations la sai-
gnée, parfois jusqu'à la défaillance. Dans les affections chro-
niques, il sollicite au contraire les forces vitales avec le
castorénm. Il emploie les dérivatifs, les lavements, les ré-
vulsions , l'arlériotomie môme, contre les inflammations
céphaliques , tes ventouses pour la pleurésie , et le premier
les cantharides à l'extérieur, comme vésicatoire. Audacieux
aussi , il ose plonger un fer rouge dans les abcès du foie, ou
perforer le crâne dans réfilepsie; il sonde la vessie dans la
rétention d'urine, car il exerçait aussi la chirurgie; mais ses
écrits sur cet art, comme ceux sur la préparation des mé-
dicaments , sur les maladies des femmes , sur les fièvres, ne
nous sont point parvenus. Seulement , on rencontre dans
Aétius et autres médecins des fragments épars de ses ou-
vrages , recueillis par Weigel.
Quoique les sciences anatomiques aient été cultivées en-
suite avec beaucoup d'avantage par Galien, Arétée possé-
dait déjà des notions assez étendues sur nos viscères; il dé-
781
crit l'inflammation de l'aorte et la structure glanduleuse des
reins ; il distingue le sang artériel du veineux , expose les
fonctions du foie comme le rendez-vous du sang noir : l'on
supposequil n'ignorait point l'existence des vaisseaux lactés
dans les intestins, ni (pie ceux-ci sont formés par plusieurs
membranes , ni la tunique interne de l'utérus, nommée de-
puis villcusc par Hunier. Enfin, si sa physiologie emprun-
tait à la secte stoïcienne son pneuma ou l'esprit ( cinquième
élément pour vivifier le corps et opérer dans les nerfs cé-
rébraux , comme aussi à l'aide du sang artériel émanant du
cœur), Aréti'c n'en était pas moins syncrétiste éclectique,
ou choisissant dans les autres sectes ce qu'il pouvait s'en
approprier avec sagesse. J.-J. Viret.
ARETIIAS ou ARÉTAS, tbéologien grec, auteur d'un
Commentaire de V Apocalypse, vivait vers la première
moitié du dixième siècle, et était arcbevêque de Césarée,
en Cappadoce. Ce commentaire, écrit d'après des auteurs an-
térieurs, a été imprimé pour la première fois, en 1532, à la
suite des œuvres d'Œcumenius.
Un autre AR1:;tas , qui vivait à la même époque et aussi
à Césarée, prêtre et théologien grec comme le précédent, est
auteur d'un écrit sur la Translation de saint Euthyme.
patriarche de Conslantinople.
ARETHUSE , fontaine de Sicile , dans la petite pénin-
sule d'Ortygie, oii était situé le palais des anciens rois de
Syracuse , à peu de distance de cette ville. Plusieurs au-
teurs de l'antiquité, Pline entre autres, prétendent que l'Al-
p h é e , fleuve de Grèce , continuant son cours sous la mer,
allait mêler ses eaux à celles de l'Aréthuse, en souvenir des
poursuites d'Alphée, fils de l'Océan et de Tliétis, auxquelles
Diane n'avait pu soustraire sa nymphe Aréthuse, fille de
Nérée et de Doris, qu'en métamorphosant l'un en fleuve , et
l'autre en fontaine. Suivant le môme naturaliste, on retrou-
vait dans la fontaine tout ce qu'on jetait dans le fleuve, et
durant les jeux olympiques de la Grèce les excréments des
animaux destinés à la course ou aux sacrifices étant vidés
dans l'Alphée , il en résultait une odeur de fumier aux alen-
tours de l'Aréthuse en Sicile.
ARÉTiN (L'). Voyez Aretino (Pietro).
ARÉTL\ (Bernard ACCOLTI ), dit Vunique. Voyez
ACCOLTI.
ARÉTIM (Gm). Foyez Goi.
ARÉTIiV (LÉONARD). Voyez Bruni.
ARETIiV (Adam, baron d'), homme d'État bavarois,
issu d'une famille dont plusieurs membres se sont fait un
nom dans les lettres et dans l'administration, naquit à Ii>-
golstadt, le 24 août 1769, et mourut le 16 août 1822. Quand
il eut terminé ses études juridiques, il entraau ministèredes
affaires étrangères sous l'administration de M. de Montge-
las, et parvint au poste de chef de division. Il avait pris part
aux affaires les plus importantes, lorsqu'on 1817 il fut nom-
mé ministre de Bavière près la Confédération germanique.
Dans ce poste, il se distingua autant par sa modération que
par l'énergie avec laquelle il défendit contre les attaques
de certains cabinets absolutistes la constitution représenta-
tive octroyée à la Bavière.
Il possédait une des collections de gravures les plus con-
sidérables qu'on connût, ainsi qu'un grand nombre de ta-
bleaux de choix. Ce beau cabinet fut vendu à sa mort. Con-
sultez Brulliot : Catalogue des estampes dtc cabinet d^Arélin
(3 vol.; Munich, 1827).
APiÉTIN (Georges, baron d'), frère du précédent, né à
Ingolstadt, en 1771, mort à Munich, en 1813, fut nommé,
en 1793, administrateur du district bavarois du Donaumoos,
et mérita bien de cette contrée en opérant le dessèchement
d'un marais de plus de dix myriamètresde circuit. Lorsque
éclata, en 1809, l'insurreciion du Tyrol, il remplissait les
fonctions de commissaire général du cercle d'Eisack. Fait
prisonnier alors par les Autrichiens, il fut conduit en
Hongrie. Au rétablissement de la paix, il fut rendu à la li-
782
ARETLN — ARETLNO
bcrlé; et le roi de Bavière le récompensa de ce qu'il avait
souffert pour son service, en lui accordant un iief et une
pension considérable, grâce à laquelle il put désormais se
consacrer exclusivement aux sciences, aux arts et à l'agri-
culture.
Parmi ses ouvrages, dont le plus grand nombre n'ont
trait qu'aux intérêts matériels de la Bavière, nous citerons
son Essai d'un Système de Défense pour la Bavière (Ra-
tisbonne, 189.0).
ARETIN (Christophe, baron d'), frère des précédents, né
le 2 décembre 1773, à IngolstaJt, mort à Municli , le 24
décembre 1834, président de la cour d'appel du Neckar.
Après avoir fait ses études à Heidelberg, à Gœttingue et à
Paris, il entra jeune encore dans l'administration, et fut
nommé en 1799 conseiller de la direction de l'intérieur.
Dès cette époque il insista vivement sur la nécessité d'abolir
la féodalité en Bavière et de convoquer la diète; et il prit
comme écrivain une part active au conflit qui éclata en 1800
et 1801 entre la diète et le gouvernement bavarois. Une
brochure qu'il publia en 1809, et dans laquelle il représen-
tait Napoléon comme le véritable défenseur de la vieille
nationalité allemande contre les efforts réunis du protestan-
tisme, de la Russie et de l'Angleterre, donna lieu à une
vive polémique, par suite de laquelle l'auteur eut ordre de
donner sa démission de ses divers emplois. Un autre bro-
chure qu^il publia encore, La Saxe et la Prusse (181.5),
fut aussi pour lui la cause de nombreux désagréments. En
1811 il avait été nommé directeur du tribunal d'appel de
Nenburg, puis en 1813 président de la cour d'appel du cercle
du Regen ; fonctions qu'il conservajusqu'en 1819. Élu en ce
moment député à la diète, il y figura aux premiers rangs de
l'opposition ; et il publia alors un grand nombre d'écrits
ayant pour but de mettre à la portée des masses les questions
politiques qui se traitaient à la tribune. On remarque les
mêmes tendances libérales dans ses drames Louis le Bava-
rois (1S21) et La jeune Fille de Zante (1822). Son dernier
ouvrage a pour titre Droit public de la Monarchie cons-
titutionnelle, et fut terminé après sa mort par Charles de
Rotteck (nouv. édit.,3 vol., Leipzig, 1839).
ARETIN (Charles-Marie), fils aîné du précédent, histo-
rien connu par ses tendances essentiellement catholiques ,
né en 1796, fit d'abord les campagnes de 1813 à 1815, et
embrassa ensuite la carrière diplomatique, qu'il échangea
plus tard contre un emploi au ministère de la guerre. Plus
tard encore il se retira à la campagne, pour s'occuper d'a-
griculture et de littérature. .Mais la nature de ses travaux
le contraignit à revenir à Munich. Il fut alors attaché aq
ministère des affaires étrangères et nommé bientôt après
archiviste de la couronne. Il a utilisé les riches matériaux
qu'une telle position plaçait sous sa main pour publitr un
Exposé des Relations extérieures de In Bavière ( Pa.^^sau,
1839), une Histoire de l'électeur Maximilien l-"^ (1842) et
une notice sur Wallen-tein, qui contient des faits curieux. At-
taché en 18i7 à la légation de Bavière en Prusse, M. Arétin
est maintenant chambellan et conseiller intime du roi.
ARETIXO (PiETRo). fameux littérateur italien du sei-
zième siècle, fils naturel d'un gentilhomme appelé Luigi
Bazzi et d'une femme obscure nommée Tita , naquit le
20 mars 1492, à Arezzo, ville de Toscane, dont il prit le
nom. Chassé tout jeune encore de sa ville natale pour avoir
composé un sonnet contre les indulgences , il s'en alla à
Pérouse, où il apprit le métier de relieur, dont il vécut pen-
dant assez longtemps, sans renoncer pour cela à ses tendances
satiriques. C'est ainsi qu'il s'en alla nuitamment, dans un
édifice public où se trouvait un tableau qui représentait la
Madeleine aux pieds du Christ et tendant vers lui des bras
.suppliants , peindre un luth que la sainte paraissait tenir
entre ses bras. Après cette escapade, jugeant un plus long
séjour à Pérouse dangereux pour lui, il s'en alla à Rome,
avec les habits qu'il avait sur le corps pour tout bagage ; et
dans celte capitale du monde chrétien, son humeur joviale,
son effronterie et ses talents lui eurent bientôt fait des pro-
tecteurs, parmi lesquels il compta pendant quelque temps
les papes LéonX et son successeur Clément VU eux-mêmes.
Seize sonnets qu'il inscrivit au bas d'autant de dessins obs-
cènes de Jules Romain, gravés par Marc-Antoine, furent
cause qu'il lui fallut s'enfuir de Rome. Ces sonnets, aujour-
d'hui extrêmement rares, ont été imprimés dans le format
in-12 , sans indication de lieu ni de date ( 23 pages) sous
le titre de Sonnetti lussuriosi di Pietro Aretino. Les
planches de .Marc-Antoine paraissent avoir été détruites par
un marchand de Paris, qui les avait achetées pour 100 écus.
Pietro Aretino accepta alors l'invitation de Jean de Mé-
dicis, ie fameux chef des bandes noires, dans la faveur du-
quel il .se mit à un tel point, qu'il partageait avec lui sa ta-
ble et son lit, et qui, en 1524, l'emmena avec lui dans le Mi-
lanais , en ce moment au pouvoir du roi de France, Fran-
çois 1"^ ; et Aretino, par l'aimable vivacité de ses repartie*,
ne se fit pas moins bien venir de ce monarque, qui lui facilita
sa rentrée à Rome. Son séjour y fut cette fois de courte du-
rée. Amoureux d'une cuisinière , il se vengea par un sonnet
d'un rival préféré, qui lui répondit par quelques coups de
poignard; et n'ayant pu obtenir justice de son a.ssassin ,
il s'en alla retrouver son ancien protecteur Jean de Médicis,
qu'il eut la douleur de voir expirer dans ses bras des suites
d'une grave blessure reçue au combat de Governolo, le
30 mars 1526.
En 1528 Pietro Aretino alla s'établir à Venise, où il se fit
aussi de puissants amis , et où il se mit aussitôt à écrire
contre son ancien protecteur, le pape Clément YII, alors
détenu au château de Saint- Ange. Deux ans plus tard, so.n
ami Vasone, évéqne de Vicence, le réconcilia avec le souve-
rain pontife et le recommanda en outre chaudement à
Charles-Qu int , qui ne voulut pas faire moins pour lui
que n'avait fait son rival le roi de France , et qui en consé-
quence lui accorda force gratifications. Divers grands sei-
gneurs imitèrent l'exemple du maître.
Le séjour de Venise , qu'il appelle quelque part le Pa-
radis terrestre, plaisait infiniment à Pietro Aretino; car il
y pouvait donner libre cours à sa plume licencieuse et vé-
nale , écrire des œuvres obscènes qui provoquaient les rires
bruvants des disciples d'Épicure et des sectateurs de la Vénus
Meretrix, et en même temps composer des livres de piété
qui faisaient pâmer d'aise les béats et pleurer les dévotes ;
or, des deux façons il trouvait le moyen de gagner beaucoup
d'argent ; et, après les femmes et la table , c'était l'argent qu'A-
retino aimait par-dessus tout. La nature l'avait doué de ses
dons les plus brillants ; mais comme son éducation première
avait été des plus négligées, que jamais il ne sut un mot de
grec et de latin , il eût pu facilement donner prise de ce
côté à la critique, s'il n'avait eu l'habile précaution de se
lier de la manière la plus intime avec le fameux Nicolo
Franco, homme aussi médisant que lui et non moins libre
penseur, d'ailleurs profondément versé dans la connaissance
des lettres grecques et latines , et qui lui fournissait sur
l'antiquité tous les renseignements dont il avait b&soin.
AravénementdeJulesIII,nécomme lui à Arezzo, Pietro
Aretino adressa à son compatriote un sonnet qui lui fit tant
de plai-ir, qu'il en récompensa l'auteur par un présent de
mille couronnes d'or, avec le cordon de chevalier de l'ordre
de Saint-Pierre. Le duc d'Urbin , ayant été nommé général
en chef des troupes du saint-siége, l'emmena avec lui à
Rome ; et pour le coup Aretino se crut sûr d'obtenir le
chapeau de cardinal, que lui avait déjà formellement promis
le duc de Parme en récompense de ses dévotes productions,
qu'il enviait fort , en raison des immunités et surtout des
gros revenus qui v étaient attachés, et qu'il s'était haute-
ment vanté d'arracher à l'indulgente bonté du saint-père.
Jules III l'accueillit parfaitement , le baisa même au front;
mais ce (ut là tout. Déçu dans son attente, il ne manqua pas
lie (lire à son retour à Venise, qu'on lui avait offert la
pourpre, mais qu'il l'avait refusée. « 11 fut surnommé, dit
Ginguené dans son Histoire d'Italie, Flôau des princes, et
il le fut encore plus par l'impudence de ses flatteries que
par ses bons mots. Il poussa aussi l'orgueil jusqu'à donner
son portrait en présent, comme font les souverains; et
ce qui est plus singulier, il en régala même le roi de France.
On frappa pour lui, et lui-même aussi se (it frapper des mé-
dailles en cuivre et en argent; il était grand et libéral dans
sadépen^e, ma};uilinue dans ses habits, généreux et même
charitable, poul-élre par ostentation, peut-être aussi par habi-
tude et par penchant. » Sa mort fut bien digne d'une telle
vie. Il demeurait à Venise avec ses sœurs, dont la conduite
scandaleuse répondait à la sienne, l'n jour qu'on lui racon-
tait une aventure galante arrivée à l'une de ces impudiques
donzelles, les détails lui en parurent si plaisants, qu'il se prit
à rire aux éclats. Dans ce paroxisme d'hilarité , il se laissa
choir de la chaise sur laquelle il était assis. Sa tête, en
tombant en arrière, frappa rudement sur le carreau; et il
lut tué du coup, en 1556.
Les œuvres d'Arelino se composent : l^en prose, de cinq
comédies intitulées La Cortig'iana, Il Marescallo, L'Hi-
pocrito, Il Filoso/ocl la Talanta, pétillantes d'esprit et
de gaieté, pleines de traits du meilleur comique, très-cer-
tainement ses meilleurs ouvrages, et qui furent imprimées
à Venise de 1533 à 1543; de ses obscènes Raggionamenti
ciel Zoppin, etc., dialogues dédiés à François l" ; de /
Selle Salmi délia Penitencia ; paraphrase des sept Psaumes
de la Pénitence (1534); de la Puttana errante; d'/ tre
Librï délia Humanitadi C/irislo {{b3b) ;d'llGenesi, etc.
(Venise, 1535 et 1539); d'une Vie de saint Thomas d'A-
guin (Venise, 1543); des Vies de la sainte Vierge et de
sainte Catherine (Venise, 15i0) ; de six livres de Lettres
familières; 2° en vers, outre les Sonneti lussiiriosi déjà
cités, de Rime, de Stanze, de Capitoli, d'une épopée ina-
chevée, Due C'anti dl Marfisa, dédiée au marquis de Vasto
(Venise, 1537); des Lagrime d''AngeUca (Venise, 1538),
poème demeuré également inachevé ;d'Or/flHrf(?2o, parodie
inachevée aussi de VOrlando; et enfin AeVOrazia, tragé-
die en cinq actes, qui n'est pas sans mérite. Consultez Mazzu-
chelli, Vita di Pietro Aretino((ÏQïn.éi\Vwn; Milan, 1830);
Crescimbeni , S/oria délia Volgare Poesia; Tiraboschi,
Storia délia Letteratura Italiana {\~91); Dujardin, Vie
de Pierre Arétin ; Dubois-Fontanelle, Vie de Pierre Aretin
et de Bernard raiiojîi (Paris, 1768); Ginguené, flisiotre
littéraire d'Italie.
AREZZO (en latin Aretium), chef-lieu de la province du
même nom, dans le grand-duché de Toscane, située dans
une fertile vallée , sur le versant d'un colline , à environ
huit kilomètres de l'embouchure de la Cliiana dans l'Amo,
est l'une des plus anciennes villes de la Toscane, et était au-
trefois l'une des daize principales cités des Étrusques.
Sylla, quand il eut subjugué ce peuple, en expulsa les ha-
bitants, et la peupla de ses partisans. Dans les guerres des
guelfes et des gibelins, Arezzo prit toujours parti pour les
seconds, et fut constamment en guerre avec les Florentins,
dont l'armée (ut complètement défaite par les troupes d'A-
rezzo à la bataille de Camaldino ( 1289), à laquelle Dante
assista. L'évêque Pietro Sanone finit par trahir et vendre
la ville aux Florentins, qui dès lors en demeurèrent toujours
possesseurs.
ArezzQ compte aujourd'hui au plus 10,000 habitants; tan-
dis que sa muraille d'enceinte, qui n'a pas moins de trois
milles de développement, et ses nombreuses églises, qui de
loin lui donnent l'apparence d'une cité autrement impor-
tante, témoignent encore de l'époque où elle n'avait pas
moins de 30,000 habitants.
Parmi ses nombreuses places publiques on remarque sur-
tout la Piazza Grande ou Ferdirumda , garnie d'une co-
lonnade, où se trouvent la Loggia, édifice avec une belle
AUETINO — ARGÉKS 733
façade gothique, et le Picve, église hAtie sur les fondations
d'un ancien temple païen. La c^ithédrale, dont la façade,
comme celle de lu plupart des églises di.\rezzo, est demeurée
inachevée, bâtie sur le point culminant de la ville, renferme
un magnifique maître autel en marbre, œuvre de Giovanni
Pisano, et quelques tableaux de prix. Siège de préfecture d
d'évêché, Arezzo possède un gymnase, un hôpital et de nom-
breux couvents. Les rues en sont généralement sales et obs-
cures; et sous le rapport de l'urbanité et de la socitibilité,
les habitants ne passent précisément pas pour des modèdes
parmi leurs compatriotes. L'industrie , autrelois très-floris-
sante, y est bien déchue.
il n'est peut-être pas de ville qui, à importance égale ait
donné le jour à tant d'hommes célèbres ; là naquirent M é-
cèue, ce protecteur éclairé et généreux des lettres et des
arts, Pétrarque, l'immortel chantre de Laure; Pietro
Aretino, le satirique; Guido d'Arezzo, l'inventeur des
notes; Leonardo d'Arezzo, historien; Cesalpino, botaniste;
Redi, médecin et humoriste; le pape Jules lll; le fameux
maréchal d'Ancre; Vasari, le peintre auteur d'une vie des
peintres justement estimée, et une foule d'autres hommes
distingués en tous genres, mais dont les noms n'ont guère
franchi les limiles de l'Italie.
AREZZO (Fra Glittoke d'), l'un des créateurs de la
littérature italienne, qui florissait au treizième siècle, naquit
en Toscane, et mourut en 1294. Il appartenait à l'ordre re-
ligieux et militaire des C«rflZin7 gaudenti;A&VaL celte qua-
lification de Fra qu'on ajoute d'ordinaire à son nom. Cet
ordre, comme l'indique sa dénomination même, n'imposait
à SCS membres aucune privation ni contrainte. 11 avait été
institué en Languedoc , lors de la croisade contre les albi-
geois , vers 1208. Les dames y étaient admises. On conçoit
dès lors que les chevaliers menaient joyeuse vie; c'est dans
ce milieu, où l'ascétisme se mariait parfaitement à la ga-
lanterie, que G uiltone d'Arezzo puisa ses inspirations, où les
idées de dévotion sont relevées et assaisonnées par des pen-
sées d'amour. On a de lui trente-huit sonnets, les premières
productions de la poésie italienne où il y ait de la régula-
rité dans le rhylhme et dans la rime, plusieurs ballades et
ti"ois grandes Canzoni, qui ont été réimprimées à li verses
reprises, notamment dans les Antichi Poeti de Léo Allalius.
ARGAXD (Aimé), inventa, en 1782, à Montpellier,
la lampe à double courant d'air ou à mèche cylindrique,
dans laiiuelle il substituait aux mèches pleines des mèches
tissues au métier en forme de cyli ndre creux. Il présenta aoa
invention la même année aux états de Languedoc. Venu à
Paris l'année suivante, il en fit l'expi-rience devant le 1 eu-
tenant général de police Lenoir, et parla à MM. Cuhières
et Meunier d'une cheminée en verre qu'il voulait adapter
à sa lampe. Il partit en Angleterre, et pendant son absence
Lange et Quinquet confectionnèrent des lampes suivant
lo système d'Argand avec la cheminée de verre , et les
présentèrent à l'Académie des sciences. Des débats s'ensui-
virent, et ce corps savant n'accorda aux derniers, en 1785,
que l'invention de la cheminée. Un arrêt du conseil
d'État, de la même année, avait reconnu Argandcomme seul
inventeur de cette lampe. Z.
a\RGEESj fête romaine qu'on célébrait le 15 du mois
de mai. On se rendait sur un des ponts du Tibre, après avoir
promené trente figures gigantesques d'osier, nommées ar-
j7ée5, elles Vestales les précipitaient dans lefleuve. Plutarque
explique ainsi le sens de l'origine de cette fête. Une colonie
d'.\rcadiens, forcés par les Argiens d'abandonner leur pays,
arriva dans des temps très-reculés en Italie, sous la conduite
d'Évandre, et leurs descendants voidurent par cette fête des
Argées perpétuer leur haine contre les oppresseurs argiens.
Selon d'autres, cette fête rappelait le temps où l'on jetait
des hommes dans le Tibre. Denys d'Halicarnasse croit que
ces figures représentaient les Grecs qu'on sacrifiait autrefois;
Hercule, ayant aboli ces cruels sacrifices, y substitua cette
784 ARGÉES —
cérémonie. Ovide dit poéliquemeiit qu'Hercule vint, après
Évandre, dans ces contrées, à la tête d'une colonie d'Argiens.
Ces nouveaux venus, regrettant leur patrie, recommandaient
en mourant à leurs héritiers de les jeter dans le Tibre,
espérant que les flots de la mer leur seraient assez propices
pour déposer leurs corps sur le rivage de l'Argolide. Comme
c'était abandonner au hasard le soin de sa sépullure, cet
usage ne dura pas longtemps, et l'on substitua aux cada-
vres des figures d'osier.
ARGELAIVDER ( FRÉnÉnic-GL-iLLALME- Auguste ) ,
professeur d'astronomie à l'université de 13onn , est né le
22 mars 1799, à Memel. 11 commença par étudier le droit
administratif à l'université de Kœnigsberg ; mais, séduit par
les cours de Be'ssel, il abandonna bientôt cette carrière
pour se vouer tout entier à l'astronomie. En 1820 il fut
nommé aide de Bessel à Kœnigsberg ; et , dès 1S23 il
était appelé à remplacer à l'observatoire nouvellement créé
à Abo l'astronome Walbeck, mort après un très-court
exercice de ses fonctions. Argelander s'y consacra sur-
tout à l'observation des étoiles qui ont un mouvement
propre apparent; mais l'incendie qui, en 1828, vint dé-
truire la plus grande partie de la ville d'Abo, le força de
suivre à Helsingfors l'université, qui y fut transportée, et
cù il s'occupa surtout de la construction d'un nouvel ob-
servatoire, qui n'a été terminé qu'en 183'i. Le catalogue de
cinq cent soixante étoiles à mouvement propre apparent
qu'il a publié, et qui contient le résultat des observations
qu'il avait faites à Abo, lui a mérité, au jugement de l'Aca-
démie de Saint-Pétersbourg, le grand prix Demidolf. Ap-
pelé en 1837 à Bonn, il y a fait élever un observatoire.
Il a publié en 1843, une Uranometria nova.
AKGEiXS ( Je.vx-B.vptiste de Boyer, marquis d'), né à
Aix en Provence, le 24 juin 170i, avait été destiné par ses
parents à la magistrature ; mais son goût pour les aventures
le détermina à entrer au service dès l'âge de quinze ans.
Quelques années plus tard, devenu amoureux d'une actrice
à laquelle, dans ses Mémoires, il donne le nom de Sylvie,
il s'enfuit avec elle, afin de l'épouser en Espagne; mais ses
proches se mirent à sa poursuite : on parvint à l'arrêter, et
on vous le ramena en Provence, d'oii, pour hà faire
changer d'air, sa noble famille le fit partir pour Constanti-
uople, où il fut attaché à l'ambassade de France. A son re-
tour de l'Orient, il rentra dans les rangs de l'armée. Blessé
en 1734, au siège de Kehl, une chute de cheval, qu'il eut
le malheur de faire devant Philippshourg, le rendit désor-
mais impropre au service. Déshérité par son père, il se fit
homme de lettres, et s'en alla en Hollande où, grâce à la li-
berté de la presse existant en ce pays, il publia ses Lettres
Juives, ses Lettres Chinoises et ses Lettres Cabalisti-
ques, qui ont été imprimées avec La Philosophie du Bon
Sens (Londres, 1737). Frédéric II, alors prince royal, dé-
sira faire la connaissance de l'auteur et l'invita h venir
auprès de lui; mais d'Argens déclina l'invitation, et fit dire
qu'avec ses cinq pieds sept pouces il courait en vérité trop
de risques dans les États de Frédéric-Guillaume I"".
Quand Frédéric monta sur le trône, il renouvela son in-
vitation, que d'Argens accepta cette fois. Nommé alors cham-
bellan et directeur des Beaux-Arts à l'Académie de Berlin, il
devint l'un des membres de la société intime du roi, qui l'ai-
mait à cause de sa franchise, mais qui se moquait de ses lu-
bies d'hypochondriaque. D'Argens touchait à la soixantaine,
lorsqu' il s'amouracha encore d'une actrice , une certaine
M"* Cochois; et il l'épousa sans en avoir obtenu l'autorisa-
tion préalable du roi, qui ne lui pardonna jamais cette folie.
D'Argens mourut à Toulon, le 11 janvier 1771, dans un
voyage qu'il était allé faire en Provence. Frédéric II lui fii
élever un cénotaphe dans l'église des Minorités, à Aix. Ses
nombreux ouvrages, et notamment son Histoire de l'Es-
prit humain (14 vol., Berlin, 1767), obtinrent dans le
temps une vogue peu commune. Ses Lettres et Mémoires
ARGENSON
parurent d'abord à Londres, en 1748, puis à Paris, en 1807,
Luc de Boyer d'Ar.CENs, son frère, est l'auteur de Ré-
flexions politiques sur les Chevaliers de Malle (Paris,
1739). Il mourut en 1772.
ARGEiV'SOLA. Ce nom appartient à deux écrivains
esi)agnols, Lupercio et Bartolomé Leonardo d'Ai-.censola,
nés tous les deux dans la cité de Barbastro en Aragon, l'un m
en 1565, l'autre en 1566, et issus d'une noble famille de j\
Ravenne, depuis longtemps établie en Aragon. Très-jeunes
encore, les deux frères étudièrent ensemble la langue cas-
tillane et les rudiments de la langue latine à l'université de
Iluesca ; de là Lupercio passa à celle de Saragosse, où il
se livra à l'étude de l'éloquence et à celle de la langue grec-
que, pendant que Bartolomé continuait l'étude du droit
civil et canonique, jusqu'à ce qu'il obtint les grades de doc-
teur en droit et en théologie.
Protégés par la princesse Marie d'Autriche, sœur de Phi-
lippe II et veuve de l'empereur Maximilien II, qui depuis la
mort de son mari s'était fixée à la cour d'Espagne, les deux
frères se rendirent à Madrid. Là Lupercio se fit remarquer
par son talent pour la poésie, et occupa bientôt le premier
rang parmi les grands poètes de son siècle. Marie d'Au-
triche le nonnna son secrétaire. Bartolomé , alors ordonné
prêtre, obtint, par l'inHuence de son frère, la charge d'au-
mônier de la princesse. La fortune des deux frères ne s'ar-
rêta pas là : Lupercio épousa, quelque temps après, dona
Barbara d'Albion, et cette illustre alliance lui valut d'être
fait gentilhomme de la chambre de l'archiduc .•Vlbert.
Dès cette époque les deux frères s'étaient également fait
remarquer dans les lettres : tous deux étaient poètes; mais
leur plus grand titre de gloire est d'avoir écrit en pur cas-
tillan et fixé, pour ainsi dire^ la langue de leur pays à une
époque où elle était encore incertaine, mélangée d'éléments
empruntés à la langue romane, et entachée de latinismes.
Nommé premier chroniqueur d'Aragon par la cour
de Madrid, Lupercio obtint le même honneur du conseil des
prud'hommes de Saragosse. Il devint ensuite secrétaire
d'État, sous les ordres du comte deLemos, alors vice-roi
à Naples. Lupercio vécut dans cette dernière ville jus-
qu'en 1G13, époquedesa mort. Parmi ses meilleures poésies,
on distingue la satire contre les courtisanes, celle sur le
mot Barbare, et un sonnet épigramraatique intitulé La
Beldad mentida (La Beauté niensongère ). La chronique
du royaume d'Aragon fut écrite sous sa direction ; ce tra-
vail dura quatorze années.
Bartolomé, devenu recteur de Villahermosa, s'était rendu
à Naples auprès de son frère, en 1596. Après la mort de
Lupercio, Bartolomé s'attacha au comte de Lemos; mais
en 1616, ayant obtenu un canonicat à la cathédrale de Sa-
ragosse, il se retira dans celte ville, et y vécut jusqu'à sa
mort, arrivée en 1033. lia laissé un plus grand nombre
d'écrits que Lupercio, entre autres une longue et sanglante
satire Contre les vices de la cour, une autre Contre l'ani'
bition; un conte en vers, ayant pour titre : Le Laboureur
et le Trésor, et une épitre didactique Sur la mort du
Comte de Gelves, adressée à son successeur, qui sont de
véritables chefs-d'œuvre. De tous ses ouvrages en prose,
V Histoire de la Conquête des Iles Moluques est le meil-
leur; et malgré le jugement sévère qu'en a porté Munarriz,
cet ouvrage suffirait à lui seul pour justifier le rang distin-
gué que Bartolomé d'Argensola occupe dans la littérature
espagnole. Manuel de Cuendiaz.
ARGEXSO\ (VOYER d'), famille originaire de Ton-
raine, où de temps immémorial elle a possédé la terre de
Paulmy. Le nom d'Argenson, sous lequel plusieurs membres
de cette famille se sont illustrés, est celui d'une autre de
ses propriétés située en Touraine, dans l'arrondissement de
Chinon.
ARGENSON (René VOYER, seigneur d'), d'abord ma-
gistrat au parlement de Paris, puis intendant militaire pea-
ARGENSO^ï
dant le sit^e île la Rochelle, hitemlant île justice à l'armée de
Daiiphiné, surintomlant du Poitou, fut chargé par les car-
dinaux de Richelieu et Mazarin de diverses négociations im-
portantes et secrètes, telles que la réunion de la Catalogne à
la France, eniCil. Il s'était livré dans ses dernières années
aux plus ferventes pratiques de la religion , et avait publié
un traité De la Sagesse C/trèdenne en lOiO, alors qu'il était
prisonnier des Espagnols au chiltcau de Milan. 11 mourut
ambassadeur à Venise, en 1G51.
ARGblNSON (René VOYF.R, comte d), fils aîné du pré-
cédent, lui succéda dans son ambassade , n'ayant encore que
vingt-sept ans. 11 avait secondé son père dans tous ses tra-
vaux et dans ses missions sous la régence d'Anne d'Autriche
et sous Mazarin. Durant son ambassade de Venise, de 1C51
à 1655, cette république l'autorisa à joindre à ses armes le lion
de saint Marc, et fut la marraine de son fds aîné, à qui le pré-
nom de Marc fut donné par elle. De retour en France, ayant
déplu au roi parla sévérité de ses principes et de ses mœurs,
il alla vivre dans ses propriétés de Touraine, où il mourut
en 1700, âgé de soixante-dix-sept ans. Il cultiva les lettres
et fut l'ami de Balzac.
ARGENSON (:Marc-Rexé VOITR d'), fdleul de la répu-
blique de Venise, né dans cette résidence enlC52, fut d'abord
lieutenant général au bailliage d'Augoulème, fonctions modes-
tes dans lesquelles ses talents furent appréciés de ses supé-
rieurs, qui l'engagèrent à se rendre à Paris. Il n'y était pas
depuis longtemps lorsqu'il fut appelé à la heutenance de
police de la capitale, charge de création nouvelle, où il ne
tarda pas à donner des preuves d'activité, de pénétration et
de vigilance. Paris lui dut un ordre , une sécurité sans
exemple jusque alors. Moins persécuteur par caractère que
redoutable par son extérieur sévère et par le bruit générale-
ment répandu qu'aucun secret ne lui échappait, il savait
allier à la rigidité de ses devoirs une inépuisable indulgence
pour les fautes légères.
Le duc d'Orléans lui ayant eu, en diverses circonstances,
des obligations particuUères, Marc-René fut, après la mort
de Louis XIV, investi de toute la confiance du régent, et ap-
pelé lors de l'établissement des conseils en 1715 dans celui
de l'intérieur. 11 devint trois ans plus tard président du con-
seil des finances et garde des sceaux . Il siégea en cette qualité
au ht de justice des Tuileries, où furent aboUes en 1718 les
prérogatives des princes légitimés, et où l'éducation du jeune
roi fut enlevée au duc du Maine. Toutefois, ses démêlés
avec L a w, dont il désapprouvait le système, le déterminèrent
à se démettre de la présidence des finances le 5 janvier 1720.
Le 7 juin suivant il rapportait ies sceaux au régent, qui ne
lui en conservait pas moins toute sa confiance. 11 était de-
puis 1716 de r.\cadémie des Sciences et depuis 1718 de l'A-
cadémie Française. 11 mourut en 1721, et son éloge lut pro-
noncé par Fontenelle.
ARGENSON (René-Loi'is VOYER, marquis d'), fils aîné
du garde des sceaux, né en 1694, fut successivement magis-
trat au parlement, conseiller d'Etal en 1720, intendant du
Hainaut jusqu'en 1724. De retour de cette intendance, il
n'occupa longtemps d'autre fonction que celle de con-
seiller d'État. Sérieux, réfléchi, voué par goût à l'étude, il se
préparait, en rassemblant les matériaux de nombreux ou-
vrages, au mini.stère des affaires étrangères, auquel il fut
appelé le 28 novembre 1744 et qu'il n'occupa malheureuse-
ment que trois ans. Là il s'efforça de faire respecter la Fiance
au dehors et de lui assurer la paix au milieu de la conda-
gration générale de l'Europe. Dans ce but il avait entamé
avec la cour de Turin une négociation tendant à l'expulsion
des Autrichiens par-<lelà les Alpes et à la formation d'une
ligue italienne sur le modèle de la confédération germanique
Ce projet, que le sort des arnie;> fit avorter, déplut à la cour
de Madrid, qui rêvait déjà des plans gigantesques en faveur
de don Pliilippe, gendre de Louis \V, tels que le rélablis-
seraent du royaume de Lornbardie. D'Argenson, mal vu de
niCT. DE LA CONYERS. — T. I.
785
celle cour, près de laquelle Louis XV jugea à propos d'en-
voyer en iléputalion le maréciial de Noailles, se vit forcé
de donner sa démission le 10 janvier 1747, et reprit sans
regret ses occupations habituelles, s'entourant d'hommes de
lettres et de la plupart des philosophes du dernier siècle.
Voltaire disait qu'il eût été digne d'être secrétaire d'État
dans la république de Platon. Son an'ectation de bonhomie
et de trivialité, son maintien embarrassé à la cour, l'avaient
fait surnommer d'Argcnson la Bête. Son principal ou-
vrage, que Rousseau cite avec éloge dans son Contrat social,
a pour titre : Co7isidérations sur le gouvernement de la
France. Il devrait être intitulé plutôt : « Jusqu'où la dé-
mocratie est-elle possible dans une monarchie ? » Ses Loisirs
d'un Ministre d'État sont des Essais dans le goût de ceux
de Montaigne. Il avait été élevé, ainsi que son frère (dont
suit la notice), au collège Louis-le-Grand avec Voltaire, dont
il resta toujours l'ami. Membre de l'Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres, il fit insérer dans le recueil de cette société
lin Mémoire sur les historiens français, et coopéra à la
rédaction de VHistoire du Droit public ecclésiastique
français. Il mourut à Paris en 1757. On a encore imprimé
en 1857, les Mémoires et Journal inédit du marquis d'Ar-
genson, publiés et annotés par le marquis d'Argenson.
ARGEXSOX (Marc-Pierre VOYER, comte d' ) , frère
du précédent et second fils du garde des sceaux, naquit
en 1696, remplaça en 1720 son père comme lieutenant gé-
néral de police, devint ensuite Intendant de Touraine, con-
seiller d'État et intendant de Paris en 1740. En août 1742
il eut entrée au conseil des ministres, et succéda , quelques
mois après, à M. de Breteuil comme secrétaire d'État au
ministère delà guerre, quand le cardinal de Fleury, qui tenait
encore le timon des affaires, les eut laissées, par sa mort,
dans un état déplorable : nos armées, décimées par le fer et
les maladies , étaient en pleine retraite, les Autrichiens en-
vahissaient l'Alsace et la Lorraine. Grâce au nouveau mi-
nistre , la chance tourna bientôt, et Louis XV, accompagné
des deux frères d'Argenson , se montra en personne à la
journée de Fontenoy.
La paix ne le laissa point inactif; il fit réparer les places
fortes, fonda l'École Militaire, et accepta de D'.\lembert et de
Diderot la dédicace Aq\' Encyclopédie, entreprise sous son
ministère. Condisciple de Voltaire, comme son frère, il lui
fourait des matériaux pour écrire son Siècle de Louis XV.
Il était membre de l'Académie Française et de celle des Ins-
criptions. Le l"^"" février 1757, il fut enveloppé dans la dis-
grâce du garde des sceaux Macliault par haine de la Pom-
padour, dirent les uns ; pour s'être trop pressé, selon les
autres, d'aller prendre les ordres du dauphin, lorsque
Louis XV, blessé par Damiens, le lui enjoignit. Exilé dans
sa terre des Ormes, il y passa les six dernières années de
sa vie, assiégé par l'ennui et les infirmités, et n'obtint qu'après
la mort de son ennemie l'autorisation de rentrer à Paris, où
il mourut en 1764, à soixante-huit ans, ne laissant qu'un fils,
le marquis Voyer d'Argenson.
ARGEXSON (Antoi.ne-Re.né VOY'ER d'), marquis DE
PAULMY, lils de René-Louis, iniiiistredesafTaires étrangères,
naquit en 1722, fut conseiller au parlement dès l'âge de
\ingt ans, puis commissaire général des guerres, jouit d'une
grande influence sous les ministères de son oncle et de son
père, devint ambassadeur en Suisse, resta cmqans secrétaire
général du ministère de ia guerre, obtint ce portefeuille en
1757, le perdit au bout d'un an, et rem|)lit deuxatitres am-
bas.sades en Pologne et à Venise; mais, ayant sollicité en
vain celle de Rome, il quitta la politique et ne s'occupa plus
que d'études littéraires. Membre de l'Académie Française et
membre honoraire de celles des Sciences et des Inscriptions,
il s'était formé une des plus belles bibliothèques que jamais
particulieraitpossedee.il la vendit en 1781 au comte d'Artois,
s'en réservant la jouissance durant sa vie. C'est la biblio-
thèque actuelle de l'Arsenal; et on peut lire en tète et en marge
786
ARGENSON — ARGENT
de presque tous les volumes «le celle h i b 1 i o t h è q u e des
noies manuscrites du marquis de Paulmy.
Litlérateur infatigaljie , il conçut le plan de la Bibliothè-
que universelle des Romans, dont quarante volumes pa-
rurent sous ses auspices, et dans laquelle il inséra plusieurs
de ses compositions , réimprimées , depuis , sous le titre de
Choix de petits Romans de différentsgenr es, \>An\n\(i?>(\\.K\s,
on remarque le Juif errant et les Exilés de la cour d'Au-
guste. Seul il entreprit encore une publication plus volu-
mineuse, celles des Mélanges tirés d'une grande biblio-
thèque, en soixante-cinq volumes. Il mourut en 1787 à l'Ar-
senal, dont il avait le gouvernement, laissant une fille unique,
duchesse de Luxembourg.
ARGEiNSON ( Marc-Uené, marquis VOYER n' ) , fils du
comte, naquit en 1722 et se distingua personnellement à la
journée de Fontenoy. Déjà directeur général des haras et
gouverneur du château de Vincennes , il fut créé maréclial
de camp en 1752. Commandant miUtaire en Saintonge,
Poitou et Aunis, il présida plus tard à l'assainissement des
malais de Rochefort et aux fortifications de l'île d'Aix. C'est
dans l'accomplissement de ces devoirs qu'il puisa le germe
d'une maladie qui le conduisit au tombeau en 1787, à l'âge
de soixante ans. De son mariage avec la fille du maréchal
de MaiUy, il eut un fils , dont suit la notice.
ARGE^'SON (Mauc-Réné YOYER, marquis d'), né à
Paris en 1771 , ayant perdu son père fort jeune, dut sa
première éducation aux soins de son oncle , le marquis de
Pauhny. Il étudiait à Strasbourg à l'époque du départ de
Louis XYI pour Yarennes. Aussitôt après il prit du ser-
vice dans les armées nationales , en qualité d'aide de camp
de M. de \Yitgenstein , d'abord , puis du général Lafayette.
Quand ce dernier quitta la Trance , d'Argenson se retira
dans ses biens du Poitou , et y passa les plus orageuses an-
nées de la révolution. Ce fut alors qu'il épousa la veuve du
prince-vicomte de Broglie , mère de l'ancien pair de France
de ce nom, et se livra tout entier à l'éducation de ses enfants
et à l'agriculture.
11 était dans ce pays l'ami des pauvres et le modèle des
agriculteurs. H s'occupait aussi de l'exploitation d'usines qu'il
possédait dans la Haute-Alsace. En 1803 il était président
du collège électoral du département de la Yienne, qui n'en-
voya pas de députés pour complimenter Napoléon. En 1804
il fut réélu , et cette fois fit partie de la députation en-
voyée à l'empereur. Cette circonstance lui valut la préfec-
ture du département dos Deux-Ncthcs , où il se monlra tou-
jours le défenseur des libertés publiques. 11 se trouvait à
Anvers, son chef-lieu, lors du débarquement des Anglais à
Walcheren, et contribua activement aux mesures qui fu-
rent prises pour les repousser. Anvers était devenue une des
places les plus importantes de l'empire français, par les tra-
vaux immenses qui y avaient été exécutés par le génie et la
marine. Le refus que fit d'Argenson de mettre le séquestre
sur les biens du maire de la ville et de ses coaccusés, acquittes
par le jury, détermina sa démission , qu'il donna en 1813.
Aussitôt après la première restauration, il fut désigné par
Louis XYIII pour la préfecture des Bouches-du-Rliône;
mais il déclara qu'il n'accepterait de fonctions du gouver-
nement que sous une constitution libre et après l'évacua-
tion du territoire. Membre de la chambre des représentants
durant les Cent-Jours , il fit partie avec Lafayette et Ben-
jamin Constant de la députation de Haguenau, qui alla
signifier aux puissances étrangères l'exclusion de la maison
de Bourbon du trône de France. En juillet 1815 il signa
encore la protestation (ïc ses collègues contre la clôture de
l'Assemblée par les baïonnettes de la coalition.
Élu à la chambre des députes , après la seconde restau-
ration, par le collège de Belfort , il dénonça à la tribune
les massacres des protestants dans le midi, et obtint l'hon-
neur d'un rappel à l'ordre. Plus tard , dans le collège de la
Yienne, il ne prêta serment que sous la réserve expresse
de Y imprescriptible souveraineté du peuple. Réélu à
Celfort, à Pont-Audemer, à Châtellerault , il se montra
inaccessible à toutes les séductions comme à toutes les
craintes , ne négligeant aucune occasion de s'élever contre
les actes arbitraires du pouvoir et d'appuyer toutes les me-
sures ayant pour but l'amélioration du sort des classes ou-
vrières.
Après avoir donné sa démission sous le ministère Marti-
gnac, il fut réélu à Strasbourg en 1830, et prêta serment
le 3 novembre en ces termes : « Je jure, sauf les progrès
de la raison publique : » ce qui donna lieu à de vives in-
terpellations auxquelles il répondit avec son impassibilité
ordinaire. En mai 1832 il signa le compte-rendu des dé-
putés de l'opposition, et en octobre 1833 le manifeste publié
par la société des Droits de l'Homme. Jusqu'en 1834 il fit
partie de presque toutes les assemblées législatives , figu-
rant sans cesse dans les rangs des défenseurs des opinions
les plus hardies et les plus radicales. En 1834 il faillit être
imphqué dans le procès d'avril ; il figura parmi les défen-
seurs des accusés. Découragé enfin du peu de succès de ses
efforts , il se retira dans sa magnifique propriété des Ormes,
s'occupant de perfectionnements agricoles et de la solution
des plus grands problèmes politiques , chéri de tous et ne
comptant ses jours que par ses bienfaits. Inébranlable dans
ses convictions républicaines après comme avant 1830 , non-
seulement son immense fortune fut constamment au service
des patriotes persécutés , mais encore , pour accourir à leur
secours, on le vit toujours faire bon marché de son bien-être
et de sa sûreté personnelle. Jamais la voix d'un démocrate ne
Timplora vainement. Ce respectable vieillard est mort à Paris,
le 2 août 1842, à l'âge de soixante-onze ans, sans avoir eu la
consolation de voir, avant de s'endormir du dernier som-
meil , cette république , qu'il avait toute sa vie appelée de
ses vœux, et dont le retour n'avait pas cessé un instant de
lui paraître infaillible.
ARGEi\^T (d'àpYoç, blanc). L'argent à l'état de pureté
.'v,t un métal blanc, inodore, insipide, sonore, susceptible
d'un beau poli, très-malléable, très-ductile, très-tenace;
il peut se battre en feuilles d'un millième de millimètre d'é-
paisseur et être étiré en fils tellement ténus, qu'on pour-
rait en fabriqrer un assez long pour embrasser le contour
de la terre sans employer plus de seize kilogrammes de
matière. L'argent est solide : un fil homogène de deux
millimètres de diamètre peut supporter sans se rompre un
poids de quatre-vingt-quatre kilogrammes. Sa densité est de
10.47 lorsqu'il a été fondu, et de 10.54 lorsqu'il a été écroui
sous le marteau. Sa dureté est représentée par 2.5 à l'échelle
de Mohs. Il entre en fusion un peu au-dessus de la chaleur
rouge-cerise , à environ 20° du pyTomètre de Wegdwood ;
sa volatilisation n'a lieu que sous l'influence d'une tempé-
rature très-élevée , telle que celle que l'on peut produire à
l'aide d'une forte batterie électrique ou du chalumeau à
gaz oxygène. Les vapeurs qui se produisent alors brûlent
avec une flamme verdàtre.
Les agents atmosphériques n'altèrent jamais l'argent.
Fondu et tout à fait pur, il absorbe en oxygène jusqu'à
vingt-deux fois son vohmie ; mais il le dégage en se solidi-
fiant ; il en résulte un phénomène désigné habituellement
sous le nom de rochage. L'argent n'est attaqué que par
un petit nombre d'acides ; il est rapidement converti en
chlorure insoluble par l'eau régale, et dissous par l'acide
azotique avec dégagement de bioxyde d'azote. Il se com-
bine directement avec presque tous les corps simples, mais
il a plus d'aflinité pour le soufre et le chlore, qu'il enlève
aux composés chlorurés et sulfurés sur lesquels il agit. C'est
ainsi (jue notre argenterie noircit au contact de l'hydrogène
sulfiM'é, ou de toutes les substances qui, comme les œufs,
contiennent du soufie. En général , l'argent se ternit en
présence des vapeurs sulfureuses, en se recouvrant d'une
légère couche de sulfure > qu'on enlève aisément en sou-
ARGENT
mettant le métal altéré à l'action du manganatc de potasse.
Dans les laboratoires on prépare avec l'argent : 1° des
composés binaires avec des métalloïdes ( oxydes , protosul-
fure, chlorure, iodure d'argent ); 2° des alliages; 3" des
sels (azotate d'argent, etc.).
Le protoxyde d'argent, noir quand il est hydraté, se
présente avec une couleur brune olivAtre s'il est privé d'eau.
Il est insipide , soluble , et passe à l'état de carbonate en ab-
sorbant l'acide carbonique de l'atmosphère. Il noircit à la
lumière, et se réduit complètement par la chaleur. On le
prépare en traitant une dissolution d'azotate d'argent par
la potasse ou la soude , et en lavant à grande eau le préci-
pité, qu'on fait ensuite sécher doucement dans une capsule. —
Pour obtenir le peroxyde d'argent , on décompose par la
pile Yoltaïque une dissolution d'azotate d'argent très-étendue
d'eau ; l'oxyde se dépose sur le conducteur positif en lon-
gues aiguilles douées de l'éclat métalUque. Dans cet état
L! contient une quantité d'oxygène plus grande que lorsqu'il
est chassé par un alcali ; mais il en abandonne une partie
avec la plus grande facilité ; et quand on le dissout dans
les acides sulfuriquc et phosphorique , le dégagement d'oxy-
gène s'effectue presque au moment du contact.
Parmi les alliages , le premier qui se présente à nous
est celui de cuivre et d'argent. Dans la fabrication des
monnaies et des ouvrages d'orté^Terie et de bijouterie ,
on combine toujours l'argent avec une certaine quantité
de cuivre qui lui donne une plus grande dureté. Pour ren-
dre à ces objets l'éclat naturel de l'argent , on chauffe au
rouge la pièce qu'on veut blanchir; on détermine par là
l'oxydation du cuivre dans les couches superficielles de
l'alliage , tandis que l'argent ne subit aucune modification ;
plongeant ensuite la pièce encore chaude dans une solution
très-faible d'acide sulfurique , on dissout l'oxyde de cuivre
formé sans attaquer l'argent, qui reste ainsi pur de tout
alliage à la surface de la pièce. La richesse argentifère d'un
objet dépend du titre de l'alliage , qu'on détermine par
l'essai. — Alliage de plomb et d'argent. Sept parties
de plomb et une partie d'argent donnent un alliage blanc-
grisâtre, moins ductile que chacun des métaux constituants
et un peu moins fusible que le plomb. Cet alliage étant
chauffé au rouge à l'air libre , le plomb s'oxyde , passe à
l'état de litharge , et laisse l'argent pur. Le plomb offre un
moyen très-simple de purifier l'argent , parce qu'il s'em-
pare des autres métaux. Ainsi , en faisant fondre avec du
plomb un alliage d'argent et de cuivre, de manière à trans-
former le plomb en oxyde, celui-ci s'unit avec le cuivre,
tandis que l'argent s'isole. — L'affinité du mercure pour
l'argent est telle , qu'une bague de ce dernier métal , tou-
chée <seulement avec un globule de mercure, se brise bien-
tôt. Cette affinité favorise singulièrement la formation des
amalgames. Si on unit huit parties de mercure et une
d'argent, on obtient un coi-ps mou, blanc, très-fusible,
cristallisable et inaltérable à l'air. On le prépare de diffé-
rentes manières, entre autres par la voie de double décom-
position , qui donne lieu à une espèce de végétation métal-
lique que les anciens chimistes nommaient arbre de Diane.
Voyez Arbres métalliques.
Des sels d'argent, nous ne citerons que Vazotate ou
nitrate d'argent, qui cristallise en lamelles brillantes
hexaédriques ; il est très-corrosif et cautérise la peau ;
fondu, on lui donne le nom de pierre infernale.
Dans la nature, l'argent se trouve à l'état natif, et com-
biné avec l'antimoine, l'arsenic, le tellure, le mercure, le
plomb, l'or, le soufre, le sélénium, le clilore, l'iode, et aussi
à l'état de carbonate. Les minéralogistes en distinguent
six espèces principales, savoir : argent natif, argent an-
timonial, argent sulfuré, argent antimonié sulfuré, ar-
gent carbonate, qrgent muriaté.
V argent natif \?>\.\.ou\o\ws allié avec un peu de fer,
d'arsenic ou d'or; on le rencontre rarement en masses
787
considérables, mais souvent disséminé par petites parties
dans les filons de sulfure d'argent ou de sulfure de plomb
argentifère; ses gangues pierreuses sont ordinairement le
calcaire, le quartz et la barytine. — L'argent antimonial
ou antimonié, encore appelé discrase, plus cassant que
l'arçent natif, présente une contexture lamelleuse et cris-
tallise en prismes réguliers à six faces et en prismes striés
qui approchent de la forme cylindrique. 11 se mélange prin-
cipalement avec de l'arséniure d'argent, et constitue alors
Vargent antimonial arsénifère, ou, lorsque l'arsenic pré-
domine, Yargcnt arsenical, qui a ordinairement une struc-
ture grenue et ne se trouve guère que dans les mines de
Guadalcanal, en Espagne, et d'Andreasberg, au Ilarz. —
Vargent sulfuré (ou argyrose, argent vitreux), isomorphe
avec la galène, qui lui est souvent mélangée, est de toutes
les combinaisons de l'argent la plus abondante dans les
montagnes du Mexique. Ses formes ordinaires sont le cube,
l'octaèdre, le dodécaèdre et le trapézoèdre. Il passe quel-
quefois à l'état terreux; c'est a\ovsV argent noir terreux. —
Vargent antimonié sulfuré ou argyrythrose (de (Jpyupoi;,
argent, et ÈpyOpo;, rouge ) se trouve tantôt en rhomboïdes,
tantôt en prismes à six pans. Ce minerai, vulgairement
appelé argent rouge, est très-cassant et quelquefois trans-
parent. — Vargent carbonate n'est encore connu que par
quelques échantillons déposés dans les collections minéralo-
giques. — Vargent muriaté offre de petites masses demi-
transparentes, perlées et flexibles comme de la corne , ce
qui lui a valu le nom S' argent corné.
Les galènes argentifères, formées par la réunion des
sulfures de plomb et d'argent, sont regardées comme très-
riches quand elles contiennent en argent un millième de
leur poids. L'argent accompagne encore des pyrites arseni-
cales, le cuivre pyriteux, la blende, le sulfure d'antimoine,
le mispikel, etc.
Les procédés suivis pour extraire l'argent de ses minerais
ont pour but de l'amener à l'état d'alliage avec le plomb ou
à l'état d'amalgame avec le mercure. Dans le premier
cas on opère far fusion, dans le second par rtîMa/g» a-
mation. Si l'argent est natif et simplement mêlé avec de
la gangue, Yimbibition suffit ; s'il est uni à d'autres métaux,
on suit le procédé propre à l'extraction de ces métaux, et
l'on sépare ensuite l'argent du cuivre par la liquation,
du plomb par la coupellation. Mais l'imbibition et
la liquation donnant l'argent à l'état d'alliage avec le plomb,
c'est encore en définitive par la coupellation que l'on ob-
tient l'argent dans ces deux cas. Quant à l'amalgamation,
c'est un procédé à l'aide duquel on réduit l'argent, en
môme temps qu'on le sépare des autres métaux en l'u-
nissant au mercure.
Imbibition. Pour séparer l'argent libre des matières avec
lesquelles il se trouve mélangé, on divise les minerais et on
les soumet au lavage. Le résidu , une fois desséché, est
chauffé et brassé avec du plomb en fusion. L'argent s'allie
facilement à ce métal, et se trouve ainsi séparé des matières
qui l'accompagnaient. Il n'y a plus qu'à soumettre le plomb
à la coupellation pour en retirer l'argent. C'est le procédé
que l'on suit à Kongsberg.
Liquation. Le cuivre argentifère ayant été amené à l'état
de cuivre noir, on le fond avec deux à trois fois son poids
de plomb, et on le moule en masses discoïdes. L'argent
s'allie parfaitement avec le plomb, tandis que le c\\\\t& ne
forme qu'une sorte de mélange mécanique. On chauffe ce
double alliage dans des fours à réverbère dont la tempéra-
turc n'est pas assez élevée pour fondre le cui^Te, et assez
cependant pour fondre l'alliage de plomb et d'argent; cet
alliage se sépare du cuivre et s'i'coulc sous forme d'une rosée
qui suinte de toutes parts. L'argent étant ainsi séparé du
cuivre et uni au plomb, il ne leste plus qu'à l'en séparer
par la coupellation.
Coupellation. Les galènes argentifères sont traitées
oa.
788 ARGENT
exactement comme s'il ne s'agissait que d'en extraire le
plomb. L'argent subit les mômes modifications et se trouve
réuni définitivement à ce nicîal. Le plomb argentifère,
qu'il soit obtenu par ce procédé ou par tout autre , porte
indifTéreminent le nom de plomb cPœuvre. On fait fondre
cet alliage, qu'on soumet en môme temps à l'action d'un vif
courant d'air produit par des soufflets dont l'action déter-
mine l'oxydation du plomb. Un ouvrier aide à cette opéra-
tion en enlevant l'oxyde du bain ; car une couche d'oxyde
arrêterait le travail. Quand l'argent a ainsi perdu la plus
grande quantité du plomb qu'il contenait, on le soumet à
une nouvelle coupellation, afin de le débarrasser d'une plus
grande quantité de métaux étrangers. Le moment où l'opé-
ration doit s'arrêter est indiqué par la cessation d'un singu-
lier phénomène qui se produit vers sa lin, et qui est connu
sous les noms à'irïs et à'cclair : on voit des espèces de
nuages qui parcourent le bain métallique dans tous les sens,
puis tout à coup ces nuages disparaissent, et le bain devient
très-brillant. L'argent peut alors être livré au commerce.
Amalgamation. Le procédé d'amalgamation est suivi
dans l'Amérique du Nord et on Allemagne : il consiste tou-
jours à séparer l'argent en l'alliant au mercure, mais les
moyens d'y parvenir sont fort différents. — Dans la mé-
thode américaine, les minerais sont d'abord concassés en
fragments de deux à trois centimètres cubes de grosseur.
On les pulvérise dans des bocards de six à huit pilons pe-
sant chacun cent kilogrammes , soulevés par des cames pla-
cées sur un arbre horizontal mis en mouvement par une
roue hydraulique. La poudre ainsi obtenue est ensuite
rendue impalpable dans des moulins où on lui ajoute un
peu d'eau. Ces moulins sont mus par des mulets qui font
tourner un arbre vertical armé de quatre bras sur chacun
desquels est montée une meule en granit. Les boues qui s'é-
chappent des moulins sont recueillies dans des fosses de
un à deux mètres de profondeur, et transportées au patio
(aire d'amalgamation, pavée et entourée de murs), quand
elles ont pris de la consistance au soleil. On en forme des
tas de douze cents quintaux environ , avec 2 ou 3 pour 100
de sel marin. On incorpore ensuite dans ce mélange du ma-
gistral (composé de sulfates de cuivre et de fer), en faisant
piétiner la masse pendant cinq à six heures par des mulets.
On introduit le mercure par petites portions , en le tamisant
sur le tas au travers d'une chausse en laine ; on fait de nou-
veau piétiner et retourner avec des pelles de bois jusqu'à
amalgamation complète , puis on soumet les terres amalga-
mées au lavage et à la décantation. On obtient alors l'a-
malgame à i'état liquide et contenant le mercure en excès.
En le pressant fortement dans des sacs de toile, le mercure
s'écoule en partie et laisse un résidu solide dans lequel
presque tout l'argent est concentré ; on isole enfin ce métal
par la distillation. Cette méthode d'amalgamation, due à un
Espagnol, Bartholoméde Médina, venu au Mexique en 1550,
s'est conservée jusqu'à présent en Amérique sans aucune
amélioration. Voici comment M. Boussingault explique les
phénomènes chimiques qui se passent dans les opérations
que nous venons de décrire : « En ajoutant du magistral au
minerai contenant du sel marin , il se fonne du bichlorure
de cuivre. Le mercure d'un côté, le sulfure d'argent et l'ar-
gent natif de l'autre, font passer le bichlorure à l'état de
chlorure; le chlorure de cuivre se dissout, aussitôt qu'il est
formé , dans l'eau saturée de sel marin dont le minerai est
imbibé , il pénètre ainsi dans toute la masse, et réagit sur le
sulfure d'argent en le transformant en chlorure d'argent. Le
chlorure d'argent une fois formé se dissout à la faveur du
sel marin , et l'argent ne tarde pas à être revivifié par le
mercure. » De toutes les méthodes d'amalgamation em-
ployées en lùuope, la méthode de Huelgoét (Finistère) est
celle qui ofl'ic le plus d'analogie avec les méthodes améri-
caines. — Mclliode allemande. Depuis la fin du siècle iler-
ûier les minerais d'argent sulfuré sont traités en Europe, et
surtout en Saxe , par amalgamation , avec cet incontestable
avantage sur la méthode américaine , que la perte du mer-
cure ne s'élève pas au delà de 0,25 de mercure pour 1 d'ar-
gent. Les minerais soumis à l'amalgamation sont préparés
de manière à contenir avec d'autres substances environ
0,002 d'argent et 0,34 de sulfate de fer. Après les avoir bo-
cardés à sec et réduits en poudre aussi fine que possible, on
les mélange avec un dixième de leur poids de sel marin ;
ce mélange, grillé dans un four à réverbère, est ensuite ré-
duit en poudre impalpable à l'aide de moulins et de tamis.
La matière ainsi préparée est soumise pendant quelque
temps à un mouvement de rotation dans des tonnes conte-
nant une petite quantité de fer et d'eau ; puis on introduit le
mercure dans ces tonnes , et on procède à l'amalgamation
en leur imprimant une nouvelle rotation. L'opération se ter-
mine comme dans le procédé américain.
AL Becquerel a inventé pour l'extraction de l'argent une
méthode fondée sur les réactions électro-chimiques ; mais le
mode d'exécution a été tenu secret par l'auteur. Du reste, le
procédé a été appliqué en grand , et ne parait pas présenter
d'avantages sous le rapport économique et industriel.
L'argent peut être amené à un assez grand état de pureté
par la coupellation; mais cette opération ne le sépare
ni de l'or ni du platine. Pour en retirer ces deux métaux
il faut le faire passer à l'état de chlorure. Cependant , lors-
qu'on ne tient pas à l'avoir très-pur, on peut l'isoler faci-
lement en le précipitant de sa dissolution sulfurique par le
cuivre. Cette opération porte le nom de départ. Comme
il reste un peu de cuivie dans l'argent obtenu , on sépare
celui-ci par des poussées avec le salpêtre, c'est-à-dire qu'on
le fait fondre dans des creusets , et qu'on y projette par pe-
tites quantités du nitrate de potasse, qui oxyde le cuivre
sans agir sur l'argent. Cette dernière méthode d'affinage
est employée depuis longtemps ; mais ce n'est que de nos
jours qu'on a commencé à séparer l'or de l'argent. L'argent
monnayé provenant des anciennes possessions espagnoles
renferme beaucoup d'or ; on en a traité à Paris des quanti-
tés immenses , et les procédés se sont tellement perfectionnés
que l'on trouve actuellement un avantage à affiner de l'ar-
gent contenant un demi-millième d'or.
Les plus riches mines d'argent qu'il y ait au monde sont
celles des deux Amériques : les plus célèbres se trouvent
dans les districts de Guanaxato , Catorce et Zacatécas , au
Mexique ; dans le bassin de Yauricocha ou de Pasco , au
Pérou , et surtout dans la montagne de Potosi, république
de Bolivie. Pour l'Asie, on manque de renseignements,
mais on a lieu de croire que les gisements les plus impor-
tants sont ceux de la Sibérie. En Europe les gisements
argentifères sont nombreux, mais généralement peu riches :
les meilleures mines sont celles du Hartz , du district de
Fniberg (Saxe), de la Silésie , de la Thuringe , des pro-
vinces rhénanes de la Prusse, du district de Scheranitz
(Haute-Hongrie), du Siebenbmg (Transylvanie), de Joa-
chimstliall et de Pzihram ( Bohême), et celles de Kongsberg
(Norvège); en France les seules exploitations en activité
sont dans les départements du Puy-de-Dôme , de la Lozère
et du Finistère , car ii faut compter pour rien les produits
insignifiants de Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin) : ce
gisement est aujourd'hui presque abandonné.
Il est assez difficile d'établir exactement la production
annuelle de tous les pays où des mines d'argent sont ex-
ploitées. Cependant nous trouvons de précieux documents
dans la Géologie appliquée à la rcchcrc/ieet à l'exploi-
tation des minéraux utiles, publiée en isiiparM. Burat.
Plus tard un nouveau travail de MM. Ch. d'Orbigny et
A. Génie, la Géologie appliquée aux arts et àVagricul-
tare, rectifia les chiffres de M. Burat d'après l'excellente
statistique de M. Redon. Pour ies laciuies nous ne pouvons
que reproduire les approximations établies par M. de
Humboldt au commencement de ce siècle , et le résultat de
ARGENT — ARGENT DE CHAT
recherches phis récentes donné par M. Dchelte dans le
Dictionnaire des Arts et .'tfanit/act lires. Quant h la
France, nous avons les chilTres officiels des Comptes ren-
dus des travaux des ingénieurs des mines. En partant
de ces données , nous trouvons former le tableau suivant :
789
/ Espagne 39,200
Coorédération germaniqae. . . 25,725
Autriche 20,825
Suède et Norvège 9,800
Iles Britanniques 6,370
Prusse 4,900
France (13521 6,230
Piémont , Suisse , Savoie. .. . 613
États Sardes 294
Belgiqoe et Pays-Bas 172
( Suivant M. Reden.)
(Burat. )
( Burat.)
(Reden.)
(Reden. )
(Burat.)
(Comptes rendus, etc.)
(Burat.)
( Reden.)
(Burat.)
Total 114,195
M I Russie 23,050 ( Reden. )
^ I Tbibet, Archipel indien, etc. 7
AFRIQUE ?
Mexique 536,020 (Burat.)
Pérou. 147,000 (Burat.)
Buénos-Ayres ( Rèp. de).... 128,625 (Burat.)
j Californie 70,000 ( Debette. )
(çhili 61,250 (Burat.)
États-Unis ( saaf la Califor-
nie) . 31,850 (Burat.)
Bolivie 20,000 ( De Hnmboldt. )
Colombie 295 (Burat.)
Total 995,040
I Europe. . . .
Récapitulation | Asie
t Amériques.
114,185 kil.
22, ISO
995,040
519,750 fr.
255,135
218,600
360,627
Total delà production moyenne connue : 1,131,275 kilogr.
En France, pendant l'année 1852, la production a été
répartie de la manière suivante :
Boacbes-da-Rbône 2,475 kil
Finistère 1,165
Lozère 1 ,007
Puy-de-Dôme 1,639
Total 6,286 1,354,012
En suivant la marche de l'exploitation des minerais ar-
gentifères en France depuis 1816 jusqu'en 1846, on trouve
que pendant ces trente années la production moyenne a
été de 1676 kilogrammes par an. On n'observe du reste
aucune loi constante d'accroissement ou de décroissement.
La France avail produit 500 kilogrammes d'argent en 1816,
5,34'2en 1841,3,167 en 1847, 3,344 en 1848,7,099 en 1851.
Connu de toute antiquité, l'argent fut choisi comme l'un
des signes représentatifs des richesses, à cause de son
inaltérabilité et de la facilité avec laquelle on peut lui
donner toutes les formes. Son emploi universel a rendu son
nom presque synonyme de monnaie.
En thérapeutique les préparations argentifères sont
principalement usitées dans le traitement de la syphilis.
A cet égard le nitrate d'argent occupe le premier rang ;
à l'état liquide, on l'emploie en lotions, injections, col-
lyres, etc.; dans les ophthalmies on fait un usage des plus
heureux de l'azotate d'argent solide et liquide. Quant à son
emploi comme caustique, sous le nom de pierre infer-
nale, il est d'un usage presque banal. Son administration
interne doit être sévèrement proscrite; car, bien que l'ar-
gent ne soit pas toxique par lui-môme, le sel dont nous
nous occupons possède des propriétés corrosives très-éner-
giques. — L'argent divisé, le chlorure d'argent et d'am-
moniaque , et le cyanure d'argent ont aussi réussi dans les
maladies syphilitiques; mais ce sont les chlorures qui ont
le plus promptement donné des résultats manifestes.
Le chlorure d'argent a aussi été utilisé dans la photo-
graphie. Sa propriété de noircir par l'action de la lumière
a été mise à profit pour la préparation d'un papier propre
à recevoir, comme les planches d.iguerriennes, les images
formées dans la chambre noire. Laissons de côté des usages
moins importants , tels que celui de l'azotate d'argent pour
la marque du linge et pour la fabrication de certains
fulminates.
En raison de son inaltérabilité, l'argent est tellement
préférable dans une foule de cas aux métaux moins pré.
cienx, que l'on a imaginé de donner aux ustensiles fabri-
qués avec des métaux communs les avantages de l'argent
en lt<; recouvrant d'une couche mince de ce métal. Cette
opération constitue aujourd'hui deux arls importants, ^a^
genture et le plaqué.
Enfin , l'argent est éminemment propre à C-tre employé
comme monnaie , à cause de l'invariabilité presque com-
plète de sa valeur. Cependant ce fait cesse d'être vrai pour
des époques très-éloignées. Ainsi la valeur de l'argent pa-
raît avoir subi une augmentation progressive depuis les
derniers siècles qui ont précédé l'ère actuelle jusqu'à la fin
du quinzième siècle , tandis qu'à partir de cette époque
cette valeur a éprouvé une diminution très-rapide, qui pa-
raît se faire encore sentir de nos jours. J.-B. Say, considé-
rant que les moyens de production du blé n'ont pas nota-
blement changé depuis un temps très-considérable, a choisi
cette substance comme une marchandise qui , ayant con-
servé sensiblement la môme valeur à toutes les époques ,
peut servir de terme de comparaison. Il a trouvé que le
nombre de grammes d'argent qu'il a fallu donner à diverses
époques pour acheter un hectolitre de blé a varié suivant
la loi indiquée dans le tableau suivant :
Indication
des
époques,
Athènes et Rome. . 200 av. J.-C.
France 800 ap. J.-C.
Id 1450
Id 1514
Id 1536
Id 1610
Id 1R40
Id 1789
Id 1820
Nombre de gr.
d'arg. nécessaire
pour acheter
I hect. de blé
{pri» moyen ).
15,19
13,01
11,63
17,69
38,83
60,02
67,99
71,28
85,52
tlne pièce de ifr,
(4gr.,5d'arg.)
aurait valu
en fr. de 1820.
5,63
6,57
7,35
4,84
2,20
1,42
1,25
1,19
1,00
Le renchérissement du prix de l'argent jusqu'à la fin du
quinzième siècle s'explique par l'abandon après la chute de
l'empire , et pendant le moyen âge, des mines de l'Espagne
et de l'Attique qui fournissaient ce métal aux Grecs et aux
Romains. On ne peut d'ailleurs conserver aucun doute sur
la cause qui a fait baisser la valeur de l'argent depuis le com-
mencement du quinzième siècle , puisque l'époque de cette
révolution coïncide avec la découverte de l'Amérique , qui
eut lieu en 1492. Voyez Numéraire.
« Ce privilège naturel de l'argent de servir presque exclu-
sivement d'intermédiaire aux échanges, a dit M. Blanqui
aîné, de pouvoir être prêté à intérêt, de favoriser l'accumu-
lation , de résister à l'action de l'air et au frottement, de se
diviser au gré des besoins de l'homme, explique l'espèce de
culte dont les métaux précieux ont été l'objet de tout temps
et presque en tout pays. Chez plusieurs peuples ce culte a
dégénéré en un vrai fanatisme, et la peine de mort a été
prononcée contre les exportateurs de l'argent, ce qui n'a Ja-
mais empêché l'argent de sortir et de circuler. C'est que
l'argent, si utile pour favoriser la production , ne fait que
l'entraver s'il ne circule pas, et finit par s'avilir par son abon-
dance même quand il s'entasse improduclivement aux mê-
mes lieux. La nécessité de l'échanger contre des produits
force ses possesseurs à s'en débarra.sser, parce qu'il leur sert
à satisfaire d'autant plus de besoins qu'il est plus rare dans
les pays qui produisent les objets destinés à répondre à ces
besoins, et plus abondant aux lieux où on les éprouve.
Ainsi tombent tous les sophismes sur lesquels on a étayé le
fameux système de la balance du commerce, c'est-à-dire
de l'accaparement indéfini de l'argent : chimère qui a causé
tant de guerres et engendré tant de méfaits commerciaux. »
ARGENT VIF. Voyez Mercure.
ARGENT DE CHAT, nom vulgaire du mica.
790 ARGENTAL —
ARGE^'TAL (Cuarles-Augustin FÉRIOL, comte d'), [
né à Paris, en 1700, et mort en 1788, a laissé la trace de son
nom dans l'histoire littéraire du dix-liuitième siècle, pai suite
de ses rapports d'amitié avec Voltaire dont il fut pendant
longtemps le correspondant et le confident. D'abord conseil-
ler au parlement de Paris, il accepta plus tard les fonctions
d'envoyé du duc de Parme près la cour de France, fonc-
tions qui lui faisaient plus de loisirs pour se livrer sans
contrainte à son goût pour la culture des lettres. 11 était
neveu de M"^' de Tencin ; et quelques personnes ont été
jusqu'à lui attribuer la paternité du Cotnte de Commingcs
et des Anecdotes de la Cour d'Edouard, qu'on trouve
dans les œuvres de sa tante. D'Argental nous est un frap-
pant exenri)le de la difficulté qu'il y a souvent pour le bio-
graphe à formuler un jugement précis au sujet d'un homme
qui n'a rien écrit ; car tandis que La Harpe nous représente
l'ami de Voltaire comme un homme de goût et d'esprit, bon
juge en matières littéraires, Marmontel en fait une manière
d'imbécile, qui ne savait avoir ni exprimer une opinion.
ARGENTAN. Voyez Maillechout.
ARGENTAN (Géographie). Voyez Orne.
ARGENTERIE. Voyez ORFÉvREniE.
ARGENTEUIL, chef-lieu de canton du département
de Seine-et-Oise, petite ville d'environ 5,000 âmes, située
sur les rives de la Seine, à 10 kilomètres de Paris, est le
centre d'un commerce de vins fort actif. Les vignobles qui
l'entourent donnent, en effet, des produits qui se consom-
ment surtout dans les petits cabarets de Paris.
D'anciens titres font remonter à 665 la fondation en ce
lieu d'un monastère de religieuses, dont Clotaire approuva
l'établissement, et qui fut placé sous la dépendance de i'ab-
bayede Saint-Denis. Charlemagne fit don à Théodrate, une
de ses filles, de ce couvent, qui était alors un lieu de refuge
pour les jeunes personnes de la famille royale et des plus
illustres maisons de France. 11 était habité au douzième siècle
par des bénédictines. C'est dans ce monastère que se retira
Héloïsc pour y pleurer l'événement funeste qui la privait
irrévocablement de son amant, le célèbre Abailard. Elle
devint même prieure de ce couvent; mais il paraît que la
tendre Héloise, sentant sans doute combien peu elle avait le
droit de prêcher aux autres la régularité des mœurs, laissa
s'introduire dans la discipline de cette maison un relâche-
ment tel, que l'abbé de Saint-Denis, le célèbre Suger, dut
convoquer un synode pour mettre un terme au scandale et
réformer l'abbaye. Voici le remède pour lequel on se décida :
les mondaines sœurs furent expulsées du couvent et dissémi-
nées dans d'autres maisons de l'ordre. Quanta Héloïse, elle
se retira au Paraclet avec quelques compagnes; et c'est de
cette nouvelle retraite qu'elle écrivit à l'infortuné Abailard
les lettres passionnées qui ont immortalisé le scandale de
leurs amours.
Les religieuses chassées de l'abbaye d'Argenteuil y furent
remplacées par des moines de l'ordre de Saint-Benoît. Ces
bons pères eurent bientôt rerais en odeur de sainteté une
maison admirablement située aux portes de Paris, propre
dès lors à servir en tout temps de pèlerinage aux pécheurs
et pécheresses, dont la grande ville a toujours abondé. Ils
s'étaient d'ailleurs précautionnés d'une miraculeuse relique,
bien faite pour exciter le respect des pèlerins : ce n'était rien
moins qu'une robe sans couture, ayant appartenu à Jésus-
Christ, donnée par Charlemagne, qui l'avait lui-même reçue
de l'impératrice Irène. On cite, entre autres personnages cé-
lèbres venus à Argenteuil faire leurs dévotions à la robe
sans couture, Henri 111 et Louis XIII , Marie de Médicis,
Anne d'Autriche et le cardinal de Richelieu.
Les curieux peuvent aller visiter à Argenteuil une église
assez remarquable par son architecture , et un hôpital
dont la fondation est attribuée à saint Vincent de Paul. Un
chemin de fer, embranché sur celui de Saint- Germain, relie
cette oetile ville à la capitale depuis le mois d'avril 1851.
ARGENTURE
ARGENTIER. Celte ancienne charge de la monarchie
consistait, suivant Laurière, à tenir compte des habits et
ornements que le roi faisait faire pour sa personne, pour sa
chambre ou garde- robe, ou pour dons et présents. On ap-
pelait encore argentiers les changeurs au moyen âge.
ARGENTIÈRE (L'). Deux villes de France portent
ce nom : la première, chef-lieu d'arrondissement dans le dé-
partement de l'Ardèche, et qui compte au-delà de 3,000 ha-
bitants, est située dans une vallée pittoresque ; il s'y fait un
commerce assez considérable de soies grèges et ouvrées, de
tirtis, et de filoselle; elle compte plusieurs belles fabriques
de .soie ouvrée. Ses environs sont riches en vignobles, oli-
viers , châtaigniers et arbres fruitiers ; on y élève des bestiaux
à laine et à cornes. L'Argentière doit son nom aux mines
de plomb argentifère qui y étaient exploitées dans le dou-
zième siècle.
La seconde , chef-lieu de canton du département des
Hautes-Alpes, a une population de 1,200 âmes. Ses mines
faisaient partie de l'établissement d'Ailemont, connu de temps
immémorial : exploitées sous les Romains, elles ont été tour
à tour reprises et abandonnées.
ARGENTINE. Ce poisson, qui n'atteint guère que huit
ou dix pouces dans son plus grand développement, présente
un corps un peu allongé, médiocrement comprimé, et pres-
que semblable à celui de la truite. Sa tête, un peu plus
longue proportionnellement, fait à peu près le quart de sa
longueur totale, la nageoire caudale y comprise. Son œil
est grand, placé au milieu de la longueur de la tête; son
museau médiocre, un peu déprimé horizontalement ; sa
bouche est petite, fendue en travers et horizontalement; les
deux mâchoires, presque égales, sont dépourvues de dents;
mais sa langue en est armée, et elles sont fortes, aiguës et
crochues comme dans les truites. Son crâne est transparent,
et laisse apercevoir le cerveau. L'argentine, qui abonde dans
la Méditerranée, et surtout dans l'Adriatique, y est l'objet de
pêches considérables, à cause de la matière argentée qui
colore ses parties brillantes; cette matière, dont elle tire son
nom, sert en Italie à orienter les fausses perles, comme nous
faisons en France avec l'ablette.
Quelques botanistes donnent le nom d'argentine au ce-
rastium iomentosum, ceraiste cotonneux (vulgairement
oreille de souris ), et à la potentille ansérine, dont les
feuilles semblent en effet argentées des deux côtés.
ARGEl>ïTlNE (République). Foyes Pcata (Répu-
blique du Rio de la ).
ARGENTON. Voyez Indre.
ARGENTON ( Marie-Loiise-Madeleine-Victoire LE
BEL de LA BOISSIÈRE de SERY, comtesse d'), l'une des
maîtresses du régent, naquit à Rouen, vers 1680, et mourut
à Paris, le 4 mars 1748. Elle eut du régent un fils, légitimé
en juillet 1706, et qui fut connu plus tard sous le nom de
chevalier d'Orléans. En 1710, autant par satiété et in-
constance qu'à la suite d'une intrigue de ruelle dans la-
quelle le duc de Saint-Simon et M"ie de Maintenon jouèrent
un rôle important, le prince renvoya sa maîtresse ; mais il
fit bien les choses. Il lui fit don de la terre d'Argenton , et
lui constitua une dot de deux millions de francs. Riche
et jeune encore, elle épousa en 1713 le chevalier d'Oppède,
qui la laissa veuve quatre ans plus tard.
ARGENTURE. Pour l'usage domestique et la déco-
ration des églises on employait autrefois une grande quan-
tité d'objets en bronze argenté; la dorure est maintenant
beaucoup plus généralement répandue ; on fabrique cepen-
dant encore une certaine quantité d'argentures. Quand les
pièces que l'on veut argenfer ont été recuites et poncées, on
fa'f à leur surface, pour toutes les parties planes et avec des
couteaux faits exprès, un grand nombre de hachures, d'où
vient le nom d'argenture hachée ; après les avoir fait rougir,
on y applique des feuilles d'argent que l'on presse avec un
outil nommé brunissoir T)n nombre de feuilles d'argent dé-
ARGENTURE — ARGOLIDE
pend la beauté de l'argenture obtenue, qui est d'autant
plus solide que la pièce a été hacliée avec plus de soin.
Pour des plaques de scliakos, des agrafes, des lames de
métal servant à !a construction dos instruments de phy-
sique, on fait usage d'un autre procédé, qui consiste à frotter
les pièces avec un brunissoir, ou à les faire tremper dans
une liqueur formée d'un mélange d'argent en poudre obtenu
ea précipitant ce métal par une lame de cuivre de sa disso-
lution dans l'acide nitrique ou de chlorure d'argent avec de
la crème de tartre et quelquefois de l'alun et diverses autres
substances. L'argent déposé à la surface de la pièce bien
propre, on la lave et on la sèche avec soin ; elle est terminée.
Cette argenture est moins solide que la première ; mais elle
présente cet avantage, que l'on peut réparer un objet sale ou
détérioré sans l'argenter en entier, ce qui n'est pas pos-
sible pour l'argenture hachée, pour laquelle il est indispen-
sable de désargenter la pièce en entier.
Pour l'argenture par les procédés Ruolz et Elkington,
voyez Dorure.
L'argenture au pouce n'est applicable qu'à de très-petits
objets. Ce procédé consiste à appliquer sur le cui^Te une
composition argentine, en frottant avec le doigt.
L'argenture du bois, du papier, du carton, du verre, etc.,
se fait par des procédés particuliers, de même que celle des
métaux mous et très-fusibles, comme le plomb et l'étain.
Pour le verre, M. Choron a inventé une nouvelle méthode, qui
consiste à étendre sur la surface à argenter une solution de
nitrate d'argent dissous dans l'alcool à 38° environ, à exposer
cette couche au gaz ammoniac jusqu'à cristallisation à la
surface du verre , et à tremper le verre ainsi préparé dans
une solution alcoolique de nitrate d'argent additionnée d'es-
sence de girofle. H. Gaultier de Clacbry.
ARGILE. Les principaux caractères minéralogiques de
i'argile sont d'avoir un grain très-fin, de ne point produire
d'effervescence avec les acides, et de faire généralement pâte
avec l'eau ; cette dernière propriété rend certaines espèces
propres à être employées dans lés arts plastiques. Lorsqu'elle
est sèche, l'argile happe fortement à la langue, et au contact
3e l'haleine elle répand une odeur s?/i generis, qui, considérée
d'abord comme hn étant particulière, a reçu ie nom (Todenr
argileuse. Cependant, >L Cordier a retrouvé la même odeur
dans des corps qui ne contenaient pas un atome des sub-
stances constituantes de l'argile, comme dans du quartz pul-
vérisé et trituré convenablement, et il a été amené à penser
que cette odeur était occasionnée par une action chimique
ordinairement très-faible, mais provoquée plus énergique-
ment que dans les autres corps par la plus grande tAuité
des parties qui composent les argiles. En effet, ces roches
meubles sont des mélanges mécaniques de particules submi-
croscopiques de sous-hydrates de silice et d'alumine, de
silicate d'alumine, et quelquefois de sous-hydrate de ma-
gnésie et d'hydrate de fer.
La classification des différentes espèces d'argiles laisse
beaucoup à désirer ; presque tous les auteurs se sont con-
tentés de les spécifier d'après leurs usages, sans avoir égard
h leur composition chimique.
Le kaolin lavé, qui sert à la fabrication des porce-
laines, peut servir de type au genre argile. Lorsqu'il est
pur, il est parfaitement blanc. Le kaolin a conservé le nom
qu'il portait en Chine, d'où on le tirait autrefois; mais
depuis longtemps nous employons celui des environs de
Limoges. Les poteries grossières se fabriquent avec Var-
glle plastique ; l'argile de Montereau donne les faïences
dites de terre de pipe ei de porcelaine opaque.
La terre glaise est une argile que le sculpteur emploie
po;;r l'ébauche de ses œuvres, et dout on fait aussi des
tuiles, des briques et des fourneaux ; c'est Vargile commune,
composée en moyenne de 32 parties d'alumine, 63 de sDice
et 5 de fer.
D'oB autre côté , les peintres empruntent certaines coû-
tai
leurs à la terre de Sienne, la terre d'ombre, la terre de
Cologne, Vocre de rue, etc., qui sont autant d'argiles fer-
rugineuses.
L'argile réfractaire sert à la fabrication des creusets
pour la fonte des métaux, et à la constniction des four-
neaux à réverbère. Pour ce dernier usage on emploie de
préférence l'argile qui provient des environs de Maubeuge,
et dont on fait aussi cette espèce de poterie si dure appelée
grès de Flandre. Cette argile a beaucoup d'analogie avec
celle d'Allemagne , qui sert pour les excellents creusets de
Messe.
Vargile smectiquc ou terre à foulon est ainsi nommée
parce qu'elle sert au dégraissage ou au /"owiag'e des draps,
en vertu de la propriété qu'ont les argiles d'absorber les huiles
aussi bien que l'eau.
La pierre à détacher est une argile veinée ou tachetée de
brun sur un fond gris ; elle renferme un peu de chaux et se
trouve en abondance au-dessous des masses de chaux sul-
fatée de Montmartre.
Enfin, on a employé l'argile molle sur les plaies , les ul-
cères, comme astringente et hémostatique. Elle peut servir,
en effet, par son adhérence avec les parties humides, à arrê-
ter le sang des piqûres de sangsues.
[ L'argile existe en plus ou moins grande proportion dans
toutes les terres arables ; lorsqu'elle s'y trouve en abondance,
les terres sont grasses, fortes, et peuvent quelquefois même
devenir impropres à la végétation, parce qu'elles opposent
trop de résistance au mouvement des racines des plantes ;
qu'elles retiennent trop fortement l'eau qui les pénètre , et
qu'en se desséchant elles se crevassent profondément et
peuvent mettre à nu les racines. Dans les terres trop légères,
on ajoute avec avantage des marnes argileuses qui les
améliorent, de même qu'on amende les terres trop fortes en
y mêlant des calcaires qui les divisent. Voyez Amendement.
L'argile grasse ou terre glaise existe presque partout. Les
argiles blanches sont plus rares, çt présentent des avantages
marqués pour l'exploitation. La tene à porcelaine se ren-
contre très-rarement , longtemps on n'en a trouvé qu'auprès
de Limoges; depuis que plusieurs carrières en ont été dé-
couvertes, on fabrique une beaucoup plus grande quantité
de porcelaines et à des prix infiniment moins élevés. La
terre à porcelaine est seule susceptible d'être cuite à une
très-haute température. Les terres blanches ou de pipe ne
peuvent en supporter qu'une moindre, et les terres à poterie
une beaucoup moindre encore : c'est là ce qui fait le mérite
relatif des pièces à la confection desquelles elles ont servi.
H. Gaultier de Claucry.]
ARGOLIDE , contrée qui forme l'extrémité sud-est de
la Morée , entre le golfe de Nauplie et Égine, l'un des gou-
vernements du royaume de Grèce, et dont dépendent Spezzia
et Hermione comme sous-gouverneraents. Le prolongement
oriental des montagnes septentrionales du Péloponnèse sur
les côtes brusquement accidentées de l'Argolide ceint comme
d'une muraille de rochers la plaine d'Argos, dont l'air est
infecté par des marais et des rizières. Les points culminants
de ce groupe sont le Malevo, appelé parles anciens Artémi-
sion (1,478 mètres), le Hag-Ilias, nommé autrefois Arach-
naion (1,225 mètres ), et le mont Didyma (1,100 mètres). La
plaine la plus vaste de ce gouvernement est celle qui avoisine
Argos, et qu'arrose la Paniza, VJnachus des anciens. 11 a
pour chef-lieu Nau plie.
Les anciens entendaient à proprement parier par Argolide
ou Argolica la plaine baignée par la mer que bornent à
l'ouest les montagnes de l'Arcadie et au nord celles de Phlius,
de Cleonae et de Corinthe. Cependant , déjà sous la domi-
nation romaine elle comprenait la partie orientale du Pé-
loponnèse qui confine du côté du nord à l'Achaïe et au
territoire de Corinthe, vers le nord-est au golfe Saronique,
vers l'ouest à l'Arcadie, vers le sud à la Laconie, et vers le
sud-ouest au golfe d'Argolide. C'est d'après le nom de cett«
792
ARGOLIDE — ARGONAUTES
contrée qiieles Grecs sont souvent désignés par les écrivains
de Tantiquité sous la dénomination d'Argiens.
L'Argolide fut cultivée de bonne heure. La tradition porte
qu'Inaclius vint s'y établir environ ISOO ans avant l'ère
chrétienne, et D a n a u s vers l'an 1 500, l'un et l'autre à la tête
de colons arrivant d'Égjpte. Là régnèrent Pélops, qui
donna son nom à la presqu'île tout entière, et ses descendants
Atréeet Agamemnon, Adraste, Eurysthéeet
Diomède, tous chefs d'États indépendants. C'est là aussi
que naquit Hercule, c'est là qu'il tua dans les marais de
Lerne la fameuse h y d r e, et que dans la caverne de Némée
il étouffli un lion. Dès la plus haute antiquité l'Argolide se
divisa en petits royaumes, à savoir Argos, My cène, Ty-
rynthe, Trézènc, Hermione etEpidaure, qui plus
tard formèrent autant de républiques.
Quand la Grèce eut recouvré son indépendance, l'Argolide
forma jusqu'en 1838 l'im des sept départements de la pro-
vince de Morée. Son ancien chef-lieu a conservé son nom
(V Argos à travers les siècles jusqu'à nos jours.
ARGOiVAUTE {Histoire naturelle). Linné appelle
ainsi le mollusque céphalopode connu des anciens sous les
noms de nautile et de pompyle. Athénée, Appien, Élien,
Pline , nous racontent les merveilles que leurs contempo-
rains attribuaient à l'argonaute. Ils en font un élégant nau-
tonier enseignant aux hommes les principes de la naviga-
tion. Il est vrai que la coquille univalve de l'argonaute , ex-
trêmement légère, fragile, transparente, ayant une teinte
laiteuse prononcée , offre quelque^ressemblance avec une
nacelle, au-dessus de laquelle peuvent s'élever des bras
membraneux simulant des voiles , tandis que sur les flancs
se trouvent placés des tentacules figurant six rames mo-
biles. « Homme d'abord , dit Athénée , le pompyle dut sa
métamorphose à une belle passion d'Apollon, épris d'amour
pour la jeune nymphe Ocyrrhoé , que les Heures avaient
douée des charmes les plus séduisants. Elle était dans l'âge
brillant de la jeunesse, lorsque ce dieu puissant essaya de
l'enlever quand elle se rendait à une fête de Diane. Crai-
gnant de devenir la proie d'un ravisseur, elle pria ceitain
Pompyle, nautonier qui connaissait tous les goufù-es de la
mer, de la conduire en sûreté dans sa patrie; mais Apol-
lon parut à 1 improviste, ravit la jeune fille, pétrifia le na-
vire, et changea Pompyle en un poisson qui depuis a porté
son nom. Il est toujours prêt à suivre en mer les vaisseaux
qui la traversent rapidement. » Pline ajoute que l'animal
quitte sa coquille pour venir paître à terre, et qu'il n'y
rentre que pour se transporter de plage en plage.
Toutes ces fables , qui , sauf leur partie mythologique ,
étaient encore admises au moyen âge , tiennent principa-
lement à la forme de la coquille et à la non-adhérence de
l'animal avec son enveloppe testacée , fait en contradiction
avec les lois zoologiques connues. Des savants distingués ,
Lamarck, Bosc, Rafmesque, Leach, Blainville, etc., en ont
inféré que l'animal qu'on a trouvé dans les coquilles de
l'argonaute n'est qu'un parasite , comme certains pagures ,
qui se logent dans des coquilles abandonnées. Cependant,
MM. Duvernoy, Cuvier, Térussac, Richard, Owen, etc.,
n'ont pas partagé cette opinion. Depuis, M. Alcide d'Orbi-
gny semble avoir démontré péremptoirement , dans sa Mo-
nographie des Céphalopodes acétabuU/ères , que la thèse
du parasitisme n'est plus soutenable.
ARGONAUTES ( Temps héroïques ). Ainsi furent
appelés, du vaisseau Argo, que leur chef Jason avait fait
construire, les héros de l'antiquité grecque qui, une géné-
ration d'hommes avant la guerre de Troie , entreprirent la
première giande navigation , sur une mer encore inconnue
et vers une lointaine contrée. I^indare , qui célèbre d'une
manière toute particulière l'héroïque courage de Jason , est
le premier qui entre dans des détails explicites au sujet de
cette fameuse expédition. Mais dans l'impossibilité où nous
«ommes d'énumérer tous les renseignements qui s'y rap-
portent ( car tous les poètes , à l'exception de ceux d'Alexan-
drie , qui ont chanté l'expédition des Argonautes en ont
surtout profité pour faire étalage de leurs connaissances en j^
géographie ), nous croyons qu'il convient mieux que nous ~
reproduisions ici la simple tradition, telle qu'ApoUodore
l'a consignée dans sa Bibliothèque , d'après les auteurs an-
térieurs au siècle où il écrivait.
Jason, fils d'jEson, fut chargé par son oncle Pélias, qui
régnait à lolcos en Thessalie, et à l'instigation de Héra,
d'aller à la recherche de la toison d'or d'un bélier sur le-
quel s'étaient enfuis Phrixus et H e 1 1 ê , dans une forêt
consacrée à Ares, où Phrixus l'avait suspendue à un chêne,
et où elle était gardée par un dragon qui jamais ne dormait.
A cet effet, Jason fit construire par Argos, fils de Phrixus,
Y Argo, navire à cinquante bancs de rameurs , et appela les
héros les plus célèbres de son temps à prendre part à son
entreprise. On comptait parmi eux Hercule, Castor et
PoUux, Pelée, Admète, Nélée, Méléagre, Or-
phée, Télamon, Thésée et son ami Pirithoùs, Hy-
laset beaucoup d'autres encore. Ils abordèrent d'abord dans
l'Ile de Lemnos, où ils firent un séjour de deux années. Les
femmes de cette contrée , par suite du courroux d'Aphro-
dite méprisée , avaient égorgé leurs pères et leurs maris , à
l'exception de Tlioas, que sa fille Hypsipyle cacha à tous les
yeux. Elles repoussèrent en conséquence les Argonautes de
leurs rivages. De là ils gagnèrent le pays des Dotions, dont
le souverain les accueillit avec hospitalité; mais en étant
repartis nuitamment, des vents contraires les ramenèrent
au rivage, où on les prit alors pour des Pélasges, peuple avec
lequel les Délions étaient en guerre. Il s'ensuivit une bataille
dans laquelle Jason eut le malheur de tuer leur roi, que les
Argonautes ensevelirent avec toutes les démonstrations de
la douleur la plus profonde. Ils abordèrent ensuite enMysie,
où ils abandonnèrent Hercule et Polyphème, parce que ceux-
ci restèrent trop longtemps à y chercher Hylas, qui avait été
enlevé par une nymphe.
Le premier pays où ils touchèrent alors fut celui des Bé-
bryces , dont le roi Amycus , qui avait provoqué les Argo-
nautes à un combat à coups de poing, fut tué par Polydeu-
cès ( Pollux). De là ils furent rejetés sur les côtes de Thrace,
et arrivèrent à Salmydessus , où ils rencontrèrent le devin
aveugle Phineus, qu'ils consultèrent sur la route qui leur
restait à faire et surtout au sujet des si dangereuses Symple-
gades. Arrivés à cetécueil, dont les rochers se heurtent cons-
tamment en broyant tout ce qui s'engage dans leurs anfrac-
tuosités , ils lâchèrent d'après son conseil une colombe , et
celle-oi n'ayant perdu dans le choc des rochers que le bout
de sa queue, ils traversèrent rapidement l'écueil avec le
secours de Héra; dès lors les Symplegades, qui ne brisèrent
que l'extrémité de l'ornement placé à l'arrière du navire ,
restèrent immobiles.
Après avoir encore passé devant un grand nombre d'au-
tres pays, ils arrivèrent enfin de nuit à l'embouchure du
Phase, en Colchide. Aétès, roi de cette contrée, déjà pré-
venu du but du voyage de ces étrangers, promit à Jason
de lui livrer la toison , pounu qu'U commençât par atteler
seul à une charrue deux taureaux aux pieds d'airain , aux
yeux lançant des flammes, qu' Aétès avait reçus d'Héphœstos,
et qu'il semât ensuite dans le sillon les dents de dragon
laissées à Thèbes par Cadmus et données à Aétès par
Athéné (Minerve).
Jason accomplit cette tâche avec l'aide de Médée, fille
d'Aétès , qui conçut pour lui la passion la plus violente
Après lui avoir fait promettre de l'épouser, elle lui donna
un charme tout-puissant contre les efforts du fer et de
l'acier, et lui apprit comment, au moyen de pierres jetées au
milieu des guerriers qui devaient naître des dents du dra-
gon, et qu'il lui Aillait mettre à mort, il pourrait les séparer
et les tuer les uns après les autres. Ces choses s'étant ainsi
passées, Aétès résolut d'incendier l'Argo et d'en assassiner
ARGONAUTES
ARGOS
793
l'équipage. Mais Jason, instruit par ^l(tî«?c du dessein du
roi, le prévint, courut à la forêt oi'i la toison d'or était sus-
pendue à un chêne, s'en empara, et, après que Médée eut
endormi le dragon qui la gardait, à l'aide d'un cliarnie,
senfuit de nuit avec elle et son frère Absyrte à bord de son
navire, puis remit précipitamment à la voile.
.\étès se lança à leur poursuite; mais .Médée rempéclia
d'aller plus loin en égorgeant son frère, dont elle lit jeter à
la nier les membres divisés en mille morceaux. .\étès perdit
un temps précieux à s'efforcer de les recueillir, et dut s'en
retourner à terre sans y avoir réussi ; ce qui ne rcmpécha
pas d'envoyer encore un grand nombre de Colchidiens à la
poursuite des fugitifs. Sur ces entrefaites, les .\rgonautes
étaient déjà arrivés à l'î^nbouciiure du fleuve Éridanus, où
ils perdirent leur route à la suite d'une tempête suscitée par
Zeus, irrité du meurtre d'.Absyrte. A ce moment, à la hau-
teur d'un groupe d'iles auquel on imposa le nom du mal-
heureux frère de Médée, on entendit du haut du màt de
l'Argo, qui, taillé dans un chêne de la forêt de Dodône,
possédait le don de divination, l'oracle dire que le courroux
de Zeus ne s'apaiserait que lorsque, faisant voile vers
l'Ausonie, les navigateurs auraient été réconciliés avee lui
par Circé. En conséquence ils passèrent devant les con-
trées habitées par les Ligyens et les Celtes , et arrivèrent
enfin, après avoir franchi la mer de Sardaigne, le long des
côtes de la Tyrrhénie, dans l'ile d'.Eœ, où Circé les récon-
cilia avec Zeus. Ils remirent alors à !a voile, passèrent de-
vant les Sirènes , dont Orphée les préserva en répondant à
leurs chants par un chant plus harmonieux encore, tra-
versèrent Scylla et Charybde, grâce à la protection de Thétis,
et arrivèrent dans l'île de Corcyre , ou régnait Alcinoûs.
Quand ils en repartirent, une violente tempête les assaillit
au milieu de la nuit ; mais Apollon leur vint en aide au
moyen d'éclairs qui leur permirent d'apercevoir une lie à la-
quelle ils donnèrent en conséquence le nom d'Anaphê
(aujourd'hui Haufi). Pour témoigner leur gratitude aa
dieu , ils érigèrent en ce lieu un autel à Apollon lançant des
éclairs. Arrivés en Crète, le géant Talos, qui gardait cette
ile et qui en faisait le tour trois fois par jour, les empêcha
d'y prendre terre. Mais Médée tua ce géant, et les Argonautes
purent alors y débarquer. Toutefois ils n'y restèrent qu'une
nuit, et remirent aussitôt à la voile en se dirigeant vers Egine,
d'où ils revinrent à lolcos, en passant entre l'Eubée et la
Locride, après avoir achevé ce grand voyage en quatre mois.
Tel est le récit d'Apollodore. Il est impossible qu'il en
ait inventé tous les détails, à moins qu'il n'ait voulu sciem-
ment tomber dans les plus grandes contradictions. Ce sont
surtout les versions relatives au retour des Argonautes qu'il
est difficile de concilier entre elles. Il n'est presque pas de
pays au monde où on ne les fasse aborder. Plus ces contrées
sont inconnues, et mieux elles valent aux yeux du narrateur.
Il serait assez difficile de déterminer l'origine première de
cette tralition. Peut-être a-t-elle pour base le commerce des
pelleteries du Nord. En ce qui est de l'équipage d'Argo, que,
pour sa glorification, Athcné mil au rang des astres, il se
composait de cinquante hommes, puisquece navire comptait
cinquante bancs de rameurs. Le scoliaste de Lycophron est
le seul qui porte ce nombre à cent. Quant à la direction
même suivie par le navire, on trouve dans les divers
récits la plus grande confusion de temps et les détails les
plus bizarres. Aussi serait-ce un travail fort ingrat que de
vouloir la retracer avec quelque précision. Parmi les poêles
dont nous possédons encore les ouvrages, Apollonius de
Rhodes, qui vivait environ 200 ans avant notre ère, et Va-
lériasFlaccus, son imitateur chez les Romains, qui vivait
80 ans après Jésus-Christ, sont, avec le pseudo-Orphée, ceux
qui ont pris le plus particulièrement cette tradition pour
sujet.
ARGOXXE (Pays, Forêt et Campagne de 1'). On ap-
pelait autrefois pays d'Argonne une portion du territoire
mer. i>L L\ co.\vi.i(->Aiiy>. — ï. j.
français s'étendant partie dans la Champagne et partie dans
le Rarrois, entre la Meusi>, la Marne et l'Aisne, sur une
longueur fort inégale , depuis Reaumont , frontière de la
principauté de Sedan, jusqu'aux limites méridionales du
Clermontois, qui y était corni>ris. Ce pays d'Argonne, dont
Saintc-Menchould était le chef-lieu, a servi à composer l'ar-
rondissement de Sainte-Menehould du département de la
Marne et qu hpies cantons des départements de la Meuse
et des Ardenncs. Comme il est très-boi.sé , et que le^ villes
et les villages qu'on y rencontre sont des espèces de clai-
rières dispersées dans une vaste forêt , on avait surnommé
ce pays la foret dWrgonne.
Stratégiquement parlant , la forêt d'Argonne est d'une
haute importance iwur la défense du pays; les montagnes et
les ruisseaux dont elle est entrecoupée la rendent en effet
presque impraticable à une armée. Lors de l'invasion du ter-
ritoire français qu'elle tenta en 1792, l'armée prussienne
aux ordres du duc de Brunswick , qui était entrée par le
nord, s'en approcha d'environ quarante-huit kilomètres
pour marcher sur Châlons et de là sur Paris ; mais elle com-
mit la faute immense de ne pas faire occuper les cinq dé-
filés dits du Chcne- Populeux, de la Cro'ix-aux-Boïs , du
Grand-Pré, de la Chaladc et des Islettes, qui seuls pou-
vaient donner passage à une armée. C'est alors que Da-
mouriez conçut un plan de campagne qui sauva la France.
Il comprit qu'il fallait occuper avant l'ennemi ces défilés ,
qu'il proclama tout aussitôt devoir être les Thermopylc^ de
la France, puis forcer les Prussiens à se jeter dans la forêt,
où ils succomberaient eu détail.
Les manœuvres de l'armée française trompèrent complè-
tement Brunswick; et la victoire de "Valmy lui apprit
qu'il s'était engagé trop témérairement, sur les conseils des
émigrés , dans un pays où il manquait de vivres et de ma-
gasins, et dont la conquête, comme on le lui avait pourtant
bien promis, ne devait pas être le fruit d'une ou deux
marches hardies sur la capitale. C'est à cette mémorable
campagne, qui ne dura, au reste, que quelques semaines,
que l'histoire a donné le nom de campagne de l'Argonne.
AKGOS , fils de Zeus et de Niobé , succéda à Phoronée
dans la souveraineté du Péloponnèse , qui prit de lui le nom
d'Argolide.
ARGOS, capitale de l'Argolide, sur le fleuve Inachus,
qui sort du mont Lyrcios en Arcadie, passe par des ravines
et se perd dans les marais, à 84 kilom. nord-est de Sparte,
était située dans une plaine fertile, qui nourrissait des che-
vaux très-eslimés. liile s'appela d'abord Phoronyrie, du
roi Phoronée, son fondateur, cnsiiite Argos , du nom de son
quatrième roi. Elle a conservé jusqu'à ce jour ce nom, qui
remonte à ISOO ans avant J.-C. Les habitants étaient cé-
lèbres par leur amour pour les beaux-arts et surtout pour
la musique. Ils avaient élevé des statues aux deux frères
Biton et Cléobis, morts victimes de leur dévouement à leur
mère. C'est à Argos que fut tué le célèbre Pyrrhus , roi
d'Épire.
Cette ville , située à 8 kilom. nord-ouest de Nauplie ,
et peuplée de 5,800 habitants , possède une école du degré
supérieur et une école d'enseignement mutuel. On y voit
des ruines nombreuses, une citadelle aux assises de cons-
truction cyclopéenne, un long passage souterrain creusé dans
le roc et communiquant avec cette forteresse, sans compter
de nombreux vestiges de palais et de temples, etc., etc.
ARGOS ( Raronnie d"). Argos était, au moment de l'en-
trée des Français en Morée en 1205, une des douze places
fortes du Péloponnèse. Un de ces petits chefs grecs qui avaient
profité de la faiblesse du pouvoir impérial pour se créer de
petites souverainetés indépendantes, Léon de Guy, y domi-
nait. Après quelque résistance , il fut obligé d'évacuer la
Morée. Les Français pénétrèrent dans Argos, et s'y établirent ;
mais la forteresse , située sur une montagne , resta long-
temps encore entre les mains des Grecs. Enfin, en 1248,
lU.i
794 ARGOS —
Guillaume de Ville-IIardoin , devenu prince d'Achaïe , céda
Coron et ISIodon aux Vénitiens , à condition qu'ils l'aide-
raient de leurs flottes à s'emparer de JN'auplie, ce qui eut lieu
en effet; et la forteresse d'Argos, privée de tout espoir de
défense du côté de Nauplie, se rendit immédiatement.
Argos fut donnée par Guillaume de Ville-Hardoin, à titre
de fief relevant de lui et de ses descendants , à Guy de La
l^oclie, alors baron et depuis duc d'Athènes. La maison de La
Roche continuaà posséder cette seigneurie tantqu'elle occupa
le duché d'Athènes, qui passa ensuite à la maison de Brienne,
par le mariage d'Isabelle de La Roche, tante du dernier duc
Guy de La Roche, avec Hugues, comte de Brienne, et par
la naissance d'un fils nommé Gauthier.
Celui-ci ayant été tué dans une bataille, en 1312, contre le
grand Tufsignis Catclaces, les vainqueurs s'emparèrent du
duché d'Athènes ; mais Argos tint bon. Un fils de Gauthier,
du même nom que lui, réfugié en France avec sa sœur Isa-
belle et sa mère, fit quelques tentatives pour reconquérir ses
possessions en Grèce; mais l'Impatience de son caractère le
fit échouer là comme elle le fit plus tard chasser de la ré-
publique de Florence , dont il s'était constitué souverain.
Ce Gauthier mourut à la bataille de Poitiers , sans laisser
d'enfants.
Sa sœur Isabelle de Brienne avait épousé Gauthier d'En-
ghien ; Guy, leur sixième enfant, partit pour la Morée, et
s'établit à son tour dans la seigneurie d'Argos. Il s'y maria,
et eut une fille unique, nommé Bonne d'Enghien, qui épousa
un Vénitien , nommé Pierre Cricerio. Celui-ci étant mort
sans héritier, la république de Venise, en l'an 1388, acheta
les seigneuries d'Argos et de Nauplie de sa veuve, et envoya
aussitôt des troupes pour s'en emparer; mais elle avait été
devancée par Nerio Acciajoli , neveu du célèbre Nicolas
Acciajolide Florence. Ce ne fut qu'après sa mort, en 1394,
que les Vénitiens firent de nouveaux efforts pour s'emparer
d'Argos et de Nauplie, et y parvinrent dans les premières
années du quinzième siècle.
Cependant ils en furent dépossédés par Bajazet, qui rédui-
sit 30,000 habitants en esclavage et les remplaça par des
ïartares. Argos fut reprise par les Vénitiens en 1680, et
devint alors le chef-lieu de leurs possessions dans la Grèce.
Mais elle leur fut de nouveau enlevée en 1715, par les
Turcs, qui la gardèrent jusqu'en 1825, époque oii la Grèce
reconquit son indépendance. Buciion.
ARGOT, en allemand rothwxlsch, en anglais cant;
langage particulier des filous et généralement de tous les
habitués des prisons et des bagnes. — Les étymologistes ne
sont pas d'accord sur l'origine du mot argot. Furetière le
fait venir de la ville d'Argos, « parce que, dit-il, la plus
grande partie de ce langage est composée de mots tirés du
grec; » opinion que réfute facilement Granval dans le
chant lo*" de son poème de Cartouche. — Le Duchat, dans
ses notes sur Rabelais, liv. II, chap. ii, le fait dériver,
par une légère transposition de lettres, du nom de Ragot,
fameux belilre qui vivait du temps de Louis XII : d'où
l'on a dit ragoter pour grommeler, murmurer en se plai-
gnant, à la manière des gueux et des mendiants. Au con-
traire, M. Clavier l'emprunte à ïergo des écoles, etc.
(Voyezle Dict. éfym. de Roquefort). La même incertitude
règne dans les autres langues sur l'étymologie des mots
correspondants rothwxlsch , cant , etc. Toutefois, la plus
vraisemblable à l'égard du mot rothwxlsch est celle qui
le fait dériver de l'argot allemand lui-même, dans lequel
roth veut dire mendiant, et du mot allemand icxlsch, qui
sigiiifie étranger. Mais , à défaut de documents précis sur
l'origine du mot , remontons à l'origine de la chose.
L'idiome d'une nation, d'une province, d'une société
quelconque , n'étant que l'expression des idées , des habi-
tudes , des besoins qui leur sont propres , son origine se
confond nécessairement avec celle même de la nation , de
la province, de la société qui le parle. L'origine de l'idiome
ARGOT
argotique remonte donc à la formation môme des sociétés
civilisées, c'est-à-dire au principe môme de la distinction de
la propriété ; car du moment oii la loi permit à un seul de
dire : « Moi propriétaire, toutàmoi ; toi prolétaire, rien à toi »
il s'est formé au sein de la grande famille une famille à
part, composée elle-même d'une multitude de familles di-
verses; famille d'esclaves, d'ilotes et de parias; famille de
gens à gages , vilains taillables , manants corvéables , ma-
tière imposable à merci ; famille d'oisifs , indigents , sans
aveu; famille Aalatrones, lazzaroni , robbers, truands
marcandiers , francs-mitous , caroubeurs , bonjouriers es-
carpes, voleurs et filous de toute trempe, etc., etc., famille
immense, et dont les branches gourmandes et vigoureuses
tendent à dévorer partout en se dévorant elles-mêmes le
tronc de l'arbre qui les nourrit.
La nécessité de vivre aux dépens de celui qui a tout a
fait naître dans l'esprit de ceux qui n'ont rien d'abord
l'idée d'échanger avec sou superflu le produit de leurs
sueurs, puis l'envie de se procurer ses jouissances, puis
l'ambition d'obtenir ses richesses , puis ensuite la passion
de son or, puis l'escroquerie, puis le faux, puis le vol, puis
le meurtre... de complicité. ..nuitamment.. .à main armée....
A ceux-là suffit le travail d'une vie obscure, isolée, hon-
nête, au milieu de la vie commune; à ceux-ci il devint
nécessaire, par instinct de conservation et de perpétuité
de se constituer en société rivale ; et de même que la so-
ciété-mère s'est successivement partagée en nobles et ro-
turiers, en militaires et péquins, en capacités et incapa-
cités, etc., de même celle-ci a divisé l'univers civilisé en
deux classes, les grinches el les gonses , c'est-à-dire les
voleurs et ceux qui ne le sont pas. A ceux-ci encore il
fallut une langue spéciale pour articuler, en paroles con-
nues d'eux seuls , leurs projets et leurs actes , et fonnuler,
inintelhgiblement pour tous autres que pour eux , les prin-
cipes constitutifs de la grande charte du royaume argo-
tique. De là l'origine de l'argot.
Cette langue , depuis Cacus jusqu'à Ti-Ta-Pa-Pouff, de-
puis Barrabbas jusqu'à Cartouche, depuis Mandrin jus-
qu'à Coco-Lacour , s'est , pour ainsi dire , greffée d^ns
tous les temps et dans tous les pays, comme une ente
sauvage sur le tronc de la mère-langue. L'argot bohémien
seul , malgré les recherches auxquelles s'est livré Grellmann
pour démontrer qu'il est enté sur la langue des Hindous,
semble n'appartenir à aucun idiome , parce qu'il appartient
à tous. Voyez Hlst. des Bohém., tiad., 1810, Paris.
L'argot allemand, que les voleurs de ce pays appellent
kokamloschen , c'est-à-dire langtie adroite (des mots hé-
breux haham, sage, adroit, et laschon, langue), est un
mélange de haut allemand vulgaire, d'allemand judaïque,
et surtout d'expressions et de tournures de phrases em-
pruntées à l'hébreu tel que le parlent les juifs illettrés , ce
qui démontre d'une manière à peu près certaine que les
juifs en sont les premiers auteurs. IMais il s'y rencontre
tant d'idiotismes allemands détournés de leur signification
originelle, tant de diminutifs et de mots défigurés et fabri-
qués à plaisir, qu'il serait difficile de rétablir leur pro-
nonciation et leur orthographe primitives, et plus difficile
encore de les écrire convenablement.
Quant à l'argot français , c'est , dit M. Royer, un idiome
du hasard , qui n'a point passé par l'alambic des Vaugelas,
et qui , à travers les siècles , a conservé la naïveté de son
type primitif. Il s'était même élevé, au quinzième siècle,
jusqu'au ton de la littérature : « littérature toujours pitto-
resque , et plus folle et grotesque dans les expressions et
les images à mesure que le sujet devient plus sombre et
plus terrible , des idées de cachots et de supplices traves-
ties en bouffonnerie, un vrai carnaval de la pensée, oii la
mort joue toujours un rôle de folie. » {Les Mauvais Gar^
çons, t. II, p. 381.) — Les deux Testaments de Villon,
ainsi que son jargon et ses Repues franches, avaient ob-
AU(ÎOT
tenu l'ailiniration de Clénimt Marot. {Voyez la pn-facc qu'il
mit on UMe de son édition des œuvres de cet argotier fa-
meux ; ibkl. ) La Lvgende de moitié Pierre Faifeu , par
l'argotier Bourdigné, n'est pas moins curieuse. ( Ibid. )
Voyez encore, comme fort curieux en ce genre , la Vie gi'-
nércitse des }fa(ois, G tiens, Bofu'miens et Cagous, con-
tenant leurs /(Zfons de vivre, subtilité et jargon, par Pé-
chou de Ruby, et le Jargon ou langage de l'argot ré-
forme comme il est en usage à présent parmi les
bons pauvres, tiré et recueilli des plus fameux argo-
tiers de ce temps, composé par un pilier de boutanche,
qui maquille en molache en la vergne de Tours, publit5
à Troyes, chez Yves Girardon, IGfio. M. Royer, dans l'ou-
vrage déjà cité , a recueilli quelques chansons d'argot , du
seizième et du dix-septième siècle , qui offrent plus d'un
genre d'intérêt. De même M. Victor Hugo, dans le Der-
nier jour d'un condatnné.
Depuis Villon jusqu'à Maurice, surnommé le Béranger
des bagnes, la langue argotique n'a subi en France d'autres
variations que celles que les progrès de la civilisation im-
priment successivement à toute institution humaine ; car si
les cai-oiibeurs de nos jours parlent encore le vieil argot
qu'employaient les coupe-bourses d'autrefois, les tireurs
tàshionables qui exploitent l'Opéra, la Bourse, Tortoni, pim-
795
panfs, musqués Rentes, frisés, ancctent le parler du jour
et dédaignent la langue classique des argotiers vulgaires Ce
sont les romantiques du genre. Aussi le goépeur de province
qui vient chercher de Vouvrage à Paris est-il fort emprunté
d'ahord, lorsqu'il se trouve pour la première fois en rapport
d'affaires avec nos pègres h la mode, habitué qu'il est à tra-
vailler dans un genre moins comme il faut. Mais, pour peu
qu'il soit intelligent et montre l'envie de bien faire, il ne
tarde pas à se mettre à la hauteur, tout en couvrant du voile
apparent de la balourdise les plus fines ruses du métier.
Autrefois, les argotiers de la capitale tenaient leurs états
généraux et procédaient à leurs initiations et à leurs mystères
dans la cour des Miracles, aux cours Ragot, ou dans la forêt du
Bourget. (\oyez yotre-Damc de Paris, les Mauvais Gar-
çons, les Truands, etc.). Aujourd'hui les démolitions les
chassent de leurs anciens repaires, mais ils en trouvent bien
de nouveaux, un peu plus loin , dans quelque Californie
des anciennes barrières ou des nouvelles portes de Paris,
dans qiiehpics carrières abandonnées et rnéme sous les
ponts en foule , où l'on en a vu se loger en garni.
Voici quelques-uns des verbes et substantifs en usage dans
la langue des filous français. Ils suffiront, je pense, pour in-
diquer ce que l'argot renfenne d'expressions ingénieuses,
souples, énergiques, pittoresques :
Année
Argent
Argent (pièce d'}. , .
Arrêter
Aisassin
Assises ( la cour d' ), .
.\Tocat général. . , .
-avouer
Bagne
Bas
Bas de soie
Boire
Bottes
Bourse
Batiu
Café (grand)
Café ( petit)
Casqaette
Cave
Chapeau.
Chapeau àtrois cornes
Chemise
Clé
CcEur
Commissaire
Condamnation. . . .
Culotte
Déraisonner, . . . . .
Dents
Diamant. .......
Doigts
Dormir
Ean
Eau-de-vie
Eau-dc-Tie l" qualité.
Écrire
Enfant
Ennai
Épée
Épingles
LotiQe,
Balle
Mousseline.
Enflaquer, emballer.
Escarpe.
/.ajuste, la cigove.
Crnnd bêcheur.
Torlitler.
Pré.
Tii-ant.
Tirant radouci.
Pictonner , pilancher.
Tuyaux de poêle.
Filoche.
Chopin.
liocurd.
Docard panne.
Casque il auvent
Profonde.
Cambriau.
Cambriau ga.'.uché.
Limace.
Tournante,
Palpitant.
Çuart-d'œil.
Cerbcment,
Culbulie.
Paiitlonner,
Dominos,
Râpes d'Orient,
ytrpions.
Roupiller.
Lance.
Pivoi y eau d'aff.
Pivoi non maquillé.
Graillonner.
Môme. Cosselin.
Morasse,
Flamberge,
Piquantes.
Évasion
Fansse-clé
Femme de mauvaise
vie de premier ordre.
Femme de mauvaise v.
Fou
Frère
Galères
Garde (crier à la). .
Gendarme
Ilardes
Ivrogne
Ivrognes ( voler les ).
Crampe, Cavalle.
Caroube.
.ïambes.
Langue
I.il)éré de galères. . .
Libéré de réclusion. .
Lit
Lune
Maison
Slanger
Matelas
Melon
Jlenottes
Miroir
!Montrc
Mort (la)
.Mouchard de la bri-
gade de sûreté. . .
Mouchard sergent de
ville
Kaïf, naivclé
Nuit
OEil
Oreille
Ouvrir
l'aille
l'ain l>lanc
Gironde.
Largue.
Pavillon.
Frangin.
Àu dur.
Cribler à la grive.
Cogne, grive.
Frusques.
.Marquant,
Travailler sur les
marquants.
Quilles, fumerons,
fils de fer.
Menteuse, chiffon.
Un fagot.
Cotret, falourde.
Pieu.
Moucharde.
Toile.
Torlitler.
Galettes.
Boulet à queue.
Tar touffes.
Tiembroquant.
Toquante, bogue.
La cartine.
Ptousse à l'arnache.
r.ousse à la flan.
Loffe, Loffitude.
Sorgue,
Chasse ou miretle.
Esgourne ou hoche,
Déboucler,
Plume de Jleauce.
Larlon savonné.
Pain bis
Papier.
Paquet
Partafier un vol. . . ,
Partir, sortir
Patrouille
Pipe
Pleuvoir, pleurer. . .
Plomb
Plume
Poche
Police.
Porte
Regarder, jeter un re-
gard.
Révéler
Sage-Femme
Sang
Sœur
Sortie du spectacle. ,
Soulier
Souliers à bon marché.
Tiroir
Travail honnête, tra-
vailler
Tuer
Usurier,prêterà usure.
Vagabond
Vendre
Vieillard
vin
Vol
Voler .
Voler avec violence.
Voleur
Voleur de t" ordre.
Larton brutal,
Fafliat.
Baluchon,
Fader,
Décarrer,
Patraque.
Bouffarde.
Lansquiner.
Gras-double.
Brodeuse.
f'alade.
Cuisine.
Lourde.
v4llumer, reluquer,
rembroquer , trim-
baler les chasses ou
en commission.
Manger le morceau.
Tire-monde,
Saisine.
Frangine.
Décarre.
Passif, piffe.
Philosophes.'
Flaquot,
Goupinage, goupiner.
Étourdir.
Carcagnio , carca'
gnioter.
Goépeur.
Fourrailler,
f'ioc.
Picton.
Ouvrage.
Travailler, grincMr,
être en ouvrage.
Marcher à Vescarpe,
Pègre, grinche.
Affranchi.
La langue argotique n'est pas tellement riche qu'elle
puisse traduire chaque mot de la langue française par un
mot correspondant; mais quand on veut exprimer un mot
en argot, et qu'on ne lui connaît pas de signification propre,
on le syncope avec la terminaison mare; par là il s'argotisc
et devient inintelligible, surtout lorsqu'il est noyé au milieu
d'autres mots plus inintelligibles encore. Ainsi , j'ignore le
nom d'un perruquier, c'est-à-dire comment on appelle cette
pro''ession en argot, je dirai : perruquemare, etc.
Les prépositions, les articles et les adveibcs sont les mô-
mes qu'en français. La synfaxe est également la même, en
ce sens que les phrases argotiques sont généralement cons-
truites conformément aux règles de la grammaire française.
Ainsi, pour annoncer que Vinspecteur général des prisons
de Paris est e;i^>T'dans in. chambre, l'habitant de la Force
ou de Bicêtre dira : le grand Condé des collèges de Pan-
tin est enquillé dans ma toile. Ainsi encore, lorsque l'as-
sassin sous les verrous s'enorgueillira, au milieu de quelques
escarpes de bas étage, du fiant fait qui lui vaudia les pal-
mes de la butte (guilioline),il prononcera, avec une joie fé-
roce, ces épouvantables mots ; l'abbaye de monte-à-regret
m'attend; qîi'on me fauche le colas..., 'fui fait suer le
chêne sur le grand trimard (la guillotine m'attend ; qu'on
me coupe le cou ; j'ai assassiné sur le grand chemin).
Un glossaire de la langue argotique serait aussi utile que
curieux. En Allemagne, la connaissance pratique de cette
langue est pour le légiste chargé de la police judiciaire le
fi! conducteur à l'aide duquel il marche d'un pas assuré au
100.
706
ARGOT — ARGOUT
milieu du dédale de difficultés et de ruses qui résulte pour
lui de l'arrestation d'une bande de voleurs. Aussi les magis-
trats qiie leurs fonctions mettent journellement en rapport
avec ces misérables sont-ils depuis longtemps dans l'habi-
tude de consulter, comme un manuel indispensable, une
espèce de vocabulaire ou de grammaire composée pour eux,
à diverses époques , de conversations tenues ou de commu-
nications faites par des voleurs auxquels on a acheté le secret
de leur langage.
^ous n'a\t)ns eu longtemps d'autre Dictionnaire a Argot
que oAm que publia Granval, à la fin de son poénic de
Cartouche, ou le Vice puni. Cet ouvrage fut réimprimé
en 1827; mais, inexact et incomplet qu'il est, il ne peut que
donner des notions im[)arfaites et souvent fautives sur des
locutions qu'il présente comme habituelles et familières au-
jourd'hui, tandis qu'elles sont plus que surannées, ou tout
à fait tombées en désuétude. Un grand maître en cette ma-
tière, le fameux V i d o cq, fut chargé en 1 S 19 par le préfet de
police d'alors de faire un dictionnaire de la langue argo-
tique. Son travail fut remis en manuscrit à M. Angles. L'au-
teur l'aura vraisemblablement utilisé pour la rédaction du
livre qu'il publia en 1837 sous ce titre : Les Voleurs, p/nj-
siologie de leurs mœurs et de leur langage, et où l'or.
trouve un glossaire à peu près complet de la langue argo-
tique. On peut aussi consulter sur cette matière tous no.
chroniqueurs, romanciers et dramaturges modernes qui se
sont voués il l'élude du hideux, et qui, pour mieux noi:--;
initier aux mystères de la vie de bandit, en emprunter '.
jusqu'au langage. .M. Francisque .Micliel a fait paraître, en
1856, une Etude di!- philologie comparée sur l'argot et
sur les idiomes analogues. Moreac-Curistophe.
ARGOULETS ou .\RXAL'TES. Ce nom leur serait-il
venu de ce qu'ils auraient été généralement composés dans
le principe de Grecs de VArgolide? Ce n'est pas l'opinion
de Ménage, qui fait dériver leur nom d'arcus, arc. Les ar-
goulets paraissent pour la première fois sous Louis XI dans
la milice française. Il en est admis deux mille en 1499.
« C'étaient, dit un écrivain de l'époque, des corps étran-
gers levés à l'imitation des chevau-légers de la milice véni-
tienne et qui combattaient en fourragcurs. »
Montluc est un des premiers auteurs qui, en 1592, fassent
mention de cette troupe. Les argouleîi français portaient une
escopette et un pistolet ; ils se sont aussi servis de targons
ou grandes larges. Ils avaient, comme les stradiots, une
banderole pour étendard. Suivant Montgommery, ces deux
troupes étaient vêtues à peu près de même, ayant le cabas-
set ou chapel pour coiffure, combattant avec l'arquebuse à
rouet et se servant d'une masse d'armes portée à l'arçon
gauche. Toutes deux ont servi de concert avec les arquebu-
siers à cheval , qui en lurent une imitation.
Le mot argoulet devint un terme de mépris sous Char-
les IX ; et l'histoire cesse de mentionner cette troupe depuis
la bataille de Dreux en 1562. Les argoulets se fondirent dans
les régiments lorsqu'on en forma, et les carabins, succédant
dans l'armée française aux argoulets , en firent oublier le
nom. En souvenir de leurs armes à feu , les Liégeois ap-
pellent encore argoulets des fusils de pacotille, fort en usage
jadis dans la traite des nègres.
ARGOUT (Apollinaire-Antoine-^Ialrice, comte d'), né
le 28 août 1782 à "S'essilieu (Isère), débuta, à Vàge de vingt-
deux ans , dans l'administration des droits réunis par un
emploi des plus modestes ; mais son avancement y fut ra-
pide. Dès 1811 nous le retrouvons receveur principal à An-
vers, puis auditeur au conseil d'État. La Restauration le sur-
prit sur ce premier échelon du pouvoir ; et le zèle exalté
qu'il témoigna tout aussitôt pour le nouveau gouvernement,
le mépris et la haine qu'il al'fecta en toute occasion pour le
pouvoir qui venait de tomber, l'exploitation habile de pré-
tentions à se faire classer dans la plus haute noblesse, lui
eurent bientôt fait faire une fprtuiie brillante sous les Bour-
bons de la branche atnée. Nommé successivement maître
des requêtes et préfet , M. d'Argout dans l'administration
du département des Basses-Pyrénées, qui lui fut confiée,
trouva moyen de se faire remarquer par l'exaltation de son
zèle bourbonien , qui égala le zèle napoléonien qu'il avait
montré sous l'empire, et qui laissa de beaucoup en arrière
celui dont à cette époque tous les autres préfets firent
preuve à l'envi. Il en fut récompensé par de l'avancement,
et passa bientôt aune préfecture beaucoup plus importante,
celle du département du Gard. C'était vers la fin de 1815.
Le vent ayant alors tourné à une espèce de modération,
M. d'Argout, habile à profiter des circonstances, se donna
le facile mérite d'empêcher une populace fanatisée de con-
tinuer à égorger les protestants au nom de la religion ca-
tholique, et répara ainsi les fautes commises dans l'adminis-
tration de ce département par son prédécesseur, M. d'Ar-
baud. Quand l'opposition de la chambre des pairs, en 18 19, A
força le ministre favori de Louis XVIII à changer la majo- I
rite de cette assemblée par une création de nouveaux pairs,
M. d'Argout fut compris par M. Decazes dans cette four-
née. Dans les idées de la Restauration, M. d'Argout, une
fois pair de France, ne pouvait plus occuper d'autres fonc-
tions publiques que celles de ministre ou d'ambassadeur :
la chute du parti Decazes , dont il était devenu l'une des co-
lonnes, le condamna par conséquent à l'obscurité et à l'ou-
bli pendant les neuf dernières années de la Restauration. On
peut voir à l'article Juillet (Révolution de) le rôle qu'il
joua dans ces fameuses journées.
Î\I. d'.\rgout, nous devons le reconnaître, fut alors £&rt
habile. En effet, si les propositions d'accommodement dont
il était porteur au nom du roi Charles X avaient été accep-
tées, qui ne comprenl tout le parti qu'il eût tiré de son in-
tervention dans ces circonstances critiques, décisives , où il
aurait eu la gloire de conserver la couronne à la branche
aînée.' Mais il était trop tard ; M. d'Argout le comprit à
merveille. Aussi eut-il hâte de prêter son appui et d'offrir
ses serments au nouveau pouvoir issu des barricades ; et ce
qui, dans une hypothèse, eût été l'acte du dévouement le
plus pur et le plus courageux à l'auguste famille de ses
rois ne fut donc plus de sa part que le résultat de l'indi-
gnation que lui avait fait éprouver la parjure violation du
grand pacte national, que le désir de faire cesser l'effusion
du sang français, qu'un hommage à la vertu héroïque des
immortels combattants de juillet !
Homme d'affaires ( nous n'aurions garde de dire homme
d'État, car il n'en avait pas les qualités), pratique, po-
sitif, 51. d'Argout, par ses conseils, fut très-utile au nou-
veau gouvernement, qui dès le 18 novembre 1830 lui
confia le portefeuille de la marine; et juscpi'en 183ion ie
vit constamment à la tète de l'administration, passant succes-
sivement du ministère de la marine à ceux de la justice, du
commerce et des travaux publics, puis de l'intérieur, agrandi
des cultes. En 1S3G il fut même fait ministre des finances,
et à cette occasion il se montra l'adversaire obstiné de la
réduction de la rente et de toute augmentation des droits
perçus sur la fabrication du sucre indigène.
Présenter ici le tableau complet des actes politiques et
administratifs de M. d'Argout depuis 1830, ce serait en quel-
que sorte faire l'histoire du règne de Louis-Philippe. Bor-
nons-nous à dire que M. d'Argout obtint dans le gouver-
nement de la Banque de France cette douce sinécure ea
même temps que cette haute position financière auxquelles
lui donnaient droit son dévouement sans réserve aux Bour-
bons de la branche cadette, ainsi que les services qu'en
sa qualité de ministre des finances il avait eu occasion de
rendre aux loups cerviers. La révolution de Février n'eut
garde de le troubler dans ses fonctions : les premiers
ministres des finances de celte époque avaiejit trop besom
de lui, dans leur inexpérience, pour s'en faire un cnnenii.
On se souvient avec quelle méticuleuse prudence l'établis-
ARGOUT — ARGUELLES
707
sèment que dirigeait M. d'Argout resserra alors ses opéra-
tions. Il n'en oblint pas moins du gouvernement provisoire
le cours forcé des billets de banque et ras;f;louioration de
tantes les banques en une seule. Le comptoir national d'es-
compte reçut seulement une souscription de 200,000 francs.
La Banque borna ses sacrifices à quelques prêts faits à
l'État ou à nos principales villes : aussi la vil-on changer
sa destination, et d'un élablissement de crédit devenir une
caisse de dépôt, dont les caves élaient encombrées d'un
capital iiivjiroductif. Au mois de décembre 1851, M. d'Ar;;otit
fut appelé à la commission consultative, et bientôt au sénat. Il
était déjà et resta membre de la commission municipale.
Le 10 juin 1837, sa démission de gouverneur de la Banque
de France lut acceptée, et il mourut à Paris le 15 janvier
1858. Depuis le 17 février 1844 il était membre libre de }'.\-
cadémiedes Sciences morales et politiques. Il était en outre
grand'croix de la Légion d'honneur.
Un de ses fils, M. Maurice d'Argoct, est receveur gé-
néral de la Côte d'Or et régent de la Banque. "
AltGOVIE (Canton d'). Ce canton, qui se divise en
onze districts, et qui a pour chef-lieu Arau ou Aarau, est
un des plus grands et des plus fertiles de la Suisse ; il est
borné au nord par le Rhin , qui le sépare du grand-duché
de Bade; à l'est par les cantons de Zurich et de Zug , au
sud par celui de Lucerne , à louest par ceux de Bâle, de
Soleare et de Berne; sa superficie est évaluée à 1,386 kilo-
mètres carrés. Il comprend l'ancienne Argovie bernoise ,
les bailliages libres , le' co.mté de Badcn , le Frichtchal et
les deux villes forestières de Rbeinfeldcn et de Laufen-
bourg, et est arrosé par le Rhin , l'Aar, la Reuss et la
Limmat, qui sont tous navigables. Le lac Haltuyl, qui a 8 ki-
lomètres de long sur deux de large , et qui est très-poisson-
neux , le baigne dans sa partie méridionale. Le climat de
ce canton, dont la population est de 182,800 habitants
(80,0C0 catholiques, 2,000 juifs, le reste protestants),
est très-varié ; le Jura en couvre la partie occidentale de
chaînons peu élevés dont les points culminants ne dépas-
sent pas 891 mètres; le reste est entrecoupé de plaines et
de collines fertiles en grains et en pâturages ; la culture y
est très-soignée ; on y récolte des céréales de toute espèce ,
des fruits, du vin, etc. Les montagnes entièrement boisées
forment environ 35,000 hectares de forêts en chênes, hêtres,
pins tt sapins. On y engraisse des bestiaux et le gibier
y abonde ; le sol renferme des mines de fer, de la houille ,
de la tourbe; on y exploite le calcaire, le gypse, l'alliàtre
et le grès. 11 y a des lavages d'or très-peu importants sur
l'Aar, de nombreuses sources minérales et des bains renom-
més , dont les plus célèbres sont ceux de Baden et de
Schiuznach. L'industrie y est active : on y fabrique des
tissus de coton , de soie , de fil , des chapeaux et autres
ouvrages en paille. On ea exporte des céréales , des fruits ,
des bestiaux et des tissus.
Le canton forme une république, avec gouvernement
représentatif. Les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire
sont séparés; aucune fonction n'est conférée à vie : le prin-
cipe de la liberté de conscience et de culte est consacré ;
tout citoyen ou suisse habitant le canton est sujet au service
militaire ; toute propriété est soumise à l'impôt; les citoyens
jouissent de leurs droits politiques à vingt-cinq ans; les capi-
tulations militaires avec l'étranger sont interdites.
La représentation nationale réside dans le Grand-Conseil
(Grosse-Ralh), composé de deux cents membres, moitié
catholiques, moitié réformés, élus pour six ans : cent quatre-
vingt-douze membres sont nommés par les assemblées élec-
torales etélisent eux-mêmes les huit autres. Ce conseil exerce
le pouvoir législatif, surveille les administrations, et nomme
les députés à la diète fédérale. Il élit son président et s'as-
semble deux fois par an.
Le pouvoir exécutif et la haute administration centrale
résident dans le petit-conseil ou la régence {klc'me-ralh ,
regierung ), composé de huit membres ( quatre catholiques
et quatre réformés) et d'un président, nommés pour six ans
par le grand-conseil et pris parmi ses membres. Le prési-
dent de la régence porte le titre de landamman.
Sous le rapport administratif, le canton est divisé en
bezirks ou arrondissements , dont l'administrateur civil est
clwisi par la régence pour six ans parmi les citoyens du
bcz'irk. Li haute cour de justice ( Ober-Gericht ) , composée
de neuf membres , juge en dernier ressort. Dans chaque
betirk il y a un tribunal de première instance. Deux comité»,
l'un catholique , l'autre réformé, sont chargés de l'adminis-
tration des cultes. Le canton dépend sous le rapport religieux
de l'évêché catholique de Bâle. Il renferme trois chapitres
collégiaux, quatre couvents d'hommes avec cent treize reli-
gieux, et quatre couvents de femmes avec quatre-vingt-sept
religieuses. Les juifs ont deux rabbins. Il y a dans le canton
une école industrielle , et une école normale ; dans chaque
bezirk une école élémentaire supérieure , et dans chaque
paroisse! une école primaire.
ARGUE, machine servant à dégrossir les lingots d'or,
d'argent ou de cuivre qui doivent ensuite passer pai des
filières plus fines.
On donne aussi ce nom aux ateliers établis par le gouver-
nement et garnis de tous les ustensiles propres à l'étirage des
matières d'or et d'argent. Il n'existe que trois établissements
de ce genre : à Paris, à Bordeaux et à Lyon. Les tireurs
d'or sont tenus d'y porter leurs lingots pour qu'ils y soient
dégrossis , marqués et tirés , aucun particulier ne pouvant
avoir en sa possession des outils ou instruments propres au
service des argues impériales, sous peine de confiscation
et d'une amende de 3,000 francs. Les tireurs d'or et
d'argent qui portent leurs lingots ailleurs qu'aux argues
impériales encourent les mêmes peines, quoique le lingot,
dans l'état où il est saisi, puisse subir des opératioTis
étrangères à l'argue (C. cass., 12 juill. 1817). Cependant
les fabricants de cuivre affiné peuvent avoir des argues par-
ticulières, à la charge d'en faire la déclaration à la pré-
fecture, à l'administration des monnaies et à celle des
contributions indirectes , mais seulement pour leur usage.
Ces fabricants sont alors soumis aux visites des employés
des deux administrations. ^
ARGUELLES (Augustin) , né en 1775 à Ribadasella,
dans les Asturies , étudia à Oviédo, où il se distingua par ses
dispositions heureuses et par la vivacité de son imagination.
Ses études une fois terminées, il obtint un emploi à Madrid
au secrétariat de la interpretacion de las lenguas. Il se
trouvait à Cadix en 1808 , au moment oii éclata la guerre
de l'indépendance , et fut élu par sa province député aux
Cortès de 1812 à 1814. 11 y fut attaché à la commission
chargée d'élaborer un projet de constitution nouvelle, et elle
lui confia la mission de rédiger un rapport demeuré célèbre
dans les fastes parlementaires de l'Espagne. Son talent
excita parmi les libéraux une admiration telle, qu'ils lui
décernèrent le surnom de divin en même temps que celui
de Cicéron espagnol. Au retour de Ferdinand VII dans ses
États, Arguelles fut lune des victimes de la réaction. Arrêté
et chargé de chaînes le 10 mai 1814, il montra tant de
présence d'esprit dans les différents interrogatoires qu'on
lui fit subir, que le tribunal, bien que renouvelé en entier
à cinq reprises , ne put jamais tomber d'accord et prononcer
de jugement. Le roi finit par évoquer la cause ; il s'en fit le
seul juge , et écrivit en marge du dossier : « Dix ans dans
le presidio de Ceula. » En s'y rendant, il fut interdit à
Arguelles de se procurer la moindre commodité; mais il
n'avait pas besoin de cette défense pour refuser les secours
en argent qui lui furent offerts par (pielqucs Anglais, à qui
il réjjondit ([u'il ne voulait rien accepter de sujets d'ini gou-
vernement qui, au mépris de ses promesses les plus solen-
nelles, n'avait pas assisté l'Espagne dans la conquête de ses
libertés. Le roi avait condainné en môme temps qu'Arguelles
708
quatorze autres individus prévenus tous du même délit,
l'amour de la liberté, entre autres Juan Alvarez Guerra, son
intime ami. De Ceuta ils furent transportés plus tard à
Alcudia, dans Tile de IMajorque, lieu que rend presque
inhabitable l'air malsain qu'on y respire. Us y furent l'objet
d'un traitement tellement rigoureux , que dans re?;pace de
quatre années il y en eut trois qui moururent et trois qui
perdirent la raison. Les autres, au moment où la révolu-
tion de 1820 leur rendit la liberté, étalent plus ou moins
gravement malades.
.\rguelles fut nommé, cette année-là , ministre de l'inté-
rieur ; mais le roi, dans son discours d'ouverture des Cortos,
le l'^'' mars 1821 , s'étant plaint de la faiblesse du pouvoir
exécutif, il donna sa démission. Quoique les souffrances
qu'il avait endurées eussnnt dû l'irriter, Arguelles ne se rat-
tacha jamais aux factions extrêmes. Il fit , au contraire ,
partie des Ani Héros ou modérés, et demeura constam-
ment dévoué à la constitution de 1813. Le l*^" juin 1823,
dans la séance des Cortès tenue à Séville, il vota pour la
suspension du pouvoir royal. Après le renversement de la
constitution, il se réfugia en Angleterre, où il resta jusqu'à
ce que l'amnistie de 1832 lui eût rouvert les portes de l'Es-
pagne. Lors de la publication de VEstatudo real, Arguelles
fut nommé député aux Cortès , à la suite d'ime souscription
volontaire ouverte par ses électeurs à l'effet de lui assurer
le revenu de 12,000 réaux fixé par la constitution nouvelle
comme condition d'éligibilité. Arguelles fut porté à diverses
reprises à la présidence et à la vice-présidence de la chambre
des procuradores, et s'y montra constamment le défenseur
des idées libérales , sans pour cela faire cause commune
avec les exaltàdos. Dans la discussion qui s'ouvrit au mois
de juillet 1S41 sur la vente des biens du clergé, il se pro-
nonça contre toute espèce de concordat avec la cour de
Rome. Lors de l'élection d'un régent , ce (ut lui qui , après
Espartero, obtint le plus grand nombre de voix (103 con-
tre 179); et à peu de temps de là il fut nommé à 180 voix
tuteur de la jeune reine Isabelle et de sa sœur.
La révolution de 1843 le trouva encore à ce poste, qu'il
dut céder provisoirement au duc de Baylen. La capitale ne
l'en choisit pas moins pour représentant le 22 janvier 1844 ;
mais ses jours étaient comptés , et il mourut d'une attaque
d'apoplexie le 23 mars suivant , à Madrid, La reine d'Espa-
gne lui a fait élever un nionurueiil.
On a reproché à Arguelles un grand nombre de faiblesses ;
entre autres, une vanité à toute épreuve, provoquée et
nourrie peut-être chez lui par l'espèce d'apothéose que ses
concitoyens lui ont décernée de son vivant. Quoiqu'il fût
impossible de le ranger au nombre des véritables hommes
d'État , on ne pouvait nier qu'il possédât un des talents
parlementaires les plus remarquables de notre époque , de
même qu'il fut l'un des hommes politiques les plus cons-
ciencieux et les plus honnêtes qui se produisirent au milieu
des discordes civiles de l'Espagne. 11 ne faut pas le confondre,
comme on l'a fait maintes fois, avec Canga-.\rguelles.
ARGUAIEKT ( du latin arguere, préciser ). On appelle
ainsi, en rhétorique et en logique, une conséquence tirée
de prémisses d'une vérité incontestable ou du moins extrê-
mement probable. Les arguments qu'emploie un orateur re-
çoivent une dénomination particulière , d'après les topiques
desquels ils sont tirés. C'est ainsi qu'il y aies argmnents de
sentiment, intéressant les passions de celui auquel ils
s'adressent ; les arguments a tuto, ad ignaviam, ab in-
vidia, etc.
Suivant Locke, nous employons ordinairement quatre
genres d'arguments. Le premier consiste à alléguer les
opinions d'hommes à qui leur savoir, leur puissance ou
leur haute position dans le monde, ou encore toute autre
cause , ont valu l'estime générale en même temps qu'une
espèce d'autorité : c'est l'argument ad verecundiam. Un
second mode consiste à exiger de ses a<lvcr>nires qu'ils ad-
ARGUELLES — ARGUS
mettent la vérité de ce qu'on leur dit être une preuve, ou
qu'ils en donnent une meilleure : c'est l'argument ad igno-
rantiam. Un troisième mode consiste à presser un homme
avec des conséquences tirées soit de ses propres principes
soit de ses propres concessions : c'est l'argument ad ho-
minem. Quatrièmement, les preuves d'usage, tirées de
quelques-unes des bases de la science ou de la probabilité:
c'est l'argument ad jndichnn , le seul des quatre , ajoute
Locke, qui soit vraiment instructif et qui nous aide à avancer
vers la science. Car 1° de ce que, par respect ou par tout
autre motif, je ne contredis pas un homme, il ne s'ensuit
pas pour cela qu'il ait nécessairement raison ; 2° de ce que
je ne vois pas de route meilleure, il ne s'ensuit pas que
celle où est un homme soit la bonne, et qu« je doive
la prendre ; 3° de ce qu'un autre m'a prouvé que j'ai tort,
il ne s'ensuit pas nécessairement que cet autre ait raison.
11 se peut que cela me dispose pour la vérité, mais cela ne
me la donne pas. Elle ne peut me venir que par des preuves
et des arguments, que par une lumière projetée par les
choses mêmes, et non par ma timidité, mon ignorance ou
mon erreur.
Bien que Locke n'en fasse point mention dans sa classifi-
cation , nous ne devons pas omettre ici un argnment qui a
bien son importance : c'est l'argument a haculo, autrement
dit argumentum baculmiim. L'argument du bâton est en
effet Vultima rnfio dans une foule de discussions. Il sert
de base à la fameuse maxime de l'Église catholique : Com-
pelle eos intrare.
V argumentation est le procédé oratoire par lequel on
réunit plusieurs arguments , ou par lequel on développe un
argument en diverses parties , soit pour démontrer la vérité
qu'on soutient , soit pour réfuter l'erreur qu'on combat.
En astronomie, on appelle argument la quantité de la-
quelle dépend une équation, une inégalité, une circonstance
quelconque du mouvement d'une planète. Ainsi l'argument
de la latitude de la lune est la distance de son lieu vrai à
son nœud , c'est-à-dire la distance du lieu qu'elle occupe
dans son orbite au point où cette orbite coupe celle de la
terre.
ARGUS (en grec'ApYo;), prince argien, fils d'Agénor ou
d'Arestor , surnommé Panoptès , c'est-à-dire qui voit tout,
possédait cent yeux , dont cinquante étaient ouverts pendant
que le sommeil fermait les cinquante autres. Il avait , en
conséquence, été commis par Junon à la garde de la mal-
heureuse lo, que Jupiter avait métamorphosée en génisse
pour la soustraire à la jalousie de sa divine épouse. Ce dieu,
inquiet du sort de sa maîtresse, donna ordre à Mercure de
tuer Argus. Mercure, en effet, endormit le gardien au son de
sa fliîte, puis le lapida, ou lui trancha la tête. Junon re-
cueillit soigneusement les yeux d'Argus et les sema sur la
queue du paon, qui lui fut dès lors consacré.
Voilà Argus d'après la mythologie grecque classique. Le
voici maintenant d'après la mythologie égjptienne, qui nous
paraît beaucoup plus diaphane : Argus , suivant Diodore de
Sicile , était fière d'Osiris. Osiris , voulant faire la conquête
de l'Inde , nomma régente de son empire Isis , sa sœur et
son épouse; .\rgus devint ministre. Mercure conseiller
d'État, Hercule généralissime de l'armée. Celui-ci ayant
formé le projet de pénétrer jusqu'à l'extrémité de l'Afrique,
le ministre ambitieux cmt que pendant son absence il lui
serait facile de s'emparer du royaume. Il enferma Isis dans
une tour et se fit proclamer maître souverain de l'Egypte
par ses cent intendants, qu'il avait lui-même choisis, et qui
lui étaient tellement dévoués qu'on les appelait les cent
yeux d'Argus. Cependant Mercure , furieux du dédain
qu'avait eu pour lui l'usurpateur, parvint à lever une ar-
mée , lui livra bataille , le vainquit et lui coupa la tête, d'où
lui vint le surnom d'Argyphonte.
Ce nom d'Argus a été commun à plusieurs princes d'Ar-
gos dont riiisloire est enveloppée de tcnèbres. Devenu de
ARGUS — ARIANK
nos jours populaire, il «lésigae fignromcnt et familièrement,
si l'on en croit TAcadémie , une jiersonne chargée d'eu sur-
veiller, d'en espionner une autre conlinuellenient.
ARGYLË, nom d'une illustre rainillc ducale d'Ecosse,
et d'un comte maritime de ce royaume.
Arc/iihald , comte d'AncvLE, fut l'un des honuiies poli-
tiques les plus importants de l'époque de Cromwell , et
Fami intime du protecteur. Créé marquis en iGil, il devint
le chef des presbytériens rigides ; en ICGl il périt sur l'o-
chafaud pour avoir pris part à la r ondainnatiou de Charles l'^
— Son lils appartenait au contraire au parti royaliste le plus
exalté, et fut nounué par Charles 11 capitaine des gardes.
Cependant il se brouilla avec la cour, et deux fois arrêté, il
fut toujours assez lieareux pour s'échaiiper. Sous le r(\gne de
Jacques il il embrassa le parti de .M on moût h, et fut déca-
pité à lidimbourg , en 1685. ( Voyez Campbklls [Clan des ]. )
ARGYRASPIDES,ou porteurs de boucliers d'argent,
nom d'un corps de fantassins, qui faisaient partie de la
garde d'Alexandre, et étaient armés de petits boucliers
d'aigent et d'une sarisse , ou longue lance. C'étaient des
troupes d'élite , et les plus estimées de toute l'armée macé-
donienne. Après la mort d'Alexandre, elles restèrent fidèles
aux princes de sa famille , et suivirent longtemps les dra-
peaux d'Eumène, qui défendait la cause de ces princes en
Asie, contre Séleucus et Antigone. 11 en comptait trois mille
dans son armée, à la bataille de Gadamarta. Son camp tomba,
pendant l'action, au pouvoir des troupes d'Antigone. 11
n'en fut pas moins vainqueur ; mais quand les argyraspides
s'aperçurent de la perte de leurs bagages, ils se mutinè-
rent , et les rachetèrent à l'ennemi en lui livrant leur gé-
néral. Ils ne jouirent pas longtemps du fruit de leur tra-
hison : ils venaient de donner un dangereux exemple;
Antigone voulut empêcher qu'il ne fût suivi ; il les dispersa
dans les provinces les plus reculées de l'Asie, et donna
ordre aux satrapes de les accabler de travaux et de mau-
vais traitements, afin qu'aucun d'eux ne pût jamais revoir la
Grèce. Léon Remer.
ARGYRIDES (de àpyopo;, argent). Eeudant donne ce
nom à une famille minéralogique se composant d'un genre
unique, formé lui-même de l'espèce unique argent.
ARGYROPULO ( Jean ) , l'un de ces savants grecs
qui, au quinzième siècle, apportèrent en Italie le goiit de
la littérature de leur patrie. Né à Constantinople dans les pre-
mières années du quinzième siècle, il vint à Padoue en 1434,
y séjourna quelques années, puis retourna enseigner la philo-
sophie dans la capitale de l'empire grec. La prise de cette ville
par les Turcs le fit revenir en Italie. Les Médicis l'appelèrent
à Florence, et il s'y fixa en 1456. 11 vint peu de temps après
à Paris, demander au roi de Tiance une somme dont il avait
besoin pour compléter la rançon de sa famille , captive des
Turcs ; puis retourna à Florence, oii i! enseigna pendant quinze
ans la littérature grecque. Il se rendit enfin à Rome, et y
mourut en 1480. Il avait traduit en latin plusieurs ou-
vrages d'Aristote. — Jean Arcyropilo, dit le jeune, fils du
précédent , enseigna aussi la littérature grecque en Italie. On
a de lui une traduction latine du Traité de l'Interpréta-
îion d'Aristote. Léon Remer.
ARG YROSE. Nom donné par Beudant à Vargent sicl-
furé. Voyez Argent.
ARGYRYTIIROSE. Nom donné par Beudant à Var-
gent autimonié sulfuré. Voyez Argent.
ARIA, ARLIA ou .ARIE, province de l'ancien empire
perse, bornée au nord par la Bactriane, au sud par la
Drangiane , à l'est i)ar la Paropamisie , à l'ouest par la
Parthie. Elle avait pour chef-lieu Aria , aujourd'hui Ilérat,
et correspondait au Sedjistan actuel et à la partie orientale
du Khorassan ou Khorazan, pays du soleil.
On étendait autrefois le nom d'Aria , ou d'.\riane, à toute
la contrée située entre la Perse et l'Inde; et alors elle
comprenait, outre l'Aria propre, les deux Caramanies, la
799
Gédrosie, rArachosic, la Drangiane , la Paropamisie , la
Choarènc , etc.
De ce nom , devenu ainsi commun à plusieurs contrées
de position et détendue fort diverses, il est résulté une
grande confusion dans la géographie de cette époque. C'est
sous la seconde acception du mot que nous retrouvons les
Ariens, les Ermans , les Aramans , dont le Zend désigne la
patrie par le nom d'Erium , Arièiue ou Isman , et le Schah-
namah par celui d'Ermau ou Iran. Les peuples de ces
deux langues y voyaient le pays des miracles, le berceau de
toute civilisation , la source des quatre grands fleuves cités
dans la Genèse.
ARIA CATTIVA ou .MAL'ARIA. Une partie des côtes
de l'Italie que baigne la Médilerranée s'élargit chaque an-
née par les sables qu'amoncelle cette mer. Le cours des
ruisseaux et des torrents en est arrêté ; la rupture de plu-
sieurs aqueducs , le manque de canaux, laissent séjourner
les eaux sur ces plages , d'où s'exhalent des miasmes pes-
tilentiels aux approches de la canicule : tels sont les Marais
Pontins, les Maremmes de Toscane, et quelques autres
lieux sur lesquels planent des vapeurs délétères, dont la ma-
lignité s'affaiblit en général à mesure qu'on s'élève au-des-
sus de la plaine. Ainsi, l'on distingue les zones ù'ariapes-
sima, d'aria cattiva, ariasospetta, sxifficiente, huona, et
enfin ottima .tel est Tivoli.
Avant la fondation de Rome , et pendant les cinq pre-
miers siècles de cette ville, on ne trouve rien dans l'his-
toire qui se rapporte au mauvais air dans cette contrée. Ses
plages, alors cultivées, et surtout plantées d'arbres, nounis-
saient un peuple nombreux ; les guerres civiles , les inva-
sions des barbares , ont diminué les habitants , laissé tom-
ber en ruines les travaux d'assainissement, et rendu dange-
reux pour tous, mortel pour beaucoup, le séjour de ces
côtes. La chaleur et l'humidité, le déboisement, le petit
nombre de faibles bras employés à l'agriculture , les mau-
vais aliments , les habits de toile substitués aux habiis de
laine que portaient les anciens, telles sont les causes
des fièvres et de la mortahté dans les Maremmes, dans les
Marais Pontins.
Rome même se ressent de cette influence meurtrière,
dans plusieurs de ses quartiers , depuis le mois de juillet
jusqu'à la fin d'octobre. Il suffit souvent aux voyageurs de
traverser ces basses terres pour être atteints de la fièvre.
On lit dans Targioni qu'un signe infaillible du commencement
de la mal'aria dans les Maremmes est le départ des moi-
neaux, qui s'éloignent vers le solstice d'été, et ne revien-
nent qu'au milieu de l'hiver. Les efforts tentés pour assai-
nir la campagne de Rome ont été jusqu'ici sans
résultat. C"*' DE CRADf.
AR!A DI BAULE , mots italiens qui signifient air de
malle. Les amateurs donnent ce nom à deux ou trois airs
que tout bon chanteur d'au delà des monts semble emporter
avec lui au fond de sa malle quand il voyage, et qui consti-
tuent presque uniquement son répertoire. C'est à peu près
ce que nous avons nommé air de pacotille. Voyez Air.
ARIANE, ou ARIADNE, était fille du roi Minos et de
Pasiphaé. A la vue de Thésée, arrivé en Crète avec les
autres jeunes gens que les Athéniens étaient obligés d'y en-
voyer annuellement comme tribut, elle s'éprit d'amour
pour lui et mit dans ses mains le fil au moyen duquel il de-
vait se reconnaître dans les détours du laby rinthe et tuer
le Minotaure, auquel on livrait les jeunes Athéniens. i^Ile
se sauva, ensuite, avec Thésée; mais l'ingrat l'abandonna
dans l'île de Naxos, oii elle mourut.
Suivant une autre version, elle aurait été trouvée endormie
dans cette île par Dionysus (Bacchus ), dieu du plaisir, tou-
jours brillant de jeunesse et de fraîcheur, qui, revenant de
sa glorieuse expédition des Indes, aurait paru tout à coup
devant elle, entouré de ses compagnons et de ses esclaves,
qui faisaient retentir l'airdu bruit de leurs joyeuses chansons
800
ARIANE — ARIAS MONTANUS
et du son de leurs flûtes et de leurs cymbales. 11 aperçut
la belle donneuse, et a5da au pouvoir de ses cliarmes. Ariane
se réveilla pour tomber dans ses bras et devenir l'épouse
du plus aimable des triomphateurs.
Sa couronne , transformée par Bacchus en constellation
brillante, annonce encore de quelle félicité a dû jouir celle
qui l'a portée. Les peintres, les sculpteurs et les poètes an-
ciens et modernes ont traité ce brillant sujet de mille fa-
çons différentes. On possède des pierres précieuses sur
lesquelles est gravée Thistoire d'Ariane. Il y a aussi une
Ariane parmi les peintures d'Herculanum. En France elle a
fourni le sujet de plusieurs opéras et de plusieurs tragédies.
ARIAA'E, ou ARIADNE, princesse grecque, fille de
l'empereur Léon l""", fut successivement l'épouse de Zenon
risaurien et d'Anastase, que son choix éleva au trône de
Constantinople. Elle mourut en 515. On a prétendu que,
dégoûtée des actes de barbarie de son premier époux , elle
l'avait fait enterrer pendant qu'il était ivre pour épouser
le second.
ARI.W'ISME. Voyez Ahtkn;.
ARIARATHE I-X, rois de Cappadoce. Voyez Cap-
PADOCE.
ARIAS MOXTWUS (Be>oÎt), né en 1527, h. Frexe-
nal, petit bourg situé non loin de Séville, descendait d'uae
famille noble, mais pauvre. Après avoir consacré toute sa
jeunesse à l'étude approfondie des langues grecque et latine,
et à celle de la littérature orientale , dans laquelle il avait
réussi à faire des progrès immenses, il entreprit un voyage
à travers la plupart des pays de l'Europe, à l'effet d'ajouter
encore à ses connaissances déjà si étendues par l'étude des
langues vivantes. L'évêque de Ségovie l'emmena ensuite avec
lui au concile de Trente, où il réussit par ses bons et utiles
avis à inspirer à chacun la plus haute idée de ses talents
et de sa capacité.
A son retour en Espagne, Arias Montanus alla s'enfermer
dans la soUtude d'un cloître situé au milieu des montagnes
de r.\ndalousie, à l'effet de s'y livrer sans distraction à ses
études favorites; mais Philippe II l'arracha à son obscurité,
et le chargea de préparer une nouvelle édition de la Bible
polyglotte, qui fut imprimée à Anvers chez les célèbres Plan-
tin, chef-d'œuvre typographique dont la publication eut lieu
en huit volumes in-folio, de l'an 15G9 à l'an 1572. Quoique
plus chère que l'édition anglaise , celle-ci n'est pas aussi
correcte, .\rias Montanus enrichit cet ouvrage de transcrip-
tions et d'explications chaldéennes; mais il lui est échappé
quelques fautes dans sa traduction de San-Pagnino , déjà si
peu exact lui-même.
Philippe II lui ayant offert un évêché en récompense de
ce travail, notre modeste érudit se contenta d'un bénéfice
de l'ordre de Saint-Jacques et du titre de chapelain du roi.
11 mourut en 1591. De ses nombreux ouvrages, les plus
estimés sont ses Antiquités Juives, en neuf livres (Leyde,
1596, in-4°). On les trouve aussi dans l'édition d'Anvers de
la Bible polyglotte.
FIN DU PREMIER VOLUME.
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